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in 2012
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LE CATECHISME
ROMAIN
OU L'ENSEIGNEMENT DE LA
Doctrine Chrétienne
EXPLICATION NOUVELLE
PAR
Georges BAREILLE
Docteur en théologie et en droit canonique
Chanoine honoraire de Toulouse
Instaurare omnia in Christo.
Tout restaurer dans le Christ.
Eph., I, 10.
TOME PREMIER
PREMIÈRE PARTIE
Le Symbole
MONTREJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservé*
LE
Catéchisme Romain
OU L'ENSEIGNEMENT DE LA
Doctrine Chrétienne
IMPRIMATUR
Tolosœ, die 2 julii 1906.
f Augustinus,
Arch. Tolosanus.
L'éditeur se réserve tous les droits de reproduction
et de traduction
Ce volume a été déposé conformément aux lois
en juillet 1906
LE CATECHISME
ROMAIN
OU L'ENSEIGNEMENT DE LA
Doctrine Chrétienne
EXPLICATION NOUVELLE
PAR
Georges BAREILLE
Docteur en théologie et en droit canonique
Chanoine honoraire de Toulouse
Instaurare omnia in Christo.
Tout restaurer dans le Christ.
Eph., I, 10.
TOME PREMIER
PREMIERE PARTIE
Le Symbole
MONTREJEAU
( Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits il» reproduction et de traduction réservés
Encyclique « Acerbo nimis»
Lettre encyclique de S. S. Pie X
sur l'Enseignement de la Doctrine chrétienne
A nos Vénérables Frères les Patriarches,
Primats, Archevêques, Évêques
et aux autres Ordinaires en paix
et en communion avec le Siège apostolique.
PIE X PAPE
VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE
I. Crise religieuse. — « C'est dans un temps
bien dur et difficile que le dessein secret de Dieu
a élevé Notre faiblesse à la charge de pasteur
suprême pour gouverner le troupeau entier du
Christ. En effet, l'homme ennemi rôde depuis
longtemps autour de ce troupeau et lui tend des
embûches avec la ruse la plus ingénieuse, de
sorte que maintenant plus que jamais semble se
vérifier ce que prédisait l'Apôtre aux vieillards de
l'Eglise d'Ephèse : « Je sais que des loups dévo-
rants entreront che% vous, qui n'épargneront pas
le troupeau » (Act., xx, 29). Quiconque est zélé
pour la gloire divine cherche les causes de cette
crise religieuse. Chacun apporte la sienne et
Ï.B CATÉCHISME — T. I a
lj ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »
chacun aussi à son gré emploie son moyen pour
défendre et restaurer le règne de Dieu sur cette
terre. Pour nous, Vénérables Frères, sans nier les
autres causes, Nous sommes porté à souscrire au
sentiment actuel de ceux qui voient dans l'igno-
rance des choses divines la cause de l'affaiblisse-
ment actuel et de la débilité des âmes et des maux
si graves qui s'ensuivent. Cela s'accorde pleine-
ment avec ce que Dieu lui-même a dit par le
Prophète Osée : « Et la science de Dieu n'est plus
sur la terre. Le blasphème, le mensonge, l'homi-
cide, le vol, ï adultère ont débordé et le sang a
touché le sang. G est pourquoi la terre pleurera
et tout homme qui l'habite sera débilité. »
(Os., iv, ï.)
II. Ignorance : son étendue, sa nature. —
« Et, en vérité, à notre époque tous se plaignent
que parmi le peuple chrétien tant d'hommes
ignorent profondément les vérités nécessaires au
salut, et ces plaintes, hélas ! ne sont pas illégiti-
mes. Quand Nous disons le peuple chrétien, Nous
ne parlons pas seulement du peuple ou des hom-
mes de classes inférieures qui trop souvent trou-
vent une excuse dans ce fait que, obéissant à des
maîtres durs, ils peuvent à peine penser à eux-
mêmes et à leurs affaires ; mais Nous parlons
aussi et surtout de ceux qui, ne manquant point
d'intelligence et de . culture, sont bien pourvus
d'érudition profane, et néanmoins en ce qui
concerne la religion, vivent d'une existence on ne
peut plus téméraire et imprudente. Il est difficile
de dire les ténèbres épaisses où ils sont parfois
sur l'enseignement de la doctrine chrétienne iij
plongés, et où, ce qui est plus triste, ils demeurent
tranquillement enveloppés! De Dieu souverain
auteur et modérateur de toutes choses, de la
sagesse de la foi chétienne, ils n'ont presque
aucun souci. Par suite, ils ne connaissent rien de
l'incarnation du Verbe de Dieu, rien de la par-
faite restauration du genre humain par lui, rien
de la grâce, qui est le principal moyen pour
atteindre les biens éternels, rien de l'auguste
sacrifice ou des sacrements par lesquels nous
obtenons et conservons la grâce. Quant au péché,
on ne fait aucun cas de sa malice ni de sa honte ;
conséquemment, il n'y a nul souci de l'éviter ou
de le quitter ; et l'on atteint son dernier jour dans
de telles dispositions que le prêtre, pour ne pas
ôter l'espérance du salut, doit employer à enseigner
sommairement la religion ces instants suprêmes
de la vie qui devraient être consacrés surtout à
provoquer des actes d'amour de Dieu, si toutefois,
ce qui est presque passé en usage, le moribond
n'est pas dans une telle ignorance qu'il juge
superflu le ministère du prêtre et pense devoir
franchir le seuil redoutable de l'éternité avec
un esprit tranquille, sans avoir apaisé Dieu.
C'est pourquoi Notre prédécesseur Benoît XIV a
écrit avec raison : « Nous affirmons qu'une
grande partie de ceux qui sont condamnés aux
supplices éternels subissent toujours ce malheur
à cause de leur ignorance des mystères de la foi
qu'ils doivent nécessairement savoir pour être
comptés parmi les élus » (Instit. xxvi, 18).
III. Ses conséquences. — « S'il en est ainsi,
IV ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »
Vénérables Frères, pourquoi s'étonner, je vous le
demande, que la corruption des mœurs et la dé-
pravation soient si grandes et croissent de jour en
jour, je ne dis pas parmi les nations barbares, mais
chez les peuples mêmes qui portent le nom chré-
tien? C'est avec raison que l'apôtre saint Paul,
écrivant aux Ephésiens, disait : « Que ni la forni-
cation, ni toute autre impureté, ni V avarice ne
soient nommés parmi vous, ainsi qu'il convient
à des saints, ni V infamie, ni les sots discours, »
(Ephes., v, 3). Mais il a posé comme fondement
à cette sainteté et à cette pudeur, qui modèrent
les passions, la science des choses divines. « C'est
pourquoi, frères, faites en sorte de marcher avec
précaution, non point comme des insensés, mais
comme des sages. C'est pourquoi ne devenez pas
imprudents \ mais comprenez quelle est la volonté
de Dieu » (Ephes., v, i5).
« Et l'Apôtre a raison. Car la volonté de l'homme
garde à peine quelque chose de cet amour de
l'honnêteté et de la justice mis en lui par Dieu
son créateur, et qui l'entraînait pour ainsi dire
vers le bien non pas seulement apparent, mais
réel. Dépravée par la corruption de la première
faute et oubliant en quelque sorte Dieu son au-
teur, elle tourne toute son affection vers l'amour
de la vanité et la recherche du mensonge.
« A la volonté égarée et aveuglée parla concupis-
cence, il est besoin d'un guide qui lui montre la
route, pour qu'elle retrouve les sentiers de la jus-
tice malheureusement abandonnés. Ce guide, qui
n'est point étranger, mais nous est préparé par la
nature, est notre esprit même ; s'il manque de sa
SUR L ENSEIGNEMENT DE LA DOCTRINE CHRETIENNE V
véritable lumière, qui est la connaissance des
choses divines, il arrivera ceci, qu'un aveugle
conduira un aveugle et tout deux tomberont dans
le précipice. Le saint roi David, louant Dieu
d'avoir donné à l'esprit des hommes la lumière de
la vérité, disait : « La lumière de votre visage
s1 est empreinte sur nous, Seigneur » (Ps. iv, 7).
Et ce qui suit de ce don de la lumière, il le dit,
en ajoutant : « Vous ave^ fait germer la joie dans
mon cœur». C'est la joie qui, dilatantnotre cœur,
nous fait courir dans la voie des divins comman-
dements.
« Qu'il en doive être ainsi, il est facile de s'en
convaincre à la réflexion. La sagesse chrétienne,
en effet, nous fait connaître Dieu en ce que nous
appelons ses perfections infinies bien plus profon-
dément que ne le permettent les forces de la
nature. Comment donc? C'est qu'elle ordonne
d'honorer Dieu en prescrivant la foi, qui relève de
l'esprit, l'espérance, qui relève de la volonté, et la
charité, qui est la vertu du cœur; et ainsi, elle
soumet l'homme tout entier à ce suprême auteur
et modérateur.
IV. Instruction religieuse : sa nécessité, son
utilité. — « De même il n'y a que la science de
Jésus-Christ qui nous fait connaître la véritable et
éminente dignité de l'homme, fils du Père céleste
et appelé à vivre éternellement et heureusement
avec Lui. Mais, de cette dignité et de sa connais-
sance, le Christ conclut que les hommes se doi-
vent aimer réciproquement comme des frères et
vivre ici-bas comme il convient à des saints, non
VJ ENCYCLIQUE (( ACERBO NÏMIS ))
■■ i « . ii
pas dans les festins et V ivresse, ni dans la volupté
et les impuretés, ni dans les disputes et les riva-
litès (Rom., 'xiii, i3); il ordonne également de
mettre en Dieu toute notre sollicitude, parce qu'il
s'occupe de nous; il commande de faire l'aumône
aux pauvres, de faire du bien à ceux qui nous
haïssent, de préférer les biens éternels de l'âme
aux biens éphémères de cette vie. Pour ne pas
tout passer en revue, n'est-ce pas une prescription
du Christ, que l'humilité, source de la vraie
gloire, est conseillée et commandée à l'orgueil-
leux ? Celui qui sera humilie.... est le plus grand
dans le royaume des deux (Matth., xvm, 4).
« C'est aussi la doctrine du Christ qui nous
apprend la prudence de l'esprit, par laquelle nous
respectons le droit de chacun; la force, qui nous
prépare à tout souffrir courageusement pour Dieu
et la béatitude éternelle; la tempérance enfin, par
laquelle nous aimons la pauvreté même pour le
règne de Dieu, et nous glorifions dans la croix
elle-même, méprisant l'ignominie. Il reste donc
que par la sagesse chrétienne, non seulement notre
intelligence reçoit la lumière, qui nous permet
d'atteindre la vérité, mais que la volonté elle-
même est enflammée d'un amour qui nous porte
vers Dieu et nous unit à Lui par l'exercice de la
vertu.
« Certes, nous n'affirmons pas que la malîce de
l'âme et la corruption des mœurs ne puissent
coexister avec la science de la religion. Plût à
Dieu que les faits ne le prouvassent point sura*
feondamment !
« Mais Nous prétendons que là où l'esprit est
sur l'enseignement de la doctrine chrétienne vij
enveloppé des ténèbres d'une épaisse ignorance,
une volonté droite et de bonnes mœurs ne peu-
vent nullement se rencontrer; car, si quelqu'un
marche les yeux ouverts, il pourra sans doute
s'écarter du droit chemin; mais celui qui est atteint
de cécité est menacé d'un danger certain. Ajoutez
que la corruption des moeurs, si la lumière de la
foi n'est pas totalement éteinte, laisse l'espoir
d'un retour; si la corruption des mœurs et l'ab-
sence de foi par ignorance se rencontrent, c'est à.
peine s'il y aura place au remède, et la route de-
là perdition est ouverte.
V. Devoirs des Pasteurs et des Curés. —
«Puisque de l'ignorance de la religion dérivent tant;
de maux, et que, d'autre part, la nécessité et l'uti-<
lité de l'instruction religieuse sont si grandes, car
en vain espère-t-on que celui qui ignore les devoirs?
du chrétien pourra les remplir, il faut maintenant,
rechercher à qui il appartient de garder les esprits
contre cette pernicieuse ignorance et de les
instruire d'une science si nécessaire.
« La question, Vénérables Frères, n'offre aucun
embarras; ce soin si grave regarde tous les pas-
teurs des âmes. Ceux-ci, en effet, sont tenus par
le précepte du Christ de connaître et de paître les
brebis à eux confiées. Paître, c'est tout d'abord
enseigner. « Je vous donnerai des pasteurs selon
mon cœur ', et ils vous nourriront de science et de
doctrine. » Ainsi parlait Dieu par Jérémie. C'est
pourquoi l'apôtre Paul disait : «Le Christ ne ina
pas envoyé baptiser, mais prêcher » (I. Cor., i,
17), marquant ainsi que le premier rôle de ceux
Vllj ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »
qui sont chargés à un titre quelconque de gouver-
ner l'Eglise est d'instruire les fidèles des choses
saintes. ♦
« Nous croyons superflu de faire l'éloge d'une
telle instruction et de montrer quel est son prix
devant Dieu ! Certes, l'aumône que nous faisons
aux pauvres pour soulager leurs misères a un
grand mérite aux yeux de Dieu. Mais qui niera la
supériorité du zèle et du labeur par lequel nous
procurons aux âmes, par notre enseignement et
nos conseils, non pas les biens éphémères du
corps, mais les biens éternels ? Rien ne saurait
être plus agréable à Jésus-Christ, sauveur des
âmes, qui dit de lui-même par Isaïe : « Il m'a
envoyé prêcher auxpauvres » (Luc, iv, 18).
« Il importe cependant, Vénérables Frères, de
mettre avec insistance ce fait en évidence : un prê-
tre, quel qu'il soit, n'a aucun autre devoir plus
grave et n'est tenu par aucun lien plus étroit. En
effet, qui peut nier que chez le prêtre la science
doive s'ajouter à la sainteté de la vie ? « Les lèvres
du prêtre garderont lasciencey> Malach.,11,7). En
fait, cette science, l'Eglise l'exige très sévèrement
de ceux qui doivent être admis au sacerdoce.
« Pourquoi cela ? Parce que le peuple chrétien
attend d'eux la connaissance de la loi divine et
que Dieu les destine à communiquer celle-ci :
« Et ils chercheront une loi sur ses lèvres, parce
qu'il est Fange du Dieu des armées » (IbJ. C'est
pourquoi l'évêque, lors de l'ordination, s'adresse
en ces termes aux candidats au sacerdoce : « Que
votre doctrine soit un remède spirituel pour le
peuple de Dieu ; qu'ils soient les coopéra teurs de
SUR L ENSEIGNEMENT DE LA DOCTRINE CHRETIENNE IX
notre Ordre, afin que, méditant sa loi nuit et
jour, ils croient ce qu'ils auront lu et enseignent
ce qu'ils auront cru » (Pontif. rom.).
« S'il n'est aucun prêtre à qui ces paroles ne
s'adressent, que penserons-nous de ceux qui,
revêtus du nom et du pouvoir de curé, ont la
charge de directeurs des âmes, en vertu de leur
dignité et comme par une sorte de contrat ?
« Ces prêtres doivent être classés en quelque
sorte parmi les pasteurs et les docteurs que le Christ
a donnés, afin que les fidèles ne soient plus de
petits enfants flottants et ballottés à tout vent de
doctrine, au milieu de la méchanceté des hommes ;
mais que, agissant avec vérité dans la charité, ils
croissent au milieu de tout en celui qui est notre
tête, le Christ (Eph., iv, 14, i5).
VI. L'homélie et le catéchisme. — « C'est
pourquoi le très saint Concile de Trente, traitant
des pasteurs des âmes, déclare que le premier et le
plus grand de leurs devoirs est d'instruire le peu-
ple chrétien (Sess., v, cap. de réf. ; Sess., xvn,
cap. 8; Sess., xxiv, cap. 4 et 7 de réf.). Il leur
ordonne donc de parler au peuple de la religion
au moins le dimanche et les jours de fête solennels
et chaque jour pendant l'Avent et le Carême, ou
tout au moins trois fois par semaine. Ce n'est pas
tout ; il ajoute, en effet, que les curés sont tenus,
au moins les dimanches et jours de fête, soit par
eux-mêmes, soit par d'autres, d'instruire les en-
fants des vérités de la foi et de leur apprendre
l'obéissance envers Dieu et leurs parents.
« Lorsqu'il s'agit de la réception des sacrements,
ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »
il leur ordonne d'instruire de la nature de ceux-ci
ceux qui doivent les recevoir et de le faire dans un
langage facile et vulgaire. Notre prédécesseur
Benoît XIV, dans sa constitution Etsi minime,
a ainsi résumé les prescriptions de la sainte assem-
blée : « Deux missions sont spécialement impo-
sées par le Concile de Trente à ceux qui ont
charge d âmes ; Tune est de parler au peuple des
choses divines les jours de fêtes; Vautre est d'ins-
truire les enfants et tous les ignorants de la loi
divine et des rudiments de la foi.
« C'est à bon droit que le très sage Pontife dis-
tingue ces deux devoirs : celui de l'allocution que
l'on appelle vulgairement explication de l'Evangile,
et celui de l'enseignement de la doctrine chré-
tienne. En effet, il en est peut-être qui, désireux
de diminuer leur travail, se persuadent que l'ho-
mélie peut tenir lieu de catéchisme. Combien cette
opinion est fausse, c'est ce qui est évident pour
qui réfléchit. L'allocution qui est faite sur l'Evan-
gile s'adresse, en effet, à ceux qui doivent déjà être
imbus des éléments de la foi. On peut la comparer
au pain qui est distribué aux adultes. L'enseigne-
ment du catéchisme, au contraire, est le lait, ce
lait dont l'apôtre saint Pierre voulait qu'il fût
désiré sans malice par les fidèles comme par les
enfants à peine nés.
« En un mot, la fonction des catéchistes consiste
à prendre une vérité concernant la foi ou les mœurs
chrétiennes et à la mettre en lumière sous tous
les aspects. Comme, en outre, le redressement de
la vie doit être le but de l'enseignement, le caté-
chiste doit établir un parallèle entre les préceptes
sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xj
de vie que Dieu a donnés et la manière dont les
hommes vivent réellement ; il faut ensuite, sa
servant d'exemples opportuns et sagement choisis,
soit dans les saintes Ecritures, soit dans l'histoire
ecclésiastique, soit dans la vie de saints person-»
nages, persuader les auditeurs et leur montrer du
doigt pour ainsi dire de quelle façon ils doivent
ordonner leur conduite ; il faut enfin terminer par
des exhortations qui portent les assistants à con««
cevoir l'horreur des vices, à s'en détourner et à
pratiquer la vertu.
VII. Importance et nécessité du catéchisme.
«— « Nous savons, à la vérité, que la charge de
transmettre ainsi la doctrine chrétienne déplaît à
beaucoup, car elle n'est appréciée qu'à une faible
valeur et semble peut-être peu susceptible de
conquérir la faveur populaire. Nous pensons ce-
pendant qu'une telle appréciation dénote des
esprits qui se laissent conduire par la légèreté
plutôt que par la vérité. Certes, Nous ne refusons
pas l'éloge dû aux orateurs sacrés qui, dans un
zèle sincère pour la gloire divine, s'attachent, soit
à venger ou à défendre la foi, soit à louer les
saints. Mais leur travail exige un autre travail
préalable : celui des catéchistes. Si ce labeur
manque, les fondements font défaut, et ceux qui
édifient la maison travaillent en vain. Trop sou* f
vent les discours les plus ornés, qui sont écoutés ï
avec applaudissement par les assemblées les plus vi
nombreuses, ont pour seul résultat de chatouiller
les oreilles et n'émeuvent aucunement les cœurs.
L'enseignement du catéchisme, au contraire, quoi'
XÎj ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »
que humble et simple, mérite qu'on lui applique
ces paroles que Dieu prononce par l'intermédiaire
d'Isaïe : « De' même que la pluie et la neige des-
cendent du ciel et ri y retournent pas, mais
abreuvent la terre, la pénètrent, y ) 'ont pousser
les germes, procurent de la semence à celui qui
sème et du pain à celui qui mange, ainsi sera ma
parole qui sortira de ma bouche : elle ne revien-
dra pas inutile vers moi, mais elle fera ce que
fai voulu, et elle prospérera dans les choses pour
lesquelles je V ai envoyée » (is., lv, io, ii).
« Nous pensons qu'il faut juger de même des
prêtres qui, pour mettre en lumière les vérités de
la religion, écrivent de laborieux ouvrages ; ils
méritent évidemment pour cela de grands éloges.
Mais combien trouve-t-on de gens qui lisent des
livres de ce genre, de manière à en tirer un fruit
correspondant au travail et aux désirs de l'auteur ?
Au contraire, l'enseignement de la doctrine chré-
tienne, s'il est bien fait, apporte toujours quelque
utilité aux auditeurs.
« En effet (ils est bon de le rappeler pour enflam-
mer le zèle des ministres de Dieu), immense est
le nombre — et il augmente de jour en jour — de
ceux qui ignorent tout de la religion, ou qui n'ont
de la foi chrétienne qu'une connaissance telle
qu'elle leur permet, au milieu de la lumière
de la vérité catholique, de vivre à la manière
des idolâtres. Combien nombreux, hélas ! et
non seulement parmi les enfants, mais encore
parmi les adultes et les vieillards, qui ne connais-
sent absolument rien des principaux mystères de
la foi, qui, entendant le nom du Christ, répon-
sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xiij
dent : « Qui est-il, pour que je croie en lui ? »
(Joan., ix, 36). Par suite, ils ne considèrent pas
comme vice de concevoir et de nourrir des haines
contre le prochain, de conclure les contrats les
plus iniques, d'exercer des professions malhon-
nêtes, de prêter de l'argent à usure et d'accomplir
d'autres actions non moins condamnables. Par
suite, ignorant la loi du Christ, qui défend non
seulement de faire des choses honteuses, mais
encore d'y penser et de les désirer sciemment,
bien des gens, quoique peut-être, pour une cause
ou pour une autre, ils s'abstiennent à peu près des
honteux plaisirs, nourrissent toutefois, dans leur
esprit qu'aucune notion religieuse ne défend, les
plus malsaines pensées, multipliant ainsi les ini-
quités plus que ne sont nombreux les cheveux de
leur tête. Et ces vices, Nous tenons à le répéter,
se rencontrent non seulement chez les populations
des champs ou dans la portion misérable du peu-
ple, mais encore, et peut-être plus fréquemment,
chez les hommes d'une situation plus relevée, y
compris ceux qu'enfle la science, et qui, appuyés
sur une vaine érudition, prétendent pouvoir railler
la religion et « blasphèment tout ce qu'ils igno-
rent » (Ib., 10).
« S'il est vain d'espérer une moisson d'une terre
qui n'a pas reçu de semence, comment attendre
des générations ornées de bonnes mœurs si elles
n'ont pas été instruites en temps voulu de la doc-
trine chrétienne ? D'où Nous inférons à bon droit,
puisque la foi languit de nos jours au point qu'elle
est chez beaucoup presque morte, que le devoir de
transmettre les vérités du catéchisme, ou n'est
XIV ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »
rempli qu'avec trop de négligence, ou est omis
tout à fait. C'est à tort, en effet, qu'on voudrait
dire, pour s'excuser, que la foi nous est donnée à
titre gratuit et que chacun la reçoit dans le saint
baptême. Sans doute, quiconque est baptisé dans
le Christ se trouve enrichi de la foi à l'état latent ;
mais cette semence divine ne lève pas et ne produit
pas de grands rameaux (Marc, iv, 32) si elle est
abandonnée à elle-même et à sa vertu native. Il y
a dans l'homme, dès sa naissance, une faculté de
comprendre ; cette faculté a toutefois besoin de la
parole maternelle, sous l'excitation de laquelle elle
puisse, comme on dit, passer en acte. C'est juste-
ment ce qui arrive à l'homme chrétien qui,
renaissant par l'eau et l'Esprit-Saint, apporte avec
lui la foi en germe. Il a cependant besoin de
l'enseignement de l'Eglise, afin que cette foi puisse
se nourrir, se développer et porter du fruit. C'est
pourquoi PApôtre écrivait : « La foi vient de
Taudition et V audition a lieu par la parole du
Christ » (Rom., x, 17). Pour montrer la nécessité
de l'enseignement, il ajoute : « Comment enten-
dront-ils, si nul ne leur parle ? » (Ib., 14).
« Si, par ce qui a été exposé jusqu'ici, on peut
voir quelle est l'importance de l'instruction reli-
gieuse du peuple, Nous devons faire tout notre
possible pour que l'enseignement de la doctrine
sacrée, l'institution la plus utile pour la gloire de
Dieu et le salut des âmes (Constit. Etsi minime i3),
pour Nous servir des paroles de Notre prédéces-
seur Benoît XIV, soit toujours florissante, ou, si
on la néglige quelque part, y soit restaurée. Vou-
lant donc, Vénérables Frères, satisfaire à ce très
SUR l'enseignement de la doctrine CHRÉTIENNE XV
grave devoir de l'apostolat suprême et faire régner
partout, en une matière si importante, une même
et pareille façon d'agir, Nous établissons de Notre
autorité suprême, et pour tous les diocèses, les
prescriptions suivantes, qui devront être étroite-
ment exécutées et observées.
VIII. Prescriptions. — I. — « Tous les curés,
et généralement tous ceux qui ont charge d'âmes,
feront le catéchisme, tous les jours de dimanche et
de fête de l'année, sans en excepter un seul, pen-
dant une heure entière, aux enfants des deux
sexes, sur les choses que chacun doit croire et
faire pour se sauver.
; II. — « Ils devront aussi, par une retraite con-
tinue de plusieurs jours, les préparer, à des épo-
ques déterminées de l'année, à la réception des
sacrements de Pénitence et de Confirmation.
III. — « De même, et avec un zèle tout spécial
tous les jours de carême et, s'il le faut, après les
fêtes de Pâques, ils prépareront les jeunes gens et
ks jeunes filles pour qu'ils fassent saintement leur
Première Communion.
IV. — « Dans toutes les paroisses, on établira
canomquement une Association de la Doctrine
chrétienne où les curés trouveront, là surtout où
e nombre des prêtres est faible, des auxiliaires
laïques qui s'adonneront à ce ministère, tant par
zèle pour la gloire de Dieu que pour gagner les
indulgences attachées par le Souverain Pontife à
cet acte de charité.
V. — « Dans les grandes villes, surtout en celles
pu il y a des universités, lycées, collèges, on éta- .
XVJ ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »
blira des cours de religion pour instruire des dog-
mes et de la morale chrétienne la jeunesse qui
fréquente les écoles publiques où il n'est pas fait
mention de la religion.
VI. — « Mais comme, surtout de notre temps,
Page mûr n'a pas moins besoin d'instruction que
l'enfance, tous les curés et tous ceux qui ont
charge d'âmes, outre l'homélie sur l'Evangile qui
doit être donnée les jours de fête à la messe
paroissiale, à l'heure la plus opportune pour que
le peuple y vienne — en dehors de l'heure du
catéchisme des enfants — feront, en un langage
facile à comprendre, le catéchisme aux fidèles. Ils
se serviront pour cela du « Catéchisme du Concile
de Trente », de manière à traiter en quatre ou
cinq ans, le Symbole, les Sacrements, le Décalo-
gue, la Prière et les Commandements de l'Eglise.
« Nous établissons et ordonnons ces choses,
Vénérables Frères, en vertu de notre autorité
apostolique. Vous devrez faire en sorte, pour votre
part, chacun dans votre diocèse, que ces prescrip^
tions soient exécutées intégralement et sans re-
tard. Vous devrez veiller et prendre garde, dans
la mesure de votre autorité, à ce que Nos ordres
ne tombent pas dans l'oubli, ou, ce qui revient au
même, ne soient obéis qu'avec négligence et
relâchement. Pour éviter réellement ce défaut,
vous devrez user des recommandations les plus
assidues et les plus instantes, afin que les curés
n'abordent pas le catéchisme sans préparation,
mais au contraire s'y préparent à l'avance avec
soin, afin qu'ils ne prononcent pas seulement les
paroles de la sagesse humaine, mais que, « dans
sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xvij
la simplicité du cœur et de la sincérité de Dieu »
(II Cor., i, 12) ils suivent l'exemple du Christ qui,
bien qu'il mît au jour des choses « cachées depuis
le commencement du monde » (Matth., xm, 35)
« parlait cependant toujours aux foules en para-
boles » (Ib., 34). Nous savons que la même con-
duite fut tenue par les Apôtres instruits par le
Seigneur. C'est d'eux que Grégoire le Grand
disait : « Ils ont eu le plus grand soin de prêcher
les choses simples aux peuples simples, les choses
compréhensibles, et non point les choses élevées
et ardues » (Moral., I, xvn, cap. 26). Or, en ce qui
concerne la religion, presque tous les hommes,
par le temps qui court, peuvent être classés Darmi
les simples.
IX. Préparer sérieusement le catéchisme.
«Nous ne voulons pas que certains, en raison
même de ce goût qu'il faut avoir pour la simpli-
cité, se persuadent que ce genre d'enseignement
n'exige ni labeur ni méditation. Au contraire, il en
exige plus que tout autre. Il est beaucoup plus
facile de trouver un orateur qui parle avec abon-
dance et splendeur qu'un catéchiste dont l'en-
seignement soit louable en tout point. Donc, de
quelque facilité pour la pensée et rélocution que
l'on ait été doué par la nature, qu'on retienne bien
ceci, à savoir que jamais l'on ne parlera aux en-
fants ou au peuple de la doctrine chrétienne, de
façon à produire du fruit dans les âmes, si ce
n'est après s'être préparé et exercé par une sé-
rieuse méditation. Ils se trompent ceux qui, se
fiant à l'ignorance et à l'infériorité intellectuelle du
1B CATÉCHISME. — 1,1, »
XVlij ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »
peuple, prétendent pouvoir, en ces matières, agir
avec négligence. Au contraire, plus les auditeurs
sont novices, £>lus il faut de zèle et de soin pour
accommoder les vérités les plus sublimes, déjà si
élevées au-dessus des intelligences ordinaires, à la
compréhension plus faible des ignorants qui, tout
autant que les sages, ont besoin de les connaître
pour arriver à l'éternelle béatitude.
« Enfin, Vénérables Frères, qu'il nous soit permis
de terminer cette Lettre en vous adressant la pa-
role de Moïse : « Si quelqu'un est du Seigneur,
qu'il se joigne à moi» (Exode, xxxn, 26). Remar-
quez, Nous vous en prions et vous en supplions,
quels désastres résultent pour lésâmes de la seule
ignorance des choses divines. Beaucoup de choses
utiles et parfaitement louables ont peut-être été
instituées, dans le diocèse de chacun de vous, pour
le bien du troupeau qui vous est confié. Veuillez
cependant, par dessus toute chose, consacrer tout
ce que vous pourrez de vos efforts, de votre zèle,
de vos soins et de vos instances assidues à ce que
la connaissance de la doctrine chrétienne pénètre
et imprègne complètement les esprits. « Chacun,
Nous Nous servons des paroles de l'apôtre Pierre,
a reçu la grâce pour V administrer à autrui,
comme de bons dispensateurs de la grâce de Dieu
aux formes diverses » (I. Petr., iv, 10).
a Que votre diligence et votre ingéniosité, grâce
à l'intercession de la bienheureuse Vierge Imma-
culée, soient heureusement excitées par la Béné-
diction Apostolique que Nous vous accordons
très affectueusement à vous, à votre clergé et au
peuple confie à chacun de vous, comme témoi*
sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xix
gnage de Notre affection et comme gage des dons
célestes.
« Donné à Rome, près Saint-Pierre, le i5 avril
1905, la deuxième année de Notre pontificat. »
PIE X, PAPE.
mmm
PRÉFACE
La belle Encyclique du i5 avril igo5, placée en tête
de cet ouvrage, dispense complètement d'insis-
ter sur la nécessité actuelle de l'enseignement reli-
gieux. C'est elle qui a inspiré le projet de mettre
entre les mains du jeune clergé une sorte de manuel
pratique, qui fût à même de lui rappeler succinc-
tement les enseignements reçus au séminaire et de
le tenir au courant, dans la mesure du possible, des
progrès incontestables réalisés depuis quelques
années.
On a cru que, pour atteindre efficacement ce but,
rien ne valait comme de reprendre le texte du
Catéchisme romain ; car c'est là une œuvre magis-
trale, admirablement bien rédigée par les théologiens
les plus compétents de la seconde moitié du xvi° siè-
cle, à la suite des décisions du Concile de Trente,
approuvée et publiée par ordre de Pie V, toujours
recommandée depuis par les Souverains Pontifes,
et la seule officiellement proposée par l'Eglise aux
pasteurs pour l'instruction religieuse de leurs
ouailles.
Le Catéchisme romain reste un incomparable ma-
nuel. Mais il a besoin d'être complété. Car, depuis
sa rédaction, trois siècles se sont écoulés, un concile
œcuménique s'est tenu, et une renaissance d'études
XXÎj LE CATÉCHISME ROMAIN
ecclésiastiques a eu lieu, dont nous sommes les
témoins et les bénéficiaires.
Les Pères du. Concile du Vatican n'ont pas eu do
peine à constater jusqu'à quel point l'esprit d'erreur
s'était glissé partout. Ils l'ont signalé dans la théo-
logie et l'exégèse protestantes, dans les excès du
rationalisme et du naturalisme, dans les imprudences
ou les hardiesses de certains catholiques. Ils ont
fait mieux : après avoir condamné certaines erreurs,
ils ont défini quelques vérités de foi catholique, qu'il
importe de retenir comme un progrès sur le passé.
Leur tâche, malheureusement, n'a pu être achevée.
Mais telle qu'elle est, elle nous assure une connais-
sance plus précise et plus complète sur Dieu, la
création, la Providence, la révélation, les sources
de la révélation, la foi, les rapports de la foi et de
la raison, l'Eglise et l'autorité doctrinale du Souve-
rain Pontife : autant de résultats qui demeurent
définitivement acquis.
Sans doute, l'erreur n'a pas désarmé pour cela ;
elle continue sa marche progressive vers la néga-
tion absolue et le nihilisme religieux. Raison de
plus pour la suivre pas à pas et lui opposer sans
cesse, avec les affirmations de l'enseignement révélé,
les preuves d'autorité et de raison qui les justifient
aux yeux de tout homme de bon sens et de bonne
foi.
« Personne n'ignore, dit la Constitution DeiFilius,
qu'après avoir rejeté le magistère divin de l'Eglise
et abandonné les questions religieuses au jugement
privé de n'importe oui, les hérésies uroscrites par
PREFACE XXllj
le Concile de Trente se sont peu à peu fractionnées
en une infinité de sectes, qui se sont divisées et
combattues, et qu'enfin un assez grand nombre de
leurs membres ont perdu toute foi en Jésus-Christ.
Aussi les Livres saints eux-mêmes que le protestan-
tisme prétendait d'abord la seule source et la seule
règle de la doctrine chrétienne, ont-ils cessé d'être
regardés comme divins ; on s'est mis à les ranger
parmi les fictions mythiques (i). »
Rien de plus exact : car le rejet de l'autorité de
l'Eglise et l'introduction du libre examen, c'était
fatalement la porte ouverte à une série de varia-
tions jusqu'à la désagrégation complète. Mais,
depuis l'époque du dernier Concile, le protestantisme
libéral a encore accentué ses négations. En théo-
logie, ce n'est plus seulement la foi en Jésus-Christ
qu'il rejette et la divinité de Notre Seigneur qu'il
nie, il affiche la prétention de rester chrétien tout
en niant cette divinité, et il en est même venu à
mettre en doute les premiers principes de la reli-
gion naturelle. En exégèse, sa critique n'est pas
moins négative. Le piétisme, qui regardait comme
inspiré tout ce qui contribue à l'édification ; le
socinianisme, qui repoussait tout mystère ; l'armi-
nianisme, qui niait toute inspiration, sont de beau-
coup dépassés. On a fait table rase ; et, pour
expliqueras origines de la révélation mosaïque, on
n'invoque plus que la théorie du progrès indéfini
de l'humanité. Bref, de la Bible, il ne reste plus
i. Const. Del Fllius, Prol., § 3
XXIV LE CATECHISME ROMAIN
rien qu'un vieux livre, en tout semblable aux
autres.
Les Pères du Vatican dénonçaient aussi « le
rationalisme ou le naturalisme qui, se mettant de
tous points en opposition avec la religion chré-
tienne, à raison de son caractère surnaturel, s'ap-
plique avec les plus grands efforts à exclure Jésus-
Christ, Nôtre unique Seigneur et Sauveur, de la
pensée des hommes, de la vie et des mœurs des
peuples, pour établir le règne de ce qu'on appelle
la pure raison ou la nature. Mais, après avoir aban-
donné et rejeté la religion chrétienne, après avoir
renié le vrai Dieu et son Christ, plusieurs ont laissé
tomber leur intelligence dans le gouffre du pan-
théisme, du matérialisme, de l'athéisme, et, niant
la spiritualité de l'âme et toute règle de la justice
et de la vertu, ils unissent leurs efforts pour saper
les fondements les plus profonds de la société
humaine (i). »
Rien encore de plus exact. Jamais peut-être plus que
de nos jours, l'homme n'a été infatué de lui-même,
des lumières de sa raison, des progrès de la science ;
il se dit et se croit autonome ; il ne veut plus ni de
l'Eglise ni de Dieu, et il travaille, en France du
moins, à déchristianiser le peuple.
Les Pères du Vatican déclaraient enfin que, « par
le fait de cette impiété qui s'est propagée de tous
côtés, il est malheureusement arrivé que plusieurs
même des enfants de l'Eglise catholique se sont
I. Const. DeiFlUas., Prol., § £.
PREFACE XXV
écartés du chemin de la véritable piété, et que le
sens catholique s'est émoussé en eux par suite de
l'amoindrissement progressif des vérités. Entraînés
par toutes sortes de doctrines étrangères et faisant
un alliage mal ordonné de la nature et de la grâce,
de la science humaine et de la foi divine, l'expé-
rience le montre, ils dénaturent la signification
véritable des dogmes admise et enseignée par notre
sainte mère l'Eglise et ils mettent en péril l'inté-
grité et la pureté de la foi (1). »
Ces paroles, écrites, il y a plus de trente ans, sont
d'une application très actuelle. La diminution de la
foi va croissant dans les masses, faute d'une ins-
truction solide ; le sens catholique, c'est-à-dire
l'habitude de juger de toutes choses d'après les
règles de la foi, la fermeté des convictions chré-
tiennes, la crainte de l'apparence même de l'erreur,
cet ensemble de dispositions intellectuelles et
morales, tout s'émousse. Et, d'autre part, combien
qui se laissent fasciner par les théories à la mode,
d'importation étrangère, et en tout cas peu con-
formes à la foi ! Combien, même parmi les doctes,
qui subissent le fâcheux contact du rationalisme et
qui, sous prétexte d'être de leur temps et de rester
en harmonie avec la pensée moderne, sont victimes
d'infiltrations hétérodoxes !
Mais si, depuis le concile du Vatican, l'erreur a
marché dans le sens d'une négation toujours plus
radicale, est-ce à dire qu'elle ait trouvé en défaut
i. Const. Dei Filius, Prol., S 5.
XXVJ LE CATECHISME ROMAIN
renseignement catholique ou qu'elle en ait eu raison?
Loin de là. Car le Concile a été le point de départ
d'une renaissance religieuse et d'un mouvement
scientifique considérable. Partout, en Angleterre,
en Allemagne, en France, les savants catholiques se
sont montrés à la hauteur de leur tâche. Chez nous,
en particulier, les universités de fondation récente
sont devenues des foyers de haute culture intellec-
tuelle, dont les fruits, déjà sensibles, paraîtront
chaque jour davantage. Et, sans entrer dans des
détails, que de travaux, depuis un quart de siècle,
dans les études bibliques, patristiques, théologi-
ques, philosophiques ! Et que de progrès déjà
réalisés ! Les livres se multiplient, marqués pour
la plupart d'un caractère vraiment objectif et scien-
tifique. De nombreuses revues, chacune dans un
domaine à part, tiennent au courant les amis de
l'étude de toutes les questions nouvelles, de tous
les problèmes agités, des solutions que la science
religieuse apporte pour répondre aux besoins de la
pensée contemporaine. Sans doute, dans le pêle-
mêle des idées, tout n'est pas or, mais il y a des
parcelles d'or qu'il convient de recueillir. Et déjà
des dictionnaires se composent, qui résument avec
soin les précieux résultats acquis. Autant d'instru-
ments de travail pour l'exégèse, la critique, l'his-
toire, la controverse, l'apologétique, qui permettent
d'opposer aux théories spécieuses, prématurées ou
hasardées, aux mensonges et aux erreurs, des ré-
ponses pleinement justifiées. N'est-ce pas là l'un des
meilleurs moyens d'être de son temps et de préparer
PRÉFACE XXVÎj
l'avenir? Et que désirer de mieux sinon de voir ce
mouvement scientifique s'accentuer et toutes ces
richesses se répandre de plus en plus dans le clergé
jusqu'au fin fond des campagnes ? C'est notre
clergé qui, par ses travaux d'érudition, a alimenté
la science allemande ; le voilà maintenant en train
de renouer la tradition de la façon la plus heureuse
et de reprendre, comme il convient, la tête du
mouvement. On ne peut que s'en féliciter.
En publiant ce nouvel ouvrage, on voudrait
contribuer, pour une modeste part, à la diffusion
des progrès accomplis depuis quelques années, en
un mot faire œuvre de vulgarisation.
On tient avant tout à rester en contact nécessaire
avec l'enseignement traditionnel, seule garantie
possible d'une impeccable orthodoxie. Pour cela,
le cadre et le texte du Catéchisme romain sont con-
servés. Il ne reste plus qu'à compléter l'œuvre qui
fut rédigée conformément aux prescriptions du
Concile de Trente. Et c'est pourquoi, à toutes les
questions qui y sont si magistralement traitées,
s'ajouteront nécessairement les explications, les
précisions, les décisions et les définitions survenues
depuis trois siècles ; en outre, on y joindra tout ce
qui regarde le surnaturel et la grâce, et on con-
sacrera la dernière partie au culte et aux fêtes
liturgiques.
Mais on tient aussi, dans un esprit sagement
progressiste, à prendre contact avec le mouvement
scientifique contemporain, à signaler les graves
problèmes religieux qui sont à l'ordre du jour, les
XXviij LE CATECHISME ROMAIN
solutions qu'on leur donne et les résultats qui
paraissent légitimement acquis. Et c'est pourquoi
on insistera de préférence, grâce aux progrès réali-
sés dans tous les domaines de la science religieuse,
sur les questions actuellement débattues, par exem-
ple sur les notions de la foi, du dogme, de la révé-
lation, de FEcriture sainte, de la tradition, de
l'Eglise, etc.
Faut-il ajouter qu'on n'a nullement la prétention
de composer une Théologie ? Les sujets seront trai-
tés dans l'ordre où ils se présentent dans le Caté-
chisme romain ; d'autres seront ajoutés ; mais une
table analytique des matières de l'ouvrage entier
permettra d'avoir les vues d'ensemble, de trouver
les divers renseignements relatifs à la même ques-
tion, et d'utiliser ainsi en peu de temps la matière
éparse dans les huit volumes.
On a moins encore la prétention de dispenser le
lecteur de recourir directement aux sources ; cel-
les-ci, du moins, seront signalées dans des notes
bibliographiques suffisamment abondantes.
Mais ce que l'on a voulu surtout, c'est d'être
utile et pratique, de mettre entre les mains du jeune
clergé un recueil d'informations précises et sûres,
dispersées dans un trop grand nombre de brochu-
res, de revues ou de livres, qu'on n'a pas toujours
à sa disposition, c'est-à-dire un instrument de tra-
vail aussi bien adapté que possible aux besoins de
l'heure présente et au courant des derniers résul-
tats de la science. La Praxis du Catéchisme romain,
qui indique pour chaque dimanche et fête de l'an-
PREFACE XXIX
née des textes scripturaires pouvant servir de sujet
de prône ou d'instruction, sera insérée et notable-
ment augmentée pour former un petit manuel très
pratique et très objectif de prédication. Et l'on
espère que tout prêtre, ainsi rapidement et sûre-
ment renseigné, pourra faire une œuvre très appro-
priée et éminemment utile auprès de ses auditeurs,
soit pour les instruire, soit pour les armer contre
les objections anciennes et récentes.
L'auteur, cela va sans dire, compte sur la bienveil-
lante indulgence de ses confrères ; car il reste
assuré d'être loin d'avoir atteint la perfection dans
un travail aussi délicat que difficile, et il est prêt à
utiliser les critiques qui signaleront des défauts ou
suggéreront des amendements et des progrès.
Fils soumis de la Sainte Eglise, il n'a garde d'ou-
blier les prescriptions canoniques en pareille matière
et se déclare prêt d'avance à accepter et à ratifier ce
que l'autorité compétente jugerait bon de modifier
ou de proscrire.
Toulouse, 2 juillet 1906, en la fêle de la Vin-
talion.
PREMIÈRE PARTIE
Le Symbole
i
INTRODUCTION
Il n'est pas inutile, croyons-nous, de demander à
l'histoire quelques renseignements précis sur le rôle
enseignant de l'Eglise à travers les siècles, puisque
ce rôle est l'un des plus importants qui lui ait été confié
par Notre-Seigneur : « Eunies, doceie... »
Comment donc l'a-t-elle compris et rempli ? Sur quoi
l'a-t-elle fait porter ? Et quelle a été sa méthode ?
Il sera facile de se convaincre que le Catéchisme, tel que
nous le connaissons, c'est-à-dire le petit livre méthodique
que l'on met entre les mains' des enfants, n'est que
l'aboutissement d'une longue série d'efforts. C'est laisser
entendre, par conséquent, que si l'Eglise possède aujour-
d'hui et utilise un manuel d'instruction religieuse, résumé
succinct de ce que le chrétien doit savoir et pratiquer
pour être sauvé, il n'en a pas toujours été ainsi. Toutefois
l'absence d'un tel instrument pédagogique n'a jamais
empêché l'Eglise de travailler avec le plus grand soin à
l'instruction religieuse de ses enfants, sur un cadre
délimité.
Avant d'aboutir au catéchisme actuel, elle a commencé
par l'enseignement de la Catéchèse. Catéchèse, xaTVjpatç
du verbe xaT7j/éoj, est un mot grec qui signifie, pro-
prement, retentir, faire retentir, et au figuré, enseigner
de vive voix, instruire oralement, la parole du maître
servant d'écho à l'interrogation du disciple, et la réponse
LE CATECHISME. T. I.
LE CATÉCHISME ROMAIN
du disciple à la question du maître. C'est dans ce dermei
sens que, seuls des écrivains du Nouveau-Testament
saint Luc et .saint Paul ont employé le verbe xvnativ (i.
De là, chez les Pères grecs, l'emploi du mot x^yr,™.
et chez les Pères latins du mot calechesis, pour designer
soit l'action d'enseigner, soit l'enseignement lui-même ou
son objet. Mais avec l'organisation du catechumenat, ce
terme prend un sens plus précis et plus restreint : il
s'applique tout particulièrement à l'enseignement oral qui
sert de préparation au baptême et qui, par suite ne
s'adresse qu'à des non-initiés (a;. Disons donc d abord
quelques mots sur la Catéchèse.
La Catéchèse
I. Pendant les deux premiers siècles. -- IL Du
commencement du 111° siècle à la fin du V\ —
III. De la fin du V6 siècle au IX0 (3).
I. Pendant les deux premiers
siècles
1- La Catéchèse Apostolique. — Conformément
aux ordres de Notre Seigneur, les apôlres commencè-
rent par enseigner. Mais qu'enseignaient- ils ? Quel était
l'objet de leur catéchèse ? Cela dépendait des auditeurs
auxquels ils s'adressaient.
Vis à vis des Juifs, par exemple, tout le débat se
bornait à savoir si Jésus était vraiment le Messie annonce,
s'il était Dieu. Et c'est là ce qui explique le discours
prononcé par saint Pierre après la descente du Saint-
i. Luc, i, 4 ; Ad. xviii, 25 ; 1 Cor. xiv, 19 ; Gai vi 6 , -
2. Crocquct, Calechesis chrisliana, Douai, 107/t, p. b ; Wituiit,
Theologia calcchelica. Munster, i656, p. 2 ; Gilbert, Clinstl.
calech. hisloria, Leipzig, i836, t. 1, p. 129 ; Zcrschwitz, Syslem
der Christl. Kalech. Leipzig, iS63, t. 1, p. 17, sq.
3. BIBLIOGRAPHIE: A. Crocquct, Ca/ec/ieses c/iristtana?, Douai,
175/j ; Reinboit, DisserL du caleciiesi velerum, Rostock, i645 ;
INTRODUCTION
Esprit (i). La plupart de ses auditeurs lui demandant ce
qu'ils avaient à faire, Pierre leur répondit : « Faites
pénitence et soyez baptisés au nom de Jésus-Christ pour
obtenir la rémission de vos péchés, et vous recevrez le
don du Saint-Esprit » (2). Auprès des Juifs delà diaspora»
dans la synagogue des affranchis de Rome, des Cyrénéens,
des Alexandrins, des Giliciens, des Asiates, saint Etienne
va plus loin : il exalte Jésus au dessus de Moïse ; il
déclare sa doctrine indépendante des rites et des prescrip-
tions de la loi, ce qui est le congé donné à l'ancienne
alliance (3). Cela suffit à caractériser la catéchèse aposto-
lique auprès des Juifs. Mais l'épître aux Hébreux est plus
explicite. Son auteur distingue entre le lait qu'on ne
donne qu'aux débutants et la nourriture solide qu'on
réserve pour les plus avances. Or, parmi les éléments
constitutifs de cet enseignement préliminaire ou de cette
catéchèse, il signale, comme fondement, la pénitence,
Witfelt, Theologia catechetica, Munster, i656 ; Stark, De
eatecîiizaUone veterum, Wittenberg, 1688 ; Wilisch, Hisloria
catechetica, Altenbourg, 1718 ; Langemach, Historia catechetica,
1729-1740 ; Walch, De apostolorum institatione catecheticay
ïéna, 1744, Miller, De catechetico veteris Ecclesiœ docendi génère,
Helmstadt, 1751 ; Zacharias, De methodo catechetica veterum
ïhristianoram, Gœttingue, 1765 ; Robinson, The hislory oj
Baptism, Londres, 1790 ; Grùber, Des ht. Augustin Théorie des
Kateclietik, Salzbourg, i83o, i844; Gilbert, Christianœ catecheseos
historia, Leipzig, i836 ; Mayer, Geschichte der Katechumenats
und der Katechese, Kemptcn, 1868 ; A. Weiss, Die allkirschliche
Pàdagogik, Fribourg, 1869 ; Zerschwitz, System der Kristlichen
Kateclietik, Leipzig, 1863-1870 ; Schôbcrl, Die nar ratio des hl.
Augustin, Dingolfing, 1880 ; Gobi, Geschichte der Katechese,
Kemptem, 1880 ; Probst, Geschichte der katolischen Katechese,
Bresiau, 1884 ; dom Cabrol, Les églises de Jérusalem, la
discipline et la liturgie au IVe siècle, Paris, 1895 ; Mgr Duchesne,
Origines du culte chrétien, 2e édit., Paris, 1898; Hézard, Histoire
du catéchisme, Paris, 1900 ; Kirchenlexicon, 2e édit., Fribourg-
en-Brisgau, 1891, t. vu, col. 238 208 ; A. Seeberg, Der
Kalechismus der Urchristenheil, Leipzig, 1903 ; U. Chevalier.
Répertoire. Topo-bibliographie, t. 1, col. Gi5 ; G. Bareille, article
Catéchèse dans le Dictionnaire de théologie, t. 11, col. 1877-1895,
X. AcL, 11, 22-3G. — 2, Ibid. — 3. AcL, vi-vn.
LE CATECHISME ROMAIN
puis la foi en Dieu, la doctrine du baptême, de l'imposition
des mains, de la résurrection des morts et du jugement
éternel (i).
Tout autre devait être la catéchèse adressée aux Gentils;
car ceux-ci n'étaient pas préparés comme les juifs ; leur
paganisme offrait un premier obstacle à vaincre. Il im-
portait donc de renverser cet obstacle. D'après le discours
de saint Paul à l'aréopage d'Athènes (2), on voit que
l'existence d'un seul Dieu, créateur du ciel, de la terre et
del'humanité, estaffirmée, quele paganisme est condamné,
qu'il faut faire pénitence en vue du jugement futur,
auquel présidera celui qui est déjà ressuscité d'entre les
morts. Ce discours, interrompu par les Athéniens, laisse
entrevoir la conclusion qui était de croire en Jésus-Christ
et de recevoir le baptême pour être sauvé. Le cadre s'est
donc élargi ; un élément nouveau et nécessaire, la con-
damnation du paganisme, s'introduit dans la catéchèse et
n'en disparaîtra plus.
M. A. Seeberg a essayé, de nos jours (3), de reconstituer
la catéchèse qui servait, au temps des apôtres, à l'instruc-
tion des catéchumènes. Mais ses conclusions reposent en
partie sur des considérations qui ne sont pas fondées,
telles que, par exemple, la non-authenticité de la formule
baptismale, et supposent des combinaisons de textes, qui
sont fragiles et branlantes (4).
2° La Didaché. — Ce petit livre est un témoin de l'âge
qui fait suite immédiatement à celui des Apôtres. Il nous
offre, dans sa première partie, un modèle de catéchèse
adressé à des catéchumènes avant la collation du baptême,
sous la forme d'une très courte instruction morale — on
dirait un manuel — sur les Deux voies, la voie de la vie
et la voie de la mort. La voie de la vie est celle qu'il faut
suivre en pratiquant le double précepte évangélique,
l'amour de Dieu et du prochain, et ce principe d'ordre
général : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'il
1. Hébr., y, 12 ; vi, 1, 2. — 2. Act., xvn, 24-3i. — 3. Der
Kateckismus der Urchristenheit, Leipzig, 1903. — 4- Diction,
de Théologie, t. 11, col. 1879- 1880.
INTRODUCTION
te fasse ». La voie de la mort est celle qu'il faut éviter en
ne commettant pas les péchés, qui sont énumérés (i).
Cette catéchèse, il est vrai, ne renferme explicitement rien
de ce qu'il faut croire ; elle ne s'en tient exclusivement
qu'aux préceptes de la vie morale. Mais il va de soi que
ceux à qui elle est adressée ne sont pas sans avoir mani-
festé le désir de renoncer à la vie païenne pour faire
profession de vie chrétienne, d'après une connaissance,
rudimentaire, si l'on veut, mais suffisante et déjà acquise
de l'erreur du paganisme et de la vérité du christianisme.
Et c'est pourquoi on ne leur indique que ce qu'ils ont à
pratiquer pour recevoir le baptême, en y ajoutant les
œuvres, soit de pénitence, telles que le jeûne, soit de
prière, telles, en particulier, que l'action de grâce sur le
woTTJpiov et le xXàsixa et surtout la prière par excellence
ou oraison dominicale.
3° C'est là tout ce qui reste comme catéchèse du-
rant les deux premiers siècles. Il existe cependant
d'autres œuvres qui, manifestement, reflètent la mé-
thode et l'objet de l'enseignement donné aux païens à cette
époque, et, par exemple, la. première Apologie de saint Jus-
tin, à Rome, et Y Exhortation aux Grecs de Clément, à
Alexandrie. D'une part, en effet, malgré son défaut d'ordre,
l'apologie de saint Justin permet de distinguer ces points
principaux de cet enseignement : condamnation de l'ido-
lâtrie ou du paganisme : proclamation de l'unité de Dieu,
de l'existence du Père, du Fils et du Saint-Esprit, du
dogme de la création ; preuve de la divinité de Jésus-
Christ, Verbe de Dieu, fils unique de Dieu, incarné pour
sauver tous les hommes, crucifié, ressuscité et juge futur
du genre humain : récompense éternelle des bons, châti-
ment éternel des méchants. On dirait déjà une notification
du symbole apostolique. Et cette exposition dogmatique,
si différente de la catéchèse des Deux voies, insiste,
même auprès des gentils, sur la divinité de Jésus-Christ,
prouvée par l'existence et la réalisation des prophéties.
i. Funk, Doctrina duodecim aposlolorum, Tubingue, 1887,
p. 3-2i ; Diction, de Théologie, t. 1. col. i;S83-i684.
6 LE CATÉCHISME ROMAIN
D'antre part, le Protreptique de Clément d'Alexandrie
est une invitation pressante adressée aux païens pour leur
faire abandonner leurs erreurs et prêter l'oreille à l'ensei-
gnement salutaire du Verbe. Pourquoi l'abandon du
paganisme? A raison de son absurdité et de ses ignominies.
Pourquoi l'adhésion à l'enseignement du Christ ? Parce
que le Christ est le Verbe qui a eu pitié de nous dès le
commencement et est venu nous délivrer ; parce qu'il est
ïe Dieu fait homme qui nous a envoyé le Paraclet pour
nous exhorter à la connaissance de la vérité; parce qu'il
est la voie, la vérité, la vie, le salut. Conclusion : Expiez
vos péchés par une sincère pénitence, lavez-les dans les
eaux du baptême, attachez-vous à Jésus-Christ, embrassez
sa doctrine, obéissez à ses lois, pour avoir part à son
héritage ; sinon, redoutez les châtiments qui ne doivent
pas finir.
C'était là également la méthode de Théophile d'Antio-
che dans ses trois livres à Autolycus.
En résumé, examen du paganisme pour le flétrir et le
condamner, appel à l'histoire pour y montrer l'intervention
miséricordieuse de Dieu à l'égard de l'homme, évocation
•des souvenirs évangéliques pour signaler le rôle du
Christ sauveur, considérations morales et enseignement
dogmatique pour faire embrasser la foi et les pratiques
chrétiennes, seul moyen de se sauver, c'est-à-dire d'obte-
nir la récompense ou d'éviter le châtiment de la vie future,
tels sont les points principaux qui forment la trame de la
catéchèse primitive.
IL La Catéchèse
du commencement du IIIe siècle
à la fin du Ve
Dès que le catéchuménat commence à fonctionner
comme une institution régulière, la catéchèse, tout en
continuant à poursuivre, par l'enseignement, l'instruc-
tion religieuse et l'éducation morale des auditeurs, sa
proportionne à leurs besoins, à leur degré d'avancement.
INTRODUCTION
Ceux-ci, en effet, appartiennent à diverses catégories, ne
se trouvent pas au même point de préparation ; les uns
ne sont que de simples postulants, les autres des catéche-
mènes proprement dits, d'autres encore des compétents
ou des néophytes. Dès lors le catéchiste tient un langage
plus ou moins explicite, d'après la situation, et selon les
besoins immédiats de ses élèves. Il va de soi que celui qui
vient d'être à peine initié par le baptême sera autrement
instruit que le compétent, que le compétent sera traité
autrement que le catéchumène et le catéchumène autre-
ment que le simple postulant, qui frappe à la porte de
l'Eglise pour la première ibis. De là, dans les catéchèses
de cette période, qui s'étend du me siècle à la fin du v°,
diverses nuances qu'il convient de caractériser d'un mot
rapide.
1° Admission au Catôchumat. — Une catéchèse
spéciale précédait l'admission d'un postulant au caté-
chumenat. Bien qu'aucun modèle de ce genre ne nous
ait été conservé par les documents d'alors, le fait de son
existence ne saurait être révoqué en doute.
Le but de la catéchèse étant de conduire à la foi, selon
le mot de Clément d'Alexandrie (i), le but particulier de
la catéchèse d'admission était de préparer les voies, de
tracer la marche à suivre ainsi que la conduite à tenir,
soit en indiquant les obstacles qu'il fallait écarter, soit en
notifiant dans leur ensemble et d'une façon sommaire les
principales vérités à croire et les devoirs à pratiquer.
Saint Ambroise nous donne un renseignement précieux
à ce sujet. Il écrit, en effet, qu'il faut agir à l'égard des;
païens comme saint Paul avait agi envers les membres de
l'aréopage. De plus, il donne le programme à remplir :'
c'est d'abord d'enseigner qu'il n'y a qu'un seul Dieu, que
ce Dieu est le maître de tout et que le devoir de l'homme
est de l'aimer; c'est ensuite de condamner l'idolâtrie;
c'est enfin de montrer que Jésus-Christ a apporté le salut,
par suite qu'il faut croire en lui, parce que l'histoire seule
de ce qu'il a fait sur la terre jusqu'à sa résurrection est
i. Pédagogue, i, 6 ; Pair, gr., t. vin, col. 235.
8 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ' •
une preuve de sa divinité (i). Si la réponse qu'il fit in
modum catechismi à Frigitil, reine des Marcomans,
qui lui avait demandé ut scripiis ipslas qualller credere
deberet, nous était parvenue, nul doute que nous n'eus-
sions là un exemple de ce genre de catéchèse (2).
En revanche nous pouvons tirer des renseignements non
moins précieux soit de la Grande Catéchèse de saint Gré-
goire de Nysse (3), soit du De catechizandls rudibus de
saint Augustin (4).
Il est vrai que l'évêque de Nysse, malgré le titre de son
discours, ne nous donne pas une catéchèse proprement
dite ou une allocution à des païens ; c'est plutôt une leçon
à l'usage des catéchistes sur la manière de faire la caté-
chèse, et plus spécialement de prouver par le raisonne-
ment les mystères de la foi à ceux qui ne défèrent pas à
l'autorité de l'Eglise. En conséquence, il avertit les maî-
tres chrétiens de varier leurs procédés suivant les besoins
de leurs catéchisés, de se mettre toujours au point de vue
particulier de l'adversaire, de le suivre pas à pas et de pro-
fiter de ses concessions pour entraîner et décider son
adhésion. C'est de manière différente, en effet, qu'on doit
procéder selon qu'on parle à un païen qui nie l'unité de
Dieu, ou à un Juif qui ne croit pas en Jésus-Christ, ou à
|un hérétique, qui, en attaquant la divinité de Notre-Sei-
1 gneur, erre sur la trinité. La tactique indiquée est celle
|d'un controversiste ou d'un apologiste en face des diffi-
cultés qu'on oppose aux dogmes chrétiens, beaucoup plus
jque celle d'un catéchiste ; sans doute parce que les habi-
litants de Nysse devaient avoir l'esprit raisonneur des Grecs
et non la simplicité des hommes de bonne volonté. Quoi
qu'il en soit, le ton a beau différer, l'objet de la catéchèse
i reste le même, c'est de signaler les principaux dogmes,
tels que celui de la trinité, de l'incarnation et de la" ré-
demption, les deux sacrements du baptême et de l'eucha-
ristie, ainsi que la double sanction de la vie éternelle ;
1. In Lac, vi, io4-io5 ; Pair, lai., t. xv, col. 1096-1097. —
a. Vila Ambrosii, 36 ; Pair, lai., t. xiv, col. 39. — 3. Pair,
gr., t. xlv, col. 9 sq. — 4- Pair, lai., t. xl, col. 309 sq.
INTRODUCTION
et le but est identique, celui d'amener à la foi les infi-
dèles (i).
Combien plus explicite est saint Augustin ! Grâce à lui,
nous connaissons la méthode et l'objet de la catéchèse
dont nous parlons. Attitude à avoir, plan à suivre,
matière à traiter, c'est toute une théorie de ce genre
de catéchèse qu'il adresse à Deogratias, diacre de
Carthage, avec deux exemples ou modèles à l'appui, l'un
plus long, l'autre plus court, selon le temps dont on
dispose.
S'agit-il d'un illettré, d'un radis et indoctus ? Il faut lui
montrer tout d'abord, par un rapide exposé de l'histoire
du monde, que tout ce que Dieu a fait il l'a fait par
amour, afin de porter cet illettré à répondre à ces avances
divines par l'amour d'un cœur pur, d'une conscience
droite, d'une foi non feinte ; car là est la fin du précepte
et la plénitude de la loi : tel est le but à atteindre. Et pour
mieux provoquer cet amour, parler de la sévérité de
Dieu, car la crainte est toujours salutaire pour toucher le
cœur des mortels. Mais avant d'entrer en matière, il faut
bien connaître l'état d'âme de ce postulant et procéder en
connaissance de cause. Faire voir ensuite l'intervention de
Dieu dans l'histoire à travers les six âges du monde, l'An-
cien Testament n'étant que la préparation et l'annonce du
Nouveau, et le Nouveau n'étant que la réalisation ou la
révélation de l'Ancien. Finalement insister sur la résur-
rection future, sur le jugement dernier et sur la sanction
éternelle du bien et du mal ; mettre en garde cet illettré
contre les scandales du dehors et du dedans ; lui rappeler
brièvement et convenablement les préceptes de la vie
chrétienne. Et si alors il accepte d'entrer dans la voie du
salut, qu'il n'en rapporte qu'à Dieu tout le mérite, qu'il
aime Dieu et son prochain à cause de Dieu, car Dieu qui
l'a aimé ennemi le justifiera ami.
S'agit-il d'un homme possédant déjà quelques notions
de la Sainte-Ecriture et des lettres chrétiennes ? N'avoir
i. Cf. H. Strawley, The catechical oralion oj Gregory of Nyssa,
Cambridge, 1903.
10 LE CATECHISME ROMAIN
pas l'air d'apprendre à cet homme ce qu'il sait déjà, mais
énumérer, comme s'il le savait, tout ce qu'on dit en pa-
reil cas à l'illettré, car cela fournit l'occasion de lui ap-
prendre ce qu'il ignore. Il n'est certes pas inutile de l'in-
terroger, lui aussi, pour savoir à quels livres, à quels trai-
tés, il attribue son désir de conversion. Si on les connaît,
les louer ; mais s'ils sont l'œuvre d'hérétiques, leur oppo-
ser l'autorité de l'Eglise universelle, en faisant remarquer
que même les bons peuvent parfois se tromper ou donner
lieu, quand ils sont mal compris, à ce que d'autres se
trompent. Par là lui éviter toute présomption. Quant au
reste, c'est-à-dire pour ce qui regarde les conclusions pra-
tiques, en parler comme aux ignorants.
S'agit-il enfin d'esprits cultivés au point de vue litté-
raire, mais ignorants au point de vue de la foi ! A ceux-là,
plus encore qu'aux illettrés, recommander la retenue ou
l'humilité pour les empêcher de mépriser ceux qui évitent
plus facilement les fautes de conduite que l'incorrection
du langage ; leur apprendre surtout à s'instruire dans les
Ecritures, à ne pas les considérer à un point de vue hu-
main, et comme des livres ordinaires, à adhérer plus au
sens qu'aux termes, à l'esprit qu'à la lettre, à l'âme qu'au
corps ; à en écouter les explications vraies plus que celles
qui sont directes, sans s'arrêter au langage incorrect ou
barbare de celui qui les interprète ; car, à l'église, on
n'est pas au barreau. Quant au sacrement à recevoir, il
suffit aux plus entendus de comprendre ce qu'il signifie ;
vis-à-vis des plus lents, user d'explications et de comparai-
sons pour qu'ils ne méprisent pas ce qu'ils voient.
A cette théorie saint Augustin ajoute deux modèles.
Qu'il suffise d'en retenir la conclusion : Croire ferme-
ment sans se laisser déconcerter ; se tenir en garde contre
les démons et leurs suppôts, qu'ils soient païens, juifs
ou chrétiens ; s'attacher de préférence aux bons, sans
mettre son espoir en eux, car il ne faut le mettre qu'en
Dieu ; et, ce faisant, persévérer dans la foi, en dépit des
tribulations ; conserver l'humilité, car Dieu ne permet
pas qu'on soit tenté au-dessus de ses forces.
Ce qu'il y a de remarquable dans ce modèle de caté-
INTRODUCTION 1 1
chèse, ce n'est pas seulement la manière dont l'evêque
d'Hippone envisage la suite des âges comme une sorte de
philosophie de l'histoire, où éclatent, dans une série
ininterrompue, les attentions de Dieu à l'égard de
l'homme, et fait de la personne du Christ le point central
de l'histoire du monde, c'est encore l'habileté avec la-
quelle il y enseigne les articles du symbole, sans révéler
qu'ils fassent partie de la formule de foi, et y rattache
toute la morale chrétienne ; c'est surtout le but très pré-
cis qu'il poursuit d'inspirer la foi* l'espérance et la cha-
rité. Aussi n'hésite-t-il pas à revenir à plusieurs reprises
soit sur les récompenses promises aux fidèles, soit sur les
châtiments réservés aux impies et aux mauvais chrétiens ;
moyen excellent d'inspirer par la crainte un commence-
ment d'amour de Dieu. Et c'est bien là le genre de la
catéchèse, adressée pendant la période patristique à ceux
qui demandaient à entrer dans le catéchuménat, en vue
de la future initiation chrétienne.
2° La Catéchèse des Catéchumènes. — Dès
qu'il était admis au rang des catéchumènes, et tant que
durait le premier stage de sa probation, le futoir baptisé
devait apprendre à mieux connaître la doctrine et la prati-
quechrétiennes.Gr l'homélie ordinaireourinstruc!;nîiqui,
au commencement du service divin, servait à expliquer et
à commenter le passage de l'Ecriture dont on venait de
faire la lecture, était insuffisante, à raison delà réserve et
de la discrétion qui étaient inspirées parla loi du secret
depuis l'institution du catéchuménat. Certains sujets, en
effet, étaient de parti pris passés sous silence. Dans cet
enseignement public on ne traitait que des questions
générales de foi ou de morale, ou bien on se bornait à de
simples allusions, à des explications sommaires, que
saisissaient fort bien les initiés, mais qui restaient de
pures énigmes pour les non-initiés. Les catéchumènes
avait donc besoin d'un supplément d'information.
D'autre part, s'ils lisaient les livres de l'Ancien Tes-
tament, même les deutéro-canoniques ou certains ou-
vrages tels que la Didaché eu le Pasteur d'Hermas, ils
étaient loin d'en saisir la portée ou d'en comprendre la
12 LE CATECHISME ROMAIN
doctrine : de là encore la nécessité d'an enseignement
supplémentaire et spécial.
Mais cet enseignement lui-même, confié à des didas-
cales, docteurs ou catéchistes, clercs ou laïques, prêtres ou
diacres, devait naturellement se proportionner aux besoins
actuels des catéchumènes. Et comme ceux-ci n'étaient
initiés que peu à peu, progressivement, selon le degré de
leur probatlon, il s'ensuit que l'enseignement approprié
qu'ils recevaient était forcément lui-même renfermé dans
certaines limites. Son objet ne pouvait guère consister que
dans un développement plus détaillé, plus accentué et
plus complet de la première catéchèse, telle que nous l'a
fait connaître saint Augustin, ou de l'homélie telle qu'elle
se pratiquait alors.
Or rien n'était plus propre à y aider que Y Ecriture. Le
dogme, depuis celui de la création et de la chute jusqu'à
celui de la résurrection et du jugement général, y avait sa
place avec une mise en relief de la bonté et de la justice de
Dieu, de l'incarnation et de la rédemption; mais surtout
la morale avec l'explication des divers préceptes de dé-
calogue ou du double commandement de l'amour. Mais
si la catéchèse, adressée aux cathéchumènes, était une ins-
truction de nature à provoquer une adhésion plus ferme
de l'esprit à la foi et à fixer la confiance en Dieu, elle
était aussi une thérapeutique pour guérir les âmes de la
folie du paganisme et des atteintes du péché, elle était
essentiellement une formation morale de la volonté, un
entraînement du cœur dans la pratique du bien, c'est-à-
dire une éducation. Et à ce ptfint de vue, par exemple pour
faire mépriserl'iclolâtrieou la superstition, pourinspirerle
dégoût d'une morale facile et corrompue ou l'amour d'une
morale saine et austère, rien de mieux approprié que la
lecture et l'explication du livre la Sagesse. Celui de
Y Ecclésiastique n'a-t-il pas pour but, selon la remarque
de la préface, d'apprendre à bien régler ses œuvres et à
mettre sa vie en harmonie avec la loi de Dieu ? Et où
trouver, pour des âmes à peine détachées du paganisme
ou en train de s'en détacher, des leçons plus touchantes
et mieux appropriées de foi, de confiance en Dieu, de
INTRODUCTION l3
vertus morales, que celles qui se dégagent des livres de
Tobie ou cVEsther? On comprend ce que la Bible et
l'Evangile offraient de ressources pour une telle éducation.
11 n'y aurait plus qu'à citer un exemple d'un tel genre
de catéchèse : il nous fait défaut ; d'où l'impossibilité d'en
dessiner le cadre ou d'en montrer la trame, et la néces-
sité de recourir à l'hypothèse. Il est certain que cette
catéchèse existait. Les Constitutions apostoliques y font
clairement allusion (i), et aussi saint Augustin quand il
dit qu'il faut enseigner avec plus de diligence et d'insis-
tance aux compétents ce qu'on leur a déjà inculqué au-
paravant (2). Et que leur a-t-on inculqué si ce n'est ce
qu'on leur enseignait dans cette catéchèse ?
3° La Catéchèse des Compétents. — Lorsque
approchait, pendant l'année, l'époque de la collation
solennelle du baptême, le catéchumène devait se faire
inscrire au nombre des compétents pour se préparer
d'une manière immédiate au sacrement de la régé-
nération. Pendant ce dernier temps de probation, il
recevait un complément d'instruction religieuse, et
l'enseignement qu'on lui donnait s'entourait d'une certaine
solennité.
La catéchèse traitait alors, d'après les Constitutions
apostoliques (3), de la création, de la providence, de la
trinité,des lois de l'Eglise, du jugement, des fins dernières,
et, d'après la Peregrinatio Silviœ (4), un témoin des usages
de Jérusalem à la fin du ive siècle, de la loi, de la foi et
de la résurrection de la chair. C'était le même objet que
celui de la catéchèse des catéchumènes, celui d'indiquer
aux compétents quelles doivent être la foi et la vie du
chrétien, sauf, comme le remarque saint Augustin, qu'on
1. Const. apost., vin, 32 ; Patr. gr., t. 1, col. n32. — 2. De
fide et oper,, vi, 9 ; Patr. lat., t. xl, col. 2o3, Cf. Grùhcr,
Des hl. Augustin Théorie der Katechetik, llatisbonnc, 1870 ;
Schôbcrl, Die narratio de hl. Augustin und die Katecheliker der
Neuzeit, Dingolfmg, 1880. — 3. Const. apost. vu, 39 ; Patr. gr.t
t. 1, col. io4o. — 4. Peregr., 40, édit. Geyer. Vienne, 1898,
P- 97-
l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
y insistait davantage. Par suite la synthèse fait place à
l'analyse, l'enseignement se fait plus précis et plus
explicite. Notamment la règle de foi ou symbole y occupe
une place à part,. C'est alors, en effet, que le symbole est
notifié pour la première fois comme la règle imprescriptible
et la formule sacrée de ce qu'il faut croire. Son texte
est révélé ; chacun des articles qui le composent est
successivement détaillé et expliqué, de manière à être
facilement compris et retenu. Le symbole ne s'écrivant
pas, le compétent devait l'apprendre par cœur à ce moment
pour le réciter ensuite d'une manière solennelle devant
l'assemblée des fidèles, avant le baptême, et pour le répéter
tout le reste de la vie dans sa prière privée. C'était là,
comme nous le verrons en parlant du baptême, la traciitio
et la redditio symboli.
. La tradition du Paier se fait aussi solennellement. De
plus le Décalogue, dont l'ensemble a fourni jusque là
matière à l'enseignement homélétique et catéchétique, est
détaillé et donné dans sa forme scripturaire comme
l'expression de la volonté de Dieu et la règle immuable
de la conduite des fidèles. Enfin les trois sacrements qui
font partie de l'initiation chrétienne sont à leur tour
l'objet d'une explication appropriée : leur nature, leur
rôle, leurs effets, ainsi que le symbolisme des cérémonies
qui les encadrent sont passés en revue.
Vu l'importance de cet enseignement donné aux
compétents, ce n'est plus un simple didascale ou un
membre du clergé inférieur qui en est chargé, mais bien
l'évêque en personne ou un prêtre de choix. Toutes les
catéchèses prononcées in tradillone symbole, qui nous
sont parvenues, ont été faites, en effet, par des évêques
ou des prêtres spécialement délégués. C'est ainsi, par
exemple, que saint Cyrille à Jérusalem, saint Chrysoslome
à Antiochc. et saint Augustin à Hippone furent chargés,
avant leur épiscopat. de l'instruction des compétents.
Hien ne saurait donner une idée plus précise et plus
détaillée de ce genre d'instruction, de leur méthode, de
leur sujet cl de leur importance que le recueil célèbre des
catéchèses faites à Jérusalem, en 'ô!\§, par saint Cyrille,
INTRODUCTION 1 5
au nom de l'évêque Maxime. Ce recueil se compose d'une
procatéchèse ou préface, de dix-huit'catéchèses, adressées
aux compétents pendant le carême, et de cinq autres dites
mystagogiques, adressées aux nouveaux baptisés, la
semaine après Pâques. La méthode est simple, claire,
vivante et pressante, aussi appropriée que possible aux
besoins intellectuels et moraux des auditeurs, très pratique
et très objective. Elle vise, en effet, à détacher d'abord
les compétents du péché par le repentir et la pénitence, à
les bien préparer par l'ascèse à cette purification ou
illumination par excellence qu'est le baptême, à les mettre
en garde contre les erreurs ambiantes des païens, juifs ou
hérétiques, à leur formuler avec toute la précision
désirable les vérités dogmatiques renfermées dans le
symbole en les appuyant de preuves empruntées à la
raison ou tirées de l'Ecriture, à leur expliquer enfin le
saisissant symbolisme des diverses pratiques préparatoires
au baptême (i).
4° La Catéchèse des Néophytes. — La collation
du baptême ne mettait pas un terme à l'enseignement caté-
chétique. Initiés à la vie chrétienne par la réception du
baptême, de la confirmation et de l'eucharistie, les néo-
phytes restaient encore pendant huit jours sous la direction
de leurs catéchistes avant d'être définitivement associés à
la vie ordinaire des fidèles, et continuaient à recevoir quel-
ques instructions particulières. A Jérusalem, les catéchèses
mystagogiques de saint Cyrille traitent des cérémonies du
baptême, de l'onction chrismale et de la liturgie eu-
charistique. Elles représentent, au point de vue de
l'instruction spéciale réservée à ceux qui viennent d'être
initiés à la vie chrétienne, la catéchèse des néophytes au
lendemain de leur baptême jusqu'à la veille du dimanche
de Quasimodo, in aibls depositis, où ils se confondaient
désormais avec le reste des fidèles (2).
Semblable pratique avait lieu en Occident. C'est ainsi
1. Pair, gr., t. xxxiii ; Cf. Dictionnaire de Théologie, t. n,
col. 1887, pour le détail. — 2. Peregr,, loc. cit., p. 99 ; Duchesne,
Origines du culte, p. 5oo.
l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'à Milan, saint Ambroise renvoyait après Pâques
l'explication des mystères, parce que l'impression directe
produite par la vue même de ces mystères semblait une
leçon préférable à celle d'une explication préparatoire (i).
Cela ne l'empêchait pas de donner dans la suite une
explication détaillée des divers rites. Le De mysleriis est,
en effet, composé en partie d"instructions adressées,
comme à Jérusalem, à de nouveaux baptisés et relatives
au baptême, à la confirmation et à l'eucharistie.
En Afrique, au contraire, et particulièrement à Hip-
pone, la plupart de ces explications précédaient la colla-
tion du baptême ; mais la semaine après Pâques n'en
était pas moins réservée à certaines instructions dites
ad infantes, ad neophytos, soit pour suppléer à l'insuiïi-
sance des enseignements donnés sur la messe et la
communion, soit surtout pour engager à la persévérance
les nouveaux baptisés (2)»
III. La Catéchèse de la fin
du Ve siècle au IXe
Pendant que l'Eglise grecque, après la chute de l'empire
romain d'Occident, se mettait à la remorque du pouvoir
civil et épuisait sa force dans d'interminables querelles
jusqu'au schisme final, l'Eglise latine resta aux prises
avec les invasions. Mais déjà très puissante en Italie, dans
l'Afrique du Nord, en Espagne, en Gaule, dans une partie
de la Germanie et dans les îles britanniques, l'Eglise de
Rome assure sa prépondérance et reçoit dans son sein les
barbares, dont elle fait des peuples chrétiens. Or, dans ce
milieu où les familles qui ont embrassé la foi forment la
majorité delà population, l'ancienne organisation du caté-
chuménatperd en partie sa raison d'être. Car le baptême
des enfants tend de plus en plus à être la règle ordinaire,
1. De myst., 1, 2 ; Pair, lat., t. xvi, col. 389. — 2. Saint Au-
gustin, Serm., cclx, Pat. lat., t. xxxviu, col. 1202 ; Serm.,
cccliii, Ibid., t. xxxix, col. i56o.
INTRODUCTION 1 7
tandis que le baptême des adultes devient de plus en
plus une exception. Sans doute, même pour le baptême
des enfants, on pratique encore, durant le carême et
jusqu'à la veille de Pâques, les cérémonies spéciales delà
tradition du symbole et de l'oraison dominicale, à la-
quelle on ajoute celle des saints Evangiles et de la foi ; le
triple renoncement au démon, à ses pompes et à ses
œuvres, la triple affirmation de la foi ont toujours lieu.
Mais ce sont les parrains et les marraines qui se substi-
tuent à leurs filleuls et jouent le rôle actif dans toutes ces
cérémonies.
La catéchèse ancienne, préparatoire au baptême, doit
être forcément remplacée par un enseignement posté-
rieur au baptême. Dès qu'ils parviennent à l'âge de raison,
les enfants baptisés doivent recevoir une instruction chré-
tienne, de manière à connaître les vérités à croire et les
devoirs à remplir pour mener une vie conforme au
baptême qu'ils ont reçu. Cette instruction incombe tout
d'abord aux parents et aux parrains comme une obligation
étroite de leur parenté naturelle ou spirituelle ; mais,
pour divers motifs, elle ne pouvait que laisser beaucoup
à désirer et devait être en tout cas fort rudimentaire. Elle
fut également confiée aux prêtres chargés du soin des
paroisses. Mais qu'il fût donné par les parents et les
parrains ou par les membres du clergé, cet enseigne-
ment élémentaire était destiné à remplacer la catéchèse du
catéchuménat. Devant particulièrement s'adresser à des
enfants, il dut être mis à leur portée, être réduit à sa plus
simple expression, de manière à être saisi et retenu. A la
longue, après bien des tentatives et des essais, il aboutit à
ce que n«us appelons aujourd'hui le catés/risme, comme
nous le verrons plus loin.
La catéchèse ne continue pas moins d'être pratiquée, à
titre exceptionnel dans les pays chrétiens auprès des
adultes infidèles, et normalement en pays païens, c'est-à-
dire au centre, à l'est, au nord de l'Europe, partout où
l'Eglise porte l'effort de son apostolat.
1° La Catéchèse en pays Chrétien. — En Afrique,
en Espagne et en Gaule, on continue à traiter les catéchu-
LB CATÉCHISME. — T. I.
l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
mènes et les compétents comme par le passé. Dans la pro-
vince d'Afrique, Saint Fulgence de Ruspe (f 533) dit aux
compétents que le démon a été frappé pareuxdedixplaies.
Or ces dix plaies rappellent dix pratiques déjà connues du
catéchuménat, entre autres la traditio symboli (i). Son
correspondant Ferrand, diacre de Carthage, lui écrit pour
savoir ce qu'il faut penser du sort réservé à l'un des com-
pétents qu'il préparait au baptême et qui venait de mourir
subitement ; il a soin de constater que ce catéchumène
avait été admis au nombre des compétents, aux approches
de Pâques, qu'après l'inscription de son nom, il avait
reçu l'instruction propre à son rang et la notification des
mystères de la vie chrétienne ; qu'il était passé par les
exorcismes et avait subi le scrutin solennel ; qu'il avait
pris l'engagement de renoncer au démon ; qu'il avait
assisté à la tradition du symbole et de l'oraison domini-
cale et qu'il avait récité la formule de foi (2).
En espagne, où les ariens sont nombreux, les évêques
décident, au concile d'Agde de 5oG, que l'on doit ensei-
gner aux compétents partout le même jour, c'est-à-dire,
le huitième avant Pâques, can. i3, et qu'il faut obliger les
juifs qui veulent se convertir, à passer huit mois eu rang
des catéchumènes, can. 34 (3). Plus tard, trois ans après
la conversion du roi des Suèves, Ariamir, en 563, au
iep concile de Braga, ils rédigent une formule de symbole
pour l'opposer au priscillianisme et veulent que l'on con-
tinue à administrer le baptême conformément aux indi-
cations envoyées par le pape Vigile à Profuturus (4).
En 572, II9 concile de Braga : on y trace la conduite à
suivre pendant le carême a l'égard des compétents, tou-
chant les exorcismes et l'enseignement du symbole ; les
évêques sont invités à pousser leurs diocésains, pendant
la visite pastorale, à abandonner les erreurs païennes et à
éviter les fautes graves (5). Après la conversion de Ré-
carède, le concile de Tolède de 589 ordonne aux fidèles
1. Serm. lxxviii, Patr. lat., t. lxv, col. 95o. — a. Epist., 1;
Epist., xii, 1,2; Patr. lat., ibid., col. 38o. — 3. Hardouin,
Acla, Concil., t. 11, col. 999, 1002. — 4- Capit., 5 ; Hardouin,
t. m, col. 35 1. — 5. Can. 1, ibid., col. 386.
INTRODUCTION
de chanter à la messe le symbole de Constantinople (i).
Au siècle suivant, le catéchumène, d'après saint Isidore (2),,
est celui qui rejette le culte des idoles et apprend à con-
naître qu'il n'y a qu'un seul Seigneur ; quant au compé-
tent, il est instruit sur ce qui regarde les sacrements, sur
le symbole et la règle de foi et sur ce qui touche au
baptême, à la chrismation et à l'imposition des mains (3).
Saint Ildefonse, dans son De cognitione baptismi, suit
d'abord la nar ratio de saint Augustin ; il distingue en-
suite le compétent du catéchumène, et cite comme faisant
partie de son instruction spéciale le symbole, l'oraison
dominicale, les sacrements du baptême, de confirmation;
et d'eucharistie (4).
En Gaule, nous savons par Gennade (5), ce qu'on en-
seignait aux futurs baptisés, à la fin du ve siècle. Pour le
vie, saint Avit (7 526) nous a laissé un petit poème en cinq
chants, qui rappelle une partie de la narratlo augusti-
nienne et qui traite de la création, du péché originel, du
jugement de Dieu chassant Adam du paradis, du déluge
et du passage de la mer Rouge, deux types du bap-
tême (6). Saint Césaire (7 542), fidèle écho de l'évêquer
d'Hippone, nous fait connaître les devoirs des parents à
l'égard des enfants, des parrains vis-à-vis de leurs filleuls;
il énumère les vices et les superstitions de son temps qu'il
faut abandonner pour devenir chrétien, traite de l'obliga-
tion qui incombe au compétent, des divers articles du
symbole qui faisaient l'objet de la catéchèse préparatoire au
baptême, de la foi due au symbole, de la trinité.de l'incar-
nation, de la rédemption et du jugement dernier (7). Après
lui, saint Grégoire de Tours (7593 ou 5g4) cite parfois
quelque trait relatif à l'administration du baptême pen-
1. Capit., 2, ibid., col. 386. — 2. De offic, II, xxi; Pair, lat.*
t. Lxxxiu, col. 8i4- — 3. De ojfic, II, xxn-xxvn, ibid., col.,.
812-824. — 4. De cognit. bapt., xxxiu, cxxxu-cxlii ; Pair, lat.*
t. xcvi, col. 124, 166-171. — 5. De eccles. dogm., 74 ; Patr. lai.,.
t. Lvui, col. 997. — 6. De Mosaicœ historiœ gestis, Patr. lat.,
t. lix, col. 323-368. — 7. Serm., vi, 6 ; clxviii, 3 ; cclxv, 5 ;
cclxvii ; ccxhv-ccli; Pair. lat.t t. xxxix, col. 1751, 2071, 2239,
22^2, 2l83-2I94.
20 LE CATECHISME ROMAIN
dant le vie siècle dans son Histoire des Francs (i).
2° La Catéchèse en pays de missions. — Com-
mencées dès <le ve siècle, les missions amènent succes-
sivement la conversion de l'Irlande, de l'Ecosse et de la
Grande-Bretagne pendant le vie siècle. Puis, sous les Méro-
vingiens d'abord, sous les Carlovingiens ensuite, des Irlan-
dais viennent se mêler aux Francs pour évangéliser les
Pays-Bas des rives de l'Escaut à celles de la Meuse,
toute l'ancienne Germanie romaine, l'Austrasie, l'Alé-
manie, la Thuringe et la Bavière. Enfin des mission-
naires anglo-saxons entreprennent la conversion de
la Saxe et de la Germanie, qui n'avaient pas connu
le joug de Rome, et qui sont réduites par Charlemagne.
Au ixe siècle, le christianisme pénètre en Moravie et
en Bohême, grâce aux saints Cyrille et Méthode,
en Danemark avec saint Anschaire, et, à partir de
la fin du x6 siècle, en Suède et en Norvège, en Pologne,
en Hongrie et en Russie. Sans dépasser ici inutilement le
règne de Charlemagne, il faut rechercher la méthode sui-
vie par saint Patrice (f 460) chez les Irlandais, par saint
Colomban (f 573) chez les Pietés et les Scots, par saint
Augustin de Cantorbéry (f 608) chez les Anglo-Saxons,
par saint Amand et saint Eloi (f 658) chez les Francs aus-
trasiens, par saint Gall (f c. 627) chez les Alémans de la
Suisse, par saint Kilian (vers 689) en Thuringe, par saint
Rupert en Bavière, par saint Wilfrid (f 700) et saint Willi-
brord (f c. 739) dans la Frise, et par saint Boniface (f 755)
dans la Saxe et les pays environnants.
Malheureusement il ne nous est resté aucune catéchèse
de cette époque, sans doute, parce que, prêchant en lan-
gue vulgaire, les missionnaires d'alors ne prirent pas
soin de rédiger en latin les discours qu'ils adressaient
aux païens et aux catéchumènes, comme ils le firent pour
quelques homélies, adressées à des chrétiens, dans le but
de les mettre entre les mains du clergé, à titre de modèle
ou de manuel de prédication. Nous en sommes donc
réduit aux conjectures.
x. Hist. Franc, m sq ; Pair. lat.t t. lxxi, col. 241 sq.
INTRODUCTION 21
Cependant, ce qui rend ces conjectures très vraisem-
blables, c'est que ces missionnaires ont dû naturellement
s'inspirer de l'expérience déjà acquise ailleurs ainsi que
des traditions introduites dans l'Eglise par le catéchuménat.
Le milieu, il est vrai, difïérait, mais l'obstacle à vaincre
était toujours le paganisme et ses superstitions. De ce
côté, la catéchèse ne pouvait procéder tout d'abord que
par la démonstration de l'erreur païenne, sauf à ne pas
trop heurter de front ces natures farouches et susceptibles.
Des ménagements s'imposaient. Et si trop souvent, con-
trairement aux sages prescriptions de l'Eglise, la force
brutale intervint pour obliger les peuples vaincus à
accepter le joug de la foi, il était facile de prévoir combien
éphémères devaient être de pareilles conversions. Mieux
valait incontestablement user d'une sage modération et ne
recourir qu'aux procédés ordinaires de la persuasion
évangélique en appuyant l'enseignement donné sur l'au-
torité de l'exemple, la sainteté de la vie et l'efficacité du
dévouement ; et c'est ce à quoi ne manquèrent pas, en
général, la plupart-des missionnaires.
Mais ayant affaire à des caractères droits, à des natures,
généreuses et enthousiastes, ils se hâtèrent parfois
d'admettre les catéchumènes au baptême sans une prépa-
ration intellectuelle suffisante pour des esprits aussi peu
cultivés. La catéchèse préparatoire devait contenir cepen-
dant le strict nécessaire des vérités à croire et des devoirs
à pratiquer pour devenir chrétien ; mais elle était si
promptement oubliée que quelques-uns de ses éléments
essentiels n'étaient plus connus après le baptême et que,
des ordres furent donnés en conséquence, à plusieurs,
reprises, pour enseigner, par exemple, aux nouveaux,
baptisés, l'objet du triple renoncement au démon, à ses
pompes et à ses œuvres, et pour leur faire apprendre par
cœur la formule du symbole des apôtres et de l'oraison
dominicale.
Voici, du reste, d'après les documents contemporains,-
les quelques indications sommaires qui permettent de
reconstituer à peu de chose près la catéchèse d'alors, et
de constater que la plupart des éléments de la catéchèse
^32 LE CATECHISME ROMAIN
-apostolique et patristique s'y retrouvent. C'est, en effet,
en premier lieu, la condamnation de l'idolàlriesous toutes
ses formes, et l'on sait combien elle était profondément
enracinée dans ces races pietés, saxonnes, germaniques.
«Saint-Eloi énumère un grand nombre de supersti-
tions (i), et le concile de Leptines, 743, en compte une tren-
taine dans son Indiculus super stitionum et paganariam (2).
C'est ensuite la proclamation de l'existence d'un Dieu uni-
<jue, créateur du ciel et de la terre, envoyant son fils pour
sauver les hommes, avec un abrégé de l'histoire religieuse
<Ju monde et de l'économie de la rédemption. C'est aussi
le rôle du baptême, les renoncements et les engagements
<jui précèdent sa collation, la liste plus ou moins détaillée
des fautes à éviter et des devoirs à remplir. Et c'est enfin
la question des fins dernières, du jugement général et de
la sanction des récompenses ou des peines éternelles.
Saint Augustin, envoyé par saint Grégoire le Grand,
prêche l'Evangile au roi anglo-saxon, Ethelbert, le con-
vertit et le baptise avec une multitude des siens à Can-
torbéry, le jour de Noël 597, comme Saint Rémi avait
baptisé Clovis et ses Francs, à pareille fête, un siècle au-
paravant (3). Le pape, félicitant son missionnaire de ce
<jue la nation des Angles, dégagée des ténèbres de l'erreur
et éclairée des lumières de la foi, a embrassé le christia-
nisme, laisse entendre quelle fut la méthode catéchétique
•de saint Augustin (4).
Quelques années plus tard, en 624, Boniface V écrit à
Hdwin, roi saxon du Northumberland encore païen, pour
l'engager à embrasser la foi de sa femme Edelburge et à
se faire chrétien. Sa lettre est un programme de caté-
chèse. Inanité des idoles, importance de croire un Dieu
créateur, qui a envoyé son fils unique pour sauver le
genre humain, nécessité d'embrasser l'évangile et de re-
1. Vita S. Eligii, 11, xv ; Pair, lai., t. lxxxvii, col. 524-55o.
— 2. Pair, lai., t. lxxxix, col. 810 sq ; Hardouin, t. ni, col.
«gis ; Hefele, Histoire des Conciles, t. iv, p. 407. Cf. Ratramne,
Pair, lai., t. cxxi, col. n53. — 3. Bèdc, Hist. eccles.. ï, xxv;
Pair, lai., t. xcv, col. 55. — 4. Epist., L. xi, xxvu ; Pair, lat.,
$. lxxvii, col. n3g.
INTRODUCTION 23
naître par le baptême, tels sont les principaux points
qu'elle traite (t). Le roi rassemble ses chefs et ses prêtres ; et
le pontife des idoles, Coïf, constate franchement l'inutilité
du culte païen et affirme qu'il serait sage d'accepter
une religion qui enseigne d'où nous venons et où nous
allons (2). La question de l'origine et de la destinée
humaine devait donc faire partie de la catéchèse adressée
aux Anglo-saxons.
En 634, le roi Oswald, voulant convertir les provinces
de son royaume restées idolâtres, s'adresse à des religieux
scots. L'un de ceux-ci, Corman, avait rebuté les Angles
par ses austérités. « Vous avez été trop sévère auprès de
ces ignorants, lui fait remarquer un vieillard, Aedan ;
vous auriez dû, selon la discipline apostolique, commen-
cer par leur offrir le lait d'une doctrine plus douce jus-
qu'à ce que, nourris peu à peu du Verbe divin, ils eus-
sent été à même de comprendre un enseignement plus
parfait et de s'élever à la pratique des commandements
du Seigneur» (3). Ici, c'est la catéchèse apostolique qu'on
invoque et dont on suppose l'emploi ordinaire.
Saint Eloi, au rapport de Saint-Ouen, touchait si bien
le cœur des barbares que chaque année, à Pâques, il
donnait le baptême à des foules de catéchumènes (4). Or,
paraît-il, il détachait peu à peu le peuple bercé de labiés
de ses croyances païennes et de ses pratiques supersti-
tieuses, lui parlait du seul vrai Dieu, créateur, lui inspi-
rait la crainte des châtiments futurs et lui montrait les
récompenses éternelles, dont il n'avait pas jusqu'alors le
soupçon (5). Il utilisait trop bien les œuvres de saint
Gésaire pour avoir ignoré celles de saint Augustin ; son
discours rappelle à la fois les Deux voies de la Didaché et
et la catéchèse du De catechizandis rudibus.
Saint Gall, dans un discours prononcé sur les bords du
lac de Constance, semble également faire écho à la nar-
ratio de saint Augustin : c'est un résumé de l'histoire re-
i. Epist., ni ; Pair, lat., t. lxxx, col. 438. — 2.Bède, II, xm,
col. io4- — 3. Bède, III, v, col. 124. — 4. Vita S. Eligii, II, vin;
Patr. lat., loc. cit. col., 5i3. — 5. Vita S. Eligii, II, xv ; ibid,
col. 5a4-55o.
2 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
ligieuse du monde depuis la chute jusqu'à la rédemption
par la croix de Jésus-Christ, traitant de la mission des
apôtres, de la vocation des gentils et de la constitution
divine de l'Eglise, arche du salut (i). Bien qu'adressé à
des auditeurs, dont la plupart avaient reçu le baptême,
ce discours rappelle la catéchèse d'introduction au caté-
chuménat.
A en juger parles quinze homélies qui nous restent et
qui sont un manuel d'instruction religieuse à l'usage des
commençants, saint Boniface devait insister sur les obli-
gations de la vie chrétienne, fautes à éviter et devoirs à
remplir, sur l'objet du triple renoncement et des promes-
ses baptismales (2). Parmi les canons qu'on lui attribue,
le 27e spécifie que le prêtre qui baptise doit faire faire au
catéchumène les renoncements et la profession de foi en
langue vulgaire, afin qu'il sache à quoi il s'engage (3).
Dans une lettre à son ancien évêque de Winchester, il
demande des conseils pour mener à bien la conversion
des saxons et des thuringiens. Daniel répond et, parmi
les conseils que lui dicte sa vieille expérience, il indique
celui d'écarter tout d'abord les superstitions de ses au-
diteurs (4).
La Didaché n'était pas inconnue à saint Boniface, car il
s'en est servi non seulement pour rappeler aux fidèles les
engagements pris au baptême, ainsi qu'en témoigne son
homélie xv, De abrenuntiatione in baptismate (5), mais
aussi pour instruire les catéchumènes avant de les admet-
tre au baptême. Et l'on peut en dire autant de saint Ph>
minius de Reichenau, son contemporain, dont nous
possédons un traité sous forme de discours, sorte de
compendium catéchétique comprenant un abrégé d'his-
toire sainte, des considérations relatives au baptême, à
Yabrenuntiatio, à la reddilio symboli, quelques points
de morale et la liste des fautes à éviter (6). Du reste la
1. Serm.; Pair, lat., t. lxxxvii, col. i3-2Ô. — 2. Flomil., III,
xv ; Pair, lat., t. lxxxix, col. 8^7, 870. — 3. Ibid., col. 822. —
4. Episl., xiii ; Pair, lat., ibid., col. 703. — 5. Ibid., col. 870.
- — 6. Scarapsas, Patr. lat., ibid., col. 1029-1050. Cf. Schlecht.
DoctrinaXII apostolorum, Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 83.
INTRODUCTION 25
doctrine morale des Deux voies de la Didaché avait sa
place marquée dans la catéchèse des catéchumènes ; son
texte servait en réalité à cet enseignement. La preuve en
est, note M. Ladeuze dans la Revue d'histoire ecclésiasti-
que (i), dans les deux homéliaires de Malk et de Fressing,
qui nous ont rendu la version latine des Deux voies. La
Didaché y est conservée parmi les homélies sur la foi, le
symbole, etc., et, dans les deux manuscrits, elle fait suite
à l'homélie xv, déjà citée, de saint Boniface.
Lorsqu'il fut sacré évêque à Rome par Grégoire II, en
723, l'apôtre de la Germanie connaissait déjà, pour l'avoir
pratiquée, la marche à suivre dans levangélisation des
païens. Au besoin, la lettre du pape qu'il emportait et qui
était adressée aux saxons de vieille race, encore païens, la
lui aurait rappelée. « Le royaume de Dieu est proche, écri-
vait Grégoire II (2): ne cherchez pas votre salut dans les
vaines idoles fabriquées de mains d'homme, d'or, d'argent,
de pierre ou de bois, et décorées par les païens du nom de
divinités. Elevez vos regards et vos cœurs vers le Seigneur
Dieu, créateur du ciel et de la terre. N'adorez que lui et
vos fronts ne rougiront plus. Dépouillez le vieil homme
pour revêtir le Christ nouveau. Déposez toute malice,
colère, fureur et tout blasphème... L'éveque que je vous
envoie vous délivrera de l'esclavage et des fraudes du
démon. Il vous arrachera au péril de la damnation
éternelle pour vous introduire dans les joies du royaume
du ciel. ))
A l'assemblée générale de ces redoutables Saxons, à
Merklo sur le Weser, où il eut le courage de se présenter,
saint Lebwin, disciple de saint Boniface, condense ainsi
en quelques mots sa catéchèse : « Ecoutez-moi, écoutez
surtout celui qui parle par ma bouche. Je vous porte les
ordres de celui à l'empire et au jugement duquel tout est
soumis. Ecoutez et sachez que le Seigneur, créateur du
ciel et de la terre et de la mer et de tout ce qu'ils contien-
nent, est le seul vrai Dieu. Vos idoles ni ne vivent, ni ne
se meuvent, ni ne sentent, car elles sont l'œuvre des hom-
1. Louvain, Avril 1903, p. 263-264. — 2. Epist., vu ; Patr.
lat., t. lxxxix, col. 5o4-5o5.
26 LE CATÉCHISME ROMAIN
mes ; impuissantes à se défendre elles-mêmes, elles ne
sauraient vous être d'aucun secours ; c'est en vain que
vous leur immolez des victimes. Le Dieu seul bon, seul
juste, vous a pris en piété. Il m'a envoyé vers vous pour
que vous abandonniez vos erreurs et vous vous tourniez
vers lui. C'est lui qui vous a créés et c'est en lui que nous
vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes. Si
donc vous le reconnaissez fidèlement, si vous faites péni-
tence et recevez le baptême, si vous observez ses com-
mandements, il vous conservera sur la terre et vous
récompensera dans le ciel. Sinon, les peines futures vous
attendent (i). » Rappelant et dépassant le discours de
saint Paul à l'aréopage, saint Lebwin ajoute à la menace
des châtiments de la vie future ceux de la vie présente,
car il fait allusion, à la fin de son petit discours, à l'inter-
vention possible et terrible du roi des Francs.
On sait qu'en 811 Charlemagne envoya une lettre cir-
culaire à tous les évêques de son vaste empire pour leur
demander des renseignements précis sur le baptême, tel
qu'il était pratiqué dans leurs diocèses, sur ses rites et
ses cérémonies (2). Or, de toutes les réponses qui durent
lui être adressées quelques-unes seulement sont parvenues
jusqu'à nous.
Parmi celles-ci, aucune ne provient d'évêques mission-
naires ou installés en pays de mission, ce qui aurait été
une source précieuse de renseignements pour le sujet qui
nous occupe. Nous constatons cependant, d'après Magnus,
évêque de Sens (3), et Jessé d'Amiens (4), quel était le
thème général sur lequel roulait la catéchèse ; et déjà,
au siècle précédent, le concile de Cloveshow, en 747, avait
indiqué l'objet propre de la catéchèse, et c'était d'ensei-
gner le symbole aux catéchumènes ut intelligant quid cre-
dere, quid sperare debeant (5).
Et, postérieurement à la consultation de Charlemagne,
1. Vita S. Lebwini, xn, Pat. lai., t. cxxxn, col. 890. —
9. Patr. lat, t. xcvm, col. g33 ; cf. Capitulai™ de 811, 11, 9;
Patr. lat, t. xcvn, col. 33 1. — 3. Libellus de mysterio baplisma-
tis, Patr. lat., t. en, col. 981. — 4- De baptismo, Patr. lat., t.
cv, col. 781. — 5. Can. 11 ; Hardouin, t. ni, col. 1955.
INTRODUCTION 27
un disciple d'Alcuin, Raban Maur, composa un De disci-
plina ecclesiastica en trois livres, dont le premier traite
des ordres sacrés, le second des divins sacrements, et le
troisième dix combat chrétien, dans le but très précis d'in-
diquer la marche à suivre pour l'instruction des païens
qui demandaient à recevoir le baptême. Or le L. Ier (i) n'est
autre chose que la reproduction à peu près intégrale du
De catechizandis rudibus de saint Augustin ; nouvelle
preuve de l'influence de l'évêque d'Hippone sur ce point
particulier. Le II6 traite des rudiments de la foi, de l'orai-
son dominicale et du symbole ; autant d'éléments que
nous avons trouvés ailleurs et qui entraient, eux aussi,
dans la trame de la catéchèse. Enfin le IIIe traite des ver-
tus à pratiquer et des vices à éviter, ce qui nous ramène
une fois de plus, par une amplification très détaillée, aux
Deux voies de la Didaché.
Ainsi donc, du ve au ix9 siècle, la catéchèse préparatoire
au baptême, fidèle à la tradition des premiers siècles, ne
fait que continuer et reproduire ce que nous avons cons-
taté, soit aux origines apostoliques, soit à l'époque de
l'organisation systématique du catéchuménat. Cette en-
quête pourrait se poursuivre pour l'époque ultérieure ;
mais elle semble inutile, car elle amènerait à une consta-
tation nouvelle de ce que nous venons de relever pour la
période qui va du v9 au ix° siècle. Il ne reste plus, dans
ces conditions, qu'à se rendre compte de l'état, de la
forme, de l'objet de l'instruction religieuse donnée aux
nouveaux baptisés, en particulier aux enfants, en la sui-
vant dans sa marche progressive jusqu'à son aboutisse-
ment final dans, ce que nous appelons le Catéchisme (2).
1. Patr. lai., t. cxii, col. 1193 sq. — a. Voir notre article
dans le Dictionnaire de Théologie, t. n ; les pages qui précèdent
n'en sont que la reproduction abrégée.
28 LE CATÉCHISME ROMAIN
Le Catéchisme
avant
le Concile de Trente
I. Pendant la période patristique. — IL Du
Ve siècle au VIIIe. — III. Sous Charlemagne,
et du IX6 siècle au Xe. — IV. Au XIIe et
XIIIe siècles. — V. Au XIVe et XVe siècles. —
VI. Pendant la première moitié du XVIe siè-
cle (1).
I. Pendant la période
patristique
Le mot Catéchisme paraît pour la première fois, chez
i. BIBLIOGRAPHIE : Eder, Methodus catechismi catholici,Lyon,
1579 ; Grotius, Baptizatorumpuerorum institutio, Londres, 1647;
Schmidt. De institutione catechetica, Helmstadt, 1699 ; Schu-
mann, Dissertatio historica de seminariis catecheticis veterum et
recentioram, Leipzig, 1718 ; Frickius, De catechizandi ratione
veterum et recentioram Ecclesise, Ulm, 1729 ; Gôbel, Geschichte
der Katechese im Abendlande vom Ver faite des Katechumenats
bis zum Ende des Mittelalters, Kempten, 1880 ; Schôberl, Der
Kathol. Schulkatechismus in seiner Geschichte, Kempten, i885 ;
Probst, Geschichte der katholischen Katechese, Paderborn, 1887 ;
Ilézard, Histoire du Catéchisme, Paris 1900 ; Kirchenlexicon,
t. vu, col. 288-317 ; Wicgand, Die Stellung der apost. Symbols
im Kirchen-Leben des Mittelalters, Leipzig, 1899 ; Gohrs, Die
evangelische Kalechismusversuche vor Luther's Enchiridion, dans
les Monumenla Germaniœ pœdagogica, t. xx-xxm, Berlin, 1900-
1902 ; Kuske, Der evangelische Kalechismuslitleralur bis 1525,
dans Sachssc, t. xxv ; Mangenot, article Catéchisme, dans le
Dictionnaire de Théologie, t. 11, col. 1895- 1968.
INTRODUCTION 29
les Latins, dans la lettre de saint Ambroise à la reine des
Marcomans, dont nous avons déjà parlé ; il y est syno-
nyme de catéchèse. Ce n'est que très tard qu'il a été
employé au sens actuel. Il désigna d'abord l'enseignement
familier et rudiinentaire donné aux jeunes baptisés ou
aux ignorants, ensuite le manuel pédagogique, méthodi-
quement distribué en leçons, que les enfants doivent
apprendre par cœur et dont ils doivent recevoir l'expli-
cation d'un catéchiste autorisé.
Mais avant d'arriver à la rédaction de ce manuel que
nous appelons catéchisme, que d'essais ! que de tâtonne-
ments et d'expériences dans la suite des âges ! L'Eglise
s'est préoccupée tout d'abord de déterminer la matière de
l'enseignement catéchétique, d'assurer l'instruction reli-
gieuse par la prédication ordinaire et de rédiger dans ce
but des traités spéciaux ou des manuels à l'usage du
clergé. L'idée de mettre entre les mains des enfants un
abrégé delà doctrine chrétienne ne s'est réalisée qu'à la
longue, peu à peu, sous des formes diverses, par de
multiples essais, dûs à l'initiative privée, avant d'être
officiellement adoptée et universellement imposée par
l'Eglise.
Pendant la période patristique, rien ne prouve qu'il y
eût un enseignement spécialement organisé en faveur des
enfants baptisés en bas âge, pour le moment où ils
atteignaient l'âge de raison. A plus forte raison n'y eût-il
rien qui ressemblât à un catéchisme, au sens où nous
entendons actuellement ce mot. M. A. Seeberg, dont nous
avons déjà parlé, a cru pouvoir démontrer l'existence,
dès l'âge apostolique, d'un catéchisme dogmatique, moral
et liturgique, servant de cadre à l'enseignement des
Apôtres, de règle de foi et de vie aux fidèles. Mais ce n'est
là qu'une catéchèse ou un catéchisme, au sens large du
mot. Et c'est encore une catéchèse que la Didachê.
On en peut dire autant de VExpositio symboli de
Rufin (1), puisque, d'après sa préface, elle était desti-
née à servir de fil conducteur aux catéchumènes, ainsi
que des Competentibus ad baptismum libelli sex de Nicétas,
1. Pair, lat., t. xxi, col. 335..
30 LE CATÉCHISME ROMAIN
dont parle Gennade (i), et des quatre discours De symbolo
ad catechumenos du pseudo -Augustin, comme l'indiquent
clairement les titres.
L'Eglise, cependant, dut pourvoir à l'instruction reli-
gieuse de ces jeunes néophytes, puisque, dès l'origine, elle
n'hésita pas à baptiser les enfants. Et l'on sait qu'à partir
de la fin du 11e siècle elle pratiqua largement cet usage (2).
Elle assura cette instruction de deux manières. D'abord,
en imposant à ceux qui présentaient ces enfants et en
répondaient, l'obligation de les instruire sur les principes
de la foi et les pratiques de la vie chrétienne (3). On pou-
vait alors compter sur le zèle des chrétiens, dont la vie
était une leçon vivante et un modèle de vertus. Ensuite,
en admettant ces enfants baptisés à la prédication ordi-
naire, dès qu'ils étaient à même de l'entendre. Malgré
cela, il n'est point de trace de l'existence ou de l'organisa-
tion d'un enseignement catéchétique spécial, postérieur
au baptême et comparable à celui du catéchuménat, sans
doute parce que les cas de ces baptêmes d'enfants ne
furent de prime abord que des exceptions.
Du reste des inconvénients devaient résulter d'un tel
état de choses. Et nul n'ignore avec quel déplaisir Tertul-
lien voyait l'Eglise pratiquer ce baptême des enfants, à
cause des obligations étroites qu'impose le sacrement de
baptême, et dont l'enfant est incapable de connaître la
nature ou de comprendre la gravité ; à raison surtout de
certains faits d'expérience qui montraient que des enfants
baptisés, une fois devenus adultes, rendaient trop sou-
vent illusoires les promesses baptismales (l\). Or une telle
répugnance n'aurait pas eu sa raison d'être si l'Eglise,
pour obvier à des inconvénients toujours possibles, avait
déjà pris vis-à-vis de ces enfants baptisés certaines mesu-
res particulièrement appropriées ou organisé un système
d'enseignement religieux qui fût pour eux ce que le
1. De vir. M., 22 ; Patr. lat.t t. lviii, col. 1073. — 2. Har-
nack, Doymenyeschichte, 20 édit., 1888, t. 1, p. 3g5 ; Ghoisy,
Précis de l'histoire des dogmes, Paris, 1893, p. i5, 67. — 3. Const.
apost., IV, xi ; Patr. gr.t t. 1, col. 824. — 4. De baptismo, 18;
Patr. lat.t 1. 1. col. 1221.
INTRODUCTION 3l
catéchuménat était pour les catéchumènes. C'est dono
qu'un tel système n'existait pas.
Néanmoins les inconvénients d'un tel état de choses se
trouvaient compensés par des avantages certains, puisque
le pédobaptisme tendit de plus en plus à devenir la pra-
tique ordinaire dans les milieux chrétiens. Quant aux
remarques, dans le genre de celles de ïertullien, elles ne
purent que contribuer soit à rendre plus étroites les obli-
gations des parents et des parrains, soit à provoquer de
la part de l'Eglise les mesures indispensables pour sup-
pléer à l'insuffisance de l'instruction reçue au foyer
domestique ou à la prédication ordinaire.
IL Du Ve au VIP siècle
1° Dans les pays de mission. — La période qui va
du commencement du v6 siècle à la fin du vme ne se
montra guère, tout d'abord, favorable à l'institution d'un
enseignement catéchétique spécial en faveur de l'enfance
chrétienne, à cause des difficultés sans nombre qu'eut à
traverser l'Eglise. En Occident, en effet, l'arianisme conti-
nuait ses ravages pendant que les barbares de l'est et
du nord restaient encore soustraits à l'action de l'évan-
gile. Mais la conversion de Clovis et de ses Francs saliens,
en 490, ouvrit une ère nouvelle, magnifiquement saluée
par saint Avit (1). Ce n'est qu'au vie siècle que l'Eglise se
débarrasse enfin de l'hérésie et dispute victorieusement
les barbares au paganisme. D'une part, en eilet, l'aria-
nisine pâlit et s'éteint, d'abord chez les Burgondes en
Gaule, ensuite chez les Suèves et les Wisigoths en Espa-
gne, et enfin chez les Ostrogoths et les Lombards en Ita-
lie. D'autre part, le prosélytisme s'accentue et marche
de conquête en conquête. L'Irlande devient une pépinière
démissionnaires et d'apôtres. Colomban l'ancien (f 597)
évangélise le nord de la Grande Bretagne et convertit
les Scots et les Pietés de l'Ecosse ; Colomban le jeune
1. Epist. xli ; Patr. lat., t. lix, col. 257-259.
32 LE CATÉCHISME ROMAIN
(f 6i5) se dirige vers le sud à travers l'Europe occiden-
tale et marque chacune de ses étapes par les créations
célèbres de Luxeuil en Bourgogne, de saint Gall en Suisse
et de Bobbio en Italie. A leur tour, sous l'action de saint
Grégoire le grand, des missionnaires romains entrent en
scène dès 5o,6. Et, au siècle suivant, les divers royaumes
anglo-saxons d'Angleterre embrassent la foi, les uns après
les autres. De plus les Bretons et les Celtes chrétiens
finissent par renoncer à leurs préjugés et à leurs tradi-
tions et acceptent la discipline romaine, les Irlandais du
sud dès 633, ceux du nord en 716, et l'unité religieuse
triomphe en Occident.
En même temps les rives de la Meuse, de l'Escaut, du
Rhin et du Danube sont parcourues par des apôtres an-
glo-saxons, qui prennent leur mot d'ordre à Rome et
obéissent aux directions du pape. La foi pénètre ainsi
parmi les divers peuples de race germanique. Malgré les
conseils de saint Grégoire le grand, qui étaient d'user
avant tout de mansuétude (1), le service du Christ devant
être, selon la remarque de Bède, un service volontaire et
sans contrainte (2), on eut recours parfois à des moyens
violents. Le plus souvent on conféra le baptême à des
groupes entiers de barbares, après quelques catéchèses
qui soulevaient l'enthousiasme, et sans les avoir soumis
rigoureusement à la discipline antique du catéchuménat.
Ces admissions hâtives n'étaient pas sans danger; car ces
barbares, même après le baptême, conservaient dans l'es-
prit et le cœur des préjugés et des passions qu'ils es-
sayaient de concilier avec leur nouvelle foi religieuse.
Baptisés, ils étaient encore loin d'être foncièrement chré-
tiens. Des habitudes persistaient en eux qui étaient en
opposition complète avec l'idéal du christianisme.
Sans doute l'Eglise essayera de les faire disparaître peu
à peu ou de leur infuser assez de sève chrétienne pour les
rendre inoffensives (3). En attendant, elle dut reprendre
1. Epist., I, xxxv ; IX, vi ; Pair, lat., t. lxxvii, col. 489,945.
— 2. Hist. eccles., I, xxvi ; Patr. lat., t. xcv, col. 57. — 3. Cf.
S. Grégoire, Epist., XI, lxxvi ; Patr. lat,, t. lxxvii, col.
12 15 ; Bcde, Hist. eccles., I, xxx ; loc. cit. col. 70-71.
INTRODUCTION 33
sur nouveaux frais, après le baptême, l'instruction de ces
barbares baptisés. De là l'objet si particulier de l'ensei-
gnement postbaptismal dans ce milieu de missions pour
détruire les préjugés de l'esprit et amortir les passions du
cœur. De là les instances réitérées de la prédication sur
la notion capitale de l'unité de Dieu, les dangers de l'ido-
lâtrie, sur la nature et les conséquences pratiques du re-
noncement et des promesses du baptême, qui font res-
sembler cette prédication aux catéchèses du catéchumé-
nat. C'est ainsi, par exemple, que, s'adressant à des bap-
tisés le jour où Jean fut sacré évêque de Constance dans
l'église de saint Etienne, saint Gall (f 6l\6) fait une véri-
table catéchèse (i). Saint Léger (f 678), d'après le résu-
mé de sa prédication rapporté par saint Ouen, parle éga-
lement à des néophytes et leur rappelle le pacte baptis-
mal, les renoncements, les promesses, la profession de-
foi du baptême, etc. (2). Plus tard saint Boniface dut com-
poser des homélies pour servir de modèle ou de manuel
aux prêtres des paroisses ; ces homélies visent des bapti-
sés et la xve, De abrenuntiatione in baptismale, insiste sur
les étroites obligations contractées au baptême par les
fidèles, sur l'objet des renoncements et sur ce qu'il faut
croire et pratiquer pour être sauvé.
2° En pays chrétien. — Pendant ce temps, que se.
pàssait-il en milieu chrétien, là où dominait l'usage de
baptiser les enfants? Ici, l'ancienne préparation pédago-
gique des catéchumènes n'avait plus sa raison d'être. Seuls,
les cadres du catéchuménat persistaient ; la liturgie, par-
ticulièrement pendant le carême, conservait encore cer-
taines cérémonies ; mdïs les enfants baptisés n'y jouaient
qu'un rôle inconscient, le vrai rôle incombant aux parents
ou aux parrains. La question de leur instruction religieuse
restait donc. Celle-ci ne pouvant leur être donnée qu'à
partir du moment où ils étaient capables de la com-
prendre, comment chercha-t-on à y pourvoir ?
1. Sermo, Pair. lat.t t. lxxxvii, col. i3 sq. — 2. Vita Eligii,
II. i5 ; Patr. lat., ibid., col. 525 sq.
LE CATHÉCHTSME. T. I.
34 LE CATÉCHISME ROMAIN
L'Eglise maintient, cela va sans dire, le devoir qui in-
combe aux parents et aux parrains de donner à leurs en-
fants où à leurs pupilles l'instruction chrétienne ; c'est un
concours effectif' qu'elle réclame de leur part. Les évo-
ques, dans leurs statuts synodaux, et plus tard, les prin-
ces chrétiens dans leurs lois reviennent sans cesse sur
cette obligation de la parenté naturelle ou spirituelle.
Qu'il suffise de signaler parmi les canons attribués à
saint Boniface le xxvie, d'après lequel personne ne peut
tenir un enfant sur les fonts baptismaux s'il ne sait par
cœur le symbole et l'oraison dominicale; car, est-il spé-
cifié, comment enseigner aux autres ce qu'on ignorerait
soi-même ? Tout fidèle, proclame le concile anglais de
Galchut, en 782 ou 787, doit savoir par cœur le symbole
et l'oraison dominicale ; tout parrain doit être averti de
l'obligation qu'il contracte envers Dieu pour l'instruction
de son filleul, auquel il doit enseigner le symbole et
l'oraison dominicale (1). Gharlemagne se gardera bien
d'oublier de telles prescriptions, dont on trouve la pré-
sence beaucoup plus tard encore parmi les lois des rois
Edgard (f 975) (2) et Canut le grand (f io36) (3).
Mais ce devoir des parents et des parrains, outre qu'il
pouvait être négligé ou mal rempli, était loin de suffire
pour assurer aux enfants l'instruction religieuse néces-
saire. L'Eglise doit intervenir elle-même. Elle ne se con-
tente pas d'obliger les parents et les parrains à savoir par
cœur certaines formules, notamment le Credo et le Pater,
pour l'apprendre à leurs enfants ou à leurs filleuls ; elle
exige que tout baptisé sache cette double formule, soit en
latin, soit en langue vulgaire ; elle exige enfin, et ceci
regarde l'enseignement par la prédication, que désormais
l'évêque dans son diocèse, le prêtre dans sa paroisse,
insistent sur l'explication claire et simple du symbole et
de l'oraison dominicale et emploient pour mieux se faire
comprendre la langue maternelle. Bède écrit à Egbert,
évêque d'York, que, puisqu'il ne peut parcourir en un an
1. Canon 2; Hardouin, t. in, col. 2073. — 2. Canon 17;
Hardouin, t. vi, col. 661. — 3. Loi 22 ; Hardouin, t. vit-
col. 901.
INTRODUCTION 35
son diocèse tout entier, il doit placer des prêtres dans-
chaque village, sans doute pour administrer les sacre-
ments, mais aussi pour expliquer aux fidèles le Credo et
le Pater, les leur faire apprendre par cœur, soit en latin,
soit en langue vulgaire (i). De leur côté, les conciles insis-
tent sur ce même sujet. Tout évêque, dit le concile de
Cloveshow, 747, doit visiter son diocèse chaque année
pour y détruire les superstitions, can. 3 ; tout prêtre
doit savoir par cœur le Credo, le Pater et la Trinité
c'est-à-dire le Quicumque, pour les expliquer en langue
vulgaire (2). Semblables prescriptions aux conciles de
Calchut (3). Une homélie du vin6 siècle, en langue tudes-
que (4), recommande le symbole et oblige les parrains à
l'enseigner à leurs filleuls sous peine d'en rendre compte
au jugement de Dieu.
Ainsi donc, durant cette période, tout parrain, tout
chrétien doit savoir par cœur la formule du symbole des
apôtres et de l'oraison dominicale ; tout prêtre doit insis-
ter, dans sa prédication, sur l'explication du Credo, du
du Pater, et du Quicumque. Tels sont les rudiments de
l'enseignement catéchétique. C'est le noyau autour
duquel vont peu à peu se grouper d'autres éléments
nécessaires. La prédication ordinaire sert à assurer cet
enseignement qui, naturellement, se complétait par la
notification des devoirs à remplir et des fautes à éviter, à
cause des obligations de la vie chrétienne, en particulier
à cause de la confession. Mais si le clergé possède déjà un
résumé de ce qu'il doit spécialement enseigner aux fidè-
les, il n'y a pas encore trace d'un manuel catéchétique à
l'usage des enfants ou des jgnorants.
1. EpisL, 11 ; Patr. lat., t. xciv, col. 659. — a. Canon 10 ;
Hardouin, t. m, col. 1954-1955. — 3. Canon a ; i&id., col. 3073.
— 4. Wackernagel, Altdeutsches Lesebuch, p. 5i, cité par Oza-
nam, La civilisation chrétienne chez les Francs, 2* édit., Paris»
i855, t. il, p. 3o8.
36 LE CATÉCHISME ROMAIN
III. Sous Charlemagne et du
IXe au XIe siècle ;
1° Sous Charlemagne. — Avec Charlemagne et
sous sa forte impulsion, d'importantes améliorations
se produisent dans le domaine de la prédication et
de l'instruction religieuse. L'enseignement catéché tique
semble avoir été l'une des grandes préoccupations de
cet empereur, car il s'accuse en un puissant relief.
D'un côté, la prédication continue sans doute à s'ins-
pirer des modèles de l'antiquité, mais elle prend une
forme populaire et traite avant tout des sujets pratiques,
relatifs au baptême, à la foi et aux mœurs chrétiennes.
Charlemagne, en effet, charge Paul Diacre, dès 788, d'ex-
traire de l'œuvre des Pères un recueil d'homélies pour
aider les prêtres peu experts et pour servir de modèle à
tous (1).
En 789, il ordonne aux prêtres de prêcher avec soin, de
manière à être compris, la foi catholique, c'est-à-dire le
symbole, et l'oraison dominicale (2). En 802, il ouvre le
congrès d'Aix-la-Chapelle par un discours où est résumé
ce qu'un chrétien doit croire et faire d'après les engage-
ments du baptême (3) ; il y renouvelle les capitulaires de
•789 (4). En 809, il prescrit aux prêtres d'avoir des Capi-
tula de majoribas vel minoribus viliis pour en faire l'objet
de leur instruction (5), après leur avoir recommandé de
prêcher, de faire apprendre et de faire réciter le Credo et
îe Pater (6). En 811, il leur prescrit encore d'examiner
leurs ouailles, de les interroger sur les promesses et les
renoncements du baptême, sur ce qui rend ces promesses
vaines et ces renoncements nuls (7). Cette même année,
1. Epist., iv ; Pair, lat., t. xcviii, col. 1896 ;t. xcv, col. 1160.
- — 2. Cap. 60, 69, Pair, lat., t. xcvn, col. 171, 175. — 3. Ibid.,
■col. 2/10-242. — 4- Cap. 28 ; ibid., col. 238. — 5. De presbyle-
ris, cap. i5 ; ibid., col. 326. — 6. Cap. 1, 3 ; ibid., col. 323.—
«7. De inlerrog, cap. 5, 6 ; ibid., col. 329.
INTRODUCTION 3j
il envoie une circulaire à tous les évoques de l'empire
pour savoir qualiter tu et suffraganei tai doceatis et ins-
truatis sacerdotes Del et plebem vobis commissam de bap-
tisant sacramento ; nous y avons déjà fait allusion. Deux
ansaprès, en8t3, nouveau capitulaire sur l'objet de la pré-
dication, qui doit traiter du symbole, de l'oraison domi-
nicale et des péchés (i). D'un manuscrit d'Orléans, ancien
94, actuellement 116, f. 85, L. Delisle a extrait 21 capitu-
lai res dont voici le vie : Ut unusquisque sacerdos oratio-
nem dominicain et symbolum populo sibi commisso curiose
insinuet ac totius religionis studium et christianitatis cul-
tum eorum menlibas ostendat (2).
D'autre part, Charlemagne tient à ce que les parrains
sachent par cœur le symbole et l'oraison dominicale pour
pouvoir les enseigner à leurs filleuls (3), et il fait défense
à quiconque les ignore de tenir un enfant sur les fonts
baptismaux (4); car il regarde avec raison la parenté
spirituelle contractée au baptême comme la source
d'obligations sacrées de la part des parrains vis-à-vis de
leurs filleuls, obligations dont ils auront à rendre compte
devant Dieu (5).
De plus, pour suppléer à l'insuffisance des écoles des
cathédrales et des monastères, trop peu nombreuses et
trop disséminées, qui, du reste, ne servaient presque
exclusivement que de séminaire pour le clergé ou de
noviciat pour les moines, et par là n'atteignaient pas la
masse du peuple, Charlemagne multiplie les foyers
d'instructions. Dès 797, Théodulfe d'Orléans (f 821) avait
fondé dans son diocèse des écoles populaires et gratuites :
Ut scholas presbyteri habeant, in quibus fidelium parvulos
gratis erudiant (6). L'idéal eût été, en effet, que chaque
1. Cap. i4 ; Patr. lat., t. xcvn, col. 363 ; Anségise, Lib. i,
76; Benoît diacre, Lib. 1, 161, 170; ibid. col. 159, 520, 72a.
— 2. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Notices et ex-
traits, i884, t. xxxi, p. 421. — 3. An. 802, cap. i5 ; Patr. lat.%
t. xcvii, col. 248. — 4. Epist., xv; Patr. lat,, t. xcvm, col. 917.
— 5. An. 8o4, cap. 2 ; 8o5, cap. 24; ibid., col. 281, 282, 288.
— 6. Cap. 20; Patr. lat., t. cv, col. 196 ; Hardouin, t. iv,
col. Ql3.
38 LE CATÉCHISME ROMAIN
curé possédât une école presbytérale, non pas seulement
comme l'avait décidé le second concile de Vaison en 529,
pour les besoins du ministère, Ut presbyteri per parochias
juniores lectores domi nutriant eterudiant (1), mais encore
pour y donner avec l'enseignement primaire l'instruction
religieuse. C'est dans ce but que Charlemagne publia le
célèbre capitulaire, Utscholœ legentiumpuerorumJîant(2).
D'après le texte du capitulaire, le programme de ces
écoles comprenait la lecture, l'écriture, l'étude des
psaumes, le chant sacré, le comput ecclésiastique et la
grammaire. Mais il englobait également les éléments de
la foi chrétienne, de sorte que l'école ainsi comprise
devenait un secours efficace pour l'Eglise.
Toutes ces importantes décisions, relatives à l'instruc-
tion que le clergé devait répandre et que les chrétiens
devaient recevoir, devinrent autant de lois ecclésiastiques,
grâce aux conciles de l'époque. C'est ainsi, par exemple,
que le concile de Tours, en 81 3, ordonne que, pour
instruire le peuple, chaque évêque doit posséder un recueil
d'homélies sur la foi, l'objet des renoncements du
baptême, les fins dernières, les moyens du salut et les
œuvres qui méritent soit la récompense, soit la damnation
éternelles (3). Ce canon est promulgué de nouveau au
«concile de Mayence de 847, sous la présidence de Raban
Maur, par le canon 2, qui exige que le recueil homélétique
soit traduit, selon les lieux, in rusticam romanam llnguam
aut theotiscam (4). C'est ainsi encore que, d'après le
concile d'Arles, 81 3, les parents doivent instruire leurs
enfants et les parrains leurs filleuls : ceux-là, parce qu'ils
les ont engendrés ; ceux-ci, parce qu'ils ont répondu pour
-eux (5). Le concile de Mayence de 8i3 dit : a Ut unusquis-
1. Can. 1 ; Hardouin, t. 11, col. no5. — 2. Cap. xxn, 72,
d'après Kurth, Origines de la civilisation moderne, 2e édit., Paris,
1888, t. 11, p. 3o3 ; Anségise, Lib. 1, 68 ; Patr. lat.t t. xcvn,
col. 517. — 3. Can. 17, Hardouin, t. iv, col. 1025 ; cf. Concile de
Reims, 8i3, can. i5 ; Hefele, Histoire des Conciles, t. v, p. 182.
Hardouin, t. iv, col. 1018. — 4. Can. 2 ; Hefele, ibid., p. 328 ;
Hardouin, t. v, f. 8. Cf. Goebel, Geschichte der Katechese im
Abendland, Kempten, 1880. — 5. Can. 19 ; Hefele, t. v, p. 181 ;
Hardouin, t. iv, col. 1006.
INTRODUCTION 3û
que compater vel proximi spiritales filiolos suos catholice
instruant (i). L'un des moyens d'instruire ainsi les enfants
c'est de les envoyer à l'école : Dignum est ut Jilios suos
douent ad scholam, sive ad monasteria, sive foras presby-
teris, utfidem catholicam recte discant et orationem domi-
nicain, ut domi alios edocere valeanL Et qui aliter non
potuerit, vel in sua lingua hoc discat (2). La raison en est
facile à saisir ; car, selon la juste remarque du concile de
Paris, en 829, dans les commencements de l'Eglise on
n'admettait personne à la foi et au baptême sans une
instruction préalable ; mais la foi étant présentement
établie partout, et les enfants des chrétiens étant admis
au baptême avant l'âge de raison, il faut suppléer aux
instructions qu'ils ne pouvaient recevoir lors de leur
baptême (3). À Rome, en 826, on décida que, dans toutes
les églises épiscopales, à la campagne et partout où cela
serait nécessaire, il y aurait des maîtres pour enseigner
les arts libéraux et les sancta dogmata (4). Le concile.
d'Aix-la-Chapelle de 836 insiste sur la nécessité de donner
aux enfants baptisés l'intelligence de l'oraison dominicale,
du symbole et de leurs devoirs (5).
Tel est, sous Charlemagne, l'ensemble des dispositions
prises pour assurer l'enseignement catéchétique. L'objet
de cet enseignement est nettement délimité. Il comprend1
avant tout l'explication du symbole des apôtres, de
l'oraison dominicale et du symbole dit de saint Athanase,
avec rémunération des œuvres à accomplir et des fautes
à éviter, selon le Décalogue. On peut en trouver un écho
dans les conseils donnés par Dhuoda à son fils, en 842 „
qui forment en 73 chapitres un petit manuel de la foi et
de la morale chrétiennes (6). Les Documents de cette
époque en langue tudesque, recueillis par Eckard, nous
révèlent qu'on enseignait aussi le Gloria in excelsis,
les œuvres de miséricorde et la manière de se confes-
1. Can. 47 ; Hefele, ibid., p. 186 ; Hardouin, ibid., col. 1017.
a. Can. 45. — 3. Cap. 6 ; Hefele, ibid., p. a55 ; Hardouin, ibid.,
p. i3oo. — 4- Can. 34; Hefele, ibid., p. 245. — 5. Hefele, ibid.,
p. 290 ; Hardouin, t. iv, col. 1397. — 6. Pair, lat., t. evi, col.
109-118.
[\0 LE CATÉCHISME ROMAIN
ser (i). Car, outre deux explications du Pater, l'une attri-
buée à Otfried de Vissembourg, disciple de Raban Maur,
l'autre au moine de saint Gall, Notker, tous deux du ixe siè-
cle, du Credo et du Qaicumque, il renferment une liste assez
détaillée des péchés contre les commandements de Dieu
et de l'Eglise : preuve évidente que ces divers points fai-
saient alors partie de l'instruction religieuse. Ainsi paraît
Ja matière de l'enseignement catéchétique de cette époque.
Et cette matière est soigneusement consignée dans des
irecueils spéciaux, que les prêtres doivent avoir sous la
main (2). Il ne restait donc plus, pour en faire un manuel
de catéchisme à l'usage des enfants qu'à la réduire en
formules aussi précises et didactiques que possible.
2° Après Charlemagne. — Le ixe siècle nous offre
déjà une tentative de ce genre dans la Disputatio puerorum
per interrogationes et responsa, que Frobenius Forster a
[placée parmi les œuvres douteuses d'Alcuin (3), et où Probst
a voulu voir la catéchèse normale du ixe au xiue siècle (4).
Ce petit livre, en effet, a les allures d'un catéchisme. Il
procède par demandes et par réponses et traite successi-
vement, en douze chapitres, de l'œuvre des six jours, de
;la nature de l'homme, des Anges, de Dieu, des six âges
du monde et de l'homme, des livres de l'Ancien et du
^Nouveau Testament, de la hiérarchie ecclésiastique, de la
i messe, du symbole et de l'oraison dominicale. Par la pen-
\ sée, le style et la forme, il rappelle les ouvrages dialogues
I d'Alcuin, mais rien ne prouve qu'Alcuin l'ait écrit ; car
.s'il avait été son œuvre destinée à l'école palatine, il esta
< croire que Charlemagne l'eût recommandé, sinon imposé;
I et Raban Maur, disciple d'Alcuin, en eût fait autant au
I concile de Mayence. Rien ne prouve non plus que ce ma-
V ï. Incerti monachi Weissenburgensis catechesis theotlsca, sœcuîo
\ÎX conscripta, et monumenta varia theotlsca, Hanovre, 1713. —
2. Voir, pour le Credo et le Pater, Wiegand, Die Stellung der
\apost. Symbols im Kirchl. Leben des Mittelalters, Leipzig, 1899,
ip. 33i sq. — 3. Alcuini vita et opéra, Salzbourg, 1777, t. 11,
p. 4i9~44o; Patr. lat.f t. ci, col. 1099-1144. — 4. Geschichte
der Catéchèse, p. 87.
INTRODUCTION 4l
nuel ait été mis entre les mains des enfants. Il ne passa
pas inaperçu, cependant; car deux siècles plus tard, ses
deux derniers chapitres avec leur forme dialoguée précè-
dent une exposition du Qaiq unique, desaint Bruno, évêque
de Wurtzbourg, (f io45), pour l'usage de son diocèse (i).
La période qui suit la renaissance carolingienne, sur-
tout le xe siècle, oiïre peu de documents relatifs à l'his-
toire du catéchisme. Rathier de Vérone (j 974) a laissé
une Synodica qui marque à quel degré d'abaissement
pétait alors tombée l'instruction religieuse. Il recommande
bien d'enseigner le symbole et l'oraison dominicale, qui
constituent les points principaux de l'enseignement caté-
chétique, 10 ; il rappelle aux parrains l'obligation de les
faire apprendre à leurs filleuls, 1 1 ; et il dit aux prêtres :
Ut unusqulsque vestrum, si fieri potest, expositionem
symboli et orationis dominicœ... pênes se scriplam habeat
et eam plenUer intelligat, et inde, si novit, prœdicando
populum sibi commissum sedulo instruat, 12 (2).
Au xie siècle, Fulbert de Chartres (f 1029), qui avant
de devenir évêque avait eu la direction de l'école, indique
à Adéodat la manière dont il entend que la foi soit ensei-
gnée aux commençants, par l'explication des trois princi-
paux mystères de la vie chrétienne, c'est-à-dire des trois
premiers sacrements qui constituaient, au temps du
catéchuménat, l'initiation chrétienne (3). Signalons en-
core un autre traité sur ce même sujet, le Libellus de
sacramentis de Bonizo de Plaisance (f 1089) (4), et une
explication du Pater, In orationem Domini (5), de Théo-
doric de Paderborn (f c. 1079).
Ainsi donc, comme traits caractéristiques de cette
période, il faut signaler le choix des matières à enseigner,
la rédaction d'un manuel catéchétique sous forme d'ho-
mélie, d'explication ou de commentaire, avec l'obligation
imposée aux prêtres d'avoir ce manuel et de s'en servir
1. Commentarius in orationem dominicam, symbolum apostolo-
rum et fidem Athanasii; Patr. lat., t. cxlii, col. 557-568. —
2. Patr. lat.t t. cxxxvi, col. 562-563. — 3. Epist., v; Patr. lat.,
t. cxli, col. 196 sq. — 4. Patr. lat., t. cl, col. 857 sq. —
5. Patr. lat., t. cxlvii, col. 334 sq.
42 LE CATÉCHISME ROMAIN
pour l'instruction religieuse des fidèles, et l'un des pre-
miers essais de catéchisme dialogué dans la Disputatio,
dont nous avons parlé.
VI. Aux XIIe et XIIIe siècles
1° La forme dialogué©. — La forme dialoguée, inau-
gurée au ixe siècle, est reprise au commencement du xn*
parHonorius d'Autun, mort vers 1120. Celui-ci, en effet,
compose à la prière de ses amis un petit ouvrage en trois
livres, où il traite du Symbole, du mal physique et moral,
de toutes les espèces de péché et des fins dernières ; c'est
YElucidarius sive Dialogus de summa totius christianss
theologiœ(i), sur lequel l'Histoire littéraire de la France (2)
donne des renseignements erronés. Ce dialogue accuse,
une main novice et n'est pas exempt d'erreurs ; il embrasse
trop de matières et surtout des questions abstruses sur les
problèmes les plus difficiles de la théologie. Il ne pouvait
donc guère jouer le rôle d'un catéchisme, malgré le suc-
cès qu'il eut dans la suite, car il fut traduit en français,
au xuie siècle, par le dominicain Geoffroy de Waterford,
en allemand, en italien, en anglais (3).
2° Le Septénaire. — En matière pédagogique, un suc-
cès beaucoup plus caractéristique fut réservé au nombre
sept. Saint Augustin, dans son explication du discours sur
la montagne, avait jeté les bases d'une théorie mystique
sur ce chiffre. Expliquant les béatitudes, il avait réduit
leur nombre à 7, la dernière devant se confondre avec la
première. Par là il trouvait qu'elles correspondent aux 7
dons du Saint-Esprit gradibus sentenliisque, avec cette
différence cependant qu'elles suivent un ordre ascendant
depuis la crainte jusqu'à la sagesse, tandis que les dons
avaient été énumérés par Isaïe en sens contraire (4).
1. Pair, lat.y t. clxxii, col. 1109-1176. — 2. T. xn, p. 167 sq.
— 3. Hain, Repertorium, Stuttgard, 1826 n. 88o3-8822. — -
4. De Sermone Domini in monte, I, iii-iv, 10, 11.
INTRODUCTION 43
D'autre part, selon lui, le nombre des demandes de l'orai-
son dominicale, également de 7, correspond à celui des
béatitudes et vise l'obtention des 7 dons(i). Telle est l'ori-
gine de la théorie du septénaire.
Yves de Chartres (f iii5) est le premier à la rappeler
au début du xne siècle (2). Joscelin de Soissons (f ii5i),
l'emprunte à Yves (3). Hugues de saint Victor (f 1142) la
renforce et facilite son succès. Avec lui, ce n'est plus seu-
lement trois séries de sept, mais cinq qu'il faut signaler ;
car il y ajoute la liste des 7 vices et des 7 vertus, De
quinque septenis seu seplenariis opusculum (4), en conser-
vant à l'oraison dominicale ses rapports avec les dons du
Saint-Esprit et en lui attribuant une efficacité spéciale
contre les péchés capitaux (5). Mais il est à remarquer
que les vertus, dont parle ici Hugues de Saint Victor,
sont l'humilité, la bénignité, la componction, la justice,
la miséricorde, la pureté et la paix, auxquelles on ajou-
tera bientôt une nouvelle liste de sept, composée, celle-ci,
des vertus théologales et cardinales. Il est à remarquer
encore que le nombre des péchés capitaux subit une
réduction ; car jusque-là on en comptait le plus souvent
huit, en y comprenant la vaine gloire (6). Lesdrade, qui
n'en admettait que sept, constate que les anciens, en par-
ticulier les Pères d'Egypte, en comptaient huit (7). Depuis,
le nombre des péchés capitaux est resté fixé à sept. Il est
à remarquer enfin que, toujours sous l'influence de cette
théorie, le nombre des articles du symbole, traditionnel-
lement fixé à douze, est porté à quatorze, c'est-à-dire à.
deux fois sept.
x. Ibid., II, xi, 38 ; Patr. lat., t. xxxiv, col. 287. — 2. Serai.
xxn. De orat. Dom. ; Patr. lat., t. clmi ; col. 599-604. —
B.Expositio symb. et orat. dom. ; Patr. lat., t. clxxxvi, col. 1479.
— 4. Patr. lat., t. clxxv, col. 4o5-4i4. — 5. Allegoriœ in N.
T., II, in ; Patr. lat., t. clxxv, col. 774. — 6. Voir, en parti-
culier, S. Golomban, Instr., 17 ; Patr. lat., t. lxxx, col. 259 ;
S. Eutrope, De octo vitiis, ibid., col. 9-14 ; S. Boniface,
homil., vi ; Patr, lat., t. lxxxix, col. 855; S. Pirminius,
ibid. col. io36 ; Alcuin, De virt. et vit., xxvii-xxxiv ; Patr,
lat., t. ci, col. 632-637» — 7, Epist., 11, 19, Patr. lat., t. xcix,
col. 881.
44 LE CATÉCHISME ROMAIN
Toutefois Odon de Sully, évêque de Paris (f 1208), s'en
tient encore à l'usage ancien. Dans ses constitutions, il
ordonne aux prêtres d'exhorter les fidèles à dire l'oraison
dominicale, le symbole et la salutation angélique, et de
leur expliquer, les dimanches et jours de fête, les articles
du Credo, en les confirmant par des textes de l'Ecriture,
à cause des hérétiques (1).
A part cette exception, la théorie du septénaire est gé-
néralement adoptée. On la retrouve notamment dans les
traités sur le décalogue, les sacrements et les péchés, de
saint Edmond de Cantorbéry (f 1242), et dans son Spé-
culum, à propos des péchés, des vertus, des dons, des ar-
ticles du symbole, des sacrements, des œuvres de misé-
ricorde et des demandes de l'oraison dominicale (2).
On la retrouve de même dans le docteur angélique.
Saint Thomas, en effet, a laissé dans cinq opuscules dis-
tincts un petit résumé de l'enseignement chrétien. Par-
tant de ce principe que trois sciences sont nécessaires au
salut, scientia credendorum, scientia desiderandorum,
scientla operandorum, il traite de chacune de ces scien-
ces (3). Le symbole y est divisé en quatorze articles. C'est
là une explication simple, détaillée, mais sans appareil
scientifique, sans comparaisons savantes, avec des exem-
ples pris dans la vie ordinaire, et par suite très accessible
à l'intelligence des enfants. Aussi a-t-elle servi de manuel
catéchétique (4).
Le Septénaire se retrouve encore dans la Somme-le-Roy,
rédigée en français, en 1279, par Fr. Laurens, de l'ordre
de saint Dominique, à la prière de Philippe le Hardi. Ce
petit livre, publié en 1481, sans nom de lieu (5), et très
1. Consl. syn., vin, 10, 3a ; Pair, lai., t. ccxii, col. 57 sq. —
a. Max. bibllolh. Palrum, Lyon, 1677 t. xxv, p. 3i()-323. —
5. Opus. m, sur les deux préceptes de la Charité et le déca-
logue ; iv, sur les articles de foi et les sacrements ; v, sur
Toiaison dominicale ; vi, sur la salutation angélique ; vu, sur
le symbole des apôtres ; Opéra, Parme, i8G5, t. xvi, p. 97 sq ;
Taris, i8-5, t. xxvii, p. i44 sq. — 4- Cf. Werner, Der heilige
Yhonuu ven Aquino. Ratisbonne, i858, t. 1, p. i23-i58. —
t>. flâ!o ftepert. n. 9950.
INTRODUCTION 45
estimé par Quiétif et Echard (i), contient presque toute
la matière de nos catéchismes actuels : commandements,
articles de foi, péchés mortels, vices et vertus, les sept
« peticions » du Pater qui demandent les sept dons du
Saint-Esprit, extirpent les sept vices capitaux et nourris-
sent les sept vertus par lesquelles on vient aux sept « bo-
neurtés », les sept dons, les sept vertus, la prière et enfin
une méthode de confession.
Jusque là les conciles du xne et xni8 siècles avaient
maintenu les décisions prises depuis Charlemagne. Celui
de Grau, en iii4, ne mentionne, en effet, que l'explica-
tion du symbole de l'oraison dominicale (2), celui de Bé-
ziers, en 1246, veut que les enfants soient instruits dès
l'âge de sept ans et apprennent la formule du Pater, de
VAve et du Credo, — Y Ave paraît ici pour la première
fois dans un document synodal ; — il ordonne en outre
aux curés d'expliquer chaque dimanche d'une manière
claire et simple les articles du symbole (3). Mais celui de
Lambeth, en 1281, plus explicite et plus complet en ma-
tière d'enseignement catéchétique, adopte la théorie du
septénaire. Sous le titre De Infor matio ne simpUciam, or-
dre est donné au clergé d'exposer quatre fois par an au
peuple les quatorze articles du symbole, le décalogue, le
double commandement évangéiique de la charité, les sept
œuvres de miséricorde, les sept péchés capitaux, les sept
vertus principales, les sept sacrements : véritable abrégé
de la doctrine chrétienne, que le concile ne se borne pas
à indiquer, mais qu'il prend soin de rédiger pour l'usage
du clergé (4).
On se contente donc encore, comme on le voit, de signa-
ler la matière de l'enseignement. Mais on la réduit en
formule, et le manuel qui la renferme doit servir aux cu-
rés pour les instructions dominicales. Un progrès déplus,
1. Scriptores ord. preedicatorum, Paris, 1719, t. t, p. 0S7. — ■
2. Can. 2 ; Hefele, t. vu, p. 128. — 3. Can. 8 ; Cf. Concile
d'Albi, de 1254, can. 18 ; Hefele, t. vm, p. 4oo, 403 ; Hardouin,
t. vu, col. 409, 46o. — 4. Can. 10; Hefele, t. ix, p. 112 ; Har-
douin, t. vu, col. 855 sq.
£6 LE CATÉCHISME ROMAIN
et les manuels catéchétiques à l'usage des enfants fini-
ront par devenir d'usage courant.
V. Aux XIVe et XVe siècles
1° Le concile de Lavaur. — En i368, un concile
du Languedoc réunit à Lavaur les provinces ecclésias-
tiques de Narbonne, de Toulouse et d'Auch. L'œuvre
de ce concile est particulièrement remarquable. Elle
débute par une prescription solennelle : Tout laïque
doit être informé avec soin et instruit sur les articles
de foi et les choses nécessaires à l'acquisition du sa-
lut éternel. Elle olfre un résumé du dogme et de la
morale, un véritable catéchisme; car il y est traité tour à
tour des quatorze articles du symbole, des sept sacrements,
des sept vertus principales, des sept dons du Saint-Esprit,
des sept demandes de l'oraison dominicale, des sept
béatitudes (la huitième étant laissée de côté), des douze
fruits du Saint-Esprit, d'après l'Epître aux Galates (i), des
sept œuvres corporelles et spirituelles de miséricorde,
des sept péchés capitaux et des dix commandements (2).
Et ici, comme à Lambeth, cette matière de l'enseigne-
ment catéchétique est formulée dans une rédaction
succinte et claire, didactique. De plus, afin d'aider la
mémoire, on y donne, sous forme de vers latins, certains
moyens mnémotechniques, dont voici quelques exemples:
Sur le symbole :
Unum crede Deum, Patrem, Filium, quoque Flamen,
Qui créât et recréât homines, quos salvificabit ;
Conceptus, natus, passus, descendit ad ima,
Surgit et ascendil, veniet dircernere cuncta.
Sur les commandements :
Unum cote Deum, nec jures vana per ipsum ;
Sabbata sanctifiées ; venerare parentes ;
1. Gai, v, 32-23. — 2. Hefele, t. ix, p. 610 sq. ; Hardouin,
i. vu, col. 1804-1812.
INTRODUCTION 47
Non sis occisor,fur, mœchus. lestis iniquus;
Vicinique torum resque caveto suas.
Sur les œuvres de miséricorde :
Visilo, polo, cibo, redimo, tego, colligo, condo.
Consule, castiya, solare, remitte, fer, ora.
Dans ce dernier vers, consule marque deux œuvres de
miséricorde.
Or, d'après la décision du concile, ce manuel catéché-
tique devait servir chaque dimanche aux curés pour
instruire les fidèles. Naturellement il dut être adopté dans
les divers diocèses de la Gascogne et du Languedoc. Il le
fut en particulier par Garsias Arnaud de Navailles, au
synode de Dax, en i4oi (i). Les mêmes procédés mnémo-
techniques y sont employés et c'est à peine s'il y a quel-
ques changements dans l'ordre des matières. En revanche
certaines additions portent sur les sept dons du baptême,
les sept heures canoniques, les sept jours du siècle, les
sept âges du monde, les sept psaumes de la pénitence,
les sept joies de la sainte Vierge, ce qui est une application
plus étendue du septénaire. En tête se trouve le décalogue,
résumé en cinq vers au lieu de quatre. Les sacrements
sont désignés par ce vers :
Abluo, firmo, cibo, piget, uxor, ordinal et unxit.
Les sept péchés capitaux, par le mot Saligia, composé
de chacune des lettres initiales de Superbia, avaricia, luxu-
ria, ira, gala, invidia, acedia ; d'où ce dicton : Dat sepiem
vitia dictio Saligia. Utile au clefgé, ce manuel pouvait
également servir aux enfants capables d'entendre le latin.
2° Les Manuscrits. — Mais, bien avant le synode de
Dax, circulèrent pendant le xive siècle un grand nombre
de manuscrits destinés à l'enseignement chrétien, quel-
ques-uns à titre de manuel à l'usage du clergé des pa-
i. Degert, Constitutions synodales de Dax, Dax, 1898, p. 76-82.
£ 8 LE CATÉCHISME ROMAIN
roisses, d'autres comme des essais de catéchisme à
l'usage de ceux qui n'avaient pas le temps de puiser dans
plusieurs opuscules la doctrine des maîtres chrétiens,
plus spécialement en faveur des enfants et des simples.
Parmi les premiers, nous citerons le Manipulas curato-
rum, composé par Guy de Montrocher, vers i33o, pour
Raymond, évoque de Valence, et le Doctrinal de Sapience,
transcrit par ordre de Guy de Roye, alors archevêque de
Sens, mort archevêque de Reims en 1409.
Le Manipulas curatorum, comme son titre l'indique,
devait servir de guide à tout curé de paroisse ut simpli-
ces in aliquo instruerentur. 11 est divisé en trois parties :
la première traite des sacrements et de leur administra-
tion ; la seconde, de la confession et des pénitences; la
troisième, la seule qui nous intéresse ici, est plus particu-
lièrement destinée à l'instruction des enfants et des
ignorants. Cette dernière comprend l'explication des qua-
torze articles du symbole, de l'oraison dominicale, du
décalogue, des fêtes, des œuvres de miséricorde et des
« douaires » des bienheureux (1).
Le Doctrinal de Sapience, a très utile à toute personne
pour le salut de son âme », est un exposé complet et dé-
taillé de la doctrine chrétienne en 93 chapitres, compre-
nant le dogme, la morale, les sacrements, la prière, les
péchés et les fins dernières. Son explication du symbole
et du décalogue rappelle la Somme-le-Roy (2). D'après la
préface du manuscrit de la bibliothèque de la ville de
Toulouse (3), le clergé devait en lire aux fidèles, chaque
dimanche, deux ou trois pages.
En même temps se poursuivait l'instruction populaire
par la publication d'un certain nombre d'ouvrages, gros-
sièrement illustrés, il est vrai, mais où le texte et l'image
concouraient à l'édification religieuse et morale. La col-
lection d'estampes de la Bible des pauvres représentait
toute l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament (4).
i.Hain, Repert.. n. 538-543, 8157-8215. Traduction française
à Orléans en 1490; ibid. n. 8214. — 2. Hain, n. i4oii, i4oi6.
— 3. Ms. 820. — 4» Hain, Repert., n. 3176, 3177; Camesina
INTRODUCTION
49
La Danse des Morts ou les Danses macabres servaient de
leçon sur les fins dernières (i). Il faut y joindre le Spécu-
lum humanœ salvationis, poème ascétique en vers rimes
sur des sujets bibliques en 45 chapitres et 192 figures,
dont quelques manuscrits portent la date de i324 (2). Cet
ouvrage reproduit ou amplifié, imité ou traduit donna
lieu à un grand nombre de miroirs : le Spéculum chris-
tiani, le Spéculum animx peccatricis ou Spéculum au-
reum, le Spéculum artls bene moriendi, le Mirouer de la
Rédemption de l'humain lignaige (3).
Parmi ces nombreux ouvrages, quelques uns se distin-
guent par leurs qualités didactiques et visent plus spécia-
lement l'instruction des enfants et des simples sur des
matières catéchétiques (4). Qu'il suffise de citer la Summa
rudium, qui traite de la Trinité, des articles de
foi, etc. (5), et les Auctores octo, recueil de pièces mora-
les, parmi lesquelles se trouve le F lare tas ou Floret
attribué à Jean de Garlande et à saint Bernard.
3° Le Floret. — Ce livret, in quo omnium detestationcs
viciorum metrice continehiur, est très curieux (6). L'édi-
tion de 1494 se termine par ces mots : « Summa admodum
utilis et fructuosa, theologalis et canonica, édita super
Floreium per magne littérature virum, sacre théologie
doctorem parisiensem, mag. Joh. Iarson. » Cette noie
atteste la portée morale, l'utilité pratique de ce livret et
la profonde estime qu'en avait le célèbre chancelier
Gerson.
et Heyder, Die Darslellungen der Biblia Pauperum, Vienne,
i863 ; Laib et Schwarz, Biblia Pauperum, Zurich, 18C7.
1. Peignot, Recherches sur les danses des morts, Paris, 182G ;
Douce, The danceof death, Londres, i833 ; Massmann, Lit. der
Todtentaenze, Leipzig, i85o : Langlois, Essai sur les danses des
morts, Rouen, 1862 ; Jubinal, La danse des morts, Paris, 1802 ;
Brunet, Manuel, t. 11, p. i0-i3 ; Charles Nisard, Histoires des
livres populaires, Paris 1864, t. 11 p. 275-33i. — 2.IIain, Repert.
n. 14922-14927 ; Brunet, t. iv, p. 324 ; Ch. Nisard, t. 11, p. iZ-i'A.
— 3. Hain, Repert., n. 14899-14928. — 4. Geffcken, Die BU-
derkatechismus, Leipzig, i855. — 5. Hain, Repert., n. 10170-
15172. — 6. Hain, Repert, n. 1913-1919.
JLE CATÉCHISME. — T. I .
