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Full text of "Le cardinal Lavigerie et ses œuvres d'Afrique ..."

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PROPBRTY OP THl 



llnmii 





riiytiifun 

Mûries^ 




Le Cardinal 



Lavi 



gerie 



Propriétk 




ABBÉ FÉLIX KLEIN 



■?^>*»( 



Le Cardinal 



Lavigerie 



ET 



SES ŒUVRES D'AFRIQUE 



« Mgr Lavigerie, un dos trois ou 

Ïiuatre hommes do notro génération qui 
aisseront une trace impérissable dans 
l'histoire. » 

JULBS SiMOX (le Temps, 16 septembre 1S90.J 



DEUXIEME] EDITION 



PARIS 

LIBRAIRIE CH. POUSSIELGUE 

RUE CASSETTE, lo 

i890 
Droits de reproduction et do traduction réservés 



BX 

f70S 



iC^IJ/f -/9à 



AUX ÉVÊQUES 



ET 



A TOUT LE CLERGÉ 



DE L'AFRIQUE FRANÇAISE 



HOMMAGE 
DE RECONNAISSANCE ET d'aFFECTUEUX RESPECT 



Ceci est de Thistoire vivante. L'auteur a consulté 
des écrits, mais il a surtout interrogé des témoins et 
regardé sur place les œuvres dont il parle. 

Les deux premiers chapitres étaient faciles à étu- 
dier. Les faits qu'ils racontent se sont passés en 
France ou sont relatés dans des documents complets. 

Le troisième chapitre, qui touche à l'administration 
du diocèse d'Alger, a été écrit à Alger, après six mois 
de séjour. 

Ce qui concerne les villages d'Arabes chrétiens a été 
composé dans ces villages mêmes. 

Quand il a fait son chapitre sur les Pères Blancs, 
l'auteur avait visité la plupart de leurs établisse- 
ments; il s'était entretenu avec un grand nombre 
d'entre eux à Alger, à Maison-Carrée, en Kabylie, à 
Saint-Louis de Carthage, à la procure de Paris. 

Il n'a pas vu ce qu'il raconte des Missions de 
l'Afrique équatoriale; mais il s'en est longuement 
entretenu avec Mgr Livinhac, et il Ta relu, la plume 



— IV — 

à la main, avec le P. Girault, qui a vécu douze a] 
aux Grands Lacs. 

L'histoire de l'antiesciavagisme est assez récent 
chacun a pu la suivre dans les journaux ou les assen 
blées. 

Ce qui se rapporte à la Tunisie a été écrit à Cai 
thage et montré au P. Delattre. 

Le récit des relations de l'archevêque d'Alger av( 
la France repose sur des témoignages ofliciels. 

L'idée qui est présentée du cardinal Lavigeri 
écrivain ne saurait non plus être contestée; car on s 
contente d'énumérer ses écrits et de citer l'un de s€ 
discours. 

J'ai cru, dans ces conditions, pouvoir écrire l'his 
toire d'un vivant, ou plutôt celle de ses œuvres. 

A ceux qui me demanderaient pourquoi je n'ai pa 
attendu sa mort pour parler de lui, je ferai deu: 
réponses. La première, c'est que je pourrais biei 
mourir avant lui. La seconde, c'est qu'il parait utile 
à cette heure plus qu'à toute autre, de faire connaître 
les questions africaines, et de dire des choses qui, ei 
intéressant les Français de toute opinion, soient di 
nature à favoriser le rapprochement des divers partis 



>o>^oo. 



LE 



CARDINAL LAVIGERIE 



ET 



SES OEUVRES D'AFRIQUE 



CHAPITRE PREMIER 



AVANT l'ÉPISCOPAT 



I 

Charles Lavigerie est né à Rayonne le 31 oc- 
tobre 1823. Il a dit lui-même : « Je suis Rasque, 
et, à ce titre, entêté lorsqu'il le faut. » 

La vocation sacerdotale lui vint de bonne 
heure ; mais il ne la fit connaître à ses parents que 
vers Tâge de quatorze ans. 11 fut alors présenté par 
son père à l'évêque de Rayonne, Mgr Lacroix, qui 
Vavait confirmé Tannée précédente. Aux questions 
du prélat, il répondit, d'un ton déjà résolu, qu'il 
voulait être prêtre; et, comme Tévêque lui deman- 
dait pourquoi, il ajouta sans hésiter : « Pour être 

1 



LE CARDINAL LAVIGERIE 



curé de campagne. » Cette naïve ambition i 
vait guère se réaliser. 

Bien des années plus tard, l'archevêque d* 
rappelait ces souvenirs au même évèqi 
Bayonne et à M. Franchi steguy, vicaire géi 
qui l'avait préparé à sa première commui 
« Avouez, leur dit-il, qu'il a dû se rencontr 
rement qu'un archevêque à barbe blanche s 
trouvé entre le prêtre qui lui a fait faire si 
mière communion, et Tévêque qui Ta confiri 
ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est q 
l'air le plus vieux des trois, w 

Mgr Lacroix se récria : « J'ai plus de qi 
vingts ans, et vous n'en n'avez pas bcaucouj 
de cinquante. 

— Il est vrai, Monseigneur, répondit en 
l'archevêque, mais Votre Grandeur ignore, 
doute, les manières diverses de supputer 
course en ce monde. On peut compter pa 
nées, et on peut aussi compter par kilomètre 
kilomètres, lorsqu'on les multiplie, usent s 
que les années. Or, si vous avez trente ans d 
que moi, j'ai, à coup sûr, cent mille kilomèt 
plus que vous, et cela rétablit la balance. » 

Charles Lavigerie passa d'abord un an ai 
séminaire de Laressore, qui est situé aun 
des vallées de la Nive, sur les premiers c 
forts des Pyrénées. Ce fut de ce charmant p{ 
qu'il fut transporté, en octobre 1840, au pe 
mmaire de Saint-Nicolas, à Paris. Les so 
murs de cette maison et ses tristes alentou 



Le Cardinal 



Lavi 



gerie 



LE CARDINAL LAVIGKRIE 



d'ici et ces élèves du cher séminaire où j'ai | 
des années si heureuses, et cet autel où j'ai 
les saints Ordres, et ces dalles mêmes où je 
suis étendu trois fois pour l'émouvante céréna 
de la prostration. Mais à ces doux souvenii 
mêlent aussi des idées plus austères. L'archev 
de Paris qui m'a fait sous-diacre a été tué su 
barricades ; Tarchevôque de Paris qui m'a 
prêtre a été assassiné dans le sanctuaire ; l'ar 
vêque de Paris que j'ai remplacé sur monprei 
siège épiscopal a été fusillé comme otage. Gi 
Dieu ! à quels temps sommes-nous donc rêver 
Malheur à toi, Jérusalem, qui tues les Prophèb 
qui mets à mort ceux qui te sont envoyés ! Et v» 
mes chers enfants, Thonneur et l'espoir de l'Égl 
comprenez ce qu'il vous faudra de zèle, de \ 
lance et de piété pour être dignes de votre i 
tinée. » 

Le grand séminaire avait été interrompu p 
l'abbé Lavigerie par une année de séjour à l'Éi 
des Carmes. Signalé déjà par les témoignages 
ses professeurs, il avait été appelé dans a 
maison par Mgr Affre, qui venait de la fonder p 
en faire comme l'École Normale des petits se 
naires et des collèges libres de France. Un an 
suffit pour préparer sa licence es lettres. 

Ordonné prêtre à moins de vingt-quatre ans 
fut, après un court séjour au petit séminaire, r 
pelé à l'École des Carmes par l'abbé Cruice, dep 
é vêque de Marseille ; et il y prépara, égalera 
en une seule année, ses examens de doctorat. 



AVANT l'ÉPISCOPAT S 

Le 12 juillet 1850, il soutint en i?orbonne une 
tnèse latine, de Hegesippo, et une thèse française 
qui avait pouf titre : Essai sur l'école chrétienne 
d'Édesse. Les examinateurs, qui étaient MM. Vic- 
tor le Clerc, Villemain, Cousin, Ozanam, Saint- 
Marc Girardin et Wallon, le reçurentà l'unanimilo. 

Trois ans plus tard, il devait prendre en Sor- 
bonne le titre de docteur en théologie. Il y ajouta 
en 1861 , à Rome, les doctorats en droit civil et en 
droit canonique. 

Est-ce une preuve suffisante (soit dit en passant) 
que les grades ne nuisent pas toujours au déve- 
loppement du zèle sacerdotal? 

Ajoutons qu'il dédia l'une de ses thèses au 
Doyen de la Faculté des Lettres, et, au risque de 
causer \va peu de scandale, à gauche ou à droite, 
que les relations ne sont pas aujourd'hui plus 
mauvaises entre les élèves de l'Ecole des Carmes 
f t les professeurs de Sorbonne. 

Le nouveau docteur devint immédiatement pro- 
fesseur de littérature latine à l'École des Carmes. 
La maison n'étant pas assez riche pour faire îi ses 
maîtres une situation suffisante, il fut en môme 
temps nommé aumônier de deux couvents de reli- 
gieuses. 

En décembre 18S3, l'abbé Lavigerie concourut, 
sur l'invitation de Mgr Sibour, pour une chapel- 
lenie du chapitre de Sainte-tieneviève. Il ohlint la 
première place. 

Ce nouveau succès acheva sa réputation , et 
M. Maret, doyen de la Faculté de théologie, 



(5 LE CAniUNAL LAVIGKHIK 

depuis archevêque de Lépante, le demanda 
la suppl(^ance de la chaire d'histoire ecch 
tique en Sorbonne. L'archevôque de Paris 
ministre de l'Instruction publique agréèrent 
demande, et il commença son cours dans les 
miers mois de 1854, pour le continuer pei 
sept années. Au bout de trois ans il fut no 
professeur titulaire. Ses collègues étaient, < 
MgrMaret, le P. Gratry, les al)])és Bautain, 
quesnay, Hugonin et Freppel. 

Un petit incident signala ses leçons sur le 
sénisme (nous ne voyons guère aujourd'hi 
cardinal Lavigerie enseignant à vingt persoi 
de tout âge et de tout sexe, Thistoire des 
propositions). Ces fameuses propositions avi 
alors leurs partisans, et peut-être en ont-* 
encore. Elles avaient môme leur journal, rOi 
vateur. Les rédacteurs de cette feuille, qu'il si 
téméraire de qualifier de publique, se firent 
devoir d'assister à des cours consacrés à un s 
si brûlant. Comme il fallait s'y attendre, les U 
du professeur ne furent pas de leur goût, ei 
demandèrent sa destitution : 

« Nous devons, écrivirent-ils, dénoncer pul 
quement son enseignement hérétique et rationcu 
à Mgr l'archevêque de Paris, qui est le surveill 
de la doctrine dans son diocèse et qui ne peut 
foriser un enseignement aussi pernicieux. F 
remplacer les vieux dogmes catholiques, M. La 
gerie en a proclamé plusieurs nouveaux, ei 
autres l'infaillibilité du Pape. » 



AVANT L'ÉPISCOPAT 

.Comme on peut le croire, le professeur « h< 
tique et rationaliste » n'en continua pas moins 
cours. 

Il sentait pourtant que là n'était point sa vi 
vocation, et il préludait à sa vie active en aid 
M. Beluze, de pieuse mémoire, h fonder le cei 
catholique des Étudiants, aujourd'hui si coi 
sous le nom de cercle du Luxembourg. Quand 
y (établit la Conférence Ozanam, il en devint le j 
sident, et il l'est resté à titre honoraire. 

Mais bientôt une plus vaste carrière s'ouvra 
son zèle, et il cessait d'enseigner l'histoire, pou 
faire à son tour. 



L'œuvre des écoles d'Orient avait été fondée 
1855, pour promouvoir dans le Levant, pai 
moyen de l'enseignement public, l'influence cal 
lique et française. 

Les premières réunions, tenues chez le sav 
Cauchy, étaient généralement dirigées par Chai 
Lenormant, cette belle intelligence et ce gri 
cœur, et par le P. Gagarin, un prince russe ci 
verti, qui de diplomate s'était fait Jésuite, et 
avait donné pour but à sa vie de faire entrer d. 
la véritable Eglise ses frères de l'Eglise orienti 
Autour d'eux se groupèrent bientôt des horai 
d'élite, qu'il suffit de nommer : le maréchal Bosqi 
le contre-amiral Mathieu; MM. de Montalembi 



8 LK CABniNAt, LAVICKHIK 

(IcFalloux, de Broglie, de l'Académie française 
Wallon, de Saulcy, de Bougé, S^guier, de W'aîlly 
Tulasne, de Vitto, Garcin àc Tassy, Flandrin 
membres de rin^^titul ; Mrichior de Vopiit', li 
Gabriac, Faug6re, Charles de HourmonI, fils lii 
vainqueur d'Alger, de Parieii. Le Serrurifi . 
Auguste Nicolas, Itenoist d'Azy, de Mas-Lntrii> 
de Bcriou; les comtes de Cotfe et de Goyon, aitle^- 
de-camp de l'empereur, el enfin l'admira lil'- 
Dztinam. 

Malgré le zèle de tant d'Iiommes supérieurs, on 
n'avait pu réunir plus de seize mille francs en une 
année, lorsque, vers la fin de 18;i6, la pensée vini 
aux membres de l'œuvre d'en confier la direction 
à un prêtre, plus apte, par son caractère raftme. à 
solliciter la charité des fidèles. Ils choisirent 
l'abbé Lavigeric. et, pour être plus sûrs de le voir 
accepter cette charge, ils s'adressèrent h son con- 
fesseur. 

C'était le P. de Ravignan. 

Celui-ci, qui voyait pour lui un autre horizon 
que l'enseignement et l'élude , se prêta volon- 
tiers aux désirs des membres de l'œuvre. Il 
transmit la proposition à l'abbé Lavigerie, qui. 
sans être surpris ni troublé d'une telle ouverture, 
dit simplement : « Si vous croyez, mon Père , 
que ce soit la volonté de Dieu, je suis prêt. — Jo 
le crois ». répondit le P. de Ravignan. Et tout fui 
conclu. 

Le lendemain, le P. Gagarin vint prendre l'abb/' 
Lavigerie dans le petit appartement qu'il occupait. 



dans une maison de la rue du Regard, celle qui 
porte le numéro 12, el où se trouve depuis lors le 
siège de l'œuvre des écoles d'Orient. II le présenta 
aux membres du conseil, qui lui exprirafrent toute 
leur reconnaissance, et lui remirent, avec les 
registres, la caisse trop facile à porter. En sortant, 
le P. Gagarin lui dit, avec un franc rire : » Vous 
voilà à l'eau, mon cher abbé, maintenant il faut 
nager. » 

Et il H nagea n, avec cette confiance et cette dé- 
cision que nous retrouverons partout. 

Pour assurer lesucc^sde l'œuvre, il fallait la faire 
connaître, la prôcher. Le nouveau directeur enira 
en campagne. Ses sermons de Paris ayant eu des 
résultats encourageants, il s'en alla parler, autant 
que ses cours le lui permettaient, dans les villes 
de province. Après les entretiens, il recueillait les 
offrandes etcréait des comités. 

Que de fois il devait revenir, dans la suite, à cet 
apostolat de frère quêteur ! 

Ce n'est pourtant pas que ses débuts ne lui 
aient laissé que de doux souvenirs. S'il fut, le 
plus souvent, accueilli avec sympathie, il se fit. 
d'autres fois, éconduire en termes aussi peu flat- 
teurs pour sa personne que pour sa mission. On ne 
connaissait, disait-on, ni les écoles d'Orient, ni la 
Sorbonne, ni l'abbé Lavigerie. S'il insistait, ra- 
conte-t-il lui-même, on lui faisait entendre qu'il 
pourrait bien être l'escroc qui s'était présenté depuis 
peu dans les villes voisines, sous l'habit ecclésias- 
tique, et que la gendarmerie recherchait partout. 



iO LK CARDINAL LAVlGbKIlf: 

Des compliments plus flatteurs n'étaient 
toujours le signe d'un meilleur accueil. L*an 
vôque de Besançon, Mgr Mathieu, qui ne conn 
sait pas alors l'abbé Lavigerie, mais qui fut, 
puis, l'un de ses amis les plus chers, avait 
l'autoriser à prêcher dans sa cathédrale, bien q 
eût lui-même, à ce moment, une grande églis 
faire bâtir et qu'il craignît de voir dériver aille 
les ressources de la charité diocésaine. Il chen 
donc à tout concilier et s'absenta lorsqu'il apj 
la venue du prédicateur, laissant h son grand 
caire la mission de le décourager et d'arrêter U 
élan des fidèles. 

Le grand vicaire s'acquitta en conscience de 
mission, « Ah ! mon pauvre abbé, disait-il à te 
instant, vous aurez bien des maux!... On a d< 
prêché et quêté dans notre cathédrale plusiei; 
fois depuis quelques semaines. Et puis, dans 
pays, on est de glace pour toutes les œuvres et « 
ne se laisse pas facilement émouvoir par des être 
gers. Croyez-moi, renoncez à prêcher, votre ii 
succès est certain. 

— N'ayez crainte, répondait Tabbé Lavigeri 
Pour le sermon, je suis à bonne école. A la So: 
bonne, les auditeurs ne sont pas nombreux. Comn 
saint François de Sales, je me contente de tro 
personnes. » 

Quand il fut question des visites à faire aux hi 
bitants les plus recommandables, ce fut une auti 
tactique. Jamais le grand vicaire ne voulut con 
sentir, sous prétexte qu' « il connaissait trop se 



AVANT L ÉPISCOPAT il 

• devoirs », à laisser Tabbé faire ses visites seul, et, 
à peine entré dans un salon, il se hâtait de dire 
que, dans le diocèse, on était accablé par les 
œuvres locales et très froid pour tout ce qui venait 
du dehors. 

Le dimanche suivant, Tabbé Lavigerie usa en 
chaire de tous ses moyens pour emporter une 
place si soigneusement défendue. L'auditoire fut 
f enthousiasmé. Comme la quôte était interdite 
ï dans TégJise, il fut suivi à la sacristie par une 
: grande partie des fidèles. On souscrivit sur l'heure 
162 dizaines, ce qui faisait 1620 francs de revenu 
annuel pour les écoles d'Orient. Le grand vicaire 
était là, décontenancé et songeur. L'heureux ora- 
teur ne put s'empêcher de l'entreprendre un peu à 
son tour : « Eh bien ! Monsieur le vicaire général, 
lui dit-il, voyez si vous avez calomnié Monseigneur 
et votre bon diocèse. Nulle part je n'ai obtenu 
un succès semblable ! » 

Un curé de cathédrale alla plus loin encore que 
ce grand vicaire; il mit le quêteur à la porte pour 
tout de bon et sans métaphore. Peu d'années 
après, l'évêque de ce diocèse étant mort, il fut 
question de lui donner l'abbé Lavigerie pour suc- 
cesseur. Le cardinal raconte qu'il ne put s'empê- 
cher de sourire en lui-même, en pensant à la figure 
du pauvre curé, obligé de faire entrer solennelle- 
ment dans son église celui qu'il en avait si peu 
cérémonieusement éconduit. « Mais, ajoute-t-il, 
je perdis l'occasion de lui rappeler, selon l'usage, 
que les rois de France ne vengent pas les injures 



li LR CARMNAt. LAVIfiRRIC 

des ducs d'Orléans, car je fus nommé évf'tjiie il' 
Nancy. » 

Malgré ces difficultés, d'ailleurs assez rares, la 
campagne oratoire do l'abbé Lavigerie eut un 
grand succès auprès des lidMi-s. 

Pour faire entrer plus conipif^lenienl dans 1^ 
vie catholique l'œuvrp des écoles d'Orienl, l.' 
conseil, jusqu'alors composé de laïcs, s'adjoignil 
peu à peu un nombre égal de prêtres, el il obtiril 
d'encourageantes approbations du cardinal Morli>l 
ainsi que du Pape lui-mi'^ine. 

Il ne manquait plus à l'œuvre que la recom- 
mandation des services rendus. Le moment de Ki 
mériter se présenta bientôt. 

m 

A la fm de 1859 et au commencement de 1860, 
la Syrie et surtout le Liban furent le théâtre 
d'affreux massacres. Des milliers de chrétiens 
tombèrent sous les coups des Druses et des Mé- 
tualis. Les autorités turques, loin d'empêcher ces 
troubles, les favorisèrentde leur complicité, quand 
elles n'en prirent pas elles-mêmes l'initiative. En 
beaucoup d'endroits l'armée régulière s'unit aux 
bandes d'assassins. Les cruautés les plus infâmes 
marquèrent ces scènes de carnage, dont le pillage 
et l'incendie rendaient les conséquences plus fu- 
nestes et plus durables pour les malheureux sur- 
vivants. 



AVANT l'ÉPISCOPAT 13 

Pour nous borner à quelques exemples, tous 
tirés du récit de témoins oculaires, à Saïda et dans 
les environs, les hommes, les femmes et les en- 
fants qui n'avaient pu fuir assez vite avaient été 
égorgés ; quarante villages avaient été brûlés, les 
églises et les couvents renversés, plus de cent cin- 
quante mille tôtes de bétail enlevées. 

Dans la seule ville de Damas, il avait péri huit 
mille chrétiens. Des maisons où ils demeuraient, 
pas une n'était restée debout. Elles étaient toutes 
détruites, rasées de telle sorte qu'il n'en restait 
j)lus un seul débris habitable; et, de ces débris 
"mêmes, tout ce qui pouvait être d'une valeur 
quelconque avait été enlevé soit par les habitants 
de la ville et des faubourgs, soit par les Bédouins 
accourus du désert pour prendre part à cette im- 
mense curée. Le pillage avait duré vingt-deux jours, 
sous les yeux complaisants du gouverneur turc. 
Ce qui s'était passé à Damas et à Saïda s'était 
reproduit à Djezzin, Rachaya, Hasbaya, Metten, 
2ahleh, Deir-El-Kamar. Les ruines sanglantes de 
f^es malheureuses villes recouvraient les cadavres 
de près de vingt mille victimes de tout âge et de tout 
Bexe.Deux centmille chrétiens, appartenant à toutes 
les communions, erraient sans asile, sans vête- 
ments et sans pain; trois cent mille autres atten- 
daient avec anxiété le même sort que leurs frères. 
Ces nouvelles suscitèrent dans l'Europe une 
émotion profonde. La Russie, l'Angleterre, la 
^rèce, l'Autriche envoyèrent sur les côtes de Syrie 
^es navires de guerre pour protéger les popula- 



li U: CARDINAL LAVIGIÙRIK 

lions du littoral et pour ofTrir, au besoin, 
refuge à la colonie européenne. 

Protectrice traditionnelle des chrétiens d'Or 
et plus accessible que toute autre nation aux a 
timents d'humanité, la France fit davantage. 1 
ne se contenta pas d*ofrrir sur ses vaisseaux 
asile sûr à ceux qui redoutaient la continuai 
des massacres, elle accorda à ces foules indigei 
tous les secours nécessaires; le commandant 
Tescadre leur distribua, dès le début et ai 
toute souscription, trois cent mille francs d 
mônes et plus de dix mille rations par jour. 
Grèce, il faut le dire à son honneur, ne tarda 
à suivre ce généreux exemple. 

Pour prévenir le retour de pareilles atroci 
une expédition militaire était indispensable 
fallait châtier les Druses et faire punir les ai 
rites complices. La France en prit l'initiative, 
afin d'éviter tout froissement politique, elle p 
posa à toutes les puissances de partager avec < 
les charges et les périls de l'expédition. Au( 
gouvernement n*ayant offert sa coopération, 
troupes françaises, conduites par le général 
Beaufort d'Haut poul, débarquèrent à Beyrou 
Dès ce moment, la sécurité des chrétiens 
assurée, et la gloire en rejaillit tout entière 
notre patrie. Les évêques de tous les rites orii 
taux purent dire dans une adresse collective 
Pie IX: « C'est à laFrance,Très Saint-Père, c'e 
cette nation généreuse que nous devons d'a\ 
vu cesser le massacre des chrétiens, c'est à elle ( 



AVANT LÉPISCOPAT iî> 

nous devons d'exister encore. Sans la protection 
de ses soldats, peut-être ne trouverait-on plus un 
seul chrétien dans toute l'étendue de la Svrie. » 

Mais était-ce un si grand bienfait d'assurer la 
vie à ces peuples, si on ne les aidait à la soutenir 
dans une telle détresse? Ne les arrachait-on à la 
violence du sabre que pour les laisser succomber, 
par une mort plus pénible, aux longues privations 
de la misère et de la faim? La charité catholique 
ne le souffrit pas ; elle vint à leur aide avec des 
attentions vraiment fraternelles. 

L'œuvre des écoles d'Orient, représentée par 
l'abbé Lavigerie, servit d'intermédiaire entre la 
générosité des chrétiens d'Europe et la recon- 
naissance des chrétiens d'Asie. Son directeur 
adressa au clergé de France un éloquent appel, 
qui, répété par tous les évêques, produisit les 
aumônes les plus abondantes. Bien que le 
Moniteur, journal officiel de l'empire, eût ouvert 
en même temps une souscription qui s'éleva 
jusqu'à un million de francs, M. Lavigerie put 
recueillir encore près de trois millions. Sur cette 
somme considérable, trois cent mille francs lui 
étaient venus des évêques de Belgique, d'Irlande, 
d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie et d'Allemagne. 



IV 



Il restait à employer ces ressources de la façon 
la plus utile. L'abbé Lavigerie fut délégué par le 



16 LE CARDINAL LAVIGËRIt: 

conseil de l'œuvre des écoles d'Orient pour ali 
répartir les offrandes. Il quitta Paris le 27 se 
tembre 1860 et débarqua à Beyrouth dans les pi 
miers jours d'octobre. 

Dès ses premiers pas dans cette ville, qui av 
servi de principal refuge aux chrétiens poursuiv 
il fut entouré de veuves, de vieillards, d'enfai 
abandonnés, de tous les malheureux qui avai< 
survécu au massacre. L'hôtel où il était deseen 
fut bientôt assiégé de ces chers solliciteurs, 
point qu'il crut sage d'accepter l'hospitalité <j 
lui offraient à l'envi les plus riches chrétiens 
Beyrouth. Un honorable banquier lui céda pc 
trois mois, et sans rétribution, la jouissance co 
plète de toute sa maison, et se réduisit avec 
famille à occuper un appartement étranger. 

Durant son séjour à Beyrouth, il s'entendit ai 
les évêques orientaux, les représentants de 
France et les chefs de notre armée, pour fom 
des comités et assurer la meilleure distributi 
des secours dont il disposait. 

Pour ne pas laisser plus longtemps exposés a 
dangers de la misère et de l'abandon les nombre 
orphelins qui erraient dans la ville et dans toul 
pays, il créa dès les premiers temps, à Beyroi 
même, un orphelinat pour quatre cents jeui 
filles maronites qu'il confia aux Sœurs de 
Charité, et à Zahleh, dans l' Anti-Liban, un orp] 
linat de garçons qu'il remit aux soins des Jésuit 

Mais Beyrouth, qui avait servi de refuge à 
grand nombre de victimes, n'avait pas été eï 



AVANT l/ÉPISCOPAT 17 

môme éprouvée par la persécution. Pour mieux 
juger du mal et le réparer plus efficacement, il 
fallait visiter les contrées qui avaient été le théâtre 
des massacres. Après avoir remis la somme de 
cent mille francs au comité qu'il avait établi à 
Beyrouth, Tabbé Lavigerie partit pour la mon- 
tagne afin d'y organiser la distribution des se 
cours. 

Il se dirigea tout d'abord vers Deir-el-Kamar. 
Le récit de cette première visite donnera une juste 
idée de ce que fut le reste de son voyage dans le 
Liban. 

Dans les localités ruinées qu'il traversa avec le 
consul de France avant d'arriver à Deir-el-Kamar. 
le clergé se portait à leur rencontre avec des 
lambeaux d'ornements soustraits au pillage, les 
femmes faisaient fumer l'encens sur des assiettes 
de terre, et les pauvres paysans, en haillons ou 
revêtus des habits qui venaient de leur être dis- 
tribués, déchargeaient leurs armes en signe de 
joie, entonnaient leurs chants de guerre en 
l'honneur de la Franco. 

Dans la ville môme tout portait l'empreinte de 
la mort. Le sang n'était pas encore effacé sur le 
pavé des chambres et des terrasses du sérail, oîi le 
pacha avait laissé massacrer six cents chrétiens, 
qu'il avait désarmés en leur promettant la vie 
sauve. Un seul avait échappé à la mort ; il montrait 
lui-même aux visiteurs profondément troublés la 
terrasse d'où le plus grand nombre de chrétiens 
avaient été précipités par les soldats turcs pour 



IH LK CARDINAL LAVIGERIK 

être reçus sur la pointe des poignards des Druî 
L'abbé Lavigerie célébra la messe dans 
glise des Maronites entièrement dévastée. Tous 
chrétiens de Deir-el-Kamar s'y étaient ren 
avec empressement. Lorsque le consul et nos c 
ciers se présentèrent à la porte, il alla les y rc 
voir en grande cérémonie, pour les conduire 
lennellement dans le sanctuaire ; et les chrélie 
voyant passer ainsi au milieu d'eux les représc 
tants de la France, relevaient leurs fronts poui 
première fois. Quand, au moment de la conséci 
tion, la voix de l'officier français qui command 
la troupe fit entendre le cri : « Genou terre ! » 
qu'ensuite nos tambours résonnèrent sous i 
vieilles voûtes à demi détruites et témoins de ta 
de crimes, l'émotion de tous fut profonde. Cei 
pauvre population, prosternée le front coni 
terre, pleurait à la fois de joie et de tristesse, 
les Français qui étaient \h ne pouvaient, eux m 
plus, retenir leurs larmes. 

Le voyage ne s'accomplit pas sans quelqu 
dangers. En traversant l'un des chemins les ph 
abrupts du Liban pour se rendre à Haman 
l'abbé Lavigerie fit sur les rochers une chute i 
cheval qui lui déboîta l'épaule et lui rompit , 
coude. Il aurait même pu en résulter des consj 
quences graves sans les soins immédiats du dd 
teur Jaulerry, qui l'accompagna dans toute s 
mission : « Le cheval était fort mauvais, raconte 
t-il, soit dit pour l'excuse de la pauvre bête i 
pour la mienne. » Il dut rentrer prendre quelqu 



22 LR CARDLNAL LWIGEKIE 

gerie quitta rOrient et rcuira en France, où Y 
pereur, ayant appris par les rapports du mini 
des Aiïaires étrangères et du ministre des Gn 
« combien sa conduite avait été digne d*élog( 
honorable pour notre pays », lui donna aussiU 
croix de chevalier de la Légion d'honneur. 

Les témoignages de reconnaissance qu*il r 
des fidèles et du clergé de Syrie, des populat 
musulmanes elles-mêmes, lui furent plus préci 
encore. Les patriarches, archevêques et év6< 
catholiques de l'Orient, au nombre de dix-1 
envoyèrent au Pape une adresse où ils attribua 
au directeur de l'œuvre des écoles d'Orient la 
grande partie du bien qui leur avait été fait. I 
une autre adresse envoyée à Tépiscopat, au cl< 
et au peuple de France, les évêques orientau: 
rendaient pas un moindre hommage à celui q 
appelaient eux-mêmes l'ambassadeur de la chi 
française. 



Des manifestations aussi éclatantes ava 
attiré sur le directeur de l'œuvre des écoles • 
rient la bienveillance du Saint-Siège et celli 
gouvernement français. La charge d'auditeu 
Rote pour la France étant venue à vaquer pi 
nomination à l'épiscopat de Mgr de la Tour d' 
vergne, le ministre des Affaires étrangères, de 
dépend la présentation à ce poste, pensa nati 



AVAM L ÉPISCOPAT 23 

;ment au prêtre qui avait rendu de si graods sér- 
iées à notre influence en Orient. Pie IX, qui 
onnaissait personnellement le candidat, agréa 
olontîers la proposition qui lui était faite, et 
Igr Lavigerie, devenu prélat de la maison de Sa 
tainteté et membre du premier tribunal de la 
lour romaine, partit pour l'Italie au mois d'oc- 
obre 1861. 

Sa rapide promotion h l'épiscopat ne lui permit 
l'y rester qu'un an et demi. Mais ce temps lui 
iuffit pour s'attacher du fond du cœur à l'autorité 
lu Souverain-Pontife, avec lequel nous le trou- 
verons toujours en parfaite communion d'idées et 
le sentiments. La Providence voulait aussi, en 
me de sa mission future, qu'il pût se perfectionner 

I loisir dans la connaissance de l'italien, qui devait 
Hre, à Alger et à Tunis, la langue d'un grand 
aombre de ses diocésains. 

Ajoutons que son séjour à Rome, en lui faisant 
connaître dans tous ses détails l'administration 
pontificale, ne dut pas contribuer pour une petite 
part au succès si rapide qui signala, dans la suite, 
tous ses rapports avec le gouvernement central de 
l'Église. 

L'honorable magistrature de l'auditorat de Kote 
ne suffisait qu'à demi aux aspirations tout aposto- 
liques de Mgr Lavigerie. Il n'avait, du reste, 
accepté cette dignité qu'à ta condition expresse 
de garder la direction de l'œuvre des écoles d'O- 
rient, et d'en former un deuxième conseil à Rome. 

II fut fait suivant ses désirs. Le conseil de Rome 



2i LE CARDINAL L.\VIGERIE 

eut pour président le cardinal de Ueisacb, et 
compta parmi ses membres des prélats aussi < 
Dents que Mgr Siméuni et Mgr Jacobini, qui 
été dans la suite secrétaires d*Ktat, Tundc Pi 
et l'autre de Léon XIII. 

Ce fut à la prière des membres de ce co 
qu aux fêtes données à Home en 18G2, Mgr Du 
loup prêcha à Saint-André-della-Yalle, en h 
de Tœuvre des écoles d'Orient, ce sermon cél 
qui fut à plusieurs reprises, malgré la saintel 
lieu, couvert d'applaudissements. 

Peu de temps auparavant, Mgr Lavigerie j 
parlé sur le môme sujet dans l'église Saint-L 
dès-Français. Il prévoyait, dans son discoun 
crises nationales auxquelles nous assistons d< 
quelques années : 

« Les troubles profonds qui agitent l'Or 
disait-il, amènent le réveil des pensées religic 
si intimement unies, dans ces contrées, aux 
sées politiques. L'empire turc, que le glar 
rendu longtemps redoutable, n'est plus redoul 
aujourd'hui que par sa faiblesse et par la difti< 
de partager ses ruines. 

(( Dans cet état de choses, les restes des nat 
autrefois conquises s'agitent sourdement pou 
trouver leur place au soleil de la liberté, 
lexandrie à Jérusalem, de Jérusalem au Li 
du Liban à Constantinople et aux rives du 
nube, tout annonce des changements profc 
Or, en Orient, nationalité et religion sont s 
nymes. C'est leur foi qui a conservé partou 



AVAM L ÉPISCOPAI 

ationalités distinctes des ÂrménieDs.des Sj 
es Maronites, des Grecs, des Bulgares, e 
éveil national est en même temps un rêve: 
ieux. I) 

Il montrait ensuite comment il fallait se 

la fois, chez les chrétiens d'Orient, les b 
.u corps et les besoins de l'âme; il excit 
tdèles de France et tout le monde cathol 
miter la sollicitude de Pie IX, qui se préj 
in ce moment même, à établir la Congre] 
péciale de la Propagande pour les Rites Oriet 

Mgr Lavigerie fut nommé d'avance par le 
onsulteur de cette nouvelle Congrégation 
nstalla bientôt après à Civita-Vecchia un c 
lour los Bulgares. 

Ainsi son zèle d'apôtre débordait ses fon 
l'auditeur de Rote comme autrefois celles d 
ésseur d'histoire. 

Le Saint-Siège et le gouvernement fn 
Densèrent dès lors que l'épiscopat lui conviei 
nieux qu'une judicature sédentaire, et, 
;ommun accord, ils l'appelèrent à l'évfic 
S'ancy, 

Nommé à Paris le 5 mars 1863, il fut préi 
e 16 et sacré le 22 du même mois. 

Pie IX, qui l'avait en particulière affe 
ivait d'abord témoigné le désir de faire le 
lui-même; mais, empêché par la maladie, i 
remplacer par le cardinal Yillecourt, auq 
donna pour assistants son aumônier, qui éi 



26 LE CARDINAL LAVIGbRIK 

cardinal de Hohenlohe, et son évoque sacri 
Mgr Marinelli. 

Le sacre eut lieu avec une grande pompe < 
l'église nationale de Saint-Louis-des-Françaiî 
présence d'une foule considérable d'assisU 
parmi lesquels se distinguaient Tambassadev 
France, prince de la Tour d'Auvergne, ace 
pagné de tout le personnel de Tambassade, le 
bunal de la Rote, la plupart des prélals et 
princes romains. 

Le nouvel évùque écrivit de Kome mèrni 
jour de Pâques, S avril 18(>3, sa lettre de pris 
possession. 

On y lisait : u Comme évoque, je ne dois 
porter, et je n'apporte au milieu de vous q 
seul drapeau, celui de Jésus-Christ et de 
Eglise. Je resterai, avec la grâce de Dieu, 
jours étranger aux passions, aux intérêts, 
divisions d'ici-bas. Placé en dehors et au-dc 
du monde, je ne veux qu'une seule chose, le i 
de vos âmes; et vos âmes, je les aime toutes 
lement, de quelque point de l'horizon qu' 
puissent venir à moi. » 



CHAPITRE II 



ÉPISCOPAT DE NANCY 



Mgr Lavigerie fit son entrée solennelle dans la 
rathédrale de Nancy le dimanche 10 mai 1863. 

(irâce à une succession ininterrompue d'évô- 
juos émînents, qui s'appelaient d'Osmond, de 
■"orbin-Janson. Donnet, Menjaud et Darboy, grâce 
lussi à la fermeté de caractère qui est le propre 
les Lorrains, le diocèse de Nancy était certaine- 
ment l'un des plus religieux de la France. On 
jugera, par le peu que nous allons dire, si les 
quatre ans d'épiscopat de Mgr Lavigerie ont con- 
tribué à maintenir ce florissant état de choses. 



Il n'eut point, durant son épiscopat, de plus 
grande préoccupation que de favoriser l'enseigne- 
ment dans son diocèse. 

Il J'ai considéré les établissements d'éducation, 
écrivait-il en 1867, comme l'appui le plus solide 



28 Li: i:aiii)In.\l lavuikhik 

des travaux apostoliques dos prêtres de no« 
roisses, comme la base la plus ferme du bien 
je voyais à réaliser au double point de vue 
gieux et social, et c'est do co côté que j*ai 
devoir, en conséquence, diriger une grande p 
de mes travaux et de mes soins. » 

Sa sollicitude se porta tout d'abord, comi 
convenait, sur la formation des professeurs. 

Dans le compt(»-rendu de son administri 
qu'il adressait au Pape en 1867, il constatait 
si la réputation des maisons d'éducation diri 
par le clergé était supérieure li celle des établ 
ments laïcs par le côté religieux et moral, il 
était pas toujours de môme au point do vue se 
tifique. (( On considère leurs professeurs, dîsai 
comme étant au-dessous des professeurs de Tl 
versité. Cela tient surtout à ce que les profess 
de l'Université se préparent dans des écoles 
ciales et prennent les grades de licenciés, de 
teurs, d'agrégés, devant les jurys de l'instruc 
publique. Les ecclésiastiques ne le font pas 
dès lors, ils n'offrent pas les mêmes garai 
extérieures. C'est peut-être un tort, et c'est cei 
nement un malheur, parce que cela empêche 
certain nombre de familles chrétiennes de '. 
coniier leurs enfants. » 

Il eut promptement fait de remédier à c 
situation. La première année de son épiscopa 
choisit un certain nombre de jeunes eccléa 
tiques pour les envoyer à l'Ecole des Carmes j 
parer leurs examens, et au bout de trois an 



ÉPISCOPAT DE NANCY 29 

avait quinze licenciés. Il voulut faire plus encore, 
et il établit à Nancy même une école ecclésias- 
tique des Hautes-Études, qui ne tarda pas à ob- 
tenir de brillants succès aux examens de licence. 
Les candidats qui voulaient se préparer au doc- 
torat et à l'agrégation continuèrent d'être envoyés 
à Paris, où ils trouvaient plus de secours pour des 
études spéciales. 

Aujourd'hui, grâce à de telles mesures, le dio- 
cèse de Nancy est celui de France où les prêtres 
pourvus de grades universitaires sont le plus nom- 
breux, et où les établissements d'éducation reli- 
gieuse sont le plus florissants. 

II est permis de regretter que Mgr Lavigerie 
n'ait pas eu plus tôt des imitateurs. On eût ainsi 
évité plus d'un embarras. Mais l'esprit sectaire 
de quelques hommes politiques y a inconsciem- 
ment pourvu, en menaçant d'exiger les diplômes 
officiels pour tous les professeurs de l'enseigne- 
ment libre. Aujourd'hui la plupart des diocèses 
sont prêts. A quelque chose malheur est bon. 

L'évêque de Nancy ne veillait pas seulement à 
l'instruction de ses professeurs; il se préoccupait 
encore de leurs besoins temporels. Il se proposa 
d'établir entre eux une sorte de solidarité; il 
plaça les économes des diverses maisons sous la 
direction d'un vicaire général ad hoc, ordonna que 
le dixième du revenu serait versé dans une caisse 
particulière destinée à secourir les établissements 
qui se trouveraient momentanément dans la gêne, 
à payer une partie des frais qu'exigeait la forma- 



f 

% * 



:U) I.K r.AMIiINAI. LAVir.KItlK. 

tion des maîtres futurs, et entin à constituer po 
ceux qui auraient vingt-cinq ans d'enseignemfl 
des traitements de chanoines prébendes à Tégli 
cathédrale * . 

(( Il ne m'a pas seml)lr» juste, écrivait-il, qu'apfi 
avoir épuisé leur vie dans les travaux et dai 
Tabnégation du professorat, ils fussent contraint 
dans leurs vieux jours, d'accepter, pour suffire 
leurs besoins, une situation d'autant plus pénib 
pour eux qu'elle serait plus nouvelle, etderecoi 
mencer une carrière à l'Age où se fait sentir 
besoin de repos. » 

Il s'intéresse en personne aux travaux de a 
professeurs, et il témoigne ouvertement l'estiii 
particulière qu'il a de leur mission. « L'enseigiv 
ment chrétien de la jeunesse, dit-il aux prêtres d 
son diocèse, est l'un des plus grands services (pi 
nous puissions rendre h la société. » Et il h 
engage tous à favoriser de leur mieux les établis 
sements libres, leur faisant comprendre que l'édu 
cation chrétienne des enfants de leurs paroisse 
est (( le complément et le soutien le plus efficac 
de leur propre ministère ». 

Lui-même joint l'exemple à la parole. Il aug 
mente le nombre de ses maisons d'enseignement 
Au collège de la Malgrange et à l'école Saint 
Léopold il ajoute, en les adoptant ou les transfoï 
mant, les collèges de Yic et de Blàmont, laïcisé 

1. Ces dernières mesures sont restées sans effet. Elle 
indiquent, du moins, ce qu'il faudra faire quand les cir 
constances seront favorables. 



lepuis, ef le collège 
■"ourier. à Lunéville. Il 
lUX maisons qui sont îi 
able, comme récompens 
es enfants qui se font le 
;uccès. 

La ville rfe Nancy obtir 
Iroit, Mgr Lavigerie, cf 
levait provoquer plus tai 
ités catholiques, voulut 
aits de l'éducation religl 
'enseignement supériei] 
louveaux étudiants de 
naison où ils trouvaient 
t peu coûteuse, une b 
sciure, des jeux, tous les 
lune entre jeunes gens 
alait mieux encore, la { 
e trois prêtres expérimei 
ien sans les empi^cher d' 

Cette protection éclai 
éducation des jeunes ^ 
eut-6tre que ne le désii 
■iccs religieuses, à l'cnsi 

Convaincu, non pas a 
réparait en France, ds 
ublic. un mouvement tr 



. La Maison des Etudiant 
■issante école de Saint-Sig 



[\'l LK CARDINAL LAVUîKIUK 

vilè^es acronlc^s aux coinmunnuU^ religieuses 
matit'^rc (rinslniction. t»l roronnaissant que qn 
ques-unos pouvaient rôellonuMit ne point justil 
par une srienco sufiisante le droit de professera 
subir d'exanuM) proalaldo, il adopta, en août 18 
une mesure (|ui ne laissa pas de surprendre 
certain nonibnMle bonnes Ames. 11 exigea, pan 
ordonnance, que toutes les novices des congr^ 
lions religieuses ensei}j:nanles subiraient, av 
d'entrer dans rcMiseij^nement, et devant une co 
mission épiscopale com[»()sée d(»s ecclc^siastiq 
les plus instruits, un examen i^gal en sévérit 
celui des institutrices laïques. Le diplôme conf 
h la suite de ces épreuves serait désormais ab 
lument requis pour diriger même la plus hum 
école dans Icî diocèse. 

Le premier moment «le surprise passé, les n 
gieuses se préparèrent à obéir et se présenter 
devant les jurys d'examen. L'épreuve fut h 
reuse et tourna, comme se le proposait Tévêq 
à rhonneur de renseignement congréganiste, 
fut désormais au-dessus des critiques de la m 
veillance. De si heureux succès tirent promp 
ment tomber la légère opposition qui avait pu < 
soulevée, à Nancy, par l'ordonnance du mois d'ac 

Mais, chassé du diocèse, l'orage se reforma f 
loin. Deux évoques trouvèrent que leur collè| 
avait fait une concession regrettable à l'esprit 
siècle et ouvert la porte à toutes sortes d'abus, 
nonce du Pape ne dédaigna pas de prêter Tore 
à leurs plaintes; il s'émut du péril imaginaire ( 



ÉPISCOPAT DE NANCY .*J3 

Tévêque de Nancy faisait courir à l'Eglise do 
-'France; il lui écrivit que le Saint-Père avait vu 
^avec peine la publication de son ordonnance et 
l'invitait à la retirer avec les ménagements qu'il 
jugerait convenables. 

Mgr Lavigerie n'était pas homme à agir contre 
xin ordre du Saint-Siège; mais il n'était pas 
Tiomme, non plus, à céder sans autre façon dans 
une matière où il savait le bon droit de son côté. 
Prêt, non pas certes à passer outre, mais à donner 
sa démission si on l'obligeait à rétracter son or- 
tdonnance, il se résolut à éclaircir promptement la 
.'question. 

Il partit aussitôt pour Rome; et trois jours 
après avoir reçu la lettre du nonce, sans que per- 
sonne en France fût informé de rien, il entrait au 
"Vatican pour voir Pie IX. Comme on lui opposait 
les difficultés ordinaires, il répliqua que l'affaire 
^tait pressée, et il demanda qu'on s'informât sans 
retard si le Pape voulait lui accorder un entretien 
immédiat ou lui assigner un rendez-vous précis 
pour le lendemain. 

Pie IX, qui avait pour le jeune évoque une vive 
' affection, le reçut à l'instant môme, non sans té- 
moigner une grande surprise de ce voyage im- 
prévu et sans lui demander ce qui l'amenait : 
({ Mais, Très Saint-Père, c'est Tordre que vous 
m'avez fait transmettre de retirer mon ordonnance 
^piscopale. — Quelle ordonnance? s'écria le Pape 
tle plus en plus étonné. Moi, je vous ai dit de 
^'e tirer une ordonnance? » 



3i LK CAHDI.NAL LAVIGERIE 

Mgr Lavigeric lui montra la lettre du nonce. 

Pie IX, peu satisfait du zèle excessif de sonn 
présentant ofliciol, en exprima tous ses regrets* 
l'évoque. Mais celui-ci nVntendait point que l'ai 
faire se terminât do la sorte. Il obtint que son or 
donnancc fût examinée sans délai par la CongH 
gation des Evêques et Réguliers, et les cardinaiu 
peu habitués à une telle précipitation, procédi 
rent, toute affaire cessante, à cet examen. Le ré 
sultat fut qu'ils approuvèrent hautement la mesui 
qui leur était soumise, et exprimèrent le vœ 
qu'elle fût imitée dans les autres diocèses. 

Muni de cette décision, l'évùque de Nancy repri 
le chemin de la France et se rendit directemeii 
chez le nonce, qui, ne sachant absolument rien d 
ces démarches, commença par lui renouveler l 
malencontreuse invitation d'avoir à retirer Toi 
donnance du mois d'août. Mgr Lavigerie tira d 
son portefeuille et lut, pour toute réponse, l'ai 
probation qu'il venait de recevoir à Rome. Puis i 
sortit avant que le nonce eût trouvé un mot à lu 
dire. 



11 



On ne s'étonnera pas que Mgr Lavigerie ait pri 
encore plus d'intérêt à la formation de son clerg 
qu'à l'éducation chrétienne des jeunes gen 
laïcs. 

Il rappelait souvent à ses prêtres la nécessité di 



altiver avec soin les vocations naissantes, leur 
lontrant l'importance du service ainsi rendu à 
Église et l'avantage qu'un travail si excellent 
•ur offrait à eux-mSmes dans l'inaction des prcs- 
ylères de campagne. 

Pour accueillir les enfants pauvres qui se sen- 
lieat appelés au sacerdoce sans pouvoir faire les 
■ais de leurs études, il créa à Nancy une maîtrise 
ont les élèves, gratuitement admis, faisaient leurs 
remières classes de latin et rcmplissaieut, en 
^lour, les fonctions d'enfants de chœur dans 
église cathédrale. 

Le diocèse de Nancy comptait alors deux petits 
jniinaires. celui de Fénétrange, aujourd'hui à 
Allemagne, et celui de Pont-à-Mousson, qui était 
> plus important. Il ne voulut pas qu'on y udmlt, 
xcepté dans les classes inférieures, les enfants 
ui ne se destinaient point aux Ordres, et qui pou- 
aienl si facilement recevoir l'éducation religieuse 
ans les autres établissements du diocèse. Cela ne 
empêcha pas de maintenir dans les études du 
etit séminaire le programme classique de l'Uni- 
crsité, avec plus d'esprit rehgieux dans le choix 
es textes et dans la direction. Il recommanda de 
avoriser. par des études scientifiques et littéraires 
rès solides, les jeunes gens qui devaient subir les 
preuves du baccalauréat, sachant bien que, si de 




30 Lb CAlliiLNAL LAVIGKHIË 

Peut-être aussi leur inspirent-ils une plus 
habitude du travail intellectuel. 

Le nombre des élèves du grand séminaire, qv 
atteignait jusqu'à deux cents, lui permit de crétfi 
comme dans d'autres grands diocèses, un sémi' 
naire spécial de philosophie. Il supprima quelques 
exercices qui. sous le nom de conférences, h 
semblaient perdre un temps précieux , et il le 
remplaija par un cours nouveau de droit cane 
nique. 11 créa, comme à Saint-Sulpice, dei 
chaires de plus pour la théologie. Dans Tune 
enseigna les éléments du dogme, et dans Taul 
les éléments de la morale. Avec le système qjà 
consiste à partager toute la théologie en trois otf 
quatre années de cours, et à jeter les débutants^ 
de prime abord et comme au hasard, dans le« 
traités qu'amène le cycle des études, il est presqofl 
impossible aux nouveaux élèves de bien com* 
prendre la matière de leur programme, l'impof* 
tance relative des questions", le sens exact dei 
termes qu'ils emploient, la valeur des différentes 
preuves. 

La formation des jeunes clercs aux vertus sace^ 
dotales l'intéressait plus encore que leurs études* 
Il voulait surtout qu*on les habituât à l'obéissance 
et à l'humilité. Il allait souvent leur parler lui- 
même sur ce point. Non content des exhortations 
publiques, il les recevait plusieurs fois chaque 
année individuellement dans son appartement du 
séminaire ; il les interrogeait, les reprenait, s'il 
en était besoin , cherchait à les mieux connaitre 



ÉPISCOPAT DE NANCY 3? 

afin de les mieux diriger pour le présent et pour 
l'avenir. 

Il n'abandonnait pas ses prêtres à eux-mêmes 
au sortir du séminaire. Il favorisa les études du 
clergé en maintenant les conférences ecclésias- 
tiques établies par ses prédécesseurs, et en y ajou- 
tant un contrôle efficace par la création d'un con- 
seil central. Il obtint de Rome le pouvoir de 
^ conférer les grades du baccalauréat et de la licence 
, en théologie aux clercs soumis à sa juridiction, et 
^ il eut la satisfaction de voir un certain nombre de 
ses prêtres profiter de ce privilège. 

Voyant combien l'absence d'un code précis de 
lois diocésaines pouvait offrir d'inconvénients 
pour la discipline ecclésiastique, il fit une exacte 
recherche des anciens règlements qui s'y rappor- 
taient. Il les vérifia, les examina et les promulgua 
de nouveau sous le titre de Recueil des Ordonnances 
jEpiscopaleSy Statuts et Règlements du diocèse de 
J^ancy. 

Il resserra encore les liens de la discipline ecclé- 
siatique par la création d'une officialité diocé- 
. saine. Auparavant l'évêque prononçait seul, selon 
sa conscience, sur les accusations portées contre 
ses clercs. Conformément à l'ancien usage de l'É- 
glise, Mgr Lavigerie substitua à cette juridiction 
un tribunal composé de prêtres choisis dans tous 
les degrés de la hiérarchie; il ne réserva à l'évêque 
que le droit de faire grâce. Ses règlements 
reçurent les éloges du ministre des Cultes, et le 
Saint-Siège, estimant « qu'ils étaient parfaitement 

2 



:tR LK CAIlliINM. I.WIliKIUK 

ailapti'S à la situation pivsoiito ilv rÉgiiso 
France •>. invita iu»s rvt^c|iit»s h établir chez 
fctto sap» iii>tittiti<»ii '. 

^fgr Lavi^i'rir s«' pivotM-upa, dos son arrivéel 
Nancy, du sort ili's pivtros <[iii, accablés parW 
années nu 1rs iutirinités, étaient obligés do renoi 
CCI* au saint ministère et aux modiques ressourtf 
qui y sont attachées. 

« Que faire alors? écrivail-il à son clei^,s 
nVsl-ce pas pour le prètn» li» cas de cotte détre* 
oxlrènu» dont parle rKvan^ile : Je ne puis travail 
1er, nous dit-il, fodi'rr non vah'o; mendier, les lois 
riiabil que je porte, riionneur même du sacerdoc 
me rinlei'dis<.*nt : mrniUcare cnihesco, » 

Il fallait doter le diocèse d'une caisse de rt 
traite ou de prévoyance. C'est ce qu'il lit parus 
ordonnance du G septembre 1863. Tout fut préT 

1. Peut-«*tr(.' est-co jiuur avoir expérimenté la sévérité i 
cette institufiou (|u'uii piètre de Nancy aurait gardé T 
mauvais souvenir de son évrquo, et se serait exposée 
mésaventure que conlo i'anecdule suivante, dont je n'O! 
pas, du reste, •4;arautir raulhenlicité. 

Mgr Lavigcrio, depuis longtemps archevêque d'*AJger,! 
promenait un jour sur ]h quai d'une gare, en France, sa) 
aucun signe apparent de sa dignité, lorsqu'il se vit abo 
der par un prêtre c^ui, comme lui, attendait le départe 
train. Après l'avoir salué sans faron, ce prêtre engagi 
avec lui ce petit dialogue : 

« Pardon, mon Père, vous êtes missionnaire, n'est-i 
pas? Cela se voit à votre barbe. — lié ! oui, monsieur l*abb 
je suis missionnaire. — Où cela, sans indiscrétion? — 
n'y a pas d'indiscrétion, je suis en Algérie. — Ah! voi 
êtes en Algérie ! Alors vous devez connaître notre ancic 
évêque, Mgr Lavigerie (car Je suis de Nancy). — Je cro 
bien que je le connais î — Est-ce ([u'il est toujours aussi?. 



ÉPISCOPAT DE NANCY 39 

pour assurer la libre gestion de cette caisse. Son 
conseil d'administration était composé de onze 
membres dont la majorité était élue par le clergé 
diocésain, c'est-à-dire par les intéressés, et renou- 
velée de même tous les cinq ans. Un compte 
rendu des opérations devait être, en outre, pu- 
blié chaque année, et envoyé à tous les sous- 
cripteurs. On ne pouvait trouver de meilleures 
garanties de durée et de bonne gestion; et le 
succès couronna sans retard cette sage initiative. 
Quand Mgr Lavigerie quitta son diocèse, quatre 
ans plus tard, la caisse de retraite possédait un 
capital respectable, et elle avait déjà secouru un 
grand nombre d'ecclésiastiques infirmes. 

— Aussi? — Aussi peu commode? — Ah ! monsieur Tabbé, 
il est pire que jamais, maintenant que le soleil d'Afrique 
lui a donné sur la tête. — Cela ne m'étonne pas, allez, 
mon Père. Moi qui vous parle, j'avais deviné du premier 
coup son caractère, car j'ai bientôt fait de reconnaître mon 
monde. — Gela se voit tout de suite, monsieur Tabbé. — 

— Figurez-vous qu'il voulut, un moment, me faire son 
vicaire général. — Ah ! vraiment? — Oui, mon Père, son 
vicaire général. Mais je savais à qui j'avais affaire, et je 
me gardai d'accepter. » 

Les deux interlocuteurs, devenus tout à fait amis, conti- 
nuèrent à médire ensemble de l'ancien évéque de Nancy, 
jusqu'à ce que le train fût en gare. A ce moment, l'arche- 
vêque d'Alger, entr'ouvrant son manteau pour laisser voir 
sa croix pectorale, dit à l'abbé : « Eh bien, monsieur Tabbé, 
dans ce que nous avons dit, il y a du vrai, il y a du faux. 
Ce qu'il y a certainement de faux, c'est que je vous aie 
jamais demandé pour vicaire général, » Et il s'en alla en sou- 
riant. L'abbé, dit-on, ne souriait pas. 



Le principal siijnt do ce livre étani r<pu\r 
africaine du cardinal Lavigerio, il n'y a gui'^rc li' 
d'exposer ici qne ce qui est de nature & le fai- 
connaître lui-mi>mc. Le peu qui vient d'i^lre <\ 
montre dc'jîi son caractère et ses idi^es; quclqii' 
mots maintenant sur son zMc religieux. 

Il établit l'uniformitt^ dans la liturgie de S' 
diocèse en imposant à toutes les paroisses le cén- 
monial romain; toutefois il obtint du Saïnl-Sii'C 
le maintien d'anciennes coutumes locales qii 
étaient chères au clerg*'- et aux fidMcs des cam- 
pagnes. 

Il s'attacha à donner un (îclat cx(raordinair<' 
aux cérémonies religieuses de sa cathédrale, dam 
l'espérance, justifiée par l'événement, qu'il attira 
ralt ainsi plus de monde aux offices, et aFin d 
donner aux élèves du grand séminaire, pour l'or- 
nementation, pour le chant et tout le culte exté- 
rieur, un modèle qu'ils pourraient imiter plus taH 
dans la mesure des ressources de leurs paroîssof 

Jamais il ne négligeait une occasion favorabli 
de développer dans son diocèse le respect de 
choses divines par des solennités capables di 
frapper les âmes et de les émouvoir. 

On n'a pas encore oublié, à Flavigny ni à Pont- 
à-Mousson, lesmagnilîques processions qui eureni 
lieu dans ces deux villes, lorsque le cardinal 



ÉPISCOPAT DK NANCY 41 

Donnet vint, dans la première, bénir la nouvelle 
abbesse des Bénédictines *, et, dans la seconde, 
présider à la translation des restes du martyr saint 
Pius accordés par Pie IX au petit séminaire. 

Le couronnement de la statue de Notre-Dame 
de Bon-Secours, à Nancy, fut plus solennel encore. 
Entre la cathédrale et le faubourg Saint-Pierre, 
le cortège eut à passer sous dix arcs de triomphe, 
et il ne rencontra pas une maison qui ne fût ornée 
de fleurs, de verdure et de drapeaux. Plusieurs 
sociétés chorales et deux musiques militaires 
prêtaient leur concours à la fôte. Le maréchal 
Forey y assistait avec sa brillante escorte de hus- 
sards. Ce fut un imposant spectacle quand, après 
le couronnement de la statue, le cardinal Mathieu, 
archevêque de Besançon, Mgr Dupont-Desloges, 
le grand évêque de Metz, et Mgr Lavigerie béni- 
rent ensemble, du haut de la tribune, l'immense 
foule agenouillée. 

L'évêque de Nancy ne cessait de stimuler le zèle 
de ses prêtres par de pressantes instructions adres- 
sées aux membres des diverses fonctions ecclésias- 
tiques, tantôt au clergé des paroisses, tantôt aux 

i. C'était Mgr Lavigerie qui avait obtenu du Pape l'érec- 
tion en abbaye de l'ancien monastère de Flavigny, illustré 
par le séjour de D. Calmet et de D. Ceillier. Disons encore, 
à propos de communautés religieuses, qu'il fit venir à 
Nancy les Dames de la Retraite, et qu'il donna des règles 
canoniques à deux congrégations diocésaines qui en étaient 
dépourvues, les Sœurs de la Sainte-Enfance de Marie et les 
Frères de Saint-Charles. 



A'I LK CARDINAL LAVIGERIK 

ilirecleurs du grand séminaire ou aux professeurs - 
des établissements libres. Ce fut pour intéresser 
son clergé au bien général du diocèse et l'exhorter 
d'une façon indirecte à y coopérer activement que, 
plusieurs fois, il lui rendit compte, par lettres cir- 
culaires, dos actes de son administration épis- 
copale. 

Le trait suivant montrera, du reste, comment il 
savait donner l'exemple dans ses tournées pasto- 
rales. 

Estimant qu'une visite épiscopale doit toujours 
être, dans les paroisses qui en sont favorisées, 
l'occasion d'un réveil religieux, il ne trouvait 
aucun travail trop pénible pour obtenir un résultat 
si important. Il y avait dans le diocèse de Nancy, 
notamment dans le canton de Sarrebourg, plu- 
sieurs pays de langue allemande dont les habitants, 
dans leur ignorance du français, n'avaient jamais 
le bonheur d'entendre les exhortations de leurs 
évêques. Mgr Lavigeric jugea que ce serait un 
grand avantage et une vraie joie pour ces popula- 
tions pleines de foi, de voir l'évoque du diocèse 
leur parler dans leur langue. 

Le malheur était qu'il ne savait pas un mot 
d'allemand. 

Cela ne l'arrôta point : a Bah ! se dit-il, en cela 
comme dans le reste, il suffit de vouloir. » Il voulut " 
en effet. Trois mois le séparaient de la tournée 
épiscopale. Il se mit à étudier la grammaire alle- 
mande, prit quelques leçons d'un professeur du 
lycée, puis, à grand renfort de dictionnaire et de 



ÉPISCOPAT DK NANCY 43 

syntaxe, composa trois sermons qu'il apprit par 
cœur. ^ 

Arrivé dans la première paroisse de langue 
allemande, il s'apprêta à s'exécuter. Les grands 
vicaires voulaient le détourner de son projet, lui 
disant qu'infailliblement l'assistance et eux- 
mêmes ne tarderaient pas à rire : « Que les fidèles 
se mettent à rire, leur dit l'évoque, cela ne me 
troublera pas; mais pour vous, c'est une autre 
affaire^ vous seriez capable de me faire rire moi- 
naême. Mettez-vous derrière l'autel. » Le moment 
venu de prendre la parole, Tévêque, debout dans 
le sanctuaire, commence avec une certaine anxiété, 
mais aussi avec beaucoup de conviction : Es ist 
mir ein grosses Vergniigen midi in eurem Mittel zu 
befinden. Dock bedauere ich sehr dass ick eure schœne 
sprache nicht gut rede * . 

Après cette phrase, il promène, un peu inquiet, 
ses regards sur les auditeurs. Et que voit-il sur 
tous les visages do ces bons paysans? — Au lieu 
des sourires prévus, les marques d'une émotion 
joyeuse, et des pleurs d'attendrissement! Profon- 
dément touché lui-môme, il se retourne vers ses 
vicaires généraux : « Vous pouvez venir mainte- 
nant, leur dit-il, vous ne me ferez pas rire. » Et il 
continua^son allocution. 

Le futur cardinal devait parler plus tard dans les 
plus grandes églises du monde et devant les plus 

1. C'est pour moi une grande joie de me trouver au mi- 
lieu de vous. Je regrette seulement de ne pouvoir mieux 
parler votre belle langue... 



I.K r\iimxAi. uviGEHu: 



brillants uudiluires; je ne sais si ses diacour> ■'. 
Paris, de Londres, de Kome, de Bruxelles, d'Ali:-; 
de Naples, de Milan, de Carlhage, lui ont laî-- 
un meilleur souvenir que sou sermon allemaL 
aux villageois du canton de Sarrebourg. 

Notre conscience (l'historien nous oblige à C" 
fesser toutefois que le succès ne fut pas le m^a 
auprès de tous les paroissiens sans exception. K 
rentrant au presbytère, l'évCque trouva le cii: 
riant aux larmes, non pas certes du sermon épi- 
copal, mais de l'apjvrt^'ciation de sa respectai' 
bonne, qui était sortie de l'église, absolument fu- 
rieuse qu'on eût envoyé au diocèse « un év(>que ijl 
ne savait pas seulement le fran<:ais i>. 

IV 

L'évèque de Nancy se donnait encore le drui; 
par ses travaux intellectuels, d'exhorter tous l'- 
prêtres à l'amour de l'étude. 

On a pu soupi;onner d'après ce qui précède. I 
nombre etl'importance de ses mandements, <le st- 
instructions pastorales, de ses lettres circulaire-. 
Rappelons seulement ici le mandement qu'il publl» 
en févrierl865 k l'occasion du -Sy/^aijw. Plût àDiou 
que le document pontifical eût été par tous af 
capté, compris et présenté comme il le fut par lui: 

« Après avoir pris respectueusement connais- 



ÉPISCOPAT DE NANCY 45 

brebis à l'égard de Pierre, je m'unis au Vicaire de 
Jésus-Christ, pour condamner les erreurs qu'il a 
condamnées. Ces erreurs, je les condamne, non 
pas dans le sens odieux et faux qui leur a été 
donné par une partie de la presse, mais dans le 
sens où l'Encyclique Quanta Cura, du 8 décembre, 
qui est dans toutes les mains, les proscrit elle- 
même, c'est-à-dire en tant qu'elles ressuscitent ou 
favorisent le matérialisme, le panthéisme, Ta- 
Hhéisme, l'indifférentismc, le naturalisme et les 
autres systèmes antichrétiens dans leurs applica- 
tions sociales. » 

Pie IX le félicita immédiatement de cette atti- 
tude et l'assura une fois de plus de « sa bienveil- 
lance toute spéciale ». Il devait recevoir plus tard 
le même témoignage de Léon XIII pour son expli- 
cation de l'encyclique sur la liberté humaine. Il 
sut toujours, sur ces délicates questions, rester en 
parfaite communion d'idées avec le Saint-Siège, 
sans prendre parti dans les fâcheuses querelles 
qui ont si longtemps divisé et affaibli les meil- 
leurs catholiques de France. 

Mgr Lavigerie se souvint aussi plus d'une fois 
qu'il avait été professeur d'histoire à la Sorbonne. 

A l'occasion d'une quête que l'archevêque de 
Tours, Mgr Guibert, avait demandée à ses collè- 
gues pour reconstruire la basilique de Saint-Mar- 
tin, l'évêque de Nancy publia une étude complète 
sur la vie, l'influence et le culte du thaumaturge 
des Gaules. 



iO LE CARDINAL LAVIGCRIK 

Coninieiitant, à la fin de son travail, ce passage 
(le notre vieille liturgie où saint Martin est loué 
« de n'avoir pas craint les puissants du siècle », il 
apprécie la con<luite de l'évi^que de Tours vis-à-vis 
de Tautorilé séculière en des termes où il est bien 
permis de voir l'idéal qu'il se proposait à lui- 
mùme. 

« MMé, dit-il, par la force des choses, au mou- 
vement qui entraînait l'empire; devenu, dans les 
fréquentes convulsions politiques qui se produi- 
saient, dans ce siècle, h chaque changement de 
maître, le protecteur, le défenseur des proscrits, 
des persécutés, Martin fut obligé, par cette glo- 
rieuse prérogative, comme plusieurs des évèques 
de ce temps, de traiter avec les pouvoirs publics, 
d'approcher môme, h plusieurs reprises, du trône 
des empereurs. 

« Il le fit toujours en évoque, c'est-à-dire en 
pasteur des âmes, chargé, pour sa part, de gou- 
verner et de défendre l'Eglise, et ne mêlant à sa 
cause sacrée aucune passion humaine; en homme 
de Dieu, obligé de donner Texemple de l'obéis- 
sance et du respect, mais restant étranger à toutes 
les craintes et à tous les calculs d'ici-bas. 

a Egalement éloigné du servilisme qui se pros- 
titue et de l'orgueil qui se révolte, soumis et intré- 
pide, doux et fort tout ensemble, il n'approcha 
ceux qui dirigeaient le monde que pour remplir sa 
sainte mission, sachant toujours faire entendre, 
sans rechercher d'autre éclat que celui du devoir 
accompli, le langage désintéressé, respectueux et 



EPISCOPAT DE NANCY 47 

digne de la charité, de la vérité et de la justice. » 

Résistons au désir de citer, dans cette même 
étude, les développements patriotiques où il 
explique le culte universel de la France envers 
saint Martin par la secrète sympathie qui rattache 
notre caractère national a la généreuse figure du 
soldat-évôque. Il est, hélas! plus à propos de rap- 
peler la lettre pastorale qu'il adressa à son clergé, 
en 1866, pourTinviter h célébrer le centenaire de 
la réunion de la Lorraine à la France. 

Après avoir rappelé, à grands traits, l'histoire 
de cette province toujours héroïque et longtemps 
indépendante, il s'écriait avec une joie qui devait, 
quatre ans plus tard, recevoir un si cruel démenti : 

« Que le passé et l'avenir servent également de 
motifs à votre reconnaissance f Rendez grâces à' 
Dieu de vous avoir fait naître de ce sang généreux 
d'où sortirent les Sigisbert, les Arnould, les Pépin, 
les Charlemagne, les Jeanne d'Arc, les René, les 
Léopold, et, dans une région plus sereine encore, 
les Léon IX, les Gérard, les Pierre Fourier. Ren- 
dons-lui grâces de nous faire vivre sur cette terre 
de Lorraine, si longtemps libre, indépendante, 
souveraine, toujours noble et généreuse. Remer- 
cions-le d'avoir uni notre sort à celui de la France, 
et ne conservons ni regrets stériles, ni souvenirs 
jaloux du changement de nos destinées. Sans rien 
oublier des gloires du passé, sachons estimer à 
leur juste valeur les gloires, la puissance et les 
bienfaits du présent... 

« Et maintenant. Messieurs^ demandons à Dieu, 



48 LK CARDINAL LAVIGEKIK 

pour celte patrie qui nous est doublement chère, 
pour la France et pour la Lorraine, les vertus qui 
assurent la vie des nations... Et que les fils delà 
Lorraine, unis k ceux de la France, restent toujours T 
les fils aînés de l'Eglise. » 

C'était à la fin de cette môme année 1866 qu'il 
devait ôtre appelé à quitter sa chère province de 
Lorraine. Le i8 novembre, deux jours après la 
mort de Mgr Pavy, évoque d'Alger, il recevait du 
maréchal de Mac-Mahon, qui l'avait connu à Nancy 
même, une lettre où le gouverneur-général de 
l'Algérie lui demandait l'autorisation de le pré- 
senter à l'empereur pour ce siège important et 
difficile. L'évoque de Nancy répondit : 

« Monsieur le maréchal, après avoir réfléchi 
mûrement et prié Dieu de m'éclairer sur ce que je 
devais répondre à Votre Excellence au sujet delà 
demande si imprévue qu'elle m'adresse, en date! 
d'avant-hier, je viens vous dire ma pensée avecj 
toute franchise. 

« Jamais je n'aurais songé de moi-même il 
quitter un diocèse que j'aime profondément et oik 
j'ai commencé des œuvres nombreuses; et si Vot»] 
Excellence me proposait un siège plus consid^ 
rable que celui de Nancy, ma réponse serait cer^l 
tainement négative. Mais je n'ai accepté Tépisco- 
pat que comme une œuvre de dévouement et de 
saci'ifice. Vous me proposez une mission péniblfiii 
laborieuse, un siège épiscopal de tous points infé- 
rieur au mien, et qui entraîne avec lui l'exil 



'abandon de tout ce qui m'est cher; vous p 
[ue j'y puis faire plus de bien qu'un autr 
(Vêque catholique. Monsieur le maréchal, n< 
■épondre qu'une seule chose à une semblabl 
josition : j'accepte le douloureux sacrifie 
n'est offert, et, si l'empereur fait appel à m^ 
vouement, je n'hésiterai pas, quoi qu'il 
coûte. J'autorise volontiers Votre Excelle 
faire connaître ma réponse à Sa Majesté. » 

Certes, l'évêché d'Alger était, humaini 
parlant, bien au-dessous de celui qu'allait q 
Mgr Lavigerie ; mais, placé au milieu des in: 
si sur une terre à peine conquise, il répi 
mieux à sa vocation d'apôtre. 11 suivait, en •■ 
tant cette lointaine mission, l'attrait impérii 
sa jeunesse et l'appel même de Dieu. Doci 
trument de la Providence, il comprit dÈ 
quelle devait être sa destinée, et il en acceptt 
une simplicité aussi éloignée de l'orgueil qu 
faiblesse, le pénible et glorieux fardeau. 

« Je ne vous quitte, disait-il à ses dioc 
dans sa lettre d'adieu, je ne vous quitte que 
que ma conscience a dû faire taire mon co 
vous quitte pour porter, si je le puis, moi 
cours à la grande œuvre de civilisation chré 
qui doit faire surgir, des désordres et des té 
d'une antique barbarie, une France noi 
Daigne la bonté de Dieu soutenir mon co 
donner à mes lèvres la prudence, k mes m 
zèle actif, à mon cœiir la charité nécessaii 
une telle œuvre ! » 



ÛO LK CAHItnAL LAVlGEHIt: 

Il laissa snn f^v^rhé cnlro des mains ami- 
Mgr Foulon, qui lui succi'ila, et qui est auj-^' 
d'hui cardinal arclievi^quc de Lyon, avait •'! 
l'aris, lanl an jn-lit sôniinain' qu'à Sainl-Sul; 
t'I h l'Écolf des Carmes. l'un de ses plus, di 
compaguiuis dVIude. AusHi pouvuit-il diro à - 
dioci'sains : •• Vous le connatlrcz bipntùt, et \' 
pourrez apprécier, comme je l'ai fait moi-iii-'L 
durant trente années, l'élévalion d'esprit cl 
cuiur, la piété, la forme et calme sagesse de v- 
nouvel évi^que, » 

Lue bulle pontilicalc, datée du 2o juillet \^'' 
et publiée en France le 9 janvier suivant, viii- 
d'ériger le diocèse d'Alger en archevôché, en I 
donnant pour sufTragants les diocèses nouvtll 
ment créés, d'Oran et de Conslanlîne. Le prenii' 
archevêque d'Alger fut nommé par décret 'i 
12 janvier et préconisé le 27 mai-s. Il entra Ja' 
Alger le Itî mai 1807. 



CHAPITHE III 



i/AiiCHEVÉQUE DALGER 



MINISTRATION DU DIOCÈSE. ~ RAPPORTS AVEC ROME ET 
AVEC LES SUFFRAGANTS I CONCILE DU VATICAN. 



Lorsque, le 16 mai 1807, les habitants d'Alger 
rent entrer solennellement dans leur ville cet 
chevôque de quarante-deux ans qui abandonnait 
lur jamais Jes dignités qui lui étaient réservées 
i France, et dont les traits imposants et le regard 
icidé semblaient justifier dès l'abord tout ce 
l'on disait de lui jusque dans l'Orient, ils com- 
■irent qu'un tel homme portait en lui de grands 
isseins et de hautes destinées. 

Ce qu'il devait faire désormais, Mgr Lavigerie 

sut et le voulut dès le premier jour, et c'est là 
■ut le secret de sa vie. L'important et le difficile 
ins ce monde, c'estde voir assez tôt l'œuvre qu'on 

doit faire, et de s'y consacrer tout entier, sans 
ipritde retour. 

ïl avait indiqué clairement, dans une sorte de 
ansui talion adressée à quelques évéques avant son 



I.K r.ARDIN.M LAVIGERIK 



départ de Nancy, cumment il comprenait le : 
d'un arclK'Vi>t|uu d'Alger. 

Ayant t^tudi»* de pr^s ea Ëgypie et en Sy 
comme diri'clt-ur de l'a-uvre des écoles d'Ur 
ce qu'il est possible do faire au milieu de^ [> . 
lalions musulmanes, il ne pouvait compr: 
qu'après plus de trente ans d'occupation l'inllu 
française n'eât pas fait plus <te progr&s en Ak 
ou plutôt, il se l'expliquait trop bien par l'ai' 
de toute pensée chrétienne dans l'adminislm 
de cette colonie. Au lieu de préparer Vassim'i 
des indigènes, on les avait parqués dans 1 
barbarie et dans leur Coran par la crainte il 
fanatisme en grande partie imaginaire, el ii 
moment même on essayait plus que jamai:: <1<' 
séparer de nous en leur créant une vie absoliim 
distincte de celle des culons, en lesorgatii-; 
suivant un mol fameux de l'empereur, en une • 
de Ro'jaume Arabe. 

Il voulait réagir contre ce système. Sans n 
tenter qui pût donner lieu à des troubles ou à; 
révoltes, il voulait appliquer sans retard iK 
moyens de transformation très lents, il est vr. 
mais aussi très sûrs et les seuls possibles : les u;ui." 
de charité pour tous el les écoles françaises {n 
les enfants. Ainsi commencerait le rapprocbcai^ 
nécessaire, tandis qu'avec la continuation ■ 
régime en vigueur il n'y aurait jamais da 
l'Afrique du Nord un seul indigène qui cessât d'i' 



l'ARCUËVÉgut: d'alger 53 |~ 

\\ 
Mais son horizon ne se bornait pas aux frontières ; . 

! notre colonie. L'Algérie n'était, à ses yeux, j 

l'une porte ouverte par la Providence sur j * 

Mrique entière ; c'était dans tout ce vaste conti- t 

înt, c'était à ces deux cents millions de barbares \ ^ ^ .': 

ii'il projetait de faire parvenir la foi et la civilisa- 
on chrétiennes. Voici en quels termes pleins 
'espérance il exposait à ses diocésains, dans sa 
remière lettre pastorale, la mission providen- 
elle de la jeune Eglise d'Afrique : 
« Faire de la terre algérienne le berceau d'une 
ation grande, généreuse, chrétienne, d'une autre 
rance, en un mot, fille et sœur de la nôtre, et 
eureuse de marcher dans les voies de la justice 
t de l'honneur, à côté de la mère-patrie ; répandre 
utour de nous, avec cette ardente initiative qui 
st le don de notre race et de notre foi, les vraies 
imiëres d'une civilisation dont l'Évangile est la 
ource et la loi; les porter au delà du désert, avec ' 

js flottes terrestres qui le traversent el que vous 
aiderez, un jour, jusqu'au centre de ce continent ! 

ncore plongé dans la barbarie; relier ainsi l'Afrique 
u Nord et l'Afrique centrale à la vie des peuples 
hrétiens; telle est, je le répète, dans les desseins t 

le Dieu, dans les espérances de la patrie, dans 
elles de l'Eglise, votre destinée providentielle. En [ 



l'archevéouk d'alckr S") 

Il pourrait prouver par beaucoup d'exemples 
1 a toujours conformé saconduite à ce langage. 
s les traits de bonté louchent à sa vie privée, 
:s traits de sévérité, moins nombreux du reste 
n ne l'a dit, seraient désobligeants pour 
leurs personnes encore vivantes. C'est une 
rve nécessaire que de s'en tenir, sur ces deux 
ats, aux actes d'intérêt général, 
lependant il est bon, avant toutes choses, de 
e ici justice des préventions qu'on peut trou- 
en France contre les prêtres algériens. Après 
an de séjour parmi eux, celui qui écrit ces li- 
s tient à proclamer qu'il a rarement rencontré 
ensemble de vertus plus solides et plus aima- 
i. Sans doute il ne faudrait pas dire que tous 
curés du désert prennent, par vingt ans de con- 
: avec les Arabes et les zouaves, d'aussi bonnes 
nières qu'en prennent, au noble faubourg, les 
lires de Sainte-Clotilde. Mais la vérité est qu'il 
I un grand dévouement pour accepter, comme 
le font, sans défaillance, une vie si dure et si 
llaire. Il en est parmi eux qui ne voient guère 
prêtres qu'au moment de la retraite annuelle ; 
leur arrive de manquer au silence prescrit 
u" le temps de ces pieux exercices, qui oserait 
1 scandaliser? J'en sais un. Dieu me pardonne I 




5({ lf: cardinal lavigërib 

tous leur vie de l'autre côté du grand Atlas, i 
hiverneurs d'Alger et de Mustapha seraiei 
pour me démentir, si je disais qu'on n'y M 
pas un grand nombre d'ecclésiastiques fort di 
gués. Peut-être même est-ce de leurs rangs» a 
le clergé de Paris et de Lyon, qu'il sort le 
d'évôques. 

