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Full text of "Le catéchisme romain : ou, L'enseignement de la doctrine chrétienne; explication nouvelle"

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http://www.archive.org/details/lecatchismeromv1  p1  bare 


LE  CATECHISME 

ROMAIN 

OU  L'ENSEIGNEMENT  DE  LA 

Doctrine  Chrétienne 

EXPLICATION   NOUVELLE 

PAR 

Georges  BAREILLE 

Docteur  en  théologie  et  en  droit  canonique 
Chanoine  honoraire  de  Toulouse 


Instaurare  omnia  in    Christo. 
Tout  restaurer  dans  le  Christ. 

Eph.,  I,  10. 


TOME    PREMIER 

PREMIÈRE   PARTIE 

Le  Symbole 


MONTREJEAU 

(Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  de  reproduction   et  de  traduction  réservé* 


LE 


Catéchisme  Romain 

OU  L'ENSEIGNEMENT  DE  LA 

Doctrine  Chrétienne 


IMPRIMATUR 


Tolosœ,  die  2  julii  1906. 

f  Augustinus, 

Arch.  Tolosanus. 


L'éditeur  se  réserve  tous  les  droits  de  reproduction 
et  de  traduction 


Ce  volume  a  été  déposé  conformément  aux  lois 
en  juillet  1906 


LE  CATECHISME 

ROMAIN 

OU  L'ENSEIGNEMENT  DE  LA 

Doctrine  Chrétienne 

EXPLICATION   NOUVELLE 

PAR 

Georges  BAREILLE 

Docteur  en  théologie  et  en  droit  canonique 
Chanoine  honoraire  de  Toulouse 


Instaurare  omnia  in    Christo. 
Tout  restaurer  dans  le  Christ. 

Eph.,  I,  10. 


TOME     PREMIER 


PREMIERE   PARTIE 

Le  Symbole 


MONTREJEAU 

(  Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  il»  reproduction  et  de  traduction  réservés 


Encyclique  «  Acerbo  nimis» 

Lettre  encyclique  de  S.  S.  Pie  X 

sur  l'Enseignement  de  la  Doctrine  chrétienne 


A  nos  Vénérables  Frères  les  Patriarches, 

Primats,  Archevêques,  Évêques 

et  aux   autres    Ordinaires   en    paix 

et  en  communion  avec  le  Siège  apostolique. 

PIE  X  PAPE 

VÉNÉRABLES  FRÈRES,  SALUT  ET  BÉNÉDICTION  APOSTOLIQUE 

I.  Crise  religieuse.  —  «  C'est  dans  un  temps 
bien  dur  et  difficile  que  le  dessein  secret  de  Dieu 
a  élevé  Notre  faiblesse  à  la  charge  de  pasteur 
suprême  pour  gouverner  le  troupeau  entier  du 
Christ.  En  effet,  l'homme  ennemi  rôde  depuis 
longtemps  autour  de  ce  troupeau  et  lui  tend  des 
embûches  avec  la  ruse  la  plus  ingénieuse,  de 
sorte  que  maintenant  plus  que  jamais  semble  se 
vérifier  ce  que  prédisait  l'Apôtre  aux  vieillards  de 
l'Eglise  d'Ephèse  :  «  Je  sais  que  des  loups  dévo- 
rants entreront  che%  vous,  qui  n'épargneront  pas 
le  troupeau  »  (Act.,  xx,  29).  Quiconque  est  zélé 
pour  la  gloire  divine  cherche  les  causes  de  cette 
crise  religieuse.    Chacun    apporte    la   sienne   et 

Ï.B  CATÉCHISME  —  T.   I  a 


lj  ENCYCLIQUE    ((    ACERBO    NIMIS    » 

chacun  aussi  à  son  gré  emploie  son  moyen  pour 
défendre  et  restaurer  le  règne  de  Dieu  sur  cette 
terre.  Pour  nous,  Vénérables  Frères,  sans  nier  les 
autres  causes,  Nous  sommes  porté  à  souscrire  au 
sentiment  actuel  de  ceux  qui  voient  dans  l'igno- 
rance des  choses  divines  la  cause  de  l'affaiblisse- 
ment actuel  et  de  la  débilité  des  âmes  et  des  maux 
si  graves  qui  s'ensuivent.  Cela  s'accorde  pleine- 
ment avec  ce  que  Dieu  lui-même  a  dit  par  le 
Prophète  Osée  :  «  Et  la  science  de  Dieu  n'est  plus 
sur  la  terre.  Le  blasphème,  le  mensonge,  l'homi- 
cide, le  vol,  ï adultère  ont  débordé  et  le  sang  a 
touché  le  sang.  G  est  pourquoi  la  terre  pleurera 
et  tout  homme  qui  l'habite  sera  débilité.  » 
(Os.,  iv,  ï.) 

II.  Ignorance  :   son  étendue,  sa  nature.  — 

«  Et,  en  vérité,  à  notre  époque  tous  se  plaignent 
que  parmi  le  peuple  chrétien  tant  d'hommes 
ignorent  profondément  les  vérités  nécessaires  au 
salut,  et  ces  plaintes,  hélas  !  ne  sont  pas  illégiti- 
mes. Quand  Nous  disons  le  peuple  chrétien,  Nous 
ne  parlons  pas  seulement  du  peuple  ou  des  hom- 
mes de  classes  inférieures  qui  trop  souvent  trou- 
vent une  excuse  dans  ce  fait  que,  obéissant  à  des 
maîtres  durs,  ils  peuvent  à  peine  penser  à  eux- 
mêmes  et  à  leurs  affaires  ;  mais  Nous  parlons 
aussi  et  surtout  de  ceux  qui,  ne  manquant  point 
d'intelligence  et  de .  culture,  sont  bien  pourvus 
d'érudition  profane,  et  néanmoins  en  ce  qui 
concerne  la  religion,  vivent  d'une  existence  on  ne 
peut  plus  téméraire  et  imprudente.  Il  est  difficile 
de  dire  les  ténèbres  épaisses  où  ils  sont  parfois 


sur  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne  iij 


plongés,  et  où,  ce  qui  est  plus  triste,  ils  demeurent 
tranquillement   enveloppés!   De    Dieu  souverain 
auteur  et  modérateur    de    toutes   choses,   de    la 
sagesse  de   la   foi   chétienne,    ils   n'ont    presque 
aucun  souci.  Par  suite,  ils  ne  connaissent  rien  de 
l'incarnation  du  Verbe  de  Dieu,  rien  de  la  par- 
faite restauration  du  genre  humain  par  lui,   rien 
de  la  grâce,   qui   est    le    principal   moyen   pour 
atteindre    les    biens    éternels,    rien   de   l'auguste 
sacrifice    ou    des  sacrements    par   lesquels    nous 
obtenons  et  conservons  la  grâce.  Quant  au  péché, 
on  ne  fait  aucun  cas  de  sa  malice  ni  de  sa  honte  ; 
conséquemment,  il  n'y  a  nul   souci  de  l'éviter  ou 
de  le  quitter  ;  et  l'on  atteint  son  dernier  jour  dans 
de  telles  dispositions  que  le  prêtre,  pour   ne  pas 
ôter  l'espérance  du  salut,  doit  employer  à  enseigner 
sommairement  la  religion  ces  instants  suprêmes 
de  la  vie  qui  devraient  être   consacrés  surtout  à 
provoquer  des  actes  d'amour  de  Dieu,  si  toutefois, 
ce  qui  est  presque  passé   en  usage,  le   moribond 
n'est   pas    dans    une    telle    ignorance    qu'il    juge 
superflu  le  ministère   du  prêtre   et   pense  devoir 
franchir   le    seuil  redoutable    de    l'éternité    avec 
un    esprit    tranquille,    sans    avoir   apaisé    Dieu. 
C'est  pourquoi  Notre  prédécesseur  Benoît  XIV  a 
écrit  avec    raison  :    «  Nous   affirmons    qu'une 
grande  partie  de  ceux  qui  sont  condamnés  aux 
supplices  éternels  subissent  toujours  ce  malheur 
à  cause  de  leur  ignorance  des  mystères  de  la  foi 
qu'ils  doivent  nécessairement  savoir  pour  être 
comptés  parmi  les  élus  »  (Instit.  xxvi,  18). 

III.  Ses  conséquences.  —  «  S'il  en  est  ainsi, 


IV  ENCYCLIQUE    «    ACERBO    NIMIS    » 

Vénérables  Frères,  pourquoi  s'étonner,  je  vous  le 
demande,  que  la  corruption  des  mœurs  et  la  dé- 
pravation soient  si  grandes  et  croissent  de  jour  en 
jour,  je  ne  dis  pas  parmi  les  nations  barbares,  mais 
chez  les  peuples  mêmes  qui  portent  le  nom  chré- 
tien? C'est  avec  raison  que  l'apôtre  saint  Paul, 
écrivant  aux  Ephésiens,  disait  :  «  Que  ni  la  forni- 
cation, ni  toute  autre  impureté,  ni  V avarice  ne 
soient  nommés  parmi  vous,  ainsi  qu'il  convient 
à  des  saints,  ni  V infamie,  ni  les  sots  discours,  » 
(Ephes.,  v,  3).  Mais  il  a  posé  comme  fondement 
à  cette  sainteté  et  à  cette  pudeur,  qui  modèrent 
les  passions,  la  science  des  choses  divines.  «  C'est 
pourquoi,  frères,  faites  en  sorte  de  marcher  avec 
précaution,  non  point  comme  des  insensés,  mais 
comme  des  sages.  C'est  pourquoi  ne  devenez  pas 
imprudents \  mais  comprenez  quelle  est  la  volonté 
de  Dieu  »  (Ephes.,  v,  i5). 

«  Et  l'Apôtre  a  raison.  Car  la  volonté  de  l'homme 
garde  à  peine  quelque  chose  de  cet  amour  de 
l'honnêteté  et  de  la  justice  mis  en  lui  par  Dieu 
son  créateur,  et  qui  l'entraînait  pour  ainsi  dire 
vers  le  bien  non  pas  seulement  apparent,  mais 
réel.  Dépravée  par  la  corruption  de  la  première 
faute  et  oubliant  en  quelque  sorte  Dieu  son  au- 
teur, elle  tourne  toute  son  affection  vers  l'amour 
de  la  vanité  et  la  recherche  du  mensonge. 

«  A  la  volonté  égarée  et  aveuglée  parla  concupis- 
cence, il  est  besoin  d'un  guide  qui  lui  montre  la 
route,  pour  qu'elle  retrouve  les  sentiers  de  la  jus- 
tice malheureusement  abandonnés.  Ce  guide,  qui 
n'est  point  étranger,  mais  nous  est  préparé  par  la 
nature,  est  notre  esprit  même  ;  s'il  manque  de  sa 


SUR  L  ENSEIGNEMENT  DE  LA  DOCTRINE   CHRETIENNE       V 

véritable  lumière,  qui  est  la  connaissance  des 
choses  divines,  il  arrivera  ceci,  qu'un  aveugle 
conduira  un  aveugle  et  tout  deux  tomberont  dans 
le  précipice.  Le  saint  roi  David,  louant  Dieu 
d'avoir  donné  à  l'esprit  des  hommes  la  lumière  de 
la  vérité,  disait  :  «  La  lumière  de  votre  visage 
s1  est  empreinte  sur  nous,  Seigneur  »  (Ps.  iv,  7). 
Et  ce  qui  suit  de  ce  don  de  la  lumière,  il  le  dit, 
en  ajoutant  :  «  Vous  ave^  fait  germer  la  joie  dans 
mon  cœur».  C'est  la  joie  qui,  dilatantnotre  cœur, 
nous  fait  courir  dans  la  voie  des  divins  comman- 
dements. 

«  Qu'il  en  doive  être  ainsi,  il  est  facile  de  s'en 
convaincre  à  la  réflexion.  La  sagesse  chrétienne, 
en  effet,  nous  fait  connaître  Dieu  en  ce  que  nous 
appelons  ses  perfections  infinies  bien  plus  profon- 
dément que  ne  le  permettent  les  forces  de  la 
nature.  Comment  donc?  C'est  qu'elle  ordonne 
d'honorer  Dieu  en  prescrivant  la  foi,  qui  relève  de 
l'esprit,  l'espérance,  qui  relève  de  la  volonté,  et  la 
charité,  qui  est  la  vertu  du  cœur;  et  ainsi,  elle 
soumet  l'homme  tout  entier  à  ce  suprême  auteur 
et  modérateur. 

IV.  Instruction  religieuse  :  sa  nécessité,  son 
utilité.  —  «  De  même  il  n'y  a  que  la  science  de 
Jésus-Christ  qui  nous  fait  connaître  la  véritable  et 
éminente  dignité  de  l'homme,  fils  du  Père  céleste 
et  appelé  à  vivre  éternellement  et  heureusement 
avec  Lui.  Mais,  de  cette  dignité  et  de  sa  connais- 
sance, le  Christ  conclut  que  les  hommes  se  doi- 
vent aimer  réciproquement  comme  des  frères  et 
vivre  ici-bas  comme  il  convient  à  des  saints,  non 


VJ  ENCYCLIQUE    ((    ACERBO   NÏMIS    )) 

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pas  dans  les  festins  et  V  ivresse,  ni  dans  la  volupté 
et  les  impuretés,  ni  dans  les  disputes  et  les  riva- 
litès  (Rom.,  'xiii,  i3);  il  ordonne  également  de 
mettre  en  Dieu  toute  notre  sollicitude,  parce  qu'il 
s'occupe  de  nous;  il  commande  de  faire  l'aumône 
aux  pauvres,  de  faire  du  bien  à  ceux  qui  nous 
haïssent,  de  préférer  les  biens  éternels  de  l'âme 
aux  biens  éphémères  de  cette  vie.  Pour  ne  pas 
tout  passer  en  revue,  n'est-ce  pas  une  prescription 
du  Christ,  que  l'humilité,  source  de  la  vraie 
gloire,  est  conseillée  et  commandée  à  l'orgueil- 
leux ?  Celui  qui  sera  humilie....  est  le  plus  grand 
dans  le  royaume  des  deux  (Matth.,  xvm,  4). 

«  C'est  aussi  la  doctrine  du  Christ  qui  nous 
apprend  la  prudence  de  l'esprit,  par  laquelle  nous 
respectons  le  droit  de  chacun;  la  force,  qui  nous 
prépare  à  tout  souffrir  courageusement  pour  Dieu 
et  la  béatitude  éternelle;  la  tempérance  enfin,  par 
laquelle  nous  aimons  la  pauvreté  même  pour  le 
règne  de  Dieu,  et  nous  glorifions  dans  la  croix 
elle-même,  méprisant  l'ignominie.  Il  reste  donc 
que  par  la  sagesse  chrétienne,  non  seulement  notre 
intelligence  reçoit  la  lumière,  qui  nous  permet 
d'atteindre  la  vérité,  mais  que  la  volonté  elle- 
même  est  enflammée  d'un  amour  qui  nous  porte 
vers  Dieu  et  nous  unit  à  Lui  par  l'exercice  de  la 
vertu. 

«  Certes,  nous  n'affirmons  pas  que  la  malîce  de 
l'âme  et  la  corruption  des  mœurs  ne  puissent 
coexister  avec  la  science  de  la  religion.  Plût  à 
Dieu  que  les  faits  ne  le  prouvassent  point  sura* 
feondamment  ! 

«  Mais  Nous  prétendons  que  là  où  l'esprit  est 


sur  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne  vij 

enveloppé  des  ténèbres  d'une  épaisse  ignorance, 
une  volonté  droite  et  de  bonnes  mœurs  ne  peu- 
vent nullement  se  rencontrer;  car,  si  quelqu'un 
marche  les  yeux  ouverts,  il  pourra  sans  doute 
s'écarter  du  droit  chemin;  mais  celui  qui  est  atteint 
de  cécité  est  menacé  d'un  danger  certain.  Ajoutez 
que  la  corruption  des  moeurs,  si  la  lumière  de  la 
foi  n'est  pas  totalement  éteinte,  laisse  l'espoir 
d'un  retour;  si  la  corruption  des  mœurs  et  l'ab- 
sence de  foi  par  ignorance  se  rencontrent,  c'est  à. 
peine  s'il  y  aura  place  au  remède,  et  la  route  de- 
là perdition  est  ouverte. 

V.  Devoirs  des   Pasteurs  et   des  Curés.  — 

«Puisque  de  l'ignorance  de  la  religion  dérivent  tant; 
de  maux,  et  que,  d'autre  part,  la  nécessité  et  l'uti-< 
lité  de  l'instruction  religieuse  sont  si  grandes,  car 
en  vain  espère-t-on  que  celui  qui  ignore  les  devoirs? 
du  chrétien  pourra  les  remplir,  il  faut  maintenant, 
rechercher  à  qui  il  appartient  de  garder  les  esprits 
contre  cette  pernicieuse  ignorance  et  de  les 
instruire  d'une  science  si  nécessaire. 

«  La  question,  Vénérables  Frères,  n'offre  aucun 
embarras;  ce  soin  si  grave  regarde  tous  les  pas- 
teurs des  âmes.  Ceux-ci,  en  effet,  sont  tenus  par 
le  précepte  du  Christ  de  connaître  et  de  paître  les 
brebis  à  eux  confiées.  Paître,  c'est  tout  d'abord 
enseigner.  «  Je  vous  donnerai  des  pasteurs  selon 
mon  cœur ',  et  ils  vous  nourriront  de  science  et  de 
doctrine.  »  Ainsi  parlait  Dieu  par  Jérémie.  C'est 
pourquoi  l'apôtre  Paul  disait  :  «Le  Christ  ne  ina 
pas  envoyé  baptiser,  mais  prêcher  »  (I.  Cor.,  i, 
17),  marquant  ainsi  que  le  premier  rôle  de  ceux 


Vllj  ENCYCLIQUE    ((    ACERBO   NIMIS    » 

qui  sont  chargés  à  un  titre  quelconque  de  gouver- 
ner l'Eglise  est  d'instruire  les  fidèles  des  choses 
saintes.  ♦ 

«  Nous  croyons  superflu  de  faire  l'éloge  d'une 
telle  instruction  et  de  montrer  quel  est  son  prix 
devant  Dieu  !  Certes,  l'aumône  que  nous  faisons 
aux  pauvres  pour  soulager  leurs  misères  a  un 
grand  mérite  aux  yeux  de  Dieu.  Mais  qui  niera  la 
supériorité  du  zèle  et  du  labeur  par  lequel  nous 
procurons  aux  âmes,  par  notre  enseignement  et 
nos  conseils,  non  pas  les  biens  éphémères  du 
corps,  mais  les  biens  éternels  ?  Rien  ne  saurait 
être  plus  agréable  à  Jésus-Christ,  sauveur  des 
âmes,  qui  dit  de  lui-même  par  Isaïe  :  «  Il  m'a 
envoyé  prêcher  auxpauvres  »  (Luc,  iv,  18). 

«  Il  importe  cependant,  Vénérables  Frères,  de 
mettre  avec  insistance  ce  fait  en  évidence  :  un  prê- 
tre, quel  qu'il  soit,  n'a  aucun  autre  devoir  plus 
grave  et  n'est  tenu  par  aucun  lien  plus  étroit.  En 
effet,  qui  peut  nier  que  chez  le  prêtre  la  science 
doive  s'ajouter  à  la  sainteté  de  la  vie  ?  «  Les  lèvres 
du  prêtre  garderont  lasciencey>  Malach.,11,7).  En 
fait,  cette  science,  l'Eglise  l'exige  très  sévèrement 
de  ceux  qui  doivent  être  admis  au  sacerdoce. 

«  Pourquoi  cela  ?  Parce  que  le  peuple  chrétien 
attend  d'eux  la  connaissance  de  la  loi  divine  et 
que  Dieu  les  destine  à  communiquer  celle-ci  : 
«  Et  ils  chercheront  une  loi  sur  ses  lèvres,  parce 
qu'il  est  Fange  du  Dieu  des  armées  »  (IbJ.  C'est 
pourquoi  l'évêque,  lors  de  l'ordination,  s'adresse 
en  ces  termes  aux  candidats  au  sacerdoce  :  «  Que 
votre  doctrine  soit  un  remède  spirituel  pour  le 
peuple  de  Dieu  ;  qu'ils  soient  les  coopéra teurs  de 


SUR  L  ENSEIGNEMENT  DE  LA  DOCTRINE   CHRETIENNE    IX 

notre  Ordre,  afin  que,  méditant  sa  loi  nuit  et 
jour,  ils  croient  ce  qu'ils  auront  lu  et  enseignent 
ce  qu'ils  auront  cru  »  (Pontif.  rom.). 

«  S'il  n'est  aucun  prêtre  à  qui  ces  paroles  ne 
s'adressent,  que  penserons-nous  de  ceux  qui, 
revêtus  du  nom  et  du  pouvoir  de  curé,  ont  la 
charge  de  directeurs  des  âmes,  en  vertu  de  leur 
dignité  et  comme  par  une  sorte  de  contrat  ? 

«  Ces  prêtres  doivent  être  classés  en  quelque 
sorte  parmi  les  pasteurs  et  les  docteurs  que  le  Christ 
a  donnés,  afin  que  les  fidèles  ne  soient  plus  de 
petits  enfants  flottants  et  ballottés  à  tout  vent  de 
doctrine,  au  milieu  de  la  méchanceté  des  hommes  ; 
mais  que,  agissant  avec  vérité  dans  la  charité,  ils 
croissent  au  milieu  de  tout  en  celui  qui  est  notre 
tête,  le  Christ  (Eph.,  iv,  14,  i5). 

VI.  L'homélie   et  le  catéchisme.  —  «  C'est 

pourquoi  le  très  saint  Concile  de  Trente,  traitant 
des  pasteurs  des  âmes,  déclare  que  le  premier  et  le 
plus  grand  de  leurs  devoirs  est  d'instruire  le  peu- 
ple chrétien  (Sess.,  v,  cap.  de  réf.  ;  Sess.,  xvn, 
cap.  8;  Sess.,  xxiv,  cap.  4  et  7  de  réf.).  Il  leur 
ordonne  donc  de  parler  au  peuple  de  la  religion 
au  moins  le  dimanche  et  les  jours  de  fête  solennels 
et  chaque  jour  pendant  l'Avent  et  le  Carême,  ou 
tout  au  moins  trois  fois  par  semaine.  Ce  n'est  pas 
tout  ;  il  ajoute,  en  effet,  que  les  curés  sont  tenus, 
au  moins  les  dimanches  et  jours  de  fête,  soit  par 
eux-mêmes,  soit  par  d'autres,  d'instruire  les  en- 
fants des  vérités  de  la  foi  et  de  leur  apprendre 
l'obéissance  envers  Dieu  et  leurs  parents. 

«  Lorsqu'il  s'agit  de  la  réception  des  sacrements, 


ENCYCLIQUE    «    ACERBO    NIMIS    » 


il  leur  ordonne  d'instruire  de  la  nature  de  ceux-ci 
ceux  qui  doivent  les  recevoir  et  de  le  faire  dans  un 
langage  facile  et  vulgaire.  Notre  prédécesseur 
Benoît  XIV,  dans  sa  constitution  Etsi  minime, 
a  ainsi  résumé  les  prescriptions  de  la  sainte  assem- 
blée :  «  Deux  missions  sont  spécialement  impo- 
sées par  le  Concile  de  Trente  à  ceux  qui  ont 
charge  d âmes  ;  Tune  est  de  parler  au  peuple  des 
choses  divines  les  jours  de  fêtes;  Vautre  est  d'ins- 
truire les  enfants  et  tous  les  ignorants  de  la  loi 
divine  et  des  rudiments  de  la  foi. 

«  C'est  à  bon  droit  que  le  très  sage  Pontife  dis- 
tingue ces  deux  devoirs  :  celui  de  l'allocution  que 
l'on  appelle  vulgairement  explication  de  l'Evangile, 
et  celui  de  l'enseignement  de  la  doctrine  chré- 
tienne. En  effet,  il  en  est  peut-être  qui,  désireux 
de  diminuer  leur  travail,  se  persuadent  que  l'ho- 
mélie peut  tenir  lieu  de  catéchisme.  Combien  cette 
opinion  est  fausse,  c'est  ce  qui  est  évident  pour 
qui  réfléchit.  L'allocution  qui  est  faite  sur  l'Evan- 
gile s'adresse,  en  effet,  à  ceux  qui  doivent  déjà  être 
imbus  des  éléments  de  la  foi.  On  peut  la  comparer 
au  pain  qui  est  distribué  aux  adultes.  L'enseigne- 
ment du  catéchisme,  au  contraire,  est  le  lait,  ce 
lait  dont  l'apôtre  saint  Pierre  voulait  qu'il  fût 
désiré  sans  malice  par  les  fidèles  comme  par  les 
enfants  à  peine  nés. 

«  En  un  mot,  la  fonction  des  catéchistes  consiste 
à  prendre  une  vérité  concernant  la  foi  ou  les  mœurs 
chrétiennes  et  à  la  mettre  en  lumière  sous  tous 
les  aspects.  Comme,  en  outre,  le  redressement  de 
la  vie  doit  être  le  but  de  l'enseignement,  le  caté- 
chiste doit  établir  un  parallèle  entre  les  préceptes 


sur  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne  xj 

de  vie  que  Dieu  a  donnés  et  la  manière  dont  les 
hommes  vivent  réellement  ;  il  faut  ensuite,  sa 
servant  d'exemples  opportuns  et  sagement  choisis, 
soit  dans  les  saintes  Ecritures,  soit  dans  l'histoire 
ecclésiastique,  soit  dans  la  vie  de  saints  person-» 
nages,  persuader  les  auditeurs  et  leur  montrer  du 
doigt  pour  ainsi  dire  de  quelle  façon  ils  doivent 
ordonner  leur  conduite  ;  il  faut  enfin  terminer  par 
des  exhortations  qui  portent  les  assistants  à  con«« 
cevoir  l'horreur  des  vices,  à  s'en  détourner  et  à 
pratiquer  la  vertu. 

VII.  Importance  et  nécessité  du  catéchisme. 

«—  «  Nous  savons,  à  la  vérité,  que  la  charge  de 
transmettre  ainsi  la  doctrine  chrétienne  déplaît  à 
beaucoup,  car  elle  n'est  appréciée  qu'à  une  faible 
valeur  et  semble  peut-être  peu  susceptible  de 
conquérir  la  faveur  populaire.  Nous  pensons  ce- 
pendant qu'une  telle  appréciation  dénote  des 
esprits  qui  se  laissent  conduire  par  la  légèreté 
plutôt  que  par  la  vérité.  Certes,  Nous  ne  refusons 
pas  l'éloge  dû  aux  orateurs  sacrés  qui,  dans  un 
zèle  sincère  pour  la  gloire  divine,  s'attachent,  soit 
à  venger  ou  à  défendre  la  foi,  soit  à  louer  les 
saints.  Mais  leur  travail  exige  un  autre  travail 
préalable  :  celui  des  catéchistes.  Si  ce  labeur 
manque,  les  fondements  font  défaut,  et  ceux  qui 
édifient  la  maison  travaillent  en  vain.  Trop  sou*  f 
vent  les  discours  les  plus  ornés,  qui  sont  écoutés  ï 
avec  applaudissement  par  les  assemblées  les  plus  vi 
nombreuses,  ont  pour  seul  résultat  de  chatouiller 
les  oreilles  et  n'émeuvent  aucunement  les  cœurs. 
L'enseignement  du  catéchisme,  au  contraire,  quoi' 


XÎj  ENCYCLIQUE    ((    ACERBO    NIMIS    » 


que  humble  et  simple,  mérite  qu'on  lui  applique 
ces  paroles  que  Dieu  prononce  par  l'intermédiaire 
d'Isaïe  :  «  De'  même  que  la  pluie  et  la  neige  des- 
cendent  du  ciel  et  ri  y  retournent  pas,  mais 
abreuvent  la  terre,  la  pénètrent,  y  ) 'ont  pousser 
les  germes,  procurent  de  la  semence  à  celui  qui 
sème  et  du  pain  à  celui  qui  mange,  ainsi  sera  ma 
parole  qui  sortira  de  ma  bouche  :  elle  ne  revien- 
dra pas  inutile  vers  moi,  mais  elle  fera  ce  que 
fai  voulu,  et  elle  prospérera  dans  les  choses  pour 
lesquelles  je  V ai  envoyée  »  (is.,  lv,  io,  ii). 

«  Nous  pensons  qu'il  faut  juger  de  même  des 
prêtres  qui,  pour  mettre  en  lumière  les  vérités  de 
la  religion,  écrivent  de  laborieux  ouvrages  ;  ils 
méritent  évidemment  pour  cela  de  grands  éloges. 
Mais  combien  trouve-t-on  de  gens  qui  lisent  des 
livres  de  ce  genre,  de  manière  à  en  tirer  un  fruit 
correspondant  au  travail  et  aux  désirs  de  l'auteur  ? 
Au  contraire,  l'enseignement  de  la  doctrine  chré- 
tienne, s'il  est  bien  fait,  apporte  toujours  quelque 
utilité  aux  auditeurs. 

«  En  effet  (ils  est  bon  de  le  rappeler  pour  enflam- 
mer le  zèle  des  ministres  de  Dieu),  immense  est 
le  nombre  —  et  il  augmente  de  jour  en  jour  —  de 
ceux  qui  ignorent  tout  de  la  religion,  ou  qui  n'ont 
de  la  foi  chrétienne  qu'une  connaissance  telle 
qu'elle  leur  permet,  au  milieu  de  la  lumière 
de  la  vérité  catholique,  de  vivre  à  la  manière 
des  idolâtres.  Combien  nombreux,  hélas  !  et 
non  seulement  parmi  les  enfants,  mais  encore 
parmi  les  adultes  et  les  vieillards,  qui  ne  connais- 
sent absolument  rien  des  principaux  mystères  de 
la  foi,  qui,  entendant  le  nom  du  Christ,  répon- 


sur  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne  xiij 

dent  :  «  Qui  est-il,  pour  que  je  croie  en  lui  ?  » 
(Joan.,  ix,  36).  Par  suite,  ils  ne  considèrent  pas 
comme  vice  de  concevoir  et  de  nourrir  des  haines 
contre  le  prochain,   de   conclure  les  contrats  les 
plus   iniques,   d'exercer  des   professions  malhon- 
nêtes, de  prêter  de  l'argent  à  usure  et  d'accomplir 
d'autres   actions   non   moins   condamnables.    Par 
suite,   ignorant  la  loi  du  Christ,  qui  défend  non 
seulement  de  faire    des   choses  honteuses,    mais 
encore  d'y  penser  et   de  les    désirer  sciemment, 
bien  des  gens,  quoique  peut-être,  pour  une  cause 
ou  pour  une  autre,  ils  s'abstiennent  à  peu  près  des 
honteux  plaisirs,   nourrissent  toutefois,  dans  leur 
esprit  qu'aucune  notion  religieuse  ne   défend,  les 
plus  malsaines  pensées,  multipliant  ainsi  les  ini- 
quités plus  que  ne  sont  nombreux  les  cheveux  de 
leur  tête.  Et  ces  vices,  Nous  tenons  à  le  répéter, 
se  rencontrent  non  seulement  chez  les  populations 
des  champs  ou  dans  la   portion  misérable  du  peu- 
ple, mais  encore,  et  peut-être  plus  fréquemment, 
chez  les  hommes  d'une  situation  plus   relevée,  y 
compris  ceux  qu'enfle  la  science,  et  qui,  appuyés 
sur  une  vaine  érudition,  prétendent  pouvoir  railler 
la  religion  et   «  blasphèment  tout  ce  qu'ils  igno- 
rent »  (Ib.,  10). 

«  S'il  est  vain  d'espérer  une  moisson  d'une  terre 
qui  n'a  pas  reçu  de  semence,  comment  attendre 
des  générations  ornées  de  bonnes  mœurs  si  elles 
n'ont  pas  été  instruites  en  temps  voulu  de  la  doc- 
trine chrétienne  ?  D'où  Nous  inférons  à  bon  droit, 
puisque  la  foi  languit  de  nos  jours  au  point  qu'elle 
est  chez  beaucoup  presque  morte,  que  le  devoir  de 
transmettre    les  vérités  du   catéchisme,   ou  n'est 


XIV  ENCYCLIQUE    «    ACERBO    NIMIS    » 

rempli  qu'avec  trop  de  négligence,  ou  est  omis 
tout  à  fait.  C'est  à  tort,  en  effet,  qu'on  voudrait 
dire,  pour  s'excuser,  que  la  foi  nous  est  donnée  à 
titre  gratuit  et  que  chacun  la  reçoit  dans  le  saint 
baptême.  Sans  doute,  quiconque  est  baptisé  dans 
le  Christ  se  trouve  enrichi  de  la  foi  à  l'état  latent  ; 
mais  cette  semence  divine  ne  lève  pas  et  ne  produit 
pas  de  grands  rameaux  (Marc,  iv,  32)  si  elle  est 
abandonnée  à  elle-même  et  à  sa  vertu  native.  Il  y 
a  dans  l'homme,  dès  sa  naissance,  une  faculté  de 
comprendre  ;  cette  faculté  a  toutefois  besoin  de  la 
parole  maternelle,  sous  l'excitation  de  laquelle  elle 
puisse,  comme  on  dit,  passer  en  acte.  C'est  juste- 
ment ce  qui  arrive  à  l'homme  chrétien  qui, 
renaissant  par  l'eau  et  l'Esprit-Saint,  apporte  avec 
lui  la  foi  en  germe.  Il  a  cependant  besoin  de 
l'enseignement  de  l'Eglise,  afin  que  cette  foi  puisse 
se  nourrir,  se  développer  et  porter  du  fruit.  C'est 
pourquoi  PApôtre  écrivait  :  «  La  foi  vient  de 
Taudition  et  V audition  a  lieu  par  la  parole  du 
Christ  »  (Rom.,  x,  17).  Pour  montrer  la  nécessité 
de  l'enseignement,  il  ajoute  :  «  Comment  enten- 
dront-ils, si  nul  ne  leur  parle  ?  »  (Ib.,  14). 

«  Si,  par  ce  qui  a  été  exposé  jusqu'ici,  on  peut 
voir  quelle  est  l'importance  de  l'instruction  reli- 
gieuse du  peuple,  Nous  devons  faire  tout  notre 
possible  pour  que  l'enseignement  de  la  doctrine 
sacrée,  l'institution  la  plus  utile  pour  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  des  âmes  (Constit.  Etsi  minime  i3), 
pour  Nous  servir  des  paroles  de  Notre  prédéces- 
seur Benoît  XIV,  soit  toujours  florissante,  ou,  si 
on  la  néglige  quelque  part,  y  soit  restaurée.  Vou- 
lant donc,  Vénérables  Frères,  satisfaire  à  ce  très 


SUR  l'enseignement  de  la  doctrine  CHRÉTIENNE  XV 


grave  devoir  de  l'apostolat  suprême  et  faire  régner 
partout,  en  une  matière  si  importante,  une  même 
et  pareille  façon  d'agir,  Nous  établissons  de  Notre 
autorité  suprême,  et  pour  tous  les  diocèses,  les 
prescriptions  suivantes,  qui  devront  être  étroite- 
ment exécutées  et  observées. 

VIII.  Prescriptions.  —  I.  —  «  Tous  les  curés, 
et  généralement  tous  ceux  qui  ont  charge  d'âmes, 
feront  le  catéchisme,  tous  les  jours  de  dimanche  et 
de  fête  de  l'année,  sans  en  excepter  un  seul,  pen- 
dant une  heure  entière,  aux  enfants  des  deux 
sexes,  sur  les  choses  que  chacun  doit  croire  et 
faire  pour  se  sauver. 

;  II.  —  «  Ils  devront  aussi,  par  une  retraite  con- 
tinue de  plusieurs  jours,  les  préparer,  à  des  épo- 
ques déterminées  de  l'année,  à  la  réception  des 
sacrements  de  Pénitence  et  de  Confirmation. 

III.  —  «  De  même,  et  avec  un  zèle  tout  spécial 
tous  les  jours  de  carême  et,  s'il  le  faut,  après  les 
fêtes  de  Pâques,  ils  prépareront  les  jeunes  gens  et 
ks  jeunes  filles  pour  qu'ils  fassent  saintement  leur 
Première  Communion. 

IV.  —  «  Dans  toutes  les  paroisses,  on  établira 
canomquement  une  Association  de  la  Doctrine 
chrétienne  où  les  curés  trouveront,  là  surtout  où 

e  nombre  des  prêtres  est  faible,  des  auxiliaires 
laïques  qui  s'adonneront  à  ce  ministère,  tant  par 
zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  que  pour  gagner  les 
indulgences  attachées  par  le  Souverain  Pontife  à 
cet  acte  de  charité. 

V.  —  «  Dans  les  grandes  villes,  surtout  en  celles 
pu  il  y  a  des  universités,  lycées,  collèges,  on  éta-  . 


XVJ  ENCYCLIQUE    ((    ACERBO    NIMIS    » 

blira  des  cours  de  religion  pour  instruire  des  dog- 
mes et  de  la  morale  chrétienne  la  jeunesse  qui 
fréquente  les  écoles  publiques  où  il  n'est  pas  fait 
mention  de  la  religion. 

VI.  —  «  Mais  comme,  surtout  de  notre  temps, 
Page  mûr  n'a  pas  moins  besoin  d'instruction  que 
l'enfance,  tous  les  curés  et  tous  ceux  qui  ont 
charge  d'âmes,  outre  l'homélie  sur  l'Evangile  qui 
doit  être  donnée  les  jours  de  fête  à  la  messe 
paroissiale,  à  l'heure  la  plus  opportune  pour  que 
le  peuple  y  vienne  —  en  dehors  de  l'heure  du 
catéchisme  des  enfants  —  feront,  en  un  langage 
facile  à  comprendre,  le  catéchisme  aux  fidèles.  Ils 
se  serviront  pour  cela  du  «  Catéchisme  du  Concile 
de  Trente  »,  de  manière  à  traiter  en  quatre  ou 
cinq  ans,  le  Symbole,  les  Sacrements,  le  Décalo- 
gue,  la  Prière  et  les  Commandements  de  l'Eglise. 

«  Nous  établissons  et  ordonnons  ces  choses, 
Vénérables  Frères,  en  vertu  de  notre  autorité 
apostolique.  Vous  devrez  faire  en  sorte,  pour  votre 
part,  chacun  dans  votre  diocèse,  que  ces  prescrip^ 
tions  soient  exécutées  intégralement  et  sans  re- 
tard. Vous  devrez  veiller  et  prendre  garde,  dans 
la  mesure  de  votre  autorité,  à  ce  que  Nos  ordres 
ne  tombent  pas  dans  l'oubli,  ou,  ce  qui  revient  au 
même,  ne  soient  obéis  qu'avec  négligence  et 
relâchement.  Pour  éviter  réellement  ce  défaut, 
vous  devrez  user  des  recommandations  les  plus 
assidues  et  les  plus  instantes,  afin  que  les  curés 
n'abordent  pas  le  catéchisme  sans  préparation, 
mais  au  contraire  s'y  préparent  à  l'avance  avec 
soin,  afin  qu'ils  ne  prononcent  pas  seulement  les 
paroles  de  la  sagesse  humaine,  mais  que,   «  dans 


sur  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne  xvij 


la  simplicité  du  cœur  et  de  la  sincérité  de  Dieu  » 
(II  Cor.,  i,  12)  ils  suivent  l'exemple  du  Christ  qui, 
bien  qu'il  mît  au  jour  des  choses  «  cachées  depuis 
le  commencement  du  monde  »  (Matth.,  xm,  35) 
«  parlait  cependant  toujours  aux  foules  en  para- 
boles »  (Ib.,  34).  Nous  savons  que  la  même  con- 
duite fut  tenue  par  les  Apôtres  instruits  par  le 
Seigneur.  C'est  d'eux  que  Grégoire  le  Grand 
disait  :  «  Ils  ont  eu  le  plus  grand  soin  de  prêcher 
les  choses  simples  aux  peuples  simples,  les  choses 
compréhensibles,  et  non  point  les  choses  élevées 
et  ardues  »  (Moral.,  I,  xvn,  cap.  26).  Or,  en  ce  qui 
concerne  la  religion,  presque  tous  les  hommes, 
par  le  temps  qui  court,  peuvent  être  classés  Darmi 
les  simples. 

IX.  Préparer  sérieusement  le  catéchisme. 

«Nous  ne  voulons  pas  que  certains,  en  raison 
même  de  ce  goût  qu'il  faut  avoir  pour  la  simpli- 
cité, se  persuadent  que  ce  genre  d'enseignement 
n'exige  ni  labeur  ni  méditation.  Au  contraire,  il  en 
exige  plus  que  tout  autre.  Il  est  beaucoup  plus 
facile  de  trouver  un  orateur  qui  parle  avec  abon- 
dance et  splendeur  qu'un  catéchiste  dont  l'en- 
seignement soit  louable  en  tout  point.  Donc,  de 
quelque  facilité  pour  la  pensée  et  rélocution  que 
l'on  ait  été  doué  par  la  nature,  qu'on  retienne  bien 
ceci,  à  savoir  que  jamais  l'on  ne  parlera  aux  en- 
fants ou  au  peuple  de  la  doctrine  chrétienne,  de 
façon  à  produire  du  fruit  dans  les  âmes,  si  ce 
n'est  après  s'être  préparé  et  exercé  par  une  sé- 
rieuse méditation.  Ils  se  trompent  ceux  qui,  se 
fiant  à  l'ignorance  et  à  l'infériorité  intellectuelle  du 

1B  CATÉCHISME.  —  1,1,  » 


XVlij  ENCYCLIQUE    «    ACERBO    NIMIS    » 

peuple,  prétendent  pouvoir,  en  ces  matières,  agir 
avec  négligence.  Au  contraire,  plus  les  auditeurs 
sont  novices,  £>lus  il  faut  de  zèle  et  de  soin  pour 
accommoder  les  vérités  les  plus  sublimes,  déjà  si 
élevées  au-dessus  des  intelligences  ordinaires,  à  la 
compréhension  plus  faible  des  ignorants  qui,  tout 
autant  que  les  sages,  ont  besoin  de  les  connaître 
pour  arriver  à  l'éternelle  béatitude. 

«  Enfin,  Vénérables  Frères,  qu'il  nous  soit  permis 
de  terminer  cette  Lettre  en  vous  adressant  la  pa- 
role de  Moïse  :  «  Si  quelqu'un  est  du  Seigneur, 
qu'il  se  joigne  à  moi»  (Exode,  xxxn,  26).  Remar- 
quez, Nous  vous  en  prions  et  vous  en  supplions, 
quels  désastres  résultent  pour  lésâmes  de  la  seule 
ignorance  des  choses  divines.  Beaucoup  de  choses 
utiles  et  parfaitement  louables  ont  peut-être  été 
instituées,  dans  le  diocèse  de  chacun  de  vous,  pour 
le  bien  du  troupeau  qui  vous  est  confié.  Veuillez 
cependant,  par  dessus  toute  chose,  consacrer  tout 
ce  que  vous  pourrez  de  vos  efforts,  de  votre  zèle, 
de  vos  soins  et  de  vos  instances  assidues  à  ce  que 
la  connaissance  de  la  doctrine  chrétienne  pénètre 
et  imprègne  complètement  les  esprits.  «  Chacun, 
Nous  Nous  servons  des  paroles  de  l'apôtre  Pierre, 
a  reçu  la  grâce  pour  V administrer  à  autrui, 
comme  de  bons  dispensateurs  de  la  grâce  de  Dieu 
aux  formes  diverses  »  (I.  Petr.,  iv,  10). 

a  Que  votre  diligence  et  votre  ingéniosité,  grâce 
à  l'intercession  de  la  bienheureuse  Vierge  Imma- 
culée, soient  heureusement  excitées  par  la  Béné- 
diction Apostolique  que  Nous  vous  accordons 
très  affectueusement  à  vous,  à  votre  clergé  et  au 
peuple  confie  à  chacun  de  vous,  comme  témoi* 


sur  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne  xix 


gnage  de  Notre  affection  et  comme  gage  des  dons 
célestes. 

«  Donné  à  Rome,  près  Saint-Pierre,  le  i5  avril 
1905,  la  deuxième  année  de  Notre  pontificat.  » 

PIE  X,  PAPE. 


mmm 


PRÉFACE 


La  belle  Encyclique  du  i5  avril  igo5,  placée  en  tête 
de  cet  ouvrage,  dispense  complètement  d'insis- 
ter sur  la  nécessité  actuelle  de  l'enseignement  reli- 
gieux. C'est  elle  qui  a  inspiré  le  projet  de  mettre 
entre  les  mains  du  jeune  clergé  une  sorte  de  manuel 
pratique,  qui  fût  à  même  de  lui  rappeler  succinc- 
tement les  enseignements  reçus  au  séminaire  et  de 
le  tenir  au  courant,  dans  la  mesure  du  possible,  des 
progrès  incontestables  réalisés  depuis  quelques 
années. 

On  a  cru  que,  pour  atteindre  efficacement  ce  but, 
rien  ne  valait  comme  de  reprendre  le  texte  du 
Catéchisme  romain  ;  car  c'est  là  une  œuvre  magis- 
trale, admirablement  bien  rédigée  par  les  théologiens 
les  plus  compétents  de  la  seconde  moitié  du  xvi°  siè- 
cle, à  la  suite  des  décisions  du  Concile  de  Trente, 
approuvée  et  publiée  par  ordre  de  Pie  V,  toujours 
recommandée  depuis  par  les  Souverains  Pontifes, 
et  la  seule  officiellement  proposée  par  l'Eglise  aux 
pasteurs  pour  l'instruction  religieuse  de  leurs 
ouailles. 

Le  Catéchisme  romain  reste  un  incomparable  ma- 
nuel. Mais  il  a  besoin  d'être  complété.  Car,  depuis 
sa  rédaction,  trois  siècles  se  sont  écoulés,  un  concile 
œcuménique  s'est  tenu,  et  une  renaissance  d'études 


XXÎj  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ecclésiastiques  a  eu  lieu,  dont  nous  sommes  les 
témoins  et  les  bénéficiaires. 

Les  Pères  du.  Concile  du  Vatican  n'ont  pas  eu  do 
peine  à  constater  jusqu'à  quel  point  l'esprit  d'erreur 
s'était  glissé  partout.  Ils  l'ont  signalé  dans  la  théo- 
logie et  l'exégèse  protestantes,  dans  les  excès  du 
rationalisme  et  du  naturalisme,  dans  les  imprudences 
ou  les  hardiesses  de  certains  catholiques.  Ils  ont 
fait  mieux  :  après  avoir  condamné  certaines  erreurs, 
ils  ont  défini  quelques  vérités  de  foi  catholique,  qu'il 
importe  de  retenir  comme  un  progrès  sur  le  passé. 
Leur  tâche,  malheureusement,  n'a  pu  être  achevée. 
Mais  telle  qu'elle  est,  elle  nous  assure  une  connais- 
sance plus  précise  et  plus  complète  sur  Dieu,  la 
création,  la  Providence,  la  révélation,  les  sources 
de  la  révélation,  la  foi,  les  rapports  de  la  foi  et  de 
la  raison,  l'Eglise  et  l'autorité  doctrinale  du  Souve- 
rain Pontife  :  autant  de  résultats  qui  demeurent 
définitivement  acquis. 

Sans  doute,  l'erreur  n'a  pas  désarmé  pour  cela  ; 
elle  continue  sa  marche  progressive  vers  la  néga- 
tion absolue  et  le  nihilisme  religieux.  Raison  de 
plus  pour  la  suivre  pas  à  pas  et  lui  opposer  sans 
cesse,  avec  les  affirmations  de  l'enseignement  révélé, 
les  preuves  d'autorité  et  de  raison  qui  les  justifient 
aux  yeux  de  tout  homme  de  bon  sens  et  de  bonne 
foi. 

«  Personne  n'ignore,  dit  la  Constitution  DeiFilius, 
qu'après  avoir  rejeté  le  magistère  divin  de  l'Eglise 
et  abandonné  les  questions  religieuses  au  jugement 
privé  de  n'importe  oui,  les  hérésies  uroscrites  par 


PREFACE  XXllj 


le  Concile  de  Trente  se  sont  peu  à  peu  fractionnées 
en  une  infinité  de  sectes,  qui  se  sont  divisées  et 
combattues,  et  qu'enfin  un  assez  grand  nombre  de 
leurs  membres  ont  perdu  toute  foi  en  Jésus-Christ. 
Aussi  les  Livres  saints  eux-mêmes  que  le  protestan- 
tisme prétendait  d'abord  la  seule  source  et  la  seule 
règle  de  la  doctrine  chrétienne,  ont-ils  cessé  d'être 
regardés  comme  divins  ;  on  s'est  mis  à  les  ranger 
parmi  les  fictions  mythiques  (i).  » 

Rien  de  plus  exact  :  car  le  rejet  de  l'autorité  de 
l'Eglise  et  l'introduction  du  libre  examen,  c'était 
fatalement  la  porte  ouverte  à  une  série  de  varia- 
tions jusqu'à  la  désagrégation  complète.  Mais, 
depuis  l'époque  du  dernier  Concile,  le  protestantisme 
libéral  a  encore  accentué  ses  négations.  En  théo- 
logie, ce  n'est  plus  seulement  la  foi  en  Jésus-Christ 
qu'il  rejette  et  la  divinité  de  Notre  Seigneur  qu'il 
nie,  il  affiche  la  prétention  de  rester  chrétien  tout 
en  niant  cette  divinité,  et  il  en  est  même  venu  à 
mettre  en  doute  les  premiers  principes  de  la  reli- 
gion naturelle.  En  exégèse,  sa  critique  n'est  pas 
moins  négative.  Le  piétisme,  qui  regardait  comme 
inspiré  tout  ce  qui  contribue  à  l'édification  ;  le 
socinianisme,  qui  repoussait  tout  mystère  ;  l'armi- 
nianisme,  qui  niait  toute  inspiration,  sont  de  beau- 
coup dépassés.  On  a  fait  table  rase  ;  et,  pour 
expliqueras  origines  de  la  révélation  mosaïque,  on 
n'invoque  plus  que  la  théorie  du  progrès  indéfini 
de  l'humanité.   Bref,    de  la  Bible,  il  ne  reste  plus 

i.  Const.  Del  Fllius,  Prol.,  §  3 


XXIV  LE   CATECHISME   ROMAIN 

rien  qu'un  vieux  livre,  en  tout  semblable  aux 
autres. 

Les  Pères  du  Vatican  dénonçaient  aussi  «  le 
rationalisme  ou  le  naturalisme  qui,  se  mettant  de 
tous  points  en  opposition  avec  la  religion  chré- 
tienne, à  raison  de  son  caractère  surnaturel,  s'ap- 
plique avec  les  plus  grands  efforts  à  exclure  Jésus- 
Christ,  Nôtre  unique  Seigneur  et  Sauveur,  de  la 
pensée  des  hommes,  de  la  vie  et  des  mœurs  des 
peuples,  pour  établir  le  règne  de  ce  qu'on  appelle 
la  pure  raison  ou  la  nature.  Mais,  après  avoir  aban- 
donné et  rejeté  la  religion  chrétienne,  après  avoir 
renié  le  vrai  Dieu  et  son  Christ,  plusieurs  ont  laissé 
tomber  leur  intelligence  dans  le  gouffre  du  pan- 
théisme, du  matérialisme,  de  l'athéisme,  et,  niant 
la  spiritualité  de  l'âme  et  toute  règle  de  la  justice 
et  de  la  vertu,  ils  unissent  leurs  efforts  pour  saper 
les  fondements  les  plus  profonds  de  la  société 
humaine  (i).  » 

Rien  encore  de  plus  exact.  Jamais  peut-être  plus  que 
de  nos  jours,  l'homme  n'a  été  infatué  de  lui-même, 
des  lumières  de  sa  raison,  des  progrès  de  la  science  ; 
il  se  dit  et  se  croit  autonome  ;  il  ne  veut  plus  ni  de 
l'Eglise  ni  de  Dieu,  et  il  travaille,  en  France  du 
moins,  à  déchristianiser  le  peuple. 

Les  Pères  du  Vatican  déclaraient  enfin  que,  «  par 
le  fait  de  cette  impiété  qui  s'est  propagée  de  tous 
côtés,  il  est  malheureusement  arrivé  que  plusieurs 
même   des   enfants  de  l'Eglise  catholique  se  sont 

I.  Const.  DeiFlUas.,  Prol.,  §  £. 


PREFACE  XXV 


écartés  du  chemin  de  la  véritable  piété,  et  que  le 
sens  catholique  s'est  émoussé  en  eux  par  suite  de 
l'amoindrissement  progressif  des  vérités.  Entraînés 
par  toutes  sortes  de  doctrines  étrangères  et  faisant 
un  alliage  mal  ordonné  de  la  nature  et  de  la  grâce, 
de  la  science  humaine  et  de  la  foi  divine,  l'expé- 
rience le  montre,  ils  dénaturent  la  signification 
véritable  des  dogmes  admise  et  enseignée  par  notre 
sainte  mère  l'Eglise  et  ils  mettent  en  péril  l'inté- 
grité et  la  pureté  de  la  foi  (1).  » 

Ces  paroles,  écrites,  il  y  a  plus  de  trente  ans,  sont 
d'une  application  très  actuelle.  La  diminution  de  la 
foi  va  croissant  dans  les  masses,  faute  d'une  ins- 
truction solide  ;  le  sens  catholique,  c'est-à-dire 
l'habitude  de  juger  de  toutes  choses  d'après  les 
règles  de  la  foi,  la  fermeté  des  convictions  chré- 
tiennes, la  crainte  de  l'apparence  même  de  l'erreur, 
cet  ensemble  de  dispositions  intellectuelles  et 
morales,  tout  s'émousse.  Et,  d'autre  part,  combien 
qui  se  laissent  fasciner  par  les  théories  à  la  mode, 
d'importation  étrangère,  et  en  tout  cas  peu  con- 
formes à  la  foi  !  Combien,  même  parmi  les  doctes, 
qui  subissent  le  fâcheux  contact  du  rationalisme  et 
qui,  sous  prétexte  d'être  de  leur  temps  et  de  rester 
en  harmonie  avec  la  pensée  moderne,  sont  victimes 
d'infiltrations  hétérodoxes  ! 

Mais  si,  depuis  le  concile  du  Vatican,  l'erreur  a 
marché  dans  le  sens  d'une  négation  toujours  plus 
radicale,  est-ce  à  dire  qu'elle  ait  trouvé  en  défaut 


i.  Const.  Dei  Filius,  Prol.,  S  5. 


XXVJ  LE    CATECHISME    ROMAIN 

renseignement  catholique  ou  qu'elle  en  ait  eu  raison? 
Loin  de  là.  Car  le  Concile  a  été  le  point  de  départ 
d'une  renaissance  religieuse  et  d'un  mouvement 
scientifique  considérable.  Partout,  en  Angleterre, 
en  Allemagne,  en  France,  les  savants  catholiques  se 
sont  montrés  à  la  hauteur  de  leur  tâche.  Chez  nous, 
en  particulier,  les  universités  de  fondation  récente 
sont  devenues  des  foyers  de  haute  culture  intellec- 
tuelle, dont  les  fruits,  déjà  sensibles,  paraîtront 
chaque  jour  davantage.  Et,  sans  entrer  dans  des 
détails,  que  de  travaux,  depuis  un  quart  de  siècle, 
dans  les  études  bibliques,  patristiques,  théologi- 
ques, philosophiques  !  Et  que  de  progrès  déjà 
réalisés  !  Les  livres  se  multiplient,  marqués  pour 
la  plupart  d'un  caractère  vraiment  objectif  et  scien- 
tifique. De  nombreuses  revues,  chacune  dans  un 
domaine  à  part,  tiennent  au  courant  les  amis  de 
l'étude  de  toutes  les  questions  nouvelles,  de  tous 
les  problèmes  agités,  des  solutions  que  la  science 
religieuse  apporte  pour  répondre  aux  besoins  de  la 
pensée  contemporaine.  Sans  doute,  dans  le  pêle- 
mêle  des  idées,  tout  n'est  pas  or,  mais  il  y  a  des 
parcelles  d'or  qu'il  convient  de  recueillir.  Et  déjà 
des  dictionnaires  se  composent,  qui  résument  avec 
soin  les  précieux  résultats  acquis.  Autant  d'instru- 
ments de  travail  pour  l'exégèse,  la  critique,  l'his- 
toire, la  controverse,  l'apologétique,  qui  permettent 
d'opposer  aux  théories  spécieuses,  prématurées  ou 
hasardées,  aux  mensonges  et  aux  erreurs,  des  ré- 
ponses pleinement  justifiées.  N'est-ce  pas  là  l'un  des 
meilleurs  moyens  d'être  de  son  temps  et  de  préparer 


PRÉFACE  XXVÎj 

l'avenir?  Et  que  désirer  de  mieux  sinon  de  voir  ce 
mouvement  scientifique  s'accentuer  et  toutes  ces 
richesses  se  répandre  de  plus  en  plus  dans  le  clergé 
jusqu'au  fin  fond  des  campagnes  ?  C'est  notre 
clergé  qui,  par  ses  travaux  d'érudition,  a  alimenté 
la  science  allemande  ;  le  voilà  maintenant  en  train 
de  renouer  la  tradition  de  la  façon  la  plus  heureuse 
et  de  reprendre,  comme  il  convient,  la  tête  du 
mouvement.  On  ne  peut  que  s'en  féliciter. 

En  publiant  ce  nouvel  ouvrage,  on  voudrait 
contribuer,  pour  une  modeste  part,  à  la  diffusion 
des  progrès  accomplis  depuis  quelques  années,  en 
un  mot  faire  œuvre  de  vulgarisation. 

On  tient  avant  tout  à  rester  en  contact  nécessaire 
avec  l'enseignement  traditionnel,  seule  garantie 
possible  d'une  impeccable  orthodoxie.  Pour  cela, 
le  cadre  et  le  texte  du  Catéchisme  romain  sont  con- 
servés. Il  ne  reste  plus  qu'à  compléter  l'œuvre  qui 
fut  rédigée  conformément  aux  prescriptions  du 
Concile  de  Trente.  Et  c'est  pourquoi,  à  toutes  les 
questions  qui  y  sont  si  magistralement  traitées, 
s'ajouteront  nécessairement  les  explications,  les 
précisions,  les  décisions  et  les  définitions  survenues 
depuis  trois  siècles  ;  en  outre,  on  y  joindra  tout  ce 
qui  regarde  le  surnaturel  et  la  grâce,  et  on  con- 
sacrera la  dernière  partie  au  culte  et  aux  fêtes 
liturgiques. 

Mais  on  tient  aussi,  dans  un  esprit  sagement 
progressiste,  à  prendre  contact  avec  le  mouvement 
scientifique  contemporain,  à  signaler  les  graves 
problèmes  religieux  qui  sont  à  l'ordre  du  jour,  les 


XXviij  LE    CATECHISME    ROMAIN 

solutions  qu'on  leur  donne  et  les  résultats  qui 
paraissent  légitimement  acquis.  Et  c'est  pourquoi 
on  insistera  de  préférence,  grâce  aux  progrès  réali- 
sés dans  tous  les  domaines  de  la  science  religieuse, 
sur  les  questions  actuellement  débattues,  par  exem- 
ple sur  les  notions  de  la  foi,  du  dogme,  de  la  révé- 
lation, de  FEcriture  sainte,  de  la  tradition,  de 
l'Eglise,  etc. 

Faut-il  ajouter  qu'on  n'a  nullement  la  prétention 
de  composer  une  Théologie  ?  Les  sujets  seront  trai- 
tés dans  l'ordre  où  ils  se  présentent  dans  le  Caté- 
chisme romain  ;  d'autres  seront  ajoutés  ;  mais  une 
table  analytique  des  matières  de  l'ouvrage  entier 
permettra  d'avoir  les  vues  d'ensemble,  de  trouver 
les  divers  renseignements  relatifs  à  la  même  ques- 
tion, et  d'utiliser  ainsi  en  peu  de  temps  la  matière 
éparse  dans  les  huit  volumes. 

On  a  moins  encore  la  prétention  de  dispenser  le 
lecteur  de  recourir  directement  aux  sources  ;  cel- 
les-ci, du  moins,  seront  signalées  dans  des  notes 
bibliographiques  suffisamment  abondantes. 

Mais  ce  que  l'on  a  voulu  surtout,  c'est  d'être 
utile  et  pratique,  de  mettre  entre  les  mains  du  jeune 
clergé  un  recueil  d'informations  précises  et  sûres, 
dispersées  dans  un  trop  grand  nombre  de  brochu- 
res, de  revues  ou  de  livres,  qu'on  n'a  pas  toujours 
à  sa  disposition,  c'est-à-dire  un  instrument  de  tra- 
vail aussi  bien  adapté  que  possible  aux  besoins  de 
l'heure  présente  et  au  courant  des  derniers  résul- 
tats de  la  science.  La  Praxis  du  Catéchisme  romain, 
qui  indique  pour  chaque  dimanche  et  fête  de  l'an- 


PREFACE  XXIX 

née  des  textes  scripturaires  pouvant  servir  de  sujet 
de  prône  ou  d'instruction,  sera  insérée  et  notable- 
ment augmentée  pour  former  un  petit  manuel  très 
pratique  et  très  objectif  de  prédication.  Et  l'on 
espère  que  tout  prêtre,  ainsi  rapidement  et  sûre- 
ment renseigné,  pourra  faire  une  œuvre  très  appro- 
priée et  éminemment  utile  auprès  de  ses  auditeurs, 
soit  pour  les  instruire,  soit  pour  les  armer  contre 
les  objections  anciennes  et  récentes. 

L'auteur,  cela  va  sans  dire,  compte  sur  la  bienveil- 
lante indulgence  de  ses  confrères  ;  car  il  reste 
assuré  d'être  loin  d'avoir  atteint  la  perfection  dans 
un  travail  aussi  délicat  que  difficile,  et  il  est  prêt  à 
utiliser  les  critiques  qui  signaleront  des  défauts  ou 
suggéreront  des  amendements  et  des  progrès. 

Fils  soumis  de  la  Sainte  Eglise,  il  n'a  garde  d'ou- 
blier les  prescriptions  canoniques  en  pareille  matière 
et  se  déclare  prêt  d'avance  à  accepter  et  à  ratifier  ce 
que  l'autorité  compétente  jugerait  bon  de  modifier 
ou  de  proscrire. 

Toulouse,  2  juillet  1906,  en  la  fêle  de  la  Vin- 
talion. 


PREMIÈRE  PARTIE 

Le  Symbole 

i 


INTRODUCTION 


Il  n'est  pas  inutile,  croyons-nous,  de  demander  à 
l'histoire  quelques  renseignements  précis  sur  le  rôle 
enseignant  de  l'Eglise  à  travers  les  siècles,  puisque 
ce  rôle  est  l'un  des  plus  importants  qui  lui  ait  été  confié 
par  Notre-Seigneur  :  «  Eunies,  doceie...  » 

Comment  donc  l'a-t-elle  compris  et  rempli  ?  Sur  quoi 
l'a-t-elle  fait  porter  ?  Et  quelle  a  été  sa  méthode  ? 

Il  sera  facile  de  se  convaincre  que  le  Catéchisme,  tel  que 
nous  le  connaissons,  c'est-à-dire  le  petit  livre  méthodique 
que  l'on  met  entre  les  mains'  des  enfants,  n'est  que 
l'aboutissement  d'une  longue  série  d'efforts.  C'est  laisser 
entendre,  par  conséquent,  que  si  l'Eglise  possède  aujour- 
d'hui et  utilise  un  manuel  d'instruction  religieuse,  résumé 
succinct  de  ce  que  le  chrétien  doit  savoir  et  pratiquer 
pour  être  sauvé,  il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi.  Toutefois 
l'absence  d'un  tel  instrument  pédagogique  n'a  jamais 
empêché  l'Eglise  de  travailler  avec  le  plus  grand  soin  à 
l'instruction  religieuse  de  ses  enfants,  sur  un  cadre 
délimité. 

Avant  d'aboutir  au  catéchisme  actuel,  elle  a  commencé 
par  l'enseignement  de  la  Catéchèse.  Catéchèse,  xaTVjpatç 
du  verbe  xaT7j/éoj,  est  un  mot  grec  qui  signifie,  pro- 
prement, retentir,  faire  retentir,  et  au  figuré,  enseigner 
de  vive  voix,  instruire  oralement,  la  parole  du  maître 
servant  d'écho  à  l'interrogation  du  disciple,  et  la  réponse 


LE    CATECHISME.    T.    I. 


LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


du  disciple  à  la  question  du  maître.  C'est  dans  ce  dermei 
sens  que,   seuls    des  écrivains    du  Nouveau-Testament 
saint  Luc  et  .saint  Paul  ont  employé  le  verbe  xvnativ  (i. 
De  là,  chez  les  Pères  grecs,  l'emploi  du  mot  x^yr,™. 
et  chez  les  Pères  latins  du  mot  calechesis,  pour  designer 
soit  l'action  d'enseigner,  soit  l'enseignement  lui-même  ou 
son  objet.  Mais  avec  l'organisation  du  catechumenat,  ce 
terme  prend  un  sens  plus  précis  et  plus  restreint  :    il 
s'applique  tout  particulièrement  à  l'enseignement  oral  qui 
sert  de  préparation  au   baptême  et   qui,  par  suite    ne 
s'adresse  qu'à  des  non-initiés  (a;.  Disons  donc  d  abord 
quelques  mots  sur  la  Catéchèse. 

La  Catéchèse 

I.  Pendant  les  deux  premiers  siècles.  --  IL Du 
commencement  du  111°  siècle  à  la  fin  du  V\  — 
III.  De  la  fin  du  V6  siècle  au  IX0  (3). 

I.   Pendant  les  deux  premiers 

siècles 

1-  La  Catéchèse  Apostolique.  —  Conformément 
aux  ordres  de  Notre  Seigneur,  les  apôlres  commencè- 
rent par  enseigner.  Mais  qu'enseignaient-  ils  ?  Quel  était 
l'objet  de  leur  catéchèse  ?  Cela  dépendait  des  auditeurs 
auxquels  ils  s'adressaient. 

Vis  à  vis  des  Juifs,  par  exemple,  tout  le  débat  se 
bornait  à  savoir  si  Jésus  était  vraiment  le  Messie  annonce, 
s'il  était  Dieu.  Et  c'est  là  ce  qui  explique  le  discours 
prononcé  par  saint  Pierre  après  la  descente   du  Saint- 

i.  Luc,  i,  4  ;  Ad.  xviii,  25  ;  1  Cor.  xiv,  19  ;  Gai  vi  6 ,  - 
2.  Crocquct,  Calechesis  chrisliana,  Douai,  107/t,  p.  b  ;  Wituiit, 
Theologia  calcchelica.  Munster,  i656,  p.  2  ;  Gilbert,  Clinstl. 
calech.  hisloria,  Leipzig,  i836,  t.  1,  p.  129  ;  Zcrschwitz,  Syslem 
der  Christl.  Kalech.  Leipzig,  iS63,  t.  1,  p.  17,  sq. 

3. BIBLIOGRAPHIE:  A. Crocquct, Ca/ec/ieses  c/iristtana?,  Douai, 
175/j  ;  Reinboit,  DisserL  du  caleciiesi  velerum,  Rostock,  i645  ; 


INTRODUCTION 


Esprit  (i).  La  plupart  de  ses  auditeurs  lui  demandant  ce 
qu'ils  avaient  à  faire,  Pierre  leur  répondit  :  «  Faites 
pénitence  et  soyez  baptisés  au  nom  de  Jésus-Christ  pour 
obtenir  la  rémission  de  vos  péchés,  et  vous  recevrez  le 
don  du  Saint-Esprit  »  (2).  Auprès  des  Juifs  delà  diaspora» 
dans  la  synagogue  des  affranchis  de  Rome,  des  Cyrénéens, 
des  Alexandrins,  des  Giliciens,  des  Asiates,  saint  Etienne 
va  plus  loin  :  il  exalte  Jésus  au  dessus  de  Moïse  ;  il 
déclare  sa  doctrine  indépendante  des  rites  et  des  prescrip- 
tions de  la  loi,  ce  qui  est  le  congé  donné  à  l'ancienne 
alliance  (3).  Cela  suffit  à  caractériser  la  catéchèse  aposto- 
lique auprès  des  Juifs.  Mais  l'épître  aux  Hébreux  est  plus 
explicite.  Son  auteur  distingue  entre  le  lait  qu'on  ne 
donne  qu'aux  débutants  et  la  nourriture  solide  qu'on 
réserve  pour  les  plus  avances.  Or,  parmi  les  éléments 
constitutifs  de  cet  enseignement  préliminaire  ou  de  cette 
catéchèse,  il  signale,   comme  fondement,  la  pénitence, 

Witfelt,  Theologia  catechetica,  Munster,  i656  ;  Stark,  De 
eatecîiizaUone  veterum,  Wittenberg,  1688  ;  Wilisch,  Hisloria 
catechetica,  Altenbourg,  1718  ;  Langemach,  Historia  catechetica, 
1729-1740  ;  Walch,  De  apostolorum  institatione  catecheticay 
ïéna,  1744,  Miller,  De  catechetico  veteris  Ecclesiœ  docendi  génère, 
Helmstadt,  1751  ;  Zacharias,  De  methodo  catechetica  veterum 
ïhristianoram,  Gœttingue,  1765  ;  Robinson,  The  hislory  oj 
Baptism,  Londres,  1790  ;  Grùber,  Des  ht.  Augustin  Théorie  des 
Kateclietik,  Salzbourg,  i83o,  i844;  Gilbert,  Christianœ  catecheseos 
historia,  Leipzig,  i836  ;  Mayer,  Geschichte  der  Katechumenats 
und  der  Katechese,  Kemptcn,  1868  ;  A.  Weiss,  Die  allkirschliche 
Pàdagogik,  Fribourg,  1869  ;  Zerschwitz,  System  der  Kristlichen 
Kateclietik,  Leipzig,  1863-1870  ;  Schôbcrl,  Die  nar ratio  des  hl. 
Augustin,  Dingolfing,  1880  ;  Gobi,  Geschichte  der  Katechese, 
Kemptem,  1880  ;  Probst,  Geschichte  der  katolischen  Katechese, 
Bresiau,  1884  ;  dom  Cabrol,  Les  églises  de  Jérusalem,  la 
discipline  et  la  liturgie  au  IVe  siècle,  Paris,  1895  ;  Mgr  Duchesne, 
Origines  du  culte  chrétien,  2e  édit.,  Paris,  1898;  Hézard,  Histoire 
du  catéchisme,  Paris,  1900  ;  Kirchenlexicon,  2e  édit.,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1891,  t.  vu,  col.  238  208  ;  A.  Seeberg,  Der 
Kalechismus  der  Urchristenheil,  Leipzig,  1903  ;  U.  Chevalier. 
Répertoire.  Topo-bibliographie,  t.  1,  col.  Gi5  ;  G.  Bareille,  article 
Catéchèse  dans  le  Dictionnaire  de  théologie,  t.  11,  col.  1877-1895, 
X.  AcL,  11,  22-3G.  —  2,  Ibid.  —  3.  AcL,  vi-vn. 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


puis  la  foi  en  Dieu,  la  doctrine  du  baptême,  de  l'imposition 
des  mains,  de  la  résurrection  des  morts  et  du  jugement 
éternel  (i). 

Tout  autre  devait  être  la  catéchèse  adressée  aux  Gentils; 
car  ceux-ci  n'étaient  pas  préparés  comme  les  juifs  ;  leur 
paganisme  offrait  un  premier  obstacle  à  vaincre.  Il  im- 
portait donc  de  renverser  cet  obstacle.  D'après  le  discours 
de  saint  Paul  à  l'aréopage  d'Athènes  (2),  on  voit  que 
l'existence  d'un  seul  Dieu,  créateur  du  ciel,  de  la  terre  et 
del'humanité,  estaffirmée,  quele  paganisme  est  condamné, 
qu'il  faut  faire  pénitence  en  vue  du  jugement  futur, 
auquel  présidera  celui  qui  est  déjà  ressuscité  d'entre  les 
morts.  Ce  discours,  interrompu  par  les  Athéniens,  laisse 
entrevoir  la  conclusion  qui  était  de  croire  en  Jésus-Christ 
et  de  recevoir  le  baptême  pour  être  sauvé.  Le  cadre  s'est 
donc  élargi  ;  un  élément  nouveau  et  nécessaire,  la  con- 
damnation du  paganisme,  s'introduit  dans  la  catéchèse  et 
n'en  disparaîtra  plus. 

M.  A.  Seeberg  a  essayé,  de  nos  jours  (3),  de  reconstituer 
la  catéchèse  qui  servait,  au  temps  des  apôtres,  à  l'instruc- 
tion des  catéchumènes.  Mais  ses  conclusions  reposent  en 
partie  sur  des  considérations  qui  ne  sont  pas  fondées, 
telles  que,  par  exemple,  la  non-authenticité  de  la  formule 
baptismale,  et  supposent  des  combinaisons  de  textes,  qui 
sont  fragiles  et  branlantes  (4). 

2°  La  Didaché.  —  Ce  petit  livre  est  un  témoin  de  l'âge 
qui  fait  suite  immédiatement  à  celui  des  Apôtres.  Il  nous 
offre,  dans  sa  première  partie,  un  modèle  de  catéchèse 
adressé  à  des  catéchumènes  avant  la  collation  du  baptême, 
sous  la  forme  d'une  très  courte  instruction  morale  —  on 
dirait  un  manuel  —  sur  les  Deux  voies,  la  voie  de  la  vie 
et  la  voie  de  la  mort.  La  voie  de  la  vie  est  celle  qu'il  faut 
suivre  en  pratiquant  le  double  précepte  évangélique, 
l'amour  de  Dieu  et  du  prochain,  et  ce  principe  d'ordre 
général  :  «  Ne  fais  pas  à  autrui  ce  que  tu  ne  veux  pas  qu'il 

1.  Hébr.,  y,  12  ;  vi,  1,  2.  —  2.  Act.,  xvn,  24-3i.  —  3.  Der 
Kateckismus  der  Urchristenheit,  Leipzig,  1903.  —  4-  Diction, 
de  Théologie,  t.  11,  col.  1879- 1880. 


INTRODUCTION 


te  fasse  ».  La  voie  de  la  mort  est  celle  qu'il  faut  éviter  en 
ne  commettant  pas  les  péchés,  qui  sont  énumérés  (i). 
Cette  catéchèse,  il  est  vrai,  ne  renferme  explicitement  rien 
de  ce  qu'il  faut  croire  ;  elle  ne  s'en  tient  exclusivement 
qu'aux  préceptes  de  la  vie  morale.  Mais  il  va  de  soi  que 
ceux  à  qui  elle  est  adressée  ne  sont  pas  sans  avoir  mani- 
festé le  désir  de  renoncer  à  la  vie  païenne  pour  faire 
profession  de  vie  chrétienne,  d'après  une  connaissance, 
rudimentaire,  si  l'on  veut,  mais  suffisante  et  déjà  acquise 
de  l'erreur  du  paganisme  et  de  la  vérité  du  christianisme. 
Et  c'est  pourquoi  on  ne  leur  indique  que  ce  qu'ils  ont  à 
pratiquer  pour  recevoir  le  baptême,  en  y  ajoutant  les 
œuvres,  soit  de  pénitence,  telles  que  le  jeûne,  soit  de 
prière,  telles,  en  particulier,  que  l'action  de  grâce  sur  le 
woTTJpiov  et  le  xXàsixa  et  surtout  la  prière  par  excellence 
ou  oraison  dominicale. 

3°  C'est  là  tout  ce  qui  reste  comme  catéchèse  du- 
rant les  deux  premiers  siècles.  Il  existe  cependant 
d'autres  œuvres  qui,  manifestement,  reflètent  la  mé- 
thode et  l'objet  de  l'enseignement  donné  aux  païens  à  cette 
époque,  et,  par  exemple,  la.  première  Apologie  de  saint  Jus- 
tin, à  Rome,  et  Y  Exhortation  aux  Grecs  de  Clément,  à 
Alexandrie.  D'une  part,  en  effet,  malgré  son  défaut  d'ordre, 
l'apologie  de  saint  Justin  permet  de  distinguer  ces  points 
principaux  de  cet  enseignement  :  condamnation  de  l'ido- 
lâtrie ou  du  paganisme  :  proclamation  de  l'unité  de  Dieu, 
de  l'existence  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  du 
dogme  de  la  création  ;  preuve  de  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  Verbe  de  Dieu,  fils  unique  de  Dieu,  incarné  pour 
sauver  tous  les  hommes,  crucifié,  ressuscité  et  juge  futur 
du  genre  humain  :  récompense  éternelle  des  bons,  châti- 
ment éternel  des  méchants.  On  dirait  déjà  une  notification 
du  symbole  apostolique.  Et  cette  exposition  dogmatique, 
si  différente  de  la  catéchèse  des  Deux  voies,  insiste, 
même  auprès  des  gentils,  sur  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
prouvée  par   l'existence  et  la  réalisation  des  prophéties. 

i.  Funk,  Doctrina  duodecim  aposlolorum,  Tubingue,  1887, 
p.  3-2i  ;  Diction,  de  Théologie,  t.  1.  col.  i;S83-i684. 


6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

D'antre  part,  le  Protreptique  de  Clément  d'Alexandrie 
est  une  invitation  pressante  adressée  aux  païens  pour  leur 
faire  abandonner  leurs  erreurs  et  prêter  l'oreille  à  l'ensei- 
gnement salutaire  du  Verbe.  Pourquoi  l'abandon  du 
paganisme?  A  raison  de  son  absurdité  et  de  ses  ignominies. 
Pourquoi  l'adhésion  à  l'enseignement  du  Christ  ?  Parce 
que  le  Christ  est  le  Verbe  qui  a  eu  pitié  de  nous  dès  le 
commencement  et  est  venu  nous  délivrer  ;  parce  qu'il  est 
ïe  Dieu  fait  homme  qui  nous  a  envoyé  le  Paraclet  pour 
nous  exhorter  à  la  connaissance  de  la  vérité;  parce  qu'il 
est  la  voie,  la  vérité,  la  vie,  le  salut.  Conclusion  :  Expiez 
vos  péchés  par  une  sincère  pénitence,  lavez-les  dans  les 
eaux  du  baptême,  attachez-vous  à  Jésus-Christ,  embrassez 
sa  doctrine,  obéissez  à  ses  lois,  pour  avoir  part  à  son 
héritage  ;  sinon,  redoutez  les  châtiments  qui  ne  doivent 
pas  finir. 

C'était  là  également  la  méthode  de  Théophile  d'Antio- 
che  dans  ses  trois  livres  à  Autolycus. 

En  résumé,  examen  du  paganisme  pour  le  flétrir  et  le 
condamner,  appel  à  l'histoire  pour  y  montrer  l'intervention 
miséricordieuse  de  Dieu  à  l'égard  de  l'homme,  évocation 
•des  souvenirs  évangéliques  pour  signaler  le  rôle  du 
Christ  sauveur,  considérations  morales  et  enseignement 
dogmatique  pour  faire  embrasser  la  foi  et  les  pratiques 
chrétiennes,  seul  moyen  de  se  sauver,  c'est-à-dire  d'obte- 
nir la  récompense  ou  d'éviter  le  châtiment  de  la  vie  future, 
tels  sont  les  points  principaux  qui  forment  la  trame  de  la 
catéchèse  primitive. 

IL  La  Catéchèse 

du  commencement  du  IIIe  siècle 

à  la  fin  du  Ve 

Dès  que  le  catéchuménat  commence  à  fonctionner 
comme  une  institution  régulière,  la  catéchèse,  tout  en 
continuant  à  poursuivre,  par  l'enseignement,  l'instruc- 
tion religieuse  et  l'éducation  morale  des  auditeurs,  sa 
proportionne  à  leurs  besoins,  à  leur  degré  d'avancement. 


INTRODUCTION 


Ceux-ci,  en  effet,  appartiennent  à  diverses  catégories,  ne 
se  trouvent  pas  au  même  point  de  préparation  ;  les  uns 
ne  sont  que  de  simples  postulants,  les  autres  des  catéche- 
mènes  proprement  dits,  d'autres  encore  des  compétents 
ou  des  néophytes.  Dès  lors  le  catéchiste  tient  un  langage 
plus  ou  moins  explicite,  d'après  la  situation,  et  selon  les 
besoins  immédiats  de  ses  élèves.  Il  va  de  soi  que  celui  qui 
vient  d'être  à  peine  initié  par  le  baptême  sera  autrement 
instruit  que  le  compétent,  que  le  compétent  sera  traité 
autrement  que  le  catéchumène  et  le  catéchumène  autre- 
ment que  le  simple  postulant,  qui  frappe  à  la  porte  de 
l'Eglise  pour  la  première  ibis.  De  là,  dans  les  catéchèses 
de  cette  période,  qui  s'étend  du  me  siècle  à  la  fin  du  v°, 
diverses  nuances  qu'il  convient  de  caractériser  d'un  mot 
rapide. 

1°  Admission  au  Catôchumat.  —  Une  catéchèse 
spéciale  précédait  l'admission  d'un  postulant  au  caté- 
chumenat.  Bien  qu'aucun  modèle  de  ce  genre  ne  nous 
ait  été  conservé  par  les  documents  d'alors,  le  fait  de  son 
existence  ne  saurait  être  révoqué  en  doute. 

Le  but  de  la  catéchèse  étant  de  conduire  à  la  foi,  selon 
le  mot  de  Clément  d'Alexandrie  (i),  le  but  particulier  de 
la  catéchèse  d'admission  était  de  préparer  les  voies,  de 
tracer  la  marche  à  suivre  ainsi  que  la  conduite  à  tenir, 
soit  en  indiquant  les  obstacles  qu'il  fallait  écarter,  soit  en 
notifiant  dans  leur  ensemble  et  d'une  façon  sommaire  les 
principales  vérités  à  croire  et  les  devoirs  à  pratiquer. 

Saint  Ambroise  nous  donne  un  renseignement  précieux 
à  ce  sujet.  Il  écrit,  en  effet,  qu'il  faut  agir  à  l'égard  des; 
païens  comme  saint  Paul  avait  agi  envers  les  membres  de 
l'aréopage.  De  plus,  il  donne  le  programme  à  remplir  :' 
c'est  d'abord  d'enseigner  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  que 
ce  Dieu  est  le  maître  de  tout  et  que  le  devoir  de  l'homme 
est  de  l'aimer;  c'est  ensuite  de  condamner  l'idolâtrie; 
c'est  enfin  de  montrer  que  Jésus-Christ  a  apporté  le  salut, 
par  suite  qu'il  faut  croire  en  lui,  parce  que  l'histoire  seule 
de  ce  qu'il  a  fait  sur  la  terre  jusqu'à  sa  résurrection  est 

i.  Pédagogue,  i,  6  ;  Pair,  gr.,  t.  vin,  col.  235. 


8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  '  • 

une  preuve  de  sa  divinité  (i).  Si  la  réponse  qu'il  fit  in 
modum  catechismi  à  Frigitil,  reine  des  Marcomans, 
qui  lui  avait  demandé  ut  scripiis  ipslas  qualller  credere 
deberet,  nous  était  parvenue,  nul  doute  que  nous  n'eus- 
sions là  un  exemple  de  ce  genre  de  catéchèse  (2). 

En  revanche  nous  pouvons  tirer  des  renseignements  non 
moins  précieux  soit  de  la  Grande  Catéchèse  de  saint  Gré- 
goire de  Nysse  (3),  soit  du  De  catechizandls  rudibus  de 
saint  Augustin  (4). 

Il  est  vrai  que  l'évêque  de  Nysse,  malgré  le  titre  de  son 
discours,  ne  nous  donne  pas  une  catéchèse  proprement 
dite  ou  une  allocution  à  des  païens  ;  c'est  plutôt  une  leçon 
à  l'usage  des  catéchistes  sur  la  manière  de  faire  la  caté- 
chèse, et  plus  spécialement  de  prouver  par  le  raisonne- 
ment les  mystères  de  la  foi  à  ceux  qui  ne  défèrent  pas  à 
l'autorité  de  l'Eglise.  En  conséquence,  il  avertit  les  maî- 
tres chrétiens  de  varier  leurs  procédés  suivant  les  besoins 
de  leurs  catéchisés,  de  se  mettre  toujours  au  point  de  vue 
particulier  de  l'adversaire,  de  le  suivre  pas  à  pas  et  de  pro- 
fiter  de  ses  concessions  pour  entraîner  et  décider  son 
adhésion.  C'est  de  manière  différente,  en  effet,  qu'on  doit 
procéder  selon  qu'on  parle  à  un  païen  qui  nie  l'unité  de 
Dieu,  ou  à  un  Juif  qui  ne  croit  pas  en  Jésus-Christ,  ou  à 
|un  hérétique,  qui,  en  attaquant  la  divinité  de  Notre-Sei- 
1  gneur,  erre  sur  la  trinité.  La  tactique  indiquée  est  celle 
|d'un  controversiste  ou  d'un  apologiste  en  face  des  diffi- 
cultés qu'on  oppose  aux  dogmes  chrétiens,  beaucoup  plus 
jque  celle  d'un  catéchiste  ;   sans  doute  parce  que  les  habi- 
litants de  Nysse  devaient  avoir  l'esprit  raisonneur  des  Grecs 
et  non  la  simplicité  des  hommes  de  bonne  volonté.  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  ton  a  beau  différer,  l'objet  de  la  catéchèse 
i  reste  le  même,  c'est  de  signaler  les  principaux  dogmes, 
tels  que  celui  de  la  trinité,  de  l'incarnation  et  de  la"  ré- 
demption, les  deux  sacrements  du  baptême  et  de  l'eucha- 
ristie, ainsi  que  la  double  sanction  de  la  vie  éternelle  ; 

1.  In  Lac,  vi,  io4-io5  ;  Pair,  lai.,  t.  xv,  col.  1096-1097.  — 
a.  Vila  Ambrosii,  36  ;  Pair,  lai.,  t.  xiv,  col.  39.  —  3.  Pair, 
gr.,  t.  xlv,  col.  9  sq.  —  4-  Pair,  lai.,  t.  xl,  col.  309  sq. 


INTRODUCTION 


et  le  but  est  identique,  celui  d'amener  à  la  foi  les  infi- 
dèles (i). 

Combien  plus  explicite  est  saint  Augustin  !  Grâce  à  lui, 
nous  connaissons  la  méthode  et  l'objet  de  la  catéchèse 
dont  nous  parlons.  Attitude  à  avoir,  plan  à  suivre, 
matière  à  traiter,  c'est  toute  une  théorie  de  ce  genre 
de  catéchèse  qu'il  adresse  à  Deogratias,  diacre  de 
Carthage,  avec  deux  exemples  ou  modèles  à  l'appui,  l'un 
plus  long,  l'autre  plus  court,  selon  le  temps  dont  on 
dispose. 

S'agit-il  d'un  illettré,  d'un  radis  et  indoctus  ?  Il  faut  lui 
montrer  tout  d'abord,  par  un  rapide  exposé  de  l'histoire 
du  monde,  que  tout  ce  que  Dieu  a  fait  il  l'a  fait  par 
amour,  afin  de  porter  cet  illettré  à  répondre  à  ces  avances 
divines  par  l'amour  d'un  cœur  pur,  d'une  conscience 
droite,  d'une  foi  non  feinte  ;  car  là  est  la  fin  du  précepte 
et  la  plénitude  de  la  loi  :  tel  est  le  but  à  atteindre.  Et  pour 
mieux  provoquer  cet  amour,  parler  de  la  sévérité  de 
Dieu,  car  la  crainte  est  toujours  salutaire  pour  toucher  le 
cœur  des  mortels.  Mais  avant  d'entrer  en  matière,  il  faut 
bien  connaître  l'état  d'âme  de  ce  postulant  et  procéder  en 
connaissance  de  cause.  Faire  voir  ensuite  l'intervention  de 
Dieu  dans  l'histoire  à  travers  les  six  âges  du  monde,  l'An- 
cien Testament  n'étant  que  la  préparation  et  l'annonce  du 
Nouveau,  et  le  Nouveau  n'étant  que  la  réalisation  ou  la 
révélation  de  l'Ancien.  Finalement  insister  sur  la  résur- 
rection future,  sur  le  jugement  dernier  et  sur  la  sanction 
éternelle  du  bien  et  du  mal  ;  mettre  en  garde  cet  illettré 
contre  les  scandales  du  dehors  et  du  dedans  ;  lui  rappeler 
brièvement  et  convenablement  les  préceptes  de  la  vie 
chrétienne.  Et  si  alors  il  accepte  d'entrer  dans  la  voie  du 
salut,  qu'il  n'en  rapporte  qu'à  Dieu  tout  le  mérite,  qu'il 
aime  Dieu  et  son  prochain  à  cause  de  Dieu,  car  Dieu  qui 
l'a  aimé  ennemi  le  justifiera  ami. 

S'agit-il  d'un  homme  possédant  déjà  quelques  notions 
de  la  Sainte-Ecriture  et  des  lettres  chrétiennes  ?  N'avoir 

i.  Cf.  H.  Strawley,  The  catechical  oralion  oj  Gregory  of  Nyssa, 
Cambridge,  1903. 


10  LE    CATECHISME    ROMAIN 

pas  l'air  d'apprendre  à  cet  homme  ce  qu'il  sait  déjà,  mais 
énumérer,  comme  s'il  le  savait,  tout  ce  qu'on  dit  en  pa- 
reil cas  à  l'illettré,  car  cela  fournit  l'occasion  de  lui  ap- 
prendre ce  qu'il  ignore.  Il  n'est  certes  pas  inutile  de  l'in- 
terroger, lui  aussi,  pour  savoir  à  quels  livres,  à  quels  trai- 
tés, il  attribue  son  désir  de  conversion.  Si  on  les  connaît, 
les  louer  ;  mais  s'ils  sont  l'œuvre  d'hérétiques,  leur  oppo- 
ser l'autorité  de  l'Eglise  universelle,  en  faisant  remarquer 
que  même  les  bons  peuvent  parfois  se  tromper  ou  donner 
lieu,  quand  ils  sont  mal  compris,  à  ce  que  d'autres  se 
trompent.  Par  là  lui  éviter  toute  présomption.  Quant  au 
reste,  c'est-à-dire  pour  ce  qui  regarde  les  conclusions  pra- 
tiques, en  parler  comme  aux  ignorants. 

S'agit-il  enfin  d'esprits  cultivés  au  point  de  vue  litté- 
raire, mais  ignorants  au  point  de  vue  de  la  foi  !  A  ceux-là, 
plus  encore  qu'aux  illettrés,  recommander  la  retenue  ou 
l'humilité  pour  les  empêcher  de  mépriser  ceux  qui  évitent 
plus  facilement  les  fautes  de  conduite  que  l'incorrection 
du  langage  ;  leur  apprendre  surtout  à  s'instruire  dans  les 
Ecritures,  à  ne  pas  les  considérer  à  un  point  de  vue  hu- 
main, et  comme  des  livres  ordinaires,  à  adhérer  plus  au 
sens  qu'aux  termes,  à  l'esprit  qu'à  la  lettre,  à  l'âme  qu'au 
corps  ;  à  en  écouter  les  explications  vraies  plus  que  celles 
qui  sont  directes,  sans  s'arrêter  au  langage  incorrect  ou 
barbare  de  celui  qui  les  interprète  ;  car,  à  l'église,  on 
n'est  pas  au  barreau.  Quant  au  sacrement  à  recevoir,  il 
suffit  aux  plus  entendus  de  comprendre  ce  qu'il  signifie  ; 
vis-à-vis  des  plus  lents,  user  d'explications  et  de  comparai- 
sons pour  qu'ils  ne  méprisent  pas  ce  qu'ils  voient. 

A  cette  théorie  saint  Augustin  ajoute  deux  modèles. 
Qu'il  suffise  d'en  retenir  la  conclusion  :  Croire  ferme- 
ment sans  se  laisser  déconcerter  ;  se  tenir  en  garde  contre 
les  démons  et  leurs  suppôts,  qu'ils  soient  païens,  juifs 
ou  chrétiens  ;  s'attacher  de  préférence  aux  bons,  sans 
mettre  son  espoir  en  eux,  car  il  ne  faut  le  mettre  qu'en 
Dieu  ;  et,  ce  faisant,  persévérer  dans  la  foi,  en  dépit  des 
tribulations  ;  conserver  l'humilité,  car  Dieu  ne  permet 
pas  qu'on  soit  tenté  au-dessus  de  ses  forces. 

Ce  qu'il  y  a  de  remarquable  dans  ce  modèle  de  caté- 


INTRODUCTION  1 1 


chèse,  ce  n'est  pas  seulement  la  manière  dont  l'evêque 
d'Hippone  envisage  la  suite  des  âges  comme  une  sorte  de 
philosophie  de  l'histoire,  où  éclatent,  dans  une  série 
ininterrompue,  les  attentions  de  Dieu  à  l'égard  de 
l'homme,  et  fait  de  la  personne  du  Christ  le  point  central 
de  l'histoire  du  monde,  c'est  encore  l'habileté  avec  la- 
quelle il  y  enseigne  les  articles  du  symbole,  sans  révéler 
qu'ils  fassent  partie  de  la  formule  de  foi,  et  y  rattache 
toute  la  morale  chrétienne  ;  c'est  surtout  le  but  très  pré- 
cis qu'il  poursuit  d'inspirer  la  foi*  l'espérance  et  la  cha- 
rité. Aussi  n'hésite-t-il  pas  à  revenir  à  plusieurs  reprises 
soit  sur  les  récompenses  promises  aux  fidèles,  soit  sur  les 
châtiments  réservés  aux  impies  et  aux  mauvais  chrétiens  ; 
moyen  excellent  d'inspirer  par  la  crainte  un  commence- 
ment d'amour  de  Dieu.  Et  c'est  bien  là  le  genre  de  la 
catéchèse,  adressée  pendant  la  période  patristique  à  ceux 
qui  demandaient  à  entrer  dans  le  catéchuménat,  en  vue 
de  la  future  initiation  chrétienne. 

2°  La  Catéchèse  des  Catéchumènes.  —  Dès 
qu'il  était  admis  au  rang  des  catéchumènes,  et  tant  que 
durait  le  premier  stage  de  sa  probation,  le  futoir  baptisé 
devait  apprendre  à  mieux  connaître  la  doctrine  et  la  prati- 
quechrétiennes.Gr  l'homélie  ordinaireourinstruc!;nîiqui, 
au  commencement  du  service  divin,  servait  à  expliquer  et 
à  commenter  le  passage  de  l'Ecriture  dont  on  venait  de 
faire  la  lecture,  était  insuffisante,  à  raison  delà  réserve  et 
de  la  discrétion  qui  étaient  inspirées  parla  loi  du  secret 
depuis  l'institution  du  catéchuménat.  Certains  sujets,  en 
effet,  étaient  de  parti  pris  passés  sous  silence.  Dans  cet 
enseignement  public  on  ne  traitait  que  des  questions 
générales  de  foi  ou  de  morale,  ou  bien  on  se  bornait  à  de 
simples  allusions,  à  des  explications  sommaires,  que 
saisissaient  fort  bien  les  initiés,  mais  qui  restaient  de 
pures  énigmes  pour  les  non-initiés.  Les  catéchumènes 
avait  donc  besoin  d'un  supplément  d'information. 

D'autre  part,  s'ils  lisaient  les  livres  de  l'Ancien  Tes- 
tament, même  les  deutéro-canoniques  ou  certains  ou- 
vrages tels  que  la  Didaché  eu  le  Pasteur  d'Hermas,  ils 
étaient  loin  d'en  saisir  la  portée  ou   d'en   comprendre  la 


12  LE    CATECHISME    ROMAIN 

doctrine  :  de  là  encore  la  nécessité   d'an    enseignement 
supplémentaire  et  spécial. 

Mais  cet  enseignement  lui-même,  confié  à  des  didas- 
cales,  docteurs  ou  catéchistes,  clercs  ou  laïques,  prêtres  ou 
diacres,  devait  naturellement  se  proportionner  aux  besoins 
actuels  des  catéchumènes.  Et  comme  ceux-ci  n'étaient 
initiés  que  peu  à  peu,  progressivement,  selon  le  degré  de 
leur  probatlon,  il  s'ensuit  que  l'enseignement  approprié 
qu'ils  recevaient  était  forcément  lui-même  renfermé  dans 
certaines  limites.  Son  objet  ne  pouvait  guère  consister  que 
dans  un  développement  plus  détaillé,  plus  accentué  et 
plus  complet  de  la  première  catéchèse,  telle  que  nous  l'a 
fait  connaître  saint  Augustin,  ou  de  l'homélie  telle  qu'elle 
se  pratiquait  alors. 

Or  rien  n'était  plus  propre  à  y  aider  que  Y  Ecriture.  Le 
dogme,  depuis  celui  de  la  création  et  de  la  chute  jusqu'à 
celui  de  la  résurrection  et  du  jugement  général,  y  avait  sa 
place  avec  une  mise  en  relief  de  la  bonté  et  de  la  justice  de 
Dieu,  de  l'incarnation  et  de  la  rédemption;  mais  surtout 
la  morale  avec  l'explication  des  divers  préceptes  de  dé- 
calogue  ou  du  double  commandement  de  l'amour.  Mais 
si  la  catéchèse,  adressée  aux  cathéchumènes,  était  une  ins- 
truction de  nature  à  provoquer  une  adhésion  plus  ferme 
de  l'esprit  à  la  foi  et  à  fixer  la  confiance  en  Dieu,  elle 
était  aussi  une  thérapeutique  pour  guérir  les  âmes  de  la 
folie  du  paganisme  et  des  atteintes  du  péché,  elle  était 
essentiellement  une  formation  morale  de  la  volonté,  un 
entraînement  du  cœur  dans  la  pratique  du  bien,  c'est-à- 
dire  une  éducation.  Et  à  ce  ptfint  de  vue,  par  exemple  pour 
faire  mépriserl'iclolâtrieou  la  superstition,  pourinspirerle 
dégoût  d'une  morale  facile  et  corrompue  ou  l'amour  d'une 
morale  saine  et  austère,  rien  de  mieux  approprié  que  la 
lecture  et  l'explication  du  livre  la  Sagesse.  Celui  de 
Y  Ecclésiastique  n'a-t-il  pas  pour  but,  selon  la  remarque 
de  la  préface,  d'apprendre  à  bien  régler  ses  œuvres  et  à 
mettre  sa  vie  en  harmonie  avec  la  loi  de  Dieu  ?  Et  où 
trouver,  pour  des  âmes  à  peine  détachées  du  paganisme 
ou  en  train  de  s'en  détacher,  des  leçons  plus  touchantes 
et  mieux  appropriées  de  foi,  de  confiance  en  Dieu,   de 


INTRODUCTION  l3 


vertus  morales,  que  celles  qui  se  dégagent  des  livres  de 
Tobie  ou  cVEsther?  On  comprend  ce  que  la  Bible  et 
l'Evangile  offraient  de  ressources  pour  une  telle  éducation. 
11  n'y  aurait  plus  qu'à  citer  un  exemple  d'un  tel  genre 
de  catéchèse  :  il  nous  fait  défaut  ;  d'où  l'impossibilité  d'en 
dessiner  le  cadre  ou  d'en  montrer  la  trame,  et  la  néces- 
sité de  recourir  à  l'hypothèse.  Il  est  certain  que  cette 
catéchèse  existait.  Les  Constitutions  apostoliques  y  font 
clairement  allusion  (i),  et  aussi  saint  Augustin  quand  il 
dit  qu'il  faut  enseigner  avec  plus  de  diligence  et  d'insis- 
tance aux  compétents  ce  qu'on  leur  a  déjà  inculqué  au- 
paravant (2).  Et  que  leur  a-t-on  inculqué  si  ce  n'est  ce 
qu'on  leur  enseignait  dans  cette  catéchèse  ? 

3°  La  Catéchèse  des  Compétents.  —  Lorsque 
approchait,  pendant  l'année,  l'époque  de  la  collation 
solennelle  du  baptême,  le  catéchumène  devait  se  faire 
inscrire  au  nombre  des  compétents  pour  se  préparer 
d'une  manière  immédiate  au  sacrement  de  la  régé- 
nération. Pendant  ce  dernier  temps  de  probation,  il 
recevait  un  complément  d'instruction  religieuse,  et 
l'enseignement  qu'on  lui  donnait  s'entourait  d'une  certaine 
solennité. 

La  catéchèse  traitait  alors,  d'après  les  Constitutions 
apostoliques  (3),  de  la  création,  de  la  providence,  de  la 
trinité,des  lois  de  l'Eglise,  du  jugement,  des  fins  dernières, 
et,  d'après  la  Peregrinatio  Silviœ  (4),  un  témoin  des  usages 
de  Jérusalem  à  la  fin  du  ive  siècle,  de  la  loi,  de  la  foi  et 
de  la  résurrection  de  la  chair.  C'était  le  même  objet  que 
celui  de  la  catéchèse  des  catéchumènes,  celui  d'indiquer 
aux  compétents  quelles  doivent  être  la  foi  et  la  vie  du 
chrétien,  sauf,  comme  le  remarque  saint  Augustin,  qu'on 

1.  Const.  apost.,  vin,  32  ;  Patr.  gr.,  t.  1,  col.  n32.  —  2.  De 
fide  et  oper,,  vi,  9  ;  Patr.  lat.,  t.  xl,  col.  2o3,  Cf.  Grùhcr, 
Des  hl.  Augustin  Théorie  der  Katechetik,  llatisbonnc,  1870  ; 
Schôbcrl,  Die  narratio  de  hl.  Augustin  und  die  Katecheliker  der 
Neuzeit,  Dingolfmg,  1880.  —  3.  Const.  apost.  vu,  39  ;  Patr.  gr.t 
t.  1,  col.  io4o.  —  4.  Peregr.,  40,  édit.  Geyer.  Vienne,  1898, 
P-  97- 


l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


y  insistait  davantage.  Par  suite  la  synthèse  fait  place  à 
l'analyse,  l'enseignement  se  fait  plus  précis  et  plus 
explicite.  Notamment  la  règle  de  foi  ou  symbole  y  occupe 
une  place  à  part,.  C'est  alors,  en  effet,  que  le  symbole  est 
notifié  pour  la  première  fois  comme  la  règle  imprescriptible 
et  la  formule  sacrée  de  ce  qu'il  faut  croire.  Son  texte 
est  révélé  ;  chacun  des  articles  qui  le  composent  est 
successivement  détaillé  et  expliqué,  de  manière  à  être 
facilement  compris  et  retenu.  Le  symbole  ne  s'écrivant 
pas,  le  compétent  devait  l'apprendre  par  cœur  à  ce  moment 
pour  le  réciter  ensuite  d'une  manière  solennelle  devant 
l'assemblée  des  fidèles,  avant  le  baptême,  et  pour  le  répéter 
tout  le  reste  de  la  vie  dans  sa  prière  privée.  C'était  là, 
comme  nous  le  verrons  en  parlant  du  baptême,  la  traciitio 
et  la  redditio  symboli. 

.  La  tradition  du  Paier  se  fait  aussi  solennellement.  De 
plus  le  Décalogue,  dont  l'ensemble  a  fourni  jusque  là 
matière  à  l'enseignement  homélétique  et  catéchétique,  est 
détaillé  et  donné  dans  sa  forme  scripturaire  comme 
l'expression  de  la  volonté  de  Dieu  et  la  règle  immuable 
de  la  conduite  des  fidèles.  Enfin  les  trois  sacrements  qui 
font  partie  de  l'initiation  chrétienne  sont  à  leur  tour 
l'objet  d'une  explication  appropriée  :  leur  nature,  leur 
rôle,  leurs  effets,  ainsi  que  le  symbolisme  des  cérémonies 
qui  les  encadrent  sont  passés  en  revue. 

Vu  l'importance  de  cet  enseignement  donné  aux 
compétents,  ce  n'est  plus  un  simple  didascale  ou  un 
membre  du  clergé  inférieur  qui  en  est  chargé,  mais  bien 
l'évêque  en  personne  ou  un  prêtre  de  choix.  Toutes  les 
catéchèses  prononcées  in  tradillone  symbole,  qui  nous 
sont  parvenues,  ont  été  faites,  en  effet,  par  des  évêques 
ou  des  prêtres  spécialement  délégués.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  saint  Cyrille  à  Jérusalem,  saint  Chrysoslome 
à  Antiochc.  et  saint  Augustin  à  Hippone  furent  chargés, 
avant  leur  épiscopat.  de  l'instruction  des  compétents. 

Hien  ne  saurait  donner  une  idée  plus  précise  et  plus 
détaillée  de  ce  genre  d'instruction,  de  leur  méthode,  de 
leur  sujet  cl  de  leur  importance  que  le  recueil  célèbre  des 
catéchèses  faites  à  Jérusalem,  en   'ô!\§,   par  saint  Cyrille, 


INTRODUCTION  1 5 


au  nom  de  l'évêque  Maxime.  Ce  recueil  se  compose  d'une 
procatéchèse  ou  préface,  de  dix-huit'catéchèses,  adressées 
aux  compétents  pendant  le  carême,  et  de  cinq  autres  dites 
mystagogiques,  adressées  aux  nouveaux  baptisés,  la 
semaine  après  Pâques.  La  méthode  est  simple,  claire, 
vivante  et  pressante,  aussi  appropriée  que  possible  aux 
besoins  intellectuels  et  moraux  des  auditeurs,  très  pratique 
et  très  objective.  Elle  vise,  en  effet,  à  détacher  d'abord 
les  compétents  du  péché  par  le  repentir  et  la  pénitence,  à 
les  bien  préparer  par  l'ascèse  à  cette  purification  ou 
illumination  par  excellence  qu'est  le  baptême,  à  les  mettre 
en  garde  contre  les  erreurs  ambiantes  des  païens,  juifs  ou 
hérétiques,  à  leur  formuler  avec  toute  la  précision 
désirable  les  vérités  dogmatiques  renfermées  dans  le 
symbole  en  les  appuyant  de  preuves  empruntées  à  la 
raison  ou  tirées  de  l'Ecriture,  à  leur  expliquer  enfin  le 
saisissant  symbolisme  des  diverses  pratiques  préparatoires 
au  baptême  (i). 

4°  La  Catéchèse  des  Néophytes.  —  La  collation 
du  baptême  ne  mettait  pas  un  terme  à  l'enseignement  caté- 
chétique.  Initiés  à  la  vie  chrétienne  par  la  réception  du 
baptême,  de  la  confirmation  et  de  l'eucharistie,  les  néo- 
phytes restaient  encore  pendant  huit  jours  sous  la  direction 
de  leurs  catéchistes  avant  d'être  définitivement  associés  à 
la  vie  ordinaire  des  fidèles,  et  continuaient  à  recevoir  quel- 
ques instructions  particulières.  A  Jérusalem,  les  catéchèses 
mystagogiques  de  saint  Cyrille  traitent  des  cérémonies  du 
baptême,  de  l'onction  chrismale  et  de  la  liturgie  eu- 
charistique. Elles  représentent,  au  point  de  vue  de 
l'instruction  spéciale  réservée  à  ceux  qui  viennent  d'être 
initiés  à  la  vie  chrétienne,  la  catéchèse  des  néophytes  au 
lendemain  de  leur  baptême  jusqu'à  la  veille  du  dimanche 
de  Quasimodo,  in  aibls  depositis,  où  ils  se  confondaient 
désormais  avec  le  reste  des  fidèles  (2). 

Semblable  pratique  avait  lieu  en  Occident.  C'est  ainsi 

1.  Pair,  gr.,  t.  xxxiii  ;  Cf.  Dictionnaire  de  Théologie,  t.  n, 
col.  1887,  pour  le  détail. —  2.  Peregr,,  loc.  cit.,  p.  99  ;  Duchesne, 
Origines  du  culte,  p.  5oo. 


l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qu'à  Milan,  saint  Ambroise  renvoyait  après  Pâques 
l'explication  des  mystères,  parce  que  l'impression  directe 
produite  par  la  vue  même  de  ces  mystères  semblait  une 
leçon  préférable  à  celle  d'une  explication  préparatoire  (i). 
Cela  ne  l'empêchait  pas  de  donner  dans  la  suite  une 
explication  détaillée  des  divers  rites.  Le  De  mysleriis  est, 
en  effet,  composé  en  partie  d"instructions  adressées, 
comme  à  Jérusalem,  à  de  nouveaux  baptisés  et  relatives 
au  baptême,  à  la  confirmation  et  à  l'eucharistie. 

En  Afrique,  au  contraire,  et  particulièrement  à  Hip- 
pone,  la  plupart  de  ces  explications  précédaient  la  colla- 
tion du  baptême  ;  mais  la  semaine  après  Pâques  n'en 
était  pas  moins  réservée  à  certaines  instructions  dites 
ad  infantes,  ad  neophytos,  soit  pour  suppléer  à  l'insuiïi- 
sance  des  enseignements  donnés  sur  la  messe  et  la 
communion,  soit  surtout  pour  engager  à  la  persévérance 
les  nouveaux  baptisés  (2)» 

III.    La  Catéchèse  de   la  fin 
du  Ve  siècle  au  IXe 

Pendant  que  l'Eglise  grecque,  après  la  chute  de  l'empire 
romain  d'Occident,  se  mettait  à  la  remorque  du  pouvoir 
civil  et  épuisait  sa  force  dans  d'interminables  querelles 
jusqu'au  schisme  final,  l'Eglise  latine  resta  aux  prises 
avec  les  invasions.  Mais  déjà  très  puissante  en  Italie,  dans 
l'Afrique  du  Nord,  en  Espagne,  en  Gaule,  dans  une  partie 
de  la  Germanie  et  dans  les  îles  britanniques,  l'Eglise  de 
Rome  assure  sa  prépondérance  et  reçoit  dans  son  sein  les 
barbares,  dont  elle  fait  des  peuples  chrétiens.  Or,  dans  ce 
milieu  où  les  familles  qui  ont  embrassé  la  foi  forment  la 
majorité  delà  population,  l'ancienne  organisation  du  caté- 
chuménatperd  en  partie  sa  raison  d'être.  Car  le  baptême 
des  enfants  tend  de  plus  en  plus  à  être  la  règle  ordinaire, 

1.  De  myst.,  1,  2  ;  Pair,  lat.,  t.  xvi,  col.  389.  —  2.  Saint  Au- 
gustin, Serm.,  cclx,  Pat.  lat.,  t.  xxxviu,  col.  1202  ;  Serm., 
cccliii,  Ibid.,  t.  xxxix,  col.  i56o. 


INTRODUCTION  1 7 


tandis  que  le  baptême  des  adultes  devient  de  plus  en 
plus  une  exception.  Sans  doute,  même  pour  le  baptême 
des  enfants,  on  pratique  encore,  durant  le  carême  et 
jusqu'à  la  veille  de  Pâques,  les  cérémonies  spéciales  delà 
tradition  du  symbole  et  de  l'oraison  dominicale,  à  la- 
quelle on  ajoute  celle  des  saints  Evangiles  et  de  la  foi  ;  le 
triple  renoncement  au  démon,  à  ses  pompes  et  à  ses 
œuvres,  la  triple  affirmation  de  la  foi  ont  toujours  lieu. 
Mais  ce  sont  les  parrains  et  les  marraines  qui  se  substi- 
tuent à  leurs  filleuls  et  jouent  le  rôle  actif  dans  toutes  ces 
cérémonies. 

La  catéchèse  ancienne,  préparatoire  au  baptême,  doit 
être  forcément  remplacée  par  un  enseignement  posté- 
rieur au  baptême.  Dès  qu'ils  parviennent  à  l'âge  de  raison, 
les  enfants  baptisés  doivent  recevoir  une  instruction  chré- 
tienne, de  manière  à  connaître  les  vérités  à  croire  et  les 
devoirs  à  remplir  pour  mener  une  vie  conforme  au 
baptême  qu'ils  ont  reçu.  Cette  instruction  incombe  tout 
d'abord  aux  parents  et  aux  parrains  comme  une  obligation 
étroite  de  leur  parenté  naturelle  ou  spirituelle  ;  mais, 
pour  divers  motifs,  elle  ne  pouvait  que  laisser  beaucoup 
à  désirer  et  devait  être  en  tout  cas  fort  rudimentaire.  Elle 
fut  également  confiée  aux  prêtres  chargés  du  soin  des 
paroisses.  Mais  qu'il  fût  donné  par  les  parents  et  les 
parrains  ou  par  les  membres  du  clergé,  cet  enseigne- 
ment élémentaire  était  destiné  à  remplacer  la  catéchèse  du 
catéchuménat.  Devant  particulièrement  s'adresser  à  des 
enfants,  il  dut  être  mis  à  leur  portée,  être  réduit  à  sa  plus 
simple  expression,  de  manière  à  être  saisi  et  retenu.  A  la 
longue,  après  bien  des  tentatives  et  des  essais,  il  aboutit  à 
ce  que  n«us  appelons  aujourd'hui  le  catés/risme,  comme 
nous  le  verrons  plus  loin. 

La  catéchèse  ne  continue  pas  moins  d'être  pratiquée,  à 
titre  exceptionnel  dans  les  pays  chrétiens  auprès  des 
adultes  infidèles,  et  normalement  en  pays  païens,  c'est-à- 
dire  au  centre,  à  l'est,  au  nord  de  l'Europe,  partout  où 
l'Eglise  porte  l'effort  de  son  apostolat. 

1°  La  Catéchèse  en  pays  Chrétien.  —  En  Afrique, 
en  Espagne  et  en  Gaule,  on  continue  à  traiter  les  catéchu- 

LB  CATÉCHISME.    —  T.    I. 


l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


mènes  et  les  compétents  comme  par  le  passé.  Dans  la  pro- 
vince d'Afrique,  Saint  Fulgence  de  Ruspe  (f  533)  dit  aux 
compétents  que  le  démon  a  été  frappé  pareuxdedixplaies. 
Or  ces  dix  plaies  rappellent  dix  pratiques  déjà  connues  du 
catéchuménat,  entre  autres  la  traditio  symboli  (i).  Son 
correspondant  Ferrand,  diacre  de  Carthage,  lui  écrit  pour 
savoir  ce  qu'il  faut  penser  du  sort  réservé  à  l'un  des  com- 
pétents qu'il  préparait  au  baptême  et  qui  venait  de  mourir 
subitement  ;  il  a  soin  de  constater  que  ce  catéchumène 
avait  été  admis  au  nombre  des  compétents,  aux  approches 
de  Pâques,  qu'après  l'inscription  de  son  nom,  il  avait 
reçu  l'instruction  propre  à  son  rang  et  la  notification  des 
mystères  de  la  vie  chrétienne  ;  qu'il  était  passé  par  les 
exorcismes  et  avait  subi  le  scrutin  solennel  ;  qu'il  avait 
pris  l'engagement  de  renoncer  au  démon  ;  qu'il  avait 
assisté  à  la  tradition  du  symbole  et  de  l'oraison  domini- 
cale et  qu'il  avait  récité  la  formule  de  foi  (2). 

En  espagne,  où  les  ariens  sont  nombreux,  les  évêques 
décident,  au  concile  d'Agde  de  5oG,  que  l'on  doit  ensei- 
gner aux  compétents  partout  le  même  jour,  c'est-à-dire, 
le  huitième  avant  Pâques,  can.  i3,  et  qu'il  faut  obliger  les 
juifs  qui  veulent  se  convertir,  à  passer  huit  mois  eu  rang 
des  catéchumènes,  can.  34  (3).  Plus  tard,  trois  ans  après 
la  conversion  du  roi  des  Suèves,  Ariamir,  en  563,  au 
iep  concile  de  Braga,  ils  rédigent  une  formule  de  symbole 
pour  l'opposer  au  priscillianisme  et  veulent  que  l'on  con- 
tinue à  administrer  le  baptême  conformément  aux  indi- 
cations envoyées  par  le  pape  Vigile  à   Profuturus   (4). 

En  572,  II9  concile  de  Braga  :  on  y  trace  la  conduite  à 
suivre  pendant  le  carême  a  l'égard  des  compétents,  tou- 
chant les  exorcismes  et  l'enseignement  du  symbole  ;  les 
évêques  sont  invités  à  pousser  leurs  diocésains,  pendant 
la  visite  pastorale,  à  abandonner  les  erreurs  païennes  et  à 
éviter  les  fautes  graves  (5).  Après  la  conversion  de  Ré- 
carède,  le  concile  de  Tolède  de  589  ordonne  aux  fidèles 

1.  Serm.  lxxviii,  Patr.  lat.,  t.  lxv,  col.  95o.  —  a.  Epist.,  1; 
Epist.,  xii,  1,2;  Patr.  lat.,  ibid.,  col.  38o.  —  3.  Hardouin, 
Acla,  Concil.,  t.  11,  col.  999,  1002.  —  4-  Capit.,  5  ;  Hardouin, 
t.  m,  col.  35 1.  —  5.  Can.  1,  ibid.,  col.  386. 


INTRODUCTION 


de  chanter  à  la  messe  le  symbole  de  Constantinople  (i). 
Au  siècle  suivant,  le  catéchumène,  d'après  saint  Isidore  (2),, 
est  celui  qui  rejette  le  culte  des  idoles  et  apprend  à  con- 
naître qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Seigneur  ;  quant  au  compé- 
tent, il  est  instruit  sur  ce  qui  regarde  les  sacrements,  sur 
le  symbole  et  la  règle  de  foi  et  sur  ce  qui  touche  au 
baptême,  à  la  chrismation  et  à  l'imposition  des  mains  (3). 
Saint  Ildefonse,  dans  son  De  cognitione  baptismi,  suit 
d'abord  la  nar ratio  de  saint  Augustin  ;  il  distingue  en- 
suite le  compétent  du  catéchumène,  et  cite  comme  faisant 
partie  de  son  instruction  spéciale  le  symbole,  l'oraison 
dominicale,  les  sacrements  du  baptême,  de  confirmation; 
et  d'eucharistie  (4). 

En  Gaule,  nous  savons  par  Gennade  (5),  ce  qu'on  en- 
seignait aux  futurs  baptisés,  à  la  fin  du  ve  siècle.  Pour  le 
vie,  saint  Avit  (7  526)  nous  a  laissé  un  petit  poème  en  cinq 
chants,  qui  rappelle  une  partie  de  la  narratlo  augusti- 
nienne  et  qui  traite  de  la  création,  du  péché  originel,  du 
jugement  de  Dieu  chassant  Adam  du  paradis,  du  déluge 
et  du  passage  de  la  mer  Rouge,  deux  types  du  bap- 
tême (6).  Saint  Césaire  (7  542),  fidèle  écho  de  l'évêquer 
d'Hippone,  nous  fait  connaître  les  devoirs  des  parents  à 
l'égard  des  enfants,  des  parrains  vis-à-vis  de  leurs  filleuls; 
il  énumère  les  vices  et  les  superstitions  de  son  temps  qu'il 
faut  abandonner  pour  devenir  chrétien,  traite  de  l'obliga- 
tion qui  incombe  au  compétent,  des  divers  articles  du 
symbole  qui  faisaient  l'objet  de  la  catéchèse  préparatoire  au 
baptême,  de  la  foi  due  au  symbole,  de  la  trinité.de  l'incar- 
nation, de  la  rédemption  et  du  jugement  dernier  (7).  Après 
lui,  saint  Grégoire  de  Tours  (7593  ou  5g4)  cite  parfois 
quelque  trait  relatif  à  l'administration  du  baptême  pen- 

1.  Capit.,  2,  ibid.,  col.  386.  —  2.  De  offic,  II,  xxi;  Pair,  lat.* 
t.  Lxxxiu,  col.  8i4-  —  3.  De  ojfic,  II,  xxn-xxvn,  ibid.,  col.,. 
812-824.  —  4.  De  cognit.  bapt.,  xxxiu,  cxxxu-cxlii  ;  Pair,  lat.* 
t.  xcvi,  col.  124,  166-171.  —  5.  De  eccles.  dogm.,  74  ;  Patr.  lai.,. 
t.  Lvui,  col.  997.  —  6.  De  Mosaicœ  historiœ  gestis,  Patr.  lat., 
t.  lix,  col.  323-368.  —  7.  Serm.,  vi,  6  ;  clxviii,  3  ;  cclxv,  5  ; 
cclxvii  ;  ccxhv-ccli;  Pair.  lat.t  t.  xxxix,  col.  1751,  2071,  2239, 

22^2,  2l83-2I94. 


20  LE    CATECHISME    ROMAIN 


dant  le  vie   siècle  dans   son    Histoire    des  Francs    (i). 