Bo LE CATÉCHISME ROMAIN
Le Floretus, comme tous les ouvrages du xive siècle,
circula en manuscrit, soit dans sa rédaction originale en
ii 68 vers latins rimes, soit dans sa traduction française
en bouts rimes de huit syllabes (i). Dans l'édition de
Rennes de i485, il est dit :
« Gy commence le noble liure
Floret, qui le veut ensuiure
Ne peut faillir d'estre deliure
De tout mal et sainement uiure. »
Destiné à apprendre aux enfants, sous forme rhythmi-
que, les éléments de la doctrine chrétienne, c'est un véri-
table petit catéchisme divisé en six parties :
« La première part nous applique
A croire la foi catholique ;
Le deuxième enseignement
De la loy le commandement ;
La tierce part si nous enseigne
Que chacun de péché se creigne ;
La quatrième se nous diuise
Les sacrements de sainte Eglise ;
La cinquième si y comprant
Les vertus et nous les apprend ;
La sixième veut tout définir
Qui nous enseigne à bien mourir. »
4° Les Calendriers. — A cette époque, l'enseigne-
ment catéchétique se glissait même dans les publi-
cations les plus étrangères aux matières de foi ; il
parvenait ainsi dans l'intérieur des fermes et les plus
humbles foyers sous la forme de calendriers. Signa-
lons le Compost et Kalendrler des berglers (2). Dans
ce calendrier, la seconde partie renferme Y Arbre des vices
et miroir des pêcheurs, c'est-à-dire une énumération des
i. Brunet, t. 1, p. 211 : t. 11, p. 394-395 ; Hain, ReperL,
in. 7181-7186. — a. Voir dans M. Hézard, Histoire du Catéchisme*
'Paris, 1900, un grand nombre de détails sur les productions
catéchétiques durant le Moyen Age jusqu'à la Réforme.
INTRODUCTION 5 F
péchés capitaux et des fautes dont chacun est la source*
suivie d'une description des peines de l'enfer, faite par
Lazare ressuscité, le tout avec figures à l'appui ; la troi-
sième comprend la Science salutaire et le Jardin des ver-
tus. La Science salutaire, c'est la prière, notamment 1$
« Patenostre », la salutation angélique et le Credo; c'est
aussi la pratique des dix commandements de Dieu et des
cinq commandements de l'Eglise ; ici encore le texte est
accompagné de vignettes. Quant au Jardin des vertus, il
contient deux chansons, l'une celle d'un berger « qui
n'était point maistre et à qui sa cognoissance ne profitoit
point », l'autre celle d'une bergère « qui bien se cognois-
soit et sa cognoissance lui profitoit ».
Ces opuscules, la plupart anonymes, sans caractère of-
ficiel et sans garanties suffisantes, étaient cependant un
indice des besoins du temps. Ils ne devaient donc pas
tarder à susciter quelque œuvre importante de la part
d'un maître dans la science théologique, préoccupé à bon
droit de rompre le pain de la vérité aux enfants et aux
ignorants. Ce maître fut le chancelier Gerson.
5° L'œuvre de Gerson. — C'est Gerson, en effet,
qui, à la fin du xive siècle et au commencement du
xve, a contribué le plus à faciliter aux enfants et
aux simples la connaissance des éléments de la doc-
trine chrétienne. Pénétré de l'importance et de la
nécessité de pourvoir efficacement à l'instruction reli-
gieuse des petits « pour les conduire au Christ », selon
son expression, il ne cessa d'y penser à travers les nom-
breux travaux de sa vie laborieuse. Teut comme les Pères
du concile de Lavaur, il estimait qu'il fallait sans doute
procurer au clergé un sommaire ou manuel catéchétiquQ
pour l'instruction de l'enfance. Ce manuel, il aurait pu
l'emprunter au concile de Lavaur ; il préféra rédiger un
Compendium theologiœ brève et utile, qui n'est du reste
qu'une adaptation plus détaillée de l'œuvre de ce concile;
car il comprend l'exposition des articles du symbole, des
commandements, des sept sacrements, des sept vertus,
des sept demandes de l'oraison dominicale, des sept
52 LE CATÉCHISME ROMAIN
dons du Saint-Esprit, des béatitudes et des vices (i).
C'est là l'objet de l'enseignement religieux du peu-
ple qu'il recommandait à Charles VII. La Sexta par-
ticula de sa Lettre n'est, en effet, qu'un résumé de ce
Cempendium, avec quelques vers mnémotechniques sur
le décalogue et les œuvres de miséricorde (2).
D'autre part, dans une lettre à la faculté de théologie
de Paris sur la réforme de la théologie, il exprimait le
désir ut fier et per Facultatem, vel de mandata ejub, aliquis
tractatulus .super punctis principallbus nostrœ religionis,
et speciallter de prœceptis, ad instructionem simpli-
cium (3). Et c'est lui-même qui réalisa en partie ce désir
en rédigeant ce petit traité dans sonOpus tripartitum (4),
si célèbre et imprimé si souvent dès la fin du xve siè-
cle (5). Dupin remarque que bon nombre d'évêques fran-
çais choisirent ce traité, dans leurs synodes, pour l'ins-
truction des fidèles, qu'ils le firent insérer dans leurs
rituels et obligèrent les curés à le lire à leurs ouailles, les
dimanches et jours de fête, pour leur apprendre quid
credere, quid agere, quid omittere et quemadmodum a
peccato resurgere deberent. Il fut traduit et imprimé en
français ; mais la traduction manuscrite circulait depuis
longtemps ; elle devint Y Instruction des curés, qui ren-
fermait également le Livret Jésus, « doctrine nécessaire à
tous chrestiens ». La seconde et la troisième partie de ce
traité, c'est-à-dire le De confessione et De arte moriendi, se
trouvent avec VA B C à la suite d'un résumé du Doctri-
nal de Sapience dans le Mirouer de bien vivre, de la biblio-
thèque de la vile de Toulouse (6).
Mieux encore, et conformément à l'idée qu'il s'était
faite depuis longtemps et qu'il exprima si éloquemment
avant de mourir, à Lyon, dans son De parvulis trahendis
ad Chris tum (7), il se préoccupa surtout de mettre à la
portée des humbles, des ignorants et des enfants un ma-
nuel capable de leur apprendre ce qui est nécessaire au
1
I 1. Opéra, Anvers, 1706, t. 1, p. 233 sq. — 2. Ibid., t. ni, p.
a34. — 3. De reformalione theologiœ, Epist. 11, ibid.. t. 1, p..
I 124. — 4. Ibid., t. 1, p. /j25-45o. — 5. Hain, Repert., n. 7661-
; 7654. — 6. Ms. 821. — 7. Opéra, t. 111, 277-285.
INTRODUCTION 53
salut. Il ne se contenta pas seulement d'éditer le Floret,
dont il a déjà été question, il composa aussi Y A B C des
simples gens, qui débute ainsi : « Entendcz-cy vous,
petits enfans, filz et filles et simples gens. Je vous escrip-
ray votre A B C en françoys, qui contient la patenostre...
le Ave Maria..., le Credo... et les douze commandemans
(Décalogue et double précepte de l'amour selon l'Evan-
gile) avecques plusieurs poins de nostre foy. Et quant en
plus savoir, je vous envoie à l'exemplaire des petits
enfans et au Mirouer de rame... à la Science de bien
mourir et à YExamen de conscience et aultres petits traic-
tez. » Suit le texte du Pater, de Y Ave, du Credo, des
commandements, puis rénumération des sept vertus, des
sept dons du Saint-Esprit, des sept béatitudes, des sept
œuvres corporelles et spirituelles de miséricorde, des
sept sacrements, des sept ordres, des sept péchés mortels
et des sept vertus contraires. C'est, on le voit, un vrai
catéchisme, qui eut le plus grand succès ; souvent trans-
crit dans les manuscrits du xve siècle, il fut encore plus
souvent imprimé, dès la fin' du même siècle.
Quant aux traités auxquels renvoie Gerson, celui de la
Confession ou Examen de conscience avait pour but de
faciliter aux enfants la pratique du sacrement de péni-
tence ; celui de la Science de bien mourir, avec ses exhor-
tations, ses interrogations et ses prières, devait servir aux
curés dans l'assistance des mourants, mais il offrait éga-
lement aux lecteurs pieux une excellente leçon morale
pour se bien préparer eux-mêmes à la mort. Ces petits
traités eurent une vogue immense (i).# Ils furent trans-
crits, augmentés, publiés dans leur teneur originale et
sous diverses formes, séparément ou avec d'autres, en
latin et en français.
6° Le Concile de Tortose. — En présence de ce grand
mouvement de production catéchétique, l'Eglise n'avait
i. Ars moriendi; Ars bene moriendi ; De arte bene moriendi;
Hain, ReperL, n. i83i-i835, i843-i846, 8162 ; L'art de mourir,
suivi de YEguillon de crainte divine...; Y Art de bien vivre et de
bien mourir etc. Ilain, ibid., n. i838-i84o, 1847, 6553.
64 LE CATÉCHISME ROMAIN
plus qu'à décider, pour chaque diocèse, la rédaction d'un
manuel ou d'un catéchisme à l'usage des enfants. En atten-
dant le concile de Trente, ce fut un concile provincial, celui
de Tortose, en 1429, qui, sous la présidence du cardinal da
Foix, délimita ainsi qu'il suit la matière d'un catéchisme
sous ce titre : De modo instruendi populum circa fidem
netessaria : 1 quid credere debeat, ou les articles de foi ; 2
quid peter e, ou l'oraison dominicale; 3 quœ servare, ou la
décalogue.; 4 quse vitare, ou les sept péchés capitaux;
5 quid optare, ou le paradis ; 6 quid timere, ou l'enfer.
En conséquence les évêques doivent « per viros litteratos
et probos dictari et scribi faciant aliquod brève compen-
dium, in quo prœdicta omnia... districte comprehendan-
tur et clare. Quod compendium sic commode dividatur
inter partes ut per sexvel per septem lectiones valeatdecl -
rari et sic per totius anni decursum, repetitis vicibus, per
-curâtes, diebus dominicis, taliter faciant explanarb) (1).
C'est bien là la rédaction d'un vrai catéchisme, sous
forme de compendium, en six ou sept leçons, qu'on devra
lire et expliquer l'une après l'autre, chaque dimanche,
tout le long de l'année. A ce régime, c'est-à-dire à une
leçon par dimanche, les fidèles devaient entendre sept
fois par an les formules catéchétiques et par suite na
pouvaient guère tarder à les savoir par cœur. Le vœu du
chancelier Gerson se trouvait ainsi réalisé dans le nord da
l'Espagne.
Mais nous ignorons jusqu'à quel point fut appliqué ca
décret du concile de Tortose. Nous ignorons aussi s'il
faut en voir une application dans le petit livre qui a pour
titre : Fundamentum œternœ felicitatis cum libro da
miseria conditionis humanœ (2), que Kôcher proposait
aux protestants (3). Toujours est-il que ce Fundamentum
est un véritable catéchisme du xve siècle renfermant inté-
gralement la matière de nos catéchismes actuels, mais
sans la forme dialoguée de ceux-ci.
On peut en dire autant du Discipulus de éruditions
1. Hefele, t. xi, p. i63 ; Hardouin, t. vm, col. 1078. —
a. Cologne, i5oi ; Hain, Repert., n. 7396. — 3. Bibliotheca, Iéna,
1719, 11 P, p. i46.
INTRODUCTION 55
Christi Jidelium, qu'Eder traite de catéchisme du com-
mencement du xve siècle (i) ; caria matière qu'il contient
est la même que celle du Fundamentum. C'était en réalité
un manuel à l'usage du clergé, souvent imprimé sous des
titres divers (2).
Telle est l'histoire du catéchisme jusqu'à la veille
du xvi° siècle. Très certainement elle est incomplète ; car,
très certainement, outre les documents, dont il a été
question dans ce qui précède, il en existe d'autres, encore
inconnus ou inédits, mais dont la découverte et la publi-
cation ne modifiera pas sensiblement, croyons-nous, les
résultats déjà acquis.
VI. Première moitié du XVIe siècle
Ce n'est pas, assurément, au moment où éclate la
Réforme, que le mouvement en faveur de l'enseignement
catéchétique de l'enfance va se ralentir ou s'arrêter ; bien
au contraire, il ne fera que se renforcer et s'étendre dans
l'Eglise. Les ouvrages du 'siècle précédent, surtout ceux
de Gerson, sont très répandus. Mais d'autres vont paraî-
tre sur le même sujet, avec des procédés et une méthode
identique pour la plupart, quelques-uns avec une mé-
thode nouvelle. La forme des leçons par demandes et par
réponses ^ déjà inaugurée au ix° siècle par la Disputatio
puerorum, mais généralement abandonnée, reprise en
passant par YElticidarius d'Honoré d'Autun, succède à
peu près exclusivement à l'ancienne méthode de simple
énumération ou de brève exposition.* Et naturellement
l'accent des nouvelles compositions porte sur les vérités
attaquées par la Réforme. Du reste les catéchismes de
Luther et de Calvin sont faits pour provoquer l'émulation
des catholiques.
1° L'œuvre de Luther. — On a voulu faire à Luther
1. Methodus catechismi catholici, Epist. nuncupaloria, Lyon,
1579. — 2. Liber de eruditione Christi Jidelium, Liber discipuli,
Discipidus, etc. ; Hain, ReperL, n. 85i6-85aa.
56 LE CATÉCHISME ROMAIN
Un mérite exceptionnel d'avoir eu le premier l'idée du
catéchisme et de l'avoir réalisée. Ce qui précède montre
suffisamment le mal fondé d'une telle prétention. Le
Kirchenlexicon a. souligné avec raison cette erreur histo-
rique. Même parmi les réformés, en effet, le catéchisme
en langue vulgaire de l'ancien moine augustin n'a pas été
le premier ; il ne parut qu'en 1629. Et il avait été précédé
de catéchismes, chez les vaudois et les frères bohèmes,
ainsi que de nombreux essais dans l'Eglise évangélique.
Un grand nombre de ces essais est reproduit par les
soins de Cohrs, dans les Monumenta Germanise pœclago-
gica (1).
Du reste, Luther ne prétend pas innover ; il ne fait que
suivre le courant. A l'exemple de l'Eglise, il pourvoit ses
adhérents d'un manuel catéché tique qui renferme les
points principaux de sa doctrine. Il rédige donc un
catéchisme, dans le but sans doute ut esset institutio pue-
rorum alque simplicium, mais surtout pour préciser les
innovations qu'il cr©it devoir introduire dans l'enseigne-
ment chrétien. Commandements, symbole apostolique et
oraison dominicale sont conservés dans leur teneur et
suivis d'explications appropriées. Mais il réduit les
sacrements au baptême et à la cène. C'est une
exposition simple, où intervient de temps en temps
le dialogue, mais beaucoup trop longue pour des
enfants et des ignorants ; car elle remplit dans
l'édition de Wittemberg (2) quatre vingt huit pages in
folio. Aussi dut-il en faire un résumé, où le texte du
décalogue, du symbole et du Pater est accompagné, sur
chaque point, d'un commentaire d'à peine deux ou trois
lignes, avec un peu plus de détails et en forme de dialo-
gue sur le baptême et la cène (3). Il avait mis en tableaux
ce qui avait fait l'objet de sa prédication populaire, les
dix commandements d'abord, puis ce qui regarde la
1. Berlin, 1 900-1 903, t. xx-xxm, sous ce titre : Die evange-
lischc Katechismus versuche vor Luther' s Enchiridion ; complété
par Knoke, Der evangelische Katechismus litteratur bis i525,
dans Halte was du hast de Sachsse, t. xxv, p. 5o6-5i8. —
'2. i582, t. v, p. Goi-645. — 3. Ibid., p. 646-653.
INTRODUCTION 5 7
confession, le baptême et l'eucharistie : le tout, rédigé en
bas allemand, forma la première édition de son Petit
catéchisme, en 1629, qui reparut dans la même année
avec le titre d'Enchiridion. Son Grand catéchisme parut
également la même année. Il est à remarquer que la
pratique de la confession et de l'absolution est conservée.
« Devant Dieu, y est-il dit, nous devons nous tenir cou-
pables de nos péchés cachés ; mais, à l'égard du ministre,
il faut seulement confesser ceux qui nous sont connus et
que nous sentons dans notre cœur. » « Ne croyez-vous
pas que ma rémission est celle de Dieu, demande le
ministre ? — Oui, répond le pénitent. — Et moi, reprend
le ministre, par l'ordre de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
je vous remets vos péchés au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit » (1).
2° L'œuvre de Calvin. — Calvin, à son tour,
compose son catéchisme en français, en i536, et le
traduit en latin, deux ans après. C'est « le formulaire
d'instruire les enfans en la chrestienté, fait en manière
de dialogue où le ministre interroge et l'enfant répond ».
Calvin n'y fait pas difficulté de reconnaître que « c'a
esté une chose que toujours l'Eglise a eue en singu-
lière recommandation d'instruire les petits enfans en la
doctrine Chrestienne. Et, pour ce faire, non seulement on
avait anciennement les écoles... mais aussi l'ordre publi-
que estoit par les temples d'examiner les petits enfans
sur les poincts qui doivent estre communs entre tous les
chrestiens. Et affin de procéder par ordre on usoit d'un
formulaire qu'on nommoit catéchisme » (2). Ce catéchisme,
beaucoup mieux composé que celui de Luther, était
partagé en cinquante cinq leçons dominicales fort courtes.
Mais, tirant logiquement les conséquences des faux prin-
cipes posés par Luther, Calvin glisse dans son œuvre les
trois points principaux de son enseignement sur la
certitude du salut, l'inamissibilité de la justice (3), et
1. Cf. Bossuet, Histoire des variations, III ; Paris, i836, t. v,
p. 566. — 2. Recueil des opuscules, Genève, i566, p. 200. —
3. Dim. 18, 19, 56.
58 LE CATÉCHISME ROMAIN
la justification des petits enfants indépendamment du
baptême (i) ; car, à ses yeux, le baptême ne remet pas
les péchés, il n'est que le sceau ou la marque de leur
rémission (2). ' Relativement à l'eucharistie, il cherche à
concilier la doctrine de Luther avec celle de Zwingle, et
il admet qu'à la cène on ne reçoit pas seulement un signe,
ni même un signe efficace, ni la vertu et le mérite de
Jésus-Christ, mais Jésus-Christ lui-même, « réellement et
en effet par une vraie et substantielle unité » (3).
3° Les travaux des catholiques, — En face de
la propagande protestante, les catholiques ne demeu-
rèrent pas inactifs. En France, l'évêque de Sentis,
Guillaume Parvi, fit paraître, en i538, deux opuscules,
dont le titre indique l'objet et la méthode ; ce sont :
La formation de l'homme et son excellence et ce qu'il
doit accomplir pour avoir paradis, avec plusieurs bonnes
doctrines et enseignemens chrétiens ; et le Viat de salut où,
est comprins l'exposition du symbole, des dix commande-
ments, du Pater et de Lave Maria, instructions pour soy
confesser, avec oraisons et autres dévotes chansons (4).
Mais déjà en i533, Erasme avait publié à Fribourg-en-
Brisgau son Explicalio in symbolum et decalogum, sous
forme de dialogue entre le catéchumène et le catéchiste.
Catéchumène est ici pris dans un sens large, car il s'agit
d'un adulte, baptisé dès sa naissance, qui, ayant cons-
cience de son état, veut libérer la responsabilité de ses
parrains et prendre lui-même auprès de quelqu'un
d'autorisé connaissance de ses devoirs de chrétien. En
conséquence il prie son catéchiste d'en user envers lui
comme avec un plane rudis ; et il pose des questions sur
les articles du symbole, les commandements de Dieu et
le Pater. L'ensemble forme six leçons d'étendue inégale,
beaucoup trop longues et de plus complètement muettes
sur des points importants, tels que la grâce et les sacre-
ments, pour pouvoir servir de manuel catéché tique
1. Dim., 5o. — 2. Cf. Bossuet, Hist. des variations, ix ; loc.
cit., p. 655-6GG. — 3. Dim., 5i, 52, 53. — k- Brunct, Manuel,
t. 111, p. G4i.
INTRODUCTION 59
commode et d'usage courant. Dans les œuvres complètes
d'Erasme, cet opuscule porte le titre de Dilucida et pia
explanatio symboll apostolorum (i).
Les années qui précédèrent et suivirent immédiatement
la convocation du concile de Trente virent paraître un
grand nombre de catéchismes.
En Allemagne, particulièrement, Witzel (Wicelius) em-
ploya la méthode dialoguée, où l'enfant interroge et le
catéchiste répond. Très au courant des prétentions et des
discussions de la Reforme, dans laquelle il s'était égaré
un moment, Witzel prit à cœur l'instruction catéchétique
des enfants : de là ses nombreux opuscules. En i535,
paraît son Catechismus ecclesise ; en i53q, à Berlin, ses
quœstiones catechistiese ; en i54ï, à Mayence, un Cate-
chisticum examen christiani pueri ad pedes catholici prœ-
sulis ; en i542, encore à Mayence, un Catechismus,
instructio puerorum ecclesise. Questions de théorie et de
pratique, il traite tout avec soin et habileté ; ses œuvres
sont bien dans le courant traditionnel et s'adaptent aux
besoins de l'époque. Sous sa direction, l'enfant sait vite
les vérités à croire et les devoirs à remplir ; connaît la
manière de se confesser et de mener une vie chrétienne.
Beaucoup plus tard cni5Go, il revint une dernière fois sur
cet important sujet et publia en allemand un bon petit
catéchisme, la Newer and kurtzer Catechismus, christiiche
und gewisse Unterric/itung des iungen Christen.
Witzel eut des émules parmi ses compatriotes. Inutile
de les énumérer tous. Qu'il suffise de citer les noms du
dominicain Jean de Dietenberg (f i534) (2), de Jean évê-
que de Meissen (3), et de Helding. Celui-ci, après avoir
fait paraître sa Brevis intitutio ad christianam pietatem,
publie, conformément aux décisions prises au concile de
Mayence de 1649, YInstitutio ad pietatem christianam
secundum doctrinam catholicam, complectens explication
nem symboli apostolici, orationis dominicœ, angelicœ sa-
lutationis, decalogi et septem sacramentorum. A Augs-
1. Opéra, Leyde, 170^, t. v, p. n3A sq. — 2. Evangelischer
Bericht und christiiche Unterweisung, Mayence, 1537. — 3. Ein
christiiche Lere, Mayence, i54i.
6o LE CATÉCHISME ROMAIN
bourg, c'est le dominicain Pierre de Soto qui, en i549,
extrait de son ouvrage Inslitaiiones christianœ, paru
l'année précédente, un Khurtzer Begrijf calholischer
Lehr ; c'est un 'autre dominicain, Jean Fabre, dit Fabri,
qui donne un catéchisme dialogué, Ain christenlicher,
rainer Catechismus. A Cologne, paraissent, en i542, le
chris tlicher Bericht, de Cremers ; en i543, le Catechismus
catholicas, de Nausea de Weissenfeld, mort évêque de
Vienne ; en i546, le Schatz der christlichen Lehre, du
franciscain' Titelmann ; en i549, le Christianœ institu-
tionis liber, complectens tractatam septem sacramentorum
expositionem symboli apostolici, orationis dominicœ et
decem mandatorum Dei, editus in concilio provinciali
Treverensi a. J.-C. 15Ù9.
Le reste de l'Europe prend également part à ce mou-
vement d'œuvres catéchétiques en faveur de l'enfance
chrétienne, mais dans une mesure plus restreinte. En
Italie, paraissent le Catéchisme du cardinal Gontarini
(f 1542) ; El catecumeno 0 cristiano instruido et la Dot-
trina cris tiana per modo de dialogo, de Perez, en i55a ;
le Catechismus de Léonard de Port-Maurice, à Mantoue,
en i555. En Espagne, le De docirina chris tiana, de Flores,
à Tolède, en i552, et la Luz de la aima chris tiana, de
Meneses, à Salamanque, en i556. En France, le Catéchis-
me de Reims, dû au cardinal Charles de Lorraine, etc.
Bref, on sent qu'on touche à une heure décisive dans
l'histoire du catéchisme et qu'avec le concile de Trente,
et grâce à lui, l'Eglise va intervenir solennellement.
INTRODUCTION 6l
Le Catéchisme
pendant et après
le Concile de Trente
L L'œuvre du bienheureux Canisius. — II. Le
Catéchisme romain. — III. Projet d'un petit
Catéchisme universel, — IV. Préface du
Catéchisme romain.
I. L'œuvre du Bienheureux
Canisius
Parmi les efforts tentés au milieu du xvi° siècle pour
arrêter et paralyser la propagande protestante, il importe
de signaler ceux du Bienheureux Canisius (1621-1597). G«
docte et pieux jésuite possédait une âme d'apôtre, très
attentive aux besoins intellectuels et moraux de son épo-
que troublée. D'un coup d'œil profond il vit où était le
mal, d'où venait le danger, et, résolument, il consacra la
plus grande partie de sa vie à parer à ce danger, à com-
battre ce mal. Son but était surtout de procurer par tous
les moyens l'enseignement religieux à l'e/ifance chré-
tienne, à l'église, à l'école, dans les collèges et les uni-
versités. Et pour atteindre ce but, l'un des plus impor-
tants d'alors, il composa des œuvres appropriées, d'une
valeur réelle et d'une immense portée, merveilleux instru-
ment de catéchisation.
Nous signalerons en particulier sa Somme de la doc-
trine chrétienne, à laquelle il travailla, à Vienne, de i552
à i554, qu'il fit paraître en i555, et qui est restée l'un des
plus populaires de ses ouvrages. Composée en latin, puis
traduite en allemand, revue et augmentée, elle fut éditée
62 LE CATECHISME ROMAIN
à Cologne, en i566, sous ce titre Summa doctrinœ chris-
tianœ per quxstiones lucuîenter conscripta. Elle repré-
sente le premier et le plus considérable de ses trois caté-
chismes.
Jugée avec raison comme un très bon moyen de pro-
pagande antiprotestante et d'enseignement catholique,
elle fut présentée au concile de Trente par Ferdinand Ier
afin qu'on en prescrivît l'usage dans les écoles. Mais
comme le concile lui-même, ainsi que nous allons le dire,
était saisi d'un projet relatif à la rédaction d'un caté-
chisme, on ne donna pas suite à la demande de l'empe-
reur. Sa valeur n'en reste pas moins de premier ordre ;
c'est avec justice que Pie IX, dans le bref de Béatification
de Canisius, et Léon XIII, dans son Encyclique de 1897 sur
le Bienheureux, en ont fait le plus grand éloge. Elle
était surtout destinée aux élèves des classes supérieures,
des collèges et des universités.
Ganisius rédigea un autre catéchisme pour les enfants
des écoles inférieures, le Parvus catechismus catholic9-
rum, paru à Cologne en i558 ; c'est le catéchisme moyen.
Enfin, pour les débutants et les gens sans instruction, et
comme pendant au petit catéchisme de Luther, le Bien-
heureux avait rédigé et publié à Ingolstad, dès i556, un
tout petit catéchisme, la Summa doctrinœ christlanœ per
quœstiones tradita, et ad captum rudlorum accommodata,
qui fut traduit et publié en allemand, l'année suivante.
Grâce à Canisius, les catholiques allemands pouvaient
opposer un triple catéchisme à ceux du moine apostat et
enrayer par là l'œuvre de la Réforme. Ce triple catéchisme,
en effet, mit en émoi les théologiens du parti réformé.
Le fond nous en est déjà connu ; il ne pouvait être du
reste que ce qui faisait depuis si longtemps, dans l'Eglise,
l'objet de l'enseignement catéchétique. Mais il est systé-
matiquement rangé sous deux idées principales, la sagesse
et la justice. A la sagesse Canisius rapporte la foi et le
symbole, l'espérance et l'oraison dominicale, la charité et
le décalogue, enfin les sacrements. A la justice, qui con-
siste à fuir le mal et à faire le bien, se rattache renseigne-
ment catholique sur le péché, les bonnes œuvres, les ver-
INTRODUCTION 63
tus, les dons et les fruits du Saint-Esprit, les conseils
évangéliques. Et, pour couronner le tout, l'étude des
fins dernières.
La méthode est la méthode vivante du dialogue,
procédant par demandes et par réponses. Les deman-
des sont toujours très courtes ; les réponses sont parfois
un peu développées, surtout sur les points alors contro-
versés et sur les dogmes rejetés par les réformés. Chaque
point est nettement établi, solidement appuyé sur l'Ecri-
ture sainte et les ouvrages des Pères, dans une exposition
claire, sereine, sans la moindre polémique (i).
Le grand catéchisme de Canisius fut complété du temps
même de l'auteur, sur ses indications, ses conseils, peut-
être même avec sa collaboration, d'abord par Pierre Bu-
sée qui, pour montrer l'accord du nouveau catéchisme
avec la doctrine de l'Eglise primitive, inséra le texte inté-
gral des témoignages invoqués (2), ensuite par Jean Hase
qui enrichit encore le travail de son confrère Busée et
publia une nouvelle édition avec une préface du Bienheu-
reux (3). C'est là YOpus cateahisticum, enrichi de tant de
textes scripturaires et de tant de références patristiques,
appelé parfois le catéchisme des théologiens et dont la
vogue a été extraordinaire.
L'œuvre de Canisius a été traduite en plusieurs langues
et n'a cessé de produire les meilleurs fruits. Léon XIII a pu
écrire avec raison : « Pendant trois siècles, Canisius a été
regardé comme le maître des catholiques allemands, et
dans le langage populaire, connaître Canisius et conser-
ver la vérité chrétienne étaient deux locutions synony-
mes ». Au reste, la plupart des écrivains protestants, en
présence de la valeur incontestable de l'œuvre et de l'in-
fluence qu'elle exerça, ont reconnu que le catéchisme de
Canisius fut son arme la plus efficace dans l'œuvre de la
contre-réforme religieuse qu'il provoqua et dirigea (1). »
I. Dict. de Théologie, t. 11, col. i5i4-i5i6 ; références biblio-
graphiques, ibid., col. i534. — 2. Cologne, 1570. — 3. Opus
catechisticum, Cologne, 1577. — 4. Dict. de Théol., t. 11, col.
i526.
64 LE CATÉCHISME ROMAIN
II. Le Catéchisme romain
L'importante question du catéchisme fut agitée au
concile de Trente. Dès le i3 avril i5/|6 un projet fut sou-
mis aux Pères, d'après lequel, « pour l'instruction des
enfants et des adultes ignorants, qui ont besoin de lait et
non de substance solide, des hommes doctes doivent com-
poser en latin et en langue vulgaire un catéchisme tiré de
l'Ecriture sainte et des Pères ; cette pédagogie devant leur
rappeler la profession de foi chrétienne faite au baptême
et les préparer à l'étude des saintes Lettres. »
Dix-sept ans plus tard, en i563, ce projet n'avait pas
encore abouti, bien que, dans l'intervalle, le Concile eût
été prié de faire adopter le catéchisme du Bienheureux
Canisius. Les Pères nourrissaient toujours l'espoir qu'une
œuvre d'aussi grande importance pour l'Eglise universelle
sortirait du sein même de l'Assemblée. Dans cette pré-
vision, qui ne devait pourtant pas se réaliser, ils ordon-
nèrent aux curés de prêcher sur les sacrements et de les
expliquer d'après ce que fixerait le concile.
Une commission avait été nommée, en effet, pour
travailler à la rédaction d'un catéchisme ; mais elle n'a-
vait pas eu le temps d'aboutir quand le concile s'acheva.
Aussi, avant de se séparer, les Pères s'en remirent-ils au
Pape du soin de terminer les travaux de la commission et
de publier le catéchisme promis.
Saint Charles Borromée fut chargé de mener à bonne
fin l'œuvre entreprise, avec l'aide de Muzio Calini et de
trois dominicains, François de Fureiro, Léonard Marino
et Gilles Foscarini, nommés par le pape Pie IV. Dès que
le travail fut terminé, le pape le soumit à une révision
définitive, dont il confia les soins au cardinal Sirlet. Sur
le rapport favorable du cardinal réviseur, Pie V l'ap-
prouva par le Motu proprio suivant : a De notre propre
mouvement, en qualité de Pasteur de l'Eglise universelle,
désirant, avec la grâce de Dieu, remplir tous nos devoirs
avec toute la fidélité dont nous sommes capables et mettre
à exécution les décrets et ordonnances du concile de
INTRODUCTION 65
Trente, nous avons fait composer par des théologiens de
choix, dans notre ville, un catéchisme, dans lequel les
fidèles du Christ peuvent apprendre, grâce à la diligence
de leurs curés, tout ce qu'ils doivent connaître, professer
et observer. Et comme cet ouvrage, avec l'aide de Dieu,
vient d'être terminé et va être publié, Nous avons voulu
qu'il fût imprimé avec le plus grand soin et la plus scru-
puleuse fidélité. » L'impression, en effet, en fut confiée à
l'éditeur pontifical, Paul Manuce. Il parut à Rome, en
i566, sous ce titre : Catechismus ex decreto concilii Tri-
dentini ad parochos, Pie V jussu editus. Cest le Caté-
chisme romain.
Ce catéchisme n'a rien d'un symbole ou d'une confes-
sion de foi ; ce n'est ni un manuel abrégé à l'usage des
fidèles ni un compendium destiné à l'enseignement de la
théologie, mais un exposé doctrinal, succinct et complet,
clair et sagement conduit, à l'usage des curés, comme
son titre l'indique, pour leur fournir les éléments essen-
tiels de la science qu'ils doivent posséder et leur faciliter
surtout soit la prédication, soit l'enseignement catéchéti-
que. Aussi en a-t-on écarté la méthode pédagogique habi-
tuelle par demandes et par réponses. En revanche, son
exposition, qui se ressent, cela va sans dire, des derniers
travaux et des enseignements du concile de Trente, est
au-dessus de tout éloge. Il résume admirablement la
doctrine catholique et traite successivement, en quatre
parties, du symbole apostolique, des sacrements, du déca-
logue et de la prière.
Un ami de saint Charles Borromée, le cardinal Valère,
évêque de Vérone, parle dans les termes suivants de ce
catéchisme, en le recommandant aux acolytes de son
église : « Le catéchisme du concile de Trente est vérita-
blement un don que Dieu nous a fait en ce temps pour
rétablir la discipline de l'ancienne Eglise et pour sou-
tenir la république chrétienne. Cet ouvrage est si remar-
quable, si profond et si clair que, depuis longtemps, il
n'en a point paru de semblable, au jugement des hom-
mes les plus savants. Ce n'est point un homme qui sem-
ble y avoir tenu la plume ; c'est l'Eglise même, notre
LE CATÉCHISME. — T. I. .5
66 LE CATÉCHISME ROMAIN
sainte mère, guidée et inspirée par le Saint-Esprit, qui y
parle et qui nous y instruit. Vous qui êtes déjà avancés
en âge, lisezrle sept fois et plus. Vous en retirerez les
fruits les plus admirables. Démosthène, dit-on, écrivit
huit fois de sa main les harangues de Thucydide, telle-
ment qu'il les savait par cœur. A combien plus juste
titre, vous, qui devez travailler de toutes vos forces à pro-
curer la gloire de Dieu, votre salut et celui du prochain,
ne devez-vous pas lire et même copier plusieurs fois un
livre composé par l'ordre du concile de Trente, et, pour
ainsi dire, sous la dictée du Saint-Esprit ».
Ces conseils de l'évêque de Vérone, au lendemain de
l'apparition de ce catéchisme, n'ont rien perdu de leur
valeur au commencement de ce vingtième siècle. La
haute approbation de Pie V, renouvelée en i583 par Gré-
goire XIII, fait comprendre ce mot de Léon XIII qui l'ap-
pelait « un livre d'or » et qui le recommandait aux sémi-
naristes d'aujourd'hui. « Remarquable, disait-il dans son
Encyclique au clergé de France, du 8 septembre 1899, à
la fois par la richesse et l'exactitude de la doctrine ainsi
que par l'élégance du style, ce catéchisme est un précieux
abrégé de toute la théologie dogmatique et morale. Qui
le posséderait à fond aurait toujours à sa disposition les
ressources à l'aide desquelles un prêtre peut prêcher
avec fruit, s'acquitter dignement de l'important minis-
tère de la confession et de la direction des âmes, être en
état de réfuter victorieusement les objections des incré-
dules )>.
Ainsi donc, grâce à l'initiative du concile de Trente et
à l'œuvre publiée par ordre de saint Pie V, le clergé pos-
sède depuis le xvie siècle, dans le Catéchisme romain, un
guide sûr pour la prédication ordinaire et pour l'ensei-
gnement catéchétique. Adopté et imposé dans plusieurs
diocèses, ce catéchisme reste encore d'un usage facultatif
ailleurs. D'autre part, les catéchismes du Bienheureux
Canisius, spécialement rédigés en faveur des enfants et
des élèves, sont loin d'être universellement adoptés ou
imposés. De plus, depuis le concile de Trente, l'usage
s'est introduit dans les divers diocèses d'avoir pour l'en-
INTRODUCTION 6^
fance un manuel catéchétique, composé ou approuvé par
l'Ordinaire. M. l'abbé Hézard a eu soin de dresser le cata-
logue de ces catéchismes diocésains, dans l'ordre de leur
apparition successive : ce catalogue a été reproduit et
complété par M. l'abbé Mangenot (i).De telle sorte qu'on
peut dire qu'aujourd'hui l'Eglise compte presque autant
de petits catéchismes que de diocèses. Bien mieux, iî
n'est pas rare de constater que, dans un laps de temps
peu considérable, le même diocèse se trouve successive-
ment en présence de nouveaux manuels, imposés par les
évêques, au gré des circonstances ou des besoins particu-
liers de leurs diocésains. Or cette multiplicité et cette va—
riété de catéchismes ne va pas sans de graves inconvé-
nients.
Les parents, familiers avec le manuel en usage au
temps de leur jeunesse, se trouvent, pour la plupart, dans
l'embarras dès qu'il s'agit de surveiller de près l'instruc-
tion religieuse de leurs enfants. Quelques-uns vont mêm&
jusqu'à croire naïvement que les formules catéchétiques
étant changées, c'est la religion elle-même qui s'est
transformée. Les enfants qui changent de diocèse sont
quelque peu déroutés à leur tour et souvent découragés par
des formules nouvelles à apprendre. Plus on va, du reste,
et plus les déplacements se multiplient soit dans l'inté-
rieur d'un même pays, soit d'un pays à un autre. De tels
changements de résidence ne peuvent être que préjudi-
ciables pour l'instruction religieuse des enfants.
Ces inconvénients, et d'autres encore qu'il est inutile
de mentionner, ne seraient-ils pas écartés nar la rédac-
tion d'un catéchisme unique et universel? C'est la ques-
tion qu'on s'est posée depuis longtemps. L'Eglise s'est
préoccupée de faire disparaître dans l'enseignement caté-
ohétique et dans la formule du catéchisme cette diversité
fâcheuse. Benoît XIV, dans sa Constitution Etsi minime*.
du 7 février 1742, appelle de ses vœux l'adoption d'un,
manuel uniforme pour toute l'Eglise. Clément XIII, dans
sa Constitution In dominico agro, du i4 juin 1761*
signale et déplore les inconvénients qui résultent de tant
\ î. Diction, de Théologie, t. ir, col. 1919-19G0.
68 LE CATÉCHISME ROMAIN
die catéchismes, de rédactions si différentes. Pie IX, dans
ses Lettres apostoliques au clergé autrichien, du 5 novem-
bre ï855, recommande l'uniformité. Aussi des que le
concile du Vatican fut réuni, le projet d'un petit caté-
chisme universel fut-il mis à Tordre du jour de l'auguste
assemblée.
III. Projet d'un petit Catéchisme
universel
Voici le schéma distribué aux Pères du concile du
Vatican, le i4 janvier 1870. Afin de faire disparaître les
abus des catéchismes multiples et d'empêcher la rédac-
tion de nouveaux manuels, un décret rendrait obligatoire
dans toute l'Eglise un petit catéchisme. Le pape ferait
rédiger en latin un catéchisme semblable à celui que
Clément VII avait fait rédiger par le cardinal Bellarmin
et que les fidèles de l'Eglise universelle devraient désor-
mais étudier et apprendre. Ce petit livre n'étant pas
destiné aux prêtres seuls, mais devant être mis entre les
mains des fidèles comme tessère de la foi et gage du
bonheur éternel promis à ceux qui vivent de la foi, ce
catéchisme serait traduit en chaque langue aussi littéra-
lement que possible. Les évêques pourraient cependant
publiera part quelques leçons catéchétiques pour donner
à leurs diocésains une instruction plus large ou pour
réfuter les erreurs courantes dans leurs milieux. Et le
catéchisme romain resterait entre les mains du clergé
comme la règle et le modèle des explications du caté-
chisme.
Ce projet, soumis à la discussion, ne fut pas sans soulever
quelques oppositions. Il est incontestable, en effet, que
l'uniformité absolue paraît difficile en présence de la
différence de capacité intellectuelle des enfants, de la
diversité des besoins religieux et de la dissemblance des
langues. Mais la grande majorité des Pères du concile,
tenant compte des avantages immenses qui compense-
raient largement de tels inconvénients, se montrèrent
INTRODUCTION 69
favorables ; d'autant plus que l'explication orale aurait à
s'accommoder à la différence des situations et des âges,
que la traduction, bien que littérale dans la mesure du
possible, s'adapterait au génie de chaque langue, et que
les évêques conserveraient le droit d'ajouter des leçons
spéciales ou de rédiger des catéchismes plus complets.
Néanmoins les présidents estimèrent qu'on ne pouvait
approuver ce projet, mais qu'il devait être retouché pour
tenir compte des arguments mis en valeur pour ou
contre.
Un nouveau schéma fut donc distribué le 25 avril. Il
portait, entre autres choses, que la version, au lieu d'être
littérale, serait simplement fidèle, et que les évêques
pourraient faire des additions, non à part, mais dans le
texte lui-même, à la condition que le texte parût clairement
distinct. Nouveaux débats, nouvelles corrections propo-
sées. D'après ces dernières, le catéchisme ne serait pas
imposé ; il serait examiné par une commision. Mais la
rédaction d'un tel catéchisme 'n'étant pas chose aisée et
son examen par le concile devant demander beaucoup
trop de temps, le mieux serait, à l'exemple du concile de
Trente, de laisser au pape le soin de faire rédiger ce petit
catéchisme et à une commission d'évêques, désignés par
le Souverain Pontife, le soin d'examiner le texte. La réédi-
tion du catéchisme de Bellarmin ne semblait pas répondre
aux besoins actuels. Le petit catéchisme ne devra contenir
que les leçons élémentaires. Les autres catéchismes ne
seront pas exclus absolument ; on pourra même les
conserver avec l'autorisation nécessaire du pape. Ainsi
délimité, le projet réunit 491 placet contre 56 non placet
et 44 placet juxta modum. Les conditions formulées par
ces derniers portaient sur la rédaction, l'examen et
l'obligation du futur catéchisme, laissés au concile, ou à
une commission, ou aux évêques. Mais « la question ne
fut pas reprise au concile; le décret ne fut pas promulgué,
et le saint siège, à qui l'affaire a été remise, n'a pas publié
le petit catéchisme universel. On ne s'est même pas
occupé d'en rédiger un, et les évêques ont continué,
comme par le passé, à composer de nouveaux catéchismes
^O LE CATECHISME ROMAIN
particuliers ou à réviser leurs catéchismes diocésains.
Les travaux du concile du Vatican sur ce point n'ont donc
pas abouti (i). » Peut-être le pape Pie X réalisera-t-il ce
projet. On pourvoirait ainsi beaucoup mieux à l'unifor-
mité de l'enseignement catéchétîque, à sa stabilité, à
l'unité et à la pureté de la doctrine.
Quoi qu'il en soit, et en attendant que se réalise ce
projet, c'est encore au seul catéchisme officiel qu'il est
bon de recourir. Le Catéchisme romain formera donc,
.ainsi que nous l'avons dit, le cadre et la base de l'explica-
tion nouvelle que nous offrons au clergé. Rien de mieux,
avant d'entrer en matière, que de reproduire ici les
observations et les conseils, qui servent de préface à
l'œuvre éditée par les ordres de saint Pie V.
IV
Préface du Catéchisme romain
i. « A force de travail et d'application, l'homme peut,
par lui-même, rechercher et parvenir à connaître un assez
grand nombre de vérités dans l'ordre religieux ; mais telle
est la nature de son esprit et de son intelligence qu'il n'a
pas toujours pu connaître la plupart des moyens qui con-
duisent au salut éternel, à la fin principale pour laquelle
il a été créé et formé à l'image et à la ressemblance de
Dieu, tant qu'il n'a eu à son service que ses seules lumières
naturelles.
2. w Nous connaissons bien, comme l'enseigne l'apôtre,
par les choses créées de ce monde, les perfections invisibles
de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité (2), mais le
grand mystère caché aux générations depuis des siècles (3),
dépasse tellement l'intelligence humaine, qu'elle n'aurait
jamais pu parvenir, par aucun effort, à une connaissance
1. Mangenot, Diction, de Théologie, t. 11, col. 1963. Cf. Mar»
tin, Les travaux du concile du Vatican, Paris, 1873, p.n3-n5 1
Granderath, Geschichte der Vatikanischen Konzils, Fribourg-en-
Brisgau, 1903, t. n, p. 202 sq. — 2. Rom., i, 20. — 3. Col., 1, 26.
INTRODUCTION
si haute, si Dieu lui-même ne l'eût révélé à ses saints,
auxquels il a voulu faire connaître par le don de la foi les
richesses de la gloire de ce mystère dans les nations, qui
est le Christ.
3. « Mais comme la foi vient de l'ouïe (i), la nécessité
s'impose d'avoir toujours, pour conquérir le salut éternel,
le concours fidèle et le ministère d'un docteur légitime ;
car il est écrit : « Comment entendront-ils sans prédica-
teur ? et comment y aura-t-il des prédicateurs, si on ne les
envoie (2) ? »
4. « Aussi dès l'origine du monde, Dieu qui est infini-
ment bon et miséricordieux, n'a-t-il jamais manque aux
siens; mais en plusieurs occasions et de diverses maniè-
res, il a parlé à nos pères par les prophètes (3), et selon
la diversité et les besoins des temps il leur a montré le
chemin droit et sûr qui conduit au céleste bonheur. Mais,
comme il avait prédit qu'il enverrait le Docteur de la jus-
tice pour éclairer les nations et porter le salut jusqu'aux
extrémités de la terre (4), il nous a parlé dans ces der-
niers temps, par son Fils (5),à qui une voix descendue
du ciel au milieu d'une gloire éclatante a ordonné que
tous obéissent (6), en suivant fidèlement sa doctrine.
Ensuite le Fils lui-même nous a donné des apôtres, des
prophètes, des pasteurs et des docteurs (7), pour nous
annoncer la parole de vie, afin que nous ne fussions pas,
comme des enfants, flottants et emportés par tout vent
de doctrine (8), mais que, appuyés sur l'inébranlable fon-
dement de la foi, nous fussions élevés pour être la mai-
son de Dieu, dans l'Esprit-Saint (9).
5. « Et pour qu'on ne prît pas la parole de Dieu, de la
part de ses ministres, comme une parole humaine, mais
comme la véritable parole du Christ, Notre Sauveur lui-
même a donné une telle autorité au magistère de ses
ministres qu'il a dit : « Celui qui vous écoute, m'écoute ;
et celui qui vous méprise, me méprise (10) ; » or, dans
1. Rom., x, 17. — 2. Ibid., x, i£-i5. — 3. Héb., 1,1. —
A. Is., xlix, 6. — 5. Héb., 1, 1-2. — 6. 11 Pet., 1, 17. —
7. Eph. iv, 11. — 8. Eph., îv, 14. — 9. Eph., u, 11. — 10. Luc,
x, 16.
72 LE CATECHISME ROMAIN
cette déclaration, il ne s'agit pas seulement de ceux
auxquels il parlait alors, mais encore de tous ceux qui,
par une légitime succession, reçoivent la charge d'ensei-
gner. A tous, H a promis l'assistance de son Esprit, tous
les jours, jusqu'à la fin du monde (i).
6. « Mais quoique l'on ne doive jamais cesser d'annon-
cer dans l'Eglise la parole de Dieu, c'est pourtant
aujourd'hui un devoir de travailler avec plus de zèle et
de piété que jamais à nourrir les fidèles du pain de vie et
à les confirmer dans une saine et incorruptible doctrine.
Car il s'est élevé de faux prophètes dans le monde qui
corrompent par des doctrines nouvelles et étrangères
l'esprit des chrétiens, semblables à ceux, dont le Seigneur
a dit :
« Je n'ai pas envoyé ces prophètes, et ils courent !
Je ne leur ai point parlé, et ils prophétisent (2) 1 »
Et certes l'impiété de ces hommes, armée de tous les
artifices de Satan, a fait tant de progrès, qu'il paraît
presque impossible d'en arrêter le cours. Et si nous
n'étions appuyés sur cette éclatante promesse qu'a faite
le Sauveur d'établir son Eglise sur un fondement si solide
que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais con-
tre elle, nous pourrions craindre avec raison qu'elle ne
succombât sous les assauts de tants d'ennemis qui l'at-
taquent aujourd'hui par toutes sortes de machinations.
7. « Car, pour ne point parler de ces illustres provin-
ces, qui jadis conservaient avec piété et sainteté la vraie
foi catholique, telle qu'elles l'avaient reçue de leurs an-
cêtres, et qui, maintenant, éloignées de la voie droite,
prétendent hautement qu'elles sont d'autant plus près de
la vraie religion qu'elles s'écartent davantage des doc-
trines anciennes, y a-t-ildansle monde chrétien un coin si
reculé, un lieu si inaccessible, où l'on n'ait pas essayé de
glisser ces funestes erreurs ? (3).
1. Matth., xxviii, 20. — 2. Jerem., xxm, ai. — 3. Il est à
peine besoin de faire remarquer combien cette observation,
juste au xvie siècle, se justifie encore de nos jours.
INTRODUCTION *]3
8. « Ceux, en effet, qui avaient conçu le dessein decor-
romprc les fidèles, se sont bien aperçus qu'il serait im-
possible de prêcher publiquement et défaire entendre à
tout le monde leur langage empoisonné. Aussi ont-ils
pris d'autres moyens pour semer leurs erreurs plus
aisément et plus loin. D'abord ils ont composé d'énormes
volumes contre la foi catholique afin de la renverser.
Mais comme ils y exposaient ouvertement l'hérésie et
qu'il n'était pas difficile de se précautionner contre leurs
doctrines, ils ont répandu une infinité de petits livres,
qui, sous l'apparence de la piété, ont séduit une multitude
d'âmes simples et sans défiance.
9. « C'est pourquoi les Pères du concile de Trente,
désirant ardemment apporter un remède salutaire à un
mal si grand et si funeste, ne se sont pas contentés de
définir contre les hérésies de notre temps les articles plus
importants de la foi catholique, ils ont cru encore de-
voir fournir aux pasteurs et docteurs légitimes, char-
gés d'instruire les fidèles des éléments de la foi, une
explication nette et' précise dès points principaux qu'elle
renferme, afin qu'on pût la suivre dans toutes les églises.
10. u Plusieurs, il est vrai, ont déjà écrit sur ces matières
avec autant de science que de piété. Néanmoins, ces Pères
ont jugé très important de publier, par l'autorité du
concile, un. livre, où les pasteurs et tous ceux qui sont
chargés d'instruire, puissent trouver des maximes cer-
taines pour édifier et instruire les fidèles. Comme il n'y a
qu'un seul Seigneur et une seule foi, il convenait aussi
qu'il n'y eût qu'une seule et même règle, une seule et
même manière, pour instruire les peuples de la foi et de
tous les devoirs de la piété chrétienne.
11. « Cependant le grand nombre d'objets qu'embrasse
un pareil ouvrage ne doit pas laisser croire que le concile
ait eu le dessein d'expliquer, dans un un seul volume et
d'une manière subtile, tous les dogmes de la foi chré-
tienne. Ceci est l'affaire des théologiens, qui font pro-
fession de développer et d'enseigner tout l'ensemble de
la religion. Une telle entreprise eût demandé un travail
considérable, et d'ailleurs cela n'entrait pas dans le but
7 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
poursuivi, comme on le voit sans peine. L'intention des
Pères a donc été uniquement de proposer aux pasteurs et
aux prêtres chargés du soin des âmes, les choses qui re-
gardent proprement le ministère pastoral et les vérités
le plus à la portée des fidèles. C'est pour cela qu'on ne
traite dans le cathéchisme des matières de la religion
qu'autant qu'il est nécessaire pour seconder le zèle pieux
de ceux des pasteurs qui n'auraient pas une connaissance
bien approfondie de ce qu'elles renferment de plus dif-
ficile.
12. « Mais avant d'exposer en particulier chacun des
articles de la doctrine chrétienne, l'ordre veut que nous
traitions en peu de mots de ce que les pasteurs doivent
prendre en considération et avoir d'abord sous les yeux
dans l'exercice de leur ministère, pour qu'ils sachent à
quelle fin ils doivent rapporter leurs desseins, leurs tra-
vaux et leurs efforts, et par quels moyens ils peuvent plus
facilement obtenir les fruits auxquels ils aspirent.
i3. « En premier lieu, qu'ils se rappellent toujours que
toute la science du chrétien est renfermée dans un seul
point, suivant ce que dit le Sauveur : « La vie éternelle
consiste à vous connaître, vous seul, Dieu véritable, et
celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (i) ». En consé-
quence le pasteur aura principalement en vue d'inspirer
aux fidèles un sincère désir de connaître Jésus-Christ, et
Jésus-Christ crucifié. Car ils doivent être intimement
persuadés et croire du fond du cœur, avec une piété véri-
table, qu'il n'y a pas sous le ciel un autre nom, par lequel
les hommes puissent se sauver, puisque c'est lui qui est
propiation pour nos péchés (2).
14. « Et comme nous savons que le connaître véritable-
ment c'est observer ses commandements (3), le pasteur
enseignera aux fidèles, comme une conséquence nécessaire
de ce qui précède, qu'ils ne doivent point vivre dans la
paresse et l'oisiveté, mais marcher comme le Sauveur lm>
même a marché (4), et pratiquer avec zèle la justice, la
1. Joan, xvii, 3. — a. AcL, iv, xa. — 3. I Joan., 11, 3. — »
4. I Joan., h, 6.
INTRODUCTION ^5
piété, la foi, la charité, la douceur. 11 s'est, en effet, donné
pour nous afin de nous racheter de toute iniquité, de nous
purifier, et de faire de nous un peuple consacré à son ser-
vice, fervent dans la pratique des bonnes œuvres (i) ; et
l'apôtre ordonne aux pasteurs de prêcher fidèlement ces
vertus aux chrétiens.
i5. « Une autre chose que Notre Seigneur et Sauveur
nous a non seulement apprise mais encore prouvée par
son exemple, c'est que la loi et les prophètes dépendent
de la charité (2). Après lui, l'apôtre enseigne encore que
l'amour est la fin des commandements et la plénitude de
la loi. C'est donc un devoir essentiel du pasteur d'exciter le
peuple chrétien à aimer l'infinie bonté de Dieu pour nous,
afin que, enflammé d'une ardeur divine, il s'élève vers ce
bien souverain et très parfait, dont la jouissance fait le
bonheur véritable et solide, et inspire à ceux qui l'ont
obtenu ces sentiments du prophète :
« Quel autre ai-je au ciel que toi ?
Avec toi, je ne désire rien sur la terre (3). »
Telle est, en effet, cette voie plus parfaite que le même
apôtre voulait nous montrer, lorsqu'il rapportait toute sa
doctrine et tous ses enseignements à la charité qui ne
périt point. Si donc on propose quelque chose à croire, à
espérer ou à faire, que ce soit toujours en rappelant la
charité de Notre Seigneur, afin que chacun connaisse bien
que toutes les œuvres de la vertu et de la perfection chré-
tienne ne peuvent sortir que de la charité et ne doivent se
rapporter à d'autre fin que la charité.
16. « Dans tout enseignement, ce qui importe surtout
c'est la méthode d'enseignement ; et cela importe plus
qu'ailleurs dans l'instruction du peuple chrétien. Se pro-
portionner à l'âge de ses auditeurs, se mettre à la portée
de leur esprit, de leurs mœurs, de leur condition, se faire
tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ, se mon-
trer un ministre et un dispensateur exact, semblable au
1. TU., u, i4-i5. — 2. Matth., xxu, 4o. — 3. Ps. lxxu, a5.
76 LE CATÉCHISME ROM VIN
serviteur bon et fidèle, digne d'être établi par le Seigneur
sur beaucoup de choses, voilà ce que doit faire celui qui
est chargé d'instruire.
17. u Qu'il prenne garde de ne pas croire qu'il n'a qu'une
seule sorte de personne à instruire, et qu'ainsi une seule
méthode uniforme et toujours la même lui suffît pour for-
mer tous les fidèles à la vraie piété. Les uns sont comme
des enfants nouvellement nés ; les autres ont déjà com-
mencé à prendre quelque accroissement en Jésus-Christ ;
d'autres sont comme parvenus à la force et à la vigueur de
l'âge. Il est donc nécessaire de considérer avec soin ceux
qu'il faut nourrir de lait, et ceux qui demandent une nour-
riture plus solide, afin de donner à chacun celle qui sera
la plus propre à augmenter ses forces spirituelles jusqu'à
ce que tous parviennent à l'unité de la même foi et de la
connaissance du Fils de Dieu, à l'homme parfait et à la
mesure de l'âge complet de Jésus-Christ (1). C'est ainsi
qu'en agissait l'apôtre ; et il rappelle à tous les pasteurs
cette obligation par son propre exemple, lorsqu'il dit : «Je
suis redevable aux grecs et aux barbares, aux savants et
aux ignorants (2); » car il fait entendre par là à ceux qui
sont appelés au ministère de la parole, qu'ils doivent pro-
portionner leurs discours à la portée de leurs auditeurs,
quand ils expliquent les mystères de la foi et les règles
dès mœurs ; et que, s'ils rassasient de la nourriture spiri-
tuelle ceux qui sont plus avancés, ils doivent prendre gar-
de de ne pas laisser mourir de faim les enfants, faute de
leur rompre le pain qu'ils demandent.
18. « Personne, du reste, ne doit laisser refroidir son
zèle dans l'enseignement sous prétexte qu'on est obligé de
descendre, dans les instructions, à des détails légers et bas
en apparence ; c'est sans doute là une chose pénible pouB
des esprits habituellement livrés aux méditations subli-
mes. Mais si la Sagesse du Père éternel est descendue elle-
même sur la terre pour nous enseigner, dans l'abaisse-»
ment de notre chair, les préceptes de la vie céleste, quel
est donc celui qui ne se sentirait pas entraîné par la cha*
'Tité de Jésus-Christ, à devenir petit au milieu de ses frè»
1. Ephes. , iv, i3. — 2. Rom., 1, ifr.
INTROnUCTlON 77
res et semblable à une mère qui nourrit ses enfants? Qui
ne désirerait le salut de son prochain avec la même
ardeur que l'apôtre lorsqu'il disait qu'il aurait voulu non
seulement donner la connaissance de l'Evangile, mais
encore livrer sa propre vie (i) ?
19. « Or toute la doctrine dont les fidèles doivent être
instruits, est renfermée dans la parole de Dieu, soit écrite,
soit conservée par la tradition. En conséquence les pas-
teurs s'appliqueront à méditer jour et nuit ces deux choses
et jamais ils ne perdront de vue l'avertissement de saint
Paul à Timothée, qui s'adresse à tous les pasteurs ayant
charge d'âmes : « Applique-toi à la lecture, à l'exhorta-
tion, à l'enseignement (2) ; » « Toute Ecriture est divine-
ment inspirée, et utile pour enseigner, pour convaincre,
pour corriger, pour former à la justice, atin que l'homme
de Dieu soit parfait, apte à toute bonne œuvre (3). »
20. « Mais comme le nombre et la variété des vérités
révélées de Dieu empêche qu'on ne puisse les comprendre1
facilement toutes, ou de les retenir dans la mémoire,,
même après les avoir comprises, il peut se faire que, l'oc-
casion s'offrant de les enseigner, on ne les ait pas assez,
présentes pour en donner l'explication. Aussi nos Pères-
ont-ils très sagement réduit toute la doctrine à quatre*
chefs, qui sont le symbole des apôtres, les sacrements, le»
décalogue et l'oraison dominicale.
21. « En effet, le symbole renferme ce que le chrétien,'
doit croire et connaître de Dieu, de la création et du gou-
vernement du monde, de la rédemption du genre hu-
main, de la récompense des bons et de la punition des:
méchants.
22. « La doctrine des sacrements renferme les signe»
de la grâce et les moyens par lesquels nous pouvons l'ob-
tenir.
a-3. « Tout ce qui regarde la morale et les devoirs, donti
la charité est la fin, est exprimé et contenu dans le Déca-
logue.
24. « Enfin Y Oraison dominicale renferme tout ce que
1. 1. Thés., 11, 8.-2. I. Tim., iv, i3. — 3. II Tim., m, iG-17^
7 8 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'homme peut désirer, espérer et demander pour son sa-
lut. Ces quatre articles, qui sont comme les lieux com-
muns de toute, l'Ecriture sainte, une fois expliqués^ il ne
manquera plus rien au chrétien pour être instruit de tout
ce qu'il est obligé de sa\oir.
25. « 11 a donc paru bon d'avertir les pasteurs que,
toutes les fois qu'ils ont à expliquer quelque passage de
l'Evangile ou de l'Ecriture, ils peuvent le rapporter, quel
qu'il soit, à l'un de ces quatre chefs ; c'est à l'une de ces
sources qu'ils doivent recourir pour en développer le sens
et la doctrine. Par exemple, s'il s'agit d'expliquer l'Evan-
gile du premier dimanche de l'Avent : « Il y aura des
signes dans le soleil et dans la lune, etc., » ils trouveront
ce qui a rapport à cet évangile dans l'article du symbole :
il viendra juger les vivants et les morts ; et prenant de là
ce qui aura été dit sur cet article, ils expliqueront tout en-
semble aux fidèles et l'Evangile et le symbole. Dans tou-
tes leurs instructions, quel qu'en soit l'objet, ils auront
soin de rapporter toujours ce qu'ils diront à ces quatre
points principaux de la doctrine chrétienne, auxquels re-
vient toute l'Ecriture. Quant à l'ordre dans lequel ils pro-
poseront l'enseignement, ils suivront celui qu'ils croiront
plus convenable, eu égard aux circonstances et aux per-
sonnes (i). »
i. Prœf., i-xxv.
jpg j:;^;^'^
Leçon Ière
Symbole des Apôtres
I. Le mot Symbole : ètymologie et signification.
— II. Le Symbole des Apôtres : 1° Son texte. —
2° Son origine. — 3° Son attribution aux Apô-
tres, — 4° Son autorité. — 5° Sa division et
son contenu (1).
I. Le mot Symbole :
son ètymologie, sa signification.
Symbole est un terme emprunté au grec. Au sens
étymologique, il signifie soit un signe, si on le
fait dériver deSu^êoXov, soit un contrat ou une
contribution, si on la fait venir de SujxêoX-^.
i. BIBLIOGRAPHIE : Caspari, Quellen zur Geschichte des Tauf-
symbols, Christiania, 1866-1875 ; Alten undneue Quellen, Chris-
tiania, 1879 ; Kirchenhistorische Anecdota, Christiania, i883 :
Harnack, Das apostolische Glaubensbekenntniss, Berlin, 1892 ;
article Apostolische Symbolum dans la Realencyklopddie, Leipzig,
1896; Zahn, Das apostolische Symbolum, Leipzig, 1893; Blume,
Das apostolische Glaubensbekenntniss, Fribourg, 1893 ; D. Bau-
mcr, Das apostolische Glaubensbekenntniss, Mayence, i8g3 ;
80 LE CATÉCHISME ROMAIN
Mais, dans le sens dérivé et actuel de l'Eglise,
symbole signifie collection, assemblage des princi-
pales vérités de la foi.
Nous disons : des principales vérités, et non de
toutes, parce qu'il n'est qu'un résumé et qu'il existe
un grand nombre d'autres vérités, qui se trouvent
soit dans la Tradition, soit dans Y Ecriture Sainte. Le
symbole, en effet, ne renferme que les vérités les
plus essentielles, les plus fondamentales, celles dont
la foi explicite et formelle est requise pour la ré-
ception du baptême. Quant aux autres, elles sont
aussi objet de foi ou de croyance, dès qu'elles
nous sont notifiées par l'autorité compétente en
pareille matière, c'est-à-dire par l'Eglise. Ces der-
nières sont implicitement acceptées par le fidèle ;
car, en professant dans le symbole qu'il croit à
l'Eglise catholique, il se déclare par là même
prêt à croire tout ce qu'enseigne l'Eglise catho-
lique apostolique et romaine ; et, dès que ces
vérités lui sont proposées, il les accepte par un
acte de foi, l'Eglise étant à ses yeux l'organe
infaillible de Dieu.
A l'époque des Pères, c'est-à-dire pendant les cinq
Kattenbusch, Das apostoliche Symbolum, Leipzig, 1 89/4-1 900 ;
Hahn, Bibliothek der Symbol, avec un appendice d'A. Harnack,
Mater ialen zur Geschichie und Erklarung des alten rômischen
Symbol, Breslau, 1897; Burn, Introduction to the creeds, Lon-
dres, 1899; Mgr Batiffol, Symbole des apôtres, dans le Diction-
naire de Théologie, t. 1, col. 1GO0-167.3 ; Doesholt, Das Tauf-
symbol, Padcrborn, 1898; Kunze, Glaubensregel, Heilige Schrift
und Taufbekenntniss, Leipzig, 1899 ; Ehrhard, Die altchrUt.
Litteratur, Fribourg-cn-Brisgau, 1900 ; Sanday, Farther rese-
wch on the history of the creed, dans The journal of theological
studies, vol. m, n. 9, octobre 1901 ; Vacandard, L'origine du
symbole des apôtres, dans la Revue des Questions historiques,
1899, t. xxii, p. 329 sq, avec réponse de D. Ghamard et répli-
que de Vacandard, ibid., 1901 ; Ermoni, Le symbole des apôtres,
dans la collection Science et Religion.
DU SYMBOLE DES APOTRES 8l
premiers siècles de l'Eglise, certains auteurs ecclé-
siastiques ont imaginé toutes sortes d'explications
pour légitimer le sens étymologique du mot sym-
bole. C'est ainsi que Nicétas, évêque de Remesiana
ou Romatiana, en Dacie (vers 4oo), appelle symbole
le pacte que fait avec Dieu le chrétien, au jour de
son baptême (i). Fauste, évêque de Riez, en Pro-
vence, dans la seconde moitié du ve siècle, croit, en
souvenir des cotisations que faisaient entre eux les
membres d'un même collège pour subvenir aux
frais de leurs repas de corps, qu'on a pareillement
réuni dans le symbole certaines vérités pour la
nourriture et le festin des âmes (2). Rufin, prêtre
d'Aquilée (345-4 10), y voit à la fois le sens de signe
ou de mot de passe, de contribution ou d'apport (3).
Le symbole, en effet, servait à distinguer les chré-
tiens des païens, des juifs et des hérétiques, et l'on
sait que les partisans de la même croyance avaient
un mot d'ordre ou de passe pour se reconnaître
entre eux. Dans ce dernier sens, le mot symbole
rappellerait le fameux Schibboleth, indiqué par
Jephté dans l'Histoire Sainte pour reconnaître les
siens et découvrir les Ephraïmites (4).
Quoi qu'il en soit de ces diverses interprétations,
le symbole était regardé surtout comme la profes-
sion de foi nécessaire avant la réception du baptême
et comme la règle de foi du chrétien.
II. Le Symbole des Apôtres
Il y a plusieurs symboles dans l'Eglise. L'un
1. Explanatio symboli, i3; Pair, lat., t. m, col. 873. —
2. Homil. 1, dans Caspari, Anecdota, t. i, p. 3i5. — 3. Comm.
in symb. ; Pair, lat., t. xxi, col. 338. — 4. Maxime de Turin,
De tradlt. symboli ; Pair, lat., t. lyii, col. 433.
LE CATÉCHISME. — T. I. 6
82
LE CATECHISME ROMAIN
d'entre eux, désigné sous le nom de Symbole des
Apôtres, pour le distinguer des symboles de Nicée
et de saint Àthanase, n'est autre chose que le sym-
bole en usage dans l'Eglise romaine pour la colla-
tion du baptême au ive siècle, complété sur quelques
points dans les églises du rit gallican, spécialement
en Gaule, que Rome adopta sous cette forme am-
plifiée et introduisit dans sa liturgie, ainsi qu'en
témoigne Y Or do romanus du temps de saint Nicolas I
(808-867), 011 il se trouve reproduit.
Cette définition, pour être comprise dans toute
sa teneur, a besoin de quelques explications que
nous allons donner succinctement en parlant du
texte, de Y origine, de Y attribution du symbole.
1° Texte du Symbole des Apôtres.
1. Je crois en Dieu le
Père tout-puissant, créateur
du ciel et de la terre ;
2. Et en Jésus- Christ,
son Fils unique, Notre Sei-
gneur ;
3 Qui a été conçu du
Saint-Esprit, est né de la
Vierge Marie ;
4. A souffert sous Ponce-
Pikte, a été crucifié, est
mort, a été enseveli ;
5. Est descendu aux en-
fers, le troisième jour est
iressucité des morts ;
6. Est monté aux cieux,
est assis à la droite de Dieu
Ile Père tout-puissant ;
7. D'où il viendra juger
les vivants et les morts ;
1 . Credo in Deum Patrem
om'nipotentem , creatorem
cœli et tcrrœ ;
2. Et inJesum Chris tum,
Filium ejus unicum, Domi-
num nos tram ;
3. Qai conceptas est de
Spiritu Sancto, natus ex
Maria Virgine ;
4. Passus sub Pontio Pi-
lato, crucifixus, mortuus et
sepultus ;
5. Descendit ad inferos,
tertia die resurrexit a mor-
tuis ;
6. Ascendit ad cœlos, se-
det ad dexteram Dei Patris
omnipotentis ;
7. Inde venturus estjudi*
care vivos et mortaos ;
DU SYMBOLE DES APOTRES
83
8. Je crois au Saint-Es-
prit ;
9. La Sainte Eglise catho-
lique, la communion des
saints ;
10. La rémission des pé-
chés ;
1 1 . La résurrection de la
chair ;
12. La vie éternelle. Ainsi
soit-il.
8 . Credo in Sp iritam Sanc-
tion ;
9. Sanctam Ecclesiam ca~
tholicam, Sanctorum com-
munionem ;
1 o. Remissionem peccato-
rum ;
11. Garnis resurrectio-
nem ;
1 2 . Vitamœternam. A ment
C'est là le texte actuel du symbole, appelé aussi
texte gallican, à cause de son origine, et texte reçu,
à cause de son adoption par l'Eglise romaine.
Or, avant d'adopter le texte actuel, l'Eglise
romaine se servait du symbole, dit Symbole romain,
auquel il est fait allusion pour la première fois dans
une lettre du concile de Milan, rédigée par saint
Ambroise (évêque de 374 à 397), et où il est dit :
« Que l'on croie au Symbole apostolique, que con-
serve et a toujours conservé sans tache l'Eglise
romaine (1). » Ce symbole en usage dans la liturgie
baptismale de Rome est qualifié d'apostolique. Il se
retrouve tout entier dans celui que nous récitons
aujourd'hui, ainsi qu'il sera facile de s'en convain-
cre par le tableau suivant.
Texte reçu ou actuel
1. Credo in DeumPatrem
omnipotentem [creatorem
cœli et terrœ] ;
2. Et in JesumChristum,
Filium ejus unicum,Domi-
num nostrum ;
3. Qui [concepius] est de
Texte ancien ou romain
1. Credo in DeumPatrem
omnipotentem ;
2. Et in Christum Jesunv
unicum Filium ejus, Do-
minum nostrum ;
3. Qui natus est de Spi-
1. Epislola xui, 5 ; Pair, lai., t. xvi, col. na5.
84
LE CATECHISME ROMAIN
Spixitu Sancto, natus ex I ri tu Sancto ex Maria Vir-
Maria Virgine ; gine ;
4. Crucifixus sub Pontio
Pilato et sepultus ;
5. Tertia die resurrexit a
mortuis ;
6. Ascendit in cœlos, se-
det ad dexteram Patris ;
7. Inde venturus est judi-
care vivos et mortuos ;
8. Et in Spiritum Sanc-
tum ;
9. Sanctam Ecclesiam ;
4. [Passas] sub Pontio
Pilato, crucifixus, [mortuus]
et sepultus ;
5. [Descendit ad inferos ;]
tertia die resurrexit a mor-
tuis ;
6. Ascendit ad cœlos, se-
det ad dexteram [Dei] Patris
[omnipotentis ;]
7. Inde venturus est judi-
care vivos et mortuos ;
8. [Credo] in Spiritum
Sanctum ;
9. Sanctam Ecclesiam
[catholicam,] [sanctorum
communionem ;]
10. Remissionem pecca-
torum ;
1 1 . Carnis resurrectio-
nem ;
12. [Vitam œternam.]
Dans ce tableau, nous avons souligné et mis en-
tre crochets ce que le texte reçu a ajouté au texte
ancien. Mais on le voit, le texte reçu diffère peu du
symbole romain. Les différences se réduisent au
déplacement de natus, né, à l'article 3 ; à la substi-
tution de ad à in, à l'article 6 ; et à l'addition de
creatorem cœli et terrœ, créateur du ciel et de la
terre, à l'article 1 ; de conceptus, conçu, à l'article 3;
de passus, mortuus, a souffert, est mort, à l'article 4 î
de descendit ad inferos, à l'article 5 ; de Dei omnipo-
tentis, Dieu tout-puissant, à l'article 6 ; de credo, je
crois, à l'article 8 ; de catholicam, catholique, et da
sanctorum communionem, la communion des saints,
à l'article 9 ; et de vitam œternam, la vie éternelle, à,
l'article 12.
10. Remissionem pecca-
torum ;
11. Garnis resurrectio-
nem.
DU SYMBOLE DES APOTRES 85
Le déplacement de naius et l'addition de con-
ceptus, à l'article 3, qui donne : conçu du Saint-
Esprit, né de la Vierge Marie, marquent plus nette-
ment la personnalité du Saint-Esprit ainsi que la
distinction de la nature divine et de la nature hu-
maine dans l'Incarnation. La substitution de ad à in
est sans importance. Quant aux additions, qui da-
tent du ve ou du commencement du vie siècle, elles
s'expliquent très bien ; car elles servent à préciser
le sens de certains articles et à compléter les autres.
Créateur du ciel et de la terre, ajouté comme un
attribut du Père tout-puissant pour écarter la théorie
gnostique du Démiurge, se trouve déjà dans Nicétas,
puis dans le pseudo-Augustin (i). Conçu du Saint-
Esprit et né de la Vierge Marie, dans le formulaire
de foi des évêques latins du concile de Rimini, en
35g, tel qu'il nous a été conservé par saint Jérôme
dans son Dialogue contre les * Lucifériens (2), ainsi
que dans le formulaire du pape Damase (366-384) à
Priscillien, hérésiarque d'Espagne (3). A souffertt
dans Priscillien, en Espagne, dans saint Phébade
d'Agen (vers 390), en Gaule, et dans saint Ambroise,
en Italie. Est mort, dans saint Gésaire d'Arles (470-
542). Est descendu aux enfers, dans Rufin, qui
signale ces mots comme une particularité du sym-
bole baptismal d'Aquilée (4), et dans le formulaire
arien de Sirmium, en 359. De Dieu tout-puissant,
ajouté à Père à l'article 6 à titre d'explication com-
plémentaire, se trouve dans Priscillien, saint Victri-
cius de Rouen (f vers 407) et Fauste de Riez. Je
crois, à l'article 8, n'est qu'une simple répétition.
Catholique, servant à qualifier l'Eglise, la communion
1. Sermons ccxl, ccxli, ccxlii. — 2. Dial, 17; Patr. lat.r
t. xxiii, col. 179. — 3. Fides Hieronymi ad Damasum papam. —
4. Com. in Symb., 18 ; Patr. lat., t. xxi, col. 356.
86 LE CATÉCHISME ROMAIN
des saints, d'après Nicétas (i), détermine dans quel
«ens il faut entendre la sainte Eglise. De même la
vie éternelle est ajoutée pour expliquer la mention
de la résurrection de la chair, si l'on en croit l'évê-
que de Remesiana, tandis que, en Afrique, l'expli-
cation de la résurrection de la chair par la vie éter-
nelle avait pour but, selon saint Augustin (2),
d'exclure l'erreur des Millénaires.
Il est à remarquer que le texte ancien du symbole
apostoijquc se retrouve dans une lettre de Marcel
d'Ancyre au pape saint Jules, en 337, (3), dans une
explication du symbole attribué à saint Maxime de
Turin, et qui est plus vraisemblablement de saint
Ambroise (4), et dans le commentaire de Rufin (5),
ce qui prouve que ce symbole était bien romain
d'origine et d'usage. En Afrique, saint Augustin le
commentait de préférence au symbole africain.
« Or, dit M. Harnack, si l'on réduit tous les sym-
boles occidentaux (d'Afrique, d'Espagne, d'Italie,
d'Irlande) à un archétype, d'où l'on élimine tous les
termes sur lesquels ces symboles diffèrent, on ob-
tient sans difficulté le symbole romain. Le symbole
romain est donc la racine de tous les symboles
occidentaux (6). »
Peut-on le considérer également comme la racine
de tous les symboles orientaux ?
Pour l'Orient, il faut distinguer avec soin la
période qui précède les conciles de Nicée (325) et de
Constantinople (38i) de celle qui les suit.
1. Explanalio symboli, 10 ; Pair, lat., t. lu, col. 871. —
a. Ad Catechumenos, 17; Pair, lat., t. xl. col. 636. — 3. Dans
S. Epiphane, Hœr., lxxii, 3 ; Pair, gr., t. xlii, col. 385. Den-
xinger, Enchiridion, Wurtzbourg, 1874, n° 9. — l\. Explan,
symb.; Pair, lat., t. xvn, col. n58. — 5. Com. in symb. 3 ;
I*atr. lat., t. xxi, col. 339. — 6. Cite dans le Dictionnaire de
Théologie, t. 1, p. 1666.
DU SYMBOLE DES APOTRES 87
Avant Nicée, ce qui caractérise l'Orient, c'est la
multiplicité et la variété des professions de foi,
selon les temps et les lieux. Et cela suppose, évidem-
ment, l'absence d'une formule arrêtée et fixe, et la
liberté qu'avait chaque Eglise de donner à sa pro-
fession de foi baptismale la forme la mieux appro-
priée. On peut aisément s'en convaincre en com-
parant, par exemple, les professions de foi de saint
Grégoire le thaumaturge (210-270), d'Arius et
d'Alexandre d'Alexandrie, en 32i, et de l'auteur du
Dialogue De recta in Deumfide, vers 3oo. Là, point
d'unité de type, rien qui rappelle le symbole
romain. Cependant saint Ignace (f vers 107), saint
Justin (f vers i63), saint Irénée, Aristide, Origène
offrent les diverses expressions du symbole romain.
Une telle coïncidence ne serait-elle pas l'indice,
comme l'ont cru certains critiques récents, que
l'Orient possédait un type de symbole plus ou
moins apparenté avec le symbole romain? Quoiqu'il
en soit de ce point de vue, il reste certain que les
orientaux devaient employer pour la liturgie baptis-
male une formule de foi, sorte de résumé catéché-
tique qui ne pouvait que se rapprocher du symbole
romain.
Après Nicée, pendant le ive siècle, on trouve
plusieurs symboles en Orient. Chaque région avait
le sien : il y avait la formule d'Alexandrie, con-
servée chez les Coptes ; la formule palestinienne ou
de Jérusalem, représentée par Eusèbe de Césarée,
saint Cyrille de Jérusalem et saint Epiphane de
Salamine ; la formule syrienne ou d'Antioche,
représentée par les Constitutions apostoliques, saint
Jean Chrysostome et Cassien ; la formule de l'Asie
Mineure, représentée par Auxence de Milan, saint
Grégoire de Nazianze et Marc l'ermite.
Or toutes ces formules sont rédigées, à quelques
88 LE CATÉCHISME ROMAIN
paraphrases et variantes près sur un même modèle,
et, chose importante, ce modèle rappelle le symbole
romain. C'est que. selon toute vraisemblance, « le
symbole romain fut introduit à Nicée même comme
un formulaire dans lequel tous les orientaux ne
pouvaient avoir aucune difficulté à reconnaître leur
foi traditionnelle, et que l'œuvre du concile consiste
à ajouter aux articles du symbole romain les déve-
loppements christologiques qu'appelait la question
arienne (i). » Une fois que, sur ce modèle romain,
est rédigé le symbole de Nicée avec les développe-
ments christologiques réclamés par l'hérésie d'Arius,
et dès que ce symbole de Nicée fut complété à
Gonstantinople, relativement au Saint-Esprit, à
cause de l'hérésie de Macédonius, tout l'Orient
adopta ce symbole de Nicée-Constantinople. A dater
du ve siècle, il devint la règle définitive de l'ortho-
doxie grecque et il élimina toutes les variétés anté-
rieures des symboles (2). Et c'est par là que s'est
fait sentir, même en Orient, l'influence du symbole
romain.
Reste à poursuivre l'histoire du symbole romain
et à rechercher sa trace du ive au ier siècle.
2° Origine du Symbole des Apôtres
Ce symbole romain du ive siècle se retrouve-t-il
identiquement formulé au 111e ?
Pour la plus grande partie, oui ; mais non pour
sa totalité. Car, au 111e siècle, si l'on tient compte
des éléments du symbole que signalent Novatien,
vers 260, dans son traité de ta Trinité (3), et le pape
1. Batiffol, Diction, de Théologie, t. 1, p. 1669. — 2. Kunze,
Das TSicânisch-KonsiantinopolUanische Symbol., Leipzig, 1898.
3. De Trinilate ; Pair, lat., t. m, coi. 885-902.
DU SYMBOLE DES APOTRES 89
saint Dcnys (259-269) dans son traité contre les
Sabeliicns (1), on constate que le symbole romain
se réduisait à la foi en Dieu le Père tout-puissant,
en Jésus-Christ Notre Seigneur, fils de Dieu, et au
Saint-Esprit ; et si l'on y ajoute la sainte Eglise, la
rémission des péchés, attestés pour la première fois
par saint Cyprien (2), et la résurrection de la chair,
dont parle avant lui Tertullien, voici la formule du
symbole vers 260 : « Je crois en Dieu le Père tout-
puissant, et en Jésus-Christ, son Fils, Notre Seigneur,
né de la Vierge Marie, crucifié sous Ponce Pilaie,
ressuscité d'entre les morts le troisième jour, monté
aux deux, d'où il viendra juger les vivants et les morts ;
et au Saint-Esprit, la sainte Eglise, la rémission des
péchés, la résurrection de la chair. » Dans cette for-
mule manquent le titre d'unique donné au Fils,
l'intervention du Saint-Esprit dans l'incarnation et
la place de Jésus près de son Père après l'ascension.
Plus court encore au 11e siècle, le symbole, si l'on
s'en tient aux œuvres de saint Ignace, de saint
Justin et de saint Irénée, peut se formuler de la
manière suivante : « Je crois en un seul Dieu tout-
puissant, en Jésus-Christ, Fils de Dieu, Notre Sei-
gneur, né de la Vierge, qui a souffert sous Ponce-
Pilaie, est ressuscité des morts, est monté aux deux,
d'où il viendra juger, et au Saint-Esprit. » Dans cette
formule on retrancha, au commencement du 111e siè-
cle, le mot unum, un, devant Dieu, à cause de
l'erreur des Monarchiens, qui, en insistant mal sur
l'unité de Dieu, compromettaient la trinité des per-
sonnes ; puis on ajouta Pairem à Deum, Père à
Dieu, pour mieux désigner la première personne de
la sainte Trinité ; enfin on compléta la formule en
1. Pair, gr., t. xxv, col. 465. — 2. Epist. lxx, ad Januarium,
2 ; Pair, lai., t. m, col. io^o.
9°
LE CATECHISME ROMAIN
y ajoutant la sainte Eglise, la rémission des péchés et
la résurrection de la chair.
Y avait-il donc, au temps des Apôtres, une for-
mule du symbole ? Et quelle était-elle?
A défaut de données littéraires et de documents,
qui sont rares et fort peu explicites sur ce point,
on peut recourir au Nouveau Testament, et il est
possible, sans se livrer à des conjectures hasardées,
de reconstituer soit le thème de la prédication apos-
tolique, soit les conditions dans lesquelles se confé-
rait le baptême. Car il va de soi que les Apôtres
durent exécuter a la lettre l'ordre formel de leur
Maître qui était « d'enseigner toutes les nations, de*
les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit (i). » Or, dès la descente du Saint-Esprit au
jour de Pentecôte, saint Pierre entre en scène et
prêche. Et à ceux de ses auditeurs de bonne volonté
et qui, le cœur contrit, lui demandent ce qu'ils ont
à faire, il propose cette formule de foi, très embryon-
naire sans doute, mais essentielle et suffisante,
puisqu'il y est question du Rédempteur. « Faites
pénitence. Que chacun de vous soit baptisé au nom
de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et
vous recevrez le Saint-Esprit (2). » Pénitence
d'abord, c'est la disposition intérieure et nécessaire
pour assurer l'efficaci'té du rite baptismal ; foi en
Jésus venu, au nom de son Père, racheter les hom-
mes ; ensuite baptême ou rite extérieur ; et enfin
foi au Saint-Esprit, dont l'effusion suit la collation
du baptême.
Les Apôtres, en effet, nous apprennent les Actes (3),
ne conféraient le baptême qu'à ceux qui connais-
saient le Saint-Esprit et possédaient par conséquent
quelque notion de la Trinité. Saint Paul, rencon-
1. Matlh., xxviii, 19. — 2. Ad., 11, 38. — 3. Ibid., xix, 3.
DU SYMBOLE DES APOTRES QI
trant des Ephésiens qui ignoraient le Saint-Esprit,
en conclut parla même qu'ils n'avaient pas reçu le
baptême du Christ ; en effet, ils n'avaient reçu que
le baptême de Jean. Avant donc de baptiser, les
Apôtres exigeaient non seulement la foi au Christ,
Fils de Dieu, qu'exprimait l'eunuque de la reine
Candace (i), mais encore la foi au Père et au Saint-
Esprit.
Mais cette foi était-elle dès lors formulée dans un
symbole fixe et arrêté ? Rien ne le prouve. Il est
pourtant difficile de croire que les Apôtres, avant
de se séparer, n'aient point convenu des vérités
essentielles dont ils devaient exiger l'assentiment
de la part de ceux qui solliciteraient le baptême ; et le
moins qu'ils pussent demander c'était la foi à Dieu
le Père, au Fils et au Saint-Esprit, puisque c'était là
même la formule que Notre Seigneur leur avait
donnée pour baptiser. Et naturellement ce qu'ils
avaient demandé aux juifs delà Palestine, ils ne
purent que continuer à l'exiger au dehors de la
part des gentils (2).
Les Apôtres, très vraisemblement, ne durent pas
se borner à cette formule baptismale si réduite. Car,
ainsi que le prouvent leurs œuvres, il y eut même
chez eux un développement doctrinal. Le Saint-
Esprit exposait peu à peu à leurs regards la foi
qu'ils devaient laisser au monde, soit en achevant
de leur présenter les enseignements de Jésus dans
toute leur lumière, soit en leur rappelant des leçons
dont ils ne gardaient qu'un vague souvenir, soit
enfin en ajoutant aux doctrines annoncées par le
Sauveur celles qu'il avait lui-même mission de leur
1. Ibid., vin, 37. — 2. Cf. ; Burn, An introduction to th»
Creeds, Londres, 1899, p. 20-26 ; Vacandard, Les Origines du
Symbole des Apôtres, dans la Revue des questions historiques,
1899, p. 354.
LE CATECHISME ROMAIN
dévoiler (i). Il y a dans les écrits du Nouveau
Testament le mouvement de l'histoire, une succes-
sion de faits et de discours, où se trahit le dévelop-
pement des croyances. Par suite, il reste vraisem-
blable qu'à la formule trinitaire, formule initiale et
primitive, noyau central, ils ont pu ajouter tel ou
tel mot, tel ou tel article, à raison du mouvement
hérétique qui commençait à se dessiner autour de
l'Eglise naissante. Et, par exemple, à Rome, au
moment où Pierre et Paul vont mourir, « l'heure
semblait venue de resserrer la prédication apostoli-
que en quelques dogmes essentiels, que tous pour-
raient conserver de mémoire et opposer à l'héré-
sie (2), » en une espèce de précis ou d'abrégé de la
foi, c'est-à-dire dans un symbole. Et comme pen-
dant trois siècles ce symbole apostolique est resté
un secret d'initiés, uniquement confié de la bouche
à l'oreille, un signe qui servait à distinguer le fidèle
du faux frère, de l'hérétique et du juif, il est
difficile, les renseignements faisant défaut, de pré-
ciser exactement soit ce que contenait au début, soit
ce que s'adjoignit, à l'âge suivant, ce formulaire
baptismal.
En tout cas, ce qui paraît hors de contestation,
c'est que la profession de foi au Père, au Fils et au
Saint-Esprit a formé le point de départ et constitué
le centre, le noyau et l'essence même du symbole
baptismal. Et les formules qu'on peut relever dans
les documents du 11e siècle au ive n'en ont été que le
développement normal, légitime ; de telle sorte que
le symbole romain doit passer pour en être l'aboutis-
sement rationnel. En remontant, en effet, de ce sym-
bole romain jusqu'aux origines, on peut reconnaître
1. Fouard, Saint Pierre, 3e édiL, Paris, 1893, p. 276. —
2. Fouard, ibid, p. 285.
DU SYMBOLE DES APOTRES g3
en lui, sinon un plan de prédication concerté
d'avance entre les Apôtres, du moins le fruit et
l'abrégé de leur enseignement. Et, à ce titre, il mérite
le qualificatif d'apostolique que lui décernait saint
Ambroise. Son armature est faite de la profession
de la foi à la Trinité, et, celle-ci, les Apôtres la
tenaient directement du Christ.
Formule d'initiation baptismale, on comprend
qu'on en ait respecté les termes ; mais n'ayant pas
le caractère d'Ecriture au même titre que les livres
du Nouveau Testament, on comprend aussi qu'on
ait usé en dehors de Rome et à Rome même d'une
certaine latitude pour en perfectionner l'expression.
Quant au symbole actuel, dit symbole des Apô-
tres, il n'est pas autre chose que le symbole
romain mis à point, complété dans le courant
du ve et du vie siècle, et définitivement fixé dans
une formule cristallisée, stéréotypée. Et tout comme
le symbole romain, au même titre, il a droit, lui
aussi, à être qualifié d'apostolique. Nous venons de
voir dans quel sens.
3° Attribution du Symbole aux Apôtres
Il convient de reconnaître que le symbole a été
attribué aux Apôtres eux-mêmes par plusieurs
écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, et
aussi dans la suite. Il leur a été attribué d'abord
comme toutes les autres parties qui composent la
trame vivante de la tradition ; et cela, dès le 11e siècle,
dans tous les textes où il semble qu'on puisse
reconnaître quelques-unes de ses traces. Saint
Irénée, par exemple, dit que « la foi en un seul
Dieu tout puissant, qui a fait le ciel et la terre, et les
mers, et tout ce qui y est renfermé, et en un seul
94 DU CATÉCHISME ROMAIN
Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui s'est incarné pour
notre salut, et en un seul Saint-Esprit..., a été reçue
des Apôtres et de leurs disciples, et qu'elle a été gardée
par l'Eglise, bien qu'elle soit répandue par tout
l'univers (i). »
Tertullien parle souvent de la Règle de foi, contre
laquelle personne ne peut prescrire. Il déclare
qu'elle a été donnée à l'Eglise par les Apôtres, aux
Apôtres par le Christ et au Christ par Dieu (2) ; or
il y comprend les divers éléments du symbole (3),
et il a soin de distinguer l'ensemble des vérités
contenues dans cette Règle de foi du reste de l'en-
seignement chrétien.
Les Constitutions apostoliques, dans la partie la
plus ancienne qui est du 111e siècle, montrent les
Apôtres exposant l'abrégé de leur enseignement (4).
Au ive siècle, saint Cyrille de Jérusalem appelle le
symbole baptismal, qu'il expose dans ses célèbres
Catéchèses, « la foi sainte et apostolique (5). » Et
saint Epiphane de Salamine recommande de con-
server la sainte foi, que l'Eglise a reçue en dépôt
des Apôtres du Seigneur, et de l'inculquer digne-
ment à tous les catéchumènes qui se préparent au
baptême (6).
Nous avons déjà rapporté le mot de saint
Ambroise qui qualifie d'apostolique le symbole
romain. Saint Jérôme, baptisé à Rome, connut le
symbole baptismal de cette église. « Or ce symbole
de notre foi et de notre espérance, dit-il, qui ne
s'écrit pas sur du parchemin et avec de l'encre,
!
1. Contra hsereses, I, x, 1; III, iv, 1; Pair, gr., t. vu. col.
549, 855. — a. De Prœscrip. f 37 ; Patr. lat., t. 11, col. 5o. —
3. De Prœscrip. , i3 ; ibid.t col. 26. — 4. Const. Apost., VI, xi;
tPatr. gr., t. 1, col. g36. — 5. Catéchèse xvm, 3a ; Patr. gr.
t. xxxiii, col. io54. — 6. Ancorat, 118; Patr. gr., t. xliii,
col. 2Z2.
DU SYMBOLE DES APOTRES g 5
mais seulement dans le cœur des chrétiens, nous
vient des Apôtres (i). »
En Gaule, saint Hilaire de Poitiers félicite les évo-
ques, ses collègues, d'avoir conservé la foi parfaite
et apostolique, apprise au baptême, et de n'avoir pas
eu besoin des formules écrites que les périls de la
foi ont rendues nécessaires dans d'autres églises (2).
En Espagne, l'hérétique Priscillien convient que
le Christ a enseigné le symbole aux Apôtres pour
confondre l'erreur des Ebionites (3). En Dacie,
Nicétas de Rémésiana rapporte également la profes-
sion de foi baptismale à la tradition des Apôtres (4).
En Afrique, saint Fulgence de Ruspe dit clairement
que le symbole est d'origine apostolique (5). Vigile
de Tapse admet que l'Eglise de Rome a reçu son
symbole baptismal des Apôtres eux-mêmes (6).
D'après cet ensemble de témoignages, on voit
que le symbole, soit dans sa forme originelle, soit
dans la formule romaine ou dans d'autres appa-
rentées, a été regardé comme provenant des Apô-
tres, au moins dans un sens large.
Mais il y a plus encore. La rédaction elle-même
de la formule du symbole a été longtemps attribuée
aux Apôtres.
Déjà, à la fin du ive siècle, saint Ambroise disait
aux fidèles de Milan : « Les douze Apôtres, comme
des ouvriers habiles, s'entendirent pour fabriquer
la clef. J'appelle clef ce symbole qui ouvre les
ténèbres du démon pour que la lumière du Christ y
1. Contra Joan. Hieros., 28 ; Pair, lat., t. xxm, col. 936. —
a. De symbolo, 63 ; Pair, lat., t. x. col. 523. — 3. Tract, ni,
édit., Schepss, Vienne, 1889, p. 49- — 4- De Spirit. Sanc. poten-
tia, 18 ; Explanalio symboll, 8 ; Pair, lat., t. xlii, col. 862, 870.
- — 5. Conl. Fabianum, fragmenta, 36 ; Pair, lat., t. lxv, col.
822, 823. — 6. Contr. Eutych. iv, 1 ; Pair, lat., t. lxii, col. 119,
96 LE CATÉCHISME ROMAIN
pénètre (1). » Beaucoup plus explicitement encore,
Ruffin d'Aquilée écrivait dans son Commentaire du
symbole : « Nos anciens rapportent qu'après l'as-
cension du Seigneur, lorsque le Saint-Esprit se fut
reposé sur chacun des Apôtres sous forme de lan-
gue de feu afin qu'ils pussent se faire entendre en
toute langue, ils reçurent du Seigneur l'ordre de se
séparer et d'aller dans toutes les nations pour
prêcher la parole de Dieu. Avant de se quitter, ils
établirent en commun une règle de la prédication
qu'ils devaient faire, afin que, une fois séparés, ils
ne fassent pas exposés à enseigner urte doctrine
différente à ceux qu'ils attiraient à la foi du
Christ. Etant donc tous réunis et remplis de
l'Esprit-Saint, ils composèrent ce bref résumé de
leur future prédication, mettant en commun ce que
chacun pensait, et décidant que telle devra être la
règle à donner aux croyants. Pour de multiples et
très justes raisons, ils voulurent que cette règle
s'appelât symbole (2). »
Ruffîn appliquait cette tradition au symbole ro-
main, bien qu'elle n'eût ni un témoin romain ni
une attache romaine. Il l'avait empruntée, en effet,
soit aux Constitutions apostoliques (3), soit à la Didas-
calie des Apôtres (4), d'origine syrienne, c'est-à-
dire à la littérature pseudo-apostolique du 111e siècle.
Or « cette croyance à la rédaction du symbole par
les Apôtres s'est perpétuée et popularisée. Elle a été
admise, au ve siècle, par Saint Maxime de Turin (5),
par Gassien (6), et par Fauste de Riez (7) ; au vu*
1. Sermo xxxm, 6; Pair, lat., t. xvn, col. 671. — 2. Comm.
in symb., 2 ; Pair, lat., t. xxi, col. 337. — 3. VI, xiv ; Pair,
gr., t. 1, col. 9^5. — 4- Edit. Nau, Paris, 1902, p. i34-i4a. — »
5. Homil. lxxxiii ; Pair, lai., t. lvii, col. 433. — 6. De incar-
nai., vi, 3 ; Pair, lat., t. iv, col. 147-149. — 7. De symbolo,
Bibliolh. PaLrum, Lyon, t. vi, p. 627.
DU SYMBOLE DES APOTRES 97
par saint Isidore de Séville (i), et par saint Ildefonse
de Tolède (2) ; et au vme, par Etherius et Beatus (3).
On précisa même les données premières : chaque
apôtre devint l'auteur d'un des douze articles. Le
représentant le plus ancien de cette évolution est le
Sermo ccxl, du pseudo-Augustin (4), ou encore le
Sermo ccxli (5), et le Sermo de symbolo. On la
retrouve dans saint Pirmin (6). »
Alcuin et Raban Maur l'admettent dans son pre-
mier état, au vin0 et ixe siècle. Saint Thomas (7) y
attache peu d'importance. Mais saint Bonaventure
admet la rédaction des articles par chacun des
Apôtres, pris séparément (8). Suarez (9) rapporte
les deux explications.
Cette forme d'attribution apostolique du symbole
a même été introduite dans le Catéchisme romain (10),
Mais l'Eglise ne l'a reconnue par aucun acte officiel.
Le catéchisme romain ne fit «donc, remarque Dom
Baumer (11), qu'adopter un sentiment qui est celui
de beaucoup de Pères. En i52Q, la Sorbonne cen-
sura Erasme pour avoir dit qu'il ignorait si le sym-
bole était de tradition apostolique ; elle admettait
donc le sentiment déjà connu (12). Mais les critiques
catholiques les plus orthodoxes, dit avec rai-
son Vacant (i3), n'hésitent pas à la qualifier de
légende (i4).
1. De offic. eccl., n, 23 ; Pair, lat., t. lxxxiii, col. 8i5-8i6.
— 2. De cognit. bapt., 32 ; Patr. lat., t. xevi, col. 126. —
3. Biblioth. Patrum, Lyon, t. xm, p. 35g. — 4- Pair, lat., t.
xxxix, col. 2189. — 5. Ibid., col. 2190. — 6. Scarapsus ;
Patr. lat., t. lxxxix, col. io34. — 7. Comm. des Sentences, III,
Dist. xxv, a. 1, ad iv. — 8. Comm. des Sentences, III, Dist. xxv,
a. 1, ad iv. — 9. De fide, Disput. II, v, 3. — 10. ire Partie, In-
trod., xxvii-xxviii. — 11. Das apostolische Glaubensbekenntnis,
Mayence, 1893, p. 26. — 12. D'Argentré, Collect. judiciorum,
Paris, 1728, t. 11, p. 60. — i3. Dictionnaire de Théologie, t. 1,
p. 1679. — i4- Cf. Baumer, Vacandard, Fouard, loc. cit.
LE CATÉCHISME. — T. I. 7
9 8 LE CATÉCHISME ROMAIN
Mais il y a loin de là à prétendre que le symbole
ne provient d'aucune façon des Apôtres. C'est au
xv° siècle que commença la discussion quand on
tenta, au concile de Florence, d'unir l'Eglise latine
et l'Eglise grecque. « Dès le début des négociations,
en i438, pendant que les Pères siégeaient encore à
Ferrare, comme les latins invoquaient l'autorité du
symbole des Apôtres, les théologiens grecs, notam-
ment Marcos Eugenicos, archevêque d'Ephèse,
s'étonnèrent de cette référence et dirent : « Pour
nous, nous n'avons pas et nous ne connaissons pas
de symbole des Apôtres. » Cette déclaration fut un
coup de surprise. Tombée dans le domaine public,
elle fut recueillie et exploitée par le fameux scepti-
que Laurent Valla, qui écrivit un libelle, d'ailleurs
dépourvu de science et de critique, contre l'origine
apostolique du Credo latin (i). » C'était en i444.
L'éveque de Chichester, Reginald Peacock, marcha
sur les traces de Valla, en 1/400. Jacques Usher inau-
gura, en 16/47, la critique historique du sujet. Elle a
été poussée aussi loin que posible au xixe siècle.
« Des principaux faits précédemment exposés, il
résulte que, la légende de la rédaction du symbole
par les douze apôtres écartée, l'ancienne tradition
ecclésiastique a justement rapporté aux apôtres les
parties essentielles du symbole qui porte leur
nom (2). »
4° Autorité du Symbole des Apôtres
Quelle autorité faut-il donc reconnaître au sym-
bole ?
1. Vacandard, loc. cit., p. 32C)-33o. — 2. Vacant, Dict. de
ThéoL, p. 1679 ! Cf. Mazella, De virtutibus infusis, Rome. 1879,
p. 323-324.
DU SYMBOLE DES APOTRES Ç)$
Une très grande autorité. Car, tout d'abord.
« l'autorité de la profession de foi trinitaire dans la
rite du baptême, profession qui a servi de cadre et
de noyau au symbole et qui en contenait les élé-
ments essentiels, résulte de ce qu'elle vient des
apôtres et qu'elle leur est attribuée par la tradition
ecclésiastique. Toutefois, comme la formule n'en
était pas stéréotypée à l'origine et comme les apôtres
ne l'avaient pas écrite, il est inexact de dire que si
le Credo baptismal est l'œuvre des apôtres eux-
mêmes, il faut le considérer comme « inspiré » et
le mettre sur le même rang que l'Ecriture canoni-
que (i). Suarez (2) a justement observé que, suivant
la doctrine des Pères, le symbole n'a pas été écrit,
mais seulement présenté par les apôtres aux fidèles
pour être appris de mémoire. Eût-il même été rédigé
par écrit par les apôtres qu'il ne serait pas pour cela
inspiré, puisque l'Eglise ne l'a pas placé au rang
des Ecritures sacrées et puisque, d'autre part, si les
apôtres, clans le ministère de leur prédication,
jouissaient de l'infaillibilité, ils n'avaient pas néces-
sairement, en tout ce qu'ils écrivaient, le don de
l'inspiration (3). Mais si la profession de foi baptis-
male, que les apôtres ont instituée, n'est pas ins-
pirée, elle est une de ces traditions apostoliques
que, d'après le concile de Trente, session iv, l'Eglise
reçoit et vénère avec la même piété et le même res-
pect que les Saintes Ecritures. »
« Quant au symbole romain sous ses différentes
formes (et par suite le symbole actuel), ce n'est pas
seulement un témoignage historique ancien, pré-
cieux, vénérable, de la foi catholique ; c'est une
1. Dom Ghamard, Les origines du symbole des Apôtres, dans
Revue des Questions hist., 1901, p. 34i-343. — 2. De fide, Disp.
II, v, 4- — 3. Franzelin, De dïvina traditione, 3e cdit., Piome,.
1882, p. 372-378.
IOO LE CATECHISME ROMAIN
règle de foi, imposée par l'Eglise aux néophytes
dans la dispensation solennelle du sacrement de
baptême. Les protestants, qui veulent s'en tenir
strictement à la doctrine évangélique, peuvent bien
chercher à démontrer que le symbole dit des Apô-
tres est plus complet que la foi de l'Evangile et ne
s'impose pas, dans son entier, à l'adhésion des chré-
tiens. Les catholiques n'ont pas le droit de contes-
ter son autorité dogmatique. Quelles que soient sa
date et les phases diverses de son histoire, l'Eglise
catholique l'emploie depuis des siècles dans sa litur-
gie et son enseignement catéch'é tique. Elle le consi-
dère donc et elle l'impose comme un document de
sa foi officielle (i). Bien qu'il ne soit pas, dans sa
teneur actuelle, un document synodal et théologi-
que, ce monument liturgique et catéchétique est
l'expression infaillible de l'enseignement quotidien
de l'Eglise ; c'est un organe de son magistère exprès,
et tous les points de doctrine qui y sont affirmés
s'imposent comme de foi catholique et par consé-
quent sous peine d'hérésie (2). »
Non seulement l'Eglise invoque le symbole des
Apôtres comme une règle de foi imprescriptible à
opposer aux hérétiques et l'impose comme une
profession de foi absolument requise pour quiconque
sollicite la grâce du baptême, ainsi que nous le
verrons plus en détail dans la suite, mais encore elle
Fa inséré dans la prière officielle qu'elle exige de la
part de ses ministres. Le symbole apostolique, en
effet, a sa place marquée dans l'office divin ; et
notamment il se trouve au commencement de
Matines et de Prime, ainsi qu'à la fin de la récitation
du Bréviaire.
1. S. Thomas, Sam. theol., na 11* , Q. 1, a. ix. — 2. Vacant,
Eludes théologiques. La Constitution Dei Filius, Paris, 1895, t. 11,
p. 112 ; Diction, de Théologie» 1. 1, p. 1680.
DU SYMBOLE DES APOTRES 101
Le simple chrétien est obligé de savoir le symbole
des Apôtres, et il doit le réciter souvent avec foi et
piété.
On ne peut être admis, en effet, au baptême
que sur une attestation formelle qu'on sait par
cœur le symbole des Apôtres et qu'on adhère
fermement aux vérités qu'il contient. C'est le
cas pour les adultes ; quant aux enfants que
l'on présente aux fonts baptismaux, nous ver-
rons plus tard que la récitation du symbole ou
profession de foi baptismale incombe aux par-
rains et marraines, qui se portent garants pour
leurs filleuls.
Savoir par cœur le symbole ne suffît pas, il faut
encore le réciter fréquemment comme une pro-
testation de fidélité, comme un renouvellement
de la profession faite au baptême, comme un acte
de foi. Il constitue ainsi, dans sa formule vénérée
et tant de fois séculaire, l'un des éléments princi-
paux de la prière chrétienne. Il doit donc se réciter
avec piété, matin et soir, au début et à la fin de la
journée.
Les Pères de l'Eglise avaient soin d'en recom-
mander la récitation fréquente. « Chaque jour,
écrivait saint Ambroise dans son livre de la Virginité,
nous devons très particulièrement réciter le symbole
avant l'heure de la lumière : un soldat ne va jamais
sans porter sur lui son engagement militaire, soit
dans le repos sous la tente, soit dans Faction sur le
champ de bataille (i). » Et saint Augustin, s'adres-
sant aux compétents, leur disait : « Dès que vous
saurez le symbole, récitez-le chaque jour pour ne
pas l'oublier. A votre lever, au moment de prendre
le repos, récitez votre symbole, récitez-le au Sei-
i. De virginitate, III, rv, 20 ; Pair, lat., t. xvi, col. 225.
102 LE CATECHISME ROMAIN
gneur, ne vous lassez pas de le redire : la répétition
en est bonne, elle empêche l'oubli. Ne dites pas : Je
i'ai dit hier, je l'ai dit aujourd'hui, je le dis chaque
jour, je le skis fort bien. Rappelez-vous votre foi ;
regardez-vous : que le symbole vous serve de mi-
roir. Et là constatez si vous croyez réellement tout
ce que vous faites professsion de croire, et chaque
jour réjouissez-vous dans votre foi. Que ce soit là
votre richesse et comme un vêtement dont vous
revêtiez chaque jour votre âme. Dès que vous vous
levez ne vous habillez-vous pas ; de même, en réci-
tant le symbole, revêtez votre .âme... Ainsi serons-
nous revêtus de notre foi ; et notre foi est en même
temps un habit et un bouclier : un habit pour nous
garantir de la confusion ; un bouclier contre l'ad-
versité. Et lorsque nous serons parvenus là où nous
devons régner, il ne sera plus nécessaire de répéter
le symbole : nous verrons Dieu ; Dieu sera notre
vision, et la vision de Dieu sera la récompense de
cette foi (i). »
Mais savoir le symbole et le réciter fréquemment
ne suffisent pas : il faut encore le comprendre. Voilà
pourquoi les Pères de la primitive église, et depuis
l'époque patristique jusqu'à nos jours, les évêques
et les curés n'ont cessé d'expliquer le symbole soit
aux catéchumènes, soit aux enfants baptisés, pour
leur donner l'intelligence de cette règle de foi. Et
c'est là, justement, ce qui va faire l'objet de toutes
les leçons de la première partie de ce Catéchisme,
celle où vont passer successivement sous nos yeux
tous les articles du symbole des Apôtres.
i. Sermo lviii, i3.
DU SYMBOLE DES APOTRES 103
5° Division et contenu du Symbole
Le symbole se divise en articles. Or ce mot article,
dit saint Thomas, semble dérivé d'un mot grec
apôpov, qui répond au mot latin articulas, et signifie
liaison de parties distinctes. C'est pour cela qu'on
appelle articulations les diverses parties du corps,
qui en forment les membres en s'ajoutant les unes
aux autres. Ainsi les choses qui appartiennent à la
foi chrétienne sont divisées par articles, dans ce sens
qu'elles se divisent en certaines parties se liant les
unes aux autres. Chaque vérité a son article parti-
culier. Et cette liaison réciproque des articles du
symbole, l'ordre qu'ils ont entre eux, expliquent
comment la foi demeure toujours une dans la
division et la multiplicité des articles qu elle em-
brasse (i).
Or, ajoute saint Thomas, ces divers articles sont
très convenablement disposés dans le symbole. La
foi, en effet, n'embrasse, comme étant son objet
propre, que les choses dont nous aurons la vision
dans la vie éternelle, et celles qui nous y conduisent.
Or deux choses doivent faire l'objet de cette vision :
ce qu'il y a de caché dans la divinité, et c'est en cela
que consiste la béatitude ; et le mystère de l'huma-
nité du Christ, par qui nous pouvons être introduits
dans la gloire des enfants de Dieu. De là ces paroles
de Notre Seigneur : « La vie éternelle consiste à
vous connaître, vous, le vrai Dieu, et celui que vous
avez envoyé, Jésus-Christ (2). » Les vérités de la foi
offrent donc d'abord cette distinction, que les unes
se rapportent à la majesté divine, les autres aux
mystères de l'humanité du Christ. Touchant la
1. Sum, IheoL, na ii» , Q. 1, a. 6. — - 2. Joan., xvu, 3.
I04 LE CATÉCHISME ROMAIN
majesté divine, la foi nous offre trois vérités à
croire : d'abord son unité, et c'est L'objet du premier
article ; ensuite la Trinité, qui fait l'objet des trois
articles consacrés aux trois personnes divines ; enfin
les ouvrages attribués à la divinité, dont le premier
se rapporte à l'état de nature, et de là l'article de la
création ; le second, à l'état de grâce, et de là un seul
article pour tout ce qui se rattache à la sanctification
des hommes ; le troisième, à l'état de gloire, et de là
un autre article pour la résurrection de la chair et la
vie éternelle : ce qui fait sept articles se rapportant à
la divinité. Il y a également sept articles touchant à
l'humanité du Christ : le premier se rapporte à son
incarnation ou à sa conception ; le second, à sa
naissance de la Yierge ; le troisième, à sa passion, à
sa mort et à sa sépulture ; le quatrième, à sa descente
aux enfers ; le cinquième à sa résurrection ; le
sixième, à son ascension ; le septième, à sa venue
pour le jugement : ce qui fait en tout quatorze
articles. Il y en a cependant qui n'en distinguent
que douze, dont six se rapportent à la divinité, et
six à l'humanité. Ils comprennent en un seul les
trois articles sur les trois personnes, parce que la
connaissance des trois personnes est la même.
L'article sur l'état glorieux, ils le divisent en deux,
savoir : la résurrection de la chair et la gloire de
l'âme ; et ils ne font qu'un seul article de celui
de la conception et de celui de la nativité (i).
Dans cette division du symbole, le nombre des
articles a varié. C'est ainsi que saint Thomas,
comme nous venons de le voir, en compte quatorze.
Le Docteur Angélique a tenu compte ici de l'in-
fluence du Septénaire, mis en vogue depuis le xn*
siècle ; mais il est à remarquer qu'il n'ignore pas
i. S. Thomas, Sam. Theol, na ii®, Q. i, a. 8.
DU SYMBOLE DES APOTRES 105
et ne blâme pas la division en douze articles. Cette
dernière a prévalu depuis longtemps et a été consa-
crée par l'autorité qui s'attache au Catéchisme Romain ;
c'est celle à laquelle nous nous tiendrons, telle que
nous l'avons indiquée en transcrivant le texte du
symbole.
1. Le résumé de la foi, en Palestine, au lende-
main de la Pentecôte. — « Jésus, rédempteur uni-
versel ! Quel merveilleux résumé de la foi, et qu'il est
beau de voir dès cette première heure tous les éléments
caractéristiques de notre foi adulte, clairement enfer-
més dans cette brève formule ! Quelle idée du Messie
s'en dégage autrement profonde que celle qu'en avaient
les contemporains de saint Pierre ! Les juifs attendaient
un Messie plus politique que religieux et plus national
qu'humain ; les premiers chrétiens venus du Judaïsme re-
connaissent en Jésus le Messie, mais combien s'est trans-
formé pour eux le concept du, Messianisme ! L'œuvre mes-
sianique de Jésus, c'est l'affranchissement qu'il opère, non
d'un esclavage matériel, mais de la servitude morale du
péché; et cette œuvre, précisément parce que spirituelle,
n'est pas circonscrite à un peuple, mais de plein droit
s'étend à tous, même aux païens, grâce à cette formule,
rappelés à la conscience d'eux-mêmes, invités à se recon-
naître pécheurs et incapables de régénération morale sans
un secours d'en haut, celui-là même que Jésus est venu
porter. La misère morale de l'humanité, le besoin d'une
morale et divine résurrection des esprits, Jésus, l'ouvrier
de cette résurrection morale, et le médecin, par un tel
moyen et de telle manière, de cette misère, cette suprême
synthèse de Christianisme que nous retrouvons aujour-
d'hui par un travail de réflexion aiguë sur notre Credo,
se trouve dès ce moment affirmée avec la simplicité de
l'intuition. » Semeria, Vinte Cinque anni di sloria del
Crestianesimo nascente, Rome, 1900, p. 101-102 (1).
1. Cité par M. Gondal, Aux temps des Apôtres, Paris, 1904,
p. 10.
I06 LE CATÉCHISME ROMAIN
2. La prédication apostolique, à l'apparition
des hérésies. — a A la foi unanime des premiers jours
succédaient le trouble et le partage. Des loups rapaces
fondaient sur les pasteurs et ne ménageaient pas le trou-
peau ; des hommes s'élevaient, proférant des discours per-
vers pour attirer des disciples après eux(i).Plusencoreque
la doctrine des novateurs, leur parole était à craindre, elle
'rongeait comme la « gangrène, couvrant sa corruption
sous une profane nouveauté de mots (2). » Pour éviter
ces embûches du langage, ces expressions incertaines,
'équivoques, convenant à l'erreur comme à la vérité (3),
il fallait se munir de termes exacts et consacrés. La pré-
dication apostolique n'avait tendu jusqu'alors qu'à faire
connaître et aimer Jésus ; l'heure était venue de la res-
serrer en quelques dogmes essentiels, que tous pourraient
conserver de mémoire et opposer à l'hérésie. Saint Paul
mita cette œuvre la vigueur, qui était le propre de son
génie, et fonda « ce dépôt de la foi » qu'avant de mourir
il recommandait si instamment à Timothée (4). Timothée
avait donc reçu de Paul, outre l'enseignement commun
dans toute son étendue, un abrégé, un précis de la foi.
Pierre fait allusion à ce formulaire dans l'une de ses Epî-
tres, et nous apprend en même temps à quel usage il fut
primitivement destiné. Parlant des hommes sauvés du
déluge grâce à l'eau qui les portait dans l'arche : « Cette
même eau, ajoute-t-il (5), est la figure du baptême qui
nous sauve ; or le baptême ne consiste pas dans la purifi-
cation des impuretés de la chair, mais dans Y interroga-
tion d'une bonne conscience à l'égard de Dieu. » De quelle
interrogation parie ici l'apôtre?... Le Credo de la liturgie
baptismale remonte donc aux temps apostoliques ; dès
lors quoi de plus naturel que d'y voir Yinterrogationt
dont parle saint Pierre, et le précis recommandé par saint
Paul. Les paroles de celui-ci à Timothée ne permettent
guère de douter qu'il ait eu quelque part à cet abrégé de
la foi. De préférence, néanmoins, nous en rapportons le
dessein au chef des Apôtres, parce que sa lettre, écrite de
1. Act., xx, 29, 3o. — 2. 11 Tim., 11, 17. — 3. 1 Tim., vi, 20.
,— 4. n Tim., 1, 13. — 5. 1 Pelr., m, 20-22.
DU SYMBOLE DES APOTRES IO7
Rome, nous fait connaître le baptême tel qu'on l'admi-
nistrait sous ses yeux et par ses ordres ; c'est donc à lui
plus qu'à aucun autre qu'il convient d'attribuer l'idée
d'un formulaire de croyances, à lui comme fondateur de
l'Eglise romaine, s'inspirant des coutumes et des tradi-
tions du peuple au milieu duquel il vivait. » Fouard
Saint Pierre, 3e édit., Paris, 1893, p. 285-288.
3. Le Credo de l'âme humaine. — « Une doctrine
qui possède éternellement l'humanité doit satisfaire divi-
nement l'humanité. Mais de quelle manière les dogmes du
Credo sont-ils harmoniques à l'âme ? Ils ne sont pas
naturels, comme nous pourrions l'imaginer. C'est leur
étrangeté, leur impénétrabilité mystérieuse qui est
naturelle. Elle trouve en nous je ne sais quelle impéné-
trabilité mystérieuse aussi, quelle étrangeté qui lui
ressemble, qui est de même ordre et qui fait que l'une ne
peut pas voir l'autre sans tressaillir.
Allons au fond. Qu'est-ce que le Credo ? C'est en douze
articles l'exposé de la personnalité incompréhensible, de
la vie mystérieuse de Dieu. Or nous sommes faits à son
image et à sa ressemblance. Par conséquent les mystères
de Dieu sont en nous, guère plus pénétrables en nous
qu'en lui, quoi qu'il y ait en nous l'infini de moins. De
fait nous sommes une trinité, les philosophes même en
conviennent. Nous sommes une incarnation. Nous som-
mes une paternité qui crée et qui engendre à son image.
Après avoir créé, nous devenons une providence. Quand
la femme devient mère, pendant un an ou deux elle est
une eucharistie. Pères et mères, nous sommes une
rédemption, une passion, une solidarité dans la chute,
une résurrection, une vie éternelle. Afin que nous ne
puissions pas le nier, Dieu a écrit le Credo dans nos
entrailles. Nous ne le voyons pas avec la raison ; nous le
sentons. Ce Credo humain, qui est nous, ne peut être mis
en présence du Credo divin, qui est Dieu, sans tressaillir,
comme la copie devant l'image.
Yoilà pourquoi, à moins d'un mystère de perversion,
^incrédulité n'est qu'affaire de jeunesse. A cet âge, on
I08 LE CATÉCHISME ROMAIN
n'est encore qu'une trinité et une incarnation ; dogmes
froids, parce qu'ils ne regardent que nous. Mais avec la
paternité tous les mystères, brûlants ou poignants, com-
mencent : la création, la chute, la rédemption, l'eucha-
ristie. Le Credo s'incarne dans notre chair. Il devient
palpable. Tout s'illumine d'une lumière qui ne vient ni
de l'esprit ni de la raison, facultés auxquelles on résiste,
mais qui monte du cœur et des entrailles. Voyez cette
mère qui entre dans l'église, son entant sur son bras. Un
jeune homme peut sourire en passant devant la croix, le
tabernacle. Elle non. Elle regarde la croix et se dit :
« Qu'y a-t-il de si étrange ? Est-ce que je n'en fais pas
tout autant. Je nourris mon enfant de mon lait, et si,
pour l'arracher à la mort, il fallait le nourrir de mon
sang, me laisser souffleter, battre de verges, est-ce que
j'hésiterais une minute ? » Voilà où est le Credo et pour-
quoi il est invincible. Dieu l'a caché dans les replis les
plus intimes de la nature humaine. Il l'a tellement iden-
tifié avec l'âme, qu'il faut se nier soi-même, ou du moins
s'oublier, pour ne pas croire (i) ! »
i. Bougaud, Le Christianisme et les temps présents, 2e édiL,
Paris, 1878, t. ni, p. a3-25.
Leçon IIe
Autres Symboles
I. Le Symbole de Nicèe-Constantinople : 1° Son
origine. — 2° Son texte. — 3° Son usage. —
4° Son autorité. — IL Le Symbole de Saint-
Athanase : 1° Son texte. — 2° Son origine. —
3° Son importance (1).
I. Symbole
de Nicée-Constantinople
1° Son
Origine
Outre le symbole des Apôtres, l'Eglise compte
encore le symbole de Nicée-Constantinople
et celui qui est dit de saint Athanase.
Le symbole de Nicée-Constantinople n'est autre
i. BIBLIOGRAPHIE : G. Vossius, De tribus symbolis, iG/ia ;
Harvcy, The history and theology of the tkree creeds, Londres,
i854 ; Swainson, The literary history of\the nicene and apostles
creed, and that commonly called the creed of saint Athanasias,
Londres, 1875 ; Lumby, History of the creeds, 3eédit., Londres,
1887 ; Hurtley, History oj the earlier jormularies of jaith, Ox-
ford, 1892 ; Hort, Two dissertations on the constantinopolitan
creed; Funk, article Symbole dans la Realencyklopddie, Fribourg-
en-Brisgau, t. 11, p. 809 sq; Harnack, Doymengeschichte, 3e cdit.,
110 LE CATECHISME ROMAIN
que celui qui fut d'abord sommairement formulé
contre Arius, au premier concile général de Nicée,
en 325, et complété contre Macédonius, au se ond
concile général de Gonstantinople, en 38i. Univer-
sellement adopté par l'Eglise d'Orient, il fut peu à
peu introduit en Occident et accepté par l'Eglise
romaine avec l'addition caractéristique du Filio-
que.
C'est une formule de foi, beaucoup plus explicite
que le symbole des Apôtres sur la divinité du Verbe
et du Saint-Esprit, sur la procession de la troisième
personne de la Sainte-Trinité, provoquée, au iv° siè-
cle, par la double erreur d' Arius et de Macédonius,
ainsi que nous l'établirons plus en détail dans la
suite. Le lybien Arius, en effet, devenu prêtre
d'Alexandrie et placé à la tête de l'église de Ban-
cale, s'était imbu des enseignements erronés de
Lucien d'Antioche et en était venu à soutenir que,
si le Père a engendré le Fils, Têtre du Fils a eu un
commencement. Il fut donc un temps où le Fils
Leipzig, 1893, et article Konstanlinopolilanisches Symbol dans la
Realencyklopàdie fur protestant Théologie, 2e édit., Leipzig,
t. vin, p. 212 sq ; Gwatkin, The arian controversy , 4e édit., Lon-
dres, 1898. Quesnel, De symbolo athanaslano, 1676 ; Antel-
mius, Adouci de symbolo athanasiano dlsqulsiiio, 1093 ; Muratori,
De auclore symboli Quicumque, dans les Anecdota lalina, 1698 ;
Waterland, Critican hislory of the athanasian creed, Cambridge,
1724 ; Brewer, The athanasian creed vindicated, Londres, 187 1 ;
Ominaney, Hislory oj the athanasian creed, Londres, 1875 ; The
eariy hislory of the athanasian creed, Londres, 1880 ; Burn,
The athanasian creed, Cambridge, 1896 ; Dom Morin, Les ori-
gines du symbole Quicumque, dans la Science catholique, juillet
1891, et le Symbole de saint Athanase et son premier témoin
saint Césaire d'Arles, dans la Revue bénédictine, octobre 1901,
t. xvm, p. 338-363 ; Tixcront, article Symbole de saint Atha-
nase, dans le Dictionnaire de Théologie, t. 1, col. 2178-2187;
Lejay, Le rôle théologique de saint Césaire d'Arles, dans la Revue
d'histoire et de littérature religieuse, Paris, 1906, t. x, p. i5a sq.
SYMBOLE DE NIGEE-CONSTANTINOPLE III
n'était pas ; il a été tiré du néant. C'était assimiler
Jésus-Christ à une créature, nier sa divinité, intro-
duire dans le mystère de la Sainte-Trinité une no-
tion fausse, qui entraînait les conséquences les plus
fâcheuses, touchant l'incarnation et la rédemption.
Une telle doctrine fut jugée avec raison contraire
à l'enseignement traditionnel et dénoncée par l'évê-
que d'Alexandrie. Le concile de Nicée la condamna.
Les Pères de ce concile, en effet, résolurent de pros-
crire certaines expressions erronées ou impies et de
leur opposer une formule de foi nette et irrépréhen-
sible (i). Eusèbe de Césarée proposa le symbole de
son église comme de nature à rallier tous les suffra-
ges ; mais la majorité de l'Assemblée eut soin, tout
en l'acceptant, d'y introduire des modifications,
des précisions et additions significatives.
Que fallait-il entendre par Fils unique de Dieu ?
Une simple adoption ? — Nullement, mais une vraie
génération, qui fait du Fils de Dieu un être sembla-
ble au Père, de même nature et de même substance
que lui. De là la rédaction suivante de l'article
relatif au Fils : « Et en un seul Seigneur Jésus-
Christ, Fils de Dieu, né unique du Père, c'est-à-dire
de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de
lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendre, non
créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait
au ciel et sur la terre. »
Après cette rédaction, qui était la condamnation
formelle de l'hérésie d'Arius, et pour éviter tout
subterfuge, toute subtilité d'interprétation, toute
équivoque, les Pères rappellent les principales
expressions ariennes et les déclarent anathématisées
par l'Eglise catholique et apostolique : « Ceux qui
disent : a II fut un temps où il n'était pas, » et
i. S. Athanase, Epist. adAfr., 5 ; Pat. gr., t. xxvi, col. io38.
112 LE CATECHISME ROMAIN
« avant de naître il n'était pas, » « il a été fait de
ce qui n'était pas ; » ceux qui prétendent qu'il est
d'une substance ou d'une essence différente, ou
qu'il est créé,1 ou qu'il est susceptible de change-
ment, l'Eglise catholique et apostolique les anathé-
matise (i) ».
Ainsi donc le concile de Nicée, en proclamant le
Fils con substantiel au Père, le déclarait vrai Dieu,
possédant la même nature que le Père, en vertu
d'une génération réelle et non métaphorique. Mais
le terme grec b[j.ooûc:ioç, consubstantiel, employé par
le concile pour exprimer la consubstantialité du
Père et du Fils, donna lieu pendant tout le ive siècle
à des discussions sans fin de la part des Ariens et
des semi-ariens.
Entre temps, la divinité du Saint-Esprit avait été
niée ; elle dut être proclamée un dogme de foi par
un nouveau concile, qui se rassembla à Constanti-
nople en 38i. Ce second concile général commença
par ratifier et confirmer ce qui avait été fait à
Nicée (2). « La profession de foi des trois cent dix
huit Pères, réunis à Nicée en Bithynie, est-il dit dans
le canon ier, ne doit pas être abrogée ; elle doit con-
server toute sa force ; et toute hérésie doit être
anathématisée. »
Mais ce concile rédigea-t-il une formule nouvelle
de foi, un symbole nouveau, et précisément celui
qui porte son nom ? La question est débattue entre
les érudits. Pour les uns, le concile de Constanti-
nople n'aurait simplement que confirmé le symbole
que saint Epiphane a inséré dans son Ancorat (3), et
dont il se servait dans l'administration du sacrement
1. Denzinger, Enchiridion, n. 17, 18. — 2. S ocrât e, Hist. ecel.%
V. vin ; Pair, gr., t. lxvii, col. 578 sq. — 3. Ancorat, 119;
Pair. gr. t. xliii, col. 232.
SYMBOLE DE NICEE-CONSTANTINOPLE
n3
de baptême (i). Pour les autres, ce symbole n'est
pas l'œuvre du concile de Gonstantinople ; il ne lui
a été attribué que plus tard (2).
Quoi qu'il en soit, ce symbole dit de Constanti-
nople, est celui qui, après la défense portée par les
conciles généraux d'Ephèse, en 43i , et de Chalcé-
donie, en 45i, d'en rédiger de nouveaux, fut adopté
définitivement par tout l'Orient, à la suite du second
et troisième conciles de Constantinople, en 553 et
680, et passa dans l'usage liturgique. Connu et
utilisé dans plusieurs Eglises d'Occident, il finit par
être adopté par toute l'Eglise latine avec l'addition
du Filioque : c'est le symbole qui se chante actuel-
lement à la messe.
2° Son texte
Nous reproduisons, en face l'une de l'autre, les
deux formules, pour permettre d'en voir les ressem-
blances et les différences.
Formule de Nicée
Credo in unum Deum,
Patrem omnipotentem, fac-
torem omnium visibilium
et invisibilium ;
Formule
de Constantinople
(Symbole actuel)
Credo in unum Deum,
Patrem omnipotentem, fac-
torem [cœli et terrae], visi-
bilium omnium et invisibi-
lium :
1. Hefele, Histoire des Conciles, trad. franc., t. 11, p. 196-198 ;
Kôlling, Geschichte der arianischen Hdresie, Gutersloh, i8S3,
t. 11, p. 5o4-5o7 ; Funk, Hist. de l'Eylise, trad. franc, t. 1, p.
2i3, et art. Symbole dans la Realencyklopâdie, Fibourg-en-
Brisgau, 188G, t. 11, p. 809 sq. — 2. Hort, Two Dissertations, on
the constantinopolitan creed, p. 73 sq.; Harnack, Dogmenges-
chichte, 3eédit., t. 11, p. 2G5-266, et art. Konstantinopolitanisches
Symbol dans la Realencyklopâdie fur protest. Théologie, 20 édit.,
t. vin, p. 212 ; Gwatkin, The arian controversy, 4e édit., Lon-
dres, 1898, p. 159-161.
LH CATECHISME. — T. I.
8
n4
LE CATECHISME ROMAIN
Et in unum Dominum
Jesum Ghristum, Filium
Dei unigenitum, et ex Pâtre
natum [anteomnia sœcula] ;
Deum de Deo, lumen de
rumine, Deum verum de
Deo vero, genitum, non
factum, consubstantialem
Patri ;
Per quem omnia facta
sunt ;
Qui propternos hommes et
propteinostramsalutemdes-
cendit de cœlis, et incarna tu s
estfdeSpiritu sancto ex Maria
virgine], et homo factus est ;
[Grucifixus etiam pro no-
bis sub Pontio Pilato], pas-
sus [et sepultus est] ;
Et resurrexit tertia die,
[secundum Scripturas] ;
Et ascendit in cœlum,
[sedet ad dexteram Patris] ;
Et iterum venturus est
[cum gloria] judicare vivos
etmortuos ; cujus regni non
erit finis.
Et in Spiritum Sanctum.
Dominum et vivificantem
qui ex Pâtre Filioque pro-
cédât ;
Qui cum Pâtre et Filio simul adora tur et conglorifica-
tur ; qui locutus est per Prophetas.
[Et in unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ec-
clesiam ;
Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum.
Et exspecto resurrectionem mortuorum ;
Et vitam venturi sœculi (2).]
1. Denzinger, Enchiridion, n. 17. — 2. Ibid., n. 47.
Et in unum Dominum
Jesum Ghristum, Filium
Dei, unigenitum a Pâtre,
id est ex subslantia Patris ;
Deum de Deo, lumen de
lumine, Deum verum de
Deo vero, genitum, non
factum, consubstantialem
Patri (ôuooucriov) ;
Per quem omnia facta
sunt et in cœlo et in terra ;
Qui propter nos hommes
et propter nostram salutem
descendit de cœlis, incar-
natus est et homo factus
est ;
Pas sus :
Et resurrexit tertia die ;
Et ascendit in cœlos ;
Et iterum venturus est
judicare vivos et mortuos ;
Et in Spiritum Sanc-
tum (1).
SYMBOLE DE NICEE-CONSTANTINOPLE Il5
Gomme on le voit, la formule de Nicée insisto
surtout sur la divinité et la consubstantialité du
Fils, niées par Arius, et se trouve, sur ces deux
points, beaucoup plus explicite que le symbole des
apôtres ; mais elle est incomplète, puisqu'elle laisse
de côté la fin du symbole apostolique. Elle fait
suivre, comme nous l'avons déjà dit, ses articles
de la condamnation de quelques propositions
ariennes (i). Or, à part deux expressions, que nous
avons soulignées, l'une explicative, id est ex subs-
tantiel Patris, l'autre complétive, et in cœlo et in
terra, elle se retrouve tout entière dans la formule
du symbole de Constantinople.
Quant à ce dernier, il n'a pas fait que reproduire
la formule de Nicée, il a ajouté dans la partie
commune quelques mots, que nous avons placés
entre crochets, qui servent soit à expliquer, soit à
préciser certaines vérités. 'Tels sont, par exemple,
factorem cœli et terrse, ante omnia ssecula, de Spiritu
Sancto ex Maria virgine, crucifixus etiam sub Pontio
Pilato et sepultus est, secundum Scripturas, curn
gloria. Mais les additions caractéristiques sont celles
qui concernent le Saint-Esprit, et qui visent l'héré-
sie de Macédonius.
Le symbole de Constantinople affirme que le
Saint-Esprit e&t Seigneur, qu'il vivifie, qu'il procède
du Père (et du Fils), qu'iï est adoré et glorifié avec le
Père et le Fils, qu'il a parlé par les Prophètes ; ce
qui revient à dire que le Saint-Esprit, comme le Fils,
a la même nature que le Père, qu'il est Dieu au
même titre et partage l'adoration et la glorification
qui est due à Dieu ; mais qu'il diffère du Fils par
sa procession, c'est-à-dire par le mode particulier
dont il tient l'être du Père et du Fils. Son titre.
i. Ibid., n. 18.
Il6 LE CATÉCHISME ROMAIN
d'inspirateur des prophètes marque le rôle qu'il a
joué dans l'Ancien Testament.
Ses derniers articles rappellent ceux du symbole
des apôtres, a quelques différences près. L'Eglise y
est qualifiée d'apostolique ; la descente aux enfers et
fa communion des saints sont passées sous silence : le
baptême est particulièrement rattaché au dogme de
la rémission des péchés ; il y est question enfin de
la résurrection des morts et de la vie du siècle futur,
au lieu de la résurrection de la chair et de la vie
éternelle.
Une seule expression, Filioque, n'appartient pas à
]a rédaction primitive. Ce fut une addition posté-
rieure, dont l'auteur est resté inconnu, mais bien
antérieure au ixe siècle, époque à laquelle Photius
s'en fit une arme contre l'Eglise romaine et suscita
pour de longs siècles les plus graves difficultés entre
l'Eglise latine et l'Eglise grecque. Pourtant cette
addition est fort naturelle. Que le Saint-Esprit pro-
cède à la fois du Père et du Fils, c'est pour nous,
catholiques, un dogme de foi, dont nous aurons à
parler dans l'explication du symbole. Or ce dogme
découle naturellement des principes posés par le
concile de Gonstantinople. L'addition du Filioque au
symbole de Gonstantinople est donc justifiée, et sa
présence dans le symbole dit de saint Athanase
s'explique par la foi explicite qu'on professait dans
le milieu où ce symbole fut rédigé.
Cette addition du Filioque au symbole de Cons-
tantinople est d'origine espagnole ; elle date, au
plus tard, du concile tenu en 447 (x)' e^ se retrouve
dans les conciles de Tolède de 589, de 633, de 653,
de 681, et de 683 (2). C'est de l'Espagne qu'elle est
1. Denzinger, Enchiridion, n. n3. — 2. Denzinger, ibid., p.
16, note 1 ; Hardouin, t. iv, p. 472, 579, 957, 1718, 1738.
SYMBOLE DE NIGEECONSTANTI^OPLE II7
vraisemblablement passée en Gaule et en Germanie.
On la trouve, en effet, en Gaule, au ve siècle, comme
le prouve la liturgie gallicane de Mone (i). Il est
certain, en outre, que, du temps de Gharlemagne,
les églises franques chantaient le Filioque à la messe.
En 795, le concile que présidait Paulin, patriarche
d'Aquilée, l'insérait dans son symbole.
Un incident, survenu à Jérusalem entre moines
latins et grecs, les premiers chantant au Credo le
Filioque, les autres protestant contre une telle inno-
vation, la question fut portée devant le pape Léon III.
Mais déjà Gharlemagne avait réuni un grand concile
à Aix-la-Chapelle, en 809, où l'on déclara que le
Saint-Esprit procède du Fils comme du Père ; et
Théodulfe d'Orléans enseigna cette doctrine dans
son livre du Saint-Esprit et produisit en sa faveur
de nombreux témoignages (2). En 810, dans un
concile tenu à Rome, Léon III confirma la défini lion
d'Aix-la-Chapelle, mais refusa, par prudence, d'in-
sérer dans le symbole romain le Filioque (3).
Plus tard, saint Henri demanda au pape Be-
noît VIII (101 2-1024) que l'on chantât à Rome, pen-
dant la messe, ce symbole, et c'est alors que l'addi-
tion du Filioque fut admise dans le symbole de Gons-
tantinople par l'Eglise romaine. Eu i2i5, leiv6 con-
cile de Latran, pour enlever aux Grecs le prétexte
de dire que les Latins enseignaient que le Saint-Es-
prit procède du Père et du Fils comme de deux
principes, proclama avec l'assentiment des Grecs
qu'il procède également des deux, sans commencement
ni fin (4). Puis le second concile de Lyon, en 1274,
1. Laleinisch und grieschiche Messen, Francfort, i85o ; Patr*
lat., t. cxxxvm, col. 863. — 2. Patr. lat., t. cv, col. 239-276.
« — 3. Kraus, Hist. de V Eglise, trad. franc., Paris, 1891, t. 11, p.
93-94. — 4- Denzinger, Enchiridion, n° 355.
Il8 LE CATÉCHISME ROMAIN
précisa que le Saint-Esprit procède éternellement du
Père et du Fils, non comme de deux principes,
mais d'un seul, par une seule spiraiion (i). Enfin le
concile de Florence (i 439-1442), rappelant que la
procession du Saint-Esprit du Père et du Fils est
une vérité également reconnue par les Grecs et les
Latins, déclare qu'on a parfaitement eu raison d'in-
sérer dans le symbole leFilioque, à titre d'explication
et de précision (2).
3° Son usage
Dans l'Eglise grecque, ce symbole de Constanti-
nople, universellement adopté, joue dans l'initia-
tion baptismale le même rôle que le symbole des
apôtres, chez les Latins. C'est la profession solen-
nelle de foi qu'on demande préalablement à ceux
qui vont recevoir le baptême ; profession que tout
fidèle baptisé doit savoir par cœur et réciter souvent
pendant la vie, un souvenir du baptême reçu, et
comme un témoignage de la foi dans laquelle il
veut vivre et mourir. En outre il est introduit dans
la liturgie de la messe, vraisemblablement au ve siè-
cle ou au commencement du vi°, selon Nicéphore
Calliste (3), et il se trouve dans presque toutes tes
liturgies d'Orient, notamment dans celle de saint
Jacques, de saint Marc (4).
En Occident, dans l'Eglise latine, sa place n'est
pas dans la liturgie baptismale, mais au saint sacri-
fice de la messe. Dès avant Gharlemagne, on le ré-
citait, nous l'avons vu, pendant la messe, en Espa-
1. Dcnzinger, ibid, n° 382. — 2. Décret d'union, dans la
Bulle, Lxtenlur cœli, d'Eugène iv; Denzinger, ibid., n° 586. —
3. HisL ceci, xxvi, 35 ; cf. Bona, Rerum liturgie, II, vm, 2.
— 4. Brightman, Liturgies eastern and western, Oxford, 1896,
t. 1, p. 42, 82, 124, 162, 226, 270, 32i, 383, 487.
SYMBOLE DE NICEE-CONSTANTINOPLE Iig
gne, en Gaule et à Jérusalem. C'est sous le ponti-
ficat de Pelage II (578-790) et du roi d'Espagne, Ré-
carède (586-6oi), que le troisième concile de Tolède
ordonna de réciter à la messe le symbole de Gons-
tantinople : « Ut per omnes ecclesias Hispanix et Gai-
liae secundum formant orientalium ecclesiarwn concilll
Conslantinopolitani, hoc est centum quinquaginta epis-
coporum symbolam fidei recitetur, utpriusquam domi-
nica dicatur oratio, voce clara populo decantetur (1). »
Et c'est de l'Espagne que cet usage passa en Gaule,
où il était général vers la fin du vine siècle.
C'était un acte solennel d'adhésion aux vérités que
notifiait la lecture de l'apôtre et de l'évangile, une
protestation de foi à l'enseignement révélé, pour
bien montrer qu'on ne pactisait en aucune manière
avec les erreurs ou les hérésies de l'époque. Un tel
usage, activé par des circonstances exceptionnelles,
s'est maintenu et généralisé, depuis surtout que
l'Eglise romaine l'adopta dans sa liturgie, en ioi4-
Depuis le concile de Trente, on continue à le
réciter à la messe, mais à certains jours et à cer-
taines fêtes seulement. Ces jours et ces fêtes sont
soigneusement indiqués par les rubriques du Missel ;
et les motifs de son insertion dans la liturgie du
sacrifice de la messe sont empruntés, soit aux mys-
tères, que rappelle la solennité, soit à ia doctrine des
saints dont on célèbre la fête, soit enfin à Yéclat
dont il convient d'entourer tel souvenir particulier.
C'est ainsi, par exemple, qu'à raison des mystères
que ce symbole renferme explicitement ou implici-
tement, on le récite tous les dimanches de Tannée,
en souvenir de la création, et à toutes les fêtes de
Notre Seigneur et de la très sainte Vierge ; c'est ainsi
encore qu'à raison de la doctrine particulièrement
1. Le Brun, De litargla hisp. sea mozarablca, Dissert, v, art. 1.
120 LE CATECHISME ROMAIN
enseignée ou défendue par certains saints, on le
récite en l'honneur des apôtres et des docteurs ;
c'est ainsi enfin qu'à raison de la solennité, on le
récite aux jours de la fête patronale d'un lieu ou
d'une église (i). Dans tous les cas, sa récitation a
pour but de manifester solennellement la foi des
chrétiens et la joie intime du cœur. Chanté à pleine
voix, chaque dimanche et dans nos solennités
religieuses, il laisse dans le souvenir des fidèles une
impression ineffaçable. Combien de chrétiens, de
nos jours, par ce temps de rationalisme et d'impiété,
ne se rappellent plus que l'air toujours entraînant
et des lambeaux de phrase de ce vieux Credo ! En
dépit des tristesses de l'heure présente et des menaces
de l'avenir, ce Credo retentira encore et toujours
dans nos modestes églises de village comme sous
le dôme de nos splendides cathédrales. Et si le
malheur des temps veut qu'en France nos églises et
nos cathédrales nous soient ravies, il nous restera
bien une grange pour le chanter encore et toujours,
et. à défaut d'une grange, l'espace libre, pour jeter
à tous les échos, sous la voûte du ciel, le cri de notre
foi indomptable, de notre immortelle espérance.
4° Son autorité
Pas plus que le symbole des apôtres, le symbole
de Constantinople n'est placé au rang des Ecritures
sacrées ; mais sa place dans la liturgie lui assure
un égal respect, une semblable autorité. Au même
titre que le symbole des apôtres, il est un témoin
vénérable et précieux de la foi catholique, une règle
de foi imprescriptible. Qu'il soit ou ne soit pas
i. Cf. Rabricx gen. Missalis, xi, De symbolo ; de Iïerdt, Lit.
sccr.y t. i, p. ii4-n5.
SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE
121
l'œuvre propre du second concile général, peu
importe ; l'Eglise grecque et l'Eglise latine l'ont
solennellement adopté. A plusieurs reprises, il est
inséré intégralement daus les actes officiels, notam-
ment dans la Profession de foi de Pie IV, d'après les
prescriptions du concile de Trente (i). Son autorité
dogmatique est donc incontestable ; elle s'impose à
tout chrétien sous peine d'hérésie.
IL Symbole de saint Athanase
Un troisième symbole, adopté par l'Eglise, est le
Quicumque ou le le symbole dit de saint Athanase,
admirable résumé de la doctrine relative à la
Sainte Trinité et à l'Incarnation. Inséré dans le
Bréviaire romain, il se récite à Prime, à l'office du
dimanche, et fait ainsi partie officielle de la prière
publique. Après en avoir reproduit le texte, nous
en rechercherons l'origine et nous en signalerons
l'importance.
1° Texte du Quicumque
i . Quicumque vult salvus
esse, ante omnia opus est ut
teneat catholicam fidem.
2. Quam nisi quisque in-
tegram inviolatamque ser-
vaverit, absque dubio in
œternum peribit.
3. Fides autem catholica
hsec est ; ut unum Deumin
i. Quiconque veut être
sauvé doit avant tout gar-
der la foi catholique.
2. Celui qui ne la conser-
vera pas dans son intégrité
et sa pureté périra infailli-
blement pour l'éternité.
3. Or la foi catholique,
c'est d'adorer un seul Dieu
i. Constitution Injundum nobis, du 18 novembre i5G4 ; Dcn-
zinger, Enchiridion, n. 863.
122
LE CATECHISME ROMAIN
Trinitate, et Trinitatem in
uni ta te veneremur.
4. Neque confundentes
personas, neque substan-
tias séparantes. «
5. Alia est enim persona
Patris, alia Filii, alia Spiri-
tus Sancti.
6. Sed Patris, et Filii, et
Spiritus Saneti una est di-
vinités, ajqualis gloria, coae-
terna majcstas.
7. Qualis Pater, talis Fi-
lius, talis Spiritus Sanctus.
8. Increatus Pater, increa-
tus Filius, increatus Spiri-
tus Sanctus.
9. Immensus Pater, im-
mensus Filius, immensus
Spiritus Sanctus.
10. .^ternus Pater, ae ter-
nus Filius, œternus Spiritus
Sanctus.
11. Et tamen non très
œterni, sed unus œternus.
12. Sicut non très incre-
ati, nec très immensi, sed
unus increatus, et unus
immensus.
i3. Similiter omnipotens
Pater, omnipotens Filius,
omnipotens Spiritus Sanc-
tus.
14. Et tamen non très
dans la Trinité et la Trinité
dans l'uni Lé.
4- Sans confondre les per-
sonnes, sans séparer les
substances.
5. Car autre est la per-
sonne du Père, autre celle
du Fils, autre celle de
l'Esprit-Saint.
6. Mais pour le Père, le
Fils et l'Esprit-Saint une
est la divinité, égale la
gloire, coéternelle la ma-
jesté.
7. Tel le Père, tel le Fils,
tel l'Esprit-Saint.
8. Incréé le Père, incréé
le Fils, incréé l'Esprit-
Saint.
9. Immense est le Père,
immense le Fils, immense
l'Esprit-Saint.
10. Eternel est le Père,
éternel le Fils, éternel l'Es-
prit-Saint.
1 1 . Et pourtant ce ne sont
pas trois éternels, mais un
seul éternel.
12. Gomme aussi ce ne
sont pas trois incréés, ni
trois immenses, mais un
seul incréé et un seul im-
mense.
i3. De même tout-puis-
sant est le Père, tout-puis-
sant le Fils, tout-puissant
l'Esprit-Saint.
14. Et pourtant ce ne
SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE
123
omnipotentes, sedunus om-
nipotens.
i5. Ita Deus Pater, Deus
Filius, Deus Spiritus Sanc-
tus.
16. Et tamen non très
Dii, sed unus est Deus.
17. Ita Dominus Pater,
Dominus Filius, Dominus
Spiritus Sanctus.
18. Et tamen non très
Domini, sed unus est Do-
minus.
19. Quia, sicut singilla-
tim unamquamque perso-
nam Deum ac Dominum
confiteri christiana veritate
compellimur, ita très Deos
ant Dominos dicere catho-
lica religione prohibemur.
20. Pater a nullo est fao
tus, nec créa tus, nec geni-
tus.
2 1 . Filius a Pâtre solo est;
non factus, non créa tus,
sed genitus.
22. Spiritus Sanctus a
Pâtre et Filio, non factus,
nec creatus, nec genitus,
sed^procedens.
23. Unus ergo Pater, non
très Patres ; unus Filius,
non très Filii ; unus Spiri-
tus Sanctus, non très Spiri-
tus Sancti.
24. Et in hac Trinitate ni-
sontpas trois tout-puissants,
mais un seul tout-puissant.
i5. Ainsi Dieu est le
Père, Dieu le Fils, Dieu
l'Esprit-Saint.
16. Et pourtant ce ne sont
pas trois Dieux, mais un
seul Dieu.
17. Ainsi Seigneur est le
Père, Seigneur le Fils, Sei-
gneur l'Esprit-Saint.
18. Et pourtant ce ne
sont pas trois Seigneurs,
mais un seul Seigneur.
19. Parce que, de même
que la vérité chrétienne
nous oblige de confesser que
chaque personne séparé-
ment est Dieu et Seigneur,
de même la religion catho-
lique nous détend de dire
trois Dieux ou trois Sei-
gneurs.
20. Le Père n'a été ni fait,
ni créé, ni engendré.
31. Le Fils est du Père
seul, ni fait, ni créé, mais
engendré.
22. L'Esprit-Saint est du
Père et du Fils, ni fait, ni
créé, ni engendré, mais il
procède de l'un et del'autre.
23. Il n'y a donc qu'un
Père, et non trois Pères;
qu'un Fils, et non trois
Fils ; qu'un Esprit-Saint, et
non trois Esprits-Saints.
24. Et, dans cette Trinité,
I2^
LE CATECHISME ROMAIN
hil prius aut posterius,nihil
majus aut minus, sed totaB
très persona3 coasternee sibi
sunt et coajquales.
25. Ita ut per omnia, si-
cut jam supra dictum est,
et imitas in Trinitate et Tri-
nitas in unitate veneranda
sit.
26. Qui vult ergo salvus
esse, ita de Trinitate sen-
tiat.
• 27. Sed necessarium est
ad aeternam sainte m ut in-
carnationem <}uoque Do-
mini nosdi Jesu Ghristi
fideliter credat.
28. Est ergo fides recta,
ut credamus et confîteamur
quia Dominus noster Jésus
Christus Dci Filius, Deus
et homo est.
29. Deus est ex substan-
tia Patris ante sœcula geni-
tus ; et homo est ex subs-
tantia matris in sœculo
natus.
30. Perfectus Deus, per-
fectus homo, ex anima
rationali et humana carne
Bubsistens.
3i. Aequalis Patri secun-
dum divinitatem ; minor
Pâtre secundum humani-
tatem.
* 02. Qui licet Deus sit et
rien n'est plus ancien ou
plus jeune, rien n'est plus
grand ou plus petit ; mais
les trois personnes sont
coéternelles et coégales en-
tre elles.
25. De sorte qu'en tout,
comme il a déjà été dit, on
doit adorer l'unité dans la
Trinité et la Trinité dans
l'unité.
26. Quiconque donc veut
être sauvé, doit ainsi penser
sur la Trinité.
27. Mais il est encore
nécessaire, pour le salut
éternel, de croire fidèle-
ment l'incarnation de Notre
Seigneur Jésus-Christ.
28. La foi droite c'est
donc de croire et de con-
fesser que Notre Seigneur
Jésus-Christ, fils de Dieu,
est Dieu et homme.
29. Dieu, engendré de la
substance du Père avant
les siècles ; et homme, né
dans le temps de la subs-
tance de sa mère.
30. Dieu parfait, homme
parfait, composé d'une âme
raisonnable et d'une ckair
humaine.
3i. Egal au Père, selon
la divinité ; inférieur au
Père, selon l'humanité.
32. Et bien qu'à la fois
SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE
12!
homo, non duo tamen sed
unus est Christus.
33. Unus autem non
conversione divinitatis in
carnem, sed assumptione
humanitatis in Deum.
34. Unus omnino non
confusione substantiae, sed
unitate personae.
35. Nam sicut anima ra-
tionalis et caro unus est
homo, ita Deus et homo
unus est Christus.
36. Qui passus est pro
salute nostra, descendit ad
inferos, tertiadie resurrexit
a mortuis.
37. Ascendit ad cœlos,
sedet ad dexteram Dei Pa-
tris omnipotentis ; inde
venturus est judicare vivos
et mortuos.
38. Ad cujus adventum
omnes homines resurgere
habent cum corporibus
suis, et reddituri sunt de
factis propriis rationem.
39. Et qui bona egerunt
ibunt in vitam aoternam ;
qui vero mala, in ignem
œternum.
/•o. Haec est fîdes catho-
lica, quam nisi quisque
fideliter firmiterque credi-
Dieu et homme, il n'est
pas deux, mais un seul
Christ.
33. Un, il est vrai, non
par la conversion de la di-
vinité dans la chair, mais
par l'assomption de l'hu-
manité en Dieu.
34. Un enfm, non par la
confusion de la substance,
mais par l'unité de la per-
sonne.
35. Car, comme l'âme
raisonnable et la chair sont
un seul homme, de même
Dieu et l'homme sont un
seul Christ.
36. Qui a souffert pour
notre salut, est descendu
aux enfers, et est ressuscité
le troisième jour.
37. Est monté aux cieux,
est assis à la droite de Dieu
le Père tout-puissant, d'où
il viendra juger les vivants
et les morts.
38. A l'avènement du-
quel tous les hommes doi-
vent ressusciter avec leurs
corps et rendront compte de.
leurs propres actions.
39. Et ceux qui auront
fait le bien iront dans la
vie éternelle ; ceux qui au-
ront fait le mal, dans le
feu éternel.
40. Telle est la foi catholi-
que ; et quiconque ne la
croira pas fidèlement et
126
LE CATECHISME ROMAIN
derit, salvus esse non po-
terit (i).
fermement ne pourra être
sauvé.
Ce symbole comprend deux parties distinctes :
l'une, 1-26, traite de la Trinité ; l'autre, 27-40, de
la Christologie. Elles sont si nettement tranchées
que la critique contemporaine a voulu y voir deux
morceaux, indépendants l'un de l'autre, rapprochés
et soudés ensemble par un auteur inconnu, soit au
ixe siècle, d'après Lumby (2), soit même dès le vie,
d'après Harnack (3). Leurs arguments n'ont pas
convaincu M. Tixeront (4). Du reste la question,
intéressante en elle-même au point de vue histori-
que, est sans importance au point de vue dogmatique,
puisque l'Eglise a inséré intégralement le Quicumque,
tel que nous venons de le reproduire, dans son
Office.
« Le Quicumque, écrit Dom Morin, est une sorte
de catéchisme élémentaire, destiné à mettre à la
portée des esprits, même les moins cultivés, les
formules dogmatiques élaborées à la suite des
grandes hérésies des ive et ve siècles touchant la
Trinité et l'Incarnation : le tout avec un certain
accent pratique qui ne s'accuse pas au même degré
dans la plupart des anciennes professions de foi (5). »
Incontestablement c'est là un document précieux et
un admirable résumé de l'enseignement catholique
sur deux grands mystères. La formule en est simple,
facile à retenir, complète. C'est tout au plus si la
comparaison du verset 35 laisse à désirer ; car s'il
est vrai que l'union de l'âme et du corps fait un
homme, il n'y a qu'une seule nature dans l'homme ;
1. Brev. rom., Prime; Denzinger, Enohiridion, n. i35-i38. —
a. History of the creeds, 3e édit., 1S&7, p. a5g sq. — 3. Dogmen-
geschichte, t. m, p. 270. — 4. Diction, de Théologie, t. 1, goI.
S180-2181. — 5. Revue bénédictine, 1901, t. xvm, p. 33q.
SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE I27
tandis qu'en Jésus-Christ l'union de Dieu et de
l'homme laisse subsister les deux natures.
Dom Morin a raison de relever l'accent pratique
de ce symbole ; car le Quicumque met le chrétien en
face du salut, avec la double perspective de la vie
éternelle, s'il est fidèle à la foi et aux bonnes œuvres,
et du feu éternel, s'il ne croit pas et commet le
mal. Aussi ne faut-il pas s'étonner que, pendant
longtemps, ce symbole de foi ait fait partie de
l'enseignement catéchétique dans l'Eglise, comme
nous l'avons indiqué dans l'histoire du catéchisme :
il se prêtait trop bien à faciliter la tâche du catéchiste
et l'effort de mémoire du catéchisé. Gomme le sym-
bole des apôtres et le symbole de Gonstantinople, il
devrait être appris par cœur et fréquemment récité
par les enfants et les fidèles.
2° Origine du Quicumque
1. Ce symbole, chose curieuse, se trouve sans
titre dans les manuscrits du vin0 siècle, tandis que,
dans ceux du ix°, il est désigné de différentes
manières, tantôt sous le nom de Foi catholique,
tantôt sous celui de Foi de saint Athanase, de Foi
catholique de saint Athanase, etc. (i). C'est le nom de
Tévêque d'Alexandrie qui reparaît le plus souvent,
et c'est à saint Athanase que ce symbole a été long-
temps attribué. On comprend, en effet, que les
écrivains ecclésiastiques, pour lesquels la paternité
littéraire d'une œuvre était d'importance secondaire
au moyen âge, aient songé, en présence d'un
document si original sur la Trinité et l'Incarnation,
à l'attribuer au grand adversaire de l'arianisme auive
siècle. Mais aujourd'hui la critique est plus exigeante
1. Burn, The athanasian creed, Cambridge, 1896, p. liy.
128 LE CATÉCHISME ROMAIN
et se refuse avec raison à reconnaître saint Athanase
pour l'auteur du Quieumque. Elle va même plus loin
et elle écarte l'Orient comme la patrie de ce symbole.
2. Les Grecs, en effet, ne l'ont connu que fort
tard. Les divers textes qu'ils en possèdent ne con-
cordent pas entre eux et portent tous les caractères
d'une traduction (i). Au reste, la procession du
Saint-Esprit du Père et du Fils, l'égalité parfaite
des trois personnes divines affirmée à plusieurs re-
prises, et la saveur augustinienne de toute cette
théologie sont autant d'indices que l'œuvre n'est
pas d'un auteur grec (2). Elle est donc d'un auteur
latin. Mais lequel? Et de quel pays? C'est ce qu'exa-
mine minutieusement M. Tixeront (3).