Mgr Lavigerie se mit souvent en commiin 
tion avec son clergé par des lettres pastorales \ 
caractère à la fois pratique et élevé. Pludi 
ayant été publiées dans ses Œuvres choisies *, i 
inutile d'en extraire beaucoup de citations. I 
pelons du moins celle qu'il adressa à ses prf 
sur le catéchisme lorsque l'instruction religi 
fut prohibée dans les écoles publiques. 

Cl Je n'ai pas besoin, dit-il, de faire ressorti 
conséquences que ces innovations auraient pi 
nous, si nous n'y portions point remède... I 
m'inquiète, comme évoque, des périls que cou 
foi des enfants, désormais privés, dans leurs 
les, de toute étude de la religion, je ne m'ait 
pas moins, comme Français, en songeant à 1* 
nir d'une population comme celle de l'Algi 
rassemblée de tous les points du monde, àlaqi 
manquent encore, dès lors, les traditions ft 
qui suppléent souvent ailleurs à tout le rest 
qui se trouve mise ainsi, dans la personne de 
enfants, hors la tradition chrétienne... Mai 
n'est plus le temps de protester, puisque la sil 

1. 2 vol. in-8°. Paris, Poussielguc, 1884. 



LARCriEVeoUE DALGBR 51 

est pour le moment sans remède. C'est le 
ps d'agir, en tirant, comme doivent le faire les 
.curs, le bien du mal lui-même, et en rcdou- 
it de dévouement pour les âmes qui nous sont 
V\6es, pour la France elle-môme, que nous scr- 
s ici en donnant à sa domination le seul fonde- 
it vraiment solide, celui du respect de Dieu et 
'autorité qui vient de lui. » 
tprès ce préambule, il exhorte instamment ses 
très à s'occuper avec un zèle tout particulier de 
slruction religieuse des enfants élevés dans les 
les laïques ; puis il entre dans les détails les 
i pratiques sur la manière de faire utilement le 
Schisme. 

,a. conclusion de cette lettre si importante 
ntre bien à quels motifs de foi et de patrio- 
nc il faut faire appel quand on veut aller au 
ir des prêtres algériens. Il y est dit en effet : 

Nos ennemis eux-mêmes nous instruisent en 
moment. Ils ne négligent aucun moyen pour 
aclier à l'influence de la religion les âmes des 
ants... Ils se croient assurés du triomphe, ils 
èrent arriver, un jour, après avoir banni Dieu 

écoles, à le bannir de la famille et de la société, 
jamais ils pouvaient réussir dans leurs com- 



r>K LK CMimXAL LAMr.t.CIK 

p«'ralour«, sans voire /.!•]*• pour l'accompli" 
d'un devoir sacn'. Non, vous ne liiisscr^/ : 
tir, parmi lesenfanlM de vos paroisses, la ; 
et la crainte «ti* nieii. Vous redoublerez d'ar 
d'amour pour le salut de leurs âmes, à n- 
qu'on redoublera autour de vous de haine ■ 
la vi^riti', Voits vaincrez le mal, non par !■ " 
mais par le bien, c'est-à-dire par votre il' 
ment, par vos bienfaits. Sans jamais sorl 
bornes de la prudence, de la sagesse <'l 
douceur, sans vous mCler, comme je l'ai pr • 
ni aux haines, ni aux passions des partis. '. 
gers à toute autre pensée (ju'à celle do l'ai 
plissement de votre ministère, pardonnant ^: 
qui vous outragent, vous irez cbercher les i' 
perdues ; vous ne redouterez, pour les ramei) 
bercail, ni les ronces, ni les (opines. 

« En donnant aux enfants tous los ^ow- 
votre mini9tî?rc,en éclairant leurs jeunes ânn- 
seulement vous servirez la cause de Dieu, r 
vous servirez encore efficacement la cause ■: 
société, celle de votre patrie et de cette Al: 
où la France chrétienne vous a placés. 

<( De la bonne ou de la mauvaise éducali't 
ces jeunes âmes dépend, en elTet, tout l'avoii 
Si vous réussissez dans l'accomplissement <iev 
grande et laborieuse tâche, si vous formel 



l'arckevéoue d'algkr su 

utes les passions qui ravagent lo cœur do 
loxnme, notre Afrique, à peine ressusciti^c, 
tournerapar une triste voie aux malheurs de ses 
iciens jours, La France chrétienne semblait l'en 
-oir tirée, maïs elle ne peut réaliser son œuvre 
l'en portant ici les croyances et les vertus qui 
)n faite elle-même ce quelle a été durant des 
bcles. Ces vertus. Messieurs et chers coopéra- 
urs, elle les a dues surtout aux enseignements 
; ses premiers apôtres. C'est à vous, j'en ai la 
■nfiance, que l'Afrique les devra. » 
Ce langage nous montre l'archevêque d'Alger 
aitant ses prêtres, non plus seulement en chef 
li sait se faire obéir, mais en ami qui persuade, 

I fraternel compagnon d'armes. 

Sa sollicitude les a suivis jusque dans la mor(. 

II avait souvent gémi de voir, dans les cime- 
ircs communs, leurs tombes plus négligées que 
3 autres. Pour remédier à un pareil état de 
Loses, plus douloureux encore dans un pays où 
s prùtres meurent loin de leurs familles, et sont 

vite oubliés, il se préoccupa d'établir un cîme- 
irc spécialement réseiTé aux ecclésiastiques du 
ocèse, et confié aux soins d'une corporation 
ligieuse qui fût chargée de veiller et de prier sur 
urs tombes. En 1874, il fit part de cette inl 
fa au chapitre général de la Société des missi 
lires d'Alger, qui répondit à ses ouvertures 

résolution suivante : 

« Le chapitre général delà Société des missi 
lires d'Alger, heureux de témoigner sa reci 




r»0 LK CARDINAL LAVIGCRIE 

naissaiioc cl son respect au clergé du di 
dont il a roru tant de marques de bienveillani 
s'engage, vis-à-vis <le Mgr Tarchevêque d' 
et de ses successeurs, à laisser enterrer sans 
vance aucune, dans le cimetière spécial que 
Grandeur a créé à Maison-Carrée, tous les prêtn 
(lu diocèse qui en auront personnellement témoij 
ou dont les héritiers en témoigneront le désir, w 

Ainsi mis en possession d'un droit absolu poi 
le diocèse, Mgr Lavigerie s'occupa de tout dispoi 
pour rendre le cimetière digne de sa pieuse desl 
nation. Des palmiers furent plantés pour ombra, 
les tombes ; un mur de clôture fut élevé, et 
petite chapelle fut construite, sous rinvocation 
Notre-Dame de Pitié, pour y célébrer la m 
tous les vendredis à Tintention des archevèquei; 
évèques et prêtres défunts de l'ancien et du noi 
veau diocèse d'Alger. 

Mgr Lavigerie établit encore que, chaque ann 
dans la semaine qui suivrait la Commémorai 
des Morts, le plus grand nombre possible 
prêtres du diocèse se réuniraient à Maison-C 
pour y célébrer solennellement et dans son en 
l'office des Morts qui serait suivi d'ime processi 
au cimetière. Lui-même donna l'exemple de 
fidélité à ce pieux devoir, et on l'a vu, en nove: 
bre 1889, à peine relevé de la maladie qui vem 
de mettre sa vie en danger, après une veillée d* 
travail et une nuit d'insomnie, parcourir le matin 
les 15 kilomètres qui séparent de Maison-Carré 
sa demeure de Saint-Eugène, pi'ésider hii-mêitf 



l'arcuevêouk J)'alger 61 

office des Matines et Laudes, chanter ensuite la 
lesse des Morts et terminer la cérémonie par une 
shortation des plus émouvantes. Il avait le droit 
'y parler de la fidélité au souvenir des morts, de 
ippeler qu'un diocèse est une famille qui doit 
irder le culte de ses membres défunts, et de 
^clamer pour lui-même, quand il ne serait plus, 
5S prières de ses fils spirituels et de ses frères 
ins le sacerdoce. 

Un an avant de fonder le cimetière ecclésiastique 
e Maison-Carrée, c'est-à-dire en 1873, il avait 
5sayé d*établir dans sa ville épiscopale l'usage 
e la procession solennelle au cimetière le jour 
es Morts. Son appel ayant été entendu, il régla, 
a 1875, que cette cérémonie aurait lieu désor- 
lais chaque année dans toutes les paroisses du 
iocèse. Dans son ordonnance, il rappelait aux 
Dlons les pieuses coutumes de la mère patrie, et 

leur montrait que sur la te rre nouvelle où ils 
taient transplantés, c'était leur mission et leur 
evoir d'établir des traditions qui en feraient un 
ays vraiment chrétien et civilisé. Or, il n'était 
as de coutume plus religieuse, plus morale que 
i culte des morts; il n'en était pas de plus con- 
Drme aux sentiments de la nature. Les Algériens 
avaient ainsi se préparer à eux-mêmes, de la part 
les générations suivantes, le respect de leur tombe 
îtles secours spirituels dont leur âme aurait besoin . 

Le culte des morts est maintenant en honneur 

[ans le diocèse d'Alger autant que dans les autres 

outrées chrétiennes. Tl s'en fait même, chaque 

2* 



ta U: i:\HIII\AL LVVICtHIK 

«limanrlic, à Nolro-Damp-d'Afriqup. une m^ 
talion Imite pnrtioulif-ro cl des plus touihau 

Lorsque N-s navires qui se dirigent de Frai 
d'Kspagiie vers Aideront dc^pass»^ depuis qn' 
heures les lies llnlôarcs, les premiers poinl- 
blés qui signaleul la terre à l'impalience lio- 
};eurs sont, à gaiiclie, les hautes monta^ii - 
Kabylie. A mesure qu'ensuite l'horizon se [r 
en approchant do la merveilleuse baie d'Ali." 
voit puruitrc, à droite, sur le haut d'une <' 
une église imposante qui projette sa coupoli^ 
croix sur les resplendissantes profondeur» 'li 
africain, l'ar-dossus deux cents lieues de y\'< 
ranéc, Nutrc-Dame d'Afrique fait face à > 
Dame de la darde. Au pied de cette ba> 
s'étemi le faubourg de Saint-Eugène qui cimi 
le cimetière d'Alger; mais la colline est si abr 
que du sommet on apor(;oit à peine la cùlo <lr 
qui la sépare des flots, et «[ue l'on pourrait se " 
sur le pont d'un navire. 

Devant le portique et à l'extrémité mi'm'"; 
colline s'élève un monument funèbre qui i" 
l'inscription suivante : 

1.A MÉMOIRE 

DK CEIX 

QL'I ONT PÉRI SIB I.A MER 

ET OM ÉTÉ ENSEVELIS 

DANS SES n.OT8. 



l'abcubvéquk d'alger 63 

étrangers qui viennent visiter ce lien de pèle- 
<igc voient sortii' de l'église et se diriger vers te 
loiaphe une longue procession, composée des 
àsionnaircs d'Alger et des élèves de leur école 
>stolique. Par-dessus sa robe de laine blanche, 
l'cligieux est révolu d'une chape noire, comme 
: allait célébrer des funérailles solennelles, 
■vanl lui, quatre enfants de chœur tiennent un 
ap mortuaire et le soulèvent, comme pour 
tendre entre le ministre de la miséricorde et ce 
ccul d'azur qui recouvre tant de victimes. 
Le chœur accompagné de la musique de l'école 
Timence le Libéra, et le chante jusqu'à la fin, 
(lime au jour des Morts dans un cimetière. 
prCtre entonne ensuite le Pater et prend de 
i bénite qu'il jette pieusement sur le monu- 
t funèbre et au loin vers la mer. Puis l'encen- 
lui est donné, et il l'élève trois fois, à l'orient, 
'occident et au nord, pour rendre un dernier 
nneur à tous les chrétiens ensevelis dans la 
;r immense qui s'étend sous ses yeux. Il récite 
fin l'oraison accoutumée pour les morts, en 
>utant au texte sacré qu'il prie pour les tre- 
ssés qui reposent au fond des mers. Celte céré- 
ûnie, d'une simplicité sublime, attire toujours 



l'archevêque d'alger GS 

gr Lavigerie pour couronner la statue de la 
linte Vierge au nom du Pape, et dont l'autre 
igeait le sanctuaire en basilique mineure. 

En accordant à Notre-Dame-d'Afrique ce titre 
i basilique et les privilèges qui y sont attachés, 
le IX considérait sans doute ce temple, si peu 
ncien, comme le représentant des églises afri- 
aines des. premiers siècles, et l'archevêque d'Aï- 
er pouvaltécrire à ses diocésains : 

H Elles étaient dignes de cet honneur, ces 
leilles églises ensevelies sous les ruines de nos 
!pt cents villes épiscopales, ces églises où de si 
rands hommes prêchèrent la vérité, où périrent, 
ans les tlammes, sous le fer des Donatistes, des 
'andales, des Arabes, tant de millions de martyrs, 
ù la vérité catholique fit entendre, dans les con- 
iles les plus illustres, des accents si vigoureux et 
i pleins de grandeur. » 

La préoccupation de ranimer les souvenirs de la 
ieille Église d'Afrique se montre fréquemment 
ans les actes et les paroles de Mgr Lavigerie, Le 
lus beau jour de sa vie apostolique a dû être celui 
ù, après avoir relevé, sous la protection de la 
'"raiice, le siège primatial de saint Cyprien, il a pu 
iiire revivre, après douze siècles d'interruption, 
a glorieuse tradition des conciles de Carthage. 

C'est dans le même ordre d'idées qu'il proposa, 
m 1873, au concile provincial d'Alger, d'adopter 
1(1 Office nouveau qui fît une plus large place a 
^ainls d'Afrique. La tradition chrétienne veut, e 



.\,V 



66 LK ILARDINAL LAVIVKRIE 

effet, que chaque saint rp»;oive un culte 5p.-i 
dans la contn^e où il a vi^cu.Ccl honneur t-i. 
d*autant mieux dû aux bienheureux ancêtres ; 
l'Église africaine que leurs noms étalent re-'. 
plus longtemps dans l'oubli. L'office propre •]. 
MgrDupuch avait eu la sage pensée d'établir il - 
le début ne rappelait que la mémoire des sainte 1- 
plus illustres. L'n nouveau calendrier et de mi 
veaux offices furent, à la suilcduconcilf d'Alj: ■ 
préparés avec beaucoup de soin par des prètr- 
compétents, soumis à l'examen de la congrégali 
des Rites, et enfin publiés et rendus obligatoire*- 
1883 dans les trois diocèses de la colonie. L- 
prfitres furent invités à instruire les fidèles de 1. 
vie de ces saints, à laquelle est, du reste, consair 
un chapitre spécial du catéchisme d'Alger. 

On ne sera pas étonné que Mgr Lavigcrie ait i 
la pensée de faire écrire l'histoire de cell 
ancienne Eglise d'Afrique. Elle a déjà été faite n 
latin, au commencement de ce siècle, sous le lîli 
à'Â/rica Christiana, par un savant prêtre italiin 
du nom de Morcelli. Les trois in-4° de cet histu- 
rien, quel qu'en soit le mérite, avaient besoin 
d'être, non seulement traduits en français, mai- 
encore mis au courant des découvertes archéolo- 
giques. Mgr Lavigerie avait d'abord projeté di 
faire lui-même ce travail. Mais, absorbé « par 1. 
sollicitude de toutes ses églises», par ses vast.- 
diocèses d'Alger et de Carthage, par ses mission- 



l'abchbvéoue d'algeb fi" 

ent historique au P. Toulotte, un savant reli- 
eux de sa congrégation de missionnaires. Le 
avail touche à son terme, et la publication, sans 
)ute, n'en saurait plus guère tarder. 



'i' I 

îi;: 

IV: 



Cette résurrection du christianisme africain ne 

est pas faite seulement dans les esprits et dans _._ 

s cœurs. Pendant l'épiscopat de Mgr Lavigerie, ^B 

. dans son seul diocèse d'Alger, soixante-dix ^E 

flises, dont quelques-unes fort belles, ont dressé <gg 

croix de leur clocher sur cette terre si long- *~J 

mps soumise au mahométisme. Sur les appels, -^ 

pétés avec une entraînante conviction par leur ^3 

chevêque, les populations, trop pauvres pour ^^ 

frir de grandes ressources pécuniaires, ont prêté, ^s 

maints endroits, le concours gratuit de leur 

ivail, pendant que le clergé redoublait de zèle et *J 

désintéressement. Le gouvernement a fait le . ^■— 

ste. C'est ainsi que, dans la seule ville d'Alger ^^ 

dans ses faubourgs, on a vu s'achever la ca- 2S 

édrale de style mauresque commencée par 2E 

^r Pavy, l'élégante église gothique de Saint- ^^ 

igustin de Bab-Azoun, celles de Saint-Eugène ; j^j 

de la Cité-Bugeaud. enfin l'église provisoire , ^5 

Mustapha-Inférieur. 

Il était moins important encore et peut-être 
ains difficile de construire les églises matérielles 
e d'assurer la pratique de la religion chez des 
bitants venus un peu de partout et sans aucune 
idition. 



o 



I'i8 tK <:ardinal LA>1CEHIK 

C'est, par pxoniple. une grande complicali ; 
au point ilc vue religieux, que la diver^il'- 
langues parli^es en Algérie. En dehors des Ara. 
et des kubylcs. il y a pn'-s de cent mille Espaç' 
dans les seuls diociVes d'Uran el d'Alger, -^ 
compter les colons Mahunais, Italiens. Mal:. 
Allemands, ni les hiverneurs Anglais. 

MgrLavigeric triompha personnellement fV 
diniculté; comme il avait prêché des scrmuii- 
leniands en Lorraine, il en prt^cha d'italini^ 
d'espagnols en Afriqiie. Mais ses pr^ti'es ^nh- 
trop rarement cet exemple. Est-ce lacune >!: 
l'enseignement du séminaire ? est-ce atlacheni^ 
plus exclusif à la langue de la patrie ahrii 
Trop peu d'entre eux se sont donné la peine J 
prendre les idiomes étrangers. Le petit nombre 
ceux qui savent l'arabe ont une grande întiui-i 
sur les indigènes : pourquoi ne le savent-ils | 
tous * ? 

Bientôt après son arrivée en Afrique, Mgr L- 
gerie cul la douleur d'apprendre que six ci 
colons espagnols, destitués de tout secours r 
gieux, et tentés par la misère, avaient cédé à 
de la propagande anglaise et abjuré leur foi. Ki 
de ce scandale et craignant que l'absence de seo 
religieux n'arri>tûl l'immigration des populali 
si catholiques de l'Espagne, il voulut établir 
l'année 1809 un service religieux spécial poui 

I. 11 faut dire que dans le diocèse d'Oran, tous les f 

1res sont capables de prêcher et de conresser eu espai 

ea est de même en Tunisie pour la laiiuiie italienm 



-* 



I. ARi:UKVKOl*K DALIiB 



ïpagnols de sa ville épîscopale et de son diocèse. S 

n'hésita pas à faire trois fois le voyage de Ma- 
■i<l pour obtenir que le gouvernement de ce pays • 

itretînt à Alger même une communauté de > t 

pêtrçs espagnols. Ces prêtres, entourés de l'estime 
3 tous, n'ont cessé de maintenir très efficacement 
:urs compatriotes dans la foi nationale. Ajoutons 
u'il se trouve .toujours parmi les vicaires de la 
athédrale un prêtre de nationalité italicnue. 

Pour entretenir la foi et la piété chez tous ses 
iocésaîns Mgr Lavigerie fonda une sorte de rais- 
on permanente, qu'il confia aux Jésuites et aux 
rètres de Saint-Lazare. Grâce à cette salutaire 
istitution, chaque paroisse reçoit gratuitement, 
)U5 les cinq ans. les bienfaits d'une prédication 
)éciale et de tous les exercices qui sont les plus 
ropres à restaurer la vie chrétienne. Il établit 
iissi l'adoration perpétuelle dans son diocèse 
Alger, et ordonna que cette cérémonie fftt pré- 
5d6e de la prédication d'une retraite. oÊ 

Le culte du Saint-Sacrement, qui est le centre ~- 

lême de la religion catholique, ne se développe 
imais avec plus d'éclat qu'au jour de la Fête-Dieu, 
iisqu'en 1872 la procession d'Alger fut certaine- 
lent l'une des plus belles du monde. Rien n'était 
nposant comme la bénédiction donnée sur la 
lace du Gouvernement, en présence des au 
u pays, à la foule de toutes nations qui ce 
îsrues et les terrasses des maisons maure 

ien n'était touchant comme la seconde bé 
on, donnée au milieu des salves de l'arti 



iU 



ss 



70 LK CAHRINAL LAVIGERIE 

uux navires qui remplissaient Icporl, cl, del'aiitr' 
côté des flots, à lu France D)i>me qui s'élend là 
bas sur les rivages opposi^s. C'était, comme l'a dii, 
l'archeviyquc, une noble manifestation du cuit 
national do la France, également faite pour impr 
sionnçr un peuple religieux comme le peuple araln 
et pour rapprocher les chrétiens de tant de nali" 
nalités diverses qui sont venus se fixer en A Igér^ 

En 1672, la municipalité d'Alger ne trouva rii 
de mieux que d'interdire, aux yeux des niusul 
mans étonn(''S, la procession de la Fôte-Diiu 
L'archevOque céda à la force, mais non sans pic 
tester. Il écrivit au préfet d'Alger, qui lui av^i 
purement et simplement notifié l'arrôt municipal 
u La population vraiment catholique d'Alger, di'i 
si profondément blessée dans ses sentiments le- 
plus intimes par les abominables outrages imp< 
nément déversés chaque jour sur ses croyance^, 
par les mesures illégales et persécutrices dirigéo- 
contre l'enseignement religieux de ses écoloï 
contre l'exercice de son culte, saura, une fois di 
plus, à quelles passions et à quelles faiblesses ell 
doit, depuis près de deux années, la supprcssini 
des coutumes et la violation des droits qui lui soi: 
les plus chers. » 

11 communiqua cette lettre aux lidèles, et leur 
apprit, en môme temps, qu'il avait décidé de fair 





l'archevêque d'alger 71 

La manifestation de foi qui suivit celte convo- 
cation épiscopale fut des plus imposantes. L'armée 
entière y prit part avec tous ses chefs. Une foule 
nombreuse, évaluée à plus de vingt mille per- 
sonnes, y monta d'Alger. L'artillerie plaça ses 
canons sur la colline qui fait face à Notre-Dame- 
d'Afrique, à l'extrémité de la Vallée des Consuls 
et salua de ses détonations répétées le Très-Sainl- ff^ 

Sacrement. Depuis cette époque, les processions 
de la Fête-Dieu ont lieu à Notre-Dame-d'Afrique, 
et la population chrétienne est toujours fidèle à 
s'y rendre. 

On vient de voir que l'Algérie n'est pas plus 
exempte que la France de politiciens antireligieux. 
iVous pourrions ajouter qu'ils y sont relativement 
plus nombreux que dans la mère-patrie, et d'une 
espèce encore inférieure, s'il est possible. Le meil- 
leur moyen de défendre la religion, c'est de la 
Faire connaître, c'est de mettre de bonne heure les 
jeunes générations en garde contre les calomnies 
et les mensonges qui se rencontrent plus tard dans 
les conversations, les journaux et les livres. 

Il ne tint pas à Mgr Lavigerie de développer les 
établissements d'instruction en Algérie comme il 
.'avait fait à Nancy. Mais le succès ne pouvait être 
ie même dans un diocèse presque dénué de res- 
sources propres, et auquel le gouvernement allait 
bientôt refuser les secours les plus nécessaires. 

Mgr Lavigerie avait trouvé en Algérie un grand 
séminaire, situé à Kouba, pour les élèves de théo- 



> 



li LK CAHUI^AL LAVItiElIlt 

logic, et ui) petit séminaire situé à Sainl-Eu^'i 
pour les él6vcs qui fiusaioiit leurs «études clu^siip- 

Lc grand séniinairu de Kouba. construil <'. 
IVmplaroraontd'nii ancien camp retranche, don: 
au diocèse eu 1 818 par le gt^néral Cavaignac. ai 
été construit aux Truis du gouvernement frai: 
Avec sa vue splendide sur la ville et la baie 4 ■ 
ger, avec ses cou[ioles mauresques, ses va- 
terrasses, ses élégantes colonnades, ses cloilf- 
profonds, c'est certainement l'un des plus bca- 
séminaires qu'il y ail au monde. La direction' 
est confiée aux prêtres de la Mission. En JSti". 
supérieur en était, depuis longtemps déjà, : 
prêtre d'une rare vertu qui a laissé dans toi; 
l'Algérie un durable et profond souvenir, M. ti 
rard. Lorsqu'il mourut, en 1879, chargé d'aiiU'- 
et de mérites, Mgr Lavigeric tint à témoigner Jai 
une lettre publique tout ce qu'il devait à son ' 
vouement et à ses lumières. 

Avant la division de l'Algérie en trois dioiî'r 
distincts, le grand séminaire de Kouba reee^v 
tes clercs de toute la colonie. Mais il valait mîK 
que les séminaristes d'Oran et de Constanli 
fussent élevés sous la direction immédiate 
leurs propres évéques. et dans le milieu m<^mo 
ils devraient plus tard exercer leur ministère. 

L'archevêque d'Alger obtint, en 1868, du <:" 
vernement français la création et la dotation 



L'ARcnEVÉQUE d'aIGEB 73 

Alger, et il avait été installé par Mgr Pavy dans 

propriété qui servait à l'ancien Consulat de 
■ance au temps de la domination turque. C'était 
utôt un collège mixte qu'un séminaire. Il rece- 
lit, en effet, indistinctement les enfants qui se 
îstinaient à l'état ecclésiastique et ceux qui ne 
y destinaient point. Mais cet état de choses of- 
ait de graves inconvénients dans un pays comme C!3 

Algérie, où les mœurs sont plus relâchées. Il fui Ï^S 

ïcidé que le petit séminaire serait exclusivement ^^ 

!servé aux vocations sacerdotales et installé à j 

ouba dans les vastes édifices du grand séminaire. ^^ 

L'établissement de Saint-Eugène a été, depuis g"^ 

:tte translation, affecté à l'école apostolique qui '-^r^ 

rt,en quelque sorte, de premier noviciat aux en- ^^ 

nts qui se destinent à la congrégation des Pères 
tancs. Le cardinal, quand il est dans le diocèse, c> 

ibite la même propriété qu'eux, el il faut qu'il i, 

it bien malade, ou bien absorbé par les affaires, ^r 

lur passer un seul jour sans les voir. ^5 

Ces aimables petits missionnaires sont au ^^ 

)rabre de quatre-vingt-quinze. Les deux sémi- ^~ 

lires de Kouba contiennent chacun trente élèves. , ,^ 

joutons qu'il y a, en général sous la direction ^ 

un ou deux prêtres, qui sont en môme temps 
caires, des maîtrises dans la banlieue d'Alger à 
\gha et à la Cité-Bugeaud, ainsi qu'à Médéah, 
ilianah, Cherchell, Ténès et Orléansville. 

Le petit séminaire ayant perdu son cart 
lixle, il fallait procurer aux familles un 
loyen de faire donner h leurs enfants l'ini 



74 LE CARDINAL LAVIGERIE 

lion chrétienne. L'archevêque fonda deux co 
dans ce but, Tun à Alger, l'autre à Blidah. 

Il confia d'abord le collège d'Alger à des 
très séculiers. Mais, à cause des besoins du 
diocésain et de l'insuffisance numérique du cl 
il crut bien faire de transmettre la direction de 
établissement aux membres de la Compagnie 
Jésus, si experts en matière d'éducation. M 
reusement les circonstances ne permirent 
cet établissement de prendre le développe; 
qu'on avait espéré, et les Pères Jésuites fini 
par abandonner l'entreprise. 

On fut plus heureux à Blidah, où furent ap 
les prêtres de la congrégation de Saint-! 
dont la maison-mère est à Annonay, dans le 
cèse de Viviers. Le collège de Saint-Charles 
Blidah est aujourd'hui le plus beau de l'Ai 
et il ferait très bonne figure dans les plus gr 
villes de France. Il possède environ deux c 
élèves, recrutés dans les meilleures familles de 
colonie, qui se félicitent d'y trouver pour l 
enfants, avec le bienfait principal de l'éducai 
chrétienne, tous les perfectionnements maté 
des plus riches établissements de l'Etat et 
instruction qui n'a rien à envier à celle de TU 
versité. Un grand nombre d'entre les professe 
sont allés se préparer à l'enseignement à l'Écol 
des Carmes, et en sont revenus avec les grades 4 
licenciés es lettres ou es sciences. Aussi cetét» 
blissement, commencé avec beaucoup d'hésitatioB 
il y a une vingtaine d'années, est-il aujourd'hui « 



l'arceievèqui:: u'alcer 75 

eine prospérité. Déjà môme sa réputation se ré- 
ind hors de l'Algérie, et on y envoie de France 
•.s jeunes gens maladifs à qui les médecios con- 
illent le séjour de Blidah. 
C'est avec une fierté bien légitime que le supé- 
eur de Saint-Charles rappelle ses difficiles dé- 
jls et le temps où, après avoir loué un pauvre 

3tit local sur la route d'Alger, il se transportait, ê3 

vec de craintives espérances, dans une propriété ?^s 

3sez vaste, mais bien mal entretenue, sur les ^Jâ 

Drds de l'Oued-el-Kébir et aux pieds de l'Atlas. 11 S9 

^ait encore loué ce dernier emplacement, mais ^^ 

I stipulant la faculté do l'acheter au bout de ^^ 

jelques années. C'était compter sans le torrent et — ^ 

ins la montagne. L'Oued-el-Kébir rongea sous C-> 

rre les pieds de l'Atlas; l'Atlas glissa insensible- ^S 

ent et fit reculer l'Oucd-eUKébir. Les voisins, ^^ 
rt incommodés de cette querelle, durent cher- 

ler des terrains plus sûrs. Le collège se traus- v— 

jrta dans le quartier de Sidi-Yacoub, près du ^ 

ois des Oliviers. De vastes orangeries furent ^^ 

lantées, de magnifiques bâtiments s'élevèrent, et ^ 

; cardinal vînt lui-même, le 17 avril 1888, bénir — * 

>lennellement le nouveau Saint-Charles. ^ 



II 

L'archevêque d'Alger n'avait donc rien 
our affermir chez ses diocésains les con 
eligieuses et les pratiques de la vie chri 



l'archevêque d'alger 77 j 

sus tout, bonté paternelle et vertus vraiment \ 

scopales : tels sont les rares mérites du chef ' 

juste que Dieu vient de donner à son Eglise, I 

ir succéder au Pontife qu'elle a perdu. » ; 

Chaque fois que Léon XIII a instruit le monde 
étien par ses admirables encycliques, le cardi- 

Lavigerie s'est fait un devoir, non seulement, I 

nme tous les évoques, de les communiquer à 
; diocésains, mais encore de les commenter, d'en 
re ressortir le sens, de les appliquer aux besoins 
îciaux de l'Algérie et de la France. Sur l'impor- 
tte encyclique Immortale Dei, qui a terminé les 
estions soulevées à propos du libéralisme, il 
blia un commentaire si frappant, si lumineux, 
conforme aux intentions du Souverain-Pontife, 
B celui-ci ne se contenta pas de l'en remercier 
'sonnellement, mais qu'il lui adressa un Bref 
blic de félicitations. 

5i l'on veut un témoignage plus frappant encore 
plus personnel de la communauté d'idées qui 
Iste entre Léon XIII et Mgr Lavigerie, on n'a 
'à comparer la dernière encyclique Sapientiœ 
ristianœ, je ne dis pas au commentaire que le 
'dinal en a fait en la publiant, mais à la lettre 
culaire qu'il envoyait à son clergé trois mois 
para van t (4^' novembre 1889). On y rencontrera 
solument les mêmes conseils sur les questions 

plus délicates, et notamment sur l'attitude qui 
it être celle des chrétiens à l'égard de la poli- 
;ue. La ressemblance est telle qu'elle paraîtrait 
pposer des délibérations communes. 



l'arcdevéole 1>'a[ 
l'Éial au concile du Vatican ' . E 
récit que Mgr Lavigerie n'a pas 
« Étant à Paris, l'archevf'qii 
site le ministre des Cultes, et, d 
causé avec lui des affaires di 
c'était un homme d'élite, d'un 
d'une conversation attrayante, 
été charmé, et de part et d'autre 
avec un entier abandon. " Ne i 
vaincs illusions, avait dit en 
vôquc; une immense majorit* 
définition; quoiqu'on tente, cl 
poser à un fait invincible est 
s'user dans une résistance sar 
modérés de l'épiscopat devrait 
efforts à raitiger les termes de la 
au gouvernement, il aurait bien 
dans une affaire de l'ordre pui 
tout à fait en dehors de sa com] 
veraît dans une intervention qu 
(échecs. » Je dus d'autant plus p 
appréciations que, d'autre pa 
que beaucoup de nos évoque 
pouvoir rentrer dans leurs di 
vote solennel, ils se prononçaie 
tion. Toutefois sans m'explique 
elle-même, ni sur sa vérité, ni 
nité, ni sur ses chances, je rép 
nent interlocuteur, « que le go 

1. T. II, p.96etsuiï. 



H^ LK CAHIHNAL LAVICI^RIE 

dorait la conlro verso comme relevant de l'organi- 
salion intérieure de TÉglise et en dehors de la 
compétonco de TKtat; que, quels que fussent les 
doctrines et les sentiments de chacun de ses mem- 
bres, il n'entendait pas peser sur la solution; qu'à 
Rome on pouvait la débattre en paix, sans crainte 
d'être troublé par une intervention oppressive. » 
Le prélat répéta c(»s déclarations, auxquelles je 
n'avais pas donné un caractère confidentiel. » 

Le Moniteur unicersel, ayant raconté que le 
voyage de Mgr Lavigerie avait pour but sa trans- 
lation au siège archiépiscopal de Lyon, devenu 
vacant par la mort du cardinal de Bonald, le 
prélat déclara, dans une lettre publique à ce jou^ 
nal, que sa conscience et son honneur s'unissaient 
pour l'empéchcr de quitter l'Algérie. Il en prit 
aussi occasion de s'expliquer nettement sur sa 
prétendue mission diplomatique : 

« La seule diplomatie praticable, dans les cir- 
constances actuelles, vis-à-vis du concile, dit-il, 
n'exige point d'ambassadeur; elle se résume pour 
les fidèles et les gouvernements, en deux mots de 
foi et de sens commun : pour les fidèles qui veu- 
lent rester tels, se soumettre simplement, selon 
les règles de leur croyance, aux décisions de l'É- 
glise assemblée, qui seront œuvre de vérité, et, 
par conséquent, de sagesse; pour les gouverne- 
ments, respecter la conscience de leurs sujets 
catholiques dans des mesures purement spiri- 
tuelles, qui échappent complètement à l'action de 
l'Etat moderne, et où, comme Ta si bien dit le 



l'archevéoue d'alger 83 

comte Daru , il n'a ni à prévoir ni à préve- 
nir. » 

De retour à Rome, il reçut bientôt un frappant 
témoignage de la confiance qu'avaient en lui la 
majorité des Pères. Il fut nommé, à la presque 
unanimité des voix, le troisième sur vingt-quatre, 
membre de la congrégation des Missions et des 
Affaires orientales. 

Mais, comme* son absence prolongée menaçait 
de compromettre gravement ses œuvres, il exposa 
bientôt à Pie IX les raisons qui semblaient ré- 
clamer son prompt retour en Afrique; et le Pape, 
qui connaissait ses sentiments, lui permit de ren- 
trer dans son diocèse. 

Ce fut là qu'il apprit la proclamation du dogme 
de rinfaillibité. Dès qu'elle lui fut connue, il télé- 
graphia son adhésion, qui arriva la première de 
toutes parmi celles des évoques qui se trouvaient 
alors en dehors de Rome. 

Il voulut faire davantage et associer tous ses 
prêtres à cet acte de foi . Dès que la paixfut revenue, 
il les convoqua en Synode pour leur faire accepter 
solennellement les décrets du concile œcuménique. 
L'assemblée s'ouvrit, le 23 septembre 1871 , par la 
proclamation des constitutions dogmatiques du 
concile du Vatican. Elle examina et vota ensuite 
un code de statuts diocésains, et, avant de se sé- 
parer, elle envoya au Pape une adresse rappelant 
l'ancienne union des chrétiens d'Afrique avec 
Rome au temps des Cyprien, des Augustin, des 
Optât, des Fulgence, et témoignant que les senti- 



8i LR CARDINAL LAVIGRRIE 

monts (le foi et do soumission étaient encore les 
mûmes chez leurs successeurs. 

A la suite de ce Synode, Mgr Lavîgerie eut la 
pensée d'en él(»ndre les bienfaits aux diocèses 
d'Oran et de ('onstantine. au moyen d'un concile 
provincial. Tl 1(» convoqua par décret archiépis- 
copal le iS février 1873, et il l'ouvrit à Notre- 
Dame d'Afrique le 4 mai de la mftme année. 

Lui-même célébra, le premier jour, la messe du 
Saint-Esprit dans la basilique, et après l'évangile, 
il prononça, de son trono, une allocution qui expli- 
quait les motifs pour lesquels on avait réuni le 
concile et les matières qui allaient fttre soumises 
à ses délibérations, c'est-à -dire l'organisation des 
diocèses, l'affirmation des vérités de la foi, la con- 
damnation des erreurs modernes. 

Dans des diocèses nouveaux et habités par des 
fidèles venus de pays différents, il fallait créer des 
habitudes uniformes, établir solidement le point 
de départ de traditions communes, organiser le 
recrutement des prêtres, délimiter les districts, 
développer et réglementer les œuvres de la charité 
chrétienne, faire une place dans la liturgie aux 
saints et aux martyrs de la région, enfin concilier 
les ardeurs du zèle avec les précautions de la pru- 
dence dans l'apostolat auprès des infidèles. 

Il fallait adhérer solennellement à la foi catho- 
lique, aux récentes décisions de l'Eglise, au con- 
cile du Vatican, et proclamer bien haut que le 
Credo récité sur la terre d'Afrique par les chrétiens 



L'ARCnEVÉQUE d'aLGER 85 

Je notre temps était le même Credo qu'avaient ré- 
cité dans cette contrée les chrétiens des six pre 
[niers siècles. Quelle réponse victorieuse à ceux 

r 

jui trouvaient la constitution de TEglise changée 
iepuis la proclamation de l'infaillibilité ponti- 
ficale, que de faire répéter par les nouveaux repré- 
sentants de l'Eglise africaine ces paroles adressées 
jadis au pape Théodore par l'un des derniers et 
des plus importants conciles de Carthage : « Los 
anciens canons ont décidé que rien de ce qui est 
mis en avant dans les provinces, même les plus 
éloignées, ne doit être accepté ni suivi avant d'être 
porté à la connaissance de votre auguste siège, 
afin que votre autorité confirme les décisions équi- 
tables et que, les autres Eglises recevant comme 
ie r.a source naturelle le principe de leur enseigne- 
ment, les mystères de la foi et du salut conservent 
dans le monde entier leur pureté incorruptible ! » 

Telles furent les différentes questions sur les- 
quelles délibérèrent les Pères du concile d'Alger. 
L'assemblée siégea du 4 mai au 8 juin ; elle tint 
six sessions solennelles, quatorze congrégations 
générales et quatre-vingt-quatre congrégations 
particulières. Les résolutions, rédigées en latin, 
3nt été publiées sous le titre de Décréta Coiicilii 
orovincialis Algeriensis in Africa, Il suffit à notre 
lessein d'avoir indiqué, d'une manière générale, 
['objet de ces décrets et d'ajouter que le texte en a 
^té formellement approuvé par Rome. 

Le concile se termina dans la cathédrale d'Alger 
par des cérémonies solennelles, et l'archevêque le 



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8K LK CARDINAL LAVIGERIK 

vigoric» s"occii[)a ilo pourvoir à la longue vacance 
ilu sii'go, et. ou février 1872, de concert avec le 
cardinal Tiuibert, il fil nommer à l'évôché de Cons- 
tantiiie Mgr Hubert, vicaire général de Viviers. 

Lorsque cet émiuenl prélat fut transféré à Mar- 
seille, Tarelu^veque d'Alger, toujours soucieux 
de ne confier le diocèse de saint Augustin qu'à 
des mains dignes de cet honneur^ fit agréer comme 
évèque de (lonstantine et d'ilippone le prêtre qu'il 
a le plus estimé durant sa vie, puisqu'il Ta choisi 
entre tous j)our son coadjuteur, Mgr Dusserre *.Ce 
prélat, si aimé du clergé algérien, est un ancien 
zouave, et une balle, qu'on n'a pu extraire, ne lui 
rappelle que trop souvent ses campagnes d'au- 
trefois. 

Quand il revint à Alger comme coadjuteur 
avec le titre d'archevôque de Damas, Mgr Lavi- 
gerie lui choisit pour successeur à Gonstantine 
M. Gillard, son vicaire général, qui avait 
été blessé en 1870 comme aumônier militaire. 
Mais un mal subit l'enleva cinq jours avant son 
sacre, et l'archevêque d'Alger, après avoir pro- 
noncé avec une profonde douleur son oraison 
funèbre, dut accepter une fois encore Tadminis- 
tration du diocèse de Gonstantine. Il la garda une 
année entière, jusqu'à ce qu'il eût obtenu la nomi- 
nation de Mgr Combes, un autre de ses vicaires 

1. En 1872, il avait obtenu pour auxiliaire d'Alger 
Mgr Soubiranne, que sa santé obligea de revenir en France, 
et qui, nommé évoque de Belley, dut aussi quitter ce dio- 
cèse à la suile d'une attaque de paralysie. 



;(?néraux. de 
'arcs qualité 

Cette anné 
loterlediocê 
isile pourlei 
o vœu le plt 
l' acquisition 
bientôt un n 
rappelle. 

Ce fut aus! 
voulut sacrei 
et qu'il vint ] 
^rand docteu 
cérémonie <\ 
première pie 
clore Boleni 
Mgr Combes 
Hippone pou 
saint August 
tous les évôq 
d'assister à I 
Louis de Car 
los Églises a 
rie plus, les g 

C'est touj( 
[[lie se manifi 
d'Afrique. D 
Tripoli, de la 
jusqu'aux lai 
chrétiens de 



î)0 LK CARDINAL LAVIGERIK 

pcctent, qui est partout obéi, dont tous se mon 
trent fiers. 

L'unanimité de ces sentiments s'est manifesté 
avec un grand éclat, en 1888, au moment de soi 
jubilé épiscopal. 

En mémo temps que Léon XIII félicitait le cai 
dinal par un Href spécial, le joyeux anniversaii 
était annoncé dans des lettres pastorales à toul 
l'Afrique franraise par les évoques d'Algérie i 
par l'auxiliaire de Carthage ; il arrivait à Alg( 
des adresses innombrables de toutes les £glis< 
africaines, et même de l'Orient, du patriarcl 
d'Antioche et des missionnaires de Jérusalen 
Dans les cérémonies qui se firent à Alger, '. 
22 mars, pour fêter la vingt-cinquième année d'u 
épiscopat si fécond, Mgr Lavigerie pouvait moi 
trer fièrement à l'envoyé du Pape et au délégv 
(les évèqucs orientaux tous ses frères, tous s< 
fils dans l'épiscopat et le sacerdoce, assemblés ai 
tour de lui comme un vivant symbole de la chî 
rite qui anime sous sa conduite l'Eglise d'Afriqu 
ressuscitéo. 



CHAPITRE IV 



LES ORPHELINS ARABES 

ET LA QUESTION DU PROSÉLYTISME 



On vient de voir ce que Mgr Lavigerie a fait 
pour les chrétiens de son diocèse et de sa province ; 
comment il s'est appliqué à entretenir, ranimer 
ou créer parmi eux les habitudes religieuses ; com- 
ment il a pris soin de les maintenir, par ses paroles 
et ses exemples, en union avec l'Eglise de Rome 
mère et maîtresse de toutes les Eglises. 

Ce n'était là toutefois qu'une partie de sa tâche, 
et non la plus glorieuse ni la plus difficile. 

Il s'était encore donné pour mission de convertir 
les infidèles au christianisme en Algérie et dans 
toute l'Afrique du nord et du centre. Le premier 
de tous peut-être, depuis la venue de Mahomet, il 
devait s'attaquer autrement que par les armes à 
cette force aveugle et redoutable qu'on appelle 
l'islamisme, arrêter la propagande du Coran chez 
les nègres qui l'ignorent, essayer môme, avec pru- 
dence mais avec ténacité, de l'abolir dans les pays 
où il règne depuis des siècles. 



9â LE CARDINAL LAVIGERIE 



I 



Le Coran, cette loi d'aveuglement, de mensonge, 
d'immoralité! Quel écrivain a donc osé, cette année 
môme, en célébrer la poésie, après avoir parcouru 
en rôvant les plaines et les villes endormies du 
Maroc? Ce vêtement de poésie que l'on prétend lui 
reconnaître, c'est la blancheur des sépulcres où 
pourrissent les morts. Il faut savoir ce qu'est la 
vie de famille avec la polygamie, dans la promis- 
cuité des gourbis ou des tentes, ce qu'est l'ignorant 
fanatisme de ces intelligences auxquelles on inter- 
dit jusqu'à la simple réflexion sur les matières reli- 
gieuses, et toute recherche d'idées en dehors delà 
tradition la plus routinière. 

Jusque vers dix ou douze ans, l'enfant arabe ou 
kabyle fait preuve d'une remarquable intelligence; 
mais à cet âge il reçoit sa formation religieuse, et 
voilà son esprit fermé pour jamais. Son dogme se 
résume tout entier en cette vérité, qu'il n'y a qu'un 
seul Dieu, et en cette erreur, que Mahomet est le 
prophète de Dieu. Sa morale, c'est que tout lui est 
permis, sauf certaines abominations contraires à 
la nature; et celles-là môme, s'il lui arrive de les 
commettre, il croit que Dieu miséricordieux les \ 
pardonne sans repentir ni expiation. 

Et cette religion commode, on lui enseigne 
qu'elle est supérieure à toutes les autres, qu'elle 
doit être imposée par la violence à tous les peuples 



LES ORPHEUNS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 93 

inférieurs et méprisables qui en sont privés. Il y a 
sur terre, à ses yeux, deux sortes d'hommes, les 
musulmans, qui possèdent la lumière du Coran 
et ne doivent ni l'examiner ni en chercher d'autre 
nulle part, et les chiens d'infidèles, qu'il faut con- 
vertir ou exterminer. 

Et qu'on ne juge pas du mahométisme par la foi 
engourdie des Turc» d'Europe et d'Asie-Mineure. 
J'entendis un soir, à Biskra, un mot vraiment 
révélateur. 

Sous l'éclat et dans la tiédeur d'une nuit saha- 
rienne, je me promenais lentement avec mon 
guide arabe, âgé d'environ dix-huit ans, dans les 
chemins étroits et tortueux de la vieille oasis. Mon 
vêtement sacerdotal lui avait inspiré un respect 
mêlé de confiance et de curiosité, et il cherchait à 
s'éclairer sur ce qui le surprenait davantage dans 
notre religion, notamment sur le célibat des 
prêtres. Quand j'eus répondu à toutes ses ques- 
tions, en me gardant bien d'ébranler sa foi musul- 
mane (car elle vaut encore mieux que le scepti- 
cisme), je voulus à mon tour m'instruire sur son 
état d'âme. Quelle perversité il me dévoila, et avec 
quelle naïve impudeur! avec quelle absence de 
tout sens moral! Je dus promptement changer 
l'entretien, et je lui demandai quel était le vrai 
chef de sa religion. 

« Tu le sais bien, répondit-il, c'est le Sultan de 
Stamboul. 

— Oui, cela, je le savais ; mais n'y en a-t-il pas 
d'autre? 



9i Lt: CAHDINAL LAVIGEKIË 

— 11 n'y en a pas d'autre », me dit-il après avoir 
hésité un moment. 

J'insistai : « ïu vois bien, lui dis-je, que j'ai 
répondu franchement à tout ce que tu m'as de- 
mandé. Pourquoi ne fais-tu pas de même? Va, tu 
peux parler sans crainte; je suis marabout et 
homme de prière, les choses de la guerre ne sont 
pas les miennes. Dis-moi s'il n'y a pas d'autre chef 
que le Sultan de Stamboul. 

— Si, me dit-il alors; il y en a un autre. 

— Et lequel? 

— Le chef de la guerre. 

— Comment s'appcllc-t-il, le chef de la guerre? 

— Il s'appelle le Mahdi. 

— Où est-il, le Mahdi? 

— Je ne sais pas. Il est loin, il est dans le 
désert. » 

Il répondait tout bas, d'une voix mystérieuse et 
presque effrayée. 

C'est que, sous l'organisation décrépite du vieux 
monde islamique, une organisation nouvelle s'in- 
sinue et se développe chaque jour. Il se produit, 
en Afrique, une véritable renaissance du mahomé- 
tisme sous la conduite des Mahdis, prophètes qui 
se disent, et se croient peut-être, directement 
inspirés de Dieu pour rendre à la religion son éclat 
et sa ferveur, pour répudier les déshonorantes 
compromissions qui ont été faites avec les chré- |{ 
tiens par le Sultan de Constantinople et par les 
autorités régulières d*Egypte, de Tunisie et même 
du Maroc. 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 95 

Les nouveaux envoyés de Dieu établissent des 
sociétés secrètes, où s'entretient le plus violent 
fanatisme, et dont tous les membres, reliés entre 
Bux par un savant système d'émissaires et de 
réunions cachées, sont prêts à obéir aveuglément 
aux ordrels de leurs chefs. Ils comptent des par- 
tisans jusque dans nos villes d'Algérie et jusqu'à 
la cour de Constantinople. Ils ont dans le désert 
des établissements publics, ils y tiennent dans des 
villes fortes leur cour religieuse et guerrière, ils 
y enseignent la pureté de la foi, ils y préparent 
leurs adeptes à de prochains triomphes. 

Au-dessus de tous lesMahdis, unMahdi s'élève, 
plus hardi et plus saint, chef d'affiliés plus nom- 
breux; il devient le Mahdi, le ffuide fdLV excellence, 
et il ne tient qu'à lui, à l'heure qu'il jugera pro- 
pice, de soulever contre les chrétiens et les Turcs 
une formidable insurrection. A sa voix la guerre 
sainte pourrait s'allumer presque simultanément 
dans toute l'Afrique du nord et du centre, en 
Arabie, dans beaucoup de contrées asiatiques, et 
jusque dans les îles de la Malaisie. 

Ce n'est pas une abstraction, que le Mahdi. Il a 
fait sentiFplus d'une fois son action en Egypte, aux 
Grands Lacs, dans le Sahara, au Soudan, et il ne 
Faut pas attribuer à une autre influence qu'à la 
sienne le martyre des six Pères Blancs du Sahara, 
tii le massacre de Gordon et de Flatters. Il s'ap- 
pelle Cheik-el-Mahdi, et il est le fils el Théritier 
de Si-Mohammed-bcn-Ali-bcn Esnoussi, qui a, 
vers 183S, fondé les Snoussya, la plus importante 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 97 

C'est dire si le cardinal Lavigerie a entrepris de 
le combattre. 

Avant lui aucun effort n'avait pu ôtre tenté dans 
ce sens par ses zélés prédécesseurs. Le gouverne- 
ment français s'y était toujours opposé. Aujour- 
d'hui encore il fait tous les frais du culte musul- 
» man ; il entretient les mosquées, et il paie des fonc- 
; tionnaires pour enseigner le Coran. Sous la royauté 
et l'empire, cette sollicitude ne lui suffisait pas ; on 
= le vit, à certaines époques, imposer aux Kabyles 
'■ Tobservation plus stricte de leur religion et orga- 
niser à ses frais des pèlerinages à la Mecque, pen- 
dant qu'il interdisait à l'évêque d'Alger d'établir 
des maisons de Sœurs chez les tribus kabyles qui 
en demandaient spontanément pour soigner leurs 
malades * . 

Quand Mgr Lavigerie arriva en Afrique, c'était 
le plein épanouissement de ce régime. Plus que 
- jamais on éloignait les indigènes des Européens, 
au point de vue religieux et administratif, avec 
l'espérance illusoire qu'on les constituerait de la 
sorte en nation alliée, et, suivant le mot qui faisait 
alors fortune, en Royaume Arabe, ami delà France. 

1* Au mois de juin 1890, le Conseil des ministres a in* 
terdit le pèlerinage des Algériens à la Mecque. Est-ce sim- 
plement par mesure de salubrité, à cause des menaces de 
choléra? Est-ce parce qu*il a compris l'inconvénient de ces 
pèlerinages, qui entretiennent l'unité du monde islamique 
et surexcitent contre nous le fanatisme des Arabes ? Il y 
aurait grand intérêt à ne plus retirer cette mesure, si elle 
ne soulevait pas, dans la suite, plus de difficulté que cette 
^année* 



à 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 99 

S stations des Pères Blancs. Mais il a été fait 
^pnis 1868, pour l'assimilation des indigènes, une 
cpérience complète et ininterrompue dont le récit 
âtaillé vaudra mieux que tous les arguments. 

Il y a 23 ans, Tarchevêque d'Alger recueillait et 
evait un grand nombre d'orphelins arabes, qu'il 
Lablissait ensuite dans des villages créés exprès 
onr eux. L'auteur de cet ouvrage a séjourné, cette 
nnée même, parmi eux. Il les a trouvés, ainsi que 
ïurs enfants, parfaitement fidèles à nos mœurs et 
notre foi; il a trouvé autour d'eux, à cause des 
îuvres de charité dont ces villages sont devenus 
3 centre, les musulmans moins fanatiques, plus 
approchés de nous, pleins de confiance dans nos 
rôtres. Il croit pouvoir en conclure, tout au 
cioins, qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre le 
hristianisme et la race arabe, et que l'action des 
aissionnaires ne crée pas un danger pour notre 
nfluence. 

Mais il n'est pas possible d'apprécier dans son 
insemble l'œuvre des orphelins arabes, si l'on ne 
e rappelle d'abord les circonstances dans les- 
[uelles ils ont été recueillis et la manière dont 
.'est faite leur éducation. 



II 



En 1867, l'année même de l'arrivée de Mgr La- 
v^igerie en Afrique, une famine affreuse ravagea 
l'Algérie ; la faim et la peste enlevèrent en quel- 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 101 

devêque d'Alger voulut leur servir de père ; il 
'en refusa pas un seul de ceux qui se présen- 
irent directement à lui ou qui lui furent amenés 
ar ses prêtres, et il en eut un moment jusqu'à 
ix-huit cents à sa charge. 

Ce fut au mois de novembre 1867 que se pré- 
3nta le premier d'entre eux, un petit garçon de 
ix ans, à la mine intelligente, mais tombant 
resque d'épuisement. 

c( D'où viens-tu, mon enfant? lui dit l'arche- 
êque. 

— De la montagne, loin..., loin. 

— Et tes parents, où sont-ils? 

— Mon père est mort. Ma mère est dans son 
;ourbi. 

— Et pourquoi Tas-tu quittée? 

— Elle m'a dit : « Il n'y a plus de pain ici, va- 
t'en dans les villages chrétiens », et je suis venu. 

— Qu'as-tu fait pendant la route? 

— J'ai mangé de l'herbe, le jour, dans les 
îhamps ; et, la nuit, je me cachais dans les trous 
)our n'être pas vu des Arabes, parce qu'on m'avait 
lit qu'ils tuaient les enfants pour les manger. 

— Et maintenant, où vas-tu ? 

— Je ne sais pas. 

— Veux-tu aller chez un marabout arabe? 

— Oh! non. Quand je suis allé chez eux, ils 
m'ont chassé, et si je ne partais pas assez vite, ils 
appelaient les chiens pour me mordre. 

— Veux-tu rester avec moi ? 

— Oh! oui, je le veux. 



•• 



LES ORPHELINS ARABES ET LK PROSÉLYTISME 103 

rand encore d'une éducation qui les rendît ca- 
ables de suffire plus tard à leurs besoins, les atta- 
hât davantage à la France, et leur permît d'opter 
n connaissance de cause entre la foi chrétienne 
t le mahométisme. 

C'était tenter pour la première fois de nous assi- 
liler les indigènes, c'était se prononcer nette- 
lent contre le système jusque-là suivi par l'admi- 
istration militaire, et contre le parti du royaume 
rabe. Bien qu'il eût alors à sa tête le vaillant et 
hrétien maréchal de Mac-Mahon, le gouverne- 
lent de l'Algérie, inspiré par les prétendus ara- 
ophiles, très puissants dans la colonie comme à 
aris, résolut de couper court aux projets de Tar- 
lievôque et lui fit brusquement savoir qu'il fallait 
îndre les orphelins à leurs tribus. 

La lettre que Mgr Lavigerie adressa alors au 
Duverneur général, et qu'il fit publier dans tout 
m diocèse, restera un monument de fermeté épis- 
)pale. 

Sans s'occuper des questions administratives et 
Dlitiques qui divisaient la colonie, il demandait 
3ur l'Algérie à la France « des libertés commer- 
ales, agricoles, civiles et religieuses, plus larges 
, plus complètes » ; il s'associait, disait-il, aux 
Bux des colons de son diocèse, et il désirait avec 
IX la modification d'un système qui étouffait 
ute vie et supprimait toute initiative. Mais nous 
rons seulement à rapporter ici ce qu'il répondait 
la menace qu'on avait faite de rendre ses orphe- 
ns à leurs tribus respectives. 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 105 

îcture de cette lettre dans toutes les églises algé- 
iennes, si Ton se rappelle que la liberté de la 
resse n'existait pas alors dans la colonie. On vît 
i population, malgré son peu d'esprit religieux, 
cclamer son archevêque ; des adresses couvertes 
e signatures lui furent envoyées de toutes parts, 
çprimant sous diverses formes cette pensée géné- 
ile que « toute l'Algérie espérait en lui ». En 
rance la presse indépendante reproduisit ces féli- 
tations et s'y associa pleinement, tandis que les 
'èques approuvaient la conduite de leur collègue, 

que le Pape lui envoyait un Bref de louange et 
encouragement. 

Pour assurer l'effet de sa lettre, l'archevêque 
Alger s'adressa directement à l'empereur et se 
ndit à Paris. Napoléon III qui, au fond, était 
nide, pensa faire cesser tout ce bruit en offrant 

prélat un siège plus considérable. Mgr Lavige- 
\ répondit qu'il était très reconnaissant de cette 
înveillance, mais « qu'accepter serait son déshon- 
ur et celui de l'Eglise ». 

L'empereur dut lui promettre qu'on le laisserait 
itinuer ses œuvres , et le Journal officiel du 

mai 1868 publia une lettre adressée par le 
iréchal Niel, ministre de la Guerre, à l'arche- 
jue d'Alger, et contenant cette phrase significa- 
e : « Croyez, Monseigneur, que le gouverne- 
nt n'a jamais eu l'intention de restreindre vos 
dts d'évêque, et que toute latitude vous sera 
isée pour étendre et améliorer les asiles où vous 
lez à prodiguer aux enfants abandonnés, aux 



106 LE CARDINAL LAVIGERIE 

veuves et aux vieillards, les secours de la charité 
chrétienne. » 

Libre enfin de pourvoir lui-même à l'avenir de 
ses orphelins, Mgr Lavigerie les fit préparer, dans 
les deux établissements de Kouba et de Maison- 
Carrée, aux travaux de la vie agricole et aux arts 
qui s'y rapportent. Pour les enfants du peuple, et 
principalement pour les enfants abandonnés, la 
vie des champs, quiest vraiment celle de la nature, 
lui semblait à bon droit la plus propre à sauve- 
garder la santé du corps et celle de l'âme. Sous la 
direction de Frères ou de Sœurs à la hauteur de 
tous les dévouements, les orphelins et les orphe- 
lines s'appliquèrent, suivant leurs forces, à trans- 
former en vignes, en pâturages, en champs de . 
blés les terres incultes où ils étaient établis. 

■ 

On publia bien haut que c'était une entreprise ' 
chimérique, de soumettre au travail des enfants ^ 
jusque-là habitués au vagabondage et à l'oisiveté. ; 
« Vous n'en garderez pas un seul, disait-on, ils se l 
sauveront tous dans leurs tribus. » 

L'archevôque continua son expérience. 

Elle fut des plus heureuses. Bien qu'on les 
laissât tout le jour libres, en pleins champs, sans . 
murs, sans barrières, un très petit nombre d'en- 
fants retournèrent à la vie errante, presque tous 
restèrent volontairement et se formèrent avec un. 
surprenant succès aux travaux qu'on leur indi- 
quait. 

Leur reconnaissance pour leurs bienfaiteurs. 



LES ORPHËUNS ARABES ET LE PROSELYTISME 107 

leur estime de la foi chrétienne, leur piété, leur 
amour de la France, qui, par sa charité, les avait 
sauvés de la mort, n'étaient pas moins remar- 
quables que leur docilité aux enseignements si 
pratiques de leurs maîtres. 

Citerai-je l'exemple de l'un d'entre eux, pauvre 
petit estropié, impropre aux travaux de la cul- 
ture, et à qui l'on avait appris le métier de cor- 
donnier? Un jour qu'il était venu raconter à l'ar- 
chevêque, (( au Père », ses premiers essais, ses 
premiers déboires, ses premiers bénéfices, il ter- 
mina l'entretien en se mettant à genoux devant 
le prélat pour lui demander une faveur impor- 
tante. 

« Mes camarades de l'orphelinat seraient bien 
contents, dit-il, et moi encore plus qu'eux, si vous 
vouliez accepter que je vous fasse une paire de 
souliers. 

— Comment, une paire de souliers ! 

— Oui, Père, que je vous fasse, moi, pour vos 
étrennes, une paire de souliers, mais de beaux 
souliers, des souliers vernis ! » 

Le cardinal racontant lui-même ce trait ajoute : 
« Vous me croirez facilement, j'ai été plus heu- 
reux de cette offre si naïvement faite par mon 
pauvre enfant que de tout ce que l'on eût pu m'of- 
frir de plus riche. Il a pris mon pied, sans at- 
tendre ma réponse, qui ne venait pas, parce que 
je sentais l'émotion qui arrêtait ma voix et que je 
ne voulais pas paraître attendri; puis, la mesure 
étant bien prise, il s'est relevé triomphalement : 



108 LE CARDINAL I^WIGEHIË 

! 

«Oh! comme ils vont tous être contents, dit-il, 
« quand ils sauront que Monseigneur veut bien: 
tt une paire de mes souliers ! » 

Les petites orphelines ne montraient pas des 
sentiments moins délicats, et c'était un touchant; 
spectacle que de les entendre donner le nom dei 
« maman » aux Sœurs qui étaient chaînées de leur 
éducation. 

Ces enfants si bien disposés, mais dénués de 
toute expérience, on ne pouvait cependant les 
garder toujours dans leurs orphelinats. Faudrait- 
il donc les jeter sans appui, sans famille, soit au 
milieu des Européens, soit au milieu des Arabes! 
les exposer ainsi, dans le premier cas, à une inîé- 
riorité forcée et au mauvais exemple de l'irréli- 
gion; les placer, dans le second cas, en face d'un 
routine aveugle et peut-être d'une rancune de rac( 
qui les ferait regarder comme des apostats? 

Celui qui avait sauvé leur enfance voulut as^ 
surer leur vie tout entière, les établir les uns prè 
des autres dans la saine vie des champs, dans de 
conditions où ils développeraient leur initiativ 
sous l'inspiration discrète des religieux et des re 
ligieuses qui les avaient élevés; il voulut, toute 
faisant lui-même les premiers frais de leur éta 
blissement, les mettre en mesure de se suffire p 
un travail indépendant et personnel. 



LES ORPHELINS AftABES ET LE PROSÉLYTISME 109 



111 



>ans ce dessein, il se rendit un jour dans la 
inc du Chéliff, à peu près à égale distance de 
ianah et d'Orléansville, pour choisir et acheter 
vastes étendues de terrain. 
1 campa, la première nuit, sous une tente arabe 
bord du Tighzel, petit affluent du Chéliff; dès 
endemain,il se mit en relations d'affaires avec 
indigènes qui faisaient paître leurs troupeaux 
is ces plaines à moitié désertes, et bientôt Ton 
nmença de construire la première maison du 
ur village, pour y loger les Pères qui devaient 
ger les travaux. Une seconde demeure s'éleva 
uite, où Ton fit venir huit orphelins; puis ce 
le tour de la maison des Sœurs, où furent ame- 
js quelques orphelines. 

Pénitenciers, Arabes, orphelins, tout le monde 
mit à l'ouvrage; la plaine inculte fut défrichée, 
I broussailles d'aloès, de palmiers nains, de ta- 
irins, de cactus et de jujubiers sauvages firent 
kce à des champs de blé, à de bons pâturages; 
fin les maisons s'élevèrent, disposées régulière- 
ftnt à quelque distance les unes des autres, au- 
ir d'une chapelle provisoire. 
Le village reçut son nom du conseil de la Pro- 
j^ation de la foi, qui ne lui avait pas ménagé ses 
mônes ; il fut appelé Saint-Cyprien en souvenir 



no 



LK *:ARD1NAL LVVIGKRIE 



du grand évùque de Carlhage, le plus illustre des 
martyrs d'Afrique. 

Tout était prM pour recevoir les jeunes ménages 
d'Arabes chrétiens. 

Mgr Lavigerie, en ellet, avait commencé à unir 
ensemble ses orphelins et ses orphelines. Les 
deux premiers mariés furent le Kabyle François 
Ben-Aïssa, de qui nous tenons directement une 
partie de ces détails, et un Arabe du nom de Jean 
Schéritr. 

Tous deux, par exception, logeaient et travail- 
laient à Saint-Eugène, chez Tarchevêque. Celui-ci 
ne les habitua pas sans peine à l'idée qu'il faudrait 
bientôt se séparer de lui ; mais enfin il leur fit com- 
prendre que rintérèt de leur avenir l'exigeait 
ainsi. Un jour donc qu'il confirmait, à Notre-Dame- Jfi 
d'Afrique, deux orphelines de Mustapha, nommées» 
Hélyma et Johrah, il emmena avec lui les deQxlin 
jeunes gens et les leur présenta après la cérémonie<|i| 
On se convint, on se fit encore une quinzaine de 
visites, et le 2 juillet 1872, pour la première fw» 
depuis bien des siècles, deux mariages chréti 
étaient célébrés entre enfants de cette pauvre 
déchue. L'archevêque les bénit lui-même dans 
basilique de Notre-Dame-d'Afrique, en pré 
d'une foule nombreuse et de toutes les autorit4|}iil 
d'Alger. Les deux mariés portaient sur leurs vête- 
ments d'Européens le burnous blanc des Arabes et jffjjj 
sur leur tête la chéchia rouge ; les deux jeune^l ^ 
filles étaient toutes vêtues de blanc, couvertes d'iAni. 
voile, et le front ceint de la couronne des vierge*|iitio 






LES ORPHëUNS arabes ET LE PROSÉLYTISME 111 

Le prélat, dans son discours, fut encore plus élo- 
quent par ses larmes que par ses paroles, et les 
assistants n'étaient guère moins émus que lui. 

Par le contrat civil qui avait été signé la veille, 
Mgr Lavigerie avait assuré aux époux un avoir 
modeste, mais suffisant : une dot de 500 francs, la 
petite maison, le jardin et les 2S hectares déterre 
où leur travail devait leur assurer désormais le 
pain nécessaire. 

Par un loyer d'un franc, il maintenait cependant 
son droit de propriété afin de les garantir, le cas 
échéant, contre leur propre imprévoyance et contre 
rînsidieuse rapacité des Juifs algériens. Cependant 
on préparait de nouveaux mariages en plus grand 
nombre. Le dimanche, les orphelins de Maison- 
Carrée allaient, en grande simplicité et sous la con- 
duite paternelle des missionnaires, faire connais- 
sance avec les orphelines de Kouba et choisir 
librement, au bout de quelques visites, celles vers 
. qui ils se sentaient incliner davantage. 

Ces relations préliminaires ne devaient pas offrir 

die grandes difficultés, si Ton en juge par le fait sui- 

v'V^ant, arrivé plus tard à Saint- Cyprien. L'un des 

'ères, s'apprêtant un jour à faire un voyage en 

rance, se vit aborder par Tun de ses jeunes gens 

^lii voulait lui demander une grâce. 

« Père, je voudrais bien que vous m'ameniez de 
*^i*ance une jeune fille que je puisse épouser. 

— Voilà une commission un peu délicate, mon 
li. Du moins aurais-je besoin de quelques indi- 
'étions. Comment la veux-tu, ta future épouse? 



112 LE CARDINAL LAVIGERIE 

— Je ne sais pas, mon Père. 

— Comment, tu ne sais pas? La veux-tu grande, 
petite, travailleuse, de même âge ou plus jeune 
que toi? Voyons, tu ne réponds rien, comment 
veux-tu que je sache ce qu'il te faut? 

— Eh! mais, mon Père, faites comme pour 
vous. » 

Au mois d'octobre suivant, se célébraient dix- 
huit nouveaux mariages, soit à Maison-Carrée, 
soit à Saint-Cyprien, où Ton faisait quelquefois 
venir d'avance les fiancés, afin qu'ils pussent s'éta- 
blir dans leur maison le jour même de leurs noces. 
Déjà mariés ou près de l'être, les nouveaux venus 
étaient accueillis au village avec de grandes 
démonstrations de joie, et l'on ne ménageait pas, 
h leur arrivée, ces décharges de poudre que les 
Arabes, môme baptisés, regardent comme le plus 
bel ornement de toutes les fêtes. On les conduisait 
à l'église joyeusement ornée, et là, après leur avoiii 
donné les meilleurs conseils, on leur faisait tirer 
au sort la maison, les champs, les bœufs, les mou- 
tons, tout le matériel agricole qui leur était des- 
tiné. .On se mettait ensuite en procession à travers 
le village, et l'on s'arrêtait devant chaque demeura 
pour en faire prendre possession à ses heureu: 
propriétaires. Le soir venu, un feu de joie s'allvi 
mait, la poudre parlait encore, et la journée s 
terminait à l'église par de ferventes actions d 



<2;râces. 



Des Arabes des tribus voisines venaient assiste 
ce spectacle et prendre part au festin. Un jo\i 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 113 

l'un d'eux, un vieux patriarche, restait pensif et 
silencieux après la cérémonie. 

« A quoi penses-tu, Ben-Kheïra? lui demanda 
un des Pères. 

— Je pense que, depuis que le monde existe, on 
n'a jamais vu qu'Allah et ce marabout chrétien 
donner ainsi pour rien à des enfants abandonnés 
les terres, les maisons et les bœufs... £1 Iladj- 
Abd-el-Kader, ajouta-t-il après une pause, avait 
bien voulu recueillir les enfants des Arabes morts 
près de lui durant sa guerre avec les Français, 
mais il n'a pas pu, il est parti, et les enfants se 
sont dispersés; c'était la volonté d'Allah. » 

Les Arabes ne parlaient pas en mal de la créa- 
tion de ces villages. Ils savaient que les nouveaux 
venus avaient quitté Tislamisme, mais ils savaient 
aussi qu'ils l'avaient fait librement, qu'on n'en aval t 
baptisé ni même gardé aucun contre son désir. 
u C'est le droit du marabout de leur enseigner sa 
loi, disaient-ils pour la plupart. Leur vie est à lui, 
puisque c'est lui qui l'a conservée. » 

« C'était écrit », se contentaient de dire les 
autres. 

Et, suivant leur usage de donner h chaque tribu 
le nom de son fondateur, ils appelaient les habi- 
tants du nouveau village les Oulad-MaraboiU, les 
fils du Marabout. 

La tribu chrétienne s'augmenta bientôt d'un 
nouveau village, créé à six kilomètres du premier, 
dans la même plaine du Chéliff, mais plus près du 
fleuve et des montagnes de la Kabylie de Cher- 



114 LK CAR1»L\AL LAVIGEKIK 

chell. Il fut nommé Sainte-Monique, en souvenir 
(le l'admirable mère à qui l'Afrique doit la conver- 
sion de son plus grand docteur. Les deux premières 
familles qui s'y établirent furent celles de François 
Ben-Aïssa et de Jean Schériff, qu'on avait d'abord 
installées non loin de Saint-Eugène, au pied de la 
Bouzaréah. D'autres ménages vinrentles rejoindre, 
et le village de Sainte-Monique ne tarda pas à être 
presque aussi grand que celui de Saint-Cyprien. 

Les deux ensemble comptaient dès lors une 
quarantaine de familles ; c'en était assez, si*eUes 
persévéraient dans la foi chrétienne et l'amour de 
laFrance, pour démontrer victorieusement, comme 
c'était le principal dessein de l'archevêque, qu'il 
n'est pas impossible de relever la race arabe de sa 
profonde déchéance ; mais c'était trop peu pour 
assurer l'avenir de tous ses enfants. Il aurait voulu, 
en effet, les établir tous de la même manière, et 
ceux qu'il avait dû laisser à l'orphelinat ne crai- 
gnaient pas de lui en faire souvent la demande. 
Mais il eût fallu que le gouvernement français lui 
vînt en aide pour le surcroît de dépenses que l'éta- 
blissement de nouvelles familles, dans les condi- 
tions indiquées plus haut, aurait ajouté à toutes 
les charges qui lui incombaient déjà. 

Au lieu de cela, on proposa à la Chambre, 
en 1874, de supprimer le crédit de 90,000 francs 
qu'on lui accordait depuis deux ans pour Tachève- 
ment de ses villages et la nourriture des huit cents 
orphelins qui lui restaient. 

Un député algérien, M. Warnier, le meilleur 



LKS ORPHELINS AR\BF:S KT LK PROSKLYTISMK 115 

tmi des évoques d'Alger tant qu'il y avait trouvé 
on intérêt, eut le triste honneur de faire cette 
proposition, en l'appuyant sur deux calomnies, 
[ui, cent fois réfutées, ont été cent fois reproduites 
antôt par l'ignorance, tantôt par la mauvaise foi. 

A partager 90,000 francs entre huit cent trois 
irphelins, on trouvait 113 francs pour chacun, 
'est-à-dire à peine la moitié du nécessaire ; on 
►sa bien dire que l'archevôque recevait 11 30 francs 
>ar enfant, en dépensait seulement 130 et mettait 
e reste dans sa poche. Cet outrage, plus mala- 
roit encore que grossier, ne provoqua que des 
►rotestations indignées. 

Une perfidie plus habile consista à dire que la 
Dndation des villages avait surexcité le fanatisme 
nusulman et que les orphelins, se trouvant isolés 
u milieu des Arabes, couraient les plus grands 
isques d'être massacrés. La surexcitation du 
anatisme mahométan était une allégation gratuite 
t déjà réfutée par une expérience de deux ans. 
lais d'affirmer, comme le faisait M. Warnier, 
'isolement des orphelins « au milieu des musul- 
nans, loin de toute famille chrétienne », c'était 
in odieux mensonge, car le chemin de fer d'Alger 
. Oran passait alors comme aujourd'hui entre les 
leux villages, et avait deux stations tout près de 
à; ils touchaient d'un côté à la mine de fer de 
Témoulga, de l'autre à celle de l'Oued-Rouïna , 
outes deux exploitées par des Européens; et enfin, 
ans parler des fermes françaises disséminées un 
>cu partout, il y avait, à une distance d'une lieue 



110 Li: CARDINAL LAVICERÏK 

à peine, un hameau de colons au marché des 
Attafs. 

M. Warnier, quî avait écrit, en 1865, à Tévêque 
d'Alger : « Quand des renégats combattent notre 
œuvre, il est bon de démontrera la France catho- 
lique que l'avenir de l'Algérie n'appartient ni aux 
Arabes ni à l'islamisme », M. Warnier s'attira de 
MgrLavigerie une réponse écrasante. 

Le crédit fut maintenu, cette année-là, par la 
majorité de la Chambre. Mais, en 1875, il ne fut 
pas demandé par le gouvernement général, et il 
en résulta un coup funeste pour l'avenir des orphe- 
lins qui n'étaient pas encore établis. Il fallut les 
placer pour la plupart, garçons et filles, comme 
domestiques dans des familles de la colonie, et 
alors se réalisa, pour un trop grand nombre d'entre 
eux, le vœu franchement exprimé par un journal 
irréligieux de Constantine : 

« M. Warnier a proposé à l'Assemblée nationale 
de disséminer ces enfants dans nos villages, au 
milieu de familles européennes « qui leur rendront 
« le service de leur apprendre ce qu'est \a véritable 
tt famille chrétienne ». Bravo ! J'applaudis de toutes 
mes forces à cette idée. Avant un an, les trois 
quarts de nos néophytes ne seront plus catho- 
liques . sans avoir pour cela envie de se faire 
musulmans. » 

C'était pourtant trop espérer. Les orphelins 
qu'on put placer convenablement persévérèrent 
dans le bien, et il y en a aujourd'hui qui sontmis- 

onnaires, officiers, docteurs en médecine des fa- 



LES ORPHELINS ARABKS ET LE l'HOSKLYTfSMK HT 

cultes de France. Les orphelines qui furent con- 
fiées à des communautés religieuses ou h des 
maisons sûres se sont toutes bien conduites. Quant 
aux pauvres enfants qui ont cc^dé à rentraînemonl 
du mauvais exemple, la responsabilil(^ en retombe 
tout entière sur ceux qui les ont voués do parti- 
pris à la corruption, en supprimant le peu do res- 
sources qui eût assuré leur avenir. Du moins 
peut-on dire que tous ceux qui sont morts ont fini 
dans des sentiments de foi et de repentir. 

Mais que sont aujourd'hui devenus les orphelins 
pour lesquels Tarchevôque d'Alger a pu réaliser li- 
brement ses projets, les Arabes chrétiens de Saint- 
Cyprien et de Sainte-Monique? 



IV 



Il faut dire tout d'abord que la population des 
Jeux villages a déjà quintuplé. On avait établi 
vingt-deux ménages à vSaint-Cyprien, et dix-nouf à 
Sainte-Monique; il y a aujourd'hui cent cinquante 
Habitants dans le premier village, et cent douze 
^ans le second. Cet accroissement s'est fait sans 
^u'un seul colon ou un seul indigène soit venu s'y 
installer, mais par l'unique excédent des nais- 
sances. Il y a présentement par famille une 
Moyenne de quatre ou cinq enfants; et ce nombre 
^'augmente tous les ans. 

Le fait ne mérite-t-il pas d'être signalé, h une 
époque où la dépopulation, ce signe le plus certain 



% * 



I!8 LK IIAHDIXAL LAVIfiEHIK 

des temps de décadence, commence à attrister la 
mère patrie? 

Malgré cette augmentation d'enfants, dont 
quelques-uns à peine commencent à être en âge 
d'aider leurs parents, les jeunes ménages ont as- 
sez bien travaillé pour suffire à leurs nouveaux 
besoins. Quelques-uns même ont pu agrandir à 
leurs frais la propriété qui leur avait été concédée. 
Pendant mon séjour à Sainte-Monique, un des ha- 
bitants, le plus riche, il est vrai, a acheté et payé 
comptant une concession de 6,000 francs sur la 
commune de Carnot. 

Il faut dire que leurs économies sont moins 
exposées que celles des colons aux prodigalités du 
vice. Du Maroc jusqu'à Tunis, ce sont, comme Ta 
observé avec admiration un journaliste radical 
d'Alger, les deux seuls villages où il n'y ait pas de 
cabaret. Dans tous les autres, il y en a presque au- 
tant que de maisons ordinaires, et quelquefois da- 
vantage ; un de mes amis a vu, près de Dellys, un 
hameau de neuf habitations, parmi lesquelles il y 
avait cinq cafés. 

Est-ce à dire qu'on ne prenne point de récréa- 
tions chez nos Arabes chrétiens ? Durant la se- 
maine, il est vrai qu'ils s'en passent assez bien; 
mais le dimanche, avant et après les vêpres, on 
peut les voir s'amuser ensemble à des jeux divers, 
aux boules, aux quilles, etc., dans le vaste préau 
de l'école ou devant l'église. Ils jouent même 
^uelque argent, de quoi payer une bouteille ou 

^ix, que le supérieur des Pères ne dédaigne pas 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 119 

de leur vendre lui-même, si bien qu'avec beaucoup 
de mauvaise chance ou de maladresse, ils peuvent 
perdre jusqu'à une somme de cinquante centimes. 
Mais ce primitif établissement de jeux ne fonc- 
tionne ni pendant la semaine, ni après la prière 
du soir le dimanche. 

Ces jeux du dimanche sont la seule circons- 
tance où les Pères, qui sont au nombre de trois 
dans chaque village, se mêlent régulièrement à la 
vie ordinaire de leurs paroissiens, car ils ont pour 
principe de développer le plus possible leur initia- 
tive. Sans doute ils ne leur refusent jamais un 
conseil ou un service, mais ils tiennent à leur 
laisser décider eux-mêmes les questions d'intérêt 
matériel, de culture, d'achats, de vente, en un 
mot, toutes leurs affaires. Ils ont, du reste, bien 
assez de remplir leurs triples fonctions de méde- 
cins, d'instituteurs et de curés. 

