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Full text of "Le café, le chocolat, le thé"

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LE  CAFÉ 

LE  CHOCOLAT.  LE  THÉ 


LE    DOCTEUR   A.    RIANT 


PARIS 
LIBRAIRIE    HACHETTE    ET    C^- 

79,  BOULEVARD  SAINT-GERMAIN,  ?& 


1875 


LE  CAFÉ 

LE  CHOCOLAT,   LE  THÉ 


pip,  '9.  —   Lp  Cacaoyer. 


LE  CAFÉ 

LE  CHOCOLAT,  LE  THÉ 

LE   DOCTEUR   A.    RIANT 

Ouvrage  contendnt  30  figurer 


PARIS 
LIBRAIRIE  HACHETTE  ET  C'« 

79,    BOULEVARD   SAINT-GERMAIN,    79 
1875 


PRÉFACE 


Le  café,  le  chocolat,  le  thé,  paraissent  aujour- 
d'hui sur  toutes  les  tables. 

Repas,  ou  compléments  plus  ou  moins  obli- 
gés de  nos  repas,  ces  boissons,  par  leur  parfum 
agréable,  par  l'influence  de  l'usage,  de  la  mode, 
par  Tattrait  des  réunion-s  dont  elles  sont  le  pré- 
texte ou  l'accompagnement,  ont  pris  une  place 
singulièrement  importante  dans  notre  alimen- 
tation comme  dans  nos  habitudes. 

Combien  peu  cependant,  parmi  ceux  qui  eu 
font  journellement  usage,  connaissent  l'histoire, 
l'époque  de  l'importation,  les  difficultés  de  l'ac- 
plimatation  de  chacune  de  ces  boissons  ! 


M  PKEFAGL 

Elles  sont  si  complètement  naturalisées  au- 
jourd'hui chez  nous,  que  notre  imagination  a 
peine  à  concevoir  ce  que  nos  grands  aïeux  pou- 
vaient bien  prendre  à  leur  repas  du  matin,  à  la 
lin  de  leur  diner,  ou  aux:  réunions  qui  rappro- 
chaient la  famille  ou  les  amis,  alors  que  ces 
boissons  d'origine  exotique  étaient  encore  in- 
connues. 

Vulgariser  une  histoire  aussi  curieuse  qu'ins- 
tructive, mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  la  des- 
cription illustrée  de  l'arbre,  de  l'arbuste,  qui 
fournissent  le  cacao,  le  café,  le  thé,  donner 
quelques  détails  pratiques  sur  la  préparation 
des  boissons  qu'on  en  tire  :  tel  est  le  premier 
objet  que  s'est  proposé  l'auteur  de  ce  petit 
livre. 

En  présence  de  la  consommation  toujours 
croissante  de  ces  boissons,  et  des  discussions 
tant  de  fois  élevées  sur  leur  valeur,  il  n'était  pas 
sans  intérêt  d'examiner  si  le  goût,  si  la  passion 
du  public  sont  justifiés,  si  le  café,  le  chocolat, 
le  thé  méritent  la  place  qu'ils  occupent  au  bud- 
get de  chacun,  si  la  santé,  elle  aussi,  trouve  son 
compte  à  leur  usage,  si  Thygiène  bien  entendue 
peut  les  accepter  ou  les  recommander. 


PREFACE  VII 


Enfin,  comme  si  le  goût  de  plus  en  plus  pro- 
noncé du  public  ne  leur  assurait  pas  déjà  une 
source  suffisante  de  gains  légitimes,  le  com- 
merce, l'industrie  ont  tenté  parfois  de  centu- 
pler leurs  profits,  en  altérant,  en  falsifiant  les 
éléments,  graines  ou  feuilles,  qui  servent  à  pré- 
parer ces  boissons. 

Qui  ne  voudrait  connaître  ces  pièges  tendus  à 
la  bourse  et  à  la  santé  de  chacun,  pour  mieux 
s'en  défendre  ? 

Voilà  pour  l'individu. 

Quant  à  la  famille,  à  la  société 

—  Eh  quoi!  dira-t-on, faites-vous  à  cette  petite 
graine  de  café,  à  cette  simple  feuille  de  thé 
l'honneur  de  croire  qu'elles  portent  si  loin  et  si 
haut  leur  influence  ! 

—  Pourquoi  non? 

Qui  pourrait  nier  le  rôle  social  des  établisse- 
ments que  l'on  appelle  Cafés,  leur  influence  sur 
les  habitudes  d'ordre,  d'économie,  de  travail  ; 
l'inévitable  résultat  du  contraste  malsain  de 
tout  le  luxe  que  l'on  y  voit  avec  l'intérieur  rela- 
tivement simple,  modeste,  que  l'on  trouve  au 
retour  ? 

Qui  verrait  sans  eff'roi  le  chifl're  de  la  consom- 


pRKFvrr 


mation  de  Talcool,  des  liqueurs  enivrantes  grossir 
tous  les  jours  à  la  faveur  du  café  ? 

La  même  table,  le  même  plateau  présentent 
au  consommateur  les  deux  boissons.  Là,  4e  café 
n'est  plus  qu'un  anodin  prélude,  qu'un  prétexte 
menteur  pour  la  consommation  de  l'eau-de-vie, 
de  l'alcool,  sous  toutes  ses  formes.  Tel  qui  n'ose- 
rait s'asseoir  devant  une  table  chargée  de  li- 
queurs, n'a  plus  de  scrupule,  si  à  côté  du  petit 
verre  figure  la  tasse  de  café...  Enfin,  le  tabac, 
autre  accessoire  obligé  du  café,  ne  manque  pas 
d'exciter  par  son  acre  fumée  une  soif  factice,  et 
le  besoin  de  libations  nouvelles. 

Dans  un  autre  volume,  nous  faisons  l'histoire, 
et  nous  disons  l'influence  de  V alcool  et  du  tabac  : 
ici,  il  suffisait  d'indiquer  ces  dangers  trop  réels. 

Tout  autre  est  le  rôle  social  du  thé. 

Loin  de  séparer  la  famille,  il  la  réunit.  Voyez 
les  repas  de  thé  en  Angleterre  ou  en  Russie. 
Soir  et  matin,  chacun  des  membres  de  la  famille 
est  présent,  l'usage  le  veut,  à  ces  réunions  dont 
on  ne  saurait  contester  la  bienfaisante  influence 
morale. 

Chez  nous,  où  la  famille  est  en  général  moins 
nombreuse,   moins  agglomérée,   moins   disci- 


PREFACE 


plinée,  le  thé  est  encore  une  occasion  de  socia- 
bilité, et  peut  lutter  avec  quelque  succès  contre 
les  causes  d'isolement  ou  de  désunion. 

Lorsque  tant  d'efforts  rivalisent  pour  affaiblir 
du  pour  briser  les  liens  de  la  famille  ou  les 
rapports  sociaux,  ne  faut-il  pas  faire  une  place 
honorable  à  ce  qui  tend  à  les  resserrer,  ou  à  les 
rapprocher? 

A  ce  titre,  la  modeste  feuille  de  thé,  et  la 
salutaire  boisson  qu'elle  fournit,  ne  sont  pas 
sans  valeur. 

Dans  cette  esquisse  sans  prétention,  l'auteur 
a  donné  aux  notions  élémentaires,  usuelles, 
pratiques,  toute  l'importance  qu'elles  devaient 
avoir,  ne  négligeant  rien  de  ce  qui  pouvait 
intéresser  ou  servir. 

Nous  espérons  que  le  lecteur  voudra  bien 
pardonner  au  médecin,  au  moraliste,  d'avoir 
quelquefois  élargi  le  cadre  de  cette  étude. 


LE   CAFÉ 


Histoire  du  café 

C'est  une  histoire  curieuse  à  plus  d'un  titre  que 
celle  de  cette  petite  graine,  connue  dans  notre  pajs 
depuis  deux  siècles  à  peine,  et  qui  a  fait  tant  parler 
d'elle,  sans  que  les  critiques  des  uns  ou  les  éloges 
des  autres  aient  retranché  ou  ajouté  quelque  chose 
à  la  faveur  dont  elle  est  lobjet. 

La  graine  de  café,  que  chacun  connaît  aujour- 
d'hui, et  la  boisson  d'un  usage  universel  qu'elle 
sert  à  préparer,  sont  des  importations  toutes  récen- 
tes en  France,  et  même  en  Europe,  où  elles  n'ont 
pénétré  qu'au  xyu^  siècle. 

L'arbrisseau  qui  produit  cette  graine,  et  que 
nous  décrivons  plus  loin,  est  originaire  de  l'Orient 
Veut-on  quelque  chose  de  plus  précis,  on  trouve^ 
comme  pour  les  hommes  célèbres,  plusieurs  con- 
trées qui  se  disputent  l'honneur  de  lui  avoir  servi 
de  patrie  d'origine;  on  ne  compte  plus  celles  qui 
l'ont  adopté. 

1 


Z  LK    CAFE 

Cependant  la  Haute-Egypte,  l'Abyssinie,  et  par- 
ticulièrement la  province  de  Kaffa  paraissent  avoir 
été  le  sol  natal  du  caféier. 

Un  écrivain  anglais  raconte  que  les  peuplades 
sauvages  de  ce  pays  furent  les  premières  qui  firent 
usage  des  grains  de  café.  La  préparation  qu'elles 
leur  faisaient  subir  différait  quelque  peu  de  celle 
que  nous  y  avons  substituée  plus  tard. 

Le  grain,  broyé,  pulvérisé,  mélangé  avec  de  la 
graisse,  était  réduit  en  pâte,  que  l'on  divisait  en 
petites  boules.  Ces  boules,  au  nombre  de  deux  ou 
trois,  formaient  la  ration  alimentaire  de  chaque  in- 
dividu, dans  les  excursions  ou  à  la  guerre. 

Ainsi ,  le  café  aurait  été  un  aliment  avant  d  être 
une  boisson.  On  verra  plus  loin  s'il  a  perdu  tout  à 
fait  la  première  qualité  en  passant  sous  la  nouvelle 
forme  que  nous  connaissons. 

De  la  Haute-Egypte,  le  café  aurait  été  transporté 
en  Arabie,  et  il  n'est  pas  étrange  que  la  culture  si 
importante  qu'il  a  reçue  dans  la  province  d'Yémen, 
sur  les  bords  de  la  mer  Rouge,  ainsi  que  l'excel- 
lence des  fruits  du  caféier  des  environs  de  Moka,, 
aient  pu  faire  prendre  cette  terre  d'adoption  pour 
sa  véritable  patrie. 

Si  on  cherche  à  établir  l'époque  où  les  Orientaux 
eux-mêmes  ont  connu  cette  graine  merveilleuse, 
on  ne  trouve  pour  dissiper  Tobscurité  qui  enve- 
loppe ces  premières  origines  ,  que  des  légendes 
plus  ou  moins  contestables. 

Parmi  les  fables  répandues  à  ce  sujet,  il  e»  est 


une  qui  attribue  la  découverte  du  café  à  un  mu- 
sulman du  nom  de  Mollah  Chadelly.  On  raconte 
que  ce  musulman,  ne  sachant  comment  vaincre  le 
sommeil,  qui  venait  par  trop  souvent  interrompre 
ses  méditations  nocturnes,  appela  Mahomet  à  son 
aide.  Le  secours  ne  se  fit  pas  longtemps  attendre. 
Guidé  par  l'esprit  du  prophète,  le  pieux  musulman 
rencontra  un  pâtre.  Celui-ci  lui  apprit  que  ses 
chèvres,  quand  elles  avaient  mangé  les  baies  d'un 
certain  arbre,  le  caféier,  sautaient  et  bondissaient 
toute  la  nuit,  sans  pouvoir  dormir.  La  leçon  ne  fut 
pas  perdue.  Le  musulman  prépara  avec  ces  baies 
une  infusion  qui  lui  procura,  comme  aux  chèvres, 
une  excitation  toute  spéciale  :  il  dormit  moins...  et 
sans  doute  il  pria  mieux. 

Le  parfum  du  café  est  trop  pénétrant  pour  que 
l'usage  de  cette  précieuse  liqueur  ait  pu  rester  long- 
temps un  secret.  Le  café  passa  de  la  table  du  mu- 
sulman à  celle  des  derviches,  puis  à  celle  des  doc- 
teurs de  la  loi,  et,  de  proche  en  proche,  il  se  répan- 
dit partout  dans  tout  l'Orient, 

Une  autre  tradition  attribue  la  découverte  des 
propriétés  du  café  au  prieur  d'un  couvent  de  Ma- 
ronites. 

Un  grand  nombre  de  légendes  ont  été  transmi- 
ses sur  les  origines  de  l'usage  du  café;  presque 
toutes  font  allusion  à  cette  merveilleuse  propriété 
qu'il  possède  d'éloigner  le  besoin  du  repos,  et  attri- 
buent le  premier  usage  de  cette  liqueur  à  des  reli- 
gieux obligés  de  lutter  contre  cet  ennemi  de  la 


1  LE    CAFIC 

prière  et  de  la  méditation  nocturnes,  le  sommeil. 

Que  ces  histoires  soient  vraies  ou  controuvécs, 
le  fait  est  qu'à  la  fin  du  xvi^  siècle,  les  Arabes 
vendaient  du  café  dans  les  rues  de  la  ville  du 
Caire. 

Après  la  propagande,  la  persécution. 

Ceux-là  mêmes  qui  avaient  exalté  les  propriétés 
du  café,  en  devinrent  les  ennemis.  Le  café,  qui 
devait  servir  à  tenir  éveillés  prêtres  et  fidèles,  avait 
bientôt  fait  abandonner  les  temples  pour  les  bouti- 
ques où  Ton  débitait  la  boisson  nouvelle.  Mais 
comment  la  prohiber  ?  La  religion  de  Mahomet  dé- 
fend l'usage  du  vin  :  le  café  est  assimilé  au  vin,  et, 
sous  prétexte  qu'il  est  aussi  une  liqueur  enivrante, 
le  voilà  rigoureusement  interdit. 

Persuasion,  prohibition,  tout  fut  en  vain  mis  en 
œuvre  contre  la  liqueur  à  la  mode  :  on  eut  recours 
à  la  violence. 

Un  écrivain  arabe  raconte  que,  vers  1538,  des 
buveurs  de  café  furent  surpris  dans  une  boutique, 
saisis,  mis  en  prison,  et  que,  le  lendemain  matin, 
ils  ne  furent  mis  en  liberté  qu'après  avoir  reçu 
chacun  dix-sept  coups  de  bâton. 

Il  était  défendu  de  boire  du  café,  même  chez  soi, 
et  les  peines  les  plus  ignominieuses  furent  infligées 
aux  contrevenants. 

Comme  il  arrive  toujours,  la  rigueur  de  la  per- 
sécution dont  le  café  était  f objet  n'eut  d'autre  effet 
que  d'en  populariser  Tusage.  Chacun  voulut  pren- 
dre la  liqueur  prohibée.  Quant  à  ceux  qui  la  prohi- 


LE   CAFE 


,  baient,  ils  s'aperçurent  bientôt  qu'ils  avaient  mieux 
à  faire  que  d'user  d'inutiles  et  improductives  ri- 
gueurs :  ils  taxèrent  les  vendeurs  de  café,  et  cessè- 
rent désormais  de  lutter  contre  une  passion  qui 
devenait  une  source  assurée  de  gros  revenus. 

Les  choses  marchèrent  si  bien,  qu'en  vingt-cinq 
ans,  il  s'était  établi  dans  la  ville  du  Caire  plus  do 
2,000  boutiques  où  l'on  vendait  du  café. 

Du  Caire,  le  café  passe  à  Constantinople,  où  nous 
le  trouvons  en  vogue  vers  1560. 
Enfin,  il  pénètre  peu  à  peu  chez  nous. 
C'est  Louis  XIV  qui  a  bu  la  première  tasse  de 
café  préparée  en  France. 

Le  café  valait  alors  140  francs  la  livre.  On  ne  se 
doutait  guère  qu'il  se  vendrait  bientôt  par  millions 
de  kilogrammes ,  et  que  cette  délicieuse  liqueur 
serait  un  jour  à  la  portée  de  tous. 

Le  café  donna  son  nom  aux  établissements  où 
1  on  vendait  la  boisson  nouvelle. 

Plusieurs  boutiques  s'ouvrirent  dans  Paris  pour 
la  préparation  et  la  vente  du  café,  mais  elles  eurent 
d'abord  peu  de  succès. 

Le  café  réussit  mieux  à  la  cour  et  dans  la  haute 
société. 

On  cite,  vers  1647,  Thévenot  comme  un  des  pre- 
miers qui  ait  offert  du  café  aux  amis  qu'il  invitait 
à  dîner. 

Soliman  Aga,  ambassadeur  de  la  Porte  près  de 
Louis  XIV,  concourut  singulièrement  à  la  vogue 
du  café,  par  la  magnificence   tout  orientale  avec 


b  LE    GAFK 

laquelle  il  faisait  servir  aux  dames  et  aux  seigneurs 
de  la  cour  la  liqueur  nouvelle. 

Une  femme  pourtant  s'éleva,  dit-on,  contre  cette 
mode.  Madame  de  Sévigné  aurait  affirmé  que  la 
faveur  du  café  ne  serait  que  passagère  ;  elle  disait 
que  Racine  (l'auteur  de  Phèdre  et  d'Athalie)  «  pas- 
serait comme  le  café.  » 

On  sait  ce  qui  est  advenu  de  cette  double  pro- 
phétie, ou  plutôt  de  cette  boutade,  peu  authentique, 
au  reste,  car  on  n'en  trouve  aucune  trace  dans  les 
lettres  de  cette  femme  d^esprit,  qui,  loin  d'en  mé- 
dire, faisait  volontiers  usage  de  cette  liqueur. 

Racine  a  conservé  dans  notre  théâtre  et  dans 
notre  littérature  une  place  que  nul  ne  songe  à  lui 
contester  ni  à  lui  enlever.  Les  médiocrités  dont  s'af- 
fole, à  toute  époque,  un  public  blasé  et  ignorant  n'ont 
ri^n  à  voir  avec  la  littérature  saine  et  les  œuvres 
de  goût  qui  font  la  gloire  et  l'honneur  du  pays. 

Quant  au  café ,  sHl  fallait  continuer  cette  com- 
paraison, mise  on  ne  sait  pourquoi  ni  par  qui 
sur  le  compte  d'un  esprit  aussi  distingué ,  il  a 
trouvé  partout  des  amateurs,  capables  d'apprécier 
la  finesse  de  son  arôme.  Leur  engouement  va  même 
jusqu'à  savourer^  sous  le  nom  de  café,  un  breu- 
vage où,  comme  nous  le  verrons  plus  loin  ,  la  fève 
d'Arabie  n'entre  plus  pour  rien,  et  dont  la  chi- 
corée, ou  des  substances  plus  modestes  encore, 
font  presque  tous  les  frais. 

Accueilli  en  France  avec  une  grande  faveur,  le 
café  s'introduit  également  en  Angleterre. 


LE   CAFK  7 

C'est  en  165:2  q\i3  le  café  apparaît  à  Londres  pour 
la  première  fois.  Un  marchand  du  nom  d'Edwards 
avait  rapporté  d'Orient  quelques  balles  de  café,  et  - 
emmené  avec  lui  un  serviteur  grec  habile  à  pré- 
parer la  boisson  nouvelle.  La  foule  assiégeait  le 
domicile  d'Edwards.  Bientôt  le  serviteur  ouvrit  lui- 
même  boutique  dans  Nev;man's  Court  Cornhill, 
là  précisément  où^  dit  Tauteur  anglais  d'une  notice 
sur  les  propriétés  du  café,  se  trouve  aujourd'hui  le 
Virginia  coffee-house. 

Cependant  les  boutiques  où  se  vend  le  café  vont 
faire  concurrence  aux  tavernes  où  se  débitent  les 
boissons  alcooliques,  le  genièvre  et  l'eau-de-vie. 

Plus  soucieux  de  faire  des  hommes  des  instru- 
ments dociles  de  sa  puissance,  que  d'exciter  dans 
les  esprits  une  généreuse  mais  inquiète  ardeur, 
Cromwell  fait  fermer  les  cafés,  et  accorde  des  li- 
cences aux  tavernes  qui  distribuent  les  liqueurs 
enivrantes. 

Chose  étrange  !  le  café  ne  s'est  pas  encore  entiè- 
rement relevé  de  ce  coup.  Aujourd'hui  même,  on  a 
peine  à  trouver  à  Londres  quelques  rares  établis- 
sements qui  puissent  être  comparés  avec  ceux  que 
nous  possédons,  et  la  liqueur  vendue,  en  Angle- 
terre, sous  le  nom  de  café  est  un  détestable  breu- 
vage, bien  peu  fait  pour  en  inspirer  le  goût.  La 
préparation  du  café  est  inconnue  du  public  anglais, 
et  la  formule  est  encore,  à  l'heure  qu'il  est,  une 
sorte  de  mystère  réservé  à  quelques  clubs  aristo- 
cratiques, ou  à  de  rares  familles  qui  ont  vécu  sur 


8 


LE    CAFE 


le  continent,  et  en  ont  rapporté  le  précieux  secret. 

En  revanche,  les  débits  de  liqueurs  enivrantes 
étalent  à  chaque  pas  dans  ce  pays  leur  luxe  mal- 
sain. Une  foule  d'individus  en  haillons  s'y  presse. 
Le  gin,  les  liqueurs  fortes,  voilà  le  breuvage  que 
recherchent  tant  d'êtres  dégradés,  abrutis ,  sans 
pain,  sans  feu,  sans  vêtements,  qui  n'ont  plus  de 
force  pour  le  travail,  qui  n'ont  plus  honte  de  leurs 
excès  et  de  leur  misère  !  là  aussi,  est  la  cause  de  cette 
effroyable  mortalité  des  villes  manufacturières  de 
TAngleterre. 

Sous  les  influences  combinées  du  climat,  des  ha- 
bitudes, de  la  pression  de  l'autorité,  le  café  avait 
peu  de  chances  de  lutter  avec  avantage ,  en  Angle- 
terre, contre  la  passion  pour  ces  boissons  incen- 
diaires. Il  est  juste  d'avouer  que  cette  liqueur  fut 
mieux  accueillie  dans  le  grand  monde,  témoin  ces 
deux  vers  de  Pope  : 

((  Coflfee,  which  makes  ihe  politician  wise, 

And   see  througli  ail  things  with  his  half  shut  eyes.  » 

«  Le  café  qui  ajoute  à  la  sagesse  de  l'homme  d'État, 
et  lui  donne  comme  une  sorte  de  seconde  vue.  » 

Peu  de  temps  après  que  l'usage  du  café,  importé 
jusque-là  par  les  Génois  et  les  Vénitiens,  eut  été 
introduit  en  France,  les  Hollandais  réussirent  à  ac- 
climater le  caféier  dans  leurs  diverses  possessions^, 
et  particulièrement  à  Java.  Plusieurs  plants  furent 
npportés  .  en    1710,  à  Amsterdam,   puis  du  Jardin 


1.  —  Desclieux  partage  sa  ration  d'eau  avec  le  plant  de  café 
destiné  à  la  Martinique, 


10  LE   CAFÉ 

botanique  d'Amsterdam  en  France,  dans  les  serres 
du  Jardin  dos  Plantes,  d'où  Tun  d'eux  fut  trans^ 
porté  à  la  Martinique,  et  devint  l'origine  des  plan- 
tations de  café  si  considérables  aujourd'hui  dans 
les  Antilles  et  en  Amérique. 

Cette  histoire  mérite  d'être  racontée.  Trois  pieds 
de  café,  venant  du  Jardin  des  Plantes,  avaient  été 
confiés  par  Antoine  de  Jussieu  ,  professeur  de  bota- 
nique au  Jardin,  au  capitaine  Desclicux,  chargé  de 
les  transporter  à  la  Martinique  (fig.  1).  Deux  périrent 
en  route  ;  le  troisième  ne  put  vivre  jusqu'au  terme 
du  voyage  que  grâce  au  dévouement  du  capitaine 
qui  dut  partager  sa  ration  d'eau  douce  avec  le 
jeune  arbrisseau.  C'est  celui-là  même  qui  se  mul- 
tiplia de  telle  sorte  qu'il  couvrit  bientôt  le  sol  de 
la  Martinique  ,  de  la  Guadeloupe ,  de  Saint  -  Do- 
mingue,  de  Cayenne  et  de  la  Jamaïque, 

Cependant  la  vogue  du  café  continuait  en  France, 
et  à  Paris  en  particulier. 

A  la  faveur  du  café,  le  sucre  commence  aussi  à 
courir  les  rues,  le  sucre,  qui,  jusque-là,  s'achetait 
à  l'once  chez  les  pharmaciens.  On  peut  bien  dire  : 
courir  les  rues,  parce  qu'en  effet  on  voyait  dans 
Paris,  des  marchands  qui  portaient  dans  la  rue  , 
sur  un  éventaire,  un  réchaud  et  une  cafetière,  en 
criant  du  café.  Ceux  qui  en  voulaient  faisaient 
monter  chez  eux  le  marchand  «  qui  remplissait 
leur  tasse  pour  deux  sous,  en  fournissant  aussi  le 
sucre,  »  dit  la  chronique  du  temps. 

On  verra  plus  loin  quelle  importante  révolution 


LE   CAFÉ  11 

économique  se  rroduisit  à  la  suite  de  ces  modestes 
débuts. 

Les  premières  boutiques  où  l'on  vendit  du  café 
étaient  assez  mal  tenues  et  assez  mal  fréquentées. 
L'une  fut  établie  à  la  foire  Saint-Germain,  en  1672. 
Plus  tard,  il  s'en  installa  une  sur  le  quai  de  l'Ecole, 
et  rue  Mazarine. 

Procope  fut  le  premier  qui,  qîiel(Jues  années  plus 
tard,  ouvrit  un  café  convenable,  orné  de  glaces,  et 
de  ces  tables  luxueuses  qui  semblent  ajouter  leurs 
séductions  nécessaires  aux  charmes  de  la  précieuse 
liqueur.  C'est  en  face  de  l'ancienne  Comédie-Fran- 
çaise ,  que  fut.  fondée  cette  maison  élégante ,  qui 
existait  encore  dans  ces  derniers  temps.  Là,  se 
donnaient  rendez-vous  les  auteurs,  les  gens  de  let- 
tres et  les  savants  :  Voltaire,  Piron,  Lafontaine  et 
Fontenelle  y  passèrent  de  longues  heures.  La  bois- 
son à  la  mode  n'était  que  le  prétexte  de  réunions, 
où  l'on  peut  dire  que  l'on  dépensait  plus  d'esprit 
encore  que  de  café. 

Peu  à  peu  les  boutiques  de  ce  genre  se  multi- 
plièrent. A  la  fin  du  règne  de  Louis  XV,  il  y  avait 
plus  de  600  cafés  à  Paris. 

Maintenant,  on  ne  les  compte  plus. 

Aujourd'hui ,  ce  n'est  plus ,  comme  au  xvni^  siè- 
cle, l'esprit  qui  y  attire.  Un  luxe,  qui  a  dépassé  toute 
limite,  forme  le  principal  attrait  de  ces  somptueu- 
ses boutiques.  Si  rintelligence  a  peu  de  chose  à  y 
gagner,  en  revanche  la  morale,  les  habitudes  éco- 
nomiques et  sociales,  la  santé  même,  ne  reçoivent- 


12'  Lt:    CAFÉ 

elles  pas  une  sérieuse  et  réelle  atteinte  de  ces  lon- 
gues heures  d'oisiveté,  de  ces  dépenses  inutiles  si 
souvent  répétées,  de  l'entraînement  du  jeu,  des 
séductions  de  ce  faux  luxe,  qui  font  trouver  la  mai- 
son triste,  le  foyer  de  la  famille  monotone,  le  tra- 
vail plus  pénible ,  sans  compter  l'influence  des 
liqueurs  et  du  tabac,  qui  apparaissent  et  bientôt 
rivalisent  avec  la  boisson  orientale? 

Il  y  aurait  là  une  curieuse  étude,  bien  faite  pour 
tenter  le  moraliste,  l'économiste  et  le  médecin,  où, 
pour  être  juste,  il  faudrait  mettre  en  parallèle  ces 
conséquences  éloignées  de  la  consommation  ou  de 
l'abus  du  café,  et  les  avantages  très-réels  qui  résul- 
tent de  son  usage. 

Ce  dernier  point  de  vue  sera  indiqué  quand  nous* 
parlerons  des  propriétés  du  café. 

Nous  devons  nous  borner  pour  le  moment  à  un 
rôle  plus  modeste,  à  décrire  la  petite  graine  qui  a 
été  la  cause  inconsciente  de  si  grandes  révolutions 
économiques  et  sociales,  ainsi  que  Tarbre  qui  donne 
naissance  à  ce  fruit  précieux. 

Description. 

Lagraine  de  café^  que  chacun  de  nous  connaît,  est 
une  partie  du  fruit  du  caféier,  dont  nous  avons  indi- 
qué l'origine.  Le  caféier  est  un  arbre  haut  de  4  à  5  mè- 
tres, en  forme  de  pyramide,  toujours  vert  (fig.  2). 
Ses  branches  sont  noueuses,  son  écorce  grisâtre. 
Ses  feuilles  sont  ovales,  allongées,  en  forme  de 


Fi  g.  i'  —  Le  Caféier. 


li 


LL    CAFK 


lances,  sinueuses  sur  leurs  bords,  pointues  à  leur 
extrémité  libre:  elles  sont  d'un  vert  foncé,  assez 


Fig.  3.  —  Un  rameau  de  Caféier.  A.  Baie  et  grainesè 

semblables  à  celles  du  laurier.  Ses  fleurs  sont  blan- 
ches, à  odeur  suave,  agglomérées  à  l'aisselle  des 


LE    CAFÉ  [., 

feuilles;  elles  rappellent  les  fleurs  du  jasmin  d'Es- 
pagne (lig.  3).  Trois  floraisons  se  succèdent  chaque 
année, à  quelques  mois  d'intervalle,  de  sorte  que  les 
arbres  sont  presque  continuellement  couverts  de 
fleurs  odoriférantes  et  de  fruits  d'une  belle  couleur. 
Le  fruit  du  caféier  est  une  baie  qui,  arrivée  à 
maturité,  est  grosse  comme  une  rAerise,  de  forme 
ovoïde.  D'abord  verte,  elle  devient  ensuite  rouge, 
puis  presque  noire,  Desséchée,  elle  n'a  plus  guère 
que  le  volume  d'une  baie  de  laurier.  Ce  fruit  ren- 
ferme autour  de  deux  coques,  placées  au  centre,  une 
sorte  de  pulpe  jaunâtre  un  peu  sucrée.  Les  voya- 
geurs lui  avaient  d'abord  donné  le  nom  de  mûre 
des  Indes. 

Dépouillé  de  cette  enveloppe  charnue,  le  fruit  se 
compose  de  deux  coques  ovales,  planes  d'un  côté, 
convexes  de  l'autre,  et  accolées  par  leur  face  apla- 
tie. Leurs  parois  sont  dures,  coriaces,  assez  sem- 
blables à  du  parchemin.  Chacune  de  ces  loges 
contient  une  graine,  convexe  sur  sa  face  extérieure, 
l  plane  en  dedans,  où  elle  présente  un  sillon  longi- 
.  tudinal  très-accusé. 

C'est  cette  graine  que  nous  connaissons,  et  qui, 
dépouillée  de  ses  enveloppes  et  réduite  en  poudre, 
sert  à  préparer  l'infusion  du  café. 

Quand  le  fruit  est  ainsi  dépouillé  de  sa  partie 
charnue  et  de  l'enveloppe  propre  de  chaque  graine, 
on  lui  donne  le  nom  de  café  inondé. 

Le  fruit  entier  et  desséché  porte  le  nom  de  café 
en  coque. 


16  LE  i:afé 

On  a  donné,  assez  mal  à  propos,  le  nom  de  fleurs 
de  café  aux  enveloppes  des  graines    (fig.   \).    Les 


Fig.  4.  —  Fleurs  et  fruit.  Café  en  coque. 