3. La date de sa composition reste un peu flot-
tante. Vraisemblablement il n'a pas été composé
avant le ve siècle ; du moins on n'en possède pas
de preuve positive. Mais l'examen de son contenu
et ses formules révèlent quelques points de contact
avec les procédés et les expressions de saint Augus-
tin, particulièrement les versets 8-18. C'est Augus-
tin, en effet, qui, le premier, a formulé nettement
la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils. En
outre l'Apollinarisme est visé et condamné au ver-
set 3o. Ce symbole daterait donc au plus tôt de 420
à 43o. Et si l'hérésie de Nestorius, condamnée au
concile d'Ephèse, en 43 1, et celle d'Eutychès, ana-
thématisée au concile de Chalcédoine, en 45i, sem-
blent avoir motivé l'insertion des versets 32-35, il
ne faut pas oublier que cette double erreur se trouve
réfutée par avance dans les œuvres de l'évêque
d'Hippone ; il est également vrai qu'on pourrait re-
1. Montfaucon, Diatrib. in symb. Quieumque : Patr. gr.,
t. xxviii, col. 1567 SCL' — 2- Diction, de Théologie, loc. cit., col.
2182. — 3. Ibid.
SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE I29
trouver dans la doctrine augustinienne le fond et la
forme du développement christologique du Quicum-
que. Mais les principes épars dans les divers traités
de saint Augustin ne suffisent pas à expliquer
l'existence de ce développement christologique lui-
même ni surtout sa rédaction dans une formule
aussi précise.
L'auteur, quel qu'il soit, a dû évidemment obéir
à quelque grave raison pour proclamer la nécessité,
pour le salut éternel, de croire fidèlement à l'Incar-
nation de Notre-Seigneur comme au mystère de la
Sainte-Trinité. Etait-ce pour répondre au Monophy-
sisme, déjà latent dans l'Apollinarisme, ainsi qu'au
Nestorianisme, déjà en germe dans Leporius et Ju-
lien d'Eclane ? C'est possible. Mais, quoi qu'il en
soit, la formule du Quicumque semble devoir être
postérieure aux débats théologiques provoqués par
Nestorius etEutychès, ce qui nous reporte après 45i.
D'autre part, ce n'est qu'à partir du vu6 siècle
qu'on trouve des allusions à notre symbole ; et les
premières en date sont celles qu'on peut relever dans
certains passages du ive concile de Tolède, en 633,
étroitement apparentés avec certaines formules du
Quicumque (i). Saint Isidore de Séville,qui présidait
ce concile, fait mention de ce formulaire de foi dans
deux lettres adressées, l'une au duc Claudius, l'au-
tre à l'évêque Eugène (2). En Gaule, saint Léger,
présidant le concile d'Autun, vers 670, recommande,
ce symbole sous le nom de Fides Athanasii (3).
C'est donc avant le vnc siècle que le Quicumque a,
dû être rédigé. Or, au vie siècle, rien ne le rappellQ
mieux que le sermon ccxliv, inséré parmi les œu-
vres apocryphes de saint Augustin (4). Et si, comme
1. Hardouin, t. m, col. 579. — 2. Epist. vi, 4 ; vin, 3 ; Pair,
iat., t. Lxxxiu, col. go3, 908. — 3. Hardouin, t. iu, col. 1016.
— 4- Pair. lat.t t. xxxix, col. 2194.
LE CATÉCH1SMB. — T. I £
l30 LE CATÉCHISME ROMAIN
tout porte à le croire, ce sermon est de saint Césaire-
d'Arles (f 5^2), on peut fixer approximativement la
date de sa rédaction vers 537-5/|o. Sans doute la
comparaison de l'union de Dieu et de l'homme dans
la personne du Christ avec l'union de l'âme et du
corps dans la personne de l'homme est tombée en
défaveur après Eutychès ; mais ce n'est pas une rai-
son suffisante pour reporter la date du Quicumque,
où se trouve cette comparaison, avant l'Eutychia-
nisme ; car l'auteur de notre formulaire a fort bien
pu négliger ce détail pour conserver une comparai-
son qui paraissait lui offrir, sans blesser l'ortho-
doxie, une rédaction facile à être retenue.
4- La date étant ainsi approximativement déter-
minée, la question du lieu d'origine du Quicumque
offre moins de difficultés à résoudre ; car tout indi-
que la Gaule du sud-ouest, particulièrement le voi-
sinage d'Arles et de Lérins. En effet, en dehors du
ive concile de Tolède et de saint Isidore de Séville,
c'est surtout en Gaule que ce symbole est mentionné
et cité jusqu'au x° siècle. Il suffit de rappeler, pour
le ixe siècle, les noms célèbres de Théodulfe d'Or-
léans, de saint Benoît d'Aniane, de Florus et d'Ago-
bard de Lyon, d'Adalbert de Thérouane, de Réginon
de Prum, de Ratramne de Corbie, d'Enée de Paris,
de Riculfe de Soissons et d'Hincmar de Reims.
C'est en Gaule qu'ont été composés les premiers,
commentaires de notre symbole, car ils se retrou-
vent dans des manuscrits gallicans ; et c'est dans la
Gaule du sud-ouest, dans la région voisine de l'éve-
ché d'Arles et du monastère de Lérins.
A ce centre intellectuel, en effet, se rattache un
groupe d'écrivains ecclésiastiques très actifs pendant
le ve siècle et le commencement du vie, tous fami-
liers avec les ouvrages de saint Augustin, imbus de
sa doctrine, bien qu'ils n'acceptassent pas dans son
SYMBOLE DE SAliVJ>ATHANASE l3r
intégrité son enseignement sur le péché originel:
saint Honorât (f 429), saint Hilaire d'Arles (f 449),
saint Vincent de Lérins (f 45o), saint Eucher de
Lyon (f 45o), Fauste de Riez (j 493) et saint
Césaire d'Arles. Tous ces écrivains sont largement
tributaires de la théologie et de la terminologie de
l'évêque d'Hippone ; et entre le Quicumque, d'une
part, et les œuvres de saint Vincent, de saint Eu-
cher, de Fauste et de saint Césaire, d'autre part, les
rapprochements sont si curieux et si suggestifs que
c'est, à n'en pas douler, parmi ces écrivains qu'on
a chance de trouver le rédacteur anonyme du Qui-
cumque (1). Ne serait ce pas saint Césaire ?
5. C'est l'opinion, qui paraît justifiée, de M. Le-
jay. Dans une étude documentée sur le Rôle théolo-
gique de saint Césaire <X Arles (2), M. Lejay remarque
dans l'évêque d'Arles la tendance à condenser les
idées et à les fixer en formules brèves, l'habitude
de se répéter, qualités de l'instituteur qui cherche
à inculquer la doctrine dans la mémoire de ses au-
diteurs et à la faire retenir aussi facilement que pos-
sible. Il relève ensuite les caractères de son acti-
vité théoiogique. Examinant d'abord les Staiuta ec-
clesise antiqua (3), sorte de constitution ecclésiasti-
que, qui n'est pas à proprement parler un symbole,
c'est-à-dire une somme portative des dogmes, mais
plutôt une caution que l'Eglise prend vis-à-vis de
ceux qui aspirent à la gouverner, il étudie ensuite le
sermon ccxliv de l'appendice augustinien. Or ce
sermon « débute par des formules semblables à cel-
les du symbole qui porte le nom de saint Athanase
1. Cf. Tixeront, loc. cit., col. 2 182-21 85; D. Morin, Le sym-
bole d' Athanase et son premier lérnoin: S. Césaire d'Arles, dans
la Revue bénédictine d'octobre 1901, p. 347-363. — 2. Revue
d'histoire et de littérature religieuses, 1905, t. x, p. i52 sq.
■»- 3. Pair. lat. t. lvi, col. 879-880.
l32 LE CATÉCHISME ROMAIN
et a pour caractères généraux la brièveté et la préci-
sion du style, l'énergie pressante, l'autorité du ton,
l'affirmation de la nécessité de la foi pour le salut,
l'union de la foi et des œuvres. »
Comparant ce sermon avec la recension qu'en ont
donnée Caspari (i) et Burn (2), M. Lejay écrit: « Ces
homélies n'ont pas un symbole fixe pour point de
départ, mais elles tendent vers la rédaction d'un
symbole. Elles sont des essais successifs d'un chef
d'Eglise qui cherche, dans un esprit pratique, à four-
nir aux fidèles un abrégé du christianisme moins
sommaire que l'ancien symbole, pins compréhensif
et moins spécialisé que les formules conciliaires. »
Dans ce cas, les recensions de Caspari et de Burn
seraient les ébauches successives qui aboutissent au
sermon précité. Les trois documents s'emparent des
formules symboliques préexistantes, non pour les
expliquer, mais pour les incorporer et les complé-
ter, pour constituer une sorte de précis de la doc-
trine chrétienne, court à lire et facile à apprendre ;
ils forment comme les étapes, parcourues par saint
Gésaire, à la recherche d'un symbole. « Y aurait-il
une dernière étape qui serait le symbole mis sous le
nom d'Athanase ? Les recherches de Dom Morin
donnent à le penser... Les formules dogmatiques
qui ont été fixées pour des siècles dans le symbole
d'Athanase se retrouvent dans les homélies de Cé-
saire... Même insistance autoritaire, même relief
donné à la nécessité de la foi, même attention à dé-
finir la nature et les rapports des personnes divines,
la composition du Christ, la propriété de la chair
des hommes ressuscites, la certitude de la rétribu-
tion finale. Ces ressemblances n'auraient pas grande
1. Anccdota, Christiana, i883, t. 1, p. 283 sq. — 2. Zeitschrifl
far Kirchengeschichle, 1898, t. xix, p. 180 sq.
SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE l33
valeur, si elles se rencontraient séparément ; réu-
nies, elles valent une signature. Ajoutez à ces don-
nées internes la présence du Quicumque parmi les
œuvres de Césaire dans plusieurs recueils de prove-
nance artésienne. »
Quant au titre de notre document, il paraît bien
avoir été, dès l'origine : Fides cathollca sancti Atha-
nasii episcopi. Mais il ne saurait faire difficulté ; car
c'était l'habitude de Pévêque d'Arles de mettre en
tête de ses compilations le nom d'un Père (i). Aussi
M. Lejay croit-il pouvoir conclure par ces mots :
« La question me paraît résolue ; si les documents
représentent des états successifs d'une composition
de Césaire, on sera bientôt tenté de placer ÏAtha-
nasianum à la fin de la série (2). » Ainsi le fameux
symbole dit de saint Athanase serait l'œuvre de
saint Césaire d'Arles. Ce n'est qu'une hypothèse,
sans doute, mais il faut bien reconnaître qu'elle a
pour elle toutes les apparences de la réalité.
3° Son importance et son autorité
Ce symbole a vite acquis une importance excep-
tionnelle dans l'Eglise. Connu, cité, commenté tour
à tour, à partir du vne siècle, il a été imposé comme
un objet d'études aux membres du clergé, qui
étaient chargés de l'apprendre et de l'expliquer en
langue vulgaire aux fidèles. Il est devenu l'un des
éléments de l'enseignement catéchétique. Le concile
d'Autun, dont nous avons parlé, le recommandait
au clergé de la Gaule ; le concile de Cloveshow, en
747, prescrivait à tout prêtre d'Angleterre de savoir
par cœur, outre le Credo et le Pater, la Trinité,
1. Cf. D. Morin, ioc. cit., p. 362. — 2. Revue d'histoire, loc,
cit., p. 182.
l34 LE CATÉCHISME ROMAIN
c'est-à-dire le Quicumque pour l'expliquer dans la
langue du peuple (i).
Au ixe siècle, les prescriptions se multiplient qui
imposent aux clercs l'obligation de le savoir par
cœur, de le comprendre et de l'expliquer. Voir, en
particulier, le concile de Reims de 852 (2). On en
trouve même une explication en langue tudesque (3).
Vers le commencement du xe siècle, Réginon de
Prum, dans son Manuel des visites pastorales pour
les évêques, prescrit l'interrogation suivante :
<c Connaissez-vous le sermon d'Athanase sur la foi
de la sainte Trinité, qui commence par ces mots :
Quiconque veut être sauvé? Le savez-vous par
cœur? En comprenez-vous le sens? Pouvez-vons
l'expliquer en langue vulgaire (4) ? » Au siècle sui-
vant, saint Brunon, évêque de Wurtzbourg (f 1040),
publie pour son diocèse un commentaire catéchéti-
que du Pater, du Credo et de la Fides Athanasii (5).
Puis ce sont Abélard, saint Bernard, Alexandre de
Halès, Pierre d'Osma, qui en font de nouveaux
commentaires. Les théologiens l'utilisent, notam-
ment saint Thomas d'Aquin, dans sa Somme. C'est
dire la haute estime que tout le moyen âge a pro-
fessée pour ce symbole.
Mais il y a plus et mieux : l'Eglise l'a adopté
officiellement et en a fait une pièce liturgique, en
l'insérant dans son bréviaire. Déjà, au ixe siècle,
Hayton (f 836), d'abord abbé de Reichenau, puis
évêque de Baie, en imposait la récitation, chaque
dimanche, à l'heure de prime (6). Jean d'Avranches,
1. Can. 10; concile de Calchut, can. 2; Hardouin, t. m,
col. 1955, 2073. — 2. Patr. lat. t. cxxv, col. 773. — 3. Incerti
monachi Weissenburgensis Catechesis theoiisca sœculo IX0 cons-
■cripla, Hanovre, 1703. — 4- De eccles. discipl., 1, 85 ; Patr. lat.,
A. cxxxn, col. 191, — 5. Patr. lat., t. cxlii, col, 557-568. —
^. Patr. lat.. t. cxv. col. 11.
SYMBOLE DE SAINTATHANASE l35
archevêque de Rouen, mort en 1079 (1), et Ulrich
de Cluny (f 1087) (2), sont des témoins de cet usage
pour le xie siècle (3) ; c'est même tous les jours qu'il
se récite alors, à l'office de prime, dans les églises
ultramontaines, tandis qu'à Rome, d'après Amalaire,
diacre de Metz, on se contentait encore d'y réciter
le symbole des apôtres (4).
Or, dès la fin du xn° siècle ou dès le commence-
ment du xiii6, sous Innocent III, le Quicumque se
trouve dans le bréviaire de la cour romaine. Ce
bréviaire, adopté par les Frères-Mineurs et corrigé
pour leur usage avec l'approbation de Grégoire IX,
en 12/ii, fut vite populaire et fut à son tour adopté
par la cour romaine sous Nicolas III. « Le bréviaire
de la Curie, ou bréviaire d'Innocent III, écrit Mgr
Batiffol, était devenu le bréviaire des Mineurs ou
bréviaire de Grégoire IX. Le bréviaire de Grégoire
IX avait été popularisé dans toute la chrétienté par
les Mineurs. Avec Nicolas III, le bréviaire des
Mineurs devenait, non plus seulement le bréviaire
de la Curie, mais bien le bréviaire de l'Eglise
romaine (5). »
Actuellement encore, malgré les diverses modifi-
cations qu'il a subies dans la suite des temps, notre
bréviaire renferme le Quicumque ; et ce symbole se
récite chaque dimanche, à prime, quand l'office est
du dimanche, à l'exception des dimanches de Pâques,
de la Pentecôte et de ceux qui se trouvent dans
l'octave de la Noël, de l'Epiphanie, de l'Ascension
et de la Fête-Dieu.
Ainsi donc le Quicumque, tour à tour objet d'é-
tude pour le clergé, thème catéchétique pour l'ins-
1. De ojf. eccles. 5. ; Patr. lat., t. cxlvii, col. 29. — 2. Co/i-
suet., 1, 3 ; Patr. lat., t. cxux, col. 646. — 3. M»* Batiffol, Histoire
du Bréviaire romain, Paris, i8g3, p. i83. — 4. De offlc. eccles,
iv, 2 ; Patr. lat.t t. cv, col. 1168. — 5. Loc. cit., p. ao3.
l36 LE CATÉCHISME ROMAIN
truction des fidèles, partie officielle de la prière pu-
blique, a l'autorité d'un chant d'Eglise, d'une œu-
vre liturgique, d'un symbole proprement dit : c'est
une règle de' foi. Luther s'est demandé si, depuis
les Apôtres, rien de plus important et de plus ma-
gistral a jamais été écrit. Et les anglicans l'ont in-
séré dans leur livre de la prière commune.
Leçon Iir
Les Professions de foi
I. Les professions de foi : 1° d'Hormisdas. —
2° de Léon IX. — 3° de Clément IV.— 4° d'Eu-
gène IV. — 5° de Grégoire XIII. — 6° d'Urbain
VIII et de Benoît XIV. — 7° d'Innocent III. —
II. La profession de foi de Pie IV : 1° Date. —
2° Texte. — 3° Usage.
I. Les Professions de foi
Outre les symboles, dont il vient d'être ques-
tion, celui des apôtres, dont on se sert dans
la liturgie baptismale, celui de Nicée-Cons-
tantinople, que l'on chante à la messe, et celui de
saint Athanase, qui se récite à prime, à l'office du
Dimanche, l'Eglise, aux premiers siècles, en a compté
d'autres. Chaque grande Eglise, en efïet, usait d'une
formule abrégée de la foi pour la collation du bap-
tême. Rome, Aquilée,Ravenne, l'Afrique, l'Espagne,
la Gaule, en Occident; Césarée, Antioche, Jérusalem,
en Orient, avaient une profession de foi baptismale,
dont les termes n'étaient pas identiques (i). Toutes
i. Denzingcr,n. i-i3; cf. ïlahn, Bibliothek der Symbol, S 33-47-
l38 LE CATÉCHISME ROMAIN
ces formules particulières sont tombées en désué-
tude et ont été remplacées par le symbole des apô-
tres et le symbole de Nicée-Gonstantinople.
Or, concurremment avec les trois symboles défi-
nitivement consacrés par l'usage, diverses profes-
sions de foi ont été utilisées dans des cas particuliers.
Dans la suite de son histoire, en effet, l'Eglise s'est
trouvée plus d'une fois en face du schisme et de
l'hérésie. Elle ne s'est pas simplement bornée à les
combattre, soit pour maintenir son principe d'auto-
rité et sa constitution divine, soit pour sauvegarder
dans son intégrité et sa pureté le dépôt de la foi,
elle a dû encore prendre des dispositions d'ordre
pratique pour admettre de nouveau les schismatiques
ou les hérétiques qui, convaincus de leurs torts ou
de leur erreurs, demandaient à rentrer dans son
sein. De là des cérémonies d'abjuration et de récon-
ciliation ; de là aussi certaines professions de foi,
imposées aux convertis : nous ne signalerons que
les principales.
1° Profession de foi d'Hormisdas
La première en date est celle que le pape Hormis-
das (5 1 4-5 2 3) imposa, en 519, aux évêques orientaux
qui avaient pris part au schisme d'Acace (1). Déjà,
au concile de Constantinople de 38 1, on avait rédigé
un canon, le troisième, pour attribuer au siège de
Constantinople un rang à part, immédiatement
après celui du siège de Rome et avant ceux des
sièges patriarcaux ; Gontantinople, en effet, était
devenue Tune des capitales de l'empire et passait
pour une Rome nouvelle, qui devait posséder au
point de vue religieux des privilèges exceptionnels»
1. Denzinger, n. i£i.
PROFESSION DE FOI D IIORMISDAS IjQ
Mais ce canon, bien qu'il n'accordât au siège de
Constantinople qu'une distinction d'honneur sans
juridiction, était gros de conséquences; aussi ne
fut-il reconnu ni par le pape saint Damase ni par
ses successeurs immédiats. Il n'en demeura pas
moins chez les Grecs l'expression de cette idée que
l'évêque de la résidence impériale devait être, sinon
l'égal de l'évêque de Rome, du moins le supérieur
des grands sièges d'Alexandrie et d'Antioche dont
les droits de primatie avaient déjà été officiellement
proclamés au concile de Nicée. Or, cette simple dis-
tinction d'honneur n'était point pour satisfaire
l'ambition de la plupart des successeurs de saint
Grégoire de Nazianze et de saint Jean Chrysostome
sur le siège de Constantinople. De leur part quelques
empiétements de juridiction eurent lieu tant sur le
territoire des patriarcats voisins que sur les dépen-
dances du siège de Rome, notamment en Illyrie ;
et Théodose le jeune eut le tort de les consacrer par
des lois, qu'il dut abroger dans la suite sur les
réclamations du pape (i).
Mais la question était posée, l'honneur n'allant
pas sans une juridiction correspondante, et l'on
sait dans quel sens elle fut résolue au concile de
Chalcédoine, en 45 1. A la session xv°, en effet, en
l'absence des légats du Souverain Pontife et d'un
grand nombre de Pères, cent quatre vingt quatre
évêques rédigèrent un nouveau canon, le vingt-
huitième, pour confirmer celui du concile de Cons- ;
tantinople et reconnaître à l'évêque de Constanti- \
nople le premier rang après l'évêque de Rome et |
une juridiction patriarcale effective. Les légats pro-
testent ; le pape saint Léon le Grand (44o-46i) con-
damne expressément ce canon ; l'empereur et l'évê-
i. Cod. theod., XVI, tit. n, 1. 45.
i/io LE CATÉCHISME ROMAIN
que de Constantinople cèdent aussitôt. Mais, peu
après, Acace, étant monté sur le siège de la cité
impériale, invoque le canon condamné par le pape,
le fait confirmer par un édit de l'empereur et, fort
d'un tel droit usurpé, en use au détriment des au-
tres patriarches d'Orient ; malgré le pape, il provo-
que l'édit d'union avec les Monophysites et finale-
ment se révolte contre l'autorité du Saint-Siège. Ce
ne fut là, il est vrai, qu'un schisme éphémère, puis-
que les successeurs immédiats de l'évêque révolté
sollicitèrent leur reconnaissance de Rome ; mais
Rome n'intervint que sur des instances réitérées,
en 519, sous l'empereur Justin. C'est alors que le
pape Hormisdas proposa aux orientaux une profes-
sion de foi, qui proclamait la nécessité de la com-
munion avec le siège de Pierre ; cette profession
fut acceptée en Orient, signée par les évêques et re-
çue par les conciles ; elle resta même la formule
officielle pour la condamnation des diverses héré-
sies jusqu'au huitième concile œcuménique inclu-
sivement, c'est-à-dire jusqu'au quatrième concile
de Constantinople de 869, où elle fut souscrite par
tous les membres de l'assemblée, qui condamna
Photius.
2° Profession de foi de Léon IX
Le schisme grec, finalement consommé par Pho-
tius, au ixe siècle, trouve des patriarches complai-
sants et intéressés pour entretenir la discorde et
élargir le fossé de séparation entre l'Eglise grecque
et l'Eglise latine, entre autres Nicolas Chysoberges,
en g3o, Sisinnius, en 995, Sergius, en 999, et sur-
tout Michel Cérulaire, en io43. Les griefs contre
l'Eglise latine s'accumulèrent comme à plaisir ; la
question de juridiction ne masquait plus les diver-
PROFESSION DE FOI DE CLEMENT IV 1^1
gences liturgiques et doctrinales : consécration du
pain azyme, jeûne du samedi, baptême par une
seule immersion, célibat imposé au prêtres, etc.
L'ancien évêque de Tout, Brunon, devenu pape sous
le nom de Léon IX (io48-io54), réfuta les princi-
pales de ces objections dans une lettre au patriarche
de Gonstantinople (i) ; et il indiqua à Pierre d'An-
tioche le symbole de foi que devaient souscrire ceux
qui voudraient rentrer en communion avec l'Eglise
latine. Ce symbole contient une profession de foi ex-
plicite sur chacun des articles déjà définis, particu-
lièrement sur la procession du Saint-Esprit a Pâtre
et Filio, une reconnaissance formelle de l'Eglise ca-
tholique, et l'acceptation pleine et entière des sept
premiers conciles œcuméniques. Ce symbole de foi
est celui qui, aujourd'hui encore, sert, sous forme
de questions, à l'examen des évêques, avant leur
consécration épiscopale (2).
3° Profession de foi de Clément IV
Lorsque, plus tard, se manifestèrent, chez les Grecs,
des velléités de retour à l'unité, la formule à sous-
crire était toute prête. Toutefois, en 1267, le pape
Clément IV (1265-1268) jugea bon de la compléter.
Il ajouta, en effet, au symbole de Léon IX ce que
l'Eglise latine croit relativement au purgatoire, aux
suffrages des fidèles, au sacrifice de la messe, aux
bonnes œuvres, aux sept sacrements, à la souve-
raine autorité et à la primatie de l'Eglise romaine,
aux appels en cours de Rome (3). Michel Paléologue
finit par souscrire ce document au concile généra!
de Lyon, en 1274 ; mais il n'entraîna pas l'Orienl à
sa suite.
1. Denzinger, n° 289-291. — 2. Denzinger, n° 292-297. — <
3. Denzinger, n° 383-389.
I/J2 LE CATÉCHISME ROMAIN
4° Profession de foi d'Eugène IV
Les Grecs s'entêtèrent encore dans leur schisme
pendant près> de deux siècles. Mais, à l'époque du
concile de Florence, un grand mouvement de re-
tour vers l'unité se prononça. Ce furent d'abord le
patriarche de Gonstantinople, les délégués des trois
patriarches, plusieurs métropolitains et l'empereur
Jean Paléologue qui se présentèrent pour traiter de
l'union des deux Eglises. On discuta les points con-
troversés. Les Latins admirent les prétentions des
Grecs au sujet du siège de Constantinople et lui re-
connurent le premier rang après celui de Rome ;
de leur côté, les Grecs se soumirent sur toutes les
autres questions. Alors Eugène IV (i43 1-1^47) pu-
blia la bulle célèbre Lœtentur cœli et exultel terra (1),
où sont consignés tous les points réglés d'un com-
mun accord, notamment celui de la pleine puis-
sance du Pontife romain ; cette pièce fut signée le
6 juillet 1 439.
La même année survinrent des députés arméniens,
un peu plus tard des députés jacobites, puis des
députés syriens, représentant des Eglises séparées
depuis les querelles du Monophysisme. Tous
acceptèrent les vues de Rome, et le pape rédigea
trois décrets d'union, qui précisaient les solutions
admises et l'exposition de la foi orthodoxe que
devaient désormais professer ces schismatiques.
C'étaient, en faveur des Arméniens, la bulle Exultate
Deo, du 22 novembre i63g (2) ; en faveur des Jaco-
biles, la bulle Cantate Domino, du 4 février i442 (3);
en faveur des Syriens, la bulle Multa et admirabilia,
du 3o septembre i444-
1 . Denzinger, n° 586-589- — a. Ibid., n. 590-597. — 3. Ibid,9
n. U98-60G.
PROFESSION DE FOI DE GREGOIRE XIII l43
En même temps étaient admis, par le décret
Benedictus sitDeus, du mois d'août i445, des chré-
tiens de l'île de Chypre, groupe de Chaldéens nés-
to riens et de Maronites monothélites. Moment vrai-
ment solennel dans l'histoire de l'Eglise que celui
de ce retour général et officiel de l'Orient à l'unité,
mais trop beau pour pouvoir durer. On comprend
les expressions d'allégresse dont le Pape se servit
pour célébrer ce triomphe de l'orthodoxie et de
l'union. L'expérience d'un passé déjà long ne sem-
blait pourtant pas autoriser de longs espoirs. Et, en
fait, à part quelques Eglises isolées qui restèrent
fidèles à leur serment, l'Orient, en grande partie,
retomba dans le schisme.
5° Profession de foi de Grégoire XIII
Depuis lors, cependant, l'Eglise grecque a essayé
encore à trois reprises de secouer sa torpeur et de re-
prendre, à l'exemple du prodigue, le chemin vers la
maison dupère de famille. Ce fut, au xvie siècle, sous
le pontificat de Grégoire XIII (i572-i585). Ce pape,
par la constitution 5i Sanctissimus Deus noster (i),
mit pour condition l'acceptation d'une profession
de foi, dans laquelle, outre le symbole de Nicée-
Constantinople et les décrets d'union du concile de
Florence, se trouve l'enseignement formulé par le
concile de Trente, tel que Pie IV l'a résumé.
6° Profession de foi d'Urbain VIII
et de Benoît XIV
Au début du pontificat d'Urbain YIII (i623-i644),
i. Ibid. n. 868-872.
I A4 LE CATÉCHISME ROMAIN
nouvelle tentative d'union, nouvelle obligation
imposée aux schismatiques grecs d'accepter la
formule de foi prescrite par le pape ; au xvme siècle,
dernier essai, sans lendemain comme les autres.
Benoît XIV '(17/10-1758) reprend les formulaires de
Grégoire XIII et d'Urbain VIII. Sa profession de foi,
publiée par la constitution Nuper ad nos, insère la
liste détaillée des huit premiers conciles œcuméni-
ques et des erreurs qui y furent condamnées, et
ajoute à ce qui est emprunté aux conciles de Flo-
rence et de Trente une formule accentuée de
soumission et d'obéissance « au Pontife romain,
successeur du bienheureux Pierre, prince des Apô-
tres et Vicaire de Jésus-Christ (1). »
7° Autres professions de foi
Indépendamment de ces diverses professions de
foi, motivées par les circonstances et de plus en plus
détaillées chaque fois qu'il s'est agi de la réunion de
l'Eglise grecque à l'Eglise latine, d'autres ont visé
plus particulièrement les cas de certains chrétiens
suspectés d'hérésie ou formellement hérétiques.
Durant les controverses qui ont rempli le ive et le
ve siècles, combien de formulaires de foi ne vit-on
pas paraître, soit de la part des orthodoxes, soit
surtout de la part des partisans d'Àrius et de Macé-
donius, de Nestorius et d'Eutychès. D'autre part,
dans la discipline ecclésiastique s'introduisit l'usage
de n'admettre à la communion les divers hérétiques
qu'après une abjuration formelle de leurs erreurs.
Quelques personnages, en particulier, tels
qu'Abélard et Bérenger, furent mis en demeure,
sous peine d'excommunication, d'émettre une pro-
l, Denzinger, n, 873-879,
PROFESSION DE FOI DE PIE IV l/j5
fession de foi qui, condamnant expressément les
idées hétérodoxes dont ils étaient accusés, leur
permit de rester dans l'Eglise. De telles précautions
n'étaient prises que dans le but de sauvegarder la
foi des fidèles et de maintenir la paix et l'union.
Or ce que l'on avait fait pendant les premiers
siècles vis-à-vis des sectes si nombreuses à cette
époque de luttes doctrinales, on continua de le faire
pendant le moyen âge. Innocent III (n 98-1 216)
imposa ainsi une profession de foi aux Vaudois qui
sollicitaient leur admission dans l'Eglise (2). Dans
la suite, quand il s'agit de réconcilier les partisans
de Wiclef, de Jean Hus, de Luther et de Calvin, une
abjuration préalable de l'erreur et une acceptation
formelle de la foi catholique furent exigées. Et de
nos jours encore, c'est ce qui a lieu pour la récon-
ciliation et l'admission des hérétiques. En pareil
cas, le Rituel indique, soit la profession de foi de
Pie IV, dont nous allons parler, soit une formule
plus courte, mais essentielle, celle du Saint Office.
IL La profession de foi
de Pie IV
L'Eglise a fait autre chose encore, mais cette fois
vis-à-vis de ses enfants légitimes, laïques ou ecclé-
siastiques, dès qu'il s'est agi de leur confier un rôle
important, une charge, une fonction, un office, ou
même de leur conférer simplement quelques hon-
neurs particuliers : elle a cru utile et nécessaire de
s'assurer d'avance de leur parfaite orthodoxie, et,
pour cela, de leur faire faire une profession de foi
1. Ibid., n. 366-373.
M CATHÊCHISME. — T. I. \Q
l46 LE CATÉCHISME ROMAIN
détaillée portant sur l'ensemble de la doctrine
chrétienne. Depuis le concile de Trente, c'est la
profession de foi de Pie IV qui, d'après le Droit
canonique, doit être faite solennellement par tous
ceux qui sont revêtus d'une dignité ou d'une charge
ecclésiastique.
1° Date et objet
Rédigée par ordre de Pie IV (i55g-i565), à la
suite des décrets du concile de Trente, et pu-
bliée par la constitution Injwicliim nobis de i564,
cette profession de foi est beaucoup plus explicite
et plus détaillée que les divers symboles. Elle exige
une adhésion ferme au symbole, à la tradition, aux
règlements et constitutions de l'Eglise, à l'Ecriture
sainte interprétée par l'Eglise, aux sept sacrements
et à leurs rites, aux définitions et aux déclarations
du concile de Trente sur le péché originel et la jus-
tification, sur le sacrifice de la messe et la trans-
substantiation, sur l'existence du purgatoire et les
suffrages des fidèles, sur l'invocation des saints, le
culte des reliques et des images, les indulgences ;
soumission formelle à l'Eglise et au Pontife ro-
main, aux décrets des conciles, avec promesse et
serment de rester fidèle à la foi catholique, de la
faire observer et de l'enseigner. Après le concile du
i Vatican, sur un décret de la Congrégation du Con-
cile, du 20 janvier 1877, on y a inséré vers la fin
quelques mots relatifs au primat et à l'infaillibilité
du Pape. La voici dans sa teneur.
20 Texte de la profession de foi de Pie IV
Ego N. firma fide credo et profitcor omnia et singula quae
continentur in Symbolo fidei, quo sancta Romana Eccle-
PROFESSION DE FOI DE PIE IV 1/^J
sia utitur, videlicet : Credo in unum Deum Patrem om-
nipotentem... (Suit tout le symbole de Nicée-Constantinople) .
Apostolicas et ecclesiasticas traditiones, reliquasque
ejusdem Ecclesiae observationes et constitutiones firmis-
sime admitto et amplector.
Item sacram Scripturam juxta eum sensum, quem
tenuit et tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare
de vero sensu et interpréta tione sacrarum Scripturarum,
admitto ; nec eam unquam nisi juxta unanimem consen-
sum Patrum accipiam et interpretabor.
Profiteor quoque septem esse vere et proprie Sacra—
mentanovselegis, a Jesu-Christo Domino nostro instituta
atque ad salutem humani generis, licet non omnia sin-
guiis necessaria, silicet : Baptismum, Confîrmationem,
Eucharisiiam, Paenitentiam, Exlremam Unctionem, Or-
dinem et Matrimonium ; illaque gratiam conferre, et ex
his Baptismum, Confîrmationem et Ordinem sine sacrile-
gio reiterari non posse. Receptos quoque et approbatos
Ecclesiae Catholicœ ri tus, in supradictorum omnium sacra-
mentorum solemni administratione, recipio et admitto.
Omnia et singula quse de peccato briginali et de justifi-
catione in sacrosancta Tridentina Synodo definita et de-
clarata fuerunt amplector et recipio.
Profiteor pariter in Missa ofîerri Deo verum, proprium
t\f propitiatorium sacrifîcium, pro vivis et defunctis ; at-
que in sanctissimo Eucharistiae Sacramento esse vere,
realiter et substantialiter Corpus et Sanguinem una cum
anima et divinitate Domini nostri Jesu Christi, fieriquô
conversionem totius substantiœ panis in Corpus et totius
substantiœ vini in Sanguinem, quam conversionenii
Çatholica Ecclesia Transsubstantiationem appellat. Fateor
etiam sub altéra tantum specie totum atque integrum
Christum, verumque Sacramentum sumi.
Gonstanter teneo Purgatorium esse, animasque ibi
detentas fidelium suffragiis juvari ; similiter et Sanctos
una cum Christo régnantes venerandos atque invocandos-
esse ; eosque orationes Deo pro nobis offerre ; atqu&
eorum reliquias esse venerandas. Firmissime assero ima-
gines Christi ac Deiparœ semper Yirginis, nec non alio-
l/|8 LE CATÉCHISME ROMAIN
rum sanctorum habendas et retinendas esse, atque eis
debitum honorem ac venerationem impartiendam. Indul-
gentiarum eliarn potes ta tem a Christo in Ecclesia relio
tam fuisse; illarumque usum christiano populo maxime
salutarem esse" affirmo.
Sanctam, Catholicam et Apostolicam Romanam Eccle-
siam, omnium Ecclesiarum matrem et magistram
agnosco. Rornano Pontifici, beati Pétri apostolorum
principis successori ac Jesu Ghristi vicario, veram obedien-
tiam spondeo ac juro.
Caetera autem omnia a sacris canonibus et œcumenicis
conciliis, ac prœcipue a sacrosancta Tridentina Synodo,
et ab œcumenico concilio Yaticano tradita, definita, et
declarata, prausertim de Romani Pontificis Primatu et
infallibili Magisterio, indubitanter accipio atque profiteor;
simulque contraria omnia, atque haereses quascumque ab
Ecclesia damnatas, rejectas, et anathematizatas, ego pari-
ter damno, rejicio et anathematizo.
Hanc veram Catholicam fidem, extra quam nemo salvus
esse potest, quam in praesenti sponte profiteor et veraci-
ter teneo, eamdem integram et inviolatam usque ad extre-
mum vitaB spiritum, constantissime, Deo adjuvante, reti-
nere, et confiteri, atque a meis subditis, vel illis quorum
cura ad me in munere meo spectabit, teneri, doceri et
praedicari, quantum in me erit, curaturum. Ego idem N.
spondeo, voveo, ac juro. Sic me Deus adjuvet, et haeo
sancta Dei Evangelia. »
3° Son Usage
D'après la jurisprudence canonique, sont tenus
de réciter publiquement et solennellement cette
profession de foi :
i. Les patriarches, les primats, les archevêques
et les évêques, au premier synode provincial auquel
ils assistent, sous peine d'être dénoncés à Rome,
s'ils s'y refusent (i).
i. Conc. Trid, sess. xxv, cap. n, de réf.; Const. Quos aposto-
licis de Grégoire xiv (i 590-1 591), du i3 mars 1591.
PROFESSION DE FOI DE PIE IV ity
2. Tous ceux qui sont pourvus d'un bénéfice avec
charge d'âmes, d'un canonicat ou d'une dignité
dans une église cathédrale, et cela dans les deux
mois après la prise de possession (i) ; ceux qui sont
pourvus d'un bénéfice avec charge d'âmes doivent
la faire devant l'évêque ou son vicaire général ;
les chanoines et dignitaires, également devant
l'évêque ou son vicaire général, et de plus devant
le Chapitre, mais cette dernière suffît, si l'évêque
ou son vicaire général assiste au Chapitre (2).
3. Les prélats régulièrement préposés au gouver-
nement des monastères, des couvents, des maisons
et autres lieux qui appartiennent à des ordres reli-
gieux et militaires (3).
[\. Les Docteurs, maîtres d'école, lecteurs, profes-
seurs d'arts libéraux et de grammaire, qu'ils soient
laïques ou ecclésiastiques (/j).
5. A Rome, d'après le concile romain de 1825,
et dans quelques diocèses, sont également tenus à
faire cette profession de foi tous ceux qui sont pour-
vus d'un bénéfice quelconque, même simple ; par
exemple, les vicaires généraux, les vicaires forains,
les procurateurs et promoteurs du fisc épiscopal, le
chancelier, les prédicateurs nouveaux, même régu-
liers, les nouveaux confesseurs ; ceux qui ensei-
gnent la théologie, la philosophie, le droit canon
ou le droit civil, les arts libéraux, la grammaire, et
ceux qui exercent la médecine et la chirurgie.
Telle quelle, cette profession de foi de Pie IV est
actuellement, dans l'Eglise, la profession de foi la
plus détaillée qui existe. Elle constitue un docu-
ment de première importance, sommaire abrégé
des principaux points de l'enseignement catholique.
1. Conc. Trid.. sess. xxiv, cap. xn de réf. — 2. Gangr.
Conc., 25 janvier et 9 février 1726- — 3. Injunctam nobis, de
Pie IV. — 4- In sacrosancta, de Pie IV.
Leçon IVe
Immutabilité et Progrès
I, Immutabilité : 1° La révélation est complète
depuis les apôtres. — 2° La règle de foi dans
les premiers siècles. — 3° La doctrine de saint
Vincent de Lèrins. — 4° L'enseignement du
Vatican. — II. Progrès : 1° Son objet. '- 2° Ses
caractères. — 3° Sa marche. — 4° Ses limites.
I. Immutabilité
Un simple coup d'œil jeté sur le texte de nos
symboles et de la profession de foi de Pie IV
suffit pour constater la différence sensible qui
existe entre eux. Les vérités, qui leur sont commu-
nes, y sont exprimées d'une manière de plus en plus
claire, précise et complète ; et d'autres vérités s'y
trouvent explicitement formulées. Les articles de foi,
en effet, y ont subi un accroissement notable. Mais
qu'est-ce à dire? L'objet de la foi ne se serait-il pas
étendu, avec la marche du temps et les progrès
scientifiques, dans des proportions imprévues ? Et,
dans ce cas, est-ce bien l'enseignement donné aux
apôtres par Jésus Christ? Ne serait-ce pas plutôt unei
doctrine nouvelle, cadrant, si l'on veut, avec la foi
primitive, mais surajoutée du dehors, soit à l'aide
IMMUTABILITÉ l5l
du travail humain, soit au moyen de révélations
récentes, comme cela s'était produit depuis Adam
jusqu'à Notre Seigneur ?
La question vaut la peine d'être examinée de près
pour dissiper bien des équivoques dans l'esprit de
nos contemporains (i) ; d'autant plus que, parmi
les incrédules, s'il en est qui accusent l'Eglise d'être
complètement immobilisée et comme figée dans sa
foi, en dehors de tout progrès, sinon en contradic-
tion formelle avec l'épanouissement nécessaire et
constant de la raison, d'autres, au contraire, lui font
le reproche d'innover en matière de doctrine et de
mettre sur le compte de la révélation divine des
vérités d'ordre purement humain, de telle sorte que
l'enseignement catholique ne ressemblerait ni plus
ni moins qu'à une doctrine, qui sans doute peut
avoir pour base et pour point de départ l'enseigne-
ment apostolique, mais qui est toujours en train de
se modifier, d'évoluer, de s'adapter aux progrès de
la science et aux exigences de la pensée humaine,
o'est-à-dire de changer.
Les uns nous reprochent de rester immobiles.
i. S. Vincent de Lérins, Commonitorium ; Patr. lai., t. l;
S. Thomas, Sum. theol, JIa IIœ , Q. i, a. 7 ; Bossuet, Avertisse-
ments aux protestants ; Moehler, La symbolique, trad. franc.,
Paris, i853 ; Newman, Essay on the développement of Christian
doctrine, trad. franc., Paris, i848 ; Franzelin, De divina
traditione et Scriptara, Rome, 1870 ; 3* édit., Rome, 1882 ;
Prunier, Evolution et immutabilité, Paris, 1898 ; De la
Barre, La vie du dogme, Paris, 1898 ; Bainvel, Le dogme et la
pensée catholiques, dans les Etudes, Paris, 1900, t. lxxxii,
p. 3o sq ; Vacant, La constitution Dei Filius, Paris, 1895 ; L. de
Grandmaison, L'élasticité des formules dogmatiques, dans les
Etudes, 1898, t. lxxvi, p. 3£o sq ; E. Portalié, Le dogme et
l'histoire, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 190^
p. G2-143 ; Pcrriot, Développement du dogme catholique, dans le
Dictionnaire de Jaugey, Paris, 1888 ; Didiot, Cours de théologie
caUwl'que, 1891-18^2.
102 LE CATECHISME ROMAIN
Nous leur répondons : constatez nos progrès ; la
parole divine est reçue par des intelligences humai-
nes, mais elle y devient une vérité de mieux en
mieux connue, une pensée qui vit ; nous avons une
idée de la vérité révélée de plus en plus nette ; nous
l'entendons, nous la connaissons, nous l'expliquons
d'une manière de moins en moins imparfaite ; il y a
du mouvement dans les propositions dogmatiques,
qui font passer certaines vérités de l'état implicite
à l'état explicite ; il y en a dans la science théologi-
que, qui ne cesse de s'élaborer et de se perfection-
ner ; il y en a dans la vie catholique, qui s'épa-
nouit pratiquement en œuvres toujours plus fé-
condes.
Soit, répliquent les autres ; mais alors vous violez
votre principe de l'immutabilité doctrinale ; vous
innovez, et votre catholicisme n'a guère plus rien
qui ressemble au christianisme primitif. Nous répon-
dons à ces derniers : notre progrès n'est pas une
innovation d'importation étrangère ; il est conforme
à tout principe vivant ; il suit sa propre loi, qui est
une loi de vie ; il est normal.
D'autre part, il se rencontre quelques catholiques
de bonne foi qui, sans tomber dans ces extrêmes,
n'entendent pas d'une façon satisfaisante l'ensei-
gnement de l'Eglise sur ce point et, faute d'avoir
une idée exacte de la révélation, du développement
doctrinal ou de la nature des définitions dogmati-
ques, s'imaginent à tort que l'objet de la foi ne va
sans cesse s'élargissant que par des additions oppor-
tunes ou nécessaires, dues à de nouvelles révélations
divines, de sorte que si la foi du xxe siècle se trouve
plus riche que la foi des premiers siècles, c'est
grâce à des vérités nouvelles, étrangères à la révé-
lation évangélique, mais légitimement notifiées par
l'Eglise sous la direction du Saint-Esprit.
IMMUTABILITÉ l53
Il convient donc de répondre aux uns et aux au-
tres, car tout autre est la réalité.
1° La révélation est complète depuis
les Apôtres
Sans doute, conformément à la vérité historique,
l'Eglise admet qu'avant l'ère chrétienne, il y a eu
un progrès réel dans la notification de la doctrine
religieuse et un accroissement numérique des véri-
tés révélées. Elle constate, en effet, que des origines
du monde à l'avènement du Messie, il y a eu des
révélations partielles, successives, de plus en plus
développées; car Dieu n'a jamais laissé l'humanité
sans lui communiquer, selon les desseins de sa pro-
vidence, les vérités religieuses. Au sein même du
paradis terrestre, Dieu instruisit notre premier
père ; et quand Adam eût prévariqué, il lui parla
encore pour lui faire entrevoir, 'dans un lointain
mystérieux, le pardon, le rachat, le relèvement. Il
déposa ainsi dans le cœur de l'homme un germe
précieux de foi et d'espérance, qui devait se déve-
lopper jusqu'à la plénitude des temps. Et de peur
qu'au contact de l'idolâtrie, le souvenir n'en vînt
à s'effacer ou à se corrompre, il eut soin de le ravi-
ver, de le rappeler, de l'accentuer en termes de
moins en moins voilés, de plus en plus précis. Pour
conserver toujours intact, toujours vivant, ce germe
précieux, Dieu se choisit un peuple et, par une ad-
mirable progression, il multiplia en sa faveur, dans
la suite des temps, les oracles, les prophéties, les
prodiges. Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, les juges,
les prophètes, furent tour à tour ses porte-paroles et
concentrèrent de plus en plus les rayons lumineux
sur le personnage promis, qui devait un jour réali-
ser les promesses divines, en devenant la lumière,
l54 LE CATÉCHISME ROMAIN
la voie, la vérité, la vie, le centre du monde moral
et religieux. Et pour que cet enseignement précieux
et salutaire fût connu par d'autres que par les Juifs,
Dieu prit soin de mettre son peuple choisi en con-
tact avec tous les peuples de l'antiquité, dans une
série d'événements extraordinaires, qui devaient fa-
ciliter la diffusion et la connaissance des promesses
divines.
Mais, comme le fait observer avec juste raison
saint Paul, Dieu, après avoir parlé si souvent et de
tant de manières par ses prophètes, parla enfin par
son Fils, le Verbe fait chair, venu non pour dé-
truire la loi, mais pour l'accomplir, non pour être
lui aussi un intermédiaire passager entre son Père
et nous, mais pour clore la série des révélations
que Dieu jugeait à propos de nous faire et pour
communiquer définitivement à l'humanité, par
l'Eglise, la somme des vérités nécessaires au salut.
Or, cette somme de vérités, Notre-Seigneur ne
l'a pas notifiée lui-même dans son intégralité à ses
apôtres ; c'est un soin qui était réservé au Saint-
Esprit. S'adressant aux douze, Jésus disait : « J'ai
encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous
ne pouvez les porter à présent. Quand le Consola-
teur, l'Esprit de vérité, sera venu, il vous guidera
dans toute la vérité (i). Il vous enseignera toutes
choses et vous rappellera tout ce que je vous ai
dit (2). )) Au Saint-Esprit donc le rôle de rappeler
aux apôtres tout l'enseignement de Jésus-Christ et
de le parachever.
C'est pourquoi les apôtres, dépositaires officiels
de cette révélation, cette fois complète et définitive,
conscients de leur rôle de témoins, disent à leurs
disciples: a Restez fidèles à ce que vous avez ap-
1. Joan., xyi, i2-i3. — 2. Joan., xiv, 2G.
IMMUTABILITÉ l55
pris, et dont vous avez la certitude, sachant de qui
vous le tenez (i). » « Gardez le dépôt, en évitant les
discours vains et profanes, et tout ce qu'oppose
une science qui n'en mérite pas le nom (2). »
« Evitez ceux... qui toujours apprennent sans pou-
voir jamais arriver à la connaissance de la vé-
rité (3). » Et saint Jean termine son Apocalypse par
ces mots : « Je déclare à quiconque entend les paro-
les de la prophétie de ce livre que, si quelqu'un y
ajoute, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce
livre. » a Ainsi s'achève la Bible, le livre des
révélations. Moïse en a posé l'alpha, saint Jean en
écrit l'oméga. Dieu est au commencement pour
l'ouvrir, il est à la fin pour le sceller. C'est fini à
jamais... Telle fut la marche de la doctrine reli-
gieuse : au commencement Dieu révèle sa divinité,
son existence, son aséité, et la rédemption qui doit
être accomplie par son Christ. Ecrite sans formules
spéciales, et d'une façon globale' dans la conscience
humaine, la loi naturelle est détaillée, précepte par
précepte, et gravée en des tables de pierre. La vie
du Christ rédempteur se dessine de jour en jour
avec des traits plus particuliers, jusqu'à ce qu'il
paraisse avec sa divine physionomie, dépassant l'es-
pérance immense du monde par sa doctrine et ses
actions. Les apôtres, ses livres vivants et sa loi agis-
sante, mettent le sceau à ses révélations. Et la vérité
intégrale qu'ils confient à leurs successeurs se ra-
jeunit toujours dans l'organe qui la porte (4). »
Ainsi donc, dès les débuts de l'âge apostolique,
le cycle de la révélation est fermée pour toujours ;
Dieu n'a plus parlé à l'Eglise, et, par là, dans la
vérité rc vélée, tout est fixe, immuable ; ni l'histoire,
1. II Tint., m, i4. — a. I Tïm.% vi, 20. — 3. II 7ïm., m, 7.
— 4. Prunier, Evolution et immutabilité, Paris, 1904, p. 17.
l56 LE CATÉCHISME ROMAIN
ni la philologie, ni aucune science ne sauraient rien
y changer. Le dépôt de cette révélation est confié
aux apôtres et par les apôtres à l'Eglise. Il renferme
essentiellement tout ce que Dieu veut que l'homme
sache pour se sauver. Mais ce dépôt n'est pas en-
fermé dans un vase hermétiquement clos ; il n'est
pas figé dans une formule stéréotypée. La vérité ré-
vélée n'a rien qui ressemble à une lettre morte,
rien qui rappelle la rigidité d'un cadavre ou l'im-
mobilité silencieuse de la tombe ; elle est vivante,
au contraire, et vivifiante, toujours en acte dans
l'Eglise, toujours se développant en vertu du prin-
cipe intime de vie qui l'anime et toujours identique
à elle-même, toujours entourée d'un respect fidèle
et scrupuleux, toujours pensée vivante et vérité
vécue.
2° La règle de foi dans les premiers
siècles.
C'est là, dès les origines chrétiennes, un aspect
de la vérité révélée, qui est de capitale importance,
qui s'impose tout d'abord à la conscience de l'Egli-
se, qui s'affirme et se formule de la manière la plus
pressante, la plus obvie, la plus ferme et la plus ex-
presse. C'est de cette vérité révélée qu'on est curieux
et qu'on recherche avant tout ; témoin, le vieux
Papias, évoque d'Hiérapolis, qui voyage pour re-
cueillir avec un soin pieux « les dires des anciens »
afin de posséder la tradition autorisée (i) ; témoin,
Hégésippe, qui voyage pour étudier la foi des di-
verses églises et pour opposer à la gnose menteuse
« la grande voix de la prédication vraie (2). » Et
1. Fragm., 11 ; Pair, gr., t. vi, col. i25G. — 2. Fragm., m;
ibid., col. i320.
IMMUTABILITÉ l5y
saint Irénée, le grand évêque de Lyon, en qui l'on
entend l'Orient et l'Occident au 11e siècle, oppose
énergiquement aux gnostiques de son temps les té-
moignages de l'Eglise d'Ephèse, fondée par saint
Paul, puis dirigée par saint Jean, de l'église de
Smyrne, où il avait entendu saint Polycarpe, disci-
ple de l'apôtre bien-aimé, et de celle de Rome, fon-
dée par saint Pierre, « avec laquelle toutes les égli-
ses doivent s'accorder à cause de sa principauté
principale (i). »
Aussi, dans les diverses églises de l'empire ro-
main, regarde- t-on comme une règle de foi qu'en
dehors de la tradition apostolique, il n'y a pas de
vérité, qu'on ne doit rien y ajouter, rien en re-*
trancher, qu'aller contre cette tradition vivante
c'est innover dans la foi et ne plus appartenir à
l'Eglise. Tertullien, qui donne parfois à sa pensée
un tour original et un puissant relief, s'écrie : « Il
n'est besoin ni de curiosité après le Christ, ni de
recherches après l'Evangile. La première règle de
notre foi c'est de ne rien croire au-delà de ce
qu'elle enseigne... On peut chercher, oui, avant le
Christ, mais pour croire ; après avoir trouvé le
Christ, c'est contraire à la notion même de la doc-
trine révélée, de la foi. Dès qu'on a donné son
adhésion, on peut chercher encore, sed in nostro,
et a nostris, et de nostro, salva régula fidei... Ne rien
savoir contre la règle, c'est tout savoir (2). » Ainsi
donc, respect avant tout de la règle de foi; re-
cherche intellectuelle libre pour trouver la vérité ;
recherche encore, après l'avoir trouvée, mais cette
fois limitée à l'objet propre de l'enseignement ré-
vélé. Il suffit dès lors qu'une doctrine soit nouvelle
1. Adv. hœr., III, m, a ; Pair, gr., t. vu, col. 8^9. — a. De
prœscript., vm, ix, xn, xiv; Patr. lat.t t. n, col. 34-27.
l58 LE CATÉCHISME ROMAIN
pour être taxée d'hétérodoxe . la tradition d'abord
et rien que la tradition. C'est la réponse célèbre
du pape saint Etienne à saint Cyprien de Carthage,
au sujet de, la réitération du baptême : Nil innove-
tur nisi quod traditum est (i).
Et voici qu'avec le ive siècle commence l'action
doctrinale des conciles œcuméniques. Des erreurs
sont dénoncées et condamnées ; certaines vérités
révélées, jusque là dans l'ombre, sont mises en
pleine lumière ; d'autres, révoquées en doute ou
audacieusement niées, son définies; et le nombre
de ces vérités augmente encore pendant le ve siè-
cle, à Ephèse et à Chalcédoine, comme il avait
augmenté à Nicée et à Gonstantinople ; et il ne
cessera de croître dans les siècles suivants, grâce à
l'intervention de conciles nouveaux, qui continue-
ront l'œuvre de leurs devanciers. Par là progresse
manifestement la science religieuse des fidèles dans la
manière d'entendre la vérité révélée et de l'expli-
quer : ils apprennent à connaître chaque jour
davantage l'objet de leur croyance. Mais ne se-
rait-ce pas en même temps l'oubli ou la méconnais-
sance de cette règle si fortement proclamée et si
jalousement appliquée contre les innovations héré-
tiques? Non, certes. Car les définitions conciliaires
ne puisent que dans le dépôt révélé.
3° La Doctrine
de saint Vincent de Lérins
Yoici, en effet, comment s'en explique, au lende-
main du ni0 concile général, le champion le plus
résolu de la tradition catholique, saint Vincent de
Lérins (f vers 45o). Il rappelle d'abord la règle
i. Epist., lxxiv, i ; Patr. lat., t. m, col. 1128.
IMMUTABILITÉ 169
imprescriptible de la foi catholique dans cette cé-
lèbre formule que les siècles n'ont cessé de répéter;
« Il faut s'attacher à ce qui a été cru en tout
temps, en tout lieu, par tous ; c'est cela qui est
vraiment et proprement catholique ; il nous faut
suivre l'universalité, l'antiquité, l'accord général ;
quod ubique, quod semper, quod ab omnibus. » Il
s'étonne de la passion qui agite certains esprits, du
besoin de nouveau qu'ils éprouvent, de ce prurit
qui les pousse à ajouter, à retrancher, à chan-
ger quelque chose à la foi, et cela malgré
saint Paul qui commande de « garder le dépôt, »
« d'éviter les profanes nouveautés de mots, l'oppo-
sition d'une science menteuse ; » et il explique ce
qu'il faut entendre par ces deux mots : Depositum
custodi.
Il s'agit de mettre le dépôt révélé à l'abri des vo-
leurs et des ennemis ; et ce dépôt, quel est-il ? Quod
tibi creditum est, non quod a te invention ; quod acce-
pisti, non quod excogitasti ; rem non ingenii, sed doc-
trinœ ; non usurpationis privatœ , sedpublicœ traditionis ;
rem ad te perductam, non a te prolatam : in qua non
auctor debes esse, sed custos ; non inslitutor, sed sec-
tator ; non ducens, sed sequens. C'est de l'or reçu,
c'est de l'or à faire passer ; et sans doute on peut
l'orner de pierres précieuses, lui donner de l'éclat,
de la grâce, du poli ; et qu'ainsi intelligatur, quod
ante obscurius credebatur ; per te posteritas inlellectum
gratuletur quod ante vetustas non intetlectum venera-
batur. Eadem tamen qux didicisti doce, ut cum dicas
nove non dicas nova (i).
Mais alors, se demande-t-il, il n'y aurait donc
pas de progrès de la religion dans l'Eglise du Christ ?
Au contraire, répond-il, il y en a, il faut qu'il y en
I, Common., xxi, xxii; Pair. lat.t t. l, col. 606-667.
IÔO LE CATÉCHISME ROMAIN
ait, mais pas de changement, car le progrès consiste
dans le développement intime et propre d'une
chose, non dans la transformation de cette chose
en une autre. Ainsi, entendu, crescai igitur oportet
et multum vehementerque proficiat tara dngulorum
quam omnium, iam unius hominis quam totius Ecclesise,
aetatum ac sœculorum gradlbas, intelligentia, scientia,
sapientia, sed in sao duntaxat génère, in eodem scilicet
dogmate, eodem sensu, eadamque sententia (i).
Immutabilité, oui, car il ne faut pas sortir de
l'enseignement et des idées reçus ; et ceci rappelle la
restriction signalée par Tertullien ; progrès, oui en-
core, mais à la condition que ce ne soit pas un
changement; et il l'explique : « Que la foi des âmes
imite la loi des corps qui, dans le cours des années,
acquièrent le développement harmonieux de toutes
leurs parties, sans pourtant cesser d'être ce qu'ils
étaient. Car, de la fleur de l'enfance à la maturité
de la vieillesse, la différence est grande ! Et cepen-
dant les vieillards sont ceux-là même qui furent
enfants. La nature et l'extérieur de l'homme ont
beau changer, c'est toujours la même nature et la
même personne... Telle est la règle légitime et par-
faite du développement; tel est l'ordre fixe et mer-
veilleusement beau de l'accroissement. L'âge, en
faisant grandir l'homme, ne montrera en lui que le
perfectionnement de l'œuvre du Créateur dans le
petit enfant... C'est cette loi de progrès que doit
suivre la vérité religieuse, qui, avec les années, se
renforce, s'épanouit et s'élève, mais sans jamais
perdre son inviolable pureté... C'est du froment pur
que nos pères ont semé dans le champ de l'Eglise ;
quelle iniquité à nous de mettre à la place du bon
grain l'ivraie de l'erreur 1 C'est notre devoir de re-
i. Common., xxi, xxn; Pair, lat., t. i., col. 666-667.
IMMUTABILITÉ l6l
cueillir à la moisson un froment excellent, puisque
c'est du froment qui fut jeté dans les sillons. La tige
s'élèvera joyeuse, nous verrons l'épi se dessiner sous
sa forme définitive, mais ce sera toujours un épi
de blé...
« Il est certes bien permis de creuser avec le
temps les enseignements de notre céleste philoso-
phie, de les limer, de les polir ; mais c'est un
crime de les changer, de les tronquer, de les mu-
tiler. Qu'on les fasse briller de toute la clarté de
l'évidence, qu'on les mette en pleine lumière, qu'on
distingue, à la bonne heure ! Mais qu'on n'aille pas
leur ôter leur plénitude de vérité et leur inviolable
intégrité. Car si la fraude sacrilège pouvait se glis-
ser une seule fois au sein de nos dogmes, je ver-
rais avec terreur la religion prête à s'écrouler et à
disparaître pour toujours. Laissez tomber une par-
celle du dogme catholique, bientôt une autre et
puis une autre encore sera jetée -au vent, comme
par une pente toute naturelle. Et, en le jetant ainsi
pièce à pièce, il arrivera qu'il n'en restera plus rien.
Mais, par contre, si les nouveautés trouvent libre
accès dans le domaine du dogme antique, si l'élé-
ment étranger se mêle à nos biens de famille, si le
profane est confondu avec le sacré, cet alliage aura
bientôt tout envahi. Et, dès lors, dans l'Eglise, plus
de dogme intact, pur, immaculé. Un mauvais lieu
de honteuses et sacrilèges erreurs se sera élevé à la
place du sanctuaire de la chaste et incorruptible
vérité...
u L'Eglise du Christ, vigilante et prudente gar-
dienne des dogmes qu'elle reçut en dépôt, n'y
change jamais rien, n'y ajoute rien, n'en retran-
che rien. Elle ne touche pas à ce qu'ils ont d'essen-
tiel; elle ne les embarrasse pas de superfétations.Elle
garde son bien et ne porte pas la main sur la pro-
LB CATÉCHISME. — T. I. II
It>2 LE CATÉCHISME ROMAIN
priété d'autrui; toutes les ressources de son génie
visent une seule fin: étudier l'antique doctrine avec
fidélité et sagesse ; s'il s'y rencontre des germes,
des ébauches, en provoquer le développement ; s'il
s'y trouve des vérités déjà exprimées et com-
plètement développées, ies consolider, les affermir ;
ce qui est affermis pour toujours par une définition,
le conserver (i). »
Immutabilité et progrès, nous venons de voir
dans quel sens les entendait, au ve siècle, saint Vin-
cent de Lérins. M. Bninetière a pu dire, après lui et
comme lui, qu'évoluer n'est pas changer : « l'épanouis-
sement de la frondaison de l'arbre n'est pas une varia-
tion du germe, et ce n'es! pas changer, ce n'est pas
devenir autre que de développer le contenu de sa loi,
puisque, au contraire, c'est achever de devenir soi-
même (2). » Cet enseignement n'a rien perdu de sa
force, même après les travaux du cardinal Newman
et du cardinal Franzelin ; il a reçu, du reste, une
consécration unique au sein du concile du Vati-
can (3).
4° L'enseignement du Concile du
Vatican
Les Pères du concile du Vatican eurent à traiter
cette question du progrès doctrinal et de l'immu-
1. Common. xxm ; Pair, lat., t. l, col. 668-669. — 2. La
science et la religion, Paris, 1890, p. 42-43. — 3. Sabatier, dans
son Esquisse a" mie philosophie de la religion, 3e édit., Paris
1897, p. 63, dit qu'avec Mochler et Newman, « l'idée mo-
derne d'une évolution du dogme entre dans la dogmatique
du catholicisme. » Il a sans doute oublié Saint Vincent de
Lérins, et les Avertissements aux protestants, le premier, le se-
cond et le sixième, de Bossuet ; et sans doute encore il ne con-
naissait pas le De traditione et scriptura, Rome, 1870, de Fran-
zelin.
IMMUTABILITÉ 1 63
tabilité, à cause de l'assimilation fâcheuse que le
rationalisme prétendait établir entre la révélation et
la philosophie, à cause aussi des conséquences
erronées qu'il en tirait. La philosophie, étant tou-
jours d'ordre humain, reste sujette, comme ta rai-
son elle-même, aux variations, aux incertitudes, aux
écarts, aux erreurs, aux progrès; et il en serait ainsi
de l'enseignement révété. Cette assimilation fautive
provient d'une fausse notion de la révélation; ce fut, en
particulier, l'erreur du prêtre allemand Guntlier
(f i863). En tant que manifestation de la vérité, la
révélation n'est pas absolument nécessaire, et cela,
prétend Guntlier, parce que la raison humaine est
capable de comprendre toutes les vérités révélées ;
elle pénètre chaque jour davantage dans la connais-
sance des dogmes et les transforme à mesure qu'elle
les pénétre.1 La raison part de la foi aveugle, qui
adhère à la vérité révélée uniquement à cause de
l'autorité du témoignage divin ; mais, avec le pro-
grès des sciences et de la philosophie, elle progresse
elle-même dans la connaissance des mystères jus-
qu'à ce qu'elle arrive à leur pleine intelligence..
L'Eglise, sans doute, procède par définitions, qui
formulent, à telle date et dans de telles circonstan-
ces, l'idée qu'elle se fait de la révélation ; mais ce
sont là des formules relatives, provisoires, destinées
à être remplacées par des formules plus compréhen-
sives et plus rapprochées de la vérité totale, dès
que les progrès scientifiques l'exigeront.
Cette théorie du relativisme et du progrès indé-
fini de la connaissance religieuse, fausse et dange-
reuse, fixa l'attention du concile et provoqua l'ex-
position de la théorie catholique, relative à l'immu-
tabilité et au progrès. Rcproduisons-la, avant de
l'étudier : « La doctrine de la foi révélée de Dieu
n'a pas été proposée à l'esprit humain comme une
l64 LE CATÉCHISME ROMAIN
découverte philosophique qu'il avait à perfection-
ner ; mais elle a été confiée à l'épouse du Christ
comme un dépôt divin qu'elle devait garder fidèle-
ment et déclarer infailliblement. C'est pourquoi on
doit aussi conserver perpétuellement aux dogmes
sacrés le sens fixé par une première déclaration de
notre sainte mère l'Eglise, et il n'est jamais permis
de s'écarter de ce sens sous l'apparence et le pré-
texte d'une intelligence plus élevée (i). »
Que la doctrine catholique ne puisse pas se rame-
ner aux principes de la raison naturelle sans en alté-
rer le sens et le corrompre ; que le progrès des
sciences ne puisse pas permettre d'attribuer au
dogme défini un sens différent de celui de l'Eglise,
c'est une double erreur déjà réprouvée par Pie IX
dans sa lettre à l'archevêque de Cologne du i5
juin 1857 (2)' ou il affirmait la perpétuelle immu-
tabilité de la foi, et dans son allocution du 9 juin
1862, où il disait : les rationalistes « n'hésitent pas
à soutenir avec une souveraine impudence que la
révélation divine est imparfaite et par conséquent
soumise à un progrès continu et indéfini, qui répond
au progrès de la raison humaine (3). » Le concile
du Vatican a renouvelé ces condamnations.
Il est donc de foi catholique que l'enseignement
de l'Eglise ne saurait changer ni dans son fonds
révélé, ni même dans l'exposition qu'eu donne le
Magistère enseignant.
Du reste, cela se comprend, car la nature de la
vérité est d'être l'expression de la réalité des choses,
de ne point varier suivant les temps et les lieux, de
n'avoir pas un caractère relatif mais immuable et
1. Const. Dei Filius, c. iv, S 5. — 2. Denzinger, n. 15of)-i5i2.
— 3. Cette phrase est devenue la ve proposition du Syllabus ;
Denzinger, n. i55a.
IMMUTABILITÉ l65
absolu ; cela se comprend aussi à raison de l'infail-
libilité de l'autorité qui la proclame, garantie par
celle même de Dieu, comme nous le verrons.
Quant à la question de savoir si cette doctrine
peut se perdre en partie ou tomber dans l'oubli, si
elle peut s'enrichir d'éléments étrangers dans la
suite des siècles, le concile l'a résolue négativement;
car, à la différence des doctrines philosophiques qui
se développent et s'accroissent par les seuls efforts
de l'esprit humain, la révélation a été confiée à
l'Eglise comme « un dépôt qu'elle doit garder fidè-
lement et déclarer infailliblement. »
L'Eglise, en effet, a reçu des apôtres, qui l'ont
reçu de Dieu, ce dépôt révélé ; elle en est le déposi-
taire officiel ; non pas seulement pour le garder
avec fidélité, mais encore pour l'exposer avec certi-
tude. Gardienne jalouse, elle le conserve intact, à
l'abri de toute soustraction frauduleuse et de toute
immixtion étrangère, dans sa pure intégrité ; inter-
prète autorisé, elle intervient, quand elle le juge
nécessaire ou opportun, pour certifier sans erreur que
telle ou telle vérité fait partie de ce dépôt sacré. Dans
les deux cas elle est assurée d'une assistance spé-
ciale du Saint-Esprit, qui l'empêche d'être infidèle à
son rôle de gardienne et de se tromper dans son
rôle d'interprète. Par suite, elle ne peut rien en re-
trancher ni rien y ajouter d'étranger. Ses définitions
dogmatiques, intervenues dans la suite des âges, sont
simplement déclaratoires : elles spécifient que telle
vérité doit être objet de foi catholique parce qu'elle
est du nombre de celles qui ont été révélées par
Dieu et qui lui ont été confiées en dépôt. Aussi, dès
qu'elle s'est officiellement prononcée, ces vérités
définies se trouvent définitivement fixées et restent
acquises à jamais ; leur sens ne peut en aucune
façon être modifié.
î66 LE CATÉCHISME ROMAIN
Sans doute, des révélations particulières peuvent se
produire, et en fait il s'en est produit dans l'Eglise.
L'Eglise a le droit de les examiner ; en les approu-
vant, en les déclarant authentiques, elle se pro-
nonce sur leur origine divine, elle garantit leur or-
thodoxie en ce qu'elles ne renferment rien d'opposé
à la foi. On peut les croire sans y être obligé ; car,
étant d'ordre privé, elles n'entrent pas dans le dépôt
révélé et confié aux apôtres, et l'Eglise se garde bien
de les introduire dans ce dépôt, de les incorporer
dans son enseignement dogmatique.
A plus forte raison l'Eglise se garde-t-elle de mêler
ou d'incorporer dans le dépôt révélé les simples
données de l'esprit humain, quelques belles et pro-
fondes qu'elles soient ; elle a également le droit de
les soumettre à son contrôle ; elle peut même les
utiliser, mais toujours sans les mêler aux données
de la révélation. Dans tous les cas, elle n'accepte pas
qu'elles puissent introduire la moindre modification
au sens des vérités déjà définies qui, loin d'être
changeantes ou relatives, revêtent un caractère ab-
solu et immuable. « C'est pourquoi, dit le concile,
on doit conserver perpétuellement aux dogmes le
sens fixé par une première déclaration de notre
sainte mère l'Eglise et il n'est jamais permis de
s'écarter de ce sens sous l'apparence et le prétexte
d'une intelligence plus élevée. » Aussi, déclare-t-il
anathème a à qui dirait que la révélation divine ne
renferme à proprement parler aucun mystère véri-
table, mais qu'une raison convenablement cultivée
peut par ses principes naturels comprendre et dé-
montrer tous les dogmes de la foi ; à qui dirait que
les enseignements humains doivent être donnés avec
une telle liberté que leurs assertions pourraient être
maintenues comme vraies et ne sauraient être pros-
crites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient con-
IMMUTABILITÉ 167
tre la doctrine révélée ; à qui dirait enfin qu'il peut
se faire qu'eu égard au progrès de la science, on
doive quelquefois attribuer aux dogmes proposés par
l'Eglise un autre sens que celui qui a été et qui est
compris par l'Eglise (i). »
Ainsi donc le dépôt confié à l'Eglise par les apô-
tres — nous dirons plus tard en quoi il consiste et
où il se trouve — contient les vérités qu'il a plu à
Dieu de révéler pour permettre à l'homme de faire
son salut. Reste la question de savoir quelles sont
ces vérités ; c'est à l'Eglise soûle de la résoudre dans
sa sagesse et sous la garantie de son infaillibilité. Il
suffit qu'elle déclare officiellement quelles sont cek-
les que le fidèle doit croire explicitement, tout en
exigeant la foi implicite vis à vis des autres. Car
toutes les vérités contenues dans ce dépôt ne sont
pas également apparentes, également précises, éga-
lement développées ; quelques unes ne s'y trouvent
qu'à l'état implicite ou de germe.
Mais cette immutabilité n'empêche nullement le
progrès. Qui ne sait, en eilet, que, dans un germe
vivant, on n'aperçoit pas tout d'abord les divers
éléments qui doivent constituer à un moment
donné et grâce à la force intime de développement
progressif qu'il possède, l'être parfait, plante ou
animal. Le gland ne montre ni les racines, ni le
tronc, ni la puissante ramure du chêne, et le chêne
lui-même ne cesse d'ajouter à ce qu'il possède déjà
jusqu'à ce qu'il ait atteint son plein épanouisse-
ment. Il en est de même de l'embryon dans le sein
maternel et de l'animal qui passe successivement
par toutes les phases de la croissance jusqu'à son
entière maturité. Mais la* plante et l'animal ne dépas-
sent pas un certain terme ; car, pour l'une comme
1. Const. DeiFilius, c. iv, can. 1, 2, 3.
l6S LE CATÉCHISME ROMAIN
pour l'autre, arrive un moment où les forces dé-
clinent et où s'accuse une irrémédiable décrépitude.
Tout au contraire, si le dépôt révélé peut, en
partie, se comparer à un germe vivant, cette com-
paraison ne saurait se justifier jusqu'au bout. Car
s'il est vrai que la vérité révélée se développe en
vertu de la vie qui lui est propre et d'après les lois
que Dieu lui a données, en restant toujours identi-
quement la même et immuable, dans son essence,
il n'est pas moins vrai que, à la différence de ce qui
se passe dans la nature organisée et vivante, son
progrès est continu, qu'elle ne perd jamais rien de ce
qui est une fois acquis, sans jamais pouvoir attein-
dre un point culminant au delà duquel elle n'aurait
plus qu'à décliner et à disparaître.
Dès l'âge apostolique, le dépôt révélé appartient
donc intégralement à l'Eglise et contient explicite-
ment ou implicitement toutes les vérités qui peu-
vent être objet de foi catholique. Le chrétien des pre-
miers siècles adhérait par son acte de foi à l'ensei-
gnement de l'Eglise, tel qu'il lui était notifié alors ;
le chrétien d'aujourd'hui adhère de même à cet en-
seignement, tel qu'il lui est notifié de nos jours, et
le chrétien de demain adhérera à l'enseignement de
l'Eglise, tel qu'il lui sera proposé demain. La seule
différence entre les fidèles des premiers siècles et
ceux du vingtième, c'est que ces derniers croient
d'une manière explicite un plus grand nombre de
vérités révélées qui, jusque-là, n'étaient l'objet, de
la part de leurs prédécesseurs, que d'une foi impli-
cite ; mais dans les deux cas, l'objet de la foi reste
toujours le môme, identique à lui-même, parfaite-
ment un. C'est laisser entendre, par conséquent,
qu'à côté de l'immutabilité de la foi religieuse ainsi
comprise il y a place pour le progrès. Reste à dire
en quoi consiste ce progrès, quelle est sa nature, son
PROGRÈS 169
caractère, dans quelles conditions il s'opère, par qui
il se réalise, quelles étapes il suit et dans quelles li-
mites il se maintient.
II. Progrès
Ce progrès de l'enseignement doctrinal est signalé
par le concile du Vatican dans les termes mêmes
dont s'était servi saint Vincent de Lérins : « Qu'il y
ait donc accroissement, qu'il y ait progrès large et
intense dans l'intelligence, la science et la sagesse
de chacun et de tous, de l'homme pris individuelle-
ment et de l'Eglise tout entière, suivant le dévelop-
pement des âges et des siècles ; mais que ce soit
exclusivement dans son genre, c'est-à-dire dans
l'unité de dogme, de sens et de sentiment (1). »
Ces quelques lignes renferment toute l'économie
du progrès religieux : son objet,* ses caractères, ses
étapes, ses limites.
1° Son Objet
La connaissance de la vérité révélée progresse en
étendue, en clarté et en certitude. Le progrès se fait,
en effet, soit par la connaissance explicite de ce qui
n'était connu qu'implicitement, soit par Y éclaircisse-
ment de certains points obscurs, soit enfin par plus
de probabilité ou par une entière certitude sur les
points douteux.
Une vérité révélée est crue et connue implicite-
ment lorsqu'elle est logiquement contenue ou impli-
quée dans d'autres vérités crues et connues explici-
tement. C'est ainsi, par exemple, que l'antique
1. Const. Dei Filius. c. iv, S 5.
I-yO LE CATECHISME ROMAIN
croyance explicite à la parfaite sainteté de la sainte
Vierge était une croyance implicite au dogme de
l'immaculée conception, parce que la sainteté par-
faite suppose ' la sainteté dans la conception. Or
chaque l'ois qu'une vérité, à laquelle on ne pensait
pas auparavant, devient l'objet d'une définition
dogmatique, il est incontestable que le domaine de
la foi explicite s'étend, que l'enseignement catholique
s'augmente d'un chapitre ou même d'un traité
nouveau.
D'autres fois, le progrès consiste simplement dans
une pleine lumière répandue sur une vérité révélée,
mais encore plus ou moins entourée de pénombre
et d'obscurité, dans plus de probabilité ou dans une
entière certitude sur une vérité également révélée,
mais objet jusque là de discussions et de doutes. Les
idées se précisent, les preuves se fortifient, les con-
clusions finissent par s'imposer, et par là s'étend de
plus en plus la connaissance de la révélation. Car,
ne l'oublions pas, toute vérité explicite en contient
d'autres logiquement ; et, grâce à sa vie intime et
féconde, telle vérité se manifeste de mieux en mieux
à la foi du croyant, comme la plante, l'animal ou
l'homme révèlent de mieux en mieux, aux yeux de
l'observateur, grâce à leur développement organique,
tout ce qui n'était qu'en puissance et à l'état latent
dans le germe ou l'embryon.
Or, de toute évidence, certaines vérités révélées
ont dû être, dès l'âge apostolique, enseignées et
professées d'une manière explicite, suffisamment
claire et certaine, par exemple celles dont la foi
explicite est nécessaire, soit de nécessité de moyen,
comme l'existence de Dieu, la rétribution finale, la
trinité et l'incarnation, soit de nécessité de précepte,
comme les articles de la profession de foi baptismale,
les préceptes du décalogue, la nature des sacrements
PROGRES I7I
qu'on doit recevoir, les biens qu'on doit demander
à Dieu par l'oraison dominicale. Et naturellement,
pour ces vérités-là, le progrès ne saurait consister
dans la substitution de la foi explicite à la foi impli-
cite, mais simplement dans une augmentation de
lumière, dans une manifestation plus nette de leur
nature intime, de leurs rapports avec les autres
vérités et des conséquences qu'elles entraînent. C'est,
précisément, ce dernier genre de progrès qu'on
peut constater, en particulier, dans la connaissance
du plus profond de nos mystères, le mystère de la
trinité.
Ce dogme, en effet, explicitement proposé, dès
l'âge apostolique, à la foi de quiconque demandait à
recevoir le baptême, et brièvement énoncé dans la
formule baptismale, n'a pas été entouré tout d'abord
de la lumière beaucoup plus vive qu'il reçut après
la condamnation des Sabelliens et des Ariens, des
Modalistes ou des Subordinatiens,*et dont les sym-
boles de Nicée-Gonstantinople et de saint Athanase
portent si expressément le témoignage.
Quant aux autres vérités, découvertes peu à peu
dans le dépôt de la révélation, dégagées, précisées,
formulées et définies comme de foi catholique dans
la suite des âges, le progrès a tout d'abord consisté
dans leur passage de l'état de foi implicite à l'état de
foi explicite. Puis, à leur tour, elles ont pu encore
progresser de l'autre façon, et ont effectivement
progressé en clarté, dans l'esprit et dans la vie des
fidèles, par une assimilation de plus en plus féconde ;
c'est ce que le concile du Vatican appelle le progrès
dans Y intelligence, la science et la sagesse.
2° Ses caractères
Qu'entendre par ces termes du concile ? de quelle
I72 LE CATECHISME ROMAIN
intelligence, de quelle science, de quelle sagesse est-il
question ? Essayons de le dire.
S'agit-il d'une vérité non encore définie, et dont la
présence dans le dépôt révélé n'est pas manifeste ?
S'agit-il d'une question religieuse, non encore trai-
tée, mais qui se pose devant l'esprit d'un investiga-
teur studieux ou que des circonstances fortuites
mettent en quelque sorte à l'ordre du jour ? En
pareil cas, le chrétien instruit, le théologien de
profession use de son intelligence pour examiner si
cette vérité ne serait pas comprise dans les vérités
révélées déjà connues ; si cette question, intéressant
la foi, a lieu d'être posée et dans quel sens il convient
de la résoudre. Un travail scientifique doit donc
intervenir nécessairement, et ainsi le chrétien, le
théologien fait acte de science pour se rendre compte
par l'examen attentif, par l'étude approfondie de
l'Ecriture et de la tradition, du crédit qu'il convient
d'accorder ou de refuser à cette vérité ou à cette
question. Et il va sans dire que la sagesse des con-
clusions sera en raison directe de la prudence, du
sentiment religieux, du sens traditionnel et de la
fidélité scrupuleuse aux règles prescrites en pareilles
matières, qui accompagneront l'effort intellectuel et
le travail d'érudition.
Il se pourra que les résultats en restent précaires
ou même ne soient pas dignes d'être retenus ; c'est
à la discussion libre d'en juger. Il se pourra même
qu'ils ne cadrent pas rigoureusement avec l'ortho-
doxie ; c'est au magistère infaillible d'en décider.
Mais il se pourra aussi qu'ils méritent de fixer l'atten-
tion à raison de leur pleine harmonie avec l'ensemble
de la vérité révélée et de l'enseignement traditionnel.
Et alors c'est un véritable progrès, susceptible, le
cas échéant, non seulement d'être approuvé et loué,
mais encore d'être utilisé et consacré par l'Eglise.
PROGRÈS 173
N'est-ce pas, en effet, un progrès de ce genre qui
est dû à cette science de la foi qui s'appelle la théo-
logie ? Car, comme le remarque justement M. Va-
cant, la théologie, entendue dans son sens strict, a
pour objet les conclusions théologiques, c'est-à-dire,
non point les vérités révélées, mais les conséquences
qui sont virtuellement contenues dans ces vérités et
qui s'en tirent par déduction. Mais, pour arriver à
la plupart de ces conclusions, il faut que le théolo-
gien se rende parfaitement compte du contenu de la
révélation, qu'il s'assimile les vérités révélées, et
donc qu'il les distingue, les éclaircisse et en établisse
solidement le caractère révélé. D'ailleurs les conclu-
sions théologiques l'aideront, à leur tour, à mieux
distinguer les vérités révélées, à les mettre en lu-
mière et à en saisir toute l'harmonie et la con-
nexion. Et c'est ainsi que le théologien est un arti-
san du développement des dogmes, aidé dans ce
travail d'ordre privé du controversiste, de l'apolo-
giste, de l'exégète, de tous ceux qui étudient les
symboles, les conciles, les actes pontificaux, les
écrits des saints Pères et les autres documents de la
foi (I).
Questions souleA^es, aperçus nouveaux, dénoncia-
tions de l'erreur, recherche minutieuse et approfon-
die de la vraie doctrine, essais pour la dégager,
pour l'expliquer, pour la formuler en termes aussi
précis que possible, autant de travaux d'intelligence,
de science et de sagesse qui s'ajoutent à d'autres
travaux semblables, et dont les résultats se contrô-
lent, se discutent, s'éliminent ou restent acquis.
Cela dure des années, parfois des siècles ; du moins,
pendant ce temps, la lumière se fait et un certain
progrès se réalise, progrès éloigné mais prépara-
1. Const. Dei Filius, t. 11, p. 3o2.
17^ LE CATÉCHISME ROMAIN
toire, s'il y a lieu, à l'intervention décisive du ma-
gistère infaillible, au jugement solennel de l'Eglise.
Or, dès que l'Eglise s'est officiellement pronon-
cée, la définition d'un dogme n'arrête pas pour cela
le progrès de sa connaissance, et c'est encore un
progrès d 'intelligence, de science et de sagesse, mais
dans un autre sens que tout à l'heure. Car alors, en
possession certaine de la vérité, à laquelle il adhère
d'une foi explicite, le chrétien peut en acquérir une
connaissance plus pleine. L'intelligence du dogme
défini permet d'en pénétrer mieux le sens intime,
de l'approfondir en lui-même, d'analyser ses élé-
ments constitutifs, de se rendre un compte exact
des textes scripturaires ou traditionnels qui l'ap-
puient et des formules qui l'expriment. La science
vient ensuite ; elle en note les conséquences prati-
ques au point de vue de la liturgie, de la discipline
et de la morale ; elle en saisit les rapports éloignés
ou prochains avec les autres vérités de l'ordre natu-
rel ou surnaturel ; elle en marque la place dans une
synthèse de la vérité connue. Après quoi il ne reste
plus, par une synthèse finale qu'à ramener à Dieu
lui-même tous les résultats de l'intelligence et de la
science de ce dogme, ce qui est le propre de la sa-
gesse. Et lorsque ce travail s'opère, non plus sur un
dogme, mais sur l'ensemble des dogmes, on en ar-
rive, quand on s'appelle saint Thomas d'Aquin, à
écrire ce chef-d'œuvre de la Somme théologique.
3° Sa marche
La marche de ce progrès dans la connaissance'
des vérités révélées suit, selon l'expression du con-
cile du Vatican, la marche des âges et des siècles ;
mais de plus et dans une certaine mesure, ce pro-
grès obéit aux circonstances historiques ; et enfin,
PROGRÈS 175
par une disposition particulière de la Providence, il
se réalise selon la nature des dogmes et dans leur
succession logique.
Notons-le cependant, les circonstances historiques
ne constituent pas la cause efficiente de ce progrès,
elles n'en sont que l'occasion, tantôt favorable, tan-
tôt défavorable, qui l'accélère ou le ralentit. Il va
de soi que lorsque l'Eglise est aux prises avec de
graves difficultés, comme par exemple à l'époque
des persécutions ou de l'invasion des barbares, elle
se trouve par trop absorbée. Le temps n'est guère
propice alors pour le travail intellectuel qui réclame
le calme et la paix. Mais vienne une période de
tranquillité, toutes ses forces vives entrent en jeu.
On le vit très bien, au lendemain des persécutions,
après Constantin, dans l'efflorescence merveilleuse
de la théologie patristique du ive et du ve siècles :
on le vit encore, à la suite des invasions, lors de la
renaissance carlovingienne, qui prépara de loin le
magnifique essor intellectuel du xine siècle et per-
mit de créer une langue nouvelle, rude parfois,
mais expressive dans sa terminologie, d'organiser et
d'ordonner en un vaste système fortement lié et
pleinement homogène tout l'enseignement du passé.
On le vit aussi, à l'époque de la Réforme et au
xviie siècle, dans cette pléiade de théologiens
et d'écrivains, qui scrutèrent tous les problèmes
soulevés et interrogèrent avec tant de soins les
documents de la tradition. On le voit enfin de
nos jours où, malgré les malheurs des temps, nos
universités catholiques impriment un mouvement
si intense aux études ecclésiastiques, ont déjà
donné de bons résultats et en préparent d'au-
tres.
Or, parmi ces circonstances qui sont la cause oc-
casionnelle du progrès, il faut ranger les hérésies.
I76 LE CATÉCHISME ROMAIN
•'--■ .
Car, comme Dieu sait tirer le bien du mal, ainsi
l'Eglise, gardienne fidèle et infaillible interprète du
dépôt révélé, a toujours profité des excès de l'erreur
pour proclamer la vérité. Du reste, l'hérésie, dans
ses attaques successives, a suivi une marche descen-
dante, il est vrai, mais assez logique et régulière.
C'est à Dieu qu'elle s'en prit tout d'abord avec la pé-
riode gnostique des deux premiers siècles ; c'est à la
trinité ensuite avec les Monarchiens et les Sabel-
liens ; c'est au Verbe, à sa divinité, à son incarna-
tion, à sa double nature dans l'unité de personnes,
avec Arius, Nestorius et Eutychès ; c'est au Saint-
Esprit avec Macédonius ; c'est au don de Dieu, au
fruit de l'incarnation et de la rédemption, c'est-à-
dire la grâce, avec Pelage et les semipélagiens ;
c'est ensuite aux instruments de la grâce, aux sacre-
ments ; et finalement c'est à l'autorité du Vicaire de
Jésus-Christ, à l'Eglise. Après avoir parcouru ce cy-
cle, la voilà en train de le recommencer : plus de
surnaturel, plus de révélation, plus de foi, le natu-
ralisme et le rationalisme leur ont signifié un congé
définitif. Par surcroit, voici la critique contempo-
raine qui passe au laminoir tous les documents de
notre passé, et l'histoire des religions qui étudie le
fait religieux à un point de vue purement scientifi-
que, comme l'histoire naturelle s'occupe de géolo-
gie, de paléontologie ou de tout autre chose, c'est-à-
dire sans y engager le cœur et la vie morale de
l'homme.
Mais, en dépit des menaces du présent et malgré
cette levée en masse de boucliers contre l'Eglise, la
foi ne saurait rien craindre, elle sortira plus vivante
de l'épreuve : elle a progressé jusqu'ici, elle pro-
gressera encore, tout en restant substantiellement la
même. Sur la trame vivante des événements de
l'histoire, elle continuera à écrire ses pages à elle,
PROGRES I77
toujours plus lumineuses. Les attaques récentes
ont déjà provoqué et ne pourront que provoquer
encore des études plus approfondies, plus minutieu-
ses, plus exactes, de tous les éléments qui constituent
notre patrimoine religieux et catholique. Des ques-
tions nouvelles, auxquelles on ne songeait pas jadis,
se posent parmi nos contemporains : elles ne resteront
pas sans réponse et seront résolues. La vérité révélée
ne pourra qu'y gagner en éclat, en solidité, en
fécondité, et ce sera encore et toujours un progrès
de plus.
Quoi qu'il en soit du présent et de l'avenir, tou-
jours est-il que jusqu'ici la connaissance des dogmes
a progressé, comme nous l'indiquions, suivant leur
nature et leur ordre logique. « L'infaillibilité du
pape est, en effet, un corollaire de sa souveraine
autorité et de sa supériorité sur les conciles. L'intel-
ligence de cette supériorité, discutée au temps du
grand schisme, supposait une connaissance tr> s
distincte du pouvoir d'ordre et de celui de juridic-
tion. La distinction très nette de ce double pouvoir
avait été le fruit des travaux concomitants des théo-
logiens et des canonistes du moyen âge sur les
sacrements et la législation ecclésiastique. La théorie
des sept sacrements qui fut élaborée après la renais-
sance des études inaugurée par Charlemagne, était
elle-même un corollaire de la théorie de la grâce
développée par saint Augustin. Cette théorie de la
grâce, qui justifie chacun de nous, ne pouvait être
approfondie qu'après la doctrine de l'incarnation,
qui est la source de la grâce. La doctrine de l'incar-
nation ne pouvait se préciser qu'après celle de la
consubstantialité du Père et du Fils dans la trinité.
Enfin la distinction des trois personnes en une même
nature avait besoin de s'appuyer sur le monothéisme
enseigné dans l'Ancien Testament et proclamé au
LE CATÉCHISME. — T. I. 12
1^8 LE CATÉCHISME ROMAIN
milieu du monde polythéiste par les premiers pré-
dicateurs de l'Evangile » (i).
4° Ses Limites
Ce progrès n'est pas livré au hasard. Soumis au
contrôle de l'autorité compétente, il a ses règles ou,
comme s'exprime le concile du Vatican, ses limites.
Il ne peut, en effet, s'effectuer que dans le domaine
qui lui est propre, celui de l'enseignement révélé, in
eodem dogmate, eodem sensu, eademque sententia. Gela
revient à dire qu'il doit essentiellement respecter la
substance immuable du dépôt révélé, sans la cor-
rompre, sans la détruire, sans en rien soustraire,
sans y ajouter le moindre élément hétérogène.
Or, pour rester dans de telles limites, pour obser-
ver de pareilles règles, il faut de toute nécessité tenir
un compte scrupuleux non seulement de toutes les
vérités de foi catholique déjà connues et renfermées
soit dans les symboles, les professions de foi, soit
dans les définitions dogmatiques, et cela sous peine
d'hétérodoxie, mais encore de l'enseignement una-
nime professé dans l'Eglise et de l'interprétation
donnée au texte de l'Ecriture ou aux documents de
la tradition.
A ces conditions, on ne court pas le risque d'inno-
ver en matière doctrinale, d'aller contre le courant
traditionnel, de méconnaître ou de froisser le senti-
ment catholique . Et c'est ici surtout que la plus grande
prudence s'impose, et que l'intelligence, la science et
la sagesse, dont parle le concile du Vatican, trouvent
à s'appliquer. Finalement on doit être prêt, dès
qu'intervient le magistère infaillible, à se soumettre
en acceptant pleinement ses directions et ses déci-
i. Vacant, La Const. Dei FUius, t. n, p. 3o8.
PROGRES 17^
sions. L'obéissance, en pareil cas, s'impose : elle est
un principe de sécurité, elle est aussi une condition
de progrès.
1. L'immutabilité de l'enseignement catholi-
que. — « Ce que l'Eglise a dit au commencement, elle
l'a toujours dit. Pendant qu'autour d'elle l'esprit philoso-
phique tourne dans un cercle fatal de systèmes contra-
dictoires, pendant que les sectes religieuses modifient
leur Credo, elle reste fidèle à la doctrine traditionnelle
qu'elle a reçue des apôtres. Ses dogmes s'éclaircissent,
sa législation se perfectionne, mais aucun mouvement
progressif ne modifie les vérités essentielles qu'elle a
toujours enseignées, ni les règles fondamentales de sa
vie religieuse. Cependant l'Eglise n'est pas une seule per-
sonne, dont l'obstination orgueilleuse pourrait expliquer
l'immobilité ; c'est une longue suite de générations, un
mélange de races, que les temps, les milieux, les cir-
constances, les événements différencient à l'infini, et que
sollicite au changement une armée de forces ennemies de
l'immutabilité : les tracasseries des pouvoirs jaloux, les
défections de l'hérésie, la mobilité de l'esprit humain, si
variable dans ses vues, interprétations et appréciations,
les évolutions de la science, les exigences de la critique,
le besoin du progrès manifesté par les travaux des théolo-
giens et les opinions d'école. » Monsabré, Conf. lv, ii\ P.
2. Le développement progressif. — « Il en va
bien autrement d'une doctrine : son progrès s'opère par
voie d'assimilation définitive. Ceux des éléments intellec-
tuels qu'elle élimine sont des intrus, qui n'ont jamais eu
droit de pénétrer dans son sein, et qu'une révision atten-
tive reconnaît pour étrangers. Il est vrai que, parmi les
vérités destinées à former son patrimoine inaliénable,
quelques-unes ont été accueillies d'abord avec défiance
ou acceptées sous une forme incompatible avec l'immu-
tabilité des concepts. Cependant, l'approbation définitive
une fois donnée, le vêtement de facture humaine une
fois percé, la vérité authentiquement reconnue sera admise
l80 LE CATÉCHISME ROMAIN
sans repentance. La science changera sa place dans les
classifications, elle l'emploiera à des constructions éphé-
mères ou stables, elle ne la rejettera pas. Ces vérités
sont sa moelle, sa substance, ce sans quoi elle se
ravalerait au rang de collection arbitraire de phéno-
mènes... Au cours des âges les formules se pré-
ciseront, des énonciations équivoques seront ballottées
de l'approbation au rejet, les points de foi se déga-
geront de la gangue systématique où certains les ont
enfermées. L'universel progrès des sciences découvrira
entre les éléments doctrinaux des rapports inaperçus, fait
trouver des points de vue ignorés des temps anciens.
Mais, à travers ces vicissitudes, le trésor sacré reste en-
tier : pas une notion n'en sortira pour s'en aller, pièce
dépréciée, fausse monnaie, rejoindre au musée des an-
tiques les débris des systèmes faits de main d'homme.
Au contraire, les vérités certaines, élargissant leur
domaine jusqu'aux bornes, encore inconnues, que leur
trace l'étendue de la révélation chrétienne, hiérarchisant
leurs aspects dans une harmonie définitive, s'édifieront en
un corps de doctrine qui sera la vérité religieuse intégrale.
Sans doute les apôtres et les premières générations chré-
tiennes avaient possédé, par une intuition plus directe,
par une appropriation plus sentie, tout ce qu'il y a de
substance dans cette doctrine ; mais l'Eglise des derniers
temps en possédera une connaissance scientifique plus
approfondie, une vue d'ensemble aux perspectives plus
assurées, une science du détail plus précise. » De Grand-
maison, L'élasticité des formules dogmatiques, dans les
Etudes, 1898, t. lxxvi, p, 497-498.
3. Du rôle de l'hérésie dans l'évolution dog-
matique. — « L'assertion hérétique appelle l'affirmation
catholique, et ceux dont la pensée est mauvaise ont donné
lieu de se produire à la pensée des fidèles. Parce qu'ils
étaient hérétiques, les méchants ont troublé l'Eglise de
Dieu ; et la vérité couverte d'un voile a été mise au jour,
et la volonté divine s'est manifestée... Beaucoup d'hom-
mes, capables d'étudier et d'établir les vérités de l'Ecri-
ture, restaient silencieux et cachés au milieu du peuple de
PROGRÈS l8l
Dieu, et ils ne se mettaient pas en peine de résoudre les
questions difficiles tant que l'imposteur ne parlait pas.
Avait-il été fait un exposé vraiment achevé de dogme de
la trinité avant que les ariens fissent entendre leurs cris
provocateurs ? Le dogme catholique de la pénitence avait-
il été parfaitement expliqué avant les attaques des No-
vatiens ? La théorie du baptême avait-elle été pleinement
exposée avant l'hérésie des rebaptisants ? La théologie de
l'unité du Christ avait-elle reçu son entier développement
et sa perfection avant que le schisme ne vînt troubler les
faibles ? Ce fut le moment pour ceux qui possédaient le
moyen de traiter et de résoudre ces questions, de ré-
pondre aux discours des impies et de mettre en lumière
les obscurités du dogme pour sauver la foi des âmes
chancelantes. » S. Augustin, In PsaL, ltv, 22.
« La divine Providence permet donc à l'hérésie de ré-
pandre sa doctrine, pour que ses insultes et ses orgueil-
leuses provocations remuent notre indolence et nous
poussent à l'étude des Ecritures. L'apôtre n'a-t-il pas dit :
« Il faut qu'il y ait des hérésies pour que les fidèles de
Dieu aient occasion de s'affirmer. » Il y a. des hommes
qui ont reçu du ciel les dons qui les rendent capables
d'enseigner; mais ils n'agissent pas, ils ne communi-
quent pas leur science si on ne leur e» fait la demande.
D'autres n'ont pas d'énergie pour la recherche de la vé-
rité, si leur sommeil n'est secoué par les importunités et
les insultes de l'hérésie qui les fait rougir de leur faiblesse
et leur en montre le danger. » S. Augustin, De Gen. cont.
Manie h., I, 1, 2.
Leçon Ve
Du Dogme
I. Notion catholique du Dogme : — 1° Sens éty-
mologique. — 2° Objet. — 3° Formule. —
4° Caractères. — IL Théorie de M. A. Sabatier:
— 1° Ses objections. — 2° Sa théorie.
I. Notion catholique du Dogme
Le progrès dans la connaissance de la vérité révé-
lée n'enlevant rien à son immutabilité essen-
tielle et consistant, en partie, dans les défini-
tions dogmatiques, la question se pose naturellement
de savoir ce qu'il faut entendre par un dogme. Pour y
répondre, nous allons rappeler succintement la signi-
fication étymologique de ce mot, son objet, les élé-
ments qui entrent dans sa formule, ses caractères (i).
i. De Broglie, Religion et critique, Paris, 1896; Mgr Mignot,
VEvolulionnisme religieux, dans le Correspondant, 1897, t. cli
de la nouvelle série, p. 3 sq. ; De la Barre, La vie du dogme.
Autorité. Evolution, Paris, 1898 ; De Grandmaison, L'élasticité
des formules dogmatiques, dans les Etudes, 1898, t. lxxvi;
D. Renaudin, La définibilité d'un dogme, dans là Revue thomiste,
1900, 1901 ; Brunelière, La fâcheuse équivoque, dans la Revue
des Deux Mondes, i5 novembre 1903 ; Portalié, Le dogme et
l'histoire, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1904;
NOTION CATHOLIQUE DU DOGME l83
1° Le mot Dogme : son étymologie
Le mot dogme est un terme grec, 8^*, antérieur
au catholicisme, et dont le sens précis, dans la vie
publique était celui de décision, de prescription, de
commandement, de loi, pour désigner les actes de
l'autorité en matière de gouvernement.
C'est ce sens que saint Luc lui reconnaît, quand
il appelle un dogme le recensement prescrit par
César- Auguste (i). Saint Paul s'en sert de même
deux fois pour indiquer le rôle impératif de la loi
juive (2). Trois fois de suite, les Actes emploient le
verbe ISoÇev pour caractériser les décisions des apô-
tres, dans leur réunion de Jérusalem, au sujet de la
circoncision, des idolothytes et autres usages
juifs (3). Saint Ignace d'Antioche emploie égale-
ment ce mot dans le sens pratique, quand il recom-
mande aux Magnésiens de s'en tenir aux dogmes du
Christ et des apôtres pour tout bien faire (4).
Chez les grecs, ce mot servait encore à désigner
soit les principes de raisonnement, soit les règles de
conduite propres à telle ou telle école philosophi-
que. C'est dans ce sens d'enseignement, de doctrine,
que les apologistes, notamment Tatien (5), l'utilisè-
rent pour désigner l'objet de la foi ou de l'enseigne-
ment évangélique.
Qu'est-ce qu'un dogme, dans les Etudes, 20 juillet et 5 août 1905,
p. 145-173, 3i8-342; Wehrlé, dans la Revue biblique, 1905,
p. 323-35o ; De Grandmaison, Qu'est-ce qu'un dogme, dans
le Bulletin de littérature ecclésiastique, igo5, p. i85 sq. ; Allô,
A la recherche d'une définition du dogme, dans la Quinzaine,
août 1905, p. 4o3-424-
1. Luc, ii, 1. — 2. Eph., 11, i5; Col. 11, i4« — 3. Ad., xv, 22,
25, 28. — 4. Epist. ad Magn., xm, 1 ; dans Funk, Ope. Pair,
apost., Tubingue, 1881, t. 1, p. 200. — 5. Oral, ad Grœc, 1,
3i, 35.
l84 LE CATÉCHISME ROMAIN
Mais peu à peu on a distingué, dans le catholi-
cisme, l'élément intellectuel ou ce qui est la doctrine
proprement dite, et l'élément moral ou le comman-
dement pratique. A partir du ive siècle, ce mot
dogme prend définitivement et conserve depuis le
sens restreint et précis réservé aux décisions doctri-
nales de l'Eglise ; il désigne les vérités de foi qui
requièrent une adhésion intellectuelle ; c'est le sens
désormais traditionnel.
2° Son objet
Un dogme se définit : Une vérité révélée par Dieu
et proposée comme telle par l'Eglise à la foi de ses
enfants.
Cette brève définition implique plusieurs notions
et soulève un certain nombre de questions délicates,
qui seront examinées et traitées à leur place. En
effet, si le dogme est une vérité révélée, cela suppose
le fait d'une révélation divine et aussi l'existence de
documents où elle se trouve consignée : c'est à
l'histoire d'établir le fait et à la critique d'examiner
les documents. Si le dogme est une vérité révélée
proposée comme telle par l'Eglise, cela suppose
également que l'Eglise peut s'assurer sans crainte
d'erreur du fait que telle vérité est du nombre de
celles que Dieu a révélées, et qu'elle a le droit de
l'imposer à la foi des fidèles.
3° Sa formule
L'Eglise ne définit un dogme que sous forme de
proposition doctrinale, soit en condamnant toute
erreur opposée, soit en proclamant officiellement
ce qui est de foi. Mais si la vérité qu'elle exprime
NOTION CATHOLIQUE DU DOGME l85
appartient au dépôt révélé, les termes dont elle se
sert pour la formuler appartiennent au langage
humain : elle les emprunte à la langue courante ou
à la terminologie des théologiens et des philosophes ;
au besoin, elle les crée.
La tâche n'est pas toujours aisée d'adapter les
mots connus à l'expression de la vérité révélée.
Celle-ci, en effet, est transcendante et échappe par
plus d'un côté aux prises de l'intelligence. D'où la
nécessité de bien choisir les vocables. Mais il arrive
souvent qu'avant d'être définitivement adoptés ou
rejetés, les mots passent par d'étranges vicissitudes:
attaqués par les uns comme impropres ou dange-
reux, revendiqués par d'autres comme excellents et
à l'abri de toute suspicion, de tout reproche, tour à
tour employés, abandonnés ou repris, ils n'échap-
pent à toute discussion que lorsque l'Eglise se pro-
nonce sur leur compte, en les condamnant ou en les
adoptant dans l'expression officielle de sa foi.
L'histoire nous apprend, par exemple, que le mot
de monarchie, d'usage courant à la fin du 11e siècle
et au me pour exprimer l'unité divine, était dénoncé
comme suspect et de nature à porter atteinte à la
trinité des personnes par Tertullien (i). Gela n'em-
pêcha p s le pape saint Denys (269-268) de le re-
prendre et d'en montrer le sens parfaitement ortho-
doxe (2). Celui de 7rpo<j(t>7rov, chez les grecs, de
persona, chez les latins, évoquait l'idée d'un per-
sonnage sur la scène, d'un auteur qui joue succes-
sivement plusieurs rôles ; mais pour servir à dési-
gner ce que la foi chrétienne entend par personne
divine, il devait perdre son sens strictement étymo-
logique. Celui de ôjxooùctoç, appelé à un si grand
1. Adv. Prax., m ; Pair, lat., t. 11, col. i58. — 2. Eplst. adv.
Sa'âd.
l86 LE CATÉCHISME ROMAIN
retentissement au iv° siècle, commença par être
proscrit au synode d'Antioche, en 269 ou 271, à
cause du sens hérétique que lui donnait Paul de
Samosate ; mais il fut repris au concile de Nicée
dans un sens nettement arrêté et devint, comme
l'on sait, la tessère de l'orthodoxie.
D'autres expressions, telles que Y union hypostati-
que, la communication des idiomes, la circuminses-
sion, etc., se sont conservées dans leur forme native
et sont simplement employées dans l'usage actuel
dans leur sens primitif, aujourd'hui encore suffi-
samment accessible à l'intelligence sans qu'il soit
nécessaire, pour les expliquer, de recourir à un
grand appareil scientifique.
Mais si, parfois, l'Église crée des mots nouveaux,
trinité, transsubstantiation, etc., elle se contente le plus
souvent de prendre les termes de la philosophie
régnante avec les images, les principes et les for-
mules qui s'harmonisent avec la doctrine qu'elle
enseigne et l'expriment au mieux. Mais un tel
emprunt n'implique ni l'infiltration d'une philo-
sophie particulière dans son enseignement dogma-
tique, ni l'inféodation de la doctrine évangélique
à un système hétérogène quelconque, ni la solu-
tion des problèmes divers que soulève, parmi les
philosophes, la nature intime des réalités qui
se cachent sous ces vocables.
Il est à remarquer, en effet, que dans les défini-
tions de foi proprement dites, les mots empruntés à
telle ou telle philosophie n'ont nullement le sens
particulier et spécifique du système auquel, ils sont
empruntés, mais seulement la signification ordi-
NOTION CATHOLIQUE DU DOGME IO7
dinaire qu'ils ont dans l'usage courant, où ils s'af-
franchissent de leur sens technique et systématique
et se démarquent. « Ils ne désignent plus alors,
remarque le P. Allô, que les postulats de la philoso-
phie rudimen taire nécessaire à tout homme réfléchi,
ce que tout le monde constate ou présuppose, ce
dont toutle monde aune connaissance distincte (i). »
« Le dogme, en tant que dogme, n'est jamais expri-
mé qu'en termes très distincts, qui sont de la lan-
gue commune ou y ont du moins leurs équivalents. »
Il n'implique pas du toutle détail d'une philosophie
spéciale ; « il n'implique, en fait de philoso-
phie, que les idées courantes d'une philosophie
déiste... Il fait ahstraction de toutes les moda-
lités philosophiques qui enveloppent ou déter-
minent leur contenu dans l'esprit des savants ;
mais il lui reste le sens empiriquement clair et
intellectuellement obscur, qui est perceptible à
tous (2). ))
« La foi, dit à son tour le P. Portalié, n'emprunte
à la philosophie ni ses systèmes particuliers, ni les
théories plus ou moins fondées sur la nature des
êtres ; elle lui prend seulement ces vérités primor-
diales et ces principes essentiels qui constituent la
philosophia perennis de l'humanité. . . De même, quand
l'Eglise emprunte à la philosophie des images, des
métaphores, des expressions ou même des théories,
elle ne définit nullement pour cela le système lui-
même auquel ces formules sont empruntées... Ainsi
en adoptant les expressions dogmatiques nature,
personne, transsubstantiation, tout en définissant
l'idée générale et distincte que ces mots expriment,
l'Eglise ne prétend nullement trancher toutes les
1. Quinzaine, ier août 1905, p. frig. — 2. Quinzaine, ier août
igo5, p. 420-421.
l88 LE CATÉCHISME ROMAIN
questions soulevées parles philosophes sur la nature
intime de ces réalités (1). »
Parmi ces termes, il en est deux notamment,
matière et forme qui semblent gros d'une philoso-
phie spéciale. Ils appartiennent, en effet, à l'école
péripatéticienne, où ils sont liés à une conception
cosmologique particulière , celle de l'hylémorphisme ,
tandis que, dans la théorie des sacrements, ils ser-
vent à désigner, par une simple analogie, le rôle que
joue dans le baptême, par exemple, la parole par
rapport à l'eau, rôle déterminateur semblable à ce-
lui de la forme aristotélicienne vis-à-vis de la ma-
tière. Cette théorie sacramentaire, élaborée par les
scolastiques, consacrée par Eugène IV et le concile
de Trente, montre bien, dit le P. de Grandmaison,
que « le ciment philosophique n'a introduit dans
l'édifice, désonnais consacré, de la dogmatique or-
thodoxe, pour relier des concepts réellement, spé-
cifiquement chrétiens, que des notions de métaphy-
sique universelle... Mais on ne peut ramener à cette
métaphysique générale toutes les notions de philo-
sophie impliquées par les énonciations dogmatiques. . .
L'Eglise suppose, par quelques-unes de ses formules
de foi, des notions philosophiques, dont on est im-
puissant à établir directement le caractère général...
soit l'union de l'âme et du corps. L'Eglise nous dé-
clare, dans le concile de Vienne (i3i2), que l'on ne
peut sans errer dans la foi nier ou simplement
révoquer en doute que l'âme raisonnable soit par
elle-même, essentiellement, véritablement, la forme
du corps humain. Or, ce concept scolas tique de
forme substantielle, qui emporte une philosophie
assez développée doit être tenu pour vrai, au moins
par rapport à l'âme humaine. L'intervention des
i. Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 137.
NOTION CATHOLIQUE DU DOGME l8g
théologiens de Vienne sur le terrain philosophique
était, en fait, provoquée parle devoir qu'ils avaient
de maintenir dans son intégralité le dépôt des vérités
révélées (i). »
On n'est donc nullement autorisé à dire qu'une
formule dogmatique est l'expression d'une idée
étrangère, hétérogène : elle est l'expression d'une
vérité révélée, spécifiquement chrétienne. Des simi-
litudes verbales ou métaphoriques n'impliquent pas
l'identité des concepts qu'elles recouvrent : vocables
et métaphores sont extérieurs à la connaissance et
restent accessoires. C'est l'idée qu'ils revêtent qui
importe avant tout. Or, encore une fois, l'idée
exprimée par les formules dogmatiques est exclusi-
vement chrétienne.
Loin donc de canoniser Platon ou Aristote, l'Eglise
a soin de tenir à l'écart de son enseignement tout
dogme étranger; elle ne confond pas la philosophie
ni même la théologie avec la foi ; elle, se sert sim-
plement de la philosophie et de la théologie dans la
mesure où elles peuvent lui être utiles pour formuler
sa foi sans la trahir. Saint Thomas, observe avec
raison le P. Portalié, corrige Aristote, comme saint
Augustin corrige les platoniciens (2). Et de tous les
docteurs de l'Eglise on peut dire ce que M. Grand-
george proclamait de l'évêque d'Hippone : « Tout ce
qui, dans le néo-platonisme, peut s'accorder avec
les mystères chrétiens, ou qui trouve dans ces mys-
tères une explication, saint Augustin le conserve
et le conservera toujours ; mais ce qui était exclusi-
vement néo-platonicien, il le repoussera de plus en
plus. Donc tant que sa philosophie concorde avec
ses doctrines religieuses, saint Augustin est fran-
1. Eludes, 1898, t. lxxvi, loc. cit., p. 485-^90. — 2. Bulletin,
1905, loc. cit., p. i35.
190 LE CATECHISME ROMAIN
chement néo-platonicien ; dès qu'une contradiction
se présente, saint Augustin n'hésite jamais à subor-
donner la philosophie à la religion, la raison à la
foi (1). »
4° Ses caractères
Que l'Eglise emprunte ses termes au langage
ordinaire ou à la philosophie, ou même qu'elle les
crée, en tout état de cause, quand elle définit une
vérité révélée comme de foi catholique, elle puise
dans le dépôt qui lui a été confié, elle tire de ce fond
et affirme que telle ou telle vérité en fait partie ;
elle est dans son rôle de gardienne et d'interprète ;
les fidèles n'ont qu'à se soumettre.
Du reste, en définissant une vérité comme de
foi catholique, l'Eglise estime tenir un langage
suffisamment clair et intelligible pour l'esprit
humain, sans prétendre aucunement faire cesser le
mystère, car l'incompréhensible n'est ni l'inintelli-
gible, ni l'inconnaissable absolu. Elle n'ignore pas
l'impuissance où se trouve la raison humaine
d'épuiser l'absolu et de représenter la réalité divine
tout entière. Obligée de recourir au procédé analo-
gique, nécessairement inadéquat et imparfait, elle
en use au mieux de la vérité révélée, à titre de
moyen d'exposition ou d'instrument de connaissance,
comme ayant une valeur représentative légitime et
suffisante. Or, en imposant une vérité définie à la foi
de ses fidèles, c'est à leur esprit tout d'abord qu'elle
s'adresse, puisque c'est une vérité qu'elle propose et
que la vérité appartient à l'ordre intellectuel ; ce
faisant, elle reste assurée du retentissement profond
1. Grandgeorge, Saint- Augustin et le néo-platonisme, Paris,
1896, p. i55-i56.
NOTION CATHOLIQUE DU DOGME IÇ)I
que la vérité définie ne peut manquer d'avoir, au
point de vue pratique, dans toute l'économie de la
vie chrétienne.
Loin donc de regarder ses formules dogmatiques
comme de purs symboles, de simples métaphores
ou des notations algébriques, elle estime, au con-
traire, qu'elles répondent à une réalité vivante,
sinon dans sa totalité, du moins à l'un de ses
aspects, et que, si elles ne l'expriment pas adéquate-
ment, c'est sans doute à cause de la transcendance
de cette réalité, qui nous reste par ailleurs inconnue
et insaisissable dans une large mesure, et aussi à
cause de la nature limitée de notre esprit et de
l'insuffisance native des moyens dont il dispose.
Mais, à moins de réserver, comme on le fait trop
souvent dans certains milieux scientifiques, le mot
de connaissance à la seule connaissance d'un objet
dont on fait complètement le tour, qu'on pénètre à
fond, ou dont on finit par acquérir une notion
compréhensive et adéquate, propre et directe, il est
juste de reconnaître qu'on peut avoir aussi d'un
objet une connaissance partielle, qui n'est ni moins
réelle, ni moins positive, bien qu'indirecte et pure-
ment analogique.
Le symbole n'est que conventionnel ; il ne fait
que remplacer un objet, sans en révéler la nature.
L'analogie, au contraire, part d'une réalité positive,
découvre une certaine ressemblance entre l'objet et
notre concept, représente par suite cet objet sous
un rapport déterminé ; et, bien qu'elle ne nous le
manifeste pas intégralement, elle nous en apprend
du moins quelque chose de positif et de vrai. Or
c'est là justement l'espèce de connaissance que nous
procure la formule dogmatique : elle n'épuise pas
l'objet révélé, mais elle en fait connaître quelque
«hose, et ce qu'elle nous en manifeste est vrai, d'une
192 LE CATECHISME ROMAIN
vérité absolue, définitivement acquise, irréformable
et immuable.
Sans nul doute, la vérité ainsi proposée avec
toutes les garanties dont elle est susceptible, res-
semble à un joug; mais c'est le joug divin qui
honore la créature raisonnable sans compromettre
en rien sa dignité ou son autonomie, ainsi que nous
l'expliquerons plus au long en répondant à l'objec-
tion, aujourd'hui si répandue, que le dogme apparaît
comme un asservissement, comme une limite aux
droits delà pensée, comme une menace de tyrannie
intellectuelle, comme une entrave et une restriction
imposées du dehors à la liberté de la recherche,
toutes choses, dit-on, radicalement contraires à la
\ie même de l'esprit, à son besoin d'autonomie et
de sincérité.
Cette notion du dogme est loin de rallier aujour-
d'hui tous les suffrages. Méconnue par quelques
uns, travestie par d'autres, elle est résolument reje-
tée par certains. Sous prétexte qu'elle est absolument
incompatible avec l'état actuel des esprits, qu'elle
crée une airtinomie irréductible dans l'âme entre
les conquêtes toujours progressives de la science et
les affirmations du Credo, les uns la vident de son
sens catholique et traditionnel et lui substituent une
signification qu'ils jugent plus en harmonie avec le
progrès scientifique, plus acceptable pour la pensée
contemporaine, mais qui est la négation radicale
du dogme. D'autres, sans aller aussi loin, se mon-
trent tout disposés à ne plus lui reconnaître le
moindre caractère intellectuel pour n'y voir qu'une
direction morale d'ordre pratique.
Sans parler de M. Harnack, professeur à l'univer-
sité de Berlin, dont la thèse bien connue consiste à
prouver que les dogmes, dans leur conception et
leur structure, sont l'œuvre de l'esprit humain et
NOTION CATHOLIQUE DU DOGME igo
non le pur exposé de l'Evangile, une espèce d'esca*-
motage (i) ; et pour ne nous en tenir qu'à des au-
teurs français, n'est-ce pas M. A. Sabatier, mort
depuis peu doyen de la faculté de théologie protes-
tante de Paris, qui réduit le dogme à n'être que la
manifestation extérieure d'une expérience religieuse
subjective, individuelle, avec toutes les conséquen-
ces qui en découlent (2) ?
N'est-ce-pas M. Loisy, écho à peine voilé, sur un
très grand nombre de points, de M. Harnack et de
M. Sabatier, qui estime que la vérité est quelque
chose de « nécessairement conditionné, relatif, tou-
jours perfectible, » a évoluant avec l'homme, en
l'homme et par l'homme ; » que la révélation c'est
« la conscience acquise par l'homme de son rapport
avec Dieu, » « Dieu agissant dans l'homme, Dieu
connu par l'homme ; » et que le dogme est la for-
mule de « l'expérience religieuse, » conditionné lui
aussi par le développement de la science, par suite
relatif, variable, perfectible tout comme* la vérité
elle-même (3) ?
Et n'est-ce pas M. Le Roy qui, devant l'impuis-
sance de la pensée catholique à se faire entendre de
nos contemporains, et constatant qu'on ne discute
pas si telle ou telle proposition est un dogme, mais
que c'est l'idée du dogme elle-même qui répugne,
s'est demandé et a demandé si la vraie solution aux
difficultés d'ordre divers qu'on fait valoir, ne serait
1. A. Harnack, Dogmengeschichte, Fribourg-en-Brisgaii,
189^-1897 ; Précis de l'histoire des dogmes, trad. franc., Paris,
i853 ; Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1900; trad. franc.,
Paris, 1902. — 2. A. Sabatier, Esquisse d'une philosophie de la
religion d'après la psychologie et l'histoire, Paris, 1897 ; La
religion d'autorité et la religion de l'esprit, Paris, 190/i. —
3. Loisy, l'Evangile et l'Eglise, Paris, 1903 ; Autour d'un petit'
livre, Paris, 1903.
l.p ta • TH'SME. T. I. J3
194 LE CATÉCHISME ROMAIN
pas d'établir que la notion de dogme, condamnée
et réprouvée par la pensée moderne, n'est pas la
notion catholique, et s'il n'y a pas lieu dès lors de
la changer, en déterminant la modalité du juge-
ment dogmatique et la qualification qui lui con-
vient (i) ?
Sous la plume de ces auteurs se trouvent les prin-
cipales objections qu'on oppose à la notion catholi-
que du dogme, et aussi les essais de théories, les
solutions proposées pour rendre le dogme accepta-
ble. Que valent ces objections ? Que penser de ces
théories ? C'est ce qu'il importe de savoir.
IL Théorie de M. A. Sabatier
La théorie de M. A. Sabatier est intéressante à*
connaître à plus d'un titre. Elle ne représente pas
seulement ce que le protestantisme libéral conserva
de préjugés contre le dogme catholique, les griefs
qu'il fait valoir contre lui et la condamnation qu'il
en porte ; mais elle se donne encore comme un
essai, comme « l'esquisse d'une philosophie de la
religion d'après la psychologie et l'histoire, » pour
faire cesser toute antinomie entre le sentiment reli-
gieux et l'esprit moderne, pour écarter toute cause
de conflit entre la foi et la science.
La tâche, assurément, est assez malaisée ; mais,
grâce à une méconnaissance radicale du grand fait
de la révélation divine et de la notion du dogme
catholique, grâce à une interprétation de l'histoire,
tendancieuse et systématique, dont on s'autorise
après M. Harnack pour déclarer que l'enseignement
i. Le Roy, Qu'est-ce qu'an dogme ? dans la Quinzaine, 16
avril 1905.
THÉORIE DE M. A. SABATIER igS
chrétien n'est qu'une adaptation religieuse de la
philosophie grecque ou scolastique, grâce surtout à
l'influence décisive du subjectivisme de Kant, qu'on,
revendique hautement comme la seule solution pos-
sible et rationnelle de toutes les difficultés du pro-
blème religieux, on en est arrivé, en France comme
en Allemagne, à vider de leur sens traditionnel les
concepts de révélation et de dogme et à réduire la
religion à une affaire d'ordre privé, à un subjecti-
visme absolu. Mais ce n'est pas seulement la néga-
tion du catholicisme qui est au bout de tels efforts,
c'est encore l'idée religieuse elle-même qui sombre
pour ne plus laisser place qu'à un vague sentimen-
talisme. De telle sorte que cette critique destructive
et cette tentative de systématisation, loin d'être jus-
tifiées en soi, ouvrent la porte aux conséquences les
plus fâcheuses (i).
1° Objections de M. Sabatier
M. Sabatier reconnaît que la « notion d'un dogme
immuable ne se trouve rigoureuse et achevée que
dans le catholicisme, » qu'elle dérive du principe
i. L'apparition de l'Esquisse fut saluée comme « un événe-
ment théologique » par un collègue de M. Sabatier, profes-
seur à la faculté de théologie protestante de Paris, M. Méné-
goz, dans la Revue chrétienne, 1897, n. 2 ; cet article est repro-
duit dans le Fidéisme, Paris, 1900, p. 227-238, du même au-
teur. Mais tous les coreligionnaires de M. Sabatier sont loin de
partager ses idées. M. H. Bois, en particulier, professeur à la
faculté de théologie protestante de Montauban, a vivement et
fortement critiqué la plupart des points de la théorie du
doyen de Paris ; son livre de la Connaissance religieuse, Paris»
1894, contenait la réfutation de la plupart des vues de M. Sa-
batier, déjà connues par des publications précédentes et insé-
rées dans l'Esquisse sans un mot de réponse.
I96 LE CATÉCHISME ROMAIN
même du catholicisme. « Dans une institution exté-
rieure, dans une Eglise infaillible, dit-il, le dogme
ne peut que prendre la forme d'une loi absolue (i). »
Mais il se refuse à accepter une telle notion, et cela
pour plusieurs motifs.
i. Il trouve d'abord que la doctrine catholique
est étrangère au christianisme : c'est la thèse de
M. Harnack.
Parlant, en effet, de la doctrine des conciles et
des Pères, il dit : « Qui ne voit que cette étoffe est
grecque de forme, de couleur et par tous les fils de
son tissu? D'où viennentces termes et ces notions...
que l'hébraïsme n'a pas connus, ces concepts abs-
traits de substance ou d'hypostase, de nature et de
personne, d'essence et d'accident, de matière et de
forme? D'où provient la science des Pères de l'Eglise,
leur exégèse, leur histoire, leur logique, leur psy-
chologie et cette haute métaphysique qui a si com-
plètement transformé le ciel des prophètes en un
ciel platonicien ? Tout cela dérive d'Athènes,
d'Ephèse, de Samos, de Milet, en passant par
Alexandrie et Rome. Les Justin et les Athénagore, les
Clément et les Basile, Athanase plus encore qu'Arius,
Jérôme comme Augustin ont été nourris, dès leur
enfance, aux lettres grecques et latines. Ils ont lu
Platon, Heraclite, Zenon, Philon, et, plus tard, Ci-
céron, Possidonius et Sénèque, autant et plus peut-
être que l'Ancien Testament. Quoi d'étonnant dès
lors que leur théologie suive pas à pas celle du néo-
platonisme, au point que celui-ci deviendra, pour
Augustin, la véritable introduction à l'Evangile et
qu'au moyen âge les noms de Platon et d'Aris-
tote ne seront pas revêtus d'une autorité moin-
i. Esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychO'
logie et Vhistoiref Paris, 1897, p. 277, a8i«
THEORIE DE M. A. SABATIER I97
dre que ceux d'Esaïe, de saint Paul et de saint
Jean (r) ? »
Dans un autre passage, il demande : « Comment
expliquer cette formation étonnante des grands dog-
mes catholiques, autrement que par l'aliiage du
principe de l'Evangile avec la pensée hellénique ?
Examinez de plus près la construction de ce chris-
tianisme doctrinal. Avec quels matériaux l'édifice
a-t-il été bâti ? De quelles carrières viennent les
moellons employés ? Quel architecte en a tracé le
dessin ? A quel style convient-il de le rapporter ?
L'Eglise affirme que tout cela vient de la Bible.
C'est une grande illusion... La substructure philo-
sophique des dogmes est restée grecque, de même
que la langue dans laquelle ils furent tout d'abord
rédigés (2) ».
Il y a dans cette objection des assertions gratuites,
de regrettables confusions, des erreurs. M. Sabatier
confond trop à son aise la philosophie des Pères
avec leur théologie, et la théologie en général avec
le dogme strictement dit. Les Pères, sans doute, ont
pu embrasser tel ou tel système de philosophie ;
mais leur philosophie particulière n'engage pas
la théologie ; et la théologie elle-même, œuvre
humaine, effort intellectuel de l'homme pour
expliquer ou exposer scientifiquement le dogme,
n'est pas le dogme et n'a pas, comme lui, l'autorité
d'un credo. Nous n'insisterons pas davantage,
ayant déjà dit ce qu'il convient de penser soit
de l'autorité des philosophes, soit de l'influence
de la philosophie ; celle-ci, en tant que système
particulier, reste à la porte, à raison même de
son hétérogénéité ; en tant que possédant des
notions d'ordre général et qui appartiennent par là
1. Esquisse, p. a32-a33. — a. Esquisse, p. 3i4-3i5.
I98 LE CATÉCHISME ROMAIN
même au domaine ordinaire de la connaissance,
elle est utilisable et, de fait, elle a été utilisée, rien
-de plus légitime.
2. M. Sabatier accuse le dogme, entendu au sens
catholique, de créer un conflit dans la conscience.
« Il est bien évident, écrit-il, qu'une doctrine impo-
sée ainsi du dehors par l'autorité sacerdotale, entrera
nécessairement en conflit avec le développement orga-
nique de la science et la culture libre de l'esprit. Il ne
saurait y avoir ni contact ni fusion entre les don-
nées surnaturelles du dogme et les acquisitions pro-
gressives de la raison naturelle, puisqu'il n'y a iden-
tité ni de principe, ni de méthode, ni de contrôle.
Les idées catholiques et les idées modernes resteront
extérieures les unes aux autres. Cette juxtaposition
inorganique se transformera vite en antagonisme
flagrant.. Dans la formule qui l'a constitué, il y a
un millier d'années, sont entrés des éléments de la
science de l'époque. Les Pères de l'Eglise et les doc-
teurs du moyen âge l'ont construit nécessairement
avec la cosmologie, la physique, la médecine, l'his-
toire, la jurisprudence et la morale de leur temps.
En revêtant d'une autorité divine cette science rudi-
mentaire du passé, vous en opposez les erreurs aux
concepts d'une science plus vaste et plus sûre, et le
conflit éclate inévitablement (1). »
Nous retrouvons ici l'hypothèse injustifiée et
fausse, déjà signalée, celle de la substitution d'une
philosophie humaine à l'enseignement évangélique
et celle d'une prétendue canonisation par l'Eglise
d'anciennes doctrines scientifiques, complètement
périmées et condamnées par les progrès actuels.
Mais M. Sabatier y en ajoute une autre, celle de
Tincompatibilité irréductible entre les données dog-
1. Esquisse, p. 281-282.
THEORIE DE M. A. SABATIER I99
matiques et les acquisitions scientifiques. Nous
avons déjà dit qu'il n'y a pas eu d'hellénisation de
l'Evangile, ni d'inféodation platonicienne, aristotéli-
cienne ou autre. Dans l'enseignement dogmatique,
il n'y a pas succession de doctrines, mais perma-
nence et transmission développée d'une même et
seule doctrine, la doctrine révélée, avec notification
officielle par des définitions que telle ou telle vérité
fait partie authentique du dépôt révélé.
Quant à l'incompatibilité qu'on allègue, elle n'est
pas et ne saurait être dans l'opposition et le conflit
de la vérité révélée et de la vérité scientifique, par
la raison bien simple que la vérité ne peut pas aller
contre la vérité. Ces vérités, assurément, sont d'un,
ordre différent : chacune d'elle a son principe, sa mé-
thode, propres ; mais cette différence ne suffit pas,
à elle seule, pour soutenir qu'elles créent nécessai-
rement dans la pensée contemporaine un état d'an-
tagonisme et de conflit, qui condamne le dogme au
profit de la science intangible : ce serait décréter ce
principe faux qu'il n'y a pour toutes sortes de véri-
tés qu'un principe, qu'une méthode, qu'un contrôle
identiques. Qui ne sait, en effet, qu'à côté des expé-
riences de laboratoire, il existe d'autres procédés
d'investigation ? Les balances, les cornues, les réac-
tifs, ont leur utilité dans le domaine des sciences
expérimentales. Mais, d'autre part, et dans d'au-
tres domaines, n'y a t-il pas l'induction, l'analo-
gie, etc. ?
N'existerait-il par hasard qu'une espèce de certi-
tude, la certitude mathémathique ou expérimen-
tale ? N'y a-t-il pas aussi une certitude morale ? Et
l'autorité, le témoignage d'autrui qui, du reste,
s'imposent à chaque pas dans la xie pratique, et
jouent un rôle utile sinon nécessaire dans l'ordre
scientifique, de quel droit les frapper d'ostracisme
200 LE CATECHISME ROMAIN
et les rejeter par cela seul qu'ils servent à trans-
mettre la vérité révélée ?
Il est à constater, en tout cas, que, chez les vrais
savants, la foi et la science vivent en parfaite intel-
ligence sans l'ombre d'un conflit. Mais nous aurons
à revenir sur ce point.
3. Dans sa critique négative et destructive, M. Sa-
batier va plus loin encore. Car, à ses yeux, le dogme
tenu pour absolu et immuable n'est pas seulement
une source de conflits, la cause d'un antagonisme
irréductible, il est de plus scientifiquement stérile,
sans action sur la pensée humaine et même sans
valeur religieuse.
A vrai dire, « depuis la fin du moyen âge, le
dogme, au sens catholique, a cessé de vivre. Il a
cessé de vivre dans la conscience philosophique et
scientifique moderne, absolument émancipée de
toute autorité autre que celle de la raison ; il a cessé
de vivre dans la conscience religieuse protestante,
qui a introduit l'idée de critique et l'idée de réforme
continue dans la vie même de l'Eglise ; il a cessé de
vivre enfin dans la conscience catholique elle-même
qui, l'ayant réduit à celui de l'autorité toute nue,
représentée par le Pape, ne le conserve plus qu'em-
baumé. Donc si l'usage, qui est toujours la source
et la règle du langage, doit être fixé d'après la tra-
dition catholique, on peut dire qu'il n'y a plus de
dogme (i). »
Constater que le dogme, entendu au sens catholi-
que , a cessé de vivre dans la conscience philosophique
et scientifique moderne ainsi que dans la conscience
religieuse protestante, c'est un fait que l'on ne saurait
oontester, du moins pour la plupart des philosophes
et des protestants. Mais ce fait, qui est loin d'être
i. Esquisse, p. 291.
THEORIE DE M. A. SABAT1ER 201
général, que prouve- t-il contre le dogme lui-même?
— Rien, absolument rien. Ce qu'il prouve c'est que,
chez plusieurs de nos contemporains, l'esprit op-
pose systématiquement mais irrationnellemcnt sa
prétendue autonomie à l'autorité divine, alors que
cette autonomie, tant prônée, n'est qu'un leurre,
car elle n'existe dans aucun ordre de connaissance.
Partout et toujours, l'homme, quoi qu'il en ait, se
trouve, dans l'ordre de la connaissance, dépendant
et conditionné. En refusant d'accepter l'enseigne-
ment dogmatique de l'Eglise, il fait acte de liberté ;
mais ce n'est plus alors une question d'ordre intel-
lectuel, c'est une question d'ordre moral.
Quanta prétendre, comme le fait M. Sabalier, que
le dogme a également cessé de vivre dans la cons-
cience catholique, et le comparer à une momie rou-
lée dans ses bandelettes, c'est une assertion quelque
peu osée. Car, à moins de fermer délibérément les
yeux à tout un côté, etnon le moindre, de l'histoire
moderne et contemporaine, et pour peu qu'on
veuille user d'impartialité, on est bien obligé de
constater que le mouvement scientifique n'a cessé
de produire, grâce aux théologiens catholiques, des
travaux de premier ordre, où la morale a sans doute
sa part, mais oùfle dogme occupe une place hors de
pair. Et qu'est-ce donc que le progrès dans l'apolo-
gie de la foi, dans son explication rationnelle, dans
l'étude des textes bibliques, dans les définitions
dogmatiques nouvelles ? L'immutabilité n'est pas
l'immobilité ; les définitions ne sont pas des cristal-
lisations de la foi. Dans les sciences ordinaires, on
se garde bien de répudier les résultats acquis, on
s'en sert au contraire, on s'y appuie pour des tra-
vaux et des progrès nouveaux. De même dans la
science théologique, on étudie le dogme défini, on
l'explique, on le compare, on part de lui pour de
202 LE CATECHISME ROMAIN
nouvelles études. Et, d'autre part, le dogme ainsi
étudie, compris, exposé, de plus en plus, de mieux
en mieux, loin d'être une lettre morte, devient, en
dehors de l'école et dans la société chrétienne, un
principe fécond de vie intense. C'est lui qui ali-
mente la piété et qui s'épanouit en tant d'œuvres
admirables ; il n'est pas seulement un foyer de lu-
mière, il est aussi un principe de chaleur et de
mouvement. C'est ce qu'a fort bien montré le
P. Bainvel, dans Un siècle, sous ce titre : Le dogme
et la pensée catholique pendant le XIXe siècle, en étu-
diant successivement le mouvement de la théologie
dans le traitement scientifique du dogme et le mou-
vement de la pensée catholique sous l'influence du
dogme et de la théologie (i).
2° Théorie de M. Sabatier
Apparemment, pour remplacer la notion catho-
lique du dogme, M. Sabatier tient en réserve une
théorie toute prête : quelle est-elle ? que vaut-elle ?
Nous ne pouvons que l'esquisser à grands traits.
C'est au nom de la psychologie et de l'histoire
qu'il la formule. Il prend pour point de départ une
conception nouvelle de la religion, où il conserve
les mots de révélation et de dogme, mais après les
avoir complètement vidés de leur sens tradi-
tionnel.
i . A ses yeux, en effet, la révélation n'est pas la
notification de certaines vérités faite par Dieu et
communiquée aux hommes par des intermédiaires
autorisés, avec d'expresses garanties ; car ce n'est
là, estime-t-il, qu'une notion scolas tique « anti-
psychologique » et « toute païenne. » « En entrant
i. Dans les Etudes, 1900, t. lxxxii, p. 3o-64<
THÉORIE DE M. A. SABATIER 2o3
dans l'entendemain humain, ces connaissances sur-
naturelles y introduisent un dualisme irréductible
(toujours la même objection). Les sciences sacrées
se dressent à côté des sciences profanes, sans qu'il
soit possible de les organiser ensemble en un corps
cohérent et harmonique... Concluons donc hardi-
ment contre toutes les orthodoxies traditionnelles
que l'objet de la révélation de Dieu ne saurait être
que Dieu lui-même, c'est-à-dire le sentiment de sa
présence en nous, éveillant notre âme à la vie de la
justice et de l'amour (i). »
Voilà ce qu'est pour M. Sabatier la révélation :
un sentiment de la présence de Dieu en nous, autre-
ment dit l'action de Dieu sur chaque conscience
individuelle, quelque chose de purement subjectif
comme la religion de M. Sabatier, qui se compose
d'une âme et d'un corps, et dans laquelle le rôle de
l'âme est dévolu à la piété intime et le rôle du corps
à la forme extérieure, au rite, au dogme. Sans
doute, dit-il, la piété humaine et l'éveil du sentiment
religieux doivent avoir une cause objective, et cette
cause ne saurait être que la révélation ntême de
Dieu. Mais cette révélation qui s'opère au dehors
dans les événements de la nature et de l'histoire
n'est connue cependant qu'à l'intérieur, dans et par
la conscience humaine... Le phénomène religieux
n'a pas donc que deux moments : la révélation
objective comme cause et la piété subjective comme
effet ; il en a trois qui se succèdent toujours dans
le même ordre : la révélation intérieure de Dieu,
laquelle produit la piété subjective, laquelle à son tour
engendre les formes religieuses historiques, rites, for*
mules de foi... Toute révélation religieuse de Dieu
i. Esquisse, p. 44.
204 LE CATÉCHISME ROMAIN
doit nécessairement traverser la subjectivité humaine
avant d'arriver à l'objectivité historique (i).
2. Or, c'est dans cette objectivité, dans cette
extériorisation ou manifestation de l'expérience
religieuse intime et privée, et par elle, que se for-
mule le dogme. Le dogme, dès lors, n'est plus une
vérité révélée par Dieu à d'autres que nous, dûment
confiée à des dépositaires fidèles, authentiquement
proposée par un organe choisi et sous la garantie
d'une assistance divine positive et indéfectible ; c'est
tout simplement l'expression externe d'un état
d'âme, d'une expérience religieuse privée ; car cha-
que individu, recevant personnellement la révélation
divine, en fait l'objet, dans l'intimité de son âme,
de la piété, et, en traduisant au dehors, dans la
réalité historique, le fruit de son expérience, il for-
mule le dogme.
Donc plus de révélation, plus de dogme au sens
entendu jusqu'ici depuis tant de siècles. Entre Dieu
et nous, tout intermédiaire est supprimé : aucune
autorité ni église n'a sa raison d'être ; et s'il est
encore question, malgré cela, de société religieuse,
ce ne peut être, comme pour la religion, la révéla-
tion et le dogme, que d'une façon impropre : c'est
la simple juxtaposition d'individualités multiples
sans aucun lien qui les relie entre elles et les orga-
nise en un corps constitué. L'évangile, avec ses
textes formels sur la constitution d'un corps orga-
nique, d'un magistère enseignant, est mis de côté :
on n'en tient plus compte. Ce n'est plus Dieu qui
confie sa vérité à qui il lui plaît, qui crée l'organe
qu'il juge utile à sa conservation et à sa transmis-
sion, c'est l'homme, pris individuellement, de
son autorité privée, et sur le seul témoignage de la
i. Esquisse, p. 268.
THÉORIE DE M. A. SABATIER 205
conscience qu'il dit avoir de ses relations avec Dieu,
qui formule ce que l'on s'obstine à appeler le dogme.
3. Le dogme, étant ainsi l'expression de l'expé-
rience religieuse propre à chaque individu, est
nécessairement variable comme cette expérience
elle-même dans le temps et dans l'espace. Il y aura
donc, pour le même individu, autant de dogmes
différents que de différentes expériences tout le long
de son existence. Et cette multiplicité de dogmes
individuels n'implique nullement une manifestation
successive d'états d'âme ou de conscience cohérents
entre eux ; ils pourront être dissemblables et même
contradictoires. Et cela se répétant d'un individu à
l'autre, dans la même génération, et d'une généra-
tion à l'autre, dans la suite des temps, on est en
droit de se demander ce que sera cette dogmatique
vraiment déconcertante, où la variété ne sera pas le
moindre défaut, mais où la contradiction la plus for-
melle pourra éclater sans difficulté.
D'aussi peu rassurantes perspectives et un abou-
tissement si peu harmonique ne sont pas pour
décourager l'intrépidité de M. Sabatier. Il tient à
nous faire savoir, en effet, que « les Eglises auront
toujours des symboles, c'est-à-dire des règles et des
signes d'une foi commune, et par suite des dogmes.
Mais ces dogmes, au lieu d'une valeur absolue,
n'auront plus qu'une valeur disciplinaire et péda-
gogique (i). » o Leur existence s'impose, observe-t-il
ailleurs, car en supprimant le dogme chrétien, on
supprime le christianisme (2). » Mais leur carac-
tère de relativité et de transformation incessante
ne s'impose pas moins. C'est pourquoi, nous
dit-il, « c'est à cette idée d'an dogme nécessaire, mais
nécessairement historique et changeant, qu'il convient
1. Esquisse, p. 291. — 2. Esquisse, p. 3o8.
20Ô LE CATÉCHISME ROMAIN
de s'habituer désormais (i). » Car les dogmes ont
une histoire ; « comme toutes les autres manifes-
tations de la vie, ils ont une évolution aussi naturelle
qu'inévitable ,(2). »
4. Point de dogmes, point de christianisme. Or
M. Sabatier n'entend pas sacrifier le christianisme ;
il ne sacrifie donc pas davantage les dogmes, et
nous venons d'entendre dans quel sens. Ceux de
l'Eglise catholique, ou du moins les dogmes enten-
dus au sens traditionnel, ne sauraient être admissi-
bles, prétend M. Sabatier. Et c'est pourquoi, tout en
conservant le mot, il leur donne un sens nouveau.
Mais la psychologie est là, et aussi l'histoire, qui
nécessitent l'acceptation de la relativité et de l'évo-
lution. Qu'à cela ne tienne. M. Sabatier revendique
pour ses dogmes et la relativité et l'évolution.
Moyennant quoi, « ce sera rassurer les philosophes
que de les leur présenter, non comme une formule
absolue et immuable, mais, dans leur puissance évolu-
tive, comme l'effort soutenu et progressif de la cons-
cience religieuse se rendant raison à elle-même de son
propre contenu (3). » Les dogmes d'une Eglise « for-
ment un organisme vivant, sorte de langue théolo-
gique par laquelle la conscience de cette Eglise ou
la piété de ses membres se révèle au dehors et
s'affermit en se révélant... Ce que les mots et les
phrases sont à la pensée, les formules dogmatiques
le sont à l'expérience religieuse de la conscience »,
et par suite « le principe de la vie. des dogmes n'est à
chercher ni dans la logique ni dans la justesse plus ou
moins grande des formules théoriques, mais avant tout
dans la vie religieuse elle même, c'est-à-dire dans la
piété pratique de V Eglise qui les professe (4). »
1. Esquisse, p. 295. — 2. Esquisse, p. 299. — 3. Esquisse,
p. 3oo. — 4* Esquisse, p. 3oi.
THEORIE DE M. A. SABATIER 207
On le voit, pour rendre le dogme acceptable aux
philosophes contemporains, M. Sabatier en sacrifie
résolument le sens traditionnel. Réduit ainsi à n'être
qu'une expression variable, essentiellement chan-
geante, et point tyrannique, il est à croire qu'aucun
philosophe ne fera plus d'opposition à l'acceptation
du dogme, et que chacun se contentera du sien sans
se mettre en peine de celui du voisin ; moyen
excellent pour avoir autant de sentiments que
d'individus, mais moyen radical pour supprimer
tout christianisme et même toute religion, car la
religion est, par essence, sociale et nullement indi-
viduelle. Et c'est là fatalement qu'aboutit M. Saba-
tier : son système, en cela, ne diffère pas du
protestantisme.
5. N'importe, M. Sabatier insiste et cherche à se
donner raison. Cette vie intime, « mystique et pra-
tique » varie de l'un à l'autre et d'une époque à
l'autre, conditionnée qu'elle est pa? l'ambiance
scientifique ; et, dès lors, le jugement intelle», uel
ou la proposition philosophique qui lui sert « d'en-
veloppe et d'expression, » c'est-à-dire le dogme,
varie dans la même mesure ; étant essentiellement
subordonné à l'expérience religieuse d'un chacun,
il est essentiellement relatif et subit nécessairement
les modifications imposées par les circonstances de
temps et de lieu. Voilà qui est acquis. Mais cela doit
l'être d'autant plus que, depuis le moyen âge, trois
révolutions ont achevé de faire sentir la caducité du
dogme gréco-romain.
Ce fut d'abord la Réforme qui, rompant la tradi-
tion et rejetant l'autorité, substitua le principe
intérieur de l'expérience personnelle au principe
extérieur de l'autorité et fit du christianisme une
vie morale et non plus métaphysique.
Ce fut ensuite la science qui, en déplaçant le
2o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
centre de l'univers comme la Réforme avait déplacé
le centre de la conscience humaine, introduisit
l'idée de succession, de relativité, dans tout ordre de
connaissances.
Et c'est enfin la méthode historique ou la critique
et l'exégèse qui ont bouleversé les perspectives de
l'histoire et de l'humanité et ont fait triompher par-
tout le point de vue de l'évolution.
Par conséquent l'idée de l'immutabilité dogmati-
que doit être abandonnée, sous peine de réduire le
dogme à l'état de momie, de lettre morte, qui ne dit
plus rien à l'esprit contemporain. Et c'est l'idée de
relativité, de changement, qui s'impose pour mar-
cher de concert avec la science qui évolue et pro-
gresse sans cesse. « Il suffit de raconter la genèse
et l'évolution de chacun des dogmes, persiste à dire
M. Sabatier, pour que cette histoire fasse apparaître
les éléments contingents et caducs qui y sont
entrés avec le temps (toujours la même erreur) et
qui, avec le temps, doivent nécessairement en
sortir. Le christianisme est un organisme dont l'âme
(la piété) est immortelle, mais dont le corps (le
dogme) se renouvelle incessamment par le fait
d'une matière toujours en mouvement et toujours
empruntée aux milieux divers qu'il traverse. Les
notions philosophiques qui lui ont servi un moment
d'expression et qui sont doublement mortes aujour-
d'hui, soit parce que la civilisation a marché, soit
parce qu'elles étaient sans lien vivant avec l'expé-
rience chrétienne initiale, tombent de l'arbre
séculaire comme des branches ou des feuilles des-
séchées (i). »
Telle est la théorie de M. Sabatier : impérieuse-
ment commandée par le kantisme et par un oppor-
i. Esquisse, p. 345.
THEORIE DE M. A. SABATIER 209
tunisme intellectuel, qui entend marcher enharmo-
nie complète avec le mouvement scientifique con-
temporain, nous voyons bien ce qu'elle sacrifie du
passé, et ce n'est rien moins que le dogme lui-même
et la révélation, et le christianisme, et toute reli-
gion au sens formel du mot ; nous comprenons
moins bien ce qu'elle met à la place. Partie du sub-
jectivisme, elle s'y cantonne et est obligée d'en su-
bir les conséquences : plus de vérités absolues, rien
que des idées relatives ; plus d'enseignement ou de
doctrine immuable, mais un perpétuel devenir, une
irrémédiable inconsistance, une incessante variation,
une évolution conditionnée psychologiquement et
historiquement. Par là, nous affirme-t-on, elle
échappe aux théories périmées de la connaissance,
ce qui est un congé radical et définitif à tout le passé
chrétien, et elle s'adapte harmonieusement avec la
marche progressive de la science, ce qui en fait une
science précaire, instable, humaine sans doute, mais
qui n'a plus le droit de s'appeler divine. Et pour
n'avoir pas voulu du dogme traditionnel à cause des
infiltrations qu'il a subies ou de l'inféodation qu'il a
souscrite, la théorie de M. Sabatier, par une incon-
séquence qui ne manque pas d'ironie, se trouve
n'être à son tour qu'une inféodation avouée au kan-
tisme, dont l'infiltration subtile la pénètre de part
en part.
A-t-on du moins réussi à faire disparaître l'anti-
nomie qu'on prétendait exister entre le dogme et la
science, entre la foi et la raison? C'est une question,
dont l'examen nous entraînerait trop loin. Mais si
l'on croit effectivement y avoir réussi, comme on
s'en flattait, c'est au prix d'une abdication et d'une
déchéance, puisque finalement tout sombre, jus-
qu'à la religion elle-même, réduite qu'elle est à l'in-
dividualisme, à l'atomisme, principe le plus puis-
1E CATÉCHISME. — T. I. 14
210 LE CATECHISME ROMAIN
sant qui existe pour empêcher l'unité, pour briser
l'union des intelligences et des cœurs, pour réduire
toute société religieuse à, ne plus être qu'un simple
agrégat, qu'un amas de poussière sans nom.
1. Un dogme nouveau. — « Qu'entend-on par dogme
nouveau ? Est-ce un dogme si complètement étranger
à la foi, qu'il n'a jamais été et qu'il n'a jamais pu en être
question ? Un dogme qui affaiblit ou dénature une vérité
établie et universellement reçue ? De ces dogmes-là nous
n'en avons pas. Qu'est-ce donc alors ? Un dogme qui
n'était pas défini hier, et que l'on définit aujourd'hui
pour le proposer à la foi du peuple chrétien ? Mais si ce
dogme est contenu dans l'Ecriture légitimement inter-
prétée, s'il a toujours été cru explicitement par une partie
de l'Eglise, implicitement par le reste ; si, au lieu de
contredire aux vérités fondamentales, il est poussé en
avant par leur force logique, comme le rameau de l'arbre
par la sève ; si, au lieu de corrompre et d'altérer ces vé-
rités, il les confirme, les protège, les développe et les
grandit ; si, au lieu d'interrompre la continuité de la foi,
en la détournant de son chemin historique, il en assure la
marche directe et progressive, qui pourra dire que c'est
un dogme nouveau ? Or je défie qui que ce soit de trouver
un seul dogme solennellement défini et proposé à cette
foi, en dehors des conditions que je viens d'énumérer.
L'Eglise travaille la matière sacrée de ses croyances et en
fait jaillir des explosions de lumière, mais ses défini-
tions n'y changent rien. Elles enfantent une merveille,
qui confond tous ses détracteurs, ceux qui l'accusent de
varier, comme ceux qui l'accusent d'immobiliser l'esprit
humain. Cette merveille, c'est le progrès dans l'im-
muable. » Monsabré, Conf. lu, à la fin.
2. L'équivoque. — M. Brunetière, à propos du
livre de M. Sabatier : Les religions d'autorité et la religion
de l 'esprit, Paris, 1904, a écrit, dans la Revue des Deux
Mondes du i5 novembre 1903, un article où il relève
quelques-unes des équivoques, qui consistent à employer
THEORIE DE M. A. SABATIER 211
les mots de religion, de piété, de foi, de dogme, etc.,
dans un sens arbitraire et de nature à donner le change à
des lecteurs peu avertis. Cet article est à lire dans son
entier ; en voici la fin. « Après tant d'autres, et comme
tant autres, dont Edmon Schérer, son maître, A. Saba-
tier, s'étant aperçu que la « morale n'était rien si elle
n'était religieuse, » s'est trouvé fort embarrassé quand il
a eu, si je puis ainsi dire, vidé le ^concept de religion de
son contenu positif. Renan s'était tiré de la même aven-
ture par des pantalonnades... Mais A. Sabatier, qui
n'écrivait pas comme Renan, ne pensait pas non plus
comme lui. 11 eût voulu, il a vraiment voulu sauver la
morale du désastre des religions ; et, finalement, il n'en a
trouvé d'autre moyen que de se faire de l'équivoque une
espèce de dogme, ou, à tout le moins une méthode, en
conservant du nom de religion (et de dogme) ce qu'il a
cru qu'on en pouvait garder sans retenir la chose. Mais
la logique et l'histoire nous apprennent qu'en ce cas on
ne garde rien. Une religion c'est un dogme et une au-
torité, et, quand elle ne sera plus ni une autorité, ni un
dogme, elle ne sera plus une religion. Il faut choisir ! Il
ne faut pas vous servir du mot de religion (et de dogme)
comme d'un moyen d'attirer à vous, je veux dire à vos
doctrines, des âmes simples qui en auraient l'horreur, si
vous les leur présentiez telles qu'elles sont... Il ne faut
pas, quand on a nié l'autorité de l'Eglise, de toute Eglise,
la valeur objective du dogme, l'authenticité des Evan-
giles, et la divinité de Jésus-Christ, il ne faut pas venir
nous dire que « l'expérience chrétienne est pour toutes
les consciences qui l'ont faite quelque chose de morale-
ment très clair, de fortement déterminé, que chacune
d'elles retrouve non seulement en soi, mais encore dans
toutes les consciences éveillées à la même vie, dans la vie
intime de tous les chrétiens, grands ou petits, illustres ou
obscurs, dans tous les âges, dans l'âme collective de la
chrétienté tout entière. » Il ne faut pas le dire parce que
cela n'est pas vrai. Un chrétien n'est pas un homme qui
juge Jésus plus grand que Socrate, ou qui préfère les
Evangiles au Coran, les Pères de l'Eglise aux erotiques
212 LE CATECHISME ROMAIN
latins, les Sermons de Bonrdaloue aux romans de Zola.
S'il est vrai que beaucoup de gens inclineraient de nos
jours aie croire, il faut les avertir qu'ils se trompent. Il
faut leur répéter que le religion n'a jamais consisté, ne
consistera jamais à enguirlander ses négations de fleurs
de rhétorique, à prier sur les acropoles, ou à pousser des
soupirs éloquents vers la « catégorie de l'idéal. » Il faut
les éveiller d'une complaisance qui ressemble à de la
torpeur. Et si l'on ne réussit pas tout de suite à les con-
vaincre, on aura toujours fait quelque chose pour la
vérité, pour le bon sens, et pour la clarté de la langue,
en dénonçant la plus fâcheuse, la plus dangereuse, et la
plus odieuse équivoque. » Revue des Deux Mondes, i5
novembre 1903, p. 4o5-4o6.
3. Argument ad hominem. — « Comment pourrions-
nous connaître les expériences de nos semblables ?... Les
expériences d'un individu, comme expériences, restent
emprisonnées dans cet individu. Ce qui transpire au
dehors, c'est la traduction intellectuelle de son expérience,
la forme actuelle de son expérience. Or, outre que cette
formule varie incessamment dans une irrémédiable incon-
sistance, lorsqu'elle est détachée du sentiment qui l'a
produite et lorsqu'elle se fixe dans la mémoire, elle
devient par là même une idée morte, c'est-à-dire fausse.
A supposer qu'on puisse la connaître, cette formule, nous
ne sommes pas bien avancés, c'est une erreur que nous
connaissons. A supposer qu'on puisse connaître les for-
mules de ce genre, il peut bien y avoir un intérêt d'éru-
dition à les étudier, mais on ne voit pas quel profit reli-
gieux et dogmatique on peut en retirer... Il faut donc
que l'homme considère sous .certaines conditions l'expé-
rience d'autrui comme équivalente à la sienne propre. Il
faut donc qu'il ajoute foi au témoignage d'autrui..., qu'il
se soumette à l'autorité de ceux qui ont fait les expérien-
ces ou même les raisonnements qu'il n'a pas pu faire...
Nous acceptons tous, sur la foi des savants spéciaux, les
propositions les plus importantes, nous observons les
ordonnances des médecins, nous confions nos vies aux
chemins de fer sans avoir éprouvé nous-mêmes la valeur
THÉORIE DE M. A. SABATIER 2l3
des médicaments, la solidité des locomotives ou le bon
entretien des voies. Cela ne veut pas dire qu'il faille
accepter en aveugle tout témoignage et se ranger sans
aucun motif à l'avis de tous ceux qui prétendent jouer le
rôle d'autorités. Il ne faut accorder ce rôle qu'à ceux qui
le méritent véritablement ou du moins qui paraissent le
mériter. Et, sans doute, malgré toutes nos précautions,
le témoignage, l'autorité peuvent nous tromper, les remè-
des peuvent nous tuer, et les locomotives peuvent éclater.
Mais la raison et l'expérience aussi peuvent nous induire
en erreur. Il n'y a donc pas lieu de récuser de ce chef le
témoignage et l'autorité. Nous arrivons ainsi à poser à
côté de l'expérience, la croyance, le témoignage, l'auto-
rité. » H. Bois, professeur à la faculté de théologie pro-
testante de Montauban, La connaissance religieuse, Paris,
1894, p. 39-40,
Leçon VIe
Du Dogme
I. Le Dogme d'après M. Loisy : — 1° Dans
l'Evangile et l'Eglise. — 2° Dans Autour d'un
petit livre. — II. La question de M. Le Roy :
Qu'est-ce qu'un Dogme ? — 1° Motifs allégués
pour ne pas admettre la notion traditionnelle,
2° Solution proposée.