Médecins et pharmaciens gratuits, ils le sont 
bien plus encore, comme nous le verrons, pour 
les Arabes des tribus voisines, que pour les habi- 
tants des deux villages. La mauvaise conduite, et 
surtout l'ivrognerie, qui, jointes en été aux ar- 
deurs du climat, font succomber tant de colons, 
sont choses absolument inconnues à Saint-Cy- 
prien et à Sainte-Monique, et l'on s'en aperçoit à 
la rareté des maladies. 

Les Pères sont tout autrement occupés comme 
instituteurs (qu'on se rassure, l'administration ne 
les a pas dispensés de leur brevet) ; leurs écoliers 
sont déjà nombreux, d'âges différents, aussi intel- 



120 ij: cahdixal lavïgkrik 

ligents en général et. pour le-moins, aussi turbulents 
que les enfants de France. Paul Bert, dont le 
voyage en Algérie a rendu de vrais services à la 
liberté de Faction catholique, parce qu'il en a 
constaté les excellents résultats au point de vue 
français, Paul Bert apprécie comme il suit les 
écoles laïques établies chez les indigènes : 

u L'instituteur enseigne ce qu'il sait, ce qu'on 
lui a appris à enseigner, ce qui est estimé dans les 
écoles normales et apprécié de MM. les inspec- 
teurs... Un jour, dans une école de la Grande- 
Kabylie, Tinstituteur me montrait avec fierté des 
enfants qu'il préparait au certificat d'études. C'est 
là une conception délirante. Le certificat d'études : 
les casse-tête de Tarithmétique, les Mérovingiens, 
les subtilités de la grammaire, les bizarreries de 
l'orthographe. Dans une autre, je prends le cahier 
de rédactions du meilleur élève. Dictée... je vous 
le donne en mille, les Remords de Frédégonde!... 
Mais ces enfants, familiers avec Brunehaut et les 
intérêts composés, je leur demandais en vain 
rétendue de la France, le nombre de ses soldats, 
le bien qu'elle a fait à leur pays, leurs devoirs 
envers elle * . » 

Invité par le Père supérieur de Sainte-Monique 
à visiter et à interroger ses élèves, je me rappelai 
ce passage de Paul Bert, que je venais de relire 
dans le charmant ouvrage de M. Charvériat sur la 
Kabylie, et je m'en servis pour diriger mon petil 

1. Paul Bert, Lettres de Kabylie, p. 63. 



LES ORPHKLINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 1:21 

men. J'aurais voulu que nos députés radicaux 
endissent les réponses de tous ces enfants, 
ind je les interrogeais sur la grandeur de la 
mce, sur le bien qu'elle a fait à l'Algérie et 
rs devoirs envers elle ; peut-être n'eussent-ils 
été indifférents au plaisir d'entendre ces petits 
ibes dire notre patrie, en parlant de la France ; 
it-être se seraient-ils promis de ne plus 
raver désormais l'action de nos missionnaires. 
fe voulus aussi savoir ce qu'on faisait dos 
5asse-tête de l'arithmétique », et j'ouvris les 
liers de problèmes. Je n'y trouvai que des 
estions dans le genre de celles-ci : « Tu achètes 
it de mètres d'étoffe, à tel ou tel prix, plus 
ers objets qui valent tant et tant. Tu n'as sur 
qu'un billet de 50 francs. Combien le marchand 
it-il te rendre? — Tu veux vendre un tas de 
is vert, et on ne veut le payer qu'au poids ; tu 
LS pas de bascule, mais tu as un mètre. Comment 
3-tu faire ? » 

Pour compléter la comparaison avec l'école 
que de Kabylie, je demandai perfidement au 
rc : 

u Vous savez, Jean Ben-Aïssa est vraiment 
Js fort; est-ce que vous n'allez pas le préparer 
certificat d'études ? 

— Ah ! mais non, par exemple, me répondit-il, 
faudrait d'abord lui apprendre un tas de choses 
utiles, et ensuite son succès ne pourrait que lui 
)nner de l'orgueil, le faire aspirer à autre chose 
l'à l'agriculture, et en faire un déclassé. » 



lia LE CARDINAL L^WIGËRIE 

Vous pensez si je m'inclinai devant ces raisons. 

Il ne faut pas terminer cette question de l'ensei- 
gnement sans dire que la classe est faite aux 
petites filles par trois Sœurs Blanches, qui se 
chargent aussi de garder les bébés dans un asile 
pour faciliter le travail des mères. Elles s'occupent, 
en outre, du soin des malades dans le village et 
chez les tribus arabes. 

C'est surtout dans le ministère paroissial que les 
Pères Blancs éprouvent le plus de consolation. Le 
respect humain est inconnu dans les deux villages; 
les hommes sont aussi assidus à l'église que les 
femmes et les enfants, et personne n'a seulement 
l'idée de manquer aux offices du dimanche. Il va 
sans dire que, malgré la liberté qu'on leur laisse, 
tous se confessent et communient aux grandes 
fêtes ; beaucoup même témoignent plus de ferveur 
pour la fréquentation des sacrements. Dans les 
épreuves qui sont inséparables des existences 
humaines, même les mieux réglées et les plus 
chrétiennes, leur résignation est vraiment admi- 
rable. Aussi calme et stoïque que le fatalisme des 
Arabes musulmans, elle revêt de plus, chez eux, 
un caractère de douceur et de joie surnaturelle 
que peut seule communiquer la pensée d'unir ses 
souffrances à celles de Jésus-Christ. 

Chaque matin, tous les enfants et une grande 
partie des hommes et des femmes assistent à la 
messe avant de commencer leur journée de travail ; 
et le soir, quand la tâche est finie, à une heure qui 
varie suivant les saisons, ils se retrouvent à l'église 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PHOSKLYTISME i^IJ 

pour faire la prière ensemble et chanter un cantique 
en français. Il y a quelque chose de touchant à 
entendre, sur cette terre lointaine, des Arabes et 
des Kabyles réciter les Commandements de Dieu 
dans notre vieux langage, et répéter ensemble, 
eux, les fils de pillards, de menteurs et d'impu- 
diques : « Biens d'autrui ne convoiteras, pour les 
avoir injustement. — Faux témoignage ne diras, 
ni mentiras aucunement. — Luxurieux point ne 
seras, de corps ni de consentement. » 

Ce qui ajoute à la pieuse originalité de cette réu- 
nion, c'est que les mères tiennent à y porter leurs 
plus jeunes enfants. Les missionnaires ont bien 
essayé d'abord de les en dissuader, puis ils ont cédé 
devant leur insistance, en se disant qu'après tout 
ces cris un peu discordants ne devaient pas déplaire 
à Celui qui aimait autrefois à réunir auprès de lui 
les petits enfants de la Judée. 

L*été, quand le thermomètre, dans cette plaine 
exposée à toutes les ardeurs du soleil, dépasse 
parfois 45 degrés à l'ombre, les habitants vont, 
malgré tout, travailler à leur moisson, et le vil- 
lage reste tout le jour plongé dans le silence. 
Mais quand le soleil se couche, tout le monde 
revient à la fois, moissonneurs avec leurs cha- 
riots, pâtres avec leurs troupeaux, et c'est alors 
Une subite animation et un vrai vacarme. Sou- 
dain la cloche annonce le moment de la prière ; 
Un grand silence se fait, et tout le monde se rend 
è. l'église pour remercier le Dieu qui fait mûrir les 
blés et qui conserve la santé aux hommes. Cha- 



I2i LK CARDINAL LAVIfiERIK 

cun va ensuite souper chez soi; et bientôt après, 
un grand nombre se retrouvent sur les bords du 
Chéliiï, parmi les palmiers nains et les plantes 
sauvages; c'est là qu'on passe la nuit, sur la terre 
nue, pour éviter la chaleur des maisons, et, quand 
le sommeil ne vient pas, on se raconte les récits 
interminables qu'on a appris des Arabes voisins... 
Si j'ai l'air d'inventer une idylle ou de décrire d'i- 
magination un nouveau Paraguay, ce n'est pas de 
ma faute, les choses se passent absolument comme 
je le dis. 

Toutefois, en cherchant bien, on peut trouver 
dans l'organisation des villages une petite imper- 
fection. Sans cesser de faire de l'agriculture leur 
travail principal, il faudrait qu'une ou deux famil- 
les s'adonnassent en même temps aux métiers in- 
dispensables de charron, de menuisier, de serru- 
rier, de maréchal -ferrant ; il faudrait en outre qu'il 
y eût à Sainte-Monique, comme à Saint-Cyprien, 
une boutique d'épicerie, de mercerie et d'autres 
menus objets de consommation quotidienne. 
Grâce à ces industries secondaires, qui ne détour- 
neraient pas complètement les hommes du travail 
des champs, grâce à ce petit commerce, qui pour- 
rait être tenu par les femmes, les habitants n'au- 
raient pas besoin de faire d'aussi fréquents voya- 
ges dans les communes environnantes; ils évite- 
raient le double inconvénient du temps perdu el 
du contact avec les colons européens, qui essayent 
trop souvent, sans succès jusqu'ici, de les détour- 
ner de leur genre de vie. 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME lio 

Sans la prévoyance des missionnaires et de leur 
illustre fondateur, on pourrait concevoir quelque 
inquiétude pour le moment où il faudra passer 
d'une génération à l'autre. Les domaines actuels 
seront-ils vendus, et le prix en sera-t-il partagé 
conformément à notre absurde loi de succession? 
S*exposera-t-on à les voir acheter par des colons 
impies, qui introduiront la discorde et l'irréligion 
dans ces villages? Les enfants seront-ils dispersés 
au hasard, avec leur maigre pécule, dans tous les 
coins de la colonie ? 

Non, il n'en sera pas ainsi ; on saura les établir, 
du vivant même de leurs parents, en groupes 
compacts qui deviendront le centre de nouveaux 
villages semblables aux premiers. L'Algérie, la 
Tunisie sont assez grandes pour s'y prêter, et la 
montagne même de la Kabylie de Cherchell, qui 
domine les établissements actuels, est parfaitement 
colonisable. Pendant que ses frères et sœurs se fe- 
ront ainsi une situation personnelle, l'un des en- 
fants demeurera avec le père pour prendre un jour 
sa succession. Les autres auront touslos biens meu- 
bles, lui-même gardera l'immeuble, qui restera 
le foyer des bonnes traditions et le refuge de 
ceux qui auraient échoué dans leurs entre - 
prises. 

Saint-Cyprien et Sainte-Monique, dont la po- 
pulation, nous l'avons dit, a déjà quintuplé en 
dix-huit ans, essaimeront dans l'Afrique française 
déjeunes colonies d'Arabes dévoués à notre foi et 
à notre patrie, et peut-être un tel exemple indi- 



liO I-K CARDINAL LAVIGEHIK 

quora-t-il aux gouvernements futurs la meilleure 
méthode d'assimilation. 

Il y a plus, leur exemple et les œuvres de cha- 
rité qui s'établiront chez eux influeront peu à peu 
sur les Arabes encore musulmans, pour les rap- 
procher de la France. C'est en effet ce qui se pro- 
duit déjà dans la plaine du Chéliff. 



Y 



Dès la fondation des villages, les missionnairesj 
s'étaient préocccupés d'offrir aux malades infr] 
gènes des conseils et des remèdes gratuits ; et, 
après le premier moment de surprise, Arabes et 
Kabyles s'étaient volontiers laissé secourir. Al 
bout de quelques mois, ils vinrent en toute c(ffl- 
liance apporter leurs malades. Quand ils étai 
trop nombreux pour être soignés dans la pe 
maison, les Pères les rangeaient en ordre 
dehors, et, s'agenouillant devant eux, ils pansai 
leurs plaies. Ce fut ce spectacle qui inspira 
jour à un officier français cette belle réflexion 
(( Vraiment en voyant ces Pères avec leur ces 
oriental, entourés de ces pauvres indigènes, 
croirait assister à une scène de l'Evangile. C' 
ainsi que les malades devaient entourer Jési 
Christ et ses apôtres dans la Judée. » 

En 1874, la division d'Alger était coi 
mandée par le général Wolf, qui connaissait 
fond les indigènes pour les avoir administrés 



LES ORPHEUNS ARABES ET LE PROSÉLYTISME i^ll 

(lant vingt-cinq ans. Sachant leurs sympathies 
pour les soins que les missionnaires donnaient aux 
malades des tribus qui environnent Saint-Cyprien, 
il suggéra un jour à Mgr Lavigerie l'idée d'y cons- 
truire un hôpital. « Ce sera, lui dit-il, une œuvre 
chrétienne, mais ce sera en même temps une 
œuvre d'heureuse politique, qui, sans froisser en 
rien aucun indigène, produira sur le grand nom- 
bre le meilleur effet d'apaisement et d'attraction . 
D'ailleurs, c'est le génie de la France de gagner 
par les bienfaits les peuples qu'elle a vaincus. » 

Bientôt après, une magnifique construction en 
style mauresque s'élevait dans le voisinage de 
Saint-Cyprien. Ses colonnades, ses riches faïences, 
ses bains, son grand jardin, lui donnaient l'air 
d'un palais. L'archevêque tenait à montrer aux 
Indigènes son respect et son amour pour les pau- 
vres. 

« C'est pour un prince, tout cela? disaient les 
Arabes étonnés. 

— Non, leur répondait-on, c'est pour vos pauvres 
Bt vos malades. 

— Et ils ne payeront pas dans cette maison ? 
~ — Non, ils ne payeront pas. » 

Ils ne le pouvaient croire. 

Au commencement de 1876, eut lieu l'inaugura- 
*îon solennelle de l'hôpital Sainte-Elisabeth. Le 
•^^in d'Alger, malgré une distance de quarante- 
-inq lieues, amena trois cents invités, parmi les- 
tXiels le général Wolf et d'autres officiers 
'Vipérieurs, le préfet, l'amiral, tous les hauts 



128 LK CARDINAL LAVIGEKIR 

fonctionnaires, le prince royal [de Hollande, la 
veuve du général Lamoricière, et une partie de la 
colonie d'hiverneurs. 

L'archevêque avait fait également inviter les 
indigènes de tous les douars de la montagne, en leur 
annonçant qu'il offrirait une diffa. Plus de mille 
d'entre eux étaient venus à cheval et en armes. A 
peine le train arrive-t-il en gare, qu'ils se précipi- 
tent en fantasia furieuse, et, parvenus près des 
voyageurs, déchargent leurs armes en poussant 
des cris de guerre. Quand les dames sont un peu 
revenues de la frayeur que leur a causée cette 
brillante réception, le cortège se dirige vers 
l'hôpital sous des arcs de triomphe, au son du 
canon et des cloches, au son des fifres et des 
hurrahs arabes. 

L'archevêque, entouré de cinquante prêtres, 
attendait les invités, en habits pontificaux, sous 
un dais de velours rouge, que soutenaient quatre 
indigènes en burnous blanc et coiffés de la chéchia. 
Dès que la foule se fut approchée, il entonna le Venx 
Creator et procéda à la bénédiction de l'édifice et 
de tout le pays. Le spectacle était si beau et si 
émouvant, on sentait si bien renaître, sous l'ins- 
piration de l'Eglise et de la France, quelque chose 
de grand dans ces contrées autrefois soumises au 
christianisme et à l'empire de Rome, qu'un pro- 
testant, le consul d'Angleterre, ne put s'empêcher 
de dire : « Nous avons vu saint Augustin ! » 

La place fait défaut pour rappeler les éloquents 

scours du général Wolf et de l'archevêque. Mais 



LES ORPHELINS ARABES ET LE TROSÉLYTISME 129 

> regrettons plus encore de ne pouvoir citer le 
poème qui fut improvisé, le soir, après la 
, par un chanteur arabe, sur la famine, les 
lelins et le palais des infirmes, qui portait sur 
içade cette brève inscription : Bit Allah, Mai- 
de Dieu. Le refrain était celui-ci : 

Les enfants avaient ptis la fuite, 
frayant plus de pain et broutant Vherbe. 
Ils n'avaient plus de père ni de mère... 
Le grand Marabout les a recueillis! 

ii VU dans cet hôpital cent cinq malades 
es, pleins de confiance et de respect pour les 
ze Sœurs Blanches, qui pansaient leurs plaies 
souvent inguérissables. Ils étaient presque 
assis par terre dans la grande salle ou dans la 
, car ils ne consentent à se mettre au lit pen- 
la journée que lorsque la force les quitte en- 
iment. On dirait, à voir leur stoïque résigna- 
, qu'ils sont moins affectés de leur mal que 
ris et touchés des soins dont ils sont Tobjet. 
i défiance des premiers jours a bien disparu, 
5 viennent si nombreux qu'on ne peut souvent 
donner, pour la nuit même, que des nattes à 
ut de lits. 

a s'est décidé, malgré Tinsuffisance actuelle 
ressources, et en comptant une fois encore sur 
larité catholique, à bâtir une aile de plus pour 
oir pas la douleur de refuser des malades, 
a ne s'étonnera pas que les habitants des deux 
ges chrétiens offrent leur travail gratuit pour 



i;)0 LE CAIIDINAL LAVIGERIE 

cette construction, mais on sera heureusement 
surpris d'apprendre que les musulmans y collabo- 
rent aux mûmes conditions; peut-être même dai- 
pnera-t-on voir là une assez bonne preuve que les 
u»uvrcs do charité chrétienne ne surexcitent pas 
toujours le fanatisme des Arabes. Il y a plus; 
lorsque les Pures ou les Sœurs vont dans la mon- 
tagne, comme ils le font tous les jeudis, soigner 
les indigènes à domicile, ceux-ci leur offrent, à 
défaut d'argent, des œufs et des poules, pour que 
le prix de la vente en soit consacré aux dépenses 
de la construction. 

J'accompagnai un jour Je supérieur de Sainte- 
Monique dans cette tournée de malades. Le Ché- 
liff traversé tant bien que mal sur nos chevaus, 
caries pluies l'avaient beaucoup grossi, nous arri- 
vâmes chez les Skakra, gens assez mal famés, et 
qui ont tout volé, dit-on, sauf leur réputation de 
voleurs. Munis de pierres pour éloigner les chiens 
peu hospitaliers, nous pénétrâmes à travers les 
cactus qui cachaient les gourbis, et le Père, qui 
parlait très bien l'arabe, demanda à haute voix 
s'il y avait des malades. Aussitôt les gens sorti- 
rent, et, le plus naturellement du monde, racontè- 
rent leurs souffrances, montrèrent leurs plaies et 
apportèrent les infirmes qui ne pouvaient marcher* 

Le Père commença la consultation, et appliqua, 
séance tenante, ou distribua pour plusieurs jours 
les remèdes nécessaires; il soigna les yeux ma- 
lades avec du nitrate d'argent, brûla et pansa les 
plaies vives, arracha les dents gâtées, bref, sou- 



\ 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 131 

lagea un peu tout le monde et en guérit plusieurs. 
Il dut distribuer une quantité étonnante de pilules 
purgatives, dont les Arabes trouvent les effets sa- 
lutaires, et, en tout cas, fort amusants. La petite 
vérole, qui sévissait alors sur les enfants, n'inti- 
mida pas le Père, cela va sans dire; il examina 
ceux qui étaient atteints et donna des conseils 
appropriés aux phases diverses de la maladie. 
Preuve non équivoque de leur confiance dans les 
marabouts chrétiens : les femmes ne furent pas 
enfermées et ne se voilèrent pas devant nous, 

La séance terminée, nous nous rendîmes avec 
les hommes dans une sorte de grand hangar, qui 
devait servir de caravansérail ou de salle de réu- 
nion, et là se tint durant près de deux heures une 
conversation qui prouvait, à ne pas s'y méprendre, 
leur respect pour le missionnaire et leur confiance 
en lui. 



VI 



Ce qui se passe à Saint-Cyprien et à Sainte- 

^ Konique n'est pas, comme on pourrait le croire, 

"toi fait complètement isolé. Sans parler ici de la 

- Crande-Kabylie, où il existe aussi des ménages 

f chrétiens d'indigènes, notamment aux Ouad'hias, 

Ë*ai trouvé, dans les trois déparlements de l'Algérie 
k)mme en Tunisie, les Arabes en meilleurs termes 
.vec le clergé chrétien qu'avec les colons et l'ad- 
p^^nistration française* 



132 LE CARDINAL LAVIGËRIK 

A Saint-Louis de Carthage, je les ai vus de- 
mander au P. Delattrc et à ses confrères, avec 
beaucoup de reconnaissance et de docilité, des 
conseils dans leurs difficultés, des remèdes dans 
leurs maladies. Avec un médecin nègre du nom de 
Sokoro, né près de Tombouctou et élevé par les 
Pères Blancs à l'Institut de Malte, je suis entré 
sous la tente des Khroumirs venus là pour se louer 
durant la moisson, et dans les citernes puniques 
où les Arabes se sont créé des installations plus 
ingénieuses que confortables ; partout l'accueil 
fait au chrétien noir a été des plus touchants ; les 
malades guéris par lui venaient le remercier, et 
ceux qui souffraient encore acceptaient volon- 
tiers ses remèdes. 

Je me suis promené dans le Vieux-Biskra avec 
le curé ; les Arabes et leurs enfants le saluaient et 
s'approchaient de lui, comme feraient des Bretons 
pour le recteur. 

Au grand séminaire de Constantine, les Arabes 
qui travaillaient dans la propriété ou même dans 
les environs, venaient soumettre leurs différends 
et leurs embarras au vénéré supérieur, M. Tabbé 
Grandhomme. 

Dans le Sahel môme, à Dély-Brahim, près 
d'Alger, les indigènes, au retour du marché, 
venaient faire vérifier et compter leur monnaie au 
curé de la paroisse, pour voir si on ne les avait pas 
trompés. A Gouraya, entre Cherchell et Ténès, le 
curé est en quelque sorte le roi de la contrée, et 
les Arabes, qui le préfèrent à leurs propres mara- 



LES ORPHELINS ARABES ET LE PROSÉLYTISME 133 

bouts, ne se cachent pas pour dire que c'est lui qui 
leur fait supporter les colons. Je me suis trouvé 
chez lui un jour de marché ; sa maison était cons- 
tamment pleine d* Arabes. 

Ces souvenirs sont cités un peu au hasard, mais 
ce que j'ai vu à Misserghin, près d'Oran, doit être 
mentionné à part. Un saint prêtre, le P. Abram, a 
créé et entretient là, sans autres ressources que son 
dévouement et celui de ses religieux, un orphelinat 
qui est sûrement aujourd'hui l'un des plus beaux 
du monde. L'indigène, un musulman, qui me con- 
duisît chez lui depuis la gare, me disait textuelle- 
ment : « Le P. Abram, il est bon, il est très bon, 
tu marcherais toute la terre, tu ne trouverais pas 
un pareil. » Au moment de la grande famine, il 
recueillit et éleva gratuitement trois cents orphe- 
lins : presque tous se sont faits chrétiens, et pas un 
seul n'a abjuré, bien qu'il ait dû les laisser se dis- 
perser un peu partout. Je visitai l'admirable pro- 
priété de Misserghin sous la conduite d'un frère 
' Homme Léonard, qui était lui-même d'origine 
' «trabe, et à part peut-être quelques traits de la 
■figure, qu'on remarque seulement lorsqu'on est 
averti, je défie bien qui que ce soit de ne pas le 
prendre pour un Français. 

Voici un fait que je tiens de lui directement. Il 
*^ rendait un jour à Tessalah, près de Sidi-Bel- 
-^ibès, où la congrégation du P. Abram possède 

■ ^lae grande exploitation, lorsqu'il se vit abordé 

■ ^Vec empressement par un Arabe à cheval, qui lui 
^^^^manda de venir voir son fils près de mourir : 



134 LE CARDINAL LAVIGERIE 

(( J'ai travaillé sous tes ordres à la pépinière de 
Misserghin, j'ai vu les marabouts chrétiens, et ils 
sont meilleurs que les nôtres. Toi, tu es aussi 
marabout ; viens voir mon fils qui va mourir, et 
verse l'eau sur sa tète. » Le frère l'accompagna 
dans son village, où il trouva devant le gourbi du 
malade une cinquantaine d'Arabes, qu'il avait 
presque tous vus travailler à l'orphelinat. Sachant 
l'extrême réserve qui est imposée par l'autorité 
ecclésiastique en matière de conversion, il s'assura 
d'abord de l'état de l'enfant, et, le voyant en réalité 
moribond, il demanda aux Arabes : « Vous voulez 
que je le baptise, que je le fasse chrétien comme 
moi? — Oui, oui, fais-le Roumi, il sera plus heu- 
reux que nous. » 

L'enfant fut baptisé, et mourut le soir même. 

On reconduisit le Frère avec de grands témoi- 
gnages de reconnaissance et de respect. 

Ajouterai-je qu'il est arrivé, d'autres fois encore, 
au clergé catholique de baptiser, à la dernière 
heure, des enfants près de mourir, et de les envoyer 
au ciel sans en avertir les parents, ni M. l'Admi- 
nistrateur? Qu'on se rassure, c'est le seul abus 
qu'on puisse reprocher là -bas à l'ingérence cléri- 
cale, et il est sans conséquences, au moins sur la 
terre . 

Dès règles précises et sévères sont, du reste, im- 
posées au clergé, sous les peines les plus graves, 
pour tout ce qui concerne le baptême des infidèles. 
Les statuts diocésains portent en propres termes 
<( qu'on ne baptisera aucun enfant juif ou musul- 



LES ORPHEUNS ARABES ET LE PROSÉLYTISME \X} 

n, sans l'expresse permission de ses parents ». 
l'y a d'exception que pour les enfants en danger 
dent de mort, et pour les orphelins qui seraient 
ueillis ou adoptés par des établissements ou des 
ons chrétiens. Encore faut-il prendre, dans ce 
nier cas, toutes les précautions de la prudence 
ir s'assurer que les enfants sont réellement 
indonnés de leur famille, qu'ils ont l'instruction 
a liberté nécessaires, et que leur persévérance 
moralement garantie par la conduite de leurs 
ents adoptifs. Pour ceux qui ont atteint la ma- 
îté légale, l'autorisation des parents n'est pas 
essaire; mais il faut, chaque fois, demander 
le de l'évêque, et attendre qu'il ait pu s'enquérir 
circonstances qui assurent la liberté et la du- 
de la conversion. 

]c n'est pas isolément et par des conversions 
maturées qu'on peut ramener les indigènes au 
istianisme; il faut, pour cela, agir sur la masse 
ière, au moyen de l'exemple et de la charité, 
moyen surtout de l'instruction des enfants, qui 
ruira le fanatisme et préparera, avec des géné- 
ions nouvelles, un avenir nouveau . 
Tels sont, en matière d'apostolat, les principes 
les règles que le cardinal a donnés dans plu- 
iirs documents publics, à ses prêtres d'Algérie. 
1 ne s'expliqua pas autrement pour la Tunisie, 
jqu'on l'accusa d'y déployer un zèle dangereux, 
éclara regarder comme un crime et comme une 
e de surexciter, par les actes d'un prosélytisme 
s sagesse, le fanatisme des populations musul- 



130 LK CARDINAL LAVIGERIK 

maiies : comme un crime, parce que ce serait 
créer des difficultés à la France ; comme une folie, 
parce que, au lieu d'atteindre le but, ce serait l'é- 
loigner peut-être à jamais. 

« Certes, ajoutait-il, il n'est pas nécessaire 
d'être prêtre, il suffit d'être homme pour désirer 
la transformation des pauvres races déchues de 
l'Afrique du Nord, pour désirer de les soustraire 
aux maux qui les oppressent : les femmes, les en- 
fants, tout ce qui est faible, au joug cruel et 
égoïste de ce qui est fort ; les hommes, au fata- 
lisme aveugle, à la paresse, à tous les vices. » 

Mais les moyens ordinaires de la prédication et 
du prosélytisme personnel seraient ici plus dan- 
gereux qu'efficaces, et ceux qu'il convient de 
prendre ne sont de nature à inquiéter personne : 

« Pendant qu'on dépouille les indigènes de leur 
puissance, de leurs armes, de leurs traditions sé- 
culaires, nous, prêtres, nous cherchons à calmer, 
à ramener ces cœurs aigris, par l'exercice du dé- 
vouement et de la charité. Nous faisons l'école aux 
enfants. Nous soignons, lorsqu'on nous les pré- 
sente, les infirmes et les malades; nous secourons 
les pauvres ; nous n'avons pour eux que des pa- 
roles de bienveillance et de douceur... Ce que 
nous obtenons ainsi, ce ne sont pas sans doute des 
conversions imprudentes et hâtives, qui ne se-j 
raient que des préparations à l'apostasie, c'est un 
bien plus durable, une préparation certaine, san^ 
^ecousses et sans dangers, à la transformation di 

londe africain. 



LES ORPHELINS AHABES ET LE PROSÉLVTISME \'M 

« La semence est ainsi jetée. C'est le travail 
des siècles qui la fera mûrir. Pour nous, qui n'en 
verrons point les fruits, notre récompense est de 
nous rendre le témoignage que nous servons ainsi 
la cause deThumanité, celle de la France, et celle 
de Dieu. » 

Cette moisson si précieuse pour la religion el 
pour la patrie, elle lève et mûrit déjà, grâce à Dieu, 
sur plusieurs points de l'Afrique française. Mais 
elle ferait encore des progrès bien plus rapides, si 
les missionnaires d'Alger étaient plus nombreux 
et si tout le clergé séculier apprenait l'arabe, si 
surtout les exemples des colons et des fonction- 
naires ne déconsidéraient pas le christianisme au- 
près des indigènes, et si le gouvernement de la 
métropole savait toujours mettre en pratique le 
sage principe de Gambetta, que « l'anticlérica- 
lisme n'est pas fait pour l'exportation » . 



>r iai»t ^ac . 



CHAPITRE V 



LES PERES BLANCS 



Le cardinal Lavigerie n*a rien créé d'aussi grand, 
d'aussi utile, d'aussi durable que la congrégation 
des missionnaires d'Alger, devenus si populai- 
res sous le nom de Pères Blancs. 

Il y a vingt ans qu'ils existent, et déjà on les 
trouve partout où il y a quelque service à rendre à 
l'influence catholique et française, sur les rivages 
de la Méditerranée comme dans les profondeurs de 
l'Afrique. 

On pouvait, cette année, aux fêtes religieuses 
de Garthage, saisir comme sur le fait les étonnants 
progrès de leur apostolat. 

C'étaient les enfants de leur école d' Alger qui 
exécutaient et accompagnaient de leur fanfare 
les chants liturgiques pendant la consécration de 
l'église primatiale. C'était dans leur séminaire, 
peuplé de cent élèves, que se tenait le nou- 
veau concile de Carthage. Un navire frété tout 
exprès avait amené leurs novices de Maison- 
carrée. 



LES PÈRES BLANCS VM) 

Toutes les maisons de leur société avaient en- 
voyé des représentants. J'en ai vu qui avaient, 
des premiers, traversé les Grands Lacs en pirogue, 
et évangélisé l'Ouganda ; ils connaissaient les rois 
barbares, et ils avaient baptisé les courageux mar- 
tyrs de la Masse-Noire. Celui-ci avait dirigé plu- 
sieurs années la procure de Zanzibar; c'était lui 
qui organisait les caravanes apostoliques et les 
accompagnait dans l'Est africain. Celui-là était 
aumônier militaire à Gafsa, dans le fond de la Tu- 
nisie, et un autre était venu à cheval de Ghardaja 
dans le Mzab. Je me promenai souvent avec lo 
supérieur de ceux qui élèvent, à Malte, les petits 
nègres rachetés, et leur font étudier la médecine à 
l'Institut royal pour les envoyer plus tard soigner 
Jeurs compatriotes ; avant cela il avait été à Jéru- 
salem, dans le séminaire de Sainte-Anne, où se 
prépare un nouveau clergé grec pour ramener les 
Orientaux au catholicisme et soutenir en Syrie 
l'influence française. 

Il y avait les deux supérieurs des villages d'A- 
rabes chrétiens, dans la plaine du ChéliflF, et plu- 
sieurs missionnaires venus des sommets de la 
Grande-Kabylie. Tel Père dirigeait un postulat en 
Hollande, ou une école apostolique près de 
Bruxelles; tel autre, la procure de Rome pour 
'raiter avec le Saint-Siège; tel autre encore, la 
procure de Paris, pour centraliser les affaires de la 
ociété en France et dans toute l'Europe. 

Ils étaient là tous, fièrement et docilement ran- 
és autour de leur chef et de leur père, plusieurs 



140 LK CARDINAL LAVIGERIK 

attendant Tordre prochain qui devait les envoyer, 
un mois plus tard, évangéliser les bords du 
Nyanza. Et quelques-uns des journalistes présents 
se rappelaient la description que fait Flaubert des 
années cosmopolites de la vieille Carthage, où se 
mêlaient des Gaulois, des Latins, des Ibères, des 
Baléares, des Grecs, des Lybiens et des Nègres. 
des soldats de toutes armes et de tous pays. Au- 
tour du cardinal, comme autour des anciens capi- 
taines, « les hommes du désert écoutaient immo- 
biles, tout encapuchonnés dans leurs vêtemenis 
de laine grise * » . 



l 



La société des missionnaires d'Alger a été fon- 
dée en 1868. Comme beaucoup d'œuvres cU\^ 
tiennes, elle est née d'événements imprévus, de 
besoins suscités à dessein par la Providence. 

La grande famine de 1867 fut l'occasion dont 
Dieu se servit pour lever tous les obstacles qui' 
s'étaient opposés jusqu'alors à révangélisatiou de 
de rAfrique. On a vu, dans le précédent chapitre! 
comment elle amena Mgr Lavigerie à réclameî <^| 
à obtenir une plus grande liberté pour l'Église qu 
lui était confiée. Mais les effets de ses heureusf 
revendications devaient s'étendre bien au delà de 
frontières algériennes. 

Sûr de conserver les orphelins de la fanm] 

4. Salammbô. 



LES PÈRES BLANCS I il 

hevêque d'Alger se préoccupa naturellement 
rouver des prêtres qui pussent se charger de 
lever, de les instruire, de les maintenir dans 
iélité à leur nouvelle religion et à leur nou- 
î patrie. Une fois mis de la sorte en contact 
Lédiat avec les indigènes, savait-on si ces 
res ne se consacreraient pas tout entiers à 
)rocher les musulmans du christianisme?... 
difficulté était que le clergé du diocèse n'é- 
pas nombreux et qu'il ignorait l'arabe, 
gr Lavigerie en était là de ses réflexions, lors- 
1 vit un jour se présenter chez lui M. Girard, 
tif et pieux supérieur du grand séminaire, qui 
pirait depuis longtemps, lui aussi, après le 
nent où il serait permis aux prêtres de s'oc- 
er, avec toute la prudence désirable, des indi- 
es de l'Afrique. Il amenait avec lui trois élèves 
on séminaire, qu'il présenta à l'archevêque en 
disant : « Voici des jeunes gens qui viennent 
rir à vous pour l'apostolat africain. Avec la 
îe de Dieu, ce sera le commencement de l'œuvre 
nous avons désirée. » Il s'agenouilla avec eux, 
li demanda de bénir leur dévouement, 
'archevêque les bénit, en eff'et, plein d'émotion 
'étonnement, car il n'avait été prévenu de rien, 
jette off're, qui répondait à ses plus intimes 
)CCupations, lui paraissait comme surnaturelle. 
îs releva et s'entretint longuement avec eux. 
épondirent si bien à ses questions et à ses ob- 
ons, qu'il donna dès lors son consentement à 
aï qu'ils voulaient faire. 



142 LK CARDINAL LAVIGERIK 

Les trois séminaristes furent établis dans une 
pauvre maison louée à cet effet, sur les hauteurs 
d'El-Biar, qui dominent Alger. Leur formation fut 
confiée à deux religieux, Tun Jésuite, l'autre Sul- 
picien, que le besoin de repos amenait cette année 
même en Algérie, et qui sollicitaient de l'autorité 
diocésaine un ministère compatible avec leur 
santé ébranlée. 

Le noviciat ne tarda pas à se peupler d'aspirants 
missionnaires, et il fallut le transporter dans une 
maison plus grande, à Saint-Eugène d'abord, puis 
à Maison-Carrée, où les orphelins étaient déjà éta- 
blis, et où il est resté depuis lors, au milieu de 
vastes terrains que l'archevêque a achetés et fait 
défricher. 

Déjà la réputation de la petite société se répan- 
dait en Europe, et un mouvement de zèle, qui, 
depuis, n'a fait que grandir, amenait à Alger les 
jeunes hommes les plus généreux de France, de 
Belgique, de Hollande et d'autres pays encore. 
On leur disait qu'une Mission venait d'être fondée, 
où il devait y avoir plus de bien à faire et de souf- 
frances à endurer que dans toutes les autres 
L'Afrique se présentait à leur esprit avec son climal 
brûlant, ses déserts et ses profondeurs mysté- 
rieuses, avec ses cruels nègres et ses musulman^ 
fanatiques. Et ils pariaient, soldats d'élite, à c( 
poste plus périlleux. 

L'un d'eux, déjà prêtre, présenta à l'arche vêquq 
en arrivant de France, ses lettres testimoniale 
pour être admis à célébrer la messe. Mgr Lavigerij 



LES PÈRES BL.\>'CS 143 

îs prit et y écrivit, sans rien dire, au lieu de la 
>rmule ordinaire, celle-ci : Visum pro martj/rio, 
u pour le martyi*e. « Lisez. Acceptez-vous? dit-il 
a les lui rendant. — C'est pour cela que je suis 
enu », répondit simplement le prêtre. 
Sous une forme ou sous une autre, tous enton- 
aient la même question, dès la première heure, 
t tous faisaient la même réponse. 

En 1873, le concile provincial d'Alger encou- 
agea publiquement la congrégation nouvelle et 
ai consacra un décret spécial qui fut approuvé 
Lvec tous les autres par le Saint-Siège. L'arche- 
rêque communiqua ce document aux membres de 
a société, par une lettre pastorale du 19 sep- 
tembre 1874, et il rendit en même temps une 
ordonnance pour approuver leurs règles. Il convo- 
qua aussi pour le mois d'octobre de la même 
année un chapitre général de tous les mission- 
naires, pour l'organisation delà société et l'élection 
les premiers supérieurs. 

D'un choix unanime, ils voulurent le nommer 
^périeur général. U n'accepta point, et il se con- 
^nta de la juridiction qu'il avait sur eux, comme 
^chevêque d'Alger, tant que le Saint-Siège n'en 
^rait pas disposé autrement. 

Ils ont été, dans la suite, exemptés de la juri- 
^ction de l'Ordinaire , et directement soumis 
^ Délégué apostolique pour les Missions du 
^hara et du Soudan. Cette délégation appartient 
-luellement à Mgr Lavigerie, dont le désir paraît 



144 LE CARDINAL LÂYIGEHIË 

ôtrc de la transmettre plus lard à Mgr Livinhac. 

Le chapitre général élut pour assistants les 
PP. Deguerry,Charmetantet Livinhac. 

C'étaient des choix heureux. 

Le P. Charmetant, après avoir administré la 
procure des Missions à Paris, est devenu le direc- 
teur de l'œuvre des écoles d'Orient, et Ton sait 
avec quelle intelligence et quelle fermeté il se 
dévoue aux intérêts du catholicisme et de sa patrie. 

Le P. Livinhac, aujourd'hui évêque de Pacando, 
a merveilleusement développé la foi catho- 
lique dans la mission du Nyanza, et il a été élu 
vicaire général * de la société en septembre 1889. 
Tout le monde connaît son nom aujourd'hui, et Von 
peut dire qu'il est, après le cardinal Lavigerie. 
l'une des plus grandes figures de l'Afrique. 

Quant au P. Deguerry, il suffira de rappeler 
qu'il a été choisi le premier pour vicaire général,! 
et que les suffrages de ses confrères l'ont obligé, 
malgré lui et plusieurs fois, à garder cette bon 
neur. S'il a pu s'y dérober, dans le dernier chapitre 
c'est qu'on a eu compassion de sa fatigue et de sei 
humbles instances. Par le caractère autant que pa 
le nom et par le sang, il est bien de la famille qu 
a produit le glorieux martyr de la Commune. 

Aussitôt après la nomination du vicaire généra 
et de son conseil, l'archevêque leur confia tout 
l'administration matérielle de la société et de se 

1. Ce litre de vicaire général est le seul que consenVe 
porter le supérieur des Pères Blancs, du vivant du ca 
dinal Lavigerie. 



LES P£RES BLANCS 1 15 

îuvrcs, aves les titres de propriété des établisse- 
lents et des biens qui avaient été acquis pour les 
oter. 

Les intérêts des missionnaires étaient dès lors 
5parés de ceux du diocèse. Ils avaient leurs 
îvenus et leurs ressources propres; ils avaient 
ussi leurs charges, qui étaient de beaucoup supé- 
eures, mais que chacun devait s'appliquer à 
lléger, « en en prenant sa part, soit par les priva- 
ons qu'il saurait s'imposer, soit par les humilia- 
ons qu'il saurait subir pour se procurer le 
écessaire. » 

Mgr Lavigerie profita de ce chapitre général 
our renouveler aux missionnaires les recomman- 
ations les plus utiles au succès de leurs œuvres. 
' ne jugeait pas nécessaire de leur rappeler 
obligation d'être fidèles à l'oraison journalière, 
ux retraites, à l'obéissance, à la régularité, à la 
rescription salutaire qui ne leur permet, dans 
Ucun cas et sous aucun prétexte, de s'établir 
imais moins de trois ensemble dans une station, 
lais il insistait sur l'esprit propre de leur société. 

Elle avait, disait-il, un but spécial dont elle ))o 
mouvait s'écarter sans perdre absolument sa raison 
l'être. Elle était destinée aux infidèles de l'Afrique . 
illene devait donc rien entreprendre qui n'eût 
-elle fin pour objet. C'était pour cela qu'elle aurait 
J)our caractère particulier de se rapprocher des 
indigènes par toutes les habitudes extérieures, 
par le langage, par le vêtement, par la nourriture, 

o 



146 LE CARDINAL LAVIGERIE 

conformément à l'exemple de saint Paul : Omni- 
bus omniajacûus sum, ut omneàfacerem salvos. 

Enfin il leur recommandait instamment d'unir 
toujours la prudence, la patience et la charité 
à l'exercice de leur zèle ; la prudence, parce 
qu'un seul manque de précaution pouvait reculer 
pour bien longtemps, pour des siècles peut-être, 
le salut de beaucoup de peuples; la patience, 
parce que leur mission était pénible entre toutes, 
et qu'ils ne triompheraient des obstacles qu'à force 
de souffrir sans plainte ni découragement; la 
charité, parce que c'est l'arme maîtresse, et la 
seule qui pénètre les cœurs. 

« Que ce soit là, ajoutait-il, tout le secret de 
votre action. Aimez ces pauvres infidèles. Faites- 
leur du bien. Soignez leurs plaies. Ils vous donne- 
ront leur affection d'abord, leur confiance ensuite 
et enfin leurs âmes. » 

Le fondateur a été obéi. Les Pères Blancs si 
sont faits Africains pour l'amour de l'Afrique. 

A les voir parcourir à cheval les solitudes 
sahariennes ou les sentiers escarpés de la Kabylie 
le burnous flottant au vent, la tête couverte de \ 
chéchia rouge ou du haïk à poils de chameau^ 
qui les prendrait pour des prêtres d'Europe ? 

L'illusion ne tomberait point si on les voyaî 
lestement descendus à terre, pénétrer dans 
gourbi ou sous la tente, s'asseoir, impassibles, sv 
les nattes d'alfa ou de palmier, converser longu 
lent en arabe avec leurs hôtes, s'intéresser 
irs besoins, leur expliquer les paperasses adn . 



LES PÈRES BLANCS 147 

istratives ou judiciaires dont les gratifient sans 
ompter les autorités françaises, faire lire les 
etits enfants sur Tardoise traditionnelle, les 
merveiller par leur connaissance du ('oran. 
îstribuer quelques menus présents, partager le 
epas de couscous et d'eau fraîche, et, avant de 
artir, échanger avec leurs amis le gracieux salut 
ui consiste à se toucher la main, puis à Tappro- 
her de son cœur et de ses lèvres. 

« Mais c'est très pittoresque et très agréable » , 
[ira-t-on. — Non pas, quand on a Todorat trop 
[éveloppé, ou quand on a voyagé toute une denii- 
ournée pour souper de couscous. Ajoutez que les 
^ères prennent les mœurs extérieures du pays 
usque dans leur vie privée, et que, par exemple, 
Is passent la nuit par terre, enveloppés dans leurs 
>urnous; il leur est toutefois permis, à la maison, 
le coucher sur une planche et, dans le cas do 
naladie, sur une paillasse. 

Que leur zèle ait été constamment réglé par la 
Prudence et soutenu par une patiente charité, les 
"ésultats obtenus le prouvent suffisamment. 11 
^'est pas un seul poste où ils soient établis depuis 
ine année seulement et où ils n'aient gagné 
'entière confiance des indigènes. 

C'est au point que les Arabes, touchés de leurs 
Vertus, ont dit à plus d'un d'entre eux : « Les 
tu très Roumis seront tous damnés, mais toi, tu es 
Iroit, tu iras au paradis. » Quelques musulmans, 
l'une orthodoxie plus sévère, se désolent de voir 
tue tant de vertus ne pourront servir au mission- 



148 LE CARDINAL LAVIGERIE 

naire pour réternité, faute de croire à l'islam, et 
ils essaient naïvement de les convertir. Un premier 
refus ne les rebute pas ; ils insistent : « marabout, 
disent-ils, ce n'est pas difficile, dis la ckaada, et 
tu seras sauvé. » Si le marabout vient à sourire de 
leur excès de zèle, ils le croient ébranlé, et ils 
ajoutent : « Va, dis après moi : La Allah ilk 
Allah, ou Mohammed Rasoul Allah *. » Et rien ne 
les attriste comme l'obstination du Père à ne pas 
dire la chaada *. 

Bientôt après la réunion du chapitre général et 
l'élection du conseil de la société, eut lieu solen- 
nellement, en présence de plusieurs évoques, la 
consécration de l'église du noviciat qui servaitet 
sert encore de maison-mère. 

Ce fut le 29 octobre 1874. 



1. H n'y a de Dieu que Dieu, et Mohammed est le pro- 
phète de Dieu. 

2. Le petit nombre de prêtres séculiers qui savent; 
Tarabe ne sont pas moins aimés des indigènes que lesl 
Pères Blancs. Le curé de Gouraya, dont l'influence s'étendi 
presque de Gherchell à Ténès, m'écrivait encore l*j 
27 juillet dernier : « J'étais, il y a quelques jours, dansQttf 
village kabyle. Un groupe assez nombreux m*entoaraii: 
Les uns me rappelaient les services que je leur avais ! 
rendus, les autres me montraient les cicatrices de plaiei 
que j'avais guéries, quand un vieillard, s'avançant venj 
moi, s'écria : « Toi, tu n'es pas chrétien, tu fais trop de: 
bien! » Je lui expliquai que, si j'essayais de faire dttj 
bien aux musulmans, c'était, au contraire, parce quej»] 
suis chrétien. Mais force me fut, pour répondre à 
objections, de dire qu'il ne fallait pas regarder nos coloDSJ 
comme de vrais chrétiens. » 



LES PÈRES BLANCS 149 

A la fin do la messe, Mgr Lavigcrie prononça 
ne émouvante allocution pour exposer les motifs 
ui l'avaient déterminé à confier aux mission- 
laires toutes les œuvres entreprises par lui pour 
a conversion de l'Afrique. 

« Marchez donc, s'écria-t-il en terminant, 
marchez donc au nom et avec l'aide de Dieu ! Allez 
relever les petits, soulager ceux qui souffrent, con- 
soler ceux qui pleurent, guérir ceux qui sont 
malades. Ce sera l'honneur de l'Église de vous voir 
révéler, de proche en proche, jusqu'au centre de 
cet immense continent, les œuvres de la charité ; 
ce sera l'honneur de la France de vous voir ainsi 
achever son œuvre, en portant la civilisation chré- 
tienne bien au delà de ses conquôies, dans ce 
ïîionde inconnu dont la vaillance de ses capitaines 
^ ouvert les portes. » 

Le général Chanzy, gouverneur, avait tenu à 
assister en personne à cette cérémonie. Une âme 
Comme la sienne était faite pour comprendre 
l'abnégation et le dévouement des missionnaires 
^'Alger. Un autre vaillant, l'amiral de (Uieydon, 
Clément gouverneur de l'Algérie, leur avait 
*^ndu justice quelques années auparavant : « Je 
Vous approuve, avait-il dit dans une visite h 
Liaison-Carrée, parce qu'en cherchant à rap- 
procher les indigènes de nous, par l'instruction 
les enfants, par la charité envers tous, vous faites 
'œuvre de la France. » Se trouvant avec son 
iseadrc en rade de la Goulette, Dupetit-Tliouars, 
111, lui aussi, se connaissait en vrai courage. 



ioO LE CARDINAL LAVIGERIE 

voulut recevoir sur son vaisseau-amiral tous les 
jeunes Pères qui achèvent leur séminaire à Saint- 
Louis de Carthage; il eut un mot de félicitation 
pour chacun en particulier, et comme les supé- 
rieurs l'en remerciaient avec leur modestie habi- 
tuelle : « Laissez-moi, leur dit-il, serrer la main 
de tous ces jeunes gens; c'est une vraie joie pour 
un Français et un honneur pour un soldat. » 



II 



Mais déjà les Pères Blancs avaient commencé 
depuis plus d'un an à fonder leurs Missions. Après 
l'œuvre des orphelins de la famine et des villages 
chrétiens, dont il a été parlé assez longuement, ce 
fut vers la Grande-Kabylie que se portèrent leurs 
premiers efforts. 

Les Kabyles appartiennent à l'ancienne race 
berbère ou numide, si célèbre par la résistance 
acharnée que Jugurtha fit aux Romains. EUcn'esl 
restée intacte que dans la Grande-Kabylie et la 
Kabylie de Cherchell, dans l'Aurès au sud de la 
province de Constantine, chez les Touaregs en 
plein Sahara, et dans les montagnes du Maroc. 
Ailleurs les Berbères ont été assimilés par les 
Arabes. Mais, Arabisés ou non, ils constituent à 
peu près les deux tiers de la population indigène 
de l'Algérie. Ils sont au nombre d'environ 400000 
dans la Grande-Kabylie ou Kabylie du Djurdjura. 

Le plus grand nombre des Berbères étaient 



LES PÈRES BLAXCS 151 

chrétiens au moment de Tinvasion arabe. S'il res- 
tait des païens, ce ne devait guère ôtre qu'au som- 
met des montagnes et dans les profondeurs inex- 
plorées du désert. La violence seule put leur 
imposer le mahométisme après la défaite, et leur 
résistance fut souvent longue et héroïque. 

Le Coran n'a,d'ailleurs, obtenu en Kabylie qu'une 
demi-victoire. Ses adeptes y sont moins fervents 
que dans le reste de l'Afrique, et, ce qui est plus 
important, ils ne lui reconnaissent que la valeur 
d'une loi religieuse. Contrairement aux autres 
miahométans, ils ne l'ont jamais appliqué dans le 
domaine civil et politique. Ils ont défendu jusqu'au 
bout Torganisalion démocratique de leurs villages, 
ou thadderts, en petites républiques autonomes, et 
ils ont fidèlement gardé leurs Kanouns, ou cou- 
tumes particulières, même lorsqu'elles étaient 
contraires au droit musulman. 

Il est certain que, si la France eût mieux connu 
ces vérités sur la population indigène, ou si elle 
avait su en tenir compte, elle aurait pu en tirer 
grand parti pour la conquête et l'assimilation. A 
tout le moins n'eût-on pas vu l'empire s'cttorcer, 
pendant plusieurs années, d'assimiler malgré eux 
les Kabyles... aux Arabes ! 

Mgr Lavigerie connaissait mieux son diocèse. 
Oès sa première lettre pastorale, il rappelait qu'a- 
près l'invasion musulmane, « réfugiés sur les som- 
mets ou dans les gorges des montagnes, les soli- 
tudes du désert, les anciens maîtres de la Maurita- 
f^îe et de la Numidie conservèrent longtemps la 



i.>2 LE CARDINAL LAVIGERIE 

foi de leurs pères ». Et. dans son Discours sur 
Varme et la mission de la France en Afriqu, il 
compare les anciens Berbères aux chrétiens de la 
Syrie et du Liban. 

En 1872, il voulut visiter lui-même les Kabyles 
(lu Djurdjura et s'entretenir directement avec eux 
de ces grands souvenirs. Un jour qu'il les leur 
avait rappelés, dans la djemmâa où ils traitent toutes 
les affaires d'intérêt commun, ils se consultèrent 
entre eux avec beaucoup de vivacité, et Vamin^ 
sorte de maire élu, répondit au nom des autres : 
« Nous savons tous cela, mais c'est bien ancien. 
Ce sont nos grands-pères qui nous l'ont dit ; nous, 
nous ne l'avons pas vu. » 

Quelques mois après ce voyage, au commence- 
ment de 1873, les Pères Blancs s"'établissaient pour 
la première fois en Kabylie. Les Jésuites les y 
avaient précédés, et ils avaient admirablement 
réussi à se concilier la confiance des indigènes; 
mais le manque de sujets dans leur province de 
Lyon, d'où relève l'Algérie, les avait empêchés d'é- 
tendre leur action autant qu'il l'eût fallu.C'était seu- 
lement dans deux postes,à Djemma-Saharidj et chez 
les Beni-Yenni, près de Fort-National, qu'ils pou- 
vaient travailler à rapprocher les Kabyles desFran- 
çais et des chrétiens. Dans la première de ces Mis- 
sions, ils étaient parvenus à réunir dans leur écok 
jusqu'à cent cinquante enfants indigènes. Ils durent 
tout abandonner en 1881, à la suite des décrets *. 

i. Les expulsions n*ont pas eu lieu en Algérie, comme 



LES PÈRES BLANCS 153 

Les trois premiers missionnaires d'Alger qui 
partirent en Kabylie, chacun avec la quanliU^ pré- 
cise de bagages qu'il pouvait porter à côlé de lui 
sur son mulet, s'arrôtèrent, épuisés de fatigue, aux 
abords du premier village qu'ils rencontrèrent, 
tl'était Taguemont-Azous. Trois mois durant, ils 
n'eurent d'autre lit que la terre ime. Une main 
charitable leur ayant envoyé de l'argent, ils purent 
se bâtir une maison. Le supérieur, qui était le 
!*• Deguerry, se fit maçon, et les deux autres Pères, 
manœuvres. Deux ans plus tard, le pauvre bâti- 
ment prenait une direction prononcée vers le 
ravin, et une pluie torrentielle achevait de le pré- 
cipiter. Il fallut recommencer. 

Les stations de Kabylie sont aujourd'hui au 
nombre de sept. 

L'installation, très sommaire, est à peu près 
partout la môme. 

Une pièce unique, parquetée en terre battue, se 
prête à tous les usages, au moyen de comparti- 
ments fictifs. Tout au fond, et voilée par un tapis 
tendu, se trouve la chapelle; au milieu, la place 
du dortoir et de la salle à manger, avec une table 
à tout faire ; dansun coin, la cuisine etunc batterie 
élémentaire ; dans l'autre, la mule et le petit bétail, 
quand il y en a. Mais la salle importante, c'est le 
divan, qui comprend presque toute la première 

nous le verrons plus tard, grâce à la résistance invincible 
de l'archevêque. Mais elles y ont exercé leur funeste 
contre-coup, en diminuant les ressources des Congréga- 
iions et le nombre de leurs membres. 



• • 



loi LE CARDINAL LAVIGERIK 

moitié de la maison. On y reçoit les visiteurs, et 
ils ne font pas défaut. Presque toujours il est plein 
de malades, et Ton y voit aussi des curieux et des 
bavards; le marabout arabe y fait volontiers un 
bout de conversation. 

C'est là qu'il faut voir comment la présence des 
missionnaires exaspère les indigènes et excite leur 
fanatisme ! 

Comme ceux des villages chrétiens, les Pères 
Blancs de Kabylie sont surtout occupés en qualité 
d'instituteurs. Mais, tandis qu'à Saint-Cyprien et à 
Sainte-Monique, ils n'admettent que les enfants 
chrétiens, afin d'éloigner d'eux la corruption des 
petits musulmans, en Kabylie, au contraire, l'école 
est ouverte à tous, et les élèves y viennent très 
nombreux. Leurs pères les y envoient volontiers; 
au besoin ils les amènent, ou même les apportent 
quand il y a trop de neige ; ils aiment l'instruc- 
tion, pourvu qu'elle ne soit ni laïque, ni obliga- 
toire, comme en témoignent tous les voyageurs. 

C'est à l'école que se fait le plus grand bien. Les 
enfants qui en sortent savent lire, parler et écrire le 
français; ils connaissent de la géographie, de l'a 
rithmétique, un peu d'histoire ; ils sont plus habiles 
que les autres dans leurs travaux domestiques et 
plus entendus aux choses de la vie. Ils ne croient 
plus qu'il suffit de dire \ac/iaada pour être au-des- 
sus du reste des hommes. Ils ont une grande idée 
^e la France, et ils sont convaincus qu'il n'y a 

en à espérer pour leur race en dehors d'une 



LES PÈRES BLANCS 155 

soumission sincère et d'une lente assimilation. 
Souvent l'exemple des Pères a encore d'autres 
effets que de les rapprocher de la France. Déjà un 
grand nombre d'entre eux demandent à rentrer 
« dans l'ancienne voie », et à embrasser une reli- 
gion dont les marabouts sont si supérieurs à ceux 
de l'islamisme. Les Pères font de grandes difficul- 
tés pour les admettre au baptême ; presque tou- 
jours ils attendent que les prosélytes volontaires 
aient atteint l'âge d'homme, et qu'ils soient en as- 
sez grand nombre pour que le changement de reli- 
gion ne leur crée pas dans la tribu une situation 
pénible. Déjà , et sans le moindre trouble, il 
8*est fait plusieurs conversions, et l'on trouve des 
lûénages catholiques en divers endroits de la 
Grande-Kabylie. 

Par un phénomène constant et bien digne d'at- 
tention, ceux qui se font chrétiens se considèrent, 
par le fait même, comme des Français, et se con- 
duisent désormais comme tels. On comprend dès 
lors cette réflexion d'un administrateur irréli- 
gieux, mais bien informé : « Partout où les 
Arabes nous sont le plus hostiles, et notamment 
dans les zaou'ias des sociétés secrètes, le gouver- 
fiement devrait envover des Pères Blancs fon- 
der une école; il pourrait, au bout de quelques an- 
nées, les remplacer par des instituteurs laïcs ». 

Et puis, n'est-ce pas, qu'est-ce qui empêcherait 
le même gouvernement de faire revenir les mis- 
sionnaires, quand il serait temps de remédier aux 
effets de l'instruction athée? 



!oO LE CARDINAL LAVIGËRIK 



III 



PenJanl qu'une petite troupe de missionnaires 
attaquaient la barbarie et le mahométisme dans le 
nord de l'Afrique, d'autres s'avançaient vaillam- 
ment vers le sud pour y porter le nom du Christ et 
celui de la France. 

Bien avant les intelligents patriotes qui ont prôné, 
depuis quelques années, la nécessité de réunir 
l'Algérie et la Tunisie au Sénégal par un système 
de communication qui nous amène, à travers le 
Sahara, les richesses du Soudan, et surtout assure 
notre domination contre des révoltes toujours 
possibles, Mgr Lavigerie avait prévu l'avenir de 
ces vastes régions. 

Dès 1868, il s'était fait nommer Délégué Apos- 
tolique d'une Mission créée cette même année, et 
qui s'étendait entre l'Océan Atlantique à l'ouest, 
le Maroc, l'Algérie et la Tunisie au nord, le Fezzan 
à l'est, le Sénégal et la Guinée au sud. C'est la 
Mission du Sahara occidental et du Soudan. 

Il en entreprit la conquête en 1874. 

Pour procéder méthodiquement, il établit d'a- 
bord ses missionnaires dans les postes du Sahara 
les moins éloignés du Tell, à Biskra, Géryville, 
Laghouat et Metlili. 

L'instruction des enfants et le soin des malades 
furent, là comme ailleurs, les moyens mis en 
œuvre pour gagner les musulmans, et préparer, 



LES PÈnES BLANCS 157 

avec lenteur mais sûreté, les futures conversions. 
11 arriva bientôt que les indigènes demandèi'ent 
eux-mêmes l'envoi de missionnaires, et le chef 
d'une grande tribu écrivit à ce sujet à Mgr Lavi- 
gerie une lettre bien capable de soutenir son cou- 
rage. 

Les missionnaires avaient eu, du reste, la joyeuse 
surprise de retrouver dans le Sahara, chez les 
ilzabites, nos plus proches voisins, et surtout 
chez les Touaregs, qui habitent, ou pour mieux 
dire, qui voyagent plus au sud, les mômes carac- 
tères qui distinguent les Kabyles des Arabes. C'é- 
taient, comme eux, d'anciens Herbères dilïérenls 
sur beaucoup de points des musulmans orthodoxes. 
Le Coran ne leur servait pas de loi civile; ils 
avaient gardé le culte de la croix et le vague sou- 
venir de traditions antérieures au mahométisme *. 
Chez les Touaregs la femme marchait en tout 
'égale de l'homme, et elle était même apte à exercer 
'<i pouvoir politique. 

1. Voici ce que dit M. Duveyrier, qui a voyage chez les 
Touaregs avec une mission du gouvernement français : 
<* La croix se trouve partout, dans leur alphabet, sur leurs 
firmes, sur leurs boucliers, dans les ornements de leurs 
^'^tements. Le seul tatouage qu'ils portent au front, sur le 
'ios de la main, est une croix à quatre branches t^galcs ; 
le pommeau de leurs selles, la poignée de leurs sabres, de 
leurs poignards, sont en croix. » Si cette espèce de culte 
ie la croix n*est pas nécessairement un reste de la reli- 
gion chrétienne, il prouve, tout au moins, que les tribus 
fui le pratiquent ont une origine antérieure à Tinva- 
ion arabe, et ne se sont qu'inparfaitement soumises au 
lahométisme. On sait, en effet, l'horreur des musulmans 
îrvents pour le signe distinctif du christianisme. 



158 LE CARDINAL lAVIGERIE 

Tout cela n'ompôche pas les Touaregs d'être 
pour le moins aussi pillards et aussi cruels que 
les autres habitants du désert ; peut-être même 
sont-ils actuellement plus soumis que personne à 
l'influence directe et fanatisante du Mahdi et des 
sociétés secrètes. Cependant, la crainte que ces 
vingt ou trente mille nomades inspirent aujour- 
d'hui, nous paraît bien exagérée. Ils commencent " 
à connaître nos forces ; et le prétendu chef qui est 
venu cette année à Biskra, autant pour s'informer 
de ce qu'est la tribu des Français que pour traiter 
avec elle, a pu édifier ses compatriotes sur l'impor- 
tance de notre armée. Ce que la crainte a com- 
mencé, l'intérêt l'achèvera, le jour où nous saurons 
utiliser leurs talents de transporteurs et où leurs ] 
caravanes trouveront moins de profit à tuer nos 
voyageurs pour les piller, qu'à nous amener en 
Algérie les produits du Soudan. Au reste, s'ils ne 
se laissent pas autrement convaincre, une colonne 
de cent ou deux cents soldats, accompagnant les 
constructeurs du futur Transsaharien, suffira, sans 
aucun doute, pour les mettre à la raison, car leurs 
tribus, vivant dispersées, ne peuvent jamais former 
que des bandes peu nombreuses, ■ 

Séduits par leurs bons rapports avec les Toua- 
regs, les Pères Blancs crurent qu'ils pouvaient, 
grâce à eux, pénétrer dans le Soudan. En dé- 
cembre 1875, les PP. Paulmier, Ménoret et Bou- 
chaud se mirent en route pour Tombouctou sous 
la conduite de cinq Touaregs, « avec la résolution 



LES PÈRES BLANCS i59 

de s'établir définitivement dans la capitale du 
Soudan, ou d'y laissser leur vie pour l'amour de 
la vérité ». Ils y laissèrent leur vie, en effet, mas- 
sacrés qu'ils furent après quelques semaines de 
voyage. 

L'archevêque d'Alger eut à pleurer la mort de 
ses fils et à célébrer le triomphe de ses pre- 
miers martyrs. Il écrivit une longue lettre à 
leurs parents, et après s'être affligé avec eux, il 
essaya de leur faire partager les consolations de 
la foi. 

« Quels souvenirs ! leur écrivait-il, et de quel 
glaive ne percent-ils pas mon âme, en songeant 
qu'ils nous ont quittés, et que je leur survis ! Voilà 
ce que je sens sur leur tombe! Et vous, qui avez 
veillé sur leur berceau, puis-je m'étonner que vous 
les pleuriez avec moi ? Pleurez donc, pleurez comme 
Jacob pleurait Joseph, comme Rachel pleurait ses 
fils; mais que vos larmes soient adoucies par les 
espérances de la foi 

« Ils vivent, vos trois fils martyrs ! Ils vivent en 
Dieu, pour l'amour duquel ils ont donné leur sang 
innocent. Ils vivent à jamais dans le souvenir 
reconnaissant de l'Église, leur mère, que leur sacri- 
fice a tant honorée. 

« Et quels traits pleins de charmes ces apôtres, 
enlevés dès leurs premiers pas dans la carrière, ne 
garderont-ils pas dans son histoire ? Fleurs sacrées 
où la blancheur du lys s'allie h la pourpre du mar- 
tyre, et qui, les premières, sont venues fleurir et 
embaumer ces déserts ! » 



160 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Ne pouvant aller au Soudan par le sud de TAl- 
gérie, les missionnaires cherchèrent à y pénétrer 
par une autre voie, et ils tournèrent les yeux vers 
la Tripolitaine. Une procure fut toi|t d'abord éta- 
blie à Tripoli pour faciliter Taccès de l'intérieur, 
et trois Pères se fixèrent bientôt après, malgré 
tous les obstacles et tous les périls, dans la ville de 
R'damès, à 30° de Téquateur, c'est-à-dire à la 
hauteur des postes les plus avancés de l'Algérie. 
Ils y réussirent si bien que les notables de la ville 
firent demander à M. Féraud, alors consul général 
de France à Tripoli, de les remplacer par d'autres 
missionnaires, s'ils venaient jamais à les quitter 
pour aller au Soudan. 

Telle était, en effet, leur intention, et ilsl'avaient 
manifestée au P. Deguerry dans une lettre du 
15 mars 1878 : « Nous sommes fort bien placés 
cette fois, disaient-ils, pour aller au Soudan. En 
moins de dix-huit mois ou deux ans nous y par- 
viendrons avec la grâce de Dieu... A l'œuvre donc 
tout de bon, et ne nous décourageons pas. D'Ouar- 
gla ici, un voyage de seize jours; d'ici à R'at, un 
voyage de quinze ; de R'ât à Kouba ou Kano, un 
autre de quarante-cinq ou cinquante. » 

Mgr Lavigerie crut devoir modérer leur zèle. 
A la nouvelle du massacre de la colonne Flat- 
ters, il envoya l'ordre de surseoir à tout voyage 
dans le Sahara, et il renouvela cette prescription 
quand la campagne de Tunisie vint redoubler la 
haine des musulmans du désert contre la France et 

christianisme. 



LES PÈRES BLANCS IGi 

L'apaisement s'étant fait ensuite dans la Tunisie 
et la Tripolitaine, et des assurances formelles leur 
ayant été données de la part des chefs d'une cara- 
vane touareg, les Pères de R'damès estimèrent 
le moment venu de se diriger vers le Soudan en 
passant par R'ât, et de porter l'Evangile chez des 
tribus fétichistes qui attendent encore leurs pre- 
miers apôtres. Ils écrivirent à leurs supérieurs 
pour annoncer leur prochaine expédition, et ils se 
crurent autorisés à partir avant d'avoir reçu la 
réponse. 

Un jour après avoir quitté R'damès, tous trois 
étaient mis à mort par les Touaregs qui les 
accompagnaient, probablement à l'instigation des 
Snoussya et du Mahdi. 

L'archevêque d'Alger partagea le nouveau deuil 
et aussi la légitime fierté des missionnaires, qui 
venaient d'envoyer au ciel trois martyrs de plus. 
Mais il leur rappela en môme temps les règles de 
prudence dont ils ne devaient pas s'écarter. 11 ne 
nomma que pour les bénir les Pères de R'damès, 
qui avaient cru à la disparition du danger pour le- 
quel, un an plus tôt, on leur avait défendu de 
partir; mais il fit à tous les autres une obligation 
rigoureuse de ne pas s'exposer volontairement au 
danger grave et certain. Il voulait que les expé- 
riences du passé servissent à modérer leur zèle 
et à le rendre plus patient : 

« Heureuse, ajoutait-il à bon droit, heureuse 
la société d'hommes apostoliques qui, dans ce 
temps de lâcheté et d'égoïsme universels , a 



iOâ LE CARDINAL LAVIGEKIE 

besoin qu'on l'arrôte pour ne pas courir au mar- 
tyre! » 

Malgré tant crobstacles et de si douloureux 
échecs, les missionnaires d'Alger n'ont renoncé ni 
à évangéliser les tribus sahariennes, ni à pénétrer 
dans rAfriqiie centrale. Ils avancent prudemment 
à la suite des armes françaises,rendant notre domi- 
nât ion plus douce aux indignes à force de bien- 
faits, et servant à nos soldats, dans ces trop 
lointaines oasis, d'aumôniers et d'amis. Us s'enfon- 
ceront de plus en plus dans le désert, à mesure que 
la France, comme son intérêt l'exige et comme le 
permettent les nouvelles conventions, établira des 
postes fortifiés et des voies de communicatioa 
entre ses possessions du nord et de l'est, pour faire 
un tout de l'Algérie, du Sénégal et du Congo 
reliés ensemble par le Sahara et par le Soudan 
central et occidental. 

Mais ils n'ont pas ajourné jusqu'à la pacification 
du désert et à la construction du Transsaharien 
leur projet de convertir et de civiliser l'immense 
empire de lalNigritie. 

Repoussés au nord, ils l'ont tourné à l'est. Par 
la mer Rouge et l'Océan Indien, ils sont allés 
jusqu'à Zanzibar, et de là ils se sont rendus près de 
ces Grands Lacs d'où partent le Nil et le Congo. 
Déjà ils y ont converti des royaumes entiers, en J» 
attendant l'heure de descendre vers le lac Tchad 
et vers le JNigcr. Mais avant d'étudier avec plus 
d'ampleur les Missions de l'Afrique équatoriale, 
qui sont la plus belle œuvre des Pères Blancs, 



LES PÈRES BLANCS 163 

il faut dire quelques mots de leurs établissements 
moius éloignés. 



IV 



Mgr Lavigerie s'est toujours souvenu que 
l'Orient a eu les prémices de son apostolat, et il 
connaît par lui-même l'importance des intérêts 
religieux et français qui y sont engagés. Aussi ne 
s'étonnera-t-on pas de le voir, en 1878, obtenir de 
Pie IX pour ses missionnaires d'Alger la garde du 
sanctuaire de Sainte-Anne de Jérusalem, cédé par 
la Turquie à la France après la guerre de Crimée, 
et qui s'élève sur l'emplacement de la maison 
vénérable où la tradition veut que soit née la 
Sainte Vierge. Les Pères Blancs, qui savent le 
î'espect des Arabes pour La Mecque et le tombeau 
de Mahomet, peuvent leur dire qu'eux aussi vont 
en pèlerinage dans la vraie ville sainte, au tom- 
Wu du seul vrai prophète. 

L'établissement de Saintc-x\nne n'est pas seule- 
lïient un lieu de prière ; il est devenu le centre 
i'nn grand mouvement catholique. 

Les Pères Blancs y ont fondé une école aposto- 
lique, où sont élevés les futurs instituteurs et les 
futurs missionnaires des Grecs orientaux. Un 
grand séminaire s'est, depuis, ajouté h la maison 
ti'enseignement proprement dite, et aujourd'hui, 
^ous la direction de douze missionnaires et d'un 
:)rôtre grec melchite, une centaine d'élèves s'y 



164 LE CARDINAL LAVIGERIE 

préparent à convertir leurs compatriotes. Hors des 
classes spéciales d'arabe, langue nationale, et de 
grec, langue liturgique, tous les exercices se font 
en français. 

Les prêtres qui sortent de Sainte-Anne ont plus 
d'influence que les schismatiques, parce qu'ils 
sont plus instruits, et parce qu'on a eu soia de 
leur laisser le rite national, suivant cette instruc- 
tion de Mgr Lavigerie à ses missionnaires : a Une 
seule méthode peut être féconde en Orient, et il 
faut la formuler ainsi : accepter et respecter chez 
les Orientaux tout absolument, excepté le vice et 
Terreur. » 

Grâce à cette sage tolérance, approuvée par 
Rome, les évoques schismatiques eux-mêmes pro- 
posent aux Pères Blancs plus d'élèves que leurs 
ressources no permettent d'en recevoir, et Ton 
voit des prêtres de l'Eglise séparée envoyer au 
séminaire catholique les fils qu'ils destinent à leur 
succéder, et qui ramèneront ainsi tout naturelle- 
ment des paroisses entières à l'Eglise romaine. 
Quant aux grecs-unis, ils témoignent d'autant plus 
de reconnaissance et d'empressement pour ce 
séminaire, qu'iU n'en avaient pas un seul jusqu'ici 
dans la Palestine. 

Une autre maison d'enseignement a été fondée à 
Malte, en 1881, sous le titre d'Institut apostolique 
africain. Depuis 1886, elle occupe une situation 

s pittoresque à Casal-Tarxin, au-dessus des 
> cités qui font face à La Valette. Il s'y prépare 



LES PÈRES BLANCS 165 

déjeunes instituteui's pour la Kabylie, et desprôlres 
Mallais destinés à évangéliser leurs compatriotes 
(l'Algérie et de Tunisie. 

Mais les élèves les plus intéressants en sont, sans 
aucun doute, les jeunes nègres amenés par les 
Pères du Sahara et de l'Afrique équatoriale. Ils 
avaient d'abord été réunis à Carthage sous la direc • 
tionduP. Delattre, qui joint les qualités de l'apôtre 
à celles du savant, et du pieux et aimable P. Roger, 
aujourd'hui supérieur à l'Institut de Malte et aupa- 
ravant à Sainte-Anne de Jérusalem. 

Les missionnaires ont souvent à recueillir des 
enfants abandonnés, à racheter les pauvres petits 
esclaves qui leur semblent par trop malheureux. 
Ce sont les plus intelligents qu'on envoie à Malte 
pour faire leurs études quelquefois en théologie, le 
plus souvent en médecine. Un certain nombre 
d'entre eux, des Arabes notamment, ont été en- 
voyés dans la maison que les Pères ont à Lille, et 
ils y étudient également la médecine. 

Après avoir passé, devant la faculté anglaise de 
Malte ou devant les facultés de France, des exa- 
mens où ils ne se montrent nullement inférieurs 
aux candidats européens, les jeunes docteurs 
reprennent le chemin de l'Afrique sous la direc- 
tion des Pères, et ils vont faire apprécier à leurs 
frères moins heureux les bienfaits de la foi et de la 
charité chrétiennes. 

Dans la lettre où il annonce au cardinal Lavi- 
gerie son rétablissement sur le trône du Bouganda, 
le roi Mouanga le prie de lui envoyer « des enfants 



166 Lt: CARDINAL LAVIGERIE 

ayant appris les remèdes », et il leur promet de 
leur donner a une belle place ». 

C'est pour répondre à cette demande que les dix- 
huit missionnaires qui sont partis d'Alger, le 
29 juin 1890, à destination des Grands Lacs, ont 
emmen(!^ avec eux deux médecins nègres élevés à 
Malte, Michel Abdou et François Gogé, du Soudan 
oriental. 

Les quinze indigènes de l'Ouganda, que Mgr Li- 
vinhac a dernièrement amenés à Paris, étaient 
destinés à faire leur éducation à l'Institut de Malte. 
Ils devaient tous s'y rendre directement, en quit: 
tant Rome, où le cardinal Lavigerie les a présentés 
au Saint-Père. Mais sept seulement sont allés 
dans cette île. Sur le désir du Pape, l'archevêque 
d'Alger a envoyé les sept autres à l'école aposto- 
lique de Saiut-Eugèno, pour voir si l'on ne trou- 
verait pas en eux des vocations sacerdotales. 



V 



On se demandera comment une société si récente 
peut suffire à tant d'œuvres diverses. 

Et nous n'avons pas fait connaître tous ses éta- 
blissements. Nous n'avons point parlé du petit 
séminaire diocésain de Carthage, qui est confié à 
sa direction. Nous n'avons presque rien dit de la 
maison qu'elle possède à Rome, à Saint-Nicolas i 
des Lorrains, pour traiter ses affaires avec le Saint-] 
Siège, et pour servir de séminaire aux Pères qui 



LES PÈRES BLANCS 167 

réparent, à la Propagande, leurs grades de théo- 
Dgie et de philosophie. Nous avons à peine men- 
ionné la procure de Paris, où se rédige le bulletin 
[es Missions d'Afrique, et où se centralisent les 
liverses offrandes, en particulier celles des chré- 
iens généreux qui veulent adopter un mission- 
laire en pourvoyant à ses besoins matériels et en 
Participant à ses mérites devant Dieu. 

Si les Pères Blancs sont déjà assez nombreux 
pour faire tant de bien dans l'Afrique du nord, de 
Test et du centre, et jusqu'en Orient, c'est sans 
doute parce qu'on trouverait difficilement une vo- 
cation plus séduisante que la leur pour les âmes 
vaillantes, mais c'est aussi parce que leur recrute - 
ïûent et leur formation sont organisés de main de 
maître. 

La congrégation des missionnaires d'Alger ren- 
ferme deux ordres distincts d'ouvriers aposto- 
liques : les prôtres ou missionnaires proprement 
dits, connus sous le nom de Pères Blancs, et les 
^ères catéchistes ou frères convers, qui ne sont 
jas dans les Ordres, mais qui font les serments 
religieux de chasteté, de pauvreté, d'obéissance, et 
^n outre le serment de se dévouer aux Missions 
li'Afrique. 

Les uns et les autres ont leur noviciat à Maison- 
llarrée, près d'Alger. 

Mais l'Afrique est bien loin pour qui veut étu- 
dier sa vocation, et c'est s'exposer h faire deux 
Ibis le voyage que de s'y rendre sans être sûr 
ife l'issue de l'épreuve. Il a donc fallu fonder 



i()8 LE CARDINAL LAVIGERIE 

on Europe des établissements préparatoires. 

Les fvbvQs ont des postulats en France, en Bel- 
gique et en Hollande; ils s'y préparent pendant 
six mois aux exercices de la vie spirituelle et apos- 
tolique, et ils y restent môme davantage, s'ils 
ignorent le français. Ils vont ensuite achever, pen- 
dant dix-huit mois, leur noviciat à Maison-Carrée. 
On ne leur demande ni dot ni déboursés d'aucune 
espèce; ils sont conduits gratuitement en Algérie, 
et leur retour, s'il arrive qu'ils ne soient pas ad- 
mis, reste également aux frais de la Mission. 

Les prôtres ont des maisons de postulat ou 
écoles apostoliques depuis 1882 à AVoluwé-Sàint- 
Lambert, près de Bruxelles, pour les Hollandais et 
les Belges; et depuis 1874, à Saint-Laurent-d'Olt, 
au diocèse de Rodez, pour la France. Là sont re- 
cueillis, pour y recevoir la même instruction et 1* 
môme formation que dans les petits séminaires, 
les enfants, même dénués de toute ressource, qui 
se sentent do l'attrait pour les Missions. 

Une maison semblable est établie à Saint-Eu- 
gène, près d'Alger, dans la propriété même où ré- 
side le cardinal Lavigerie ; et nous avons dit ail- 
leurs combien il aime à se trouver au milieu des 
enfants qui y sont élevés. 

Il les avait fait venir tous à Carthage pour la 
consécration de la basilique Saint-Louis, et leur 
fanfare, si habilement dirigée par le P. Daus- 
bourg, ancien maître de chapelle de la cathédrale 
de Rouen, n'a pas peu contribué à embellir les 
fêtes religieuses et à charmer les loisirs des Pères 



LES PÈRES BLANCS lOî) 

u concile. Un jour qu'ils avaient jout^ pendant le 
cpas de délicieux airs arabes, le cardinal les fit 
vancer vers la table d'honneur, pour les remercier 
LU nom de tous. Mais quand ils furent devant lui, 
?t qu'il aperçut au-dessus d'eux les tableaux, or- 
nés de palmes, où était représenté le supplice des 
martyrs du Bouganda, il ne put que leur dire 
d'une voix lente et émue, que j'entends encore : 
«iMes enfants, vous voyez ces bûchers ?... A votre 
futur martyre ! » 11 y avait là des évt'^ques et des 
prélats de tout pays, de vieux missionnaires, des 
prêtres d'Algérie, stoïques comme leurs Arabes : 
tout le monde pleurait. 