2°  La  Catéchèse  en  pays  de  missions.  —  Com- 
mencées dès  <le  ve  siècle,  les  missions  amènent  succes- 
sivement la  conversion  de  l'Irlande,  de  l'Ecosse  et  de  la 
Grande-Bretagne  pendant  le  vie  siècle.  Puis,  sous  les  Méro- 
vingiens d'abord,  sous  les  Carlovingiens  ensuite,  des  Irlan- 
dais viennent  se  mêler  aux  Francs  pour  évangéliser  les 
Pays-Bas  des  rives  de  l'Escaut  à  celles  de  la  Meuse, 
toute  l'ancienne  Germanie  romaine,  l'Austrasie,  l'Alé- 
manie,  la  Thuringe  et  la  Bavière.  Enfin  des  mission- 
naires anglo-saxons  entreprennent  la  conversion  de 
la  Saxe  et  de  la  Germanie,  qui  n'avaient  pas  connu 
le  joug  de  Rome,  et  qui  sont  réduites  par  Charlemagne. 
Au  ixe  siècle,  le  christianisme  pénètre  en  Moravie  et 
en  Bohême,  grâce  aux  saints  Cyrille  et  Méthode, 
en  Danemark  avec  saint  Anschaire,  et,  à  partir  de 
la  fin  du  x6  siècle,  en  Suède  et  en  Norvège,  en  Pologne, 
en  Hongrie  et  en  Russie.  Sans  dépasser  ici  inutilement  le 
règne  de  Charlemagne,  il  faut  rechercher  la  méthode  sui- 
vie par  saint  Patrice  (f  460)  chez  les  Irlandais,  par  saint 
Colomban  (f  573)  chez  les  Pietés  et  les  Scots,  par  saint 
Augustin  de  Cantorbéry  (f  608)  chez  les  Anglo-Saxons, 
par  saint  Amand  et  saint  Eloi  (f  658)  chez  les  Francs  aus- 
trasiens,  par  saint  Gall  (f  c.  627)  chez  les  Alémans  de  la 
Suisse,  par  saint  Kilian  (vers  689)  en  Thuringe,  par  saint 
Rupert  en  Bavière,  par  saint  Wilfrid  (f  700)  et  saint  Willi- 
brord  (f  c.  739)  dans  la  Frise,  et  par  saint  Boniface  (f  755) 
dans  la  Saxe  et  les  pays  environnants. 

Malheureusement  il  ne  nous  est  resté  aucune  catéchèse 
de  cette  époque,  sans  doute,  parce  que,  prêchant  en  lan- 
gue vulgaire,  les  missionnaires  d'alors  ne  prirent  pas 
soin  de  rédiger  en  latin  les  discours  qu'ils  adressaient 
aux  païens  et  aux  catéchumènes,  comme  ils  le  firent  pour 
quelques  homélies,  adressées  à  des  chrétiens,  dans  le  but 
de  les  mettre  entre  les  mains  du  clergé,  à  titre  de  modèle 
ou  de  manuel  de  prédication.  Nous  en  sommes  donc 
réduit  aux  conjectures. 

x.  Hist.  Franc,  m  sq  ;  Pair.  lat.t  t.  lxxi,  col.  241  sq. 


INTRODUCTION  21 


Cependant,  ce  qui  rend  ces  conjectures  très  vraisem- 
blables, c'est  que  ces  missionnaires  ont  dû  naturellement 
s'inspirer  de  l'expérience  déjà  acquise  ailleurs  ainsi  que 
des  traditions  introduites  dans  l'Eglise  par  le  catéchuménat. 
Le  milieu,  il  est  vrai,  difïérait,  mais  l'obstacle  à  vaincre 
était  toujours  le  paganisme  et  ses  superstitions.  De  ce 
côté,  la  catéchèse  ne  pouvait  procéder  tout  d'abord  que 
par  la  démonstration  de  l'erreur  païenne,  sauf  à  ne  pas 
trop  heurter  de  front  ces  natures  farouches  et  susceptibles. 
Des  ménagements  s'imposaient.  Et  si  trop  souvent,  con- 
trairement aux  sages  prescriptions  de  l'Eglise,  la  force 
brutale  intervint  pour  obliger  les  peuples  vaincus  à 
accepter  le  joug  de  la  foi,  il  était  facile  de  prévoir  combien 
éphémères  devaient  être  de  pareilles  conversions.  Mieux 
valait  incontestablement  user  d'une  sage  modération  et  ne 
recourir  qu'aux  procédés  ordinaires  de  la  persuasion 
évangélique  en  appuyant  l'enseignement  donné  sur  l'au- 
torité de  l'exemple,  la  sainteté  de  la  vie  et  l'efficacité  du 
dévouement  ;  et  c'est  ce  à  quoi  ne  manquèrent  pas,  en 
général,  la  plupart-des  missionnaires. 

Mais  ayant  affaire  à  des  caractères  droits,  à  des  natures, 
généreuses  et  enthousiastes,  ils  se  hâtèrent  parfois 
d'admettre  les  catéchumènes  au  baptême  sans  une  prépa- 
ration intellectuelle  suffisante  pour  des  esprits  aussi  peu 
cultivés.  La  catéchèse  préparatoire  devait  contenir  cepen- 
dant le  strict  nécessaire  des  vérités  à  croire  et  des  devoirs 
à  pratiquer  pour  devenir  chrétien  ;  mais  elle  était  si 
promptement  oubliée  que  quelques-uns  de  ses  éléments 
essentiels  n'étaient  plus  connus  après  le  baptême  et  que, 
des  ordres  furent  donnés  en  conséquence,  à  plusieurs, 
reprises,  pour  enseigner,  par  exemple,  aux  nouveaux, 
baptisés,  l'objet  du  triple  renoncement  au  démon,  à  ses 
pompes  et  à  ses  œuvres,  et  pour  leur  faire  apprendre  par 
cœur  la  formule  du  symbole  des  apôtres  et  de  l'oraison 
dominicale. 

Voici,  du  reste,  d'après  les  documents  contemporains,- 
les  quelques  indications  sommaires  qui  permettent  de 
reconstituer  à  peu  de  chose  près  la  catéchèse  d'alors,  et 
de  constater  que  la  plupart  des  éléments  de  la  catéchèse 


^32  LE    CATECHISME    ROMAIN 


-apostolique  et  patristique  s'y  retrouvent.  C'est,  en  effet, 
en  premier  lieu,  la  condamnation  de  l'idolàlriesous  toutes 
ses  formes,  et  l'on  sait  combien  elle  était  profondément 
enracinée  dans  ces  races  pietés,  saxonnes,  germaniques. 
«Saint-Eloi  énumère  un  grand  nombre  de  supersti- 
tions (i),  et  le  concile  de  Leptines,  743,  en  compte  une  tren- 
taine dans  son  Indiculus  super stitionum  et  paganariam  (2). 
C'est  ensuite  la  proclamation  de  l'existence  d'un  Dieu  uni- 
<jue,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  envoyant  son  fils  pour 
sauver  les  hommes,  avec  un  abrégé  de  l'histoire  religieuse 
<Ju  monde  et  de  l'économie  de  la  rédemption.  C'est  aussi 
le  rôle  du  baptême,  les  renoncements  et  les  engagements 
<jui  précèdent  sa  collation,  la  liste  plus  ou  moins  détaillée 
des  fautes  à  éviter  et  des  devoirs  à  remplir.  Et  c'est  enfin 
la  question  des  fins  dernières,  du  jugement  général  et  de 
la  sanction  des  récompenses  ou  des  peines  éternelles. 

Saint  Augustin,  envoyé  par  saint  Grégoire  le  Grand, 
prêche  l'Evangile  au  roi  anglo-saxon,  Ethelbert,  le  con- 
vertit et  le  baptise  avec  une  multitude  des  siens  à  Can- 
torbéry,  le  jour  de  Noël  597,  comme  Saint  Rémi  avait 
baptisé  Clovis  et  ses  Francs,  à  pareille  fête,  un  siècle  au- 
paravant (3).  Le  pape,  félicitant  son  missionnaire  de  ce 
<jue  la  nation  des  Angles,  dégagée  des  ténèbres  de  l'erreur 
et  éclairée  des  lumières  de  la  foi,  a  embrassé  le  christia- 
nisme, laisse  entendre  quelle  fut  la  méthode  catéchétique 
•de  saint  Augustin  (4). 

Quelques  années  plus  tard,  en  624,  Boniface  V  écrit  à 
Hdwin,  roi  saxon  du  Northumberland  encore  païen,  pour 
l'engager  à  embrasser  la  foi  de  sa  femme  Edelburge  et  à 
se  faire  chrétien.  Sa  lettre  est  un  programme  de  caté- 
chèse. Inanité  des  idoles,  importance  de  croire  un  Dieu 
créateur,  qui  a  envoyé  son  fils  unique  pour  sauver  le 
genre  humain,  nécessité  d'embrasser  l'évangile  et  de  re- 

1.  Vita  S.  Eligii,  11,  xv  ;  Pair,  lai.,  t.  lxxxvii,  col.  524-55o. 
—  2.  Pair,  lai.,  t.  lxxxix,  col.  810  sq  ;  Hardouin,  t.  ni,  col. 
«gis  ;  Hefele,  Histoire  des  Conciles,  t.  iv,  p.  407.  Cf.  Ratramne, 
Pair,  lai.,  t.  cxxi,  col.  n53.  —  3.  Bèdc,  Hist.  eccles..  ï,  xxv; 
Pair,  lai.,  t.  xcv,  col.  55.  —  4.  Epist.,  L.  xi,  xxvu  ;  Pair,  lat., 
$.  lxxvii,  col.  n3g. 


INTRODUCTION  23 


naître  par  le  baptême,  tels  sont  les  principaux  points 
qu'elle  traite  (t).  Le  roi  rassemble  ses  chefs  et  ses  prêtres  ;  et 
le  pontife  des  idoles,  Coïf,  constate  franchement  l'inutilité 
du  culte  païen  et  affirme  qu'il  serait  sage  d'accepter 
une  religion  qui  enseigne  d'où  nous  venons  et  où  nous 
allons  (2).  La  question  de  l'origine  et  de  la  destinée 
humaine  devait  donc  faire  partie  de  la  catéchèse  adressée 
aux  Anglo-saxons. 

En  634,  le  roi  Oswald,  voulant  convertir  les  provinces 
de  son  royaume  restées  idolâtres,  s'adresse  à  des  religieux 
scots.  L'un  de  ceux-ci,  Corman,  avait  rebuté  les  Angles 
par  ses  austérités.  «  Vous  avez  été  trop  sévère  auprès  de 
ces  ignorants,  lui  fait  remarquer  un  vieillard,  Aedan  ; 
vous  auriez  dû,  selon  la  discipline  apostolique,  commen- 
cer par  leur  offrir  le  lait  d'une  doctrine  plus  douce  jus- 
qu'à ce  que,  nourris  peu  à  peu  du  Verbe  divin,  ils  eus- 
sent été  à  même  de  comprendre  un  enseignement  plus 
parfait  et  de  s'élever  à  la  pratique  des  commandements 
du  Seigneur»  (3).  Ici,  c'est  la  catéchèse  apostolique  qu'on 
invoque  et  dont  on  suppose  l'emploi  ordinaire. 

Saint  Eloi,  au  rapport  de  Saint-Ouen,  touchait  si  bien 
le  cœur  des  barbares  que  chaque  année,  à  Pâques,  il 
donnait  le  baptême  à  des  foules  de  catéchumènes  (4).  Or, 
paraît-il,  il  détachait  peu  à  peu  le  peuple  bercé  de  labiés 
de  ses  croyances  païennes  et  de  ses  pratiques  supersti- 
tieuses, lui  parlait  du  seul  vrai  Dieu,  créateur,  lui  inspi- 
rait la  crainte  des  châtiments  futurs  et  lui  montrait  les 
récompenses  éternelles,  dont  il  n'avait  pas  jusqu'alors  le 
soupçon  (5).  Il  utilisait  trop  bien  les  œuvres  de  saint 
Gésaire  pour  avoir  ignoré  celles  de  saint  Augustin  ;  son 
discours  rappelle  à  la  fois  les  Deux  voies  de  la  Didaché  et 
et  la  catéchèse  du  De  catechizandis  rudibus. 

Saint  Gall,  dans  un  discours  prononcé  sur  les  bords  du 
lac  de  Constance,  semble  également  faire  écho  à  la  nar- 
ratio  de  saint  Augustin  :  c'est  un  résumé  de  l'histoire  re- 

i.  Epist.,  ni  ;  Pair,  lat.,  t.  lxxx,  col.  438.  —  2.Bède,  II,  xm, 
col.  io4-  —  3.  Bède,  III,  v,  col.  124.  —  4.  Vita  S.  Eligii,  II,  vin; 
Patr.  lat.,  loc.  cit.  col.,  5i3.  —  5.  Vita  S.  Eligii,  II,  xv  ;  ibid, 
col.  5a4-55o. 


2  4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


ligieuse  du  monde  depuis  la  chute  jusqu'à  la  rédemption 
par  la  croix  de  Jésus-Christ,  traitant  de  la  mission  des 
apôtres,  de  la  vocation  des  gentils  et  de  la  constitution 
divine  de  l'Eglise,  arche  du  salut  (i).  Bien  qu'adressé  à 
des  auditeurs,  dont  la  plupart  avaient  reçu  le  baptême, 
ce  discours  rappelle  la  catéchèse  d'introduction  au  caté- 
chuménat. 

A  en  juger  parles  quinze  homélies  qui  nous  restent  et 
qui  sont  un  manuel  d'instruction  religieuse  à  l'usage  des 
commençants,  saint  Boniface  devait  insister  sur  les  obli- 
gations de  la  vie  chrétienne,  fautes  à  éviter  et  devoirs  à 
remplir,  sur  l'objet  du  triple  renoncement  et  des  promes- 
ses baptismales  (2).  Parmi  les  canons  qu'on  lui  attribue, 
le  27e  spécifie  que  le  prêtre  qui  baptise  doit  faire  faire  au 
catéchumène  les  renoncements  et  la  profession  de  foi  en 
langue  vulgaire,  afin  qu'il  sache  à  quoi  il  s'engage  (3). 
Dans  une  lettre  à  son  ancien  évêque  de  Winchester,  il 
demande  des  conseils  pour  mener  à  bien  la  conversion 
des  saxons  et  des  thuringiens.  Daniel  répond  et,  parmi 
les  conseils  que  lui  dicte  sa  vieille  expérience,  il  indique 
celui  d'écarter  tout  d'abord  les  superstitions  de  ses  au- 
diteurs (4). 

La  Didaché  n'était  pas  inconnue  à  saint  Boniface,  car  il 
s'en  est  servi  non  seulement  pour  rappeler  aux  fidèles  les 
engagements  pris  au  baptême,  ainsi  qu'en  témoigne  son 
homélie  xv,  De  abrenuntiatione  in  baptismate  (5),  mais 
aussi  pour  instruire  les  catéchumènes  avant  de  les  admet- 
tre au  baptême.  Et  l'on  peut  en  dire  autant  de  saint  Ph> 
minius  de  Reichenau,  son  contemporain,  dont  nous 
possédons  un  traité  sous  forme  de  discours,  sorte  de 
compendium  catéchétique  comprenant  un  abrégé  d'his- 
toire sainte,  des  considérations  relatives  au  baptême,  à 
Yabrenuntiatio,  à  la  reddilio  symboli,  quelques  points 
de  morale  et  la  liste  des  fautes  à  éviter  (6).  Du  reste  la 

1.  Serm.;  Pair,  lat.,  t.  lxxxvii,  col.  i3-2Ô.  —  2.  Flomil.,  III, 
xv  ;  Pair,  lat.,  t.  lxxxix,  col.  8^7,  870.  —  3.  Ibid.,  col.  822.  — 
4.  Episl.,  xiii  ;  Pair,  lat.,  ibid.,  col.  703.  —  5.  Ibid.,  col.  870. 
- — 6.  Scarapsas,  Patr.  lat.,  ibid.,  col.  1029-1050.  Cf.  Schlecht. 
DoctrinaXII  apostolorum,  Fribourg-en-Brisgau,  1901,  p.  83. 


INTRODUCTION  25 


doctrine  morale  des  Deux  voies  de  la  Didaché  avait  sa 
place  marquée  dans  la  catéchèse  des  catéchumènes  ;  son 
texte  servait  en  réalité  à  cet  enseignement.  La  preuve  en 
est,  note  M.  Ladeuze  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiasti- 
que (i),  dans  les  deux  homéliaires  de  Malk  et  de  Fressing, 
qui  nous  ont  rendu  la  version  latine  des  Deux  voies.  La 
Didaché  y  est  conservée  parmi  les  homélies  sur  la  foi,  le 
symbole,  etc.,  et,  dans  les  deux  manuscrits,  elle  fait  suite 
à  l'homélie  xv,  déjà  citée,  de  saint  Boniface. 

Lorsqu'il  fut  sacré  évêque  à  Rome  par  Grégoire  II,  en 
723,  l'apôtre  de  la  Germanie  connaissait  déjà,  pour  l'avoir 
pratiquée,  la  marche  à  suivre  dans  levangélisation  des 
païens.  Au  besoin,  la  lettre  du  pape  qu'il  emportait  et  qui 
était  adressée  aux  saxons  de  vieille  race,  encore  païens,  la 
lui  aurait  rappelée.  «  Le  royaume  de  Dieu  est  proche,  écri- 
vait Grégoire  II  (2):  ne  cherchez  pas  votre  salut  dans  les 
vaines  idoles  fabriquées  de  mains  d'homme,  d'or,  d'argent, 
de  pierre  ou  de  bois,  et  décorées  par  les  païens  du  nom  de 
divinités.  Elevez  vos  regards  et  vos  cœurs  vers  le  Seigneur 
Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  N'adorez  que  lui  et 
vos  fronts  ne  rougiront  plus.  Dépouillez  le  vieil  homme 
pour  revêtir  le  Christ  nouveau.  Déposez  toute  malice, 
colère,  fureur  et  tout  blasphème...  L'éveque  que  je  vous 
envoie  vous  délivrera  de  l'esclavage  et  des  fraudes  du 
démon.  Il  vous  arrachera  au  péril  de  la  damnation 
éternelle  pour  vous  introduire  dans  les  joies  du  royaume 
du  ciel.  )) 

A  l'assemblée  générale  de  ces  redoutables  Saxons,  à 
Merklo  sur  le  Weser,  où  il  eut  le  courage  de  se  présenter, 
saint  Lebwin,  disciple  de  saint  Boniface,  condense  ainsi 
en  quelques  mots  sa  catéchèse  :  «  Ecoutez-moi,  écoutez 
surtout  celui  qui  parle  par  ma  bouche.  Je  vous  porte  les 
ordres  de  celui  à  l'empire  et  au  jugement  duquel  tout  est 
soumis.  Ecoutez  et  sachez  que  le  Seigneur,  créateur  du 
ciel  et  de  la  terre  et  de  la  mer  et  de  tout  ce  qu'ils  contien- 
nent, est  le  seul  vrai  Dieu.  Vos  idoles  ni  ne  vivent,  ni  ne 
se  meuvent,  ni  ne  sentent,  car  elles  sont  l'œuvre  des  hom- 

1.  Louvain,  Avril  1903,  p.  263-264.  —  2.  Epist.,  vu  ;  Patr. 
lat.,  t.  lxxxix,  col.  5o4-5o5. 


26  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


mes  ;  impuissantes  à  se  défendre  elles-mêmes,  elles  ne 
sauraient  vous  être  d'aucun  secours  ;  c'est  en  vain  que 
vous  leur  immolez  des  victimes.  Le  Dieu  seul  bon,  seul 
juste,  vous  a  pris  en  piété.  Il  m'a  envoyé  vers  vous  pour 
que  vous  abandonniez  vos  erreurs  et  vous  vous  tourniez 
vers  lui.  C'est  lui  qui  vous  a  créés  et  c'est  en  lui  que  nous 
vivons,  que  nous  nous  mouvons  et  que  nous  sommes.  Si 
donc  vous  le  reconnaissez  fidèlement,  si  vous  faites  péni- 
tence et  recevez  le  baptême,  si  vous  observez  ses  com- 
mandements, il  vous  conservera  sur  la  terre  et  vous 
récompensera  dans  le  ciel.  Sinon,  les  peines  futures  vous 
attendent  (i).  »  Rappelant  et  dépassant  le  discours  de 
saint  Paul  à  l'aréopage,  saint  Lebwin  ajoute  à  la  menace 
des  châtiments  de  la  vie  future  ceux  de  la  vie  présente, 
car  il  fait  allusion,  à  la  fin  de  son  petit  discours,  à  l'inter- 
vention possible  et  terrible  du  roi  des  Francs. 

On  sait  qu'en  811  Charlemagne  envoya  une  lettre  cir- 
culaire à  tous  les  évêques  de  son  vaste  empire  pour  leur 
demander  des  renseignements  précis  sur  le  baptême,  tel 
qu'il  était  pratiqué  dans  leurs  diocèses,  sur  ses  rites  et 
ses  cérémonies  (2).  Or,  de  toutes  les  réponses  qui  durent 
lui  être  adressées  quelques-unes  seulement  sont  parvenues 
jusqu'à  nous. 

Parmi  celles-ci,  aucune  ne  provient  d'évêques  mission- 
naires ou  installés  en  pays  de  mission,  ce  qui  aurait  été 
une  source  précieuse  de  renseignements  pour  le  sujet  qui 
nous  occupe.  Nous  constatons  cependant,  d'après  Magnus, 
évêque  de  Sens  (3),  et  Jessé  d'Amiens  (4),  quel  était  le 
thème  général  sur  lequel  roulait  la  catéchèse  ;  et  déjà, 
au  siècle  précédent,  le  concile  de  Cloveshow,  en  747,  avait 
indiqué  l'objet  propre  de  la  catéchèse,  et  c'était  d'ensei- 
gner le  symbole  aux  catéchumènes  ut  intelligant  quid  cre- 
dere,  quid  sperare  debeant  (5). 

Et,  postérieurement  à  la  consultation  de  Charlemagne, 

1.  Vita  S.  Lebwini,  xn,  Pat.  lai.,  t.  cxxxn,  col.  890.  — 
9.  Patr.  lat,  t.  xcvm,  col.  g33  ;  cf.  Capitulai™  de  811,  11,  9; 
Patr.  lat,  t.  xcvn,  col.  33 1.  —  3.  Libellus  de  mysterio  baplisma- 
tis,  Patr.  lat.,  t.  en,  col.  981.  —  4-  De  baptismo,  Patr.  lat.,  t. 
cv,  col.  781.  —  5.  Can.  11  ;  Hardouin,  t.  ni,  col.  1955. 


INTRODUCTION  27 


un  disciple  d'Alcuin,  Raban  Maur,  composa  un  De  disci- 
plina ecclesiastica  en  trois  livres,  dont  le  premier  traite 
des  ordres  sacrés,  le  second  des  divins  sacrements,  et  le 
troisième  dix  combat  chrétien,  dans  le  but  très  précis  d'in- 
diquer la  marche  à  suivre  pour  l'instruction  des  païens 
qui  demandaient  à  recevoir  le  baptême.  Or  le  L.  Ier (i)  n'est 
autre  chose  que  la  reproduction  à  peu  près  intégrale  du 
De  catechizandis  rudibus  de  saint  Augustin  ;  nouvelle 
preuve  de  l'influence  de  l'évêque  d'Hippone  sur  ce  point 
particulier.  Le  II6  traite  des  rudiments  de  la  foi,  de  l'orai- 
son dominicale  et  du  symbole  ;  autant  d'éléments  que 
nous  avons  trouvés  ailleurs  et  qui  entraient,  eux  aussi, 
dans  la  trame  de  la  catéchèse.  Enfin  le  IIIe  traite  des  ver- 
tus à  pratiquer  et  des  vices  à  éviter,  ce  qui  nous  ramène 
une  fois  de  plus,  par  une  amplification  très  détaillée,  aux 
Deux  voies  de  la  Didaché. 

Ainsi  donc,  du  ve  au  ix9  siècle,  la  catéchèse  préparatoire 
au  baptême,  fidèle  à  la  tradition  des  premiers  siècles,  ne 
fait  que  continuer  et  reproduire  ce  que  nous  avons  cons- 
taté, soit  aux  origines  apostoliques,  soit  à  l'époque  de 
l'organisation  systématique  du  catéchuménat.  Cette  en- 
quête pourrait  se  poursuivre  pour  l'époque  ultérieure  ; 
mais  elle  semble  inutile,  car  elle  amènerait  à  une  consta- 
tation nouvelle  de  ce  que  nous  venons  de  relever  pour  la 
période  qui  va  du  v9  au  ix°  siècle.  Il  ne  reste  plus,  dans 
ces  conditions,  qu'à  se  rendre  compte  de  l'état,  de  la 
forme,  de  l'objet  de  l'instruction  religieuse  donnée  aux 
nouveaux  baptisés,  en  particulier  aux  enfants,  en  la  sui- 
vant dans  sa  marche  progressive  jusqu'à  son  aboutisse- 
ment final  dans,  ce  que  nous  appelons  le  Catéchisme  (2). 

1.  Patr.  lai.,  t.  cxii,  col.  1193  sq.  —  a.  Voir  notre  article 
dans  le  Dictionnaire  de  Théologie,  t.  n  ;  les  pages  qui  précèdent 
n'en  sont  que  la  reproduction  abrégée. 


28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Le   Catéchisme 

avant 

le  Concile  de  Trente 

I.  Pendant  la  période  patristique.  —  IL  Du 
Ve  siècle  au  VIIIe.  —  III.  Sous  Charlemagne, 
et  du  IX6  siècle  au  Xe.  —  IV.  Au  XIIe  et 
XIIIe  siècles.  —  V.  Au  XIVe  et  XVe  siècles.  — 
VI.  Pendant  la  première  moitié  du  XVIe  siè- 
cle (1). 

I.    Pendant  la  période 
patristique 

Le  mot  Catéchisme  paraît  pour  la  première  fois,  chez 

i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Eder,  Methodus catechismi catholici,Lyon, 
1579  ;  Grotius,  Baptizatorumpuerorum  institutio,  Londres,  1647; 
Schmidt.  De  institutione  catechetica,  Helmstadt,  1699  ;  Schu- 
mann,  Dissertatio  historica  de  seminariis  catecheticis  veterum  et 
recentioram,  Leipzig,  1718  ;  Frickius,  De  catechizandi  ratione 
veterum  et  recentioram  Ecclesise,  Ulm,  1729  ;  Gôbel,  Geschichte 
der  Katechese  im  Abendlande  vom  Ver  faite  des  Katechumenats 
bis  zum  Ende  des  Mittelalters,  Kempten,  1880  ;  Schôberl,  Der 
Kathol.  Schulkatechismus  in  seiner  Geschichte,  Kempten,  i885  ; 
Probst,  Geschichte  der  katholischen  Katechese,  Paderborn,  1887  ; 
Ilézard,  Histoire  du  Catéchisme,  Paris  1900  ;  Kirchenlexicon, 
t.  vu,  col.  288-317  ;  Wicgand,  Die  Stellung  der  apost.  Symbols 
im  Kirchen-Leben  des  Mittelalters,  Leipzig,  1899  ;  Gohrs,  Die 
evangelische  Kalechismusversuche  vor  Luther's  Enchiridion,  dans 
les  Monumenla  Germaniœ  pœdagogica,  t.  xx-xxm,  Berlin,  1900- 
1902  ;  Kuske,  Der  evangelische  Kalechismuslitleralur  bis  1525, 
dans  Sachssc,  t.  xxv  ;  Mangenot,  article  Catéchisme,  dans  le 
Dictionnaire  de  Théologie,  t.  11,  col.  1895- 1968. 


INTRODUCTION  29 


les  Latins,  dans  la  lettre  de  saint  Ambroise  à  la  reine  des 
Marcomans,  dont  nous  avons  déjà  parlé  ;  il  y  est  syno- 
nyme de  catéchèse.  Ce  n'est  que  très  tard  qu'il  a  été 
employé  au  sens  actuel.  Il  désigna  d'abord  l'enseignement 
familier  et  rudiinentaire  donné  aux  jeunes  baptisés  ou 
aux  ignorants,  ensuite  le  manuel  pédagogique,  méthodi- 
quement distribué  en  leçons,  que  les  enfants  doivent 
apprendre  par  cœur  et  dont  ils  doivent  recevoir  l'expli- 
cation d'un  catéchiste  autorisé. 

Mais  avant  d'arriver  à  la  rédaction  de  ce  manuel  que 
nous  appelons  catéchisme,  que  d'essais  !  que  de  tâtonne- 
ments et  d'expériences  dans  la  suite  des  âges  !  L'Eglise 
s'est  préoccupée  tout  d'abord  de  déterminer  la  matière  de 
l'enseignement  catéchétique,  d'assurer  l'instruction  reli- 
gieuse par  la  prédication  ordinaire  et  de  rédiger  dans  ce 
but  des  traités  spéciaux  ou  des  manuels  à  l'usage  du 
clergé.  L'idée  de  mettre  entre  les  mains  des  enfants  un 
abrégé  delà  doctrine  chrétienne  ne  s'est  réalisée  qu'à  la 
longue,  peu  à  peu,  sous  des  formes  diverses,  par  de 
multiples  essais,  dûs  à  l'initiative  privée,  avant  d'être 
officiellement  adoptée  et  universellement  imposée  par 
l'Eglise. 

Pendant  la  période  patristique,  rien  ne  prouve  qu'il  y 
eût  un  enseignement  spécialement  organisé  en  faveur  des 
enfants  baptisés  en  bas  âge,  pour  le  moment  où  ils 
atteignaient  l'âge  de  raison.  A  plus  forte  raison  n'y  eût-il 
rien  qui  ressemblât  à  un  catéchisme,  au  sens  où  nous 
entendons  actuellement  ce  mot.  M.  A.  Seeberg,  dont  nous 
avons  déjà  parlé,  a  cru  pouvoir  démontrer  l'existence, 
dès  l'âge  apostolique,  d'un  catéchisme  dogmatique,  moral 
et  liturgique,  servant  de  cadre  à  l'enseignement  des 
Apôtres,  de  règle  de  foi  et  de  vie  aux  fidèles.  Mais  ce  n'est 
là  qu'une  catéchèse  ou  un  catéchisme,  au  sens  large  du 
mot.  Et  c'est  encore  une  catéchèse  que  la  Didachê. 
On  en  peut  dire  autant  de  VExpositio  symboli  de 
Rufin  (1),  puisque,  d'après  sa  préface,  elle  était  desti- 
née à  servir  de  fil  conducteur  aux  catéchumènes,  ainsi 
que  des  Competentibus  ad  baptismum  libelli  sex  de  Nicétas, 


1.  Pair,  lat.,  t.  xxi,  col.  335.. 


30  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


dont  parle  Gennade  (i),  et  des  quatre  discours  De  symbolo 
ad  catechumenos  du  pseudo -Augustin,  comme  l'indiquent 
clairement  les  titres. 

L'Eglise,  cependant,  dut  pourvoir  à  l'instruction  reli- 
gieuse de  ces  jeunes  néophytes,  puisque,  dès  l'origine,  elle 
n'hésita  pas  à  baptiser  les  enfants.  Et  l'on  sait  qu'à  partir 
de  la  fin  du  11e  siècle  elle  pratiqua  largement  cet  usage  (2). 
Elle  assura  cette  instruction  de  deux  manières.  D'abord, 
en  imposant  à  ceux  qui  présentaient  ces  enfants  et  en 
répondaient,  l'obligation  de  les  instruire  sur  les  principes 
de  la  foi  et  les  pratiques  de  la  vie  chrétienne  (3).  On  pou- 
vait alors  compter  sur  le  zèle  des  chrétiens,  dont  la  vie 
était  une  leçon  vivante  et  un  modèle  de  vertus.  Ensuite, 
en  admettant  ces  enfants  baptisés  à  la  prédication  ordi- 
naire, dès  qu'ils  étaient  à  même  de  l'entendre.  Malgré 
cela,  il  n'est  point  de  trace  de  l'existence  ou  de  l'organisa- 
tion d'un  enseignement  catéchétique  spécial,  postérieur 
au  baptême  et  comparable  à  celui  du  catéchuménat,  sans 
doute  parce  que  les  cas  de  ces  baptêmes  d'enfants  ne 
furent  de  prime  abord  que  des  exceptions. 

Du  reste  des  inconvénients  devaient  résulter  d'un  tel 
état  de  choses.  Et  nul  n'ignore  avec  quel  déplaisir  Tertul- 
lien  voyait  l'Eglise  pratiquer  ce  baptême  des  enfants,  à 
cause  des  obligations  étroites  qu'impose  le  sacrement  de 
baptême,  et  dont  l'enfant  est  incapable  de  connaître  la 
nature  ou  de  comprendre  la  gravité  ;  à  raison  surtout  de 
certains  faits  d'expérience  qui  montraient  que  des  enfants 
baptisés,  une  fois  devenus  adultes,  rendaient  trop  sou- 
vent illusoires  les  promesses  baptismales  (l\).  Or  une  telle 
répugnance  n'aurait  pas  eu  sa  raison  d'être  si  l'Eglise, 
pour  obvier  à  des  inconvénients  toujours  possibles,  avait 
déjà  pris  vis-à-vis  de  ces  enfants  baptisés  certaines  mesu- 
res particulièrement  appropriées  ou  organisé  un  système 
d'enseignement  religieux  qui  fût   pour  eux  ce  que  le 

1.  De  vir.  M.,  22  ;  Patr.  lat.t  t.  lviii,  col.  1073.  —  2.  Har- 
nack,  Doymenyeschichte,  20  édit.,  1888,  t.  1,  p.  3g5  ;  Ghoisy, 
Précis  de  l'histoire  des  dogmes,  Paris,  1893,  p.  i5,  67.  —  3.  Const. 
apost.,  IV,  xi  ;  Patr.  gr.t  t.  1,  col.  824.  —  4.  De  baptismo,  18; 
Patr.  lat.t  1. 1.  col.  1221. 


INTRODUCTION  3l 


catéchuménat   était  pour  les  catéchumènes.   C'est  dono 
qu'un  tel  système  n'existait  pas. 

Néanmoins  les  inconvénients  d'un  tel  état  de  choses  se 
trouvaient  compensés  par  des  avantages  certains,  puisque 
le  pédobaptisme  tendit  de  plus  en  plus  à  devenir  la  pra- 
tique ordinaire  dans  les  milieux  chrétiens.  Quant  aux 
remarques,  dans  le  genre  de  celles  de  ïertullien,  elles  ne 
purent  que  contribuer  soit  à  rendre  plus  étroites  les  obli- 
gations des  parents  et  des  parrains,  soit  à  provoquer  de 
la  part  de  l'Eglise  les  mesures  indispensables  pour  sup- 
pléer à  l'insuffisance  de  l'instruction  reçue  au  foyer 
domestique  ou  à  la  prédication  ordinaire. 

IL  Du  Ve  au  VIP  siècle 

1°  Dans  les  pays  de  mission.  —  La  période  qui  va 
du  commencement  du  v6  siècle  à  la  fin  du  vme  ne  se 
montra  guère,  tout  d'abord,  favorable  à  l'institution  d'un 
enseignement  catéchétique  spécial  en  faveur  de  l'enfance 
chrétienne,  à  cause  des  difficultés  sans  nombre  qu'eut  à 
traverser  l'Eglise.  En  Occident,  en  effet,  l'arianisme  conti- 
nuait ses  ravages  pendant  que  les  barbares  de  l'est  et 
du  nord  restaient  encore  soustraits  à  l'action  de  l'évan- 
gile. Mais  la  conversion  de  Clovis  et  de  ses  Francs  saliens, 
en  490,  ouvrit  une  ère  nouvelle,  magnifiquement  saluée 
par  saint  Avit  (1).  Ce  n'est  qu'au  vie  siècle  que  l'Eglise  se 
débarrasse  enfin  de  l'hérésie  et  dispute  victorieusement 
les  barbares  au  paganisme.  D'une  part,  en  eilet,  l'aria- 
nisine  pâlit  et  s'éteint,  d'abord  chez  les  Burgondes  en 
Gaule,  ensuite  chez  les  Suèves  et  les  Wisigoths  en  Espa- 
gne, et  enfin  chez  les  Ostrogoths  et  les  Lombards  en  Ita- 
lie. D'autre  part,  le  prosélytisme  s'accentue  et  marche 
de  conquête  en  conquête.  L'Irlande  devient  une  pépinière 
démissionnaires  et  d'apôtres.  Colomban  l'ancien  (f  597) 
évangélise  le  nord  de  la  Grande  Bretagne  et  convertit 
les  Scots  et  les  Pietés  de  l'Ecosse  ;  Colomban  le  jeune 

1.  Epist.  xli  ;  Patr.  lat.,  t.  lix,  col.  257-259. 


32  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


(f  6i5)  se  dirige  vers  le  sud  à  travers  l'Europe  occiden- 
tale et  marque  chacune  de  ses  étapes  par  les  créations 
célèbres  de  Luxeuil  en  Bourgogne,  de  saint  Gall  en  Suisse 
et  de  Bobbio  en  Italie.  A  leur  tour,  sous  l'action  de  saint 
Grégoire  le  grand,  des  missionnaires  romains  entrent  en 
scène  dès  5o,6.  Et,  au  siècle  suivant,  les  divers  royaumes 
anglo-saxons  d'Angleterre  embrassent  la  foi,  les  uns  après 
les  autres.  De  plus  les  Bretons  et  les  Celtes  chrétiens 
finissent  par  renoncer  à  leurs  préjugés  et  à  leurs  tradi- 
tions et  acceptent  la  discipline  romaine,  les  Irlandais  du 
sud  dès  633,  ceux  du  nord  en  716,  et  l'unité  religieuse 
triomphe  en  Occident. 

En  même  temps  les  rives  de  la  Meuse,  de  l'Escaut,  du 
Rhin  et  du  Danube  sont  parcourues  par  des  apôtres  an- 
glo-saxons, qui  prennent  leur  mot  d'ordre  à  Rome  et 
obéissent  aux  directions  du  pape.  La  foi  pénètre  ainsi 
parmi  les  divers  peuples  de  race  germanique.  Malgré  les 
conseils  de  saint  Grégoire  le  grand,  qui  étaient  d'user 
avant  tout  de  mansuétude  (1),  le  service  du  Christ  devant 
être,  selon  la  remarque  de  Bède,  un  service  volontaire  et 
sans  contrainte  (2),  on  eut  recours  parfois  à  des  moyens 
violents.  Le  plus  souvent  on  conféra  le  baptême  à  des 
groupes  entiers  de  barbares,  après  quelques  catéchèses 
qui  soulevaient  l'enthousiasme,  et  sans  les  avoir  soumis 
rigoureusement  à  la  discipline  antique  du  catéchuménat. 
Ces  admissions  hâtives  n'étaient  pas  sans  danger;  car  ces 
barbares,  même  après  le  baptême,  conservaient  dans  l'es- 
prit et  le  cœur  des  préjugés  et  des  passions  qu'ils  es- 
sayaient de  concilier  avec  leur  nouvelle  foi  religieuse. 
Baptisés,  ils  étaient  encore  loin  d'être  foncièrement  chré- 
tiens. Des  habitudes  persistaient  en  eux  qui  étaient  en 
opposition  complète  avec  l'idéal  du  christianisme. 

Sans  doute  l'Eglise  essayera  de  les  faire  disparaître  peu 
à  peu  ou  de  leur  infuser  assez  de  sève  chrétienne  pour  les 
rendre  inoffensives  (3).  En  attendant,  elle  dut  reprendre 

1.  Epist.,  I,  xxxv  ;  IX,  vi  ;  Pair,  lat.,  t.  lxxvii,  col.  489,945. 
—  2.  Hist.  eccles.,  I,  xxvi  ;  Patr.  lat.,  t.  xcv,  col.  57.  —  3.  Cf. 
S.  Grégoire,  Epist.,  XI,  lxxvi  ;  Patr.  lat,,  t.  lxxvii,  col. 
12 15  ;  Bcde,  Hist.  eccles.,  I,  xxx  ;  loc.  cit.  col.  70-71. 


INTRODUCTION  33 


sur  nouveaux  frais,  après  le  baptême,  l'instruction  de  ces 
barbares  baptisés.  De  là  l'objet  si  particulier  de  l'ensei- 
gnement postbaptismal  dans  ce  milieu  de  missions  pour 
détruire  les  préjugés  de  l'esprit  et  amortir  les  passions  du 
cœur.  De  là  les  instances  réitérées  de  la  prédication  sur 
la  notion  capitale  de  l'unité  de  Dieu,  les  dangers  de  l'ido- 
lâtrie, sur  la  nature  et  les  conséquences  pratiques  du  re- 
noncement et  des  promesses  du  baptême,  qui  font  res- 
sembler cette  prédication  aux  catéchèses  du  catéchumé- 
nat.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que,  s'adressant  à  des  bap- 
tisés le  jour  où  Jean  fut  sacré  évêque  de  Constance  dans 
l'église  de  saint  Etienne,  saint  Gall  (f  6l\6)  fait  une  véri- 
table catéchèse  (i).  Saint  Léger  (f  678),  d'après  le  résu- 
mé de  sa  prédication  rapporté  par  saint  Ouen,  parle  éga- 
lement à  des  néophytes  et  leur  rappelle  le  pacte  baptis- 
mal, les  renoncements,  les  promesses,  la  profession  de- 
foi  du  baptême,  etc.  (2).  Plus  tard  saint  Boniface  dut  com- 
poser des  homélies  pour  servir  de  modèle  ou  de  manuel 
aux  prêtres  des  paroisses  ;  ces  homélies  visent  des  bapti- 
sés et  la  xve,  De  abrenuntiatione  in  baptismale,  insiste  sur 
les  étroites  obligations  contractées  au  baptême  par  les 
fidèles,  sur  l'objet  des  renoncements  et  sur  ce  qu'il  faut 
croire  et  pratiquer  pour  être  sauvé. 

2°  En  pays  chrétien.  —  Pendant  ce  temps,  que  se. 
pàssait-il  en  milieu  chrétien,  là  où  dominait  l'usage  de 
baptiser  les  enfants?  Ici,  l'ancienne  préparation  pédago- 
gique des  catéchumènes  n'avait  plus  sa  raison  d'être.  Seuls, 
les  cadres  du  catéchuménat  persistaient  ;  la  liturgie,  par- 
ticulièrement pendant  le  carême,  conservait  encore  cer- 
taines cérémonies  ;  mdïs  les  enfants  baptisés  n'y  jouaient 
qu'un  rôle  inconscient,  le  vrai  rôle  incombant  aux  parents 
ou  aux  parrains.  La  question  de  leur  instruction  religieuse 
restait  donc.  Celle-ci  ne  pouvant  leur  être  donnée  qu'à 
partir  du  moment  où  ils  étaient  capables  de  la  com- 
prendre, comment  chercha-t-on  à  y  pourvoir  ? 

1.  Sermo,  Pair.  lat.t  t.  lxxxvii,  col.  i3  sq.  —  2.  Vita  Eligii, 
II.  i5  ;  Patr.  lat.,  ibid.,  col.  525  sq. 

LE   CATHÉCHTSME.  T.  I. 


34  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 


L'Eglise  maintient,  cela  va  sans  dire,  le  devoir  qui  in- 
combe aux  parents  et  aux  parrains  de  donner  à  leurs  en- 
fants où  à  leurs  pupilles  l'instruction  chrétienne  ;  c'est  un 
concours  effectif'  qu'elle  réclame  de  leur  part.  Les  évo- 
ques, dans  leurs  statuts  synodaux,  et  plus  tard,  les  prin- 
ces chrétiens  dans  leurs  lois  reviennent  sans  cesse  sur 
cette  obligation  de  la  parenté  naturelle  ou  spirituelle. 
Qu'il  suffise  de  signaler  parmi  les  canons  attribués  à 
saint  Boniface  le  xxvie,  d'après  lequel  personne  ne  peut 
tenir  un  enfant  sur  les  fonts  baptismaux  s'il  ne  sait  par 
cœur  le  symbole  et  l'oraison  dominicale;  car,  est-il  spé- 
cifié, comment  enseigner  aux  autres  ce  qu'on  ignorerait 
soi-même  ?  Tout  fidèle,  proclame  le  concile  anglais  de 
Galchut,  en  782  ou  787,  doit  savoir  par  cœur  le  symbole 
et  l'oraison  dominicale  ;  tout  parrain  doit  être  averti  de 
l'obligation  qu'il  contracte  envers  Dieu  pour  l'instruction 
de  son  filleul,  auquel  il  doit  enseigner  le  symbole  et 
l'oraison  dominicale  (1).  Gharlemagne  se  gardera  bien 
d'oublier  de  telles  prescriptions,  dont  on  trouve  la  pré- 
sence beaucoup  plus  tard  encore  parmi  les  lois  des  rois 
Edgard  (f  975)  (2)  et  Canut  le  grand  (f  io36)  (3). 

Mais  ce  devoir  des  parents  et  des  parrains,  outre  qu'il 
pouvait  être  négligé  ou  mal  rempli,  était  loin  de  suffire 
pour  assurer  aux  enfants  l'instruction  religieuse  néces- 
saire. L'Eglise  doit  intervenir  elle-même.  Elle  ne  se  con- 
tente pas  d'obliger  les  parents  et  les  parrains  à  savoir  par 
cœur  certaines  formules,  notamment  le  Credo  et  le  Pater, 
pour  l'apprendre  à  leurs  enfants  ou  à  leurs  filleuls  ;  elle 
exige  que  tout  baptisé  sache  cette  double  formule,  soit  en 
latin,  soit  en  langue  vulgaire  ;  elle  exige  enfin,  et  ceci 
regarde  l'enseignement  par  la  prédication,  que  désormais 
l'évêque  dans  son  diocèse,  le  prêtre  dans  sa  paroisse, 
insistent  sur  l'explication  claire  et  simple  du  symbole  et 
de  l'oraison  dominicale  et  emploient  pour  mieux  se  faire 
comprendre  la  langue  maternelle.  Bède  écrit  à  Egbert, 
évêque  d'York,  que,  puisqu'il  ne  peut  parcourir  en  un  an 

1.  Canon  2;  Hardouin,  t.  in,  col.  2073. —  2.  Canon  17; 
Hardouin,  t.  vi,  col.  661.  —  3.  Loi  22  ;  Hardouin,  t.  vit- 
col.  901. 


INTRODUCTION  35 


son  diocèse  tout  entier,  il  doit  placer  des  prêtres  dans- 
chaque  village,  sans  doute  pour  administrer  les  sacre- 
ments, mais  aussi  pour  expliquer  aux  fidèles  le  Credo  et 
le  Pater,  les  leur  faire  apprendre  par  cœur,  soit  en  latin, 
soit  en  langue  vulgaire  (i).  De  leur  côté,  les  conciles  insis- 
tent sur  ce  même  sujet.  Tout  évêque,  dit  le  concile  de 
Cloveshow,  747,  doit  visiter  son  diocèse  chaque  année 
pour  y  détruire  les  superstitions,  can.  3  ;  tout  prêtre 
doit  savoir  par  cœur  le  Credo,  le  Pater  et  la  Trinité 
c'est-à-dire  le  Quicumque,  pour  les  expliquer  en  langue 
vulgaire  (2).  Semblables  prescriptions  aux  conciles  de 
Calchut  (3).  Une  homélie  du  vin6  siècle,  en  langue  tudes- 
que  (4),  recommande  le  symbole  et  oblige  les  parrains  à 
l'enseigner  à  leurs  filleuls  sous  peine  d'en  rendre  compte 
au  jugement  de  Dieu. 

Ainsi  donc,  durant  cette  période,  tout  parrain,  tout 
chrétien  doit  savoir  par  cœur  la  formule  du  symbole  des 
apôtres  et  de  l'oraison  dominicale  ;  tout  prêtre  doit  insis- 
ter, dans  sa  prédication,  sur  l'explication  du  Credo,  du 
du  Pater,  et  du  Quicumque.  Tels  sont  les  rudiments  de 
l'enseignement  catéchétique.  C'est  le  noyau  autour 
duquel  vont  peu  à  peu  se  grouper  d'autres  éléments 
nécessaires.  La  prédication  ordinaire  sert  à  assurer  cet 
enseignement  qui,  naturellement,  se  complétait  par  la 
notification  des  devoirs  à  remplir  et  des  fautes  à  éviter,  à 
cause  des  obligations  de  la  vie  chrétienne,  en  particulier 
à  cause  de  la  confession.  Mais  si  le  clergé  possède  déjà  un 
résumé  de  ce  qu'il  doit  spécialement  enseigner  aux  fidè- 
les, il  n'y  a  pas  encore  trace  d'un  manuel  catéchétique  à 
l'usage  des  enfants  ou  des  jgnorants. 

1.  EpisL,  11  ;  Patr.  lat.,  t.  xciv,  col.  659.  —  a.  Canon  10  ; 
Hardouin,  t.  m,  col.  1954-1955.  —  3.  Canon  a  ;  i&id.,  col.  3073. 
—  4.  Wackernagel,  Altdeutsches  Lesebuch,  p.  5i,  cité  par  Oza- 
nam,  La  civilisation  chrétienne  chez  les  Francs,  2*  édit.,  Paris» 
i855,  t.  il,  p.  3o8. 


36  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


III.  Sous  Charlemagne  et  du 

IXe  au  XIe  siècle  ; 

1°  Sous  Charlemagne.  —  Avec  Charlemagne  et 
sous  sa  forte  impulsion,  d'importantes  améliorations 
se  produisent  dans  le  domaine  de  la  prédication  et 
de  l'instruction  religieuse.  L'enseignement  catéché tique 
semble  avoir  été  l'une  des  grandes  préoccupations  de 
cet  empereur,  car  il  s'accuse  en  un  puissant  relief. 
D'un  côté,  la  prédication  continue  sans  doute  à  s'ins- 
pirer des  modèles  de  l'antiquité,  mais  elle  prend  une 
forme  populaire  et  traite  avant  tout  des  sujets  pratiques, 
relatifs  au  baptême,  à  la  foi  et  aux  mœurs  chrétiennes. 
Charlemagne,  en  effet,  charge  Paul  Diacre,  dès  788,  d'ex- 
traire de  l'œuvre  des  Pères  un  recueil  d'homélies  pour 
aider  les  prêtres  peu  experts  et  pour  servir  de  modèle  à 
tous  (1). 

En  789,  il  ordonne  aux  prêtres  de  prêcher  avec  soin,  de 
manière  à  être  compris,  la  foi  catholique,  c'est-à-dire  le 
symbole,  et  l'oraison  dominicale  (2).  En  802,  il  ouvre  le 
congrès  d'Aix-la-Chapelle  par  un  discours  où  est  résumé 
ce  qu'un  chrétien  doit  croire  et  faire  d'après  les  engage- 
ments du  baptême  (3)  ;  il  y  renouvelle  les  capitulaires  de 
•789  (4).  En  809,  il  prescrit  aux  prêtres  d'avoir  des  Capi- 
tula de  majoribas  vel  minoribus  viliis  pour  en  faire  l'objet 
de  leur  instruction  (5),  après  leur  avoir  recommandé  de 
prêcher,  de  faire  apprendre  et  de  faire  réciter  le  Credo  et 
îe  Pater  (6).  En  811,  il  leur  prescrit  encore  d'examiner 
leurs  ouailles,  de  les  interroger  sur  les  promesses  et  les 
renoncements  du  baptême,  sur  ce  qui  rend  ces  promesses 
vaines  et  ces  renoncements  nuls  (7).  Cette  même  année, 

1.  Epist.,  iv  ;  Pair,  lat.,  t.  xcviii,  col.  1896  ;t.  xcv,  col.  1160. 
- —  2.  Cap.  60,  69,  Pair,  lat.,  t.  xcvn,  col.  171,  175.  —  3.  Ibid., 
■col.  2/10-242.  —  4-  Cap.  28  ;  ibid.,  col.  238.  —  5.  De  presbyle- 
ris,  cap.  i5  ;  ibid.,  col.  326.  —  6.  Cap.  1,  3  ;  ibid.,  col.  323.— 
«7.  De  inlerrog,  cap.  5,  6  ;  ibid.,  col.  329. 


INTRODUCTION  3j 


il  envoie  une  circulaire  à  tous  les  évoques  de  l'empire 
pour  savoir  qualiter  tu  et  suffraganei  tai  doceatis  et  ins- 
truatis  sacerdotes  Del  et  plebem  vobis  commissam  de  bap- 
tisant sacramento ;  nous  y  avons  déjà  fait  allusion.  Deux 
ansaprès,  en8t3,  nouveau  capitulaire  sur  l'objet  de  la  pré- 
dication, qui  doit  traiter  du  symbole,  de  l'oraison  domi- 
nicale et  des  péchés  (i).  D'un  manuscrit  d'Orléans,  ancien 
94,  actuellement  116,  f.  85,  L.  Delisle  a  extrait  21  capitu- 
lai res  dont  voici  le  vie  :  Ut  unusquisque  sacerdos  oratio- 
nem  dominicain  et  symbolum  populo  sibi  commisso  curiose 
insinuet  ac  totius  religionis  studium  et  christianitatis  cul- 
tum  eorum  menlibas  ostendat  (2). 

D'autre  part,  Charlemagne  tient  à  ce  que  les  parrains 
sachent  par  cœur  le  symbole  et  l'oraison  dominicale  pour 
pouvoir  les  enseigner  à  leurs  filleuls  (3),  et  il  fait  défense 
à  quiconque  les  ignore  de  tenir  un  enfant  sur  les  fonts 
baptismaux  (4);  car  il  regarde  avec  raison  la  parenté 
spirituelle  contractée  au  baptême  comme  la  source 
d'obligations  sacrées  de  la  part  des  parrains  vis-à-vis  de 
leurs  filleuls,  obligations  dont  ils  auront  à  rendre  compte 
devant  Dieu  (5). 

De  plus,  pour  suppléer  à  l'insuffisance  des  écoles  des 
cathédrales  et  des  monastères,  trop  peu  nombreuses  et 
trop  disséminées,  qui,  du  reste,  ne  servaient  presque 
exclusivement  que  de  séminaire  pour  le  clergé  ou  de 
noviciat  pour  les  moines,  et  par  là  n'atteignaient  pas  la 
masse  du  peuple,  Charlemagne  multiplie  les  foyers 
d'instructions.  Dès  797,  Théodulfe  d'Orléans  (f  821)  avait 
fondé  dans  son  diocèse  des  écoles  populaires  et  gratuites  : 
Ut  scholas  presbyteri  habeant,  in  quibus  fidelium  parvulos 
gratis  erudiant  (6).  L'idéal  eût  été,  en  effet,  que  chaque 

1.  Cap.  i4  ;  Patr.  lat.,  t.  xcvn,  col.  363  ;  Anségise,  Lib.  i, 
76;  Benoît  diacre,  Lib.   1,  161,  170;  ibid.  col.  159,   520,  72a. 

—  2.  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  Notices  et  ex- 
traits, i884,  t.  xxxi,  p.  421.  —  3.  An.  802,  cap.  i5  ;  Patr.  lat.% 
t.  xcvii,  col.  248.  —  4.  Epist.,  xv;  Patr.  lat,,  t.  xcvm,  col.  917. 

—  5.  An.  8o4,  cap.  2  ;  8o5,  cap.  24;  ibid.,  col.  281,  282,  288. 

—  6.  Cap.  20;  Patr.  lat.,  t.  cv,  col.  196  ;  Hardouin,  t.  iv, 
col.  Ql3. 


38  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 


curé  possédât  une  école  presbytérale,  non  pas  seulement 
comme  l'avait  décidé  le  second  concile  de  Vaison  en  529, 
pour  les  besoins  du  ministère,  Ut  presbyteri  per  parochias 
juniores  lectores  domi  nutriant  eterudiant  (1),  mais  encore 
pour  y  donner  avec  l'enseignement  primaire  l'instruction 
religieuse.  C'est  dans  ce  but  que  Charlemagne  publia  le 
célèbre  capitulaire,  Utscholœ  legentiumpuerorumJîant(2). 
D'après  le  texte  du  capitulaire,  le  programme  de  ces 
écoles  comprenait  la  lecture,  l'écriture,  l'étude  des 
psaumes,  le  chant  sacré,  le  comput  ecclésiastique  et  la 
grammaire.  Mais  il  englobait  également  les  éléments  de 
la  foi  chrétienne,  de  sorte  que  l'école  ainsi  comprise 
devenait  un  secours  efficace  pour  l'Eglise. 

Toutes  ces  importantes  décisions,  relatives  à  l'instruc- 
tion que  le  clergé  devait  répandre  et  que  les  chrétiens 
devaient  recevoir,  devinrent  autant  de  lois  ecclésiastiques, 
grâce  aux  conciles  de  l'époque.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
que  le  concile  de  Tours,  en  81 3,  ordonne  que,  pour 
instruire  le  peuple,  chaque  évêque  doit  posséder  un  recueil 
d'homélies  sur  la  foi,  l'objet  des  renoncements  du 
baptême,  les  fins  dernières,  les  moyens  du  salut  et  les 
œuvres  qui  méritent  soit  la  récompense,  soit  la  damnation 
éternelles  (3).  Ce  canon  est  promulgué  de  nouveau  au 
«concile  de  Mayence  de  847,  sous  la  présidence  de  Raban 
Maur,  par  le  canon  2,  qui  exige  que  le  recueil  homélétique 
soit  traduit,  selon  les  lieux,  in  rusticam  romanam  llnguam 
aut  theotiscam  (4).  C'est  ainsi  encore  que,  d'après  le 
concile  d'Arles,  81 3,  les  parents  doivent  instruire  leurs 
enfants  et  les  parrains  leurs  filleuls  :  ceux-là,  parce  qu'ils 
les  ont  engendrés  ;  ceux-ci,  parce  qu'ils  ont  répondu  pour 
-eux  (5).  Le  concile  de  Mayence  de  8i3  dit  :  a  Ut  unusquis- 

1.  Can.  1  ;  Hardouin,  t.  11,  col.  no5.  —  2.  Cap.  xxn,  72, 
d'après  Kurth,  Origines  de  la  civilisation  moderne,  2e  édit.,  Paris, 
1888,  t.  11,  p.  3o3  ;  Anségise,  Lib.  1,  68  ;  Patr.  lat.t  t.  xcvn, 
col.  517.  — 3. Can.  17,  Hardouin,  t.  iv,  col.  1025  ;  cf.  Concile  de 
Reims,  8i3,  can.  i5  ;  Hefele,  Histoire  des  Conciles,  t.  v,  p.  182. 
Hardouin,  t.  iv,  col.  1018.  —  4.  Can.  2  ;  Hefele,  ibid.,  p.  328  ; 
Hardouin,  t.  v,  f.  8.  Cf.  Goebel,  Geschichte  der  Katechese  im 
Abendland,  Kempten,  1880.  —  5.  Can.  19  ;  Hefele,  t.  v,  p.  181  ; 
Hardouin,  t.  iv,  col.  1006. 


INTRODUCTION  3û 


que  compater  vel  proximi  spiritales  filiolos  suos  catholice 
instruant  (i).  L'un  des  moyens  d'instruire  ainsi  les  enfants 
c'est  de  les  envoyer  à  l'école  :  Dignum  est  ut  Jilios  suos 
douent  ad  scholam,  sive  ad  monasteria,  sive  foras  presby- 
teris,  utfidem  catholicam  recte  discant  et  orationem  domi- 
nicain, ut  domi  alios  edocere  valeanL  Et  qui  aliter  non 
potuerit,  vel  in  sua  lingua  hoc  discat  (2).  La  raison  en  est 
facile  à  saisir  ;  car,  selon  la  juste  remarque  du  concile  de 
Paris,  en  829,  dans  les  commencements  de  l'Eglise  on 
n'admettait  personne  à  la  foi  et  au  baptême  sans  une 
instruction  préalable  ;  mais  la  foi  étant  présentement 
établie  partout,  et  les  enfants  des  chrétiens  étant  admis 
au  baptême  avant  l'âge  de  raison,  il  faut  suppléer  aux 
instructions  qu'ils  ne  pouvaient  recevoir  lors  de  leur 
baptême  (3).  À  Rome,  en  826,  on  décida  que,  dans  toutes 
les  églises  épiscopales,  à  la  campagne  et  partout  où  cela 
serait  nécessaire,  il  y  aurait  des  maîtres  pour  enseigner 
les  arts  libéraux  et  les  sancta  dogmata  (4).  Le  concile. 
d'Aix-la-Chapelle  de  836  insiste  sur  la  nécessité  de  donner 
aux  enfants  baptisés  l'intelligence  de  l'oraison  dominicale, 
du  symbole  et  de  leurs  devoirs  (5). 

Tel  est,  sous  Charlemagne,  l'ensemble  des  dispositions 
prises  pour  assurer  l'enseignement  catéchétique.  L'objet 
de  cet  enseignement  est  nettement  délimité.  Il  comprend1 
avant  tout  l'explication  du  symbole  des  apôtres,  de 
l'oraison  dominicale  et  du  symbole  dit  de  saint  Athanase, 
avec  rémunération  des  œuvres  à  accomplir  et  des  fautes 
à  éviter,  selon  le  Décalogue.  On  peut  en  trouver  un  écho 
dans  les  conseils  donnés  par  Dhuoda  à  son  fils,  en  842 „ 
qui  forment  en  73  chapitres  un  petit  manuel  de  la  foi  et 
de  la  morale  chrétiennes  (6).  Les  Documents  de  cette 
époque  en  langue  tudesque,  recueillis  par  Eckard,  nous 
révèlent  qu'on  enseignait  aussi  le  Gloria  in  excelsis, 
les  œuvres  de   miséricorde  et  la  manière  de  se  confes- 

1.  Can.  47  ;  Hefele,  ibid.,  p.  186  ;  Hardouin,  ibid.,  col.  1017. 
a.  Can.  45.  —  3.  Cap.  6  ;  Hefele,  ibid.,  p.  a55  ;  Hardouin,  ibid., 
p.  i3oo.  —  4-  Can.  34;  Hefele,  ibid.,  p.  245.  —  5.  Hefele,  ibid., 
p.  290  ;  Hardouin,  t.  iv,  col.  1397.  —  6.  Pair,  lat.,  t.  evi,  col. 
109-118. 


[\0  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


ser  (i).  Car,  outre  deux  explications  du  Pater,  l'une  attri- 
buée à  Otfried  de  Vissembourg,  disciple  de  Raban  Maur, 
l'autre  au  moine  de  saint  Gall,  Notker,  tous  deux  du  ixe  siè- 
cle, du  Credo  et  du  Qaicumque,  il  renferment  une  liste  assez 
détaillée  des  péchés  contre  les  commandements  de  Dieu 
et  de  l'Eglise  :  preuve  évidente  que  ces  divers  points  fai- 
saient alors  partie  de  l'instruction  religieuse.  Ainsi  paraît 
Ja  matière  de  l'enseignement  catéchétique  de  cette  époque. 
Et  cette  matière  est  soigneusement  consignée  dans  des 
irecueils  spéciaux,  que  les  prêtres  doivent  avoir  sous  la 
main  (2).  Il  ne  restait  donc  plus,  pour  en  faire  un  manuel 
de  catéchisme  à  l'usage  des  enfants  qu'à  la  réduire  en 
formules  aussi  précises  et  didactiques  que  possible. 

2°  Après  Charlemagne.  —  Le  ixe  siècle  nous  offre 
déjà  une  tentative  de  ce  genre  dans  la  Disputatio  puerorum 
per  interrogationes  et  responsa,  que  Frobenius  Forster  a 
[placée  parmi  les  œuvres  douteuses  d'Alcuin  (3),  et  où  Probst 
a  voulu  voir  la  catéchèse  normale  du  ixe  au  xiue  siècle  (4). 
Ce  petit  livre,  en  effet,  a  les  allures  d'un  catéchisme.  Il 
procède  par  demandes  et  par  réponses  et  traite  successi- 
vement, en  douze  chapitres,  de  l'œuvre  des  six  jours,  de 
;la  nature  de  l'homme,  des  Anges,  de  Dieu,  des  six  âges 
du  monde  et  de  l'homme,  des  livres  de  l'Ancien  et  du 
^Nouveau  Testament,  de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  de  la 
i  messe,  du  symbole  et  de  l'oraison  dominicale.  Par  la  pen- 
\  sée,  le  style  et  la  forme,  il  rappelle  les  ouvrages  dialogues 
I  d'Alcuin,  mais  rien  ne  prouve  qu'Alcuin  l'ait  écrit  ;  car 
.s'il  avait  été  son  œuvre  destinée  à  l'école  palatine,  il  esta 
<  croire  que  Charlemagne  l'eût  recommandé,  sinon  imposé; 
I  et  Raban  Maur,  disciple  d'Alcuin,  en  eût  fait  autant  au 
I  concile  de  Mayence.  Rien  ne  prouve  non  plus  que  ce  ma- 

V  ï.  Incerti  monachi  Weissenburgensis  catechesis  theotlsca,  sœcuîo 
\ÎX  conscripta,  et  monumenta  varia  theotlsca,  Hanovre,  1713.  — 

2.  Voir,  pour  le  Credo  et  le  Pater,  Wiegand,  Die  Stellung  der 
\apost.  Symbols  im  Kirchl.  Leben  des  Mittelalters,  Leipzig,  1899, 
ip.  33i  sq. —  3.  Alcuini  vita  et  opéra,  Salzbourg,  1777,  t.  11, 

p.  4i9~44o;  Patr.  lat.f  t.  ci,  col.    1099-1144.  —  4.  Geschichte 

der  Catéchèse,  p.  87. 


INTRODUCTION  4l 


nuel  ait  été  mis  entre  les  mains  des  enfants.  Il  ne  passa 
pas  inaperçu,  cependant;  car  deux  siècles  plus  tard,  ses 
deux  derniers  chapitres  avec  leur  forme  dialoguée  précè- 
dent une  exposition  du  Qaiq unique,  desaint  Bruno,  évêque 
de  Wurtzbourg,  (f  io45),  pour  l'usage  de  son  diocèse  (i). 

La  période  qui  suit  la  renaissance  carolingienne,  sur- 
tout le  xe  siècle,  oiïre  peu  de  documents  relatifs  à  l'his- 
toire du  catéchisme.  Rathier  de  Vérone  (j  974)  a  laissé 
une  Synodica  qui  marque  à  quel  degré  d'abaissement 
pétait  alors  tombée  l'instruction  religieuse.  Il  recommande 
bien  d'enseigner  le  symbole  et  l'oraison  dominicale,  qui 
constituent  les  points  principaux  de  l'enseignement  caté- 
chétique,  10  ;  il  rappelle  aux  parrains  l'obligation  de  les 
faire  apprendre  à  leurs  filleuls,  1 1  ;  et  il  dit  aux  prêtres  : 
Ut  unusqulsque  vestrum,  si  fieri  potest,  expositionem 
symboli  et  orationis  dominicœ...  pênes  se  scriplam  habeat 
et  eam  plenUer  intelligat,  et  inde,  si  novit,  prœdicando 
populum  sibi  commissum  sedulo  instruat,  12  (2). 

Au  xie  siècle,  Fulbert  de  Chartres  (f  1029),  qui  avant 
de  devenir  évêque  avait  eu  la  direction  de  l'école,  indique 
à  Adéodat  la  manière  dont  il  entend  que  la  foi  soit  ensei- 
gnée aux  commençants,  par  l'explication  des  trois  princi- 
paux mystères  de  la  vie  chrétienne,  c'est-à-dire  des  trois 
premiers  sacrements  qui  constituaient,  au  temps  du 
catéchuménat,  l'initiation  chrétienne  (3).  Signalons  en- 
core un  autre  traité  sur  ce  même  sujet,  le  Libellus  de 
sacramentis  de  Bonizo  de  Plaisance  (f  1089)  (4),  et  une 
explication  du  Pater,  In  orationem  Domini  (5),  de  Théo- 
doric  de  Paderborn  (f  c.  1079). 

Ainsi  donc,  comme  traits  caractéristiques  de  cette 
période,  il  faut  signaler  le  choix  des  matières  à  enseigner, 
la  rédaction  d'un  manuel  catéchétique  sous  forme  d'ho- 
mélie, d'explication  ou  de  commentaire,  avec  l'obligation 
imposée  aux  prêtres  d'avoir  ce  manuel  et  de  s'en   servir 

1.  Commentarius  in  orationem  dominicam,  symbolum  apostolo- 
rum  et  fidem  Athanasii;  Patr.  lat.,  t.  cxlii,  col.  557-568.  — 
2.  Patr.  lat.t  t.  cxxxvi,  col.  562-563.  —  3.  Epist.,  v;  Patr.  lat., 
t.  cxli,  col.  196  sq.  —  4.  Patr.  lat.,  t.  cl,  col.  857  sq.  — 
5.  Patr.  lat.,  t.  cxlvii,  col.  334  sq. 


42  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


pour  l'instruction  religieuse  des  fidèles,  et  l'un  des  pre- 
miers essais  de  catéchisme  dialogué  dans  la  Disputatio, 
dont  nous  avons  parlé. 


VI.  Aux  XIIe  et  XIIIe  siècles 

1°  La  forme  dialogué©.  —  La  forme  dialoguée,  inau- 
gurée au  ixe  siècle,  est  reprise  au  commencement  du  xn* 
parHonorius  d'Autun,  mort  vers  1120.  Celui-ci,  en  effet, 
compose  à  la  prière  de  ses  amis  un  petit  ouvrage  en  trois 
livres,  où  il  traite  du  Symbole,  du  mal  physique  et  moral, 
de  toutes  les  espèces  de  péché  et  des  fins  dernières  ;  c'est 
YElucidarius  sive  Dialogus  de  summa  totius  christianss 
theologiœ(i),  sur  lequel  l'Histoire  littéraire  de  la  France  (2) 
donne  des  renseignements  erronés.  Ce  dialogue  accuse, 
une  main  novice  et  n'est  pas  exempt  d'erreurs  ;  il  embrasse 
trop  de  matières  et  surtout  des  questions  abstruses  sur  les 
problèmes  les  plus  difficiles  de  la  théologie.  Il  ne  pouvait 
donc  guère  jouer  le  rôle  d'un  catéchisme,  malgré  le  suc- 
cès qu'il  eut  dans  la  suite,  car  il  fut  traduit  en  français, 
au  xuie  siècle,  par  le  dominicain  Geoffroy  de  Waterford, 
en  allemand,  en  italien,  en  anglais  (3). 

2°  Le  Septénaire.  —  En  matière  pédagogique,  un  suc- 
cès beaucoup  plus  caractéristique  fut  réservé  au  nombre 
sept.  Saint  Augustin,  dans  son  explication  du  discours  sur 
la  montagne,  avait  jeté  les  bases  d'une  théorie  mystique 
sur  ce  chiffre.  Expliquant  les  béatitudes,  il  avait  réduit 
leur  nombre  à  7,  la  dernière  devant  se  confondre  avec  la 
première.  Par  là  il  trouvait  qu'elles  correspondent  aux  7 
dons  du  Saint-Esprit  gradibus  sentenliisque,  avec  cette 
différence  cependant  qu'elles  suivent  un  ordre  ascendant 
depuis  la  crainte  jusqu'à  la  sagesse,  tandis  que  les  dons 
avaient  été   énumérés  par  Isaïe  en   sens  contraire  (4). 

1.  Pair,  lat.y  t.  clxxii,  col.  1109-1176.  —  2.  T.  xn,  p.  167  sq. 
—  3.  Hain,  Repertorium,  Stuttgard,  1826  n.  88o3-8822.  — - 
4.  De  Sermone  Domini  in  monte,  I,  iii-iv,  10,  11. 


INTRODUCTION  43 


D'autre  part,  selon  lui,  le  nombre  des  demandes  de  l'orai- 
son dominicale,  également  de  7,  correspond  à  celui  des 
béatitudes  et  vise  l'obtention  des  7  dons(i).  Telle  est  l'ori- 
gine de  la  théorie  du  septénaire. 

Yves  de  Chartres  (f  iii5)  est  le  premier  à  la  rappeler 
au  début  du  xne  siècle  (2).  Joscelin  de  Soissons  (f  ii5i), 
l'emprunte  à  Yves  (3).  Hugues  de  saint  Victor  (f  1142)  la 
renforce  et  facilite  son  succès.  Avec  lui,  ce  n'est  plus  seu- 
lement trois  séries  de  sept,  mais  cinq  qu'il  faut  signaler  ; 
car  il  y  ajoute  la  liste  des  7  vices  et  des  7  vertus,  De 
quinque  septenis  seu  seplenariis  opusculum  (4),  en  conser- 
vant à  l'oraison  dominicale  ses  rapports  avec  les  dons  du 
Saint-Esprit  et  en  lui  attribuant  une  efficacité  spéciale 
contre  les  péchés  capitaux  (5).  Mais  il  est  à  remarquer 
que  les  vertus,  dont  parle  ici  Hugues  de  Saint  Victor, 
sont  l'humilité,  la  bénignité,  la  componction,  la  justice, 
la  miséricorde,  la  pureté  et  la  paix,  auxquelles  on  ajou- 
tera bientôt  une  nouvelle  liste  de  sept,  composée,  celle-ci, 
des  vertus  théologales  et  cardinales.  Il  est  à  remarquer 
encore  que  le  nombre  des  péchés  capitaux  subit  une 
réduction  ;  car  jusque-là  on  en  comptait  le  plus  souvent 
huit,  en  y  comprenant  la  vaine  gloire  (6).  Lesdrade,  qui 
n'en  admettait  que  sept,  constate  que  les  anciens,  en  par- 
ticulier les  Pères  d'Egypte,  en  comptaient  huit  (7).  Depuis, 
le  nombre  des  péchés  capitaux  est  resté  fixé  à  sept.  Il  est 
à  remarquer  enfin  que,  toujours  sous  l'influence  de  cette 
théorie,  le  nombre  des  articles  du  symbole,  traditionnel- 
lement fixé  à  douze,  est  porté  à  quatorze,  c'est-à-dire  à. 
deux  fois  sept. 

x.  Ibid.,  II,  xi,  38  ;  Patr.  lat.,  t.  xxxiv,  col.  287.  —  2.  Serai. 
xxn.  De  orat.  Dom.  ;  Patr.  lat.,  t.  clmi  ;  col.  599-604.  — 
B.Expositio  symb.  et  orat.  dom.  ;  Patr.  lat.,  t.  clxxxvi,  col.  1479. 
—  4.  Patr.  lat.,  t.  clxxv,  col.  4o5-4i4.  —  5.  Allegoriœ  in  N. 
T.,  II,  in  ;  Patr.  lat.,  t.  clxxv,  col.  774.  —  6.  Voir,  en  parti- 
culier, S.  Golomban,  Instr.,  17  ;  Patr.  lat.,  t.  lxxx,  col.  259  ; 
S.  Eutrope,  De  octo  vitiis,  ibid.,  col.  9-14  ;  S.  Boniface, 
homil.,  vi  ;  Patr,  lat.,  t.  lxxxix,  col.  855;  S.  Pirminius, 
ibid.  col.  io36  ;  Alcuin,  De  virt.  et  vit.,  xxvii-xxxiv  ;  Patr, 
lat.,  t.  ci,  col.  632-637»  —  7,  Epist.,  11,  19,  Patr.  lat.,  t.  xcix, 
col.  881. 


44  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


Toutefois  Odon  de  Sully,  évêque  de  Paris  (f  1208),  s'en 
tient  encore  à  l'usage  ancien.  Dans  ses  constitutions,  il 
ordonne  aux  prêtres  d'exhorter  les  fidèles  à  dire  l'oraison 
dominicale,  le  symbole  et  la  salutation  angélique,  et  de 
leur  expliquer,  les  dimanches  et  jours  de  fête,  les  articles 
du  Credo,  en  les  confirmant  par  des  textes  de  l'Ecriture, 
à  cause  des  hérétiques  (1). 

A  part  cette  exception,  la  théorie  du  septénaire  est  gé- 
néralement adoptée.  On  la  retrouve  notamment  dans  les 
traités  sur  le  décalogue,  les  sacrements  et  les  péchés,  de 
saint  Edmond  de  Cantorbéry  (f  1242),  et  dans  son  Spé- 
culum, à  propos  des  péchés,  des  vertus,  des  dons,  des  ar- 
ticles du  symbole,  des  sacrements,  des  œuvres  de  misé- 
ricorde et  des  demandes  de  l'oraison  dominicale  (2). 

On  la  retrouve  de  même  dans  le  docteur  angélique. 
Saint  Thomas,  en  effet,  a  laissé  dans  cinq  opuscules  dis- 
tincts un  petit  résumé  de  l'enseignement  chrétien.  Par- 
tant de  ce  principe  que  trois  sciences  sont  nécessaires  au 
salut,  scientia  credendorum,  scientia  desiderandorum, 
scientla  operandorum,  il  traite  de  chacune  de  ces  scien- 
ces (3).  Le  symbole  y  est  divisé  en  quatorze  articles.  C'est 
là  une  explication  simple,  détaillée,  mais  sans  appareil 
scientifique,  sans  comparaisons  savantes,  avec  des  exem- 
ples pris  dans  la  vie  ordinaire,  et  par  suite  très  accessible 
à  l'intelligence  des  enfants.  Aussi  a-t-elle  servi  de  manuel 
catéchétique  (4). 

Le  Septénaire  se  retrouve  encore  dans  la  Somme-le-Roy, 
rédigée  en  français,  en  1279,  par  Fr.  Laurens,  de  l'ordre 
de  saint  Dominique,  à  la  prière  de  Philippe  le  Hardi.  Ce 
petit  livre,  publié  en  1481,  sans  nom  de  lieu  (5),  et  très 

1.  Consl.  syn.,  vin,  10,  3a  ;  Pair,  lai.,  t.  ccxii,  col.  57  sq.  — 
a.  Max.  bibllolh.  Palrum,  Lyon,  1677  t.  xxv,  p.  3i()-323.  — 
5.  Opus.  m,  sur  les  deux  préceptes  de  la  Charité  et  le  déca- 
logue ;  iv,  sur  les  articles  de  foi  et  les  sacrements  ;  v,  sur 
Toiaison  dominicale  ;  vi,  sur  la  salutation  angélique  ;  vu,  sur 
le  symbole  des  apôtres  ;  Opéra,  Parme,  i8G5,  t.  xvi,  p.  97  sq  ; 
Taris,  i8-5,  t.  xxvii,  p.  i44  sq.  —  4-  Cf.  Werner,  Der  heilige 
Yhonuu  ven  Aquino.  Ratisbonne,  i858,  t.  1,  p.  i23-i58.  — 
t>.  flâ!o    ftepert.  n.  9950. 


INTRODUCTION  45 


estimé  par  Quiétif  et  Echard  (i),  contient  presque  toute 
la  matière  de  nos  catéchismes  actuels  :  commandements, 
articles  de  foi,  péchés  mortels,  vices  et  vertus,  les  sept 
«  peticions  »  du  Pater  qui  demandent  les  sept  dons  du 
Saint-Esprit,  extirpent  les  sept  vices  capitaux  et  nourris- 
sent les  sept  vertus  par  lesquelles  on  vient  aux  sept  «  bo- 
neurtés  »,  les  sept  dons,  les  sept  vertus,  la  prière  et  enfin 
une  méthode  de  confession. 

Jusque  là  les  conciles  du  xne  et  xni8  siècles  avaient 
maintenu  les  décisions  prises  depuis  Charlemagne.  Celui 
de  Grau,  en  iii4,  ne  mentionne,  en  effet,  que  l'explica- 
tion du  symbole  de  l'oraison  dominicale  (2),  celui  de  Bé- 
ziers,  en  1246,  veut  que  les  enfants  soient  instruits  dès 
l'âge  de  sept  ans  et  apprennent  la  formule  du  Pater,  de 
VAve  et  du  Credo,  —  Y  Ave  paraît  ici  pour  la  première 
fois  dans  un  document  synodal  ;  —  il  ordonne  en  outre 
aux  curés  d'expliquer  chaque  dimanche  d'une  manière 
claire  et  simple  les  articles  du  symbole  (3).  Mais  celui  de 
Lambeth,  en  1281,  plus  explicite  et  plus  complet  en  ma- 
tière d'enseignement  catéchétique,  adopte  la  théorie  du 
septénaire.  Sous  le  titre  De  Infor matio ne  simpUciam,  or- 
dre est  donné  au  clergé  d'exposer  quatre  fois  par  an  au 
peuple  les  quatorze  articles  du  symbole,  le  décalogue,  le 
double  commandement  évangéiique  de  la  charité,  les  sept 
œuvres  de  miséricorde,  les  sept  péchés  capitaux,  les  sept 
vertus  principales,  les  sept  sacrements  :  véritable  abrégé 
de  la  doctrine  chrétienne,  que  le  concile  ne  se  borne  pas 
à  indiquer,  mais  qu'il  prend  soin  de  rédiger  pour  l'usage 
du  clergé  (4). 

On  se  contente  donc  encore,  comme  on  le  voit,  de  signa- 
ler la  matière  de  l'enseignement.  Mais  on  la  réduit  en 
formule,  et  le  manuel  qui  la  renferme  doit  servir  aux  cu- 
rés pour  les  instructions  dominicales.  Un  progrès  déplus, 


1.  Scriptores  ord.  preedicatorum,  Paris,  1719,  t.  t,  p.  0S7.  — ■ 
2.  Can.  2  ;  Hefele,  t.  vu,  p.  128.  —  3.  Can.  8  ;  Cf.  Concile 
d'Albi,  de  1254,  can.  18  ;  Hefele,  t.  vm,  p.  4oo,  403  ;  Hardouin, 
t.  vu,  col.  409,  46o.  —  4.  Can.  10;  Hefele,  t.  ix,  p.  112  ;  Har- 
douin,  t.  vu,  col.  855  sq. 


£6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  les  manuels  catéchétiques  à  l'usage  des  enfants  fini- 
ront par  devenir  d'usage  courant. 

V.  Aux  XIVe  et  XVe  siècles 

1°  Le  concile  de  Lavaur.  —  En  i368,  un  concile 
du  Languedoc  réunit  à  Lavaur  les  provinces  ecclésias- 
tiques de  Narbonne,  de  Toulouse  et  d'Auch.  L'œuvre 
de  ce  concile  est  particulièrement  remarquable.  Elle 
débute  par  une  prescription  solennelle  :  Tout  laïque 
doit  être  informé  avec  soin  et  instruit  sur  les  articles 
de  foi  et  les  choses  nécessaires  à  l'acquisition  du  sa- 
lut éternel.  Elle  olfre  un  résumé  du  dogme  et  de  la 
morale,  un  véritable  catéchisme;  car  il  y  est  traité  tour  à 
tour  des  quatorze  articles  du  symbole,  des  sept  sacrements, 
des  sept  vertus  principales, des  sept  dons  du  Saint-Esprit, 
des  sept  demandes  de  l'oraison  dominicale,  des  sept 
béatitudes  (la  huitième  étant  laissée  de  côté),  des  douze 
fruits  du  Saint-Esprit,  d'après  l'Epître  aux  Galates  (i),  des 
sept  œuvres  corporelles  et  spirituelles  de  miséricorde, 
des  sept  péchés  capitaux  et  des  dix  commandements  (2). 

Et  ici,  comme  à  Lambeth,  cette  matière  de  l'enseigne- 
ment catéchétique  est  formulée  dans  une  rédaction 
succinte  et  claire,  didactique.  De  plus,  afin  d'aider  la 
mémoire,  on  y  donne,  sous  forme  de  vers  latins,  certains 
moyens  mnémotechniques,  dont  voici  quelques  exemples: 

Sur  le  symbole  : 

Unum  crede  Deum,  Patrem,  Filium,  quoque  Flamen, 
Qui  créât  et  recréât  homines,  quos  salvificabit  ; 
Conceptus,  natus,  passus,  descendit  ad  ima, 
Surgit  et  ascendil,  veniet  dircernere  cuncta. 

Sur  les  commandements  : 

Unum  cote  Deum,  nec  jures  vana  per  ipsum  ; 
Sabbata  sanctifiées  ;  venerare  parentes  ; 

1.  Gai,  v,  32-23.  —  2.  Hefele,  t.  ix,  p.  610  sq.  ;  Hardouin, 
i.  vu,  col.  1804-1812. 


INTRODUCTION  47 


Non  sis  occisor,fur,  mœchus.  lestis  iniquus; 
Vicinique  torum  resque  caveto  suas. 

Sur  les  œuvres  de  miséricorde  : 

Visilo,  polo,  cibo,  redimo,  tego,  colligo,  condo. 
Consule,  castiya,  solare,  remitte,  fer,  ora. 

Dans  ce  dernier  vers,  consule  marque  deux  œuvres  de 
miséricorde. 

Or,  d'après  la  décision  du  concile,  ce  manuel  catéché- 
tique  devait  servir  chaque  dimanche  aux  curés  pour 
instruire  les  fidèles.  Naturellement  il  dut  être  adopté  dans 
les  divers  diocèses  de  la  Gascogne  et  du  Languedoc.  Il  le 
fut  en  particulier  par  Garsias  Arnaud  de  Navailles,  au 
synode  de  Dax,  en  i4oi  (i).  Les  mêmes  procédés  mnémo- 
techniques y  sont  employés  et  c'est  à  peine  s'il  y  a  quel- 
ques changements  dans  l'ordre  des  matières.  En  revanche 
certaines  additions  portent  sur  les  sept  dons  du  baptême, 
les  sept  heures  canoniques,  les  sept  jours  du  siècle,  les 
sept  âges  du  monde,  les  sept  psaumes  de  la  pénitence, 
les  sept  joies  de  la  sainte  Vierge,  ce  qui  est  une  application 
plus  étendue  du  septénaire.  En  tête  se  trouve  le  décalogue, 
résumé  en  cinq  vers  au  lieu  de  quatre.  Les  sacrements 
sont  désignés  par  ce  vers  : 

Abluo,  firmo,  cibo,  piget,  uxor,  ordinal  et  unxit. 

Les  sept  péchés  capitaux,  par  le  mot  Saligia,  composé 
de  chacune  des  lettres  initiales  de  Superbia,  avaricia,  luxu- 
ria,  ira,  gala,  invidia,  acedia  ;  d'où  ce  dicton  :  Dat  sepiem 
vitia  dictio  Saligia.  Utile  au  clefgé,  ce  manuel  pouvait 
également  servir  aux  enfants  capables  d'entendre  le  latin. 

2°  Les  Manuscrits.  —  Mais,  bien  avant  le  synode  de 
Dax,  circulèrent  pendant  le  xive  siècle  un  grand  nombre 
de  manuscrits  destinés  à  l'enseignement  chrétien,  quel- 
ques-uns à  titre  de  manuel  à  l'usage  du  clergé  des  pa- 

i.  Degert,  Constitutions  synodales  de  Dax,  Dax,  1898,  p.  76-82. 


£ 8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


roisses,  d'autres  comme  des  essais  de  catéchisme  à 
l'usage  de  ceux  qui  n'avaient  pas  le  temps  de  puiser  dans 
plusieurs  opuscules  la  doctrine  des  maîtres  chrétiens, 
plus  spécialement  en  faveur  des  enfants  et  des  simples. 

Parmi  les  premiers,  nous  citerons  le  Manipulas  curato- 
rum,  composé  par  Guy  de  Montrocher,  vers  i33o,  pour 
Raymond,  évoque  de  Valence,  et  le  Doctrinal  de  Sapience, 
transcrit  par  ordre  de  Guy  de  Roye,  alors  archevêque  de 
Sens,  mort  archevêque  de  Reims  en  1409. 

Le  Manipulas  curatorum,  comme  son  titre  l'indique, 
devait  servir  de  guide  à  tout  curé  de  paroisse  ut  simpli- 
ces  in  aliquo  instruerentur.  11  est  divisé  en  trois  parties  : 
la  première  traite  des  sacrements  et  de  leur  administra- 
tion ;  la  seconde,  de  la  confession  et  des  pénitences;  la 
troisième,  la  seule  qui  nous  intéresse  ici,  est  plus  particu- 
lièrement destinée  à  l'instruction  des  enfants  et  des 
ignorants.  Cette  dernière  comprend  l'explication  des  qua- 
torze articles  du  symbole,  de  l'oraison  dominicale,  du 
décalogue,  des  fêtes,  des  œuvres  de  miséricorde  et  des 
«  douaires  »  des  bienheureux  (1). 

Le  Doctrinal  de  Sapience,  a  très  utile  à  toute  personne 
pour  le  salut  de  son  âme  »,  est  un  exposé  complet  et  dé- 
taillé de  la  doctrine  chrétienne  en  93  chapitres,  compre- 
nant le  dogme,  la  morale,  les  sacrements,  la  prière,  les 
péchés  et  les  fins  dernières.  Son  explication  du  symbole 
et  du  décalogue  rappelle  la  Somme-le-Roy  (2).  D'après  la 
préface  du  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  la  ville  de 
Toulouse  (3),  le  clergé  devait  en  lire  aux  fidèles,  chaque 
dimanche,  deux  ou  trois  pages. 

En  même  temps  se  poursuivait  l'instruction  populaire 
par  la  publication  d'un  certain  nombre  d'ouvrages,  gros- 
sièrement illustrés,  il  est  vrai,  mais  où  le  texte  et  l'image 
concouraient  à  l'édification  religieuse  et  morale.  La  col- 
lection d'estampes  de  la  Bible  des  pauvres  représentait 
toute  l'histoire  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  (4). 


i.Hain,  Repert..  n.  538-543,  8157-8215.  Traduction  française 
à  Orléans  en  1490;  ibid.  n.  8214.  —  2.  Hain,  n.  i4oii,  i4oi6. 
—  3.  Ms.  820.  —  4»  Hain,  Repert.,  n.  3176,   3177;  Camesina 


INTRODUCTION 


49 


La  Danse  des  Morts  ou  les  Danses  macabres  servaient  de 
leçon  sur  les  fins  dernières  (i).  Il  faut  y  joindre  le  Spécu- 
lum humanœ  salvationis,  poème  ascétique  en  vers  rimes 
sur  des  sujets  bibliques  en  45  chapitres  et  192  figures, 
dont  quelques  manuscrits  portent  la  date  de  i324  (2).  Cet 
ouvrage  reproduit  ou  amplifié,  imité  ou  traduit  donna 
lieu  à  un  grand  nombre  de  miroirs  :  le  Spéculum  chris- 
tiani,  le  Spéculum  animx  peccatricis  ou  Spéculum  au- 
reum,  le  Spéculum  artls  bene  moriendi,  le  Mirouer  de  la 
Rédemption  de  l'humain  lignaige  (3). 

Parmi  ces  nombreux  ouvrages,  quelques  uns  se  distin- 
guent par  leurs  qualités  didactiques  et  visent  plus  spécia- 
lement l'instruction  des  enfants  et  des  simples  sur  des 
matières  catéchétiques  (4).  Qu'il  suffise  de  citer  la  Summa 
rudium,  qui  traite  de  la  Trinité,  des  articles  de 
foi,  etc.  (5),  et  les  Auctores  octo,  recueil  de  pièces  mora- 
les, parmi  lesquelles  se  trouve  le  F  lare  tas  ou  Floret 
attribué  à  Jean  de  Garlande  et  à  saint  Bernard. 

3°  Le  Floret.  —  Ce  livret,  in  quo  omnium  detestationcs 
viciorum  metrice  continehiur,  est  très  curieux  (6).  L'édi- 
tion de  1494  se  termine  par  ces  mots  :  «  Summa  admodum 
utilis  et  fructuosa,  theologalis  et  canonica,  édita  super 
Floreium  per  magne  littérature  virum,  sacre  théologie 
doctorem  parisiensem,  mag.  Joh.  Iarson.  »  Cette  noie 
atteste  la  portée  morale,  l'utilité  pratique  de  ce  livret  et 
la  profonde  estime  qu'en  avait  le  célèbre  chancelier 
Gerson. 

et  Heyder,  Die  Darslellungen   der  Biblia  Pauperum,  Vienne, 
i863  ;  Laib  et  Schwarz,  Biblia  Pauperum,  Zurich,  18C7. 

1.  Peignot,  Recherches  sur  les  danses  des  morts,  Paris,  182G  ; 
Douce,  The  danceof  death,  Londres,  i833  ;  Massmann,  Lit.  der 
Todtentaenze,  Leipzig,  i85o  :  Langlois,  Essai  sur  les  danses  des 
morts,  Rouen,  1862  ;  Jubinal,  La  danse  des  morts,  Paris,  1802  ; 
Brunet,  Manuel,  t.  11,  p.  i0-i3  ;  Charles  Nisard,  Histoires  des 
livres  populaires,  Paris  1864,  t.  11  p.  275-33i.  —  2.IIain,  Repert. 
n.  14922-14927  ;  Brunet,  t.  iv,  p.  324  ;  Ch.  Nisard, t.  11,  p.  iZ-i'A. 
—  3.  Hain,  Repert.,  n.  14899-14928.  —  4.  Geffcken,  Die  BU- 
derkatechismus,  Leipzig,  i855.  —  5.  Hain,  Repert.,  n.  10170- 
15172.  —  6.  Hain,  Repert,  n.  1913-1919. 

JLE  CATÉCHISME.  —   T.    I  . 


Bo  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Le  Floretus,  comme  tous  les  ouvrages  du  xive  siècle, 
circula  en  manuscrit,  soit  dans  sa  rédaction  originale  en 
ii 68  vers  latins  rimes,  soit  dans  sa  traduction  française 
en  bouts  rimes  de  huit  syllabes  (i).  Dans  l'édition  de 
Rennes  de  i485,  il  est  dit  : 

«  Gy  commence  le  noble  liure 
Floret,  qui  le  veut  ensuiure 
Ne  peut  faillir  d'estre  deliure 
De  tout  mal  et  sainement  uiure.  » 

Destiné  à  apprendre  aux  enfants,  sous  forme  rhythmi- 
que,  les  éléments  de  la  doctrine  chrétienne,  c'est  un  véri- 
table petit  catéchisme  divisé  en  six  parties  : 

«  La  première  part  nous  applique 
A  croire  la  foi  catholique  ; 
Le  deuxième  enseignement 
De  la  loy  le  commandement  ; 
La  tierce  part  si  nous  enseigne 
Que  chacun  de  péché  se  creigne  ; 
La  quatrième  se  nous  diuise 
Les  sacrements  de  sainte  Eglise  ; 
La  cinquième  si  y  comprant 
Les  vertus  et  nous  les  apprend  ; 
La  sixième  veut  tout  définir 
Qui  nous  enseigne  à  bien  mourir.  » 

4°  Les  Calendriers.  —  A  cette  époque,  l'enseigne- 
ment catéchétique  se  glissait  même  dans  les  publi- 
cations les  plus  étrangères  aux  matières  de  foi  ;  il 
parvenait  ainsi  dans  l'intérieur  des  fermes  et  les  plus 
humbles  foyers  sous  la  forme  de  calendriers.  Signa- 
lons le  Compost  et  Kalendrler  des  berglers  (2).  Dans 
ce  calendrier,  la  seconde  partie  renferme  Y  Arbre  des  vices 
et  miroir  des  pêcheurs,  c'est-à-dire  une  énumération  des 

i.  Brunet,  t.  1,  p.  211  :  t.  11,  p.  394-395  ;  Hain,  ReperL, 
in.  7181-7186.  —  a.  Voir  dans  M.  Hézard,  Histoire  du  Catéchisme* 
'Paris,  1900,  un  grand  nombre  de  détails  sur  les  productions 
catéchétiques  durant  le  Moyen  Age  jusqu'à  la  Réforme. 


INTRODUCTION  5  F 


péchés  capitaux  et  des  fautes  dont  chacun  est  la  source* 
suivie  d'une  description  des  peines  de  l'enfer,  faite  par 
Lazare  ressuscité,  le  tout  avec  figures  à  l'appui  ;  la  troi- 
sième comprend  la  Science  salutaire  et  le  Jardin  des  ver- 
tus. La  Science  salutaire,  c'est  la  prière,  notamment  1$ 
«  Patenostre  »,  la  salutation  angélique  et  le  Credo;  c'est 
aussi  la  pratique  des  dix  commandements  de  Dieu  et  des 
cinq  commandements  de  l'Eglise  ;  ici  encore  le  texte  est 
accompagné  de  vignettes.  Quant  au  Jardin  des  vertus,  il 
contient  deux  chansons,  l'une  celle  d'un  berger  «  qui 
n'était  point  maistre  et  à  qui  sa  cognoissance  ne  profitoit 
point  »,  l'autre  celle  d'une  bergère  «  qui  bien  se  cognois- 
soit  et  sa  cognoissance  lui  profitoit  ». 

Ces  opuscules,  la  plupart  anonymes,  sans  caractère  of- 
ficiel et  sans  garanties  suffisantes,  étaient  cependant  un 
indice  des  besoins  du  temps.  Ils  ne  devaient  donc  pas 
tarder  à  susciter  quelque  œuvre  importante  de  la  part 
d'un  maître  dans  la  science  théologique,  préoccupé  à  bon 
droit  de  rompre  le  pain  de  la  vérité  aux  enfants  et  aux 
ignorants.  Ce  maître  fut  le  chancelier  Gerson. 

5°  L'œuvre  de  Gerson.  —  C'est  Gerson,  en  effet, 
qui,  à  la  fin  du  xive  siècle  et  au  commencement  du 
xve,  a  contribué  le  plus  à  faciliter  aux  enfants  et 
aux  simples  la  connaissance  des  éléments  de  la  doc- 
trine chrétienne.  Pénétré  de  l'importance  et  de  la 
nécessité  de  pourvoir  efficacement  à  l'instruction  reli- 
gieuse des  petits  «  pour  les  conduire  au  Christ  »,  selon 
son  expression,  il  ne  cessa  d'y  penser  à  travers  les  nom- 
breux travaux  de  sa  vie  laborieuse.  Teut  comme  les  Pères 
du  concile  de  Lavaur,  il  estimait  qu'il  fallait  sans  doute 
procurer  au  clergé  un  sommaire  ou  manuel  catéchétiquQ 
pour  l'instruction  de  l'enfance.  Ce  manuel,  il  aurait  pu 
l'emprunter  au  concile  de  Lavaur  ;  il  préféra  rédiger  un 
Compendium  theologiœ  brève  et  utile,  qui  n'est  du  reste 
qu'une  adaptation  plus  détaillée  de  l'œuvre  de  ce  concile; 
car  il  comprend  l'exposition  des  articles  du  symbole,  des 
commandements,  des  sept  sacrements,  des  sept  vertus, 
des   sept  demandes  de  l'oraison  dominicale,  des  sept 


52  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


dons   du   Saint-Esprit,    des   béatitudes   et  des   vices  (i). 

C'est  là  l'objet  de  l'enseignement  religieux  du  peu- 
ple qu'il  recommandait  à  Charles  VII.  La  Sexta  par- 
ticula  de  sa  Lettre  n'est,  en  effet,  qu'un  résumé  de  ce 
Cempendium,  avec  quelques  vers  mnémotechniques  sur 
le  décalogue  et  les  œuvres  de  miséricorde  (2). 

D'autre  part,  dans  une  lettre  à  la  faculté  de  théologie 
de  Paris  sur  la  réforme  de  la  théologie,  il  exprimait  le 
désir  ut  fier  et  per  Facultatem,  vel  de  mandata  ejub,  aliquis 
tractatulus  .super  punctis  principallbus  nostrœ  religionis, 
et  speciallter  de  prœceptis,  ad  instructionem  simpli- 
cium  (3).  Et  c'est  lui-même  qui  réalisa  en  partie  ce  désir 
en  rédigeant  ce  petit  traité  dans  sonOpus  tripartitum  (4), 
si  célèbre  et  imprimé  si  souvent  dès  la  fin  du  xve  siè- 
cle (5).  Dupin  remarque  que  bon  nombre  d'évêques  fran- 
çais choisirent  ce  traité,  dans  leurs  synodes,  pour  l'ins- 
truction des  fidèles,  qu'ils  le  firent  insérer  dans  leurs 
rituels  et  obligèrent  les  curés  à  le  lire  à  leurs  ouailles,  les 
dimanches  et  jours  de  fête,  pour  leur  apprendre  quid 
credere,  quid  agere,  quid  omittere  et  quemadmodum  a 
peccato  resurgere  deberent.  Il  fut  traduit  et  imprimé  en 
français  ;  mais  la  traduction  manuscrite  circulait  depuis 
longtemps  ;  elle  devint  Y  Instruction  des  curés,  qui  ren- 
fermait également  le  Livret  Jésus,  «  doctrine  nécessaire  à 
tous  chrestiens  ».  La  seconde  et  la  troisième  partie  de  ce 
traité,  c'est-à-dire  le  De  confessione  et  De  arte  moriendi,  se 
trouvent  avec  VA  B  C  à  la  suite  d'un  résumé  du  Doctri- 
nal de  Sapience  dans  le  Mirouer  de  bien  vivre,  de  la  biblio- 
thèque de  la  vile  de  Toulouse  (6). 

Mieux  encore,  et  conformément  à  l'idée  qu'il  s'était 
faite  depuis  longtemps  et  qu'il  exprima  si  éloquemment 
avant  de  mourir,  à  Lyon,  dans  son  De  parvulis  trahendis 
ad  Chris tum  (7),  il  se  préoccupa  surtout  de  mettre  à  la 
portée  des  humbles,  des  ignorants  et  des  enfants  un  ma- 
nuel capable  de  leur  apprendre  ce  qui  est  nécessaire  au 
1 

I      1.  Opéra,  Anvers,  1706,  t.  1,  p.  233  sq.  —  2.  Ibid.,  t.  ni,  p. 
a34.  —  3.  De  reformalione  theologiœ,  Epist.  11,  ibid..  t.  1,  p.. 
I  124.  —  4.  Ibid.,  t.  1,  p.  /j25-45o.  —  5.  Hain,  Repert.,  n.  7661- 
;  7654.  —  6.  Ms.  821.  —  7.  Opéra,  t.  111,  277-285. 


INTRODUCTION  53 


salut.  Il  ne  se  contenta  pas  seulement  d'éditer  le  Floret, 
dont  il  a  déjà  été  question,  il  composa  aussi  Y  A  B  C  des 
simples  gens,  qui  débute  ainsi  :  «  Entendcz-cy  vous, 
petits  enfans,  filz  et  filles  et  simples  gens.  Je  vous  escrip- 
ray  votre  A  B  C  en  françoys,  qui  contient  la  patenostre... 
le  Ave  Maria...,  le  Credo...  et  les  douze  commandemans 
(Décalogue  et  double  précepte  de  l'amour  selon  l'Evan- 
gile) avecques  plusieurs  poins  de  nostre  foy.  Et  quant  en 
plus  savoir,  je  vous  envoie  à  l'exemplaire  des  petits 
enfans  et  au  Mirouer  de  rame...  à  la  Science  de  bien 
mourir  et  à  YExamen  de  conscience  et  aultres  petits  traic- 
tez.  »  Suit  le  texte  du  Pater,  de  Y  Ave,  du  Credo,  des 
commandements,  puis  rénumération  des  sept  vertus,  des 
sept  dons  du  Saint-Esprit,  des  sept  béatitudes,  des  sept 
œuvres  corporelles  et  spirituelles  de  miséricorde,  des 
sept  sacrements,  des  sept  ordres,  des  sept  péchés  mortels 
et  des  sept  vertus  contraires.  C'est,  on  le  voit,  un  vrai 
catéchisme,  qui  eut  le  plus  grand  succès  ;  souvent  trans- 
crit dans  les  manuscrits  du  xve  siècle,  il  fut  encore  plus 
souvent  imprimé,  dès  la  fin' du  même  siècle. 

Quant  aux  traités  auxquels  renvoie  Gerson,  celui  de  la 
Confession  ou  Examen  de  conscience  avait  pour  but  de 
faciliter  aux  enfants  la  pratique  du  sacrement  de  péni- 
tence ;  celui  de  la  Science  de  bien  mourir,  avec  ses  exhor- 
tations, ses  interrogations  et  ses  prières,  devait  servir  aux 
curés  dans  l'assistance  des  mourants,  mais  il  offrait  éga- 
lement aux  lecteurs  pieux  une  excellente  leçon  morale 
pour  se  bien  préparer  eux-mêmes  à  la  mort.  Ces  petits 
traités  eurent  une  vogue  immense  (i).#  Ils  furent  trans- 
crits, augmentés,  publiés  dans  leur  teneur  originale  et 
sous  diverses  formes,  séparément  ou  avec  d'autres,  en 
latin  et  en  français. 

6°  Le  Concile  de  Tortose. — En  présence  de  ce  grand 
mouvement  de  production  catéchétique,  l'Eglise  n'avait 

i.  Ars  moriendi;  Ars  bene  moriendi  ;  De  arte  bene  moriendi; 
Hain,  ReperL,  n.  i83i-i835,  i843-i846,  8162  ;  L'art  de  mourir, 
suivi  de  YEguillon  de  crainte  divine...;  Y  Art  de  bien  vivre  et  de 
bien  mourir  etc.  Ilain,  ibid.,  n.  i838-i84o,  1847,  6553. 


64  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


plus  qu'à  décider,  pour  chaque  diocèse,  la  rédaction  d'un 
manuel  ou  d'un  catéchisme  à  l'usage  des  enfants.  En  atten- 
dant le  concile  de  Trente,  ce  fut  un  concile  provincial,  celui 
de  Tortose,  en  1429,  qui,  sous  la  présidence  du  cardinal  da 
Foix,  délimita  ainsi  qu'il  suit  la  matière  d'un  catéchisme 
sous  ce  titre  :  De  modo  instruendi  populum  circa  fidem 
netessaria  :  1  quid  credere  debeat,  ou  les  articles  de  foi  ;  2 
quid peter e,  ou  l'oraison  dominicale;  3  quœ  servare,  ou  la 
décalogue.;  4  quse  vitare,  ou  les  sept  péchés  capitaux; 
5  quid  optare,  ou  le  paradis  ;  6  quid  timere,  ou  l'enfer. 
En  conséquence  les  évêques  doivent  «  per  viros  litteratos 
et  probos  dictari  et  scribi  faciant  aliquod  brève  compen- 
dium,  in  quo  prœdicta  omnia...  districte  comprehendan- 
tur  et  clare.  Quod  compendium  sic  commode  dividatur 
inter  partes  ut  per  sexvel  per  septem  lectiones  valeatdecl  - 
rari  et  sic  per  totius  anni  decursum,  repetitis  vicibus,  per 
-curâtes,  diebus  dominicis,  taliter  faciant  explanarb)  (1). 

C'est  bien  là  la  rédaction  d'un  vrai  catéchisme,  sous 
forme  de  compendium,  en  six  ou  sept  leçons,  qu'on  devra 
lire  et  expliquer  l'une  après  l'autre,  chaque  dimanche, 
tout  le  long  de  l'année.  A  ce  régime,  c'est-à-dire  à  une 
leçon  par  dimanche,  les  fidèles  devaient  entendre  sept 
fois  par  an  les  formules  catéchétiques  et  par  suite  na 
pouvaient  guère  tarder  à  les  savoir  par  cœur.  Le  vœu  du 
chancelier  Gerson  se  trouvait  ainsi  réalisé  dans  le  nord  da 
l'Espagne. 

Mais  nous  ignorons  jusqu'à  quel  point  fut  appliqué  ca 
décret  du  concile  de  Tortose.  Nous  ignorons  aussi  s'il 
faut  en  voir  une  application  dans  le  petit  livre  qui  a  pour 
titre  :  Fundamentum  œternœ  felicitatis  cum  libro  da 
miseria  conditionis  humanœ  (2),  que  Kôcher  proposait 
aux  protestants  (3).  Toujours  est-il  que  ce  Fundamentum 
est  un  véritable  catéchisme  du  xve  siècle  renfermant  inté- 
gralement la  matière  de  nos  catéchismes  actuels,  mais 
sans  la  forme  dialoguée  de  ceux-ci. 

On  peut  en  dire  autant  du  Discipulus   de  éruditions 

1.  Hefele,  t.  xi,  p.  i63  ;  Hardouin,  t.  vm,  col.  1078.  — 
a.  Cologne,  i5oi  ;  Hain,  Repert.,  n.  7396.  —  3.  Bibliotheca,  Iéna, 
1719, 11  P,  p.  i46. 


INTRODUCTION  55 


Christi  Jidelium,  qu'Eder  traite  de  catéchisme  du  com- 
mencement du  xve  siècle  (i)  ;  caria  matière  qu'il  contient 
est  la  même  que  celle  du  Fundamentum.  C'était  en  réalité 
un  manuel  à  l'usage  du  clergé,  souvent  imprimé  sous  des 
titres  divers  (2). 

Telle  est  l'histoire  du  catéchisme  jusqu'à  la  veille 
du  xvi°  siècle.  Très  certainement  elle  est  incomplète  ;  car, 
très  certainement,  outre  les  documents,  dont  il  a  été 
question  dans  ce  qui  précède,  il  en  existe  d'autres,  encore 
inconnus  ou  inédits,  mais  dont  la  découverte  et  la  publi- 
cation ne  modifiera  pas  sensiblement,  croyons-nous,  les 
résultats  déjà  acquis. 

VI.  Première  moitié  du  XVIe  siècle 

Ce  n'est  pas,  assurément,  au  moment  où  éclate  la 
Réforme,  que  le  mouvement  en  faveur  de  l'enseignement 
catéchétique  de  l'enfance  va  se  ralentir  ou  s'arrêter  ;  bien 
au  contraire,  il  ne  fera  que  se  renforcer  et  s'étendre  dans 
l'Eglise.  Les  ouvrages  du  'siècle  précédent,  surtout  ceux 
de  Gerson,  sont  très  répandus.  Mais  d'autres  vont  paraî- 
tre sur  le  même  sujet,  avec  des  procédés  et  une  méthode 
identique  pour  la  plupart,  quelques-uns  avec  une  mé- 
thode nouvelle.  La  forme  des  leçons  par  demandes  et  par 
réponses ^  déjà  inaugurée  au  ix°  siècle  par  la  Disputatio 
puerorum,  mais  généralement  abandonnée,  reprise  en 
passant  par  YElticidarius  d'Honoré  d'Autun,  succède  à 
peu  près  exclusivement  à  l'ancienne  méthode  de  simple 
énumération  ou  de  brève  exposition.*  Et  naturellement 
l'accent  des  nouvelles  compositions  porte  sur  les  vérités 
attaquées  par  la  Réforme.  Du  reste  les  catéchismes  de 
Luther  et  de  Calvin  sont  faits  pour  provoquer  l'émulation 
des  catholiques. 

1°  L'œuvre  de  Luther.  —  On  a  voulu  faire  à  Luther 

1.  Methodus  catechismi  catholici,  Epist.  nuncupaloria,  Lyon, 
1579.  —  2.  Liber  de  eruditione  Christi  Jidelium,  Liber  discipuli, 
Discipidus,  etc.  ;  Hain,  ReperL,  n.  85i6-85aa. 


56  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


Un  mérite  exceptionnel  d'avoir  eu  le  premier  l'idée  du 
catéchisme  et  de  l'avoir  réalisée.  Ce  qui  précède  montre 
suffisamment  le  mal  fondé  d'une  telle  prétention.  Le 
Kirchenlexicon  a.  souligné  avec  raison  cette  erreur  histo- 
rique. Même  parmi  les  réformés,  en  effet,  le  catéchisme 
en  langue  vulgaire  de  l'ancien  moine  augustin  n'a  pas  été 
le  premier  ;  il  ne  parut  qu'en  1629.  Et  il  avait  été  précédé 
de  catéchismes,  chez  les  vaudois  et  les  frères  bohèmes, 
ainsi  que  de  nombreux  essais  dans  l'Eglise  évangélique. 
Un  grand  nombre  de  ces  essais  est  reproduit  par  les 
soins  de  Cohrs,  dans  les  Monumenta  Germanise  pœclago- 
gica  (1). 

Du  reste,  Luther  ne  prétend  pas  innover  ;  il  ne  fait  que 
suivre  le  courant.  A  l'exemple  de  l'Eglise,  il  pourvoit  ses 
adhérents  d'un  manuel  catéché  tique  qui  renferme  les 
points  principaux  de  sa  doctrine.  Il  rédige  donc  un 
catéchisme,  dans  le  but  sans  doute  ut  esset  institutio  pue- 
rorum  alque  simplicium,  mais  surtout  pour  préciser  les 
innovations  qu'il  cr©it  devoir  introduire  dans  l'enseigne- 
ment chrétien.  Commandements,  symbole  apostolique  et 
oraison  dominicale  sont  conservés  dans  leur  teneur  et 
suivis  d'explications  appropriées.  Mais  il  réduit  les 
sacrements  au  baptême  et  à  la  cène.  C'est  une 
exposition  simple,  où  intervient  de  temps  en  temps 
le  dialogue,  mais  beaucoup  trop  longue  pour  des 
enfants  et  des  ignorants  ;  car  elle  remplit  dans 
l'édition  de  Wittemberg  (2)  quatre  vingt  huit  pages  in 
folio.  Aussi  dut-il  en  faire  un  résumé,  où  le  texte  du 
décalogue,  du  symbole  et  du  Pater  est  accompagné,  sur 
chaque  point,  d'un  commentaire  d'à  peine  deux  ou  trois 
lignes,  avec  un  peu  plus  de  détails  et  en  forme  de  dialo- 
gue sur  le  baptême  et  la  cène  (3).  Il  avait  mis  en  tableaux 
ce  qui  avait  fait  l'objet  de  sa  prédication  populaire,  les 
dix   commandements   d'abord,    puis   ce  qui    regarde  la 

1.  Berlin,  1 900-1 903,  t.  xx-xxm,  sous  ce  titre  :  Die  evange- 
lischc  Katechismus  versuche  vor  Luther' s  Enchiridion  ;  complété 
par  Knoke,  Der  evangelische  Katechismus  litteratur  bis  i525, 
dans  Halte  was  du  hast  de  Sachsse,  t.  xxv,  p.  5o6-5i8.  — 
'2.  i582,  t.  v,  p.  Goi-645.  —  3.  Ibid.,  p.  646-653. 


INTRODUCTION  5  7 


confession,  le  baptême  et  l'eucharistie  :  le  tout,  rédigé  en 
bas  allemand,  forma  la  première  édition  de  son  Petit 
catéchisme,  en  1629,  qui  reparut  dans  la  même  année 
avec  le  titre  d'Enchiridion.  Son  Grand  catéchisme  parut 
également  la  même  année.  Il  est  à  remarquer  que  la 
pratique  de  la  confession  et  de  l'absolution  est  conservée. 
«  Devant  Dieu,  y  est-il  dit,  nous  devons  nous  tenir  cou- 
pables de  nos  péchés  cachés  ;  mais,  à  l'égard  du  ministre, 
il  faut  seulement  confesser  ceux  qui  nous  sont  connus  et 
que  nous  sentons  dans  notre  cœur.  »  «  Ne  croyez-vous 
pas  que  ma  rémission  est  celle  de  Dieu,  demande  le 
ministre  ?  —  Oui,  répond  le  pénitent.  —  Et  moi,  reprend 
le  ministre,  par  l'ordre  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
je  vous  remets  vos  péchés  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit  »  (1). 

2°  L'œuvre  de  Calvin.  —  Calvin,  à  son  tour, 
compose  son  catéchisme  en  français,  en  i536,  et  le 
traduit  en  latin,  deux  ans  après.  C'est  «  le  formulaire 
d'instruire  les  enfans  en  la  chrestienté,  fait  en  manière 
de  dialogue  où  le  ministre  interroge  et  l'enfant  répond  ». 
Calvin  n'y  fait  pas  difficulté  de  reconnaître  que  «  c'a 
esté  une  chose  que  toujours  l'Eglise  a  eue  en  singu- 
lière recommandation  d'instruire  les  petits  enfans  en  la 
doctrine  Chrestienne.  Et,  pour  ce  faire,  non  seulement  on 
avait  anciennement  les  écoles...  mais  aussi  l'ordre  publi- 
que estoit  par  les  temples  d'examiner  les  petits  enfans 
sur  les  poincts  qui  doivent  estre  communs  entre  tous  les 
chrestiens.  Et  affin  de  procéder  par  ordre  on  usoit  d'un 
formulaire  qu'on  nommoit  catéchisme  »  (2). Ce  catéchisme, 
beaucoup  mieux  composé  que  celui  de  Luther,  était 
partagé  en  cinquante  cinq  leçons  dominicales  fort  courtes. 
Mais,  tirant  logiquement  les  conséquences  des  faux  prin- 
cipes posés  par  Luther,  Calvin  glisse  dans  son  œuvre  les 
trois  points  principaux  de  son  enseignement  sur  la 
certitude  du  salut,   l'inamissibilité  de  la  justice  (3),  et 

1.  Cf.  Bossuet,  Histoire  des  variations,  III  ;  Paris,  i836,  t.  v, 
p.  566.  —  2.  Recueil  des  opuscules,  Genève,  i566,  p.  200.  — 
3.  Dim.  18,  19,  56. 


58  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


la  justification  des  petits  enfants  indépendamment  du 
baptême  (i)  ;  car,  à  ses  yeux,  le  baptême  ne  remet  pas 
les  péchés,  il  n'est  que  le  sceau  ou  la  marque  de  leur 
rémission  (2).  '  Relativement  à  l'eucharistie,  il  cherche  à 
concilier  la  doctrine  de  Luther  avec  celle  de  Zwingle,  et 
il  admet  qu'à  la  cène  on  ne  reçoit  pas  seulement  un  signe, 
ni  même  un  signe  efficace,  ni  la  vertu  et  le  mérite  de 
Jésus-Christ,  mais  Jésus-Christ  lui-même,  «  réellement  et 
en  effet  par  une  vraie  et  substantielle  unité  »  (3). 

3°  Les  travaux  des  catholiques,  —  En  face  de 
la  propagande  protestante,  les  catholiques  ne  demeu- 
rèrent pas  inactifs.  En  France,  l'évêque  de  Sentis, 
Guillaume  Parvi,  fit  paraître,  en  i538,  deux  opuscules, 
dont  le  titre  indique  l'objet  et  la  méthode  ;  ce  sont  : 
La  formation  de  l'homme  et  son  excellence  et  ce  qu'il 
doit  accomplir  pour  avoir  paradis,  avec  plusieurs  bonnes 
doctrines  et  enseignemens  chrétiens  ;  et  le  Viat  de  salut  où, 
est  comprins  l'exposition  du  symbole,  des  dix  commande- 
ments, du  Pater  et  de  Lave  Maria,  instructions  pour  soy 
confesser,  avec  oraisons  et  autres  dévotes  chansons  (4). 

Mais  déjà  en  i533,  Erasme  avait  publié  à  Fribourg-en- 
Brisgau  son  Explicalio  in  symbolum  et  decalogum,  sous 
forme  de  dialogue  entre  le  catéchumène  et  le  catéchiste. 
Catéchumène  est  ici  pris  dans  un  sens  large,  car  il  s'agit 
d'un  adulte,  baptisé  dès  sa  naissance,  qui,  ayant  cons- 
cience de  son  état,  veut  libérer  la  responsabilité  de  ses 
parrains  et  prendre  lui-même  auprès  de  quelqu'un 
d'autorisé  connaissance  de  ses  devoirs  de  chrétien.  En 
conséquence  il  prie  son  catéchiste  d'en  user  envers  lui 
comme  avec  un  plane  rudis  ;  et  il  pose  des  questions  sur 
les  articles  du  symbole,  les  commandements  de  Dieu  et 
le  Pater.  L'ensemble  forme  six  leçons  d'étendue  inégale, 
beaucoup  trop  longues  et  de  plus  complètement  muettes 
sur  des  points  importants,  tels  que  la  grâce  et  les  sacre- 
ments,    pour    pouvoir    servir   de    manuel   catéché tique 

1.  Dim.,  5o.  —  2.  Cf.  Bossuet,  Hist.  des  variations,  ix  ;  loc. 
cit.,  p.  655-6GG.  —  3.  Dim.,  5i,  52,  53.  —  k-  Brunct,  Manuel, 
t.  111,  p.  G4i. 


INTRODUCTION  59 


commode  et  d'usage  courant.  Dans  les  œuvres  complètes 
d'Erasme,  cet  opuscule  porte  le  titre  de  Dilucida  et  pia 
explanatio  symboll  apostolorum  (i). 

Les  années  qui  précédèrent  et  suivirent  immédiatement 
la  convocation  du  concile  de  Trente  virent  paraître  un 
grand  nombre  de  catéchismes. 