I. Le Dogme d'après M. Loisy
ous venons de parcourir aussi brièvement
que possible la théorie de M. Sabatier : nous
devons maintenant examiner ce que devient
le dogme sous la plume de M. Loisy. Son premier
ouvrage, l'Evangile et l'Eglise, rappelle sur plusieurs
points l'Esquisse d'une philosophie de la religion d'a-
près la psychologie et l'histoire de M. Sabatier. Son
second ouvrage, Autour d'un petit livre, paru en
même temps que l'œuvre posthume de M. Sabatier,
Les religions d'autorité et la religion de l'esprit, montre
une fois de plus que M. Loisy, sur la question du
dogme, en est au même point que M. Sabatier.
Cette question : Existe-t-il un dogme qui s'appuie
sur l'autorité de Dieu et ait droit de s'imposer à
nous comme une règle extérieure et immuable de
LE DOGME D'APRÈS M. LOIS Y 2l5
notre foi ? Tous les deux, au nom de la psychologie
et de l'histoire, la résolvent négativement (i).
1° Dans l'Evangile et l'Eglise
Les célèbres conférences de M. Harnack sur
l'Essence du Christianisme venaient à peine de pa-
raître en volume (2), que M. Loisy en entreprit la
critique. Et de même que le professeur de Berlin
avait condensé sa pensée dans des Conférences, de
même l'auteur français profite de l'occasion pour
glisser dans son ouvrage les principes divers, parus
jusque-là dans plusieurs articles. Nous n'avons pas
à juger ici, dans son ensemble, l'œuvre de M. Loisy,
mais seulement la manière très particulière dont il
entend le dogme, et à dire si son opinion est accep-
table ou non. Dans V Evangile et l'Eglise, il l'esquisse
plutôt qu'il ne la traite à fond et surtout clairement.
Mais il l'a reprise et suffisamment accentuée dans
Autour d'un petit livre.
1. À l'objection que l'Evangile a perdu de sa
valeur et n'a plus de signification pour plusieurs
contemporains, parce qu'il est lié à une conception
1. A. Loisy, /' Evangile et V Eglise, Paris, 1902 ; 3e édit. 1904;
c'est cette dernière édition que nous citerons ; Autour d'un
petit livre, Pans 1903, p. 187-219 ; sous le pseudonyme de Fir-
min, dans la Revue du Clergé, janvier 1899, Théorie sur la re-
ligion ; janvier et mars 1900. La révélation et ses preuves ;
octobre 1900, V Histoire de la religion dans V Ancien Testament ;
Bulletin de littérature ecclésiastique, mars et juillet 1903 ; dans
ce mcnie Bulletin, en 1904, E. Portalié, Le dogme et V histoire,
p. 62-i43 ; P. Lagrange, V Evangile et V Eglise, dans Isa Revue bi-
blique, 1903, p. 292-313 ; T. Pègues, Le livre de M. Loisy etLes
explications de M. Loisy, dans la Revue thomiste, 1903, t. xi,
p. 70-88, 593-612 ; F. Prat, Au fond d'un petit livre, le manifeste
de M. Loisy, dans les Etudes, 1903, t. xcvn, p. 3o5-324. — 2. Das
Wesen des Christeniums, Leipzig, 1900; trad. franc., Paris, 1902.
2l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
du monde et de l'histoire depuis trop longtemps
abandonnée, M. Harnack répond que cette concep-
tion n'y est pas liée inséparablement, que ses élé-
ments sont'sans époque et que l'homme auquel il
s'adresse est aussi sans époque. Car l'Evangile,
dit-il, n'est pas un enseignement théorique, c'est
un message de vie ; il n'est pas une doctrine sur le
Christ et sur le monde, c'est une règle de conduite-
Il faut le vivre d'abord, et ce n'est que dans la mesure
où on l'a vécu qu'on peut connaître le Christ.
Quant à l'effort séculaire pour définir la vérité de
l'Evangile, il reste étranger à l'Evangile même, se
trouve commandé par les circonstances de temps et
de lieu et n'est qu'une tentative d'interprétation et
d'accommodation au moyen d'éléments humains.
M. Loisy estime que, sans doule, le développement
du dogme n'est pas dans l'Evangile ; « mais, dit-il,
il ne s'ensuit pas que le dogme ne procède pas de
l'Evangile, ni que l'Evangile n'ait pas vécu et ne
vive encore dans le dogme, aussi bien que dans
l'Eglise. L'enseignement et l'apparition même de
Jésus ont dû être interprétés. Toute la question est
de savoir si le commentaire est homogène ou hété-
rogène au texte (2). »
2. Cette question précise, comment M. Loisy
l'a-t-il résolue ? Il passe successivement en revue
les divers points de la théorie de M. Harnack sur le
dogme christologique, sur celui de la grâce et de
l'Eglise. Mais au fur et à mesure qu'il avance, on
passe de surprise en surprise ; sa pensée manque
de netteté et semble parfois se confondre avec celle
de son adversaire ; tantôt elle est osée jusqu'à l'hété-
rodoxie ; tantôt elle fait entendre un son orthodoxe ;
mais, l'instant d'après, la phrase reprend sa marche
a. L'Evangile et VEglise, p. 171-172.
LE DOGME D APRES M. LOISY 217
fuyante et sa nuance insaisissable, et l'esprit du
lecteur catholique éprouve une impression pénible
et troublante.
Ce que l'on voit bien, cependant, c'est qu'il
regarde comme un fait, ou plutôt comme une loi,
la transformation de la pensée chrétienne initiale
et son adaptation nécessaire aux conditions de la
culture intellectuelle des diverses époques qu'elle a
traversées. Changement tout d'abord par l'abroga-
tion de la Loi, malgré les judaïsants, par le triom-
phe de la théorie du Logos, malgré les aloges, et
l'acceptation après amendement de la théologie
d'Origène.
Changement ensuite dans le milieu gréco-romain.
« Tout le développement du dogme trinitaire et
christologique qui, d'après M. Harnack et d'autres
cri tiques, pèserait lourdement sur toutes les ortho-
doxies chrétiennes, en les rivant à une doctrine
surannée, à la science de Platon et d'Àristote depuis
longtemps dépassée par la science moderne, fut, à
son origine, une manifestation vitale, un grand
effort de foi et d'intelligence, qui permit à l'Eglise
d'associer ensemble sa propre tradition et la science
du temps (i). » Cette association peut paraître étrange,
mais non ; car « la philosophie pouvait se faire
chrétienne sans être obligée de se renier elle-même,
et pourtant le christianisme n'avait pas cessé d'être
une religion, la religion du Christ (2). »
Mais, c'est bien là, semble-t-il, une hellénisation
du christianisme, qui nous ramène à la thèse de M.
Harnack? Oui et non. Non, puisque M. Loisy a soin
de faire remarquer contrairement à M. Harnack,
qu'elle ne fut pas préméditée par des philosophes
de profession ni par d'habiles politiques ; oui,
1. L'Evangile et l'Eglise, p. 181. — 2. Ibid., p. 181.
2l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
puisqu'il eut une cause nécessitante, à savoir l'état
d'esprit et de culture des premiers convertis venus
de la gentilité.qui « eurent besoin de s'interpréter à
eux-mêmes leur nouvelle foi ; » et « c'est ainsi que
progressivement, mais de très bonne heure, par
l'effort spontané de la foi pour se définir elle-même,
par les exigences naturelles de la propagande, l'in-
terprétation grecque du messianisme chrétien se fit
jour, et que le Christ, Fils de Dieu et fils de l'homme,
sauveur prédestiné, devint le Verbe fait chair, le
révélateur de Dieu à l'humanité (i). » C'est ainsi que,
grâce à l'adaptation au monothéisme juif delà méta-
physique de Platon et de Philon (thèse de M. Har-
nack), « la divinité du Christ, l'incarnation du
Verbe fut la seule manière convenable de traduire à
l'intelligence grecque l'idée du Messie (2). » Et
M. Loisy ajoute : « Chaque progrès du dogme accen-
tue Y introduction de la philosophie grecque dans le
christianisme, et un compromis entre cette philoso-
phie et la tradition chrétienne (3). »
3. Qu'est-ce alors qu'un dogme ? Ne serait-il que
de la philosophie introduite dans la pensée chré-
tienne et prenant plus ou moins sa place ? — Non,
certes, car a la philosophie n'a pas été introduite
comme telle ni telle quelle dans la foi, mais en tant
qu'on lui empruntait, ou plutôt qu'on lui dérobait
une explication ou une formule savante pour faire
valoir la tradition. La tradition du christianisme
primitif n'a pas été échangée contre la philosophie,
ni la science grecque substituée à l'Evangile, ni
Platon pris pour maître au lieu du Christ et des
apôtres (4). »
Voilà qui paraît orthodoxe ; mais le doute renaît à
r. lbid., p. i83. — 2. Ibld., p. 184. — 3. Ibid., p. i84 ; les
mois ou phrases soulignés, ont été soulignés par nous. Il en
sera de même dans les citations suivantes. — 4. Ibid., p. i85.
LE DOGME D APRES M. LOISY 2 I 9
la phrase suivante, qu'on dirait de M. Harnack. :
« On peut soutenir, au point de vue de l'histoire,
que la Trinité, l'Incarnation sont des dogmes grecs,
puisqu'ils sont inconnus au judaïsme et au judéo-chris-
tianisme, et que la philosophie grecque, qui contribue
à les former, aide aussi à les entendre (i). » Suit
aussitôt cette restriction : « Ce ne sont pourtant
point des dogmes scientifiques, transportés de la
philosophie païenne dans la théologie chrétienne ;
ce sont des dogmes religieux, qui ne doivent à la
philosophie que certains éléments théoriques et leur
formulaire, non l'esprit qui pénètre éléments et for-
mules, ni la combinaison spéciale des notions qui
les constiuent (2). »
Aussi M. Loisy est-il obligé d'avouer qu' «il n'est
pas étonnant que le résultat d'un travail si particu-
lier semble manquer de logique et de consistance
rationnelle, a Mais il ajoute : « Cependant il se
trouve que ce défaut, qui serait mortel à un système
philosophique, est, en théologie, un principe de du-
rée et de solidité (3). » Est-ce sérieux ? Mieux vaut
cette dernière observation : « La définition systéma-
tique du dogme trini taire est en rapport avec la dé-
finition systématique de la rédemption ; mais, avant
ces définitions, les idées qui les supportent existaient
dans la tradition chrétienne, et leur évolution a son
point de départ dans l'Evangile de Jésus et la tradi-
tion apostolique (4). » Seulement, on voudrait bien
savoir comment ces dogmes qu'on nous a dit plus
haut être des dogmes grecs, inconnus au judaïsme
et au judéo-christianisme, sont soutenus par des
idées traditionnelles, et s'ils servent à les traduire ou
à les subtiliser.
1. Ibid., p. i85-i86. — 2. Ibid., p. 186. — 3. L'Evangile et
V Eglise, p. 187. — 4. Ibid., p. 19a.
2 20 LE CATECHISME ROMAIN
4- Le dogme de la grâce est, nous dit-on, d'ori-
gine africaine. « Il ne se rattache ni plus ni moins
que le dogme théologique à renseignement de Jésus.
Il procède directement de Paul (1). » Et c'est saint
Augustin qui a systématisé la pensée de l'apôtre. Or,
de même que le dogme christologique, le dogme de
la grâce est une interprétation du salut messianique
et de la théologie du royaume céleste, et cette inter-
prétation aussi a été nécessitée par les circonstances
dans lesquelles l'Evangile s'est perpétué, par lespro-
blènies que posait la conversion des païens, et qu'il a
fallu résoudre en s'inspirant bien plus de l'esprit que
des déclarations formelles de Jésus (2). »
Quant au dogme de l'Eglise, il a surtout été for-
mulé depuis la Réforme. Entre protestants et catho-
liques tout peut se ramener à ce problème fonda-
mental : L'Evangile de Jésus est-il, en principe,
individualiste ou collectiviste ? « Le christianisme
catholique a pris une conscience plus claire de lui-
même, il s'est déclaré d'institution divine en tant
que société extérieure et visible, avec un seul chef
qui possède la plénitude des pouvoirs d'enseigne-
ment, de juridiction, de sanctification, c'est-à-dire
tous les pouvoirs qui sont dans l'Eglise et que les
siècles antérieurs avaient placés dans l'épisco-
pat universel sous l'hégémonie du pape, sans spéci-
fier si le pape seul les possédait tout entiers par lui-
même (3). »
5. En répondant ainsi à M. Harnack, M. Loisy
estimait sans doute avoir démontré que le dogme
n'est pas étranger à l'Evangile, et que la part que
prend la philosophie à le formuler, sinon à le for-
mer, est parfaitement légitime. Mais il regarde son
immutabilité comme impossible et son évolution comme
1. Jbid., p. ig>7. — 2. Ibid., p. 200. — 3. Ibid., p. 201.
LE DOGME D APRES M. LOISY 221
inéluctablement nécessaire. En effet, nous dit-il, les
dogmes, dont il vient de parler, ne sont pas à pren-
dre «pour des sommets de doctrine, au-delà desquels
ne s'ouvre et ne s'ouvrira jamais pour le croyant que
la perspective aveuglante du mystère, qui demeure-
raient plus fermes que le roc, inaccessibles à tout
changement même accidentel, et cependant intelli-
gibles pour toutes les générations, également appli-
cables, sans traduction ni explication nouvelles, à
tous les états, à tous les progrès de la science,
de la vie, de la société humaines. Les con-
ceptions que FEglise présente comme des dogmes
révélés ne sont pas des vérités tombées du ciel et gar-
dées par la tradition religieuse dans la forme précise
ou elles ont paru d'abord. L'historien y voit l'inter-
prétation de faits religieux, acquise par un laborieux
effort de la pensée théologique. Que les dogmes soient
divins par Forigineet la substance, ils sont humains
de structure et de composition. Il est inconcevable
que leur avenir ne réponde pas à leur passé. La rai-
son ne cesse de poser des questions à la foi et les
formules traditionnelles sont soumises à un travail per-
pétuel d'interprétation où « la lettre qui tue » est effi-
cacement contrôlée par « l'esprit qui vivifie (i). »
6. Donc développement doctrinal nécessaire endroit,
légitime en fait, et adaptation toujours nouvelle. Déve-
loppement dont l'Eglise, affirme-t-on, n'a pas pris
conscience, car « elle n'a pas de théorie officielle
touchant la philosophie de sa propre histoire (,2). »
Nous avons vu cependant, dans une leçon précé-
dente, que le concile du Vatican avait proclamé
l'immutabilité des formules dogmatiques et leur
intangibilité, qu'il a reconnu une loi de progrès
dans la connaissance des dogmes, en a indiqué le
1. L'Evangile et l'Eglise, p. 202-203. — 2. Ibid., p. 2o5.
222 LE CATECHISME ROMAIN
sens et tracé les limites. Mais M. Loisy n'en a cure,
et, dès lors, sa théorie reste suspecte en face de ren-
seignement officiel de l'Eglise.
7. Il n'y a plus donc, continue M. Loisy, qu'un
dogme à définir, celui du développement dogmati-
que : il ne pourra être que l'expression de la loi du
progrès. Car « jusqu'à présent les théologiens ca-
tholiques ont été surtout préoccupés du caractère
absolu que le dogme tient de sa source, la révéla-
tion, et les critiques n'ont guère vu que son caractère
relatif, manifesté dans l'histoire... L'effort de la saine
théologie devrait tendre à la solution de l'antinomie
que présentent l'autorité indiscutable que la foi ré-
clame pour le dogme, et la variabilité, la relativité,
que la critique ne peut s'empêcher de remarquer
dans l'histoire des dogmes et dans les formules
dogmatiques (1). »
8. En résumé, le dogme, aux yeux de M. Loisy,
a sa racine dans la prédication de Jésus, son déve-
loppement nécessaire et changeant dans l'histoire
et dans la pensée théologique, sa définition dans le
rapport avec l'état général des connaissances selon
les temps et les milieux. Mais ce n'est là qu'un état
précaire, accidentel, transitoire, transformable. Car
« un changement considérable dans l'état de la science
peut rendre nécessaire une interprétation nouvelle des
anciennes formules qui, conçues dans une autre sphère
intellectuelle, ne se trouvent plus dire tout ce qu'il fau-
drait, ou ne le disent pas comme U conviendrait (2). »
Le concile du Vatican a eu beau décréter que,
« dans l'interprétation des dogmes sacrés, il faut
perpétuellement, perpetuo, retenir le sens que notre
mère la Sainte-Eglise a une fois déclaré et que ja-
mais, sous prétexte d'une intelligence plus profonde,
1. Ibid., p. 207. — 2. Ibid., p. 208.
LE DOGME D'APRÈS M. LOISY 2 23
il n'est permis de s'écarter de ce sens (i) ; » il a
eu beau déclarer « anathcme à qui dirait qu'il peut
se faire qu'eu égard au progrès de la science, on
doive un jour attribuer aux dogmes proposés par
l'Eglise un autre sens que celui qui a été et qui est
compris par l'Eglise (2). » M. Loisy néglige décret
et anathème, bien que sa doctrine semble tomber
sous le coup de l'un et de l'autre. En fait, dit-il,
« il est bien vrai que l'Eglise corrige ses énoncés
dogmatiques au moyen de distinction parfois sub-
tiles. Mais, en agissant ainsi, elle continue ce qu'elle
a fait depuis le commencement, elle adapte l'Evan-
gile à la condition perpétuellement changeante de
l'intelligence et de la vie humaine (3). » En droit,
ajouta-t-il, « il n'est pas indispensable à £ autorité de
la croyance quelle soit rigoureusement immuable dans
sa représentation intellectuelle et dans son expression
verbale... La vérité seule est immuable, mais non son
image dans notre esprit. La foi s'adresse à la vérité
immuable à travers la formule nécessairement inadé-
quate, susceptible d'amélioration, conséquemment de
changement (4). »
D'après ces propositions, la vérité est une chose,
sa formule dogmatique en est une autre ; la pre-
mière seule est immuable, non la seconde ; c'est la
première qui est objet de la croyance, non la for-
mule qui l'exprime. Car, paraît-il, « l'Eglise n'exige
pas la foi à ses formules comme à l'expression adé-
quate de la vérité- absolue, mais elle les présente
comme l'expression la moins imparfaite qui soit
moralement possible (5) ». Ce qui est vrai dans un
sens et faux dans un autre. Il est vrai que l'Eglise
1. Const. Dei Filins, ch. iv, § 5. — 2. Ibid,, ch. iv, can. 3.
3. L'Evanyite et V Eglise, p. 209-210. — 4- Ibid., p. 210.
5. Ibid., p. 218.
2 24 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne donne pas ses formules dogmatiques comme
l'expression adéquate de la vérité absolue, mais
comme une expression partielle de cette vérité ; car
aucune formule dogmatique n'épuise toute la réalité
de la vérité, dont elle n'atteint que Fun des côtés,
Tune des faces. Mais il est faux de laisser croire que
parce que la formule dogmatique n'exprime pas
adéquatement la vérité absolue, elle ne nous en
fasse pas connaître et saisir quelque chose de positif
et de réel. Il y a là une équivoque. La formule dog-
matique, sans épuiser la vérité totale de l'objet,
n'en exprime pas moins très positivement une par-
tie, et ce qu'elle en exprime est une vérité, partielle
sans doute, mais réelle, qui reste définitivement ac-
quise et absolument irréfor niable. Prétendre que la
foi ne s'adresse qu'à la vérité immuable à travers la
f jrmule nécessairement inadéquate est encore une
équivoque. La foi s'adresse à la vérité exprimée par
la formule, à la formule elle-même en tant qu'ex-
primant telle ou telle partie de la vérité absolue, qui
reste inaccessible par d'autres côtés.
Au fond, la raison de toutes les difficultés que
soulève dans l'esprit du catholique la théorie de M.
Loisy, et des équivoques qu'on y découvre, c'est
que, sous les termes usuels de vérité, de révélation,
de formule dogmatique, il met un sens particulier
qui n'est pas le sens traditionnel. On l'a justement
reproché à l'auteur de l'Evangile et l'Eglise, et son
second ouvrage Autour d'un petit livre n'est pas fait,
comme nous allons le voir, pour dissiper ces légiti-
mes appréhensions ; au contraire, il les accentue et
les renforce.
2° Dans Autour d'un petit Livre
i. M. Loisy connaît les objections qu'on lui a
LE DOGME D'APRÈS M. LOISY 2 25
faites et ii les formule ainsi : « N'est-ce pas nier que
le dogme soit vrai, qu'il soit révélé, qu'il soit immua-
ble, qu'il soit autorisé de Dieu dans l'enseignement
de l'Eglise, puisqu'il a été formulé par des hommes,
qu'il a besoin constamment d'être interprété, qu'il
est dans un ilux perpétuel, et qu'il ne peut pas être
bien garanti pour aujourd'hui, s'il a toute chance
d'être changé demain (1) ? »
Ces objections sont justes aux yeux de ceux qui
conservent la notion traditionnelle de vérité, de
révélation, de dogme. Mais c'est justement cette
notion traditionnelle que M. Loisy repousse parce
qu'il estime qu'elle ne répond ni aux faits de l'his-
toire ni à notre état psychologique ; car, dans le
domaine de la philosophie comme sur le terrain de
l'histoire, elle crée un conflit irréductible entre la
foi et la science, entre l'esprit théologique et l'esprit
scientifique, conflit qui n'a d'autre solution ration-
nelle que la faillite ou la banqueroute de l'ancienne
conception chrétienne sur la vérité, sur la révélation,
sur l'immutabilité et l'autorité du dogme.
Cette conception traditionnelle, M. Loisy la con-
naît et il l'expose ainsi : « Le mot dogme éveille
dans l'esprit du catholique l'idée d'une vérité
révélée, immuable, divinement autorisée. Tout le
monde croit savoir ce que c'est qu'une vérité. Tout
théologien croit savoir ce que c'est que la révélation.
La vérité, c'est la chose conçue et représentée
comme elle est. La révélation, c'est une communi-
cation de vérité qui est faite directement par Dieu
aux hommes, sur des choses qu'ils ne sauraient
connaître par eux-mêmes ou qu'ils connaîtraient
difficilement par le seul exercice de leur raison.
i. Autour d'un petit Livre, p. 189 ; nous citons la a* édition,
Paris, 1903.
LB CATÉCHISMB. — I. X. l'y
2 26 LE CATÉCHISME ROMAIN
Ces notions simples se complètent par celle de
l'immutabilité et cle l'autorité absolue : une vérité
dite par Dieu ne saurait changer ; elle doit être
immuable comme Dieu même ; et elle ne peut être
discutée, elle est à prendre comme elle est donnée,
puisqu'elle vient de Dieu et que l'homme ne peut
se flatter de corriger les leçons d'un tel maitre (i).»
A cette conception traditionnelle qu'oppose
M. Loisy ? Une notion à lui de la vérité, de la révé-
lation, du dogme et de l'autorité. Mais laquelle?
La voici, formulée par M. Loisy lui-même.
2. Notion de la vérité d'abord. « La vérité est en
nous quelque chose de nécessairement conditionné,
relatif, toujours perfectible, et susceptible aussi de
diminution... Nos perceptions n'atteignent pas le
fond de la réalité. Les notions l'expriment encore
moins... La vérité n'entre pas toute faite dans notre
cerveau : elle se fait lentement et l'on ne peut pas
dire qu'elle soit jamais achevée... La vérité, en tant
que bien de l'homme, n'est pas plus immuable que
l'homme lui-même. Elle évolue avec lui, en lui,
par lui (2). » Donc, dans l'homme, point de vérité
absolue, rien que la vérité conditionnée, relative,
changeante, toujours infinie.
3. Notion de la révélation. « Même la théologie
savante en retient une idée extrêmement anthropo-
morphique, tout à fait déconcertante pour la science
et la philosophie contemporaine (3). » Il s'agit donc
de l'écarter. Or, « la théologie distingue deux for-
mes de la connaissance religieuse, la connaissance
naturelle, ou de raison, et la connaissance surna-
turelle, ou de révélation. » Mais « cette distinction
correspond originairement à celle des vérités que
1. Autour d'un petit livre, p. 188. — a. Ibid., p. 191-192. —
3. Ibid., p. 19a.
LE DOGME D'APRES M. LOISY 2 2J
l'Eglise reconnaissait dans la philosophie grecque,
et des vérités proprement chrétiennes qui appar-
tenaient à la révélation biblique. Elle n'a guère
d'application dans la réalité de l'histoire (i). » Ceci
revient à dire qu'il n'y a qu'une seule sorte de
connaissance religieuse, et si M. Loisy s'obsline à
l'appeler surnaturelle, ce n'est que par un abus de
mots, car il va nous montrer qu'elle est purement
naturelle.
« Dieu fait son œuvre dans l'humanité. Il se
révèle à celle-ci selon la capacité de la nature
humaine, l'évolution de la foi ne pouvant manquer
d'être coordonnée à l'évolution intellectuelle et
morale de l'homme. » Mais, « quelles que soient les
circonstances extérieures auxquelles se sont rattachés
réveil et le progrès de la connaissance religieuse dans
ïhomme, ce qu'on appelle révélation n'a pu être que
la conscience acquise par l'homme de son rapport avec
Dieu (2). » Ainsi en est-il de la révélation chrétienne.
« Qu'est-ce que la révélation chrétienne, dans son
principe et son point de départ, sinon la perception,
dans l'âme du Christ, du rapport qui unissait à Dieu
le Christ lui-même, et de celui qui relie tous les hom-
mes à leur Père céleste. La perception de ces rapports
avait forme de connaissance humaine, et c'est en
cette forme seulement qu'elle pouvait être commu-
niquée aux hommes (3). » Pourquoi ? Parce que
a toute connaissance réfléchie naît de notions anté-
rieures, et le progrès résulte d'une combinaison
nouvelle d'idées acquises. » Par suite il doit en être
ainsi de la connaissance religieuse. Et en effet, « les
vérités fécondes dans l'ordre religieux, celles qui
constituent, en style théologique, la substance delà
1. Ibid., p. 194. — a. Autour d'un petit livre, p. 195. —
3. Ibid. t p. 196.
2 28 LE CATÉCHISME ROMAIN
révélation, se sont formées par la conjonction d'idées
ou d'images qui préexistaient à ces vérités dans l'esprit
de ceux qui les ont d'abord conçues. Ce qui fut, à un
moment donné, le commencement de la révélation, a
été la perception, si rudimentaire qu'on la suppose, du
rapport qui doit exister entre l'homme, conscient de
lui-même, et Dieu présent derrière le monde phénoménal.
Le développement de la religion révélée s'est effectuée
par la perception de nouveaux rapports, ou plutôt par
une détermination plus précise et plus distincte du
rapport essentiel, entrevu dès l'origine (i). » Et ainsi
« la révélation, dans sa définition intellectuelle et son
expression verbale, consiste en idées qui ont pris
naissance dans l'humanité, en idées telles qu'une intelli-
gence humaine a pu les percevoir, telles quelles ne
peuvent exister ailleurs que dans une intelligence
humaine, telles que le langage humain est capable
de les représenter. Par rapport à leur objet, ce sont
des symboles imparfaits, qui seraient insuffisants
pour des intelligences plus hautes que les nôtres, et
qui, même pour nous, sont susceptibles d'explications,
c'est-à-dire de modification et d'amélioration relati-
ves (2). » Ainsi entendue, la révélation n'est immua-
ble que u parce qu'elle demeure toujours, pour la
foi, substantiellement identique à elle-même. Quant
aux symboles, ils sont essentiellement muables.
Voilà ce qu'est, pour M. Loisy, la révélation : la
conscience acquise par l'homme de son rapport avec
Dieu ! Elle commence par une « perception » de ce
rapport ; elle progresse par une « perception » de
nouveaux rapports ; elle consiste « en idées qui ont
pris naissance dans l'humanité. » Qu'est-elle donc
autre chose qu'une connaissance naturelle, qui naît,
se développe dans l'homme, et n'est perceptible
1. Ibid., p. 196-197. — 2. Ibid., p. 198.
LE DOGME D APRES M. LOISY 22Q
qu'à la conscience individuelle ? Une telle notion
ne dépasse pas la sphère du naturalisme et du sub-
jectivisme ; elle a droit de se réclamer du système
qui de Schleiermacher aboutit à M. Sabatier en
passant par Ritscbl ; elle n'est pas catholique.
4. Notion et caractères du dogme. La révélation se
distingue du dogme. « La révélation a pour objet
propre et direct les vérités simples contenues dans
les assertions de la foi, non la doctrine et le dogme
comme tels (1). » Quelles sont ces vérités simples et
en quoi consistent ces assertions de la foi ? C'est ce
que M. Loisy a négligé de nous dire. Quoi qu'il en
soit, « doctrine et dogme sont dits révélés parce
que les assertions primitives de la foi subsistent dans
les explications autorisées qui sont le dogme de
l'Eglise. Les vérités de la révélation sont vivantes
dans les assertions de la foi avant d'être analysées
dans les spéculations de la doctrine. Leur forme
native est une intuition surnaturelle (une simple
perception) et une expérience religieuse, non une
considération abstraite ou une définition systémati-
que de leur objet. Et c'est toujours comme asser-
tions de foi que la doctrine et le dogme servent de
base à la vie chrétienne. En tant que théorie doctri-
nale ou théologie dogmatique, interprétation de la
foi au moyen de la philosophie, ils servent plutôt à
maintenir l'harmonie de la croyance religieuse avec
le développement scientifique de l'humanité (2). »
Ces deux passages sont passablement confus.
Essayons d'y voir clair : la révélation a pour objet
des vérités simples ; ces vérités simples (que nous ne
connaissons pas et qu'on ne nous a pas fait connaî-
tre) sont contenues dans les assertions de la foi (que
nous ne connaissons pas davantage, et pour le même
x. Autour d'un petit livre, p. 200. — a. Ibid., p. 200-201.
23o LE CATÉCHISME ROMAIN
motif) ; ces assertions de la foi subsistent dans le
dogme : donc, grâce aux assertions de foi, ces vé-
rités simples subsistent dans le dogme ; et comme
elles sont vivantes dans les assertions de foi, elles
doivent Fêtre par là même dans le dogme, puisque
le dogme ne sert de base à la vie chrétienne que
par les assertions de foi. Le dogme contenant ainsi
les vérités simples, qui sont l'objet de la révéla-
tion, doit donc contenir également la révélation ;
celle-ci, comme nous l'avons vu, étant naturelle,
subjective, le dogme n'est donc en définitive que
l'expression d'une vérité naturelle et subjective, ce
qui revient à dire qu'il n'y a plus de dogme au sens
catholique.
Mais par là même, et forcément, le dogme doit
varier comme la révélation dont il est l'expression ;
il y aura autant de dogmes différents que de per-
ceptions individuelles différentes, lesquelles peuvent
se succéder dans le même individu sans la moindre
cohésion jusqu'à devenir contradictoires ; il y aura
de plus autant de dogmes que d'individus percevant
leur rapport avec Dieu ; et comme les individus
diffèrent dans le même temps d'un endroit à l'autre,
«t dans le même lieu d'une époque à une autre, on
voit les conséquences inévitables de cette variation
Indéfinie des dogmes.
Cette variation inévitable de par la nature même
du dogme, s'accroît encore de ce que les dogmes
sont « une interprétation de la foi au moyen de la
philosophie, h parce que « le commentaire scienti-
fique de la foi est plus ou moins conditionné par le
développement de la science (i). » Mais sous cette
variation incessante et forcée, il y a un sens qui ne
change pas, et ce n'est ni celui de la formule ni ce-
i. Ibid., p. 201.
LE DOGME D'APRÈS M. LOISY 23 1
lui de l'interprétation, mais celui « du fond com-
mun, impossible à exprimer en langage humain,
par une définition adéquate à son objet et suffisante
pour les siècles des siècles (i). » Ici encore, M. Loisy
a oublié de nous dire ce qu'il entend par ce fond
commun. En revanche, il insiste sur « l'insuffisance
et la perfectibilité relatives des formules dogmati-
ques attestées par Fhistoire » aussi bien que sur
« leur relativité ou imperfection essentielle. »
5. Notion de Y autorité. « La formule ecclésiasti-
que n'est pas vraie absolument, puisqu'elle ne défi-
nit pas la pleine réalité de l'objet qu'elle représente
(toujours la môme équivoque) ; elle n'en est pas
moins le symbole d'une vérité absolue... elle est la
meilleure et la plus sûre expression delà vérité dont
il s'agit, jusqu'à ce que l'Eglise juge à propos de la
modifier en l'expliquant. Le fidèle adhère d'inten-
tion à la vérité pleine et absolue que figure la for-
mule imparfaite et relative... Le catholique peut
donc croire à l'autorité de l'Eglise et à ce que l'Eglise
enseigne (2). »
Assurément « le catholique peut croire à l'auto-
rité de l'Eglise et à ce que l'Eglise enseigne. » C'est
la seule phrase à retenir de toute la discussion de-
M. Loisy. Mais le catholique ne saurait à aucun degré
partager les idées particulières de M. Loisy sur la na-
ture de la vérité, sur la notion de la révélation, pur
phénomène interne, sur la notion du dogme, con-
damnée par définition à n'être qu'une expression
passagère, imparfaite, perfectible et incessante d'une
vérité qui nous échappe et que rien ne nous garantit.
Qu'après cela M. Loisy estime que l'incompatibi-
lité entre la connaissance générale du monde et de
l'homme d'une part et la doctrine catholique d'au-
tre part doive cesser, rien de mieux. Mais qu'il se
1. lbld.y p. 201-202. — 2. Ibid., p. 206-207.
'202 LE CATECHISME ROMAIN
i
flatte de faire cesser le conflit par les moyens qu'il
propose, c'est étrangement s'abuser. Car ces moyens,
sous prétexte d'imposer « un changement d'esprit
et d'attitude à l'égard du mouvement intellectuel
de notre temps (i), » ne constituent rien moins
que la négation de la révélation, du dogme et de
l'Eglise elle-même. Un catholique ne saurait sous-
crire une pareille abdication.
IL La Question de M. Le Roy :
Qu'est-ce qu'un dogme ?
Après M. Sabatier, professeur de théologie pro-
testante, et M. Loisy, ancien professeur d'Ecriture
sainte, c'est un catholique laïque, M. Le Roy, agrégé
et docteur es sciences, qui pose la question : Qu'est-ce
qu'an Dogme ? C'est la question du philosophe
au théologien, appelant la réponse du théologien au
philosophe (2). Il la pose, parce qu'elle est posée
autour de lui par des hommes de science, et parce
qu'il connaît l'état d'esprit des philosophes con-
temporains qui leur fait repousser la vérité. Son
intervention n'est qu'un a effort vers la lumière,
au sein de la vérité catholique fidèlement acceptée. »
Les démonstrations traditionnelles, dit-il, ne
1. Autour d'un petit livre, p. 210. — 2. Le Roy, Qu'est-ce
qu'un Dogme ? dans la Quinzaine du 16 avril 1905, p. ^95
sq. ; E. Portalié, V Explication morale des dogmes, dans les
Etudes, 20 juillet et 5 août igo5, p. 145-173, 3i8-342 ; J.
Wehrlé, De la nature du dogme, dans la Revue biblique, igo5,
p. 32 3-349 ; L. de Grandmaison, Qu'est-ce qu'un dogme ?
dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 187-
221, et 1906, p. 21-27 » B. Allô, A la recherche d'une défini-
tion du dogme, dans la Quinzaine du ier août 1906, p. 4o3-
424 ; Réponse de M. Le Roy et réplique du P. de Grandmai-
son, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Janvier 1906.
LA QUESTION DE M. LE ROY 233
mordent pas sur les intelligences habituées aux dis-
ciplines de la science et de la philosophie. L'an-
cienne apologétique suppose résolus par avance des
problèmes que les modernes jugent essentiels et pri-
mordiaux. La pensée catholique est impuissante à
se faire entendre et ne parait capable ni de diriger
nos contemporains ni de les promouvoir ; car ceux-
ci opposent une fin de non recevoir globale. On ne
discute pas si telle proposition est un dogme, c'est
l'idée même du dogme qui répugne. Pourquoi ?
C'est ce qu'il va nous dire tout d'abord.
1° Motifs allégués pour ne pas admettre
la notion traditionnelle du dogme
M. Le Roy signale quatre motifs principaux qu'on
allègue pour ne pas admettre la notion tradition-
nelle du dogme.
i. Un dogme est une proposition qui se donne
elle-même comme n'étant ni prouvée ni prouvable
intrinsèquement. Or, d'après Descartes, le premier
principe de la méthode n'est-il pas qu'il ne faut
tenir pour vrai que ce que l'on voit clairement
être tel ?
2. Les propositions dogmatiques ne sont pas
affirmées sans preuves, mais ce sont des preuves
extrinsèques. Il faudrait avoir prouvé directement
que Dieu existe, qu'il a parlé, qu'il a dit ceci ou
cela, que nous possédons aujourd'hui son enseigne-
ment authentique ; ce qui revient à dire qu'il
faudrait avoir résolu par une analyse directe le pro-
blème de Dieu, de la révélation, de l'inspiration,
de l'autorité de l'Eglise. C'est de l'extérieur que la
démonstration prétend introduire en nous la vérité,
à la façon d'une chose toute faite qui entrerait en
234 LE CATÉCHISME ROMAIN
_. . ■ ■ ■■ ■ ■ ■
nous par violence. Un dogme apparaît ainsi comme
un asservissement, comme une limite aux droits de
la pensée, comme une menace de tyrannie intel-
lectuelle, comme une entrave et une restriction
imposées du dehors à la liberté de la recherche :
toutes choses radicalement contraires à la vie même
de l'esprit, à son besoin d'autonomie et de sincérité,
à son principe générateur et fondamental, qui est
le principe d'immanence.
3. Le dogme est une affirmation par voie d'au-
torité doctrinale. Mais, pour devenir acceptable,
faut-il au moins qu'il soit intelligible dans son
énoncé, ne demnant lieu à aucune ambiguïté d'in-
terprétation, à aucune possibilité d'erreur sur son
sens réel. Or, il n'en va pas ainsi. D'abord les
formules appartiennent souvent au langage d'un
système philosophique particulier, qui ne se laisse
pas toujours facilement entendre, et qui en tout cas
est dépassé depuis longtemps et délaissé par les
contemporains. Et puis c'est le mélange de plusieurs
philosophies hétérogènes. Et puis ces formules
empruntent des métaphores au sens commun, dont
il est impossible de donner une interprétation
intellectuelle précise, de fixer la valeur théorique
exacte, images inconvertibles en concepts qu'il y
aurait anthropomorphisme à prendre au pied de la
lettre. Et ainsi on est arrêté parce qu'on ne découvre
pas au dogme un sens pensable. Ces énoncés ne
disent rien ou plutôt paraissent indissolublement liés
à un état d'esprit qu'on n'a plus et auquel on estime
ne pouvoir revenir sans déchoir.
4. Les dogmes forment un groupe incommen-
surable avec l'ensemble du savoir positif. Ni par
leur contenu, ni par leur nature, ils n'appartiennent
au même plan de connaissance que les autres pro-
positions. Ils ne sauraient donc se composer avec
LA QUESTION DE M. LE ROY 235
celles-ci de manière à constituer un système
cohérent; d'où, si on les accepte, rupture inévitable
d'unité dans l'esprit, nécessité désastreuse de vivre
en partie double. Immuables, ils apparaissent étran-
gers au progrès, qui est l'essence même de la
pensée. Transcendants, ils demeurent sans rapports
avec la vie intellectuelle effective ; ils sont sans usage,
inutiles, inféconds ; car, de nos jours, la valeur d'une
vérité se mesure avant tout aux services qu'elle
rend, aux résultats nouveaux qu'elle suggère, aux
conséquences dont elle est grosse, bref à l'influence
vivifiante qu'elle exerce sur le corps entier du
savoir.
5. Ces motifs étant valables et irréfutables, ainsi
que le croit M. Le Roy, la seule solution ne serait-ce
pas d'établir que la notion de dogme, condamnée et
réprouvée par la pensée moderne, nest pas la notion
catholique du dogme? N'y aurait-il donc pas lieu de
changer la manière dont l'idée de dogme est pré-
sentée, c'est-à-dire de déterminer la modalité du
jugement dogmatique et la qualification qui lui
convient ?
La grande difficulté provient de ce que la concep-
tion du dogme est intellectualiste et tient pour
secondaire et dérivé son sens pratique et moral. Elle
fait d'un dogme comme l'énoncé d'un théorème :
énoncé intangible d'un théorème indémontrable,
ayant un caractère spéculatif et théorique, se
rapportant avant tout à la connaissance. Or, affirme
M. Le Roy, cette prétention de concevoir les dogmes
comme des énoncés intellectuels se heurte partout à
des impossibilités et aboutit fatalement à faire des
dogmes de purs non-sens.
Que penser d'abord des objections dont M. Le
Roy se fait l'écho et qu'il estime irréfutables?
6. Le dogme se donnant comme une préposition
236 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui n'est ni prouvée ni prouvable intrinsèquement,
M. Le Roy fait intervenir le principe cartésien qui
veut qu'on ne cède qu'à V autorité de l'évidence. C'est
oublier qu'il est des cas où il faut également céder
à l'évidence de l'autorité. Réclamer, pour le dogme,
une preuve directe intrinsèque, est un excès injus-
tifiable. Dans la vie ordinaire, à tout instant,
l'homme sensé se décide d'emblée, sans vérification
préalable et personnelle, et pour les choses les plus
graves, par un acte de foi qui repose sur l'autorité
d'autrui. A table, il rompt avec confiance le pain
du boulanger, il goûte aux mets du cuisinier ;
malade, il fait appeler le médecin ; lésé dans ses
droits, il s'adresse à un homme d'affaires ; plaideur,
il confie sa cause à un avocat ; voyageur, il prend
le train, etc. De même, toute proportion gardée,
dans la vie intellectuelle et scientifique ; il ne
recommence pas personnellement les expériences
déjà faites, les travaux déjà réalisés : il les accepte
sur l'autorité de savants spécialistes ; il en profite
comme d'un point de départ. La raison, malgré
son autonomie, cède ainsi à l'autorité humaine :
pourquoi donc ne cèderait-elle pas à l'autorité
divine ?
Sans doute, le dogme, tout le monde en convient,
échappe à une démonstration directe, intrinsèque ;
mais est-ce là le genre de preuve qui lui convient?
Exiger pour lui une preuve rigoureuse, mathé-
matique, n'est-ce pas l'assimiler à tort à une
proposition de géométrie? A chaque science sa
démonstration propre, sa preuve spécifique. Le
dogme n'est pas une vérité de l'ordre scientifique
naturel, mais l'affirmation d'une vérité révélée : il
a son genre spécial de preuves ; il est l'objet de
science à un titre particulier : l'accepter n'est pas
faire acte d'agnosticisme.
LA QUESTION DE M. LE ROY iS^
7. Les preuves qui autorisent le dogme sont
indirectes. Mais s'il est vrai que Dieu existe, qu'il a
parlé, qu'il a dit telle ou telle chose, qu'il a chargé
l'Eglise de garder et de faire connaître son enseigne-
ment authentique, — et tout cela est vrai, ainsi que
nous le verrons, — la proposition dogmatique se
trouve entourée de garanties suffisantes pour s'im-
poser à l'esprit de tout homme raisonnable.
Mais, dit-on, cette preuve testimoniale extrinsèque
est irrecevable, parce qu'elle nest pas de même nature
que le contenu auquel elle prétend servir de garantie.
C'est ici que réside et se dissimule l'équivoque. On
a pris l'habitude de réserver le mot de connaissance
aux seules notions adéquates ou compréhensives,
ou du moins propres et directes d'un objet ; et par
là, très indûment, on écarte tout autre connaissance,
et par exemple la connaissance analogique, la seule
justement que nous puissions avoir de Dieu et des
vérités révélées.
On suspecte toute métaphysique, on en nie la
valeur, mais au nom de quoi P Au nom d'une
nouvelle métaphysique, dont on proclame la valeur
absolue ; on nie tout dogme immuable au nom
d'un dogme nouveau, intangible, indiscutable.
C'est toujours, observe le P. Portalié, la mésaven-
ture du Kantisme : au nom de la raison, proclamée
impuissante à nous donner autre chose qu'une
certitude subjective, on proclame la certitude très
objective de ce subjectivisme incurable (1). On
n'épuise pas le fond des choses, c'est évident. Et
dès lors toute formule, nécessairement inadéquate,
est susceptible d'amélioration par l'addition de
vérités nouvelles, et non d'altération substantielle
comme on ne cesse de le répéter. Mais de ce que nous
1. Etudes, 5 août 1905, p. 32^.
238 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne savons le tout de rien, continue le P. Portalié,
est-il légitime de conclure avec les relativistes
que nous ne savons rien du tout? C'est l'agnos-
ticisme qui, est irrecevable.
Quant à prétendre que le dogme est une intro-
duction violente dans l'esprit, un asservissement,
une limite, une tyrannie, etc., c'est, à proprement
parler, un malentendu. Car, ainsi que le l'ait re-
marquer le P. de Grandmaison, « toute vérité cer-
tainement connue comme telle s'impose à nous, et
cette vérité vient, dans une certaine mesure, du
dehors. Connaître c'est être informé, c'est-à-dire mû
à un assentiment. Bon gré mal gré il faut céder à
l'évidence, et l'autonomie de notre pensée n'est pas
finalement moins atteinte dans le cas d'évidence
directe que dans celui où l'évidence nous arrive
comme tamisée à travers un témoignage certain.
Le résultat, dans les deux cas, n'est pas une abdica-
tion, mais une conquête. Seulement, quand l'évi-
dence directe est absente, ce qui la supplée laisse
une place plus large à la bonne volonté, à la liberté,
au mérite (i). » L'intelligence, dans son adhésion
au dogme, n'est nullement violentée ; elle voit qu'il
est raisonnable de croire et que les garanties exté-
rieures dont s'entoure le dogme autorisent et légi-
timent raisonnablement son adhésion. Ces garanties
ne nécessitent pas l'acte de foi ; il suffit qu'elles le
fondent en raison.
8. Autre difficulté : les dogmes sont inintelligibles
dans leur énoncé, n'ont pas un sens pensable, et cela
à raison d'emprunts à des systèmes philosophiques
surannés, ou de concepts anthropomorphiques
irrecevables : ce sont des formules purement verba-
les. Nous n'avons pas à revenir sur ces prétendus
i. Bulletin de litt. ecclés., igo5, p. ao4.
LA QUESTION DE M. LE ROY 23g
emprunts ; nous avons dit en quoi ils consistent et
ce qu'ils impliquent ; nous ne reviendrons pas
davantage sur la nécessité où nous sommes de
parler de Dieu en hommes.
Retenons seulement que si le dogme ne dit pas
le tout de Dieu, il en dit du moins quelque chose ;
que s'il se formule nécessairement au moyen
d'analogies, ces analogies ne sont pas vides de sens,
à la manière d'une notation algébrique; l'effort delà
pensée et delà vie religieuses, en pénétrant de plus
en plus et de mieux en mieux dans le dogme, peut
« réussir à en éclairer progressivement le con-
tenu^). » Et dans tous les cas ledogme reste intelli-
gible, bien qu'il ne nous découvre pas son comment et
laisse persister le mystère : il est pensable ; il nous
apprend quelque chose de Dieu. « Faites toutes les
réserves qu'il vous plaira, écrit M. Franon, sur
l'incompréhensibilité de la nature divine..., il
restera toujours que, lorsque nous affirmons la
personnalité de Dieu, sa liberté, sa justice, son
immutabilité, ces affirmations, encore que conçues
et pensées humano modo, sont vraies, en elles-mêmes
et absolument, d'une vérité métaphysique qui
s'impose à toute intelligence (2). »
9. Enfin, dernière objection, les dogmes forment
un groupe incommensurable avec l'ensemble du
savoir positif : n'appartenant pas au même plan de
connaissance, il ne sauraient se composer avec les
autres propositions de manière à former un système
cohérent, harmonique ; ils rompent l'unité de
l'esprit ; par leur immutabilité, ils apparaissent
étrangers au progrès ; par leur transcendance, ils
restent sans rapports avec la vie intellectuelle
1. Wehrlé, dans la Revue biblique» 1905, p. 334. — a. Bulle-
tin de litt. ecclés., 1905, p. 167.
2 4o LE CATÉCHISME ROMAIN
réelle ; ils sont sans usage, inutiles et infé-
conds.
« On reste stupéfait, de ces étranges difficultés,
remarque le, P. Portalié. Sans doute, la chimie,
l'histoire naturelle, l'astronomie sont étrangères à
la sphère des connaissances religieuses, Mais en
quoi y a-t-il rupture dans notre esprit, incohérence,
à compléter le savoir de la nature par la connais-
sance de l'Auteur de la nature ? Connaissance
inutile, ose-ton dire. Comment 1 on ose mépriser
ainsi la science, sublime entre toutes, de Dieu,
cause première du plan providentiel sur l'humanité,
de la rédemption, des destinées finales qui nous
attendent ! Mais alors quelle science sera utile ?
Qu'on nous réponde. Savoir infécond \ ajoute-t-on.
Il semble pourtant que depuis assez longtemps,
l'expérience a prouvé quel triste sort est réservé à
la morale, dès qu'elle se sépare des affirmations
intellectuelles du dogme. L'histoire de tous les
piétismes, anciens et modernes, est là pour nous
montrer que l'abandon du dogme prépare à bref
délai la ruine de la morale. Dogmes immuables,
étrangers au progrès 1 dit-on encore. Etrange illu-
sion. Mais on n'a donc jamais comparé la dog-
matique, condensée et comme embryonnaire, des
écrits apostoliques avec un des grands monuments
de la théologie catholique, qu'ils s'appellent VEnchi-
ridion de saint Augustin, la Somme théologique de
saint Thomas, ou Y Exposition de la doctrine catholi-
que de Bossuet (i). »
D'autre part, M. Wehrlé fait observer que déclarer
le dogme incommensurable avec les autres éléments
du savoir, incapable par suite d'apporter son con-
cours au progrès général de la vie intellectuelle,
i. Etudes, 5 août igo5, p. 331-33a.
LA QUESTION DE M. LE ROY l!\ I
n'est pas bien consistant. « Autant vaudrait dire que
Dieu ne peut pas être pris comme objet de connais-
sance sans devenir un obstacle au progrès. D'ailleurs
on néglige totalement ici la relation complexe et la
solidarité réciproque qui permettent d'unir, dans la
synthèse vitale opérée par l'action, des données
intellectuelles appartenant en effet à des plans
différents. Ce dernier point de vue manifeste mieux
encore l'injustice du reproche qu'on nous adresse.
Car, d'une part, le croyant ne trouve dans son
adhésion au dogme aucun obstacle à la libre
recherche scientifique, qui est par hypothèse d'un
autre ordre : il peut donc concourir de tout son
effort au propres du savoir humain, et il peut
contribuer pour sa part au développement du dogme
lui-même, dont il vit le contenu sans en épuiser
jamais le sens et en y découvrant toujours de
nouvelles richesses. D'autre part, comme le dogme
n'est principe de connaissance que pour être
principe d'action, comme la science transcendante
qu'il représente doit normalement se traduire en
vertu surhumaine, il est source de fécondité morale :
le croyant qui réalise sa foi rend donc-un service
appréciable à une société qui n'existe pas seulement
pour connaître les secrets de la nature... Enfin, il
importe d'écarter tout ce qui ressemblerait à une
équivoque sur la raison d'être spécifique de la
religion dont le dogme est partie intégrante. La
religion a comme destination propre, directe et
principale de préparer les hommes à l'éternité et
de les conduire au ciel. Rien de surprenant dès lors
à ce que le dogme, en tant qu'il est une connais-
sance, soit orienté vers la monde invisible qui ne
saurait coïncider de tout point avec le monde où
nous vivons. Il faut donc ou désavouer la religion
comme illégitime ou accepter que le dogme ne
LE CATÉCHISME. — T. I. l6
2 42 LE CATÉCHISME ROMAIN
rende à « la vie intellectuelle » terrestre que de»
services indirects (i). »
2° Solution proposée par M. Le Roy
i° Se croyant autorisé par ces objections, qu'il
estime valables, M. Le Roy a donc posé la question
de savoir s'il n'y aurait pas lieu à abandonner la
notion traditionnelle du dogme et à lui en substituer
une autre plus en harmonie avec l'état actuel des
esprits. Et c'est cette signification nouvelle qu'il
cherche à faire valoir, d'abord parce que le dogme
a un sens négatif, ensuite et surtout parce qu'il a un
sens pratique .
i. Le dogme a d'abord un sens négatif : il exclut
et condamne certaines erreurs plutôt qu'il ne dé-
termine positivement la vérité. Et M. Le Roy cite
des exemples. Après quoi il conclut : au point de
vue intellectuel, les dogmes n'ont qu'un sens néga-
tif, prohibitif. Ils ne font que fermer de fausses
voies. S'ils formulaient la vérité absolue en termes
adéquats, ils seiaient inintelligibles pour tous. S'ils
ne donnaient qu'une vérité imparfaite, relative et
changeante, ils ne pourraient pas légitimement
s'imposer.
2. Mais le dogme a surtout un sens pratique : il
énonce avant tout une prescription d'ordre prati-
que ; il est la formule d'une règle de conduite pra-
tique. Là est sa valeur ou sa signification positive.
La religion est moins une adhésion intellectuelle à
un système de propositions spéculatives qu'une par-
ticipation vécue à de mystérieuses réalités. Le chris-
tianisme n'est point un système de philosophie spé-
culative, mais une source et une règle de vie, une
i. Revue biblique, juillet 1905, p. 334-335.
LA QUESTION DE M. LE ROY 2/|3
discipline d'action morale et religieuse, un ensem-
ble de moyens pratiques pour obtenir le salut. Les
dogmes concernent donc premièrement la conduite
plutôt que la pure connaissance réfléchie.
3. Le dogme étant ainsi entendu, les difficultés
disparaissent : il n'y a plus qu'un problème relatif
aux rapports entre la pensée et l'action, problème
difficile, mais abordable. Le recours à l'autorité est
ici moins choquant. La soumission aux dogmes est
alors, à un certain point de vue, pour le croyant,
ce qu'est pour le savant la soumission aux faits.
4- Les raisons de croire, les motifs de crédibilité
ne sont pas d'une force invincible, d'une évidence
mathématique : il faut un coup d'état de la volonté.
Ou bien les preuves apologétiques sont certaines et
rigoureuses, et alors que devient la liberté de l'acte
de foi ? Ou bien, on les avouera insuffisantes et plus
ou moins probables, et alors la foi manquera de
base. Une attitude intellectualiste laisse désarmé en
face de ce dilemme. Mais avec l'autre attitude, le
dilemme peut se résoudre parce que, cette fois, la
dialectique en cause est action et vie, non simple
raisonnement, et que la liberté relève de la vie et
de l'action.
5. De même tombe l'objection relative à l'intelli-
gibilité des formules dogmatiques. Celles-ci, obscu-
res et inconcevables au point de vue spéculatif,
sont capables de clarté au point de vue pratique. Le
langage du sens commun est alors à sa place, ainsi
que l'emploi des symboles anthropomorphiques et
l'usage des analogies ou métaphores, et ni l'un ni
l'autre n'engendrent d'insolubles complications,
puisqu'il s'agit uniquement, cette fois, de proposi-
tions relatives à l'homme et à ses attitudes.
6. Il y aune relation nécessaire entre les dogmes-
et la pensée. Il ne faut pas se contenter de croire
l!\t\ LE CATÉCHISME ROMAIN
■•
aveuglement les dogmes, mais travailler à les pen-
ser. Le régime de la séparation, de la cloison étan-
che. de la comptabilité de conscience en partie
double, n'est ni désirable ni possible : c'est contraire
aux exigences de la foi, qui veut saisir tout l'hom-
me ; aux exigences de la philosophie, qui veut
l'unité spirituelle ; aux exigences de la moralité,
qui ne peut approuver une action systématiquement
irréfléchie.
7. Mais la pensée, dans son application aux
dogmes, doit reconnaître le sens premièrement pra-
tique de ceux-ci : épreuve d'expérience vécue et
non dialectique intellectuelle. Traduites ainsi en
termes d'action, les méthodes traditionnelles d'ana-
logie et d'éminence prennent une signification très
précise.
8. Reste à préciser la relation des dogmes, ainsi
entendus, avec la pensée théorique ou spéculative,
avec la connaissance pure. Le catholique, obligé de
les admettre, n'est astreint par eux qu'à des règles
de conduite, non pas à des conceptions particulières.
Il garde toute liberté pour se faire des objets cor-
respondants telle théorie, telle représentation intel-
lectuelle qu'il voudra, à la seule condition que sa
théorie justifie les règles pratiques énoncées par le
dogme. Tant que la théorie respecte la signification
pratique du dogme, celui-ci laisse carte blanche.
Juger des théories est alors affaire de pure spécula-
tion humaine, et aucune autorité extérieure à la
pensée elle-même n'a droit ni pouvoir d'intervenir.
Finalement, M. Le Roy termine son exposé par
ces deux propositions :
1. La conception intellectualiste, courante aujour-
d'hui, rend insolubles la plupart des objections que
soulève ridée de dogme.
2. Une doctrine du primat de Faction permet, au
LA QUESTION DE M. LE ROY 2^5
contraire, de résoudre le problème sans rien abandon-
ner ni des droits de la pensée, ni des exigences du
dogme.
On le voit, c'est par un autre chemin que M. Le
Roy arrive au même but qui est d'écarter la notion
traditionnelle du dogme. Là où les uns font appel
à l'évolutionisme et d'autres au symbolisme, il
préconise le moralisme, c'est-à-dire le caractère
purement pratique du dogme.
2° Que penser de la solution proposée ? Est-il vrai
que les dogmes n'aient que le sens négatif qu'on
leur prête ? Le primat de l'action doit-il l'emporter
sur la conception intellectualiste? Supprime-t-il les
difficultés ? Et laisse-t-il la liberté de se représenter
comme on veut la représentation intellectuelle du
dogme pourvu qu'on en respecte la signification
pratique ?
i . Les formules dogmatiques ont un sens négatif,
nous dit-on, et ne font que fermer de fausses voies,
parce que leurs termes en ont été choisis en fonction
de certaines erreurs à exclure. Or, remarque
M. Wehrlé, on ne peut pas, sans un grand péril
pour la raison, dire que l'être se conçoit en fonction
de néant et que l'affirmation tire sa valeur de la
négation à laquelle elle s'oppose : ce serait le
renversement total de la métaphysique et de la
logique. Que, dans tous les ordres de savoir, l'erreur
soit souvent la cause occasionnelle qui détermine
une manifestation plus décisive ou plus explicite
de la vérité, c'est incontestable. Mais cette conces-
sion ne saurait s'étendre au fond même des choses
ni s'appliquer au mouvement réel de la pensée. La
révélation n'est pas un aérolithe, mais une pensée
vivante, et les explications en sont de plus en plus
positives. On pose toujours une affirmation plus
forte d'une réalité plus riche. Ainsi les dogmes
*2'/i6 LE CATÉCHISME ROMAIN
n'ont-ils pas seulement un sens pour nous, mais
$e plus ce sens est formellement positif, et ce sens
fournit un renseignement intellectuel précieux (i).
D'autre part, M. Le Roy est bien obligé de recon-
naître que si une théorie vient à surgir qui porte
atteinte au dogme en altérant sa signification pra-
tique, le dogme se dresse contre elle et la condamne,
devenant ainsi an énoncé intellectael négatif. Restric-
tion fort importante, mais que son système lui interdit
ëe faire, cap il y a contradiction entre les principes
d'autonomie qu'il a proclamés et cette restriction
imposée. Cette dernière, en effet, vient du dehors
et constitue par suite un « asservissement, » une
« menace de tyrannie intellectuelle, » une « entrave
à la liberté de la recherche. » Et ainsi l'objection
qu'il faisait contre le dogme intellectualiste se
retourne contre le dogme tel qu'il l'entend. « Et le
voilà mis en demeure, ou bien, pour sauver l'au-
tonomie de l'esprit, de retirer toutes les restrictions
qu'il mettait à la liberté de penser, et alors c'est
ton ta foi qui sombre ; ou bien, pour sarwer le
dogme, même entendu dans le sens de précepte, de
répudier cette indépendance absolue de l'esprit, et
alors tout l'échafaudage du système croule par la
base (2). »
2. Que les formules dogmatiques aient une utilité
d'ordre pratique et tendent à se traduire en actes
dans la vie religieuse, à commander des attitudes
morales, tout le monde en tombe d'accord. Carie
dogme vise à la direction de la vie morale, l'inspire
«et la soutient, parce qu'il est le fondement de la
moralité chrétienne et reste sa norme objective.
Mais à qui appartient l'hégémonie ? Qui commence,
l'action ou la doctrine ?
1. Op. cit., p. 342-343. — a. E. Portalié, op. cit., p. 173.
LA QUESTION DE M. LE ROY 2/47
Peut-on soutenir le primat de l'action ? Nous ne
le pensons pas, et voici pourquoi d'après M. Wehrlé :
« On admet, en effet, que les attitudes morales ou
les démarches cultuelles doivent être obligatoire-
ment adoptées par nous. Mais quel est donc le
fondement de cette obligation ? C'est la connaissance
d'un énoncé dogmatique édicté par l'Eglise et
derrière lequel on avoue qu'il existe une réalité
capable d'en justifier les exigences pratiques. C'est
déjà une étrange relation que celle de la réalité
visée par la formule avec la formule qui la promul-
gue sans la manifester, qui l'exprime dans des mots
sans que ces mots présentent un sens précis et
intelligible. Ce qui est plus étonnant encore, c'est
qu'une formule devenue impuissante à saisir et à
traduire son objet divin garde le pouvoir régalien
de soumettre le sujet humain à la loi d'une obéis-
sance aveugle. Mais le pire de tout, c'est le naufrage
du primat de l'action qui sombre malgré tout dans
cette aventure. Car c'est cette connaissance du
dogme, dont la qualification amoindrie ne peut
empêcher qu'elle reste une connaissance, qui met
en branle toute notre vie religieuse. Elle demeure
le a primum movens » de notre moralité et de notre
ritualisme. Par une perte désormais sans profit, on
a donc laissé subsister une priorité et une supré-
matie de la connaissance sur l'action. On a éliminé
du dogme toute donnée intelligible, retiré de la
connaissance toute valeur intellectuelle, sans avoir
réussi à empêcher que le dogme détermine la mo-
rale et commande la pratique. Où est donc en tout
cela le primat de l'action ? Cependant il importe de
respecter et de défendre, sinon le primat, du moins
les droits légitimes de l'action qui protègent les
intérêts de la connaissance, car l'action est le creuset
où s'élabore la vraie connaissance humaine, la
2A8 LE CATÉCHISME ROMAIN
connaissance vivante et vivifiante parce qu'elle est
expérimentale et vécue (i). »
3. L'explication morale des dogmes donnée par
M. Le Roy, loin de sauver l'existence du dogme
chrétien, en serait plutôt la fin. C'est ce que démon-
tre fortement le P. Portalié : « Répudier cette théo-
rie moraliste du dogme, c'est pour le catholicisme
un devoir élémentaire de sincérité... Que M. Le
Roy le veuille ou non, il demande à l'Eglise déjouer
misérablement sur les mots et d'essayer de sauver
son empire sur les âmes au prix d'une équivoque
déshonorante. » Durant dix-huit siècles, l'Eglise « a
constamment défendu en son entier ce dépôt de
vérités, disant ana thème à quiconque battait en
brèche un seul de ces dogmes. Et, comme en ces
derniers temps, au nom des progrès de la science,
plusieurs de ses fils, égarés par une fausse philoso-
phie, Hermès, Gùnther et d'autres, avaient voulu
changer, modifier le sens de ces affirmations dog-
matiques, elle en a proclamé solennellement l'im-
mutabilité ; in eodem sensu eademque sententia. Et
aujourd'hui vous venez demander à cette même
Eglise de déclarer à ses fils qu'elle n'a jamais prétendu
imposer un credo intellectuel ni donner des lois à
l'esprit humain ; qu'elle n'a aucune autorité pour
régenter l'intelligence et que jamais elle ne songea
à revendiquer pour elle-même une infaillibilité
intellectuelle et théorique ; qu'elle n'a point en
dépôt des vérités immuables reçues du ciel, et que
l'idée antique d'une révélation par laquelle Dieu
aurait parlé à l'homme, est un anthropomorphisme
grossier, inacceptable à notre philosophie mo-
derne ; que tout dogme entendu comme une affirma-
tion intellectuelle sur l'autorité d'un maître quel-
i. Op. cit., p. 347-348.
LA QUESTION DE M. LE ROY 2/19
conque, est « un asservissement, une limite aux
droits de la pensée, etc., toutes choses radicalement
contraires à la vie même de l'esprit, à son besoin
d'autonomie et de sincérité ; » que « nulle autorité
ne peut faire ou empêcher que l'homme trouve un
raisonnement fragile ou solide, ni surtout que telle
notion ait ou n'ait pas de sens pour lui ; » que
l'Eglise n'a jamais voulu imposer à ses fidèles ni
affirmation, ni raisonnement, ni notion quelconque;
que lorsqu'elle définissait dans ses conciles la con-
substantialitéduFils, la maternité divine de Marie, ou
encore clans le Christ une seule personne divine, et
deux natures avec deux volontés et deux intelligen-
ces, elle ne prétendait rien affirmer, mais seulement
donner des ordres pratiques à la volonté ; enfin
que l'on peut être chrétien et catholique en décla-
rant qu'admettre un seul dogme comme assertion
doctrinale, c'est se condamner « à ne plus penser. »
Eh bien, c'est là demander à l'Eglise, non seule-
ment une déloyauté à l'égard de ses enfants, mais
un mensonge (i). »
Aussi exiger « de l'Eglise catholique qu'elle
renonce à toute signification intellectuelle de sa foi,
et qu'elle adopte, avec les nouvelles doctrines de
l'évolution, le sens purement pratique des dogmes,
c'est se heurter à cet effrayant dilemme :
« Ou bien vous lui demandez de déclarer qu'elle
n'a jamais cru à cette signification théorique, même
quand elleanathématisait quiconque refusait l'adhé-
sion intellectuelle; et elle devrait pour cela déchirer
les pages les plus éclatantes de son histoire ;
« Ou bien vous entendez qu'elle proclamera son
erreur dix-neuf fois séculaire, et l'égarement où elle
était d'exiger une adhésion de l'esprit à des dog-
1. Op. cit., p. 159-161.
2UO LE CATECHISME ROMAIN
mes dont elle reconnaît l'inconsistance absolue,
mais en ajoutant qu'elle reste toujours l'interprète
infaillible du vrai christianisme ; et alors c'est exiger
qu'elle proclame elle-même sa déchéance et sa
propre folie ;
u Dans ces deux cas, c'est la fin du catholi-
cisme (i). »
[\. Enfin l'explication morale des dogmes ne
résout aucune des difficultés opposées à la concep-
tion intellectualiste ; elle est impuissante à légiti-
mer le précepte qu'on met en relief dans le dogme,
comme aussi à en déterminer le sens et la portée ;
elle impliquer intellectualisme le plus formel.
Y a-t-il un précepte qui nous oblige à agir? Quel
en est le sens, quelle en est la portée ? La réponse à
cette question suppose bien des vérités théoriques
pour démontrer l'origine de la loi, l'autorité d'où
elle émane, son efficacité. M. Le Roy a raison de
parler « des exigences de la moralité qui ne peut
approuver une action systématiquement irréflé-
chie, » mais en vertu de son système, continue le
P. Portalié, il impose au croyant non seulement
une action, mais toute une vie systématiquement
irréfléchie, systématiquement déraisonnable. Et
pour prétendre que le recours à l'autorité semble
moins choquant dans le domaine de l'action, il faut
au moins qu'il y ait une autorité ayant droit de
commander. Où est-elle ? Sur quoi s'appuie le droit
de l'Eglise? Pour y répondre, et il le faut bien, c'est
aussitôt une théorie intellectualiste qu'il faudra
édifier.
Et c'est encore à l'intellectualisme qu'il faut recou-
rir, dans le système de M. Le Roy, dès que Ton
s'avise de déterminer les attitudes à prendre, à pro-
i, lbid.t p. 162.
LA QUESTION DE M. LE ROY 25 1
pos de formules dogmatiques, qu'on dit ne répon-
dre à aucun concept précis. Pourquoi telle attitude
et non pas telle autre ? Qui le décidera et pourquoi ?
Il faut donc choisir : ou maintenir que les dogmes
n'ont aucun sens théologique, et alors il est interdit
de fixer telle attitude plutôt que telle autre relati-
vement à l'Eucharistie, à l'Incarnation, etc. ; ou bien
avouer que Jésus, dans l'Eucharistie par exemple,
exclut les attitudes irrespectueuses de Calvin, et par
là on rétablit l'intellectualisme le plus formel.
Au fond, c'est au nom d'un dogmatisme parti-
culier, étroit et intransigeant, que M. Le Roy
combat la conception intellectualiste du dogme.
Ses difficultés se résolvent, nous l'avons vu, et sa
théorie est injustifiée, nous venons de le voir.
Le P. Allô a raison de conclure son étude par ces
deux propositions : « Les dogmes sont des propo-
sitions, soit purement spéculatives, soit en rapport
essentiel avec l'histoire, que l'autorité doctrinale
impose à la foi des chrétiens, comme exprimant les
vérités dont l'objectivité est requise pour la per-
manence et le développement de la vie spirituelle
apportée par le Christ sur la terre. — Ces proposi-
tions, si elles expriment des faits du monde visible
(conception virginale, résurrection) sont à prendre au
pied de la lettre, non pas toujours suivant le sens
technique et secondaire, mais suivant le sens obvie
et primitif des termes ; — si elles expriment des
faits de l'éternité ou du monde invisible, elles ont un
sens intellectuel positif, analogue, non univoque,
au sens courant de ces mêmes termes (i).
1. La logique et M. Loisy. — « Pauvre logique,
comme on la méprise I mais aussi comme elle se venge
i. Op. cit., p. 4 a 3-4 a 4.
252 LE CATÉCHISME ROMAIN
cruellement ! Voilà ses contempteurs réduits à nous pro-
poser comme apologie adaptée aux progrès du siècle :
croire d'abord, puis l'on verra pourquoi. Voit-on bien
M. Loisy, l'apologiste des temps nouveaux, s'adresser aux
libres penseurs du jour : « Je n'ai point de preuves à vous
donner de la vérité du christianisme. Je ne puis même
vous dire s'il y a un Dieu ou si l'évolution suffit à tout.
Mais croyez, donnez-vous à l'Eglise catholique. Elle est
une société tout humaine à laquelle Jésus n'a jamais
songé, et qui à cette heure même compromet terriblement
son avenir par son entêtement dogmatique et une soif
insatiable d'autocratie ; elle a fabriqué elle-même ses
dogmes, en les attribuant toujours à Jésus pour sauver le
christianisme de la ruine ; elle transforme ces dogmes
à chaque génération, tout en proclamant son immuable
infaillibilité. N'importe ! Croyez et vous éprouverez
« l'étonnante puissance, à travers les siècles, de Vidée du
règne de Dieu et l'efficacité actuelle, l'expérience person-
nelle de cette idée, toujours vivante, nonobstant les
limitations de son origine et les modifications qu'elle n'a
pas cessé de subir. » Sans être prophète, on prévoit les
résultats de cette harangue. C'est sans doute que nous
sommes trop intellectualistes ! Mais le genre humain est
intellectualiste, lui aussi : sa raison veut voir des garan-
ties, avant de croire, et la simple honnêteté morale, au
défaut de la raison, l'oblige de juger toute vie, même la
vie chrétienne, avant de l'accepter et de la vivre. »
E. Portalié, Le dogme et l'histoire, dans le Bulletin de
litlér. ecclés., 1904, p. 88-89.
2. Au fond d'un petit livre. — « En résumé, si nous
comprenons bien M. Loisy, après une lecture plusieurs
fois répétée de son livre, l'exégèse est autonome vis-à-vis
de l'Eglise, du pape et des conciles, parce que l'Eglise ne
définit point les faits, même religieux, ni le vrai sens des
textes bibliques ; et, si elle se mêlait de les définir, elle
risquerait fort de se tromper. La raison dernière en est
qu'il n'y a pas de dogmes fixes ; il n'y a que des formules
symboliques changeantes. Or, l'évolution des dogmes est
réglée, non par une révélation extérieure de Dieu à
LA QUESTION DE M. LE ROY 2 53
omme et par le magistère infaillible de FEgh'se, mais
parle progrès de la révélation interne, toujours en action
dans l'humanité, et qui s'appelle d'un autre nom expé-
rience ou conscience religieuse. L'orthodoxie d'aujourd'hui
peut devenir l'erreur de demain : il est sage néanmoins
de s'en tenir aux formules reçues, en adhérant d'intention
à leur véritable objet, inconnu et inconnaissable...
Tel est ce livre, dont la lecture ne donne ni paix ni
lumière. Il y a des pages qui étonnent, d'autres qui
inquiètent, quelques-unes qui effrayent. L'obscurité
où l'on marche accroît le malaise ; les ténèbres font
peur. L'impression dominante est un sentiment de tris-
tesse-profonde... Il faut que les jeunes qui suivent
M. Loisy à l'aveugle... sachent enfin où on les mène. La
plupart des lecteurs, satisfaits d'une lecture rapide et
superficielle, ont pu ne voir dans les derniers ouvrages
du docte abbé que des erreurs de détail, des propositions
suspectes et des affirmations hasardées : l'existence de
contradictions dans les Livres saints érigée en axiome,
l'authenticité et l'historicité du quatrième Evangile
hardiment niées, la fondation de l'Eglise par le Christ et
l'institution des sacrements maintenus seulement de
nom, en vertu d'une explication qui semble dérisoire, la
personne de Notre Seigneur rabaissée au niveau d'un
homme ordinaire, un peu plus sage, mais pas beaucoup
plus éclairé que les autres, tous les faits sur lesquels
notre foi repose rélégués dans une sphère extra-historique,
où la démonstration rationnelle ne les atteint pas. Il est
bon qu'ils apprennent, ces lecteurs distraits ou naïfs,
qu'il y a au fond quelque chose de plus radical : une sorte
de nihilisme théologique et de subjectivisme absolu qui,
poussé à ses conséquences logiques, ne laisserait subsister
ni l'Eglise, ni Jésus-Christ, ni la révélation, ni la certitude,
ni même un Dieu personnel. » F. Prat, Le manifeste de
M. Loisy, dans les Etudes, 1903, t. xcvn, p. 317, 323-32/j.
3. Le problème de M. Le Roy. — « Défendre la foi
contre les attaques de nos ennemis déclarés, qu'ils
s'appellent Voltaire, Renan ou Séailles, c'est un devoir
relativement doux et consolant. Mais avoir en face de soi
2 54 LE CATÉCHISME ROMAIN
des esprits éminemment sympathiques par leur savoir,
par leur sincérité, par leur courage à se dire et à être
chrétiens, par les souffrances mêmes de leur foi, souf-
frances qui se dévoilent à nu dans ces pages vibrantes de
l'émotion poignante d'un doute contre lequel on s'efforce
de lutter ; être condamné à entendre de la bouche de ces
amis les accusations d'absurdité irrémédiable de tous nos
dogmes, d'opposition absolue et radicale entre ces affir-
mations dogmatiques, entendues comme tous, sans
exception, amis et ennemis, les ont comprises, on
l'avoue, pendant dix-neuf siècles, et tout ce qui est bon
sens, raison, philosophie vraie et rationnelle ; et puis se
sentir obligé de déclarer nettement à ces écrivains, pour
lesquels on n'éprouve que des sentiments de sincère
estime et de sympathie, que non seulement ils ne défen-
dent pas la foi chrétienne, comme ils l'espèrent, mais
qu'ils la renversent totalement et radicalement par la base
même, de façon qu'il n'en reste pas un seul débris
intact ; bien plus, se voir forcé d'ajouter que non seule-
ment leur système est, en soi, destructif de toute croyance
chrétienne, mais que la publication de ces pages dans des
revues destinées au grand public, loin d'être de la discus-
sion inoffensive, est en réalité un manifeste contre tout
dogme et toute foi, dont le résultat immédiat est de
jeter dans nombre d'âmes un trouble profond et parfois
irrémédiable (car ces âmes, malheureusement, ne liront
point les réfutations mêmes publiées dans la Quinzaine) :
c'est là un devoir amer et douloureux entre tous. Mais
■ c'est un devoir. » E. Portalié, L'explication morale des
| dogmes, dans les Etudes, 1905, t. civ, p. i45-i46.
Article Premier
Je crois en Dieu le Père tout puissant,
créateur du ciel et de la terre.
Je crois
Leçon VII
De la Foi
I. L'enseignement du Cathèchisme romain. —
II. L enseignement du Concile du Vatican. —
III. Définition de la Foi. — IV. Le motif de la
Foi ou son objet formel. — V. Les motifs de
crédibilité.
I. L'enseignement
du Catéchisme romain
L
a question de la foi, de nos jours surtout où
le rationalisme prétend s'imposer au nom de
l'autonomie de la raison et de la libre
recherche, est l'une des plus délicates et des plus
difficiles à traiter (i).
I. BIBLIOGRAPHIE: Saint Thomas, Sum.theol.,ii\iiae,Q.i-\;
Deveritate, Q. xiv ; Voir le traité De fide dans les Théologies paru es
après le concile du Vatican ; A. Vacant, La Constitution Dei
Filius, Paris, 1895, t. n, p. 15-179 ; Didiot, Logique surna-
256 LE CATÉCHISME ROMAIN
Le concile de Trente l'avait déjà abordée, parti-
culièrement à cause de l'erreur protestante sur la
justification. Et le Ca'téchisme romain en a donné
un résumé succint, substantiel, surtout pratique. Il
traite, en effet, de la notion de la foi, de sa néces-
sité, de son objet, de ses caractères et du devoir
qui incombe à tout chrétien de la professer.
i. «Le mot de foi, dit-il, a plusieurs significa-
tions dans l'Ecriture, mais ici nous le prenons pour
l'assentiment total que nous donnons aux vérités
révélées de Dieu.
2. «Il n'y a personne qui puisse raisonnablement
douter que cette foi ne soit nécessaire pour le salut ;
car il est écrit : « Sans la foi, il est impossible de
plaire à Dieu (i). » En effet, le bonheur auquel
l'homme est destiné comme à sa fin dernière, est
beaucoup trop élevé pour qu'il puisse le découvrir
par ses propres lumières : il était donc nécessaire
que Dieu lui-même lui en donnât connaissance.
Or cette connaissance n'est autre chose que la foi,
qui nous fait recevoir sans hésiter tout ce que
l'autorité de la sainte Eglise notre mère nous pro-
pose comme révélé de Dieu ; car il est impossible
de concevoir aucun doute sur les choses que Dieu
turelle subjective et objective, Lille, 1891 ; J. Payot, De la
croyance, Paris, 1896; Ollé-Laprune, La certitude morale, 3 e édit.,
Paris, 1898 ; D. Mercier, Théorie générale de la certitude, Paris,
1899 ; Mérit, La foi, sa nature, ses principaux caractères et sa
nécessité ; V. Bainvel, La joi et Vacte de foi, Paris, 1898 ;
P. Shwalm, V 'acte de joi est-il raisonnable? dans la Revue thomiste,
t. iv, p. 36-63 ; P. Schwalm, Le dogmatisme du cœur et celui de
l'esprit, Paris, 1899 '•> E- Hugon, La notion de la foi, dans la
Revue thomiste, 1902, p. i58sq. ; L'analyse de l'acte de foi, mémo
Revue, 1904, p. 546-563; La lumière et la foi, Paris, 1904;
L. Maisonneuve, L'acte de foi, dans le Bulletin de littérature
ecclésiastique, de Toulouse, 1904, p. i63-i84.
1. Hebr., xi, 6.
l'enseignement du catéchisme romain 257
révèle, puisqu'il est la vérité même. De là, il est
facile de comprendre combien il y a de différence
entre la foi que nous avons en Dieu et celle que
nous accordons au témoignage des hommes pour
les faits naturels. Cependant, quoique la foi admette
divers degrés d'étendue et d'excellence, comme on
le voit par ces passages de l'Ecriture : « Hommes
de peu de foi, pourquoi avez-vous douté (1)? »
— a Votre foi est grande (2) ; » — « Augmentez en
nous la foi (3) ; » — « La foi sans les œuvres est
morte (4) ; » — « La foi qui opère par la charité (5), »
elle n'admet aucune diversité d'espèces, et la même
définition convient pleinement à tous les degrés
qu'elle peut comprendre. Quant aux fruits qu'elle
produit et aux avantages qu'elle procure, nous en
parlerons dans l'explication des articles...
3. ((Je crois en Dieu le Père tout puissant, créa-
teur du ciel et de la terre. Voici le sens de ces
paroles : Je crois fermement et je confesse sans le
moindre doute Dieu le Père, première personne de
la Trinité, qui, par sa vertu toute puissante, a créé
de rien le ciel, la terre et tout ce qui est contenu
dans l'univers ; qui conserve et gouverne toutes
choses. Et non seulement je le crois de cœur et je
le confesse de bouche, mais encore je tends à lui
de toute l'affection et de toute la force de mon âme,
comme au bien parfait et souverain.
l\. a Croire, en cet endroit, n'est pas la même
chose que penser, s'imaginer, former une opinion.
C'est, suivant l'enseignement des saintes Lettres, un
acquiescement inébranlable, ferme et constant, da
notre esprit, aux mystères que Dieu a révélés. Ainsi,
pour ce qui regarde la question présente, celui-là
1. Matth., xiv, 3i. — 2. Matth.y xv, 28. — 3. Luc, rvu, §♦
— 4- Jac., 11, 17. — 5. Gai., v, 6.
LH CATECHISME. T. I 17
258 LE CATÉCHISME ROMAIN
croit qui est tellement persuadé d'une chose qu'il
la tient pour absolument certaine sans la moindre
hésitation.
5. « Et qu'on ne s'imagine pas que les connais-
sances de la foi soient moins certaines, parce que
nous ne voyons pas les choses qu'elle nous propose
de croire. Si la lumière divine, qui nous les fait
connaître, n'en donne pas l'évidence, elle ne nous
permet cependant pas d'en douter ; car le même
Dieu qui a fait sortir la lumière des ténèbres (i), a
fait briller sa lumière dans nos cœurs (2), afin que
l'Evangile ne fût point caché pour nous comme
pour ceux qui périssent (3).
6. « 11 suit de là que celui qui possède cette
connaissance céleste de la foi n'a plus besoin
d'aucune recherche curieuse. Car lorsque Dieu nous
a commandé de croire, il ne nous a pas proposé de
scruter ses jugements, ni d'en rechercher les
raisons et les motifs ; mais il a voulu que notre
foi fût immuable et que notre esprit se reposât
entièrement dans la connaissance qu'elle lui donne
ide la vérité éternelle. En effet, dit l'apôtre, Dieu
est véritable et tout homme est menteur (4). Si
donc on ne peut, sans arrogance et sans témérité,
non seulement repousser ce qu'un homme sage et
prudent affirme être vrai, mais encore lui demander
de prouver par des raisons ou par des témoins les
choses qu'il avance, quelle ne sera pas la témérité
ou plutôt la folie de celui qui, entendant la voix
de Dieu même, cherche encore des raisons pour
croire la céleste doctrine du salut ?
« Il faut donc croire, non seulement sans aucun
doute, mais encore sans rechercher aucune démons-
tration.
1. 11, Cor., iv, 6. — a. 11 Cor., iv, 6. — 3. u Cor., iv, 3. —
4. Rom., ni, 4*
l'enseignement du catéchisme romain 25o>
7. « Le pasteur enseignera ensuite que celui qui
dit : je crois, exprimant par ces mots l'assentiment
intime de son esprit, qui est l'acte intérieur de la
foi, est obligé de professer hautement et de mani-
fester avec joie devant tout le monde la foi qu'il a
dans le cœur. Tous les fidèles doivent être animés
de cet esprit qui a fail dire au prophète : « J'ai cru,
et c'est pourquoi j'ai parlé (1). » Tous doivent
imiter les apôtres, lorsqu'ils répondaient aux prin-
ces du peuple : « Sur des choses que nous avons
vues et entendues, nous ne pouvons point garder le
silence (2). » Tous doivent s'encourager par ces
paroles de saint Paul : « Je ne rougis pas de
l'Evangile, car c'est une force de salut pour tout
homme qui croit (3) ; » soit par celles-ci : « C'est
en croyant de cœur qu'on parvient à la justice, et
c'est en confessant de bouche qu'on parvient an
salut (4). »
Cet enseignement du Cathéchisme romain reste
précieux ; mais, en face des besoins de l'heure
présente, ou plutôt à cause des prétentions soulevées
par le rationalisme, des questions et des pro-
blèmes agités en sens divers, il est notoirement
insuffisant. C'est pourquoi les Pères du concile du
Vatican ont tenu, en le complétant, à préciser ls*
nature de la foi, à indiquer les motifs de crédibilité,
à déterminer le caractère surnaturel et la liberté de
foi. à définir la nature et le caractère des vérités de
la foi catholique, à marquer la nécessité et la dis-
cernibilité de la foi véritable et à condamner les
principales erreurs sur tous ces points délicats. Ils
l'ont fait avec un à propos, une mesure et une
concision des plus remarquables.
1. Ps. cxv, 1. — 2. Act.t iv, 20. — 3. Rom., 1, 16. — k.Rom.,.
x, 10; Catech> rom., Praef. 26; P. I, ch. i-v.
260 LE CATÉCHISME ROMAIN
IL L'enseignement
du Concile du Vatican
Avant de rapporter, sur la question de la Foi, le
texte môme du concile du Vatican, il convient do
citer les paroles du rapporteur de la foi, Mgr Martin,
évêque de Paderborn. Rien de mieux, en effet, pour
connaître la pensée, le but, les matières traitées par
le concile. On saisit aussitôt le lien intime qui unit
les diverses parties et les divers paragraphes de ce
chapitre si substantiel dans sa brièveté.
« La Députation de la foi s'est proposée, dit le
Rapporteur, d'exposer dans ce troisième chapitre la
doctrine catholique sur la foi ; non pas, il faut le
bien remarquer, cette doctrine complète et tout entière,
comme il faudrait le faire dans un traité de la foi,
mais cette doctrine réduite aux points que contre-
disent les erreurs modernes...
« Voici le canevas de tout le chapitre et l'enchaî-
nement logique de ses propositions.
« La première partie du premier paragraphe relie
ce chapitre au chapitre précédent qui traitait de la
révélation ; car cette partie affirme qu'à la révélation
qui vient de Dieu doit répondre la foi qui vient de
l'homme. Notre intention n'était donc point d'ex-
pliquer dans cette première partie du chapitre tous
les motifs de la foi ; il nous suffisait d'y indiquer
la racine ou la raison fondamentale de l'obligation
de croire à Dieu qui révèle. Nous avons placé cette
racine, ou raison fondamentale, en ce que Dieu est
notre premier auteur, notre créateur, le suprême
seigneur de qui nous dépendons en entier avec
toutes nos forces. Tel est l'objet de la première
partie de ce premier paragraphe.
L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE DU VATICAN 26 1
« La seconde partie du même paragraphe pré-
sente la véritable définition de la foi considérée en
elle-même, et appuie cette définition sur l'autorité
de saint Paul aux Hébreux. Comme nous le savons
tous, la nature propre de la foi vient de son motif
ou objet formel, qui est l'autorité de Dieu qui nous
parle, motif qui distingue essentiellement la foi de
la science naturelle. Cette définition de la foi écarte
donc l'erreur capitale des rationalistes, qui rejettent
la foi proprement dite, alors même qu'ils parlent de
lafoi. Ils rejettent, en effet, entièrement le motif de
la foi considérée en elle-même, ils suppriment
l'autorité de Dieu qui révèle, et, s'ils parlent de
foi religieuse, ils appellent foi une persuation née
de la science naturelle ou de l'évidence intrinsèque
de la vérité. Ils suppriment donc en réalité la foi
proprement dite, en supprimant le motif ou l'objet
formel de la foi. Cette foi proprement dite, qui
s'appuie sur l'autorité de Dieu, étant rejetée par les
rationalistes comme contraire à la raison, le para-
graphe second enseigne que c'est à bon droit et
conformément à la raison que l'on croit à la parole
de Dieu, parce que celle-ci est prouvée par des
signes évidents de crédibilité.
« Le second paragraphe enseigne donc que c'est
conformément à la raison que l'on croit à la parole
divine qui se présente avec des signes évidents de
sa révélation. Ce second paragraphe écarte par
conséquent une double erreur, d'une part l'erreur
des rationalistes, d'autre part l'erreur de ce faux
piétisme, qui en appelle exclusivement à l'expérience
interne, au témoignage intérieur du Saint-Esprit, ou
à la certitude immédiate. Bien que les motifs de cré-
dibilité soient évidents par eux-mêmes et que
l'assentiment de la foi soit tout à fait conforme à la
raison, la foi n'en est pas moins inspirée par la
3Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN
»— ^ — — ' — —— — — ^-^— — — — — - — «
volonté, et elle demeure toujours un acte libre; de
telle sorte qu'il faut pour la foi une grâce prévenante
et adjuvante, et que la foi considérée en elle-même
€st un don de Dieu : déclaration qui écarte une
erreur d'Hermès, sur laquelle je reviendrai plus tard.
« La nature et la vraie notion de la foi étant
déterminées, le paragraphe quatrième fait connaître
$ objet matériel de la foi, en déclarant qu'on doit
croire tout ce que Dieu a révélé et que l'Eglise nous
propose de croire ; car le motif de la foi, c'est-à-dire
l'autorité de Dieu qui révèle, et notre obligation de
croire s'étendent à toutes les vérités dont le magis-
tère de l'Eglise nous manifeste clairement la ré-
vélation. Cet enseignement exclut l'erreur qui
restreint l'objet de la foi aux seuls articles qui sont
formellement définis, et tend à réduire en quelque
sorte au minimum la somme des vérités à croire.
« Après l'explication de la nature de la foi et la
détermination de son objet tant formel que matériel,
vient, au paragraphe cinquième, la doctrine de la
nécessité de la foi et de Y obligation pour V homme de
£ embrasser et d'y persévérer. Dans la seconde partie
de ce cinquième paragraphe, on explique comment
Dieu nous aide à remplir ce devoir de la foi par
l'Eglise qu'il a instituée ; car cette Eglise est comme
une révélation concrète et divine, qui nous présente
les motifs de crédibilité avec les vérités à croire.
« Suivant le sixième paragraphe, à cette grande
manifestation de la révélation se joint le secours do
la grâce intérieure, qui excite les incrédules à
croire et confirme les croyants dans la foi. Cet en-
seignement écarte une erreur capitale qui est très
répandue ; c'est l'erreur qui attribue aux fidèles le
droit de mettre la foi en doute et de suspendre leur
assentiment jusqu'à ce qu'ils se soient formé une
persuasion scientifique de la vérité delà foi...
l'enseignement DU CONCILE DU VATICAN 2 63
« Les canons appliquent expressément aux erreurs
de notre temps la doctrine exposée dans le chapitre.
Or, la première et la principale de ces erreurs con-
siste à dire que la raison humaine est autonome et
qu'elle se suffit pleinement. C'est contre cette erreur
qu'est dirigé le premier canon.
« Une autre erreur qui dérive de la première con-
siste à n'admettre pour vrai que ce que la raison tire
d'elle-même. Le second canon est dirigé contre cette
erreur ; car il distingue entre la foi et la science
humaine, et il statue que l'objet formel ou motif de
la foi est l'autorité de Dieu qui révèle.
« Une autre erreur consiste à désespérer de la rai-
son, à ne lui attribuer aucune valeur, et à tout rame-
ner à une sentimentalité vague. C'est contre cette
erreur qu'est dirigé le troisième canon qui défend
les droits de la raison dans la foi elle-même.
« La quatrième erreur nie la possibilité de démon-
trer le fait de la révélation, ou les miracles ; elle
rejette donc la possibilité des miracles. Le qua-
trième canon est dirigé contre cette erreur.
« Le cinquième canon revendique la liberté de la
/bî, et cela contre Hermès, dont on rejette une dou-
ble erreur : la première c'était que la foi est produite
par une démonstration scientifique et par des argu-
ments qui nécessitent l'assentiment, de telle sorte
que l'acte de foi ne serait pas libre, mais nécessaire.
De cette erreur découlait la suivante, c'est que la
grâce intérieure de Dieu n'est pas requise pour la
foi considérée en elle-même ; car si la foi n'est pas
un acte libre, mais nécessaire, il s'ensuit que la foi
se produit sans le secours de la grâce divine. Cette
double erreur d'Hermès est condamnée par le cin-
quième canon, qui affirme d'abord la liberté de la
foi et ensuite la nécessité de la grâce pour la foi.
a Enfin le sixième canon écarte une autre erreur
2C4 LE CATÉCHISME ROMAIN
du même Hermès, qui voulait que toute recherche
théologique commençât par un doute, et même par
un doute positif qui suspend véritablement l'adhé-
sion à la religion et à la foi chrétiennes. Une erreur
si énorme et si dangereuse devait être condamnée,
et elle Test par le sixième canon (i). »
Il était difficile d'offrir un commentaire plus
lumineux et plus autorisé du troisième chapitre de
la constitution Dei Filius, et des canons qui s'y
rapportent. On comprendra par là plus aisément le
texte même du concile que nous allons transcrire.
i. « Puisque l'homme dépend tout entier de Dieu,
comme de son créateur et seigneur, et que la raison
créée est complètement subordonnée à la Vérité
incréée, lorsque Dieu révèle, nous sommes tenus
de lui soumettre pleinement notre intelligence et
notre volonté par la foi. Or, cette foi, qui est le
commencement du salut de l'homme, l'Eglise catho-
lique professe que c'est une vertu surnaturelle, par
laquelle, prévenus et aidés de la grâce de Dieu, nous
croyons vraies les choses qu'il a révélées, non pas
à cause de leur vérité intrinsèque perçue à la
lumière naturelle de la raison, mais à cause de
l'autorité de Dieu même qui révèle et qui ne saurait
ni être trompé ni tromper. La foi est, en effet, au
témoignage de l'apôtre, « la substance de ce que
nous espérons et la conviction de ce que nous ne
voyons pas (2). »
2. « Néanmoins, afin que l'hommage de notre foi
fût d'accord avec la raison, aux secours intérieurs
du Saint-Esprit Dieu a voulu joindre des preuves
extérieures de sa révélation, savoir des faits divins
et surtout des miracles et des prophéties, qui, en
1 . Voir le Document xx reproduit in extenso par Vacant, La
conslitution Dei Filius, t. 11, p. 370-396. — 2. Hebr., xi, 1.
L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE DU VATICAN 2Ô5
montrant abondamment la toute-puissance et la
science infinie de Dieu, font reconnaître la révéla-
tion divine, dont ils sont des signes très certains
et appropriés à l'intelligence de tous. C'est pourquoi
soit Moïse et les prophètes, soit surtout le Christ
Nôtre-Seigneur lui-même ont fait de nombreux et
très manifestes miracles et prophéties ; et nous
lisons des apôtres : « Etant partis, ils prêchèrent
en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux, et
confirmant leur parole par les miracles qui l'accom-
pagnaient (i). » Il est également écrit : « Ainsi a
été confirmée pour nous l'Ecriture prophétique, à
laquelle vous faites bien de prêter attention, comme
à une lampe qui brille dans un lieu obscur (2). »
3. Bien que l'assentiment de la foi ne soit point
du tout un mouvement aveugle de l'esprit, personne
pourtant ne peut adhérer à l'enseignement de
l'Evangile, comme il le faut, pour arriver au salut,
sans une illumination et une inspiration du Saint-
Esprit, qui donne à tous la suavité de l'adhésion et
de la croyance à la vérité (3). C'est pourquoi la foi
en elle-même est un don de Dieu, alors même
qu'elle n'opère point par la charité, et son acte est
une œuvre se rapportant au salut, par laquelle
l'homme se soumet librement à Dieu lui-même, en
consentant et en coopérant à sa grâce à laquelle il
pourrait résister.
4- « Or, on doit croire de foi divine et catholi-
que toutes les vérités qui se trouvent contenues dans
la parole de Dieu écrite ou traditionnelle et que
l'Eglise propose comme devant être crues, en tant
que divinement révélées, qu'elle fasse cette propo-
sition par un jugement solennel ou par son magis-
tère ordinaire et universel.
1. Marc, xvi, 20. — 2. 11 Petr., 1, 19. — 3. Syn. Araus., n,
can. 7, dans Hardouin, Ad. Concil., t. n, col. 1099.
266 LE CATÉCHISME ROMAIN
5. « Comme il est impossible sans la foi de plaire
à Dieu et d'entrer en partage avec ses enfants,
jamais personne n'a été justifié sans elle, et à moins
d'avoir persévéré dans la foi jusqu'à la fin, aucun
homme n'obtiendra la vie éternelle. Or, pour que
nous puissions satisfaire au devoir d'embrasser la
foi véritable et d'y persévérer constamment, Dieu par
son Fils unique a institué l'Eglise et il l'a revêtue de
signes manifestes de son institution, afin qu'elle
puisse être reconnue de tous comme la gardienne
et la maîtresse de la parole révélée. Car c'est à
l'Eglise catholique seule qu'appartiennent toutes
ces notes si nombreuses et si frappantes par lesquel-
les Dieu a rendu évidente la crédibilité de la foi
chrétienne. Bien plus, à cause de son admirable
propagation, de sa sainteté éminente et de son iné-
puisable fécondité en toute espèce de biens, à cause
de son unité catholique et de son invincible stabi-
lité, l'Eglise est par elle-même un grand et perpé-
tuel motif de crédibilité, en même temps qu'un
témoignage irréfragable de sa mission divine.
6. Il en résulte que, comme un étendard levé
sous les yeux des nations, elle appelle à elle ceux
qui n'ont pas encore cru et elle donne à ses enfants
une assurance plus certaine que la foi qu'ils profes-
sent repose sur un très ferme fondement. A ce
témoignage s'ajoute le secours efficace de la vertu
d'en haut. Car par sa grâce le Seigneur très miséri-
cordieux excite ceux qui sont dans l'erreur et les
aide à parvenir à la connaissance de la vérité ; il
donne aussi sa grâce à ceux qu'il a fait passer des
ténèbres dans son admirable lumière pour les con-
firmer dans une persévérante fidélité à cette lumière,
n'abandonnant que ceux qui l'abandonnent. C'est
pourquoi tout autre est la condition de ceux qui,
par le don céleste de la foi, ont adhéré à la vérité
L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE DU VATICAN 267
catholique et de ceux qui, conduits par des données
tout humaines, professent une fausse religion ; car
ceux qui ont reçu la foi par les enseignements de
l'Eglise, ne peuvent jamais avoir aucune cause juste
de changer cette foi ou de la révoquer en doute.
C'est pourquoi, rendant grâce à Dieu le Père, qui
nous a faits dignes de partager le sort des saints
dans la lumière, ne négligeons pas un si grand
bonheur ; mais les yeux fixés sur Jésus l'auteur et
le consommateur de la foi, gardons le témoignage
inébranlable de notre espérance. »
Canons de la foi. Canon i . Anathème à qui dirait
que la raison humaine est indépendante de telle
sorte que Dieu ne peut lui commander la foi.
Canon 2. Anathème à qui dirait que la foi divine
ne se distingue pas de la science naturelle de Dieu
et des choses morales, et par conséquent qu'il n'est
pas besoin pour la foi divine qu'une vérité révélée
soit crue à cause de l'autorité de Dieu qui révèle.
Canon 3. Anathème à qui dirait que la révélation
divine ne peut être rendue croyable par des signes
extérieurs, et par conséquent que les hommes ne
doivent être amenés à la foi que par une expérience
interne et personnelle ou par une inspiration
privée.
Canon 4. Anathème à qui dirait qu'il n'y a point
de miracles possibles, et que par conséquent tous
les récits des miracles, même ceux de la sainte'
Ecriture, doivent être rejetés comme des fables ou
des mythes ; ou bien que les miracles ne peuvent
jamais être connus avec certitude et qu'ils ne four-
nissent pas une preuve véritable de l'origine divine
de la religion chrétienne.
Canon 5. Anathème à qui dirait que l'assentiment
de la foi chrétienne n'est pas libre, mais qu'il est
produit nécessairement par des preuves de raison
268 LE CATÉCHISME ROMAIN
humaine ; ou qu'il n'y a que pour la foi vivante, qui
opère par la charité, que la grâce de Dieu soit néces-
saire.
Canon 6.' Anathème à qui dirait que les fidèles
sont dans la même condition que ceux qui ne sont
pas encore parvenus à la seule foi véritable, de telle
sorte que les catholiques peuvent avoir une juste
cause de suspendre leur assentiment pour mettre
en doute la foi qu'ils ont déjà reçue par les ensei-
gnements de l'Eglise, jusqu'à ce qu'ils aient ter-
miné la démonstration scientifique de la crédibilité
et de la vérité de leur foi (i).
Comme onlevoit, ce remarquable chapitre répon-
dait de la manière la plus heureuse et la plus obvi§
à certaines erreurs du dernier siècle concernant la
foi. Son enseignement complétait très opportuné-
ment celui du concile de Trente et du Catéchisme
romain. Or, il n'a rien perdu de son actualité. Car
aux erreurs anciennes, qui n'ont pas désarmé, sa
sont ajoutés des problèmes, nouvellement posés
avec franchise et discutés à fond, qui expriment,
aux yeux des uns, les légitimes exigences de la
pensée contemporaine, tandis qu'ils passent, aux
yeux des autres, pour une imprudence sinon poui?
une témérité et sont une cause de trouble et d'in^
quiétude au point de vue de l'orthodoxie. Le pria*
cipe de leur solution ne se trouverait4i point dani
l'enseignement du concile du Vatican ?
D'après le rationalisme, il n'y a de vrai qu© cç
que la raison peut comprendre par ses seules lumiè^
res. La raison est la règle suprême de toub vérité ;
absolument indépendante et autonome, elle n'a quç
faire de la révélation divine et regarde comme unj
i. GousEilutioa Dei FilisiSf cap, ni, De fuk; et Qanon49 âé
- fide.
DÉFINITION DE LA FOI 269
vérité acquise que Dieu ne peut lui imposer la foi.
Aussi est-ce cette erreur fondamentale que le
concile écarte tout d'abord en tête de ce chapitre
troisième. Il lui oppose le motif fondamental qui
oblige l'homme à croire à Dieu ; et, ce motif, il le
tire du rapport de nécessaire et totale dépendance
de l'homme vis-à-vis de Dieu, son Créateur et Sei-
gneur, notamment du rapport de subordination
complète de la raison créée vis-à-vis de la Vérité
incréée. Il conclut que lorsque Dieu révèle, l'homme
est tenu par là même de lui soumettre par la foi
son intelligence et sa volonté ; il déclare « ana-
thème quiconque dirait que la raison humaine est
indépendante de telle sorte que Dieu ne peut lui
commander la foi. »
Le terrain ainsi déblayé, le concile aborde la
question si débattue de la foi. Il définit la foi et
oppose sa définition aux explications qu'on n'a
cessé d'en donner depuis trois siècles, et qui toutes
méconnaissent complètement ou partiellement la
nature de la vraie foi. C'est cette définition qu'il
s'agit de bien connaître.
III. Définition de la Foi
1. La foi ou, comme on dit souvent, la croyance,
qu'est-elle? Les uns en font « un sentiment, » « la
conscience du divin, » « un sens divin » distinct de
l'intelligence, « un idéal conçu en harmonie avec la
nature des choses et traduisant le sentiment de notre
dépendance à l'égard de Dieu, » une connaissance
inférieure purement subjective, l'affirmation d'un
objet insaisissable et illusoire, quelque chose qui
ne répond à aucune réalité.
Kant distingue dans la croyance l'opinion, la foi
27O LE CATECHISME ROMAIN
et la science ; l'opinion n'offre ni évidence objective
ni certitude subjective ; la foi n'est qu'une certitude
subjective sans une évidence objective, et la science
est constituée par l'union de l'évidence objective à
la certitude subjective. En conséquence il regarde
la foi comme la règle efficace de l'action morale,
nous introduisant sans doute dans le monde des
noumènes ou des choses en soi, mais sans nous
assurer aucunement qu'elle atteint la réalité.
Pour les positivistes anglais, la foi est une adhé-
sion à l'inconcevable et même au contradictoire.
H. Spencer lui donne pour objet le mystère par
excellence, l'inconnaissable. Stuart Mill et Bain la
réduisent à une pure illusion.
En France, on essaie de la définir. « J'entends
par croyance, dit P. Janet, toute forme de conviction
qui ne dépend pas exclusivement de la raison et de
l'examen, et qui est l'œuvre commune de la raison,
du sentiment et de la volonté (1). » La croyance, dit
à son tour M. Bertrand, est l'adhésion à une propo-
sition dont on affirme la certitude sans pouvoir en
donner une rigoureuse démonstration (2). » Pour
les néo-critiques, « la foi est un état moral de la
raison dans l'adhésion qu'elle donne aux choses
inaccessibles à la connaissance (3). »
Quelques-uns, sans oublier complètement le rôle
de l'esprit dans la foi, en exagèrent l'élément
affectif et la ramènent à une sorte d'instinct supé-
rieur, spontané mais aveugle. Beaucoup trouvent que
la foi ne raisonne pas ou même qu'elle n'est pas
raisonnable. On l'oppose à l'expérience qui constate,
vérifie et contrôle, à l'intelligence qui voit ou décou-
1. Principes de métaphy. et de psych., 1. 1, p. 7a. — a. Lexique
de philosophie. — 3. Renouyier, Essais de critiq. gêner., t. 11,
p, i53.
DEFINITION DE LA FOI 27!
vre, à la raison qui démontre, c'est à-dire à la
science. Entre la foi et la science il y aurait une
antinomie irréductible, et Guyau a écrit : « L'esprit
spéculatif est le contraire de l'esprit de foi (i). »
2. Pour les protestants orthodoxes, la foi est
encore regardée comme une adhésion de l'esprit
à la vérité révélée ; mais pour les protestants libé-
raux, elle est tout autre chose. Nous avons déjà vu
comment Sabatier entend la révélation et le dogme
et à quel subjectivisme il condamne la vie reli-
gieuse. Ecoutons M. Lobstein, professeur à la faculté
de théologie de Strasbourg : « La foi, selon le
protestantisme, n'est pas une simple croyance ;
croire, ce n'est pas adhérer à une autorité extérieure,
sur le fondement d'un témoignage étranger à la
conscience des fidèles... Croire, c'est avoir confiance
dans la grâce de Dieu révélée en Jésus-Christ... La
foi véritable, la foi vivante, c'est Dieu sensible à la
conscience et au cœur, c'est l'Esprit divin rendant
témoignage à notre esprit, c'est le Seigneur immanent
à l'âme des fidèles... S'il est vrai que croire c'est se
donner à Dieu, croire, c'est aussi vivre pour Dieu
et en Dieu... Si la foi est un acte individuel, une
décision intérieure de la volonté, une affirmation
de notre caractère de personnalité morale et reli-
gieuse, elle est inconciliable avec une doctrine qui
fait de la foi une croyance théorique et une soumis-
sion passive : partant, elle ne saurait s'accorder
avec une conception suivant laquelle le dogme ne
serait qu'un décret infaillible, exigeant le sacrifice
de l'intelligence et s'imposant du dehors à la raison
asservie (2). »
1. Guyau, Virreligion de Vavenir, p. 3a5. — a. Lobstein,
Essai d'une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896,
p. 3o-3i.
272 LE CATÉCHISME ROMAIN
Ecoutons également M. Ménégoz, professeur à la
faculté de théologie protestante de Paris ; il pose en
thèse le salut par la 'foi, indépendamment des croyan-
ces ; il trouve que l'on confond la foi et les croyances
et qu'on en arrive ainsi à substituer au dogme du
salut par la foi seule le dogme du salut par la foi et
les croyances. Il distingue donc la foi des croyances.
Mais, pour lui, la foi c'est « la consécration de
l'âme à Dieu (1). » « Donner notre cœur à Dieu,
lui consacrer notre vie, lui offrir en sacrifice ce
que nous avons de plus précieux, lui rester fidèles
jusqu'à la mort, nous en remettre entièrement, pour
le pardon des péchés et le salut éternel, à la divine
miséricorde : voilà la foi religieuse, la foi qui nous
sauve (2). » Qu'entend-il par croyances? Rien autre
chose que ce que l'on entend d'ordinaire parle mot
foi. Grâce à ces sens particuliers, qui pourraient don-
ner le change, si l'on n'y prenait garde, il en
arrive à de singulières conclusions : « Ce qui sauve,
dit-il, c'est la foi et non l'acceptation de tel ou tel
dogme, quelque vrai qu'il soit (3). » « Celui qui
consacre son âme à Dieu est sauvé indépendam-
ment de ses croyances (4). » « Qu'il trouve la vérité
ou qu'il la manque, le salut de son âme est
assuré (5). » « Nous devons admettre qu'il est pos-
sible de consacrer son âme à Dieu et d'être sauvé
sans croire à Jésus-Christ (6). » C'est la justification
par la foi, « indépendamment des croyances, même
indépendamment de la foi en Jésus-Christ (7). »
3. Loin de tomber dans des écarts aussi considé-
rables, loin même de voir comme certains dans
l'acte de foi une opération absurde qui s'accomplit
1. Ménégoz, Le Fidéisme, Paris, 1900, p. i5. — a. Ibid., p.
m. — 3. Ibid, p. 34. — 4. Ibid., p. 36. — 5. Ibid., p. 3g. —
Ç. Ibid., p. 47- — 7. Ibid., p. 47.
DÉFINITION DE LA FOI 2^3
dans les ténèbres non seulement de l'incompréhen-
sible mais encore de l'inintelligible, il est des catho-
liques qui penchent soit du côté de l'agnosticisme,
soit du côté du mysticisme. Pour M. Brunetière,
« les raisons de croire ne sont pas de l'ordre intel-
lectuel, mais de l'ordre moral ; on croit parce que
l'on veut croire (i). » M. Faguet pense de même :
« L'idéal ne se prouve en aucune façon : on ne
l'aime qu'en y croyant, sans aucune raison d'y
croire, ce qui est proprement un acte de foi. »
« L'acte de foi consiste à dire : je crois parce que
j'aime (2). » D'autres ne cessent de répéter avec
Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît point... C'est le cœur qui sent Dieu, et non
la raison. Yoilà ce que c'est que la foi : Dieu sen-
sible au cœur, non à la raison (3). »
Parmi nos contemporains, quelques catholiques
ont porté les efforts d'une analyse psychologique
pénétrante et minutieuse sur la foi pour en mieux
déterminer et préciser les divers éléments. Mais les
uns, fidèles aux données scolastiques, accentuent
peut-être un peu trop le caractère intellectuel de
l'acte de foi, et cela, semble-t-il, au détriment de la
volonté ; et c'est ainsi que Ton accuse la définition
scolastique de la foi d'être insuffisante, « parce
qu'elle n'implique pas un élément psychologique
essentiel, sans lequel la foi reste philosophiquement
inexplicable et la synthèse de l'ordre naturel et de l'or-
dre surnaturel absolument incompréhensible (4). »
Les autres, au contraire, mettent en un puissant
relief l'intervention de la volonté, et, sans nier
1. Brunetière, La science et la religion, p. 62, note. — 2. Fa-
guet, La religion de nos contemporains, dans la Revue bleue,
îanvier 1896. — 3. Pensées, édit. Havet, xxiv, 5. — 4. Péche-
gut, Une définition de la foi, dans la Revue du clergé, i902> t.
xxix, p. 72.
LB CATÉCHISME. — T. I. T8
274 LE CATÉCHISME ROMAIN
le caractère intellectuel de l'acte de foi, le rejettent
au second plan, ce qui semble dénaturer la vraie
notion de la foi.
En quoi consiste donc véritablement la foi ?
Quelle est sa nature ? Et quel est le rôle qui revient
dans cet acte mystérieux soit à la raison soit à la
volonté ? C'est ce que nous allons demander à
l'enseignement formulé par le concile du Vatican.
4. Voici d'abord la définition de la foi donnée par
le concile : « Cette foi, qui est le commencement
du salut de l'homme, l'Eglise catholique professe
que c'est une vertu surnaturelle par laquelle, prévenus
et aidés de la grâce de Dieu, nous croyons vraies les
choses qu'il a révélées, non pas à cause de leur vérité
intrinsèque perçue à la lumière naturelle de la raison,
mais à cause de ï autorité de Dieu même qui révèle et
qui ne saurait être ni trompé ni trompeur. La foi est,
en effet, au témoignage de l'apôtre, la substance
de ce que nous espérons et la conviction de ce que
nous ne voyons pas (1). »
Cette définition dogmatique est de capitale im-
portance. Chacun de ses termes porte. Contentons-
nous d'en indiquer ici les principaux éléments,
sauf à insister ensuite sur quelques-uns d'entre
eux, ce qui nous permettra par une précision plus
grande de répondre à certaines difficultés.
Là où le concile de Trente ne parle que de l'acte
de foi préparatoire à la justification, le concile du
Vatican considère la foi comme une vertu, comme
une habitude, comme une disposition permanente
de Tâme, mais comme une vertu surnaturelle, c'est-
à-dire dépassant les exigences et les ressources de
1. Voir dans la Somme théologique, na nœ, Q. iv, a. 1, l'expli-
cation de ce texte, où saint Thomas montre tous les éléments
constitutifs d'une définition de la foi.
DÉFINITION DE LA FOI 2 7 S
notre nature, ne pouvant être en nous que par une
infusion divine, par un don gratuit de Dieu. Nous
aurons à revenir sur ce sujet quand nous traiterons
des vertus théologales.
Gomme le concile de Trente, le concile du Vati-
can signale le rôle nécessaire que joue dans l'acte
de foi la grâce prévenante et adjuvante. Il caractérise
ensuite Ja nature spéciale de cet acte en disant
qu'il nous fait croire vraies les choses que Dieu a
révélées. Et du même coup il nous fait connaître le
sujet et Y objet matériel de la foi. Le sujet d'abord ;
car, du moment qu'il s'agit d'une adhésion à la
vérité des choses révélées ou, comme s'exprime le
Catéchisme romain, d'un « assentiment total, »
d'un a acquiescement, » d'une « connaissance, » il
ne peut être question que de l'intelligence, c'est-à-
dire de la faculté spéciale de l'âme sur laquelle
s'insère et se greffe la vertu de la foi. L' objet maté-
riel ensuite, c'est-à-dire les vérités révélées par Dieu,
Mais le concile du Vatican, tout comme le Caté-
chisme romain et d'une manière plus précise, indi-
que le motif de notre adhésion à la vérité révélée,
ce que les théologiens appellent Y objet formel de la foi.
Pourquoi croyons-nous à la vérité révélée ? Ce n'est
pas à cause de sa vérité intrinsèque perçue à la
lumière naturelle de la raison, parce que dans ce cas
la foi se confondrait avec la science, mais c'est
à cause de H autorité de Dieu même qui ne peut ni être
trompé ni tromper. Et c'est justement par là que la
foi se distingue de toutes les autres espèces d'adhé-
sion.
IV. Le motif de la Foi
ou son objet formel
Quel est le motif propre de la foi, la raison dé-
276 LE CATÉCHISME ROMAIN
terminante de notre adhésion à la vérité révélée, ce
qui la fonde et constitue sa raison dernière et
suprême, ce qui fait que la foi est foi et la distingue
des autres connaissances, ou, comme disent les
théologiens, son objet formel ?
1. Faut-il le placer avec les rationalistes dans la
perception claire ou l'évidence de la vérité ? Faut-il
le mettre dans l'habitude infuse de la foi, qui
jouerait ainsi par rapport aux vérités révélées le
rôle de l'évidence pour les vérités naturelles?
Serait-ce la perfection souveraine de l'être de Dieu,
source première de sa véracité ? Serait-ce ce que l'on
désigne d'ordinaire sous le nom de motifs de cré-
dibilité, ou bien l'autorité de l'Eglise, ou enfin le
fait même de la révélation ?
Rappelons tout d'abord que l'homme a deux
manières de connaître : par la science et par la foi.
Par la science, à l'aide des seules lumières de la
raison, il voit, il se rend compte, il s'explique le
pourquoi et le comment des choses, il en pénètre
la vérité intrinsèque. Par la. foi, il adhère à la vérité
sur le témoignage d'autrui, témoignage préalable-
ment jugé certain et véridique. Or, ce qu'il importe
de remarquer, c'est que ce témoignage provient
originairement de quelqu'un qui sait de science
certaine la vérité de ce qu'il affirme. Et de la sorte,
croire c'est participer à la science positive de
celui qui sait et qui dit ce qu'il sait. Ce qu'il sait, le
témoin originaire le sait par lui-même, de science
immédiate, par l'évidence intrinsèque de la vérité.
Au contraire, celui qui croit ne possède pas cette
connaissance intrinsèque de la vérité, mais il admet
quand même la vérité sur le témoignage de celui
qu'il estime savoir ce qu'il dit et dire ce qu'il sait.
Légitimement garanti, il en possède du moins une
connaissance ferme et certaine, bien que médiate
LE MOTIF DE LA FOI 277
et extrinsèque, qui se distingue du doute, du
soupçon, de l'opinion. Car le doute existe quand
l'esprit ne se prononce pas ; le soupçon, quand il
penche d'un côté, mais sans oser se prononcer;
l'opinion, quand il embrasse un sentiment, tout en
craignant que le sentiment contraire ne soit pré-
férable. Or, remarque saint Thomas (i), l'acte
de foi implique une adhésion ferme, exclusive de
toute crainte d'erreur, et celui qui croit a cela de
commun avec celui qui sait et qui connaît. Toute-
fois celui qui croit n'a pas comme celui qui sait
la connaissance parfaite qui résulte de l'évidence
intrinsèque, et en cela il ressemble à celui qui
doute, qui soupçonne, qui a une opinion, mais il
connaît.
2. Ainsi en est-il pour l'acte de foi chrétienne.
Le motif qui le détermine n'est pas, — et c'est
l'enseignement formel du concile du Vatican (2), —
« la vérité intrinsèque de la chose révélée perçue à
la lumière naturelle de la raison, » puisque d'or-
dinaire cette chose échappe aux prises de notre
intelligence et reste enveloppée d'ombre et de mys-
tère. La foi, en effet, n'est pas la science ; son
motif, et c'est encore le concile du Vatican qui le
dit, diffère du fondement de la science. Ne pas
distinguer la foi divine de la science naturelle
de Dieu et des choses morales, serait encourir
i'anathème porté par le canon 2 (3). L'apôtre saint
Paul écrivait aux Corinthiens : « C'est dans la
faiblesse, dans la crainte et dans un grand trem-
blement que je me suis présenté chez vous ; et ma
parole et ma prédication n'avaient rien du langage
persuasif de la sagesse, mais l'Esprit (Saint) et la
1. Snm. theolog., na 11*, Q. 11, a. 1 ; Q. iv, a. 1. — 2. Const.
Dei Filius, c. m, $ 1. — 3. Ibid., c. ni, can. 2.
278 LE CATÉCHISME ROMAIN
force de Dieu en démontraient la vérité, afin que
votre foi repose, non sur la sagesse des hommes,
mais sur la puissance de Dieu (1). » Il leur disait
encore : « Nous renversons les raisonnements et
toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu,
et nous assujettissons toute pensée à l'obéissance du
Christ (2). » C'est la foi qui ne se fonde pas sur les
moyens et les raisonnements humains, sur l'évidence
de la vérité qu'elle croit.
3. Le motif propre, l'objet formel de la foi, ce
qui fait croire aux choses révélées de Dieu, c'est,
d'après le texte du concile, a l'autorité de Dieu
révélateur, qui ne peut ni se tromper ni nous
tromper. » Cette autorité implique, comme on le
voit, deux éléments : la science infaillible de Dieu
et sa véracité absolue, tous deux également néces-
saires et essentiels. En dernière analyse, c'est à cause
de cette autorité divine que je donne mon assenti-
ment à la vérité révélée, que je fais l'acte de foi.
INotre Seigneur disait : « Celui qui m'a envoyé est
véridique, et ce que j'ai entendu, je le dis au
monde (3). » a Nous disons ce que nous savons, et
nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne
recevez pas notre témoignage,». Celui qui vient du
eiel est au dessus de tous, et ce qu'il a vu et entendu,
il l'atteste,,, Celui qui reçoit son témoignage cer-
tifie que Dieu est véridique (4). »
4. Bans doute, l'Eglise sert d'intermédiaire entre
Dieu et nous. Son autorité est divine ; elle a reçu
de Dieu le droit de proposer et d'imposer les vérités
à croire; mais son rôle consiste à certifier et k
garantir sans crainte d'erreur la réalité et le contenu,
de la révélation, Dans l'état actuel de l'humanité,
f , I Cor,, u, 4-5. — df IJ Gor,, x, 5, — 3, Joan,f viu, 26,
* à- Juan., m, iif 33,
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 279
ce rôle est le moyen ordinaire, la règle commune,
dont Dieu se sert pour nous faire arriver à la foi ;
mais il n'est pas absolument indispensable et il n'est
pas exclusivement le seul. Dans la formule de l'acte
de foi, que récitent les fidèles, il est dit qu'on croit
tout ce que la sainte Eglise catholique, apostolique
et romaine ordonne de croire, mais on ne le croit
pas simplement parce qu'elle l'ordonne, on le croit
parce que Dieu l'a révélé et qu'il est la vérité même.
C'est toujours sur l'autorité de Dieu qu'on s'appuie,
et c'est uniquement cette autorité qui est le motif
propre ou l'objet formel de la foi.
5. Mais faut-il pourtant, pour qu'il y ait acte de
foi, que Dieu ait révélé ? Car, même dans l'hypo-
thèse où Dieu n'aurait rien révélé, son autorité n'en
existerait pas moins et il aurait toujours droit à
notre hommage à raison de sa science infaillible et
de sa véracité absolue ; mais il ne saurait y avoir
acte de foi, car un témoin muet n'apprend rien.
Pour être cru, il faut qu'il parle, qu'ilrévèle quelque
chose. Par suite la révélation est indispensable pour
qu'il puisse y avoir acte de foi ; c'est une condition
requise, et c'est pourquoi le concile du Vatican,
dans la question présente, ajoute à Dieu le qualifi-
catif de révélateur. Il dit, en effet, propter auctori-
tatem Dei revelantis ; mais il n'a pas dit : propter
auctoritatem Dei et propter revelationem, ce qui laisse
libre par conséquent la question de savoir si la
révélation, en tant que fait, entre pour une part
dans le motif propre ou l'objet formel de la foi.
V. Les motifs de crédibilité
L'acte de foi doit être un acte humain : il requiert
par conséquent le concours de nos facultés, celui
,^8o LE CATÉCHISME ROMAIN
de l'intelligence pour être vraiment rationnel, celui
de la volonté pour être vraiment libre. Gomme,
d'autre part, il est salutaire au sens théologique du
mot, et constitue le commencement de la justifica-
tion, il doit être inspiré et informé par la grâce,
ainsi que nous le verrons. Toutefois il n'est pas une
improvisation.
i. Chez le simple fidèle, déjà en possession de la
vertu de foi reçue au baptême et vivant dans un
milieu chrétien, l'actedefoi est l'exercice normal de
son habitude infuse ; il se trouve justifié en soi par
l'autorité du témoignage de l'Eglise, qui lui est
notifié par ses parents, ses maîtres ou ses pasteurs.
Sans doute les chrétiens, pour le plus grand nombre,
sont incapables par eux-mêmes de justifier la valeur
du motif qui les pousse à faire l'acte de foi ; mais, en
le faisant, ils sont suffisamment garantis par l'auto-
rité de l'Eglise à laquelle ils appartiennent. Car,
ainsi que l'enseigne le concile du Vatican, « c'est à
l'Eglise catholique seule qu'appartiennent toutes
ces notes si nombreuses et si frappantes par lesquel-
les Dieu a rendu évidente la crédibilité de la foi
chrétienne. Bien plus elle est par elle-même un
grand et perpétuel motif de crédibilité, en même
temps qu'un témoignage irréfragable de sa mission
divine... Elle donne à ses enfants une assurance
plus certaine que la foi qu'ils professent repose sur
un très ferme fondement (i). »
2. Chez l'incrédule, au contraire, l'acte de foi ne
se produit qu'après un travail préparatoire, parfois
assez long, toujours délicat à cause de tant de mo-
biles d'ordre divers qui entrent en jeu, réalisable
pourtant pour toute âme de bonne volonté. En
effet, à l'aide de la raison et sur des preuves d'or-
i* Const. Dei Filius, c. ni, § 5 et 6.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 28 1
dre philosophique, l'incrédule peut se convaincre
tout d'abord que Dieu existe, — et c'est là une pre-
mière vérité dont il ne saurait raisonnablement dou-
ter, — qu'il possède une science infinie à l'abri de
toute erreur et une véracité qui le rend absolument
incapable de tromper, c'est-à-dire une autorité
au-dessus de tout soupçon. Que Dieu, dans sa
bonté et sa condescendance, puisse communiquer
à l'homme un enseignement divin, c'est encore une
vérité dont la certitude métaphysique ne peut être
légitimement révoquée en doute. Que Dieu ait dû
s'adresser à l'homme, ou, en d'autres termes,
qu'une révélation divine ait été moralement néces-
saire, c'est ce que justifie amplement une étude
psychologique de la nature humaine.
3. Mais Dieu a-t-il parlé? Existe- t-il une révéla-
tion ? Et s'il a parlé, peut-on le savoir pertinem-
ment sur des preuves certaines, indubitables ?
Quelles sont ces preuves ? Autant de questions à
résoudre au moyen de l'histoire par l'examen de la
valeur des témoignages, car les faits se prouvent
par des témoins, et le fait de la révélation doit être
entouré des garanties testimoniales les plus irrécu-
sables.
C'est ici qu'interviennent les motifs de crédibilité.
Aussi est-ce avec raison, que le concile du Vatican
les signale pour montrer que l'acte de foi, loin
d'être un assentiment aveugle et un saut dans
l'inconnu, se trouve pleinement justifié aux yeux
de la raison. Ces motifs de crédibilité, en effet,
préparent l'acte de foi, mais ne sont pas l'acte de
foi. Ils aident à faire voir qu'il y a une vérité révélée
par Dieu, qu'elle doit donc être acceptée comme
telle ; ils aident à constater d'une part le fait de la
révélation, et, d'autre part, l'obligation qui s'impose
de l'accepter.
282 LE CATÉCHISME ROMAIN
La raison doit se convaincre, non de la vérité
intime des affirmations du témoin, chose qui peut
avoir lieu dans la suite, mais avant tout du droit du
témoin à être cru sur parole, de la valeur de son
témoignage. Mais une fois bien établies l'autorité et
l'existence du témoignage divin, l'hésitation n'est
plus de mise. Ce serait folie, dit saint Augustin,
d'attendre alors pour croire qu'on ait résolu toutes
les questions, « quœ non sunt finiendae antefidem, ne
finiatur vlta sinefide (1). » Rien de plus juste : Dieu
a parlé, il n'y a plus qu'à s'incliner. En faisant alors
l'acte de foi, on est certain d'avoir agi raisonnable-
ment.
4. Quels sont donc ces motifs de crédibilité qui
amènent ainsi à l'acte de foi ? Il y en a d'internes,
il y en a d'externes. Les uns, inspirés du Saint-
Esprit ou jaillissant des profondeurs mystérieuses
de la conscience, peuvent se nuancer indéfiniment
et échappent même le plus souvent au contrôle de
celui qui leur obéit ; les autres s'imposent du de-
hors. Le concile y fait allusion en ces termes :
« Afin que l'hommage de notre foi fût d'accord avec
la raison, aux secours internes du Saint-Esprit Dieu
a voulu joindre des preuves extérieures de sa révé-
lation. » Le concile ne prétend pas que les motifs
internes soient jamais insuffisants, car Dieu peut
très bien éclairer surnaturellement une âme et lui
donner l'assurance indubitable qu'il est l'auteur de
telle ou telle révélation ; c'est ainsi notamment
qu'il en a agi avec les prophètes, et c'est ainsi qu'il
en agit encore avec quelques rares privilégiés ; mais
tel n'est pas l'ordre ordinaire de la Providence.
5. L'erreur des protestants a été précisément de
n'accorder de valeur pour la foi qu'aux motifs inter-
1. Saint Augustin, Epist. en, 38, Pat. lat.t t. xxxni, col. 386,
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 283
tÊUÊiimmm — — — — — i »
nés de crédibilité à l'exclusion de tout motif externe.
D'après les anciens réformateurs, chaque chrétien
possède une lumière surnaturelle qui lui permet de
découvrir dans l'Ecriture la vraie parole de Dieu et
sa signification véritable. Mais, depuis le xvie siècle,
on a marché dans le sens de plus en plus accentué
du rationalisme et de l'individualisme : à la lumière
surnaturelle on a substitué, comme critérium de la
révélation, la lumière naturelle de la raison. L'Ecri-
ture elle-même ne compte guère plus, et, depuis
Schleiermacher, tout se réduit de plus en plus, chez
les protestants libéraux, à un vague sentimentalisme
religieux, où la révélation n'est pas un témoignage
externe de Dieu, mais la conscience intime des
rapports de l'âme avec Dieu. Ainsi, tandis que les
uns repoussent absolument la valeur ou la nécessité
des motifs externes de crédibilité, d'autres, moins
radicaux, n'y voient pour le croyant qu'un secours
qui vient aider la foi et la suppose déjà, et pour
l'incroyant que des faits inadmissibles et sans
portée. Car c'est aujourd'hui la tendance générale,
parmi les protestants, d'en appeler exclusivement
au sentiment religieux, à l'expérience interne, à
une action directe du Saint-Esprit, à une certitude
immédiate et subjective de la foi. Or cette négation
de l'efficacité des signes externes pour rendre
croyable la révélation, et cette prétention de ne s'en
tenir qu'à une expérience personnelle interne ont
été condamnés par le concile du Vatican : « Ana-
thème à qui dirait que la révélation divine ne peut
être rendue croyable par des signes extérieurs, et
par conséquent que les hommes ne doivent être
amenés à la foi que par une expérience interne et
personnelle ou par une inspiration privée (i). »
i. Const. Dei Filius, c. m, can. 3.
284 LE CATÉCHISME ROMAIN
6. Le concile détermine clairement la part qui
revient aux motifs externes de crédibilité dans la
préparation à la' foi ; il estime que ce sont des
preuves sojides et suffisantes pour légitimer l'accep-
tation de la révélation ; car, dit-il, aux secours
intérieurs du Saint-Esprit, Dieu a voulu joindre des
preuves extérieures de sa révélation, savoir des faits
divins, et surtout des miracles et des prophéties,
qui, en montrant abondamment la toute-puissance
et la science infinie de Dieu, font reconnaître la
révélation divine, dont ils sont les signes très cer-
tains et appropriés à l'intelligence de tous (i). »
Parmi ces faits divins qui sont des arguments
externes, des signes très certains de la révélation
divine, des preuves du témoignage de Dieu, le
concile ne cite ici exceptionnellement que les
miracles et les prophéties ; mais il n'oublie pas,
deux paragraphes après, de signaler l'existence de
l'Eglise catholique comme une preuve évidente de
la crédibilité de la foi chrétienne.
7. Ces motifs de crédibilité, ces signes très
certains et appropriés à l'intelligence de tous,
constituent une solide et véritable démonstration de
la foi, non pas assurément une démonstration
mathématique, mais une démonstration capable
de légitimer l'adhésion de l'esprit, à l'exclusion de
tout doute sérieux et motivé, et de produire une
certitude suffisante pour justifier l'acte de foi. Les
qualifier de simples probabilités, c'est trop peu dire.
Et sans doute c'est là le terme qu'employait
ISewman dans le récit de sa conversion, quand il
disait : Dieu a voulu que, « dans la recherche de la
religion, nous arrivions à la certitude par des
probabilités accumulées... 11 nous conduit, si seu-
1. Ibid., c. m, S 2.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 285
lement notre volonté coopère avec la sienne, à "ne
certitude qui s'élève plus haut que la puissance
logique de nos conclusions (i). » Non, ce ne sont
pas de simples probabilités, ce sont des preuves
certaines ; ils constituent une certitude réelle. Plus
loin, au delà de la raison logique, après l'acte de
foi, dans la réalité de la foi possédée et vécue, la
certitude est œuvre plus haute, comme dit Newman,
mais cette certitude résultant de la vie même de la
foi n'exclut pas la certitude qu'apportent les motifs
de crédibilité et qui précède l'acte de foi.
8. Est-ce à dire que cette démonstration par les
motifs de crédibilité soit d'une efficacité universelle
et invincible ? « Certes, non, répond M. Gayraud.
L'homme y échappe par inattention, mépris, mau-
vaise volonté, endurcissement du cœur, et aussi par
déviation ou par anémie de l'esprit. Je passe outre
aux causes morales. Mais l'affaiblissement de la
raison, sous l'influence débilitante et toxique du
positivisme, du sensualisme et du criticisme kantien,
doit être signalé. La démonstration traditionnelle
s'adresse à une raison saine et vigoureuse, confiante
dans ses facultés de perception et de déduction,
sûre d'atteindre, à la lumière des premiers principes
imprimés en elle par les choses mêmes, la réalité
substantielle des êtres, et de s'élever par les créatures
jusqu'à Dieu. Un pareil travail dépasse assurément
les forces de la raison positiviste ou kantienne.
Celle-ci doit être abordée par un autre point. Que
si la philosophie de l'action, du pragmatisme, du
dogmatisme moral, de l'immanence ou de quelque
autre nom qu'on l'appelle, peut saisir cette raison
anémiée, et, en éveillant chez elle le sentiment
d'une hétéronomie nécessaire, en lui faisant perce-
i. Newman, Apologia, p. aoo.
286 LE CATÉCHISME ROMAIN
voir dans sa vie consciente les « postulats » de la
révélation surnaturelle et chrétienne, la préparer à
l'intelligence et' au don divin de la foi, cette
philosophie apportera un concours précieux et
opportun à l'apologétique traditionnelle. Elle tour-
nera la pensée moderne vers les clartés sereines de
la foi, et suscitera chez quelques-uns ces bons désirs
et cette bonne volonté que la grâce de Dieu prévient,
accompagne, parachève et récompense. Mais il n'en
resté pas moins vrai que la solide démonstration
de la vérité de cette foi, celle qui motive et justifie
la certitude de nos croyances, en face de la raison
incrédule et superbe comme dans l'esprit du fidèle
convaincu, c'est la preuve par les facta divina, dont
parle le concile du Vatican, qui sont les externa
argumenta et les signa certissima omnium intelligentiœ
accommodata de la révélation divine (i). »
1. La foi, principe de connaissance. — « S'il n'y
avait que deux parties dans l'œuvre universelle (et il en
pouvait manifestement être ainsi, puisque l'institution
surnaturelle est un acte libre et une pure grâce), comme
il n'y aurait alors que deux objets à connaître, il n'y
aurait non plus en nous que deux principes de connais-
sance. En effet, si Dieu ne manque jamais de procurer
ce qui est nécessaire, on ne le voit jamais non plus rien
faire d'inutile ni de vain. Supposé donc que, comme
l'impiété l'affirme avec audace parce qu'elle le désire avec
passion, il n'y ait point de surnaturel, il est parfaitement
clair que le sens et la raison suffiraient à l'humanité, à ses
devoirs, à ses besoins ; et non seulement pour la vie de
ce monde, mais encore pour la vie future. Oui, dans cette
hypothèse, à la seule condition d'user toujours de ses
sens et de sa raison en toute vérité, sagesse et justice,
l'homme atteindrait sa fin. Mais si, comme il est bien
i. Gayraud, Le problème de la certitude religieuse» dans la
Revue du clergé, 1902, t. xxx, p. ia3-ia4.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 287
certain, il y a un ordre surnaturel ; si, comme on n'en
saurait ni chrétiennement ni raisonnablement douter,
Dieu a voulu qu'entre cet ordre et nous des rapports
existassent ; s'il y a établi notre fin dernière, s'il en a fait
par suite découler notre loi, s'il y rattache toute notre vie
morale, il doit indispensablement ouvrir en nos âmes une
nouvelle source de connaissance, un principe supérieur
de perception et d'entendement, qui soit précisément à
son sublime objet, ce que sont les sens et la raison aux
objets qui leur correspondent. Or, cette source et ce
principe, c'est ce qu'on nomme la foi.
« Sans doute, cet ordre qui, en lui-même, est tout
surnaturel, ne l'est pas dans son expression. Sans cela,
il serait pour nous comme n'existant pas ; ou il nous
faudrait, pour l'atteindre, non plus seulement dépasser
notre nature, ce qui est une perfection, mais la changer
de fond en comble, c'est-à-dire la détruire, ce qui serait
Un désordre. Dès qu'en disant extérieurement le mot
vivant de sa vie intime, c'est à nous que Dieu s'adresse,
il parle nécessairement une langue que nous pouvons
entendre. Ses pensées infinies, pour ne considérer ici que
ses communications intellectuelles, il les met dans des
mots finis, dans des mots connus, usuels, et dont le sens
est parfaitement déterminé d'avance. A ce titre, quand
Dieu s'en sert, chacun de nous peut les percevoir et en
saisir le sens humain. Dieu fait plus, et il devait faire
plus : car ce n'est point assez que nous sachions qu'on
parle ; il faut surtout savoir qui parle, et que celui qui
parle est Dieu. Il parle donc en Dieu, c'est-à-dire qu'il
revêt ses paroles de caractères inimitables. Il ne se con-
tente pas d'y répandre cette beauté intrinsèque qui ne
leur peut manquer, mais que son excellence même tient
au dessus de la portée du grand nombre ; il les illustre,
les confirme et les accrédite, aux yeux de tous, par
toutes sortes d'oeuvres de sa droite, et principalement par
d'incontestables miracles ; de telle sorte que, non seule-
ment on les peut raisonnablement tenir pour divines,
mais que, sans mentir au bon sens et trahir sa propre
raison, on ne peut les confondre avec celles qui ne le sont
288 LE CATÉCHISME ROMAIN
point. Il les inonde ainsi des clartés qui lui sont person-
nelles, et, en se montrant, il les démontre. » Mgr Gay,
De la vie et des vertus chrétiennes, 6e édit. , Paris, 187^,
t. 1, p. i57-i5q.
2. Le fait de la révélation. — « Le motif suprême
de la foi, c'est la véracité de Dieu ; mais nous ne savons
que la véracité de Dieu est intéressée qu'autant que nous
sommes certains que Dieu a parlé... Où a-t-il parlé ?
quand a-t-il parlé ? à qui a-t-il parlé ? comment a-t-il
parlé ? Quatre questions auxquelles il est nécessaire de
répondre, si l'on veut obtenir l'assentiment légitime de
la raison : question de lieu, question de temps, question
de personne, question de moyen. Qui répondra à ces
questions ? La parole de Dieu elle-même ? mais il y aurait
pétition de principe, puisque c'est précisément le fait de
cette parole qu'il s'agit de démontrer, afin de créer une
certitude à son endroit. Il faut donc qu'intervienne une
autre puissance, et je n'en connais pas d'autre que la
puissance rationnelle. Je n'en connais pas d'autre, parce
que, en réalité, il n'y en a pas d'autre. C'est ce que disait
ïe chef de l'Eglise, dans une encyclique mémorable, dont
je cite les termes : « Il faut que la raison s'informe dili-
gemment du fait de la révélation, afin qu'elle soit certaine
que Dieu a parlé, et qu'ainsi elle puisse lui offrir une
soumission raisonnable, comme l'enseigne très sagement
l'apôtre (1). » Leibnitz appelait cela : « faire les établis-
sements du christianisme. »
m II appartient donc à la raison d'établir, par une
démonstration, je ne dis pas les vérités de la foi, car il y
en a qu'elle ne comprend pas, et qui, par conséquent,
sont indémontrables, mais ce qu'on appelle, en théologie,
la vérité de la foi. C'est la raison qui répond aux ques-
tions de la raison, alors qu'elle s'approche pour s'unir
à la parole de Dieu, par l'assentiment. » Monsabré,
1. Encyclique Noscitis du 9 novembre 1846 ; Denzinger,
n. 1498.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 289
»
Introduction au dogme catholique, Paris, 1866, t. 1,
p. 58-59.
3. La foi et la vision béatifique. — « Dieu est venu
à l'homme ; Dieu lui a parlé par son Fils. Dieu a pris
cette frêle créature par la main, et la faisant sortir de
toute limite créée, l'a mise en face d'un nouveau monde,
d'une terre nouvelle et de cieux nouveaux. Et comme le
regard humain demeurait fermé à ces splendeurs surhu-
maines, Dieu lui a dit : Ephphetha ! « ouvre-toi. » Au
regard naturel de l'homme Dieu a ajouté un autre regard
vaste et perçant comme le monde qu'il lui était donné
d'explorer ; et l'homme, ainsi divinement pourvu d'un
organe proportionné aux immensités offertes à son
regard, l'homme spirituel apprécie tout. Jouissant à
travers un voile d'une première vue du ciel, par la foi
nous comprenons, nous pénétrons dans l'intérieur. « Notre
raison, aidée et soutenue par la grâce, dérobe alors en
quelque sorte par anticipation au séjour de la gloire
quelque ébauche, quelque commencement de la vision
intuitive... Quand il est parvenu à la cime de ces monta-
gnes, si le penseur chrétien, absorbé dans sa méditation
divine, touche encore la terre du bout de ses pieds, on
peut dire qu'il a le front déjà dans le ciel : encore un
effort, une secousse qui détache l'esprit de la matière,
l'âme du corps, et il sera en possession du face-à-face de
la vérité (1). » 0 prérogative merveilleuse de la foi ! Si la
grâce est la gloire en germe, la foi est, en germe, la
vision béatifique. Sans doute, elle ne perce pas à jour le
mystère, mais elle voit en énigme, à travers un voile. Par
la foi, les choses que nous espérons prennent un corps,
une réalité palpable : nous les touchons pour ainsi parler,
tellement la foi nous les rend présentes. La foi c'est la
démonstration des choses invisibles ; car, par la foi, nous
nous rendons déjà compte de ces inscru tables richesses
du Christ, dont est dotée notre patrie future. Nous con-
naissons en partie ; or, quand viendra l'état parfait, ce
I. Mgr Pie, Œuvres, t. m, p. 184.
LF C Y THOMISME. T. I. IO
2 Q0 LE CATECHISME ROMAIN
qui n'est que partiel disparaîtra ; les rudiments de la foi,
premières leçons d'un Dieu à un Dieu enfant, feront
place aux illuminations de la claire vue du ciel, où,
devenus hommes parfaits, nous aurons atteint la pléni-
tude de l'âge du Christ. » Doublet, Saint Paul, Paris,
1876, t. 11, p. 247-248.
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Leçon VIII
De la foi
I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans
l'acte de foi. — II. De la nécessité de la grâce.
— III. Les propriétés de la foi. — IV. Concep-
tion nouvelle de la foi.
I. Rôle de l'intelligence
et de la volonté dans l'acte de foi
i .
Les partisans delà philosophie de l'action ou du
pragmatisme moral reprochent à la définition
scolastique de la foi d'être trop intellectualiste,
de trop insister sur l'efficacité des preuves de la révé-
lation, et par là, prétendent-ils, de compromettre
la liberté de l'acte de foi, expressément définie par
l'Eglise. Ils se plaignent de ce qu'on néglige ou de
ce qu'on méconnaît l'intervention des dispositions
morales, le rôle important et nécessaire de la
volonté dans cet acte vital qu'est l'acte de foi (i).
Mais, a leur tour, ils encourent le reproche de
sacrifier le caractère essentiellement rationnel de la
foi et de donner à celle-ci comme base dernière,
i. Pour la bibliographie, voir la leçon précédente.
2Q2 LE CATECHISME ROMAIN
non pas des raisons et des faits externes, mais l'im-
pression subjectiye du croyant. Certains même
prétendent qu'ils faussent la notion traditionnelle
de la foi.
Il y a là des malentendus qu'il semble possible de
dissiper en précisant le rôle respectif de l'intelli-
gence et de la volonté. Avec le concile du Vatican,
il faut mettre en relief tout d'abord la parfaite
ralionabilité de l'acte de foi, fondée sur la parole
révélatrice de Dieu et sur les motifs de crédibilité
qui garantissent le fait de la révélation ; ensuite la
pleine liberté du croyant, dont l'adhésion reste
volontaire et méritoire, malgré les preuves positi-
ves de la révélation. Après quoi il n'y a plus qu'à
déterminer la faculté spéciale de l'âme à laquelle
appartient proprement l'acte de foi, soit qu'elle soit
aidée transi toirement par la grâce, soit qu'elle ait été
surélevée par une habitude infuse surnaturelle.
2. L'acte de foi, on ne saurait le contester, appar-
tient à l'ordre intellectuel, puisqu'il est une adhé-
sion de l'esprit à la vérité révélée. Simple en
lui-même, il est pourtant entouré de circonstances,
où l'analyse permet de distinguer la part des facultés
qui concourent à le préparer, la part spéciale de celle
qui le décide et de celle qui Y accomplit.
Saint Thomas qui, dans cet acte, accorde le primat
à l'intelligence, ne cesse pourtant pas de faire allu-
sion à la volonté. Il dit que l'objet de la vérité à
croire ne suffît pas à entraîner l'intelligence, que
celle-ci ne se détermine que par un choix volon-
taire. Or, quand ce choix exclut le doute et la crainte
de se tromper, c'est l'acte de foi (1). Il dit encore :
« L'intellect de celui qui croit est déterminé dans sa
foi, non par la raison, mais par la volonté ; c'est
1. Sum. theol. na uœ , Q. 1, a. 4.
ROLE DE L'INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ 2C)3
pourquoi l'assentiment se prend ici pour un acte de
l'intellect, en tant que celui-ci est déterminé par la
volonté (i). » Il dit enfin : « Croire, c'est l'acte de
l'intellect, en tant qu'il est mû par la volonté à
donner son assentiment; cet acte procède donc de
deux puissances... Mais croire est l'acte immédiat
de l'intellect, parce que l'objet de cet acte est le
vrai, qui est lui-même l'objet propre de l'intellect.
Par conséquent, il faut que la foi, par cela seul
qu'elle est le principe de cet acte, réside dans
l'intellect comme dans son sujet (2). »
3. La préparation à l'acte de foi peut bien appar-
tenir en partie à la volonté et à des motifs d'ordre
moral; car il y a lieu de tenir compte des prédispo-
sitions, des aptitudes, des attraits, des aspirations et
des besoins de l'âme qui ne trouvent leur pleine
satisfaction que dans la foi. Mais elle appartient sur-
tout à l'intelligence qui, assurée par ses propres
lumières de la science infaillible et de la véracité
absolue de Dieu, comprend clairement que si Dieu
parle, il a droit à notre audience. L'esprit s'applique
donc à savoir si, réellement, Dieu a parlé ; il exa-
mine en conséquence les preuves historiques qu'on
donne de la révélation ; il pèse les témoignages qui
déposent en sa faveur ; il parvient à se convaincre
de sa réalité sur des raisons, non pas probables,
mais certaines, d'une certitude morale qui ne laisse
pas de place à un doute motivé et qui est à la fois
nécessaire et suffisante. Une simple connaissance
probable de la révélation, en effet, ne saurait ici
suffire : il faut une connaissance certaine ; car Inno-
cent XI (1676-1689) a condamné la proposition sui-
vante : « L'assentiment de foi surnaturelle et utile
au salut est compatible avec la connaissance pure-
1. Ibid.y Q. 11, a. 1, ad. 3. — 2. Ibid., Q. iv, a. 2.
294 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment probable de la révélation et même avec la
crainte que Dieu .n'aît pas parlé (1). »
L'intelligence est ainsi amenée à prononcer deux
jngements : un jugement théorique ou spéculatif :
« Il y a des raisons évidentes de croire ; je puis
croire ; » et un jugement pratique : « Je dois croire. »
Mais elle ne va pas jusqu'à la conclusion dernière
pour faire vraiment l'acte de foi et dire : « Je crois. »
Car lïnévidence du fait ou de la vérité à croire suf-
fit le plus souvent à l'arrêter.
[\. C'est ici, nécessairement, que la volonté doit
intervenir d'une façon décisive. J'entends bien
M. Rabier, écho d'un bon nombre de contempo-
rains, proposer ce dilemme : « Ou nos raisons intel-
lectuelles de croire nous semblent suffisantes, ou
elles nous semblent insuffisantes. Si elles nous
semblent suffisantes, il n'est que faire de la volonté
pour produire la croyance. Si elle nous semblent
insuffisantes, qu'on explique comment la volonté
pourrait dissimuler le manque de raison ou se pren-
dre elle-même pour une raison (2). »
Mais ce dilemme ne tient pas. Oui, nos raisons
intellectuelles de croire sont suffisantes : elles pré-
parent l'acte de foi, elles le rendent possible, elles
en garantissent la rationabilité, elles justifient le
bien fondé de cette conclusion spéculative : il y a
des raisons de croire, et de cette obligation morale :
il faut croire ; mais elles ne nécessitent pas l'acte
même de croire, car on ne croit que si Ton veut.
L'acte de foi est essentiellement libre ; l'homme
peut s'y refuser efci dépit de la raison. « Croire,
disait saint Augustin, on ne le peut que de bon
1. Proposition 21 condamnée le a mars 1679; Denzinger,
n. io38. — 2. Rabier, Leçons de philosophie. Psychologie,
5e édit., p. 271.
ROLE DE L'INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ 2q5
gré (i). » C'est l'enseignement formel du concile
de Trente (2), comme aussi celui du concile du
Vatican (3). L'acte de foi reste libre, même après
l'acquisition des preuves de crédibilité, même après
la constatation des « faits divins, » de « ces signes
très certains et accommodés à l'intelligence de
tous, » que Dieu a donnés pour preuves de sa révé-
lation. Et prétendre que « l'assentiment de la foi
chrétienne n'est pas libre, qu'il est produit néces-
sairement par des preuves de raison humaine, » ce
serait tomber sous les coups de l'anathème porté
par le canon 5 (4).
5. Et c'est parce qu'il est libre que l'acte de foi
est méritoire. Ecoutons saint Thomas : « Nos actes
sont méritoires selon qu'ils procèdent du libre arbi-
tre mû par Dieu au moyen de la grâce. Il s'ensuit
que tout acte humain qui est soumis au libre arbi-
tre, s'il se rapporte à Dieu, peut être méritoire. Or,
l'acte même de la foi est un acte de l'entendement,
qui adhère à la vérité divine sous l'empire de la
volonté mue par Dieu au moyen de la grâce. Cet
acte est dès lors soumis au libre arbitre, et, de plus,
il se rapporte à Dieu. Donc l'acte de foi peut être
méritoire (5). » Et dans la science que se passe-t-il?
Saint Thomas répond : « On peut considérer deux
choses dans la science, l'assentiment de l'esprit à la
chose que l'on connait, et la considération actuelle de
cette même chose. L'assentiment à la science n'est
pas soumis au libre arbitre, parce qu'il est le résul-
tat forcé de la démonstration ; ce qui fait qu'il n'est
1. In Joan., tract, xxvi, a ; Patr. lat., t. xxxv, col. 1607.—
2. Sess. vi, cap. vi. — 3. Const. Dei Filius, cap. ni, S 3. ^
4. Const. Dei Filius, cap. m, can. 5 : « Si quis dixerit assen-
sum fidei christianse non esse liberum, sed argumentis huma-
nae rationis necessario produci... anathema sit. » — 5. Sum.
theol, na nœ, Q. 11, a. 9.
296 LE CATÉCHISME ROMAIN
pas méritoire. Au contraire, la considération de la
chose que l'on connaît dépend du libre arbitre, parce
qu'il est au pouvoir de l'homme d'appliquer ou de ne
pas appliquer son esprit à une chose ; et c'est pour-
quoi la considération de la science peut être méritoire,
si on la rapporte à la fin de la charité, c'est-à-dire
à la gloire de Dieu ou à l'utilité du prochain. Mais,
en matière de foi, ces deux choses que nous venons
de distinguer sont également soumises au libre
arbitre, ce qui fait que, par rapport à l'une et à
l'autre, l'acte de foi peut être méritoire (1). »
6. Donc, même en face de la certitude des preu-
ves de la révélation et de l'obligation de croire
qui en résulte, l'homme conserve la liberté de croire
ou de refuser son assentiment. Mais, après les opé-
rations intellectuelles qui préparent, protègent et
justifient l'acte de foi, cet acte de foi reste à faire. La
liberté qu'il requiert est à chercher dans une déter-
mination de la volonté, qui suit la connaissance des
motifs de crédibilité, et qui précède l'acte de foi. Une
fois que l'intelligence à porté un jugement spécula-
tif sur les raisons de croire et un jugement prati-
que sur l'obligation de croire, c'est à la volonté de se
décider et de décider l'intelligence à faire l'acte de
foi par un commandement exprès. Elle doit se
décider à intervenir, parce que, sous la vérité à
croire que lui présente l'intelligence, elle découvre
une obligation morale à remplir, un besoin du
cœur à satisfaire, un bien à poursuivre et à attein-
dre ; mais, pour se décider, elle doit écarter les
obstacles d'ordre pratique ; car il y a des consé-
quences morales : passions à réprimer, devoirs et
vertus à pratiquer, attitude austère à prendre, vie à
orienter. Reste alors à décider l'intelligence elle-
»'
1. Ibid., Q. 11, a. q, ad 2.
NECESSITE DE LA GRACE POUR LACTE DE FOI 297
même, à la mouvoir, et par suite à exiger d'elle
l'acte même d'adhésion à la vérité révélée, c'est-à-
dire l'acte de foi, malgré les difficultés d'ordre spé-
culatif qui peuvent surgir soit de l'histoire, soit des
objections scientifiques, soit de l'inévidence et de
l'impénétrabilité du mystère. Elle commande donc
à l'intelligence de donner son assentiment à la
vérité proposée, et ainsi, sous l'impulsion impé-
rieuse de la volonté, l'intelligence finit par dire:
Je crois. C'est l'acte de foi.
IL Nécessité de la grâce pour
l'acte de foi surnaturel
1 . Les sens et la raison sont incapables par eux-
mêmes d'assurer et de réaliser l'assentiment surna-
turel de l'intelligence à la vérité révélée, de faire que
l'acte de foi soit vraiment salutaire et constitue le
commencement du salut. Ils le préparent, comme
nous venons de le voir, par la connaissance physi-
que ou historique des « faits divins » surnaturels
qu'ils nous procurent ; mais ils ne vont pas jus-
qu'à nous faire adhérer, comme il convient, à la
réalité intime de la révélation. La volonté elle-même,
pour se décider et pour décider l'intelligence à l'acte
de foi, est impuissante tant qu'elle reste avec ses
seules forces naturelles. De toute nécessité il faut
l'intervention de la grâce, et comme une double
touche du Saint-Esprit, comme une double grâce :
une grâce d'illumination qui éclaire, dirige, sou-
tienne et fortifie l'intelligence dans sa marche, dans le
jugement pratique qu'elle porte ; une grâce d'inspi-
ration qui touche, dégage, incline et meuve la vo-
lonté pour commander l'assentiment ; une grâce, en
un mot, qui pénètre et informe l'acte de foi dans sa
298 LE CATÉCHISME ROMAIN
^1— — — — — ^^^^^^^—■— W^^^— Il I «Il — ^ ^ — — ^^
préparation, dans son évolution et dans sa réalisation.
2. Faut-il, en outre, pour qu'il soit salutaire et
méritoire, que l'acte de foi soit informé par la cha-
rité ? Ce fut la pensée et aussi l'erreur d'Hermès au
dernier siècle. Plaçant le motif de la foi, non dans
l'autorité du Dieu révélateur, mais dans les argu-
ments qui prouvent à la raison les vérités des dog-
mes révélés, Hermès niait la liberté de la foi et son
caractère surnaturel. Il distinguait, en effet, l'assen-
timent à la vérité révélée, assentiment qu'il regar-
dait comme l'aboutissement logique et nécessaire de
la raison sans aucun rapport avec le salut, et la foi
qui agit par la charité, la foi du cœur, la seule qu'il
estimât vraiment libre et vraiment surnaturelle.
C'était donc, à ses yeux, uniquementpar la charité que
l'acte de foi devenait libre et surnaturel. Par là, ii
allait plus loin que le semi-pélagianisme ; les semi-
pélagiens ne niaient la nécessité de la grâce que
pour le commencement de l'acte de foi ; Hermès le
niait pour l'acte de foi lui-même, tant que cet acte
n'était pas informé par la charité.
3. Et pourtant le second concile d'Orange, en
529, avait dit : « Si quelqu'un affirme que par la
force de la nature humaine, on peut penser comme
il faut à quelque bien qui touche au salut de la vie
éternelle, ou qu'on peut le choisir, ou qu'on peut
adhérer à l'enseignement du salut ou de l'Evangile,
sans une illumination et une inspiration du Saint-
Esprit, qui donne à tous la suavité de l'adhésion
et de la croyance à la vérité, il est trompé par l'es-
prit d'hérésie (1). » Ce n'est là, il est vrai, que
la décision d'un concile particulier ; mais il ne faut
point oublier que cette décision a été ratifiée par
Boniface II (53o-532).
1. Gonc. Araus., 11, can. 7 ; Denzinger, n° i5o.
NECESSITE DE LA GRACE POUR L ACTE DE FOI 299
Du reste, d'après l'enseignement traditionnel de
l'Eglise, l'acte de foi a toujours été regardé comme
la base nécessaire de toute justification et de toute
œuvre surnaturelle, et tout acte qui se rapporte
au salut comme un produit de la grâce. Voici com-
ment l'a formulé le concile de Trente : « Les adultes
sont disposés à la justification lorsque, excités et
aidés par la grâce divine, ils conçoivent la foi par ce
qu'ils entendent et se portent librement vers Dieu,
en croyant à la vérité de ce que Dieu a révélé et
promis (i). » « Lorsque l'apôtre dit que l'homme
est justifié parla foi et gratuitement, il faut com-
prendre ces paroles dans le sens que l'Eglise catho-
lique a admis et enseigne avec un accord constant,
c'est-à— dire en ce sens que nous sommes justifiés
par la foi, parce que la foi est le commencement du
salut de l'homme, le fondement et la racine de toute
justification (2). » Gela montre que la foi qui pré-
cède la justification et qui, par suite, n'opère point
par la charité, prépare à l'infusion de la grâce sanc-
tifiante, constitue le commencement du salut et est
surnaturelle. Or, cette foi surnaturelle et salutaire,
toujours d'après le concile de Trente, continue
d'exister même chez ceux qui ont perdu la charité
par le péché (3).