Au sortir de l'école apostolique, — ou après une 
retraite plus ou moins longue dans un postulat, 
s'il est déjà dans les Ordres^, — le futur mission- 
naire entre au noviciat de Maison-Carrée pour s'y 
former à la vie qui doit être désormais la sienne. 
Dès lors, son temps se partage entre la lecture 
de la Bible ou des auteurs ascétiques, et Tétude de 
la langue arabe, qui occupe la plus grande partie 
de ses journées. Pour se préparer aux labeur» et 
aux privations physiques de l'avenir, il fait deux 
heures de travail manuel, il couche sur la planche 
ou par terre, il s'habitue d'avance, en mangeant 
plus de couscous que de plats fins, h la cuisine du 
l^ourbi, de la tente ou de la hutte. 

Après deux ans de noviciat, il part pour la mis- 
sion qu'on lui désigne, en Kabylie, dans le Sahara, 
3n Tunisie, à Mal te, à Jérusalem, ou près des Grands 
[idLCS. S'il n'a pas encore fait sa théologie, il va l'é- 



t;* 



170 LE CARDINAL lavigëri:<: 

tudior à Carthago, au séminaire Saint-Louis, sur 
le plateau deByrsa, près de la basilique primatiale. 
Nul lieu au monde ne saurait être mieux choisi 
pour enseigner la science sacrée à de futurs mis- 
sionnaires. C'est là qu'aux premiers siècles l'É- 
glise d'Afrique a vu briller par leur science et leur 
éloquence ses deux plus grands docteurs, saint 
Cyprien et saint Augustin ; c'est là que sont tombés 
pour la foi ses plus nombreux et ses plus illustres 
martyrs. Il convient que la même Eglise, après 
douze cents ans de mort, retrouve maintenant ta 
vie près du tombeau de ses glorieux ancêtres. 



YI 



A Carthage encore, à égale distance de la nou- 
velle cathédrale Saint-Louis et des ruines de l'an- 
cienne basilique de Sainte-Félicité, où saint Au- 
gustin a prêché des sermons qui nous restent, 
s'élevait, jusqu'à ces derniers temps, le scolasticat 
des sœurs de la mission, ou Sœurs Blanches, 
fondées aussi par le cardinal pour l'cvangélisation 
(le l'Afrique. 

Ce noviciat vient d'être transféré à Kouba, prè& 
d'Alger, ou se trouve la maison-mère des mêmes 
religieuses. C'est là que les premières postulante^ 
furent réunies, en 1868, pour élever les orphelines 
de la grande famine. Pendant dix ans elles resté-* 
rent sous la direction des Sœurs Nancéiennes àm 
Saint-Charles et des Sœurs de l'Assomption. Ce 



LES PÈRES BLANCS 171 

fut seulement après cette formation que Mgr Lavi- 
gerie les organisa en congrégation indépoiidanto. 
Les œuvres qu'il leur a confiées sont les suivan- 
tes : enseignement élémentaire de la religion aux 
femmes infidèles, que les missionnaires ne peu- 
vent guère aborder ; direction d'orphelinats exclu- 
sivement indigènes, et d'écoles qui peuvent aussi 
recevoir des enfants de colons; hôpitaux, dispen- 
saires et travaux manuels; visites et soins à don- 
ner à domicile aux indigènes malades ; prières 
pour la conversion des infidèles et particulièrement 
des femmes africaines. 

Plus profond est l'avilissement de ces pauvres 
Cï*éatures, plus elles sont frappées de la grandeur 
Morale de nos religieuses. 

Elles les prennent pour des êtres supérieurs, 
presque surnaturels. Elles ne leur portent pas 
^Uvie, car elles sont résignées à leur sort, n'ayant 
pas ridée d une société où la femme soit l'égale de 
iTiomme; mais elles les admirent et les écoulent 
F •vec une rare docilité. 

Jusqu'où va leur confiance, on en jugera par le 
"t'ait suivant. 

Un jour que trois d'entre elles étaient allées à 
^i visite des malades dans un village kabyle, 
itab-del-Moumen, etqu'ellesétaient cernées dans 
le maison par la foule empressée de ceux qui 
jr demandaient des soins et des remèdes, une 
uvre femme faisait de grands efforts pour attirer 
ir attention et les emmener avec elle. 
X Viens chez moi, criait-elle, viens chez moi. 



i7!2 LE CARDINAL LAVIGERIS 

— Dès que nous aurons soigné tous ces malades. 

— Non, viens tout de suite, pour guérir moB 
fils. 

— Et qu'est-ce qu'il a, ton fils? 

— Il est mort. » 

Les Sœurs des Missions d'Afrique avaient trois 
postes en Kabylie ; elles ont dû en abandonner un 
récemment, parce qu'elles n'étaient plus en sûreté 
dans les ruines qui leur servaient de demeui'c, et 
qu'elles manquaient de ressources pour remédiera 
ce délabrement par les réparations les plus indis- 
pensables. Dans les deux autres, elles continuent 
avec grand succès de soigner les malades et de 
faire l'école aux petites filles. Leurs classes 
sont encore plus suivies que celles des mission- 
naires, et les enfants élevées par elles sont trè»; 
recherchées en mariage à cause des talents 
ménagère et des habitudes soigneuses qu'elles 
acquièrent. Elles se payent beaucoup plus chelj 
que les autres. 

Autour des Sœurs Blanches comme autour 
missionnaires, on voit bientôt tomber les préjuj 
fanatiques et se répandre Testime du christii 
nisme, estime qui se traduit déjà par de libres 
solides conversions. Elles sont, elles aussi, ass 
aimées des Kabyles pour qu'ils essayent souvi 
de les convertir au mahométisme dans l'intéi 
de leur âme. 

On a vu dans le chapitre précédent ce que fc 
les Sœurs Blanches au grand hospice de Saint 
Elisabeth des Attafs et dans les deux vilh 



l::s pèkes iîlancs 173 

'Arabes chrétiens. Elles ont encore, en Algérie, 
orphelinat agricole de Kouba, où elles ont garde 
es petites orphelines de 1867 que les infirmités 
mt empêchées de se marier, et où elles rccueil- 
ent les enfants des premiers orphelins, quand 
îeux-ci viennent à mourir. En Tunisie, elles ont, 
il La Marsa, une école où elles élèvent tous les en- 
fants que les familles veulent leur confier, sans 
distinction de religion, et, à Carlhage, une maison 
de refuge pour les Madeleines repentantes et pour 
les jeunes filles abandonnées dont la vertu serait 
exposée aux plus grands dangers dans ce monde 
tout imprégné des mœurs musulmanes. 

Leur recrutement et leur formation sont orga- 
nisés comme ceux des Pères Blancs. 

Pour les jeunes filles plus encore que pour les 
lommes, il est nécessaire de faire en Europe une 
iremière épreuve de la vocation avant d'aller 
examiner définitivement en Afrique. Deux pos- 
alats répondent à ce besoin, pour les Sœurs de la 
[ission : l'un est à Lyon, mais il doit être pro- 
hainement transféré à Paris ; l'autre est à Macs- 
îcht, pour recueillir les vocations de la Bel- 
ique, de la Hollande et de l'Allemagne du 
ord. Los demandes d'admission sont déjà nom- 
reuses ; beaucoup d'âmes , qui se sentent un 
trait tout à fait prononcé pour les missions, 
■éfèrent cette congrégation aux autres , parce 
l'elle est exclusivement destinée à l'apostolat 

pays infidèle. Il faut dire aussi que l'affreuse 



174 LE CARDINAL LAVIGERIZ 

situation des femmes africaines, dont les Sœurs 
Blanches se proposent avant tout le soulage- 
ment moral et matériel , est bien faite pour 
émouvoir le cœur d'une jeune fille chrétienne. 

Après avoir pris Thabit au postulat français ou 
hollandais, les futures Sœurs Blanches vont au 
noviciat de Kouba terminer leur préparation. 
Aux exercices de la vie religieuse elles mêlent l'é- 
tude de la médecine, du kabyle et de l'arabe. 

Il y a parmi elles quelques jeunes filles indi- 
gènes, et celle qui enseigne l'arabe à Kouba est 
une orpheline de 1867, qui a pour marraine la ] 
pieuse veuve du général Yusuf. 

Lorsqu'elles sont assez avancées dans la piété cl 
dans les sciences qu'exige leur apostolat, elles sont 
envoyées dans un poste de TAlgérie ou de l»; 
Tunisie. 

Le cardinal Lavigerie n'a pas voulu jusqu'i 
leur permettre d'aller plus loin, dans l'Afriqni 
équatorialc ; il a craint pour elles les fatigues d'u 
si longue roule, et plus encore les dangers quil 
menaccraicnl dans des pays complètement sa 
vages. Il a voulu attendre que les Pères Bla; 
aient préparé les voies et aplani les difficul 
Mais déjà elles peuvent entrevoir le momi 
prochain où ces immenses contrées s'ouvriront 
leur zèle, car la foi catholique commence à C;^^ 
chasser les ténèbres et la barbarie. 1 , 



\ 



CHAPITRE VI 



LES MISSIONS DE L AFRIQUE EQUATORIALE 



monde achève de se partager rAfricjuc. 
s avoir pris position sur les rivages de lu 
terranée, de l'Atlantique et de l'Océan Indien, 
ations s'avancent à la rencontre les unes des 
s dans le centre du vaste continent qu'une 
tive ignorance représentait jadis comme un 
t de sable et de feu, mais dont les explora- 

viennent de faire connaître la fertilité, les 
sses, les grands lacs, les longs et larges fleuves, 
rôts géantes, les peuples innombrables, 
îtresse d'Alger et de Tunis, du Sénégal et de 
e nord du Congo inférieur, la France, avec 
1, porte son influence par-dessus le Sahara, 
sse de l'efi'rayer, dans tout le bassin du Niger, 
'à Tombouctou et jusqu'au lac Tchad. La 
jue suit la ligne équatoriale depuis l'Atlan- 
jusqu'aux sources du Congo. L'Angleterre 
10 sur toutes les régions du sud et du nord- 

elle étende depuis le cap de Bonne -Espérance 
à l'isthme de Suez, un immense empire 



170 LE CARDINAL LAVIGERIË 

qu'inteiTompcnt à peine les vieilles colonies por- 
tugaises, les possessions nouvelles de rAllemagne 
et de ritalie. 

L'Église, elle aussi, a fait le siège du continent 
noir. 

Si Ton en contourne les immenses rivages, od 
trouvera partout sur la côte les établissements de 
ses missionnaires. En Algérie et en Tunisie, c'estle 
clergé français; au Maroc, le clergé espagnol; au 
lîenguela, le clergé de Portugal ; dans la colonie 
du Cap, celui de Tlrlande et de TAngleterre. Les 
Franciscains sont depuis longtemps déjà dans la 
Tripolitaine, l'Egypte, le pays des Gallas; les 
Lazaristes, dans TAbyssinie ; les Pères du Saint- 
Esprit au Zanguebar, au Congo, dans la Séné- 
gambie, au Sénégal; les Missions Africaines de 
Lyon, dans la Guinée, aa Dahomey; les Oblatsde 
Marie, au Natal ; les Jésuites, à Madagascar et au 
Zambèze. 

Il restait à l'Eglise à envoyer ses missionnaires 
dans l'intérieur même de l'Afrique. 

Elle le fit dès que les grands explorateurs eurent, 
soulevé le voile qui couvrait ces régions incon-! 
nues, et dès que l'Association internationale dei 
Bruxelles eut annoncé son projet d'unir et d6 
diriger tous les efforts qui seraient faits pouryj 
porter la civilisation (1876}. 

Le champ d'action que l'Association dej 
Bruxelles s'était fixé d'avance, était limité, hY( 
et à l'ouest, par les deux mers; au midi, par 
bassin du Zambèze ; au nord, par les conquêt 



LES mssiOKS DE l'afrique équatokialk 177 

ouveau territoire égyptien, et par le Soudan 
)endant. De cette région, qui s'étend du 
e latitude nord au 15® de latitude sud, l'Église 
a l'immense mission de l'Afrique équatorialc, 
isant appel à la plus jeune de ses sociétés 
très, elle confia aux missionnaires d'Alger le 
l'annoncer l'Evangile aux millions de païens 
on venait d'apprendre l'existence, 
r Lavigerie et ses missionnaires répondirent 
empressement à cet appel, qui s'accordait si 
avec leur vaste plan de conquêtes, 
mpire vraiment central de l'Afrique, c'est le 
au. Ils l'attaquaient depuis plusieurs années 
Algérie et le Sahara. Sans quitter leurs posi- 

du nord, ils allaient maintenant l'attaquer 
est et par le sud. Le triomphe délinitif sur la 
irie musulmane et païenne n'était plus désor- 
qu'une question de temps et d'héroïsme, 
i IX s'apprêtait h signer le décret préparé par 
Dpagande pour confier les nouvelles missions 
•ères Blancs, lorsque la mort vint l'enlever à 
îtion du monde catholique. Mais l'Eglise ne 
t pas. Le 24 février 1878, quatre jours seule- 

après son élection, Léon XIII reprenait le 
t de son prédécesseur, et en confiait Texécu- 
L Mgr Lavigerie. 

mois plus tard, le 25 mars, dix missionnaires 
er partaient pour Zanzibar, et, le 17 juin, ils 
dent Bagamoyo pour monter « à l'assaut des 
nègres ». Cinq étaient destinés à la Mission 



178 LE CARDINAL LAVIGERIl:: 

du lac Nyanza, cinq autres à celle du Tanganika. 

Laissons-les traduire eux-mêmes les sentiments 
de foi et de patriotisme qui débordaient de leurs 
âmes, à la pensée de la grande œuvre qu'ils allaient 
entreprendre : 

« Nous voilà donc eu route pour notre Mission, 
écrivaient-ils. Une vie nouvelle commence. C'est 
Tapostolat tel que Tout connu les apôtres. Malgré 
notre insuffisance et notre indignité, nous sommes 
les premiers qui, depuis l'origine du christianisme, 
allons représenter Notre-Seigneur et son Eglise 
dans ce monde barbare, et encore à peu près 
inconnu, de l'Afrique intérieure. Devant nous, 
cent et peut-être deux cents millions d'âmes nous 
tendent in visiblement les bras. » 

(( Une autre pensée, disaient-ils encore, se m^e 
à celle de la foi, la pensée de la France, notre chère 
patrie, de tous ceux que nous y avons connus et 
aimés. Combien d'entre nous qui ne la reverroivs 
pas, cette France, qui nous est d'autant plus chère 
qu'elle est plus malheureuse et que nous en sommes 
séparés! C'est pour elle aussi que nous allons 
travailler. Nous sommes les premiers Français 
qui, envoyés par notre évêque. Français comme 
nous, allons porter sa langue et son influence dans 
les profondeurs africaines. 

« L'Angleterre, l'Amérique, l'Allemagne l'ont 
précédée, elle ne pouvait manquer plus longtemps 
à ce grand rendez-vous de l'humanité et de la 
civilisation. Nous voici pour tenir sa place. Nous 
lui sacrifions par avance tout ce qui nous est cVxei 



LES MISSIONS DE l'aFRIQUE ÉQUATORIALE 179 

îtnos vies mêmes. Si nous y périssons, qu'elle se 
souvienne seulement que dix de ses enfants, de ses 
prêtres, sont morts obscurément en pensant à elle 
-ten Taimant jusqu'à la fin. » 

Plus de trente, aujourd'hui, « sont morts obscu 
fément », avec la pensée de l'Eglise et de la patrie 
lointaine. 



I 



Le premier obstacle que rencontrèrent les 
'ûissionnaires, ce fut la nature môme des pays 
ÎQ'ils durent traverser. 

La région des hauts plateaux, où se trouvent les 
Grands Lacs, et qui est proprement le territoire 
^s Missions, n'est ni insalubre ni infertile ; on 
peut même dire que c'est l'une des plus belles de 
l'Afrique, et qu'un brillant avenir commencera 
K)ur elle dès le jour où les nations chrétiennes 
toront empêché par la force les incursions des 
b*abes esclavagistes, qui la dépeuplent, dès le 
our où les missionnaires auront élevé l'Ame et 
'éveloppé l'intelligence des nègres indigènes. 
Mais il n'en est pas de môme dans les plaines 
bi font suite à la côte depuis Bagamoyo, ville h 
Bmi européenne, jusque vers Tabora, le grand 
karché arabe et nègfe de l'Ounyamouézi. 
^11 est, en effet, peu de contrées d'un abord plus 

Ecile. 
6s terres, les forêts mêmes qu'il faut traverser, 



180 LK CARDINAL LAVIGERIE 

y sont souvent marécageuses, à cause de la 
ou saison des pluies, qui fait déborder les torrents 
et multiplie les amas d'eau croupissante. Des 
miasmes délétères s'en dégagent et amènent 
bientôt là fièvre, cette fièvre tropicale qui est un 
véritable empoisonnement. Elle commence par un 
mal de tête violent, suivi d'un froid intense et d'wn 
épuisement général. Malgré les doses de quinine, 
le délire arrive, et des visions morbides agitent les 
nuits du pauvre malade. 

La première caravane de missionnaires perdit, 
sous l'action de cette fièvre, l'un de ses membres 
les plus distingués et les plus pieux, le P. Joachim 
Pascal, supérieur de la mission du Tanj^anika. 
L'archevêque d'Alger essaya d'adoucir le chagrin 
de sa mère par une longue lettre qui se terminait 
ainsi : 

« Son agonie avait été douce. Etendu sur sa 
natte, sous sa tente de voyage, il paraissait pTfeV^ 
s'endormir. Il s'endormit, en effet, du sommeil d 
la paix, avec le calme et la joie d'un saint, donnai 
sa vie, avec des transports admirables de charitq 
pour cette mission qu'il avait tant désirée. 

(i C'est dans le lieu même oîi il était mort (\v 
furent faites, pour votre fils, les prières des fun 
railles. Tous les missionnaires étaient réunis, : 
nombre de neuf. C'est aussi là que fut ofîert 
saint sacrifice pour ce premier apôtre, et j'ose^ 
dire pour ce premier martyr de l'Afrique équa^ 
riale. )> 

Son pauvre tombeau, si lointain qu'il soit, li 



LES HISSIONS DE l'aFHIQLK KOrATuHIALK 181 

pas oublié. D'autres missionnaires ont pris Iv 
même chemin pour aller se mettre à genoux pr^s 
^le l'humble croix qui garde ses glorieux restes, et 
y renouveler d'intention, avec une gc^norositr» plus 
grande, le sacrifice de leur vie. 

Les neuf missionnaires survivants arrivèrent, 
malgré tant d'obstacles, au terme de leur voyage. 
Ce fut àKouihara, près de ïabora, qu'ils se sépa- 
rèrent. 

Ceux duTanganika arrivèrent à Oujiji à la lin 
de janvier 1879, ceux du Nyanza parvinrent à 
àRoubaga, capitale de l'Ouganda, le 19 juin de la 
même année. Les premiers avaient mis plus de 
dix mois depuis leur départ d'Alger; les seconds, 
un an, deux mois et vingt-cinq jours. 

Ces chiffres ne montrent pas seulement les dif- 
cultés du voyage, ils donnent l'idée des dépenses 
qu'il exige. Qu'on pense au nombre d'hommes 
- qu'il faut salarier et nourrir durant de longs mois, 
pour défendre la caravane, pour porter non seule- 
' ment les bagages indispensables à l'établissement 
d'une Mission en pays sauvage, mais encore les 
objets d'échange qui sont nécessaires, la monnaie 
pétant inconnue, à l'achat des provisions quoti- 
Bdiennes et au payement de l'impôt qu'exigent les 
Broitelets sans nombre dont on traverse le terri- 
Ftoire. 



b. 

kK 



Les missionnaires du Tanganika s'établirent 
llid'abord à Oujiji, la principale ville des bords du lac. 

6 



182 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Grâce aux lettres de recommandation de Saïd- 
Bargash, sultan de Zanzibar, ils reçm'ent, en ap- 
parence, un bon accueil des marchands arabes, qui 
en ont fait l'entrepôt de leur commerce. Mais Us 
ne tardèrent pas à s'apercevoir que les musulmans 
leur suscitaient toutes sortes de difficultés, et ils 
cherchèrent un poste plus favorable. 

Ce fut dans TOuroundi, au nord d'Oujiji, qu'ils 
allèrent se fixer. Le pays était sain, pittoresque el 
bien cultivé. Partout des champs de manioc et des 
bananeries, beaucoup de haricots et de patates. 
La population en était nombreuse, et timide au 
point de s'enfuir au moindre signe des nouveau^ 
venus. Elle ne tarda pas à reconnaître en eux de^ 
amis et à leur témoigner une grande confiance. 

Mais, comme un trop grand nombre de nos 
paysans de France, s'ils estimaient le prêtre chré- 
tien pour ses qualités personnelles, ils ne sem- 
blaient rien comprendre à son caractère divin. Il 
n'étaient pas, comme on l'a faussement prétendu, 
complètement étrangers à l'idée du surnaturel, 
mais ils joignaient les plus grossières superstitions 
à l'indifférence la plus obstinée, et c'était une rud 
tâche d'élever ces pauvres âmes à d'autres pen- 
sées que celles de leurs chasses, de leurs pêchesj 
de leurs danses, de leurs amusements enfantm^j 
de les élever surtout au désir d'une vie supérieur 
et à la pratique des vertus qu'elle suppose. 

Le succès fut plus rapide avec les petits en\ 
fants. Ceux que les Pères rachetaient de Tescla 
vagc et élevaient auprès d'eux, se montraient d'\\\i< 



LES HISSIONS DIS l'aFRIQUë KQUATOKIALK 183 

docilité surprenante, et faisaient coiiovoir (!e 
grandes espérances, que révénement a, du reste, 
confirmées/ 

Une des plus douces consolations des mission- 
naires, c'était de pouvoir baptiser tous les petits 
moribonds. Les deux premiers qui aient été en- 
voyés au ciel, pour servir d'anges à TÉglise nou- 
velle, s'appelaient Léon et Charles, comme le Pape 
et comme Mgr Lavigerie. 

Le centre de la Mission du Nyanza était tout in- 
diqué par les récits de Stanley, a II y a quinze ans, 
rappelle lui-même cet explorateur dans son der- 
nier ouvrage, il y a quinze ans que, pour la pre- 
mière fois, j'arrivai sur les bords de cette mer 
Victorienne ; je lançai mon embarcation sur ses 
eaux, je naviguai le long de ses rives, j'inspectai 
ses baies et ses criques, et en esquissai les con- 
tours. Six mois après, pour la modique somme de 
deux sous, le Daily Telegraph et le Neto-York 
Herald apprenaient à leurs lecteurs que le plus 
grand des lacs de l'Afrique venait d'être exploré, 
et que, au nord de ce Nyanza,un roi. commandant 
à trois millions de nègres beaux et propres, criait 
au monde civilisé qu'il était las de ses ténèbres et 
demandait la lumière * . » 

Le prince dont Stanley parle avec cet enthou- 
siasme était Mtésa, roi de l'Ouganda ou, comme 
on dit en Afrique, du Houganda. 

j. H. Stanley, Dans les ténèbres de V Afrique^ t. II, p. 389. 



i84 LE CARDINAL LAVIGERIË 

Etait-il réellement si las de ses ténèbres, el si 
avide de la lumière? La suite ne Ta guère montré, 
et il est plus vrai de dire qu'il s'était joué de 
Texplorateur, en se laissant, en apparence, con- 
vertir par lui à sa religion et à toutes ses idées. 

Mais Stanley ne se trompait pas sur l'impor- 
tance du royaume qu'il venait d'explorer. L'Ou- 
ganda est, en effet, habité par une population 
beaucoup plus intelligente et plus nombreuse que 
les autres pays de l'Equateur africain. Il ne se 
compose pas, comme eux, d'une collection de tri- 
bus toujours en guerre les unes contre les autres; 
il a un gouvernement, une armée, une adminis- 
tration ; il reçoit l'hommage et le tribut des 
royaumes environnants. Grâce à une altitude 
moyenne de douze cents mètres au-dessus de la 
mer, ce pays est fertile, et le climat tempéré. Les 
habitants, appelés Bagandas {Mganda au singu- 
lier), jouissent d'un réel bien-être, qu'ils doivent 
au bananier, dont ils savent plier le fruit et la 
plante à toutes sortes d'usages. Ils réussissent fort 
bien dans les arts usuels, et font avec les Arabes de 
la côte un commerce rémunérateur. Ce qui leur 
manque, c'est une organisation stable de la pro- 
priété, le roi disposant toujours en droit, et sou- 
vent en fait, de tous les biens de ses sujets sansau- 
cunc exception. 

Les missionnaires catholiques furent, comme 
tous les blancs, très bien reçus à Roubaga, qui est 
la capitale du royaume. 

La magnificence des présents qu'ils appor- 



LES MISSIONS DE LAFRIQUE KOUATOIUALi: 185 

talent leur valut môme de Mtésa un acouoil 
plus aimable qu'à rordinaire. Ils n'olTrironl pas 
seulement la poudre et les armes ({ue doivoni 
donner tous les voyageurs, ils comblèrent le roi 
et sa cour de magnifiques costumes do coréinoiiio 
achetés à bon compte à Paris sur les marchés du 
Temple; ils distribuèrent à profusion dos habits à 
la française, tout chamarrés d'or, et qui, apros 
avoir brillé sur la personne de nos minislros ol 
fonctionnaires déchus, devaient encore, do Ion 
gués années, faire leur effet dans les solennilôs 
<lerOuganda. C'est à quoi peuvent servir nos rovn- 
lutions. 
Mtésa ne se laissa pas vaincre en générosité. 
Il donna aux missionnaires un hectare do l)oii 
terrain, planté de bananiers, et une trentaine di» 
bœufs ; il les aida môme à se procurer dos ouvriers 
et les matériaux nécessaires h la construction 
dune maison qui pût les loger tous. La domoun» 
fut faite, comme les cases du pays, avec dos po- 
teaux, des roseaux et de Therbe; mais sa forme» 
Vaguement européenne ne laissait pas d'oxcitor 
l'admiration et l'envie. 

Les missionnaires mirent promptoment k prolil 
la liberté qui leur était laissée, lis fonderont, 
comme au Tanganika, un orphelinat pour les en- 
fants qu'ils purent racheter de Tesclavage, et ils 
eurent la joie de voir un bon nombre d'adultes ré- 
pondre à leur appel, venir chez eux apprendre le 
catéchisme, et bientôt demander le baptômo. 
Une controverse publique entre le P. Lourdel et 



i86 lE CARDINAL LAVIGERIE 

le Révérend Mackay, chef de la mission proteî 
tante, établie par les Anglais dans l'Ouganda de 
puis six mois, ne contribua pas peu aux succès é 
catholicisme. 

M. Mackay avait répandu le bruit que les nou 
veaux missionnaires adoraient une femme appc 
lée Marie, et enseignaient Timpeccabilité du che 
de leur Église. Le roi, qui se souciait sans doufa 
médiocrement de la doctrine, voulut néanmoins se 
donner le spectacle d'un tournoi théologique, et 
entendre les deux champions. 

Le P. Lourd el n'eut pas de peine à faire com- 
prendre la distinction qu'il y a entre l'infaillibili- 
té, qui consiste à n'enseigner rien de faux, et l'im- 
peccabilité, qui consiste à ne rien faire de mal. D 
expliqua non moins clairement que, sans adorei 
la Mère du Sauveur, il était juste de l'honorer plus 
que les autres créatures, tout de môme que, dans 
l'Ouganda, la personne la plus respectée après le 
roi, c'était sa mère. L'argument était topique, car 
Mtésa s'était toujours fait remarquer par son res- 
pect pour sa mère, Namasolé, qui était pourtant, 
comme le dit Stanley, « une vieille dame d'un 
esprit franchement masculin et d'une humeur 
vindicative ». 

Le roi conclut la discussion en ces termes : « Ce 
sera le Père qui nous instruira. » M. Mackay se le 
tint pour dit, et les Pères Blancs continuèrent 
sans difficulté leur fécond apostolat. 



LES MISSIONS DE L*AFRIQUE ÉQUATORIALK 187 



II 



L'archevêque d'Alger attendait avec une anxiétc? 
que Ton comprendra des nouvelles de la Mission. 
Lors(ju'il en connut le succès, il n'hésita pas à y 
envoyer une seconde caravane de onze apôtres. 
Six auxiliaires laïcs s'emharquèrent avec eux. 
Les premiers missionnaires avaient eu beaucoup 
<le peine à conduire les Noirs chargés do porter 
leurs bagages, ou de les défendre contre les Rou- 
gas Rougas, brigands nègres ou métis, qui infes- 
tent le pays sous la conduite de chefs Arabes. Des 
fonctions plus ou moins guerrières semblaient aux 
Pères peu compatibles avec leur caractère sacré, 
et ils émettaient la pensée qu'elles conviondraieiif 
peut-être à d'anciens zouaves pontificaux assez 
généreux pour se consacrer une fois de plus à la 
cause de Dieu. 

A peine ce désir fut-il connu par la publication 
Je la lettre d'un des Pères, que de partout des 
demandes furent adressées, par do vaillants sol- 
dats de Pie IX, à Mgr Lavigorio. Il iraccepta que 
^ix volontaires, dont quatre Kcigos tt deux Ecos- 
sais. 

Les nouveaux chevaliers méritaient d'être armés 
avec les mêmes cérémonies religieuses que dans 
les temps de foi. Le matin du départ, ils s'ago- 
ï)ouillèrent tous les six au pied de l'autel de Notre- 
ûame-d' Afrique, revêtus de leur ancien costume et 



188 Li: CARDINAL LAVIGERIE 

coiffés du béret rouge. L'archevêque, après le chant 
du Veni Creator et une brève allocution, prit sur 
raulel les épécs nues, et, les ayant bénites, les 
distribua en prononçant cette formule : « Servez- 
vous (le cette épée pour Ja défense des œuvres de 
Dieu, ne vous en servez jamais pour des motifs 
injustes. » 

Quand chacun d'eux eut mis Tépée dans le four- 
reau, le Pontife lui donna le baiser de paix; puis 
retirant l'arme lui-même, il en frappa à trois 
reprises les épaules du volontaire : « Soyez, lui 
dit -il, un soldat pacifique, courageux, fidèle et 
pieux. )) 

La cérémonie terminée, les auxiliaires s'enga- 
gèrent, par un serment lu à haute voix et signé sur 
l'autel, à se vouer pendant un an à la Mission de 
l'Afrique équatoriale, et à garder l'obéissance en 
toutes choses vis-à-vis des supérieurs religieux et 
vis-à-vis du chef qui leur serait donné. 

Moins d'un an après le départ de la seconde cara- 
vane, sept de ses membres étaient morts de la 
fièvre africaine, et un autre avait été tué par les 
brigands. Ces tristes nouvelles ne firent qu'en- 
flammer le zèle des Pères d'Alger. Mgr Lavigerie 
ne put les satisfaire tous ; il en désigna quinze, qui 
partirent le 6 novembre 1880. 

Trois missionnaires succombèrent encore dans 

l'espace d'un an, massacrés dans l'Ouroundi par les 

Arabes esclavagistes. A la nouvelle de leur mort, 

et bien qu'il en ignorât encore les circonstances, 

'archevêque ne voulut laisser à personne la triste 



LES MISSIONS DE L* AFHIQUË ÉQUATORIALE 189 

et délicate mission d'en informer les familles des 
martyrs. 

Cependant les leçons de l'expérience ont heureu- 
sement diminué la proportion de ces catastrophes, 
au moins de celles qui ont leur cause dans la diffi- 
culté du voyage. Les missionnaires se munissent 
à la procure de Zanzibar des remèdes et de tous les 
objets qu'exige le pays à traverser, et ils ne sont 
plus exposés aux mêmes imprudences sous un cli- 
mat désormais connu. 

Les routes deviennent plus sûres, et elles com- 
mencent à être, une ou deux fois l'an, suivies par 
des caravanes européennes, en compagnie des- 
quelles on ne court presque aucun danger. 

On découvre même des chemins nouveaux. En 
1889, le P. Deguerry a été envoyé par le cardinal 
pour examiner sur place s'il n'était pas possible de 
se rendre aux Grands Lacs par la voie du Zam- 
hèze. Ses recherches ont été couronnées de succès. 
On peut, en allant par mer jusqu'à Quilimane, 
remonter le Zambèze et son affluent le Chiré jus- 
I qu'au lac Nyassa, passer celui-ci en bateau, et tra- 
verser facilement les plaines d'étroite étendue qui 
le séparent du Tanganika. 

C'est cette exploration qui a suscité l'idée de 
fonder une Mission au Nyassa. Le centre en a été 
établi dans la station portugaise de Mponda, sur 
les bords du Chiré. Cinq missionnaires y sont 
partis à la fin de juin 1889, sous la conduite du 
R. P. Lechaptois. On a peu de nouvelles de cette 
fondation récente. Les revendications imprévues 



190 LG CARDINAL LAVIGERIl^ 

de l'Angle terre sur ces territoires ont dû l'empê- 
cher d'abord de se développer; mais l'accord anglo- 
portugais, dès qu'il sera définitif, fera cesser les 
différends qui ont entravé jusqu'ici les progrès de 
l'apostolat. 

La mission toute récente du Nyassa est la cin- 
quième que les Pères Blancs aient déjà fondée dans 
l'Afrique équatoriale. 

Le vicariat apostolique du Nyanza a, en effet, 
donné naissance au provicariat de l'Ounyamouézi, 
qui est la province où se trouve l'importante 
ville de Tabora, centre des communications entre 
l'intérieur et la côte. Le vicariat du Tanganika a 
formé le provicariat du Haut-Congo , d'où Ton 
pourra désormais s'avancer dans la direction 
de l'ouest, le long du plus grand fleuve de l'A- 
frique. 

Les deux vicariats apostoliques ont seuls des 
évoques à leur tète; les provicariats sont encore 
soumis à la directioa de simples prêtres, qui relè- 
vent de ces derniers. Sur les uns et les autres 
s'étend la juridiction du Délégué apostolique, 
Mgr Lavigerie, soumis lui-môme, pour ces diverses 
Missions, à la Congrégation romaine de la Propa- 
gande. 

Le premier évêque de l'Afrique équatoriale a été 
Mgr Livinhac, aujourd'hui supérieur général des 
^ères Blancs. Il fut sacré vicaire apostolique du 

anza, avec le titre d'évèque^^de Pacando, le 
eptembre 1884. 



LES HISSIONS DE l'afrique kquatorialk: 191 

La cérémonie eut lieu à Carthage, où l'on n*a- 
b^ait pas vu d'ordination épiscopalo depuis plus 
le mille ans. Le prélat consécrateur était Mgr La- 
^^îgerie, successeur de saint Cyprion, assisté de 
Mgr Combes, évêque de Constantine et d'IIippoiie, 
successeur de saint Augustin, et de Mgr Buhagiar, 
<*vèque de Ruspe, successeur de saint Fulgence. 
Quels noms et quels souvenirs! mais aussi quelle 
résurrection et quelles espérances ! 

Le jour de Pâques 1885, le nouvel évoque par- 
taitd' Alger avec treize compagnons, parmi lesquels 
le P. Charbonnier, nommé vicaire apostolique du 
Tanganika. Il devait retrouver sa mission du 
Nyanza en proie à une persécution cruelle, et à 
des troubles qui viennent à peine de s'apaiser. Afin 
de n'en pas interrompre le récit, qui, pourôtre 
clair et complet, doit être conduit jusqu'à ces der- 
niers mois, remettons-le après l'histoire abrégée 
des événements du Tanganika. 



111 



De l'Ouroundi, où nous les avons laissés, au 
nord-est du lac, les missionnaires du Tanganika 
durent bientôt se déplacer et tourner vers le nord- 
ouost. Il le fallait, pour préserver leurs orpheli- 
nats dés attaquesMes Arabes d'Oujiji et des bandes 
esclavagistes. 

Leurs petites barques abordèrent sur le golfe de 
Burton, à Moulouéva, dans le Mazzanzé. 



192 LK CARDINAL LAVIGERIE 

De cette humble chrétienté, ils rayonnèrent dans 
les contrées avoisinantes, prêchant la parole do 
Dieu le long des grèves du lac, comme autrefois le 
Sauveur sur les rives de Tibériade. A la voix du 
missionnaire blanc, les indigènes s'approchaient 
du rivage, descendaient de leurs pirogues, et, 
assis parmi les bananiers, ils écoutaient ces ensei- 
gnements, si nouveaux pour eux : les perfections 
de Dieu, l'immortalité de l'âme, le futur châti- 
ment des crimes, l'éternelle récompense du devoir 
accompli. 

A Moulouéva,les terres cultivables étaient toutes 
occupées par les indigènes, et le sol manquait à la 
charrue des néophytes. On résolut d'envoyer une 
colonie un peu plus au sud, sur la rive occidentale 
du lac. Au moment de partir, les Pères virent 
venir à eux un roi fugitif, qui cherchait dans l'exil 
un peu de sécurité contre les Arabes. Ils l'emme- 
nèrent, avec sa famille, dans leur frêle barque 
d'écorce, et, après une navigation périlleuse, 
abordèrent au sud de la presqu'île Oubouari, au 
pied d'une colline où ils fondèrent la station de 
Kibanga ou Lavigerie-Ville. En même temps une 
autre colonie chrétienne allait s'établir à Rous- 
savia. 

Lastation deLavigerie-Ville, fondée en juin 1885, 
n'a pas cessé de prospérer. Une lettre de Tannée 
dernière, que rien n'est venu démentir, la repré- 
sente comme très florissante matériellement et 
nirituellement. Les orphelins et les orphelines, 
nombre de trois cents, donnent de grandes 



LES MISSIONS DE LAFRIQUE ÉQUATORIALE \\)\\ 

pérances, par leur progrès et leur fermeté dans 
bien. Déjà même ils ont fondé quelques ménages 
rt exemplaires. Il a été un peu difficile, au début, 
1 leur inspirer l'amour du travail ; mais ils s'y 
umettent volontiers, maintenant qu'ils voienl 
urs champs couverts de riz, de manioc et d(» 
rçho. 

A côté des orphelinats et des villages do chré- 
ens, des indigènes encore païens sont venus, au 
ombre d'environ deux mille, s'établir sur la 
popriété de la Mission pour y trouver la sécu- 
lé. Ils peuvent se multiplier jusqu'à cent mille 
ir cette propriété de 22,000 à 23,000 hectares. 
Beaucoup d'entre eux sont déjà catéchumènes, 
'indifférence, qui arrête souvent leur conversion 
3ndant la vie, disparaît à l'approche de la mort, 
presque tous demandent le baptême à ce mo- 
ent décisif. 

Les Pères ne se contentent pas d'évangélisor les 
ux mille habitants de leur petite colonie. Ils font 
issi de fréquentes visites chez les tribus voisines, 
, par leurs bienfaits non moins que par leurs 
tretiens, les préparent à recevoir bientôt TE van- 
!e. 

Ces peuplades encore simples feraient donc 
Qs la foi des progrès rapides, si elles n'étaient, à 
fréquents intervalles, dispersées, presqi^e anéan- 
3, par les attaques des ravisseurs d'esclaves. La 
auté de ces brigands, la plupart métis issus de 
^•res et d'Arabes, est proverbiale dans toute 
frique : « Dieu a fait les blancs, disent les 



19i LE CARDINAL LAVIGERIË 

indigènes, Dieu a fait les noirs, mais c'est le 
démon qui fait les métis. » 

Un jour les Pères voient accourir dans l'en- 
ceinte protectrice de leur établissement les néo- 
phytes épouvantés, et une foule de nègres des en- 
virons, qui apportent avec eux ce qu'ils possèdent. 
Bientôt après, une troupe d'esclavagistes descend 
de la montagne et se précipite sur les villages 
abandonnés, pillant tout ce qu'elle trouve, arra- 
chant les cultures, mettant le feu aux cases, en- : 
traînant en captivité tous les habitants qui n'ont 
pas su fuir assez vite. Pendant qu'elle approche 
de Kibanga, les chrétiens se distribuent les cent 
fusils et les cartouches dont ils disposent; pour les 
seconder, deux ou trois cents auxiliaires sauvages 
s'arment de leurs lances. Les femmes païennes, 
muettes de terreur, s'étaient réfugiées dans un 
coin de la cour; les chrétiennes et les orphelins: 
disaient le chapelet dans la petite église. 

Les brigands n'osèrent attaquer une place qui | 
paraissait sérieusement défendue, et dont le pillage | 
aurait pu leur attirer des représailles de la part! 
des Européens, ou môme du Sultan de ZanzilDar.l 
La nuit toutefois ne se passa pas sans inquiétude! 
dans la petite place chrétienne, où l'on était, en 
réalité, incapable de soutenir le choc des envahis- 
seurs, n»ieux armés et plus aguciTis. Les brigand^ 
s'éloignèrent pourtant le lendemain après quelques 
pourparlers; ils rendirent même aux Missionnaire^ 
les captifs qui appartenaient à la station. 

Partout ailleurs ils avaient massacré les hommes 



LES MISSIONS DE L*AFRIQUE ÉQUATORIALE 195 

ci Us avaient attaché, pour les emmener en escla- 
vage, les femmes et les enfants. A peine si les Pères 
Blancs purent en racheter quelques-uns à force 
de sacrifices. 

Et dire qu'il ne faudrait pas plus de deux cents 
soldats européens pour anéantir, en quelques 
mois, ces affreuses troupes qui répandent la 
mort et la ruine depuis Tabora jusqu'à Oujiji, 
depuis les rivages du Tanganika jusqu'à ceux de 
TAlbert-Nyanza ! 

Une tentative a été faite avec un succès bien 
encourageant, pour protéger les populations afri- 
caines contre les bandes esclavagistes. 

En présence des menaces continuelles des 
Arabes d'Oujiji, les missionnaires durent aban- 
donner leurs postes de Moulouéva et de Rous- 
savia, pour continuer leur route vers le sud du lac. 
Ils s'établirent à Mpala et à Karéma, deux impor- 
tantes stations belges, que leur concéda le roi 
Léopold, et qui se font face, la première sur la 
rive occidentale, la seconde sur la rive orientale 
du Tanganika. 

Karéma paraît avoir joui, jusqu'à présent, 
d une tranquillité relative. Mais Mpala a subi à 
plusieurs reprises, comme au temps du comman- 
dement belge, lesattaques des Rougas-Rougas. 

Plusieurs villages passés du protectorat des 
Belges sous la direction pacifique des Mission- 
naires devinrent, bientôt après, la proie de ces 
brigands, en même temps que des tribus amies 



196 lk: cardinal lavigerie 

étaient rançonnées et emmenées captives. Les 
indigènes qui avaient échappé aux envahisseurs 
demandèrent aux Pères Blancs la permission et 
les moyens d'organiser la résistance. Ceux-ci en 
référèrent au cardinal Lavigerie, qui ne trouva 
dans ce projet rien de contraire à leur mission 
sainte, puisqu'ils ne devaient pas eux-mêmes pren- 
dre à la guerre une part active. Il leur envoya 
môme, pour commander à Mpala, le capitaine 
Joubert, ancien zouave pontifical, dont il venait 
d'agréer les offres de service. 

Le capitaine Joubert a organisé la défense delà 
colonie aussi fortement que le pouvaient permet- 
tre les ressources dont il disposait. 

Grâce aux armes qui lui ont été envoyées, il a 
pu constituer une armée de trois cents Noirs, 
choisis parmi les néophytes des missionnaires. Di 
les a formés à la discipline et au combat, et avecj 
eux il défend toute la région. Les indigènes recou- 
rent à lui pour trancher leurs différends aussi bien 
que pour être protégés contre les attaques di 
dehors. Il est maintenant comme le souverain 
le père de ce petit royaume. Ainsi que le rappelai 
l'archevêque d'Alger dans sa Lettre au roi 
Belges, « il a voulu, après s'être abaissé jusqu' 
la pauvre race noire, l'élever jusqu'à lui, en l 
demandant la compagne de sa vie » , 

Pendant que M. Joubert défend la Mission, lel 
Pères donnent tous leurs soins à l'éducation A 
leurs orphelins et à Tévangélisation des tribus qtt 
les entourent. Tout se passe à peu près comme i 



LES MISSIONS DE l'aFRIQUE ÉQUATORIALE 107 

Lavigerie-Ville, et il n'est pas douteux, vu les dis- 
positions des indigènes, que, si la région peut 
enfin jouir de la paix, Mpala ne devienne en quel- 
ques années un grand centre chrétien. 

Le vicariat apostolique du Tanganika a eu son 
premier évêque en 1888, dans la personne de 
Mgr Jean-Baptiste Charbonnier, le môme mission- 
naire qui, à son arrivée à Alger, avait reçu de 
Mgr Lavigerie ses lettres testimoniales visées avec 
cette formule : Vu pour le martyr e . 

Ce fut à Tabora, dans rOunyamouézi, qu'il reçut 
la consécration épiscopale des mains de Mgr Li- 
vinhac, vicaire apostolique du Nyanza. 

Les deux évêques avaient dû faire, au-devant 
Tun de l'autre, un voyage de plusieurs mois. Aussi 
la joie de la rencontre fut-elle profonde, et vive- 
ment manifestée par les nègres chrétiens qui les 
accompagnaient. Les fidèles du Tanganika appri- 
rent alors les persécutions de l'Ouganda, et ce fut 
un touchant spectacle de les voir s'écrier, pleins 
d'une sainte envie : « Nous aussi, nous irons dans 
l'Ouganda pour être martyrisés ! » 

Mgr Charbonnier se prépara par une retraite de 
trente jours aux grâces de l'ordination. Les fidèles 
respectaient et admiraient son silence rigoureux : 
« Asema mar no na J/w;^y(?^^?, disaient-ils. Une parle 
qu'avec Dieu. » 

Le sacre eut lieu le 24 août, jour où l'Eglise cé- 
lèbre, avec la fête de l'apôtre saint Barthélémy, 
celle des trois cents martyrs d'Utique, qu'on a ap- 



198 LE CARDINAL LAVIGERIE 

pelés la Masse Blanche^ à cause de la chaux vive 
dans laquelle ils furent brûlés. Double et frap- 
pante coïncidence! l'Eglise d'Utique était celle 
dont le nom était attribué au nouvel évêque, et 
Ton se propose de désigner sous le nom de Mam 
Noire, par allusion au fait qui vient d'être rap- 
pelé, les diocésains de Mgr Livinhac, qui avaient 
subi le martyre dans l'Ouganda. Comme toujours 
dans l'histoire de la jeune Église d'Afrique, les 
glorieux souvenirs du passé se mêlaient aux gran- 
des espérances que fait naître le présent, et les 
chrétiens des premiers âges semblaient tendre la 
main à leurs nouveaux frères, pour renouer la tra- 
dition, pour signifier plus visiblement Timmorta- 
lité du catholicisme. 

Moins de deux ans après, le 16 mars 1888, 
Mgr Charbonnier, atteint d'une fièvre violente dès 
son retour à Karéma, mourait entre les bras de ses 
frères, gardant sa connaissance jusqu'à la fin, et 
offrant sa vie à Dieu pour le salut des nègres. 

Mgr Lavigerie se hâta de lui donner un succes- 
seur. De concert avec le conseil de la Société des 
missionnaires, il choisit le P. Bridoux, qui en 
avait été pendant trois ans le supérieur général, et 
il le sacra lui-même à Paris, le 15 juin 1888, daus 
la chapelle des Dames de Sion. 

(( Vous allez, lui dit-il, vers une région loin- 
taine et inconnue. Vous y succédez à un évêque 
dont la mort prématurée ne vous parle que d'é- 
preuves et de périls... Vous allez donc souffrir» 
Monseigneur, et, en vous revêtant de ces bril- 



LES MISSIONS DE l'aFRIQUE ÉQUATORIALE 199 

lants insignes, nous ne faisons, ce semble, que 
parer la victime pour le sacrifice ; mais en retour, 
vous porterez à l'Afrique, h ce vicariat apostolique 
du Tanganika, désolé par les horreurs de l'escla- 
vage, la paix, les dons de Dieu : evangelizantium 
pacem, evangelizantium bona ! » 

Le nouvel évêque s'embarquait de Marseille 
pour l'Afrique équatoriale un mois après, avec six 
autres missionnaires et trois auxiliaires nègres, 
autrefois rachetés de l'esclavage, et formés en Eu- 
rope à l'exercice de la médecine. 

Depuis un an et demi Mgr Bridoux est arrivé au 
Tanganika. On n'a que peu de détails sur les évé- 
nements de sa mission. Ce qu'il faut surtout re- 
marquer, ce sont d'une part les espérances que 
font concevoir les bonnes dispositions des indi- 
gènes, et d'autre part les craintes qu'inspire le 
dangereux voisinage des bandes esclavagistes, et 
des musulmans en général. 

Mais c'est dans la Mission du Nyanza qu'on voit 
le mieux à l'œuvre ces ennemis jurés de la civili- 
sation et du nom chrétien. C'est là aussi qu'a 
brillé d'un plus vif éclat la foi héroïque des nè- 
gres convertis. 



IV 



Les missionnaires, si bien accueillis par le roi 
le rOuganda, ne tardèrent pas à s'apercevoir 
[u'ils avaient affaire à un diplomate, pour qui les 



^2 LE CARDINAL LAVIGERIE 

adultes baptisés faisaient tous honneur à leurs en- 
gagements. 

Enfin à tous les autres griefs de Mtésa contre 
les missionnaires, s'ajoutait leur refus de le bapti- 
tisertant qu'il garderait son harem. 

Il ne tarda pas à leur défendre de sortir de leur 
demeure pour faire du prosélytisme. Mais les 
premiers convertis se mirent h catéchiser eux- 
mêmes leurs compatriotes, et à les amener en- 
suite à la mission, où leur instruction était facile 
à constater et à perfectionner. 

Malgré tout, le roi refusa longtemps de recourir 
aux mesures extrêmes que lui conseillaient les 
Arabes; il craignait de s'attirer les représailles 
des Européens. Mais, à la fin, tourmenté d'une 
maladie grave, circonvenu et affolé par les escla- 
vagistes, contraint d'accepter la construction 
d'une mosquée, le Coran, la prière de l'islam, il 
bannit violemment les missionnaires catholiques, 
après les avoir accablés de menaces. 
Ils durent se réfugier au sud du Nyanza. 
Leur exil n'arrêta pas les progrès de la vérité 
chez les Bagandas. Les néophytes continuèrent 
d'instruire leurs compatriotes, les membres de 
leurs familles, parfois des villages entiers. Aussi 
les musulmans, qui avaient compté sur un résul- 
tat tout autre, ne se tenaient point pour satisfaits, 
et le roi, de plus en plus excité par eux, n'aurait 
pas reculé plus longtemps devant la persécu- 
tion sanglante, si la mort n'eût mis fin à son 
règne (1883). 



LES MISSIONS DE L AFRIQUE ÉQUATORIALE 203 

La loi de l'Ouganda exclut du trône le fils aîné 
du roi, et elle laisse aux grands la faculté d'élire 
et de proclamer un des autres fils du souverain 
décédé. 

Malgré les intrigues et ropposition des Arabes, 
et même en haine de leur domination, qui était 
déteslée dans tout le pays, les Bagandas portèrent 
leur choix sur Mouanga, l'un des plus jeunes 
parmi les quarante fils de Mtésa, qui avait suivi 
secrètement le catéchisme des missionnaires et 
les avait reconduits en pleurant au moment de 
leur départ pour Texil. 

Son premier soin fut de leur envoyer des piro- 
gues pour revenir. Il attribuait à leurs prières son 
élévation au trône, et, pour leur témoigner sa re- 
connaissance, il rompit courageusement avec les 
superstitions païennes, se mit à réciter le Fater 
tout haut et à l'apprendre lui-même à son entou- 
rage, enfin nomma aux charges importantes les 
meilleurs néophytes. 

L'œuvre d'évangélisation, ainsi reprise au 
grand jour, fit de tels progrès que les Arabes et 
plusieurs grands, qui craignaient de se voir inter- 
dire la polygamie, tramèrent, sous la direction du 
premier ministre ou Katikiro, une conspiration 
iont le but était de tuer Mouanga et de proclamer 
m de ses frères encore enfant. 

Trois chrétiens parmi lesquels André Kagoua et 
oseph Mkasa, conseillers intimes du roi, décou- 
rirent à temps le complot et le dénoncèrent, pro- 
3stant que leur souverain pouvait, en toute occur- 



204 LE CARDINAL LAVIGERIE 

ronce, compter sur leur lidélité, et sur celle de leurs 
amis. 

Mouanga fil venir Katikiro, et lui ditqu il savait 
tout. Le ministre, à force de protestations, obtint 
sa grâce, et celle des autres conjurés. 

Mais lui-même ne pardonna pas à ceux dont la 
fidélité avait failli le perdre. Il leur voua une 
haine d'autant plus profonde que le roi parlai! 
sans cesse de donner sa place à Joseph Mkasa, et 
de nommer André Kagoua général en chef. 11 
profita de toute occasion pour représenter les chré- 
tiens comme des hommes dangereux. Fidèles tant 
qu'ils étaient en petit nombre, insinuait-il, ente 
verrait, une fois les plus forts, renverser le roi 
pour lui substituer un des leurs. 

Ces calomnies, habilement renouvelées, finirent 
par inspirer à Mouanga une réelle défiance. La na- 
ture aidant, il abandonna d'abord pour lui-même 
l'étude d'une religion qui condamnait la polyga- 
mie et l'injustice, apanages traditionnels de sa 
royauté. 

Il continua cependant de traiter les mission- 
naires en amis, et de leur laisser toute liberté dam 
leurs rapports avec ses sujets. En quelques mois, 
et malgré les menaces qu'on sentait planer sur k?> 
chrétiens, deux cent quarante-quatre catéchu- 
mènes reçurent le baptême, pendant que huit cen\i 
autres se préparaient avec ardeur à ce sacrement 

Ce fut vers ce temps qu'on apprit dans F Ou- 
ganda la conquête d'une partie de l'Afrique équa- 
toriale par les Allemands. Cette nouvelle achev« 



LES MISSIONS DE l' AFRIQUE ÉQUATORULB 205 

d*irriter le roi, et il commença à croire ceux qui 
lui montraient dans les missionnaires des espions 
venus pour préparer la voie aux conquérants. 

L'évêque anglican Hannington, qui approchait 
alors par TOussoga, fut la première victime de ces 
fâcheuses dispositions. D'après une prophétie qui a 
cours dans le pays, c'est justement par la route de 
rOussoga que doivent arriver les envahisseurs. 
Malgré les exhortations des Pères, Mouanga 
envoya Tordre à l'armée qui faisait alors la guerre 
dans cette province de tuer le hlanc et toute sa 
suite. De nouvelles instances du P. Lourdel et de 
Joseph Mkasa en faveur d'Hannington n'obtinrent 
pas assez tôt l'envoi d'un contre-ordre, et ne réus- 
sirent qu'à soulever contre les chrétiens de plus 
graves soupçons. 

Katikiro en profita pour demander la mort de 
Joseph, qu'il représenta comme l'allié des étran- 
([ers et un ennemi dont il fallait tout craindre. Le 
iroi résista longtemps, mais finit par céder. 

Aussitôt, et sans lui laisser le temps de revenir 
But cette sentence, le ministre fit conduire le 
Condamné au lieu du supplice, et ordonna au bour- 
t'eau de lui trancher la tète. 

Avant l'instant fatal, Joseph dit h l'exécuteur, 
i-Yec un grand calme : « Tu diras de ma part à 
Hiouanga qu'il m'a condamné injustement, mais 
lue je lui pardonne de grand cœur. Tu ajouteras 
Itie je lui conseille de se repentir; car, s'il ne se 
^pent pas, il aura à plaider avec moi au tribunal 
le Dieu. » 



"iW U: CARDINAL LAVIGEHlii: 

Os dernières paroles furent rapportées au roi. 
D'abord il affecta d'en rire, mais elles firent bien- 
liH sur lui une telle impression qu'il ne songea 
plus qu'à en conjurer l'eflct. Le moyen qu'il pril 
fut digne d'une intelligence barbare. Il Ct tuer 
un de ses sujets, et oi-donna de mêler avec soin 
ses cendres avec celles de Joseph. « Commenl 
pourra-t-on maintenant le reconnaître ? disail-il 
d'un accent de triomphe. Et comment pourra-t-il 
plaider contre moi devant Dieu ? » 

Deux ou trois autres chrétiens furent exécul<;'^ 
après Joseph. Mouanga déclara qu'il les ferai! 
tous massacrer, et que les missionnaires sevaion^ 
eux-mômes tués ou bannis. ■ 

B J'en finirai avec ces chrétiens, disait-il naïve- ' 
ment h ses intimes. Ils obtiennent de Dieu toul < 
ce qu'ils veulent. Autrefois ils me regardaienl 
comme leur ami, ils priaient pour moi, et Uwn 
écartait de moi les périls. Maintenant, ils vont li' 
conjurer de me renverser. Il faut à tout prix que 
je me débarrasse d'eux, n 

Ces menaces pourtant ne se réalisèrent pas toul 

d'abord, et de nouveaux progrès suivirent la mort 

de Joseph, tant la vue de son martyre avait^excité 

l'ardeur des catéchumènes. Mais un événemen\ 

imprévu fit éclater l'orage dans toute sa violence. 

Une jeune chrétienne, Clara Nalmasi, fille dul 

ait été préposée à la garde d'une 

lette, qu'elle avait reçue à sa nais-l 

lalilé de princesse, et qu'elle devavi 

te sa vie avec respect. C'était le c.or-| 



LES MISSIONS DE L AFRIQUE ÉQUATORULE 2iVt 

(Ion ombilical d'un des anciens rois de FOuganda. 
Indignée des sortilèges qui se faisaient autour de 
cet objet, elle commença par détruire les amu- 
lettes de moindre importance qui Tentouraient en 
grande quantité, et par chasser les sorciers qui se 
disaient possédés des mtzimus (âmes des morts), ou 
des lubalis (divinités). Cette conduite avait déjà 
irrité les païens. Mais ce qui mit le comble à leiur 
fureur, ce fut un nouvel acte de courage, que nous 
laissons à d'autres de taxer d'imprudence, et pour 
lequel, d'ailleurs, Clara n'avait consulté personne. 
Elle ne craignit pas de mettre en pièces et de jeter 
dans un trou l'étrange objet que vénéraient ses 
compatriotes. 

Cette profanation fut bientôt connue de tout le 
peuple, et provoqua les clameurs des ennemis du 
christianisme. Les génies irrités allaient, disaient- 
ils, se venger sur le royaume, si on ne les apaisait 
par le châtiment de la coupable et de tous ceux qui 
partageaient sa funeste religion. 

Quelques jours après, Mouanga commença de sa 
propre main l'œuvre de la persécution. Se prome- 
nant le soir dans sa capitale, il surprit un de ses 
jeunes pages chrétiens qui en instruisait un autre. 
« Que fais-tu là? lui demanda-t--il. — J'enseigne 
le catéchisme », répondit l'enfant. Déjà cxaspér(3 
3ar la conduite de sa sœur Clara, le roi entra en 
ureur. « Attends, dit-il, je vais te guérir do ton 
nsolence. » 
Et il le perça de son épée. 
Ce fut le signal du massacre. 



i08 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Le roi fit appeler en pleine nuit Kalikiro, et lui 
dit qu'il fallait exterminer tous ceux qui priaient. 
Cest le beau titre sous lequel sont désignés les 
chrétiens. Les portes de la résidence royale furent 
aussitôt fermées, et ordre fut donné à ceux qui les 
gardaient de ne laisser sortir personne. 

Un des chrétiens trouva cependant le moyen 
d'aller avertir les missionnaires à leur résidence 
de Sainte-Marie de Roubaga; et le P. Lourdel, 
supérieur, se rendit en hâte à Mourougnou, où se 
trouvait alors le roi. 

Il rencontra en route des bandes d'hommes ar- 
més de fusils et de lances, qui allaient, au pas de 
course, piller les principaux centres chrétiens et 
en arrêter les chefs. 

Arrivé h la cour, il se rendit d'un pas ferme, * 
malgré son émotion, et au milieu de la surprise 
de tous, dans la hutte où l'on attend les séances 
royales et où le premier ministre le salua comme 
d'habitude. Les chrétiens allaient et venaient li- 
brement; on eût dit que rien ne s'était passé. 

Mais bientôt le P. Lourdel voit les chefs des 
divers services réunir ceux de leurs gens qui sont 
chrétiens, près de la cour où se trouve la case 
royale. « Vous auriez dû vous sauver, disent leurs 
amis païens. — Nous sauver! et pourquoi? » ré- 
pondent-ils fièrement. 

Charles Louanga, chef du groupe des pages où 
l'on compte le plus de chrétiens, est appelé le pre- 
mier avec sa troupe. Ils sont accueillis par des 
^uées, que domine la voix tonnante du roi. 



LES MISSIONS DE L*AFRIQUE ÉQUATORIALK :2()9 

Mouanga leur fait de durs reproches sur leur reli- 
gioD, puis il leur dit : a Que ceux qui prient se 
rangent de ce côté. » 

Aussitôt Charles Louanga et Kizito, jeune caté- 
chumène plein de zèle qui venait d'obtenir, à force 
d'instances, la promesse d*6tre baptisé dans un 
mois, se dirigent ensemble vers Tendroit désigné. 
Ils étaient convenus, pour ne pas faiblir au mo- 
ment décisif, de se tenir par la main. 

Tous ceux de la troupe qui sont chrétiens les 
suivent sans hésiter. 

A un signe du roi, les bourreaux se jettent sur 

les courageux confesseurs, les enlacent dans de 

grosses cordes et les traînent brutalement dans la 

cour. On a lié ensemble les jeunes gens de dix-huit 

à vingt-cinq ans; les enfants forment un autre 

fiiisceau. Ils sont tellement serrés, qu'ils ne peuvent 

marcher qu'à petits pas, et en se heurtant les uns 

contre les autres. Cette position bizarre fait rire 

Kizito aussi tranquillement que s'il était à jouer 

avec ses amis. 

Le groupe des pages de Charles Louanga une 
fois sorti, d'autres pages et quelques soldats sont 
amenés à leur tour, et, en passant devant le 
P. Lourdel, le saluent d'un regard joyeux et 
issuré. 

Le pauvre Père attendait en vain la permission 

le voir le roi. Elle ne lui fut pas accordée, et il dut 

)artir sans aucun renseignement sur les desseins 

les persécuteurs. 

Dévoré d'une soif ardente, il entra, pour se 



t2iO LE CARDINAL LAVIGERIE 

rafraîchir, dans la case d'un des néophytes; elle 
était abandonnée. A quelques pas de là, ayantren- 
conlré une petite source, il se pencha pour y boire; 
un passant le prévînt que le cadavre d'une des 
victimes de la nuit avait été traîné dans l'eau. 11 
se releva plein d'horreur et continua sa route, ren- 
contrant partout des pillards chargés de dépouilles, 
qui venaient de saccager les villages des chrétiens. 

Cependant les pages chrétiens étaient livrés au 
supplice du feu. 

Charles Louanga, leur chef, fiit emmené à part. 
Peut-être croyait-on plus facile de le vaincre 
isolément. Un bourreau plus cruel que les autres 
demanda au roi, pour faire preuve de zèle, qu'on 
s'en remît à lui du soin de le torturer suivant ses 
mérites. Il le brûla donc lentement, en commen- 
çant par les pieds, et, comme autrefois les Jui 
autour du divin Crucifié, il lui disait en attisant 1 
feu : « Allons! que Dieu vienne à ton aide, et qu' 
te retire du brasier. » Le martyr supporta son long 
supplice sans proférer une plainte. 

Les trois plus jeunes pages excitèrent la com 
passion du chef des bourreaux, le vieux Mkadjanj 
qui n'avait jamais eu à torturer des enfants 
jeunes. Il leur dit donc : « Déclarez seulement qu 
vous ne prierez plus, et le roi vous accordera vot 
grâce. » Tous trois répondirent : « Nous ne cess 
rons pas de prier tant que nous vivrons. » 

Mkadjanga n'insista pas, espérant que la vue 
supplice de leurs camarades vaincrait leur obsti 
nation. Ils ne cédèrent point, et l'un d'entre e 



LES MISSIONS DE L* AFRIQUE ÉQUATORIALE 2il 

voyant qu'on n'avait pas préparé de fagot pour 
lui, réclama si énergiquement, qu'on le lia comme 
les autres. Toutefois Dieu permit qu'ils fussent 
épargnés, afin, sans doute, de les garder comme 
témoins de ceux qui moururent. 
Ceux-là étaient au nombre de trente et un. 
Parmi eux se trouvait le fils même de Mkad- 
janga, qui essaya de tous les moyens pour lui 
arracher un mot qui ressemblât à une rétracta- 
tion. L'enfant ne céda ni à ses paroles, ni à la vue 
des préparatifs du supplice. Au moment fatal, le 
malheureux père tenta un suprême effort : 

(( Mon fils, lui dit-il, consens simplement à ce 
que je te cache chez moi, personne n'y passe ; on 
ne pourra te découvrir. 

— Père, répondit le jeune chrétien, je ne veux 
pas être caché. Le roi t'a ordonné de me tuer. Si 
tu ne le fais point, il te punira. Je connais la cause 
de ma mort, c'est la religion. Père, tue-moi ! » 

Alors Mkadjanga, pour lui épargner la terrible 
agonie du feu, ordonna à l'un de ses hommes de 
le tuer d'avance d'un fort coup de bâton à la nuque. 
On l'attacha ensuite à un fagot, et on le remit près 
le ses compagnons. 

Tous les pages étant ainsi liés à des roseaux et à 
les branches sèches, on les plaça horizontalement 
t côté les uns des autres, en prenant soin de les 
ourner dans le même sens pour faciliter le sup- 
lice. Puis on mit le feu aux fagots, du côté des 
►ieds des victimes, afin de les faire souffrir le plus 
3ngtemps possible, et dans la pensée que plusieurs 



âiâ LE CARDINAL LAVIGERIE 

renonceraient à la religion après les premières 
atteintes de la flamme. Vain espoir! la souffrance 
ne leur arracha que des prières et des chanls 
d'actions de grâces. 

Une demi-heure plus tard les roseaux étaient 
consumés, et Ton n'apercevait plus qu'une rangée 
de cadavres, moitié brûlés et couverts de cendres. 

Plus de cent chrétiens, parmi lesquels André 
Kagoua, subirent le matyre dans divers supplices. 

Mais la mort la plus terrible fut celle de Malhias 
Mouroumba, qui exerçait les fonctions de juge do 
paix dans un des districts du pays, et qui, depuis^ 
son baptême, élevait toute sa famille dans la 
pratique de la religion. 

Sa fervente piété le désigna aux premiers coup^ 
des persécuteurs. On le conduisit devant le mi- J 
nistre, qui lui demanda d'un ton méprisant : 

« C'est là Mouroumba ? 

— Oui, c'est moi, répondit Mathias. 

— Pourquoi pries-tu? reprit le ministre. 

— Parce que je veux prier. » 
S'adressant aux bourreaux, le ministre dit : 
« Emmenez-le et tuez-le. 

— C'est ce que je désire. » 

Katikiro, humilié par tant de courage, s'écna 
alors : « Bourreaux, vous lui couperez les pieds el 
les mains, et lui enlèverez des lanières de cha\Y 
sur le dos. Vous les ferez griller soùs ses yeux... 
Dieu le délivrera. » 

Blessé au vif par ce blasphème, Mathias ré- 
pondit : « Oui, Dieu me délivrera; mais vous no 



LES mssiONS DE l'afrique équatorialk 213 

verrez pas comment il le fera, car il prendra mon 
îme avec lui, et ne vous laissera que mon corps 
?n(re les mains. » 

Les bourreaux se mirent en devoir d'oxécutor 
onsciencieusement Tordre barbare de Kalikiro. 
*our n'être pas troublés par les spectateurs, ils 
onduisirent la victime sur la colline déserte de 
Savaridja. Mathias les suivit d'un pas alerte, et h* 
isage rayonnant de joie. Arrivés au lieu du 
upplice, les bourreaux lui coupèrent les pieds et 
îs mains, qu'ils firent griller à ses yeux. Ils le 
ouchèrent ensuite la face contre terre, et lui 
nlevèrent des lambeaux de chair, qu'ils grillèrent 
e même. 

De si horribles tourments n'arrachèrent aucune 
lainte à l'héroïque chrétien. Et pourtant l'ago- 
ie fut longue, car les bourreaux usèrent de tout 
lur art pour empêcher l'écoulement du sang et 
îtarder la fin du supplice. Ils n'y réussirent que 
•op. Trois jours après, des esclaves qui allaient 
3uper des roseaux, étant passés par là, entendirent 
ne voix qui les appelait. Ils s'approchèrent, 
e mourant leur demanda à boire. Mais épouvantés 
irla vue de ses horribles mutilations, les es- 
aves s'enfuirent et le laissèrent consommer son 
ng sacrifice. 
Un des plus jeunes fils de Mathias Mouroumba 

trouvait parmi les quinze enfants nègres qui 
it accompagné Mgr Livinhac en Europe, au 
DIS de septembre dernier. En baisant au front 
ec respect ce cher petit nègre, je me demandais 



âii LK CARDINAL LAVIGERIE 

s'il existe, dans le monde, une plus grande no- 
blesse que la sienne. 

Plaise au chef de l'Eglise de hâter les enquêtes 
canoniques déjà commencées sur les martyrs de 
l'Ouganda, et puissent bientôt ces glorieux repré- 
sentants de la race nègre, vénérés sur les autels du 
monde catholiijue, attester l'égalité de tous les 
hommes devant Dieu, ranimer ceux que décou- 
ragent les défaillances des vieilles nations chré- 
tiennes, et confondre nos sceptiques, si fiers de 
leur faiblesse d'esprit. 

Aucune apostasie n'était venue, pendant la per- 
sécution, augmenter la douleur des missionnaires. 
Les chrétiens soutenaient vaillamment les épreu- « 
ves de toutes sortes qui leur étaient imposées. 
Bannis de leurs demeures, dépouillés de leurs 
biens, sans cesse menacés de mort, ils n'en con- 
tinuaient pas moins leurs relations avec les 
Pères. 

Ceux dont la vie était le plus en péril venaienl 
les visiter le soir, et ils restaient jusqu'à minuit, 
afin de pouvoir communier avant de partir. Par- 
fois, à cause de leur grand nombre, les mission- 
naires, succombant à la fatigue et au sommeil, 
essayaient de se retirer. Mais comment résister à 
leurs prières? « Père, disait l'un, restez encore, 
demain je dois être conduit chez le roi. et proba- 
blement de là à la mort. Je ne vous verrai plus en 
e monde. » — « Ce n'est qu'avec peine, disait un 



LES MISSIONS DE L'aFRIQUE ÉQUATOHIALK 215 

autre, et en faisant un cadeau à mon geôlier, que 
j'ai pu ôtre délivré des entraves qui serraient mes 
pieds, et autorisé à aller dire adieu à mes amis. 
C'est donc pour la dernière fois que je m'entre- 
tiens avec vous. » 

Ou peut juger par là de l'empressement que 
mirent les Bagandas à se faire instruire et baptiser 
quand la persécution se fut apaisée. 
. Le P. Benoît écrivait de Roubaga,le 8 mars 1888, 
\tVi cardinal Lavigerie : « Tous les jours il nous 
hmve de nouveaux catéchumènes. Depuis un an 
l'en ai inscrit huit cents comme ayant assisté au 
^téchisme que nous leur faisons tous les matins, 
fct ce nombre est de beaucoup dépassé par celui 
fcs catéchumènes que nos néophytes instruisent 
Ihez eux, dans les districts éloignés. » 
Deux chrétiens s'étant établis dans le district 
chasseurs d'éléphants du roi, convertirent à 
X seuls le chef et plus de cent personnes. 
'Mouanga revint peu à peu à de meilleurs senti - 
lients. Il n'était pas, pour un roi nègre, trop cruel 
nature, et ceux qui comparaient sa conduite 
qu'avaient fait ses prédécesseurs dans leur 
esse, le trouvaient, paraît-il, relativement dé- 
aire. Au reste, il commençait, comme son 
pie, à ne plus pouvoir supporter le joug des 
Imans. Il rendit sa confiance au chrétien 
orat,chef de ses pages, et le mit à la tète d'une 
de partie de l'Ouganda. Comme c'est le gou- 
ur de province qui nomme les chefs des 
icts. Honorât donna ces places importantes à 



216 LB CARDINAL LAVI6ERIB 

des chrétiens qui en profitèrent pour aider aux 
progrès de la foi. 

C'est dans cette époque de calme relatif qu'a été 
ébauchée une œuvre dont on est peut-être en 
droit, si elle se développe, d'attendre beaucoup 
pour le salut de l'Afrique. 

11 ne faut pas se dissimuler que les Missions, 
môme catholiques, se sont heurtées jusqu'ici àun 
obstacle qu'on n'a encore pu vaincre : l'absenc» 
de clergé indigène. 

Lorsque le christianisme a été introduit chezU 
diverses nations de l'Europe par des apôtres veni 
des pays déjà chrétiens, par les Missionnaires 
ce temps-là, il a pu s'y maintenir et s'y propager 
l'aide des convertis d'élite que les premiers prêti 
se sont donnés comme successeurs. C'est ainsi qui 
les apôtres envoyés par Rome ont fait continue 
leur œuvre en Gaule par un clergé gaulois, 
dans la Grande-Bretagne par un clergé breton. 

La conversion définitive des païens d'aujoi 
d'hui nous paraît exiger la même condition, 
peuples chrétiens, chez lesquels, d'ailleurs, 
nombre des vocations diminue avec la foi, 
pourront fournir indéfiniment aux nations psâei 
nés tout le clergé qui leur deviendra nécessaire 
mesure qu'elles entreront dans l'Eglise. Quai 
cents millions de Chinois seront-ils toujours évî 
gélisés par deux cents prêtres Français ? Su! 
t-il longtemps à l'immense Afrique du pel 
nombre de vaillants religieux qui lui consacre! 
actuellement leur vie ? 



LES MISSIONS DE L AFRIQUE ËQUATORIALE 217 

Quels que puissent être les obstacles, il faut se 
préoccuper sans cesse de donner un clergé indi- 
gène aux peuples qu'on veut baptiser. C'est à ce 
prix qu'est la conversion du monde. 

On n'a pas encore de prùtrcs chez les Bagandas; 
mais déjà l'on voit naître, parmi les représentants 
de cette race remarquable, des vocations de frères 
et de sœurs. Nous lisons, en effet, dans une lettre 
deMgr Livinhac, en date du 10 juin 1888 : 

a Quelques personnes d'un âge mûr et très 
sérieuses ayant manifesté au P. Lourdelle désir de 
86 consacrer entièrement au service de Dieu par 
des œuvres de charité, il leur a fait bâtir une case 
dans une bananerie voisine de la mission, et leur 
a confié un orphelinat de filles. Elles remplissent 
leur devoir de mères adoptivcs avec piété et dé- 
vouement... Le bon Dieu veut-il tirer du Bou- 
^anda, qui a fourni les prémices des martyrs 
nègres, les prémices des religieuses noires? C'est 
son secret. Malgré la bonne volonté qu'elles men- 
ant, nos sœurs ne seront autorisées qu'après de 
fcès longues années d'épreuve h prendre des enga- 
^ments définitifs. » Mais dut-on les faire attendre, 
<^mme dans les premiers siècles, jusqu'à Tàge de 
ijuarante ans, on ne voit pas pourquoi elles seraient 
toujours exclues delà vie religieuse, alors surtout 
Jue la pacification du pays aura permis d'y en- 
'^oyer, pour les former, des sœurs de la Mission. 

Le P. Lourdel parle, dans une lettre de 1889, 
l'un jeune nègre sorti de l'orphelinat, et qui passe 
<i vie à enseigner le catéchisme aux petits enfants. 

7 



218 LE CARDINAL LAYIGERIE 

u II sera, dit-il, je l'espère, notre premier frè 
noir. » Son dévouement et sa piété l'ont fait a( 
mettre par les missionnaires à une vie qui e 
tout à fait semblable à celle des frères de leur coi 
grégation. Malgré son vif désir de pratiquer jui 
qu'au bout les conseils évangéliques, on ne lui 
permis jusqu'ici que des vœux annuels. Mais 1< 
Pères ne doutent pas de sa persévérance. 

Ces premiers essais, qui prépareront peut-êfc 
des vocations sacerdotales, donnent déj à, tels qu'i 
sont, de grandes espérances. Religieuses ou rel 
gieux noirs, auront, à défaut du même prestif 
dans les commencements, beaucoup plus d'apt 
tude que les Européens pour évangéliser leui 
compatriotes et pour aider l'action des missioi 
naires. Ils puiseront une grande force dans l'habi 
tude des langues barbares et du climat équatorià 
dans la connaissance parfaite des mœurs, ai 
vraies difficultés , des ressources de toute nature * 

L'Ouganda, que la supériorité de ses habitat 
semble désigner pour ce rôle providentiel, failli 
devenir, aux mains des Arabes et de leurs parti- 
sans, le plus grand obstacle aux progrès du chris- 
tianisme dans la région des Grands Lacs. 

L'année 1887, qui suivit la persécution, ne W 
guère troublée que par l'expulsion de M. Maçkajj 
Le ministre protestant, avant de s'éloigner, confi 

1. Cf. ce qui est dit, à la page 166, des sept jeunes B^ 
gandas que Mgr Lavigerie vient d'envoyer à l'école apoi! 
lolique de Saint-Eugène. 



LES MISSIONS DE L AFRIQUE ÉOl'ATORIALK 'iiU 

aux Pères Blancs les clefs de sa maison, pour les 
remettre à son successeur, le llévérenJ Gordon. 
Celui-ci n'eut pas un heureux début. La lettre 
qu'il présenta à son arrivée, et qu'il eut Timpru- 
dence de relire trois fois en public, était conçue en 
telstermes^ que le roi, à la fin, ne put maîtriser son 
indignation, et qu'il s'écria devant toute la cour : 
«Puisque vous me parlez ainsi, je vous déclare 
que vous êtes mon prisonnier de guerre. Si les 
Anglais viennent à m'attaquer ou à arrêter les 
marchandises à la côte, c'est vous que je tuerai K» 
premier. » 

Les missionnaires catholiques eurent bien de la 
peine à préserver la vie de M. Gordon et de son 
compagnon, M. Walker. Le gouvernement anglais 
a reconnu officiellement ce service, dans une lettre 
adressée à notre ministre des Affaires étrangères, 
et transmise par lui aux intéressés. 

Des nouvelles venues du Zanguebar, et annon- 
çant le prochain partage de l'Afrique orientale 
entre les Anglais et les Allemands, rendirent 
Mouanga extrêmement irritable. Il retomba dans 
d'étranges accès de fureur. On ne sait pour quelle 
faute, ou par quel caprice, il se mit un jour dans 
l'esprit d'envoyer toute sa garde avec ses pages 
lans une île déserte du Nyanza, avec ordre à ceux 
}ui les conduiraient de les abandonner ensuite, et 
le les laisser mourir de faim. Le secret transpira, 
t la garde, au lieu de s'embarquer, résolut de ren- 
erser le tyran. Les musulmans se mirent à la tète 
Il complot et détrônèrent Mouanga, qui n'eut que 



220 LE CARDIiNAL LAVIGERIE 

le temps de s'enfuir dans le Magou, au sud-est du 
Nyanza. 

En môme temps Kiwéwa, Tun de ses trente- 
neuf frères, était proclamé souverain. 

Bien qu'il dût son élévation aux Arabes, le nou- 
veau roi se montra favorable aux chrétiens, dont 
la fidélité lui inspirait une plus grande confiance. 
Cette attitude imprévue amena un nouveau com- 
plot des musulmans. Après s'être assurés de la per- 
sonne du roi, ils se jetèrent sur les chrétiens, prisa 
l'improviste, les mirent en fuite après plusieurs 
heures de combat, et saccagèrent toutes leurs pos- 
sessions. 

Kiwéwa céda à la pression des vainqueurs, et fit 
tout ce qu'ils voulurent. Bientôt les missionnaires, 
catholiques et protestants, se trouvèrent ensemble 
dans la môme prison, attendant la mort et se don- 
nant les marques d'une charité touchante. Ils ne 
furent qu'expulsés, et ils purent se retirer au sud 
du lac, les Anglais à Kiafouma, dans l'Ousambiro, 
et les Français à Notre-Dame de Kamoga, dansk 
Bukumbi. 

C'était près de là qu'avait eu lieu, quelque temps 
plus tôt, un événement qui ne doit pas être passé 
sous silence. 

Le P. Giraud se rendait dans une île voisine, 
accompagné de six rameurs et d^un enfant non bap- 
tisé. La barque fit naufrage et tous furent submer- 
gés en un instant. Les rameurs atteignirent le 
rivage sans difficulté. Seul, le P. Giraud, qui était 
pourtant bon nageur, ne l'atteignit pas. L'enfant 



LES MISSIONS DE L*AFRIQUE ÉQUATORIALE 221 

s'était cramponné à lui. Au lieu de secouer un far- 
deau qui lui rendait la mort inévitable, sentant 
qu'il allait s'engloutir, il souleva l'enfant au-dessus 
du lac, jeta rapidement un peu d'eau sur sa tête en 
disant : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et 
du Saint-Esprit », puis il disparut avec lui dans 
lesflots, pendant que les deux âmes allaient à Dieu, 
lune par le privilège de l'innocence, l'autre par le 
privilège de l'héroïsme. 