En  Allemagne,  particulièrement,  Witzel  (Wicelius)  em- 
ploya la  méthode  dialoguée,  où  l'enfant  interroge  et  le 
catéchiste  répond.  Très  au  courant  des  prétentions  et  des 
discussions  de  la  Reforme,  dans  laquelle  il  s'était  égaré 
un  moment,  Witzel  prit  à  cœur  l'instruction  catéchétique 
des  enfants  :  de  là  ses  nombreux  opuscules.  En  i535, 
paraît  son  Catechismus  ecclesise  ;  en  i53q,  à  Berlin,  ses 
quœstiones  catechistiese  ;  en  i54ï,  à  Mayence,  un  Cate- 
chisticum  examen  christiani  pueri  ad  pedes  catholici  prœ- 
sulis  ;  en  i542,  encore  à  Mayence,  un  Catechismus, 
instructio  puerorum  ecclesise.  Questions  de  théorie  et  de 
pratique,  il  traite  tout  avec  soin  et  habileté  ;  ses  œuvres 
sont  bien  dans  le  courant  traditionnel  et  s'adaptent  aux 
besoins  de  l'époque.  Sous  sa  direction,  l'enfant  sait  vite 
les  vérités  à  croire  et  les  devoirs  à  remplir  ;  connaît  la 
manière  de  se  confesser  et  de  mener  une  vie  chrétienne. 
Beaucoup  plus  tard  cni5Go,  il  revint  une  dernière  fois  sur 
cet  important  sujet  et  publia  en  allemand  un  bon  petit 
catéchisme,  la  Newer  and  kurtzer  Catechismus,  christiiche 
und  gewisse  Unterric/itung  des  iungen  Christen. 

Witzel  eut  des  émules  parmi  ses  compatriotes.  Inutile 
de  les  énumérer  tous.  Qu'il  suffise  de  citer  les  noms  du 
dominicain  Jean  de  Dietenberg  (f  i534)  (2),  de  Jean  évê- 
que  de  Meissen  (3),  et  de  Helding.  Celui-ci,  après  avoir 
fait  paraître  sa  Brevis  intitutio  ad  christianam  pietatem, 
publie,  conformément  aux  décisions  prises  au  concile  de 
Mayence  de  1649,  YInstitutio  ad  pietatem  christianam 
secundum  doctrinam  catholicam,  complectens  explication 
nem  symboli  apostolici,  orationis  dominicœ,  angelicœ  sa- 
lutationis,  decalogi  et  septem  sacramentorum.   A   Augs- 

1.  Opéra,  Leyde,  170^,  t.  v,  p.  n3A  sq.  —  2.  Evangelischer 
Bericht  und  christiiche  Unterweisung,  Mayence,  1537.  —  3.  Ein 
christiiche  Lere,  Mayence,  i54i. 


6o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


bourg,  c'est  le  dominicain  Pierre  de  Soto  qui,  en  i549, 
extrait  de  son  ouvrage  Inslitaiiones  christianœ,  paru 
l'année  précédente,  un  Khurtzer  Begrijf  calholischer 
Lehr  ;  c'est  un 'autre  dominicain,  Jean  Fabre,  dit  Fabri, 
qui  donne  un  catéchisme  dialogué,  Ain  christenlicher, 
rainer  Catechismus.  A  Cologne,  paraissent,  en  i542,  le 
chris tlicher  Bericht,  de  Cremers  ;  en  i543,  le  Catechismus 
catholicas,  de  Nausea  de  Weissenfeld,  mort  évêque  de 
Vienne  ;  en  i546,  le  Schatz  der  christlichen  Lehre,  du 
franciscain'  Titelmann  ;  en  i549,  le  Christianœ  institu- 
tionis  liber,  complectens  tractatam  septem  sacramentorum 
expositionem  symboli  apostolici,  orationis  dominicœ  et 
decem  mandatorum  Dei,  editus  in  concilio  provinciali 
Treverensi  a.  J.-C.   15Ù9. 

Le  reste  de  l'Europe  prend  également  part  à  ce  mou- 
vement d'œuvres  catéchétiques  en  faveur  de  l'enfance 
chrétienne,  mais  dans  une  mesure  plus  restreinte.  En 
Italie,  paraissent  le  Catéchisme  du  cardinal  Gontarini 
(f  1542)  ;  El  catecumeno  0  cristiano  instruido  et  la  Dot- 
trina  cris  tiana  per  modo  de  dialogo,  de  Perez,  en  i55a  ; 
le  Catechismus  de  Léonard  de  Port-Maurice,  à  Mantoue, 
en  i555.  En  Espagne,  le  De  docirina  chris tiana,  de  Flores, 
à  Tolède,  en  i552,  et  la  Luz  de  la  aima  chris  tiana,  de 
Meneses,  à  Salamanque,  en  i556.  En  France,  le  Catéchis- 
me de  Reims,  dû  au  cardinal  Charles  de  Lorraine,  etc. 
Bref,  on  sent  qu'on  touche  à  une  heure  décisive  dans 
l'histoire  du  catéchisme  et  qu'avec  le  concile  de  Trente, 
et  grâce  à  lui,  l'Eglise  va  intervenir  solennellement. 


INTRODUCTION  6l 


Le  Catéchisme 

pendant  et  après 

le  Concile  de  Trente 


L  L'œuvre  du  bienheureux  Canisius.  —  II.  Le 
Catéchisme  romain.  —  III.  Projet  d'un  petit 
Catéchisme  universel,  —  IV.  Préface  du 
Catéchisme  romain. 

I.  L'œuvre  du  Bienheureux 
Canisius 

Parmi  les  efforts  tentés  au  milieu  du  xvi°  siècle  pour 
arrêter  et  paralyser  la  propagande  protestante,  il  importe 
de  signaler  ceux  du  Bienheureux  Canisius  (1621-1597).  G« 
docte  et  pieux  jésuite  possédait  une  âme  d'apôtre,  très 
attentive  aux  besoins  intellectuels  et  moraux  de  son  épo- 
que troublée.  D'un  coup  d'œil  profond  il  vit  où  était  le 
mal,  d'où  venait  le  danger,  et,  résolument,  il  consacra  la 
plus  grande  partie  de  sa  vie  à  parer  à  ce  danger,  à  com- 
battre ce  mal.  Son  but  était  surtout  de  procurer  par  tous 
les  moyens  l'enseignement  religieux  à  l'e/ifance  chré- 
tienne, à  l'église,  à  l'école,  dans  les  collèges  et  les  uni- 
versités. Et  pour  atteindre  ce  but,  l'un  des  plus  impor- 
tants d'alors,  il  composa  des  œuvres  appropriées,  d'une 
valeur  réelle  et  d'une  immense  portée,  merveilleux  instru- 
ment de  catéchisation. 

Nous  signalerons  en  particulier  sa  Somme  de  la  doc- 
trine chrétienne,  à  laquelle  il  travailla,  à  Vienne,  de  i552 
à  i554,  qu'il  fit  paraître  en  i555,  et  qui  est  restée  l'un  des 
plus  populaires  de  ses  ouvrages.  Composée  en  latin,  puis 
traduite  en  allemand,  revue  et  augmentée,  elle  fut  éditée 


62  LE    CATECHISME    ROMAIN 


à  Cologne,  en  i566,  sous  ce  titre  Summa  doctrinœ  chris- 
tianœ  per  quxstiones  lucuîenter  conscripta.  Elle  repré- 
sente le  premier  et  le  plus  considérable  de  ses  trois  caté- 
chismes. 

Jugée  avec  raison  comme  un  très  bon  moyen  de  pro- 
pagande antiprotestante  et  d'enseignement  catholique, 
elle  fut  présentée  au  concile  de  Trente  par  Ferdinand  Ier 
afin  qu'on  en  prescrivît  l'usage  dans  les  écoles.  Mais 
comme  le  concile  lui-même,  ainsi  que  nous  allons  le  dire, 
était  saisi  d'un  projet  relatif  à  la  rédaction  d'un  caté- 
chisme, on  ne  donna  pas  suite  à  la  demande  de  l'empe- 
reur. Sa  valeur  n'en  reste  pas  moins  de  premier  ordre  ; 
c'est  avec  justice  que  Pie  IX,  dans  le  bref  de  Béatification 
de  Canisius,  et  Léon  XIII,  dans  son  Encyclique  de  1897  sur 
le  Bienheureux,  en  ont  fait  le  plus  grand  éloge.  Elle 
était  surtout  destinée  aux  élèves  des  classes  supérieures, 
des  collèges  et  des  universités. 

Ganisius  rédigea  un  autre  catéchisme  pour  les  enfants 
des  écoles  inférieures,  le  Parvus  catechismus  catholic9- 
rum,  paru  à  Cologne  en  i558  ;  c'est  le  catéchisme  moyen. 
Enfin,  pour  les  débutants  et  les  gens  sans  instruction,  et 
comme  pendant  au  petit  catéchisme  de  Luther,  le  Bien- 
heureux avait  rédigé  et  publié  à  Ingolstad,  dès  i556,  un 
tout  petit  catéchisme,  la  Summa  doctrinœ  christlanœ  per 
quœstiones  tradita,  et  ad  captum  rudlorum  accommodata, 
qui  fut  traduit  et  publié  en  allemand,  l'année  suivante. 

Grâce  à  Canisius,  les  catholiques  allemands  pouvaient 
opposer  un  triple  catéchisme  à  ceux  du  moine  apostat  et 
enrayer  par  là  l'œuvre  de  la  Réforme.  Ce  triple  catéchisme, 
en  effet,  mit  en  émoi  les  théologiens  du  parti  réformé. 

Le  fond  nous  en  est  déjà  connu  ;  il  ne  pouvait  être  du 
reste  que  ce  qui  faisait  depuis  si  longtemps, dans  l'Eglise, 
l'objet  de  l'enseignement  catéchétique.  Mais  il  est  systé- 
matiquement rangé  sous  deux  idées  principales,  la  sagesse 
et  la  justice.  A  la  sagesse  Canisius  rapporte  la  foi  et  le 
symbole,  l'espérance  et  l'oraison  dominicale,  la  charité  et 
le  décalogue,  enfin  les  sacrements.  A  la  justice,  qui  con- 
siste à  fuir  le  mal  et  à  faire  le  bien,  se  rattache  renseigne- 
ment catholique  sur  le  péché,  les  bonnes  œuvres,  les  ver- 


INTRODUCTION  63 


tus,  les  dons  et  les  fruits  du  Saint-Esprit,  les  conseils 
évangéliques.  Et,  pour  couronner  le  tout,  l'étude  des 
fins  dernières. 

La  méthode  est  la  méthode  vivante  du  dialogue, 
procédant  par  demandes  et  par  réponses.  Les  deman- 
des sont  toujours  très  courtes  ;  les  réponses  sont  parfois 
un  peu  développées,  surtout  sur  les  points  alors  contro- 
versés et  sur  les  dogmes  rejetés  par  les  réformés.  Chaque 
point  est  nettement  établi,  solidement  appuyé  sur  l'Ecri- 
ture sainte  et  les  ouvrages  des  Pères,  dans  une  exposition 
claire,  sereine,  sans  la  moindre  polémique  (i). 

Le  grand  catéchisme  de  Canisius  fut  complété  du  temps 
même  de  l'auteur,  sur  ses  indications,  ses  conseils,  peut- 
être  même  avec  sa  collaboration,  d'abord  par  Pierre  Bu- 
sée  qui,  pour  montrer  l'accord  du  nouveau  catéchisme 
avec  la  doctrine  de  l'Eglise  primitive,  inséra  le  texte  inté- 
gral des  témoignages  invoqués  (2),  ensuite  par  Jean  Hase 
qui  enrichit  encore  le  travail  de  son  confrère  Busée  et 
publia  une  nouvelle  édition  avec  une  préface  du  Bienheu- 
reux (3).  C'est  là  YOpus  cateahisticum,  enrichi  de  tant  de 
textes  scripturaires  et  de  tant  de  références  patristiques, 
appelé  parfois  le  catéchisme  des  théologiens  et  dont  la 
vogue  a  été  extraordinaire. 

L'œuvre  de  Canisius  a  été  traduite  en  plusieurs  langues 
et  n'a  cessé  de  produire  les  meilleurs  fruits.  Léon  XIII  a  pu 
écrire  avec  raison  :  «  Pendant  trois  siècles,  Canisius  a  été 
regardé  comme  le  maître  des  catholiques  allemands,  et 
dans  le  langage  populaire,  connaître  Canisius  et  conser- 
ver la  vérité  chrétienne  étaient  deux  locutions  synony- 
mes ».  Au  reste,  la  plupart  des  écrivains  protestants,  en 
présence  de  la  valeur  incontestable  de  l'œuvre  et  de  l'in- 
fluence qu'elle  exerça,  ont  reconnu  que  le  catéchisme  de 
Canisius  fut  son  arme  la  plus  efficace  dans  l'œuvre  de  la 
contre-réforme  religieuse  qu'il  provoqua  et  dirigea  (1).  » 

I.  Dict.  de  Théologie,  t.  11,  col.  i5i4-i5i6  ;  références  biblio- 
graphiques, ibid.,  col.  i534.  —  2.  Cologne,  1570.  —  3.  Opus 
catechisticum,  Cologne,  1577.  —  4.  Dict.  de  Théol.,  t.  11,  col. 
i526. 


64  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


II.   Le  Catéchisme  romain 

L'importante  question  du  catéchisme  fut  agitée  au 
concile  de  Trente.  Dès  le  i3  avril  i5/|6  un  projet  fut  sou- 
mis aux  Pères,  d'après  lequel,  «  pour  l'instruction  des 
enfants  et  des  adultes  ignorants,  qui  ont  besoin  de  lait  et 
non  de  substance  solide,  des  hommes  doctes  doivent  com- 
poser en  latin  et  en  langue  vulgaire  un  catéchisme  tiré  de 
l'Ecriture  sainte  et  des  Pères  ;  cette  pédagogie  devant  leur 
rappeler  la  profession  de  foi  chrétienne  faite  au  baptême 
et  les  préparer  à  l'étude  des  saintes  Lettres.  » 

Dix-sept  ans  plus  tard,  en  i563,  ce  projet  n'avait  pas 
encore  abouti,  bien  que,  dans  l'intervalle,  le  Concile  eût 
été  prié  de  faire  adopter  le  catéchisme  du  Bienheureux 
Canisius.  Les  Pères  nourrissaient  toujours  l'espoir  qu'une 
œuvre  d'aussi  grande  importance  pour  l'Eglise  universelle 
sortirait  du  sein  même  de  l'Assemblée.  Dans  cette  pré- 
vision, qui  ne  devait  pourtant  pas  se  réaliser,  ils  ordon- 
nèrent aux  curés  de  prêcher  sur  les  sacrements  et  de  les 
expliquer  d'après  ce  que  fixerait  le  concile. 

Une  commission  avait  été  nommée,  en  effet,  pour 
travailler  à  la  rédaction  d'un  catéchisme  ;  mais  elle  n'a- 
vait pas  eu  le  temps  d'aboutir  quand  le  concile  s'acheva. 
Aussi,  avant  de  se  séparer,  les  Pères  s'en  remirent-ils  au 
Pape  du  soin  de  terminer  les  travaux  de  la  commission  et 
de  publier  le  catéchisme  promis. 

Saint  Charles  Borromée  fut  chargé  de  mener  à  bonne 
fin  l'œuvre  entreprise,  avec  l'aide  de  Muzio  Calini  et  de 
trois  dominicains,  François  de  Fureiro,  Léonard  Marino 
et  Gilles  Foscarini,  nommés  par  le  pape  Pie  IV.  Dès  que 
le  travail  fut  terminé,  le  pape  le  soumit  à  une  révision 
définitive,  dont  il  confia  les  soins  au  cardinal  Sirlet.  Sur 
le  rapport  favorable  du  cardinal  réviseur,  Pie  V  l'ap- 
prouva par  le  Motu  proprio  suivant  :  a  De  notre  propre 
mouvement,  en  qualité  de  Pasteur  de  l'Eglise  universelle, 
désirant,  avec  la  grâce  de  Dieu,  remplir  tous  nos  devoirs 
avec  toute  la  fidélité  dont  nous  sommes  capables  et  mettre 
à  exécution  les  décrets   et  ordonnances  du  concile  de 


INTRODUCTION  65 


Trente,  nous  avons  fait  composer  par  des  théologiens  de 
choix,  dans  notre  ville,  un  catéchisme,  dans  lequel  les 
fidèles  du  Christ  peuvent  apprendre,  grâce  à  la  diligence 
de  leurs  curés,  tout  ce  qu'ils  doivent  connaître,  professer 
et  observer.  Et  comme  cet  ouvrage,  avec  l'aide  de  Dieu, 
vient  d'être  terminé  et  va  être  publié,  Nous  avons  voulu 
qu'il  fût  imprimé  avec  le  plus  grand  soin  et  la  plus  scru- 
puleuse fidélité.  »  L'impression,  en  effet,  en  fut  confiée  à 
l'éditeur  pontifical,  Paul  Manuce.  Il  parut  à  Rome,  en 
i566,  sous  ce  titre  :  Catechismus  ex  decreto  concilii  Tri- 
dentini  ad  parochos,  Pie  V  jussu  editus.  Cest  le  Caté- 
chisme romain. 

Ce  catéchisme  n'a  rien  d'un  symbole  ou  d'une  confes- 
sion de  foi  ;  ce  n'est  ni  un  manuel  abrégé  à  l'usage  des 
fidèles  ni  un  compendium  destiné  à  l'enseignement  de  la 
théologie,  mais  un  exposé  doctrinal,  succinct  et  complet, 
clair  et  sagement  conduit,  à  l'usage  des  curés,  comme 
son  titre  l'indique,  pour  leur  fournir  les  éléments  essen- 
tiels de  la  science  qu'ils  doivent  posséder  et  leur  faciliter 
surtout  soit  la  prédication,  soit  l'enseignement  catéchéti- 
que.  Aussi  en  a-t-on  écarté  la  méthode  pédagogique  habi- 
tuelle par  demandes  et  par  réponses.  En  revanche,  son 
exposition,  qui  se  ressent,  cela  va  sans  dire,  des  derniers 
travaux  et  des  enseignements  du  concile  de  Trente,  est 
au-dessus  de  tout  éloge.  Il  résume  admirablement  la 
doctrine  catholique  et  traite  successivement,  en  quatre 
parties,  du  symbole  apostolique,  des  sacrements,  du  déca- 
logue  et  de  la  prière. 

Un  ami  de  saint  Charles  Borromée,  le  cardinal  Valère, 
évêque  de  Vérone,  parle  dans  les  termes  suivants  de  ce 
catéchisme,  en  le  recommandant  aux  acolytes  de  son 
église  :  «  Le  catéchisme  du  concile  de  Trente  est  vérita- 
blement un  don  que  Dieu  nous  a  fait  en  ce  temps  pour 
rétablir  la  discipline  de  l'ancienne  Eglise  et  pour  sou- 
tenir la  république  chrétienne.  Cet  ouvrage  est  si  remar- 
quable, si  profond  et  si  clair  que,  depuis  longtemps,  il 
n'en  a  point  paru  de  semblable,  au  jugement  des  hom- 
mes les  plus  savants.  Ce  n'est  point  un  homme  qui  sem- 
ble y  avoir  tenu  la  plume  ;   c'est  l'Eglise  même,  notre 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  .5 


66  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


sainte  mère,  guidée  et  inspirée  par  le  Saint-Esprit,  qui  y 
parle  et  qui  nous  y  instruit.  Vous  qui  êtes  déjà  avancés 
en  âge,  lisezrle  sept  fois  et  plus.  Vous  en  retirerez  les 
fruits  les  plus  admirables.  Démosthène,  dit-on,  écrivit 
huit  fois  de  sa  main  les  harangues  de  Thucydide,  telle- 
ment qu'il  les  savait  par  cœur.  A  combien  plus  juste 
titre,  vous,  qui  devez  travailler  de  toutes  vos  forces  à  pro- 
curer la  gloire  de  Dieu,  votre  salut  et  celui  du  prochain, 
ne  devez-vous  pas  lire  et  même  copier  plusieurs  fois  un 
livre  composé  par  l'ordre  du  concile  de  Trente,  et,  pour 
ainsi  dire,  sous  la  dictée  du  Saint-Esprit  ». 

Ces  conseils  de  l'évêque  de  Vérone,  au  lendemain  de 
l'apparition  de  ce  catéchisme,  n'ont  rien  perdu  de  leur 
valeur  au  commencement  de  ce  vingtième  siècle.  La 
haute  approbation  de  Pie  V,  renouvelée  en  i583  par  Gré- 
goire XIII,  fait  comprendre  ce  mot  de  Léon  XIII  qui  l'ap- 
pelait «  un  livre  d'or  »  et  qui  le  recommandait  aux  sémi- 
naristes d'aujourd'hui.  «  Remarquable,  disait-il  dans  son 
Encyclique  au  clergé  de  France,  du  8  septembre  1899,  à 
la  fois  par  la  richesse  et  l'exactitude  de  la  doctrine  ainsi 
que  par  l'élégance  du  style,  ce  catéchisme  est  un  précieux 
abrégé  de  toute  la  théologie  dogmatique  et  morale.  Qui 
le  posséderait  à  fond  aurait  toujours  à  sa  disposition  les 
ressources  à  l'aide  desquelles  un  prêtre  peut  prêcher 
avec  fruit,  s'acquitter  dignement  de  l'important  minis- 
tère de  la  confession  et  de  la  direction  des  âmes,  être  en 
état  de  réfuter  victorieusement  les  objections  des  incré- 
dules )>. 

Ainsi  donc,  grâce  à  l'initiative  du  concile  de  Trente  et 
à  l'œuvre  publiée  par  ordre  de  saint  Pie  V,  le  clergé  pos- 
sède depuis  le  xvie  siècle,  dans  le  Catéchisme  romain,  un 
guide  sûr  pour  la  prédication  ordinaire  et  pour  l'ensei- 
gnement catéchétique.  Adopté  et  imposé  dans  plusieurs 
diocèses,  ce  catéchisme  reste  encore  d'un  usage  facultatif 
ailleurs.  D'autre  part,  les  catéchismes  du  Bienheureux 
Canisius,  spécialement  rédigés  en  faveur  des  enfants  et 
des  élèves,  sont  loin  d'être  universellement  adoptés  ou 
imposés.  De  plus,  depuis  le  concile  de  Trente,  l'usage 
s'est  introduit  dans  les  divers  diocèses  d'avoir  pour  l'en- 


INTRODUCTION  6^ 


fance  un  manuel  catéchétique,  composé  ou  approuvé  par 
l'Ordinaire.  M.  l'abbé  Hézard  a  eu  soin  de  dresser  le  cata- 
logue de  ces  catéchismes  diocésains,  dans  l'ordre  de  leur 
apparition  successive  :  ce  catalogue  a  été  reproduit  et 
complété  par  M.  l'abbé  Mangenot  (i).De  telle  sorte  qu'on 
peut  dire  qu'aujourd'hui  l'Eglise  compte  presque  autant 
de  petits  catéchismes  que  de  diocèses.  Bien  mieux,  iî 
n'est  pas  rare  de  constater  que,  dans  un  laps  de  temps 
peu  considérable,  le  même  diocèse  se  trouve  successive- 
ment en  présence  de  nouveaux  manuels,  imposés  par  les 
évêques,  au  gré  des  circonstances  ou  des  besoins  particu- 
liers de  leurs  diocésains.  Or  cette  multiplicité  et  cette  va— 
riété  de  catéchismes  ne  va  pas  sans  de  graves  inconvé- 
nients. 

Les  parents,  familiers  avec  le  manuel  en  usage  au 
temps  de  leur  jeunesse,  se  trouvent,  pour  la  plupart,  dans 
l'embarras  dès  qu'il  s'agit  de  surveiller  de  près  l'instruc- 
tion religieuse  de  leurs  enfants.  Quelques-uns  vont  mêm& 
jusqu'à  croire  naïvement  que  les  formules  catéchétiques 
étant  changées,  c'est  la  religion  elle-même  qui  s'est 
transformée.  Les  enfants  qui  changent  de  diocèse  sont 
quelque  peu  déroutés  à  leur  tour  et  souvent  découragés  par 
des  formules  nouvelles  à  apprendre.  Plus  on  va,  du  reste, 
et  plus  les  déplacements  se  multiplient  soit  dans  l'inté- 
rieur d'un  même  pays,  soit  d'un  pays  à  un  autre.  De  tels 
changements  de  résidence  ne  peuvent  être  que  préjudi- 
ciables pour  l'instruction  religieuse  des  enfants. 

Ces  inconvénients,  et  d'autres  encore  qu'il  est  inutile 
de  mentionner,  ne  seraient-ils  pas  écartés  nar  la  rédac- 
tion d'un  catéchisme  unique  et  universel?  C'est  la  ques- 
tion qu'on  s'est  posée  depuis  longtemps.  L'Eglise  s'est 
préoccupée  de  faire  disparaître  dans  l'enseignement  caté- 
ohétique  et  dans  la  formule  du  catéchisme  cette  diversité 
fâcheuse.  Benoît  XIV,  dans  sa  Constitution  Etsi  minime*. 
du  7  février  1742,  appelle  de  ses  vœux  l'adoption  d'un, 
manuel  uniforme  pour  toute  l'Eglise.  Clément  XIII,  dans 
sa  Constitution  In  dominico  agro,  du  i4  juin  1761* 
signale  et  déplore  les  inconvénients  qui  résultent  de  tant 


\  î.  Diction,  de  Théologie,  t.  ir,  col.  1919-19G0. 


68  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

die  catéchismes,  de  rédactions  si  différentes.  Pie  IX,  dans 
ses  Lettres  apostoliques  au  clergé  autrichien,  du  5  novem- 
bre ï855,  recommande  l'uniformité.  Aussi  des  que  le 
concile  du  Vatican  fut  réuni,  le  projet  d'un  petit  caté- 
chisme universel  fut-il  mis  à  Tordre  du  jour  de  l'auguste 
assemblée. 

III.  Projet  d'un  petit  Catéchisme 

universel 

Voici  le  schéma  distribué  aux  Pères  du  concile  du 
Vatican,  le  i4  janvier  1870.  Afin  de  faire  disparaître  les 
abus  des  catéchismes  multiples  et  d'empêcher  la  rédac- 
tion de  nouveaux  manuels,  un  décret  rendrait  obligatoire 
dans  toute  l'Eglise  un  petit  catéchisme.  Le  pape  ferait 
rédiger  en  latin  un  catéchisme  semblable  à  celui  que 
Clément  VII  avait  fait  rédiger  par  le  cardinal  Bellarmin 
et  que  les  fidèles  de  l'Eglise  universelle  devraient  désor- 
mais étudier  et  apprendre.  Ce  petit  livre  n'étant  pas 
destiné  aux  prêtres  seuls,  mais  devant  être  mis  entre  les 
mains  des  fidèles  comme  tessère  de  la  foi  et  gage  du 
bonheur  éternel  promis  à  ceux  qui  vivent  de  la  foi,  ce 
catéchisme  serait  traduit  en  chaque  langue  aussi  littéra- 
lement que  possible.  Les  évêques  pourraient  cependant 
publiera  part  quelques  leçons  catéchétiques  pour  donner 
à  leurs  diocésains  une  instruction  plus  large  ou  pour 
réfuter  les  erreurs  courantes  dans  leurs  milieux.  Et  le 
catéchisme  romain  resterait  entre  les  mains  du  clergé 
comme  la  règle  et  le  modèle  des  explications  du  caté- 
chisme. 

Ce  projet,  soumis  à  la  discussion,  ne  fut  pas  sans  soulever 
quelques  oppositions.  Il  est  incontestable,  en  effet,  que 
l'uniformité  absolue  paraît  difficile  en  présence  de  la 
différence  de  capacité  intellectuelle  des  enfants,  de  la 
diversité  des  besoins  religieux  et  de  la  dissemblance  des 
langues.  Mais  la  grande  majorité  des  Pères  du  concile, 
tenant  compte  des  avantages  immenses  qui  compense- 
raient largement  de  tels  inconvénients,  se  montrèrent 


INTRODUCTION  69 


favorables  ;  d'autant  plus  que  l'explication  orale  aurait  à 
s'accommoder  à  la  différence  des  situations  et  des  âges, 
que  la  traduction,  bien  que  littérale  dans  la  mesure  du 
possible,  s'adapterait  au  génie  de  chaque  langue,  et  que 
les  évêques  conserveraient  le  droit  d'ajouter  des  leçons 
spéciales  ou  de  rédiger  des  catéchismes  plus  complets. 
Néanmoins  les  présidents  estimèrent  qu'on  ne  pouvait 
approuver  ce  projet,  mais  qu'il  devait  être  retouché  pour 
tenir  compte  des  arguments  mis  en  valeur  pour  ou 
contre. 

Un  nouveau  schéma  fut  donc  distribué  le  25  avril.   Il 
portait,  entre  autres  choses,  que  la  version,  au  lieu  d'être 
littérale,    serait   simplement  fidèle,    et  que   les   évêques 
pourraient  faire  des  additions,  non  à  part,  mais  dans  le 
texte  lui-même,  à  la  condition  que  le  texte  parût  clairement 
distinct.  Nouveaux  débats,   nouvelles   corrections  propo- 
sées. D'après  ces  dernières,  le  catéchisme   ne   serait  pas 
imposé  ;    il  serait  examiné  par  une  commision.    Mais  la 
rédaction  d'un   tel  catéchisme  'n'étant  pas  chose  aisée  et 
son  examen   par   le  concile  devant  demander  beaucoup 
trop  de  temps,  le  mieux  serait,  à  l'exemple  du  concile  de 
Trente,  de  laisser  au  pape  le  soin  de  faire  rédiger  ce  petit 
catéchisme  et  à  une  commission  d'évêques,  désignés  par 
le  Souverain  Pontife,  le  soin  d'examiner  le  texte.  La  réédi- 
tion du  catéchisme  de  Bellarmin  ne  semblait  pas  répondre 
aux  besoins  actuels.  Le  petit  catéchisme  ne  devra  contenir 
que  les   leçons  élémentaires.  Les  autres   catéchismes  ne 
seront   pas   exclus  absolument  ;   on   pourra    même    les 
conserver  avec  l'autorisation   nécessaire  du   pape.   Ainsi 
délimité,  le  projet  réunit  491  placet  contre   56  non  placet 
et  44  placet  juxta  modum.  Les  conditions  formulées  par 
ces   derniers    portaient   sur   la   rédaction,    l'examen   et 
l'obligation  du  futur  catéchisme,   laissés  au  concile,  ou  à 
une  commission,  ou  aux  évêques.  Mais  «  la  question  ne 
fut  pas  reprise  au  concile;  le  décret  ne  fut  pas  promulgué, 
et  le  saint  siège,  à  qui  l'affaire  a  été  remise,  n'a  pas  publié 
le  petit   catéchisme  universel.   On   ne    s'est  même   pas 
occupé  d'en  rédiger  un,    et  les  évêques  ont   continué, 
comme  par  le  passé,  à  composer  de  nouveaux  catéchismes 


^O  LE    CATECHISME    ROMAIN 

particuliers  ou  à  réviser  leurs  catéchismes  diocésains. 
Les  travaux  du  concile  du  Vatican  sur  ce  point  n'ont  donc 
pas  abouti  (i).  »  Peut-être  le  pape  Pie  X  réalisera-t-il  ce 
projet.  On  pourvoirait  ainsi  beaucoup  mieux  à  l'unifor- 
mité de  l'enseignement  catéchétîque,  à  sa  stabilité,  à 
l'unité  et  à  la  pureté  de  la  doctrine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  en  attendant  que  se  réalise  ce 
projet,  c'est  encore  au  seul  catéchisme  officiel  qu'il  est 
bon  de  recourir.  Le  Catéchisme  romain  formera  donc, 
.ainsi  que  nous  l'avons  dit,  le  cadre  et  la  base  de  l'explica- 
tion nouvelle  que  nous  offrons  au  clergé.  Rien  de  mieux, 
avant  d'entrer  en  matière,  que  de  reproduire  ici  les 
observations  et  les  conseils,  qui  servent  de  préface  à 
l'œuvre  éditée  par  les  ordres  de  saint  Pie  V. 

IV 
Préface  du  Catéchisme  romain 

i.  «  A  force  de  travail  et  d'application,  l'homme  peut, 
par  lui-même,  rechercher  et  parvenir  à  connaître  un  assez 
grand  nombre  de  vérités  dans  l'ordre  religieux  ;  mais  telle 
est  la  nature  de  son  esprit  et  de  son  intelligence  qu'il  n'a 
pas  toujours  pu  connaître  la  plupart  des  moyens  qui  con- 
duisent au  salut  éternel,  à  la  fin  principale  pour  laquelle 
il  a  été  créé  et  formé  à  l'image  et  à  la  ressemblance  de 
Dieu,  tant  qu'il  n'a  eu  à  son  service  que  ses  seules  lumières 
naturelles. 

2.  w  Nous  connaissons  bien,  comme  l'enseigne  l'apôtre, 
par  les  choses  créées  de  ce  monde,  les  perfections  invisibles 
de  Dieu,  son  éternelle  puissance  et  sa  divinité  (2),  mais  le 
grand  mystère  caché  aux  générations  depuis  des  siècles  (3), 
dépasse  tellement  l'intelligence  humaine,  qu'elle  n'aurait 
jamais  pu  parvenir,  par  aucun  effort,  à  une  connaissance 

1.  Mangenot,  Diction,  de  Théologie,  t.  11,  col.  1963.  Cf.  Mar» 
tin,  Les  travaux  du  concile  du  Vatican,  Paris,  1873,  p.n3-n5  1 
Granderath,  Geschichte  der  Vatikanischen  Konzils,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1903,  t.  n,  p.  202  sq.  —  2.  Rom.,  i,  20.  — 3.  Col.,  1,  26. 


INTRODUCTION 


si  haute,  si  Dieu  lui-même  ne  l'eût  révélé  à  ses  saints, 
auxquels  il  a  voulu  faire  connaître  par  le  don  de  la  foi  les 
richesses  de  la  gloire  de  ce  mystère  dans  les  nations,  qui 
est  le  Christ. 

3.  «  Mais  comme  la  foi  vient  de  l'ouïe  (i),  la  nécessité 
s'impose  d'avoir  toujours,  pour  conquérir  le  salut  éternel, 
le  concours  fidèle  et  le  ministère  d'un  docteur  légitime  ; 
car  il  est  écrit  :  «  Comment  entendront-ils  sans  prédica- 
teur ?  et  comment  y  aura-t-il  des  prédicateurs,  si  on  ne  les 
envoie  (2)  ?  » 

4.  «  Aussi  dès  l'origine  du  monde,  Dieu  qui  est  infini- 
ment bon  et  miséricordieux,  n'a-t-il  jamais  manque  aux 
siens;  mais  en  plusieurs  occasions  et  de  diverses  maniè- 
res, il  a  parlé  à  nos  pères  par  les  prophètes  (3),  et  selon 
la  diversité  et  les  besoins  des  temps  il  leur  a  montré  le 
chemin  droit  et  sûr  qui  conduit  au  céleste  bonheur.  Mais, 
comme  il  avait  prédit  qu'il  enverrait  le  Docteur  de  la  jus- 
tice pour  éclairer  les  nations  et  porter  le  salut  jusqu'aux 
extrémités  de  la  terre  (4),  il  nous  a  parlé  dans  ces  der- 
niers temps,  par  son  Fils  (5),à  qui  une  voix  descendue 
du  ciel  au  milieu  d'une  gloire  éclatante  a  ordonné  que 
tous  obéissent  (6),  en  suivant  fidèlement  sa  doctrine. 
Ensuite  le  Fils  lui-même  nous  a  donné  des  apôtres,  des 
prophètes,  des  pasteurs  et  des  docteurs  (7),  pour  nous 
annoncer  la  parole  de  vie,  afin  que  nous  ne  fussions  pas, 
comme  des  enfants,  flottants  et  emportés  par  tout  vent 
de  doctrine  (8),  mais  que,  appuyés  sur  l'inébranlable  fon- 
dement de  la  foi,  nous  fussions  élevés  pour  être  la  mai- 
son de  Dieu,  dans  l'Esprit-Saint  (9). 

5.  «  Et  pour  qu'on  ne  prît  pas  la  parole  de  Dieu,  de  la 
part  de  ses  ministres,  comme  une  parole  humaine,  mais 
comme  la  véritable  parole  du  Christ,  Notre  Sauveur  lui- 
même  a  donné  une  telle  autorité  au  magistère  de  ses 
ministres  qu'il  a  dit  :  «  Celui  qui  vous  écoute,  m'écoute  ; 
et  celui  qui  vous  méprise,  me  méprise  (10)  ;  »  or,  dans 

1.  Rom.,  x,  17.  —  2.  Ibid.,  x,  i£-i5.  —  3.  Héb.,  1,1.  — 
A.  Is.,  xlix,  6.  —  5.  Héb.,  1,  1-2.  —  6.  11  Pet.,  1,  17.  — 
7.  Eph.  iv,  11.  —  8.  Eph.,  îv,  14.  —  9.  Eph.,  u,  11. —  10.  Luc, 
x,  16. 


72  LE    CATECHISME   ROMAIN 

cette  déclaration,  il  ne  s'agit  pas  seulement  de  ceux 
auxquels  il  parlait  alors,  mais  encore  de  tous  ceux  qui, 
par  une  légitime  succession,  reçoivent  la  charge  d'ensei- 
gner. A  tous,  H  a  promis  l'assistance  de  son  Esprit,  tous 
les  jours,  jusqu'à  la  fin  du  monde  (i). 

6.  «  Mais  quoique  l'on  ne  doive  jamais  cesser  d'annon- 
cer dans  l'Eglise  la  parole  de  Dieu,  c'est  pourtant 
aujourd'hui  un  devoir  de  travailler  avec  plus  de  zèle  et 
de  piété  que  jamais  à  nourrir  les  fidèles  du  pain  de  vie  et 
à  les  confirmer  dans  une  saine  et  incorruptible  doctrine. 
Car  il  s'est  élevé  de  faux  prophètes  dans  le  monde  qui 
corrompent  par  des  doctrines  nouvelles  et  étrangères 
l'esprit  des  chrétiens,  semblables  à  ceux,  dont  le  Seigneur 
a  dit  : 

«  Je  n'ai  pas  envoyé  ces  prophètes,  et  ils  courent  ! 
Je  ne  leur  ai  point  parlé,  et  ils  prophétisent  (2)  1  » 

Et  certes  l'impiété  de  ces  hommes,  armée  de  tous  les 
artifices  de  Satan,  a  fait  tant  de  progrès,  qu'il  paraît 
presque  impossible  d'en  arrêter  le  cours.  Et  si  nous 
n'étions  appuyés  sur  cette  éclatante  promesse  qu'a  faite 
le  Sauveur  d'établir  son  Eglise  sur  un  fondement  si  solide 
que  les  portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  jamais  con- 
tre elle,  nous  pourrions  craindre  avec  raison  qu'elle  ne 
succombât  sous  les  assauts  de  tants  d'ennemis  qui  l'at- 
taquent aujourd'hui  par  toutes  sortes  de  machinations. 

7.  «  Car,  pour  ne  point  parler  de  ces  illustres  provin- 
ces, qui  jadis  conservaient  avec  piété  et  sainteté  la  vraie 
foi  catholique,  telle  qu'elles  l'avaient  reçue  de  leurs  an- 
cêtres, et  qui,  maintenant,  éloignées  de  la  voie  droite, 
prétendent  hautement  qu'elles  sont  d'autant  plus  près  de 
la  vraie  religion  qu'elles  s'écartent  davantage  des  doc- 
trines anciennes,  y  a-t-ildansle  monde  chrétien  un  coin  si 
reculé,  un  lieu  si  inaccessible,  où  l'on  n'ait  pas  essayé  de 
glisser  ces  funestes  erreurs  ?  (3). 

1.  Matth.,  xxviii,  20.  —  2.  Jerem.,  xxm,  ai.  —  3.  Il  est  à 
peine  besoin  de  faire  remarquer  combien  cette  observation, 
juste  au  xvie  siècle,  se  justifie  encore  de  nos  jours. 


INTRODUCTION  *]3 


8.  «  Ceux,  en  effet,  qui  avaient  conçu  le  dessein  decor- 
romprc  les  fidèles,  se  sont  bien  aperçus  qu'il  serait  im- 
possible de  prêcher  publiquement  et  défaire  entendre  à 
tout  le  monde  leur  langage  empoisonné.  Aussi  ont-ils 
pris  d'autres  moyens  pour  semer  leurs  erreurs  plus 
aisément  et  plus  loin.  D'abord  ils  ont  composé  d'énormes 
volumes  contre  la  foi  catholique  afin  de  la  renverser. 
Mais  comme  ils  y  exposaient  ouvertement  l'hérésie  et 
qu'il  n'était  pas  difficile  de  se  précautionner  contre  leurs 
doctrines,  ils  ont  répandu  une  infinité  de  petits  livres, 
qui,  sous  l'apparence  de  la  piété,  ont  séduit  une  multitude 
d'âmes  simples  et  sans  défiance. 

9.  «  C'est  pourquoi  les  Pères  du  concile  de  Trente, 
désirant  ardemment  apporter  un  remède  salutaire  à  un 
mal  si  grand  et  si  funeste,  ne  se  sont  pas  contentés  de 
définir  contre  les  hérésies  de  notre  temps  les  articles  plus 
importants  de  la  foi  catholique,  ils  ont  cru  encore  de- 
voir fournir  aux  pasteurs  et  docteurs  légitimes,  char- 
gés d'instruire  les  fidèles  des  éléments  de  la  foi,  une 
explication  nette  et' précise  dès  points  principaux  qu'elle 
renferme,  afin  qu'on  pût  la  suivre  dans  toutes  les  églises. 

10.  u  Plusieurs,  il  est  vrai,  ont  déjà  écrit  sur  ces  matières 
avec  autant  de  science  que  de  piété.  Néanmoins,  ces  Pères 
ont  jugé  très  important  de  publier,  par  l'autorité  du 
concile,  un. livre,  où  les  pasteurs  et  tous  ceux  qui  sont 
chargés  d'instruire,  puissent  trouver  des  maximes  cer- 
taines pour  édifier  et  instruire  les  fidèles.  Comme  il  n'y  a 
qu'un  seul  Seigneur  et  une  seule  foi,  il  convenait  aussi 
qu'il  n'y  eût  qu'une  seule  et  même  règle,  une  seule  et 
même  manière,  pour  instruire  les  peuples  de  la  foi  et  de 
tous  les  devoirs  de  la  piété  chrétienne. 

11.  «  Cependant  le  grand  nombre  d'objets  qu'embrasse 
un  pareil  ouvrage  ne  doit  pas  laisser  croire  que  le  concile 
ait  eu  le  dessein  d'expliquer,  dans  un  un  seul  volume  et 
d'une  manière  subtile,  tous  les  dogmes  de  la  foi  chré- 
tienne. Ceci  est  l'affaire  des  théologiens,  qui  font  pro- 
fession de  développer  et  d'enseigner  tout  l'ensemble  de 
la  religion.  Une  telle  entreprise  eût  demandé  un  travail 
considérable,  et  d'ailleurs  cela  n'entrait  pas   dans  le  but 


7 4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

poursuivi,  comme  on  le  voit  sans  peine.  L'intention  des 
Pères  a  donc  été  uniquement  de  proposer  aux  pasteurs  et 
aux  prêtres  chargés  du  soin  des  âmes,  les  choses  qui  re- 
gardent proprement  le  ministère  pastoral  et  les  vérités 
le  plus  à  la  portée  des  fidèles.  C'est  pour  cela  qu'on  ne 
traite  dans  le  cathéchisme  des  matières  de  la  religion 
qu'autant  qu'il  est  nécessaire  pour  seconder  le  zèle  pieux 
de  ceux  des  pasteurs  qui  n'auraient  pas  une  connaissance 
bien  approfondie  de  ce  qu'elles  renferment  de  plus  dif- 
ficile. 

12.  «  Mais  avant  d'exposer  en  particulier  chacun  des 
articles  de  la  doctrine  chrétienne,  l'ordre  veut  que  nous 
traitions  en  peu  de  mots  de  ce  que  les  pasteurs  doivent 
prendre  en  considération  et  avoir  d'abord  sous  les  yeux 
dans  l'exercice  de  leur  ministère,  pour  qu'ils  sachent  à 
quelle  fin  ils  doivent  rapporter  leurs  desseins,  leurs  tra- 
vaux et  leurs  efforts,  et  par  quels  moyens  ils  peuvent  plus 
facilement  obtenir  les  fruits  auxquels  ils  aspirent. 

i3.  «  En  premier  lieu,  qu'ils  se  rappellent  toujours  que 
toute  la  science  du  chrétien  est  renfermée  dans  un  seul 
point,  suivant  ce  que  dit  le  Sauveur  :  «  La  vie  éternelle 
consiste  à  vous  connaître,  vous  seul,  Dieu  véritable,  et 
celui  que  vous  avez  envoyé,  Jésus-Christ  (i)  ».  En  consé- 
quence le  pasteur  aura  principalement  en  vue  d'inspirer 
aux  fidèles  un  sincère  désir  de  connaître  Jésus-Christ,  et 
Jésus-Christ  crucifié.  Car  ils  doivent  être  intimement 
persuadés  et  croire  du  fond  du  cœur,  avec  une  piété  véri- 
table, qu'il  n'y  a  pas  sous  le  ciel  un  autre  nom,  par  lequel 
les  hommes  puissent  se  sauver,  puisque  c'est  lui  qui  est 
propiation  pour  nos  péchés  (2). 

14.  «  Et  comme  nous  savons  que  le  connaître  véritable- 
ment c'est  observer  ses  commandements  (3),  le  pasteur 
enseignera  aux  fidèles,  comme  une  conséquence  nécessaire 
de  ce  qui  précède,  qu'ils  ne  doivent  point  vivre  dans  la 
paresse  et  l'oisiveté,  mais  marcher  comme  le  Sauveur  lm> 
même  a  marché  (4),  et  pratiquer  avec  zèle  la  justice,  la 

1.  Joan,  xvii,  3.  —  a.  AcL,  iv,  xa.  —  3.  I  Joan.,  11,  3.  — » 
4.  I  Joan.,  h,  6. 


INTRODUCTION  ^5 


piété,  la  foi,  la  charité,  la  douceur.  11  s'est,  en  effet,  donné 
pour  nous  afin  de  nous  racheter  de  toute  iniquité,  de  nous 
purifier,  et  de  faire  de  nous  un  peuple  consacré  à  son  ser- 
vice, fervent  dans  la  pratique  des  bonnes  œuvres  (i)  ;  et 
l'apôtre  ordonne  aux  pasteurs  de  prêcher  fidèlement  ces 
vertus  aux  chrétiens. 

i5.  «  Une  autre  chose  que  Notre  Seigneur  et  Sauveur 
nous  a  non  seulement  apprise  mais  encore  prouvée  par 
son  exemple,  c'est  que  la  loi  et  les  prophètes  dépendent 
de  la  charité  (2).  Après  lui,  l'apôtre  enseigne  encore  que 
l'amour  est  la  fin  des  commandements  et  la  plénitude  de 
la  loi.  C'est  donc  un  devoir  essentiel  du  pasteur  d'exciter  le 
peuple  chrétien  à  aimer  l'infinie  bonté  de  Dieu  pour  nous, 
afin  que,  enflammé  d'une  ardeur  divine,  il  s'élève  vers  ce 
bien  souverain  et  très  parfait,  dont  la  jouissance  fait  le 
bonheur  véritable  et  solide,  et  inspire  à  ceux  qui  l'ont 
obtenu  ces  sentiments  du  prophète  : 

«  Quel  autre  ai-je  au  ciel  que  toi  ? 

Avec  toi,  je  ne  désire  rien  sur  la  terre  (3).  » 

Telle  est,  en  effet,  cette  voie  plus  parfaite  que  le  même 
apôtre  voulait  nous  montrer,  lorsqu'il  rapportait  toute  sa 
doctrine  et  tous  ses  enseignements  à  la  charité  qui  ne 
périt  point.  Si  donc  on  propose  quelque  chose  à  croire,  à 
espérer  ou  à  faire,  que  ce  soit  toujours  en  rappelant  la 
charité  de  Notre  Seigneur,  afin  que  chacun  connaisse  bien 
que  toutes  les  œuvres  de  la  vertu  et  de  la  perfection  chré- 
tienne ne  peuvent  sortir  que  de  la  charité  et  ne  doivent  se 
rapporter  à  d'autre  fin  que  la  charité. 

16.  «  Dans  tout  enseignement,  ce  qui  importe  surtout 
c'est  la  méthode  d'enseignement  ;  et  cela  importe  plus 
qu'ailleurs  dans  l'instruction  du  peuple  chrétien.  Se  pro- 
portionner à  l'âge  de  ses  auditeurs,  se  mettre  à  la  portée 
de  leur  esprit,  de  leurs  mœurs,  de  leur  condition,  se  faire 
tout  à  tous  pour  les  gagner  tous  à  Jésus-Christ,  se  mon- 
trer un  ministre  et  un  dispensateur  exact,  semblable  au 

1.  TU.,  u,  i4-i5.  —  2.  Matth.,  xxu,  4o.  —  3.  Ps.  lxxu,  a5. 


76  LE    CATÉCHISME   ROM  VIN 

serviteur  bon  et  fidèle,  digne  d'être  établi  par  le  Seigneur 
sur  beaucoup  de  choses,  voilà  ce  que  doit  faire  celui  qui 
est  chargé  d'instruire. 

17.  u  Qu'il  prenne  garde  de  ne  pas  croire  qu'il  n'a  qu'une 
seule  sorte  de  personne  à  instruire,  et  qu'ainsi  une  seule 
méthode  uniforme  et  toujours  la  même  lui  suffît  pour  for- 
mer tous  les  fidèles  à  la  vraie  piété.  Les  uns  sont  comme 
des  enfants  nouvellement  nés  ;  les  autres  ont  déjà  com- 
mencé à  prendre  quelque  accroissement  en  Jésus-Christ  ; 
d'autres  sont  comme  parvenus  à  la  force  et  à  la  vigueur  de 
l'âge.  Il  est  donc  nécessaire  de  considérer  avec  soin  ceux 
qu'il  faut  nourrir  de  lait,  et  ceux  qui  demandent  une  nour- 
riture plus  solide,  afin  de  donner  à  chacun  celle  qui  sera 
la  plus  propre  à  augmenter  ses  forces  spirituelles  jusqu'à 
ce  que  tous  parviennent  à  l'unité  de  la  même  foi  et  de  la 
connaissance  du  Fils  de  Dieu,  à  l'homme  parfait  et  à  la 
mesure  de  l'âge  complet  de  Jésus-Christ  (1).  C'est  ainsi 
qu'en  agissait  l'apôtre  ;  et  il  rappelle  à  tous  les  pasteurs 
cette  obligation  par  son  propre  exemple,  lorsqu'il  dit  :  «Je 
suis  redevable  aux  grecs  et  aux  barbares,  aux  savants  et 
aux  ignorants  (2);  »  car  il  fait  entendre  par  là  à  ceux  qui 
sont  appelés  au  ministère  de  la  parole,  qu'ils  doivent  pro- 
portionner leurs  discours  à  la  portée  de  leurs  auditeurs, 
quand  ils  expliquent  les  mystères  de  la  foi  et  les  règles 
dès  mœurs  ;  et  que,  s'ils  rassasient  de  la  nourriture  spiri- 
tuelle ceux  qui  sont  plus  avancés,  ils  doivent  prendre  gar- 
de de  ne  pas  laisser  mourir  de  faim  les  enfants,  faute  de 
leur  rompre  le  pain  qu'ils  demandent. 

18.  «  Personne,  du  reste,  ne  doit  laisser  refroidir  son 
zèle  dans  l'enseignement  sous  prétexte  qu'on  est  obligé  de 
descendre,  dans  les  instructions,  à  des  détails  légers  et  bas 
en  apparence  ;  c'est  sans  doute  là  une  chose  pénible  pouB 
des  esprits  habituellement  livrés  aux  méditations  subli- 
mes. Mais  si  la  Sagesse  du  Père  éternel  est  descendue  elle- 
même  sur  la  terre  pour  nous  enseigner,  dans  l'abaisse-» 
ment  de  notre  chair,  les  préceptes  de  la  vie  céleste,  quel 
est  donc  celui  qui  ne  se  sentirait  pas  entraîné  par  la  cha* 

'Tité  de  Jésus-Christ,  à  devenir  petit  au  milieu  de  ses  frè» 

1.  Ephes.  ,  iv,  i3.  —  2.  Rom.,  1,  ifr. 


INTROnUCTlON  77 


res  et  semblable  à  une  mère  qui  nourrit  ses  enfants?  Qui 
ne  désirerait  le  salut  de  son  prochain  avec  la  même 
ardeur  que  l'apôtre  lorsqu'il  disait  qu'il  aurait  voulu  non 
seulement  donner  la  connaissance  de  l'Evangile,  mais 
encore  livrer  sa  propre  vie  (i)  ? 

19.  «  Or  toute  la  doctrine  dont  les  fidèles  doivent  être 
instruits,  est  renfermée  dans  la  parole  de  Dieu,  soit  écrite, 
soit  conservée  par  la  tradition.  En  conséquence  les  pas- 
teurs s'appliqueront  à  méditer  jour  et  nuit  ces  deux  choses 
et  jamais  ils  ne  perdront  de  vue  l'avertissement  de  saint 
Paul  à  Timothée,  qui  s'adresse  à  tous  les  pasteurs  ayant 
charge  d'âmes  :  «  Applique-toi  à  la  lecture,  à  l'exhorta- 
tion, à  l'enseignement  (2)  ;  »  «  Toute  Ecriture  est  divine- 
ment inspirée,  et  utile  pour  enseigner,  pour  convaincre, 
pour  corriger,  pour  former  à  la  justice,  atin  que  l'homme 
de  Dieu  soit  parfait,  apte  à  toute  bonne  œuvre  (3).  » 

20.  «  Mais  comme  le  nombre  et  la  variété  des  vérités 
révélées  de  Dieu  empêche  qu'on  ne  puisse  les  comprendre1 
facilement  toutes,  ou  de  les  retenir  dans  la  mémoire,, 
même  après  les  avoir  comprises,  il  peut  se  faire  que,  l'oc- 
casion s'offrant  de  les  enseigner,  on  ne  les  ait  pas  assez, 
présentes  pour  en  donner  l'explication.  Aussi  nos  Pères- 
ont-ils  très  sagement  réduit  toute  la  doctrine  à  quatre* 
chefs,  qui  sont  le  symbole  des  apôtres,  les  sacrements,  le» 
décalogue  et  l'oraison  dominicale. 

21.  «  En  effet,  le  symbole  renferme  ce  que  le  chrétien,' 
doit  croire  et  connaître  de  Dieu,  de  la  création  et  du  gou- 
vernement du  monde,  de  la  rédemption  du  genre  hu- 
main, de  la  récompense  des  bons  et  de  la  punition  des: 
méchants. 

22.  «  La  doctrine  des  sacrements  renferme  les  signe» 
de  la  grâce  et  les  moyens  par  lesquels  nous  pouvons  l'ob- 
tenir. 

a-3.  «  Tout  ce  qui  regarde  la  morale  et  les  devoirs,  donti 
la  charité  est  la  fin,  est  exprimé  et  contenu  dans  le  Déca- 
logue. 

24.  «  Enfin  Y  Oraison  dominicale  renferme  tout  ce  que 

1. 1.  Thés.,  11,  8.-2.  I.  Tim.,  iv,  i3.  —  3.  II  Tim.,  m,  iG-17^ 


7 8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


l'homme  peut  désirer,  espérer  et  demander  pour  son  sa- 
lut. Ces  quatre  articles,  qui  sont  comme  les  lieux  com- 
muns de  toute,  l'Ecriture  sainte,  une  fois  expliqués^  il  ne 
manquera  plus  rien  au  chrétien  pour  être  instruit  de  tout 
ce  qu'il  est  obligé  de  sa\oir. 

25.  «  11  a  donc  paru  bon  d'avertir  les  pasteurs  que, 
toutes  les  fois  qu'ils  ont  à  expliquer  quelque  passage  de 
l'Evangile  ou  de  l'Ecriture,  ils  peuvent  le  rapporter,  quel 
qu'il  soit,  à  l'un  de  ces  quatre  chefs  ;  c'est  à  l'une  de  ces 
sources  qu'ils  doivent  recourir  pour  en  développer  le  sens 
et  la  doctrine.  Par  exemple,  s'il  s'agit  d'expliquer  l'Evan- 
gile du  premier  dimanche  de  l'Avent  :  «  Il  y  aura  des 
signes  dans  le  soleil  et  dans  la  lune,  etc.,  »  ils  trouveront 
ce  qui  a  rapport  à  cet  évangile  dans  l'article  du  symbole  : 
il  viendra  juger  les  vivants  et  les  morts  ;  et  prenant  de  là 
ce  qui  aura  été  dit  sur  cet  article,  ils  expliqueront  tout  en- 
semble aux  fidèles  et  l'Evangile  et  le  symbole.  Dans  tou- 
tes leurs  instructions,  quel  qu'en  soit  l'objet,  ils  auront 
soin  de  rapporter  toujours  ce  qu'ils  diront  à  ces  quatre 
points  principaux  de  la  doctrine  chrétienne,  auxquels  re- 
vient toute  l'Ecriture.  Quant  à  l'ordre  dans  lequel  ils  pro- 
poseront l'enseignement,  ils  suivront  celui  qu'ils  croiront 
plus  convenable,  eu  égard  aux  circonstances  et  aux  per- 
sonnes (i).  » 

i.  Prœf.,  i-xxv. 


jpg  j:;^;^'^ 


Leçon  Ière 
Symbole  des  Apôtres 


I.  Le  mot  Symbole  :  ètymologie  et  signification. 
—  II.  Le  Symbole  des  Apôtres  :  1°  Son  texte.  — 
2°  Son  origine.  —  3°  Son  attribution  aux  Apô- 
tres, —  4°  Son  autorité.  —  5°  Sa  division  et 
son  contenu  (1). 


I.  Le  mot  Symbole  : 
son   ètymologie,  sa  signification. 

Symbole  est  un  terme  emprunté  au  grec.  Au  sens 
étymologique,  il  signifie  soit  un  signe,  si  on  le 
fait  dériver  deSu^êoXov,  soit  un  contrat  ou  une 
contribution,  si  on  la  fait  venir  de  SujxêoX-^. 

i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Caspari,  Quellen  zur  Geschichte  des  Tauf- 
symbols,  Christiania,  1866-1875  ;  Alten  undneue  Quellen,  Chris- 
tiania, 1879  ;  Kirchenhistorische  Anecdota,  Christiania,  i883  : 
Harnack,  Das  apostolische  Glaubensbekenntniss,  Berlin,  1892  ; 
article  Apostolische  Symbolum  dans  la  Realencyklopddie,  Leipzig, 
1896;  Zahn,  Das  apostolische  Symbolum,  Leipzig,  1893;  Blume, 
Das  apostolische  Glaubensbekenntniss,  Fribourg,  1893  ;  D.  Bau- 
mcr,   Das  apostolische    Glaubensbekenntniss,    Mayence,    i8g3  ; 


80  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Mais,  dans  le  sens  dérivé  et  actuel  de  l'Eglise, 
symbole  signifie  collection,  assemblage  des  princi- 
pales vérités  de  la  foi. 

Nous  disons  :  des  principales  vérités,  et  non  de 
toutes,  parce  qu'il  n'est  qu'un  résumé  et  qu'il  existe 
un  grand  nombre  d'autres  vérités,  qui  se  trouvent 
soit  dans  la  Tradition,  soit  dans  Y  Ecriture  Sainte.  Le 
symbole,  en  effet,  ne  renferme  que  les  vérités  les 
plus  essentielles,  les  plus  fondamentales,  celles  dont 
la  foi  explicite  et  formelle  est  requise  pour  la  ré- 
ception du  baptême.  Quant  aux  autres,  elles  sont 
aussi  objet  de  foi  ou  de  croyance,  dès  qu'elles 
nous  sont  notifiées  par  l'autorité  compétente  en 
pareille  matière,  c'est-à-dire  par  l'Eglise.  Ces  der- 
nières sont  implicitement  acceptées  par  le  fidèle  ; 
car,  en  professant  dans  le  symbole  qu'il  croit  à 
l'Eglise  catholique,  il  se  déclare  par  là  même 
prêt  à  croire  tout  ce  qu'enseigne  l'Eglise  catho- 
lique apostolique  et  romaine  ;  et,  dès  que  ces 
vérités  lui  sont  proposées,  il  les  accepte  par  un 
acte  de  foi,  l'Eglise  étant  à  ses  yeux  l'organe 
infaillible  de  Dieu. 

A  l'époque  des  Pères,  c'est-à-dire  pendant  les  cinq 

Kattenbusch,  Das  apostoliche  Symbolum,  Leipzig,  1 89/4-1 900  ; 
Hahn,  Bibliothek  der  Symbol,  avec  un  appendice  d'A.  Harnack, 
Mater ialen  zur  Geschichie  und  Erklarung  des  alten  rômischen 
Symbol,  Breslau,  1897;  Burn,  Introduction  to  the  creeds,  Lon- 
dres, 1899;  Mgr  Batiffol,  Symbole  des  apôtres,  dans  le  Diction- 
naire de  Théologie,  t.  1,  col.  1GO0-167.3  ;  Doesholt,  Das  Tauf- 
symbol,  Padcrborn,  1898;  Kunze,  Glaubensregel,  Heilige  Schrift 
und  Taufbekenntniss,  Leipzig,  1899  ;  Ehrhard,  Die  altchrUt. 
Litteratur,  Fribourg-cn-Brisgau,  1900  ;  Sanday,  Farther  rese- 
wch  on  the  history  of  the  creed,  dans  The  journal  of  theological 
studies,  vol.  m,  n.  9,  octobre  1901  ;  Vacandard,  L'origine  du 
symbole  des  apôtres,  dans  la  Revue  des  Questions  historiques, 
1899,  t.  xxii,  p.  329  sq,  avec  réponse  de  D.  Ghamard  et  répli- 
que de  Vacandard,  ibid.,  1901  ;  Ermoni,  Le  symbole  des  apôtres, 
dans  la  collection  Science  et  Religion. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  8l 

premiers  siècles  de  l'Eglise,  certains  auteurs  ecclé- 
siastiques ont  imaginé  toutes  sortes  d'explications 
pour  légitimer  le  sens  étymologique  du  mot  sym- 
bole. C'est  ainsi  que  Nicétas,  évêque  de  Remesiana 
ou  Romatiana,  en  Dacie  (vers  4oo),  appelle  symbole 
le  pacte  que  fait  avec  Dieu  le  chrétien,  au  jour  de 
son  baptême  (i).  Fauste,  évêque  de  Riez,  en  Pro- 
vence, dans  la  seconde  moitié  du  ve  siècle,  croit,  en 
souvenir  des  cotisations  que  faisaient  entre  eux  les 
membres  d'un  même  collège  pour  subvenir  aux 
frais  de  leurs  repas  de  corps,  qu'on  a  pareillement 
réuni  dans  le  symbole  certaines  vérités  pour  la 
nourriture  et  le  festin  des  âmes  (2).  Rufin,  prêtre 
d'Aquilée  (345-4 10),  y  voit  à  la  fois  le  sens  de  signe 
ou  de  mot  de  passe,  de  contribution  ou  d'apport  (3). 
Le  symbole,  en  effet,  servait  à  distinguer  les  chré- 
tiens des  païens,  des  juifs  et  des  hérétiques,  et  l'on 
sait  que  les  partisans  de  la  même  croyance  avaient 
un  mot  d'ordre  ou  de  passe  pour  se  reconnaître 
entre  eux.  Dans  ce  dernier  sens,  le  mot  symbole 
rappellerait  le  fameux  Schibboleth,  indiqué  par 
Jephté  dans  l'Histoire  Sainte  pour  reconnaître  les 
siens  et  découvrir  les  Ephraïmites  (4). 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  diverses  interprétations, 
le  symbole  était  regardé  surtout  comme  la  profes- 
sion de  foi  nécessaire  avant  la  réception  du  baptême 
et  comme  la  règle  de  foi  du  chrétien. 

II.   Le  Symbole  des  Apôtres 

Il   y  a  plusieurs    symboles  dans  l'Eglise.    L'un 

1.  Explanatio  symboli,  i3;  Pair,  lat.,  t.  m,  col.  873. — 
2.  Homil.  1,  dans  Caspari,  Anecdota,  t.  i,  p.  3i5.  —  3.  Comm. 
in  symb.  ;  Pair,  lat.,  t.  xxi,  col.  338.  —  4.  Maxime  de  Turin, 
De  tradlt.  symboli  ;  Pair,  lat.,  t.  lyii,  col.  433. 

LE   CATÉCHISME.  —  T.  I.  6 


82 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


d'entre  eux,  désigné  sous  le  nom  de  Symbole  des 
Apôtres,  pour  le  distinguer  des  symboles  de  Nicée 
et  de  saint  Àthanase,  n'est  autre  chose  que  le  sym- 
bole en  usage  dans  l'Eglise  romaine  pour  la  colla- 
tion du  baptême  au  ive  siècle,  complété  sur  quelques 
points  dans  les  églises  du  rit  gallican,  spécialement 
en  Gaule,  que  Rome  adopta  sous  cette  forme  am- 
plifiée et  introduisit  dans  sa  liturgie,  ainsi  qu'en 
témoigne  Y  Or  do  romanus  du  temps  de  saint  Nicolas  I 
(808-867),  011  il  se  trouve  reproduit. 

Cette  définition,  pour  être  comprise  dans  toute 
sa  teneur,  a  besoin  de  quelques  explications  que 
nous  allons  donner  succinctement  en  parlant  du 
texte,  de  Y  origine,  de  Y  attribution  du  symbole. 


1°  Texte  du  Symbole  des  Apôtres. 


1.  Je  crois  en  Dieu  le 
Père  tout-puissant,  créateur 
du  ciel  et  de  la  terre  ; 

2.  Et  en  Jésus- Christ, 
son  Fils  unique,  Notre  Sei- 
gneur ; 

3  Qui  a  été  conçu  du 
Saint-Esprit,  est  né  de  la 
Vierge  Marie  ; 

4.  A  souffert  sous  Ponce- 
Pikte,  a  été  crucifié,  est 
mort,  a  été  enseveli  ; 

5.  Est  descendu  aux  en- 
fers, le  troisième  jour  est 
iressucité  des  morts  ; 

6.  Est  monté  aux  cieux, 
est  assis  à  la  droite  de  Dieu 

Ile  Père  tout-puissant  ; 

7.  D'où  il  viendra  juger 
les  vivants  et  les  morts  ; 


1 .  Credo  in  Deum  Patrem 
om'nipotentem ,  creatorem 
cœli  et  tcrrœ  ; 

2.  Et  inJesum  Chris tum, 
Filium  ejus  unicum,  Domi- 
num  nos  tram  ; 

3.  Qai  conceptas  est  de 
Spiritu  Sancto,  natus  ex 
Maria  Virgine  ; 

4.  Passus  sub  Pontio  Pi- 
lato,  crucifixus,  mortuus  et 
sepultus  ; 

5.  Descendit  ad  inferos, 
tertia  die  resurrexit  a  mor- 
tuis  ; 

6.  Ascendit  ad  cœlos,  se- 
det  ad  dexteram  Dei  Patris 
omnipotentis  ; 

7.  Inde  venturus  estjudi* 
care  vivos  et  mortaos  ; 


DU    SYMBOLE    DES   APOTRES 


83 


8.  Je  crois  au  Saint-Es- 
prit ; 

9.  La  Sainte  Eglise  catho- 
lique, la  communion  des 
saints  ; 

10.  La  rémission  des  pé- 
chés ; 

1 1 .  La  résurrection  de  la 
chair  ; 

12.  La  vie  éternelle.  Ainsi 
soit-il. 


8 .  Credo  in  Sp iritam  Sanc- 
tion ; 

9.  Sanctam  Ecclesiam  ca~ 
tholicam,  Sanctorum  com- 
munionem  ; 

1  o.  Remissionem  peccato- 
rum  ; 

11.  Garnis  resurrectio- 
nem  ; 

1 2 .  Vitamœternam.  A  ment 


C'est  là  le  texte  actuel  du  symbole,  appelé  aussi 
texte  gallican,  à  cause  de  son  origine,  et  texte  reçu, 
à  cause  de  son  adoption  par  l'Eglise  romaine. 

Or,  avant  d'adopter  le  texte  actuel,  l'Eglise 
romaine  se  servait  du  symbole,  dit  Symbole  romain, 
auquel  il  est  fait  allusion  pour  la  première  fois  dans 
une  lettre  du  concile  de  Milan,  rédigée  par  saint 
Ambroise  (évêque  de  374  à  397),  et  où  il  est  dit  : 
«  Que  l'on  croie  au  Symbole  apostolique,  que  con- 
serve et  a  toujours  conservé  sans  tache  l'Eglise 
romaine  (1).  »  Ce  symbole  en  usage  dans  la  liturgie 
baptismale  de  Rome  est  qualifié  d'apostolique.  Il  se 
retrouve  tout  entier  dans  celui  que  nous  récitons 
aujourd'hui,  ainsi  qu'il  sera  facile  de  s'en  convain- 
cre par  le  tableau  suivant. 


Texte  reçu  ou  actuel 

1.  Credo  in  DeumPatrem 
omnipotentem  [creatorem 
cœli  et  terrœ]  ; 

2.  Et  in  JesumChristum, 
Filium  ejus  unicum,Domi- 
num  nostrum  ; 

3.  Qui  [concepius]  est  de 


Texte  ancien  ou  romain 

1.  Credo  in  DeumPatrem 
omnipotentem  ; 

2.  Et  in  Christum  Jesunv 
unicum  Filium  ejus,  Do- 
minum  nostrum  ; 

3.  Qui  natus  est  de  Spi- 


1.  Epislola  xui,  5  ;  Pair,  lai.,  t.  xvi,  col.  na5. 


84 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


Spixitu    Sancto,    natus    ex  I  ri  tu  Sancto  ex  Maria  Vir- 
Maria  Virgine  ;  gine  ; 


4.  Crucifixus  sub  Pontio 
Pilato  et  sepultus  ; 

5.  Tertia  die  resurrexit  a 
mortuis  ; 

6.  Ascendit  in  cœlos,  se- 
det  ad  dexteram  Patris  ; 

7.  Inde  venturus  est  judi- 
care  vivos  et  mortuos  ; 

8.  Et  in  Spiritum  Sanc- 
tum  ; 

9.  Sanctam  Ecclesiam  ; 


4.  [Passas]  sub  Pontio 
Pilato,  crucifixus,  [mortuus] 
et  sepultus  ; 

5.  [Descendit  ad  inferos  ;] 
tertia  die  resurrexit  a  mor- 
tuis ; 

6.  Ascendit  ad  cœlos,  se- 
det  ad  dexteram  [Dei]  Patris 
[omnipotentis  ;] 

7.  Inde  venturus  est  judi- 
care  vivos  et  mortuos  ; 

8.  [Credo]  in  Spiritum 
Sanctum  ; 

9.  Sanctam  Ecclesiam 
[catholicam,]  [sanctorum 
communionem  ;] 

10.  Remissionem  pecca- 
torum  ; 

1 1 .  Carnis  resurrectio- 
nem  ; 

12.  [Vitam  œternam.] 

Dans  ce  tableau,  nous  avons  souligné  et  mis  en- 
tre crochets  ce  que  le  texte  reçu  a  ajouté  au  texte 
ancien.  Mais  on  le  voit,  le  texte  reçu  diffère  peu  du 
symbole  romain.  Les  différences  se  réduisent  au 
déplacement  de  natus,  né,  à  l'article  3  ;  à  la  substi- 
tution de  ad  à  in,  à  l'article  6  ;  et  à  l'addition  de 
creatorem  cœli  et  terrœ,  créateur  du  ciel  et  de  la 
terre,  à  l'article  1  ;  de  conceptus,  conçu,  à  l'article  3; 
de  passus,  mortuus,  a  souffert,  est  mort,  à  l'article  4  î 
de  descendit  ad  inferos,  à  l'article  5  ;  de  Dei  omnipo- 
tentis, Dieu  tout-puissant,  à  l'article  6  ;  de  credo,  je 
crois,  à  l'article  8  ;  de  catholicam,  catholique,  et  da 
sanctorum  communionem,  la  communion  des  saints, 
à  l'article  9  ;  et  de  vitam  œternam,  la  vie  éternelle,  à, 
l'article  12. 


10.  Remissionem  pecca- 
torum  ; 

11.  Garnis     resurrectio- 
nem. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  85 

Le  déplacement  de  naius  et  l'addition  de  con- 
ceptus,  à  l'article  3,  qui  donne  :  conçu  du  Saint- 
Esprit,  né  de  la  Vierge  Marie,  marquent  plus  nette- 
ment la  personnalité  du  Saint-Esprit  ainsi  que  la 
distinction  de  la  nature  divine  et  de  la  nature  hu- 
maine dans  l'Incarnation.  La  substitution  de  ad  à  in 
est  sans  importance.  Quant  aux  additions,  qui  da- 
tent du  ve  ou  du  commencement  du  vie  siècle,  elles 
s'expliquent  très  bien  ;  car  elles  servent  à  préciser 
le  sens  de  certains  articles  et  à  compléter  les  autres. 

Créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  ajouté  comme  un 
attribut  du  Père  tout-puissant  pour  écarter  la  théorie 
gnostique  du  Démiurge,  se  trouve  déjà  dans  Nicétas, 
puis  dans  le  pseudo-Augustin  (i).  Conçu  du  Saint- 
Esprit  et  né  de  la  Vierge  Marie,  dans  le  formulaire 
de  foi  des  évêques  latins  du  concile  de  Rimini,  en 
35g,  tel  qu'il  nous  a  été  conservé  par  saint  Jérôme 
dans  son  Dialogue  contre  les  * Lucifériens  (2),  ainsi 
que  dans  le  formulaire  du  pape  Damase  (366-384)  à 
Priscillien,  hérésiarque  d'Espagne  (3).  A  souffertt 
dans  Priscillien,  en  Espagne,  dans  saint  Phébade 
d'Agen  (vers  390),  en  Gaule,  et  dans  saint  Ambroise, 
en  Italie.  Est  mort,  dans  saint  Gésaire  d'Arles  (470- 
542).  Est  descendu  aux  enfers,  dans  Rufin,  qui 
signale  ces  mots  comme  une  particularité  du  sym- 
bole baptismal  d'Aquilée  (4),  et  dans  le  formulaire 
arien  de  Sirmium,  en  359.  De  Dieu  tout-puissant, 
ajouté  à  Père  à  l'article  6  à  titre  d'explication  com- 
plémentaire, se  trouve  dans  Priscillien,  saint  Victri- 
cius  de  Rouen  (f  vers  407)  et  Fauste  de  Riez.  Je 
crois,  à  l'article  8,  n'est  qu'une  simple  répétition. 
Catholique,  servant  à  qualifier  l'Eglise,  la  communion 


1.  Sermons  ccxl,  ccxli,  ccxlii.  —  2.  Dial,  17;  Patr.  lat.r 
t.  xxiii,  col.  179.  —  3.  Fides  Hieronymi  ad  Damasum  papam.  — 
4.  Com.  in  Symb.,  18  ;  Patr.  lat.,  t.  xxi,  col.  356. 


86  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

des  saints,  d'après  Nicétas  (i),  détermine  dans  quel 
«ens  il  faut  entendre  la  sainte  Eglise.  De  même  la 
vie  éternelle  est  ajoutée  pour  expliquer  la  mention 
de  la  résurrection  de  la  chair,  si  l'on  en  croit  l'évê- 
que  de  Remesiana,  tandis  que,  en  Afrique,  l'expli- 
cation de  la  résurrection  de  la  chair  par  la  vie  éter- 
nelle avait  pour  but,  selon  saint  Augustin  (2), 
d'exclure  l'erreur  des  Millénaires. 

Il  est  à  remarquer  que  le  texte  ancien  du  symbole 
apostoijquc  se  retrouve  dans  une  lettre  de  Marcel 
d'Ancyre  au  pape  saint  Jules,  en  337,  (3),  dans  une 
explication  du  symbole  attribué  à  saint  Maxime  de 
Turin,  et  qui  est  plus  vraisemblablement  de  saint 
Ambroise  (4),  et  dans  le  commentaire  de  Rufin  (5), 
ce  qui  prouve  que  ce  symbole  était  bien  romain 
d'origine  et  d'usage.  En  Afrique,  saint  Augustin  le 
commentait  de  préférence  au  symbole  africain. 
«  Or,  dit  M.  Harnack,  si  l'on  réduit  tous  les  sym- 
boles occidentaux  (d'Afrique,  d'Espagne,  d'Italie, 
d'Irlande)  à  un  archétype,  d'où  l'on  élimine  tous  les 
termes  sur  lesquels  ces  symboles  diffèrent,  on  ob- 
tient sans  difficulté  le  symbole  romain.  Le  symbole 
romain  est  donc  la  racine  de  tous  les  symboles 
occidentaux  (6).  » 

Peut-on  le  considérer  également  comme  la  racine 
de  tous  les  symboles  orientaux  ? 

Pour  l'Orient,  il  faut  distinguer  avec  soin  la 
période  qui  précède  les  conciles  de  Nicée  (325)  et  de 
Constantinople  (38i)  de  celle  qui  les  suit. 


1.  Explanalio  symboli,  10  ;  Pair,  lat.,  t.  lu,  col.  871.  — 
a.  Ad  Catechumenos,  17;  Pair,  lat.,  t.  xl.  col.  636.  —  3.  Dans 
S.  Epiphane,  Hœr.,  lxxii,  3  ;  Pair,  gr.,  t.  xlii,  col.  385.  Den- 
xinger,  Enchiridion,  Wurtzbourg,  1874,  n°  9.  —  l\.  Explan, 
symb.;  Pair,  lat.,  t.  xvn,  col.  n58.  —  5.  Com.  in  symb.  3  ; 
I*atr.  lat.,  t.  xxi,  col.  339.  —  6.  Cite  dans  le  Dictionnaire  de 
Théologie,  t.  1,  p.  1666. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  87 

Avant  Nicée,  ce  qui  caractérise  l'Orient,  c'est  la 
multiplicité  et  la  variété  des  professions  de  foi, 
selon  les  temps  et  les  lieux.  Et  cela  suppose,  évidem- 
ment, l'absence  d'une  formule  arrêtée  et  fixe,  et  la 
liberté  qu'avait  chaque  Eglise  de  donner  à  sa  pro- 
fession de  foi  baptismale  la  forme  la  mieux  appro- 
priée. On  peut  aisément  s'en  convaincre  en  com- 
parant, par  exemple,  les  professions  de  foi  de  saint 
Grégoire  le  thaumaturge  (210-270),  d'Arius  et 
d'Alexandre  d'Alexandrie,  en  32i,  et  de  l'auteur  du 
Dialogue  De  recta  in  Deumfide,  vers  3oo.  Là,  point 
d'unité  de  type,  rien  qui  rappelle  le  symbole 
romain.  Cependant  saint  Ignace  (f  vers  107),  saint 
Justin  (f  vers  i63),  saint  Irénée,  Aristide,  Origène 
offrent  les  diverses  expressions  du  symbole  romain. 
Une  telle  coïncidence  ne  serait-elle  pas  l'indice, 
comme  l'ont  cru  certains  critiques  récents,  que 
l'Orient  possédait  un  type  de  symbole  plus  ou 
moins  apparenté  avec  le  symbole  romain?  Quoiqu'il 
en  soit  de  ce  point  de  vue,  il  reste  certain  que  les 
orientaux  devaient  employer  pour  la  liturgie  baptis- 
male une  formule  de  foi,  sorte  de  résumé  catéché- 
tique  qui  ne  pouvait  que  se  rapprocher  du  symbole 
romain. 

Après  Nicée,  pendant  le  ive  siècle,  on  trouve 
plusieurs  symboles  en  Orient.  Chaque  région  avait 
le  sien  :  il  y  avait  la  formule  d'Alexandrie,  con- 
servée chez  les  Coptes  ;  la  formule  palestinienne  ou 
de  Jérusalem,  représentée  par  Eusèbe  de  Césarée, 
saint  Cyrille  de  Jérusalem  et  saint  Epiphane  de 
Salamine  ;  la  formule  syrienne  ou  d'Antioche, 
représentée  par  les  Constitutions  apostoliques,  saint 
Jean  Chrysostome  et  Cassien  ;  la  formule  de  l'Asie 
Mineure,  représentée  par  Auxence  de  Milan,  saint 
Grégoire  de  Nazianze  et  Marc  l'ermite. 

Or  toutes  ces  formules  sont  rédigées,  à  quelques 


88  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

paraphrases  et  variantes  près  sur  un  même  modèle, 
et,  chose  importante,  ce  modèle  rappelle  le  symbole 
romain.  C'est  que.  selon  toute  vraisemblance,  «  le 
symbole  romain  fut  introduit  à  Nicée  même  comme 
un  formulaire  dans  lequel  tous  les  orientaux  ne 
pouvaient  avoir  aucune  difficulté  à  reconnaître  leur 
foi  traditionnelle,  et  que  l'œuvre  du  concile  consiste 
à  ajouter  aux  articles  du  symbole  romain  les  déve- 
loppements christologiques  qu'appelait  la  question 
arienne  (i).  »  Une  fois  que,  sur  ce  modèle  romain, 
est  rédigé  le  symbole  de  Nicée  avec  les  développe- 
ments christologiques  réclamés  par  l'hérésie  d'Arius, 
et  dès  que  ce  symbole  de  Nicée  fut  complété  à 
Gonstantinople,  relativement  au  Saint-Esprit,  à 
cause  de  l'hérésie  de  Macédonius,  tout  l'Orient 
adopta  ce  symbole  de  Nicée-Constantinople.  A  dater 
du  ve  siècle,  il  devint  la  règle  définitive  de  l'ortho- 
doxie grecque  et  il  élimina  toutes  les  variétés  anté- 
rieures des  symboles  (2).  Et  c'est  par  là  que  s'est 
fait  sentir,  même  en  Orient,  l'influence  du  symbole 
romain. 

Reste  à  poursuivre  l'histoire  du  symbole  romain 
et  à  rechercher  sa  trace  du  ive  au  ier  siècle. 

2°  Origine  du  Symbole  des  Apôtres 

Ce  symbole  romain  du  ive  siècle  se  retrouve-t-il 
identiquement  formulé  au  111e  ? 

Pour  la  plus  grande  partie,  oui  ;  mais  non  pour 
sa  totalité.  Car,  au  111e  siècle,  si  l'on  tient  compte 
des  éléments  du  symbole  que  signalent  Novatien, 
vers  260,  dans  son  traité  de  ta  Trinité  (3),  et  le  pape 

1.  Batiffol,  Diction,  de  Théologie,  t.  1,  p.  1669.  —  2.  Kunze, 
Das  TSicânisch-KonsiantinopolUanische  Symbol.,  Leipzig,  1898. 
3.  De  Trinilate  ;  Pair,  lat.,  t.  m,  coi.  885-902. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  89 

saint  Dcnys  (259-269)  dans  son  traité  contre  les 
Sabeliicns  (1),  on  constate  que  le  symbole  romain 
se  réduisait  à  la  foi  en  Dieu  le  Père  tout-puissant, 
en  Jésus-Christ  Notre  Seigneur,  fils  de  Dieu,  et  au 
Saint-Esprit  ;  et  si  l'on  y  ajoute  la  sainte  Eglise,  la 
rémission  des  péchés,  attestés  pour  la  première  fois 
par  saint  Cyprien  (2),  et  la  résurrection  de  la  chair, 
dont  parle  avant  lui  Tertullien,  voici  la  formule  du 
symbole  vers  260  :  «  Je  crois  en  Dieu  le  Père  tout- 
puissant,  et  en  Jésus-Christ,  son  Fils,  Notre  Seigneur, 
né  de  la  Vierge  Marie,  crucifié  sous  Ponce  Pilaie, 
ressuscité  d'entre  les  morts  le  troisième  jour,  monté 
aux  deux,  d'où  il  viendra  juger  les  vivants  et  les  morts  ; 
et  au  Saint-Esprit,  la  sainte  Eglise,  la  rémission  des 
péchés,  la  résurrection  de  la  chair.  »  Dans  cette  for- 
mule manquent  le  titre  d'unique  donné  au  Fils, 
l'intervention  du  Saint-Esprit  dans  l'incarnation  et 
la  place  de  Jésus  près  de  son  Père  après  l'ascension. 
Plus  court  encore  au  11e  siècle,  le  symbole,  si  l'on 
s'en  tient  aux  œuvres  de  saint  Ignace,  de  saint 
Justin  et  de  saint  Irénée,  peut  se  formuler  de  la 
manière  suivante  :  «  Je  crois  en  un  seul  Dieu  tout- 
puissant,  en  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Notre  Sei- 
gneur, né  de  la  Vierge,  qui  a  souffert  sous  Ponce- 
Pilaie,  est  ressuscité  des  morts,  est  monté  aux  deux, 
d'où  il  viendra  juger,  et  au  Saint-Esprit.  »  Dans  cette 
formule  on  retrancha,  au  commencement  du  111e  siè- 
cle, le  mot  unum,  un,  devant  Dieu,  à  cause  de 
l'erreur  des  Monarchiens,  qui,  en  insistant  mal  sur 
l'unité  de  Dieu,  compromettaient  la  trinité  des  per- 
sonnes ;  puis  on  ajouta  Pairem  à  Deum,  Père  à 
Dieu,  pour  mieux  désigner  la  première  personne  de 
la  sainte  Trinité  ;  enfin  on  compléta  la  formule  en 

1.  Pair,  gr.,  t.  xxv,  col.  465.  —  2.  Epist.  lxx,  ad  Januarium, 
2  ;  Pair,  lai.,  t.  m,  col.  io^o. 


9° 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


y  ajoutant  la  sainte  Eglise,   la  rémission  des  péchés  et 
la  résurrection  de  la  chair. 

Y  avait-il  donc,  au  temps  des   Apôtres,  une  for- 
mule du  symbole  ?  Et  quelle  était-elle? 

A  défaut  de  données  littéraires  et  de  documents, 
qui  sont  rares  et  fort  peu  explicites  sur  ce  point, 
on  peut  recourir  au  Nouveau  Testament,  et  il  est 
possible,  sans  se  livrer  à  des  conjectures  hasardées, 
de  reconstituer  soit  le  thème  de  la  prédication  apos- 
tolique, soit  les  conditions  dans  lesquelles  se  confé- 
rait le  baptême.  Car  il  va  de  soi  que  les  Apôtres 
durent  exécuter  a  la  lettre  l'ordre  formel  de  leur 
Maître  qui  était  «  d'enseigner  toutes  les  nations,  de* 
les  baptiser  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  (i).  »  Or,  dès  la  descente  du  Saint-Esprit  au 
jour  de  Pentecôte,  saint  Pierre  entre  en  scène  et 
prêche.  Et  à  ceux  de  ses  auditeurs  de  bonne  volonté 
et  qui,  le  cœur  contrit,  lui  demandent  ce  qu'ils  ont 
à  faire,  il  propose  cette  formule  de  foi,  très  embryon- 
naire sans  doute,  mais  essentielle  et  suffisante, 
puisqu'il  y  est  question  du  Rédempteur.  «  Faites 
pénitence.  Que  chacun  de  vous  soit  baptisé  au  nom 
de  Jésus-Christ  pour  la  rémission  de  ses  péchés,  et 
vous  recevrez  le  Saint-Esprit  (2).  »  Pénitence 
d'abord,  c'est  la  disposition  intérieure  et  nécessaire 
pour  assurer  l'efficaci'té  du  rite  baptismal  ;  foi  en 
Jésus  venu,  au  nom  de  son  Père,  racheter  les  hom- 
mes ;  ensuite  baptême  ou  rite  extérieur  ;  et  enfin 
foi  au  Saint-Esprit,  dont  l'effusion  suit  la  collation 
du  baptême. 

Les  Apôtres,  en  effet,  nous  apprennent  les  Actes  (3), 
ne  conféraient  le  baptême  qu'à  ceux  qui  connais- 
saient le  Saint-Esprit  et  possédaient  par  conséquent 
quelque  notion  de  la  Trinité.    Saint  Paul,  rencon- 

1.  Matlh.,  xxviii,  19.  —  2.  Ad.,  11,  38.  —  3.  Ibid.,  xix,  3. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  QI 

trant  des  Ephésiens  qui  ignoraient  le  Saint-Esprit, 
en  conclut  parla  même  qu'ils  n'avaient  pas  reçu  le 
baptême  du  Christ  ;  en  effet,  ils  n'avaient  reçu  que 
le  baptême  de  Jean.  Avant  donc  de  baptiser,  les 
Apôtres  exigeaient  non  seulement  la  foi  au  Christ, 
Fils  de  Dieu,  qu'exprimait  l'eunuque  de  la  reine 
Candace  (i),  mais  encore  la  foi  au  Père  et  au  Saint- 
Esprit. 

Mais  cette  foi  était-elle  dès  lors  formulée  dans  un 
symbole  fixe  et  arrêté  ?  Rien  ne  le  prouve.  Il  est 
pourtant  difficile  de  croire  que  les  Apôtres,  avant 
de  se  séparer,  n'aient  point  convenu  des  vérités 
essentielles  dont  ils  devaient  exiger  l'assentiment 
de  la  part  de  ceux  qui  solliciteraient  le  baptême  ;  et  le 
moins  qu'ils  pussent  demander  c'était  la  foi  à  Dieu 
le  Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit,  puisque  c'était  là 
même  la  formule  que  Notre  Seigneur  leur  avait 
donnée  pour  baptiser.  Et  naturellement  ce  qu'ils 
avaient  demandé  aux  juifs  delà  Palestine,  ils  ne 
purent  que  continuer  à  l'exiger  au  dehors  de  la 
part  des  gentils  (2). 

Les  Apôtres,  très  vraisemblement,  ne  durent  pas 
se  borner  à  cette  formule  baptismale  si  réduite.  Car, 
ainsi  que  le  prouvent  leurs  œuvres,  il  y  eut  même 
chez  eux  un  développement  doctrinal.  Le  Saint- 
Esprit  exposait  peu  à  peu  à  leurs  regards  la  foi 
qu'ils  devaient  laisser  au  monde,  soit  en  achevant 
de  leur  présenter  les  enseignements  de  Jésus  dans 
toute  leur  lumière,  soit  en  leur  rappelant  des  leçons 
dont  ils  ne  gardaient  qu'un  vague  souvenir,  soit 
enfin  en  ajoutant  aux  doctrines  annoncées  par  le 
Sauveur  celles  qu'il  avait  lui-même  mission  de  leur 

1.  Ibid.,  vin,  37.  —  2.  Cf.  ;  Burn,  An  introduction  to  th» 
Creeds,  Londres,  1899,  p.  20-26  ;  Vacandard,  Les  Origines  du 
Symbole  des  Apôtres,  dans  la  Revue  des  questions  historiques, 
1899,  p.  354. 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


dévoiler  (i).  Il  y  a  dans  les  écrits  du  Nouveau 
Testament  le  mouvement  de  l'histoire,  une  succes- 
sion de  faits  et  de  discours,  où  se  trahit  le  dévelop- 
pement des  croyances.  Par  suite,  il  reste  vraisem- 
blable qu'à  la  formule  trinitaire,  formule  initiale  et 
primitive,  noyau  central,  ils  ont  pu  ajouter  tel  ou 
tel  mot,  tel  ou  tel  article,  à  raison  du  mouvement 
hérétique  qui  commençait  à  se  dessiner  autour  de 
l'Eglise  naissante.  Et,  par  exemple,  à  Rome,  au 
moment  où  Pierre  et  Paul  vont  mourir,  «  l'heure 
semblait  venue  de  resserrer  la  prédication  apostoli- 
que en  quelques  dogmes  essentiels,  que  tous  pour- 
raient conserver  de  mémoire  et  opposer  à  l'héré- 
sie (2),  »  en  une  espèce  de  précis  ou  d'abrégé  de  la 
foi,  c'est-à-dire  dans  un  symbole.  Et  comme  pen- 
dant trois  siècles  ce  symbole  apostolique  est  resté 
un  secret  d'initiés,  uniquement  confié  de  la  bouche 
à  l'oreille,  un  signe  qui  servait  à  distinguer  le  fidèle 
du  faux  frère,  de  l'hérétique  et  du  juif,  il  est 
difficile,  les  renseignements  faisant  défaut,  de  pré- 
ciser exactement  soit  ce  que  contenait  au  début,  soit 
ce  que  s'adjoignit,  à  l'âge  suivant,  ce  formulaire 
baptismal. 

En  tout  cas,  ce  qui  paraît  hors  de  contestation, 
c'est  que  la  profession  de  foi  au  Père,  au  Fils  et  au 
Saint-Esprit  a  formé  le  point  de  départ  et  constitué 
le  centre,  le  noyau  et  l'essence  même  du  symbole 
baptismal.  Et  les  formules  qu'on  peut  relever  dans 
les  documents  du  11e  siècle  au  ive  n'en  ont  été  que  le 
développement  normal,  légitime  ;  de  telle  sorte  que 
le  symbole  romain  doit  passer  pour  en  être  l'aboutis- 
sement rationnel.  En  remontant,  en  effet,  de  ce  sym- 
bole romain  jusqu'aux  origines,  on  peut  reconnaître 


1.  Fouard,    Saint  Pierre,   3e  édiL,   Paris,  1893,  p.   276.  — 
2.  Fouard,  ibid,  p.  285. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  g3 

en  lui,  sinon  un  plan  de  prédication  concerté 
d'avance  entre  les  Apôtres,  du  moins  le  fruit  et 
l'abrégé  de  leur  enseignement.  Et,  à  ce  titre,  il  mérite 
le  qualificatif  d'apostolique  que  lui  décernait  saint 
Ambroise.  Son  armature  est  faite  de  la  profession 
de  la  foi  à  la  Trinité,  et,  celle-ci,  les  Apôtres  la 
tenaient  directement  du  Christ. 

Formule  d'initiation  baptismale,  on  comprend 
qu'on  en  ait  respecté  les  termes  ;  mais  n'ayant  pas 
le  caractère  d'Ecriture  au  même  titre  que  les  livres 
du  Nouveau  Testament,  on  comprend  aussi  qu'on 
ait  usé  en  dehors  de  Rome  et  à  Rome  même  d'une 
certaine  latitude  pour  en  perfectionner  l'expression. 

Quant  au  symbole  actuel,  dit  symbole  des  Apô- 
tres, il  n'est  pas  autre  chose  que  le  symbole 
romain  mis  à  point,  complété  dans  le  courant 
du  ve  et  du  vie  siècle,  et  définitivement  fixé  dans 
une  formule  cristallisée,  stéréotypée.  Et  tout  comme 
le  symbole  romain,  au  même  titre,  il  a  droit,  lui 
aussi,  à  être  qualifié  d'apostolique.  Nous  venons  de 
voir  dans  quel  sens. 


3°  Attribution  du  Symbole  aux  Apôtres 

Il  convient  de  reconnaître  que  le  symbole  a  été 
attribué  aux  Apôtres  eux-mêmes  par  plusieurs 
écrivains  ecclésiastiques  des  premiers  siècles,  et 
aussi  dans  la  suite.  Il  leur  a  été  attribué  d'abord 
comme  toutes  les  autres  parties  qui  composent  la 
trame  vivante  de  la  tradition  ;  et  cela,  dès  le  11e  siècle, 
dans  tous  les  textes  où  il  semble  qu'on  puisse 
reconnaître  quelques-unes  de  ses  traces.  Saint 
Irénée,  par  exemple,  dit  que  «  la  foi  en  un  seul 
Dieu  tout  puissant,  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  et  les 
mers,  et  tout  ce   qui  y  est  renfermé,  et  en  un  seul 


94  DU    CATÉCHISME    ROMAIN 

Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  qui  s'est  incarné  pour 
notre  salut,  et  en  un  seul  Saint-Esprit...,  a  été  reçue 
des  Apôtres  et  de  leurs  disciples,  et  qu'elle  a  été  gardée 
par  l'Eglise,  bien  qu'elle  soit  répandue  par  tout 
l'univers  (i).  » 

Tertullien  parle  souvent  de  la  Règle  de  foi,  contre 
laquelle  personne  ne  peut  prescrire.  Il  déclare 
qu'elle  a  été  donnée  à  l'Eglise  par  les  Apôtres,  aux 
Apôtres  par  le  Christ  et  au  Christ  par  Dieu  (2)  ;  or 
il  y  comprend  les  divers  éléments  du  symbole  (3), 
et  il  a  soin  de  distinguer  l'ensemble  des  vérités 
contenues  dans  cette  Règle  de  foi  du  reste  de  l'en- 
seignement chrétien. 

Les  Constitutions  apostoliques,  dans  la  partie  la 
plus  ancienne  qui  est  du  111e  siècle,  montrent  les 
Apôtres  exposant  l'abrégé  de  leur  enseignement  (4). 

Au  ive  siècle,  saint  Cyrille  de  Jérusalem  appelle  le 
symbole  baptismal,  qu'il  expose  dans  ses  célèbres 
Catéchèses,  «  la  foi  sainte  et  apostolique  (5).  »  Et 
saint  Epiphane  de  Salamine  recommande  de  con- 
server la  sainte  foi,  que  l'Eglise  a  reçue  en  dépôt 
des  Apôtres  du  Seigneur,  et  de  l'inculquer  digne- 
ment à  tous  les  catéchumènes  qui  se  préparent  au 
baptême  (6). 

Nous  avons  déjà  rapporté  le  mot  de  saint 
Ambroise  qui  qualifie  d'apostolique  le  symbole 
romain.  Saint  Jérôme,  baptisé  à  Rome,  connut  le 
symbole  baptismal  de  cette  église.  «  Or  ce  symbole 
de  notre  foi  et  de  notre  espérance,  dit-il,  qui  ne 
s'écrit  pas   sur  du  parchemin  et  avec  de  l'encre, 

! 

1.  Contra  hsereses,  I,  x,  1;  III,  iv,  1;  Pair,  gr.,  t.  vu.  col. 
549,  855.  —  a.  De  Prœscrip. f  37  ;  Patr.  lat.,  t.  11,  col.  5o.  — 
3.  De  Prœscrip. ,  i3  ;  ibid.t  col.  26.  —  4.  Const.  Apost.,  VI,  xi; 
tPatr.  gr.,  t.  1,  col.  g36.  —  5.  Catéchèse  xvm,  3a  ;  Patr.  gr. 
t.  xxxiii,  col.  io54.  —  6.  Ancorat,  118;  Patr.  gr.,  t.  xliii, 
col.  2Z2. 


DU    SYMBOLE    DES    APOTRES  g 5 


mais   seulement  dans  le  cœur  des  chrétiens,  nous 
vient  des  Apôtres  (i).  » 

En  Gaule,  saint  Hilaire  de  Poitiers  félicite  les  évo- 
ques, ses  collègues,  d'avoir  conservé  la  foi  parfaite 
et  apostolique,  apprise  au  baptême,  et  de  n'avoir  pas 
eu  besoin  des  formules  écrites  que  les  périls  de  la 
foi  ont  rendues  nécessaires  dans  d'autres  églises  (2). 

En  Espagne,  l'hérétique  Priscillien  convient  que 
le  Christ  a  enseigné  le  symbole  aux  Apôtres  pour 
confondre  l'erreur  des  Ebionites  (3).  En  Dacie, 
Nicétas  de  Rémésiana  rapporte  également  la  profes- 
sion de  foi  baptismale  à  la  tradition  des  Apôtres  (4). 
En  Afrique,  saint  Fulgence  de  Ruspe  dit  clairement 
que  le  symbole  est  d'origine  apostolique  (5).  Vigile 
de  Tapse  admet  que  l'Eglise  de  Rome  a  reçu  son 
symbole  baptismal  des  Apôtres  eux-mêmes  (6). 

D'après  cet  ensemble  de  témoignages,  on  voit 
que  le  symbole,  soit  dans  sa  forme  originelle,  soit 
dans  la  formule  romaine  ou  dans  d'autres  appa- 
rentées, a  été  regardé  comme  provenant  des  Apô- 
tres, au  moins  dans  un  sens  large. 

Mais  il  y  a  plus  encore.  La  rédaction  elle-même 
de  la  formule  du  symbole  a  été  longtemps  attribuée 
aux  Apôtres. 

Déjà,  à  la  fin  du  ive  siècle,  saint  Ambroise  disait 
aux  fidèles  de  Milan  :  «  Les  douze  Apôtres,  comme 
des  ouvriers  habiles,  s'entendirent  pour  fabriquer 
la  clef.  J'appelle  clef  ce  symbole  qui  ouvre  les 
ténèbres  du  démon  pour  que  la  lumière  du  Christ  y 

1.  Contra  Joan.  Hieros.,  28  ;  Pair,  lat.,  t.  xxm,  col.  936.  — 
a.  De  symbolo,  63  ;  Pair,  lat.,  t.  x.  col.  523.  —  3.  Tract,  ni, 
édit.,  Schepss,  Vienne,  1889,  p.  49-  —  4-  De  Spirit.  Sanc.  poten- 
tia,  18  ;  Explanalio  symboll,  8  ;  Pair,  lat.,  t.  xlii,  col.  862,  870. 
- —  5.  Conl.  Fabianum,  fragmenta,  36  ;  Pair,  lat.,  t.  lxv,  col. 
822,  823.  —  6.  Contr.  Eutych.  iv,  1  ;  Pair,  lat.,  t.  lxii,  col.  119, 


96  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pénètre  (1).  »  Beaucoup  plus  explicitement  encore, 
Ruffin  d'Aquilée  écrivait  dans  son  Commentaire  du 
symbole  :  «  Nos  anciens  rapportent  qu'après  l'as- 
cension du  Seigneur,  lorsque  le  Saint-Esprit  se  fut 
reposé  sur  chacun  des  Apôtres  sous  forme  de  lan- 
gue de  feu  afin  qu'ils  pussent  se  faire  entendre  en 
toute  langue,  ils  reçurent  du  Seigneur  l'ordre  de  se 
séparer  et  d'aller  dans  toutes  les  nations  pour 
prêcher  la  parole  de  Dieu.  Avant  de  se  quitter,  ils 
établirent  en  commun  une  règle  de  la  prédication 
qu'ils  devaient  faire,  afin  que,  une  fois  séparés,  ils 
ne  fassent  pas  exposés  à  enseigner  urte  doctrine 
différente  à  ceux  qu'ils  attiraient  à  la  foi  du 
Christ.  Etant  donc  tous  réunis  et  remplis  de 
l'Esprit-Saint,  ils  composèrent  ce  bref  résumé  de 
leur  future  prédication,  mettant  en  commun  ce  que 
chacun  pensait,  et  décidant  que  telle  devra  être  la 
règle  à  donner  aux  croyants.  Pour  de  multiples  et 
très  justes  raisons,  ils  voulurent  que  cette  règle 
s'appelât  symbole  (2).  » 

Ruffîn  appliquait  cette  tradition  au  symbole  ro- 
main, bien  qu'elle  n'eût  ni  un  témoin  romain  ni 
une  attache  romaine.  Il  l'avait  empruntée,  en  effet, 
soit  aux  Constitutions  apostoliques  (3),  soit  à  la  Didas- 
calie  des  Apôtres  (4),  d'origine  syrienne,  c'est-à- 
dire  à  la  littérature  pseudo-apostolique  du  111e  siècle. 

Or  «  cette  croyance  à  la  rédaction  du  symbole  par 
les  Apôtres  s'est  perpétuée  et  popularisée.  Elle  a  été 
admise,  au  ve  siècle,  par  Saint  Maxime  de  Turin  (5), 
par  Gassien  (6),   et  par  Fauste  de  Riez  (7)  ;  au  vu* 

1.  Sermo  xxxm,  6;  Pair,  lat.,  t.  xvn,  col.  671.  —  2.  Comm. 
in  symb.,  2  ;  Pair,  lat.,  t.  xxi,  col.  337.  —  3.  VI,  xiv  ;  Pair, 
gr.,  t.  1,  col.  9^5.  —  4-  Edit.  Nau,  Paris,  1902,  p.  i34-i4a.  — » 
5.  Homil.  lxxxiii  ;  Pair,  lai.,  t.  lvii,  col.  433.  —  6.  De  incar- 
nai., vi,  3  ;  Pair,  lat.,  t.  iv,  col.  147-149.  —  7.  De  symbolo, 
Bibliolh.  PaLrum,  Lyon,  t.  vi,  p.  627. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  97 

par  saint  Isidore  de  Séville  (i),  et  par  saint  Ildefonse 
de  Tolède  (2)  ;  et  au  vme,  par  Etherius  et  Beatus  (3). 
On  précisa  même  les  données  premières  :  chaque 
apôtre  devint  l'auteur  d'un  des  douze  articles.  Le 
représentant  le  plus  ancien  de  cette  évolution  est  le 
Sermo  ccxl,  du  pseudo-Augustin  (4),  ou  encore  le 
Sermo  ccxli  (5),  et  le  Sermo  de  symbolo.  On  la 
retrouve  dans  saint  Pirmin  (6).  » 

Alcuin  et  Raban  Maur  l'admettent  dans  son  pre- 
mier état,  au  vin0  et  ixe  siècle.  Saint  Thomas  (7)  y 
attache  peu  d'importance.  Mais  saint  Bonaventure 
admet  la  rédaction  des  articles  par  chacun  des 
Apôtres,  pris  séparément  (8).  Suarez  (9)  rapporte 
les  deux  explications. 

Cette  forme  d'attribution  apostolique  du  symbole 
a  même  été  introduite  dans  le  Catéchisme  romain  (10), 
Mais  l'Eglise  ne  l'a  reconnue  par  aucun  acte  officiel. 
Le  catéchisme  romain  ne  fit  «donc,  remarque  Dom 
Baumer  (11),  qu'adopter  un  sentiment  qui  est  celui 
de  beaucoup  de  Pères.  En  i52Q,  la  Sorbonne  cen- 
sura Erasme  pour  avoir  dit  qu'il  ignorait  si  le  sym- 
bole était  de  tradition  apostolique  ;  elle  admettait 
donc  le  sentiment  déjà  connu  (12).  Mais  les  critiques 
catholiques  les  plus  orthodoxes,  dit  avec  rai- 
son Vacant  (i3),  n'hésitent  pas  à  la  qualifier  de 
légende  (i4). 

1.  De  offic.  eccl.,  n,  23  ;  Pair,  lat.,  t.  lxxxiii,  col.  8i5-8i6. 
—  2.  De  cognit.  bapt.,  32  ;  Patr.  lat.,  t.  xevi,  col.  126.  — 
3.  Biblioth.  Patrum,  Lyon,  t.  xm,  p.  35g.  —  4-  Pair,  lat.,  t. 
xxxix,  col.  2189.  —  5.  Ibid.,  col.  2190.  —  6.  Scarapsus  ; 
Patr.  lat.,  t.  lxxxix,  col.  io34.  —  7.  Comm.  des  Sentences,  III, 
Dist.  xxv,  a.  1,  ad  iv.  —  8.  Comm.  des  Sentences,  III,  Dist.  xxv, 
a.  1,  ad  iv.  —  9.  De  fide,  Disput.  II,  v,  3.  —  10.  ire  Partie,  In- 
trod.,  xxvii-xxviii.  —  11.  Das  apostolische  Glaubensbekenntnis, 
Mayence,  1893,  p.  26.  —  12.  D'Argentré,  Collect.  judiciorum, 
Paris,  1728,  t.  11,  p.  60.  —  i3.  Dictionnaire  de  Théologie,  t.  1, 
p.  1679.  —  i4-  Cf.  Baumer,  Vacandard,  Fouard,  loc.  cit. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  7 


9 8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Mais  il  y  a  loin  de  là  à  prétendre  que  le  symbole 
ne  provient  d'aucune  façon  des  Apôtres.  C'est  au 
xv°  siècle  que  commença  la  discussion  quand  on 
tenta,  au  concile  de  Florence,  d'unir  l'Eglise  latine 
et  l'Eglise  grecque.  «  Dès  le  début  des  négociations, 
en  i438,  pendant  que  les  Pères  siégeaient  encore  à 
Ferrare,  comme  les  latins  invoquaient  l'autorité  du 
symbole  des  Apôtres,  les  théologiens  grecs,  notam- 
ment Marcos  Eugenicos,  archevêque  d'Ephèse, 
s'étonnèrent  de  cette  référence  et  dirent  :  «  Pour 
nous,  nous  n'avons  pas  et  nous  ne  connaissons  pas 
de  symbole  des  Apôtres.  »  Cette  déclaration  fut  un 
coup  de  surprise.  Tombée  dans  le  domaine  public, 
elle  fut  recueillie  et  exploitée  par  le  fameux  scepti- 
que Laurent  Valla,  qui  écrivit  un  libelle,  d'ailleurs 
dépourvu  de  science  et  de  critique,  contre  l'origine 
apostolique  du  Credo  latin  (i).  »  C'était  en  i444. 
L'éveque  de  Chichester,  Reginald  Peacock,  marcha 
sur  les  traces  de  Valla,  en  1/400.  Jacques  Usher  inau- 
gura, en  16/47,  la  critique  historique  du  sujet.  Elle  a 
été  poussée  aussi  loin  que  posible  au  xixe  siècle. 
«  Des  principaux  faits  précédemment  exposés,  il 
résulte  que,  la  légende  de  la  rédaction  du  symbole 
par  les  douze  apôtres  écartée,  l'ancienne  tradition 
ecclésiastique  a  justement  rapporté  aux  apôtres  les 
parties  essentielles  du  symbole  qui  porte  leur 
nom  (2).  » 

4°  Autorité  du  Symbole  des  Apôtres 

Quelle  autorité  faut-il  donc  reconnaître  au  sym- 
bole ? 

1.  Vacandard,  loc.  cit.,  p.  32C)-33o.  —  2.  Vacant,  Dict.  de 
ThéoL,  p.  1679  !  Cf.  Mazella,  De  virtutibus  infusis,  Rome.  1879, 
p.  323-324. 


DU    SYMBOLE    DES    APOTRES  Ç)$ 

Une  très  grande  autorité.  Car,  tout  d'abord. 
«  l'autorité  de  la  profession  de  foi  trinitaire  dans  la 
rite  du  baptême,  profession  qui  a  servi  de  cadre  et 
de  noyau  au  symbole  et  qui  en  contenait  les  élé- 
ments essentiels,  résulte  de  ce  qu'elle  vient  des 
apôtres  et  qu'elle  leur  est  attribuée  par  la  tradition 
ecclésiastique.  Toutefois,  comme  la  formule  n'en 
était  pas  stéréotypée  à  l'origine  et  comme  les  apôtres 
ne  l'avaient  pas  écrite,  il  est  inexact  de  dire  que  si 
le  Credo  baptismal  est  l'œuvre  des  apôtres  eux- 
mêmes,  il  faut  le  considérer  comme  «  inspiré  »  et 
le  mettre  sur  le  même  rang  que  l'Ecriture  canoni- 
que (i).  Suarez  (2)  a  justement  observé  que,  suivant 
la  doctrine  des  Pères,  le  symbole  n'a  pas  été  écrit, 
mais  seulement  présenté  par  les  apôtres  aux  fidèles 
pour  être  appris  de  mémoire.  Eût-il  même  été  rédigé 
par  écrit  par  les  apôtres  qu'il  ne  serait  pas  pour  cela 
inspiré,  puisque  l'Eglise  ne  l'a  pas  placé  au  rang 
des  Ecritures  sacrées  et  puisque,  d'autre  part,  si  les 
apôtres,  clans  le  ministère  de  leur  prédication, 
jouissaient  de  l'infaillibilité,  ils  n'avaient  pas  néces- 
sairement, en  tout  ce  qu'ils  écrivaient,  le  don  de 
l'inspiration  (3).  Mais  si  la  profession  de  foi  baptis- 
male, que  les  apôtres  ont  instituée,  n'est  pas  ins- 
pirée, elle  est  une  de  ces  traditions  apostoliques 
que,  d'après  le  concile  de  Trente,  session  iv,  l'Eglise 
reçoit  et  vénère  avec  la  même  piété  et  le  même  res- 
pect que  les  Saintes  Ecritures.  » 

«  Quant  au  symbole  romain  sous  ses  différentes 
formes  (et  par  suite  le  symbole  actuel),  ce  n'est  pas 
seulement  un  témoignage  historique  ancien,  pré- 
cieux, vénérable,  de  la  foi   catholique  ;  c'est  une 

1.  Dom  Ghamard,  Les  origines  du  symbole  des  Apôtres,  dans 
Revue  des  Questions  hist.,  1901,  p.  34i-343.  —  2.  De  fide,  Disp. 
II,  v,  4-  —  3.  Franzelin,  De  dïvina  traditione,  3e  cdit.,  Piome,. 
1882,  p.  372-378. 


IOO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

règle  de  foi,  imposée  par  l'Eglise  aux  néophytes 
dans  la  dispensation  solennelle  du  sacrement  de 
baptême.  Les  protestants,  qui  veulent  s'en  tenir 
strictement  à  la  doctrine  évangélique,  peuvent  bien 
chercher  à  démontrer  que  le  symbole  dit  des  Apô- 
tres est  plus  complet  que  la  foi  de  l'Evangile  et  ne 
s'impose  pas,  dans  son  entier,  à  l'adhésion  des  chré- 
tiens. Les  catholiques  n'ont  pas  le  droit  de  contes- 
ter son  autorité  dogmatique.  Quelles  que  soient  sa 
date  et  les  phases  diverses  de  son  histoire,  l'Eglise 
catholique  l'emploie  depuis  des  siècles  dans  sa  litur- 
gie et  son  enseignement  catéch'é tique.  Elle  le  consi- 
dère donc  et  elle  l'impose  comme  un  document  de 
sa  foi  officielle  (i).  Bien  qu'il  ne  soit  pas,  dans  sa 
teneur  actuelle,  un  document  synodal  et  théologi- 
que, ce  monument  liturgique  et  catéchétique  est 
l'expression  infaillible  de  l'enseignement  quotidien 
de  l'Eglise  ;  c'est  un  organe  de  son  magistère  exprès, 
et  tous  les  points  de  doctrine  qui  y  sont  affirmés 
s'imposent  comme  de  foi  catholique  et  par  consé- 
quent sous  peine  d'hérésie  (2).  » 

Non  seulement  l'Eglise  invoque  le  symbole  des 
Apôtres  comme  une  règle  de  foi  imprescriptible  à 
opposer  aux  hérétiques  et  l'impose  comme  une 
profession  de  foi  absolument  requise  pour  quiconque 
sollicite  la  grâce  du  baptême,  ainsi  que  nous  le 
verrons  plus  en  détail  dans  la  suite,  mais  encore  elle 
Fa  inséré  dans  la  prière  officielle  qu'elle  exige  de  la 
part  de  ses  ministres.  Le  symbole  apostolique,  en 
effet,  a  sa  place  marquée  dans  l'office  divin  ;  et 
notamment  il  se  trouve  au  commencement  de 
Matines  et  de  Prime,  ainsi  qu'à  la  fin  de  la  récitation 
du  Bréviaire. 

1.  S.  Thomas,  Sam.  theol.,  na  11* ,  Q.  1,  a.  ix.  —  2.  Vacant, 
Eludes  théologiques.  La  Constitution  Dei  Filius,  Paris,  1895,  t.  11, 
p.  112  ;  Diction,  de  Théologie»  1. 1,  p.  1680. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  101 

Le  simple  chrétien  est  obligé  de  savoir  le  symbole 
des  Apôtres,  et  il  doit  le  réciter  souvent  avec  foi  et 
piété. 

On  ne  peut  être  admis,  en  effet,  au  baptême 
que  sur  une  attestation  formelle  qu'on  sait  par 
cœur  le  symbole  des  Apôtres  et  qu'on  adhère 
fermement  aux  vérités  qu'il  contient.  C'est  le 
cas  pour  les  adultes  ;  quant  aux  enfants  que 
l'on  présente  aux  fonts  baptismaux,  nous  ver- 
rons plus  tard  que  la  récitation  du  symbole  ou 
profession  de  foi  baptismale  incombe  aux  par- 
rains et  marraines,  qui  se  portent  garants  pour 
leurs  filleuls. 

Savoir  par  cœur  le  symbole  ne  suffît  pas,  il  faut 
encore  le  réciter  fréquemment  comme  une  pro- 
testation de  fidélité,  comme  un  renouvellement 
de  la  profession  faite  au  baptême,  comme  un  acte 
de  foi.  Il  constitue  ainsi,  dans  sa  formule  vénérée 
et  tant  de  fois  séculaire,  l'un  des  éléments  princi- 
paux de  la  prière  chrétienne.  Il  doit  donc  se  réciter 
avec  piété,  matin  et  soir,  au  début  et  à  la  fin  de  la 
journée. 

Les  Pères  de  l'Eglise  avaient  soin  d'en  recom- 
mander la  récitation  fréquente.  «  Chaque  jour, 
écrivait  saint  Ambroise  dans  son  livre  de  la  Virginité, 
nous  devons  très  particulièrement  réciter  le  symbole 
avant  l'heure  de  la  lumière  :  un  soldat  ne  va  jamais 
sans  porter  sur  lui  son  engagement  militaire,  soit 
dans  le  repos  sous  la  tente,  soit  dans  Faction  sur  le 
champ  de  bataille  (i).  »  Et  saint  Augustin,  s'adres- 
sant  aux  compétents,  leur  disait  :  «  Dès  que  vous 
saurez  le  symbole,  récitez-le  chaque  jour  pour  ne 
pas  l'oublier.  A  votre  lever,  au  moment  de  prendre 
le  repos,  récitez  votre  symbole,  récitez-le  au  Sei- 

i.  De  virginitate,  III,  rv,  20  ;  Pair,  lat.,  t.  xvi,  col.  225. 


102  LE    CATECHISME    ROMAIN 

gneur,  ne  vous  lassez  pas  de  le  redire  :  la  répétition 
en  est  bonne,  elle  empêche  l'oubli.  Ne  dites  pas  :  Je 
i'ai  dit  hier,  je  l'ai  dit  aujourd'hui,  je  le  dis  chaque 
jour,  je  le  skis  fort  bien.  Rappelez-vous  votre  foi  ; 
regardez-vous  :  que  le  symbole  vous  serve  de  mi- 
roir. Et  là  constatez  si  vous  croyez  réellement  tout 
ce  que  vous  faites  professsion  de  croire,  et  chaque 
jour  réjouissez-vous  dans  votre  foi.  Que  ce  soit  là 
votre  richesse  et  comme  un  vêtement  dont  vous 
revêtiez  chaque  jour  votre  âme.  Dès  que  vous  vous 
levez  ne  vous  habillez-vous  pas  ;  de  même,  en  réci- 
tant le  symbole,  revêtez  votre  .âme...  Ainsi  serons- 
nous  revêtus  de  notre  foi  ;  et  notre  foi  est  en  même 
temps  un  habit  et  un  bouclier  :  un  habit  pour  nous 
garantir  de  la  confusion  ;  un  bouclier  contre  l'ad- 
versité. Et  lorsque  nous  serons  parvenus  là  où  nous 
devons  régner,  il  ne  sera  plus  nécessaire  de  répéter 
le  symbole  :  nous  verrons  Dieu  ;  Dieu  sera  notre 
vision,  et  la  vision  de  Dieu  sera  la  récompense  de 
cette  foi  (i).  » 

Mais  savoir  le  symbole  et  le  réciter  fréquemment 
ne  suffisent  pas  :  il  faut  encore  le  comprendre.  Voilà 
pourquoi  les  Pères  de  la  primitive  église,  et  depuis 
l'époque  patristique  jusqu'à  nos  jours,  les  évêques 
et  les  curés  n'ont  cessé  d'expliquer  le  symbole  soit 
aux  catéchumènes,  soit  aux  enfants  baptisés,  pour 
leur  donner  l'intelligence  de  cette  règle  de  foi.  Et 
c'est  là,  justement,  ce  qui  va  faire  l'objet  de  toutes 
les  leçons  de  la  première  partie  de  ce  Catéchisme, 
celle  où  vont  passer  successivement  sous  nos  yeux 
tous  les  articles  du  symbole  des  Apôtres. 

i.  Sermo  lviii,  i3. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  103 


5°  Division  et  contenu  du  Symbole 

Le  symbole  se  divise  en  articles.  Or  ce  mot  article, 
dit  saint  Thomas,  semble  dérivé  d'un  mot  grec 
apôpov,  qui  répond  au  mot  latin  articulas,  et  signifie 
liaison  de  parties  distinctes.  C'est  pour  cela  qu'on 
appelle  articulations  les  diverses  parties  du  corps, 
qui  en  forment  les  membres  en  s'ajoutant  les  unes 
aux  autres.  Ainsi  les  choses  qui  appartiennent  à  la 
foi  chrétienne  sont  divisées  par  articles,  dans  ce  sens 
qu'elles  se  divisent  en  certaines  parties  se  liant  les 
unes  aux  autres.  Chaque  vérité  a  son  article  parti- 
culier. Et  cette  liaison  réciproque  des  articles  du 
symbole,  l'ordre  qu'ils  ont  entre  eux,  expliquent 
comment  la  foi  demeure  toujours  une  dans  la 
division  et  la  multiplicité  des  articles  qu  elle  em- 
brasse (i). 