Or, ces trois points : nécessité de la grâce pour
V assentiment de la foi, caractère surnaturel de la
foi même quand elle n'opère point par la charité,
et relation étroite entre cet acte et le salut, ont été
de nouveau précisés et formulés par le concile du
Vatican. « Bien que l'assentiment de la foi, est-il
dit dans la Constitution Dei Filius, ne soit pas un
mouvement aveugle de l'esprit, personne pourtant
x. Conc. Trid., sess. vi, cap. vi. — ^2. Conc. Trid., sess. vi,
cap. vin. — 3. Conc. Trid., sess. vi, can. 28.
3oo
LE CATECHISME ROMAIN
ne peut adhérer à renseignement de l'Evangile
comme il le faut pour arriver au salut sans une
illumination et une inspiration du Saint-Esprit,
qui donne la, suavité de l'adhésion et de la croyance à
la vérité (ceci est pris au second concile d'Orange).
C'est pourquoi la foi, en elle-même, est un don de
Dieu, alors même qu'elle n'opère point par la cha-
rité, et son acte est une œuvre se rapportant au
salut, par laquelle l'homme se soumet librement à
Dieu, en consentant et en coopérant à sa grâce à
laquelle il pourrait résister (i). » Le concile déclare
anathème non seulement à celui qui prétendrait
que l'assentiment de la foi chrétienne n'est pas
libre, mais encore à celui qui dirait qu'il n'y a que
pour la foi vivante, qui opère par la charité, que la
grâce de Dieu soit nécessaire (i).
4- On peut distinguer trois sortes d'adhésion à
l'enseignement révélé : l'une purement naturelle,
et qui dès lors ne mène pas au salut ; l'autre sur-
naturelle, la foi proprement dite. Mais cette foi est
dite vivante, quand elle est jointe à la charité, et
morte, quand elle en est séparée ; foi vivante et foi
morte ne constituent pas deux fois d'espèce diffé-
rente ; elles sont une seule et même foi et ne se
distinguent que par leurs effets. La foi vivante existe
dans l'état de grâce et mérite en justice ou de con-
digno, comme disent les théologiens, une augmen-
tation de grâce ici bas et de gloire dans le ciel,
quand se trouvent remplies les conditions requises.
La foi morte, au contraire, existe en dehors de
l'état de grâce, n'a pas comme l'autre pour effet un
mérite de condigno, mais un simple mérite de
-convenance, ou de congruo ; elle est quand même un
don surnaturel.
1 Gonstit. DeiFilius, cap. ni, S 3. — 2. Ibid.. can. 5.
NÉCESSITÉ DE LA GRACE POUR l'aCTE DE FOI 3oi
C'est de cette foi morte que parle le concile du
Vatican. IL enseigne, tout comme le concile de
Trente, qu'elle peut exister sans la grâce sancti-
fiante et la charité ; car elle n'est effectivement
détruite que par un acte positif, volontaire, grave-
ment coupable d'infidélité, par un péché formelle-
ment opposé à la foi. ïl enseigne encore que lés
actes de cette foi morte sont des œuvres qui se
rapportent au salut. L'acte de foi, en effet, même
quand il n'est pas vivifié par la charité, tend vers
la fin dernière : il a Dieu pour objet. S'il n'est pas
encore le salut, il en est du moins le germe, la
préparation, le commencement ou, comme dit le
concile de Trente, le « fondement » et la « racine. »
Le concile du Vatican enseigne enfin que non
seulement cette foi mais encore ses actes sont pro-
duits avec le concours de la grâce ; et, en tant que
vertu, elle est un don de Dieu.
Quant à l'acte de foi salutaire, il peut être fait
même par celui qui n'a jamais eu ou qui a p^rdu la
vertu de foi ; dans ce cas, la vertu absente est
suppléée par un secours transitoire de Dieu. Mais
qu'il soit produit à l'aide de la vertu de foi ou d'un
s cours momentané, cet acte de foi salutaire a
tjujours pour cause des grâces actuelles qui le pré-
viennent et l'accompagnent, aspirante et adjuvante
gratta, comme s'exprime le concile du Vatican,
iiiconsentiendo et credendo, consentiendoet cooj>erando;
grâces prévenantes d'illumination pour l'esprit,
grâces adjuvantes d'inspiration pour la volonté,
grâces qui par leur suavité entraînent la volonté
pour lui faire commander à l'intelligence l'assenti-
ment qui constitue proprement l'acte de foi.
5. On voit ainsi, à la lumière de l'enseignement
dogmatique du concile du Vatican, les divers
éléments qui entrent dans l'acte de foi. C'est un
302 LE CATÉCHISME ROMAIN
assentiment certain et ferme de cette intelligence,
ayant pour dernier motif ou pour objet formel, non
pas la vérité intrinsèque des choses perçue à la
lumière naturelle de la raison, mais l'autorité même
de la parole de Dieu ; c'est un assentiment d'ordre
intellectuel, une véritable connaissance ; c'est un
assentiment qui n'est nullement provoqué par un
mouvement aveugle, mais rationnellement fondé
sur un des motifs certains de crédibilité, et pour-
tant libre, car il n'est pas et ne peut pas être l'effet
nécessaire du raisonnement humain ; c'est un
assentiment où la grâce de Dieu intervient pour
prêter son concours nécessaire et efficace à l'intel-
ligence et à la volonté. Par là il devient ce rationa-
bile obsequium, dont parle saint Paul, cet obsequium
rationi consentaneum, dont parle le concile du
Vatican, ce plein hommage de l'esprit et de la
volonté, dû par la créature à son Créateur et Sei-
gneur, mais librement rendu par l'âme qui accepte
docilement, avec la grâce de Dieu, et très raison-
nablement, en pleine connaissance de cause, l'en-
seignement qu'il a plu à Dieu de communiquer à
l'homme.
6. Et si tel est l'acte de foi, que doit donc être la
vertu infuse qui permet de le faire normalement et
comme sans effort ? « Elle est, dit Mgr Gay, le
couronnement divin de notre intelligence ; un
diadème de lumière céleste, dont la main tout
aimante de Dieu ceint notre front invisible ; un
supplément merveilleux à nos insuffisances men-
tales ; une immense extension de nos frontières
spirituelles ; une énergie surhumaine ajoutée à nos
énergies premières, et comme le prolongement en
Dieu de notre être moral. Elle est notre proportion
intellectuelle avec la vie intime de l'infini, notre
participation réelle à la connaissance essentielle que
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3o3
Dieu a de lui-même, la clé des idiomes ineffables,
le lieu et le moyen de nos entretiens immédiats
avec la très sainte Trinité (i). »
III. Les propriétés de la foi
Les propriétés logiques et morales de la foi se
ramènent au nombre de quatre, d'après les théolo-
giens : la foi est vraie, certaine, obscure et ferme.
M. Maisonneuve résume ainsi cette doctrine dans
cette thèse : « L'acte de foi divin, essentiellement
vrai en son objet matériel et en son objet formel,
est nécessairement certain, d'une certitude souve-
raine impliquant l'infaillibilité objective et la fermeté
subjective de l'adhésion. Il ne peut exister de juste
cause de rétracter ou de suspendre l'assentiment une
fois donné, malgré Vobscurité inhérente au témoi-
gnage et la liberté de l'adhésion, conciliables, en
certains cas, avec l'évidence de l'objet matériel et
de l'objet formel (2). »
1. La foi est vraie, qu'on la considère soit dans
son objet formel, soit dans son objet matériel. Son
objet formel est l'autorité de Dieu, sa science infail-
lible et sa véracité absolue ; Dieu ne peut enseigner
que la vérité. Son objet matériel est la révélation
même de Dieu qui ne peut contenir que la vérité.
Et dès lors le faux ne saurait entrer à aucun titre
dans la foi. Voici comment le prouve saint Thomas.
Aucune des vertus, ayant pour effet de perfectionner
l'intelligence, ne peut se rapporter à Terreur qui
est le mal de l'intelligence. Or, la foi est une de ces
1 . Mgr Gay, De la vie et des vertus chrétiennes, 6' édit. , Paris,
1878, 1. 1, p, i63. — a. L'acte de foi, dans le Bulletin de littéra-
ture ecclésiastique, 1904, p. 173.
3o4 LE CATÉCHISME ROMAIN
vertus. Donc la foi ne peut être fausse dans son
objet. Pour arriver à sa fin, toute puissance, toute
vertu, tout acte a besoin comme intermédiaire de
son objet formel. C'est ainsi que la couleur ne peut
être vue sans le secours de la lumière, et on ne
peut atteindre la conclusion que par la démonstra-
tion. Or, Dieu, vérité première, est l'objet formel de
la foi. Donc rien ne peut entrer dans le domaine de
la foi sans relever de cette vérité première, qui ne
saurait pas plus comporter l'erreur que l'être n'est
compatible avec le néant, le bien avec le mal (i).
Le croyant sait que ce qui est révélé ne peut être
que vrai ; il sait aussi que Dieu a révélé. Assuré
ainsi du contenu et du fait de la révélation, il ne se
trompe pas. Il peut se faire néanmoins qu'il regarde
comme appartenant à la révélation quelque chose
qui lui est réellement étranger ; il se trompe alors
sur l'objet matériel de la foi ; il se trompe égale-
ment en estimant que l'objet formel l'autorise à y
adhérer ; mais, dans ce cas, l'assentiment qu'il
donne ne saurait être un acte de foi divine, c'est un
acte de pure crédulité. Sa volonté peut être droite,
honnête, animée d'un sentiment pieux ; mais le
jugement est erroné. Et tant que l'erreur persiste, il
est obligé, sur les injonctions de sa conscience, de
croire révélé ce qui pourtant ne l'est pas, sous peine
de manquer au respect et à l'obéissance qu'il croit
devoir à Dieu. Heureusement, en pratique, ce cas
est fort rare.
2. La foi est certaine. La certitude naît de l'évi-
dence ; mais l'évidence est dans les choses et la
certitude est dans l'esprit. Il ne s'agit pas ici de
l'évidence intrinsèque, immédiate ou médiate, et
de la certitude qui en résulte et qui fonde la science,
i. Sum. theol, n" n," Q. i, a. 3.
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3o5
mais de l'évidence et de la certitude qui convien-
nent à la foi. Or, dans la foi, l'évidence ne se trouve
pas dans la chose ou le fait qui est l'objet matériel
de la croyance, mais dans l'autorité extérieure qui
en témoigne, dans les qualités de science et de
véracité du témoin, dans la clarté et la netteté du
témoignage, dans les preuves de la révélation ; d'où
la certitude en nous que ce que Dieu a dit ne peut
être que l'expression de la vérité. Le motif de notre
assentiment, la cause de notre adhésion, étant In
science infaillible, la véracité absolue de Dieu, Die^i
lui même, la vérité par essence, la certitude de notre
foi l'emporte de ce côté sur toute certitude scienti-
fique, expérimentale ou rationnelle.
Subjectivement en est-il ainsi ? L'affirmation ne
semble-t-elle pas contraire au sens intime ? A cette
question, M. Maisonneuve répond très succincte-
ment : « Je ne puis mettre en doute certains
théorèmes géométriques ou certaines opérations
arithmétiques, tandis que le fait de l'Incarnation ou
l'efficacité de la Rédemption peuvent laisser le
champ libre à des doutes, non coupables, involon-
taires, mais réels. Pour résoudre cette difficulté, il
a fallu étudier la question logique des degrés de la
certitude, la théorie de la connaissance et instituer
une critique des moyens d'arriver au vrai. On peut
en conclure qu'il y a certainement une harmonie
plus naturelle entre les faits d'expérience, les vérités
d'intuition et notre intelligence qu'entre celle-ci et
les objets de nos croyances. Raisonnable, l'homme
sera plus satisfait par une démonstration géométri-
que que par l'affirmation d'un témoin ; le lien de
l'intelligible et de l'intelligence lui apparaît plus
clair dans ce principe de contradiction que dans la
réalité du sacrement de l'Eucharistie. Mais, d'autre
part, puisque c'est en vertu d'un jugement propre
LE CAr'-'' ,,r!. — T. I. 20
3o6 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'il admet le principe, tandis que c'est par un
jugement de Dieu, devenu le sien, qu'il croit à la
présence réelle, la certitude surnaturelle l'emporte,
à raison même du motif, sur toute assurance hu-
maine et créée de posséder la vérité (i). »
Saint Thomas se pose la question de savoir si la
certitude de la foi est plus grande que celle de la
science et des autres vertus intellectuelles ; il la
résout ainsi. Parmi les vertus intellectuelles, deux
ont pour objet les choses contingentes : la prudence
et l'art. La foi l'emporte sur elles en certitude par
la nature de son objet, puisqu'elle se rapporte aux
choses éternelles, qui ne peuvent être autrement
qu'elles ne sont. Les trois autres vertus intellec-
tuelles, la sagesse, la science et l'intelligence ont
pour objet les choses nécessaires ; mais ces trois
vertus peuvent se prendre ou pour des vertus
intellectuelles, comme les entend Aristote, ou pour
des dons du Saint-Esprit. Dans le premier cas, la
certitude peut-être considérée de deux manières :
d'abord, relativement à la cause de la certitude
même ; sous ce rapport, ce qui a une cause plus
certaine est également plus certain ; et, par là, la
foi, reposant sur la vérité première, est plus cer-
taine que ces trois vertus, qui reposent sur la raison
humaine. En second lieu, relativement à son sujet,
et alors ce qu'il y a de plus certain est ce que l'in-
telligence de l'homme perçoit plus pleinement.
Dans ce sens, la foi est moins certaine que la sagesse,
la science et l'intelligence, qui n'ont pas pour objet,
comme elle, des choses supérieures à l'entendement
humain. Mais, comme pour apprécier une chose
d'une manière absolue, il faut la considérer dans sa
cause, et que l'appréciation n'est que relative, si l'on
i. L'acte dejoi, loc. cit., p. 175.
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3oj
considère seulement la disposition du sujet par
.rapport à cette même chose, il s'ensuit que la foi
est plus certaine absolument, tandis que les trois
autres vertus sont plus certaines relativement,
c'est-à-dire par rapport à nous. De même, si l'on
prend ces trois vertus pour des dons de la vie
présente, elles se rapportent, comme à leur principe,
à la foi, qu'elles présupposent ; et par conséquent,
dans ce sens encore, la foi est plus certaine que ces
autres vertus (i).
L'homme, observe encore saint Thomas, est beau-
coup plus certain de ce qu'il apprend de Dieu, qui est
infaillible, que de ce qu'il voit par sa propre raison,
laquelle est sujette à l'erreur. La perfection de l'in-
telligence et de la science est supérieure à la con-
naissance de la foi sous le rapport de l'évidence,
mais non sous le rapport de l'adhésion de l'esprit
parce que l'intelligence et la science, considérées
comme des dons, tirent toute leur certitude de
la certitude de la foi, de même que la certitude des
conclusions procède de la certitude des principes.
Si l'on prend la science, la sagesse et l'intelligence
pour des vertus intellectuelles, elles reposent sur
les lumières naturelles de la raison, qui n'a pas la
certitude absolue, ni celle de la parole de Dieu, sur
laquelle repose la foi (2).
3. La foi est obscure. Vraie et certaine, la foi ne
donne pas sur la vérité de son objet matériel une
connaissance parfaite ; celle-ci reste entourée d'om-
bres et ne nous offre pas en elle-même l'évidence que
nous rencontrons dans les données expérimentales
ou les déductions scientifiques. Dieu, en daignant
nous manifester l'existence de certains faits et de
1. Sam. theol, 11* na, Q. it, a. 8. — a. Ibid., Q. it, a. 8. ad
a et 3.
3o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
certaines vérités, qui nous dépassent, ne nous fait pas
connaître leur nature intime ; et par là le fait ou la
vérité, qu'il nous propose de croire, n'entraîne pas
et ne détermine pas notre assentiment ; nous y
adhérons pour un motif distinct de ces faits ou de
ces vérités, extérieur, voilé d'ombres.
Mais certains faits, certaines vérités, qui font
l'objet de la révélation, sont d'ordre naturel et peu-
vent être connus parles seules lumières de la raison.
Dans ce cas, peuvent-ils également faire l'objet de
la foi ? Sans aucun doute, comme l'enseigne le con-
cile du Vatican, parce qu'ils ont été révélés par Dieu;
et du moment que Dieu les a révélés, quiconque les
ignorerait, bien qu'ils soient accessibles à la raison,
peut faire à leur sujet un acte de foi.
Une autre question se pose, celle de savoir si on
peut faire un acte de foi surnaturelle à une vérité
révélée qu'on se serait déjà démontrée à soi-même
par la raison. Est-il possible qu'un homme fasse un
acte de foi à une vérité qu'il connaît par des preu-
ves naturelles ? En d'autres termes, un objet de
science peut-il être en même temps un objet de foi ?
Cette question est fort controversée parmi les
théologiens. Saint Thomas a dit : « Non est possible
quod idem ab eodem sit scitum et creditum (i). » Et
l'école thomiste a soutenu en conséquence qu'on ne
saurait croire ce que l'on sait. Quiconque donc s'est
démontré rationnellement certains dogmes ne sau-
rait y croire par un véritable acte de foi, car son
assentiment ne provient pas de leur révélation, mais
de leur démonstration. Dans ce cas, la révélation ne
fait que corroborer l'assentiment fondé sur la raison.
Par suite, le domaine de la foi, chez les savants,
serait moins étendu que chez les ignorants.
i. Ibid., Q. i, a. 5,
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3og
Mais, après le concile de Trente, la plupart des
théologiens se sont rangés à un avis opposé. Piien
n'empêche, disent-ils, de croire par un véritable
acte de foi des vérités rationnellement démontrées.
Et dès lors la seule différence entre le savant et
l'ignorant par rapport à ces vérités, c'est que le pre-
mier leur donne une adhésion naturelle de raison
et un assentiment surnaturel de foi, tandis que le
second ne les admet que par la foi.
La plupart des thomistes admettent cependant
qu'un savant peut faire un acte de foi à une vérité
déjà acquise par lui, quand il ne pense pas actuel-
lement à la démonstration qui la lui a fait connaî-
tre. D'autre part, Suarez regarde l'acte de foi et l'acte
de connaissance naturelle, qui portent sur la même
vérité, comme deux actes distincts et successifs (i).
Reste un point particulier sur lequel le désaccord
persiste, celui-ci : peut-on faire un acte de foi à une
vérité en même temps que la démonstration natu-
relle de cette vérité est au moins vaguement pré-
sente à l'esprit ? C'est ce que nient les thomistes.
Mazella (2) et Didiot (3) invoquent les enseigne-
ments du concile du Vatican contre l'opinion tho-
miste. Ils estiment que la controverse n'est plus
libre désormais. Mais c'est justement ce que se refu-
sent à admettre les thomistes ; ils maintiennent
leurs distinctions, ils précisent le point litigieux, ils
montrent que la constitution Dei Fillus n'enseigne
pas du tout que ces vérités révélées peuvent être
l'objet d'un véritable acte de foi de la part du savant
qui se les démontre naturellement.
Quoi qu'il en soit, d'après le concile du Vatican,
l'acte de foi ne requiert qu'une adhésion de notre
1. De fide, Disp. ni, sect. 9, n. 7 et 10. — 2. De virtutibus
infusis, n. 464. — 3. Logique surnaturelle subjective, n. 477 sq.
3lO LE CATÉCHISME ROMAIN
esprit à cause de l'autorité de Dieu révélateur ; il
n'est donc pas nécessaire que telle vérité révélée
n'ait pas été démontrée rationnellement à celui qui
la croit. Connues par la science ou acceptées par la
foi, des vérités identiques n'ont pas le même motif
de connaissance ou d'adhésion. Le savant peut donc
dire : je connais telle et telle vérité, puisque ma rai-
son la démontre. Il peut dire aussi, car il ne faitpas
toujours acte de savant : je crois telle ou telle vérité
parce que Dieu a daigné la révéler.
4. La foi est ferme. Malgré son obscurité, mais
parce qu'elle est vraie et certaine, la foi doit persé-
vérer fermement chez ceux qui la possèdent, quels
que soient d'ailleurs les épreuves et les déceptions
de la vie, les progrès de la culture intellectuelle et
tout ce qui peut naître d'objections dans l'ordre
moral, historique ou scientifique. N'étant pas la con-
clusion naturelle et nécessaire d'un syllogisme, elle
ne saurait dépendre de la rectitude de notre logique;
elle est un assentiment de l'intelligence à la vérité
révélée sous la motion de la volonté. Or, la volonté
qui ne commande pas en aveugle, mais par une
sage mesure de prudence, continue son rôle et raf-
fermit la foi, en dépit des difficultés et des obstacles.
Pour remplir cette tâche protectrice, elle trouve
dans l'Eglise des mobiles qui portent à maintenir
toujours et quand même la foi vivante dans l'esprit.
L'Eglise, en effet, possède un éclat apologétique
incomparable et unique, qui permet de discerner
la foi véritable et aussi d'y persévérer constamment;
elle le doit aux signes manifestes de son institution,
aux notes nombreuses et frappantes dont Dieu l'a
revêtue, à son admirable propagation, à son invin-
cible stabilité, à son unité, et elle constitue ainsi
un grand et perpétuel motif de crédibilité. D'où
a il résulte, ainsi que s'exprime la Constitution
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3ll
Dei Filius, que comme un étendard levé sous les
yeux des nations, elle appelle à elle ceux qui n'ont
pas encore cru et elle donne à ses enfants une
assurance plus certaine que la foi qu'ils professent
repose sur un très ferme fondement. A ce témoi-
gnage s'ajoute le secours efficace de la vertu d'en
haut. Car, par sa grâce, le Seigneur très miséricor-
dieux excite ceux qui sont dans l'erreur et les aide
à parvenir à la connaissance de la vérité. Il donne
aussi sa grâce à ceux qu'il a fait passer des ténèbres
dans son admirable lumière, n'abandonnant que
ceux qui l'abandonnent. C'est pourquoi toute autre
est la condition de ceux qui, par le don céleste de
la foi, ont adhéré à la vérité catholique et de ceux
qui, conduits par des vues tout humaines, professent
une fausse religion. Car ceux qui ont reçu la foi
par les enseignements de l'Eglise, ne peuvent
jamais avoir aucune juste cause de changer cette
foi ou de la révoquer en doute (i). »
Le concile distingue avec raison les catholiques
de ceux du dehors : leurs droits et leurs devoirs ne
sauraient être les mêmes. Celui du dehors a besoin
d'examiner l'autorité qui légitime la croyance,
l'obligation qui l'impose, la formule dogmatique
qui la lui propose ; il doit nécessairement peser les
motifs de crédibilité ; et s'il est de bonne volonté,
sincère et droit, nul doute que Dieu ne l'amène à la
foi qui sauve. Quant au catholique, il connaît
l'autorité doctrinale de l'Eglise, il accepte l'obligation
de croire et de combattre le doute ; et s'il étudie sa
religion, ce n'est pas pour établir, mais pour
confirmer sa croyance. Or, le concile définit qu'il
ne saurait avoir de juste cause de changer sa foi ou
de la révoquer en doute : qu'est-ce à dire ? Le canon
i. Const. Dei Filius, c. m, S 6.
3l2 LE CATÉCHISME ROMAIN
6 dit « anathème à qui dirait que les fidèles sont
dans la même condition que ceux qui ne sont pas
encore parvenus à- la foi seule véritable, de telle sorte
que les catholiques peuvent avoir une juste cause
de suspendre leur assentiment pour mettre en
doute la foi qu'ils ont déjà reçue par les enseigne-
ments de l'Eglise, jusqu'à ce qu'ils aient terminé la
démonstration scientifique de la crédibilité et de la
vérité de leur foi. »
i° Ce texte du chapitre et du canon porte qu'un
catholique ne peut avoir de juste cause de mettre sa
foi en doute. Ces mots juste cause peuvent signifier
une persuasion subjective ou une raison objective. Le
concile a-t-il donc défini qu'un catholique ne saurait
révoquer sa foi en doute sans pécher formellement,
ou bien a-t-il entendu dire seulement qu'il ne peut
y avoir de raison en soi légitime de douter de la
foi chrétienne ? La différence est notable.
M. Vacant, qui a étudié de près cette question, ne
connaît qu'un seul théologien qui ait soutenu
ex professo le premier sentiment ; il cite, au
contraire, Franzelin (i), Mgr Martin, évêque de
Paderborn, rapporteur au concile de la Députation
de la foi (2), Mgr Ciasca (3), M. Didiot (4), et le
P. Granderath (5), qui embrassent le second senti-
ment, et il pense comme eux, d'après le texte même
de la constitution et d'après les actes du concile.
Mettre en doute sa foi est toujours, de la part
d'un catholique, une faute au moins matérielle,
mais ce n'est pas toujours et nécessairement une
1. De traditione divina, Rome, 1875, 2e édit., p. 687. —
2. Les travaux du concile du Vatican, trad., 1873, p. it\- —
3. Examen saper constitutionem dogmaticam de jide catholica,
1872, p. 228. — 4- Logique surnaturelle objective, 1892, th. xci.
— 5. ConstitiUiones dogmaticœ Conc. Vallcani explicatœ, 1892,
p. 61 .
LES PROPRIÉTÉS DE LA FCI 3l3
faute formelle. Mais, objectivement parlant, et
c'est là que porte la définition, il ne saurait y
avoir de raison vraie qui autorise un catholique
à douter de sa foi.
Au point de vue des preuves de la vraie foi et des
grâces accordées pour croire, catholiques et incré-
dules ne sont pas dans une condition différente :
preuves et grâces sont données aux uns et aux
autres, aux premiers pour persévérer, aux seconds
pour se convertir. Mais au point de vue de la reli-
gion qu'ils professent, leur condition n'est pas du
tout la môme : au catholique incombe l'obligation
de persévérer, parce qu'il ne peut avoir aucune
cause juste ou objectivement vraie de douter de sa
foi ; à l'incrédule incombe le devoir d'abandonner
son erreur.
Le texte du troisième chapitre et le canon 6 qui
y correspond ont le même sens : ils ne définissent
pas que douter de sa foi, pour un catholique, soit
en tout état de cause et toujours un péché mortel ;
mais ils définissent qu'un catholique n'a pas le droit
d'abandonner sa foi ou que l'abandon de la foi
véritable est en soi une faute. Quelle faute? très
certainement une faute matérielle ; mais ils ne
s'expliquent pas sur la question de savoir si elle
peut être quelquefois purement matérielle ou si elle
est toujours formelle.
2° Reste la question suivante : Peut-on perdre la
foi sans pécher ?
La perte de la foi peut s'entendre de trois maniè-
res : ou bien c'est l'acte par lequel, après avoir cru,
le fidèle rejette ou met en doute un ou plusieurs
dogmes révélés ; — ou bien la perte de la vertu
surnaturelle de la foi ; — ou bien enfin cet état
d'esprit si fréquent de nos jours, qui fait que des
baptisés tombent dans une ignorance et des préjugés
3l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui les mettent das l'impossibilité de croire actuel-
lement certaines vérités révélées ou même la révéla-
tion dans son ensemble. Un fidèle peut-il sans
péché matériel ou sans péché formel, rejeter ou
mettre en doute une vérité de foi, perdre la vertu
de foi, tomber dans un état d'ignorance et de
préjugés qui le rende incapable de croire ?
Disons d'abord un mot de la perte de la foi,
entendue dans le premier sens. Du moment qu'il
y a obligation de croire à toutes les vérités que
l'Eglise nous propose comme révélées, il y a toujours
péché matériel à rejeter ou à mettre en doute un
dogme de foi catholique. Le cas peut se présenter
pourtant d'un fidèle qui, par une ignorance invin-
cible, rejette ou révoque en doute un dogme de foi
parce qu'il ne le croit pas révélé ; il n'y a alors
qu'une faute matérielle. Cette ignorance invincible
peut elle s'étendre à tous les dogmes ? Dans un
milieu chrétien, cela semble impossible, et dès lors
il y aurait faute formelle. Dans un milieu païen, et
particulièrement pour des enfants baptisés, mais
élevés parmi des infidèles, cela semble possible, et
dès lors, faute de responsabilité, l'infidélité ne peut
être imputée comme une faute formelle (1).
Quant à la vertu de foi, peut-on la perdre sans
pécher? Cette vertu, d'après le concile de Trente (2),
ne disparait que par un péché formel et gravement
coupable d'infidélité. Par suite tout autre péché,
même contre la foi, la laisse subsister. Cette vertu
ne serait donc détruite ni chez celui qui, par une
ignorance même vincible, rejetterait un ou plusieurs
dogmes, ni chez celui qui s'exposerait d'un façon
coupable à tomber dans l'hérésie (3).
1. De Lugo, Defide, Disp. xix, sect. 1, n. 10, sq. — 2. Sess»
vi, c. xv. — 3. De Lugo, Defide, Disp. xvn, sect. 5 ; cf. Suarez,
De fide, Disp. xvn, sect. 2, n. 4»
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3l5
Que penser enfin de la perte de la foi chez ceux
dont les dispositions intellectuelles et morales
rendent actuellement impossible l'acte de foi ?
u Aujourd'hui, dit Vacant, ce cas se réalise surtout
chez cette foule d'hommes, qui, après avoir cru
pendant leur enfance et fait une première commu-
nion vraiment chrétienne, perdent ensuite peu à
peu leurs convictions religieuses et en viennent à
mettre en doute ou à nier tous les dogmes qu'ils
admettaient autrefois. Beaucoup d'entre eux ne
sauraient dire le moment précis où ce changement
s'est opéré. Ils ont vécu dans un milieu, où leur
esprit s'est rempli de préjugés contre la religion, et
peu à peu ces préjugés ont remplacé les croyances
de leur enfance. Quelques-uns assurent qu'ils
seraient heureux de croire comme au jour de leur
première communion, mais qu'ils ne le peuvent
plus. Un très grand nombre disent et pensent que
leur incrédulité n'est aucunement coupable. Est-ce
illusion de leur part, ou bien est-il possible qu'ils
aient perdu leurs anciennes convictions sans
pécher (i).
Tout d'abord leur incrédulité constitue une faute
matérielle. Gonstitue-t-elle une faute formelle? Sans
soupçonner d'illusion ou de mensonge leurs affir-
mations, on peut croire qu'après avoir commis la
faute de se laisser dominer par les préjugés, il en
est qui arrivent à ce point où leur incrédulité, cou-
pable dans sa cause, n'est pas un péché formel par
elle-même.
Mais il en est qui prétendent qu'ils sont irrespon-
sables même de leur transformation première, et
qu'ils sont devenus incrédules sans pécher formel-
lement. Gela paraît assez difficile à admettre. Il faut
i. La constit. Dei Filius, t. u, p. 176.
3l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
remarquer cependant, avec M. Vacant, que certains
catholiques, trop peu instruits de leur religion, se
trouvent, au sortir de l'enfance, jetés dans un
milieu où ils sont assaillis d'objections de toutes
sortes, contre lesquelles les enseignements reçus à
l'Eglise ne leur fournissent pas de réponse. Si ces
hommes sont coupables, et ils le sont, leur péché
formel sera de s'être trop peu instruits et de n'avoir
pas évité le danger.
Poussant plus loin, serait-il permis de supposer
que, parmi ces fidèles ignorants, qui ont été jetés
dans un milieu où leur médiocre instruction était
impuissante à les préserver de l'erreur, il en est
quelques-uns qui n'auraient pu s'instruire davan-
tage, ni éviter ces objections, et qui par conséquent
ont perdu les convictions religieuses de leur enfance,
non seulement sans perdre la vertu de foi, mais en-
core sans commettre aucune faute formelle contre
la foi ? Cette hypothèse n'a que trop lieu de se faire
de nos jours. Et, sur ce point spécial et délicat, le
concile du Vatican ne s'est pas prononcé, et la
question ne paraît pas jusqu'ici avoir été résolue
d'une façon indiscutable. Aussi disons-nous avec M.
Vacant qu'en cette matière d'incrédulité contempo-
raine, il n'y a que Fœil de Dieu qui puisse scruter
complètement le fond des consciences et faire la
juste et entière part des responsabilités (i).
IV. Conception nouvelle de la Foi
La question des rapports de l'histoire et du dogme,
au sujet de la valeur historique des dogmes, n'a pas
été sans soulever, ces derniers temps, de passion-
i. Vacant, La constit. Del Filius, t. n, p. 164-179.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI Sl'J
nantes controverses. D'un côté, se dessine une théo-
rie nouvelle de la foi ; de l'autre, on se refuse à
Faccepter. En quoi consiste-t-elle ? Quels sont ses
caractères ? Quelle en est la clef ?
1. L'analyse de cette théorie nouvelle et Fattribu-.
tion qui en rend solidaire l'école de l'immanence
sont le fait d'un correspondant anonyme du Bulle-
tin de littérature ecclésiastique (i). Ce correspondant,
fort sympathique, du reste, aux idées nouvelles, a
découvert et formulé l'idée maîtresse qui forme la
base, parfois latente, il est vrai, mais très réelle d'un
grand nombre de théories modernes de la révélation.
Il a observé d'un regard pénétrant que tous les pen-
seurs, dont il comparait les doctrines, M. Loisy, M.
de Hugel, M. Blondel, M. Laberthonnière, le P.
Tyrrel, s'accordent à modifier la notion tradition-
nelle de la foi. « Tandis que la théologie classique,
dit-il, considère la foi comme une adhésion de l'es-
prit à une vérité spéculative énoncée dans une for-
mule abstraite, ou à un fait connu par voie 'de
témoignage, vérité ou fait dont l'autorité de Dieu
même est le garant, on trouve, sinon explicitement
exprimée, du moins supposée, chez M. Loisy,
comme chez M. Blondel, M. Laberthonnière, et le
P. Tyrrel, une conception de la foi, qui met l'accent
sur son élément moral plutôt que sur son élément
intellectuel, et marque plus fortement la différence
entre Facte de foi et la connaissance scientifique (2). »
2. Or, dans cette notion nouvelle, il signale deux
caractères. D'abord l'élément moral domine Félé-
1. La valeur historique du dogme, dans le Bulletin de litt. ecct.,
1904, p. 338-357. Contre cet article ont protesté M. Blondel et
M. Laberthonnière. Le critique du Bulletin a répondu dans le
Bulletin de igo5, p. i3i-i38. Avec son autorisation, nous ne
faisons que résumer sa réponse, en employant autant que pos-
sible ses propres expressions. — 2. Bulletin, 1904, p. 343.
3l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment intellectuel. « L'acte de foi implique avant
tout une altitude morale, et c'est ainsi la volonté,
non l'intelligence, qui y a la part principale (i). »
Puis, le rôle de l'intelligence, déjà si restreint, mais
non anéanti, est conçu comme une perception, une
sorte d'intuition des réalités divines dans les phéno-
mènes de ce monde, et spécialement dans les faits
religieux. « On a reconnu que les faits sont la base
de la foi, que la foi n'est autre chose que la percep-
tion dans leur réalité sensible de la présence et de
l'action de Dieu (2). » « Si les faits, dans leur réalité
matérielle, ne sont pas objets de foi, ils servent de
base à la foi, en tant qu'ils sont révélateurs des
réalités divines. Dieu parle à l'âme religieuse par les
faits, qui manifestent son action dans l'histoire, non
moins que par l'enseignement direct. Les faits de
l'histoire religieuse par leur contenu suprasensible,
constituent donc une part de ce qu'on pourrait
appeler la révélation objective. Mise en face de ces
faits, l'âme religieuse, éclairée par Faction intérieure
de l'esprit de Dieu, saisit à travers eux, par une
sorte d'intuition, la réalité surnaturelle dont ils
sont l'expression, tout comme la raison saisit son
objet, l'universel, dans le particulier ; et cette
réaction du sens religieux, sous l'action extérieure
des faits, est cela même qui constitue l'acte
de foi (3). ))
3. Enfin il donne la clef de cette théorie de la foi,
en attirant l'attention sur le principe fondamental
supposé par les diverses écoles modernes. Dans
tout événement de ce monde, et spécialement dans
la vie de l'humanité, il faut distinguer un double
côté des choses : d'abord l'aspect phénoménal, sen-
sible, extérieur, qui constitue le domaine exclusif
1. Ibid., p. 343. — a. Ibid., p. 354. — 3. Ibid., p. 347.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 3l9
de la science et de l'histoire ; et puis le côté intime,
suprasensible, de tous les êtres, inaccessible au pur
savant et au pur historien, sphère réservée « où les
investigations du philosophe et les intuitions du
croyant sont seules capables de pénétrer (i). »
[\. Dans l'exposition de cette foi moderne, M. La-
berthonnière prétend trouver des contradictions,
mais à tort. Les deux éléments qu'il essaye de con-
fondre sont là : la foi, dans ce système, est surtout
un acte de volonté. Or s'appuyer sur le Christ, sur
Dieu, pour en faire le centre de sa vie, c'est le fait
non de la pure foi, mais de la foi vivifiée par la
charité. L'intelligence y a aussi son rôle, et c'est
l'élément intellectuel de la foi, qui nous est repré-
senté comme étant la perception des réalités divines
dans les phénomènes de ce monde ; mais c'est trop
peu : une telle intuition sera peut-être une philo-
sophie, jamais un acte de foi.
5. Dans les déclarations de M. Blondel et de
M. Laberthonnière, il y a une lacune regrettable.
Au lieu d'un simple désaveu de la théorie nouvelle,
ils ont négligé de profiter de l'occasion pour for-
muler en quelques mots nets et précis leur pensée
sur la nature et l'objet de la foi. M. Blondel, il est
vrai, prépare un exposé doctrinal, qui donnera de
sa pensée sur la foi une explication décisive. Mais
M. Laberthonnière, qui vient de publier un second
ouvrage, le Réalisme chrétien et V idéalisme grec, est-il
autorisé à se plaindre des idées que le correspondant
anonyme lui attribuait? Sans doute, ces idées, il
les réprouve aujourd'hui. Mais, sans le vouloir,
n'a-t-il pas, dans plus d'une page, prêté à cette pré-
tendue substitution de sa pensée ? L'interprétation
de son système est précisément celle qu'ont puisée
I. lbid., p. 34a.
320 LE CATÉCHISME ROMAIN
dans ses livres les esprits les plus dégagés de préoc-
cupations théologiques.
Voici en effet, ce qu'écrivait, à propos de ses
Essais de philosophie religieuse, un critique indépen-
dant : « M. Laberthoimière essaie d'une façon
originale de retrouver le catholicisme par le libre
effort de sa pensée intérieure : je ne dis pas la
morale évangélique ou la théologie chrétienne,
mais le catholicisme, l'Eglise, la révélation, l'au-
torité. Il a bien marqué l'analogie de sa tentative
avec celle de Pascal. J'ai peine à ne pas donner
raison aux théologiens qui lui ont reproché que
« c'était par le fait même se passer des miracles, de
la révélation, de l'autorité de l'Eglise. » Cette au-
tonomie active par laquelle nous faisons jaillir la
vérité de nous-mêmes, et le christianisme qui en
résulte, fait de M. Laberthonnière un protestant (i).
Non pas un luthérien, ni un calviniste, mais un pro-
testant d'une secte nouvelle. Il a beau être catholi-
que à la fin, au point de départ et pendant tout le
chemin, c'est un protestant, même un penseur
libre. Et il est impossible qu'à l'arrivée, l'autorité de
la Révélation et de l'Eglise ne soit pas transformée
en une autorité qui ne liera qu'autant que l'être
autonome consentira à être lié (2). »
Le Réalisme chrétien et l'idéalisme grec, venant
après ces critiques, aura-t-il dissipé toutes les obs-
curités? Une paraît pas, à en juger par l'appréciation
d'un autre juge également sympathique et indépen-
dant. M. A. Lilley, en effet, organe encore jeune de
l'anglicanisme libéral, résumant avec bienveillance
les vues de M. Laberthonnière dans ses deux ou-
vrages, retrace le dogmatisme moral et la foi de la
1. Ce qualificatif appelle d'expresses réserves. — a. Lanson
dans la Revue universitaire, 1903, p. 428.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 321
philosophie de l'immanence en ces formules peu
rassurantes : « Les affirmations dogmatiques du
christianisme sont révélées seulement en ce sens
qu'elles sont l'expression la plus satisfaisante qu'on
ait pu trouver de cette vie (morale), et qu'elles peu-
vent constituer le stimulant le plus puissant à ses
progrès ultérieurs. » Puis, parlant de l'esprit du
christianisme auquel seul peut s'appliquer la con-
ception du dogme immuable, il dit : « Et cet esprit
est l'assertion de foi, cette énergie morale de l'homme
qui peut seule affirmer la réalité. Comme nous
l'avons vu, cette foi est rationnelle dans le sens le
plus élevé de ce mot. L'affirmation immédiate de la
réalité est une affirmation qui implique la raison.
Mais l'explication logique de son contenu peut tou-
jours dépendre de ce fait que nous saisissons la
réalité à travers les phénomènes. Ainsi le dogme
chrétien par son côté intellectuel est provisoire et
relatif. Tout terme employé pour l'exprimer est
susceptible de profondes modifications; il les a en
réalité subies dans le passé, et il est exposé à les
subir continuellement dans l'avenir... La tradition
chrétienne est ce que M. Laberthonnière appelle la
vérité du Christ... Ni aujourd'hui, ni jamais dans le
passé la vérité (de Jésus-Christ) n'a pu être reconnue
ou établie par les faits de l'histoire, bien que na-
turellement, comme tout autre vérité concrète, elle
ait été donnée dans les faits de l'histoire... La vérité
du Christ est une affirmation de cette foi rationnelle
qui est l'expression nécessaire de l'esprit de l'homme
dans la plénitude de son activité. Les événements
du monde phénoménal par lesquels elle nous est
révélée sont entièrement enfermés dans la sphère
du criticisme historique (i). »
i. A.Lilley.dans The Hibbert journal, octobre 1904, p. 179, i83.
LB CATÉCHISMB. — T. I. 21
32 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
Il va de soi qu'on ne saurait rendre M. Laber-
thonnière responsable des interprétations de ses
lecteurs. Mais enfin, si telle est l'impression pro-
duite à la fois sur les théologiens dont il s'est plaint
si souvent, sur des critiques sympathiques comme
le correspondant anonyme du Bulletin, sur des
penseurs totalement étrangers à nos querelles
d'écoles, comme M. Lanson, sur des esprits saturés
de la philosophie moderne, comme M. Lilley, il
faut bien qu'il y ait de grandes obscurités dans
son exposé pour que, venus des points les plus
éloignés de l'horizon intellectuel, tous ou à peu
près s'accordent à trouver dans son système une
théorie de la foi si éloignée de la doctrine classique.
6. Dans cette conception nouvelle, au lieu du
témoignage divin, on met dans la foi l'intuition
des réalités surnaturelles par le sens religieux.
M. Laberthonnière s'en défend. Et pourtant ses
propres textes, dans leur ensemble, et en particulier
le principe fondamental de V autonomie de la pensée,
tel qu'il est développé dans l'introduction des Essais,
justifie cette interprétation. « L'idée fondamentale
qui, malgré toutes les divergences, s'est affirmée
plus énergiquement que jamais à travers la philo-
sophie moderne, à savoir qu'il n'y a pas de vérité
pour l'homme qu'il ait à subir, parce que cette
vérité alors serait pour lui une compression au lieu
d'un épanouissement, l'esclavage au lieu de la liberté,
la mort au lieu de la vie, cette idée nous l'acceptons
en pleine connaissance de cause. Et nous ne pen-
sons pas que personne ose explicitement la rejeter.
Du reste, n'est-elle pas aussi, en définitive, l'idée
fondamentale qui anime toute tentative d'apologéti-
que sous quelque forme qu'elle se produise (i). »
i. Laberthonnière, Essai de philosophie religieuse, p. xvi.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 3 23
Nullement, toute tentative d'apologétique n'a
point pour but de prouver la vérité intrinsèque des
dogmes révélés, mais seulement d'établir la réalité
de la révélation et l'autorité du témoignage divin.
Aussi est-on surpris de lire les lignes suivantes :
« Quand donc les philosophes, pour rester philo-
sophes, pour sauvegarder cette autonomie qui
constitue notre personnalité morale, réclament une
vérité qui ait pour caractère d'être immanente,
c'est-à-dire qui se rattache à eux, qu'ils puissent
trouver en eux dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils
doivent être, nous ne saurions faire autrement que
d'abonder dans leur sens, puisque toute vérité qui
n'aurait pas ce caractère serait inévitablement
opprimante en s'imposant du dehors (i). »
Si l'on voulait dire seulement que l'esprit humain
ne peut rien affirmer qu'il n'en voie ou du moins
qu'il ne croie en voir la vérité, soit dans l'objet lui-
même, soit dans un témoignage autorisé, rien de
plus exact ; jamais philosophie n'a pu nier cette
impossibilité ; car c'est une loi essentielle de notre
esprit de ne pouvoir adhérer qu'au vrai, c'est-à-dire
au moins à ce qui lui est présenté comme vrai.
Mais la grande conquête de la philosophie moderne,
proclamée ici, a un tout autre sens : c'est la néces-
sité de trouver toute vérité en soi-même, dans ce
que nous sommes ou dans ce que nous devons être,
à l'exclusion de tout témoignage même divin qui
nous l'apporterait du dehors.
Or, l'autonomie ainsi formulée, même si on
accepte pour l'esprit un secours et comme une
collaboration de Dieu, est à rejeter comme égale-
ment contraire à l'expérience, à la raison, et
à la foi. Car il y a des vérités que l'homme ne
' i. Ibid.t p. xyii-xviii.
324 LE CATÉCHISME ROMAIN
trouve pas en lui-même, dans ce qu'il est et dans ce
qu'il doit être, des /vérités qu'il doit subir, sans être
pour cela condamné à l'esclavage, ni à la mort.
Quand vous me confiez le secret de vos pensées
intimes, je subis cette vérité que vous me révélez,
je la subis, je ne la trouve pas en moi, ni dans ce
que je suis, ni dans ce que je dois être. Je subis
également toutes les vérités scientifiques ou histori-
ques dont je n'ai aucune expérience personnelle ;
je n'ai point le loisir d'expérimenter la télégraphie
sans fil, et cependant je ne doute point des affirma-
tions des physiciens. Et je ne me sens ni comprimé,
rii esclave, ni mort, mais plus Avivant à mesure
qu'une vérité de plus m'arrive de l'extérieur. Et cela
reste vrai, quand même je ne saisirais aucune raison
intime de ces lois ni la portée des expériences ou
des calculs qui en ont préparé la découverte. Je
reçois ces vérités du dehors, du témoignage, de
l'autorité intellectuelle des hommes de science.
Et combien cela est plus profondément vrai dans
l'ordre des vérités révélées ? Je subis le dogme de la
Trinité. Je sais que Dieu un jour daigna révéler par
Jésus ce grand mystère de son être et de sa vie
intime, et je proteste que je l'admets uniquement sur
l'autorité de sa parole, sans même découvrir en mon
âme ces images de la Trinité dans lesquelles se
jouait l'esprit ingénieux d'Augustin, tout en se
gardant bien d'en faire le motif de son adhésion.
J'ajoute que, pour moi, la Trinité ainsi reçue du
dehors par une confidence divine, même transmise
de génération en génération jusqu'à moi, n'est
nullement une compression, ni un esclavage, ni
surtout une mort : c'est bien plutôt une nouvelle
vie, puisque je sais une nouvelle vérité, quelque
imparfaite qu'en soit la représentation, et une vérité
que les plus longs siècles de méditation psychologi-
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 325
que n'eussent jamais fait jaillir en mon esprit.
L'auteur des paroles qui précèdent termine ainsi :
« Nier qu'on puisse recevoir du dehors des vérités
que nous n'avons pu tirer de nous-même, n'est-ce
point faire de la foi un acte irréalisable, ou du
moins changer totalement le sens des mots (i). »
On ne saurait mieux dire.
1. A propos de la genèse de la foi. — « La foi,
étant une vertu surnaturelle, doit nécessairement pro-
céder, chez les adultes, de la grâce de Dieu et de la bonne
volonté de l'homme... Que fait l'homme pour préparer et
entretenir en lui, avec le concours de la grâce divine,
cette volonté bonne qui ouvre l'âme aux clartés de la foi ?
Car je ne parle pas ici de ces illuminations soudaines, de
ces irradia Lions miraculeuses par' le moyen desquelles un
saint Paul, par exemple, a passé subitement de l'impiété
la plus violente à la foi la plus humble et la plus géné-
reuse. Il s'agit des conversions ordinaires, où les choses
se passent humainement, où l'homme a sa grande part
dans l'œuvre divine. Que fait-il alors pour concourir avec
Dieu ? Il n'est pas possible,* dans ce mystère, de découvrir
les secrets que la conscience du converti ignore sans
doute elle-même. Mais l'on peut dire en général que la
bonne volonté procède de certains motifs qui l'inspirent,
qui l'animent, qui l'encouragent, qui la remplissent de
bons désirs et la rendent souple et docile aux appels de
l'Esprit divin. Eh bien, parmi ces motifs du bon vouloir
coopérateur de la grâce, s'il en est de si intimes et per-
sonnels qu'ils échappent par lenr variété même à toute
classification et à toute analyse psychologique, on en
trouve cependant qui sont susceptibles d'être analysés et
classés, et qui peuvent servir à formuler presque scienti-
fiquement une sorte de préparation de l'âme à la foi, une
propédeutique de l'Evangile.
C'est à cela peut-être, je le reconnais volontiers, que
vient concourir la philosophie de l'action par la méthode
. i. Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. i38.
32Ô LE CATÉCHISME ROMAIN
de l'immanence. En nous montrant, à l'aide de leurs
analyses subtiles, que l'activité tout entière de l'âme
humaine, que le fond le plus intime, le ressort le plus
secret de notre vie, demande, exige, réclame et, pour
employer le terme à la mode, « postule» la foi catholique;
«n rendant plus sensibles, en faisant mieux connaître ce
•qu'ils appellent les « harmonies vivantes, coïncidences
vitales et finalités transcendantes » de notre nature et du
surnaturel chrétien, les philosophes de l'immanence nous
donneront un riche commentaire de la parole du vieux
Tertullien sur l'âme naturellement chrétienne, et nous
fourniront les motifs les plus délicats, les plus touchants
et les plus pressants peut-être, pour exciter, chez les
incrédules et les indifférents de ce siècle, les bons désirs
et la bonne volonté qui, par la grâce de Dieu, attirent la
divine lumière de la foi.
Mais ces philosophes auraient tort de penser qu'il n'y a
pas d'autres motifs efïicaces que ceux qui sont fournis
par leur analyse immanente. Beaucoup d'esprits sont
accessibles à des considérations d'un tout autre ordre,
telle que l'influence morale et sociale du christianisme ou
la sublimité de l'Evangile. De même ces philosophes
seraient dans l'erreur s'ils prétendaient avoir inventé une
nouvelle méthode de préparation à la foi. Leur méthode a
toujours été connue et pratiquée dans l'Eglise par les
défenseurs et les prédicateurs du christianisme. Je ne sais
même pas s'ils ont rien découvert qui ne soit au moins
signalé par quelqu'un des anciens. Quoi qu'il en soit,
l'originalité de leur mérite consiste à mieux distinguer et
formuler cette méthode, à rendre son emploi plus usuel
et plus facile, et à combattre ainsi l'incrédulité moderne,
qui échappe, dans le scepticisme et le criticisme, aux
prises de la démonstration évangélique traditionnelle. »
Gayraud, Le problème de la certitude religieuse, dans la
Revue du clergé, 1902, t. xxx, p. 116-118.
2. L'acte de foi. — « Appuyés sur les données
dogmatiques qui jalonnent notre route et nous ôtent,
selon le beau mot de saint Jérôme, « la liberté de l'erreur, »
nous pouvons, non pas saisir l'acte et le présenter dans
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 327
sa réalité vivante et concrète, non pas même peut-être en
démonter toutes les pièces et en montrer le mécanisme
dans les derniers détails, mais bien en expliquer dans
l'ensemble le jeu et les mouvements, assez au moins pour
voir comment s'y concilient des propriétés en apparence
inconciliables, et pour soupçonner, sinon pour entrevoir,
combien beau dans sa réalité psychologique et surnatu-
relle, combien beau dans son ordre moral, doit être cet
acte où la nature et le surnaturel se rencontrent et s'em-
brassent ; où l'homme, écoutant dans le respect, dans
l'adoration, dans la soumission absolue, Dieu qui parle
de la nuée, accepte librement sous la motion et la lumière
divine la main que Dieu lui tend ; où se nouent, dans
l'obscurité, entre le Créateur et la créature, des relations
intellectuelles et morales qui doivent mener l'homme,
s'il est fidèle, aux splendeurs de la vision béatifîque ; où
les biens invisibles et les secrets de Dieu sont mis à notre
portée ; où commence enfin pour nous, dans une union
ineffable, quoique imparfaite encore, d'esprit et de volonté
avec Dieu, cette vie divine que nous sommes destinés à
mener éternellement dans le ciel, le connaissant face à
face comme il se connaît, l'aimant comme il s'aime,
tout transformés en lui par la connaissance et l'amour,
divinisés sans cesser d'être nous, un avec lui dans une
communion qui ne supprime rien de la distinction essen-
tielle et de la distance infinie entre « Celui qui est » et
« celui qui n'est pas. » Bainvel, La foi et l'acte de foi,
Paris, 1898, p. 98-99.
3. La liberté dans l'acte de foi. — « Il paraît
difficile de déterminer de quelle façon la liberté et la
certitude se concilient dans l'acte de foi considéré en
lui-même et pour ainsi dire in abstracto, il est d'ordinaire
aisé de constater, surtout à notre époque d'incrédulité,
d'où vient que les uns croient, pendant que les autres
doutent ou refusent de croire. Les hommes qui doutent
et ne croient pas aux vérités révélées sont ceux qui ne
sont pas convaincus du fait de la révélation. Les hommes
qui croient sont au contraire ceux qui sont convaincus
de ce fait. On serait tenté de conclure de là que la liberté
0 28 LE CATÉCHISME ROMAIN
de l'acte de foi vient exclusivement de la liberté d'étudier
et de considérer ou non les preuves de la révélation, et
qu'elle ne vient point, comme l'enseigne le concile du
Vatican, d'une détermination qui reste maîtresse d'elle-
même, malgré la science la plus complète de ces preuves.
Mais on change d'avis, lorsqu'on remarque qu'avec une
connaissance égale des motifs de crédibilité, les uns
croient pendant que les autres doutent. On s'accorde à le
reconnaître, la foi tient aux dispositions qu'on apporte
dans la considération des preuves de la religion. Ce sont
ces dispositions qui décident de la valeur que chacun
accorde aux preuves qui lui sont proposées. Or, que sont
ces dispositions, sinon le résultat et le signe des libres
déterminations de la volonté sollicitée par la grâce ? Ces
déterminations libres, que les théologiens n'envisagent
qu'au moment de l'acte de foi, se produisent très souvent,
chez les adultes, dans la conduite qui préc^Je et prépare
l'acte de foi ou l'acte d'incrédulité. Cette conduite peut
avoir mis celui à qui la foi est proposée dans un état
d'esprit tel qu'il est facile de conjecturer à l'avance à
quoi il va se décider. C'est en raison des dispositions à
peu près permanentes dans lesquelles ils se sont mis,
que la plupart des hommes, qui connaissent suffisamment
les preuves de la religion, sont d'une manière à peu près
constante croyants ou incrédules.
Obéissant, d'ailleurs, à une tendance naturelle qui fait
que nous cherchons toujours à justifier notre conduite à
nos propres yeux, ceux qui ne croient pas s'habituent à
considérer les objections faites contre la révélation ; car
ils sentent qu'il serait déraisonnable de ne pas croire ce
que Dieu a révélé. Ils se forment ainsi à eux-mêmes des
préjugés, qui peuvent à la longue devenir si puissants,
qu'il faudrait un vrai miracle de la grâce pour les sur-
monter. Réciproquement, ceux qui croient s'habituent à
considérer la faiblesse des objections faites contre la
religion et la force des preuves du christianisme. C'est
pourquoi la foi leur est facile. » Vacant, La constitution
DeiFilias, Paris, 1895, t. 11, p. 81-82.
4. La Volonté et l'Intelligence dans l'acte de
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 329
foi. — « Un objet révélé se présente à notre intelligence
de la part de Dieu, souvent même de la part de l'Eglise
qui le définit, l'interprète ou l'enseigne. Qu'il soit essen-
tiellement mystérieux, ou qu'il soit naturellement con-
naissable avant que d'être affirmé par Dieu, nous disons
qu'il ne saurait nécessiter, comme les vérités intuitive-
ment ou démonstrativement évidentes, l'assentiment de
notre esprit. Non, certes, qu'il ne soit pas évidemment
croyable, que l'autorité divine dont il est revêtu ne soit
évidemment démontrée, que le devoir d'y adhérer ne nous
soit évidemment imposé. Bien au contraire, nous admettons
que les preuves de la crédibilité, le motif de la croyance,
l'obligation de la foi, sont tels dans le christianisme que,
sous peine de révoquer témérairement en doute les bases
mêmes de la certitude humaine, notre raison doit croire
tout objet divinement affirmé. Mais ce qu'elle doit faire,
elle n'est pas toujours nécessitée à le faire ; et comme nos
autres facultés, elle n'est fatalement entraînée que vers
son objet propre. Or, l'objet propre de l'intelligence
humaine ici-bas est la vérité évidente, soit que son évi-
dence apparaisse d'elle-même et que nous la percevions
par intuition directe, soit qu'elle apparaisse à l'aide
d'autres évidences et que nous ayons besoin de démons-
tration pour la discerner. Que l'intelligence dispose ou
non de grâces surnaturelles dans ses rapports avec l'objet
à connaître, son fonctionnement reste essentiellement le
même : elle est invinciblement attirée par lui s'il est
évident ; elle ne l'est pas s'il est seulement certain sans
évidence. L'objet révélé n'étant jamais évident comme tel,
il ne saurait jamais nécessiter l'adhésion intellectuelle
qu'il sollicite et à laquelle il a d'ailleurs un droit incon-
testable. » Didiot, Vertus théologales, Paris, 1897, n. 217,
p. 162.
Leçon IXe
De la Foi et de la Raison
I. Deux ordres de connaissance, — Les Mys-
ter es de la foi. — IL Rôle de la raison dans
la connaissance des mystères de la foi. —
III. Ni opposition ni désaccord entre la foi
et la raison. — IV. La foi et la raison se
prêtent une aide mutuelle.
Sur cette question si importante et si débattue
au siècle dernier, relative aux rapports qui
doivent exister entre la foi et la raison, entre
la science et la révélation, le concile du Vatican,
dans le chapitre ive de la Constitution Dei Filius,
a donné une solution remarquable par sa précision
et sa clarté. Aussi est-ce à ce chapitre et aux canons
qui le suivent que nous emprunterons les éléments
de cette leçon, en prenant pour guide celui qui les
a si bien mis en relief (i).
» i. BIBLIOGRAPHIE : A. Vacant, La Constitution Dei Filius,
Paris, 1895, t. 11, p. 181-281 ; Monsabré, Introduction audoyme
catholique, Paris, 1866, t. 1, p. 16-71 ; tous les traités De fide des
théologies postérieures au concile du Vatican ; dans la collec-
tion Science et Religion, on peut lire avec intérêt et avec fruit
Du doute à la foi, de P. Tournebize ; V altitude du catholique de-
vant la science, de Fonsegrive; surtout Les relations entre la foi
et la raison, et Les conditions modernes de V accord entre la Jot
et la raison, de M. de Broglie.
DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 33 1
Dans le premier paragraphe, le concile, d'accord
avec la doctrine constante de l'Eglise, affirme
l'existence, pour l'homme, de deux ordres de con-
naissance, l'un naturel, l'autre surnaturel, et il
indique les mystères de la foi comme l'objet spécial
de la révélation divine.
Dans le second, il expose ce qui revient à la
raison et ce qui n'est point de son ressort, dans
l'étude de la vérité surnaturelle.
Dans le troisième, il déclare qu'entre la raison et
la foi, entre la science et la révélation, il ne saurait
jamais exister aucune opposition ni désaccord ; d'où
il résulte que toute assertion, certainement con-
traire à une vérité révélée, doit être regardée comme
n'étant pas une conclusion légitime de la science,
et qu'elle peut à bon droit être réprouvée par
l'Eglise.
Dans le quatrième enfin, il enseigne que non
seulement la raison et la foi ne s'opposent pas l'une
à l'autre, mais qu'elles s'entr' aident mutuellement,
et, tout en revendiquant une juste liberté pour la
science, il met en garde contre ses abus et ses
excès.
I. Deux ordres de connaissance.
Le mystère,
objet spécial de la révélation
i
Le chapitre iv* de la Constitution Dei Filius débute l
ainsi : « L'Eglise catholique s'est toujours accordée <
à admettre qu'il y a deux ordres de connaissance
distincts, non seulement par leur principe, mais
encore par leur objet : par leur principe, parce que
nous connaissons dans l'un, au moyen de la raison
r
332 LE CATÉCHISME ROMAIN
naturelle, dans l'autre au moyen de la foi divine ; par
leur ohjet, parce que, outre les vérités auxquelles la
raison naturelle peut atteindre, l'Eglise propose à
notre foi des mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent
être connus que par la révélation divine. C'est pour-
quoi l'apôtre, qui rend témoignage à la connaissance
que les nations ont eue de Dieu, au moyen des
choses créées, dit néanmoins en parlant de la grâce
ct.de la vérité données par Jésus-Christ : « Nous
prêchons la sagesse de Dieu renfermée dans son
mystère, cette sagesse cachée, que Dieu a prédes-
tinée avant tous les siècles pour notre gloire, qu'au-
cun des princes de ce siècle n'a connue ; mais pour
nous, Dieu nous l'a révélée par son Esprit ; car cet
Esprit pénètre tout jusqu'aux secrets les plus pro-
fonds de Dieu. » Et le Fils unique lui-même rend
gloire à son Père de ce qu'il a caché ces choses aux
sages et aux prudents et le* a révélées aux petits. »
Canon i : « Anathème à qui dirait que la révé-
lation divine ne renferme à proprement parler
aucun mystère véritable, mais qu'une raison con-
venablement cultivée peut par ses principes natu-
rels comprendre et démontrer tous les dogmes de
la foi. »
Nous ne nous arrêterons pas sur la distinction
des deux ordres de connaissance, mais nous insis-
terons sur l'objet spécial de la révélation, à savoir
les mystères, dont l'existence est affirmée et définie ;
nous répondrons à ces trois questions : Quelle est
la nature des mystères de la foi? En existe-t-il?
Quels sont-ils ?
i . Nature des mystères de la foi. — La nature
des mystères d« la foi ressort clairement soit de
la lettre de Pie IX à l'archevêque de Munich,
du ii décembre 1862, portant condamnation des
DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 333
erreurs de Frohschammer (i), soit du premier
paragraphe du chapitre ive de la Constitution Dei
Filius, transcrit plus haut.
Trois propriétés caractérisent les mystères de la
foi : ce sont des vérités cachées en Dieu ; elles ne
peuvent être connues que si Dieu les révèle ; les fidèles
ne peuvent en avoir une claire connaissance que dans
la vision intuitive.
Ce sont d'abord des vérités cachées en Dieu. Dieu
dépasse toute créature intelligente ; il a une science
infinie qu'aucune créature créée ou créable ne sau-
rait embrasser dans sa totalité ; il possède donc des
secrets absolument impénétrables, des vérités sur-
naturelles en elles-mêmes, et c'est à ces secrets
qu'appartiennent les mystères de la foi : ils sont
donc cachés en Dieu, au-dessus de toute nature
créée, dépassant la portée de la raison humaine et
de l'intelligence angélique, inaccessibles par con-
séquent à toute raison naturelle, à tout principe
naturel.
Pour être connus, iljaul donc que Dieu les révèle. Dieu
peut les montrer, les faire voir, comme il les voit
lui-même, mais ce mode de connaissance appartient
à la vision intuitive ; il peut aussi nous les révéler
ici-bas, en entourant son témoignage des preuves
les plus authentiques et les plus irrécusables. Ces
mystères de la foi diffèrent essentiellement de ce
qu'on appelle les mystères de la nature. Ceux-ci
sont des vérités dont la raison ne s'explique ni le
pourquoi ni le comment, mais dont elle constate
ou prouve l'existence ; ceux-là, au contraire, échap-
pent complètement aux prises de notre raison, non
seulement dans leur nature intime, mais même dans
i. Denzinger, n. i5a4-i5a8.
334 LE CATÉCHISME ROMAIN
leur existence : nous ne connaissons cette existence
que si Dieu veut bien nous en faire part.
Enfin ces mystères de la foi sont tels que, même
lorsque leur existence nous est révélée, l'intelligence
et la connaissance parfaite de leur nature nous sont
refusées ici-bas. Ils restent pour nous, comme ledit
Pie IX, « couverts du voile sacré de la foi elle-même
et enveloppés d'une ombre obscure. » et, comme le
dit le concile du Vatican, « la raison n'est jamais
rendue capable de les pénétrer comme les vérités
qui constituent son objet propre. »
Les mystères de la foi sont donc des vérités, dont
Dieu seul possède une connaissance naturelle et
adéquate, qui ne peuvent nous être connus que par
une révélation divine, et que nous ne saurions
comprendre ni démontrer par des principes d'ordre
naturel, même après que Dieu nous les a révélés.
2. Existence des mystères de la foi. En frappant
d'anathème quiconque dirait que la révélation
divine ne renferme à proprement parler aucun
mystère véritable, le concile du Vatican a défini
qu'il existe des mystères dans la religion chrétienne.
C'est donc un dogme de foi ; constatation officielle
d'un point de doctrine toujours enseigné par l'Eglise
et basé sur l'Ecriture et la tradition, ainsi que le
faisait déjà remarquer Pie IX dans sa lettre à
l'archevêque de Munich. Pie IX empruntait ses
preuves scripturaires à l'épître aux Colossiens, aux
Hébreux, au quatrième Evangile et à la première
épître aux Corinthiens. C'est ce dernier texte que
reproduit le concile en y ajoutant un passage de
saint Matthieu.
L'apôtre saint Paul, en parlant de ce que l'œil
n'a pas vu, ni l'oreille entendu, ni le cœur de
l'homme conçu, n'en faisait pas une explication
DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 333
exclusive au bonheur céleste, il l'entendait aussi
des vérités qu'il prêchait et qui sont l'objet de la
foi. Or ces vérités sont des mystères proprement
dits, ainsi que cela ressort clairement de son
langage. Il prêche la sagesse, dit-il, non la sagesse
du siècle, mais la sagesse même de Dieu, et, bien
qu'il s'adresse aux parfaits, il la dit mystérieuse et
cachée par sa nature ; aucun prince de ce siècle ne
l'a connue, mais c'est Dieu lui-même qui l'a révélée
aux apôtres par son Esprit, lequel pénètre tout,
même les profondeurs de Dieu (i). De môme dans
le texte évangélique, ce que Jésus entend par les
choses que Dieu a cachées aux sages et aux prudents
et qu'il a révélées aux petits (2), ce sont bien des
mystères connus seulement des personnes divines
et de ceux à qui Dieu veut les révéler, puisqu'il
ajoute : « Toutes choses m'ont été données par
mon Père ; personne ne connaît le Fils si ce n'est
le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est
le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler (3). »
Cet enseignement scripturaire n'ayant jamais été
révoqué en doute même par les hérétiques qui
attaquèrent les dogmes de la Trinité et de l'Incarna-
tion, les Pères de l'Eglise se contentèrent de signaler
en passant les passages de l'Ecriture relatifs au
caractère mystérieux des vérités révélées (4). Mais
ce caractère frappa surtout les scolastiques ; nul ne
l'a mieux fait ressortir que Saint Thomas (5). Pour-
1. I Cor. 11, 7-9. — 2. Matth., xi, a5. — 3. Matlh. xi, 27. —
4. S. Ambroise, De fide ad Grat., 1, 10 ; Pair. lat.s t. xvi,
col. 54i-543 ; S. Jérôme, In Galat., ni, 2 ; Pair, lat., t. xxvi,
col. 374-375 ; S. Léon le Grand, De nat. Dom., serm. ix ; Pair,
lai. y t. liv, col. 160; S. Chrysostome, In I Cor., homil. vu; Pair,
gr., t. lxi ; S. Cyrille d'Alexandrie, In Joan., 1, 9 ; Pair, gr.,
t. lxxiii, col. i2 4-i34 ; S. Jean Damascène, In I Cor., n ; Pair*
gr., t. xcv, col. 582-590. — - 5. Cont.gent., iv, proœmium.
336 LE CATÉCHISME ROMAIN
tant quelques partisans de Raymond Lulle le mécon-
nurent et s'attirèrent les rigueurs de l'Eglise, une
première fois sous Alexandre IV, en 1260, une
seconde fois sous Grégoire XI, en 1376. Ce dernier
pape condamna notamment ces deux propositions :
« Tous les articles de foi, les sacrements de l'Eglise
et le pouvoir du pape peuvent être prouvés et sont
prouvés par des raisons nécessaires, démonstrati-
ves, évidentes (Prop. 96). » « La foi est nécessaire
aux gens rustiques, ignorants, mercenaires, de
basse intelligence, qui ne savent point connaître
par la raison et aiment à connaître par la foi ; mais
un homme subtil est plus facilement attiré à la vie
chrétienne par la raison que par la foi (Prop. 97) (1).
Au dernier siècle, quelques prêtres allemands,
professeurs dans les universités, Hermès, Gunther,
Frohschammer, entre autres, reprirent la thèse du
prétendu pouvoir qu'a la raison de démontrer les
dogmes, une fois qu'ils sont révélés. Ils furent
condamnés à leur tour. Pie IX, notamment, écrivait
à ce sujet : « Jamais la raison ne peut arriver par
les principes naturels à la science de ces dogmes
(les mystères). Que ceux qui ont la témérité de
soutenir le contraire, sachent qu'ils abandonnent
certainement, non pas l'opinion de certains doc-
teurs, mais la doctrine commune et constante de
l'Earlise. Les saintes Lettres et la tradition des saints
Pères témoignent, en effet, que si l'existence de
Dieu et plusieurs autres vérités sont connues à la
lumière naturelle de la raison, par ceux mêmes qui
n'ont pas encore reçu la foi, Dieu seul a manifesté
ces dogmes plus cachés (2). » Et il stigmatise,
comme étranger à l'enseignement catholique, le
sentiment contenu dans cette proposition, devenue
1. Denzinger, n. 474. 470. — 2. Denzinger, n. 1527.
DEUX ORDRES DE RECONNAISSANCE 337
la neuvième du Syllabus : « Tous les dogmes de la
religion chrétienne sans distinction sont l'objet de
la science naturelle ou philosophie ; et avec une
culture purement historique, la raison humaine
peut, d'après ses principes et ses forces naturelles,
parvenir à une vraie connaissance de tous les
dogmes, même des plus cachés, pourvu que ces
dogmes aient été proposés à la raison comme
objet (1). »
Aussi le concile du Vatican, en définissant
comme une vérité de foi catholique l'existence des
mystères dans la révélation, n'a fait que proclamer
une vérité clairement contenue dans l'Ecriture,
constamment crue dans l'Eglise et plusieurs fois
formulée par les Souverains Pontifes.
3. Quels sont, parmi les dogmes de la foi,
ceux qui ont le caractère de mystère ? — Tous
ceux qui n'appartiennent pas en même temps à
l'ordre naturel, car il est des vérités révélées qui
sont accessibles à la raison ; par conséquent tous
ceux qui regardent l'élévation de l'homme à l'état
surnaturel, son commerce surnaturel avec Dieu, sa
fin surnaturellle et les moyens d'y parvenir ; et cela
pour deux raisons : d'abord parce que ce sont des
vérités qui ont les trois propriétés qui carac-
térisent les mystères de la foi ; ensuite parce que
l'ordre surnaturel a été librement établi par Dieu.
Or, ce qui dépend de la libre détermination de
Dieu ne saurait être connu des créatures qu'autant
que Dieu leur en fait part. Telle est l'élévation de
l'homme à l'ordre surnaturel, et telles sont les
vérités qui se rapportent à la fin surnaturelle de
l'homme et aux moyens surnaturels d'y parvenir.
i. Denzinger, n. i556.
i LE CATÉCHISME. — T. I. 23
338 LE CATÉCHISME ROMAIN
Ces moyens sont la vie surnaturelle elle-même et
tout ce qui sert à la produire, à l'entretenir, à la
développer. Il est clair que la vie surnaturelle
échappe à nos investigations, même quand elle est
en nous ; le caractère surnaturel de ses opérations
nous échappe de même. Nous n'avons conscience
en effet, ni de notre élévation à l'ordre surnaturel,
ni de notre état de grâce, ni de ce qu'a de surnatu-
rel notre acte de foi. Sont donc à ranger parmi les
mystères l'Incarnation, qui est la source de l'ordre
surnaturel, la Rédemption, qui en est l'application.
Tout cela dépend de la volonté libre de Dieu. En
est-il de même de ce qui constitue nécessairement
l'essence divine, et, par exemple, la Trinité ? Est-ce
un mystère ? Ni Pie IX ni le concile du Vatican ne
citent la Trinité parmi les mystères ; c'était inutile,
car d'autres documents la regardent comme un mys-
tère et comme plus le grand des mystères, absolument
ineffable et incompréhensible. Le Saint Office con-
damnait en 1887, avec l'approbation de Léon XIII,
une proposition de Rosmini qui déniait à la Tri-
nité le caractère de mystère de la foi ; c'est le mys-
tère des mystères ; tous les autres le supposent et
rien, dans l'ordre créé, ne saurait le manifester.
IL Rôle de la raison dans la
connaissance des mystères de la foi
Le rôle de la raison vis-à-vis des mystères chré-
tiens, ne se réduit pas à l'étude des motifs de crédi-
bilité, à l'examen du fait de la révélation, à tout ce
qui sert de préparation à l'acte de foi et à la pro-
duction de l'acte de foi lui-même, il est beaucoup
plus étendu ; car, sans les pénétrer à fond, elle peut
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTÈRES 33g
en acquérir une « certaine intelligence. » Le con-
cile du Vatican signale, en effet, les conditions dans
lesquelles elle peut agir, les qualités qu'elle doit
apporter dans son étude, les procédés qu'elle doit
employer, les résultats qu'elle peut obtenir et aussi
les limites qu'elle ne saurait franchir.
a Lorsque la raison, éclairée par la foi, cherche
avec soin, piété et modération, elle acquiert, il est
vrai, par le don de Dieu, quelque intelligence très
fructueuse des mystères, tant par l'analogie des cho-
ses qu'elle connaît naturellement, que par la liaison
des mystères entre eux et avec la fin dernière de
l'homme ; cependant jamais elle n'est rendue capa-
ble de les pénétrer comme les vérités qui constituent
son objet propre. En effet, par leur nature, les mys-
tères divins dépassent tellement l'entendement créé
qu'après avoir été communiqués par la révélation
et reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts
du voile de la foi elle-même et enveloppés comme
d'une sorte de nuage, tant que nous restons éloi-
gnés de Dieu par cette vie mortelle ; car nous mar-
chons dans le chemin de la foi et non dans celui de
la vision (i). »
i. La raison éclairée par la foi, doit observer
quelques règles dans ses recherches : elle doit agir,
dit le concile, avec soin, piété et discrétion. C'est
avec soin et attention tout d'abord, qu'elle doit étu-
dier l'Ecriture et la tradition, c'est-à-dire les docu-
ments où sont contenus les mystères révélés, pour
se rendre compte autant que possible de la manière
dont ils sont révélés, sous quelles images ils sont
présentés etquelles analogies ils suggèrent. G'esten-
suite avec piété, c'est-à-dire sous l'influence d'une
inspiration vraiment religieuse et avec un respect
i. Const, Dei FUius, c. iv, S a.
340 LE CATÉCHISME ROMAIN
profond pour l'enseignement divin, sous lequel se
cachent des vérités, dont nous n'apercevons ici bas
que le dehors, et" nullement avec la suffisance du
rationalisme qui se flatte, à l'aide de la seule raison,
d'en avoir le dernier mot. La piété ne pousse pas
aussi loin ses prétentions et se garde d'aussi chimé-
riques espoirs. Et c'est enfin avec réserve ou discré-
tion, c'est-à-dire en s'en tenant aux seules données
de la révélation, sans essayer de leur appliquer des
vues ou des théories étrangères sinon contraires à
renseignement traditionnel. Ces conditions requi-
ses étant remplies, la raison peut découvrir des ana-
logies entre les mystères et les vérités naturelles,
étudier les rapports qu'ils ont soit entre eux, soit
avec la fin surnaturelle de l'homme, et cela consti-
tue un vaste champ d'opération pour elle.
2. Analogies des mystères avec les vérités
naturelles. Dieu, en parlant à l'homme, a dû né-
cessairement, pour se faire comprendre, se mettre
à la portée de son intelligence. Et puisqu'il lui a
plu de réserver pour la vision intuitive la claire
notion de ses mystères, il n'a pu nous en donner
quelque notion qu'en les rapprochant, qu'en
les comparant avec ce que notre raison connaît
par elle-même, c'est-à-dire par des analogies. En
effet, entre les mystères et les vérités naturelles
il n'y a point d'identité, ni par suite de res-
semblance parfaite ; mais il peut y avoir et il y
a des rapprochements, des comparaisons, tirés soit
du rapport que ces mystères et ces vérités naturelles
ont avec un même objet, soit de l'effet qu'ils pro-
duisent, c'est-à-dire des analogies.
Dieu nous proposant donc la notion de ses mys-
tères à l'aide de l'analogie qu'ils ont avec les choses
naturelles, plus les analogies seront nombreuses et
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTERES 3/jl
plus la notion des mystères nous sera facile, plus
au contraire elles seront rares et plus la notion des
mystères nous sera difficile. C'est ainsi que les ver-
tus surnaturelles, à cause de leurs multiples rapports
d'analogie qu'elles ont avec nos vertus naturelles,
sont facilement accessibles à notre intelligence. La
vie surnaturelle, au contraire, offre moins d'analo-
gies ou des analogies moins saisissantes avec la vie
naturelle ; il en est de même entre l'efficacité sur-
naturelle des sacrements et les effets physiques de
la matière qu'ils emploient ; et dès lors moins
grande est notre facilité à les connaître. Quant à
l'Incarnation et surtout à la Trinité, les points de
comparaison que la nature fournit sont plus
restreints encore, moins clairs, plus difficiles à
saisir.
Mais que ces analogies, indiquées par Dieu dans
sa révélation soient rares ou nombreuses, saisissan-
tes ou peu aisées à saisir, elles permettent toujours
d'avoir une notion suffisante des mystères révélés.
Or il appartient à la raison de les scruter, de les
approfondir, de les rapprocher, de les combiner
pour leur demander le plus de lumière possible,
car elles offrent un solide point d'appui et des
données authentiques. Il lui appartient aussi
de relever celles que les Pères de l'Eglise, les
conciles et les papes ont signalées dans la suite
des âges, car elles entrent dans la trame vivante de
la tradition. Il lui appartient enfin d'y joindre celles
qu'elle pourrait découvrir elle-même dans l'étude
comparative du dogme et de la nature, à la condition
bien entendu qu'elles cadrent avec l'enseignement
officiel de l'Eglise. Et c'est ainsi que la raison arrive
à se faire des mystères révélés une notion de moins
en moins imparfaite, de plus en plus claire et précise.
C'est, du reste, ce qu'ont fait tous les docteurs»
3^2 LE CATÉCHISME ROMAIN
saint Augustin et saint Thomas en tête. Platon et
Aristote leur ont servi, comme on sait, non certes
pour substituer les données rationnelles aux mys-
tères révélés1, ni pour démontrer les mystères au
moyen de principes rationnels, mais pour mettre
en plein relief ce que certaines vérités de l'ordre
naturel, que renferme leur philosophie, ont d'ana-
logie avec les mystères de la foi. La psychologie des
néoplatoniciens, note M. Vacant, a fourni à saint
Augustin des images de la Trinité ; l'éthique
d' Aristote a fourni à saint Thomas une partie des
cadres de la seconde partie de sa Somme, où il étudie
les principes de la morale chrétienne et les diverses
vertus surnaturelles.
3. Intelligence des mystères par leurs rap-
ports mutuels. C'est encore un vaste champ
d'action qu'offre à notre raison l'examen des rapports
qui enchaînent les uns aux autres, dans un tout
harmonique, les mystères de la foi.
On ne saurait douter, en effet, qu'il y ait moins
d'ordre et d'unité dans les mystères de la foi que
dans le monde de la nature, où notre raison décou-
vre un plan si harmonieusement établi. Cet ordre
et cette unité du monde surnaturel, Dieu, sans les
dévoiler à nos yeux autant qu'il les connaît lui-
même, nous les laisse suffisamment entrevoir pour
que nous y découvrions un lien logique : le péché ;
ses suites ; sa réparation ; application des effets de
la Rédemption à chacun de nous ; moyens d'arriver
au salut ; rôle du Verbe fait chair et du Saint-
Esprit, etc. Ce lien logique permet à notre raison de
pousser plus avant ses connaissances et de s'assimi-
ler dans la mesure du possible la révélation.
Assurément, Dieu ne nous a pas proposé ses vérités
sous la forme d'un catalogue abstrait ou comme
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTÈRES 343
une table de matières ; des philosophes seuls auraient
pu s'en contenter, c'est-à-dire le petit nombre. La
grande masse réclamait un autre mode d'enseigne-
ment. Et c'est pourquoi Dieu leur a donné une
forme concrète et vivante, en les mêlant d'ordinaire
à des récits historiques ou à des leçons de morale.
Il en est un peu de la vérité révélée comme des
lois naturelles ; celles-ci, notre raison les découvre
peu à peu sous la variété des phénomènes qui s'en-
chevêtrent dans le règne minéral, végétal et animal,
dans le domaine de la conscience et dans l'activité
sociale, elle les dégage et les formule. Les vérités
révélées se trouvent dans les pages de la Bible et les
documents de la tradition ; depuis la mort des
apôtres, toutes sont promulguées. Le dépôt en est
confié à l'Eglise. Mais, pour la plupart, il reste à les
découvrir, à les dégager, à les formuler ; et c'est à
quoi travaille la raison, à la lueur de la foi, sous la
direction de l'Eglise et avec l'assistance du Saint-
Esprit. Elle a beaucoup fait jusqu'ici ; il lui reste
toujours à faire, car la révélation n'a pas encore
livré tous les secrets qu'elle renferme. Plus les
travaux s'accumulent, plus aussi s'affirment et se
précisent explicitement les vérités révélées dans des
formules dogmatiques.
D'autre part, la foi désire et cherche toujours à
mieux connaître ce qu'elle croit, à posséder une
intelligence plus parfaite des mystères par l'étude de
leurs rapports et de leur enchaînement logique. Ici
encore la raison prête son concours. Elle n'a pas
encore fini de classer les données surnaturelles, de
déterminer les principes surnaturels qui s'appliquent
à chaque espèce de vérité révélée, de déduire les
conséquences qui découlent de ces principes. Et
pourtant quelle œuvre considérable déjà réalisée !
Et n'est-ce pas à cette œuvre que nous devons cette
344 LE CATÉCHISME ROMAIN
u certaine intelligence, » encore imparfaite assuré-
ment, mais du moins « très fructueuse des mystères,
tant par l'analogie des choses que la raison connaît
naturellement, que par la liaison des mystères entre
eux, » comme s'exprime le concile du Vatican ?
4. Intelligence des mystères par leurs rap-
ports avec la fin de l'homme. Autre source de
connaissances pour la raison que l'étude des
mystères dans leurs rapports avec la fin de l'homme.
Tous les mystères en effet, se rapportent à la fin
de l'homme, et c'est en vue de cette fin que Dieu
les a révélés ; car ils ont pour objet soit cette fin
surnaturelle, soit les moyens de l'atteindre, soit les
obstacles à écarter. Leur étude ne peut donc que
contribuer à nous faire mieux comprendre l'ensem-
ble et l'enchaînement des vérités révélées ; et c'est
par là que cette étude est vraiment salutaire et
constitue la science du salut. D'autant plus que,
dans ces rapports des mystères avec notre fin
surnaturelle, se découvrent des analogies plus nom-
breuses, plus justes, plus saisissantes. Dieu, en effet,
n'a pas détruit notre nature, il l'a élevée et a élevé
ses facultés : nature et facultés naturelles servent
de point d'appui où se greffent la vie et les vertus
surnaturelles. La grâce se superposant ainsi à la
nature sans la détruire, la fin et les moyens de
l'ordre naturel présentent beaucoup d'analogies avec
la fin et les moyens de l'ordre surnaturel. Et c'est
ainsi, dit M. Vacant, qu'avec les réserves de droit,
on applique légitimement à la foi surnaturelle ce
qu'une saine philosophie enseigne de la fin dernière;
à la grâce sanctifiante et aux vertus surnaturelles,
ce qu'elle établit de notre vie, de nos facultés et
vertus naturelles ; à la grâce actuelle, ce qu'elle
démontre du concours divin ; à la manière dont
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTERES 3^5
les sacrements produisent et entretiennent la grâce
en notre âme, la manière dont la vie ordinaire est
communiquée, fortifiée et entretenue. La lumière
divine de la foi est rapprochée de la lumière
physique du soleil et de la lumière intellectuelle de
la raison ; l'Eglise, société parfaite, est comparée
à la société civile. Adam et Jésus-Christ représen-
tent l'humanité devant Dieu ; le premier, par sa
faute, l'a réduite en esclavage ; le second, par la
rédemption, l'a délivrée et lui a rendu ses droits.
Combien d'autres rapprochements encore ne pour-
rait-on pas faire ? Ceux-ci, à peine indiqués,
suffisent du moins à prouver combien vaste est le
champ d'action de la raison dans les mystères de la
foi.
5. Limites de la raison dans la connaissance
des mystères de la foi. Sans révélation, nous
venons de le voir, la raison ne saurait soupçonner
les mystères de la foi ; après la révélation, elle peut
en acquérir « une intelligence très fructueuses ; »
mais, ajoute le concile, «jamais elle n'est rendue
capable de les pénétrer comme les vérités qui cons-
tituent son objet propre. »
Frohschammer prétendait que la raison, par ses
propres forces, peut acquérir de tous les mystères
révélés sans exception une certitude naturelle et
scientifique. D'autres semi-rationalistes accordaient
que les mystères qui dépendent de la libre détermi-
nation de Dieu sont indémontrables, mais ils
soutenaient que ceux qui sont fondés sur l'essence
nécessaire des choses, comme la Trinité, sont
démontrables.
Pie IX, en condamnant Frohschammer, lui re-
prochait de ranger les mystères révélés dans le
domaine de la science et de la philosophie, d'accor-
346 LE CATÉCHISME ROMAIN
der à la raison vis-à-vis d'eux le pouvoir naturel de
Les connaître avec certitude sans s'appuyer sur
l'autorité de Dieu qui les révèle. Et le concile du
Vatican a défini qu'il y a des dogmes de foi que la
raison la mieux développée ne saurait comprendre
ni démontrer par elle seule. Cette impuissance de
ta raison, il la tire de la nature même de ces
mystères et cite en témoignage un passage de saint
Paul : a En effet, dit-il, par leur nature, les divins
mystères dépassent tellement l'entendement créé,
qu'après avoir été communiqués par la révélation et
reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts du
voile de la foi elle-même et enveloppés comme
d'une sorte de nuage, tant que nous restons éloignés
de Dieu par cette vie mortelle ; car nous marchons
dans le chemin de la foi et non dans celui de la
vision. »
La nature des mystères limite la puissance de la
raison. On comprend qu'il en soit ainsi pour les
mystères qui dépendent de la libre volonté de Dieu ;
car, en dehors de leur révélation, on n'en soupçon-
nerait pas l'existence et rien de créé ne saurait les
manifester. En est-il de même vis-à-vis des mystères
fondés sur une nécessité absolue, comme la Trinité?
Une fois révélée, la raison n'est-elle pas à même
d'en saisir la nécessité logique ? Nullement, car
aucune créature n'en peut saisir la nécessité ni le
rapport logique avec aucun principe naturellement
connu. Et lorsque saint Paul dit : « Nous marchons
dans le chemin de la foi, et non dans celui de la
vision (i), » il oppose la connaissance que nous
avons de ces mystères ici-bas à celle que nous
aurons dans le ciel; ici-bas, c'est une connaissance
de foi, motivée par le témoignage de Dieu : au ciel,
i. II Cor., v, 7.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 3^7
ce sera la vision du face à face ; la foi disparaîtra,
et chacun, selon ses mérites, verra la volonté de
Dieu avec les mystères qui en dépendent, et l'intel-
ligence divine avec les mystères fondés sur une
nécessité absolue ; il les verra, non par les seules
forces de sa raison, mais parla lumière de gloire
que Dieu lui donnera ; sa connaissance sera alors,
non une connaissance de raison ni une connaissance
de foi, mais une connaissance de vision intellectuelle
surnaturelle.
III. Entre la raison et la foi
pas d'opposition possible
Le concile du Vatican traite trois questions très
importantes : d'abord il affirme et démontre L'im-
possibilité d'une opposition entre la science et la
foi ; ensuite il proclame les droits de l'Eglise vis-à-vis
de la fausse science ; enfin il rappelle aux chrétiens
les devoirs qui lui incombent en vertu de ces
principes. « Bien que la foi, dit-il, soit au-dessus de
la raison, il ne saurait pourtant y. avoir jamais de
véritable désaccord entre la foi et la raison, attendu
que le Dieu qui révèle les mystères et répand la foi
en nous, est le même qui a mis la raison dans
l'esprit de l'homme, et qu'il est impossible que
Dieu se renie lui-même ou qu'une vérité soit jamais
contraire à une autre vérité. L'apparence imagi-
naire d'une contradiction semblable vient surtout,
ou bien de ce que les dogmes de la foi n'ont pas été
compris et exposés conformément à la pensée de
l'Eglise, ou bien de ce que des opinions fausses
sont prises pour des conclusions de la raison. Nous
déclarons donc que toute assertion contraire à une
0\S LE CATÉCHISME ROMAIN
vérité crue par une foi éclairée, est absolument
fausse. » Voilà pour la première question.
« Or l'Eglise, continue le concile, qui a reçu,
avec la charge apostolique d'enseigner, le comman-
dement de garder le dépôt de la foi, tient aussi de
Dieu le droit et le devoir de proscrire la fausse
science, afin que nul ne soit trompé par la philo-
sophie et la vaine sophistique. » Voilà pour la
seconde question.
« C'est pourquoi tous les chrétiens fidèles ne sont
pas seulement tenus de s'abstenir de défendre
comme des conclusions légitimes de la science, ces
opinions qu'on sait contraires à la doctrine de la
foi, surtout lorsqu'elles ont été réprouvées par
l'Eglise, ils sont encore absolument obligés de les
regarder comme des erreurs qui se couvrent de
l'apparence trompeuse de la vérité. » Voilà pour la
troisième question.
Suit le canon 2 : « Anathème à qui dirait que les
enseignements humains doivent être donnés avec
une telle liberté, que leurs assertions pourraient
être maintenues pour vraies et ne sauraient être
proscrites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient
contre la doctrine révélée (i). »
1. Pas de désaccord possible
i° Le concile affirme d'abord l'impossibilité
d'un désaccord entre la raison et la foi.
Déjà, au xine siècle sous Jean XXI (i 276-1 277), et
plus tard, au commencement du xvie, quelques phi-
losophes distinguaient ce qui est vrai philosophi-
quement et ce qui est vrai théologiquement, de
telle sorte qu'ils estimaient pouvoir soutenir une
chose philosophiquement vraie, quoiqu'elle fût en
1. Const. Dei Filius, c. iv, S 3.
ACCORD DE LA. RAISON ET DE LA FOI 3 41)
T— '
contradiction avec la vérité révélée. Le cinquième
concile de Latran condamna une prétention si erro-
née : « Gomme le vrai, dit-il, ne contredit en rien
le vrai, nous définissons que toute assertion con-
traire à une vérité attestée par une foi éclairée, est
absolument fausse (i). »
Au xixe siècle, les rationalistes ont exalté outre
mesure le pouvoir de la raison jusqu'à rejeter la
révélation et la foi ; les fidéistes, au contraire, ont
exalté la foi au détriment de la raison. Les uns et
les autres péchaient par excès. Pie IX parlait ainsi
des premiers : « Par un renversement fallacieux de
la logique, ils ne cessent d'en appeler à la force et
à l'excellence de la raison humaine, l'exaltent con-
tre la sainte foi du Christ et débitent audacieuse-
ment que cette foi est contraire à la raison humaine.
On ne saurait à coup sûr rien imaginer ni supposer
de plus insensé, de plus impie et de plus contraire
à la raison que cette assertion ; car, quoique la foi
soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais exister
entre elles aucune contradiction (2). » Les fidéistes
de leur côté, furent également rappelés à la vérité et
à l'orthodoxie. Mais, d'autre part, sous l'influence
de quelques professeurs d'Allemagne, on en était
venu à soutenir que la raison peut démontrer les
mystères de la foi et les expliquer beaucoup mieux
que l'Eglise.
Or, c'est contre les rationalistes, qui rejettent la
certitude de la révélation, et contre les fidéistes, qui
rejettent la certitude de la raison, et aussi contre les
semi-rationalistes, qui prétendent qu'une vérité de
raison peut se trouver en opposition avec une vérité
révélée, que le concile du Vatican affirme l'impos-
sibilité d'un désaccord entre la foi et la raison.
1. Dcnzinger, n. 621. — 2. Dcnzingcr, n. 1^06.
350 LE CATÉCHISME ROMAIN
2° Il va plus loin : Il démontre l'impossibilié
d'un désaccord quelconque et en donne deux rai-
sons. Déjà Pie IX avait dit : « Il ne peutjamais exis-
ter entre elles (la raison et la foi) aucune contradic-
tion, puisque toutes deux viennent d'une seule et
même source de l'immuable et éternelle vérité, de
Dieu très bon et très grand (i). » Et le cinquième
concile de Latran avait dit que « le vrai ne saurait
contredire en rien le vrai. » Ces deux raisons, le
concile du Vatican les joint ensemble. La foi, vertu
surnaturelle, et la raison, don naturel, viennent
également de Dieu. L'objet de la foi est la vérité
révélée, l'objet de la raison la vérité naturelle. De
vérité à vérité pas d'opposition possible ; cela répu-
gne à la notion même de vérité ; cela répugne aussi
à la source de toute vérité, Dieu. Dieu se contredi-
rait, a se renierait lui-même, » si le mensonge pou-
vait se glisser dans ses œuvres, si les lumières de la
foi se trouvaient en opposition avec les lumières de
la raison. Il n'y a point de relativité dans la vérité :
la vérité est absolument ce qu'elle est et ne peut pas
être autre chose ; le vrai ne peut pas s'opposer au
vrai. Tel est l'enseignement dogmatique.
3° Gela est vrai en droit ; est-ce également vrai
en fait? Et n'y a t-il pas de véritables oppositions
ou contradictions entre l'enseignement révélé et les
données rationnelles ? Non, répond le concile ; ce
qu'il y a parfois ce sont des apparences de contra-
diction, purement imaginaires, qui proviennent, ou
de ce que les dogmes ne sont pas compris et expo-
sés conformément à la pensée de l'Eglise et à l'en-
seignement traditionnel, ou de ce que des opinions
fausses sont prises pour des conclusions certaines
de la raison. Le cas n'est nullement chimérique, car
i. Denzinger,n. 1496.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 35 1
trop souvent on prête à la doctrine catholique un
enseignement qui n'est pas le sien, et plus souvent
encore on se hâte de prendre pour des résultats
définitivement acquis à la science ce qui n'est
qu'une hypothèse plus ou moins séduisante, plus
ou moins vraisemblable ; de là de regrettables con-
flits, mais qui n'ont pas de raison d'être. Une con-
clusion certaine, scientifiquement vraie, est chose
réelle, mais assez rare ; seule, la témérité de l'esprit
va jusqu'à regarder comme une certitude scientifi-
que des hypothèses en vogue qui, dépourvues d'une
autorité suffisante, ne sauraient entrer en ligne de
compte avec des données positives* Opposer ces
hypothèses aux vérités de la foi, c'est créer des con-
tradictions apparentes dont la science ne saurait
être rendue responsable. Et du moment qu'elles
heurtent réellement l'enseignement révélé, l'Eglise
déclare qu'elles ne peuvent être qu'une opinion
fausse. En a-t-elle le droit ? Et son intervention,
en pareil cas, ne constitue-t-elle pas une intrusion
abusive dans un domaine qui n'est pas le sien ?
C'est la seconde question que tranche le concile
du Vatican.
2. Droits de l'Eglise
vis-à-vis de la fausse science
Incontestablement, comme l'Eglise du reste se
plaît à le reconnaître, les sciences humaines ont le
droit, chacune dans sa sphère, de s'appuyer sur
leurs propres principes et d'employer des méthodes
appropriées. C'est le droit de la philosophie, de
l'histoire, de toutes les sciences naturelles. Tant
qu'elles restent fidèles à leur méthode, tant qu'elles
ne tentent pas d'incursion dans un domaine qui
n'est pas le leur, le danger semble problématique
352 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'elles en puissent venir un jour ou l'autre à
heurter de front la révélation. Mais il est des ques-
tions qui intéressent la révélation au premier chef
ou qui ont avec elle d'étroits rapports ; ici, la ré-
serve s'impose à elles comme un devoir, et l'Eglise
a le droit de contrôler et déjuger leurs affirmations.
i° C'est un droit que revendique le concile du
Vatican. Il est des philosophes qui prétendent que
l'Eglise n'a aucun droit dans le domaine scientifi-
que ; il est des rationalistes qui ne lui accordent
aucune autorité doctrinale ; il est des semi-rationa-
listes de l'école de Gunther et de Frohschammer
qui prétendent que, si les philosophes chrétiens
sont tenus de respecter son autorité, la philosophie
du moins échappe à son contrôle et que par suite
l'Eglise n'a pas le droit de redresser les erreurs de
la philosophie. Pie IX a condamné ces derniers (i),
et le Syllabus a inséré parmi les propositions con-
damnées les deux suivantes : « Gomme autre
chose est le philosophe et autre chose la philosophie,
le philosophe a le droit et le devoir de se soumettre
à une autorité dont il s'est démontré à lui-même la
légitimité ; mais la philosophie ne peut ni ne doit
se soumettre à aucune autorité. » « L'Eglise non
seulement ne doit, dans aucun cas, sévir contre la
philosophie, mais elle doit tolérer les erreurs de la
philosophie et lui laisser le soin de se corriger elle-
même (2). » Or, le concile du Vatican a condamné
à son tour cette double erreur et a défini que l'Eglise
peut proscrire les assertions des sciences humaines,
sans distinction, qui seraient contraires à la doctrine
révélée ; car il a dit « anathème à qui dirait que les
enseignements humains doivent être donnés avec
1. Denzinger, n. i528, i535. — 2. Syllabus, prop. 10, zi ;
Denzinger, n. 1557, i558.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 353
une telle liberté, que leurs assertions pourraient
être maintenues pour vraies et ne sauraient être
proscrites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient
contre la doctrine révélée (i). » Le droit de l'Eglise
de proscrire toute opinion scientifique contraire aux
données de la révélation est donc désormais une
vérité de foi catholique. Et ce n'est pas seulement
un droit, ajoute le concile, c'est encore un devoir.
2° Ce droit et ce devoir, le concile les fonde sur
l'autorité divine : ils font partie de la mission que
l'Eglise a reçue de Jésus-Christ d'enseigner et de
garder le dépôt de la foi. Pour garder intégralement
le dépôt confié, pour le transmettre dans sa pureté,
l'Eglise, en effet, doit signaler et proscrire tout
sophisme, toute erreur qu'une fausse science serait
tentée de mettre en opposition avec la foi. Gomme
le dit l'apôtre saint Paul,« il faut que nul ne soit
trompé par la philosophie et une vaine sophisti-
que (2). » Les chrétiens doivent être mis en garde
contre les séductions d'une philosophie trompeuse,
toute mondaine et non conforme à la doctrine de
Jésus-Christ ; car c'est là un danger pour la foi,
d'autant plus grand de nos jours que la philosophie
est plus cultivée. Il est des points, en effet, dont
traite la philosophie et qui font en même temps partie
de l'enseignement révélé ; il en est d'autres qui ont
des rapports avec la doctrine chrétienne, et sur les-
quels se prononcent les philosophes sans se préoccu-
per si les solutions qu'ils proposent s'accordent
avec la révélation. A l'Eglise de veiller sur le dépôt
de la foi, non pour repousser systématiquement
toute donnée philosophique, puisqu'il en est de
parfaitement légitimes et de très acceptables, mais
pour empêcher toute immixtion étrangère, dange-
1. Const. Dei Filius., c. iv, can. 2. — a. Col, 11, 8.
LE CATÉCHISME. — T. I. 2}
354 LE CATÉCHISME ROMAIN
reuse ou erronée, intéressant directement la foi. Et
si un tel cas se présente, c'est le droit et le devoir
de l'Eglise, à raison de sa mission divine, de signa-
ler le danger et de condamner l'erreur, pour main-
tenir intact et inviolé l'enseignement divin. C'est un
droit qu'elle a toujours revendiqué, un devoir
qu'elle n'a cessé de remplir depuis son origine,
droit et devoir, que le concile du Vatican a reven-
diqués de la manière la plus expresse.
La véritable science n'a pas à s'offusquer d'une
pareille intervention de l'Eglise ; c'est la fausse
science seule qui est en cause, et uniquement dans ce
qui touche à la foi ; car l'Eglise n'a pas pour mission
de faire de la science pour de la science ; elle ne
s'occupe de la science que dans la mesure où celle-
ci aborde et tranche témérairement des questions,
qui intéressent trop intimement la révélation, et
dans lesquelles elle n'a ni compétence ni garantie.
3. Il arrive parfois que des opinions contraires
aux conclusions théologiques se manifestent et sont
par là même erronées ou téméraires. Vis-à-vis
d'elles, l'Eglise a le droit et le devoir de se prononcer
comme vis-à-vis des opinions hérétiques, et pour
les mêmes raisons. Mais il n'est pas de foi catholique
que l'Eglise possède ce droit ; ce point n'a pas été
tranché par le concile ; le seul point défini, c'est le
droit de l'Eglise pour les cas où la fausse science,
directement opposée à l'enseignement révélé, est
hérétique. Mais les principes invoqués ont toute
leur force vis-à-vis des opinions qui, sans être
hérétiques, sont erronées ou téméraires, parce que,
virtuellement, elles sont contraires à la révélation.
Et tout porte à croire que si le concile avait pu
achever ses travaux, ce point particulier eût été
défini comme l'autre. Quoi qu'il en soit, l'autorité
de l'Eglise s'étend à tout ce qui touche directement
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 355
ou indirectement à la foi, et ce n'est pas seulement
une autorité disciplinaire, c'est aussi une autorité
doctrinale : elle peut proscrire toute opinion con-
traire à une conclusion théologique.
3. Devoirs des catholiques
dans les questions scientifiques
qui appartiennent à la foi
Pas de contradiction possible entre la foi et la
raison, entre la révélation et la science. Toute asser-
tion contraire aux données révélées est fausse :
l'Eglise a le droit et le devoir de les proscrire,
même quand elles se présentent sous le couvert de la
science. De là découlent des conséquences pratiques,
lorsqu'on se croit en présence d'une opposition;
elles sont indiquées par le concile du Vatican.
i° Quelle conduite tenir ? Il faut d'abord penser
que la contradiction signalée n'est qu'apparente.
S'il ne s'agit pas d'une vérité nécessaire de nécessité
de moyen, la plupart des chrétiens peuvent s'en
tenir à un simple acte de foi sans chercher d'où
peut venir cette contradiction apparente. L'obliga-
tion de rechercher à quoi tient cette apparence de
contradiction incombe à ceux qui ont mission d'eu-
seigner les autres. Se garder alors de dire en chaire
ou d'écrire qu'on croit voir une opposition entre
les données de la science et de la foi ; car ce serait
pratiquement mettre les chrétiens en demeure, ou
de rejeter la foi, ou d'abandonner une hypothèse
libre, ou même peut-être une donnée scientifique
vraie ; ce serait une faute de justice et de charité
contre les fidèles faibles ou déjà incrédules, qui
seraient ainsi exposés à de graves tentations ou
confirmés dans leur incrédulité ; ce serait aussi une
faute vis-à-vis des fidèles croyants, qu'on obligerait
356 LE CATÉCHISME ROMAIN
d'abandonner des sentiments que Dieu et l'Eglise
leur laissent la liberté de garder ; ce serait enfin une
faute d'ordre social, soit contre l'Eglise et la religion
chrétienne,, qu'on ferait passer devant l'opinion
publique pour hostiles à la science, soit contre l'es-
prit humain dont on entraverait le progrès légitime.
Ces réflexions de M. Vacant (i) sont fort justes.
2° Quelles sont les causes de ces apparentes opposi-
jions ? Le concile en signale surtout deux : une
altération des données de la foi ou une altération
des données de la science.
L'altération des données de la foi peut être le fait
de ceux qui les comprennent ou les exposent mal,
c'est-à-dire qui ne les comprennent ni ne les expo-
sent suivant la pensée de l'Eglise.» Cela peut avoir
lieu de bonne foi et avec une ignorance invincible,
mais cela peut aussi être imputable soit à l'igno-
rance et aux exagérations de ceux qui exposent la
doctrine chrétienne et à qui on est en droit de se
fier, soit à l'ignorance et à la mauvaise foi des
ennemis de la religion, qui ne prennent pas la peine
de l'étudier ou qui l'altèrent de parti pris. Le public,
évidemment, sera excusable s'il est trompé par
l'enseignement de ses pasteurs ; mais il sera facile-
ment coupable s'il prête une oreille complaisante
aux adversaires de la foi (2).
L'altération des données de la science provient
d'ordinaire de ce que l'on regarde comme une
vérité acquise ce qui n'est qu'une opinion fausse ou
hasardée. C'est le fait d'ennemis résolus de la reli-
gion ou de demi-savants, d'ignorants présomp-
tueux ou même de vrais savants, qui se laissent
séduire par de faux systèmes.
3° Devoirs pour Vapologiste. L'apologiste doit évi-
x. Const. Dei Fllius, t. 11, p. 200. — a. V. Ibid., 1. 11, p. a5i.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 35y
ter deux exagérations contraires. Il doit d'abord
présenter les dogmes de la foi sans les augmenter
ni les diminuer, donner comme certain et obliga-
toire ce qui est certain et obligatoire, et ne point
imposer les opinions librement discutées. En ajou-
tant aux obligations, il forgerait des armes qui
pourraient se retourner contre la religion; en
amoindrissant l'enseignement, il livrerait la doc-
trine, fortifierait la fausse science et discréditerait
ceux qui soutiennent les vrais enseignements de
l'Eglise. Il doit ensuite exposer les données scienti-
fiques sans en exagérer la valeur ou l'importance,
alors même qu'il les estimerait favorables à la doc-
trine catholique ; il ne doit pas s'appuyer sur une
fausse science pour prouver les vérités de la foi ou
pour interpréter l'Ecriture et la tradition, car ce se-
rait altérer les principes de la religion ; il ne doit
pas amoindrir la science et par suite ne pas mé-
priser les véritables découvertes scientifiques, ne
pas rendre responsable surtout la vraie science des
conclusions prématurées et parfois insensées qu'on
lui prête (i).
4° Devoirs pour ceux qui étudient les questions
scientifiques qui touchent à la révélation. Dans ces ques-
tions qui touchent de près à la révélation, il y a,
pour ceux qui s'en occupent, un double devoir : un
devoir négatif, qui est de ne pas soutenir des opi-
pinions contraires à la foi ; un devoir positif, qui
est de regarder ces opinions comme fausses.
Le devoir négatif s'applique à toutes les asser-
tions contraires à la doctrine révélée, dit le canon 2;
aux fausses opinions, qu'on sait être contraires à la
foi divine, dit le chapitre IV de la constitution
Dei Filius ; et cela même de la part de ceux qui les
i. Ibid., p. a5a.
358 LE CATÉCHISME ROMAIN
croiraient scientifiquement fondées. Le devoir posi-
tif, c'est de les tenir pour des erreurs qui se cou-
vrent vainement des apparences de la vérité. Il ne
suffit pas de s'abstenir de les défendre extérieure-
ment et de' garder le silence, il faut les rejeter inté-
rieurement. Faut-il de plus les rejeter et les com-
battre extérieurement ? Le concile ne le dit pas ; ce
serait pourtant un devoir si le silence était suscepti-
ble de passer pour une approbation.
IV. La Foi et la raison se prêtent
une aide mutuelle
Le concile du Vatican complète heureusement
son enseignement sur les relations de la foi et de la
raison, en montrant les services mutuels qu'elles
se rendent et l'attitude que prend l'Eglise vis-à-vis
de la science. Rien de plus instructif et de plus
opportun qu'une telle doctrine, en face des imputa-
tions calomnieuses qu'on ne cesse d'adresser à
l'Eglise et des erreurs qu'on s'obstine à répandre
contre l'enseignement catholique.
« Non seulement, dit le concile, la foi et la rai-
son ne sauraient être en désaccord l'une avec l'au-
tre, mais elles se prêtent encore un secours mutuel.
Car la droite raison démontre les fondements de la
foi, et, éclairée de sa lumière, elle cultive la science
des choses divines ; tandis que la foi délivre et
préserve la raison des erreurs et l'instruit de con-
naissances multiples (i). »
Disons d'abord un mot des services que la raison,
rend à la foi et de ceux que la foi rend à la raison.
x. Const. Dei Filius, c. iv, S 4.
AIDE MUTUETLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 35g
— ' -
1. Services que la raison rend à la foi. —
i° Ce n'est pas sans un motif légitime que le
concile du Vatican a jugé nécessaire de proclamer
la valeur et les droits de la raison. D'une part, en
effet, parmi les incrédules et les protestants, on im-
putait à l'enseignement catholique la prétention de
se substituer à la raison et de se passer complète-
ment d'elle, en imposant la foi au nom de l'auto-
rité. L'imputation est calomnieuse. D'autre part, les
traditionalistes de l'école de Lamennais et les fidéis-
tes de l'école de Bautain réduisaient tellement le rôle
de la raison qu'ils fournirent des arguments aux enne-
mis de l'Eglise ; mais leurs opinions furent prises
à tort comme l'expression de l'enseignement catho-
lique. Traditionalistes et fidéistes accordaient aux
incrédules que la raison ne fournit aucune preuve
certaine, soit des vérités de la religion naturelle,
soit du fait de la révélation ; ils accordaient aux
protestants qu'à la suite du péché originel, la nature
humaine est corrompue dans son fond et qu'elle a
nécessairement besoin du secours de la grâce pour
les actes naturels ; double concession, qui n'était
pas seulement dangereuse, mais qui constituait une
double erreur. C'est pourquoi le concile a proclamé
la valeur et les droits de la raison.
2° La raison, en effet, rend d'importants services
à la foi, soit avant l'acte de foi, en le préparant, soit
après l'acte de foi par la culture des sciences sacrées.
Le premier service rendu, c'est la démonstration des
fondements de la foi, comme nous l'avons déjà indi-
qué dans une leçon précédente ; démonstration pro-
prement dite, partant de principes vrais et abou-
tissant à une conclusion certaine; démonstration
faite par la raison seule, par ses propres lumières.
Et ceci condamne le fidéisme et le traditionalisme.
Parmi ces fondements de la foi, il y a, nous l'avons
36o LE CATÉCHISME ROMAIN
Vu, les vérités de la religion naturelle, notamment
celles qui se rapportent à l'existence de Dieu et à ses
attributs; il y a aussi le fait de la révélation.: véri-
tés et fait que la raison suffit à démontrer ; nous
n'y reviendrons pas. Le concile avait d'abord ensei-
gné que l'existence de la révélation se démontre
avec certitude ; il déclare ici que cette démonstra-
tion certaine est l'œuvre de la raison ; il ne fait que
confirmer l'enseignement déjà formulé contre les fi-
déistes et les traditionalistes par Grégoire XYI et par
Pie IX. Tel est le premier service rendu par la rai-
son à la foi.
3° Voici le second : la raison étudie les vérités
révélées et en fait l'objet d'une science. Cette étude de
la vérité révélée, la raison, il est vrai, ne peut
l'entreprendre, comme le note le concile, que si elle
est éclairée par la lumière de la foi. Après que ces
vérités révélées lui sont connues, la raison fait sur
elles un travail semblable à celui, dont nous avons
parlé plus haut, touchant les mystères ; elle appli-
que la méthode scientifique aux dogmes de la foi.
Le concile ne signale aucun des avantages que cette
étude procure à la raison elle-même, il ne parle que
de ceux que la foi en retire : d'abord celui de mettre
plus complètement les vérités de la foi à la portée
de notre intelligence, ensuite celui de préparer les
définitions dogmatiques, qui éclaircissent, distin-
guent et précisent les données de la révélation. Nous
avons déjà parlé de ces divers services que la
raison rend à la foi dans les leçons précédentes ;
nous ne faisons donc que les signaler ici.
[\° Troisième service : la raison défend la foi. Elle
répond aux difficultés que suscite l'erreur pour
obscurcir la clarté ou infirmer la valeur des vérités
révélées ; elle s'arme pour la lutte et lutte vigoureu-
sement. « La raison ennemie de la foi s'attaque à
AIDE MUTUELLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 36 I
ses établissements ; la raison amie de la foi les sou-
tient et les fortifie par de continuels travaux. La
raison ennemie de la foi cherche à convaincre les
dogmes d'absurdité ; la raison amie de la foi
démontre qu'aucun principe emprunté à l'ordre
physique, moral ou métaphysique, ne peut entamer
la forte structure des propositions révélées. La
raison ennemie de la foi voudrait se donner le
plaisir d'immoler au moins quelque vérité particu-
lière ; la raison amie de la foi démontre que cette
vérité est tellement soudée à toutes les autres, que,
la détruire, c'est compromettre la solidité de l'en-
semble. Ainsi, de tous côtés, la raison est la gar-
dienne, l'homme d'armes, le chevalier défenseur de
la foi (i). »
Démonstration des motifs de crédibilité, étude
scientifique de la vérité révélée ou théologie, défense
éclairée du dogme et de la religion ou apologétique,
tels sont les services rendus à la foi par la raison,
tel est le rôle de l'intelligence humaine auprès de
la foi.
2. Services que la foi rend à la raison. —
Les services que la foi rend à la raison sont beau-
coup plus grands que ceux que la raison rend à la
foi. La foi rend à la raison d'inappréciables services
même dans l'ordre naturel ; quant à ceux de l'ordre
surnaturel, ils dépassent tout ce que l'on peut con-
cevoir.
i°Pie IX, dans son encyclique du 9 novembre i846,
envisageant les services que la foi rend à la raison
dans les matières qui leurs sont communes, c'est à-
dire par rapport aux vérités de la religion na-
1. Monsabré, Introduction au dogme catholiçue, Paris. 1SG6,
t. 1, p. 70.
3Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN
turelle, dit que « la foi délivre la raison de toutes
les erreurs, qu'elle l'éclairé, la confirme et la per-
fectionne merveilleusement par la connaissance des
choses divines (i). » Double secours : un secours
négatif, qui est de la préserver de toutes les erreurs ;
un secours positif, qui est de l'éclairer, de la con-
firmer et de la perfectionner. Cette préservation de
l'erreur n'a lieu que dans les matières formellement
enseignées par la foi, car, dans les autres questions,
la raison peut errer, la foi ne l'en empêche point.
La raison donc, ainsi secourue par la foi, connaît,
sans crainte d'erreur, tout ce qui touche à la reli-
gion naturelle ; elle le connaît d'emblée, ce qui est
un avantage unique. Réduite à ses seules forces elle
arrive à le connaître, mais au prix de combien
d'efforts et avec quelles craintes d'erreur ! L'histoire
de la philosophie est là pour montrer ses défaillances
et ses aberrations ; l'expérience quotidienne est là
pour montrer combien petit est le nombre de ceux
qui ont le temps, le loisir, l'intelligence et la volonté
pour mener à bien une telle étude. C'est une des
raisons que saint Thomas fait valoir de la manière
la plus heureuse pour démontrer la nécessité relative
de la révélation, même pour la connaissance com-
plète et sûre des vérités de la religion naturelle. Avec
l'aide de la foi, rien de plus facile, rien de plus
rapide, rien de plus certain ; la raison sait ce qu'elle
doit savoir, sans crainte d'erreur. Eclairée, elle est
confirmée et perfectionnée par la connaissance des
choses divines. « C'est donc salutairement, dit saint
Thomas, que la divine clémence a pourvu aux
besoins de l'humanité, en nous ordonnant de tenir
par la foi ce que la raison peut connaître naturelle-
ment, afin que tous pussent participer facilement à
i. Denzinger, n. 1^96.
AIDE MUTUELLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 363
la connaissance des choses divines, et cela sans
doute ni erreur (i). »
2° Ce double secours négatif et positif est proclamé
par le concile du Vatican. Mais, au lieu de dire
comme Pie IX que la foi délivre de toutes les erreurs,
il dit simplement qu'elle la préserve des erreurs ;
et au lieu de dire qu'elle perfectionne la raison par
la connaissance des choses divines, il dit qu elle l'ins-
truit de connaissances multiples, sans restreindre cette
connaissance aux seules choses divines. Or, parmi
les erreurs dont la foi préserve la raison, il faut
signaler, dans la science du monde matériel, celles
qui ont trait à la création ; dans la science du
monde humain, celles qui ont trait à la spiritualité
et à la liberté de Fhomme ; et dans la science du
monde métahysique, celles qui ont trait à Fexistence
et aux attributs de Dieu.
D'autre part, la foi enrichit la raison de connais-
sances multiples, tout d'abord dans le domaine des
vérités mixtes, qui sont communes à la religion et
à la science. Et, bien que la foi n'ait pas pour objet
les sciences profanes, en dehors de ces vérités mix-
tes, il en est d'autres encore dont elle enrichit la
raison indirectement. Elle l'aide en confirmant les
principes dont la science a besoin pour ses déduc-
tions, notamment dans les questions morales, socia-
les et métaphysiques ; elle l'aide en l'empêchant de
tomber dans Terreur et en l'engageant ainsi dans le
chemin de la vérité ; c'est dire qu'elle la met à même
de multiplier ses propres connaissances et de s'enri-
chir de découvertes nouvelles.
Ainsi donc si la foi est redevable à la raison des
secours qu'elle en reçoit, la raison n'est pas moins
redevable à la foi des avantages qu'elle lui procure ;
x. Contr. Gent., I, iv, 3.
364 LE CATÉCHISME ROMAIN
— * ™ ■■■■■l ' ■ ■ ■ ■ ii !■■■■ ni ■■ m ii ■!■— ^— ^
entre elles pas d'antinomie, point de désaccord,
mais l'entente la plus fructueuse et un concours des
plus précieux, des plus utiles, des plus nécessaires.
3. Attitude de l'Eglise en face des sciences.
— Le concile du Vatican complète son enseigne-
ment sur les relations entre la foi et la raison, la
révélation et la science, par une déclaration des
plus importantes sur l'attitude de l'Eglise en face
des sciences. On a si souvent méconnu et travesti
cette attitude, on la méconnait encore et on la tra-
vestit d'une manière si odieuse qu'il importe,
puisque l'occasion toute naturelle s'en offre, de
faire connaître celle que l'Eglise a toujours
tenue et entend tenir : rien de plus net que la
doctrine du concile sur ce point délicat.
« Bien loin, dit-il, de mettre obstacle à la culture
des arts et des sciences humaines, l'Eglise la favorise
et la fait progresser de plusieurs manières. Car elle
n'ignore ni ne méprise les avantages qui en résul-
tent pour la vie d'ici-bas. Bien plus elle reconnaît
que, venant de Dieu, le maître des sciences, ces
sciences et ces arts conduisent de même à Dieu,
avec l'aide de sa grâce, si on les cultive comme il
convient. L'Eglise ne défend pas assurément que
chacune de ces sciences se serve, dans sa sphère,
de ses propres principes et de sa propre méthode ;
mais, en reconnaissant cette légitime liberté, elle
veille attentivement à ce qu'elles n'adoptent point
d'erreurs, qui les mettent en opposition avec la
doctrine divine, et à ce qu'elles n'envahissent ni ne
troublent ce qui est du domaine de la foi, après
être sorties des limites de leur propre empire (i), »
Ces quelques lignes justifient pleinement la
i. Const. Dei Filius, c. iv, S 4.
ATTITUDE DE i/eGLISE EN FACE DES SCIENCES 365
conduite de l'Eglise vis-à-vis des arts et de la
science ; c'est une conduite imposée par son rôle di-
vin auprès des âmes. Elle ne met point d'obstacle à
l'épanouissement des arts et des sciences, elle
apporte au contraire à leur légitime exercice un
concours sympathique et efficace. Elle ne professe
pas le moindre mépris à leur endroit, elle estime
au contraire leur utilité pratique, tant au point de
vue temporel qu'au point de vue spirituel. Toute-
fois, en reconnaissant leur légitimité et le droit qu'ils
ont de se servir de leurs principes et de leurs
méthodes propres, elle revendique le droit néces-
saire, en ce qui touche au domaine de la foi, qui
est le sien, de sauvegarder le dépôt de la vérité qui
lui a été confié, de signaler et de condamner toute
erreur contraire à l'enseignement divin, d'empê-
cher toute tentative étrangère à leur objet, toute
intrusion illégitime dans le domaine religieux. Ces
divers points de vue demanderaient d'amples dé-
veloppements : nous ne pouvons que les indiquer
d'un mot rapide et bref.
1° Point d'obstacle mais concours sympathi-
que et efficace. — L'Eglise, comme en témoigne
l'histoire, loin de mettre un obstacle quelconque à la
culture des arts et des sciences, la favorise de la façon
la plus efficace. Par la foi qu'elle fait régner, elle ne
cessede pénétrer l'opinion, les mœurs et les institu-
tions des principes salutaires et féconds de la révéla-
tion, elle sert ainsi d'auxiliaire à la science, en la
préservant d'erreurs funestes, en lui assurant un
milieu favorable. Les individus, la société, les géné-
rations qui se succèdent bénéficient de cette action
salutaire de l'Eglise. En l'affirmant, le concile du
Vatican ne fait que constater un fait historique indé-
niable. Léon XIII, dans son Encyclique Libertas
366 LE CATÉCHISME ROMAIN
du 20 juin 1888, a lumineusement exposé ce fait
d'histoire et démontré l'heureuse influence de
l'Eglise dans toutes les branches du savoir.
L'Eglise ne se contente pas de favoriser les arts
et les sciences', elle leur apporte son concours efficace,
elle contribue directement à leur progrès. Léon XIII
en donne trois preuves : a En fait, dit-il, on doit à
l'Eglise ces bienfaits assurément considérables,
qu'elle a glorieusement conservé les monuments de
la sagesse antique ; qu'elle a ouvert en divers lieux
des résidences à la science ; qu'elle a toujours
excité la marche des intelligences, en entretenant
avec le plus grand zèle les arts qui donnent le plus
de relief à la civilisation moderne. » Yoilà trois
grands services : l'Eglise a conservé les monuments
du passé ; l'Eglise a fondé des institutions destinées
à l'étude ; l'Eglise a été l'inspiratrice zélée des
arts. On peut en ajouter une quatrième ; l'Eglise a
produit une pléiade de savants et d'érudits. Chacun
de ces points demanderait des volumes pour être
illustré comme il convient.
Ce rôle si important s'explique aisément par
deux raisons, c'est que l'Eglise regarde les sciences
comme bonnes, louables et désirables en soi, comme
très utiles et fort avantageuses, soit pour réaliser sa
mission divine auprès des hommes, soit pour
défendre et développer son propre enseignement.
Même vis-à-vis des sciences qui n'ont pas de rapport
immédiat avec la révélation, l'Eglise désire qu'on
les cultive et les fait cultiver, parce que toute
science, née de la droite raison et conforme à la
vérité, peut concourir à la glorification de la vérité
révélée, comme s'exprime Léon XIII. Elle s'intéresse
surtout à celles qui ont des points de contact avec
l'enseignement chrétien, comme les sciences philo-
sophiques, morales, historiques, philologiques, etc.
ATTITUDE DE L'EGLISE EN FACE DES SCIENCES 36 7
Elle en impose l'étude à ses prêtres pour les armer
contre les objections de la sophistique.
2° Point de mépris, mais estime de leur utilité.
— C'est l'objection sans cesse mise en avant contre
l'Eglise : on l'accuse d'enseigner et de professer le
mépris des choses de ce monde, de se désintéresser
du mouvement scientifique qui s'accuse avec tant
de vigueur et compte tant de succès. Elle a tort,
assure-t-on, de prêcher le renoncement, de regarder
la terre comme un lieu d'exil et de passage, de
placer au delà de la tombe le seul bonheur qui
puisse satisfaire le cœur de l'homme, de ne point
marcher avec le siècle. C'est le reproche bien connu
de l'obscurantisme. L'Eglise, ennemie du progrès I
Tel est le dernier mot des ennemis du Catholicisme.
Nous venons de voir ce qu'il faut en penser. Mais
il convient d'y répondre avec le concile du Vatican.
Que déclare donc le concile ? Deux choses : la
première, c'est que l'Eglise ne méprise nullement
les avantages temporels qui résultent de la culture
des arts et des sciences pour la vie terrestre ; la
seconde, c'est qu'elle estime que les arts et les
sciences, venant de Dieu, peuvent conduire à Dieu.
Il n'y a guère que la mauvaise foi et le parti pris
pour soutenir que le renoncement chrétien soit un
mépris et un désintéressement absolu de ce qui se
passe ici-bas. La vie chrétienne n'anéantit pas la vie
naturelle ; elle la suppose, au contraire, elle s'y
appuie, non pour s'y renfermer, mais pour la
dépasser, car elle y ajoute la pratique des comman-
dements divins et souvent celle des conseils évangé-
liques. Loin donc de paralyser l'activité naturelle,
elle la stimule de la façon la plus heureuse ; et Ton
a pu dire avec raison qu'il n'y a de véritablement
homme que le chrétien, de véritablement chrétien
368 LE CATÉCHISME ROMAIN
que le catholique, tant la foi pousse à son dévelop-
pement parfait tout ce qui constitue la nature
humaine.
De plus si les sciences viennent de Dieu, comme
tous les dons naturels, puisque c'est de Dieu que
l'homme tient son intelligence, sa lumière et sa
force, elles conduisent aussi à Dieu. Dieu, le maître
des sciences, est leur source première et leur fin
dernière. Il se peut que les sciences méconnaissent
leur origine et leur destinée ; il se peut aussi qu'elles
s'en souviennent. En tout cas, elles sont à même
de conduire à Dieu celui qui les cultive. Et elles y
conduisent effectivement, comme dit le concile du
Vatican, si elles sont cultivées comme il convient,
c'est-à-dire sans préjugés antireligieux, sans parti
pris, loyalement, logiquement, et non avecledédain
de l'indifférence religieuse, avec l'obstination du
rationalisme à courte vue, avec le fanatisme de
l'hérésie ou de l'impiété. Elles y conduisent avec le
secours de la grâce, comme l'enseigne le concile.
Et c'est par là que leur utilité temporelle se double
d'un avantage spirituel, ce qui justifie amplement
l'estime qu'en professe l'Eglise catholique.
3° Point d'hostilités, mais surveillance néces-
saire. — Par l'estime qu'elle professe pour l'utilité
des sciences, comme aussi par le concours sympathi-
que et efficace qu'elle leur porte, l'Eglise montre
bien qu'elle n'est pas l'ennemie qu'on imagine dans
certains milieux, toujours prête à fulminer l'ana-
thème. Rationalistes et semi-rationalistes ont raison
de réclamer pour la science le droit d'agir en toute
liberté dans son domaine, avec des principes et des
méthodes propres ; c'est, du reste, un droit légitime
que l'Eglise se plaît à reconnaître et à procla-
mer la première ; mais ils ont tort, après avoir
ATTITUDE DE L'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES 869
réclamé leur indépendance ou leur autonomie, de
se refuser à admettre toute vérité qu'ils ne se seraient
pas démontrée ou qui leur serait imposée du dehors,
parce qu'ils n'ont pas le monopole de la vérité. Et
Dieu a bien quelque droit à l'audience de l'homme.
Ils ont tort également, en franchissant leur sphère
propre, de tenter quelque excursion dans le domaine
de la foi, dont les principes et la méthode diffèrent
des principes et de la méthode des sciences natu-
relles. Ils ont tort surtout, dans les questions mixtes
qui appartiennent à la fois au domaine naturel et à
la révélation, d'adopter des opinions ou de soutenir
des thèses en contradiction avec les données révélées.
Les sciences ont droit à la liberté, chez elles et
entre elles : l'Eglise n'intervient pas. Qu'elles fassent
d'heureuses découvertes ou qu'elles commettent
des erreurs, l'Eglise loue les premières, mais ne se
prononce pas sur les secondes, parce qu'elles
sont étrangères à son enseignement. L'Eglise n'o-
blige pas les sciences à user des principes révélés
et de sa propre méthode dans leur domaine respec-
tif, mais elle ne saurait tolérer de leur part ni des
affirmations contraires aux siennes sur le terrain de
la foi, ni une intrusion illégitime dans son propre
domaine. Par suite, aux yeux de l'Eglise, la liberté
des sciences se trouve limitée par rapport à la foi.
Dans les questions mixtes, telles par exemple que
l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme, la liberté
humaine et tout ce qui constitue la religion natu-
relle, la science n'a pas le droit d'affirmer ou de
souten> quelque chose qui heurte l'enseignement
révélé. Encore moins a-t-elle celui de sortir de son
domaine pour envahir celui de la foi : c'est là un
abus, une violation de territoire, toujours un danger,
presque toujours une source de troubles et d'er-
reurs : l'Eglise ne saurait le tolérer ; et c'est pour
iE CATÉCHISME. — X. X, 24 l
37O LE CATECHISME ROMAIN
quoi si elle veille attentivement, ainsi que s'exprime
le concile du Vatican, à ce que la science n'adopte
point d'erreurs, qui la mettent en opposition avec
la doctrine révélée, elle ne veille pas moins attenti-
vement à ce que la science ne sorte des limites de
son propre empire pour envahir et troubler ce qui
est du domaine de la foi.
1. Y a-t-il incompatibilité entre le chrétien et le
savant ? — « S'il est vrai que la méthode scientifique
moderne est basée sur le principe de la libre recherche,
il est vrai aussi que ce n'est pas d'une absurde licence
mais d'une liberté rationnelle qu'elle entend jouir. Ne
doit-elle pas respecter les lois éternelles du bon sens et de
la logique ? Est-ce que c'est dans le monde de l'imagina-
tion et des rêves, aussi bien que dans celui de la réalité et
de la vérité, qu'elle entend diriger ses investigations ? Sa
liberté de recherche est donc évidemment limitée, sans
qu'elle cesse pour cela d'être vraiment scientifique au
sens moderne du mot. Et par quoi est-elle limitée ? Il
faut bien le reconnaître, par l'œuvre de Dieu, par cette
première révélation qu'il a faite de lui-même par la
création du monde et de l'homme. Mais si le respect de
cette première révélation n'empêche nullement la mé-
thode moderne d'être libre et scientifique, comment la
seconde révélation divine, conservée et expliquée par
l'Eglise, ruinerait-elle davantage son caractère de science
et de liberté ? Dieu, quand il parle, est-il moins le Dieu
des sciences que lorsqu'il crée ? Le respect de la religion
positive n'est donc pas plus antiscientifîque que le respect
delà religion naturelle. Jamais, quoi qu'on dise et quoi
qu'on fasse, on ne pourra ébranler ce droit que Dieu, la
vérité, la réalité, ont au respect de toute science qui veut
se respecter elle-même.
« Quand donc la foi prévient le savant qu'il existe, sur le
sujet de ses études, des dogmes révélés, des définitions
ou des condamnations portées par l'Eglise, il doit s'en
préoccuper comme le pilote se préoccupe des signaux
que lui donne le phare allumé au milieu des écueils. La
ATTITUDE DE l'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES 3^1
liberté de la science et de la recherche scientifique en
est-elle diminuée ? Aucunement, à moins qu'on ne sou-
tienne, ce qui est absolument insoutenable, qu'il est
essentiel à la science de pouvoir errer à l'occasion, et qu'il
est antiscientifique de l'en empêcher ; autant vaudrait
dire qu'il est inhumain d'empêcher un homme de se
jeter dans un abîme, en entourant celui-ci d'un garde-
fou. Ainsi se trouve résolue la question de la liberté des
philosophes et des historiens, relativement à la foi : ils
ne peuvent jamais s'arroger le droit d'y contredire, et de
philosopher ou d'écrire l'histoire sans égards pour l'en-
seignement de l'Eglise. La condition des savants propre-
ment dits, de ceux qui cultivent les sciences expérimen-
tales ou exactes, est plus favorable encore, si l'on peut
s'exprimer ainsi, à cause du manque ou de la rareté des
documents surnaturels relatifs à leurs travaux. Il est très
peu de points de contact, en effet, entre ces sciences et la
foi, tant que celles-là se confinent dans leur domaine et
n'essaient pas d'empiéter sur celle-ci. Un algébriste, par
exemple, ou un botaniste, sait d'avance qu'il ne rencon-
trera dans ses études aucune question théologique, à
^moins qu'il ne s'aventure dans]certaines questions philoso-
phiques qui ne sont pas précisément de son ressort. Il a
donc toute liberté, toute indépendance dans ses recher-
ches.» J. Didiot, La Foi, dans le Dictionnaire apologéti-
que deJaugey, Paris, 1889, col. 1191-1293.
2. Les relations entre la foi et la raison. — Sous
ce titre, M. de Broglie se posait la question suivante :
Faut-il abdiquer sa raison pour croire ? L'ignorance ou
l'absence de logique sont-elles des conditions nécessaires
ipour posséder des convictions fondées sur la foi ? Il in-
diquait les deux préjugés, les deux opinions considérées
comme des axiomes incontestables et incontestés dans
tune grande partie du public éclairé.
| L'un de ces préjugés consiste à soutenir qu'il y a
^opposition complète, contradiction absolue entre la science,
œuvre de la raison, et les doctrines enseignées par l'Eglise
au nom de la Foi. C'est Taine, en particulier, qui a pré-
tendu qu'une telle opposition empêche qu'on puisse être
3-2 LE CATÉCHISME ROMAIN
à la fois croyant et savant. Si, en fait, l'union de la science
et de la foi existe chez quelques savants, c'est, prétend-il,
ou une illusion ou un manque de loyauté, parce que,
pour réaliser un tel accord, il faut ou « construire entre
des doctrines opposées des ponts fragiles, » ou établir
dans le cerveau, entre les courants contraires de la science
et de la foi « une sorte de cloison étanche. » Ce qui
revient à dire que tout homme, à la foisjcroyant et savant,
porterait en lui-même une contradiction irréductible.
Le second préjugé, aussi radical dans ses conséquen-
ces, consiste à prétendre que la science et la foi sont,
non pas opposées, mais absolument étrangères l'une à
l'autre, se mouvant dans des plans différents sans
jamais pouvoir se rencontrer, différant d'objet, de prin-
cipes, de méthode.
La conséquence du premier préjugé est la destruction
de toute croyance religieuse : la foi, étant contraire à la
raison, doit périr. La conséquence du second, c'est l'in-
différence religieuse et la relativité de toutes les croyan-
ces ; tout ce qui regarde la destinée de l'homme, tous les
principes de la morale, n'étant pas fixés par la science,
qui n'atteint que le monde expérimental, se trouvent
livrés au hasard de la tradition, aux élans incertains et
contradictoires de l'enthousiasme, à l'influence variable
des passions ou au caprice de la volonté.
A ce double préjugé, M. de Broglie oppose la vraie
doctrine sur les relations entre la raison et la foi, telle
que nous l'avons donnée, en résumant les enseigne-
ments du concile du Vatican.
Mais, en dehors de ce double préjugé, il existe une
double erreur : l'une, qui règne en France et dans les
pays catholiques, qu'il appelle rationalisme par négation
ou par séparation, parce qu'elle prétend exclure de la
connaissance humaine le principe de la foi et les doctri-
nes qui en découlent ; l'autre, qui règne surtout dans les
pays protestants, mais qui a été importée en France, et
qu'il appelle rationalisme par absorption on par extension
du domaine de la raison au delà de ses limites. Par
contre, le fidéisme met en question l'autorité de la raison,
ATTITUDE DE L'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES Z^
lui refuse le droit et le pouvoir de prouver l'existence de
Dieu et d'éclairer aucunement l'homme sur sa destinée.
Rationalisme et fidéisme sont également condamnés,
comme nous venons de le dire clans cette leçon.
M. de Broglie étudie par l'histoire les relations de la
foi et de la raison. Dans l'antiquité la question ne se
posait pas au sens où nous sommes accoutumés à l'en-
tendre, dit le P. Largent, dans la préface. « Elle ne surgit
tout entière que le jour où, en présence de doctrines et
de cultes rivaux, le christianisme affirma son droit sou-
verain à la possession de la vérité religieuse et à la direc-
tion des âmes. Les apologistes s'attachèrent à établir ce
droit... Des conflits entre la raison et la religion seront
provoqués jusqu'à la fin par les préventions, par l'igno-
rance, par l'orgueil ; ils l'ont été quelquefois par les
insuffisances d'une théologie étroite, par les intempé-
rances d'une apologétique qui imposait à la pensée et à
la science humaine plus qu'on n'avait droit d'exiger. 11
n'en demeure pas moins que l'accord entre la raison et la
foi est possible, qu'il est nécessaire, qu'il tient à la nature
même des choses, et que le contester, c'est s'inscrire
contre la leçon des faits, consciencieusement interrogés, et
contre le formel enseignement de l'Eglise. » C'est la
démonstration érudite qu'en donne M. de Broglie dans
les conférences de 1894, parues d'abord dans les Annales
de philosophie chrétienne, avril, juin, août 1894 et janvier
1895, et publiées par le P. Largent dans la collection
(( Science et religion », sous ce titre : Les relations entre
la foi et la raison, exposé historique, 4° édit., Paris, 1904.
Article Premier
Je crois en Dieu
En Dieu
Leçon Xe
Existence de Dieu
Peut-elle se prouver par la raison ? — I. Erreurs»
— IL Enseignement du Catéchisme romain, —
III. Définition du Concile du Vatican, —
IV. Puissance de la raison,
I. Erreurs
Au seuil même de ces études (i), et en face de
la première et de la plus importante des
vérités, nous sommes obligés de constater
combien la marche de l'homme est incertaine et
i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. theol, I, Q. n,
a. i, 2 ; Q. xn ; Franzelin, De Deo uno, 2e édit., Rome, 1876;
Vacant, La Constitution Dei Filius, Paris, 1895, t. 1 ; de Mar-
gerie, Théodicée, 3e édit., Paris, 1874, t. 1, ch. 1-111; Farges,
L'idée de Dieu, Paris, 1894 ; Janssens, De Deo uno, Rome, 1899;
Pesch, De Deo uno, Fribourg-en-Brisgau, 1890; Tepe, De Deo
uno, Paris, 1895 ; Billot, De Deo uno, Rome, 1897 ; Scheeben,
ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 375
m* — — — ' »
combien sa pensée est hésitante. Il semble cepen-
dant que c'est surtout à propos de l'existence de
Dieu que la certitude devrait régner et l'accord
être universel. Mais il n'en est rien, et les esprits se
partagent en deux camps opposés. Pour les uns,
l'existence de Dieu ne saurait faire l'objet d'un
doute, c'est une vérité en quelque sorte évidente,
immédiate, innée, nécessaire et indéniable ; pour les
autres, elle est inaccessible aux lumières de la raison,
elle ne peut pas se démontrer, elle est un objet de
foi. Que penser d'une telle discordance?
i. Bien que, selon la parole de saint Paul, nous
ayons en Dieu la vie, le mouvement et l'être, l'exis-
tence de Dieu ne tombe pas directement sous nos
sens ; notre raison ne la saisit pas d'une manière
immédiate. Nous avons, il est vrai, naturellement
gravée dans notre âme, une certaine connaissance
de Dieu, en tant qu'il est la félicité de l'homme ;
car nous désirons naturellement le bonheur, et
tout ce que nous désirons naturellement, fait obser-
ver saint Thomas, nous le connaissons de même.
Mais ce n'est là qu'une connaissance vague et
confuse, non une connaissance vraie, puisque les
hommes s'abusent jusqu'au point de placer le
bonheur, pour lequel ils sont faits, là où il n'est
pas, par exemple dans les richesses ou dans la
volupté.
2. Gela n'a pas empêché pourtant certains philo-
sophes de regarder l'idée de Dieu comme une idée
innée, résultant de la vue que Dieu nous donnerait
de sa propre essence ; Vonlologisme n'est autre chose,
en effet, que la théorie de la vision naturelle de
La Dogmatique, trad., Paris, 1880; J. Souben, Nouvelle théolo-
gie dogmatique. — 1. Dieu dans l'histoire et la Révélation,
Paris, 1902»
376 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'Etre divin ; il dérive directement de la théorie de
Descartes sur les idées innées, mais il a pris quatre
formes principales, la forme de Y ontologisme pan-
théiste avec Spinoza, de V ontologisme absolu avec
Malebranche et Gioberti, de Yontologisme modéré
avec Ubaghs, de Yontologisme idéaliste avec Rosmini.
Plus près de nous, mais sans être inféodés à l'on-
tologisme proprement dit, quelques philosophes
français ont prétendu posséder une notion expéri-
mentale de l'Infini. Pour Saisset (f i863), Dieu est
une vérité d'intuition (1). Secrétan (f i8g5) disait:
« Suivant mon intime conviction, Dieu est un objet
d'expérience. Je n'entends pas d'une expérience que
chacun ait faite, je parle seulement d'une expérience
que chacun peut faire s'il le veut. »
Sans entrer dans l'examen d'une telle manière de
voir, disons seulement qu'une telle expérience ne
peut servir de preuve valable pour ceux qui ne l'ont
pas faite ou qui nient de bonne foi l'avoir faite ; et
ajoutons que l'Eglise a condamné le principe même
de l'ontologisme (2), l'ontologisme absolu (3), et
que l'ontologisme modéré reste suspect et dange-
reux (4).
3. Se plaçant à un point de vue bien différent,
les fidéistes estiment que nous connaissons Dieu,
mais ils soutiennent que ce n'est pas à la raison,
mais à la foi, que nous sommes redevables d'une
telle connaissance. Car, à leurs yeux, la raison, par
ses seules lumières, est incapable de nous faire
connaître les vérités religieuses ou morales de l'ordre
naturel, elle a nécessairement besoin de la révélation
qui lui manifeste ces vérités et lui en garantit la
certitude. Si donc l'homme possède une certitude
1. Philosophie religieuse, t. 11, p. 2o5, sq. — 2. Denzinger,
n. 4o3. — 3. Ibid.,n. i5i6-i522. — 4. Kleutgen, L'ontologisme ;
Lepidi, Examen philsophico-theologicum de ontologismo.
ERREURS SUR L'EXISTENCE DE DIEU 877
vraie des principes rationnels, c'est à la foi qu'il le
doit. Théorie erronée, qui ne méconnaît pas seule-
ment le pouvoir de la raison, mais qui déclare
absolument nécessaire la révélation et qui confond
la science avec la foi. Déjà, au xive siècle, Nicolas
d'Oultricourt professait qu'en dehors de la certitude
de la foi il n'y en a pas d'autre, sauf celle de ce
premier principe : S'il y a quelque chose, il y a
quelque chose. Ses propositions furent condamnées
par le Saint-Siège et révoquées, en i438, devant la
faculté de Paris (i). Les théories protestantes sur la
justification impliquent l'erreur fidéiste. Baïus n'y
est pas étranger. Au xvue siècle, Huet a eu le tort de
croire que la foi divine seule permet d'arriver à la
vérité avec une entière certitude. Et tout récemment
encore, sous l'influence avouée de Pascal et de Kant,
mais aussi par un reste de fidéisme subtil, M. Bru-
netière écrivait : « Je persiste à penser que l'on ne
démontre ni l'immortalité de lame ni l'existence
de Dieu. C'était l'opinion de Pascal, c'était égale-
ment l'opinion de Kant ; et j'ai bien le droit de me
« tromper » avec eux !... Je ne tiens pour preuves
de l'existence de Dieu ni celles que l'on tire de
l'arrangement et de l'ordre du monde ; ni celles que
l'on tire de l'idée du parfait ou de l'infini, dont
l'essence impliquerait l'existence ; ni celles enfin
que l'on tire de la présence en nous de la loi mo-
rale... Ceux qui les trouvent démonstratives ne font
pas attention qu'elles impliquent toutes un Dieu
« sensible au cœur » et affirmé par lui avant que
d'être, je ne dis pas démontré par le raisonnement,
mais seulement conçu par la raison. Ou, en d'autres
termes, on connaît déjà Dieu quand on essaie de
mettre son existence en preuve, et j'estime, pour
1. Denzinger, n. 457-463.
378 LE CATÉCHISME ROMAIN
ma part, qu'aucune preuve ne le crée dans les cœurs
qui ne le sentent pas (1). »
[\. A la suite de certaines théories philosophiques»
telles que celle des idées innées de Descartes, de la
table rase 'des sensualistes, des rapports du langage
et de la pensée de Locke, et en partie sous leur
influence, se formula, en France, la doctrine tradi- '
tionaliste. De Maistre, dans ses Soirées, avait sou-
tenu que certaines idées, surtout de l'ordre moral,
renferment un élément nécessaire qui ne saurait
provenir d'une source bornée et contingente et que
le langage n'a pu être inventé par l'homme. De
Bonald, partant de ce principe que l'homme pense
sa parole avant de parler sa pensée et que les mots
engendrent les idées, réclamait comme absolument
indispensable l'intervention de la révélation primi-
tive pour assurer à l'homme la somme des vérités
nécessaires et la garantie divine de leur certitude.
De Lamennais faisait dériver, lui aussi, d'une révé-
lation primitive la certitude des vérités rationnelles.
Il regardait la raison individuelle comme incapa-
ble d'atteindre seule à la vérité avec certitude. En
revanche, le privilège de notifier et de certifier à
l'homme les vérités indispensables de la croyance»
il l'attribuait au sens commun, dûment appuyé sur
une tradition qui remontait jusqu'à Dieu tout comme
le langage. Moins systématique, mais non moins
traditionaliste, Bonetty écrivait : « Dieu et ses attri-
buts, l'homme, son origine, sa fin, ses devoirs, les
règles de la société civile et de la société domesti-
que : voilà les vérités que nous ne croyons pas que
la philosophie ait trouvées ou inventées sans le se-
cours de la tradition et de l'enseignement (2). » Le
1 . La science et la religion, 12e mille, Paris, 1895, p. 60-61.
— 2. Annales de Philos, chrét., i853, iv9 série, t. vin, p. 374.
ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU $7$
P. Ventura mitigea le système. Il admettait bien
que c'est à une révélation primitive, transmise au
genre humain par la parole, que l'homme doit la
connaissance de Dieu, de l'immortalité de l'âme et
des principes de la morale, mais il soutenait que
cette connaissance une fois acquise, notre esprit est
à même de la démontrer, de la défendre et de la (,
développer. Ubaghs unit le traditionalisme à l'onto-
logisme, et Bautain, tout en accordant moins d'im-
portance au langage et à la tradition, se crut autorisé
par des considérations psychologiques à mettre le fon-
dement de la certitude dans la foi ou la parole de Dieu.
De telles théories, quelque séduisantes qu'elles
aient pu paraître, n'en constituaient pas moins des
erreurs aussi graves que dangereuses. C'était insis-
ter outre mesure sur l'incapacité de la raison,
réduite presque à une impuissance radicale ; c'était
méconnaître la nature de la révélation primitive et
confondre sa nécessité morale avec sa nécessité ab-
solue ; c'était enfin exagérer le rôle de la tradition,
du langage et de l'enseignement qui servent bien à
communiquer la connaissance de Dieu, à la faciliter
et à la généraliser, mais qui, en définitive, ne sont
pas des moyens absolument indispensables. Rien
d'étonnant dès lors que l'Eglise, jalouse des droits
de la raison comme des intérêts de la foi, soit in-
tervenue. Ses avertissements d'abord, ses condam-
nations ensuite ont dû faire justice de pareilles
erreurs qui méconnaissaient la puissance de la rai-
son humaine et qui mettaient en péril l'intégrité et
la pureté de la foi (i).
i. Voir dans Denzinger : les propositions de Nicolas d'Oulti-
court, n. 457-467 ; la condamnation de Lamennais par Gré-
goire XVI, en i834, n. 1476 ; les propositions souscrites par
l'abbé Bautain, en i835 et 1860, n. i488-i4g3 ; les quatre thè-
ses imposées à Bonnetty, en i855, n. i5o5-i5o8.
380 LE CATÉCHISME ROMAIN
5. Un prêtre allemand, mort en i83i, Hermès,
s'était flatté de ruiner le crédit de la philosoplie de
Kant et subit la secrète influence de ce philosophe.
Ses idées eurent un certain succès en Allemagne.
Il n'admettait pas d'autre preuve de l'existence de
Dieu que l'argument tiré par la raison spéculative
de la nécessité d'une cause première, seule capable
d'expliquer l'existence des êtres contingents ; il
repoussait la preuve tirée de l'ordre du monde,
parce que cet ordre pourrait être à la rigueur l'effet
du hasard ; il repoussait également celle qui est
fondée sur l'idée du devoir, parce que la raison
du devoir étant la dignité de l'homme, il n'est
pas nécessaire que Dieu existe pour que l'homme
soit tenu de se respecter et de remplir ses obli-
gations. Etendant sa théorie, Hermès prétendait
que la raison ne peut démontrer que Dieu diffère
d'une substance immuable, qui ferait partie du
monde, tout en restant séparée des phénomènes
dont le monde est le théâtre ; ni que Dieu est un
esprit pur, ni que ses attributs sont infinis, ni que
sa science s'étend à d'autres objets que les créatu-
res, ni que sa sainteté est sans limites ; ce sont
là, estimait-il, autant de vérités que la Révéla-
tion seule nous fait connaître. L'Hermésianisme,
légitimement suspect d'hétérodoxie, fut condamné
par l'Eglise (i).
6. En dehors de l'Eglise, parmi les incrédules,
une théorie s'est fait jour peu à peu, qui dénie à la
raison le droit de s'occuper de l'existence de Dieu
et le pouvoir de la démontrer. En effet, au regard
des positivistes, Dieu ne saurait être objet de connais-
sance positive. Par sa définition même il est
transcendant, et, dès lors, inaccessible à la raison, en
i. Denzinger, n. i486, 1^87.
ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 38 1
dehors ou au-dessus des prises de la science, de la
méthode expérimentale et du contrôle rigoureux
qui s'impose désormais en matière scientifique.
Aussi traitent-ils les preuves de l'existence de Dieu
de chimériques, de caduques, d'incapables d'engen-
drer la certitude. Ils partent d'hypothèses fausses, à
savoir qu'il n'y a que ce qui tombe sous les sens
qui puisse être matière de science, que la seule mé-
thode rationnelle qui convienne à l'esprit c'est la
méthode expérimentale, et que Dieu, si tant est qu'il
existe, appartient en tout cas au domaine de l'incon-
naissable. Ce congé donné à Dieu est impertinent ;
la réduction de toute connaissance à une connais-
sance d'ordre purement sensible méconnaît de parti
pris la puissance de la raison et mutile l'intelligence
humaine.
C'était déjà la pensée de Hume (f 1716) (1). Ce
fut aussi celle de Comte et de Stuart Mill (f 1873) (2).
Mais les disciples de Comte se sont séparés sur le
terrain de la théologie naturelle. Dans l'école fran-
çaise, Littré (j* 1881) disait : « Il ne faut pas consi-
dérer le philosophe positif comme si, traitant uni-
quement des causes secondes, il laissait libre de
penser ce qu'on veut des causes premières. Non, il
ne laisse là-dessus aucune liberté. »
7. Dans l'école anglaise, H. Spencer (f 1903)
enseigna qu'au delà de la sphère du connaissable
s'étend la région de Y inconnaissable, région inac-
cesible et mystérieuse, avec laquelle on ne peut
entrer en contact que par le sentiment religieux,
sans prétendre le comprendre ou le définir : c'est
Y agnosticisme (3). Mais cet inconnaissable existe.
1. Essai sur V entendement humain, vu" Essai. — 2. Logique,
liv. m, en. 5. — 3. Les premiers principes, trad. Guymiot,
Paris, 1902.
382 LE CATÉCHISME ROMAIN
« Par derrière toutes les apparences matérielles qui
frappent nos sens et que les sciences étudient, ap-
parences fugitives et contradictoires qui posent à
notre raison de plus difficiles problèmes qu'elle n'en
peut résoudre, il existe une réalité profonde, plus
proche de l'esprit que de la matière, mais, dans son
essence ultime, inconnue et inconnaissable. C'est
cette réalité substantielle que les religions nom-
ment Dieu. Les religions ont le droit d'affirmer son
existence, et les sciences ont le tort de la nier. Mais
les religions ont tort de prétendre connaître et défi-
nir les attributs de Dieu ; tout ce que nous pouvons
dire de lui, c'est qu'il existe et non quel il existe.
La religion et la science seront d'accord le jour où,
chacune se renfermant dans son domaine propre,
la science cessera d'expliquer les faits positifs par
des entités métaphysiques inconnaissables, et lareli-
gion cessera de donner à l'essence métaphysique de
Dieu des attributs physiques contradictoires : adorer
et se taire est le tout de l'âme religieuse (i). »
IL L'enseignement du Catéchisme
romain
Voici en quels termes s'exprime le Catéchisme
romain sur l'existence de Dieu (2) :
« Ces paroles (en Dieu), font connaître quelle est
l'excellence et la dignité de la sagesse chrétienne, et
combien nous sommes redevables à la bonté divine,
qui nous a élevés par les vérités de la foi, comme
par autant de degrés, à la connaissance de l'objet
le plus parfait et le plus désirable. Il y a, en effet,
1. Thouverez, H. Spencer, Paris, 1905, p. 3a, dans la collec-
tion Science et Religion. — 2. Cat. rom.t I. a. 1, vi-ix.
l'existence de dieu d'après le catéchisme 383
une différence considérable entre la philosophie
chrétienne et la sagesse du siècle. L'une, guidée
seulement par la lumière naturelle, s'élève peu à
peu, à l'aide des effets et des choses sensibles, et
ne parvient enfin qu'après de longs travaux à con-
templer les choses invisibles de Dieu, à reconnaître et
à comprendre la cause et l'auteur de ce qui existe.
L'autre, au contraire, perfectionne tellement la
pénétration naturelle de l'esprit humain, qu'il peut
aisément s'élever jusqu'au ciel où, environné d'une
splendeur céleste, il contemple d'abord la source
éternelle de toute lumière, et ensuite toutes les
choses créées. C'est alors que nous connaissons par
expérience et avec une joie infinie de notre âme
que nous avons élé appelés des ténèbres à une lumière
admirable, comme dit le prince des apôtres (i), et
que notre foi nous cause un ravissement ineffable (2).
u C'est donc avec raison que les fidèles professent
d'abord qu'ils croient en Dieu, dont la majesté ',
suivant Jérémie, est incompréhensible (3) ; qui habite,
dit l'apôtre, une lumière inaccessible, qu'aucun des
hommes na vue ni ne peut voir (4), que nul homme ne
pourra voir sans mourir, comme il le dit lui-même à
Moïse (5). En effet, pour aller jusqu'à Dieu, qui est
au-dessus de toutes choses, notre esprit aurait besoin
d'être entièremenl dégagé des choses sensibles ;
mais cela ne lui est naturellement pas possible dans
cette vie.
« Cependant Dieu ne s'est pas laissé lui-même sans
témoignage, dit l'apôtre, car c'est lui qui fait le bien
aux hommes ; il dispense les pluies et les saisons favo-
rables ; il nous donne la nourriture avec abondance et
il remplit nos cœurs de joie (6). Aussi les philosophes
1. I Petr., 11, 9. — 2. I Petr., 1, 8. — 3. Jerem., xxxn, 19.
— 4. I Tim.t vi, 16. — 5. Exod., xxxm, 20. — 6. Ad., xiv, 16.
384 LE CATÉCHISME ROMAIN
n'ont-ils pu concevoir en lui rien d'imparfait ; ils
ont rejeté comme indigne de lui tout ce qui est
corporel, toute composition et tout mélange. Ils
L'ont regardé comme possédant en lui-même la plé-
nitude de tous les biens, et ils ont enseigné que
tout ce qu'il y a de bon et de parfait dans toutes les
créatures vient de lui comme d'une source inépui-
sable et perpétuelle de bonté et de charité. Ils l'ont
appelé sage, auteur et amateur de la vérité, juste et
bienfaisant, et ils lui ont donné plusieurs noms,
qui expriment la perfection souveraine et absolue.
Enfin ils ont reconnu en lui un pouvoir immense
et infini, qui s'étend à toutes les choses et à tous les
lieux.
« Mais ces vérités sont bien plus certaines et bien
plus clairement exprimées dans l'Ecriture. Ici, elle
nous dit : Dieu est esprit (i) ; soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait (2) ; tout est nu et à
découvert à ses yeux (3) ; là, elle s'écrie : 0 profon-
deur des richesses de la sagesse et de la science de
Dieu (4) I Ailleurs : Dieu est véritable (5) ; il est la
voie, la vérité et la vie (6) ; sa droite est pleine de sa
justice (7) ; il ouvre la main et répand sa bénédiction
sur tout ce qui respire (8) ; Enfin David s'écrie :
a Où irai- je devant votre esprit?
Où fuirai-je devant votre face ?
Si je monte au ciel, vous y êtes :
Si je descends dans le scheol, vous êtes présent
Si je prends les ailes de V aurore
Et que je me transporte au-delà des mers,
C'est votre main qui m'y conduira,
Votre droite qui me soutiendra (9). »
1. Joan., iv, 2/i- — 2. Matlh., v, 48. — 3. Hebr., iv, 13. —
6. Rom., xi, 33. — 5. Rom., m, l\. — 6. Joan., xiv, 6. —
7. Psal., xlvii, n. — 8. Psal, cxliv, 16. — 9. PsaL, cxxxvin,
7-10.
l'existence de dieu d'après le catéchisme 385
Et Dieu nous dit lui-même : « Est-ce que je ne
remplis pas le ciel et la terre (i) ? »
« Telles sont les grandes idées que les philosophes
eux-mêmes se sont formées de la nature divine, en
considérant les effets sensibles de ce monde, et qui
sont conformes à l'autorité des Livres saints. Et
cependant pour sentir combien nous avions besoin,
même à cet égard, de l'enseignement céleste, il
suffît de remarquer que la foi n'a pas seulement
pour effet de faire connaître promptement et sans
peine aux plus ignorants et aux plus grossiers ce
que des philosophes si savants n'ont connu qu'après
de longues éludes, mais encore la connaissance
qu'elle nous donne des choses est beaucoup plus
certaine, plus pure et plus exempte d'erreur, que si
elle venait des raisonnements delà science humaine.