Cependant Kiwéwa essayait de secouer le joug 
des Arabes, mais ils le mirent à mort, et lui subs- 
tituèrent Karéma, l'un de ses frères, qui fut cir- 
concis, et leur laissa toute autorité. Ce monstre 
commença par faire massacrer tous ses frères et 
sœurs. 

Le pays fut alors livré à toutes les violences du 
parti de l'Islam. Les Arabes se rendirent si odieux, 
que l'excès même du mal amena une réaction. 
Les principaux du royaume s'enfuirent auprès de 
l'ancien ministre chrétien Honorât, qui organisait 
la résistance dans le Bousagara, ou Ankoré, à 
l'ouest de l'Ouganda, et qui fut bientôt en mesure 
de tenter par les armes la délivrance de sa patrie. 

Mais déjà Mouanga, fort mal reçu dans le Ma- 
gou, était allé, avec une trentaine de ses pages, 
demander asile aux missionnaires catholiques ré- 
fugiés dans le Bukumbi. Touché de l'accueil qu'il 
f reçut, après tous ses crimes, il se fit instruire en 
uéme temps que ses compagnons, et tel fut 
heureux changement de ses dispositions, que les 



222 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Pères consentiront à l'admettre au nombre des 
catéchumènes. 

La nouvelle en étant parvenue dans le Bousa- 
gara, l'armée chrétienne lui envoya une députa- 
tion,- pour lui offrir de l'aider à reconquérir son 
royaume et à chasser les musulmans. 

Il s'embarqua sans hésiter, le 29 avril 4889. Il 
ne devait plus retrouver Honorât, qui avait suc- 
combé dans une embuscade, après avoir remporté 
deux victoires sur les Arabes. Il se mit lui-même 
à la tète de l'armée, et fut accueilli par son peuple 
avec enthousiasme. Mais l'absence de munitions 
l'exposant à être battu par les musulmans, qui- 
étaient fort bien armés, il s'établit provisoirement 
dans une petite île située près de la baie de Mur- 
chison , et d'où il dirigea le mouvement anti- 
arabe. Son premier soin fut d'envoyer chercher 
les missionnaires qu'il avait laissés dans le Bu— 
kumbi. 

Ce fut alors que les chrétiens envoyèrent de- 
mander du secours à Stanley, qui avait à peu près 
achevé son expédition, et qui se rendait asse^ 
tranquillement vers la côte avec Emin-Pacha. 

L'explorateur répondit par un refus. Il devait 
avoir ses raisons d'en agir de la sorte. 

Il est certain que le moindre secours de sa part 
eût grandement hâté la délivrance de l'Ouganda. 
« Mais, dit-il, mon devoir envers le Pacha, son 
ami Casati et les Egyptiens, que j'avais promis 
d'escorter jusqu'à la mer, me défendit même d'y 
penser. » Emin-Pacha était, en effet, si pressé 






LES MISSIONS DE l'aFRIQUE ÉQUATORIALE 223 

d'arriver à la côte, qu'une fois délivré de son libé- 
rateur, il a repris le chemin de l'Afrique centrale. 

Les chrétiens se passèrent du secours de Stanley. 

Quand ils crurent le moment favorable, ils se 
dirigèrent hardiment vers la capitale, et, après 
plusieurs combats acharnés, ils firent leur entrée à 
Roubaga, le 5 octobre 1889. Les Arabes marchè- 
rent de défaite en défaite, et Karéma dut s'enfuir 
avec un petit nombre de compagnons. 

Mouanga, rétabli sur son trône, a confié toutes 
les charges aux chrétiens. Les dernières nouvelles 
reçues de Zanzibar annoncent son triomphe défi- 
nitif. 

Il semble donc que l'Ouganda tout entier, c'est- 
à-dire le plus important royaume de l'Afrique 
équatoriale, soit maintenant acquis au christia- 
nisme. 

Tel est le magnifique résultat que les mission- 
naires d'Alger ont obtenu en moins de douze 
années. Il faudrait, pour le compromettre, une 
formidable invasion des Arabes madhistes, à qui 
la retraite plus ou moins libre d'Emin-Pacha a 
ouvert la province équatoriale. Peut-être aussi le 
protectorat forcé de l'Angleterre va-t-il donner du 
poids aux insinuations des musulmans sur les 
projets de conquête des chrétiens. Mouanga ne se 
demander a-t-il pas pourquoi on tient tant à le dé- 
fendre, maintenant qu'il a reconquis et pacifié son 
royaume? 

Toutefois, il semble bien décidé à garder sa 



224 LE CARDINAL LAVIGERIE 

nouvelle religion. On n'en saurait donner de meil- 
leure preuve que la lettre suivante écrite par lui 
au cardinal Lavigerie. 

« Mengo (Bouganda), 4 novembre 1889. 

« Eminence et mon Père le Graîsd, 

« Moi, Mouanga, roi du Bouganda, j'envoie vous 
voir (pour : j'ai l'honneur de vous envoyer uii 
message). Je vous écris pour vous informer de 
mon retour dans mon rovaume. 

« Vous avez appris que, lorsque les Arabes 
m'eurent chassé, je me sauvai dans le Bukumbi. 
Mgr Livinhac et ses missionnaires me traitèrent 
avec bonté. Après quatre mois les chrétiens m'en- 
voyèrent chercher. Nous nous sommes battus pen- 
dant cinq mois. Dieu nous a bénis et nous avons 
triomphé des Arabes. 

« Maintenant, je vous en supplie, daignez nous 
envoyer des prêtres pour enseigner la religion de 
Jésus-Christ dans tout le pays de Bouganda. 

« Je vous demande aussi des enfants ayant appris 
les remèdes (connaissant la médecine), comme 
ceux qui sont allés à Oujiji. Quand ils arriveront 
chez nous, je leur donnerai de belles places. 

« J'ai appris que Notre Père le Pape, le grand 
chef de la religion , vous a envoyé traiter avec les 
Grands de l'Europe, pour faire disparaître le com- 

erce des hommes (des esclaves) dans le pays de 

Afrique. Et moi, si les blancs veulent bien me 



LES MISSIONS DE l'aFRIQUE ÉQUATORULE .^2^ 

donner la force, je puis les aider dans cette œuvre 
et empêcher le commerce des hommes dans tous 
les pays qui avoisinent le Nyanza. 

« Daignez demander pour moi (au ciel) la force 
(le bien faire. De mon côté, je prie Dieu de vous 
donner ses bénédictions et de vous aider dans 
toutes les œuvres que vous faites pour sa gloire. 

« Moi, votre enfant. 

« Signé : Mwa>'ga, 
M roi de V Ouganda, » 

Cette lettre est parvenue au cardinal Lavigerie 
à la fin de mai 1890, quelques jours après les 
grandes fêtes de Carthage, au moment où il s'ap- 
prêtait à porter à Rome les délibérations du con- 
cile qu'il venait de réunir dans l'ancienne métro- 
pole de l'Afrique. Il s'est aussitôt rendu de Tunis 
à Alger, pour y organiser le départ d'une nouvelle 
caravane ; et le 29 juin, fête des apôtres saint Pierre 
et saint Paul, dix-huit missionnaires et deux mé- 
decins nègres, élevés à l'Institut de Malte, ont pris 
généreusement le chemin de l'Afrique équatoriale. 
Le P. Gerboin les dirige. Ils vont retrouver au 
Nyanza, non plus Mgr Livinhac, élu supérieur de 
la Société, et qui est rentré en Europe au mois 
de septembre dernier, mais Mgr Jean Hirt, un 
enfant de l'Alsace, qui a déjà donné de grandes 
preuves de zèle et de prudence dans le vicariat 
apostolique dont il est maintenant l'évêque. 



2<26 LE CARDINAL LAVI6ER1E 

Ainsi, comme le disait le cardinal dans la cér 
monie des adieux, « Alger, qui si longtemps 
fermé au monde, par la terreur de ses pirates, 1 
portes de ce grand continent, les ouvre aujou 
d'hui elle-même à la lumière ». 

Pendant que les vingt missionnaires se tenaie 
debout devant l'autel, le vieil archevêque, s< 
coadjuteur, les prélats, les prêtres, les fidèl 
allaient tour à tour, humblement, s'agenouill 
devant eux et leur baiser les pieds. 

N'est-ce pas la seule attitude qui nous puiss 
convenir devant de pareils apôtres ? A moins d 
les suivre, ou, si on ne le peut, de les aider etdi 
les faire connaître pour l'honneur de l'Eglise et * 
leur patrie. C'est d'eux que M. Jules Simon a dit 
aux applaudissements d'un auditoire d'élite, dan! 
dans le grand amphithéâtre de laSorbonne : « Oh 
que nous nous servons mal de notre admiration e' 
de notre reconnaissance! Nous avons de J'admi- 
ration pour des actions qui en méritent bien peu. 
et de la reconnaissance pour des bienfaits qui, 
souvent, tournent contre nous. Mais les voilà, les 
âmes généreuses, les âmes compatissantes, celles 
qui sont remplies d'éternité ! » 



-o-o'^^oo- 



CHAPITRE VII 



l'antiesclavagismk 



I 



Le 24 mai 1888, un pèlerinage tout apostolique 
entrait au Vatican ; le cardinal Lavigerie présen- 
tait au Pape, avec les évoques de sa province, 
douze prêtres de chacun des diocèses de l'Afrique 
française, douze Pères Blancs, douze Arabes et 
Kabyles chrétiens de l'Algérie, enfin douze nègres 
de l'Afrique centrale, que les missionnaires 
avaient convertis à la foi après les avoir rachetés 
de l'esclavage. 

Or Léon XIII avait écrit, quelques jours aupa- 
ravant, aux évoques du Brésil une longue lettre, 
dans laquelle il réprouvait l'esclavage en général, 
et particulièrement l'esclavage africain. Après en 
avoir fait une description aussi émouvante que 
précise, il le condamnait au nom du droit naturel 
et de la loi divine, et il faisait appel pour le com- 
l^attre, à la charité, à la pitié, à la justice du 
^onde chrétien. 



228 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Il invitait a tous ceux qui ont la puissance, et 
tous ceux qui sont dévoués au progrès de la reli- 
gion, à unir leurs eflforts pour réprimer, pour 
empêcher, pour abolir le plus honteux et le plus 
criminel de tous les trafics. » 

Il exhortait surtout les missionnaires à se consa- 
crer à cette œuvre : « Maintenant que, par un con- 
cours plus actif des intelligences et des entreprises, 
disait-il, de nouvelles voies, de nouvelles relations 
commerciales sont ouvertes vers les terres afri- 
caines, c'est aux hommes voués à l'apostolat de 
prendre tous les moyens possibles pour procurer 
le salut et la liberté des esclaves. » 

Le premier des missionnaires africains ne pou- 
vait manquer de répondre à un appel semblable. 

En présentant au Pape les prémices des chré- 
tiens nègres, Mgr Lavigerie lui rappela qu'ils 
avaient tous subi la servitude; il le remercia, en 
leur nom et au nom de tous les Africains, d'avoir 
eu pitié de leur misère, et il promit d'aider de 
tout son pouvoir à l'abolition de l'esclavage. 

Léon XIII répondit : 

« Vous l'avez dit, Monsieur le Cardinal, dès le 
début de notre pontificat, nos yeux se sont portés 
vers cette terre déshéritée (l'Afrique), notre cœur 
s'est ému au spectacle des innombrables misères, 
physiques et morales, dont elle est le théâtre. 
Nous avons cherché, dans la mesure de nos forces, 
à y apporter un remède convenable et salutaire... 

« Ce qui, par-dessus tout, n'a cessé de remplir 
notre âme de tristesse et de commisération, c'est 



l'antiesclavagisme 229 

la pensée de ce grand nombre de créatures hu- 
maines, réduites par la force et la cupidité -à un 
esclavage honteux et dégradant... Nous avons 
invité et vivement engagé tous ceux qui ont le 
pouvoir entre les mains, à mettre un terme au 
hideux trafic, appelé la traite des nègres, et à em- 
ployer tous les moyens pour que cette plaie ne con- 
tinue pas davantage à déshonorer le genre humain. 
Et puisque le continent africain est le théâtre prin- 
cipal de ce trafic et comme la terre propre de l'es- 
clavage, nous recommandons à tous les mission- 
naires qui y prêchent le saint Evangile, de consa- 
crer toutes leurs forces, leur vie môme, à cette 
œuvre de rédemption. . . 

« Mais c^est sur vous surtout, Monsieur le Cardi- 
nal, que nous comptons pour le succès des difficiles 
œuvres et missions de l'Afrique. Nous connaissons 
votre zèle actif et intelligent, nous savons tout ce 
que vous avez fait jusqu'à ces jours, et nous avons 
la confiance que vous ne vous lasserez pas avant 
d'avoir mené à bonne fin vos grandes entreprises. » 

« C'est surtout sur vous que nous comptons », 
avait dit le Chef de l'Eglise au cardinal Lavigerie. 

Fort de cette parole, le primat d'Afrique laissa 
pour un temps toutes ses autres œuvres, afin d'or- 
ganiser la croisade qui lui était confiée. Il annonça 
>ans retard à Mgr Brincat, procureur des Missions 
l'Afrique à Paris, qu'il se rendrait en France dès 
ju'il aurait reçu les dernières bénédictions et les 
lemiers conseils du Souverain Pontife. « C'est 



230 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Paris que je vais venir, écrivait-il, pour dire enfin 
ce que je sais des crimes sans nom qui désolent 
l'intérieur de notre Afrique, et pour jeter ensuite 
un grand cri, un de ces cris qui remuent, jusqu'au 
fond de Tàme, tout ce qui, dans le monde, est en 
core digne du nom d'homme et de celui" de chré- 
tien... Où parlerai-je? Où écrirai-je? Je Tignore 
encore. Mais, ce que je sais, c'est qu'en demandant 
la fin de tant d'excès infâmes, en proclamant ces 
grands principes chrétiens d'humanité, de charité, 
de liberté, d'égalité, de justice, je ne trouverai en 
France et dans le monde chrétien, ni une intelli- 
gence ni un cœur qui me refuse son appui. » 

Et il partit prêcher sa croisade dans les diverses 
capitales chrétiennes. Le monde retentit du bruit 
de sa parole. La nouvelle traite des nègres devint 
le sujet habituel des entretiens et des écrits; et 
il se fit un tel mouvement dans l'opinion des 
peuples, qu'un an plus tard, toutes les puissances 
se réunissaient à Bruxelles pour s'accorder en- 
semble sur les moyens pratiques d'abolir l'escla- 
vage africain. 

C'était la première fois que la triste situation 
de l'Afrique allait passionner le monde civilisé. 
Ce n'était pas la première fois qu'elle était signa- 
lée à son attention. 

En 1877, le roi Léopold II avait déclaré devant 
'Association internationale réunie par ses soins à 
Bruxelles, que a l'esclavage qui se maintient 



L*ANTIESCLAVAGISMi!: !231 

encore sur une notable partie du continent afri- 
cain constitue une plaie que tous les amis de la 
vraie civilisation doivent désirer voir disparaître ». 
La Conférence de Berlin, qui a constitue, en 
1885, les États africains dans le bassin conven- 
tionnel du Congo, a introduit dans son Acte fon- 
damental les deux articles que voici : 

Chap. II, art. 6. — « Toutes les puissances 
TOrçant des droits de souveraineté dans lesdits 
territoires s'engagent à veiller à la conservation 
ies populations indigènes et à ramélioration de 
leurs conditions morales et matérielles d'exis- 
tence, et à concourir à la suppression de l'escla- 
vage et surtout de la traite des noirs : elles proté- 
geront et favoriseront, sans distinction de natio- 
nalité ni de culte, toutes les institutions et 
entreprises, religieuses, scientifiques ou chari- 
tables, créées et organisées à ces fins. » 

Chap. I, art. 9. — « Conformément aux prin- 
cipes du droit des gens, tels qu'ils sont reconnus 
par les puissances signataires, la traite des es- 
claves étant interdite, et les opérations qui, sur 
terre ou sur mer, fournissent des esclaves à la 
traite, devant être également considérées comme 
interdites, les puissances qui exercent ou qui exer- 
ceront des droits de souveraineté ou une influence 
dans les territoires formant le bassin conven- 
tionnel du Congo, déclarent que ces territoires ne 
pourront servir ni de marché, ni de voie de tran- 
sit pour la traite des esclaves, de quelque race 



232 LE CARDINAL LAVI6ERIE 

que ce soit. Chacune de ces puissances s'engaf 
employer tous les moyens en son pouvoir p 
mettre lin à ce commerce et pour punir ceux 
s'en occupent. » 

Mais ces résolutions étaient restées lettre mo 
et ceux qui les avaient prises semblaient e 
mêmes les avoir oubliées. 

En vain les explorateurs de l'Afrique s'ac< 
daient-ils à faire de l'esclavage africain les ( 
criptions les plus sombres en même temps que 
plus exactes. En vain le grand et génér 
Livingstone écrivait-il dans son dernier jouri 

(( Quand j'ai rendu compte de la traite 
l'homme dans l'est de l'Afrique, je me suis t 
très loin de la vérité, ce qui était nécessaire p 
ne pas être taxé d'exagération ; mais, à parlei 
toute franchise, le sujet ne permet guère qi 
exagère. Amplifier les maux de l'affreux c 
merce est tout simplement impossible. Le sj 
tacleque j'ai eu sous les yeux, incidents comm 
de ce trafic, est d'une telle horreur que je w 
force sans cesse de le chasser de ma mémoire 
sans y arriver. Les souvenirs les plus péni 
s'effacent avec le temps, mais les scènes atn 
que j'ai vues se représentent, et, la nuit, me : 
bondir , horrifié par la vivacité du tableau 

On ne pensait plus aux dernières paroles 
sa main a tracées, et que l'Angleterre a fait gra 
sur son tombeau dans Westminster : 

« Je ne puis plus rien faire que de souhai 



l'antiesclavagisme 233 

en mourant, que les bénédictions les plus abon- 
dantes du ciel descendent sur tous ceux, quels 
qu'ils soient, Anglais, Américains ou Turcs, qui 
contribueront à faire disparaître de ce monde la 
plaie affreuse de l'esclavage. » 

Il est facile aujourd'hui de revendiquer pour 
les seuls philanthropes et les seuls politiques, la 
gloire du grand mouvement qui a provoqué la 
Conférence de Bruxelles, et engagé d'honneur 
toutes les nations civilisées à poursuivre d'un 
accord unanime l'extinction de l'esclavage. La 
vérité est qu'avant le mois de mai 1888, en dehors 
des généreuses tentatives du roi des Belges, ni la 
philosophie, ni la politique, ni la presse, ni les 
assemblées, ni les gouvernements n'avaient pris 
sérieusement en main la cause des malheureux 
nègres, et qu'au contraire, depuis cette époque, 
cette même cause a intéressé tous les peuples. 

C'est qu'au mois de mai 1888, les longs cris de 
douleur de la pauvre Afrique ont enfin trouvé un 
écho assez puissant sur les lèvres du chef de 
rÉglise, et que, répétés par lui et son envoyé, 
ils ont réveillé le monde chrétien de son engour- 
dissement. L'indifférence publique n'a pu tenir 
devant le fidèle tableau des souffrances des es- 
claves. 



II 



Comment, en effet, ne pas s'émouvoir, au récit 
de tout ce qu'endurent les malheureux nègres au 



234 LE CARDINAL LAVIGERIË 

moment de leur capture, durant les longs voi 
qu'on leur impose pour aller les vendre, et 
l'affreuse condition qui les attend chez des 
très sans scrupules ? 

Ce qu'il y a de plus terrible dans le grand 
africain, et l'abus contre lequel se doivent p 
les principaux efforts, c'est, par-dessus tou 
chasse aux esclaves, ce sont les crimes inouï! 
multiplient les négriers pour s'emparer de 
victimes. 

Stanley, peu suspect d'exagération dans la] 
estime qu'en plusieurs pays les traitants 
périr environ cent nègres pour se procurer 
esclaves * . 

Voici, en effet le moyen qu'ils emploien 
s'avancent, armés jusqu'aux dents, vers le 
gions où la population indigène est nomb: 
et inoffensive; ils conduisent avec eux une tr 
à gages de brigands noirs ou métis, à la 
desquels ils attaquent, de nuit, à l'impro^ 
les villages sans défense. Ils mettent le fei 
huttes de paille, tuent les premiers habi 
qu'ils rencontrent, traquent les autres, les f 
suivent, les massacrent, et ne gardent que 
dont ils peuvent tirer parti, les femmes et le 
fants avec un petit nombre d'hommes validi 

Aussi les explorateurs retrouvent-ils comf 
ment déserts des pays qu'ils avaient vus pros] 

1. Stanley, Cinq années au Congo, pp. 456-i60. 



LANTIESCLAVAGISMK 235 

t peuplés quelques années auparavant : «Les vil- 
ages, dit Stanley, avaient cessé d'être, comme 
'ils n'eussent jamais existé qu'en rôve. Que s'é- 
ait-il donc passé? » Une horde de brigands avait 
omplètement dévasté un pays de 53,000 kilo- 
ûètres carrés, où vivaient un million de nègres ; 
' 118 villages, représentant 43 communautés plus 
castes, avaient été ravagés, et cette œuvre d'ex- 
ermination n'avait rapporté que 2,300 esclaves, 
Mmes et enfants, et environ 2,000 défenses d'i- 
voire. » 

Sans doute, il n'arrive point toujours, comme 
lans le cas présent, que deux esclaves enlevés re- 
présentent un massacre de cent nègres; mais, au 
Bornent de la vente, ils ne représentent jamais 
ïioins de dix victimes, car il faut aussi tenir 
îompte de ceux qui meurent le long des routes 
ivant de parvenir aux marchés * . Or les mission- 
naires affirment qu'il se vend par année 400,000 
îsclaves, et la plupart des autres voyageurs por- 
tât ce nombre à 500,000. 

Pour empêcher leurs victimes de fuir durant la 
ïiarche, les négriers les attachent ensemble à 
'aide d'une sorte de cangue, dont les divers an- 
fteaux leur enserrent le cou; ils leur lient les 
Drains derrière le dos, et leur entravent les pieds 

1. Est-il besoin de dire que les jeunes esclaves dont on 
^'^^t faire des eunuques (les eunuques se paient très cher) 
•*ccombent dans des proportions effrayantes aux mutila- 
"0û8 dont ils sont l'objet? Un explorateur, au Maroc, 
* constaté que, sur trente enfants opérés, il n'en survivait 
■«Piedeux. 



236 LE CARDINAL LAVIGERIE 

dans des liens étroits qui les forcent à suivre un 
pas toujours uniforme. Durant la nuit leurs jam- 
bes sont serrées dans des traverses qui leur inter- 
disent tout mouvement, et les font tant souffrir 
que, le plus souvent, malgré leur fatigue, ils ne 
peuvent dormir. 

Ces traitements les affaiblissent-ils au point de 
ne pouvoir plus avancer? On les pousse comme 
des bêtes de somme, à coups de lanières, qui laia-^ 
sent des traces sanglantes. ! 

S'ils tombent sur la route, on les frappe jusqu'à' 
ce qu'ils se relèvent. 

S'ils ne peuvent plus se traîner, on les tue; ooj 
bien on les mutile, on leur coupe les bras, un«| 
jambe, et on les laisse attendre, dans la fièvre et 
dans la soif, la lente mort de l'épuisement ou lil 
dent libératrice des lions et des léopards. ' 

Ajoutons qu'ils sont bien souvent chargés de* 
bagages de la caravane, et que de lourds fardeaui^ 
augmentent encore les fatigues de la route. Le» 
femmes elles-mêmes n'en sont pas dispensées; 
elles tiennent à emmener avec elles, en le po: 
tant, un enfant tout jeune, on ne s'y oppose p 
toujours, car cela peut faire plus tard un esclav 
de plus ; mais s'il arrive qu'elles ne puissent pi 
dissimuler la fatigue du double fardeau, on les d 
charge de leur enfant, et, sous leurs yeux, mal 
tous les cris, on lui brise la tête contre les arbr 
ou les cailloux. « Marche, dit-on ensuite à l 
mère, à présent ce n'est plus trop lourd. » 

Cameron parle avec épouvante des squelettes, 



L ANTIESCLAVAGISHE 



des jougs, des fourches à esclaves, qui s'o 
partout à ses regards V On a pu dire qut 
voyageurs s'égaraient dans le centre de VA 
ils reconnaîtraient souvent la route d 
lavanes aux ossements humains dont < 
jonchée. 

Après ces tortures du voyage par terre, 
tre supplice commence pour les esclaves q 
Jestinés à la Turquie d'Asie, et qu'on em 
iccrÈtement sur la côte orientale dans les 1 
)u dahous arabes. 

» J'ai vu, dit Cameron dans une lettre ai 
lai Lavigerie, j'ai vu les esclaves à b( 
ahous. arabes, accroupis, leurs genoux ai 
an, couverts de blessures et de plaies, m 
ar manque de boisson et de nourriture, les 
es aux vivants, et la petite vérole ajoutan 
este contagion aux misères dont ils étaier 
lés. >, 

Et Mgr Bridoux, vicaire apostolique du ' 
ika, décrit ainsi deuxboutres chargés d'es 
ii'il a trouvés à Zanzibar, où les avaient ! 
3US croisières anglaises : « Ils y étaient e 
)mme des harengs, tenant, on ne sait ps 
liracle, quatre-vingts dans un étroit espac' 
aurait pas cru qu'il en pût tenir dix; hâve 
es comnae des squelettes, les yeux en 
spirant la faim, la terreur, le désespoir. I 
us affreux que ces malheureux, malade 

1. Cameron, A travers l'Afrique, p. 383-3S!). 



i38 LB CARDINAL LAVIGERIE 

verts de plaies, portant sur leurs bras, sur leurs 
mains, sur leur dos, quand ils débarquaient, la, 
marque des lanières de cuir, dont on les avait dé-i 
chirés durant leur longue route, presque hébétés^ 
par les privations et par la douleur. » 

Les esclaves qui sont conduits au sud de Y\ 
gypte ou en Turquie d'Asie, se vendent dans le 
cret, avec la complicité payée des autorités musi 
mânes. Ce trafic reste donc dans l'ombre et 
donne pas lieu aux scènes navrantes qui se passeï 
journellement sur les marchés publics de l'Afrii 
intérieure. 

Laissons la parole à un missionnaire qui a 
ces derniers marchés; car la cause de l'Afrû 
n'a pas besoin d'avocats, ainsi que l'a dit le ci 
dinalLavigerie, il suffit qu'elle ait des témoins. 

Ce missionnaire, le P. Guillenié, de la station 
Kibanga,a trouvé, en 1887,1a ville d'Oujiji, qui 
la principale des bords duTanganika, tout inon( 
d'esclaves venus du Manyéma, du Maroungou, 
r Ou vira et TOubuari. En raison de leur nombi 
ils étaient à très bon marché, mais presque 
exténués de fatigue et mourant de faim, u 
place, raconte-t-il, était couverte d'esclaves 
vente, attachés en longues files, hommes, femm( 
enfants, dans un désordre affreux, les uns a^ 
des cordes, les autres avec des chaînes. A qu< 
ques-uns, venant du Manyéma, on avait percé 
oreilles pour y passer une petite corde qui les 
tenait unis. 



l'antiesglavagismk :230 

Dans les rues, on rencontrait, h chaquo pas, 
squelettes vivants, se traînant pénibloinenl 
à Taide d'un bâton. Ils n'étaient plus onchainrs, 
parce qu'ils ne pouvaient plus se sauver. La souf- 
fraDcc, les privations de toutes sortes élaieiit poin- 
tes sur leurs visages décharnés, et tout indiquait 
qu'ils se mouraient bien plus de faim (juc de 
maladie. Aux larges cicatrices qu'ils portaient sur 
le dos, on voyait de suite ce qu'ils avaient souffert 
de mauvais traitements, de la part de leurs maî- 
tres, qui, pour les faire marcher, ne leur épargnent 
pas les distributions de bois vert. D'autres, cou- 
chés dans les rues ou à côté de la maison de leur 
maître, qui ne leur donnait plus de nourriture. 
parce qu'il prévoyait leur mort prochaine, atten- 
daient la fin de leur misérable existence... 

a Mais c'est surtout du côté du Tanganika, dans 
l'espace inculte, couvert de hautes herbes, qui sé- 
pare le marché des bords du lac, que nous devions 
toir toutes les conséquences de cet abominable» 
prafic. Cet espace est le cimetière d'Oujiji, ou, 
|our mieux dire, la voirie où sont jetés tous les 
ndaves morts ou agonisants. Les hyènes, très 
ldK)ndantes dans le pays, sont chargées de leur se- 
lalture. Un jeune chrétien, qui ne connaissait 
*^int encore la ville, voulut s'avancer jusqu'aux 
rds du lac ; mais, à la vue des nombreux cada- 
s semés le long du sentier, h moitié dévorés 
les hyènes ou les oiseaux de proie, il recula 
^épouvante, ne pouvant supporter un spectacle 
^ssi affreux. 



240 LK CARDINAL LAYIGERIE 

« Ayant demandé à un Arabe pourquoi les ca- 
davres étaient aussi nombreux aux environs d'Ou- 
jiji, et pourquoi on les laissait aussi près de U 
ville, il me répondit avec indiflférence : 

« Autrefois, nous étions habitués à jeter en cet 
endroit les cadavres de nos esclaves morts, el, 
chaque nuit, les hyènes venaient les emporter. 
Mais, cette année, le nombre des morts est sicoa- 
sidérable, que ces animaux ne suffisent plus aie» 
dévorer; ils se sont dégoûtés de la chair hu- 
maine! )) 

L'esclavage domestique, dans les pays musul- 
mans de l'Asie et de l'Afrique du nord, n'a riendl 
très cruel. C'est l'intérêt môme des maîtres den« 
pas laisser périr des marchandises qui leur reviefr 
nent cher, h cause de la distance ; peut-être austf 
redoutent-ils le voisinage de l'Europe, et craignent- 
ils qu'on entende les gémissements des victimes 
Mais, alors môme que les musulmans de Turquie 
d'Egypte, de la Tripolitaine et du Maroc traiteraiei) 
leurs esclaves avec plus de douceur encore, ei 
seraient-ils moins responsables des crimes et àî 
massacres que commettent les négriers pour aj 
provisionner leurs marchés? 

Et certes il suffirait bien au malheur de la ra( 
noire des débouchés que l'Afrique centrale offi 
elle-même aux esclavagistes. 

C'est là que le fléau sévit dans toute sonhorreu 
et les nègres, après avoir d'abord imité les Arabe 
les ont vite dépassés. Mgr Augouard, des missioi 



l'antiesclavagisme ±Ai 

ûaires du Saint-Esprit, raconte que, dans le Haut- 

Oubanghi, les esclaves sont tout simplement de 

la viande de boucherie ; c'est pour les manger 

qu'on les achète, ou qu'on les enlève de force, 

chez les tribus plus faibles; s'ils sont trop maigres, 

on les engraisse jusqu'à ce qu'ils soient à point. 

Un voyageur s'étant écrié avec indignation 

devant ces sauvages : « Mais vous ne faites donc 

^cune différence entre l'homme et l'animal ? » ils 

lui répondirent du ton le plus naturel : a Oh! si. 

lia chair de l'homme est bien meilleure. » 

Si tous les nègres de l'Afrique centrale ne font 
pas de leurs esclaves un aliment ordinaire, tous 
les traitent avec une brutalité d'autant plus révol- 
tante qu'ils n'ont généralement affaire qu'à des 
femmes et à des enfants. Les hommes pourraient 
8'enfuir; on les tue, ou bien on les réserve pour 
l'A-sie. La femnie et l'enfant suffisent, du reste, au 
jer travail qui est nécessaire dans un pays où 
culture n'existe pour ainsi dire pas. Les enfants 
it roués de coups sous le moindre prétexte. Les 
Les servent à des débauches sans limite ; elles 
vendent à si vil prix que les plus petits chefs en 
ittous plusieurs, et qu'on a vu les deux derniers 
nsde l'Ouganda en enfermer jusqu'à 1500 dans 

harem. 

Mais ces malheureuses sont moins encore des 

struments de désordre que des instruments de 

>uleur. Speke affirme que, pendant qu'il demeu- 

lit dans l'enceinte de la résidence royale chez le 

iverain de l'Ouganda, « il ne s'est pas passé de 



** 



i42 LE CARDINAL LAVIGERIE 

jour OÙ il n'ait vu conduire à la mort quel 
une, quelquefois deux et jusqu'à trois de c 
heureuses femmes qui composaient le ha 
Mtésa * . » Un missionnaire rapporte qu'un 
du Bukumbi lui disait un matin, avec au 
calme que s'il se fût agi de la chose la plus 
du monde : « J'ai tué cinq de mes femmes ] 
la nuit », sans môme paraître croire que < 
ôtre extraordinaire. 

Le peuple n'est pas plus débonnaire. Une 
esclave avait été envoyée par son maître rs 
du bois pour cuire le repas du soir, dans Is 
voisine de Tabora, alors complètement i 
par les pluies de la masika. A peine entrée ( 
champs, elle commença d'enfoncer, et bien 
se trouva prise dans la boue jusqu'aux bn 
pouvoir se dégager, et contrainte de rester 
bile pour ne pas être submergée. Elle apj 
l'aide avec désespoir, mais ceux qui passai( 
de là ne faisaient qu'en rire. Son maître 
voyant pas revenir, se mit à sa recherche £ 
bâton, sans doute pour l'assommer. Il la 
dans cette cruelle situation, et, sans rien faii 
la secourir, il lui jeta de loin son bâton 
qu'elle pût se défendre, lui dit-il avec une 
ironie, contre les hyènes qui allaient ven 
nuit. Il rentra ensuite chez lui tranquillemi 
lendemain, toute trace de la malheureuse 
avait disparu. 

1. Speke, Les Sources du Nil, p. 327. 



l'antiesclavagisme 2i;i 

Il existe, près du Tanganika, d'après le récit 
d'un officier belge, témoin oculaire, un chef qu'on 
appelle le roi Wemba, du nom de son territoire, cl 
qui aime la musique avec autant de passion que le 
sang humain. Or, sa musique principale, un peu 
comme partout en Afrique, c'est le tambour. Mais 
il trouve les baguettes en bois trop dures pour son 
oreille, et il en a voulu de nouvelles. Il a fait couper 
les mains des esclaves destinés à son abominable 
orchestre, afin qu'ils ne battent plus les instru- 
ments qu'avec leurs moignons. Cela lui procure 
des sons plus doux. 



III 



Tels sont les maux sur lesquels le cardinal Lavi- 
jerie entreprenait d'attirer la compassion des peu- 
ples chrétiens. C'est un faible aperçu des émou- 
vants tableaux qu'il évoquait partout devant les 
Wles qui se pressaient pour l'entendre. 

Sa première conférence fut pour Saint-Sulpice : 
«Cette mission, dit -il, je la commence dans cette 
iglise où a commencé, il y aura bientôt un dcmi- 
âècle, ma vie sacerdotale, trouvant un heureux 
iugure en ce que je la prêche ainsi, pour la pre- 
mière fois, au milieu de fidèles dont je puis dire, 
ïomme l'Apôtre, que leur piété est connue de tout 
l'univers. » 

A^près avoir ensuite exposé ce qu'est T esclavage 

^ans l'intérieur de l'Afrique et comment on peut 



244 LE CARDINAL LAVIGERIE 

tenter d'y mettre fin, il s'adressa, en terminant, aux 
nombreux journalistes qui étaient venus pour Ten- 
tendre, et il leur demanda de faire connaître ce 
qu'il avait dit, de rendre populaire la grande cause 
qu'il défendait. Le lendemain, les plus importants 
journaux de Paris, même ceux qui ne sont pas 
catholiques, rendaient compte de sa conférence 
et en faisaient le plus grand éloge. 

De Paris il va à Londres, où il prend la parole, 
le 31 juillet, dans un meeting que préside lori 
Granville, ancien ministre des Affaires étrangères 
et auquel assiste le cardinal Manning. 

« Malgré ce qui nous sépare, dit-il à l'assemblé 
en grande majorité protestante, je suis certab 
d'avance que nos sentiments seront les même 
dans une cause qui est celle de l'humanité, de l 
justice et de la liberté. » 

Il rappelle que la Grande-Bretagne a été la prc 
mière de toutes les nations à combattre la traif 
des nègres; il rend hommage à la vieille Ligue ai 
glaise contre l'esclavage, sous les auspices d 
laquelle se tient la réunion ; il se fait acclamer e 
louant la mémoire de l'intrépide Livingstone. Coni 
ment, après cela, ne pas l'écouter avec sympathi 
quand il raconte les maux de l'Afrique en s'ap 
puyant sur ce qu'ont vu ses propres missionnaire 
et les explorateurs anglais? Comment ne pas lï 
laisser dire que « l'Angleterre, par les empire 
nouveaux qu'elle vient de fonder ou de conquén 
en Afrique, a contracté, vis-à-vis de ce continent 
des obligations sacrées? » 



l'a ntiescl avagisme 246 

Le cardinal crut opportun, vu l'importance de 
l'assemblée de Londres et la qualité des auditeurs, 
d'exprimer nettement sa pensée sur la nécessité de 
provoquer une action commune des puissances 
européennes. Il n'est pas inutile de citer ses paroles, 
pour éclairer ceux qui supposeraient que la récente 
conférence de Bruxelles a contrarié tous ses plans : 

« C'est, sans contredit, aux gouvernements de 
l'Europe, déclara- t-il, que l'obligation de sauver 
l'Afrique est tout d'abord imposée. L'honorable 
président de ce meeting, avant de me donner la 
parole, vous a rappelé comment, en 1815, à Vienne, 
et, plus tard encore, à Vérone, en 1822, ils se sont 
solennellement engagés à ne plus tolérer l'escla- 
vage dans le monde. Mais il leur en faut la volonté. 
Et pourquoi ne l'auraient-ils pas? Est-il une œuvre 
plus noble, plus grande, plus généreuse? Sur 
quelles questions peuvent-ils plus honorablement 
se consulter et s'entendre que sur la cessation de 
si effroyables maux? 

« Les principales nations de l'Europe, l'Angle- 
terre, la Belgique, la France, l'Allemagne, le Por- 
tugal, ont, par un consentement commun, reconnu 
et proclamé leurs droits présents et futurs sur 
l'Afrique. Elles ont, dès lors, des devoirs vis-à-vis 
d'elle. De ces devoirs, le premier est celui de ne 
pas laisser cruellement détruire la race indigène 
et fermer de nouveau, en la transformant en d'inac- 
cessibles déserts, la terre que les explorateurs 
avaient ouverte à la civilisation. C'est là leur pre- 
mier intérêt. Mais si la voix de l'intérêt ne parle 



246 LE CARDINAL LAYIGKBIE 

pas aux gouvernements avec assez de puissance, 
occupés qu'ils sont par d'autres soucis, il faut les 
forcer & entendre le cri de la miséricorde et de la 
pitié. Et pour cela il faut que ce cri soit poussé, 
enfin, par tous, avec une telle puissance, que Ton 
soit contraint de lui obéir. » 

Le meeting de Londres entra si bien dans la 
pensée de l'orateur, qu'à la fin de la séance on 
adopta à l'unanimité cette résolution proposée pai 
le cardinal Manning : 

« Le temps est maintenant arrivé, où toutes te 
nations de l'Europe, qui, au congrès de Vienne, ei 
1815, et à la conférence de Vérone, en 1822, on 
pris une série de résolutions condamnant sévè- 
rement le commerce des esclaves, doivent pren 
dre des mesures sérieuses pour en arriver à U] 
effet pratique. Comme les brigands arabes, don 
les dévastations sanguinaires dépeuplent, [en c 
moment, notre Afrique, ne sont ni sujets à de 
lois, ni sous une autorité responsable, il appai 
tient aux gouvernements de l'Europe, d*assurc 
leur disparition de tous les territoires où ils ci 
eux-mêmes quelque pouvoir. Ce meeting se prc 
pose également de faire instance auprès du gou 
vernement de Sa Majesté, pour que, de concei 
avec les pouvoirs européens qui réclament, en c 
moment, une possession ou une influence territc 
riale en Afrique, il adopte telles mesures qui puii 
sent assurer l'abolition de l'affreux commerce de 
esclaves, qui est encore pratiqué maintenant ps 
ces ennemis de la race humaine. » 



L ANTIESCLAVAGISME 247 

Cette résolution ne devait pas rester stérile. Ce 
fut VÂnti-Slavery Society, dans la personne de 
M. Sydney Buxton, soutenu par lord Granville, 
qui saisit officiellement de la question le gouver- 
nement et les chambres ; et, à la suite de ces 
i^marches, ce fut l'Angleterre qui demanda au 
•oi des Belges de prendre l'initiative de la convo- 
;alion des puissances au congrès de Bruxelles. 

Sous l'impulsion d'un roi que la postérité 
nettra, pour son dévouement désintéressé au pro- 
■rfs de la civilisation, au-dessus de bien des con- 
uérants, la Belgique avait proposé la première de 
omhaftre la traite africaine. Le cardinal Lavi- 
«rie, qui, du reste, n'avait reçu des catholiques 
abitants de ce pays que des marques de sympa- 
lie et de charité pour ses œuvres, ne pouvait 
ïiic se dispenser de visiter Bruxelles et d'y prê- 
ler sa croisade. 

Le IS août, dans l'église de Sainte-Gudule, il 
conta les crimes dont souffrait tout le Haut- 
îDgo, malgré la protection des Belges, et ii 
tmanda que des administrateurs prissent en main 

défense des nègres sur le cours supérieur du 
•Mve, comme cela avait été fait avec tant de 
ccês dans la partie de l'État indépendant qui 
itend depuis Stanley-Falls jusqu'à l'Atlantique. 
La quête qui suivit cette conférence donnr "'"= 
23,000 francs.et telle fut l'impression pro^ 
'en peu de jours cinq cents volontaires si 
tt éi la disposition de Mgr Lavigeric pour 
)téger les nègres dans le Haut-Congo. 



248 LE CARDINAL LAVI6ERIE 

Société antiesclavagiste fut immédiatement cons- 
tituée, avec des comités locaux et des associations 
de dames patronnesses, et le cardinal put présider, 
quelques jours plus tard, la première réunion du 
Conseil central, à la tête duquel était placé le 
général Jacmart. 

C'était du Congo belge qu'il avait parlé à Bru- 
xelles. Aux Allemands il parla de T Afrique alle- 
mande. 

Il avait été invité au congrès catholique de 
Fribourg-en-Brisgau. Mais, contraint de prendre 
un peu de repos après tant de voyages et de dis-^ 
cours, il ne put se rendre au vœu des chrétieitfJ 
allemands; il leur adressa, du moins, en date dtt^ 
28 août, un long mémoire dans lequel il décrivait 
avec une insistance particulière les marchés à 
esclaves de Tabora et d'Oujiji, qui sont les deux 
plus grands centres arabes des régions soumises i 
l'Allemagne. Il exprimait, en terminant, le déstf 
qu'une association nationale fût constituée elj 
Allemagne contre l'esclavage, à l'instar de ce qui 
avait été fait en Angleterre et en Belgique, et il 
joignait à son mémoire un projet de règlemeni 
général. Peu de temps après, un comité antiescla-^ 
vagiste était établi à Cologne, et l 'Allemagne cath(H 
lique prenait sa place dans la grande croisade. 

Le cardinal Lavigerie faisait, de plus, remettra 
au prince de Bismarck, par l'intermédiaire i 
ministre d'Allemagne à Bruxelles, une le 
qui fut communiquée au Reichstag, et d 
laquelle il appelait l'attention du tout-puiss 



l'antiesclavagisme' 249 

ministre sur les moyens de faire cesser la capture 
et la vente des esclaves dans l'Afrique allemande. 
« Mais, ajoutait-il, en dehors de cette mesure 
particulière aux territoires de l'empire, il y aurait, 
Prince, une action générale à exercer, de concert 
îvec tous les États de l'Europe qui ont été repré- 
sentés au congrès de Berlin... Ces États se sont, 
3n effet, formellement engagés à détruire l'escla- 
vage et à en punir les auteurs... Une action com- 
mune de l'Europe est nécessaire pour tenir un tel 
engagement.. . J'ose vous supplier, au nom de tant 
le populations infortunées, de vouloir bien contri- 
)uer, comme signataire de l'Acte fondamental de 
îerlin, avec les autres puissances intéressées, à 
itablir un accord qui réglerait cette situation. » 

De retour à Paris, le cardinal y constitua la 
Société antiesclavagiste de France « destinée, dit 
'article premier du règlement général , à pro- 
urer l'abolition de l'esclavage en Afrique, et 
>lus particulièrement dans les territoires placés 
ous l'influence de la France, et dans ceux qui ne 
lépendent d'aucune puissance européenne ». 

Exclusivement nationale, cette Société devait 
ependant entretenir des relations de confraternité 
t de mutuel appui avec les sociétés antiesclava- 
;istes des autres pays chrétiens, et aussi avec les 
liverses congrégations de missionnaires qui évan- 
;élisent l'Afrique. 

Elle était dirigée par un conseil d'administra- 
ion siégeant à Paris, et qui avait pour attribution 



250 LE CARDINAL LAVI6ERIE 

de voter et de faire exécuter les règlements de la 
Société, d'en organiser et diriger Faction inté- 
rieure, d'accepter, s'il y avait lieu, les engagementî 
des volontaires et de leur tracer des règles obli- 
gatoires, de procurer à Tœuvre les ressources 
nécessaires, et d'en déterminer l'emploi. Ce 
conseil avait pour président M. Keller, pour vice- 
président MM. Chesnelong et de Vogtié, pool 
secrétaire le comte de Resbecq, et pour membre 
MM. le baron d'Avril, le général de Charette,rai 
rai Fabre de la Maurelle, aujourd'hui décédé, Vict 
Guérin également décédé,le comte deMun,Wall( 
Récamier, l'abbé Le Rebours, le R. P.Bailly, le R.1 
Charmetant et Mgr Brincat, directeur de Vœm 

Des comités locaux d'action et de propagand 
étaient établis à Paris et dans les principales 
de France, pour provoquer les souscriptions et 
dévouements personnels, et pour organiser i{ 
associations de Dames patronnesses. 

Enlin un conseil de haut patronage était inv« 
du soin de défendre la cause de l'abolition 
l'esclavage dans les assemblées politiques, it 
les corps savants, dans la presse, et surtout auj 
des gouvernements. Il avait pour président M. h 
Simon, pour vice-présidents MM. Wallon 
Georges Picot, pour secrétaire M. Lefèvre-PontaL, . 
Les autres membres étaient MM. Bardoux, Ch4 ' 
nelong, Franck, Keller, de Vogué, Buloz, Dei 
Cochin, l'abbé Lagrange, Charles Petit, Guillai 
Guizot. 

De tels noms étaient la meilleure des garanl 



l'antiësclavagisme 251 

pour Tavenir de l'œuvre antiesclavagiste. L'appui 
et Taide lui vinrent bientôt de plus haut encore. 
Dans un Bref daté du 17 octobre, le Souverain 
Pontife adressa au cardinal Lavigerie les encou- 
ragements et les remerciements les plus affectueux. 
tt Nous ne vous exhorterons pas, y était-il dit, 
car de quelle exhortation aurait besoin un si 
ardent courage? Mais nous vous féliciterons de ce 
que vous êtes disposé à continuer cette œuvre, par 
la grâce de Dieu, avec le môme zèle et la même 
constance. » A ce Bref le Pape joignait l'envoi 
d'une somme de trois cent mille francs, à partager 
entre les conseils ou comités établis pour l'abolition 
(le l'esclavage. 

En même temps le cardinal recevait de tout 
i'épiscopat de France des lettres chaleureuses 
d'adhésion à sa croisade, et le public manifestait 
sa sympathie par une souscription qui s'élevait, au 
mois d'octobre, à plus de 150,000 francs. 

Le mouvement, dès lors, s'accentua simultané- 
ment dans la plupart des pays de l'Europe. Comme 
l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne et la France, 
on vit la Suisse, l'Espagne, le Portugal, puis l'Au- 
triche se couvrir de comités antiesclavagistes sous 
la direction des personnages les plus influents. 
A Madrid, la Reine prit elle-même la protection 
de l'œuvre, et M. Canovas del Castillo en accepta 
la présidence. A Lisbonne, tout fut organisé par le 
célèbre explorateur Serpa Pinto ; le roi s'offrit pour 
protecteur, et son second fils fut mis à la tête du 
comité central. 



252 LE CARDINAL LAYIGERIE 

Le comité national d'Italie fut fondé à Rome 
sous la protection directe du Souverain Poii- 
tife ; il eut pour président le prince Rospigliosi, 
pour vice -président le prince Altieri, et Ton 
compta parmi les conseillers MM. le marquis Ser- 
ralupi, de Rossi , Lancelotti , Sachetti , tous les 
plus dignes représentants de la noblesse et de li 
science. 

Le cardinal s'était rendu en Italie au mois A 
novembre pour travailler, de sa personne, auJ 
progrès de son œuvre. La malveillance ou la mal» 
dresse de quelques journalistes, qui travestiren 
certaines de ses conversations privées sur le rôl 
de ritalie en Afrique, ne l'empêcha pas d'obteni 
dans toutes les parties de la péninsule un succê 
plus remarquable encore que dans les autres paj 
de l'Europe. 

L'archevêque de Capoue et l'archevêque i 
Palerme, tous deux cardinaux, le secondèrent i 
tous leurs efforts et firent organiser des comitt 
dans leurs provinces. La conférence qu'il pronon< 
à Rome, dans l'église du Gesu, provoqua u 
enthousiasme que put seul dépasser celui qu 
témoignèrent les habitants de Naples après Tavoi 
entendu à leur tour. 

Les journaux les moins religieux de cette dei 
nière ville convinrent que sa parole émue et cou 
vaincante avait exercé une fascination irrésistible 
Le cardinal Sanfelice, archevêque de Naples, qi 
avait assisté à sa conférence, voulut donne 



L AMIESCLAVAGISUE 253 

l'exemple de la générosité à tous ses diocésains. 
Appauvri par ses charités, il eut la touchante idée 
de lui envoyer la riche croix pectorale qui lui avait 
été offerte pur la ville en reconnaissance de son 
admirable conduite pendant le choléra, et dont les 
pierres précieuses ne valaient pas moins de dix 
mille francs. Le cardinal Lavigerie, profondément 
ému d'un tel sacrilice, ne voulut pas faire vendre 
un souvenir si vénérable : « Je croirais, écrivit-il 
au Courrier de Naples, commettre un sacrilège et 
surtout faire au cœur des catholiques Napolitains 
la plus douloureuse des blessures, n II fit porter la 
croix d'or au bureau du journal, pour être mise en 
loterie de telle sorte que le possesseur du numéro 
gagnant eût le doux privilège de la reporter à son 
archevêque. 

Il n'obtint pas moins de succès à Milan. La 
péroraison de son discours, prononcée en italien, 
L'xcita un enthousiasme que le respect du saint lieu 
empêcha à grand'peine de se traduire par une 
manifestation bruyante. En voici l'exacte tra- 
duction. Qu'on se rappelle, en la lisant, les bruits 
de guerre de ce temps-là. 

Il II me vient à la pensée que, sur notre terre 
d'Afrique, un usage consacré par les traditions 
anciennes veut que, lorsque deux hommes, deux 
tribus, ont répandu et mêlé leur sang sur une 
même terre, la guerre ne puisse plus exister entre 
eus. On a la croyance que celui qui viole 
sacré est maudît du ciel, et que celui qui 
en est béni. 



254 LE CARDINAL LAVIGERIiS 

« Or, mes très chers Frères, le vieil évêqiM 
africain qui vous parle appartient, par sa naissance 
à un peuple qui a mêlé son sang avec le vôtre 
Tout autour de Milan, fument encore, pour aina 
dire, les champs de votre liberté, les champs d( 
bataille de Magenta, de Montebello, de Solférino, 
où le sang de la France a été mêlé au sang de l'Italie 

« Oh ! que ce sang versé garde la paix entre noî 
deux peuples ! qu'il vous préserve des maux que 11 
guerre entraîne avec elle! qu'il préserve les mère! 
des larmes cruelles qu'elles verseraient sur leurt 
fils ! qu'il préserve vos cités de la ruine ! 

« Oh ! Seigneur ! c'est, devant ces autels, h 
dernière prière de ce pauvre successeur de sain 
Augustin. 

« Pour les esclaves nègres de ma pauvre Afrique 
la vie ! la liberté ! la fin de tant d'horreurs ! Pou: 
les peuples de l'Europe, pour ces fils de sain 
Ambroise, la paix! la paix! la paix! La paix dam 
ce monde, la paix un jour auprès de vous, danî 
l'éternité. » 

Après sa conférence de Milan, le cardinal Lavi- 
gerie se rendit à Marseille pour reprendre le 
chemin de l'Afrique. Avant de s'embarquer, il 
écrivit à M. Keller, président du conseil d'admi- 
nistration de l'œuvre antiesclavagiste, une lettre 
dans laquelle il confiait aux membres de tous les 
comités le soin d'entretenir et d'augmenter de plus 
en plus le zèle et la pitié de l'Europe. 

Il avait, disait-il en substance, accompli la 



LANTIESCLAVAGISMK 255 

première partie de sa tâche en faisant connaître los 
horreurs de l'esclavage ; il restait maintenant à les 
abolir. II fallait songer dès lors à un ('ongrès intoi- 
national, oix les délégués des comités de toute l'Eu 
rope mettraient en commun leurs lumières, leurs 
sentiments et leur action. Ceux qui avaient cru 
qu'il se proposait de supprimer, dès la première 
heure, l'esclavage domestique chez toutes les 
nations musulmanes, n'avaient rien compris à sa 
mission ; ce qu'il demandait aux hommes de cœur, 
c'était de l'aidera faire cesser la traite, c'est-à-diro 
la chasse à l'homme dans l'intérieur de l'Afrique, 
le transport et la vente des esclaves sur les marchés 
turcs. L'entreprise ainsi déterminée, il fallait h 
tout prix la mener à bonne fin, car il n'y avait pas 
dans le monde, en ce moment, d'œuvre plus 
sainte et plus nécessaire. 



IV 



Rentré à Alger, h la fin de janvier 1889, le car- 
dinal eut bientôt à subir, îi la suite de toutes ses 
fatigues, une crise plus douloureuse de la névral- 
gie rhumatismale dont il souffre depuis long- 
temps. Il dut céder aux conseils des médecins, et 
aller prendre à Biskra un repos complet. 
■ Mais il lui tardait de continuer sa mission, et on 
le voit, dès le milieu d'avril, prononcer dans la ca- 
thédrale d'Alger une de ces allocutions qui ga- 
gnaient pour toujours un auditoire à sa cause, et 



256 LE CARDINAL LAVIGERIE 

([ui, reproduites par la presse religieuse, avaient 
leur retentissement dans tous les pays chrétiens. 

C'était le vendredi -saint. Il prit, pour sujet de 
son discours, la Passion de l'Afrique. 

« Ils continuent, s'écria-t-il, ces esclaves, leur 
passion douloureuse : livrés à d'infâmes bour- 
reaux, qui les traquent de toutes parts comme des 
botes fauves, qui les vouent aux plus afifreuses tor- 
tures, à la captivité, aux hontes d'une débauche 
sans nom, à la mort... Jamais on n'avait rien vu 
dans des proportions si abominables. A Jérusalem, 
le Calvaire était le sommet d'une colline. Il ne 
portait que trois croix. En Afrique, c'est un conti- 
nent immense. Le sang y coule, de toutes parts, 
des veines de millions de Noirs, mêlé aux larmes 
des mères devant lesquelles on massacre leurs 
fils. » 

Cependant les divers .comités d'Europe, fidèles à 
leurs instructions, continuaient activement la 
propagande antiesclavagiste. L'Autriche et la 
Hollande s'enrôlaient à leur tour dans la géné- 
reuse croisade, et il se fondait des sociétés jus- 
qu'en Amérique. Plusieurs conseils nationaux 
avaient créé des bulletins pour mieux répandre 
leurs idées, et tous se faisaient seconder par la 
meilleure partie de la presse. De nombreuses con- 
férences étaient données dans les principales 
villes. M. Jules Simon en fit une, le 10 fé- 
vrier (1889), dans le grand amphithéâtre de la 
Sorbonne, et ceux qui l'ont entendu savent que ce 



L*ANTIESCXAVAGISMK ^57 

jour-là le célèbre orateur se surpassa lui-niùnie. 
Qaelle émotion et quelle netteté dans sa descrip- 
tion de l'esclavage africain ! avec quelle éloquence 
il exprimait son indignation contre rindifTérenco 
publique, son admiration pour la vaillance des 
missionnaires et de leur illustre chef ! 

« Voilà où nous en sommes, s'écriait-il, ère de 
progrès, monde de la civilisation, philosophes, 
nous qui, depuis tant de siècles, travaillons ou 
croyons travailler au progrès de Thumanité... 

« Le spectacle des missionnaires me consolerai I 
Un peu des misères qui se passent là, si on pouvait 
jamais s'en consoler. Mais enfin, plus on est mal- 
heureux de savoir qu'elles existent, et plus on sent 
le besoin et le devoir d'exprimer la profonde admi- 
ration et la profonde reconnaissance que méritent 
^es jeunes hommes, qui partent h vingt-quatre ans, 
abandonnant leurs parents, leurs amis, presque 
leurs idées et leurs sentiments, laissant tout ce 
ïu'ils ont de grand et de cher derrière eux, et aU 
«ut au loin affronter de tels maux et guérir ou 
consoler de telles souffrances... 

« Ici, nous ne sommes. Messieurs, que des 

^hos; nous venons répéter faiblement les paroles 

<l*un grand homme de cœur... Il avait rendu assez 

ïie services pour laisser un souvenir immortel 

parmi les gens de cœur, et c'est h soixante- quatre 

ans qu'il a entrepris cette croisade, car c'est une 

croisade, une croisade contre la barbarie ; c'est la 

croisade propre de l'humanité. Il est allé prêcher 

partout : à Paris, à Bnixelles, en Italie, en Angle- 



258 LE CARDINAL LA\1GERIE 

terre. Il continuera, il amassera des trésors de pi- 
tié dans les dmes compatissantes ; il apprendrai 
l'humanité à se connaître ; et peut-être fera-t-il 
une œuvre encore plus grande que la destruction 
de l'esclavage, peut-être amènera-t-il les puis- 
sances européennes, qui ne pensent qu'à s'entre- 
déchirer, à se rappeler qu'il y a mieux à faire, un 
grand opprobre à laver, une grande rédemption 
à accomplir et la possibilité, pour les hommes de 
notre temps, de servir ensemble, d'un même 
cœur, en présence de Dieu, la cause sacrée de 
l'humanité et de la justice. » 

Le Saint-Siège et le gouvernement français 
donnèrent, vers la même époque, ime marque 
signalée de leur bienveillance pour la croisade 
antiesclavagiste en agréant la demande que leur 
fit le cardinal Lavigerie d'élever à la dignité épis- 
copale, avec le titre d'auxiliaire de Carthage, 
Mgr Brincat, le jeune et zélé prélat, à qui avait été 
confiée la direction générale de l'œuvre. On ne pou- 
vait, écrivait l'archevêque d'Alger à ses prêtreSt 
faire un meilleur choix « pour des fonctions si 
lourdes et qui demandaient, avec toute la force 
de la jeunesse, la vertu sûre, le zèle actif, le dé- 
vouement entier au Saint-Siège, la distinction ai 
l'esprit, l'habileté pour traiter les affaires avec 
les gouvernements et avec les œuvres diverses » 

Mais déjà le cardinal avait jugé que l'heure étai 
venue de convoquer son congrès international 



L*ANTIESCLAVAGISMK ^59 

Par une lettre envoyée d'Alger, le 25 avril 1889, 
il invita les présidents et membres de tous les co- 
mités antiesclavagistes à se réunir h Lucorne au 
mois d'août, pour établir entre eux une entente el 
des liens fraternels, pour résoudre les difficultés 
qui avaient pu se présenter depuis plusieurs mois 
et étudier en commun les moyens les plus pra- 
tiques de mener leur œuvre à bon terme. 

On sait que le congrès de Lucerne dut ôtre pro- 
rogé à cause de la proximité des élections 
françaises. Les partis attachaient, non sans raison, 
une telle importance à l'issue de cette opération, 
que la plupart des hommes politiques sur lesquels 
s'appuyaient les comités esclavagistes n'avaient 
pas cru devoir se rendre à l'étranger au moment 
où s'ouvrait la période électorale. Mgr Lavigerie, 
en arrivant à Lucerne, trouva dans les registres 
d'inscription le nom de dix-huit Français en 
tout, dont quatre seulement étaient membres de 
l'œuvre et pouvaient, dès lors, prendre part aux 
délibérations de l'assemblée. Il crut, d'une part, 
que l'intérêt de sa patrie ne lui permettait pas 
d'insister auprès des membres retenus en France 
par la campagne électorale, et, d'autre part, qu'il 
compromettrait son œuvre en se passant du con- 
cours de la nation où elle trouvait le plus d'appui. 
Il faut ajouter que le cardinal voyait de sérieux 
ivantages à ce que son œuvre ne s'engageât point 
lansune voie définitive avant de connaître ce qui 
erait décidé à la prochaine conférence de 
ruxelles. 



^0 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Au reste, la grave maladie qui l'éprouva alon 
Teût rendu incapable de suivre assidûment lei 
délibérations du congrès. 

Les comités nationaux n'en continuèrent pas 
moins, à la suite de cette prorogation, leurs tra 
vaux et leur propagande. Mais, pour passer à l'ac- 
tion proprement dite, il était nécessaire d'attendre 
que les puissances réunies à Bruxelles eussent 
terminé leurs délibérations. Or, les plénipoten- 
tiaires, assemblés dès le 18 novembre 1889, n'ont 
signé VActe général de leurs résolutions que le 
2 juillet 1890. 



Le cardinal Lavigerie était à Alger lorsque lui 
fut envoyé l'Acte général. 

Il l'ouvrit avec tremblement, craignant d'y 
trouver des mesures insuffisantes, ou peut-être 
hostiles à la réalisation de ses vœux; mais il n'eut, 
comme il le raconte, qu'à rendre grâce à Dieu, 
dont les diverses nations chrétiennes et même 
musulmanes avaient suivi les inspirations, après 
avoir inscrit son nom en tôte de leurs travaux. 

Les puissances avaient adopté et consacré en 
principe toutes les mesures que lui-même avait 
sollicitées dans ses nombreux discours. Elles 
avaient déterminé, en cent articles, les remèdes à 
employer contre l'esclavage; elles avaient consi- 
déré la question dans tous ses détails, depuis Is 



LANTIESGLAVAGISME *261 

chasse à Thomme et les caravanes par terre, jus- 
qu'à la traite maritime et à la vente. Comme 
l'avaient réclamé le Pape et le cardinal, elles vou- 
laient que Ton ne négligeât ni la force, ni les 
œuvres de charité et de civilisation. 

Mais on ne saurait donner une idée plus claire 
de l'Acte général de Bruxelles qu'en en citant 
quelques extraits. 

Voici, par exemple, quels sont, d'après l'article 
premier, les mesures qu'on devra prendre aux 
pays d'origine : 

« 1* Organisation progressive des services admi- 
nistratifs, judiciaires, religieux et militaires dans 
les territoires d'Afrique placés sous la souve- 
raineté ou le protectorat des nations civilisées. 

« 2® Etablissement graduel, h l'intérieur, par 
les puissances de qui relèvent les territoires, de 
stations fortement occupées, de manière que leur 
action protectrice ou répressive puisse se faire 
sentir avec efficacité dans les territoires dévastés 
par des chasses à l'homme. 

« 3° Construction de routes et notamment de 
'^oies ferrées reliant les stations avancées à la 
^te, et permettant d'accéder aisément aux eaux 
^térieures et sur le cours supérieur des fleuves et 
^vières qui seraient coupés par des rapides et des 
Cataractes, en vue de substituer des moyens éco- 
nomiques et accélérés de transport au portage ac- 
tuel de l'homme. 

a 4** Installation de bateaux à vapeur sur les 
taux intérieures navigables et sur les lacs,%.N^ç, 



262 LE CARDINAL LAVIGERIE 

l'appui des postes fortifiés établis sur les rive! 

« S"" Etablissement de lignes télégraphiques assi 
rant la communication des postes et des station 
avec la côte et les centres d'administration. 

(( 6° Organisation d'expéditions et de colonnei 
mobiles, qui maintiennent les communication! 
des stations entre elles avec la côte, en appuient 
l'action répressive, et assurent la sécurité des 
routes de parcours. 

(( 7" Restriction de l'importation des armes à 
feu, au moins des armes perfectionnées et des 
munitions, dans toute l'étendue des territoires 
atteints par la traite. » 

La Conférence, continuant ce détail, déjà si 
complet, décide a de mettre les populations indi- 
gènes à même de concourir à leur propre défense; 
de diminuer les guerres intestines entre les tribus 
par la voie de l'arbitrage ; de les initier aux tra- 
vaux agricoles et aux arts professionnels, de façon 
à accroître leur bien-ôtre, aies élèvera la civili- 
sation et à amener l'extinction des coutumes bar- 
bares, telles que le cannibalisme et les sacrifices 
humains » . 

Pour ce qui concerne les caravanes, il est décidé 
que (( dans les régions du littoral connues comme 
servant de lieux habituels de passage ou de points 
d'aboutissement aux transports d'esclaves venant 
de l'intérieur, ainsi qu'aux points de croisement 
des principales routes de caravanes traversant la 
zone voisine de la côte^ des postes seront établie 
par les autorités dont relèvent les territoires, i) 






l'antiesclavagismis ^63 

l'effet d'intercepter les convois cl do libérer les 
esclaves » (art. 16). 

On ajoute qu^unc surveillance rigoureuse sera 
organisée parles autorités locales dans les ports el 
les contrées avoisinant la coteau l'elTcl d'empocher 
la mise en vente et l'embarquement des esclaves 
amenés de l'intérieur, ainsi que la formation et 
le départ, vers l'intérieur, de bandes de chasseurs 
à l'homme et de marchands d'esclaves (art. i 7.) 

Pour la délicate question de la traite maritime, 
les puissances signataires s'engagent à prendre 
des mesures efficaces pour prévenir l'usurpation 
de leur pavillon et pour empocher le transport des 
esclaves sur les bâtiments autorisés à arborer 
leurs couleurs (art. 23). Mais à cause des tradi- 
tions de la marine française, et pour prévenir des 
incidents internationaux, on réduit le droit de 
visite aux navires de moins de 500 tonneaux, 
c'est-à-dire, en fait, aux boutres indigènes, qui, 
seuls, naviguent dans ces parages lointains avec 
un aussi faible tonnage. En outre, le môme droit 
de visite réciproque ne peut s'exercer que dans 
un rayon déterminé. 

De plus, les contractants, parmi lesquels il 
faut remarquer le Sultan de Constantinople, celui 
de Zanzibar, et le Schah de Perse, s'engagent à 
prohiber dans leurs territoires l'importation, le 
b'ansit, la sortie et tout commerce des esclaves. 
Pour plus de sûreté, les agents diplomatiques et 
consulaires, et les officiers de marine des puis- 
sances contractantes prêteront, dans les limites 



264 LE CARDINAL LAVIGERIE 

des conventions existantes, aux autorités locales 
leur concours, afin d'aider à réprimer la traite, 
là où elle existe encore ; ils auront le droit d'as- 
sister aux procès de traite qu'ils auront provoqués, 
sans pouvoir prendre part à la délibération. 

Enfin, pour assurer dans l'avenir l'exécution 
des mesures adoptées, la Conférence institues 
Zanzibar, sous le protectorat de l'Angleterre, uii 
bureau qui devra veiller à la poursuite et à la 
répression des délits dans les pays de traite. 

L'œuvre de la Conférence d^e Bruxelles fera hon- 
neur à la diplomatie de l'Europe contemporaine *. 
Tout ce qu'on peut regretter, c'est qu'il n'y soit 
question ni des travailleurs libres d'Afrique, trop 
souvent recrutés et traités comme des esclaves, ni 
de ces sectes secrètes de musulmans fanatiques, 
qui érigent l'esclavage en dogme et soufflent à 
travers l'Afrique, où ils se propagent avec une 
rapidité inquiétante, la haine de tous les peuples 
civilisés, des Turcs aussi bien que des chrétiens, 



YI 



L'Acte général de la Conférence de Bruxelles 
avait été signé au commencement de juillet 1890. 

1. Il n'est pas possible que la Hollande, en refusant 
plus longtemps sa signature au protocole de Bruxelles, 
ose assumer devant Thistoire la responsabilité d'avoir 
réduit à néant les bonnes intentions de toutes les puis- 
sances civilisées. 



L^ANTIESGLÂVAGISMK 205 

Ce fut le 22 du môme mois que le cardinal 
Uvigerie convoqua un Congrès libre antiescla- 
vagiste, par une importante lettre adressée d'Alger 
aux présidents et à tous les membres de ses divers 
comités. 

11 y rappelait les enseignements du Pape et ce 
îu'il avait dit lui-même sur la nécessité et les 
moyens de combattre l'esclavage ; il y analysait 
l'Acte général de Bruxelles, et après avoir loué 
les puissances contractantes d'avoir pris en main 
la direction de la croisade africaine, il indiquait 
la part qu'elles avaient réservée, dans cette œuvre, 
aux initiatives privées. Il citait les articles qui 
avaient été rédigés à cette intention : l'article 2, 
^i donne pour tâche aux stations et aux croi- 
sières intérieures « de protéger, sans distinction 
ie culte, les missions établies ou à établir »; l'ar- 
iicle 88, disant que « les puissances signataires 
avoriseront, dans leurs possessions, la fondation 
Rétablissements de refuge pour les femmes et 
l'éducation pour les enfants libérés » ; Tarticle 4, 
lans lequel on lit : « Les puissances promettent 
accueil, aide et protection aux associations natio- 
nales et aux initiatives individuelles qui vou- 
Iment coopérer, dans leurs possessions, à la 

-pression de la traite, sous la réserve de leur 
Worisation préalable et révocable en tout lemps, 

leur direction et contrôle, et à l'exclusion de 

^ut exercice delà souveraineté. » 

Ainsi l'Acte général admettait le concours des 

^ciétés antiesclavagistes pour la formation de 



266 LE CARDINAL LAVIGERIE 

corps volontaires, pour la fondation d'œuvres de 
charité en faveur des victimes de l'esclavage, pour 
le développement et la protection des Missions. Il 
était clair aussi qu'on pouvait seconder l'action 
des puissances en éclairant l'opinion, tant l'opi- 
nion indépendante que celle des commissaires dé- 
légués au bureau de Zanzibar, et en favorisant par- 
tout l'observation des règlements de la Conférence. 

Le Congrès, convoqué d'abord pour le 15 oc- 
tobre, s'est réuni à Paris le 21 septembre. Chaque 
comité national s'y est fait représenter par trois 
délégués, qui ont eu à délibérer sur ce programme 
proposé par la Direction générale de l'œuvre : 

V Décider s'il y a lieu que chaque comité natio- 
nal anliesclavagiste se réserve, en Afrique, une 
sphère territoriale d'action qui lui soit propre, et 
laquelle. 

2° Décider si les comités nationaux doivent, de 
concert avec leurs gouvernements respectifs, tra- 
vailler à former des corps de volontaires pour 
combattre la traite, soit aux pays d'origine, soit | 
sur les routes des caravanes. 

y Décider les moyens qu'il y a lieu d'employer, 
suivant les habitudes de chaque pays, pour assurer 
des ressources suffisantes aux œuvres destinées à 
secoufir les victimes de l'esclavage. 

4** Nommer, à la majorité dos voix, le jury qui 
devra juger, au nom de S. S. le Pape Léon XIU, 
le concours pour le meilleur ouvrage populaire en 
faveur de l'abolition de l'esclavage. 



l'antiesclayagisme 267 

En dehors de ces questions officiellement propo- 
sées, chaque comité national, par l'organe de ses 
représentants, est resté libre de soumettre aux dé- 
libérations du Congrès les questions qui lui ont 
para le plus utiles. 

Le matin même du 21 septembre, Mgr Livinhac, 
parti depuis plusieurs mois do la région des 
Grands Lacs africains, arrivait à Paris avec qua- 
torze indigènes de l'Afrique équatoriale, tous 
chrétiens et destinés à faire des études complètes 
eiL médecine ou en théologie. Le soir, il officiait 
pontificalement aux vêpres de Saint-Sulpice où 
se faisait l'ouverture solennelle et religieuse du 
Congrès libre antiesclavagiste, et ses jeunes nègres 
occupaient une place d'honneur dans Téglisc. 

Après les vêpres, et pendant que cent vingt cho- 
ristes exécutaient une cantate sur l'esclavage, 
un vrai cortège d'évôques se rendait au banc 
d œuvre. C'étaientle Nonce Apostolique, Mgr Fabre, 
archevêque de Montréal, au Canada, Mgr Brin- 
cat, Mgr Celli, Mgr Combes, évoque de Cons- 
tantine, Mgr Livinhac portant la croix pecto- 
rale sous son burnous arabe. On se montrait, dans 

l'assistance, les délégués les plus connus du 
Congrès, MM. Jules Simon, KcUer, Georges Picot, 

de Vogué, Allen, le vénérable doyen de l'anties- 

clavagisme anglais. 
Cependant le cardinal monte en chaire, et les 

Pères Blancs qui lui ont fait escorte se tiennent 

debout et immobiles sur les degrés. 



268 LE CAHDINAL LAVIGËRIIi: 

Il présente à l'auditoire le généreux évèquc 
missionnaire qui a souffert la prison pour la foi et 
qui dirigera désormais, sous son autorité pendant 
sa vie, et comme son successeur après sa mort, 
toutes les œuvres de Missions africaines. Il fait 
ensuite Thistoire de ce qui a été accompli depuis 
deux ans pour amener l'abolition de l'esclavage, 
depuis la lettre du Pape aux évêques du Brésil 
et les discours qu'il a prononcés lui-même en 
commençant à Saint-Sulpice, jusqu'aux récentes 
décisions de la conférence de Bruxelles. Il déclare j 
que l'heure est enfin venue pour l'antiesclava- 1 
gisme d'entrer dans la période d'action décisive, ! 
et que les divers comités nationaux vont se mettre 
à l'œuvre, chacun dans les régions soumises à 
rinfluence de son pays. Entrant ensuite dans le 
détail pour ce qui concerne la France, il annonce 
que le comité de Paris s'occupera surtout du 
Sahara et des parties du Soudan qui viennent 
enfin de nous être concédées. 

Les délégués des divers pays. Allemands, An- 
glais et Irlandais, Autrichiens, Belges, Espagnols,- 
Français, Italiens, Portugais, n'ont pas eu de ■ 
peine à se mettre d'accord^ Les questions qui leur 
étaient soumises avaient été tellement mûries de- 

4. Le bureau avait été ainsi composé : 

Président, M. Relier. 

Vice-présidents : Mgr Jacobs, vioe-président du comitâ 
directeur de Bruxelles ; MM. le prince Rospigliosi, président 
du comité directeur de Rome ; Sorela, délégué général d© 
Tœuvre en Espagne ; le comte de Macedo, vice-président 
du comité de Lisbonne ; Siéger, président du comité d» 



l'antiesclavagismk 269 

puis plus d'un an dans les divers comités, qu'il a 
suffi de trois séances privées des délégués, pour 
rédiger les résolutions qui ont été lues et accla- 
mées à la réunion publique du mardi soir, dans 
la grande salle de la Société de Géographie. 

Le texte de ces résolutions sera plus instructif 
pour les lecteurs que tous nos commentaires; le 
voici : 

!• Le Congrès adresse aux puissances signataires 
de l'Acte général de la Conférence de Bruxelles 
l'expression de sa profonde reconnaissance pour 
l*œuvre qu'elles ont accomplie, et exprime le vœu 
Çie les dernières conditions qui restent à remplir 
le soient sans délai pour répondre aux sentiments 
de tout le monde civilisé. 

2® L'Œuvre antiesclavagiste est divisée en co- 
Baités nationaux, qui, moralement unis dans la 
poursuite d'un but commun, ont une organisation 
«tun mode d'action absolument indépendants. 

3* Le Congrès compte avant tout sur les moyens 
pacifiques, spécialement sur l'action morale des 
Bùssionnaires, pour relever les noirs. Aussi est-il 
ïfeolu à seconder les missionnaires par tous les 
Bioyens en son pouvoir. 

it^hes comités nationaux feront œuvre utile en 
suscitant, là où les circonstances le font désirer, 
les dévouements privés et le concours des volon- 

Pologne ; Charles H. Allen, secrétaire-général de l'Anti- 
Savery Society de Londres. 
Secrétaire-général, M. de Fontaine de Resbecq. 



270 LE CARDINAL LAVIGERIE 

taires, dans les conditions et sous les ré; 
édictées au chapitre premier de l'Acte gêné: 
la Conférence de Bruxelles. 

5* Le Congrès exprime respectueusemc 
vœu que le Saint-Père, qui a glorieusement i 
diqué la liberté des enfants déshérités de la g 
famille humaine, et qui a si généreusement c 
hué aux premières dépenses de rœuvre,se re 
à la prière du cardinal Lavigerie, accord 
quête annuelle pour les besoins de l'œuvre. 
6** Le Congrès émet le vœu que des m( 
soient prises, si déjà elles ne l'ont été, pour p 
nir les abus du recrutement des travailleurs 
et sauvegarder efficacement la liberté des ne 
la sincérité des engagements conclus avec ei 
7** Le Congrès appelle l'attention de tout 
puissances, même musulmanes, sur le dang6 
le développement de certaines sectes musuln 
africaines fait courir à la civilisation et à la li 
des noirs. 

8® Il est à désirer que chaque comité nai 
fasse paraître périodiquement et propage le 
possible unbulletin antiesclavagiste, et entret 
des relations permanentes avec la presse, al 
la tenir au courant de tout ce qui concer 
question de l'esclavage. Il paraît aussi impo 
que l'échange de ces publications soit fait ent 
différents comités nationaux, et qu'une en 
commune maintienne entre eux les liens n 
saires au progrès de l'œuvre. 
9° Le Congrès exprime sa reconnaissan» 



L^ANTIESCLA VAGISMIS 27 1 

bienfaiteur qui a fondé un prix de vingt mille 
francs destiné à récompenser le meilleur ouvrage 
populaire concernant Tesclavage. Il décide que 
chaque comité national examine les manuscrits 
^i lui sont adressés par les auteurs de sa nation, 
n désignera celui ou ceux de ces manuscrits qui 
lui paraîtront dignes d'obtenir le prix proposé, et 
nommera un délégué qui se réunira aux membres 
dellnstitut de France faisant partie du comité 
antiesclavagiste de Paris, pour former le jury 
chargé de décerner, au nom du Saint-Père, le prix. 

10' Le Congrès émet le vœu que les secours en- 
Yoyés aux missionnaires soient exempts de droits 
de douane. 

H* Le Congrès, estimant qu'il est éminemment 
utile que les délégués des comités nationaux se 
réunissent encore pour échanger leurs vues et sti- 
muler réciproquement leur zèle, décide qu'un 
nouveau congrès antiesclavagiste aura lieu dans 
un délai de deux ans au plus tard *. 

Ainsi l'œuvre des comités antiesclavagistes est 
^désormais nettement déterminée. 

Ils vont continuer de rendre Topinion favorable 
i toutes les mesures qui pourront Hvo. prises 
^contre la traite. Brochures, articles de journaux. 



1. Au nom de ï Anti-Slavcnj Sodely^ M. Allen vient 
[d'écrire au cardinal Lavigerie pour lui exprimer les vives 
sympathies des antiesclavagistos «rAngleterre, et pour Fin- 
[jiter officiellement à réuni i* son prochain Congrès ii 

mdres, en i892. 



272 LE CARDINAL LAVIGERIE 

» 

conférences, ils ne négligeront rien pour émouvoir 
la pitié publique. 

Ils chercheront de toutes parts des ressources 
financières, qui seront employées à fonder dans 
l'intérieur africain des maisons de refuge pour les 
nègres libérés, des orphelinats, des hospices, des 
établissements agricoles. 

Ils pourront également, s'ils le jugent opportun, 
consacrer les sommes recueillies à l'entretien de 
corps de volontaires destinés à empêcher les 
chasses à l'homme, à disperser les caravanes de 
négriers, à réparer par la force tous les ravages 
de la traite. Il suffira pour cela de troupes fort peu 
nombreuses. De l'avis des missionnaires et des ^ 
explorateurs, ce serait assez de deux cents soldats 
européens échelonnés en une série de postes for- 
tifiés, avec le concours d'indigènes gagnés à la 
civilisation, pour faire cesser la capture des esclaves 
sur les immenses plateaux qui s'étendent entre 
les trois grands lacs Nyanza, Tanganika et Nyassa. 
Que dis-je? Quelques hommes déterminés pour- 
ront, comme a fait le capitaine Joubert, apprendi 
aux noirs à se défendre eux-mêmes et protégei 
avec leur concours des contrées entières * . 

i. Quatre mois seulement se sont écoulés depuis la 
de la conférence de Bruxelles, et déjà la Société anlies- 
clavagiste de Belgique a envoyé au Congo M. Paul va» 
Kerchove, ancien capitaine de zouaves pontificaux, et^ 
M. Hinck, qui s'est distingué dans radministration ai 
TEtat indépendant. Ces deux officiers remontent actuelh 
ment le grand fleuve pour se rendre au Tanganika. On 
d'excellentes nouvelles de cette expédition d'avant-gardc 



L*ANTIESCLAVAGISJIE 273 

Sans doute Taction, ordinairement pacifique, de 
l'œuvre antiesclavagiste devra se diversifier sui- 
vant les pays; mais n'est-ce pas pour cela, autant 
que pour éviter les compétitions internationales, 
que chaque comité aura surtout à déployer son zèle 
dans les contrées soumises au gouvernement do 
son pays . 