Or,  ajoute  saint  Thomas,  ces  divers  articles  sont 
très  convenablement  disposés  dans  le  symbole.  La 
foi,  en  effet,  n'embrasse,  comme  étant  son  objet 
propre,  que  les  choses  dont  nous  aurons  la  vision 
dans  la  vie  éternelle,  et  celles  qui  nous  y  conduisent. 
Or  deux  choses  doivent  faire  l'objet  de  cette  vision  : 
ce  qu'il  y  a  de  caché  dans  la  divinité,  et  c'est  en  cela 
que  consiste  la  béatitude  ;  et  le  mystère  de  l'huma- 
nité du  Christ,  par  qui  nous  pouvons  être  introduits 
dans  la  gloire  des  enfants  de  Dieu.  De  là  ces  paroles 
de  Notre  Seigneur  :  «  La  vie  éternelle  consiste  à 
vous  connaître,  vous,  le  vrai  Dieu,  et  celui  que  vous 
avez  envoyé,  Jésus-Christ  (2).  »  Les  vérités  de  la  foi 
offrent  donc  d'abord  cette  distinction,  que  les  unes 
se  rapportent  à  la  majesté  divine,  les  autres  aux 
mystères    de   l'humanité    du  Christ.    Touchant  la 

1.  Sum,  IheoL,  na  ii» ,  Q.  1,  a.  6.  — -  2.  Joan.,  xvu,  3. 


I04  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


majesté  divine,  la  foi  nous  offre  trois  vérités  à 
croire  :  d'abord  son  unité,  et  c'est  L'objet  du  premier 
article  ;  ensuite  la  Trinité,  qui  fait  l'objet  des  trois 
articles  consacrés  aux  trois  personnes  divines  ;  enfin 
les  ouvrages  attribués  à  la  divinité,  dont  le  premier 
se  rapporte  à  l'état  de  nature,  et  de  là  l'article  de  la 
création  ;  le  second,  à  l'état  de  grâce,  et  de  là  un  seul 
article  pour  tout  ce  qui  se  rattache  à  la  sanctification 
des  hommes  ;  le  troisième,  à  l'état  de  gloire,  et  de  là 
un  autre  article  pour  la  résurrection  de  la  chair  et  la 
vie  éternelle  :  ce  qui  fait  sept  articles  se  rapportant  à 
la  divinité.  Il  y  a  également  sept  articles  touchant  à 
l'humanité  du  Christ  :  le  premier  se  rapporte  à  son 
incarnation  ou  à  sa  conception  ;  le  second,  à  sa 
naissance  de  la  Yierge  ;  le  troisième,  à  sa  passion,  à 
sa  mort  et  à  sa  sépulture  ;  le  quatrième,  à  sa  descente 
aux  enfers  ;  le  cinquième  à  sa  résurrection  ;  le 
sixième,  à  son  ascension  ;  le  septième,  à  sa  venue 
pour  le  jugement  :  ce  qui  fait  en  tout  quatorze 
articles.  Il  y  en  a  cependant  qui  n'en  distinguent 
que  douze,  dont  six  se  rapportent  à  la  divinité,  et 
six  à  l'humanité.  Ils  comprennent  en  un  seul  les 
trois  articles  sur  les  trois  personnes,  parce  que  la 
connaissance  des  trois  personnes  est  la  même. 
L'article  sur  l'état  glorieux,  ils  le  divisent  en  deux, 
savoir  :  la  résurrection  de  la  chair  et  la  gloire  de 
l'âme  ;  et  ils  ne  font  qu'un  seul  article  de  celui 
de  la  conception  et  de  celui  de  la  nativité  (i). 

Dans  cette  division  du  symbole,  le  nombre  des 
articles  a  varié.  C'est  ainsi  que  saint  Thomas, 
comme  nous  venons  de  le  voir,  en  compte  quatorze. 
Le  Docteur  Angélique  a  tenu  compte  ici  de  l'in- 
fluence du  Septénaire,  mis  en  vogue  depuis  le  xn* 
siècle  ;  mais  il  est  à  remarquer  qu'il  n'ignore  pas 

i.  S.  Thomas,  Sam.  Theol,  na  ii®,  Q.  i,  a.  8. 


DU    SYMBOLE    DES    APOTRES  105 

et  ne  blâme  pas  la  division  en  douze  articles.  Cette 
dernière  a  prévalu  depuis  longtemps  et  a  été  consa- 
crée par  l'autorité  qui  s'attache  au  Catéchisme  Romain  ; 
c'est  celle  à  laquelle  nous  nous  tiendrons,  telle  que 
nous  l'avons  indiquée  en  transcrivant  le  texte  du 
symbole. 

1.  Le  résumé  de  la  foi,  en  Palestine,  au  lende- 
main de  la  Pentecôte.  —  «  Jésus,  rédempteur  uni- 
versel !  Quel  merveilleux  résumé  de  la  foi,  et  qu'il  est 
beau  de  voir  dès  cette  première  heure  tous  les  éléments 
caractéristiques  de  notre  foi  adulte,  clairement  enfer- 
més dans  cette  brève  formule  !  Quelle  idée  du  Messie 
s'en  dégage  autrement  profonde  que  celle  qu'en  avaient 
les  contemporains  de  saint  Pierre  !  Les  juifs  attendaient 
un  Messie  plus  politique  que  religieux  et  plus  national 
qu'humain  ;  les  premiers  chrétiens  venus  du  Judaïsme  re- 
connaissent en  Jésus  le  Messie,  mais  combien  s'est  trans- 
formé pour  eux  le  concept  du, Messianisme  !  L'œuvre  mes- 
sianique de  Jésus,  c'est  l'affranchissement  qu'il  opère,  non 
d'un  esclavage  matériel,  mais  de  la  servitude  morale  du 
péché;  et  cette  œuvre,  précisément  parce  que  spirituelle, 
n'est  pas  circonscrite  à  un  peuple,  mais  de  plein  droit 
s'étend  à  tous,  même  aux  païens,  grâce  à  cette  formule, 
rappelés  à  la  conscience  d'eux-mêmes,  invités  à  se  recon- 
naître pécheurs  et  incapables  de  régénération  morale  sans 
un  secours  d'en  haut,  celui-là  même  que  Jésus  est  venu 
porter.  La  misère  morale  de  l'humanité,  le  besoin  d'une 
morale  et  divine  résurrection  des  esprits,  Jésus,  l'ouvrier 
de  cette  résurrection  morale,  et  le  médecin,  par  un  tel 
moyen  et  de  telle  manière,  de  cette  misère,  cette  suprême 
synthèse  de  Christianisme  que  nous  retrouvons  aujour- 
d'hui par  un  travail  de  réflexion  aiguë  sur  notre  Credo, 
se  trouve  dès  ce  moment  affirmée  avec  la  simplicité  de 
l'intuition.  »  Semeria,  Vinte  Cinque  anni  di  sloria  del 
Crestianesimo  nascente,  Rome,  1900,  p.  101-102  (1). 

1.  Cité  par  M.  Gondal,  Aux  temps  des  Apôtres,  Paris,  1904, 
p.  10. 


I06  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


2.  La    prédication    apostolique,   à  l'apparition 

des  hérésies.  —  a  A  la  foi  unanime  des  premiers  jours 
succédaient  le  trouble  et  le  partage.  Des  loups  rapaces 
fondaient  sur  les  pasteurs  et  ne  ménageaient  pas  le  trou- 
peau ;  des  hommes  s'élevaient,  proférant  des  discours  per- 
vers pour  attirer  des  disciples  après  eux(i).Plusencoreque 
la  doctrine  des  novateurs,  leur  parole  était  à  craindre,  elle 
'rongeait  comme  la  «  gangrène,   couvrant  sa  corruption 
sous  une   profane  nouveauté  de  mots  (2).  »  Pour  éviter 
ces  embûches  du   langage,   ces  expressions   incertaines, 
'équivoques,  convenant  à  l'erreur  comme  à  la  vérité   (3), 
il  fallait  se  munir  de  termes  exacts  et  consacrés.  La  pré- 
dication apostolique  n'avait  tendu  jusqu'alors   qu'à  faire 
connaître  et   aimer  Jésus  ;   l'heure  était  venue  de  la  res- 
serrer en  quelques  dogmes  essentiels,  que  tous  pourraient 
conserver  de  mémoire  et  opposer  à  l'hérésie.  Saint  Paul 
mita  cette  œuvre  la  vigueur,    qui  était  le  propre  de  son 
génie,  et  fonda  «  ce  dépôt  de  la  foi  »  qu'avant  de  mourir 
il  recommandait  si  instamment  à  Timothée  (4).  Timothée 
avait  donc  reçu  de  Paul,  outre  l'enseignement  commun 
dans  toute  son  étendue,  un  abrégé,   un  précis  de  la  foi. 
Pierre  fait  allusion  à  ce  formulaire  dans  l'une  de  ses  Epî- 
tres,  et  nous  apprend  en  même  temps  à  quel  usage  il  fut 
primitivement  destiné.    Parlant  des  hommes  sauvés  du 
déluge  grâce  à  l'eau  qui  les  portait  dans  l'arche  :    «  Cette 
même  eau,  ajoute-t-il  (5),  est  la  figure  du  baptême  qui 
nous  sauve  ;  or  le  baptême  ne  consiste  pas  dans  la  purifi- 
cation des  impuretés  de  la  chair,   mais  dans  Y  interroga- 
tion d'une  bonne  conscience  à  l'égard  de  Dieu.  »  De  quelle 
interrogation  parie  ici  l'apôtre?...  Le  Credo  de  la  liturgie 
baptismale  remonte  donc   aux  temps   apostoliques  ;  dès 
lors  quoi  de  plus  naturel  que  d'y  voir  Yinterrogationt 
dont  parle  saint  Pierre,  et  le  précis  recommandé  par  saint 
Paul.  Les  paroles  de  celui-ci  à  Timothée  ne  permettent 
guère  de  douter  qu'il  ait  eu  quelque  part  à  cet  abrégé  de 
la  foi.  De  préférence,  néanmoins,  nous  en  rapportons  le 
dessein  au  chef  des  Apôtres,  parce  que  sa  lettre,  écrite  de 

1.  Act.,  xx,  29,  3o.  —  2.  11  Tim.,  11,  17.  —  3. 1  Tim.,  vi,  20. 
,—  4.  n  Tim.,  1,  13.  —  5.  1  Pelr.,  m,  20-22. 


DU  SYMBOLE  DES  APOTRES  IO7 

Rome,  nous  fait  connaître  le  baptême  tel  qu'on  l'admi- 
nistrait sous  ses  yeux  et  par  ses  ordres  ;  c'est  donc  à  lui 
plus  qu'à  aucun  autre  qu'il  convient  d'attribuer  l'idée 
d'un  formulaire  de  croyances,  à  lui  comme  fondateur  de 
l'Eglise  romaine,  s'inspirant  des  coutumes  et  des  tradi- 
tions du  peuple  au  milieu  duquel  il  vivait.  »  Fouard 
Saint  Pierre,  3e  édit.,  Paris,  1893,  p.  285-288. 

3.  Le  Credo  de  l'âme  humaine.  —  «  Une  doctrine 
qui  possède  éternellement  l'humanité  doit  satisfaire  divi- 
nement l'humanité.  Mais  de  quelle  manière  les  dogmes  du 
Credo  sont-ils  harmoniques  à  l'âme  ?  Ils  ne  sont  pas 
naturels,  comme  nous  pourrions  l'imaginer.  C'est  leur 
étrangeté,  leur  impénétrabilité  mystérieuse  qui  est 
naturelle.  Elle  trouve  en  nous  je  ne  sais  quelle  impéné- 
trabilité mystérieuse  aussi,  quelle  étrangeté  qui  lui 
ressemble,  qui  est  de  même  ordre  et  qui  fait  que  l'une  ne 
peut  pas  voir  l'autre  sans  tressaillir. 

Allons  au  fond.  Qu'est-ce  que  le  Credo  ?  C'est  en  douze 
articles  l'exposé  de  la  personnalité  incompréhensible,  de 
la  vie  mystérieuse  de  Dieu.  Or  nous  sommes  faits  à  son 
image  et  à  sa  ressemblance.  Par  conséquent  les  mystères 
de  Dieu  sont  en  nous,  guère  plus  pénétrables  en  nous 
qu'en  lui,  quoi  qu'il  y  ait  en  nous  l'infini  de  moins.  De 
fait  nous  sommes  une  trinité,  les  philosophes  même  en 
conviennent.  Nous  sommes  une  incarnation.  Nous  som- 
mes une  paternité  qui  crée  et  qui  engendre  à  son  image. 
Après  avoir  créé,  nous  devenons  une  providence.  Quand 
la  femme  devient  mère,  pendant  un  an  ou  deux  elle  est 
une  eucharistie.  Pères  et  mères,  nous  sommes  une 
rédemption,  une  passion,  une  solidarité  dans  la  chute, 
une  résurrection,  une  vie  éternelle.  Afin  que  nous  ne 
puissions  pas  le  nier,  Dieu  a  écrit  le  Credo  dans  nos 
entrailles.  Nous  ne  le  voyons  pas  avec  la  raison  ;  nous  le 
sentons.  Ce  Credo  humain,  qui  est  nous,  ne  peut  être  mis 
en  présence  du  Credo  divin,  qui  est  Dieu,  sans  tressaillir, 
comme  la  copie  devant  l'image. 

Yoilà  pourquoi,  à  moins  d'un  mystère  de  perversion, 
^incrédulité  n'est  qu'affaire  de  jeunesse.  A  cet  âge,  on 


I08  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


n'est  encore  qu'une  trinité  et  une  incarnation  ;  dogmes 
froids,  parce  qu'ils  ne  regardent  que  nous.  Mais  avec  la 
paternité  tous  les  mystères,  brûlants  ou  poignants,  com- 
mencent :  la  création,  la  chute,  la  rédemption,  l'eucha- 
ristie. Le  Credo  s'incarne  dans  notre  chair.  Il  devient 
palpable.  Tout  s'illumine  d'une  lumière  qui  ne  vient  ni 
de  l'esprit  ni  de  la  raison,  facultés  auxquelles  on  résiste, 
mais  qui  monte  du  cœur  et  des  entrailles.  Voyez  cette 
mère  qui  entre  dans  l'église,  son  entant  sur  son  bras.  Un 
jeune  homme  peut  sourire  en  passant  devant  la  croix,  le 
tabernacle.  Elle  non.  Elle  regarde  la  croix  et  se  dit  : 
«  Qu'y  a-t-il  de  si  étrange  ?  Est-ce  que  je  n'en  fais  pas 
tout  autant.  Je  nourris  mon  enfant  de  mon  lait,  et  si, 
pour  l'arracher  à  la  mort,  il  fallait  le  nourrir  de  mon 
sang,  me  laisser  souffleter,  battre  de  verges,  est-ce  que 
j'hésiterais  une  minute  ?  »  Voilà  où  est  le  Credo  et  pour- 
quoi il  est  invincible.  Dieu  l'a  caché  dans  les  replis  les 
plus  intimes  de  la  nature  humaine.  Il  l'a  tellement  iden- 
tifié avec  l'âme,  qu'il  faut  se  nier  soi-même,  ou  du  moins 
s'oublier,  pour  ne  pas  croire  (i)  !  » 

i.  Bougaud,  Le  Christianisme  et  les  temps  présents,  2e  édiL, 
Paris,  1878,  t.  ni,  p.  a3-25. 


Leçon  IIe 
Autres  Symboles 


I.  Le  Symbole  de  Nicèe-Constantinople  :  1°  Son 
origine.  —  2°  Son  texte.  —  3°  Son  usage.  — 
4°  Son  autorité.  —  IL  Le  Symbole  de  Saint- 
Athanase  :  1°  Son  texte.  —  2°  Son  origine.  — 
3°  Son  importance  (1). 

I.  Symbole 
de  Nicée-Constantinople 


1°  Son 


Origine 


Outre  le  symbole  des  Apôtres,  l'Eglise  compte 
encore  le  symbole  de  Nicée-Constantinople 
et  celui  qui  est  dit  de  saint  Athanase. 
Le  symbole  de  Nicée-Constantinople  n'est  autre 


i.  BIBLIOGRAPHIE  :  G.  Vossius,  De  tribus  symbolis,  iG/ia  ; 
Harvcy,  The  history  and  theology  of  the  tkree  creeds,  Londres, 
i854  ;  Swainson,  The  literary  history  of\the  nicene  and  apostles 
creed,  and  that  commonly  called  the  creed  of  saint  Athanasias, 
Londres,  1875  ;  Lumby,  History  of  the  creeds,  3eédit.,  Londres, 
1887  ;  Hurtley,  History  oj  the  earlier  jormularies  of  jaith,  Ox- 
ford, 1892  ;  Hort,  Two  dissertations  on  the  constantinopolitan 
creed;  Funk,  article  Symbole  dans  la  Realencyklopddie,  Fribourg- 
en-Brisgau,  t.  11,  p.  809  sq;  Harnack,  Doymengeschichte,  3e  cdit., 


110  LE    CATECHISME    ROMAIN 

que  celui  qui  fut  d'abord  sommairement  formulé 
contre  Arius,  au  premier  concile  général  de  Nicée, 
en  325,  et  complété  contre  Macédonius,  au  se  ond 
concile  général  de  Gonstantinople,  en  38i.  Univer- 
sellement adopté  par  l'Eglise  d'Orient,  il  fut  peu  à 
peu  introduit  en  Occident  et  accepté  par  l'Eglise 
romaine  avec  l'addition  caractéristique  du  Filio- 
que. 

C'est  une  formule  de  foi,  beaucoup  plus  explicite 
que  le  symbole  des  Apôtres  sur  la  divinité  du  Verbe 
et  du  Saint-Esprit,  sur  la  procession  de  la  troisième 
personne  de  la  Sainte-Trinité,  provoquée,  au  iv°  siè- 
cle, par  la  double  erreur  d' Arius  et  de  Macédonius, 
ainsi  que  nous  l'établirons  plus  en  détail  dans  la 
suite.  Le  lybien  Arius,  en  effet,  devenu  prêtre 
d'Alexandrie  et  placé  à  la  tête  de  l'église  de  Ban- 
cale, s'était  imbu  des  enseignements  erronés  de 
Lucien  d'Antioche  et  en  était  venu  à  soutenir  que, 
si  le  Père  a  engendré  le  Fils,  Têtre  du  Fils  a  eu  un 
commencement.  Il  fut  donc  un  temps  où  le  Fils 


Leipzig,  1893,  et  article  Konstanlinopolilanisches  Symbol  dans  la 
Realencyklopàdie  fur  protestant  Théologie,  2e  édit.,  Leipzig, 
t.  vin,  p.  212  sq  ;  Gwatkin,  The  arian controversy ,  4e  édit.,  Lon- 
dres, 1898.  Quesnel,  De  symbolo  athanaslano,  1676  ;  Antel- 
mius,  Adouci  de  symbolo  athanasiano  dlsqulsiiio,  1093  ;  Muratori, 
De  auclore  symboli  Quicumque,  dans  les  Anecdota  lalina,  1698  ; 
Waterland,  Critican  hislory  of  the  athanasian  creed,  Cambridge, 
1724  ;  Brewer,  The  athanasian  creed  vindicated,  Londres,  187 1  ; 
Ominaney,  Hislory  oj  the  athanasian  creed,  Londres,  1875  ;  The 
eariy  hislory  of  the  athanasian  creed,  Londres,  1880  ;  Burn, 
The  athanasian  creed,  Cambridge,  1896  ;  Dom  Morin,  Les  ori- 
gines du  symbole  Quicumque,  dans  la  Science  catholique,  juillet 
1891,  et  le  Symbole  de  saint  Athanase  et  son  premier  témoin 
saint  Césaire  d'Arles,  dans  la  Revue  bénédictine,  octobre  1901, 
t.  xvm,  p.  338-363  ;  Tixcront,  article  Symbole  de  saint  Atha- 
nase, dans  le  Dictionnaire  de  Théologie,  t.  1,  col.  2178-2187; 
Lejay,  Le  rôle  théologique  de  saint  Césaire  d'Arles,  dans  la  Revue 
d'histoire  et  de  littérature  religieuse,  Paris,  1906,  t.  x,  p.  i5a  sq. 


SYMBOLE   DE    NIGEE-CONSTANTINOPLE  III 

n'était  pas  ;  il  a  été  tiré  du  néant.  C'était  assimiler 
Jésus-Christ  à  une  créature,  nier  sa  divinité,  intro- 
duire dans  le  mystère  de  la  Sainte-Trinité  une  no- 
tion fausse,  qui  entraînait  les  conséquences  les  plus 
fâcheuses,  touchant  l'incarnation  et  la  rédemption. 

Une  telle  doctrine  fut  jugée  avec  raison  contraire 
à  l'enseignement  traditionnel  et  dénoncée  par  l'évê- 
que  d'Alexandrie.  Le  concile  de  Nicée  la  condamna. 
Les  Pères  de  ce  concile,  en  effet,  résolurent  de  pros- 
crire certaines  expressions  erronées  ou  impies  et  de 
leur  opposer  une  formule  de  foi  nette  et  irrépréhen- 
sible (i).  Eusèbe  de  Césarée  proposa  le  symbole  de 
son  église  comme  de  nature  à  rallier  tous  les  suffra- 
ges ;  mais  la  majorité  de  l'Assemblée  eut  soin,  tout 
en  l'acceptant,  d'y  introduire  des  modifications, 
des  précisions  et  additions  significatives. 

Que  fallait-il  entendre  par  Fils  unique  de  Dieu  ? 
Une  simple  adoption  ?  —  Nullement,  mais  une  vraie 
génération,  qui  fait  du  Fils  de  Dieu  un  être  sembla- 
ble au  Père,  de  même  nature  et  de  même  substance 
que  lui.  De  là  la  rédaction  suivante  de  l'article 
relatif  au  Fils  :  «  Et  en  un  seul  Seigneur  Jésus- 
Christ,  Fils  de  Dieu,  né  unique  du  Père,  c'est-à-dire 
de  la  substance  du  Père,  Dieu  de  Dieu,  lumière  de 
lumière,  vrai  Dieu  de  vrai  Dieu,  engendre,  non 
créé,  consubstantiel  au  Père,  par  qui  tout  a  été  fait 
au  ciel  et  sur  la  terre.  » 

Après  cette  rédaction,  qui  était  la  condamnation 
formelle  de  l'hérésie  d'Arius,  et  pour  éviter  tout 
subterfuge,  toute  subtilité  d'interprétation,  toute 
équivoque,  les  Pères  rappellent  les  principales 
expressions  ariennes  et  les  déclarent  anathématisées 
par  l'Eglise  catholique  et  apostolique  :  «  Ceux  qui 
disent  :  a  II  fut  un  temps  où  il  n'était  pas,  »  et 

i.  S.  Athanase,  Epist.  adAfr.,  5  ;  Pat.  gr.,  t.  xxvi,  col.  io38. 


112  LE    CATECHISME    ROMAIN 


«  avant  de  naître  il  n'était  pas,  »  «  il  a  été  fait  de 
ce  qui  n'était  pas  ;  »  ceux  qui  prétendent  qu'il  est 
d'une  substance  ou  d'une  essence  différente,  ou 
qu'il  est  créé,1  ou  qu'il  est  susceptible  de  change- 
ment, l'Eglise  catholique  et  apostolique  les  anathé- 
matise  (i)  ». 

Ainsi  donc  le  concile  de  Nicée,  en  proclamant  le 
Fils  con substantiel  au  Père,  le  déclarait  vrai  Dieu, 
possédant  la  même  nature  que  le  Père,  en  vertu 
d'une  génération  réelle  et  non  métaphorique.  Mais 
le  terme  grec  b[j.ooûc:ioç,  consubstantiel,  employé  par 
le  concile  pour  exprimer  la  consubstantialité  du 
Père  et  du  Fils,  donna  lieu  pendant  tout  le  ive  siècle 
à  des  discussions  sans  fin  de  la  part  des  Ariens  et 
des  semi-ariens. 

Entre  temps,  la  divinité  du  Saint-Esprit  avait  été 
niée  ;  elle  dut  être  proclamée  un  dogme  de  foi  par 
un  nouveau  concile,  qui  se  rassembla  à  Constanti- 
nople  en  38i.  Ce  second  concile  général  commença 
par  ratifier  et  confirmer  ce  qui  avait  été  fait  à 
Nicée  (2).  «  La  profession  de  foi  des  trois  cent  dix 
huit  Pères,  réunis  à  Nicée  en  Bithynie,  est-il  dit  dans 
le  canon  ier,  ne  doit  pas  être  abrogée  ;  elle  doit  con- 
server toute  sa  force  ;  et  toute  hérésie  doit  être 
anathématisée.  » 

Mais  ce  concile  rédigea-t-il  une  formule  nouvelle 
de  foi,  un  symbole  nouveau,  et  précisément  celui 
qui  porte  son  nom  ?  La  question  est  débattue  entre 
les  érudits.  Pour  les  uns,  le  concile  de  Constanti- 
nople  n'aurait  simplement  que  confirmé  le  symbole 
que  saint  Epiphane  a  inséré  dans  son  Ancorat  (3),  et 
dont  il  se  servait  dans  l'administration  du  sacrement 


1.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  17,  18.  — 2.  S  ocrât  e,  Hist.  ecel.% 
V.  vin  ;  Pair,  gr.,  t.  lxvii,  col.  578  sq.  —  3.  Ancorat,  119; 
Pair.  gr.  t.  xliii,  col.  232. 


SYMBOLE    DE    NICEE-CONSTANTINOPLE 


n3 


de  baptême  (i).  Pour  les  autres,  ce  symbole  n'est 
pas  l'œuvre  du  concile  de  Gonstantinople  ;  il  ne  lui 
a  été  attribué  que  plus  tard  (2). 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  symbole  dit  de  Constanti- 
nople,  est  celui  qui,  après  la  défense  portée  par  les 
conciles  généraux  d'Ephèse,  en  43i ,  et  de  Chalcé- 
donie,  en  45i,  d'en  rédiger  de  nouveaux,  fut  adopté 
définitivement  par  tout  l'Orient,  à  la  suite  du  second 
et  troisième  conciles  de  Constantinople,  en  553  et 
680,  et  passa  dans  l'usage  liturgique.  Connu  et 
utilisé  dans  plusieurs  Eglises  d'Occident,  il  finit  par 
être  adopté  par  toute  l'Eglise  latine  avec  l'addition 
du  Filioque  :  c'est  le  symbole  qui  se  chante  actuel- 
lement à  la  messe. 

2°  Son  texte 

Nous  reproduisons,  en  face  l'une  de  l'autre,  les 
deux  formules,  pour  permettre  d'en  voir  les  ressem- 
blances et  les  différences. 


Formule  de  Nicée 


Credo  in  unum  Deum, 
Patrem  omnipotentem,  fac- 
torem  omnium  visibilium 
et  invisibilium  ; 


Formule 
de  Constantinople 

(Symbole  actuel) 

Credo  in  unum  Deum, 
Patrem  omnipotentem,  fac- 
torem  [cœli  et  terrae],  visi- 
bilium omnium  et  invisibi- 
lium : 


1.  Hefele,  Histoire  des  Conciles,  trad.  franc.,  t.  11,  p.  196-198  ; 
Kôlling,  Geschichte  der  arianischen  Hdresie,  Gutersloh,  i8S3, 
t.  11,  p.  5o4-5o7  ;  Funk,  Hist.  de  l'Eylise,  trad.  franc,  t.  1,  p. 
2i3,  et  art.  Symbole  dans  la  Realencyklopâdie,  Fibourg-en- 
Brisgau,  188G,  t.  11,  p.  809  sq. —  2.  Hort,  Two  Dissertations,  on 
the  constantinopolitan  creed,  p.  73  sq.;  Harnack,  Dogmenges- 
chichte,  3eédit.,  t.  11,  p.  2G5-266,  et  art.  Konstantinopolitanisches 
Symbol  dans  la  Realencyklopâdie  fur  protest.  Théologie,  20  édit., 
t.  vin,  p.  212  ;  Gwatkin,  The  arian  controversy,  4e  édit.,  Lon- 
dres, 1898,  p.  159-161. 


LH    CATECHISME.   —   T.   I. 


8 


n4 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


Et  in  unum  Dominum 
Jesum  Ghristum,  Filium 
Dei  unigenitum,  et  ex  Pâtre 
natum  [anteomnia  sœcula]  ; 
Deum  de  Deo,  lumen  de 
rumine,  Deum  verum  de 
Deo  vero,  genitum,  non 
factum,  consubstantialem 
Patri  ; 

Per    quem   omnia    facta 
sunt  ; 

Qui  propternos  hommes  et 
propteinostramsalutemdes- 
cendit  de  cœlis,  et  incarna  tu  s 
estfdeSpiritu  sancto  ex  Maria 
virgine],  et  homo  factus  est  ; 
[Grucifixus  etiam  pro  no- 
bis  sub  Pontio  Pilato],  pas- 
sus  [et  sepultus  est]  ; 

Et  resurrexit  tertia   die, 
[secundum  Scripturas]  ; 

Et  ascendit  in  cœlum, 
[sedet  ad  dexteram  Patris]  ; 
Et  iterum  venturus  est 
[cum  gloria]  judicare  vivos 
etmortuos  ;  cujus  regni  non 
erit  finis. 

Et  in  Spiritum  Sanctum. 
Dominum   et    vivificantem 
qui  ex  Pâtre   Filioque  pro- 
cédât ; 
Qui  cum  Pâtre  et  Filio  simul  adora tur  et  conglorifica- 
tur  ;  qui  locutus  est  per  Prophetas. 

[Et  in  unam,  sanctam,  catholicam  et  apostolicam  Ec- 
clesiam  ; 

Confiteor  unum  baptisma  in  remissionem  peccatorum. 
Et  exspecto  resurrectionem  mortuorum  ; 
Et  vitam  venturi  sœculi  (2).] 

1.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  17.  —  2.  Ibid.,  n.  47. 


Et  in  unum  Dominum 
Jesum  Ghristum,  Filium 
Dei,  unigenitum  a  Pâtre, 
id  est  ex  subslantia  Patris  ; 

Deum  de  Deo,  lumen  de 
lumine,  Deum  verum  de 
Deo  vero,  genitum,  non 
factum,  consubstantialem 
Patri  (ôuooucriov)  ; 

Per  quem  omnia  facta 
sunt  et  in  cœlo  et  in  terra  ; 

Qui  propter  nos  hommes 
et  propter  nostram  salutem 
descendit  de  cœlis,  incar- 
natus  est  et  homo  factus 
est  ; 

Pas  sus  : 


Et  resurrexit  tertia  die  ; 

Et  ascendit  in  cœlos  ; 

Et  iterum   venturus  est 
judicare  vivos  et  mortuos  ; 


Et    in    Spiritum    Sanc- 
tum (1). 


SYMBOLE    DE    NICEE-CONSTANTINOPLE  Il5 

Gomme  on  le  voit,  la  formule  de  Nicée  insisto 
surtout  sur  la  divinité  et  la  consubstantialité  du 
Fils,  niées  par  Arius,  et  se  trouve,  sur  ces  deux 
points,  beaucoup  plus  explicite  que  le  symbole  des 
apôtres  ;  mais  elle  est  incomplète,  puisqu'elle  laisse 
de  côté  la  fin  du  symbole  apostolique.  Elle  fait 
suivre,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  ses  articles 
de  la  condamnation  de  quelques  propositions 
ariennes  (i).  Or,  à  part  deux  expressions,  que  nous 
avons  soulignées,  l'une  explicative,  id  est  ex  subs- 
tantiel Patris,  l'autre  complétive,  et  in  cœlo  et  in 
terra,  elle  se  retrouve  tout  entière  dans  la  formule 
du  symbole  de  Constantinople. 

Quant  à  ce  dernier,  il  n'a  pas  fait  que  reproduire 
la  formule  de  Nicée,  il  a  ajouté  dans  la  partie 
commune  quelques  mots,  que  nous  avons  placés 
entre  crochets,  qui  servent  soit  à  expliquer,  soit  à 
préciser  certaines  vérités. 'Tels  sont,  par  exemple, 
factorem  cœli  et  terrse,  ante  omnia  ssecula,  de  Spiritu 
Sancto  ex  Maria  virgine,  crucifixus  etiam  sub  Pontio 
Pilato  et  sepultus  est,  secundum  Scripturas,  curn 
gloria.  Mais  les  additions  caractéristiques  sont  celles 
qui  concernent  le  Saint-Esprit,  et  qui  visent  l'héré- 
sie de  Macédonius. 

Le  symbole  de  Constantinople  affirme  que  le 
Saint-Esprit  e&t  Seigneur,  qu'il  vivifie,  qu'il  procède 
du  Père  (et  du  Fils),  qu'iï  est  adoré  et  glorifié  avec  le 
Père  et  le  Fils,  qu'il  a  parlé  par  les  Prophètes  ;  ce 
qui  revient  à  dire  que  le  Saint-Esprit,  comme  le  Fils, 
a  la  même  nature  que  le  Père,  qu'il  est  Dieu  au 
même  titre  et  partage  l'adoration  et  la  glorification 
qui  est  due  à  Dieu  ;  mais  qu'il  diffère  du  Fils  par 
sa  procession,  c'est-à-dire  par  le  mode  particulier 
dont  il   tient   l'être  du  Père   et  du  Fils.  Son  titre. 

i.  Ibid.,  n.  18. 


Il6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


d'inspirateur  des  prophètes   marque  le  rôle  qu'il  a 
joué  dans  l'Ancien  Testament. 

Ses  derniers  articles  rappellent  ceux  du  symbole 
des  apôtres,  a  quelques  différences  près.  L'Eglise  y 
est  qualifiée  d'apostolique  ;  la  descente  aux  enfers  et 
fa  communion  des  saints  sont  passées  sous  silence  :  le 
baptême  est  particulièrement  rattaché  au  dogme  de 
la  rémission  des  péchés  ;  il  y  est  question  enfin  de 
la  résurrection  des  morts  et  de  la  vie  du  siècle  futur, 
au  lieu  de  la  résurrection  de  la  chair  et  de  la  vie 
éternelle. 

Une  seule  expression,  Filioque,  n'appartient  pas  à 
]a  rédaction  primitive.  Ce  fut  une  addition  posté- 
rieure, dont  l'auteur  est  resté  inconnu,  mais  bien 
antérieure  au  ixe  siècle,  époque  à  laquelle  Photius 
s'en  fit  une  arme  contre  l'Eglise  romaine  et  suscita 
pour  de  longs  siècles  les  plus  graves  difficultés  entre 
l'Eglise  latine  et  l'Eglise  grecque.  Pourtant  cette 
addition  est  fort  naturelle.  Que  le  Saint-Esprit  pro- 
cède à  la  fois  du  Père  et  du  Fils,  c'est  pour  nous, 
catholiques,  un  dogme  de  foi,  dont  nous  aurons  à 
parler  dans  l'explication  du  symbole.  Or  ce  dogme 
découle  naturellement  des  principes  posés  par  le 
concile  de  Gonstantinople.  L'addition  du  Filioque  au 
symbole  de  Gonstantinople  est  donc  justifiée,  et  sa 
présence  dans  le  symbole  dit  de  saint  Athanase 
s'explique  par  la  foi  explicite  qu'on  professait  dans 
le  milieu  où  ce  symbole  fut  rédigé. 

Cette  addition  du  Filioque  au  symbole  de  Cons- 
tantinople  est  d'origine  espagnole  ;  elle  date,  au 
plus  tard,  du  concile  tenu  en  447  (x)'  e^  se  retrouve 
dans  les  conciles  de  Tolède  de  589,  de  633,  de  653, 
de  681,  et  de  683  (2).  C'est  de  l'Espagne  qu'elle  est 

1.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  n3.  —  2.  Denzinger,  ibid.,  p. 
16,  note  1  ;  Hardouin,  t.  iv,  p.  472,  579,  957,  1718,  1738. 


SYMBOLE    DE    NIGEECONSTANTI^OPLE  II7 

vraisemblablement  passée  en  Gaule  et  en  Germanie. 
On  la  trouve,  en  effet,  en  Gaule,  au  ve  siècle,  comme 
le  prouve  la  liturgie  gallicane  de  Mone  (i).  Il  est 
certain,  en  outre,  que,  du  temps  de  Gharlemagne, 
les  églises  franques  chantaient  le  Filioque  à  la  messe. 
En  795,  le  concile  que  présidait  Paulin,  patriarche 
d'Aquilée,  l'insérait  dans  son  symbole. 

Un  incident,  survenu  à  Jérusalem  entre  moines 
latins  et  grecs,  les  premiers  chantant  au  Credo  le 
Filioque,  les  autres  protestant  contre  une  telle  inno- 
vation, la  question  fut  portée  devant  le  pape  Léon  III. 
Mais  déjà  Gharlemagne  avait  réuni  un  grand  concile 
à  Aix-la-Chapelle,  en  809,  où  l'on  déclara  que  le 
Saint-Esprit  procède  du  Fils  comme  du  Père  ;  et 
Théodulfe  d'Orléans  enseigna  cette  doctrine  dans 
son  livre  du  Saint-Esprit  et  produisit  en  sa  faveur 
de  nombreux  témoignages  (2).  En  810,  dans  un 
concile  tenu  à  Rome,  Léon  III  confirma  la  défini  lion 
d'Aix-la-Chapelle,  mais  refusa,  par  prudence,  d'in- 
sérer dans  le  symbole  romain  le  Filioque  (3). 

Plus  tard,  saint  Henri  demanda  au  pape  Be- 
noît VIII  (101 2-1024)  que  l'on  chantât  à  Rome,  pen- 
dant la  messe,  ce  symbole,  et  c'est  alors  que  l'addi- 
tion du  Filioque  fut  admise  dans  le  symbole  de  Gons- 
tantinople  par  l'Eglise  romaine.  Eu  i2i5,  leiv6  con- 
cile de  Latran,  pour  enlever  aux  Grecs  le  prétexte 
de  dire  que  les  Latins  enseignaient  que  le  Saint-Es- 
prit procède  du  Père  et  du  Fils  comme  de  deux 
principes,  proclama  avec  l'assentiment  des  Grecs 
qu'il  procède  également  des  deux,  sans  commencement 
ni  fin  (4).  Puis  le  second  concile  de  Lyon,  en  1274, 


1.  Laleinisch  und  grieschiche  Messen,  Francfort,  i85o  ;  Patr* 
lat.,  t.  cxxxvm,  col.  863.  —  2.  Patr.  lat.,  t.  cv,  col.  239-276. 
« —  3.  Kraus,  Hist.  de  V Eglise,  trad.  franc.,  Paris,  1891,  t.  11,  p. 
93-94.  —  4-  Denzinger,  Enchiridion,  n°  355. 


Il8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

précisa  que  le  Saint-Esprit  procède  éternellement  du 
Père  et  du  Fils,  non  comme  de  deux  principes, 
mais  d'un  seul,  par  une  seule  spiraiion  (i).  Enfin  le 
concile  de  Florence  (i 439-1442),  rappelant  que  la 
procession  du  Saint-Esprit  du  Père  et  du  Fils  est 
une  vérité  également  reconnue  par  les  Grecs  et  les 
Latins,  déclare  qu'on  a  parfaitement  eu  raison  d'in- 
sérer dans  le  symbole  leFilioque,  à  titre  d'explication 
et  de  précision  (2). 

3°  Son  usage 

Dans  l'Eglise  grecque,  ce  symbole  de  Constanti- 
nople,  universellement  adopté,  joue  dans  l'initia- 
tion baptismale  le  même  rôle  que  le  symbole  des 
apôtres,  chez  les  Latins.  C'est  la  profession  solen- 
nelle de  foi  qu'on  demande  préalablement  à  ceux 
qui  vont  recevoir  le  baptême  ;  profession  que  tout 
fidèle  baptisé  doit  savoir  par  cœur  et  réciter  souvent 
pendant  la  vie,  un  souvenir  du  baptême  reçu,  et 
comme  un  témoignage  de  la  foi  dans  laquelle  il 
veut  vivre  et  mourir.  En  outre  il  est  introduit  dans 
la  liturgie  de  la  messe,  vraisemblablement  au  ve  siè- 
cle ou  au  commencement  du  vi°,  selon  Nicéphore 
Calliste  (3),  et  il  se  trouve  dans  presque  toutes  tes 
liturgies  d'Orient,  notamment  dans  celle  de  saint 
Jacques,  de  saint  Marc  (4). 

En  Occident,  dans  l'Eglise  latine,  sa  place  n'est 
pas  dans  la  liturgie  baptismale,  mais  au  saint  sacri- 
fice de  la  messe.  Dès  avant  Gharlemagne,  on  le  ré- 
citait, nous  l'avons  vu,  pendant  la  messe,  en  Espa- 

1.  Dcnzinger,  ibid,  n°  382.  —  2.  Décret  d'union,  dans  la 
Bulle,  Lxtenlur  cœli,  d'Eugène  iv;  Denzinger,  ibid.,  n°  586.  — 
3.  HisL  ceci,  xxvi,  35  ;  cf.  Bona,  Rerum  liturgie,  II,  vm,  2. 
—  4.  Brightman,  Liturgies  eastern  and  western,  Oxford,  1896, 
t.  1,  p.  42,  82,  124,  162,  226,  270,  32i,  383,  487. 


SYMBOLE    DE    NICEE-CONSTANTINOPLE  Iig 

gne,  en  Gaule  et  à  Jérusalem.  C'est  sous  le  ponti- 
ficat de  Pelage  II  (578-790)  et  du  roi  d'Espagne,  Ré- 
carède  (586-6oi),  que  le  troisième  concile  de  Tolède 
ordonna  de  réciter  à  la  messe  le  symbole  de  Gons- 
tantinople  :  «  Ut  per  omnes  ecclesias  Hispanix  et  Gai- 
liae  secundum  formant  orientalium  ecclesiarwn  concilll 
Conslantinopolitani,  hoc  est  centum  quinquaginta  epis- 
coporum  symbolam  fidei  recitetur,  utpriusquam  domi- 
nica  dicatur  oratio,  voce  clara  populo  decantetur  (1).  » 
Et  c'est  de  l'Espagne  que  cet  usage  passa  en  Gaule, 
où  il  était  général  vers  la  fin  du  vine  siècle. 
C'était  un  acte  solennel  d'adhésion  aux  vérités  que 
notifiait  la  lecture  de  l'apôtre  et  de  l'évangile,  une 
protestation  de  foi  à  l'enseignement  révélé,  pour 
bien  montrer  qu'on  ne  pactisait  en  aucune  manière 
avec  les  erreurs  ou  les  hérésies  de  l'époque.  Un  tel 
usage,  activé  par  des  circonstances  exceptionnelles, 
s'est  maintenu  et  généralisé,  depuis  surtout  que 
l'Eglise  romaine  l'adopta  dans  sa  liturgie,  en  ioi4- 
Depuis  le  concile  de  Trente,  on  continue  à  le 
réciter  à  la  messe,  mais  à  certains  jours  et  à  cer- 
taines fêtes  seulement.  Ces  jours  et  ces  fêtes  sont 
soigneusement  indiqués  par  les  rubriques  du  Missel  ; 
et  les  motifs  de  son  insertion  dans  la  liturgie  du 
sacrifice  de  la  messe  sont  empruntés,  soit  aux  mys- 
tères, que  rappelle  la  solennité,  soit  à  ia  doctrine  des 
saints  dont  on  célèbre  la  fête,  soit  enfin  à  Yéclat 
dont  il  convient  d'entourer  tel  souvenir  particulier. 
C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'à  raison  des  mystères 
que  ce  symbole  renferme  explicitement  ou  implici- 
tement, on  le  récite  tous  les  dimanches  de  Tannée, 
en  souvenir  de  la  création,  et  à  toutes  les  fêtes  de 
Notre  Seigneur  et  de  la  très  sainte  Vierge  ;  c'est  ainsi 
encore  qu'à  raison  de  la  doctrine  particulièrement 

1.  Le  Brun,  De  litargla  hisp.  sea  mozarablca,  Dissert,  v,  art.  1. 


120  LE    CATECHISME    ROMAIN 

enseignée  ou  défendue  par  certains  saints,  on  le 
récite  en  l'honneur  des  apôtres  et  des  docteurs  ; 
c'est  ainsi  enfin  qu'à  raison  de  la  solennité,  on  le 
récite  aux  jours  de  la  fête  patronale  d'un  lieu  ou 
d'une  église  (i).  Dans  tous  les  cas,  sa  récitation  a 
pour  but  de  manifester  solennellement  la  foi  des 
chrétiens  et  la  joie  intime  du  cœur.  Chanté  à  pleine 
voix,  chaque  dimanche  et  dans  nos  solennités 
religieuses,  il  laisse  dans  le  souvenir  des  fidèles  une 
impression  ineffaçable.  Combien  de  chrétiens,  de 
nos  jours,  par  ce  temps  de  rationalisme  et  d'impiété, 
ne  se  rappellent  plus  que  l'air  toujours  entraînant 
et  des  lambeaux  de  phrase  de  ce  vieux  Credo  !  En 
dépit  des  tristesses  de  l'heure  présente  et  des  menaces 
de  l'avenir,  ce  Credo  retentira  encore  et  toujours 
dans  nos  modestes  églises  de  village  comme  sous 
le  dôme  de  nos  splendides  cathédrales.  Et  si  le 
malheur  des  temps  veut  qu'en  France  nos  églises  et 
nos  cathédrales  nous  soient  ravies,  il  nous  restera 
bien  une  grange  pour  le  chanter  encore  et  toujours, 
et.  à  défaut  d'une  grange,  l'espace  libre,  pour  jeter 
à  tous  les  échos,  sous  la  voûte  du  ciel,  le  cri  de  notre 
foi  indomptable,  de  notre  immortelle  espérance. 

4°  Son  autorité 

Pas  plus  que  le  symbole  des  apôtres,  le  symbole 
de  Constantinople  n'est  placé  au  rang  des  Ecritures 
sacrées  ;  mais  sa  place  dans  la  liturgie  lui  assure 
un  égal  respect,  une  semblable  autorité.  Au  même 
titre  que  le  symbole  des  apôtres,  il  est  un  témoin 
vénérable  et  précieux  de  la  foi  catholique,  une  règle 
de  foi  imprescriptible.    Qu'il  soit  ou   ne   soit  pas 

i.  Cf.  Rabricx  gen.  Missalis,  xi,  De  symbolo  ;  de  Iïerdt,  Lit. 
sccr.y  t.  i,  p.  ii4-n5. 


SYMBOLE    DE    SAINT-ATHANASE 


121 


l'œuvre  propre  du  second  concile  général,  peu 
importe  ;  l'Eglise  grecque  et  l'Eglise  latine  l'ont 
solennellement  adopté.  A  plusieurs  reprises,  il  est 
inséré  intégralement  daus  les  actes  officiels,  notam- 
ment dans  la  Profession  de  foi  de  Pie  IV,  d'après  les 
prescriptions  du  concile  de  Trente  (i).  Son  autorité 
dogmatique  est  donc  incontestable  ;  elle  s'impose  à 
tout  chrétien  sous  peine  d'hérésie. 


IL  Symbole  de  saint  Athanase 

Un  troisième  symbole,  adopté  par  l'Eglise,  est  le 
Quicumque  ou  le  le  symbole  dit  de  saint  Athanase, 
admirable  résumé  de  la  doctrine  relative  à  la 
Sainte  Trinité  et  à  l'Incarnation.  Inséré  dans  le 
Bréviaire  romain,  il  se  récite  à  Prime,  à  l'office  du 
dimanche,  et  fait  ainsi  partie  officielle  de  la  prière 
publique.  Après  en  avoir  reproduit  le  texte,  nous 
en  rechercherons  l'origine  et  nous  en  signalerons 
l'importance. 


1°   Texte   du    Quicumque 


i .  Quicumque  vult  salvus 
esse,  ante  omnia  opus  est  ut 
teneat  catholicam  fidem. 

2.  Quam  nisi  quisque  in- 
tegram  inviolatamque  ser- 
vaverit,  absque  dubio  in 
œternum  peribit. 

3.  Fides  autem  catholica 
hsec  est  ;  ut  unum  Deumin 


i.  Quiconque  veut  être 
sauvé  doit  avant  tout  gar- 
der la  foi  catholique. 

2.  Celui  qui  ne  la  conser- 
vera pas  dans  son  intégrité 
et  sa  pureté  périra  infailli- 
blement pour  l'éternité. 

3.  Or  la  foi  catholique, 
c'est  d'adorer  un  seul  Dieu 


i.  Constitution  Injundum  nobis,  du  18  novembre  i5G4  ;  Dcn- 
zinger,  Enchiridion,  n.  863. 


122 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


Trinitate,  et  Trinitatem  in 
uni  ta  te  veneremur. 

4.  Neque  confundentes 
personas,  neque  substan- 
tias  séparantes.    « 

5.  Alia  est  enim  persona 
Patris,  alia  Filii,  alia  Spiri- 
tus  Sancti. 

6.  Sed  Patris,  et  Filii,  et 
Spiritus  Saneti  una  est  di- 
vinités, ajqualis  gloria,  coae- 
terna  majcstas. 

7.  Qualis  Pater,  talis  Fi- 
lius,  talis  Spiritus  Sanctus. 

8.  Increatus  Pater,  increa- 
tus  Filius,  increatus  Spiri- 
tus Sanctus. 

9.  Immensus  Pater,  im- 
mensus Filius,  immensus 
Spiritus  Sanctus. 

10.  .^ternus  Pater,  ae ter- 
nus  Filius,  œternus  Spiritus 
Sanctus. 

11.  Et  tamen  non  très 
œterni,  sed  unus  œternus. 

12.  Sicut  non  très  incre- 
ati,  nec  très  immensi,  sed 
unus  increatus,  et  unus 
immensus. 

i3.  Similiter  omnipotens 
Pater,  omnipotens  Filius, 
omnipotens  Spiritus  Sanc- 
tus. 

14.   Et  tamen  non   très 


dans  la  Trinité  et  la  Trinité 
dans  l'uni  Lé. 

4-  Sans  confondre  les  per- 
sonnes, sans  séparer  les 
substances. 

5.  Car  autre  est  la  per- 
sonne du  Père,  autre  celle 
du  Fils,  autre  celle  de 
l'Esprit-Saint. 

6.  Mais  pour  le  Père,  le 
Fils  et  l'Esprit-Saint  une 
est  la  divinité,  égale  la 
gloire,  coéternelle  la  ma- 
jesté. 

7.  Tel  le  Père,  tel  le  Fils, 
tel  l'Esprit-Saint. 

8.  Incréé  le  Père,  incréé 
le  Fils,  incréé  l'Esprit- 
Saint. 

9.  Immense  est  le  Père, 
immense  le  Fils,  immense 
l'Esprit-Saint. 

10.  Eternel  est  le  Père, 
éternel  le  Fils,  éternel  l'Es- 
prit-Saint. 

1 1 .  Et  pourtant  ce  ne  sont 
pas  trois  éternels,  mais  un 
seul  éternel. 

12.  Gomme  aussi  ce  ne 
sont  pas  trois  incréés,  ni 
trois  immenses,  mais  un 
seul  incréé  et  un  seul  im- 
mense. 

i3.  De  même  tout-puis- 
sant est  le  Père,  tout-puis- 
sant le  Fils,  tout-puissant 
l'Esprit-Saint. 

14.   Et  pourtant  ce    ne 


SYMBOLE    DE    SAINT-ATHANASE 


123 


omnipotentes,  sedunus  om- 
nipotens. 

i5.  Ita  Deus  Pater,  Deus 
Filius,  Deus  Spiritus  Sanc- 
tus. 

16.  Et  tamen  non  très 
Dii,  sed  unus  est  Deus. 

17.  Ita  Dominus  Pater, 
Dominus  Filius,  Dominus 
Spiritus  Sanctus. 

18.  Et  tamen  non  très 
Domini,  sed  unus  est  Do- 
minus. 

19.  Quia,  sicut  singilla- 
tim  unamquamque  perso- 
nam  Deum  ac  Dominum 
confiteri  christiana  veritate 
compellimur,  ita  très  Deos 
ant  Dominos  dicere  catho- 
lica  religione  prohibemur. 


20.  Pater  a  nullo  est  fao 
tus,  nec  créa  tus,  nec  geni- 
tus. 

2 1 .  Filius  a  Pâtre  solo  est; 
non  factus,  non  créa  tus, 
sed  genitus. 

22.  Spiritus  Sanctus  a 
Pâtre  et  Filio,  non  factus, 
nec  creatus,  nec  genitus, 
sed^procedens. 

23.  Unus  ergo  Pater,  non 
très  Patres  ;  unus  Filius, 
non  très  Filii  ;  unus  Spiri- 
tus Sanctus,  non  très  Spiri- 
tus Sancti. 

24.  Et  in  hac  Trinitate  ni- 


sontpas  trois  tout-puissants, 
mais  un  seul  tout-puissant. 
i5.  Ainsi  Dieu  est  le 
Père,  Dieu  le  Fils,  Dieu 
l'Esprit-Saint. 

16.  Et  pourtant  ce  ne  sont 
pas  trois  Dieux,  mais  un 
seul  Dieu. 

17.  Ainsi  Seigneur  est  le 
Père,  Seigneur  le  Fils,  Sei- 
gneur l'Esprit-Saint. 

18.  Et  pourtant  ce  ne 
sont  pas  trois  Seigneurs, 
mais  un  seul  Seigneur. 

19.  Parce  que,  de  même 
que  la  vérité  chrétienne 
nous  oblige  de  confesser  que 
chaque  personne  séparé- 
ment est  Dieu  et  Seigneur, 
de  même  la  religion  catho- 
lique nous  détend  de  dire 
trois  Dieux  ou  trois  Sei- 
gneurs. 

20.  Le  Père  n'a  été  ni  fait, 
ni  créé,  ni  engendré. 

31.  Le  Fils  est  du  Père 
seul,  ni  fait,  ni  créé,  mais 
engendré. 

22.  L'Esprit-Saint  est  du 
Père  et  du  Fils,  ni  fait,  ni 
créé,  ni  engendré,  mais  il 
procède  de  l'un  et  del'autre. 

23.  Il  n'y  a  donc  qu'un 
Père,  et  non  trois  Pères; 
qu'un  Fils,  et  non  trois 
Fils  ;  qu'un  Esprit-Saint,  et 
non  trois  Esprits-Saints. 

24.  Et,  dans  cette  Trinité, 


I2^ 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


hil  prius  aut  posterius,nihil 
majus  aut  minus,  sed  totaB 
très  persona3  coasternee  sibi 
sunt  et  coajquales. 


25.  Ita  ut  per  omnia,  si- 
cut  jam  supra  dictum  est, 
et  imitas  in  Trinitate  et  Tri- 
nitas  in  unitate  veneranda 
sit. 

26.  Qui  vult  ergo  salvus 
esse,  ita  de  Trinitate  sen- 
tiat. 

•  27.  Sed  necessarium  est 
ad  aeternam  sainte  m  ut  in- 
carnationem  <}uoque  Do- 
mini  nosdi  Jesu  Ghristi 
fideliter  credat. 

28.  Est  ergo  fides  recta, 
ut  credamus  et  confîteamur 
quia  Dominus  noster  Jésus 
Christus  Dci  Filius,  Deus 
et  homo  est. 

29.  Deus  est  ex  substan- 
tia  Patris  ante  sœcula  geni- 
tus  ;  et  homo  est  ex  subs- 
tantia  matris  in  sœculo 
natus. 

30.  Perfectus  Deus,  per- 
fectus  homo,  ex  anima 
rationali  et  humana  carne 
Bubsistens. 

3i.  Aequalis  Patri  secun- 
dum  divinitatem  ;  minor 
Pâtre  secundum  humani- 
tatem. 

*  02.  Qui  licet  Deus  sit  et 


rien  n'est  plus  ancien  ou 
plus  jeune,  rien  n'est  plus 
grand  ou  plus  petit  ;  mais 
les  trois  personnes  sont 
coéternelles  et  coégales  en- 
tre elles. 

25.  De  sorte  qu'en  tout, 
comme  il  a  déjà  été  dit,  on 
doit  adorer  l'unité  dans  la 
Trinité  et  la  Trinité  dans 
l'unité. 

26.  Quiconque  donc  veut 
être  sauvé,  doit  ainsi  penser 
sur  la  Trinité. 

27.  Mais  il  est  encore 
nécessaire,  pour  le  salut 
éternel,  de  croire  fidèle- 
ment l'incarnation  de  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ. 

28.  La  foi  droite  c'est 
donc  de  croire  et  de  con- 
fesser que  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ,  fils  de  Dieu, 
est  Dieu  et  homme. 

29.  Dieu,  engendré  de  la 
substance  du  Père  avant 
les  siècles  ;  et  homme,  né 
dans  le  temps  de  la  subs- 
tance de  sa  mère. 

30.  Dieu  parfait,  homme 
parfait,  composé  d'une  âme 
raisonnable  et  d'une  ckair 
humaine. 

3i.  Egal  au  Père,  selon 
la  divinité  ;  inférieur  au 
Père,  selon  l'humanité. 

32.  Et  bien  qu'à  la   fois 


SYMBOLE    DE    SAINT-ATHANASE 


12! 


homo,  non  duo  tamen  sed 
unus  est  Christus. 

33.  Unus  autem  non 
conversione  divinitatis  in 
carnem,  sed  assumptione 
humanitatis  in  Deum. 

34.  Unus  omnino  non 
confusione  substantiae,  sed 
unitate  personae. 

35.  Nam  sicut  anima  ra- 
tionalis  et  caro  unus  est 
homo,  ita  Deus  et  homo 
unus  est  Christus. 

36.  Qui  passus  est  pro 
salute  nostra,  descendit  ad 
inferos,  tertiadie  resurrexit 
a  mortuis. 

37.  Ascendit  ad  cœlos, 
sedet  ad  dexteram  Dei  Pa- 
tris  omnipotentis  ;  inde 
venturus  est  judicare  vivos 
et  mortuos. 

38.  Ad  cujus  adventum 
omnes  homines  resurgere 
habent  cum  corporibus 
suis,  et  reddituri  sunt  de 
factis  propriis  rationem. 

39.  Et  qui  bona  egerunt 
ibunt  in  vitam  aoternam  ; 
qui  vero  mala,  in  ignem 
œternum. 

/•o.  Haec  est  fîdes  catho- 
lica,  quam  nisi  quisque 
fideliter  firmiterque  credi- 


Dieu  et  homme,  il  n'est 
pas  deux,  mais  un  seul 
Christ. 

33.  Un,  il  est  vrai,  non 
par  la  conversion  de  la  di- 
vinité dans  la  chair,  mais 
par  l'assomption  de  l'hu- 
manité en  Dieu. 

34.  Un  enfm,  non  par  la 
confusion  de  la  substance, 
mais  par  l'unité  de  la  per- 
sonne. 

35.  Car,  comme  l'âme 
raisonnable  et  la  chair  sont 
un  seul  homme,  de  même 
Dieu  et  l'homme  sont  un 
seul  Christ. 

36.  Qui  a  souffert  pour 
notre  salut,  est  descendu 
aux  enfers,  et  est  ressuscité 
le  troisième  jour. 

37.  Est  monté  aux  cieux, 
est  assis  à  la  droite  de  Dieu 
le  Père  tout-puissant,  d'où 
il  viendra  juger  les  vivants 
et  les  morts. 

38.  A  l'avènement  du- 
quel tous  les  hommes  doi- 
vent ressusciter  avec  leurs 
corps  et  rendront  compte  de. 
leurs  propres  actions. 

39.  Et  ceux  qui  auront 
fait  le  bien  iront  dans  la 
vie  éternelle  ;  ceux  qui  au- 
ront fait  le  mal,  dans  le 
feu  éternel. 

40.  Telle  est  la  foi  catholi- 
que ;  et  quiconque  ne  la 
croira   pas    fidèlement    et 


126 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


derit,  salvus  esse  non  po- 
terit  (i). 


fermement  ne  pourra  être 
sauvé. 


Ce  symbole  comprend  deux  parties  distinctes  : 
l'une,  1-26,  traite  de  la  Trinité  ;  l'autre,  27-40,  de 
la  Christologie.  Elles  sont  si  nettement  tranchées 
que  la  critique  contemporaine  a  voulu  y  voir  deux 
morceaux,  indépendants  l'un  de  l'autre,  rapprochés 
et  soudés  ensemble  par  un  auteur  inconnu,  soit  au 
ixe  siècle,  d'après  Lumby  (2),  soit  même  dès  le  vie, 
d'après  Harnack  (3).  Leurs  arguments  n'ont  pas 
convaincu  M.  Tixeront  (4).  Du  reste  la  question, 
intéressante  en  elle-même  au  point  de  vue  histori- 
que, est  sans  importance  au  point  de  vue  dogmatique, 
puisque  l'Eglise  a  inséré  intégralement  le  Quicumque, 
tel  que  nous  venons  de  le  reproduire,  dans  son 
Office. 

«  Le  Quicumque,  écrit  Dom  Morin,  est  une  sorte 
de  catéchisme  élémentaire,  destiné  à  mettre  à  la 
portée  des  esprits,  même  les  moins  cultivés,  les 
formules  dogmatiques  élaborées  à  la  suite  des 
grandes  hérésies  des  ive  et  ve  siècles  touchant  la 
Trinité  et  l'Incarnation  :  le  tout  avec  un  certain 
accent  pratique  qui  ne  s'accuse  pas  au  même  degré 
dans  la  plupart  des  anciennes  professions  de  foi  (5).  » 
Incontestablement  c'est  là  un  document  précieux  et 
un  admirable  résumé  de  l'enseignement  catholique 
sur  deux  grands  mystères.  La  formule  en  est  simple, 
facile  à  retenir,  complète.  C'est  tout  au  plus  si  la 
comparaison  du  verset  35  laisse  à  désirer  ;  car  s'il 
est  vrai  que  l'union  de  l'âme  et  du  corps  fait  un 
homme,  il  n'y  a  qu'une  seule  nature  dans  l'homme  ; 

1.  Brev.  rom.,  Prime;  Denzinger,  Enohiridion,  n.  i35-i38. — 
a.  History  of  the  creeds,  3e  édit.,  1S&7,  p.  a5g  sq.  —  3.  Dogmen- 
geschichte,  t.  m,  p.  270.  —  4.  Diction,  de  Théologie,  t.  1,  goI. 
S180-2181.  —  5.  Revue  bénédictine,  1901,  t.  xvm,  p.  33q. 


SYMBOLE    DE    SAINT-ATHANASE  I27 

tandis    qu'en   Jésus-Christ   l'union    de  Dieu  et  de 
l'homme  laisse  subsister  les  deux  natures. 

Dom  Morin  a  raison  de  relever  l'accent  pratique 
de  ce  symbole  ;  car  le  Quicumque  met  le  chrétien  en 
face  du  salut,  avec  la  double  perspective  de  la  vie 
éternelle,  s'il  est  fidèle  à  la  foi  et  aux  bonnes  œuvres, 
et  du  feu  éternel,  s'il  ne  croit  pas  et  commet  le 
mal.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  que,  pendant 
longtemps,  ce  symbole  de  foi  ait  fait  partie  de 
l'enseignement  catéchétique  dans  l'Eglise,  comme 
nous  l'avons  indiqué  dans  l'histoire  du  catéchisme  : 
il  se  prêtait  trop  bien  à  faciliter  la  tâche  du  catéchiste 
et  l'effort  de  mémoire  du  catéchisé.  Gomme  le  sym- 
bole des  apôtres  et  le  symbole  de  Gonstantinople,  il 
devrait  être  appris  par  cœur  et  fréquemment  récité 
par  les  enfants  et  les  fidèles. 

2°  Origine  du   Quicumque 

1.  Ce  symbole,  chose  curieuse,  se  trouve  sans 
titre  dans  les  manuscrits  du  vin0  siècle,  tandis  que, 
dans  ceux  du  ix°,  il  est  désigné  de  différentes 
manières,  tantôt  sous  le  nom  de  Foi  catholique, 
tantôt  sous  celui  de  Foi  de  saint  Athanase,  de  Foi 
catholique  de  saint  Athanase,  etc.  (i).  C'est  le  nom  de 
Tévêque  d'Alexandrie  qui  reparaît  le  plus  souvent, 
et  c'est  à  saint  Athanase  que  ce  symbole  a  été  long- 
temps attribué.  On  comprend,  en  effet,  que  les 
écrivains  ecclésiastiques,  pour  lesquels  la  paternité 
littéraire  d'une  œuvre  était  d'importance  secondaire 
au  moyen  âge,  aient  songé,  en  présence  d'un 
document  si  original  sur  la  Trinité  et  l'Incarnation, 
à  l'attribuer  au  grand  adversaire  de  l'arianisme  auive 
siècle.  Mais  aujourd'hui  la  critique  est  plus  exigeante 

1.  Burn,  The  athanasian  creed,  Cambridge,  1896,  p.  liy. 


128  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  se  refuse  avec  raison  à  reconnaître  saint  Athanase 
pour  l'auteur  du  Quieumque.  Elle  va  même  plus  loin 
et  elle  écarte  l'Orient  comme  la  patrie  de  ce  symbole. 

2.  Les  Grecs,  en  effet,  ne  l'ont  connu  que  fort 
tard.  Les  divers  textes  qu'ils  en  possèdent  ne  con- 
cordent pas  entre  eux  et  portent  tous  les  caractères 
d'une  traduction  (i).  Au  reste,  la  procession  du 
Saint-Esprit  du  Père  et  du  Fils,  l'égalité  parfaite 
des  trois  personnes  divines  affirmée  à  plusieurs  re- 
prises, et  la  saveur  augustinienne  de  toute  cette 
théologie  sont  autant  d'indices  que  l'œuvre  n'est 
pas  d'un  auteur  grec  (2).  Elle  est  donc  d'un  auteur 
latin.  Mais  lequel?  Et  de  quel  pays?  C'est  ce  qu'exa- 
mine minutieusement  M.  Tixeront  (3). 

3.  La  date  de  sa  composition  reste  un  peu  flot- 
tante. Vraisemblablement  il  n'a  pas  été  composé 
avant  le  ve  siècle  ;  du  moins  on  n'en  possède  pas 
de  preuve  positive.  Mais  l'examen  de  son  contenu 
et  ses  formules  révèlent  quelques  points  de  contact 
avec  les  procédés  et  les  expressions  de  saint  Augus- 
tin, particulièrement  les  versets  8-18.  C'est  Augus- 
tin, en  effet,  qui,  le  premier,  a  formulé  nettement 
la  procession  du  Saint-Esprit  du  Père  et  du  Fils.  En 
outre  l'Apollinarisme  est  visé  et  condamné  au  ver- 
set 3o.  Ce  symbole  daterait  donc  au  plus  tôt  de  420 
à  43o.  Et  si  l'hérésie  de  Nestorius,  condamnée  au 
concile  d'Ephèse,  en  43 1,  et  celle  d'Eutychès,  ana- 
thématisée  au  concile  de  Chalcédoine,  en  45i,  sem- 
blent avoir  motivé  l'insertion  des  versets  32-35,  il 
ne  faut  pas  oublier  que  cette  double  erreur  se  trouve 
réfutée  par  avance  dans  les  œuvres  de  l'évêque 
d'Hippone  ;  il  est  également  vrai  qu'on  pourrait  re- 


1.  Montfaucon,  Diatrib.  in  symb.  Quieumque  :  Patr.  gr., 
t.  xxviii,  col.  1567  SCL'  —  2-  Diction,  de  Théologie,  loc.  cit.,  col. 
2182.  —  3.  Ibid. 


SYMBOLE    DE    SAINT-ATHANASE  I29 

trouver  dans  la  doctrine  augustinienne  le  fond  et  la 
forme  du  développement  christologique  du  Quicum- 
que. Mais  les  principes  épars  dans  les  divers  traités 
de  saint  Augustin  ne  suffisent  pas  à  expliquer 
l'existence  de  ce  développement  christologique  lui- 
même  ni  surtout  sa  rédaction  dans  une  formule 
aussi  précise. 

L'auteur,  quel  qu'il  soit,  a  dû  évidemment  obéir 
à  quelque  grave  raison  pour  proclamer  la  nécessité, 
pour  le  salut  éternel,  de  croire  fidèlement  à  l'Incar- 
nation de  Notre-Seigneur  comme  au  mystère  de  la 
Sainte-Trinité.  Etait-ce  pour  répondre  au  Monophy- 
sisme,  déjà  latent  dans  l'Apollinarisme,  ainsi  qu'au 
Nestorianisme,  déjà  en  germe  dans  Leporius  et  Ju- 
lien d'Eclane  ?  C'est  possible.  Mais,  quoi  qu'il  en 
soit,  la  formule  du  Quicumque  semble  devoir  être 
postérieure  aux  débats  théologiques  provoqués  par 
Nestorius  etEutychès,  ce  qui  nous  reporte  après  45i. 

D'autre  part,  ce  n'est  qu'à  partir  du  vu6  siècle 
qu'on  trouve  des  allusions  à  notre  symbole  ;  et  les 
premières  en  date  sont  celles  qu'on  peut  relever  dans 
certains  passages  du  ive  concile  de  Tolède,  en  633, 
étroitement  apparentés  avec  certaines  formules  du 
Quicumque  (i).  Saint  Isidore  de  Séville,qui  présidait 
ce  concile,  fait  mention  de  ce  formulaire  de  foi  dans 
deux  lettres  adressées,  l'une  au  duc  Claudius,  l'au- 
tre à  l'évêque  Eugène  (2).  En  Gaule,  saint  Léger, 
présidant  le  concile  d'Autun,  vers  670,  recommande, 
ce  symbole  sous  le  nom  de  Fides  Athanasii  (3). 

C'est  donc  avant  le  vnc  siècle  que  le  Quicumque  a, 
dû  être  rédigé.  Or,  au  vie  siècle,  rien  ne  le  rappellQ 
mieux  que  le  sermon  ccxliv,  inséré  parmi  les  œu- 
vres apocryphes  de  saint  Augustin  (4).  Et  si,  comme 

1.  Hardouin,  t.  m,  col.  579.  —  2.  Epist.  vi,  4  ;  vin,  3  ;  Pair, 
iat.,  t.  Lxxxiu,  col.  go3,  908.  —  3.  Hardouin,  t.  iu,  col.  1016. 
—  4-  Pair.  lat.t  t.  xxxix,  col.  2194. 

LE  CATÉCH1SMB.  —  T.  I  £ 


l30  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

tout  porte  à  le  croire,  ce  sermon  est  de  saint  Césaire- 
d'Arles  (f  5^2),  on  peut  fixer  approximativement  la 
date  de  sa  rédaction  vers  537-5/|o.  Sans  doute  la 
comparaison  de  l'union  de  Dieu  et  de  l'homme  dans 
la  personne  du  Christ  avec  l'union  de  l'âme  et  du 
corps  dans  la  personne  de  l'homme  est  tombée  en 
défaveur  après  Eutychès  ;  mais  ce  n'est  pas  une  rai- 
son suffisante  pour  reporter  la  date  du  Quicumque, 
où  se  trouve  cette  comparaison,  avant  l'Eutychia- 
nisme  ;  car  l'auteur  de  notre  formulaire  a  fort  bien 
pu  négliger  ce  détail  pour  conserver  une  comparai- 
son qui  paraissait  lui  offrir,  sans  blesser  l'ortho- 
doxie, une  rédaction  facile  à  être  retenue. 

4-  La  date  étant  ainsi  approximativement  déter- 
minée, la  question  du  lieu  d'origine  du  Quicumque 
offre  moins  de  difficultés  à  résoudre  ;  car  tout  indi- 
que la  Gaule  du  sud-ouest,  particulièrement  le  voi- 
sinage d'Arles  et  de  Lérins.  En  effet,  en  dehors  du 
ive  concile  de  Tolède  et  de  saint  Isidore  de  Séville, 
c'est  surtout  en  Gaule  que  ce  symbole  est  mentionné 
et  cité  jusqu'au  x°  siècle.  Il  suffit  de  rappeler,  pour 
le  ixe  siècle,  les  noms  célèbres  de  Théodulfe  d'Or- 
léans, de  saint  Benoît  d'Aniane,  de  Florus  et  d'Ago- 
bard  de  Lyon,  d'Adalbert  de  Thérouane,  de  Réginon 
de  Prum,  de  Ratramne  de  Corbie,  d'Enée  de  Paris, 
de  Riculfe  de  Soissons  et  d'Hincmar  de  Reims. 
C'est  en  Gaule  qu'ont  été  composés  les  premiers, 
commentaires  de  notre  symbole,  car  ils  se  retrou- 
vent dans  des  manuscrits  gallicans  ;  et  c'est  dans  la 
Gaule  du  sud-ouest,  dans  la  région  voisine  de  l'éve- 
ché  d'Arles  et  du  monastère  de  Lérins. 

A  ce  centre  intellectuel,  en  effet,  se  rattache  un 
groupe  d'écrivains  ecclésiastiques  très  actifs  pendant 
le  ve  siècle  et  le  commencement  du  vie,  tous  fami- 
liers avec  les  ouvrages  de  saint  Augustin,  imbus  de 
sa  doctrine,  bien  qu'ils  n'acceptassent  pas  dans  son 


SYMBOLE    DE    SAliVJ>ATHANASE  l3r 

intégrité  son  enseignement  sur  le  péché  originel: 
saint  Honorât  (f  429),  saint  Hilaire  d'Arles  (f  449), 
saint  Vincent  de  Lérins  (f  45o),  saint  Eucher  de 
Lyon  (f  45o),  Fauste  de  Riez  (j  493)  et  saint 
Césaire  d'Arles.  Tous  ces  écrivains  sont  largement 
tributaires  de  la  théologie  et  de  la  terminologie  de 
l'évêque  d'Hippone  ;  et  entre  le  Quicumque,  d'une 
part,  et  les  œuvres  de  saint  Vincent,  de  saint  Eu- 
cher, de  Fauste  et  de  saint  Césaire,  d'autre  part,  les 
rapprochements  sont  si  curieux  et  si  suggestifs  que 
c'est,  à  n'en  pas  douler,  parmi  ces  écrivains  qu'on 
a  chance  de  trouver  le  rédacteur  anonyme  du  Qui- 
cumque  (1).  Ne  serait  ce  pas  saint  Césaire  ? 

5.  C'est  l'opinion,  qui  paraît  justifiée,  de  M.  Le- 
jay.  Dans  une  étude  documentée  sur  le  Rôle  théolo- 
gique de  saint  Césaire  <X Arles  (2),  M.  Lejay  remarque 
dans  l'évêque  d'Arles  la  tendance  à  condenser  les 
idées  et  à  les  fixer  en  formules  brèves,  l'habitude 
de  se  répéter,  qualités  de  l'instituteur  qui  cherche 
à  inculquer  la  doctrine  dans  la  mémoire  de  ses  au- 
diteurs et  à  la  faire  retenir  aussi  facilement  que  pos- 
sible. Il  relève  ensuite  les  caractères  de  son  acti- 
vité théoiogique.  Examinant  d'abord  les  Staiuta  ec- 
clesise  antiqua  (3),  sorte  de  constitution  ecclésiasti- 
que, qui  n'est  pas  à  proprement  parler  un  symbole, 
c'est-à-dire  une  somme  portative  des  dogmes,  mais 
plutôt  une  caution  que  l'Eglise  prend  vis-à-vis  de 
ceux  qui  aspirent  à  la  gouverner,  il  étudie  ensuite  le 
sermon  ccxliv  de  l'appendice  augustinien.  Or  ce 
sermon  «  débute  par  des  formules  semblables  à  cel- 
les du  symbole  qui  porte  le  nom  de  saint  Athanase 

1.  Cf.  Tixeront,  loc.  cit.,  col.  2 182-21 85;  D.  Morin,  Le  sym- 
bole d' Athanase  et  son  premier  lérnoin:  S.  Césaire  d'Arles,  dans 
la  Revue  bénédictine  d'octobre  1901,  p.  347-363.  —  2.  Revue 
d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  1905,  t.  x,  p.  i52  sq. 
■»-  3.  Pair.  lat.  t.  lvi,  col.  879-880. 


l32  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  a  pour  caractères  généraux  la  brièveté  et  la  préci- 
sion du  style,  l'énergie  pressante,  l'autorité  du  ton, 
l'affirmation  de  la  nécessité  de  la  foi  pour  le  salut, 
l'union  de  la  foi  et  des  œuvres.  » 

Comparant  ce  sermon  avec  la  recension  qu'en  ont 
donnée Caspari  (i)  et  Burn  (2),  M.  Lejay  écrit:  «  Ces 
homélies  n'ont  pas  un  symbole  fixe  pour  point  de 
départ,  mais  elles  tendent  vers  la  rédaction  d'un 
symbole.  Elles  sont  des  essais  successifs  d'un  chef 
d'Eglise  qui  cherche,  dans  un  esprit  pratique,  à  four- 
nir aux  fidèles  un  abrégé  du  christianisme  moins 
sommaire  que  l'ancien  symbole,  pins  compréhensif 
et  moins  spécialisé  que  les  formules  conciliaires.  » 
Dans  ce  cas,  les  recensions  de  Caspari  et  de  Burn 
seraient  les  ébauches  successives  qui  aboutissent  au 
sermon  précité.  Les  trois  documents  s'emparent  des 
formules  symboliques  préexistantes,  non  pour  les 
expliquer,  mais  pour  les  incorporer  et  les  complé- 
ter, pour  constituer  une  sorte  de  précis  de  la  doc- 
trine chrétienne,  court  à  lire  et  facile  à  apprendre  ; 
ils  forment  comme  les  étapes,  parcourues  par  saint 
Gésaire,  à  la  recherche  d'un  symbole.  «  Y  aurait-il 
une  dernière  étape  qui  serait  le  symbole  mis  sous  le 
nom  d'Athanase  ?  Les  recherches  de  Dom  Morin 
donnent  à  le  penser...  Les  formules  dogmatiques 
qui  ont  été  fixées  pour  des  siècles  dans  le  symbole 
d'Athanase  se  retrouvent  dans  les  homélies  de  Cé- 
saire...  Même  insistance  autoritaire,  même  relief 
donné  à  la  nécessité  de  la  foi,  même  attention  à  dé- 
finir la  nature  et  les  rapports  des  personnes  divines, 
la  composition  du  Christ,  la  propriété  de  la  chair 
des  hommes  ressuscites,  la  certitude  de  la  rétribu- 
tion finale.  Ces  ressemblances  n'auraient  pas  grande 


1.  Anccdota,  Christiana,  i883,  t.  1,  p.  283  sq.  —  2.  Zeitschrifl 
far  Kirchengeschichle,  1898,  t.  xix,  p.  180  sq. 


SYMBOLE    DE    SAINT-ATHANASE  l33 

valeur,  si  elles  se  rencontraient  séparément  ;  réu- 
nies, elles  valent  une  signature.  Ajoutez  à  ces  don- 
nées internes  la  présence  du  Quicumque  parmi  les 
œuvres  de  Césaire  dans  plusieurs  recueils  de  prove- 
nance artésienne.  » 

Quant  au  titre  de  notre  document,  il  paraît  bien 
avoir  été,  dès  l'origine  :  Fides  cathollca  sancti  Atha- 
nasii  episcopi.  Mais  il  ne  saurait  faire  difficulté  ;  car 
c'était  l'habitude  de  Pévêque  d'Arles  de  mettre  en 
tête  de  ses  compilations  le  nom  d'un  Père  (i).  Aussi 
M.  Lejay  croit-il  pouvoir  conclure  par  ces  mots  : 
«  La  question  me  paraît  résolue  ;  si  les  documents 
représentent  des  états  successifs  d'une  composition 
de  Césaire,  on  sera  bientôt  tenté  de  placer  ÏAtha- 
nasianum  à  la  fin  de  la  série  (2).  »  Ainsi  le  fameux 
symbole  dit  de  saint  Athanase  serait  l'œuvre  de 
saint  Césaire  d'Arles.  Ce  n'est  qu'une  hypothèse, 
sans  doute,  mais  il  faut  bien  reconnaître  qu'elle  a 
pour  elle  toutes  les  apparences  de  la  réalité. 

3°  Son  importance  et  son  autorité 

Ce  symbole  a  vite  acquis  une  importance  excep- 
tionnelle dans  l'Eglise.  Connu,  cité,  commenté  tour 
à  tour,  à  partir  du  vne  siècle,  il  a  été  imposé  comme 
un  objet  d'études  aux  membres  du  clergé,  qui 
étaient  chargés  de  l'apprendre  et  de  l'expliquer  en 
langue  vulgaire  aux  fidèles.  Il  est  devenu  l'un  des 
éléments  de  l'enseignement  catéchétique.  Le  concile 
d'Autun,  dont  nous  avons  parlé,  le  recommandait 
au  clergé  de  la  Gaule  ;  le  concile  de  Cloveshow,  en 
747,  prescrivait  à  tout  prêtre  d'Angleterre  de  savoir 
par  cœur,    outre   le  Credo  et  le  Pater,  la  Trinité, 

1.  Cf.  D.  Morin,  ioc.  cit.,  p.  362.  —  2.  Revue  d'histoire,  loc, 
cit.,  p.  182. 


l34  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

c'est-à-dire  le   Quicumque  pour  l'expliquer  dans  la 
langue  du  peuple  (i). 

Au  ixe  siècle,  les  prescriptions  se  multiplient  qui 
imposent  aux  clercs  l'obligation  de  le  savoir  par 
cœur,  de  le  comprendre  et  de  l'expliquer.  Voir,  en 
particulier,  le  concile  de  Reims  de  852  (2).  On  en 
trouve  même  une  explication  en  langue  tudesque  (3). 
Vers  le  commencement  du  xe  siècle,  Réginon  de 
Prum,  dans  son  Manuel  des  visites  pastorales  pour 
les  évêques,  prescrit  l'interrogation  suivante  : 
<c  Connaissez-vous  le  sermon  d'Athanase  sur  la  foi 
de  la  sainte  Trinité,  qui  commence  par  ces  mots  : 
Quiconque  veut  être  sauvé?  Le  savez-vous  par 
cœur?  En  comprenez-vous  le  sens?  Pouvez-vons 
l'expliquer  en  langue  vulgaire  (4)  ?  »  Au  siècle  sui- 
vant, saint  Brunon,  évêque  de  Wurtzbourg  (f  1040), 
publie  pour  son  diocèse  un  commentaire  catéchéti- 
que  du  Pater,  du  Credo  et  de  la  Fides  Athanasii  (5). 
Puis  ce  sont  Abélard,  saint  Bernard,  Alexandre  de 
Halès,  Pierre  d'Osma,  qui  en  font  de  nouveaux 
commentaires.  Les  théologiens  l'utilisent,  notam- 
ment saint  Thomas  d'Aquin,  dans  sa  Somme.  C'est 
dire  la  haute  estime  que  tout  le  moyen  âge  a  pro- 
fessée pour  ce  symbole. 

Mais  il  y  a  plus  et  mieux  :  l'Eglise  l'a  adopté 
officiellement  et  en  a  fait  une  pièce  liturgique,  en 
l'insérant  dans  son  bréviaire.  Déjà,  au  ixe  siècle, 
Hayton  (f  836),  d'abord  abbé  de  Reichenau,  puis 
évêque  de  Baie,  en  imposait  la  récitation,  chaque 
dimanche,  à  l'heure  de  prime  (6).  Jean  d'Avranches, 

1.  Can.  10;  concile  de  Calchut,  can.  2;  Hardouin,  t.  m, 
col.  1955,  2073.  —  2.  Patr.  lat.  t.  cxxv,  col.  773.  —  3.  Incerti 
monachi  Weissenburgensis  Catechesis  theoiisca  sœculo  IX0  cons- 
■cripla,  Hanovre,  1703.  —  4-  De  eccles.  discipl.,  1,  85  ;  Patr.  lat., 
A.  cxxxn,  col.  191,  —  5.  Patr.  lat.,  t.  cxlii,  col,  557-568.  — 
^.  Patr.  lat..  t.  cxv.  col.  11. 


SYMBOLE    DE    SAINTATHANASE  l35 

archevêque  de  Rouen,  mort  en  1079  (1),  et  Ulrich 
de  Cluny  (f  1087)  (2),  sont  des  témoins  de  cet  usage 
pour  le  xie  siècle  (3)  ;  c'est  même  tous  les  jours  qu'il 
se  récite  alors,  à  l'office  de  prime,  dans  les  églises 
ultramontaines,  tandis  qu'à  Rome,  d'après  Amalaire, 
diacre  de  Metz,  on  se  contentait  encore  d'y  réciter 
le  symbole  des  apôtres  (4). 

Or,  dès  la  fin  du  xn°  siècle  ou  dès  le  commence- 
ment du  xiii6,  sous  Innocent  III,  le  Quicumque  se 
trouve  dans  le  bréviaire  de  la  cour  romaine.  Ce 
bréviaire,  adopté  par  les  Frères-Mineurs  et  corrigé 
pour  leur  usage  avec  l'approbation  de  Grégoire  IX, 
en  12/ii,  fut  vite  populaire  et  fut  à  son  tour  adopté 
par  la  cour  romaine  sous  Nicolas  III.  «  Le  bréviaire 
de  la  Curie,  ou  bréviaire  d'Innocent  III,  écrit  Mgr 
Batiffol,  était  devenu  le  bréviaire  des  Mineurs  ou 
bréviaire  de  Grégoire  IX.  Le  bréviaire  de  Grégoire 
IX  avait  été  popularisé  dans  toute  la  chrétienté  par 
les  Mineurs.  Avec  Nicolas  III,  le  bréviaire  des 
Mineurs  devenait,  non  plus  seulement  le  bréviaire 
de  la  Curie,  mais  bien  le  bréviaire  de  l'Eglise 
romaine  (5).  » 

Actuellement  encore,  malgré  les  diverses  modifi- 
cations qu'il  a  subies  dans  la  suite  des  temps,  notre 
bréviaire  renferme  le  Quicumque  ;  et  ce  symbole  se 
récite  chaque  dimanche,  à  prime,  quand  l'office  est 
du  dimanche,  à  l'exception  des  dimanches  de  Pâques, 
de  la  Pentecôte  et  de  ceux  qui  se  trouvent  dans 
l'octave  de  la  Noël,  de  l'Epiphanie,  de  l'Ascension 
et  de  la  Fête-Dieu. 

Ainsi  donc  le  Quicumque,  tour  à  tour  objet  d'é- 
tude pour  le  clergé,  thème  catéchétique  pour  l'ins- 

1.  De  ojf.  eccles.  5.  ;  Patr.  lat.,  t.  cxlvii,  col.  29.  —  2.  Co/i- 
suet.,  1,  3  ;  Patr.  lat.,  t.  cxux,  col.  646.  —  3.  M»* Batiffol,  Histoire 
du  Bréviaire  romain,  Paris,  i8g3,  p.  i83.  —  4.  De  offlc.  eccles, 
iv,  2  ;  Patr.  lat.t  t.  cv,  col.  1168.  —  5.  Loc.  cit.,  p.  ao3. 


l36  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

truction  des  fidèles,  partie  officielle  de  la  prière  pu- 
blique, a  l'autorité  d'un  chant  d'Eglise,  d'une  œu- 
vre liturgique,  d'un  symbole  proprement  dit  :  c'est 
une  règle  de'  foi.  Luther  s'est  demandé  si,  depuis 
les  Apôtres,  rien  de  plus  important  et  de  plus  ma- 
gistral a  jamais  été  écrit.  Et  les  anglicans  l'ont  in- 
séré dans  leur  livre  de  la  prière  commune. 


Leçon  Iir 
Les  Professions  de  foi 


I.  Les  professions  de  foi  :  1°  d'Hormisdas.  — 
2°  de  Léon  IX.  —  3°  de  Clément  IV.—  4°  d'Eu- 
gène IV.  —  5°  de  Grégoire  XIII.  —  6°  d'Urbain 
VIII  et  de  Benoît  XIV.  —  7°  d'Innocent  III.  — 
II.  La  profession  de  foi  de  Pie  IV  :  1°  Date.  — 
2°  Texte.  —  3°  Usage. 

I.  Les  Professions   de  foi 


Outre  les  symboles,  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion, celui  des  apôtres,  dont  on  se  sert  dans 
la  liturgie  baptismale,  celui  de  Nicée-Cons- 
tantinople,  que  l'on  chante  à  la  messe,  et  celui  de 
saint  Athanase,  qui  se  récite  à  prime,  à  l'office  du 
Dimanche,  l'Eglise,  aux  premiers  siècles,  en  a  compté 
d'autres.  Chaque  grande  Eglise,  en  efïet,  usait  d'une 
formule  abrégée  de  la  foi  pour  la  collation  du  bap- 
tême. Rome,  Aquilée,Ravenne,  l'Afrique,  l'Espagne, 
la  Gaule,  en  Occident;  Césarée,  Antioche,  Jérusalem, 
en  Orient,  avaient  une  profession  de  foi  baptismale, 
dont  les  termes  n'étaient  pas  identiques  (i).  Toutes 

i.  Denzingcr,n.  i-i3;  cf.  ïlahn,  Bibliothek  der  Symbol,  S  33-47- 


l38  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ces  formules  particulières  sont  tombées  en  désué- 
tude et  ont  été  remplacées  par  le  symbole  des  apô- 
tres et  le  symbole  de  Nicée-Gonstantinople. 

Or,  concurremment  avec  les  trois  symboles  défi- 
nitivement consacrés  par  l'usage,  diverses  profes- 
sions de  foi  ont  été  utilisées  dans  des  cas  particuliers. 
Dans  la  suite  de  son  histoire,  en  effet,  l'Eglise  s'est 
trouvée  plus  d'une  fois  en  face  du  schisme  et  de 
l'hérésie.  Elle  ne  s'est  pas  simplement  bornée  à  les 
combattre,  soit  pour  maintenir  son  principe  d'auto- 
rité et  sa  constitution  divine,  soit  pour  sauvegarder 
dans  son  intégrité  et  sa  pureté  le  dépôt  de  la  foi, 
elle  a  dû  encore  prendre  des  dispositions  d'ordre 
pratique  pour  admettre  de  nouveau  les  schismatiques 
ou  les  hérétiques  qui,  convaincus  de  leurs  torts  ou 
de  leur  erreurs,  demandaient  à  rentrer  dans  son 
sein.  De  là  des  cérémonies  d'abjuration  et  de  récon- 
ciliation ;  de  là  aussi  certaines  professions  de  foi, 
imposées  aux  convertis  :  nous  ne  signalerons  que 
les  principales. 

1°  Profession  de  foi  d'Hormisdas 

La  première  en  date  est  celle  que  le  pape  Hormis- 
das  (5 1 4-5 2 3)  imposa,  en  519,  aux  évêques  orientaux 
qui  avaient  pris  part  au  schisme  d'Acace  (1).  Déjà, 
au  concile  de  Constantinople  de  38 1,  on  avait  rédigé 
un  canon,  le  troisième,  pour  attribuer  au  siège  de 
Constantinople  un  rang  à  part,  immédiatement 
après  celui  du  siège  de  Rome  et  avant  ceux  des 
sièges  patriarcaux  ;  Gontantinople,  en  effet,  était 
devenue  Tune  des  capitales  de  l'empire  et  passait 
pour  une  Rome  nouvelle,  qui  devait  posséder  au 
point  de  vue  religieux  des  privilèges  exceptionnels» 

1.  Denzinger,  n.  i£i. 


PROFESSION    DE    FOI    D  IIORMISDAS  IjQ 

Mais  ce  canon,  bien  qu'il  n'accordât  au  siège  de 
Constantinople  qu'une  distinction  d'honneur  sans 
juridiction,  était  gros  de  conséquences;  aussi  ne 
fut-il  reconnu  ni  par  le  pape  saint  Damase  ni  par 
ses  successeurs  immédiats.  Il  n'en  demeura  pas 
moins  chez  les  Grecs  l'expression  de  cette  idée  que 
l'évêque  de  la  résidence  impériale  devait  être,  sinon 
l'égal  de  l'évêque  de  Rome,  du  moins  le  supérieur 
des  grands  sièges  d'Alexandrie  et  d'Antioche  dont 
les  droits  de  primatie  avaient  déjà  été  officiellement 
proclamés  au  concile  de  Nicée.  Or,  cette  simple  dis- 
tinction d'honneur  n'était  point  pour  satisfaire 
l'ambition  de  la  plupart  des  successeurs  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze  et  de  saint  Jean  Chrysostome 
sur  le  siège  de  Constantinople.  De  leur  part  quelques 
empiétements  de  juridiction  eurent  lieu  tant  sur  le 
territoire  des  patriarcats  voisins  que  sur  les  dépen- 
dances du  siège  de  Rome,  notamment  en  Illyrie  ; 
et  Théodose  le  jeune  eut  le  tort  de  les  consacrer  par 
des  lois,  qu'il  dut  abroger  dans  la  suite  sur  les 
réclamations  du  pape  (i). 

Mais  la  question  était  posée,   l'honneur  n'allant 
pas   sans  une  juridiction  correspondante,    et   l'on 
sait  dans   quel  sens  elle  fut   résolue  au  concile  de 
Chalcédoine,  en  45 1.  A  la  session  xv°,  en  effet,  en 
l'absence  des  légats  du  Souverain  Pontife  et  d'un 
grand  nombre  de  Pères,  cent  quatre  vingt  quatre 
évêques   rédigèrent   un  nouveau  canon,   le   vingt- 
huitième,  pour  confirmer  celui  du  concile  de  Cons-  ; 
tantinople  et  reconnaître  à  l'évêque   de  Constanti-  \ 
nople  le  premier  rang  après  l'évêque  de  Rome  et  | 
une  juridiction  patriarcale  effective.  Les  légats  pro- 
testent ;  le  pape  saint  Léon  le  Grand  (44o-46i)  con- 
damne expressément  ce  canon  ;  l'empereur  et  l'évê- 

i.  Cod.  theod.,  XVI,  tit.  n,  1.  45. 


i/io  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

que  de  Constantinople  cèdent  aussitôt.  Mais,  peu 
après,  Acace,  étant  monté  sur  le  siège  de  la  cité 
impériale,  invoque  le  canon  condamné  par  le  pape, 
le  fait  confirmer  par  un  édit  de  l'empereur  et,  fort 
d'un  tel  droit  usurpé,  en  use  au  détriment  des  au- 
tres patriarches  d'Orient  ;  malgré  le  pape,  il  provo- 
que l'édit  d'union  avec  les  Monophysites  et  finale- 
ment se  révolte  contre  l'autorité  du  Saint-Siège.  Ce 
ne  fut  là,  il  est  vrai,  qu'un  schisme  éphémère,  puis- 
que les  successeurs  immédiats  de  l'évêque  révolté 
sollicitèrent  leur  reconnaissance  de  Rome  ;  mais 
Rome  n'intervint  que  sur  des  instances  réitérées, 
en  519,  sous  l'empereur  Justin.  C'est  alors  que  le 
pape  Hormisdas  proposa  aux  orientaux  une  profes- 
sion de  foi,  qui  proclamait  la  nécessité  de  la  com- 
munion avec  le  siège  de  Pierre  ;  cette  profession 
fut  acceptée  en  Orient,  signée  par  les  évêques  et  re- 
çue par  les  conciles  ;  elle  resta  même  la  formule 
officielle  pour  la  condamnation  des  diverses  héré- 
sies jusqu'au  huitième  concile  œcuménique  inclu- 
sivement, c'est-à-dire  jusqu'au  quatrième  concile 
de  Constantinople  de  869,  où  elle  fut  souscrite  par 
tous  les  membres  de  l'assemblée,  qui  condamna 
Photius. 

2°  Profession  de  foi  de  Léon  IX 

Le  schisme  grec,  finalement  consommé  par  Pho- 
tius, au  ixe  siècle,  trouve  des  patriarches  complai- 
sants et  intéressés  pour  entretenir  la  discorde  et 
élargir  le  fossé  de  séparation  entre  l'Eglise  grecque 
et  l'Eglise  latine,  entre  autres  Nicolas  Chysoberges, 
en  g3o,  Sisinnius,  en  995,  Sergius,  en  999,  et  sur- 
tout Michel  Cérulaire,  en  io43.  Les  griefs  contre 
l'Eglise  latine  s'accumulèrent  comme  à  plaisir  ;  la 
question  de  juridiction  ne  masquait  plus  les  diver- 


PROFESSION    DE    FOI    DE    CLEMENT    IV  1^1 

gences  liturgiques  et  doctrinales  :  consécration  du 
pain  azyme,  jeûne  du  samedi,  baptême  par  une 
seule  immersion,  célibat  imposé  au  prêtres,  etc. 
L'ancien  évêque  de  Tout,  Brunon,  devenu  pape  sous 
le  nom  de  Léon  IX  (io48-io54),  réfuta  les  princi- 
pales de  ces  objections  dans  une  lettre  au  patriarche 
de  Gonstantinople  (i)  ;  et  il  indiqua  à  Pierre  d'An- 
tioche  le  symbole  de  foi  que  devaient  souscrire  ceux 
qui  voudraient  rentrer  en  communion  avec  l'Eglise 
latine.  Ce  symbole  contient  une  profession  de  foi  ex- 
plicite sur  chacun  des  articles  déjà  définis,  particu- 
lièrement sur  la  procession  du  Saint-Esprit  a  Pâtre 
et  Filio,  une  reconnaissance  formelle  de  l'Eglise  ca- 
tholique, et  l'acceptation  pleine  et  entière  des  sept 
premiers  conciles  œcuméniques.  Ce  symbole  de  foi 
est  celui  qui,  aujourd'hui  encore,  sert,  sous  forme 
de  questions,  à  l'examen  des  évêques,  avant  leur 
consécration  épiscopale  (2). 

3°  Profession  de  foi  de  Clément  IV 

Lorsque,  plus  tard,  se  manifestèrent,  chez  les  Grecs, 
des  velléités  de  retour  à  l'unité,  la  formule  à  sous- 
crire était  toute  prête.  Toutefois,  en  1267,  le  pape 
Clément  IV  (1265-1268)  jugea  bon  de  la  compléter. 
Il  ajouta,  en  effet,  au  symbole  de  Léon  IX  ce  que 
l'Eglise  latine  croit  relativement  au  purgatoire,  aux 
suffrages  des  fidèles,  au  sacrifice  de  la  messe,  aux 
bonnes  œuvres,  aux  sept  sacrements,  à  la  souve- 
raine autorité  et  à  la  primatie  de  l'Eglise  romaine, 
aux  appels  en  cours  de  Rome  (3).  Michel  Paléologue 
finit  par  souscrire  ce  document  au  concile  généra! 
de  Lyon,  en  1274  ;  mais  il  n'entraîna  pas  l'Orienl  à 
sa  suite. 

1.  Denzinger,  n°  289-291.  —  2.  Denzinger,  n°  292-297.  — < 
3.  Denzinger,  n°  383-389. 


I/J2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


4°   Profession  de  foi  d'Eugène   IV 

Les  Grecs  s'entêtèrent  encore  dans  leur  schisme 
pendant  près>  de  deux  siècles.  Mais,  à  l'époque  du 
concile  de  Florence,  un  grand  mouvement  de  re- 
tour vers  l'unité  se  prononça.  Ce  furent  d'abord  le 
patriarche  de  Gonstantinople,  les  délégués  des  trois 
patriarches,  plusieurs  métropolitains  et  l'empereur 
Jean  Paléologue  qui  se  présentèrent  pour  traiter  de 
l'union  des  deux  Eglises.  On  discuta  les  points  con- 
troversés. Les  Latins  admirent  les  prétentions  des 
Grecs  au  sujet  du  siège  de  Constantinople  et  lui  re- 
connurent le  premier  rang  après  celui  de  Rome  ; 
de  leur  côté,  les  Grecs  se  soumirent  sur  toutes  les 
autres  questions.  Alors  Eugène  IV  (i43 1-1^47)  pu- 
blia la  bulle  célèbre  Lœtentur  cœli  et  exultel  terra  (1), 
où  sont  consignés  tous  les  points  réglés  d'un  com- 
mun accord,  notamment  celui  de  la  pleine  puis- 
sance du  Pontife  romain  ;  cette  pièce  fut  signée  le 
6  juillet  1 439. 

La  même  année  survinrent  des  députés  arméniens, 
un  peu  plus  tard  des  députés  jacobites,  puis  des 
députés  syriens,  représentant  des  Eglises  séparées 
depuis  les  querelles  du  Monophysisme.  Tous 
acceptèrent  les  vues  de  Rome,  et  le  pape  rédigea 
trois  décrets  d'union,  qui  précisaient  les  solutions 
admises  et  l'exposition  de  la  foi  orthodoxe  que 
devaient  désormais  professer  ces  schismatiques. 
C'étaient,  en  faveur  des  Arméniens,  la  bulle  Exultate 
Deo,  du  22  novembre  i63g  (2)  ;  en  faveur  des  Jaco- 
biles,  la  bulle  Cantate  Domino,  du  4  février  i442  (3); 
en  faveur  des  Syriens,  la  bulle  Multa  et  admirabilia, 
du  3o  septembre  i444- 

1 .  Denzinger,  n°  586-589-  —  a.  Ibid.,  n.  590-597.  —  3.  Ibid,9 
n.  U98-60G. 


PROFESSION    DE    FOI    DE    GREGOIRE    XIII  l43 

En  même  temps  étaient  admis,  par  le  décret 
Benedictus  sitDeus,  du  mois  d'août  i445,  des  chré- 
tiens de  l'île  de  Chypre,  groupe  de  Chaldéens  nés- 
to riens  et  de  Maronites  monothélites.  Moment  vrai- 
ment solennel  dans  l'histoire  de  l'Eglise  que  celui 
de  ce  retour  général  et  officiel  de  l'Orient  à  l'unité, 
mais  trop  beau  pour  pouvoir  durer.  On  comprend 
les  expressions  d'allégresse  dont  le  Pape  se  servit 
pour  célébrer  ce  triomphe  de  l'orthodoxie  et  de 
l'union.  L'expérience  d'un  passé  déjà  long  ne  sem- 
blait pourtant  pas  autoriser  de  longs  espoirs.  Et,  en 
fait,  à  part  quelques  Eglises  isolées  qui  restèrent 
fidèles  à  leur  serment,  l'Orient,  en  grande  partie, 
retomba  dans  le  schisme. 

5°  Profession  de  foi  de  Grégoire  XIII 

Depuis  lors,  cependant,  l'Eglise  grecque  a  essayé 
encore  à  trois  reprises  de  secouer  sa  torpeur  et  de  re- 
prendre, à  l'exemple  du  prodigue,  le  chemin  vers  la 
maison  dupère  de  famille.  Ce  fut,  au  xvie  siècle,  sous 
le  pontificat  de  Grégoire  XIII  (i572-i585).  Ce  pape, 
par  la  constitution  5i  Sanctissimus  Deus  noster  (i), 
mit  pour  condition  l'acceptation  d'une  profession 
de  foi,  dans  laquelle,  outre  le  symbole  de  Nicée- 
Constantinople  et  les  décrets  d'union  du  concile  de 
Florence,  se  trouve  l'enseignement  formulé  par  le 
concile  de  Trente,  tel  que  Pie  IV  l'a  résumé. 

6°  Profession  de  foi  d'Urbain  VIII 
et  de  Benoît  XIV 

Au  début  du  pontificat  d'Urbain  YIII  (i623-i644), 
i.  Ibid.  n.  868-872. 


I A4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

nouvelle  tentative  d'union,  nouvelle  obligation 
imposée  aux  schismatiques  grecs  d'accepter  la 
formule  de  foi  prescrite  par  le  pape  ;  au  xvme  siècle, 
dernier  essai,  sans  lendemain  comme  les  autres. 
Benoît  XIV  '(17/10-1758)  reprend  les  formulaires  de 
Grégoire  XIII  et  d'Urbain  VIII.  Sa  profession  de  foi, 
publiée  par  la  constitution  Nuper  ad  nos,  insère  la 
liste  détaillée  des  huit  premiers  conciles  œcuméni- 
ques et  des  erreurs  qui  y  furent  condamnées,  et 
ajoute  à  ce  qui  est  emprunté  aux  conciles  de  Flo- 
rence et  de  Trente  une  formule  accentuée  de 
soumission  et  d'obéissance  «  au  Pontife  romain, 
successeur  du  bienheureux  Pierre,  prince  des  Apô- 
tres et  Vicaire  de  Jésus-Christ  (1).  » 

7°  Autres  professions  de  foi 

Indépendamment  de  ces  diverses  professions  de 
foi,  motivées  par  les  circonstances  et  de  plus  en  plus 
détaillées  chaque  fois  qu'il  s'est  agi  de  la  réunion  de 
l'Eglise  grecque  à  l'Eglise  latine,  d'autres  ont  visé 
plus  particulièrement  les  cas  de  certains  chrétiens 
suspectés  d'hérésie  ou  formellement  hérétiques. 
Durant  les  controverses  qui  ont  rempli  le  ive  et  le 
ve  siècles,  combien  de  formulaires  de  foi  ne  vit-on 
pas  paraître,  soit  de  la  part  des  orthodoxes,  soit 
surtout  de  la  part  des  partisans  d'Àrius  et  de  Macé- 
donius,  de  Nestorius  et  d'Eutychès.  D'autre  part, 
dans  la  discipline  ecclésiastique  s'introduisit  l'usage 
de  n'admettre  à  la  communion  les  divers  hérétiques 
qu'après  une  abjuration  formelle  de  leurs  erreurs. 

Quelques  personnages,  en  particulier,  tels 
qu'Abélard  et  Bérenger,  furent  mis  en  demeure, 
sous  peine  d'excommunication,  d'émettre  une  pro- 

l,  Denzinger,  n,  873-879, 


PROFESSION    DE    FOI    DE    PIE    IV  l/j5 

fession  de  foi  qui,  condamnant  expressément  les 
idées  hétérodoxes  dont  ils  étaient  accusés,  leur 
permit  de  rester  dans  l'Eglise.  De  telles  précautions 
n'étaient  prises  que  dans  le  but  de  sauvegarder  la 
foi  des  fidèles  et  de  maintenir  la  paix  et  l'union. 

Or  ce  que  l'on  avait  fait  pendant  les  premiers 
siècles  vis-à-vis  des  sectes  si  nombreuses  à  cette 
époque  de  luttes  doctrinales,  on  continua  de  le  faire 
pendant  le  moyen  âge.  Innocent  III  (n 98-1 216) 
imposa  ainsi  une  profession  de  foi  aux  Vaudois  qui 
sollicitaient  leur  admission  dans  l'Eglise  (2).  Dans 
la  suite,  quand  il  s'agit  de  réconcilier  les  partisans 
de  Wiclef,  de  Jean  Hus,  de  Luther  et  de  Calvin,  une 
abjuration  préalable  de  l'erreur  et  une  acceptation 
formelle  de  la  foi  catholique  furent  exigées.  Et  de 
nos  jours  encore,  c'est  ce  qui  a  lieu  pour  la  récon- 
ciliation et  l'admission  des  hérétiques.  En  pareil 
cas,  le  Rituel  indique,  soit  la  profession  de  foi  de 
Pie  IV,  dont  nous  allons  parler,  soit  une  formule 
plus  courte,  mais  essentielle,  celle  du  Saint  Office. 

IL   La  profession    de   foi 
de  Pie  IV 

L'Eglise  a  fait  autre  chose  encore,  mais  cette  fois 
vis-à-vis  de  ses  enfants  légitimes,  laïques  ou  ecclé- 
siastiques, dès  qu'il  s'est  agi  de  leur  confier  un  rôle 
important,  une  charge,  une  fonction,  un  office,  ou 
même  de  leur  conférer  simplement  quelques  hon- 
neurs particuliers  :  elle  a  cru  utile  et  nécessaire  de 
s'assurer  d'avance  de  leur  parfaite  orthodoxie,  et, 
pour  cela,  de  leur  faire  faire  une  profession  de  foi 

1.  Ibid.,  n.  366-373. 

M  CATHÊCHISME.  —  T.  I.  \Q 


l46  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

détaillée  portant  sur  l'ensemble  de  la  doctrine 
chrétienne.  Depuis  le  concile  de  Trente,  c'est  la 
profession  de  foi  de  Pie  IV  qui,  d'après  le  Droit 
canonique,  doit  être  faite  solennellement  par  tous 
ceux  qui  sont  revêtus  d'une  dignité  ou  d'une  charge 
ecclésiastique. 

1°  Date  et  objet 

Rédigée  par  ordre  de  Pie  IV  (i55g-i565),  à  la 
suite  des  décrets  du  concile  de  Trente,  et  pu- 
bliée par  la  constitution  Injwicliim  nobis  de  i564, 
cette  profession  de  foi  est  beaucoup  plus  explicite 
et  plus  détaillée  que  les  divers  symboles.  Elle  exige 
une  adhésion  ferme  au  symbole,  à  la  tradition,  aux 
règlements  et  constitutions  de  l'Eglise,  à  l'Ecriture 
sainte  interprétée  par  l'Eglise,  aux  sept  sacrements 
et  à  leurs  rites,  aux  définitions  et  aux  déclarations 
du  concile  de  Trente  sur  le  péché  originel  et  la  jus- 
tification, sur  le  sacrifice  de  la  messe  et  la  trans- 
substantiation, sur  l'existence  du  purgatoire  et  les 
suffrages  des  fidèles,  sur  l'invocation  des  saints,  le 
culte  des  reliques  et  des  images,  les  indulgences  ; 
soumission  formelle  à  l'Eglise  et  au  Pontife  ro- 
main, aux  décrets  des  conciles,  avec  promesse  et 
serment  de  rester  fidèle  à  la  foi  catholique,  de  la 
faire  observer  et  de  l'enseigner.  Après  le  concile  du 
i  Vatican,  sur  un  décret  de  la  Congrégation  du  Con- 
cile, du  20  janvier  1877,  on  y  a  inséré  vers  la  fin 
quelques  mots  relatifs  au  primat  et  à  l'infaillibilité 
du  Pape.  La  voici  dans  sa  teneur. 

20  Texte  de  la  profession  de  foi  de  Pie  IV 

Ego  N.  firma  fide  credo  et  profitcor  omnia  et  singula  quae 
continentur  in  Symbolo  fidei,  quo  sancta  Romana  Eccle- 


PROFESSION    DE    FOI   DE    PIE    IV  1/^J 

sia  utitur,  videlicet  :  Credo  in  unum  Deum  Patrem  om- 
nipotentem...  (Suit  tout  le  symbole  de  Nicée-Constantinople) . 

Apostolicas  et  ecclesiasticas  traditiones,  reliquasque 
ejusdem  Ecclesiae  observationes  et  constitutiones  firmis- 
sime  admitto  et  amplector. 

Item  sacram  Scripturam  juxta  eum  sensum,  quem 
tenuit  et  tenet  sancta  mater  Ecclesia,  cujus  est  judicare 
de  vero  sensu  et  interpréta tione  sacrarum  Scripturarum, 
admitto  ;  nec  eam  unquam  nisi  juxta  unanimem  consen- 
sum  Patrum  accipiam  et  interpretabor. 

Profiteor  quoque  septem  esse  vere  et  proprie  Sacra— 
mentanovselegis,  a  Jesu-Christo  Domino  nostro  instituta 
atque  ad  salutem  humani  generis,  licet  non  omnia  sin- 
guiis  necessaria,  silicet  :  Baptismum,  Confîrmationem, 
Eucharisiiam,  Paenitentiam,  Exlremam  Unctionem,  Or- 
dinem  et  Matrimonium  ;  illaque  gratiam  conferre,  et  ex 
his  Baptismum,  Confîrmationem  et  Ordinem  sine  sacrile- 
gio  reiterari  non  posse.  Receptos  quoque  et  approbatos 
Ecclesiae  Catholicœ  ri  tus,  in  supradictorum  omnium  sacra- 
mentorum   solemni  administratione,  recipio  et  admitto. 

Omnia  et  singula  quse  de  peccato  briginali  et  de  justifi- 
catione  in  sacrosancta  Tridentina  Synodo  definita  et  de- 
clarata  fuerunt  amplector  et  recipio. 

Profiteor  pariter  in  Missa  ofîerri  Deo  verum,  proprium 
t\f  propitiatorium  sacrifîcium,  pro  vivis  et  defunctis  ;  at- 
que in  sanctissimo  Eucharistiae  Sacramento  esse  vere, 
realiter  et  substantialiter  Corpus  et  Sanguinem  una  cum 
anima  et  divinitate  Domini  nostri  Jesu  Christi,  fieriquô 
conversionem  totius  substantiœ  panis  in  Corpus  et  totius 
substantiœ  vini  in  Sanguinem,  quam  conversionenii 
Çatholica  Ecclesia  Transsubstantiationem  appellat.  Fateor 
etiam  sub  altéra  tantum  specie  totum  atque  integrum 
Christum,  verumque  Sacramentum  sumi. 

Gonstanter  teneo  Purgatorium  esse,  animasque  ibi 
detentas  fidelium  suffragiis  juvari  ;  similiter  et  Sanctos 
una  cum  Christo  régnantes  venerandos  atque  invocandos- 
esse  ;  eosque  orationes  Deo  pro  nobis  offerre  ;  atqu& 
eorum  reliquias  esse  venerandas.  Firmissime  assero  ima- 
gines Christi  ac  Deiparœ  semper  Yirginis,  nec  non  alio- 


l/|8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

rum  sanctorum  habendas  et  retinendas  esse,  atque  eis 
debitum  honorem  ac  venerationem  impartiendam.  Indul- 
gentiarum  eliarn  potes  ta  tem  a  Christo  in  Ecclesia  relio 
tam  fuisse;  illarumque  usum  christiano  populo  maxime 
salutarem  esse"  affirmo. 

Sanctam,  Catholicam  et  Apostolicam  Romanam  Eccle- 
siam,  omnium  Ecclesiarum  matrem  et  magistram 
agnosco.  Rornano  Pontifici,  beati  Pétri  apostolorum 
principis  successori  ac  Jesu  Ghristi  vicario,  veram  obedien- 
tiam  spondeo  ac  juro. 

Caetera  autem  omnia  a  sacris  canonibus  et  œcumenicis 
conciliis,  ac  prœcipue  a  sacrosancta  Tridentina  Synodo, 
et  ab  œcumenico  concilio  Yaticano  tradita,  definita,  et 
declarata,  prausertim  de  Romani  Pontificis  Primatu  et 
infallibili  Magisterio,  indubitanter  accipio  atque  profiteor; 
simulque  contraria  omnia,  atque  haereses  quascumque  ab 
Ecclesia  damnatas,  rejectas,  et  anathematizatas,  ego  pari- 
ter  damno,  rejicio  et  anathematizo. 

Hanc  veram  Catholicam  fidem,  extra  quam  nemo  salvus 
esse  potest,  quam  in  praesenti  sponte  profiteor  et  veraci- 
ter  teneo,  eamdem  integram  et  inviolatam  usque  ad  extre- 
mum  vitaB  spiritum,  constantissime,  Deo  adjuvante,  reti- 
nere,  et  confiteri,  atque  a  meis  subditis,  vel  illis  quorum 
cura  ad  me  in  munere  meo  spectabit,  teneri,  doceri  et 
praedicari,  quantum  in  me  erit,  curaturum.  Ego  idem  N. 
spondeo,  voveo,  ac  juro.  Sic  me  Deus  adjuvet,  et  haeo 
sancta  Dei  Evangelia.  » 

3°  Son  Usage 

D'après  la  jurisprudence  canonique,  sont  tenus 
de  réciter  publiquement  et  solennellement  cette 
profession  de  foi  : 

i.  Les  patriarches,  les  primats,  les  archevêques 
et  les  évêques,  au  premier  synode  provincial  auquel 
ils  assistent,  sous  peine  d'être  dénoncés  à  Rome, 
s'ils  s'y  refusent  (i). 

i.  Conc.  Trid,  sess.  xxv,  cap.  n,  de  réf.;  Const.  Quos  aposto- 
licis  de  Grégoire  xiv  (i 590-1 591),  du  i3  mars  1591. 


PROFESSION    DE    FOI    DE    PIE    IV  ity 

2.  Tous  ceux  qui  sont  pourvus  d'un  bénéfice  avec 
charge  d'âmes,  d'un  canonicat  ou  d'une  dignité 
dans  une  église  cathédrale,  et  cela  dans  les  deux 
mois  après  la  prise  de  possession  (i)  ;  ceux  qui  sont 
pourvus  d'un  bénéfice  avec  charge  d'âmes  doivent 
la  faire  devant  l'évêque  ou  son  vicaire  général  ; 
les  chanoines  et  dignitaires,  également  devant 
l'évêque  ou  son  vicaire  général,  et  de  plus  devant 
le  Chapitre,  mais  cette  dernière  suffît,  si  l'évêque 
ou  son  vicaire  général  assiste  au  Chapitre  (2). 

3.  Les  prélats  régulièrement  préposés  au  gouver- 
nement des  monastères,  des  couvents,  des  maisons 
et  autres  lieux  qui  appartiennent  à  des  ordres  reli- 
gieux et  militaires  (3). 

[\.  Les  Docteurs,  maîtres  d'école,  lecteurs,  profes- 
seurs d'arts  libéraux  et  de  grammaire,  qu'ils  soient 
laïques  ou  ecclésiastiques  (/j). 

5.  A  Rome,  d'après  le  concile  romain  de  1825, 
et  dans  quelques  diocèses,  sont  également  tenus  à 
faire  cette  profession  de  foi  tous  ceux  qui  sont  pour- 
vus d'un  bénéfice  quelconque,  même  simple  ;  par 
exemple,  les  vicaires  généraux,  les  vicaires  forains, 
les  procurateurs  et  promoteurs  du  fisc  épiscopal,  le 
chancelier,  les  prédicateurs  nouveaux,  même  régu- 
liers, les  nouveaux  confesseurs  ;  ceux  qui  ensei- 
gnent la  théologie,  la  philosophie,  le  droit  canon 
ou  le  droit  civil,  les  arts  libéraux,  la  grammaire,  et 
ceux  qui  exercent  la  médecine  et  la  chirurgie. 

Telle  quelle,  cette  profession  de  foi  de  Pie  IV  est 
actuellement,  dans  l'Eglise,  la  profession  de  foi  la 
plus  détaillée  qui  existe.  Elle  constitue  un  docu- 
ment de  première  importance,  sommaire  abrégé 
des  principaux  points  de  l'enseignement  catholique. 

1.  Conc.  Trid..  sess.  xxiv,  cap.  xn  de  réf.  —  2.  Gangr. 
Conc.,  25  janvier  et  9  février  1726-  —  3.  Injunctam  nobis,  de 
Pie  IV.  —  4-  In  sacrosancta,  de  Pie  IV. 


Leçon   IVe 
Immutabilité  et  Progrès 


I,  Immutabilité  :  1°  La  révélation  est  complète 
depuis  les  apôtres.  —  2°  La  règle  de  foi  dans 
les  premiers  siècles.  —  3°  La  doctrine  de  saint 
Vincent  de  Lèrins.  —  4°  L'enseignement  du 
Vatican.  —  II.  Progrès  :  1°  Son  objet.  '-  2°  Ses 
caractères.  —  3°  Sa  marche.  —  4°  Ses  limites. 


I.  Immutabilité 


Un  simple  coup  d'œil  jeté  sur  le  texte  de  nos 
symboles  et  de  la  profession  de  foi  de  Pie  IV 
suffit  pour  constater  la  différence  sensible  qui 
existe  entre  eux.  Les  vérités,  qui  leur  sont  commu- 
nes, y  sont  exprimées  d'une  manière  de  plus  en  plus 
claire,  précise  et  complète  ;  et  d'autres  vérités  s'y 
trouvent  explicitement  formulées.  Les  articles  de  foi, 
en  effet,  y  ont  subi  un  accroissement  notable.  Mais 
qu'est-ce  à  dire?  L'objet  de  la  foi  ne  se  serait-il  pas 
étendu,  avec  la  marche  du  temps  et  les  progrès 
scientifiques,  dans  des  proportions  imprévues  ?  Et, 
dans  ce  cas,  est-ce  bien  l'enseignement  donné  aux 
apôtres  par  Jésus  Christ?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  unei 
doctrine  nouvelle,  cadrant,  si  l'on  veut,  avec  la  foi 
primitive,  mais  surajoutée  du  dehors,  soit  à  l'aide 


IMMUTABILITÉ  l5l 


du  travail  humain,  soit  au  moyen  de  révélations 
récentes,  comme  cela  s'était  produit  depuis  Adam 
jusqu'à  Notre  Seigneur  ? 