Arabes  utilisent  cette  partie  de  la  graine  pour  pré- 
parer une  boisson  qu'ils  apprécient  beaucoup,   et 


LE    CAFÉ  17 

qui  est  désignée  sous  le  nom  de  café  à  la  sultane. 
Cette  liqueur  ne  serait  en  aucune  façon  du  goût 
des  Européens,  qui  ne  font   usage   que   du  café 
mondé. 

Bien  que  nous  ne  voulions  point  faire  ici  de 
botanique  à  propos  du  café,  nous  ne  saurions 
omettre  de  rappeler  que  le  caféier  appartient  à  la 
famille  des  Rubiacées ,  une  des  plus  importantes 
du  règne  végétal.  En  effet,  cette  famille  fournit  à 
l'homme  de  très -nombreuses  et  utiles  espèces, 
parmi  lesquelles  il  suffira  de  citer  :  la  garance,  bien 
connue  pour  ses  propriétés  en  teinture,  (c'est  un 
des  représentants  indigènes  de  la  famille  des  Ru- 
biacées);  les  quinquinas,  dont  l'écorce  est  si  pré- 
cieuse en  médecine  pour  son  action  tonique  et  pour 
ses  merveilleux  effets  dans  les  fièvres  dues  aux 
miasmes  des  marais  ;  l'ipécacuanha,  dont  la  racine 
possède  des  propriétés  émétiques,  qui  ne  sont  que 
la  plus  vulgaire  des  vertus  de  cet  utile  médicament. 
C'était  assez  pour  illustrer  la  famille  des  rubia- 
cées. Quand  nous  aurons  étudié  les  effets  si  impor- 
tants du  café ,  nous  reconnaîtrons  que  le  caféier 
ajoute  un  nouveau  titre  à  notre  estime  et  à  notre 
reconnaissance  pour  cette  série  de  végétaux  pré- 
cieux. 

Colture,  production  et  consommation. 

La  culture  du  café  nous  présente  à  considérer, 
d'une  part,  son  extension  si  remarquable,  d'autre 

0 


18  LE   CAFÉ 

part,  ses  procédés  plus  ou  moins  anciens,  plus  ou 
moins  perfectionnés. 

Nous  avons  vu  de  quelle  partie  du  globe  le  ca-  • 
féier  est  originaire.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  com- 
parer les  origines  de  cette  culture  avec  les  progrès 
qui  ont  été  ultérieurement  réalisés. 

Dans  la  province  d'Yémen  nous  trouvons  le  type 
de  la  culture  du  café.  Le  caféier  y  réussit  le  mieux 
quand  on  le  cultive  à  mi-côte.  Les  sommets  des 
montagnes  sont  trop  froids,  et  la  base  trop  chaude. 
Cet  arbre  des  pays  chauds  recherche  néanmoins 
un  sol  humide  pour  ses  racines.  Les  Arabes  dé- 
tournent des  sources,  et  en  amènent  l'eau  au  pied 
des  caféiers,  plantés  dans  un  terrain  spécialement 
préparé  pour  les  recevoir  :  c'est-à-dire  dans  des 
fosses  où  ont  été  amassées  des  pierres,  afin  d  as- 
surer la  perméabilité  du  sol  à  l'humidité  si  néces- 
saire aux  racines  de  l'arbre. 

Le  caféier  se  multiplie  de  semis.  A  un  an,  les  pieds 
de  caféier  sont  plantés  dans  des  trous  disposés  en 
quinconces.  L'arbuste  est  en  plein  rapport  dans  la 
troisième  ou  quatrième  année.  Le  caféier  rapporte 
ainsi  pendant  30  ou  40  ans.  De  la  succession  rapide 
de  la  floraison  et  de  la  fructification,  il  résulte  que 
la  récolte  du  café  se  fait  presque  sans  interrup- 
tion. 

Les  meilleures  plantations  de  café,  celles  qui 
fournissent  le  café  le  plus  estimé,  sont  assurément 
celles  dont  nous  parlons.  Cependant  aujourd'hui, 
on  cultive  le  café  dans  tous  les  pays  chauds.  Pour 


LE    CAl'É  llj 

que  le  caféier  réussisse,  il  faut  que  la  température 
soit  comprise  entre  +  10"  et  +  25"  à  30\  Cette 
culture  est  surtout  très-prospère  clans  la  partie 
sud  de  rinde,  à  Java,  au  Brésil,  aux  Indes  occiden- 
tales. 

On  se  rappelle  que,  vers  1680,  les  Hollandais 
avaient  apporté  le  caféier  à  Batavia.  De  là,  la  cul- 
ture de  cet  arbre  s'étendit  à  tout  l'archipel  indien, 
h  Java,  à  Ceylan,  etc.  On  a  vu  également  comment 
s'introduisit  la  culture  du  caféier  dans  les  Indes 
occidentales. 

Saint-Domingue,  après  avoir  été  une  des  sources 
les  plus  importantes  de  la  production  du  café  (on  en 
exportait  35,000  tonnes  en  1786),  vit  cesser  presque 
complètement  en  1792  ce  commerce,  qui  depuis  a 
fait  de  nouveaux  et  rapides  progrès. 

A  Cuba,  la  culture  du  café  a  été  délaissée  en  par- 
tie pour  celle  de  la  canne  à  sucre,  qui  y  a  pris  beau- 
coup plus  d'importance. 

En  revanche,  cette  culture  a  pris  une  extension 
très-considérable  au  Brésil. 

Les  procédés  de  culture  en  usage  dans  ces  divers 
pays  diffèrent  peu  au  fond  de  ceux  que  nous  avons 
indiqués  pour  l'Arabie,  sauf  dans  les  points  que 
nous  mentionnerons  au  paragraphe  suivant,  où,  sans 
entrer  dans  aucun  détail  technique,  nous  ferons 
voir  qu'aux  procédés  manuels  et  à  la  simplicité 
primitive  des  moyens ,  ont  été  substitués  d'autres 
procédés  plus  expéditifs  et  plus  aptes  à  conserver 
les  qualités  de  la  graine. 


'20  LE    CAFt: 

Aux  Antilles,  comme  en  Arabie,  la  culture  du 
café  prospère  surtout  dans  les  terrains  placés  sur  le 
penchant  des  collines,  et  qui  reçoivent  des  eaux  de 
sources  ou  sont  arrosés  par  les  eaux  pluviales. 

Les  deux  tableaux  qui  suivent,  empruntés  à 
l'ouvrage  de  Mac  CuUoch  S  donnent  une  idée  de 
l'importance  de  la  culture  du  café ,  en  indiquant  : 
Fun,  les  quantités  exportées  par  les  différents  pays 
de  production,  l'autre,  la  consommation  dans  les 
diverses  contrées  : 


Exportation  du  café  des  différents  lieux 
de  production. 

tonnes 

Moka,  Hodeida  et  autres  ports  de  l'Arabie.   .    .  8,000 

Java 55,000 

Sumatra,  et  autres  ports  de  l'Inde  non  anglaise.  8,000 

Brésil 160,000 

Haïti 16,000 

Cuba    et  Porto    Rico 7,000 

Indes  occidentales  britanniques 2,000 

Inde  et  Ceylan 38,000 

Indes  occidentales  anglaises 2,000 

Indes  occidentales  françaises  et  île  Bourbon  .    .  2,000 

Total.    .    .  298,500 
1.  In  Verdeil,  Industrie  moderne. 


LE    GAFl':  21 


Consommation  dans  les  diverses  contrées. 

tonnes 

Grande-Bretagne 16,000 

Pays-Bas  et  Hollande 40,000 

Allemagne,    Russie,    et   contrées    autour    de    la 

Baltique 60,000 

France,  Espagne,  Italie,  Turquie  et  Levant.   .    .  55,000 

États-Unis 90,000 

Canada,  Australie,   etc 30,000 

Total.   .   .     291,000 

Dans  ce  tableau,  la  France  se  trouve  réunie  avec 
plusieurs  autres  pays. 

Quelle  est  sa  part  de  consommation  ? 

«  De  toutes  les  nations  de  l'Europe,  c'est  la  France 
qui,  proportions  gardées,  consommerait  le  moins  de 
café,  si  l'on  en  croit  la  statistique  suivante  : 

«  En  Angleterre,  malgré  l'énorme  consommation 
de  thé  qui  s'y  fait,  chaque  personne  consomme,  en 
moyenne,  1  livre  1/8  de  café  par  an  ;  en  Allemagne, 
4  livres;  en  Danemark,  h  livres  1/2  ;  aux  Etats-Unis, 
7  livres;  et  en  France,  seulement  2  livres  1/2.  Mais 
en  aucun  pays  la  proportion  n'est  aussi  forte  qu'en 
Californie,  où  il  s'en  consomme  20  livres  1/2  par 
tête  K  » 

Au  reste,  la  consommation,  en  France,  va  tou- 
jours croissant. 

1.  (Pall  Mail  Gazette,  citée  par  VTJnion  médicale  du 
26  novembre  1874.) 


23  LE   CAFÉ 

En  18G2,  le  chiffre  de  l'importation  du  café  on 
France  atteignait  près  de  40  millions  de  kilo- 
grammes. 

En  18G7,  l'importation  en  France  dépasse  79  mil- 
lions, et  la  consommation  47  millions  de  kilo- 
grammes. 

Puant  à  Paris,  il  consommait  à  lui  seul,  en  1856, 
3  millions  de  kilogrammes,  ce  qui  donnait  environ 
'2  kilogrammes  800  grammes  par  an,  par  habitant. 

Ces  chiffres  ont  encore,  bien  entendu,  augmenté 
depuis,  dans  une  proportion  considérable. 

Relativement  à  la  provenance  du  café  consommé 
dans  la  capitale ,  voici  ce  que  dit  Husson  dans 
son  excellent  livre  sur  les  Consommations  de 
Paris  : 

«  Presque  tout  le  café  qui  se  consommait  autrefois 
à  Paris  était  tiré  de  nos  colonies;  les  cafés  Martini- 
que et  Bourbon  ont  été  longtemps  les  seuls  qui,  avec 
quelques  parties  de  cafés  étrangers  des  mêmes  ré- 
gions et  de  petites  quantités  de  café  Moka,  servissent 
à  composer  la  boisson  aromatique  devenue  chère 
aux  Parisiens.  Mais  la  consommation  venant  à  s'ac- 
croître, on  eut  recours  aux  cafés  de  Tlnde.  Aujour- 
d'hui les  cafés  de  Java,  Macassar,  Padang,  Sama- 
rang  et  Ceylan  ont  fait  invasion  dans  la  consom- 
mation française.  D'un  prix  moins  élevé  que  nos 
cafés  des  colonies,  ils  les  ont  remplacés  dans  une 
certaine  mesure  avec  avantage.  Ces  cafés  ne  four- 
nissent pas  moins  des  sept  dixièmes  de  ce  qui  est 
nécessaire  h  la  consommation  de  Paris.  Les  cafés 


LE   CAFÉ  '23 

do  Saint-Domingue  et  du  Brésil  composent  deux 
autres  dixièmes;  la  Martinique,  Bourbon  et  la  Gua- 
deloupe nous  expédient  le  surplus.  Quant  au  véri* 
table  Moka,  il  n'en  vient  à  Paris  que  des  quantités 
à  peine  appréciables.  » 

Récolte.  —  Décortlcation. 

Ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  les  récoltes  se 
succèdent  pendant  presque  toute  l'année.  Néan- 
moins  la  plus  importante  a  lieu  en  mai.  Le  procédé 
le  plus  simple  pour  récolter  les  fruits  du  caféier 
consiste  à  secouer  les  arbres,  sous  lesquels  des 
toiles  ont  été  préalablement  étendues.  Les  fruits 
mûrs  tombent  sur  ces  toiles.  On  expose  ensuite  ces 
fruits  sur  des  nattes  pour  les  faire  sécher. 

Ailleurs,  les  nègres  passent  chaque  jour  entre 
les  rangées  de  caféiers,  et  cueillent  les  fruits  mûrs, 
qu'ils  réunissent  dans  des  corbeilles  de  liane.  C'est 
là  le  café  en  cerises,  (Fig.  5). 

Il  s'agit  ensuite  de  débarrasser  les  graines  de 
leur  enveloppe  charnue.  Pour  cela,  divers  procédés 
sont  employés. 

Dans  l'un,  on  fait  passer  sur  les  fruits  un  cylin- 
dre très-lourd  de  bois  ou  de  fer,  destiné  à  séparer 
les  graines  de  leur  enveloppe  ;  on  vanne  ensuite,  et 
on  fait  sécher  le  café. 

Dans  une  autre  variété  de  ce  procédé,  on  met  les 
fruits  frais  dans  un  moulin  appelé  grage,  dont  l'ac- 
tion détache   de  la  graine  la  partie  charnue  du 


24  LE    CAFK 

fruit,  tout  en  laissant  la  graine  entourée  de  son 
enveloppe  propre.  On  l'en  débarrasse  ensuit<î  en 
faisant  sécher  le  tout  au  soleil.  C'est  le  café  gragé 
ou  fni  vert;  il  a  en  effet  une  teinte  verdâtre. 
C  est  la  meilleure  manière  de  décortiquer  le  café. 

La  préparation  du  café  dit  trempé  résulte  de 
l'action  de  l'eau,  dans  laquelle  on  laisse  macérer  le 
fruit,  la  graine  étant  ensuite  mise  à  sécher  au  so- 
leil. Ce  procédé  donne  du  café  grisâtre,  d'une  qua- 
lité bien  inférieure. 

Presque  partout,  les  procédés  mécaniques  et  ar- 
tificiels ont  avantageusement  remplacé  les  procédés 
naturels  et  Faction  manuelle. 

Dans  quelques  pays,  il  n'est  pas  d'usage  d'enlever 
l'enveloppe  propre  de  chaque  graine.  Ainsi,  le  café 
de  Bolivie  et  de  Java  nous  arrive  encore  entouré 
de  cette  enveloppe  parcheminée  :  d'où  le  nom  de 
café  en  parche,  sous  lequel  on  désigne  cette  va- 
riété, 

Variétés  commerciales. 

En  raison  de  l'extension  si  importante  de  la  cul- 
ture du  café,  et  des  provenances  si  diverses  de 
cette  graine,  le  nombre  des  variétés  commerciales 
va  toujours  croissant. 

On  peut  cependant  les  ramener  toutes  à  quelques 
types  plus  importants. 

Le  café  Moka  ou  plutôt  le  café  de  l'Yémen,  est 
la  meilleure  variété  commerciale.  C'est  celle  qui 


2G  le;  qafé 

est  la  plus  estimée  pour  la  finesse  et  la  suavité  de 
son  arôme.  Malheureusement  ce  café  est  très-rare- 
ment expédié  en  Europe  par  les  Arabes,  qui  le 
gardent  pour  eux.  Il  est  déjà  difficile  de  s'en  pro- 
curer  en  Orient,  à  Constantinople. 

On  reconnaît  le  café  Moka  à  ses  grains  ronds, 
petits,  de  couleur  jaunâtre,  recouverts  d'une  pelli- 
cule dorée. 

Le  café  Martinique  a  un  grain  plus  gros,  plus 
allongé,  de  couleur  vert  tendre. 

Le  café  Bourbon  est  petit,  arrondi,  verdâtre. 

On  distingue  encore  les  cafés  de  Java,  de  Ceylan, 
de  Saint-Domingue,  du  Brésil,  de  Cayenne,  de  la 
Guadeloupe,  de  Sumatra,  de  Zanzibar. 

Le  café  dit  Moka  de  Zanzibar  peut  jusqu'à  un 
certain  point,  par  la  forme,  la  couleur,  l'aspect  de 
la  plupart  de  ses  graines,  et  aussi  par  son  arôme, . 
rappeler  le  vrai  Moka. 

Ces  diverses  variétés  commerciales  se  distin- 
guent par  l'apparence  extérieure,  caractéristique 
des  graines,  par  un  arôme  plus  ou  moins  fin  et 
agréable,  et  aussi  par  des  propriétés  plus  ou  moins 
actives,  correspondant  à  des  quantités  variables 
d'un  principe  spécial  appelé  caféine,  et  dont  la 
proportion  varie  d'une  espèce  à  une  autre,  comme 
on  le  verra  plus  loin. 

Le  mode  de  décortication  et  les  moyens  de  trans- 
port déterminent  encore  des  différences  parmi  ces 
diverses  variétés. 

Le  café  qui  a  subi  l'action  de  Teau  de  mer  est 


LE    CAFK  27 

ivarié.  On  y  trouve  une  assez  notable  proportion 
le  sel  marin,  et  il  s'est  développé  à  sa  surface  des 
iioisissures  verdâtres.  Ce  café  a  perdu  son  arôme 
}t  sa  valeur  commerciale. 

Préparation  du  café. 

La  préparation  de  la  liqueur  appelée  café  corn- 
orend  plusieurs  points  essentiels,  parmi  lesquels  il 
aut  noter  : 

1°  Le  choix  des  espèces  de  café  ; 

2"  La  torréfaction  des  grains  ; 

3o  La  pulvérisation; 

'i"  Le  procédé  par  lequel  on  fait  passer  dans  la 
liqueur  les  parties  solubles  et  aromatiques  de  la 
graine  ainsi  traitée. 

V  Choix  des  espèces  : 

Quelles  espèces  sont  les  meilleures  pour  la  pré- 
paration du  café  ? 

En  indiquant  les  variétés  commerciales  du  café, 
nous  avons  déjà  signalé  la  supériorité  du  café 
Moka.  Mais  il  n'est  pas  seulement  d'un  prix  fort 
élevé,  il  est  aussi  très-rare.  Depuis  quelques  an- 
nées, il  est  remplacé  en  France  par  le  café  dit 
Moka  de  Zanzibar.  Le  prix  en  est  encore  assez 
élevé. 

On  a  été  amené  à  combiner  certains  mélanges 
qui  réalisent,  autant  que  possible,  les  conditions 
désirables  de  prix  et  de  goût. 

En  mélangeant   250  grammes  de   Moka  ou  de 


28  LE    CVFH 

Zanzibar,  250  grammes  de  Bourbon  et  500  gramme» 
de  Martinique,  on  obtient  un  très-bon  résultat. 

Un  café  moins  cher,  mais  un  peu  moins  aromati- 
que, est  fourni  par  un  mélange  à  parties  égales  de 
café  Bourbon  et  de  café  Martinique. 

2"  Torréfaction  : 

La  médecine  emploie  le  café  vert  ou  cru  à  titre  do 
médicament. 

Les  grains  de  café  destinées  à  préparer  la  bois- 
son aromatique  que  chacun  connaît,  doivent  avoir' 
été  préaltiblement  soumis  à  l'action  du  feu,  ou 
brûlés  à  un  certain  degré  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  la 
torréfaction  du  café.  Faite  avec  soin  et  au  degré 
convenable,  cette  opération  développe  l'arôme  du 
café,  augmente  son  volume  et  la  solubilité  de  ses 
principes  ;  elle  accroît  ses  propriétés  nutritives. 

Comment  se  fait  cette  opération? 

Le  moyen  le  plus  grossier  consiste  à  mettre  le 
café,  préalablement  vanné  et  dépouillé  des  pellicu- 
les, brûler  dans  une  poêle.  Il  est  bien  préférable  de 
se  servir  d'un  cylindre  en  tôle,  traversé  par  une  tige 
dont  les  deux  extrémités  reposent  sur  un  fourneau, 
chauffé  de  préférence  au  charbon  de  bois.  Une  ma- 
nivelle communique  au  cylindre  et  à  son  contenu 
un  mouvement  de  rotation,  qui  permet  à  tous  les 
grains  de  venir  se  mettre  en  contact  avec  les  pa- 
rois échauffées  du  cylindre.  Quand  le  café  dégage 
une  fumée  abondante,  quand  le  grain  pétille,  bru- 
nit et  répand  une  odeur  agréable,  caractéristique, 
l'opération  est  terminée.  Le  .café  est  ensuite  versé 


LE    CAFE  20 

hors  de  l'appareil,  et  étendu  eu  couche  mince  sur 
une  surface  où  il  puisse  promptemcnt  refroidir. 

Un  industriel  a  invente  une  brûloire  plus  par- 
faite encore.  Cet  instrument  maintient  tous  les 
grains  de  café  à  une  petite  distance  des  parois  de 
tôle  du  cylindre,  au  moyen  d'un  canevas  métallique, 
fixé  dans  l'intérieur  de  l'instrument;  les  grains 
ainsi  brûlés  dans  un  bain  d'air  chaud,  ne  venant 
plus  se  mettre  en  contact  avec  les  parois  surchauf- 
fées, sont  soumis  à  une  torréfaction  plus  régulière^ 
plus  égale. 

La  torréfaction  augmente  notablement,  —  de  près 
d'un  tiers,  —  le  volume  des  grains  de  café.  L'opéra- 
tion, bien  faite,  ne  doit  pas  enlever  au  café  plus  de 
15  à  20  pour  100  de  son  poids, 
'  La  température  à  laquelle  sont  soumis  les  grains 
de  café  ne  doit  pas  dépasser  200  à  250  degrés. 

Cette  règle  générale  exige  encore,  dans  l'applica- 
tion, que  l'on  tienne  compte  de  l'espèce  de  café  sur 
laquelle  on  opère. 

Ainsi,  par  exemple,  le  Moka  et  le  Zanzibar  ne 
doivent  pas  dépasser  la  teinte  rousse. 

On  peut  pousser  l'opération  plus  loin  pour  le 
café  Bourbon  et  pour  le  café  Martinique. 

Il  est  donc  important  de  torréfier  séparément  les 
différentes  espèces  de  café^  chacune  exigeant  une 
température  spéciale  pour  la  perfection  de  Topéra- 
tion. 

Poussée  trop  loin,  la  torréfaction  développe  une 
odeur  acre,  qui  n'a  plus  rien    de  cet  agréable  par- 


"^^  LE   CAFÉ 


fum  que  répand  le  café,  quand  on  le  brùlcau  degré! 
convenable,  et  à  propos  duquel  Rousseau  disait'unl 
jour  à  Bernardin  de  Saint-Pierre  :  «  Voici  un  parfum 
que  j'aime  beaucoup  :  quand  on  brûle  du  café  dans 
mon  escalier,  j'ai  des  voisins  qui  ferment  leur  porte  • 
moi,  j'ouvre  aussitôt  la  mienne.  » 

On  comprend  toute  l'importance  de  ces  précau 
tions,  quand  on  pense  que  le  café  renferme  outre 
la  ca/eute  (principe  alcaloïde    qui   contient  envi- 
ron  30  p.    100  d'azotej,    des  substances  tarasses 
des  essences  aromatiques  à  odeur  suave,  études  sels 
de  fer  et  de  potasse. 

La  torréfaction  modifie  singulièrement  la  consti- 
tution chimique  de  ces  nombreux  éléments;  elle 
détruit  les  uns,  combine  diversement  les  autres 
et  développe  ou  altère,  suivant  le  degré  où  on  la 
pousse,  larômc  du  café,  ainsi  que  ses  propriétés 
nutritives.  i     f        ^ 

Cette  opération  doit  donc  être  l'objet  d'une  at 
tention  toute  spéciale.  La  plupart  du  temps  le  soin 
en  est  laissé  aux  marchands  de  café,  qui  abandon 
dent  a  des  manœuvres  cette  préparation,  exécutée 
en  gênerai  sans  intelligence  et  sans  guide  Ils 
n'obéissent  qu'au  désir  de  satisfaire  le  <^oût  du 
public,  qui  veut  du  café  noir  quand  même''  ou  à  la 
crainte  qu'une  torréfaction  poussée  trop 'loin 'né 
diminue  trop  le  poids  de  la  marchandise. 
3'  Pulvérisation  : 

Le  café  torréfié,  il  s'agit  de  le  réduire  en  poudre 
Les  Orientaux  pilent  les  grains  de  café  au  moyen 


LE   CAFÉ  31 

de  mortiers  et  de  pilons  de  bois.  A  la  longue, 
ces  instruments  s'imprègnent  de  l'essence  parfu- 
mée du  café,  et  acquièrent  alors  une  grande  va- 
leur. 

Dans  notre  pays,  il  est  d'usage  de  moudre  le  café 
dans  de  petits  moulins,  qui  font  très-bien  et  très- 
rapidement  cette  besogne. 

Cependant  on  a  agité  la  question  de  savoir  si  le 
café  pilé  était  supérieur  au  café  moulu. 

Cette  question  de  haute  gastronomie  ne  pouvait 
avoir  un  juge  plus  compétent  que  le  célèbre  auteur 
de  la  Physiologie  du  Goût,  Brillât-Savarin.  «  Il 
m^appartenait,  dit-il,  de  vérifier  laquelle  des  deux 
méthodes  était  préférable;  en  conséquence  j'ai  tor- 
réfié une  livre  de  Moka,  je  l'ai  séparée  en  deux 
portions  égales,  dont  Tune  a  été  moulue  et  l'autre 
pilée;  j'ai  fait  du  café  avec  l'une  et  avec  l'autre  des 
poudres,  j'en  ai  pris  de  chacune  pareil  poids,  et  j'y 
ai  versé  pareil  poids  d'eau  bouillante,  agissant  en 
tout  avec  une  égalité  parfaite,  j'ai  goûté  ce  café  et 
lai  fait  goûter  par  les  plus  gros  bonnets  :  l'opinion 
a  été  que  celui  pilé  était  évidemment  supérieur  à 
celui  moulu.  » 

L'usage  n'a  pas  sanctionné  cet  arrêt,  et  nous 
continuons  à  moudre  notre  café. 

Le  café  torréfié,  et  surtout  le  café  en  poudre,  doit 
être  conservé  à  l'abri  de  l'humidité^  dans  des  vases 
hermétiquement  fermés.  Mieux  vaudrait  encore  ne 
moudre  à  la  fois  que  la  quantité  de  café  destinée  à 
être  employée  immédiatement.  Car  l'arôme  du  café 


J 


est  très-volatil  ;  il  s'altère  par  le  voisinage  d'autres 
matières  odorantes;  enfin,  il  se  détruit  par  l'action 
chimique  de  Tair.  On  sait  en  effet  que  Tair,  en  oxy-, 
dant  certaines  substances  aromatiques,    les  trans-i 
forme  en  d'autres  corps  tout-à-fait  prives  d'odeur, 
Les  essences  de  citron,  de  bergamotte,  de  térében-i 
thine,  d'amandes  amères,  par  exemple,  passent,  a 
contact  de  l'air,  à  Tétat  de  corps  nouveaux,  résine^ 
ou  acides,  et  cessent  alors  de  dégager  ces  odeurap 
parfumées  qui  les  caractérisaient  avant  cette  trans- 
formation. 

4"  Infusion  : 

La  poudre  obtenue  par  le  moulin  ou  le  pilon  doit 
être  ensuite  soumise  à  l'action  de  l'eau.  Ici  encore 
plusieurs  procédés  se  présentent. 

Faut-il  faire   bouillir  cette    poudre  avec  l'eau 
c'est-à-dire  opérer  par  décoction  ? 

Ou  bien  verser  simplement  l'eau  bouillante  sur 
la  poudre,  c'est-à-dire  employer  le  procédé  par  in- 
fusion ? 

Enfin  suffit-il  de  laisser  l'eau  froide  en  contact 
avec  la  poudre^  afin  qu'elle  se  charge,  pendant 
cette  macération,  de  tous  les  principes  du  café? 

Cette  dernière  préparation ,  la  macération,  de- 
mande trop  de  temps,  de  8  à  10  heures  environ; 
c'est  donc  un  moyen  peu  pratique. 

Pour  juger  le  procédé  par  décoction,  il  suffit  de 
savoir  que  le  principe  aromatique  du  café  s'altère 
déjà  à  partir  de  50  ou  55  degrés.  Que  sera-ce  si  on 
le  soumet  à  la  température  de  100  degrés,  si  on  le 


it-^ 

1 


LE   CAFÉ  33 

fait  bouillir?  On  obtiendra  alors  une  liqueur  com- 
plètement dépourvue  d'arôme,  d'une  amertume 
horrible. 

L'infus'on  est  donc  le  procédé  qu'il  convient 
demployer. 

On  verse  sur  la  poudre  de  l'eau  bouillante,  dans 
la  proportion  d'environ  1  litre  d'eau  pour  100  ou 
120  grammes  de  café. 

Le  vase  où  l'on  opère  n'est  pas  sans  importance. 

Les  Orientaux  se  contentent  de  verser  de  l'eau 
bouillante  sur  la  poudre  aromatique  contenue  dans 
leurs  tasses.  Ils  obtiennent  ainsi  un  café  très-par- 
fumé,  mais  où  la  poudre  reste  en  partie  en  suspen- 
sion. Ce  breuvage  épais,  trouble,  serait  peu  ap- 
précié chez  nous. 

En  Europe,  on  se  sert  de  cafetières  à  filtre,  en 
fer  blanc ,  ou  mieux  en  porcelaine  ,  instruments 
fort  commodes,  qui  donnent  rapidement  une  liqueur 
très-parfumée  et  très-limpide. 

L'usage  de  cet  instrument  est  des  plus  sim- 
ples. On  met  sur  la  grille  du  filtre  la  quantité  de 
café  nécessaire  ,  environ  une  cuillerée  à  café  de 
poudre  pour  une  tasse  d'eau  ;  le  fouloir  disposé  sur 
la  poudre,  on  place  la  grille  supérieure,  sur  la- 
quelle on  verse  l'eau  bouillante,  et  on  ferme  le 
couvercle.  La  filtration  s'accomplit,  et  pour  que  le 
café  ne  refroidisse  pas,  Tinstrument  est  plongé  dans 
un  bain-marie  d'eau  bouillante  pendant  l'opération. 

Le  café  ainsi  préparé  est  très-odorant,  parce  que 
l'infusion  se  fait  en  vase  clos,  et  à  chaud,  la  cha- 

3 


d4  LE   CAFK 

leur  développant  larôme  de  la  graine.  Ces  appa- 
reils ne  laissent  rien  échapper  du  parfum  du  café. 
La  liqueur  est  très-limpide ,  parce  que  la  grille  du 
filtre  est  percée  de  trous  assez  petits  pour  per- 
mettre l'écoulement  du  liquide  de  Finfusion,  sans 
laisser  passer  aucune  parcelle  de  poudre.  Une  pe- 
tite rondelle  de  flanelle,  placée  sur  la  grille  du 
filtre,  permet  d'obtenir  une  liqueur  d'une  limpidité 
plus  parfaite  encore. 

Si  l'économie  oblige  à  utiliser  le  marc  du  café, 
on  doit  bien  se  garder  de  le  faire  bouillir,  ce  qui 
ne  donnerait  qu'un  liquide  acre  et  noir;  il  faut 
verser  dessus  une  nouvelle  quantité  d'eau  chaude, 
ou  mieux  d'eau  froide. 

L'infusion  faite,  on  ne  laissera  pas  le  marc  dans 
le  filtre,  ni  la  liqueur  dans  la  cafetière  de  fer  blanc. 
Pour  peu  que  celle-ci  fût  en  quelques  points  dé- 
pouillée de  la  couche  d'étain  qui  recouvre  le  fer, 
le  tannin  du  café,  se  combinant  avec  le  métal  du 
vase,  formerait  de  l'encre,  et  communiquerait  à 
la  liqueur  une  couleur  noire,  et  une  saveur  d'une 
amertume  peu  agréable. 

A  côté  de  cet  instrument,  si  commun  dans  tous 
les  ménages  aujourd'hui  ,  il  faut  mentionner  un 
appareil  fondé  sur  un  principe  établi  par  Babinet  (la 
cafetière  Penant). 

Il  se  compose  de  deux  vases  ;  l'un,  en  porcelaine, 
contient  l'eau  à  bouilHr  ;  une  lampe  à  esprit  de  vin 
est  placée  au-dessous.  D'autre  part,  un  vase  en 
verre  reçoit  le  café  en  poudre  :  il  communique  avec 


LE    CAFÉ  35 

la  bouilloire  par  un  tube  métallique,  dont  l'orifice 
est  placé  au-dessus  du  niveau  du  liquide.  Quand  le 
l'quide  entre  en  ébullition  dans  la  bouilloire,  la 
pression  produite  par  la  vapeur  dans  l'appareil  fait 
monter  rapidement  dans  le  tube  l'eau  bouillante, 
qui  est  ainsi  énergiquement  refoulée  à  travers  le 
café.  Cette  première  partie  de  l'opération  accom- 
plie, le  vide  est  opéré  dans  la  bouilloire,  et  la  fil- 
tration  se  fait  aussitôt  dans  les  meilleures  condi- 
tions. 