Où s'exercera, par exemple, l'action du comité 
français ? 

Le cardinal l'a dit lui-même, le 21 septembre, 
dans son discours de Saint-Sulpice. Ce sera dans 
les régions qui ont été reconnues comme notre 
sphère d'influence d'après le dernier accord anglo 
français, c'est-à-dire au sud de nos possessions 
méditerranéennes jusqu'au Niger et au lac Tchad. 

L'Algérie et la Tunisie sont maintenant reliées 
au Sénégal par le Sahara et le Soudan, comme le 
désirait et le prévoyait depuis si longtemps l'ar- 
chevêque d'Alger, lui qui, dès 1868, se faisait 
nommer par le Pape délégué apostolique pour 
une immense région s' étendant, du Maroc, de la 
Tunisie et de la Tripolitaine, jusqu'aux missions 
du Sénégal et des Guinées au sud, jusqu'à l'Atlan- 
tique à l'ouest, jusqu'au Fezzan à l'est. Il reste à 
conquérir ces déserts sur la barbarie, afin qu'ils ne 
puissent désormais servir ni de refuge à l'esclavage 
ni de foyer aux rébellions contre la France. 

Les représentants de la science, de la charité, de 
l'armée y ont laissé des traces sanglantes de leur 
héroïsme ; c'est maintenant l'heure de venger les 
massacres d'explorateurs, d'officiers et de mission- 



274 LE CARDINAL LAVIGERIE 

naires, l'heure d'inspirer le respect de notre fore 
et de répandre les bienfaits de notre civilisation 
La sécurité de nos colonies exige que nou 
acceptions les sacrifices nécessaires à la péné 
tration du Sahara et du Soudan; le bien d< 
rhumanité et l'intérêt religieux ne le comman* 
dent pas moins. Et qui sait si le transit des pro- 
duits soudaniens par notre Algérie ne changerai 
pas un jour en excellente affaire ce qui peut au-J 
jourd'hui ne paraître qu'une mesure de prudem 
et un acte généreux ' ? 

L'action militaire sera sans doute indispensabi 
pour pénétrer dans le Sahara ; et encore les cl 
ciers les plus expérimentés de nos campagne 
africaines affirment-ils que deux cents soldat 
munis d'armes pefectionnées, et assistés de queW 
ques indigènes pour le service matériel des coii| 
vois, triompheront de tous les ennemis qui s4 
pourraient présenter; les Touaregs sont moini 
bien armés que nous, cl le manque d'eau, ainsi qu^ 
le défaut d'organisation, les empêcheront toujouflll 
de se réunir eux-mêmes en plus grand nombrol 

Mais il ne suffira pas de soumettre les Touarep 
par la force ; il faudra les gagner par la persuasion 
et les bienfaits. Qui fera l'éducation de ces tribut 
qui n'ont pour vivre que le pillage, l'assassinat, 1^ 
vente de l'homme, plus fréquente et plus atn 
là, près de nous, qu'en aucune contrée d'Afriqui 

1. Cf. les intéressants travaux du général Phiiebert s! 
le Transsaharien, et l'article de M. de Ghenclos sur la Cà^ 
quête des SableSjd'dns le Corres'pondant du 10 novembre H 



l*antiesi:l.vva(;lsmk :275 

Qui? Les Pères Blancs cl les Frùrcs du Saliara. 

Les Pères Blancs, nous les connaissons, nous 

savons qu'ils ont été les premiers apôtres do ces 

déserts, et que six d'entre eux ont déjà cueilli, 

loin des oasis, les palmes du martyre. 

Les Frères du Sahara, ce seront les génércuix 
volontaires de Tantiesclavagisme fran»;ais. Déjà 
le cardinal a préparé à Uiskra, dans la première 
zone du désert, une vaste propriété et une maison 
pour les recevoir. C'est là qu'ils s'acclimateront 
aux ardeurs du soleil; c'est là qu'ils apprendront 
les langues parlées dans le Sahara ainsi que la 
médecine du désert, et qu'ils se formeront au tra- 
vail des oasis. Bientôt ils s'avanceront à la suite 
des colonnes françaises, s'appliquant, en vrais vo- 
lontaires de la paix, à faire accepter de plein gré 
notre domination, à gagner les cœurs des indi- 
gènes, à les rapprocher du christianisme, sans 
[lutre prédication que celle des bienfaits et de 
l'exemple. Ils rendront la vie à leurs oasis par la 
îherche des eaux perdues, et par la reprise des 
Itures appropriées au climat. Ils instruiront les 
fants et soigneront les malades ; ils recueilleront 
esclaves qui auront réussi à s'enfuir, ou que 
soldats auront délivrés. 
Voilà ce qui sera fait par la Société antiescla- 
fiste de France. Que dis-je? Voilà ce qui se fait 
Sjà. Et l'auteur de ce livre a le droit de l'affirmer, 
r, cette année môme, vers la iin d'avril, il a 
à Biskra, presque achevée, la maison dont il 
rie. Il a vu, tout autour, les nappes d'eau limpide 



276 LE CARDINAL LAVIGËRIE 

au fond des puits récemment creusés, il a vu lei 
nouvelles plantations d'orangers et de palmiers 
et quand il a demandé aux Mzabites le nom de cett< 
demeure, ils lui ont dit qu'elle s'appelait bit-allah 
maison de Dieu. Les Pères Blancs s'y établisseu 
en ce moment môme, et le cardinal, qui doit passe/ 
rhiver près d'eux, dirigera en personne leurs tra» 
vaux, leurs recherches, leurs premières expédi-j 
tions dans le sud. 

Pour mieux montrer, sans doute, combien l 
intérêts de la France et les intérêts du catholi 
cisme sont étroitement liés en Afrique, Je cardini 
Lavigerie a voulu, trois jours après le Congrès 
Paris, s'entretenir avec le chef de TÉtat. Il est 
à Fontainebleau, avec Mgr Livinhac, visiter 
Président de la République, et il a été reçu 
lui avec tous les égards dus à sa longue carrière 
services patriotiques. - 

Puis il a de nouveau quitté la France, après avoj| 
adressé au roi de Hollande, le seul souverain 
n'ait pas encore adhéré à Tacte général de Bruxdl 
les, une lettre pressante en faveur des pauvres e^ 
claves. Il est allé à Rome, avec son évêque missi(^ 
naireet avec ses quatorze néophytes de l'Ougandji 
présenter au Saint-Père les prémices des c 
tientés nègres. Et maintenant, il vient de ren 
en Algérie, ayant fait, cette année comme to 
jours, sur quelque deux mille lieues, la tour» 
pastorale qui convient à un tel évêque. 



CHAPITRE VIII 



LA TUMSIK 



Celui qui aurait visité Tunis et ses environs au 
x)minencement de 1880 ne pourrait se défendre, 
în y revenant aujourd'hui, d'un profond sentiment 
le surprise. Sous la vie intense qui maintenant 
les anime, il aurait de la peine h reconnaître ces 
pays sur lesquels s'étendait naguère l'engourdisse- 
ment des institutions musulmanes. 

Le génie de la France a passé par là. La culture 
a reconquis les plaines et jusqu'aux montagnes de 
cette contrée qui fut Tune des plus fertiles de 
l'ancien monde. Les navires de commerce se pres- 
sent dans le vieux port de Carthage, et bientôt 
il» entreront dans le port tout nouveau de Tunis, 
îtt'un profond canal est sur le point de mettre en 
communication avec la mer. Des docks, des chan- 
tiers, des quais, des boulevards, des rues spa- 
cieuses un bruit constant s'élève, qui empêche 
^entendre, aux heures consacrées, la voix des 
buezzins continuant leurs appels à la prière du 
laut des minarets. 

8* 



278 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Grâce à Dieu, notre voyageur n'aurait pas 
admirer que les heureuses conquêtes de nos arm( 
et de notre commerce. 

Sur la colline, autrefois déserte, qui fut la cita 
délie de Carthage» il pourrait voir, de Tunis même 
se dresser, au milieu d'édifices consacrés au: 
œuvres de foi et de charité, une splendide cathé 
drale, dont la grande croix primatiale, avec sei 
deux bras d'or, annonce au loin que la vie catho- 
lique a reparu dans la ville de saint Cyprien, et que, 
suivant le mot prononcé à Carthage même, le san| 
des nombreux martyrs ensevelis sous cette terw 
sacrée a enfin germé des moissons de chrétiens. 

Le 13 mai 1890, le cardinal primat d'Afrique, 
entouré de douze évêques, de vingt prélats, de deui 
cents prêtres ou religieux, et d'une immense mul- 
titude, consacrait solennellement la nouvelle basi- 
lique de Carthage. Trois jours plus tard, il posail 
avec une égale solennité la première pierre de la 
cathédrale de Tunis ; et, dans l'intervalle, assem- 
blant tous ces évêques et tous ces prêtres, il repre-î 
nait, après plus de dix siècles, la glorieuse tradî 
tion des conciles d'Afrique. 

Nous allons étudier l'histoire religieuse de l 
Tunisie depuis les débuts du protectorat français, 



I 



C'est mal comprendre le rôle de Mgr Lavigerifl 
dans l'occupation de la Tunisie, que de lui attri- 



LV TUMSIK 27Î) 

)uer une part directe dans les faits politiques ou 
militaires qui ont précédé cet heureux événement. 

Avant l'expédition, il s'est borné à donner 
patriotiquement son avis à ceux qui le lui ont 
demandé; et depuis, c'est par riniluence morale 
de ses œuvres, de ses bienfaits, de son autorité 
personnelle, qu'il a contribué à faire accepter et 
aimer le protectorat de la France. Si les journaux 
d'une nation voisine ont souvent répété que sa pré- 
seace en Tunisie valait plus qu'une armée, celte 
pensée trouve son explication naturelle et vraie 
dans les paroles que lui dit un jour, en public, 
l'agent consulaire d'Italie à Tunis. « Oh ! Monsei- 
gneur, que vous faites de bien ! mais que ce bien 
nous fait de mal ! » 

Quelles circonstances lui permirent donc de 
faire ce bien en Tunisie? 

Il y avait toujours eu un certain nombre de 
chrétiens dans la Régence, el il y jouissaient mémo 
dune plus grande liberté que dans les autres États 
hrbaresques. Grégoire XVI y avait établi un 
ricariat apostolique en 18il, et, au moment de 
lotre arrivée, la mission était tout entière conliée à 
es Capucins italiens qui avaient pour supérieur et 
our évêque un membre de leur ordre, Mgr Suter, 
lors âgé de quatre-vingt-six ans. Hrisé par l'ûge 
par des difficultés de toutes sortes, ce vénérable 
'élat demandait depuis longlemj)s au Saint-Siège 
permission de se retirer dans un couvent de 
Trare, sa ville natale. Sa démission avait môme 
5 acceptée en principe six mois auparavant ; et 



^80 LE CARDINAL LAYIGERIE 

déjà la Congrégation de la Propagande ava 
dressé une liste de trois noms, parmi lesquels 
Pape allait lui choisir un successeur. G'étaiei 
trois capucins italiens de la mission de Tunis. 

L'occupation française ayant commencé sur o 
entrefaites, notre consul général se hâta d'insist< 
auprès de son gouvernement pour qu'on fît non 
mer par Rome un vicaire apostolique de nati< 
nalité française. Un prélat italien ne pourra 
lutter contre les entraînements de ses comp] 
triotes alors fort excités contre nous; peut-êti 
môme serait-il amené, par un patriotisme d'ailleui 
bien excusable, à nous faire de l'opposition. 

Le Saint-Siège se rendit à ces raisons et con 
sentit, sans vouloir tout d'abord engager l'avenii 
à prendre dans le clergé français un administrâtes 
intérimaire pour le vicariat apostolique de 1 
Tunisie. 

Le Pape et le gouvernement français penserai 
simultanément àchoisirMgrLavigerie pour ce posi 
important et difficile. Le gouvernement sava 
qu'il pouvait compter sur son patriotisme et se 
énergie, et Léon XIII l'avait en estime si partiel 
Hère, qu'il avait déjà demandé qu'on le lui propos 
pour le chapeau de cardinal. D'autre part, comn 
métropolitain de l'Algérie, il était voisin de 
Mission à administrer, et une longue expérien< 
lui avait appris la manière de se comporter ( 
face des populations musulmanes. Enfin il av£ 
déjà juridiction en Tunisie, où il avait obtei 
pour ses missionnaires la garde du tombeau 



LA TUNISIF. 281 

saint Louis, sur remplacement de Tancienne 
Carthage. 

Nommé administrateur apostolique de la 
Tunisie par Bref du 28 juin 1881, Mgr Lavigerie 
ae voulut pas quitter son clergé algérien sans lui 
faire part de ses espérances et de ses projets. 

Inspirer des sentiments d'union aux émigrants 
ies diverses nations chrétiennes qui venaient 
s'établir dans nos colonies ; faire comprendre aux 
musulmans que la France ne venait pas à eux 
pour les opprimer ou froisser leurs consciences, 
mais pour les admettre aux bienfaits du progrès 
et de la vraie lumière; ressusciter, à Carthage 
même, dans cette ancienne métropole des sept 
cents diocèses d'Afrique, la gloire des premiers 
siècles, le souvenir des TertuUien, des Cyprien, 
des Perpétue, des Félicité, des Fulgence, de ïnil- 
liers de saints et de martyrs ; relever ces ruines 
sacrées, et en faire un centre de civilisation et de 
foi, non seulement pour l'Afrique du nord, mais 
pour le continent tout entier : telles étaient les 
grandes pensées qui se pressaient alors dans son 
esprit, et qui devaient toujours lui inspirer dans 
la suite, avec le principe de ses actions, la force 
de surmonter tous les obstacles. 

Le premier embarras, c'était le manque de res- 
sources pécuniaires. 

Six pauvres églises et quatre ou cinq écoles 
chrétiennes, voilà tout ce que le nouvel adminis- 
trateur allait trouver dans son vicariat apostolique 



282 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Il lui fallait construire et doter de nouveaux asiles 
pour la prière et l'enseignement, créer un sémi- 
naire, faire venir des prêtres français et des con- 
grégations enseignantes, fonder des établissements 
pour les orphelins, les vieillards et les malades, 
distribuer aux pauvres des secours qui fissent 
aimer la religion et la France dont il était le repré- 
sentant moral. 

Or, il ne pouvait pas même compter sur les 
allocations, modestes à coup sûr, mais du moins 
régulières et à peu près assurées, que l'Eglise 
reçoit de l'Etat en France et dans les colonies. 

S'étonnera-t-on, dès lors, qu'avant même de se 
rendre à Tunis, Mgr Lavigerie ait écrit d'Alger 
aux évêques de France pour leur demander une 
quête dans toutes les églises de leurs diocèses? 
Cette première démarche, par malheur, ne réussît 
guère. Les conservateurs de ce temps-là ne savaient 
pas toujours mettre l'intérêt national au-dessus de 
l'esprit d'opposition ; ils s'élevaient presque una- 
nimement contre une occupation fructueuse, qui 
avait le tort d'être accomplie par d'autres mains 
que les leurs. 

Où donc Mgr Lavigerie a-t-il trouvé les millions 
que lui a coûtés l'organisation religieuse de la 
Tunisie? Hâtons-nous de le dire, puisqu'on aime 
tant, chez nous, savoir doù vient Vargent, 

Une partie, non la plus importante, lui vient 
des subventions que lui obtiennent du gouverne- 
ment français les résidents de Tunis. Bien placés 
pour juger son action au point de vue patriotique. 



LA TUNISIE 283 

Is ont toujours entretenu avec lui des relations 
imicales et l'ont aidé de tout leur pouvoir. Mais 
es Chambres ont fait preuve, en cette matière, 
Tune étroitesse vraiment surprenante, même de 
eur part. Elles refusèrent dès le début les crédits 
[u'exigeait l'établissement du service religieux 
n Tunisie. Le gouvernement faillit se faire un 
aauvais parti, pour avoir consacré à cette œuvre 
ndispensable un crédit de 50,000 francs pris sur 
e ministère des cultes. 

Cependant Mgr Lavigerie avait dû dépenser 
rois millions et demi pour ses premières fonda - 
ions, c'est-à-dire, pour la cathédrale provisoire, 
évêché, le collège français et les écoles, Thô- 
)ital, etc. Le gouvernement, n'ayant pas d'autre 
noyen de seconder ses patriotiques efforts, auto- 
•isa en sa faveur une loterie , qui ne réussit qu'à 
noitié, mais lui procura malgré tout une somme 
le 830,000 francs. 

Ajoutons que les œuvres générales de cha- 
rité et d'apostolat, surtout la Propagation de la 
foi, lui prêtent annuellement leur concours, et que 
plusieurs de ses établissements ont été dotés par 
lui de propriétés foncières dont l'exploitation, 
bien conduite, suffit à une partie de leurs besoins, 
en môme temps qu'elle favorise le développement de 
la colonisation. 

Enfin la générosité privée lui procure quelque- 
fois des secours inattendus. Pour avoir constaté, 
dans un voyage en Tunisie, la grande utilité de ses 
•œuvres, pour avoir appris dans un journal ou une 



284 LE CARDINAL LAVIGERIE 

revue les services qu'il rend à la cause française^ 
plus d'un bienfaiteur connu ou inconnu lui a fail 
parvenir des secours fort opportuns. 

Un homme de lettres protestant, qui visitait la 
Tunisie, le pria, en 1882, d'accepter une subven- 
tion annuelle de 2,000 francs pour la fondation 
d'une école de Sœurs françaises dans une ville où; 
il ne s'en trouvait point. 

Une autre fois, la même année, un lieutenant 
français se présente à l'archevêché de Tunis, 
demande à voir le secrétaire de Mgr Lavigerie 
« Je vais rentrer en France, lui dit-il, puisque 
campagne est terminée. Mais, avant de partir,] 
désirerais contribuer à l'œuvre la plus française 
la plus chrétienne qui puisse se faire en ce momen 
dans la Tunisie, et je voudrais avoir à cet égarjp 
l'avis de Son Eminence. » Le cardinal fait ré^j 
pondre que cette œuvre, c'est une école. L'officiefl 
se retire, et quelques jours après vient remettre! 
au secrétaire, sans vouloir se faire connaître, lÊ^ 
somme de 10,000 francs. Et voilà comment foi 
construite, à Tunis, l'école de la Porte de CaM 
thage. i 



II 



Un obstacle plus difficile à surmonter poi 
Mgr Lavigerie que les embarras pécuniaires 
c'était la différence d'origine de ses diocésaii 

Non seulement il fallait, comme en Algérù 
pourvoir au service religieux de la prédication 



^ 
1 



LA TUNISIE 285 

le la confession en plusieurs langues ; mais par 
uite des conditions mêmes de notre établissement 
m Tunisie, conditions assez précaires en appa- 
ence, au moins dans le début et pour des esprits 
nexpérimentés ou malveillants, un prélat français 
levait nécessairement s'attendre à de la dénance 
le la part de populations qui ne supportaient pas 
îans jalousie notre nouveau protectorat. 

Chose étrange, les difficultés ne lui vinrent pas, 
ûnsi qu'on aurait pu s'y attendre, du coté des 
musulmans. 

Comme nous avons eu déjà occasion de l'obser- 
ver, ils se laissent assez facilement gagner par les 
bienfaits de nos missionnaires, et, s'ils font quelque 
différence entre les prôtres français et leurs propres 
marabouts, ce ne sont pas, d'ordinaire, ces der- 
niers qui obtiennent le plus de respect et de con- 
fiance. 

I lu reste, ce qu'ils détestent chez les chrétiens, 
c'est moins encore leur foi que leur domination 
politique *; et il est inconli^stable. à ce point de 
yue, que notre autorité est mieux acceptée en 
Tunisie, après dix ans d'occupation, qu'elle ne l'est 

1. Si les musulmans n'aimonl pas le christianisme, ils 
ïl de bien plus fortes répugnances contre l'irréligion, et 
y a grand proflt à méditer ce conseil d'un écrivain com- 
blent : « Je ne cesserai de répéter aux Européens qui 
ligrent en Afrique de bien se garder de faire parade de 
sentiments irréligieux, si toutefois ils en ont. C'est 
I assurément, une des grandes causes de Téloignement 
nous inspirons aux populations dont nous avons entre- 
la soumission. » (Edmond Plauchut, « La France en 
lisie », Revue des Deux-Mondca, \o octobre 1890, p. 804.) 



286 LE CARDINAL LAVIGERIE 

en Algérie après cinquante ans de conquête, tant 
il a été prudent et habile de conserver au bey son 
pouvoir nominal et ses prérogatives extérieures. 
Grâce à cette situation, qui ménage l'amour- 
propre des indigènes, grâce aussi à son expérience 
consommée des choses africaines, Mgr Lavigerie 
n'a jamais cessé d'être dans les meilleurs termes 
avec la petite cour du bey et avec les Tuni- 
siens. 

Quand, à son arrivée, il fut présenté en audience 
publique à Mohammed-Sadock, par le résident de 
France, on put voir le souverain musulman lui 
prodiguer les marques du plus grand respect et sei 
recommander à ses prières en termes qu'on ne j 
trouve plus guère, à notre époque, sur les lèvre* 
des princes chrétiens. 

La demeure du cardinal, à La Marsa, étant voisin© 
de celle du bey régnant, il s'est établi entre eux de 
relations bienveillantes et courtoises dont nou 
voudrions, en passant, donner une preuve non équi- 
voque. 

En 1884, à Toccasion de la visite de notre flotte^ 
le cardinal invita à déjeuner chez lui, avec 1 
amiraux, les généraux et les principaux membr 
de l'administration française et beylicale, les de 
fils aînés du souverain, Sidi Mustapha et Si 
Mohammed. A la fin du repas, il porta a 
princes et à leur père un toast, auquel Sidi Mus 
pha répondit en ces termes vraiment signifii 
tifs si Ton songe qu'ils étaient prononcés qua 
ans seulement après le traité de Kassar-Saïdf^ 



LA TUNISIE 287 

u Je remercie Votre Eminence des souhaits de 
)onheur que vous voulez bien former pour Son 
altesse mon père et seigneur, pour les membres 
le sa famille et pour le bonheur de ses États. Je 
;uis heureux de recevoir ces vœux en présence de 
ant d'hommes éminents. Le gouvernement tuni- 
ien s'appuie sur la puissance et sur la protection 
le votre grande nation, pour rester dans la voie du 
)rogrès où il est entré. C'est le vif désir de mon 
)ère et seigneur. Je puis vous donner l'assurance 
le la sincérité de ses sentiments affectueux à votre 
îgard. Nous sommes reconnaissants à Votre Émi- 
lence des marques d'affection qu'elle-même ne 
;esse de nous donner en toute occasion. C'est 
limple justice, de laisser une véritable liberté à 
r'otre action bienfaisante.» 

Les musulmans savent, en effet, que leur reli- 
gion n'est pas un obstacle aux bienfaits du clergé 
îhrétien. 

Quand l'armée française entra dans Tunis, ceux 
d'entre eux qui redoutaient notre vengeance n'hé- 
sitèrent pas à supplier les missionnaires d'Alger, 
établis à Saint-Louis de Carthage, de les protéger, 
eux et leurs familles, contre le juste ressentiment 
ie nos soldats. 

Mgr Lavigerie félicita ses fils d'avoir su inspi- 
rer une telle confiance aux musulmans : « Conti- 
Quez vis-à-vis d'eux, leur dit-il dans une lettre 
publique, l'exercice d'une charité si douce. Gardez- 
vous d'exciter leur fanatisme par un zèle impru- 
dent. Secourez leurs pauvres, guérissez leurs blés- 



288 LE CARDINAL LAYIGERIE 

ses, soignez leurs malades. Aimez-les comme vos 
frères et les enfants du môme Dieu. » 

Dès la première distribution de secours qu'il tij 
en arrivant dans son vicariat apostolique, il envoya 
la somme de mille piastres aux sœurs de Sainl- 
Joseph, pour la faire donner en son nom aux mu- 
sulmans et aux israélites pauvres qu'elles ont cou- 
tume de visiter à Tunis. 

Partout, dans sa première tournée épiscopale,îl^ 
fut accueilli comme le représentant de Dieu. Mais^ 
nulle réception ne valut pour lui celle qui l'attendait 
àSfax, quelque temps après que cette ville, soule»| 
vée contre le bey et contre nous, avait été soumise! 
par la force et condamnée à payer dans un délai 
assez court une amende de dix millions de pias* 
très. 

A peine s'était-il dérobé aux ovations des chré-* 
tiens, auxquels il venait d'apporter dix mille francs 
pour la réparation de leur église à demi ruinée pal 
les bombes fançaises, à peine était-il rentré ai: 
presbytère, que la place de l'église se trouva 
envahie par les musulmans ayant à leur tête l©i 
principaux de la ville et demandant à le voir poiE 
lui adresser leurs requêtes. 

Comme il ne pouvait les recevoir dans l'étroit 
maison du curé, il leur fit proposer d'entrer daO 
l'église, où il ne tarda pas à les aller trouve!* 
encore revêtu de ses habits pontificaux. Il travers^ 
leur foule respectueuse et désolée pour gravir W 
marches de l'autel, et il leur permit d'expostf 
l'objet de leur démarche. 



LA TUNISIE 289 

L'échéance de leur contribution tombait le sur- 
^ndemain; absolument incapables de la payer dans 
:î bref délai, ils craignaient de voir exécuter ou 
eporter les chefs de famille qu'on avait enfermés 
Dmme otages à la Casbah, et ils redoutaient la 
3nfiscation de tous leurs biens par le Beylick. Us 
Lippliaient donc le grand marabout français de 
iur obtenir un temps plus long pour s'acquitter 
c leur dette. 

L'archevêque, après leur avoir demandé s'ils se 
ep entaient de leur révolte et s'ils promettaient 
lour l'avenir une plus grande fidélité, les rassura 
n disant qu'il s'était déjà intéressé à eux, qu'il 
nterviendrait encore en leur faveur, et qu'ils 
mouvaient compter sur le délai sollicité. Puis il les 
-ongédia, au milieu d'une véritable explosion de 
oie et de reconnaissance, en disant qu'il appelait 
lur eux et sur leur ville toutes les bénédictions du 
îiel. La promesse fut tenue, et le délai accordé. 

Les sujets anglais, principalement les colons 
^enus de l'île de Malte, forment, avec les Italiens, 
la partie la plus nombreuse de la population euro- 
péenne en Tunisie. 

Malgré la secrète opposition d'une minorité pro- 
testante ou franc-maçonnique, Mgr Lavigerie est 
parvenu sans peine à se concilier toutes leurs 
sympathies. De leur glorieux passé de luttes contre 
l'infidèle, les Maltais ont gardé un vif attachement 
au catholicisme. Le cardinal s'est appliqué à satis- 
faire en tout leur grand esprit de foi. Il a établi 

9 



290 LE CARDINAL LAVIGERIE 

pour eux, dans la cathédrale de Tunis, une con 
frérie d'hommes sous le patronage de Notre-Dam. 
du Mont-Carmel. Il a fait construire dans leu] 
quartier une école chrétienne, avec un préau pour 
les jeux des enfants et un sanctuaire qui s'ouvre le 
dimanche pour la messe et les catéchismes. Par 
une attention qui leur a été plus précieuse encore, 
il a créé à Carthage, en l'honneur de la Madone de 
la Melleha, un pèlerinage qui leur rappelle le 
sanctuaire le plus vénéré du pays natal ' . 

On ne devra donc pas s'étonner de ce qu'on lir» 
dans la suite sur l'accueil triomphal qu'il reçut h 
Malte, en revenant de Paris et de Rome après leai 
cérémonies de son cardinalat. 

Lorsqu'en 1887 le choléra porta ses ravageta 
dans l'île, et la menaça d'une profonde misère eo 
arr<^tant le commerce qui la fait seul vivre, ce fui 
au cardinal que les Maltais recoururent dans leur 
détresse, et l'appel émouvant qu'il adressa à I 
France en leur faveur ne resta pas sans écho. 

Pour mieux témoigner son affection aux Angl 
Maltais, il voulut, à l'occasion d'un attentat diri 
en 1882, contre la reine d'Angleterre, s'associe!^ 
aux actions de grâces qu'ils rendirent à Dieu poui ^ 
avoir préservé Jes jours de leur souveraine. Le 25 
Deum qu'il fit chanter h cette occasion fut mênM ^ 

1. Nous savons, par les Actes des Apôtres, que saiil | 
Paul fit naufrage à Malte. Saint Luc, qui raccompagnai 
dans tous ses voyages, aurait peint lui-même, d'après l '" 
tradition, l'image de Marie sur les parois de la grotte o ^ 
il s'était réfugié. C'est cette image qui est vénérée à 1 ^^^ 
Melleha, et qui a été reproduite à Carthage. 



la première cérémonie qui se célébra dans la 
cathédrale provisoire de Tunis. Il pria l'autorité 
militaire d'y envoyer la musique des zouaves, et 
il en prit occasion de dire à la fin de son allocution : 

« Je ne terminerai pas sans remercier les repré- 
sentants de l'armée française, qui sont venus, sur 
ma prière, vous marquer leurs sympathies. Ils 
ont fait résonner et comme éclater sous ces voûtes 
votre hymne national. Que ces accords, qui vibrent 
encore, soient le persévérant symbole de l'har- 
monie qui doit régner entre nos deux nations 
amies 1 Que, dans ces régions depuis trop longtemps 
courbées sous le joug de la barbarie et de la mort, 
elles restent unies, sous la protection de nos armes, 
loin de toute pensée jalouse, pour l'œuvre com- 
mune de résurrection et de vie, à laquelle la 
Providence convie aujourd'hui les nations chré- 
tiennes ! » 

L'Angleterre reconnut officiellement, par la 
bouche de son agent et représentant général à 
Tunis, ces dispositions de l'archevêque. Au 
moment où il allait recevoir les insignes du 
cardinalat, et dans un banquet où se trouvaient 
toutes les autorités du pays, cet agent loua haute- 
ment son esprit de conciliation et d'hi 
furent même les seules pensées qu'il 
lopper dans son bref discours, et s( 
paroles furent les suivantes : 

H En proposant la santé de Son 
j'exprime le vœu que la Providence lu 
longs jours, pour continuer ici l'œuvre 



292 LE CARDINAL LAVIGERIE 

parmi nous, qui tous sommes ses amis, l'œuvre de 
charité, d'humanité et de conciliation. » 

La conciliation ne fut pas si facile avec les 
Italiens. On sait qu'il faut attribuer en grande 
partie aux provocations de leur agent officiel, 
soutenu et poussé par son gouvernement, les cir- 
constances qui achevèrent de déterminer la France 
à établir son protectorat sur la Tunisie. Ils ont eu, 
depuis, quelque peine à nous pardonner ce résultat 
inattendu de leurs intrigues. Comme Français, 
Mgr Lavigerie s'est heurté plus d'une fois à leuf 
opposition; comme évêque, il n'a voulu en 
triompher qu'en les traitant avec la même boniâ 
et la même justice que ses autres diocésains, 
souvent même avec cette prévenance spéciale qui 
est nécessaire pour ramener des cœurs défiants. 

Il fallut débuter à leur égard par un acte de 
fermeté. Les Capucins italiens faisaient des objec- 
tions à sa prise de possession, sous prétexte qu'unèj 
Mission fondée par l'Italie ne pouvait être dirij 
par un prélat français. Le Saint-Siège in tel 
pour faire exécuter ses ordres, et les principal 
récalcitrants reçurent, d'autorité, des destinatioi 
différentes. 

Telle ne fut pas, il convient de le dire à 
louange, l'attitude de Mgr Suter. A peine avei 
par Rome que sa démission était acceptée, ce vénftj 
rable prélat alla trouver son successeur pour fairti 
acte de soumission entre ses mains, et il eutmêml| 
la délicate attention de lui remettre une étole patt 



LA TUNISIE 293 

torale qu'il avait reçue, quarante ans plus tôt, de la 
reine Marie-Amélie, « heureux de prouver ainsi, 
lui dit-il, que les deux évêques ne faisaient qu'un 
cœur et qu'une âme » . 

Mgr Lavigerie se montra, de son côté, plein de 
générosité vis-à-vis du pieux vieillard. Le gouver- 
nement français ayant manqué à l'engagement 
qu'il avait pris de lui assurer une pension viagère 
en rapport avec sa dignité et les services rendus, 
le nouvel administrateur de la Tunisie se fit up 
devoir dé lui servir jusqu'au dernier jour une rente 
annuelle de six mille francs sur son traitement 
personnel. Il ne négligea pas non plus, après la 
mort de Mgr Suter, d'adresser à ses diocésains une 
lettre circulaire pour rendre justice à sa mémoire, 
le recommander aux prières de tous et prescrire 
un service funèbre à son intention. 

Avons-nous besoin de dire qu'il n'a exclu les 
Italiens d'aucune de ses aumônes, d'aucune de ses 
fondations charitables, asiles, hospices, couvents, 
écoles? C'était là, pour un évêque, un devoir de 
stricte justice. Il a fait davantage. En considéra- 
tion de leur grand nombre, il a voulu leur assurer 
la possibilité d'entendre des sermons et de se con- 
fesser dans leur langue nationale, il a exigé de tous 
ses prêtres la connaissance de l'italien, comme on 
fait à Oran pour l'espagnol. Il a même fait venir et 
il élève encore au séminaire plusieurs prêtres sécu- 
liers d'origine italienne. 

En 1887, lorsque les supérieurs de l'ordre des 
Capucins, voyant diminuer chaque jour le nombre 



294 LE CARDINAL LAVIGERIE 

de leurs religieux italiens, lui annoncèrent qu'ils 
étaient obligés de rappeler ceux de la Tunisie, il- 
partit immédiatement pour Rome, et obtint, à force 
d'instances, que le Pape les fît revenir sur cette 
décision. Ce n'était pas la première marque de 
confiance qu'il donnât à ces religieux, car il avait 
fait nommer évêque et sacré lui-même un de leurs 
Pères maltais, Mgr Antoine Buhagiar, curé de 
Sfax, qu'il garda quelque temps comme auxiliaire, 
njais que sa capacité hors ligne fit nommer par 
Léon XIII, en 1885, administrateur du diocèse de 
Malte. Il avait de môme obtenu les honneurs de 
Tépiscopat pour le préfet apostolique des Capucins 
italiens de Tunisie, le P. Sauveur-Marie, deNaples. 

Lors des terribles inondations qui désolèrent la 
Haute-Italie, en 1882, il ordonna une quête dans 
les paroisses du diocèse d'Alger et de la Tunisie, 
et il accompagna cette prescription d'un chaleu- 
reux appel en faveur des victimes du fléau, rappe- 
lant que les Italiens sont nos frères par la commu- 
nauté de l'origine et de la foi, et qu'un très grand 
nombre d'entre eux sont venus se fixer dans la 
Tunisie et l'Algérie, pour ne former avec nous 
qu'un seul peuple. La somme de 6,160 francs que 
produisit cette quête fut accueillie avec une louable 
reconnaissance; le vice-consul d'Italie à Tunis 
écrivit à Mgr Lavigerie pour le remercier en son 
nom d'abord, et bientôt après au nom de son gou- 
vernement. 

On pouvait croire qu'une telle conduite désar- 
merait toutes les préventions. C'était compter 



LA TUNISIE 295 

ans la. i-»i 

Rîon ,i *-*"^'^ nationale et sans l'esprit d'irré- 

^g " ^ridant les premières années, ce fut, dans 

• r|. , - "^^spondances tunisiennes des journaux 

i sot f^' ^*^* guerre incessante. Il n'était invention 

^ ou si venimeuse qui n'y trouvât place. 

J'^'irnaliste osa bien aller voir le cardinal 

•ar ^1 ^^^'■'i'" qu'on était décidé à le discréditer 

-. , ^. *^**-lon]nie, mais que si Son Eminence vou- 

- *" *J^onner six mille francs, il s'engageait & ne 

^ ■ .- Passer que les attaques autorisées par elle. 

, esom de dire que l'archevêque se contenta, 

y^ , '^'^te réponse, de divulguer cette proposition 

L^^JJou'-naux catholiques? 
(q Juirs italiens, qui sont à Tunis au nombre 

^M-rs ^7*^"*'' "l'Ile, n'en continuèrent pas moins 
le sa**^ '^ques contre Mgr Lavigerio. Au moment 
-ï'aÎTvt ï**^*'™'^*i'^n au cardinalat, ils n'avaient pas 
'ant clan ^ ^^ pi'endre au Pape lui-même, l'accu- 
' ^^a Voir ^ -^"■^ione, le principal de leurs organes, 
'^'Halie et *" ''"^ ^^^^^ nomination, fait injure h 
Lénn Vr,,*^'-"*lpronii« «a<j inWrAfti fin Afriaue n. 



296 LE CARDINAL LAVIGK.RIE 

négligence commise dans la sacristie des cierge 
ce digne organe des passions antireligieuses 
antifrançaises osa bien publier, dans son numé 
du lendemain, les trois lignes que voici : 

« Quelques-uns disent que dans ce fait 
montre le doifft de Dieu, mais quatre-vingt-dix-nei 
sur cent disent que, dans ce fait, se montre le dd 
de la tathédrale, » 

Le clergé de la cathédrale est tout entier frai 
çais. C'était insinuer clairement qu'il était Tautei 
du sinistre. 

Le cardinal commença par pourvoir à la rép 
ration des dommages et à la reconstruction i 
l'église, qui était, d'ailleurs, assurée à ses frais, i 
premier devoir accompli, il fit dievXdi Sentineï 
devant la justice et la mit en demeure de prouv 
ses dires. 

Les calomniateurs lui demandèrent grâce da 
une lettre d'une platitude très remarquable, où 
exposaient qu'une condamnation pécuniaire 
l'emprisonnement entraîneraient sans aucun doi 
la disparition de leur journal. Cette conséquer 
n'était vraiment pas faite, on en conviendra, pc 
arrêter l'archevôque. Il laissa la justice suivre s 
cours; la Sentinella fut condamnée et cessa 
paraître, ce dont les Français et les honnêtes g( 
de toute nationalité se consolèrent sans beauco 
de peine. 

Les journaux italiens de Tunis se le sont te 
pour dît, et leur prudente réserve a permis 
calme de se faire dans l'esprit de leurs nationa 



LA TUNISIE 21)7 

Au reste, la religion sinc^rc dos Italions do la 
Régence les a peu à pou conduits h do moillours 
sentiments envers leur archcv^quo, ot la cons- 
tante application de celui-ci à no lour faire que du 
bien a dissipé à la longue leurs préventions. L'ac- 
cueil qu'il a trouvé en Italie, on 1889, lorsqu'il y a 
prêché, dans les principales villes, sos discours 
contre l'esclavage, prouve suffisamment que l'hos- 
tilité de quelques politiciens, ennemis jurés de la 
religion et de la France, ne doit pas Hvc considérée 
comme le sentiment général dos Italions à son 
égard. 



III 



Mgr Lavigerie avait dit, on 1882, dans la lettre 
çu'il adressait au Pape pour le romorcior do sa pro- 
motion au cardinalat : 

« Le plus beau jour do ma vie sera celui ou, 
iprès avoir doté ce vicariat de tout co qui lui est 
nécessaire en institutions, on hommes ot on argent, 
je pourrai aller mo prostornor humblement aux 
pieds de Votre Sainteté, pour lui demander de 
relever le siège de Saint-Cyprion otdc ressusciter 
la grande Église de Carthagc, on lui donnant un 
évoque après mille ans do mort. » 

Deux ans après, au commencement de 1884, il 
pouvait inviter son clergé à demander au Saint- 
Siège, par une démarche collective et solennelle, 
le rétablissement du siège primatial de l'Afrique. 



• • 



298 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Voici en effet ce qui avait été accompli depuis 
l'arrivée du nouveau vicaire apostolique. 

Sur l'emplacement de l'ancienne Carthage, où 
la prière catholique était auparavant inconnue, 
môme dans la chapelle consacrée à saint Louis, le 
Saint-Sacrifice était maintenant offert dans six 
sanctuaires différents. Trois communautés reli- 
gieuses s'y trouvaient représentées dans des mai- 
sons diverses. x\u centre môme, au sommet de 
Byrsa, s'élevait un magnifique séminaire. Un palais 
épiscopal avait été construit dans le quartier de 
Mégara, où saint Cyprien avait remporté la cou- 
ronne du martyre et où il avait été enseveli. Une 
chapelle y avait été dédiée au grand évoque de Car- 
thage, et c'était là que se tenait, à ce moment 
môme, un synode quis'apprêtait à promulguer des- 
statuts diocésains. 

Neuf paroisses avaient été ajoutées aux neuf qui 
existaient précédemment, et deux chapelles de 
secours, fondées à Tunis dans les faubourgs mal- 
tais et sicilien, y rendaient plus facile l'assistance 
aux offices religieux. Une cathédrale provisoire y 
avait été bâtie en quelques mois, et elle avait pu 
recevoir, en certaines circonstances, jusqu'à quatre 
mille fidèles. Près de là s'élevaient des construc- 
tions assez grandes pour servir à la fois de presby- 
tère, d'évôché et de chancellerie. 

Les terrains environnants étaient devenus la 
propriété de l'évoque pour qu'on pût y élever la 
cathédrale définitive. C'était l'emplacement de 
l'ancien cimetière, qui avait été désaffecté et rem- 



LA TUNISIE 299 

placé, au grand avantage de la salubrité publique 
et malgré une opposition déraisonnable, par un 
cimetière beaucoup plus vaste et situé hors des 
murs. 

Les troupes françaises campées dans la Régence 
avaient reçu des aumôniers militaires. 

De pieuses confréries avaient été créées, sans 
préjudice de celles qui existaient déjà. C'étaient 
les associations paroissiales des dames de charité 
et des mères chrétiennes, les conférences de Saint- 
Vincent-de-Paul, la confrérie de Notre-Dame-des- 
Sept-Douleurs pour les Italiens, celle de Notre- 
Dame-du-Mont-Carmel pour les Maltais, toutes 
deux exclusivement réservées aux hommes. Un 
cercle catholique, fréquenté déjà par plus de 
quatre-vingts jeunes gens, avait été fondé tout 
auprès de la cathédrale. 

L'hôpital s'était agrandi; il avait été transporté 
dans une caserne gracieusement accordée par le 
Bey sur l'intervention du ministre de France, et 
au lieu de trente malades, il pouvait en recevoir 
aisément cent cinquante. Il était desservi par des 
religieuses et administré par un conseil de six 
membres choisis à dessein dans les trois natio- 
nalités française, maltaise et italienne. Tous les 
malades pouvaient y être admis, sans distinction 
de pays ni de culte. 

Un immense et splendide asile pour les vieil- 
lards achevait de s'élever près des murs de la ville, 
et les Petites-Sœurs des Pauvres y avaient déjà 
recueilli des Italiens et des Maltais, les Français 



300 LE CARDINAL LAVIGERIE 

étant encore trop peu nombreux, et, grâce à Dieu, 
trop peu indigents, pour leur fournir des hôtes. En 
même temps, les Sœurs de Bon-Secours françaises 
et italiennes étaient établies à Tunis pour garder 
les malades qui voulaient se faire soigner à domi- 
cile. 

Un grand collège avait été fondé sous la direc- 
tion des missionnaires d'Alger, et il comptait dès 
lors deux cent vingt-sept élèves de toutes les reli- 
gions. Un pensionnat pour les jeunes filles des 
familles aisées avait été ajouté par les Dames de 
Sion à celui que dirigeaient les Sœurs de Saint- 
Joseph. Une maîtrise, établie près de la cathé- - 
drale, assurait la solennité des cérémonies et la : 
bonne exécution des chants liturgiques. Outre les ^ 
huit écoles primaires qui existaient déjà soit pour '^ 
les garçons, soit pour les filles, des écoles nou— ^ 
velles avaient été établies sous la direction des^ 
Frères ou des Sœurs à Tunis, à Sfax, à Sousse, &|| 
Bizcrte, Monastir, Mehdia, Béjà, La Marsa, ? 

Si Ton remarque, après Ténumération de toutes i. 
ces œuvres, si promptement fondées, que pas un» ^ 
seule n'avait entraîné de dettes^ on conviendr»- 
que, matériellement et spirituellement, le diocès4_ 
de Carthage était déjà tout rétabli. r^ 

Le Pape n'avait plus qu'à en proclamer la res- , 
tauration. 

Heureux, tout le premier, d'un événement a^ 
glorieux pour la foi catholique, Léon XIII s^ 
laissa persuader sans peine aux prières du car-. ^ 
dinalLavigerie,etil annonça solennellement, dan^ 



\ 



LA TUNISIE 301 

c consistoire du 10 novembre 1884, que l'Eglise 
le saint Cyprien, la métropole de toute l'Afrique, 
'lait désormais relevée de ses ruines. 

La Bulle de restauration fut distribuée dans le 
n?me consistoire, et quelque temps après, un 
iref pontifical précisait la situation canonique du 
louveau diocèse : le vicariat apostolique de Tunis 
■tait supprimé et devenait l'archevficlié de Car- 
hage ; il aurait pour sufTragants les évfichés nou- 
'eaux que le Pape espérait voir créer bientdt dans 
a môme province. 

Mgr Lavigcrie, dans la lettre où il annonçait cet 
événement à ses diocésains, réglait que les archc- 
'èques auraient leur métropole à Carthage, mais 
lourraient officier pontificalement dans lacathé- 
Irale de Tunis. Il divisait le nouveau diocèse en 
rois archidiaconés, sièges probables des évôchés 
i venir : celui de Carthage au nord, celui de Ruspe 
lu sud, et celui de Tunis au centre. 

Est-il besoin de dire que toutes ces œuvres ont 
ité continuées depuis 1884, et qu'elles ont même 
iris de nouveaux accroissements? 

Laissant de côté l'augmentation du clergé dio- 
césain et du personnel enseignant des écoles pri- 
naires, mentionnons seulement la création ré- 
;ente, à La Marsa, d'un orphelinat agricol 
es enfants pauvres, et celle d'un petit sém" 
liocésain à Carthage. 

Ce dernier établissement a été ouverl 
rentrée d'octobre 1889, à la suite de l'î 



30!2 LE CARDINAL LAVIGERIE 

qui a été fait du collège Saint-Charles à l'Uni- 
versité de France. On peut dire, à la lettre, que le 
succès de ce collège avait dépassé de trop loin les 
prévisions de son fondateur. Jusqu'en 1886, l'en- 
seignement en appartenait, aussi bien que la I 
direction morale et l'administration, aux seuls ■ 
missionnaires d'Alger. A cette époque, son exten- J 
sion obligea le cardinal Lavigerie, qui n'a pas ^ 
fondé pour cette fin sa congrégation des Pères 
Blancs, à remettre l'enseignement aux mains do 
professeurs laïcs, revêtus des grades universi- 
taires et nommés par le ministre de l'Instruction 
publique, sur la présentation des missionnaires. 
Ce système, qui est celui du collège Stanislas à| 
Paris, fut loin d'arrêter la prospérité de SainI 
Charles. Mais, comme il a exigé bientôt un troj 
grand nombre de Pères, et que, d'autre part, il n'i 
pu suppléer à l'absence de petit séminaire dio- 
césain, l'archevêque s'est vu obligé d'en retirer si 
religieux et de les appliquer, en plus petit 
nombre, à la direction d'une maison destinée aux 
vocations ecclésiastiques. 

Il serait difficile de comprendre comment tanU 
de choses ont pu se faire en dix ans dans un pays] 
de Mission, si l'on ne savait que Mgr Lavigerii 
en se réservant partout l'initiative et la haul 
direction, a voulu toutefois, lorsque ses affain 
multiples le faisaient résider à Alger ou l'appc 
laient en Europe, se faire seconder en Tunisie pî 
des collaborateurs aussi intelligents que dévouéî 

Nous avons dit que Mgr Buhagiar fut saci 



LA TUNISIE 303 

ommc auxiliaire de Carthage en 1885, et l'on sait 
ue Mgr Brincat a reçu le même titre en 1889. 
lais ces deux évoques ont été appelés à servir 
Eglise ailleurs qu'en Tunisie; le premier ne 
irda pas à être chargé du vicariat apostolique de 
faite, et le second a reçu de Mgr Lavigerie la 
lission spéciale de diriger l'action antiescla- 
agiste. 

C'est à Mgr Grussenmeyer, protonotaire apos- 
)liquc, que revient principalement l'honneur 
'avoir réalisé en Tunisie les premières entre- 
rises du cardinal ; rappelé h Alger comme pre- 
lier vicaire général, il a été dignement remplacé 

Tunis, dans l'administration spirituelle, par 
[gr Gazaniol, aussi protonotaire, et dans l'admi- 
istratioa temporelle par Mgr Tournier, camérier 
eSa Sainteté. Nommons avec euxMgrPolomeni, 
rchidiacre de Ruspej né en Algérie d'une famille 
lal taise. 

IV 

Carthage, trois fois détruite, reprend donc 
ujourd'hui une vie nouvelle. Tunis peut res*'"' '" 
apitale de la Régence et la plus grande vi! 
os colonies ; la cité où se firent entendre 
lyprien, Tertullien et saint Augustin est i 
enue pour jamais la capitale de l'Afrique en 
t le prestige de sa primauté religieuse re; 
usque sur ses souvenirs païens. Ce son 



304 LE CARDINAL LAVIGERIE 

fouillos Mvantcs des missionnaires d*Âlger qui 
mettent au jour, non pas seulement les basiliques 
chrétiennes, mais les tombeaux, les citernes, les 
médailles, les objets d*art du temps de Hannibal, 
les colonnes des temples romains et les palais des 
proconsuls. 

C'est sur la colline de Byrsa, où s'éleva, au 
IX* si^cle avant Jésus-Christ, la citadelle presque 
mythique de la reine Didon, qu'ils ont élevé leur 
vaste séminaire, et c'est de là qu'ils vont annoncer 
aux nègres de l'Equateur le nom du Christ el le 
nom de la France. Les vieux Phéniciens passent à 
bon droit pour les plus hardis voyageurs de Fanti 
quité; mais jamais la passion du lucre ne les 
poussa plus loin que ne fait aujourd'hui, pour le; 
modernes habitants de Carthage, Tardent désir d( 
sacrifier leur vie en portant à des Barbares in 
connus l'aflranchissement du corps et la liberté di 
l'Ame. 

Autour d'eux, s'élèvent partout les asiles du dé 
vouement et de la prière. C'est, sur le penchan 
de la colline voisine, où s'élevait le temple de Vé 
nus Céleste, un sanctuaire de la Vierge Marie, e 
tout près de là un couvent de carmélites. Pla 
loin, c'est une maison de pénitence pour les fille 
repenties. 

Une croix domine les ruines de Tamphithéâd 
qui vit le supplice de tant de martyrs. La bas 
lique de sainte Perpétue et de sainte Félicité, o 
saint Augustin prêcha des sermons que nou 
avons encore, a été retrouvée, et le pèlerin peut 



LA TUNISIE 305 

ontinuer la prière des anciens chrétiens, age- 
louillé sur les restes de mosaïques, parmi les fûts 
le colonnes brisées et les débris des chapiteaux. 
Jn sanctuaire s'élève près du lieu où saint Cy- 
►rien est mort pour la foi, et une croix a été pla- 
ée à l'endroit de sa sépulture. Une chapelle a 
té construite au lieu même où sainte Monique, 
oyant s'éloigner le navire qui emportait l'ingrat 
Augustin, répandit, comme la veuve de Naïm, ces 
»leurs maternels qui touchent toujours le cœur de 
)ieu. 

Parmi les noms de tous les grands hommes qui 
ont nés à Carthage, ou qui sont venus l'illustrer 
le leur présence, les Hamilcar, les Hannibal, les 
5cipîon, les Marins, les César, les Tertullien, les 
jaint Cyprien, les saint Fulgence, les Arnobe, 
es Lactance, les saint Augustin, il n'en est pas, 
30ur nous. Français, qui brille d'une gloire plus 
pure et plus aimable que le nom de saint Louis. 

C'est devant Tunis, à Carthage même et sur la 
solline historique de Byrsa, qu'il a trouvé la mort 
ians un dernier acte de dévouement à la cause de 
la chrétienté, et en soignant de ses mains ses sol- 
dats atteints de la peste. « Oh ! qui me donnera 
disait-il, de voir la foi chrétienne prêchée à 
Tunis ! » 

Dieu, qui a le temps pour lui, ayant l'éternité, 
Dieu devait, à son heure, exaucer ce dernier vœu 
du saint roi, et c'est pour cela que, de nos jours, on 
a vu au milieu des ténèbres séculaires qui cou- 



306 LE CARDINAL LAVIGERIK 

vraient ces régions, luire simultanément la croix 
de Jésus-Christ et Fépée de la France. 

Il convenait que le nom de saint Louis fût le 
premier honoré sur la terre tunisienne. 

Après la prise d'Alger, quand nos armes reparu- 
rent, triomphantes cette fois, dans l'Afrique du 
Nord, le premier soin du roi de France, petit-fils 
et successeur de saint Louis, fut de se faire céder 
par le Bey de Tunis la colline de Byrsa, où était 
mort son glorieux ancêtre. Dix ans plus tard, la ;!] 
France y faisait élever, à grands frais, un sanc- 
tuaire commémoratif . Mais Carthage était bien loin 
de nous, à cette époque, et ce n^était pas une facile 
entreprise que d'y bâtir une chapelle chrétienne» 
Le monument ne répondit guère h sa destination» 
et c'est à peine s'il pouvait contenir cinquante pèle- 
rins. Le culte ne tarda pas à y être supprimé, et 
la garde en fut confiée à des mains étrangères. 

L'archevôquc d'Alger vint un jour prier dans 
cette chapelle, alors que personne, sauf lui peut- 
être, ne pensait encore à l'occupation de la Tu- 
nisie. Son patriotisme s'émut de voir si mesquin 
et si abandonné le monument du saint roi. 11 se 
rendit à Rome, et il obtint du Pape Pie IX que 
Saint-Louis de Carthage fût confié à ses mission- 
naires, sûr que la prière y serait désormais plus 
fréquente, et se promettant bien d'y élever quel- 
que jour un sanctuaire plus glorieux. 

Peu d'années après, la Tunisie était soumise à 
la France, et lui-même était devenu archevêque 
de Carthage. 



LA TUNISIE 307 

Au mois de mai 1884, la première pierre d'une 
ouvelle basilique était posée, en grande solen- 
ité, à côté de l'ancienne chapelle, et quelques 
nnées suffisaient à son achèvement. 

Aujourd'hui elle s'élève triomphante au som- 
let de l'ancienne Carthage, dominant de ses 
3urs, de son dôme et de sa grande croix d'or, les 
erniers contreforts de l'Atlas, les plaines, les 
ics, la blanche ville de Tunis, les montagnes de 
Ariana, du Bou-Korneïn et le cap Bon, le golfe 
3ut entier, les ruines lointaines d'Utique, jus- 
u'au cap Blanc et à Bizcrte. On ne voit qu'elle à 
horizon, et les navires la saluent de loin bien 
vant d'aborder. 



Vraiment elle était belle, au jour de sa consé- 
ration, dans son style byzantin et mauresque si 
ien approprié au pays, éclatante de blancheur 
ous les feux du soleil d'Afrique, dans les bleues 
Tofondeurs du ciel le plus pur du monde ! 

Sur son grand dôme flottaient les plis immenses 
un drapeau tricolore, en l'honneur duquel s'in- 
linaient loyalement les drapeaux de toutes les 
lations. 

Autour d'elle s'étendaient, à cheval, pour la 
)rotéger et lui rendre hommage, les rangs pres- 
»és de nos chasseurs d'Afrique ; les zouaves pré- 
sentaient les armes au cortège sacré ; l'artillerie 



308 LE CARDINAL LAVIGERIE 

beylicale, rartillerie du prince musulman, an- 
nonçait de ses salves le triomphe du catholicisme ; 
les peuples innombrables couvraient les flancs de 
la colline. Français, Italiens, Maltais, Anglais, 
Allemands, Juifs, Arabes, Kroumirs et Nègres du 
Soudan. 

Dès Taube de ce grand jour, les cloches de tous 
les sanctuaires avaient fait tressaillir dans leur | 
tombe les ossements des anciens martyrs. Et, * 
quelques heures après, une procession incompa--! 
rable se rendait à la vieille chapelle de Saint- 
Louis pour transférer les reliques. 

C'est de ce point élevé au-dessus de la mer^^ 
qu'on vit bientôt s'avancer les congrégations sé- 
culières des marins de Naples, de Malte et de ] 
Sicile, les longues files de religieux et de reli- 
gieuses, les deux cents missionnaires d'Alger 
avec leur costume arabe, les prêtres et les prélats 
de tout pays, les abbés mitres, les douze évoques J 
d'Afrique, de France, de Sardaigne, de Sicile, et; 
enfin, après les deux archevêques, sous un daiftj 
magnifique, le successeur de saint Cyprien, por-i 
tant les reliques destinées à l'église nouvelle. A C6.-^ 
moment les canons du Bey tonnèrent tous ensem- - 
ble, et la musique des zouaves à laquelle se joi- 
gnit la fanfare des séminaristes missionnaires, 
entonna l'hymne national. 

Le cortège, fendant la foule sous la protectioo- - 
de nos soldats, pénétra lentement dans l'intérieur^ 
de la basilique, et tandis qu'il entrait, les assis- 
tants pouvaient lire, au-dessus des portes, ce^ 



LA TUNISIE 309 

>aroles d'un pape Français, Léon IX, répétées par 
^éon XIII dans la bulle qui a restauré le diocèse 
le Carthage. 

« Il est hors de doute qu'après le Pontife Ro- 
nain, le premier archevêque et le grand métro- 
politain de toute l'Afrique est l'évèque de Car- 
hage. Ce dernier ne peut être dépouillé, en faveur 
le quelque évêque d'Afrique que ce soit, de ce 
)rivilège qu'il a reçu du Saint-Siège Apostolique 
ît Romain, mais il le conservera jusqu'à la fin des 
;iècles, et tant que le nom de Notre-Seigneur 
ésus-Christ sera invoqué en Afrique, soit que 
]larthage reste abandonnée, soit qu'elle ressus- 
cite un jour dans sa gloire, Sive resurgat gloriosa 
tliqicando. » 



VI 



Et Carthage, en effet, ressuscitait ce jour-là 
lans sa gloire, pendant que les pontifes et les prê- 
tres s'avançaient vers le sanctuaire sous les voû- 
tes décorées d'or et soutenues par deux cents co- 
lonnes en marbre de Carrare. 

Nos généraux et tous nos officiers de terre et de 
mer, nos attachés d'ambassade, tous nos fonction- 
naires remplissaient les premiers rangs de la nef 
droite ; aux premiers de la nef gauche, étaient les 
étrangers de marque, S. A. le prince Taïeb, frère 
héritier du bey avec tous les ministres tunisiens, 
et après eux, les consuls de toutes les puissances. 



310 LE CARDINAL LAVIGERIE 

Le résident-général, en costume d'apparat, oc- 
cupait dans le chœur même une place digne de la 
France qu'il représente ; son siège s'élevait sur une 
estrade décorée de drapeaux tricolores, en face du ^ 
trône du cardinal. Des tentures de velours rouge ^: 
ornaient les stalles où les douze évoques siégaient .| 
en ornements pontificaux, entourés de leurs porte- 
insignes. 

Alors se déroulèrent les cérémonies majes- 
tueuses de la consécration de l'église. Les colon- 
nes de marbre se dépouillèrent de leurs draps d'or 
pour permettre aux pontifes d'y tracer le signe de 
la croix avec le saint chrême, et chaque évêque sa 
mit à consacrer un autel. 

Saint Louis semblait visiblement présider ï 
cette fête. Ses reliques insignes, une partie de son 
cœur môme, reposaient au-dessus du grand autel, 
dans un reliquaire d'une richesse inouïe, et qui 
passe pour le chef-d'œuvre de l'orfèvrerie fran- 
çaise au xix® siècle. Il représente la Sainte-Cha- 
pelle de Paris, soutenue dans les airs sur les br 
de deux anges qui figurent, l'un la Religion po 
tant la couronne d'épines, l'autre la France por- 
tant le sceptre royal. i 

Mais bientôt l'évêque de Constantine et d'Hip-j 
pone monte en chaire pour lire la lettre pastorale* 
que le cardinal Lavigerie adresse à ses diocé- -g 
sains sur la cérémonie de ce jour, et dans 
laquelle il retrace, à la manière de Bossuet, tou 
l'histoire de Carthage. 

L'assistance écoutait dans une attention pro- 






LA TUNISIE 311 

>nde, lorsque le cardinal, craignant la fatigue 
onr son sufFragant, se leva au milieu de la lecture 
b la remplaça par une courte et vibrante impro- 
Lsation, dont il faut citer ce trait : 

c( Tant de splendeurs, s'écria-t-il avec la ma- 
ssté de son attitude et de son geste, tant de splen- 
exirs paraîtront peut-être exagérées à plusieurs, 
vLJis ces temps difficiles; mais il fallait à cette 
iglise, après tant de siècles de deuil, une fête 
igné de son histoire. Peut-être les ornements 
ont je suis revêtu paraîtront-ils trop magnifiques, 
tais moi, je me souviens que sur cette colline de 
►yrsa, ici, à la place même d'où je vous parle, a 
aru enchaîné, dépouillé de ses vêtements, a été 
a suite, battu de verges, le dernier archevêque 
le rancienne Carthage; et moi, son successeur, 
e premier archevêque de la Carthage nouvelle, je 
iens à paraître à mon tour sur le même sol, au 
aenae endroit, dans toute la pompe que TÉglise 
permet à ses pontifes. Et ainsi Ton verra que les 
léfaites du christianisme, à l'heure marquée de 
3ieu, se terminent en triomphes ! » 



VII 



Quand le cardinal eut achevé, on rétablit, dans 
une cérémonie symbolique, le siège primatial de 
Saint-Cyprien. Les chanoines portèrent sous le 
dais du trône un immense fauteuil d*or, et le nou- 
veau primat d'Afrique en prit solennellement 



312 LE CARDINAL LAVIGERIU 

possession, tandis que retentissait sous les voûtes 
rhymne joyeux de la résurrection, filii etjiliœ. 

Cet hymne fut suivi de la Messe, écoutée dans 
un grand recueillement, et le cortège épiscopal 
se dirigea vers la grande porte de la basilique. 

Une foule immense, difficilement contenue par 
les chasseurs d'Afrique, attendait au dehors, cou- 
vrant au loin les pentes de la colline. 

Gens de toute race, de tout pays et de toute reli 
gion, catholiques à genoux, protestants la tête nue, 
Arabes musulmans et Nègres païens debout da 
Fattitude du respect et de rétonnement,tous reç 
rent la bénédiction des douze évêques, successe 
des apôtres, qui se tenaient en haut du portique. 

Et il semblait que l'Afrique entière recevait en 
ce moment la grâce manifeste de la conversion et 
de la liberté. 

La cérémonie était terminée depuis longtemps^ 
qu'ils restaient là encore, ces pauvres infidèles,] 
comme frappés de stupeur, dans une profond 
admiration de l'Eglise et de la France. 

Et nous, prêtres et fidèles de France, nous no 
demandions si ce n'était pas là un beau rêve.^i 
Habitués à nos querelles intestines, nous demeu-^ 
rions dans le ravissement de cette fête sublime, qui; 
venait de réunir dans une même manifestation de! 
foi et de patriotisme, le cardinal et le gouverneur,! 
les évêques et les généraux, les missionnaire* 
et les zouaves, les prêtres et les soldats. \ 

C'était comme une vision des destinées de la 
France, glorieuse quand elle confesse sa foi, hui 



LA TUNISIE 313 

miliée quand elle la renie. Ce jour-là, sur une 
plage lointaine, en face des nations étrangères, 
elle se montrait dans son rôle naturel, et elle 
frappait d'admiration tous les peuples d'Europe 
et d'Afrique. 

On connaît la prière de saint Louis mourant : 
« Seigneur, gardez et sanctifiez votre peuple. » 
Elle était exaucée en ce moment : la France pa- 
raissait bien gardée et bien sanctifiée, bien forte 
et bien chrétienne. 

Hélas ! en rentrant sur le sol de France avec 
quelques missionnaires d'Alger, je les vis cacher 
sous un manteau noir leurs habits de religieux, 
les habits qu'ils avaient librement portés dans 
l'Afrique musulmane 

Les deux jours qui suivirent l'inauguration de la 
basilique furent consacrés aux sessions d'un con- 
cile, qui, par le nombre des évoques, des prélats et 
des prêtres, n'était pas indigne de rappeler, après 
douze cents ans, les anciennes assemblées de 
î l'Église d'Afrique. 

Il fut ouvert solennellement par le chant du 
; Vent Creator et par la célébration de la Messe, 
: le vendredi matin 16 mai, dans le chœur de 
^l'église primatiale; et les délibérations se firent 
au séminaire des Missions d'Alger, entre l'an- 
{cienne chapelle de Saint-Louis et la basilique 
'nouvelle, au centre môme du plateau de Byrsa. 
I Les décisions des Pères sont actuellement sou- 
:.mises à l'approbation du Saint-Siège, sans laquelle 

9* 



314 LE CARDINAL LAVI6ERIE 

elles ne peuvent être promulguées. Nous pouvons 
seulement dire que le concile s'est surtout proposé 
de rappeler aux chrétiens de l'Afrique moderne 
les souvenirs de leurs ancêtres des premiers 
siècles ; il a ordonné de publier, pour être lue et 
expliquée dans toutes les paroisses, l'histoire des 
saints qui ont illustré l'Afrique romaine; il a voulu 
qu'on rappelle l'ancienne législation canonique de 
ce grand pays, pour remettre en vigueur toutes les 
règles de discipline qui sont encore applicables 
aux temps actuels. Il a donné une adhésion solen- j 
nelle aux enseignements de Léon XIII, approuvé 
la campagne contre l'esclavage, et, ce qui n'est pa» 
le moins pratique, exprimé le vœu que les déci- 
sions du concile provincial d'Alger de 1873 devien- 
nent obligatoires pour le diocèse de Carthage. 

Le dimanche, 18 mai, vit s'achever dans la 
cathédrale provisoire de Tunis ces cérémonies 
mémorables. 

Après la Messe, que célébra l'archevêque de 
Cagliari, primat de Sardaigne, eut lieu la clôture 
solennelle du concile. On chanta l'Evangile oà 
Notre-Seigneur promet d'être avec les siens lors- 
qu'ils seront réunis en son nom, et de lier ott' 
délier dans le ciel tout ce que ses apôtres auront 
lié ou délié sur la terre. Puis les décrets furent lus 
successivemeut, soumis à l'approbation de chacun 
des douze archevêques et évoques, et enfin signés^ 
par eux à l'autel. 

Alors fut bénite la première pierre de la pro- ï-. 



LA TUNISIE 315 

cathédrale définitive de Tunis, et le r(^sidcnt de 
France, sur l'invitation du cardinal, y donna le 
premier coup de marteau. 

La nouvelle église est dédiée d'avance à saint 
Vincent de Paul, un Français, et à sainte Olive, 
une vierge de Sicile. 

Une lettre pastorale de l'archevôquc, lue avant 
la bénédiction de la pierre, fit connaître les raisons 
de ce double choix. 

Ces deux saints sont les seuls dont la vie soit 
connue, parmi ceux qui ont vécu h Tunis. Vincent 
de Paul y a passé deux ans dans l'esclavage, jus- 
qu'à la conversion de son maître; Olive y est venue 
comme lui en captivité, plusieurs siècles aupa- 
ravant, et elle y a subi la mort pour la foi, après 
y avoir donné l'exemple des plus douces vertus. 

Mais surtout ces deux saints ont été choisis 
pour patrons de Tunis, afin de symboliser l'union 
qui doit s'établir entre tous les chrétiens de la 
Régence, union plus nécessaire encore dans un 
pays qui se forme, au milieu d'un peuple séparé 
de nous par une religion et des mœurs différentes. 

« En les réunissant, dit le cardinal, pour placer 
ce temple sous leur patronage, j'ai eu la pensée, 
le désir, et aussi l'espérance, mes très chers 
frères, que leur commune protection rapprochera 
ici les membres des deux principales nations dont 
vous êtes originaires, et vous fera comprendre com- 
bien il est nécessaire que vous viviez dans un mu- 
!uel accord, oubliant les injures que vous auriez, 
)eut-ôtre, à vous reprocher les uns aux autres. » 



CHAPITRE IX 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRANCE 



11 suffirait, ce semble, du chapitre qu'on vien^ 
de lire pour apprécier les services que le cardinal . 
Lavigerie a rendus à la France ; les Italiens Tont , 
dit, sa présence en Tunisie vaut pour nous mieux a 
qu'une armée. \ 

Il a. donné bien d'autres preuves de son patrio- 
tisme, depuis ses débuts apostoliques dans cet 
Orient oîi il faisait bénir partout le nom delà 
France, jusqu'à la fondation de ces missionnaires 
d'Alger, qui portent notre influence aux extrêmes 
limites du désert et dans les plus sauvages contrées 
de l'Afrique centrale. Mais, sans revenir sur les 
questions déjà traitées, il reste encore à faire con- 
naître certaines circonstances où s'est manifesté 
avec plus d'éclat son dévouement aux vrais inté- 
rêts de son pays; il reste aussi à dire jusqu'à quel 
point la France a su lui rendre justice. 



I 



Chargé du gouvernement spirituel de notre 
grande colonie africaine, l'archevêque d'Alger ne 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRANCE 317 

s'est pas pour cela désintéressé de ses progrès ma- 
tériels. 

L'année même de son arrivée en Algérie, il prit 
occasion de ce qu'il avait été appelé à bénir, h 
Maison-Carrée, des charnies à vapeur dont on 
allait faire les premières expériences, pour expri- 
mer ses sentiments sur la prospérité du pays 
auquel il s'était à jamais dévoué. 

Dans son allocution il demandait h la France pour 
TAlgérie une plus grande part de « libertés civiles, 
[ ïeligieuses, agricoles, commerciales )),et ilTatton- 
dait a de la raison et de la justice de la mère 
patrie » .Mais il invitait surtout les Algériens à cher- 
cher leur salut en eux-mêmes. « Je vous demande, 
disait-il, de ne pas vous désintéresser de vos des- 
tinées, de sortir de cette routine qui attend tout de 
rÉlat et qui lui demande tout, de vous montrer 
ainsi dignes de la liberté que vous réclamez, et qui 
seule, avec la sécurité, doit être la condition vitale 
dune colonie. Je vous demande l'esprit d'initia- 
tive, de libre association, pour toutes les branches 
; ouvertes à votre activité, pour tout ce qui est 
1 utile, fécond, chrétien. » 

Et il prêcha si bien d'exemple, qu'un jour on 
l'appela, au conseil du Gouvernement, le premier 
colmde l'Algérie. 

Il fut fier de ce titre, et il s'appliqua h le mériter. 

Tous ses établissements religieux, en Algérie 

comme en Tunisie, ont été fondés, matériellement, 

sur l'agriculture. A Maison-Carrée, à Kouba, dans 

la plaine du Chéliff, h Carthage, il a acheté des 



318 LE CARDINAL LAVIGERIE 

terres incultes, de la broussaille, comme on dit là- 
bas, et il les a fait transformer par ses religieux, 
par ses orphelins, par des ouvriers à gages, en 
champs des plus productifs, en jardins de pri- 
meurs, en vignes excellentes. Il a créé des vins 
qui sont devenus célèbres. Les cépages de raisin 
muscat qu'il a fait choisir en Espagne ont donné 
le délicieux vin de dessert qui est maintenant si 
recherché sous le nom de vin de Carthage, et qui 
a obtenu un grand prix à l'Exposition Universelle 
de 1889. 

Ces diverses exploitations une fois assurées du 
succès, le cardinal s'est dessaisi de son droit per- 
sonnel et il en a fait légalement donation à ses. 
œuvres. Ainsi les orphelins possèdent un petit 
fonds à faire valoir, ainsi les noviciats de religieux 
et de religieuses ont au moins leur pain assuré, 
ainsi môme les caravanes de missionnaires peuvent 
se procurer, en partie, les provisions de toute na- 
ture dont elles ont besoin à leur départ pour le 
Soudan ou les Grands Lacs. 

Le même principe doit être suivi dans les Mis- 
sions lointaines. On manque de tout, dans les- 
pays barbares ; mais on y a la terre presque pour 
rien. Qu'on y crée donc des établissements agri- 
coles; que les missionnaires et leurs néophytes 
fassent sortir du sol leur propre nourriture, qu'ils ■ 
y puisent les ressources nécessaires à l'aumône et : 
à la fondation des églises, des asiles, des écoles. 
C'est ce que le cardinal Lavigerie fait pratiquer à 
ses Pères Blancs, c'est ce qu'il a conseillé à tous 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRANCE 319 

les missionnaires, dans une lottro aux comités 
directeurs de la Propagation de la foi. Il y rap- 
pelle les exemples des anciens moines. « En parais- 
sant, dit-il, exposer une pensée nouvelle, je ne 
fais que rappeler ce qui a existé durant des siècles, 
et a fait le monde chrétien. » 

Mais il ne s'agit ici que de son dévouement aux 
progrès de la colonisation algérienne. C'est le 
U)ême sentiment qui lui a toujours fait honorer, 
et, en 1880, protéger avec succès contre les fa- 
meux i^tw^^d l'admirable monastère des Trappistes 
de Staouéli. Est-il pour les colons un meilleur 
exemple de ce que peuvent le travail et l'économie, 
que cette colonie de pauvres religieux transfor- 
mant une plaine sauvage et malsaine en vignes, 
en prairies, en jardins, puisant dans un sol in- 
culte assez de richesses pour prodiguer les bien- 
faits de la charité à toutes les misères, à toutes 
les œuvres utiles, en Algérie et môme en France? 

L'archevêque d'Alger, pour rassurer contre les 
craintes d'abandon et d'isolement les Européens 
qui venaient chercher du travail dans la colonie, 
Toulut leur préparer, en cas d'échec et de misère, 
m asile pour la vieillesse. Il fonda pour eux, dans 
tme propriété voisine d'Alger, presque au sommet 
de la Bouzaréah, une maison de retraite qu'il 
confia aux Petites Sœurs des pauvres. Les vieil- 
lards y trouvent, avec les soins dévoués de ces 
jblmirables religieuses, le ministère d'un aumô- 
Mer et la jouissance d'une jolie chapelle. Ils se 
fendent avec empressement et confiance au vœu 



320 LE CARDINAL LAVI6ERIE 

délicat qu'exprimait ainsi l'archevêque en ouvrant 
cet asile : 

« Lorsque, brisés par Tâge, par la maladie, par 
le poids du travail, nos colons viendront frapper à 
la demeure hospitalière que leur ouvre, par mes 
mains, la charité catholique, je les recevrai avec 
joie, avec respect, comme on reçoit le guerrier qui 
revient blessé du champ de bataille où il a com-, 
battu pour son pays, w 

Ce qui manque le plus à l'Algérie, c'est, aujou^^ 
d'hui encore, un nombre suffisant de colons. Biei 
exploitée, elle pourrait en nourrir sans peine 
trois fois plus qu'elle n'en possède. Ce besoii 
était bien plus sensible encore lorsque Mgr Lavi-j 
gerie arriva en Afrique. Aussi se préoccupa-t-ilî 
d'y attirer en plus grand nombre les Européens.^ 
et en particulier les Espagnols, qui fournissent 
aux départements d'Oran et d'Alger tant de coloi 
laborieux et chrétiens. 

En 1869, ayant établi pour eux, dans son di( 
cè'se, un service religieux spécial, il leur fit partd( 
cette bonne nouvelle dans une lettre pastorale, 
en prit occasion d'adresser l'appel que voici ai 
Espagnols d'outre-mer : 

(( Le dernier vœu que nous formerons, c'est 
votre prospérité croissante, votre bonne repu tati( 
et aussi le soin paternel que nous prenons, 
Algérie, de tout ce qui touche vos intérêts mal 
riels et religieux décident beaucoup de vos coi 
patriotes à venir chercher ici l'ordre, la paix, ' 
travail qui ne leur manqueront pas. Qu'ils vienne: 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRANCE 3zl 

t milieu de nous, ils y seront accueillis et traités 
)inme vous l'êtes vous-mêmes, par tous comme 
;s frères, et par moi , pour ce qui concerne les inté- ■ 
ils de vos âmes, comme des enfants bien-airaés. » 

Une invitation plus pressante encore fut celle 
u'il adressa aux Alsaciens-Lorrains après la guerre 
3 1870. Son Appel, adressé à tous les députés de 
rance, alors réunis h Bordeaux, fut le point de 
Spart de la loi qui fut votée pour favoriser Vémi- 
ration de ces malheureux compatriotes dans ta 
Jonie algérienne. Il rappelait aux victimes de 
mnexion allemande les liens qui l'unissaien ta eux 
)inme ancien évêque de Nancy; il leur montrait 
ans l'Algérie une France nouvelle, disposée h 
■UT faire le meilleur accueil et comptant sur eux 
OHrdevenir plus prospèreet plus catholique ; illeur 
pprenaitque des sociétés se fondaient, pour leur 
ilir des demeures dont le prix modique ne serait 
as exigible avant que le travail des premières 
nnées leur eût déjà donné une certaine aisance. 

(1 Sous un ciel encore plus doux que le vôtre, 
isait-il, dans un climat qui passionne tous ceux 
ui l'ont connu, vous pourrez former des villages 
niquement composés d'habitants de vos pro- 
inces, et où vous conserverez la langue, les tra- 
itions, la foi du sol natal. Vous y retrouverez, 
ourvous parler et pour vous instruire, desprôtres 
e vos pays, que nous vous donnerons pour p 
curs; vous pourrez donner aux centres créés 
oQs les noms des villes, des bourgs, des villa 
|iii vous sont chers, parce qu'ils sont ceux de 



322 LE CARDINAL LAVIGERIE 

pairie... Venez, nous sommes prêts à vous accuc 
lir comme des frères, à vous faciliter vos premi 
travaux, à vous consoler de vos douleurs. » 

Cet appel fut écouté. Il devait l'être, étant pa 
d'un cœur qu'avaient profondément désolé '. 
humiliations et les déchirements de la patrie. 



II 



La guerre avait été déclarée à la Prusse le 19 jui 
let 1870. Alger, qui n'avait pas alors de télégraph 
ne rapprit que deux jours plus tard. L'archevôqi 
se hâta, par deux lettres successives, d'exhorter s 
diocésains à prier pour la France, et il le fit ( 
termes dignes de sa foi et de son patriotisme. Ma 
ses actes et ceux de son clergé furent plus él< 
quents que tous les écrits. 

Dès l'origine de la guerre, un grand nombre ( 
séminaristes et de prêtres demandèrent à se rendi 
aux frontières en qualité d'aumôniers ou d'infii 
miers, et bientôt tous leurs collègues, sans excej 
tion, sollicitèrent l'honneur de les suivre. L'arch 
vôque fit deux parts égales de ce que réclamaient l 
besoins de l'armée et les besoins de son diocèse, ( 
l'on commençait du reste à prévoir des soulèv 
ments; dans une lettre rendue publique, il offi 
au ministre de la Guerre, pour le service des amb 
lances et pour celui de l'aumônerie, la moitié des 
collaborateurs, et il se chargea de pourvoir k 
môme à leurs traitements. 



LE CARDINAL LAVIGEKIt: ET LA FKANCE: 323 

Mais tel était, en France, le nombre des de- 
mandes semblables, que le gouvernement ne put 
accepter que trois aumôniers algériens. 

Deux d'entre eux se trouvaient aux premières 
batailles. A Wissembourg, M. l'abbé Gille, curé 
de Saint-Eugène, put donner T absolution au géné- 
ral Douai au moment où ce vaillant officier tom- 
'l)ait sous les balles ennemies; il rejoignit ensuite 
l'armée de Mac-Mahon àLunéville. L'abbé Gillard, 
secrétaire de Mgr Lavigerie, fut fait prisonnier sur 
'le champ de bataille de ReichshofFen et conduit en 
Savière ; libéré ensuite, aux termes de la conven- 
tion de Genève, il rejoignit l'armée du Rhin et fut 
Klessé à Sedan. Force lui fut alors de rentrer en 
Afrique. L'archevêque alla en personne le recevoir 
abord du bateau qui le ramenait à Alger, et il le 
kit sur l'heure son vicaire général, aux applaudis- 

iments de tout son clergé. 

Cependant, la guerre, continuée par le gouver- 

lent de la Défense nationale, se prolongeait au 

de toutes prévisions, chaque jour plus terrible 

plus désastreuse. 