La  question  vaut  la  peine  d'être  examinée  de  près 
pour  dissiper  bien  des  équivoques  dans  l'esprit  de 
nos  contemporains  (i)  ;  d'autant  plus  que,  parmi 
les  incrédules,  s'il  en  est  qui  accusent  l'Eglise  d'être 
complètement  immobilisée  et  comme  figée  dans  sa 
foi,  en  dehors  de  tout  progrès,  sinon  en  contradic- 
tion formelle  avec  l'épanouissement  nécessaire  et 
constant  de  la  raison,  d'autres,  au  contraire,  lui  font 
le  reproche  d'innover  en  matière  de  doctrine  et  de 
mettre  sur  le  compte  de  la  révélation  divine  des 
vérités  d'ordre  purement  humain,  de  telle  sorte  que 
l'enseignement  catholique  ne  ressemblerait  ni  plus 
ni  moins  qu'à  une  doctrine,  qui  sans  doute  peut 
avoir  pour  base  et  pour  point  de  départ  l'enseigne- 
ment apostolique,  mais  qui  est  toujours  en  train  de 
se  modifier,  d'évoluer,  de  s'adapter  aux  progrès  de 
la  science  et  aux  exigences  de  la  pensée  humaine, 
o'est-à-dire  de  changer. 

Les  uns  nous  reprochent  de  rester  immobiles. 

i.  S.  Vincent  de  Lérins,  Commonitorium  ;  Patr.  lai.,  t.  l; 
S.  Thomas,  Sum.  theol,  JIa  IIœ  ,  Q.  i,  a.  7  ;  Bossuet,  Avertisse- 
ments aux  protestants  ;  Moehler,  La  symbolique,  trad.  franc., 
Paris,  i853  ;  Newman,  Essay  on  the  développement  of  Christian 
doctrine,  trad.  franc.,  Paris,  i848  ;  Franzelin,  De  divina 
traditione  et  Scriptara,  Rome,  1870  ;  3*  édit.,  Rome,  1882  ; 
Prunier,  Evolution  et  immutabilité,  Paris,  1898  ;  De  la 
Barre,  La  vie  du  dogme,  Paris,  1898  ;  Bainvel,  Le  dogme  et  la 
pensée  catholiques,  dans  les  Etudes,  Paris,  1900,  t.  lxxxii, 
p.  3o  sq  ;  Vacant,  La  constitution  Dei  Filius,  Paris,  1895  ;  L.  de 
Grandmaison,  L'élasticité  des  formules  dogmatiques,  dans  les 
Etudes,  1898,  t.  lxxvi,  p.  3£o  sq  ;  E.  Portalié,  Le  dogme  et 
l'histoire,  dans  le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  190^ 
p.  G2-143  ;  Pcrriot,  Développement  du  dogme  catholique,  dans  le 
Dictionnaire  de  Jaugey,  Paris,  1888  ;  Didiot,  Cours  de  théologie 
caUwl'que,  1891-18^2. 


102  LE    CATECHISME    ROMAIN 

Nous  leur  répondons  :  constatez  nos  progrès  ;  la 
parole  divine  est  reçue  par  des  intelligences  humai- 
nes, mais  elle  y  devient  une  vérité  de  mieux  en 
mieux  connue,  une  pensée  qui  vit  ;  nous  avons  une 
idée  de  la  vérité  révélée  de  plus  en  plus  nette  ;  nous 
l'entendons,  nous  la  connaissons,  nous  l'expliquons 
d'une  manière  de  moins  en  moins  imparfaite  ;  il  y  a 
du  mouvement  dans  les  propositions  dogmatiques, 
qui  font  passer  certaines  vérités  de  l'état  implicite 
à  l'état  explicite  ;  il  y  en  a  dans  la  science  théologi- 
que, qui  ne  cesse  de  s'élaborer  et  de  se  perfection- 
ner ;  il  y  en  a  dans  la  vie  catholique,  qui  s'épa- 
nouit pratiquement  en  œuvres  toujours  plus  fé- 
condes. 

Soit,  répliquent  les  autres  ;  mais  alors  vous  violez 
votre  principe  de  l'immutabilité  doctrinale  ;  vous 
innovez,  et  votre  catholicisme  n'a  guère  plus  rien 
qui  ressemble  au  christianisme  primitif.  Nous  répon- 
dons à  ces  derniers  :  notre  progrès  n'est  pas  une 
innovation  d'importation  étrangère  ;  il  est  conforme 
à  tout  principe  vivant  ;  il  suit  sa  propre  loi,  qui  est 
une  loi  de  vie  ;  il  est  normal. 

D'autre  part,  il  se  rencontre  quelques  catholiques 
de  bonne  foi  qui,  sans  tomber  dans  ces  extrêmes, 
n'entendent  pas  d'une  façon  satisfaisante  l'ensei- 
gnement de  l'Eglise  sur  ce  point  et,  faute  d'avoir 
une  idée  exacte  de  la  révélation,  du  développement 
doctrinal  ou  de  la  nature  des  définitions  dogmati- 
ques, s'imaginent  à  tort  que  l'objet  de  la  foi  ne  va 
sans  cesse  s'élargissant  que  par  des  additions  oppor- 
tunes ou  nécessaires,  dues  à  de  nouvelles  révélations 
divines,  de  sorte  que  si  la  foi  du  xxe  siècle  se  trouve 
plus  riche  que  la  foi  des  premiers  siècles,  c'est 
grâce  à  des  vérités  nouvelles,  étrangères  à  la  révé- 
lation évangélique,  mais  légitimement  notifiées  par 
l'Eglise  sous  la  direction  du  Saint-Esprit. 


IMMUTABILITÉ  l53 


Il  convient  donc  de  répondre  aux  uns  et  aux  au- 
tres, car  tout  autre  est  la  réalité. 

1°  La  révélation  est  complète  depuis 
les  Apôtres 

Sans  doute,  conformément  à  la  vérité  historique, 
l'Eglise  admet  qu'avant  l'ère  chrétienne,  il  y  a  eu 
un  progrès  réel  dans  la  notification  de  la  doctrine 
religieuse  et  un  accroissement  numérique  des  véri- 
tés révélées.  Elle  constate,  en  effet,  que  des  origines 
du  monde  à  l'avènement  du  Messie,  il  y  a  eu  des 
révélations  partielles,  successives,  de  plus  en  plus 
développées;  car  Dieu  n'a  jamais  laissé  l'humanité 
sans  lui  communiquer,  selon  les  desseins  de  sa  pro- 
vidence, les  vérités  religieuses.  Au  sein  même  du 
paradis  terrestre,  Dieu  instruisit  notre  premier 
père  ;  et  quand  Adam  eût  prévariqué,  il  lui  parla 
encore  pour  lui  faire  entrevoir,  'dans  un  lointain 
mystérieux,  le  pardon,  le  rachat,  le  relèvement.  Il 
déposa  ainsi  dans  le  cœur  de  l'homme  un  germe 
précieux  de  foi  et  d'espérance,  qui  devait  se  déve- 
lopper jusqu'à  la  plénitude  des  temps.  Et  de  peur 
qu'au  contact  de  l'idolâtrie,  le  souvenir  n'en  vînt 
à  s'effacer  ou  à  se  corrompre,  il  eut  soin  de  le  ravi- 
ver, de  le  rappeler,  de  l'accentuer  en  termes  de 
moins  en  moins  voilés,  de  plus  en  plus  précis.  Pour 
conserver  toujours  intact,  toujours  vivant,  ce  germe 
précieux,  Dieu  se  choisit  un  peuple  et,  par  une  ad- 
mirable progression,  il  multiplia  en  sa  faveur,  dans 
la  suite  des  temps,  les  oracles,  les  prophéties,  les 
prodiges.  Abraham,  Isaac,  Jacob,  Moïse,  les  juges, 
les  prophètes,  furent  tour  à  tour  ses  porte-paroles  et 
concentrèrent  de  plus  en  plus  les  rayons  lumineux 
sur  le  personnage  promis,  qui  devait  un  jour  réali- 
ser les  promesses  divines,  en  devenant  la  lumière, 


l54  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  voie,  la  vérité,  la  vie,  le  centre  du  monde  moral 
et  religieux.  Et  pour  que  cet  enseignement  précieux 
et  salutaire  fût  connu  par  d'autres  que  par  les  Juifs, 
Dieu  prit  soin  de  mettre  son  peuple  choisi  en  con- 
tact avec  tous  les  peuples  de  l'antiquité,  dans  une 
série  d'événements  extraordinaires,  qui  devaient  fa- 
ciliter la  diffusion  et  la  connaissance  des  promesses 
divines. 

Mais,  comme  le  fait  observer  avec  juste  raison 
saint  Paul,  Dieu,  après  avoir  parlé  si  souvent  et  de 
tant  de  manières  par  ses  prophètes,  parla  enfin  par 
son  Fils,  le  Verbe  fait  chair,  venu  non  pour  dé- 
truire la  loi,  mais  pour  l'accomplir,  non  pour  être 
lui  aussi  un  intermédiaire  passager  entre  son  Père 
et  nous,  mais  pour  clore  la  série  des  révélations 
que  Dieu  jugeait  à  propos  de  nous  faire  et  pour 
communiquer  définitivement  à  l'humanité,  par 
l'Eglise,  la  somme  des  vérités  nécessaires  au  salut. 

Or,  cette  somme  de  vérités,  Notre-Seigneur  ne 
l'a  pas  notifiée  lui-même  dans  son  intégralité  à  ses 
apôtres  ;  c'est  un  soin  qui  était  réservé  au  Saint- 
Esprit.  S'adressant  aux  douze,  Jésus  disait  :  «  J'ai 
encore  beaucoup  de  choses  à  vous  dire,  mais  vous 
ne  pouvez  les  porter  à  présent.  Quand  le  Consola- 
teur, l'Esprit  de  vérité,  sera  venu,  il  vous  guidera 
dans  toute  la  vérité  (i).  Il  vous  enseignera  toutes 
choses  et  vous  rappellera  tout  ce  que  je  vous  ai 
dit  (2).  ))  Au  Saint-Esprit  donc  le  rôle  de  rappeler 
aux  apôtres  tout  l'enseignement  de  Jésus-Christ  et 
de  le  parachever. 

C'est  pourquoi  les  apôtres,  dépositaires  officiels 
de  cette  révélation,  cette  fois  complète  et  définitive, 
conscients  de  leur  rôle  de  témoins,  disent  à  leurs 
disciples:    a  Restez  fidèles  à  ce  que  vous  avez  ap- 

1.  Joan.,  xyi,  i2-i3.  —  2.  Joan.,  xiv,  2G. 


IMMUTABILITÉ  l55 


pris,  et  dont  vous  avez  la  certitude,  sachant  de  qui 
vous  le  tenez  (i).  »  «  Gardez  le  dépôt,  en  évitant  les 
discours  vains  et  profanes,  et  tout  ce  qu'oppose 
une  science  qui  n'en  mérite  pas  le  nom  (2).  » 
«  Evitez  ceux...  qui  toujours  apprennent  sans  pou- 
voir jamais  arriver  à  la  connaissance  de  la  vé- 
rité (3).  »  Et  saint  Jean  termine  son  Apocalypse  par 
ces  mots  :  «  Je  déclare  à  quiconque  entend  les  paro- 
les de  la  prophétie  de  ce  livre  que,  si  quelqu'un  y 
ajoute,  Dieu  le  frappera  des  fléaux  décrits  dans  ce 
livre.  »  a  Ainsi  s'achève  la  Bible,  le  livre  des 
révélations.  Moïse  en  a  posé  l'alpha,  saint  Jean  en 
écrit  l'oméga.  Dieu  est  au  commencement  pour 
l'ouvrir,  il  est  à  la  fin  pour  le  sceller.  C'est  fini  à 
jamais...  Telle  fut  la  marche  de  la  doctrine  reli- 
gieuse :  au  commencement  Dieu  révèle  sa  divinité, 
son  existence,  son  aséité,  et  la  rédemption  qui  doit 
être  accomplie  par  son  Christ.  Ecrite  sans  formules 
spéciales,  et  d'une  façon  globale'  dans  la  conscience 
humaine,  la  loi  naturelle  est  détaillée,  précepte  par 
précepte,  et  gravée  en  des  tables  de  pierre.  La  vie 
du  Christ  rédempteur  se  dessine  de  jour  en  jour 
avec  des  traits  plus  particuliers,  jusqu'à  ce  qu'il 
paraisse  avec  sa  divine  physionomie,  dépassant  l'es- 
pérance immense  du  monde  par  sa  doctrine  et  ses 
actions.  Les  apôtres,  ses  livres  vivants  et  sa  loi  agis- 
sante, mettent  le  sceau  à  ses  révélations.  Et  la  vérité 
intégrale  qu'ils  confient  à  leurs  successeurs  se  ra- 
jeunit toujours  dans  l'organe  qui  la  porte  (4).  » 

Ainsi  donc,  dès  les  débuts  de  l'âge  apostolique, 
le  cycle  de  la  révélation  est  fermée  pour  toujours  ; 
Dieu  n'a  plus  parlé  à  l'Eglise,  et,  par  là,  dans  la 
vérité  rc  vélée,  tout  est  fixe,  immuable  ;  ni  l'histoire, 

1.  II  Tint.,  m,  i4.  —  a.  I  Tïm.%  vi,  20.  —  3.  II  7ïm.,  m,  7. 
—  4.  Prunier,  Evolution  et  immutabilité,  Paris,  1904,  p.  17. 


l56  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ni  la  philologie,  ni  aucune  science  ne  sauraient  rien 
y  changer.  Le  dépôt  de  cette  révélation  est  confié 
aux  apôtres  et  par  les  apôtres  à  l'Eglise.  Il  renferme 
essentiellement  tout  ce  que  Dieu  veut  que  l'homme 
sache  pour  se  sauver.  Mais  ce  dépôt  n'est  pas  en- 
fermé dans  un  vase  hermétiquement  clos  ;  il  n'est 
pas  figé  dans  une  formule  stéréotypée.  La  vérité  ré- 
vélée n'a  rien  qui  ressemble  à  une  lettre  morte, 
rien  qui  rappelle  la  rigidité  d'un  cadavre  ou  l'im- 
mobilité silencieuse  de  la  tombe  ;  elle  est  vivante, 
au  contraire,  et  vivifiante,  toujours  en  acte  dans 
l'Eglise,  toujours  se  développant  en  vertu  du  prin- 
cipe intime  de  vie  qui  l'anime  et  toujours  identique 
à  elle-même,  toujours  entourée  d'un  respect  fidèle 
et  scrupuleux,  toujours  pensée  vivante  et  vérité 
vécue. 

2°  La  règle  de  foi  dans  les  premiers 

siècles. 

C'est  là,  dès  les  origines  chrétiennes,  un  aspect 
de  la  vérité  révélée,  qui  est  de  capitale  importance, 
qui  s'impose  tout  d'abord  à  la  conscience  de  l'Egli- 
se, qui  s'affirme  et  se  formule  de  la  manière  la  plus 
pressante,  la  plus  obvie,  la  plus  ferme  et  la  plus  ex- 
presse. C'est  de  cette  vérité  révélée  qu'on  est  curieux 
et  qu'on  recherche  avant  tout  ;  témoin,  le  vieux 
Papias,  évoque  d'Hiérapolis,  qui  voyage  pour  re- 
cueillir avec  un  soin  pieux  «  les  dires  des  anciens  » 
afin  de  posséder  la  tradition  autorisée  (i)  ;  témoin, 
Hégésippe,  qui  voyage  pour  étudier  la  foi  des  di- 
verses églises  et  pour  opposer  à  la  gnose  menteuse 
«  la  grande  voix  de  la  prédication   vraie  (2).  »    Et 

1.  Fragm.,  11  ;  Pair,  gr.,  t.  vi,  col.  i25G.  —  2.  Fragm.,  m; 
ibid.,  col.  i320. 


IMMUTABILITÉ  l5y 


saint  Irénée,  le  grand  évêque  de  Lyon,  en  qui  l'on 
entend  l'Orient  et  l'Occident  au  11e  siècle,  oppose 
énergiquement  aux  gnostiques  de  son  temps  les  té- 
moignages de  l'Eglise  d'Ephèse,  fondée  par  saint 
Paul,  puis  dirigée  par  saint  Jean,  de  l'église  de 
Smyrne,  où  il  avait  entendu  saint  Polycarpe,  disci- 
ple de  l'apôtre  bien-aimé,  et  de  celle  de  Rome,  fon- 
dée par  saint  Pierre,  «  avec  laquelle  toutes  les  égli- 
ses doivent  s'accorder  à  cause  de  sa  principauté 
principale  (i).  » 

Aussi,  dans  les  diverses  églises  de  l'empire  ro- 
main, regarde- t-on  comme  une  règle  de  foi  qu'en 
dehors  de  la  tradition  apostolique,  il  n'y  a  pas  de 
vérité,  qu'on  ne  doit  rien  y  ajouter,  rien  en  re-* 
trancher,  qu'aller  contre  cette  tradition  vivante 
c'est  innover  dans  la  foi  et  ne  plus  appartenir  à 
l'Eglise.  Tertullien,  qui  donne  parfois  à  sa  pensée 
un  tour  original  et  un  puissant  relief,  s'écrie  :  «  Il 
n'est  besoin  ni  de  curiosité  après  le  Christ,  ni  de 
recherches  après  l'Evangile.  La  première  règle  de 
notre  foi  c'est  de  ne  rien  croire  au-delà  de  ce 
qu'elle  enseigne...  On  peut  chercher,  oui,  avant  le 
Christ,  mais  pour  croire  ;  après  avoir  trouvé  le 
Christ,  c'est  contraire  à  la  notion  même  de  la  doc- 
trine révélée,  de  la  foi.  Dès  qu'on  a  donné  son 
adhésion,  on  peut  chercher  encore,  sed  in  nostro, 
et  a  nostris,  et  de  nostro,  salva  régula  fidei...  Ne  rien 
savoir  contre  la  règle,  c'est  tout  savoir  (2).  »  Ainsi 
donc,  respect  avant  tout  de  la  règle  de  foi;  re- 
cherche intellectuelle  libre  pour  trouver  la  vérité  ; 
recherche  encore,  après  l'avoir  trouvée,  mais  cette 
fois  limitée  à  l'objet  propre  de  l'enseignement  ré- 
vélé. Il  suffit  dès  lors  qu'une  doctrine  soit  nouvelle 


1.  Adv.  hœr.,  III,  m,  a  ;  Pair,  gr.,  t.  vu,  col.  8^9.  —  a.  De 
prœscript.,  vm,  ix,  xn,  xiv;  Patr.  lat.t  t.  n,  col.  34-27. 


l58  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pour  être  taxée  d'hétérodoxe  .  la  tradition  d'abord 
et  rien  que  la  tradition.  C'est  la  réponse  célèbre 
du  pape  saint  Etienne  à  saint  Cyprien  de  Carthage, 
au  sujet  de, la  réitération  du  baptême  :  Nil  innove- 
tur  nisi  quod  traditum  est  (i). 

Et  voici  qu'avec  le  ive  siècle  commence  l'action 
doctrinale  des  conciles  œcuméniques.  Des  erreurs 
sont  dénoncées  et  condamnées  ;  certaines  vérités 
révélées,  jusque  là  dans  l'ombre,  sont  mises  en 
pleine  lumière  ;  d'autres,  révoquées  en  doute  ou 
audacieusement  niées,  son  définies;  et  le  nombre 
de  ces  vérités  augmente  encore  pendant  le  ve  siè- 
cle, à  Ephèse  et  à  Chalcédoine,  comme  il  avait 
augmenté  à  Nicée  et  à  Gonstantinople  ;  et  il  ne 
cessera  de  croître  dans  les  siècles  suivants,  grâce  à 
l'intervention  de  conciles  nouveaux,  qui  continue- 
ront l'œuvre  de  leurs  devanciers.  Par  là  progresse 
manifestement  la  science  religieuse  des  fidèles  dans  la 
manière  d'entendre  la  vérité  révélée  et  de  l'expli- 
quer :  ils  apprennent  à  connaître  chaque  jour 
davantage  l'objet  de  leur  croyance.  Mais  ne  se- 
rait-ce pas  en  même  temps  l'oubli  ou  la  méconnais- 
sance de  cette  règle  si  fortement  proclamée  et  si 
jalousement  appliquée  contre  les  innovations  héré- 
tiques? Non,  certes.  Car  les  définitions  conciliaires 
ne  puisent  que  dans  le  dépôt  révélé. 

3°  La  Doctrine 
de  saint  Vincent  de  Lérins 

Yoici,  en  effet,  comment  s'en  explique,  au  lende- 
main du  ni0  concile  général,  le  champion  le  plus 
résolu  de  la  tradition  catholique,  saint  Vincent  de 
Lérins  (f  vers  45o).  Il  rappelle  d'abord  la  règle 

i.  Epist.,  lxxiv,  i  ;  Patr.  lat.,  t.  m,  col.  1128. 


IMMUTABILITÉ  169 


imprescriptible  de  la  foi  catholique  dans  cette  cé- 
lèbre formule  que  les  siècles  n'ont  cessé  de  répéter; 
«  Il  faut  s'attacher  à  ce  qui  a  été  cru  en  tout 
temps,  en  tout  lieu,  par  tous  ;  c'est  cela  qui  est 
vraiment  et  proprement  catholique  ;  il  nous  faut 
suivre  l'universalité,  l'antiquité,  l'accord  général  ; 
quod  ubique,  quod  semper,  quod  ab  omnibus.  »  Il 
s'étonne  de  la  passion  qui  agite  certains  esprits,  du 
besoin  de  nouveau  qu'ils  éprouvent,  de  ce  prurit 
qui  les  pousse  à  ajouter,  à  retrancher,  à  chan- 
ger quelque  chose  à  la  foi,  et  cela  malgré 
saint  Paul  qui  commande  de  «  garder  le  dépôt,  » 
«  d'éviter  les  profanes  nouveautés  de  mots,  l'oppo- 
sition d'une  science  menteuse  ;  »  et  il  explique  ce 
qu'il  faut  entendre  par  ces  deux  mots  :  Depositum 
custodi. 

Il  s'agit  de  mettre  le  dépôt  révélé  à  l'abri  des  vo- 
leurs et  des  ennemis  ;  et  ce  dépôt,  quel  est-il  ?  Quod 
tibi  creditum  est,  non  quod  a  te  invention  ;  quod  acce- 
pisti,  non  quod  excogitasti  ;  rem  non  ingenii,  sed  doc- 
trinœ  ;  non  usurpationis privatœ ,  sedpublicœ  traditionis  ; 
rem  ad  te  perductam,  non  a  te  prolatam  :  in  qua  non 
auctor  debes  esse,  sed  custos  ;  non  inslitutor,  sed  sec- 
tator  ;  non  ducens,  sed  sequens.  C'est  de  l'or  reçu, 
c'est  de  l'or  à  faire  passer  ;  et  sans  doute  on  peut 
l'orner  de  pierres  précieuses,  lui  donner  de  l'éclat, 
de  la  grâce,  du  poli  ;  et  qu'ainsi  intelligatur,  quod 
ante  obscurius  credebatur  ;  per  te posteritas  inlellectum 
gratuletur  quod  ante  vetustas  non  intetlectum  venera- 
batur.  Eadem  tamen  qux  didicisti  doce,  ut  cum  dicas 
nove  non  dicas  nova  (i). 

Mais  alors,  se  demande-t-il,  il  n'y  aurait  donc 
pas  de  progrès  de  la  religion  dans  l'Eglise  du  Christ  ? 
Au  contraire,  répond-il,  il  y  en  a,  il  faut  qu'il  y  en 

I,  Common.,  xxi,  xxii;  Pair.  lat.t  t.  l,  col.  606-667. 


IÔO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ait,  mais  pas  de  changement,  car  le  progrès  consiste 
dans  le  développement  intime  et  propre  d'une 
chose,  non  dans  la  transformation  de  cette  chose 
en  une  autre.  Ainsi,  entendu,  crescai  igitur  oportet 
et  multum  vehementerque  proficiat  tara  dngulorum 
quam  omnium,  iam  unius  hominis  quam  totius  Ecclesise, 
aetatum  ac  sœculorum  gradlbas,  intelligentia,  scientia, 
sapientia,  sed  in  sao  duntaxat  génère,  in  eodem  scilicet 
dogmate,  eodem  sensu,  eadamque  sententia  (i). 

Immutabilité,  oui,  car  il  ne  faut  pas  sortir  de 
l'enseignement  et  des  idées  reçus  ;  et  ceci  rappelle  la 
restriction  signalée  par  Tertullien  ;  progrès,  oui  en- 
core, mais  à  la  condition  que  ce  ne  soit  pas  un 
changement;  et  il  l'explique  :  «  Que  la  foi  des  âmes 
imite  la  loi  des  corps  qui,  dans  le  cours  des  années, 
acquièrent  le  développement  harmonieux  de  toutes 
leurs  parties,  sans  pourtant  cesser  d'être  ce  qu'ils 
étaient.  Car,  de  la  fleur  de  l'enfance  à  la  maturité 
de  la  vieillesse,  la  différence  est  grande  !  Et  cepen- 
dant les  vieillards  sont  ceux-là  même  qui  furent 
enfants.  La  nature  et  l'extérieur  de  l'homme  ont 
beau  changer,  c'est  toujours  la  même  nature  et  la 
même  personne...  Telle  est  la  règle  légitime  et  par- 
faite du  développement;  tel  est  l'ordre  fixe  et  mer- 
veilleusement beau  de  l'accroissement.  L'âge,  en 
faisant  grandir  l'homme,  ne  montrera  en  lui  que  le 
perfectionnement  de  l'œuvre  du  Créateur  dans  le 
petit  enfant...  C'est  cette  loi  de  progrès  que  doit 
suivre  la  vérité  religieuse,  qui,  avec  les  années,  se 
renforce,  s'épanouit  et  s'élève,  mais  sans  jamais 
perdre  son  inviolable  pureté...  C'est  du  froment  pur 
que  nos  pères  ont  semé  dans  le  champ  de  l'Eglise  ; 
quelle  iniquité  à  nous  de  mettre  à  la  place  du  bon 
grain  l'ivraie  de  l'erreur  1  C'est  notre  devoir  de  re- 

i.  Common.,  xxi,  xxn;   Pair,  lat.,  t.  i.,  col.  666-667. 


IMMUTABILITÉ  l6l 


cueillir  à  la  moisson  un  froment  excellent,  puisque 
c'est  du  froment  qui  fut  jeté  dans  les  sillons.  La  tige 
s'élèvera  joyeuse,  nous  verrons  l'épi  se  dessiner  sous 
sa  forme  définitive,  mais  ce  sera  toujours  un  épi 
de  blé... 

«  Il  est  certes  bien  permis  de  creuser  avec  le 
temps  les  enseignements  de  notre  céleste  philoso- 
phie, de  les  limer,  de  les  polir  ;  mais  c'est  un 
crime  de  les  changer,  de  les  tronquer,  de  les  mu- 
tiler. Qu'on  les  fasse  briller  de  toute  la  clarté  de 
l'évidence,  qu'on  les  mette  en  pleine  lumière,  qu'on 
distingue,  à  la  bonne  heure  !  Mais  qu'on  n'aille  pas 
leur  ôter  leur  plénitude  de  vérité  et  leur  inviolable 
intégrité.  Car  si  la  fraude  sacrilège  pouvait  se  glis- 
ser une  seule  fois  au  sein  de  nos  dogmes,  je  ver- 
rais avec  terreur  la  religion  prête  à  s'écrouler  et  à 
disparaître  pour  toujours.  Laissez  tomber  une  par- 
celle du  dogme  catholique,  bientôt  une  autre  et 
puis  une  autre  encore  sera  jetée  -au  vent,  comme 
par  une  pente  toute  naturelle.  Et,  en  le  jetant  ainsi 
pièce  à  pièce,  il  arrivera  qu'il  n'en  restera  plus  rien. 
Mais,  par  contre,  si  les  nouveautés  trouvent  libre 
accès  dans  le  domaine  du  dogme  antique,  si  l'élé- 
ment étranger  se  mêle  à  nos  biens  de  famille,  si  le 
profane  est  confondu  avec  le  sacré,  cet  alliage  aura 
bientôt  tout  envahi.  Et,  dès  lors,  dans  l'Eglise,  plus 
de  dogme  intact,  pur,  immaculé.  Un  mauvais  lieu 
de  honteuses  et  sacrilèges  erreurs  se  sera  élevé  à  la 
place  du  sanctuaire  de  la  chaste  et  incorruptible 
vérité... 

u  L'Eglise  du  Christ,  vigilante  et  prudente  gar- 
dienne des  dogmes  qu'elle  reçut  en  dépôt,  n'y 
change  jamais  rien,  n'y  ajoute  rien,  n'en  retran- 
che rien.  Elle  ne  touche  pas  à  ce  qu'ils  ont  d'essen- 
tiel; elle  ne  les  embarrasse  pas  de  superfétations.Elle 
garde  son  bien  et  ne  porte  pas  la  main  sur  la  pro- 

LB    CATÉCHISME.    —   T.    I.  II 


It>2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

priété  d'autrui;  toutes  les  ressources  de  son  génie 
visent  une  seule  fin:  étudier  l'antique  doctrine  avec 
fidélité  et  sagesse  ;  s'il  s'y  rencontre  des  germes, 
des  ébauches,  en  provoquer  le  développement  ;  s'il 
s'y  trouve  des  vérités  déjà  exprimées  et  com- 
plètement développées,  ies  consolider,  les  affermir  ; 
ce  qui  est  affermis  pour  toujours  par  une  définition, 
le  conserver  (i).  » 

Immutabilité  et  progrès,  nous  venons  de  voir 
dans  quel  sens  les  entendait,  au  ve  siècle,  saint  Vin- 
cent de  Lérins.  M.  Bninetière  a  pu  dire,  après  lui  et 
comme  lui,  qu'évoluer  n'est  pas  changer  :  «  l'épanouis- 
sement de  la  frondaison  de  l'arbre  n'est  pas  une  varia- 
tion du  germe,  et  ce  n'es!  pas  changer,  ce  n'est  pas 
devenir  autre  que  de  développer  le  contenu  de  sa  loi, 
puisque,  au  contraire,  c'est  achever  de  devenir  soi- 
même  (2).  »  Cet  enseignement  n'a  rien  perdu  de  sa 
force,  même  après  les  travaux  du  cardinal  Newman 
et  du  cardinal  Franzelin  ;  il  a  reçu,  du  reste,  une 
consécration  unique  au  sein  du  concile  du  Vati- 
can (3). 

4°  L'enseignement  du  Concile  du 
Vatican 

Les  Pères  du  concile  du  Vatican  eurent  à  traiter 
cette  question  du  progrès  doctrinal   et  de  l'immu- 

1.  Common.  xxm  ;  Pair,  lat.,  t.  l,  col.  668-669.  —  2.  La 
science  et  la  religion,  Paris,  1890,  p.  42-43.  —  3.  Sabatier,  dans 
son  Esquisse  a" mie  philosophie  de  la  religion,  3e  édit.,  Paris 
1897,  p.  63,  dit  qu'avec  Mochler  et  Newman,  «  l'idée  mo- 
derne d'une  évolution  du  dogme  entre  dans  la  dogmatique 
du  catholicisme.  »  Il  a  sans  doute  oublié  Saint  Vincent  de 
Lérins,  et  les  Avertissements  aux  protestants,  le  premier,  le  se- 
cond et  le  sixième,  de  Bossuet  ;  et  sans  doute  encore  il  ne  con- 
naissait pas  le  De  traditione  et  scriptura,  Rome,  1870,  de  Fran- 
zelin. 


IMMUTABILITÉ  1 63 


tabilité,  à  cause  de  l'assimilation  fâcheuse  que  le 
rationalisme  prétendait  établir  entre  la  révélation  et 
la  philosophie,  à  cause  aussi  des  conséquences 
erronées  qu'il  en  tirait.  La  philosophie,  étant  tou- 
jours d'ordre  humain,  reste  sujette,  comme  ta  rai- 
son elle-même,  aux  variations,  aux  incertitudes,  aux 
écarts,  aux  erreurs,  aux  progrès;  et  il  en  serait  ainsi 
de  l'enseignement  révété.  Cette  assimilation  fautive 
provient  d'une  fausse  notion  de  la  révélation;  ce  fut,  en 
particulier,  l'erreur  du  prêtre  allemand  Guntlier 
(f  i863).  En  tant  que  manifestation  de  la  vérité,  la 
révélation  n'est  pas  absolument  nécessaire,  et  cela, 
prétend  Guntlier,  parce  que  la  raison  humaine  est 
capable  de  comprendre  toutes  les  vérités  révélées  ; 
elle  pénètre  chaque  jour  davantage  dans  la  connais- 
sance des  dogmes  et  les  transforme  à  mesure  qu'elle 
les  pénétre.1  La  raison  part  de  la  foi  aveugle,  qui 
adhère  à  la  vérité  révélée  uniquement  à  cause  de 
l'autorité  du  témoignage  divin  ;  mais,  avec  le  pro- 
grès des  sciences  et  de  la  philosophie,  elle  progresse 
elle-même  dans  la  connaissance  des  mystères  jus- 
qu'à ce  qu'elle  arrive  à  leur  pleine  intelligence.. 
L'Eglise,  sans  doute,  procède  par  définitions,  qui 
formulent,  à  telle  date  et  dans  de  telles  circonstan- 
ces, l'idée  qu'elle  se  fait  de  la  révélation  ;  mais  ce 
sont  là  des  formules  relatives,  provisoires,  destinées 
à  être  remplacées  par  des  formules  plus  compréhen- 
sives  et  plus  rapprochées  de  la  vérité  totale,  dès 
que  les  progrès  scientifiques  l'exigeront. 

Cette  théorie  du  relativisme  et  du  progrès  indé- 
fini de  la  connaissance  religieuse,  fausse  et  dange- 
reuse, fixa  l'attention  du  concile  et  provoqua  l'ex- 
position de  la  théorie  catholique,  relative  à  l'immu- 
tabilité et  au  progrès.  Rcproduisons-la,  avant  de 
l'étudier  :  «  La  doctrine  de  la  foi  révélée  de  Dieu 
n'a  pas  été  proposée  à  l'esprit  humain  comme  une 


l64  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

découverte  philosophique  qu'il  avait  à  perfection- 
ner ;  mais  elle  a  été  confiée  à  l'épouse  du  Christ 
comme  un  dépôt  divin  qu'elle  devait  garder  fidèle- 
ment et  déclarer  infailliblement.  C'est  pourquoi  on 
doit  aussi  conserver  perpétuellement  aux  dogmes 
sacrés  le  sens  fixé  par  une  première  déclaration  de 
notre  sainte  mère  l'Eglise,  et  il  n'est  jamais  permis 
de  s'écarter  de  ce  sens  sous  l'apparence  et  le  pré- 
texte d'une  intelligence  plus  élevée  (i).  » 

Que  la  doctrine  catholique  ne  puisse  pas  se  rame- 
ner aux  principes  de  la  raison  naturelle  sans  en  alté- 
rer le  sens  et  le  corrompre  ;  que  le  progrès  des 
sciences  ne  puisse  pas  permettre  d'attribuer  au 
dogme  défini  un  sens  différent  de  celui  de  l'Eglise, 
c'est  une  double  erreur  déjà  réprouvée  par  Pie  IX 
dans  sa  lettre  à  l'archevêque  de  Cologne  du  i5 
juin  1857  (2)'  ou  il  affirmait  la  perpétuelle  immu- 
tabilité de  la  foi,  et  dans  son  allocution  du  9  juin 
1862,  où  il  disait  :  les  rationalistes  «  n'hésitent  pas 
à  soutenir  avec  une  souveraine  impudence  que  la 
révélation  divine  est  imparfaite  et  par  conséquent 
soumise  à  un  progrès  continu  et  indéfini,  qui  répond 
au  progrès  de  la  raison  humaine  (3).  »  Le  concile 
du  Vatican  a  renouvelé  ces  condamnations. 

Il  est  donc  de  foi  catholique  que  l'enseignement 
de  l'Eglise  ne  saurait  changer  ni  dans  son  fonds 
révélé,  ni  même  dans  l'exposition  qu'eu  donne  le 
Magistère  enseignant. 

Du  reste,  cela  se  comprend,  car  la  nature  de  la 
vérité  est  d'être  l'expression  de  la  réalité  des  choses, 
de  ne  point  varier  suivant  les  temps  et  les  lieux,  de 
n'avoir  pas  un  caractère  relatif  mais  immuable  et 


1.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  S  5.  —  2.  Denzinger,  n.  15of)-i5i2. 
—  3.  Cette  phrase  est  devenue  la  ve  proposition  du  Syllabus ; 
Denzinger,  n.  i55a. 


IMMUTABILITÉ  l65 


absolu  ;  cela  se  comprend  aussi  à  raison  de  l'infail- 
libilité de  l'autorité  qui  la  proclame,  garantie  par 
celle  même  de  Dieu,  comme  nous  le  verrons. 

Quant  à  la  question  de  savoir  si  cette  doctrine 
peut  se  perdre  en  partie  ou  tomber  dans  l'oubli,  si 
elle  peut  s'enrichir  d'éléments  étrangers  dans  la 
suite  des  siècles,  le  concile  l'a  résolue  négativement; 
car,  à  la  différence  des  doctrines  philosophiques  qui 
se  développent  et  s'accroissent  par  les  seuls  efforts 
de  l'esprit  humain,  la  révélation  a  été  confiée  à 
l'Eglise  comme  «  un  dépôt  qu'elle  doit  garder  fidè- 
lement et  déclarer  infailliblement.  » 

L'Eglise,  en  effet,  a  reçu  des  apôtres,  qui  l'ont 
reçu  de  Dieu,  ce  dépôt  révélé  ;  elle  en  est  le  déposi- 
taire officiel  ;  non  pas  seulement  pour  le  garder 
avec  fidélité,  mais  encore  pour  l'exposer  avec  certi- 
tude. Gardienne  jalouse,  elle  le  conserve  intact,  à 
l'abri  de  toute  soustraction  frauduleuse  et  de  toute 
immixtion  étrangère,  dans  sa  pure  intégrité  ;  inter- 
prète autorisé,  elle  intervient,  quand  elle  le  juge 
nécessaire  ou  opportun,  pour  certifier  sans  erreur  que 
telle  ou  telle  vérité  fait  partie  de  ce  dépôt  sacré.  Dans 
les  deux  cas  elle  est  assurée  d'une  assistance  spé- 
ciale du  Saint-Esprit,  qui  l'empêche  d'être  infidèle  à 
son  rôle  de  gardienne  et  de  se  tromper  dans  son 
rôle  d'interprète.  Par  suite,  elle  ne  peut  rien  en  re- 
trancher ni  rien  y  ajouter  d'étranger.  Ses  définitions 
dogmatiques,  intervenues  dans  la  suite  des  âges,  sont 
simplement  déclaratoires  :  elles  spécifient  que  telle 
vérité  doit  être  objet  de  foi  catholique  parce  qu'elle 
est  du  nombre  de  celles  qui  ont  été  révélées  par 
Dieu  et  qui  lui  ont  été  confiées  en  dépôt.  Aussi,  dès 
qu'elle  s'est  officiellement  prononcée,  ces  vérités 
définies  se  trouvent  définitivement  fixées  et  restent 
acquises  à  jamais  ;  leur  sens  ne  peut  en  aucune 
façon  être  modifié. 


î66  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Sans  doute,  des  révélations  particulières  peuvent  se 
produire,  et  en  fait  il  s'en  est  produit  dans  l'Eglise. 
L'Eglise  a  le  droit  de  les  examiner  ;  en  les  approu- 
vant, en  les  déclarant  authentiques,  elle  se  pro- 
nonce sur  leur  origine  divine,  elle  garantit  leur  or- 
thodoxie en  ce  qu'elles  ne  renferment  rien  d'opposé 
à  la  foi.  On  peut  les  croire  sans  y  être  obligé  ;  car, 
étant  d'ordre  privé,  elles  n'entrent  pas  dans  le  dépôt 
révélé  et  confié  aux  apôtres,  et  l'Eglise  se  garde  bien 
de  les  introduire  dans  ce  dépôt,  de  les  incorporer 
dans  son  enseignement  dogmatique. 

A  plus  forte  raison  l'Eglise  se  garde-t-elle  de  mêler 
ou  d'incorporer  dans  le  dépôt  révélé  les  simples 
données  de  l'esprit  humain,  quelques  belles  et  pro- 
fondes qu'elles  soient  ;  elle  a  également  le  droit  de 
les  soumettre  à  son  contrôle  ;  elle  peut  même  les 
utiliser,  mais  toujours  sans  les  mêler  aux  données 
de  la  révélation.  Dans  tous  les  cas,  elle  n'accepte  pas 
qu'elles  puissent  introduire  la  moindre  modification 
au  sens  des  vérités  déjà  définies  qui,  loin  d'être 
changeantes  ou  relatives,  revêtent  un  caractère  ab- 
solu et  immuable.  «  C'est  pourquoi,  dit  le  concile, 
on  doit  conserver  perpétuellement  aux  dogmes  le 
sens  fixé  par  une  première  déclaration  de  notre 
sainte  mère  l'Eglise  et  il  n'est  jamais  permis  de 
s'écarter  de  ce  sens  sous  l'apparence  et  le  prétexte 
d'une  intelligence  plus  élevée.  »  Aussi,  déclare-t-il 
anathème  a  à  qui  dirait  que  la  révélation  divine  ne 
renferme  à  proprement  parler  aucun  mystère  véri- 
table, mais  qu'une  raison  convenablement  cultivée 
peut  par  ses  principes  naturels  comprendre  et  dé- 
montrer tous  les  dogmes  de  la  foi  ;  à  qui  dirait  que 
les  enseignements  humains  doivent  être  donnés  avec 
une  telle  liberté  que  leurs  assertions  pourraient  être 
maintenues  comme  vraies  et  ne  sauraient  être  pros- 
crites par  l'Eglise,  alors  même  qu'elles  iraient  con- 


IMMUTABILITÉ  167 


tre  la  doctrine  révélée  ;  à  qui  dirait  enfin  qu'il  peut 
se  faire  qu'eu  égard  au  progrès  de  la  science,  on 
doive  quelquefois  attribuer  aux  dogmes  proposés  par 
l'Eglise  un  autre  sens  que  celui  qui  a  été  et  qui  est 
compris  par  l'Eglise  (i).  » 

Ainsi  donc  le  dépôt  confié  à  l'Eglise  par  les  apô- 
tres —  nous  dirons  plus  tard  en  quoi  il  consiste  et 
où  il  se  trouve  —  contient  les  vérités  qu'il  a  plu  à 
Dieu  de  révéler  pour  permettre  à  l'homme  de  faire 
son  salut.  Reste  la  question  de  savoir  quelles  sont 
ces  vérités  ;  c'est  à  l'Eglise  soûle  de  la  résoudre  dans 
sa  sagesse  et  sous  la  garantie  de  son  infaillibilité.  Il 
suffit  qu'elle  déclare  officiellement  quelles  sont  cek- 
les  que  le  fidèle  doit  croire  explicitement,  tout  en 
exigeant  la  foi  implicite  vis  à  vis  des  autres.  Car 
toutes  les  vérités  contenues  dans  ce  dépôt  ne  sont 
pas  également  apparentes,  également  précises,  éga- 
lement développées  ;  quelques  unes  ne  s'y  trouvent 
qu'à  l'état  implicite  ou  de  germe. 

Mais  cette  immutabilité  n'empêche  nullement  le 
progrès.  Qui  ne  sait,  en  eilet,  que,  dans  un  germe 
vivant,  on  n'aperçoit  pas  tout  d'abord  les  divers 
éléments  qui  doivent  constituer  à  un  moment 
donné  et  grâce  à  la  force  intime  de  développement 
progressif  qu'il  possède,  l'être  parfait,  plante  ou 
animal.  Le  gland  ne  montre  ni  les  racines,  ni  le 
tronc,  ni  la  puissante  ramure  du  chêne,  et  le  chêne 
lui-même  ne  cesse  d'ajouter  à  ce  qu'il  possède  déjà 
jusqu'à  ce  qu'il  ait  atteint  son  plein  épanouisse- 
ment. Il  en  est  de  même  de  l'embryon  dans  le  sein 
maternel  et  de  l'animal  qui  passe  successivement 
par  toutes  les  phases  de  la  croissance  jusqu'à  son 
entière  maturité.  Mais  la*  plante  et  l'animal  ne  dépas- 
sent pas  un  certain  terme  ;  car,  pour  l'une  comme 


1.  Const.  DeiFilius,  c.  iv,  can.  1,  2,  3. 


l6S  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pour  l'autre,  arrive  un  moment  où  les  forces  dé- 
clinent et  où  s'accuse  une  irrémédiable  décrépitude. 

Tout  au  contraire,  si  le  dépôt  révélé  peut,  en 
partie,  se  comparer  à  un  germe  vivant,  cette  com- 
paraison ne  saurait  se  justifier  jusqu'au  bout.  Car 
s'il  est  vrai  que  la  vérité  révélée  se  développe  en 
vertu  de  la  vie  qui  lui  est  propre  et  d'après  les  lois 
que  Dieu  lui  a  données,  en  restant  toujours  identi- 
quement la  même  et  immuable,  dans  son  essence, 
il  n'est  pas  moins  vrai  que,  à  la  différence  de  ce  qui 
se  passe  dans  la  nature  organisée  et  vivante,  son 
progrès  est  continu,  qu'elle  ne  perd  jamais  rien  de  ce 
qui  est  une  fois  acquis,  sans  jamais  pouvoir  attein- 
dre un  point  culminant  au  delà  duquel  elle  n'aurait 
plus  qu'à  décliner  et  à  disparaître. 

Dès  l'âge  apostolique,  le  dépôt  révélé  appartient 
donc  intégralement  à  l'Eglise  et  contient  explicite- 
ment ou  implicitement  toutes  les  vérités  qui  peu- 
vent être  objet  de  foi  catholique.  Le  chrétien  des  pre- 
miers siècles  adhérait  par  son  acte  de  foi  à  l'ensei- 
gnement de  l'Eglise,  tel  qu'il  lui  était  notifié  alors  ; 
le  chrétien  d'aujourd'hui  adhère  de  même  à  cet  en- 
seignement, tel  qu'il  lui  est  notifié  de  nos  jours,  et 
le  chrétien  de  demain  adhérera  à  l'enseignement  de 
l'Eglise,  tel  qu'il  lui  sera  proposé  demain.  La  seule 
différence  entre  les  fidèles  des  premiers  siècles  et 
ceux  du  vingtième,  c'est  que  ces  derniers  croient 
d'une  manière  explicite  un  plus  grand  nombre  de 
vérités  révélées  qui,  jusque-là,  n'étaient  l'objet,  de 
la  part  de  leurs  prédécesseurs,  que  d'une  foi  impli- 
cite ;  mais  dans  les  deux  cas,  l'objet  de  la  foi  reste 
toujours  le  môme,  identique  à  lui-même,  parfaite- 
ment un.  C'est  laisser  entendre,  par  conséquent, 
qu'à  côté  de  l'immutabilité  de  la  foi  religieuse  ainsi 
comprise  il  y  a  place  pour  le  progrès.  Reste  à  dire 
en  quoi  consiste  ce  progrès,  quelle  est  sa  nature,  son 


PROGRÈS  169 


caractère,  dans  quelles  conditions  il  s'opère,  par  qui 
il  se  réalise,  quelles  étapes  il  suit  et  dans  quelles  li- 
mites il  se  maintient. 

II.   Progrès 

Ce  progrès  de  l'enseignement  doctrinal  est  signalé 
par  le  concile  du  Vatican  dans  les  termes  mêmes 
dont  s'était  servi  saint  Vincent  de  Lérins  :  «  Qu'il  y 
ait  donc  accroissement,  qu'il  y  ait  progrès  large  et 
intense  dans  l'intelligence,  la  science  et  la  sagesse 
de  chacun  et  de  tous,  de  l'homme  pris  individuelle- 
ment et  de  l'Eglise  tout  entière,  suivant  le  dévelop- 
pement des  âges  et  des  siècles  ;  mais  que  ce  soit 
exclusivement  dans  son  genre,  c'est-à-dire  dans 
l'unité  de  dogme,  de  sens  et  de  sentiment  (1).  » 

Ces  quelques  lignes  renferment  toute  l'économie 
du  progrès  religieux  :  son  objet,* ses  caractères,  ses 
étapes,  ses  limites. 

1°  Son  Objet 

La  connaissance  de  la  vérité  révélée  progresse  en 
étendue,  en  clarté  et  en  certitude.  Le  progrès  se  fait, 
en  effet,  soit  par  la  connaissance  explicite  de  ce  qui 
n'était  connu  qu'implicitement,  soit  par  Y  éclaircisse- 
ment de  certains  points  obscurs,  soit  enfin  par  plus 
de  probabilité  ou  par  une  entière  certitude  sur  les 
points  douteux. 

Une  vérité  révélée  est  crue  et  connue  implicite- 
ment lorsqu'elle  est  logiquement  contenue  ou  impli- 
quée dans  d'autres  vérités  crues  et  connues  explici- 
tement. C'est   ainsi,    par  exemple,    que    l'antique 

1.  Const.  Dei  Filius.  c.  iv,  S  5. 


I-yO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

croyance  explicite  à  la  parfaite  sainteté  de  la  sainte 
Vierge  était  une  croyance  implicite  au  dogme  de 
l'immaculée  conception,  parce  que  la  sainteté  par- 
faite suppose  '  la  sainteté  dans  la  conception.  Or 
chaque  l'ois  qu'une  vérité,  à  laquelle  on  ne  pensait 
pas  auparavant,  devient  l'objet  d'une  définition 
dogmatique,  il  est  incontestable  que  le  domaine  de 
la  foi  explicite  s'étend,  que  l'enseignement  catholique 
s'augmente  d'un  chapitre  ou  même  d'un  traité 
nouveau. 

D'autres  fois,  le  progrès  consiste  simplement  dans 
une  pleine  lumière  répandue  sur  une  vérité  révélée, 
mais  encore  plus  ou  moins  entourée  de  pénombre 
et  d'obscurité,  dans  plus  de  probabilité  ou  dans  une 
entière  certitude  sur  une  vérité  également  révélée, 
mais  objet  jusque  là  de  discussions  et  de  doutes.  Les 
idées  se  précisent,  les  preuves  se  fortifient,  les  con- 
clusions finissent  par  s'imposer,  et  par  là  s'étend  de 
plus  en  plus  la  connaissance  de  la  révélation.  Car, 
ne  l'oublions  pas,  toute  vérité  explicite  en  contient 
d'autres  logiquement  ;  et,  grâce  à  sa  vie  intime  et 
féconde,  telle  vérité  se  manifeste  de  mieux  en  mieux 
à  la  foi  du  croyant,  comme  la  plante,  l'animal  ou 
l'homme  révèlent  de  mieux  en  mieux,  aux  yeux  de 
l'observateur,  grâce  à  leur  développement  organique, 
tout  ce  qui  n'était  qu'en  puissance  et  à  l'état  latent 
dans  le  germe  ou  l'embryon. 

Or,  de  toute  évidence,  certaines  vérités  révélées 
ont  dû  être,  dès  l'âge  apostolique,  enseignées  et 
professées  d'une  manière  explicite,  suffisamment 
claire  et  certaine,  par  exemple  celles  dont  la  foi 
explicite  est  nécessaire,  soit  de  nécessité  de  moyen, 
comme  l'existence  de  Dieu,  la  rétribution  finale,  la 
trinité  et  l'incarnation,  soit  de  nécessité  de  précepte, 
comme  les  articles  de  la  profession  de  foi  baptismale, 
les  préceptes  du  décalogue,  la  nature  des  sacrements 


PROGRES  I7I 


qu'on  doit  recevoir,  les  biens  qu'on  doit  demander 
à  Dieu  par  l'oraison  dominicale.  Et  naturellement, 
pour  ces  vérités-là,  le  progrès  ne  saurait  consister 
dans  la  substitution  de  la  foi  explicite  à  la  foi  impli- 
cite, mais  simplement  dans  une  augmentation  de 
lumière,  dans  une  manifestation  plus  nette  de  leur 
nature  intime,  de  leurs  rapports  avec  les  autres 
vérités  et  des  conséquences  qu'elles  entraînent.  C'est, 
précisément,  ce  dernier  genre  de  progrès  qu'on 
peut  constater,  en  particulier,  dans  la  connaissance 
du  plus  profond  de  nos  mystères,  le  mystère  de  la 
trinité. 

Ce  dogme,  en  effet,  explicitement  proposé,  dès 
l'âge  apostolique,  à  la  foi  de  quiconque  demandait  à 
recevoir  le  baptême,  et  brièvement  énoncé  dans  la 
formule  baptismale,  n'a  pas  été  entouré  tout  d'abord 
de  la  lumière  beaucoup  plus  vive  qu'il  reçut  après 
la  condamnation  des  Sabelliens  et  des  Ariens,  des 
Modalistes  ou  des  Subordinatiens,*et  dont  les  sym- 
boles de  Nicée-Gonstantinople  et  de  saint  Athanase 
portent  si  expressément  le  témoignage. 

Quant  aux  autres  vérités,  découvertes  peu  à  peu 
dans  le  dépôt  de  la  révélation,  dégagées,  précisées, 
formulées  et  définies  comme  de  foi  catholique  dans 
la  suite  des  âges,  le  progrès  a  tout  d'abord  consisté 
dans  leur  passage  de  l'état  de  foi  implicite  à  l'état  de 
foi  explicite.  Puis,  à  leur  tour,  elles  ont  pu  encore 
progresser  de  l'autre  façon,  et  ont  effectivement 
progressé  en  clarté,  dans  l'esprit  et  dans  la  vie  des 
fidèles,  par  une  assimilation  de  plus  en  plus  féconde  ; 
c'est  ce  que  le  concile  du  Vatican  appelle  le  progrès 
dans  Y  intelligence,  la  science  et  la  sagesse. 

2°   Ses  caractères 
Qu'entendre  par  ces  termes  du  concile  ?  de  quelle 


I72  LE    CATECHISME    ROMAIN 

intelligence,  de  quelle  science,  de  quelle  sagesse  est-il 
question  ?  Essayons  de  le  dire. 

S'agit-il  d'une  vérité  non  encore  définie,  et  dont  la 
présence  dans  le  dépôt  révélé  n'est  pas  manifeste  ? 
S'agit-il  d'une  question  religieuse,  non  encore  trai- 
tée, mais  qui  se  pose  devant  l'esprit  d'un  investiga- 
teur studieux  ou  que  des  circonstances  fortuites 
mettent  en  quelque  sorte  à  l'ordre  du  jour  ?  En 
pareil  cas,  le  chrétien  instruit,  le  théologien  de 
profession  use  de  son  intelligence  pour  examiner  si 
cette  vérité  ne  serait  pas  comprise  dans  les  vérités 
révélées  déjà  connues  ;  si  cette  question,  intéressant 
la  foi,  a  lieu  d'être  posée  et  dans  quel  sens  il  convient 
de  la  résoudre.  Un  travail  scientifique  doit  donc 
intervenir  nécessairement,  et  ainsi  le  chrétien,  le 
théologien  fait  acte  de  science  pour  se  rendre  compte 
par  l'examen  attentif,  par  l'étude  approfondie  de 
l'Ecriture  et  de  la  tradition,  du  crédit  qu'il  convient 
d'accorder  ou  de  refuser  à  cette  vérité  ou  à  cette 
question.  Et  il  va  sans  dire  que  la  sagesse  des  con- 
clusions sera  en  raison  directe  de  la  prudence,  du 
sentiment  religieux,  du  sens  traditionnel  et  de  la 
fidélité  scrupuleuse  aux  règles  prescrites  en  pareilles 
matières,  qui  accompagneront  l'effort  intellectuel  et 
le  travail  d'érudition. 

Il  se  pourra  que  les  résultats  en  restent  précaires 
ou  même  ne  soient  pas  dignes  d'être  retenus  ;  c'est 
à  la  discussion  libre  d'en  juger.  Il  se  pourra  même 
qu'ils  ne  cadrent  pas  rigoureusement  avec  l'ortho- 
doxie ;  c'est  au  magistère  infaillible  d'en  décider. 
Mais  il  se  pourra  aussi  qu'ils  méritent  de  fixer  l'atten- 
tion à  raison  de  leur  pleine  harmonie  avec  l'ensemble 
de  la  vérité  révélée  et  de  l'enseignement  traditionnel. 
Et  alors  c'est  un  véritable  progrès,  susceptible,  le 
cas  échéant,  non  seulement  d'être  approuvé  et  loué, 
mais  encore  d'être  utilisé  et  consacré  par  l'Eglise. 


PROGRÈS  173 

N'est-ce  pas,  en  effet,  un  progrès  de  ce  genre  qui 
est  dû  à  cette  science  de  la  foi  qui  s'appelle  la  théo- 
logie ?  Car,  comme  le  remarque  justement  M.  Va- 
cant, la  théologie,  entendue  dans  son  sens  strict,  a 
pour  objet  les  conclusions  théologiques,  c'est-à-dire, 
non  point  les  vérités  révélées,  mais  les  conséquences 
qui  sont  virtuellement  contenues  dans  ces  vérités  et 
qui  s'en  tirent  par  déduction.  Mais,  pour  arriver  à 
la  plupart  de  ces  conclusions,  il  faut  que  le  théolo- 
gien se  rende  parfaitement  compte  du  contenu  de  la 
révélation,  qu'il  s'assimile  les  vérités  révélées,  et 
donc  qu'il  les  distingue,  les  éclaircisse  et  en  établisse 
solidement  le  caractère  révélé.  D'ailleurs  les  conclu- 
sions théologiques  l'aideront,  à  leur  tour,  à  mieux 
distinguer  les  vérités  révélées,  à  les  mettre  en  lu- 
mière et  à  en  saisir  toute  l'harmonie  et  la  con- 
nexion. Et  c'est  ainsi  que  le  théologien  est  un  arti- 
san du  développement  des  dogmes,  aidé  dans  ce 
travail  d'ordre  privé  du  controversiste,  de  l'apolo- 
giste, de  l'exégète,  de  tous  ceux  qui  étudient  les 
symboles,  les  conciles,  les  actes  pontificaux,  les 
écrits  des  saints  Pères  et  les  autres  documents  de  la 
foi  (I). 

Questions  souleA^es,  aperçus  nouveaux,  dénoncia- 
tions de  l'erreur,  recherche  minutieuse  et  approfon- 
die de  la  vraie  doctrine,  essais  pour  la  dégager, 
pour  l'expliquer,  pour  la  formuler  en  termes  aussi 
précis  que  possible,  autant  de  travaux  d'intelligence, 
de  science  et  de  sagesse  qui  s'ajoutent  à  d'autres 
travaux  semblables,  et  dont  les  résultats  se  contrô- 
lent, se  discutent,  s'éliminent  ou  restent  acquis. 
Cela  dure  des  années,  parfois  des  siècles  ;  du  moins, 
pendant  ce  temps,  la  lumière  se  fait  et  un  certain 
progrès    se  réalise,  progrès   éloigné   mais  prépara- 

1.  Const.  Dei  Filius,  t.  11,  p.  3o2. 


17^  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

toire,  s'il  y  a  lieu,  à  l'intervention  décisive  du  ma- 
gistère infaillible,  au  jugement  solennel  de  l'Eglise. 
Or,  dès  que  l'Eglise  s'est  officiellement  pronon- 
cée, la  définition  d'un  dogme  n'arrête  pas  pour  cela 
le  progrès  de  sa  connaissance,  et  c'est  encore  un 
progrès  d 'intelligence,  de  science  et  de  sagesse,  mais 
dans  un  autre  sens  que  tout  à  l'heure.  Car  alors,  en 
possession  certaine  de  la  vérité,  à  laquelle  il  adhère 
d'une  foi  explicite,  le  chrétien  peut  en  acquérir  une 
connaissance  plus  pleine.  L'intelligence  du  dogme 
défini  permet  d'en  pénétrer  mieux  le  sens  intime, 
de  l'approfondir  en  lui-même,  d'analyser  ses  élé- 
ments constitutifs,  de  se  rendre  un  compte  exact 
des  textes  scripturaires  ou  traditionnels  qui  l'ap- 
puient et  des  formules  qui  l'expriment.  La  science 
vient  ensuite  ;  elle  en  note  les  conséquences  prati- 
ques au  point  de  vue  de  la  liturgie,  de  la  discipline 
et  de  la  morale  ;  elle  en  saisit  les  rapports  éloignés 
ou  prochains  avec  les  autres  vérités  de  l'ordre  natu- 
rel ou  surnaturel  ;  elle  en  marque  la  place  dans  une 
synthèse  de  la  vérité  connue.  Après  quoi  il  ne  reste 
plus,  par  une  synthèse  finale  qu'à  ramener  à  Dieu 
lui-même  tous  les  résultats  de  l'intelligence  et  de  la 
science  de  ce  dogme,  ce  qui  est  le  propre  de  la  sa- 
gesse. Et  lorsque  ce  travail  s'opère,  non  plus  sur  un 
dogme,  mais  sur  l'ensemble  des  dogmes,  on  en  ar- 
rive, quand  on  s'appelle  saint  Thomas  d'Aquin,  à 
écrire  ce  chef-d'œuvre  de  la  Somme  théologique. 

3°  Sa  marche 

La  marche  de  ce  progrès  dans   la   connaissance' 
des  vérités  révélées  suit,  selon  l'expression  du  con- 
cile du  Vatican,  la  marche   des   âges  et  des   siècles  ; 
mais  de  plus  et  dans  une  certaine  mesure,  ce  pro- 
grès obéit  aux  circonstances  historiques  ;   et  enfin, 


PROGRÈS  175 


par  une  disposition  particulière  de  la  Providence,  il 
se  réalise  selon  la  nature  des  dogmes  et  dans  leur 
succession  logique. 

Notons-le  cependant,  les  circonstances  historiques 
ne  constituent  pas  la  cause  efficiente  de  ce  progrès, 
elles  n'en  sont  que  l'occasion,  tantôt  favorable,  tan- 
tôt défavorable,  qui  l'accélère  ou  le  ralentit.  Il  va 
de  soi  que  lorsque  l'Eglise  est  aux  prises  avec  de 
graves  difficultés,  comme  par  exemple  à  l'époque 
des  persécutions  ou  de  l'invasion  des  barbares,  elle 
se  trouve  par  trop  absorbée.  Le  temps  n'est  guère 
propice  alors  pour  le  travail  intellectuel  qui  réclame 
le  calme  et  la  paix.  Mais  vienne  une  période  de 
tranquillité,  toutes  ses  forces  vives  entrent  en  jeu. 
On  le  vit  très  bien,  au  lendemain  des  persécutions, 
après  Constantin,  dans  l'efflorescence  merveilleuse 
de  la  théologie  patristique  du  ive  et  du  ve  siècles  : 
on  le  vit  encore,  à  la  suite  des  invasions,  lors  de  la 
renaissance  carlovingienne,  qui  prépara  de  loin  le 
magnifique  essor  intellectuel  du  xine  siècle  et  per- 
mit de  créer  une  langue  nouvelle,  rude  parfois, 
mais  expressive  dans  sa  terminologie,  d'organiser  et 
d'ordonner  en  un  vaste  système  fortement  lié  et 
pleinement  homogène  tout  l'enseignement  du  passé. 
On  le  vit  aussi,  à  l'époque  de  la  Réforme  et  au 
xviie  siècle,  dans  cette  pléiade  de  théologiens 
et  d'écrivains,  qui  scrutèrent  tous  les  problèmes 
soulevés  et  interrogèrent  avec  tant  de  soins  les 
documents  de  la  tradition.  On  le  voit  enfin  de 
nos  jours  où,  malgré  les  malheurs  des  temps,  nos 
universités  catholiques  impriment  un  mouvement 
si  intense  aux  études  ecclésiastiques,  ont  déjà 
donné  de  bons  résultats  et  en  préparent  d'au- 
tres. 

Or,  parmi  ces  circonstances  qui  sont  la  cause  oc- 
casionnelle du  progrès,  il  faut  ranger  les  hérésies. 


I76  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

•'--■  .  

Car,  comme  Dieu  sait  tirer  le  bien  du  mal,  ainsi 
l'Eglise,  gardienne  fidèle  et  infaillible  interprète  du 
dépôt  révélé,  a  toujours  profité  des  excès  de  l'erreur 
pour  proclamer  la  vérité.  Du  reste,  l'hérésie,  dans 
ses  attaques  successives,  a  suivi  une  marche  descen- 
dante, il  est  vrai,  mais  assez  logique  et  régulière. 
C'est  à  Dieu  qu'elle  s'en  prit  tout  d'abord  avec  la  pé- 
riode gnostique  des  deux  premiers  siècles  ;  c'est  à  la 
trinité  ensuite  avec  les  Monarchiens  et  les  Sabel- 
liens  ;  c'est  au  Verbe,  à  sa  divinité,  à  son  incarna- 
tion, à  sa  double  nature  dans  l'unité  de  personnes, 
avec  Arius,  Nestorius  et  Eutychès  ;  c'est  au  Saint- 
Esprit  avec  Macédonius  ;  c'est  au  don  de  Dieu,  au 
fruit  de  l'incarnation  et  de  la  rédemption,  c'est-à- 
dire  la  grâce,  avec  Pelage  et  les  semipélagiens  ; 
c'est  ensuite  aux  instruments  de  la  grâce,  aux  sacre- 
ments ;  et  finalement  c'est  à  l'autorité  du  Vicaire  de 
Jésus-Christ,  à  l'Eglise.  Après  avoir  parcouru  ce  cy- 
cle, la  voilà  en  train  de  le  recommencer  :  plus  de 
surnaturel,  plus  de  révélation,  plus  de  foi,  le  natu- 
ralisme et  le  rationalisme  leur  ont  signifié  un  congé 
définitif.  Par  surcroit,  voici  la  critique  contempo- 
raine qui  passe  au  laminoir  tous  les  documents  de 
notre  passé,  et  l'histoire  des  religions  qui  étudie  le 
fait  religieux  à  un  point  de  vue  purement  scientifi- 
que, comme  l'histoire  naturelle  s'occupe  de  géolo- 
gie, de  paléontologie  ou  de  tout  autre  chose,  c'est-à- 
dire  sans  y  engager  le  cœur  et  la  vie  morale  de 
l'homme. 

Mais,  en  dépit  des  menaces  du  présent  et  malgré 
cette  levée  en  masse  de  boucliers  contre  l'Eglise,  la 
foi  ne  saurait  rien  craindre,  elle  sortira  plus  vivante 
de  l'épreuve  :  elle  a  progressé  jusqu'ici,  elle  pro- 
gressera encore,  tout  en  restant  substantiellement  la 
même.  Sur  la  trame  vivante  des  événements  de 
l'histoire,  elle  continuera  à  écrire  ses  pages  à  elle, 


PROGRES  I77 


toujours  plus  lumineuses.  Les  attaques  récentes 
ont  déjà  provoqué  et  ne  pourront  que  provoquer 
encore  des  études  plus  approfondies,  plus  minutieu- 
ses, plus  exactes,  de  tous  les  éléments  qui  constituent 
notre  patrimoine  religieux  et  catholique.  Des  ques- 
tions nouvelles,  auxquelles  on  ne  songeait  pas  jadis, 
se  posent  parmi  nos  contemporains  :  elles  ne  resteront 
pas  sans  réponse  et  seront  résolues.  La  vérité  révélée 
ne  pourra  qu'y  gagner  en  éclat,  en  solidité,  en 
fécondité,  et  ce  sera  encore  et  toujours  un  progrès 
de  plus. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  présent  et  de  l'avenir,  tou- 
jours est-il  que  jusqu'ici  la  connaissance  des  dogmes 
a  progressé,  comme  nous  l'indiquions,  suivant  leur 
nature  et  leur  ordre  logique.  «  L'infaillibilité  du 
pape  est,  en  effet,  un  corollaire  de  sa  souveraine 
autorité  et  de  sa  supériorité  sur  les  conciles.  L'intel- 
ligence de  cette  supériorité,  discutée  au  temps  du 
grand  schisme,  supposait  une  connaissance  tr>  s 
distincte  du  pouvoir  d'ordre  et  de  celui  de  juridic- 
tion. La  distinction  très  nette  de  ce  double  pouvoir 
avait  été  le  fruit  des  travaux  concomitants  des  théo- 
logiens et  des  canonistes  du  moyen  âge  sur  les 
sacrements  et  la  législation  ecclésiastique.  La  théorie 
des  sept  sacrements  qui  fut  élaborée  après  la  renais- 
sance des  études  inaugurée  par  Charlemagne,  était 
elle-même  un  corollaire  de  la  théorie  de  la  grâce 
développée  par  saint  Augustin.  Cette  théorie  de  la 
grâce,  qui  justifie  chacun  de  nous,  ne  pouvait  être 
approfondie  qu'après  la  doctrine  de  l'incarnation, 
qui  est  la  source  de  la  grâce.  La  doctrine  de  l'incar- 
nation ne  pouvait  se  préciser  qu'après  celle  de  la 
consubstantialité  du  Père  et  du  Fils  dans  la  trinité. 
Enfin  la  distinction  des  trois  personnes  en  une  même 
nature  avait  besoin  de  s'appuyer  sur  le  monothéisme 
enseigné  dans  l'Ancien  Testament  et  proclamé  au 

LE    CATÉCHISME.    —  T.    I.  12 


1^8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

milieu  du  monde  polythéiste  par  les  premiers  pré- 
dicateurs de  l'Evangile  »  (i). 

4°  Ses  Limites 

Ce  progrès  n'est  pas  livré  au  hasard.  Soumis  au 
contrôle  de  l'autorité  compétente,  il  a  ses  règles  ou, 
comme  s'exprime  le  concile  du  Vatican,  ses  limites. 
Il  ne  peut,  en  effet,  s'effectuer  que  dans  le  domaine 
qui  lui  est  propre,  celui  de  l'enseignement  révélé,  in 
eodem  dogmate,  eodem  sensu,  eademque  sententia.  Gela 
revient  à  dire  qu'il  doit  essentiellement  respecter  la 
substance  immuable  du  dépôt  révélé,  sans  la  cor- 
rompre, sans  la  détruire,  sans  en  rien  soustraire, 
sans  y  ajouter  le  moindre  élément  hétérogène. 

Or,  pour  rester  dans  de  telles  limites,  pour  obser- 
ver de  pareilles  règles,  il  faut  de  toute  nécessité  tenir 
un  compte  scrupuleux  non  seulement  de  toutes  les 
vérités  de  foi  catholique  déjà  connues  et  renfermées 
soit  dans  les  symboles,  les  professions  de  foi,  soit 
dans  les  définitions  dogmatiques,  et  cela  sous  peine 
d'hétérodoxie,  mais  encore  de  l'enseignement  una- 
nime professé  dans  l'Eglise  et  de  l'interprétation 
donnée  au  texte  de  l'Ecriture  ou  aux  documents  de 
la  tradition. 

A  ces  conditions,  on  ne  court  pas  le  risque  d'inno- 
ver en  matière  doctrinale,  d'aller  contre  le  courant 
traditionnel,  de  méconnaître  ou  de  froisser  le  senti- 
ment catholique .  Et  c'est  ici  surtout  que  la  plus  grande 
prudence  s'impose,  et  que  l'intelligence,  la  science  et 
la  sagesse,  dont  parle  le  concile  du  Vatican,  trouvent 
à  s'appliquer.  Finalement  on  doit  être  prêt,  dès 
qu'intervient  le  magistère  infaillible,  à  se  soumettre 
en  acceptant  pleinement  ses  directions  et  ses  déci- 

i.  Vacant,  La  Const.  Dei  FUius,  t.  n,  p.  3o8. 


PROGRES  17^ 


sions.  L'obéissance,  en  pareil  cas,  s'impose  :  elle  est 
un  principe  de  sécurité,  elle  est  aussi  une  condition 
de  progrès. 

1.  L'immutabilité  de  l'enseignement  catholi- 
que. —  «  Ce  que  l'Eglise  a  dit  au  commencement,  elle 
l'a  toujours  dit.  Pendant  qu'autour  d'elle  l'esprit  philoso- 
phique tourne  dans  un  cercle  fatal  de  systèmes  contra- 
dictoires, pendant  que  les  sectes  religieuses  modifient 
leur  Credo,  elle  reste  fidèle  à  la  doctrine  traditionnelle 
qu'elle  a  reçue  des  apôtres.  Ses  dogmes  s'éclaircissent, 
sa  législation  se  perfectionne,  mais  aucun  mouvement 
progressif  ne  modifie  les  vérités  essentielles  qu'elle  a 
toujours  enseignées,  ni  les  règles  fondamentales  de  sa 
vie  religieuse.  Cependant  l'Eglise  n'est  pas  une  seule  per- 
sonne, dont  l'obstination  orgueilleuse  pourrait  expliquer 
l'immobilité  ;  c'est  une  longue  suite  de  générations,  un 
mélange  de  races,  que  les  temps,  les  milieux,  les  cir- 
constances, les  événements  différencient  à  l'infini,  et  que 
sollicite  au  changement  une  armée  de  forces  ennemies  de 
l'immutabilité  :  les  tracasseries  des  pouvoirs  jaloux,  les 
défections  de  l'hérésie,  la  mobilité  de  l'esprit  humain,  si 
variable  dans  ses  vues,  interprétations  et  appréciations, 
les  évolutions  de  la  science,  les  exigences  de  la  critique, 
le  besoin  du  progrès  manifesté  par  les  travaux  des  théolo- 
giens et  les  opinions  d'école.  »  Monsabré,  Conf.  lv,  ii\  P. 

2.  Le  développement  progressif.  —  «  Il  en  va 
bien  autrement  d'une  doctrine  :  son  progrès  s'opère  par 
voie  d'assimilation  définitive.  Ceux  des  éléments  intellec- 
tuels qu'elle  élimine  sont  des  intrus,  qui  n'ont  jamais  eu 
droit  de  pénétrer  dans  son  sein,  et  qu'une  révision  atten- 
tive reconnaît  pour  étrangers.  Il  est  vrai  que,  parmi  les 
vérités  destinées  à  former  son  patrimoine  inaliénable, 
quelques-unes  ont  été  accueillies  d'abord  avec  défiance 
ou  acceptées  sous  une  forme  incompatible  avec  l'immu- 
tabilité des  concepts.  Cependant,  l'approbation  définitive 
une  fois  donnée,  le  vêtement  de  facture  humaine  une 
fois  percé,  la  vérité  authentiquement  reconnue  sera  admise 


l80  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


sans  repentance.  La  science  changera  sa  place  dans  les 
classifications,  elle  l'emploiera  à  des  constructions  éphé- 
mères ou  stables,  elle  ne  la  rejettera  pas.  Ces  vérités 
sont  sa  moelle,  sa  substance,  ce  sans  quoi  elle  se 
ravalerait  au  rang  de  collection  arbitraire  de  phéno- 
mènes... Au  cours  des  âges  les  formules  se  pré- 
ciseront, des  énonciations  équivoques  seront  ballottées 
de  l'approbation  au  rejet,  les  points  de  foi  se  déga- 
geront de  la  gangue  systématique  où  certains  les  ont 
enfermées.  L'universel  progrès  des  sciences  découvrira 
entre  les  éléments  doctrinaux  des  rapports  inaperçus,  fait 
trouver  des  points  de  vue  ignorés  des  temps  anciens. 
Mais,  à  travers  ces  vicissitudes,  le  trésor  sacré  reste  en- 
tier :  pas  une  notion  n'en  sortira  pour  s'en  aller,  pièce 
dépréciée,  fausse  monnaie,  rejoindre  au  musée  des  an- 
tiques les  débris  des  systèmes  faits  de  main  d'homme. 
Au  contraire,  les  vérités  certaines,  élargissant  leur 
domaine  jusqu'aux  bornes,  encore  inconnues,  que  leur 
trace  l'étendue  de  la  révélation  chrétienne,  hiérarchisant 
leurs  aspects  dans  une  harmonie  définitive,  s'édifieront  en 
un  corps  de  doctrine  qui  sera  la  vérité  religieuse  intégrale. 
Sans  doute  les  apôtres  et  les  premières  générations  chré- 
tiennes avaient  possédé,  par  une  intuition  plus  directe, 
par  une  appropriation  plus  sentie,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
substance  dans  cette  doctrine  ;  mais  l'Eglise  des  derniers 
temps  en  possédera  une  connaissance  scientifique  plus 
approfondie,  une  vue  d'ensemble  aux  perspectives  plus 
assurées,  une  science  du  détail  plus  précise.  »  De  Grand- 
maison,  L'élasticité  des  formules  dogmatiques,  dans  les 
Etudes,  1898,  t.  lxxvi,  p,  497-498. 

3.  Du  rôle  de  l'hérésie  dans  l'évolution  dog- 
matique. —  «  L'assertion  hérétique  appelle  l'affirmation 
catholique,  et  ceux  dont  la  pensée  est  mauvaise  ont  donné 
lieu  de  se  produire  à  la  pensée  des  fidèles.  Parce  qu'ils 
étaient  hérétiques,  les  méchants  ont  troublé  l'Eglise  de 
Dieu  ;  et  la  vérité  couverte  d'un  voile  a  été  mise  au  jour, 
et  la  volonté  divine  s'est  manifestée...  Beaucoup  d'hom- 
mes, capables  d'étudier  et  d'établir  les  vérités  de  l'Ecri- 
ture, restaient  silencieux  et  cachés  au  milieu  du  peuple  de 


PROGRÈS  l8l 


Dieu,  et  ils  ne  se  mettaient  pas  en  peine  de  résoudre  les 
questions  difficiles  tant  que  l'imposteur  ne  parlait  pas. 
Avait-il  été  fait  un  exposé  vraiment  achevé  de  dogme  de 
la  trinité  avant  que  les  ariens  fissent  entendre  leurs  cris 
provocateurs  ?  Le  dogme  catholique  de  la  pénitence  avait- 
il  été  parfaitement  expliqué  avant  les  attaques  des  No- 
vatiens  ?  La  théorie  du  baptême  avait-elle  été  pleinement 
exposée  avant  l'hérésie  des  rebaptisants  ?  La  théologie  de 
l'unité  du  Christ  avait-elle  reçu  son  entier  développement 
et  sa  perfection  avant  que  le  schisme  ne  vînt  troubler  les 
faibles  ?  Ce  fut  le  moment  pour  ceux  qui  possédaient  le 
moyen  de  traiter  et  de  résoudre  ces  questions,  de  ré- 
pondre aux  discours  des  impies  et  de  mettre  en  lumière 
les  obscurités  du  dogme  pour  sauver  la  foi  des  âmes 
chancelantes.  »  S.  Augustin,  In  PsaL,  ltv,  22. 

«  La  divine  Providence  permet  donc  à  l'hérésie  de  ré- 
pandre sa  doctrine,  pour  que  ses  insultes  et  ses  orgueil- 
leuses provocations  remuent  notre  indolence  et  nous 
poussent  à  l'étude  des  Ecritures.  L'apôtre  n'a-t-il  pas  dit  : 
«  Il  faut  qu'il  y  ait  des  hérésies  pour  que  les  fidèles  de 
Dieu  aient  occasion  de  s'affirmer.  »  Il  y  a. des  hommes 
qui  ont  reçu  du  ciel  les  dons  qui  les  rendent  capables 
d'enseigner;  mais  ils  n'agissent  pas,  ils  ne  communi- 
quent pas  leur  science  si  on  ne  leur  e»  fait  la  demande. 
D'autres  n'ont  pas  d'énergie  pour  la  recherche  de  la  vé- 
rité, si  leur  sommeil  n'est  secoué  par  les  importunités  et 
les  insultes  de  l'hérésie  qui  les  fait  rougir  de  leur  faiblesse 
et  leur  en  montre  le  danger.  »  S.  Augustin,  De  Gen.  cont. 
Manie  h.,  I,  1,  2. 


Leçon  Ve 
Du  Dogme 


I.  Notion  catholique  du  Dogme  :  —  1°  Sens  éty- 
mologique. —  2°  Objet.  —  3°  Formule.  — 
4°  Caractères. —  IL  Théorie  de  M.  A.  Sabatier: 
—  1°  Ses  objections.  —  2°  Sa  théorie. 


I.  Notion  catholique  du  Dogme 

Le  progrès  dans  la  connaissance  de  la  vérité  révé- 
lée n'enlevant  rien  à  son  immutabilité  essen- 
tielle et  consistant,  en  partie,  dans  les  défini- 
tions dogmatiques,  la  question  se  pose  naturellement 
de  savoir  ce  qu'il  faut  entendre  par  un  dogme.  Pour  y 
répondre,  nous  allons  rappeler  succintement  la  signi- 
fication étymologique  de  ce  mot,  son  objet,  les  élé- 
ments qui  entrent  dans  sa  formule,  ses  caractères  (i). 

i.  De  Broglie,  Religion  et  critique,  Paris,  1896;  Mgr  Mignot, 
VEvolulionnisme  religieux,  dans  le  Correspondant,  1897,  t.  cli 
de  la  nouvelle  série,  p.  3  sq.  ;  De  la  Barre,  La  vie  du  dogme. 
Autorité.  Evolution,  Paris,  1898  ;  De  Grandmaison,  L'élasticité 
des  formules  dogmatiques,  dans  les  Etudes,  1898,  t.  lxxvi; 
D.  Renaudin,  La  définibilité  d'un  dogme,  dans  là  Revue  thomiste, 
1900,  1901  ;  Brunelière,  La  fâcheuse  équivoque,  dans  la  Revue 
des  Deux  Mondes,  i5  novembre  1903  ;  Portalié,  Le  dogme  et 
l'histoire,  dans  le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1904; 


NOTION  CATHOLIQUE  DU  DOGME         l83 


1°  Le  mot  Dogme  :  son  étymologie 

Le  mot  dogme  est  un  terme  grec,  8^*,  antérieur 
au  catholicisme,  et  dont  le  sens  précis,  dans  la  vie 
publique  était  celui  de  décision,  de  prescription,  de 
commandement,  de  loi,  pour  désigner  les  actes  de 
l'autorité  en  matière  de  gouvernement. 

C'est  ce  sens  que  saint  Luc  lui  reconnaît,  quand 
il  appelle  un  dogme  le  recensement  prescrit  par 
César- Auguste  (i).  Saint  Paul  s'en  sert  de  même 
deux  fois  pour  indiquer  le  rôle  impératif  de  la  loi 
juive  (2).  Trois  fois  de  suite,  les  Actes  emploient  le 
verbe  ISoÇev  pour  caractériser  les  décisions  des  apô- 
tres, dans  leur  réunion  de  Jérusalem,  au  sujet  de  la 
circoncision,  des  idolothytes  et  autres  usages 
juifs  (3).  Saint  Ignace  d'Antioche  emploie  égale- 
ment ce  mot  dans  le  sens  pratique,  quand  il  recom- 
mande aux  Magnésiens  de  s'en  tenir  aux  dogmes  du 
Christ  et  des  apôtres  pour  tout  bien  faire  (4). 

Chez  les  grecs,  ce  mot  servait  encore  à  désigner 
soit  les  principes  de  raisonnement,  soit  les  règles  de 
conduite  propres  à  telle  ou  telle  école  philosophi- 
que. C'est  dans  ce  sens  d'enseignement,  de  doctrine, 
que  les  apologistes,  notamment  Tatien  (5),  l'utilisè- 
rent pour  désigner  l'objet  de  la  foi  ou  de  l'enseigne- 
ment évangélique. 

Qu'est-ce  qu'un  dogme,  dans  les  Etudes,  20  juillet  et  5  août  1905, 
p.  145-173,  3i8-342;  Wehrlé,  dans  la  Revue  biblique,  1905, 
p.  323-35o  ;  De  Grandmaison,  Qu'est-ce  qu'un  dogme,  dans 
le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  igo5,  p.  i85  sq.  ;  Allô, 
A  la  recherche  d'une  définition  du  dogme,  dans  la  Quinzaine, 
août  1905,  p.  4o3-424- 

1.  Luc,  ii,  1.  —  2.  Eph.,  11,  i5;  Col.  11,  i4«  —  3. Ad.,  xv,  22, 
25,  28.  —  4.  Epist.  ad  Magn.,  xm,  1  ;  dans  Funk,  Ope.  Pair, 
apost.,  Tubingue,  1881,  t.  1,  p.  200.  —  5.  Oral,  ad  Grœc,  1, 
3i,  35. 


l84  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Mais  peu  à  peu  on  a  distingué,  dans  le  catholi- 
cisme, l'élément  intellectuel  ou  ce  qui  est  la  doctrine 
proprement  dite,  et  l'élément  moral  ou  le  comman- 
dement pratique.  A  partir  du  ive  siècle,  ce  mot 
dogme  prend  définitivement  et  conserve  depuis  le 
sens  restreint  et  précis  réservé  aux  décisions  doctri- 
nales de  l'Eglise  ;  il  désigne  les  vérités  de  foi  qui 
requièrent  une  adhésion  intellectuelle  ;  c'est  le  sens 
désormais  traditionnel. 

2°  Son  objet 

Un  dogme  se  définit  :  Une  vérité  révélée  par  Dieu 
et  proposée  comme  telle  par  l'Eglise  à  la  foi  de  ses 
enfants. 

Cette  brève  définition  implique  plusieurs  notions 
et  soulève  un  certain  nombre  de  questions  délicates, 
qui  seront  examinées  et  traitées  à  leur  place.  En 
effet,  si  le  dogme  est  une  vérité  révélée,  cela  suppose 
le  fait  d'une  révélation  divine  et  aussi  l'existence  de 
documents  où  elle  se  trouve  consignée  :  c'est  à 
l'histoire  d'établir  le  fait  et  à  la  critique  d'examiner 
les  documents.  Si  le  dogme  est  une  vérité  révélée 
proposée  comme  telle  par  l'Eglise,  cela  suppose 
également  que  l'Eglise  peut  s'assurer  sans  crainte 
d'erreur  du  fait  que  telle  vérité  est  du  nombre  de 
celles  que  Dieu  a  révélées,  et  qu'elle  a  le  droit  de 
l'imposer  à  la  foi  des  fidèles. 

3°  Sa  formule 

L'Eglise  ne  définit  un  dogme  que  sous  forme  de 
proposition  doctrinale,  soit  en  condamnant  toute 
erreur  opposée,  soit  en  proclamant  officiellement 
ce  qui  est  de  foi.  Mais  si  la  vérité  qu'elle  exprime 


NOTION  CATHOLIQUE  DU  DOGME         l85 

appartient  au  dépôt  révélé,  les  termes  dont  elle  se 
sert  pour  la  formuler  appartiennent  au  langage 
humain  :  elle  les  emprunte  à  la  langue  courante  ou 
à  la  terminologie  des  théologiens  et  des  philosophes  ; 
au  besoin,  elle  les  crée. 

La  tâche  n'est  pas  toujours  aisée  d'adapter  les 
mots  connus  à  l'expression  de  la  vérité  révélée. 
Celle-ci,  en  effet,  est  transcendante  et  échappe  par 
plus  d'un  côté  aux  prises  de  l'intelligence.  D'où  la 
nécessité  de  bien  choisir  les  vocables.  Mais  il  arrive 
souvent  qu'avant  d'être  définitivement  adoptés  ou 
rejetés,  les  mots  passent  par  d'étranges  vicissitudes: 
attaqués  par  les  uns  comme  impropres  ou  dange- 
reux, revendiqués  par  d'autres  comme  excellents  et 
à  l'abri  de  toute  suspicion,  de  tout  reproche,  tour  à 
tour  employés,  abandonnés  ou  repris,  ils  n'échap- 
pent à  toute  discussion  que  lorsque  l'Eglise  se  pro- 
nonce sur  leur  compte,  en  les  condamnant  ou  en  les 
adoptant  dans  l'expression  officielle  de  sa  foi. 

L'histoire  nous  apprend,  par  exemple,  que  le  mot 
de  monarchie,  d'usage  courant  à  la  fin  du  11e  siècle 
et  au  me  pour  exprimer  l'unité  divine,  était  dénoncé 
comme  suspect  et  de  nature  à  porter  atteinte  à  la 
trinité  des  personnes  par  Tertullien  (i).  Gela  n'em- 
pêcha p  s  le  pape  saint  Denys  (269-268)  de  le  re- 
prendre et  d'en  montrer  le  sens  parfaitement  ortho- 
doxe (2).  Celui  de  7rpo<j(t>7rov,  chez  les  grecs,  de 
persona,  chez  les  latins,  évoquait  l'idée  d'un  per- 
sonnage sur  la  scène,  d'un  auteur  qui  joue  succes- 
sivement plusieurs  rôles  ;  mais  pour  servir  à  dési- 
gner ce  que  la  foi  chrétienne  entend  par  personne 
divine,  il  devait  perdre  son  sens  strictement  étymo- 
logique.  Celui  de  ôjxooùctoç,   appelé   à  un   si  grand 


1.  Adv.  Prax.,  m  ;  Pair,  lat.,  t.  11,  col.  i58.  —  2.  Eplst.  adv. 
Sa'âd. 


l86  LE  CATÉCHISME  ROMAIN 

retentissement  au  iv°  siècle,  commença  par  être 
proscrit  au  synode  d'Antioche,  en  269  ou  271,  à 
cause  du  sens  hérétique  que  lui  donnait  Paul  de 
Samosate  ;  mais  il  fut  repris  au  concile  de  Nicée 
dans  un  sens  nettement  arrêté  et  devint,  comme 
l'on  sait,  la  tessère  de  l'orthodoxie. 

D'autres  expressions,  telles  que  Y  union  hypostati- 
que,  la  communication  des  idiomes,  la  circuminses- 
sion,  etc.,  se  sont  conservées  dans  leur  forme  native 
et  sont  simplement  employées  dans  l'usage  actuel 
dans  leur  sens  primitif,  aujourd'hui  encore  suffi- 
samment accessible  à  l'intelligence  sans  qu'il  soit 
nécessaire,  pour  les  expliquer,  de  recourir  à  un 
grand  appareil  scientifique. 

Mais  si,  parfois,  l'Église  crée  des  mots  nouveaux, 
trinité,  transsubstantiation,  etc.,  elle  se  contente  le  plus 
souvent  de  prendre  les  termes  de  la  philosophie 
régnante  avec  les  images,  les  principes  et  les  for- 
mules qui  s'harmonisent  avec  la  doctrine  qu'elle 
enseigne  et  l'expriment  au  mieux.  Mais  un  tel 
emprunt  n'implique  ni  l'infiltration  d'une  philo- 
sophie particulière  dans  son  enseignement  dogma- 
tique, ni  l'inféodation  de  la  doctrine  évangélique 
à  un  système  hétérogène  quelconque,  ni  la  solu- 
tion des  problèmes  divers  que  soulève,  parmi  les 
philosophes,  la  nature  intime  des  réalités  qui 
se  cachent  sous  ces  vocables. 

Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  dans  les  défini- 
tions de  foi  proprement  dites,  les  mots  empruntés  à 
telle  ou  telle  philosophie  n'ont  nullement  le  sens 
particulier  et  spécifique  du  système  auquel,  ils  sont 
empruntés,    mais   seulement  la  signification  ordi- 


NOTION  CATHOLIQUE  DU  DOGME  IO7 

dinaire  qu'ils  ont  dans  l'usage  courant,  où  ils  s'af- 
franchissent de  leur  sens  technique  et  systématique 
et  se  démarquent.  «  Ils  ne  désignent  plus  alors, 
remarque  le  P.  Allô,  que  les  postulats  de  la  philoso- 
phie rudimen  taire  nécessaire  à  tout  homme  réfléchi, 
ce  que  tout  le  monde  constate  ou  présuppose,  ce 
dont  toutle  monde  aune  connaissance  distincte  (i).  » 
«  Le  dogme,  en  tant  que  dogme,  n'est  jamais  expri- 
mé qu'en  termes  très  distincts,  qui  sont  de  la  lan- 
gue commune  ou  y  ont  du  moins  leurs  équivalents.  » 
Il  n'implique  pas  du  toutle  détail  d'une  philosophie 
spéciale  ;  «  il  n'implique,  en  fait  de  philoso- 
phie, que  les  idées  courantes  d'une  philosophie 
déiste...  Il  fait  ahstraction  de  toutes  les  moda- 
lités philosophiques  qui  enveloppent  ou  déter- 
minent leur  contenu  dans  l'esprit  des  savants  ; 
mais  il  lui  reste  le  sens  empiriquement  clair  et 
intellectuellement  obscur,  qui  est  perceptible  à 
tous  (2).  )) 

«  La  foi,  dit  à  son  tour  le  P.  Portalié,  n'emprunte 
à  la  philosophie  ni  ses  systèmes  particuliers,  ni  les 
théories  plus  ou  moins  fondées  sur  la  nature  des 
êtres  ;  elle  lui  prend  seulement  ces  vérités  primor- 
diales et  ces  principes  essentiels  qui  constituent  la 
philosophia perennis  de  l'humanité. . .  De  même,  quand 
l'Eglise  emprunte  à  la  philosophie  des  images,  des 
métaphores,  des  expressions  ou  même  des  théories, 
elle  ne  définit  nullement  pour  cela  le  système  lui- 
même  auquel  ces  formules  sont  empruntées...  Ainsi 
en  adoptant  les  expressions  dogmatiques  nature, 
personne,  transsubstantiation,  tout  en  définissant 
l'idée  générale  et  distincte  que  ces  mots  expriment, 
l'Eglise  ne  prétend  nullement  trancher  toutes  les 

1.  Quinzaine,  ier  août  1905,  p.  frig.  —  2.  Quinzaine,  ier  août 
igo5,  p.  420-421. 


l88  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

questions  soulevées  parles  philosophes  sur  la  nature 
intime  de  ces  réalités  (1).  » 

Parmi  ces  termes,  il  en  est  deux  notamment, 
matière  et  forme  qui  semblent  gros  d'une  philoso- 
phie spéciale.  Ils  appartiennent,  en  effet,  à  l'école 
péripatéticienne,  où  ils  sont  liés  à  une  conception 
cosmologique  particulière ,  celle  de  l'hylémorphisme , 
tandis  que,  dans  la  théorie  des  sacrements,  ils  ser- 
vent à  désigner,  par  une  simple  analogie,  le  rôle  que 
joue  dans  le  baptême,  par  exemple,  la  parole  par 
rapport  à  l'eau,  rôle  déterminateur  semblable  à  ce- 
lui de  la  forme  aristotélicienne  vis-à-vis  de  la  ma- 
tière. Cette  théorie  sacramentaire,  élaborée  par  les 
scolastiques,  consacrée  par  Eugène  IV  et  le  concile 
de  Trente,  montre  bien,  dit  le  P.  de  Grandmaison, 
que  «  le  ciment  philosophique  n'a  introduit  dans 
l'édifice,  désonnais  consacré,  de  la  dogmatique  or- 
thodoxe, pour  relier  des  concepts  réellement,  spé- 
cifiquement chrétiens,  que  des  notions  de  métaphy- 
sique universelle...  Mais  on  ne  peut  ramener  à  cette 
métaphysique  générale  toutes  les  notions  de  philo- 
sophie impliquées  par  les  énonciations  dogmatiques. . . 
L'Eglise  suppose,  par  quelques-unes  de  ses  formules 
de  foi,  des  notions  philosophiques,  dont  on  est  im- 
puissant à  établir  directement  le  caractère  général... 
soit  l'union  de  l'âme  et  du  corps.  L'Eglise  nous  dé- 
clare, dans  le  concile  de  Vienne  (i3i2),  que  l'on  ne 
peut  sans  errer  dans  la  foi  nier  ou  simplement 
révoquer  en  doute  que  l'âme  raisonnable  soit  par 
elle-même,  essentiellement,  véritablement,  la  forme 
du  corps  humain.  Or,  ce  concept  scolas tique  de 
forme  substantielle,  qui  emporte  une  philosophie 
assez  développée  doit  être  tenu  pour  vrai,  au  moins 
par  rapport  à  l'âme    humaine.  L'intervention  des 

i.  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1905,  p.  137. 


NOTION  CATHOLIQUE  DU  DOGME         l8g 

théologiens  de  Vienne  sur  le  terrain  philosophique 
était,  en  fait,  provoquée  parle  devoir  qu'ils  avaient 
de  maintenir  dans  son  intégralité  le  dépôt  des  vérités 
révélées  (i).  » 

On  n'est  donc  nullement  autorisé  à  dire  qu'une 
formule  dogmatique  est  l'expression  d'une  idée 
étrangère,  hétérogène  :  elle  est  l'expression  d'une 
vérité  révélée,  spécifiquement  chrétienne.  Des  simi- 
litudes verbales  ou  métaphoriques  n'impliquent  pas 
l'identité  des  concepts  qu'elles  recouvrent  :  vocables 
et  métaphores  sont  extérieurs  à  la  connaissance  et 
restent  accessoires.  C'est  l'idée  qu'ils  revêtent  qui 
importe  avant  tout.  Or,  encore  une  fois,  l'idée 
exprimée  par  les  formules  dogmatiques  est  exclusi- 
vement chrétienne. 

Loin  donc  de  canoniser  Platon  ou  Aristote,  l'Eglise 
a  soin  de  tenir  à  l'écart  de  son  enseignement  tout 
dogme  étranger;  elle  ne  confond  pas  la  philosophie 
ni  même  la  théologie  avec  la  foi  ;  elle, se  sert  sim- 
plement de  la  philosophie  et  de  la  théologie  dans  la 
mesure  où  elles  peuvent  lui  être  utiles  pour  formuler 
sa  foi  sans  la  trahir.  Saint  Thomas,  observe  avec 
raison  le  P.  Portalié,  corrige  Aristote,  comme  saint 
Augustin  corrige  les  platoniciens  (2).  Et  de  tous  les 
docteurs  de  l'Eglise  on  peut  dire  ce  que  M.  Grand- 
george  proclamait  de  l'évêque  d'Hippone  :  «  Tout  ce 
qui,  dans  le  néo-platonisme,  peut  s'accorder  avec 
les  mystères  chrétiens,  ou  qui  trouve  dans  ces  mys- 
tères une  explication,  saint  Augustin  le  conserve 
et  le  conservera  toujours  ;  mais  ce  qui  était  exclusi- 
vement néo-platonicien,  il  le  repoussera  de  plus  en 
plus.  Donc  tant  que  sa  philosophie  concorde  avec 
ses  doctrines    religieuses,    saint  Augustin  est  fran- 

1.  Eludes,  1898,  t.  lxxvi,  loc.  cit.,  p.  485-^90.  —  2.  Bulletin, 
1905,  loc.  cit.,  p.  i35. 


190  LE    CATECHISME    ROMAIN 

chement  néo-platonicien  ;  dès  qu'une  contradiction 
se  présente,  saint  Augustin  n'hésite  jamais  à  subor- 
donner la  philosophie  à  la  religion,  la  raison  à  la 
foi  (1).  » 

4°  Ses  caractères 

Que  l'Eglise  emprunte  ses  termes  au  langage 
ordinaire  ou  à  la  philosophie,  ou  même  qu'elle  les 
crée,  en  tout  état  de  cause,  quand  elle  définit  une 
vérité  révélée  comme  de  foi  catholique,  elle  puise 
dans  le  dépôt  qui  lui  a  été  confié,  elle  tire  de  ce  fond 
et  affirme  que  telle  ou  telle  vérité  en  fait  partie  ; 
elle  est  dans  son  rôle  de  gardienne  et  d'interprète  ; 
les  fidèles  n'ont  qu'à  se  soumettre. 

Du  reste,  en  définissant  une  vérité  comme  de 
foi  catholique,  l'Eglise  estime  tenir  un  langage 
suffisamment  clair  et  intelligible  pour  l'esprit 
humain,  sans  prétendre  aucunement  faire  cesser  le 
mystère,  car  l'incompréhensible  n'est  ni  l'inintelli- 
gible, ni  l'inconnaissable  absolu.  Elle  n'ignore  pas 
l'impuissance  où  se  trouve  la  raison  humaine 
d'épuiser  l'absolu  et  de  représenter  la  réalité  divine 
tout  entière.  Obligée  de  recourir  au  procédé  analo- 
gique, nécessairement  inadéquat  et  imparfait,  elle 
en  use  au  mieux  de  la  vérité  révélée,  à  titre  de 
moyen  d'exposition  ou  d'instrument  de  connaissance, 
comme  ayant  une  valeur  représentative  légitime  et 
suffisante.  Or, en  imposant  une  vérité  définie  à  la  foi 
de  ses  fidèles,  c'est  à  leur  esprit  tout  d'abord  qu'elle 
s'adresse,  puisque  c'est  une  vérité  qu'elle  propose  et 
que  la  vérité  appartient  à  l'ordre  intellectuel  ;  ce 
faisant,  elle  reste  assurée  du  retentissement  profond 

1.  Grandgeorge,  Saint- Augustin  et  le  néo-platonisme,  Paris, 
1896,  p.  i55-i56. 


NOTION    CATHOLIQUE    DU    DOGME  IÇ)I 

que  la  vérité  définie  ne  peut  manquer  d'avoir,  au 
point  de  vue  pratique,  dans  toute  l'économie  de  la 
vie  chrétienne. 

Loin  donc  de  regarder  ses  formules  dogmatiques 
comme  de  purs  symboles,  de  simples  métaphores 
ou  des  notations  algébriques,  elle  estime,  au  con- 
traire, qu'elles  répondent  à  une  réalité  vivante, 
sinon  dans  sa  totalité,  du  moins  à  l'un  de  ses 
aspects,  et  que,  si  elles  ne  l'expriment  pas  adéquate- 
ment, c'est  sans  doute  à  cause  de  la  transcendance 
de  cette  réalité,  qui  nous  reste  par  ailleurs  inconnue 
et  insaisissable  dans  une  large  mesure,  et  aussi  à 
cause  de  la  nature  limitée  de  notre  esprit  et  de 
l'insuffisance  native  des  moyens  dont  il  dispose. 
Mais,  à  moins  de  réserver,  comme  on  le  fait  trop 
souvent  dans  certains  milieux  scientifiques,  le  mot 
de  connaissance  à  la  seule  connaissance  d'un  objet 
dont  on  fait  complètement  le  tour,  qu'on  pénètre  à 
fond,  ou  dont  on  finit  par  acquérir  une  notion 
compréhensive  et  adéquate,  propre  et  directe,  il  est 
juste  de  reconnaître  qu'on  peut  avoir  aussi  d'un 
objet  une  connaissance  partielle,  qui  n'est  ni  moins 
réelle,  ni  moins  positive,  bien  qu'indirecte  et  pure- 
ment analogique. 

Le  symbole  n'est  que  conventionnel  ;  il  ne  fait 
que  remplacer  un  objet,  sans  en  révéler  la  nature. 
L'analogie,  au  contraire,  part  d'une  réalité  positive, 
découvre  une  certaine  ressemblance  entre  l'objet  et 
notre  concept,  représente  par  suite  cet  objet  sous 
un  rapport  déterminé  ;  et,  bien  qu'elle  ne  nous  le 
manifeste  pas  intégralement,  elle  nous  en  apprend 
du  moins  quelque  chose  de  positif  et  de  vrai.  Or 
c'est  là  justement  l'espèce  de  connaissance  que  nous 
procure  la  formule  dogmatique  :  elle  n'épuise  pas 
l'objet  révélé,  mais  elle  en  fait  connaître  quelque 
«hose,  et  ce  qu'elle  nous  en  manifeste  est  vrai,  d'une 


192  LE    CATECHISME    ROMAIN 

vérité  absolue,  définitivement  acquise,  irréformable 
et  immuable. 

Sans  nul  doute,  la  vérité  ainsi  proposée  avec 
toutes  les  garanties  dont  elle  est  susceptible,  res- 
semble à  un  joug;  mais  c'est  le  joug  divin  qui 
honore  la  créature  raisonnable  sans  compromettre 
en  rien  sa  dignité  ou  son  autonomie,  ainsi  que  nous 
l'expliquerons  plus  au  long  en  répondant  à  l'objec- 
tion, aujourd'hui  si  répandue,  que  le  dogme  apparaît 
comme  un  asservissement,  comme  une  limite  aux 
droits  delà  pensée,  comme  une  menace  de  tyrannie 
intellectuelle,  comme  une  entrave  et  une  restriction 
imposées  du  dehors  à  la  liberté  de  la  recherche, 
toutes  choses,  dit-on,  radicalement  contraires  à  la 
\ie  même  de  l'esprit,  à  son  besoin  d'autonomie  et 
de  sincérité. 

Cette  notion  du  dogme  est  loin  de  rallier  aujour- 
d'hui tous  les  suffrages.  Méconnue  par  quelques 
uns,  travestie  par  d'autres,  elle  est  résolument  reje- 
tée par  certains.  Sous  prétexte  qu'elle  est  absolument 
incompatible  avec  l'état  actuel  des  esprits,  qu'elle 
crée  une  airtinomie  irréductible  dans  l'âme  entre 
les  conquêtes  toujours  progressives  de  la  science  et 
les  affirmations  du  Credo,  les  uns  la  vident  de  son 
sens  catholique  et  traditionnel  et  lui  substituent  une 
signification  qu'ils  jugent  plus  en  harmonie  avec  le 
progrès  scientifique,  plus  acceptable  pour  la  pensée 
contemporaine,  mais  qui  est  la  négation  radicale 
du  dogme.  D'autres,  sans  aller  aussi  loin,  se  mon- 
trent tout  disposés  à  ne  plus  lui  reconnaître  le 
moindre  caractère  intellectuel  pour  n'y  voir  qu'une 
direction  morale  d'ordre  pratique. 

Sans  parler  de  M.  Harnack,  professeur  à  l'univer- 
sité de  Berlin,  dont  la  thèse  bien  connue  consiste  à 
prouver  que  les  dogmes,  dans  leur  conception  et 
leur   structure,  sont  l'œuvre  de  l'esprit  humain  et 


NOTION    CATHOLIQUE    DU    DOGME  igo 

non  le  pur  exposé  de  l'Evangile,  une  espèce  d'esca*- 
motage  (i)  ;  et  pour  ne  nous  en  tenir  qu'à  des  au- 
teurs français,  n'est-ce  pas  M.  A.  Sabatier,  mort 
depuis  peu  doyen  de  la  faculté  de  théologie  protes- 
tante de  Paris,  qui  réduit  le  dogme  à  n'être  que  la 
manifestation  extérieure  d'une  expérience  religieuse 
subjective,  individuelle,  avec  toutes  les  conséquen- 
ces qui  en  découlent  (2)  ? 

N'est-ce-pas  M.  Loisy,  écho  à  peine  voilé,  sur  un 
très  grand  nombre  de  points,  de  M.  Harnack  et  de 
M.  Sabatier,  qui  estime  que  la  vérité  est  quelque 
chose  de  «  nécessairement  conditionné,  relatif,  tou- 
jours perfectible,  »  a  évoluant  avec  l'homme,  en 
l'homme  et  par  l'homme  ;  »  que  la  révélation  c'est 
«  la  conscience  acquise  par  l'homme  de  son  rapport 
avec  Dieu,  »  «  Dieu  agissant  dans  l'homme,  Dieu 
connu  par  l'homme  ;  »  et  que  le  dogme  est  la  for- 
mule de  «  l'expérience  religieuse,  »  conditionné  lui 
aussi  par  le  développement  de  la  science,  par  suite 
relatif,  variable,  perfectible  tout  comme*  la  vérité 
elle-même  (3)  ? 

Et  n'est-ce  pas  M.  Le  Roy  qui,  devant  l'impuis- 
sance de  la  pensée  catholique  à  se  faire  entendre  de 
nos  contemporains,  et  constatant  qu'on  ne  discute 
pas  si  telle  ou  telle  proposition  est  un  dogme,  mais 
que  c'est  l'idée  du  dogme  elle-même  qui  répugne, 
s'est  demandé  et  a  demandé  si  la  vraie  solution  aux 
difficultés  d'ordre  divers  qu'on  fait  valoir,  ne  serait 

1.  A.  Harnack,  Dogmengeschichte,  Fribourg-en-Brisgaii, 
189^-1897  ;  Précis  de  l'histoire  des  dogmes,  trad.  franc.,  Paris, 
i853  ;  Das  Wesen  des  Christentums,  Leipzig,  1900;  trad.  franc., 
Paris,  1902.  —  2.  A.  Sabatier,  Esquisse  d'une  philosophie  de  la 
religion  d'après  la  psychologie  et  l'histoire,  Paris,  1897  ;  La 
religion  d'autorité  et  la  religion  de  l'esprit,  Paris,  190/i.  — 
3.  Loisy,  l'Evangile  et  l'Eglise,  Paris,  1903  ;  Autour  d'un  petit' 
livre,  Paris,  1903. 

l.p  ta  •  TH'SME.   T.   I.  J3 


194  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

pas  d'établir  que  la  notion  de  dogme,  condamnée 
et  réprouvée  par  la  pensée  moderne,  n'est  pas  la 
notion  catholique,  et  s'il  n'y  a  pas  lieu  dès  lors  de 
la  changer,  en  déterminant  la  modalité  du  juge- 
ment dogmatique  et  la  qualification  qui  lui  con- 
vient (i)  ? 

Sous  la  plume  de  ces  auteurs  se  trouvent  les  prin- 
cipales objections  qu'on  oppose  à  la  notion  catholi- 
que du  dogme,  et  aussi  les  essais  de  théories,  les 
solutions  proposées  pour  rendre  le  dogme  accepta- 
ble. Que  valent  ces  objections  ?  Que  penser  de  ces 
théories  ?  C'est  ce  qu'il  importe  de  savoir. 

IL  Théorie  de  M.  A.  Sabatier 

La  théorie  de  M.  A.  Sabatier  est  intéressante  à* 
connaître  à  plus  d'un  titre.  Elle  ne  représente  pas 
seulement  ce  que  le  protestantisme  libéral  conserva 
de  préjugés  contre  le  dogme  catholique,  les  griefs 
qu'il  fait  valoir  contre  lui  et  la  condamnation  qu'il 
en  porte  ;  mais  elle  se  donne  encore  comme  un 
essai,  comme  «  l'esquisse  d'une  philosophie  de  la 
religion  d'après  la  psychologie  et  l'histoire,  »  pour 
faire  cesser  toute  antinomie  entre  le  sentiment  reli- 
gieux et  l'esprit  moderne,  pour  écarter  toute  cause 
de  conflit  entre  la  foi  et  la  science. 

La  tâche,  assurément,  est  assez  malaisée  ;  mais, 
grâce  à  une  méconnaissance  radicale  du  grand  fait 
de  la  révélation  divine  et  de  la  notion  du  dogme 
catholique,  grâce  à  une  interprétation  de  l'histoire, 
tendancieuse  et  systématique,  dont  on  s'autorise 
après  M.  Harnack  pour  déclarer  que  l'enseignement 

i.  Le  Roy,  Qu'est-ce  qu'an  dogme  ?  dans  la  Quinzaine,  16 
avril  1905. 


THÉORIE    DE    M.    A.    SABATIER  igS 

chrétien  n'est  qu'une  adaptation  religieuse  de  la 
philosophie  grecque  ou  scolastique,  grâce  surtout  à 
l'influence  décisive  du  subjectivisme  de  Kant,  qu'on, 
revendique  hautement  comme  la  seule  solution  pos- 
sible et  rationnelle  de  toutes  les  difficultés  du  pro- 
blème religieux,  on  en  est  arrivé,  en  France  comme 
en  Allemagne,  à  vider  de  leur  sens  traditionnel  les 
concepts  de  révélation  et  de  dogme  et  à  réduire  la 
religion  à  une  affaire  d'ordre  privé,  à  un  subjecti- 
visme absolu.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  néga- 
tion du  catholicisme  qui  est  au  bout  de  tels  efforts, 
c'est  encore  l'idée  religieuse  elle-même  qui  sombre 
pour  ne  plus  laisser  place  qu'à  un  vague  sentimen- 
talisme. De  telle  sorte  que  cette  critique  destructive 
et  cette  tentative  de  systématisation,  loin  d'être  jus- 
tifiées en  soi,  ouvrent  la  porte  aux  conséquences  les 
plus  fâcheuses  (i). 

1°  Objections  de  M.  Sabatier 

M.  Sabatier  reconnaît  que  la  «  notion  d'un  dogme 
immuable  ne  se  trouve  rigoureuse  et  achevée  que 
dans  le  catholicisme,  »    qu'elle  dérive   du  principe 

i.  L'apparition  de  l'Esquisse  fut  saluée  comme  «  un  événe- 
ment théologique  »  par  un  collègue  de  M.  Sabatier,  profes- 
seur à  la  faculté  de  théologie  protestante  de  Paris,  M.  Méné- 
goz,  dans  la  Revue  chrétienne,  1897,  n.  2  ;  cet  article  est  repro- 
duit dans  le  Fidéisme,  Paris,  1900,  p.  227-238,  du  même  au- 
teur. Mais  tous  les  coreligionnaires  de  M.  Sabatier  sont  loin  de 
partager  ses  idées.  M.  H.  Bois,  en  particulier,  professeur  à  la 
faculté  de  théologie  protestante  de  Montauban,  a  vivement  et 
fortement  critiqué  la  plupart  des  points  de  la  théorie  du 
doyen  de  Paris  ;  son  livre  de  la  Connaissance  religieuse,  Paris» 
1894,  contenait  la  réfutation  de  la  plupart  des  vues  de  M.  Sa- 
batier, déjà  connues  par  des  publications  précédentes  et  insé- 
rées dans  l'Esquisse  sans  un  mot  de  réponse. 


I96  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

même  du  catholicisme.  «  Dans  une  institution  exté- 
rieure, dans  une  Eglise  infaillible,  dit-il,  le  dogme 
ne  peut  que  prendre  la  forme  d'une  loi  absolue  (i).  » 
Mais  il  se  refuse  à  accepter  une  telle  notion,  et  cela 
pour  plusieurs  motifs. 

i.  Il  trouve  d'abord  que  la  doctrine  catholique 
est  étrangère  au  christianisme  :  c'est  la  thèse  de 
M.  Harnack. 

Parlant,  en  effet,  de  la  doctrine  des  conciles  et 
des  Pères,  il  dit  :  «  Qui  ne  voit  que  cette  étoffe  est 
grecque  de  forme,  de  couleur  et  par  tous  les  fils  de 
son  tissu?  D'où  viennentces  termes  et  ces  notions... 
que  l'hébraïsme  n'a  pas  connus,  ces  concepts  abs- 
traits de  substance  ou  d'hypostase,  de  nature  et  de 
personne,  d'essence  et  d'accident,  de  matière  et  de 
forme?  D'où  provient  la  science  des  Pères  de  l'Eglise, 
leur  exégèse,  leur  histoire,  leur  logique,  leur  psy- 
chologie et  cette  haute  métaphysique  qui  a  si  com- 
plètement transformé  le  ciel  des  prophètes  en  un 
ciel  platonicien  ?  Tout  cela  dérive  d'Athènes, 
d'Ephèse,  de  Samos,  de  Milet,  en  passant  par 
Alexandrie  et  Rome.  Les  Justin  et  les  Athénagore,  les 
Clément  et  les  Basile,  Athanase  plus  encore  qu'Arius, 
Jérôme  comme  Augustin  ont  été  nourris,  dès  leur 
enfance,  aux  lettres  grecques  et  latines.  Ils  ont  lu 
Platon,  Heraclite,  Zenon,  Philon,  et,  plus  tard,  Ci- 
céron,  Possidonius  et  Sénèque,  autant  et  plus  peut- 
être  que  l'Ancien  Testament.  Quoi  d'étonnant  dès 
lors  que  leur  théologie  suive  pas  à  pas  celle  du  néo- 
platonisme, au  point  que  celui-ci  deviendra,  pour 
Augustin,  la  véritable  introduction  à  l'Evangile  et 
qu'au  moyen  âge  les  noms  de  Platon  et  d'Aris- 
tote    ne   seront   pas  revêtus  d'une   autorité  moin- 

i.  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  religion  d'après  la  psychO' 
logie    et    Vhistoiref  Paris,   1897,  p.  277,  a8i« 


THEORIE    DE    M.    A.    SABATIER  I97 

dre    que  ceux   d'Esaïe,    de  saint  Paul  et   de   saint 
Jean  (r)  ?  » 

Dans  un  autre  passage,  il  demande  :  «  Comment 
expliquer  cette  formation  étonnante  des  grands  dog- 
mes catholiques,  autrement  que  par  l'aliiage  du 
principe  de  l'Evangile  avec  la  pensée  hellénique  ? 
Examinez  de  plus  près  la  construction  de  ce  chris- 
tianisme doctrinal.  Avec  quels  matériaux  l'édifice 
a-t-il  été  bâti  ?  De  quelles  carrières  viennent  les 
moellons  employés  ?  Quel  architecte  en  a  tracé  le 
dessin  ?  A  quel  style  convient-il  de  le  rapporter  ? 
L'Eglise  affirme  que  tout  cela  vient  de  la  Bible. 
C'est  une  grande  illusion...  La  substructure  philo- 
sophique des  dogmes  est  restée  grecque,  de  même 
que  la  langue  dans  laquelle  ils  furent  tout  d'abord 
rédigés  (2)  ». 

Il  y  a  dans  cette  objection  des  assertions  gratuites, 
de  regrettables  confusions,  des  erreurs.  M.  Sabatier 
confond  trop  à  son  aise  la  philosophie  des  Pères 
avec  leur  théologie,  et  la  théologie  en  général  avec 
le  dogme  strictement  dit.  Les  Pères,  sans  doute,  ont 
pu  embrasser  tel  ou  tel  système  de  philosophie  ; 
mais  leur  philosophie  particulière  n'engage  pas 
la  théologie  ;  et  la  théologie  elle-même,  œuvre 
humaine,  effort  intellectuel  de  l'homme  pour 
expliquer  ou  exposer  scientifiquement  le  dogme, 
n'est  pas  le  dogme  et  n'a  pas,  comme  lui,  l'autorité 
d'un  credo.  Nous  n'insisterons  pas  davantage, 
ayant  déjà  dit  ce  qu'il  convient  de  penser  soit 
de  l'autorité  des  philosophes,  soit  de  l'influence 
de  la  philosophie  ;  celle-ci,  en  tant  que  système 
particulier,  reste  à  la  porte,  à  raison  même  de 
son  hétérogénéité  ;  en  tant  que  possédant  des 
notions  d'ordre  général  et  qui  appartiennent  par  là 

1.  Esquisse,  p.  a32-a33.  —  a.  Esquisse,  p.  3i4-3i5. 


I98  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

même  au  domaine  ordinaire  de  la  connaissance, 
elle  est  utilisable  et,  de  fait,  elle  a  été  utilisée,  rien 
-de  plus  légitime. 

2.  M.  Sabatier  accuse  le  dogme,  entendu  au  sens 
catholique,  de  créer  un  conflit  dans  la  conscience. 
«  Il  est  bien  évident,  écrit-il,  qu'une  doctrine  impo- 
sée ainsi  du  dehors  par  l'autorité  sacerdotale,  entrera 
nécessairement  en  conflit  avec  le  développement  orga- 
nique de  la  science  et  la  culture  libre  de  l'esprit.  Il  ne 
saurait  y  avoir  ni  contact  ni  fusion  entre  les  don- 
nées surnaturelles  du  dogme  et  les  acquisitions  pro- 
gressives de  la  raison  naturelle,  puisqu'il  n'y  a  iden- 
tité ni  de  principe,  ni  de  méthode,  ni  de  contrôle. 
Les  idées  catholiques  et  les  idées  modernes  resteront 
extérieures  les  unes  aux  autres.  Cette  juxtaposition 
inorganique  se  transformera  vite  en  antagonisme 
flagrant..  Dans  la  formule  qui  l'a  constitué,  il  y  a 
un  millier  d'années,  sont  entrés  des  éléments  de  la 
science  de  l'époque.  Les  Pères  de  l'Eglise  et  les  doc- 
teurs du  moyen  âge  l'ont  construit  nécessairement 
avec  la  cosmologie,  la  physique,  la  médecine,  l'his- 
toire, la  jurisprudence  et  la  morale  de  leur  temps. 
En  revêtant  d'une  autorité  divine  cette  science  rudi- 
mentaire  du  passé,  vous  en  opposez  les  erreurs  aux 
concepts  d'une  science  plus  vaste  et  plus  sûre,  et  le 
conflit  éclate  inévitablement  (1).  » 

Nous  retrouvons  ici  l'hypothèse  injustifiée  et 
fausse,  déjà  signalée,  celle  de  la  substitution  d'une 
philosophie  humaine  à  l'enseignement  évangélique 
et  celle  d'une  prétendue  canonisation  par  l'Eglise 
d'anciennes  doctrines  scientifiques,  complètement 
périmées  et  condamnées  par  les  progrès  actuels. 
Mais  M.  Sabatier  y  en  ajoute  une  autre,  celle  de 
Tincompatibilité  irréductible  entre  les  données  dog- 

1.  Esquisse,  p.  281-282. 


THEORIE    DE    M.    A.    SABATIER  I99 

matiques  et  les  acquisitions  scientifiques.  Nous 
avons  déjà  dit  qu'il  n'y  a  pas  eu  d'hellénisation  de 
l'Evangile,  ni  d'inféodation  platonicienne,  aristotéli- 
cienne ou  autre.  Dans  l'enseignement  dogmatique, 
il  n'y  a  pas  succession  de  doctrines,  mais  perma- 
nence et  transmission  développée  d'une  même  et 
seule  doctrine,  la  doctrine  révélée,  avec  notification 
officielle  par  des  définitions  que  telle  ou  telle  vérité 
fait  partie  authentique  du  dépôt  révélé. 