Cet  appareil,  assez  élégant  du  reste,  permet  de 
préparer  le  café  sur  la  table  même,  et  en  quelques 
instants. 

Ceux  qui  veulent  prendre  du  café  bien  préparé 
ne  doivent  pas  dédaigner  de  surveiller,  et,  au  be- 
soin, de  diriger  les  diverses  parties  de  cette  déli- 
'  cate  opération.  Il  y  a  vingt-cinq  ans,  le  nombre  était 
grand  des  amateurs  pour  qui  torréfier  ou  moudre 
leur  café  était  un  plaisir,  et  qui  tenaient  à  préparer 
eux-mêmes  cette  boisson.  Ils  pouvaient  dire  avec 
Delille  parlant  du  café  : 

a  Que  j'aime  à  préparer  ton  nectar  précieux  ! 
a  Nu]  n'usurpe  chez  moi  ce  soin  délicieux.  » 

Aujourd'hui,  on  y  regarde  de  moins  près^  on  est 
moins  délicat,  et  on  abandonne  au  premier  venu, 
et  au  plus  ignorant,  la  préparation  d'un  breuvage 
que  l'on  prend  de  confiance,  par  mode  plus  encore 
que  par  goût. 

Quelque  soit  l'appareil  employé,   on  ne  saurait 


36  LE   CAFÉ 

avoir  des  soins  de  propreté  trop  minutieux  pour 
tous  les  objets  qui  servent  à  la  préparation  du 
café. 

La  cafetière  doit  être  bien  lavée,  et  séchée  aus- 
sitôt après  qu  elle  a  servi. 

LMnfusion,  pour  être  parfaite,  ne  sera  jamais  pré- 
parée d'avance;  car  l'arôme  du  café  se  perd  rapide- 
ment. Est-il  nécessaire  d'ajouter  que  le  café  ré- 
chauffé ne  serait  qu'une  liqueur  détestable  ? 

Conservation  du  café  en  liqueur,  ou  le  café 
instantané. 

La  préparation  du  café  demande  un  certain 
temps,  elle  exige  plusieurs  rases  ou  instruments, 
et,  comme  on  l'a  vu,  elle  se  compose  de  plusieurs 
opérations  assez  longues  et  assez  minutieuses.  En 
voyage,  en  campagne,  et  même  parfois  en  dehors 
de  ces  conditions  exceptionnelles,  cette  complica- 
tion devient  une  sérieuse  difficulté.  Sans  doute  en 
emportant  ou  en  conservant  le  café  brûlé,  moulu, 
dans  des  boîtes  hermétiquement  fermées,  on  gagne 
déjà  du  temps,  et  on  simplifie  beaucoup  l'opération. 
On  a  voulu  mieux  encore.  Ne  serait-il  pas  possible 
de  réduire  la  préparation  du  café  à  un  simple  mé- 
lange, aussi  facile  à  faire  que  celui  de  l'eau  et  du 
vin  ?  L'industrie  a  tenté  la  réalisation  de  ce  vœu. 
Plusieurs  essais  ont  été  faits,  et  le  commerce 
prépare  et  vend  différentes  espèces  de  liqueurs  de 
café  concentrées,  essences  de  café  dont  une  petite 


LE    CAFE  37 

dose  déterminée,  versée  dans  une  tasse  d  eau  bouil- 
lante, doit  donner  un  café  d'une  préparation  ins- 
tantanée. Inutile  de  demander  si  cela  vaut  le  café 
fait  suivant  les  règles  indiquées  plus  haut  ?  Quand 
on  emploie  ce  procédé,  c'est  faute  de  pouvoir  se 
servir  de  l'autre,  et  l'on  a  pour  but  la  rapidité  de 
l'opération  et  non  la  perfection  du  résultat.  Il  faut 
se  déclarer  satisfait,  quand  on  obtient  ce  que  l'on  a 
recherché. 

On  a  également  préparé  un  sirop  de  café  pou- 
vant servir  aux  mêmes  usages. 

Les  quantités  employées  sont  : 

Eau 1000  gramaieâ 

Sucre 1500        — 

Café UO 

La  préparation  de  ce  mélange  se  fait  par  infusion 
du  café  dans  l'eau  bouillante  ;  elle  demande  six 
heures  pour  être  parfaite. 

Trente  grammes  de  ce  sirop  dans  une  tasse  d'eau 
bouillante  donnent  immédiatement  un  très -bon 
café. 

Ce  sirop  est  facile  à  conserver  et  à  transporter  ; 
cette  préparation  conserve  bien  l'arôme  du  café. 

Mélanges.   —  La  chicorée. 

Nous  parlerons  plus  loin  de  certains  mélanges 
exécutés  frauduleusement  par  les  marchands  ;  il 
s'agit  ici  d'une  addition  volontaire,   connue,    ac- 


j"^  LE    CAFi:      . 

ceptée,  recherchée  même  par  la  masse  des  consom- 
mateurs. Combien  cFentre  eux  achètent  sciemment 
de  la  chicorée,  pour  donnera  leur  café  une  couleur 
plus  foncée  ,  ou  des  propriétés  qu'ils  supposent 
moins  irritantes  ! 

D'où  peut  venir  un  pareil  usage  ? 

Le  prix  exorbitant  du  café  au  commencement  du 
siècle  avait  conduit  à  introduire  une  notable  guan- 
tité  de  chicorée  dans  la  préparation  de  la  liqueur. 
L'habitude  d'une  infusion  noire  a  sans  doute  rendu 
le  consommateur  exigeant,  et  quand  l'industrie  ne 
vient  pas  servir  son  goût,  en  opérant  elle-même 
frauduleusement  ce  mélange,  c'est  l'acheteur  qui 
volontairement  et  par  choix,  ajoute  de  la  chicorée  à 
son  café,  sous  prétexte  d'en  rendre  l'infusion  plus 
agréable  à  Fœil ,  au  goût ,  ou  môme  plus  hygié- 
nique. 

On  verra  plus  loin  à  quels  chiffres  s  élève  la  pro- 
duction de  la  chicorée  destinée  à  cet  usage,  et  avec 
quel  empressement  le  commerce  flatte  le  caprice 
du  public,  même  au  delà  de  ses  limites,  et  com- 
bien même  souvent  on  est  ingénieux  à  lui  prêter  un 
goût  qu'on  a  trop  d'intérêt  à  exagérer  et  à  satisfaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  effets  d'une  infusion,  en 
tout  ou  en  partie  préparée  avec  de  la  chicorée, 
même  la  plus  pure  et  la  meilleure,  ne  peuvent  en 
rien  être  comparés  à  ceux  de  l'infusion  de  café.  La 
chicorée,  sans  être  malsaine,  ne  contient  pas  la 
moitié  de  la  quantité  de  matières  azotées  nutritives 
que  contient  le   café,  En  outre,   l'infusion  qu'elle 


LE    CAl-E  oll 

donne  est  dépourvue  de  rarôme  qui  est  si  développe 
dans  la  graine  du  caféier. 

Sans  doute,  on  obtient  ainsi  un  breuvage  fonce, 
aussi  noir  qu'on  peut  le  désirer,  mais  qui,  au  lieu 
d'un  utile  et  agréable  stimulant,  ne  constitue  plus 
qu'une  liqueur  aussi  lourde  qu'indigeste^ 

Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  de  voir  le  café  si 
diversement  jugé.  Tel,  qui  prend  du  vrai  café,  en 
vante  avec  raison  les  heureux  effets.  Tel  autre 
impute  au  café  des  torts  dont  il  n'est  pas  cou- 
pable. 

A  côté  du  café  plus  ou  moins  mélangé ,  ou 
dont  la  chicorée  a  pris  la  place,  il  faut  mentionner 
les  diverses  poudres,  vendues  sous  le  nom  de  café 
indigène,  nom  qui  écarte  l'idée  de  fraude,  puisque 
l'acheteur  tant  soit  peu  intelligent  est  prévenu  que 
ce  qu'il  achète  ne  conserve  plus  le  nom  de  café 
qu'avec  une  épithète  :  correctif  qui  doit  éveiller 
toute  sa  méfiance. 

En  effet,  sous  le  nom-  de  café  indigène  se  pla- 
cent des  préparations  multiples,  où  peuvent  entrer, 
soit  de  la  chicorée  seulement,  soit  l'une  quelconque 
ou  un  mélange  des  substances  ci-après  :  glands  de 
chêne,  marrons  d'Inde,  grains  d'asperge,  farine  de 
blé,  orge,  seigle,  pois ,  fèves ,  pommes  de  terre, 
carottes,  panais,  betteraves,  etc. 

Les  consommateurs  qui  tiennent  absolument  à 
ce  que  leur  café  se  présente  sous  l'aspect  d'une 
liqueur  très-foncée,  et  qui  répugnent  à  l'addition, 
même  volontaire,  de  chicorée,  trouvent  dans  le  café 


40  LE    CAFE 

caramélisé,  appelé  café  de  Chartres,  un  moyen  d'ob- 
tenir cette  qualité  qu'ils  recherchent. 

On  obtient  ce  café  en  ajoutant  aux  grains  une 
certaine  proportion  de  sucre,  qui  pendant  la  torréfac- 
tion se  caramélise,  enveloppe  et  noircit  artificielle- 
ment le  grain  et  la  liqueur. 

Cette  addition  est  sans  aucun  inconvénient  pour 
la  santé.  C'est  une  question  de  goût  et  de  prix. 

Falsifications. 

La  Belgique  et  l'Allemagne  nous  vendent  chaque 
année  des  quantités  énormes  de  chicorée.  En  186'?, 
on  a  consommé  en  France  6  millions  de  kilogrammes 
de  café  de  chicorée.  On  peut  évaluer,  suivant 
Husson,  à  plus  de  300,000  kilogrammes  la  con- 
sommation annuelle  de  chicorée  à  Paris.  Une  seule 
usine,  à  Lille,  en  fabriquait,  en  1856,  plus  de  6000  ki- 
logrammes ! 

Nous  venons  de  dire  que  quelques-uns  des  con- 
sommateurs qui  achètent  cette  racine,  en  veulent  et 
en  réclament.  C'est  un  goût  qui  a  le  droit  de  se  sa- 
tisfaire. 

Mais  une  partie  considérable  de  ces  6  à  8  millions 
de  kilogrammes  de  chicorée  se  débite  frauduleuse- 
ment mélangée  au  café  acheté  en  poudre,  à  des 
acheteurs  qui  ne  soupçonnent  ni  le  mélange  ni  la 
fraude. 

11  y  a  là  deux  graves  inconvénients  :  on  achète 
au  prix  du  café  une  substance  d'une  valeur  compa* 


LE   CAFÉ  41 

rativement  minime  ;  on  croit  prendre  du  café,  et, 
.au  lieu  de  la  liqueur  bienfaisante  et  agréable,  on 
n'a  qu'une  boisson  fade  et  amère. 

Encore  si  la  prétendue  chicorée  était  toujours  de 
la  chicorée  !  Mais  les  marchands  la  trouvent  encore 
trop  chère,  et  ils  la  falsifient,  Dieu  sait  avec  quelles 
drogues  ! 

Vieux  marcs  de  café  épuisés,  et  séchés,  sciure 
d  acajou,  tan,  brique  pilée,  ocre  rouge,  foie  de  che- 
val séché  et  pulvérisé  :  voilà  ce  que  la  Commission 
sanitaire  de  Londres  a  découvert  dans  des  échantil- 
lons de  prétendue  chicorée  ! 

On  a  également  falsifié  la  chicorée  avec  des  subs- 
tances moins  répugnantes  :  avec  des  panais,  des 
carottes,  des  glands,  des  pommes  de  terre,  des  ha- 
ricots, des  pois,  etc. 

Des  fabriques  s'étaient  établies  pour  l'imitation 
du  café  en  poudre  au  moyen  d'orge  torréfiée,  et  d'en- 
veloppes brûlées  de  cacao. 

Toutes  les  falsifications  de  ce  genre  sont  prévues 
et  poursuivies,  en  France,  aux  termes  des  circulai- 
res ministérielles  des  25  juillet  1853,  19  janvier 
1854^  et  9  mars  1855. 

On  se  met  surtout  à  l'abri  de  ces  fraudes  en  ache- 
tant le  café  en  grains. 

Cependant  l'industrie  est  parvenue  à  imiter  la 
forme  des  grains  de  café,  à  fabriquer  de  toutes  pièces 
du  café  artificiel  ! 

On  pulvérise  les  substances  destinées  à  cette  imi- 
tation, on  les  met  sécher  dans  des   moules,  et  on 


les  ^vend,  suivant  le  modèle,  sous  le  nom  de  café 
Moka,  de  café  Martinique,  etc.  On  est  parvenu  à 
imiter  la  forme,  la  couleur,  Taspect,  le  poids,  de 
manière  à  ce  que  le  plus  habile  puisse  s'y  mépren-  . 
dre.  Inutile  de  dire  que  l'infusion  d'un  pareil  café  ! 
ne  laisse  pas  longtemps  subsister  l'illusion.  Mais  le 
fabricant  a  prévu  ce  danger,  et  un  nouveau  piège 
est  tendu  au  goût  lui-même,  par  la  confection  de 
grains  formés  de  vieux  marcs  de  café  moulés  et  sè- 
ches, qui,  mélangés  aux  faux  grains,  faits  de  terre 
glaise,  ou  autres  substances  du  même  genre,  don- 
nent à  l'infusion  quelque  chose  qui  rappelle  de  bien 
loin,  hélas  1  le  goût  du  café  véritable. 

Comment  se  prémunir  contre  les  falsifications 
dont  le  café  est  l'objet  ? 

Rien  de  plus  aisé  que  de  reconnaître  le  mélange 
de  chicorée  et  de  café.  Il  suffit  de  prendre  une  pin- 
cée de  la  poudre  suspectée,  de  la  jeter  dans  un  verre 
d'eau  :  s'il  n'y  a  que  du  café,  le  tout  surnage  ;  a-t- 
on un  mélange  de  café  et  de  chicorée,  on  voit 
la  chicorée  se  précipiter  rapidement  au  fond  du 
vase. 

Voilà  qui  est  à  la  portée  de  tout  le  monde.  Il  n'en 
est  plus  de  même  de  certaines  expériences  délica- 
tes, exigeant  des  notions  de  chimie,  ou  la  posses- 
sion d'instruments  spéciaux,  de  microscopes,  par 
exemple,  qui  n'ont  encore  de  valeur  que  pour  ceux 
qui  ont  appris  à  s'en  servir. 

De  ces  expériences-là  nous  ne  parlerons  pas  ici. 
Nous  nous  contenterons  de  montrer  comment  l'exa- 


LE    CAFE 


43 


men  avec  un  instrument  grossissant  permet  de  re- 
connaître les  plus  importantes  falsifications. 

La  figure  6  représente  l'aspect  au  microscope  du 
café  pur  de  toute  falsification. 


Fig.  6.  —  Café  non  falsifié. 

La  figure  suivante  montre  Taspect  du  café  fal- 
sifié. 

De  la  comparaison  de  ces  deux  spécimens  ressor- 
tent  des  caractères  différentiels  importants. 

Le  microscope  nous  révèle  tantôt  des  grains  de 


LE    CAFK 


fécule  de  la  pomme  de  terre,  dont  la  présence  ne  î 
peut  s'expliquer  dans  le  café  que  par  l'addition  de 
cette  substance,  frauduleusement  introduite  dans  le 
cafc  moulu. 


Fig.  7.  —  Café  falsitîé.    —   a.  Café.  —  b.  Chicorée.   —  c.  Farine 
de  glands. 

Tantôt,  on  constate  que  le  café  a  été  frauduleuse-- 
ment  additionné  de  chicorée  ou  de  farine  de  glands. 
(Fig.  7.) 

Ces  quelques  spécimens  donnés  à  titre  d'exemples  • 
font  voir  comment  la  science,  qui  a  souvent  fourni; 


LE  CAFÉ  45 

àrindustriedes  secrets  dont  celle-ci  s'est  empressée 
d'abuser,  sait  retrouver  la  trace  indiscutable  des 
mélanges  ou  des  falsifications  dont  les  produits  ali- 
mentaires peuvent  avoir  été  l'objet. 

Comme  conclusion  pratique,  il  est  prudent  de  n'a- 
cheter son  café  qu'en  grains,  afin  de  le  moudre  chez 
soi,  et  comme,  môme  en  ce  cas,  toute  la  sagacité  de 
Tacheteur  peut  être  mise  en  défaut,  c'est  à  lui  de 
ne  s'adresser  qu'à  une  maison  dont  l'honorabilité 
lui  inspire  une  légitime  confiance. 

Propriétés  du  café. 

Pour  apprécier  les  propriétés  de  l'infusion  de 
café,  l'exposé  aussi  sommaire  que  possible  des  prin- 
cipes les  plus  importants  contenus  dans  la  graine 
est  absolument  nécessaire. 

L'analyse  de  la  graine  du  caféier  donne  comme 
éléments  principaux  : 

Sur  100   parties  : 

Substances  grasses de  10  à  13 

Matières  azotées de  13  à  15 

Des    traces    d'huiles     essentielles 

aromatiques. 
Substances  minérales de    6  à    7 

Parmi  ces  matières  azotées,  dont  nous  allons  voir 
la  valeur  au  point  de  vue  alimentaire,  il  en  est  une 
qui  a  une  très-grande  importance  en  raison  des  effets 
que  produit  le  café  sur  le  système  nerveux  :  c'est 


i6  LE    CAFÉ 

un  principe  alcalin,  cristallisahle,  auquel  on  a  donm 
le  nom  de  caféine.  Ce  principe  se  retrouve  égale- 
ment dans  le  thé. 

La  proportion  de  ce  principe  diffère  suivant  les 
espèces  de  café.  Le  tableau  suivant,  dû  à  MM.  Bou- 
tron  et  Robiquet,  donne  les  quantités  variables  de 
caféine  contenues  dans  500  grammes  de  café  de  di- 
verses provenances  : 

grammes 

Café  Martinique 1,79 

—  d'Alexandrie 1,26 

—  de  Java 1,26 

—  de  Moka 1,26 

—  de  Cayenne 1,06 

—  de  Saint-Domingue 0,85 

Nous  n'irons  pas  plus  loin  avec  les  chimistes 
dans  cette  analyse,  qui  suffit  à  rendre  compte  des 
effets  différents  des  diverses  espèces  de  café.  Nous 
n'examinerons  pas  avec  les  physiologistes  la  ques- 
tion encore  à  l'étude  de  l'action  de  la  caféine,  qui 
paraît,  même  à  très-faibles  doses,  être  un  poison 
pour  les  animaux,  tandis  que  pour  l'homme  aucune 
démonstration  n'est  encore  venue  confirmer  la  plai- 
santerie de  Fontenelle  sur  ce  «  poison  lent,  »  qui, 
malgré  l'abus  qu'il  en  faisait,  l'a  laissé  vivre  un 
siècle. 

Nous  nous  contenterons  de  remarquer  que  la 
composition  du  café  lui  donne  une  analogie  impor- 
tante, et  dont  nous  tirerons  tout  à  l'heure  d'utiles 
conclusions,  avec  les  aliments  types. 


LE   CAFÉ  47 

!  'Nous  ferons  en  outre  observer  que  cette  compo- 
sition normale  du  café  est  quelque  peu  modifiée 
par  la  préparation,  et  surtout  par  la  torréfaction 
qu'on  lui  fait  subir. 

Ainsi  le  café,  torréfié  plus  ou  moins,  contiendra 
plus  ou  moins  de  substance  azotée  (on  désigne 
sous  ce  nom  la  partie  la  plus  importante,  la  plus 
essentielle,  la  plus  nutritive,  de  nos  aliments).  Ar- 
rête-t-on  la  torréfaction  aussitôt  que  possible,  la 
pousse-t-on  au  contraire  à  ses  dernières  limites  : 
voilà  deux  conditions  extrêmes  qui  vont  faire  varier 
de  1,77  à  0,08  la  quantité  de  matière  azotée  con- 
tenue dans  le  grain,  et  qui  vont  réduire  de  25  à 
16  grammes  la  proportion  de  matières  solubles  que 
100  grammes  du  même  café  diversement  traité 
abandonnent  à  l'infusion. 

L'analyse  chimique  du  café  fournit  un  chiffre- 
type,  que  le  mode  de  préparation,  et  surtout  le  de- 
gré de  torréfaction,  peut  faire  singulièrement  varier. 

On  peut  juger  par  là-  de  l'importance  très-réelle 
de  cette  opération,  et  l'on  comprend  que  les  soins 
minutieux  que  nous  avons  réclamés  sont  justifiés 
par  ces  considérations,  qui  priment  encore  la  ques- 
tion de  sroùt. 


Valeur  alimentaire  et  hygiénique   du  café. 

Ces  notions,  bien  que  très-élémentaires,  nous 
permettent  d'examiner  maintenant  l'influence  que 
peut  avoir  l'usage  de  cette  boisson. 


4»  LE    CAFE 

On  S  est  demandé  si  le  café  était  un  aliment  ; 
quelle  était  Tinfluence,  bonne  ou  mauvaise,  de  cette 
boisson  sur  la  santé  ;  si  même  elle  n'avait  pas  des 
propriétés  efficaces  contre  certaines  maladies. 

Et  d'abord,  le  café  est-il  un  aliment? 

Pour  résoudre  cette  question,  il  faut  savoir  que 
les  aliments  les  plus  parfaits  sont  ceux  qui  con- 
tiennent réunis  tous  les  éléments  nécessaires  à  la 
réparation  des  tissus,  comme  l'albumine  de  l'œuf, 
la  fibrine  de  la  viande,  le  gluten  du  pain,  principes 
réparateurs,  plastiques  (caractéristiques  des  ali- 
ments azotés)  d'une  part,  et  de  lautre  les  maté- 
riaux nécessaires  à  l'entretien  de  la- température 
du  corps  (caractéristiques  des  aliments  respira- 
toires), comme  les  fécules,  les  graisses. 

Les  aliments  qui  renferment  ces  deux  ordres  de 
principes  dans  des  proportions  convenables  sont 
des  aliments  complets.  Ils  suffisent  pour  l'entre- 
tien de  la  vie  :  exemples,  l'œuf,  le  lait,  etc.  En 
dehors  de  ces  types,  dans  un  grand  nombre  d'ali- 
ments domine  presque  exclusivement  l'un  ou  l'autre 
de  ces  deux  principes. 

Si  nous  comparons,  toute  proportion  gardée, 
l'infusion  de  café  à  ces  aliments-types,  duquel  se 
rapproche-t-elle  le  plus? 

L'analyse  qui  précède  nous  montre  que  le  café 
renferme,  outre  des  sels  qui  ont  aussi  leur  utilité 
dans  la  nutrition,  et  des  principes  aromatiques 
qui  influencent  favorablement  le  goût  et  la  diges- 
tion, une  notable  quantité   de   matières   grasses. 


LE    CAFÉ  49 

principe  des  aliments  respiratoires,  et  de  matières 
azotées,  principe  des  aliments  réparateurs  par  ex- 
cellence. 

Une  infusion  de  100  grammes  de  café  pour  un 
litre  d'eau  représente  20  grammes  de  substances 
nutritives. 

Donc,  la  composition  seule  du  café  suffirait  à  en 
faire  une  boisson  dont  la  valeur  alimentaire  ne 
serait  pas  à  dédaigner. 

L'expérience  est  venue  confirmer  ces  données 
théoriques. 

On  a  pu  constater  que  des  hommes  recevant  une 
nourriture  d'ailleurs  insuffisante  pouvaient  se  main- 
tenir en  santé,  et  fournir  une  somme  de  travail 
plus  grande,  dès  que  Ton  ajoutait  à  leur  ration  or- 
dinaire trop  exiguë  une  ration  de  café.  C  est  ainsi 
que  les  mineurs  de  Charleroi  et  d'Anzin  peuvent 
se  contenter,  grâce  au  café,  d'un  seul  repas  par 
jour. 

Tous  les  voyageurs  savent  par  expérience  la 
valeur  nutritive  du  café. 

Le  café  est  entré  dans  l'alimentation  habituelle 
du  marin.  Celui-ci  y  trouve  une  boisson  tonique  et 
substantielle  qui  l'aide  à  supporter  les  rudes  tra- 
vaux de  la  manœuvre,  les  brusques  variations  de 
température,  et  le  défend  contre  la  chaleur,  le 
froid,  fhumidité;  sans  parler  de  l'utilité  incon- 
testable du  café  pour  chasser  l'ennui  ou  la  nos- 
talgie, ces  terribles  fléaux  de  la  vie  du  marin. 

C'est  une  boisson  également  bien  connue  du  soldat. 

4 


50  LE    CAFÉ 

Le  café  fait  partie  de  la  ration  sur  le  pied  de  guerre, 
et  ce  n'en  est  pas  l'élément  le  moins  apprécié. 

Combien  de  fois,  pendant  la  guerre  d'Italie  et  la 
guerre  de  1870,  nos  troupes  durent-elles  se  battre 
sans  avoir  autre  chose  qu'une  tasse  de  café  dans 
l'estomac  ! 

«  L'introduction  du  café  dans  l'alimentation  du 
matelot  ne  date,  en  France,  que  de  1823,  il  fait  ac- 
tuellement partie  de  la  ration  nautique.  Ce  fut 
pendant  la  campagne  d'Egypte  et  sur  les  conseils 
de  Larrey,  que  cet  aliment  fut  pour  la  première  fois 
distribué  aux  troupes.  Le  chirurgien  en  chef  de  l'ar- 
mée avait  su  très-bien  apprécier  les  avantages  de 
cette  boisson  chez  les  indigènes,  et  il  considérait 
même  le  café  fait^  à  la  façon  de  l'Orient,  comme  un 
breuvage  préventif  de  la  fièvre  intermittente.  Plus 
tard,  pendant  les  premières  années  de  Toccupation 
de  l'Algérie,  Larrey  en  recommanda  vivement  l'u- 
sage parmi  les  troupes,  et  depuis  cette  époque  seu- 
lement, le  café  commença  à  faire  partie  des  subsis- 
tances militaires.  Les  services  qu'il  a  rendus  sont 
incontestables  :  sans  lui,  on  n'aurait  certainement  pas 
toujours  surmonté  les  fatigues  de  ces  pénibles  cam- 
pagnes, entreprises  dans  des  pays  où  les  transports 
et  les  ravitaillements  rencontrent  des  difficultés  im- 
menses. » 

«  Depuis  lors,  l'expérience  est  devenue  encore 
plus  probante  :  les  campagnes  de  Crimée,  d'Italie 
et  du  Mexique  en  font  foi.  En  1857  ,  le  baron 
H.  Larrey  recommanda  l'usage  du  café  pour  les 


LE   CAFÉ  51 

troupes  de  la  garde  réunies  au  camp  de  Châlons 

Le  soldat  connaît  très -bien  l'excellence  de  cette 
boisson,  et  il  la  réclame  avec  instance;  en  route^  il 
prend  le  café  vers  quatre  heures  du  matin,  et,  avec 
du  biscuit,  on  fait  une  espèce  de  soupe  qui  est 
saine  et  savoureuse.  » 

«  En  temps  de  paix,  l'introduction  du  café  dans  la 
ration  réglementaire  serait  une  mesure  hygiénique 
dont  on  pourrait  constater  bientôt  les  excellents 
résultats.  On  a  remarqué  en  effet,  que  dans  les  ré- 
giments recevant  régulièrement  le  café,  le  nombre 
des  habitués  du  petit  verre  du  matin  diminue  con- 
sidérablement ^.  » 

Combien  il  serait  désirable  de  voir  la  ration  de 
café  remplacer  peu  à  peu  partout  la  ration  d'eau- 
de-vie  ! 

Nous  connaissons  plusieurs  personnes  qui  pren- 
nent tous  les  matins  une  simple  tasse  de  café  noir, 
sans  pain,  ni  beurre,  ni  crème.  Ce  repas,  tout 
léger  qu'il  paraît,  leur  permet  d'attendre  jusqu'à 
midi  sans  autre  nourriture.  Lorsque  ces  personnes 
tentent  de  remplacer  le  café  par  un  potage,  elles 
éprouvent  rapidement  une  sensation  pénible  de 
besoin,  des  tiraillements  d'estomac,  qui  leur  im- 
posent la  nécessité  d'avancer  l'heure  du  second  re- 
pas. 

L'infusion  de  café  apaise  donc  la  faim,  soutient  et 
augmente  les  forces,  quand  cette  boisson  est  bien 

1.  Moraclie.   Trcité  d'hygiène  militaire ,  .Baillière,  1874. 


n9 


LE    GAFK 


supportée,  et  que  rien  dans  le  tempérament  et  la 
santé  n'en  contre-indique  Tusage. 

Il  est  vrai  que  quelques  physiologistes  prétendent 
expliquer  ce  fait  incontestable  en  soutenant  que, 
sans  nourrir,  le  café  empêche,  retarde  le  besoin  de 
nourriture,  qu'il  ralentit  pour  un  temps  le  travail 
d'usure,  de  décomposition  qui  se  passe  continuel- 
lement dans  la  profondeur  de  nos  tissus.  (Le  corps 
humain  est  dans  un  état  de  décomposition  et  de 
recomposition  permanentes  :  tout  en  nous  se  re- 
nouvelle constamment,  parce  que  tout  ce  qui  vit 
s'use  et  doit  se  réparer  sans  cesse).  Le  café  modére- 
rait l'usure  de  nos  tissus;  il  agirait,  comme  on  l'a 
dit,  à  la  façon  de  la  cendre,  qui,  projetée  sur  les 
tisons,  modère  la  combustion  du  bois. 

Assurément  on  aurait  quelque  peine  à  convaincre 
celui  qui  vient  de  prendre  une  tasse  d'excellent 
café,  ^t  qui  en  ressent  l'excitation  bienfaisante  et 
non  discutable,  de  l'exactitude  de  cette  comparai- 
son, et  de  l'analogie  qu'elle  suppose  entre  des  effets 
qui  paraissent  si  contraires. 

Il  semble  bien  établi,  tant  par  l'analyse  que  par 
l'expérience  journalière,  que  le  café  noir,  en  infu- 
sion plus  ou  moins  concentrée,  prise,  soit  à  titre  de 
repas,  comme  au  déjeuner  du  matin,  par  exemple, 
ou  après  le  repas,  ou  même  dans  l'intervalle  des 
repas,  possède  une  réelle  valeur  alimentaire. 

Telle  est  l'influence  du  café  noir  pris  avec  modé- 
ration. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  sous  la  forme  de 


LE    GAFK  J)Z 

café  noir  qu'il  apparaît  sur  nos  tables.  Mèlc  au  lait, 
le  café  constitue  aujourd'hui  le  déjeuner  habituel 
d'une  très-grande  partie  de  la  population. 

Dans  ce  mélange,  aux  propriétés  nutritives  du 
café,  dont  nous  venons  de  parler,  se  joignent  celles 
du  lait  qu'on  y  ajoute.  C'est  là  un  appoint  fort  im- 
portant. 

Eh  effet,  un  éminent  chimiste,  Payen,  a  démon- 
tré qu'un  litre  de  café  au  lait,  composé  de  parties 
égales  de  lait  et  d'infusion  de  café,  représente  six 
fois  plus  de  substance  solide,  et  trois  fois  plus  de 
matière  azotée  (élément  de  réparation  des  organes, 
muscles,  os,  tissus,  etc.,)  que  le  bouillon  lui-même. 

Enfin,  ce  mets  est  accompagné  d'ordinaire  de 
l'usage  d'une  certaine  quantité  de  pain,  de  beurre, 
de  sucre,  qui  ajoute  encore  à  ses  propriétés  alimen- 
taires. Le  café  est  ainsi  l'occasion  de  consomma- 
tions très-importantes,  qui  se  sont  accrues  dans  la 
proportion  môme  où  s'étendait  son  usage. 