Après Sedan, l'archevêque d'Alger ordonna que 

u'à la fin des hostilités il y aurait tous les jours 

cathédrale une messe spéciale pour le succès 

années françaises, et exposition du Saint- 

ment de cinq heures du malin à sept heures 

demie du soir. 11 écrivit à la préfecture que la 

ttrée des séminaires n'aurait pas lieu avant la 

le la guerre, et que les séminaristes, dont plu- 

JTS se trouvaient déjà sous les drapeaux, reste- 



324 LE CARDINAL LAYIGERIE 

raient, suivant leur âge, à la disposition des auto- 
rités compétentes pour la défense commune. 

Les séminaires étant libres jusqu'à la fin des 
hostilités, il les offrait au gouvernement, pour j^ 
établir les ambulances des milices algériennes, 
dans le cas où elles auraient à combattre. Il serai! 
heureux, disait-il, de pouvoir leur servir lui-même 
d'infirmier et de leur procurer tous les soins que 
réclamerait leur état. Il demandait à recevoir dî 
ses orphelinats de Kouba et de Maison-Carrée le 
enfants pauvres des colons et des ouvriers algériei 
qui étaient rappelés sous les armes. Il offrait ei 
les cloches de sa cathédrale, à l'exception d'un^ 
seule, pour fondre des canons, et il encourageaîl 
les fabriques de son diocèse à agir de môme. 

Il écrivait encore au préfet d'Alger : « Je n' 
pas besoin d'ajouter que, dans un cas de révol 
à l'intérieur, qui, je l'espère, ne se réalisera pas, j 
n'hésiterai pas à recommander à tous les pretr 
qui dépendent de moi de s'unir vigoureusement 
leurs paroissiens pour repousser l'ennemi. » i 

A peine la guerre d'Allemagne touchait-elle à 
fin, que les Kabyles profitaient de nos embarras 
Europe pour prendre les armes contre nous^ 
L'Algérie, dépourvue de troupes régulières, pni 
craindre quelque temps un massacre général; mai^ 
le courage des colons, promptement organises e^ 
francs-tireurs et en gardes-mobiles, ne permit paJ 
à la révolte de s'étendre à toute la province, et Far 
mirai de Gueydon, nouvellement nommé gouver-^ 



LE CARDINAL LAVI6ERIË ET LA FHANCE 325 

neur, parvint, malgré le peu de forces dont il 
disposait, à réprimer Tinsurrection en quelques 
semaines par des prodiges de courage et d'habi- 
leté. 

Là encore, comme dans la guerre allemande, on 
put apprécier le patriotisme du clergé algérien à 
son langage et à ses actes. Tous les prôtres se pro- 
posèrent pour accompagner les troupes qui se ren- 
daient au secours des localités assiégées ou me- 
nacées. Le curé de Palestro succomba au milieu de 
ses paroissiens, en combattant avec eux contre les 
omemis du nom chrétien et de la France. L'ar- 
chevêque fit l'éloge de ce vaillant prôtre dans une 
lettre au clergé diocésain, et il présida lui-même 
un service funèbre à son intention dans l'église 
cathédrale. 



III 



Qui s'étonnera, après ce que l'on vient de lire, 
q[ue Mgr Lavigerie ait toujours eu les sympathies 
de l'armée, et qu'il ait entretenu les meilleures 
relations avec nos généraux d'Afrique? 

Vaillant lui-même et vrai tempérament de guer- 
rier, il était fait pour comprendre et aimer les 
héroïques soldats de la conquête algérienne. 

L'année même de son arrivée, en 1867, ilor- 

)imeque l'église de la Cité-Iîugeaud, près d'Al- 
ger, soit dédiée au saint patron du maréchal dont 
le nom a été donné au faubourg. Il veut qu'une 

10 



326 LE CARDINAL LAVIGERIE 

des chapelles renferme un cénotaphe avec le bus! 
du capitaine, et qu'on y fasse régulièrement de 
prières pour les généraux, officiers et soldats dé 
funts de nos armées d'Afrique : « L'Eglise, dit-i] 
remplacera pour eux la patrie, la famille absente. : 
Quatre souvenirs pleins d'intérêt lui ayant ét( 
accordés sur sa demande, par les familles de Yusuf, 
de Pélissier, de Lamoricière, et de Bugeaud, il en 
fait une sorte de trophée religieux et les expose il 
l'admiration des pèlerins dans la belle église de 
Notre-Dame-d'Afrique. Au socle môme qui portai* 
statue de Marie sont attachées les épées du duc d< 
Malakoff et du brave Yusuf, ainsi que le bâtoi 
glorieux de Lamoricière; tout auprès, dans ui 
cadre, on peut vénérer la petite médaille de id 
Sainte Vierge, que Bugeaud a portée sur lui pen- 
dant ses dix-huit campagnes d'Afrique, et qu'on 
a trouvée sur sa poitrine après sa mort chré 
tienne. 

S'il est facile de multiplier les preuves de si 
sympathie pour l'armée, on ne voit pas éclatera 
des manifestations moins nombreuses la sym 
pathie de l'armée à son égard. 

Au moment même des graves difficultés qu iU 
eut à surmonter pour mener à bien Fœuvre das 
orphelins de la famine, le général de Wimpffen,, 
qui commandait la province d'Alger, lui écrivait 
dans les termes suivants : 

« Je ne puis trop vous remercier. Monseigneur^^ 
des services que vous rendez à nos petits malheu- 
reux et à la colonie. Votre œuvre, bien connue», 



LE CARDLXAL LAVIGERIË KT LA FRANCK 'A±l 

doit être soutenue non seulement par lu churito 
publique, mais encore par l'État. » 

Et comme Mgr Lavigerie le foliriiait de la part 
([uî lui revenait dans cette entreprise, il lui répon- 
dait le 25 octobre 1868 : « J'ai eu, Monseigneur, 
ane bonne pensée au sujet des pauvres orphelins 
indigènes; mais il fallaitvotre puissante initiative 
pour créer l'œuvre la plus remarquable peut-tMn» 
de notre époque. Je suis fier de voir que vous 
voulez bien m'y associer. » 

'., Des relations plus cordiales encore ont uni 
Hgr Lavigerie à cet admirable général de Sonis 
qa'un historien digne de lui vient de révéler au 
public français *. Le héros lui écrit de Laghoual, 
le 20 octobre 1868, pour lui témoigner sa recon- 
naissance, lui demander des prières pour sa fa- 
ille, et tt l'assurer qu'il travaillera d(* lout(»s ses 
)rces à ce que Dieu demande de tout chrétien : 
faire connaître, Je faire ainic^r, le faire servir. » 
1878, à l'archevêque qui lui parle de reprcMidn» 
commandement d'une division en Algérie, il 
ipond, de son quartier général de SaintServan, 
qu'il ne pourrait vivre un mois h Alger, à Oran 
à Gonstantine, sans déchaîner les fureurs de la 
ise radicale, à laquelle il serait bientôt sa- 
ifié»; et il ajoute : « Pour moi. Monseigneur, 
aurai toujours le regret de n'avoir pu rien fain^ 
lur témoigner à Votre Grandeur la reconnais- 
icedont je suis pénétré pour elle. Daigne Notre- 

1. Le Géwh^al de Sonis, par Mfçr Baunahd. Paris, l'ous- 
Bigue, 1890. 



328 LE CARDINAL LAVIGERIE 

• 

Seigneur bénir vos œuvres, si dignes de la sym- 
pathie de tout ce qui porte un nom français, si 
combattues par les ennemis de Jésus-Christ, mais 
si assurées de l'admiration de la postérité. » 

Quand il mourut, le cardinal Lavigerie voulut 
que le Bulletin des Missions d* Alger rendît hom- 
mage à sa vaillance, à sa foi, à sa fermeté, à toutes 
ces vertus qui l'ont fait appeler « le Juste » par 1 
Arabes, et qui ont rendu son nom légendai 
jusque sous la tente des nomades. 

Rappelons aussi l'amitié qui unit Mgr Lavigerii 
au général Wolff, à qui fut confiée la divisi 
d'Alger peu de temps après la paix de 1871 
L'archevêque lui attribua l'honneur d'avoir pen 
le premier à fonder l'hôpital des Attafs, et 
raconte qu'ayant objecté le manque de rei 
sources, il reçut du général cette réponse : « No 
avons, depuis quinze ans, dans la caisse de 
division, trente-huit mille francs, résultat d' 
souscription faite lors du voyage de Tempère 
pour la création d'un établissement de bienfaî' 
sance en faveur des indigènes. On n'a jam 
pu arriver à un plan pratique pour l'emploi 
cette somme. Si M. le gouverneur y consent, 
vous donnerai cette somme, et la charité fera 
reste. » Le gouverneur était le général Cha 
Son consentement ne se fit pas attendre. 

Le général Chanzy fut, lui aussi, un des a 
de l'archevêque d'Alger. Leur vie avait été ra 
prochée en Syrie, à Rome, en Afrique, et part< 
ils avaient travaillé ensemble au service de 





LE CARDINAL LAVIGERIK KT LA FRANCK IHi) 

même cause patriotique et religieuse. Pou de jours 
après sa mort, Mgr Lavigerie lui faisait faire un 
service solennel dans sa cathédrale, et il écrivait 
à son coadjuteur : « Je me suis trouvé associé h 
ses joies les plus pures et à ses plus amères dou- 
leurs. Aussi ai-je pu connaître ce ([ue son Ame 
renfermait de sentiments élevés, généreux et, je 
le dis aujourd'hui à sa gloire, vraiment chré- 
tiens. » 

On le voit rendre les mômes honneurs funèbres, 
en 1869, au maréchal Niel, et plus tard au général 
d'Eudeville et à M. de Chabannes, aide-de-cam}) 
du général Wolff. En décembre 1889, Tamiral de 
Saint-Hilaire étant mort à Alger dans une situa- 
lion de fortune qui faisait honneur à son désinté- 
ressement, Mgr Lavigerie lui a fait, à ses frais, 
des funérailles splendides, et il a prononcé à sa 
louange un discours aussi touchant qu'élevé. 

Mais aucune mort ne lui a causé des regrets 
plus vifs et plus intimes que celle de ce grand 
1 amiral de Gueydon, qui mérite certainement la 
première place parmi tant d'hommes éminents 
que l'Algérie a eus pour gouverneurs depuis la 
conquête. 

Un jour que l'amiral lui avait fait part de ses 
convictions personnelles en matière de religion, 
et de ses idées si chrétiennes sur l'avenir de 
l'Afrique, l'archevêque lui demanda amicalement 
pourquoi il ne mettait pas sa pratique tout à fait 
d'accord avec ses théories, pourquoi enfin il n'al- 
lait pas jusqu'au bout : « J'irai, soyez-en sûr, 



330 LE CARDINAL LAVIGERIË 

répondit le gouverneur. Je veux mourir en homme 
(ligne de ce nom et reconnaître, avant de partir, 
que j'ai des comptes à revoir devant celui qui m'a 
mis ici-bas. Si vous êtes près de moi, je vous 
appellerai pour m'y aider... » 

Il mourut en France, à la fin de 1886^ pendant 
que Mgr Lavigerie était à Biskra; mais, s'il ne put] 
l'appeler près de lui à sa dernière heure, il n« 
manqua pas pour cela à sa promesse. Il reçut ave 
piété les sacrements de l'Eglise, et il trouva en- 
suite la force de dicter à sa femme une court 
lettre pour en informer le cardinal. 

Mais le plus éclatant témoignage que l'archi 
vêque d'Alger ait donné de sa sympathie pour n( 
soldats, c'est bien le discours qu'il a pronom 
dans sa cathédrale, en 1875, pour le rétablissement^ 
des aumôniers militaires, sur V armée et la misHcufMk 
de la France en Afrique. Quoique ce discours doi^'*^ 
être reproduit en entier à la fin de ce livre, il con- 
vient de rappeler ici le passage de l'exorde, ci 
après avoir dit que Dieu a choisi l'armée de 
France pour rendre à la vie la lerre illustre àsÊ^ 
ïertullien, des Cyprien et des Augustin, il s'écrie*» /- 

« Ne vous étonnez pas de ces choix de la Prosif?^ 
vidence. Avec Jes apôtres de la vérité, les homin< 
de guerre sont ceux que Dieu associe le plus visi 
blement à son action dans le monde. Aux pre— ^ 
miers il confie les desseins de sa miséricorde, au3 
seconds les arrêts de sa justice, et les uns et \i 
autres sont appelés à payer cet honneur suprêm^ 
d'un môme prix, qui est celui de leur sang. » 



LE CARDINAL LAYIGERIE KT LA FRANCK 331 



IV 



Le cardinal Lavigcric n'a pas trouvé chez tons 
ses compatriotes la mftmc justice que chez les 
représentants de l'armée. On ne s'étonnera pas 
qu'il se soit, par exemple, rencontré dans certains 
journaux d'Algérie ou de la métropole, des 
hommes capables d'outrager celui qu*admiraieni 
les Sonis, les Gueydon, les Chanzy. Mais leurs at- 
taques sont restées si au-dessous de lui qu'il est 
superflu de les discuter. 

Quand on vient dire qu'il cause des embarras 
à la politique française en Afrique, il suffit de ré- 
pondre par le récit de ses œuvres, ou simplement 
par les témoignages de nos rivaux, disant comme 
cette Revue italienne de 1887: « Nous avons hi 
conviction que l'archevôque d'Alger, cardinal La- 
vigerie, est, en Afrique, l'agent de sa patrie qui 
tle plus d'autorité et d'activité, et celui qui rend 
le plus de services * . » 

On lui a reproché aussi de posséder des ri- 
chesses immenses et d'être plusieurs fois million- 
naire. « Cette accusation, dit-il, ne serait pas 
pour me déplaire, car si j'avais ces millions, à 
coup sûr, j'en trouverais aisément l'emploi. » La 

l.«Noiabbiamo il convincemcnto cho rarcivcscovo d'AI- 
gwi, il cardinale Lavigcric, sia il più autorcvole, il più 
•tliYo e il più utile agentc dolla sua patria ncirAfrica » 
{Mletino deWAssociazione nazionale per soccorrcre / Miaaio- 
^dricattoliciitaliani, u» 4. Milano, Cogliali, J887.) 



332 LE CARDINAL LAYIGERIE 

légende a son origine dans l'étendue des terrains 
qu'il a achetés et fait cultiver près d'Alger, aus 
Aitafs et à Carthage; on feint d'ignorer qu'il en a 
légalement fait donation à ses missionnaires et è 
ses orphelins, et qu'il s'est engagé par un écrit 
public envers ceux que scandaliseraient ses ri- 
chesses, « à leur faire donation complète et gra- 
tuite de toutes les propriétés qui lui appartien- 
draient personnellement, soit . en Afrique, soit 
ailleurs » . 

Les diverses œuvres africaines, même après la; 
dotation qu^il leur a faite, doivent compter, an 
jour le jour, sur les secours de la charité catho- 
lique pour plus des trois quarts de leur budget- 
Aussi a-t-il encore pu écrire en parlant de se* 
détracteurs : « Si une donation faite en mon nomi 
ne leur convient pas, je me fais fort d'obtenir do 
la société légale, qui s'est constituée civilement^ 
pour soutenir en Afrique nos œuvres de mission 
ou de charité, et à laquelle j'ai légalement toul 
abandonné, qu'elle remette en pur don tous les 
biens qu'elle tient de moi à quiconque s'engagera* 
sur de valables garanties, à verser chaque années 
en retour, le quart de ce qui est nécessaire aC 
maintien des œuvres de charité et d'apostola' 
dont elle a la charge * . » 

Pourquoi faut-il que de telles insanités aien 
trouvé de l'écho jusque parmi les représentant 
élus de l'Algérie et de la France? 

\, Bulletin des missions d*Algei\ n*» 61, janvier-février 188^ 



LE CARDINAL LAVIGERIb: ET LA FRANCE 333 

Dans un livre qui, par les matières mômes dont 
il traite et d'après la pensée de son auteur, est 
destiné à rapprocher tous les Français dans un 
sentiment de patriotisme, pourquoi est-il néces- 
saire de rappjBler les mesquines tracasseries do 
la Chambre, les injustifiables suppressions de 
traitements, les déclamations anticléricales d'i- 
gnorants députés? Pour traiter à fond la ques- 
tion, il faudrait donner à ce triste chapitre deux 
fois plus d'étendue qu'aux autres. Mais j'aime 
I mieux rester incomplet que de remuer longue- 
ment ces misères ; il en rejaillit toujours quelque 
éclaboussure sur l'honneur national. 

A la fin de 1876, malgré les efforts du gouver- 
nement, la Chambre supprima, au budget des 
cultes, plus de la moitié de ce que le diocèse d'Al- 
ger recevait de l'Etat pour ses œuvres. 

L'archevêque n'osa pas recourir h la charité pu- 
blique, même dans son diocèse. « C'est pour moi, 
disait-il, et comme évoque, et comme Français, 
une insupportable honte que de venir, dans un 
pays comme celui-ci, peuplé de musulmans, d'é- 
trangers, faire publiquement ressortir les plaies 
saignantes que nous recevons de la France. » 11 
confia ses inquiétudes à ses prêtres dans une 
lettre destinée à eux seuls, et dans laquelle, ren- 
dant justice à leur abnégation et h leur patrio- 
tisme, il protestait qu'ils ne méritaient ni l'affront 
ni le dommage qu'on leur infligeait. 

La précaution qu'il avait prise de cacher 
ces mesures vexatoires au public de la colo- 



334 LE CARDINAL LAVIGERIE 

lonie fut rendue inutile, dès l'année suivante, par 
un vote inexcusable du conseil général d'Alger. 
Les politiciens radicaux de cette assemblée sup- 
primèrent, en 1877, les subventions jusque-là ac- 
cordées aux communautés qui étaient chargées 
des œuvres d'intérêt départemental. ^. 

Ces crédits n'étaient pas en eux-mêmes fort 
considérables, mais leur suppression fut entourée 
de circonstances vraiment instructives. Elle eut 
lieu au scrutin public, et il fut constaté que tous les 
membres musulmans du conseil, sans exception, 
avaient voté pour les communautés catholiques, tan- 
dis que les Français se déclaraient contre elles. 

Etait-ce assez de honte pour les colons ? assez 
d'honneur pour les Arabes, et pour les institu- ] 
tions religieuses qui leur avaient inspiré une pa- 
reille confiance ? { 

Au commencement de 1885, les Chambres sup- ■ 
primèrent ou réduisirent à presque rien la plupart | 
des crédits du budget algérien des cultes, et no- | 
tamment les bourses des séminaires. Le cardinal t 
Lavigerie, à peine relevé d'une maladie qui avait - 
failli l'emporter, prit la résolution d'aller mendier 
lui-même en France pour ses prêtres et ses mis- 
sionnaires. 

« Le pain que je demanderai pour eux, écrivit- 
il, sera, du moins, celui de la charité. Il n'aura 
pas l'intolérable amertume que lui donnent, pour 
ceux qui aiment la patrie, les outrages qui leur 
arrivent en retour de leurs sacrifices et de leur dé- 
vouement. )) 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRANCK «')«')5 

Il reprit donc, comme dans sa jeunesse, le bâ- 
ton de quêteur. 
I II parcourut la France, soulevant sur son pas- 

Isage une émotion universelle, faisant tressaillir les 
foules d'indignation et de patriotisme, à Marseille, 
à Lyon, à Paris, à Rouen, à Lille, partout où il se 
présentait. Il lui suffisait de dire ce que faisait 
pour la France le clergé d'Afrique, et de quels ou- 
trages on osait l'abreuver, pour sentir monter de 
tous les cœurs une protestation généreuse, qui, à 
elle seule, réparait déjà le mal accompli. 

n ne faisait pas de politique dans ses harangues, 
il montrait seulement les dommages qu'entraîne- 
rait, pour l'influence de notre pays, la suppression 
d'un clergé français dans l'Afrique du nord, au 
point de vue des populations musulmanes, des 
étrangers qui peuplent l'Algérie, des colons 
français, enfin des nations européennes qui se dis- 
putent aujourd'hui l'empire de l'Afrique inté- 
rieure. 

a Ce sont tant d'intérêts aussi graves, disait-il, 
qui m'ont conduit au milieu de vous. 

« Sentinelle avancée, j'ai voulu, dans la nuit 
(jui déjà nous entoure, faire entendre le cri d'a- 
lanne, avant que la place ne soit tombée. 

a Ce cri douloureux de mon patriotisme, je 
voudrais qu'il fût entendu par ceux-là même qui 
ont voté des mesures si funestes. Ils ne l'ont fait, 
«ans doute, que par erreur. Ils ont cru frapper 
l'Eglise seule dans nos personnes; mais, en réa- 
lité, ils ont surtout frappé la France... 



336 LB CARDINAL LATIGERIE 

(I C'est une nécessité absolue pour elle, dans des 
colonies qui se forment, et où elle n'est représeo- 
trc que par un petit nombre de ses fils, que l'eiis- 
tonce d'un clergé national. Or, elle ne peut raToii 
que si elle le soutient, comme le font, pour leurs 
colonies, toutes les autres nations, même protes- 
tantes. 

« Une question ainsi posée doit être aisément 
résolue. Quelles que soient les passions qui nous 
divisent, je me refuse à croire qu'il se trouve m 
Français qui ne les sacrifie au bien de la France! 

On put croire un moment que cette généreuse 
espérance allait se réaliser. Le gouvernement, in- 
quiet de l'effet produit sur l'opinion par la cam- 
pagne du cardinal, résolut d'y mettre un terme en 
faisant rétablir une partie des crédits supprimés, 
et il obtint du parlement un subside de cent mille 
francs pour les séminaires d'Algérie et de Tunisie. 

Gomme on ne mettait aucune condition à cet 
acte de justice, le cardinal accepta ces ressources 
et cessa d'en appeler à la charité publique. 

Mais cette demi-réparation ne l'empêcha point 
de ^•emplir jusqu'au bout ses devoirs d'évèque el 
de Français. De retour en Afrique, il s'expliqua 
franchement, dans une lettre au clergé tunisien, 
sur la triste situation qui était faite au catholi- 
cisme en France. Cette lettre, qui contribua pour 
une bonne part au réveil momentané de Tespril 
chrétien, eut le don de déplaire souverainement 
au ministre des cultes, M. Goblet; il s'en plaignit 
devant le Sénat en termes qui lui attirèrent de la 



LE CARDL\AL LAVIGERIE ET L.V FRANCE 337 

art de M. Buffet une réponse péremptoire, où il 
it mis au défi de citer dans la lettre incriminée 
un mot, une phrase qai^ directement ou indirec- 
3ment, même en la torturant et en en dénaturant 
î sens, pût être considérée comme une attaque 
ontre le gouvernement de la République. » 

Le cardinal, en effet, disait à ses prêtres : 

« Ce n'est pas pour vous engager à favoriser ou à 
ombattre, dans l'exercice de vos* fonctions sa- 
rées ou dans l'emploi de votre autorité spiri- 
uelle, des intérêts politiques, que je vous parle 
es divisions qui nous désolent. Tout au contraire, 
'est pour vous demander de ne point mêler votre 
ainistère à des questions de cette nature, souvent 
lélicates et difficiles, toujours irritantes. Vous 
l'avez, sur ce point, comme citoyens, qu'à rem- 
ilir les devoirs que vous dicte votre conscience; 
omme prêtres, qu'à recommander à Dieu, dans 
os prières, ceux qui sont chargés, par l'exercice 
lu pouvoir, des intérêts de la patrie, à enseigner 
lUx fidèles qui vous sont confiés, que tout gouver- 
lement régulièrement établi doit être pour eux, 
lans Tordre propre de son action, l'expression et le 
^présentant de la Providence. » 

Mais il ajoutait : 

tt Autant donc nous manquerions à nos devoirs, 
ïïi nous mêlant activement aux querelles des par- 
is, et en justifiant ainsi l'accusation, quelquefois 
)ortée contre nous, de nous en faire les instru- 
ments, autant nous trahirions ces mêmes devoirs, 
si nous ne prenions la défense de la foi, et si nous 



338 LE CARDINAL LAVIGEME 

n'avertissions les fidèles des périls qui la m€ 
nacent. » 

Et, prêchant d'exemple, il rappelait aux cathc 
liques tous les attentats commis publiquemen 
contre la religion, il les avertissait que, si lei 
mêmes sectaires continuaient à tromper le payî 
par leurs artifices, c'en était fait, en France, de la 
liberté chrétienne. 

Il concluait « que les chrétiens fidèles devaieni 
regarder comme un crime la complaisance ou la 
faiblesse qui les porteraient à soutenir de leur in- 
fluence ou de leurs votes, quel que fût d'ailleurt 
leur drapeau politique, les hommes qui manifes- 
teraient l'intention de continuer la persécution 
commencée, ou même qui ne s'engageraient pas 
nettement à la combattre ». 

Les ennemis de la religion, malgré le terrain 
perdu aux élections de 1885, disposaient encore 
de la majorité à la Chambre nouvelle. Ils ne jus- 
tifièrent que trop les craintes exprimées par le 
cardinal. Les membres qu'ils choisirent pour for- 
mer la commission du budget que dirigea M. Wil- 
son supprimèrent, en 1886, le crédit de cent mille 
francs rétabli l'année précédente en faveur des sé- 
minaires algériens et tunisiens. 

Le gouvernement, si peu clérical qu'il fût, com- 
prenait trop bien les intérêts évidents de la France 
pour se prêter de nouveau à pareille folie ; batti 
à la commission du budget, il annonça qu'il sou 
tiendrait contre elle devant la Chambre le crédi 
supprimé. 



LE CARDINAL LAVIGËItlE ET LA PII. 

Une nouvelle discussion allait don* 
le fois de plus on allait agiter publi< 
ilieu des calomnies et des outrages, 
savoir si la France continuerait, 
ajorîté de quelques voix, à donner d 
ent au clergé d'Afrique le peu de re 
t indispensable à son entretien, ou bii 
lit jusqu'à lui refuser le pain nécess 
C'en était trop pour la dignité et le 
s évéques et des prêtres qui consa 
ute une vie de dévouement aux ir 
'aiice ! 

Par une lettre collective et publiqi 
èrent le gouvernement qu'il étai 
'fendre le crédit devant les Chambi 
■■ voulaient plus d'une aumône si 
maient mieux, disaient-ils dans un i 
li trouvera peut-être un jour des 
i aimaient mieux mourir de faim qi 



Voilà donc ce qui attendait le cardii 

son clergé après tant d'années de d 
n a, ces dernières années, supprim 
i S78.000 francs des crédits affectf 
iocèses d'Algérie, c'est-à-dire plus 
e ce qui les aidait à soutenir les œu 
tiles à notre influence dans l'Afrique 

Le cardinal a dû recommencer en 18f 
e quêteur dans les principales ville: 

Le respect et la générosité des cat 



342 LE CARDINAL LAVIGERIE 



Il n'y a pas de suffrage qui tienne, les députés! 
ne sont pas la France, et la preuve, c'est que rien • 
n'est moins rare qu'une Chambre impopulaire. Si ; 
le cardinal Lavigerie s'est vu contrarié et entravé: 
par nos législateurs dans ses œuvres les plus utiles, | 
il a trouvé plus de justice auprès de l'opinion^ 
publique et même auprès du gouvernement. 

Il est aujourd'hui peu de noms, s'il en est, d'aussi^ 
populaires que le sien. Quand il passe dans une ' 
ville, c'est un événement. S'il vient à Paris, il est 
obligé de cacher son adresse pour dérober unpea 
de temps aux multitudes de visiteurs. Doit-il 
prendre la parole en public, l'église ou la salle est 
remplie plus de deux heures d'avance. Bref, lat 
curiosité parisienne laisserait, pour le voir et 
l'entendre, le shah de Perse ou le Grand Prix. Les 
journaux relatent ses moindres démarches, et leB 
feuilles les plus radicales n'osent point parler de 
lui sans respect. Son portrait, la reproduction dt» 
chef-d'œuvre de Donnât, ne se rencontre pas 
seulement dans les presbytères ou chez les per-- 
sonnes « bien pensantes » ; il se trouve danS 
beaucoup de demeures où personne n'a la foi, et il 
n'est pas rare de le trouver accolé, sur une che- 
minée démocratique, à une « vieille barbe » révo- 
lutionnaire. 

Beaucoup ignorent ce qu'est un archevêque ou 



LE CARDINAL LAVIGERIK KT LA FRANCE 343 

un cardinal, qui connaissent et qui aiment le nom 

(le ce cardinal et de cet archevêque. On le prononce 

mal peut-être, on le gratifie instinctivement d'une 

particule noble, dont il n'a que faire; on dit par 

errenor : « le cardinal de Lavigerie » ; mais on 

ajoute sans erreur : a Celui-là, c'est un bon! » 

Après cela, il est vrai, on dit volontiers (ju'il « no 

ressemble pas aux autres », mais tout de même, 

c'est un honneur pour l'Église de France, en ce 

^ temps de préjugés impies, que d'avoir imposé à 

l'admiration populaire son plus célèbre repré- 

lentant. 

Soit qu'ils aient cédé à cette opinion du grand 
nombre» soit plutôt qu'ils aient nécessairement 
coostaté l'importance des services que le cardinal 
Lavigerie rend à l'influence nationale, les repré- 
sentants du gouvernement français Font presque 
toDJours écouté et soutenu, dans la mesure du 
moins où le permettait leur crainte des députés. 11 
ttt plus qu'inutile d'en apporter des preuves pour 
fépoque où les conservateurs étaient au pouvoir; 
ïuds il convient de dire qu'il en a presque toujours 
fié de même pendant ces douze dernières années. 
Les gouverneurs de l'Algérie et les résidents 
tanisiens, bien placés pour comprendre ses 
œuvres, Tout constamment soutenu de toutes leurs 
I forces, et cette année encore, au mois de mai, on 
pouvait voir M. Massicault le seconder de son 
mieux pour rendre plus imposantes les fêtes reli- 
gieuses de Carthage et de Tunis. 
On a vu des ministres des Cultes comme 



341 LE CARDINAL LAVIGERIË 

M. Goblet soutenir contre les commissions budg< 
taires les subsides des séminaires algériens. 

En 1880, à force d'énergie et en faisant valoi 
les services qu'il rendait alors même, en Tunisie, 
la cause française, Mgr Lavigerie parvint, malgr 
des oppositions en apparence insurmontables, ; 
empêcher dans tous les diocèses d'Algérie TappK 
cation des fameux décrets qui dissolvaient lei 
congrégations religieuses. On put même croire m 
moment, après les expulsions du mois de juii 
qu'il obtiendrait aussi pour la France la fin de 
odieuses mesures. Mais si des circonstances ind^ 
pendantes de sa volonté l'ont fait échouer dai 
cette dernière entreprise, il a du moins présen 
de toute expulsion son diocèse et toute sa prdj 
vincc. Les Jésuites eux-mêmes ne furent pas inà 
quiétés à Alger; ils purent y conserver l'entièn 
direction de leur collège de Ben-Aknoun, jus- 
qu'au moment où ils crurent devoir l'abandonné 
spontanément, faute de ressources et de profea 
seurs assez nombreux. 

Le gouvernement français n'a pas omis 
demander à l'archevêque de Carthage et d'Al) 
s'il lui conviendrait d'accepter une haute distini] 
tion dans l'Ordre de la Légion d'honneur, dontj 
est chevalier depuis sa mission de Syrie. Mais ce1 
offre lui ayant été faite au moment où il organisa/ 
l'Eglise tunisienne à travers les oppositions 
colons étrangers, il crut devoir refuser, par patril^ 
tisme même, la récompense de son patriotisiJ'' 

Il n'avait pas les mêmes raisons de refuser] e- 



V 



LE CARDINAL LAVIGERIË ET LA FRANCE 345 

cardinalat. L'éclat de la pourpre romaine devait 
au contraire rejaillir sur les nouvelles Églises de 
rAfrique française et en imposer, par un légitime 
prestige, aux étrangers et aux infidèles. 

Le Pape et le gouvernement français avaient un 
égal désir de lui conférer cet honneur. Le Pape 
surtout tenait à admettre Mgr Lavigerie dans le 
flus haut conseil de l'Église, et il en avait officiel- 
(ment manifesté l'intention dès le commence- 
lentde son pontificat en 1878. Mais le président 
la République était alors M. le maréchal de 
-Mahon... 
L'archevêque d'Alger ne fut promu au cardi- 
lat qu'en 1882, dans le consistoire du 27 mars. 
D en avait été prévenu, huit jours plus tôt, à 
lage, par une dépèche de Mgr Jacobini. Ce 
A à Carthage aussi qu'il voulut recevoir l'envoyé 
itifical qui lui portait la calotte cardinalice. 
Cette cérémonie eut lieu dans la grande salle du 
laire Saint-Louis en présence de plusieurs 
rêques et d'un grand nombre de prêtres algériens, 
M. Gambon, ministre de France h Tunis, du 
léral en chef, de l'amiral, des officiers supe- 
rs de l'armée et de la marine françaises, des 
îuls étrangers, des ministres tunisiens et des 
icipaux membres de la colonie, Arabes ou Eu- 
Sens. 
Ce fut le consul d'Angleterre qui félicita le nou- 
lu prince de l'Église au nom du corps diploma- 
te, et le comte Cecchini, garde-noble, qui lui 
Lsmit les compliments du Pape. 



346 L\ù CARDINAL LAVIGERIK 

Le cardinal répondit que sa personne n'était 
pour rien dans cet honneur, mais que Léon XIII 
avait voulu glorifier en lui l'ancienne Église d'A- 
frique. En fùt-il autrement, ajoutait-il, il ne 
pouvait qu'être confus de ces faveurs en les rece- 
vant à une telle place, sur ces ruines de Carthagè ^ 
où tout parlait des grandeurs humaines et aussi j 
de leur vanité. Des souvenirs puniques et romains 
« il ne restait rien, pas môme une apparence, et il 
fallait fouiller sous les sillons du laboureur pour 
savoir que Carthage avait existé en ces lieux ».! 
Parlant ensuite des gloires chrétiennes de Car- 
thage, il s'humiliait devant les noms de Tertul- ! 
lien, de Cyprien, de Fulgence, d'Augustin, et ill 
prenait la solennelle résolution de consacrer le reste 
de sa vie à rétablir la foi et le culte chrétien suri 
cette terre sanctifiée et illustrée par de si grands ' 
hommes. 

Aussitôt après la réception de la calotte, le car- 
dinal se rendit à Tunis dans un train spécial, avec 
les principaux invités pour assister au Te Deum 
qui devait être chanté, à six heures, dans la 
cathédrale provisoire. 

Quand il parut à la gare de Tunis, la foule éclata 
en applaudissements et en cris répétés de : a Vive 
rÉglise ! Vive le cardinal ! Vive la France ! » L'em- 
pressement des Maltais alla jusqu'à dételer sa voi-^ 
ture, et à le conduire, malgré lui, en triomphe, au 
milieu d'acclamations enthousiastes. 

Le nouveau cardinal prit ensuite le chemin Ao 
l'Europe, et le 20 mai, il prêtait le serment habi- 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRA.NGE 347 

l de fidélité au Saint-Siège dans Ja chapelle de 
chevêche de Paiis, entre les mains du cardinal 
ibert, auquel le liait une ancienne et forte 
itié. 

^e lendemain il recevait la barrette rouge au 
ais de l'Elysée. 

1 s'appliqua, dans son discours au président de 
République, à le remercier d'avoir témoigné, 
sa personne, toute la bienveillance du gouver- 
nt français pour les missionnaires, et il fit le 
s magnifique éloge du dévouement de ces 
nts prêtres aux intérêts de leur patrie : 
c Je voudrais pouvoir, dit-il, étendre sur eux le 
nteau d'honneur qui vient de me couvrir. Ils 
nt naérité mieux que moi. Plusieurs, qui 
étaient plus chers, puisqu'ils étaient mes fils, 
Qt teint par avance, dans les profondeurs de 
tre Afrique, avec la pourpre de leur sang ! » 
Le chef de l'Etat, dans sa réponse, loua égale- 
tïit le patriotisme des missionnaires, et termina 
disant que nul ne les pouvait représenter 
eux que l'archevêque de Garthage et d'Alger. 
e me félicite, ajouta-t-il. Monsieur le Cardinal, 
ivoir à vous remettre cet insigne d'une dignité 
i est le juste prix des mérites et des vertus qui 
us décorent, ainsi que des précieux services que 
us rendez à notre pays. » 

Le cardinal Lavigerie alla ensuite à Rome rece- 
'ir des mains du Pape le chapeau de cardinal, 
ins le consistoire du 3 juillet, et prendre posses- 
oû de son titre à l'église de Sainte-Agnès-hors- 



348 LE CARD15AL LAVIGERIE 

les-Murs. Il annonça publiquement, dans celi 
dernière cérémonie, son dessein de rétablir l 
diocèse de Carthage. L'allocution qu'il y prononça 
se terminait par ces paroles : a Que les prièr\^^ 
faites dans l'église d'Agnès obtiennent au premii 
cardinal africain la grâce de relever l'Église <l 
Cyprien. de Félicité et de Perpétue ! » 

Quelques jours après, le 10 juillet, D débarquaii 
à Malte. 

Il y venait visiter et baptiser les jeunes nègn- 
que SOS missionnaires ont rachetés de l'esclavag' 
et qu'ils y forment à la science et à la vertu pour 
les envoyer plus tard convertir et civiliser leur 
frères de l'Afrique centrale. 

Un témoin oculaire a raconté l'accueil enthou- 
siaste qui lui fut fait à La Valette par la popula- 
tion tout entière. 

Les cent cinquante mille habitants de l'île étaient 
venus ensemble au port et dans les rues avant Tai 
rivée du bateau. L'évèque, à la tête de tout son 
clergé, attendait le cardinal, qu'un flot de peiipl* 
saisit, quand il toucha la terre, et porta presqu** 
jusqu'à la voiture épiscopale. A peine celle-in 
s'était-elle mise en route, que, malgré tous te 
ordres contraires, elle était dételée. Le peuple b 
traîna à travers la ville brillamment pavoisée ad 
couleurs pontificales, maltaises, anglaises et frâ& 
çaises. Autour de la voiture flottaient les même^ 
étendards, tandis que des fenêtres tombait un \én 
table déluge de fleurs et que la foule mêlait as 
son des cloches de toutes les églises ses acclama- 



LE CARDINAL LAVIGERIE ET LA FRANCE 349 

ions répétées de : « Vive le Pape ! Vive la France ! 
STive le Cardinal bienfaiteur des Maltais ! » Pas 
ane tête qui ne se courbât sur le passage du cor- 
tège. Les troupes anglaises présentaient les armes, 
quand la voiture épiscopale passait devant leurs 
postes,et sur la place Royale leur musique entonna 
le God save the Queen comme pour une fête natio- 
aale. 

Le soir toute la ville fut illuminée, et le cardinal 
étant sorti pour remercier les habitants, vit se 
renouveler tout l'enthousiasme du matin. Le len- 
demain, on lisait, à la suite du récit de ces faits, 
dans le MaltaNews, journal anglais et protestant : 
« Nous voulons exprimer les -vœux sincères de 
notre cœur en nous écriant : Longue vie au très 
bon, très grand, très éminent prélat, à l'illustre 
cardinal Lavigerie. » 

Des manifestations non moins éclatantes sa- 
luèrent le cardinal au moment de son départ, 
et les habitants de Malte raccompagnèrent de 
longs vivats, quand il lui fallut quitter cette île 
si chrétienne. Des barques nombreuses le sui- 
virent jusqu'en pleine mer, chargées de mu- 
siciens qui jouaient l'air de Pic IX et la Marseil- 
kise. 

Mgr Lavigerie ne s'arrêta pas à Tunis, qui avait 
' 4éjà vu les premières fêtes de son cardinalat. Il 
avait hâte de revenir dans son diocèse d'Alger. 
L'accueil que lui fit sa ville épiscopale fut aussi 
plein d'émotion et d'enthousiasme. Mais hélas ! il 
put s'apercevoir qu'il rentrait sur la terre frr.n- 

10* 



350 LE CARDINAL LAYIGERIE 

çaise. Les processions étant interdites par le con- 
seil municipal d'Alger, il refusa la réception 
solennelle que voulaient lui faire les autorités 
administratives et militaires ; il ne lui convenait 
pas d'accepter des hommages auxquels ne devait 
se mêler aucun signe de religion, et d'être honoré 
publiquement où Dieu ne pouvait pas l'être. 

Il monta donc en voiture en débarquant, et se 
rendit à la cathédrale à travers les rangs d'une 
foule respectueuse. Lorsqu'il arriva devant la 
place de l'église, les acclamations éclatèrent de 
toutes parts, et ce fut un long cri de : « Yive le 
cardinal!» Mgr Dusserre, son coadjuteur, en le 
recevant dans la cathédrale au milieu du clergé et 
d'une assistance compacte, lui exprima en termes 
délicats et élevés, la joie, la fierté, l'admiration 
de toute l'Église africaine. 

Des réceptions non moins touchantes l'atten- 
daient quelques jours plus tard à Notre-Dame- 
d'Afrique et chez ses chers novices de Maison- 
Carrée. Ces fêtes se terminèrent le 2S septembre 
au grand séminaire de Kouba, par une démons- 
tration plus remarquable encore. Le clergé entier 
du diocèse s'y était réuni pour offrir à son arche- 
vêque une cappa magna cardinalice et une magni- 
fique étole pastorale, qui lui furent présentées par 
le curé de la cathédrale d'Alger, M. Soubrier, au- 
jourd'hui évêque d'Oran. 

Le cardinal revêtit immédiatement ces insignes, 
et, avant d'aller chanter le Te Deum à la chapelle, 
il répondit par une allocution improvisée à l'a— 



LE CARDINAL L.\Vir.t:iUK KT LA FHANCK 351 

dresse de ses prêtres. Nous ne rapporterons pas les 
affectueux remcrcicmenls qu'il leur lit, mais ce ne 
sera point mal terminer ce chapitre, que de rap- 
peler en quels termes il leur communiquait ses 
patriotiques inquiétudes au sujet des tendances 
irréligieuses qui se manifestaient en France. 

Après avoir félicité son clergé de ne s'être 
jamais mêlé en rien aux compétitions des partis, 
et de s'être toujours tenu également loin des p?*ovo- 
cations et des lâchetés, il ajoutait : 

« Pour moi, je suis d'un œil attristé le tort, 
peut-être irréparable, que l'écho de tant d'excita- 
tions impies cause, au dehors, à notre intluence. 
C'est encore plus comme Français que comme 
évêque qu'un tel spectacle me désole... Je connais 
à fond ce dont je parle, et je vois avec douleur 
notre influence menacée sur tous les points du 
bassin de la Méditerranée, où elle était surtout 
due au protectorat séculaire que nous exercions 
vis-à-vis de tous les chrétiens. 

« Encore quelques coups du genre de ceux que 
réclament, parmi nous, avec une fureur aveugle, 
les ennemis de toute religion et du nom môme de 
Dieu, et notre autorité disparaîtra. Ah ! si je pou- 
vais me faire entendre de ceux qui poursuivent 
cette guerre impie, je leur demanderais pitié, non 
pas pour la religion et la liberté des âmes, puis- 
qu'ils s'en déclarent les ennemis, mais pour la 
France dont ils sont les fils ! Qu'ils en croient un 
vieil évêque qui a passé sa vie a la servir. En la 
séparant de l'Eglise, ils perdront dans le monde 



352 LE CARDINAL LAVIGERIE 

entier leur principale force et leur premier h 
neur. Que, du moins, avant de consommer i 
aussi funeste mesure, ils interrogent tous c< 
qui ont représenté notre pays au dehors, qu'ils 
terrogent les chefs honorés de notre marine ! 
sauront comment on se sert de leurs attaques 
qui se prépare à recueillir notre héritage. » 



CHAPITRE X 



LE CARDINAL 



?^otre but, dans ce livre, a été de faire connaître 
3 œuvres du cardinal Lavigerie telles que nous 
'ons pu les connaître nous-même d'après les 
>cuments, d'après des témoins bien informés et 
js propres voyages. 

Ce que nous avons appris et ce que nous avons 
1, nous avons voulu le dire, autant qu'il était 
>ssible, en essayant simplement d'être vrai, et 
ins y ajouter d'appréciation personnelle. 
Ce principe de discrétion a-t-il été appliqué dans 
ne mesure suffisante? L'auteur le voudrait, du 
teins. C'est pour s'y montrer fidèle qu'il renonce 
l'idée de faire ici une étude critique sur Mgr La- 
igerie écrivain. Il indiquera seulement ce que le 
ardinal a publié, et, pour permettre aux lecteurs 
e se faire à eux-mêmes leur opinion, il citera en 
ntier l'un de ses discours, celui qui a pour sujet 
armée et la mission de la France en Afriqm 



Le cardinal Lavigerie n'est pas seule 



354 LE CARDINAL LAVIGERIE 

rhomme d'action que chacun sait. C'est aussi un 
lettré et un savant. Il a reçu en Sorbonne les titres 
de docteur es lettres et de docteur en théologie, et 
à Rome les titres de docteur en droit canonique et 
en droit civil. 

Avant d'être absorbé par ses travaux aposto- 
liques, il a publié plusieurs ouvrages. Licencié es 
lettres, il édite des auteurs grecs et latins, des 
cours de versions et de thèmes grecs, un diction- 
naire grec-français, une Histoire sainte et une His- 
toire de l'Eglise abrégées. Docteur es lettres à l'âge 
de vingt-cinq ans, il donne au public sa thèse 
française sur V École chrétienne d^Édesse, et sa thèse 
latine sur l'historien Hêgésippe. 

Professeur de littérature latine à l'Ecole des 
Carmes, il se familiarise de telle sorte avec les 
écrivains de Rome que, cette année encore, S 
soixante-cinq ans, il dictait en latin classique l€ 
lettre de convocation et les autres documents rela- 
tifs au concile de Carthage, et cela en se promenaai 
de long en large dans son cabinet de travail, sans 
chercher les formules de sa pensée plus de temps 
qu'il n'en fallait à ses secrétaires pour les écrire.. 

Professeur d'histoire ecclésiastique à la Sor-: 
bonne, il renouvelle, sous le double rapport de la, 
science et de l'intérêt, les questions qui font l'ob- 
jet de son cours, comme il est facile de s'en con- 
vaincre en lisant ce qui en a été publié dans ses 
Leçons sur le Jansénisme, 

Malgré la réelle valeur de ces premiers travaux, 



LE CARDINAL LAVltiERIË ÉCRIVALN 355 

B n'est point là que Mgr Lavigcric a le mieux dé- 
loyé ses talents d'écrivain. Les publications rela- 
Lves à ses œuvres, ce qu'il lui a fallu dire ou 
îcrire au jour le jour comme missionnaire et 
:omme évoque, voilà où se montrent vraiment la 
rigueur et l'étendue de sa pensée, la netteté et la 
;)ureté classiques de son stylo. 

Mais c'est surtout la nature môme des matières 
traitées qui intéresse le lecteur dans ses mande- 
ments, dans ses lettres, dans ses rapports, dans ses 
discours et allocutions. 

Qu'il raconte sa mission de Syrie ; qu'à propos 
de ses orphelins arabes il fasse appel à la pitié des 
chrétiens de France ou à la justice du gouverne- 
ment algérien; qu'il prononce l'éloge funèbre de 
Pie IX, ou celui de nos généraux; qu'il expose la 
mission de la France et de son armée en Afrique ; 
que, dans sa première lettre d'archevêque, il entre- 
tienne ses diocésains du passé, du présent et de 
l'avenir de l'Algérie ; qu'il émeuve les capitales de 
l'Europe sur le sort des esclaves noirs, ou que, au 
iHoment de relever le siège de saint Cyprien, il 
Retrace, à la manière de Bossuet, les étonnantes 
destinées de cette Carthage qu'il a fait sortir une 
Quatrième fois de ses ruines : tout ce qu'il dit touche 
aux grands événements de ce siècle, et tout prend 
l'importance d'un document historique. 

Quelquefois, mais comme à ses heures de loisir 
ît pour se rappeler qu'il a occupé une chaire d'his- 
oire en Sorbonne, il revient à l'érudition. Qu'on 
ise, dans ses Œuvres choisies, ses études sur saint 



356 LE CARDINAL LAVIGERIË 

Martin, sur Saint-Louis de Carthage, sur Sainte- 
Anne de Jérusalem, sa lettre sur la Mission du 
Sahara, et celle qu'il écrit au secrétaire perpétuel 
de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres sur 
l'utilité d'une mission archéologique à Carthage. 
Il faut signaler encore à tous ceux qu'intéresse 
l'avenir de l'Afrique ses lettres aux directeurs de 
la Propagation de la foi sur les Missions de l'Equa- 
teur, sa circulaire relative au baptême des infidèles 
et à la question du prosélytisme en pays arabe, la 
plupart de ses mandements au clergé ou aux fidèles 
des diocèses d'Alger et de Carthage. 

L'importance de ce qu'a écrit le cardinal Lavi- 
gerie et la manière dont il l'a écrit (on jugera de 
son style d'après le discours cité en appendice), ont 
fait penser à lui plus d'une fois pour l'Académie 
française. 

Les uns ont dit qu'il avait refusé d'en faire par- 
tie, les autres qu'il avait posé sa candidature. Il 
n'est pas vrai qu'il ait jamais fait la moindre dé- 
marche pour entrer à l'Institut; mais nous ne 
voyons pas, quant à nous, pourquoi il refuserail 
toujours, s'il lui était offert, un honneur qui rejaili 
lirait sur ses œuvres et sur l'Église. 

Tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a ét^ 
invité, en 1884, par le secrétaire perpétuel de l'Aca^ 
demie des Inscriptions et Belles-Lettres à poser s8 
candidature dans cette section de l'Institut, e 
qu'il a répondu à cette démarche par la lettre sui 
vante : 



LE CARDINAL LAVIGERIE ÉCRIVAIN 3o7 

« Monsieur ie Secrétaire Perpétuel, 

(i Par suite de la grave maladie dont je relève à 
peine, je n'ai pu répondre que par un télégramma 
à la communication bienveillante qui m'était faite 
f» votre nom. 

Je veux aujourd'hui suppléer au laconisme 
forcé de cette première réponse, et exprimer du 
moins ma reconnaissance à ceux des membres de 
folre Académie qui avaient pris avec vous l'ini- 
liative de ma candidature. 

Je veux surtout vous donner l'explication 
l'une réserve qui a peut-être eu lieu de vous sur- 
prendre. 

' « Je comprends la règle qui fait une obligation 
îux candidats de solliciter directement les suf- 
'agcs de l'Académie. Il est juste qu'ils montrent 
linsi le haut prix qu'ils y attachent. 
« Mais deux raisons personnelles m'ont fait re- 
|tuler devant cette démarche. 

La première est l'absence des titres qui 
issent pu lajustifier. Je n'en ai guère d'autres, en 
tffpt, que ma bonne volonté, et la bonne volonté, 
)rsqu'il s'agit de science et de résultats acquis, 
it une recommandation insuffisante. 

La seconde raison est d'un ordre plus délicat 
fncore. Au fond, je ne suis qu'un missionnaire; 
mes autres titres ne valent que par celui-là. Or, 
si un missionnaire doit tout recevoir, puisqu'il 
manque de tout, il est des choses qu'il ne doit pas 
solliciter. 



358 LE CARDINAL LAVI6ERIE 

« Pour faire une brèche dans la barbarie, j'ai d 
m'enlourer d'une légion d'apôtres. Dans la lut 
engagée dans l'intérieur de notre Afrique, on; 
d'entre eux ont déjà versé leur sang, d'autres o: 
succombé à la fatigue et à la maladie. Que dirai 
on de moi, si, pendant que les miens ne cherche 
que les palmes du martyre, on me voyait brigu 
les palmes de l'Institut? 

« Un tel rapprochement est condamné par s< 
expression môme. 

« Si donc j'avais cédé à la tentation, séduisari 
d'ailleurs, qui s'offrait à moi, au fond, j'aurais i 
en rougir. 

« Il y a vraiment là incompatibilité, et il faut l 
laisser dans ma Barbarie. 

a Mais si je ne puis aller à l'honneur, je sei 
toujours heureux d'être à la peine et de réponc 
à votre appel, lorsque nous pourrons, mes m 
sionnaires et moi, servir avec vous la science 
notre pays. » 



3:«;oo 



CONCLUSION 



Le cardina] Lavigeric a dit : 

« Ceux qui abandonnent la religion, ceux qui la 
nattent, ceux qui nous fuient, pour la plupart 
nous connaissent pas. Ils se font, de nous et de 

)tre foi, des fantômes dont ils s'effraient comme 

plaisir, tandis qu'ils nous suivraient, s'ils con- 
isaient la vérité. Us nous croient ennemis de 
raison, et nous défendons ses droits; de la 
ice, et nous la regardons, avec la foi, comme 
gloire la plus pure de l'humanité ; de la patrie, 
nous sommes prêts à nous sacrifier pour elle. » 

En racontant les œuvres du grand évoque qui, 
quarante années de féconds et glorieux la- 
;, s'est acquis le droit de tenir un tel langage, 

jse ce petit livre démontrer, pour son humble 
t, qu'en effet u ceux qui nous fuient ne nous 
laissent pas » I 

Avec l'éminent cardinal de TÉglise africaine, 
;, jeunes recrues du clergé de France, nous 

^testons contre l'injustice de ceux qui en sont 
>re à nous représenter comme les ennemis de 

^science, de notre temps et de la patrie. 

Meaux. Écolo Saint-Étionno, 4 novembre 1890. 



» <»t^PCM 



APPENDICE 









L'ARMÉE ET U MISSION DE U FRANCE 

EN AFRIQUE 
DISCOURS 

PRONONCÉ PAR Mgr LAVIGERIE 

DANS LA CATHÉDRALE D*ALGER 

LE 25 AVRIL 1875 

}>OUR L*1NAUGURATI0N DU SERTICB RELIGIEUX DANS L* ARMÉE D*AFRIQUS 



11 



l'iEMiE ET LA IDSSIOÏ DE LA PEASCE 

EN AFRIQUE 



Eeee ego aperinm IshihIo. 
teûtis quia tgo Dominut loc 

J'ouvrirai ïotre tombe, n 
ra|)polloru & la vie ; mais v 
bliBrrapasquBceslnioi.vo 
qui Iw ïooln. et q»c vq« 



Messieurs, 

C'esit aiDSi que Dieu parlait, par ses prophètes, aux 
wfs courbés sous le joug (les rois superbes de Baby- 
loce; c'est ainsi qu'il parle aux descendaDts des an- 
iiques races arricaines, ensevelies depuis de longs 
I dans les ténèbres de la barbarie et de la mort. 
El, de même que, pour arracher son peuple à la ser- 
%(ie, il choisissait une armée, l'armée de Cyrus; 
Je même, pour rendre à la vie la terre illustre des 
lertullien, des Cyprien, des Augustin, de tant de 
grands hommes, il a choisi une armée, l'armée de la 
France. 
Ne vous étonnez pas de ces choix de la Providence. 

Avec les apâlres de la vérité, les hommes de guerre 




364 APPENDICE 

sont ceux que Dieu associe le plus visiblement â. s< 

action dans le monde. Aux premiers, il confie les de 

seins de sa miséricorde, aux seconds, les arrêts de 

justice; et les uns et les autres sont appelés à pay 

cet honneur suprême d'un même prix, qui est celui i 

leur sang. 

Si donc il n'est rien de plus digne de l'exécration d 

■^ . hommes que les passions qui allument la guerre et l 

^^ malheurs qui la suivent, il n'est pas de spectacle pli 

b.'? auguste que celui des conseils éternels, par lesque 

^^ Dieu, respectant la liberté que nous tenons de li 

'77;; conduit nos luttes et leurs crimes mêmes au poii 

^r^ précis qu'a marqué sa sagesse. Soit qu'il veuille fondi 

*=i les empires et enchaîner les peuples à leur fortun 

•Sn soit qu'il châtie des races coupables et leur fas! 

çj> expier par la ruine l'obstination de leur décadenci 

'SS soit qu'il retrempe leur vigueur dans les épreuves i 

i_ dans le sang, la guerre est l'instrument redoutable d 

sa Providence, et la terre des champs de bataille es 

^"ll cette terre mystérieuse dont parlent nos Saints Livre! 

(■'>^ où sa main écrit les noms des peuples qu'il appelle ■ 

ïj~i la vie et les noms de ceux qu'il a voués à la mort ' I 

'Z^ Vous ne le nierez pas, sans nier votre gloire, vouS 

tVy dont la voix des siècles a résumé l'histoire dans cell 

^^^ j parole magnifique : les Actes de Dieu par les Frants 

Tx:!. Sans doute, les conseils d'en haut échappent sou 

venta nos faibles regards. Ne pouvant percer les pro 

fondeurs de l'avenir, nous ne saurions juger toujour 

de la portée des coups du présent. Hais il est cepen 

dant des caractères où il est impossible à l'homme di 

méconnaître l'esprit et la main de Dieu. 

Lorsqu'une nation s'arme pour servir les grande) 

1. Rocedentcs a to in torra sci'ibentur. Jhkem., xvu, IS. 



t.BSÉE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 365 
ii^es de l'humanité et de la justice ; lorsqu'elle porte 
m elle la lumière et le nom de Jésus-Christ jusque 
lans les régions barbaresjlorsque, dans le sentiment 
ilfïé du devoir, elle s'impose le sacrifice de ses Irésors 
Aii son sang pour arracher un peuple à la mort; 
iurîqu'elle souffle sur ses ossements arides et que peu 
peu elle leur rend la vie, il faut proclamer, dans une 
Eiénéreuse entreprise, une action supérieure à celle 
l'homme, et confesser, avec le Prophète, que c'est 
eu même qui inspire ces courages désintéressés et 
jpelle du tombeau ces autres Lazares. 

traits, qui ne reconnaîtrait l'histoire de notre 
inquéte africaine, et si jamais la France a reçu une 
on d'en haut, quand fut-elle plus évidente? J'en 
,e partout, ici, la marque assurée : dans les 
liu^es, dans les premiers pas, dans les progrès, dans 
obstacles, dans la valeur des chefs, dans la pa- 
Mce des soldats, dans la persévérance et le dévoue- 
ment de tous, dans ce qui est fait déjà, et dans ce que 
ivenir réserve à cet immense continent dont vous 
MI ouvert les portes; en sorte que faire cette his- 
luire, c'est moins encore parler de vous, que cons- 
tor, à chacune de ses pages, la main de Dieu qui 
tous guidait. El voilà pourquoi j'ai pensé ne pouvoir 
mieux célébrer, aujourd'hui, le rétablissement du 
tulle chrétien dans l'armée française, en Afrique, 
qu'en rappelant, en présence de ces autels, ce que 
'"US avez fait pour répondre à la mission providen- 
lielle dont Dieu aconfié la préparation k votre valeur. 
Seigneur, soyez béni de ce que je vais placer au- 
jourd'hui le nom de la France à cûté du vôtre, et de 
toque je le fais avec justice, puisque, pour préparer 
CCS jours dont nous voyons déjà l'aurore, vous 
mprunté son bras et son cœur! Soyez béni de ce que 




la mission fiu'elle a reçue de vous peut devenir, $ 
elle le veul, un gage de votre miséricorde, et de c 
qu'au milieu même de ses douleurs, elle trouve, su 
ces lointains rivages, dans le souvenir des actes d 
ses Ois, une moisson de gloire ! 

I 

Le XVI" siècle commençait, lorsque, sur les débri 
des principautés arabes de l'Afrique du Nord, s'élev. 
une puissance nouvelle, qui devint bientôt la terreu 
du monde chrétien. 

Deux pirates, dont la légende populaire a immor 
Usé le nom, les Barberousse, établissent à Alger, pa 
la trahison et par le meurtre, un royaume qui restera 
jusqu'à lu Tm, digne d'une telle origine. Sans foi, san 
pitié, unissant h la plus audacieuse bravoure le géni' 
du pillage, ils forment autour d'eux cette terribi 
milice, composée de Turcs récemment arrivés en EU' 
rope du fond de la Tarlarie, et de renégats chrélieni 
ramassés, pour une vie de brigandage et de dëbau 
ches, sur toutes les cales de la Méditerranée. Le pre 
mier soin de ces hordes barbares est de dompter le: 
Arabes el de noyer dans le sang toute pensée de résis 
tance; puis, maîtres absolus de la terre, ils se tour 
nent triomphants vers la mer, el pendant trois cent 
ans ils courent à la curée du monde. 

Durant ces tristes siâclfis, aucun navigateur chrétiei 
ne peut être certain, un seul jour, ni de sa vie, ni d< 
son honneur! A chaque moment, des extrémités dt 
l'horizon, du milieu des rochers, il peut voir s'élancci 
d'audacieux pirates, qui, poussant des cris inconnu! 
cl le menaçant de leurs armes, lui enlèvent d'un seu 
'oup ses biens et sa liberté. Chaque nuit, les villes 



LARMÉE ET LA KISSION DE LA FRANCK EN AFHIOUE 367 

les villages, placés à la portée d'une incursion de ces 
sauvajîes agresseurs, peuvent voir leurs portes ren- 
versées, leurs maisons envahies et leurs habitants 
massacrés ou entraînés par la violence. Vainement la 
crainte universelle a-t-elle multiplié les défenses; 
Tainemeat a-t-on établi, sur les côtes de l'Italie, de 
l'Espagne, de la Provence, des îles delà Méditerranée, 
ces hautes tours que nous voyons encore debout 
comme un lugubre témoignage de tant d'abominables 
r'ntreprises : la ruse, l'audace, la persévérance triom- 
phent de tout, et, chaque année, des milliers de vic- 
llmes viennent grossir la troupe infortunée qui gémit 
dans les bagnes algériens. 

Là, vendus comme un vil bétail, livrés à des maîtres 
avides, qui les torturent souvent jusqu'à la mort, pour 
les forcer au travail que refuse leur faiblesse, pour les 
contraindre à l'apostasie, ou pour les soumettre à 
d'infâmes exigences, ils ne trouvent d'autre adoucis- 
sement à leurs maux que le dévouement de ces Reli- 
gieux intrépides voués au rachat, ou, pour le dire 
dun mot que l'admiration des siècles a consacré, à. la 
Rédemption des captifs. 

Ceux d'entre vous, bien rares désormais, qui sont, 
m Algérie, les contemporains de la conquête, savent 
ce que je dis. Ils ont vu les dernières victimes de ces 
supplices. Ils ont vu les instruments qui les livraient à 
la mort, les crocs de fer qui garnissaient les remparts, 
cl sur les pointes desquels on jetait les esclaves, pour 
les laisser mourir de douleur, de soif et de faim aux 
rayons ardents du soleil. Ils ont vu les humides ca- 
vernes, où ils agonisaient lentement, privés d'air et de 
lumière. Ils ont entendu l'horrible histoire des cent 
ih Français, tombés, h la veille même de notre expé- 
dition, entre les mains de ces barbares, et dont les- 






1 

i'if 



368 APPENDICE 

cent dix tôles, empilées dans des sacs immonclef 
furent livrées par le Dey Hassein aux outrages de 1 
multitude. 

A de semblables récits saus cesse renouvelés, l'Eu 

rope se soulevait de douleur et de rage. Les prince 

rougissaient du sanglant tribut payé à la barbarie 

Les plus puissants, Charles-Quint, Louis XIV, avaier 

tenté vainement de l'anéantir. 

Ui Fiers de tenir en échec les maîtres du monde, dé 

^■: fendus par des cAtes inhospitalières, appuyés sur le 

r^S barbares populations de l'Afrique, enrichis par leur 

-^ pillages, les pirates se proclamaient et se croyaien 

_ invincibles. « Les eaux l'environnent, la mer est \i 

t^- « source de ses richesses, les flots sont ses forteresse s 

^xÙ. « l'Afrique et la Libye ses auxiliaires ', » Ainsi par 

^_j laient autrefois d'Alexandrie les peuples de l'Orient 

■^3 ainsi parlaient d'Alger les peuples de l'Europe, déses- 

, pérant de le jamais vaincre, et, pour échapper à ses 

C:^ corsaires, se résignant, l'un après l'autre, à achetei 

:-— honteusement à prix d'or une paix chaque jour violée, 

-^^ Dieu cependant a déjà choisi le bras auquel il va 

i^~ confier sa vengeance. Mais la France ne s'y portera 

:r^ pas d'elle-même. 11 faut, si je l'ose dire, qu'on l'aille 

^^ chercher, et que des coups répétés triomphent de sa 

longue résistance. 
^^ C'est d'abord l'acte insensé par lequel le Dey d'Alger 

' — inflige à notre représentant le dernier des outrages , et 

lui déclare, par surcroît, n'avoir nul souci ni de son 
roi ni de sa nation. C'est la destruction violente de 
notre commerce et de nos comptoirs dans la Régence. 
11 semble que cela doive suffire pour nous précipiter 

1. Aleiandria populorum ; aquœ in circuitu ejus : cujus diviiiio, 
.re : aquce mûri ejus... Africa et Libyes in auiilio suo. Naiium, 



mitE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 36 

W ces barbares ; et cela surfit, en effet, dans les con 
Mis du Souverain, où un soldat et un prêtre font pai 
iiffif à ceux qui les entourent l'émotion de leur foi ( 
'i( leur vieil honneur. Je les nommerai tous deux, ca 
ii-ûQt droit ila reconnaissance de l'Algérie. Le soldt 
tiail un Clermont-Tonnerre, que sa noble devise ' ai 
liirisailà relever la tète devant l'injure, alors mêm 
^ lous eussent voulu la laisser impunie; le prôlr 
ilîit l'éloquent évêque d'Hermopolis. 

Ils comptaient sans les résistances calculées d'u 
parti déjà redoutable, qui repoussait une guerre, d'o 
a religion devait sortir vengée, et le prestige des roi 
irès chrétiens entouré d'une auréole de gloire. Devat 
fdie opposition menaçante, il fallut que ^honneur à 
il France attendît trois ans. 

Mais c'est en vain, politiques, que vos calcui 
fiierchent à se soustraire à des desseins plus hauts. E 
TOD proposerez- vous au pacha musulman de l'Égypl 
fe se faire le champion de votre querelle ; en vain ir 
wquerez-vous l'autorité de la Subiime-PorLe; en vaii 
Jissimulant le dépit de ces insuccès et tremblant d 
lÉcontenter une nation puissante, enverrez-voi 
humblement demander à ce chef de brigand, qui voi 
''fave, une démarche ambiguë, dont vos cœurs abaîssi 
seconlenteront.il va frapper enfin un coup qui briseï 
ws résistances. A votre ambassadeur, qui attend, dai 
Is rade d'Alger, sa réponse à votre prière, il enverr; 
pour toute excuse, avec l'insolence d'un barbare, ui 
i^rdée de ses canons chargés à mitraille. 

C'est le coup de tonnerre par lequel la Providem 
lifchaine la tempête. 

La France se réveille au bruit des canons d'Algc 



370 APPENDICE 

Elle sent qu'elle cesserait d'être elle-même, si elle i 

vengeait un tel outrage. Le vieux roi Charles X décla 

aux représentants de la nation qu'il ne sauraiilelaiss 

impuni. En un instant l'ardeur guerrière, si longlem 

comprimée, se manireste de toutes parts. On voit d 

officiers, des généraux mêmes solliciter de faii 

j^ comme simples soldats, la campagne d'Afrique, L'e 

^,z thousiasme éclate surtoul dans les provinces mérîilr 

P^ nales. victimes séculaires de la piraterie musulman 

!^ Ce fui au bruit des cloches, avec l'accompagneme 

■■~* des chants sacrés et des bénédictions de l'Église, ai 

^^ acclamations d'un peuple qui mêlait les ardeurs de 

J^ï foi au souvenir de ses soulTrances, que l'armée, co 

^ I duite par Bourmont, monta sur la Hotte qui lui él^ 

.;^,^ préparée; et lorsqu'un descendant de saint Lou: 

"~ l'héritier même du triine, vint traverser & Toulon I 

J^ longues lignes des vaisseaux, où les soldats de 

- ,_ France juraient d'èlre dignes de leurs pères, oiil 

',;; matelots sur leurs vergues faisaient monter jusqu'ar 

J^ cieux l'antique cri de guerre de la patrie, il semti 

li^ aux témoins de celte scène sublime qu'un souffle d 

~S croisades vint soulever nos drapeaux! 

^> C'est ainsi que notre flotte preud sa roule, au milii 

^j des sympathies ardentes de tous les pays ehréliei 

j~ qu'elle laisse derrière elle. L'Espagne, l'Italie, les il 

de la Méditerranée, se rappelant leurs villes ince 

diêes. leur commerce ruiné, les morts tombés sousl 

coups des barbares, les esclaves sans nombre, homrat 

femmes, enfants, arrachés violemment de leurs mug 

el gémissant encore dans les bagnes, unisseul le» 

vœux pour son triomphe, et notre armée s'avan' 

vers le sanglant repaire de la piraterie, soutenue dai 

son entreprise vengeresse parles bénédictioDsdupr" 

sent el les longues malédictions du passé. 



[ARMÉE E.T LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 3T1' 

Vous la voyiez, et vous la bénissiez du haul du Ciel, 
Il Dieu, prolecteur de la faiblesse et vengeur de l'ini- 
quité! Vous reconnaissiez dans ces chefs intrépides, 
dans ces soldats, qui marchaient â. la mort pour le 
triomphe de l'honneur, de l'humanité, de la justice sur 
plus monstrueuse barbarie, vous reconnaissiez les 
Dis des p;uerriers de Clovis, de Charlemagne, de saint 
Louis, les fils de cette France que vous avez armée, 
pendant tant de siècles, pour être, en votre' nom, 
l'appui de tous ceux qui invoquent ici-bas ce nom 
sacré contre l'injustice triomphante I Seigneur, aux 
jours mauvais, vous vous souviendrez de la fidélité des 
inciens jours; vous n'oublierez pas le pacte séculaire 

nous avait faits partout les soldats de votre cause, 
M vous sauverez les fils, même coupables, en souvenir 

vertus de leurs pères. 

Enfin, le 13 juin 1830, au lever du jour, la terre d'A- 
fcique apparaît aux yeux impatients de l'arméequi vient 
■ chercher tant d'épreuves et tant de gloire. Elle leur 
ipparait avec ses hautes montagnes qui semblent sou- 
tenir le ciel, ses collines qui baignent dans les flots 
leurs pieds couverts de verdure, ses maisons éparses 
na-dessus du rivage, la lumière pure de son soleil et 
'les teintes de sa mer qui rappellent aux vétérans de 
l'armée d'Egypte l'azur des mers de Syrie, ce spectacle 
dont les climats du Nord ne peuvent donner une idée, 
iqui nous a tous charmés, quand nous l'avons contemplé 
Cour la première fois, et que les vieux soldats regret- 
lent encore jusque sous le ciel de la patrie. 

Mai!: ces splendeurs d'un monde nouveau s'illu- 
minent d'un éclat plus vif par l'espoir, désormais pro- 
chain, du combat et de la victoire. 
I.e lendemain, anniversaire de Marengo et de Fried- 



/ 



l 



^. 



372 APPENDICE 

land, l'armée, qui compte plus de trente mille 
hommes, prend terre, à six lieues d'Alger, au point 
précis qu'avait marqué, un quarl de siècle par 
avance, un officier des armées de Napoléon. Le dé- 
barquement, contre toute attente, ne rencontre point 
d'obstacle. Le Dey a donné l'ordre de laisser aborder 
librement nos soldats, afin, disait-il dans son orgueil, 
qu'il n'en pût échapper un seul pour apprendre à la 
France la destruction de son armée. 
11 comprendra bientôt sa folie. 

Déjà tout se prépare pour l'attaque. La presqu'île 
de Sidi-Ferruch est occupée. Une redoute, qui s'ap- 
puie, de chaque côté, sur la mer, défend le camp fran- 
çais contre les surprises. L'ennemi se masse, à notre 
vue, sur les collines de Staouéli. Il réunit bientôt 
autour de ses drapeaux sans nombre cinquante mille 
combattants. Le lieutenant du Dey d'Alger, celui du 
Bey d'Oran, le Bey de Constantine en personne, com- 
mandent cette armée, où des nuées de cavaliers indi- 
gènes appuyent la milice turque. Les nôtres brûlent 
de se mesurer avec l'ennemi. Mais le sage comte de 
Bourmont ne veut rien laisser au hasard. Il retient 
l'impatience universelle. Lui-même, établi sur une 
élévation qui domine la mer, près des ruines d'une 
vieille tour bâtie par les Espagnols, à l'époque de 
leur domination passagère, procède aux premiers 
préparatifs. 

C'est là que, sur un autel improvisé, seize prêtres de 
la France, qui ont accompagné l'armée, offrent solen- 
nellement le sacrifice et ressuscitent le culte chrétien 
sur la terre africaine. A cette même place s'élevait, 
dans les premiers siècles, une église épiscopale^ 

1. Casse P vcn 



l'iHHÉE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 373 

A quelque distance, auprès de la mer, on aper- 
wiait et on voit encore, parmi les ruines, toujours 
Jebout, malgré les injures du temps, la basilique de 
lipasa. C'était sous les voûtes de ces temples que re~ 
Missait autrefois la prière calhoUque, Le temple, 
uii priait aujourd'hui l'armée de la France, n'avait 
Jaulre voûte que le ciel, d'autres bornes que l'im- 
mensité. Il convenait qu'il en fût ainsi, et qu'avant la 
des armes. Dieu, par la bouche de ses ministres, 
fti faire entendre sans obstacle à ces rivages, dans la 
langue oii ils les entendaient autrefois, les paroles de 
résurrection et d'espérance. 

Enfin, après cinq jours d'attente, le 19 juin se lève, 
tl, avec lui. l'aurore de nos victoires. 

Au signal parti de leur camp, les troupes barbares 

ébranlent, et s'avancent, avec des cris, contre les re- 
lûutes que garde notre armée, Berthezène, Loverdo, 
Des Cars, qui commandent nos divisions, sont h la 
lèle de leurs troupes, sous les yeux de Bourmont. 
Lahilte et "Valazé les appuient. Un vieux général de 

empire, Porret de Morvan, occupe le poste du péril 
ivec toutes les ardeurs de sa jeunesse. 

Vous étiez là, attendant de donner vos premiers 
coups, obscurs encore, mais portant déjà vos victoires 
Jans le m&le fierté de vos regards, capitaines futurs 
Jes grandes guerres de ce siècle : Lamoricière, Chan- 
Samier, Dnvivier, Damrémont, qui deviez attacher vos 
noms à nos batailles africaines; Pélissier, vainqueur 
'le Sébastopol; Mac-Mahon, soldat intrépide de Ma- 
lakolT et de Magenta; Baraguey d'illiers. Vaillant, 
Forey, Magnan, Chabaud-Latour; et vous, brave Du- 
mesnil, qui deviez écrire cette noble histoire; et vous, 
digne fils des croisés, Quatrebarbes, qui deviez de- 
mander & la France, dans ses assises solennelles, de 




CJ 



374 APPENDICE 

terminer par la croix celle conquête commencée pa: 
l'épée, et subir h Ancône unedéTaile plus noble qui 
les plus nobles victoires! 

La bataille est engagée. Nos soldais ont vu, pour 1; 
première fois, accourir, en rangs conTus, du fond de li 
plaine, à travers les broussailles et les hauts aloès, ce; 
cavaliers arabesque nousdevions trouver devant nou! 
j^ durant vingt années. Leurs longs vêtements blano 

r;ï soulevés par la course, semblant voler au-dessus ila 

^-ç obstacles, rapides comme l'aigle, brandissant leur; 

î^ longs fusils, ils se précipitent, arrivent à notre portée 

— * s'arrêtent soudain, tirent cl s'enfuient pour rechargei 

"^^ et revenir encore. C'est un immense tourbillon, ot 

i^i hommes et chevaux partagent la même furie et se com- 

muniquent leurs passions. « Il s'élance, disait Job cr 
« parlant du cheval de l'Arabie, il s'élance, dévorani 
« l'espace, dès que retentit le bruit des armes. 11 en- 
u lend le signal du combat, et il dit : Vah! De loin, i 
« sent l'odeur des batailles, il comprend les excitations 
V des chefs, les clameurs de l'armée '. » Tel le pei- 
gnait il y a cinq mille ans, l'écrivain sacré, tel nos 
soldats le voient sous leurs yeux, comme une appari- 
tion de cet Orient, immobile jusque dans ses ardeurs. 
L'armée doit lutter contre un adversaire plus redou- 
table : c'est la milice turque, qui, depuis trois siècles, 
fait trembler les populations de la Régence. Elle nous 
aborde avec une énergie farouche et l'assurance d'une 
vieille troupe qu'animenl la rage religieuse et la con- 
science de n'avoir jamais subi de défaite. Le choc psi 
terrible. Un moment, une de nos ailes est ébranlée; 
mais les chefs ramènent leurs soldats. On voit l'intré- 

1. Forïens et frcracns sorbet Icrram. Ubi audiorit buccinam, 
cit : Vahl Procul odoratur bclluin, eibortationcm ducuiu, ei 
ulalum MPrcitua. Job, \x\ix, 2t, 2iJ. 



l'armée et la mission de la FRANCE EN AFRIQUE 373 

pide Mounier entraînant les siens, lutter seul, avec 
quelques braves, contre une multitude d'ennemis qui 
l'ontourent jun mouvement offensif le délivre. Partout 
le combat est engagé. Nos vaisseaux, qui se sont ap- 
prochés da rivage, appuient l'armée du tir de leurs 
canons, et portent le désordre dans les rangs ennemis. 
Enfin, un cri, un cri terrible, ce cri de l'infanterie 
française qui fait trembler les champs de bataille, 
sort à la fois de toutes les poitrines : En avant ! à la 
baïonnette I en avant! 

C'est faitl Le torrent vainqueurse précipite. Tout ce 
ijui résiste est renversé. Les cavaliers arabes se dis- 
persent auK quatre vents du ciel, allant annoncer à leurs 
montagnes qu'elles vont recevoir de nouveaux maîtres. 
Les Turcs seuls tiennent encore et se font tuer avec 
courage ; mais ils sont désormais trop peu pour notre 
nombre, nos soldats les écrasent. Ce n'est plusqu'une 
déroute; ils ne s'arrêteront que sous les murs d'Alger, 
cl les nôtres franchissent, en les poursuivant, les deux 
lieues qui les séparent du camp de Slaouéli, dont ils 
s'emparent et où ils couchent sous les tentes de l'en- 
nemi. 

Collines de Slaouéli, vous avez été les témoins de 
leur victoire, vous avez entendu leurs cris de triomphe 
et les premiers accents de cette langue, qui était celle 
de la France et qui vous annonçait l'avènement d'un 
monde nouveau. Vous les avez vu s'incliner devant 
l'autel dressé sous vos palmiers antiques 1 C'est là 
qu'au nom de leur patrie, du monde chrétien tout en- 
tier, ils prirent possession de la terre qu'ils allaient 
conquérir. C'est là que le plus grand de nos capitaines, 
lepère de l'.AIgérie. a voulu que la prière fixât sa de- 
meure sanctifiée par la pénitence et par le travail, et 
fit monter sans cesse vers le ciel, par les lèvres qui lui 




376 APPENDICE 

sont consacrées, un hymne de reconnaissance I Sei- 
gneur, que cette prière monte jusqu'à votre cœur! 
Qu'elle en fasse descendre vos bénédictions sur notre 
France nouvelle! Qu'elle obtienne la rosée à ses 
champsja fécondité à ses travaux, la vigueur aux bras 
de ses fils, la vertu et le courage à leurs àmesl Qu'elle 
inspire toujours au vainqueur l'humanité et la jus- 
tice! Qu'elle donne au vaincu l'intelligence des biens 
que lui assure sa défaite! Qu'elle fasse de tous un 
seul peuple, et que ce peuple soit digne de vous! 

On eût pu poursuivre et tenter d'entrer, le jour 
même, dans la capitale épouvantée. Mais il faut at- 
tendre l'artillerie, que les ordres du chef de la flotte 
ont retenue dans la haute mer. Ce retard rend te cou- 
rage i\ l'ennemi, à qui notre prudence semble de la 
crainte. 11 se présente devant notre camp ; mais les 
nôtres le poussent, de proche en proche, jusqu'aux 
collines qui cachent encore Alger à leur vue. Là se 
livrent des combats nouveaux. Là tombe, mortelle- 
ment blessé d'une balle qui a brisé sa poitrine, l'un 
des fils du comle de Bourmont. 

Hélas! chrétiens l'un et l'autre, ils s'étaient agenouil- 
lés auprès des autels, avant de quitter la France, pour 
recevoir, des mains du Pontife, comme des croisés d'un 
autre âge, le Dieu de l'Eucharistie. Et maintenant, le 
fils, se sentant mourir et parlant des grandes causes 
de la religion et de la France auxquelles il sacrifiait sa 
vie, disait en montrant sa blessure : a Elle est bien 
placée, là. Elle est près du cœur! » Le père, averti de 
ce coup terrible, ne veut prendre que le temps d'em- 
"asser et de bénir un fils si digne de sa tendresse; 
^, calme, tout entier au devoir, il retourne au poste 
ombat, et il trouve, pour annoncer son malheur, 
)aroles que Sparte eût admirées! 



'tnxËE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 377 

Les Turcs restent à Sidl-Khalef ce qu'ils étaient à 

laouéli. On y voit un de leurs janissaires s'élancer su 

ne batterie, et, rejeté dans le fossé, recevoir dix blés 

nires sans cesser de combattre, puis, une main coupée 

enfoncer de l'autre un poignard dans le cœur, pou 

e pas tomber vivant au pouvoir des chrétiens. 