Quant  à  l'incompatibilité  qu'on  allègue,  elle  n'est 
pas  et  ne  saurait  être  dans  l'opposition  et  le  conflit 
de  la  vérité  révélée  et  de  la  vérité  scientifique,  par 
la  raison  bien  simple  que  la  vérité  ne  peut  pas  aller 
contre  la  vérité.  Ces  vérités,  assurément,  sont  d'un, 
ordre  différent  :  chacune  d'elle  a  son  principe,  sa  mé- 
thode, propres  ;  mais  cette  différence  ne  suffit  pas, 
à  elle  seule,  pour  soutenir  qu'elles  créent  nécessai- 
rement dans  la  pensée  contemporaine  un  état  d'an- 
tagonisme et  de  conflit,  qui  condamne  le  dogme  au 
profit  de  la  science  intangible  :  ce  serait  décréter  ce 
principe  faux  qu'il  n'y  a  pour  toutes  sortes  de  véri- 
tés qu'un  principe,  qu'une  méthode,  qu'un  contrôle 
identiques.  Qui  ne  sait,  en  effet,  qu'à  côté  des  expé- 
riences de  laboratoire,  il  existe  d'autres  procédés 
d'investigation  ?  Les  balances,  les  cornues,  les  réac- 
tifs, ont  leur  utilité  dans  le  domaine  des  sciences 
expérimentales.  Mais,  d'autre  part,  et  dans  d'au- 
tres domaines,  n'y  a  t-il  pas  l'induction,  l'analo- 
gie, etc.  ? 

N'existerait-il  par  hasard  qu'une  espèce  de  certi- 
tude, la  certitude  mathémathique  ou  expérimen- 
tale ?  N'y  a-t-il  pas  aussi  une  certitude  morale  ?  Et 
l'autorité,  le  témoignage  d'autrui  qui,  du  reste, 
s'imposent  à  chaque  pas  dans  la  xie  pratique,  et 
jouent  un  rôle  utile  sinon  nécessaire  dans  l'ordre 
scientifique,  de  quel  droit  les  frapper  d'ostracisme 


200  LE    CATECHISME    ROMAIN 

et  les  rejeter  par  cela  seul  qu'ils  servent  à  trans- 
mettre la  vérité  révélée  ? 

Il  est  à  constater,  en  tout  cas,  que,  chez  les  vrais 
savants,  la  foi  et  la  science  vivent  en  parfaite  intel- 
ligence sans  l'ombre  d'un  conflit.  Mais  nous  aurons 
à  revenir  sur  ce  point. 

3.  Dans  sa  critique  négative  et  destructive,  M.  Sa- 
batier  va  plus  loin  encore.  Car,  à  ses  yeux,  le  dogme 
tenu  pour  absolu  et  immuable  n'est  pas  seulement 
une  source  de  conflits,  la  cause  d'un  antagonisme 
irréductible,  il  est  de  plus  scientifiquement  stérile, 
sans  action  sur  la  pensée  humaine  et  même  sans 
valeur  religieuse. 

A  vrai  dire,  «  depuis  la  fin  du  moyen  âge,  le 
dogme,  au  sens  catholique,  a  cessé  de  vivre.  Il  a 
cessé  de  vivre  dans  la  conscience  philosophique  et 
scientifique  moderne,  absolument  émancipée  de 
toute  autorité  autre  que  celle  de  la  raison  ;  il  a  cessé 
de  vivre  dans  la  conscience  religieuse  protestante, 
qui  a  introduit  l'idée  de  critique  et  l'idée  de  réforme 
continue  dans  la  vie  même  de  l'Eglise  ;  il  a  cessé  de 
vivre  enfin  dans  la  conscience  catholique  elle-même 
qui,  l'ayant  réduit  à  celui  de  l'autorité  toute  nue, 
représentée  par  le  Pape,  ne  le  conserve  plus  qu'em- 
baumé. Donc  si  l'usage,  qui  est  toujours  la  source 
et  la  règle  du  langage,  doit  être  fixé  d'après  la  tra- 
dition catholique,  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  plus  de 
dogme  (i).  » 

Constater  que  le  dogme,  entendu  au  sens  catholi- 
que ,  a  cessé  de  vivre  dans  la  conscience  philosophique 
et  scientifique  moderne  ainsi  que  dans  la  conscience 
religieuse  protestante,  c'est  un  fait  que  l'on  ne  saurait 
oontester,  du  moins  pour  la  plupart  des  philosophes 
et  des  protestants.  Mais  ce  fait,  qui  est  loin  d'être 

i.  Esquisse,  p.  291. 


THEORIE    DE    M.    A.    SABAT1ER  201 

général,  que  prouve- t-il  contre  le  dogme  lui-même? 
—  Rien,  absolument  rien.  Ce  qu'il  prouve  c'est  que, 
chez  plusieurs  de  nos  contemporains,  l'esprit  op- 
pose systématiquement  mais  irrationnellemcnt  sa 
prétendue  autonomie  à  l'autorité  divine,  alors  que 
cette  autonomie,  tant  prônée,  n'est  qu'un  leurre, 
car  elle  n'existe  dans  aucun  ordre  de  connaissance. 
Partout  et  toujours,  l'homme,  quoi  qu'il  en  ait,  se 
trouve,  dans  l'ordre  de  la  connaissance,  dépendant 
et  conditionné.  En  refusant  d'accepter  l'enseigne- 
ment dogmatique  de  l'Eglise,  il  fait  acte  de  liberté  ; 
mais  ce  n'est  plus  alors  une  question  d'ordre  intel- 
lectuel, c'est  une  question  d'ordre  moral. 

Quanta  prétendre,  comme  le  fait  M.  Sabalier,  que 
le  dogme  a  également  cessé  de  vivre  dans  la  cons- 
cience catholique,  et  le  comparer  à  une  momie  rou- 
lée dans  ses  bandelettes,  c'est  une  assertion  quelque 
peu  osée.  Car,  à  moins  de  fermer  délibérément  les 
yeux  à  tout  un  côté,  etnon  le  moindre,  de  l'histoire 
moderne  et  contemporaine,  et  pour  peu  qu'on 
veuille  user  d'impartialité,  on  est  bien  obligé  de 
constater  que  le  mouvement  scientifique  n'a  cessé 
de  produire,  grâce  aux  théologiens  catholiques,  des 
travaux  de  premier  ordre,  où  la  morale  a  sans  doute 
sa  part,  mais  oùfle  dogme  occupe  une  place  hors  de 
pair.  Et  qu'est-ce  donc  que  le  progrès  dans  l'apolo- 
gie de  la  foi,  dans  son  explication  rationnelle,  dans 
l'étude  des  textes  bibliques,  dans  les  définitions 
dogmatiques  nouvelles  ?  L'immutabilité  n'est  pas 
l'immobilité  ;  les  définitions  ne  sont  pas  des  cristal- 
lisations de  la  foi.  Dans  les  sciences  ordinaires,  on 
se  garde  bien  de  répudier  les  résultats  acquis,  on 
s'en  sert  au  contraire,  on  s'y  appuie  pour  des  tra- 
vaux et  des  progrès  nouveaux.  De  même  dans  la 
science  théologique,  on  étudie  le  dogme  défini,  on 
l'explique,  on  le  compare,  on  part  de  lui  pour  de 


202  LE    CATECHISME    ROMAIN 

nouvelles  études.  Et,  d'autre  part,  le  dogme  ainsi 
étudie,  compris,  exposé,  de  plus  en  plus,  de  mieux 
en  mieux,  loin  d'être  une  lettre  morte,  devient,  en 
dehors  de  l'école  et  dans  la  société  chrétienne,  un 
principe  fécond  de  vie  intense.  C'est  lui  qui  ali- 
mente la  piété  et  qui  s'épanouit  en  tant  d'œuvres 
admirables  ;  il  n'est  pas  seulement  un  foyer  de  lu- 
mière, il  est  aussi  un  principe  de  chaleur  et  de 
mouvement.  C'est  ce  qu'a  fort  bien  montré  le 
P.  Bainvel,  dans  Un  siècle,  sous  ce  titre  :  Le  dogme 
et  la  pensée  catholique  pendant  le  XIXe  siècle,  en  étu- 
diant successivement  le  mouvement  de  la  théologie 
dans  le  traitement  scientifique  du  dogme  et  le  mou- 
vement de  la  pensée  catholique  sous  l'influence  du 
dogme  et  de  la  théologie  (i). 

2°  Théorie  de  M.  Sabatier 

Apparemment,  pour  remplacer  la  notion  catho- 
lique du  dogme,  M.  Sabatier  tient  en  réserve  une 
théorie  toute  prête  :  quelle  est-elle  ?  que  vaut-elle  ? 

Nous  ne  pouvons  que  l'esquisser  à  grands  traits. 

C'est  au  nom  de  la  psychologie  et  de  l'histoire 
qu'il  la  formule.  Il  prend  pour  point  de  départ  une 
conception  nouvelle  de  la  religion,  où  il  conserve 
les  mots  de  révélation  et  de  dogme,  mais  après  les 
avoir  complètement  vidés  de  leur  sens  tradi- 
tionnel. 

i .  A  ses  yeux,  en  effet,  la  révélation  n'est  pas  la 
notification  de  certaines  vérités  faite  par  Dieu  et 
communiquée  aux  hommes  par  des  intermédiaires 
autorisés,  avec  d'expresses  garanties  ;  car  ce  n'est 
là,  estime-t-il,  qu'une  notion  scolas tique  «  anti- 
psychologique »  et  «  toute  païenne.  »  «  En  entrant 

i.  Dans  les  Etudes,  1900,  t.  lxxxii,  p.  3o-64< 


THÉORIE    DE    M.    A.    SABATIER  2o3 

dans  l'entendemain  humain,  ces  connaissances  sur- 
naturelles y  introduisent  un  dualisme  irréductible 
(toujours  la  même  objection).  Les  sciences  sacrées 
se  dressent  à  côté  des  sciences  profanes,  sans  qu'il 
soit  possible  de  les  organiser  ensemble  en  un  corps 
cohérent  et  harmonique...  Concluons  donc  hardi- 
ment contre  toutes  les  orthodoxies  traditionnelles 
que  l'objet  de  la  révélation  de  Dieu  ne  saurait  être 
que  Dieu  lui-même,  c'est-à-dire  le  sentiment  de  sa 
présence  en  nous,  éveillant  notre  âme  à  la  vie  de  la 
justice  et  de  l'amour  (i).  » 

Voilà  ce  qu'est  pour  M.  Sabatier  la  révélation  : 
un  sentiment  de  la  présence  de  Dieu  en  nous,  autre- 
ment dit  l'action  de  Dieu  sur  chaque  conscience 
individuelle,  quelque  chose  de  purement  subjectif 
comme  la  religion  de  M.  Sabatier,  qui  se  compose 
d'une  âme  et  d'un  corps,  et  dans  laquelle  le  rôle  de 
l'âme  est  dévolu  à  la  piété  intime  et  le  rôle  du  corps 
à  la  forme  extérieure,  au  rite,  au  dogme.  Sans 
doute,  dit-il,  la  piété  humaine  et  l'éveil  du  sentiment 
religieux  doivent  avoir  une  cause  objective,  et  cette 
cause  ne  saurait  être  que  la  révélation  ntême  de 
Dieu.  Mais  cette  révélation  qui  s'opère  au  dehors 
dans  les  événements  de  la  nature  et  de  l'histoire 
n'est  connue  cependant  qu'à  l'intérieur,  dans  et  par 
la  conscience  humaine...  Le  phénomène  religieux 
n'a  pas  donc  que  deux  moments  :  la  révélation 
objective  comme  cause  et  la  piété  subjective  comme 
effet  ;  il  en  a  trois  qui  se  succèdent  toujours  dans 
le  même  ordre  :  la  révélation  intérieure  de  Dieu, 
laquelle  produit  la  piété  subjective,  laquelle  à  son  tour 
engendre  les  formes  religieuses  historiques,  rites,  for* 
mules  de  foi...   Toute  révélation  religieuse  de  Dieu 

i.  Esquisse,  p.  44. 


204  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


doit  nécessairement  traverser  la  subjectivité  humaine 
avant  d'arriver  à  l'objectivité  historique  (i). 

2.  Or,  c'est  dans  cette  objectivité,  dans  cette 
extériorisation  ou  manifestation  de  l'expérience 
religieuse  intime  et  privée,  et  par  elle,  que  se  for- 
mule le  dogme.  Le  dogme,  dès  lors,  n'est  plus  une 
vérité  révélée  par  Dieu  à  d'autres  que  nous,  dûment 
confiée  à  des  dépositaires  fidèles,  authentiquement 
proposée  par  un  organe  choisi  et  sous  la  garantie 
d'une  assistance  divine  positive  et  indéfectible  ;  c'est 
tout  simplement  l'expression  externe  d'un  état 
d'âme,  d'une  expérience  religieuse  privée  ;  car  cha- 
que individu,  recevant  personnellement  la  révélation 
divine,  en  fait  l'objet,  dans  l'intimité  de  son  âme, 
de  la  piété,  et,  en  traduisant  au  dehors,  dans  la 
réalité  historique,  le  fruit  de  son  expérience,  il  for- 
mule le  dogme. 

Donc  plus  de  révélation,  plus  de  dogme  au  sens 
entendu  jusqu'ici  depuis  tant  de  siècles.  Entre  Dieu 
et  nous,  tout  intermédiaire  est  supprimé  :  aucune 
autorité  ni  église  n'a  sa  raison  d'être  ;  et  s'il  est 
encore  question,  malgré  cela,  de  société  religieuse, 
ce  ne  peut  être,  comme  pour  la  religion,  la  révéla- 
tion et  le  dogme,  que  d'une  façon  impropre  :  c'est 
la  simple  juxtaposition  d'individualités  multiples 
sans  aucun  lien  qui  les  relie  entre  elles  et  les  orga- 
nise en  un  corps  constitué.  L'évangile,  avec  ses 
textes  formels  sur  la  constitution  d'un  corps  orga- 
nique, d'un  magistère  enseignant,  est  mis  de  côté  : 
on  n'en  tient  plus  compte.  Ce  n'est  plus  Dieu  qui 
confie  sa  vérité  à  qui  il  lui  plaît,  qui  crée  l'organe 
qu'il  juge  utile  à  sa  conservation  et  à  sa  transmis- 
sion, c'est  l'homme,  pris  individuellement,  de 
son  autorité  privée,  et  sur  le  seul  témoignage  de  la 

i.  Esquisse,  p.  268. 


THÉORIE    DE    M.    A.    SABATIER  205 

conscience  qu'il  dit  avoir  de  ses  relations  avec  Dieu, 
qui  formule  ce  que  l'on  s'obstine  à  appeler  le  dogme. 

3.  Le  dogme,  étant  ainsi  l'expression  de  l'expé- 
rience religieuse  propre  à  chaque  individu,  est 
nécessairement  variable  comme  cette  expérience 
elle-même  dans  le  temps  et  dans  l'espace.  Il  y  aura 
donc,  pour  le  même  individu,  autant  de  dogmes 
différents  que  de  différentes  expériences  tout  le  long 
de  son  existence.  Et  cette  multiplicité  de  dogmes 
individuels  n'implique  nullement  une  manifestation 
successive  d'états  d'âme  ou  de  conscience  cohérents 
entre  eux  ;  ils  pourront  être  dissemblables  et  même 
contradictoires.  Et  cela  se  répétant  d'un  individu  à 
l'autre,  dans  la  même  génération,  et  d'une  généra- 
tion à  l'autre,  dans  la  suite  des  temps,  on  est  en 
droit  de  se  demander  ce  que  sera  cette  dogmatique 
vraiment  déconcertante,  où  la  variété  ne  sera  pas  le 
moindre  défaut,  mais  où  la  contradiction  la  plus  for- 
melle pourra  éclater  sans  difficulté. 

D'aussi  peu  rassurantes  perspectives  et  un  abou- 
tissement si  peu  harmonique  ne  sont  pas  pour 
décourager  l'intrépidité  de  M.  Sabatier.  Il  tient  à 
nous  faire  savoir,  en  effet,  que  «  les  Eglises  auront 
toujours  des  symboles,  c'est-à-dire  des  règles  et  des 
signes  d'une  foi  commune,  et  par  suite  des  dogmes. 
Mais  ces  dogmes,  au  lieu  d'une  valeur  absolue, 
n'auront  plus  qu'une  valeur  disciplinaire  et  péda- 
gogique (i).  »  o  Leur  existence  s'impose,  observe-t-il 
ailleurs,  car  en  supprimant  le  dogme  chrétien,  on 
supprime  le  christianisme  (2).  »  Mais  leur  carac- 
tère de  relativité  et  de  transformation  incessante 
ne  s'impose  pas  moins.  C'est  pourquoi,  nous 
dit-il,  «  c'est  à  cette  idée  d'an  dogme  nécessaire,  mais 
nécessairement  historique   et  changeant,  qu'il  convient 

1.  Esquisse,  p.  291.  —  2.  Esquisse,  p.  3o8. 


20Ô  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

de  s'habituer  désormais  (i).  »  Car  les  dogmes  ont 
une  histoire  ;  «  comme  toutes  les  autres  manifes- 
tations de  la  vie,  ils  ont  une  évolution  aussi  naturelle 
qu'inévitable  ,(2).  » 

4.  Point  de  dogmes,  point  de  christianisme.  Or 
M.  Sabatier  n'entend  pas  sacrifier  le  christianisme  ; 
il  ne  sacrifie  donc  pas  davantage  les  dogmes,  et 
nous  venons  d'entendre  dans  quel  sens.  Ceux  de 
l'Eglise  catholique,  ou  du  moins  les  dogmes  enten- 
dus au  sens  traditionnel,  ne  sauraient  être  admissi- 
bles, prétend  M.  Sabatier.  Et  c'est  pourquoi,  tout  en 
conservant  le  mot,  il  leur  donne  un  sens  nouveau. 
Mais  la  psychologie  est  là,  et  aussi  l'histoire,  qui 
nécessitent  l'acceptation  de  la  relativité  et  de  l'évo- 
lution. Qu'à  cela  ne  tienne.  M.  Sabatier  revendique 
pour  ses  dogmes  et  la  relativité  et  l'évolution. 
Moyennant  quoi,  «  ce  sera  rassurer  les  philosophes 
que  de  les  leur  présenter,  non  comme  une  formule 
absolue  et  immuable,  mais,  dans  leur  puissance  évolu- 
tive, comme  l'effort  soutenu  et  progressif  de  la  cons- 
cience religieuse  se  rendant  raison  à  elle-même  de  son 
propre  contenu  (3).  »  Les  dogmes  d'une  Eglise  «  for- 
ment un  organisme  vivant,  sorte  de  langue  théolo- 
gique par  laquelle  la  conscience  de  cette  Eglise  ou 
la  piété  de  ses  membres  se  révèle  au  dehors  et 
s'affermit  en  se  révélant...  Ce  que  les  mots  et  les 
phrases  sont  à  la  pensée,  les  formules  dogmatiques 
le  sont  à  l'expérience  religieuse  de  la  conscience  », 
et  par  suite  «  le  principe  de  la  vie. des  dogmes  n'est  à 
chercher  ni  dans  la  logique  ni  dans  la  justesse  plus  ou 
moins  grande  des  formules  théoriques,  mais  avant  tout 
dans  la  vie  religieuse  elle  même,  c'est-à-dire  dans  la 
piété  pratique  de  V Eglise  qui  les  professe  (4).  » 


1.  Esquisse,  p.  295.  —  2.  Esquisse,  p.  299.  —  3.  Esquisse, 
p.  3oo.  —  4*  Esquisse,  p.  3oi. 


THEORIE    DE    M.    A.    SABATIER  207 

On  le  voit,  pour  rendre  le  dogme  acceptable  aux 
philosophes  contemporains,  M.  Sabatier  en  sacrifie 
résolument  le  sens  traditionnel.  Réduit  ainsi  à  n'être 
qu'une  expression  variable,  essentiellement  chan- 
geante, et  point  tyrannique,  il  est  à  croire  qu'aucun 
philosophe  ne  fera  plus  d'opposition  à  l'acceptation 
du  dogme,  et  que  chacun  se  contentera  du  sien  sans 
se  mettre  en  peine  de  celui  du  voisin  ;  moyen 
excellent  pour  avoir  autant  de  sentiments  que 
d'individus,  mais  moyen  radical  pour  supprimer 
tout  christianisme  et  même  toute  religion,  car  la 
religion  est,  par  essence,  sociale  et  nullement  indi- 
viduelle. Et  c'est  là  fatalement  qu'aboutit  M.  Saba- 
tier :  son  système,  en  cela,  ne  diffère  pas  du 
protestantisme. 

5.  N'importe,  M.  Sabatier  insiste  et  cherche  à  se 
donner  raison.  Cette  vie  intime,  «  mystique  et  pra- 
tique »  varie  de  l'un  à  l'autre  et  d'une  époque  à 
l'autre,  conditionnée  qu'elle  est  pa?  l'ambiance 
scientifique  ;  et,  dès  lors,  le  jugement  intelle»,  uel 
ou  la  proposition  philosophique  qui  lui  sert  «  d'en- 
veloppe et  d'expression,  »  c'est-à-dire  le  dogme, 
varie  dans  la  même  mesure  ;  étant  essentiellement 
subordonné  à  l'expérience  religieuse  d'un  chacun, 
il  est  essentiellement  relatif  et  subit  nécessairement 
les  modifications  imposées  par  les  circonstances  de 
temps  et  de  lieu.  Voilà  qui  est  acquis.  Mais  cela  doit 
l'être  d'autant  plus  que,  depuis  le  moyen  âge,  trois 
révolutions  ont  achevé  de  faire  sentir  la  caducité  du 
dogme  gréco-romain. 

Ce  fut  d'abord  la  Réforme  qui,  rompant  la  tradi- 
tion et  rejetant  l'autorité,  substitua  le  principe 
intérieur  de  l'expérience  personnelle  au  principe 
extérieur  de  l'autorité  et  fit  du  christianisme  une 
vie  morale  et  non  plus  métaphysique. 

Ce  fut  ensuite  la   science   qui,   en  déplaçant  le 


2o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

centre  de  l'univers  comme  la  Réforme  avait  déplacé 
le  centre  de  la  conscience  humaine,  introduisit 
l'idée  de  succession,  de  relativité,  dans  tout  ordre  de 
connaissances. 

Et  c'est  enfin  la  méthode  historique  ou  la  critique 
et  l'exégèse  qui  ont  bouleversé  les  perspectives  de 
l'histoire  et  de  l'humanité  et  ont  fait  triompher  par- 
tout le  point  de  vue  de  l'évolution. 

Par  conséquent  l'idée  de  l'immutabilité  dogmati- 
que doit  être  abandonnée,  sous  peine  de  réduire  le 
dogme  à  l'état  de  momie,  de  lettre  morte,  qui  ne  dit 
plus  rien  à  l'esprit  contemporain.  Et  c'est  l'idée  de 
relativité,  de  changement,  qui  s'impose  pour  mar- 
cher de  concert  avec  la  science  qui  évolue  et  pro- 
gresse sans  cesse.  «  Il  suffit  de  raconter  la  genèse 
et  l'évolution  de  chacun  des  dogmes,  persiste  à  dire 
M.  Sabatier,  pour  que  cette  histoire  fasse  apparaître 
les  éléments  contingents  et  caducs  qui  y  sont 
entrés  avec  le  temps  (toujours  la  même  erreur)  et 
qui,  avec  le  temps,  doivent  nécessairement  en 
sortir.  Le  christianisme  est  un  organisme  dont  l'âme 
(la  piété)  est  immortelle,  mais  dont  le  corps  (le 
dogme)  se  renouvelle  incessamment  par  le  fait 
d'une  matière  toujours  en  mouvement  et  toujours 
empruntée  aux  milieux  divers  qu'il  traverse.  Les 
notions  philosophiques  qui  lui  ont  servi  un  moment 
d'expression  et  qui  sont  doublement  mortes  aujour- 
d'hui, soit  parce  que  la  civilisation  a  marché,  soit 
parce  qu'elles  étaient  sans  lien  vivant  avec  l'expé- 
rience chrétienne  initiale,  tombent  de  l'arbre 
séculaire  comme  des  branches  ou  des  feuilles  des- 
séchées (i).  » 

Telle  est  la  théorie  de  M.  Sabatier  :  impérieuse- 
ment commandée  par  le  kantisme  et  par  un  oppor- 

i.  Esquisse,  p.  345. 


THEORIE    DE    M.    A.    SABATIER  209 

tunisme  intellectuel,  qui  entend  marcher  enharmo- 
nie complète  avec  le  mouvement  scientifique  con- 
temporain, nous  voyons  bien  ce  qu'elle  sacrifie  du 
passé,  et  ce  n'est  rien  moins  que  le  dogme  lui-même 
et  la  révélation,  et  le  christianisme,  et  toute  reli- 
gion au  sens  formel  du  mot  ;  nous  comprenons 
moins  bien  ce  qu'elle  met  à  la  place.  Partie  du  sub- 
jectivisme,  elle  s'y  cantonne  et  est  obligée  d'en  su- 
bir les  conséquences  :  plus  de  vérités  absolues,  rien 
que  des  idées  relatives  ;  plus  d'enseignement  ou  de 
doctrine  immuable,  mais  un  perpétuel  devenir,  une 
irrémédiable  inconsistance,  une  incessante  variation, 
une  évolution  conditionnée  psychologiquement  et 
historiquement.  Par  là,  nous  affirme-t-on,  elle 
échappe  aux  théories  périmées  de  la  connaissance, 
ce  qui  est  un  congé  radical  et  définitif  à  tout  le  passé 
chrétien,  et  elle  s'adapte  harmonieusement  avec  la 
marche  progressive  de  la  science,  ce  qui  en  fait  une 
science  précaire,  instable,  humaine  sans  doute,  mais 
qui  n'a  plus  le  droit  de  s'appeler  divine.  Et  pour 
n'avoir  pas  voulu  du  dogme  traditionnel  à  cause  des 
infiltrations  qu'il  a  subies  ou  de  l'inféodation  qu'il  a 
souscrite,  la  théorie  de  M.  Sabatier,  par  une  incon- 
séquence qui  ne  manque  pas  d'ironie,  se  trouve 
n'être  à  son  tour  qu'une  inféodation  avouée  au  kan- 
tisme, dont  l'infiltration  subtile  la  pénètre  de  part 
en  part. 

A-t-on  du  moins  réussi  à  faire  disparaître  l'anti- 
nomie qu'on  prétendait  exister  entre  le  dogme  et  la 
science,  entre  la  foi  et  la  raison?  C'est  une  question, 
dont  l'examen  nous  entraînerait  trop  loin.  Mais  si 
l'on  croit  effectivement  y  avoir  réussi,  comme  on 
s'en  flattait,  c'est  au  prix  d'une  abdication  et  d'une 
déchéance,  puisque  finalement  tout  sombre,  jus- 
qu'à la  religion  elle-même,  réduite  qu'elle  est  à  l'in- 
dividualisme, à  l'atomisme,  principe  le  plus  puis- 

1E  CATÉCHISME.   —  T.  I.  14 


210  LE    CATECHISME    ROMAIN 

sant  qui  existe  pour  empêcher  l'unité,  pour  briser 
l'union  des  intelligences  et  des  cœurs,  pour  réduire 
toute  société  religieuse  à,  ne  plus  être  qu'un  simple 
agrégat,  qu'un  amas  de  poussière  sans  nom. 

1.  Un  dogme  nouveau.  —  «  Qu'entend-on  par  dogme 
nouveau  ?  Est-ce  un  dogme  si  complètement  étranger 
à  la  foi,  qu'il  n'a  jamais  été  et  qu'il  n'a  jamais  pu  en  être 
question  ?  Un  dogme  qui  affaiblit  ou  dénature  une  vérité 
établie  et  universellement  reçue  ?  De  ces  dogmes-là  nous 
n'en  avons  pas.  Qu'est-ce  donc  alors  ?  Un  dogme  qui 
n'était  pas  défini  hier,  et  que  l'on  définit  aujourd'hui 
pour  le  proposer  à  la  foi  du  peuple  chrétien  ?  Mais  si  ce 
dogme  est  contenu  dans  l'Ecriture  légitimement  inter- 
prétée, s'il  a  toujours  été  cru  explicitement  par  une  partie 
de  l'Eglise,  implicitement  par  le  reste  ;  si,  au  lieu  de 
contredire  aux  vérités  fondamentales,  il  est  poussé  en 
avant  par  leur  force  logique,  comme  le  rameau  de  l'arbre 
par  la  sève  ;  si,  au  lieu  de  corrompre  et  d'altérer  ces  vé- 
rités, il  les  confirme,  les  protège,  les  développe  et  les 
grandit  ;  si,  au  lieu  d'interrompre  la  continuité  de  la  foi, 
en  la  détournant  de  son  chemin  historique,  il  en  assure  la 
marche  directe  et  progressive,  qui  pourra  dire  que  c'est 
un  dogme  nouveau  ?  Or  je  défie  qui  que  ce  soit  de  trouver 
un  seul  dogme  solennellement  défini  et  proposé  à  cette 
foi,  en  dehors  des  conditions  que  je  viens  d'énumérer. 
L'Eglise  travaille  la  matière  sacrée  de  ses  croyances  et  en 
fait  jaillir  des  explosions  de  lumière,  mais  ses  défini- 
tions n'y  changent  rien.  Elles  enfantent  une  merveille, 
qui  confond  tous  ses  détracteurs,  ceux  qui  l'accusent  de 
varier,  comme  ceux  qui  l'accusent  d'immobiliser  l'esprit 
humain.  Cette  merveille,  c'est  le  progrès  dans  l'im- 
muable. »  Monsabré,  Conf.  lu,  à  la  fin. 

2.  L'équivoque.  —  M.  Brunetière,  à  propos  du 
livre  de  M.  Sabatier  :  Les  religions  d'autorité  et  la  religion 
de  l 'esprit,  Paris,  1904,  a  écrit,  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes  du  i5  novembre  1903,  un  article  où  il  relève 
quelques-unes  des  équivoques,  qui  consistent  à  employer 


THEORIE    DE    M.    A.     SABATIER  211 


les  mots  de  religion,  de  piété,  de  foi,  de  dogme,  etc., 
dans  un  sens  arbitraire  et  de  nature  à  donner  le  change  à 
des  lecteurs  peu  avertis.  Cet  article  est  à  lire  dans  son 
entier  ;  en  voici  la  fin.  «  Après  tant  d'autres,  et  comme 
tant  autres,  dont  Edmon  Schérer,  son  maître,  A.  Saba- 
tier,  s'étant  aperçu  que  la  «  morale  n'était  rien  si  elle 
n'était  religieuse,  »  s'est  trouvé  fort  embarrassé  quand  il 
a  eu,  si  je  puis  ainsi  dire,  vidé  le  ^concept  de  religion  de 
son  contenu  positif.  Renan  s'était  tiré  de  la  même  aven- 
ture par  des  pantalonnades...  Mais  A.  Sabatier,  qui 
n'écrivait  pas  comme  Renan,  ne  pensait  pas  non  plus 
comme  lui.  11  eût  voulu,  il  a  vraiment  voulu  sauver  la 
morale  du  désastre  des  religions  ;  et,  finalement,  il  n'en  a 
trouvé  d'autre  moyen  que  de  se  faire  de  l'équivoque  une 
espèce  de  dogme,  ou,  à  tout  le  moins  une  méthode,  en 
conservant  du  nom  de  religion  (et  de  dogme)  ce  qu'il  a 
cru  qu'on  en  pouvait  garder  sans  retenir  la  chose.  Mais 
la  logique  et  l'histoire  nous  apprennent  qu'en  ce  cas  on 
ne  garde  rien.  Une  religion  c'est  un  dogme  et  une  au- 
torité, et,  quand  elle  ne  sera  plus  ni  une  autorité,  ni  un 
dogme,  elle  ne  sera  plus  une  religion.  Il  faut  choisir  !  Il 
ne  faut  pas  vous  servir  du  mot  de  religion  (et  de  dogme) 
comme  d'un  moyen  d'attirer  à  vous,  je  veux  dire  à  vos 
doctrines,  des  âmes  simples  qui  en  auraient  l'horreur,  si 
vous  les  leur  présentiez  telles  qu'elles  sont...  Il  ne  faut 
pas,  quand  on  a  nié  l'autorité  de  l'Eglise,  de  toute  Eglise, 
la  valeur  objective  du  dogme,  l'authenticité  des  Evan- 
giles, et  la  divinité  de  Jésus-Christ,  il  ne  faut  pas  venir 
nous  dire  que  «  l'expérience  chrétienne  est  pour  toutes 
les  consciences  qui  l'ont  faite  quelque  chose  de  morale- 
ment très  clair,  de  fortement  déterminé,  que  chacune 
d'elles  retrouve  non  seulement  en  soi,  mais  encore  dans 
toutes  les  consciences  éveillées  à  la  même  vie,  dans  la  vie 
intime  de  tous  les  chrétiens,  grands  ou  petits,  illustres  ou 
obscurs,  dans  tous  les  âges,  dans  l'âme  collective  de  la 
chrétienté  tout  entière.  »  Il  ne  faut  pas  le  dire  parce  que 
cela  n'est  pas  vrai.  Un  chrétien  n'est  pas  un  homme  qui 
juge  Jésus  plus  grand  que  Socrate,  ou  qui  préfère  les 
Evangiles  au  Coran,  les  Pères  de  l'Eglise  aux  erotiques 


212  LE    CATECHISME    ROMAIN 


latins,  les  Sermons  de  Bonrdaloue  aux  romans  de  Zola. 
S'il  est  vrai  que  beaucoup  de  gens  inclineraient  de  nos 
jours  aie  croire,  il  faut  les  avertir  qu'ils  se  trompent.  Il 
faut  leur  répéter  que  le  religion  n'a  jamais  consisté,  ne 
consistera  jamais  à  enguirlander  ses  négations  de  fleurs 
de  rhétorique,  à  prier  sur  les  acropoles,  ou  à  pousser  des 
soupirs  éloquents  vers  la  «  catégorie  de  l'idéal.  »  Il  faut 
les  éveiller  d'une  complaisance  qui  ressemble  à  de  la 
torpeur.  Et  si  l'on  ne  réussit  pas  tout  de  suite  à  les  con- 
vaincre, on  aura  toujours  fait  quelque  chose  pour  la 
vérité,  pour  le  bon  sens,  et  pour  la  clarté  de  la  langue, 
en  dénonçant  la  plus  fâcheuse,  la  plus  dangereuse,  et  la 
plus  odieuse  équivoque.  »  Revue  des  Deux  Mondes,  i5 
novembre  1903,  p.  4o5-4o6. 

3.  Argument  ad  hominem.  —  «  Comment  pourrions- 
nous  connaître  les  expériences  de  nos  semblables  ?...  Les 
expériences  d'un  individu,  comme  expériences,  restent 
emprisonnées  dans  cet  individu.  Ce  qui  transpire  au 
dehors,  c'est  la  traduction  intellectuelle  de  son  expérience, 
la  forme  actuelle  de  son  expérience.  Or,  outre  que  cette 
formule  varie  incessamment  dans  une  irrémédiable  incon- 
sistance, lorsqu'elle  est  détachée  du  sentiment  qui  l'a 
produite  et  lorsqu'elle  se  fixe  dans  la  mémoire,  elle 
devient  par  là  même  une  idée  morte,  c'est-à-dire  fausse. 
A  supposer  qu'on  puisse  la  connaître,  cette  formule,  nous 
ne  sommes  pas  bien  avancés,  c'est  une  erreur  que  nous 
connaissons.  A  supposer  qu'on  puisse  connaître  les  for- 
mules de  ce  genre,  il  peut  bien  y  avoir  un  intérêt  d'éru- 
dition à  les  étudier,  mais  on  ne  voit  pas  quel  profit  reli- 
gieux et  dogmatique  on  peut  en  retirer...  Il  faut  donc 
que  l'homme  considère  sous  .certaines  conditions  l'expé- 
rience d'autrui  comme  équivalente  à  la  sienne  propre.  Il 
faut  donc  qu'il  ajoute  foi  au  témoignage  d'autrui...,  qu'il 
se  soumette  à  l'autorité  de  ceux  qui  ont  fait  les  expérien- 
ces ou  même  les  raisonnements  qu'il  n'a  pas  pu  faire... 
Nous  acceptons  tous,  sur  la  foi  des  savants  spéciaux,  les 
propositions  les  plus  importantes,  nous  observons  les 
ordonnances  des  médecins,  nous  confions  nos  vies  aux 
chemins  de  fer  sans  avoir  éprouvé  nous-mêmes  la  valeur 


THÉORIE    DE    M.    A.    SABATIER  2l3 


des  médicaments,  la  solidité  des  locomotives  ou  le  bon 
entretien  des  voies.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  faille 
accepter  en  aveugle  tout  témoignage  et  se  ranger  sans 
aucun  motif  à  l'avis  de  tous  ceux  qui  prétendent  jouer  le 
rôle  d'autorités.  Il  ne  faut  accorder  ce  rôle  qu'à  ceux  qui 
le  méritent  véritablement  ou  du  moins  qui  paraissent  le 
mériter.  Et,  sans  doute,  malgré  toutes  nos  précautions, 
le  témoignage,  l'autorité  peuvent  nous  tromper,  les  remè- 
des peuvent  nous  tuer,  et  les  locomotives  peuvent  éclater. 
Mais  la  raison  et  l'expérience  aussi  peuvent  nous  induire 
en  erreur.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  récuser  de  ce  chef  le 
témoignage  et  l'autorité.  Nous  arrivons  ainsi  à  poser  à 
côté  de  l'expérience,  la  croyance,  le  témoignage,  l'auto- 
rité. »  H.  Bois,  professeur  à  la  faculté  de  théologie  pro- 
testante de  Montauban,  La  connaissance  religieuse,  Paris, 
1894,  p.  39-40, 


Leçon  VIe 
Du   Dogme 


I.  Le  Dogme  d'après  M.  Loisy  :  —  1°  Dans 
l'Evangile  et  l'Eglise.  —  2°  Dans  Autour  d'un 
petit  livre.  —  II.  La  question  de  M.  Le  Roy  : 
Qu'est-ce  qu'un  Dogme  ?  —  1°  Motifs  allégués 
pour  ne  pas  admettre  la  notion  traditionnelle, 
2°  Solution  proposée. 


I.  Le  Dogme  d'après  M.  Loisy 

ous  venons  de  parcourir  aussi  brièvement 
que  possible  la  théorie  de  M.  Sabatier  :  nous 
devons  maintenant  examiner  ce  que  devient 
le  dogme  sous  la  plume  de  M.  Loisy.  Son  premier 
ouvrage,  l'Evangile  et  l'Eglise,  rappelle  sur  plusieurs 
points  l'Esquisse  d'une  philosophie  de  la  religion  d'a- 
près la  psychologie  et  l'histoire  de  M.  Sabatier.  Son 
second  ouvrage,  Autour  d'un  petit  livre,  paru  en 
même  temps  que  l'œuvre  posthume  de  M.  Sabatier, 
Les  religions  d'autorité  et  la  religion  de  l'esprit,  montre 
une  fois  de  plus  que  M.  Loisy,  sur  la  question  du 
dogme,  en  est  au  même  point  que  M.  Sabatier. 
Cette  question  :  Existe-t-il  un  dogme  qui  s'appuie 
sur  l'autorité  de  Dieu  et  ait  droit  de  s'imposer  à 
nous  comme  une  règle  extérieure  et  immuable  de 


LE    DOGME    D'APRÈS    M.    LOIS  Y  2l5 

notre  foi  ?  Tous  les  deux,  au  nom  de  la  psychologie 
et  de  l'histoire,  la  résolvent  négativement  (i). 

1°  Dans  l'Evangile  et  l'Eglise 

Les  célèbres  conférences  de  M.  Harnack  sur 
l'Essence  du  Christianisme  venaient  à  peine  de  pa- 
raître en  volume  (2),  que  M.  Loisy  en  entreprit  la 
critique.  Et  de  même  que  le  professeur  de  Berlin 
avait  condensé  sa  pensée  dans  des  Conférences,  de 
même  l'auteur  français  profite  de  l'occasion  pour 
glisser  dans  son  ouvrage  les  principes  divers,  parus 
jusque-là  dans  plusieurs  articles.  Nous  n'avons  pas 
à  juger  ici,  dans  son  ensemble,  l'œuvre  de  M.  Loisy, 
mais  seulement  la  manière  très  particulière  dont  il 
entend  le  dogme,  et  à  dire  si  son  opinion  est  accep- 
table ou  non.  Dans  V Evangile  et  l'Eglise,  il  l'esquisse 
plutôt  qu'il  ne  la  traite  à  fond  et  surtout  clairement. 
Mais  il  l'a  reprise  et  suffisamment  accentuée  dans 
Autour  d'un  petit  livre. 

1.  À  l'objection  que  l'Evangile  a  perdu  de  sa 
valeur  et  n'a  plus  de  signification  pour  plusieurs 
contemporains,  parce  qu'il  est  lié  à  une  conception 

1.  A.  Loisy,  /' Evangile  et  V Eglise,  Paris,  1902  ;  3e  édit.  1904; 
c'est  cette  dernière  édition  que  nous  citerons  ;  Autour  d'un 
petit  livre,  Pans  1903,  p.  187-219  ;  sous  le  pseudonyme  de  Fir- 
min,  dans  la  Revue  du  Clergé,  janvier  1899,  Théorie  sur  la  re- 
ligion ;  janvier  et  mars  1900.  La  révélation  et  ses  preuves  ; 
octobre  1900,  V Histoire  de  la  religion  dans  V Ancien  Testament  ; 
Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  mars  et  juillet  1903  ;  dans 
ce  mcnie  Bulletin,  en  1904,  E.  Portalié,  Le  dogme  et  V histoire, 
p.  62-i43  ;  P.  Lagrange,  V Evangile  et  V Eglise,  dans  Isa  Revue  bi- 
blique, 1903,  p.  292-313  ;  T.  Pègues,  Le  livre  de  M.  Loisy  etLes 
explications  de  M.  Loisy,  dans  la  Revue  thomiste,  1903,  t.  xi, 
p.  70-88,  593-612  ;  F.  Prat,  Au  fond  d'un  petit  livre,  le  manifeste 
de  M.  Loisy,  dans  les  Etudes,  1903,  t.  xcvn,  p.  3o5-324. —  2.  Das 
Wesen  des  Christeniums,  Leipzig,  1900;  trad.  franc.,  Paris,  1902. 


2l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

du  monde  et  de  l'histoire  depuis  trop  longtemps 
abandonnée,  M.  Harnack  répond  que  cette  concep- 
tion n'y  est  pas  liée  inséparablement,  que  ses  élé- 
ments sont'sans  époque  et  que  l'homme  auquel  il 
s'adresse  est  aussi  sans  époque.  Car  l'Evangile, 
dit-il,  n'est  pas  un  enseignement  théorique,  c'est 
un  message  de  vie  ;  il  n'est  pas  une  doctrine  sur  le 
Christ  et  sur  le  monde,  c'est  une  règle  de  conduite- 
Il  faut  le  vivre  d'abord,  et  ce  n'est  que  dans  la  mesure 
où  on  l'a  vécu  qu'on  peut  connaître  le  Christ. 
Quant  à  l'effort  séculaire  pour  définir  la  vérité  de 
l'Evangile,  il  reste  étranger  à  l'Evangile  même,  se 
trouve  commandé  par  les  circonstances  de  temps  et 
de  lieu  et  n'est  qu'une  tentative  d'interprétation  et 
d'accommodation  au  moyen  d'éléments  humains. 
M.  Loisy  estime  que,  sans  doule,  le  développement 
du  dogme  n'est  pas  dans  l'Evangile  ;  «  mais,  dit-il, 
il  ne  s'ensuit  pas  que  le  dogme  ne  procède  pas  de 
l'Evangile,  ni  que  l'Evangile  n'ait  pas  vécu  et  ne 
vive  encore  dans  le  dogme,  aussi  bien  que  dans 
l'Eglise.  L'enseignement  et  l'apparition  même  de 
Jésus  ont  dû  être  interprétés.  Toute  la  question  est 
de  savoir  si  le  commentaire  est  homogène  ou  hété- 
rogène au  texte  (2).  » 

2.  Cette  question  précise,  comment  M.  Loisy 
l'a-t-il  résolue  ?  Il  passe  successivement  en  revue 
les  divers  points  de  la  théorie  de  M.  Harnack  sur  le 
dogme  christologique,  sur  celui  de  la  grâce  et  de 
l'Eglise.  Mais  au  fur  et  à  mesure  qu'il  avance,  on 
passe  de  surprise  en  surprise  ;  sa  pensée  manque 
de  netteté  et  semble  parfois  se  confondre  avec  celle 
de  son  adversaire  ;  tantôt  elle  est  osée  jusqu'à  l'hété- 
rodoxie ;  tantôt  elle  fait  entendre  un  son  orthodoxe  ; 
mais,  l'instant  d'après,  la  phrase  reprend  sa  marche 

a.  L'Evangile  et  VEglise,  p.  171-172. 


LE    DOGME    D  APRES    M.    LOISY  217 

fuyante  et  sa  nuance  insaisissable,  et  l'esprit  du 
lecteur  catholique  éprouve  une  impression  pénible 
et  troublante. 

Ce  que  l'on  voit  bien,  cependant,  c'est  qu'il 
regarde  comme  un  fait,  ou  plutôt  comme  une  loi, 
la  transformation  de  la  pensée  chrétienne  initiale 
et  son  adaptation  nécessaire  aux  conditions  de  la 
culture  intellectuelle  des  diverses  époques  qu'elle  a 
traversées.  Changement  tout  d'abord  par  l'abroga- 
tion de  la  Loi,  malgré  les  judaïsants,  par  le  triom- 
phe de  la  théorie  du  Logos,  malgré  les  aloges,  et 
l'acceptation  après  amendement  de  la  théologie 
d'Origène. 

Changement  ensuite  dans  le  milieu  gréco-romain. 
«  Tout  le  développement  du  dogme  trinitaire  et 
christologique  qui,  d'après  M.  Harnack  et  d'autres 
cri  tiques,  pèserait  lourdement  sur  toutes  les  ortho- 
doxies  chrétiennes,  en  les  rivant  à  une  doctrine 
surannée,  à  la  science  de  Platon  et  d'Àristote  depuis 
longtemps  dépassée  par  la  science  moderne,  fut,  à 
son  origine,  une  manifestation  vitale,  un  grand 
effort  de  foi  et  d'intelligence,  qui  permit  à  l'Eglise 
d'associer  ensemble  sa  propre  tradition  et  la  science 
du  temps  (i).  »  Cette  association  peut  paraître  étrange, 
mais  non  ;  car  «  la  philosophie  pouvait  se  faire 
chrétienne  sans  être  obligée  de  se  renier  elle-même, 
et  pourtant  le  christianisme  n'avait  pas  cessé  d'être 
une  religion,  la  religion  du  Christ  (2).  » 

Mais,  c'est  bien  là,  semble-t-il,  une  hellénisation 
du  christianisme,  qui  nous  ramène  à  la  thèse  de  M. 
Harnack?  Oui  et  non.  Non,  puisque  M.  Loisy  a  soin 
de  faire  remarquer  contrairement  à  M.  Harnack, 
qu'elle  ne  fut  pas  préméditée  par  des  philosophes 
de   profession    ni   par    d'habiles    politiques  ;    oui, 

1.  L'Evangile  et  l'Eglise,  p.  181.  —  2.  Ibid.,  p.  181. 


2l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

puisqu'il  eut  une  cause  nécessitante,  à  savoir  l'état 
d'esprit  et  de  culture  des  premiers  convertis  venus 
de  la  gentilité.qui  «  eurent  besoin  de  s'interpréter  à 
eux-mêmes  leur  nouvelle  foi  ;  »  et  «  c'est  ainsi  que 
progressivement,  mais  de  très  bonne  heure,  par 
l'effort  spontané  de  la  foi  pour  se  définir  elle-même, 
par  les  exigences  naturelles  de  la  propagande,  l'in- 
terprétation grecque  du  messianisme  chrétien  se  fit 
jour,  et  que  le  Christ, Fils  de  Dieu  et  fils  de  l'homme, 
sauveur  prédestiné,  devint  le  Verbe  fait  chair,  le 
révélateur  de  Dieu  à  l'humanité  (i).  »  C'est  ainsi  que, 
grâce  à  l'adaptation  au  monothéisme  juif  delà  méta- 
physique de  Platon  et  de  Philon  (thèse  de  M.  Har- 
nack),  «  la  divinité  du  Christ,  l'incarnation  du 
Verbe  fut  la  seule  manière  convenable  de  traduire  à 
l'intelligence  grecque  l'idée  du  Messie  (2).  »  Et 
M.  Loisy  ajoute  :  «  Chaque  progrès  du  dogme  accen- 
tue Y  introduction  de  la  philosophie  grecque  dans  le 
christianisme,  et  un  compromis  entre  cette  philoso- 
phie et  la  tradition  chrétienne  (3).  » 

3.  Qu'est-ce  alors  qu'un  dogme  ?  Ne  serait-il  que 
de  la  philosophie  introduite  dans  la  pensée  chré- 
tienne et  prenant  plus  ou  moins  sa  place  ?  —  Non, 
certes,  car  a  la  philosophie  n'a  pas  été  introduite 
comme  telle  ni  telle  quelle  dans  la  foi,  mais  en  tant 
qu'on  lui  empruntait,  ou  plutôt  qu'on  lui  dérobait 
une  explication  ou  une  formule  savante  pour  faire 
valoir  la  tradition.  La  tradition  du  christianisme 
primitif  n'a  pas  été  échangée  contre  la  philosophie, 
ni  la  science  grecque  substituée  à  l'Evangile,  ni 
Platon  pris  pour  maître  au  lieu  du  Christ  et  des 
apôtres  (4).  » 

Voilà  qui  paraît  orthodoxe  ;  mais  le  doute  renaît  à 

r.  lbid.,  p.  i83.  —  2.  Ibld.,  p.  184.  —  3.  Ibid.,  p.  i84  ;  les 
mois  ou  phrases  soulignés,  ont  été  soulignés  par  nous.  Il  en 
sera  de  même  dans  les  citations  suivantes.   —  4.  Ibid.,  p.  i85. 


LE    DOGME    D  APRES   M.    LOISY  2  I  9 

la  phrase  suivante,  qu'on  dirait  de  M.  Harnack.  : 
«  On  peut  soutenir,  au  point  de  vue  de  l'histoire, 
que  la  Trinité,  l'Incarnation  sont  des  dogmes  grecs, 
puisqu'ils  sont  inconnus  au  judaïsme  et  au  judéo-chris- 
tianisme, et  que  la  philosophie  grecque,  qui  contribue 
à  les  former,  aide  aussi  à  les  entendre  (i).  »  Suit 
aussitôt  cette  restriction  :  «  Ce  ne  sont  pourtant 
point  des  dogmes  scientifiques,  transportés  de  la 
philosophie  païenne  dans  la  théologie  chrétienne  ; 
ce  sont  des  dogmes  religieux,  qui  ne  doivent  à  la 
philosophie  que  certains  éléments  théoriques  et  leur 
formulaire,  non  l'esprit  qui  pénètre  éléments  et  for- 
mules, ni  la  combinaison  spéciale  des  notions  qui 
les  constiuent  (2).  » 

Aussi  M.  Loisy  est-il  obligé  d'avouer  qu'  «il  n'est 
pas  étonnant  que  le  résultat  d'un  travail  si  particu- 
lier semble  manquer  de  logique  et  de  consistance 
rationnelle,  a  Mais  il  ajoute  :  «  Cependant  il  se 
trouve  que  ce  défaut,  qui  serait  mortel  à  un  système 
philosophique,  est,  en  théologie,  un  principe  de  du- 
rée et  de  solidité  (3).  »  Est-ce  sérieux  ?  Mieux  vaut 
cette  dernière  observation  :  «  La  définition  systéma- 
tique du  dogme  trini taire  est  en  rapport  avec  la  dé- 
finition systématique  de  la  rédemption  ;  mais,  avant 
ces  définitions,  les  idées  qui  les  supportent  existaient 
dans  la  tradition  chrétienne,  et  leur  évolution  a  son 
point  de  départ  dans  l'Evangile  de  Jésus  et  la  tradi- 
tion apostolique  (4).  »  Seulement,  on  voudrait  bien 
savoir  comment  ces  dogmes  qu'on  nous  a  dit  plus 
haut  être  des  dogmes  grecs,  inconnus  au  judaïsme 
et  au  judéo-christianisme,  sont  soutenus  par  des 
idées  traditionnelles,  et  s'ils  servent  à  les  traduire  ou 
à  les  subtiliser. 


1.  Ibid.,  p.  i85-i86.  —  2.  Ibid.,  p.  186.  —  3.  L'Evangile  et 
V Eglise,  p.  187.  —  4.  Ibid.,  p.  19a. 


2  20  LE    CATECHISME    ROMAIN 

4-  Le  dogme  de  la  grâce  est,  nous  dit-on,  d'ori- 
gine africaine.  «  Il  ne  se  rattache  ni  plus  ni  moins 
que  le  dogme  théologique  à  renseignement  de  Jésus. 
Il  procède  directement  de  Paul  (1).  »  Et  c'est  saint 
Augustin  qui  a  systématisé  la  pensée  de  l'apôtre.  Or, 
de  même  que  le  dogme  christologique,  le  dogme  de 
la  grâce  est  une  interprétation  du  salut  messianique 
et  de  la  théologie  du  royaume  céleste,  et  cette  inter- 
prétation aussi  a  été  nécessitée  par  les  circonstances 
dans  lesquelles  l'Evangile  s'est  perpétué,  par  lespro- 
blènies  que  posait  la  conversion  des  païens,  et  qu'il  a 
fallu  résoudre  en  s'inspirant  bien  plus  de  l'esprit  que 
des  déclarations  formelles  de  Jésus  (2).  » 

Quant  au  dogme  de  l'Eglise,  il  a  surtout  été  for- 
mulé depuis  la  Réforme.  Entre  protestants  et  catho- 
liques tout  peut  se  ramener  à  ce  problème  fonda- 
mental :  L'Evangile  de  Jésus  est-il,  en  principe, 
individualiste  ou  collectiviste  ?  «  Le  christianisme 
catholique  a  pris  une  conscience  plus  claire  de  lui- 
même,  il  s'est  déclaré  d'institution  divine  en  tant 
que  société  extérieure  et  visible,  avec  un  seul  chef 
qui  possède  la  plénitude  des  pouvoirs  d'enseigne- 
ment, de  juridiction,  de  sanctification,  c'est-à-dire 
tous  les  pouvoirs  qui  sont  dans  l'Eglise  et  que  les 
siècles  antérieurs  avaient  placés  dans  l'épisco- 
pat  universel  sous  l'hégémonie  du  pape,  sans  spéci- 
fier si  le  pape  seul  les  possédait  tout  entiers  par  lui- 
même  (3).  » 

5.  En  répondant  ainsi  à  M.  Harnack,  M.  Loisy 
estimait  sans  doute  avoir  démontré  que  le  dogme 
n'est  pas  étranger  à  l'Evangile,  et  que  la  part  que 
prend  la  philosophie  à  le  formuler,  sinon  à  le  for- 
mer, est  parfaitement  légitime.  Mais  il  regarde  son 
immutabilité  comme  impossible  et  son  évolution  comme 

1.  Jbid.,  p.  ig>7.  —  2.  Ibid.,  p.  200.  —  3.  Ibid.,  p.  201. 


LE    DOGME    D  APRES    M.    LOISY  221 


inéluctablement  nécessaire.  En  effet,  nous  dit-il,  les 
dogmes,  dont  il  vient  de  parler,  ne  sont  pas  à  pren- 
dre «pour  des  sommets  de  doctrine,  au-delà  desquels 
ne  s'ouvre  et  ne  s'ouvrira  jamais  pour  le  croyant  que 
la  perspective  aveuglante  du  mystère,  qui  demeure- 
raient plus  fermes  que  le  roc,  inaccessibles  à  tout 
changement  même  accidentel,  et  cependant  intelli- 
gibles pour  toutes  les  générations,  également  appli- 
cables, sans  traduction  ni  explication  nouvelles,  à 
tous  les  états,  à  tous  les  progrès  de  la  science, 
de  la  vie,  de  la  société  humaines.  Les  con- 
ceptions que  FEglise  présente  comme  des  dogmes 
révélés  ne  sont  pas  des  vérités  tombées  du  ciel  et  gar- 
dées par  la  tradition  religieuse  dans  la  forme  précise 
ou  elles  ont  paru  d'abord.  L'historien  y  voit  l'inter- 
prétation de  faits  religieux,  acquise  par  un  laborieux 
effort  de  la  pensée  théologique.  Que  les  dogmes  soient 
divins  par  Forigineet  la  substance,  ils  sont  humains 
de  structure  et  de  composition.  Il  est  inconcevable 
que  leur  avenir  ne  réponde  pas  à  leur  passé.  La  rai- 
son ne  cesse  de  poser  des  questions  à  la  foi  et  les 
formules  traditionnelles  sont  soumises  à  un  travail  per- 
pétuel d'interprétation  où  «  la  lettre  qui  tue  »  est  effi- 
cacement contrôlée  par  «  l'esprit  qui  vivifie  (i).  » 

6.  Donc  développement  doctrinal  nécessaire  endroit, 
légitime  en  fait,  et  adaptation  toujours  nouvelle.  Déve- 
loppement dont  l'Eglise,  affirme-t-on,  n'a  pas  pris 
conscience,  car  «  elle  n'a  pas  de  théorie  officielle 
touchant  la  philosophie  de  sa  propre  histoire  (,2).  » 
Nous  avons  vu  cependant,  dans  une  leçon  précé- 
dente, que  le  concile  du  Vatican  avait  proclamé 
l'immutabilité  des  formules  dogmatiques  et  leur 
intangibilité,  qu'il  a  reconnu  une  loi  de  progrès 
dans  la  connaissance  des  dogmes,  en  a  indiqué  le 

1.  L'Evangile  et  l'Eglise,  p.  202-203.  —  2.  Ibid.,  p.  2o5. 


222  LE    CATECHISME    ROMAIN 

sens  et  tracé  les  limites.  Mais  M.  Loisy  n'en  a  cure, 
et,  dès  lors,  sa  théorie  reste  suspecte  en  face  de  ren- 
seignement officiel  de  l'Eglise. 

7.  Il  n'y  a  plus  donc,  continue  M.  Loisy,  qu'un 
dogme  à  définir,  celui  du  développement  dogmati- 
que :  il  ne  pourra  être  que  l'expression  de  la  loi  du 
progrès.  Car  «  jusqu'à  présent  les  théologiens  ca- 
tholiques ont  été  surtout  préoccupés  du  caractère 
absolu  que  le  dogme  tient  de  sa  source,  la  révéla- 
tion, et  les  critiques  n'ont  guère  vu  que  son  caractère 
relatif,  manifesté  dans  l'histoire...  L'effort  de  la  saine 
théologie  devrait  tendre  à  la  solution  de  l'antinomie 
que  présentent  l'autorité  indiscutable  que  la  foi  ré- 
clame pour  le  dogme,  et  la  variabilité,  la  relativité, 
que  la  critique  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer 
dans  l'histoire  des  dogmes  et  dans  les  formules 
dogmatiques  (1).  » 

8.  En  résumé,  le  dogme,  aux  yeux  de  M.  Loisy, 
a  sa  racine  dans  la  prédication  de  Jésus,  son  déve- 
loppement nécessaire  et  changeant  dans  l'histoire 
et  dans  la  pensée  théologique,  sa  définition  dans  le 
rapport  avec  l'état  général  des  connaissances  selon 
les  temps  et  les  milieux.  Mais  ce  n'est  là  qu'un  état 
précaire,  accidentel,  transitoire,  transformable.  Car 
«  un  changement  considérable  dans  l'état  de  la  science 
peut  rendre  nécessaire  une  interprétation  nouvelle  des 
anciennes  formules  qui,  conçues  dans  une  autre  sphère 
intellectuelle,  ne  se  trouvent  plus  dire  tout  ce  qu'il  fau- 
drait, ou  ne  le  disent  pas  comme  U  conviendrait  (2).  » 

Le  concile  du  Vatican  a  eu  beau  décréter  que, 
«  dans  l'interprétation  des  dogmes  sacrés,  il  faut 
perpétuellement,  perpetuo,  retenir  le  sens  que  notre 
mère  la  Sainte-Eglise  a  une  fois  déclaré  et  que  ja- 
mais, sous  prétexte  d'une  intelligence  plus  profonde, 

1.  Ibid.,  p.  207.  —  2.  Ibid.,  p.  208. 


LE    DOGME    D'APRÈS    M.    LOISY  2  23 

il  n'est  permis  de  s'écarter  de  ce  sens  (i)  ;  »  il  a 
eu  beau  déclarer  «  anathcme  à  qui  dirait  qu'il  peut 
se  faire  qu'eu  égard  au  progrès  de  la  science,  on 
doive  un  jour  attribuer  aux  dogmes  proposés  par 
l'Eglise  un  autre  sens  que  celui  qui  a  été  et  qui  est 
compris  par  l'Eglise  (2).  »  M.  Loisy  néglige  décret 
et  anathème,  bien  que  sa  doctrine  semble  tomber 
sous  le  coup  de  l'un  et  de  l'autre.  En  fait,  dit-il, 
«  il  est  bien  vrai  que  l'Eglise  corrige  ses  énoncés 
dogmatiques  au  moyen  de  distinction  parfois  sub- 
tiles. Mais,  en  agissant  ainsi,  elle  continue  ce  qu'elle 
a  fait  depuis  le  commencement,  elle  adapte  l'Evan- 
gile à  la  condition  perpétuellement  changeante  de 
l'intelligence  et  de  la  vie  humaine  (3).  »  En  droit, 
ajouta-t-il,  «  il  n'est  pas  indispensable  à  £  autorité  de 
la  croyance  quelle  soit  rigoureusement  immuable  dans 
sa  représentation  intellectuelle  et  dans  son  expression 
verbale...  La  vérité  seule  est  immuable,  mais  non  son 
image  dans  notre  esprit.  La  foi  s'adresse  à  la  vérité 
immuable  à  travers  la  formule  nécessairement  inadé- 
quate, susceptible  d'amélioration,  conséquemment  de 
changement  (4).  » 

D'après  ces  propositions,  la  vérité  est  une  chose, 
sa  formule  dogmatique  en  est  une  autre  ;  la  pre- 
mière seule  est  immuable,  non  la  seconde  ;  c'est  la 
première  qui  est  objet  de  la  croyance,  non  la  for- 
mule qui  l'exprime.  Car,  paraît-il,  «  l'Eglise  n'exige 
pas  la  foi  à  ses  formules  comme  à  l'expression  adé- 
quate de  la  vérité- absolue,  mais  elle  les  présente 
comme  l'expression  la  moins  imparfaite  qui  soit 
moralement  possible  (5)  ».  Ce  qui  est  vrai  dans  un 
sens  et  faux  dans  un  autre.  Il  est  vrai  que  l'Eglise 


1.  Const.  Dei  Filins,  ch.  iv,  §  5.  —  2.  Ibid,,  ch.  iv,  can.  3. 
3.  L'Evanyite  et  V Eglise,  p.  209-210.  —  4-  Ibid.,  p.  210. 
5.  Ibid.,  p.  218. 


2  24  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  donne  pas  ses  formules  dogmatiques  comme 
l'expression  adéquate  de  la  vérité  absolue,  mais 
comme  une  expression  partielle  de  cette  vérité  ;  car 
aucune  formule  dogmatique  n'épuise  toute  la  réalité 
de  la  vérité,  dont  elle  n'atteint  que  Fun  des  côtés, 
Tune  des  faces.  Mais  il  est  faux  de  laisser  croire  que 
parce  que  la  formule  dogmatique  n'exprime  pas 
adéquatement  la  vérité  absolue,  elle  ne  nous  en 
fasse  pas  connaître  et  saisir  quelque  chose  de  positif 
et  de  réel.  Il  y  a  là  une  équivoque.  La  formule  dog- 
matique, sans  épuiser  la  vérité  totale  de  l'objet, 
n'en  exprime  pas  moins  très  positivement  une  par- 
tie, et  ce  qu'elle  en  exprime  est  une  vérité,  partielle 
sans  doute,  mais  réelle,  qui  reste  définitivement  ac- 
quise et  absolument  irréfor niable.  Prétendre  que  la 
foi  ne  s'adresse  qu'à  la  vérité  immuable  à  travers  la 
f  jrmule  nécessairement  inadéquate  est  encore  une 
équivoque.  La  foi  s'adresse  à  la  vérité  exprimée  par 
la  formule,  à  la  formule  elle-même  en  tant  qu'ex- 
primant telle  ou  telle  partie  de  la  vérité  absolue,  qui 
reste  inaccessible  par  d'autres  côtés. 

Au  fond,  la  raison  de  toutes  les  difficultés  que 
soulève  dans  l'esprit  du  catholique  la  théorie  de  M. 
Loisy,  et  des  équivoques  qu'on  y  découvre,  c'est 
que,  sous  les  termes  usuels  de  vérité,  de  révélation, 
de  formule  dogmatique,  il  met  un  sens  particulier 
qui  n'est  pas  le  sens  traditionnel.  On  l'a  justement 
reproché  à  l'auteur  de  l'Evangile  et  l'Eglise,  et  son 
second  ouvrage  Autour  d'un  petit  livre  n'est  pas  fait, 
comme  nous  allons  le  voir,  pour  dissiper  ces  légiti- 
mes appréhensions  ;  au  contraire,  il  les  accentue  et 
les  renforce. 

2°  Dans  Autour  d'un  petit  Livre 

i.  M.    Loisy   connaît  les  objections  qu'on  lui  a 


LE    DOGME    D'APRÈS    M.    LOISY  2  25 

faites  et  ii  les  formule  ainsi  :  «  N'est-ce  pas  nier  que 
le  dogme  soit  vrai,  qu'il  soit  révélé,  qu'il  soit  immua- 
ble, qu'il  soit  autorisé  de  Dieu  dans  l'enseignement 
de  l'Eglise,  puisqu'il  a  été  formulé  par  des  hommes, 
qu'il  a  besoin  constamment  d'être  interprété,  qu'il 
est  dans  un  ilux  perpétuel,  et  qu'il  ne  peut  pas  être 
bien  garanti  pour  aujourd'hui,  s'il  a  toute  chance 
d'être  changé  demain  (1)  ?  » 

Ces  objections  sont  justes  aux  yeux  de  ceux  qui 
conservent  la  notion  traditionnelle  de  vérité,  de 
révélation,  de  dogme.  Mais  c'est  justement  cette 
notion  traditionnelle  que  M.  Loisy  repousse  parce 
qu'il  estime  qu'elle  ne  répond  ni  aux  faits  de  l'his- 
toire ni  à  notre  état  psychologique  ;  car,  dans  le 
domaine  de  la  philosophie  comme  sur  le  terrain  de 
l'histoire,  elle  crée  un  conflit  irréductible  entre  la 
foi  et  la  science,  entre  l'esprit  théologique  et  l'esprit 
scientifique,  conflit  qui  n'a  d'autre  solution  ration- 
nelle que  la  faillite  ou  la  banqueroute  de  l'ancienne 
conception  chrétienne  sur  la  vérité,  sur  la  révélation, 
sur  l'immutabilité  et  l'autorité  du  dogme. 

Cette  conception  traditionnelle,  M.  Loisy  la  con- 
naît et  il  l'expose  ainsi  :  «  Le  mot  dogme  éveille 
dans  l'esprit  du  catholique  l'idée  d'une  vérité 
révélée,  immuable,  divinement  autorisée.  Tout  le 
monde  croit  savoir  ce  que  c'est  qu'une  vérité.  Tout 
théologien  croit  savoir  ce  que  c'est  que  la  révélation. 
La  vérité,  c'est  la  chose  conçue  et  représentée 
comme  elle  est.  La  révélation,  c'est  une  communi- 
cation de  vérité  qui  est  faite  directement  par  Dieu 
aux  hommes,  sur  des  choses  qu'ils  ne  sauraient 
connaître  par  eux-mêmes  ou  qu'ils  connaîtraient 
difficilement  par  le  seul  exercice   de  leur  raison. 

i.  Autour  d'un  petit  Livre,  p.  189  ;  nous  citons  la  a*  édition, 
Paris,  1903. 

LB  CATÉCHISMB.  —  I.  X.  l'y 


2  26  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Ces  notions  simples  se  complètent  par  celle  de 
l'immutabilité  et  cle  l'autorité  absolue  :  une  vérité 
dite  par  Dieu  ne  saurait  changer  ;  elle  doit  être 
immuable  comme  Dieu  même  ;  et  elle  ne  peut  être 
discutée,  elle  est  à  prendre  comme  elle  est  donnée, 
puisqu'elle  vient  de  Dieu  et  que  l'homme  ne  peut 
se  flatter  de  corriger  les  leçons  d'un  tel  maitre  (i).» 
A  cette  conception  traditionnelle  qu'oppose 
M.  Loisy  ?  Une  notion  à  lui  de  la  vérité,  de  la  révé- 
lation, du  dogme  et  de  l'autorité.  Mais  laquelle? 
La  voici,  formulée  par  M.  Loisy  lui-même. 

2.  Notion  de  la  vérité  d'abord.  «  La  vérité  est  en 
nous  quelque  chose  de  nécessairement  conditionné, 
relatif,  toujours  perfectible,  et  susceptible  aussi  de 
diminution...  Nos  perceptions  n'atteignent  pas  le 
fond  de  la  réalité.  Les  notions  l'expriment  encore 
moins...  La  vérité  n'entre  pas  toute  faite  dans  notre 
cerveau  :  elle  se  fait  lentement  et  l'on  ne  peut  pas 
dire  qu'elle  soit  jamais  achevée...  La  vérité,  en  tant 
que  bien  de  l'homme,  n'est  pas  plus  immuable  que 
l'homme  lui-même.  Elle  évolue  avec  lui,  en  lui, 
par  lui  (2).  »  Donc,  dans  l'homme,  point  de  vérité 
absolue,  rien  que  la  vérité  conditionnée,  relative, 
changeante,  toujours  infinie. 

3.  Notion  de  la  révélation.  «  Même  la  théologie 
savante  en  retient  une  idée  extrêmement  anthropo- 
morphique,  tout  à  fait  déconcertante  pour  la  science 
et  la  philosophie  contemporaine  (3).  »  Il  s'agit  donc 
de  l'écarter.  Or,  «  la  théologie  distingue  deux  for- 
mes de  la  connaissance  religieuse,  la  connaissance 
naturelle,  ou  de  raison,  et  la  connaissance  surna- 
turelle, ou  de  révélation.  »  Mais  «  cette  distinction 
correspond  originairement  à  celle  des  vérités  que 


1.  Autour  d'un  petit  livre,  p.  188.  —  a.  Ibid.,  p.  191-192.  — 
3.  Ibid.,  p.  19a. 


LE  DOGME    D'APRES    M.    LOISY  2  2J 

l'Eglise  reconnaissait  dans  la  philosophie  grecque, 
et  des  vérités  proprement  chrétiennes  qui  appar- 
tenaient à  la  révélation  biblique.  Elle  n'a  guère 
d'application  dans  la  réalité  de  l'histoire  (i).  »  Ceci 
revient  à  dire  qu'il  n'y  a  qu'une  seule  sorte  de 
connaissance  religieuse,  et  si  M.  Loisy  s'obsline  à 
l'appeler  surnaturelle,  ce  n'est  que  par  un  abus  de 
mots,  car  il  va  nous  montrer  qu'elle  est  purement 
naturelle. 

«  Dieu  fait  son  œuvre  dans  l'humanité.  Il  se 
révèle  à  celle-ci  selon  la  capacité  de  la  nature 
humaine,  l'évolution  de  la  foi  ne  pouvant  manquer 
d'être  coordonnée  à  l'évolution  intellectuelle  et 
morale  de  l'homme.  »  Mais,  «  quelles  que  soient  les 
circonstances  extérieures  auxquelles  se  sont  rattachés 
réveil  et  le  progrès  de  la  connaissance  religieuse  dans 
ïhomme,  ce  qu'on  appelle  révélation  n'a  pu  être  que 
la  conscience  acquise  par  l'homme  de  son  rapport  avec 
Dieu  (2).  »  Ainsi  en  est-il  de  la  révélation  chrétienne. 
«  Qu'est-ce  que  la  révélation  chrétienne,  dans  son 
principe  et  son  point  de  départ,  sinon  la  perception, 
dans  l'âme  du  Christ,  du  rapport  qui  unissait  à  Dieu 
le  Christ  lui-même,  et  de  celui  qui  relie  tous  les  hom- 
mes à  leur  Père  céleste.  La  perception  de  ces  rapports 
avait  forme  de  connaissance  humaine,  et  c'est  en 
cette  forme  seulement  qu'elle  pouvait  être  commu- 
niquée aux  hommes  (3).  »  Pourquoi  ?  Parce  que 
a  toute  connaissance  réfléchie  naît  de  notions  anté- 
rieures, et  le  progrès  résulte  d'une  combinaison 
nouvelle  d'idées  acquises.  »  Par  suite  il  doit  en  être 
ainsi  de  la  connaissance  religieuse.  Et  en  effet,  «  les 
vérités  fécondes  dans  l'ordre  religieux,  celles  qui 
constituent,  en  style  théologique,  la  substance  delà 


1.  Ibid.,  p.  194.  —  a.  Autour  d'un  petit  livre,   p.   195.  — 
3.  Ibid. t  p.  196. 


2  28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

révélation,  se  sont  formées  par  la  conjonction  d'idées 
ou  d'images  qui  préexistaient  à  ces  vérités  dans  l'esprit 
de  ceux  qui  les  ont  d'abord  conçues.  Ce  qui  fut,  à  un 
moment  donné,  le  commencement  de  la  révélation,  a 
été  la  perception,  si  rudimentaire  qu'on  la  suppose,  du 
rapport  qui  doit  exister  entre  l'homme,  conscient  de 
lui-même,  et  Dieu  présent  derrière  le  monde  phénoménal. 
Le  développement  de  la  religion  révélée  s'est  effectuée 
par  la  perception  de  nouveaux  rapports,  ou  plutôt  par 
une  détermination  plus  précise  et  plus  distincte  du 
rapport  essentiel,  entrevu  dès  l'origine  (i).  »  Et  ainsi 
«  la  révélation,  dans  sa  définition  intellectuelle  et  son 
expression  verbale,  consiste  en  idées  qui  ont  pris 
naissance  dans  l'humanité,  en  idées  telles  qu'une  intelli- 
gence humaine  a  pu  les  percevoir,  telles  quelles  ne 
peuvent  exister  ailleurs  que  dans  une  intelligence 
humaine,  telles  que  le  langage  humain  est  capable 
de  les  représenter.  Par  rapport  à  leur  objet,  ce  sont 
des  symboles  imparfaits,  qui  seraient  insuffisants 
pour  des  intelligences  plus  hautes  que  les  nôtres,  et 
qui,  même  pour  nous,  sont  susceptibles  d'explications, 
c'est-à-dire  de  modification  et  d'amélioration  relati- 
ves (2).  »  Ainsi  entendue,  la  révélation  n'est  immua- 
ble que  u  parce  qu'elle  demeure  toujours,  pour  la 
foi,  substantiellement  identique  à  elle-même.  Quant 
aux  symboles,  ils  sont  essentiellement  muables. 

Voilà  ce  qu'est,  pour  M.  Loisy,  la  révélation  :  la 
conscience  acquise  par  l'homme  de  son  rapport  avec 
Dieu  !  Elle  commence  par  une  «  perception  »  de  ce 
rapport  ;  elle  progresse  par  une  «  perception  »  de 
nouveaux  rapports  ;  elle  consiste  «  en  idées  qui  ont 
pris  naissance  dans  l'humanité.  »  Qu'est-elle  donc 
autre  chose  qu'une  connaissance  naturelle,  qui  naît, 
se  développe  dans  l'homme,    et  n'est  perceptible 

1.  Ibid.,  p.  196-197.  —  2.  Ibid.,  p.  198. 


LE    DOGME    D  APRES    M.    LOISY  22Q 

qu'à  la  conscience  individuelle  ?  Une  telle  notion 
ne  dépasse  pas  la  sphère  du  naturalisme  et  du  sub- 
jectivisme  ;  elle  a  droit  de  se  réclamer  du  système 
qui  de  Schleiermacher  aboutit  à  M.  Sabatier  en 
passant  par  Ritscbl  ;  elle  n'est  pas  catholique. 

4.  Notion  et  caractères  du  dogme.  La  révélation  se 
distingue  du  dogme.  «  La  révélation  a  pour  objet 
propre  et  direct  les  vérités  simples  contenues  dans 
les  assertions  de  la  foi,  non  la  doctrine  et  le  dogme 
comme  tels  (1).  »  Quelles  sont  ces  vérités  simples  et 
en  quoi  consistent  ces  assertions  de  la  foi  ?  C'est  ce 
que  M.  Loisy  a  négligé  de  nous  dire.  Quoi  qu'il  en 
soit,  «  doctrine  et  dogme  sont  dits  révélés  parce 
que  les  assertions  primitives  de  la  foi  subsistent  dans 
les  explications  autorisées  qui  sont  le  dogme  de 
l'Eglise.  Les  vérités  de  la  révélation  sont  vivantes 
dans  les  assertions  de  la  foi  avant  d'être  analysées 
dans  les  spéculations  de  la  doctrine.  Leur  forme 
native  est  une  intuition  surnaturelle  (une  simple 
perception)  et  une  expérience  religieuse,  non  une 
considération  abstraite  ou  une  définition  systémati- 
que de  leur  objet.  Et  c'est  toujours  comme  asser- 
tions de  foi  que  la  doctrine  et  le  dogme  servent  de 
base  à  la  vie  chrétienne.  En  tant  que  théorie  doctri- 
nale ou  théologie  dogmatique,  interprétation  de  la 
foi  au  moyen  de  la  philosophie,  ils  servent  plutôt  à 
maintenir  l'harmonie  de  la  croyance  religieuse  avec 
le  développement  scientifique  de  l'humanité  (2).  » 

Ces  deux  passages  sont  passablement  confus. 
Essayons  d'y  voir  clair  :  la  révélation  a  pour  objet 
des  vérités  simples  ;  ces  vérités  simples  (que  nous  ne 
connaissons  pas  et  qu'on  ne  nous  a  pas  fait  connaî- 
tre) sont  contenues  dans  les  assertions  de  la  foi  (que 
nous  ne  connaissons  pas  davantage,  et  pour  le  même 

x.  Autour  d'un  petit  livre,  p.  200.  —  a.  Ibid.,  p.  200-201. 


23o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

motif)  ;  ces  assertions  de  la  foi  subsistent  dans  le 
dogme  :  donc,  grâce  aux  assertions  de  foi,  ces  vé- 
rités simples  subsistent  dans  le  dogme  ;  et  comme 
elles  sont  vivantes  dans  les  assertions  de  foi,  elles 
doivent  Fêtre  par  là  même  dans  le  dogme,  puisque 
le  dogme  ne  sert  de  base  à  la  vie  chrétienne  que 
par  les  assertions  de  foi.  Le  dogme  contenant  ainsi 
les  vérités  simples,  qui  sont  l'objet  de  la  révéla- 
tion, doit  donc  contenir  également  la  révélation  ; 
celle-ci,  comme  nous  l'avons  vu,  étant  naturelle, 
subjective,  le  dogme  n'est  donc  en  définitive  que 
l'expression  d'une  vérité  naturelle  et  subjective,  ce 
qui  revient  à  dire  qu'il  n'y  a  plus  de  dogme  au  sens 
catholique. 

Mais  par  là  même,  et  forcément,  le  dogme  doit 
varier  comme  la  révélation  dont  il  est  l'expression  ; 
il  y  aura  autant  de  dogmes  différents  que  de  per- 
ceptions individuelles  différentes,  lesquelles  peuvent 
se  succéder  dans  le  même  individu  sans  la  moindre 
cohésion  jusqu'à  devenir  contradictoires  ;  il  y  aura 
de  plus  autant  de  dogmes  que  d'individus  percevant 
leur  rapport  avec  Dieu  ;  et  comme  les  individus 
diffèrent  dans  le  même  temps  d'un  endroit  à  l'autre, 
«t  dans  le  même  lieu  d'une  époque  à  une  autre,  on 
voit  les  conséquences  inévitables  de  cette  variation 
Indéfinie  des  dogmes. 

Cette  variation  inévitable  de  par  la  nature  même 
du  dogme,  s'accroît  encore  de  ce  que  les  dogmes 
sont  «  une  interprétation  de  la  foi  au  moyen  de  la 
philosophie,  h  parce  que  «  le  commentaire  scienti- 
fique de  la  foi  est  plus  ou  moins  conditionné  par  le 
développement  de  la  science  (i).  »  Mais  sous  cette 
variation  incessante  et  forcée,  il  y  a  un  sens  qui  ne 
change  pas,  et  ce  n'est  ni  celui  de  la  formule  ni  ce- 

i.  Ibid.,  p.  201. 


LE    DOGME    D'APRÈS    M.    LOISY  23 1 

lui  de  l'interprétation,  mais  celui  «  du  fond  com- 
mun, impossible  à  exprimer  en  langage  humain, 
par  une  définition  adéquate  à  son  objet  et  suffisante 
pour  les  siècles  des  siècles  (i).  »  Ici  encore,  M.  Loisy 
a  oublié  de  nous  dire  ce  qu'il  entend  par  ce  fond 
commun.  En  revanche,  il  insiste  sur  «  l'insuffisance 
et  la  perfectibilité  relatives  des  formules  dogmati- 
ques attestées  par  Fhistoire  »  aussi  bien  que  sur 
«  leur  relativité  ou  imperfection  essentielle.  » 

5.  Notion  de  Y  autorité.  «  La  formule  ecclésiasti- 
que n'est  pas  vraie  absolument,  puisqu'elle  ne  défi- 
nit pas  la  pleine  réalité  de  l'objet  qu'elle  représente 
(toujours  la  môme  équivoque)  ;  elle  n'en  est  pas 
moins  le  symbole  d'une  vérité  absolue...  elle  est  la 
meilleure  et  la  plus  sûre  expression  delà  vérité  dont 
il  s'agit,  jusqu'à  ce  que  l'Eglise  juge  à  propos  de  la 
modifier  en  l'expliquant.  Le  fidèle  adhère  d'inten- 
tion à  la  vérité  pleine  et  absolue  que  figure  la  for- 
mule imparfaite  et  relative...  Le  catholique  peut 
donc  croire  à  l'autorité  de  l'Eglise  et  à  ce  que  l'Eglise 
enseigne  (2).  » 

Assurément  «  le  catholique  peut  croire  à  l'auto- 
rité de  l'Eglise  et  à  ce  que  l'Eglise  enseigne.  »  C'est 
la  seule  phrase  à  retenir  de  toute  la  discussion  de- 
M.  Loisy.  Mais  le  catholique  ne  saurait  à  aucun  degré 
partager  les  idées  particulières  de  M.  Loisy  sur  la  na- 
ture de  la  vérité,  sur  la  notion  de  la  révélation,  pur 
phénomène  interne,  sur  la  notion  du  dogme,  con- 
damnée par  définition  à  n'être  qu'une  expression 
passagère,  imparfaite,  perfectible  et  incessante  d'une 
vérité  qui  nous  échappe  et  que  rien  ne  nous  garantit. 

Qu'après  cela  M.  Loisy  estime  que  l'incompatibi- 
lité entre  la  connaissance  générale  du  monde  et  de 
l'homme  d'une  part  et  la  doctrine  catholique  d'au- 
tre part  doive  cesser,  rien  de  mieux.  Mais  qu'il  se 

1.  lbld.y  p.  201-202.  —  2.  Ibid.,  p.  206-207. 


'202  LE    CATECHISME    ROMAIN 

i 

flatte  de  faire  cesser  le  conflit  par  les  moyens  qu'il 
propose,  c'est  étrangement  s'abuser.  Car  ces  moyens, 
sous  prétexte  d'imposer  «  un  changement  d'esprit 
et  d'attitude  à  l'égard  du  mouvement  intellectuel 
de  notre  temps  (i),  »  ne  constituent  rien  moins 
que  la  négation  de  la  révélation,  du  dogme  et  de 
l'Eglise  elle-même.  Un  catholique  ne  saurait  sous- 
crire une  pareille  abdication. 

IL  La  Question  de  M.  Le  Roy  : 
Qu'est-ce  qu'un  dogme  ? 

Après  M.  Sabatier,  professeur  de  théologie  pro- 
testante, et  M.  Loisy,  ancien  professeur  d'Ecriture 
sainte,  c'est  un  catholique  laïque,  M.  Le  Roy,  agrégé 
et  docteur  es  sciences,  qui  pose  la  question  :  Qu'est-ce 
qu'an  Dogme  ?  C'est  la  question  du  philosophe 
au  théologien,  appelant  la  réponse  du  théologien  au 
philosophe  (2).  Il  la  pose,  parce  qu'elle  est  posée 
autour  de  lui  par  des  hommes  de  science,  et  parce 
qu'il  connaît  l'état  d'esprit  des  philosophes  con- 
temporains qui  leur  fait  repousser  la  vérité.  Son 
intervention  n'est  qu'un  a  effort  vers  la  lumière, 
au  sein  de  la  vérité  catholique  fidèlement  acceptée.  » 

Les    démonstrations    traditionnelles,    dit-il,    ne 

1.  Autour  d'un  petit  livre,  p.  210.  —  2.  Le  Roy,  Qu'est-ce 
qu'un  Dogme  ?  dans  la  Quinzaine  du  16  avril  1905,  p.  ^95 
sq.  ;  E.  Portalié,  V Explication  morale  des  dogmes,  dans  les 
Etudes,  20  juillet  et  5  août  igo5,  p.  145-173,  3i8-342 ;  J. 
Wehrlé,  De  la  nature  du  dogme,  dans  la  Revue  biblique,  igo5, 
p.  32  3-349  ;  L.  de  Grandmaison,  Qu'est-ce  qu'un  dogme  ? 
dans  le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1905,  p.  187- 
221,  et  1906,  p.  21-27  »  B.  Allô,  A  la  recherche  d'une  défini- 
tion du  dogme,  dans  la  Quinzaine  du  ier  août  1906,  p.  4o3- 
424  ;  Réponse  de  M.  Le  Roy  et  réplique  du  P.  de  Grandmai- 
son, dans  le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  Janvier  1906. 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  233 

mordent  pas  sur  les  intelligences  habituées  aux  dis- 
ciplines de  la  science  et  de  la  philosophie.  L'an- 
cienne apologétique  suppose  résolus  par  avance  des 
problèmes  que  les  modernes  jugent  essentiels  et  pri- 
mordiaux. La  pensée  catholique  est  impuissante  à 
se  faire  entendre  et  ne  parait  capable  ni  de  diriger 
nos  contemporains  ni  de  les  promouvoir  ;  car  ceux- 
ci  opposent  une  fin  de  non  recevoir  globale.  On  ne 
discute  pas  si  telle  proposition  est  un  dogme,  c'est 
l'idée  même  du  dogme  qui  répugne.  Pourquoi  ? 
C'est  ce  qu'il  va  nous  dire  tout  d'abord. 

1°  Motifs  allégués  pour  ne  pas  admettre 
la  notion  traditionnelle  du  dogme 

M.  Le  Roy  signale  quatre  motifs  principaux  qu'on 
allègue  pour  ne  pas  admettre  la  notion  tradition- 
nelle du  dogme. 

i.  Un  dogme  est  une  proposition  qui  se  donne 
elle-même  comme  n'étant  ni  prouvée  ni  prouvable 
intrinsèquement.  Or,  d'après  Descartes,  le  premier 
principe  de  la  méthode  n'est-il  pas  qu'il  ne  faut 
tenir  pour  vrai  que  ce  que  l'on  voit  clairement 
être  tel  ? 

2.  Les  propositions  dogmatiques  ne  sont  pas 
affirmées  sans  preuves,  mais  ce  sont  des  preuves 
extrinsèques.  Il  faudrait  avoir  prouvé  directement 
que  Dieu  existe,  qu'il  a  parlé,  qu'il  a  dit  ceci  ou 
cela,  que  nous  possédons  aujourd'hui  son  enseigne- 
ment authentique  ;  ce  qui  revient  à  dire  qu'il 
faudrait  avoir  résolu  par  une  analyse  directe  le  pro- 
blème de  Dieu,  de  la  révélation,  de  l'inspiration, 
de  l'autorité  de  l'Eglise.  C'est  de  l'extérieur  que  la 
démonstration  prétend  introduire  en  nous  la  vérité, 
à  la  façon  d'une  chose  toute  faite  qui  entrerait  en 


234  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

_.    .  ■     ■  ■■    ■  ■    ■    

nous  par  violence.  Un  dogme  apparaît  ainsi  comme 
un  asservissement,  comme  une  limite  aux  droits  de 
la  pensée,  comme  une  menace  de  tyrannie  intel- 
lectuelle, comme  une  entrave  et  une  restriction 
imposées  du  dehors  à  la  liberté  de  la  recherche  : 
toutes  choses  radicalement  contraires  à  la  vie  même 
de  l'esprit,  à  son  besoin  d'autonomie  et  de  sincérité, 
à  son  principe  générateur  et  fondamental,  qui  est 
le  principe  d'immanence. 

3.  Le  dogme  est  une  affirmation  par  voie  d'au- 
torité doctrinale.  Mais,  pour  devenir  acceptable, 
faut-il  au  moins  qu'il  soit  intelligible  dans  son 
énoncé,  ne  demnant  lieu  à  aucune  ambiguïté  d'in- 
terprétation, à  aucune  possibilité  d'erreur  sur  son 
sens  réel.  Or,  il  n'en  va  pas  ainsi.  D'abord  les 
formules  appartiennent  souvent  au  langage  d'un 
système  philosophique  particulier,  qui  ne  se  laisse 
pas  toujours  facilement  entendre,  et  qui  en  tout  cas 
est  dépassé  depuis  longtemps  et  délaissé  par  les 
contemporains.  Et  puis  c'est  le  mélange  de  plusieurs 
philosophies  hétérogènes.  Et  puis  ces  formules 
empruntent  des  métaphores  au  sens  commun,  dont 
il  est  impossible  de  donner  une  interprétation 
intellectuelle  précise,  de  fixer  la  valeur  théorique 
exacte,  images  inconvertibles  en  concepts  qu'il  y 
aurait  anthropomorphisme  à  prendre  au  pied  de  la 
lettre.  Et  ainsi  on  est  arrêté  parce  qu'on  ne  découvre 
pas  au  dogme  un  sens  pensable.  Ces  énoncés  ne 
disent  rien  ou  plutôt  paraissent  indissolublement  liés 
à  un  état  d'esprit  qu'on  n'a  plus  et  auquel  on  estime 
ne  pouvoir  revenir  sans  déchoir. 

4.  Les  dogmes  forment  un  groupe  incommen- 
surable avec  l'ensemble  du  savoir  positif.  Ni  par 
leur  contenu,  ni  par  leur  nature,  ils  n'appartiennent 
au  même  plan  de  connaissance  que  les  autres  pro- 
positions. Ils  ne  sauraient  donc  se  composer  avec 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  235 

celles-ci  de  manière  à  constituer  un  système 
cohérent;  d'où,  si  on  les  accepte,  rupture  inévitable 
d'unité  dans  l'esprit,  nécessité  désastreuse  de  vivre 
en  partie  double.  Immuables,  ils  apparaissent  étran- 
gers au  progrès,  qui  est  l'essence  même  de  la 
pensée.  Transcendants,  ils  demeurent  sans  rapports 
avec  la  vie  intellectuelle  effective  ;  ils  sont  sans  usage, 
inutiles,  inféconds  ;  car,  de  nos  jours,  la  valeur  d'une 
vérité  se  mesure  avant  tout  aux  services  qu'elle 
rend,  aux  résultats  nouveaux  qu'elle  suggère,  aux 
conséquences  dont  elle  est  grosse,  bref  à  l'influence 
vivifiante  qu'elle  exerce  sur  le  corps  entier  du 
savoir. 

5.  Ces  motifs  étant  valables  et  irréfutables,  ainsi 
que  le  croit  M.  Le  Roy,  la  seule  solution  ne  serait-ce 
pas  d'établir  que  la  notion  de  dogme,  condamnée  et 
réprouvée  par  la  pensée  moderne,  nest  pas  la  notion 
catholique  du  dogme?  N'y  aurait-il  donc  pas  lieu  de 
changer  la  manière  dont  l'idée  de  dogme  est  pré- 
sentée, c'est-à-dire  de  déterminer  la  modalité  du 
jugement  dogmatique  et  la  qualification  qui  lui 
convient  ? 

La  grande  difficulté  provient  de  ce  que  la  concep- 
tion du  dogme  est  intellectualiste  et  tient  pour 
secondaire  et  dérivé  son  sens  pratique  et  moral.  Elle 
fait  d'un  dogme  comme  l'énoncé  d'un  théorème  : 
énoncé  intangible  d'un  théorème  indémontrable, 
ayant  un  caractère  spéculatif  et  théorique,  se 
rapportant  avant  tout  à  la  connaissance.  Or,  affirme 
M.  Le  Roy,  cette  prétention  de  concevoir  les  dogmes 
comme  des  énoncés  intellectuels  se  heurte  partout  à 
des  impossibilités  et  aboutit  fatalement  à  faire  des 
dogmes  de  purs  non-sens. 

Que  penser  d'abord  des  objections  dont  M.  Le 
Roy  se  fait  l'écho  et  qu'il  estime  irréfutables? 

6.  Le  dogme  se  donnant  comme  une  préposition 


236  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qui  n'est  ni  prouvée  ni  prouvable  intrinsèquement, 
M.  Le  Roy  fait  intervenir  le  principe  cartésien  qui 
veut  qu'on  ne  cède  qu'à  V autorité  de  l'évidence.  C'est 
oublier  qu'il  est  des  cas  où  il  faut  également  céder 
à  l'évidence  de  l'autorité.  Réclamer,  pour  le  dogme, 
une  preuve  directe  intrinsèque,  est  un  excès  injus- 
tifiable. Dans  la  vie  ordinaire,  à  tout  instant, 
l'homme  sensé  se  décide  d'emblée,  sans  vérification 
préalable  et  personnelle,  et  pour  les  choses  les  plus 
graves,  par  un  acte  de  foi  qui  repose  sur  l'autorité 
d'autrui.  A  table,  il  rompt  avec  confiance  le  pain 
du  boulanger,  il  goûte  aux  mets  du  cuisinier  ; 
malade,  il  fait  appeler  le  médecin  ;  lésé  dans  ses 
droits,  il  s'adresse  à  un  homme  d'affaires  ;  plaideur, 
il  confie  sa  cause  à  un  avocat  ;  voyageur,  il  prend 
le  train,  etc.  De  même,  toute  proportion  gardée, 
dans  la  vie  intellectuelle  et  scientifique  ;  il  ne 
recommence  pas  personnellement  les  expériences 
déjà  faites,  les  travaux  déjà  réalisés  :  il  les  accepte 
sur  l'autorité  de  savants  spécialistes  ;  il  en  profite 
comme  d'un  point  de  départ.  La  raison,  malgré 
son  autonomie,  cède  ainsi  à  l'autorité  humaine  : 
pourquoi  donc  ne  cèderait-elle  pas  à  l'autorité 
divine  ? 

Sans  doute,  le  dogme,  tout  le  monde  en  convient, 
échappe  à  une  démonstration  directe,  intrinsèque  ; 
mais  est-ce  là  le  genre  de  preuve  qui  lui  convient? 
Exiger  pour  lui  une  preuve  rigoureuse,  mathé- 
matique, n'est-ce  pas  l'assimiler  à  tort  à  une 
proposition  de  géométrie?  A  chaque  science  sa 
démonstration  propre,  sa  preuve  spécifique.  Le 
dogme  n'est  pas  une  vérité  de  l'ordre  scientifique 
naturel,  mais  l'affirmation  d'une  vérité  révélée  :  il 
a  son  genre  spécial  de  preuves  ;  il  est  l'objet  de 
science  à  un  titre  particulier  :  l'accepter  n'est  pas 
faire  acte  d'agnosticisme. 


LA    QUESTION  DE    M.    LE    ROY  iS^ 

7.  Les  preuves  qui  autorisent  le  dogme  sont 
indirectes.  Mais  s'il  est  vrai  que  Dieu  existe,  qu'il  a 
parlé,  qu'il  a  dit  telle  ou  telle  chose,  qu'il  a  chargé 
l'Eglise  de  garder  et  de  faire  connaître  son  enseigne- 
ment authentique, —  et  tout  cela  est  vrai,  ainsi  que 
nous  le  verrons,  —  la  proposition  dogmatique  se 
trouve  entourée  de  garanties  suffisantes  pour  s'im- 
poser à  l'esprit  de  tout  homme  raisonnable. 

Mais,  dit-on,  cette  preuve  testimoniale  extrinsèque 
est  irrecevable,  parce  qu'elle  nest  pas  de  même  nature 
que  le  contenu  auquel  elle  prétend  servir  de  garantie. 
C'est  ici  que  réside  et  se  dissimule  l'équivoque.  On 
a  pris  l'habitude  de  réserver  le  mot  de  connaissance 
aux  seules  notions  adéquates  ou  compréhensives, 
ou  du  moins  propres  et  directes  d'un  objet  ;  et  par 
là,  très  indûment,  on  écarte  tout  autre  connaissance, 
et  par  exemple  la  connaissance  analogique,  la  seule 
justement  que  nous  puissions  avoir  de  Dieu  et  des 
vérités  révélées. 

On  suspecte  toute  métaphysique,  on  en  nie  la 
valeur,  mais  au  nom  de  quoi  P  Au  nom  d'une 
nouvelle  métaphysique,  dont  on  proclame  la  valeur 
absolue  ;  on  nie  tout  dogme  immuable  au  nom 
d'un  dogme  nouveau,  intangible,  indiscutable. 
C'est  toujours,  observe  le  P.  Portalié,  la  mésaven- 
ture du  Kantisme  :  au  nom  de  la  raison,  proclamée 
impuissante  à  nous  donner  autre  chose  qu'une 
certitude  subjective,  on  proclame  la  certitude  très 
objective  de  ce  subjectivisme  incurable  (1).  On 
n'épuise  pas  le  fond  des  choses,  c'est  évident.  Et 
dès  lors  toute  formule,  nécessairement  inadéquate, 
est  susceptible  d'amélioration  par  l'addition  de 
vérités  nouvelles,  et  non  d'altération  substantielle 
comme  on  ne  cesse  de  le  répéter.  Mais  de  ce  que  nous 

1.  Etudes,  5  août  1905,  p.  32^. 


238  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  savons  le  tout  de  rien,  continue  le  P.  Portalié, 
est-il  légitime  de  conclure  avec  les  relativistes 
que  nous  ne  savons  rien  du  tout?  C'est  l'agnos- 
ticisme qui, est  irrecevable. 

Quant  à  prétendre  que  le  dogme  est  une  intro- 
duction violente  dans  l'esprit,  un  asservissement, 
une  limite,  une  tyrannie,  etc.,  c'est,  à  proprement 
parler,  un  malentendu.  Car,  ainsi  que  le  l'ait  re- 
marquer le  P.  de  Grandmaison,  «  toute  vérité  cer- 
tainement connue  comme  telle  s'impose  à  nous,  et 
cette  vérité  vient,  dans  une  certaine  mesure,  du 
dehors.  Connaître  c'est  être  informé,  c'est-à-dire  mû 
à  un  assentiment.  Bon  gré  mal  gré  il  faut  céder  à 
l'évidence,  et  l'autonomie  de  notre  pensée  n'est  pas 
finalement  moins  atteinte  dans  le  cas  d'évidence 
directe  que  dans  celui  où  l'évidence  nous  arrive 
comme  tamisée  à  travers  un  témoignage  certain. 
Le  résultat,  dans  les  deux  cas,  n'est  pas  une  abdica- 
tion, mais  une  conquête.  Seulement,  quand  l'évi- 
dence directe  est  absente,  ce  qui  la  supplée  laisse 
une  place  plus  large  à  la  bonne  volonté,  à  la  liberté, 
au  mérite  (i).  »  L'intelligence,  dans  son  adhésion 
au  dogme,  n'est  nullement  violentée  ;  elle  voit  qu'il 
est  raisonnable  de  croire  et  que  les  garanties  exté- 
rieures dont  s'entoure  le  dogme  autorisent  et  légi- 
timent raisonnablement  son  adhésion.  Ces  garanties 
ne  nécessitent  pas  l'acte  de  foi  ;  il  suffit  qu'elles  le 
fondent  en  raison. 

8.  Autre  difficulté  :  les  dogmes  sont  inintelligibles 
dans  leur  énoncé,  n'ont  pas  un  sens  pensable,  et  cela 
à  raison  d'emprunts  à  des  systèmes  philosophiques 
surannés,  ou  de  concepts  anthropomorphiques 
irrecevables  :  ce  sont  des  formules  purement  verba- 
les. Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  ces  prétendus 

i.  Bulletin  de  litt.  ecclés.,  igo5,  p.  ao4. 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  23g 

emprunts  ;  nous  avons  dit  en  quoi  ils  consistent  et 
ce  qu'ils  impliquent  ;  nous  ne  reviendrons  pas 
davantage  sur  la  nécessité  où  nous  sommes  de 
parler  de  Dieu  en  hommes. 

Retenons  seulement  que  si  le  dogme  ne  dit  pas 
le  tout  de  Dieu,  il  en  dit  du  moins  quelque  chose  ; 
que  s'il  se  formule  nécessairement  au  moyen 
d'analogies,  ces  analogies  ne  sont  pas  vides  de  sens, 
à  la  manière  d'une  notation  algébrique;  l'effort  delà 
pensée  et  delà  vie  religieuses,  en  pénétrant  de  plus 
en  plus  et  de  mieux  en  mieux  dans  le  dogme,  peut 
«  réussir  à  en  éclairer  progressivement  le  con- 
tenu^). »  Et  dans  tous  les  cas  ledogme reste  intelli- 
gible, bien  qu'il  ne  nous  découvre  pas  son  comment  et 
laisse  persister  le  mystère  :  il  est  pensable  ;  il  nous 
apprend  quelque  chose  de  Dieu.  «  Faites  toutes  les 
réserves  qu'il  vous  plaira,  écrit  M.  Franon,  sur 
l'incompréhensibilité  de  la  nature  divine...,  il 
restera  toujours  que,  lorsque  nous  affirmons  la 
personnalité  de  Dieu,  sa  liberté,  sa  justice,  son 
immutabilité,  ces  affirmations,  encore  que  conçues 
et  pensées  humano  modo,  sont  vraies,  en  elles-mêmes 
et  absolument,  d'une  vérité  métaphysique  qui 
s'impose  à  toute  intelligence  (2).  » 

9.  Enfin,  dernière  objection,  les  dogmes  forment 
un  groupe  incommensurable  avec  l'ensemble  du 
savoir  positif  :  n'appartenant  pas  au  même  plan  de 
connaissance,  il  ne  sauraient  se  composer  avec  les 
autres  propositions  de  manière  à  former  un  système 
cohérent,  harmonique  ;  ils  rompent  l'unité  de 
l'esprit  ;  par  leur  immutabilité,  ils  apparaissent 
étrangers  au  progrès  ;  par  leur  transcendance,  ils 
restent    sans   rapports    avec    la    vie  intellectuelle 


1.  Wehrlé,  dans  la  Revue  biblique»  1905,  p.  334.  —  a.  Bulle- 
tin de  litt.  ecclés.,  1905,  p.  167. 


2  4o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

réelle   ;     ils     sont    sans    usage,    inutiles    et    infé- 
conds. 

«  On  reste  stupéfait,  de  ces  étranges  difficultés, 
remarque  le,  P.  Portalié.  Sans  doute,  la  chimie, 
l'histoire  naturelle,  l'astronomie  sont  étrangères  à 
la  sphère  des  connaissances  religieuses,  Mais  en 
quoi  y  a-t-il  rupture  dans  notre  esprit,  incohérence, 
à  compléter  le  savoir  de  la  nature  par  la  connais- 
sance de  l'Auteur  de  la  nature  ?  Connaissance 
inutile,  ose-ton  dire.  Comment  1  on  ose  mépriser 
ainsi  la  science,  sublime  entre  toutes,  de  Dieu, 
cause  première  du  plan  providentiel  sur  l'humanité, 
de  la  rédemption,  des  destinées  finales  qui  nous 
attendent  !  Mais  alors  quelle  science  sera  utile  ? 
Qu'on  nous  réponde.  Savoir  infécond  \  ajoute-t-on. 
Il  semble  pourtant  que  depuis  assez  longtemps, 
l'expérience  a  prouvé  quel  triste  sort  est  réservé  à 
la  morale,  dès  qu'elle  se  sépare  des  affirmations 
intellectuelles  du  dogme.  L'histoire  de  tous  les 
piétismes,  anciens  et  modernes,  est  là  pour  nous 
montrer  que  l'abandon  du  dogme  prépare  à  bref 
délai  la  ruine  de  la  morale.  Dogmes  immuables, 
étrangers  au  progrès  1  dit-on  encore.  Etrange  illu- 
sion. Mais  on  n'a  donc  jamais  comparé  la  dog- 
matique, condensée  et  comme  embryonnaire,  des 
écrits  apostoliques  avec  un  des  grands  monuments 
de  la  théologie  catholique,  qu'ils  s'appellent  VEnchi- 
ridion  de  saint  Augustin,  la  Somme  théologique  de 
saint  Thomas,  ou  Y  Exposition  de  la  doctrine  catholi- 
que de  Bossuet  (i).  » 

D'autre  part,  M.  Wehrlé  fait  observer  que  déclarer 
le  dogme  incommensurable  avec  les  autres  éléments 
du  savoir,  incapable  par  suite  d'apporter  son  con- 
cours au  progrès  général  de  la  vie  intellectuelle, 

i.  Etudes,   5  août  igo5,  p.  331-33a. 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  l!\ I 

n'est  pas  bien  consistant.  «  Autant  vaudrait  dire  que 
Dieu  ne  peut  pas  être  pris  comme  objet  de  connais- 
sance sans  devenir  un  obstacle  au  progrès.  D'ailleurs 
on  néglige  totalement  ici  la  relation  complexe  et  la 
solidarité  réciproque  qui  permettent  d'unir,  dans  la 
synthèse  vitale  opérée  par  l'action,  des  données 
intellectuelles  appartenant  en  effet  à  des  plans 
différents.  Ce  dernier  point  de  vue  manifeste  mieux 
encore  l'injustice  du  reproche  qu'on  nous  adresse. 
Car,  d'une  part,  le  croyant  ne  trouve  dans  son 
adhésion  au  dogme  aucun  obstacle  à  la  libre 
recherche  scientifique,  qui  est  par  hypothèse  d'un 
autre  ordre  :  il  peut  donc  concourir  de  tout  son 
effort  au  propres  du  savoir  humain,  et  il  peut 
contribuer  pour  sa  part  au  développement  du  dogme 
lui-même,  dont  il  vit  le  contenu  sans  en  épuiser 
jamais  le  sens  et  en  y  découvrant  toujours  de 
nouvelles  richesses.  D'autre  part,  comme  le  dogme 
n'est  principe  de  connaissance  que  pour  être 
principe  d'action,  comme  la  science  transcendante 
qu'il  représente  doit  normalement  se  traduire  en 
vertu  surhumaine,  il  est  source  de  fécondité  morale  : 
le  croyant  qui  réalise  sa  foi  rend  donc-un  service 
appréciable  à  une  société  qui  n'existe  pas  seulement 
pour  connaître  les  secrets  de  la  nature...  Enfin,  il 
importe  d'écarter  tout  ce  qui  ressemblerait  à  une 
équivoque  sur  la  raison  d'être  spécifique  de  la 
religion  dont  le  dogme  est  partie  intégrante.  La 
religion  a  comme  destination  propre,  directe  et 
principale  de  préparer  les  hommes  à  l'éternité  et 
de  les  conduire  au  ciel.  Rien  de  surprenant  dès  lors 
à  ce  que  le  dogme,  en  tant  qu'il  est  une  connais- 
sance, soit  orienté  vers  la  monde  invisible  qui  ne 
saurait  coïncider  de  tout  point  avec  le  monde  où 
nous  vivons.  Il  faut  donc  ou  désavouer  la  religion 
comme  illégitime   ou  accepter  que  le   dogme  ne 

LE  CATÉCHISME.    —   T.   I.  l6 


2 42  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

rende  à  «  la  vie  intellectuelle  »  terrestre  que  de» 
services  indirects  (i).  » 

2°  Solution  proposée  par  M.  Le  Roy 

i°  Se  croyant  autorisé  par  ces  objections,  qu'il 
estime  valables,  M.  Le  Roy  a  donc  posé  la  question 
de  savoir  s'il  n'y  aurait  pas  lieu  à  abandonner  la 
notion  traditionnelle  du  dogme  et  à  lui  en  substituer 
une  autre  plus  en  harmonie  avec  l'état  actuel  des 
esprits.  Et  c'est  cette  signification  nouvelle  qu'il 
cherche  à  faire  valoir,  d'abord  parce  que  le  dogme 
a  un  sens  négatif,  ensuite  et  surtout  parce  qu'il  a  un 
sens  pratique . 

i.  Le  dogme  a  d'abord  un  sens  négatif  :  il  exclut 
et  condamne  certaines  erreurs  plutôt  qu'il  ne  dé- 
termine positivement  la  vérité.  Et  M.  Le  Roy  cite 
des  exemples.  Après  quoi  il  conclut  :  au  point  de 
vue  intellectuel,  les  dogmes  n'ont  qu'un  sens  néga- 
tif, prohibitif.  Ils  ne  font  que  fermer  de  fausses 
voies.  S'ils  formulaient  la  vérité  absolue  en  termes 
adéquats,  ils  seiaient  inintelligibles  pour  tous.  S'ils 
ne  donnaient  qu'une  vérité  imparfaite,  relative  et 
changeante,  ils  ne  pourraient  pas  légitimement 
s'imposer. 

2.  Mais  le  dogme  a  surtout  un  sens  pratique  :  il 
énonce  avant  tout  une  prescription  d'ordre  prati- 
que ;  il  est  la  formule  d'une  règle  de  conduite  pra- 
tique. Là  est  sa  valeur  ou  sa  signification  positive. 
La  religion  est  moins  une  adhésion  intellectuelle  à 
un  système  de  propositions  spéculatives  qu'une  par- 
ticipation vécue  à  de  mystérieuses  réalités.  Le  chris- 
tianisme n'est  point  un  système  de  philosophie  spé- 
culative, mais  une  source  et  une  règle  de  vie,  une 

i.  Revue  biblique,  juillet  1905,  p.  334-335. 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  2/|3 

discipline  d'action  morale  et  religieuse,  un  ensem- 
ble de  moyens  pratiques  pour  obtenir  le  salut.  Les 
dogmes  concernent  donc  premièrement  la  conduite 
plutôt  que  la  pure  connaissance  réfléchie. 

3.  Le  dogme  étant  ainsi  entendu,  les  difficultés 
disparaissent  :  il  n'y  a  plus  qu'un  problème  relatif 
aux  rapports  entre  la  pensée  et  l'action,  problème 
difficile,  mais  abordable.  Le  recours  à  l'autorité  est 
ici  moins  choquant.  La  soumission  aux  dogmes  est 
alors,  à  un  certain  point  de  vue,  pour  le  croyant, 
ce  qu'est  pour  le  savant  la  soumission  aux  faits. 

4-  Les  raisons  de  croire,  les  motifs  de  crédibilité 
ne  sont  pas  d'une  force  invincible,  d'une  évidence 
mathématique  :  il  faut  un  coup  d'état  de  la  volonté. 
Ou  bien  les  preuves  apologétiques  sont  certaines  et 
rigoureuses,  et  alors  que  devient  la  liberté  de  l'acte 
de  foi  ?  Ou  bien,  on  les  avouera  insuffisantes  et  plus 
ou  moins  probables,  et  alors  la  foi  manquera  de 
base.  Une  attitude  intellectualiste  laisse  désarmé  en 
face  de  ce  dilemme.  Mais  avec  l'autre  attitude,  le 
dilemme  peut  se  résoudre  parce  que,  cette  fois,  la 
dialectique  en  cause  est  action  et  vie,  non  simple 
raisonnement,  et  que  la  liberté  relève  de  la  vie  et 
de  l'action. 

5.  De  même  tombe  l'objection  relative  à  l'intelli- 
gibilité des  formules  dogmatiques.  Celles-ci,  obscu- 
res et  inconcevables  au  point  de  vue  spéculatif, 
sont  capables  de  clarté  au  point  de  vue  pratique.  Le 
langage  du  sens  commun  est  alors  à  sa  place,  ainsi 
que  l'emploi  des  symboles  anthropomorphiques  et 
l'usage  des  analogies  ou  métaphores,  et  ni  l'un  ni 
l'autre  n'engendrent  d'insolubles  complications, 
puisqu'il  s'agit  uniquement,  cette  fois,  de  proposi- 
tions relatives  à  l'homme  et  à  ses  attitudes. 

6.  Il  y  aune  relation  nécessaire  entre  les  dogmes- 
et  la  pensée.  Il  ne  faut  pas  se  contenter  de  croire 


l!\t\  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■• 

aveuglement  les  dogmes,  mais  travailler  à  les  pen- 
ser. Le  régime  de  la  séparation,  de  la  cloison  étan- 
che.  de  la  comptabilité  de  conscience  en  partie 
double,  n'est  ni  désirable  ni  possible  :  c'est  contraire 
aux  exigences  de  la  foi,  qui  veut  saisir  tout  l'hom- 
me ;  aux  exigences  de  la  philosophie,  qui  veut 
l'unité  spirituelle  ;  aux  exigences  de  la  moralité, 
qui  ne  peut  approuver  une  action  systématiquement 
irréfléchie. 

7.  Mais  la  pensée,  dans  son  application  aux 
dogmes,  doit  reconnaître  le  sens  premièrement  pra- 
tique de  ceux-ci  :  épreuve  d'expérience  vécue  et 
non  dialectique  intellectuelle.  Traduites  ainsi  en 
termes  d'action,  les  méthodes  traditionnelles  d'ana- 
logie et  d'éminence  prennent  une  signification  très 
précise. 

8.  Reste  à  préciser  la  relation  des  dogmes,  ainsi 
entendus,  avec  la  pensée  théorique  ou  spéculative, 
avec  la  connaissance  pure.  Le  catholique,  obligé  de 
les  admettre,  n'est  astreint  par  eux  qu'à  des  règles 
de  conduite,  non  pas  à  des  conceptions  particulières. 
Il  garde  toute  liberté  pour  se  faire  des  objets  cor- 
respondants telle  théorie,  telle  représentation  intel- 
lectuelle qu'il  voudra,  à  la  seule  condition  que  sa 
théorie  justifie  les  règles  pratiques  énoncées  par  le 
dogme.  Tant  que  la  théorie  respecte  la  signification 
pratique  du  dogme,  celui-ci  laisse  carte  blanche. 
Juger  des  théories  est  alors  affaire  de  pure  spécula- 
tion humaine,  et  aucune  autorité  extérieure  à  la 
pensée  elle-même  n'a  droit  ni  pouvoir  d'intervenir. 

Finalement,  M.  Le  Roy  termine  son  exposé  par 
ces  deux  propositions  : 

1.  La  conception  intellectualiste,  courante  aujour- 
d'hui, rend  insolubles  la  plupart  des  objections  que 
soulève  ridée  de  dogme. 

2.  Une  doctrine  du  primat  de  Faction  permet,  au 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  2^5 

contraire,  de  résoudre  le  problème  sans  rien  abandon- 
ner ni  des  droits  de  la  pensée,  ni  des  exigences  du 
dogme. 

On  le  voit,  c'est  par  un  autre  chemin  que  M.  Le 
Roy  arrive  au  même  but  qui  est  d'écarter  la  notion 
traditionnelle  du  dogme.  Là  où  les  uns  font  appel 
à  l'évolutionisme  et  d'autres  au  symbolisme,  il 
préconise  le  moralisme,  c'est-à-dire  le  caractère 
purement  pratique  du  dogme. 

2°  Que  penser  de  la  solution  proposée  ?  Est-il  vrai 
que  les  dogmes  n'aient  que  le  sens  négatif  qu'on 
leur  prête  ?  Le  primat  de  l'action  doit-il  l'emporter 
sur  la  conception  intellectualiste?  Supprime-t-il  les 
difficultés  ?  Et  laisse-t-il  la  liberté  de  se  représenter 
comme  on  veut  la  représentation  intellectuelle  du 
dogme  pourvu  qu'on  en  respecte  la  signification 
pratique  ? 

i .  Les  formules  dogmatiques  ont  un  sens  négatif, 
nous  dit-on,  et  ne  font  que  fermer  de  fausses  voies, 
parce  que  leurs  termes  en  ont  été  choisis  en  fonction 
de  certaines  erreurs  à  exclure.  Or,  remarque 
M.  Wehrlé,  on  ne  peut  pas,  sans  un  grand  péril 
pour  la  raison,  dire  que  l'être  se  conçoit  en  fonction 
de  néant  et  que  l'affirmation  tire  sa  valeur  de  la 
négation  à  laquelle  elle  s'oppose  :  ce  serait  le 
renversement  total  de  la  métaphysique  et  de  la 
logique.  Que,  dans  tous  les  ordres  de  savoir,  l'erreur 
soit  souvent  la  cause  occasionnelle  qui  détermine 
une  manifestation  plus  décisive  ou  plus  explicite 
de  la  vérité,  c'est  incontestable.  Mais  cette  conces- 
sion ne  saurait  s'étendre  au  fond  même  des  choses 
ni  s'appliquer  au  mouvement  réel  de  la  pensée.  La 
révélation  n'est  pas  un  aérolithe,  mais  une  pensée 
vivante,  et  les  explications  en  sont  de  plus  en  plus 
positives.  On  pose  toujours  une  affirmation  plus 
forte  d'une   réalité  plus   riche.    Ainsi   les  dogmes 


*2'/i6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

n'ont-ils  pas  seulement  un  sens  pour  nous,  mais 
$e  plus  ce  sens  est  formellement  positif,  et  ce  sens 
fournit  un  renseignement  intellectuel  précieux  (i). 

D'autre  part,  M.  Le  Roy  est  bien  obligé  de  recon- 
naître que  si  une  théorie  vient  à  surgir  qui  porte 
atteinte  au  dogme  en  altérant  sa  signification  pra- 
tique, le  dogme  se  dresse  contre  elle  et  la  condamne, 
devenant  ainsi  an  énoncé  intellectael  négatif.  Restric- 
tion fort  importante,  mais  que  son  système  lui  interdit 
ëe  faire,  cap  il  y  a  contradiction  entre  les  principes 
d'autonomie  qu'il  a  proclamés  et  cette  restriction 
imposée.  Cette  dernière,  en  effet,  vient  du  dehors 
et  constitue  par  suite  un  «  asservissement,  »  une 
«  menace  de  tyrannie  intellectuelle,  »  une  «  entrave 
à  la  liberté  de  la  recherche.  »  Et  ainsi  l'objection 
qu'il  faisait  contre  le  dogme  intellectualiste  se 
retourne  contre  le  dogme  tel  qu'il  l'entend.  «  Et  le 
voilà  mis  en  demeure,  ou  bien,  pour  sauver  l'au- 
tonomie de  l'esprit,  de  retirer  toutes  les  restrictions 
qu'il  mettait  à  la  liberté  de  penser,  et  alors  c'est 
ton  ta  foi  qui  sombre  ;  ou  bien,  pour  sarwer  le 
dogme,  même  entendu  dans  le  sens  de  précepte,  de 
répudier  cette  indépendance  absolue  de  l'esprit,  et 
alors  tout  l'échafaudage  du  système  croule  par  la 
base  (2).  » 

2.  Que  les  formules  dogmatiques  aient  une  utilité 
d'ordre  pratique  et  tendent  à  se  traduire  en  actes 
dans  la  vie  religieuse,  à  commander  des  attitudes 
morales,  tout  le  monde  en  tombe  d'accord.  Carie 
dogme  vise  à  la  direction  de  la  vie  morale,  l'inspire 
«et  la  soutient,  parce  qu'il  est  le  fondement  de  la 
moralité  chrétienne  et  reste  sa  norme  objective. 
Mais  à  qui  appartient  l'hégémonie  ?  Qui  commence, 
l'action  ou  la  doctrine  ? 