Le  sucre,  cette  substance  dont  le  nom  était  à 
peine  connu  sous  Louis  XIII,  coûtait  encore  si 
cher  sous  le  règne  de  Louis  XIV,  que  mademoi- 
selle Scarron,  belle-sœur  de  madame  de  Maintenon, 
avait,  dit-on,  fait  rétrécir  par  économie  l'ouverture 
de  son  sucrier.  Mais  bientôt  Tusage  du  sucre  se 
répandit;  un  art  nouveau,  la  confiserie,  fit  son 
apparition.  Une  autre  nouveauté,  le  verre  d'eau 
sucrée,  entra  dans  les  habitudes  des  salons,  et 
même  des  réunions  moins  aristocratiques,  témoin  ce 
fameux  raoût  auquel  la  chronique  dit  que  les  offî- 


'  ]  LE    CAFE 

ciers  de  Thionville  appelèrent  un  jour  tous  les  ha- 
bitants, et  dont  le  puits  communal,  où  l'on  avait 
préalablement  jetc  toute  la  provision  de  sucre  d'un 
spéculateur  en  faillite,  fit  les  frais  et  les  délices. 

Sous  l'Empire,  le  sucre  valut  10  fr.  la  livre; 
grand  grief  contre  Tempire  !  Mais  à  quelque  chose 
malheur  est  bon.  Le  prix  du  sucre  de  cannes 
donna  naissance  aune  nouvelle  industrie  nationale, 
et  Fextraction  du  sucre  de  betteraves  devint  une 
source  de  richesse  pour  notre  pays. 

On  a  calculé  qu'en  1870  le  sucre  de  provenance 
étrangère  entrait  dans  la  consommation  générale 
pour  trois  milliards  de  kilogrammes.  Ajoutez-y 
900  millions  de  kilogrammes  de  sucre  de  bettera- 
ves, et  160  millions  de  kilogrammes  de  sucre  d'éra- 
ble et  de  palmier,  et  vous  arrivez  à  plus  de  quatre 
milliards  de  kilogrammes  pour  la  production  totale 
du  monde  entier.  Si  l'on  estime  à  1  milliard  300  mil- 
lions d'âmes  la  population  du  globe,  chaque  in- 
dividu supposé  participer  à  cette  consommation, 
aurait  à  consommer  environ  3  kilogrammes  de 
sucre  *. 

La  France  a  plus  de  400  fabriques  de  sucre  indi- 
gène. Éa  production  de  ces  400  fabriques  fournit 
environ  400  millions  de  kilogrammes  par  an. 

Le  sucre  est  représenté  aujourd'hui  dans  la  con- 
sommation  de   Paris  par  un  chiffre  qui   dépasse 


1.  Figuier.  Les  merveilles  de  la  sciencej  les  merveilles  de 
Vindustrie. 


LE    CAFÉ  55 

7,000,000  de  kilogrammes,  ce  qui  fait  plus  de  7  ki- 
logrammes par  tôte  d'habitant. 

La  moyenne  est  un  peu  moins  élevée  dans  le 
reste  de  la  France  ;  elle  atteint  pourtant  encore 
o^^JoO  par  individu.  Ces  chiffres  devraient  être 
doublés,  si  Ton  tenait  compte  des  produits  dans  la 
fabrication  desquels  entre  le  sucre. 

Le  café  n'est  pas  assurément  la  seule  cause  du 
développement  prodigieux  de  cette  consommation  ; 
mais  il  en  est  sans  contredit  un  des  éléments  im- 
portants. 

La  consommation  du  lait  n'a  pas  augmenté  dans 
une  proportion  moins  remarquable,  et^  pour  ne 
prendre  que  deux  périodes  de  comparaison  assez 
rapprochées,  nous  trouvons  que  de  1843  à  1855  la 
consommation  du  lait  à  Paris  s'est  élevée  du  chif- 
fre de  ; 

71,510,000  litres  en  1843, 
à  109,291,086  litres  en  1855, 

c'est-à-dire  du  chiffre  de  71  lit.  96  par  an,  par  ha- 
bitant, au  chiffre  de  103  lit.  76  :  plus  de  30  litres 
de  différence  par  tête. 

Dans  la  même  période ,  la  consommation  du 
beurre,  dans  laquelle  entre  le  beurre  fin,  que  l'on 
mange  avec  le  café  ou  le  thé,  a  plus  que  doublé. 

Le  café  n'a  point  été  sans  influence  sur  ces  pro- 
grès dans  la  consommation  de  substances  ali- 
mentaires si  importantes  au  point  de  vue  de  l'hy- 
giène. 


Après  avoir  apprécié  le  rôle  du  café  comme  ali- 
ment, il  convient  de  mentionner  son  action  sur  la 
digestion  d'abord,  et  ensuite  sur  tout  l'organisme. 

Cette  boisson  détermine  une  heureuse  excitation 
de  Testomac.  Elle  augmente  la  sécrétion  et  l'éner- 
gie de  cet  organe,  et  lui  permet  de  digérer  plus 
aisément,  plus  complètement,  et  de  mieux  assimi- 
ler les  autres  aliments. 

Apres  un  repas  un  peu  plus  abondant  que  d'ordi- 
naire, ou  compose  d'aliments  un  peu  lourds,  rien 
ne  favorise  mieux  le  travail  de  la  digestion  que  le 
café.  C'est  là  une  notion  vulgaire,  confirmée  par 
l'expérience  de  chacun,  et  que  ne  détruisent  pas 
quelques  exceptions  tout  à  fait  individuelles. 

Inutile  de  dire  qu'ici,  comme  partout,  l'abus  est 
voisin  de  l'usage,  et  que  la  répétition  trop  fré- 
quente de  ce  digestif  en  détruit  les  bons  effets. 
D'une  part,  l'estomac  cesse  d'être  utilement  im- 
pressionné par  un  moyen  auquel  on  a  trop  souvent 
recours.  En  outre,  on  voit  bientôt  se  produire  un 
état  nerveux  spécial,  sous  l'influence  de  ces  doses  trop 
fortes  ou  trop  renouvelées  d'un  énergique  excitant. 

En  effetj  le  café  ne  se  borne  pas  à  influencer  l'es- 
tomac et,  par  là,  la  digestion.  Le  cerveau  et  le  sys- 
tème nerveux  tout  entier  participent  à  l'excitation 
qu'il  détermine. 

Son  action  sur  le  cerveau  se  manifeste  par  cette 
surexcitation,  cette  insomnie  si  caractéristiques, 
dont  se  plaignent  les  personnes  qui  n'usent  que 
de  temps  à  autre  de  cette  liqueur. 


LE    CAll.  l>< 

Cette  suspension  du  besoin  de  sommeil,  ce  coup 
de  fouet  donné  à  Tactivito  cérébrale  ont  été  mis  à 
profit  par  ceux  qui  doivent  s'imposer  des  veilles  ou 
un  travail  intellectuel  prolongé. 

Tous  les  penseurs,  écrivains,  littérateurs,  poètes, 
artistes,  ont  puisé  largement  à  cette  source  d'inspi- 
ration, dont  on  sent  trop  souvent  la  provenance 
factice. 

Le  café  a  dû  à  cette  influence  le  nom  de  boisson 
intellectuelle. 

Combien  de  poètes  Pont  chanté  depuis  que  De- 
lille  a  montré  les  heureux  effets  de  cette  boisson 
sur  la  pensée,  dans  ces  vers  bien  connus  ! 

A  peine  j'ai  senti  ta  vapeur  odorante, 

Soudain  de  ton  climat  la  chaleur  pénétrante 

Réveille  tous  mes  sens  ;  sans  trouble,  sans  caiiots, 

Mespensers  plus  nombreux  accourent  à  grands  flots  ; 

Mon  idée  était  triste,  aride,  dépouillée, 

Elle  rit,  elle  sort  richement  habillée, 

Et  je  crois,  du  génie  éprouvant  le  réveil. 

Boire  dans  chaque  goutte  un  rayon  de  soleil. 

Toute  exagération  et  toute  licence  poétiques  à 
part,  il  est  incontestable  que  l'usage  du  café  excite 
les  facultés  intellectuelles;  le  travail  devient  plus 
facile,  la  mémoire  plus  fidèle,  l'imagination  plus 
vive.  Mais  ici  combien  la  mesure  est  facile  à  dé- 
passer ! 

L'abus  du  café  pousse  à  l'extrême  la  constitution 
nerveuse;  prendre  du  café  avec  excès,  ce  n'est  plus 
fortifier  ses  organes,  c'est  les  irriter,  c'est  créer  une 


vainc  agitation  dans  toute  réconomie,  c'est  déter- 
miner un  besoin  factice  de  dépenser  des  forces 
qu'on  n'a  pas. 

Que  de  poètes,  que  d'artistes,  que  d'écrivains  ont 
été  victimes  de  ce  stimulant  artificiel  !  Sans  doute, 
il  est  permis  de  prendre  du  café  de  temps  à  autre, 
et  de  dire  avec  un  homme  d'esprit  :  «  Une  tasse 
de  café  me  débôtise,  »  mais  il  ne  faut  pas  laisser 
l'habitude  nous  imposer  ses  impérieuses  exigences, 
afin  de  ne  pas  répéter  avec  Balzac  :  «  Je  meurs 
de  25,000  tasses  de  café!  » 

A-cet  égard,  il  est  impossible  de  donner  de  plus 
sages  conseils  que  ceux  présentés  par  l'auteur  de 
VHygiène  des  honiines  livrés  aux  travaux  de 
Vesprit,  Réveillé-Parise.  «  Il  est  certains  tempéra- 
ments, dit-il,  qui  se  trouvent  bien  de  l'emploi  du 
café  :  ce  sont  les  personnes  lymphatiques,  dispo- 
sées à  Tobésité,  ayant  besoin  d'excitants  artificiels. 
Si  donc  votre  esprit  est  naturellement  engourdi, 
paresseux,  enfoncé  dans  la  graisse,  noyé  dans  la 
sérosité,  excitez-le  par  le  café,  puisez  vos  inspira- 
tions dans  ce  dangereux  hippoercne.  Mais,  au  nom 
de  votre  santé,  éloignez  de  vos  lèvres  la  coupe  en- 
chanteresse, si  la  nature  vous  a  doué  d'une  organi- 
sation irritable,  nerveuse,  vibrât ile,  si  l'imagination 
est  inflammable;  bien  plus  encore  quand  il  y  a 
tendance  aux  congestions  sanguines,  cérébrales, 
susceptibilité  de  l'estomac,  etc..  Plaignons  du  reste 
le  penseur  qui  a  besoin  de  ce  stimulant  artificiel; 
à  coup  sûr  son  esprit  manque  par  lui-même  de 


LE    CAFÉ  59 

vigueur  et  d'étendue.  Les  grands  hommes  de  l'an- 
tiquité ne  connaissaient  pas  le  café,  et  cependant 
leur  puissant  génie  a-t-il  failli  ?  Ne  sont-ils  pas 
encore  nos  guides  et  nos  modèles?  » 

Pour  démontrer  l'innocuité,  non  pas  de  l'usage, 
mais  de  l'abus  du  café,  on  répète  que  les  Fonte- 
nelle,  les  Voltaire  en  ont  pris  avec  excès  long- 
temps, et  par  conséquent  sans  danger.  Que  prou- 
veraient ces  deux  illustres  exemples,  môme  sHls 
étaient  vrais?  Mais,  il  est  bon  de  le  dire  à  ceux  qui 
s'en  autorisent  bien  à  tort,  il  est  avéré  que  Fonte- 
nelle  ne  se  départissait  pas,  à  propos  du  café,  de  la 
modération  qu'il  apportait  en  toute  chose.  Et  quant 
à  Voltaire,  on  sait  qu'il  mettait  beaucoup  d'eau 
dans  son  café;  et  le  jour  où  il  trouva  l'usage  de  ce 
café  atténué  encore  trop  excitant,  il  nous  apprend 
lui-même  qu'il  le  mélangea  de  chocolat,  excellente 
préparation  dont  nous  parlerons  ailleurs. 

Quand  il  s'agit  d'uu  stimulant  aussi  énergique 
que  le  café,  qui  active  le  cours  du  sang,  les  mou- 
vements du  cœur,  qui  rend  le  repos  moins  promp- 
tement  nécessaire,  et  sollicite  si  efficacement  les 
facultés  intellectuelles,  la  modération  est  la  con- 
dition nécessaire  de  l'innocuité  de  cette  boisson. 

L'usage  modéré  de  cet  utile  excitant  ne  serait 
pas  moins  précieux  à  l'homme  qui  travaille  de  ses 
mains  qu'à  celui  qui  est  aux  prises  avec  les  luttes 
de  la  pensée. 

Combien  cette  boisson  alimentaire  et  tonique 
serait  utile  pour  certains  ouvriers  de  nos  campa- 


(Ml  LE    CAFE 

gncs,  les  moissonneurs,  par  exemple,  qui  dépen- 
sent beaucoup  de  forces,  et  n'ont  souvent  pour 
les  réparer  qu'un  pain  lourd  et  indigeste,  un  mor- 
ceau de  fromage  aussi  maigre  que  peu  appétis- 
sant ! 

Ajoutons  qu'une  infusion  de  café,  môme  très- 
faible  et  par  conséquent  peu  coûteuse,  constituerait 
encore  une  boisson  tonique,  capable  d'apaiser  la 
soif,  sans  produire  ces  dérangements  des  voies  di- 
gestives,  ces  dyssenteries  trop  fréquemment  obser- 
vées dans  les  campagnes  à  la  suite  des  travaux  de  la 
moisson,  ou  de  l'usage  immodéré  d'eaux  malsaines 
ou  de  piquette  avariée. 

Dans  les  villes,  ne  serait-il  pas  à  désirer  de  voir 
se  répandre  Tusage  de  cette  boisson,  qui  stimule  et 
soutient,  sans  jamais  produire  l'ivresse?  Ne  serait- 
ce  pas  un  excellent  moyen  de  combattre  la  passion 
pour  les  boissons  fermentées  et  alcooliques,  dont 
l'abus  toujours  croissant  dégrade  et  abrutit  les  po- 
pulations ? 

Voici  un  tableau,  tiré  des  rapports  des  contribu- 
tions indirectes,  qui  montre  la  progression  de  la 
consommation  de  l'alcool  en  France  : 

Année  1850  :  585,200  hectolitres 

—  1855  :  714,800    — 

—  1860  :  851,000    — 

—  1865  :  873,000    — 

—  1869  :  978,000    — 

En  vingt  ans,  cette  consommation  a  doublé  ! 


LE    CAFÉ  61 

A  CCS  quantités,  il  faudrait  ajouter  les  alcools  qui 
légalement  ou  illégalement  échappent  à  la  consta- 
tation fiscale  ! 

Paris  seul  a  bu  en  1873  : 

407,868,450  litres  de  vin  en  pièces. 
1,704,935  bouteilles  de  vin  cacheté. 
9,016,030  litres  d'eau-de-vie  et  liqueurs. 
3,536,584  litres  de  cidre. 
22,500,000  litres  de  bière. 

L'aliénation  mentale  suit  la  même  progression, 
fatalement  croissante. 

D'autre  part,  on  note  en  France  en  1874, 52,696  con- 
traventions en  matière  d'ivresse,  imputées  à  52,655  in- 
culpés, constatées  par  les  tribunaux  de  simple  po- 
lice des  vingt-six  cours  d'appel  qui  ont  prononcé 
54,933  condamnations  !  {Bulletin  de  la  Société  de 
tempérance.) 

Grâce  à  la  générosité  d'un  étranger,  sir  Richard 
Wallace,  les  ouvriers  trouvent  partout  sur  leur 
chemin  une  eau  abondante  et  pure.  Voilà  le  pré- 
texte de  la  soif  écarté,  et  une  occasion  ou  une  ex- 
cuse de  moins  pour  l'entraînement  vers  le  débit  de 
liqueurs. 

Cependant  l'intensité  du  travail  manuel,  la  dé- 
pense d'activité  soutenue ,  réclainent-elles  réelle- 
ment une  boisson  tonique,  stimulante,  l'hygiène 
accepte  volontiers  que  le  café,  pris  avec  modéra- 
tion, soit  le  breuvage  où  Thomme  puise  des  forces 
nouvelles,  ou  retrempe  l'énergie  de  ses  bras. 


62  LE    CAFK 

Pour  toutes  ces  causes  il  est  profondément  re- 
grettable que  le  café  subisse  sans  cesse  de  nouvelles 
taxes,  qui  viennent  si  lourdement  peser  sur  tous,  et 
restreignent  particulièrement  l'usage  de  cette  salu- 
taire boisson  parmi  les  classes  peu  aisées,  amenées 
ainsi  à  y  substituer  l'habitude  des  liqueurs  eni- 
vrantes. 

La  nature  et  la  destination  de  ce  travail  ne  nous 
permettent  pas  de  nous  étendre  sur  les  autres  pro- 
priétés du  café. 

Tout  au  plus  noxiB  est-il  permis  d'ajouter  qu'à  ses 
propriétés  alimentaires  et  hygiéniques,  cette  pré- 
cieuse boisson  joint  encore  des  vertus  médicinales 
fort  importantes.  Il  en  est  de  vulgaires,  et  dont  on 
ne  peut  omettre  de  citer  au  moins  quelques  exemples. 

Tous  ceux  de  nos  soldats  qui  ont  servi  en  Al- 
gérie savent  que  les  fièvres  de  marais  sont  avanta- 
geusement modifiées  par  le  café,  boisson  qui,  comme 
nous  la  vous  dit  plus  haut,  peut  jusqu'à  un  certain 
point  suppléer  l'action  héroïque  de  l'écorcedu  Pérou, 
du  quinquina. 

Voilà  donc  une  boisson  salubre  que  l'on  peut 
recommander  aux  habitants  des  parties  maréca- 
geuses de  notre  pays,  que  décime  la  fièvre.  Or  nous 
avons  encore  aujourd'hui  près  de  500,000  hectares 
de  marais  dans  nos  départements  de  la  Vendée,  de 
la  Charente-Inférieure,  de  l'Ain,  de  la  Loire-Infé- 
rieure, de  la  Gironde,  de  l'Indre,  des  Bouches-du- 
Rhône. 

Le  café  dissipe  les  fumées  du  vin,   retarde  ou 


LE    CAFÉ  03 

tempère  l'ivresse.  Mais,  c'est  là  une  propriété,  dont 
on  abuse  trop  aisément  ;  nous  préférerions  une  sub- 
stitution heureuse,  grâce  à  laquelle  le  goût  du  café 
rendrait  les  excès  alcooliques  de  plus  en  plus  rares. 

Les  Orientaux  savent  trop  comment  on  peut  avec 
le  café  dissiper  l'état  d'anéantissement,  de  prostra- 
tion, où  les  plonge  l'abus  de  l'opium. 

Le  café  est  un  antidote  de  tous  les  poisons  narco- 
tiques, c'est-à-dire  qui  agissent  en  déterminant  un 
état  d'assoupissement  plus  ou  moins  grave. 

La  médecine  a  mis  à  profit  cette  propriété  du 
café  dans  les  empoisonnements  produits  par  des 
substances  de  ce  genre,  et  dans  beaucoup  d'autres 
circonstances  où  une  profonde  torpeur  met  la  vie 
du  malade  en  danger. 

C'est  ainsi  que  l'on  donne  avec  succès  une  forte 
dose  de  café  dans  les  cas  d'asphyxie  causée  par  la 
vapeur  du  charbon. 

L'usage  de  cette  boisson  est  bien  connu  pour 
calmer  les  douleurs  de  la  migraine,  et  pour  dis- 
siper les  angoisses  des  asthmatiques. 

Nous  n'en  finirions  pas  si  nous  voulions  simple- 
ment énumérer  les  maladies  contre  lesquelles  on 
en  a  expérimenté  et  vanté  les  effets.  Les  quelques 
exemples  donnés  ci-dessus  suffisent  à  montrer  que 
les  vertus  vulgaires,  et  les  services  déjà  si  précieux 
que  rend  à  l'homme  bien  portant  la  merveilleuse 
graine  dont  nous  avons  étudié  l'histoire,  et  passé 
en  revue  les  propriétés  bienfaisantes,  ne  sont  pas 
ses  seuls  titres  à  la  reconnaissance  de  l'homme. 


LE    CHOCOLAT 


Historique. 

Si  le  chocolat  n'a  pas  l'attrait  du  café,  parce  qu'il 
n'agit  pas  sur  les  facultés  intellectuelles,  et  en  par- 
ticulier sur  Timagination  ;  s'il  n'a  pas  été  célébré, 
comme  lui,  sur  tous  les  tons,  en  prose  et  en  vers, 
il  lui  est  peut-être  supérieur  comme  produit  ali- 
mentaire. Ses  qualités  réelles,  et  la  place  qu'il  a 
prisé  dans  nos  habitudes  et  notre  régime  lui  don- 
nent une  grande  importance.  A  défaut  de  poètes,  il 
méritait  au  moins  d'avoir  ses  historiens.  Ceux-ci  ne 
lui  ont  pas  manqué. 

La  boisson  aromatique  à  laquelle  on  donne  le 
nom  de  chocolat ,  est  un  mélange  de  cacao ,  de 
^  sucre,  et  d'aromates  :  vanille,  cannelle,  etc. 

Qu'est-ce  que  le  cacao? 

D'où  vient-il? 

Depuis  combien  de  temps  l'usage  en  est-il  connu? 

Nous  allons  d'abord  répondre  sommairement  h 
ces  questions. 


66  ^  LE    CHOCOLAT 


Le  cacao  et  le  cacaoyer.  —    Descriptioû. 

Le  cacao  est  le  fruit  cl* un  arbre  connu  sous  le 
nom  de  cacaoyer. 

Le  Nouveau-Monde  nous  a  fait  de  riches  pré- 
sents en  nous  donnant  le  cacao,  la  pomme  de  terre, 
le  quinquina,  la  vanille. 

Originaire  du  Mexique,  où  il  croit  spontané- 
ment, le  cacaoyer  a  besoin  d'un  climat  chaud  pour 
atteindre  tout  son  développement.  On  peut  l'éle- 
ver dans  nos  serres,  où  il  fleurit^  mais  ne  fructifie 
presque  jamais. 

Cet  arbre  atteint  jusqu'à  30  pieds  de  hauteur.  Il 
a  ordinairement  la  taille  moyenne  d'un  cerisier. 
Le  bois,  tendre  et  léger,  n'est  bon  qu'à  brûler;  les 
feuilles,  allongées  et  grêles,  servent  à  fumer  la 
terre.  De  petits  faisceaux  de  5  à  7  fleurs  partent  du 
tronc,  des  grosses  branches  et  des  jeunes  rameaux  ; 
sur  ces  derniers  les  ileurs  sont  stériles. 

Le  cacaoyer  lleurit  pour  la  première  fois  vers 
l'âge  de  3  ans.  A  partir  de  5  ans,  jusqu'à  25  ou  30, 
il  est  en  plein  rapport. 

Il  se  couvre  d'une  énorme  quantité  de  fleurs, 
qui  jonchent  le  sol  de  leurs  pétales  rosés.  Il  porte 
des  fruits  pendant  toute  l'année  ;  mais  la  récolte  la 
plus  abondante  se  fait  au  mois  de  juin. 

Le  fruit  vulgairement  appelé  cabasse,  est  assez 
groSj  de  forme  ovoïde  allongée,  et  ressemble  un 
peu  au  concombre.   Mais  sa  surface ,  de  couleur 


Fig,  8.  —  Variété  de  Cacaoyer. 


68 


LE  CHOCOLAT 


jaune  ou  rouge,  au  lieu  d  être  lisse,  est  marquée 
de  5  à  10  côtes  longitudinales,  rugueuses,  séparées 
par  dessillons  assez  profonds.  (Fig.  10». 

Quand  les  fruits  sonirmûrs,  on  les  brise  pour  en 
extraire  les  graines. 

Ce  sont  ces' graines  qui  portent  le  nom  de  cacao. 
On  en  compte  de  15  à  40  par  fruit.  Chaque  cacaoyer 
produit  1  ou  3  kilogrammes  de  graines  fraîches. 
Elles  sont  enfermées  dans  des  loges  séparées,  for- 
mées par  des  cloisons.  (Fig.  11). 

Elles  sont  groupées  vers  le  centre  du  fruit,  et 
enveloppées  dîme  pulpe  douceâtre,  qui  devient  un 
peu  aigrelette. 

Les  nègres  et  les  créoles  sont  très-friands  de  son 
suc,  et  détruisent,  pour  se  le  procurer,  une  grande 
quantité  de  fruits. 

On  en  retire  par  la  distillation  une  liqueur  spi ri- 
tueuse. 

Ces  graines  sont  ovoïdes,  aplaties,  et  ressemblent 
assez  à  de  grosses  fèves.  Leur  couleur  est  d'un 
brun  violet ,  l'enveloppe  est  coriace ,  l'amande  rou- 
geâtre. 

Dépouillées  de  leur  enveloppe,  rendues  inalté- 
térables  par  une  fermentation  qui  les  empêche  de 
germer,  elles  peuvent  se  garder  indéfiniment. 

On  prétend  même  que  les  Mexicains  s'en  ser- 
vaient autrefois  comme  pièces  de  monnaie. 


Fig.  10^ 


—  Une  branche  chargée  de  fruits. 


LE    CHOCOLAT 


Culture  et  production. 

ho  cacaoyer  est  piincipalomcnt  cultivé  dans  FA- 


Fig.    11.  —  Fruit  du   eacaover. 


mérique  équatoriale.  Du  Mexique  ,  il   fut    importé 
dans  nos  colonies  vers  le  milieu  du  xvm^  siècle.  La 


l^M'  V-  VI 


•Fjg.   12.  —  1.  Gabasse  et  ses  grabes.  b.  Fleur. 


t'C  LE    CHOCOLAT 

culture  de  cet  arbre  s'est  étendue  à  la  Martinique , 
à  Sainte-Lucie,  à  la  Trinité,  à  la  Colombie,  à  la 
Guyane,  aux  Philippines,  à  Tîle  Bourbon  et  aux 
Canaries. 

Il  se  plaît  surtout  dans  les  terrains  humides, 
riches  et  profonds. 

Les  jeunes  plants  doivent  être  protégés  contre 
les  ouragans,  si  fréquents  dans  ces  parages,  et 
contre  les  ardeurs  du  soleil  tropical.  C'est  pourquoi 
l'on  a  soin  de  planter  des  bananiers  dans  les  inter- 
valles qui  les  séparent.  Souvent  aussi  on  établit 
les  plantations  de  cacaoyers  dans  les  forêts  nouvel- 
lement défrichées.  (Fig.  13  et  14). 

A  partir  du  xvii^  siècle,  la  culture  de  cet  arbre, 
et  par  suite  la  production  du  cacao,  ont  fait  des 
progrès  continus.  Mais  c'est  surtout  depuis  vingt- 
cinq  ans  que  ces  progrès  ont  été  rapides,  comme 
le  prouve  l'accroissement  de  la  consommation  du 
chocolat. 

Consommation. 

L'accroissement  de  la  consommation  du  chocolat 
est  dû  en  grande  partie  à  l'abaissement  du  prix,  et 
à  l'amélioration  de  ce  produit  alimentaire,  résultant 
de  l'introduction  de  nouveaux  modes  de  fabrica- 
tion, de  l'emploi  de  machines  spéciales,  de  moteurs 
puissants  pour  broyer  les  substances  qui  le  com- 
posent, et  faire  les  mélanges  :  perfectionnements 
qui  ont  largement  contribué  à  développer  le  goût 
de  cette  boisson. 


1\  LE    CHOCOLAT 

Lo  chiffre  de  rimportation  du  cacao  en  Europe 
s'élevait  en  1858  à  16  ou  18  millions  de  kilogrammes. 
Il  a  considérablement  augmenté  depuis. 

Deux  provenances  principales  fournissent  les 
cacaos  dont  se  servent  les  Européens.  Caracas 
approvisionne  surtout  la  France,  TEspagne  et  l'Ita- 
lie :  Guayaquil  TAngleterre,  la  Russie  et  l'Alle- 
magne. 

C'est  la  France  et  l'Espagne  qui  reçoivent  la  plus 
grande  quantité  des  cacaos  importés. 

L'importation  du  cacao,  qui  de  1827  à  183G  n'é- 
tait pour  la  France  entière  que  de  1,998,703  kilog., 
s'est  élevée  dans  la  période  de  1847  à  185G  à 
3,087,4^3  kilogrammes.  En  18G5,  d'après Payen,  elle 
dépassait  déjà  5  millions  de  kilogrammes. 

Quant  à  la  consommation  du  chocolat  en  France, 
elle  est,  année  moyenne,  d'environ  8  millions  de 
kilogrammes. 

C'est  Paris  qui  fabrique  les  meilleurs  choco- 
lats. Il  en  consomme  à  lui  seul  l  million  de  kilo- 
grammes, qui  emploient  500,000  kilogrammes  de 
cacao. 

D'après  les  renseignements  publiés  en  1806  par 
lePo.^^  oflîce  Guide  de  Londres  ,  2,482/219  kilo- 
grammes  de  cacao  ont  été  importés  h  Londres  en 
18G0. 

L'augmentation  progressive  de  la  production  du 
cacao  a  provoqué,  comme  celle  du  café  et  du  thé, 
un  développement  parallèle  de  la  production  du 
sucre,  et  contribué  ainsi,   dans  une  certaine  me- 


Fig.  14.  —  Fourrés  de  cacao  sylvestre. 


76  LE  CHOCOLAT 

sure,  à  la  révolution  économique  dont  notre  siècle 
est  témoin.  On  sait  d'ailleurs  que  l'industrie  su- 
crière,  et  celles  qui  s'y  rattachent,  sont  étroitement 
liées  à  la  prospérité  de  notre  marine  marchande,  ' 
et,  par  suite,  à  la  puissance  de  notre  marine  mili- 
taire. C'est  donc  un  fait  qui  mérite  l'attention  des 
économistes  et  des  hommes  d'Etat. 


Récolte  et  préparation  du  cacao. 

On  reconnaît  que  les  fruits  du  cacaoyer  sont 
mûrs,  à  leur  couleur,  qui  est  alors  d'un  vert  pâle, 
ou  d'un  violet  rougeàtre.  Quand  la  maturité  est  par- 
faite, ils  se  détachent  facilement  de  l'arbre.  Les 
nègres  qui  font  la  récolte,  ménagent  avec  grand 
soins  les  fruits  qui  ne  sont  pas  encore  mûrs,  ainsi 
que  les  fleurs,  espoir  de  l'avenir.  (Fig.  15). 

Après  avoir  recueilli  les  fruits,  on  les  brise  pour 
en  extraire  les  graines. 

Avant  de  livrer  celles-ci  au  commerce,  on  lovv 
fait  subir  une  préparation  préalable. 

Deux  procédés  sont  en  usage  : 

Tantôt  on  les  fait  simplement  sécher  au  soleil, 
après  les  avoir  dépouillées  de  la  pulpe  acide  et  légè- 
rement sucrée  c|ui  les  recouvre; 

Tantôt  on  les  enfouit  dans  la  terre,  pendant  un 
ou  deux  mois,  jusqu'à  ce  que  la  fermentation  en  dé- 
tache l'enveloppe  pulpeuse,  et  enlève  à  l'amande  son 
âcreté. 


,8  LE    CHOi:OL\T 

On  donne  au  caciio  préparé  de  cette  seconde  ma- 
nière le  nom  de  cacao  terre. 

Variétés  commerciales. 

Dans  le  commerce  on  distingue  plusieurs  sortes 
de  cacaos,  qui  diffèrent  par  Taspect,  la  forme,  la 
couleur  et  le  goût. 

Ces  variétés  commerciales  dépendent  de  la  na- 
ture et  de  l'exposition  des  terrains,  du  mode  de 
culture,  et  des  soins  donnés  au  triage  et  à  la  des- 
sication  des  cacaos. 

Les  deux  variétés  les  plus  répandues  sont  : 

["  Le  cacao  caraque,  provenant  de  la  côte  de 
Caracas,  dans  le  Venezuela.  C'est  le  meilleur  et  le 
plus  estimé.  Les  graines  sont  plus  arrondies  et  plus 
grosses  que  celles  des  autres  espèces.  Elles  ont  le 
volume  d'une  grosse  fève.  Ce  cacao  est  généralement 
terré.  Il  se  subdivise  en  gros  et  en  petit  caraque, 
selon  la  grosseur  de  ses  graines. 