Et d'ailleurs quelle différence entre la contempla-
tion de la nature, qui ne peut pas faire connaître
Dieu à tout le monde, et la lumière de la foi qui le
révèle infailliblement à tous ceux qui croient.
« Or tout ce que nous connaissons de Dieu par la
foi est renfermé dans le symbole. Nous y trouvons
l'unité de l'essence divine et la distinction des trois
personnes. Il nous apprend que Dieu est la fin der-
nière de l'homme, et que nous devons attendre de
lui un bonheur céleste et éternel, suivant ce qu'en-
seigne saint Paul, que Dieu récompense ceux qui le
cherchent (2) ; et comme l'avait dit longtemps avant
lui le prophète Isaïe, depuis l'origine des siècles, les
hommes n'ont point conçu, l'oreille n'a point entendu,
aucun œil n'a vu, excepté vous, Seigneur, ce que vous
avez préparé pour ceux qui vous aiment (3) ; paroles
qui nous montrent non seulement la grandeur des
biens qui nous attendent, mais qui font voir encore
1. Jerem., xxm, 24. 2. Hebr., xi, 6. — 3. Isaï., lxiv, 4*
LB CATÉCHISME. — T. I. S S
386 LE CATÉCHISME ROMAIN
que l'homme est incapable de les connaître parla
seule lumière naturelle.
« De ce que nous venons de dire, il suit qu'il n'y
a qu'un seul, Dieu, et non plusieurs. Car nous avons
vu que Dieu possède une bonté et une perfection
souveraines. Or il est impossible que la perfection
souveraine et absolue convienne à plusieurs ; car
celui qui manque de la moindre chose est par là
même imparfait, il ne saurait être Dieu. Cette vérité
se trouve dans une multitude d'endroits de l'Ecri-
ture. Il est écrit : Ecoule, Israël; le Seigneur notre
jji^u est le seul Dieu (i). De plus c'est un précepte
du Seigneur : Tu n auras point d'autres dieux devant
moi (2). Il nous dit par le prophète : Je suis le premier
et le dernier ; en dehors de moi il n'est pas d'autre Dieu (3).
Enfin l'apôtre l'atteste clairement : Un seigneur, une
foi, un baptême (4).
« Que si l'Ecriture donne quelquefois le nom de
dieux à des êtres créés, cela ne doit pas nous sur-
prendre. Car lorsqu'elle appelle dieux les juges et
les prophètes, ce n'est pas dans le sens impie et
absurde des païens qui se sont forgé plusieurs divi-
nités ; c'est pour exprimer, selon une manière
ordinaire de parler, ou quelque perfection particu-
lière, ou quelque fonction à laquelle Dieu les avait
élevés. La foi chrétienne professe donc qu'il n'y a
qu'un seul Dieu par nature et par essence, comme
il a été défini par le concile de Nicée, qui a confirmé
cette vérité dans son symbole. Mais, remontant
encore plus haut, elle reconnaît l'unité de Dieu, tout
en adorant en même temps la trinité dans son unité
et l'unité dans sa trinité. »
Ce passage du Catéchisme romain résume admi-
1. DeuL, vi, 4. — a. Exod., xx, 3. — 3. Isaï., xu, 4. —
— 4. Ephes., iv, 5.
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN SS't
rablement l'enseignement de l'Eglise sur la question
de l'existence de Dieu. Que Dieu existe, c'est une
vérité d'ordre naturel, accessible par conséquent à
la raison de l'homme. L'homme, en effet, quelques
privilégiés du moins, à l'aide de leurs seules lu-
mières, arrivent à l'acquérir par l'étude du monde
créé, par le raisonnement, mais ce n'est ni sans
efforts, ni sans travaux, ni surtout sans danger
d'erreurs, efforts et travaux dont tout le monde n'est
pas capable, erreurs auxquelles n'échappent pas
toujours même les plus sages. D'où la nécessité
morale de la révélation divine qui, de prime abord
et sans nulle peine, met en possession de cette vérité
primordiale les simples d'esprit et les ignorants,
la leur communique dans sa pureté native, sans le
moindre mélange d'erreur et avec pleine sécurité.
III. Définition
du Concile du Vatican
Le dernier concile œcuménique avait une im-
mense tâche à remplir, qu'il ne put mener à bon
terme à cause des circonstances politiques, qui
vinrent interrompre ses travaux ; quelques résultats
doctrinaux, et non des moins importants, ont été
atteints, notamment sur les forces qu'on doit recon-
naître à la raison humaine.
Pie IX légitimait de la manière suivante la réunion
du concile ; il disait entre autres choses : « Alors
est née et s'est malheureusement trop répandue dans
tout l'univers, cette doctrine du rationalisme ou du
naturalisme, qui, se mettant de tous points en
opposition avec la religion chrétienne, à raison du
caractère surnaturel de cette institution, s'applique
388 LE CATÉCHISME ROMAIN
avec les plus grands efforts à exclure Jésus-Christ,
notre unique Seigneur et Sauveur, de la pensée des
hommes, de la vie et des mœurs des peuples, pour
établir le règne de ce qu'on appelle la pure raison
ou la nature. Mais après avoir abandonné et rejeté
la religion chrétienne, après avoir renié le vrai
Dieu et son Christ, plusieurs ont laissé tomber leur
intelligence dans le gouffre du panthéisme, du
matérialisme, de l'athéisme, et niant la spiritualité
de la raison et toute règle de la justice et de la
vertu, ils unissent leurs efforts pour saper les fon-
dements les plus profonds de la société humaine.
« Par le fait de cette impiété qui s'est propagée
de tous côtés, il est malheureusement arrivé que
plusieurs même des enfants de l'Eglise catholique
se sont écartés du chemin de la véritable piété, et
que le sens catholique s'est émoussé en eux par
suite de l'amoindrissement progressif des vérités.
Entraînés par toutes sortes de doctrines étrangères
et faisant un alliage mal ordonné de la nature et de
la grâce, de la science et de la foi divine, l'expérience
le montre, ils dénaturent la signification véritable
des dogmes admis et enseignés, et ils mettent en
péril l'intégrité et la pureté de la foi.
« Au spectacle de toutes ces erreurs, comment se
pourrait-il faire que l'Eglise ne fût émue au plus
profond de ses entrailles ? Car, comme Dieu veut
que tous les hommes soient sauvés et arrivent à la
connaissance de la vérité, comme le Christ est venu
afin de sauver ce qui était perdu et de réunir dans
l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés,
ainsi l'Eglise, constituée par Dieu la mère et la maî-
tresse des peuples, a le sentiment de ses devoirs
vis-à-vis de tous les hommes ; elle est toujours prêta
et attentive à relever ceux qui sont tombés, à soute-
nir ceux qui chancellent, à recevoir dans ses braa
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 38g
ceux qui reviennent à elle, à confirmer ceux qui
sont dans le bien, et à les poussera un© plus grande
perfection. Aussi ne peut-elle s'abstenir à aucun
moment d'affirmer et de prêcher la vérité divine
qui guérit tout ; car elle n'ignore pas que c'est à
elle qu'il a été dit : « Mon esprit qui est en toi et
mes paroles que j'ai mises en ta bouche ne cesseront
d'être sur tes lèvres maintenant et à jamais (i). »
C'est au concile du Vatican, en effet, que l'Eglise,
cette prétendue ennemie de la raison, a défendu les
droits de la raison et a solennellement proclamé et
défini son pouvoir d'arriver, par ses seules forces, à
la connaissance de l'existence de Dieu. « La même
sainte Eglise, lisons-nous, tient et enseigne que, par
la lainière naturelle de la raison humaine, Dieu, prin-
cipe et fin de toutes choses, peut être connu avec cer-
titude, au moyen des choses créées ; car, depuis la
création du monde, ses invisibles perfections sont vues
par V intelligence des hommes, au moyen des êtres qu'il
a faits ; que, néanmoins, il a plu à la sagesse et à
la bonté de Dieu de se révéler lui-même et les
éternels décrets de sa volonté par une autre voie, et
cela par une voie surnaturelle. C'est ce que dit
l'apôtre : « Après avoir parlé autrefois à nos pères
et à plusieurs reprises et de plusieurs manières par
les prophètes, pour la dernière fois, Dieu nous a
parlé de nos jours par son Fils (2). » Après cet
exposé de doctrine, le concile a porté le canon
suivant : « Anathème à qui dirait que le Dieu unique
et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut être
connu avec certitude par la lumière naturelle de la
raison humaine, au moyen des êtres créés (3). »
1. Constitution Dei Filius, 546 ; le texte est pris dans Isaïe,
lix, ai. — 2. Ibid., ch. n, S 1 ; le texte cité est de l'Epître aux
Hébreux, 1, 1-2. — 3. Ibid., De révélât., canon 1.
3oo le catéchisme romain
Que désirer de plus clair, de plus formel et de
plus autorisé ? C'est donc un dogme de foi catholi-
que que Dieu peut être connu avec certitude, à la
lumière naturelle de la raison, par le moyen des
créatures. Un tel langage, un tel enseignement, s'ils
étaient plus connus, ne seraient pas sans étonner
tous ceux qui, parmi nos contemporains, ne cessent
de dire, de répéter et d'écrire que l'Eglise méconnaît
la valeur de la raison humaine. Du reste, à pour-
suivre l'étude des décisions du concile, cet étonne-
ment ne pourra que croître. Remarquons ici avec
quelle sagesse l'Eglise formule et le pouvoir radical
de la raison, et la méthode qu'elle doit employer,
et la certitude des conclusions qu'elle tire, et la
connaissance qu'elle acquiert. Oui, l'homme peut
arriver à la connaissance de Dieu. Il a pour cela en
lui-même la lumière naturelle de la raison et il se
sert des créatures. Sa connaissance n'est pas vaine
ou discutable : elle a une valeur logique et certaine.
Et sa connaissance atteint Dieu, principe et fin de
toutes choses, le Dieu unique et véritable, notre
Créateur et Seigneur. Tout cet enseignement trouve
sa justification dans le texte célèbre de l'Epître aux
Hébreux. Disons donc quelques mots sur ces divers
points, pour mettre en lumière autant que possible
et pour caractériser nettement la pensée et la doc-
trine des Pères du concile.
Abstraction faite de toute considération historique,
sans tenir compte des divers états dans lesquels
l'homme a vécu ou aurait pu vivre, et rien qu'à
envisager la nature humaine avec son pouvoir pro-
pre, les Pères du concile estiment que la manifes-
tation objective de Dieu par les créatures s'adapte
à l'organisation de la raison humaine et que la
raison humaine possède ce qu'il faut pour se con-
vaincre, par cette manifestation, de la réalité de
DEFINITION DU CONCILE DU VATICAN 3g I
l'existence de Dieu. La connaissance de Dieu par la
raison est donc chose possible.
Ce qui la rend possible, c'est la lumière naturelle
de la raison humaine. Il est question de lumière
par comparaison avec la lumière physique qui
permet à la vue de saisir les objets sensibles ;
mais il s'agit ici d'une lumière intellectuelle
qui permet à la raison de connaître les vérités
d'ordre naturel. Cette lui mère intellectuelle est
qualifiée de naturelle parce qu'elle répond à la nature
de l'homme, qu'elle est de même ordre, de même
qualité, par opposition avec la lumière surnaturelle
qui, infusée par la grâce, fait accepter par la foi les
vérités révélées. Et il s'agit de la raison humaine,
c'est-à-dire de la faculté que possède l'homme de
connaître les premiers principes et d'en déduire des
conséquences. Au moyen donc de cette lumière, la
raison peut arriver à se convaincre de l'existence de
Dieu, sans avoir à s'appuyer soit sur la révélation,
soit sur la tradition ou l'enseignement.
Le concile indique en outre le moyen extérieur
qui manifeste l'existence de Dieu ; ce sont les créa-
tures, les êtres contingents. Au lieu donc d'admettre
avec les ontologistes que la notion de Dieu est en
nous à l'état habituel et inconscient et que les
créatures ne sont qu'une cause occasionnelle qui
rend cette notion distincte et consciente, les Pères
du Vatican, en indiquant ce moyen externe, favo-
risent la manière de voir de saint Thomas et de
presque tous les théologiens, d'après laquelle la
connaissance de Dieu est une vérité acquise et
médiate, les créatures servant de moyen nécessaire
pour l'acquérir.
De plus, à rencontre des positivistes français et
des agnostiques anglais, qui prétendent que l'exis-
tence de Dieu ne peut être prouvée avec une entière
3g 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
certitude et que les arguments qu'on en donne ne
sont pas au-dessus de toute discussion ; à l'encontre
également des .traditionalistes, d'après lesquels la
raison seule ne peut donner sur les vérités religieuses
que des probabilités, le concile déclare certaine
cette connaissance rationnelle de Dieu.
Mais jusqu'où s'étend cette connaissance ration-
nelle ? Le concile l'a déjà insinué dans le premier
chapitre de sa constitution, par la condamnation
de l'athéisme et du panthéisme ; il y traite de l'exis-
tence et des attributs de Dieu, dont la foi suppose
la connaissance rationnelle déjà acquise ; car il y
aurait cercle vicieux à exiger comme condition de
la foi une connaissance de Dieu que la foi seule
pourrait donner. Mais, ici, au chapitre second, le
concile indique formellement, en quelques mots,
la notion de Dieu que la raison peut avoir et il la
résume dans ces deux formules : Dieu, principe et
fin de toute choses ; Dieu unique et véritable, notre
Créateur et Seigneur. Dieu, principe et fin de toute
choses, voilà une donnée intellectuelle, qui renferme
d'autres vérités et les suppose logiquement. Dieu,
unique et véritable, Créateur et Seigneur, voilà
encore quelques attributs caractéristiques de Dieu,
que la raison peut connaître. Sans doute le concile
n'a pas entendu définir que la raison peut connaître
avec certitude l'unité de Dieu, la vraie nature de
Dieu, le mystère de la création ex nihilo', sa défini-
tion, plus restreinte, ne porte que sur la possibilité
de la connaissance certaine de l'existence de Dieu
par les lumières de la raison, au moyen des créatu-
res. Là est le dogme de foi. Mais il n'en reste pas
moins certain, d'après le concile, qu'à la lumière
de la raison Dieu peut être connu comme principe
et fin. En fait la plupart des vérités, qui entrent
dans la notion complète de Dieu, se démontrent
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 3^3
rationnellement. Mais qui ne sait, par l'histoire des
religions et de la philosophie, combien d'erreurs se
sont mêlées à l'idée de Dieu, et combien sont rares
ceux qui ont pu parvenir à une connaissance satis-
faisante de Dieu. Aussi la constatation de ces faits
sera-t-elle invoquée comme un argument pour
démontrer la nécessité morale d'une révélation.
Le concile appuie sa doctrine sur ce texte de
saint Paul, ponctué de la manière suivante : « Invi-
sibilia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quae facta
sunt, intellecta, conspiciuntur (i). » La virgule, pla-
cée après intellecta, fixe authentiquement la lecture
de ce verset et détermine, semble-t-il, la significa-
tion de ces mots : a creatura mundi, dans lesquels,
parmi les interprètes, les uns voyaient la créature
raisonnable par qui Dieu est connu, les autres celle
au moyen de laquelle on connaît Dieu, d'autres
encore la date depuis laquelle Dieu est connu natu-
rellement, c'est-à-dire depuis la création. C'est ce
dernier sens qui paraît le plus naturel.
Or ce verset se trouve encadré dans la preuve
que donne saint Paul que la justification par l'évan-
gile a été un don gratuit pour les gentils et pour les
juifs. L'apôtre rappelle que, suivant l'enseignement
de la révélation, c'est la foi en l'évangile qui sauve.
Il l'établit notamment pour les gentils, en montrant
qu'ils avaient besoin de cette foi, sans y avoir le
moindre droit, attendu que leur idolâtrie et leurs
fautes appelaient sur leur tête la colère de Dieu.
u II est révélé, dit-il, que la colère de Dieu menace
du ciel la souveraine impiété (l'idolâtrie) et l'injus-
tice (les autres fautes) de ces hommes qui retiennent
la vérité de Dieu cachée dans leur injustice. En
effet, ce que l'on sait (naturellement) de Dieu se
x. Rom., i, 20.
3g4 LE CATÉCHISME ROMAIN
manifeste en eux (comme la loi naturelle, par
exemple), vu que Dieu l'a manifesté en eux. Car
depuis la création da monde, ses invisibles perfections
sont vues par notre intelligence au moyen des êtres
qu'il a faits) ainsi que son éternelle puissance et sa
divinité. De sorte qu'ils sont inexcusables parce
que, ayant connaissance de Dieu, ils ne l'ont pas
glorifié ni remercié comme Dieu, mais ils se sont
perdus dans leurs raisonnements, et leur cœur
irréfléchi s'est rempli d'obscurité (i). » De tout ce
passage, le concile n'a retenu que les mots souli-
gnés ; et c'est là qu'il a vu un témoignage révélé en
faveur de son enseignement sur la possibilité de la
connaissance rationnelle de l'existence de Dieu. Mais
saint Paul va plus loin ; avant et après ce verset 20,
il affirme le fait que les païens ont réellement connu
Dieu, et c'est précisément cette connaissance réelle,
dont ils ne tenaient pratiquement aucun compte,
qui les rendait « inexcusables. »
IV. Puissance de la raison
1. La raison, par ses seules forces, est capable de
se démontrer l'existence de Dieu : telle est la vérité
définie par le concile du Vatican ; et nous venons de
voir par quels moyens et dans quelle mesure elle
peut s'élever à la connaissance de Dieu.
La raison, en effet, est naturellement faite pour la
conquête et la possession du vrai ; mais elle n'y
parvient pas toujours du premier coup ; sa marcha
est parfois lente, et tel est le cas pour l'existence da
Dieu. Car, cette vérité ne ressort pas de Févidence
immédiate des termes qui servent à la formuler ;
1. Rom., h 18-21.
PUISSANCE DE LA RAISON 3o,5
elle se démontre logiquement, non pas a priori,
c'est-à-dire par la cause, mais a posteriori par les
effets. Dieu, étant sans cause, échappe par là même
à une démonstration a priori ; étant la cause des
causes, son existence peut être démontrée a posteriori.
Sans doute, l'effet, n'étant pas proportionné à la
cause, ne saurait en donner une connaissance adé-
quate, parfaite ; il sert du moins et il suffit à en
prouver rigoureusement l'existence. Par suite, les
créatures, bien qu'impuissantes à nous faire connaî-
tre Dieu dans son essence complète, démontrent ce-
pendant son existence d'une manière irréfutable. Et
ce procédé de démonstration s'impose ; car, si Dieu
est le premier dans l'ordre de l'être au point de
vue ontologique, il n'est pas le premier dans l'ordre
de notre connaissance. Aussi la seule voie qui s'offre
à nous c'est de nous élever jusqu'à lui en partant
des créatures, en remontant des effets à leur cause
première.
2. Nous constatons, tant par l'expérience interne
que par l'expérience externe, qu'il y a des. substances
et des causes : des substances, c'est-à-dire des entités
qui servent de support aux divers phénomènes sen-
sibles ; des causes, c'est-à-dire de véritables agents
d'action ; d'autre part, nous possédons l'idée claire
de certains principes nécessaires et absolus, par
exemple, celui-ci : Le tout est plus grand que la
partie. Or, parmi ces principes, se trouve le prin-
cipe général de raison suffisante, qui s'applique à
tous les êtres sans exception et qui se formule ainsi:
Tout ce qui est a sa raison d'être en soi ou dans un
autre. Ce principe, appliqué aux êtres qui naissent ou
commencent d'exister pour disparaître ensuite, est
proprement le principe de causalité: Tout ce qui
commence a une cause. Aristote disait et saint Tho-
mas a répété : Tout ce qui passe de la puissance à
396 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'acte est mû par un autre. Rien de plus exact, déplus
certain. Equdvalemment on peut dire : Tout chan-
gement est produit par une cause ; tout phénomène
a une cause ; rien n'arrive sans une raison suffi-
sante.
3. C'est justement l'application de ce principe de
causalité, de raison suffisante, qui permet à notre
raison de conclure légitimement à l'existence de
Dieu ; mais c'est aussi ce principe qu'on a essayé
de battre en brèche, pour interdire à la raison le
droit de conclure à l'existence de Dieu. Hume,
Stuart Mill et la plupart des positivistes suppri-
ment donc le principe de causalité et se contentent
de dire : tout phénomène a un antécédent. Mais c'est
là déclarer simplement qu'entre les phénomènes il
n'y a pas d'autre rapport que celui de succession,
sans aucun lien de causalité, et méconnaître abusi-
vement ce rapport très particulier qui fait que tel
phénomène n'existe que parce qu'il a sa raison
d'être dans une cause antérieure ; la causalité im-
plique succession, mais elle n'est pas qu'un pur
phénomène antécédent, elle produit en réalité le
phénomène qui suit, elle est vraiment cause, ce qui
est fort différent.
4. Kant, de son côté, dans sa Critique.de la raison
pure, a essayé de ruiner le principe de causalité. Il
n'a voulu y voir qu'une manière habituelle de
juger, tenant à la nature de notre esprit, d'ordre
par conséquent purement subjectif, indiquant bien
ce qui se passe en nous au point de vue intellectuel,
mais ne garantissant pas le moins du monde que cela
se passe de même hors de nous dans la réalité objec-
tive, et que, par suite, les phénomènes constatés aient'
une cause réelle. Aussi rejette^t-il les preuves de
l'existence de Dieu qui s'appuient sur ce principe
de causalité. Après avoir nié que la raison pure
PUISSANCE DE LA RAISON 3 97
pût atteindre sous le phénomène le noumène, la
réalité, c'est-à-dire les substances et les causes, et
par conséquent Dieu et le monde, il a essayé d'un
expédient pour sauvegarder quand même la vérité
objective de l'existence de Dieu ; il a donc recouru a
la raison pratique qui lui a montré la loi du devoir,
inconditionnelle et absolue, s'imposant à nous
comme un impératif catégorique, et prouvant par là
même l'existence réelle d'un législateur, de Dieu.
Mais ce n'est là qu'une inconséquence, condamnée
d'avance par la critique de la raison pure, car il n'y
a pas deux raisons en nous, l'une spéculative, l'autre
pratique ; il n'y en a qu'une, et c'est la même rai-
son qui découvre les lois de la pensée pure et celles
de la volonté, les règles de la logique et celles de
la morale, qui tantôt s'exerce dans le domaine de la
spéculation et tantôt dans celui de la pratique.
5. Kant s'est donc abusé; son subjectivisme doit
être résolument écarté. Il a eu tort de prendre le prin-
cipe de causalité au sens purement empirique ; car ce
principe n'est pas la simple constation de faits
sensibles ou d'une succession de phénomènes sans
lien intime et réel entre eux. Il implique nécessai-
rement une relation d'ordre particulier qui fait que
tel phénomène n'existe que parce qu'il dépend d'un
autre comme l'effet dépend de sa cause. Car, pour
être, tout phénomène exige une force proportion-
née qui le fasse être et être ce qu'il est ; pour passer
de la puissance à l'acte, il lui faut une cause qui
l'actue. Ce principe s'entend de la causalité méta-
physique, dans laquelle il ne s'agit plus de phéno-
mènes qui ne font que se succéder, mais d'une
cause supérieure aux phénomènes. Or, cette causa-
lité-là, nous l'atteignons et la connaissons en nous
par la conscience. Car nous nous connaissons
comme une cause réelle et vraie, antérieure aux
398 LE CATÉCHISME ROMAIN
^ - ■■ I - - ■ ■ I — -M~ ■ — .— . ■- ■ . | , . . Mmt
effets que nous produisons, et leur survivant, c'est-
à-dire comme un être identique et permanent. Dire
en ce sens qu'il n'y a pas d'effet sans cause, c'est
faire entendre qu'il y a hors de nous des causes
semblables à celles que nous trouvons en nous, des
êtres identiques et permanents comme nous, c'est-
à-dire des causes métaphysiques. Et cela suffit pour
conclure légitimement, au nom de ce principe de
causalité, de la constatation de certains faits à
l'existence d'une cause, que celle-ci soit ou non
accessible en elle-même, sous peine de tomber dans
le scepticisme et de douter de tout, même de l'évi-
dence. Cela étant, l'emploi judicieux du principe
de causalité et de raison suffisante nous autorise à
chercher la raison dernière, la cause première de
tout ce qui est. et à les trouver en Dieu.
6. Des lors de quel droit les positivistes rigoureux
dénient-ils à la raison le pouvoir de s'exercer dans
le domaine qu'ils appellent l'inconnaissable ? d'au-
tant que la raison n'y pénètre pas sans partir de
données positives. C'est décréter a priori qu'il n'y a
de connaissances que les connaissances expérimen-
tales et tout ramener de parti pris à la méthode des
sciences. Moins inconséquent, l'un d'entre eux,
Herbert Spencer, proclame du moins l'existence de
l'Inconnaissable ; et si, après avoir proclamé son
existence, il se refuse à chercher à le connaître,
libre à lui ; il n'a pas le droit d'interdire aux autres
cette recherche, ni surtout celui de la frapper de
suspicion, de la déclarer illogique et vaine, car c'est
là mutiler la raison.
Ce n'est pas, évidemment, à une époque comme
la nôtre, qu'on peut refuser à la raison une force
d'investigation et une action couronnée de succès
éclatants dans tous les domaines de l'expérience :
les progrès merveilleux des sciences sont là pour
PUISSANCE DE LA RAISON 3()C)
prouver, clair comme le jour, le bonheur de ses
initiatives et de ses travaux ; mais ce n'est pas un
motif suffisant pour lui interdire, dans des domaines
différents, d'autres initiatives et d'autres travaux.
Il n'y a pas, en effet, que des vérités d'ordre pure-
ment expérimental ; il en est d'un autre ordre qui
ne sont ni moins utiles ni moins fécondes ; et la
philosophie a quelque droit sans aucun doute à
utiliser la raison dans son domaine propre, et au
moyen d'une méthode à elle, pour poursuivre les
plus beaux travaux de la pensée humaine ; et la
religion, à son tour, loin de méconnaître la valeur
de la raison, la suppose avant tout, s'appuie sur
elle, travaille avec elle, requiert sans cesse son con-
cours nécessaire, même clans les questions où le
dernier mot doit rester à la foi. Encore une fois de
quel droit interdire à la raison l'emploi de ses
facultés ailleurs que dans les sciences naturelles ?
7. La raison est faite pour la vérité dans tous les
ordres ; la vérité est son objet propre, connaturel.
Qu'elle arrive, par son libre jeu, à la connaissance
des vérités naturelles ; qu'elle découvre les lois du
monde physique et les rapports des substances
matérielles entre elles ; qu'elle fasse de ces connais-
sances, de ces lois et de ces rapports, une science,
où les principes conduisent à des conclusions, et
où les progrès enfantent de nouveaux progrès, rien
de mieux. Mais ne peut-elle également pénétrer
dans le monde métaphysique et moral ? Qui donc
pourrait l'en empêcher ? Insister serait vraiment
trop faire injure au bon sens et plaider une cause
évidente et incontestable ; car, depuis que l'homme
existe, il n'a jamais cessé un seul instant de philo-
sopher, c'est-à-dire de chercher à se rendre compte
de la raison de tout ce qu'il voit autour de lui, de
tout ce qu'il constate en lui-même.
4ûO LE CATÉCHISME ROMAIN
— i ■■ i ■■ ,._■ . i. ■■■ ■ ! m, — — ■ i i»l^ ^^
Et c'est pourquoi, en face des phénomènes de
conscience dont il est le théâtre et le témoin, en
présence des phénomènes variés qui Tentourent et
dans lesquels il se meut, l'homme raisonnable
entend dégager l'inconnue qui s'y cache et déchiffrer
le mot de l'énigme. Les questions se pressent dans
son esprit. Il existe ; mais qu'est-il ? d'où vient-il ?
où va t-il ? D'autres êtres existent à côté de lui, qui
pourraient ne pas exister ; il y a, dans le monde,
de la vie, du mouvement, de l'ordre. Y a-t-il une
cause à tout cela ? Et cette cause peut-il en affirmer
l'existence ? peut il parvenir à dire un peu ce qu'elle
est ? Oui, pense-t-il, et il estime ne pas s'abuser.
C'est plus qu'il ne lui en faut pour légitimer ses
recherches et l'assurer de n'avoir pas travaillé en
pure perte.
1. Le pouvoir de la raison. — « Au fond, les erreurs,
les extravagances, les fluctuations, les contradictions
des systèmes philosophiques qui, en dehors du christia-
nisme, se sont élevés sur les ruines les uns des autres,
voilà le grand argument de Montaigne, de Pascal et du
P. Ventura, et de tous ceux qui ont cru bien servir la
religion en attaquant la philosophie. Or, cet argument
ne prouve rien, parce qu'il prouverait trop ; s'il vaut con-
tre la métaphysique, il vaudra contre toutes les sciences
humaines ; car en toutes on s'est battu, en toutes on s'est
trompé, en toutes les systèmes ont succédé aux systèmes.
Mais, pour ne considérer que la philosophie, est-ce à dire
que, dans cette mêlée, rien ne surnage, qu'aucune vérité
stable et définitivement établie ne se dégage des contro-
verses, et qu'il n'y ait, pour le spectateur de la lutte,
aucun moyen de discerner de quel côté est le bon droit ?
Quand Socrate combat les sophistes avec son bon sens et
donne, le premier, une forme régulière à la preuve de
l'existence de Dieu tirée de l'ordre de la nature, quand
Platon ouvre à la raison qui cherche Dieu le chemin de la
dialectique, quand Aristote conclut du fait du mouve-
PUISSANCE DE LA RAISON 4oi
ment la nécessité d'un premier moteur, quand les stoï-
ciens défendent l'idée de l'honnête contre la volupté
épicurienne, est-ce que ces hautes vérités périssent dans
la décadence de leurs écoles ? est-ce que ces patriciens de
la philosophie, comme on les a heureusement appelés,
n'ont pas légué aux âges suivants quelques-uns des maté-
riaux et quelques-uns des procédés d'une métaphysique
indestructible ? La vérité, je l'avoue, n'était chez eux ni
complète, ni pure ; mais elle y était, et l'étude de leurs
doctrines établit du même coup les deux thèses fonda-
mentales de la philosophie chrétienne : premièrement,
que la raison est capable de trouver Dieu ; secondement,
qu'elle est exposée à se tromper dans sa recherche, et
qu'en devenant chrétienne, elle acquiert tout à la fois une
portée et une sûreté qu'elle n'a pas en dehors du christia-
nisme. Mais, qu'on me permette de le dire, ce serait une
pusillanimité misérable de n'oser suivre la raison dans
une voie qui est la sienne à cause des chutes qu'elle peut
y faire, et des mauvaises routes où elle peut s'engager par
sa faute. J'aimerais autant dire qu'il faut renoncer à agir
et se croiser les bras, parce qu'en agissant, on s'exposerait
à mal user de sa liberté. Non, le serviteur qui enfouit
son talent en terre n'est pas un bon serviteur, et c'est mal
répondre aux vues de la Providence que de ne point exer-
cer, dans leur sphère légitime, les facultés dont elle nous
a pourvus. Gomme elle nous a donné la volonté pour
l'appliquer à son objet, qui est la pratique du bien, elle
nous a donné aussi la raison pour l'appliquer au sien, à la
recherche de la vérité et à l'acquisition de la sagesse,
laquelle dit Bossuet, consiste à connaître Dieu et à se
connaître soi-même. « De Margerie, Théodicée, 3" édit.,
Paris, 1874, t. 1, p. i32-i33.
2. Procédé de la raison. — « De quoi sommes-nous en-
tourés ? de quoi, étant donnée notre organisation intellec-
tuelle, pouvons-nous partir ? De Dieu, pour descendre à ses
œuvres ? Non, mais des œuvres de Dieu pour remonter à
leur auteur. Notre point de départ, c'est d'abord le monde
extérieur ; puis, c'est notre âme où nous trouvons ces
idées absolues, dont on peut bien dire qu'elles ont leur
LE CATÉCHISME. — T. I. â6
£o2 LE CATÉCHISME ROMAIN
fondement et leur substance en Dieu, mais non pas
qu'elles sont Dieu. Découvrir en soi-même ces idées, ce
n'est pas avoir l'intuition de Dieu, c'est apercevoir le
signe visible et certain d'une réalité cachée, argumentum
non apparentïum. Nous les apercevons sans doute dans la
lumière de notre raison, qui est une participation de la
lumière divine ; et les rayons de cette lumière nous con-
duisent, si nous savons les suivre, jusqu'à leur éternel et
vivant foyer. Mais à quelles conditions ? A condition que
nous les prendrons pour ce qu'ils sont, pour des rayons,
pour des intermédiaires, pour des degrés, pour des routes
qui mènent à Dieu, itinera in Deum ; à condition aussi
qu'il y aura en nous une force, un ressort, qui nous pous-
seront jusqu'à la réalité suprême, je veux dire à condi-
tion que notre raison possédera des principes évidents et
premiers, qui nous obligeront à remonter de l'effet à la
cause, et de l'imparfaite copie au modèle divin. Tel est,
en effet, le procédé de la raison ; tel est le caractère de
cette ascension dialectique qu'ont opérée, depuis Platon,
tous les grands esprits qui se sont occupés de théodicée.
Nous arrivons à Dieu par des échelons, per scalam, per
gradus, en suivant ses traces, en passant par ce qui le
représente, par la nature extérieure, par l'âme humaine,
par les idées absolues, et en dépassant ces représentations
incomplètes à l'aide des principes nécessaires delà raison.
Or, que faisons-nous quand nous prenons pour point de
départ un fait réel, le monde, ou le moi, ou les idées
réellement présentes à la conscience ? nous posons une
mineure. Et que faisons-nous quand nous prenons pour
point d'appui une vérité universelle ? nous posons une
majeure. Que faisons-nous enfin, quand, à l'aide du point
d'appui, nous dépassons le point de départ, quand nous
nous fondons sur le principe de causalité pour deviner
l'ouvrier derrière son ouvrage, le modèle derrière sa
copie, la réalité substantielle de l'infini derrière ce fait
psychologique qui est l'idée de l'infini ? nous tirons une
conclusion. Car nous accomplissons ces trois opérations
avec une rigueur syllogistique, latine et informis, ou en
français, tantôt par un développement oratoire, tantôt par
PUISSANCE DE LA RAISON ^0$
un rapide élan qui transforme le syllogisme en un enthy-
mème ou l'argument en une prière ; que nous suivions
lentement chacun des pas de la démonstration, ou que
nous les traversions d'un bond, le procédé au fond reste
le même, il s'appelle le raisonnement ; le résultat est le
même aussi, il s'appelle la démonstration.
« Je ne sais pourquoi on s'effraye, et pourquoi on
s'imagine qu'en se résignant à raisonner, on se condamne
ànepoint sortir des abstractions. Quand on raisonne sur des
prémisses abstraites, comme sont, par exemple, les défi-
nitions de la géométrie, c'est à des conclusions abstraites
qu'on arrive. Mais quand on résonne sur le réel, c'est au
réel aussi qu'on aboutit. Tel sera le caractère des preuves
sur lesquelles nous établirons l'existence de Dieu : con-
formes aux règles les plus rigoureuses de la logique, elles
atteindront la réalité créatrice, parce qu'elles s'appuient
sur la réalité créée, non pour s'y enfermer, mais pour la
dépasser. » Ibid., p. i43-i44-
3. Aller à Dieu de toute son âme. — « Il y a dans
l'âme qui cherche Dieu autre chose qu'un mouvement de
la pensée qui conçoit l'infini et raisonne sur cette idée ; il
y a un mouvement de l'amour. Et l'amour, s'ajoutant au
raisonnement, produit en nous, outre la conviction scienti-
fique de l'existence de Dieu, l'impression sensible de sa
présence. Oui, il y a en nous plus qu'une puissance de
raisonner spéculativement sur la nature de Dieu, comme
sur la notion du cercle ou du triangle ; il y a une voix du
sang qui nous crie de chercher notre père, et un tact du
cœur qui nous le fait deviner. Nous ne le voyons pas, car
c'est la condition de la vie présente et l'épreuve de notre
fidélité qu'il faille l'aimer à travers un voile ; mais nous
sentons qu'il nous enveloppe et nous soutient, nous
entendons sa voix, nous reconnaissons sa main aux bien-
faits qu'elle répand, sa sagesse et sa puissance à la beauté
de son ouvrage, sa sainteté à la sainteté même de la loi
qu'il a gravée dans nos consciences. Ainsi le cœur s'ajoute
à la raison, non plus, comme il arrive trop souvent, pour
la troubler et l'obscurcir, mais pour lui imprimer un
élan plus rapide vers la vérité, pour lui donner un senti-
4o4 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment plus vif des réalités divines. Ce n'est plus seulement
l'esprit qui raisonne, c'est l'âme tout entière qui monte
'sur l'aile de la pensée et sur l'aile de l'amour. La pensée
"va au vrai et l'amour va au bien ; et puisque le vrai et le
bien ne sont' que deux aspects divers d'une même réalité
qui est Dieu, la pensée et l'amour ne doivent pas être ici
séparés l'une de l'autre. Leur objet est le même, et, pour
l'atteindre, ce n'est pas trop de leur commun effort. »
Ibid., p. 1 44-i 45.
4. Conséquences du scepticisme. — « Des tentatives
malheureuses de Kant, des traditionalistes et des fîdéistes,
nous devons conclure que le scepticisme, soit idéaliste,
soit empirique, en niant les premiers principes de la
raison humaine, aboutit à la négation de Dieu, fatale-
ment et sans espoir d'y revenir par un autre chemin, et
que réciproquement on ne peut refuser à la raison la
puissance de s'élever à Dieu et de prouver son existence,
sans attaquer la raison elle-même jusque dans ses fon-
dements. En ruinant la théodicée par la base, on ruine en
même temps toute connaissance par les causes, et toute
certitude scientifique. Et comment s'étonner de cette
alternative, où se trouve l'esprit humain, ou de croire que
la raison est capable de connaître l'existence des causes et
de la cause première qui est Dieu, ou bien qu'elle est
incapable de rien connaître scientifiquement, pas même
sa propre existence substantielle, lorsqu'on se rappelle
que ces idées d'être, de substance, de cause en général,
de cause première, d'être nécessaire, et par conséquent le
désir inné et le besoin de les connaître, sont comme le
fond indestructible de la raison humaine et le patrimoine
commun de toutes les intelligences. Impossible de n'ac-
cepter qu'une partie de la raison humaine, et d'en répu-
dier l'autre partie; de rejeter la nécessité d'une cause
première, raison dernière de toute chose, et de croire
encore aux principes de causalité ou de raison suffisante ;
impossible de faire un choix parmi les évidences ; il faut
les admettre ou les rejeter toutes. Tant est grande la
dépendance absolue de la raison à l'égard de l'Intelli-
gence divine : elle ne peut la nier sans se renier elle-
PUISSANCE DE LA RAISON 4o5
même ; elle ne peut fermer les yeux à cette lumière d'en
haut « qui illumine tout homme venant en ce monde, »
sans s'égarer en pleines ténèbres, ou sans se condamner à
une contradiction perpétuelle ! » Farges, Lidée de Dieu,
Paris, 1894, p. 57-58.
mmmUHm
Leçon XI
De Dieu
L'existence de Dieu est un dogme de la raison :
Ses preuves. — I. Preuves psychologiques. — ■
II. Preuves morales. — III. Preuves de saint
Thomas.
Pour arriver à prouver l'existence de Dieu, l'es-
prit humain n'a qu'à constater des faits et à en
chercher l'explication dernière par l'applica-
tion du principe de causalité et de raison suffisante :
cette solution ne se trouve que dans l'existence de
Dieu. Que l'homme s'interroge lui-même, au fond du
sanctuaire mystérieux de sa conscience, ou qu'il
jette un regard sur le monde qui l'entoure, dès qu'il
voudra posséder le dernier mot de ce qu'il voit, il
devra toujours remonter plus haut jusqu'à la cause
première, jusqu'à Dieu. S'il emprunte les éléments
de sa démonstration aux phénomènes de conscience,
il formulera les preuves psychologiques ou morales
de l'existence de Dieu ; s'il les emprunte aux phé-
nomènes à travers lesquels il se meut, il formulera
les preuves cosmologiques. Disons quelques mots des
uns et des autres (i).
i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. Theol. ; Sum.
conl. qenl. ; Franzelin, De Deo: Gratry, De la connaissance de
PREUVES PSYCHOLOGIQUES IxO']
I. Preuves psychologiques
i° C'est l'austère Tertullien qui invoquait, en
faveur de l'existence de Dieu, le témoignage de Mme.
« Viens donc, ô âme humaine, comparais devant
nous, soit qu'il faille avec plusieurs philosophes te
reconnaître pour une substance éternelle et divine,
et par là même plus incapable de mentir ; soit
qu'étrangère à la divinité, tu n'aies rien que de
mortel, comme l'a professé le seul Epicure, ce qui
fera paraître ton témoignage d'autant moins suspect;
soit que tu descendes du ciel ou que la terre te con-
çoive ; que tu naisses avec le corps ou que tu iui
sois ajoutée après coup ; d'où que tu viennes, et de
quelque manière que tu rendes l'homme un animal
raisonnable, doué d'intelligence et de sentiment,
réponds-moi ! Mais ce n'est pas toi que j'appelle,
ô âme qui, formée dans les écoles, exercée dans les
bibliothèques et nourrie dans les académies ou
sous les portiques de la Grèce, débites d'orgueilleu-
ses maximes. Non, viens ici dans toute ta rudesse,
dans toute la simplicité de ton ignorance primitive,
telle que te possèdent ceux qui n'ont que toi ; ac-
cours de la voie publique, du carrefour, de l'atelier.
11 me faut ton expérience, puisque personne n'ajoute
plus foi à ton habileté, si petite qu'elle soit. Je ne
te demande que ce que tu apportes avec toi dans
l'homme, soit que tu le tires de ton propre fonds,
ou que tu le reçoives de ton auteur, n'importe lequel.
Tu n'es pas chrétienne, que je sache, car tu as cou-
tume de devenir et non de naître chrétienne.
Dieu, Paris i856; ajouter aux ouvrages déjà signalés dans la
leçon précédente : Janct, Les causes finales, Paris, i876;Blon-
del, V Action, Paris, 1893 ; Monsabré, Conférences de Notre
DaniQ.
£o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
Toutefois les chrétiens requièrent aujourd'hui ton
témoignage. Etrangère, dépose contre les tiens, afin
que nos persécuteurs rougissent devant toi de leur
mépris pour une doctrine, dont tu es complice...
On ne veut pas nous écouter quand nous prêchons
un Dieu unique, de qui tout vient, sous qui tout
subsiste. Eh bien, parle, ô âme : n'est-ce point là ta
croyance à toi même ?... Ces témoignages de l'âme
sont d'autant plus simples qu'ils sont plus vrais,
d'autant plus populaires qu'ils sont plus simples,
d'autant plus communs qu'ils sont plus populaires,
d'autant plus naturels qu'ils sont plus communs,
d'autant plus divins qu'ils sont plus naturels (i). »
2° C'est saint Augustin qui donnait ses préféren-
ces à la preuve basée sur la constatation d'une vérité
éternelle et immuable, supérieure à l'homme. La rai-
son de l'homme occupe le plus haut degré de la
hiérarchie des êtres de ce monde visible ; mais si
elle découvre un être plus parfait, cet être sera Dieu.
Or, la raison humaine constate qu'au-dessns d'elle,
il y a la vérité éternelle et immuable, qu'elle ne
crée pas, mais qu'elle contemple, qui n'est ni sienne
ni en elle, puisque tout homme la contemple sem-
blablement. Cette vérité est donc Dieu lui-même ou,
si l'on suppose un être encore plus élevé, nous con-
duit à cet être, source de vérité (2). Ce n'est point
là, remarquons-le, l'édition anticipée de l'argument
de saint Anselme, car l'évêque d'Hippone ne con-
clut pas de l'idée de Dieu à son existence ; analysant
les caractères de la vérité, il les trouve inexplicables
si au-dessus d'elle il n'y a un être immuable, source
de l'immuable vérité.
1. De test, am., i-v ; Patr. lat., t. 1, col. 610 sq. — 2. De lib.
arb., 11, 7-33 ; Patr. lat., t. xxxu, col. I243-I263; ConJ., VII, x,
16; ibid., col. 7^2; De Div. quœst. lxxxiii, q. liv ; Patr. lat., t.
xl, col. 38.
PREUVES PSYCHOLOGIQUES ^OC)
Notre Bossuet a repris cette preuve avec son tour
inimitable : « Toutes ces vérités... subsistent indé-
pendamment de tous les temps : en quelque temps
que je mette un entendement humain, il les con-
naîtra ; mais, en les connaissant, il les trouvera
vérité, il ne les fera pas telles ; car ce ne sont pas
nos connaissances qui font leurs objets, elles les
supposent. Aussi ces vérités subsistent devant tous
les siècles, et devant qu'il y ait un entendement
humain... et je verrais clairement qu'elles seraient
toujours bonnes, toujours véritables, quand moi
même je serais détruit avec le reste. Si je cherche
maintenant, où, et en quel sujet, elles subsistent
éternelles ou immuables, comme elles le sont, je
suis obligé d'avouer un Être, où la vérité est
éternellement subsistante et où elle est toujours
entendue ; et cet Etre doit être la Vérité même
et doit être toute vérité ; et c'est de lui que la vérité
dérive dans tout ce qui est et entend hors de lui...
Ces vérités éternelles, que tout entendement aper-
çoit toujours les mêmes, par lesquelles tout enten-
dement est réglé, sont quelque chose de Dieu, ou
plutôt sont Dieu même. Car toutes ces vérités éter-
nelles ne sont au fond qu'une seule vérité. En effet,
je m'aperçois en raisonnant que ces vérités sont
suivies... La vérité est une de soi. Qui la connaît en
partie, en voit plusieurs ; qui les verrait parfaite-
ment, n'en verrait qn'une (i). »
3° D'autres sont partis des aspirations de rame
vers Vinfini. Voici comment en parle de Margerie :
u Notre raison, si faible et si fragile, possède un
ressort qui, par sa force naturelle, la lance jusque
dans l'infini ; du sein de mes ténèbres et de mon
i. Connaissance de Dieu et de soi-même, ch. iv ; cf. Cousin,
Du vrai, p. 72.
4 10 LE CATÉCHISME ROMAIN
ignorance se dégage une idée qui déborde de toutes
parts l'étroite intelligence où elle fait son apparition,
l'idée du parfait, de l'absolu, du nécessaire, de
l'éternel, l'idée de l'infini, l'idée de Dieu. S'il est
vrai que je possède cette idée, sa présence est un
fait psychologique d'une immense portée métaphy-
sique ; par lui et en lui l'expérience nous fournit
une idée qui la dépasse, et cette donnée constitue,
pour la théodicée une mineure incomparablement
plus riche et plus féconde que toutes les magnifi-
cences du monde matériel... Que suis-je ? Un fini
qui, par un mouvement naturel, tend à l'infini
dans toutes les directions de son activité. Qu'est-ce
que mon intelligence ? Une ignorance qui tend à la
science, à la lumière sans ombre, et qui, si haut
qu'elle s'élève et si avant qu'elle pénètre, veut tou^
jours monter et creuser davantage, parce que ce
qu'elle sait est infiniment distant de ce qui lui reste à
apprendre. Qu'est-ce que ma volonté, sinon une
force qui, partant de l'extrême imperfection et de
l'extrême faiblesse, se sent appelée à un perfection-
nement continu, c'est-à-dire à un mouvement au-
quel l'idée de la perfection absolue peut seule tracer
sa route. Qu'est-ce que mon cœur, sinon un amour
borné dans sa puissance, infini dans ses vœux, cher-
chant partout cet infini, inépuisable aliment de sa
faim insatiable, le rêvant dans les choses créées, par
une illusion qui dure autant que leur poursuite et
s'évanouit avec leur conquête, se désabusant parla
jouissance elle-même, et condamné à n'être pas sa-
tisfait tant qu'il demande au fini ce que le fini ne
contient pas ? Quest-ce que ma vie, sinon un flot
qui s'écoule, et qui, en s'écoulant, invoque obsti-
nément la stabilité, le repos et la béatitude ? Je ne
fais qu'indiquer ; si je voulais approfondir, il fau-
drait reprendre toute la psychologie, toute la morale,
PREUVES PSYCHOLOGIQUES 4 II
toute l'esthétique, sciences vaines ou plutôt mots vi-
des de sens, si l'idée d'infini qui les remplit, qui est
leur centre et leur terme commun, n'a pas de place
dans la raison (i). » « Quelle est la cause objective
dont l'idée d'infini est l'effet psychologique, le mo-
dèle dont elle est la représentation de l'image ? Le
bon sens répond à cette question d'une manière
tellement rapide et positive, le principe de causa-
lité, s'ajoutant au fait psychologique, produit un rai-
sonnement si simple, il y a une absurdité si visible
et une contradiction si énorme à expliquer l'idée
d'infini autrement que par l'existence de l'être
infini, que la démonstration de l'existence de Dieu
semble ici prendre le caractère d'une intuition im-
médiate... Il faut concevoir l'humanité comme un
tout vivant, comme une personne, et puisque l'idée
d'infini est en elle, il faut lui demander d'où elle la
tient. Elle ne Ta pas créée, elle ne l'a pas construite,
elle n'en a rencontré le modèle ni en elle-même, ni
dans le monde, ni dans quelque réalité finie que ce
puisse être, elle ne l'a trouvée que dans un être qui
est réellement tout ce que cette idée représente, en
Dieu (2). »
4° Quelques esprits supérieurs, aux envolées
superbes, se sont laissé séduire au mirage trompeur
de leur propre pensée et ont cru pouvoir conclure
de Vidée de l'être parfait à l'existence réelle de cet
être. Ce fat le cas de saint Anselme (f 1109).
Gaunilon, moine de Noirmoutiers, fit la critique
ingénieuse et profonde de l'argument de saint An-
selme, dans son Liber pro insipiente ; et saint Thomas
l'a justement écarté à cause du passage injustifié de
l'ordre logique de l'idée d'existence à l'ordre onto-
1. Théodicée, t. 1, p. ai 4» 220-22 1, — a. Ibid., t. I, p»
323-226.
4 I 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
logique de l'existence réelle (i). Repris par Descartes,
puis par Leibnilz, cet argument a été soumis par
Kant à une critique minutieuse et impitoyablement
condamné, parce que partir de l'idée de l'être
parfait et Vouloir que cette idée renferme comme
attribut l'existence réelle de Dieu est une contradic-
tion, une impossibilité. Le Dieu réel, concret,
vivant, ne se trouve pas dans une pure conception
de l'esprit.
IL Preuves morales
i° A côté des lois de la logique qui règlent la
pensée, il y a les lois morales qui régissent les actes
de la volonté. Toute âme droite, sincère et loyale
constate sans peine l'existence de ces derniè-
res au fond de sa conscience. Faire le bien,
éditer le mal; être fidèle, probe, honnête, juste,
c'est un bien ; pratiquer la fraude, l'improbité, la
perfidie, l'injustice, c'est un mal ; mieux vaut rester
pauvre mais honnêle que d'acquérir la richesse au
prix du déshonneur et d'une lâcheté : autant de
vérités d'ordre pratique, partout et toujours les
mêmes, partout et toujours impérieuses, s'imposant
bon gré mal gré à la conscience de l'homme. D'où
viennent-elles ? Ce n'est pas de l'homme : elles
s'imposent à lui ; elles aussi impliquent nécessaire-
ment l'existence de Dieu.
2° Par une inconséquence heureuse avec ses
principes de la raison pure, Kant a demandé à la
raison pratique un argument irrésistible en faveur
de l'existence de Dieu. « Le ciel au-dessus de ma
tête, la morale dans mon cœur, » disait-il, c'est
tout ce qu'il faut pour établir la réalité de l'exis-
i. Sam. theol., I, Q., n, a. i, ad. 2.
PREUVES MORALES 4l3
tence de Dieu. Car chacun reconnaît avoir des de-
voirs à remplir et se regarde comme obligé de les
remplir. Où donc trouver le principe du devoir et de
son obligation? On ne peut le chercher, ni avec les
moralistes de l'intérêt au-dessous de la volonté,
dans les conséquences agréables ou désagréables de
nos actes, ni avec les moralistes du sentiment dans
les penchants sympathiques de notre nature, ni
avec les moralistes indépendants dans la volonté
même, mais bien dans un principe supérieur à la
volonté 1 Car le devoir est un impératif catégori-
que, sans condition, absolu, qui s'impose à nous,
malgré nous. Il nous dit : Fais ce que dois, advienne
que pourra. Lui reconnaître ce caractère, et il le
faut bien, sans quoi il se confondrait, comme
l'observe Kant, avec les conseils de l'hygiène ou de
la prudence, c'est lui reconnaître une valeur absolue.
Mais d'où peut lui venir ce caractère de valeur
absolue? Pas de ce monde, car la conscience crie :
Pereat mandas, fiatjastitial Le monde n'est rien au
prix de la justice. C'est donc en dehors de ce
monde, et au dessus, en Dieu. Car Dieu seul peut
rendre compte du devoir qui nous incombe et de
l'obligation qui nous lie.
Voici, d'après Kant, la preuve tirée de la nécessité
d'âne sanction. La raison pratique affirme la nécessité
du souverain bien, c'est-à-dire l'accord de la vertu
et du bonheur. Or cet accord n'existe pas et ne peut
pas même exister dans le monde tel qu'il est, puis-
que la nature des choses est constituée de telle sorte
qu'elle impose les plus rudes sacrifices à qui veut
faire son devoir. Faire son devoir en ce monde,
c'est infailliblement se heurtera la nature et souffrir.
La vertu elle-même, par les efforts qu'elle demande
et les sacrifices qu'elle exige dans le monde tel qu'il
est, est souvent la source des plus profondes dou-
4l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
leurs. Sans doute, il y a des compensations, mais
combien insuffisantes ! De sorte que si l'homme de
bien a, en ce nionde, quelques privilèges, ce n'est
pas tant celui du bonheur que celui de la souffrance.
Ce désaccord existant, en fait, qui pourra réaliser
l'accord nécessaire, réclamé par la raison au nom
de la justice ? Qui pourra modifier la nature de
façon à ce que les lois physiques ne soient plus en
conflit avec les lois morales, que la loi morale
devienne en quelque façon la loi unique, souveraine,
et qu'elle s'assujettisse le monde entier? Qui pourra
faire un monde tel que la volonté vertueuse y soit
toujours heureuse, et seule heureuse? Ce n'est point
l'agent moral lui-même, car notre volonté en est
évidemment incapable. Ce n'est point la nature qui,
d'elle-même, pourra se modifier dans ce sens. Il
faut donc admettre un être supérieur à la nature,
tout puissant et tout bon, un Dieu en un mot qui,
prenant en main la cause de la moralité, produira
cet accord nécessaire entre l'intention morale et la
nature pour que le souverain bien soit enfin réalisé.
3° Avec beaucoup plus d'autorité, de Margerie a
tiré de l'idée du devoir la preuve de l'existence de
Dieu. Analysant les faits moraux de la conscience
et trouvant qu'ils impliquent l'idée d'une loi éter-
nelle absolue, parfaite, universelle, il constate que
cette loi n'a pas sa source dans l'expérience. Sans
doute on peut se tromper, et l'on se trompe sur
l'idée du devoir, car on pèche contre la morale
comme on pèche contre la logique ; on se trompe
surtout si le sens moral est malade et lorsque l'ha-
bitude de mal faire en a émoussé la clairvoyance.
L'idée alors peut être obscurcie, méconnue, oblité-
rée même, chez les individus et dans les peuples.
Car « le grand moyen de discerner le devoir, ce
i n'est pas d'avoir une raison puissante, c'est d'avoir
PREUVES MORALES 4l5
une volonté droite et un cœur pur. A mesure qu'on
devient meilleur, les vérités morales apparaissent
avec une plus irrésistible évidence ; et, tout au con-
traire, l'habitude de violer le devoir et d'en détourner
nos regards nous fait désirer, puis trouver des
raisons contre lui, et ne réussit que trop aisément à
nous le rendre obscur. Aussi pouvons-nous remar-
quer que bien des consciences, fort saines et fort
délicates en ce qui concerne certaines vertus aux-
quelles on a su rester fidèle, sont étrangement
élargies dès qu'il s'agit d'autres devoirs dont le
chemin est oublié. »
De même pour les actions : à raison de l'éducation
et des préjugés, les idées morales se faussent dans
la conscience publique. L'abandon du devoir con-
duit à son oubli, et la perversion va s'accen tuant.
« C'est ainsi que des peuples entiers arrivent, non
seulement à tolérer des actions criminelles, non
seulement à les croire innocentes, mais encore à
les imposer au nom des lois et au nom des
dieux. »
« La loi morale est. Elle a toute la réalité qu'elle
peut avoir ; elle commande à ses sujets ; elle se
fait reconnaître par ceux mêmes qui la violent ; elle
a dans la conscience l'organe qui la promulgue, le
tribunal qui l'applique, premier exécuteur de ses
jugements. Et elle a de plus une réalité privilégiée
et souveraine, qui lui subordonne les lois faites par
les hommes aussi bien que leurs actions. Gomme
parfaite, elle les juge et les annule toutes les fois
qu'elles viennent à la contredire. Comme éternelle,
elle est à l'abri de leurs vicissitudes. Comme uni-
verselle, elle s'étend à tout et donne la décision des
cas que les lois écrites n'ont pu prévoir... Si elle est
tout cela, ne voyons-nous pas que la conclusion
saute aux yeux du bon sens, et que nous arrivons
4lG LE CATÉCHISME ROMAIN
droit à Dieu ? Et n'est-ce pas une chose manifeste
que la loi éternelle et parfaite a sa source et son
fondement dans un législateur éternel et parfait,
lequel, étant le principe du devoir parce qu'il a
droit de nous commander, est aussi la dernière fin
de notre activité et la réalité suprême de cet idéal
moral qu'ici-bas nous concevons toujours et n'attei-
gnons jamais (i) ? »
4° En 1891, dans ses Conférences de Notre Dame,
Mgr d'IIulst a examiné tour à tour la morale et la
liberté, la morale et l'obligation, la morale et la
sanction. En passant, il montre que « du devoir à
Dieu, il n'y a qu'un pas à faire, » et il s'écrie : « Le
Bien parfait c'est le premier Etre, c'est le type de
tout ce qui peut être, la cause de tout ce qui est, le
terme de tout ce qui devient. Demandez à Platon sa
voix enchanteresse pour exalter sa grandeur et
glorifier sa beauté. Demandez à Àristote son regard
pénétrant pour découvrir dans chaque créature
l'anneau qui la rattache à cette fin suprême. Deman-
dez aux docteurs chrétiens leur dialectique trans-
cendante pour vous transporter, à travers les
abstractions de la pensée imparfaite, jusqu'à la
radieuse réalité de l'idéal, jusqu'à l'activité créatrice
de la cause première, jusqu'aux pieds du Dieu
vivant. Non, ce n'est pas un Dieu rêvé, un Dieu
d'illusion et de mirage, c'est un Dieu substantiel
que nous adorons. Nous ne voyons pas sa face, mais
nous sentons sa main dans toutes ses œuvres, nous
entendons sa voix dans notre conscience. Pour
remonter jusqu'à lui, mille chemins sont ouverts.
Pourrions-nous l'atteindre en partant seulement du
commandement intérieur qui retentit au fond de
nous-mêmes ? Oui, sans doute, car un impératif
1. Théodicée, t. 1, p. 239, 240, i!\\-i!\i.
PREUVES MORALES kl*]
absolu suppose un maître qui ne dépend de per-
sonne (i). »
Cette preuve, il la donne, l'année suivante, quand
il montre par quel chemin on remonte du devoir à
Dieu. Il constate d'abord que le devoir se révèle
à la conscience de trois manières : d'abord par le
sentiment de la liberté ; ensuite par la claire vue
de l'obligation ; et enfin par l'idée de responsabilité ;
après quoi, il prouve que ce triple témoignage
démontre l'existence de Dieu. Dieu, en effet, se
place comme un anneau nécessaire entre les trois
chaînons dont se compose la trame de la morale.
Entre la liberté et l'obligation, il intervient comme
support du commandement moral. Qui dit com-
mandement dit opposition de maître à sujet. Où est
ce maître ? en dehors de nous. Il nous est supérieur,
puisqu'il nous commande ; il nous est antérieur,
puisque toute conscience humaine, à peine éveillée,
entend son commandement. Ce commandement
est-il une abstraction ou émane-t-il d'un être réel ?
Il ne peut être une simple abstraction ; car Fabstrait
dépend d'une intelligence ; l'abstraction est une
opération de l'esprit. Le vice radical de la philoso-
phie qu'un rêveur allemand a inoculée à notre siècle,
c'est de renverser l'ordre des priorités en mettant
l'abstrait à l'origine du concret. Ce qui est antérieur
à tout existe en soi, et ce qui existe en soi est une
réalité vivante ; l'abstrait n'est que le résidu de la
pensée d'un vivant. Ce quelque chose de réel et de
concret qui précède tout, qui domine tout et que
rien ne renferme, c'est Dieu. Le vrai Dieu seul peut
fournir un support à l'impératif absolu du devoir.
Mais Dieu intervient une seconde fois entre l'obli-
gation et la responsabilité. Il y a un témoin tou-
j. Conférences de Notre Dame, 189 1, iw9 conf.
2.1 CATÉCHISME. — T. I. »J
Z|l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
jours présent, toujours clairvoyant, toujours équi-
table et incorruptible, dont le regard fouille les
plus secrets replis de notre cœur et voit à découvert
ces derniers dessous que je voudrais me cacher à
moi-même ", c'est celui que l'espace n'emprisonne
pas, que le temps n'emporte pas ; celui qui atteint
l'être dans son fond parce que c'est lui qui l'a fait.
Et Dieu intervient une troisième fois entre la
responsabilité et la sanction. Si je me sens débiteur
pour mes fautes, où est le créancier du châtiment ?
Si je suis créancier au titre de mes vertus, où est le
débiteur de la récompense? Otez Dieu, et le pécheur
pourra se vanter jusqu'au bout d'avoir bravé l'ordre.
Otez Dieu, et le juste aura vainement souffert ; et
l'appel qu'il a interjeté au-delà de ce monde contre
le scandale de l'iniquité victorieuse, se sera perdu
dans le désert des abstractions mortes, dans le vide
des formules impuissantes. Si la justice est plus
qu'un mot, il faut que le juge soit vivant. Ma cons-
cience crie : je crois en Dieu qui viendra juger les
vivants et les morts.
Pour conclusion : « Il est donc vrai, le sentiment
moral appelle la réalité et l'amabilité de Dieu. Delà
cette émotion de joie ou de tristesse qui, en dehors
de tout espoir et de toute frayeur, accompagne en
nous la rectitude ou les égarements de la conduite.
La tentation est venue secouer mon âme ; l'appât
du plaisir défendu a sollicité mon libre vouloir. Ai-
je cédé à cette séduction que ma conscience
réprouve ? Sans attendre le châtiment que ma pré-
varication appelle, avant même que la crainte de
l'expiation future soit venue inquiéter mon égoïsme,
un nuage a passé sur mon ciel intérieur, une amer-
tume a empoisonné ma jouissance, une mélancolie
a pris la place de la joie coupable à laquelle j'ai
sacrifié le devoir. Mais, si j'ai vaincu le mai ; si,
PREUVES MORALES friy
aux instances pressantes de la tentation, j'ai répondu
fièrement : Non licet, il n'est pas permis ; si, pour
soutenir jusqu'au bout cette résistance, j'ai dû en-
sanglanter mes mains et mes pieds aux épines du
devoir, ah ! je n'ai pas besoin d'attendre que le prix
longtemps retardé de la vertu me soit payé avec
usure ; non, dès maintenant, et parmi les âpretési<
du sacrifice, une félicité intérieure m'envahit, une
paix délicieuse me pénètre et me console. Ne niez;
pas cela, vous vous feriez tort à vous-même, et quel-
que chose de meilleur en vous que vos paroles pro-
testerait contre un démenti qui déshonore. Me niez
pas cela, car c'est le cri de nature et, par consé-
quent, l'écho de Dieu (i). »
5° Avant de passer aux preuves cosmologiques,,
signalons particulièrement celle qui est tirée de la
foi du genre humain. Il s'agit d'abord de savoir si
l'humanité, dans son ensemble et non dans chacun,
des individus qui la compose, considérée dans la
suite des âges et à l'heure actuelle, a possédé et pos-
sède, non pas la notion vraie et pure de la nature
divine, mais simplement si elle a eu, si elle a l'idée
de Dieu, si elle a cru, si elle croit à l'existence d'un
être supérieur et transcendant. Or, la réponse à cette
question, ainsi délimitée et précisée, ne saurait être-
douteuse. Les sciences historiques et ethnographi-
ques, notamment la science des religions, si en
faveur depuis quelques années, les multiples voya-
ges à travers notre planète, auprès de tous les peu-
ples qui l'habitent, permettent de constater que,
partout et toujours, dans toutes les races, chez lest
barbares et les sauvages comme chez les peuples
policés, se rencontrent l'idée de Dieu et la foi en
son existence. Sans doute, à parcourir les docu-
i. Conférences de Notre-Dame, 1892, 11e Conf.
^20 LE CATÉCHISME ROMAIN
ments, on ne peut qu'être affligé au spectacle de
certaines altérations, de grossiers abaissements de
la raison humaine en face du divin ; mais, sous les
emblèmes superstitieux ou horribles des races les
plus dégradées, dans les cultes les plus absurdes,
les plus licencieux et les plus cruels, gît l'idée de
Dieu ; idée de plus en plus déformée, de plus en
plus corrompue, à mesure que baisse l'étiage moral
de ces races, mais idée reconnaissable quand même
qui permet de conclure qu'il n'y a pas de peuples
athées.
Nous n'avons pas, pour le moment, à rechercher
comment les peuples sont arrivés des religions pri-
mitives aux religions actuelles, ni comment ils
avaient la religion qui se manifeste chez eux, dès
que l'histoire les saisit ; nous n'avons pas davan-
tage à résoudre la question de savoir si l'évolution
religieuse dans l'humanité s'est faite dans le sens du
monothéisme vers le polythéisme ou en sens con-
traire, ces questions viendront à leur heure et seront
traitées à leur place, mais nous devons constater le
fait qu'il n'y a pas, qu'il n'y a jamais eu de race ou
de peuple sans religion. Si bien que l'on a pu dire
que l'une des caractéristiques de l'espèce humaine,
et la principale, c'est la religiosité. L'homme n'est
pas seulement « l'animal politique » au sens d'Aris-
tote, il est surtout l'être religieux. « Sa définition,
sa caractéristique, dirait-on en zoologie, est donc
celle-ci : l'homme est un corps, ou mieux un être
organisé vivant, sentant, se mouvant spontanément,
doué de moralité et de religiosité (i). » De sorte
que, dans l'espèce humaine, au sens des naturalis-
tes comme au sens des moralistes, l'athéisme cons-
titue une anomalie, une monstruosité. Au terme de
i. De Quatrefages, Unité de l'espèce humaine, p. 3a.
PREUVES MORALES 421
l'enquête, assurée par les découvertes modernes de
la géographie, de l'histoire, de la linguistique et des
autres sciences relatives à l'espèce humaine, M. de
Quatrefages a pu écrire ces lignes : « Obligé par mon
enseignement de passer en revue toutes les races
humaines, j'ai cherché l'athéisme chez les plus
inférieures comme chez les plus élevées. Je ne l'ai
rencontré nulle part, si ce n'est à l'état individuel
ou à celui d'écoles plus ou moins restreintes...
L'athéisme n'est nulle part qu'à l'état erratique.
Partout et toujours la masse des populations lui a
échappé; nulle part, ni une des grandes races,
ni même une division quelque peu importante
de ces races n'est athée (i). »
Tel est le fait. Mais que prouve-t il ? Pour le
croyant qui adhère à l'enseignement de la Bible et
de l'Eglise catholique, la réponse est facile ; mais
pour celui qui ne croit ni à l'inspiration biblique,
ni à la révélation, la solution est à chercher. On Ta
cherchée, soit au moyen d'hypothèses, soit par l'in-
duction tirée de faits déjà contrôlés, soit par l'étude
psychologique du sentiment religieux. L'a-t-on
trouvée ? C'est ce que nous n'avons pas à dire ici ;
mais ce que nous devons dire c'est que l'homme n'a
pas changé de nature, et par suite qu'il a toujours
été à même, par sa raison, de s'élever à la connais-
sance de Dieu, comme nous l'avons prouvé dans la
leçon précédente ; et ce que nous devons ajouter,
c'est que cette connaissance ou cette foi au divin,
étant si universelle, a une force qui mérite d'être
prise en considération.
Ce fait démontre-t-il donc l'existence de Dieu,
demande M. Vacant ? « Oui, car il confirme la
valeur des preuves déjà rapportées. Comment expli-
i. De Quatrefages, V espèce humaine, c.xxxv, n° 4.
#2 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
q»cr, en effet, l'universalité de cette croyance, sinon
par la force persuasive des arguments invoqués ?
La foi de tous les peuples au divin peut venir de la
révélation primitive, faite aux premiers ancêtres du
genre humain ; alors elle confirme les enseigne-
ments de la Genèse à ce sujet. Mais cette foi se serait
iSâns doute évanouie à la longue, si elle n'avait été
constamment soutenue par ce magnifique témoi-
gnage que l'âme humaine et l'univers tout entier
rendent à l'existence de la divinité. Certains auteurs
ont prétendu que la foi au divin est l'effet d'une
crainte déraisonnable, ou qu'elle a été inspirée aux
peuples par des législateurs qui voulaient revêtir
leurs lois d'une autorité sacrée. S'il en était ainsi,
cette foi aurait disparu au milieu des hommes, avec
les causes qui lui auraient donné naissance. Elle
s'est, au contraire maintenue partout avec une
ténacité que rien n'a pu vaincre (i). »
III. Les preuves de saint Thomas
On comprend combien l'âme, avec ses facultés et
«es opérations, avec les phénomènes intimes de la
pensée et de l'acte libre, peut servir de base solide à
une démonstration de l'existence de Dieu. Car, du
moment que l'intelligence et la volonté sont ce
qu'il y a de plus parfait dans Tordre naturel, elles
sont par là même plus aptes à nous faire connaître
l'existence et la nature de Dieu. Preuves psycholo-
giques et preuves morales, elles intéressent et ont
les préférences de certains esprits cultivés de nos
jours ; c'est, en effet, à l'intelligence et à la volonté
humaines qu'on demande la preuve irrécusable de
i. La Constitution Dei Films, t. i, p. 3a.3.
PREUVES DE SAINT THOMAS k^'S
- ■ ■
l'existence d'une intelligence et d'une volonté divi-
nes qui les explique et en donne la raison suffisante.
« L'identité absolue du réel et de l'idéal, de la
puissance et de la sagesse, de l'être et de la perfec-
tion, voilà ce qu'il est (Dieu) pour que je sois ce
que je suis. Pensée et volonté, sans lesquelles il n'y
aurait ni pensée ni volonté en moi, et qu'en même
temps ni ma pensée ni ma volonté ne peuvent
comprendre, tels sont les termes solidaires du mys-
tère qui s'impose à ma conscience. Je n'ai de raison
de l'affirmer que parce qu'il m'est à la fois néces-
saire et inaccessible : il est ce qui ne peut être fait
ou pensé par moi, quoique je ne puisse rien faire ou
penser que par lui. Et s'il me demeure inaccessible,
ce n'est pas faute d'être ou de clarté en lui, mais
en moi. Il est donc ce que je ne puis être : toute
pensée et toute action (i). »
Mais, à côté de ces preuves, il en est d'autres,
dites cosmologiques, où l'expérience sert de point de
départ à l'application rigoureuse du grand principe
de causalité et de raison suffisante, et aboutit légiti-
mement à la démonstration de l'existence de Dieu.
[De nos jours, il est vrai, on a essayé de dénier à
l'expérience le droit d'aller par delà le phénomène
jusqu'au noumène, jusqu'à la substance, jusqu'à la
cause, jusqu'à Dieu. Dieu ne s'expérimentant pas,
on a écarté son idée comme inutile et étrangère à
la science, ou bien on l'a rangée dans la catégorie
des vérités inconnaissables et qui n'importent pas à
l'homme. De la théorie à la pratique, la distance a
été vite franchie ; le malheur est qu'on a voulu en
faire un système d'enseignement ; et, malheur plus
grand encore, c'est qu'on y a procédé à coups de
lois : c'est ce que la langue nouvelle appelle de ce
I. Blondel, L'action, Paris, i8g3, p. 347.
kll\ LE CATÉCHISME ROMAIN
mot barbare, la laïcisation. Il est donc plus que
jamais urgent de proclamer les résultats assurés de
]a méthode expérimentale et de la raison ; et rien
ne vaut, pour le plus grand nombre, dans la ques-
tion de l'existence de Dieu, comme les preuves
cosmologiques : ce sont celles que saint Thomas a
insérées dans sa Somme théologique.
L'ange de l'école les a groupées intentionnellement
au nombre de cinq. Partant toujours de données
empiriques, puis, leur appliquant d'une manière
uniforme le principe de causalité, il a conclu en
toute rigueur de logique à l'existence de Dieu. Dans
le monde phénoménal extérieur, en effet, il com-
mence par relever certains faits. Il y a, dans le
monde, des mouvements ou du mouvement : quel
en est le principe ? Ce ne peut être qu'un premier
moteur immobile. Il y a, dans le monde, des êtres
qui apparaissent, se succèdent et disparaissent :
quelle est leur origine ? Ce ne peut être qu'une
cause sans cause, possédant en elle-même toute la
raison suffisante de cause, et appelée pour cela la
cause première. Il y a, dans le monde, des êtres qui
existent mais pourraient tout aussi bien ne pas
exister : qui explique leur contingence ? Ce ne
peut être que l'existence d'un être absolument
nécessaire. Il y a, dans le monde, gradation et pro-
grès dans l'échelle des êtres : d'où viennent-ils ? Ce
ne peut être que de l'existence d'un être souverai-
nement parfait. Il y a, dans le monde, de l'ordre et
de la finalité : qui donc a produit cet ordre et mar-
qué cette finalité ? Ce ne peut être qu'un suprême
ordonnateur.
Tel est, en raccourci, l'admirable question traitée
par saint Thomas, au commencement de sa Somme.
Cinq preuves, qui toutes ne sont que l'application
dune même méthode, et qui toutes, par leur choix,
PREUVES DE SAINT THOMAS ^25
vont non seulement à prouver que Dieu existe,
mais encore à insinuer quelque chose de ce qu'il
est. Cinq preuves, qui prêtent aux plus beaux
et aux plus riches développements. Dieu seul, cause
du mouvement ; Dieu seul, source et origine de
l'être ; Dieu seul, cause de la subsistance des créatu-
res ; Dieu seul, idéal d'où procède et où tend toute
perfection créée ; Dieu seul, intelligence qui a fait,
un système d'harmonie et de beauté de ce qu'on
appelle le Cosmos. Devant renoncer, faute de place,!
à donner à ces cinq preuves le développement
qu'elles comportent, contentons-nous de les repro-
duire dans leur austère simplicité, sans trahir la
pensée du grand Maître.
Première preuve. « Il est certain et nous consta-
tons qu'il y a du mouvement dans le monde. Or,
tout objet en mouvement est poussé par un autre.
Une chose ne peut se mouvoir, si elle n'était en
puissance par rapport au mouvement qui lui est
imprimé ; une chose ne saurait mouvoir que si
elle est en acte, car mouvoir, c'est pousser de la
puissance à l'acte. Evidemment, une chose ne peut
être portée de la puissance à l'acte que par ce qui
est déjà en acte, comme le feu, actuellement brû-
lant, rend actuellement brûlant le bois, qui aupara-
vant était brûlant en puissance, et ainsi le meut et
le change. Or, il est impossible qu'une même chose
soit en même temps et sous le même rapport en
acte et en puissance ; ceci ne se produit que sous
des rapports différents. Ce qui est maintenant
chaud en acte n'est pas chaud en puissance sur le
même point ; mais est sur ce point froid en puis-
sance. Il est donc impossible qu'un même objet,
sous le même rapport, soit à la fois mû et moteur,
c'est-à dire qu'il se meuve lui-même. Donc tout ce
qui est en mouvement est mû par autre chose. Donc
Z|2b LE CATÉCHISME ROMAIN
^ — — — .. ., M , ■■ .. !■!.!■ ■ !■ I , IM
ce moteur, s'il est lui-même en mouvement, est à
son tour mû par un autre. Mais il faut s'arrêter ;
on ne saurait aller ainsi à l'infini, car alors il n'y
aurait pas de premier moteur; et s'il n'y avait pas
de premier moteur, il n'y aurait aucun moteur,
puisque les moteurs secondaires ne meuvent que
par le premier, comme un bâton ne meut que par la
main. Il faut donc de toute nécessité en arriver à
un premier moteur que nul autre ne meut. Chacun
comprend qu'un tel moteur c'est Dieu. »
Seconde preuve. La seconde preuve est celle de la
cause efficiente. « Nous trouvons dans les choses
sensibles une série de causes efficientes ; mais on
ne trouve pas et il n'est pas possible qu'une chose
soit sa propre cause efficiente, puisqu'une telle
cause serait avant d'être, ce qui est impossible. Or
il n'est pas possible dans les causes efficientes de
remonter à l'infini ; car dans l'ensemble de la série
des causes efficientes, le commencement est la cause
du milieu, et le milieu est la cause du dernier, qu'il
y ait plusieurs termes intermédiaires ou qu'il n'y
en ait qu'un. Mais si on supprime la cause, on
supprime l'effet. Donc s'il n'y avait pas une pre-
mière cause efficiente, il n'y aurait ni milieu
ni fin. Et si l'on procède à l'infini dans la série des
causes efficientes, il n'y aurait pas une cause pre-
mière efficiente, ni dernier effet, ni causes efficientes
intermédiaires, ce qui est manifestement faux. Il
faut donc de toute nécessité une cause première
efficiente, que tout le monde nomme Dieu. »
Troisième preuve. La troisième preuve est tirée
du possible et du nécessaire. La voici : « Nous voyons
des êtres qui peuvent être ou ne pas être, puisqu'il
y a des corruptions et des générations. Or, il ne se
peut pas que ce qui est tel soit toujours, car ce qui
peut ne pas être, parfois n'est pas. Si donc tout
PREUVES DE SAINT THOMAS l\^
pouvait ne pas être, il s'ensuivrait qu'il y a eu un
temps où rien n'était. Mais, dans ce cas, il n'y
aurait rien encore aujourd'hui, car ce qui n'existe
pas ne commence pas à être sans l'intervention
d'un être préexistant. Si rien n'était, il est impossi-
ble que quelque chose ait commencé à être ; donc
il n'y aurait rien, ce qui est manifestement faux.
Donc tous les êtres ne sont pas seulement possibles,
il en faut un qui soit nécessaire. Or ce qui est né-
cessaire a la cause de sa nécessité en soi ou hors de
soi. Mais il ne peut y avoir une série sans fin d'êtres
nécessaires, nécessités par le dehors, pas plus qu'il
n'y a une série sans fin de causes efficientes. Il faut
donc poser qu'il y a quelque chose de nécessaire en
soi, n'ayant pas d'autre cause de sa nécessité, mais
étant cause de tout ce qui est nécessaire. Et cet être
nécessaire par soi-même c'est Dieu. »
Quatrième preuve. La quatrième preuve se tire des
degrés de perfections qui sont dans les êtres. « On
trouve du plus et du moins, des degrés dans la
bonté, la vérité, la noblesse et toutes les autres
qualités des choses. Mais le plus et le moins ne
s'appliquent qu'à des êtres divers qui se rapprochent
diversement d'un type souverain, comme, par
exemple, le chaud est ce qui participe plus ou moins
de la chaleur absolue. Il y a donc aussi un être
qui est souverainement bon, souverainement vrai,
souverainement noble, et qui, dès lors, est souve-
rainement l'être ; car, comme le dit Aristote, ce qui
est souverainement vrai est ce qui est souveraine-
ment. Or, ce qui est souverainement doué de
perfection, en quelque genre que ce soit, est cause
de tous les degrés de perfection du même genre,
comme le feu est cause de toute chaleur. Il y a
donc un être, cause de l'être, de la bonté, de la per-
fection de tout être, et cet être nous l'appelons Dieu. »
4 28 LE CATÉCHISME ROMAIN
Cinquième preuve. La cinquième preuve est tirée
du gouvernement du monde. « Nous voyons certains
êtres inintelligents, tels que les corps, tendre à une
fin, puisqu'ils font ordinairement ou toujours, et
de la même manière, ce qui les mène à un but très
bon. Ce n'est donc pas par hasard, mais bien par
suite d'une intention, qu'ils arrivent à cette fin.
Mais, n'ayant pas de connaissance, ils n'ont pas
eux-mêmes d'intention et ne vont à leur fin que
dirigés par une intelligence qui possède l'intention,
comme la flèche quand elle est dirigée par le chas-
seur. Il y a donc un être intellif ent qui ordonne la
nature et la pousse à sa fin. Nous l'appelons Dieu. »
Telles sont les preuves de saint Thomas (i). Il
était difficile, on en conviendra, de condenser en
moins de mots plus de force probante. Et n'était
la rudesse de ce langage scolastique, auquel il
faut être initié pour en saisir toute la portée, et
qui déconcerte quelque peu un lecteur moderne,
elles mériteraient d'être apprises par cœur. Elles
renferment la substance de tout un traité.
1. L'argument des causes finales. — Voici com-
ment en parle Kant et comment il l'expose. « Le monde,
tel qu'il se révèle à nous, présente un théâtre si étendu
de diversité, de finalité et de beauté, que tout est im-
puissant pour rendre de si nombreuses et si inépuisables
merveilles et l'impression qu'elles produisent dans nos
âmes. Partout nous voyons un enchaînement d'effets et
de causes, de fins et de moyens, une régularité dans la
vie et dans la mort. Et comme rien n'est parvenu de
soi-même à l'état où il se trouve, l'universalité des choses
irait s'abîmer dans le néant, si on ne lui donnait pour
principe et pour cause une réalité supérieure qui la
soutient après l'avoir produite. Cet argument, le plus
i. Sum. theol, I, Q. n, a. 3.
PREUVES DE SAINT THOMAS ^20,
ancien et le plus clair de tous, mérite toujours d'être
rappelé avec respect, et ce serait non seulement nous
priver d'une consolation, mais encore vouloir l'impossible
que de prétendre enlever quelque chose à son autorité.
La raison, incessamment élevée par des arguments si
forts, et qui vont toujours se multipliant sous sa main,
n'offre plus de prise au doute d'une spéculation stérile et
abstraite ; elle s'affranchit de toute irrésolution sophisti-
que ; et en présence de la majesté qui éclate dans la
structure du monde, de grandeur en grandeur elle s'élève
jusqu'à la grandeur absolue. » Kant, Dialectique trans-
cendantale. Critique de la raison pure.
« Dans mon système (l'hypothèse de la nébuleuse pri-
mitive), je trouve la matière soumise à des lois certaines
et nécessaires. Je vois cette matière, décomposée en ses
derniers éléments, se façonner successivement et sous
l'empire de ces lois naturelles, en un tout admirablement
ordonné. Ce n'est point là l'effet du hasard, c'est la con-
séquence nécessaire des propriétés naturelles de la
matière. Et alors n'est-on pas forcé de se demander
pourquoi la matière obéit précisément à des lois qui ont
pour but une si merveilleuse ordonnance ? Serait-il possi-
ble que tant d'éléments, dont chacun a sa nature propre
et indépendante, pussent d'eux-mêmes se prêter un
concours tel qu'il en sortît un tout bien ordonné ; et s'ils
agissent ainsi, n'y a-t-il pas là une preuve indéniable de la
communauté de leur origine première, qui ne peut être
qu'une Intelligence souveraine et toute-puissante, par
laquelle les caractères divers des éléments ont été dessinés
en vue de leurs combinaisons futures ? La matière,
élément primitif de toutes choses, est donc astreinte à des
lois déterminées, et, librement abandonnée à ces lois,
elle engendre nécessairement d'admirables combinaisons.
Elie n'est point libre de s'écarter du plan tracé par son
Créateur. Puisqu'elle est ainsi soumise à des vues sou-
verainement sages, il faut nécessairement qu'elle ait reçu
des propriétés si bien concertées d'une Cause première
supérieure. Il existe un Dieu, précisément parce que le
chaos lui-même ne peut engendrer que l'ordre de la
£3o LE CATÉCHISME ROMAIN
régularité. » Kant, Histoire générale de la nature et
théorie da ciel, préf . , traduction de Wolf.
2. Comme l'argument cosmologique, la preuve
téléologicjue est renouvelée et confirmée par son
un ion avec les autres. . . « Il ne suffit pas d'établir, par un
syllogisme, l'harmonie des moyens, la grandeur des fins,
et la nécessité d'une cause sage et intelligente pour ordon-
ner l'univers et la pensée. La vraie preuve téléologique va
plus avant. Elle montre que la sagesse des choses n'est
pas dans les choses ; que la sagesse de l'homme n'est pas
dans l'homme... Elle ne mesure pas la Cause qu'elle
affirme à la taille des effets ; mais en la reconnaissant en
eux, elle la met hors d'eux et trouve dans la beauté
relative des choses le principe même de toute beauté. Sous
sa forme abstraite, voici donc comment cet argument, si
riche en aspects variés, s'offre à la réflexion, Ni ma pensée
ne peut égaler mon action, ni mon action ne peut égaler
ma pensée. Il y a, en moi, des proportions entre la cause
efficiente et la cause finale; et pourtant ni l'une ni l'autre
ne peuvent être en moi ce qu'elles sont déjà, sans la
médiation permanente d'une pensée et d'une action par-
faites. Tout ce qu'il y a de beauté et de vie dans les
choses, tout ce qu'il y a de lumière et de puissance en
l'homme enveloppe, dans son imperfection et son infir-
mité même, une perfection souveraine : ainsi va se déter-
miner cette triple relation. — C'est en nous, c'est dans le
réel que nous découvrons, comme en un miroir impar-
fait, cette inaccessible perfection. Et pourtant, — ni nous
ne pouvons nous confondre avec elle, — ni nous ne
pouvons la confondre avec nous. La force de cette preuve,
c'est de prendre son point d'appui dans notre expérience
la plus intime. » Blondel, L'Action, Paris, 1893, p. 345-346,
3. Toute la nature montre l'art infini de son au-
teur. — « Quand je parle d'un art, je veux dire un assem-
blage de moyens choisis tout exprès pour parvenir à une fin
précise; c'est un ordre, un arrangement, une industrie, un
dessein suivi. Le hasard est, tout au contraire, une cause
PREUVES DE SAINT THOMAS 43 1
aveugle et nécessaire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui
ne choisit rien, et qui n'a ni volonté ni intelligence. Or je
soutiens que l'univers porte le caractère d'une cause
infiniment puissante et industrieuse. Je soutiens que le
hasard, c'est-à-dire le concours aveugle et fortuit de cau-
ses nécessaires et privées de raison, ne peut avoir formé
ce tout. C'est ici qu'il est bon de rappeler les célèbres
comparaisons des anciens. Qui croira que l'Iliade d'Ho-
mère, ce poème si parfait, n'ait jamais été composé par
un effort du génie d'un grand poète, et que les caractères
de l'alphabet, ayant été jetés en confusion, un coup du
pur hasard, comme un coup de dés, ait rassemblé toutes
les lettres, précisément dans l'arrangement nécessaire
pour décrire dans des vers pleins d'harmonie et de
variété, tant de grands événements pour les placer et les
lier si bien tous ensemble, pour peindre chaque objet
avec ce qu'il a de plus gracieux, de plus noble et de plus
touchant, enfin pour faire parler chaque personne selon
son caractère, d'une manière si naïve et si passionnée ?
Qu'on raisonne et qu'on subtilise tant qu'on voudra,
jamais on ne persuadera à un homme sensé que l'Iliade
n'ait point d'autre auteur que le hasard... Pourquoi donc
cet homme sensé croirait-il de l'univers, sans doute
encore plus merveilleux que l'Iliade, ce que son bon sens
ne lui permettra jamais de croire de ce poème ? » Fé-
nelon, Traité de l'existence de Dieu, P. i, ch. i.
4. L'unique nécessaire. — « En se déployant dans
l'univers, la volonté prend plus clairement conscience
d'elle-même et de ses exigences : la nature, la science, la
conscience, la vie sociale, le domaine métaphysique, le
monde moral n'ont été, pour elle, qu'une série de
moyens; elle ne peut ni y renoncer ni s'en contenter ; elle
s'en sert donc comme de tremplin pour prendre son élan.
La preuve de « l'unique nécessaire » emprunte ainsi sa
force et sa valeur à l'ordre entier des phénomènes. Sans
lui, tout n'est rien, et rien ne peut pas être. Tout ce que
nous voulons suppose qu'il est ; tout ce que nous sommes
exige qu'il soit. C'est donc de mille façons qu'on peut
formuler l'argument tiré de l'universelle contingence. Cet
M
'
£32 LE CATÉCHISME ROMAIN
unique nécessaire se tient à l'entrée ou au terme de toutes
les avenues où l'homme peut entrer; au bout de la science
et de la curiosité de l'esprit, au bout de la passion sincère
et meurtrie, au bout de la souffrance et du dégoût, au
bout de la joie et de la reconnaissance, partout, qu'on
descende en soi ou qu'on monte aux limites de la spécu-
lation métaphysique, le même besoin renaît. Rien de ce
qui est connu, possédé, fait, ne se suffit ni ne s'annihile.
Impossible de s'y tenir ; impossible d'y renoncer.
« Ainsi compris, l'argument a contingentia a un tout
autre caractère, un ressort plus puissant qu'on ne l'a cru
d'ordinaire. Au lieu de chercher le nécessaire hors du
contingent, comme un terme ultérieur, il le montre dans
le contingent même, comme une réalité déjà présente. Au
lieu d'en faire un support transcendant mais extérieur, il
découvre qu'il est immanent au centre même de ce qui est.
Au lieu de prouver simplement l'impossibilité d'affirmer
le contingent seul, il prouve l'impossibilité de nier le
nécessaire qui le fonde. Au lieu de dire : « Qu'à un
moment rien ne soit, éternellement rien ne sera, » il
conclut : « Du moment où quelque chose a été, éternel-
lement l'unique nécessaire est. » Au lieu de s'appuyer sur
la fiction d'un idéal nécessaire, il s'appuie sur la nécessité
même du réel... Ainsi donc l'ordre entier de la nature
nous est forcément un garant de ce qui le dépasse. La
nécessité relative du contingent nous révèle la nécessité
absolue du nécessaire... Le contingent participe à la
nécessité du réel, sans en partager le privilège. Ce qui est
existe nécessairement pendant qu'il est, quoique, par
nature, il n'ait rien de nécessaire.
a Voilà pourquoi les choses visibles, les sciences humai-
nes, les phénomènes de la conscience, les arts et les
œuvres, tout en nous et hors de nous exige « l'unique
nécessaire. » Et si, pour le porter, ces ombres d'être sont
un fondement solide, c'est qu'il en fait lui-même l'invi-
sible appui. » Blondel, L'Action, Paris, 1893, p. 343-344.
5. L'argument tiré de l'existence de la loi mo-
rale et de la nécessité de sa sanction. — « Sans
doute, faire le bien et fuir le mal exclusivement par
PREUVES DE SAINT THOMAS ^33
crainte du châtiment ou par espoir de la récompense,
c'est un sentiment peu noble ; c'est le signe d'une mora-
lité inférieure. Mais il est nécessaire qu'aux heures de
crise où la bête humaine se réveille, quand ses rugisse-
ments étouffent le langage de la raison, la crainte de Dieu
se dresse comme une barrière entre le mal et nous. Pour
dompter un fauve, on oppose à sa fureur une barre
de fer rougie au feu. Combien d'hommes portent en eux
une bête féroce ou une bête obscène, quelquefois l'une et
l'autre ! Alors, aux moments de troubles profonds, la
pensée d'un suprême Justicier dompte les révoltes de la
chair ou de l'esprit. Et d'ailleurs, si l'ordre moral a été
violé, il faut une réparation ; la justice doit avoir son
tour, puisque l'injustice a eu le sien. Si l'homme a fait
effort pour garder toute la loi, une récompense propor-
tionnée lui est due dans la vie future ; ici bas, trop sou-
vent elle lui échappe, et du reste un bonheur purement
terrestre ne peut balancer la valeur transcendante des
actions vertueuses. Supposons un moment qu'un homme,
victime volontaire de sa fidélité à la loi morale, n'ait rien
à espérer d'un Dieu illusoire pour rétablir l'équilibre
entre le bien et le bonheur ; il s'ensuit qu'ayant sacrifié la
félicité terrestre, il se trouve le plus malheureux des êtres
pour avoir écouté le dictamen de sa conscience et suivi
librement l'impulsion de sa nature raisonnable. Il y aurait
donc des cas où l'infidélité à la loi naturelle serait pru-
dence et sagesse. Quelle conclusion ! et qui croira que ce
soit là le dernier mot de la philosophie ? Son dernier mot,
c'est qu'il faut à la morale une sanction rigoureusement
exacte, et pour que cette sanction existe, il faut un légis-
lateur qui la détermine, un juge qui l'applique, c'est-à-
dire il faut un Dieu pour graver la loi naturelle dans
notre cœur, pour maintenir ou réparer l'ordre moral,
comme il en faut un pour façonner et soutenir l'ordre
physique. » Souben, Nouvelle théologie, Paris, 1902,
t. 1, p. 54,
LE CATÉCHISME. — T. I. ^ * »8
Leçon XII'
De Dieu
ï. L'existence de Dieu est une vérité révélée.
II. C'est un dogme de foi catholique, — III. Y
a-t-il des athées ?
I. C'est une vérité révélée
Le Catéchisme romain rappelle le témoignage que
Dieu a donné de lui-même dans l'Ecriture ; et
cette connaissance ainsi obtenue, il la carac-
térise comme une vérité beaucoup plus explicitement
formulée que par les philosophes, absolument
certaine et à l'abri de toute erreur. Les Pères du
concile du Vatican n'ont pas parlé d'une manière
différente. Après avoir affirmé, comme nous venons
de le voir, le pouvoir naturel qu'a la raison de
connaître Dieu, ils ajoutent : « Il a plu néanmoins à
la sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui-
même et les éternels décrets de sa volonté, par une
autre voie, et cela par une voie surnaturelle. C'est
ce que dit l'Apôtre : « Après avoir parlé autrefois
à nos pères, à plusieurs reprises et de plusieurs
manières, par les prophètes ; pour la dernière fois,
l'existence de dieu : vérité révélée 43&
Dieu nous a parlé de nos jours par son Fils (i). »
La révélation constitue donc un autre moyen
d'arriver à la connaissance de Dieu. Et ce moyen
offre des avantages et des garanties qu'on ne saurait
attendre de la raison laissée à elle seule. Les Pères
disent en effet : « C'est à cette divine révélation
qu'il faut attribuer que les points qui, dans les
choses divines, ne sont pas par eux-mêmes inacces-
sibles à la raison humaine, puissent aussi être
connus de tous, sans difficulté, avec une ferme
certitude et à l'exclusion de toute erreur (2). »
C'est, en d'autres termes, proclamer l'utilité de la
révélation, d'une manière générale pour toutes les
vérités de la religion naturelle, mais en particulier
pour la première de toutes, pour la connaissance
de l'existence de Dieu.
Ainsi donc, grâce à la révélation, tout homme,
dans les conditions de la vie présente, peut facile-
ment arriver à la connaissance de Dieu, sans retard
et sans labeur, avec une ferme certitude et sans mé-
lange d'erreur. C'est là, du reste, un fait d'expérience
quotidienne. Pour le passé, l'histoire prouve avec
surabondance de combien d'erreurs, non seulement
dans le peuple mais encore chez les esprits les plus-
cultivés, s'enveloppait l'idée de Dieu. Livrée à ses
seules forces, la raison se heurte à des difficultés
avant d'arriver effectivement à la connaissance de
Dieu. Saint Thomas signale trois inconvénients qui
résulteraient pour l'homme de l'absence d'un ensei-
gnement révélé. C'est que d'abord le nombre serait
fort restreint de ceux qui pourraient parvenir à cette
connaissance, faute soit d'intelligence suffisante,-
soit de loisirs et de goûts, soit de courage ; c'est
ensuite que ce petit nombre n'y parviendrait
1. Constitution Dei Filius, c. 11, Si. — a. Ibid., c. 11, S a.
Q
6 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'après un temps assez long, la jeunesse ne possé-
dant pas le calme et la sagesse requis, la maturité
se trouvant aux prises avec des questions d'ordre
matériel; et c'est enfin que ceux qui y parviendraient
ne sauraient être complètement à l'abri de toute
erreur et de tout doute. Ainsi le meilleur moyen
d'assurer à chacun une connaissance facile, prompte,
certaine et indubitable de Dieu, est-ce la foi. Et
cela est vrai non seulement pour ceux qui sont
insensibles à une démonstration philosophique ou
qui en sont incapables, mais encore pour les esprits
plus élevés qui par là sont assurés contre toute
erreur. « 11 était nécessaire, dit saint Thomas, que
l'homme apprit par l'enseignement de la foi, non
seulement les choses inaccessibles à la raison natu-
relle, mais aussi celles qui peuvent êtres connues
par elle ; et cela pour trois motifs. D'abord pour
que l'homme arrive plus promptement à la connais-
sance de Dieu. En effet, ce n'est qu'en dernier lieu,
et après avoir acquis préalablement des connaissan-
ces nombreuses, que les hommes peuvent se livrer
à l'étude de l'Ecriture sainte, à laquelle il appartient
de démontrer l'existence de Dieu et plusieurs autres
de ses attributs qui se rattachent à cette première
vérité. L'homme, en suivant cette marche, ne par-
viendrait donc à connaître Dieu qu'après avoir passé
déjà une grande partie de sa vie. En second lieu,
pour que la connaissance de Dieu fût plus générale.
Combien n'y en a-t-il pas, en effet, qui ne peuvent
faire de progrès clans la science, soit par défaut
d'intelligence, soit à cause des préoccupations et
des nécessités de la vie matérielle, soit parce qu'ils
ont peu de désir d'apprendre. Or, tous ceux-là
seraient privés de la connaissance de Dieu, s'ils ne
la recevaient par l'enseignement divin. En troisième
lieu, à cause de la certitude de cette connaissance
l'existence de dieu : vérité révélée 437
même : la raison humaine est si défectueuse quand
il s'agit de choses divines I la preuve en est dans
les nombreuses erreurs où l'investigation ration-
nelle sur la nature a conduit les philosophes
anciens, et dans les contradictions où ils sont
tombés. Il a donc fallu, pour avoir de Dieu une
connaissance certaine et indubitable, que les hom-
mes la trouvassent dans l'enseignement de la foi,
manifestée par la parole de Dieu lui-même, qui ne
peut tromper (1). »
Ces paroles restent toujours vraies ; et nul doute
que si le Docteur angélique vivait dans ce commen-
cement du xxe siècle, il ne les eût appuyées sur le
témoignage des erreurs et des contradictions de la
plupart des philosophes contemporains. C'est grâce
à la révélation, en effet, qu'on échappe au désordre,
à l'anarchie, au chaos, aux aberrations de l'intel-
ligence, pour entrer de plein pied et se reposer en
pleine sécurité sur le terrain ferme et harmonieuse-
ment ordonné de la foi, terrain d'où la raison est
loin d'être exclue, mais où au contraire elle est
appelée à exercer ses droits dans toute leur plénitude.
L'existence de Dieu, en même temps qu'elle
appartient au domaine de la raison, est donc une
vérité révélée ; elle peut se lire à chacune des pages
de la sainte Ecriture.
La Bible, en effet, est remplie des affirmations
que Dieu lui-même donne de son existence, des
paroles qu'il prononce, des actes qu'il accomplit, de
ses interventions fréquentes dans l'histoire. Il s'y
nomme et son nom propre est Iahveh ou Jehovah.
Celai qui est ; c'est ainsi qu'il dit à Moïse : « Je suis
Celui qui suis. Voici ce que tu diras au fils d'Israël:
1. Sam. theol., ii'ii», Q. n, a. 4« Cf. Cont. Gent., I, iv; QuœsU
ie Verit., Q. xiv, a. 10. ,
£38 LE CATÉCHISME ROMAIN
Celui qui est m'a envoyé vers vous (i). » A la der-
nière page du saint Livre, il s'appelle « l'alpha el
l'oméga, le premier et le dernier, le commencement
et la fin, celui qui est, qui était et qui doit venir (2).»
D'autres noms sont encore donnés à Dieu : Adonaï,
« mon Seigneur» ; El-Shaddaï, « le Tout-puissant : »
Elion, le Dieu très-haut. « Sa personnalité ressort
de toutes les narrations de style populaire, où d'au-
dacieux anthropomorphismes sont employés pour
caractériser l'acte divin à l'égard des créatures ; un
être abstrait ou impersonnel n'ordonne pas, ne
défend pas, ne menace pas, n'est pas saisi de dou-
leur, ni touché de repentir, ne veille pas sur les
hommes, ne leur apparaît pas sous des formes visi-
bles. Son caractère moral se manifeste par la sévé*
rite dont il use à l'égard des pécheurs, par les
récompenses qu'il promet à ceux qui observeront
sa Loi ; et cette Loi, c'est sans doute le rituel mo-
saïque, mais c'est aussi et avant tout le Décalogue,
c'est-à-dire l'énoncé ferme et précis de la loi natu-
relle. Ce caractère moral du Dieu de la révélation
achève de se dessiner dans les Evangiles ; la notion
de paternité divine à l'égard des hommes n'avait
pas été inconnue aux Juifs ; mais l'histoire évangé-
lique a dégagé cette notion dans toute son intégrité,
l'a fait connaître aux Gentils (3). »
La sainte Ecriture, œuvre inspirée de Dieu, mais
«'adressant aux hommes, est obligée de recourir
à. des expressions anthropomorphiques, à cause de
l'imperfection de notre intelligence et de l'infirmité
de notre langage ; et il a fallu la naïveté de quel-
ques chrétiens (4) ou le manque de bonne foi de
1. Exod., m, i4. — 2. Apoc, 1, 8. — 3. Souben, Dieu dans
l'histoire, Paris, 1902, p. 55. — 4- voir notre article Anthropo~
morphites dans le Dict. de théol, t. 1, col. 1370-1872.
l'existence de dieu : vérité révélée ^39
certains esprits pour voir dans l'anthropomor-
phisme une doctrine littérale. Ce n'est pourtant pas
le cas. Et s'il y est question si souvent des théopha-
nies, la tradition n'a pas eu de peine à en dégager
la haute portée religieuse. Car, comme le signale
Thomassin (1), il découle de l'enseignement des
Pères que Dieu n'a pu apparaître sous forme
humaine que pour s'accoutumer lui-même en quel-
que sorte à l'humanité qu'il devait revêtir un jour :
pour apaiser l'impatience de son amour et, tandis
que, par un conseil de sa sagesse, ilretardait l'heure
de l'Incarnation, il prenait comme un avant goût
de ce grand mystère ; pour habituer peu à peu les
hommes à l'éclat trop vif de sa divinité et, par la
demi-lumière de ses apparitions, fortifier leur regard
et le préparer au grand jour ; pour dissiper graduel-
lement leur incrédulité (2).
Dieu s'est choisi un peuple pour lui communi-
quer ses enseignements progressifs et il n'a cessé
de le mettre en contact avec les races diverses dans
un dessein très arrêté de sa providence, comme l'a
si admirablement montré Bossuet dans son Histoire
universelle ; il lui a sans cesse envoyé des prophè-
tes, toujours en vue du grand avènement du Messie.
Bref, à chaque page, Dieu se montre, parle et agit.
Son existence se manifeste encore par tant
d'œuvres surnaturelles, qui constituent de si puis-
sants motifs de crédibilité et servent en même
temps de preuve à la révélation. Ces œuvres, mani-
festement au-dessus des puissances de la nature,
impliquent une cause transcendante, surnaturelle,
Dieu. Mais certains groupes de ces œuvres merveil-
1. De Incarn. Verbi. I, vi, n. 10, Venise, 1730, p. 3o. — •
a. Cf. De Régnon, Etudes de Théologie positive* 3* série.
Etude xiv, Paris 1898, t. 1, p. &4.
44o LE CATÉCHISME ROMAIN
leuses attestent encore mieux, si c'est possible,
l'existence de Dieu.
Si l'on considère, en effet, l'histoire du peuple
juif, dit Franzelin (i), on voit comment la vie
religieuse et politique de toute cette nation reste
pendant deux mille ans absolument différente de la
religion, de la vie et des mœurs de tous les peuples.
Or cette vie si singulière se relie à des faits surna-
turels, à des prophéties faites et accomplies, à des
théophanies continues qui, depuis la grande appa-
rition du Sinaï, s'offrent sans cesse aux regards de
toute la nation. Et ce n'est pas seulement par hasard
que cette suite de faits surnaturels est liée à cette
histoire religieuse et politique, mais au contraire
elle en forme le fond et l'élément essentiel, de telle
sorte que, sans ces faits surnaturels, la trame de
l'histoire du peuple juif ne saurait ni se comprendre,
ni s'expliquer.
Et n'est-ce pas une preuve évidente de l'existence
de Dieu, que la vie, les œuvres, l'enseignement
de Jésus-Christ ? Yie, œuvres et enseignements,
inexplicables par les seules ressources humaines, et
qui proclament l'action surnaturelle de Dieu. Parmi
ces œuvres, que dire de la fondation de l'Eglise, de
son existence à travers les siècles, de sa force de
résistance à tant d'assauts, de sa marche progres-
sive à travers tant de peuples qui occupent tour à tour
le premier plan de l'histoire ? Si le divin est quelque
part, il est là. Et ce n'est certes pas l'un des moin-
dres motifs de crédibilité que ce phénomène vrai-
ment déconcertant de la persistance de l'Eglise : à
qui sait voir, ce n'est que Dieu qui soutient son
Eglise.
Mais, pour le croyant, si le monde de la nature
i. De Deo uno, 3e édit., p. 117-118.
l'existence de dieu : DOGME de foi 44 1
« I — '
est un livre admirable où se lit, en caractères
indélébiles, le nom du Créateur, le monde de la
grâce avec son harmonie, son éclat, sa prodigieuse
fécondité, avec les perspectives qu'il ouvre devant
la foi étonnée et ravie, ne proclame-t-il pas l'exis-
tence de l'auteur de l'ordre surnaturel ? Il est donc
superflu d'insister.
IL C'est un dogme de foi
catholique
Rien d'étonnant, puisque l'existence de Dieu est
une vérité révélée, que l'Eglise en ait pu faire un
dogme de foi catholique ; et c'est, en effet, ce qu'a
proclamé le concile du Vatican une fois de plus.
Car tous les symboles, nous l'avons vu, débutent
par un acte de foi à l'existence d'un seul Dieu. Mais
c'est parce que, dans le dernier siècle, cette vérité
capitale était méconnue ou défigurée par certains
philosophes et certaines écoles de philosophie, que
les Pères du Vatican ont tenu à en faire une pro-
fession solennelle de foi.
Nous lisons dans la Constitution Dei Filius : « La
sainte Eglise catholique, apostolique, romaine, croit
et professe qu'il y a un seul Dieu, vrai et vivant,
créateur et seigneur du ciel et de la terre, tout-
puissant (i). » Cette profession solennelle de foi en
l'existence de Dieu fait de cette vérité révélée un
dogme de foi catholique, puisqu'il y est dit que
« l'Eglise la croit et la professe. »
Remarquons, toutefois, que les titres donnés à
Dieu dans cette profession de foi ne sont pas de foi
en vertu de cette profession même, car ils ont été
i. Const. Dei Filius, c. i, § i.
l\l\1 LE CATÉCHISME ROMAIN
déjà définis en d'autres circonstances. Que Dieu soit
un et vivant, créateur et seigneur du ciel et de la terret
tout-puissant, ces vérités sont déjà acquises par
d'autres définitions ; elle servent ici à mieux dis-
tinguer le Dieu, dont l'existence est définie, et à
préciser la profession de foi par quelques traits dis-
tinctifs, tels que ceux qu'on rencontre dans l'Ancien
et le Nouveau Testament, où l'on oppose aux idoles
la notion du Dieu véritable : ce Dieu n'est autre
que le Dieu des patriarches, des juifs et des chré-
tiens, auteur tout à la fois de la nature et de la
grâce. La croyance à l'existence de Dieu est néces-
saire de nécessité de moyen pour être sauvé ; mais
le concile n'a pas spécifié si l'acte de foi doit
s'appliquer à Dieu considéré et comme auteur de
l'ordre naturel et comme auteur de l'ordre surna-
turel. Quelques thomistes, sous prétexte qu'on ne
peut faire un véritable acte de foi à une vérité qu'on
s'est démontrée par la raison, soutiennent que la
foi en l'existence de Dieu, nécessaire de nécessité
de moyen pour le salut, n'est autre que la foi en
l'existence de Dieu, considéré comme l'auteur de
l'ordre surnaturel (i). C'est peut-être beaucoup trop
dire ; mais, quoi qu'il en soit de ce point particulier,
à débattre entre théologiens de profession, il con-
vient de retenir que l'acte de foi nécessaire de
nécessité de moyen pour le salut est au moins
l'acte de foi en l'existence de Dieu, considéré comme
auteur de l'ordre naturel.
De cette définition du concile du Vatican décou-
lent quelques conséquences, dont l'une est d'exclure
du corps de l'Eglise quiconque se refuse à admettre
l'existence de Dieu, sur l'autorité de la révélation,
par suite les athées formels, les matérialistes qui
i. Cf. Vacant, loc. cit., 1. 1, p. 169.
l'existence de dieu : DOGME de foi 443
n'admettent rien en dehors de la matière, les
rationalistes qui, repoussant toute révélation, n'ad-
mettent l'existence de Dieu qu'à cause des preuves
qu'en donne la raison, et certains protestants
contemporains qui, par un tour de force comparable
à une gageure, estiment pouvoir rester chrétiens
sans croire à l'existence de Dieu, si hautement
affirmée par Notre Seigneur.
Les matérialistes, cela va de soi, en vertu de leurs
propres principes, ne peuvent reconnaître rien en
dehors et au dessus de la matière : ils ne vont pas
seulement contre la foi, ils sont en révolte contre
la raison. Le concile du Vatican les frappe d'ana-
thème : « Anathème à qui ne rougirait pas d'affirmer
qu'il n'existe rien en dehors de la matière I » Sans
être des matérialistes déterminés, les positivistes
ofîrent-ils prise à cette condamnation ? Car ils
éliminent résolument de leurs recherches l'absolu,
sous prétexte qu'il échappe aux prises de l'expé-
rience, qu'il ne peut être connu ; ils renoncent par
conséquent à la recherche des causes, surtout des
causes premières et des causes finales, parce que
c'est là, à leur sens, une enquête qui ne put pas
aboutir ; c'est dire qu'ils suppriment le problème
de l'origine du monde et celui de sa destination,
parce que « le travail de la science a eu pour résul-
tat de démontrer que nulle part il n'y a place pour
l'intervention des dieux d'aucune théologie. » Dieu
a donc pu être une hypothèse, utile sinon nécessaire,
pendant le premier stage de l'esprit humain, dans
Vétat théologique, et même pendant le second, dans
létal métaphysique ; mais, dans l'état actuel, dans
Vétat positif, c'est une hypothèse démodée, complè-
tement inutile : l'homme n'a qu'à prendre congé de
Dieu; il s'en passe, il l'ignore, il explique sans lui
tout ce qui est explicable. Une telle manière de voir
444 LE CATÉCHISME ROMAIN
est fausse, philosophiquement parlant, et pour bien
des raisons que nous n'avons pas à signaler ici ;
mais il ne suffit pas qu'elle soit fausse pour que les
positivistes soient englobés dans l'anathème que
nous venons de rapporter et qui vise d'une façon
nette et précise les purs matérialistes.
Des idéalistes exagérés sont tombés dans une
autre erreur pareillement condamnable et pareille-
ment condamnée. Il y a tant de manières de repousser
l'idée de Dieu 1 Les athées, nous verrons tout à
Fheure ce qu'il convient d'en penser, la rejettent
formellement, explicitement ; certains idéalistes,
tout en se défendant de lui porter la moindre
atteinte, l'écartent implicitement et en quelque
sorte d'une manière subreptice. C'est ce que nous
avons vu dans la seconde moitié du dernier siècle.
Certains esprits raffinés affichaient pour Dieu un
respect profond ; mais, outre le sens ordinaire
attaché à ce nom, ils en avaient imaginé un autre
tout différent.
Vacherot, par exemple, était très affirmatif en
cosmologie et très négatif en théologie. En cosmo-
logie, il admettait fort bien l'existence de Dieu ;
mais ce Dieu vivant, concret, c'est « l'être universel,
infini, sujet et cause de tous les phénomènes dont
il paraît n'être que le théâtre, se suffisant à lui-
même et n'ayant nul besoin d'un principe hyper-
cosmique ; » il se confond avec le monde, ce qui,
pour nous, revient à dire qu'il n'est vraiment pas
Dieu. En théologie, au contraire, Yacherot admet-
tait aussi l'idée d'un Dieu, immuable, immobile,
parfait, de celui que la foi du genre humain et le
cri de toute conscience religieuse saluent du nom
de Dieu ; mais ce Dieu n'existe pas ; ce n'est qu'un
être de raison dont la perfection est toute idéale ;
ce n'est qu'une idée, qu'une abstraction, parce que
l'existence de dieu : dogme de foi /i/j5
l'existence et la perfection ne marchent pas de pair.
Et vouloir que le Dieu parfait de la théologie fût
réel, ce serait le mutiler, le faire déchoir de sa
perfection. D'où ce dilemme: ou Dieu est parfait,
mais alors il n'existe pas, et c'est l'athéisme ; ou
Dieu existe, mais alors il n'est pas parfait, il so
confond avec le Cosmos, et c'est le panthéisme.
Renan, de son côté, a une théorie quelque peu
semblable, sous des formules plus subtiles et plus
nuancées. Il rejette l'idée d'un Dieu créateur, d'une
Providence intervenant à un degré quelconque dans
les affaires de ce monde, il regarde la vraie théolo-
gie comme « la science du monde et de l'humanité,
aboutissant, comme culte, à la poésie et à l'art, '-et
par dessus tout à la morale. » Quant à savoir si
Dieu existe, il répond oui et non. Oui, il existe, si
on le considère comme la collection des êtres, nature
et humanité, qui sont l'objet de la vraie théologie;
non, si on le regarde comme l'absolu, l'éternel,
l'immuable, sans progrès et sans devenir. Et ainsi
le Dieu, dont il affirme la réelle existence, n'est autre
chose que le monde, ce qui est du panthéisme ; et
le Dieu dont il affirme la perfection, n'est aulre
que le résumé de nos besoins suprasensibles, un
concept sans objet réel, la « catégorie de l'idéal, »
et ceci est de l'athéisme. « Dieu, providence, im-
mortalité, autant de bons vieux mots ; un peu lourds
peut-être, que la philosophie interprétera dans des
sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne rem-
placera jamais avec avantage. Sous une forme ou
sous une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos
besoins suprasensibles, la catégorie de Vidéal (c'est-
à-dire, la forme sous laquelle nous concevons l'idéal),
comme l'espace et le temps sont les catégories des
corps (c'est-à-dire les formes sous lesquelles nous
concevons les corps). »
446 LE CATÉCHISME ROMAIN
« m
Cet athéisme subtil et plus ou moins raffiné est
condamné, croyons-nous, tout comme l'athéisme
brutal et formel, par le concile du Vatican, qui dit
« anathème à qui nierait le seul vrai Dieu, créateur
et seigneur des choses visibles et invisibles (i). »
Mais, avons-nous dit, la définition du concile du
Vatican exclut du corps de l'Eglise certains protes-
tants qui en sont arrivés à ne plus croire en Dieu,
tout en se disant chrétiens. C'est que, en effet, le
protestantisme, suivant fatalement la voie de son
évolution, qui est commandée par son principe de
libre examen, est en train de toucher au terme
dernier, la négation pure et simple de l'existence
personnelle de Dieu. Qui voudrait en connaître, non
pas la genèse primitive, mais les manifestations les
plus récentes, en trouverait l'explication dans l'article
Dogmatique, publié par M. le pasteur Bouvier, dans
Y Encyclopédie des sciences religieuses, de Lichtem-
berger (2) ; il y verrait que la dogmatique protes-
tante a subi, au xixe siècle, deux influences, celle de
la philosophie de l'absolu et celle de la théologie
du sentiment ; que peu à peu elle en est venue non
pas seulement à rejeter, comme l'a dit la Constitu-
tion Dei Filius, toute foi surnaturelle en Jésus-
Christ, mais encore à mettre en doute ce premier
principe de la religion naturelle, l'existence d'un
Dieu distinct du monde. Et dès lors on ne s'étonne-
rait plus de cet état d'individualisme et de sub-
jectivisme, dont M. Sabatier, en France, dans
son Esquisse d'une philosophie de la religion, et
M. Harnack, en Allemagne, dans son Histoire des
dogmes et surtout dans son Essence du Christianisme,
sont une preuve toute récente. Dans leur pensée et
1. Const. Dei Filius, 1 can. de Deo, can. 1 et 2. — 2. T. iv,
p. i4 sq.
Y A-T-IL DES ATHEES 4^7
sous leur plume, Dieu, chassé du domaine de la
nature et de celui de l'histoire, n'a guère pour refuge
que la conscience humaine. Dans quel état ? Dans
un état fort précaire, assurément ; car il finira par
ressembler, s'il ne lui ressemble pas déjà, à la
catégorie de l'idéal, dont nous venons de parler, ou
« à l'activité imparfaite aspirant au parfait, » autant
dire à un fantôme de divinité, à un athéisme latent.
III. Y a-t-il des athées ?
Les preuves de l'existence de Dieu sont si nom-
breuses, toutes accessibles à la raison, quelques-
unes si faciles et si obvies, que la question se pose
s'il peut y avoir, s'il y a réellement des athées.
L'athéisme est la négation ou l'ignorance de Dieu.
On peut distinguer deux sortes d'athéisme: V athéisme
négatif, simple ignorance de Dieu, chez ceux qui
n'auraient jamais pensé à lui, ou qui ne se seraient
jamais demandé s'il existe ; l'athéisme positif, néga-
tion de Dieu. Ce dernier, à son tour, peut se
se subdiviser en deux : il est spéculatif ou théorique,
chez ceux qui se croient persuadés de la non-exis-
tence de Dieu ; il est pratique, chez ceux qui agissent
comme si Dieu n'existait pas.
i. Or, qu'il y ait des athées pratiques, c'est-à-dire
des êtres humains pensant, parlant, vivant comme
s'il n'y avait pas de Dieu, c'est un fait d'expérience:
il y en a beaucoup trop et le nombre, avec les
mœurs actuelles, ne peut aller, hélas ! qu'en aug-
mentant. Combien d'hommes, en effet, qui lais-
sent prédominer en eux les bas instincts, qui
n'obéissent qu'au gré de leurs intérêts matériels et
au caprice de leurs passions, avides de jouir avant
tout, immédiatement, le plus possible, qui étouffent
fl/\8 LE CATÉCHISME ROMAIN
la voix de leur conscience, témoin ou juge impor-
tun, qui écartent comme un joug intolérable toute
loi morale, qui bannissent de leur vie pratique
l'idée d'un Dieu rémunérateur et justicier, et qui
nient l'existence future et les sanctions d'outre
tombe 1 Depuis l'époque où Lamennais écrivait son
Essai sur l'indifférence, l'impiété n'a cessé de faire
des progrès ; elle tend de plus en plus à ramener
les âmes en plein paganisme. Et, d'autre part, le
rationalisme contemporain a essayé d'ériger en sys-
tème une règle de vie, d'où Dieu est délibérément
exclu. Plus de dogmes ni de croyances religieuses 1
Ce ne sont là que des hypothèses inadmissibles,
dont la science fait bon marché, parce qu'elles
échappent à tout contrôle scientifique. L'homme
est autonome : il doit organiser sa vie scientifique-
ment, sans se préoccuper de Dieu, sans rattacher la
morale à une théologie ou métaphysique quelcon-
ques. C'est la « laïcisation » de la morale, et cette
« laïcisation » gagne de proche en proche. L'Etat,
sous prétexte de « neutralité, » s'est soustrait à toute
idée religieuse. Il efface Dieu de ses lois, de son code,
de ses prétoires, de ses constitutions, de ses monu-
ments, de ses fêtes, de ses discours, de son ensei-
gnement et de ses écoles.
Ajoutez à cela la vogue du matérialisme, tel que
Moleschott, Buchner, Cari Vogt et Yirchow l'ont
formulé en Allemagne, et vous comprendrez com-
ment Buchner a pu écrire dans Science et Nature :
« En regard des courants spiritualistes de l'époque,
on peut considérer la philosophie positive comme
étant athée, matérialiste et sensualiste. Ce que l'on
désigne, à l'époque actuelle, sous le nom de Dieu,
de Créateur, de Providence, d'Eternel, etc., ne
représente, suivant la philosophie positive, que des
figures de théologie métaphysique, des artifices de
Y A-T-IL DES ATHÉES 4^9
logique, des hypothèses qui, à l'origine, pouvaient
bien être nécessaires. Ce qui doit remplacer le Dieu
d'autrefois, c'est actuellement l'humanité ou, à un
point de vue général, l'amour de l'humanité. Dits
exstinctis, Deoque successif humanitas (i). » Tel est
le dernier mot du dogmatisme scientifique, le credo
de quelques savants contemporains. Et la doctrine,
dans les masses, se traduit par le sensualisme le
plus effréné. Que faut-il de plus pour expliquer
l'existence des athées pratiques ?
2. Y a-t-il semblablement des athées spéculatifs ?
Nous venons d'entendre Buchner, et le doute n'est
pas possible en ce qui regarde les matérialistes, qui
prétendent expliquer le monde en se passant de
l'hypothèse-Dieu. On peut en dire autant pour les
partisans du panthéisme qui, bien qu'ils s'en dé-
fendent, par leur système incohérent de l'unité
absolue, aboutissent ou bien à réduire l'idée de
Dieu à une pure abstraction, à une idéal métaphy-
sique, à la catégorie de l'idéal, ou bien à sacrifier
l'existence des choses visibles en faveur d'une divi-
nité vaporeuse, indistincte, sans personnalité. Pan-
théisme naturaliste ou panthéisme mystique, peu
importe, l'un comme l'autre, passant du domaine
philosophique dans l'exploitation littéraire, finissent
par vider l'esprit et le cœur de toute idée vraie de
Dieu, et acheminent l'homme, sur le chemin du
rêve et de la chimère, jusqu'à la négation de
Dieu.
Les positivistes n'échappent pas davantage au
même reproche. Sans doute, ils raillent l'athée et le
déiste comme des esprits non émancipés, théolo-
giens dogmatiques à leur manière. L'intelligence a
évolué, disent-ils ; elle n'en est plus au stage théo-
i. Wissen und Natur, trad. franc., Paris, 1866, t. I, p. 24.
LE CATÉCHISME. — T. I. 39
450 LE CATÉCHISME ROMAIN
logique, ni même au stage métaphysique, où elle
expliquait l'origine du monde par l'intervention
d'agents surnaturels ou de forces abstraites ; elle
est au stage scientifique ou positif, et elle doit
renoncer de parti pris à chercher une cause introu-
vable, inaccessible, inconnaissable, du monde, pour
se confiner exclusivement dans le domaine de
l'expérience sensible. Gela n'a pas empêché, par
une inconséquence assez piquante, Comte lui-même
d'essayer à son tour d'établir dogmatiquement une
religion, dans laquelle, il est vrai, ne paraissent ni
Dieu, ni l'âme.
Mais, au fond, l'athée spéculatif est-il réellement,
logiquement, scientifiquement convaincu de la non-
existence de Dieu ? Il en est qui l'affirment, et plu-
sieurs sur un ton blasphématoire tel qu'ils en de-
viennent suspects, et avouent ainsi implicitement
leur croyance intime à l'existence d'un Dieu, qui
les fait baver de colère. Il en est d'autres, moins
exaltés, plus maîtres d'eux-mêmes, plus froids, qui
l'affirment sur un ton de sincérité, qu'il serait
impertinent de mettre en doute, bien qu'il paraisse
impossible que l'homme raisonnable puisse arriver
à se faire une telle conviction . On s'explique assez
aisément qu'une intelligence, continuellement assail-
lie par des doutes, finisse par être victime de leur
travail de destruction. Elle lutte parfois, et doulou-
reusement, mais parfois aussi elle va à la dérive, se
laisse complètement désemparer et glisse dans
l'abîme de l'athéisme spéculatif. Mais, manifestement,
ce ne peut être qu'une crise passagère, exception-
nelle, aiguë. Car, la raison reste la raison, et, à un
moment donné, elle peut secouer ses chaînes, repren-
dre son élan, revenir à la lumière et se convaincre
de son aberration pour adorer le Dieu inconnu. Car,
selon l'Ecriture, « l'insensé dit dans son cœur : il
Y A-T-IL DES ATHEES £5l
n'y a pas de Dieu (i). » C'est un langage intéressé ;
il vient du cœur et non de l'intelligence.
3. Reste maintenant à savoir si un homme, qui
jouit de l'usage de sa raison, qui distingue le bien
du mal, qui sait qu'il fait mal quand il enfreint les
prescriptions de sa conscience, peut passer sa vie
dans l'ignorance totale de Dieu et être de bonne foi.
En d'autres termes, y a-t-il des athées négatifs? Il
ne s'agit pas, cela va de soi, de l'enfant ou du
dément, mais de l'homme sain d'esprit. Sur ce
point, la réponse ne saurait être douteuse, si l'on
tient compte, et il le faut bien, de l'enseignement
de l'Ecriture et de la tradition. Car, d'après cet
enseignement, l'ignorance invincible de l'existence
de Dieu doit être rangée au rang des chimères.
Saint Paul ne nous apprend-il pas, en effet, que
l'ignorance de Dieu, dans laquelle vivaient prati-
quement les païens, était déraisonnable et coupable ?
Et saint Paul ne répétait il pas renseignement déjà
consigné au livre de la Sagesse (2) ? La connaissance
de Dieu était donc moralement possible aux païens ;
elle l'est encore de nos jours à tout homme raison-
nable et de bonne foi. Du reste, d'après saint Paul,
la loi naturelle nous est connue par les lumières de
la raison. Et Franzelin (3) fait observer que nul ne
saurait se croire obligé par la loi naturelle sans
avoir, par là même, au moins une idée vague de
l'existence d'un législateur, qui a droit de comman-
der, et auquel l'homme a le devoir d'obéir. Les
Pères (4) sont unanimes à regarder comme coupable
la méconnaissance de l'existence de Dieu. Leurs
témoignages explicites sont trop nombreux pour
1. Psal., lxxvi, 1. — 2. Sap., xm. — 3. De Deo, thes. m. —
4. Voir dans Petau, De Deo, L. 1, ch. 1 et 2, et dans Thomassin,
De Deo, Lib. 1, de nombreux textes patristiques.
/j52 LE CATÉCHISME ROMAIN
être rappelés ici. Ajoutons encore que c'est l'opinion
des théologiens en grande majorité.
Cela se comprend. Car l'homme raisonnable ne
peut point passer toute sa vie sans se sentir poussé,
un jour ou l'autre, à se poser la question de savoir
ce qu'il est, d'où il vient, où il va, s'il y a par delà
les phénomènes qui l'entourent autre chose que le
néant, un être qui explique l'énigme du monde. La
question posée appelle une solution. Et alors, avec
son intelligence, il la résoudra, bien ou mal, mais
il la résoudra. Ce qui revient à dire qu'un homme
sensé et de bonne foi ne saurait vivre dans Y athéisme
négatif. C'est un des motifs, dit Vacant, pour quoi
il ne saurait y avoir de Jaute parement philosophique,
c'est-à-dire de péché qui violerait gravement une
loi morale bien connue, et qui ne serait pas en
même temps une offense de Dieu. Certains théolo-
giens avaient avancé que le péché philosophique
peut exister chez ceux qui ignoreraient Dieu ou ne
penseraient pas à lui. Mais, le i[\ août 1690, Alexan-
dre VIII condamna cette proposition comme scan-
daleuse et erronée (1). Cette condamnation implique
que quiconque peut commettre une faute grave, est
à même de connaître Dieu (2).
1. Causes de doute. — « De nos jours, la vérité de
l'existence de Dieu a subi une éclipse qui a profondément
troublé les consciences. Au premier rang des causes qui
l'ont produite, il faut mettre cette myopie intellectuelle
qui résulte d'une demi-science vaniteuse, fréquente aux
époques d'instruction générale, et aussi cette myopie
morale qui frappe les adorateurs de la chair et du veau
d'or. Mais peut-être existe-t-il une cause plus profonde
qu'il serait injuste d'oublier : Le changement radical qui
1. Denzinger, n. 1157. — 2. La Constitution Dei Films, t. 1,
p. 329.
Y A-T-IL DES ATHÉES 453
s'est opéré dans la conception de l'univers sous Vinfluence
du progrès scientifique.
« La création s'est démesurément agrandie aux yeux de
l'intelligence. Les contemporains de Galilée s'effrayèrent
d'apprendre que le savant n'avait pu mesurer la distance
de la terre aux étoiles, en prenant pour base du triangle
le diamètre de l'ellipse de révolution de la terre autour du
soleil; cette base immense était donc insignifiante par
rapport aux éloignements stellaires. Puis la voie lactée,
qui leur avait semblé jusqu'alors un amas de poussière
lumineuse, se révélait comme une prodigieuse agglomé-
ration d'étoiles. Plus tard, ces mondes, qui avaient reculé
dans les lointains de l'espace, furent rejetés hors des
étroites limites du temps où d'anciens calculs voulaient
les enserrer. Tous les vieux cadres éclataient. Les forces
physiques se manifestaient dans toute leur puissance aux
savants étonnés : pesanteur, électricité, attraction, affi-
nité chimique, mouvement et chaleur. A l'idée simple et
populaire d'une création instantanée se substituait l'idée
complexe d'une création lentement progressive. Jusque là
effacées, les causes secondes vinrent occuper désormais le
devant du tableau ; par la multiplicité et l'énergie de leurs
effets sensibles, elles accaparaient l'attention, tandis que
l'action de la Cause première, autrefois prédominante,
se trouvait ainsi reportée à l'arri ère-plan. 11 était donc
conforme à la logique de la faiblesse humaine que la
Cause première subît une éclipse. » Souben, Nouvelle
Théologie, Paris, 1902, t. 1, p. 44-45.
2. Myopie intellectuelle et morale. — « La myopie
intellectuelle peut se guérir par des études plus appro-
fondies, sincères et loyales. Le mot de Bacon reste tou-
jours vrai : « Un peu de science éloigne de Dieu ; beau-
coup de science ramène à Dieu. » Qu'on leur fasse
comprendre qu'il ne sauraient se croire supérieurs à des
savants tels que Leibnitz et Newton, Leverrier et Faye,
Cuvier et Albert Gaudry, et qu'on peut reconnaître, sans
s'abaisser, le Dieu devant qui de tels hommes se sont
abaissés. Leur exemple est là pour prouver que la con-
ception nouvelle de l'univers ne conduit pas le moins du
454 LE CATÉCHISME ROMAIN
monde à l'athéisme, qu'elle ouvre au contraire des pers-
pectives inattendues sur la grandeur, la toute-puissance
et la bonté de l'Etre qui a tout créé.
a Si l'athée est atteint de myopie morale, il faut lui
faire suivre un traitement différent. Chateaubriand avait
vu juste, lorsqu'il écrivait : « Rien ne trouble le compas
du géomètre, et tout trouble le cœur du philosophe. »
L'existence de Dieu n'est pas une vérité stérile, c'est une
vérité féconde dont les contrecoups se font sentir d'une
manière parfois redoutable dans notre vie intérieure et
morale. On est porté à la nier, non pour elle-même, non
à cause des contradictions et des impossibilités internes
qu'on y a reconnues, mais à cause des conséquences
irrésistibles qui en découlent pour nous-mêmes. On vou-
drait bien se persuader que Dieu n'existe pas, parce qu'il
est trop gênant pour nous qu'il existe, et comme on
croit volontiers ce qu'on désire, on en vient à préférer le
sophisme au raisonnement, l'erreur commode à la vérité
désagréable. En un mot, la licence de la vie engendre la
licence de la pensée, pour se créer une excuse à ses pro-
pres yeux, excuse misérable qui aggrave la faute et qui
est impuissante à détruire l'immortel objet de sa né-
gation, Ici, le vrai remède, c'est le retour à l'observation
sérieuse et persévérante delà loi morale. » Ibid., p. 57-58.
3. Perte de la foi pour raisons d'ordre intellec-
tuel. — « Il faut tenir compte d'abord de l'atmosphère
intellectuelle, des idées courantes et des préoccupations
ordinaires, du milieu où l'on vit. Quoi d'étonnant qu'un
enfant grandisse, vive et meure sans la foi, qui n'a jamais
entendu parler de Dieu, de la religion, de l'Eglise, que
pour blasphémer, pour en rire, pour en dire du mal ?
« D'autres ont eu la foi dans leur enfance. Mais le pre-
mier usage qu'ils font de leur raison et de leur liberté,
c'est de tout rejeter avec une légèreté et une présomption
inexcusables, sans étude sérieuse, pour des objections
futiles, pour ne s'en rapporter qu'à soi, pour faire comme
tel ou tel, pour secouer le joug. Ainsi fit Taine à i5 ans.
« L'orgueil et l'amour de la liberté m'ont affranchi, »
écrivait-il lui-même quelques années plus tard. Eman-
Y A-T-IL DES ATHÉES 455
cipation folle et prématurée, dont beaucoup porteront la
peine toute leur vie. Du plus au moins, il y a de cela chez
la plupart des jeunes gens qui perdent la foi, depuis
Taine jusqu'à Jouffroy ou à Renan.
«Cette présomption se complique, chez un grand nom-
bre, d études sérieuses et d'effort intellectuel puissant.
On veut juger de tout, sans avoir acquis encore les ma-
tériaux suffisants ; on se met en face des objections les
plus subtiles, sans avoir l'esprit assez préparé pour voir
la valeur de la réponse ; on veut entrer en lutte, et tout
seul, sans être encore armé ou exercé... Beaucoup d'hom-
mes, grâce en partie aux défauts de la première forma-
tion, sont frappés de cette incurable faiblesse en face de
l'objection. Ils devraient le savoir et ne pas s'exposer à
une lutte inégale. Ils n'en tiennent pas compte : ils
s'exposent et ils tombent. L'imprudence et la présomp-
tion ne sont pas moins funestes à la foi qu'aux mœurs.
«Il peut arriver que l'esprit même soit faussé, déformé,
par une culture trop étroite, trop exclusive. Un tel en
viendra à ne plus admettre que la démonstration ma-
thématique, et il est clair qu'il ne l'aura pas en matière
religieuse et morale.
« Un autre est d'un scepticisme incurable en fait de
métaphysique : il ne pourra être logiquement que scepti-
que sur Dieu ou sur l'âme.
«Quelquefois on se fait une mauvaise méthode ou une
fausse idée de la vraie méthode. Ne vouloir rien admettre
dont on n'ait l'idée claire et distincte, c'est s'exposer à
rejeter bien des idées précieuses ; car ni l'idée n'atteint
tout le réel, ni l'idée claire n'est le seul mode de posséder
la vérité. S'arrêter à ne regarder que les difficultés em-
pêche de voir la réalité substantielle et solide. Une
difficulté insoluble ne peut rien contre une vérité acquise ;
mais en s'attardant autour de la difficulté, on peut
perdre le sens de la vérité possédée et la sécurité de la
possession. Ainsi trop de critique peut éloigner du vrai.
« Il en est qui veulent refaire à eux seuls tout le travail
de l'humanité. Ils n'admettent rien sur la parole d'un
autre ; ils veulent tout voir par eux-mêmes. C'estts'ex-
456 LE CATÉCHISME ROMAIN
poser à rester pauvre : nous ne pouvons guère être riches
que de l'acquis des autres. En voulant se suffire et ne
rien devoir qu'à soi on mourra de faim.
« Il en est qui font de tout pure matière d'observation et
de critique : dilettantisme intellectuel qui se complait à
voir, à étudier, à comprendre ; qui ne cherche pas le
vrai, mais le plaisir de la recherche et de l'étude. A ceux-
là le vrai se dérobe, du moins le vrai qu'il importe
d'avoir. La religion est affaire sérieuse.
. « D'autres ont fait leur siège à l'avance. Il est entendu
qu'il n'y a pas de miracles. Pourquoi se gêner a décou-
vrir une imposture dont on est sûr avant examen ? Il est
entendu que la foi ne saurait aller avec la critique et avec
la science: à quoi bon examiner les raisons des croyants?
(dl faut tenir compte surtout de notre faiblesse d'esprit,
de notre multiple insuffisance, et de notre dépendance
nécessaire; tenir compte aussi du développement normal
et progressif de notre vie intellectuelle ; en voulant aller
seuls, en voulant aller trop vite, en voulant braver les
obstacles, en voulant aller par nos voies à nous, nous
risquons de nous perdre ou de ne pas arriver. » Bainvel,
Nature et Surnaturel, Paris, 1903, p. 332-336.
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Leçon XIII
De Dieu
De la nature de Dieu. — I. Méthode à suivre, —
IL Division des attributs. — III. De quelques
attributs. — IV. Enseignement du concile du
Vatican : Condamnation du Panthéisme,
I. Méthode à suivre
Dieu est ; mais qu'est-il ? Après la question de
son existence, celle de sa nature. Dieu est-il
Y inconnaissable , comme le prétendait Spencer?
ou, comme le prétendait Littré, est-il « un océan
qui vient battre notre rive, mais pour lequel nous
n'avons ni barque, ni voile ? » — Nullement, et
nous allons indiquer brièvement la marche à
suivre (i).
Notre raison démontre l'existence de Dieu ; nous
savons donc que Dieu est et par là même un peu ce
qu'il est. Mais cela ne suffit pas à notre légitime
curiosité. Nous désirons connaître aussi bien que
possible cette cause première, cet être nécessaire,
parfait, infini. Malheureusement, d'une part, Dieu
nous reste inaccessible en lui-même, nous ne
i. Saint Thomas, Sam. theol., I, Q. m sq. Pour la bibliogra-
phie, voir les leçons précédentes.
£58 LE CATÉCHISME ROMAIN
pouvons arriver jusqu'à lui que par les créatures ;
et, d'autre part, notre raison est bornée; elle est
donc incapable de comprendre Dieu tel qu'il est,
d'en avoir une notion adéquate, le fini ne pouvant
se flatter d'étreindre l'infini. Lui faut-il donc renon-
cer à pénétrer un peu le mystère de la nature divine,
tout assurée qu'elle est d'avance de n'en pouvoir
soulever tous les voiles ? Loin de là. Dans la mesure
des moyens dont elle dispose et des forces qui lui
sont propres, elle s'y essaie, et elle y réussit
d'autant mieux que sa méthode est plus rigoureuse
et plus sagement appliquée. Sa connaissance de
Dieu grandit ainsi sans cesse, sans qu'elle puisse
jamais épuiser son sujet et le comprendre totalement,
car la dis lance qui sépare Dieu de nous est incom-
mensurable. Elle atteint du moins quelques résul-
tats positifs et certains, et voici comment.
A l'aide de Y analogie, grâce aux données de
l'expérience sensible et de l'étude psychologique,
elle se sert du principe de causalité, qui lui permet
de conclure que Dieu est l'Etre nécessaire, l'Etre par
soi, infini et unique ; elle procède par voie d'élimi-
nation ou de négation, ce qui lui permet de connaître
la simplicité, l'immutabilité, l'éternité et l'immen-
sité de Dieu ; et par voie d'affirmation et de sure-
minence, ce qui lui permet d'attribuer à Dieu, mais
à un degré infini, les perfections des créatures. Par
là, elle se forme un concept qui ne peut s'appliquer
qu'à l'être infini. Elle nie d'abord de Dieu tout ce
qui ressemble à une imperfection, à une limite,
comme absolument incompatible avec la nature de
l'être parfait ; elle affirme de Dieu toute perfection
qu'elle constate dans la créature. Mais ces perfections
des créatures sont toujours courtes par quelque
endroit, comme les êtres qui les possèdent ; la
raison les applique à Dieu d'une manière surémi-
NATURE DE DIEU 45o,
nente, dans toute leur plénitude. Ainsi, par exemple,
toute créature est limitée dans sa nature, bornée
par le temps et l'espace : la raison nie de Dieu ces
limites, ces bornes ; elle le met au-dessus du fini,
du temps et de l'espace ; elle le proclame infini,
éternel, immense. 11 se rencontre dans les créatures
certaines perfections ; il est des êtres qui sont bons,
sages, justes : la raison proclame aussitôt Dieu bon,
sage, juste, infiniment bon, infiniment sage, infi-
niment juste ; elle déclare même qu'il est la bonté,
la sagesse, la justice, en gardant toujours devers
elle la conviction assurée de ne pas égaler sa pensée
et son expression à celui qui en est l'objet, parce
que, comme le remarque saint Augustin, Dieu est
plus grand que la grandeur, plus beau que la
beauté, plus juste que la justice.
Or cette limite de notre connaissance de Dieu,
cette impuissance où nous sommes de le compren-
dre et de l'exprimer, cette impossibilité d'épuiser la
notion de l'infini, justement reconnues par la
raison, sont un bommage à ce Dieu qui reste, en
dépit de tout, absolument ineffable. « Tout peut
être dit de Dieu, remarque l'évêque d'Hippone,
mais rien n'est dit dignement de Dieu (i). » Et c'est
pourquoi, d'après saint Grégoire le Grand, quand il
veut parler de Dieu, l'homme, fut-il un génie
transcendant, en est réduit à « balbutier (2). »
La raison humaine ne pouvant donc parler de
Dieu d'une manière digne de Dieu, essaie du moins
d'en parler de la manière la moins indigne de
Dieu et la plus digne de l'homme. La marge
est large avant que Dieu lui apparaisse, au bout de
ses efforts, comme l'être par excellence, l'être dans
1. Inevang.Joan., tract., xm, 5; Patr. lat., t. xxxv, col. i4g5.
— a. Moral., y, 26.
460 LE CATÉCHISME ROMAIN
la plénitude de la perfection, l'être au-dessus duquel,
en dehors duquel et sans lequel rien n'existe ici-bas.
Est-elle assurée du moins de marcher sur un
terrain ferme, de ne pas divaguer et d'atteindre des
résultats vrais ? Oui, certes. Car elle procède ici
comme pour arriver à la connaissance de l'existence
de Dieu. Elle part des créatures et applique le prin-
cipe de causalité. Elle constate des perfections et elle
les attribue à Dieu, comme nous venons de le dire.
Ces perfections sont diverses, multiples ; les idées
que nous en acquérons sont dans notre esprit
comme dans le sujet qui les reçoit, mais elles sont
en Dieu comme dans la source qui les rend vraies.
Ces idées, légitimes et objectives, ne supposent pas
deux concepts différents, mais un seul et même
concept qui, appliqué à Dieu, en reste l'expression
imparfaite, tandis que, appliqué à la créature, il en
est l'expression adéquate, Par suite les noms de ces
concepts ne se disent pas de Dieu et de la créature
au même titre ; ce qu'ils expriment est épuisé par
rapport à la créature ; tandis qu'en Dieu, ce qu'ils
expriment les déborde et les dépasse.
Dieu dépassant infiniment la portée de notre
intelligence, il nous est impossible, par une seule
idée et dans un seul concept, de saisir toute sa
perfection. Nous ne pouvons procéder que succes-
sivement, fragmentairement, pour détailler cette
plénitude de perfection qui est en Dieu ; cette plé-
nitude même en est la cause, et aussi l'imperfection
de notre raison. Force nous est donc de détailler
les perfections que nous trouvons dans les créatures
pour les appliquer à Dieu ; chacune l'exprime à sa
manière, sous un aspect différent, tout en laissant
indivise l'absolue perfection de Dieu ; chacune
n'ajoute pas une réalité nouvelle en Dieu, mais
seulement en nous. Notre raison raisonnante est
ATTRIBUTS DIVINS 46 I
obligée, pour se rendre compte de la nature de Dieu,
d'énumérer divers attributs, de les distinguer les
uns des autres, de les étudier, de les approfondir les
uns après les autres, mais toujours sans prétendre
que ce qu'elle voi't ainsi, d'une manière discursive
et par voie d'analyse, soit réellement distinct en
Dieu, qui est la simplicité même, et en prenant
toujours les expressions anthropomorpbiques de
l'Ecriture, qui s'adresse à l'homme en parlant de
Dieu, comme une nécessité de s'accommoder à la
manière de comprendre et de parler de l'homme.
II. Principales divisions
des attributs divins
Sous le bénéfice des observations précédentes, on
s'explique comment la raison a étudié les attributs
de Dieu et les a divisés.
D'après la manière de les connaître, les uns sont
appelés négatifs, les autres positifs. Les attributs
négatifs sont ceux dont le concept implique une
négation ; les attributs positifs, ceux dont le concept
implique une affirmation. Qui dit créature désigne
un être créé, dépendant, contingent, composé,
fini, changeant, mesuré par le temps et par l'es-
pace, etc. La négation de ces imperfections constitue
un attribut négatif. Et c'est ainsi que l'on dit de
Dieu qu'il est incréé, indépendant, nécessaire, sim-
ple, infini, immuable, immense, éternel, etc. La
forme étymologique de ces termes ne doit pas don-
ner le change, c'est leur sens qui importe, et quel-
ques-uns, en effet, ont une forme positive, mais ils
sont la négation d'une imperfection. D'autre part,
affirmant de Dieu les perfections que nous trouvons
462 LE CATÉCHISME ROMAIN
dans les créatures, nous disons qu'il est être, subs-
tance, vie, vérité, intelligence, volonté, puissance :
ce sont des attributs positifs.
D'après V analogie, qui existe entre certaines per-
fections de Dieu et celles dos créatures, on dit des
attributs divins que les uns sont communicables, les
autres incommunicables . Les premiers sont en Dieu
à l'état absolu, et dans les créatures à l'état relatif,
participé ; ce sont les attributs positifs déjà signalés.
Les autres restent la propriété exclusive de Dieu ;
ce sont les attributs négatifs.
Parmi les perfections divines, les unes ne suppo-
sent aucun rapport entre Dieu et d'autres êtres ; ce
sont les attributs absolus ; les autres, au contraire,
supposent un rapport entre Dieu et des êtres exté-
rieurs à Dieu ; ce sont les attributs relatifs.
Il existe encore d'autres divisions : nous ne nous
y arrêterons pas, nous contentant de signaler, à la
suite de saint Tbomas (i), les principaux attributs
relatifs à la substance de Dieu ; ce sont : la simpli-
cité, la perfection et la boni, l'infinité et l'ubiquité,
l'immutabilité, l'éternité, l'unité.
III. De quelques attributs de Dieu
i. La simplicité. — Dieu est simple, plus simple
que la pensée, que l'âme, que l'ange. Il écbappe à
toute composition soit physique, soit métaphysique,
soit logique. On entend par composition physique
l'union de parties substantielles réellement distinc-
tes ; par composition métaphysique, celle de la
puissance et de l'acte, de l'essence et de l'existence,
de l'essence et des attributs, du sujet et des accidents ;
par composition logique, l'union dans un être d'élé-
i. Sam. theol., I, Q. m-xi.
DIEU EST SIMPLE 463
ments qui lui sont communs avec d'autres êtres du
même genre et d'éléments qui lui sont propres ;
c'est la composition du genre et de la différence
spécifique.
En Dieu, pas de composition matérielle : il est
un esprit ; pas de composition de matière et de
forme : il est un pur esprit ; pas de composition de
puissance et d'acte : il est tout en acte, un acte pur ;
pas de composition logique : il n'entre dans aucun
genre, dans aucune espèce ; pas de composition
d'essence et d'existence : il est son essence, son
existence, sa vie. En Dieu l'être, la substance,
l'essence et l'existence ne sont qu'une seule et même
chose. Dieu, c'est la simplicité souveraine, la sim-
plicité absolue. Et de même qu'il est sans composi-
tion d'aucune sorte, il n'entre dans la composition
d'aucune créature, bien que pourtant la créature ne
puisse être que par lui. Il est l'être de l'être, l'être
des êtres, non par son essence, qui est incommuni-
cable, mais par la cause exemplaire qu'il en a et
par la cause efficiente qui les produit.
2. La perfection. — Un être étant plus ou moins
parfait selon qu'il est plus ou moins en acte, il
s'ensuit que Dieu, qui est le premier principe actif,
la première cause efficiente, toujours et totalement
en acte, un acte pur, est absolument parfait : il
possède la perfection absolue, toutes les perfections
de tous les êtres, dune manière suréminente, et
toute la perfection de l'être. A ce titre, la bonté lui
convient excellemment.
D'autre part, tandis que les créatures sont limitées
par le nombre, par l'espace, par la durée, et sont
sujettes au changement, Dieu ne saurait ni avoir
ces limites ni subir ces changements : de là les
attributs suivants. Point de limites en lui, quant
46 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
aux nombres : étant l'être subsistant en soi, il est
Vinflni. Point de limites clans l'espace : il domine
l'espace, il est' immense. Point de limites dans la
durée : il domine le temps, il est éternel. Pas le
moindre changement : il est immuable. Et ce Dieu
d'une simplicité si absolue, d'une perfection si com-
plète, à la fois infini, immense, éternel, immuable,
est unique, est un, il est l'unique, Vun par excellence.
Mais qu'est-ce à dire ? La raison est opprimée par
tant de majesté ; elle ne peut que balbutier, et même,
aidée par la foi, elle se heurte de tous côtés à d'in-
sondables mystères.
3. L'immensité. — Par son immensité, Dieu
domine l'espace. Il est partout, en tous lieux, non pas
qu'il les occupe à la manière des corps qui excluent
la présence des autres corps, puisqu'il est simple,
non qu'il y remplisse le rôle de l'âme dans le corps,
ceci serait du panthéisme ; mais parce qu'il fait que
l'espace est ce qu'il est, parce qu'il lui donne la
capacité de contenir des êtres et parce que tous
les êtres qui l'occupent, c'est lui qui les a faits. Il
est présent à toute créature et clans toute créature,
non comme partie de son essence ou l'un de ses
accidents, mais comme la cause est présente à son
effet, comme l'agent est présent à son œuvre. En
tout et partout par sa puissance, rien n'échappe à
son pouvoir, depuis les infiniment petits qui
s'abritent sous un brin d'herbe ou de mousse ou
s'agitent dans une goutte de rosée jusqu'aux sphères
géantes qui gravitent dans l'espace. En tout et
partout par sa présence, rien n'est soustrait ou caché
à ses yeux, le fond des cœurs, le secret des conscien-
ces, tout comme l'abîme insondable du firmament
étoile. En tout et partout par son essence, tout ce
qui est, tout ce qui vit, tout ce qui pense a sa raison
DIEU EST ÉTERNEL 465
d'être, de vivre et de penser dans cette cause
efficiente souveraine.
Rappelons-nous le passage du psalmiste, déjà
cité par le Catéchisme romain :
« Où irai-je devant votre esprit ?
Oàfuirai-je devant votre face?.,. »
Ajoutons-y celui de Job (i) :
« // est plus haut que le ciel. Que feras-tu?
Plus profond que le scheol : doù le connaîtras-tu?
Sa mesure est plus longue que la terre,
Elle est plus large que la mer. »
Et celui-ci de saint Paul : « Le Seigneur est bien
près de nous, puisque c'est en lui que nous trouvons
Vêtre, le mouvement et la vie (2). » L'homme, par
la pensée, peut franchir les espaces en un clin
d'œil, mais il reste localisé ; Dieu, au contraire, les
remplit sans être localisé. Mystère? Oui, sans doute.
Si l'explication nous échappe, nous en voyons du
moins la nécessité.
[\. L'éternité. — De même qu'il domine l'espace
Dieu domine le temps. Il n'a ni commencement ni
fin ; il n'est pas mesuré par la durée. Rien de suc-
cessif en lui ; tout est actuel dans son essence ; toul
ce qui s'y trouve s'y est toujours trouvé, s'y trou-
vera toujours. Point de passé ni d'avenir en Dieu,
mais un présent toujours le même. Passé, futur,
formules nécessaires pour notre usage, car nous
sommes des êtres successifs et changeants, dont les
sourires et les tristesses, les joies et les larmes
s'écoulent sans cesse dans un passé qui n'est plus,
1. Job, xi, 8. — 2. Ad. xx, 27-28.
LB CATÉCHISME. — T. I. 30
466 LE CATÉCHISME ROMAIN
dont les espérances et les craintes, chimériques ou
fondées, se perdent dans un avenir qui n'est pas
encore, mais formules absolument impropres et
inapplicables, dès qu'il s'agit de Dieu, et dont
pourtant il faut bien que nous usions, puisque nous
parlons de Dieu en créatures, et dont la Bible elle-
même est obligée de se servir pour se faire entendre
en parlant de Dieu à des hommes. L'Ecriture du
moins prend soin de nous avertir à maintes reprises
que Dieu est éternel.
« Avant la création des montagnes,
La formation de la terre et de V univers,
Vous êtes, Seigneur, et vous serez toujours.,.
Mille années sont devant vos yeux
Comme la journée d'hier déjà passée,
Comme la veille d'une nuit (i). »
« Au commencement, vous avez fondé la terre,
Et les deux sont l'ouvrage de vos mains.
Ils passeront et vous durerez;
Ils s'useront tous comme un vêtement,
Et vous les changerez comme on change un habit,
Et ils passeront ; mais vous restez le même
Et les années ne vous manqueront pas (2). »
On a dit du temps qu'il était « l'image mobile
de l'immobile éternité. » Mais qu'est-ce que l'éter-
nité ? Impossible de le comprendre et de l'expliquer.
Dire que c'est un jour sans matin ni soir, un présent
immuable sans succession ; la définir avec Boèce :
« la possession entière, simultanée et parfaite d'une
vie sans terme (3), » ce n'est pas en donner une idée
adéquate ; et le mystère reste toujours de savoir
comment Dieu la possède. Saint Augustin, saint
1. Psaî.t lxxxix, a, &. — 2. Psal., ci, 26 sq. — 3. Cons.,
ni, 2.
DIEU EST IMMUABLE 46 7
Anselme, saint Thomas déclaraient le problème
difficile à résoudre : on peut les en croire. L'homme,
mesuré par le temps, tâche bien de rendre présent
le passé, qui n'est plus, par le souvenir, et devance
l'avenir, qui n'est pas encore, par la prévision, et
c'est à peine s'il jouit d'un moment présent fort
précaire en vérité, tant il est prompt à se transformer
en passé, tant il est vite remplacé par le moment
qui suit. En Dieu, rien de semblable : l'éternel est
son nom.
5. L'immutabilité. — Dieu est enfin au dessus
de tout changement. Parce qu'il est un acte pm\ il
ne peut point passer de la puissance à l'acte ; parce
qu'il est absolument simple, il exclut toute espèce
de composition, comme nous l'avons vu; parce qu'il
est infiniment parfait, il ne peut rien perdre, rien
gagner. Donc, en lui, ni contingence, ni possibilité
de changement, comme dans les êtres contingents
et changeants. Il ne change ni dans sa nature, ni
dans sa volonté. « Dieu n'est pas comme V homme
qui ment, ou comme le fils de l'homme qui change (i). »
« Je suis le Seigneur, dit-il, et je ne change pas (2). »
« Vous restez toujours le même, Seigneur (3). »
« Nombreuses sont les pensées de l'homme, mais
la volonté de Dieu est permanente (4). » « En
Dieu point de changement ni d'ombre de vicissi-
tudes (5). »
Que de fois pourtant la Bible nous montre Dieu
pardonnant après avoir menacé ou puni, exau-
çant la prière après avoir refusé de l'entendre !
Mais ce changement n'est pas en Dieu, il est en*
nous. C'est nous qui sommes pardonnes, après avoir
1. Num.f xxiii, 19. — a. Malach., ni, 6. — 3. Psal., ci, 27..
*— 4- Prov., xix, 21. — 5. Jac, 1, 17.
468 LE CATÉCHISME ROMAIN
mérité ou subi le châtiment ; c'est nous qui som-
mes exaucés, après avoir mal prié ; et l'Ecriture,
ici comme toujours, ne fait que parler notre lan-
gage pour se mettre à notre portée, et montre le
Dieu immuable s'accommodant à notre manière
d'être.
Voilà donc quelques attributs de Dieu, et telle est,
grâce à eux, la notion que nous pouvons nous faire
de la nature divine. Mais cette notion est loin d'avoir
épuisé le sujet ; et fût-elle encore plus complète,
elle ne nous donnerait pas pour cela une idée adé-
quate de Dieu. Elle nous permet du moins de savoir
quelque chose de vrai sur l'être infini, que notre
intelligence est toujours incapable de comprendre
dans toute sa réalité vivante ; du même coup elle
permet de nommer Dieu d'une manière approxima
tive, c'est-à-dire de lui donner des noms qui n'expri-
ment pas, il est vrai, adéquatement son essence
infiniment parfaite, mais qui répondent aussi bien
que possible à notre manière limitée de la con-
naître.
6. Les noms de Dieu. — De tels noms, quand
ils ont un sens négatif, comme infini, immense,
éternel, immuable, ou quand ils impliquent une
idée de relations des créatures avec Dieu, comme
créateur, seigneur, n'expriment pas la substance di-
vine; mais quand ils ont un sens affirmatifet absolu,
comme bon, sage, vivant, ils la désignent, ils en
sont les vrais attributs, quoique toujours d'une ma-
nière imparfaite, puisque ils dépendent de la ma-
nière imparfaite dont nous connaissons Dieu. Or,
parmi les noms que nous donnons à Dieu, tous ne
sont pas de pures métaphores ; quelques-uns dési-
gnent à n'en pas douter les propriétés de l'essence
divine, et bien qu'empruntés aux perfections des
LES NOMS DE DIEU 469
créatures, ils s'appliquent beaucoup mieux à Dieu
qu'aux êtres créés. Et ces noms propres de Dieu,
quoique se rapportant à un seul et même être, qui
est la simplicité absolue, n'offrent pas cependant
une synonymie complète, rigoureuse. Ils renferment
des significations multiples, différentes les unes des
autres, parce que les perfections, d'où la raison les
lire, sont diverses dans les créatures ; mais cette di-
versité de signification n'est que dans notre esprit,
et nullement en Dieu (i).