1.  Op.  cit.,  p.  342-343.  —  a.  E.  Portalié,  op.  cit.,  p.  173. 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  2/47 

Peut-on  soutenir  le  primat  de  l'action  ?  Nous  ne 
le  pensons  pas,  et  voici  pourquoi  d'après  M.  Wehrlé  : 
«  On  admet,  en  effet,  que  les  attitudes  morales  ou 
les  démarches  cultuelles  doivent  être  obligatoire- 
ment adoptées  par  nous.  Mais  quel  est  donc  le 
fondement  de  cette  obligation  ?  C'est  la  connaissance 
d'un  énoncé  dogmatique  édicté  par  l'Eglise  et 
derrière  lequel  on  avoue  qu'il  existe  une  réalité 
capable  d'en  justifier  les  exigences  pratiques.  C'est 
déjà  une  étrange  relation  que  celle  de  la  réalité 
visée  par  la  formule  avec  la  formule  qui  la  promul- 
gue sans  la  manifester,  qui  l'exprime  dans  des  mots 
sans  que  ces  mots  présentent  un  sens  précis  et 
intelligible.  Ce  qui  est  plus  étonnant  encore,  c'est 
qu'une  formule  devenue  impuissante  à  saisir  et  à 
traduire  son  objet  divin  garde  le  pouvoir  régalien 
de  soumettre  le  sujet  humain  à  la  loi  d'une  obéis- 
sance aveugle.  Mais  le  pire  de  tout,  c'est  le  naufrage 
du  primat  de  l'action  qui  sombre  malgré  tout  dans 
cette  aventure.  Car  c'est  cette  connaissance  du 
dogme,  dont  la  qualification  amoindrie  ne  peut 
empêcher  qu'elle  reste  une  connaissance,  qui  met 
en  branle  toute  notre  vie  religieuse.  Elle  demeure 
le  a  primum  movens  »  de  notre  moralité  et  de  notre 
ritualisme.  Par  une  perte  désormais  sans  profit,  on 
a  donc  laissé  subsister  une  priorité  et  une  supré- 
matie de  la  connaissance  sur  l'action.  On  a  éliminé 
du  dogme  toute  donnée  intelligible,  retiré  de  la 
connaissance  toute  valeur  intellectuelle,  sans  avoir 
réussi  à  empêcher  que  le  dogme  détermine  la  mo- 
rale et  commande  la  pratique.  Où  est  donc  en  tout 
cela  le  primat  de  l'action  ?  Cependant  il  importe  de 
respecter  et  de  défendre,  sinon  le  primat,  du  moins 
les  droits  légitimes  de  l'action  qui  protègent  les 
intérêts  de  la  connaissance,  car  l'action  est  le  creuset 
où  s'élabore  la   vraie    connaissance    humaine,    la 


2A8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


connaissance  vivante  et  vivifiante  parce  qu'elle  est 
expérimentale  et  vécue  (i).  » 

3.  L'explication  morale  des  dogmes  donnée  par 
M.  Le  Roy,  loin  de  sauver  l'existence  du  dogme 
chrétien,  en  serait  plutôt  la  fin.  C'est  ce  que  démon- 
tre fortement  le  P.  Portalié  :  «  Répudier  cette  théo- 
rie moraliste  du  dogme,  c'est  pour  le  catholicisme 
un  devoir  élémentaire  de  sincérité...  Que  M.  Le 
Roy  le  veuille  ou  non,  il  demande  à  l'Eglise  déjouer 
misérablement  sur  les  mots  et  d'essayer  de  sauver 
son  empire  sur  les  âmes  au  prix  d'une  équivoque 
déshonorante.  »  Durant  dix-huit  siècles,  l'Eglise  «  a 
constamment  défendu  en  son  entier  ce  dépôt  de 
vérités,  disant  ana thème  à  quiconque  battait  en 
brèche  un  seul  de  ces  dogmes.  Et,  comme  en  ces 
derniers  temps,  au  nom  des  progrès  de  la  science, 
plusieurs  de  ses  fils,  égarés  par  une  fausse  philoso- 
phie, Hermès,  Gùnther  et  d'autres,  avaient  voulu 
changer,  modifier  le  sens  de  ces  affirmations  dog- 
matiques, elle  en  a  proclamé  solennellement  l'im- 
mutabilité ;  in  eodem  sensu  eademque  sententia.  Et 
aujourd'hui  vous  venez  demander  à  cette  même 
Eglise  de  déclarer  à  ses  fils  qu'elle  n'a  jamais  prétendu 
imposer  un  credo  intellectuel  ni  donner  des  lois  à 
l'esprit  humain  ;  qu'elle  n'a  aucune  autorité  pour 
régenter  l'intelligence  et  que  jamais  elle  ne  songea 
à  revendiquer  pour  elle-même  une  infaillibilité 
intellectuelle  et  théorique  ;  qu'elle  n'a  point  en 
dépôt  des  vérités  immuables  reçues  du  ciel,  et  que 
l'idée  antique  d'une  révélation  par  laquelle  Dieu 
aurait  parlé  à  l'homme,  est  un  anthropomorphisme 
grossier,  inacceptable  à  notre  philosophie  mo- 
derne ;  que  tout  dogme  entendu  comme  une  affirma- 
tion intellectuelle  sur  l'autorité  d'un  maître  quel- 

i.  Op.  cit.,  p.  347-348. 


LA    QUESTION   DE    M.    LE    ROY  2/19 

conque,  est  «  un  asservissement,  une  limite  aux 
droits  de  la  pensée,  etc.,  toutes  choses  radicalement 
contraires  à  la  vie  même  de  l'esprit,  à  son  besoin 
d'autonomie  et  de  sincérité  ;  »  que  «  nulle  autorité 
ne  peut  faire  ou  empêcher  que  l'homme  trouve  un 
raisonnement  fragile  ou  solide,  ni  surtout  que  telle 
notion  ait  ou  n'ait  pas  de  sens  pour  lui  ;  »  que 
l'Eglise  n'a  jamais  voulu  imposer  à  ses  fidèles  ni 
affirmation,  ni  raisonnement,  ni  notion  quelconque; 
que  lorsqu'elle  définissait  dans  ses  conciles  la  con- 
substantialitéduFils,  la  maternité  divine  de  Marie,  ou 
encore  clans  le  Christ  une  seule  personne  divine,  et 
deux  natures  avec  deux  volontés  et  deux  intelligen- 
ces, elle  ne  prétendait  rien  affirmer,  mais  seulement 
donner  des  ordres  pratiques  à  la  volonté  ;  enfin 
que  l'on  peut  être  chrétien  et  catholique  en  décla- 
rant qu'admettre  un  seul  dogme  comme  assertion 
doctrinale,  c'est  se  condamner  «  à  ne  plus  penser.  » 
Eh  bien,  c'est  là  demander  à  l'Eglise,  non  seule- 
ment une  déloyauté  à  l'égard  de  ses  enfants,  mais 
un  mensonge  (i).  » 

Aussi  exiger  «  de  l'Eglise  catholique  qu'elle 
renonce  à  toute  signification  intellectuelle  de  sa  foi, 
et  qu'elle  adopte,  avec  les  nouvelles  doctrines  de 
l'évolution,  le  sens  purement  pratique  des  dogmes, 
c'est  se  heurter  à  cet  effrayant  dilemme  : 

«  Ou  bien  vous  lui  demandez  de  déclarer  qu'elle 
n'a  jamais  cru  à  cette  signification  théorique,  même 
quand  elleanathématisait  quiconque  refusait  l'adhé- 
sion intellectuelle;  et  elle  devrait  pour  cela  déchirer 
les  pages  les  plus  éclatantes  de  son  histoire  ; 

«  Ou  bien  vous  entendez  qu'elle  proclamera  son 
erreur  dix-neuf  fois  séculaire,  et  l'égarement  où  elle 
était  d'exiger  une  adhésion  de  l'esprit  à  des  dog- 

1.  Op.  cit.,  p.  159-161. 


2UO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

mes  dont  elle  reconnaît  l'inconsistance  absolue, 
mais  en  ajoutant  qu'elle  reste  toujours  l'interprète 
infaillible  du  vrai  christianisme  ;  et  alors  c'est  exiger 
qu'elle  proclame  elle-même  sa  déchéance  et  sa 
propre  folie  ; 

u  Dans  ces  deux  cas,  c'est  la  fin  du  catholi- 
cisme (i).  » 

[\.  Enfin  l'explication  morale  des  dogmes  ne 
résout  aucune  des  difficultés  opposées  à  la  concep- 
tion intellectualiste  ;  elle  est  impuissante  à  légiti- 
mer le  précepte  qu'on  met  en  relief  dans  le  dogme, 
comme  aussi  à  en  déterminer  le  sens  et  la  portée  ; 
elle  impliquer  intellectualisme  le  plus  formel. 

Y  a-t-il  un  précepte  qui  nous  oblige  à  agir?  Quel 
en  est  le  sens,  quelle  en  est  la  portée  ?  La  réponse  à 
cette  question  suppose  bien  des  vérités  théoriques 
pour  démontrer  l'origine  de  la  loi,  l'autorité  d'où 
elle  émane,  son  efficacité.  M.  Le  Roy  a  raison  de 
parler  «  des  exigences  de  la  moralité  qui  ne  peut 
approuver  une  action  systématiquement  irréflé- 
chie, »  mais  en  vertu  de  son  système,  continue  le 
P.  Portalié,  il  impose  au  croyant  non  seulement 
une  action,  mais  toute  une  vie  systématiquement 
irréfléchie,  systématiquement  déraisonnable.  Et 
pour  prétendre  que  le  recours  à  l'autorité  semble 
moins  choquant  dans  le  domaine  de  l'action,  il  faut 
au  moins  qu'il  y  ait  une  autorité  ayant  droit  de 
commander.  Où  est-elle  ?  Sur  quoi  s'appuie  le  droit 
de  l'Eglise?  Pour  y  répondre,  et  il  le  faut  bien,  c'est 
aussitôt  une  théorie  intellectualiste  qu'il  faudra 
édifier. 

Et  c'est  encore  à  l'intellectualisme  qu'il  faut  recou- 
rir, dans  le  système  de  M.  Le  Roy,  dès  que  Ton 
s'avise  de  déterminer  les  attitudes  à  prendre,  à  pro- 

i,  lbid.t  p.  162. 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  25 1 

pos  de  formules  dogmatiques,  qu'on  dit  ne  répon- 
dre à  aucun  concept  précis.  Pourquoi  telle  attitude 
et  non  pas  telle  autre  ?  Qui  le  décidera  et  pourquoi  ? 
Il  faut  donc  choisir  :  ou  maintenir  que  les  dogmes 
n'ont  aucun  sens  théologique,  et  alors  il  est  interdit 
de  fixer  telle  attitude  plutôt  que  telle  autre  relati- 
vement à  l'Eucharistie,  à  l'Incarnation,  etc.  ;  ou  bien 
avouer  que  Jésus,  dans  l'Eucharistie  par  exemple, 
exclut  les  attitudes  irrespectueuses  de  Calvin,  et  par 
là  on  rétablit  l'intellectualisme  le  plus  formel. 

Au  fond,  c'est  au  nom  d'un  dogmatisme  parti- 
culier, étroit  et  intransigeant,  que  M.  Le  Roy 
combat  la  conception  intellectualiste  du  dogme. 
Ses  difficultés  se  résolvent,  nous  l'avons  vu,  et  sa 
théorie  est  injustifiée,  nous  venons  de  le  voir. 

Le  P.  Allô  a  raison  de  conclure  son  étude  par  ces 
deux  propositions  :  «  Les  dogmes  sont  des  propo- 
sitions, soit  purement  spéculatives,  soit  en  rapport 
essentiel  avec  l'histoire,  que  l'autorité  doctrinale 
impose  à  la  foi  des  chrétiens,  comme  exprimant  les 
vérités  dont  l'objectivité  est  requise  pour  la  per- 
manence et  le  développement  de  la  vie  spirituelle 
apportée  par  le  Christ  sur  la  terre.  —  Ces  proposi- 
tions, si  elles  expriment  des  faits  du  monde  visible 
(conception  virginale,  résurrection)  sont  à  prendre  au 
pied  de  la  lettre,  non  pas  toujours  suivant  le  sens 
technique  et  secondaire,  mais  suivant  le  sens  obvie 
et  primitif  des  termes  ;  —  si  elles  expriment  des 
faits  de  l'éternité  ou  du  monde  invisible,  elles  ont  un 
sens  intellectuel  positif,  analogue,  non  univoque, 
au  sens  courant  de  ces  mêmes  termes  (i). 

1.  La  logique  et  M.  Loisy.  —  «  Pauvre  logique, 
comme  on  la  méprise  I  mais  aussi  comme  elle  se  venge 

i.  Op.  cit.,  p.  4 a 3-4 a 4. 


252  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


cruellement  !  Voilà  ses  contempteurs  réduits  à  nous  pro- 
poser comme  apologie  adaptée  aux  progrès  du  siècle  : 
croire  d'abord,  puis  l'on  verra  pourquoi.  Voit-on  bien 
M.  Loisy,  l'apologiste  des  temps  nouveaux,  s'adresser  aux 
libres  penseurs  du  jour  :  «  Je  n'ai  point  de  preuves  à  vous 
donner  de  la  vérité  du  christianisme.  Je  ne  puis  même 
vous  dire  s'il  y  a  un  Dieu  ou  si  l'évolution  suffit  à  tout. 
Mais  croyez,  donnez-vous  à  l'Eglise  catholique.  Elle  est 
une  société  tout  humaine  à  laquelle  Jésus  n'a  jamais 
songé,  et  qui  à  cette  heure  même  compromet  terriblement 
son  avenir  par  son  entêtement  dogmatique  et  une  soif 
insatiable  d'autocratie  ;  elle  a  fabriqué  elle-même  ses 
dogmes,  en  les  attribuant  toujours  à  Jésus  pour  sauver  le 
christianisme  de  la  ruine  ;  elle  transforme  ces  dogmes 
à  chaque  génération,  tout  en  proclamant  son  immuable 
infaillibilité.  N'importe  !  Croyez  et  vous  éprouverez 
«  l'étonnante  puissance,  à  travers  les  siècles,  de  Vidée  du 
règne  de  Dieu  et  l'efficacité  actuelle,  l'expérience  person- 
nelle de  cette  idée,  toujours  vivante,  nonobstant  les 
limitations  de  son  origine  et  les  modifications  qu'elle  n'a 
pas  cessé  de  subir.  »  Sans  être  prophète,  on  prévoit  les 
résultats  de  cette  harangue.  C'est  sans  doute  que  nous 
sommes  trop  intellectualistes  !  Mais  le  genre  humain  est 
intellectualiste,  lui  aussi  :  sa  raison  veut  voir  des  garan- 
ties, avant  de  croire,  et  la  simple  honnêteté  morale,  au 
défaut  de  la  raison,  l'oblige  de  juger  toute  vie,  même  la 
vie  chrétienne,  avant  de  l'accepter  et  de  la  vivre.  » 
E.  Portalié,  Le  dogme  et  l'histoire,  dans  le  Bulletin  de 
litlér.  ecclés.,  1904,  p.  88-89. 

2.  Au  fond  d'un  petit  livre.  —  «  En  résumé,  si  nous 
comprenons  bien  M.  Loisy,  après  une  lecture  plusieurs 
fois  répétée  de  son  livre,  l'exégèse  est  autonome  vis-à-vis 
de  l'Eglise,  du  pape  et  des  conciles,  parce  que  l'Eglise  ne 
définit  point  les  faits,  même  religieux,  ni  le  vrai  sens  des 
textes  bibliques  ;  et,  si  elle  se  mêlait  de  les  définir,  elle 
risquerait  fort  de  se  tromper.  La  raison  dernière  en  est 
qu'il  n'y  a  pas  de  dogmes  fixes  ;  il  n'y  a  que  des  formules 
symboliques  changeantes.  Or,  l'évolution  des  dogmes  est 
réglée,    non  par  une  révélation  extérieure  de  Dieu   à 


LA    QUESTION    DE    M.    LE    ROY  2  53 


omme  et  par  le  magistère  infaillible  de  FEgh'se,  mais 
parle  progrès  de  la  révélation  interne,  toujours  en  action 
dans  l'humanité,  et  qui  s'appelle  d'un  autre  nom  expé- 
rience ou  conscience  religieuse.  L'orthodoxie  d'aujourd'hui 
peut  devenir  l'erreur  de  demain  :  il  est  sage  néanmoins 
de  s'en  tenir  aux  formules  reçues,  en  adhérant  d'intention 
à  leur  véritable  objet,  inconnu  et  inconnaissable... 

Tel  est  ce  livre,  dont  la  lecture  ne  donne  ni  paix  ni 
lumière.  Il  y  a  des  pages  qui  étonnent,  d'autres  qui 
inquiètent,  quelques-unes  qui  effrayent.  L'obscurité 
où  l'on  marche  accroît  le  malaise  ;  les  ténèbres  font 
peur.  L'impression  dominante  est  un  sentiment  de  tris- 
tesse-profonde... Il  faut  que  les  jeunes  qui  suivent 
M.  Loisy  à  l'aveugle...  sachent  enfin  où  on  les  mène.  La 
plupart  des  lecteurs,  satisfaits  d'une  lecture  rapide  et 
superficielle,  ont  pu  ne  voir  dans  les  derniers  ouvrages 
du  docte  abbé  que  des  erreurs  de  détail,  des  propositions 
suspectes  et  des  affirmations  hasardées  :  l'existence  de 
contradictions  dans  les  Livres  saints  érigée  en  axiome, 
l'authenticité  et  l'historicité  du  quatrième  Evangile 
hardiment  niées,  la  fondation  de  l'Eglise  par  le  Christ  et 
l'institution  des  sacrements  maintenus  seulement  de 
nom,  en  vertu  d'une  explication  qui  semble  dérisoire,  la 
personne  de  Notre  Seigneur  rabaissée  au  niveau  d'un 
homme  ordinaire,  un  peu  plus  sage,  mais  pas  beaucoup 
plus  éclairé  que  les  autres,  tous  les  faits  sur  lesquels 
notre  foi  repose  rélégués  dans  une  sphère  extra-historique, 
où  la  démonstration  rationnelle  ne  les  atteint  pas.  Il  est 
bon  qu'ils  apprennent,  ces  lecteurs  distraits  ou  naïfs, 
qu'il  y  a  au  fond  quelque  chose  de  plus  radical  :  une  sorte 
de  nihilisme  théologique  et  de  subjectivisme  absolu  qui, 
poussé  à  ses  conséquences  logiques,  ne  laisserait  subsister 
ni  l'Eglise,  ni  Jésus-Christ,  ni  la  révélation,  ni  la  certitude, 
ni  même  un  Dieu  personnel.  »  F.  Prat,  Le  manifeste  de 
M.  Loisy,  dans  les  Etudes,  1903,  t.  xcvn,  p.  317,  323-32/j. 

3.  Le  problème  de  M.  Le  Roy.  —  «  Défendre  la  foi 
contre  les  attaques  de  nos  ennemis  déclarés,  qu'ils 
s'appellent  Voltaire,  Renan  ou  Séailles,  c'est  un  devoir 
relativement  doux  et  consolant.  Mais  avoir  en  face  de  soi 


2  54  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

des  esprits  éminemment  sympathiques  par  leur  savoir, 
par  leur  sincérité,  par  leur  courage  à  se  dire  et  à  être 
chrétiens,  par  les   souffrances  mêmes   de  leur  foi,  souf- 
frances qui  se  dévoilent  à  nu  dans  ces  pages  vibrantes  de 
l'émotion  poignante  d'un  doute  contre  lequel  on  s'efforce 
de  lutter  ;  être  condamné  à  entendre  de  la  bouche  de  ces 
amis  les  accusations  d'absurdité  irrémédiable  de  tous  nos 
dogmes,  d'opposition  absolue  et  radicale   entre  ces  affir- 
mations   dogmatiques,    entendues    comme    tous,    sans 
exception,    amis    et   ennemis,    les   ont    comprises,     on 
l'avoue,  pendant  dix-neuf  siècles,   et  tout  ce  qui  est  bon 
sens,  raison,  philosophie  vraie  et  rationnelle  ;  et  puis  se 
sentir  obligé  de  déclarer  nettement  à  ces  écrivains,  pour 
lesquels   on  n'éprouve  que  des  sentiments    de   sincère 
estime  et  de  sympathie,  que  non  seulement  ils  ne  défen- 
dent pas  la  foi  chrétienne,  comme  ils  l'espèrent,  mais 
qu'ils  la  renversent  totalement  et  radicalement  par  la  base 
même,   de   façon   qu'il  n'en   reste   pas   un  seul  débris 
intact  ;  bien  plus,  se  voir  forcé  d'ajouter  que  non  seule- 
ment leur  système  est,  en  soi,  destructif  de  toute  croyance 
chrétienne,  mais  que  la  publication  de  ces  pages  dans  des 
revues  destinées  au  grand  public,  loin  d'être  de  la  discus- 
sion inoffensive,  est  en  réalité  un  manifeste  contre  tout 
dogme  et  toute  foi,  dont  le  résultat  immédiat   est   de 
jeter  dans  nombre  d'âmes  un  trouble  profond  et  parfois 
irrémédiable  (car  ces  âmes,  malheureusement,  ne  liront 
point  les  réfutations  mêmes  publiées  dans  la  Quinzaine)  : 
c'est  là  un  devoir  amer  et  douloureux  entre  tous.  Mais 
■  c'est  un  devoir.  »   E.  Portalié,   L'explication  morale  des 
|  dogmes,  dans  les  Etudes,  1905,  t.  civ,  p.  i45-i46. 


Article  Premier 

Je  crois  en  Dieu  le  Père  tout  puissant, 
créateur  du  ciel  et  de  la  terre. 


Je  crois 


Leçon  VII 
De  la  Foi 


I.  L'enseignement  du  Cathèchisme  romain.  — 

II.  L enseignement  du    Concile  du    Vatican.  — 

III.  Définition  de  la  Foi.  —  IV.  Le  motif  de  la 
Foi  ou  son  objet  formel.  —  V.  Les  motifs  de 
crédibilité. 

I.  L'enseignement 
du  Catéchisme  romain 


L 


a  question  de  la  foi,  de  nos  jours  surtout  où 
le  rationalisme  prétend  s'imposer  au  nom  de 
l'autonomie    de    la    raison    et    de    la    libre 

recherche,  est  l'une  des  plus  délicates  et  des  plus 

difficiles  à  traiter  (i). 


I.  BIBLIOGRAPHIE:  Saint  Thomas,  Sum.theol.,ii\iiae,Q.i-\; 
Deveritate,  Q.  xiv  ;  Voir  le  traité  De  fide  dans  les  Théologies  paru  es 
après  le  concile  du  Vatican  ;  A.  Vacant,  La  Constitution  Dei 
Filius,  Paris,    1895,  t.   n,  p.    15-179  ;   Didiot,  Logique  surna- 


256  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

Le  concile  de  Trente  l'avait  déjà  abordée,  parti- 
culièrement à  cause  de  l'erreur  protestante  sur  la 
justification.  Et  le  Ca'téchisme  romain  en  a  donné 
un  résumé  succint,  substantiel,  surtout  pratique.  Il 
traite,  en  effet,  de  la  notion  de  la  foi,  de  sa  néces- 
sité, de  son  objet,  de  ses  caractères  et  du  devoir 
qui  incombe  à  tout  chrétien  de  la  professer. 

i.  «Le  mot  de  foi,  dit-il,  a  plusieurs  significa- 
tions dans  l'Ecriture,  mais  ici  nous  le  prenons  pour 
l'assentiment  total  que  nous  donnons  aux  vérités 
révélées  de  Dieu. 

2.  «Il  n'y  a  personne  qui  puisse  raisonnablement 
douter  que  cette  foi  ne  soit  nécessaire  pour  le  salut  ; 
car  il  est  écrit  :  «  Sans  la  foi,  il  est  impossible  de 
plaire  à  Dieu  (i).  »  En  effet,  le  bonheur  auquel 
l'homme  est  destiné  comme  à  sa  fin  dernière,  est 
beaucoup  trop  élevé  pour  qu'il  puisse  le  découvrir 
par  ses  propres  lumières  :  il  était  donc  nécessaire 
que  Dieu  lui-même  lui  en  donnât  connaissance. 
Or  cette  connaissance  n'est  autre  chose  que  la  foi, 
qui  nous  fait  recevoir  sans  hésiter  tout  ce  que 
l'autorité  de  la  sainte  Eglise  notre  mère  nous  pro- 
pose comme  révélé  de  Dieu  ;  car  il  est  impossible 
de  concevoir  aucun  doute  sur  les  choses  que  Dieu 

turelle  subjective  et  objective,  Lille,  1891  ;  J.  Payot,  De  la 
croyance,  Paris,  1896;  Ollé-Laprune,  La  certitude  morale,  3  e  édit., 
Paris,  1898  ;  D.  Mercier,  Théorie  générale  de  la  certitude,  Paris, 
1899  ;  Mérit,  La  foi,  sa  nature,  ses  principaux  caractères  et  sa 
nécessité  ;  V.  Bainvel,  La  joi  et  Vacte  de  foi,  Paris,  1898  ; 
P.  Shwalm,  V 'acte  de  joi  est-il  raisonnable?  dans  la  Revue  thomiste, 
t.  iv,  p.  36-63  ;  P.  Schwalm,  Le  dogmatisme  du  cœur  et  celui  de 
l'esprit,  Paris,  1899  '•>  E-  Hugon,  La  notion  de  la  foi,  dans  la 
Revue  thomiste,  1902,  p.  i58sq.  ;  L'analyse  de  l'acte  de  foi,  mémo 
Revue,  1904,  p.  546-563;  La  lumière  et  la  foi,  Paris,  1904; 
L.  Maisonneuve,  L'acte  de  foi,  dans  le  Bulletin  de  littérature 
ecclésiastique,  de  Toulouse,  1904,  p.  i63-i84. 

1.  Hebr.,  xi,  6. 


l'enseignement  du  catéchisme  romain        257 

révèle,  puisqu'il  est  la  vérité  même.  De  là,  il  est 
facile  de  comprendre  combien  il  y  a  de  différence 
entre  la  foi  que  nous  avons  en  Dieu  et  celle  que 
nous  accordons  au  témoignage  des  hommes  pour 
les  faits  naturels.  Cependant,  quoique  la  foi  admette 
divers  degrés  d'étendue  et  d'excellence,  comme  on 
le  voit  par  ces  passages  de  l'Ecriture  :  «  Hommes 
de  peu  de   foi,    pourquoi    avez-vous  douté  (1)?  » 

—  a  Votre  foi  est  grande  (2)  ;  »  —  «  Augmentez  en 
nous  la  foi  (3)  ;  »  —  «  La  foi  sans  les  œuvres  est 
morte  (4)  ;  »  —  «  La  foi  qui  opère  par  la  charité  (5),  » 
elle  n'admet  aucune  diversité  d'espèces,  et  la  même 
définition  convient  pleinement  à  tous  les  degrés 
qu'elle  peut  comprendre.  Quant  aux  fruits  qu'elle 
produit  et  aux  avantages  qu'elle  procure,  nous  en 
parlerons  dans  l'explication  des  articles... 

3.  ((Je  crois  en  Dieu  le  Père  tout  puissant,  créa- 
teur du  ciel  et  de  la  terre.  Voici  le  sens  de  ces 
paroles  :  Je  crois  fermement  et  je  confesse  sans  le 
moindre  doute  Dieu  le  Père,  première  personne  de 
la  Trinité,  qui,  par  sa  vertu  toute  puissante,  a  créé 
de  rien  le  ciel,  la  terre  et  tout  ce  qui  est  contenu 
dans  l'univers  ;  qui  conserve  et  gouverne  toutes 
choses.  Et  non  seulement  je  le  crois  de  cœur  et  je 
le  confesse  de  bouche,  mais  encore  je  tends  à  lui 
de  toute  l'affection  et  de  toute  la  force  de  mon  âme, 
comme  au  bien  parfait  et  souverain. 

l\.  a  Croire,  en  cet  endroit,  n'est  pas  la  même 
chose  que  penser,  s'imaginer,  former  une  opinion. 
C'est,  suivant  l'enseignement  des  saintes  Lettres,  un 
acquiescement  inébranlable,  ferme  et  constant,  da 
notre  esprit,  aux  mystères  que  Dieu  a  révélés.  Ainsi, 
pour  ce  qui  regarde  la  question  présente,  celui-là 

1.  Matth.,  xiv,  3i.  —  2.  Matth.y  xv,  28.  —  3.  Luc,  rvu,  §♦ 

—  4-  Jac.,  11,  17.  —  5.  Gai.,  v,  6. 

LH  CATECHISME.  T.    I  17 


258  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

croit  qui  est  tellement  persuadé  d'une  chose  qu'il 
la  tient  pour  absolument  certaine  sans  la  moindre 
hésitation. 

5.  «  Et  qu'on  ne  s'imagine  pas  que  les  connais- 
sances de  la  foi  soient  moins  certaines,  parce  que 
nous  ne  voyons  pas  les  choses  qu'elle  nous  propose 
de  croire.  Si  la  lumière  divine,  qui  nous  les  fait 
connaître,  n'en  donne  pas  l'évidence,  elle  ne  nous 
permet  cependant  pas  d'en  douter  ;  car  le  même 
Dieu  qui  a  fait  sortir  la  lumière  des  ténèbres  (i),  a 
fait  briller  sa  lumière  dans  nos  cœurs  (2),  afin  que 
l'Evangile  ne  fût  point  caché  pour  nous  comme 
pour  ceux  qui  périssent  (3). 

6.  «  11  suit  de  là  que  celui  qui  possède  cette 
connaissance  céleste  de  la  foi  n'a  plus  besoin 
d'aucune  recherche  curieuse.  Car  lorsque  Dieu  nous 
a  commandé  de  croire,  il  ne  nous  a  pas  proposé  de 
scruter  ses  jugements,  ni  d'en  rechercher  les 
raisons  et  les  motifs  ;  mais  il  a  voulu  que  notre 
foi  fût  immuable  et  que  notre  esprit  se  reposât 
entièrement  dans  la  connaissance  qu'elle  lui  donne 
ide  la  vérité  éternelle.  En  effet,  dit  l'apôtre,  Dieu 
est  véritable  et  tout  homme  est  menteur  (4).  Si 
donc  on  ne  peut,  sans  arrogance  et  sans  témérité, 
non  seulement  repousser  ce  qu'un  homme  sage  et 
prudent  affirme  être  vrai,  mais  encore  lui  demander 
de  prouver  par  des  raisons  ou  par  des  témoins  les 
choses  qu'il  avance,  quelle  ne  sera  pas  la  témérité 
ou  plutôt  la  folie  de  celui  qui,  entendant  la  voix 
de  Dieu  même,  cherche  encore  des  raisons  pour 
croire  la  céleste  doctrine  du  salut  ? 

«  Il  faut  donc  croire,  non  seulement  sans  aucun 
doute,  mais  encore  sans  rechercher  aucune  démons- 
tration. 

1.  11,  Cor.,  iv,  6.  —  a.  11  Cor.,  iv,  6.  —  3.  u  Cor.,  iv,  3.  — 
4.  Rom.,  ni,  4* 


l'enseignement  du  catéchisme  romain        25o> 

7.  «  Le  pasteur  enseignera  ensuite  que  celui  qui 
dit  :  je  crois,  exprimant  par  ces  mots  l'assentiment 
intime  de  son  esprit,  qui  est  l'acte  intérieur  de  la 
foi,  est  obligé  de  professer  hautement  et  de  mani- 
fester avec  joie  devant  tout  le  monde  la  foi  qu'il  a 
dans  le  cœur.  Tous  les  fidèles  doivent  être  animés 
de  cet  esprit  qui  a  fail  dire  au  prophète  :  «  J'ai  cru, 
et  c'est  pourquoi  j'ai  parlé  (1).  »  Tous  doivent 
imiter  les  apôtres,  lorsqu'ils  répondaient  aux  prin- 
ces du  peuple  :  «  Sur  des  choses  que  nous  avons 
vues  et  entendues,  nous  ne  pouvons  point  garder  le 
silence  (2).  »  Tous  doivent  s'encourager  par  ces 
paroles  de  saint  Paul  :  «  Je  ne  rougis  pas  de 
l'Evangile,  car  c'est  une  force  de  salut  pour  tout 
homme  qui  croit  (3)  ;  »  soit  par  celles-ci  :  «  C'est 
en  croyant  de  cœur  qu'on  parvient  à  la  justice,  et 
c'est  en  confessant  de  bouche  qu'on  parvient  an 
salut  (4).  » 

Cet  enseignement  du  Cathéchisme  romain  reste 
précieux  ;  mais,  en  face  des  besoins  de  l'heure 
présente,  ou  plutôt  à  cause  des  prétentions  soulevées 
par  le  rationalisme,  des  questions  et  des  pro- 
blèmes agités  en  sens  divers,  il  est  notoirement 
insuffisant.  C'est  pourquoi  les  Pères  du  concile  du 
Vatican  ont  tenu,  en  le  complétant,  à  préciser  ls* 
nature  de  la  foi,  à  indiquer  les  motifs  de  crédibilité, 
à  déterminer  le  caractère  surnaturel  et  la  liberté  de 
foi.  à  définir  la  nature  et  le  caractère  des  vérités  de 
la  foi  catholique,  à  marquer  la  nécessité  et  la  dis- 
cernibilité  de  la  foi  véritable  et  à  condamner  les 
principales  erreurs  sur  tous  ces  points  délicats.  Ils 
l'ont  fait  avec  un  à  propos,  une  mesure  et  une 
concision  des  plus  remarquables. 

1.  Ps.  cxv,  1.  —  2.  Act.t  iv,  20.  —  3.  Rom.,  1,  16.  —  k.Rom.,. 
x,  10;  Catech>  rom.,  Praef.  26;  P.  I,  ch.  i-v. 


260  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


IL   L'enseignement 
du   Concile    du    Vatican 


Avant  de  rapporter,  sur  la  question  de  la  Foi,  le 
texte  môme  du  concile  du  Vatican,  il  convient  do 
citer  les  paroles  du  rapporteur  de  la  foi,  Mgr  Martin, 
évêque  de  Paderborn.  Rien  de  mieux,  en  effet,  pour 
connaître  la  pensée,  le  but,  les  matières  traitées  par 
le  concile.  On  saisit  aussitôt  le  lien  intime  qui  unit 
les  diverses  parties  et  les  divers  paragraphes  de  ce 
chapitre  si  substantiel  dans  sa  brièveté. 

«  La  Députation  de  la  foi  s'est  proposée,  dit  le 
Rapporteur,  d'exposer  dans  ce  troisième  chapitre  la 
doctrine  catholique  sur  la  foi  ;  non  pas,  il  faut  le 
bien  remarquer,  cette  doctrine  complète  et  tout  entière, 
comme  il  faudrait  le  faire  dans  un  traité  de  la  foi, 
mais  cette  doctrine  réduite  aux  points  que  contre- 
disent les  erreurs  modernes... 

«  Voici  le  canevas  de  tout  le  chapitre  et  l'enchaî- 
nement logique  de  ses  propositions. 

«  La  première  partie  du  premier  paragraphe  relie 
ce  chapitre  au  chapitre  précédent  qui  traitait  de  la 
révélation  ;  car  cette  partie  affirme  qu'à  la  révélation 
qui  vient  de  Dieu  doit  répondre  la  foi  qui  vient  de 
l'homme.  Notre  intention  n'était  donc  point  d'ex- 
pliquer dans  cette  première  partie  du  chapitre  tous 
les  motifs  de  la  foi  ;  il  nous  suffisait  d'y  indiquer 
la  racine  ou  la  raison  fondamentale  de  l'obligation 
de  croire  à  Dieu  qui  révèle.  Nous  avons  placé  cette 
racine,  ou  raison  fondamentale,  en  ce  que  Dieu  est 
notre  premier  auteur,  notre  créateur,  le  suprême 
seigneur  de  qui  nous  dépendons  en  entier  avec 
toutes  nos  forces.  Tel  est  l'objet  de  la  première 
partie  de  ce  premier  paragraphe. 


L'ENSEIGNEMENT    DU    CONCILE    DU    VATICAN         26 1 

«  La  seconde  partie  du  même  paragraphe  pré- 
sente la  véritable  définition  de  la  foi  considérée  en 
elle-même,  et  appuie  cette  définition  sur  l'autorité 
de  saint  Paul  aux  Hébreux.  Comme  nous  le  savons 
tous,  la  nature  propre  de  la  foi  vient  de  son  motif 
ou  objet  formel,  qui  est  l'autorité  de  Dieu  qui  nous 
parle,  motif  qui  distingue  essentiellement  la  foi  de 
la  science  naturelle.  Cette  définition  de  la  foi  écarte 
donc  l'erreur  capitale  des  rationalistes,  qui  rejettent 
la  foi  proprement  dite,  alors  même  qu'ils  parlent  de 
lafoi.  Ils  rejettent,  en  effet,  entièrement  le  motif  de 
la  foi  considérée  en  elle-même,  ils  suppriment 
l'autorité  de  Dieu  qui  révèle,  et,  s'ils  parlent  de 
foi  religieuse,  ils  appellent  foi  une  persuation  née 
de  la  science  naturelle  ou  de  l'évidence  intrinsèque 
de  la  vérité.  Ils  suppriment  donc  en  réalité  la  foi 
proprement  dite,  en  supprimant  le  motif  ou  l'objet 
formel  de  la  foi.  Cette  foi  proprement  dite,  qui 
s'appuie  sur  l'autorité  de  Dieu,  étant  rejetée  par  les 
rationalistes  comme  contraire  à  la  raison,  le  para- 
graphe second  enseigne  que  c'est  à  bon  droit  et 
conformément  à  la  raison  que  l'on  croit  à  la  parole 
de  Dieu,  parce  que  celle-ci  est  prouvée  par  des 
signes  évidents  de  crédibilité. 

«  Le  second  paragraphe  enseigne  donc  que  c'est 
conformément  à  la  raison  que  l'on  croit  à  la  parole 
divine  qui  se  présente  avec  des  signes  évidents  de 
sa  révélation.  Ce  second  paragraphe  écarte  par 
conséquent  une  double  erreur,  d'une  part  l'erreur 
des  rationalistes,  d'autre  part  l'erreur  de  ce  faux 
piétisme,  qui  en  appelle  exclusivement  à  l'expérience 
interne,  au  témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit,  ou 
à  la  certitude  immédiate.  Bien  que  les  motifs  de  cré- 
dibilité soient  évidents  par  eux-mêmes  et  que 
l'assentiment  de  la  foi  soit  tout  à  fait  conforme  à  la 
raison,    la  foi  n'en  est  pas  moins    inspirée  par   la 


3Ô2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

»— ^ — — ' — —— — — ^-^— — — — — - — « 

volonté,  et  elle  demeure  toujours  un  acte  libre;  de 
telle  sorte  qu'il  faut  pour  la  foi  une  grâce  prévenante 
et  adjuvante,  et  que  la  foi  considérée  en  elle-même 
€st  un  don  de  Dieu  :  déclaration  qui  écarte  une 
erreur  d'Hermès,  sur  laquelle  je  reviendrai  plus  tard. 

«  La  nature  et  la  vraie  notion  de  la  foi  étant 
déterminées,  le  paragraphe  quatrième  fait  connaître 
$  objet  matériel  de  la  foi,  en  déclarant  qu'on  doit 
croire  tout  ce  que  Dieu  a  révélé  et  que  l'Eglise  nous 
propose  de  croire  ;  car  le  motif  de  la  foi,  c'est-à-dire 
l'autorité  de  Dieu  qui  révèle,  et  notre  obligation  de 
croire  s'étendent  à  toutes  les  vérités  dont  le  magis- 
tère de  l'Eglise  nous  manifeste  clairement  la  ré- 
vélation. Cet  enseignement  exclut  l'erreur  qui 
restreint  l'objet  de  la  foi  aux  seuls  articles  qui  sont 
formellement  définis,  et  tend  à  réduire  en  quelque 
sorte  au  minimum  la  somme  des  vérités  à  croire. 

«  Après  l'explication  de  la  nature  de  la  foi  et  la 
détermination  de  son  objet  tant  formel  que  matériel, 
vient,  au  paragraphe  cinquième,  la  doctrine  de  la 
nécessité  de  la  foi  et  de  Y  obligation  pour  V  homme  de 
£ embrasser  et  d'y  persévérer.  Dans  la  seconde  partie 
de  ce  cinquième  paragraphe,  on  explique  comment 
Dieu  nous  aide  à  remplir  ce  devoir  de  la  foi  par 
l'Eglise  qu'il  a  instituée  ;  car  cette  Eglise  est  comme 
une  révélation  concrète  et  divine,  qui  nous  présente 
les  motifs  de  crédibilité  avec  les  vérités  à  croire. 

«  Suivant  le  sixième  paragraphe,  à  cette  grande 
manifestation  de  la  révélation  se  joint  le  secours  do 
la  grâce  intérieure,  qui  excite  les  incrédules  à 
croire  et  confirme  les  croyants  dans  la  foi.  Cet  en- 
seignement écarte  une  erreur  capitale  qui  est  très 
répandue  ;  c'est  l'erreur  qui  attribue  aux  fidèles  le 
droit  de  mettre  la  foi  en  doute  et  de  suspendre  leur 
assentiment  jusqu'à  ce  qu'ils  se  soient  formé  une 
persuasion  scientifique  de  la  vérité  delà  foi... 


l'enseignement   DU   CONCILE    DU    VATICAN        2 63 

«  Les  canons  appliquent  expressément  aux  erreurs 
de  notre  temps  la  doctrine  exposée  dans  le  chapitre. 
Or,  la  première  et  la  principale  de  ces  erreurs  con- 
siste à  dire  que  la  raison  humaine  est  autonome  et 
qu'elle  se  suffit  pleinement.  C'est  contre  cette  erreur 
qu'est  dirigé  le  premier  canon. 

«  Une  autre  erreur  qui  dérive  de  la  première  con- 
siste à  n'admettre  pour  vrai  que  ce  que  la  raison  tire 
d'elle-même.  Le  second  canon  est  dirigé  contre  cette 
erreur  ;  car  il  distingue  entre  la  foi  et  la  science 
humaine,  et  il  statue  que  l'objet  formel  ou  motif  de 
la  foi  est  l'autorité  de  Dieu  qui  révèle. 

«  Une  autre  erreur  consiste  à  désespérer  de  la  rai- 
son, à  ne  lui  attribuer  aucune  valeur,  et  à  tout  rame- 
ner à  une  sentimentalité  vague.  C'est  contre  cette 
erreur  qu'est  dirigé  le  troisième  canon  qui  défend 
les  droits  de  la  raison  dans  la  foi  elle-même. 

«  La  quatrième  erreur  nie  la  possibilité  de  démon- 
trer le  fait  de  la  révélation,  ou  les  miracles  ;  elle 
rejette  donc  la  possibilité  des  miracles.  Le  qua- 
trième canon  est  dirigé  contre  cette  erreur. 

«  Le  cinquième  canon  revendique  la  liberté  de  la 
/bî,  et  cela  contre  Hermès,  dont  on  rejette  une  dou- 
ble erreur  :  la  première  c'était  que  la  foi  est  produite 
par  une  démonstration  scientifique  et  par  des  argu- 
ments qui  nécessitent  l'assentiment,  de  telle  sorte 
que  l'acte  de  foi  ne  serait  pas  libre,  mais  nécessaire. 
De  cette  erreur  découlait  la  suivante,  c'est  que  la 
grâce  intérieure  de  Dieu  n'est  pas  requise  pour  la 
foi  considérée  en  elle-même  ;  car  si  la  foi  n'est  pas 
un  acte  libre,  mais  nécessaire,  il  s'ensuit  que  la  foi 
se  produit  sans  le  secours  de  la  grâce  divine.  Cette 
double  erreur  d'Hermès  est  condamnée  par  le  cin- 
quième canon,  qui  affirme  d'abord  la  liberté  de  la 
foi  et  ensuite  la  nécessité  de  la  grâce  pour  la  foi. 

a  Enfin  le  sixième  canon  écarte  une  autre  erreur 


2C4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

du  même  Hermès,  qui  voulait  que  toute  recherche 
théologique  commençât  par  un  doute,  et  même  par 
un  doute  positif  qui  suspend  véritablement  l'adhé- 
sion à  la  religion  et  à  la  foi  chrétiennes.  Une  erreur 
si  énorme  et  si  dangereuse  devait  être  condamnée, 
et  elle  Test  par  le  sixième  canon  (i).  » 

Il  était  difficile  d'offrir  un  commentaire  plus 
lumineux  et  plus  autorisé  du  troisième  chapitre  de 
la  constitution  Dei  Filius,  et  des  canons  qui  s'y 
rapportent.  On  comprendra  par  là  plus  aisément  le 
texte  même  du  concile  que  nous  allons  transcrire. 

i.  «  Puisque  l'homme  dépend  tout  entier  de  Dieu, 
comme  de  son  créateur  et  seigneur,  et  que  la  raison 
créée  est  complètement  subordonnée  à  la  Vérité 
incréée,  lorsque  Dieu  révèle,  nous  sommes  tenus 
de  lui  soumettre  pleinement  notre  intelligence  et 
notre  volonté  par  la  foi.  Or,  cette  foi,  qui  est  le 
commencement  du  salut  de  l'homme,  l'Eglise  catho- 
lique professe  que  c'est  une  vertu  surnaturelle,  par 
laquelle,  prévenus  et  aidés  de  la  grâce  de  Dieu,  nous 
croyons  vraies  les  choses  qu'il  a  révélées,  non  pas 
à  cause  de  leur  vérité  intrinsèque  perçue  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  mais  à  cause  de 
l'autorité  de  Dieu  même  qui  révèle  et  qui  ne  saurait 
ni  être  trompé  ni  tromper.  La  foi  est,  en  effet,  au 
témoignage  de  l'apôtre,  «  la  substance  de  ce  que 
nous  espérons  et  la  conviction  de  ce  que  nous  ne 
voyons  pas  (2).  » 

2.  «  Néanmoins,  afin  que  l'hommage  de  notre  foi 
fût  d'accord  avec  la  raison,  aux  secours  intérieurs 
du  Saint-Esprit  Dieu  a  voulu  joindre  des  preuves 
extérieures  de  sa  révélation,  savoir  des  faits  divins 
et  surtout  des   miracles  et  des  prophéties,  qui,  en 

1 .  Voir  le  Document  xx  reproduit  in  extenso  par  Vacant,  La 
conslitution  Dei  Filius,  t.  11,  p.  370-396.  —  2.  Hebr.,  xi,  1. 


L'ENSEIGNEMENT    DU    CONCILE    DU    VATICAN  2Ô5 

montrant  abondamment  la  toute-puissance  et  la 
science  infinie  de  Dieu,  font  reconnaître  la  révéla- 
tion divine,  dont  ils  sont  des  signes  très  certains 
et  appropriés  à  l'intelligence  de  tous.  C'est  pourquoi 
soit  Moïse  et  les  prophètes,  soit  surtout  le  Christ 
Nôtre-Seigneur  lui-même  ont  fait  de  nombreux  et 
très  manifestes  miracles  et  prophéties  ;  et  nous 
lisons  des  apôtres  :  «  Etant  partis,  ils  prêchèrent 
en  tous  lieux,  le  Seigneur  travaillant  avec  eux,  et 
confirmant  leur  parole  par  les  miracles  qui  l'accom- 
pagnaient (i).  »  Il  est  également  écrit  :  «  Ainsi  a 
été  confirmée  pour  nous  l'Ecriture  prophétique,  à 
laquelle  vous  faites  bien  de  prêter  attention,  comme 
à  une  lampe  qui  brille  dans  un  lieu  obscur  (2).  » 

3.  Bien  que  l'assentiment  de  la  foi  ne  soit  point 
du  tout  un  mouvement  aveugle  de  l'esprit,  personne 
pourtant  ne  peut  adhérer  à  l'enseignement  de 
l'Evangile,  comme  il  le  faut,  pour  arriver  au  salut, 
sans  une  illumination  et  une  inspiration  du  Saint- 
Esprit,  qui  donne  à  tous  la  suavité  de  l'adhésion  et 
de  la  croyance  à  la  vérité  (3).  C'est  pourquoi  la  foi 
en  elle-même  est  un  don  de  Dieu,  alors  même 
qu'elle  n'opère  point  par  la  charité,  et  son  acte  est 
une  œuvre  se  rapportant  au  salut,  par  laquelle 
l'homme  se  soumet  librement  à  Dieu  lui-même,  en 
consentant  et  en  coopérant  à  sa  grâce  à  laquelle  il 
pourrait  résister. 

4-  «  Or,  on  doit  croire  de  foi  divine  et  catholi- 
que toutes  les  vérités  qui  se  trouvent  contenues  dans 
la  parole  de  Dieu  écrite  ou  traditionnelle  et  que 
l'Eglise  propose  comme  devant  être  crues,  en  tant 
que  divinement  révélées,  qu'elle  fasse  cette  propo- 
sition par  un  jugement  solennel  ou  par  son  magis- 
tère ordinaire  et  universel. 

1.  Marc,  xvi,  20.  —  2.  11  Petr.,  1,  19.  —  3.  Syn.  Araus.,  n, 
can.  7,  dans  Hardouin,  Ad.  Concil.,  t.  n,  col.  1099. 


266  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

5.  «  Comme  il  est  impossible  sans  la  foi  de  plaire 
à  Dieu  et  d'entrer  en  partage  avec  ses  enfants, 
jamais  personne  n'a  été  justifié  sans  elle,  et  à  moins 
d'avoir  persévéré  dans  la  foi  jusqu'à  la  fin,  aucun 
homme  n'obtiendra  la  vie  éternelle.  Or,  pour  que 
nous  puissions  satisfaire  au  devoir  d'embrasser  la 
foi  véritable  et  d'y  persévérer  constamment,  Dieu  par 
son  Fils  unique  a  institué  l'Eglise  et  il  l'a  revêtue  de 
signes  manifestes  de  son  institution,  afin  qu'elle 
puisse  être  reconnue  de  tous  comme  la  gardienne 
et  la  maîtresse  de  la  parole  révélée.  Car  c'est  à 
l'Eglise  catholique  seule  qu'appartiennent  toutes 
ces  notes  si  nombreuses  et  si  frappantes  par  lesquel- 
les Dieu  a  rendu  évidente  la  crédibilité  de  la  foi 
chrétienne.  Bien  plus,  à  cause  de  son  admirable 
propagation,  de  sa  sainteté  éminente  et  de  son  iné- 
puisable fécondité  en  toute  espèce  de  biens,  à  cause 
de  son  unité  catholique  et  de  son  invincible  stabi- 
lité, l'Eglise  est  par  elle-même  un  grand  et  perpé- 
tuel motif  de  crédibilité,  en  même  temps  qu'un 
témoignage  irréfragable  de  sa  mission  divine. 

6.  Il  en  résulte  que,  comme  un  étendard  levé 
sous  les  yeux  des  nations,  elle  appelle  à  elle  ceux 
qui  n'ont  pas  encore  cru  et  elle  donne  à  ses  enfants 
une  assurance  plus  certaine  que  la  foi  qu'ils  profes- 
sent repose  sur  un  très  ferme  fondement.  A  ce 
témoignage  s'ajoute  le  secours  efficace  de  la  vertu 
d'en  haut.  Car  par  sa  grâce  le  Seigneur  très  miséri- 
cordieux excite  ceux  qui  sont  dans  l'erreur  et  les 
aide  à  parvenir  à  la  connaissance  de  la  vérité  ;  il 
donne  aussi  sa  grâce  à  ceux  qu'il  a  fait  passer  des 
ténèbres  dans  son  admirable  lumière  pour  les  con- 
firmer dans  une  persévérante  fidélité  à  cette  lumière, 
n'abandonnant  que  ceux  qui  l'abandonnent.  C'est 
pourquoi  tout  autre  est  la  condition  de  ceux  qui, 
par  le  don  céleste  de  la  foi,  ont  adhéré  à  la  vérité 


L'ENSEIGNEMENT    DU    CONCILE    DU    VATICAN  267 

catholique  et  de  ceux  qui,  conduits  par  des  données 
tout  humaines,  professent  une  fausse  religion  ;  car 
ceux  qui  ont  reçu  la  foi  par  les  enseignements  de 
l'Eglise,  ne  peuvent  jamais  avoir  aucune  cause  juste 
de  changer  cette  foi  ou  de  la  révoquer  en  doute. 
C'est  pourquoi,  rendant  grâce  à  Dieu  le  Père,  qui 
nous  a  faits  dignes  de  partager  le  sort  des  saints 
dans  la  lumière,  ne  négligeons  pas  un  si  grand 
bonheur  ;  mais  les  yeux  fixés  sur  Jésus  l'auteur  et 
le  consommateur  de  la  foi,  gardons  le  témoignage 
inébranlable  de  notre  espérance.  » 

Canons  de  la  foi.  Canon  i .  Anathème  à  qui  dirait 
que  la  raison  humaine  est  indépendante  de  telle 
sorte  que  Dieu  ne  peut  lui  commander  la  foi. 

Canon  2.  Anathème  à  qui  dirait  que  la  foi  divine 
ne  se  distingue  pas  de  la  science  naturelle  de  Dieu 
et  des  choses  morales,  et  par  conséquent  qu'il  n'est 
pas  besoin  pour  la  foi  divine  qu'une  vérité  révélée 
soit  crue  à  cause  de  l'autorité  de  Dieu  qui  révèle. 

Canon  3.  Anathème  à  qui  dirait  que  la  révélation 
divine  ne  peut  être  rendue  croyable  par  des  signes 
extérieurs,  et  par  conséquent  que  les  hommes  ne 
doivent  être  amenés  à  la  foi  que  par  une  expérience 
interne  et  personnelle  ou  par  une  inspiration 
privée. 

Canon  4.  Anathème  à  qui  dirait  qu'il  n'y  a  point 
de  miracles  possibles,  et  que  par  conséquent  tous 
les  récits  des  miracles,  même  ceux  de  la  sainte' 
Ecriture,  doivent  être  rejetés  comme  des  fables  ou 
des  mythes  ;  ou  bien  que  les  miracles  ne  peuvent 
jamais  être  connus  avec  certitude  et  qu'ils  ne  four- 
nissent pas  une  preuve  véritable  de  l'origine  divine 
de  la  religion  chrétienne. 

Canon  5.  Anathème  à  qui  dirait  que  l'assentiment 
de  la  foi  chrétienne  n'est  pas  libre,  mais  qu'il  est 
produit  nécessairement  par  des  preuves  de  raison 


268  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


humaine  ;  ou  qu'il  n'y  a  que  pour  la  foi  vivante,  qui 
opère  par  la  charité,  que  la  grâce  de  Dieu  soit  néces- 
saire. 

Canon  6.'  Anathème  à  qui  dirait  que  les  fidèles 
sont  dans  la  même  condition  que  ceux  qui  ne  sont 
pas  encore  parvenus  à  la  seule  foi  véritable,  de  telle 
sorte  que  les  catholiques  peuvent  avoir  une  juste 
cause  de  suspendre  leur  assentiment  pour  mettre 
en  doute  la  foi  qu'ils  ont  déjà  reçue  par  les  ensei- 
gnements  de  l'Eglise,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  ter- 
miné la  démonstration  scientifique  de  la  crédibilité 
et  de  la  vérité  de  leur  foi  (i). 

Comme  onlevoit,  ce  remarquable  chapitre  répon- 
dait de  la  manière  la  plus  heureuse  et  la  plus  obvi§ 
à  certaines  erreurs  du  dernier  siècle  concernant  la 
foi.  Son  enseignement  complétait  très  opportuné- 
ment celui  du  concile  de  Trente  et  du  Catéchisme 
romain.  Or,  il  n'a  rien  perdu  de  son  actualité.  Car 
aux  erreurs  anciennes,  qui  n'ont  pas  désarmé,  sa 
sont  ajoutés  des  problèmes,  nouvellement  posés 
avec  franchise  et  discutés  à  fond,  qui  expriment, 
aux  yeux  des  uns,  les  légitimes  exigences  de  la 
pensée  contemporaine,  tandis  qu'ils  passent,  aux 
yeux  des  autres,  pour  une  imprudence  sinon  poui? 
une  témérité  et  sont  une  cause  de  trouble  et  d'in^ 
quiétude  au  point  de  vue  de  l'orthodoxie.  Le  pria* 
cipe  de  leur  solution  ne  se  trouverait4i  point  dani 
l'enseignement  du  concile  du  Vatican  ? 

D'après  le  rationalisme,  il  n'y  a  de  vrai  qu©  cç 
que  la  raison  peut  comprendre  par  ses  seules  lumiè^ 
res.  La  raison  est  la  règle  suprême  de  toub  vérité  ; 
absolument  indépendante  et  autonome,  elle  n'a  quç 
faire  de  la  révélation  divine  et  regarde  comme  unj 

i.  GousEilutioa  Dei  FilisiSf  cap,  ni,  De  fuk;  et  Qanon49  âé 

-  fide. 


DÉFINITION    DE    LA   FOI  269 


vérité  acquise  que  Dieu  ne  peut  lui  imposer  la  foi. 

Aussi  est-ce  cette   erreur    fondamentale    que   le 
concile  écarte  tout  d'abord  en  tête  de  ce  chapitre 
troisième.  Il  lui  oppose  le  motif  fondamental  qui 
oblige  l'homme  à  croire  à  Dieu  ;  et,  ce  motif,  il  le 
tire  du  rapport  de  nécessaire  et  totale  dépendance 
de  l'homme  vis-à-vis  de  Dieu,  son  Créateur  et  Sei- 
gneur,   notamment  du  rapport  de    subordination 
complète  de  la  raison  créée  vis-à-vis  de  la  Vérité 
incréée.  Il  conclut  que  lorsque  Dieu  révèle,  l'homme 
est  tenu  par  là  même  de  lui  soumettre  par  la  foi 
son  intelligence  et  sa  volonté  ;  il  déclare  «   ana- 
thème  quiconque  dirait  que  la  raison  humaine  est 
indépendante  de  telle  sorte  que  Dieu   ne  peut  lui 
commander  la  foi.  » 

Le  terrain  ainsi  déblayé,  le  concile  aborde  la 
question  si  débattue  de  la  foi.  Il  définit  la  foi  et 
oppose  sa  définition  aux  explications  qu'on  n'a 
cessé  d'en  donner  depuis  trois  siècles,  et  qui  toutes 
méconnaissent  complètement  ou  partiellement  la 
nature  de  la  vraie  foi.  C'est  cette  définition  qu'il 
s'agit  de  bien  connaître. 

III.  Définition  de  la  Foi 

1.  La  foi  ou,  comme  on  dit  souvent,  la  croyance, 
qu'est-elle?  Les  uns  en  font  «  un  sentiment,  »  «  la 
conscience  du  divin,  »  «  un  sens  divin  »  distinct  de 
l'intelligence,  «  un  idéal  conçu  en  harmonie  avec  la 
nature  des  choses  et  traduisant  le  sentiment  de  notre 
dépendance  à  l'égard  de  Dieu,  »  une  connaissance 
inférieure  purement  subjective,  l'affirmation  d'un 
objet  insaisissable  et  illusoire,  quelque  chose  qui 
ne  répond  à  aucune  réalité. 

Kant  distingue  dans  la  croyance  l'opinion,  la  foi 


27O  LE    CATECHISME    ROMAIN 

et  la  science  ;  l'opinion  n'offre  ni  évidence  objective 
ni  certitude  subjective  ;  la  foi  n'est  qu'une  certitude 
subjective  sans  une  évidence  objective,  et  la  science 
est  constituée  par  l'union  de  l'évidence  objective  à 
la  certitude  subjective.  En  conséquence  il  regarde 
la  foi  comme  la  règle  efficace  de  l'action  morale, 
nous  introduisant  sans  doute  dans  le  monde  des 
noumènes  ou  des  choses  en  soi,  mais  sans  nous 
assurer  aucunement  qu'elle  atteint  la  réalité. 

Pour  les  positivistes  anglais,  la  foi  est  une  adhé- 
sion à  l'inconcevable  et  même  au  contradictoire. 
H.  Spencer  lui  donne  pour  objet  le  mystère  par 
excellence,  l'inconnaissable.  Stuart  Mill  et  Bain  la 
réduisent  à  une  pure  illusion. 

En  France,  on  essaie  de  la  définir.  «  J'entends 
par  croyance,  dit  P.  Janet,  toute  forme  de  conviction 
qui  ne  dépend  pas  exclusivement  de  la  raison  et  de 
l'examen,  et  qui  est  l'œuvre  commune  de  la  raison, 
du  sentiment  et  de  la  volonté  (1).  »  La  croyance,  dit 
à  son  tour  M.  Bertrand,  est  l'adhésion  à  une  propo- 
sition dont  on  affirme  la  certitude  sans  pouvoir  en 
donner  une  rigoureuse  démonstration  (2).  »  Pour 
les  néo-critiques,  «  la  foi  est  un  état  moral  de  la 
raison  dans  l'adhésion  qu'elle  donne  aux  choses 
inaccessibles  à  la  connaissance  (3).  » 

Quelques-uns,  sans  oublier  complètement  le  rôle 
de  l'esprit  dans  la  foi,  en  exagèrent  l'élément 
affectif  et  la  ramènent  à  une  sorte  d'instinct  supé- 
rieur, spontané  mais  aveugle.  Beaucoup  trouvent  que 
la  foi  ne  raisonne  pas  ou  même  qu'elle  n'est  pas 
raisonnable.  On  l'oppose  à  l'expérience  qui  constate, 
vérifie  et  contrôle,  à  l'intelligence  qui  voit  ou  décou- 


1.  Principes  de  métaphy.  et  de  psych.,  1. 1,  p.  7a.  —  a.  Lexique 
de  philosophie.  —  3.  Renouyier,  Essais  de  critiq.  gêner.,  t.  11, 
p,  i53. 


DEFINITION   DE   LA   FOI  27! 

vre,  à  la  raison  qui  démontre,  c'est  à-dire  à  la 
science.  Entre  la  foi  et  la  science  il  y  aurait  une 
antinomie  irréductible,  et  Guyau  a  écrit  :  «  L'esprit 
spéculatif  est  le  contraire  de  l'esprit  de  foi  (i).  » 

2.  Pour  les  protestants  orthodoxes,  la  foi  est 
encore  regardée  comme  une  adhésion  de  l'esprit 
à  la  vérité  révélée  ;  mais  pour  les  protestants  libé- 
raux, elle  est  tout  autre  chose.  Nous  avons  déjà  vu 
comment  Sabatier  entend  la  révélation  et  le  dogme 
et  à  quel  subjectivisme  il  condamne  la  vie  reli- 
gieuse. Ecoutons  M.  Lobstein,  professeur  à  la  faculté 
de  théologie  de  Strasbourg  :  «  La  foi,  selon  le 
protestantisme,  n'est  pas  une  simple  croyance  ; 
croire,  ce  n'est  pas  adhérer  à  une  autorité  extérieure, 
sur  le  fondement  d'un  témoignage  étranger  à  la 
conscience  des  fidèles...  Croire,  c'est  avoir  confiance 
dans  la  grâce  de  Dieu  révélée  en  Jésus-Christ...  La 
foi  véritable,  la  foi  vivante,  c'est  Dieu  sensible  à  la 
conscience  et  au  cœur,  c'est  l'Esprit  divin  rendant 
témoignage  à  notre  esprit,  c'est  le  Seigneur  immanent 
à  l'âme  des  fidèles...  S'il  est  vrai  que  croire  c'est  se 
donner  à  Dieu,  croire,  c'est  aussi  vivre  pour  Dieu 
et  en  Dieu...  Si  la  foi  est  un  acte  individuel,  une 
décision  intérieure  de  la  volonté,  une  affirmation 
de  notre  caractère  de  personnalité  morale  et  reli- 
gieuse, elle  est  inconciliable  avec  une  doctrine  qui 
fait  de  la  foi  une  croyance  théorique  et  une  soumis- 
sion passive  :  partant,  elle  ne  saurait  s'accorder 
avec  une  conception  suivant  laquelle  le  dogme  ne 
serait  qu'un  décret  infaillible,  exigeant  le  sacrifice 
de  l'intelligence  et  s'imposant  du  dehors  à  la  raison 
asservie  (2).  » 


1.  Guyau,  Virreligion  de  Vavenir,  p.  3a5.  —  a.  Lobstein, 
Essai  d'une  introduction  à  la  dogmatique  protestante,  Paris,  1896, 
p.  3o-3i. 


272  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Ecoutons  également  M.  Ménégoz,  professeur  à  la 
faculté  de  théologie  protestante  de  Paris  ;  il  pose  en 
thèse  le  salut  par  la  'foi,  indépendamment  des  croyan- 
ces ;  il  trouve  que  l'on  confond  la  foi  et  les  croyances 
et  qu'on  en  arrive  ainsi  à  substituer  au  dogme  du 
salut  par  la  foi  seule  le  dogme  du  salut  par  la  foi  et 
les  croyances.  Il  distingue  donc  la  foi  des  croyances. 
Mais,  pour  lui,  la  foi  c'est  «  la  consécration  de 
l'âme  à  Dieu  (1).  »  «  Donner  notre  cœur  à  Dieu, 
lui  consacrer  notre  vie,  lui  offrir  en  sacrifice  ce 
que  nous  avons  de  plus  précieux,  lui  rester  fidèles 
jusqu'à  la  mort,  nous  en  remettre  entièrement,  pour 
le  pardon  des  péchés  et  le  salut  éternel,  à  la  divine 
miséricorde  :  voilà  la  foi  religieuse,  la  foi  qui  nous 
sauve  (2).  »  Qu'entend-il  par  croyances?  Rien  autre 
chose  que  ce  que  l'on  entend  d'ordinaire  parle  mot 
foi.  Grâce  à  ces  sens  particuliers,  qui  pourraient  don- 
ner le  change,  si  l'on  n'y  prenait  garde,  il  en 
arrive  à  de  singulières  conclusions  :  «  Ce  qui  sauve, 
dit-il,  c'est  la  foi  et  non  l'acceptation  de  tel  ou  tel 
dogme,  quelque  vrai  qu'il  soit  (3).  »  «  Celui  qui 
consacre  son  âme  à  Dieu  est  sauvé  indépendam- 
ment de  ses  croyances  (4).  »  «  Qu'il  trouve  la  vérité 
ou  qu'il  la  manque,  le  salut  de  son  âme  est 
assuré  (5).  »  «  Nous  devons  admettre  qu'il  est  pos- 
sible de  consacrer  son  âme  à  Dieu  et  d'être  sauvé 
sans  croire  à  Jésus-Christ  (6).  »  C'est  la  justification 
par  la  foi,  «  indépendamment  des  croyances,  même 
indépendamment  de  la  foi  en  Jésus-Christ  (7).  » 

3.  Loin  de  tomber  dans  des  écarts  aussi  considé- 
rables, loin  même  de  voir  comme  certains  dans 
l'acte  de  foi  une  opération  absurde  qui  s'accomplit 


1.  Ménégoz,  Le  Fidéisme,  Paris,  1900,  p.  i5.  —  a.  Ibid.,  p. 
m.  —  3.  Ibid,  p.  34.  —  4.  Ibid.,  p.  36.  —  5.  Ibid.,  p.  3g.  — 
Ç.  Ibid.,  p.  47-  —  7.  Ibid.,  p.  47. 


DÉFINITION   DE   LA   FOI  2^3 


dans  les  ténèbres  non  seulement  de  l'incompréhen- 
sible mais  encore  de  l'inintelligible,  il  est  des  catho- 
liques qui  penchent  soit  du  côté  de  l'agnosticisme, 
soit  du  côté  du  mysticisme.  Pour  M.  Brunetière, 
«  les  raisons  de  croire  ne  sont  pas  de  l'ordre  intel- 
lectuel, mais  de  l'ordre  moral  ;  on  croit  parce  que 
l'on  veut  croire  (i).  »  M.  Faguet  pense  de  même  : 
«  L'idéal  ne  se  prouve  en  aucune  façon  :  on  ne 
l'aime  qu'en  y  croyant,  sans  aucune  raison  d'y 
croire,  ce  qui  est  proprement  un  acte  de  foi.  » 
«  L'acte  de  foi  consiste  à  dire  :  je  crois  parce  que 
j'aime  (2).  »  D'autres  ne  cessent  de  répéter  avec 
Pascal  :  «  Le  cœur  a  ses  raisons  que  la  raison  ne 
connaît  point...  C'est  le  cœur  qui  sent  Dieu,  et  non 
la  raison.  Yoilà  ce  que  c'est  que  la  foi  :  Dieu  sen- 
sible au  cœur,  non  à  la  raison  (3).  » 

Parmi  nos  contemporains,  quelques  catholiques 
ont  porté  les  efforts  d'une  analyse  psychologique 
pénétrante  et  minutieuse  sur  la  foi  pour  en  mieux 
déterminer  et  préciser  les  divers  éléments.  Mais  les 
uns,  fidèles  aux  données  scolastiques,  accentuent 
peut-être  un  peu  trop  le  caractère  intellectuel  de 
l'acte  de  foi,  et  cela,  semble-t-il,  au  détriment  de  la 
volonté  ;  et  c'est  ainsi  que  Ton  accuse  la  définition 
scolastique  de  la  foi  d'être  insuffisante,  «  parce 
qu'elle  n'implique  pas  un  élément  psychologique 
essentiel,  sans  lequel  la  foi  reste  philosophiquement 
inexplicable  et  la  synthèse  de  l'ordre  naturel  et  de  l'or- 
dre surnaturel  absolument  incompréhensible  (4).  » 
Les  autres,  au  contraire,  mettent  en  un  puissant 
relief  l'intervention    de  la   volonté,   et,  sans  nier 

1.  Brunetière,  La  science  et  la  religion,  p.  62,  note.  —  2.  Fa- 
guet, La  religion  de  nos  contemporains,  dans  la  Revue  bleue, 
îanvier  1896.  —  3.  Pensées,  édit.  Havet,  xxiv,  5.  —  4.  Péche- 
gut,  Une  définition  de  la  foi,  dans  la  Revue  du  clergé,  i902>  t. 
xxix,  p.  72. 

LB   CATÉCHISME.    —  T.  I.  T8 


274  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

le  caractère  intellectuel  de  l'acte  de  foi,  le  rejettent 
au  second  plan,  ce  qui  semble  dénaturer  la  vraie 
notion  de  la  foi. 

En  quoi  consiste  donc  véritablement  la  foi  ? 
Quelle  est  sa  nature  ?  Et  quel  est  le  rôle  qui  revient 
dans  cet  acte  mystérieux  soit  à  la  raison  soit  à  la 
volonté  ?  C'est  ce  que  nous  allons  demander  à 
l'enseignement  formulé  par  le  concile  du  Vatican. 

4.  Voici  d'abord  la  définition  de  la  foi  donnée  par 
le  concile  :  «  Cette  foi,  qui  est  le  commencement 
du  salut  de  l'homme,  l'Eglise  catholique  professe 
que  c'est  une  vertu  surnaturelle  par  laquelle,  prévenus 
et  aidés  de  la  grâce  de  Dieu,  nous  croyons  vraies  les 
choses  qu'il  a  révélées,  non  pas  à  cause  de  leur  vérité 
intrinsèque  perçue  à  la  lumière  naturelle  de  la  raison, 
mais  à  cause  de  ï  autorité  de  Dieu  même  qui  révèle  et 
qui  ne  saurait  être  ni  trompé  ni  trompeur.  La  foi  est, 
en  effet,  au  témoignage  de  l'apôtre,  la  substance 
de  ce  que  nous  espérons  et  la  conviction  de  ce  que 
nous  ne  voyons  pas  (1).  » 

Cette  définition  dogmatique  est  de  capitale  im- 
portance. Chacun  de  ses  termes  porte.  Contentons- 
nous  d'en  indiquer  ici  les  principaux  éléments, 
sauf  à  insister  ensuite  sur  quelques-uns  d'entre 
eux,  ce  qui  nous  permettra  par  une  précision  plus 
grande  de  répondre  à  certaines  difficultés. 

Là  où  le  concile  de  Trente  ne  parle  que  de  l'acte 
de  foi  préparatoire  à  la  justification,  le  concile  du 
Vatican  considère  la  foi  comme  une  vertu,  comme 
une  habitude,  comme  une  disposition  permanente 
de  Tâme,  mais  comme  une  vertu  surnaturelle,  c'est- 
à-dire  dépassant  les  exigences  et  les  ressources  de 


1.  Voir  dans  la  Somme  théologique,  na  nœ,  Q.  iv,  a.  1,  l'expli- 
cation de  ce  texte,  où  saint  Thomas  montre  tous  les  éléments 
constitutifs  d'une  définition  de  la  foi. 


DÉFINITION   DE   LA   FOI  2  7  S 

notre  nature,  ne  pouvant  être  en  nous  que  par  une 
infusion  divine,  par  un  don  gratuit  de  Dieu.  Nous 
aurons  à  revenir  sur  ce  sujet  quand  nous  traiterons 
des  vertus  théologales. 

Gomme  le  concile  de  Trente,  le  concile  du  Vati- 
can signale  le  rôle  nécessaire  que  joue  dans  l'acte 
de  foi  la  grâce  prévenante  et  adjuvante.  Il  caractérise 
ensuite  Ja  nature  spéciale  de  cet  acte  en  disant 
qu'il  nous  fait  croire  vraies  les  choses  que  Dieu  a 
révélées.  Et  du  même  coup  il  nous  fait  connaître  le 
sujet  et  Y  objet  matériel  de  la  foi.  Le  sujet  d'abord  ; 
car,  du  moment  qu'il  s'agit  d'une  adhésion  à  la 
vérité  des  choses  révélées  ou,  comme  s'exprime  le 
Catéchisme  romain,  d'un  «  assentiment  total,  » 
d'un  a  acquiescement,  »  d'une  «  connaissance,  »  il 
ne  peut  être  question  que  de  l'intelligence,  c'est-à- 
dire  de  la  faculté  spéciale  de  l'âme  sur  laquelle 
s'insère  et  se  greffe  la  vertu  de  la  foi.  L' objet  maté- 
riel ensuite,  c'est-à-dire  les  vérités  révélées  par  Dieu, 

Mais  le  concile  du  Vatican,  tout  comme  le  Caté- 
chisme romain  et  d'une  manière  plus  précise,  indi- 
que le  motif  de  notre  adhésion  à  la  vérité  révélée, 
ce  que  les  théologiens  appellent  Y  objet  formel  de  la  foi. 
Pourquoi  croyons-nous  à  la  vérité  révélée  ?  Ce  n'est 
pas  à  cause  de  sa  vérité  intrinsèque  perçue  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  parce  que  dans  ce  cas 
la  foi  se  confondrait  avec  la  science,  mais  c'est 
à  cause  de  H  autorité  de  Dieu  même  qui  ne  peut  ni  être 
trompé  ni  tromper.  Et  c'est  justement  par  là  que  la 
foi  se  distingue  de  toutes  les  autres  espèces  d'adhé- 
sion. 

IV.  Le  motif  de  la  Foi 
ou  son  objet  formel 

Quel  est  le  motif  propre  de  la  foi,  la  raison  dé- 


276  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

terminante  de  notre  adhésion  à  la  vérité  révélée,  ce 
qui  la  fonde  et  constitue  sa  raison  dernière  et 
suprême,  ce  qui  fait  que  la  foi  est  foi  et  la  distingue 
des  autres  connaissances,  ou,  comme  disent  les 
théologiens,  son  objet  formel  ? 

1.  Faut-il  le  placer  avec  les  rationalistes  dans  la 
perception  claire  ou  l'évidence  de  la  vérité  ?  Faut-il 
le  mettre  dans  l'habitude  infuse  de  la  foi,  qui 
jouerait  ainsi  par  rapport  aux  vérités  révélées  le 
rôle  de  l'évidence  pour  les  vérités  naturelles? 
Serait-ce  la  perfection  souveraine  de  l'être  de  Dieu, 
source  première  de  sa  véracité  ?  Serait-ce  ce  que  l'on 
désigne  d'ordinaire  sous  le  nom  de  motifs  de  cré- 
dibilité, ou  bien  l'autorité  de  l'Eglise,  ou  enfin  le 
fait  même  de  la  révélation  ? 

Rappelons  tout  d'abord  que  l'homme  a  deux 
manières  de  connaître  :  par  la  science  et  par  la  foi. 
Par  la  science,  à  l'aide  des  seules  lumières  de  la 
raison,  il  voit,  il  se  rend  compte,  il  s'explique  le 
pourquoi  et  le  comment  des  choses,  il  en  pénètre 
la  vérité  intrinsèque.  Par  la.  foi,  il  adhère  à  la  vérité 
sur  le  témoignage  d'autrui,  témoignage  préalable- 
ment jugé  certain  et  véridique.  Or,  ce  qu'il  importe 
de  remarquer,  c'est  que  ce  témoignage  provient 
originairement  de  quelqu'un  qui  sait  de  science 
certaine  la  vérité  de  ce  qu'il  affirme.  Et  de  la  sorte, 
croire  c'est  participer  à  la  science  positive  de 
celui  qui  sait  et  qui  dit  ce  qu'il  sait.  Ce  qu'il  sait,  le 
témoin  originaire  le  sait  par  lui-même,  de  science 
immédiate,  par  l'évidence  intrinsèque  de  la  vérité. 
Au  contraire,  celui  qui  croit  ne  possède  pas  cette 
connaissance  intrinsèque  de  la  vérité,  mais  il  admet 
quand  même  la  vérité  sur  le  témoignage  de  celui 
qu'il  estime  savoir  ce  qu'il  dit  et  dire  ce  qu'il  sait. 
Légitimement  garanti,  il  en  possède  du  moins  une 
connaissance  ferme  et  certaine,   bien  que  médiate 


LE    MOTIF    DE    LA    FOI  277 


et  extrinsèque,  qui  se  distingue  du  doute,  du 
soupçon,  de  l'opinion.  Car  le  doute  existe  quand 
l'esprit  ne  se  prononce  pas  ;  le  soupçon,  quand  il 
penche  d'un  côté,  mais  sans  oser  se  prononcer; 
l'opinion,  quand  il  embrasse  un  sentiment,  tout  en 
craignant  que  le  sentiment  contraire  ne  soit  pré- 
férable. Or,  remarque  saint  Thomas  (i),  l'acte 
de  foi  implique  une  adhésion  ferme,  exclusive  de 
toute  crainte  d'erreur,  et  celui  qui  croit  a  cela  de 
commun  avec  celui  qui  sait  et  qui  connaît.  Toute- 
fois celui  qui  croit  n'a  pas  comme  celui  qui  sait 
la  connaissance  parfaite  qui  résulte  de  l'évidence 
intrinsèque,  et  en  cela  il  ressemble  à  celui  qui 
doute,  qui  soupçonne,  qui  a  une  opinion,  mais  il 
connaît. 

2.  Ainsi  en  est-il  pour  l'acte  de  foi  chrétienne. 
Le  motif  qui  le  détermine  n'est  pas,  —  et  c'est 
l'enseignement  formel  du  concile  du  Vatican  (2), — 
«  la  vérité  intrinsèque  de  la  chose  révélée  perçue  à 
la  lumière  naturelle  de  la  raison,  »  puisque  d'or- 
dinaire cette  chose  échappe  aux  prises  de  notre 
intelligence  et  reste  enveloppée  d'ombre  et  de  mys- 
tère. La  foi,  en  effet,  n'est  pas  la  science  ;  son 
motif,  et  c'est  encore  le  concile  du  Vatican  qui  le 
dit,  diffère  du  fondement  de  la  science.  Ne  pas 
distinguer  la  foi  divine  de  la  science  naturelle 
de  Dieu  et  des  choses  morales,  serait  encourir 
i'anathème  porté  par  le  canon  2  (3).  L'apôtre  saint 
Paul  écrivait  aux  Corinthiens  :  «  C'est  dans  la 
faiblesse,  dans  la  crainte  et  dans  un  grand  trem- 
blement que  je  me  suis  présenté  chez  vous  ;  et  ma 
parole  et  ma  prédication  n'avaient  rien  du  langage 
persuasif  de  la   sagesse,  mais  l'Esprit  (Saint)  et  la 

1.  Snm.  theolog.,  na  11*,  Q.  11,  a.  1  ;  Q.  iv,  a.  1.  —  2.  Const. 
Dei  Filius,  c.  m,  $  1.  —  3.  Ibid.,  c.  ni,  can.  2. 


278  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

force  de  Dieu  en  démontraient  la  vérité,  afin  que 
votre  foi  repose,  non  sur  la  sagesse  des  hommes, 
mais  sur  la  puissance  de  Dieu  (1).  »  Il  leur  disait 
encore  :  «  Nous  renversons  les  raisonnements  et 
toute  hauteur  qui  s'élève  contre  la  science  de  Dieu, 
et  nous  assujettissons  toute  pensée  à  l'obéissance  du 
Christ  (2).  »  C'est  la  foi  qui  ne  se  fonde  pas  sur  les 
moyens  et  les  raisonnements  humains,  sur  l'évidence 
de  la  vérité  qu'elle  croit. 

3.  Le  motif  propre,  l'objet  formel  de  la  foi,  ce 
qui  fait  croire  aux  choses  révélées  de  Dieu,  c'est, 
d'après  le  texte  du  concile,  a  l'autorité  de  Dieu 
révélateur,  qui  ne  peut  ni  se  tromper  ni  nous 
tromper.  »  Cette  autorité  implique,  comme  on  le 
voit,  deux  éléments  :  la  science  infaillible  de  Dieu 
et  sa  véracité  absolue,  tous  deux  également  néces- 
saires et  essentiels.  En  dernière  analyse,  c'est  à  cause 
de  cette  autorité  divine  que  je  donne  mon  assenti- 
ment à  la  vérité  révélée,  que  je  fais  l'acte  de  foi. 
INotre  Seigneur  disait  :  «  Celui  qui  m'a  envoyé  est 
véridique,  et  ce  que  j'ai  entendu,  je  le  dis  au 
monde  (3).  »  a  Nous  disons  ce  que  nous  savons,  et 
nous  attestons  ce  que  nous  avons  vu,  mais  vous  ne 
recevez  pas  notre  témoignage,».  Celui  qui  vient  du 
eiel  est  au  dessus  de  tous,  et  ce  qu'il  a  vu  et  entendu, 
il  l'atteste,,,  Celui  qui  reçoit  son  témoignage  cer- 
tifie que  Dieu  est  véridique  (4).  » 

4.  Bans  doute,  l'Eglise  sert  d'intermédiaire  entre 
Dieu  et  nous.  Son  autorité  est  divine  ;  elle  a  reçu 
de  Dieu  le  droit  de  proposer  et  d'imposer  les  vérités 
à  croire;  mais  son  rôle  consiste  à  certifier  et  k 
garantir  sans  crainte  d'erreur  la  réalité  et  le  contenu, 
de  la  révélation,  Dans  l'état  actuel  de  l'humanité, 


f ,  I  Cor,,  u,  4-5.  —  df  IJ  Gor,,  x,  5,  —  3,  Joan,f  viu,  26, 
*  à- Juan.,  m,  iif  33, 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  279 

ce  rôle  est  le  moyen  ordinaire,  la  règle  commune, 
dont  Dieu  se  sert  pour  nous  faire  arriver  à  la  foi  ; 
mais  il  n'est  pas  absolument  indispensable  et  il  n'est 
pas  exclusivement  le  seul.  Dans  la  formule  de  l'acte 
de  foi,  que  récitent  les  fidèles,  il  est  dit  qu'on  croit 
tout  ce  que  la  sainte  Eglise  catholique,  apostolique 
et  romaine  ordonne  de  croire,  mais  on  ne  le  croit 
pas  simplement  parce  qu'elle  l'ordonne,  on  le  croit 
parce  que  Dieu  l'a  révélé  et  qu'il  est  la  vérité  même. 
C'est  toujours  sur  l'autorité  de  Dieu  qu'on  s'appuie, 
et  c'est  uniquement  cette  autorité  qui  est  le  motif 
propre  ou  l'objet  formel  de  la  foi. 

5.  Mais  faut-il  pourtant,  pour  qu'il  y  ait  acte  de 
foi,  que  Dieu  ait  révélé  ?  Car,  même  dans  l'hypo- 
thèse où  Dieu  n'aurait  rien  révélé,  son  autorité  n'en 
existerait  pas  moins  et  il  aurait  toujours  droit  à 
notre  hommage  à  raison  de  sa  science  infaillible  et 
de  sa  véracité  absolue  ;  mais  il  ne  saurait  y  avoir 
acte  de  foi,  car  un  témoin  muet  n'apprend  rien. 
Pour  être  cru,  il  faut  qu'il  parle,  qu'ilrévèle  quelque 
chose.  Par  suite  la  révélation  est  indispensable  pour 
qu'il  puisse  y  avoir  acte  de  foi  ;  c'est  une  condition 
requise,  et  c'est  pourquoi  le  concile  du  Vatican, 
dans  la  question  présente,  ajoute  à  Dieu  le  qualifi- 
catif de  révélateur.  Il  dit,  en  effet,  propter  auctori- 
tatem  Dei  revelantis  ;  mais  il  n'a  pas  dit  :  propter 
auctoritatem  Dei  et  propter  revelationem,  ce  qui  laisse 
libre  par  conséquent  la  question  de  savoir  si  la 
révélation,  en  tant  que  fait,  entre  pour  une  part 
dans  le  motif  propre  ou  l'objet  formel  de  la  foi. 

V.  Les  motifs  de  crédibilité 

L'acte  de  foi  doit  être  un  acte  humain  :  il  requiert 
par  conséquent  le  concours  de  nos  facultés,  celui 


,^8o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

de  l'intelligence  pour  être  vraiment  rationnel,  celui 
de  la  volonté  pour  être  vraiment  libre.  Gomme, 
d'autre  part,  il  est  salutaire  au  sens  théologique  du 
mot,  et  constitue  le  commencement  de  la  justifica- 
tion, il  doit  être  inspiré  et  informé  par  la  grâce, 
ainsi  que  nous  le  verrons.  Toutefois  il  n'est  pas  une 
improvisation. 

i.  Chez  le  simple  fidèle,  déjà  en  possession  de  la 
vertu  de  foi  reçue  au  baptême  et  vivant  dans  un 
milieu  chrétien,  l'actedefoi  est  l'exercice  normal  de 
son  habitude  infuse  ;  il  se  trouve  justifié  en  soi  par 
l'autorité  du  témoignage  de  l'Eglise,  qui  lui  est 
notifié  par  ses  parents,  ses  maîtres  ou  ses  pasteurs. 
Sans  doute  les  chrétiens,  pour  le  plus  grand  nombre, 
sont  incapables  par  eux-mêmes  de  justifier  la  valeur 
du  motif  qui  les  pousse  à  faire  l'acte  de  foi  ;  mais,  en 
le  faisant,  ils  sont  suffisamment  garantis  par  l'auto- 
rité de  l'Eglise  à  laquelle  ils  appartiennent.  Car, 
ainsi  que  l'enseigne  le  concile  du  Vatican,  «  c'est  à 
l'Eglise  catholique  seule  qu'appartiennent  toutes 
ces  notes  si  nombreuses  et  si  frappantes  par  lesquel- 
les Dieu  a  rendu  évidente  la  crédibilité  de  la  foi 
chrétienne.  Bien  plus  elle  est  par  elle-même  un 
grand  et  perpétuel  motif  de  crédibilité,  en  même 
temps  qu'un  témoignage  irréfragable  de  sa  mission 
divine...  Elle  donne  à  ses  enfants  une  assurance 
plus  certaine  que  la  foi  qu'ils  professent  repose  sur 
un  très  ferme  fondement  (i).  » 

2.  Chez  l'incrédule,  au  contraire,  l'acte  de  foi  ne 
se  produit  qu'après  un  travail  préparatoire,  parfois 
assez  long,  toujours  délicat  à  cause  de  tant  de  mo- 
biles d'ordre  divers  qui  entrent  en  jeu,  réalisable 
pourtant  pour  toute  âme  de  bonne  volonté.  En 
effet,  à  l'aide  de  la  raison  et  sur  des  preuves  d'or- 

i*  Const.  Dei  Filius,  c.  ni,  §  5  et  6. 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  28 1 

dre  philosophique,  l'incrédule  peut  se  convaincre 
tout  d'abord  que  Dieu  existe,  —  et  c'est  là  une  pre- 
mière vérité  dont  il  ne  saurait  raisonnablement  dou- 
ter, —  qu'il  possède  une  science  infinie  à  l'abri  de 
toute  erreur  et  une  véracité  qui  le  rend  absolument 
incapable  de  tromper,  c'est-à-dire  une  autorité 
au-dessus  de  tout  soupçon.  Que  Dieu,  dans  sa 
bonté  et  sa  condescendance,  puisse  communiquer 
à  l'homme  un  enseignement  divin,  c'est  encore  une 
vérité  dont  la  certitude  métaphysique  ne  peut  être 
légitimement  révoquée  en  doute.  Que  Dieu  ait  dû 
s'adresser  à  l'homme,  ou,  en  d'autres  termes, 
qu'une  révélation  divine  ait  été  moralement  néces- 
saire, c'est  ce  que  justifie  amplement  une  étude 
psychologique  de  la  nature  humaine. 

3.  Mais  Dieu  a-t-il  parlé?  Existe- t-il  une  révéla- 
tion ?  Et  s'il  a  parlé,  peut-on  le  savoir  pertinem- 
ment sur  des  preuves  certaines,  indubitables  ? 
Quelles  sont  ces  preuves  ?  Autant  de  questions  à 
résoudre  au  moyen  de  l'histoire  par  l'examen  de  la 
valeur  des  témoignages,  car  les  faits  se  prouvent 
par  des  témoins,  et  le  fait  de  la  révélation  doit  être 
entouré  des  garanties  testimoniales  les  plus  irrécu- 
sables. 

C'est  ici  qu'interviennent  les  motifs  de  crédibilité. 
Aussi  est-ce  avec  raison,  que  le  concile  du  Vatican 
les  signale  pour  montrer  que  l'acte  de  foi,  loin 
d'être  un  assentiment  aveugle  et  un  saut  dans 
l'inconnu,  se  trouve  pleinement  justifié  aux  yeux 
de  la  raison.  Ces  motifs  de  crédibilité,  en  effet, 
préparent  l'acte  de  foi,  mais  ne  sont  pas  l'acte  de 
foi.  Ils  aident  à  faire  voir  qu'il  y  a  une  vérité  révélée 
par  Dieu,  qu'elle  doit  donc  être  acceptée  comme 
telle  ;  ils  aident  à  constater  d'une  part  le  fait  de  la 
révélation,  et,  d'autre  part,  l'obligation  qui  s'impose 
de  l'accepter. 


282  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

La  raison  doit  se  convaincre,  non  de  la  vérité 
intime  des  affirmations  du  témoin,  chose  qui  peut 
avoir  lieu  dans  la  suite,  mais  avant  tout  du  droit  du 
témoin  à  être  cru  sur  parole,  de  la  valeur  de  son 
témoignage.  Mais  une  fois  bien  établies  l'autorité  et 
l'existence  du  témoignage  divin,  l'hésitation  n'est 
plus  de  mise.  Ce  serait  folie,  dit  saint  Augustin, 
d'attendre  alors  pour  croire  qu'on  ait  résolu  toutes 
les  questions,  «  quœ  non  sunt  finiendae  antefidem,  ne 
finiatur  vlta  sinefide  (1).  »  Rien  de  plus  juste  :  Dieu 
a  parlé,  il  n'y  a  plus  qu'à  s'incliner.  En  faisant  alors 
l'acte  de  foi,  on  est  certain  d'avoir  agi  raisonnable- 
ment. 

4.  Quels  sont  donc  ces  motifs  de  crédibilité  qui 
amènent  ainsi  à  l'acte  de  foi  ?  Il  y  en  a  d'internes, 
il  y  en  a  d'externes.  Les  uns,  inspirés  du  Saint- 
Esprit  ou  jaillissant  des  profondeurs  mystérieuses 
de  la  conscience,  peuvent  se  nuancer  indéfiniment 
et  échappent  même  le  plus  souvent  au  contrôle  de 
celui  qui  leur  obéit  ;  les  autres  s'imposent  du  de- 
hors. Le  concile  y  fait  allusion  en  ces  termes  : 
«  Afin  que  l'hommage  de  notre  foi  fût  d'accord  avec 
la  raison,  aux  secours  internes  du  Saint-Esprit  Dieu 
a  voulu  joindre  des  preuves  extérieures  de  sa  révé- 
lation. »  Le  concile  ne  prétend  pas  que  les  motifs 
internes  soient  jamais  insuffisants,  car  Dieu  peut 
très  bien  éclairer  surnaturellement  une  âme  et  lui 
donner  l'assurance  indubitable  qu'il  est  l'auteur  de 
telle  ou  telle  révélation  ;  c'est  ainsi  notamment 
qu'il  en  a  agi  avec  les  prophètes,  et  c'est  ainsi  qu'il 
en  agit  encore  avec  quelques  rares  privilégiés  ;  mais 
tel  n'est  pas  l'ordre  ordinaire  de  la  Providence. 

5.  L'erreur  des  protestants  a  été  précisément  de 
n'accorder  de  valeur  pour  la  foi  qu'aux  motifs  inter- 

1.  Saint  Augustin,  Epist.  en,  38,  Pat.  lat.t  t.  xxxni,  col.  386, 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  283 

tÊUÊiimmm — — — — —  i  » 

nés  de  crédibilité  à  l'exclusion  de  tout  motif  externe. 
D'après  les  anciens  réformateurs,  chaque  chrétien 
possède  une  lumière  surnaturelle  qui  lui  permet  de 
découvrir  dans  l'Ecriture  la  vraie  parole  de  Dieu  et 
sa  signification  véritable.  Mais,  depuis  le  xvie  siècle, 
on  a  marché  dans  le  sens  de  plus  en  plus  accentué 
du  rationalisme  et  de  l'individualisme  :  à  la  lumière 
surnaturelle  on  a  substitué,  comme  critérium  de  la 
révélation,  la  lumière  naturelle  de  la  raison.  L'Ecri- 
ture elle-même  ne  compte  guère  plus,  et,  depuis 
Schleiermacher,  tout  se  réduit  de  plus  en  plus,  chez 
les  protestants  libéraux,  à  un  vague  sentimentalisme 
religieux,  où  la  révélation  n'est  pas  un  témoignage 
externe  de  Dieu,  mais  la  conscience  intime  des 
rapports  de  l'âme  avec  Dieu.  Ainsi,  tandis  que  les 
uns  repoussent  absolument  la  valeur  ou  la  nécessité 
des  motifs  externes  de  crédibilité,  d'autres,  moins 
radicaux,  n'y  voient  pour  le  croyant  qu'un  secours 
qui  vient  aider  la  foi  et  la  suppose  déjà,  et  pour 
l'incroyant  que  des  faits  inadmissibles  et  sans 
portée.  Car  c'est  aujourd'hui  la  tendance  générale, 
parmi  les  protestants,  d'en  appeler  exclusivement 
au  sentiment  religieux,  à  l'expérience  interne,  à 
une  action  directe  du  Saint-Esprit,  à  une  certitude 
immédiate  et  subjective  de  la  foi.  Or  cette  négation 
de  l'efficacité  des  signes  externes  pour  rendre 
croyable  la  révélation,  et  cette  prétention  de  ne  s'en 
tenir  qu'à  une  expérience  personnelle  interne  ont 
été  condamnés  par  le  concile  du  Vatican  :  «  Ana- 
thème  à  qui  dirait  que  la  révélation  divine  ne  peut 
être  rendue  croyable  par  des  signes  extérieurs,  et 
par  conséquent  que  les  hommes  ne  doivent  être 
amenés  à  la  foi  que  par  une  expérience  interne  et 
personnelle  ou  par  une  inspiration  privée  (i).  » 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  m,  can.  3. 


284  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6.  Le  concile  détermine  clairement  la  part  qui 
revient  aux  motifs  externes  de  crédibilité  dans  la 
préparation  à  la'  foi  ;  il  estime  que  ce  sont  des 
preuves  sojides  et  suffisantes  pour  légitimer  l'accep- 
tation de  la  révélation  ;  car,  dit-il,  aux  secours 
intérieurs  du  Saint-Esprit,  Dieu  a  voulu  joindre  des 
preuves  extérieures  de  sa  révélation,  savoir  des  faits 
divins,  et  surtout  des  miracles  et  des  prophéties, 
qui,  en  montrant  abondamment  la  toute-puissance 
et  la  science  infinie  de  Dieu,  font  reconnaître  la 
révélation  divine,  dont  ils  sont  les  signes  très  cer- 
tains et  appropriés  à  l'intelligence  de  tous  (i).  » 
Parmi  ces  faits  divins  qui  sont  des  arguments 
externes,  des  signes  très  certains  de  la  révélation 
divine,  des  preuves  du  témoignage  de  Dieu,  le 
concile  ne  cite  ici  exceptionnellement  que  les 
miracles  et  les  prophéties  ;  mais  il  n'oublie  pas, 
deux  paragraphes  après,  de  signaler  l'existence  de 
l'Eglise  catholique  comme  une  preuve  évidente  de 
la  crédibilité  de  la  foi  chrétienne. 

7.  Ces  motifs  de  crédibilité,  ces  signes  très 
certains  et  appropriés  à  l'intelligence  de  tous, 
constituent  une  solide  et  véritable  démonstration  de 
la  foi,  non  pas  assurément  une  démonstration 
mathématique,  mais  une  démonstration  capable 
de  légitimer  l'adhésion  de  l'esprit,  à  l'exclusion  de 
tout  doute  sérieux  et  motivé,  et  de  produire  une 
certitude  suffisante  pour  justifier  l'acte  de  foi.  Les 
qualifier  de  simples  probabilités,  c'est  trop  peu  dire. 
Et  sans  doute  c'est  là  le  terme  qu'employait 
ISewman  dans  le  récit  de  sa  conversion,  quand  il 
disait  :  Dieu  a  voulu  que,  «  dans  la  recherche  de  la 
religion,  nous  arrivions  à  la  certitude  par  des 
probabilités  accumulées...  11  nous  conduit,  si  seu- 

1.  Ibid.,  c.  m,  S  2. 


LES   MOTIFS    DE    CREDIBILITE  285 

lement  notre  volonté  coopère  avec  la  sienne,  à  "ne 
certitude  qui  s'élève  plus  haut  que  la  puissance 
logique  de  nos  conclusions  (i).  »  Non,  ce  ne  sont 
pas  de  simples  probabilités,  ce  sont  des  preuves 
certaines  ;  ils  constituent  une  certitude  réelle.  Plus 
loin,  au  delà  de  la  raison  logique,  après  l'acte  de 
foi,  dans  la  réalité  de  la  foi  possédée  et  vécue,  la 
certitude  est  œuvre  plus  haute,  comme  dit  Newman, 
mais  cette  certitude  résultant  de  la  vie  même  de  la 
foi  n'exclut  pas  la  certitude  qu'apportent  les  motifs 
de  crédibilité  et  qui  précède  l'acte  de  foi. 

8.  Est-ce  à  dire  que  cette  démonstration  par  les 
motifs  de  crédibilité  soit  d'une  efficacité  universelle 
et  invincible  ?  «  Certes,  non,  répond  M.  Gayraud. 
L'homme  y  échappe  par  inattention,  mépris,  mau- 
vaise volonté,  endurcissement  du  cœur,  et  aussi  par 
déviation  ou  par  anémie  de  l'esprit.  Je  passe  outre 
aux  causes  morales.   Mais    l'affaiblissement    de   la 
raison,   sous    l'influence  débilitante  et  toxique    du 
positivisme,  du  sensualisme  et  du  criticisme  kantien, 
doit  être  signalé.  La  démonstration   traditionnelle 
s'adresse  à  une  raison  saine  et  vigoureuse,  confiante 
dans   ses  facultés  de  perception  et  de   déduction, 
sûre  d'atteindre,  à  la  lumière  des  premiers  principes 
imprimés  en  elle  par  les  choses  mêmes,  la  réalité 
substantielle  des  êtres,  et  de  s'élever  par  les  créatures 
jusqu'à  Dieu.  Un  pareil  travail  dépasse  assurément 
les   forces   de  la  raison  positiviste   ou    kantienne. 
Celle-ci  doit  être  abordée  par  un  autre  point.  Que 
si  la  philosophie  de  l'action,  du  pragmatisme,  du 
dogmatisme  moral,  de  l'immanence  ou  de  quelque 
autre  nom  qu'on  l'appelle,  peut  saisir  cette  raison 
anémiée,    et,  en   éveillant  chez   elle    le   sentiment 
d'une  hétéronomie  nécessaire,  en  lui  faisant  perce- 

i.  Newman,  Apologia,  p.  aoo. 


286  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


voir  dans  sa  vie  consciente  les  «  postulats  »  de  la 
révélation  surnaturelle  et  chrétienne,  la  préparer  à 
l'intelligence  et' au  don  divin  de  la  foi,  cette 
philosophie  apportera  un  concours  précieux  et 
opportun  à  l'apologétique  traditionnelle.  Elle  tour- 
nera la  pensée  moderne  vers  les  clartés  sereines  de 
la  foi,  et  suscitera  chez  quelques-uns  ces  bons  désirs 
et  cette  bonne  volonté  que  la  grâce  de  Dieu  prévient, 
accompagne,  parachève  et  récompense.  Mais  il  n'en 
resté  pas  moins  vrai  que  la  solide  démonstration 
de  la  vérité  de  cette  foi,  celle  qui  motive  et  justifie 
la  certitude  de  nos  croyances,  en  face  de  la  raison 
incrédule  et  superbe  comme  dans  l'esprit  du  fidèle 
convaincu,  c'est  la  preuve  par  les  facta  divina,  dont 
parle  le  concile  du  Vatican,  qui  sont  les  externa 
argumenta  et  les  signa  certissima  omnium  intelligentiœ 
accommodata  de  la  révélation  divine  (i).  » 

1.  La  foi,  principe  de  connaissance.  —  «  S'il  n'y 
avait  que  deux  parties  dans  l'œuvre  universelle  (et  il  en 
pouvait  manifestement  être  ainsi,  puisque  l'institution 
surnaturelle  est  un  acte  libre  et  une  pure  grâce),  comme 
il  n'y  aurait  alors  que  deux  objets  à  connaître,  il  n'y 
aurait  non  plus  en  nous  que  deux  principes  de  connais- 
sance. En  effet,  si  Dieu  ne  manque  jamais  de  procurer 
ce  qui  est  nécessaire,  on  ne  le  voit  jamais  non  plus  rien 
faire  d'inutile  ni  de  vain.  Supposé  donc  que,  comme 
l'impiété  l'affirme  avec  audace  parce  qu'elle  le  désire  avec 
passion,  il  n'y  ait  point  de  surnaturel,  il  est  parfaitement 
clair  que  le  sens  et  la  raison  suffiraient  à  l'humanité,  à  ses 
devoirs,  à  ses  besoins  ;  et  non  seulement  pour  la  vie  de 
ce  monde,  mais  encore  pour  la  vie  future.  Oui,  dans  cette 
hypothèse,  à  la  seule  condition  d'user  toujours  de  ses 
sens  et  de  sa  raison  en  toute  vérité,  sagesse  et  justice, 
l'homme  atteindrait  sa  fin.  Mais  si,   comme  il  est  bien 

i.  Gayraud,  Le  problème  de  la  certitude  religieuse»  dans  la 
Revue  du  clergé,  1902,  t.  xxx,  p.  ia3-ia4. 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  287 

certain,  il  y  a  un  ordre  surnaturel  ;  si,  comme  on  n'en 
saurait  ni  chrétiennement  ni  raisonnablement  douter, 
Dieu  a  voulu  qu'entre  cet  ordre  et  nous  des  rapports 
existassent  ;  s'il  y  a  établi  notre  fin  dernière,  s'il  en  a  fait 
par  suite  découler  notre  loi,  s'il  y  rattache  toute  notre  vie 
morale,  il  doit  indispensablement  ouvrir  en  nos  âmes  une 
nouvelle  source  de  connaissance,  un  principe  supérieur 
de  perception  et  d'entendement,  qui  soit  précisément  à 
son  sublime  objet,  ce  que  sont  les  sens  et  la  raison  aux 
objets  qui  leur  correspondent.  Or,  cette  source  et  ce 
principe,  c'est  ce  qu'on  nomme  la  foi. 

«  Sans  doute,  cet  ordre  qui,  en  lui-même,  est  tout 
surnaturel,  ne  l'est  pas  dans  son  expression.  Sans  cela, 
il  serait  pour  nous  comme  n'existant  pas  ;  ou  il  nous 
faudrait,  pour  l'atteindre,  non  plus  seulement  dépasser 
notre  nature,  ce  qui  est  une  perfection,  mais  la  changer 
de  fond  en  comble,  c'est-à-dire  la  détruire,  ce  qui  serait 
Un  désordre.  Dès  qu'en  disant  extérieurement  le  mot 
vivant  de  sa  vie  intime,  c'est  à  nous  que  Dieu  s'adresse, 
il  parle  nécessairement  une  langue  que  nous  pouvons 
entendre.  Ses  pensées  infinies,  pour  ne  considérer  ici  que 
ses  communications  intellectuelles,  il  les  met  dans  des 
mots  finis,  dans  des  mots  connus,  usuels,  et  dont  le  sens 
est  parfaitement  déterminé  d'avance.  A  ce  titre,  quand 
Dieu  s'en  sert,  chacun  de  nous  peut  les  percevoir  et  en 
saisir  le  sens  humain.  Dieu  fait  plus,  et  il  devait  faire 
plus  :  car  ce  n'est  point  assez  que  nous  sachions  qu'on 
parle  ;  il  faut  surtout  savoir  qui  parle,  et  que  celui  qui 
parle  est  Dieu.  Il  parle  donc  en  Dieu,  c'est-à-dire  qu'il 
revêt  ses  paroles  de  caractères  inimitables.  Il  ne  se  con- 
tente pas  d'y  répandre  cette  beauté  intrinsèque  qui  ne 
leur  peut  manquer,  mais  que  son  excellence  même  tient 
au  dessus  de  la  portée  du  grand  nombre  ;  il  les  illustre, 
les  confirme  et  les  accrédite,  aux  yeux  de  tous,  par 
toutes  sortes  d'oeuvres  de  sa  droite,  et  principalement  par 
d'incontestables  miracles  ;  de  telle  sorte  que,  non  seule- 
ment on  les  peut  raisonnablement  tenir  pour  divines, 
mais  que,  sans  mentir  au  bon  sens  et  trahir  sa  propre 
raison,  on  ne  peut  les  confondre  avec  celles  qui  ne  le  sont 


288  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


point.  Il  les  inonde  ainsi  des  clartés  qui  lui  sont  person- 
nelles, et,  en  se  montrant,  il  les  démontre.  »  Mgr  Gay, 
De  la  vie  et  des  vertus  chrétiennes,  6e  édit. ,  Paris,  187^, 
t.  1,  p.  i57-i5q. 

2.  Le  fait  de  la  révélation.  —  «  Le  motif  suprême 
de  la  foi,  c'est  la  véracité  de  Dieu  ;  mais  nous  ne  savons 
que  la  véracité  de  Dieu  est  intéressée  qu'autant  que  nous 
sommes  certains  que  Dieu  a  parlé...  Où  a-t-il  parlé  ? 
quand  a-t-il  parlé  ?  à  qui  a-t-il  parlé  ?  comment  a-t-il 
parlé  ?  Quatre  questions  auxquelles  il  est  nécessaire  de 
répondre,  si  l'on  veut  obtenir  l'assentiment  légitime  de 
la  raison  :  question  de  lieu,  question  de  temps,  question 
de  personne,  question  de  moyen.  Qui  répondra  à  ces 
questions  ?  La  parole  de  Dieu  elle-même  ?  mais  il  y  aurait 
pétition  de  principe,  puisque  c'est  précisément  le  fait  de 
cette  parole  qu'il  s'agit  de  démontrer,  afin  de  créer  une 
certitude  à  son  endroit.  Il  faut  donc  qu'intervienne  une 
autre  puissance,  et  je  n'en  connais  pas  d'autre  que  la 
puissance  rationnelle.  Je  n'en  connais  pas  d'autre,  parce 
que,  en  réalité,  il  n'y  en  a  pas  d'autre.  C'est  ce  que  disait 
ïe  chef  de  l'Eglise,  dans  une  encyclique  mémorable,  dont 
je  cite  les  termes  :  «  Il  faut  que  la  raison  s'informe  dili- 
gemment du  fait  de  la  révélation,  afin  qu'elle  soit  certaine 
que  Dieu  a  parlé,  et  qu'ainsi  elle  puisse  lui  offrir  une 
soumission  raisonnable,  comme  l'enseigne  très  sagement 
l'apôtre  (1).  »  Leibnitz  appelait  cela  :  «  faire  les  établis- 
sements du  christianisme.  » 

m  II  appartient  donc  à  la  raison  d'établir,  par  une 
démonstration,  je  ne  dis  pas  les  vérités  de  la  foi,  car  il  y 
en  a  qu'elle  ne  comprend  pas,  et  qui,  par  conséquent, 
sont  indémontrables,  mais  ce  qu'on  appelle,  en  théologie, 
la  vérité  de  la  foi.  C'est  la  raison  qui  répond  aux  ques- 
tions de  la  raison,  alors  qu'elle  s'approche  pour  s'unir 
à  la    parole   de    Dieu,   par    l'assentiment.  »   Monsabré, 


1.  Encyclique  Noscitis  du  9   novembre   1846  ;   Denzinger, 
n.  1498. 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  289 

» 

Introduction    au  dogme    catholique,    Paris,    1866,    t.    1, 
p.  58-59. 

3.  La  foi  et  la  vision  béatifique.  —  «  Dieu  est  venu 
à  l'homme  ;  Dieu  lui  a  parlé  par  son  Fils.  Dieu  a  pris 
cette  frêle  créature  par  la  main,  et  la  faisant  sortir  de 
toute  limite  créée,  l'a  mise  en  face  d'un  nouveau  monde, 
d'une  terre  nouvelle  et  de  cieux  nouveaux.  Et  comme  le 
regard  humain  demeurait  fermé  à  ces  splendeurs  surhu- 
maines, Dieu  lui  a  dit  :  Ephphetha  !  «  ouvre-toi.  »  Au 
regard  naturel  de  l'homme  Dieu  a  ajouté  un  autre  regard 
vaste  et  perçant  comme  le  monde  qu'il  lui  était  donné 
d'explorer  ;  et  l'homme,  ainsi  divinement  pourvu  d'un 
organe  proportionné  aux  immensités  offertes  à  son 
regard,  l'homme  spirituel  apprécie  tout.  Jouissant  à 
travers  un  voile  d'une  première  vue  du  ciel,  par  la  foi 
nous  comprenons,  nous  pénétrons  dans  l'intérieur.  «  Notre 
raison,  aidée  et  soutenue  par  la  grâce,  dérobe  alors  en 
quelque  sorte  par  anticipation  au  séjour  de  la  gloire 
quelque  ébauche,  quelque  commencement  de  la  vision 
intuitive...  Quand  il  est  parvenu  à  la  cime  de  ces  monta- 
gnes, si  le  penseur  chrétien,  absorbé  dans  sa  méditation 
divine,  touche  encore  la  terre  du  bout  de  ses  pieds,  on 
peut  dire  qu'il  a  le  front  déjà  dans  le  ciel  :  encore  un 
effort,  une  secousse  qui  détache  l'esprit  de  la  matière, 
l'âme  du  corps,  et  il  sera  en  possession  du  face-à-face  de 
la  vérité  (1).  »  0  prérogative  merveilleuse  de  la  foi  !  Si  la 
grâce  est  la  gloire  en  germe,  la  foi  est,  en  germe,  la 
vision  béatifique.  Sans  doute,  elle  ne  perce  pas  à  jour  le 
mystère,  mais  elle  voit  en  énigme,  à  travers  un  voile.  Par 
la  foi,  les  choses  que  nous  espérons  prennent  un  corps, 
une  réalité  palpable  :  nous  les  touchons  pour  ainsi  parler, 
tellement  la  foi  nous  les  rend  présentes.  La  foi  c'est  la 
démonstration  des  choses  invisibles  ;  car,  par  la  foi,  nous 
nous  rendons  déjà  compte  de  ces  inscru tables  richesses 
du  Christ,  dont  est  dotée  notre  patrie  future.  Nous  con- 
naissons en  partie  ;  or,  quand  viendra  l'état  parfait,  ce 

I.  Mgr  Pie,  Œuvres,  t.  m,  p.  184. 

LF   C  Y  THOMISME.   T.   I.  IO 


2 Q0  LE    CATECHISME    ROMAIN 

qui  n'est  que  partiel  disparaîtra  ;  les  rudiments  de  la  foi, 
premières  leçons  d'un  Dieu  à  un  Dieu  enfant,  feront 
place  aux  illuminations  de  la  claire  vue  du  ciel,  où, 
devenus  hommes  parfaits,  nous  aurons  atteint  la  pléni- 
tude de  l'âge  du  Christ.  »  Doublet,  Saint  Paul,  Paris, 
1876,  t.  11,  p.  247-248. 


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Leçon  VIII 
De  la  foi 


I.  Rôle  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  dans 
l'acte  de  foi.  —  II.  De  la  nécessité  de  la  grâce. 
—  III.  Les  propriétés  de  la  foi.  —  IV.  Concep- 
tion nouvelle  de  la  foi. 

I.  Rôle  de  l'intelligence 
et  de  la  volonté  dans  l'acte  de  foi 


i . 

Les  partisans  delà  philosophie  de  l'action  ou  du 
pragmatisme  moral  reprochent  à  la  définition 
scolastique  de  la  foi  d'être  trop  intellectualiste, 
de  trop  insister  sur  l'efficacité  des  preuves  de  la  révé- 
lation, et  par  là,  prétendent-ils,  de  compromettre 
la  liberté  de  l'acte  de  foi,  expressément  définie  par 
l'Eglise.  Ils  se  plaignent  de  ce  qu'on  néglige  ou  de 
ce  qu'on  méconnaît  l'intervention  des  dispositions 
morales,  le  rôle  important  et  nécessaire  de  la 
volonté  dans  cet  acte  vital  qu'est  l'acte  de  foi  (i). 
Mais,  a  leur  tour,  ils  encourent  le  reproche  de 
sacrifier  le  caractère  essentiellement  rationnel  de  la 
foi  et  de  donner  à  celle-ci  comme  base  dernière, 

i.  Pour  la  bibliographie,  voir  la  leçon  précédente. 


2Q2  LE    CATECHISME    ROMAIN 

non  pas  des  raisons  et  des  faits  externes,  mais  l'im- 
pression subjectiye  du  croyant.  Certains  même 
prétendent  qu'ils  faussent  la  notion  traditionnelle 
de  la  foi. 

Il  y  a  là  des  malentendus  qu'il  semble  possible  de 
dissiper  en  précisant  le  rôle  respectif  de  l'intelli- 
gence et  de  la  volonté.  Avec  le  concile  du  Vatican, 
il  faut  mettre  en  relief  tout  d'abord  la  parfaite 
ralionabilité  de  l'acte  de  foi,  fondée  sur  la  parole 
révélatrice  de  Dieu  et  sur  les  motifs  de  crédibilité 
qui  garantissent  le  fait  de  la  révélation  ;  ensuite  la 
pleine  liberté  du  croyant,  dont  l'adhésion  reste 
volontaire  et  méritoire,  malgré  les  preuves  positi- 
ves de  la  révélation.  Après  quoi  il  n'y  a  plus  qu'à 
déterminer  la  faculté  spéciale  de  l'âme  à  laquelle 
appartient  proprement  l'acte  de  foi,  soit  qu'elle  soit 
aidée  transi toirement  par  la  grâce,  soit  qu'elle  ait  été 
surélevée  par  une  habitude  infuse  surnaturelle. 

2.  L'acte  de  foi,  on  ne  saurait  le  contester,  appar- 
tient à  l'ordre  intellectuel,  puisqu'il  est  une  adhé- 
sion de  l'esprit  à  la  vérité  révélée.  Simple  en 
lui-même,  il  est  pourtant  entouré  de  circonstances, 
où  l'analyse  permet  de  distinguer  la  part  des  facultés 
qui  concourent  à  le  préparer,  la  part  spéciale  de  celle 
qui  le  décide  et  de  celle  qui  Y  accomplit. 

Saint  Thomas  qui,  dans  cet  acte,  accorde  le  primat 
à  l'intelligence,  ne  cesse  pourtant  pas  de  faire  allu- 
sion à  la  volonté.  Il  dit  que  l'objet  de  la  vérité  à 
croire  ne  suffît  pas  à  entraîner  l'intelligence,  que 
celle-ci  ne  se  détermine  que  par  un  choix  volon- 
taire. Or,  quand  ce  choix  exclut  le  doute  et  la  crainte 
de  se  tromper,  c'est  l'acte  de  foi  (1).  Il  dit  encore  : 
«  L'intellect  de  celui  qui  croit  est  déterminé  dans  sa 
foi,  non  par  la  raison,  mais  par  la  volonté  ;  c'est 

1.  Sum.  theol.  na  uœ  ,  Q.  1,  a.  4. 


ROLE  DE  L'INTELLIGENCE  ET  DE  LA  VOLONTÉ         2C)3 

pourquoi  l'assentiment  se  prend  ici  pour  un  acte  de 
l'intellect,  en  tant  que  celui-ci  est  déterminé  par  la 
volonté  (i).  »  Il  dit  enfin  :  «  Croire,  c'est  l'acte  de 
l'intellect,  en  tant  qu'il  est  mû  par  la  volonté  à 
donner  son  assentiment;  cet  acte  procède  donc  de 
deux  puissances...  Mais  croire  est  l'acte  immédiat 
de  l'intellect,  parce  que  l'objet  de  cet  acte  est  le 
vrai,  qui  est  lui-même  l'objet  propre  de  l'intellect. 
Par  conséquent,  il  faut  que  la  foi,  par  cela  seul 
qu'elle  est  le  principe  de  cet  acte,  réside  dans 
l'intellect  comme  dans  son  sujet  (2).  » 

3.  La  préparation  à  l'acte  de  foi  peut  bien  appar- 
tenir en  partie  à  la  volonté  et  à  des  motifs  d'ordre 
moral;  car  il  y  a  lieu  de  tenir  compte  des  prédispo- 
sitions, des  aptitudes,  des  attraits,  des  aspirations  et 
des  besoins  de  l'âme  qui  ne  trouvent  leur  pleine 
satisfaction  que  dans  la  foi.  Mais  elle  appartient  sur- 
tout à  l'intelligence  qui,  assurée  par  ses  propres 
lumières  de  la  science  infaillible  et  de  la  véracité 
absolue  de  Dieu,  comprend  clairement  que  si  Dieu 
parle,  il  a  droit  à  notre  audience.  L'esprit  s'applique 
donc  à  savoir  si,  réellement,  Dieu  a  parlé  ;  il  exa- 
mine en  conséquence  les  preuves  historiques  qu'on 
donne  de  la  révélation  ;  il  pèse  les  témoignages  qui 
déposent  en  sa  faveur  ;  il  parvient  à  se  convaincre 
de  sa  réalité  sur  des  raisons,  non  pas  probables, 
mais  certaines,  d'une  certitude  morale  qui  ne  laisse 
pas  de  place  à  un  doute  motivé  et  qui  est  à  la  fois 
nécessaire  et  suffisante.  Une  simple  connaissance 
probable  de  la  révélation,  en  effet,  ne  saurait  ici 
suffire  :  il  faut  une  connaissance  certaine  ;  car  Inno- 
cent XI  (1676-1689)  a  condamné  la  proposition  sui- 
vante :  «  L'assentiment  de  foi  surnaturelle  et  utile 
au  salut  est  compatible  avec  la  connaissance  pure- 

1.  Ibid.y  Q.  11,  a.  1,  ad.  3.  —  2.  Ibid.,  Q.  iv,  a.  2. 


294  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ment  probable  de  la  révélation   et  même   avec  la 
crainte  que  Dieu  .n'aît  pas  parlé  (1).  » 

L'intelligence  est  ainsi  amenée  à  prononcer  deux 
jngements  :  un  jugement  théorique  ou  spéculatif  : 
«  Il  y  a  des  raisons  évidentes  de  croire  ;  je  puis 
croire  ;  »  et  un  jugement  pratique  :  «  Je  dois  croire.  » 
Mais  elle  ne  va  pas  jusqu'à  la  conclusion  dernière 
pour  faire  vraiment  l'acte  de  foi  et  dire  :  «  Je  crois.  » 
Car  lïnévidence  du  fait  ou  de  la  vérité  à  croire  suf- 
fit le  plus  souvent  à  l'arrêter. 