Hais tant de valeur sera impuissante. L'armée s'es 

lise en marche de nouveau, et vingt jours après celu 

ï elle a vu pour la première fois la terre d'Afrique 

le domine enfin les crêtes du mont Boudzaréah, su 

rs pentes duquel Alger est bâti. 

Elle est sous ses yeux, cette ville fameuse, où tan 

le captifs, encore chargés de fer, n'attendent leur sa 

gt que de sa victoire. Le voilà, ce port, où les pi rate 

[[rouvaient leur refuge, et où ils se partageaient le 

I liC'po ailles sanglantes du monde chrétien; dans I 

I faje, la flotte française, qui appuie nos troupes par s 

jprésence; au loin, du côlé du soleil qui se lève, le 

riches plaines de la Hitidja; sur toutes les collines, de 

maisons sans nombre, avec leurs jardins d'orangei 

et leurs lerrasses orientales; et sur les chemins qi 

tordent la mer, la population qui s'enfuit épouvantée 

L'armée salue de ses acclamations ce grand spectach 

qui lui promet enHu sa proie. 

Mais entre l'armée et la ville, vers le milieu de I 
montagne, dominépar nos soldats, commandant Algei 
se dresse un dernier obstacle : un fort, dont le noi 
rappelle, comme pour augmenter la fierté légitime à 
notre triomphe, la défaite de Charles-Quint. 

Ses canons tirent sur nos troupes. Notre artilleri 
les réduit au silence. Bientilt ses murailles sont ba' 
lues en brèche. Elles vont céder sous nos coups. Déj 
nos soldats se préparent à. l'assaut, lorsqu'une scèr 
affreuse et sublime vient les frapper d'horreur et d'ac 



378 APPENDICE 

miralion. La garnison, qui défend la forteresse, sor 
en bon ordre, par une poterne, en emportant ses blés 
ses. On voit un nègre rester seul, impassible, sur le 
murs ébranlés, au milieu des boulets qui pleuvent d 
toutes parts. Il disparaît enfin, et, mettant le feu ai 
magasin de poudres, s'ensevelit sous les ruines qu 
vomissent au loin, comme un volcan, des flammes e 
des débris. Ce noir représentant des races africainei 
semblait renverser, devant le monde chrétien, les der 
nières barrières de la barbarie. 

Toute lutte est impossible désormais. Le Dey, trem 
blant au fond de sa Kasbali, doit subir la loi du vain 
queur. Bientôt Bourmont se présente en maître, dans 
ce palais où la France avait reçu l'outrage que no< 
mains venaient de venger. 

Alger est à nous, ou, pour mieux dire, il est au 
monde civilisé. 

Ils la nommaient « la bien gardée ». Mais ils auraient 
pu apprendre de nos Saints Livres, qu'il n'y a de bien 
gardées que les villes gardées par Dieu *. Au jour qu'il 
a marqué pour leur ruine, rien ne les défend plus : ni 
les tempêtes ne dispersent les flottes ennemies, ni les 
flots ne protègent les côtes inhospitalières, ni les rem- 
parts ne sont un sûr asile. Leurs pensées se confondent, 
et l'antique courage qui veillait sur elles n'est plus que 
folie. Et Dieu s'est enfin lassé de tant de violences et 
de tant de crimes! Il a eu pitié d'une terre baignée de 
tant de sang et de tant de larmes, consacrée par la foi 
de tant de martyrs! Les voilà dans sa main, ces fiers 
pirates I Ils avaient dit, dans leur orgueil superbe : 
'^ue nous importe la France ! La France vient de leur 

londre et de leur montrer son pouvoir! 

Nisi Dominus custodierit civitatcm, frustra vigilat qui custo- 
eam. Ps. cxxvi, 1. 



LARXÊB ET LA MISSION DE LA FRANCE El^ AFIIIQUË 379 

Hais, en nouij donnant le triomphe, il semble que 
Dieu s'en montre jaloux. 

Le drapeau de la monarchie, qui a guidé nos sol- 
dats, tombe au lendemain du jour où il était arboré 
Fiir les murs de la Kasbah ; le vieux roi qui a préparé 
la conquête prend le chemin de l'exil; Bourmont 
quitte Alger en fugitif, n'emportant avec lui, sur une 
l>arque étrangère, que le cœur de son fils. 

El tandis que les noms des princes, des capitaines 
qui ont pris part à nos guerres africaines, sont restés 
attachés à nos villes, à nos villages, tandis que nous 
leur avons élevé des colonnes et des statues, aucun 
humeau ne garde les noms de ces premiers vain- 
queurs. Rien d'humain n'a survécu à leur victoire, et 
le seul monument qui soil resté d'elle est la croix, 
qu'ils ont replantée sur ces rivages comme un signe 
de pardon et de vie. 

Qu'on cherche à cet oubli des raisons humaines, j'en 
pourrais trouver moi-même, et je sais que la Provi- 
dence n'a pas toujours besoin de miracles pour se faire 
entendre de nous. Mais je n'en vois pas moins que le 
seul signe qui soit resté de la conquête est un signe 
divin, et que Dieu n'a voulu, durant un demi-siècle, 
laisser inscrire, à cûté du sien, le nom d'aucun antre 
vainqueur. C'est moi, semble-t-il nous dire, c'est moi, 
qui, par les mains de ces vaillanls hommes, ai ouvert 
f.c sépulcre, ofi un monde était enseveli I 



Le sentiment chrétien de l'honneur avait présidé, 
dans l'expédition d'Alger, aux résolutions de la France. 
Devant les menaces d'une nation rivale, elle avait hau- 




380 APPENDICE 

tement aflirmé ce qu'elle regardait comme un droit et 
comme un devoir : venger l'injure nationale et les 
humiliations du monde chrétien, conquérir la Régence 
et travailler à nous l'assimiler un jour, par son libre 
retour à la civilisation et à Tancienne foi. 

Quelle page eût ajoutée à nos annales l'histoire de 
notre conquête, si rien n'eût arrêté ces premiers élans ; 
si nous avions pu, sans obstacle, poursuivre les succès 
qui, en vingt jours, avaient mis entre les mains de 
Bourmont, Bône, Oran, et même la lointaine province 
de Titteri par l'investiture de leurs chefs; si, sans 
laisser aux Arabes le temps de douter de notre puis- 
sance, nous avions remplacé le gouvernement des 
Turcs par le nôtre; si, en assurant aux populations 
indigènes l'ordre, la paix, la prospérité, nous les 
avions gagnées peu à peu par nos bienfaits, par les 
exemples d'un peuple chrétien I C'eût été une croisade, 
la dernière, la plus noble, la plus digne de la France 
et des inspirations de l'Ëvangile. 

En un jour tout change d'aspect. La France ébranlée 
tremble sous les coups de la révolution, de nouveau 
déchaînée. Au-dedans, l'esprit d'impiété se réveille et 
repousse toute pensée religieuse, pendant que notre 
faiblesse encourage les exigences jalouses du dehors. 
Il semble qu'une entreprise si glorieusement com- 
mencée doive avorter dans l'impuissance et dans la 
honte, et que Dieu en va retirer sa main. 

Mais c'est le secret de la Providence de se servir des 
obstacles pour montrer, comme en se jouant, la fai- 
blesse de nos pensées. De même qu'aux jours de l'hiver, 
eus voyons, sur nos côtes, les vaisseaux battus par les 

Tipêtes qui menacent de les engloutir, mais le nau- 
nier dispose ses voiles, tient le gouvernail d'une 

in ferme, et c'est la tempête qui l'amène plus promp- 



l'armée et la mission de la PHANCt; EN AFRIOtlE ï 

tement dans le port ; de même la Providence se sert 
Qos déchaînements et de nos ardeurs pour condu 
nos destinées. Nous la verrons, après des résisLam 
Je dix années, réaliser à la fin notre conquête j 
ceux mêmes qui l'auront le plus longtemps combatti 

Tout semble donc se liguer d'abord contre l'Alger 
Le prince, incertain de lui-même et de sa proj 
durée ; les députés de la nation, effrayés des sacrifii 
i faire, conspirent pour rejeter, comme un fardeî 
la noble mission qu'avait acceptée l'ancienne mon; 
chie. Seul, l'instinct national^ toujours fidèle, au fot 
malgré ses erreurs, à noire vieux génie missionna 
el guerrier, proteste contre la pensée de cet abandt 
Chaque fois qu'une voix plus hardie le propose, e 
est couverte par la voix du peuple, j'allais dire par 
ïoix de Dieu. 

Cela dure dix années, années de contradictions, 
doutes, de démarches sans gloire, de souffrances, 
Iravaux stériles, et où rien ne reste digne de la Fran 
que la constance de ses soldats. 

Un vieux général de l'Empire, Clauzel, dont I 
vertus guerrières méritaient une plus noble tact 
reçoit, le premier, la mission ingrate de garder, av 
une poignée d'hommes, les villes occupées par noi 
assez pour qu'on ne puisse dire que nous abando 
nons le pays sans combattre, pas assez pour qu' 
puisse nous accuser de le conquérir. Deux fois, p 
une pointe hardie, il pénètre dans les profondeurs ■ 
Tell, jusqu'à Médéah, et emporte sur les indigènes 
Col de Mouzaïa, dont le nom deviendra fameux p 
tant de légendes guerrières. Après cette satisfacti 
donnée à. l'honneur de notre armée, il traite da 
l'ombre, avec le Bey musulman de Tunis, pour ] 
livrer les deux tiers de notre conquête. Mais, au pi 



1 
382 - APPENDICE 

mier bruit d'un tel projet, la clameur est si forte, que 
le gouvernement même, dont il suit les vues, est con- 
traint de désavouer et de rappeler le négociateur. 
Berthezène, Rovigo, Voirol apparaissent à peine. 
Drouet d'Erlon leur succède, condamné à la même 
impuissance par suite des mêmes desseins. C'est à 
peine si, durant quatre années, quelques points nou- 
veaux du littoral, Arzew, Mostaganem, Bougie, sont ] 
enlevés aux Arabes. Ils les assiègent aussitôt, comme t 
ils assiègent déjà Alger, Bône et Oran. 

Ces incertitudes ne retarderont pas seulement la 
conquête; elles la rendront plus sanglante, en per- ' 
mettant à de formidables obstacles de se dresser 
contre nous. 

Rien n'a remplacé, dans la Régence, l'administration 
cruelle, mais forte des Turcs, et les indigènes, délivrés 
du joug, sont en proie à la plus affreuse anarchie. Se 
ruant partout sur leurs anciens maîtres e t sur leurs fils, 
les Coulouglis, les Arabes et les Kabyles ensanglan- 
tent, par leurs massacres, Médéa, Miliana, Mascara, 
Tlemcen, toutes les villes de l'intérieur. Les tribus se 
livrent à leurs goûts de guerre et de pillage, tantôt 
luttant entre elles pour venger d'anciennes injures, 
tantôt s'alliant pour se jeter sur nos postes, pour piller 
nos transports, n'écoutant encore, dans ce premier 
délire de l'indépendance, que les instincts de sang, de 
brigandage, de courses guerrières, qui animaient leurs 
chefs de hasard. Nous pouvions profiter de ces désor- 
dres, et tenir divisées des races alors irréconciliables, 
Maures des villes qui cherchent à dominer par la ruse^ 
Arabes qui courent les plaines. Kabyles qui gardent 
sur leurs montagnes leur antique indépendance. Mai^ 
qu'attendre d'yeux inattentifs, sans cesse tournés ver^ 
la France, pour y surprendre le signal du retour? t*^ 



tE ET LA MISSION DE LA FRA^CE EN AFRtOUI^ 383 

musulman couvre également, pour noire igno- 
:aace, le vainqueur, dont nous avons rompu le joug 
rfculaire, et le vaincu, dont nous avons brisé les fers. 

Et cependant, sur les sommets de l'Atlas, formant, 
!>ec les restes des Libyens et des Berbères, la masse 
iltspopulationsindigènes, se trouvent les descendants 
chrétiens. C'est le Liban de l'Afrique, mais un 
Liban que l'Europe a délaissa, et où peu à peu lechris- 
ianisme a disparu, après la destruction de son sacer- 
ifce. Laborieux, sobres, pleins de courage, exempts 
le fanatisme pour une religion imposée par de lon- 
fiics violences et quatorze fois reniée par eux, séparés 
its Arabes par le ressentinîent de l'opprimé contre 
%presseur, n'ayant pas subi la loi des Turcs, con- 
■eriant encore, dans quelques tribus, le signe sacré 
lie la croix, et, d3,ns toutes, le code ou, comme ils 
Jisent, le canon de leurs lois civiles, les Kabyles sem- 
iilaient destinés à notre alliance. C'est un de leurs 
chefs qui, dans les premiers temps, disait ces paroles 
remarquables, rapportées par Bedeau : « Nos ancêtres 
ml connu les chrétiens, plusieurs étaient fils des 
(hréliens, et nous sommes plus rapprochés des Fran- 
fais que des Arabes, u 

L'Europe voit, en ce moment, une nation infor- 
lunée, déchirée par les serres de l'aigle moscovite. 
Selon toute apparence humaine, elle perdra son nom, 
•a langue, sa foi, tout ce qui constitue la vie d'un 
peuple. Mais si, après de longs siècles de martyre et 
de mort, il était donné à la Pologne de renaître à 
l'indépendance; si une nation sœur, ayant la même 
foi, les mêmes ardeurs généreuses, revenait lui dire : 
« Léve-toi, et reprends le nom et la gloire de tes 

pères ; n est-ce que les fils des martyrs qui ont inondé 

le sol de leur patrie d'un sang magnanime ne tressail- 



384 APPENDiCif: 

liraient pas à cet appel? Est-ce que, réveillés peu 
peu de la servitude, ils ne salueraient pas leurs lib 
rateurs par des cris d'allégresse ? 

El nous, je le dis avec tristesse, nous avons trou 
devant nous, sans la reconnaître, une autre Pologn 
les restes de ce peuple qui eut pour pasteurs et poi 
maîtres les Cyprien, les Optât, les Augustin, les Fu 
gence. Nous devions, dès le premier jour, jeter-à si 
montagnes et à ses vallées le cri de la délivrance. Noi 
devions lui dire : a Afrique chrétienne, sors du top 
beau ! Réunis tes débris épars sur tes monts et dai 
tes déserts ! Reprends ta place au soleil des nations, U 
sœurs dans la civilisation et dans la foi ! Que tes en 
fants, apprenant de nouveau ton histoire, sachent qii 
nous ne venons à eux que pour leur rendre la lumièn 
la grandeur, l'honneur du passé ! » 

Cette pensée ne nous est pas venue, tant étaiei 
grandes notre ignorance et notre insouciance du sped 
tacle qui frappait nos regards; tant était puissante e 
quelques-uns la haine hypocrite qui poursuivait la f^ 
jusque dans ses plus anciens souvenirs, haine infernal 
qui sacrifiait, qui sacrifierait encore à son impiété, poii 
des siècles peut-être, les intérêts de la patrie elle san 
des chrétiens I 

Lorsque nous reconnaîtrons plus tard notre erreui 
avec les progrès de la conquête, avec la science pli^ 
exacte de l'histoire, avec le réveil de la foi, il ne seii 
plus temps. Nos coups auront porté sur l'Arabe et su 
le Kabyle, et leur sang également versé par nos main 
les auront unis dans une haine commune contre leu 
commun agresseur. 

Déjà l'abandon calculé, où, en dehors de la portée di 

ion de nos places, nous laissons les races indigènes 
roduit ses premiers effets. Elles viennent de se don 



i; ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 383 

er unchef , qui réunira leurs forces éparses et les laa- 
m contre les chrétiens. 

C'est dans le Beylick d'Oran, plus remuant et plus 
tioalique, que le pouvoir d'Abd-el-Kaderprendra nais- 
mœ. Les marabouts, seule autorité alors reconnue 
luQ peuple qui n'a plus d'autre lien commun que sa 
ji, concertent son élévation et assurent bientôt son 
Tfdit par des fables qu'accepte une foule crédule. 
Jeune, ardent, cavalier intrépide, savant et poète au- 
»dI que peut l'être un barbare, le marabout de la tribu 
« Hachems, qui vient d'être proclamé chef de la 
iisrre sainte, ne tarde pas à séduire, par ces dons exté- 
leurs, les tribus qui l'entourent. Il cache encore, sous 
'sapparences de l'humilité, de l'amour de la patrie 
;iie la religion, l'ambition qui le dévore. Bientôt son 
fclepourleCoran.sesprédications contre l'infidèle, les 
ms qu'il met à flatter les plus pauvres, sa valeur qui 
bïe avec un bonheur téméraire le feu des Français, 
idI assis son pouvoir. Dès lors il parle en maître, et 
Est dans leur sang qu'il étouffe ses rivaux. 
C'est peu que de fonder un empire ; il faut lui dén- 
ier des conditions de vie et de durée. Là se manifes- 
era le génie de l'Émir. Chaque tribu reçoit un chef qui 
Ui répondre d'elle. Une implacable justice veille à 
eyécution des lois et réprime le brigandage. L'ordre et 
bpaix succèdent àl'anarchie. Il crée des finances régu- 
lières, par les droits d'investiture renouvelés chaque 
année, par la dime de la guerre sainte. Il a une capi- 
isle, des fabriques d'armes, il aura bientôt une armée, 
« le sultan du Maroc lui-même enverra des ambassa- 
fcurs au fils de Mahi-Eddin. Et tout cela est l'œuvre 
iun Arabe de vingt-trois ans, dont l'enfance avécude 
l'aumône, et dont la jeunesse s'est passée au fond des 
noQlagaes, sous la pauvre tente d'un marabout. Tant 




386 APPENDICE 

le génie a de puissance, tant les œuvres devienne] 
faciles, quand un peuple entier soutient un homme, i 
qu'il ne semble plus penser, aimer, haïr, vivre qi 
par lui ! 

Mais il va faire plus encore. Il va faire accepter < 
consacrer par nous le pouvoir qu'il destine à nousrei 
verser. 

Sous Tempire de la même pensée qui avait dicté 
Clauzel un traité de cession au souverain de Tunii 
Desmichels, qui commande à Oran, entre en relation 
avec Abd-el-Kader. Bientôt le marabout de Mascac 
traite presque de pair avec la France. Diplomate e 
naissant, comme tous les Arabes, il se crée des inte 
ligences et des appuis jusque dans l'entourage du soi 
verain. L'appui des Juifs indigènes, leur or achèvent d 
lui aplanir toutes les voies. Son autorité est reconnu! 
Onlui accorde unmonstrueux monopole, source de m 
sères pour les Français, d'oppression pour les Arabes 
on ne fera de commerce qu'avec lui seul. On lui four 
nira des armes, on combattra ses adversaires, on rc 
cevra ses envoyés, dans l'espoir de se décharger, à c 
prix, sur un vassal puissant et sans la honte d'u 
abandon visible, du pesant souci de la conquête. 

C'en était fait de l'Algérie. Encore quelques années d 
patience et de ruse, pour donner à son autorité la cou 
sécration du temps, pour former ses troupes régulières 
pour fondre ses canons, acheter ses armes, et l'Émi 
pouvait jeter nos soldats à la mer. Mais, tandis qm 
sous le masque d'une indififérence étudiée, Abd-el-Kade 
se rit de notre aveuglement, il tombe lui-même, selo 
belle expression de Bossuet, dans des ténèbres plu 

isses, sans qu'il faille autre chose, pour lui ren 

série sens, que ses propres prospérités. 

out à coup, l'écho d'un effroyable désastre arrive; 



LABKÉE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIOUE î 

h France des bords de la Hacta. L'Émir est ve 
l,ii*que sous les murs d'Oran, châtier, avec insolem 
|] tribu des Smélas.nos auxiliaires fidèles. Il eiumène 
iLirce leurs otages. Trézel, qui a succédé ADesmiche 
le poursuit pour délivrer les prisonniers, ne vouU 
fas.malgré les traités, accepter la honte de voîrfrapi 
Jes hommes, dont le seul crime est de nous servir, 
reprend de force sa proie h l'Émir; mais au retoi 
<icolonne, qu'alourdissent un convoi pesant, les roii 
■le ses canons, les charrettes des vivres, les voitui 
ifi blessés, est surprise dans les gorges profondes ce 
[lies par les marais de la Macla. Les indigènes ( 
iicupé, en troupes innombrables, les crêtes qui co: 
mandent l'étroit passage. Ils fondent sur nous, de ( 
liutcurs. Notre petite troupe se serreet répond pars 
(eu à celui des Arabes. Mais le convoi retient sa marcl 
L« conducteurs effrayés embourbentleurs chars da 
les marais. Nos soldats veulent les défendre et sau\ 
\ti blessés ; mais sur la longue ligne oii ils doivent 
déployer, ils sontcoupés. et partout entourés d'enn 
mis, Lescompagnies élrangères, réfugiées sur un m 
melon où elles se défendent avec courage, sontmen 
cfes d'être anéanties. Oudinot est mortellement frap 
en se portante leur secours. Cependant Abd-el-Kad( 
îïecl'instinctdu barbare, fait mettre le feu aujtherb 
liesséchées et aux broussailles qui couvrent la ten 
Le théâtre du combat est une fournaise, dont un sol 
lirùlant et-le vent du désert augmentent encore I 
ardeurs. Seuls nos canons_ protègent la retraite dést 
donnée d'une troupe qu'a gagnée la folie. Mais déjà 
eonvoitoulentier est entre les mains des Arabes, etn 
soldats entendent de loin les cris denosblessés égorg 
parces sauvages avides de pillage et de sang. No 
wions perdu le quart des nôtres, etAbd-el-Kaderpo 



388 APPENDICE 

vail envoyersur tous les points de l'Algérie lestrophé 
de son triomphe. 

L'illusion sera de courte durée. Un longcri d'horre 
accueillit dans la France entière le récit lugubre de 
massacre. Il faut relever l'honneur de nos armes. ] 
vengeur de notre défaite sera celui-là même, qu 
chargé de négocier l'abandon de l'Algérie, a dû i 
retirer devant les manifestations de l'opinion alarméi 
Mais Clauzel est un homme de guerre. Il saura faîi 
expier à l'Émir la mort de nos soldats. Pour mieu 
marquer l'importance de cette revanche militaire, o 
lui adjoint l'héritier même du trône, qui devait long 
temps partager avec honneur la vie de notre armé 
africaine, et entreprendre son histoire interrompu 
par la mort. 

Mostaganem, La ChifiFa, l'Oued-Djer, les Benî-Salal 
sont le théâtre de dures représailles. Ce n'est pas asse2 
îl faut poursuivre le vainqueur jusque dans sa capitale 
Mascara tombe sous les coups du maréchal et révèh 
la gloire naissante de Lamoricière.Tlemcen est occupé 
et leMéchouar, où le vieux Mustapha tenait encore ave< 
ses Turcs, est confié à la constance intrépide de Gavai* 
gnac. Le Sig,rHabra, le Ghéliff, voient nos soldats s'a- 
vancer sans résistance et se montrer jusque sous 
Médéah. 

Puis, comme s'il craignait de pousser trop loin la 

victoire, Clauzel retourne en France, et l'Émir reprend 

l'offensive. Bugeaud, dont l'Algérie apprendra plus 

tard à connaître le nom et à bénir la mémoire, mais 

qui est encore l'adversaire déclaré de la conquête, 

naraît un moment pour battre Abd-el-Kader à la 

Hk, et, vainqueur, conclure bientôt avec lui, à 

na, un pacte nouveau, où se montrent, plus 

que dans celui d'Oran avec Desmichels, 



l'armée et la mSSION de la FRANCE EN AFRIQUE 389 

les pensées secrètes et la faiblesse du pouvoir. 
Cest alors qu'a lieu, pour donner à Topinion une 
satisfaction nouvelle, la première expédition de Cons- 
tantîne. Elle aboutit à un désastre plus douloureux que 
celui de la Macta. Clauzel est revenu pour diriger cette 
campagne contre la province de TEst, restée, par les 
traités, en dehors des contrées livrées à l'Émir. Insufïi* 
stnte par le nombre; en butte, sous le ciel africain, 
vue. rigueurs inaccoutumées d*un hiver de Russie; 
nanquant d'abri, de pain, de munitions que les terres 
iéfoncées par les pluies n'ont pas permis de trans- 
liorter, l'armée est obligée à la retraite. Elle était par* 
tie de Bône au commencement de la saison des pluies, 
elle y revient diminuée de moitié, couvrant les che- 
fmins de ses morts, après avoir vu, à Gonstantine, les 
femmes musulmanes se précipiter au massacre des ma- 
lades et des blessés qu'elle laissait derrière elle. Elle 
eûl péri tout entière, sans la mâle constance du maré- 
chal» qui montra dans sa défaite les vertus du grand 
capitaine, et sans l'intelligence et le brillant courage 
d'un simple commandant, dont le nom entra, ce jour- 
là, dans la gloire — c'était Changarnier. 

La défaite est suivie dans le pays et dans l'armée 
d'un élan semblable à celui qu'a fait naître La Macta. 
Damrémont reçoit la mission d'effacer son souvenir 
de nos annales. 

Général, mort, comme Turenne, aux bras de la vic- 
toire, capitaines, soldats intrépides, ensevelis vivants 
sous les murailles que vous veniez de conquérir, vous 
allez enfin faire céder, devant votre gloire, les opposi- 
tions obstinées et nous assurer l'avenir! 

Asile imprenable des anciens maîtres delaNumidie, 
Cirlha, la ville du diable, selon les légendes africaines, 
est bâtie, comme un nid d'aigles, sur un piton aride 



• • 



390 APPENDICE 

que les gouffres du Rummel entourent de toutes pa.r 
et qu'une langue étroite, avec un pont jeté sur 1 
abîmes, relie seule à la terre. Pour défendre ces e 
trées que les canons protègent à Tintérieur, tous 1 
habitants se sont faits soldats. Du haut de leurs mi 
railles, des fenêtres de leurs noires maisons transfo 
mées en forteresses, ils accueillent avec des cris, di 
malédictions et des menaces, notre petite armée qu' 
nime la présence de Nemours, l'un des fils du roi. C 
somme le vieux Ben Aïssa, qui commande au nom d 
Bey Ahmed, de se rendre. Il répond avec une fierl 
antique que ne démentira pas son courage : « Si t 
manques de poudre, nous t'en enverrons; si tu n'a 
pas de pain, nous t'en fournirons; mais tant qu'ui 
vrai musulman restera dans la ville, tu n'y entrera 
pas! » — « Voilà des braves, dit le général en rece 
vaut leur réponse ; nous n'en aurons que plus d'hon 
neur. » 

Le temps, une fois encore, s'est déclaré contre nous 
La pluie mouille nos poudres et défonce les routes 
C'est sur leurs bras que nos soldats portent les canons, 
à travers le lit et les pentes du Rummel, jusque sui 
les hauteurs du Goudiah, sous le feu même de l'en- 
nemi, qu'ils affrontent sans pouvoir lui répondre. Tout 
est enfin préparé. Le soleil, succédant aux sombres 
nuages des jours précédents, éclaire de ses rayons le 
commencement du combat, et les nôtres proclament, 
dans leur pittoresque langage, la victoire prochaine 
des soldats du Christ sur ceux de Mahomet. 

Bientôt le canon tonne des deux côtés. Un boulet, 

parti des remparts, vient frapper le général,au moment 

il s'avance pour en reconnaître les approches. Il 

be au poste du péril et de l'honneur. Valéele rem- 

S sans que l'ardeur de l'armée se ralentisse, Biep- 



I.tRMEE ET LA MISSION DE LA PRANCI! EN AFRIQUE 

m la brèche s'ouvre sous nos coups et va deveni 
tl?able. Alors se manifeste la noble émulation 
^'loire et du péril. Mais il faut choisir parmi le 
braves. Us seprécipitent aux accents de leurscht 
disparaissent, reparaissent, disparaissent encor 
regards de l'armée qui_les contemple et les devai 
ies vœux. On voit soudain, dominant la brèche, 1 
(tiia rouge surlatète.le manteau arabe sur les ép 
Jeboutaumiiieudes coups et delà fumée, élevai 
§pée, appelant ses soldats, un chef intrépide: c'c 
noricière, entraînant ses zouaves. La mort d 
'leurs rangs. Mais leur constance n'est point troi 
Déjà ils ont enlevé le drapeau musulman et pla 
k brèche le drapeau de la France. Us descenden 
la place, enfoncent les portes basses des maisoi 
caladent les fenêtres, d'où les balles pleuvent su 
Ils sont dans la première rue. Tout à coup, le 
railles s'ébranlent, s'écroulent et ensevelisseï 
vainqueurs : c'est une mine qui éclate sous leur 
Les survivants hésitent-, mais Combes, Bedeau, 
les entraînent. Bientôt la viUe est envahie. Cl 
maison soutient un siè^e. Chacune des rues et 
H couvertes devient une redoute à enlever. Ma 
à peu l'infanterie tout entière a franchi la brè( 
faut fuir. La population sort éperdue par la porte 
Kantara. La Casbah seule résiste encore. Li se 
réfugiés, avec leurs femmes et leurs enfants, le 
niers défenseurs de ConslanUne. On les voit gra 
murailles qui surplombent l'abîme sur lequel l 
est bâtie, se suspendre en grappes vivantes et s 
cipiter tous ensemble, avec un effroyable cri, da 
gouffres du Rummel. 

Constanline est prise, et le nom de ses vainq 
est écrit au livre des grandes victoires ; Damré 



392 APPENDICE 

Yalée, Perrégaux, Combes et sa mort stoïque, Chan 
garnîer, Leflù, Canrobert, Bedeau sont à la tCie. 

Le soir de ce jour mémorable, on vit des officiers e 
des soldats, tenant dans leurs mains le drapeau pri 
sur la brèche, s'approcher d'un jeune colonel qui gi« 
sait aveuglé, sanglant, dans sa tente; sans parler, il 
déplient ce trophée de la victoire, et, avec cette déli 
catesse sublime du cœur, qui convient si bien i 
Thomme de guerre, ils en couvrent leur chef comm< 
d'un manteau de gloire. Ce colonel, était Lamoricière, 
retiré vivant des décombres où l'explosion l'avait en^ 
seveli. Ces soldats, c'étaient les zouaves! 

Vrais soldats de l'armée d'Afrique, ils y étaient nés 
du noble cœur de celui-là même qui les menait sur la 
brèche de Conslantine, et qui les avait formés à son 
image. Il disait d'eux, alors qu'ils ne comptaient pres- 
que encore, comme aujourd'hui nos tirailleurs, que 
des indigènes dans leurs rangs : « Les plus solides sol^ 
dats du monde, marchant toujours, ne mangeant ja^ 
mais ; après les plus longues courses, sans vêtements, 
sans chaussures, prêts à bondir sur l'ennemi, et sup- 
pléant à tout par leur ardeur guerrière. )) Et quand les 
Français, devenant plus nombreux, remplacent les 
indigènes, on les voit ajouter à ces qualités premières 
l'initiative vive et prompte, la saillie gauloise, et cet 
esprit de corps, qui transforme les hommes, en les ren- 
dant capables des prodiges que l'on attend d'eux. 
C'est ainsi qu'ils reçoivent de leurs devanciers et qu'ils 
transmettent à leurs successeurs les qualités que ré- 
clame une guerre où il faut surmonter les fatigues, 
tourner les difficultés et les obstacles, surprendre, se 
garder des surprises, se battre corps à corps dans les 
broussailles, sur les pentes inaccessibles, escalader les 
croies, et, entre les combats, pourvoir à tout sur les 



ARMÉE ET LA HISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 393 

provisions de l'ennemi : habitudes de la guerre qu'on 
Wr a Wproché quelquefois de conserver toutes, 
jusque dans la paix. 

Tant d'indomptable valeur assurera la conquête. 
L'opinion se prononce désormais avec une force qui 
Tcut être obéie. Elle ne peut admettre qu'une terre, 
ÎKastrée par le courage et par le sang de tant de 
braves, ne soit pas Trançaise tout entière. Le pouvoir 
•ede enfin, et, celte fois, ce sera sans retour. 

Mais îi faut attendre encore, avant que les lois nous 
loanent les hommes et les ressources, désormais né- 
ffssaires pour une conquête rendue, k plaisir, plus 
Jifïicile. 

Elles ne seront pourtant pas sans honneur, ces an- 
nées, où, sous le commandement de Valée, se mani- 
feste l'héroïque constance d'une armée, soumise, dans 

nlervalle des combats, aux plus rudes épreuves de 

fatigue, de la faim, de la soif, de la maladie. 

Stora, Sétif, Blida, Djidjelly, les Portes de Fer, et, 
brsqu'Abd-el-Kader, effrayé de ces progrès de chaque 
jour, a levé le masque, l'Oued-el-AUeug, l'Arba, Cher- 
tliell, les Haractas, El-Affroun, le bois des Oliviers, le 
m\ de Houzata, Miliana sont les témoins de nos vic- 
loires, et nous portent les noms de Changarnier, de Né- 
frier, de Duvivier, de Galbois, de Salles, de Lafonlaîne, 
de Rulhières, du brave Yusuf, de Lamoricièrc, du duc 
(l'Orléans, du duc d'Aumale. C'est une guerre de sur- 
prises, où il faut recevoir de pied ferme un ennemi qui 
sort à l'improviste des crêtes escarpées ou des ravins 
profonds, le poursuivre dans sa fuite, le saisir, le for- 
fer au combat. Là se déploie, chaque jour, le courage 
personnel. Les généraux, les officiers deviennent sol- 
dats, et combattent corps à corps avec 1' 

voit, aux portes de Bône, le brave Morris accepter, 



■âge ^"""^ 

u 



394 APPENDICE 

milieu de la mêlée, un duel avec une sorte de géar 
indigène, rouler avec lui de cheval dans la poussière ( 
le tuer, aux applaudissements de Tarmée. En revan 
che, de simples officiers tiendront tète à des armée: 
comme Lelièvre à Mazagran; des sous-officiers dévier 
dront d'un coup chefs de troupes, et Blandan inspirer 
à Béni-Méred la résistance héroïque de ses dix-huî 
compagnons d'armes contre des nuées d'Arabes. 
voit briller encore plus de grandeur morale dans de 
scènes où se renouvelle l'antique héroïsme de la lé 
gion thébaine. Des soldats, de faibles détachements 
environnés par des multitudes, prisonniers, désarmés 
refusent la vie qui leur est offerte aux prix del'aposta 
sie. Ils tombent, comme cette petite troupe de la Mai 
son-Carrée, martyrs intrépides de leur foi. Que di 
haut du ciel, mêlés aux légions de martyrs de Tan 
cienne Afrique, ils soient les protecteurs de leur 
frères d'armes et de la terre qu'ils ont arrosée de leu 
sangl 

Mais pour nos soldats le courage de la mort et d\ 
champ de bataille est plus facile que celui de l'inac 
tion et de la souffrance. 

Toutes nos villes, Oran, Tlemcen, Mostaganem, Bou 
gie, sont autant de places étroitement bloquées. Algei 
ne crée autour de lui une plus large enceinte que pa 
ses camps, ses blokhaus, ses fossés qui le défenden 
contre les Hadjoutes de la plaine et les brigands qui s< 
cachent sous leur nom redouté. Pour ravitailler cha- 
cun de ces postes où nos soldats sont enfermés, il fau 
une expédition souvent périlleuse. Si les troupes man 
quent, si la saison est trop dure, si la mer est déchai 
née, c'est pour nos soldats, la faim cruelle, l'abandon 
la mort. Comment dire les souffrances de ces garnie 
sons séparées de la France et du monde, enfermées 



LARMËB KT LA HISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 395 

sans gloire dans leurs murailles, en proie h la nostal- 
gie, à la maladie, au désespoir! Vous savez l'histoire 
Ju Mécliouar de Tlemcen et celle du régiment de 
ligne, chargé de garder Oran au début de laconquéle, 
manquant de vivres, de vêlements, de chaussures, et 
voyant son brave chef mourir de douleur des souf- 
frances de ses soldats. Elle est plus lugubre encore, 
l'histoire de la première garnison de Hiliana, tout 
eotière en proie à la fièvre, et qui de douze cents 
hommes n'en compta que trente qui survécurent à 
tant de misères. 

Et que dire des camps empestés lie Bouiîarik, du 
Fondouk, de l'Harrach, de l'Arba, de Bdne, ofi l'on ne 
pouvait laisser séjourner les soldats, sans qu'ils n'y 
prissent des germes de mort? Aussi compte-t-on par- 
fois, dans ces rudes années, plus d'hommes malades 
qu'il n'en reste dans les rangs. 

Mais c'est trop parler de leurs soulTrances. Je n'en 

citerai qu'un dernier trait, noble comme les âmes de 

ces humbles enfants de la France, qui tombaient ains 

loin de la patrie, sans gloire, sans espérance, sans It 

consolations mêmes de la religion, que l'esprit de ( 

lomps refusait à l'armée. C'est une parole simple et si 

blime de ces mourants, entassés dans de sombres ré 

duits, seul asile que l'on pût donner à de si nombreuse 

misères, et que visitait, l'âme navrée, l'un de leurs gi 

néraux. « Que faites-vous ici, mes enfants? n lei 

dit-il. — « Nous mourons, mon général ! s Et il en ei 

mortainsi, en vingt années, sur la terre d'Afrique, pli 

I que la France n'y compte aujourd'hui de colons. 

I Algériensdes âges futurs, vous qui n'aurez pas conn 

I les souffrances de vos pères, et pour lesquels il i 

I restera de cette histoire que les souvenirs lointains d 

j passé, lorsque vous trouverez, dans les sillons de vc 



396 APPENDICE 

campagnes, les ossements blanchis de nos soldats 
découvrez-vous avec respect, faites une prière pour ce 
braves dont aucune prière n*a béni la tombe, et dites 
vos lils : Voilà ce qu*a fait la France I Elle a sacrifi 
pour vous les meilleurs de ses enfants. Ce sont eux qui 
pour vous donner une patrie, sont venus ici trouver l 
mort, non pas la mort soudaine du combat, telle qu 
le soldat doit Tattendre, mais la mort lente et sombre 
devant laquelle leur jeunesse s'est courbée avec Thé 
roïsme austère du devoir I 



m 



Il y avait déjà plus de dix années que la France pro 
diguait à l'Afrique ses trésors et son sang. Et néan- 
moins, en dehors de la province de Constantine, oii h 
sage Bedeau organisait les indigènes, elle n'avait pas 
plus fait, pour la soumission du pays, qu'au premiei 
jour de la conquête. Aucune route n'était sûre. Aucune 
tribu n'avait reconnu sincèrement notre pouvoir. As- 
siégés derrière nos remparts, nous avions devant nous 
l'armée de l'Émir, c'est-à-dire un peuple entier incarné 
dans son chef. 

L'heure était venue de mettre énergiquementla main 
à l'œuvre. Mais pour une telle œuvre il fallait un 
homme de guerre ; Dieu donna Bugeaud à l'Algérie. 

Formé à l'école des grandes batailles du commence- 
ment de ce siècle, nature droite et sensée, rude, em- 
portée, ombrageuse quelquefois, bonne, honnête, et 
juste toujours, il avait, sur la guerre, des idées person- 
nelles, fruits de l'expérience, de la réflexion, de l'étude, 

qu'il menait à la pratique, du même cœur qu'il me- 

it ses troupes au feu; sachant ce qu'il voulait, le 



AHHÉE KT LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 397 

lisant, forçant à le faire, etjustifiant sa ténacité parle 
uccÈs, car il eut ce rare honneur, durant huit années, 
|:l,(lans dix-huit expéditions qu'il conduisit lui-même, 
ii n'éprouver jamais un échec ; aimant l'armée, aimé 
lies soldais, leur donnant, plus encore que les témoi- 
ipges d'une sollicitude paternelle, ce que les hommes 
lemandent surtout à ceux qui ont l'honneur de leur 
'^oimander, qui est de sentir une pensée qui les guide 
;luQe main qui les garde ; en un mot, et malgré des 
mperfec lions toutes du dehors et qui n'atteignaient en 
Kd le fond, digne d'être mis au rang des grands ca- 
Htaines. 

Heureux si à. ces qualités de l'homme de guerre il 
lût joint, à un égal degré, celles qui sont nécessaires 
lour former l'âme d'un peuple, et si sur l'épée et sur 
la charrue, il eût, dès lors, ouvertement placé la 

Tel est l'homme qui vient mettre son épée dans la 
balance, pour la Taire pencher enfin du côté de l'Ai- 

Chose éternellement digne d'admiration, etob nous 
retrouvons visiblement la main de la Providence, il a 
(té jusqu'alors le plus constant adversaire de la con- 
ijuète. IH'acombatlue avec persévérance par la plume, 
par la parole et par ses actes mêmes à la Tafna. 

Il va doncse démentir lui-même. Mais sa loyauté le 
reconnaîtra, et elle en fera hommage à une puissance 
plus haute que celle de l'homme. Ecoutez ces paroles 
'p'it adressait au monde, au moment oii il prenait pos ■ 
cession du Gouvernement algérien : « Â la tribune 
mmme dans l'exercice du commandement militaire, 
[ai fait des efl'orts pour détourner mon pays de s'en- 
^gerdansla conquête absolue de l'Algérie... Ma voix 
tt'Élaitpas assez puissante pour arrêter un élan qui est 
12 



398 APPENDICE 

peut-être l'ouvrage du Destin. Le pays s'est prononce 
je dois le suivre. » 

C'est la parole d'un homme de guerre, d'unhomix 
qui, selon le beau témoignage que lui a rendu l'un d< 
plus grands écrivains de ce siècle S ne se refusait js 
mais, et à aucun titre, à la vérité, lorsqu'il la voyait, 
reconnut donc, ce vieux soldat, dans la grande voix d 
la France qui l'appelait à la suivre, l'écho d'une voi 
plus haute. Il la nommait du nom que mettait sur s6 
lèvres son ignorance des choses de Dieu. Mais le Desti 
dont il parle n'est pas la force aveugle du fatalisme 
c'est un plus noble Maître, c'est Celui qu'il priait, a 
soir de ses journées, dans ses campagnes africaine^ 
en lui recommandant la France et ses soldats ; Celu 
qui, pour récompenser sa droiture, viendra éclairer l 
soir de sa vie et se pencher sur son lit de mort I 

Ce qu'un instinct supérieur lui révèle comme l'œuvr 
de la Providence, il le réalise déjà par de merveilleu: 
succès. 

Quel spectacle que celui de ce vieux capitaine, dé 
barquantà la veille delà Sikkak, sur la plage africaine 
et développant, avec précision, devant les officiers di 
sa petite armée, les règles d'une guerre qu'il n'a paj 
encore vue, mais que son sens droit, guidé par l'étudi 
des anciennes guerres numides, a déjà devinée ! Ave< 
quelle force il démontre les fautes commises en trai 
tant un ennemi mobile, insaisissable, qui n'attaqu< 
que dans la retraite, comme une troupe disciplinée 
qui accepte le combat I Avec quelle netteté il fait voi] 
qu'en présence d'un adversaire qui se dérobe sanî 
cesse, dans un pays où des sentiers impraticables 



1. M. Louis VeuiUot, qui a été en AfriquOi dans sa jeunesse, 
le secrétaire du maréchal. 



L*ARMÉE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 399 

courent seuls à travers les ravins et les montagnes^ 
Tennemi, ce n'est ni l'armée de l'Émir, ni le climat, 
ni le soleil, ni la fatigue : l'ennemi véritable, c'est le 
convoi I Avec quelle clarté il établit que, pour atteindre 
l'Arabe et pour le vaincre, il faut être Arabe soi-même, 
c'est-à-dire léger comme lui, sans chariots, sans roues, 
sans artillerie autre que celle de montagne ! 

Les vieux soldats s'étonnent et résistent. Dans vingt 
renconti'es, c'est l'artillerie seule qui a tenu l'ennemi 
à distance dans les retraites, c'est elle qui a sauvé 
Tannée à la Macta; y renoncer, c'est s'exposer à 
quelque désastre plus horrible. Le général reste 
inébranlable. Il fait rembarquer pour Oran le matériel 
de l'armée, et, la veille de la bataille, il décrit, dans 
le détail, les incidents du lendemain ; comment, débar- 
rassé de roues inutiles, il passera désormais dans les 
sentiers de l'ennemi ; comment il fera donner toute sa 
troupe, et, pour la première fois depuis la conquête, 
il fera des prisonniers. 

Tout s'exécute comme il l'a dit. A l'incrédulité, à la 
défiance succède l'admiration, et la guerre d'Afrique 
:est fondée. Il n'y manque que le moyen de vivre dans 
les expéditions lointaines; on le trouvera, grâce à la 
rapidité de nos marches, dans les silos des Arabes et 
dans les razzias de leurs troupeaux. 

Mais, si à la Sikkak il enseigne à vaincre, à Alger il 
enseignera comment on change en un champ d'hon- 
neur un champ de désolation et de mort. 

Plus de bornes restreintes à la conquête, plus de 
places et de blokhaus, où nos troupes, prisonnières 
des populations qu'elles ont vaincues, sont en proie à 
H maladie, à la faim. Il va prouver qu'il est plus facile 
e dominer le pays tout entier que de maintenir 
contre des populations insoumises vingt frontières 



r 



400 APPËNDIGIi: 

mal définies, et que rien ne vaut, pour la santé des 
hommes, le clairon des batailles. Il ouvre donc à la 
fois leurs forteresses devenues des prisons, et il les 
lance tous à la poursuite de l'ennemi. 

C'est l'époque entraînante des combats, des mar- 
ches sans fin, des embuscades, des périls, de la noble 
ambition, de la gloire. Que d'actes de brillant cou- 
rage, que de poursuites, que de ruses, que de cons- 
tance, que de revers, que de retours inattendus, que 
d'ardeur d'une part, que de raison ferme de l'autre ! 
Quel drame que ces huit années, qui tiennent la 
France attentive et qui font connaître à l'univers les 
noms de tous ses capitaines I 

Bugeaud a porté ses premiers coups au cœur même 
de la puissance d'Abd-el-Kader. Déjà Mascara est 
occupée; Taza, Boghar, Msila, Saïda sont détruits; 
Tlemcen ouvre ses portes ; Sebdou est saccagé. Tag- 
demt, la capitale nouvelle, est prise, et TËmir est 
réduit à n^avoir plus, comme il le dit lui-même, dans 
sa Smala désormais errante, qu'une capitale à dos de 
chameau. 

Dans cette première campagne, et dans les dix-sept 
autres qui la suivront, presque sans intervalle, se 
groupe autour du vieux général cette pléiade d'hom- 
mes déjà illustres et d'autres que la renommée cou- 
ronnera plus tard : Cavaignac, Randon, Montpensier, 
Bosquet, Saint-Arnaud, Montauban, Herbillon, Re- 
nault, Bourbalci, Martineau-Deschenez, Ladmirault, 
Bouscarin, Trochu, Daumas, Wimpffen, Vinoy, Jean- 
ningros, Chanzy, et, à leur tète, ceux que Ton nom- 
mait les trois Africains : Changarnier, Bedeau, Lamo- 
ricière, rivaux de gloire, d'honneur, comme ils le 
eront,plus tard, de fidélité aux convictions de leur vie. 

Changarnier, le brillant et intrépide soldat de Cons- 



l'armée et L\ mission de la FRANCE EN AFRIQUE 401 

tantine, de Blidah, du Col de Mouzaïa, de l'Oued- 
Fodda, de Ténès, de Téniet-el-Had et de cent autres 
combats; Changarnier, le seul resté debout, après 
trente années, et dont la verte vieillesse tient tête à 
"ses adversaires, du haut de la tribune nationale, du 
même cœur qu'il poursuivait l'ennemi sur les cimes 
de l'Atlas I Bedeau, soldat chrétien, qui gardait au 
milieu des camps la discipline du cloître, le sage de 
Tarmée d'Afrique, le modeste et noble vainqueur de 
Tlemcen, de l'Oued-Mouila, de l'Aurès, des gorges 
de la Kabyliel Et enfin, le plus illustre, le plus afri- 
cain des trois, celui qui commençait à Sidi-Ferruch, 
simple lieutenant, sa vie militaire, et qui la terminait, 
géuéral, dix-huit ans après, à Sidi-Brahim par la sou- 
mission d'Abd-el-Kader, Lamoricière I 

Placé à la tête de la province d'Oran, au milieu de 
laquelle Abd-el-Kader a établi le siège de son empire, 
sur les frontières du Maroc où l'Émir cherchera plus 
tard son appui, Lamoricière se trouve mêlé à tous les 
grands faits de la guerre, tantôt à côté de Bugeaud 
qu'il seconde de son ardeur, tantôt seul, lorsqu'il 
prend de rapides initiatives ou que la confiance d'un 
si bon juge lui abandonne, durant son absence, le 
sort de l'armée ; partageant sa gloire sans l'éclipser, 
complétant par ses qualités brillantes les grands et 
solides côtés du vieux maréchal. 

Nous les avons vus ensemble, pendant huit années, 
ces deux capitaines que la France pleure encore, et 
dont les noms se sont trouvés sur tant de lèvres, 
comme pour opposer leur ombre à l'ennemi, aux 
époques de nos luttes et de nos désastres. Nous les 
avons vus luttant d'intelligence, d'énergie, de valeur, 
de gloire, de dévouement, d'amour pour toi, ô terre 
algérienne I car, si tu nommais l'un ton père, l'autre 



402 APPENDICE 

pouvait à bon droit se dire ton fils, ayant reçu sur ton 
sol tous les honneurs de sa vie I Jamais on ne vit deux 
hommes moins semblables briller d'un égal éclat; 
mais jamais on n'en vit de plus dignes de cet éclat 
même. L'un, touchant presque à la vieillesse, ayant 
lentement gravi les degrés des honneurs militaires, 
presque obscur encore, malgré des services d'un demi- 
siècle, aa moment où il va révéler les grandes vertus 
de l'homme de guerre; Taulre, favori de la forioDe, 
trouvant à chaque pas une nouvelle occasion de gloire, 
et courant, plutôt qu'il n'avance, jusqu'au sommet 
de la hiérarchie ; l'un, fortement nourri par l'expé- 
rience et par l'étude, ne laissant rien au hasard, disant 
volontiers, avec nos anciens capitaines, qu'il faut 
craindre l'ennemi de loin, pour ne le pas craindre de 
près, et calculant si bien ses coups qu'il n'en manque 
jamais un seul ; l'autre, bouillant du feu de sa jeunesse, 
se fiant aux éclairs d'une intelligence toujours en éveil, 
à cet instinct qui, dans la guerre, fait les hommes de 
génie, et triomphant de tous les périls où il se jette, à 
force de ressources, de volonté, de courage ; l'un, mé- 
nageant ses troupes; l'autre, les rendant, par son 
exemple, capables d'affronter toutes les fatigues ; le 
premier, juste, humain même envers les vaincus, 
toutes les fois que le permettent les lois impérieuses 
de la défense, mais voulant les contenir par la force 
et par la crainte; le second, les aimant et voulant 
gagner leurs cœurs par les bienfaits et par la confiance, 
missionnaire, si je l'ose dire, d'une si noble cause, et 
à force de foi dans son œuvre, la réalisant dans ses 
zouaves; et pour que rien ne manque à tant de con- 
'astes, le maréchal, de grande stature, ferme encore 
s ses cheveux blancs, gardant la gravité de son 
: et de son âge, marchant, au milieu de son armée. 



II. 



l^ARlfÉe ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 403 

eolouré de respect; le général, petit, actif, alerte. 
iannissant toute gênante étiquette, et, la chéchia 
longe sur la tête, à la main son bâton légendaire, 
enthousiasmant ses soldats par son humeur guerrière 
et par les éclairs de gloire qui, dans les combats, 
sortaient de ses yeux. Tous deux intrépides dans le 
péril, tous deux types de l'honneur, de la loyauté, de 
la droiture, de l'intégrité militaires; tous deux dévoués 
à TAlgérie non moins qu'à l'armée, et comprenant que 
les travaux de la paix doivent succéder sans retard à 
ceux de la guerre, mais ici se séparant encore : 
Bageaud ayant plus de foi dans la discipline et dans 
la main de l'État, Lamoricière croyant plus à la fécon- 
dité d'une libre initiative ; l'un et l'autre, sans avoir 
vu leur œuvre achevée, quittant le théâtre de leurs 
travaux et de leur gloire, le premier, pour mourir 
bientôt, en chrétien, au milieu des déchirements de 
la patrie; le second, pour terminer, avant Tâge, par 
on noble sacrifice et par une fin héroïque, une vie si 
noblement commencée. 

Un évêque peut-il le rappeler sans émotion, et n'est- 
ce pas l'un des plus grands spectacles de ce siècle, que 
le général illustre de nos guerres africaines, immolant 
sa vie militaire au droit et à la faiblesse écrasés par la 
force, et, proscrit lui-même, mettant sa glorieuse 
épée au service de la plus auguste infortune! 

Je vous admire, général, sur la brèche de Constan- 
tine, je vous admire, au milieu des soldats que vous 
avez formés à votre image, à Mascara, à Mouzaï'a, à 
Isly; mais cette gloire guerrière, d'autres la partagent 
avec vous. J'aime mieux vous voir, seul, auprès du 
vieux Pontife que tout abandonne, et couvert, dans 
votre défaite, de l'auréole qui enveloppe cette grande 
et intrépide majesté. J'aime mieux, devant ces autels, 



404 APPENDICE 

me rappeler, telle que Ta décrite un historien digne 
de vous S la nuit terrible, où la mort enveloppa sou- 
dain de ses ombres la lumière d*une si belle vie. Là, 
seul, loin de ceux que vous aimiez, vous vous armiez, 
pour le dernier combat, de la croix que tenait votre 
main déjà défaillante, et vous invoquiez le nom de ce 
Dieu que l'adversité vous avait appris à connaître et 
qui allait vous couronner d'une gloire que rien ne peut 
plus vous ravir. 

Tels sont les hommes que, dans les premiers jours 
de la grande lutte, alors qail faut frapper des coups 
décisifs, nous voyons réunis dans un commun effort 
et comme dans une seule pensée. Mais, Tagdemt rui- 
née, les magasins et les fabriques d'armes détruils, 
les troupes régulières anéanties, tout change d'as- 
pect. Ce n'est plus une armée que le général a devant 
lui ; c'est un peuple, dont les tribus éparses se soulè- 
vent, se soumettent, se soulèvent encore, selon que le 
Français approche ou que l'Émir les entraine par la 
terreur ou par l'enthousiasme. Le feu, les ravages, la 
mort sont partout à la fois. L'Émir se multiplie. Battu 
un jour dans la montagne, il apparaît, le lendemain, 
dans la plaine, après une course furieuse, menaçant 
nos alliés, enlevant nos colons, ruinant nos cultures. 
Pour le combattre et pour le vaincre, ce n'est plus 
assez d'une armée. Il faut dix armées diverses. Des 
colonnes légères se forment et se montrent partout à 
la fois, ayant chacune son chef et son centre d'action. 
Bedeau est à Tlemcen et Bab-el-Thaza : Changarnier, 
à Cherchell, aux Beni-Menasser, à l'Oued-Fodda, à 
Ténès, à Téniet-el-Had ; Négrier, à Tébessa; Leblond 



1. Keller. Le Général Lamorîcîère^ sa vie militaire , politique 
t religieuse, 2 yoI. iii-8. 



l'armée et la mission de la FRANCE EN AFRIQUE 405 

en Kabylie ; Bugeaud, le duc d'Aumale, Lamoricîère, 
Gentil, dans TOuaransenis ; Saint-Arnaud, aux Benî- 
Menad; Ladmirault, dans les montagnes de Miliana; 
Cavaignac, Renault, dans le désert, à la poursuite des 
Ouled-Sidi-Cheikh ; Desvaux, à Tiaret; Géry à Mé- 
drissa. L'Émir, repoussé, fugitif, n'a plus où reposer 
sa tête. C'est alors que, dans une marche rapide à tra- 
vers les profondeurs du Sahara, et par une charge au- 
dacieuse, le duc d*Aumale enlève la Smala fugitive, 
et, avec quelques centaines de cavaliers, s'empare 
d'un camp défendu par cinq mille hommes et où se 
trouvent les femmes, les amis fidèles, les trésors de 
l'Ëmir. Les tribus, dépouillées, réduites à l'impuis- 
sance, sont contraintes de céder à la force, et après 
tant d'années de luttes, Abd-el-Kader laisse l'Algérie 
â son vainqueur et va demander au Maroc un plus sur 
asile. 

C'est la première fois que la paix est donnée à la 
colonie. Les tribus soumises sont confiées à la garde 
des chefs ralliés à notre pouvoir. L'Algérie va prendre 
enfin son essor. Quelques villages à peine s'élevaient 
près de l'enceinte des villes, quelques fermes isolées 
dans la Mitidja. Avec Bugeaud tout change, et on peut 
lire, dans les mêmes bulletins, les félicitations que le 
maréchal adresse aux troupes pour avoir battu l'en- 
nemi et pour avoir bâti les villages ou défriché les 
terres. 

C'est dans ces années que se fondent Chéragas, 
Douera, Saoula, Beni-Mered, Fouka, Nemours, El- 
Arrouch, La Galle, Smendou et cent autres colonies ; 
que les ports d'Oran, de Mers-el-Kebir, de Philippe- 
ville, de Bône et d'Alger reçoivent leurs premiers 
agrandisssments ; que les routes sont partout com- 
mencées; que le commerce prend vie, et que les po- 



406 APPENDICE 

pulations arrivent dans des proportions encore in- 
connues, pour commencer ce rude et utile labeur, au- 
quel appartient Tavenir. Je raconterai, quelque jour, 
l'histoire de vos travaux et de vos souffrances, colons 
de l'Algérie. Je les ai partagés avec vous, et nul plus 
que moi ne leur rend hommage; mais je dois donner 
des bornes à ce discours et m' arrêter à la création de 
la colonie. L'armée se multiplie pour une aussi grande 
œuvre ; le génie construit les routes, les ponts, les 
murailles ; l'artillerie transporte les immigrants ; la 
cavalerie fait les moissons et les fourrages ; l'infanterie 
est partout où la main de l'ouvrier est nécessaire. Les 
chefs sont colons comme les soldats : Bosquet fonde 
Sétif, Pélissier construit Mostaganem, Marey-Monge 
relève les ruines de Médéah, Saint- Arnaud crée Or- 
léansville, Randon dessèche les marais de Bône. C'est 
un atelier immense où chacun porte àTœuvre com- 
mune le tribut de ses efforts, une main au travail, 
Tautre sur son épée, également prêt à s'attaquer au 
sol ou à l'ennemi. Bugeaud est l'âme de ce mouve- 
ment, et tant qu'il est là, sa volonté lui donne un 
succès rapide. Mais il lui manquera le temps d'orga- 
niser les œuvres de la paix, comme il avait organisé 
celles de la guerre. Il comprenait à la fin, après avoir 
eu longtemps des pensées contraires, que l'intérêt su- 
prême de la colonie était de marcher vite, même aux 
dépens quelquefois d'une rigoureuse discipline. S'il 
eût survécu à la guerre il aurait renversé, sans doute, 
les barrières élevées par un vain formalisme et la per- 
pétuelle intervention de l'État; et comme il avait con- 
quis l'Algérie, en l'ouvrant librement à l'armée, il 
l'eût colonisée, en l'ouvrant librement aux colons. 

Cependant Abd-el-Kader smge à un retour offensif 
plus menaçant que ses attaques passées. Une agita- 



l'armée et la mission de la FRANCE EN AFRIQUE 407 

Uon sourde, produite par ses partisans fanatiques, 
éveille dans l'Émir Tespérance de renverser le Sultan 
du Maroc, de s'emparer de son trône, et d'entraîner 
contre nous, à sa suite, non plus quelques tribus dé- 
couragées, mais tout un peuple nouveau. 

Le faible Abd-Erraman est contraint, pour échapper 
au péril qui le menace, de se déclarer contre nous. Le 
maréchal, toujours attentif, accourt du fond de la Ka- 
bylie. Isly sera le théâtre du plus noble des exploits 
de ce vrai capitaine. C'est là qu'il mettra le sceau à sa 
renommée et qu'il cueillera des lauriers immortels. 
(Test là, qu'ayant en face de lui une armée de vingt 
mille hommes déjà réunie, et n'en comptant lui-même 
que dix mille, il retiendra les impatiences de son ar- 
mée, et attendra que les renforts marocains soient ar- 
rivés et que l'ennemi ait doublé son nombre. C'est là 
qu'il expliquera à ses lieutenants que, pour des 
masses indisciplinées, le nombre est une faiblesse, et 
qu'avec dix mille hommes de vieilles troupes ils sont 
d'autant plus sûrs de vaincre que le nombre de leurs 
adversaires s'est augmenté. Il le prouvait, la veille du 
combat, avec sa verve ordinaire, par les exemples fa- 
meux de Tantiquilé, où de faibles armées, comme 
celles d'Alexandre, avaient aisément triomphé de 
multitudes barbares. Mais il le prouva bien mieux, le 
lendemain, sur le champ de bataille, lorsque ces tour- 
billons mêlés d'hommes et de chevaux s'élançant sur 
notre armée, ils la trouvèrent disposée dans un savant 
ordre, qui faisait pleuvoir sur les assaillants, enga- 
gés dans les échelons formés par nos troupes, des feux 
qui se croisaient de toutes parts. Les premiers qui se 
sont élancés s'enfuient éperdus et jettent un nouveau 
désordre parmi ceux qui se précipitent, au hasard, 
sur leurs pas. Bientôt la confusion est à son comble. 



408 APPENDICE 

les Marocains tournent leur fureur contre eux-mêmes, 
et nos soldats, ne trouvant plus rien qui leur résiste, 
n'ont qu'à marcher vers le camp en frappant tout ce 
qui ne peut fuir. Cent des nôtres succombent à peine, 
tandis qu'on ne peut compter leurs morts. Leur artil- 
lerie, latente du prince qui les commande, leurs dra- 
peaux deviennent notre proie, et parmi le butin, des 
monceaux de chaînes avec lesquelles ce chef de bar- 
bares avait ordonné de lui amener nos généraux en- 
chaînés après leur défaite. Tant il méprisait notre 
petit nombre ! Mais le maréchal lui avait montré, se- 
lon ses maximes favorites, qu'on ne décrète point la 
victoire, que l'enthousiasme ne tient guère contre les 
coups d'une bonne artillerie et que le nombre ne rem- 
place ni la science ni la discipline. 

C'est le dernier coup porté à la puissance de l'Émir. 
Il essaie, par un suprême effort, de lutter encore et 
profite d'une absence du maréchal pour reparaître en 
Algérie. Il massacre à Sidi-Brahim un détachement de 
nos soldats, et il tente, par ce sanglant exploit, un appel 
désespéré à ses anciens partisans. Mais le vieux lion, 
comme il le nomme, ne lui laisse pas le temps de ral- 
lumer l'incendie, Il accourt au premier cri d'appel, ou- 
bliant l'ingratitude qui a déjà payé ses premiers servi- 
ces. Lamoricière, Levasseur, le duc d'Aumale, Yusuf. 
Pélissier, Canrobert occupent à la fois l'Eghris, le Ché- 
liff, le Dahra; et Abd-el-Kader, chassé de toutes parts, 
s'enfuit jusque dans la Kabylie. Ces fiers montagnards 
lui déclarent que, s'ils ont toujours respecté leurs 
hôtes, ils n'ont jamais accepté de maître. L'Émir cède 
à la fortune et reprend une dernière fois le chemin du 
Maroc. Là, menacé par les soupçons toujours éveillés 
du Sultan, il rend à la générosité de la France un su- 
prême hommage en venant se remettre entre ses mains. 



l'armée et la mission de la FRANCE EN AFRIQUE 409 

C'est Lamoricière qiïi accueillera, à Sidi-Brahim, 
sur le théâtre même du dernier massacre de nos sol- 
dats, l'Émir fugitif,et un prince de la maison de France, 
le duc d'Aumale, recevra l'épée de ce nouveau chef 
des croyants. Bugeaud venait de quitter l'Afrique pour 
n'y plus revenir; mais, quoiqu'il fût absent du der- 
nier acte de ce drame, il en était néanmoins le héros : 
c'était le fniit de ses huit ans de victoires. 

Comment parler des années qui vont suivre, des 
^andes expéditions de la Kabylie, des pointes hardies 
iccomplies dans le Sud, des insurrections toujours 
•éprimées? Les noms, qui, entre tant d'autres, se 
tressent dans ma mémoire, de Randon, de Mac- 
lahon, de Barrai, d'Aurelle de Paladines, de Cha- 
•on, de Bataille, de Marmier, de Lebrun, de Pour- 
îel, de Desvaux, de Cissey, de Beaufort-d'Haut- 
[K)ul, de Ducrot, de Martimprey, de Fénelon, de 
Margueritte, de WolfF, de Colomb, de Deligny, de 
Chaiizy,de Sonis, de Lacroix, de Lallemand, de Cérez, 
l'avertissent qu'il faut finir, de peur que la louange, 
s'adressant presque plus qu'à des vivants, ne pa- 
isse prendre, sur mes lèvres, les apparences de la 
itterie. 

Telle est l'œuvre de la conquête. Jamais peuple ne 

^pensa plus généreusement son sang et ses trésors ; 

lais armée n'acquit plus de gloire. Et néanmoins, 

[œuvre répondrait-elle à de si nobles efforts, si elle 

îvaît s'arrêter aux résultats qui sont sous nos yeux? 

Des travaux immenses et magnifiques, des villes, 

monuments, des routes, de vastes entreprises; 

au fond, un pays, qui a coûté à la France plus 

for qu'il n'en aurait fallu, il y a quatre années, pour 

fer sa rançon, et qui ne peut jusqu'ici se sufïire à 

■même; une colonie qui compte moins d'habitants 



410 APPENDICE 

français qu*elle n'a coûté d*hommes à la France; des 
terres, qui ont donné moins de richesses, malgré leur 
admirable fécondité» que celles que Ton eût obtenues 
des terres de la mère patrie, avec les mêmes efforts. 
Est-ce donc pour cela que nous avons vu la Provi- 
dence tout conduire comme par la main? Est-ce là ce 
qu'elle voulait, lorsqu'elle précipitait ces barbares, 
lorsqu'elle contraignait la France à la suivre, malgré 
tant de résistances, lorsqu'elle donnait tant d'invin- 
cible ardeur à ses soldats, tant d'aveuglement à ses 
ennemis, et à la fin, tant de sagesse à ses capitaines, 
et qu'elle forçait le plus grand de tous à confesser 
publiquement qu'il ne se rendait qu'à sa voix ? Et ne 
Tavons-nous pas vue, nous-mêmes, se servir des 
moyens qu'elle seule emploie, parce que seule elle les 
tient dans sa main puissante? Il y a quelques années, 
lorsque, par un triste retour, nous voyions, au lieu de 
la France nouvelle que notre armée était venue 
conquérir, se dresser devant nous je ne sais quel; 
projet de royaume barbare, par quels tonnerres ne 
fûmes-nous pas réveillés, et quels sinistres lueurs ne 
frappèrent pas nos regards? Les fléaux des anciens 
jours, les mêmes qui domptaient, entre les mains de 
Dieu, l'aveuglement des Pharaons, les sauterelles, la 
famine, la peste, ouvrirent les yeux aux plus incré- 
dules, et forcèrent d'abaisser toutes les barrières ; et, 
hier, encore, l'insurrection formidable qui semblait 
devoir nous perdre n'est-elle pas devenue, entre les 
mains d'un homme * dont vous n'oublierez ni l'éner- 
gie, ni l'intégrité, ni la haute intelligence, et dans 
^elles d'un successeur* illustre à tant de titres, et 



L'amiral comte do Gucydon. 
Le général Chanzy. 



iRXÉË ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 411 

ont la modestie a seule le pouvoir de fermer aujour- 
lliai mes lèvres, un moyen de reprendre l'œuvre in- 
terrompue et de guérir tant de blessures? 
Non, l'étemelle Sagesse, qui proportionne toujours 
lies moyens à la fm qu'elle veut obtenir, ne se propo- 
sait pas, par de si grands coups, des effets jusqu'à pré- 
sent si précaires. D'ailleurs, en empruntant la main 
iela France, Dieu ne voulait-il pas faire entendre au 
londe qu'il avait de plus grands desseins? 
Ce n'est pas ta mission, ô France chrétienne, d'ar- 
icher, pour prix de ton sang et de ta gloire, les tré- 
iirsdes peuples vaincus; ce n'est pas ta mission de 
fschasser devant toi pour te faire place, en les li- 
îanl à la mort : ton génie est de communiquer, au 
rix du sacrifice, tes sentiments et tes lumières. C'est 
ice que tu as fait pendant tant de siècles pour la 
érité; c'est là ce que tu as fait même pour tes 
irreurs ; c'est là ce que tu fais encore par tes écrits, 
ar ta parole, par ta langue restée celle du monde 
inlisé. C'est là ce que tu es venue faire dans ce 
londe barbare. Tu es venue, non pas seulement y 
Percher de l'or, mais y porter la justice; non pas 
paiement y récolter de plus riches moissons, mais 
semer la vérité; non pas y fonder ton pouvoir sur 
i servitude et la destruction des vaincus, mais y 
^nner un peuple libre et chrétien. Et si tu doutais de 
Ha parole, parce qu'elle pourrait te paraître inspirée 
ar mon ministère, quoique je sois le successeur de 
ks évêques qui ont formé ton âme et que je con- 
We ton âme aussi bien que toi-même, j'emprunte- 
rais celle d'un soldat, de celui qui a connu également 
les ardeurs nouvelles et ton ancien cœur, de Lamori* 
i^ière, qui, parlant de ta conquête et des desseins de 
l^eu sur elle, a renfermé en ces simples mots tout ce 




i 




412 APPENDICE 

que je viens de dire : La Pro^^dence, qui nous destim 
A CIVILISER l'Afrique, nous a donné la victoire. 

Voilà ta mission. Elle est belle, elle est digne de toi 
et tu ne Tas payée trop cher ni par tes trésors, n 
par le sang de tes fils, ni par votre gloire, ô soldati 
de l'armée d'Afrique ! Et maintenant laisse dire cem 
qui s'étonnent ! Le soleil, lorsqu'il s'élance dans ss 
course à travers les cieux, s'arrête-t-il, en répandan 
sa lumière, aux plaintes de ceux qu'inquiètent ses 
ardeurs? Avance par la pratique de l'humanité et d( 
la justice, par l'exemple des nobles vertus qui sonl 
l'apanage des nations chrétiennes, par la charité 
envers les faibles, par les inspirations de l'Évangile i 
car si tu as promis de respecter, dans ce peuple, h 
sanctuaire de la conscience, tu n'avais pas le droit 
d'humilier, comme tu l'as fait durant tant d'années, 
la croix devant le croissant, en paraissant oubliei 
ton culte et le renier même, quelquefois, par les 
insultes dont tu le laissais couvrir; tu n'avais pas le 
droit d'enchaîner la vérité et d'empêcher nos lèvres 
de la répandre. Et ne crains pas que pour ressuscite! 
la foi sur ces rivages, je demande les armes san 
glantes par lesquelles le Coran l'a étouffée, il y a de 
longs siècles. Je sais que si, pour la liberté de son 
ministère, un évêque doit être prêt à donner sa tête, 
il doit garder en tout les règles de la sagesse et de la 
douceur. Je sais que ma poitrine devrait, s'il le fal- 
lait, être la première à se placer devant les vaincus 
pour protéger, contre d'injustes violences, leurs âmes 
autant que leurs corps. 
Mais ce n'est pas assez d'un peuple. Montez en 
prit, avec moi, sur ces cimes inaccessibles qui bor- 
nt notre horizon et jetez vos regards surl'immen- 
ï qui nous entoure. Auprès de nous, les débris 



L*ARMÉE ET LA MISSION DE LA FRANCE EN AFRIQUE 413 

(l'une nation autrefois chrétienne, mêlés à ceux des 
invasions barbares. Au delà, sur la surface de ce con- 
tinent immense, la plus affreuse barbarie, l'ignorance, 
le sang, Tanthropophagie, l'universel esclavage. Déjà 
le monde chrétien, l'Espagne, le Portugal, l'Angle- 
terre, la Hollande, les Missionnaires de tous les peu- 
ples, assiègent ses eûtes de toutes parts. Des pionniers 
intrépides ont pénétré dans ses profondeurs inconnues, 
et Funivers étonné se passionne pour leur courage, 
comme il se passionne pour les conquérants. Ces 
eflTorts lointains seront longtemps stériles. Les paci- 
fiques conquérants de l'Afrique doivent être à portée 
de recevoir, d'une main, de l'Europe chrétienne, ce 
qa*ils donneropl, de l'autre, à tant de races déchues. 
Cest vous qui ouvrirez les portes de ce monde im- 
mense et les clés de ce sépulcre sont ici dans vos 
mains. Déjà il est ouvert par votre conquête. Un jour, 
si vous êtes, par vos vertus, dignes d'une mission si 
belle, la vie y renaîtra avec la lumière, et tous ces 
uples, aujourd'hui perdus dans la mort, reconnaî- 
nt qu'ils vous doivent leur existence ; et en appre- 
t votre gloire, votre valeur, ils seront fiers de 
ancêtres. 
Pour moi, mes yeux ne verront pas ce jour; mais 
l'attendrai, du moins, avec une ferme confiance, 
i me suivra jusque dans la mort. Là, si Dieu fait 
ricorde à mon àme, mes prières chercheront 
core à en hâter la venue. Prosterné devant le trône 
PAgneau, dont le sang a racheté tous les peuples 
monde, j'unirai ma voix à celle des Martyrs, des 
teurs, des Pontifes de l'ancienne Afrique, qui 
lorent, depuis tant de siècles, la résurrection de 
r patrie. Lorsqu'enfin ces vœux seront exaucés, 
cendre refroidie tressaillira au fond de sa tombe. 



41 4 APPENDICE 

et, déjà perdu dans les clarlés étemelles, j'entendrai, 
avec des transports nouveaux, mêlés à l'hymne de 
l'action de grâces, les noms que je viens de vous 
redire et que je veux porter sans fin, gravés dans 
mon cœur, l'Eglise, la France, la terre africaine : 
l'Ëglise. dont je suis le ministre; la France, dont je 
suis le fils; l'Afrique, que vous avez conquise et dont 
Dieu m'a fait le Pasteur! 
Ainsi soil'il! 



LE TOAST DU CARDINAL 



Au moment où nous mêlions sous presse, on télégra- 
phie d'Alger, en date du 12 novembre : 

Aujourd'hui, à la résidence archiépiscopale de 
Saint-Eugène, un déjeuner a été oflFert par le cardinal 
Lavigerie à Tétat-major de Tescadre de la Méditer- 
ranée. 

Les offîciers de la flotte étaient au nombre de qua- 
rante, ayant à leur tète les vice-amiraux Duperré et 
Alquier, les contre-amiraux O'Neil et Auger Dufresse. 

Parmi les autres convives on remarquait Mgr Dus- 
serre, coadjuteur ; les généraux Bréart, commandant 
du 19* corps; N. Bayard, commandant la subdivision 
d'Alfçer; Florentin, commandant l'artillerie, le préfet, 
le procureur général, le premier président, le recteur 
de l'Académie, le président du tribunal civil, le pro- 
cureur de la République, le secrétaire général du gou- 
vernement et les quatre conseillers du gouvernement. 

A la fin du repas, le cardinal Lavigerie a prononcé 
le toast suivant, qui a produit une impression pro- 
|Xonde et auquel on attache ici une véritable portée 
politique en raison de la situation de l'orateur, un des 
doyens du Sacré-Collège et de l'épiscopat, en raison 
aussi de son récent voyage à Rome et de la confiance 
I intime dont il est l'objet de la part de Léon XllI : 

« Messieurs, permettez-moi, avant de nous 
[Séparer, de boire à la marine française, si noble- 



416 LE TOAST DU CARDINAL 

ment représentée aujourd'hui au milieu de nous 

« Notre marine rappelle à l'Algérie des souve- 
nirs glorieux et chers; elle a contribué dès le pre 
niier jour à sa conquête, et le nom du chef émineni 
qui commande actuellement l'escadre de la Médi- 
terranée semble lui ramener comme un lointain 
écho de ses premiers chants de victoire. 

« Je suis donc heureux, Monsieur l'Amiral, en 
l'absence de notre gouverneur, retenu loin de 
nous, d'avoir pu vous faire ici comme une cou- 
ronne d'honneur de tous ceux qui représentent en 
Algérie l'autorité de la France, les chefs de notre 
vaillante armée, de notre administration et de 
notre magistrature. 

« Ce qui me touche surtout, c'est qu'ils soient 
tous venus à cette table sur l'invitation du vieil 
archevêque qui a, comme eux, pour mieux servir 
la France, fait de l'Afrique une seconde patrie. 

« Plaise à Dieu que le même spectacle se re- 
produise dans notre France et que l'union qui se 
montre ici parmi nous, en présence de l'étranger 
qui nous entoure, règne bientôt entre tous les fils 
de la mère patrie. 

« L'union, en présence de ce passé qui saigne 
encore, de l'avenir qui menace toujours, est en ce 
moment, en effet, notre besoin suprême ; l'union 
est aussi, laissez -moi vous le dire, le premier vœu 
de l'Eglise et de ses pasteurs, à tous les degrés de 

hiérarchie. Sans doute, elle ne nous demande 

'énoncer ni au souvenir des gloires du passé, 

IX sentiments de fidélité et de reconnaissance 



LE TOAST DU Cardinal 417 

qui honorent tous les hommes. Mais quand la 
volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que 
la forme d'un gouvernement n'a rien en soi de 
contraire, comme le proclamait dernièrement 
Léon XIII, aux principes qui, seuls, peuvent faire 
vivre les nations chrétiennes et civilisées ; lors- 
qu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui 
le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à 
cette forme de gouvernement : le moment vient 
de déclarer enfin l'épreuve faite et, pour mettre 
un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que 
la conscience et l'honneur permettent, ordonnent 
à chacun de nous, de sacrifier pour le salut de la 
Patrie. 

« C'est ce que j'enseigne autour de moi, c'est ce 
que je souhaite de voir enseigner en France par 
tout notre clergé, et en parlant ainsi je suis cer- 
tain de n'être point désavoué par aucune voix au- 
torisée. 

(I En dehors de cette résignation, de cette accep- 
tation patriotique, rien n'est possible en effet, ni 
pour conserver Tordre et la paix, ni pour sauver 
le monde du péril social, ni pour sauver le culte 
même dont nous sommes les ministres. 

H Ce serait folie d'espérer soutenir les col 
d'un édifice, sans entrer dans l'édifice lui-n 
ne serait-ce que pour empêcher ceux qui 
draient tout détruire d'accomplir leur œu' 
folie, surtout d'assiéger du dehors, comme 1 
encore quelques-uns, malgré les hontes réci 
donnant aux ennemis qui noug observe 



418 LE TOAST DU CARDINAL 

spectacle de nos ambitions ou de nos haines, cl 
jetant dans le cœur de la France le découra- 
gement précurseur des dernières catastrophes. 

« La marine française nous a, de même que 
l'armée, donné cet exemple : quels que fussent les 
sentiments de chacun de ses membres, elle* n'a 
jamais admis qu'elle dût ni rompre avec ses tradi- 
tions antiques, ni se séparer du drapeau de la 
patrie, quelle que soit la forme, d'ailleurs régu- 
lière, du gouvernement qu'abrite ce drapeau. 

« Voilà une des causes pour lesquelles la marine 
française est restée forte et respectée, même aux 
plus mauvais jours, pourquoi elle peut porter son 
drapeau comme un symbole d'honneur partout où 
elle doit soutenir le nom de la France, et permet- 
tez à un cardinal missionnaire de le dire avec 
reconnaissance, où elle protège les missions 
chrétiennes créées par nous. Messieurs, à la ma- 
rine française. » 

L'amiral Duperré a répondu : 

« Monseigneur, je remercie Votre Éminence, au 
nom de la marine dont vous venez d'exprimer les 
sentiments. Je bois à l'apôtre de l'Afrique, à 
S. Em. le cardinal et au clergé de l'Algérie. » 



FIN 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages 

Chapitre premier. — Ayant Tépiscopat 1 

Chapitre II. — Episcopat de Nancy 27 

Chapitre III. — L'Archevêqne d'Alger. — Administration 
du diocèse. — Rapports avec Rome et avec les suflfra- 

gants : concile du Vatican ol 

Chapitre IV. — Les Orphelins arabes et la question du 

prosélytisme 91 

Chapitre V. — Les Pères blancs 138 

Chapitre YI. — Les Missions de l'Afrique éqaatoriale. ... 175 

Chapitre VU. — L'Antiesclayagisme 227 

Chapitre VIII. — La Tunisie 277 

Chapitre IX. — Le cardinal Lavigerie et la France 316 

Chapitre X. — Le cardinal Lavigerie écrivain 353 

Conclusion 3o9 

appendice. — L'Armée et la Mission de la France en 
AfHqne. — Discours prononcé par Mgr Lavigerie dans la 
cathédrale d'Alger, le 23 avril 1875, pour l'inauguration 

du service religieux dans Tarmée d'Afrique 361 

Le toast da cardinal 415 



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