2"  Le  cacao  des  Iles,  provenant  des  Antilles,  de 
rîle  Maurice  (Ile  de  France)  et  de  Tîle  Bourbon. 
Les  amandes  sont  moins  grosses,  plus  plates,  con- 
tiennent plus  de  matières  grasses,  et  ont  un  parfum 
moins  suave  que  le  caraque. 

Cette  variété  comprend  le  cacao  Uerbiche,  et  le 
cacao  de  Surinam,  qui  se  récoltent  dans  la  Guyane, 
et  tirent  leurs  noms  des  lieux  de  production. 

Le  cacao  Maragnan  est  naturellement  inférieur 
au  Caraque,  En  outre,  Thabitude  de  l'acheter  au 


80  LE  CHOCOLAT 

poids  a  conduit  les  naturels  du  pays  à  une  pratique 
détestable,  qui  est  de  mouiller  ce  cacao  ;  il  conserve 
toujours  un  goût  de  moisi  très-prononcé. 

Nous  avons  vu  les  Arabes  gai'der  pour  eux  le 
café  Moka,  de  même  les  Mexicains  se  réservent  leur 
meilleur  cacao,  celui  de  Soconuzco. 

On  distingue  encore  quelques  autres  variétés  se- 
condaires, qu'il  est  inutile  de  mentionner  ici. 

Fabrication  da  chocolat. 

Quand  les  Espagnols  firent  la  conquête  du 
Mexique,  ils  y  trouvèrent  établi,  de  temps  immé- 
morial, l'usage  du  chocolat  (cJiocolatl), 

Les  indigènes  appelaient  ainsi  une  sorte  de 
bouillie  faite  de  cacao  non  brûlé  et  de  farine  de 
maïs,  assaisonnée  de  piment.  C'était,  il  faut  le  dire, 
un  mets  détestable. 

Les  Espagnols  perfectionnèrent  le  chocolat,  en 
lui  conservant  son  nom. 

Ils  l'introduisirent  en  Espagne  au  commence- 
ment du  xvii«  siècle.  De  là,  il  franchit  les  Pyrénées, 
en  1660,  à  la  suite  de  Marie-Thérèse,  épouse  de 
Louis  XIV. 

Un  officier  de  cette  princesse  obtint  le  monopole 
de  la  vente  de  cette  denrée,  et  eut  un  grand  succès. 
Il  s'était  établi  à  f  angle  de  la  rue  de  f  Arbre-Sec  et 
de  la  rue  Saint-Honoré. 

D'autres  font  remonter  fimportation  du  chocolat 
en  France  au  règne  de  Louis  XIII,  et  c'est,  d'après 


LE    CEIOGOLAT  81 

cette  version,  avec  Anne  d'Autriche  qu'il  aurait, 
en  1015,  fait  son  entrée  à  Paris. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  l'usage  en  était 
répandu  à  Paris  en  1071,  puisque  Mme  de  Sévigné, 
dont  on  ne  peut  contester  cette  fois  le  témoignage, 
écrivait,  le  II  février  de  cotte  môme  année,  à  sa 
fdle  :  «  Vous  ne  vous  portez  pas  bien  ;  le  chocolat 
vous  remettra  ;  mais  vous  n'avez  pas  de  chocola- 
tière ;  j'y  ai  pensé  mille  fois  ,  comment  ferez- 
vous?  » 

On  peut  conclure  de  ce  passage  que,  si  le  cho- 
colat avait  de  la  vogue  à  Paris,  il  était  encore  peu 
connu  en  province ,  puisqu'on  ne  pouvait  s'y  pro- 
curer les  ustensiles  nécessaires  à  sa  préparation.  A 
Paris  même  cette  vogue  ne  paraît  pas  s'être  sou- 
tenue longtemps,  car  nous  lisons  dans  une  autre 
lettre  du  même  écrivain,  datée  du  25  octobre  1071  : 
((  J'ai  aimé  le  chocolat  ;  il  me  semble  qu'il  m'a 
brûlée,  et  depuis  j'en  ai  bien  entendu  dire  du  mal.  » 

Mais  le  chocolat  finit  par  triompher  des  accusa- 
tions exagérées  qui,  suivant  l'usage,  succédaient  à 
des  éloges  non  moins  exagérés,  et  le  goût  s'en 
répandit  bientôt  dans  la  France  entière. 

On  le  servait  en  1G81  ,  aux  collations  que 
Louis  XIV  donnait  à  Versailles ,  dans  les  jours  de 
fêtes.  ■ 

Le  Grand  d'Aussy  (Vie  privée  des  Français)  dit 
qu'un  médecin  de  Paris,  nommé  Bachot,  fit  sou- 
tenir aux  Ecoles  de  la  Faculté,  pendant  sa  prési- 
dence, une  thèse  pour  prouver  que  «   le  chocolat 

6 


oc  LE    CHOCOLAT 

bien  fait  est  une  invention  des  Dieux  bien  plutôt 
que  le  nectar  et  l'ambroisie  ^  » 

Le  chocolat,  qui  sert  à  préparer  la  boisson  aro- 
matique généralement  connue  sous  ce  nom ,  est 
aujourd'hui  l'objet  d'une  industrie  considérable.  Il 
est  d'ordinaire  livré  au  commerce,  sous  la  forme 
de  tablettes  solides,  divisées  en  fractions  qui  con- 
tiennent chacune  la  quantité  nécessaire  pour  faire 
une  tasse  de  chocolat,  ou  un  déjeuner. 

La  fabrication  en  est  assez  intéressante  pour 
mériter  de  nous  arrêter  un  instant. 

Il  faut  d'abord  monder  les  graines  avec  soin. 

A  cet  effet,  on  les  met  dans  un  brûloir  pour  les 
torréfier.  Cette  opération  préalable  dessèche  l'a- 
mande, et  rend  sa  coque  friable.  Elle  développe  en 
outre  le  parfum  du  cacao,  qui,  avant  la  torréfaction, 
est  amer  et  sans  odeur. 

Le  cacao  acquiert  des  qualités  différentes  selon  le 
degré  de  torréfaction. 

Les  Italiens  poussent  la  torréfaction  à  lexcès  : 
leur  chocolat  est  plus  amer  et  plus  aromatique. 

Les  Espagnols  brûlent  à  peine  le  cacao  :  leur 
chocolat  est  moins  amer  et  plus  gras. 

Le  procédé  employé  par  les  Français  tient  le  mi- 
lieu entre  ces  deux  extrêmes  :  leurs  chocolats  llat- 
tent  également  le  goût  et  l'odorat. 

c  Lorsque  le  cacao,  torréfié  à  point,  est  retiré  du 

1.  Chéruel,  Dictionnaire  des  însiitutionSf  mœurs  et  cow 
tûmes  de  la  France, 


LE    CHOCOLAT  83 

brûloir  et  refroidi,  on  le  passe  entre  deux  cylindres 


J^i^.  17,  -^  Mélangeur  à  chocolat, 

armés  de  broches  ou  de  clous  de  fer,  qui  concas- 


LE    CHOc:(>LAT 

sent  les  coques,  et  facilitent  leur  expulsion  par  un 
vannage.  Il  faut  en  outre  trier  et  enlever  les 
germes.  Le  cacao,  ainsi  mondé  de  ses  enveloppes 
et  de  ses  gci  mes,  est  complètement  séché  dans  une 
étuve  ^  i> 

Il  s'agit  alors  de  le  réduire  en  pâte. 

Autrefois  on  écrasait  les  graines,  avec  un  pilon, 
dans  un  mortier  chauffé.  Des  ouvriers  allaient  en 
ville  pour  broyer  le  chocolat.  Cette  profession  existe 
encore  de  nos  jours  dans  quelques  villes  de  pro- 
vince. 

A  ce  procédé  primitif  on  substitua  un  cylindre 
roulant  sur  une  plaque  de  marbre  également 
chauffée. 

Par  suite  d'un  autre  perfectionnement,  on  se 
servit  pour  broyer  le  cacao  de  machines  formées 
de  petites  meules  mues  par  un  cheval  ou  par  la  va- 
peur. 

€  Dés  le  XVII i^  siècle ,  on  avait  cherché  par  des 
procédés  ingénieux  à  rendre  la  préparation  du 
cacao  plus  facile,  et  Doret  inventa  une  machine 
hydraulique  qui  broyait  la  pâte  du  cacao,  et  y 
mêlait  le  sucre  et  la  vanille  avec  plus  de  prompti-- 
tude  et  de  propreté  que  n'aurait  pu  le  faire  la  main 
de  l'homme^.  > 

Aujourd'hui  de  magnifiques  machines  à  vapeur 
sont  employées  dans  les  principales  usines. 

Pendant  l'opération  du  broiement,  on  ajoute  au 

1.  Payen.  —  Substances  alimentaires, 
•7.  Chéruel. 


LE    CliOCOLAT  8^ 

cacao  les*  quatre  cinquièmes,  ou  même  ua   poids 


Fig.  18.  —  Boudiaeuse  à  chocolat. 

égal  de  sucre,  et  une  certaine  quantité  de  cannelle 


8(j  LE    CHOCOLAT 

OU  de  vanille.  Puis,  La  masse  étant  rendue  bien  ho- 
mogène, par  le  Mélangeur  (Fig.  17),  et  débarras- 
sée des  bulles  d'air  par  la  Bouclineuse  (Fig.  18),  on 
la  distribue  dans  de  petits  moules  en  fer  blanc, 
d'où  Ton  retire,  après  les  avoir  laissées  refroidir, 
les  tablettes  de  chocolat ,  divisées  comme  nous 
Tavons  dit  plus  haut ,  et  on  les  enveleppe  dans  des 
feuilles  d'étain. 

Cette  précaution  a  pour  but  la  conservation  du 
chocolat,  à  laquelle  on  ne  saurait  trop  veiller. 

En  effet,  le  parfum  du  chocolat  est  très-volatil  ; 
il  se  perd,  si  les  tablettes  sont  mal  enveloppées  et 
restent  soumises  à  l'action  de  l'air.  D  ailleurs,  le 
chocolat  absorbe  facilement  les  odeurs  étrangères. 
Aussi  doit-on  se  garder  de  le  mettre  en  contact 
avec  des  substances  odorantes  ,  ou  de  le  laisser 
dans  leur  voisinage. 

Il  est  encore  exposé  à  un  autre  danger  s'il  n'est 
pas  à  l'abri  de  l'air  :  il  est  attaqué  par  les  insectes, 
qui  le  percent  en  tout  sens,  et  le  réduisent  en  pous- 
sière. La  saison  où  les  mouches  déposent  leurs  œufs 
sur  des  substances  propres  à  les  nourrir,  est  moins 
favorable  pour  la  fabrication  du  chocolat. 

La  torréfaction  poussée  assez  loin,  et  les  plaques 
chauffées  ont  pour  effet  de  détruire  ces  œufs. 

La  qualité  du  chocolat  dépend  nécessairement  de 
celle  des  cacaos  employés  à  sa  fabrication. 

On  obtient  un  chocolat  d'une  qualité  supérieure 
en  employant  du  caraque  pur  ;  mais,  s'il  est  très- 
bon,  il  coûte  très-cher. 


LE    CHOCOLAT  87 

Le  cacao  dos  Iles  ou  de  Maragnan  donne  un  cho- 
colat inférieur  au  premier,  qui  coûte  un  tiers  do 
moins. 

On  peut  obtenir  une  bonne  qualité  de  chocolat,  à 
un  prix  moyen,  par  un  mélange  de  caraque  et  de 
maragnan. 

En  Angleterre,  on  vend  assez  généralement  le 
cacao  en  poudre.  Mais  ce  produit  est  plus  difficile  à 
conserver  que  les  tablettes  de  chocolat,  et  se  prête 
plus  facilement  aux  mélanges  et  aux  falsifications, 

Altérations,  mélanges  et  falsifications. 

Le  bon  chocolat  est  d'un  prix  assez  élevé  ;  car, 
en  fabrique,  il  ne  coûte  pas  moins  de  5  à  6  francs  le 
kilogramme. 

Et  cependant,  on  voit  dans  le  commerce  le  prix 
du  kilogramme  de  ce  même  produit  descendre 
jusqLi'à  2,  fr.  GO,  et  même  au  dessous. 

Comment  expliquer  cette  énorme  disproportion  ? 

La  raison  en  est  bien  simple  :  comme  nous  l'a- 
vons vu  pour  le  café,  on  altère  et  on  falsifie  le  cho- 
colat de  la  manière  la  plus  éhontée,  et  Tindustrie  se 
procure  par  la  fraude  des  bénéfices  illicites  aux 
dépens  des  acheteurs  et,  malheureusement  aussi, 
de  la  santé  publique. 

Comment  distinguer  le  chocolat  pur  de  ces  fal- 
sifications plus  ou  moins  malsaines  ? 

L'apparence  extérieure  n'apprend  rien,  et  Fexpé- 
rience  est  trop  souvent  tardive. 


88  LE  CHOCOLAT 

Le  bon  chocolat  doit   offrir  les  caractères    sui- 
vants : 

Il  est  onctueux, 

Il  a  une  franche  odeur  de  cacao, 


Fig.  19.  —  Cbocolat. 

Sa  cassure  est  unie,  un  peu  jaunâtre,  d'un  aspect 
cristallin. 

Cuit  avec  de  Teau  ou  du  lait,  il  épaissit  peu  et  ne 
prend  qu'une  consistance  moyenne. 

Le  mauvais  chocolat,  au  contraire,  a  une  cassure 


LE    CHOCOLAT 


89 


irrégulière,  présentant  l'aspect  de  graviers,  elle  est 
poreuse  et  blanchâtre. 

Quand  il  bout,  il  exhale  une  odeur  de  colle  ;  en 
cuisant,  il  épaissit  beaucoup  ;  enfin  il  rancit  promp- 
tement. 


Fig.  20.  —  Chocolat  falsifié,  b.  fécule  de  pommes  de  terre. 


Ces  signes  décèlent  la  présence  de  matières 
étrangères,  que  l'analyse  va  nous  montrer  tout^'à 
l'heure . 

Pour  permettre  de  faire  une  utile  comparaison 


00  LE   CHOCOLAT 

entre  le  chocolat  pur  et  le  chocolat  falsifié,  nous 
plaçons  sous  les  yeux  du  lecteur  la  composition 
moyenne,  selon  Payen,  des  cacaos  de  bonne  qualité; 

pour  100 

Substance  grasse  (beurre  de  cacao)  48  à  50 
Théobromine    (substance     presque 

identique  à  la  caféine) 4  à  2 

Albumine,  fibrine  et  autre  matière 

azotOe -21  à  20 

Substances  minérales 3  à    4 

Amidon'   (plus   traces   de    matières 

sucrées) 11  à  10 

Eau   hjgroscopiquc 10  à  12 

Cellulose ■  3  à  2 

D'après  les  éléments  donnés  par  cette  analyse, 
l'amande  du  cacao  est  très-riche  en  principes  nu- 
tritifs. Nous  reviendrons  sur  ce  point,  quand  nous 
apprécierons  sa  valeur  alimentaire. 

Mettons  en  regard  les  altérations  et  les  falsifica- 
tions trop  souvent  pratiquées  dans  la  fabrication 
du  chocolat  : 

1°  On  extrait  du  cacao ,  jusqu'à  l'épuisement 
complet,  la  matière  grasse  (beurre  de  cacao),  qui 
se  vend  trois  ou  quatre  fois  plus  cher  que  le  cacao 
lui-même.  Pour  masquer  la  fraude,  on  remplace 
cette  substance  par  des  huiles  d'olives  ou  d'amandes 
douces,  des  jaunes  d'œufs,  du  suif  de  veau  ou  de 
mouton.  Mais  c'est  une  combinaison  moins  heu- 
reuse que  celle  de  la  nature ,  car  ce  produit  rancit 
très-vite. 


LE   CHOCOLAT  91 

2°  On  a  trouvé ,  dans  certains  échantillons  de 
chocolat,  les  matières  étrangères  suivantes  : 

Fécule  de  pommes  de  terre; 

Farine  de  blé,  d'orge,  etc. 

Enveloppes  de  cacao  pulvérisées  ; 

Gomme  ; 

Dextrine. 

Brique  pilée  ; 

Les  industriels  qui  fabriquent  et  qui  vendent  ces 
produits  n'ont  d'autre  but  que  d'augmenter  le  poids 
de  leur  marchandise,  en  mêlant  au  cacao  des  subs- 
tances moins  chères^  ou  absolument  sans  valeur; 
et  ils  se  gardent  bien  d'en  avertir  les  acheteurs, 
ce  qui  donne  un  caractère  frauduleux  à  ce  genre 
de  commerce. 

Quelques-unes  de  ces  fraudes  sont  faciles  à  cons- 
tater. 

Ainsi  les  corps  gras  par  lesquels  on  remplace  le 
beurre  de  cacao  deviennent  rances,  et  on  juge  bien- 
tôt de  leur  présence  par  l'odorat  et  par  le  goût. 

D'autres  fraudes  ne  peuvent  être  découvertes  que 
par  des  procédés  scientifiques. 

A  l'aide  du  microscope,  on  distingue  facilement 
les  granules  de  l'amidon  naturel  du  cacao  de  ceux 
de  la  fécule  de  pommes  de  terre,  ou  de  la  fécule  de 
blé.  D'après  M.  Payen,  le  diamètre  des  grains  de 
fécule  du  cacao  égale  à  peine  le  6«  ou  le  8^  de  ceux 
de  la  pomme  de  terre,  et  le  1/3  de  ceux  du  blé. 

Toutes  les  fécules  étrangères  au  cacao  présentent 
d'ailleurs  une  forme  caractéristique.  (Fig.  20). 


92  LE    CHOCOLAT 

Elles  ont,  en  général,  des  dimensions  beaucoup 
plus  grandes  que  celles  de  Tamidon  contenu  dans 
le  cacao. 

Les  différentes  gravures  placées  dans  le  texte 
font  saisir  quelques-unes  de  ces  différences,  et  mon- 
trent comment  on  peut  les  découvrir. 

Les  industriels  ont  cru  déguiser  la  fraude  en  con- 
vertissant la  fécule  en  dextrine.  Mais  celle-ci,  étant 
soluble  dans  leau  froide, peut  être  aisément  encore 
reconnue. 

La  matière  première  du  chocolat  n'est  pas  altérée 
seulement  par  la  fraude.  Bien  des  causes  peuvent 
détériorer  le  cacao.  Un  défaut  de  maturité,  une 
fermentation  excessive ,  une  torréfaction  insuffi- 
sante ou  trop  forte,  modifient  la  composition  des 
amandes.  Leur  arôme  se  perd,  si  elles  restent  trop 
longtemps  en  magasin  ;  elles  se  couvrent  même  de 
moisissures.  Toutes  ces  causes  influent  naturelle- 
ment sur  les  qualités  du  chocolat. 

Le  moyen  le  plus  efficace  pour  se  garantir  des 
falsifications,  et  se  procurer  à  meilleur  marché  du 
bon  chocolat,  c'était  jadis  de  le  faire  fabriquer  chez 
soi. 

Il'y  a  eu  longtemps,  ils  deviennent  de  plus  en  plus 
rares,  surtout  à  Paris,  des  ouvriers  qui  se  trans- 
portaient dans  les  maisons ,  munis  des  instruments 
de  leur  métier,  et  fabriquaient,  avec  le  cacao  et  le 
sucre  qui  leur  étaient  fournis ,  le  chocolat  au  goût 
du  consommateur.  En  s'adressant  aux  grandes  mai- 
sons pour  se  procurer  les  matières  premières,  on 


LE   CHOCOLAT  03 

âeraitsùr  d'avoir  un  produit  de  bonne  qualité,  et  dont 
on  pourrait  calculer  d'avance  le  prix  de  revient. 

Préparation  du  chocolat. 

Par  les  procédés  que  nous  avons  décrits,  Tindus* 
trie  et  le  commerce  nous  livrent,  sous  une  forme 
solide,  un  mélange  de  cacao  et  de  sucre,  auquel  on 
ajoute,  en  Europe,  de  la  vanille  ou  de  la  cannelle  ; 
aux  colonies,  du  gingembre  ou  du  piment. 

C'est  avec  les  tablettes  ainsi  composées  qu'on 
prépare  avec  Teau  ou  avec  le  lait,  cet  aliment,  au- 
quel on  a  donné  le  nom  de  chocolat. 

On  peut  aussi  le  manger  sec.  Le  chocolat  est  une 
excellente  ressource  alimentaire  qui  doit  trouver 
place  parmi  les  provisions  de  voyage. 

La  manière  la  plus  usitée  de  préparer  le  choco- 
lat consiste  à  en  faire  dissoudre  dans  quelques  cuil- 
lerées d'eau  une  tablette,  ou  une  tasse  (division  de 
la  tablette),  quantité  qui  correspond  à  la  dose  né- 
cessaire pour  un  déjeuner.  Il  ne  faut  pas  le  râper, 
car  il  fond  alors  trop  promptement  et  n'est  pas  aussi 
moelleux,  mais  on  doit  diviser  seulement  chaque 
tablette  en  trois  ou  quatre  morceaux.  Puis  on  ajoute 
graduellement  la  quantité  d'eau  ou  de  lait  conve- 
nable, et  on  fait  cuire  le  mélange  à  grand  feu ,  en 
remuant  deux  ou  trois  fois  pendant  la  cuisson. 

Prépare-t-on  le  chocolat  au  lait,  on  le  fera  encore 
dissoudre  préalablement  dans  de  l'eau. 


'J  l  LE    CHOCOLAT 

Dans  beaucoup  de  ménages  on  se  sert  d*un  vase   à 
spécial,  d'une  chocolatière.  j 

On  appelle  ainsi  une  sorte  de  vase  cylindrique, 
muni  d'un  couvercle  percé  d'un  trou,  destiné  à 
laisser  passer  le  manche  d'un  instrument  appelé 
inou<!^oir,  auquel  on  imprime  un  mouvement  de 
rotation  rapide,  pour  agiter  le  liquide.  Ce  mouve- 
ment doit  être  continu,  et  se  prolonger  jusqu'à  ce 
que  le  chocolat  soit  bien  mousseux.  Alors  c'est  le 
moment  de  le  verser  et  de  le  prendre  ;  il  a  tout  son 
arôme  et  toute  sa  saveur. 

Cependant  on  peut  aussi  préparer  le  chocolat 
d'avance. 

Brillat-SaVarin  ,  qui  s'y  connaissait ,  nous  fait 
profiter  d'une  leçon  que  lui  avait  donnée  la  supé- 
rieure d'un  couvent  à  Belley  : 

«  Quand  vous  voudrez  prendre  du  bon  chocolat, 
faites-le  faire  dès  la  veille,  dans  une  cafetière  de 
faïence,  et  laissez-le  là.  Le  repos  de  la  nuit  le  con- 
centre et  lui  donne  un  velouté  qui  le  rend  meil- 
leur. » 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  trancher  cette 
question  de  gastronomie  :  chacun  peut  en  appeler 
à  sa  propre  expérience;  c'est  une  affaire  de  goût. 

Conservation  du  Chocolat. 

Il  est  une  foule  de  circonstances  où  le  consom- 
mateur accoutumé  à  cet  aliment,  devenu  pour  lui 
un  véritable  besoin,  éprouverait  une  privation  très- 


LE    CHOCOLAT  95 

sensible  ,  s'il  ne  pouvait  obtenir  instantanément, 
sans  appareils  compliqués  ,  sa  boisson  favorite. 
Hors  de  chez  soi,  en  voyage,  on  ne  peut  emporter 
les  ustensiles  nécessaires  à  cette  préparation;  sou- 
vent même,  h  la  maison,  le  temps  manque  pour 
faire  usage  de  procédés  longs  et  minutieux. 

Pour  remédier  à  cet  inconvénient ,  un  industriel 
a  introduit  dans  le  commerce,  sous  le  nom  de  cho- 
colat inaltérable,  un  produit  alimentaire  appelé  à 
rendre  de  grands  services  aux  consommateurs  dans 
les  circonstances  que  nous  venons  d'indiquer. 

Ce  chocolat  est  en  poudre  granulée.  C'est  un 
mélange  très-intime  de  cacao,  de  sucre,  de  can- 
nelle et  de  gomme  arabique,  broyés  ensemble.  On 
le  réduit  en  granules  en  le  forçant  à  passer  dans  un 
tamis  métallique.  Dans  le  chocolat  ainsi  obtenu, 
chaque  granule  est  enrobé  de  matière  mucilagi- 
neuse,  ce  qui"  a  pour  elYet  d'empêcher  l'altération 
qu'il  subit  ordinairement ,  surtout  sous  l'action 
d'une  température  élevée. 

Cette  préparation  a  un  double  avantage  : 

1°  Le  chocolat  se  conserve  indéfiniment,  la  cha- 
leur ne  pouvant  pas  agglomérer  cette  poudre,  ni 
faire  exsuder  la  matière  grasse. 

2o  On  n'a  qu'à  jeter  dans  Teau  bouillante  une 
quantité  déterminée  de  cette  poudre  granuleuse,  et 
le  chocolat  est  fait  tout  de  suite  ,  parce  qu'il  a  été 
cuit  préalablement. 

Nous  devons  encore  au  même  industriel  une  autre 
préparation^  celle  du  chocolat  malléable. 


% 


LE    GH<JCOL-AT 


Elle  consiste  en  une  sorte  de  sirop,  ou  de  pale 
consistante  de  chocolat,  que  Ton  met,  enroulée, 
dans  une  feuille  d'étain.  Sous  cette  forme,  le  cho- 
colat conserve  pendant  plus  d'une  année  sa  sou- 
plesse, et  peut  être  d'une  grande  ressource  en 
voyage. 

Beurre  de  cacao.  —  Nous  devons  une  n:ention 
spéciale,  à  une  substance,  extraite  du  cacao,  qui 
peut  se  conserver  longtemps  sans  altération,  et  se 
prête  facilement  à  un  grand  nombre  d'usages. 

Nous  voulons  parler  du  beurre  de  cacao,  ma- 
tière grasse,  contenue  en  grande  quantité,  comme 
nous  l'a  révélée  Tanalyse  chimique,  dans  les  aman- 
des du  cacao. 

On  l'extrait  de  préférence  du  cacao  des  Iles,  où 
il  se  trouve  en  plus  forte  proportion. 

Voici  le  procédé  dont  on  se  sert  : 

On  réduit  en  pâte  les  graines  légèrement  torré- 
fiées ,  on  les  soumet  quelque  temps  à  la  tempéra- 
ture du  bain-rnarie ,  puis  on  ajoute  une  quantité 
d'eau  bouillante  égale  au  dixième  du  poids  du  cacao 
brut  employé.  Cette  pâte  est  pressée  dans  une  toile 
entre  des  plaques  de  fer  étamées^  chauffées  dans 
Teau  bouillante. 

On  fait  fondre  le  beurre  de  cacao  pour  le  purifier  ; 
ensuite,  on  Texpose  à  Tair  pour  faire  évaporer 
leau  ;  on^le  liquéfie  une  seconde  fois  ,  et  on  le 
filtre  dans  des  entonnoirs  chauffés  par  la  vapeur. 

On  peut  le  recevoir  alors  dans  des  fioles  à  mé- 
decine, où  il  se  solidifie. 


LE    CHOCOLAT  97 

Mais,  le  plus  ordinairement,  on  le  coule  en  ta- 
blettes, que  l'on  recouvre  d'une  feuille  d  etain. 

Le  beurre  de  cacao  est  ferme,  cassant  comme  de 
la  cire,  onctueux,  d'un  blanc  jaunâtre.  Il  a  une 
odeur  suave,  une  saveur  douce  et  agréable.  11  ne 
rancit  pas,  et  peut  se  garder  fort  longtemps, 

11  sert  à  plusieurs  usages. 

On  en  fait  d'excellentes  bougies,  et,  en  y  ajoutant 
de  la  soude,  de  très-bons  savons. 

La  pharmacie  a  utilisé  ses  propriétés  adoucis- 
santes. 

«  C'est,  dit  Lamarck,  la  meilleure  et  la  plus  na- 
turelle de  toutes  les  pommades.  Si  l'on  voulait 
rétablir  l'ancienne  et  très-salutaire  coutume  qu'a- 
vaient les  Grecs  et  les  Romains  de  se  frotter  d'huile, 
pour  donner  de  la  souplesse  aux  membres  et  se  ga- 
rantir des  rhumatismes,  il  faudrait  choisir  Yhuile 
de  cacao,  qui  sèche  promptement  et  n'exhale  pas 
de  mauvaise  odeur.  » 

Les  mères  et  les  nourrices  ont  souvent  des  ger- 
çures au  sein  qui  sont  très-douloureuses,  et  trou- 
blent l'alimentation  des  nouveaux-nés.  Elles  peu- 
vent trouver  un  excelleiit  palliatif ,  sinon  un  re- 
mède efficace,  dans  la  pommade  faite  avec  le  beurre 
de  cacao. 


y(S  LE   CHOCOLAT 


Propriétés,  valeur  alimentaire  et  hygiénique 
du  chocolat. 

Quand  on  connaît  la  composition  chimique  du 
cacao,  on  est  tout  naturellement  porté  à  croire  que 
le  chocolat,  dont  il  est  la  base,  est  universellement 
considéré  comme  une  substance  alimentaire  de  pre- 
mier ordre. 

En  effet,  d'après  Payen ,  l'amande  du  cacao  con- 
tient deux  fois  plus  de  matière  azotée  que  la  farine 
de  froment,  et  environ  vingt-cinq  fois  plus  de  ma- 
tière grasse. 

Cependant  la  valeur  alimentaire  du  chocolat  a 
été,  dans  tous  les  temps,  l'objet  des  opinions  les 
plus  contradictoires.  Les  uns,  partisans  fanatiques 
de  cet  aliment ,  en  ont  fait  un  mets  divin  i,  et  ont 
prétendu  qu'une  once  de  chocolat  nourrit  mieux 
qu'une  livre  de  viande.  Les  autres, détracteurs  aveu- 
gles ,  n'y  ont  vu  qu'une  boisson  détestable  et  nui- 
sible. 

Ces  divergences  de  jugement  peuvent  s'expli- 
quer par  la  diversité  des  chocolats  dont  on  fait 
usage,  par  le  mode  de  préparation  qu'on  leur  fait 
subir,  et  surtout  par  la  sophistication  qui  en  sup- 
prime ou  altère  les  principes  constituants. 

Hâtons-nous  de  dire  que  le  chocolat  ne  convient 


1.  On  a  appelé  le  cacao  Thcohromo,  qui  signifie  :  bois- 
son divine. 


LE    CHOCOLAT  90 

pas  à  tous  les  estomacs,  à  cause  de  la  grande  quan- 
tité de  graisse  qu'il  contient. 

Cette  réserve  faite,  nous  croyons  avec  les  auto- 
rités les  plus  compétentes,  que  le  chocolat  bien  fait, 
et  de  bonne  qualité,  est  un  aliment  sain,  adoucis- 
sant, et  doué  d'une  grande  puissance  nutritive. 

L'expérience  on  a  démontré  de  bonne  heure  les 
heureux  effets. 

«  Une  foule  de  faits  bien  établis,  dit  Paycn,  ont 
constaté  les  énergiques  propriétés  alimentaires  du 
chocolat.  Les  Espagnols  avaient  reconnu,  non  sans 
quelque  surprise,  ces  propriétés  remarquables,  en 
voyant  l'état  de  santé  florissante  des  populations 
américaines,  qui  faisaient  leur  principale  nourri- 
ture de  cacao  broyé.  » 

Madame  deSévigné,  d'une  santé  délicate,  suppor- 
tait difficilement  le  jeûne  prescrit  par  l'Eglise.  Mais, 
dit-elle,  depuis  que  le  chocolat  est  permis,  «  je  puis 
très -facilement^  avec  cette  seule  boisson,  résister 
aux  jeûnes  les  plus  prolongés.  » 

D'après  le  savant  chimiste  cité  plus  haut,  le  cho- 
colat est  un  aliment  favorable  à  l'entretien  de  la 
chaleur  animale  par  les  matières  grasses  qu'il  con- 
tient ;  à  lentretien  et  à  l'accroissement  de  nos  tis- 
sus par  les  substances  azotées  ou  autres,  qui  sont 
susceptibles  de  s'y  assimiler.    . 