Dans quel sens les mêmes noms peuvent-ils donc
si dire de Dieu et des créatures ? Ne parle-ton pas,
en effet, de la sagesse de l'homme, de la sagesse de
Dieu ? Quelques explications sont nécessaires. Les
choses sont désignées d'une manière univoque
quand, sous ces mêmes noms, elles ont la même
essence. Ainsi le mot homme se dit univoquement
de Pierre et de Paul, parce que Pierre et Paul
possèdent la même nature humaine. Elles sont
désignées d'une manière équivoque lorsque, sous
un même nom, elles ont une nature différente.
Ainsi le mot lion se dit d'une manière équivoque du
roi des animaux et du signe du zodiaque. Elles sont,
enfin désiguées d'une manière analogue lorsque,
sous le même nom, elles ont des ressemblances
accidentelles, des analogies.
Cela dit, il est évident que les mêmes noms don-
nés à Dieu et aux créatures ne peuvent avoir un
sens univoque, puisque la nature de Dieu diffère de
celle des créatures. Ils ne peuvent pas davantage
avoir un sens purement équivoque, parce que si la
nature de l'être souverain et celle de l'être contin-
gent diffèrent essentiellement, elles offrent du moins
certains traits de ressemblance. Ces noms ne peu-
1. Sam. theol., I, Q. xni.
47° LE CATÉCHISME ROMAIN
« '
vent donc s'employer que dans un sens analogue,
qu'il importe de préciser. Car il y a deux sortes
d'analogie, l'une qui n'éveille qu'une simple idée
de rapprochement, par exemple, entre la cause et
son signe, l'autre qui indique au contraire un rap-
port déterminé de cause et d'effet, et c'est de cette
dernière analogie qu'il est question ici. Les termes
analogues n'expriment pas la même idée comme les
univoques, ni une idée totalement différente comme
les équivoques, mais sous des significations diver-
ses un véritable rapport. Or, le rapport d'analo-
gie qui existe entre Dieu et les créatures est préci-
sément celui de la cause et de l'effet. Par suite,
quand on emploie les mêmes noms pour parler de
Dieu et des créatures, c'est par analogie : dans les
créatures, ils servent à désigner l'effet ; en Dieu, ils
indiquent la cause de cet effet.
Or, parmi les termes dont on se sert pour dési-
gner la cause première, est le nom universellement
connu de Dieu. Celui-ci, dans son sens propre, ne
convient qu'à l'être absolu, il est donc incommuni-
cable ; mais, dans un sens restreint, il peut être
parfois appliqué aux créatures par analogie. Le
nom propre par excellence de Dieu est le nom ré-
véré entre tous, le tétragramme sacré de la Bible :
Iahveh, ou Jéhovah, celai qui est. Ce nom-là exprime
d'abord l'être même ; il a une signification plus
.générale que tout autre ; c'est « l'être tout entier,
l'océan sans bornes et sans rivages de la substance, »
comme dit saint Jean Damascène (i) ; et il signifie
l'être toujours actuel, toujours présent, sens qui
convient admirablement à Dieu, puisqu'en Dieu il
n'y a ni passé ni futur.
i. Defid. orth , i, ia.
DIEU EST INCOMPRÉHENSIBLE fa*]!
IV. Enseignement du concile
du Vatican
Le concile du Vatican, placé en face des erreurs
modernes, s'est appliqué à les combattre et à les
condamner directement. Aussi, sur la question de
savoir ce qu'est Dieu en lui-même, tout en restant
l'écho fidèle du symbole de saint Athanase (i) et du
ive concile de Latran (i2i5) (2), a-t-il expressément
voulu, par un choix déterminé, opposer l'enseigne-
ment catholique aux erreurs des derniers siècles.
€'est pourquoi de tous les attributs de Dieu n'a-t-il
retenu, ce qui n'est pas pour exclure les autres, que
l'éternité, l'immensité, l'incompréhensibilité et
l'infinité en intelligence, en volonté et en toute per-
fection. Voici comment il s'exprime : « La sainte
Eglise catholique, apostolique, romaine, croit et
professe qu'il y a un seul Dieu vrai et vivant, créa-
teur et seigneur du ciel et de la terre, tout puissant,
éternel, immense, incompréhensible, infini en intelli-
gence, en volonté et en toute perfection (3). »
Ayant déjà parlé de l'éternité et de l'immensité,
nous n'y reviendrons pas ; nous traiterons seule-
ment des autres attributs.
1. Incompréhensibilité. — Dieu est incom-
préhensible, déclare le concile du Vatican dans cette
profession de foi. Qu'entendre par là? Car les mots
latins et français, bien qu'identiques quant à la
forme, ont un sens différent. En français, les mots
comprendre, incompréhensible, n'ont pas un sens
1. Denzinger, n. i36. — a. Ibid., n. 355. — & Const. Dei
Filius, c. 1, S i«
472 LE CATÉCHISME ROMAIN
- ■ *
correspondant aux mots latins comprehendere, incom-
prehensibilis. Comprendre signifie, pour nous, se
rendre compte d'une chose, en avoir l'intelligence,
et répond ainsi au sens du verbe latin intelligere ;
incompréhensible signifie une chose dont on ne
peut pas se rendre compte, dont on ne peut
pas avoir l'intelligence. En latin, comprehendere
exprime la prise de possession, la possession
d'un objet ; c'est ainsi que la possession de la
béatitude est une comprehensio . Mais appliqué à
l'intelligence, ce terme signifie connaître parfaite-
ment. Or connaître parfaitement une chose, c'est la
connaître autant qu'elle est connaissable. Dieu seul
peut se comprendre ainsi et avoir de lui-même une
connaissance absolument adéquate. Mais vis-à-vis
de la créature raisonnable, même surélevée par la
grâce, même jouissant de la vision béatifique, Dieu
reste incomprehensibilis , incompréhensible, au sens
des conciles de Latran et du Vatican. La créature le
connaît par la raison, par la foi ici-bas, par la vision
au ciel, mais toujours d'une manière créée, jamais
d'une manière compréhensive . Elle ne peut donc
comprendre Dieu au sens théologique du mot
comprendre ; c'est-à-dire elle ne peut pas connaî-
tre Dieu autant que Dieu est connaissable. La vision
intuitive elle-même, qui est pour la créature le
mode le plus parfait de connaissance de Dieu,
donne bien une véritable connaissance de l'essence
divine, mais pas la connaissance parfaite et com-
préhensive que Dieu a de lui-même ; car elle ne lui
fait pas connaître tout ce que Dieu y voit (1).
1. Les théologiens discutent pour savoir quelle est la raison
fondamentale des limites de la vision intuitive, vision qui n'a
ni l'étendue ni l'intensité de la compréhension que Dieu a de
lui-même. Cf. Franzelin, De Deo, th. xviu ; Gasajoana, De Dtot
77-85.
DIEU EST DISTINCT DU MONDE 473
2. Infini en intelligence, en volonté, en toute
perfection. — Trois déterminatifs du mot infini ;
ils n'ont pas été choisis sans motif, et chacun d'eux
porte contre les erreurs visées par le concile.
Dieu est dit infini en intelligence et en volonté.
Pourquoi ? Pour condamner explicitement le pan-
théisme matérialiste, d'après lequel la divinité n'est
qu'une nécessité aveugle, impersonnelle, une loi
fatale, sans intelligence ni volonté.
Infini en perfection. Pourquoi ? Parce que, en
Dieu, nous l'avons dit plus haut, la perfection ne
peut être relative, elle est absolue. Mais le concile
a mis : en toute perfection, au singulier. Serait-ce
qu'en Dieu, l'être absolument simple, les perfections
seraient réellement multiples, diverses, distinctes,
chose que nous avons déjà déclarée impossible ?
Nullement. Mais, définissant pour des hommes, le
concile a dû s'accommoder à la manière humaine
de concevoir, de comprendre et d'exprimer Dieu.
De plus, en déclarant Dieu infini en intelligence,
en volonté et en toute perfection, on écarte le
sens ancien du mot infini, chose inachevée ou
incomplètement déterminée, et le sens de Hegel qui
n'y voyait qu'un être idéal, collection de toutes les
perfections possibles, mais toujours en formation
ou en train de se réaliser.
3. Dieu distinct du monde. — Pour ne donner
lieu à aucune méprise, le concile poursuit ses
précisions dogmatiques en ces termes : « Ce Dieu
éternel, immense, incompréhensible et infini, étant
une substance spirituelle unique par nature, tout à fait
simple et immuable, doit être déclaré distinct du monde
en réalité et par son essence (i). » Encore un choix
l. Const. Dei Filius, c. I, S i.
k^k LE CATÉCHISME ROMAIN
d'expressions en vue du panthéisme qui confond
Dieu avec le mpnde. Déjà réprouvé par le iv° concile
de Latran, plutôt comme une folie que comme une
hérésie, le panthéisme n'en avait pas moins reparu
dans les siècles suivants. Sous ses métamorphoses
incessantes, variant au gré des esprits audacieux I
qui ont cherché à le réduire en système, le pan- I
théisme repose sur cette erreur capitale, que Dieu ^
et le monde sont con substantiels, soit qu'on absorbe
Dieu dans le monde, soit qu'on fasse de Dieu le
sujet unique de tous les phénomènes. De plus il
aboutit fatalement à des conséquences désastreuses et
immorales qui révoltent la conscience, le bon sens,
et détruisent de fond en comble toute moralité.
Déjà, au xvne siècle, le juif Spinoza (f 1677) avait
fait reposer le panthéisme sur un axiome, d'appa-
rence vraie, et sur une définition absolument fausse
de la substance. L'axiome était ainsi formulé : « Tout
ce qui est et tout ce qui peut être conçu comme
existant, se ramène à Tune des trois catégories de
substance, d'attribut ou de mode. » Cet axiome serait
vrai si les termes qu'il emploie gardaient leur accep-
tion ordinaire. Mais il n'en est pas ainsi. Car,
pour Spinoza, la substance est ce qui est en soi et
est conçu par sol, c'est-à-dire, ce dont le concept peut
être formé sans avoir besoin du concept d'une autre
chose. Au sens ordinaire du mot substance, Spinoza
ajoute l'idée d'être conçu par soi, qui n'est applicable
qu'à Dieu ; grâce à ce subterfuge, il est en droit de
rayer de la catégorie des substances et de reléguer
dans celle des attributs ou des modes tout ce qui
n'est pas Dieu ; il proclame l'unité absolue de subs-
tance, ce qui ouvre la porte au panthéisme. Mais le
subterfuge doit être signalé, et il faut refuser à Spi-
noza le droit de supprimer les substances, entendues
au sens ordinaire. Ce point de départ étant faux,
DIEU EST DISTINCT DU MONDE ^5
tout son édifice croule en dépit de la rigueur géomé-
trique dont il a su l'envelopper.
Au xvme siècle, Kant, par la rigueur de sa Critique
de la raison pure, avait créé le subjeciivisme et
interdit à l'esprit humain le droit de pénétrer dans
Fabsolu ; l'absolu, il est possible qu'on le conçoive,
disait-il, mais il est impossible de savoir s'il existe.
Fichte (f i8i4), sans sortir du subjectif, résolut
de créer l'absolu, de créer Dieu, rien qu'avec son
moi. En disant je suis moi, on prend conscience de
soi ; or, en disant je suis, le moi « se pose, » c'est-
à-dire se crée, est cause de lui-même, c'est l'absolu,
l'infini. Mais, en même temps qu'il se « pose, » il
« s'oppose, » c'est-à-dire qu'en même temps qu'il se
connaît comme actif, il se connaît comme passif,
comme limité, comme déterminé par le non-moi, ou
par les choses extérieures ; et par là le moi crée le
monde tout comme il s'est créé lui-même. Donc,
pas de Dieu, et c'est l'athéisme ; ou bien, au fond,
c'est l'homme qui est Dieu, et c'est de l'anthropolâ-
trie ou du panthéisme subjectif.
Son disciple Schelling (y i854) allait servir d'inter-
médiaire entre lui et Hegel. Il part comme Fichte
du moi absolu, mais il admet que la nature est quel-
que chose de plus qu'une simple création du moit
une réalité objective ; réalité qui s'ajoute à la réalité
subjective comme une manière différente de consi-
dérer les objets, mais qui n'empêche pas la réalité
d'être unique et de constituer l'absolu. Or cet absolu
n'est pas le parfait ; ce n'est qu'un germe, indéter-
miné et inconscient, capable de se développer, de
se réaliser ; et il se réalise, soit dans le monde
d'une manière inconsciente, soit dans l'homme où
il prend conscience de lui-même, par un progrès
indéfini dans l'histoire de la civilisation. S'il est la
principe, tel que nous venons de le dire, il est aussi
4 7 6 LE CATÉCHISME ROMAIN
la fin, l'idéal toujours poursuivi, jamais atteint,
toujours en train de se faire, à travers le temps et
l'espace, dans le monde et l'humanité, par la nature
et l'humanité. Cette théorie est du panthéisme, si
l'on veut, mais c'est aussi de l'athéisme.
Hegel (f i83i) a précisé la méthode du panthéisme
idéaliste et il a formulé la théorie du processus ou
progrès, dont Schelling n'avait qu'affirmé l'existence.
La contradiction étant à la base et faisant le fond du
système, Hegel, par un audacieux défi au bon sens
et à la raison, a proclamé le principe de V identité des
contradictoires, dont voici la formule à couleur
scientifique. Dans la nature, toute chose traverse
trois phases successives : le moment d'enveloppe-
ment ou de la chose en soi, c'est la thèse ; le moment
où la chose sort de soi, en se niant elle-même, c'est
Yantithèse ; le moment où elle se replie sur elle-même
et ramène à l'unité les deux premiers moments, c'est
la synthèse. En partant donc de cette idée fondamen-
tale que tout ce qui est est un développement de
l'absolu, on a dans cette triple formule : affirmation,
négation, conciliation, la loi même de la vie (i).
L'absolu, c'est l'idée ; l'idée, en se développant,
acquiert la conscience d'elle-même, c'est l'esprit ; et
l'absolu, c'est Dieu. Mais Dieu est identique au
néant, puisque, d'après le principe fondamental
posé au début du système, les contradictoires sont
identiques.
Telle est la systématisation du panthéisme au
xviii* et au xixe siècles. On ne saurait aller au delà.
Malheureusement le panthéisme ne s'est pas con-
tenté de faire des victimes en Allemagne ; il en a
fait aussi en France ; et nous signalions plus haut,
dans les doctrines de Yacherot et de Renan, des
i. De Margerie, Théodicée, t. n, p. i36 sq.
DIEU EST DISTINCT DU MONDE ^77
« ■
infiltrations caractéristiques des théories panthéis-
tiques.
L'Eglise, gardienne de la vérité, n'a pas pu laisser,
sans protester, de telles doctrines ravager les âmes.
Pie IX, dans son allocution Maxima quidem du
9 juin 1862 (1), avait condamné le panthéisme. A
son tour, le concile du Vatican a repris la question
pour formuler, sur ce point, aussi nettement que
possible, la foi catholique. De là le choix si judicieux,
des termes pour couper court à toute échappatoire.
Qu'enseigne, en effet, le concile?
Le panthéisme regarde Dieu comme une substance
immanente au monde, et la seule, puisque toute chose
finie et contingente n'est qu'un accident de cette
substance ; ou bien encore il regarde Dieu comme
Vâme du monde. Et le concile dit : pas de substance
unique. Dieu et le monde ne forment pas un com-
posé substantiel, où Dieu jouerait le rôle de forme
ou de principe vital. Quelle que soit la substance
du monde, et il y en a une très certainement, elle
ne saurait être ni la substance de Dieu, ni un mode
accidentel de cette substance divine. C'est pourquoi
le concile caractérise la substance de Dieu, en
l'appelant spirituelle par opposition avec la substance
du monde et les substances des êtres composés.
Mais cela ne suffît pas ; car, en dehors de Dieu, il
existe d'autres substances spirituelles comme celle
des anges ; le concile précise donc en disant que la
substance divine spirituelle est unique par nature,
tout à fait simple et immuable. Or, nous avons vu ce
qu'il faut entendre par ces attributs d'unité, de
simplicité et d'immutabilité ; appartenant en propre
à Dieu, selon la déclaration du concile, il faut que
1. Cette condamnation devint la première proposition du
Syllabus ; Denzinger, n. i548.
k^S LE CATÉCHISME ROMAIN
^ ^— — — — — — — — — — — ^— — — — ^— »
Dieu se distingue de toute substance spirituelle
autre que lui. Et pour couper court à toute équivo-
que, le concile a soin d'ajouter que cette substance
spirituelle de Dieu, unique par nature, tout à fait
simple et immuable, n'est pas immanente, mais
transcendante, car Dieu doit être déclaré distinct du
monde en idéalité et par son essence. Enfin, pour
compléter son enseignement dogmatique sur la
nature de Dieu, il termine par un dernier trait :
Dieu, dit-il, est « bienheureux en lui-même et par
lui-même, et élevé indiciblement au-dessus de tout
ce qui est et peut se concevoir en dehors de lui (i). »
A cette exposition doctrinale s'ajoute, sous forme
d'anathèmes, la condamnation des systèmes pan-
théistiques, dont nous venons de parler. Qu'on en
remarque la propriété et la précision des termes.
Sont condamnés et le panthéisme substantiel, celui
qui conçoit Dieu et le monde comme consubstan-
tiels ; et le panthéisme essentiel de Schelling, celui
qui fait du moi et du non-moi, de l'esprit et de la
matière, du fini et de Finfini, du réel et de l'idéal,
la réalisation progressive d'une seule et même
essence ; et le panthéisme de Vêtre universel de Hegel.
Canon 3 : « Anathème à qui dirait que la subs-
tance ou l'essence de Dieu et de toutes choses est
une et la même. »
Canon 4 : « Anathème à qui dirait que les choses
finies, soit corporelles, soit spirituelles, ou que du
moins les spirituelles sont émanées de la substance
divine ;
« Ou que l'essence divine, par la manifestation ou
l'évolution d'elle-même, devient toutes choses ;
« Ou enfin que Dieu est l'être universel et indéfini
qui, en se déterminant, constitue l'ensemble des
i. Const. Dei Filius, c. i, S i.
DIEU EST DISTINCT DU MONDE [\ 79
choses et leur distinction en genres, en espèces et
en individus (i). »
1. Le Positivisme et l'idée de Dieu. — L'idée, la
notion de Dieu, sa nature ont été singulièrement défigu-
rées en France pendant le xixe siècle, soit par l'école
positiviste, soit par la critique idéaliste : elles aboutissent
au panthéisme ou à l'athéisme. Sans vouloir en raconter
toutes les phases, il semble utile d'en dire quelque
chose, ne serait-ce que pour montrer jusqu'où peut aller,
chez les intelligences les plus hautes et les plus cultivées,
la décroissance de la foi philosophique et religieuse.
Le positivisme, emprisonné par sa méthode, renonce
non seulement à définir Dieu mais encore à se poser la
moindre question sur son existence ou sa nature. La
méthode positive, en effet, condamne absolument toute
recherche concernant les principes, parce qu'elle ne peut
aboutir ; elle bannit de ses études, comme inaccessibles à
l'expérience, aussi bien les causes finales que les causes
premières ; elle supprime le problème de l'origine et de
la distinction du monde ; elle se passe de l'hypothèse
Dieu. Réduite aux phénomènes sensibles, elle s'y appli-
que exclusivement et se contente d'expliquer ce qui est par
un mécanisme aveugle et inconscient, ou par un proces-
sus immanent à la matière, nécessaire et fatal, mais
d'une prodigieuse habileté pour profiter des moindres cir-
constances, pour s'adapter aux divers milieux, pour
choisir les meilleurs moyens dans le but d'atteindre une
fin déterminée. Et ainsi positivistes, évolutionistes, se
passent de Dieu comme d'une hypothèse inutile, ou
réconduisent, « en le remerciant de ses services provisoi-
res, » comme disait Auguste Comte. Finalement, c'est
l'agnosticisme érigé en système. Herbert Spencer proclama
l'existence de Y Inconnaissable, mais le déclara inacces-
sible à notre raison. C'est donc comme si Dieu n'existait
pas, c'est-à-dire de l'athéisme pratique.
Mais, comme malgré tout, l'esprit humain tient essen-
1. Const. Dei Filas, c. 1, can. 3 et 4.
48o LE CATECHISME ROMAIN
tiellement à se rendre compte des choses, l'obligation s'est
Imposée d'expliquer le monde sans l'intervention exté-
rieure d'un Dieu créateur, organisateur et providence. Et
l'on s'y est essayé, non sans efforts ni sans peines, mais à
coup d'hypothèses plus déconcertantes les unes que les
autres. La genèse du monde à dû s'expliquer par le
monde lui-même, par une action incessante, qui, peu à
peu et avec le temps, ne cesse d'évoluer, de se détermi-
ner, de progresser. L'être s'élève ainsi, par une métamor-
phose lente et inconsciente, du pur mécanisme des origi-
nes jusqu'à la région sereine de l'idéal. De forme en forme,
de règne en règne, de la matière primitive, en passant
par l'état de minéral, puis de végétal, puis d'animal, il
arrive à prendre conscience de lui-même dans l'être intel-
ligent qu'est l'homme. Parti depuis longtemps, et tou-
jours en marche, il est loin encore d'être arrivé à son
dernier terme. Et comme il n'y a que cet être qui existe,
toujours en train de se faire, de prendre conscience de lui-
même, c'est en somme du pur panthéisme. D'un côté
comme de l'autre, le positivisme est condamné.
2. Le Dieu de l'Idéalisme. — Vacherot, au siècle
dernier, imagina la théorie du Dieu réel, mais imparfait,
et du Dieu idéal, mais non existant. Il aboutissait à ce
résultat par trois propositions qu'il liait étroitement l'une
à l'autre. Dieu, disait-il, est l'être pur ; et en cela il avait
raison, caries théologiens proclament son absolue simpli-
cité et le définissent un acte pur. Or, ajoutait-il, l'être pur
c'est l'être indéterminé ; et il appliquait ici le faux
principe de Spinoza, que toute détermination est une
négation et une limitation. Donc, concluait-il, l'être indé-
terminé c'est l'être non réel, Dieu ; conclusion fausse.
« La première conception théologique, dit Garo en
résumant la théorie de Vacherot (i), est celle de l'être, de
l'Etre en soi, un, parce qu'il est tout ; infini, parce qu'il
est sans borne dans le temps et l'espace ; absolu, parce
qu'il n'a besoin d'aucune condition, soit pour exister, soit
i. Garo, L'idée de Dieu, 5e édit. , Paris, 1873, p. 225-226.
LE DIEU DE L'IDÉALISME /j8l
pour agir ; nécessaire, parce qu'il est tel que son essence
implique son existence ; universel, parce qu'il comprend
la totalité des phénomènes. Cette conception, nous la
tirons, par une opposition forcée des notions empiriques
de phénomène, de multiplicité, de relation, de contin-
gence, d'individualité. Dieu, à ce premier degré, ou ce
premier Dieu de la métaphysique, est la synthèse, l'unité
rationnelle de ces conceptions de l'Etre en soi, de l'Infini,
de l'Universel. Toute détermination empirique répugne à
son essence. Ame ou corps, esprit ou nature, personne ou
chose, nul être individuel, si grand, si pur, si parfait
qu'il soit, ne peut contenir sa réalité infinie. Il n'est
aucune des réalités finies, mais il les contient toutes, non
pas en puissance seulement, mais en acte. En ce sens il
est Esprit, mais comme il est Nature. Il est intelligence
et volonté, mais comme il est instinct et nécessité. La loi
de sa relation au monde n'est pas celle de cause à effet.
Il n'y a pas de relation de ce genre-là où il y a identité
substantielle des deux termes. Son vrai nom est la Vie
universelle. C'est en lui et par lui que tout se meut, existe
et vit, non dans le sens plus ou moins figuré où saint Paul
le dit, mais dans un sens exact et littéral. L'Etre infini
n'est pas seulement réel, il est tout le réel ; il est le Dieu
vivant (i).
Or, cet Etre universel, envisagé dans sa réalité, c'est le
monde ou le cosmos ; envisagé dans son idée, c'est Dieu.
Sous le premier aspect, c'est-à-dire dans son existence à
travers le temps et l'espace, Dieu vit réellement, mais il
est imparfait. Pour être parfait, il doit nécessairement
passer à l'état idéal, mais alors sa divinité parfaite lui
coûte la réalité : il n'existe pas.
La réalité, en effet, et la vérité on perfection s'opposent :
ce sont des termes contradictoires. La réalité est vivante,
concrète, déterminée ; la vérité, c'est l'idée pure, la per-
fection absolue. La réalité peut aspirer à la vérité, mais
ne l'atteindra pas ; la vérité, en tout cas, ne peut tomber
dans la réalité. L'essence s'oppose à l'existence ; celle-ci
i. Vacherot, La métaphysique et la science, i" édit., Paris»
t. ii, p. 5oo, 537.
LE CATÉCHISMB. — T. I. )X
482 LE CATÉCHISME ROMAIN
se développe dans la réalité des phénomènes, des formes,
à travers le temps ,et l'espace, dans la nature et l'histoire,
tandis que l'essence n'a son siège que dans la pensée
pure. Essence, type, vérité, idée pure, idéal suprême,
perfection, ce sont les vrais noms de Dieu. Mais si Dieu
est conçu comme réel, il ne les mérite plus. Il faut donc
choisir entre l'Infini réel et vivant, qui n'est pas parfait,
ou l'Etre parfait qui n'est pas vivant.
C'est l'être pariait que choisit Vacherot. « C'est le Dieu
abstrait de la pensée pure, en dehors du temps, de-
l'espace, du mouvement, de la vie, de toutes les condi-
tions de la réalité. C'est le Dieu que, dans leur élan de-
spéculation, Platon, Plotin, Maleb ranch e, Fénelon pour-
suivent en vain comme un être réel ; le Dieu dont l'acti-
vité est sans mouvement, la pensée sans développement,
la volonté sans choix, l'éternité sans durée, l'immensité
sans étendue. Ce Dieu-là qu'une philosophie contempo-
raine nous représente relégué sur le trône désert de son
éternité silencieuse et vide, n'a pas d'autre trône que
l'esprit, ni d'autre réalité que l'idée (i) ».
Ainsi, dans le système de Vacherot, deux sciences, la
théologie et la cosmologie, ont le même objet, mais elles
l'envisagent à deux points de vue différents ; la théologie
étudie le Dieu idéal, mais non existant ; la cosmologie
étudie le Dieu réel, mais non parfait ; la théologie est
une cosmologie idéale ; la cosmologie, une théologie posi-
tive. Leur objet, c'est Dieu, vu par l'une dans son état de
perfection, vu par l'autre dans son existence réelle. Dieu
est l'idée du monde ; le monde est la réalité de Dieu (2).
Point d'autre démonstration que cette incessante opposi-
tion entre sa forme concrète et le type, l'existence et
l'essence, la réalité et la vérité, et toujours même conclu-
sion : Dieu parfait n'est pas un être vivant; autrement
dit, il n'existe pas, ce qui est de l'athéisme.
Mais Vacherot tenait à ne point passer pour athée. Aux
accusations d'athéisme, il répondait par des professions
de foi, dont quelques-unes sont fort éloquentes, mais qui
1. Vacherot, lac, cit., t. u, p. 5oo, 53g. — a. Ibid., p. 5oi»
$98,
LE DIEU DE L'IDÉALISME 4 83
s'adressaient au Dieu abstrait. Quant à son Dieu réel, il
devenait l'occasion d'une accusation de panthéisme, à
laquelle il lui était impossible d'échapper. Nous ne pou-
vons que la signaler. M. Caro écrivait (i) : « Je suis
obligé de convenir que je vois le panthéisme sortir de
chaque point de celte doctrine. Que la conscience de M.
"Vacherot ne soit pas panthéiste, je l'accorde de grand
cœur ; mais que son système ne le soit pas, c'est ce que
toute la subtilité du monde ne pourrait obtenir. Ce carac-
tère du système de M. Vacherot est si évident pour ceux
qui ont ouvert son livre, que toute démonstration leur
semblera inutile. »
Déjà, en i85i, à la fin de la publication de son Histoire
de l école d'Alexandrie, Vacherot, alors directeur de
l'Ecole normale supérieure, s'était attiré de la part de
Gratry, aumônier de l'Ecole, l'accusation formelle d'a-
théisme : « Vous n'avez pas l'athéisme dans le cœur, lui
disait l'aumônier ; mais votre philosophie, c'est l'athéis-
me, inévitable résultat de votre méthode, la sophistique.
Votre doctrine, c'est l'athéisme. Qu'on me comprenne. Je
ne dis pas le panthéisme, mais je dis l'athéisme (2). »
3. L'idée de Dieu dans Renan. — Renan a eu deux
conceptions de Dieu dans sa vie, l'une au début, comme
cela ressort de ses Etudes d'histoire religieuse, l'autre à la
fin. Pour la première, c'est un symbole, le symbole des
nobles instincts de l'âme ; pour la seconde, c'est l'Infini
vague, l'Absolu de Hegel, en train de se réaliser dans la
nature et dans l'humanité, servant à la fois de substance
et de trame aux choses. Examinons-les l'une après l'autre,
d'un trait rapide.
Le Dieu subjectif. Renan partage l'humanité en deux
portions : les parties simples et les parties cultivées. Aux
simples, qui ne sont pas arrivés à la vie réfléchie et qui
sont frappés d'une sorte d'incapacité scientifique, con-
vient et appartient la religion; aux cultivés, qui sont
gens de réflexion et de savoir, revient la culture propre
1. Vidée de Dieu, p. 261 . — 2. Gratry, Etude sar la sophis*
tique contemporaine, Parif , i85i, p. 52-53, i3o-i3i, 224.
484 LE CATÉCHISME ROMAIN
de la science et de l'art. Or, la religion est d'origine
humaine, mais dans sa partie simple. Voici comment.
Renan nie que le miracle ou le surnaturel pénètre dans
la trame de l'histoire ou de la vie humaine, et par suite
donne à entendre que tout, dans le monde moral comme
dans le monde physique, s'explique naturellement. Car
toute religion est l'œuvre spontanée de la conscience ; et
spontanéité, sous la plume de Renan, est synonyme
d'ignorance. Or, la spontanéité se manifeste soit par
la crédulité timide, qui crée la légende, c'est-à-dire
un mélange de réel et d'idéal, soit par Yhallu-
cinaiion, qui crée le mythe, c'est-à-dire une pure fic-
tion. Par le mythe, la spontanéité a créé les religions
de l'antiquité ; par la légende, elle a créé le christianisme.
Vient la réflexion, la culture, le savoir, et les fantômes
du mythe ou de la légende disparaissent et la religion
disparaît avec eux pour laisser place à l'art. C'est la con-
clusion dernière et suprême des Etudes d'histoire reli-
gieuse.
L'influence de Kant se fait sentir ici. Renan conçoit
Dieu comme l'auteur de la Critique de la raison pure:
c'est quelque chose de subjectif, sans réalité objective.
Ainsi que le résume Caro, l'homme fait Dieu. L'homme
crée Dieu en pensant. Il appelle de ce nom sublime le
mobile secret et intérieur de toutes ses grandes aspira-
tions. Dieu, c'est pour lui le type le plus élevé de la
science, de l'art. C'est le vrai qu'il conçoit, c'est le beau
qu'il imagine. C'est tout cela, mais ce n'est pas un être.
C'est t@ut cela, mais ce n'est pas une réalité distincte de
ce que nous pensons ; c'est l'esprit de l'homme réfléchi
dans ce qu'il u a de plus grand ; c'est le cœur de l'homme
réfléchi dans ce qu'il y a de plus pur. C'est toujours
l'esprit et le cœur de l'homme. C'est toujours l'homme(i).
Renan a dit, en effet, que l'humanité « ne se trompe pas
sur l'objet même de son culte : ce qu'elle adore est réel-
lement adorable ; car ce qu'elle adore dans les caractères
qu'elle a idéalisés, c'est la bonté et la beauté qu'elle y a
unies. » « Les symboles ne signifient que ce qu'on leur
i. Caro, L'idée de Dieu, p. 63.
LE DIEU DE L'IDÉALISME ^85
ordonne de signifier ; l'homme fait la sainteté de ce qu'il
croit comme la beauté de ce qu'il aime (i). » Pour
l'homme réfléchi, Dieu c'est la catégorie de Vidêal. « Le
mot Dieu étant en possession des respects de l'humanité,
ce mot ayant pour lui-même une longue prescription, et
ayant été employé dans les belles poésies, ce serait ren-
verser toutes les habitudes du langage que de l'aban-
donner. Dites aux simples de vivre d'aspiration à la
vérité, à la beauté, à la bonté morale, ces mots n'auraient
pour eux aucun sens. Dites-leur d'aimer Dieu, de ne pas
offenser Dieu, il vous comprendront à merveille. Dieu,
Providence, immortalité, autant de bons vieux mots, un
peu lourds peut-être, que la philosophie interprétera dans
des sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne rem-
placera jamais avec avantage. Sous une forme ou sous
une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos besoins
supra-sensibles, la catégorie de l'idéal, c'est-à-dire la
forme sous laquelle nous concevons l'idéal, comme
l'espace et le temps sont les catégories des corps, c'est-à-
dire les formes sous lesquelles nous concevons les
corps (2). »
Tel est le Dieu subjectif de Renan, la catégorie de
l'idéal, une pure forme de la raison. Et par suite le sen-
timent religieux se confond ici avec l'émotion esthétique.
C'est un Dieu qui n'habite plus le ciel, mais seulement
les hautes régions de l'esprit, objet intime et immanent
du culte que lui offre le cœur ; c'est un Dieu, dont le
nom et dont le culte ne parviennent pas à masquer
l'athéisme subtil.
Le Dieu devenir. Renan, à ses débuts, a écarté le pro-
duit de la spontanéité, du aux parties simples de l'huma-
nité, en faveur de la réflexion, du savoir et de l'art, et a
abouti à un Dieu abstrait tel qu'on peut dire qu'il n'existe
pas réellement. Plus tard, écartant de même les résultats
de la théodicée expérimentale, parce que ni la nature ni
l'histoire ne prouvent Dieu, ainsi que les affirmations de
la théodicée spéculative, parce que l'abstraction est aussi
1. Renan, Ekides d'histoire religieuse, préf., p. 334- — 2. Ibid.,
p. 419.
486 LE CATÉCHISME ROMAIN
inefficace à prouver Dieu que l'expérience, Renan s'est
jeté dans le mysticisme. « Dieu, disait-il, est le produit de
la conscience, non de la science et de la métaphysique.
Ce n'est pas la raison, c'est le sentiment qui détermine
Dieu. » Voilà un Dieu à la taille de l'homme et au niveau
de son esprit, un Dieu que chacun se fait à sa guise.
Quel sera ce Dieu ? et est-il autre chose qu'un nom ?
Henan répudie toutes les formules des systèmes mé-
taphysiques ; comme Vacherot, il reprend à son compte,
à. la suite d'Hamilton, l'axiome de Spinoza que toute dé-
termination est une négation, pour rejeter toute idée de
Dieu religieuse ou philosophique, par le seul fait qu'elle
fausse l'idée de Dieu, en le déterminant. Il se gardera
donc, par respect, de limiter Dieu par une formule quel-
conque, il préférera garder le silence ou il se contentera
de dire simplement que Dieu est, sans rien impliquer de
positif dans cette affirmation vague.
Mais Renan sait se contredire. Et voilà pourquoi on
retrouve sous sa plume des formules hégéliennes. « La
vraie théologie, dit-il, est la science du monde et de
l'humanité, science de l'universel devenir, aboutissant
comme culte à la poésie et à l'art, et par-dessus tout à
la morale. » « Dans la nature et dans l'histoire, je vois
bien mieux le divin que dans les formules abstraites
d'une théodicée artificielle et d'une ontologie sans rap-
port avec les faits. L'absolu de la justice et de la raison
.ne se manifeste que dans l'humanité : envisagé hors de
l'humanité, cet absolu n'est qu'une abstraction; envisagé
dans l'humanité, il est une réalité. Et ne dites pas que la
forme qu'il revêt entre les mains de l'homme le souille
et l'abaisse. Non, non ; l'infini n'existe que quand il revêt
une forme finie. » Voilà bien des contradictions, et des
contradictions formelles avec ce que Renan prétendait ; il
subit maintenant, malgré ses protestations, l'influence
de Hegel.
Tout à l'heure, sous l'influence de Kant, il disait que
Dieu est la catégorie de l'idéal, par horreur pour la méta-
physique. Spinoza et Hamilton lui inspirent l'horreur des
formules qui chercheraient à déterminer Dieu. Hegel enfin
LE DIEU DE L'IDÉALISME ^87
l'introduit dans la théorie du devenir. Et Renan écrit, dans
l'Avenir des sciences naturelles, cette phrase suggestive,
à propos du développement du monde depuis l'atome
jusqu'à l'homme : « Dieu alors sera complet, si l'on fait
du mot Dieu le synonyme de la totale expérience ; en ce
sens, Dieu sera plutôt qu'il n'est : il est infieri, il est en
voie de se faire. » Mais Dieu est plus que le total de l'ex-
périence, il est encore l'absolu. Et voilà deux Dieu, l'un
éternel et immobile, l'autre en voie de se faire ; mais le:
premier ressemble à celui de Vacherot et il n'existe pas ;
quant au second, c'est celui de Hegel, et il implique le
panthéisme.
« Sur les traces de Hegel, dit Caro, comme sur les tra-
ces de Kant, c'est toujours le divin, sa foi au divin, que
nous rencontrons à la place de Dieu et de la foi en Dieu.
Le divin n'est probablement pas un Etre, mais c'est assu-
rément ce qu'il y a de plus noble et de plus élevé dans
tous les êtres. Le rechercher, le contempler partout où il
a laissé sa trace et son reflet, dans les formes et les cou-
leurs de la beauté physique, dans la pensée et dans l'ac-
tion, dans le génie et l'héroïsme, dans les inspirations de
la science et de l'art, dans la grandeur morale surtout, la
plus divine de toutes les grandeurs, voilà ce qui donne du
prix à la vie et ce qui doit consoler l'humanité de perdre
son Dieu (1). » a Que la poésie, que l'art, que la morale
nous désintéressent de nous-mêmes et nous arrachent
aux pensées vulgaires ; qu'il y ait une affinité naturelle
entre tous les grands instincts de la nature humaine, et
que toute émotion noble, portée à son plus haut degré,
s'achève et s'absorbe dans le sentiment de l'infini, qui
songerait à le nier ? Mais tout cela n'est pas la religion.
L'objet de l'art, c'est le beau, l'objet de la morale, c'est le
bien ; l'art et la morale aboutissent au culte de l'idéal
qui ne se confond pas avec la religion. Ou la religion n'est
rien par soi et fait double emploi avec la morale et l'art,
ou il faut bien reconnaître qu'elle a son objet propre, par
lequel elle se définit, en vue duquel elle existe, et qui
n'est, ne peut être que Dieu, non pas ce Dieu vague et
1. Caro, L'idée de Dieu, p. 83.
àS8
LE CATECHISME ROMAIN
abstrait, résumé des idées de la raison, ni même cet
infini des hégéliens qui s'engendre et se révèle dans le
monde, mais un' Dieu qui soit la plus haute et la plus
sainte des réalités au lieu d'être la négation ironique ou
sentimentale de Dieu (i). »
i. L'idée de Dieu, p. 85-86. Cf. de Margerie, Théodicée, 39 édit.,
Paris, i874, t. i, p. 393-4oi ; t. h, p. i59-2a3 ; Farges, Vidée
de Dieu, Paris, 1894, p. 409-442.
Leçon XIV
De Dieu
I. Science de Dieu. — II. Volonté de Dieu. —
III. Difficultés.
près avoir étudié l'être divin dans sa nature,
nous devons l'étudier dans ses opérations :
les unes sont immanentes, comme V intelli-
gence et la volonté ; les autres se manifestent au
dehors et sont le principe de ses actes extérieurs,
comme la toute-puissance (i).
Pour arriver à la connaissance de ces nouveaux
attributs, le procédé rationnel ne varie pas. Par
A^oie d'analogie, la raison attribue à Dieu ce qu'elle
trouve de meilleur dans la meilleure des créatures,
l'intelligence, la volonté, le pouvoir. Par voie de
négation, elle écarte de cette intelligence, de cette
volonté, de ce pouvoir, tout ce qui implique une
imperfection, un défaut, une limite, dans la créa-
ture. Et enfin, par application de principe de
suréminence, elle leur attribue tout ce qu'elle peut
concevoir de plus parfait.
i. Saint Thomas, Sam. iheol., I, Q. xiv-xix ; de Margerie,
Thêodicée, 3*édit., Paris, 1876, t. 1, 283-335; Farges, Vidée de
Dieu, Paris, 1894, p. 346-399.
^9° LE CATÉCHISME ROMAIN
I. Science de Dieu
i. Ses caractères. — La raison humaine con-
naît, comprend, sait bien des choses, mais son
objet est limité. La science qu'elle possède, elle ne
parvient à l'acquérir qu'en passant successivement
d'un objet à un autre, ou d'une manière discursive
en tirant des conclusions des principes qu'elle con-
naît. En tout état de cause, elle reste fort impar-
faite.
En Dieu, il n'en saurait aller de même. Dieu est
intelligent: il connaît, il comprend, il sait. Mais
étant le premier en tout ordre, il est l'intelligence
suprême, il possède la connaissance parfaite, il a
une science infinie, l'omniscience ; il connaît tout,
il comprend tout, il sait tout. « 0 profondeur,
disait saint Paul, des trésors de la sagesse et de la
scinnce de Dieu ! »
On. comprend qu'en Dieu, la science soit à son
plus haut degré de perfection ; car la connaissance
est en raison directe de l'immatérialité. Les plantes
ne connaissent pas, parce qu'elles sont matière ;
les sens connaissent, parce qu'ils reçoivent des
objets les espèces sensibles, sans la matière; l'in-
telligence connaît, parce qu'elle reçoit les espèces
intelligibles et qu'elle se distingue de la matière,
tout en y étant impliquée. Mais Dieu, étant sou-
verainement simple, a par là même une connais-
sance et une science aussi parfaites que possible.
La science, dans l'homme, constitue une habi-
tude, une qualité ; en Dieu, elle s'identifie avec son
essence, elle est un acte pur. Dans l'homme, elle
est multiple, divisée ; en Dieu, une et simple. Dans
l'homme, elle est successive ou discursive ; en
Dieu, pas de succession ni de raisonnement : il
LA SCIENCE DE DIEU [\ 91
voit tout, d'un seul regard, dans son essence.
L'homme a besoin des sens et des facultés ; Dieu,
n'étant pas en puissance mais en acte, n'a besoin
d'aucun intermédiaire : l'intelligence, l'intelligible,
les idées ne font en lui qu'une seule et même chose.
A ces différences dans le mode de connaissance
s'ajoutent d'autres différences dans l'objet de la
science.
2. Son Objet. — i°. Le premier objet de la
connaissance de Dieu c'est Dieu lui-même ; il se
connaît. La science, en effet, est la connaissance
des êtres dans leur cause ; or le premier principe,
la cause première, c'est Dieu. Dieu est donc souve-
rainement intelligible. Et étant souverainement
intelligent, il se connaît lui-même, directement,
immédiatement, par un acte de simple vision : il
se voit tel qu'il est, il voit tout ce qu'il fait. De plus
il se connaît autant qu'il est connaissable, infini-
ment, c'est-à-dire qu'il se comprend ou que la con-
naissance qu'il a de lui-même va jusqu'à la com-
préhension totale et adéquate de lui-même, sans
qu'il puisse y avoir rien de lui-même qu'il ne con-
naisse. En lui, à raison de sa merveilleuse simpli-
cité, intelligible et intelligence, vérité connue et
savoir ne sont qu'une seule et même chose, qui est
sa propre essence.
20. Dieu connaît toutes choses. Dieu, se connais-
sant et se comprenant adéquatement, connaît sa
propre vertu et tout ce à quoi elle s'étend. Or sa ;
vertu s'étend à tout ce qui est, et puisqu'il en est j
la cause efficiente, il connaît tout ce qui est. Mais
les choses qui sont, c'est en lui-même qu'il les con-
naît, parce que son essence contient leur image. H
les connaît non seulement d'une manière générale,
mais encore séparément d'une manière distincte, et
[\Ç)1 LE CATÉCHISME ROMAIN
dans ce qu'elles ont de commun par l'être, et dans
ce qui les distingue les unes des autres, dans leurs
essences et dans l'actualisation de leurs essences. Il
les voit toutes en même temps, d'un seul regard,
sans succession, sans raisonnement. Il les connaît
toutes dans leur individualité propre ; car sa science
égale sa causalité, et sa causalité s'étend à chaque
être en particulier, « II atteint jusqu'à la division de
l'âme et de V esprit ; il discerne les pensées et les
mouvements des cœurs, et aucune créature n'est
invisible à ses yeux (i). » « // est grand, le Seigneur,
et il regarde les choses les plus humbles (2) ».
3°. Dieu connaît les choses possibles. Dieu, en
effet, ne connaît pas seulement ce qui est en acte,
mais encore tout ce qui est en puissance par lui ou
par ses créatures ; car, outre les choses qui sont,
son essence infinie représente celles qui peuvent
être, et dans leurs principes généraux, et dans
leurs principes particuliers. Il connaît donc tous
les possibles, quel qu'en soit le nombre, par un
seul acte égal à cette possibilité infinie d'imiter son
essence divine.
4°. Dieu connaît les futurs contingents. Il ne les
connaît pas seulement dans leurs causes, mais
encore dans leur réalisation, dans leur existence
contingente et future. Ils ont beau se succéder dans
le temps, Dieu est au-dessus de la durée, il les con-
naît simultanément. Car tout ce qui s'agite dans le
temps est éternellement présent à Dieu, non seule-
ment parce que Dieu a présentes en lui-même les
raisons des choses, mais encore parce que son
regard embrasse dans les siècles tous les êtres
futurs, comme existant devant lui, comme consti-
tués dans leur existence actuelle, bien qu'ils soient
1. Hebr., iv, 12. — a. Psal., cxxxvii, 6.
LA SCIENCE DE DIEU /jg3
futurs relativement aux causes qui doivent les
actuer.
5° Dieu connaît les futurs libres. Ces futurs libres
préexistent bien dans leurs causes, mais à l'état
vague et indéterminé ; car un futur libre n'est
qu'un effet possible que la cause peut à son gré
produire ou ne pas produire : il n'y a point de lien
nécessaire entre une cause libre et son effet libre.
Par suite la connaissance de la cause libre ne sau-
rait donner de l'effet libre qu'une connaissance
conjecturale, qui ne saurait convenir à Dieu. Expli-
quer la prescience divine par la connaissance
parfaite que Dieu a de la liberté humaine en général
ou de la liberté de chaque homme en particulier,
serait précisément réduire la science de Dieu à une
science conjecturale. C'est pourquoi les thomistes
purs écartent cette solution. Ils placent la science
de Dieu des futurs libres dans la connaissance de la
cause première ou du décret divin, qui détermine
les futurs libres. Mais, dans ce cas, une telle pré-
détermination de la part de Dieu ne rend-elle pas
nécessaires les futurs libres ? Et alors que devient
la liberté ? C'est une grave difficulté qui se compli-
que, ainsi que nous le verrons à la fin de cette
leçon, d'une autre non moins grave difficulté, celle
des rapports du concours divin avec la liberté.
La plupart des thomistes parlent, à propos des
futurs libres, de vision actuelle plutôt que de pré-
vision. En Dieu, en effet, il n'y a qu'un présent
éternel. Si donc, de toute éternité, il voit comme
actuels les futurs libres, il n'est qu'un simple
témoin, dont le regard ne change rien à la nature
des faits : il voit comme nécessaires les faits
nécessaires ; il voit comme libres les actes libres.
Cette solution est indiquée par saint Thomas, qui
dit entre autre choses : Nous, nous voyons succès-
4 9^ LE CATÉCHISME ROMAIN
sivement dans le temps les choses qui se réalisent
dans le temps ; mais Dieu les voit dans l'éternité,
qui est au-dessus du temps. Aussi, comme nous ne
concevons les futurs contingents qu'en tant que
contingents, ne pouvons-nous les connaître avec
certitude. Dieu, au contraire les connaît d'une ma-
nière infaillible, comme actués devant lui. Le
voyageur, qui chemine dans la vallée, ne voit
qu'une partie de ceux qui cheminent après lui;
l'observateur qui découvre toute la route du haut
d'une montagne voit seul tous ceux qui la sui-
vent (i).
Que Dieu connaisse les futurs libres, c'est une
vérité qui se trouve clairement exprimée dans
l'Ecriture. Citons seulement quelques textes. « Je
sais, dit le Seigneur, les dispositions qui raniment
dès aujourd'hui (le peuple d'Israël) avant même
que je les aie fait entrer dans le pays que je leur ai
promis par serment (2). » « Tu découvres mes pensées
de loin (3). » « Dieu éternel, qui connaissez ce qui est
caché et qui savez toutes choses avant quelles n'arri-
vent (4). »
« // sonde les profondeurs de l'océan et le cœur de l'homme,
Et il connaît leurs desseins les plus subtils ;
Car le Seigneur possède toute science,
Et il voit les signes du temps.
Il annonce le passé et l'avenir,
Et il dévoile les traces des choses cachées.
Aucune pensée ne lui échappe,
Aucune parole n'est cachée pour lui (5). »
C'est cette science de l'avenir qui rend possible
1. Sam. theol, I, Q. xiv, a. i3, ad 3. — 2. Dent., xxxi, ai.
— 3. Psal., cxxxvm, 2. — 4- Daniel, xm, 42. — 5. Eccli., xlii,
18-22.
LA SCIENCE DE DIEU 4<)5
la prophétie et qui a permis de dire à Tertullien
que « la prescience divine a autant de témoins
qu'elle a formé de prophètes (i). »
6° Dieu connaît les futurs conditionnels. Entre le
possible, ce qui peut être, et le futur, ce qui sera
réalisé, se place le futur conditionnel, ce dont la
condition, qui le ferait se produire, ne se réalisera
pas ; c'est moins qu'un futur, puisqu'il ne sera
jamais; c'est plus qu'un possible, puisqu'il existe-
rait si telle condition était posée.
Il y a le futur conditionnel nécessaire, c'est celui
qui fait l'objet des sciences humaines. Ainsi, dit
Farges, le chimiste prévoit sûrement que ce grain
de poudre fera explosion si on l'allume, et cela est
certain alors même qu'on ne l'allumerait jamais.
De son côté l'astronome peut prévoir avec certitude
les déviations qu'occasionneraient dans la marche
des astres telle et telle hypothèse qui ne se réalise-
ront probablement jamais. Or, ces futurs que les
savants connaissent, il est clair que Dieu les con-
naît aussi dans les causes nécessaires qui les
contiennent, c'est-à-dire dans les lois de la nature.
Aucune difficulté sur ce point (2).
Mais il est des futurs conditionnels libres, et leur
connaissance ne peut pas échapper davantage à la
science infinie de celui qui prévoit sûrement les
futurs libres absolus. Mais comment Dieu les con-
naît-il? Toute la difficulté et là. Il ne les voit pas
comme présents, puisqu'ils ne seront jamais pré-
sents ; il ne les voit ni en eux-mêmes ni dans
l'actuation qu'ils n'auront jamais ; il les voit dans
la cause qui les contient et qui aurait pu les pro-
duire.
1. Cont. Marc, 11, 5 ; Patr. lat.t t. 11, col. 290. — a. Farges,
Vidée de Dieu, p. 36g.
4C)6 LE CATÉCHISME ROMAIN
Pour les thomistes, Dieu les voit dans la sou-
veraine efficacité de la cause première, source de
tout ce qui existe ou aurait pu exister, dans le décret
divin. Sa connaissance de vision embrasse toutes
les réalités contingentes, voulues ou permises dans
les décrets éternels, y compris les futurs libres et
les futurs conditionnels libres. Dieu voit dans ses
décrets éternels non seulement tout ce qui arrive,
mais encore tout ce qui peut arriver, dans des con-
ditions données, qui en fait ne seront pas posées ;
c'est là qu'il voit les solutions implicitement conte-
nues par chacun des cas qui peuvent s'offrir.
Les molinistes recourent à une autre explication,
celle de la Science moyenne. Dieu verrait les futurs
conditionnels libres, indépendamment de tout dé-
cret et antérieurement à tout décret, dans les causes
libres elles-mêmes, qui sont capables de produire
tel effet si telle ou telle condition est posée. Nous
n'entrerons pas dans l'examen et la discussion de
cette science moyenne, différemment expliquée par
Molina, par Suarez et Mazzella (i). Le P. de Régnon
a même pour elle un mot dur : « C'est là le mys-
tère, l'insondable mystère, écrivait l'un de ses dé-
fenseurs découragés ; de toutes les explications pro -
posées aucune n'est satisfaisante... Il faut renoncer
à expliquer le comment de cette science divine que
nous appelons la science des conditionnels.... Expli-
quer cette science, c'est œuvre de dilettantisme phi-
losophique (2). » M. Farges rapporte ce mot sans y
souscrire et dit : « Après avoir reconnu l'ineffica-
cité complète du mystère de la Science moyenne à
remplacer le mystère des décrets divins, nous nous
résignons humblement à celui-ci, persuadé que
1. Mazzella, De gratia, Disp. ni, a. 7. — a. De Régnon,
Bannes et Molina, p. ii3-ii5.
LA SCIENCE DE DIEU 497
l'efficacité de la causalité première, bien différente
en cela des causes secondes, peut nous mouvoir
sans violenter notre nature, et tout causer en nous
très efficacement, même notre liberté, que nous
ne saurions soustraire, sans privilège, à la causalité
universelle de Dieu (i). »
Quel que soit le mode d'explication, toujours est-
il que cette connaissance des futurs conditionnels
existe en Dieu. Dieu connaît assurément les actes
que la créature libre accomplirait, si telle condition
qui, du reste, ne se produira pas, venait à se réaliser.
En voici un exemple, pris dans l'Ancien Testament.
David, réfugié àCéïla, dit: « Seigneur, Dieu d'Israël,
votre serviteur a appris que Saiïl se dispose à venir à
Céïla, pour détruire la ville à cause de moi. Les habi-
tants de Céïla me livreront-ils entre ses mains ? Saiïl
descendra-t-il comme votre serviteur Va entendu dire ?
Jéhovah, Dieu d'Israël, daignez le révéler à votre
serviteur. » Jéhovah répondit : « // descendra. » Et
David dit : « Les habitants de Céïla me livreront-ils,
moi et mes hommes, entre les mains de Saiïl ? »
Jéhovah répondit : « Ils te livreront (2). » Le sort de
David et de sa troupe dépendait ainsi d'une condi-
tion. En restant à Céïla, il eût été livré ; il quitta
la ville. Yoici un autre exemple, donné par Notre
Seigneur dans l'Evangile, quand il dit : « Malheur
à toi, Corozaïn ! malheur à toi, Bethsaïda ! parce que
si Tyr et Sidon avaient été les témoins des prodiges
qui s'accomplissent en vous, elles auraient fait péni-
tence sous le cilice et dans la cendre (3). » Tyr et
Sidon n'ont pas fait pénitence parce que la condi-
tion, qui devait la leur faire faire, n'a pas eu lieu.
1. Farges, L'idée de Dieu, p. 377. Cf. Gayraud, Thomisme et
Molinisme, Paris, 1889, p. 116. — a. I Reg., xxm, 10-12. —
3. Malth., xi, 21.
LE CATÉCHISME. — T. I. }2
4q8 le catéchisme romain
3. Ses divers noms. — Cette science divine, si
parfaite dans son mode, si pleine dans son objet, a
reçu des théologiens plusieurs noms qui servent à
la préciser.
On la distingue en science nécessaire ou libre,
suivant qu'elle précède tout décret divin et qu'elle
a pour objet l'être souverain ou les choses pure-
ment possibles, ou selon qu'elle est consécutive à
un décret divin et qu'elle a pour objet ce qui
dépend de la toute-puissance divine, toutes les
choses qui sont ou seront.
Elle est dite spéculative, si elle se borne à la con-
naissance des choses sans les effectuer ou les réali-
ser, ou pratique, quand elle les connaît et les fait
passer à l'existence.
Elle s'appelle science de simple intelligence, quand
elle s'applique aux possibles, c'est-à-dire aux choses
qui n'ont pas été, qui ne sont pas et qui ne seront
jamais, et science de vision, quand elle a pour objet
ce qui est ou sera.
Si son objet est le bien et suppose un décret divin,,
c'est la science d'approbation ; si, au contraire, son
objet est le mal, que Dieu ne saurait vouloir, à
raison même de sa perfection, c'est la science de
permission. Sur ces paroles, que David prête au
Seigneur : « Je ne connaissais pas le cœur dépravé et
méchant, qui s'éloignait de moi, (i) » saint Augus-
tin écrit : « Je ne connaissais pas, qu'est-ce à dire ?
Je n'approuvais pas, je ne louais pas, je n'aimais
pas, car le mot connaître, clans l'Ecriture, signifie
quelquefois voir avec complaisance (2). »
Les molinistes, nous l'avons vu, ont donné à la
science des futurs conditionnels le nom de science
moyenne, de science intermédiaire entre la science
1. Psal., c, t\. — 2. In psal., c, 7.
LA VOLONTÉ DE DIEU l\()$
de simple intelligence et la science de vision. Mais
les thomistes jugent inutile ce terme nouveau,
parce que, si la condition se réalise, le futur condi-
tionnel est alors connu par la science de vision, et
si elle ne se réalise pas, le futur conditionnel reste
Fobjet de la science de simple intelligence (i).
IL Volonté de Dieu
i° Ses caractères. — La tendance au bien,,
perfection de l'être, est universelle ; on la trouve
partout, en effet, dans le monde créé. Mais ce qui
n'est qu'une tendance aveugle ou un instinct chez
les êtres dépourvus de raison, est une faculté chez
les êtres conscients. Chez ceux-ci, l'intelligence
perçoit le bien ; elle y tend en vertu de sa propre
nature, quand elle ne l'a pas ; elle le cherche jus-
qu'à ce qu'elle le trouve et s'y repose dès qu'elle le
possède. Or, ce sont là des actes de volonté. Tout
être doué d'intelligence est par là même un être
doué de volonté ; car la volonté suit toujours
l'intelligence et est toujours en proportion avec
elle. C'est précisément le cas de l'homme raisonna-
ble : il comprend et il veut.
Mais l'homme veut nécessairement le bonheur
parce qu'il est fait pour lui ; c'est une nécessité de
nature. Pourtant il est libre dans le choix des moyens
pour se le procurer, pour l'atteindre et en jouir.
Sa liberté, qui est une prérogative remarquable^
est entourée d'imperfections : elle est mêlée de
passivité, mobile, changeante, faillible, limitée au
dedans et au dehors.
i. Cf. Cardinal Pecci, La prèdélerminalion physique et la
science moyenne» p. 5o sq.
500 LE CATÉCHISME ROMAIN
Dès qu'il agit, l'homme subit une réaction ; il ne
peut pas modifier les êtres qui l'entourent sans se
modifier lui-même ; sa puissance est indéterminée ;
chaque objet voulu la détermine et la modifie.
Sous l'influence d'agents extérieurs ou sous la
poussée de passions mal réglées, il se laisse décon-
certer et abuser. Il prend le mal pour le bien ou
préfère un bien accidentel, que lui procure le mal,
à la place du bien véritable. Sa volonté n'est pas
que faillible ; elle est mobile, changeante, comme
l'intelligence qui l'éclairé. Elle passe capricieuse-
ment d'un motif à un autre, d'une décision à une
décision contraire ; parfois elle ne sait à quoi se
résoudre, elle hésite, incertaine ; parfois aussi elle
se décide en aveugle. Déplus, si elle ne veut pas
tout ce qu'elle peut, elle ne peut pas toujours tout ce
qu'elle veut. Et trop souvent elle fait le mal qu'elle
ne veut pas et ne fait pas le bien qu'elle veut. Qui-
conque a tant soit peu l'expérience des phénomènes
psychologiques ou moraux, qui se passent dans le
domaine de sa conscience, sait combien infirme, et
par tant de côtés, et de tant de manières, est sa
propre volonté.
Si donc la volonté, puissance de faire le bien,
est une noble faculté, une perfection des êtres intel-
ligents, nul doute) qu'elle ne se trouve en Dieu,
puisque Dieu est un être intelligent. Mais comme
Dieu est l'intelligence parfaite, il doit donc être et
dans la même mesure la volonté parfaite ; et de
même qu'en Dieu l'intelligence est son être, de
même la volonté est son essence divine ; nous ne
l'en pouvons distinguer que par un procédé d'ordre
logique. Par conséquent nous ne pourrons trouver
en Dieu aucune des imperfections qui se trouvent
dans la volonté de l'homme.
Tandis que l'homme est mû, dans la recherche*
LA VOLONTÉ DE DIEU 5oi
nécessaire du bien, qui lui est extérieur, par une
cause étrangère, Dieu, qui est son propre bien à
lui-même, ne peut être mû vers ce bien que par lui-
même : sa volonté part de lui et aboutit à lui ; sa
volonté, c'est lui, c'est un acte immanent.
La volonté divine, est à la fois nécessaire et libre,
mais sous des rapports différents ; nécessaire vis-à-vis
de lui-même, comme nous allons le voir en parlant
de son objet ; mais libre vis-à-vis de tout ce qui
n'est pas lui, par rapport à ses actes extérieurs. Dans
ceux-ci, en effet, il n'y a ni nécessité de nature, ni
coaction : Dieu est libre. La nécessité de nature
résulte de la constitution intime, de l'essence même
de l'être ; elle est absolue, quand elle est indépen-
dante de toute conjoncture et s'impose partout et
toujours. Or, dit saint Thomas, il est nécessaire
d'une nécessité absolue que Dieu veuille quelque
chose, mais il ne l'est pas de même qu'il veuille tout
ce qu'il veut. Sa volonté a des rapports nécessaires
avec sa bonté, qui est son objet propre : il veut
donc nécessairement, par une nécessité de nature,
sa bonté. Mais il aurait pu ne pas vouloir les
créatures. Vis-à-vis d'elles, il est libre ; si donc il
les veut, c'est en pleine liberté ; et s'il les veut de
toute éternité, il ne S'ensuit pas qu'il les veuille
nécessairement ; il ne les veut que selon son bon
plaisir, d'une manière toute relative. « Tous les
habitants de la terre ne comptent pour rien devant
lai ; il agit comme il lai plaît avec V armée des cieax
et avec les habitants de la terre (i). » « II opère
toutes choses d'après le conseil de sa volonté (2). »
Il est libre.
Mais sa liberté n'a aucun mélange de passivité
comme celle de l'homme. L'homme, incapable de
1. Daniel, iv, 3a — a. Ephes., 1, 11.
5o2 LE CATÉCHISME ROMAIN
se suffire à lui-même, cherche dans les biens créés
un complément à son indigence, un aliment à sa
faim et à sa soif de bonheur. Il aime les choses
parce qu'elles sont bonnes ou lui paraissent bonnes.
Dieu, au contraire les aime pour les faire bonnes,
pour leur donner avec l'être cette bonté qu'elles ne
sauraient avoir sans lui ; il répand le bien. Si donc
les choses ont l'être et quelque bien, c'est parce que
Dieu l'a voulu librement. Mais Dieu n'aime pas de
la même manière que nous aimons. Comme notre
volonté, loin de donner l'existence aux êtres, en
reçoit plutôt l'impulsion qui la porte à l'acte, l'amour
par lequel nous leur voulons du bien n'est pas la
cause de leur bonté ; c'est leur bonté qui fait naître
l'amour. Il n'en est pas ainsi de Dieu : son amour
répand et crée la bonté dans les choses (i). D'où
l'indépendance de Dieu vis-à-vis des créatures, et sa
souveraine liberté. Il donne sans recevoir ; il pro-
duit sans avoir besoin de s'enrichir ; il modifie
sans être modifié lui-même ; il reste l'acte pur,
unique, éternel et nécessaire.
C'est une difficulté de concilier en Dieu ces deux
attributs : la liberté et la nécessité. Si l'être divin
est nécessaire, comment le vouloir divin est-il libre ?
Sans doute le vouloir divin est nécessaire, mais il
est nécessaire, dit M. Farges, qu'il soit avec toutes
ses perfections, dont la plus importante est son
Indépendance absolue des créatnres et sa parfaite
liberté à leur égard. Il est donc nécessaire que le
vouloir divin soit libre de ce chef. La conception
d'un être parfait, nécessité ad intra et libre ad extra,
n'a donc rien de contradictoire, puisque la nécessilj
et la liberté n'existent qu'à deux points de vue diffé-
rents, et qu'elles découlent l'une et l'autre également
i. Sam. theol., I, Q. xx, a. a
LA VOLONTÉ DE DIEU 5o3
•de l'infinie perfection de Dieu, qui ne peut souffrir,
ni l'indifférence de la liberté envers le bien infini,
ni sa nécessité et sa dépendance envers les biens
finis (i). C'est là, du reste^ ce qui a lieu dans
l'homme, qui est à la fois nécessité pour le bonheur
et libre pour les moyens non indispensables qui y
conduisent.
La volonté de Dieu ne change pas : elle est immua-
ble, comme sa science, comme son être. Infiniment
parfait, infiniment sage, Dieu sait ce qu'il veut, et
il le veut sans revenir sur ses décisions, sans les
modifier, comme l'homme, au gré du caprice ou
des circonstances imprévues. Ayant tout vu, tout
prévu, à raison de sa science infinie et infaillible, il
a voulu en conséquence par une délibération com-
plètement libre ; et cette délibération libre de sa
volonté demeure perpétuellement inébranlable.
Elle est de plus efficace : elle s'accomplit toujours
parce qu'elle est la cause universelle de tout ce qui
est. Dans le domaine créé, tel ou tel événement peut
nous sembler s'écarter de ses lois par un côté ; mais
très certainement il reste sous son empire par un
autre. C'est ainsi que le pécheur croit se soustraire à
l'action divine en refusant sa miséricorde, mais il
tombe alors sous les coups de sa justice. Il semble
pourtant, d'après l'Ecriture, que cette efficacité de
la volonté divine soit limitée. N'est-il pas écrit, en
effet, que la volonté de Dieu c'est notre sanctifica-
tion (2), et que Dieu veut le salut de tous (3)P Et
combien hélas ! qui ne se sanctifient pas et qui ne
se sauvent pas ! Mais c'est qu'il faut distinguer ici,
car cela s'impose à notre esprit, entre la volonté
absolue, qui infailliblement atteint et réalise son
1. Farges, loc. cit., p. 387. — a. I Thés., iv, 3. — 3. I Tim.p
41, 4-
5o4 LE CATÉCHISME ROMAIN
but, et la volonté hypothétique, qui permet aux
causes secondes intelligentes et libres d'aller à ren-
contre de ses commandements. C'est une difficulté
sur laquelle nous aurons à revenir.
Elle est enfin Impeccable, incapable par conséquent
de pouvoir faire le mal. C'est le triste privilège de
l'homme de pouvoir faire le mal et de ne pas faire
le bien. Mais la liberté ne consiste nullement dans
le choix entre deux contraires, le bien ou le mal ; il
lui suffit de pouvoir choisir entre deux contradic-
toires, comme agir ou ne pas agir. Et comme le dit
saint Thomas, la vraie liberté consiste à choisir
parmi les divers moyens qui respectent l'harmonie
des fins et non parmi ceux qui la détruisent, ce qui
serait un défaut de liberté (i). Or, Dieu qui est par
essence le bien souverain et la perfection absolue
ne saurait vouloir ou faire le mal. INous verrons
comment le mal existe pourtant dans le monde créé.
2. Son objet. — En parlant des principaux
caractères de la volonté divine, nous avons dû
indiquer quelques-uns de ses objets. Ajoutons quel-
ques mots.
i° Dieu se veut d'abord lui-même, et par consé-
quent s'aime lui-même, absolument, par nécessité
de nature. L'objet premier, seul nécessaire et adéquat
de sa volonté, ne peut être que lui. C'est en lui, et
non hors de lui, qu'il trouve sa béatitude, et sa
béatitude consiste à se connaître et à s'aimer tel
qu'il est, infiniment.
2° Mais D'eu veut autre chose que lui. Ecoutons
saint Thomas : les choses naturelles ont une double
inclination relativement à leur propre bien ; d'abord
elles le cherchent quand elles ne l'ont pas et sq
i. Swri. tJicol, I, Q. lxii, a. 8, ad 3. '
LA VOLONTÉ DE DIEU 5o5
reposent en lui quand elles l'ont ; puis elles
s'efforcent de le répandre, selon les lois du possible,
dans les autres êtres ; c'est pourquoi l'agent, qui est
en acte et parfait, produit son semblable. C'est le
propre de la bonté, dans l'homme, de se commu-
niquer ; cela convient surtout à la bonté de Dieu.
Dieu aime à répandre sa bonté. Et c'est ainsi qu'il
se veut lui-même et qu'il veut les autres choses : il
se veut comme fin, et il veut les autres choses par
rapport à sa fin (i). « De même que Dieu, dit-il
ailleurs, en connaissant son essence, connaît tous
les êtres qu'il crée, en tant qu'ils sont une certaine
image de sa vérité ; de même, en voulant ou aimant
Bon essence, il aime tous les êtres qu'il crée, en tant
qu'ils ont une ressemblance de sa bonté. D'où il faut
conclure que ce qui est d'abord voulu par lui, c'est
ca bonté ; mais il veut le reste par rapport à sa
bonté (2). ))
3° Gomme nous l'avons dit plus haut, si Dieu
veut par nécessité son propre bien et sa béatitude, il
veut librement le bien et le bonheur de ses créatures.
Il aime les créatures, qui sont l'œuvre de son amour ;
il les aime toutes, parce que toutes sont une mani-
festation de sa bonté. Mais l'amour qu'il leur porte
se reporte finalement sur lui-même ; c'est sa gloire
qu'il aime en elles. « Jéhovah a tout fait pour son
but (3). )) Tel n'est pas, on le sait, le Dieu des déistes.
Celui-ci n'aime que lui ; il est sans sympathie, sans
bienveillance, sans amour pour les autres ; il ne
voit pas la souffrance, il n'entend pas la prière, il
ne soulage pas l'indigence, il ne sèche pas les lar-
mes, il ne panse pas les plaies et ne guérit pas les
maux. Dieu sans cœur, sans entrailles, sans pitié,
1. Sam. theol., I, Q. xix, a. a. — a. DisL, xlv, Q. i, a. a. —
3. Prov., xvi, 4-
5o3 LE CATÉCHISME ROMAIN
sans miséricorde, relégué dans un égoïsmc inacces-
sible, complètement indifférent ou désintéressé à
l'égard du monde qu'il s'est contenté de créer et
d'abandonner à ses lois. Le vrai Dieu, le Dieu des
chrétiens, est au contraire la bonté, l'amour, dans
ce qu'ils ont de plus exquis et de plus efficace
vis-à-vis des créatures. « Il sème Vaumône, il donne
aux pauvres (i), est-il écrit ; « Tu ouvres ta main,
chante le prophète, et tu rassasies de tes biens tout
ce qui respire (2). »
4° Dieu ne voulant que le bien, comment s'expli-
que la présence du mal dans son œuvre ? Dieu ne
saurait vouloir le mal, ni le faire, puisqu'il est par-
fait, saint et bon ; mais il le tolère, le pardonne ou
le punit, et le tourne vers un bien. Ainsi, dans le
monde des êtres purement sensibles, certains faits
qui nous paraissent mauvais, contribuent, d'après
la volonté de Dieu, à l'ordre général et au but qu'il
s'est proposé ; dans le monde des êtres intelligents
et libres, il défend et condamne le péché ; il le
tolère cependant parce qu'il provient de la volonté
libre qu'il a créée ; il le pardonne dès qu'on s'en
repent ; il le châtie dans ceux qui s'y obstinent et y
meurent. C'est là un des grands mystères qui scan-
dalisent la sagesse toujours courte de l'homme, et
que nous retrouverons en parlant de la Providence.
3. Ses divers noms. — Ici encore, comme pour
l'intelligence, afin de pouvoir parler d'une manière
aussi exacte que possible, les théologiens recourent
à divers noms pour qualifier la volonté divine.
Saint Thomas distingue la volonté de bon plaisir et
la volonté de signe. La volonté de bon plaisir est la
volonté de Dieu proprement dite ; c'est celle qui
1. Psal.t exi, 8. — a. Psal, cxliv, 16.
LA VOLONTÉ DE DIEU 507
est l'expression de son être, qu'il possède en vertu
de sa nature et par laquelle il fait toute chose. Son
nom a été emprunté à saint Paul, dans ce passage :
« Transformez-vous par un esprit nouveau afin que
vous reconnaissiez ce qui est sa volonté de bon plai-
sir, bonne et parfaite(i) ». La volonté de signe ne
porte le nom de volonté que dans un sens figuré,
métaphorique ; elle sert à manifester extérieure-
ment, aux yeux des créatures, par divers signes, ce
que les créatures, en constatant leur expérience,
croient pouvoir appliquer à la volonté de Dieu par
voie d'analogie. L'homme, en effet, manifeste qu'il
veut une chose par lui-même ou par un autre. Il le
manifeste par lui-même lorsqu'il agit directement
ou indirectement : directement, en produisant l'acte
lui-même, et c'est le signe d'opération ; indirecte-
ment, en n'empêchant pas l'acte, et c'est le signe
de permission. Il le manifeste par un autre, quand
il le porte à une action, soit en ordonnant une chose
par un précepte obligatoire, et c'est le signe de
commandement, soit en prohibant le contraire, et
c'est le signe de défense, soit enfin en gagnant l'as-
sentiment par la persuasion, c'est le signe de con-
seil. Or, comme ces signes révèlent et manifestent
la volonté de l'homme, on les appelle tout simple-
ment, quand on les attribue à Dieu, la volonté de
signe. Tel est, en effet, le nom que le commande-
ment, la défense et le conseil portent dans ces mots
du Pater : « Que voire volonté soit faite sur la terre
comme dans le ciel (2) » Telle est aussi la dénomi-
nation qui représente l'opération et la permission
dans ce passage de saint Augustin : « Le Tout-Puis-
sant fait toutes choses par sa volonté, soit qu'il per-
mette de les faire, soit qu'il les fasse lui-même (3).»
1. Rom., xii, a. — 2. Matth., vi, 10. — 3. Enchir., xcv.
5o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
La permission et l'opération regardent le présent ;
le commandement, la défense et le conseil se rap-
portent à l'avenir ; la défense et la permission con-
cernent le mal ; l'opération, le bien en général ; le
commandement, le bien obligatoire ; le conseil, le
bien surabondant.
La volonté de bon plaisir ne va pas toujours avec
la volonté de signe, par exemple, quand Dieu, par
sa permission, laisse à l'homme le pouvoir de faire
le mal ; elle ne s'en sépare pas, au contraire, dans
l'opération. Sur ces deux points pas de difficulté. Il
n'en est pas de même du commandement, de la dé-
fense et du conseil. Ces trois signes peuvent, il est
vrai, impliquer une volonté réelle de la part de
Dieu. Est-ce toujours ? N'est-ce que dans quelques
cas ? Et quand ? C'est une question débattue entre
théologiens.
L'Ecriture est pleine d'exemples de ces signes de
la volonté divine. Dieu commande à Abraham d'im-
moler son fils Isaac, non qu'il veuille dans sa réa-
lité cette immolation sanglante, puisqu'il l'empêche
de se consommer, mais uniquement pour éprouver
l'obéissance de son serviteur. Lorsque le démon
propose d'aller tromper le roi Achab par la bouche
des faux prophètes, Dieu lui dit : « Va et fais (i). »
C'est une simple permission. Il en est de même,
lorsque Notre Seigneur dit à Judas : « Ce que tu
fais , fais-le vite (2) .» Ailleurs, le divin Maître dit à
un jeune homme : « Si vous voulez être parfait, allez,
vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (3).»
Ce n'était pas un ordre, mais un conseil.
La volonté de bon plaisir est dite antécédente,
lorsqu'elle veut une chose en elle-même, considérée
dans sa nature, abstraction faite des circonstances
1. III Reg. xxii, 22. — 2. Joan., xm, 27. — 3. Matth., xix, 21.
LA VOLONTÉ DE DIEU 5oQ
qui l'entourent ; ainsi Dieu veut la sanctification, le
salut de tous. Elle est dite conséquente, lorsqu'elle
tient compte de toutes les circonstances et de tous
les accidents qui se rattachent à une chose ; ainsi
Dieu veut la punition du coupable, la damnation
du pécheur impénitent. Les partisans de la science
moyenne entendent différemment ces deux sortes
de volonté. Selon eux, Dieu voit les futurs contin-
gents, non pas dans son essence infinie, mais dans
ces contingents mêmes. Pour eux, la volonté divine
relative à la liberté humaine, est antécédente quand
elle précède la prévision du consentement de
l'homme à la grâce ; elle est conséquente quand elle
la suit.
On distingue encore la volonté absolue et la volonté
conditionnelle. La première ne dépend d'aucune con-
dition ; telle est la volonté, en Dieu, de créer le
monde ; la seconde, au contraire, dépend d'une
condition ; telle est la volonté de sauver tous les
hommes, c'est-à-dire pourvu qu'ils le veuillent. On
trouve dans l'Ecriture des exemples nombreux de
cette volonté conditionnelle, u Dieu avait résolu de
les perdre (les Israélites), si Moïse, qu'il avait choisi,
ne s'y fût opposé en se présentant devant lui (i) ».
Le Seigneur, dit à Salomon : « Si lu marches en ma
présence, comme ton père, dans la droiture et la sim-
plicité du cœur, f établirai ton trône et ton règne sur
Israël pour toujours (2) ».
La volonté divine est efficace ou inefficace selon
qu'elle produit infailliblement son effet ou qu'elle 1q
laisse paralyser par l'intervention de la liberté
humaine. Ainsi Dieu dit : « Mon dessein subsistera
et je ferai toute ma volonté (3) » ; mais il a dit aussi
« Jérusalem, Jérusalem, combien de fois n'ai-je pat
1. Psal., cv, 23. — 2. III Reg., ix, 4. — 3. Is., xlvi, ro.
5lO LE CATÉCHISME ROMAIN
voulu rassembler les fils, comme la poule rassemble
ses petils sous ses ailes, et tu ne Vas pas voulu (i) / »
III. Difficultés
La question de la science et de la volonté divine
n'est pas sans soulever de graves difficultés. Com-
ment accorder, en effet, la prescience divine avec la
liberté humaine ? Gomment accorder également
cette même liberté humaine avec la volonté divine,
qui est d'une efficaci té souveraine ? G 'est un problème
qui, sous deux aspects différents, a toujours préoc-
cupé le sage, et qui se complique du problème plus
délicat encore de la prédestination et de la réproba-
tion. Nous ne pouvons que le signaler ici aussi suc-
cinctement que possible (2).
1. La Prescience de Dieu et la liberté hu-
maine. — Partout, dans les relations de l'infini avec
le fini, de Dieu avec la créature, notre esprit se heurte
en dernière analyse à un mystère impénétrable. Nous
ne voyons pas comment se concilient entre elles
des vérités certaines ; leur lien intime nous
échappe. Qu'il existe, qu'il doive exister, c'est ce
dont nous ne saurions raisonnablement douter. Si
nous ne l'apercevons pas, la faute en est à notre
intelligence, qui n'est pas assez pénétrante ; notre
raison peut s'essayer du moins à faire un peu de
lumière sans se flatter de dissiper totalement
l'obscurité. Assurée qu'aucune vérité ne saurait
aller contre une autre vérité, le parti le plus sage
1. Malth., xxiii, 37. — 2. Cf. De Régnon, Bannes et Molina,
Paris, i883. Dummermuth, S. Thomas et doctrina prœmotionis
physicœ, Paris, 1886 ; Gayraud, Thomisme et Molinisme, Paris,
1889 ; Providence et libre arbitre, Paris, 1892.
PRESCIENCE DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5ll
qu'elle ait à prendre, c'est d'accepter l'une et l'au-
tre, tout en avouant son impuissance à voir leur
mode de conciliation.
Ainsi en est-il, en particulier, pour la liberté
humaine d'une part et pour la prescience et la
volonté divines d'autre part. Si Dieu prévoit les
futurs libres et si sa volonté est infailliblement
efficace, vérités dont nous ne saurions douter,
comment l'homme est-il libre ?
Les fatalistes, estimant la conciliation impossible,
sacrifient résolument la liberté humaine et intro-
duisent ainsi dans le monde le règne d'une aveugle
nécessité, qui fait de l'homme un jouet inconscient
et irresponsable. Ils ont tort. Ils estiment ainsi,
par une hypothèse gratuite et injustifiée, que
l'homme ne peut pas agir autrement que Dieu ne
Ta prévu, qu'il agit nécessairement comme Dieu
Ta prévu et parce qu'il l'a prévu. Ils font donc
dépendre l'acte humain de la science divine et
confondent ainsi ce qui se fera certainement avec ce
qui se fera nécessairement. Rien n'est pourtant plus
distinct. Car le caractère d'un acte est intrinsèque
à cet acte lui-même ; la certitude, au contraire, est
dans celui qui voit cet acte tel qu'il est ou qui le
prévoit tel qu'il sera. En quoi donc cette certitude
est-elle incompatible avec la nature de l'acte ?
L'acte demeure ce qu'il est en lui-même, ou libre
si sa nature est d'être libre, ou nécessaire si sa
nature est d'être nécessaire. Il suffit donc, semble-
t-il, de bien déterminer la nature de l'acte pour
reconnaître avec certitude que le fait de sa prévi-
sion ne détruit point son essence. Il suffit égale-
ment de bien déterminer la nature de la science
divine, relative aux futurs libres, pour reconnaître
avec certitude que les termes de prévision ou de
prescience ne s'appliquent que très improprement
5l2 LE CATÉCHISME ROMAIN
à l'acte de la science divine. Dieu, comme nous
l'avons dit avec saint Thomas, ne prévoit pas, il
voit ; point de passé ni d'avenir en lui, mais un
présent immuable ; point de prévision, dès lors,
ni de prescience, mais un acte de simple vision,
une pure constatation (i).
Est-ce dire que le mystère soit élucidé ? Nul-
lement. Mais ce qu'il faut dire c'est que la
prétendue incompatibilité n'existe pas, ou qu'en
tout cas elle n'autorise pas à sacrifier une vérité
certaine, celle de l'existence de notre liberté,
sous prétexte que nous ne saisissons pas le rapport
intime qui l'unit avec cette autre vérité, que nous
désignons, selon notre mode de connaissance qui
est conditionné par le temps, sous le nom de pré-
vision ou de prescience divine. Elle y autorise
d'autant moins que, pour échapper à une difficulté
réelle, le fatalisme se heurte à une absurdité, celle
d'admettre que la vérité détruit la vérité, et à de
désastreuses conséquences, absolument inaccepta-
bles pour l'expérience et la raison, qui témoignent
hautement en faveur de l'existence de notre liberté.
La nécessité s'impose à nous, en effet, d'accepter
sagement les limites de notre raison pour ne pas
sombrer dans le scepticisme. Yoici comment s'en
explique Bossuet : « Quiconque connaît Dieu ne
peut douter que sa prescience ne s'étende à tout ;
et quiconque fera un peu de réflexion sur lui-même
connaîtra sa liberté avec une telle évidence que
rien ne pourra obscurcir l'idée et le sentiment qu'il
i. Cf. Sum. iheol., I, Q. xiv. a. i3; Cont. Gent., I 66, 67 ;
De Verit., Q. 11. a 12. Entre nos actes futurs et la science de
Dieu, il n'y a aucune priorité de temps ou de durée, mais
simultanéité parfaite ; la science de Dieu est une vision du
présent; les actes qui, pour nous, sont futurs, sont toujours
actuellement présents à l'éternité divine.
PRESCIENCE DE DIEU ET LIBERTE HUMAINE 01 0
en a : et on verra clairement que deux choses qui
sont établies sur des raisons si nécessaires ne peu-
vent se détruire l'une l'autre. Car la vérité ne
détruit point la vérité ; et quoiqu'il se pût bien faire
que nous ne sussions pas trouver les moyens d'ac-
corder ces choses, ce que nous ne connaîtrions pas,
dans une matière si haute, ne devrait point affaiblir
en nous ce que nous connaissons si certainement.
« En effet, si nous avions à détruire la liberté par
la Providence ou la Providence par la liberté, nous
ne saurions par où commencer, tant ces deux choses
sont nécessaires, et tant sont évidentes et indubi-
tables les idées que nous en avons. Car il semble
que la raison nous fasse paraître plus nécessaire ce
que nous avons attribué à Dieu, nous avons plus
d'expérience de ce que nous avons attribué à
l'homme ; de sorte que, toutes choses bien con-
sidérées, ces deux vérités doivent passer pour
également incontestables.
« Donc, au lieu de les détruire l'une par l'autre,
nous devons si bien conduire nos pensées que rien
n'obscurcisse l'idée très distincte que nous avons
de chacune d'elles. Et il ne faudrait pas s'étonner
que nous ne sussions peut-être pas si bien les
concilier ensemble. Car cela viendrait de ce que
nous ne saurions pas le moyen par lequel Dieu
conduit notre liberté, chose qui le regarde et non
pas nous, et dont il a pu se réserver le secret sans
nous faire tort...
« Quand donc nous nous mettons à raisonner,
nous devons d'abord poser comme indubitable que
nous pouvons connaître très certainement beau-
coup de choses, dont toutefois nous n'entendons
pas toutes les dépendances ni toutes les suites.
C'est pourquoi la première règle de notre logique,
c'est qu'il ne faut jamais abandonner les vérités
IE CATÉCHISME. — T. I. 3)
5l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
une fois connues, quelque difficulté qui survienne
quand on veut les concilier ; mais qu'il faut au
contraire, pour ainsi parler, tenir fortement
comme les deux bouts de la chaîne, quoi qu'on ne
voie pas toujours le milieu par où l'enchaînement
se continue (i). »
Cette sage observation de Bossuet trouvera son
application dans toutes les difficultés du même
genre, et notamment dans celle qui naît des relations
de la liberté humaine avec la volonté souveraine-
ment efficace de Dieu.
2. La volonté souveraine de Dieu et la liberté
le l'homme. — - La volonté de Dieu est souveraine-
nent efficace ; non seulement elle accomplit tout
;é qu'elle veut, mais elle fait encore que tout s'ac-
complit comme elle le veut. Tout ce que Dieu veut
se réalise et tout se réalise comme il le veut. En
conséquence de cette efficacité souveraine de la
volonté et du concours de Dieu, la liberté humaine
parait fort compromise. En réalité, il n'en est rien.
Mais la difficulté subsiste, beaucoup plus grave
i ore que dans le cas précédent.
Incontestablement, Dieu meut la volonté de
l'homme, parce qu'il est le bien suprême auquel
<ule aspire, et parce qu'il est la cause de sa puissance
. i vouloir. Ecoutons saint Thomas : « De même
que l'entendement, dit-il, est mû par l'objet qu'il
nprend et par l'être qui lui a donné la faculté de
comprendre, de même la volonté est mue par son
objet qui est le bien, et par l'être qui lui a donné la
faculté de vouloir. Tout bien, quel qu'il soit, peut
mouvoir la volonté ; mais il n'y a que Dieu qui la
meuve d'une manière suffisante et efficace. En effet,
i. Bossuet, Traité du libre arbitre, c. iv.
VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5l5
un moteur ne peut mouvoir un mobile que quand
sa puissance active surpasse ou du moins égale la
puissance passive de l'objet qu'il meut. La puissance
passive de la volonté s'étend au bien général, car
son objet est le bien universel, de même que l'objet
de l'intelligence est l'être universel. Tout bien créé
est un bien particulier ; Dieu seul est le bien uni-
versel ; donc Dieu est le seul objet qui remplisse la
volonté et qui lui donne une impulsion suffisante.
Pareillement, il n'y a que Dieu qui puisse produira
la faculté de vouloir. Car que signifie ce mot de
vouloir, sinon l'inclination de la volonté au bien
universel ? Or, il appartient au premier moteur de
porter la volonté vers le bien universel, de même
que, dans les choses humaines, il appartient au
chef de la nation de diriger tout en vue du bien dé
la communauté (i). »
a Dieu, dit-il ailleurs, gouverne les êtres avec un
art toujours égal, par des moyens divers, selon la
diversité de leur nature (2). » C'est dire que Dieu
dirige différemment les êtres intelligents et libres,
qui sont maîtres de leurs actes, et les êtres dénués
de raison. Mais que devient alors la liberté ? N'est-
elle pas une illusion,? Non certes. Dieu a fait des
créatures libres, et ces créatures conservent leur
liberté, même en présence de la volonté et de l'action
souveraine de Dieu, ou plutôt en vertu même de la
volonté et du décret de Dieu. Et voici comment,
selon saint Thomas : « La volonté divine étant sou-
verainement efficace, il suit de là que non seulement
ce que Dieu veut arrive, mais encore que toutes
choses se font de la manière dont il veut qu'elles
soient faites. Or il veut l'existence nécessaire de
1. Sum. theol., I, Q. cv, a. 4- — a. Sam. theol., \, Q. cm,
a. 5.
5l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
telles choses et l'existence contingente de telles
autres, en vue de Tordre général, et afin que l'univers
présente un ensemble complet. Dans ce but, il a
rattaché certains effets à des causes nécessaires qui
ne peuvent pas faillir, et par lesquelles ces effets
sont nécessairement produits ; il en a rattaché
d'autres à des causes contingentes, faillibles et qui
peuvent ne pas les produire.* Gonséquemment, les
effets voulus de Dieu ne tirent pas leur contingence
de la contingence des causes prochaines qui les
déterminent ; mais comme Dieu les voulait contin-
gents, il a préparé dans ce dessein des causes de
même nature... Rien ne résiste à la volonté de Dieu ;
d'où il résulte que non seulement il fait ce qu'il
veut, mais encore que, selon qu'il le veut, les
choses sont contingentes ou nécessaires (i). »
« Il appartient à la Providence, non pas de
corrompre la nature des êtres, mais de la conserver.
Ainsi elle meut tous les êtres conformément à leur
nature, de telle sorte que l'opération divine fait
produire aux causes nécessaires des effets nécessai-
res et aux causes contingentes des effets contingents.
Or, la volonté étant un principe d'action qui n'est
pas déterminé à un acte unique, mais qui peut en
accomplir plusieurs indifféremment, Dieu la meut
de manière à ne pas la déterminer nécessairement
pour un seul objet, mais à maintenir la contingence
et la liberté de son mouvement, si ce n'est à l'égard
des choses vers lesquelles elle est naturellement
portée... Il répugnerait à l'opération divine que
l'impulsion qu'elle donne à la volonté fût nécessaire,
contrairement à l'essence de la faculté de vouloir;
il ne répugne pas qu'elle fasse mouvoir librement
i. Sum. iheol., I, Q. xix, a. 8, et ad a.
VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTE HUMAINE SlJ
la volonté, comme sa nature le demande (i). »
« Dieu est la cause première qui meut à la fois et
les causes naturelles et les causes volontaires. Et
comme, lorsqu'il meut les causes naturelles, il
n'empêche pas que leurs actes ne soient naturels ;
de même, lorsqu'il agit sur les causes volontaires,
il n'empêche pas leurs actions d'être volontaires ;
même il leur donne plutôt ce caractère, car il agit
dans chaque être d'une manière conforme à sa
nature propre (2). »
Pas plus dans la question présente que dans celle
des rapports de la science divine avec la liberté
humaine, l'explication qu'en donne saint Thomas
ne réussit à dissiper toutes les difficultés ; le mys-
tère reste. Deux vérités sont acquises : d'une part,
l'action souverainement efficace de la volonté divi-
ne, d'autre part l'existence de la liberté de l'homme.
Comment se concilient-elles ? Nous venons d'en-
tendre saint Thomas nous dire que Dieu ne s'im-
pose pas à l'homme par violence ou coaction, qu'il
respecte sa nature d'être libre et qu'il agit par le
dedans conformément à cette nature. Les molinis-
tes ont essayé, de leur côté, de donner une expli-
cation différente. On sait avec quelle puissance
d'esprit, avec quelle profondeur de pénétration,
avec quelle ardeur surtout, thomistes et molinistes
ont travaillé à faire prévaloir leur manière de voir.
Ils se sont accusés mutuellement, les uns de détruire
l'action divine, les autres de supprimer la liberté
humaine. Qui a tort ? qui a raison ? La Congréga-
tion de Auxiliis a été longtemps saisie de leurs griefs
réciproques. Mais le pape Paul V (1605-1621), en
autorisant, en 1607, les uns et les autres à défendre
1. Sum. theol, Ia II®, Q. x, a. 4. — 2. Sam. theol, I, Q.
LX-xxiii, a. 1.
Ï)l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
leur sentiment jusqu'à décision ultérieure du Saint-
Siège, leur a interdit de se taxer réciproquement
d'hérésie. Cette sage sentence a été confirmée encore
par Urbain VIII (i623-i644) et Clément XII (i73o-
17/io). Et à l'heure qu'il est, aucune décision offi-
cielle n'est encore intervenue. On est donc libre
d'embrasser l'une ou l'autre des deux opinions ;
nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement.
1. La Science de Dieu. — « Dieu voit tout ; mais
son intelligence sans rivages s'étend au-delà de la sphère
où sont contenues les choses actuellement présentes à son
regard. Il ne se connaîtrait pas s'il ne savait, avec ce qu'il
a fait, avec ce qu'il veut faire, ce qu'il peut faire. Il sait
donc tout ce qui ne sera jamais, tout ce qui cependant
pourrait être s'il le voulait ; et cette science du possible
n'a pas d'autre mesure que l'iniini pouvoir qu'a son
essence d'être participée à l'infini, d'une infinité de
manières. Y a-t-il encore quelque chose que Dieu puisse
-connaître ? Je ne vois plus rien... 0 science de mon Dieu,
quelle menace effroyable vous êtes pour les pêcheurs ! Un
sommeil perfide appesantit leur conscience ; ils croient
avoir enseveli dans le tombeau de l'oubli leurs crimes
passés parce que personne ne les inquiète, personne ne
vient leur dire : Souvenez-vous. Enhardis par l'impunité,
ils poursuivent en cachette la trame de leurs œuvres per-
verses ; leur âme est un abîme qui vomit l'iniquité dégui-
sée par des habiletés et des protestations hypocrites
auxquelles notre simplicité se laisse tromper. Ils poussent
l'audace à cet excès qu'ils comptent prendre Dieu lui-même
en leurs filets et renverser ses desseins. Alors ils seront
maîtres de l'avenir et leur corruption triomphante devien-
dra la loi des peuples qu'ils auront pervertis. Mais on
veille là haut. Un jour vous viendrez au devant de ces
misérables, ô Dieu terrible, et vous leur direz : « C'est
moi. J'ai tout vu, je sais tout, j'ai déjoué vos complots et
sauvé les peuples que vous vouliez perdre. Le mal que
vous avez oublié, le mal que vous avez caché, le mal que
vous avez espéré, le voilà ! Voyez vous-mêmes et jugez. »
VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5 10,
Et le pécheur verra, et il entrera en fureur, et il grincera
des dents, et il défaillira sur les raines de ses désirs
écroulés. » Monsabré, Conférences de Notre-Dame, Gonf.
viu% Paris, 1874, p. 69-70.
2. La volonté de Dieu. — « Cette efficace (de la cau-
salité première), est si grande que non seulement les
choses sont absolument dès là que Dieu veut qu'elles
joient, mais encore qu'elles soient telles dès que Dieu
veut qu'elles soient telles...; car il ne veut pas que les
choses soient en général seulement, mais il les veut dans
tout leur état, dans toutes leurs propriétés, dans tout
leur ordre. Gomme donc un homme est, dès là que
Dieu veut qu'il soit ; il est libre dès là que Dieu veut
qu'il soit libre ; et il agit librement, dès là que Dieu veut
qu'il agisse librement ; et il fait librement telle action dès
là que Dieu le veut ainsi. Car toutes les volontés et des
hommes et des anges sont comprises dans la volonté de
Dieu comme dans leur cause première et universelle ; et
elles ne sont libres que parce qu'elles y sont comprises
comme libres... Dieu veut donc le premier, parce qu'il
est le premier être et le premier libre ; et tout le reste
veut après lui, et veut à la manière que Dieu veut qu'il
veuille... Et il ne faut pas objecter que le propre de
l'exercice de la liberté, c'est de venir seulement de la
liberté même ; car cela serait véritable, si la liberté de
l'homme était une liberté première et indépendante, et
non une liberté découlée d'ailleurs. » Bossuet, Traité cla
libre arbitre, cil. S,
Je crois en Dieu... tout-puissant
Leçon XVe
De Dieu
Toute-Puissance
et Attributs Moraux
I. Texte du Catéchisme romain. — IL Toute-
Puissance de Dieu. — III. Attributs moraux.
I. Texte du Catéchisme romain
es saintes Lettres expriment de plusieurs ma-
nières la puissance souveraine et l'immense
majesté de Dieu, afin de faire comprendre
de quel respect religieux on doit entourer son très
saint nom. Au pasteur d'enseigner avant tout aux
fidèles qu'elles lui donnent le plus souvent le
nom de Tout-puissant (i). En effet, en parlant de
lui-même, Jéhovah dit : « Je suis le Dieu tout-
puissant (2); » et Jacob, envoyant ses fils à Joseph,
faisait cette prière : « Que le Dieu tout-puissant
1. Sum. theol., I, Q. xxv. — 2. Gènes., xvn, 1.
TEXTE DU CATÉCHISME ROMAIN 521
vous fasse trouver grâce devant lui (i). » Il est écrit
dans L'Apocalypse : « Le Seigneur Dieu, celui qui
est, qui était et qui vient, le Tout-puissant (2) ; » ail-
leurs, le jugement est appelé « le grand jour du.
Seigneur tout-puissant (3). » D'autres fois aussi
nous voyons plusieurs mots employés pour dire la
même chose, comme dans ces endroits : « // n'y a
rien qui soit impossible à Dieu (4). » « Le bras de
Jéhovah est-il trop court (5) ? » « Vous pouvez faire,
Seigneur, tout ce que vous voulez (6). » L'Ecriture
est ainsi remplie d'une foule d'expressions, qui,
pour le sens, sont équivalentes à celle de Tout-
puissant.
u Or nous entendons par ce terme qu'il n'y a
rien, qu'il est impossible de rien concevoir, de
rien imaginer qui surpasse la puissance de Dieu.
Car non seulement il peut faire toutes ces choses
qui, toutes grandes qu'elles sont, nous sont cepen-
dant plus ou moins connues, comme de faire ren-
trer l'univers dans le néant, ou de créer de rien,
en un instant, plusieurs autres mondes; mais son
pouvoir s'étend aussi à des choses infiniment plus
relevées, dont la raison humaine ne saurait même
soupçonner la possibilité.
« Cependant, bien qu'il soit tout-puissant, Dieu
ne saurait mentir, ni tromper, ni être trompé, ni
pécher, ni cesser d'être, ni rien ignorer. Ce sont là
des choses qui n'appartiennent qu'aux êtres impar-
faits. Pour Dieu, dont l'action est toujours d'une
perfection infinie, il ne peut les faire, parce
qu'elles sont des effets de la faiblesse, et non d'un
pouvoir souverain sur toutes choses, tel qu'il le
possède. Ainsi donc, tout en reconnaissant en Dieu
1. Gènes., xliii, i4- — 2. Apoc., 1, 8. — 3. Apoc., vi, 17. —
£. Luc., 1, 37. — 5. Num., xi, 23. — 6. Sap., xn, 18.
52 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
la toute-puissance, nous croyons cependant qu'il
est parfaitement exempt de tout ce qui ne serait pas
en harmonie et en rapport avec sa nature infini-
ment parfaite.
« Que si le Symbole omettant les autres perfec-
tions de Dieu, ne propose à notre croyance que la
toute-puissance, le pasteur aura soin de montrer
que ce n'est pas sans des raisons très sages. En
effet, dès que nous croyons qu'il est tout-puissant,
nous avouons par là même qu'il a la connaissance
de toutes choses, et que tout est soumis à sa volonté
et à son empire ; et nous reconnaissons en lui tout
ce qui est lié avec sa souveraine puissance et qui
est nécessaire pour nous le faire comprendre.
« D'ailleurs, rien n'est plus propre à affermir notre
foi et notre espérance que la conviction profondé-
ment gravée dans nos esprits que rien n'est impos-
sible à Dieu. Quoi que l'on nous propose ensuite
de croire, quelque grand et quelque incompréhen-
sible que cela soit, quelque élevé que cela se trouve
au-dessus de l'ordre accoutumé de la nature, la rai-
son humaine y donnera facilement son assentiment
dès qu'elle aura compris la toute-puissance de Dieu;
et même plus les divins oracles annonceront des
choses étonnantes, plus elle y ajoutera foi avec em-
pressement. Que s'il s'agit des biens à espérer,
jamais la grandeur de l'objet promis n'ébranlera la
confiance de l'esprit, qui affermira au contraire ses
désirs et ses espérances par cette pensée, souvent
présente à son souvenir, que rien n'est impossible
à un Dieu tout-puissant.
« Ayons donc soin de nous fortifier par la foi de
cette vérité, surtout lorsque nous aurons à faire pour
l'utilité du prochain quelque chose de difficile, ou
que nous voudrons obtenir quelque chose de Dieu
par la prière. Jésus-Christ nous enseigne lui-même
TEXTE DU CATÉCHISME ROMAIN 52 3
ce devoir lorsque, reprochant à ses apôtres leur in-
crédulité, il leur dit : « Si vous aviez de la foi
comme un grain de sénevé, vous diriez à cette mon-
tagne: Passe d'ici là-bas, et elle y passera, et rien
ne vous sera impossible (i). » Et l'apôtre saint Jac-
ques, pour exciter la confiance du fidèle dans la
prière, l'exhorte à « demander avec foi, sans hésiter ;
car celui qui hésite est semblable au flot de la mer
qui est poussé par le vent de tous les côtés ; que cet
homme-là ne s'imagine donc pas qu'il recevra quelque
chose du Seigneur (2). »
a Au reste, cette croyance nous est très utile et
très avantageuse sous d'autres rapports. D'abord
elle nous porte à la modestie et à l'humilité de
l'esprit, suivant ces mots de saint Pierre : « Humi-
liez-vous sous la main puissante de Dieu (3). » De
plus, elle nous apprend à ne pas craindre « là ou il
n'existe aucun sujet de crainte (4) » , et à « ne crain-
dre que Dieu seul (5) », qui «nous tient en son
pouvoir, nous et tous nos biens (6). » Et le Seigneur
lui-même a dit : « Je vous montrerai celui que vous
devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué
le corps, peut vous précipiter dans l'enfer (7). »
Cette même foi sert encore à nous rappeler les
grands bienfaits de Dieu à notre égard et à exciter
notre reconnaissance. Quiconque pense, en effet, à
la toute -puissance de Dieu, serait d'une trop grande
ingratitude, s'il ne s'écriait souvent : « Celui qui est
tout-puissant a fait pour moi de grandes choses (8).))
« Mais de ce que, dans cet article, nous disons
que le Père est tout-puissant, il ne faudrait pas croire ;
que la même perfection ne soit commune au Fils et v.i
1. Matth., xvii, 20. — 2. Jac, 1, 6-7. — 3. I, Petr.t v, 6. —
4. Psal., lu, 6. — 5. Psal., xxxn, 8. — 6. Sap., vu, 16. —
7. Luc, xii, 5. — 8. Luc, 1, 49.
524 LE CATÉCHISME ROMAIN
au Saint-Esprit. De même que nous disons que le
Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est
Dieu, sans dire pour cela qu'il y a trois Dieux, mais
en confessant réellement un seul Dieu ; ainsi, en
confessant que le Père, le Fils et le Saint-Esprit
sont tout-puissants, nous ne reconnaissons pas trois
tout-puissants, mais un seul. Il y a pourtant une
raison particulière de donner cette qualité au Père,
c'est qu'il est la source de tout ce qui existe. Ainsi,
nous disons du Fils qu'il est la sagesse, parce qu'il est
le Verbe du Père ; et du Saint-Esprit, qu'il possède
la bonté, parce qu'il est l'amour du Père et du Fils ;
et cependant ces qualités ainsi que les autres con-
viennent également aux trois personnes suivant la
règle de la foi catholique (i) ».
II. Toute-puissance de Dieu
1. Sa corrélation étroite avec l'Intelligence
et la Volonté. — La Toute-puissance divine est le
corollaire logique et nécessaire de la science et de
la volonté de Dieu. La science et la volonté, en
effet, concourent à la création et sont la cause des
êtres créés.
i. La science d'abord, car elle est aux choses
créées, dit saint Thomas (2), ce que la science de
Partisan est à ses ouvrages. Or, la science de l'artisan
est la cause de ses ouvrages, puisqu'il opère par
son intelligence. La forme intellectuelle est ainsi le
principe de toute opération. Toutefois la forme
intelligible n'est pas principe d'action par cela
seul qu'elle est dans l'intelligence, il faut qu'elle
soit inclinée vers tel effet par la volonté. Placée
i.Cat. rom., I, art. 1, xv-xix. — 2. Sumtheol., I, Q. xvi, a 8
TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 525
^— — ^— ^^i — ■■■■■■ m- ii i ■ ■ i ■ ^
entre deux pôles opposés, elle se porte vers l'un ou
vers l'autre sous l'impulsion de la volonté. Jointe
ainsi à la volonté, elle procède à l'opération et
constitue la science d'approbation. Cette science
diffère de celle de l'homme. Car, dit saint Augustin,
« Dieu ne connaît pas les créatures spirituelles et
corporelles parce qu'elles sont, mais ces créatures
existent parce que Dieu les connaît (i). » Dans
l'homme, au contraire, ce sont les créatures qui
sont la cause de sa science; en lui, la nature pré-
cède et mesure sa science ; tandis que la science de
Dieu précède et mesure la nature elle-même. Et
bien que la science de Dieu soit éternelle, il ne
s'ensuit pas que les créatures soient aussi éternelles ;
éternellement elles sont dans la science divine,
mais elles ne passent à l'existence qu'au moment
fixé par Dieu.
2. A la science s'ajoute la volonté. Celle-ci aussi
est la cause des choses (2). Puisque la nature agit
pour une fin, tout aussi bien que l'intelligence, il
faut qu'une intelligence supérieure prescrive
à la nature la lin qu'elle doit atteindre et les
moyens propres à y parvenir. Or Dieu est la pre-
mière des causes : Il agit donc par l'intelligence et
parla volonté. De plus, une cause naturelle produit
toujours le même effet, parce qu'elle agit toujours,
à moins d'obstacle, d'une manière uniforme, d'une
manière conforme à sa nature qui est déterminée,
circonscrite, limitée. Ce ne peut être le cas de Dieu;
vis-à-vis des créatures, il n'agit pas par nécessité,
mais uniquement selon la détermination de sa
volonté et de son intelligence. Enfin, la cause pro-
duit son effet conformément à la manière dont elle
le contient, c'est-à-dire selon son mode d'être. Or,
1. De Triait., xv, i3. — 2. Sum. theol., I, Q. xix, a. 4«
526 LE CATÉCHISME ROMAIN
en Dieu, l'être est son intelligence. Il contient ses
effets d'une manière intelligible, c'est-à-dire par
l'intervention de la volonté qui seule détermine
Dieu a réaliser ce qu'il a conçu dans son intelli-
gence. N'oublions pas qu'intelligence et volonté ne
se distinguent entre elles et avec l'essence divine
que par un effet de notre esprit, car en Dieu c'est
tout un.
2. Son existence et son objet. — i. Nous
avons vu sur quels textes scripturaires le Caté-
chisme romain s'appuie pour prouver l'existence
de la toute-puissance. On en peut signaler d'autres,
et, par exemple, les suivants : « Tu es puissant^
Jéhovah (i). » a Je sais que tu peux tout (2). »
Tout ce que veut Jéhovah, il le fait,
Dans les cieux et sur la terre,
Dans la mer et dans tous les abîmes (3).
Nous avons vu aussi l'objet qu'il assigne à cette
toute-puissance.
Dieu, étant l'être même, exclut de son essence
tout mélange de potentialité ; car la puissance est
un devenir et le devenir est en opposition formelle
avec Têtre. Mais la puissance peut s'entendre ou
comme une pure réceptivité soumise à l'influence
causale d'un agent extrinsèque, ou comme une
force capable de produire certains effets ; dans le
premier cas, on l'appelle puissance passive, dans le
second puissance active. Considérée dans sa signifi-
cation formelle, la puissance passive implique une
imperfection, un défaut d'être ; tandis que la puis-
sance active ne contient dans son concept aucune
1. PsaL, lxxxviii, 9. — a. Job., xlii, 2. — 3. Psal., cxxxiv, 6.
TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 52 7
imperfection ; on ne peut agir, en effet, que parce
qu'on est et dans la mesure où on est. La puissance
active étant faite pour l'opération, elle sera d'autant
plus parfaite qu'elle s'identifiera mieux avec cette
opération ; et si elle se confond essentiellement avec
elle, elle sera un acte pur ; l'acte pur et fêtre pur ne
seront qu'une seule réalité. Mais si la puissance
active se distingue de son opération, elle conservera
sans cloute sa perfection naturelle, mais elle sera
par le fait même une puissance mêlée de passivité,
capable de recevoir, par son exercice, un accroisse-
ment d'être, ce qui est le caractère formel de la
puissance passive. Ce dernier cas regarde les créa-
tures ; le premier ne s'applique qu'à Dieu.
Dieu, en effet, parce qu'il est l'être infini, est
l'acte pur, sans aucun mélange de potentialité. Il
est déterminé par son essence à la plénitude de
l'être et à la plénitude de l'opération. Mais cette
opération, au lieu de survenir à sa vertu active
comme une perfection nouvelle, n'est que l'acte
infiniment subsistant d'une essence qui s'identifie
avec sa propre existence : être et agir ne sont en
Dieu qu'une seule et même chose. Mais il y a une
différence entre l'opération divine ad intra, qui se
termine tout entière dans l'essence subsistante d'où
elle procède et dont nous parlerons en traitant de
la trinité, et l'opération ad extra qui, sans sortir
formellement de cette essence, s'extériorise pourtant
virtuellement, en tant qu'elle aboutit à la production
d'un être distinct de l'être divin. Cette dernière
opération, la seule à envisager ici, s'étend aussi loin
que le champ des essences réalisables ; la puissance
divine est aussi illimitée que son essence.
La puissance se mesurant à l'être qui la possède,
il va de soi que la puissance de Dieu comme son
être est infinie, sans bornes, sans limites. Et c'est
528 LE CATÉCHISME ROMAIN
pourquoi on l'appelle la toute-puissance. C'est le seul
des attributs divins que mentionne le Symbole des
apôtres ; et e Catéchisme romain fait observer avec
raison qu'il n'exclut pas les autres, puisqu'il im-
plique notamment celui d'intelligence et de vo-
lonté.
2. Dieu est tout-puissant, qu'est-ce à dire? qu'il
peut tout ? Oui, sans doute, il peut tout ce qui est
possible. Car il est des choses absolument impossi-
bles, et, par exemple, les choses contradictoires.
Une chose, en effet, est absolument possible lorsque,
dans les deux termes de la proposition qui l'expri-
ment, l'attribut ne répugne pas au sujet. Or tout ce
qui peut avoir la nature de l'être rentre dans les
possibles absolus et tombe sous le domaine de la
toute-puissance divine. Mais comme rien n'est con-
traire à la nature de l'être que le non-être, il ne se
trouve hors de ces possibles absolus que ce qui
implique en même temps l'être et le non-être, c'est-
à-dire ce qui est contradictoire. L'intelligence divine
ne saurait concevoir le contradictoire. On ne peut
donc pas dire que Dieu ne peut pas le faire ; on
parle plus correctement en disant que cela est
impossible de soi.
Le péché étant un défaut de perfection dans l'acte,
Dieu, qui est la perfection même, ne peut se con-
cevoir avec ce défaut. Et c'est parce qu'il est tout-
puissant qu'il ne peut absolument pas pécher.
De même Dieu ne peut pas faire que les choses
passées n'aient été, cela implique contradiction.
Mais Dieu peut faire bien des choses qu'il ne fait
pas. « Pensez-vous, disait Notre Seigneur, que je ne
puisse pas prier mon Père, et il ni enverrait aussitôt
douze légions d 'anges (i). » Saint Augustin fait les
i. Matth. xxvi, 53,
TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 529
remarques suivantes : Dieu aurait pu d'un seul
coup exterminer les idolâtres (i), et il ne l'a pas
fait; infliger aux impies de nouveaux tourments (2),
et il ne l'a pas fait ; susciter de la pierre des en-
fants d'Abraham (3), et il ne l'a pas fait ; jeter
les montagnes dans la mer (4), et il ne l'a pas fait ;
opérer mille autres merveilles, et il ne l'a pas fait.
« On voit donc que Dieu ne fait pas tout ce qu'il
peut faire. L'Ecriture aussi bien que la raison con-
damne l'opinion contraire (5). »
Dieu peut-il faire des choses meilleures que celles
qui existent? Sans aucun doute. « Dieu, dit saint
Paul, peut faire infiniment plus que tout ce que
nous demandons ou concevons (6). » Il y a deux
sortes de bonté, observe saint Thomas ; celle qui
tient à l'essence des choses, et, sous ce rapport,
Dieu peut bien faire une chose meilleure qu'une
autre. Mais il ne peut pas faire que la même chose
soit meilleure dans son essence qu'elle n'est. Car
de même qu'il ne saurait rendre le nombre quatre
plus grand, parce qu'il en changerait l'espèce
en y ajoutant, de même il ne saurait, sans la chan-
ger, rendre une chose meilleure dans son essence,
parce que l'addition d'une qualité substantielle
changerait la nature des choses. Mais outre la bonté
essentielle des êtres, il y a une bonté accidentelle,
par exemple la sagesse et la justice dans la nature
raisonnable de l'homme. Celle-ci, Dieu peut incon-
testablement l'améliorer et l'accroître (7).
Mais Dieu pourrait-il faire mieux qu'il ne fait, en
entendant mieux au sens d'adverbe ? Dieu ne peut
pas faire mieux qu'il ne fait, si on le considère en
lui-même, car en faisant ce qu'il fait, il ne saurait
1. Jos., xxiw, 9. — 2. Sap., xvi, 6. — 3. Luc, m, 8. —
4. Matth., xi, 23. — 5. De spirit. et litt., xxxiv. — 6. Eph., in,
20. — 7. Sum. theol, I, Q. xxv, a. 6.
LE CATÉCHISME. — T. I. 5
53o LE CATÉCHISME ROMAIN
opérer ni avec plus de sagesse ni avec plus de puis-
sance ; mais si l'on regarde les choses faites, oui il
pourrait faire mieux, puisqu'il est en sa puissance
d'améliorer les choses qui existent, non dans leur
essence, mais dans leurs accidents.
3. Puissance limitée de l'homme. — L'homme
étant intelligence et volonté possède, dans la
même mesure, la puissance. Mais quelle puis-
sance que la sienne, à côté de la toute-puissance
divine 1 Que de limites, comme, du reste, dans sa
science et sa volition ! Et pourtant jusqu'à quel
point ne s'est-elle pas élevée de nos jours ! que de
travaux I que de recherches ! que de progrès déjà
réalisés, insoupçonnés hier encore ! Dans tous les
champs de l'activité humaine, en histoire, en géo-*
graphie, en archéologie, en philologie, dans les
sciences surtout, qui transforment de jour en jour le
commerce, l'industrie, et apportent plus de bien-être
physique, plus de civilisation ! Et que de progrès
futurs, qu'on ne soupçonne pas aujourd'hui, mais
qui, demain peut-être, seront des réalités I La marge
est grande dans l'œuvre divine, et le savoir, et la
volonté, et la puissance de l'homme peuvent y
évoluer à leur aise, sans qu'on puisse jamais se
flatter d'en avoir découvert tous les trésors, et d'en
tarir les merveilles. Et l'espoir, au cœur de l'homme,
s'est élevé jusqu'à l'enthousiasme, jusqu'à l'enivre-
ment de lui-même. Que de rêves en perspective, dans
un avenir qu'on dit plus ou moins prochain I Plus
de misères dans les masses, rien que du bonheur !
Plus de guerres entre peuples, rien que la paix !
Plus de maux, plus de mort, si c'était possible ! Et
ne serait-ce pas possible ? Qui sait ? Mais non, par
là l'homme est rappelé au peu qu'il est, au peu qu'il
peut. Ce serait sagesse que de le reconnaître ; c'est
ATTRIBUTS MORAUX : LA BONTE 53 1
folie de le méconnaître, et folie plus grande encore
de penser, de parler, d'agir, comme si par delà le
monde phénoménal Dieu n'existait pas, de rayer du
domaine rationnel son existence et d'en venir à cette
monstruosité de croire que Dieu est en train de se
faire dans le monde grâce au progrès, en train de
prendre conscience de lui-même dans l'homme et
par l'homme. L'homme ne serait-il pas, n'est-il pas
en définitive le Dieu nouveau ? Une telle aberration
intellectuelle et morale n'est pas rare de nos jours*
Impertinente comme l'orgueil, dont elle est l'ex-
pression, il pourrait bien se faire qu'elle fût châtiée
tôt ou tard. Car s'il est vrai que la foudre frappe
les cimes altières, il est encore plus vrai que a Dieu
résiste aux superbes (i). » Et Dieu n'a guère qu'à
abandonner l'homme à ses propres forces ; et tout
autonome qu'il se proclame, l'homme se suffît à
lui-même pour montrer une fois de plus que, sans
Dieu, il n'est rien et ne peut rien, malgré ses pré-
tentions. La Providence a parfois de ces leçons de
choses.
III. Attributs moraux
i. La Bonté et l'amour. — Dieu est le bien, le
souverain bien ; il est la bonté, la bonté souve-
raine ; c'est dire qu'il est souverainement aimable*
Il est en même temps souverainement amour.
L'amour va au bien, naturellement ; tous les actes
de la volonté le supposent comme leur première
racine, comme leur principe générateur. Nul être
Intelligent ne désire que le bien aimé, nul ne se
délecte que dans le bien aimé, nul ne hait que ce
x. Jac, iv, 6.
532 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui s'oppose au bien aimé (i). Partout où se trouve
la volonté se trouve donc l'amour. Par suite l'amour
doit se retrouver en Dieu, à l'état parfait, puisqu'en
Dieu la volonté est parfaite.
Dieu étant le bien, la bonté, la sagesse et la
volonté, dans leur perfection absolue, s'aime lui-
même nécessairement, en vertu même de sa nature,
ainsi que nous l'avons déjà dit.
Il aime aussi les créatures, toutes les créatures, par
le seul fait qu'il leur a donné l'être, ou la vie, ou
l'intelligence et la volonté, parce que tout cela est
un bien qu'il leur a libéralement départi. Mais il ne
les aime pas toutes de la même manière. Celles qui
sont privées de raison, incapables par suite de lui
rendre amour pour amour et de participer à sa
béatitude, il les aime sans doute, mais ce n'est pas
à rigoureusement parler d'un amour d'amiiié, c'est
plutôt d'un amour de quasi concupiscence, non qu'il
les désire ou qu'il en ait besoin, mais parce que, en
les créant et les conservant, c'est le bien des créa-
tures raisonnables qu'il a en vue, pour leur mani-
fester sa bonté et leur faire du bien. Quant aux.
créatures raisonnables, celles-ci, par un mouvement
de leur intelligence et de leur volonté, pouvant
répondre à son amour, Dieu les aime d'un amour
d'amitié, de bienveillance, et il les aime en proportion
du bien qu'il communique à chacune d'elles et du
bien que chacune d'elles accomplit. Mais si, par le
péché, elles viennent à se détourner de lui, il les
aime encore, non pas en tant que coupables, mais,
quoi qu'elles soient coupables, en tant qu'êtres qui
sont et qui sont par lui.
L'Ecriture renferme d'innombrables témoignages
de la bonté et de l'amour de Dieu envers les hom-
t. Sum. theol, I, Q. xx, a. i.
LA BONTÉ DE DIEU 533
mes ; elle nous représente Dieu sous les traits d'un
père, d'une mère, d'un ami, d'un époux. Dieu nous
traite, en effet, comme des êtres de prédilection ; il
nous couvre de bienfaits ; et saint Jean l'a défini
avec raison, quand il a dit : « Dieu est charité (i). »
« Une femme oublier a-t-elle son nourrisson,
Qu'elle n'ait pas pitié du fruit de ses entrailles ?
Quand les mères oublieraient,
Moi, je ne t'oublierai point (2). »
« // l'a entouré (le peuple juif), il a pris soin de lui,
Il l'a gardé comme la prunelle de son œil.
Pareil à l'aigle qui excite sa couvée,
Et voltige au-dessus de ses petits,
Jehovah a déployé ses ailes, il a pris Israël,
// l'a porté sur ses plumes (3). »
« Comme un homme que sa mère console, ainsi je
vous consolerai (4). »
C'est à l'âme chrétienne que peuvent s'appliquer
ces paroles d'Ezéchiei : « Tu fus renommée parmi
les nations pour ta beauté, car elle était parfaite,
grâce à ma splendeur que f avais répandue sur toi,
dit le seigneur Jéhovah (5). » L'âme chrétienne, en
effet, objet de la tendre sollicitude de Dieu est sa
fille adopfcive, destinée à jouir de sa propre gloire
dans le ciel. De combien de bienfaits n'est-elle pas
redevable ici bas à ce Dieu bon et généreux? Et
de combien de gloire ne sera-t-elle pas un jour
récompensée? En possession delà grâce présente
et dans l'espérance de la gloire future, dont l'homme
ne saurait se faire une idée, combien ne doit-elle
pas s'efforcer de rép ndre par son amour recon-
naissant à l'amour inlini ?
1. ÏJoan., iv, 16. — 2. haï., xlix, i5. — 3. Deut., xxxii,
io-ii. — 4. Isaï., lvi, i3. — 5. Ezech., xvi, i4.
534 LE CATÉCHISME ROMAIN
2. La Miséricorde. — C'est particulièrement à
l'égard des malheureux, et de la manière la plus tou-
chante, qu'éclate la bonté divine, ou la Miséricorde.
Ce mot, dit saint Augustin, vient de « miserum cor
facere condolentis alieno malo (i). » Il s'applique à
l'âme qui compatit aux peines des autres.
Dieu, évidemment, ne possède pas cette attribut
comme une passion affective (2), car il ne saurait
être atteint dans sa béatitude infinie par la misère
d'autrui ; mais il lui convient éminemment de la
soulager, de la faire disparaître, parce que toute
misère est un défaut. Or, qui est plus malheureux
que le pécheur, puisqu'en lui cette misère morale
qu'est le péché constitue un défaut dont il est res-
ponsable ? Et qui plus que le pécheur, surtout
quand il est pénitent, attire les bienfaits de la misé-
ricorde divine ?
« Reviens, infidèle Israël, dit Jéhovah ;
Je ne veux pas vous montrer un visage sévère,
Car je suis miséricordieux, dit Jéhovah,
Et je ne garde pas ma colère à toujours.
Seulement reconnais ta faute,
Car tu as été infidèle à Jéhovah, ton Dieu...
Revenez, fils infidèles, dit Jéhovah,
Car je suis votre maître (3). »
« Prendrai-je plaisir à la mort du méchant, dit le Sei-
gneur Jéhovah ? N'est-ce pas plutôt à ce qu'il se détourne
de ses voies et qu'il vive ?... Détournez-vous et conver-
tissez-vous de tous vos péchés, et l'iniquité ne deviendra
.pas votre ruine. Rejetez loin de vous toutes les transgres-
sions que vous avez commises, faites-vous un cœur nou-
veau et un esprit nouveau. Pourquoi mourriez-vous, mai-
son d'Israël ? Car je ne prends point plaisir à la mort de
1. De mor. Eccles., I, xxvii, 53. — 2. Sum. theol, I, Q. xxi,
& 2, 3. — 3. Jcrera., in, 12-14.
LA MISÉRICORDE DE DIEU 535
celui qui meurt, dit le Seigneur Jéhovah ; convertissez-
vous donc et vivez (i). »
a Cest moi, moi seul, qui efface tes prévarications
pour l'amour de moi (2). »
« SoUviens-toi de ces choses, 6 Jacob,
0 Israël, car tu es mon serviteur ;
Je t'ai formé, tu es mon serviteur,
0 Israël, tu ne seras pas oublié de moi !
J'ai effacé tes transgressions comme un nuage,
Et tes péchés comme une nuée ;
Reviens à moi, car je t'ai racheté.
deux, poussez des cris de joie, car Jéhovah a fait cela F
Retentissez d'allégresse, profondeurs de la terre !
Eclatez de joie, montagnes,
Forêts, avec tous vos arbres,
Car Jéhovah a racheté Jacob
Et manifesté sa gloire en Israël (3). »
Qui n'a présents à la mémoire les accents de
David pour remercier Dieu de ses bienfaits (4) ?
Qui ne se rappelle ce psaume cxxxve, sous forme
de litanie, où à chaque verset revient comme un
relrain, le quoniam in œlernum misericordia ejus,
sa miséricorde est. éternelle ? Et n'est-ce pas sous le
nom de Pèie que Notre Seigneur nous a appris à,
prier Dieu : « Noire Père, qui êtes aux deux!)) Saint
Paul a raison d'appeler Dieu « le père des miséri-
cordes et le Dieu de toute consolation (5). » La
miséricorde ! quel attribut plus consolant pour-
nôtre humaine misère ! En quels traits inoubliables
le divin Maître l'a marqué dans ces paraboles si
touchantes de la brebis perdue et de l'enfant prodi-
gue ! Et quel thème fécond sous la plume et sur les
1. Ezech., xvin, 3o-32. — 2. haï., xliii, 25. — 3. haï., xlïv,
21-23. — (\. Psal., en ; on le trouvera à la fin de cette leçon.
— 5. II Cor., 1, 3.
536 LE CATÉCHISME ROMAIN
lèvres des Pères de l'Eglise ! Mais, par contre, de la
part du pécheur, quelle folie de rester sourd aux
appels de la miséricorde divine, de s'attarder dans
le péché, de s'y endurcir 1 Et quel malheur d'y
mourir ! Car si Dieu est bon et miséricordieux au-
delà de tout ce qu'on peut dire, il est juste égale-
ment ; sa bonté ne saurait entraver sa justice.
3. La justice. — Dieu est bon, miséricordieux,
patient, d'une longanimité à toute épreuve ; mais il
est juste. Il n'a pas, il ne peut pas avoir la justice
commutative , celle qui règle les échanges, les tran-
sactions, les achats ou les ventes ; car, comme l'a
dit saint Paul, « qui lui a donné le premier, pour
qu'il ail à recevoir en retour (i) ? » Mais il a la jus-
tice distributive, qui consiste dans une répartition
équitable des biens et des maux, et qui s'impose
comme une règle à tout souverain, à tout adminis-
trateur, à tout juge. N'est-il pas le Maître, le Sou-
verain, le Législateur, le Juge par excellence ?
Il est tenu sans aucun doute, dès qu'il se décide
à faire quelque acte extérieur, d'accomplir les des-
seins de sa sagesse et de manifester la munificence
de sa bonté (a). Ayant donc créé les êtres, il est tenu
de plus d'accorder à chacun ce qui lui est dû selon
sa nature et sa condition. Nulle difficulté pour les
êtres sans raison. Mais vis-à-vis de l'homme ?
L'homme peut mal user de sa liberté, il désobéit et
il pèche ; il peut aussi en faire un excellent usage,
s'en servir pour vaincre ses passions, pratiquer la
vertu et accumuler de bonnes œuvres. En présence de
cette alternative, Dieu se doit à lui-même et il doit à
l'homme de traiter l'homme selon le bon ou mau-
vais usage de sa liberté. Nécessairement, il doit
i. Rom., xi, 35. — 2. Sam. iheol, I, Q. xxi, a. i, 2.
LA JUSTICE DE DIEU 53y
récompenser le bien et punir le mal. Dans quelle
mesure et de quelle manière, c'est ce que nous ver-
rons plus tard.
Cet attribut divin se retrouve, cela va sans dire, à
toutes les pages de nos saints Livres. Tobie disait
dans sa prière : « Vous êtes juste, Seigneur ; justes
sont tous vos jugements, et toutes vos voies sont
miséricorde, vérité et justice (i). » Le psalmiste,
dans son éloge de la loi de Dieu, s'écriait :
« Tu es juste, Jéhovah,
Et tes jugements sont équitables (2). »
Saint Mathieu (3) et saint Paul (4) répètent :
« Dieu rendra à chacun selon ses œuvres. » L'Apôtre
raisonnait de la sorte : « Ainsi, qui que tu sois,
ô homme, toi qui juges, tu es inexcusable : car en
jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque
tu fais les mêmes choses, toi qui juges. Car nous savons
que le jugement de Dieu est selon la vérité contre ceux
qui commettent de telles (fautes). Et tu penses, ô
homme, toi qui juges ceux qui les commettent, et qui
les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de
Dieu ? Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa
■ patience et de sa longanimité ? Et ne sais-tu pas que
la bonté de Dieu t'invite à la pénitence ? Par ton endur-
cissement et ton cœur impénitent, tu t'amasses un
trésor de colère pour le jour de la colère et de la
manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à
chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui,
par la persévérance dans le bien, cherchent la gloire,
l'honneur et l'immortalité ; mais la colère et l'indigna-
tion aux enfants de contention, indociles à la vérité,
dociles à l'iniquité (5). » C'est en quelques mots,
1. Tob., m, a. — 2. Psal., cxvm, 187. — 3. Matth., xvi, 27%
— 4. Rom., 11, 6. — 5. Rom., 11, 1-8.
538 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'indication de la rétribution finale. Et si, d'une
part, on comprend, devant cette alternative formi-
dable, la vérité de celte sentence . « II est effroyable
de tomber dans tes mains du Dieu vivant (i), » car la
justice de Dieu n'est redoutable qu'aux pécheurs,
on comprend aussi, d'autre part, la confiance, la
sérénité, le calme et la paix du serviteur bon et
fidèle, qui faisaient dire à saint Paul : « J'ai com-
battu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé
la foi; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne
de justice, que me donnera en ce jour-là le Seigneur,
le juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux
qui auront aimé son avènement (2). »
4. La Sainteté. — La Sainteté est l'abrégé et
comme un précis des perfections divines. C'est elle
qu'exaltait en particulier Moïse, après le passage
miraculeux de la Mer Rouge.
« Je chanterai à Jéhovah, car il a fait éclater sa gloire :
Il a précipité dans la mer cheval et cavalier.
Qui est comme toi parmi les Dieux, ô Jéhovah ?
Qui est comme toi auguste en sainteté (3) ? »
Dieu se manifeste à ses prophètes comme le
saint, le très saint, le trois fois saint. Isaïe raconte
ainsi l'une de ses visions • « Je vis le Seigneur
assis sur un trône haut et élevé, et les pans de sa robe
remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-
dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes... Et ils
criaient l'un à l'autre et disaient :
Saint, saint, saint est Jéhovah des armées !
Toute la terre est pleine de sa gloire (4). »
1. Heb., x, 3i. — 2. II Tim., iv, 7-8. — 3. Exod., xv, 1, n#
— 4. Isaï, vi, i-3.
LA SAINTETÉ DE DIEU 53g
Dans la vision de saint Jean, ce sont les quatre
animaux symboliques, recouverts eux aussi de
six ailes, qui ne cessent de dire jour et nuit :
« Saint, saint, saint est le Dieu tout-puissant, qui
était, qui est et qui vient (i). »
Saint, tel est le titre que Notre Seigneur donne à
son Père avec celui de juste, dans sa dernière
prière : Pater sancte (2), Pater juste (3); ces deux
titres n'en font qu'un, ils résument toutes les per-
fections morales de Dieu.
La sainteté de Dieu est incompatible avec tout
péché, avec toute imperfection d'entendement et de
volonté, avec tout défaut; car Dieu est bon par
essence ; il n'entend et ne veut que ce qu'il faut ;
son intelligence et sa volonté sont sa nature même
qui est excellente. En lui se confondent sa perfec-
tion morale et sa perfection naturelle.
A raison de cette sainteté, Dieu veut que les créa-
tures raisonnables s'appliquent de tous leurs efforts
à lui ressembler. « Je suis Jéhovah, votre Dieu ;
vous vous sanctifierez, et vous serez saints, car je suis
saint (4). » Et c'est pourquoi il entoure de tant
d'égards prodigieux ceux qui travaillent à se
sanctifier sur la terre. Il les encourage, il les engage
à redoubler d'efforts, à progresser sans cesse. « Que
le juste pratique encore la justice : et que le saint se
sanctifie encore (5). »
Jéhovah aime la justice,
Et il n abandonne pas ses fidèles (6). »
Les abandonner n'est pas assez. C'est en eux qu'il
établit sa demeure. « Si quelqu'un m'aime, dit
Notre Seigneur, il gardera ma parole, et mon Père
i. Apoc, iv, 8. — 2. Joan., xvn, 11. — 3. Joan., xvn, a5. —
4. Levit., xi, 44 ; xix, 2 ; 1 Petr., 1, 16. — 5. Apoc, xxn, 11. —
6. PsaL, xxxvi, *8.
54 O LE CATÉCHISME ROMAIN
l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons
chez lui notre demeure (i). » L'âme du saint, en
effet, est, selon l'enseignement de saint Paul, le
temple particulièrement choisi de Dieu (2). De ce
temple béni s'élèvent des prières, justement compa-
rées aux parfums de l'encens (3). Voici comment
la Sagesse dépeint la vie des saints :
« Les âmes des justes sont dans la main de Dieu,
Et les tourments ne les atteindront pas.
Aux yeux des insensés ils paraissent être morts,
Et leur sortie de ce monde semble être un malheur.
Et leur départ du milieu de nous un anéantissement ;
Mais ils sont dans la paix.
Alors même que, devant les hommes, ils ont subi des châ-
Leur espérance est pleine d'immortalité. [timents,
Après une légère peine, ils recevront une grande récompense.
Car Dieu les a éprouves
Et il les a trouvés dignes de lui,
Il les a essayés comme l'or dans la fournaise,
Et les a agréés comme un parfait, holaucausle.
Au jour de leur récompense, les justes brilleront,
Semblables à la flamme qui court à travers les roseaux.
Ils jugeront les nations et domineront les peuples,
Et le Seigneur régnera sur eux à jamais (4). »
Le psalmiste a raison de dire :
« Elle a du prix aux yeux de Jéhovah,
La mort de ses fidèles (5). »
« Les fidèles triomphent dans la gloire
Et tressaillent de joie sur leur couche (6). »
La récompense assurée aux élus dépasse tout ce
que l'on peut concevoir. Car, dit saint Paul, « notre
1. Joan., xrv, a3. — 2. T Cor., in, 17 ; vi, 19 ; II Cor., vi, 16.
■ — 3. Apoc, v. 8. — 4- Sap., m, 1-8. — 5. l'&al., cxv, i5.
6. PsaL, cxLix, 5.
LA SAINTETÉ DE DIEU 54 1
légère affliction du moment présent produit pour
nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de
gloire (i). »
Le pécheur ne saurait aspirer à une telle récom-
pense ; sa vie répugne à la sainteté de Dieu : c'est le
sentiment de David, dans sa prière matinale :
« Jéhovah, dès le matin, tu entendras ma voix;
Car tu n'es pas un Dieu qui prenne plaisir au mal;
Avec toi le méchant ne saurait habiter.
Les insensés ne subsistent pas devant tes yeux ;
Tu hais tous les artisans d'iniquité.
Tu fais périr les menteurs ;
Jéhovah abhorre l'homme de sang et de fraude (2). »
« Les pécheurs attaquent Dieu inutilement par
leur rébellion, dit Bossuet; et sa sainteté demeure
inviolable au milieu des impiétés, des blasphèmes,
des impuretés, dont tout l'univers est rempli par la
malice des hommes et des démons. Il demeure
saint, quoique pour punir les pécheurs il les livre
à leurs mauvais désirs, parce que les y livrer n'est
pas les produire. Dieu ne fait que se soustraire lui-
même à un cœur ingrat ; et cette soustraction est
sainte, parce que Dieu se soustrait justement lui-
même à ceux qui le quittent, et punit leur égare-
ment volontaire en les frappant d'aveuglement. Il
fait tout dans l'homme, excepté le seul péché, où
son action ne se mêle point. Celui qu'il permet ne
le souille point, parce que lui seul il en peut tirer
un bien infini, et plus grand que n'est la malice de
tous les péchés ensemble (3). »
Dieu, par bonté, par miséricorde, est toujours
prêt à pardonner au pécheur repentant, à purifier
1. II Cor., iv, 17. — 2. Psal, v, 4-7. — 3. Elévations sur les
mystères, Ie Sem., élév. xi.
54^ LE CATÉCHISME ROMAIN
sa conscience, à laver ses souillures, à le recevoir
dans ses bras et sur son cœur, à le revêtir de la robe
nuptiale et à' se réjouir de sa conversion. Car, au
ciel, « il y aura plus de joie pour un seul pécheur
qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui n'ont pas besoin de se repentir (i). » Mais si,
.malgré tout, le pécheur s'obstine et meurt dans son
péché, Dieu lui dira : « Je ne vous ai jamais connus.
Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité (2). » Et la
sentence du souverain juge, condamnant les maudits
au feu éternel, sera l'expression de sa sainteté
méconnue et de sa justice suprême.
En présence de la question de la nature de Dieu,
l'homme, même avec les secours de la révélation,
est impuissant à la résoudre d'une manière adéquate,
il ne peut que « balbutier, » disions-nous en rappe-
lant le mot de saint Grégoire. Et nous ne pouvons
pas mieux terminer que par ces paroles de Fénelon :
« Je ne puis m'accoutumer à vous voir, ô Infini
simple, au dessus de toutes les mesures par lesquel-
les mon faible esprit est toujours tenté de vous
mesurer. J'oublie toujours le point essentiel de
votre grandeur, et par là je retombe à contre-temps
dans l'étroite enceinte des choses finies. Pardonnez
ces erreurs, ô bonté qui n'est pas moins infinie que
toutes les autres perfections de mon Dieu ; par-
donnez les bégayements d'une langue qui ne peut
s'abstenir de vous louer, et les défaillances d'un
esprit que vous n'avez fait que pour admirer votre
perfection (3). »
1. Luc., xv, 7. — 2. Matth., vu, a3. — 3. Traité de Vexistence
de Dieu, à la fin.
LA SAINTETÉ DE DIEU 543
1. Louange à Dieu pour sa bonté.
« Mon âme, bénis Jéhovah,
Et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom 1
Mon âme, bénis Jéhovah,
Et n'oublie pas ses nombreux bienfaits.
C'est lui qui pardonne toutes les iniquités,
Qui guérit toutes les maladies ;
C'est lui qui délivre ta vie de la fosse,
Qui te couronne de bonté et de miséricorde ;
C'est lui qui comble de biens tes désirs ;
Et ta jeunesse renouvelée a la vigueur de l'aigle.
t( Jéhovah exerce la justice,
Il fait droit à tous les opprimés.
Il a manifesté ses voies à Moïse,
Ses grandes œuvres aux enfants d'Israël.
Jéhovah est miséricordieux et compatissant,
Lent à la colère et riche en bonté.
Ce n'est pas pour toujours qu'il réprimande,
Il ne garde pas à jamais sa colère.
Il ne nous traite pas selon nos péchés,
Et ne nous châtie pas selon nos iniquités.
<c Car autant les ci eux sont élevés au-dessus de la terre,
Autant sa bonté est grande envers ceux qui le craignent.
Autant l'Orient est loin de l'Occident,
Autant il éloigne de nous nos transgressions.
Comme un père a compassion de ses enfants
Jéhovah a compassion de ceux qui le craignent.
Car il sait de quoi nous sommes formés,
Il se souvient que nous sommes poussière.
« L'homme ! Ses jours sont comme l'herbe,
11 fleurit comme la fleur des champs.
Qu'un souffle passe sur lui, il n'est plus,
Et le lieu qu'il occupait ne le connaît plus. [craignent,
Mais la bonté de Jéhovah dure à jamais pour ceux qui le
Et sa justice pour les enfants de leurs enfants,
Pour ceux qui gardent son alliance, [ver.
Et se souviennent de ses commandements pour les obser-
544 LE CATÉCHISME ROMAIN
<( Jéhovah a établi son trône dans les cieux,
Et son empire s'étend sur toutes choses.
Bénissez Jéhovah, vous, ses anges,
Qui êtes puissants et forts, et qui exécutez ses ordres,
En obéissant à la voix de sa parole.
Bénissez Jéhovah, vous toutes, ses armées,
Qui êtes ses serviteurs et exécutez sa volonté !
Bénissez Jéhovah, vous toutes, ses œuvres,
Dans tous les lieux de sa domination !
Mon âme, bénis Jéhovah ! » (Psaume en.)
2. En l'honneur du Créateur et du Bienfaiteur
d'Israël.
« Rendez hommage à Jéhovah, car il est bon,
Car sa miséricorde est éternelle.
Rendez hommage au Dieu des dieux,
Car sa miséricorde est éternelle.
Rendez hommage au Seigneur des seigneurs,
Car sa miséricorde est éternelle.
A celui qui seul opère de grands prodiges,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Oui a fait les cieux avec sagesse,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Oui a étendu la terre sur les eaux,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Qui a fait les grands luminaires,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Le soleil pour présider au jour,
Car sa miséricorde est éternelle ;
La lune et les étoiles pour présider la nuit,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui frappa les Egyptiens dans leurs premiers-nés,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Il fit sortir Israël du milieu d'eux,
Car sa miséricorde est éternelle,
D'une main forte et d'un bras étendu,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui divisa en deux la mer rouge,
Car sa miséricorde est éternelle,
LA SAINTETÉ DE DIEU 5^5
Qui fit passer Israël au travers,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et précipita Pharaon et son armée dans la mer rouge
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui conduisit son peuple dans le désert,
Car sa miséricorde est éternelle,
Qui frappa de grands rois,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et fit périr des rois puissants,
Car sa miséricorde est éternelle,
Séhon, roi des Amorrhéens,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et Og, roi de Basan,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Qui donna leur pas en héritage,
Car sa miséricorde est éternelle,
En héritage à Israël, son serviteur,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui se souvint de nous quand nous étions humiliés,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et nous délivra de nos oppresseurs,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui donne à tout ce qui vit la nourriture,
Car sa miséricorde est éternelle.
Rendez hommage au Dieu des cieux,
Car sa miséricorde est éternelle. »
(Psaume cxxxv.)
3. Toute-puissance de Dieu. Chant de Moïse après le
passage de la mer Rouge.
« Je chanterai à Jéhovah, car il a fait éclater sa gloire :
Il a précipité dans la mer cheval et cavalier.
Jéhovah est ma force et l'objet de mes chants ;
C'est lui qui m'a sauvé ;
C'est lui qui est mon Dieu : je le célébrerai ;
Le Dieu de mon père : je l'exalterai.
Jéhovah est un vaillant guerrier ;
Jéhovah est son nom !
Il a jeté dans la mer les chars de Pharaon et son armée ;
LH CATÉCHISMB. T. I. 33
546 LE CATÉCHISME ROMAIN
L'élite de ses capitaines a été engloutie dans la mer rouge.
Les flots les couvrent.
Ils sont descendus au fond des eaux comme une pierre,
Ta droite, ô Jéhovah, s'est signalée par sa force :
Ta droite, ô Jéhovah, a écrasé l'ennemi.
Dans la plénitude de ta majesté,
Tu renverses tes adversaires ;
Tu jéchaînes ta colère :
Elle les consume comme du chaume.
Au souffle de tes narines, les eaux se sont amoncelées,
Les flots se sont dressés comme une muraille,
Les vagues se sont durcies au sein de la mer.
L'ennemi disait : « Je les poursuivrai, je les atteindrai,
Je partagerai les dépouilles,
Ma vengeance sera assouvie ;
Je tirerai l'épée, ma main les exterminera. »
Tu as soufflé de ton haleine :
La mer les a couverts,
Ils se sont enfoncés comme du plomb
Dans les vastes eaux.
Qui est comme toi parmi les dieux, ô Jéhovah ?
Qui est comme toi auguste en sainteté ?
Redoutable à la louange même,
Opérant des prodiges ?
Tu as étendu ta droite,
La mer les a engloutis...
Les peuples l'ont appris, ils tremblent ;
La terreur s'empare des Philistins ;
Déjà les princes d'Edom sont dans l'épouvante ;
L'angoisse s'empare des forts de Moab ;
Tous les habitants de Chanaan ont perdu courage ;
La terreur et la détresse tomberont sur eux.
Par la force de ton bras
Ils deviendront immobiles comme une pierre,
Jusqu'à ce que ton peuple ait passé, ô Jéhovah...
Jéhovah régnera à jamais et toujours. »
(Exode, xv, 1-18.)
Article Premier
Je crois en Dieu le Père...
en Jésus-Christ... au Saint-Esprit.
Leçon XVIe
De la Sainte Trinité
I. Les formules, — IL La preuve scripturaire r
i* Dans l'Ancien Testament — a°. Dans le Nou-
veau.
I. Les Formules
Le mystère de la Sainte Trinité se trouve formulé
succintement dans ces paroles de Notre Seigneur
à ses apôtres, avant l'ascension : « Allez, enseignez
toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils
et du Saint-Esprit (i). »
i . Il y a loin de cette formule si concise à celle du sym-
bole de saint Athanase, si explicite et si détaillée, comme
nous l'avons vu : « La foi catholique c'est d'adorer un
seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l'unité, sans
confondre les personnes, sans séparer les substances. Car
autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autr©
celle de l'Esprit-Saint. Mais pour le Père, le Fils et l'Es-
prit-Saint, une est la divinité, égale la gloire, coéternelle
i. Matth., xxviii, 19.
548 LE CATÉCHISME ROMAIN
la majesté. Tel le Père, tel le Fils, tel l'Esprit-Saint.
Incréé est le Père, incréé est le Fils, incréé est l'Esprit-
Saint. Immense est le Père, immense le Fils, immense
l'Esprit-Saint. Eternel est le Père, éternel est le Fils,
éternel l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont point trois
éternels, mais un seul éternel ; ni trois incréés, ni trois
immenses, mais un seul incréé et un seul immense. De
même tout-puissant est le Père, tout-puissant est le Fils,
tout-puissant est l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont
pas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant. Ainsi
Dieu est le Père, Dieu le Fils, Dieu l'Esprit-Saint ; et
pourtant ce ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu...
De même que la vérité chrétienne nous oblige de confesser
que chaque personne, séparément, est Dieu et Seigneur,
de même la religion catholique nous défend de dire trois
Dieux ou trois Seigneurs. Le Père n'a été ni fait, ni
créé, ni engendré. Le Fils est du Père seul, ni fait, ni
créé, mais engendré. L'Esprit-saint est du Père et du Fils,
ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant de l'un et de
l'autre. Il n'y a donc qu'un Père, et non trois Pères ;
qu'un Fils, et non trois Fils, qu'un Esprit-Saint, et non
trois Esprits-Saints. Et, dans cette Trinité, rien n'est plus
ancien ou plus jeune, rien n'est plus grand ou plus petit,
mais les trois personnes sont coéternelles et coégales
entre elles. »
2. Tous les éléments essentiels du dogme de la Trinité
se trouvent réunis dans le symbole de foi du xie Concile
de Tolède, tenu en 675 : « Nous confessons et croyons que
la sainte et ineffable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit est
essentiellement un seul Dieu d'une seule substance, d'une
seule nature, d'une seule majesté et puissance. Noua
professons que le Père n'est ni engendré, ni créé, mais
inengendré, ne tenant de personne son origine..., que le
Fils est né de la substance du Père sans commencement
avant tous les siècles..., de la même substance que la
Père, et c'est pourquoi on le dit consubstantiel au
Père... Nous croyons également que l'Esprit-Saint, la
troisième personne de la Trinité, est un seul et même
Dieu avec Dieu le Père et le Fils, d'une seule et
LA SAINTE TRINITÉ 5^9
même substance, d'une seule et même nature ; ni engen-
dré, ni créé, mais procédant de l'un et de l'autre...
Les noms des personnes marquent leurs relations récir
proques, celui de Père par rapport au Fils, celui de Fils
par rapport au Père, celui de Saint-Esprit par rapport à
l'un et à l'autre... Nous ne professons pas trois substan-
ces comme nous professons trois personnes, mais une
seule substance et trois personnes... A chacune des trois
appartient une seule et indivise et égale divinité... Nous
distinguons les personnes, nous ne scindons pas la divi-
nité. Nous reconnaissons la Trinité dans la distinction
des personnes, mais nous professons l'unité à cause de la
nature ou delà substance... Bien qu'ils soient trois en un
et un en trois, chaque personne cependant possède ses
propriétés personnelles (i). »
3. Au commencement du xin6 siècle, le rve Concile de
Latran de 12 15 condamne les erreurs de Joachim de
Flore, de la manière suivante : « Le saint Concile approu-
vant, nous croyons et confessons avec Pierre Lombard
qu'il existe une chose unique et suprême, incompréhensi-
ble et ineffable, qui est véritablement Père, Fils et Saint-
Esprit, trois personnes ensemble et chacune d'elles à
part. Et ainsi en Dieu la Trinité seulement existe, non la
quaternité, parce que chacune de ces trois personnes est
cette chose, c'est-à-dire la substance, l'essence ou la
nature divine, qui seule est le principe de toutes choses
en dehors duquel on ne peut en découvrir quelque autre.
Et cette chose n'est ni génératrice, ni engendrée, ni pro-
cédante, mais elle est le Père qui engendre, et le Fils qui
est engendré, et le Saint-Esprit qui procède, pour que les
distinctions soient dans les personnes et l'unité dans la
nature. Donc, bien que le Père soit un autre, le Fils un
autre, le Saint-Esprit un autre, ils ne sont pourtant pas
autre chose, mais cette chose, qui est le Père, est le Fils
et le Saint-Esprit, la même chose tout-à-fait ; de sorte
que, conformément à la foi orthodoxe et catholique, nous
croyons qu'il sont consubstantiels. En effet, le Père, en
1. Denzinger, n, 232-234.
550 LE CATÉCHISME ROMAIN
«ngendrant éternellement le Fils, lui a donné sa subs-
tance, comme il (le Fils) en témoigne : « Ce que le Père
m'a donné est plus grand que toutes choses. » Et on ne
peut pas dire qu'il lui ait donné une partie de sa subs-
tance et qu'il en ait retenu une partie pour lui-même,
puisque, étant absolument simple, la substance du Père
«st indivisible. Mais l'on ne peut pas dire davantage que
'le Père, en engendrant, ait transféré sa substance au Fils,
comme s'il l'avait donnée au Fils de manière à ne pas la
retenir pour lui-même : autrement il aurait cessé d'être
uane substance. 11 est donc clair qu'en naissant le Fils a
reçu la substance du Père sans aucune diminution, et
ainsi le Père et le Fils ont même substance. Par consé-
quent une même chose est à la fois le Père et le Fils, et
aussi le Saint-Esprit, qui procède de l'un et de l'au-
tre (i). »
4. Le Catéchisme romain commence par légitimer le
nom de Père qu'on donne à Dieu dans le Symbole. « Quel-
ques-uns, dit-il, même de ceux dont la foi n'éclairait pas
les ténèbres, ont compris que Dieu est une substance
-éternelle, qu'il est le principe de toutes choses, qu'il gou-
verne et conserve, par sa providence, l'ordre et l'état de
tout ce qui est ; et de là, voyant que les hommes don-
nent le nom de père à celui qui est le chef d'une famille,
qui la gouverne par son autorité et ses conseils, ils ont
attribué aussi, par comparaison, le même nom à Dieu,
qu'ils reconnaissent pour créateur et gouverneur de toutes
choses. C'est du même nom que se servent les Ecritures
lorsqu'elles rappellent que Dieu est le créateur de toutes
choses, que son pouvoir et sa providence admirable s'é-
tendent sur tout.
« îf est-il pas ton père, ton créateur ?
Celui qui Va jait et qui Va établi (a) ?
« N'avons-nous pas tous un même père? Un même
,&ieu ne nous a-i-ilpas tous créés (3) ? » Mais il est appelé
i. Denzinger, n. 358. — a. Deut., xxxii, 6. — 3. Malach.,
II, io.
LA. SAINTE TRINITÉ 55 1
bien plus souvent et d'une manière toute particulière le
père des chrétiens, surtout dans le Nouveau Testament.
C'est des chrétiens que l'apôtre dit : a Vous n'avez pas
reçu un esprit de servitude pour être encore dans la
crainte, mais un Esprit d'adoption, en qui nous crions :
Abba ! Père (i). » Là « le Père nous a témoigné tant
d'amour, dit saint Jean, que nous sommes appelés et que
nous sommes réellement les enfants de Dieu (2) ; » « or
si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers,
héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (3), » « qui est
le premier-né d'un grand nombre de frères (4), » « et qui
ne rougit pas de nous appeler ses frères (5). » Ainsi, soit
que l'on regarde Dieu du côté de la création et de sa pro-
vidence universelle, soit qu'on considère spécialement
l'adoption spirituelle qu'il a faite des chrétiens, c'est
avec raison que les fidèles le reconnaissent pour leur
père.
« Mais, outre ces significations, le pasteur avertira les
fidèles qu'en entendant le nom de Père, ils doivent élever
leur esprit à des mystères plus sublimes encore. Tout ce
qu'il y a, en effet, et de plus caché et de plus impénétra-
ble dans a cette lumière inaccessible que Dieu habite (6), »
ce que la raison humaine ne pouvait ni atteindre ni soup-
çonner, se trouve exprimé par ce nom de Père, comme
nous l'apprennent les oracles sacrés. Il nous avertit donc
qu'il y a dans l'essence divine, non une seule personne
mais plusieurs réellement distinctes. Nous croyons, en
effet, qu'il y en a trois dans la même nature : celle du
Père, qui n'est engendrée d'aucune autre ; celle du Fils,
qui est engendrée du Père avant tous les siècles ; celle du
Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, de toute
éternité. Le Père est, dans l'unité de la nature divine, la
première personne, faisant avec son Fils unique et le
Saint-Esprit un seul Dieu, un seul Seigneur : non point
une seule personne, mais une seule nature en trois per-
sonnes. Et on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait entre
elles aucune différence, ni aucune inégalité. Toute la
1. Rom., vin, i5. — 2. 1 Joan.t m, 1. — 3. Rom., vin, 17. —
4. Rom., vin, 39. — 5. Heb., 11, 11. — 6. 1 Tim., vi, 16.
552 LE CATÉCHISME ROMAIN
distinction que l'on conçoit en elles, vient de leurs pro-
priétés respectives. Le Père n'est point engendré ; le Fils
est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède de l'un et
de l'autre. Et ainsi, pour ces trois personnes, nous con-
fessons la même essence, la même substance, et, dans la
confession de cette vraie et éternelle divinité, nous ado-
rons avec piété et respect la distinction dans les person-
nes, l'unité dans l'essence, et l'égalité dans la Trinité.
u Ainsi lorsque nous disons que le Père est la première
personne, il ne faut pas croire que nous reconnaissions
dans la Trinité quelque chose de premier et de dernier,
de plus grand et de plus petit. A Dieu ne plaise qu'une
telle impiété entre dans l'esprit des fidèles. La religion
chrétienne enseigne que la même éternité, la même
gloire et la même majesté conviennent aux trois person-
nes. Mais parce qu'il est le principe sans principe, nous
affirmons avec vérité et sans hésiter que le Père est la
première personne ; et parce qu'il est distingué des
autres personnes par la propriété de Père, c'est par là que
de toute éternité il a dû engendrer son Fils. Et de là vient
que dans cet article nous joignons ensemble le nom de
Dieu et de Père pour nous faire souvenir que la première
personne a toujours été Dieu et Père.
« Mais comme il n'y a rien de plus périlleux que de
chercher à pénétrer des choses si sublimes et si difficiles,
ni rien de plus grave que de se tromper en voulant les
expliquer, les pasteurs feront entendre aux fidèles qu'ils
doivent retenir soigneusement les mots d'essence et de
personne, consacrés à l'expression propre de ce mystère,
et se souvenir que l'unité est dans l'essence et la distinc-
tion dans les personnes. Qu'ils se gardent de faire là-des-
sus des recherches subtiles et curieuses, conformément à
cette sentence : « Celui qui veut sonder la majesté
(divine) sera accablé par sa gloire (i). » C'est assez pour
nous de connaître certainement par la foi que Dieu lui-
même nous a enseigné cette vérité ; car ne pas croire à
ses oracles serait le comble de la folie et du malheur.
i. Prov., xxv, 27.
LA SAINTE TRINITÉ 553
a Allez, dit Jésus-Christ à ses apôtres, enseignez toutes
tes nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et
»Ui Saint-Esprit. » Et nous lisons dans saint Jean : « Il y
en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le
Verbe et l'Esprit, et les trois ne font qu'une chose (i). »
- Que celui donc qui, par la grâce de Dieu, croit ces
vérités, adresse sans cesse ses prières au Père qui a créé
toutes choses de rien, qui les a ordonnées par sa bonté,
qui « nous a donné le pouvoir de devenir ses enfants (2), »
qui a révélé à l'esprit humain le mystère de la sainte
Trinité, afin qu'il le rende digne d'entrer dans les taber-
nacles éternels et d'y contempler cette infinie fécondité
de Dieu le Père qui, en se contemplant et en se connais-
sant lui-même, engendre un Fils qui lui est égal et sem-
1. I Joan., v, 7. Ce verset dit des trois témoins célestes cadre
avec l'enseignement de saint Jean. Est-il vraiment de l'apôtre ?
C'est ce que la critique révoque en doute, parce qu'il ne se
trouve pas dans les anciens manuscrits. En fait, pendant toute
la controverse trinitaire, au 111e et iv° siècles, il n'est jamais
cité ; c'eût été pourtant le cas. Tout au plus croit-on trouver
quelques allusions dans Tertullien et saint Cyprien. Ni saint
Hilaire, ni saint Athanase, ni les Pères cappadociens, ni même
saint Augustin n'en font mention ; mais il paraît à partir de
la seconde moitié du ve siècle, et depuis il a été souvent utilisé.
La Vulgate latine le renferme. La question s'est donc posée de
savoir s'il faut le regarder comme authentiqne ou comme
interpolé. Sa présence dans la Bible officielle lui confère au
moins l'autorité d'un témoignage traditionnel de vérité doc-
trinale, sans qu'on en puisse conclure que ce soit vraiment un
témoignage biblique. Le Saint-Office, il est vrai, a répondu
négativement, le i3 janvier 1897, à cette question : Utrum
tuto negari aut saltem in dubium revocari possit, esse authen-
ticum textum sancti Joannis epistola? prima?, v, 7, et a dit
de l'opinion contraire : tuto doceri non potest. Interrogée par
le cardinal Vaughan, la Congrégation a répondu qu'elle n'avait
pas prétendu trancher la question de critique ni d'authenti-
cité proprement dite, mais que l'authenticité doit s'entendre
relativement à la Vulgate, en ce sens que le texte doit être
respecté comme partie de la Bible ecclésiastique et comme
document traditionnel. Voir sur ce verset l'étude de Le Hir,
Etudes bibliques, Paris, 1869, 1. 1. — a. Joan., 1, 12.