Selon  Richard  «  il  est  analeptique  (réparateur),  et 
convient  aux  individus  épuisés  par  des  excès  ou  de 
longues  maladies.  Chez  ceux  qui  le  digèrent,  il  pro- 
duit promptement  une  amélioration  sensible,  et  ra- 


100  LE    CHOCOLAT 

nimeles  forces.  On  a  vu  quelquefois  l'usage  continué 
du  chocolat  devenir  très-favorable  à  des  personnes 
menacées  de  phthisie  ou  d'autres  maladies  chroni- 
ques 1.  » 

Le  D""  Fonssagrive>î,  dit  que  «  le  chocolat  rentre 
dans  la  catégorie  des  substances  dites  tliermogènes, 
ou  respiratoires  ,  c'est-à-dire  qu'il  fournit  plutôt 
aux  besoins  de  la  respiration  et  à  l'entretien  de  la 
chaleur  organique  qu'à  la  réparation  plastique  des 
tissus.  »  Il  le  déclare  d^^illeurs  très-nourrissant. 

Qu'il  nous  soit  permis  d'ajouter  notre  propre  té- 
moignage à  ceux  qui  précèdent,  et  de  transcrire  ici 
ce  que  nous  avons  dit  nous-même  sur  ce  sujet  dans 
un  autre  ouvrage  -. 

«  Il  est  évident,  d'après  sa  composition,  que  le 
chocolat  est  très-nutritif.  C'est  à  la  fois  un  aliment 
respiratoire ,  puisque  le  cacao  contient  moitié  de 
son  poids  de  matières  grasses,  et  un  aliment  répa- 
rateur, en  raison  des  20  pour  100  de  matières  azo- 
tées qu'il  renferme. 

«  Le  sucre ,  qui  entre  dans  la  fabrication  pour 
la  moitié  ou  les  deux  tiers,  est  encore  un  aliment 
respiratoire. 

«  Le  chocolat  fait  engraisser.  C'est  un  aliment 
qui  restaure  sans  exciter.  Il  convient  aux  personnes 
maigres  et  nerveuses,  aux  convalescents,  à  ceux 
dont  la  poitrine  est  délicate.  Ce  n'est  pas  l'aliment 

1.  Histoire  naturelle  médicale. 

2.  Leçons  d'hygiène,  par  A.  Riant.  Paris,  Adrien  De- 
lahaye,  -2*  édition,  1875. 


LE   CHOCOLAT  101 

des  personnes  lymphatiques  et  disposées  à  l'obé- 
sité. )) 

Les  personnes  qui  ont  Testomac  délicat  suppor- 
tent diflicilement  cette  substance ,  aromatique  par 
elle-même,  mais  qui  n'excite  peut-être  pas  assez 
vivement  les  fonctions  digestives. 

Pour  la  rendre  plus  digestible,  ou  plus  appétis- 
sante, on  fait  entrer  une  certaine  proportion  de 
vanille,  de  canelle  ou  de  benjoin  dans  sa  prépara- 
tion. Cela  s'appelle  du  chocolat  vanillé.  Cette  addi- 
tion séduit  l'acheteur,  l'aromate  flatte  le  palais  , 
et  stimule  l'estomac. 

On  réserve  au  simple  mélange  de  sucre  et  de 
cacao  le  nom  de  chocolat  de  santé ,  dénomination 
modeste,  mais  exacte,  si  Ton  compare  ce  mélange 
anodin  à  certains  chocolats  étrangers,  dans  la  fa- 
brication desquels  on  ajoute  des  épices  :  girolle, 
gingembre,  piment,  etc.  Ces  drogues  sont  peut- 
être  nécessaires  pour  la  digestion  du  chocolat  dans 
les  contrées  équatoriales  ;  mais  il  est  permis  alors  de 
se  demander  ce  que  l'on  gagne  à  garder  cette  éti- 
quette menteuse  sur  une  substance  qui  n'a  rien  des 
propriétés  du  cacao,  et  s'il  est  bien  nécessaire  de 
prendre  tant  de  peine,  pour  transformer  la  douce 
amande  du  cacaoyer  en  un  produit  alimentaire 
qui,  pour  nous,  ne  serait  plus  qu'irritant  et  incen- 
diaire. 

Le  mélange  de  chocolat  et  de  café  désigné  sous  le 
nom  de  clioca  est  un  meilleur  moyen  de  rendre  le 
chocolat  plus  digestible,  et  qui  n'altère  pas  ses  pro- 


102  LE    CHOCOLAT 

prit'tcs  adoucissantes  par  l'addition  de  substances 
irritantes.        • 

Pour  ceux  qui  trouvent  le  chocolat  trop  lourd,  et 
le  café  trop  excitant,  une  heureuse  association  an- 
nihile en  partie  ces  défauts,  en  ne  laissa'nt  que  les 
propriétés  favorables  de  chacune  des  deux  substances. 

D  ailleurs  la  digestibilité  du  chocolat,  même  de  la 
meilleure  qualité,  dépend  beaucoup  des  aptitudes 
digestives  individuelles. 

((  Il  est  des  estomacs  auxquels  les  matières  grasses 
et  les  matières  sucrées  ne  conviennent  pas.  Les 
chocolats  trop  gras ,  les  chocolats  espagnols  ,  par 
exemple,  seront  mal  supportés. 

«  Le  chocolat  à  l'eau  est  plus  léger  que  le  choco- 
lat au  lait  ou  à  la  crème,  cette  dernière  préparation 
renfermant,  outre  le  beurre  de  cacao,  les  matières 
grasses  du  beurre  contenu  dans  le  lait  ou  dans  la 
crème  ^ .  » 

Chocolats  médicamenteus. 

On  peut  mêler  bien  d'autres  substances  au  cho- 
colat. La  médecine  le  fait  souvent  servir  de  véhi- 
cule aux  médicaments ,  soit  pour  en  masquer  le 
goût  désagréable  ou  l'aspect  repoussant,  soit  pour 
introduire  dans  l'organisme  des  principes  néces- 
saires dont  il  est  appauvri. 

Certaines  préparations,  où  entre  le  cacao,  ont  été 

1.   Voyez  nos  Leçons  d'hygiène . 


LE    CHOCOLAT  103 

vantées  pour  l'alimentation  des  enfants  et  du  con- 
valescents. 

Le  racaJiOut  et  lo  palamoitd  sont  des  aliments 
de  ce  genre,  réputés  d'une  digestion  très-facile,  et 
dont  le  nom  est  très-prétentieux,  mais  dont  la  com- 
position est  fort  simple. 

Le  racahoiit  est  un  mélange  de  cacao  et  de  fécule, 
aromatisé  et  sucré. 

En  voici  une  formule  : 

Cacao  torréfié  et  pulvérisé   ........  10  gr. 

Farine  de  riz,  fécule  de  pommes  de  terre 

—  de  chacune 45 

Sucre  pulvérisé ^    .    .    .  136 

Vanille 2 

Faire  fondre,  et  garder  dans  un  vase  de  verre 
bien  bouché ^  pour  préserver  des  larves  d'insectes 
et  des  .mites. 

Le  iJalamoud  ne  contient  ni  sucre  ni  vanille. 

Formule  : 

Cacao  torréfié  et  pulvérisé 30  gr. 

Farine  de  riz  et  de   pommes  de   terre  — 

de  cliacune 120 

Santal  rouge   pulvérisé 0,-10 

Mêler  et  renfermer  dans  une  bouteille. 

Le  chocolat  au  miel  est  rafraîchissant.  Il  a  des 
propriétés  laxatives  qui  le  font  administrer  fré- 
quemment dans  les  constipations  opiniâtres.  Il  est 
demi-liquide.  On  le  conserve  ordinairement  dans 
des  pots  de  grès. 


104  LE    CHOCOLAT 

Il  est  plus  simple  de  sucrer  avec  du  miel  le 
cacao  pur,  à  mesure  du  besoin. 

On  peut  communiquer  de  nouvelles  propriétés  au 
chocolat,  en  y  faisant  entrer,  en  quantités  déter- 
minées, le  fer  et  ses  sels,  lactate,  iodure;  etc,  lar- 
row-root,  le  salep,  le  lichen,  Tiode,  le  tapioca.  On 
fait  ainsi  des  chocolats  ferrugineux,  pectoraux,  ana- 
leptiques (nutritifs,  réparateurs). 

Mélangé  au  quinquina,  le  chocolat  devient  toni- 
que et  fébrifuge  ;  au  houblon,  il  est  fortifiant;  à  la 
magnésie,  il  constitue  un  purgatif  agréable. 

On  sait  combien  il  est  difficile  de  décider  un  en- 
fant à  prendre  certains  remèdes  sous  leur  forme 
ordinaire.  Il  les  accepte  volontiers,  quand  ils  sont 
dissimulés  dans  le  chocolat ,  soit  liquide ,  soit  en 
pastilles  ou  en  bâtons.  On  peut  lui  administrer 
ainsi,  sans  opposition,  de  la  mousse  de  Corse,  de  la 
racine  de  fougère  ou  de  grenadier,  ou  d'autres 
substances  vermifuges. 

Le  médecin  suit  alors  le  précepte  du 'Tasse  : 

«  Cosi  alPegro  fanciul  porgiamo  aspersi 
«  Di  soave  licor  gli  orJi  del  vaso  : 
«  Succhi  amari  ingannato  intente  ei  beve, 
«  E  d'air  inganno  suo  vita  riceve.   » 

«:  Ainsi  à  l'enfant  malade  nous  présentons  les  bords  du 
«  vase  imprégnés  d'une  douce  liqueur  :  trompé  par  cet 
o  artifice,  il  boit  des  sucs  amers,  et  de  son  erreur  il  re- 
a  çoi^  la  vie.  » 

Nous  n'entreprendrons  pas  d'énumérer  toutes  les 


LE   CHOCOLAT  105 

drogues ,  plus  ou  moins  désagréables ,  auxquelles 
le  chocolat  sert  de  véhicule  ;  c'est  une  riche  mine 
exploitée  par  la  pharmacie. 

Bornons-nous  à  dire  en  terminant  ce  sujets  que 
le  chocolat  se  prête  à  toutes  sortes  de  formes  et 
d'usages.  Il  figure  dans  les  fêtes  comme  dans  les 
usages  de  la  vie  ordinaire,  dans  la  maladie  comme 
dans  la  santé. 

On  en  prend  à  tous  les  repas  :  au  déjeuner  du 
matin,  à  l'eau  ou  au  lait  ;  au  diner,  dans  les  crèmes  ; 
en  soirée,  dans  les  glaces  et  autres  rafraîchisse- 
ments ;  entre  les  repas  et  dans  les  voyages,  en  ta- 
blettes, en  pastilles,  en  croquettes,  en  bâtons. 

On  le  prend  comme  substance  alimentaire  , 
comme  friandise,  ou  comme  médicament. 

En  faut-il  d  avantage  pour  justifier  la  popularité 
dont  jouit  à  bon  droit  le  chocolat? 


LE    THÉ 


Origine. 

Ccst  du  fond  des  contrées  de  rextréme  Orient, 
hier  si  mystérieuses,  aujourd'hui  encore  si  peu 
connues,  que  nous  vient  la  feuille  précieuse,  dont 
nous  avons  à  présenter  Thistoire,  et  à  indiquer 
les  propriétés. 

Cette  petite  feuille  de  thé,  que  de  pensées  elle 
éveille  dans  l'esprit  !  Les  scènes  les  plus  intimes  du 
foyer  domestique,  les  réunions  d'amis,  les  douces 
causeries  du  soir  ;  ce  génie  familier,  si  cher  aux 
romanciers  et  aux  poètes  anglais,  qui  chante  dans 
la  bouilloire  ;  l'inspiration  puisée  dans  l'odorante 
liqueur,  qui  stimule,  sans  les  troubler,  les  fonc- 
tions organiques  :  et,  dans  un  autre  ordre  d'idées, 
la  richesse  agricole  dont  elle  est  la  source  pour  les 
pays  de  production;  les  relations  commerciales 
qu'elle  a  créées  entre  l'Orient  et  l'Occident  ;  d'im- 
menses contrées,  peuplées  de  plus  de  400  millions 
d'habitants,  ouvertes  au  commerce  et  à  la  civilisa- 


108  LE    THK 

tion  ;  des  nations  industrieuses,  mais  immobiles  de- 
puis des  milliers  d'années,  abaissant  les  barrières 
qui  les  séparaient  des  autres  peuples,  et  entrant 
dans  la  voie  du  progrès  ;  la  simplicité  des  moyens 
dont  se  sert  la  Providence  —  ici  une  humble  feuille, 
là  une  graine  ou  une  amande,  —  pour  produire  de 
si  grands  changements  ! 

Toutes  ces  idées,  et  bien  d'autres  qui  se  pressent 
à  leur  suite,  donnent  à  l'étude  du  thé  un  intérêt 
que  la  connaissance  de  son  histoire  et  de  son  rôle 
ne  manquera  pas,  nous  l'espérons,  de  justifier. 

L'arbre  à  thé. 

Le  thé  croît  naturellement  en  Chine  et  au  Japon. 

C'est  un  arbrisseau  toujours  vert,  qui  a  quelque 
ressemblance  avec  le  myrte  du  midi  de  l'Europe. 

Il  est  de  la  môme  famille  que  les  camélias. 

Abandonné  à  lui-même,  il  atteint  une  hauteur  de 
8  à  10  mètres;  mais  la  culture  en  arrête  la  crois- 
sance^ et,  ainsi  entravé  dans  son  développement,  il 
ne  dépasse  pas  5  à  G  pieds  en  moyenne.  (Fig.  21). 

Les  feuilles  sont  ovales  ,  finement  dentées  ,  et 
d'un  vert  foncé;  les  fleurs  sont  blanches,  et  grou- 
pées au  nombre  de  3  ou  4  à  l'aisselle  des  feuilles  ; 
le  fruit  est  une  capsule  à  trois  coques,  dont  chacune 
contient  une  graine,  rarement  deux.  (Fig.  22  et  23). 

En  Chine,  il  est  cultivé  presque  partout  ;  mais 
c'est  entre  les  23^  et  25^  degré  de  latitude  qu'il 
donne  les  meilleurs  résultats,  et  fournit  les  espèces 


r6t 


¥\^.  21.  —  Arbre  à  thé. 


110  LE   THÉ 

de  thé  les  plus  estimées.   Cependant,   quoiqu'une 
température  moyenne  semble  celle  qui  lui  est  le 


Fis.  22.  —   Branche  de  thé. 


plus  favorable,  on  peut  le  cultiver  depuis  Téqua- 
teur  jusqu'au  45*  degré  de  latitude  septentrionale. 


Fig.  23.  —  Feuilles,  fleurs,  fruit. 


H  2  LE    THK 

On  le  plante  en  bordure,  le  long*  des  champs,  ou 
en  quinconces  à  mi-côte.  Comme  la  vigne,  il  se 
plaît  surtout  sur  le  penchant  des  collines  exposées 
au  midi,  dans  les  terrains  légers,  moins  propres  à 
la  culture  des  céréales;  il  aime  aussi  le  voisinage 
des  eaux  courantes. 

C'est  lorsque  Tarbre  est  dans  sa  quatrième  année 
que  Ton  commence  à  cueillir  les  feuilles,  qui  en 
sont  à  peu  près  l'unique  produit. 

On  fait  généralement  deux  récoltes  par  an  :  l'une 
au  printemps,  l'autre  ci  septembre;  il  y  en  a  quel- 
quefois une  troisième,  et  même  une  quatrième. 

La  cueillette  du  printemps  donne  le  thé  le  plus 
estimé,  celui  qui  a  l'arôme  le  plus  suave  et  le  goût  le 
plus  fin.  On  cueille  d'ordinaire  les  feuilles  à  la  main. 

On  peut  voir  aussi  dans  une  peinture  Chinoise , 
reproduite  par  la  figure  24,  les  services  que  d'intel- 
ligents auxiliaires,  dressés  à  cet  effet,  rendraient  aux 
indigènes,  pour  la  récolte  des  feuilles  dans  les  ter- 
rains peu  accessibles. 

Après  une  dizaine  d'années,  l'arbuste  croît  très- 
lentement,  et  porte  peu  de  feuilles.  Alors  on  le 
coupe  au  niveau  du  sol,  et  sur  la  souche  poussent 
de  nouveaux  rejetons,  plus  vigoureux  et  en  plus 
grand  nombre.  On  force  aussi  l'arbuste  à  se  rami- 
fier, en  taillant  les  branches  supérieures.  La  ré- 
colte recommence  sur  les  jeunes  pousses,  qui  sont 
plus  tendres,  couvertes  d'un  léger  duvet,  et  d'une 
saveur  plus  agréable. 

Les  Chinois  donnent  les  soins  les  plus  minutieux 


FJg.  24.  —  Récolte  du  Thé,  d'après  une  peinture  Chinoise. 


114 


LE    THE 


à  la  culture  de  l'arbre  à  thé.  Ils  y  sont  d'ailleurs 
singulièrement  encouragés,  car  cet  arbre  est  pour  la 
Chine  ce  qu'est  la  vigne  pour  la  France,  une  source 
abondante  de  richesse. 

Le  terrain  est  d'abord  soigneusement  préparé; 
on  n'y  laisse  ni  herbes,  ni  broussailles,  ni  végétaux 
parasites.  Après  ce  sarclage ,  qui  se  renouvelle 
deux  fois  par  an,  on  creuse  de  distance  en  distance 
des  trous,  dans  chacun  desquels  on  met  de  6  à 
12  graines,  dont  il  ne  lève  guère  qu'un  cinquième, 
parce  qu'elles  sont  très-facilement  sujettes  à  se  dé- 
tériorer. 

On  arrose  les  plants  au  moyen  de  rigoles,  si  le 
terrain  est  incliné;  à  la  main  ou  avec  des  machines, 
sur  les  plateaux  unis. 

La  culture  du  thé  est ,  à  peu  de  chose  près ,  la 
même  au  Japon,  où,  selon  quelques  auteurs,  cet 
arbuste  aurait  été  apporté  de  la  Chine,  où,  selon 
une  opinion  plus  générale,  il  est  un  produit  natu- 
rel du  sol.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'usage  du 
thé  existe  de  temps  immémorial  dans  ces  deux 
pays. 

Préparation  des  feuilles. 

Les  feuilles  du  thé,  avant  d'être  livrées  au  com- 
merce, subissent  une  manipulation  assez  prolongée, 
qui  a  pour  but  de  les  conserver,  et  en  même  temps 
de  leur  ôter  le  principe  acre  et  vireux  qu'elles  con- 
tiennent. 


Fig.  25.  —  Thé.  Feuilles,  fleurs,  fruit. 


11  fi  LE    THF. 

On  apporte  les  feuilles,  dans  des  paniers  de  bam- 
bou, sous  des  hangards  où  sont  installés  les  ate- 
liers. (Fig.  26). 

Celles  de  la  seconde  récolte  sont  d'abord  triées, 
parce  qu'elles  n'ont  pas  toutes  atteint  le  même  dé- 
veloppement ;  les  plus  tendres  sont  mises  de  côté, 
et  vendues  le  plus  souvent  comme  étant  de  la 
première  récolte. 

On  trempe  les  feuilles  quelques  instants  dans 
l'eau  bouillante  ,  cela  se  fait  du  moins  dans  quel- 
ques provinces  de  la  Chine,  car  cette  première 
opération  ne  paraît  pas  être  d'un  usage  général. 

Puis  on  les  dispose  dans  des  poêles  de  fer,  larges 
et  très-plates,  posées  sur  des  fourneaux.  Ces  feuilles 
pleines  de  sève,  pétillent  au  contact  de  la  surface 
chauffée.  Des  ouvriers  les  remuent  sans  cesse,  soit 
avec  leurs  mains,  habituées  à  une  forte  chaleur, 
soit  avec  un  petit  balai  de  baguettes  de  bambou. 
Quand  elles  se  crispent,  ce  qui  indique  que  le  gril- 
lage est  assez  avancé,  on  les  enlève  avec  une  sorte 
de  pelle  en  forme  d'éventail,  et  on  les  étend  sur 
des  nattes.  (Fig.  27). 

La  torréfaction  doit  se  faire  quand  les  feuilles 
sont  fraîches,  autrement  elles  noirciraient  et  per- 
draient de  leur  valeur.  Cette  opération  les  dépouille 
de  leurs  sucs  vireux,  sans  altérer  leur  arôme  et 
leur  saveur. 

Alors  d'autres  ouvriers  reçoivent  les  feuilles,  les 
pressent,  les  roulent  rapidement  avec  la  paume  de 
la  main,   d'un  mouvement   uniforme   et   toujours 


H8  LE    THÉ 

dans  le  même  sens.  Elles  prennent  la  ioFiiie  de 
petits  rouleaux.  On  les  fait  refroidir,  soit  en  les 
exposant  à  Tair,  soit  à  Taide  de  grands  éventails. 

Cette  double  opération  du  grillage  et  de  Fenrou  * 
lement  est  répétée  deux  ou  trois  fois,  ou  même 
plus  souvent.  Mais  à  chaque  répétition,  on  chauffe 
moins,  et  on  procède  avec  plus  de  soin  et  de  pré- 
caution,  surtout  pour  les  thés  les  plus  estimés, 
dont  chaque  feuille  est  4'oulée  séparément. 

Enfin,  au  bout  de  quelques  mois,  on  sèche  de 
nouveau  les  feuilles  sur  un  feu  doux,  pour  faire 
disparaître  les  dernières  traces,  d'humidité;  puis, 
bien  roulées  et  bien  sèches,  on  les  enferme,  pour 
les  expédier  ou  les  mettre  en  magasin,  dans  les 
vases  destinés  à  les  contenir,  que  l'on  tient  soi- 
gneusement à  Fabri  de  Fair  et  de  la  lumière.  On  se 
sert,  pour  cet  usage,  de  caisses  de  bois,  de  boîtes 
doublées  d'étain  ou  de  plomb  (Fig.  28),  et  mieux 
encore,  pour  les  qualités  supérieures,  de  vases  de 
porcelaine  hermétiquement  bouchés. 

Quoique  Fodeur  naturelle  du  thé  soit  assez  forte, 
les  Chinois  y  ajoutent  souvent  un  parfum  artificiel, 
qui,  sans  faire  entièrement  disparaître  Farôme  pro- 
pre du  thé,  lui  donne  plus  de  montant.  En  géné- 
ral, ils  cachent  aux  regards  des  étrangers  cette 
préparation,  comme  ils  cachent  la  plupart  de  leurs 
procédés  industriels.  Malgré  le  mystère  dont  ils 
s'enveloppent,  on  est  parvenu  à  découvrir,  à  l'aide 
de  quelques  débris  restés  au  fond  des  caisses,  les 
plantes  odorantes  dont  ils  se  servent  pour  aroma- 


120  LE    THi: 

tiser  le  thé.  On  a  reconnu,  entre  autres  végétaux 
employés  à  cet  usage,  le  camélia  sasanqua,  le  ma- 
fjnolia  julan,  Volivier  odorant  (olea  fragrans),  le 
jasmin  sambac,  etc. 


Importation  du  the  en  Europe. 

L'arrivée  du  premier  navire,  qui  apporte  le  pre- 
mier thé  de  la  dernière  récolte,  excite  en  Angleterre 
un  intérêt  tout  particulier. 

«  On  ne  parlait  depuis  deux  mois  que  du  Tae- 
ping,  qui,  dans  sa  traversée  de  Chine  en  Angle- 
terre, s'est  montré  un  navire  de  premier  ordre. 
Parti  en  même  temps  que  deux  autres  clippers  de 
Fou-Chao,  avec  les  premiers  thés  de  la  saison  nou- 
velle, il  a  mis  99  jours  pour  aller,  par  le  cap  de 
Bonne-Espérance ,  jusqu'au  cap  Lizard ,  sur  les 
côtes  d'Angleterre.  Les  trois  rivaux  "  ne  s'étaient 
aperçus  que  deux  fois  en  suivant  la  route  que  cha- 
cun estimait  la  plus  rapide  :  le  99^^  jour,  ils  se 
trouvèrent  côte  à  côte  en  vue  de  la  terre  anglaise. 
Alors  la  lutte  monta  au  paroxysme  :  malgré  un 
grand  frais  d'ouest,  chaque  capitaine  mit  toute  sa 
voile  dessus,  au  risque  de  jeter  la  mâture  à  bas;  les 
équipages  étaient  comme  affolés,  et  ne  reculaient 
devant  aucune  témérité.  Ce  fut  le  Tae-ping  qui 
aborda  une  heure  avant  les  autres  au  quai  des 
East'India  Docks  de  Londres  :  une  prime  de 
12  fr.  50  c.  par  tonneau  (le  Tae-ping  en  compte 


12'2  LE    THÉ 

plus  de  2,000)  est  affectée  à  l'heureux  capitaine  qui 
remporte  chaque  année  une  pareille  victoire.  » 

Cette  course  des  navires  apportant  le  premier 
thé  de  la  saison  à  Londres,  dont  nous  avons  em- 
prunté le  récit  au  livre  si  intéressant  du  comte  de 
Beauvoir,  montre  à  quel  point  le  thé  est  populaire 
en  Angleterre  ^  C'est  qu'en  effet  il  est  devenu  un 
objet  de  première  nécessité  dans  ce  pays,  et  dans 
d'autres  contrées  du  nord,  où  le  vin  est  une  bois- 
son de  luxe  et  à  la  portée  d'un  petit  nombre  de  pri- 
vilégiés. 

En  France,  le  thé  a  encore  un  certain  air  aristo- 
cratique ;  mais  l'usage  en  devient  de  plus  en  plus 
général,  et  bientôt,  il  faut  l'espérer,  les  classes 
aisées  ne  seront  pas  les  seules  à  jouir  de  cette  bien- 
faisante boisson. 

En  voyant  le  thé  répandu  aujourd'hui  dans  toutes 
les  parties  du  monde  civilisé,  n'y  a-t-il  pas  lieu  de 
s'étonner  que  son  introduction  en  Europe  ne  re- 
monte pas  au  delà  du  xvne  siècle  ? 

Avant  cette  époque,  il  était  connu  dans  tout 
rOrient  :  de  la  Chine,  il  avait  passé  dans  l'Inde, 
l'Arabie,  la  Tartarie  et  la  Perse. 

Ce  sont  les  Hollandais  qui  ont  introduit  le  thé 
en  Europe. 

On  sait  que  ce  peuple  fut  le  premier  qui  eut  des 
relations  commerciales  avec  la  Chine  et  le  Japon, 
où  il  obtint  l'accès  de  quelques  ports;  et  il  était,  au 

1.    Voyage  autour  du  monde.  Pion,  1872. 


LE    THÉ  123 

commencement  du  xyii^  siècle,  le  seul  intermé- 
diaire entre  l'Europe  et  ces  contrées  de  l'extrême 
Orient. 

En  1641,  Tulpius,  médecin  hollandais,  fait  con- 
naître les  propriétés  du  thé  et  les  avantages  que 
son  pays  pouvait  en  tirer. 

Vers  1660,  la  feuille  chinoise  devient  en  usage 
dans  les  cafés. 

Bontekoe,  médecin  de  l'Electeur  de  Brandebourg, 
vante  les  vertus  du  thé,  en  1679,  dans  un  ouvrage 
qui  obtient  un  grand  succès. 

Lord  Arlington  fut  le  premier  qui  le  transporta 
de  la  Hollande  en  Angleterre.  En  1664,  il  était 
encore  assez  rare,  et  coûtait  fort  cher.  Car  nous 
lisons  dans  un  ouvrage  anglais  que  la  Compa- 
gnie des  Indes-Orientales,  qui  avait  reçu  le  mono- 
pole du  commerce  du  thé  entre  la  Chine  et  l'Angle- 
teire,  acheta,  cette  même  année,  au  prix  de  deux 
livres,  2  onces  de  thé  destinées  à  être  offertes  en 
cadeau  au  roi. 

Cette  célèbre  Compagnie  conserva  son  monopole 
jusqu'en  1834. 

Les  services  qu'elle  rendit  en  Angleterre  n'étaient 
pas  sans  compensation  :  pendant  que  les  habi- 
tants de  Hambourg,  de  New-York,  d'Amsterdam, 
recevaient  directement  et  librement  leur  thé  de 
Chine,  les  Anglais  payaient  1,500,000  livres  ster- 
ling de  plus ,  pour  tenir  leur  thé  des  mains 
de  ce  coûteux  intermédiaire ,  la  Compagnie  des 
Indes. 


124  LL    111  h 

Vers  la  lin  du  xviii*  siècle,  le  thé  était  si  peu  connu 
en  Ecosse,  que  la  duchesse  de  Monmouth  en  ayant 
envoyé  une  livre  dans  ce  pays,  en  1785,  à  Tun  de 
ses  parents,  sans  indiquer  la  manière  de  le  pré- 
parer, le  cuisinier  fit  bouillir  les. feuilles,  et  les  ser- 
vit comme  un  plat  d  epinards  !  Inutile  d'ajouter 
qu'il  avait  jeté- l'infusion. 

En  France,  le  thé  parait  avoir  été  conmi  dès  1036. 
On  sait  par  les  lettres  de  Guy  Patin,  que  deux 
thèses  furent  soutenues  sur  le  thé,  pour  flatter  le 
chancelier  Séguier,  ardent  propagateur  de  la  nou- 
velle boisson  :  l'une  en  1648,  dont  la  conclusion 
était  que  le  thé  «  donne  de  l'esprit  »  (menti  con^ 
fert)\  l'autre  en  1057,  en  présence  du  chancelier  et 
de  plusieurs  personnages  illustres.  Quant  au  spi- 
rituel auteur  des  lettres  qui  fournissent  ces  rensei- 
gnements, il  appelait  le  thé  «  une  impertinente 
nouveauté  du  siècle.  » 

De  tous  les  ouvrages  où  Ton  peut  recueillir,  çà  et 
là,  quelques  informations  sur  le  thé,  il  est  permis 
de  conclure  que  l'usage  de  cette  boisson  se  répandit 
plus  lentement  en  Europe  que  celui  du  café. 

Aujourd'hui  la  feuille  chinoise  n'a  rien  à  envier 
à  la  fève  d'Arabie. 

Qu'on  juge  de  sa  destinée  par  les  chiffres  sui- 
vants empruntés  à  des  documents  ofïîciels  : 

Depuis  longtemps  l'Europe  payait  à  la  Chine,, 
pour  le  thé,  un  tribut  annuel  évalué  à  plus  de 
150  millions. 


LE    THÉ  125 

En  1869,  la  Chine  a  exporté  73,407,130  kilog.  de 
thé  ! 

Elle  a  reçu  de  l'étranger,  pour  ce  seul  article  de 
son  commerce  extérieur,  213,548,016  francs. 

L'Angleterre  en  a  pris  à  elle  seule  pour  14S,  10 1,536  ^ 
Sa  consommation  annuelle  approche  de  50  millions 
de  kilogrammes. 

Dans  l'année  financière  1872-73,  le  gouverne- 
ment anglais  a  perçu,  par  les  douanes,  pour  le  thé 
seulement  80,672,512  francs. 

La  ville  de  Macao,  peuplée  de  125,000  Chinois  et 
de  2,000  Portugais,  en  exporte  chaque  année  pour 
3,400,000  francs. 

Nous  n'avons  pas  de  renseignements  authentiques 
sur  l'exportation  du  Japon  et  de  quelques  autres 
lieux  de  production,  oii  le  thé  a  été  acclimaté,  ni 
sur  les  quantités,  certainement  considérables,  qui 
sont  transportées  de  Chine  en  Russie  par  les  cara- 
vanes à  travers  l'Asie  centrale.  Le  chiffre  total  doit 
en  être  sensiblement  augmenté. 

Si,  en  France,  la  consommation  du  thé,  qui  n'a 
pris  quelque  importance  que  depuis  1830,  n'a  pas 
suivi  la  même  progression  qu'en  Angleterre,  c'est 
en  grande  partie  parce  que  chez  nous  le  vin  est 
abondant  et  d'un  prix  relativement  peu  élevé.  Après 
tout,  il  n'y  a  pas  lieu  do  s'en  plaindre. 

Elle  ne  dépasse  guère  30U.000  kilogrammes  par 
an. 

Voici  le  tableau  de  la  consommation  de  Paris, 
en  iN.")!).  d'après  Husson  : 


126  LE    THÉ 

Thés  noirs  : 

kil. 

Souchong 18,000 

Congo 5,000 

P  koe 3,r)00  )  28,500  kil 

Pékoe  orange, 1,500 

Pouchong 500 

Thés   verts  : 

Hyson 4,000 

Tonkay 1,800 

Impérial 1,500 

Hyson-Schouiang l,-200 

Hyson-Skin 1,200 

Poudre  à  canon 1,000 


10,700  kil. 


Total  .  39,200  kil. 

On  peut  évaluer  aujourd'hui  sans  crainte  d'exa- 
gération à  plus  de  40,000  kilogrammes  la  quantité 
de  thé  consommée  à  Paris. 


Essais  de  culture  du  thé  hors  de  la  Chine  et 
du  Japon. 

En  voyant  les  progrès  toujours  croissants  de  la 
consommation  du  thé,  et  des  bénéfices  qu'il  procure 
aux  pays  de  provenance,  les  peuples  tributaires  de 
la  Chine  et  du  Japon  ont  dû  songer  de  bonne  heure 
aux  moyens  d'acclimater  chez  eux,  ou  dans  leurs 
colonies,  l'arbuste  qui  produit  une  telle  richesse. 

Ils  y  étaient  d'autant  plus  portés^  qu'ils  ne  pou- 


LE    THÉ  127 

vaient  recouvrer,  par  l'échange  des  produits  de 
leur  industrie,  les  sommes  énormes  qui  allaient 
s'eng-ouffrer  chaque  année  dans  ces  contrées  loin- 
taines, séparées  de  l'Occident  par  des  préjugés  sé- 
culaires. 

Les  Français  essayèrent  deux  fois  la  culture  du  thé 
à  Cayenne.  On  amena  même  dans  cette  colonie  des 
Chinois,  pour  créer  les  premiers  établissements  et 
initier  les  colons  à  l'éducation  de  ce  précieux  végé- 
tal. Cette  entreprise  ne  réussit  pas. 

Il  en  fut  de  même  à  la  Martinique. 

On  tenta,  sans  plus  de  succès,  de  l'acclimater  en 
Corse  et  en  Provence.  Cependant  un  journal  disait 
récemment  : 

«  Une  expérience  intéressante  va  être  tentée  en 
Sicile. 

«  Quelques  savants,  ayant  observé  que  la  nature 
du  sol.  en  Sicile,  était  la  même  qu'au  Japon  et  les 
conditions  climatologiques  de  ces  deux  régions  iden- 
tiques ,  ont  eu  l'idée  d'essayer  d'acclimater  le  thé 
dans  cette  province.  Sur  la  demande  du  gouverne- 
ment italien ,  le  consul  du  Japon  a  envoyé  des  pa- 
quets de  graines  prises  sur  les  différentes  espèces 
de  plante  à  thé,  et  leur  a  donné  en  même  temps  les 
instructions  les  plus  détaillées  sur  leur  mode  de 
culture.  Les  initiateurs  de  l'entreprise  prétendent 
que  la  Sicile  n'est  pas  le  seul  pays  dont  le  climat 
semble  favorable  à  la  culture  du  thé;  l'Espagne  et 
la  Grèce  seraient  dans  le  même  cas. 

Il  est  probable  que  le  thé  obtenu  en  Sicile  n'aura 


128  LE    THK 

pas  exactement  les  mêmes  qualités  que  celui  du 
Japon,  mais  c'est  là  le  cas  de  toutes  les  plantes  exo- 
tiques importées  en  Europe.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette 
expérience  n'en  vaut  pas  moins  la  peine  d'être 
tentée  ^  » 

La  comparaison  du  climat  de  la  Chine  avec  celui 
de  la  France  (Pékin  est  presque  sous  la  même  latitude 
que  Marseille)  avait  fait  croire  que  le  thé  réussirait 
chez  nous,  et  deviendrait  une  source  abondante  de 
revenus.  L'expérience  semblait  confirmer  la  théorie  : 
les  grands  arbres  de  Chine  viennent  tous  en  pleine 
terre  dans  notre  pays.  Ceux  que  nous  y  avons 
transportés,  surtout  dans  ces  derniers  temps,  pros- 
pèrent comme  dans  leur  patrie. 

Mais  l'espérance  de  naturaliser  le  thé  en  France, 
était  une  illusion  comparable  à  celle  des  étrangers 
qui  ont  voulu  transplanter  sous  d'autres  cieux  nos 
ceps  de  Bourgogne  :  tentative  qui  n'a  point  alarmé 
les  propriétaires  de  nos  grands  vignobles.  Ils  sa- 
vaient qu'on  ne  pouvait  pas  emporter  leur  terroir 
et  leur  soleil. 

Les  premiers  pieds  de  thé  vivants  qu'on  ait  vus 
en  Europe  furent  apportés,  en  1763,  à  Linné,  au 
Jardin  d'Upsal. 

Le  premier  que  Ton  ait  planté  en  France  y  fut 
envoyé  par  Gordon,  pépiniériste  de  Londres,  au 
chevalier  de  Janssen,  qui  1  éleva  dans  son  jardin  de 
Chaillot,  d'où  il  s'est  propagé.  Beaucoup  d'horticul- 

1.    Union  médicale,  30  mars  1875. 


LÉ    THE  129 

teurs  le  cultivent  aujourd'hui  dans  les  serres,  ou 
même  dans  les  orangeries.  Car  il  n'exige  pas  une 
haute  température;  il  suffit  de  le  préserver  des 
froids  de  l'hiver.  Il  donne  des  fleiirs,  mais  rare- 
ment des  fruits. 

Tous  les  essais  tentés  sembleraient  prouver  que  les 
propriétés  de  cette  plante  se  perdent  si  on  l'expa- 
trie. 

Cependant  les  Hollandais  ont  obtenu  quelques 
succès  à  Java,  et  on  le  cultive  encore  dans  les  envi- 
rons de  Rio  de  Janeiro,  où  il  a  été  introduit  par  les 
Portugais. 

Tous  les  thés  de  ces  provenances  sont  inférieurs 
à  ceux  de  la  Chine. 

Le  thé  réussit  au  Tonquin  et  en  Cochinchine,  où 
il  ne  se  trouve  pas  dépaysé*  - . 

Dans  la  province  d'Assam,  qui  fait  partie  des 
possesions  anglaises  de  l'Indoustan,  il  est  cultivé 
depuis  fort  longtemps,  ce  qui  a  pu  faire  croire 
qu'il  y  est  indigène;  mais  ce  fait  s'explique  suffi- 
samment par  le  voisinage  de  la  Chine  et  les  rela- 
tions des  deux  pays.  Du  reste,  le  gouvernement 
anglais,. qui  a  trouvé  cette  culture  établie,  n'a  pas 
manqué  de  l'encourager  et  de  lui  donner  plus  d'ex- 
tension. Les  thés  de  cette  provenance  constituent 
une  variété  commerciale  secondaire,  supérieure  ce- 
pendant aux  autres  thés  exotiques. 


130  LE   THÉ 


Variétés  commerciales. 

Y  a-t-il  plusieurs  espèces  botaniques  de  thé.  ou 
simplement  plusieurs  variétés  d'une  espèce  unique 
dues  à  Tinfluence  de  diverses  causes  ? 

Linné,  et  d'autres  botanistes  qui  ont  adopté  ses 
classifications,  ont  distingué  deux  espèces  de  thé, 
d'après  le  nombre  des  pétales  de  la  fleur. 

Mais  la  plupart  des  botanistes,  ne  regardant  pas 
ce  caractère  comme  essentiel,  n'admettent  qu'une 
seule  espèce,  et  considèrent  le  thea  bohea  (thé  bou) 
et  le  thea  viridis  (thé  vert)  de  Linné  comme  de 
simples  variétés  produites,  dans  le  cours  des  siècles, 
par  une  culture  perfectionnée. 

Il  est  facile  de  comprendre  que  cette  plante  ayant 
été  cultivée  de  temps  immémorial  par  un  peuple 
éminemment  agricole,  il  a  dû  se  passer  ce  que  nous 
voyons  se  produire  pour  nos  arbres  fruitiers.  Nos 
horticulteurs  n'opèrent-ils  pas  tous  les  jours  de  véri- 
tables métamorphoses,  et,  par  des  procédés  fondés 
sur  l'observation  de  la  nature,  ne  parviennent-ils  pas 
à  créer  de  nouvelles  espèces  de  fruits ,  auxquelles 
ils  revendiquent  l'honneur  d'attacher  leur  nom? 

Il  est  donc  plus  que  vraisemblable  que  la  culture 
a  modifié  les  feuilles  de  thé,  et  créé  les  variétés 
connues  sous  différents  noms  dans  le  commerce. 
D'ailleurs  les  influences  du  sol  et  du  climat  ne  sont 
pas  restées  étrangères  à  ces  modifications,  et  suffi- 
raient peut-être  à  les  expliquer, 


LE    THÉ  131 

Les  variétés  très-diverses  de  thé  que  l'on  trouve 
dans  le  commerce  peuvent  se  ramener  à  deux 
grandes  classes  :  les  thés  noirs,  et  les  thés  verts^ 
qui  ne  correspondent  pas  à  des  espèces  végétales 
différentes,  comme  nous  venons  de  le  dire,  mais 
à  des  choix  de  feuilles  récoltées,  à  une  époque  plus 
ou  moins  avancée,  sur  un  même  arbrisseau,  et 
auxquelles  on  fait  subir  des  opérations  qui  en  mo- 
difient l'aspect  et  les  propriétés. 

Dans  la  première  récolte,  en  avril,  on  choisit  et 
Ton  cueille,  une  à  une,  les  feuilles  les  plus  tendres, 
pour  faire  le  thé  vert.  Les  autres  récoltes,  faites 
avec  moins  de  précaution,  fournissent  les  feuilles 
qui  donnent  le  thé  noir  ^ 

Thés  noirs. 

Voici.,  avec  la  traduction  de  leurs  noms  chi- 
nois et  leurs  caractères  distinctifs  ,  la  nomencla- 
ture des  principales  variétés  usitées  dans  le  com- 
merce : 

["  Souchong  (siào-tchông ,  petite  espèce),  d'un 
brun  noirâtre,  fait  avec  les  feuilles  de  l'arbuste  qui 
a  produit  le  péko  et  le  congo,  mais  de  la  seconde 
récolte,  plus  larges,  et  lâchement  roulées.  Il  a  une 
saveur  et  un  arôme  peu  prononcés. 

'2°  Congo  (kong-fou,  travail),  d'un  noir  grisâtre  ; 
feuilles  minces,  courtes;  arôme  assez  agréable.  Il 

1.   Voir  sur  le  Thé  nos  Leçons  d'hygiène,  page  404. 


132  LE    THÉ 

forme  en  Chine  la  boisson  journalière  des  habi- 
tants ;  il  figure  pour  les  deux  tiers  dans  les  impor- 
tations de  l'Angleterre;  en  Russie,  on  le  trouve  sur 
toutes  les. tables. 

3°  Peko  (pé-hào;  à  Canton,  pakho,  duvet  blanc), 
formé  de  feuilles  très-allongées,  d'un  noir  argenté, 
et  couvert  d'un  léger  duvet  blanc  et  soyeux;  odeur 
forte  et  suave,  saveur  délicate,  un  peu  semblable  à 
celle  de  la  noisette  fraîche.  La  Russie  consomme 
une  grande  quantité  de  ce  thé,  apporté  des  pro- 
vinces septentrionales  de  la  Chine  par  les  cara- 
vanes. 

4»  Peko  orange,  se  distingue  du  précédent  par 
sa  couleur,  qui  est  d'un  noir  foncé  mélangé  de 
jaune  orange.  Son  parfum  ne  paraît  pas  naturel^ 
car  on  trouve  parmi  les  feuilles  de  petites  graines 
semblables  à  celles  de  l'olivier  odorant. 

5°  Pouchong  (pao-tchong,  espèce  à  enveloppes), 
ainsi  appelé  parce  qu'on  l'expédie  généralement  en 
petits  paquets  enveloppés  de  papier  jaune  clair,  et 
pesant  environ  200  grammes  chacun.  Il  est  très- 
léger,  et  il  faut  en  mettre  plus  que  des  autres 
espèces  dans  les  infusions,  mais  il  est  très-fin  et 
très-aromatique. 

Thés  verts, 

lo  Hyson  (hi-t'chun,  printemps  fortuné),  la  sorte 
de  thé  vert  qui  se  récolte  la  première  :  c'est  une 
des  meilleures  et  des  plus  estimées,  feuilles  grandes, 


I.E    THK  133 

roulées  clans  le  sens  de  la  longueur.  Il  a  besoin 
d'infuser  longtemps  pour  donner  toutes  ses  qua- 
lités; alors  la  feuille  s'ouvre  entièrement  et  devient 
très-souple. 

2"  Hyson  junior  (yù-tsien,  avant  les  pluies), 
formé  de  petites  feuilles  très-délicates,  qui  se  cueil- 
lent de  bonne  heure,  avant  les  pluies,  comme  son 
nom  l'indique.  Il  est  rare  et  d'un  prix  très-élevé. 
<  )n  Toffre  en  cadeau  aux  grands  personnages  de 
TEmpire  du  Milieu. 

3°  Thé  perlé  (ta-tchou ,  grosses  perles),  d'une 
forme  globuleuse  ,  parce  que  les  feuilles ,  jeunes 
et  minces,  sont  d'abord  roulées  dans  le  sens  de  la 
longueur,  puis  repliées  dans  celui  de  la  largeur.  Il 
■A  une  couleur  brune  et  un  arôme  très-agréable, 
'i"  Poudro  à  canon  (tchou-t'cha,  thé  perlé),  choisi 
parmi  les  deux  sortes  précédentes,  le  hyson  et  le 
thé  perlé,  il  se  compose  des  feuilles  les  plus  jeunes. 
')U  do  feuilles  coupées  en  morceaux  et  roulées  sur 
elles-mêmes  de  manière  à  ressembler  pour  la  gros- 
seur à  des  grains  de  poudre  à  canon.  C'est  un  thé 
très-recherché  et  fort  clier. 

Tr  IIij<;on  .^rhonland  (fleur  perlée  du  hyson),  à 
feuilles  grandes,  roulées  dans  le  .sens  de  la  longueur. 
C'est  une  variété  du  hyson  de  première  qualité*. 
Très-rare  dans  le  commerce.  Il  a  une  odeur  des 
plus  suaves  et  des  plus  développées. 

O  Ilysion-Shiïi  (p'hi-t'-cha,  th»'  de  rebut).  En 
préparant  le  hyson,  on  en  retire  les  feuilles  jaunes, 
'•'>nimune^.   mal   roulées,  pour   former  cette  sorte 


134  LE    THÉ 

inférieure,  qui  ne  se  vend  pas  cher,  et  est  consom- 
mée surtout  par  les  matelots  et  les  ouvriers.  Il  a 
un  goût  un  peu  ferrugineux. 

.70  T onkay  [thùn-khi;  à  Canton  fun-k'ai,nomd'une 
vallée),  sorte  un  peu  moins  commune  que  la  précé- 
dente, mais  formée  aussi  du  second  triage  de  l'hyson. 

Dans  cette  longue  nomenclature  nous  n'avons 
pas  compris  le  thé  impérial  :  voici  pourquoi.  Ce 
thé  ne  constitue  pas  une  espèce  ;  il  n'est  qu'un 
triage  des  meilleures  sortes  de  thés  verts,  perlé, 
hyson,  poudre  à  canon,  et  il  est  confondu  tantôt 
avec  l'une,  tantôt  avec  l'autre. 

Indépendamment  du  thé  de  commerce  décoré  de 
cette  épithète  prétentieuse,  il  existe  un  véritable 
thé  impérial  ;  mais  il  est  réservé  aux  fils  du  ciel. 
Boire  le  même  thé  que  les  simples  mortels  ne  se- 
rait-il pas  indigne  de  ces  souverains  habitués  à  voir 
se  prosterner  devant  eux  les  plus  hauts  personna- 
ges, et  qui  se  considèrent  comme  issus  d'une  race 
divine  ? 

Quant  aux  fils  de  la  terre,  ils  se  résigneront, 
s'ils  sont  prudents,  à  ne  jamais  tenter  de  déguster  la 
boisson  destinée  à  l'Olympe  oriental.  Ils  feront  bien 
surtout  de  ne  pas  s'adresser  à  certains  marchands , 
qui,  au  poids  de  l'or,  seraient  bien  capables  de 
leur  en  servir. 

Le  récit  qui  va  suivre,  doit  laisser  peu  d'illusion 
à  cet  égard. 

Un  voyageur  auquel  nous  devons  les  premières 
notions  exactes  sur  le  Japon.   Kampfer,   raconte. 


LE   THÉ  135 

vers  la  fin  du  xviii«  siècle,  que,  près  de  la  petite 
ville  d'Udsi,  sur  les  bords  de  la  mer,  s'élève  une 
montagne  agréablement  située.  Elle  est  entourée 
de  haies,  et  protégée  par  un  fossé  fort  large,  qui 
en  défend  l'accès.  Le  terrain  et  le  climat  passent 
pour  y  être  plus  favorables  que  partout  ailleurs  à 
la  culture  du  thé.  Sur  cette  montagne  les  arbres  à 
thé  sont  plantés  dans  un  ordre  régulier,  et  conve- 
nablement espacés  par  des  allées.  Des  hommes, 
spécialement  affectés  à  cet  emploi ,  préservent  lea 
feuilles  de  la  poussière  et  des  insectes.  Les  ouvriers 
choisis  pour  la  récolte  cueillent  les  fouilles  avec 
Tattention  la  plus  minutieuse,  et  les  mains  cou- 
vertes de  gants.  Ce  thé  est  escorté  par  le  surinten- 
dant dos  travaux  de  la  montagne,  avec  une  forte 
garde  et  un  nombreux  cortège,  jusqu'à  la  cour.  Il 
est  destiné  à  l'usage  de  la  famille  impériale, 

Altérations,   mélanges  et  falsifications  du  tbé. 

Le  thé,  comme  le  café  et  le  chocolat,  est  sujet  à 
s'altérer,  soit  par  suite  d'une  mauvaise  préparation, 
soit  parce  qu'on  a  négligé  les  précautions  néces- 
saires pour  le  conserver. 

[^  Le  thé  a  un  parfum  très-suave,  mais  très-vo- 
latil. Il  ne  doit  pas  être  exposé  à  l'air  ou  à  la  lu- 
mière. Il  faut  le  garder  soigneusement  enfermé, 
pour  qu'il  ne  perde  pas  son  arôme.  Des  boîtes  dou- 
blées de  plomb  ou  d'étain,  des  vases  de  porcelaine 
liermétiquement  bouchés  conviennent  à  cet  usage. 


136 


LE    THE 


Dans  des  vases  de  verre,  le  thé  subirait  l'action  de 
la  lumière,  et  pourrait  se  détériorer. 

'2°   Le  thé  s^mprègne  très-facilement  des  moin- 
dres odeurs.  On  conçoit  ce  qui  arrive,  lorsque  dans 


Tiié  falsiûé. 


des  vases  bouchés  tant  bien  que  mal,  ou  tout  grands 
ouverts,  il  se  trouve  dans  le  voisinage  du  savon, 
du  poivre,  du  fromage,  et  autres  articles  d'épiceriel 
Ce  n^est  plus  du  thé. 

On  aura  donc  soin  de  ne  pas  le  mettre  en  contact 


LE   THE 


137 


avec  d'autres  substances  odorantes  ;  la  même  pré- 
caution est  nécessaire ,  lors  même  que  celles-ci  se- 
raient agréables. 
Il  est  bon  de  le  renfermer  touiours  dans  le  même 


Kig'.  :<(».  —  Thé  rnti»Tement  falsifié. 

\a>o,  qui  linit  par  s'imprégner  des  principes  les 
plus  délicats  de  l'arôme.  Si  Ion  se  sert  pour  la  pre- 
mière fois  d'un  vase,  il  faut  d'abord  l'aromatiser 
avec  une  infusion  de  thé.  et  le  faire  bien  sécher, 
avant  de  lui  confier  le  précieux  dépôt. 


138  LE   THÉ 

.3°  Le  temps  doit  être  compté  aussi  parmi  les 
agents  qui  contribuent  à  l'altération  du  thé. 

Trop  vieux,  le  thé  n'a  plus  ni  saveur  ni  odeur  : 
il  est  passé.  Cependant  on  fera  bien  de  le  laisser  se 
faire  un  peu.  En  Chine,  on  ne  l'emploie  générale- 
ment qu'au  bout  d'une  année.  On  a  reconnu  que 
plus  tôt  il  n'a  pas  encore  acquis  toutes  ses  qualités; 
il  est  acre  et  amer. 

.Un  fait  curieux  à  constater,  c'est  que  le  thé,  sem- 
blable en  cela  au  vin  de  Bordeaux,  gagne  à  être 
transporté  par  mer  ,  dans  de  bonnes  conditions , 
bien  entendu.  De  même  que  le  Bordeaux  qui  a 
servi  de  lest  dans  un  voyage  au  long  cours,  est 
meilleur  quand  il  revient  de  l'Inde  ou  de  l'Améri- 
que, ainsi  le  thé  qui  a  été  rapporté  par  un  navire 
d'Europe  en  Chine  ou  au  Japon,  a  beaucoup  plus 
de  valeur  dans  ces  deux  pays,  après  sa  double  tra- 
versée. Les  longs  voyages  par  terre  ont,,  paraît-il, 
un  effet  analogue  ;  ce  serait  une  des  raisons  pour 
lesquelles  le  thé  des  caravanes  est  si  estimé.  Cepen- 
dant nous  n'oserions  affirmer  ce  fait  comme  le  pré- 
cédent . 

4°  Mais  l'action  de  la  mer  n'est  pas  toujours  aussi 
favorable.  On  connaît,  par  des  statistiques  exactes, 
le  chiffre  si  considérable  des  sinistres  maritimes 
qui  atteignent  chaque  mois  les  navires  de  com- 
merce. Quand  la  cargaison  des  bâtiments  naufra- 
gés est  sauvée,  en  tout  ou  en  partie ,  que  de  thés 
avariés  !  L'eau  de  mer  altère  le  thé ,  lui  ôte  sa  cou- 
leur, son  parfum ,  sa  saveur  naturelle  :  il  devient 


LE   THÉ  139 

acre,  et  perd  à  la  fois  ses  propriétés  les  plus  agréa- 
bles et  les  plus  salutaires  ;  il  se  couvre  de  moisis- 
sures, et  peut  devenir  nuisible. 

Que  faire  de  ce  thé  ?  Bien  souvent ,  il  n'est  plus 
bon  qu'à  jeter  à  la  mer.  Mais  ce  serait  y  jeter 
en  même  temps  l'argent  des  commerçants,  et  bien 
peu  sont  disposés  à  faire  un  tel  sacrifice  à  la  fortune. 

Nous  voilà,  une  fois  de  plus,  en  présence  de  frau- 
des, de  mélanges,  de  falsifications,  qui  ont  pour 
but  de  masquer  les  avaries,  d'augmenter  le  poids 
de  la  marchandise,  de  lui  donner  des  qualités  appa- 
rentes ,  ou  même ,  de  permettre  de  la  revendre 
quand  elle  a  déjà  servi. 

Les  Chinois  et  les  Japonais  commencent  la  série 
des  méfaits  en  mélangeant  avec  le  thé  des  feuilles 
étrangères,  des  poussières  végétales,  de  la  terre  à 
porcelaine,  de  petits  fragments  de  bois  :  tout  cela 
augmente  le  poids,  et...  le  prix!  (Fig.  29). 

Puis  vient  le  tour  des  intermédiaires.  Si  Faction 
de  l'air  ou  de  la  lumière,  une  immersion  plus  ou 
moins  prolongée  dans  l'eau  douce  ou  l'eau  de  mer, 
fait  perdre  au  thé  sa  couleur,  ses  qualités  essen- 
tielles et  jusqu'à  son  aspect  extérieur,  on  dissimule 
ces  altérations  accidentelles  en  colorant  les  feuilles 
avariées  au  moyen  de  sels  de  plomb ,  de  bleu  de 
Prusse,  etc.  ;  en  y  ajoutant  de  la  poussière  de  thé, 
et  diverses  autres  poussières  agglomérées  par  de  la 
gomme. 

Les  thés  verts  sont  plus  particulièrement  l'objet 
de  ces  sortes  de  fraudes. 


140  LE   THÉ 

Les  thés  noirs  sont  ordinairement  colorés  par  le 
graphite  ou  mine  de  plo7nb.  Ils  sont  souvent  imi- 
tés par  des  feuilles  de  saule ,  de  prunellier,  de  ca- 
mélia . 

Il  ne  faut  pas  considérer  comme  falsification  —  il 
y  en  a  bien  assez  d'autres  !  —  l'addition  aux  thés 
verts  de  sulfate  de  chaux,  et  d'indigo,  tous  les  thés 
verts  étant  régulièrement  soumis  à  Taction  de  ce 
mélange ,  inoffensif  pour  la  santé,  et  sans  effet  sur 
les  propriétés  aromatiques  du  thé. 

On  a  longtemps  attribué  la  couleur  verte  de  cer- 
taines espèces  de  thé  aux  ustensiles  de  cuivre  dont 
se  serviraient  les  Chinois  pour  la  torréfaction.  Mais 
nous  savons  qu'ils  n'emploient  point  de  vases  de 
cuivre  pour  cet  usage.  Les  sels  de  cuivre  que  l'on 
a  trouvés  dans  le  thé  ne  proviennent  pas  de  la  pré- 
paration ;  ils  sont  dûs  sans  doute  à  une  altération 
commerciale ,  qui  pourrait  avoir  des  conséquences 
très-graves.  Hâtons-nous  d'ajouter  qu'elle  est,  heu- 
reusement, fort  rare. 

LIne  autre  variété  de  fraude,  est  celle  qui  consiste 
à  recueillir  les  feuilles  ayant  déjà  servi,  et  à  les 
revendre  pour  faire  de  nouvelles  infusions  :  opéra- 
tion fructueuse,  et  qui  se  renouvelle  plus  d'une  fois 
sur  les  mêmes  thés  ! 

Il  paraît  que  cette  fraude  se  pratique  sur  une 
assez  large  échelle  :  on  fait  sécher  les  feuilles  épui- 
sées; on  les  roule  après  les  avoir  assouplies  avec 
de  la  gomme  ;  on  les  remet  sous  leur  forme  primi- 
tive, et  on  les  livre  de  nouveau  au  commerce,  soit 


LE    THÉ  141 

>eules.soit  mélangées  avec  d'autres  qui  n'ont  pas 
servi. 

Heureusement,  cette  altération  est  facile  à  recon- 
naître chimiquement.  Il  suiïit  de  brûler  quelques 
feuilles  de  thés.  Ont-elles  déjà  servi,  la  cendre  ne 
contient  pas  de  potasse. 

Pour  distinguer  les  feuilles  étrangères,  il  y  a  un 
moyen  bien  simple.  Prenez  une  feuille  infusée  :  pla- 
cez-la entre  deux  verres  minces  ;  examinez-la  par 
transparence,  et  par  comparaison  avec  une  véri- 
table feuille  de  thé^  qui  servira  de  type.  La  feuille 
de  thé  est  ovale  allongée,  un  peu  aiguë,  finement 
dentée  en  scie,  longue  de  5  à  S  centimètres  environ. 
Les  feuilles  avec  lesquelles  on  a  falsifié  le  thé  sont 
reconnues  par  des  dilïérences  dans  la  forme  et  les 
dimensions  du  limbe,  dans  Téchancrure  des  bords, 
dans  la  disposition  des  nervures. 

Enfin  le  plus  petit  débris,  le  moindre  dépôt  trou- 
vés dans  la  poudre  de  thé ,  peuvent  amener  des 
découvertes.  Si  on  les  examine  au  microscope,  on 
pourra  reconnaître  différents  genres  de  mélan^-cs 
et  de  falsifications.  (Fig.  SiJ). 


Manière  de  se  servir   du  thé;   infusion. 

On  trouve  dans  la  correspondance  de  Jacquemont, 
un  passage  où  il  indique  la  singulière  façon  dont 
les  peuples  qui  habitent  entre  Cachemir  et  le  Thibet 


142  LE    THK 

préparent  le  tliL'  :  coutiuiie  peu  faite,  on  va  le  voir, 
pour  en  inspirer  le  goût  à  un  adepte  assez  mal  dis- 
posé d'ailleurs. , 

«  Le  thé,  dit-il,  vient  à  Cachemir  par  caravanes, 
au  travers  de  la  Tartarie  chinoise  et  du  Thibet.  Je 
ne  sais  pourquoi  le  thé  de  caravane ,  chez  nous,  a 
quelque  réputation  ;  celui-ci  n'a  absolument  aucun 
parfum;  on  le  prépare  avec  du  lait,  du  beurre,  du 
sel,  et  un  sel  alcalin  d'une  saveur  amère.  Il  résulte 
de  tout  cela  un  bouillon  trouble  et  rougeâtre^  d'un 
goût  extraordinaire,  exécrable  suivant  les  uns,  et 
décidément  agréable  suivant  les  autres,  et  je  suis 
de  ceux-ci.  En  Kanawer,  on  le  fait  d'une  autre 
façon.  On  fait  bouillir  des  feuilles  pendant  une 
heure  ou  deux,  puis  on  jette  l'eau,  et  on  accom- 
mode les  feuilles  avec  du  beurre  rance,  de  la  farine, 
et  de  la  chair  de  chèvre  hachée.  C'est  un  ragoût 
détestable  :  on  l'appelle  thé.  Je  fais  le  mien  suivant 
la  méthode  paternelle,  c'est-à-dire  que  je  le  com- 
pose d'eau  chaude  et  de  sucre,  sans  thé.  » 

Ce  même  voyageur,  homme  d'infiniment  d'esprit, 
mais  qui  ne  dédaignait  pas  le  paradoxe,  qui  n'a  vu 
d'ailleurs  que  les  provinces  limitrophes  de  l'Inde, 
prétend  que  les  Chinois  jettent  quatre-vingt-dix- 
neuf  fois  sur  cent  l'infusion  de  thé,  et  se  contentent 
de  manger  les  feuilles. 

Que  les  Chinois  mangent  le  plus  souvent  les 
feuilles  infusées ,   c'est  possible.  Peut-être   même  , 

1.  Jacquemont.  Correspondance» 


LE   THÉ  143 

n'ont-ils  pas  tout-à-fait  tort,  comme  on  pourra  s'en 
convaincre  par  1  examen  de  l analyse  chimique  du 
thé. 

Mais  qu'ils  fassent  aussi  peu  de  cas  de  l'infasion, 
c'est  une  assertion  démentie  par  les  voyageurs  qui 
ont  pénétré  dans  la  Chine,  où  l'usage  de  cette 
boisson  est  universellement  répandu. 

Peut-être  est-ce  moins  par  goût,  que  par  besoin, 
que  le  Chinois  prend  du  thé  :  car  il  n'y  met  ni  sucre 
ni  lait.  On  croit  que  l'idée  de  faire  infuser  les  feuilles 
de  thé  naquit  du  besoin  de  corriger  et  de  rendre 
potables  les  eaux  de  ce  vaste  empire  ,  qui  sont  gé- 
néralement saumàtres  et  de  mauvais  goût.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  l'origine  de  cet  usage ,  qui  paraît 
remonter  à  la  plus  haute  antiquité,  c'est  un  fait 
que,  chez  les  Chinois,  depuis  le  plus  simple  paysan 
jusqu'à  l'empereur,  tout  le  monde  boit  du  thé. 

Ce  peuple,  livré  à  la  plus  intense  activité  com- 
merciale, n'a  qu'un  genre  d'établissements  destiné  à 
lui  offrir  des  distractions  nécessaires,  il  porte  un 
nom  caractéristique  :  «  Jardin  de  thé  »  (tea  garden). 