554 LE CATÉCHISME ROMAIN
blable, ce lien éternel et indissoluble par lequel le Saint-
Esprit, amour parfaitement égal du Père et du Fils, pro-
cédant de l'un et de l'autre, unit ensemble à jamais celui
qui engendre et celui qui est engendré ; enfin l'unité
d'essence dans la sainte Trinité et la parfaite distinction
des trois personnes (i). »
IL La preuve scripturaire
1° Dans l'Ancien Testament. — Le mys-
tère de la sainte Trinité ne se trouve pas formel-
lement exprimé dans l'Ancien Testament ; il n'y
est qu'insinué ; et ce n'est que grâce à la révé-
lation évangélique qu'on peut en relever les traces.
Nulle difficulté en ce qui regarde la divinité et la
personnalité de Dieu le Père : ces vérités s'y trou-
vent nettement enseignées. On n'en saurait dire au-
tant en ce qui concerne la personne du Fils et du
Saint-Esprit.
i. Toutefois, dans la Genèse et dans l'histoire des
patriarches, paraît souvent un personnage qui
s'appelle l'Ange ou l'Envoyé de Jéhovah, qui est
traité comme Jéhovah lui-même, qui parle comme
s'il était Jéhovah, se révèle à Moïse comme Jéhovah
El Schaddaï, sauve les Israélites, apparaît à Gédéon,
annonce aux parents de Samson la naissance du
futur libérateur des Hébreux, qui doit se montrer
dans le temple de Jérusalem.
N'est-ce pas là une hyposthase, une personne
divine, ayant pour rôle de manifester et de révéler
la providence de Dieu, rôle qui deviendra plus
visible dès qu'il paraîtra au milieu d'Israël? Ce per-
sonnage mystérieux est dépeint à plusieurs reprises
sous les traits de la Sagesse. C'est ainsi, par
exemple, que nous lisons dans les Proverbes (2) :
1. Cat. rom., I, art. 1, x-xiv. — 2. Prov., vin, aa-3i.
LA TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 555
« Jéhovah m'a possédée au commencement de ses voies,
Avant ses œuvres les plus anciennes.
J'ai été fondée dès l 'éternité,
Dès le commencement, avant l'origine de la terre.
Il n'y avait point d'abîmes quand je fus formée,
Point de sources chargées d'eaux.
Avant que les montagnes fussent affermies,
Avant les collines, fêtais enfantée,
Lorsqu'il n'avait encore fait ni la terre, ni les plaines,
Ni les premiers éléments de la poussière du globe.
Lorsqu'il disposa les deux, j'étais là ;
Lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme,
Lorsqu'il affermit les nuages en haut,
El qu'il dompta les sources de l'abîme,
Lorsqu'il fixa une limite à la mer,
Pour que les eaux n'en franchissent pas les bords,
Lorsqu'il posa les fondements de la terre,
J'étais à l'œuvre auprès de lui,
Me réjouissant chaque jour,
Et jouant sans cesse en sa présence,
Jouant sur le globe de la terre,
Et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes, »
L'Ecclésiastique (i) reprend à son tour le portrait
de la Sagesse :
« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut,
Et comme une nuée je couvris la terre.
J'habitai sur les hauteurs les plus élevées,
Et m&n trône était sur une colonne de nuée.
Seule j'ai parcouru le cercle du ciel,
Et je me suis promenée dans les prof ondeurs de l'abîme.
Dans les flots de la mer et sur toute la terre,
Dans tout le peuple et toute nation j'ai exercé l'empire.
Parmi tous les peuples j'ai cherché un lieu de repos,
Et dans quel domaine je devais habiter. »
« J'ai poussé mes racines au milieu du peuple glorifié,
Dans la portion du Seigneur, dans son héritage.
i, Eccl.. xxiv, 3-7, ia-i4, 18-21, 26-27.
556 LE CATÉCHISME ROMAIN
Je me suis élevée comme le cèdre dans le Liban,
Et comme le cyprès sur la montagne d'Hermon.
Je me suis élevée comme le palmier des rivages,
Et comme les roses de Jéricho ;
Comme un bel olivier dans la plaine,
Et j'ai grandi comme un platane. »
« Venez à moi, vous tous qui me désirez,
Et rassasiez-vous de mes fruits.
Car mon souvenir est plus doux que le miel,
Et ma possession plus douce que le rayon de miel.
Ceux qui me mangent auront encore faim,
Et ceux qui me boivent auront encore soif.
Celui qui m'écoute n'aura jamais de confusion,
Et ceux qui agissent par moi ne pécheront pas. »
« Le premier (qui l'a étudiée) n'a pas achevé de la connaître,
Et le dernier ne l'a pas pénétrée.
Car ses pensées sont plus vastes que la mer,
Et ses conseils plus profonds que le grand abîme. »
Le livre de la Sagesse (i) ajoute encore de nou-
veaux traits :
(( En elle il y a un esprit intelligent, saint,
Unique, multiple, immatériel,
Actif, pénétrant, sans souillure,
Infaillible, impassible, aimant le bien, sagace,
Ne connaissant pas d'obstacle, bienfaisant,
Bon pour les hommes, immuable, assuré,
Tout-puissant, surveillant tout,
Pénétrant tous les esprits,
Les intelligents, les purs et les subtils,
Car la Sagesse est plus agile que tout mouvement ;
Elle pénètre tout à cause de sa pureté.
Elle est le souffle de la puissance de Dieu,
Une pure émanation de la gloire du Dieu tout-puissant ;
Aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle.
Elle est le resplendissement de la lumière éternelle,
Le miroir sans tache de l'activité de Dieu
i. Sap.t vu, aa-a8.
LA TRINITÉ ! PREUVE SCRIPTURAIRE 55y
Et l'image de sa honte.
Etant l'unique, elle peut tout ;
Restant la mêm.e, elle renouvelle toutes choses,
Et à travers les âges elle se répand dans toutes âmes saintes;
Elle en fait des amis de Dieu et des prophètes.
Dieu, en effet, n'aime que celui qui habite avec la Sagesse.»
« C'est elle qui initie à la science de Dieu (i). »
« L'immortalité est le fruit de l'union intime avec la
[Sagesse (2). »
« Avec vous (Seigneur) est la Sagesse qui connaît vos œuvres,
Qui était là quand vous faisiez l'univers,
Et qui sait ce qui est agréable à vos yeux
Et ce qui est juste selon vos commandements (3). »
« Qui a connu votre volonté si vous ne lui avez pas donné la
[Sagesse
Et si vous n'avez pas envoyé du ciel votre Saint-Esprit (4) ? »
« La source de la Sagesse, dit encore l'Ecclésiasti-
que (5), c'est la Parole de Dieu au plus haut des
deux » ; et le livre de la Sagesse (6) représente
« cette Parole toute-puissante s1 élançant du haut da
ciel. » La Parole ! Le Logos I
Malgré tant de traits et de titres, cette Sagesse
restait assez énigmatique aux yeux des Juifs mono-
théistes. Son portrait ne pouvait pourtant point
passer inaperçu auprès des rabbins qui méditaient
sur l'Ecriture. Mais comment concilier avec l'unité
de Dieu l'idée d'un personnage distinct, d'une
hypostase divine autre que Jéhovah ? On s'arrêta à
l'idée de sagesse et puis, probablement sous l'in-
fluence alexandrine, on aboutit au concept de la
Memra ou Parole (7).
1. Sap., vin, l\. — 2. Ibid,, vin, 17. — 3. Ibid., ix, 9. —
A. Ibid., ix, 17. — 5. Eccl., 1, 5. — 6. Sap., xvm, i5. — ■
7. Cf. Hackspill, Etude sur le milieu religieux et intellectuel
contemporain du Nouveau Testament, dans la Revue biblique ,
janvier 1902.
558 LE CATÉCHISME ROMAIN
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Dans l'école judéo-hellénique d'Alexandrie, plus
libre d'allures et plus audacieuse dans ses spécula-
tions, Philon se garda bien de négliger ces données
scripturaires que lui fournissaient les livres sapien-
tiaux ; mais il y mêla des éléments hétérogènes
empruntés à la philosophie grecque, notamment à
Heraclite, à Platon et au stoïcisme, et aboutit ainsi
à un concept du Logos assez déconcertant. Au
regard de Platon, le Logos est le monde intelligible,
le monde est le fils de Dieu, et le Verbe le premier-
né de Dieu. Pour Heraclite, le Logos n'est autre
chose que la force intelligente et créatrice du monde.
Pour les stoïciens, le Logos est l'âme du monde. Et
pour l'éclectique Philon, heureux de trouver dans
la Sagesse et l' Ecclésiastique ce terme grec de Logos
à signification si imprécise, il fait sans doute du
Logos l'image de Dieu, le monde intelligible, mais
il en fait aussi le premier-né de Dieu, l'architecte du
monde, le démiurge, un Dieu secondaire, un vice-
roi de l'univers chargé du gouvernement des hom-
mes et des créatures. Ceux qui sont incapables,
dit-il, de s'élever à l'unité se représentent comme
un groupe Dieu et ses deux premières puissances,
celle par laquelle il crée et organise l'univers, à
laquelle on donne le nom de Dieu, et celle par
laquelle il le gouverne et qu'on appelle Seigneur :
ce sont là les trois hommes qui apparurent à
Abraham (i). Grâce à cet éclectisme, Philon ouvrait
la voie au gnosticisme et à l'arianisme (2).
L'apôtre saint Jean dut rétablir et fixer la vraie
théorie du Logos, en la dépouillant tout d'abord de
ses éléments hétérogènes, en la mettant ensuite en
pleine lumière, dans le sens de la véritable tradition
1. De Abraham., p. 287. — a. Cf. Souben, Les personnet
divines, Paris, 1903, p. i3 sq.
LA TRINITE : PREUVE SCRIPTURAIRE 55 Q
juive, et grâce aux données de l'Evangile. Il fallait
donc renoncer à voir dans le Logos une puissance
intermédiaire, une force nécessaire ou l'âme du
monde ; il fallait y voir le Verbe de Dieu, existant
éternellement en Dieu, et Dieu lui-même, créateur,
descendu sur terre par son incarnation.
D'autre part, les données partielles et insuffisantes
sur la Sagesse sont développées, précisées et fixées
par le Nouveau Testament, au point que l'identifi-
cation du Verbe, du Fils de Dieu avec la Sagesse ne
saurait plus faire doute. Car si la Sagesse est le
rayonnement de la gloire de Dieu, si elle est le
miroir sans tâche de l'énergie divine et une image
de sa bonté, le Fils de Dieu est « le rayonnement
de sa gloire, l'empreinte de sa substance (i) » ; ce
mot rayonnement exprime l'identité de nature entre
le Père et le Fils ; et le mot empreinte marque que
le Fils porte tous les traits de la nature du Père,
qu'il en est la manifestation ou révélation extérieure.
Si la Sagesse a collaboré à la création, si elle peut
tout et renouvelle tout sans sortir d'elle-même, le
Fils n'a-t-il pas créé le monde (2) ? « Tout a été fait
par lui, dit saint Jean, et sans lui rien na été fait
de ce qui existe (3). » « Il soutient toutes choses par
la parole de sa puissance (4). » Et c'est ainsi que,
grâce à la révélation évangélique, nous savons à
quel personnage s'appliquaient, dans l'Ancien Tes-
tament, les traits donnés à la Sagesse.
2. Il est également question, dans l'Ancien Tes-
tament, de l'Esprit de Jéhovah. La Genèse nous le
représente planant sur les eaux (5). Isaïe reproche à
Israël d'avoir contristé l'Esprit-Saint (6). Et Joël
écrit :
x. Hebr., 1, 3, — a. Ibid., 1,3. — 3. Joan., 1, 3, — 4. Hebr.,
1, 3. — 5. Gen., 1, a. — 6. Is., lxxiii, 10.
66o LE CATÉCHISME ROMAIN
(( Et il arrivera après cela
Que je répandrai mon Esprit sur toute chair ;
Vos fils et' vos filles prophétiseront..
Même sur les serviteurs et les servantes
Je répandrai mon Esprit en ces jours-là (i). »
Cet Esprit est ainsi mis en scène dans la Bible ;
son rôle est nettement indiqué dans le passé et
prédit pour l'avenir ; cela n'éveille-t-il pas l'idée
d'un personnage à part, d'une hypostase divine ?
Certes, il n'est nulle part décrit comme la Sagesse,
avec l'abondance de détails et les traits caractéristi-
ques que nous venons de voir, de sorte, dit M. Hacks-
pill, que le développement de la doctrine de l'Es-
prit de Dieu, dans l'Ancien Testament, s'arrête à
une simple personnification sans jamais aboutir
clairement à l'hypostase (2).
Mais avec le Nouveau Testament, toute hésitation
cesse. Le Saint-Esprit est bien une personne divine.
Sa personnalité s'accuse dans la théophanie du bap-
tême de Notre Seigneur, dans la déclaration de
Jésus que le blasphème contre le Saint-Esprit ne
sera pas remis (3), dans la fonction de consolateur
qui lui est attribuée (4), dans le parallélisme cons-
tant entre l'œuvre du Christ et la sienne, dans les
paroles qu'il prononce et les ordres qu'il donne (5),
dans les prières et les inexprimables gémissements
dont il est l'auteur (6), dans le témoignage qu'il
nous rend que nous sommes enfants de Dieu (7).
Nulle part, il est vrai, le Saint-Esprit n'est expres-
sément appelé Dieu dans le Nouveau Testament,
mais il l'est en termes équivalents ; sa divinité res-
sort clairement de plusieurs passages. Saint Paul lui
1. Joël., 11, 28-29. — 2* Loc. cit.t p. 68. — S.Matth., xn, 3i.
4. Joan., xv, 26. — 5. AcL, vin, 29 ; x, 19 ; xm, a. — G.Rom.p
vin, 26. — 7. Rom., vin, 16.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 56 1
attribue, en particulier, l'œuvre essentiellement
divine de la justification, de la régénération du
pécheur. Il dit aussi : « Dieu nous a révélé par son
Esprit, car l'Esprit scrute toutes choses, même les
profondeurs de Dieu. Qui, parmi les hommes, sait ce
qui se passe en lai, sinon l'esprit de r homme qui est en
lui ? De même nul ne connaît ce qui est de Dieu, sinon
l'Esprit de Dieu (i). » Comparer de la sorte l'Es-
prit-Saint par rapport à Dieu à l'esprit de l'homme
par rapport à l'homme, n'est-ce pas dire qu'il existe
dans l'essence divine comme la conscience est en
nous, qu'il est Dieu comme la conscience c'est
nous ?
Il y a donc eu dans la révélation de ce profond
mystère une gradation progressive, un développe-
ment accentué, dont le terme final se trouve dans
le Nouveau Testament. Saint Grégoire de Nazianze a
donné quelques raisons de cette Economie, soit
dans l'Ancien, soit même dans le Nouveau Testa-
ment : « Voici, dit-il, comment cela s'est passé :
l'Ancien Testament prêchait ostensiblement le Père,
plus obscurément le Fils. Le Nouveau nous a mon-
tré très clairement le Fils, mais n'a indiqué la divi-
nité de l'Esprit que d'une manière obscure. Mais
maintenant l'Esprit vit avec nous et se déclare à nous
plus ouvertement. C'est qu'il n'était pas prudent
de nous prêcher clairement le Fils, tant que la divi-
nité du Père n'était pas reconnue, ni de nous impo-
ser l'Esprit-Saint comme un fardeau plus lourd, s'il
est permis de s'exprimer ainsi, avant que la divinité
du Fils n'eût été admise ; sans cela, à l'exemple
d'hommes trop chargés de nourriture ou présen-
tant aux rayons du soleil des yeux éblouis, nous
aurions couru un danger pour les révélations même
i. I Cor., ii, ii. À
LE CATÉCHISMB. — T. I. 36
5Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui nous étaient faites. C'est par degrés ou, comme
dit David, par des ascensions, par une progression
croissante de clarté en clarté, que la lumière de la
Trinité devait briller d'une manière splendide. C'est
pour cela, je crois, que (le Saint-Esprit) se fait con-
naître progressivement aux disciples, selon leur
degré de capacité. Au début de l'Evangile, il opère
des prodiges ; après la passion du Christ, il leur est
insufflé ; après l'ascension, il paraît sous forme de
langues de feu (i). »
Dans le Nouveau Testament. — « Après avoir ,
à plusieurs reprises et en diverses manières, parlé
autrefois à nos pères par les Prophètes, Dieu, dans
ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a
établi héritier de toutes choses, et par lequel il a aussi
créé le monde (2). » Le Fils a donc parlé et l'un des
mystères qu'il a révélés, c'est le mystère de la Tri-
nité ; lui seul pouvait en parler pertinemment, car
si « si nul ne connaît le Fils sinon le Père, nul ne con-
naît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils aura
voulu le révéler (3). »
Ce n'est pas de prime abord que Notre Seigneur
révèle l'existence de ce mystère. Il fallait que les
apôtres y fussent préparés, et ils y furent préparés
peu à peu par les diverses manifestations, dont ils
furent les témoins au cours de la vie publique de
leur Maître. La scène du baptême de Notre Seigneur
au Jourdain était faite pour frapper les esprits et
soulever un coin du voile. Telle qu'elle est racontée
par les Synoptiques, que nous montre-t-elle ? Au
moment où Jésus sort de l'eau, le Saint-Esprit
descend sur lui sous forme d'une colombe, et une
1. Orat.t xxxi, 26, Patr. gr., t. xxxvi, col. 161-164. —
3. Hebr., 1, 1-2. — 3. Matth., xi, 27.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE SCRIPTURAIRE 56^
voix du ciel se fait entendre, qui dit : « Celui-ci est
mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu (i). »
Dans cette théophanie, le Père révèle la qualité de
celui qui vient de recevoir le baptême de Jean ; ce
baptisé n'est autre que le Fils de Dieu ; et l'Esprit
de Dieu, comme dit saint Matthieu, l'Esprit-Saint,
comme dit saint Luc, se communique au Verbe
fait chair pour le rôle de Messie et de Rédempteur.
Ils sont donc trois : le Père, celui que Notre
Seigneur appelle de ce nom ; le Fils, celui qui est
descendu du ciel pour remplir sa mission ; et le
Saint-Esprit, dont le rôle sera caractérisé tout par-
ticulièrement, au moment voulu. Ils sont trois, mais
ne font qu'une seule et même chose ; c'est ce que
Jésus affirme de lui et de son Père. Il le dit aux
Juifs étonnés : « Le Père et moi nous sommes
une même chose (2). » Il le répète à ses apôtres :
« Père saint, gardez dans votre nom ceux que vous
m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous
sommes un (3). » Cette unité mystérieuse n'empêche
pas la distinction ; c'est ce que Notre Seigneur
donne clairement à entendre dans ses discours :
« Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Con-
solateur pour qu'il demeure toujours avec vous ; c'est
V Esprit de .vérité, que le monde ne peut pas recevoir,
parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point ; mais
vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure au milieu
de vous, et Usera en vous (4). » Il insiste de nouveau :
« Je vous le dis en vérité : il vous est bon que je m'en
aille , car, si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne
viendra pas en vous; mais si je m'en vais, je vous
l'enverrai... Celui-ci me glorifiera, parce qu'il recevra
de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera. Tout ce que
1. Matth., in, i6-i7« — 2. Joan., x, 3o. — 3. Joan., xvn, 11.
«— 4. Joan., xiv, 16-17.
564 LE CATÉCHISME ROMAIN
le Père a est à moi. C'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra
de ce qui est à moi et vous V annoncera (i). » Enfin,
dans ce discours qui suivit la dernière Cène, il
ajoute : « Lorsque le Paraclet, que je vous enverrai
d'auprès du Père, sera venu, l'Esprit de vérité qui
procède du Père, il vous rendra témoignage de moi (2).»
Unité et distinction, voilà ce qui constitue l'éco-
nomie mystérieuse du dogme révélé par Notre
Seigneur: unité d'essence, de nature; distinction
des personnes ; personnes qui portent chacune un
nom propre, mais personnes égales entre elles, a Le
Fils priera le Père, et le fruit de sa prière sera la
mission du Saint-Esprit, à laquelle il collaborera.
Le Fils est égal au Père, parce que tout ce que
possède le Père est à lui ; le Père lui a tout remis
comme à son propre Fils, à son héritier nécessaire;
par conséquent, il lui a communiqué ce qu'il
possède essentiellement, la nature divine, et dans
ce don souverain il ne s'est rien réservé. D'autre
part, l'Esprit n'est pas inférieur au Fils, puisqu'il
procède du Père ; il participe au don que le Fils a
reçu et tiendra la place du Fils près des apôtres que
le Père lui avait confiés (3). »
Aussi, au moment de son ascension, dans le
dernier ordre qu'il donne à ses apôtres, Notre
Seigneur formule-t-il le mystère de la manière la
plus brève : Yous baptiserez au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Au nom! Voilà un singulier
qui caractérise l'unité de nature qui appartient
également aux trois personnes ; et ces trois person-
nes sont désignées nominativement, l'une après
l'autre; elles sont unies par un lien, et ce lien est
indiqué pour les deux premières, le Père et le Fils,
1. Joan., xvi, 7, i4-i5. — 2. Joan., xv, 26. — 3 Souben»
Les personnes divines, Paris, 1903, p. 9.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 565
*■ » ■ — -^ — -
c'est celui de la génération ; le lien qui rattache le
Saint-Esprit au Père et au Fils n'est pas aussi
formellement indiqué, mais il n'en existe pas moins
et peut être déterminé par renseignement déjà
donné aux apôtres par Notre Seigneur.
D'autre part, cette formule trinitaire doit être
employée dans l'administration du baptême, c'est-
à-dire dans le sacrement de la régénération chré-
tienne ; ce qui revient à dire que de même que les
trois Personnes divines ont agi de concert pour la
création de l'homme, de même elles interviennent
ensemble pour sa régénération, œuvre essentielle-
ment divine.
Ainsi instruits, les apôtres ne font que se faire
l'écho de l'enseignement de leur Maitre dans l'en-
seignement qu'ils donnent à leurs disciples, et dans
cet enseignement ils insistent naturellement sur le
dogme de la Trinité. Très nombreux sont les
passages du Nouveau Testament où sont expressé-
ment nommées deux des trois personnes de la
Trinité ; mais il en est quelques-uns où les trois sont
rappelées à la fois. Bornons-nous à quelques cita-
tions.
Le chef du collège apostolique commence sa
première épître par ces mots : « Pierre, apôtre de
Jésus-Christ, aux étus, étrangers et dispersés dans le
Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie,
choisis selon la prescience de Dieu le Père, par la
sanctification de l'Esprit, pour obéir à la foi et pour
avoir part à l 'aspersion du sang de Jésus-Christ : à
vous grâce et peux de plus en plus(i). » Dans cette
adresse se trouvent réunies les trois personnes de la
Trinité ; l'une y est nommée Dieu le Père, et ce
terme de Père implique nécessairement le terme
i. I Petr., i, 1-2.
566 LE CATÉCHISME ROMAIN
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correspondant de Fils ; l'autre est nommé Jésus-
Christ et la troisième l'Esprit; toutes les trois sont
mises en rapport avec la justification de l'homme ;
mais cette manière dénoncer le mystère de la
Trinité suppose évidemment la connaissance de son
existence tant de la part de saint Pierre que de
celle des chrétiens à qui il écrit.
Saint Paul, instruit directement par Notre Sei-
gneur lui-même, connaît lui aussi l'existence de la
Trinité ; il sait que le Père et le Fils sont égaux,
car, dit-il, bien que le Christ Jésus fut dans la
condition du Père, il n'a pas retenu avidement son
égalité avec Dieu (i); il sait aussi, par sa connais-
sance de l'Ecriture que le titre de Seigneur est
exclusivement donné à Dieu dans l'Ancien Tes-
tament ; mais quand il parle des trois personnes
divines, il nomme Dieu la première, Seigneur la
seconde, Esprit la troisième, pour les mieux dis-
tinguer. De là, sous sa plume, des formules dans le
genre des suivantes, qui marquent neltement les
trois personnes divines : a II y a des divisions de
grâces, mais c'est le même Esprit : diversité de
ministères, mais c'est le même Seigneur : diversité
d'opérations, mais ce- le même Dieu qui opère
tout en tous (2). » « Que la grâce de Notre Seigneur
Jésus-Christ, et la charité de Dieu, et la communi-
cation de l'Esprit- Saint soit avec vous tous (3). » La
pensée de saint Paul est claire pour qui veut se
rendre compte du but qu'il vise en écrivant aux
Corinthiens . Les païens avaient l'habitude d'attri-
buer à divers dieux les différentes qualités des
hommes ; les chrétiens auraient tort de les imiter.
Et la différence des charismes dont ils sont l'objet
11e doit pas leur faire oublier qu'ils découlent d'une
1. Philipp., 11, 6. — 2 I Cor., xii, 4-6. — 3. II Cor., xm, i3.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 567
source unique, de Dieu, qui seul produit toutes ces
merveilles. Dans rémunération de ces dons sur-
naturels, l'Esprit, le Seigneur et Dieu sont nommes
séparément parce qu'ils sont distincts réellement,
mais ils constituent le principe unique de ces
grâces, ils possèdent la même nature divine. Ils sont
trois, mais ne forment qu'un seul Dieu.
Impossible, par conséquent, de se refuser à voir
dans ces textes du Nouveau Testament le fait de la
révélation historique du dogme de la Trinité. Mais
une telle révélation doit correspondre à une réalité
en Dieu, sans quoi elle serait futile et ne mériterait
à aucun titre le nom de révélation. Si donc Dieu,
d'après l'enseignement de Notre Seigneur et des
apôtres, s'est révélé sous la forme d'une trimté de
personnes dans l'unité d'essence ou de nature,
l'esprit chrétien peut accepter un tel dogme en
toute sécurité ; et, pour se conformer aux prescrip-
tions de l'Eglise, notamment à ses symboles, il
doit la regarder comme un dogme de foi catholique.
L'étude des Pères et des travaux des théologiens
l'aidera, dans la mesure du possible, non seulement
à savoir comment la tradition chrétienne a envisage
un si profond mystère, mais encore à connaître les
raisons de convenance qui en rendent l'acceptation
raisonnable.
Comparaisons. — i. « Pourquoi se trouve-t-il, par
exemple, que la physique, ayant décomposé le rayon so-
laire, découvre justement qu'il se réduit à trois rayons que
l'on peut obtenir isolément, savoir : un rayon de forme
chimique, sans lumière ni chaleur ; un rayon de lumière
sans chaleur ni action chimique ; un rayon de chaleur
sans action chimique ni lumière ? De sorte que la
physique doit dire de la lumière ce que la théologie dit
de Dieu : Trinité de forces, radicalement distinctes, dans
568
LE CATECHISME ROMAIN
l'unité de lumière. Pourquoi toutes les forces de la nature
se ramènent-elles à ces trois forces qui, au fond, n'en
sont qu'une ? Pourquoi les sept nuances du rayon* de la
lumière décomposée se réduisent-elles à trois couleurs, la
première, la troisième, la cinquième, qui produisent
toutes les autres ? Pourquoi les sept notes delà gamme
s'appuient-elles aussi sur trois notes fondamentales, qui,
en rentrant dans la première, forment l'accord parfait,
et sont aussi, comme pour les couleurs, la première, la
tierce et la quinte ? Pourquoi le syllogisme, analysé par
Aristote, se compose-t-il précisément de trois proposi-
tions, qui ne font qu'un, si le raisonnement est vrai ? Et
pourquoi la proposition se compose-f-elïe précisément de
trois termes qui ne font qu'un, si la proposition est vraie?
Pourquoi la vie organique a-t-elle justement trois fonc-
tions essentielles dont la sympathie et l'union constituent
la santé ? Pourquoi cette loi universelle de l'unité dans la
variété, et de la variété dans l'unité, est-elle le propre
caractère du vrai, du beau, dans le discours, la musique,
le drame, l'architecture, la vie sociale et la vie organique?
Pourquoi enfin la plus grande découverte qu'ait laite
l'esprit humain, celle de la forme exacte du monde astro-
nomique et de ses lois, dérive-t-elle, historiquement du
moins, de cette idée de Kepler que les cieux etleurs mou-
vements devaient porter quelque vestige et quelque trace du
mystère de la Trinité, trace que Kepler recherche dans un
petit chapitre intitulé : De adumbratione Trinitatis in cir-
culo? » [A. Gratry, La philosophie du Credo, Paris 1861
p. 99-100.]
2. « Il n'y a qu'un infini et cependant ils sont trois, le
Père,^ le Fils et l'Esprit-Saint, trois qui subsistent dans
la même essence, existent dans la même existence, trois
personnes Dieu et pourtant un seul Dieu. Voilà le dogme
des dogmes et le mystère des mystères. L'expliquer, je ne
puis pas, j'ose à peine raconter ce que j'admire. Le Père
innascible est le principe du mouvement vital, la racine
de la famille divine. 11 se voit, il se dit à lui-même sa
perfection, et l'acte par lequel il se voit et se parle est si
parfait qu'il subsiste par cela seul qu'il est produit. Le
LA SAINTE TRINITÉ '. PREUVE SCRIPTURAIRE ' D6q
fils est engendré. Il s'appelle Verbe, image du Père,
splendeur de sa gloire, figure de sa substance; car il
représente avec toute la perfection possible son principe.
Ils sont deux, ils se contemplent, ils s'admirent, ils
s'aiment, ces deux amours en se donnant l'un à l'autre
se rencontrent ; par le fait même de leur rencontre, ils
subsistent en un seul amour ; c'est l'Esprit-Saint. Il
s'appelle don, charité, bonté, bénignité, suavité, onction
divine. Ils sont trois : le Père, le Fils et l'Esprit-Saint.
Autres, par les relations, la subsistance, les propriétés
personnelles; mêmes, parl'essence, la substance, la nature.
Distincts cependant l'un de l'autre, dépendants par ['ori-
gine, car le Fils est engendré par le Père, l'Esprit-Saint
procède du Père et du Fils ; dépendants par la mission,
car le Père envoie le Fils, le Père et le Fils envoient l'Es-
prit-Saint ; mais ils gardent avec cela une parfaite égalité.
0 vie ! ô processions admirables ! On ne peut pas dire
qu'elles commencent, car elles sont nécessaires et éternel-
les ; on ne peut pas dire qu'elles sortent de Dieu, car elles
sont immanentes, on ne peut pas dire qu'elles tourmentent
la nature divine, car elles sont paisibles et immaculées ;
on ne peut pas dire qu'elles diminuent ou partagent les
perfections, car elles sont intègres. » (Monsabré, Confé-
rences de Notre-Dame, Gonf. Ire).
3. « Ces trois personnes ne font-elles pas trois dieux ?
Non pas plus que la longueur, la largeur, la profondeur
d'un corps ne font trois corps ; pas plus que le mouvement,
la limpidité, la lluidité des eaux ne font trois fleuves ; pas
plus que la force propulsive, la lumière et la chaleur du
soleil ne font trois soleils ; pas plus que la racine, le
tronc et les rameaux d'un arbre ne font trois arbres : pas
plus que la forme gracieuse, le coloris et le parfum d'une
fleur ne font trois fleurs ; pas plus que la conscience, le
connaître et le vouloir d'une Ame ne font trois âmes ; pas
plus que la mémoire, l'intelligence, la volonté d'une
substance spirituelle ne font trois substances. Considérées
en elles-mêmes et dans le fond de l'être, dit saint Augus-
tin, la mémoire, l'intelligence, la volonté sont âme, vie
et substance, ce sont leurs relations qui les déterminent
570
LE CATECHISME ROMAIN
e} les, distingucrlt (0- Portez en Dieu la distinction et
l'unité jusqu'à, l'infinie perfection, et vous verrez que
trois peuvent être Dieu sans qu'il y ait plus d'un seul
Dieu. » (Ibid., conf. Xe).
1. De Trinitate, X, xi.
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Ha rva r4* r\h* K* rv* K< c4*r<A H* rfeg rsy a K 4 cv-4
Leçon XVIIe
De la Sainte Trinité
La preuve patristique : I. Aux deux premiers
siècles. — II. Fin du IIe et IIP siècle. —
III. IVe siècle, — IV. L'œuvre de saint Augustin.
I. Aux deux premiers siècles
Es les temps apostoliques, les écrivains
ecclésiastiques et les Pères possèdent la con-
naissance explicite de l'existence du mys-
tère de la Trinité. Ils en emploient du reste la for-
mule dans la récitation du symbole et la liturgie
baptismale. Mais bientôt, en face de l'hérésie, il
faudra défendre ce mystère. Or, les concepts d'es-
sence, de nature, de substance, de personne, sont
loin d'être déterminés d'une façon précise ; la lan-
gue théologique n'en est qu'à ses débuts. De là une
terminologie indécise, des impropriétés de termes,
des tâtonnements inévitables, des essais d'explica-
tion notoirement insuffisants, et parfois aussi des
vues erronées. Le progrès ne se fera que peu à peu
et la vérité ne sera mise dans tout son jour qu'après
bien des luttes (1).
1. BIBLIOGRAPHIE: Franzelhi, De Deo trino, 2ecdit., Rome,
1874 î Schwane, Histoire des Dogmes, trad. franc., 2e cdit.,
Fribourg-en-Brisgau, 189/i, t. 11 ; Scheeben, La Dogma-
tique, trad. franc., Paris, 1877, t. u ; Pesch, De Deo irino
b^'2 LE CATÉCHISME ROMAIN
Quoi qu'il en soit, ce qui ressort tout d'abord
avec une indéniable évidence, c'est que, dès le dé-
but du Christianisme, le mystère de la Trinité, est
connu.
A la fin du Ier siècle, l'auteur de la Didaché
donne la formule baptismale : « Baptisez, dit-il, au
nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (i). »
Le pape saint Clément écrit : « N'avons-nous pas
un seul Dieu, et un seul Christ, et un seul Esprit
d'amour répandu sur nous (2). »
Au commencement du 11e siècle, c'est saint
Ignace d'Antioche (f c. 107) qui dans sa Lettre aux
Ephésiens, félicite les fidèles d'Ephèse d'avoir fermé
l'oreille à toute doctrine perverse et étrangère.
Il les compare à des pierres vivantes, destinées à
l'édifice de Dieu le Père, et mises à leur place res-
pective par la puissante machine de la croix du
Christ, grâce au Saint-Esprit (3). Aux Magnésiens il
écrit que « Jésus-Christ était auprès de son Père
avant tous les siècles (4) ; » que « Dieu s'est mani-
festé par son Fils, le Verbe sortant du silence (5). »
« Appliquez-vous, ajoute-t-il, à vous affermir dans
les enseignements du Seigneur et des apôtres pour
secundum personas, Fribourg-en- Brîsgau, 1890 ; Tepe, De Deo
trino, Paris, 1895 ; Billot, De Deo uno et trino, Rome, 1897 ;
de Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité,
t. iv ; Harnack, Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau,
t. ni ; Précis de l'histoire des dogmes, trad. franc., Paris, 1893 ;
Loofs, Leitfaden zum Studiam der Dogmengeschichte, 3e édit.,
Halle, i8g3 ; Seeberg, Dogmengeschichte, Erlangen, 1895 ;
Duchesne, Les origines chrétiennes, ae édit. litb., Paris, 1886;
Petau, De Trinitate ; Bull, Defensio Jîdei Nicenœ.
1. Funk, Doclrina duodecim apostolorum, Tubingue, 1887,
vu, p. 20. — 2. Funk, Opéra Palrum apostolicorum, Tubingue,
1881, I Clem.j xlvi, 6, p. 118. — 3. Ephes., ix, 1 ; ibid., p. 180.
— 4- Mag., vi, 1 ; ibid., p. 194. — 5. Magn., vin; ibid., p. 196.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 5^3
que tout ce que vous faites vous réussisse... dans le
Fils et le Père et l'Esprit (i). »
Un ami de saint Ignace, mort longtemps après
lui, l'évêque de Smyrne, saint Polycarpe (f i55),
qui avait connu dans son enfance l'apôtre saint Jean
prie ainsi au moment de subir le martyre : a Sei-
gneur Dieu tout-puissant, Père de Jésus-Christ,
votre Fils aimé et béni, par qui nous avons appris
à vous connaître, Dieu des anges et des vertus, de
toute créature, de tous les justes qui vivent en votre
présence, je vous bénis d'avoir daigné, aujourd'hui
et à cette heure, m'admettre au nombre de vos
martyrs, à la participation du calice et de votre
Christ, pour la résurrection à la vie éternelle de
l'âme et du corps, dans l'incorruptibilité de l'Esprit-
Saint, je vous loue de toutes choses, je vous bénis,
je vous glorifie avec Jésus-Christ, votre fils bien-
aimé, éternel et céleste, avec qui gloire soit à vous
et au Saint-Esprit, maintenant et dans les siècles
futurs (2). »
D'après l'auteur de VEpître à Diognète, « c'est le
Fils, le créateur, que Dieu a envoyé, de préférence
à toute créature, ange ou prince, gouverneur de la
terre ou gouverneur des cieux (3) ; » a c'est par ce
Fils que Dieu a révélé tout ce qui avait été préparé
dès le commencement (4). »
A l'accusation d'athéisme, portée contre les chré-
tiens, saint Justin (f i63) faisait cette réponse :
« Oui, s'il s'agit de vos dieux, nous sommes athées ;
mais nous ne le sommes pas à l'égard du Dieu très
vrai, sans mélange de mal, père de la justice, de la
tempérance et des autres vertus. Aussi nous l'hono-
rons et adorons le Fils, qui est venu de lui et nous
i. Magn., xm ; ibid., p. 200. — 2. Martyr Polyc, xiv, ibid.,
p. 298. — 3. Epist. adDiogn., vu, 2 ; ibid., p. 320. — 4- Ibid.,
vin, 11 ; ibid., p. 324.
574 LE CATÉCHISME ROMAIN
a enseigné ces choses... et l'Esprit prophétique (1).»
Dans son Dialogue avec Tryphon, le philosophe mar-
tyr proclame le Fils Dieu, engendré du Père de
toutes choses, Verbe, Sagesse, Puissance et Gloire
de celui qui l'engendre (2), mais distinct du Père
puisque, dans les Ecritures, le Père lui adresse la
parole (3), émanant du Père sans se détacher de
lui comme la lumière sort du soleil (4).
Voici, à cette même accusation, la réponse d'un
autre apologiste, Athénagore : a J'ai suffisamment
démontré que nous ne sommes pas athées, nous qui
croyons en un seul Dieu non engendré, éternel,
invisible, impassible, incompréhensible, immense,
connu de l'esprit seul et de la raison, environné de
lumière, de beauté, d'esprit, de puissance indicible,
qui enfin a créé et orné et conserve toutes choses
par son Verbe, car nous reconnaissons aussi un
Fils de Dieu. Que personne ne pense qu'il est risi-
ble de ma part (de soutenir) que Dieu a un Fils. En
effet, notre conception de Dieu le Père ou du Fils
ne ressemble pas aux imaginations des poètes qui
nous montrent les dieux aussi mauvais que les hom-
mes. Mais le Fils de Dieu est le Verbe du Père en
idée et efficacité ; car, d'après lui et par lui tout a
été fait, le Père et le Fils n'étant qu'un. Gomme le
Fils est dans le Père et le Père est dans le Fils par
l'unité et la puissance de l'Esprit, le Fils de Dieu
est l'intelligence et le Verbe du Père. Si, pour mieux
comprendre, vous désirez savoir ce que signifie ce
mot Fils, je répondrai brièvement qu'il est le pre-
mier-né de Dieu, non qu'il ait été fait, car, dès le
commencement, Dieu, intelligence éternelle, avait
le Verbe en lui, étant éternellement raisonnable,
1. Apol. I ; Pat. gr., t. vi. col. 336. — a. Dial. cam Tryph.,
txi. — 3. Ibid., lxii. — 4. Ibid., cxxvm ; Pat. gr., t. vi,
;col. 616.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 5^5
mais parce qu'il s'est avancé pour être l'idée et
l'énergie formatrice de toutes les choses matériel-
les... L'Esprit prophétique est aussi conforme avec
le Verbe... Or, ce Saint-Esprit, agissant dans les
prophètes, nous disons qu'il est une émanation de
Dieu, qu'il sort (de lui) et qu'il revient (à lui)
comme un rayon de soleil. Qui donc ne s'étonne-
rait d'entendre appeler athées ceux qui affirment
Dieu le Père, Dieu le Fils et TEsprit-Saint, qui mon-
trent leur puissance dans l'unité et leur différence
dans l'ordre (i).
Saint Théophile d'Antioche donne aux trois per-
sonnes divines le nom de Triade (2).
L'évêque de Lyon, saint Irénée, écrivait contre les
gnostiques : « Pour faire ce qu'il avait résolu de
créer, Dieu n'avait pas besoin des anges, comme s'il
n'eût pas eu ses mains. En effet, le Verbe et la Sagesse,
le Fils et l'Esprit, lui sont toujours présents ; par
eux et en eux il a fait toutes les choses librement
et spontanément, et c'est à eux qu'il parle lorsqu'il
dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre res-
semblance (3). » « Nous avons démontré par beau-
coup de preuves que le Verbe, c'est-à-dire le Fils,
était toujours avec le Père. Mais comme la Sagesse,
qui est l'Esprit, était en lui avant toute création,
elle dit par Salomon : « Dieu m'a créée principe de
ses voies pour ses œuvres, il m'a établie avant les
siècles, au commencement avant qu'il fit la
terre (4). »
Saint Irénée insiste sur l'éternelle génération du
Verbe, mais renonce à dire ce qu'est cette généra-
tion : « Que si l'on nous demande comment le Fils
est produit par le Père, nous répondrons que cette
1. Légat, pro Christ, 10 ; Pair. gr.9 t. vi, col. 908-909. —
9. Ad. Anlol.y 1. 11, i5 ; ibid., col. 1077. — 3. Adv. hœr., IV,
tx, 1 ; Pair, gr., t. vu, col. io3a. — 4. Ibid., 3, col. io33.
5 76 LE CATÉCHISME ROMAIN
production, de quelque nom qu'on la désigne, géné-
ration ou autre, personne ne la connaît... si ce n'est le
Père qui engendre et le Fils qui est engendré. Et
puisque cette génération est indicible, ce n'est pas
avoir la pleine possession de soi-même que d'entre-
prendre de raconter génération, émanation (1). »
Jusqu'ici ce point de concept de substance, d'hy-
postase ou de personne nettement défini ; pas d'au-
tre relation caractérisée que celle de génération.
C'est que les Pères s'occupent alors beaucoup moins
de la vie intime de Dieu que de sa manifestation
extérieure, beaucoup moins du Verbe dans ses rela-
tions avec le Père que dans ses rapports avec la
création et l'œuvre rédemptrice, beaucoup moins
du Saint-Esprit que du Verbe. Certaines de leurs
expressions ne cadreraient pas aujourd'hui avec la
pure orthodoxie. Après avoir proclamé l'éternité du
Verbe, les apologistes semblent ne le faire sortir du
sein du Père par voie de prolation ou de génération
qu'au moment et dans le but de créer, ce qui impli-
querait une génération purement temporelle, le
Verbe passant ainsi de son état caché dans le sein
de Dieu, èvotàôero;, à l'état de icpocpoptxoç ou d'être
manifesté, selon les expressions de Théophile (2).
Cette idée, moins les termes, se trouve pareillement
dans saint Justin, Tatien et Athénagore. Enfin, tout
en parlant de Puni té divine et en distinguant dans
cette unité les trois personnes, ils accusent trop leur
subordination
1. Adv. hœr., II, xxviii, 6. — 2. Ad Autol., 11, 10, 22 ; Pair,
gr., t. vi, col. 1064, 1088 ; voir notre article Les Pères apolo-
gistes dans le Diction, de théol., t. 11, col. 1696-1597.
LA SAINTE TRINITÉ ! PREUVE PATRISTIQUE 577
II. Fin du IIe siècle et IIIe siècle
Vers la fin du 11e siècle éclate un conflit doctrinal
entre deux écoles rivales, l'école des unitaires, qui
exagère l'unité sous le nom de monarchie, pour
couper court à l'erreur polythéiste, mais qui en
même temps compromet la Trinité, formulée dans
le symbole et la liturgie baptismale, et l'école des
trinilaires, qui entend avant tout sauvegarder la
Trinité des personnes, mais qui donne prise à
l'accusation de dithéisme ou de trithéisme.
i. Un byzantin ambitieux, réfugié à R.ome. Théo-
dote le corroyeur, se mêla de questions religieuses.
Rejetant la métaphysique folle des gnostiques et
l'illuminisme des montanistes, il tomba dans un
rationalisme intempérant. Contrairement aux don-
nées les plus formelles de la tradition, il en vint
à nier la divinité de Jésus-Christ, sous prétexte de
sauvegarder l'unité de Dieu, la monarchie. Suivi, à
quelques nuances près, par son homonyme le
banquier et par Artémon, il fut finalement condamné
par le pape Victor (i).
2. Un asiate, Noët de Smyrne, déjà condamné
pour ses opinions hétérodoxes par sa propre Eglise,
vint également à Rome avec son compatriote Epigone
et eut pour disciple Cléomène. A tout prix, disait-il,
il faut maintenir la monarchie divine contre le poly-
théisme païen, le plérome gnostique et le dualisme
de Marcion. Le Père est père en tant qu'il n'a pas été
engendré ; une fois engendré, il est son propre fils.
Par suite ces termes de père et de fils, dans la
Trinité, s'appliquent à une seule et même personne,
considérée dans deux états successifs différents.
i. Eusèbe, Hist. eccl., v, 28 ; Pair, gr., t. xx, col. 5i3.
LE CATÉCHISMB. — T. I. J7
578 LE CATÉCHISME ROMAIN
Epigone précisait que c'est le Père qui a souffert sur
la croix, en tant que fils incarné (1).
3. De la Lybie survient Sabellius qui, systémati-
sant ces idées nouvelles, professe le Modalisme. Il
n'admet qu'une seule personne en Dieu, laquelle,
il est vrai, porte trois noms différents, mais d'après
le rôle joué dans le monde soit pour le créer, soit
pour le racheter, soit pour le sanctifier, et se mani-
feste tour à tour, comme Père dans l'Ancien
Testament, comme Fils dans l'incarnation et la
rédemption et comme Saint-Esprit dans la justi-
fication de l'homme. C'est la monade qui, en se
développant, devient triade. Saint Grégoire de
Nazianze accusera plus tard les Sabelliens d'athéisme,
tandis que saint Hilaire de Poitiers et saint Athanase
les accuseront de panthéisme (2).
[\. Pris énergiquement à partie par Caïus, saint
Hippolyte et Tertullien, la plupart de ces unitaires
furent condamnés par l'autorité romaine. Le pape
Zéphirin condamna Artémon (3) ; Praxéas fut obligé
de rétracter par écrit son erreur (4) ; et Sabellius fut
excommunié par Calliste (5). Tertullien écrivait
avec sa verve mordante : « Les simples, pour ne
pas dire les pauvres d'esprit et les imbéciles, qui
forment toujours la majorité des croyants, une fois
tirés de leur polythéisme et amenés à croire au seul
vrai Dieu, ne comprennent pas que ce Dieu est
unique sans doute, mais avec une certaine économie ;
c'est celte économie qui épouvante leur foi. Ce qui
est nombre et distribution dans la divinité, dans la
trinité, ils le prennent pour une division de l'unité.
Or l'unité, produisant d'elle-même la trinité, n'est
1. Voir Philosophumena, ix. — 2. Voir Eusèbe, loc. cit. —
3. Eusèbe, Hist. eccl., v, 28 ; Patr. gr., t. xx, col. 5i3. —
U. Tertullien, Adv. Prax., 1 ; Patr. lat., t. 11, col. i56. —
5. Philosophumena, ix, 12 ; édit. Cruice, Paris, 1860, p. 44i.
LA SAINTE TRINITÉ '. PREUVE PATRISTIQUE' 5 7 9
pas pour cela divisée, mais organisée. Ils disent que
nous prêchons deux ou trois dieux, se vantent eux-
mêmes de n'adorer qu'un seul Dieu ; comme si, en
resserrant outre mesure l'unité divine, on n'était
pas hérétique ; comme si la trinité, raisonnablement
expliquée, n'était pas la vérité même. Nous tenons,
disent-ils, à la monarchie ! Et l'on entend nos
latins, même ces bons opiques, répéter ce mot
grec avec leur agréable accent ; on voit de suite
qu'ils comprennent aussi bien qu'ils pronon-
cent (1). »
5. Mais d'autre part, les trinitaires n'étaient-ils pas
à l'abri de tout reproche doctrinal, dans leur
manière d'entendre et d'expliquer a raisonnable-
ment » « l'économie » de la trinité ? L'accusation
de dithéisme n'était-elle pas justifiée ?
Le prêtre romain Hippolyte composa une réfuta-
tion de Noët, où il disait entre autres choses : « Il
est bien obligé de confesser le Père, Dieu tout-puis-
sant, et Jésus-Christ, Fils de Dieu, Dieu fait homme,
à qui le Père a tout soumis en dehors de lui, et
l'Esprit-Saint, et d'avouer qu'ils sont vraiment
trois... En ce qui est de sa puissance, Dieu est un,
mais trine quant à l'économie (2). » D'autre part, à
la suite des apologistes, il insistait trop sur la dis-
tinction du Verbe intérieur et du Verbe proféré et
donnait prise au subordinatianisme. Le pape Calliste
accusa de dithéisme une telle doctrine. C'était le
point de vue également adopté à Carthage.
6. Dans son traité Contre Praxéas, Ter tuilier*
expose le dogme à sa manière. Il défend la trinité,
mot qui paraît pour la première fois chez les Latins,
et son traité est le premier en date sur cette matière ;
1. Adv. Prax., 3 ; Pair, lai., t. 11, col. i58. — 2. Homel. conL
hœres.
58o LE CATÉCHISME ROMAIN
au nom de la tradition, dit-il, il veut concilier
« ï économie » avec la « monarchie » : « Custodiatur
œconomiœ sacramentum, quœ unilalem in trinitatem
disponit, très dirigeas, Patrem, et Filium, et Spiritum
Sanctum. Très autem non statu, sed grada ; nec subs-
tantia, sed forma ; nec potestate, sed specie : unius
autem substantiœ, et unius status, et unius proiesiatis ;
quia unus Deus, ex quo et gradus isti et formée et
species, in nomine Patris et Fitii et Spiritus Sancti
deputantur (ï). »
A côté d'expressions et de formules nouvelles,
qui accusent un progrès sensible dans la manière
de concevoir et d'exposer le mystère, Tertullien a
des imprécisions de termes, des incorrections de
langage et des idées erronées. On le sent, quand il
s'exprime avec justesse, sur le terrain ferme de la
tradition. Et c'est bien comme un écho fidèle de
l'enseignement traditionnel qu'il soutient la distinc-
tion des personnes divines, qu'il affirme que le Père
est Dieu, que le Fils est Dieu, que le Saint-Esprit
est Dieu, et que pourtant ce ne sont pas là trois
dieux. Mais la notion de pleine consubstantialité
n'est pas suffisamment mise en relief ; elle semble
même parfois compromise. C'est dire que Tertullien,
et ceux qui, comme lui, attaquaient les monarchiens,
en sont au même point que leurs prédécesseurs sur
les deux états successifs du Verbe, d'abord caché en
Dieu, puis proféré ou engendré. Caché en Dieu, le
Verbe est éternel. L'est-il également comme Fils
par sa génération ? Qu'on en juge : « Tune igitur
etiam ipse Sermo speciem et ornatum sumit, sonum
et vocem, cum dicit Deus : Fiat lux. Haec est nativitas
perfecta Sermonis, dum ex Deo procedit ; conditus
ab eo primum ob cogitatum in nomine Sophiae,
ï. Adv. Prax., 2 ; ibid., col. 157.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE- 58 1
dehinc generatus ad ejfeclum (i). » Et ceci ne sem-
ble-t-il pas compromettre la parfaite consubstantia-
li té . « Pater, tota substantia est ; Filius vero derivatio
tollus et porlio (2) ? » Du reste il explique que le Fils
était plus apte à l'incarnation à cause de son infé-
riorité (3).
7. C'est justement cette consubstantialité qu'il
fallait sauvegarder à tout prix pour maintenir
intacte l'unité divine, tout en professant la trinité
des personnes. Et c'est elle qu'a défendue Calliste,
quoi qu'en disent les Philosophwnena. Calliste, de
l'aveu même des Philosophumena, a condamné
Sabellius et le modalisme ; s'il n'en a pas fait autant
pour les trinitaires, qui compromettaient la con-
substantialité, ce n'est pas à dire qu'il partageât de
tous points leurs manière de voir ; il la partageait
même si peu qu'il fut de leur part l'objet d'accusa-
tions injustifiées ; d'autant plus, et ce sont toujours
les Philosophumena qui nous renseignent, que son
enseignement resta celui de l'Eglise de Rome. Or
cet enseignement nous est connu par l'attitude de l'un
des successeurs de saint Calliste, le pape saint
Denys (259-268), vis-à-vis de l'évêque d'Alexandrie.
Sa lettre est un document de la foi romaine, nette-
ment consubstantialiste et anti-sabellienne, égale-
ment éloignée de l'erreur, qui prétend que le Fils est
le même que le Père, et de celle qui divise l'unité en
trois substances séparées. Comme Calliste, Denys
condamne le sabellianisme ; comme Calliste, Denys
accuse de dithéisme les adversaires exagérés du
Sabellius. De part et d'autre, même langage théolo-
gique montrant que les deux papes, à un demi-siè-
cle de distance, ont sur la légitimité de certaines
i. Adv. Prax., tu ; Pair, lat., 1. 11, col. 161. — 2. lbid.t ix;
ibid.t col. 164. — 3. Ibid,, xvi ; ibid., col. ij4«
582 LE CATÉCHISME ROMAIN
formules et sur le sens de certains textes de l'Ecri-
ture les mêmes idées contraires à celles des anti-
sabelliens. Ils sont pour l'identité substantielle du
Père et du Fils en môme temps que pour la trinité
et pour la distinction personnelle des hypostases
^divines (i).
8. Peu après le milieu du 111e siècle parut un
traité spécial sur la Trinité, dû au schismatique
Novatien ; mais il ne constitue pas le moindre pro-
grès sur la question. Le Christ promis dans l'Ancien
Testament est celui de l'Evangile : il est homme et
Dieu, il est l'Homme-Dieu. Fils de Dieu, né de
Dieu, engendré de Dieu, mais quand ? Novatien
répète plusieurs fois que la génération du Fils a
précédé la création, sans jamais affirmer qu'elle fut
éternelle, mais laissant entendre au contraire qu'elle
a été motivée et datée par la création (2). De ce côté,
point de progrès. D'autre part, tout en combattant
le di théisme, il lui prête le flanc parce qu'il pousse
trop loin la distinction du Père et du Fils. Confor-
mément à la Règle de foi, il proclame l'unité divine
et la divinité de Jésus-Christ ; il affirme que le
Christ reste un avec le Père, auquel il doit son ori-
gine, sa génération, sa naissance, son "titre de Fils.
Ne dirait-on pas la consubstantialité ? Il n'en est
rien ; car cette unité, sur laquelle appuie tant
Novatien, c'est, dit-il, une unité de « concorde,
d'amour, de dilection », unité purement morale (3).
Relativement au Saint-Esprit, il ne l'appelle nulle
part Dieu ou personne divine, mais il le donne clai-
rement à entendre En revanche, il passe complète-
ment sous silence le mode de relation du Saint-
1. Voir notre article Calliste, dans le Dictionnaire de théologie*
i,. 11, col. i337~i338. — 2. De Trinit., 3i ; Pair, lat t in, col.
4)5o. — 3. Ibid. 27 ; ïïid., col. 938.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 583
Esprit avec le Père et le Fils. Il est vrai que jusque
là, Tertullien avait été le seul à dire que le Saint-
Esprit procède du Père par le Fils. Et enfin Novatien
a le tort d'expliquer l'ordre hiérarchique des per-
sonnes de la trinité par une sorte d'amoindrissement
de la troisième sur la seconde (i), et de la seconde
sur la première (2), ce qui laisse la porte ouverte
au subordinatianisme.
8. Aurons-nous du moins plus de chance de
trouver une doctrine plus ferme dans le célèbre
Didascalée d'Alexandrie ? Il n'y paraît guère, en ce
qui regarde le successeur de Pantène. Sans doute
Clément croit à la « sainte Triade, » à la divinité
du Fils et du Saint-Esprit (3). « 0 miracle mysti-
que s'écria-t-il ! Un seul Père de toute chose ! Un
seul Verbe de toute chose ! Un seul Esprit, et lui-
même partout (4) I » « Faites, ô Dieu, qu'après
avoir vécu dans la paix nous soyons introduits dans
la cité, qu'après avoir franchi sans encombre les
flots du péché nous soyons transportés paisibles
avec F Esprit-Saint et que, vous louant nuit et jour
avec l'ineffable Sagesse jusqu'au jour parfait, nous
vous rendions grâces, et, en rendant grâces, que
nous louions Père et Fils, Fils et Père, le Fils notre
pédagogue et maître, avec le Saint-Esprit (5) I »
« Les aveugles comprennent quel grand trésor nous
portons dans un vase d'argile par la vertu de Dieu
le Père, par le sang de Dieu le Fils, et par la rosée
du Saint-Esprit (6). » Mais, d'autre part, Clément
ne serre pas d'assez près la question trinitaire et ne
surveille pas suffisamment son langage. Tantôt il
désigne les personnes divines par des expressions
1. De TriniL, 16 ; ibid., col. 91 5. — 2. Ibid., 3i ; ibid., coJ.
$49. — 3. Sirom., v, i4 ; Patr. gr., t. ix, col. i58. — 4- Pedag.,
1,6; Patr. gr., t. vm, col. 3oo. — 5. Pedag., ni, 12 ; ibid., col.
680. — 6. Quis dives salv., 34 ; Pat. gr., t. ix, col. 64o.
584 LE CATÉCHISME ROMAIN
que ne désavouerait pas un modaliste ; tantôt il
leur attribue des aptitudes si tranchées qu'on croirait
entendre un subordinatianiste, ainsi que l'a remar-
qué Petau.
9. Tout autre est le cas d'Origène, bien qu'il
n'ait pas échappé à la critique de saint Jérôme.
Voulant réfuter ceux qui ne regardaient le Logos en
Dieu que comme un simple phénomène sans exis-
tence propre, il dit que le Fils de Dieu est appelé
Logos pour deux motifs; car Logos signifie à la fois
raison et parole. Le Fils étant la raison du Père,
fait participer tous les hommes à cette raison éter-
nelle ou à la vérité. On peut l'appeler également la
parole qui révèle les secrets de Dieu, de même que
la parole, chez les hommes, est le signe révélateur
de la pensée. Mais cette parole ne se réduit pas à un
pur accident, à un son passager : elle est substan-
tielle, et cette substance est celle du Père (1). Donc
consubstantialité du Verbe et de Dieu.
Mais de plus existence éternelle du Verbe.
« Relativement à Dieu, le Verbe ne devient pas...
Le Verbe n'a point passé du non-être dans le prin-
cipe à l'être dans le principe, du non-être en Dieu
à l'être en Dieu ; mais avant tous les temps et tous
Ses siècles, le Verbe était dans le principe, et le
Verbe était Dieu (2). » D'où co-éternité du Verbe
et de Dieu, co-éternité aussi du Fils et du Père :
« Dieu n'a pas commencé d'être Père à la façon
des hommes... Car si le pouvoir d'être père ne lui
a jamais manqué, si c'est pour lui une perfection
d'être Père d'un tel Fils, quel motif aurait-il eu de
différer son acte et de se priver d'une perfection ?
Pourquoi ne serait-il pas devenu Père aussitôt qu'il
1. In Joan., 1, 4a ; Pair, gr., |t. xiv, col. 96-104. — 2. In
Joan., 11, 1 ; ibid., col. io5.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE PATRISTIQUE 5S5
le pouvait. On doit raisonner de même touchant
le Saint-Esprit (i). » Il est difficile, on l'avouera,
de se prononcer plus formellement contre la gêné- •
ration temporelle, et ceci est un progrès incontes-
table. Qu'Origène ait enseigné la consubstantialité
et la co-éternité du Verbe et du Père, c'est ce
qu'affirme saint Athanase, en le citant contre les
Ariens (2). Cette consubstantialité, Origène l'accuse
énergiquement contre les modalistes et sabelliens.
« Quant à nous, dit-il, nous croyons qu'il y trois
hypostases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que
le Père seul ne tire son origine d'aucun autre. »
Mais il insiste trop sur le rang que déterminent
leurs relations naturelles, sur la hiérarchie fondée
sur leurs rapports d'origine, et par là les subordonne
tellement l'une à l'autre qu'il semble les diviser
et par suite compromettre leur absolue égalité !
10. Ainsi donc, au nr9 siècle, le dogme de la
Trinité se trouvait battu en brèche, d'un côté par
les modalistes sabelliens, qui n'admettaient en
Dieu qu'une seule personne avec trois noms diffé-
rents servant à caractériser ses différents rôles, et
d'un autre côté par les trinitaires trop tranchants
qui introduisaient un subordinatianisme exagéré
parmi les hypostases. L/autorité romaine condam-
nait formellement les premiers et tenait en légitime
suspicion les derniers. Le mérite d'avoir dégagé le
véritable enseignement de l'Eglise revient au pape
saint Denys, bien qu'il ne l'ait pas formulé avec la
netteté et la précision des Pères du ive siècle. Son
homonyme, l'évêque d'Alexandrie, saint Denys,
n'avait pas su éviter, dans sa réfutation du sabel-
lianisme, le danger du subordinatianisme. C'est
1. Pamphile, Apolog., 111 ; Pair, gr., t. xvn, col. 56 1. —
U. In Joan.t 11, 6 ; Pair. gr.t t. xiv, col. 128.
586 LE CATÉCHISME ROMAIN
pourquoi le pape lui écrivait : « Il serait juste de
discuter contre ceux qui détruisent la monarchie,
dogme très auguste de la prédication ecclésiastique,
la divisant et la scindant en trois puissances et
personnes séparées, en trois divinités. J'ai appris,
en effet, que, parmi vous, certains qui prêchent et
enseignent la parole de Dieu, soutiennent cette
opinion, s'opposant ainsi diamétralement, si je puis
dire, à l'erreur de Sabellius. Celui-ci blasphème en
affirmant que le Fils même est le Père et récipro-
quement; ceux-là prêchent d'une certaine manière
trois dieux, lorsqu'ils divisent Funité sainte en
trois hypostases étrangères l'une à l'autre, tout à
fait séparées l'une de l'autre. Il est nécessaire, en
effet, que le Verbe divin soit uni au Dieu de toutes
choses, que l'Esprit-Saint demeure et inhabite en
Dieu, et qu'ainsi la divine Trinité se ramène, se
réduise en un point culminant, c'est-à-dire au seul
Dieu tout-puissant de l'univers... 11 ne faut pas
moins blâmer ceux qui pensent que le Fils est une
créature et que le Seigneur a été créé comme l'une
des choses qui ont été réellement faites, alors que
la parole divine atteste qu'il a été engendré ainsi
qu'il convient, mais non créé ou produit... Ne
séparons donc pas en trois divinités l'admirable et
divine unité; ne diminuons pas par ce terme de créa-
tion la dignité et la suprême grandeur du Seigneur ;
mais croyons en Dieu le Père tout-puissant, et en
Jésus-Christ son Fils, et en l'Esprit-Saint ; croyons
que le Verbe est uni au Dieu de l'univers. En effet,
« le Père et moi, dit-il, nous sommes une même
chose ; » et encore : « Je suis dans le Père, et le
Père est en moi. » Ainsi seront conservées et la
divine Trinité et l'affirmation delà sainte unité (i). »
i. Saint Athanase, De ctecr. Nie. syn., a6 ; Pair, yr., t. xxvi,
col. 46 1 sq.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE b8j
il. Cette lettre du pape saint Dcnys n'enraye pas
le mouvement de l'erreur. Celle-ci allait s'affirmer
avec force et susciter des luttes et des troubles fort
graves pendant le iv° siècle. L'un des foyers fut la
capitale de la Syrie, Antioche, où Paul de Samosate,
en 269, fut condamné par un Synode pour avoir
professé sur la Trinité des opinions erronées qui
rappelaient celles des antitrinitaires ; opinions, que
Lucien d'Antioche colporta et répandit à Nicomédie
avant de subir le martyre. C'est du prêtre Lucien,
en effet, que se réclament deux « conlucianistes* »
Eusèbe et Arius.
III. IVe siècle
1. Originaire de la Lybie, Arius, devenu prêtre
d'Alexandrie et chargé de l'église paroissiale de
Baucale, renforça l'erreur, malgré son évêque,
soutenu qu'il était par des personnages étrangers,
particulièrement par son ami Eusèbe. Pour lui, le
Fils est inférieur au Père ; il est créé par Dieu et
créé pour créer tout le reste ; il n'a donc pas la
substance du Père, mais une nature dissemblable.
Par suite les substances du Père, du Fils et du Saint-
Esprit diffèrent, sont étrangères l'une à l'autre,
sans rapport Tune avec l'autre. Et le Saint-Esprit
est l'œuvre du Christ comme le Christ est l'œuvre
du Père. D'où la doxologie habituelle se trouve
remplacée par celle-ci : « Gloire au Père par le Fils
dans le Saint-Esprit (1). »
Condamné à Alexandrie, Arius le fut de nouveau
au concile de Nicée, en 325. De là, dans le symbole
de Nicée, ces expressions caractéristiques : a Et en.
1. Théodoret, Hœret. fab., iv, 1 ; Patr.gr», t. lxxxiii, col. 4<4*
588 LE CATECHISME ROMAIN
un seul Jésus-Christ, l'unique engendré du Père,
c'est-à-dire de la substance du Père ; Dieu de Dieu,
Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; en-
gendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui
tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur la
terre (i). » De là encore la condamnation expresse
des formules favorites d'Arius, placée à la fin du
symbole de Nicée.
L'expression qui tranchait dans la racine l'erreur
arienne, celle qui allait servir de tessère à l'ortho-
doxie, c'est le consubstantiel, Yb\i.ooû<sio<;. Bien qu'é-
trangère à l'Ecriture, elle répondait trop bien à
l'idée maîtresse pour qu'on la négligeât. Les Pères
de Nicée, en déclarant le Fils consubstantiel au
Père, le proclamaient vrai Dieu, possédant comme
le Père la nature divine, en vertu d'une génération
propre et naturelle, et non métaphorique. C'est ce
que remarque fort justement saint Athanase (2).
Sans doute, ce terme avait été rejeté au ni0 siècle,
parce que, sur les lèvres et dans la pensée de Paul
de Samosate,il masquait sous l'identité de substance
l'identité numérique du Père et du Fils et servait
ainsi de véhicule au sabellianisme. Mais repris cette
fois dans un sens orthodoxe, nettement défini, il
acquérait droit de cité dans l'Eglise et servait à
exprimer convenablement le dogme. Les semi-ariens
essayèrent de l'escamoter en y introduisant une
voyelle, qui ne le défigurait pas trop, mais qui en
changeait complètement la signification. L'ô;xoiou<yioç
n'est pas l'ôtxûous'.oç ; il signifie semblable et non
consubstantiel ; les défenseurs de l'orthodoxie ne
prirent pas le change et dénoncèrent le subter-
fuge.
1. Voir plus haut ; Denzinger, n. 17. — 3. De decr. Nie,
syn., 20 ; Pair. gr.t t. xxvi, col. 45a.
LA SAINTE TRINITÉ .* PREUVE PATRISTTQUE 58 9
2. Mais, dans le courant du siècle, l'erreur s'en
prit à la troisième personne de la Trinité. On avait
nié la divinité de Jésus-Christ, on nia la divinité
du Saint-Esprit. Jusque-là, il est vrai, la spéculation
ne s'était pas portée sur cette troisième personne ;
mais tôt ou tard la question devait se poser de
savoir si le Saint-Esprit possède lui aussi la consubs-
tantialité et à quel titre. Pour le Fils, la génération
explique sa consubstantialité. Si donc le Saint-Esprit
est consubstantiel au Père, c'est qu'il serait engen-
dré, hypothèse inadmissible, le Fils seul procédant
du Père par voie de génération. Reste alors que le
Saint-Esprit a été créé par le Fils, et dès lors il n'est
pas consubstantiel, il n'est pas Dieu. Ce fut en
particulier l'erreur de l'évêque semi-arien de Cons-
tantinople, Macédonius, qui avait été déposé en
36o par le parti d'Acace ; et c'était une difficulté de
plus qui s'ajoutait à celle de faire triompher le
consubstantiel de Nicée.
3. La décision doctrinale de Nicée avait déchaîné
bien des colères et suscita des luttes acharnées, de
violentes persécutions. Elle rencontra une vive
opposition de la part d'adversaires qui ne craigni-
rent pas de faire appel à la force impériale pour
appuyer leurs revendications ; ils opposèrent des
évoques aux évéques, des synodes aux synodes,
des professions de foi aux professions de foi. Mais
ni les subtilités de la logique, ni les menaces du
pouvoir, ni les arrêts d'exil ne firent taire les cham-
pions de la foi de Nicée. A la tête de ces derniers
marchaient vaillamment le glorieux Athanase
d'Alexandrie et l'illustre Hilaire «le Poitiers. Tous
deux, par la plume et par la parole, durent mener
le bon combat et tenir tête à l'hérésie. L'un repré-
senta l'Orient de 325 à 373 et fut, selon l'expression
de saint Basile, le a porte- drapeau de l'ortho-
5 gO LE CATÉCHISME ROMAIN
doxie (i) ; » l'autre, représentant l'Occident, n'entra
en scène qu'en 355 et mourut en 366.
[\. Saint Athanase commence par défendre le
consubstantiel contre les arguties d'Arius. Oui,
disait-il, Dieu est un, mais dans cette unité il y a
une trinité ; une seule nature, mais trois personnes
distinctes (2). Les termes de Père et de Fils sont
corrélatifs (3). Le Fils n'a pas été tiré du néant ni
produit par un acte libre de la volonté divine ; il
est engendré de la substance du Père (/[), et cette
substance il la possède tout entière par son carac-
tère propre (5). Il possède la divinité dans sa pléni-
tude (6) ; il est éternel comme son Père (7). Ils sont
deux cependant, le Père et le Fils, distincts l'un de
l'autre ; mais il n'y a qu'une seule nature, et dans
cette nature divine unique pas l'ombre d'une divi-
sion (8).
De même le grand évêque prend la défense de la
troisième personne. Le Saint-Esprit participe lui
aussi à la divinité et à la puissance de Dieu (9). Il a
pour principe le Fils qui est avec le Père (10), et il
est inséparable du Père et du Fils (n). Il forme avec
le Père et le Fils une seule et même substance (12).
Il n'y a par conséquent qu'une seule nature divine
et un seul Dieu en trois personnes (i3).
5. De son côté, Févêque de Poitiers compose un
traité en douze livres sur la Trinité. Partant de la
1. Epist., lxvi ; Patr. gr., t. xxxn, col. ^24- — 2. Orat. cont.
arian., 1, 18; Pair, gr., t. xxvi, col. 48. — 3. Ibid., m, 6;
ibid., col. 333. — 4- Ibid., in, 62 ; ibid., col. 453. — 5. Ibid.t
1, 16; ibid., col. 45. — 6. Ibid., m, 6; ibid., col. 33a. — -
7. Ibid., 1, i4; ibid., col. 4i. — 8. Ibid., in, 4; ibid.,
t. xxvi, col. 328. — 9. De inc. et cont. arian., ix ; ibid.,
col. 997. — 10. Ibid., col. 1000. — 11. Tom. ad Ant., 5;
ibid., col. 801. — 12. Epist. ad Serap., 1, 27; ibid., col. 5y3.
— i3. De inc. et cont. arian., x ; ibid., col. 1000.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE - 5g I
formule baptismale, il traite d'abord de la généra-
tion du Verbe et prouve la consubstantialité du Père
et du Fils. Et après avoir réfuté les objections arien-
nes contre la divinité du Christ, il venge la doctrine
de la génération éternelle du Verbe dans le sein du
Père de toutes les calomnies d'Arius ; il s'applique
à saisir cette génération éternelle en elle même,
dans son absolue distinction de toute procréation
ou production temporelle, enfin il défend la divinité
du Saint-Esprit (i). Grâce à lui, remarque Schwane,
la terminologie se trouva mieux fixée dans la langue
latine que dans la grecque. Unité de substance :
u Dieu le Père et Dieu le Fils ne font absolument
qu'un, non par l'union de personne, mais par
l'unité de substance (2). » Identité de nature, le Père
et le Fils « se compénètrent réciproquement, parce
que tout est parfait dans le Fils unique, comme
tout est parfait dans le Père inengendré (3). » Mais
distinction personnelle. La génération n'est « ni un
partage, ni une diminution, ni une émanation, ni
une extension, mais la production d'un être vivant
par un être vivant (4). » « A la différence de plu-
sieurs de ses devanciers, dit Largent, Hilaîre parle
du dogme trini taire avec une justesse irrépréhen-
sible ; il se garde des paradoxes de langage et de
pensée où Tertullien s'était quelquefois emporté (5). »
6. Bientôt, du sein même de la Cappadoce,
jusque ià l'un des foyers et l'une des forteresses de
l'hérésie, Dieu suscite de vaillants émules et de
puissants auxiliaires à saint Athanase et à saint
Hilaîre : ce sont les célèbres cappadociens, saint
Basile le grand, son frère saint Grégoire de Nysse,
son ami saint Grégoire de Nazianze et son corres-
1. De Trinitate, Pat. lat.t t. x, col. 25-472. — 2. De Trw.,
iv, 42 ; ibld., col. 128. — 3. Ibid., 111, 4; ibid., col. 78. —
A. laid., iv, 35 ; ibid., col. i85. — 5. Largent, saint Hilaire, p. 45.
5()2 LE CATÉCHISME ROMAIN
pondant saint Amphilochius d'Inconium. Ceux-ci
apportent plus de précision dans la terminologie
grecque et trouvent une formule équivalente à la
formule latine. Ils conservent les termes dt oùc(%
pour désigner la substance et de uTrôaTacj'.ç pour
désigner la personne; ils accentuent la réalité de
l'unité d'essence en ramenant les trois hypostases,
expression d'Origène, à l'unité de substance :
Tpeïç u7ro<7T7.(T£t; Èv t/Ya oiWot, qui répond au très personse
unius substantise des latins ; ils distinguent nette-
ment en Dieu l'essence ou la nature, la substance
et toutes les perfections absolues des propriétés
relatives et personnelles ; ils marquent enfin avec
précision que ces noms de Père, de Fils et de Saint-
Esprit se rapportent aux relations d'origine. Et par
là ils font faire un progrès notable à la notion et à
l'exposition du mystère de la Trinité.
7. Pendant la période qui précéda le concile de
Nicée, la question trinitaire avait surtout porté sur
le Fils, sur sa divinité et ses relations avec le Père.
Le concile de Nicée s'était borné à mentionner le
Saint-Esprit. Mais l'arianisme regardant le Fils
comme une créature créant les autres, tôt ou tard
on devait en conclure logiquement que le Saint-
Esprit est une œuvre du Fils. L'erreur allait ainsi
s'étendre de la seconde à la troisième personne de
la Trinité. Les anoméens firent d'abord du Saint-
Esprit un intermédiaire du Verbe. Pour Eunomius,
« le Saint-Esprit a été, quant à l'ordre et quant à
l'essence, créé le troisième, sur l'ordre du Père, par
l'action du Fils ; honoré du troisième rang comme
la première et la plus élevée des créatures du Fils
unique, seul de son espèce, mais dépourvu de divi-
nité et de puissance créatrice (1). » Saint Athanase
1. Saint Basile, Adv. Eunom., ni, 5.
LA SAINTE TRINITÉ *. PREUVE PATRISTIQÛE 5û,3
— — — — ^ — ^— — .^^^^—
avait combattu aussitôt une telle erreur. Mais Ter-
reur prit un élan nouveau avec Macédonius, succes-
seur d'Eusèbe sur le siège de Constantinople en 3^2.
Saint Athanase écrivit dans ses Lettres à Sérapion
de Thmuis pour défendre de nouveau la divinité
du Saint-Esprit. Mais les pneumatomaques, comme
on désignait les adversaires de la divinité du Saint-Es-
prit, partaient de ce dilemme et raisonnaient ainsi :
«Le Saint-Esprit est engendré ou non. S'il ne l'est pas
il est un nouveau Dieu, et c'est du polythéisme. S'il
l'est, de deux choses l'une : ou il est engendré par
le Père et alors le Père a deux fils, ou il est engen-
dré par le Fils et alors il est petit-fils du Père. Tout
cela ne pouvant s'accorder avec l'Ecriture, il faut en
conclure que le Saint-Esprit n'est pas Dieu.
A Rome, le pape saint Damase (366-384) con-
damna cette nouvelle erreur. En Orient, les Pères
cappadociens la combattirent à leur tour ; saint
Basile, avec une certaine circonspection de langage,
qui ne permettait pas, affirme son ami saint Gré-
goire de Nazianze, de suspecter l'orthodoxie de sa
pensée mais qui le poussa, dans la suite, à écrire son
Traité du Saint-Esprit, où il enseigne la consubstan-
tialité du Saint-Esprit et sa divinité ; saint Gré-
goire de Nazianze, dans ses Discours ; et saint Gré-
goire de Nysse, dans son Traité contre Eunomius.
Le concile de Constantinople, en condamnant
Macédonius et Maréthonius, qui regardaient le
Saint-Esprit comme le serviteur et la créature du
Fils, comme un être intermédiaire entre le Fils et le
monde des esprits finis, et en proclamant la con-
substantialité et la divinité de la troisième personne,
mit un terme aux controverses trinitaires du ive siè-
cle. Complétant le symbole de Nicée, il dit, relati-
vement au Saint-Esprit : «Nous croyons... à l'Es-
prit-Saint, le Seigneur, le Vivifiant, qui procède du
LE CATÉCHISME. — T. I. }8
594 LE CATÉCHISME ROMAIN
Père, qui conjointement avec le Père et le Fils est
adoré et glorifié, et qui a parlé parles prophètes (i).»
D'après le concile de 38i, le Saint-Esprit, personne
distincte, procède du Père, est consubstantiel à
Dieu, est Dieu au même titre que le Père et le Fils.
C'est la doctrine que répéteront, en Orient, les con-
ciles d'Ephèse en 43 1, de Ghalcédoine en 45 1, de
Constantinople en 553 et en 68o. Reste un point à
trancher, celui des relations du Fils et du Saint-
Esprit, qui fera plus tard l'objet de nouveaux débats
et de nouvelles décisions dogmatiques, comme nous
aurons soin de le remarquer dans la suite.
Les stades parcourus jusqu'ici sont les suivants :
en face du polythéisme, proclamation de l'unité de
Dieu ; en face des modalistes et des ^subordinations,
proclamation de la génération éternelle du Verbe,
de sa divinité et de sa consubstantialité avec le Père;
en face des pneumatomaques, proclamation de la
divinité et de la consubstantialité du Saint-Esprit.
Reste, après tant de luttes et tant d'écrits, à déga-
ger les principes implicitement sous-entendus ou
explicitement formulés, à grouper les vérités acquit
ses en un tout ordonné et harmonieux, en un mot
à faire œuvre de science théologique : ce fut la
gloire de saint Augustin d'y travailler et d'y réussir
dans une large mesure, car il orienta l'Eglise latine
dans un concept et une exposition du mystère de la
trinité que les scolastiques ont fait triompher.
IV. L'œuvre de saint Augustin
Aux prises avec l'hérésie d'Arius et de Macédo-
i. Voir plus haut le symbole de Nicée-Constantinople ;
Denzinger, n. 47.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE DE SAINT AUGUSTIN 5ç)J>
nius. les Pères durent essayer de formuler une
interprétation rationnelle du dogme de la trinité ;
grecs et latins rivalisèrent. Mais, chose curieuse,
la spéculation fut moins profonde chez les premiers,
beaucoup plus hardie chez les seconds.
Les Pères grecs, en effet, dans l'étude de ce mys-
tère, se placèrent surtout au point de vue des per-
sonnes divines, n'atteignant la nature de Dieu qu'à
travers ces personnes. A leurs yeux, la personne du
Père est la source de la divinité ; la personne du
Fils est la perfection physique du Père; lapersonne
du Saint-Esprit est sa perfection morale. Ainsi que
le remarque le P. de Régnon, « les perfections divi-
nes identifiées au Fils, ou personnifiées dans le Fils,
ce sont en général les perfections physiques,
comme si l'opération physique, qu'on appelle géné-
ration et qui a pour terme un fils de même nature
que son père avait pour résultat propre et formel
de produire des perfections physiques (i). » On
l'appelle la Raison, la Sagesse, et ce sont là des per-
fections de l'intelligence ; on l'appelle la Volonté, la
Puissance, et ce sont là des perfections de la volonté
divine ; et comme la production des créatures est
une œuvre de sagesse, de volonté et de puissance,
c'est au Fils que les Pères grecs l'attribuent spécia-
lement. La troisième personne, le Saint-Esprit, est
la perfection morale du Père, sa Sainteté person-
nelle, et principe de sanctification des créatures.
Dans cet épanchement de la divinité, une différence
existe sans nul doute entre la génération du Fils et
la procession du Saint-Esprit; c'étaient là deux don-
nées de la Révélation, deux termes consacrés par
l'Ecriture ; mais les grecs ne cherchèrent pas à pré-
ciser davantage. Leur concept de la trinité peut se
i, De Régnon, Etudes de théologie positive, t. rv, p. 35o.
596 LE CATECHISME ROMAIN
formuler ainsi : « Trois personnes participant plei-
nement et également à une même nature divine. »
1. Saint Augustin, qui est justement appelé le
Docteur de la grâce, et qui mériterait tout aussi
bien d'être appelé le Docteur de la trinité, selon la
remarque de Schwane (1), ne se contente pas, dans
son traité De Trinitate (2), de résumer et de com-
pléter tout ce qui a été dit de plus profond, il ren-
verse complètement le point de vue. Au lieu d'aller,
comme les grecs, des personnes divines à la nature
de Dieu, il commence par l'étude directe de la
nature divine avant de passer aux personnes pour
atteindre la réalité complète.
Dieu, c'est la divinité, non pas abstraite, mais
concrète et personnelle, s'épanouissant sans suc-
cession, mais non sans ordre d'origine, en trois
personnes. Jusque là tous les symboles, formulés
d'après le concept ancien, posent d'abord la foi au
Dieu unique qui est le Père, passent ensuite à la
foi en Jésus-Christ, son Fils unique, et nomment
enfin le Saint-Esprit : c'est leur seule manière de
formuler la trinité. Le Qalcamque, au contraire,
d'inspiration manifestement augustinienne, con-
sacre le nouveau point de vue et débute par la foi à
l'unité de Dieu dans la trinité et à la trinité dans
l'unité.
Augustin met donc l'accent sur l'unité divine en
face des trois personnes ; c'était éviter le danger de
toute accusation de trithéisme qui obligeait les
grecs à récapituler la trinité dans sa source pre-
mière, le Père. En mettant en plein relief l'égalité
des trois personnes, il évitait également le danger
de laisser croire à la supériorité du Père et à la
1. Schwane, Histoire des dogmes, trad. franc., t. il, p. a65.
— 2. Pair, lat., t. xlii.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE DE SAINT AUGUSTIN b$J
subordination du Fils et du Saint-Esprit. Mais ce
double avantage n'offrait-il pas un inconvénient
grave, celui de considérer la divinité comme un
Dieu personnel avant d'être Père, Fils et Saint-
Esprit? Saint Augustin a prévu la difficulté ; aussi,
a-t-il soin de refuser à la divinité ainsi considérée
toute réalité distincte de la réalité des trois per-
sonnes divines (i).
2. En outre, saint Augustin insiste pour faire de
toute opération divine ad extra l'œuvre indistincte
des trois personnes : création, théophanics, incarna-
tion, sanctification. Et s'il est d'usage d'attribuer à
chacune, dans ces opérations, un rôle particulier à
raison de son origine, c'est, dit-il, uile simple
appropriation. Les grecs, au contraire, insistaient
sur le rôle distinct de chacune des personnes dans
l'œuvre commune au point de laisser croire que
chaque personne avait exclusivement une opération
propre. Pour l'évêque d'Hippone et pour les scolas-
tiques à sa suite, l'appropriation consiste à attri-
buer spécialement à l'une des personnes l'un ou
l'autre des attributs essentiels, l'une ou l'autre des
opérations communes, lorsque cet attribut ou cette
opération est particulièrement apte à mettre en
relief le caractère propre d'une personne, lorsque
celte aptitude repose sur une analogie véritable, sur
un rapport avec la propriété de la personne. De la
sorte le Père est dit tout-puissant, parce que, dans
la famille créée, le père a naturellement l'autorité ;
la création est attribuée au Fils, parce qu'elle est
l'œuvre de la science divine et qu'elle se rapporte à
l'intelligence d'où procède le Verbe ; et la sancti-
fication est attribuée au Saint-Esprit, parce qu'il
est l'amour incréé. Et ainsi l'appropriation se fonde
i. Epist. cxx ; Pair, lat., t. xxxm, col. 452-46a.
698 LE CATÉCHISME ROMAIN
^M^— ■ — M ! M^— — ! ■■ ■ ■ ■ I I ■■ . ! ■ ! Il ■ » ■ I I ■ Il I I I ■ —— ^^«»— ■— — — ^
sur une relation de similitude entre la propriété
d'une des trois personnes et Fattribut essentiel ou
l'opération commune.
3. Enfin, saint Augustin a fondé la théorie
psychologique des processions sur l'étude de l'âme
humaine, qui existe, pense et veut ; théorie systé-
matisée plus tard par saint Anselme et achevée par
saint Thomas. Cette théorie explique en quoi et
comment différent la génération et la procession,
pourquoi il y a deux processions en Dieu et rien
que deux, pourquoi le Verbe est Fils et mérite per-
sonnellement le nom d'Image du Père, et pourquoi
le Saint-Esprit, amour du Père pour le Fils et du
Fils pour le Père, procède de l'un et de l'autre sans
que sa procession ressemble le moins du monde à
la génération (1).
C'est donc dans les actes d'intelligence et de
volonté que saint Augustin trouve l'explication des
processions divines. Dans l'homme, l'intelligence
et la volonté sont des facultés naturelles ; leur
existence relève de la nature et non de la personne.
Comment donc ces actes peuvent-ils être en Dieu la
source des processions, puisqu'ils relèvent de la
nature et que ce n'est pas la nature qui engendre,
mais la personne du Père ? C'est qu'il ne faut pas
oublier que si nous distinguons en Dieu l'essence
divine et les personnes, c'est sans doute parce que
<cette distinction de raison est fondée sur la réalité,
mais ce n'est pas une distinction réelle. Car
l'essence n'existe pas avant ou en dehors des per-
sonnes. Ce n'est donc pas à l'acte d'intelligence
de la nature divine qu'on doit attribuer la géné-
ration du Fils, mais à l'acte d'intelligence de cette
1. E. Portalié, saint Augustin, dans le Dictionnaire de théo-
4ogie, t. 1, col. 2346-2349.
L'AME, IMAGE DE LA TRINITÉ 500,
nature en tant qu'elle est possédée. Car c'est là un
acte naturel sans doute, mais c'est aussi un acte
personnel, ou, comme diront les scolastiques, un
acte notionneU c'est-à-dire un acte envisagé formel-
lement sous le concept de personne.
C'est ainsi que le génie de saint Augustin a
apporté sa large et décisive contribution à l'étude
du mystère de la sainte trinité. Sur le chemin tracé
par lui et dans la direction fixée par lui, la scolas-
tique n'aura qu'à marcher. Et saint Thomas pourra
d'une main sûre dresser et remplir le plan d'un
traité de la trinité, qui est un monument d'érudi-
tion, de clairvoyance et de profondeur.
L'âme, image de la Trinité. — a Nous sommes
quelque chose d'intelligent, quelque chose qui s'entend
et s'aime soi-même ; qui n'aime que ce qu'il entend, mais
qui peut connaître et entendre ce qu'il n'aime pas... Ainsi
entendre et aimer sont choses distinctes, mais tellement
inséparables qu'il n'y a point de connaissance sans quel-
que volonté. Et si l'homme semblable à l'ange connaissait
tout ce qu'il est, sa connaissance serait égale à son être ;
et s'aimant à proportion de sa connaissance, son amour
serait égal à l'un et à l'autre. Et si tout cela était bien
réglé, tout cela ne ferait ensemble qu'un seul et même
bonheur de la même âme, et à vrai dire la même âme
heureuse, en ce que par la droiture de sa volonté conforme
à la vérité de sa connaissance, elle serait juste. Ainsi ces
trois choses : être, connaître et vouloir, font une seule
âme heureuse et juste...
« Ainsi, à notre manière imparfaite et défectueuse, nous
représentons un mystère incompréhensible. Une trinité
créée que Dieu fait dans nos âmes nous représente la
Trinité incrééc, que lui seul peut nous révéler; et pour
nous la faire mieux représenter, il a mêlé dans nos âmes,
qui la représentent, quelque chose d'incompréhensible.
« Entendre et vouloir, connaître et aimer sont actes très
distingués ; mais le sont-ils tellement que ce soient choses
entièrement et substantiellement dillérenlcs ? Cela ne
600 LE CATÉCHISME ROMAIN
peut être ; la connaissance n'est autre chose que la subs-
tance de l'âme affectée d'une certaine façon ; et la volonté
n'est autre chose que la substance de l'âme affectée d'une
autre. Quand je change de pensée et de volonté, ai-je cette
volonté et cette pensée sans que ma substance y entre ?
Sans doute elle y entre ; et tout cela, au fond, n'est autre
chose que ma substance affectée, diversifiée, modifiée de
différentes manières, mais dans son fond toujours le
même : car, en changeant de pensée, je ne change pas de
substance, et ma substance demeure une pendant que
mes pensées vont et viennent...
« Je ne sais qui peut se vanter d'entendre cela parfai-
tement, ni qui pourra se bien expliquer à soi-même ce
que les manières d'être ajoutent à l'être, ni d'où leur vient
leur distinction dans l'unité et identité qu'elles ont avec
l'être même, ni comment elles sont des choses, ni com-
ment elles n'en sont pas. Ce sont des choses, puisque si
c'était un pur néant, on ne pourrait véritablement ni le?
assurer, ni les nier ; ce n'en sont point, puisqu'en elles-
mêmes elles ne subsistent pas. Tout cela ne s'entend pas
bien; tout cela est pourtant chose véritable et tout cela
nous est une preuve que, même dans les choses natu-
relles, l'unité est un principe de multiplicité en elle-même,
et que l'unité et la multiplicité ne sont pas autant incom-
patibles qu'on le pense...
« Si j'étais une nature incapable de tout accident sur-
venu à sa substance, et en qui il fallût que tout fût subs-
tantiel, ma connaissance et mon amour seraient quelque
chose de substantiel et de subsistant : et je serais trois
personnes subsistantes dans une seule substance, c'est-à-
dire je serais Dieu. Mais comme il n'en est pas ainsi, je
suis seulement fait à l'image et à la ressemblance de Dieu,
et un crayon imparfait de cette unique substance qui est
tout ensemble Père, Fils et Saint-Esprit : substance incom-
préhensible dans sa trine divinité, qui n'est au fond
qu'une même chose, souveraine, immense, éternelle, par-
faitement une en trois personnes distinctement subsistan-
tes, égales, consubstantielles. » Bossuet, Elévations sur
les Mystères, ne Sem., élév. vi,
Leçon XVIII
De la Sainte Trinité
I. Exposé du mystère. — IL Enseignement de
saint Thomas. — III. Notions erronées et
objections.
I. Exposé du mystère
Ur ne seule essence divine ; clans cette essence
unique, trois personnes distinctes, s'identi-
fiant dans l'unité d'une même et indivisible
substance, portant le nom commun de Dieu, lequel
désigne la communauté de nature, et les noms
propres et personnels de Père, de Fils et de Saint-
Esprit, lesquels répondent aux relations subsistantes,
qui, seules, fondent les distinctions hypo statiques :
tel est le dogme de-la Trinité.
i. Cet énoncé suppose un grand nombre de
notions, dont le sens doit être précisé avec rigueur,
pour parler correctement en un sujet aussi délicat
et ne pas donner prise à d'inextricables difficultés :
un langage sans précision, une terminologie impro-
pre frisent facilement l'hérésie.
On donne le nom d'essence au principe constitutif
d'un être, qui fait que cet être est ce qu'il est ; le
nom de nature au principe d'opération intrinsèque
et permanent de tel être actuellement existant ; le
nom de substance à ce qui sert de support aux acci-
6o2 lTï catéchisme romain
dents et aux modifications d'un être, à ce qui désigne
les propriétés constitutives et immuables d'un indi-
vidu, par opposition aux modes transitoires dont
ces propriétés sont le sujet ou le principe.
Dieu, étant l'être nécessaire, Y essence et la nature
désignent un principe d'opération toujours en acte ;
mais échappant par sa nature même à toute modi-
fication accidentelle et transitoire, la substance
désigne en lui l'essence par opposition aux modes
d'être permanents, qui constituent les trois per-
sonnes.
2. L'unité la plus haute et la plus générale est
celle de l'être ; mais elle enveloppe d'autres unités
secondaires, car les êtres s'échelonnent suivant un
ordre de continuité ontologique, où ils se distinguent
d'après leurs perfections. Les uns existent ou sont
capables d'exister sans avoir besoin pour recevoir
l'être ou pour s'y maintenir du concours d'aucune
autre cause seconde, par exemple les substances ; les
autres requièrent naturellement comme une condi-
tion de leur réalisation l'appui d'une cause seconde
extérieure à eux-mêmes, par exemple les accidents.
Or, la substance n'existe pas à l'état indéterminé
que comporte son concept générique ; elle est en
vérité telle ou telle. Une ligne de démarcation par-
tage le genre suprême de la substance en genres
subalternes, lesquels par des déterminations spéci-
fiques se ramifient jusqu'à la dernière espèce,
l'espèce infime. Or, Y espèce elle-même, considérée
objectivement dans la réalité métaphysique, est
essentiellement un universel, qui requiert pour
recevoir son actuation totale d'être déterminé dans
son être substantiel par des caractères individuants»
Et ainsi Yindividu est dans l'ordre de la substance l^
dernière unité à laquelle on arrive.
3. L1 individu , par rapport aux autres, est dans
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE 6o3
une certaine mesure absolu ; non seulement il
existe, mais il subsiste, parce que à lui se relient
comme à leur point d'attache, se ramènent comme
à leur raison commune, en lui se concentrent
comme dans un tout qui fait leur unité sans être
lui-même une fraction d'une unité plus haute, les
degrés d'être substantiels et accidentels, par lesquels
l'individu est déterminé soit spécifiquement, soit
singulièrement.
Cette substance individuelle, complète, autonome,
s'appelle un suppôt, s'il s'agit d'êtres dénués de rai-
son, une hypostase, une personne, c'est-à-dire ce
qu'il y a de plus parfait dans toute la nature, s'il
s'agit d'êtres intelligents et libres.
Une personne, c'est donc une substance indivi-
duelle, complète, autonome, intelligente et libre ;
parce qu'elle est une substance, elle sert de point
d'appui aux réalités accidentelles qui la déterminent ;
parce qu'elle est une nature, c'est-à-dire une énergie,
une puissance active, elle peut se modifier elle-même
et modifier tous les êtres susceptibles de recevoir
son action.
4. Nous trouvons dans notre expérience intime la
matière des idées de substance et de cause, de mode
et de phénomène, et notre esprit est amené sans
effort par le travail analytique le plus élémentaire à
en dégager a priori ces deux principes universels :
Tout mode requiert une substance ; tout phénomène
requiert une cause. Il est facile dès lors de découvrir
hors de soi, avec certitude, des réalités invisibles
aux sens, mais accessibles à l'entendement, dont
elles sont l'objet propre, et qui ont pour fonction
de soutenir dans l'existence des qualités sensibles
et de poser dans l'existence des faits nouveaux,
perceptibles à l'expérience externe. Ces réalités sont
les substances et les causes, ainsi appelées par
Co4 LE CATÉCHISME ROMAIN
analogie avec la réalité de même ordre révélée par
notre conscience. Et comme le moi est le dernier
sujet d'attribution de tout ce qu'il contient, supporte
ou produit, ainsi, dans le monde extérieur, il est des
individus qui, sans pouvoir être ramenés à une
individualité supérieure, se possèdent eux-mêmes et
sont le sujet de tout ce qui est en eux, le principe
de tout ce qui est par eux. Cette fonction nouvelle
qui complète la substance en lui conférant, dans
son espèce, tout le degré d'être et d'autonomie dont
elle est capable, s'appelle subsistance, qui désigne la
forme constitutive de l'hypostase et de la personne.
Enfin notre intelligence arrive à connaître la subs-
tance infinie, sujet de la perfection absolue, et cause
infinie, raison suffisante du monde et du moi,
substance et cause qui est la personne par excel-
lence.
Notre raison, il est vrai, ne peut parvenir à com-
prendre la raison adéquate de substance ; elle affirme
du moins l'identité physique et l'union indissoluble
des deux formes de substance et d'hypostase. Or,
dans la matière de sa connaissance naturelle, elle
ne peut puiser l'idée de plusieurs personnes subsis-
tant en une seule nature, ni l'idée d'une même
hypostase subsistant en deux ou plusieurs natures.
Mais ici intervient la révélation pour fournir une
notion complète de la personnalité dans ses rapports
avec la nature. Et c'est à sa lumière que nous
apprenons que Dieu est une essence numériquement
une et indivisible, subsistant en trois personnes
réellement distinctes, et que l'une de ces trois per-
sonnes subsiste, sans perdre son unité hypostatique
dans deux natures numériquement distinctes.
5. Il s'agit donc d'expliquer, dans la mesure où
la raison peut s'y engager, et d'étudier la vie
intérieure de la Trinité soit absolument, soit
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITÉ 6o5
comparativement aux caractères essentiels de la
personnalité créée.
Dieu, l'être infini, est aussi l'acte pur sans mé-
lange de potentialité. IL est déterminé par son
essence à la plénitude de l'être et à la plénitude de
l'opération. Mais cette opération, au lieu de survenir
à sa vertu active comme une perfection nouvelle,
n'est que l'acte subsistant d'une essence qui s'iden-
tifie avec sa propre existence : être et agir ne sont
en Dieu qu'une seule et même chose, qu'un seul et
même Dieu.
Mais il y a une différence entre l'opération divine
ad intra, qui se termine tout entière dans l'essence
subsistante d'où elle procède, et l'opération divine ad
extra qui, sans sortir formellement de cette essence,
s'extériorise pourtant virtuellement en tant qu'elle
se termine à la production d'un être distinct de
Dieu. Dans ses opérations ad extra, Dieu n'épuise
pas son essence et ne saurait recevoir le moindre
accroissement des natures qu'il crée, quelle que
puisse être d'ailleurs leur perfection. L'activité
divine doit cependant s'exercer dans toute sa pléni-
tude, et elle s'exerce dans ses opérations ad intra :
cet acte infini demeure tout entier dans le principe
essentiel d'où il émane et avec lequel il se confond.
Or, toute action aboutit à un terme distinct
d'elle-même et qui se rapporte, soit à l'agent comme
à son principe, soit à l'opération comme au lien de
l'un et de l'autre. L'action divine ad intra produit
donc un terme, et la perfection de ce terme répond
à la perfection de l'opération et à la perfection de la
nature ; la nature enveloppe l'opération et son terme
et se développe pleinement par eux ; ce terme ad
intra sera donc infini.
6. .Mais, tandis que dans les créatures le principe
et la fin sont distincts, en Dieu ils se confondent
Co6 LE CATÉCHISME ROMAIN
et l'identification est complète. Sans doute, Dieu a
un comment et un pourquoi ; ce comment est son
principe, ce pourquoi est sa fin, principe et fin
immanents. Le comment de son être est dans l'ex-
cellence métaphysique de l'essence infinie, et le
pourquoi dans cette excellence souveraine, qui
n'étant susceptible d'aucune augmentation, est à
elle-même sa fin, son complément. Aussi les actes
immanents de Dieu ad intra s'accomplissent-ils
d'une manière nécessaire, non point que cette
nécessité s'impose à l'activité infinie comme une
violence subie, car la nécessité est très compatible
avec la volonté ; si elle s'oppose à la liberté, elle
s'allie avec la spontanéité réfléchie et consciente ;
si elle exclut le choisir, elle n'exclut pas le vouloir
et le consentir. Dieu a dans son essence la loi de tout
son être et de son agir, non que cette loi le cons-
titue dans un état de dépendance par rapport à
autrui, puisque, étant à lui-même sa raison d'être
totale, il ne relève que de lui-même ; non que cette
loi soit en lui la régularisatrice d'un mouvement
véritable qui le porterait d'un point de son être à
un autre point de son être ; mais comme la loi
contient le rapport essentiel de ce qu'un être est à
ce qu'il doit être, il faut aussi que Dieu, qui est
nécessairement, ait un rapport à l'être qu'il possède
et qui lui est dû essentiellement. La loi de son être
se confond donc avec cet être lui-même ; elle n'a
pas d'autre formule que la nécessité de l'être divin
et son absolue autonomie.
La puissance incréée, pure de toute potentialité,
se confond donc avec son acte propre, et puisqu'elle
est l'acte subsistant, s'identifie pareillement avec la
substance : nature, puissance, opération ne sont
donc en Dieu qu'une seule et même chose. Cepen-
dant nous concevons la nature ou, plus proprement
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE 607
l'essence comme la forme de la divinité à l'état
purement statique ; au contraire, en tant que cette
essence est le principe virtuellement dynamique de
sa perfection et atteint de toute éternité, sans mou-
vement véritable, la plénitude de son développement,
on lui donne le nom plus spécial de vertu opérative
ou d'opération. Et l'on conçoit en Dieu son opération
comme un mouvement virtuel dans la nature
divine, formellement identique à cette nature, et
par lequel celle-ci se porte en quelque sorte vers
elle-même, considérée comme terme et fin imma-
nents de l'essence subsistanie. Et ainsi l'action ad
intra est nécessaire au même titre que l'être de Dieu.
7. Gela nous mène à une conclusion qui nous
rapproche de l'explication formelle de la trinité des
hypostases dans l'unité de sa nature.
En effet : puisque la raison immanente de fin
détermine nécessairement en Dieu une opération
immanente, elle déterminera aussi le caractère de
cette opération. Or, toute fin, en tant que fin, exige,
pour provoquer le mouvement d'un être, d'être
connue par cet être. À son tour, cette connaissance
engendre un mouvement de la volonté qui, com-
muniquant son impulsion à l'être tout entier, le fera
tendre à la possession de la fin. Or, en Dieu, pas de
bien à acquérir, puisqu'il est sa propre fin. L'action
immanente de Dieu ne saurait donc consister que
dans un acte de connaissance et un acte de volonté,
par lesquels il atteindra adéquatement la vérité de
son essence et aimera par un acte non moins
compréhensif la bonté de cette même essence. Dieu,
étant l'être infini, possède dans son essence toutes
les raisons de vérité et de bonté : il est l'universel
intelligible et l'universelle boulé, ou plutôt il est la
vérité et la bonté subsistantes. Il lui suffit d'un seul
acte de connaissance pour atteindre le vrai dans
6o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
toute sa plénitude ; il lui suffît d'un seul acte de
volonté pour , embrasser le bien dans toute sa
plénitude.
Or, tout acte a un terme ; les opérations divines
ad inlra ont donc aussi un point d'arrivée. L'acte
par lequel Dieu se connaît a donc un terme qui est
sa propre représentation, sa Parole intérieure, son
Verbe ; et le terme d'une activité infinie devant être
lui aussi infini, il en résulte que, puisque l'essence
divine répugne à toute multiplication, ce terme
infini se confond réellement avec cette essence. De
même pour l'acte par lequel Dieu se veut et s'aime.
8. Mais chacun de ces deux termes des opérations
divines ad intra se distingue de son principe par
une opposition qui les rend irréductibles. Le prin-
cipe et le terme de l'acte de connaissance sont dès
lors, comme tels, formellement incommunicables ;
de même le principe et le terme de l'acte de volonté.
Il faut donc distinguer, dans l'unité d'une même
essence, un principe infini avec deux termes infinis.
Et la distinction n'est pas seulement entre ce prin-
cipe unique et les deux termes, mais encore entre
les deux termes eux-mêmes. Car si Dieu se connaît
et s'aime par un seul acte qui est son essence,
autre est le point sous lequel il se connaît, autre
celui sous lequel il s'aime ; car il se connaît en tant
que vérité infiniment intelligible, et il s'aime en
tant que bonté infiniment aimable. La simplicité
de l'être divin n'empêche donc pas que la diversité
des objets formels, sous lesquels Dieu atteint son
essence, n'engendre une dualité de même ordre
dans l'opération divine et dans le terme de cette
opération.
Or, les actes immanents ne se distinguent pas de
leur principe ni entre eux, au même titre que les
termes de ces actes. Les actions ad inlva, considérées
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITÉ ' 609
abstraction faite de leurs termes, ne posent en
Dieu rien de nouveau, mais se confondent avec le
principe agissant ; mais si on les envisage in sensu,
composito termini, c'est-à-dire comme posant en
dehors du principe le terme vers lequel Celui-ci
tend par son opération, elles se subjectent dans
deux réalités distinctes, soit du principe, soit l'une
de l'autre. L'essence divine, principe de l'acte
d'intelligence, se distingue d'elle-même considérée
comme objet de connaissance, mais seulement sous le
rapport où elle s'exprime elle-même par son Verbe;
elle ne se distingue de ce chef que du terme de son
opération, lequel est son Verbe ou sa Parole. De
même Dieu se distingue de son essence, objet de
son amour, par le côté où cette essence pénètre
pour ainsi dire dans le principe aimant et termine
son opération. D'où il suit que la dualité seulement
virtuelle de l'opération par laquelle l'essence divine
se connaît et s'aime elle-même comme le vrai et le
bien substantiels, aboutit à la dualité de deux
termes réellement distincts.
9. Cette mutuelle distinction est fondée autant sur
leur opposition réciproque que sur leur opposition
respective à leur commun principe. Car si le terme
formel de l'acte de connaissance est en corrélation
de procession avec le principe de cet acte, il faut
affirmer le même rapport entre le Verbe et le terme
de l'acte de volonté. Le Verbe éternel manifestant à
son principe la bonté de la nature divine, c'est en
communion avec ce Verbe, et c'est par ce Verbe
que le principe de l'acte intellectif produit le terme
de l'acte d'amour. Ce dernier se distingue donc par
une commune opposition et du principe du Verbe
et du Verbe lui-même.
Il y a donc en Dieu trois sujets irréductibles l'un
à l'autre et s'opposant comme des termes que de
LH CATÉCHISME. T. I. 29
6lO LE CATÉCHISME ROMAIN
— ■ ■ - ■■' - ■ ■ ■ ■ ■ — ■ m.
mutuelles relations rendent incommunicables ;
mais, par ailleurs, chacun de ces sujets s'identifie
avec la nature divine. Chacun d'eux subsiste donc,
puisque cette nature est une subsistance ; et il
subsiste pleinement, c'est-à-dire ajoute à l'indépen-
dance substantielle de l'être divin, considéré abso-
lument, l'indépendance hypostatique ou l'incom-
municabilité. Et chacun d'eux est une personne,
puisque leur distinction est fondée sur des relations
de procession ou d'origine, qui sont comme les
points extrêmes d'un acte de connaissance intellec-
tuelle et d'un acte d'amour spirituel. Il y a donc
en Dieu trois personnes, qu'il convient de désigner
par des noms personnels.
10. Reste à déterminer la nature de ces processions.
L'acte d'intelligence, ayant pour objet direct et
formel de produire un terme qui est la représen-
tation de l'objet connu, on peut et on doit dire que
l'acte par lequel Dieu produit son Verbe, c'est-à-
dire la Parole vivante, qui, en vertu de la proces-
sion même dont il est le terme, l'exprime et le
représente tout entier, est une génération, puisque
la génération se définit : Origo viventis a vivente,
principio conjuncto, in similiiudinem naturœ, vi pro-
cessionis formaliter .
Or la génération est le fondement d'une double
relation de paternité et de fdiation : au principe de
la génération du Verbe, au sujet de la relation de
paternité, correspond donc le nom de Père ; au
terme de cette génération, au sujet de la relation de
filiation, celui de Fils.
ii. Quant au terme de l'acte d'amour, l'acte qui
le produit lui communique l'essence infinie, et. par
ce côté, sa procession ressemble à la précédente ;
mais, parce que le terme formel de cet acte n'est
pas la production d'une représentation de l'objet
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE ' 6ll
aimé, cet acte n'a pas le caractère d'une génération
proprement dite. Dès lors, si la troisième personne
reçoit avec sa personnalité la nature divine, ce n'est
pas formellement en raison de l'opération d'amour
dont elle dérive, mais en tant qu'elle terminé une
opération divine. Par suite, la génération étant,
pour nous, le seul mode naturellement connu par
lequel un être communique à un autre son essence
spécifique, il nous est impossible de concevoir
directement entre les deux premières personnes et
la troisième une relation dont l'idée soit distincte
de celle de la procession qui la fonde. Or cette der-
nière est une opération d'amour que nous appelons
Spiration. Considéré dans son principe, l'acte de
volonté constitue la relation de Spiration active ;
considéré dans son terme, il fonde la relation de
Spiration passive, à laquelle répond le nom person-
nel de Saint-Esprit.
12. Mais comme en Dieu l'abstrait s'identifie
avec le concret, la Paternité sera le Père, la Filiation
le Fils, et la Spiration passive le Saint-Esprit. C'est
dire que les personnes divines sont des relations
subsistantes , lesquelles, à leur tour, ne sont que la
nature divine subsistant en trois hypostases, par
lesquelles elle s'oppose à elle-même, et dont cha-
cune, l'embrassant dans sa plénitude, se distingue
d'elle par une pure distinction de raison.
En outre, il n'y a en Dieu qu'un Père, qu'un Fils»
qu'un Saint-Esprit. Les trois personnes, il est vrai,
connaissent et aiment ; mais ce n'est pas par le côté-
où elles se distinguent et s'opposent mutuellement,
c'est par celui où elles s'identifient dans l'unité
d'une même et indivisible essence. Leur distinction
vient tout entière de ce que cette unique essence ou
nature, par elle-même subsistante, s'oppose réelle-
ment à elle-même, considérée comme principe et
6l2 LE CATÉCHISME ROMAIN
terme formellement irrréductible d'une double
opération. De la distinction réelle du principe et
des termes naît la trinité des subsistances incom-
municables, c'est-à-dire la trinité des hypostases
ou personnes.
i3. La personnalité divine a donc une double
racine ; car la raison de la subsistance est tout
entière dans la nature considérée absolument, tan-
dis que la raison de son incommunicabilité est
uniquement dans l'opposition des relations subsis-
tantes. Cette opposition, du reste, est le seul fonde-
ment de la multiplication des hypostases ; car la
personne est un tout fermé, une unité distincte et
indépendante des autres unités. Or ce sont là les
effets formels de l'incommunicabilité. Il est donc
vrai de dire que les relations réelles sont la raison
pour laquelle la subsistance de la nature divine, ail
lieu de s'arrêter et de se terminer dans cette nature
considérée absolument, se multiplie avec la raison
d'incommunicabilité, essentielle à la subsistance
hypostatique ou personnelle. Mais arrivée, en vertu
de sa loi interne, à cette perfection de développement
immanent, la substance divine atteint le suprême
degré d'incommunicabilité personnelle, en sorte
que non seulement le caractère absolu de cette
substance lui assure une transcendance inaliénable,
mais encore les personnes qui se constituent dans
l'unité de son essence ferment la série des opérations
intérieures et possèdent, de ce chef, avec la nature
divine dans laquelle elles subsistent, une perfection
hypostatique infinie comme cette nature que cha-
cune d'elles embrasse adéquatement.
II. Enseignement de saint Thomas
! i. Avant de s'occuper de chacune des personnes
PROCESSIONS ET RELATIONS 6l3
_i i -
de la Trinité, saint Thomas commence par établir
le nombre de processions et de relations qui existent
en Dieu (i).
La procession n'est autre chose que l'origine d'un
être venant d'un autre être. Si cet être sort de son
principe pour former un être distinct, extérieur,
séparé, la procession est dite transitive ; si, au con-
traire, l'être reste dans son principe, elle est dite
immanente. C'est de cette dernière qu'il s'agit ici. Il
y a autant de relations en Dieu que d'actes imma-
nents. Or, dans toute nature intellectuelle, les actes
immanents ne sont qu'au nombre de deux, savoir
l'acte de l'intelligence et l'acte de la volonté. Il y à
donc deux processions en Dieu et il ne peut y en
avoir que deux : l'une, celle de l'intelligence divine,
par laquelle Dieu comprend la vérité totale de son
essence ; l'autre, celle de la volonté divine, par
laquelle il veut et aime la bonté totale de son essence.
La première n'est autre que la procession du Verbe
et porte le nom propre de génération, parce qu'elle
exprime l'origine d'un être vivant, qui tient d'un
être vivant comme lui, la même nature spécifique ;
la seconde est celle de l'Amour et s'appelle la Spira-
tion, parce qu'elle exprime le mouvement de la
volonté vers l'objet aimé.
2. Cette double procession pose en Dieu, non pas
des relations purement logiques ou de simples moda-
lités, mais des relations réelles, de vraies réalités.
Sans doute, parce que, en Dieu, rien n'existe à la
manière des accidents et que tout est substantiel, ces
relations ne font qu'un avec l'essence divine et ne
s'en distinguent que dans notre manière de les con-
cevoir, mais, entre elles, elles se distinguent réelle-
ment les unes des autres. Or cette distinction réelle
i. Sum. theol., I, Q. xxvn.
tôl4 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne pouvant être dans l'essence, dans l'être absolu,
où règne l'unité souveraine, la suprême simplicité,
se trouve dans l'être relatif, c'est-à-dire dans les
personnes.
Le nombre de ces relations est de quatre, ni plus
ni moins ; car toute relation est fondée, ou sur la
quantité — et celle-ci ne saurait exister en Dieu qui
est un pur esprit, — ou sur l'action et la passion,
comme cause et effet, père et fils, maître et serviteur.
En Dieu, la relation a pour fondement l'action, non
pas l'action transitive, mais l'action immanente, qui
détermine les processions intimes dans le sein de
l'Etre infini. Or deux actions de cette nature, et
deux seulement, nous venons de le dire, se consom-
ment dans l'essence divine : l'action de l'intelligence,
qui donne lieu à la génération du Verbe, et l'action
de la volonté, qui est le principe de la procession
de l'Amour. Mais de chacune de ces processions
naissent, par opposition l'une à l'autre, deux rela-
tions : la relation du principe au terme, et la relation
du terme au principe. La procession du Verbe étant
une génération, il y a la relation active de paternité,
propre au principe générateur, et la relation passive
de filiation, propre au Verbe engendré. Quant à la
procession de l'Amour, elle constitue la relation
active de spiration dans le principe et la relation
passive de procession dans le terme.
3. Ces deux processions et ces quatre relations
impliquent l'existence, en Dieu, de trois personnes
et rien que de trois. Mais qu'entendre par ce mot
personne? Il sert à désigner le parti "'dier ou V individu,
dans la catégorie de substance, et plus spécialement
ou proprement dans la catégorie de substance rai-
sonnable. La personne est donc une substance
particulière, individuelle, de nature raisonnable ;
elle exprime ce qu'il y a de plus parfait dans toute
LES PERSONNES DIVINES 6l5
la nature, l'être subsistant et raisonnable. Ce terme
convient donc à Dieu, non comme il convient aux
créatures, mais dans un sens beaucoup plus élevé»
Il ne se trouve pas, il est vrai, textuellement dans
la sainte Ecriture, mais il y est d'une manière
équivalente.
Ce qui rend difficile de circonscrire son sens dans
la Trinité, c'est, d'une part, qu'il se dit au pluriel,
contrairement aux noms qui désignent l'essence,
et c'est, d'autre part, qu'il n'exprime rien de relatif,
à l'inverse des noms qui expriment les rapports des
êtres. Il signifie la substance individuelle d'une
nature raisonnable. Or, l'individu se distingue de
tout autre individu. Et la distinction, en Dieu, ne
provient que des relations d'origine. Mais ces rela-
tions ne sont pas, en Dieu, des entités modales,
des accidents inhérents au sujet, elles sont l'essence
divine elle-même, et par suite elles subsistent
comme elle et constituent des relations subsistantes.
Or, ces relations subsistantes se distinguent entre
elles par leur opposition relative. Donc deux rela-
tions opposées doivent nécessairement appartenir à
deux personnes. Dès lors, la paternité et la filiation,
formant deux relations qui s'opposent, appartien-
nent à deux personnes : la paternité subsistante est
la personne du Père, la filiation subsistante est la
personne du Fils.
Quant aux deux autres relations, la spiration
active et la spiration passive, elles ne sont pas
opposées aux précédentes, c'est-à-dire à la paternité
et à la filiation, mais elles forment opposition à
l'égard l'une de l'autre, et par suite ne peuvent
convenir toutes les deux à une seule et même per-
sonne. Mais à qui convient la spiration active ?
Est-ce au Père ou au Fils? Est-ce à l'un et à l'autre
en même temps ? C'est à tous les deux à la fois,
6l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
■— -" ' ' ■ —■ — ■— — i 1 ■ - ■ ■ ■ ■ ii» ! i— ^^m
d'autant plus que cette spiration active ne renferme
aucune opposition ni vis-à-vis de la paternité, ni
vis-à-vis de la filiation. Et quant à la spiration
passive, elle appartient en propre à la troisième
personne, à la personne du Saint-Esprit. D'où il
suit qu'il y a trois personnes en Dieu.
k. Il y a trois personnes en Dieu et il ne peut y
en avoir que trois, ce qui est proprement le mystère
de la sainte Trinité, l'unité de trois, trima wiitas,
une essence et trois personnes, mystère qui demeure
inaccessible aux seules lumières de la raison. La
raison naturelle, en effet, ne peut connaître Dieu
que par les créatures. Or, les créatures conduisent
à la connaissance de Dieu comme l'effet conduit à
la connaissance de la cause. La raison peut donc
découvrir uniquement les attributs que Dieu pos-
sède comme principe des êtres, comme créateur.
Mais comme la puissance créatrice est commune à
toute la Trinité, elle appartient à l'unité de l'essence
divine, et non à la pluralité des personnes, et ne
peut dès lors rien nous apprendre sur les personnes,
en tant que personnes.
Du reste, vouloir établir la trinité des personnes
sur des preuves tirées de la raison pure, serait déro-
ger doublement à la foi, dit saint Thomas. D'abord,
en blessant sa dignité ; car elle a pour objet les
choses invisibles. Ensuite, en éloignant autrui de
la foi ; car lorsqu'on apporte en faveur de la foi des
preuves irrésistibles, on tombe sous la dérision des
impies, qui s'imaginent que nous croyons en nous
appuyant sur ce genre de preuves. A ceux qui ad-
mettent l'autorité, prouvons notre doctrine par
l'autorité ; à ceux qui la repoussent, contentons-
j nous de montrer que les choses de la foi ne renfer-
i ment rien d'impossible, rien de contraire à la raison.
Relativement à l'existence de Dieu, les raisonnements
LES PERSONNES DIVINES - 617
i- — — — — — — — — - ^—
sont démonstratifs ; relativement à la Trinité, ce ne
sont que des raisonnements de convenance. Les
analogies elles-mêmes que nous trouvons dans notre
âme ne fournissent pas de preuve démonstrative de
la Trinité, parce que l'intelligence humaine diffère
essentiellement de l'intelligence divine. Et, comme
le dit saint Augustin, ce n'est pas la science qui
mène à la foi, « c'est la foi qui mène à la science. »
5. Un pas de plus, et l'on aura les notions suffi-
santes pour désigner les trois personnes de la Tri-
nité. La notion est la raison propre, l'idée particu-
lière, le signe caractéristique, la marque distinctive,
l'attribut spécial qui dénonce, révèle, notifie et fait
connaître distinctement les personnes divines.
Jusqu'ici nous avons trouvé quatre notions ; il en
est une cinquième à faire connaître. Les personnes
divines, en effet, se multiplient et se révèlent par
l'origine, ou comme principe ou comme terme. Or,
le Père ne procède de personne, et, sous ce rapport,
la notion qui lui confient est celle d'innascibililé;
mais, en tant que principe, il se caractérise double-
ment, par la paternité à l'égard du Fils, par la spi-
ration commune à l'égard du Saint-Esprit. Le Fils,
procédant de son Père par la génération est notifié
par la filiation. Le Saint-Esprit a pour unique note
caractéristique la procession, car il n'est le principe
d'aucune autre personne. Il y a donc cinq notions en
Dieu : Yinnascibililé, la paternité, la filiation, la spira-
tion active et la spiration passive de procession. De
ces cinq notes, quatre constituent des relations, car
l'innascibilité à vrai dire n'est pas une relation ;
quatre sont des propriétés, car la spiration active
commune au Père et au Fils n'appartient pas exclu-
sivement à une seule personne ; et trois enfin sont
des notions personnelles, savoir : la paternité, la filia-
tion et la procession.
6l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
6. Certains attributs sont communs à l'essence
divine; d'autres sont propres à chaque personne en
particulier. Et c'est ainsi qu'on peut appeler la pre-
mière personne : Principe, Père non-engendré. Prin-
cipe signifie l'origine, la source, la souche d'où
vient, sort ou découle une chose. Appliqué à Dieu,
ce mot peut s'entendre des attributs communs, et
dans ce cas, il implique des actes extrinsèques dont
le terme est en dehors de Dieu, dans les créatures ;
il peut s'entendre aussi des attributs propres, et,
dans ce cas, il vise les actes intrinsèques, imma-
nents, dont le terme est Dieu même ; mais comme
en Dieu il y a deux processions, il y a aussi deux
principes, l'un qui est exclusif au Père, comme
source de toute la divinité, l'autre qui appartient au
Père et au Fils vis-à-vis du Saint-Esprit. La pre-
mière personne est encore désignée sous le nom de
Père, car la paternité est sa propriété personnelle,
et sous le nom à'innascïble ou de non-engendré,
parce qu'elle n'a pas de principe d'où elle dérive,
étant elle-même le principe de tout.
La seconde personne porte le nom propre de
Fils, parce qu'elle est engendrée par le Père ; de
Verbe, parce qu'elle est le concept intérieur qui pro-
cède de l'intelligence divine et l'exprime totalement;
et d'Image, parce qu'elle représente pleinement son
modèle et est sa parfaite image.
La troisième personne porte le nom d'Esprit,
consacré par l'Ecriture, car ce mot signifie souffle,
impulsion, et représente le mouvement de la
volonté ; d'Amour, parce que, personnellement, elle
procède par amour et est l'amour subsistant ; de
Don, parce que le propre de l'amour est de donner
; de sa plénitude et que le Saint-Esprit procède aussi
comme don de Dieu.
7. Comparées avec l'essence divine, ces personnes
LES PERSONNES DIVINES 6 IQ
ne nuisent-elles pas à l'unité de Dieu? Non, répond
saint Thomas. Car, en Dieu, les relations sont
L'essence divine elle-même. Il n'y a donc entre les
personnes et la nature divine qu'une distinction de
raison, virtuelle, purement logique. Considérée
absolument, en soi, ou dans ses rapports avec les
personnes, l'essence divine est une ; elle se com-
munique totalement et identiquement aux trois per-
sonnes, qui, elles, se distinguent réellement entre
elles à cause de leurs relations d'origine. Il n'y a
donc qu'une seule essence divine en trois person-
nes ; ces trois personnes sont Dieu, elles ne for-
ment pas trois Dieux.
8. Considérées dans leurs rapports avec les relations
ou les propriétés, les personnes et les relations sont
identiques ; car, d'une part, les relations, entités
réelles dans l'Etre nécessaire, sont l'essence divine,
et d'autre part, l'essence divine est la même chose
que la personne. Mais les personnes se distinguent
entre elles par les relations.
9. Comparées entre elles, les trois personnes sont
parfaitement égales en toutes choses, aussi ancien-
nes, aussi puissantes, aussi parfaites l'une que
l'autre; la moindre inégalité romprait l'unité de
l'essence divine. On peut donc prendre tous les
attributs communs et les appliquer à chaque per-
sonne, ainsi que l'a fait le symbole de saint
Athanase. Toutefois cette absence de succession ou f
d'inégalité n'empêche pas qu'il y ait clans la Trinité !
un ordre d origine entre les personnes, non que
Tune précède l'autre, puisqu'elles sont éternelle-
ment ce qu'elles sont, mais simplement parce que
l'une procède de l'autre. La procession est éternelle :
le Père est Père, le Fils est Fils, le Saint-Esprit est
Saint-Esprit, de toute éternité. Donc égalité parfaite,
mais avec subordination d origine.
Ô20 LE CATÉCHISME ROMAIN
La procession qui est nécessaire et éternelle est
aussi immanente : d'où l'idée de la 7rspi-//opv|(Tiç, comme
disaient les grecs, ou de la circuminsessio, comme
disent les scolastiques. Ce terme latin, remarque
Petau, est loin de rendre toute la valeur du mot
grec, introduit dans la théologie par saint Jean
Damascène. La cir cumins es sion signifie i'inhabitalion
des personnes divines l'une dans l'autre ; car, par
l'unité d'essence, les trois personnes divines se
compénètrent mutuellement. Notre Seigneur disait:
« Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père et que le
Père est en moi ? » Et saint Jérôme a pu dire que
« le Fils est le lieu du Père, comme le Père est le
lieu du Fils. » La périchorêsis signifie en plus une
circulation vivante, incessante, l'épanchement sans
fin du Père dans le Fils et le retour du Fils vers sa
source, double mouvement qui part de l'unité et
revient à l'unité.
10. L'exposition de ce mystère est si délicate et
si difficile que saint Thomas a tracé quelques règles
précises pour permettre d'en parler correctement.
Parmi les noms essentiels, dit-il, les uns désignent
l'essence divine substantivement, les autres adjective-
ment. Les premiers se disent au singulier, les autres
se disent au pluriel des trois personnes. Dans la
Trinité, l'essence est souverainement une, infini-
ment simple ; aussi les noms qui l'expriment
doivent-ils se dire des trois personnes au singulier ;
Platon, Socrate et Gicéron s'appellent trois hommes,
parce qu'il y a dans trois suppôts de la nature
humaine trois humanités ; au lieu que nous
appelons le Père, le Fils et le Saint-Esprit, non pas
trois dieux, mais un seul Dieu, parce qu'il n'y a
qu'une divinité dans les trois hypostases de la
nature divine. Quant aux noms qui expriment
l'essence adjectivement, nous les affirmons des
LA MISSION DES PERSONNES DIVINES . 62 1
trois personnes au pluriel, à cause de la multipli-
cité des suppôts, et nous disons trois éternels, trois
incréés, trois immenses ; tandis que nous devons
dire un incréé, un immense, un éternel, quand
nous prenons ces mots comme des substantife.
Les noms essentiels concrets se disent tantôt de
l'essence, tantôt d'une ou des trois personnes,
selon qu'ils sont accompagnés de mots qui se
rapportent à l'essence ou à la personne. Mais les
noms essentiels abstraits ne peuvent pas se dire de
la personne, ils ne s'appliquent qu'à l'essence. Les
Pères de l'Eglise, dans leur langage, approprient
certains attributs essentiels aux personnes de la
Trinité, et saint Thomas légitime leur manière de
dire.
11. Saint Thomas termine son traité de la Trinité,
en parlant de la mission des personnes divines. Il se
demande si les personnes divines peuvent être
envoyées, et il répond : la mission implique deux
choses dans l'envoyé : un rapport avec celui qui
l'envoie et un rapport avec le terme où il est
envoyé. Le premier rapport forme toujours, dans
le délégué, une procession qui peut avoir trois
causes : le commandement, le conseil, l'origine. Le
second rapport, avec le terme, fait que le délégué
commence d'être dans un lieu, soit qu'il n'y fût
d'aucune sorte auparavant, soit qu'il y paraisse
d'une manière nouvelle. On voit par là que la
mission convient aux personnes divines sous deux
rapports, comme impliquant une procession d'ori-
gine, et comme créant une nouvelle manière d'être
dans un autre : ainsi le Fils a été envoyé par le
Père dans le monde ; car, bien qu'il y fût déjà, il
a commencé d'y être d'une nouvelle manière par
l'incarnation.
Auprès des créatures, la mission des personnes
62 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
divines est temporelle. Ainsi la mission du Fils
visible pour être homme, invisible pour être dans
l'homme, est temporelle, s'accomplit dans le temps.
Cette mission invisible se consomme uniquement par
la grâce sanctifiante ; car elles sont envoyées pour
être dans un lieu d'une nouvelle manière et pour
être possédées par la créature. Or, cette présence et
cette possession s'accomplissent uniquement par le
don de la grâce justifiante. La sanctification de
l'homme, tel est le but de la mission des personnes
divines.
Mais qui, parmi les personnes divines, peut être
envoyé ? La mission divine impliquant une proces-
sion d'origine, seuls le Fils et le Saint-Esprit peuvent
être envoyés. Le Père, ne procédant pas, ne peut
avoir de mission, bien qu'il habite, lui aussi,
l'âme des justes, selon cette parole de saint Jean :
« Nous viendrons en lai et nous ferons en lai notre
demeure ». Le Fils et le Saint-Esprit sont envoyés
invisiblement à tous ceux qui ont la grâce.
D'autre part, Dieu pourvoit aux besoins des êtres
selon leur nature. Or, la nature de l'homme est telle
qu'il va des choses visibles aux invisibles ; il fallait
donc que les mystères cachés dans le monde spiri-;
tuel lui fussent révélés par le monde sensible. De
même donc que Dieu s'est manifesté lui-même et a
manifesté les processions divines par certains traits,
de même il convenait qu'il manifestât les missions ;
invisibles des personnes adorables par certaines
réalités visibles. Mais la mission du Fils devait se
révéler autrement que celle du Saint-Esprit. Le Fils
est principe de procession, tandis que FEsprit-Saint
procède, le Fils est la source de la sainteté, le Saint-
Esprit en est le don ; et c'est pourquoi ils ont été
envoyés, l'un comme l'auteur, l'autre comme le
signe de la sanctification.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS . 623,
Dans ces quelques mots, saint Thomas indique
le rôle du Verbe incarné et du Saint-Esprit pour la
rédemption et la sanctification des âmes ; et c'est ce ,
rôle que nous aurons à étudier avec plus de détail
dans la suite.
>
III. Notions erronées
et objections
La raison, en présence de ce mystère de la sainte
Trinité, est absolument impuissante à le deviner,
parce que rien en elle ou autour d'elle ne saurait
lui en suggérer l'idée. Eclairée par la révélation,
elle en connaît du moins l'existence, et elle cherche
alors à s'en rendre compte, sans toutefois pouvoir
se flatter de le pénétrer à fond. Le mystère reste le
mystère : c'est un mystère qui appartient exclu-
sivement à l'enseignement révélé, et dont la
révélation expresse date des origines du christia-
nisme.
On a cru toutefois que l'esprit humain en avait
possédé quelque idée vague avant la révélation,
messianique ; mais ni l'histoire des religions ni
l'histoire de la philosophie n'autorisent une telle
conjecture.
i. Quelques symboles religieux, antérieurs au
christianisme, offrent, il est vrai, de fugitives res-
semblances ; mais elles sont purement superficielles ;
elles répondent à des conceptions absolument diffé-
rentes et complètement irréductibles au dogme
chrétien. >
L'histoire des religions signale, en particulier, la
triade égyptienne et la trimoûrti hindoue. En Egypte,
la triade n'est, en général, qu'une allégorie de la
société domestique : un dieu père, une déesse.
6^4 LE CATÉCHISME ROMAIN
mère, un dieu fils ; c'est tout au plus la même
divinité sous .trois aspects différents, quelque chose
qui ressemble à une espèce de sabellianisme anticipé.
M. Robiou (i), qui a spécialement étudié la ques-
tion, dit, à propos de la triade thébaine et d'autres
encore, que la présence d'une déesse à côté de deux
personnages masculins « implique une opposition
absolue avec l'idée de la trinité chrétienne. » Il
ajoute « que, dans tous les cas, l'Esprit ne figure
dans aucune des triades égyptiennes, » et que « cette
partie de la doctrine égyptienne n'est point un
écho, même indirect, d'une révélation primitive
touchant les trois personnes divines (2). »
2. Quant à la tvlmoûrti hindoue, ce n'est que la
fusion de trois cultes distincts, celui de Brahma,
celui de Vishnou et celui de Ci va : « Brahma,
Vishnou, Çiva sont et ils ont été dès l'origine trois
divinités distinctes, dit M. de Harlez (3). Vishnou est
cité dans les Védas, alors que Brahma n'existait
pas encore, c'est-à-dire n'avait point encore été
imaginé. Mais Vishnou n'est là qu'un Dieu secon-
daire, personnification accessoire de la force géné-
ratrice et conservatrice du soleil. Dans la plupart
des Brahmanas et dans les Lois de Manou, c'est-à-dire
dans les livres des brahmanites, Vishnou est encore
un Dieu inférieur, placé bien au-dessous de Brahma;
dans le Bhagavad-gîta le Harivansa et les autres
livres vishnouites, il est, au contraire, le Dieu
suprême, l'être universel. Çiva est inconnu aux
1. Théologie de V ancienne Egypte, dans le Compte rendu du
Congrès scientifique de 1891, Paris, 1891, IIe sect., p. 2/14-245.
— 2. Sur les triades égyptiennes, cf. de Rougé, Etude sur le
rituel funéraire, p. 45, 75-78 ; Grébaut, Mélanges d'arche, égypt.
et assyr., p. 247-254; Pierret, Essai sur la myth. égypt., p. 46-52.
— 3. Art. Trinité dans le Diction, apologétique de Jaugey, Paris,
1889, p. 3ii9-3i2o.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS . 625
Védas ; dans les livres postérieurs il apparaît et
semble se confondre avec le Dieu des tempêtes Rudra,
puis il s'en sépare et devient à son tour, dans cer-
tains livres, la divinité principale. Ces trois dieux
restèrent donc séparés jusqu'à ce que les Brahmanes,
longtemps après la diffusion de l'Evangile, voulant
rallier toutes les sectes, eussent formé des trois
principales divinités une triade suprême, dans
laquelle chacun pouvait choisir son Dieu favori
pour le mettre à la tête des autres. Mais pour con-
server auprès de leurs initiés la notion du panthéisme,
il imaginèrent de dire que ces trois dieux n'étaient
que des manifestations diverses de l'être absolu.
Ils désignèrent le groupe par le nom de Trimoûrti,
c'est-à-dire « triple forme. »
3. Platon a passé longtemps pour avoir eu
quelque soupçon de la Trinité. S'il l'a voilé, c'est
par peur des accusateurs de Socrate, affime saint
Cyrille d'Alexandrie (i). Etl'on sait que saint Augus-
tin estimait avoir trouvé dans les livres platoniciens
de frappantes analogies avec la doctrine chrétienne
du Verbe (2). Dans Platon, il est vrai, on rencontre
à plusieurs reprises une triade, mais assez vague,
inconsistante, jamais la même (3). Ce grand génie
reconnaît l'existence d'un Dieu éternel, intelligent,
tout-puissant et bon en face d'une matière éternelle
et confuse. Ce Dieu possède un Logos, raison de
toute chose, mais un Logos semblable au verbe
humain, plus parfait, mais qui n'est pas un être
subsistant. Ce qui subsiste, aux yeux de Platon,
c'est le plan de l'univers, l'archétype du monde,
l'idée exemplaire, mais qui n'est pas à confondre
avec le Logos. Ce Dieu est père, et le monde, distinct
1. Cont. Jal, t. — 2. Confes., VII, ix ; Patr. lat., t. xxxn,
col. 740. — 3. Tmée, xxxvn ; Répub., vu.
LE CATÉCHISME. — T. I. 4O
628 LE CATECHÏSME ROMAIN
du Logos et de l'archétype, est son fils. Enfin une
âme universelle, dont on ne saurait dire si elle est
une émanation de Dieu ou un produit de la matière,
est répandue dans tous les êtres. Où voir dans tout
cela une image même lointaine de la Trinité chré-
tienne ?
4. Le juif Philon, contemporain de Notre-Sei-
gneur, essaya d'élaborer une théorie de Verbe, en
mêlant les idées platoniciennes aux données
bibliques. Selon lui, Dieu, être transcendant,
abstrait, indéterminé, ne peut entrer en contact
direct avec la matière éternelle. Il n'agit sur elle
que par des intermédiaires émanés de lui, les Idées,
Verbes intérieurs se manifestant extérieurement
dans le monde matériel. Le plus parfait de ces
intermédiaires, le Logos, l'Idée suprême, éternel,
qu'est-il ? On ne réussit pas à savoir si Philon le
regarde comme une simple puissance divine, comme
un attribut, ou s'il y voit une personne distincte.
Bien qu'il l'appelle parfois le fils premier-né, il
semble n'être qu'un Dieu subalterne, une sorte de
démiurge. Nous sommes encore loin de la Trinité
chrétienne.
Mais l'influence du platonisme alexandrin, grâce
à Philon, se fit sentir chez les Pères apologistes,
notamment sur la double conception du Verbe
intérieur et proféré (1). Dans la suite, nous avons
vu aux prises les unitaires ou monarchiens avec les
trinitaires qu'ils accusaient de dithéisme ; puis la
lutte des Pères grecs et latins contre l'arianisme,.
l'intervention des conciles dans la définition des
dogmes de la Trinité ; nous avons passé sous silence»
nous réservant d'y revenir plus tard en traitant du
1. Voir notre article Pères apologistes, dans le Dictionnaire
de théologie, 1, col. i58o-i6oa. j
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS . 627
Saint-Esprit, la querelle suscitée par le Jilioque,
5. Au moyen âge, pendant que les uns, comme
Roscelin (xie s.), Gilbert de la Porrée, évêque de
Poitiers de 1142 à n54, et le calabrais Joachim,
abbé de Flore (1130-1202), versaient dans, le tri-
théisme, et que les autres, comme Abélard (1079-1142),
tombaient dans le modalisme ou le subordinatia-
nisme, l'orthodoxie était défendue par saint Anselme
(io33-iiog), saint Bernard (1091-1153) et les grands
scolastiques. L'erreur pourtant reparut, au xvie siècle,
avec les sociniens, qui renouvelèrent le modalisme
ou sabellianisme, et au xvme avec les anglais
Whiston et Glarke, qui, en 1711 et 1712, reproduisi-
rent la théorie subordinatienne des semi-ariens.
Avec le xixe siècle, le rationalisme repousse la
trinité chrétienne comme un dogme inacceptable
pour la raison et essaie, concurremment avec le
panthéisme, d'en donner une explication ration-
nelle. Pour les panthéistes allemands, à la suite de
Hegel, la trinité c'est l'idée qui évolue, l'idée qui
devient le monde, et le rapport du monde à l'idée,
du devenu au devenir. Pour les panthéistes français,
les mots changent, mais la théorie ne varie pas. La.
trinité c'est l'infini, le fini et le rapport du fini à
l'infini ; ou encore l'unité, la variété et le rapport
de la variété à l'unité ; ou comme dit Cousin, « une
triplicité qui se résout en unité et une unité qui se résout
en triplicité. » Cousin ajoute que c'est là « le Dieu
trois fois saint que reconnaît et adore le genre
humain, le fond même du Chritianisme (1). »
6. Même après le concile du Vatican, qui a
condamné le rationalisme et le panthéisme, et qui,
dans les doctrines de Gûnther, a frappé une nouvelle
conception de la trinité sous forme de trithéisme,
1. Cousin, Introduction à l'histoire de la philosophie, leç. v%
628 LE CATECHISME ROMAIN
l'erreur n'a pas désarmé ; elle recourt à des expli-
cations subtiles, dont la parenté avec le panthéisme
ne saurait faire doute. Ne lisons-nous pas, en effet,
en 1902, sous la plume de M. Marcel Hébert, les
lignes suivantes : « La Réalité, en tant qu'elle se
manifeste comme une puissance active, ne représente
ni une toute puissance, ni une toute science, ni une
toute bonté, bien plutôt une gigantesque, une incom-
mensurable force qui, à tâtons, sans jamais se lasser,
poursuit, à travers d'innombrables essais, son incessant
effort vers le mieux, vers V Idéal. Cet Idéal, loi vivante,
vraie vie de toute vie et non loi abstraite comme celles
d'un manuel de physique ou de chimie, la Réalité le
porte en elle-même comme la loi propre de son évolu-
tion; voilà pourquoi, en définitive, la résultante des
forces du monde est orientée dans le sens dubien (1).»
7. Et voici enfin ce qu'un esprit très cultivé a pu
écrire, sans s'apercevoir de la confusion grossière
qu'il faisait, au sujet du mystère de la Trinité :
« Dire qu'il y a trois personnes en Dieu, c'est dire
qu'il y a en Dieu trois individualités distinctes. D'autre
part, cependant, la formule du mystère déclare qu'il
n'y en a qu'une, celle de Dieu même : le Père est
Dieu ; le Fils également ; le Saint-Esprit également ;
les trois personnes divines ne sont qu'un seul et
même être individuel (2). »
M. Sully Prudhomme n'est pas le seul à prêter à
la formule du dogme trinitaire un sens qu'elle n'a
pas et à l'accuser par suite d'être incompréhensible
ou absurde. Combien, en effet, de la meilleure foi
sans doute, mais peu conformément à la logique,
s'appuyant sur l'identité que le dogme reconnaît
1. La dernière idole, dans la Revue de métaphysique et de
morale, juillet 1902, p. A02. — 2. Sully Prudhomme, La vraie
religion selon Pascal, Paris, 1905, p. 393.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS 629
entre l'essence divine et chacune des personnes,
concluent à l'identité des personnes entre elles !
On invoque le principe d'identité; mais on oublie
que ce principe n'a son application rigoureuse que
s'il s'agit d'une identité absolue ; car la moindre dif-
férence, ne serait-ce qu'une différence de raison,
suffît à l'infirmer. Or, il y a longtemps que saint
Thomas^ et tous les théologiens avec lui ont fait
observer que, dans la Trinité, l'identité n'est pas
absolue. Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient
la même essence, la même réalité divine, le dogme
l'affirme. Mais le dogme affirme, en outre, que ce
qui fait que le Père est Père, et que le Fils est Fils
et que le Saint-Esprit est Saint-Esprit est quelque
chose de distinct. Et, dès lors, l'application du
principe va simplement à dire ceci : toutes réalités
identiques à une troisième sont identiques entre
elles uniquement sous le rapport formel qui les fait
identiques à cette troisième, mais non pas dans
leur totalité. Or, dans la Trinité, s'il est vrai que
les personnes sont identiques à l'essence divine,
c'est-à-dire selon l'être divin et les attributs abso-
lus, il n'est pas moins vrai que les personnes divi-
nes restent distinctes entre elles précisément par ce
qui les fait être telle ou telle personne ; car la
notion spécifique qui répond à Père n'est point celle
qui répond à Fils ou à Saint Esprit; et la notion spéci-
fique qui répond à personne n'est pas la même qui
répond à essence. Le point de vue diffère ainsi que la
réalité. Les personnes divines s'opposent l'une à l'au-
tre par leurs relations d'origine. En conséquence, le
dogme catholique n'enseigne nullement que trois
ne font qu'un, ni qu'un c'est trois ; il enseigne que
les trois personnes sont réduites à l'unité par la
possession de la même et unique essence ; et il en-
seigne également que cette même et unique essence
630 LE CATÉCHISME ROMAIN
n'est pas possédée par les trois de la même manière
ni sous le même rapport : la première, la possède
de plein droit; la seconde, par communication
génératrice; la troisième, par procession d'amour.
Après le principe d'identité qui porte sur l'être,
on invoque le principe de contradiction qui porte
sur l'opération de notre esprit. La difficulté se
résout de la même manière. L'affirmation et la néga-
tion ne peuvent être vraies toutes les deux simulta-
nément d'un même objet; rien de plus exact, s'il
s'agit d'un objet qui soit tout à fait le même et abso-
lument sous tous les rapports ; mais il n'en est pas
ainsi s'il s'agit d'un objet qui, quoique matérielle-
ment et réellement le même, n'est pas le même
formellement ; et c'est ce dernier cas qui se réalise
dans la formule trinitaire (i).
Avec le catéchisme il faut dire : En Dieu, ni unité
de personne, ni multiplicité de natures, mais une
seule nature et trois personnes, ou un seul Dieu en
trois personnes.
i. La Sainte Trinité, d'après saint Grégoire de
Nazianze. — « Avant toutes choses, dit-il en s'adres-
sant aux catéchumènes, gardez-moi ce bon dépôt, pour
lequel je vis et je combats, avec lequel je veux mourir,
qui me fait supporter tous les maux et mépriser tous les
plaisirs de la vie : je veux dire la profession de foi en le
Père et le Fils et le Saint-Esprit. Je vous la confie aujour-
d'hui. C'est pour elle que je vais tout-à-1'heure vous plon-
ger dans l'eau et vous en élever. Je vous la donne pour
compagne et patronne de toute votre vie. Je vous donne
une seule Divinité et Puissance, Une dans les Trois, et
contenant les Trois d'une manière distincte. Divinité sans
disparate de substance ou de nature, sans degré supérieur
i. Voir, à ce sujet, un article de P. Pcgues dans la Revue
thomiste, 1901, p. 694-715.
LA SAINTE TRINITE
63
qui élève ou degré inférieur qui abaisse, de toute façon
égale, de toute façon la même, comme dans le ciel beauté
et grandeur ne sont qu'un. C'est de trois infinis l'infinie
connaturalité, Dieu tout entier, chacun considéré en soi-
même, aussi bien le Fils que le Père, aussi bien le Saint-
Esprit que le Fils, chacun pourtant conservant son
caractère personnel ; Dieu les Trois considérés ensemble.
Chacun est Dieu à cause de la consubstantialité ; les Trois
son Dieu à cause de la monarchie. Je n'ai pas commencé
de penser à l'Unité, que la Trinité me baigne de sa splen- '
deur. Je n'ai pas commencé de penser à la Trinité, que
l'Unité me ressaisit. Lorsqu'un des Trois se présente à
moi, je pense que c'est le tout, tant mon œil est rempli,
tant le surplus m'échappe ; car dans mon esprit trop
borné pour comprendre un seul, il ne reste plus de place
à donner au surplus. Lorsque j'unis les Trois dans un
même concept, je vois un seul flambeau sans pouvoir
diviser ou analyser la lumière unifiée. » Orat. xl, 4i (i)î
trad. du P. de Régnon.
2 . Difficulté et attrait du mystère de la Trinité. —
« Que reste-t-il des objections contre le mystère de la
sainte Trinité ? Il reste que la possession de la même
nature par trois personnes est une chose qui dépasse la
portée de l'expérience humaine et dont nous accroissons
d'ailleurs comme à plaisir l'obscurité par les images sen-
sibles que nous sommes tentés d'introduire dans l'ex-
position du dogme ; ces images sont des analogies qui
aident notre intelligence à concevoir le sens du mystère,
mais on aurait tort d'y chercher des explications. Arrivés
à ce point, nous sommes obligés de nous arrêter, il est
vrai, parce que le mystère est en face de nous et que
notre vue est trop faible pour sonder ses profondeurs.
Peut-être même paraît-il plus obscur quand on a essayé
de le regarder d'un œil respectueux. Mais ceci ne doit
point surprendre : lorsqu'on a gravi la cime du Gauri-
sankar, on s'est rapproché des limites extrêmes de
l'atmosphère terrestre ; mais l'homme n'en est averti que
i. Pair. gr.f xxxvi, col. 4 17»
632 LE CATÉCHISME ROMAIN
par la teinte toujours plus sombre qui succède au bleu
du ciel, le froid qui devient plus vif, l'air qui manque à
la respiration.
« Est-il possible, cependant, d'ajouter quelque chose
aux réponses ordinaires des théologiens ? Doit-on se tenir
exclusivement sur la défensive, et la splendeur du mys-
tère n'a-t-elle donc aucun attrait ?
« On a remarqué souvent que le mystère de la sainte Tri-
nité, bien qu'inaccessible à l'esprit humain, complétait ad-
mirablement ce que la raison nous apprend de Dieu. Quand
le spectacle des créatures et de nous-mêmes nous a fait
connaître l'existence de Dieu et ses attributs, nous con-
cevons l'idée de l'Etre infini et parfait ; mais nous ne
savons rien encore de sa vie intérieure. Si l'esprit de
l'homme est seul capable de savoir ce qui se passe en lui,
à plus forte raison Dieu seul doit-il contempler le secret
de sa vie. Mais, d'autre part, nous ne pouvons douter que
cette vie intime ne soit la plus profonde des réalités :
Dieu, source inépuisable de vie pour tous les vivants,
doit vivre pour soi avant de vivre pour les autres. Cette
ignorance de la vie mystérieuse de Dieu est sans doute
l'une des raisons pour lesquelles la religion naturelle est
frappée de stérilité : elle conçoit Dieu en dessus des
créatures comme une unité solitaire, abstraite et froide.
L'homme s'intéresse peu à un Dieu dont l'action paraît
toute extérieure, dont on n'aperçoit pas le mouvement
vital interne ; c'est qu'en effet son expérience et sa cons-
cience lui montrent la vie comme un acte intime à l'être
vivant. Qu'il apprenne donc à estimer à sa juste valeur la
révélation qui a déchiré pour lui ce nuage opaque sous
lequel la vie divine se cache. Dieu a daigné manifester
aux hommes le mystère de sa vie ; et voilà que les hommes
se récrient et qu'ils déclarent impossible ou absurde ce
qu'il ne comprennent pas. Attendent-ils donc pour fléchir
les genoux et pour adorer qu'ils aient compris Dieu
en lui-même ? Mais alors le rêve insensé des panthéistes
serait devenu une réalité : Dieu aurait pris conscience de
lui-même en l'esprit humain, et l'homme n'adorerait plus
que l'humanité.
LA SAINTE TRINITÉ , 633
« Quand l'Absolu lève un coin du voile sous lequel il
se dérobait à nos yeux, le mystère non seulement ne doit
pas effrayer la raison, mais il s'impose à elle comme le
signe nécessaire de la vérité. La vie divine ne saurait être
à ce point accessible que toute obscurité en soit bannie
pour nous, et si elle se laissait pénétrer de part en part
au regard de l'homme, j'oserais dire qu'elle ne valait pas
la peine d'être regardée, car nous jetons un coup d'oeil
fugitif sur les idées trop claires et les choses trop faciles
à comprendre, mais nous contemplons longuement ce
qui retient une part de mystère. A mesure que nous
descendons plus profondément dans les problèmes de la
métaphysique, le mystère croît avec la profondeur ; pour-
quoi voudrait-on que la vie intime de Dieu se présentât à
nos regards comme une surface plane, et non comme un
abîme que l'œil ne peut sonder ? Ces exigences dénotent
en ceux qui les prennent au sérieux une ignorance totale
des conditions du problème divin et une recherche
exagérée des clartés superficielles ; les vrais métaphysi-
ciens ne redoutent pas tant certaines obscurités néces-
saires.» J. Souben, Nouvelle théologie dogmatique, h, Les
personnes divines, 2* édit., Paris, 1903, p. 95-97.
FIN DU PREMIER VOLUME
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Table des Matières
CONTENUES DANS CE PREMIER VOLUME
Encyclique Acerbo nimis i
Préface xn
Introduction %
La Catéchèse : I. La catéchèse pendant les
deux premiers siècles. — II. La catéchèse du
commencement du ni8 siècle à la fin du v*. —
III. La Catéchèse de la fin du ve siècle au ix*.
Le Catéchisme avant le Concile de Trente.
I. Pendant la période Patristique. — II. Du v*
au vu8 siècle. — III. Sous Charlemagne et du rx*
au xi8 siècle. — IV. Au xn8 et xin8 siècles. — V.
Au xiv8 et xv8 siècles. — VI. Première moitié du
xvi8 siècle.
Le Catéchisme pendant et après le Concilb
de Trente : I. L'œuvre du Bienheureux Canisius.
— II. Le Catéchisme Romain. — III. Projet d'un
petit Catéchisme universel. — IV. Préface du
Catéchisme romain.
Leçon Première : Symbole des Apôtres 79
I. Le mot Symbole : Etymologie et significa-
tion. — II. Le Symbole des Apôtres : i° Son
texte, 20 Son origine, 3* Son attribution aux
Apôtres, 4° Son autorité, 59 Sa division et son
contenu.
Leçon Deuxième : Autres Symboles 109
I. Le Symbole de Nicée-Constantinople : i* Son
origine, 20 Son texte, 3° Son usage, 4° Son auto-
rité. — IL Le Symbole de Saint-Athanase : i*
Son texte, 20 Son origine, 3* Son importance.
Leçon Troisième : Les professions de foi, ....... • i37
636 LE CATÉCHISE ROMAIN
I. Les professions de foi: i° d'Hormisdas, 2° de
Léon IX, 3° de Clément IV, 4° d'Eugène IV, 5°
de Grégoire XIII, 6° d'Urbain VJ1I et de Benoit
XIV, 7° d'Innocent III. — II. La profession de
foi de Pie IV : i° Date, 2° texte, 3<> usage.
Leçon Quatrième : Immutabilité et, progrès i5o
I. Immutabilité : i°La révélation est complète
depuis les apôtres ; 2° La règle de foi dans les
premiers siècles ; 3<> La doctrine de saint Vincent
de Lérins ; 4° L'enseignement du Vatican. —
II. Progrès : i<> Son objet; 2° Ses caractères;
3° Sa marche; 4° Ses limites.
"Leçon Cinquième : Du Dogme i8a
I. Notion catholique du dogme : i° Sens éty-
mologique : 2° Objet ; 3» Formule ; 4° Carac-
tères. — II. Théorie de M. A. Sabatier : i° Ses
objections ; 2° Sa théorie.
Leçon Sixième : Du Dogme 2 14
I. Le dogme d'après [M. Loisy : i° Dans « l'É-
vangile et l'Église » ; 2° Dans « Autour d'un petit
livre. » — II. La question de M. Le Roy :
Qu'est-ce qu'un dogme ? i° Motifs allégués pour
ne pas admettre la notion traditionnelle ; 2° So-
lution proposée.
Leçon Septième : De la Foi 255
I. L'enseignement du Catéchisme romain. —
II. L'enseignement du Concile du Vatican.
— III. Définition de la Foi. — IV. Le motif de
la Foi ou son objet formel. — V. Les motifs de
crédibilité.
Leçon Huitième : De la Foi 291
I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans
l'acte de Foi. — II. De la nécessité de la Grâce.
— III. Les propriétés de la Foi. — IV. Concep-
tion nouvelle de la Foi.
Leçon Neuvième : De la Foi et de la Raison 33o
I. Deux ordres de connaissance. Les mystères
de la Foi. — IL Rôle de la raison dans la con-
TABLE DES MATIÈRES , 637
naissance des mystères de la Foi. — III. Ni
opposition ni désaccord entre la foi et la raison.
— IV. La foi et la raison se prêtent une aide
mutuelle.
Leçon Dixième : Existence de Dieu • 374
Peut-elle se prouver par la raison ? I. Erreurs.
— II. Enseignement du Catéchisme romain.
— III. Définition du Concile du Vatican. —
IV. Puissance de la raison.
Leçon Onzième : De Dieu 4o6
L'existence de Dieu est un dogme de la rai-
son : Ses preuves. — I. Preuves psychologiques.
— II. Preuves morales. — III. Preuves de saint
Thomas.
Leçon Douzième : De Dieu ♦.,»«, 434
L'existence de Dieu est une vérité révélée.
— II. C'est un dogme de foi catholique. —
III. Y a-t-il des athées ?
Leçon Treizième : De Dieu 457
De la nature de Dieu. — I. Méthode à suivre.
— II. Division des attributs. — III. De quelques
attributs. — IV. Enseignement du Concile du
Vatican : Condamnation du Panthéisme.
Leçon Quatorzième : De Dieu 489
I. Science de Dieu. — II. Volonté de Dieu.
III. Difficultés.
Leçon Quinzième : De Dieu. Toute-Puissance et
attributs moraux 520
I. Texte du Catéchisme romain. — II. Toute-
puissance de Dieu. — III. Attributs moraux.
Leçon Seizième : De la Sainte Trinité • 547
I, Les formules. — II. La preuve scripturaire ;
i° Dans l'Ancien Testament, 20 Dans le Nouveau.
Leçon Dix-septième : De la Sainte Trinité 571
La preuve patristique : I. Aux deux pre-
miers siècles. — II. Fin du 11e et m8 siècle. —
III. ive siècle. — IV. L'œuvre de saint Augustin.
638
LE CATECHISME ROMAIN
Leçon Dix-huitième : De la Sainte Trinité 601
I. Exposé du Mystère. — II. Enseignement de
Saint Thomas. — III. Notions erronées et ob-
jections.
FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME
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^ lui servira notre ouvrage ? au prêtre surtout : H trouvera là tout
ce qui lui est nécessaire pour son ministère sacerdotal, pour sa
sanctification et pour celle des autres. Veut-il comme un mémorial de toutes ses
études théologiques ? Il le trouvera là : toutes les questions dogmatiques y sont
traitées, toutes les grandes thèses delà Théologie sont démontrées avec une lucidité
et une logique parfaites. Réclamc-t-il un Sermonaire pour ses ins-
tructions «lu dimanche et des fêtes ? Qu'il ouvre ce livre : il
y puisera sur tous les sujets les plus hautes et les plus solides
considérations : et qu'il ne craigne pas de ne rencontrer dans
cette moelle de Saint Thomas que des théories ou de la spécu-
lation, il sera surpris de toutes les conséquences pratiques et
admirablement pieuses que notre auteur a fait jaillir du
dogme comme du roc jaillit le feu.
En un mot :
« II est inconstestable que bien peu de livres, parmi la multi-
tude que nous offre, dans ce genre, une presse toujours active,
traitent des vérités chrétiennes avec cette clarté, cette sûreté
de doctrine, cette méthode et cette heureuse sobriété dans les
développements qui permettent au prêtre d'y puiser, sans
perdre de temps, la matière de solides instructions. »
Ajoutons que cet ouvrage présente une triple utilité pour le prêtre.
Il peut lui servir :
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