C'est  là  que  les  Chinois  vont  prendre  du  thé,  et  de 
l'opium.  On  y  fait  de  la  musique,  et  quelques  sal- 
timbanques y  amusent  un  public  peu  difficile. 

Il  y  a  en  Chine  de  fins  gourmets,  qui  préparent 
le  thé  avec  les  soins  les  plus  minutieux,  les  précau- 
tions les  plus  délicates  ;  l'argile  du  vase  où  l'eau 
doit  bouillir,  le  bois  qui  doit  alimenter  le  feu,  et  bien 
.  d'autres  choses  dont  nous  ne  tenons  pas  compte, 
.sont  de  leur  part  l'objet  d'une  attention  spéciale. 


144  LE   THÉ 

La  manière  de  faire  les  honneurs  d'une  table  à 
thé  est,  en  Chine  et  au  Japon,  un  art  qui  a  ses 
principes,  ses  règles  et  ses  maîtres.  Il  fait  partie  de 
l'éducation  d'un  homme  bien  élevé, 

Ces  faits  réduisent  à  leur  juste  valeur  l'assertion 
de  Jacquemont  et  des  voyageurs  qui  l'ont  répétée. 

En  général,  les  Chinois  versent  de  l'eau  chaude 
sur  le  thé,  dans  la  tasse  même  où  ils  doivent  le 
boire.  L'infusion  faite,  ils  le  prennent  tel  qu'il  est , 
sans  sucre  ni  crème. 

Voici  comment  les  Japonais  préparent  et  ser- 
vent le  leur.  On  apporte  sur  la  table,  en  présence 
des  hôtes,  une  boîte  contenant  du  thé  réduit  en 
poudre  fine.  On  remplit  les  tasses  d'eau  chaude, 
et  on  jette  dans  chaque  tasse  autant  de  poudre 
qu'il  en  peut  tenir  sur  la  pointe  d'un  couteau  ;  on 
agite  le  tout  avec  un  instrument  spécial,  jusqu'à  ce 
qu'il  se  produise  de  l'écume  ;  c'est  le  moment  de 
servir  la  liqueur  et  de  la  boire  chaude  et  odorante. 

Pour  nous,  Français,  nous  n'y  mettons  pas  en 
général  tant  de  délicatesse;  c'est  du  thé,  et  cela 
nous  suffit;  mais  pour  les  connaisseurs,  il  y  a  thé 
et  thé,  et  il  existe,  entre  ces  variétés  résultant  du 
mode  de  préparation,  des  différences  non  moins 
sensibles  qu'entre  la  plus  insipide  tisane  et  le  breu- 
vage le  plus  exquis. 

En  Europe,  ce  sont  les  Anglais  et  les  Russes  qui 
apportent  le  plus  do  soin  à  la  préparation  du  thé , 
et  qui  savent  le  mieux  en  apprécier  les  qualités. 
Nous  sourions  encore,   en  France,   quand  nous 


1 


LE   THF  145 

voyons  une  famille  anglaise,  voyageant  sur  le  con- 
tinent, étaler  sur  la  table  d'un  hôtel  tous  ses  appa- 
reils pour  la  préparation  du  thé,  procéder  grave- 
ment à  cette  opération  délicate,  sans  vouloir  se  fier 
à  des  mains  mercenaires,  et,  en  présence  de  la 
bouilloire,  paraissant  retrouver  partout  le  foyer 
britannique,  le  home,  si  cher  aux  Anglais,  tout 
voyageurs  qu'ils  sont. 

Il  y  a  des  personnes  qui  croient  que,  pour  faire 
du  thé,  il  sullit  do  verser  de  l'eau  chaude  sur  les 
feuilles,  sans  se  préoccuper  de  la  nature  du  vase, 
de  la  température  de  Teau,  de  la  durée  de  l'infu- 
sion. Ainsi  font-ils,  et  ils  s'étonnent  de  trouver  cette 
boisson  mauvaise  !  Ceux-là  pourraient  bien  prendre 
quelques  leçons  des  Anglais,  ils  comprendraient  la 
valeur  de  leurs  précautions  minutieuses. 

Quelle  est  donc  la  meilleure  manière  de  préparer 
le  thé  ? 

La  première  condition  requise,  c'est  de  se  ser- 
vir d'un  vase  spécial,  exclusivement  affecté  à  cet 
usage. 

La  théière  en  métal  anglais,  et  lo  samovar  russe, 
sont  préférables  à  la  plupart  des  ustensiles  destinée 
au  même  usage. 

On  commence  par  échauder  hi  théière,  en  y  ver- 
sant de  l'eau  bouillante;  on  en  lait  autant  pour  les 
tasses  destinées  à  recevoir  Tinfusion.  Puis  ,  la 
théière  bien  égouttée,  on  y  met  la  quantité  conve- 
nable de  thé,  dans  la  proportion  de  deux  grammes 
ou  une  cuillerée  à  café  pour  chaque  tasse.  (  )n  verse 

10 


146  LE    THÉ 

dessus  l'eau  bouillante,  non  pas  tout  à  la  fois,  mais 
d'abord  en  petite  quantité,  pour  mieux  saisir  les 
feuilles  et  en  faciliter  le  déroulement.  On  laisse 
infuser  cinq  minutes;  puis  on  ajoute,  d'un  seul 
coup,  le  reste  de  Peau,  qui  ne  doit  pas  cesser  d'être 
bouillante. 

Une  infusion  prolongée  au  delà 'de  ce  temps, 
et  d'une  durée  de  10  ou  20  minutes,  par  exemple, 
enlève  au  thé  la  finesse  de  son  arôme,  et  lui  donne 
une  couleur  plus  foncée.  La  boisson  prend  un  goût 
acre  et  une  saveur  styptique,  qu'elle  doit  à  la  solu- 
tion d'une  trop  grande  quantité  de  tannin. 

Cependant  le  thé  Hyson,  comme  nous  l'avons  si- 
gnalé en  passant,  à  besoin  d'infuser  plus  longtemps 
que  les  autres  sortes. 

L'eau  doit  toujours  être  versée  bouillante  sur  les 
feuilles  :  la  saveur  et  l'arôme  du  thé  en  dépendent. 
C'est  au  moment  même  de  l'ébullition  qu'il  faut 
employer  l'eau,  car  lorsqu'elle  a  bouilli  longtemps, 
elle  prend  un  goût  fade  et  terreux  qui  se  commu- 
nique au  thé  lui-même. 

Est-il  nécessaire  d'ajouter  qu'on  ne  doit  jamais 
faire  bouillir  le  thé,  ni  passer  deux  fois  de  Teausur 
les  mêmes  feuilles? 


Valeur  alimentaire  et  hygiénique  du  thé. 

Le  thé  peut-il  être  considéré  comme  une  boisson 
im  en  taire? 


LE   THÎ:  147 

L'analyse  chimique  fournit  la  réponse  à  cette 
question. 

Nous  en  détachons  les  résultats  les  plus  impor- 
tants au  point  de  vue  qui  nous  occupe. 

l"  Le  thé  contient  une  substance  azotée  spéciale, 
analogue  à  la  caféine  et  à  la  théobromine  :  c'est  la 
fliéine. 

Elle  existe  en  plus  grande  quantité  dans  les  thés 
noirs  que  dans  les  thés  verts,  ce  qui  prouve  qu'elle 
n'est  pas  la  cause  des  propriétés  excitantes  de  ces 
derniers. 

Les  premières  analyses  avaient  donné  de  0,43 
à  0,46  pour  cent  de  théine.  M.  Stenhouse  en  a 
obtenu  de  l  à  1,27,  et  M.  Peligot  plus  du  double, 
de  -2.34  à  3. 

2*  Ce  savant  chimiste  français  a  trouvé  aussi  dans 
le  thé  une  quantité  considérable  de  matières  azo- 
tées, de  20  à  30  pour  cent  :  plus  que  dans  aucun  des 
végétaux  connus. 

L'infusion  seule  contient  de  3  à  5  pour  cent 
d'azote,  par  conséquent  plus  que  le  bouillon  de 
viande,  qui  n'en  renferme  que  3  pour  cent. 

3»  Les  feuilles  contiennent  aussi  une  matière 
très-nutritive,  la  caséine,  qui  forme  un  tiers  de 
leur  poids,  mais  que  l'eau  ne  peut  dissoudre. 

Les  Chinois,  qui  mangent  les  feuilles  après  avoir 
bu  l'infusion,  profitent  de  toutes  les  parties  nutri- 
tives de  la  plante. 

Pour  eux  il  est  évident  que  le  thé  est  un  aliment 
t lès-riche  en  principes  nutritifs,  puisqu'en  en  fai- 


148  LE   THÉ 

sant  usage  tous  les  jours,  ils  absorbent  une  grande 
quantité  de  matière  azotée,  contenue  dans  les 
feuilles. 

Est-ce  à  dire  que  l'infusion  du  thé  puisse  être 
regardée  comme  un  aliment  ? 

Ceci  est  une  autre  question. 

Sans  doute,  on  ne  peut  méconnaître  la  valeur  nu- 
tritive de  la  matière  azotée,  de  la  théine,  et  des 
parties  solubles  que  le  thé  renferme.  Mais,  dans 
l'infusion,  la  proportion  de  ces  substances  n'est  pas 
assez  forte  pour  fournir  une  alimentation  suffi- 
sante. Il  est  certain  qu'un  déjeuner  qui  ne  se  com- 
poserait que  d'une  infusion  de  thé,  ne  serait  pas 
réconfortant.  Il  peut  momentanément  apaiser  la 
faim,  il  nourrit  peu,  il  ne  répare  pas. 

Il  n'a  donc,  comme  aliment,  qu'une  valeur  mé- 
diocre. 

Comme  boisson  hygiénique^  le  thé  a  pour  lui  les 
suffrages  les  plus  imposants. 

((  Le  thé  de  bonne  qualité  donne  un  liquide  d'un 
jaune  limpide  et  doré,  puissamment  aromatique,  et 
qui,  par  sa  saveur  distinguée,  aussi  bien  que  par 
ses  propriétés  toniques,  plaît  surtout,  dans  notre 
pays,  aux  individus  adonnés  aux  professions  intel- 
lectuelles :  chez  ces  personnes  ,  l'usage  du  thé , 
pris  avec  modération ,  produit  dans  l'être  physique 
une  légère  stimulation ,  également  favorable  aux 
fonctions  de  deux  organes  qui  ont  entre  eux  une 
étroite  relation,  l'estomac  et  le  cerveau  ^  » 

1.   Hiisf=;on.   Lps  consommati07if!  de  Parifi, 


LE   THi:  149 

«  C'est  auprès  des  peuples  qui  font  habituelle- 
ment usage  du  thé,  et  pour  lesquels  cette  boisson 
est  devenue  un  véritable  besoin  ,  qu'il  faut  re- 
cueillir les  faits  propres  à  éclairer  cette  question. 
Or,  les  Anglais,  les  Hollandais,  les  Belges,  les  Da- 
nois, les  Suédois,  les  Russes,  les  Anglo-Américains, 
sont  loin  de  considérer  le  thé  comme  une  boisson 
dangereuse.  Chez  la  plupart  de  ces  peuples,  elle  a 
un  avantage  hygiénique  incontestable.  Vivant  dans 
un  pays  couvert  pendant  une  partie  de  l'année  de 
brouillards  ,  au  milieu  d'une  atmosphère  souvent 
froide  et  humide,  le  thé,  par  la  légère  excitation 
qu'il  développe,  et  surtout  par  la  quantité  d'eau 
chaude  qu'il  introduit  dans  l'estomac,  entretient  le 
corps  dans  un  état  de  diaphorèse  (transpiration)  in- 
dispensable au  libre  exercice  des  fonctions  et  à 
l'entretien  de  la  santé  *.  » 

«  L'infusion  de  thé  noir,  convenablement  pré- 
parée, produit  en  nous  une  excitation  générale,  non 
pas  seulement  temporaire,  ou  d'une  ou  de  deux  mi- 
nutes, comme  toute  boisson  chaude  dépourvue  do 
principes  excitants,  mais  plus  ou  moins  durable, 
capable  de  rendre  une  énergie  nouvelle  à  l'homme 
affaibli  par  la  diète,  par  le  froid,  par  la  tristesse  : 
le  pouls  s'accélère,  la  force,  l'activité  succèdent  ù 
l'abattement  et  se  soutiennent  durant  quelques 
heures,  sans  laisser  ensuite  aucun  malaise  '^  » 

1.  Richard.  Éléments  d'histoire  naturelle. 

2.  Payen.  Précis  théorique  et  pratique  des  substances 
alimentaires. 


150  LE    THÉ 

«  Le  thé,  avons-nous  dit  nous-même,  dans  nos 
Leçons  dliygiène,  produit  une  excitation  générale 
de  toutes  les  fonctions,  et  en  particulier  des  fonc- 
tions digestives.  Utile  après  les  grands  et  longs 
repas,  il  ne  l'est  pas  moins  parfois  après  les  repas 
même  les  plus  modestes,  quand  ils  sont  composés 
d'aliments  farineux,  lourds,  chez  les  individus  dont 
Testomac  est  peu  actif,  lorsque  la  vie  sédentaire 
rend  la  digestion  lente  et  pénible.  » 

Nous  devons  faire  remarquer,  qu'au  point  de 
vue  hygiénique,  il  y  a  une  très-grande  différence 
entre  l'action  du  thé  noir  et  celle  du  thé  vert. 

Le  thé  noir  exerce  une  heureuse  influence,  une 
action  presque  toujours  bienfaisante. 

Le  thé  vert  excite  avec  une  énergie  plus  grande, 
-et  souvent  trop  forte  ;  il  faut  bien  se  garder  d'en 
abuser. 

Le  thé  noir,  notamment  le  congo,  l'un  des  plus 
salubres  et  des  plus  usités  en  Angleterre,  agirait  sur 
les  facultés  intellectuelles  et  les  dispositions  mo- 
rales, sans  apporter  aucune  perturbation  dans  les 
fonctions  physiologiques. 

Le  thé  vert,  surtout  chez  les  personnes  qui  en 
prennent  rarement ,  peut  produire  des  troubles 
nerveux,  des  palpitations  de  cœur,  des  tremble- 
ments pénibles  dans  les  membres,  et  une  irrita- 
bilité particulière,  qui  serait  loin  de  seconder  le 
travail  intellectuel.  Pris  le  soir,  il  agite  et  trouble 
le  sommeil. 

L'habitude  peut  faire   disparaître  ces  effets  fa- 


LE  Tiiï:  loi 

clieux  :  mais  il  ne  faudrait  conseiller  à  personne 
de  s'habituer  au  thé  vert,  qui  est  d'ailleurs  le  plus 
sujet  aux  falsifications  insalubres. 

Il  est  bien  entendu  aussi  que  labus  du  thé,  qu'il 
soit  noir  ou  vert,  peut  être  nuisible  à  la  santé. 

Il  ne  faut  pas  le  prendre  trop  fort,  ni  en  boire 
trop  fréquemment. 

L'expérience ,  faite  aujourd'hui  sur  une  très- 
grande  échelle,  vient  confirmer  les  données  de  l'a- 
nalyse, et  les  témoignages  de  la  science  en  faveur 
des  qualités  hygiéniques  du  thé. 

On  a  vu  plus  haut  que  les  Chinois  en  font  usage 
pour  corriger  les  eaux  détestables  et  malsaines  de 
leur  pays. 

C'est  une  application  qui  serait  très-utile  en  beau- 
(  oup  de  pays.  Los  eaux  malsaines  ne  manquent  pas, 
ailleurs  qu'en  Chine. 

Que  de  fois  les  voyageurs  qui  ont  traversé  les 
provinces  de  la  Chine,  et  les  vastes  plateaux  de 
l'Asie  centrale,  ont  constaté  les  effets  bienfaisants 
de  la  coutume  chinoise,  et  éprouvé  par  eux-mêmes 
combien  une  eau  bouillie,  parfumée  par  une  infu- 
sion de  feuilles  de  th«''.  t'sl  ;iL'ri';il)l(v  excellf^nte: 
«ombien  elle  repose  ! 

Les  soldats  anglais  ri  aiiK-i*ii;nn.s  lont  du  the  un 
usage  habituel  :  en  marche,  ils  en  portent  tou- 
jours sur  eux.  (Quelques  gorgées  de  thé  froid  cal- 
ment la  soif  et  font  oublier  la  fatigue. 

Si  Ton  en  croit  un  rsipport  pul)lié  le  i^r  janvier 
1^7:^      dans    la    Ih^r}»,'    nulit.nrc  do  iétat-major 


\Si  LE    THE 

russe,  les  hygiénistes  de  Russie  auraient  jugé  non 
moins  favorablement  l'introduction  de  cette  boisson 
dans  l'armée. 

On  a  constaté  les  résultats  moraux  de  l'usage  du 
café   dans    les   camps  des  environs  de   Paris.   En 
effet,   le   nombre  des  habitués  du  petit  verre  du- 
matin    diminue    considérablement   dans  les  régi- 
ments qui  reçoivent  régulièrement  du  café. 

Un  résultat  analogue  doit  se  produire  chez  les 
peuples  qui  font  un  usage  ordinaire  dil  thé. 

Quand  les  boissons  alcooliques  trouvent  le  champ 
libre,  elles  causent  des  ravages  plus  étendus  et 
plus  funestes  :  les  troupes  qui  reçoivent  des  rations 
régulières  de  café  ou  de  thé,  sont  moins  exposées 
aux  dangers  de  l'alcoolisme. 

L'énorme  production  du  vin  dans  notre  pays  est 
certainement  la  principale  cause  qui  a  empêché 
chez  nous  le  développement  de  la  consommation 
du  thé. 

Mais  ne  nous  illusionnons  pas  sur  nos  richesses. 
Le  prix  du  vin  tend  à  s'élever  ;  les  moyens  de 
communication  facilitent  de  plus  en  plus  les  rela- 
tions commerciales,  et  l'exportation  des  produits 
agricoles  s'accroît  dans  la  mesure  de  leur  exten- 
sion. 

Et  puis,  il  y  a  les  mauvaises  années.  L'hiver  a 
trop  souvent  des  retours  soudains  ;  il  suffit  d'une 
o-elée  tardive,  pendant  une  nuit  ou  deux,  quand  la 
véo'étation  a  été  prématurément  avancée  par  des 
chaleurs  précoces,  pour  détruire  la  récolte  de  la 


LE    TliL  153 

vigne  clans  la  plus  grande  partie  de  la  France  viti- 
cole.  Nous  avons  vu  ce  fait  se  produire  plusieurs 
années  de  suite.  Et  les  fléaux  de  tout  genre  :  grêle, 
oïdium,  phylloxéra!  Faut-il  s'étonner  que  la  récolte 
soit  aléatoire  ? 

Or,  quand  le  vin  est  devenu  très-cher,  qu'a-t-on 
imaginé  pour  le  remplacer  ?  On  s'est  mis  à  fabri- 
quer des  boissons  fermentées  avec  des  fruits  secs, 
ou  des  piquettes  insipides  et  plates,  quand  elles 
n'étaient  pas  malfaisantes.  Et  Ion  avait  sous  les 
yeux  Texemple  des  Anglais  et  des  autres  peuples 
du  Nord,  qui  boivent  du  thé  à  tous  leurs  repas  ! 

Encore  si  c'était  une  question  d'économie  !  Mais 
la  mauvaise  boisson  qu'on  substitue  au  vin  revient 
plus  cher  que  le  thé. 

A  Paris,  où  le  vin  est  toujours  d\u\  prix  élevé, 
a  cause  des  droits  d'entrée  et  de  transport,  ne  vau- 
drait-il pas  mieux  boire  aux  repas,  ou  à  Tun  dés 
repas  du  thé,  boisson  saine  et  d'un  bon  marché 
relatif,  que  des  vins  frelatés  insalul)res  et  toujours 
chers/ 

En  attendant  que  le  thé  obtienne  chez  nous  la 
place  qu'il  mérite  d'occuper  dans  les  usages  de 
toutes  les  classes  de  la  sociéti',  il  est  encore  trop 
exclusivement  une  boisson  d'agrément  que  l'on 
prend  dans  les  soirées,  ou  un  remède  vulgaire 
contre  les  mauvaises  digestions. 

Des  millions  de  Français  ne  le  connaissent  qu(" 
par  cette  dernière  propriété,  et  y  ont  recours  au 
moindre  trouble  des  fonctions  de  l'estomac. 


Imitations  du  thé, 

On  a  donné  le  nom  de  thé  à  des  feuilles  ou  à  des 
mélanges  de  feuilles,  avec  lesquelles  on  a  tenté,  sans 
y  réussir,  de  remplacer  le  thé  de  Chine.  On  a  encore 
essayé,  sous  ce  nom  qui  rappelle  un  souvenir  agréa- 
ble, de  déguiser  des  médicaments. 

C'est  ainsi  qu'on  a  utilisé  : 

1°  Le  houx  apalachine  ou  thé  des  Apsilaches,  qui 
croît  dans  les  Florides  ,  au  sud  des  Etats-Unis. 
Les  feuilles  de  cet  arbre  passent  pour  toniques  et 
sudorifiques.  Les  naturels  du  pays  en  préparent 
une  boisson  excitante,  qu'ils  prennent  pour  s'a- 
nimer au  combat. 

2"  Le  thé  cVExirope.  On  comprend  sous  ce  nom 
les  feuilles  ou  de  la  sauge,  ou  de  la  véronique. 

La  sauge  est  un  arbuste  des  provinces  méridio- 
nales de  la  France.  Elle  jouissait  autrefois  d'une 
grande  réputation.  On  la  cultive  dans  les  jardins. 
Elle  a  une  odeur  aromatique  forte  et  agréable,  une 
saveur  prononcée,  chaude,  un  peu  piquante.  Ses 
propriétés  sont  toniques,  excitantes  et  cordiales. 

On  prétend  que  les  Chinois  sont  plus  friands  de 
Tinfusion  de  notre  sauge  que  de  celle  du  thé,  et 
qu'ils  achètent  fort  cher  la  sauge  aux  marchands 
auxquels  ils  vendent  leur  thé. 

Est-ce  à  dire  que,  si  la  sauge  nous  venait  de  la 
Chine,  nous  la  trouverions  aussi  agréable  que  la 
touvent  ceux  qui  la  reçoivent  d'Europe  ? 


LE   THi:  15.'-) 

Il  est  permis  d'en  douter. 

La  véronique  est  une  petite  plante  herbacée,  qui 
est  très-abondante  en  France,  dans  les  bois.  Elle  a 
une  saveur  amère  et  aromatique,  des  propriétés  lé- 
gèrement excitantes. 

'    3**  Le    thé  du    Mexique    (chenopodium    ambro- 
'  sioides),  appelé  aussi  ambroisie,   herbe  de  sainte 
Marie,  plante  herbacée,   originaire   du  Nouveau- 
Monde.  Elle  croît  dans  le  midi  de  la   France,  aux 
environs  des  villes,  dans  les  lieux  secs.  Elle  répand 
une  odeur  forte  et  agréable,  surtout  quand  on  la 
froisse.  Elle  a  une  saveur  aromatique  assez  scmbla- 
We  à  celle  du  cumin,  des  propriétés  stomachiques, 
anthelminthiques  (contre  les  vers)  et  sudorifiques. 
4"  Le   thé    du  Paraguay  {Ilex  parar)uayensi.< , 
ou  ilex  maté),  espèce  de  houx,  cultivé  avec  soin,  au 
Paraguay,  pour  la  rc'colte  de  ses  feuilles,  dont  on 
fait  un  grand  usage  en  infusion.  Le  maté  est  très- 
répandu,  comme  boisson   d'agrément,   non   seule- 
ment au  Paraguay,  mais  encore  au  Brésil  et  dans 
toute  l'Amérique  méridionale. 

5°  Le  thé  de  saint  Germain,  poudre  formée  d'un 
mélange  de  fleurs  de  sureau,  de  .semences  de  fe- 
nouil, de  crème  de  tartre  et  de  séné.  C'est  un  re- 
mède contre  b  constipation. 

6"  Le    thé    Faltranh  ,     ou    vulnéraire   suisse 
mélange    d'une    grande    quantité    de    feuilles   do 
plantes  aromatiques;   il  est  d'un   usage  vulgaire, 
on    l'emploie    en   boisson    contre    les  chutes ,    les 
coups,  etc. 


156  LE   THE 

Parmi  les  feuilles  citées,  celles  qui  paraissent  les 
plus  propres  à  remplacer  le  thé  en  Europe  seraient 
encore  celles  de  la  véronique  et  de  la  sauge.  Nous 
y  ajouterons  celles  du  tilleul,  dont  l'infusion  a  un 
arôme  doux ,  une  saveur  délicate^  et  est  très-  \ 
agréable  à  boire,  quoique  beaucoup  plus  fade  que. 
celle  du  thé. 

C'est  le  tilleul  que  l'on  devrait  appeler  la  thé  d'Eu^ 
rope,  au  dire  d'un  auteur,  excellent  patriote,  qui 
dit  en  avoir  pris  souvent  à  ses  repas  en  place  de 
thé,  et  qui  avoue  même  que  la  crainte  seule  de 
passer  pour  un  barbare  l'empêche  de  proclamer 
un  goût  peu  favorable  à  la  feuille  chinoise.  ^ 

Il  est  peu  probable  toutefois  que  le  tilleul,  et  les . 
autres  plantes  indigènes  ou  étrangères  auxquelles- 
on  donne  le  nom  de  thé,  prennent  un  jour  la  plaça 
du  thé  véritable,  malgré  les  qualités  utiles  ou  at- 
trayantes qu'elles  peuvent  avoir,  et  la  faveur  dont 
elles  jouissent  dans  certaines  contrées. 

Jamais  ces  feuilles  douées  de  propriétés  spéciales 
plus  ou  moins  médicamenteuses,  que  nous  avons  - 
utilisées  pour  nos  tisanes,  ne  joueront  le  rôle  du  thé, 
et  n'en  tiendront  la  place. 

Qu'on  se  figure  un  mstant  une  maîtresse  de 
maison  faisant  les  honneurs  d'un  breuvage  quel- 
que peu  pharmaceutique  ;  et  une  société ,  réunie 
dans  un  salon,  puisant  les  saillies  vives,  les  réparties 
piquantes  ,  les  idées  originales  dans  une  tasse  de 
véronique,  de  sauge  ou  de  tilleul  ! 

Non,  le  thé  restera  l'heureux  prétexte  de  ces  réu- 


LE    THF.  157 

nions  qui  rapprochent  les  membres  de  la  famille  ; 
les  âges,  les  classes  ;  qui  polissent  ainsi  les  aspérités, 
de  caractère,  effacent  les  dissonances  de  ton  et  de 
langage,  par  la  grâce  de  l'hospitalité,  par  la  con^ 
versation  où  s'échangent  et  se  contrôlent  les  idées 
et  les  croyances. 

C'est  une  coutume  bonne  à  propager  que  do  ras- 
sembler chaque  soir,  à  l'heure  du  thé,  Taïeul  véné- 

.  rable ,  tradition  vivante  de  l'honneur  et  des  ver- 
tus de  la  famille;  les  enfants,  que  les  exigences  de 
l'avenir  ou  de  l'éducation  ont  t(  nus  éloignés  pen- 
dant le  jour;  les  parents,  s'appartenant  enfin,  heu- 
reux de  reposer  leurs  regards  sur  des  êtres  chéris , 
et  d'oublier  les  soucis  des  affaires,  en  écoutant 
l'histoire  du  travail,  les  projets  et  les  espérances  do 
chacun. 

Dans  un  temps  où  la  cherté  croissante  des  choses 
nécessaires  de  la  vie,  les  habitudes  du  luxe,  les 
susceptibilités  de  l'amour-propre.  restreignent  l'iios- 
pitalité  et  rendent  les  réunions  plus  difficiles,  plus 
rares,  le  thé  offre  aux  familles  modestes  et  bien 
gouvernées  un  moyen  peu  dispendieux  de  se  voir, 
d'entretenir  d'agréables  relations,  d'initier  la  jeu- 
nesse au  ton  et  aux  manières  de  la  bonne  société, 
sans  l'exposer  aux  dangers  du  monde,  d'élargir 
enfin  le  cercle  de  leurs  idées  par  un  éthanL'-e  mutuel 
et  une  expansion  féconde, 

Nous  aimerions  à  opposer  à  ces  somptueux  dî- 
ners, où  manger  est  la  grande  affaire,  et  dont  les 

^  menus  dignes  de  la  table  de   Lueullus,  sont  portés 


15(S  LE    THÉ 

par  les  journaux  à  la  connaissance  du  monde  en- 
tier, les  réunions  simples  et  cordiales  dont  la  tasse 
de  thé  fait  tous  les  frais,  où  l'on  parle  de  choses/ 
sérieuses  sans  pédantisme,  où  Ton  aborde  en  se 
jouant,  mais  non  sans  profit,  les  sujets  les  plus 
divers,  art,  morale,  poésie,  littérature  ;  d'où  l'on 
sort  satisfait  de  soi-même  et  des  autres  ;  commerce 
charmant^  dans  lequel  on  pratique  le  libre-échange, 
sans  écraser  ses  rivaux  ! 

A  ces  causeries,  à  ces  réunions  où  intérêts  so- 
ciaux^ morale,  esprit  de  famille  trouvent  si  bien  leur 
compte,  que  la  Chine  continue  à  fournir  un  pré- 
texte par  l'envoi  de  la  précieuse  feuille  de  thé; 
notre  patriotisme  peut  prendre  aisément  son  parti 
d'un  tribut  qui  nous  rapporte  plus  qu'il  ne  nous 
coûte.  Et  puis,  nous  avons  vu  de  ces  réunions  en 
bien  des  pays,  tributaires  comme  nous  à  ce  point 
de  vue.  En  France,  du  moins,  si  la  feuille  de  thé 
est  une  étrangère,  on  ne  peut  méconnaître  l'ori- 
gine de  l'esprit  qui  circule  autour  de  la  table, 
Chaque  pays  a  son  monopole  :  là  une  feuille,  ici 
Tesprit.  Consolons-nous.  A  côté  de  ce  qu'il  reçoit, 
notre  pays  a  encore  bien  le  droit  d'être  fier  de  ce 
qu'il  fournit  avec  tant  de  libéralité! 


FIN. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface v 

LE  CAFÉ. 

Histoire  du  café 1 

Description 12 

Culture,  production  et  consommation 17 

Exportation  du  café  des  différents  lieux  de  produc- 
tion   20 

Consommation  dans  les  diverses  cjntrtes -21 

Récolte  .  —  D ^corticaiion 23 

Variétés  commerciales 2-1 

Préparation  du  café 27 

Conservation  du  café  en  liqueur,  ou  le  café  instan- 
tané    36 

Mélanges.  —  La  chicorée 37 

Falsifications 40 

Propriétés  du  café 45 

Valeur  alimentaire  et  hygiénique  du  cal»- 17 


LE  CHOCOLAT. 

Historique O.j 

i  Le  cacao  et  le  cacaoyer.  —  Description G6 


160  TABLE   DES    MATIÈRES 

Culture  et  production 70 

Consommation 7-2 

Récolte  et  préparation  du  cacao 76 

Variétés  commerciales 78 

Fabrication  du  chocolat 80 

Altérations,  mélanges  et   falsifications 87 

Préparation  du  chocolat 93 

Conservation  du  chocolat 94 

Propriétés,  valeur  alimentaire  et  hygiénique  du  cho- 
colat    98 

Chocolats  médicamenteux 102 


LE  THE. 

Origine J07 

L'arbre  à  Thé ]08 

Préparation  des  feuilles 114 

Importation  du  Thé  en  Europe 120 

Essais  de  culture  du  Thé  hors  de  la  Chine  et  du  Ja- 
pon   126 

Variétés  commerciales 130 

Thés  noirs 13i 

Thés  verts 132 

Altérations,  mélanges  et  falsifications   du  thé 135 

Manière  de  se  servir  du  thé  ;  infusion 141 

Valeur  alimentaire  et  hygiénique  du  Thé. . .    14ô 

Imitations   du  thé 154 


FIN     DE     LX    TABLE    DES     MATIERES. 


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