[\.  C'est  ici,  nécessairement,  que  la  volonté  doit 
intervenir  d'une  façon  décisive.  J'entends  bien 
M.  Rabier,  écho  d'un  bon  nombre  de  contempo- 
rains, proposer  ce  dilemme  :  «  Ou  nos  raisons  intel- 
lectuelles de  croire  nous  semblent  suffisantes,  ou 
elles  nous  semblent  insuffisantes.  Si  elles  nous 
semblent  suffisantes,  il  n'est  que  faire  de  la  volonté 
pour  produire  la  croyance.  Si  elle  nous  semblent 
insuffisantes,  qu'on  explique  comment  la  volonté 
pourrait  dissimuler  le  manque  de  raison  ou  se  pren- 
dre elle-même  pour  une  raison  (2).  » 

Mais  ce  dilemme  ne  tient  pas.  Oui,  nos  raisons 
intellectuelles  de  croire  sont  suffisantes  :  elles  pré- 
parent l'acte  de  foi,  elles  le  rendent  possible,  elles 
en  garantissent  la  rationabilité,  elles  justifient  le 
bien  fondé  de  cette  conclusion  spéculative  :  il  y  a 
des  raisons  de  croire,  et  de  cette  obligation  morale  : 
il  faut  croire  ;  mais  elles  ne  nécessitent  pas  l'acte 
même  de  croire,  car  on  ne  croit  que  si  Ton  veut. 
L'acte  de  foi  est  essentiellement  libre  ;  l'homme 
peut  s'y  refuser  efci  dépit  de  la  raison.  «  Croire, 
disait  saint  Augustin,  on  ne  le  peut  que  de  bon 


1.  Proposition  21  condamnée  le  a  mars  1679;  Denzinger, 
n.  io38.  —  2.  Rabier,  Leçons  de  philosophie.  Psychologie, 
5e  édit.,  p.  271. 


ROLE    DE    L'INTELLIGENCE    ET    DE    LA    VOLONTÉ      2q5 

gré  (i).  »  C'est  l'enseignement  formel  du  concile 
de  Trente  (2),  comme  aussi  celui  du  concile  du 
Vatican  (3).  L'acte  de  foi  reste  libre,  même  après 
l'acquisition  des  preuves  de  crédibilité,  même  après 
la  constatation  des  «  faits  divins,  »  de  «  ces  signes 
très  certains  et  accommodés  à  l'intelligence  de 
tous,  »  que  Dieu  a  donnés  pour  preuves  de  sa  révé- 
lation. Et  prétendre  que  «  l'assentiment  de  la  foi 
chrétienne  n'est  pas  libre,  qu'il  est  produit  néces- 
sairement par  des  preuves  de  raison  humaine,  »  ce 
serait  tomber  sous  les  coups  de  l'anathème  porté 
par  le  canon  5  (4). 

5.  Et  c'est  parce  qu'il  est  libre  que  l'acte  de  foi 
est  méritoire.  Ecoutons  saint  Thomas  :  «  Nos  actes 
sont  méritoires  selon  qu'ils  procèdent  du  libre  arbi- 
tre mû  par  Dieu  au  moyen  de  la  grâce.  Il  s'ensuit 
que  tout  acte  humain  qui  est  soumis  au  libre  arbi- 
tre, s'il  se  rapporte  à  Dieu,  peut  être  méritoire.  Or, 
l'acte  même  de  la  foi  est  un  acte  de  l'entendement, 
qui  adhère  à  la  vérité  divine  sous  l'empire  de  la 
volonté  mue  par  Dieu  au  moyen  de  la  grâce.  Cet 
acte  est  dès  lors  soumis  au  libre  arbitre,  et,  de  plus, 
il  se  rapporte  à  Dieu.  Donc  l'acte  de  foi  peut  être 
méritoire  (5).  »  Et  dans  la  science  que  se  passe-t-il? 
Saint  Thomas  répond  :  «  On  peut  considérer  deux 
choses  dans  la  science,  l'assentiment  de  l'esprit  à  la 
chose  que  l'on  connait,  et  la  considération  actuelle  de 
cette  même  chose.  L'assentiment  à  la  science  n'est 
pas  soumis  au  libre  arbitre,  parce  qu'il  est  le  résul- 
tat forcé  de  la  démonstration  ;  ce  qui  fait  qu'il  n'est 

1.  In  Joan.,  tract,  xxvi,  a  ;  Patr.  lat.,  t.  xxxv,  col.  1607.— 
2.  Sess.  vi,  cap.  vi.  —  3.  Const.  Dei  Filius,  cap.  ni,  S  3.  ^ 
4.  Const.  Dei  Filius,  cap.  m,  can.  5  :  «  Si  quis  dixerit  assen- 
sum  fidei  christianse  non  esse  liberum,  sed  argumentis  huma- 
nae  rationis  necessario  produci...  anathema  sit.  »  —  5.  Sum. 
theol,  na  nœ,  Q.  11,  a.  9. 


296  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pas  méritoire.  Au  contraire,  la  considération  de  la 
chose  que  l'on  connaît  dépend  du  libre  arbitre,  parce 
qu'il  est  au  pouvoir  de  l'homme  d'appliquer  ou  de  ne 
pas  appliquer  son  esprit  à  une  chose  ;  et  c'est  pour- 
quoi la  considération  de  la  science  peut  être  méritoire, 
si  on  la  rapporte  à  la  fin  de  la  charité,  c'est-à-dire 
à  la  gloire  de  Dieu  ou  à  l'utilité  du  prochain.  Mais, 
en  matière  de  foi,  ces  deux  choses  que  nous  venons 
de  distinguer  sont  également  soumises  au  libre 
arbitre,  ce  qui  fait  que,  par  rapport  à  l'une  et  à 
l'autre,  l'acte  de  foi  peut  être  méritoire  (1).  » 

6.  Donc,  même  en  face  de  la  certitude  des  preu- 
ves de  la  révélation  et  de  l'obligation  de  croire 
qui  en  résulte,  l'homme  conserve  la  liberté  de  croire 
ou  de  refuser  son  assentiment.  Mais,  après  les  opé- 
rations intellectuelles  qui  préparent,  protègent  et 
justifient  l'acte  de  foi,  cet  acte  de  foi  reste  à  faire.  La 
liberté  qu'il  requiert  est  à  chercher  dans  une  déter- 
mination de  la  volonté,  qui  suit  la  connaissance  des 
motifs  de  crédibilité,  et  qui  précède  l'acte  de  foi.  Une 
fois  que  l'intelligence  à  porté  un  jugement  spécula- 
tif sur  les  raisons  de  croire  et  un  jugement  prati- 
que sur  l'obligation  de  croire,  c'est  à  la  volonté  de  se 
décider  et  de  décider  l'intelligence  à  faire  l'acte  de 
foi  par  un  commandement  exprès.  Elle  doit  se 
décider  à  intervenir,  parce  que,  sous  la  vérité  à 
croire  que  lui  présente  l'intelligence,  elle  découvre 
une  obligation  morale  à  remplir,  un  besoin  du 
cœur  à  satisfaire,  un  bien  à  poursuivre  et  à  attein- 
dre ;  mais,  pour  se  décider,  elle  doit  écarter  les 
obstacles  d'ordre  pratique  ;  car  il  y  a  des  consé- 
quences morales  :  passions  à  réprimer,  devoirs  et 
vertus  à  pratiquer,  attitude  austère  à  prendre,  vie  à 
orienter.  Reste   alors   à  décider  l'intelligence  elle- 


»' 


1.  Ibid.,  Q.  11,  a.  q,  ad  2. 


NECESSITE   DE  LA  GRACE  POUR   LACTE  DE  FOI       297 

même,  à  la  mouvoir,  et  par  suite  à  exiger  d'elle 
l'acte  même  d'adhésion  à  la  vérité  révélée,  c'est-à- 
dire  l'acte  de  foi,  malgré  les  difficultés  d'ordre  spé- 
culatif qui  peuvent  surgir  soit  de  l'histoire,  soit  des 
objections  scientifiques,  soit  de  l'inévidence  et  de 
l'impénétrabilité  du  mystère.  Elle  commande  donc 
à  l'intelligence  de  donner  son  assentiment  à  la 
vérité  proposée,  et  ainsi,  sous  l'impulsion  impé- 
rieuse de  la  volonté,  l'intelligence  finit  par  dire: 
Je  crois.  C'est  l'acte  de  foi. 

IL  Nécessité  de  la  grâce  pour 
l'acte  de  foi  surnaturel 

1 .  Les  sens  et  la  raison  sont  incapables  par  eux- 
mêmes  d'assurer  et  de  réaliser  l'assentiment  surna- 
turel de  l'intelligence  à  la  vérité  révélée,  de  faire  que 
l'acte  de  foi  soit  vraiment  salutaire  et  constitue  le 
commencement  du  salut.  Ils  le  préparent,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  par  la  connaissance  physi- 
que ou  historique  des  «  faits  divins  »  surnaturels 
qu'ils  nous  procurent  ;  mais  ils  ne  vont  pas  jus- 
qu'à nous  faire  adhérer,  comme  il  convient,  à  la 
réalité  intime  de  la  révélation.  La  volonté  elle-même, 
pour  se  décider  et  pour  décider  l'intelligence  à  l'acte 
de  foi,  est  impuissante  tant  qu'elle  reste  avec  ses 
seules  forces  naturelles.  De  toute  nécessité  il  faut 
l'intervention  de  la  grâce,  et  comme  une  double 
touche  du  Saint-Esprit,  comme  une  double  grâce  : 
une  grâce  d'illumination  qui  éclaire,  dirige,  sou- 
tienne et  fortifie  l'intelligence  dans  sa  marche,  dans  le 
jugement  pratique  qu'elle  porte  ;  une  grâce  d'inspi- 
ration qui  touche,  dégage,  incline  et  meuve  la  vo- 
lonté pour  commander  l'assentiment  ;  une  grâce,  en 
un  mot,  qui  pénètre  et  informe  l'acte  de  foi  dans  sa 


298  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

^1— — — — — ^^^^^^^—■—  W^^^—  Il  I  «Il  — ^ ^ — — ^^ 

préparation,  dans  son  évolution  et  dans  sa  réalisation. 

2.  Faut-il,  en  outre,  pour  qu'il  soit  salutaire  et 
méritoire,  que  l'acte  de  foi  soit  informé  par  la  cha- 
rité ?  Ce  fut  la  pensée  et  aussi  l'erreur  d'Hermès  au 
dernier  siècle.  Plaçant  le  motif  de  la  foi,  non  dans 
l'autorité  du  Dieu  révélateur,  mais  dans  les  argu- 
ments qui  prouvent  à  la  raison  les  vérités  des  dog- 
mes révélés,  Hermès  niait  la  liberté  de  la  foi  et  son 
caractère  surnaturel.  Il  distinguait,  en  effet,  l'assen- 
timent à  la  vérité  révélée,  assentiment  qu'il  regar- 
dait comme  l'aboutissement  logique  et  nécessaire  de 
la  raison  sans  aucun  rapport  avec  le  salut,  et  la  foi 
qui  agit  par  la  charité,  la  foi  du  cœur,  la  seule  qu'il 
estimât  vraiment  libre  et  vraiment  surnaturelle. 
C'était  donc,  à  ses  yeux,  uniquementpar  la  charité  que 
l'acte  de  foi  devenait  libre  et  surnaturel.  Par  là,  ii 
allait  plus  loin  que  le  semi-pélagianisme  ;  les  semi- 
pélagiens  ne  niaient  la  nécessité  de  la  grâce  que 
pour  le  commencement  de  l'acte  de  foi  ;  Hermès  le 
niait  pour  l'acte  de  foi  lui-même,  tant  que  cet  acte 
n'était  pas  informé  par  la  charité. 

3.  Et  pourtant  le  second  concile  d'Orange,  en 
529,  avait  dit  :  «  Si  quelqu'un  affirme  que  par  la 
force  de  la  nature  humaine,  on  peut  penser  comme 
il  faut  à  quelque  bien  qui  touche  au  salut  de  la  vie 
éternelle,  ou  qu'on  peut  le  choisir,  ou  qu'on  peut 
adhérer  à  l'enseignement  du  salut  ou  de  l'Evangile, 
sans  une  illumination  et  une  inspiration  du  Saint- 
Esprit,  qui  donne  à  tous  la  suavité  de  l'adhésion 
et  de  la  croyance  à  la  vérité,  il  est  trompé  par  l'es- 
prit d'hérésie  (1).  »  Ce  n'est  là,  il  est  vrai,  que 
la  décision  d'un  concile  particulier  ;  mais  il  ne  faut 
point  oublier  que  cette  décision  a  été  ratifiée  par 
Boniface  II  (53o-532). 

1.  Gonc.  Araus.,  11,  can.  7  ;  Denzinger,  n°  i5o. 


NECESSITE  DE  LA  GRACE  POUR  L  ACTE   DE  FOI       299 

Du  reste,  d'après  l'enseignement  traditionnel  de 
l'Eglise,  l'acte  de  foi  a  toujours  été  regardé  comme 
la  base  nécessaire  de  toute  justification  et  de  toute 
œuvre  surnaturelle,  et  tout  acte  qui  se  rapporte 
au  salut  comme  un  produit  de  la  grâce.  Voici  com- 
ment l'a  formulé  le  concile  de  Trente  :  «  Les  adultes 
sont  disposés  à  la  justification  lorsque,  excités  et 
aidés  par  la  grâce  divine,  ils  conçoivent  la  foi  par  ce 
qu'ils  entendent  et  se  portent  librement  vers  Dieu, 
en  croyant  à  la  vérité  de  ce  que  Dieu  a  révélé  et 
promis  (i).  »  «  Lorsque  l'apôtre  dit  que  l'homme 
est  justifié  parla  foi  et  gratuitement,  il  faut  com- 
prendre ces  paroles  dans  le  sens  que  l'Eglise  catho- 
lique a  admis  et  enseigne  avec  un  accord  constant, 
c'est-à— dire  en  ce  sens  que  nous  sommes  justifiés 
par  la  foi,  parce  que  la  foi  est  le  commencement  du 
salut  de  l'homme,  le  fondement  et  la  racine  de  toute 
justification  (2).  »  Gela  montre  que  la  foi  qui  pré- 
cède la  justification  et  qui,  par  suite,  n'opère  point 
par  la  charité,  prépare  à  l'infusion  de  la  grâce  sanc- 
tifiante, constitue  le  commencement  du  salut  et  est 
surnaturelle.  Or,  cette  foi  surnaturelle  et  salutaire, 
toujours  d'après  le  concile  de  Trente,  continue 
d'exister  même  chez  ceux  qui  ont  perdu  la  charité 
par  le  péché  (3). 

Or,  ces  trois  points  :  nécessité  de  la  grâce  pour 
V assentiment  de  la  foi,  caractère  surnaturel  de  la 
foi  même  quand  elle  n'opère  point  par  la  charité, 
et  relation  étroite  entre  cet  acte  et  le  salut,  ont  été 
de  nouveau  précisés  et  formulés  par  le  concile  du 
Vatican.  «  Bien  que  l'assentiment  de  la  foi,  est-il 
dit  dans  la  Constitution  Dei  Filius,  ne  soit  pas  un 
mouvement  aveugle  de  l'esprit,  personne  pourtant 

x.  Conc.  Trid.,  sess.  vi,  cap.  vi.  — ^2.  Conc.  Trid.,  sess.  vi, 
cap.  vin.  —  3.  Conc.  Trid.,  sess.  vi,  can.  28. 


3oo 


LE    CATECHISME   ROMAIN 


ne  peut  adhérer  à  renseignement  de  l'Evangile 
comme  il  le  faut  pour  arriver  au  salut  sans  une 
illumination  et  une  inspiration  du  Saint-Esprit, 
qui  donne  la, suavité  de  l'adhésion  et  de  la  croyance  à 
la  vérité  (ceci  est  pris  au  second  concile  d'Orange). 
C'est  pourquoi  la  foi,  en  elle-même,  est  un  don  de 
Dieu,  alors  même  qu'elle  n'opère  point  par  la  cha- 
rité, et  son  acte  est  une  œuvre  se  rapportant  au 
salut,  par  laquelle  l'homme  se  soumet  librement  à 
Dieu,  en  consentant  et  en  coopérant  à  sa  grâce  à 
laquelle  il  pourrait  résister  (i).  »  Le  concile  déclare 
anathème  non  seulement  à  celui  qui  prétendrait 
que  l'assentiment  de  la  foi  chrétienne  n'est  pas 
libre,  mais  encore  à  celui  qui  dirait  qu'il  n'y  a  que 
pour  la  foi  vivante,  qui  opère  par  la  charité,  que  la 
grâce  de  Dieu  soit  nécessaire  (i). 

4-  On  peut  distinguer  trois  sortes  d'adhésion  à 
l'enseignement  révélé  :  l'une  purement  naturelle, 
et  qui  dès  lors  ne  mène  pas  au  salut  ;  l'autre  sur- 
naturelle, la  foi  proprement  dite.  Mais  cette  foi  est 
dite  vivante,  quand  elle  est  jointe  à  la  charité,  et 
morte,  quand  elle  en  est  séparée  ;  foi  vivante  et  foi 
morte  ne  constituent  pas  deux  fois  d'espèce  diffé- 
rente ;  elles  sont  une  seule  et  même  foi  et  ne  se 
distinguent  que  par  leurs  effets.  La  foi  vivante  existe 
dans  l'état  de  grâce  et  mérite  en  justice  ou  de  con- 
digno,  comme  disent  les  théologiens,  une  augmen- 
tation de  grâce  ici  bas  et  de  gloire  dans  le  ciel, 
quand  se  trouvent  remplies  les  conditions  requises. 
La  foi  morte,  au  contraire,  existe  en  dehors  de 
l'état  de  grâce,  n'a  pas  comme  l'autre  pour  effet  un 
mérite  de  condigno,  mais  un  simple  mérite  de 
-convenance,  ou  de  congruo  ;  elle  est  quand  même  un 
don  surnaturel. 

1    Gonstit.  DeiFilius,  cap.  ni,  S  3.  —  2.  Ibid..  can.  5. 


NÉCESSITÉ  DE  LA  GRACE  POUR  l'aCTE    DE   FOI       3oi 

C'est  de  cette  foi  morte  que  parle  le  concile  du 
Vatican.  IL  enseigne,  tout  comme  le  concile  de 
Trente,  qu'elle  peut  exister  sans  la  grâce  sancti- 
fiante et  la  charité  ;  car  elle  n'est  effectivement 
détruite  que  par  un  acte  positif,  volontaire,  grave- 
ment coupable  d'infidélité,  par  un  péché  formelle- 
ment opposé  à  la  foi.  ïl  enseigne  encore  que  lés 
actes  de  cette  foi  morte  sont  des  œuvres  qui  se 
rapportent  au  salut.  L'acte  de  foi,  en  effet,  même 
quand  il  n'est  pas  vivifié  par  la  charité,  tend  vers 
la  fin  dernière  :  il  a  Dieu  pour  objet.  S'il  n'est  pas 
encore  le  salut,  il  en  est  du  moins  le  germe,  la 
préparation,  le  commencement  ou,  comme  dit  le 
concile  de  Trente,  le  «  fondement  »  et  la  «  racine.  » 
Le  concile  du  Vatican  enseigne  enfin  que  non 
seulement  cette  foi  mais  encore  ses  actes  sont  pro- 
duits avec  le  concours  de  la  grâce  ;  et,  en  tant  que 
vertu,  elle  est  un  don  de  Dieu. 

Quant  à  l'acte  de  foi  salutaire,  il  peut  être  fait 
même  par  celui  qui  n'a  jamais  eu  ou  qui  a  p^rdu  la 
vertu  de  foi  ;  dans  ce  cas,  la  vertu  absente  est 
suppléée  par  un  secours  transitoire  de  Dieu.  Mais 
qu'il  soit  produit  à  l'aide  de  la  vertu  de  foi  ou  d'un 
s  cours  momentané,  cet  acte  de  foi  salutaire  a 
tjujours  pour  cause  des  grâces  actuelles  qui  le  pré- 
viennent et  l'accompagnent,  aspirante  et  adjuvante 
gratta,  comme  s'exprime  le  concile  du  Vatican, 
iiiconsentiendo  et  credendo,  consentiendoet  cooj>erando; 
grâces  prévenantes  d'illumination  pour  l'esprit, 
grâces  adjuvantes  d'inspiration  pour  la  volonté, 
grâces  qui  par  leur  suavité  entraînent  la  volonté 
pour  lui  faire  commander  à  l'intelligence  l'assenti- 
ment qui  constitue  proprement  l'acte  de  foi. 

5.  On  voit  ainsi,  à  la  lumière  de  l'enseignement 
dogmatique  du  concile  du  Vatican,  les  divers 
éléments  qui   entrent  dans   l'acte  de  foi.  C'est  un 


302  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


assentiment  certain  et  ferme  de  cette  intelligence, 
ayant  pour  dernier  motif  ou  pour  objet  formel,  non 
pas  la  vérité  intrinsèque  des  choses  perçue  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  mais  l'autorité  même 
de  la  parole  de  Dieu  ;  c'est  un  assentiment  d'ordre 
intellectuel,  une  véritable  connaissance  ;  c'est  un 
assentiment  qui  n'est  nullement  provoqué  par  un 
mouvement  aveugle,  mais  rationnellement  fondé 
sur  un  des  motifs  certains  de  crédibilité,  et  pour- 
tant libre,  car  il  n'est  pas  et  ne  peut  pas  être  l'effet 
nécessaire  du  raisonnement  humain  ;  c'est  un 
assentiment  où  la  grâce  de  Dieu  intervient  pour 
prêter  son  concours  nécessaire  et  efficace  à  l'intel- 
ligence et  à  la  volonté.  Par  là  il  devient  ce  rationa- 
bile  obsequium,  dont  parle  saint  Paul,  cet  obsequium 
rationi  consentaneum,  dont  parle  le  concile  du 
Vatican,  ce  plein  hommage  de  l'esprit  et  de  la 
volonté,  dû  par  la  créature  à  son  Créateur  et  Sei- 
gneur, mais  librement  rendu  par  l'âme  qui  accepte 
docilement,  avec  la  grâce  de  Dieu,  et  très  raison- 
nablement, en  pleine  connaissance  de  cause,  l'en- 
seignement qu'il  a  plu  à  Dieu  de  communiquer  à 
l'homme. 

6.  Et  si  tel  est  l'acte  de  foi,  que  doit  donc  être  la 
vertu  infuse  qui  permet  de  le  faire  normalement  et 
comme  sans  effort  ?  «  Elle  est,  dit  Mgr  Gay,  le 
couronnement  divin  de  notre  intelligence  ;  un 
diadème  de  lumière  céleste,  dont  la  main  tout 
aimante  de  Dieu  ceint  notre  front  invisible  ;  un 
supplément  merveilleux  à  nos  insuffisances  men- 
tales ;  une  immense  extension  de  nos  frontières 
spirituelles  ;  une  énergie  surhumaine  ajoutée  à  nos 
énergies  premières,  et  comme  le  prolongement  en 
Dieu  de  notre  être  moral.  Elle  est  notre  proportion 
intellectuelle  avec  la  vie  intime  de  l'infini,  notre 
participation  réelle  à  la  connaissance  essentielle  que 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA   FOI  3o3 

Dieu  a  de  lui-même,  la  clé  des  idiomes  ineffables, 
le  lieu  et  le  moyen  de  nos  entretiens  immédiats 
avec  la  très  sainte  Trinité  (i).  » 

III.  Les  propriétés  de  la  foi 

Les  propriétés  logiques  et  morales  de  la  foi  se 
ramènent  au  nombre  de  quatre,  d'après  les  théolo- 
giens :  la  foi  est  vraie,  certaine,  obscure  et  ferme. 
M.  Maisonneuve  résume  ainsi  cette  doctrine  dans 
cette  thèse  :  «  L'acte  de  foi  divin,  essentiellement 
vrai  en  son  objet  matériel  et  en  son  objet  formel, 
est  nécessairement  certain,  d'une  certitude  souve- 
raine impliquant  l'infaillibilité  objective  et  la  fermeté 
subjective  de  l'adhésion.  Il  ne  peut  exister  de  juste 
cause  de  rétracter  ou  de  suspendre  l'assentiment  une 
fois  donné,  malgré  Vobscurité  inhérente  au  témoi- 
gnage et  la  liberté  de  l'adhésion,  conciliables,  en 
certains  cas,  avec  l'évidence  de  l'objet  matériel  et 
de  l'objet  formel  (2).  » 

1.  La  foi  est  vraie,  qu'on  la  considère  soit  dans 
son  objet  formel,  soit  dans  son  objet  matériel.  Son 
objet  formel  est  l'autorité  de  Dieu,  sa  science  infail- 
lible et  sa  véracité  absolue  ;  Dieu  ne  peut  enseigner 
que  la  vérité.  Son  objet  matériel  est  la  révélation 
même  de  Dieu  qui  ne  peut  contenir  que  la  vérité. 
Et  dès  lors  le  faux  ne  saurait  entrer  à  aucun  titre 
dans  la  foi.  Voici  comment  le  prouve  saint  Thomas. 
Aucune  des  vertus,  ayant  pour  effet  de  perfectionner 
l'intelligence,  ne  peut  se  rapporter  à  Terreur  qui 
est  le  mal  de  l'intelligence.  Or,  la  foi  est  une  de  ces 


1 .  Mgr  Gay,  De  la  vie  et  des  vertus  chrétiennes,  6'  édit. ,  Paris, 
1878,  1. 1,  p,  i63.  —  a.  L'acte  de  foi,  dans  le  Bulletin  de  littéra- 
ture ecclésiastique,  1904,  p.  173. 


3o4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

vertus.  Donc  la  foi  ne  peut  être  fausse  dans  son 
objet.  Pour  arriver  à  sa  fin,  toute  puissance,  toute 
vertu,  tout  acte  a  besoin  comme  intermédiaire  de 
son  objet  formel.  C'est  ainsi  que  la  couleur  ne  peut 
être  vue  sans  le  secours  de  la  lumière,  et  on  ne 
peut  atteindre  la  conclusion  que  par  la  démonstra- 
tion. Or,  Dieu,  vérité  première,  est  l'objet  formel  de 
la  foi.  Donc  rien  ne  peut  entrer  dans  le  domaine  de 
la  foi  sans  relever  de  cette  vérité  première,  qui  ne 
saurait  pas  plus  comporter  l'erreur  que  l'être  n'est 
compatible  avec  le  néant,  le  bien  avec  le  mal  (i). 

Le  croyant  sait  que  ce  qui  est  révélé  ne  peut  être 
que  vrai  ;  il  sait  aussi  que  Dieu  a  révélé.  Assuré 
ainsi  du  contenu  et  du  fait  de  la  révélation,  il  ne  se 
trompe  pas.  Il  peut  se  faire  néanmoins  qu'il  regarde 
comme  appartenant  à  la  révélation  quelque  chose 
qui  lui  est  réellement  étranger  ;  il  se  trompe  alors 
sur  l'objet  matériel  de  la  foi  ;  il  se  trompe  égale- 
ment en  estimant  que  l'objet  formel  l'autorise  à  y 
adhérer  ;  mais,  dans  ce  cas,  l'assentiment  qu'il 
donne  ne  saurait  être  un  acte  de  foi  divine,  c'est  un 
acte  de  pure  crédulité.  Sa  volonté  peut  être  droite, 
honnête,  animée  d'un  sentiment  pieux  ;  mais  le 
jugement  est  erroné.  Et  tant  que  l'erreur  persiste,  il 
est  obligé,  sur  les  injonctions  de  sa  conscience,  de 
croire  révélé  ce  qui  pourtant  ne  l'est  pas,  sous  peine 
de  manquer  au  respect  et  à  l'obéissance  qu'il  croit 
devoir  à  Dieu.  Heureusement,  en  pratique,  ce  cas 
est  fort  rare. 

2.  La  foi  est  certaine.  La  certitude  naît  de  l'évi- 
dence ;  mais  l'évidence  est  dans  les  choses  et  la 
certitude  est  dans  l'esprit.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de 
l'évidence  intrinsèque,  immédiate  ou  médiate,  et 
de  la  certitude  qui  en  résulte  et  qui  fonde  la  science, 

i.  Sum.  theol,  n"  n,"  Q.  i,  a.  3. 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3o5 

mais  de  l'évidence  et  de  la  certitude  qui  convien- 
nent à  la  foi.  Or,  dans  la  foi,  l'évidence  ne  se  trouve 
pas  dans  la  chose  ou  le  fait  qui  est  l'objet  matériel 
de  la  croyance,  mais  dans  l'autorité  extérieure  qui 
en  témoigne,  dans  les  qualités  de  science  et  de 
véracité  du  témoin,  dans  la  clarté  et  la  netteté  du 
témoignage,  dans  les  preuves  de  la  révélation  ;  d'où 
la  certitude  en  nous  que  ce  que  Dieu  a  dit  ne  peut 
être  que  l'expression  de  la  vérité.  Le  motif  de  notre 
assentiment,  la  cause  de  notre  adhésion,  étant  In 
science  infaillible,  la  véracité  absolue  de  Dieu,  Die^i 
lui  même,  la  vérité  par  essence,  la  certitude  de  notre 
foi  l'emporte  de  ce  côté  sur  toute  certitude  scienti- 
fique, expérimentale  ou  rationnelle. 

Subjectivement  en  est-il  ainsi  ?  L'affirmation  ne 
semble-t-elle  pas  contraire  au  sens  intime  ?  A  cette 
question,  M.  Maisonneuve  répond  très  succincte- 
ment :  «  Je  ne  puis  mettre  en  doute  certains 
théorèmes  géométriques  ou  certaines  opérations 
arithmétiques,  tandis  que  le  fait  de  l'Incarnation  ou 
l'efficacité  de  la  Rédemption  peuvent  laisser  le 
champ  libre  à  des  doutes,  non  coupables,  involon- 
taires, mais  réels.  Pour  résoudre  cette  difficulté,  il 
a  fallu  étudier  la  question  logique  des  degrés  de  la 
certitude,  la  théorie  de  la  connaissance  et  instituer 
une  critique  des  moyens  d'arriver  au  vrai.  On  peut 
en  conclure  qu'il  y  a  certainement  une  harmonie 
plus  naturelle  entre  les  faits  d'expérience,  les  vérités 
d'intuition  et  notre  intelligence  qu'entre  celle-ci  et 
les  objets  de  nos  croyances.  Raisonnable,  l'homme 
sera  plus  satisfait  par  une  démonstration  géométri- 
que que  par  l'affirmation  d'un  témoin  ;  le  lien  de 
l'intelligible  et  de  l'intelligence  lui  apparaît  plus 
clair  dans  ce  principe  de  contradiction  que  dans  la 
réalité  du  sacrement  de  l'Eucharistie.  Mais,  d'autre 
part,  puisque  c'est  en  vertu   d'un  jugement  propre 

LE    CAr'-''    ,,r!.    —   T.   I.  20 


3o6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qu'il  admet  le  principe,  tandis  que  c'est  par  un 
jugement  de  Dieu,  devenu  le  sien,  qu'il  croit  à  la 
présence  réelle,  la  certitude  surnaturelle  l'emporte, 
à  raison  même  du  motif,  sur  toute  assurance  hu- 
maine et  créée  de  posséder  la  vérité  (i).  » 

Saint  Thomas  se  pose  la  question  de  savoir  si  la 
certitude  de  la  foi  est  plus  grande  que  celle  de  la 
science  et  des  autres  vertus  intellectuelles  ;  il  la 
résout  ainsi.  Parmi  les  vertus  intellectuelles,  deux 
ont  pour  objet  les  choses  contingentes  :  la  prudence 
et  l'art.  La  foi  l'emporte  sur  elles  en  certitude  par 
la  nature  de  son  objet,  puisqu'elle  se  rapporte  aux 
choses  éternelles,  qui  ne  peuvent  être  autrement 
qu'elles  ne  sont.  Les  trois  autres  vertus  intellec- 
tuelles, la  sagesse,  la  science  et  l'intelligence  ont 
pour  objet  les  choses  nécessaires  ;  mais  ces  trois 
vertus  peuvent  se  prendre  ou  pour  des  vertus 
intellectuelles,  comme  les  entend  Aristote,  ou  pour 
des  dons  du  Saint-Esprit.  Dans  le  premier  cas,  la 
certitude  peut-être  considérée  de  deux  manières  : 
d'abord,  relativement  à  la  cause  de  la  certitude 
même  ;  sous  ce  rapport,  ce  qui  a  une  cause  plus 
certaine  est  également  plus  certain  ;  et,  par  là,  la 
foi,  reposant  sur  la  vérité  première,  est  plus  cer- 
taine que  ces  trois  vertus,  qui  reposent  sur  la  raison 
humaine.  En  second  lieu,  relativement  à  son  sujet, 
et  alors  ce  qu'il  y  a  de  plus  certain  est  ce  que  l'in- 
telligence de  l'homme  perçoit  plus  pleinement. 
Dans  ce  sens,  la  foi  est  moins  certaine  que  la  sagesse, 
la  science  et  l'intelligence,  qui  n'ont  pas  pour  objet, 
comme  elle,  des  choses  supérieures  à  l'entendement 
humain.  Mais,  comme  pour  apprécier  une  chose 
d'une  manière  absolue,  il  faut  la  considérer  dans  sa 
cause,  et  que  l'appréciation  n'est  que  relative,  si  l'on 

i.  L'acte  dejoi,  loc.  cit.,  p.  175. 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3oj 

considère  seulement  la  disposition  du  sujet  par 
.rapport  à  cette  même  chose,  il  s'ensuit  que  la  foi 
est  plus  certaine  absolument,  tandis  que  les  trois 
autres  vertus  sont  plus  certaines  relativement, 
c'est-à-dire  par  rapport  à  nous.  De  même,  si  l'on 
prend  ces  trois  vertus  pour  des  dons  de  la  vie 
présente,  elles  se  rapportent,  comme  à  leur  principe, 
à  la  foi,  qu'elles  présupposent  ;  et  par  conséquent, 
dans  ce  sens  encore,  la  foi  est  plus  certaine  que  ces 
autres  vertus  (i). 

L'homme,  observe  encore  saint  Thomas,  est  beau- 
coup plus  certain  de  ce  qu'il  apprend  de  Dieu,  qui  est 
infaillible,  que  de  ce  qu'il  voit  par  sa  propre  raison, 
laquelle  est  sujette  à  l'erreur.  La  perfection  de  l'in- 
telligence et  de  la  science  est  supérieure  à  la  con- 
naissance de  la  foi  sous  le  rapport  de  l'évidence, 
mais  non  sous  le  rapport  de  l'adhésion  de  l'esprit 
parce  que  l'intelligence  et  la  science,  considérées 
comme  des  dons,  tirent  toute  leur  certitude  de 
la  certitude  de  la  foi,  de  même  que  la  certitude  des 
conclusions  procède  de  la  certitude  des  principes. 
Si  l'on  prend  la  science,  la  sagesse  et  l'intelligence 
pour  des  vertus  intellectuelles,  elles  reposent  sur 
les  lumières  naturelles  de  la  raison,  qui  n'a  pas  la 
certitude  absolue,  ni  celle  de  la  parole  de  Dieu,  sur 
laquelle  repose  la  foi  (2). 

3.  La  foi  est  obscure.  Vraie  et  certaine,  la  foi  ne 
donne  pas  sur  la  vérité  de  son  objet  matériel  une 
connaissance  parfaite  ;  celle-ci  reste  entourée  d'om- 
bres et  ne  nous  offre  pas  en  elle-même  l'évidence  que 
nous  rencontrons  dans  les  données  expérimentales 
ou  les  déductions  scientifiques.  Dieu,  en  daignant 
nous  manifester  l'existence  de  certains  faits  et  de 


1.  Sam.  theol,  11*  na,  Q.  it,  a.  8.  —  a.  Ibid.,  Q.  it,  a.  8.  ad 
a  et  3. 


3o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

certaines  vérités,  qui  nous  dépassent,  ne  nous  fait  pas 
connaître  leur  nature  intime  ;  et  par  là  le  fait  ou  la 
vérité,  qu'il  nous  propose  de  croire,  n'entraîne  pas 
et  ne  détermine  pas  notre  assentiment  ;  nous  y 
adhérons  pour  un  motif  distinct  de  ces  faits  ou  de 
ces  vérités,  extérieur,  voilé  d'ombres. 

Mais  certains  faits,  certaines  vérités,  qui  font 
l'objet  de  la  révélation,  sont  d'ordre  naturel  et  peu- 
vent être  connus  parles  seules  lumières  de  la  raison. 
Dans  ce  cas,  peuvent-ils  également  faire  l'objet  de 
la  foi  ?  Sans  aucun  doute,  comme  l'enseigne  le  con- 
cile du  Vatican,  parce  qu'ils  ont  été  révélés  par  Dieu; 
et  du  moment  que  Dieu  les  a  révélés,  quiconque  les 
ignorerait,  bien  qu'ils  soient  accessibles  à  la  raison, 
peut  faire  à  leur  sujet  un  acte  de  foi. 

Une  autre  question  se  pose,  celle  de  savoir  si  on 
peut  faire  un  acte  de  foi  surnaturelle  à  une  vérité 
révélée  qu'on  se  serait  déjà  démontrée  à  soi-même 
par  la  raison.  Est-il  possible  qu'un  homme  fasse  un 
acte  de  foi  à  une  vérité  qu'il  connaît  par  des  preu- 
ves naturelles  ?  En  d'autres  termes,  un  objet  de 
science  peut-il  être  en  même  temps  un  objet  de  foi  ? 

Cette  question  est  fort  controversée  parmi  les 
théologiens.  Saint  Thomas  a  dit  :  «  Non  est  possible 
quod  idem  ab  eodem  sit  scitum  et  creditum  (i).  »  Et 
l'école  thomiste  a  soutenu  en  conséquence  qu'on  ne 
saurait  croire  ce  que  l'on  sait.  Quiconque  donc  s'est 
démontré  rationnellement  certains  dogmes  ne  sau- 
rait y  croire  par  un  véritable  acte  de  foi,  car  son 
assentiment  ne  provient  pas  de  leur  révélation,  mais 
de  leur  démonstration.  Dans  ce  cas,  la  révélation  ne 
fait  que  corroborer  l'assentiment  fondé  sur  la  raison. 
Par  suite,  le  domaine  de  la  foi,  chez  les  savants, 
serait  moins  étendu  que  chez  les  ignorants. 

i.  Ibid.,  Q.  i,  a.  5, 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3og 

Mais,  après  le  concile  de  Trente,  la  plupart  des 
théologiens  se  sont  rangés  à  un  avis  opposé.  Piien 
n'empêche,  disent-ils,  de  croire  par  un  véritable 
acte  de  foi  des  vérités  rationnellement  démontrées. 
Et  dès  lors  la  seule  différence  entre  le  savant  et 
l'ignorant  par  rapport  à  ces  vérités,  c'est  que  le  pre- 
mier leur  donne  une  adhésion  naturelle  de  raison 
et  un  assentiment  surnaturel  de  foi,  tandis  que  le 
second  ne  les  admet  que  par  la  foi. 

La  plupart  des  thomistes  admettent  cependant 
qu'un  savant  peut  faire  un  acte  de  foi  à  une  vérité 
déjà  acquise  par  lui,  quand  il  ne  pense  pas  actuel- 
lement à  la  démonstration  qui  la  lui  a  fait  connaî- 
tre. D'autre  part,  Suarez  regarde  l'acte  de  foi  et  l'acte 
de  connaissance  naturelle,  qui  portent  sur  la  même 
vérité,  comme  deux  actes  distincts  et  successifs  (i). 

Reste  un  point  particulier  sur  lequel  le  désaccord 
persiste,  celui-ci  :  peut-on  faire  un  acte  de  foi  à  une 
vérité  en  même  temps  que  la  démonstration  natu- 
relle de  cette  vérité  est  au  moins  vaguement  pré- 
sente à  l'esprit  ?  C'est  ce  que  nient  les  thomistes. 

Mazella  (2)  et  Didiot  (3)  invoquent  les  enseigne- 
ments du  concile  du  Vatican  contre  l'opinion  tho- 
miste. Ils  estiment  que  la  controverse  n'est  plus 
libre  désormais.  Mais  c'est  justement  ce  que  se  refu- 
sent à  admettre  les  thomistes  ;  ils  maintiennent 
leurs  distinctions,  ils  précisent  le  point  litigieux,  ils 
montrent  que  la  constitution  Dei  Fillus  n'enseigne 
pas  du  tout  que  ces  vérités  révélées  peuvent  être 
l'objet  d'un  véritable  acte  de  foi  de  la  part  du  savant 
qui  se  les  démontre  naturellement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'après  le  concile  du  Vatican, 
l'acte  de  foi  ne  requiert  qu'une  adhésion  de  notre 

1.  De  fide,  Disp.  ni,  sect.  9,  n.  7  et  10.  —  2.  De  virtutibus 
infusis,  n.  464.  —  3.  Logique  surnaturelle  subjective,  n.  477  sq. 


3lO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

esprit  à  cause  de  l'autorité  de  Dieu  révélateur  ;  il 
n'est  donc  pas  nécessaire  que  telle  vérité  révélée 
n'ait  pas  été  démontrée  rationnellement  à  celui  qui 
la  croit.  Connues  par  la  science  ou  acceptées  par  la 
foi,  des  vérités  identiques  n'ont  pas  le  même  motif 
de  connaissance  ou  d'adhésion.  Le  savant  peut  donc 
dire  :  je  connais  telle  et  telle  vérité,  puisque  ma  rai- 
son la  démontre.  Il  peut  dire  aussi,  car  il  ne  faitpas 
toujours  acte  de  savant  :  je  crois  telle  ou  telle  vérité 
parce  que  Dieu  a  daigné  la  révéler. 

4.  La  foi  est  ferme.  Malgré  son  obscurité,  mais 
parce  qu'elle  est  vraie  et  certaine,  la  foi  doit  persé- 
vérer fermement  chez  ceux  qui  la  possèdent,  quels 
que  soient  d'ailleurs  les  épreuves  et  les  déceptions 
de  la  vie,  les  progrès  de  la  culture  intellectuelle  et 
tout  ce  qui  peut  naître  d'objections  dans  l'ordre 
moral,  historique  ou  scientifique.  N'étant  pas  la  con- 
clusion naturelle  et  nécessaire  d'un  syllogisme,  elle 
ne  saurait  dépendre  de  la  rectitude  de  notre  logique; 
elle  est  un  assentiment  de  l'intelligence  à  la  vérité 
révélée  sous  la  motion  de  la  volonté.  Or,  la  volonté 
qui  ne  commande  pas  en  aveugle,  mais  par  une 
sage  mesure  de  prudence,  continue  son  rôle  et  raf- 
fermit la  foi,  en  dépit  des  difficultés  et  des  obstacles. 
Pour  remplir  cette  tâche  protectrice,  elle  trouve 
dans  l'Eglise  des  mobiles  qui  portent  à  maintenir 
toujours  et  quand  même  la  foi  vivante  dans  l'esprit. 

L'Eglise,  en  effet,  possède  un  éclat  apologétique 
incomparable  et  unique,  qui  permet  de  discerner 
la  foi  véritable  et  aussi  d'y  persévérer  constamment; 
elle  le  doit  aux  signes  manifestes  de  son  institution, 
aux  notes  nombreuses  et  frappantes  dont  Dieu  l'a 
revêtue,  à  son  admirable  propagation,  à  son  invin- 
cible stabilité,  à  son  unité,  et  elle  constitue  ainsi 
un  grand  et  perpétuel  motif  de  crédibilité.  D'où 
a   il  résulte,  ainsi  que  s'exprime  la  Constitution 


LES   PROPRIÉTÉS   DE   LA   FOI  3ll 

Dei  Filius,  que  comme  un  étendard  levé  sous  les 
yeux  des  nations,  elle  appelle  à  elle  ceux  qui  n'ont 
pas  encore  cru  et  elle  donne  à  ses  enfants  une 
assurance  plus  certaine  que  la  foi  qu'ils  professent 
repose  sur  un  très  ferme  fondement.  A  ce  témoi- 
gnage s'ajoute  le  secours  efficace  de  la  vertu  d'en 
haut.  Car,  par  sa  grâce,  le  Seigneur  très  miséricor- 
dieux excite  ceux  qui  sont  dans  l'erreur  et  les  aide 
à  parvenir  à  la  connaissance  de  la  vérité.  Il  donne 
aussi  sa  grâce  à  ceux  qu'il  a  fait  passer  des  ténèbres 
dans  son  admirable  lumière,  n'abandonnant  que 
ceux  qui  l'abandonnent.  C'est  pourquoi  toute  autre 
est  la  condition  de  ceux  qui,  par  le  don  céleste  de 
la  foi,  ont  adhéré  à  la  vérité  catholique  et  de  ceux 
qui,  conduits  par  des  vues  tout  humaines,  professent 
une  fausse  religion.  Car  ceux  qui  ont  reçu  la  foi 
par  les  enseignements  de  l'Eglise,  ne  peuvent 
jamais  avoir  aucune  juste  cause  de  changer  cette 
foi  ou  de  la  révoquer  en  doute  (i).  » 

Le  concile  distingue  avec  raison  les  catholiques 
de  ceux  du  dehors  :  leurs  droits  et  leurs  devoirs  ne 
sauraient  être  les  mêmes.  Celui  du  dehors  a  besoin 
d'examiner  l'autorité  qui  légitime  la  croyance, 
l'obligation  qui  l'impose,  la  formule  dogmatique 
qui  la  lui  propose  ;  il  doit  nécessairement  peser  les 
motifs  de  crédibilité  ;  et  s'il  est  de  bonne  volonté, 
sincère  et  droit,  nul  doute  que  Dieu  ne  l'amène  à  la 
foi  qui  sauve.  Quant  au  catholique,  il  connaît 
l'autorité  doctrinale  de  l'Eglise,  il  accepte  l'obligation 
de  croire  et  de  combattre  le  doute  ;  et  s'il  étudie  sa 
religion,  ce  n'est  pas  pour  établir,  mais  pour 
confirmer  sa  croyance.  Or,  le  concile  définit  qu'il 
ne  saurait  avoir  de  juste  cause  de  changer  sa  foi  ou 
de  la  révoquer  en  doute  :  qu'est-ce  à  dire  ?  Le  canon 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  m,  S  6. 


3l2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6  dit  «  anathème  à  qui  dirait  que  les  fidèles  sont 
dans  la  même  condition  que  ceux  qui  ne  sont  pas 
encore  parvenus  à- la  foi  seule  véritable,  de  telle  sorte 
que  les  catholiques  peuvent  avoir  une  juste  cause 
de  suspendre  leur  assentiment  pour  mettre  en 
doute  la  foi  qu'ils  ont  déjà  reçue  par  les  enseigne- 
ments de  l'Eglise,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  terminé  la 
démonstration  scientifique  de  la  crédibilité  et  de  la 
vérité  de  leur  foi.  » 

i°  Ce  texte  du  chapitre  et  du  canon  porte  qu'un 
catholique  ne  peut  avoir  de  juste  cause  de  mettre  sa 
foi  en  doute.  Ces  mots  juste  cause  peuvent  signifier 
une  persuasion  subjective  ou  une  raison  objective.  Le 
concile  a-t-il  donc  défini  qu'un  catholique  ne  saurait 
révoquer  sa  foi  en  doute  sans  pécher  formellement, 
ou  bien  a-t-il  entendu  dire  seulement  qu'il  ne  peut 
y  avoir  de  raison  en  soi  légitime  de  douter  de  la 
foi  chrétienne  ?  La  différence  est  notable. 

M.  Vacant,  qui  a  étudié  de  près  cette  question,  ne 
connaît  qu'un  seul  théologien  qui  ait  soutenu 
ex  professo  le  premier  sentiment  ;  il  cite,  au 
contraire,  Franzelin  (i),  Mgr  Martin,  évêque  de 
Paderborn,  rapporteur  au  concile  de  la  Députation 
de  la  foi  (2),  Mgr  Ciasca  (3),  M.  Didiot  (4),  et  le 
P.  Granderath  (5),  qui  embrassent  le  second  senti- 
ment, et  il  pense  comme  eux,  d'après  le  texte  même 
de  la   constitution  et  d'après  les  actes  du    concile. 

Mettre  en  doute  sa  foi  est  toujours,  de  la  part 
d'un  catholique,  une  faute  au  moins  matérielle, 
mais  ce  n'est  pas  toujours  et   nécessairement  une 

1.  De   traditione   divina,  Rome,    1875,    2e  édit.,  p.  687.  — 

2.  Les    travaux   du  concile   du   Vatican,   trad.,   1873,  p.  it\-  — 

3.  Examen  saper  constitutionem  dogmaticam  de  jide  catholica, 
1872,  p.  228.  —  4-  Logique  surnaturelle  objective,  1892,  th.  xci. 
—  5.  ConstitiUiones  dogmaticœ  Conc.  Vallcani  explicatœ,  1892, 
p.  61 . 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FCI  3l3 

faute  formelle.  Mais,  objectivement  parlant,  et 
c'est  là  que  porte  la  définition,  il  ne  saurait  y 
avoir  de  raison  vraie  qui  autorise  un  catholique 
à  douter  de  sa  foi. 

Au  point  de  vue  des  preuves  de  la  vraie  foi  et  des 
grâces  accordées  pour  croire,  catholiques  et  incré- 
dules ne  sont  pas  dans  une  condition  différente  : 
preuves  et  grâces  sont  données  aux  uns  et  aux 
autres,  aux  premiers  pour  persévérer,  aux  seconds 
pour  se  convertir.  Mais  au  point  de  vue  de  la  reli- 
gion qu'ils  professent,  leur  condition  n'est  pas  du 
tout  la  môme  :  au  catholique  incombe  l'obligation 
de  persévérer,  parce  qu'il  ne  peut  avoir  aucune 
cause  juste  ou  objectivement  vraie  de  douter  de  sa 
foi  ;  à  l'incrédule  incombe  le  devoir  d'abandonner 
son  erreur. 

Le  texte  du  troisième  chapitre  et  le  canon  6  qui 
y  correspond  ont  le  même  sens  :  ils  ne  définissent 
pas  que  douter  de  sa  foi,  pour  un  catholique,  soit 
en  tout  état  de  cause  et  toujours  un  péché  mortel  ; 
mais  ils  définissent  qu'un  catholique  n'a  pas  le  droit 
d'abandonner  sa  foi  ou  que  l'abandon  de  la  foi 
véritable  est  en  soi  une  faute.  Quelle  faute?  très 
certainement  une  faute  matérielle  ;  mais  ils  ne 
s'expliquent  pas  sur  la  question  de  savoir  si  elle 
peut  être  quelquefois  purement  matérielle  ou  si  elle 
est  toujours  formelle. 

2°  Reste  la  question  suivante  :  Peut-on  perdre  la 
foi  sans  pécher  ? 

La  perte  de  la  foi  peut  s'entendre  de  trois  maniè- 
res :  ou  bien  c'est  l'acte  par  lequel,  après  avoir  cru, 
le  fidèle  rejette  ou  met  en  doute  un  ou  plusieurs 
dogmes  révélés  ;  —  ou  bien  la  perte  de  la  vertu 
surnaturelle  de  la  foi  ;  —  ou  bien  enfin  cet  état 
d'esprit  si  fréquent  de  nos  jours,  qui  fait  que  des 
baptisés  tombent  dans  une  ignorance  et  des  préjugés 


3l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qui  les  mettent  das  l'impossibilité  de  croire  actuel- 
lement certaines  vérités  révélées  ou  même  la  révéla- 
tion dans  son  ensemble.  Un  fidèle  peut-il  sans 
péché  matériel  ou  sans  péché  formel,  rejeter  ou 
mettre  en  doute  une  vérité  de  foi,  perdre  la  vertu 
de  foi,  tomber  dans  un  état  d'ignorance  et  de 
préjugés  qui  le  rende  incapable  de  croire  ? 

Disons  d'abord  un  mot  de  la  perte  de  la  foi, 
entendue  dans  le  premier  sens.  Du  moment  qu'il 
y  a  obligation  de  croire  à  toutes  les  vérités  que 
l'Eglise  nous  propose  comme  révélées,  il  y  a  toujours 
péché  matériel  à  rejeter  ou  à  mettre  en  doute  un 
dogme  de  foi  catholique.  Le  cas  peut  se  présenter 
pourtant  d'un  fidèle  qui,  par  une  ignorance  invin- 
cible, rejette  ou  révoque  en  doute  un  dogme  de  foi 
parce  qu'il  ne  le  croit  pas  révélé  ;  il  n'y  a  alors 
qu'une  faute  matérielle.  Cette  ignorance  invincible 
peut  elle  s'étendre  à  tous  les  dogmes  ?  Dans  un 
milieu  chrétien,  cela  semble  impossible,  et  dès  lors 
il  y  aurait  faute  formelle.  Dans  un  milieu  païen,  et 
particulièrement  pour  des  enfants  baptisés,  mais 
élevés  parmi  des  infidèles,  cela  semble  possible,  et 
dès  lors,  faute  de  responsabilité,  l'infidélité  ne  peut 
être  imputée  comme  une  faute  formelle  (1). 

Quant  à  la  vertu  de  foi,  peut-on  la  perdre  sans 
pécher?  Cette  vertu,  d'après  le  concile  de  Trente  (2), 
ne  disparait  que  par  un  péché  formel  et  gravement 
coupable  d'infidélité.  Par  suite  tout  autre  péché, 
même  contre  la  foi,  la  laisse  subsister.  Cette  vertu 
ne  serait  donc  détruite  ni  chez  celui  qui,  par  une 
ignorance  même  vincible,  rejetterait  un  ou  plusieurs 
dogmes,  ni  chez  celui  qui  s'exposerait  d'un  façon 
coupable  à  tomber  dans  l'hérésie  (3). 

1.  De  Lugo,  Defide,  Disp.  xix,  sect.  1,  n.  10,  sq.  —  2.  Sess» 
vi,  c.  xv.  —  3.  De  Lugo,  Defide,  Disp.  xvn,  sect.  5  ;  cf.  Suarez, 
De  fide,  Disp.  xvn,  sect.  2,  n.  4» 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3l5 

Que  penser  enfin  de  la  perte  de  la  foi  chez  ceux 
dont  les  dispositions  intellectuelles  et  morales 
rendent  actuellement  impossible  l'acte  de  foi  ? 
u  Aujourd'hui,  dit  Vacant,  ce  cas  se  réalise  surtout 
chez  cette  foule  d'hommes,  qui,  après  avoir  cru 
pendant  leur  enfance  et  fait  une  première  commu- 
nion vraiment  chrétienne,  perdent  ensuite  peu  à 
peu  leurs  convictions  religieuses  et  en  viennent  à 
mettre  en  doute  ou  à  nier  tous  les  dogmes  qu'ils 
admettaient  autrefois.  Beaucoup  d'entre  eux  ne 
sauraient  dire  le  moment  précis  où  ce  changement 
s'est  opéré.  Ils  ont  vécu  dans  un  milieu,  où  leur 
esprit  s'est  rempli  de  préjugés  contre  la  religion,  et 
peu  à  peu  ces  préjugés  ont  remplacé  les  croyances 
de  leur  enfance.  Quelques-uns  assurent  qu'ils 
seraient  heureux  de  croire  comme  au  jour  de  leur 
première  communion,  mais  qu'ils  ne  le  peuvent 
plus.  Un  très  grand  nombre  disent  et  pensent  que 
leur  incrédulité  n'est  aucunement  coupable.  Est-ce 
illusion  de  leur  part,  ou  bien  est-il  possible  qu'ils 
aient  perdu  leurs  anciennes  convictions  sans 
pécher  (i). 

Tout  d'abord  leur  incrédulité  constitue  une  faute 
matérielle.  Gonstitue-t-elle  une  faute  formelle?  Sans 
soupçonner  d'illusion  ou  de  mensonge  leurs  affir- 
mations, on  peut  croire  qu'après  avoir  commis  la 
faute  de  se  laisser  dominer  par  les  préjugés,  il  en 
est  qui  arrivent  à  ce  point  où  leur  incrédulité,  cou- 
pable dans  sa  cause,  n'est  pas  un  péché  formel  par 
elle-même. 

Mais  il  en  est  qui  prétendent  qu'ils  sont  irrespon- 
sables même  de  leur  transformation  première,  et 
qu'ils  sont  devenus  incrédules  sans  pécher  formel- 
lement. Gela  paraît  assez  difficile  à  admettre.  Il  faut 

i.  La  constit.  Dei  Filius,  t.  u,  p.  176. 


3l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

remarquer  cependant,  avec  M.  Vacant,  que  certains 
catholiques,  trop  peu  instruits  de  leur  religion,  se 
trouvent,  au  sortir  de  l'enfance,  jetés  dans  un 
milieu  où  ils  sont  assaillis  d'objections  de  toutes 
sortes,  contre  lesquelles  les  enseignements  reçus  à 
l'Eglise  ne  leur  fournissent  pas  de  réponse.  Si  ces 
hommes  sont  coupables,  et  ils  le  sont,  leur  péché 
formel  sera  de  s'être  trop  peu  instruits  et  de  n'avoir 
pas  évité  le  danger. 

Poussant  plus  loin,  serait-il  permis  de  supposer 
que,  parmi  ces  fidèles  ignorants,  qui  ont  été  jetés 
dans  un  milieu  où  leur  médiocre  instruction  était 
impuissante  à  les  préserver  de  l'erreur,  il  en  est 
quelques-uns  qui  n'auraient  pu  s'instruire  davan- 
tage, ni  éviter  ces  objections,  et  qui  par  conséquent 
ont  perdu  les  convictions  religieuses  de  leur  enfance, 
non  seulement  sans  perdre  la  vertu  de  foi,  mais  en- 
core sans  commettre  aucune  faute  formelle  contre 
la  foi  ?  Cette  hypothèse  n'a  que  trop  lieu  de  se  faire 
de  nos  jours.  Et,  sur  ce  point  spécial  et  délicat,  le 
concile  du  Vatican  ne  s'est  pas  prononcé,  et  la 
question  ne  paraît  pas  jusqu'ici  avoir  été  résolue 
d'une  façon  indiscutable.  Aussi  disons-nous  avec  M. 
Vacant  qu'en  cette  matière  d'incrédulité  contempo- 
raine, il  n'y  a  que  Fœil  de  Dieu  qui  puisse  scruter 
complètement  le  fond  des  consciences  et  faire  la 
juste  et  entière  part  des  responsabilités  (i). 

IV.  Conception  nouvelle  de  la  Foi 

La  question  des  rapports  de  l'histoire  et  du  dogme, 
au  sujet  de  la  valeur  historique  des  dogmes,  n'a  pas 
été  sans  soulever,  ces  derniers  temps,  de  passion- 

i.  Vacant,  La  constit.  Del  Filius,  t.  n,  p.  164-179. 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        Sl'J 

nantes  controverses.  D'un  côté,  se  dessine  une  théo- 
rie nouvelle  de  la  foi  ;  de  l'autre,  on  se  refuse  à 
Faccepter.  En  quoi  consiste-t-elle  ?  Quels  sont  ses 
caractères  ?  Quelle  en  est  la  clef  ? 

1.  L'analyse  de  cette  théorie  nouvelle  et  Fattribu-. 
tion  qui  en  rend  solidaire  l'école  de  l'immanence 
sont  le  fait  d'un  correspondant  anonyme  du  Bulle- 
tin de  littérature  ecclésiastique  (i).  Ce  correspondant, 
fort  sympathique,  du  reste,  aux  idées  nouvelles,  a 
découvert  et  formulé  l'idée  maîtresse  qui  forme  la 
base,  parfois  latente,  il  est  vrai,  mais  très  réelle  d'un 
grand  nombre  de  théories  modernes  de  la  révélation. 
Il  a  observé  d'un  regard  pénétrant  que  tous  les  pen- 
seurs, dont  il  comparait  les  doctrines,  M.  Loisy,  M. 
de  Hugel,  M.  Blondel,  M.  Laberthonnière,  le  P. 
Tyrrel,  s'accordent  à  modifier  la  notion  tradition- 
nelle de  la  foi.  «  Tandis  que  la  théologie  classique, 
dit-il,  considère  la  foi  comme  une  adhésion  de  l'es- 
prit à  une  vérité  spéculative  énoncée  dans  une  for- 
mule abstraite,  ou  à  un  fait  connu  par  voie 'de 
témoignage,  vérité  ou  fait  dont  l'autorité  de  Dieu 
même  est  le  garant,  on  trouve,  sinon  explicitement 
exprimée,  du  moins  supposée,  chez  M.  Loisy, 
comme  chez  M.  Blondel,  M.  Laberthonnière,  et  le 
P.  Tyrrel,  une  conception  de  la  foi,  qui  met  l'accent 
sur  son  élément  moral  plutôt  que  sur  son  élément 
intellectuel,  et  marque  plus  fortement  la  différence 
entre  Facte  de  foi  et  la  connaissance  scientifique  (2).  » 

2.  Or,  dans  cette  notion  nouvelle,  il  signale  deux 
caractères.   D'abord  l'élément  moral  domine  Félé- 

1.  La  valeur  historique  du  dogme,  dans  le  Bulletin  de  litt.  ecct., 
1904,  p.  338-357.  Contre  cet  article  ont  protesté  M.  Blondel  et 
M.  Laberthonnière.  Le  critique  du  Bulletin  a  répondu  dans  le 
Bulletin  de  igo5,  p.  i3i-i38.  Avec  son  autorisation,  nous  ne 
faisons  que  résumer  sa  réponse,  en  employant  autant  que  pos- 
sible ses  propres  expressions.  —  2.  Bulletin,  1904,  p.  343. 


3l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ment  intellectuel.  «  L'acte  de  foi  implique  avant 
tout  une  altitude  morale,  et  c'est  ainsi  la  volonté, 
non  l'intelligence,  qui  y  a  la  part  principale  (i).  » 
Puis,  le  rôle  de  l'intelligence,  déjà  si  restreint,  mais 
non  anéanti,  est  conçu  comme  une  perception,  une 
sorte  d'intuition  des  réalités  divines  dans  les  phéno- 
mènes de  ce  monde,  et  spécialement  dans  les  faits 
religieux.  «  On  a  reconnu  que  les  faits  sont  la  base 
de  la  foi,  que  la  foi  n'est  autre  chose  que  la  percep- 
tion dans  leur  réalité  sensible  de  la  présence  et  de 
l'action  de  Dieu  (2).  »  «  Si  les  faits,  dans  leur  réalité 
matérielle,  ne  sont  pas  objets  de  foi,  ils  servent  de 
base  à  la  foi,  en  tant  qu'ils  sont  révélateurs  des 
réalités  divines.  Dieu  parle  à  l'âme  religieuse  par  les 
faits,  qui  manifestent  son  action  dans  l'histoire,  non 
moins  que  par  l'enseignement  direct.  Les  faits  de 
l'histoire  religieuse  par  leur  contenu  suprasensible, 
constituent  donc  une  part  de  ce  qu'on  pourrait 
appeler  la  révélation  objective.  Mise  en  face  de  ces 
faits,  l'âme  religieuse,  éclairée  par  Faction  intérieure 
de  l'esprit  de  Dieu,  saisit  à  travers  eux,  par  une 
sorte  d'intuition,  la  réalité  surnaturelle  dont  ils 
sont  l'expression,  tout  comme  la  raison  saisit  son 
objet,  l'universel,  dans  le  particulier  ;  et  cette 
réaction  du  sens  religieux,  sous  l'action  extérieure 
des  faits,  est  cela  même  qui  constitue  l'acte 
de  foi  (3).  )) 

3.  Enfin  il  donne  la  clef  de  cette  théorie  de  la  foi, 
en  attirant  l'attention  sur  le  principe  fondamental 
supposé  par  les  diverses  écoles  modernes.  Dans 
tout  événement  de  ce  monde,  et  spécialement  dans 
la  vie  de  l'humanité,  il  faut  distinguer  un  double 
côté  des  choses  :  d'abord  l'aspect  phénoménal,  sen- 
sible, extérieur,  qui  constitue  le  domaine  exclusif 

1.  Ibid.,  p.  343.  —  a.  Ibid.,  p.  354.  —  3.  Ibid.,  p.  347. 


CONCEPTION    NOUVELLE    DE    LA    FOI  3l9 

de  la  science  et  de  l'histoire  ;  et  puis  le  côté  intime, 
suprasensible,  de  tous  les  êtres,  inaccessible  au  pur 
savant  et  au  pur  historien,  sphère  réservée  «  où  les 
investigations  du  philosophe  et  les  intuitions  du 
croyant  sont  seules  capables  de  pénétrer  (i).  » 

[\.  Dans  l'exposition  de  cette  foi  moderne,  M.  La- 
berthonnière  prétend  trouver  des  contradictions, 
mais  à  tort.  Les  deux  éléments  qu'il  essaye  de  con- 
fondre sont  là  :  la  foi,  dans  ce  système,  est  surtout 
un  acte  de  volonté.  Or  s'appuyer  sur  le  Christ,  sur 
Dieu,  pour  en  faire  le  centre  de  sa  vie,  c'est  le  fait 
non  de  la  pure  foi,  mais  de  la  foi  vivifiée  par  la 
charité.  L'intelligence  y  a  aussi  son  rôle,  et  c'est 
l'élément  intellectuel  de  la  foi,  qui  nous  est  repré- 
senté comme  étant  la  perception  des  réalités  divines 
dans  les  phénomènes  de  ce  monde  ;  mais  c'est  trop 
peu  :  une  telle  intuition  sera  peut-être  une  philo- 
sophie, jamais  un  acte  de  foi. 

5.  Dans  les  déclarations  de  M.  Blondel  et  de 
M.  Laberthonnière,  il  y  a  une  lacune  regrettable. 
Au  lieu  d'un  simple  désaveu  de  la  théorie  nouvelle, 
ils  ont  négligé  de  profiter  de  l'occasion  pour  for- 
muler en  quelques  mots  nets  et  précis  leur  pensée 
sur  la  nature  et  l'objet  de  la  foi.  M.  Blondel,  il  est 
vrai,  prépare  un  exposé  doctrinal,  qui  donnera  de 
sa  pensée  sur  la  foi  une  explication  décisive.  Mais 
M.  Laberthonnière,  qui  vient  de  publier  un  second 
ouvrage,  le  Réalisme  chrétien  et  V idéalisme  grec,  est-il 
autorisé  à  se  plaindre  des  idées  que  le  correspondant 
anonyme  lui  attribuait?  Sans  doute,  ces  idées,  il 
les  réprouve  aujourd'hui.  Mais,  sans  le  vouloir, 
n'a-t-il  pas,  dans  plus  d'une  page,  prêté  à  cette  pré- 
tendue substitution  de  sa  pensée  ?  L'interprétation 
de  son  système  est  précisément  celle  qu'ont  puisée 

I.  lbid.,  p.  34a. 


320  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

dans  ses  livres  les  esprits  les  plus  dégagés  de  préoc- 
cupations théologiques. 

Voici  en  effet,  ce  qu'écrivait,  à  propos  de  ses 
Essais  de  philosophie  religieuse,  un  critique  indépen- 
dant :  «  M.  Laberthoimière  essaie  d'une  façon 
originale  de  retrouver  le  catholicisme  par  le  libre 
effort  de  sa  pensée  intérieure  :  je  ne  dis  pas  la 
morale  évangélique  ou  la  théologie  chrétienne, 
mais  le  catholicisme,  l'Eglise,  la  révélation,  l'au- 
torité. Il  a  bien  marqué  l'analogie  de  sa  tentative 
avec  celle  de  Pascal.  J'ai  peine  à  ne  pas  donner 
raison  aux  théologiens  qui  lui  ont  reproché  que 
«  c'était  par  le  fait  même  se  passer  des  miracles,  de 
la  révélation,  de  l'autorité  de  l'Eglise.  »  Cette  au- 
tonomie active  par  laquelle  nous  faisons  jaillir  la 
vérité  de  nous-mêmes,  et  le  christianisme  qui  en 
résulte,  fait  de  M.  Laberthonnière  un  protestant  (i). 
Non  pas  un  luthérien,  ni  un  calviniste,  mais  un  pro- 
testant d'une  secte  nouvelle.  Il  a  beau  être  catholi- 
que à  la  fin,  au  point  de  départ  et  pendant  tout  le 
chemin,  c'est  un  protestant,  même  un  penseur 
libre.  Et  il  est  impossible  qu'à  l'arrivée,  l'autorité  de 
la  Révélation  et  de  l'Eglise  ne  soit  pas  transformée 
en  une  autorité  qui  ne  liera  qu'autant  que  l'être 
autonome  consentira  à  être  lié  (2).  » 

Le  Réalisme  chrétien  et  l'idéalisme  grec,  venant 
après  ces  critiques,  aura-t-il  dissipé  toutes  les  obs- 
curités? Une  paraît  pas,  à  en  juger  par  l'appréciation 
d'un  autre  juge  également  sympathique  et  indépen- 
dant. M.  A.  Lilley,  en  effet,  organe  encore  jeune  de 
l'anglicanisme  libéral,  résumant  avec  bienveillance 
les  vues  de  M.  Laberthonnière  dans  ses  deux  ou- 
vrages, retrace  le  dogmatisme  moral  et  la  foi  de  la 

1.  Ce  qualificatif  appelle  d'expresses  réserves.  —  a.  Lanson 
dans  la  Revue  universitaire,  1903,  p.  428. 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        321 

philosophie  de  l'immanence  en  ces  formules  peu 
rassurantes  :  «  Les  affirmations  dogmatiques  du 
christianisme  sont  révélées  seulement  en  ce  sens 
qu'elles  sont  l'expression  la  plus  satisfaisante  qu'on 
ait  pu  trouver  de  cette  vie  (morale),  et  qu'elles  peu- 
vent constituer  le  stimulant  le  plus  puissant  à  ses 
progrès  ultérieurs.  »  Puis,  parlant  de  l'esprit  du 
christianisme  auquel  seul  peut  s'appliquer  la  con- 
ception du  dogme  immuable,  il  dit  :  «  Et  cet  esprit 
est  l'assertion  de  foi,  cette  énergie  morale  de  l'homme 
qui  peut  seule  affirmer  la  réalité.  Comme  nous 
l'avons  vu,  cette  foi  est  rationnelle  dans  le  sens  le 
plus  élevé  de  ce  mot.  L'affirmation  immédiate  de  la 
réalité  est  une  affirmation  qui  implique  la  raison. 
Mais  l'explication  logique  de  son  contenu  peut  tou- 
jours dépendre  de  ce  fait  que  nous  saisissons  la 
réalité  à  travers  les  phénomènes.  Ainsi  le  dogme 
chrétien  par  son  côté  intellectuel  est  provisoire  et 
relatif.  Tout  terme  employé  pour  l'exprimer  est 
susceptible  de  profondes  modifications;  il  les  a  en 
réalité  subies  dans  le  passé,  et  il  est  exposé  à  les 
subir  continuellement  dans  l'avenir...  La  tradition 
chrétienne  est  ce  que  M.  Laberthonnière  appelle  la 
vérité  du  Christ...  Ni  aujourd'hui,  ni  jamais  dans  le 
passé  la  vérité  (de  Jésus-Christ)  n'a  pu  être  reconnue 
ou  établie  par  les  faits  de  l'histoire,  bien  que  na- 
turellement, comme  tout  autre  vérité  concrète,  elle 
ait  été  donnée  dans  les  faits  de  l'histoire...  La  vérité 
du  Christ  est  une  affirmation  de  cette  foi  rationnelle 
qui  est  l'expression  nécessaire  de  l'esprit  de  l'homme 
dans  la  plénitude  de  son  activité.  Les  événements 
du  monde  phénoménal  par  lesquels  elle  nous  est 
révélée  sont  entièrement  enfermés  dans  la  sphère 
du  criticisme  historique  (i).  » 

i.  A.Lilley.dans  The  Hibbert  journal,  octobre  1904,  p.  179,  i83. 

LB   CATÉCHISMB.  —  T.  I.  21 


32  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Il  va  de  soi  qu'on  ne  saurait  rendre  M.  Laber- 
thonnière  responsable  des  interprétations  de  ses 
lecteurs.  Mais  enfin,  si  telle  est  l'impression  pro- 
duite à  la  fois  sur  les  théologiens  dont  il  s'est  plaint 
si  souvent,  sur  des  critiques  sympathiques  comme 
le  correspondant  anonyme  du  Bulletin,  sur  des 
penseurs  totalement  étrangers  à  nos  querelles 
d'écoles,  comme  M.  Lanson,  sur  des  esprits  saturés 
de  la  philosophie  moderne,  comme  M.  Lilley,  il 
faut  bien  qu'il  y  ait  de  grandes  obscurités  dans 
son  exposé  pour  que,  venus  des  points  les  plus 
éloignés  de  l'horizon  intellectuel,  tous  ou  à  peu 
près  s'accordent  à  trouver  dans  son  système  une 
théorie  de  la  foi  si  éloignée  de  la  doctrine  classique. 

6.  Dans  cette  conception  nouvelle,  au  lieu  du 
témoignage  divin,  on  met  dans  la  foi  l'intuition 
des  réalités  surnaturelles  par  le  sens  religieux. 
M.  Laberthonnière  s'en  défend.  Et  pourtant  ses 
propres  textes,  dans  leur  ensemble,  et  en  particulier 
le  principe  fondamental  de  V autonomie  de  la  pensée, 
tel  qu'il  est  développé  dans  l'introduction  des  Essais, 
justifie  cette  interprétation.  «  L'idée  fondamentale 
qui,  malgré  toutes  les  divergences,  s'est  affirmée 
plus  énergiquement  que  jamais  à  travers  la  philo- 
sophie moderne,  à  savoir  qu'il  n'y  a  pas  de  vérité 
pour  l'homme  qu'il  ait  à  subir,  parce  que  cette 
vérité  alors  serait  pour  lui  une  compression  au  lieu 
d'un  épanouissement,  l'esclavage  au  lieu  de  la  liberté, 
la  mort  au  lieu  de  la  vie,  cette  idée  nous  l'acceptons 
en  pleine  connaissance  de  cause.  Et  nous  ne  pen- 
sons pas  que  personne  ose  explicitement  la  rejeter. 
Du  reste,  n'est-elle  pas  aussi,  en  définitive,  l'idée 
fondamentale  qui  anime  toute  tentative  d'apologéti- 
que sous  quelque  forme  qu'elle  se  produise  (i).  » 

i.  Laberthonnière,  Essai  de  philosophie  religieuse,  p.  xvi. 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        3 23 

Nullement,  toute  tentative  d'apologétique  n'a 
point  pour  but  de  prouver  la  vérité  intrinsèque  des 
dogmes  révélés,  mais  seulement  d'établir  la  réalité 
de  la  révélation  et  l'autorité  du  témoignage  divin. 
Aussi  est-on  surpris  de  lire  les  lignes  suivantes  : 
«  Quand  donc  les  philosophes,  pour  rester  philo- 
sophes, pour  sauvegarder  cette  autonomie  qui 
constitue  notre  personnalité  morale,  réclament  une 
vérité  qui  ait  pour  caractère  d'être  immanente, 
c'est-à-dire  qui  se  rattache  à  eux,  qu'ils  puissent 
trouver  en  eux  dans  ce  qu'ils  sont  et  dans  ce  qu'ils 
doivent  être,  nous  ne  saurions  faire  autrement  que 
d'abonder  dans  leur  sens,  puisque  toute  vérité  qui 
n'aurait  pas  ce  caractère  serait  inévitablement 
opprimante  en  s'imposant  du  dehors  (i).  » 

Si  l'on  voulait  dire  seulement  que  l'esprit  humain 
ne  peut  rien  affirmer  qu'il  n'en  voie  ou  du  moins 
qu'il  ne  croie  en  voir  la  vérité,  soit  dans  l'objet  lui- 
même,  soit  dans  un  témoignage  autorisé,  rien  de 
plus  exact  ;  jamais  philosophie  n'a  pu  nier  cette 
impossibilité  ;  car  c'est  une  loi  essentielle  de  notre 
esprit  de  ne  pouvoir  adhérer  qu'au  vrai,  c'est-à-dire 
au  moins  à  ce  qui  lui  est  présenté  comme  vrai. 
Mais  la  grande  conquête  de  la  philosophie  moderne, 
proclamée  ici,  a  un  tout  autre  sens  :  c'est  la  néces- 
sité de  trouver  toute  vérité  en  soi-même,  dans  ce 
que  nous  sommes  ou  dans  ce  que  nous  devons  être, 
à  l'exclusion  de  tout  témoignage  même  divin  qui 
nous  l'apporterait  du  dehors. 

Or,  l'autonomie  ainsi  formulée,  même  si  on 
accepte  pour  l'esprit  un  secours  et  comme  une 
collaboration  de  Dieu,  est  à  rejeter  comme  égale- 
ment contraire  à  l'expérience,  à  la  raison,  et 
à  la  foi.  Car  il  y  a  des  vérités  que  l'homme  ne 

'    i.  Ibid.t  p.  xyii-xviii. 


324  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

trouve  pas  en  lui-même,  dans  ce  qu'il  est  et  dans  ce 
qu'il  doit  être,  des /vérités  qu'il  doit  subir,  sans  être 
pour  cela  condamné  à  l'esclavage,  ni  à  la  mort. 
Quand  vous  me  confiez  le  secret  de  vos  pensées 
intimes,  je  subis  cette  vérité  que  vous  me  révélez, 
je  la  subis,  je  ne  la  trouve  pas  en  moi,  ni  dans  ce 
que  je  suis,  ni  dans  ce  que  je  dois  être.  Je  subis 
également  toutes  les  vérités  scientifiques  ou  histori- 
ques dont  je  n'ai  aucune  expérience  personnelle  ; 
je  n'ai  point  le  loisir  d'expérimenter  la  télégraphie 
sans  fil,  et  cependant  je  ne  doute  point  des  affirma- 
tions des  physiciens.  Et  je  ne  me  sens  ni  comprimé, 
rii  esclave,  ni  mort,  mais  plus  Avivant  à  mesure 
qu'une  vérité  de  plus  m'arrive  de  l'extérieur.  Et  cela 
reste  vrai,  quand  même  je  ne  saisirais  aucune  raison 
intime  de  ces  lois  ni  la  portée  des  expériences  ou 
des  calculs  qui  en  ont  préparé  la  découverte.  Je 
reçois  ces  vérités  du  dehors,  du  témoignage,  de 
l'autorité  intellectuelle  des  hommes  de  science. 

Et  combien  cela  est  plus  profondément  vrai  dans 
l'ordre  des  vérités  révélées  ?  Je  subis  le  dogme  de  la 
Trinité.  Je  sais  que  Dieu  un  jour  daigna  révéler  par 
Jésus  ce  grand  mystère  de  son  être  et  de  sa  vie 
intime,  et  je  proteste  que  je  l'admets  uniquement  sur 
l'autorité  de  sa  parole,  sans  même  découvrir  en  mon 
âme  ces  images  de  la  Trinité  dans  lesquelles  se 
jouait  l'esprit  ingénieux  d'Augustin,  tout  en  se 
gardant  bien  d'en  faire  le  motif  de  son  adhésion. 
J'ajoute  que,  pour  moi,  la  Trinité  ainsi  reçue  du 
dehors  par  une  confidence  divine,  même  transmise 
de  génération  en  génération  jusqu'à  moi,  n'est 
nullement  une  compression,  ni  un  esclavage,  ni 
surtout  une  mort  :  c'est  bien  plutôt  une  nouvelle 
vie,  puisque  je  sais  une  nouvelle  vérité,  quelque 
imparfaite  qu'en  soit  la  représentation,  et  une  vérité 
que  les  plus  longs  siècles  de  méditation  psychologi- 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        325 


que  n'eussent  jamais  fait  jaillir  en  mon  esprit. 
L'auteur  des  paroles  qui  précèdent  termine  ainsi  : 
«  Nier  qu'on  puisse  recevoir  du  dehors  des  vérités 
que  nous  n'avons  pu  tirer  de  nous-même,  n'est-ce 
point  faire  de  la  foi  un  acte  irréalisable,  ou  du 
moins  changer  totalement  le  sens  des  mots  (i).  » 
On  ne  saurait  mieux  dire. 

1.  A  propos  de  la  genèse  de  la  foi.  —  «  La  foi, 
étant  une  vertu  surnaturelle,  doit  nécessairement  pro- 
céder, chez  les  adultes,  de  la  grâce  de  Dieu  et  de  la  bonne 
volonté  de  l'homme...  Que  fait  l'homme  pour  préparer  et 
entretenir  en  lui,  avec  le  concours  de  la  grâce  divine, 
cette  volonté  bonne  qui  ouvre  l'âme  aux  clartés  de  la  foi  ? 
Car  je  ne  parle  pas  ici  de  ces  illuminations  soudaines,  de 
ces  irradia  Lions  miraculeuses  par' le  moyen  desquelles  un 
saint  Paul,  par  exemple,  a  passé  subitement  de  l'impiété 
la  plus  violente  à  la  foi  la  plus  humble  et  la  plus  géné- 
reuse. Il  s'agit  des  conversions  ordinaires,  où  les  choses 
se  passent  humainement,  où  l'homme  a  sa  grande  part 
dans  l'œuvre  divine.  Que  fait-il  alors  pour  concourir  avec 
Dieu  ?  Il  n'est  pas  possible,*  dans  ce  mystère,  de  découvrir 
les  secrets  que  la  conscience  du  converti  ignore  sans 
doute  elle-même.  Mais  l'on  peut  dire  en  général  que  la 
bonne  volonté  procède  de  certains  motifs  qui  l'inspirent, 
qui  l'animent,  qui  l'encouragent,  qui  la  remplissent  de 
bons  désirs  et  la  rendent  souple  et  docile  aux  appels  de 
l'Esprit  divin.  Eh  bien,  parmi  ces  motifs  du  bon  vouloir 
coopérateur  de  la  grâce,  s'il  en  est  de  si  intimes  et  per- 
sonnels qu'ils  échappent  par  lenr  variété  même  à  toute 
classification  et  à  toute  analyse  psychologique,  on  en 
trouve  cependant  qui  sont  susceptibles  d'être  analysés  et 
classés,  et  qui  peuvent  servir  à  formuler  presque  scienti- 
fiquement une  sorte  de  préparation  de  l'âme  à  la  foi,  une 
propédeutique  de  l'Evangile. 

C'est  à  cela  peut-être,  je  le  reconnais  volontiers,  que 
vient  concourir  la  philosophie  de  l'action  par  la  méthode 

.     i.  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1905,  p.  i38. 


32Ô  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 


de  l'immanence.  En  nous  montrant,  à  l'aide  de  leurs 
analyses  subtiles,  que  l'activité  tout  entière  de  l'âme 
humaine,  que  le  fond  le  plus  intime,  le  ressort  le  plus 
secret  de  notre  vie,  demande,  exige,  réclame  et,  pour 
employer  le  terme  à  la  mode,  «  postule»  la  foi  catholique; 
«n  rendant  plus  sensibles,  en  faisant  mieux  connaître  ce 
•qu'ils  appellent  les  «  harmonies  vivantes,  coïncidences 
vitales  et  finalités  transcendantes  »  de  notre  nature  et  du 
surnaturel  chrétien,  les  philosophes  de  l'immanence  nous 
donneront  un  riche  commentaire  de  la  parole  du  vieux 
Tertullien  sur  l'âme  naturellement  chrétienne,  et  nous 
fourniront  les  motifs  les  plus  délicats,  les  plus  touchants 
et  les  plus  pressants  peut-être,  pour  exciter,  chez  les 
incrédules  et  les  indifférents  de  ce  siècle,  les  bons  désirs 
et  la  bonne  volonté  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  attirent  la 
divine  lumière  de  la  foi. 

Mais  ces  philosophes  auraient  tort  de  penser  qu'il  n'y  a 
pas  d'autres  motifs  efïicaces  que  ceux  qui  sont  fournis 
par  leur  analyse  immanente.  Beaucoup  d'esprits  sont 
accessibles  à  des  considérations  d'un  tout  autre  ordre, 
telle  que  l'influence  morale  et  sociale  du  christianisme  ou 
la  sublimité  de  l'Evangile.  De  même  ces  philosophes 
seraient  dans  l'erreur  s'ils  prétendaient  avoir  inventé  une 
nouvelle  méthode  de  préparation  à  la  foi.  Leur  méthode  a 
toujours  été  connue  et  pratiquée  dans  l'Eglise  par  les 
défenseurs  et  les  prédicateurs  du  christianisme.  Je  ne  sais 
même  pas  s'ils  ont  rien  découvert  qui  ne  soit  au  moins 
signalé  par  quelqu'un  des  anciens.  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'originalité  de  leur  mérite  consiste  à  mieux  distinguer  et 
formuler  cette  méthode,  à  rendre  son  emploi  plus  usuel 
et  plus  facile,  et  à  combattre  ainsi  l'incrédulité  moderne, 
qui  échappe,  dans  le  scepticisme  et  le  criticisme,  aux 
prises  de  la  démonstration  évangélique  traditionnelle.  » 
Gayraud,  Le  problème  de  la  certitude  religieuse,  dans  la 
Revue  du  clergé,  1902,  t.  xxx,  p.  116-118. 

2.  L'acte  de  foi.  —  «  Appuyés  sur  les  données 
dogmatiques  qui  jalonnent  notre  route  et  nous  ôtent, 
selon  le  beau  mot  de  saint  Jérôme,  «  la  liberté  de  l'erreur,  » 
nous  pouvons,  non  pas  saisir  l'acte  et  le  présenter  dans 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        327 

sa  réalité  vivante  et  concrète,  non  pas  même  peut-être  en 
démonter  toutes  les  pièces  et  en  montrer  le  mécanisme 
dans  les  derniers  détails,  mais  bien  en  expliquer  dans 
l'ensemble  le  jeu  et  les  mouvements,  assez  au  moins  pour 
voir  comment  s'y  concilient  des  propriétés  en  apparence 
inconciliables,  et  pour  soupçonner,  sinon  pour  entrevoir, 
combien  beau  dans  sa  réalité  psychologique  et  surnatu- 
relle, combien  beau  dans  son  ordre  moral,  doit  être  cet 
acte  où  la  nature  et  le  surnaturel  se  rencontrent  et  s'em- 
brassent ;  où  l'homme,  écoutant  dans  le  respect,  dans 
l'adoration,  dans  la  soumission  absolue,  Dieu  qui  parle 
de  la  nuée,  accepte  librement  sous  la  motion  et  la  lumière 
divine  la  main  que  Dieu  lui  tend  ;  où  se  nouent,  dans 
l'obscurité,  entre  le  Créateur  et  la  créature,  des  relations 
intellectuelles  et  morales  qui  doivent  mener  l'homme, 
s'il  est  fidèle,  aux  splendeurs  de  la  vision  béatifîque  ;  où 
les  biens  invisibles  et  les  secrets  de  Dieu  sont  mis  à  notre 
portée  ;  où  commence  enfin  pour  nous,  dans  une  union 
ineffable,  quoique  imparfaite  encore,  d'esprit  et  de  volonté 
avec  Dieu,  cette  vie  divine  que  nous  sommes  destinés  à 
mener  éternellement  dans  le  ciel,  le  connaissant  face  à 
face  comme  il  se  connaît,  l'aimant  comme  il  s'aime, 
tout  transformés  en  lui  par  la  connaissance  et  l'amour, 
divinisés  sans  cesser  d'être  nous,  un  avec  lui  dans  une 
communion  qui  ne  supprime  rien  de  la  distinction  essen- 
tielle et  de  la  distance  infinie  entre  «  Celui  qui  est  »  et 
«  celui  qui  n'est  pas.  »  Bainvel,  La  foi  et  l'acte  de  foi, 
Paris,  1898,  p.  98-99. 

3.  La  liberté  dans  l'acte  de  foi.  —  «  Il  paraît 
difficile  de  déterminer  de  quelle  façon  la  liberté  et  la 
certitude  se  concilient  dans  l'acte  de  foi  considéré  en 
lui-même  et  pour  ainsi  dire  in  abstracto,  il  est  d'ordinaire 
aisé  de  constater,  surtout  à  notre  époque  d'incrédulité, 
d'où  vient  que  les  uns  croient,  pendant  que  les  autres 
doutent  ou  refusent  de  croire.  Les  hommes  qui  doutent 
et  ne  croient  pas  aux  vérités  révélées  sont  ceux  qui  ne 
sont  pas  convaincus  du  fait  de  la  révélation.  Les  hommes 
qui  croient  sont  au  contraire  ceux  qui  sont  convaincus 
de  ce  fait.  On  serait  tenté  de  conclure  de  là  que  la  liberté 


0  28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


de  l'acte  de  foi  vient  exclusivement  de  la  liberté  d'étudier 
et  de  considérer  ou  non  les  preuves  de  la  révélation,  et 
qu'elle  ne  vient  point,  comme  l'enseigne  le  concile  du 
Vatican,  d'une  détermination  qui  reste  maîtresse  d'elle- 
même,  malgré  la  science  la  plus  complète  de  ces  preuves. 
Mais  on  change  d'avis,  lorsqu'on  remarque  qu'avec  une 
connaissance  égale  des  motifs  de  crédibilité,  les  uns 
croient  pendant  que  les  autres  doutent.  On  s'accorde  à  le 
reconnaître,  la  foi  tient  aux  dispositions  qu'on  apporte 
dans  la  considération  des  preuves  de  la  religion.  Ce  sont 
ces  dispositions  qui  décident  de  la  valeur  que  chacun 
accorde  aux  preuves  qui  lui  sont  proposées.  Or,  que  sont 
ces  dispositions,  sinon  le  résultat  et  le  signe  des  libres 
déterminations  de  la  volonté  sollicitée  par  la  grâce  ?  Ces 
déterminations  libres,  que  les  théologiens  n'envisagent 
qu'au  moment  de  l'acte  de  foi,  se  produisent  très  souvent, 
chez  les  adultes,  dans  la  conduite  qui  préc^Je  et  prépare 
l'acte  de  foi  ou  l'acte  d'incrédulité.  Cette  conduite  peut 
avoir  mis  celui  à  qui  la  foi  est  proposée  dans  un  état 
d'esprit  tel  qu'il  est  facile  de  conjecturer  à  l'avance  à 
quoi  il  va  se  décider.  C'est  en  raison  des  dispositions  à 
peu  près  permanentes  dans  lesquelles  ils  se  sont  mis, 
que  la  plupart  des  hommes,  qui  connaissent  suffisamment 
les  preuves  de  la  religion,  sont  d'une  manière  à  peu  près 
constante  croyants  ou  incrédules. 

Obéissant,  d'ailleurs,  à  une  tendance  naturelle  qui  fait 
que  nous  cherchons  toujours  à  justifier  notre  conduite  à 
nos  propres  yeux,  ceux  qui  ne  croient  pas  s'habituent  à 
considérer  les  objections  faites  contre  la  révélation  ;  car 
ils  sentent  qu'il  serait  déraisonnable  de  ne  pas  croire  ce 
que  Dieu  a  révélé.  Ils  se  forment  ainsi  à  eux-mêmes  des 
préjugés,  qui  peuvent  à  la  longue  devenir  si  puissants, 
qu'il  faudrait  un  vrai  miracle  de  la  grâce  pour  les  sur- 
monter. Réciproquement,  ceux  qui  croient  s'habituent  à 
considérer  la  faiblesse  des  objections  faites  contre  la 
religion  et  la  force  des  preuves  du  christianisme.  C'est 
pourquoi  la  foi  leur  est  facile.  »  Vacant,  La  constitution 
DeiFilias,  Paris,  1895,  t.  11,  p.  81-82. 

4.  La  Volonté  et  l'Intelligence  dans  l'acte  de 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        329 

foi.  —  «  Un  objet  révélé  se  présente  à  notre  intelligence 
de  la  part  de  Dieu,  souvent  même  de  la  part  de  l'Eglise 
qui  le  définit,  l'interprète  ou  l'enseigne.  Qu'il  soit  essen- 
tiellement mystérieux,  ou  qu'il  soit  naturellement  con- 
naissable  avant  que  d'être  affirmé  par  Dieu,  nous  disons 
qu'il  ne  saurait  nécessiter,  comme  les  vérités  intuitive- 
ment ou  démonstrativement  évidentes,  l'assentiment  de 
notre  esprit.  Non,  certes,  qu'il  ne  soit  pas  évidemment 
croyable,  que  l'autorité  divine  dont  il  est  revêtu  ne  soit 
évidemment  démontrée,  que  le  devoir  d'y  adhérer  ne  nous 
soit  évidemment  imposé.  Bien  au  contraire,  nous  admettons 
que  les  preuves  de  la  crédibilité,  le  motif  de  la  croyance, 
l'obligation  de  la  foi,  sont  tels  dans  le  christianisme  que, 
sous  peine  de  révoquer  témérairement  en  doute  les  bases 
mêmes  de  la  certitude  humaine,  notre  raison  doit  croire 
tout  objet  divinement  affirmé.  Mais  ce  qu'elle  doit  faire, 
elle  n'est  pas  toujours  nécessitée  à  le  faire  ;  et  comme  nos 
autres  facultés,  elle  n'est  fatalement  entraînée  que  vers 
son  objet  propre.  Or,  l'objet  propre  de  l'intelligence 
humaine  ici-bas  est  la  vérité  évidente,  soit  que  son  évi- 
dence apparaisse  d'elle-même  et  que  nous  la  percevions 
par  intuition  directe,  soit  qu'elle  apparaisse  à  l'aide 
d'autres  évidences  et  que  nous  ayons  besoin  de  démons- 
tration pour  la  discerner.  Que  l'intelligence  dispose  ou 
non  de  grâces  surnaturelles  dans  ses  rapports  avec  l'objet 
à  connaître,  son  fonctionnement  reste  essentiellement  le 
même  :  elle  est  invinciblement  attirée  par  lui  s'il  est 
évident  ;  elle  ne  l'est  pas  s'il  est  seulement  certain  sans 
évidence.  L'objet  révélé  n'étant  jamais  évident  comme  tel, 
il  ne  saurait  jamais  nécessiter  l'adhésion  intellectuelle 
qu'il  sollicite  et  à  laquelle  il  a  d'ailleurs  un  droit  incon- 
testable. »  Didiot,  Vertus  théologales,  Paris,  1897,  n.  217, 
p.  162. 


Leçon  IXe 
De  la  Foi  et  de  la  Raison 


I.  Deux  ordres  de  connaissance,  —  Les  Mys- 
ter  es  de  la  foi.  —  IL  Rôle  de  la  raison  dans 
la  connaissance  des  mystères  de  la  foi.  — 
III.  Ni  opposition  ni  désaccord  entre  la  foi 
et  la  raison.  —  IV.  La  foi  et  la  raison  se 
prêtent  une  aide  mutuelle. 

Sur  cette  question  si  importante  et  si  débattue 
au  siècle  dernier,  relative  aux  rapports  qui 
doivent  exister  entre  la  foi  et  la  raison,  entre 
la  science  et  la  révélation,  le  concile  du  Vatican, 
dans  le  chapitre  ive  de  la  Constitution  Dei  Filius, 
a  donné  une  solution  remarquable  par  sa  précision 
et  sa  clarté.  Aussi  est-ce  à  ce  chapitre  et  aux  canons 
qui  le  suivent  que  nous  emprunterons  les  éléments 
de  cette  leçon,  en  prenant  pour  guide  celui  qui  les 
a  si  bien  mis  en  relief  (i). 

»  i.  BIBLIOGRAPHIE  :  A.  Vacant,  La  Constitution  Dei  Filius, 
Paris,  1895,  t.  11,  p.  181-281  ;  Monsabré,  Introduction  audoyme 
catholique,  Paris,  1866,  t.  1,  p.  16-71  ;  tous  les  traités  De  fide  des 
théologies  postérieures  au  concile  du  Vatican  ;  dans  la  collec- 
tion Science  et  Religion,  on  peut  lire  avec  intérêt  et  avec  fruit 
Du  doute  à  la  foi,  de  P.  Tournebize  ;  V altitude  du  catholique  de- 
vant la  science,  de  Fonsegrive;  surtout  Les  relations  entre  la  foi 
et  la  raison,  et  Les  conditions  modernes  de  V accord  entre  la  Jot 
et  la  raison,  de  M.  de  Broglie. 


DEUX    ORDRES    DE    CONNAISSANCE  33 1 

Dans  le  premier  paragraphe,  le  concile,  d'accord 
avec  la  doctrine  constante  de  l'Eglise,  affirme 
l'existence,  pour  l'homme,  de  deux  ordres  de  con- 
naissance, l'un  naturel,  l'autre  surnaturel,  et  il 
indique  les  mystères  de  la  foi  comme  l'objet  spécial 
de  la  révélation  divine. 

Dans  le  second,  il  expose  ce  qui  revient  à  la 
raison  et  ce  qui  n'est  point  de  son  ressort,  dans 
l'étude  de  la  vérité  surnaturelle. 

Dans  le  troisième,  il  déclare  qu'entre  la  raison  et 
la  foi,  entre  la  science  et  la  révélation,  il  ne  saurait 
jamais  exister  aucune  opposition  ni  désaccord  ;  d'où 
il  résulte  que  toute  assertion,  certainement  con- 
traire à  une  vérité  révélée,  doit  être  regardée  comme 
n'étant  pas  une  conclusion  légitime  de  la  science, 
et  qu'elle  peut  à  bon  droit  être  réprouvée  par 
l'Eglise. 

Dans  le  quatrième  enfin,  il  enseigne  que  non 
seulement  la  raison  et  la  foi  ne  s'opposent  pas  l'une 
à  l'autre,  mais  qu'elles  s'entr' aident  mutuellement, 
et,  tout  en  revendiquant  une  juste  liberté  pour  la 
science,  il  met  en  garde  contre  ses  abus  et  ses 
excès. 

I.  Deux  ordres  de  connaissance. 

Le  mystère, 

objet  spécial  de  la  révélation 

i 
Le  chapitre  iv*  de  la  Constitution  Dei  Filius  débute  l 
ainsi  :  «  L'Eglise  catholique  s'est  toujours  accordée  < 
à  admettre  qu'il  y  a  deux  ordres  de   connaissance 
distincts,    non  seulement  par  leur   principe,  mais 
encore  par  leur  objet  :  par  leur  principe,  parce  que 
nous  connaissons  dans  l'un,  au  moyen  de  la  raison 


r 


332  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

naturelle,  dans  l'autre  au  moyen  de  la  foi  divine  ;  par 
leur  ohjet,  parce  que,  outre  les  vérités  auxquelles  la 
raison  naturelle  peut  atteindre,  l'Eglise  propose  à 
notre  foi  des  mystères  cachés  en  Dieu,  qui  ne  peuvent 
être  connus  que  par  la  révélation  divine.  C'est  pour- 
quoi l'apôtre,  qui  rend  témoignage  à  la  connaissance 
que  les  nations  ont  eue  de  Dieu,  au  moyen  des 
choses  créées,  dit  néanmoins  en  parlant  de  la  grâce 
ct.de  la  vérité  données  par  Jésus-Christ  :  «  Nous 
prêchons  la  sagesse  de  Dieu  renfermée  dans  son 
mystère,  cette  sagesse  cachée,  que  Dieu  a  prédes- 
tinée avant  tous  les  siècles  pour  notre  gloire,  qu'au- 
cun des  princes  de  ce  siècle  n'a  connue  ;  mais  pour 
nous,  Dieu  nous  l'a  révélée  par  son  Esprit  ;  car  cet 
Esprit  pénètre  tout  jusqu'aux  secrets  les  plus  pro- 
fonds de  Dieu.  »  Et  le  Fils  unique  lui-même  rend 
gloire  à  son  Père  de  ce  qu'il  a  caché  ces  choses  aux 
sages  et  aux  prudents  et  le*  a  révélées  aux  petits.  » 

Canon  i  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  la  révé- 
lation divine  ne  renferme  à  proprement  parler 
aucun  mystère  véritable,  mais  qu'une  raison  con- 
venablement cultivée  peut  par  ses  principes  natu- 
rels comprendre  et  démontrer  tous  les  dogmes  de 
la  foi.  » 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  la  distinction 
des  deux  ordres  de  connaissance,  mais  nous  insis- 
terons sur  l'objet  spécial  de  la  révélation,  à  savoir 
les  mystères,  dont  l'existence  est  affirmée  et  définie  ; 
nous  répondrons  à  ces  trois  questions  :  Quelle  est 
la  nature  des  mystères  de  la  foi?  En  existe-t-il? 
Quels  sont-ils  ? 

i .  Nature  des  mystères  de  la  foi.  —  La  nature 
des  mystères  d«  la  foi  ressort  clairement  soit  de 
la  lettre  de  Pie  IX  à  l'archevêque  de  Munich, 
du  ii  décembre  1862,  portant  condamnation  des 


DEUX  ORDRES  DE  CONNAISSANCE         333 

erreurs  de  Frohschammer  (i),  soit  du  premier 
paragraphe  du  chapitre  ive  de  la  Constitution  Dei 
Filius,  transcrit  plus  haut. 

Trois  propriétés  caractérisent  les  mystères  de  la 
foi  :  ce  sont  des  vérités  cachées  en  Dieu  ;  elles  ne 
peuvent  être  connues  que  si  Dieu  les  révèle  ;  les  fidèles 
ne  peuvent  en  avoir  une  claire  connaissance  que  dans 
la  vision  intuitive. 

Ce  sont  d'abord  des  vérités  cachées  en  Dieu.  Dieu 
dépasse  toute  créature  intelligente  ;  il  a  une  science 
infinie  qu'aucune  créature  créée  ou  créable  ne  sau- 
rait embrasser  dans  sa  totalité  ;  il  possède  donc  des 
secrets  absolument  impénétrables,  des  vérités  sur- 
naturelles en  elles-mêmes,  et  c'est  à  ces  secrets 
qu'appartiennent  les  mystères  de  la  foi  :  ils  sont 
donc  cachés  en  Dieu,  au-dessus  de  toute  nature 
créée,  dépassant  la  portée  de  la  raison  humaine  et 
de  l'intelligence  angélique,  inaccessibles  par  con- 
séquent à  toute  raison  naturelle,  à  tout  principe 
naturel. 

Pour  être  connus,  iljaul  donc  que  Dieu  les  révèle.  Dieu 
peut  les  montrer,  les  faire  voir,  comme  il  les  voit 
lui-même,  mais  ce  mode  de  connaissance  appartient 
à  la  vision  intuitive  ;  il  peut  aussi  nous  les  révéler 
ici-bas,  en  entourant  son  témoignage  des  preuves 
les  plus  authentiques  et  les  plus  irrécusables.  Ces 
mystères  de  la  foi  diffèrent  essentiellement  de  ce 
qu'on  appelle  les  mystères  de  la  nature.  Ceux-ci 
sont  des  vérités  dont  la  raison  ne  s'explique  ni  le 
pourquoi  ni  le  comment,  mais  dont  elle  constate 
ou  prouve  l'existence  ;  ceux-là,  au  contraire,  échap- 
pent complètement  aux  prises  de  notre  raison,  non 
seulement  dans  leur  nature  intime,  mais  même  dans 

i.  Denzinger,  n.  i5a4-i5a8. 


334  LE  CATÉCHISME   ROMAIN 


leur  existence  :  nous  ne  connaissons  cette  existence 
que  si  Dieu  veut  bien  nous  en  faire  part. 

Enfin  ces  mystères  de  la  foi  sont  tels  que,  même 
lorsque  leur  existence  nous  est  révélée,  l'intelligence 
et  la  connaissance  parfaite  de  leur  nature  nous  sont 
refusées  ici-bas.  Ils  restent  pour  nous,  comme  ledit 
Pie  IX,  «  couverts  du  voile  sacré  de  la  foi  elle-même 
et  enveloppés  d'une  ombre  obscure.  »  et,  comme  le 
dit  le  concile  du  Vatican,  «  la  raison  n'est  jamais 
rendue  capable  de  les  pénétrer  comme  les  vérités 
qui  constituent  son  objet  propre.  » 

Les  mystères  de  la  foi  sont  donc  des  vérités,  dont 
Dieu  seul  possède  une  connaissance  naturelle  et 
adéquate,  qui  ne  peuvent  nous  être  connus  que  par 
une  révélation  divine,  et  que  nous  ne  saurions 
comprendre  ni  démontrer  par  des  principes  d'ordre 
naturel,   même  après   que  Dieu  nous  les  a  révélés. 

2.  Existence  des  mystères  de  la  foi.  En  frappant 
d'anathème  quiconque  dirait  que  la  révélation 
divine  ne  renferme  à  proprement  parler  aucun 
mystère  véritable,  le  concile  du  Vatican  a  défini 
qu'il  existe  des  mystères  dans  la  religion  chrétienne. 
C'est  donc  un  dogme  de  foi  ;  constatation  officielle 
d'un  point  de  doctrine  toujours  enseigné  par  l'Eglise 
et  basé  sur  l'Ecriture  et  la  tradition,  ainsi  que  le 
faisait  déjà  remarquer  Pie  IX  dans  sa  lettre  à 
l'archevêque  de  Munich.  Pie  IX  empruntait  ses 
preuves  scripturaires  à  l'épître  aux  Colossiens,  aux 
Hébreux,  au  quatrième  Evangile  et  à  la  première 
épître  aux  Corinthiens.  C'est  ce  dernier  texte  que 
reproduit  le  concile  en  y  ajoutant  un  passage  de 
saint  Matthieu. 

L'apôtre  saint  Paul,  en  parlant  de  ce  que  l'œil 
n'a  pas  vu,  ni  l'oreille  entendu,  ni  le  cœur  de 
l'homme   conçu,    n'en    faisait  pas  une  explication 


DEUX  ORDRES  DE  CONNAISSANCE         333 

exclusive  au  bonheur  céleste,  il  l'entendait  aussi 
des  vérités  qu'il  prêchait  et  qui  sont  l'objet  de  la 
foi.  Or  ces  vérités  sont  des  mystères  proprement 
dits,  ainsi  que  cela  ressort  clairement  de  son 
langage.  Il  prêche  la  sagesse,  dit-il,  non  la  sagesse 
du  siècle,  mais  la  sagesse  même  de  Dieu,  et,  bien 
qu'il  s'adresse  aux  parfaits,  il  la  dit  mystérieuse  et 
cachée  par  sa  nature  ;  aucun  prince  de  ce  siècle  ne 
l'a  connue,  mais  c'est  Dieu  lui-même  qui  l'a  révélée 
aux  apôtres  par  son  Esprit,  lequel  pénètre  tout, 
même  les  profondeurs  de  Dieu  (i).  De  môme  dans 
le  texte  évangélique,  ce  que  Jésus  entend  par  les 
choses  que  Dieu  a  cachées  aux  sages  et  aux  prudents 
et  qu'il  a  révélées  aux  petits  (2),  ce  sont  bien  des 
mystères  connus  seulement  des  personnes  divines 
et  de  ceux  à  qui  Dieu  veut  les  révéler,  puisqu'il 
ajoute  :  «  Toutes  choses  m'ont  été  données  par 
mon  Père  ;  personne  ne  connaît  le  Fils  si  ce  n'est 
le  Père,  et  personne  ne  connaît  le  Père  si  ce  n'est 
le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils  a  voulu  le  révéler  (3).  » 
Cet  enseignement  scripturaire  n'ayant  jamais  été 
révoqué  en  doute  même  par  les  hérétiques  qui 
attaquèrent  les  dogmes  de  la  Trinité  et  de  l'Incarna- 
tion, les  Pères  de  l'Eglise  se  contentèrent  de  signaler 
en  passant  les  passages  de  l'Ecriture  relatifs  au 
caractère  mystérieux  des  vérités  révélées  (4).  Mais 
ce  caractère  frappa  surtout  les  scolastiques  ;  nul  ne 
l'a  mieux  fait  ressortir  que  Saint  Thomas  (5).  Pour- 


1.  I  Cor.  11,  7-9.  —  2.  Matth.,  xi,  a5.  —  3.  Matlh.  xi,  27.  — 
4.  S.  Ambroise,  De  fide  ad  Grat.,  1,  10  ;  Pair.  lat.s  t.  xvi, 
col.  54i-543  ;  S.  Jérôme,  In  Galat.,  ni,  2  ;  Pair,  lat.,  t.  xxvi, 
col.  374-375  ;  S.  Léon  le  Grand,  De  nat.  Dom.,  serm.  ix  ;  Pair, 
lai. y  t.  liv,  col.  160;  S.  Chrysostome,  In  I  Cor.,  homil.  vu;  Pair, 
gr.,  t.  lxi  ;  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  In  Joan.,  1,  9  ;  Pair,  gr., 
t.  lxxiii,  col.  i2  4-i34  ;  S.  Jean  Damascène,  In  I  Cor.,  n  ;  Pair* 
gr.,  t.  xcv,  col.  582-590.  — -  5.  Cont.gent.,  iv,  proœmium. 


336  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

tant  quelques  partisans  de  Raymond  Lulle  le  mécon- 
nurent et  s'attirèrent  les  rigueurs  de  l'Eglise,  une 
première   fois    sous    Alexandre   IV,    en    1260,   une 
seconde  fois  sous  Grégoire  XI,  en  1376.  Ce  dernier 
pape  condamna  notamment  ces  deux  propositions  : 
«  Tous  les  articles  de  foi,  les  sacrements  de  l'Eglise 
et  le  pouvoir  du  pape  peuvent  être  prouvés  et  sont 
prouvés  par  des   raisons  nécessaires,   démonstrati- 
ves,  évidentes  (Prop.  96).  »    «  La  foi  est  nécessaire 
aux    gens    rustiques,    ignorants,     mercenaires,     de 
basse  intelligence,   qui  ne  savent  point  connaître 
par  la  raison  et  aiment  à  connaître  par  la  foi  ;  mais 
un  homme  subtil  est  plus  facilement  attiré  à  la  vie 
chrétienne  par  la  raison  que  par  la  foi  (Prop.  97) (1). 
Au   dernier  siècle,    quelques   prêtres   allemands, 
professeurs  dans  les  universités,  Hermès,  Gunther, 
Frohschammer,  entre  autres,  reprirent  la  thèse  du 
prétendu  pouvoir  qu'a  la  raison  de  démontrer  les 
dogmes,    une    fois   qu'ils    sont  révélés.    Ils    furent 
condamnés  à  leur  tour.  Pie  IX,  notamment,  écrivait 
à  ce  sujet  :  «  Jamais  la  raison  ne  peut  arriver  par 
les  principes   naturels  à  la  science  de  ces  dogmes 
(les  mystères).   Que  ceux  qui   ont    la   témérité  de 
soutenir  le  contraire,   sachent   qu'ils  abandonnent 
certainement,  non  pas  l'opinion  de  certains    doc- 
teurs,  mais  la  doctrine  commune  et  constante  de 
l'Earlise.  Les  saintes  Lettres  et  la  tradition  des  saints 
Pères  témoignent,   en  effet,   que    si  l'existence  de 
Dieu  et  plusieurs  autres  vérités  sont  connues  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  par  ceux  mêmes  qui 
n'ont  pas  encore  reçu  la  foi,  Dieu  seul  a  manifesté 
ces   dogmes   plus    cachés  (2).    »   Et  il    stigmatise, 
comme  étranger   à    l'enseignement   catholique,   le 
sentiment  contenu  dans  cette  proposition,  devenue 

1.  Denzinger,  n.  474.  470.  —  2.  Denzinger,  n.  1527. 


DEUX  ORDRES  DE  RECONNAISSANCE       337 


la  neuvième  du  Syllabus  :  «  Tous  les  dogmes  de  la 
religion  chrétienne  sans  distinction  sont  l'objet  de 
la  science  naturelle  ou  philosophie  ;  et  avec  une 
culture  purement  historique,  la  raison  humaine 
peut,  d'après  ses  principes  et  ses  forces  naturelles, 
parvenir  à  une  vraie  connaissance  de  tous  les 
dogmes,  même  des  plus  cachés,  pourvu  que  ces 
dogmes  aient  été  proposés  à  la  raison  comme 
objet  (1).  » 

Aussi  le  concile  du  Vatican,  en  définissant 
comme  une  vérité  de  foi  catholique  l'existence  des 
mystères  dans  la  révélation,  n'a  fait  que  proclamer 
une  vérité  clairement  contenue  dans  l'Ecriture, 
constamment  crue  dans  l'Eglise  et  plusieurs  fois 
formulée  par  les  Souverains  Pontifes. 

3.  Quels  sont,  parmi  les  dogmes  de  la  foi, 
ceux  qui  ont  le  caractère  de  mystère  ?  —  Tous 
ceux  qui  n'appartiennent  pas  en  même  temps  à 
l'ordre  naturel,  car  il  est  des  vérités  révélées  qui 
sont  accessibles  à  la  raison  ;  par  conséquent  tous 
ceux  qui  regardent  l'élévation  de  l'homme  à  l'état 
surnaturel,  son  commerce  surnaturel  avec  Dieu,  sa 
fin  surnaturellle  et  les  moyens  d'y  parvenir  ;  et  cela 
pour  deux  raisons  :  d'abord  parce  que  ce  sont  des 
vérités  qui  ont  les  trois  propriétés  qui  carac- 
térisent les  mystères  de  la  foi  ;  ensuite  parce  que 
l'ordre  surnaturel  a  été  librement  établi  par  Dieu. 
Or,  ce  qui  dépend  de  la  libre  détermination  de 
Dieu  ne  saurait  être  connu  des  créatures  qu'autant 
que  Dieu  leur  en  fait  part.  Telle  est  l'élévation  de 
l'homme  à  l'ordre  surnaturel,  et  telles  sont  les 
vérités  qui  se  rapportent  à  la  fin  surnaturelle  de 
l'homme  et  aux  moyens  surnaturels  d'y  parvenir. 

i.  Denzinger,  n.  i556. 

i        LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  23 


338  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Ces  moyens  sont  la  vie  surnaturelle  elle-même  et 
tout  ce  qui  sert  à  la  produire,  à  l'entretenir,  à  la 
développer.  Il  est  clair  que  la  vie  surnaturelle 
échappe  à  nos  investigations,  même  quand  elle  est 
en  nous  ;  le  caractère  surnaturel  de  ses  opérations 
nous  échappe  de  même.  Nous  n'avons  conscience 
en  effet,  ni  de  notre  élévation  à  l'ordre  surnaturel, 
ni  de  notre  état  de  grâce,  ni  de  ce  qu'a  de  surnatu- 
rel notre  acte  de  foi.  Sont  donc  à  ranger  parmi  les 
mystères  l'Incarnation,  qui  est  la  source  de  l'ordre 
surnaturel,  la  Rédemption,  qui  en  est  l'application. 
Tout  cela  dépend  de  la  volonté  libre  de  Dieu.  En 
est-il  de  même  de  ce  qui  constitue  nécessairement 
l'essence  divine,  et,  par  exemple,  la  Trinité  ?  Est-ce 
un  mystère  ?  Ni  Pie  IX  ni  le  concile  du  Vatican  ne 
citent  la  Trinité  parmi  les  mystères  ;  c'était  inutile, 
car  d'autres  documents  la  regardent  comme  un  mys- 
tère et  comme  plus  le  grand  des  mystères,  absolument 
ineffable  et  incompréhensible.  Le  Saint  Office  con- 
damnait en  1887,  avec  l'approbation  de  Léon  XIII, 
une  proposition  de  Rosmini  qui  déniait  à  la  Tri- 
nité le  caractère  de  mystère  de  la  foi  ;  c'est  le  mys- 
tère des  mystères  ;  tous  les  autres  le  supposent  et 
rien,  dans  l'ordre  créé,  ne  saurait  le  manifester. 

IL  Rôle  de  la  raison  dans  la 
connaissance  des  mystères  de  la  foi 

Le  rôle  de  la  raison  vis-à-vis  des  mystères  chré- 
tiens, ne  se  réduit  pas  à  l'étude  des  motifs  de  crédi- 
bilité, à  l'examen  du  fait  de  la  révélation,  à  tout  ce 
qui  sert  de  préparation  à  l'acte  de  foi  et  à  la  pro- 
duction de  l'acte  de  foi  lui-même,  il  est  beaucoup 
plus  étendu  ;  car,  sans  les  pénétrer  à  fond,  elle  peut 


ROLE  DE  LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTÈRES       33g 

en  acquérir  une  «  certaine  intelligence.  »  Le  con- 
cile du  Vatican  signale,  en  effet,  les  conditions  dans 
lesquelles  elle  peut  agir,  les  qualités  qu'elle  doit 
apporter  dans  son  étude,  les  procédés  qu'elle  doit 
employer,  les  résultats  qu'elle  peut  obtenir  et  aussi 
les  limites  qu'elle  ne  saurait  franchir. 

a  Lorsque  la  raison,  éclairée  par  la  foi,  cherche 
avec  soin,  piété  et  modération,  elle  acquiert,  il  est 
vrai,  par  le  don  de  Dieu,  quelque  intelligence  très 
fructueuse  des  mystères,  tant  par  l'analogie  des  cho- 
ses qu'elle  connaît  naturellement,  que  par  la  liaison 
des  mystères  entre  eux  et  avec  la  fin  dernière  de 
l'homme  ;  cependant  jamais  elle  n'est  rendue  capa- 
ble de  les  pénétrer  comme  les  vérités  qui  constituent 
son  objet  propre.  En  effet,  par  leur  nature,  les  mys- 
tères divins  dépassent  tellement  l'entendement  créé 
qu'après  avoir  été  communiqués  par  la  révélation 
et  reçus  par  la  foi,  ils  restent  néanmoins  couverts 
du  voile  de  la  foi  elle-même  et  enveloppés  comme 
d'une  sorte  de  nuage,  tant  que  nous  restons  éloi- 
gnés de  Dieu  par  cette  vie  mortelle  ;  car  nous  mar- 
chons dans  le  chemin  de  la  foi  et  non  dans  celui  de 
la  vision  (i).  » 

i.  La  raison  éclairée  par  la  foi,  doit  observer 
quelques  règles  dans  ses  recherches  :  elle  doit  agir, 
dit  le  concile,  avec  soin,  piété  et  discrétion.  C'est 
avec  soin  et  attention  tout  d'abord,  qu'elle  doit  étu- 
dier l'Ecriture  et  la  tradition,  c'est-à-dire  les  docu- 
ments où  sont  contenus  les  mystères  révélés,  pour 
se  rendre  compte  autant  que  possible  de  la  manière 
dont  ils  sont  révélés,  sous  quelles  images  ils  sont 
présentés  etquelles  analogies  ils  suggèrent.  G'esten- 
suite  avec  piété,  c'est-à-dire  sous  l'influence  d'une 
inspiration  vraiment  religieuse  et  avec  un  respect 

i.  Const,  Dei  FUius,  c.  iv,  S  a. 


340  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

profond  pour  l'enseignement  divin,  sous  lequel  se 
cachent  des  vérités,  dont  nous  n'apercevons  ici  bas 
que  le  dehors,  et"  nullement  avec  la  suffisance  du 
rationalisme  qui  se  flatte,  à  l'aide  de  la  seule  raison, 
d'en  avoir  le  dernier  mot.  La  piété  ne  pousse  pas 
aussi  loin  ses  prétentions  et  se  garde  d'aussi  chimé- 
riques espoirs.  Et  c'est  enfin  avec  réserve  ou  discré- 
tion, c'est-à-dire  en  s'en  tenant  aux  seules  données 
de  la  révélation,  sans  essayer  de  leur  appliquer  des 
vues  ou  des  théories  étrangères  sinon  contraires  à 
renseignement  traditionnel.  Ces  conditions  requi- 
ses étant  remplies,  la  raison  peut  découvrir  des  ana- 
logies entre  les  mystères  et  les  vérités  naturelles, 
étudier  les  rapports  qu'ils  ont  soit  entre  eux,  soit 
avec  la  fin  surnaturelle  de  l'homme,  et  cela  consti- 
tue un  vaste  champ  d'opération  pour  elle. 

2.  Analogies  des  mystères  avec  les  vérités 
naturelles.  Dieu,  en  parlant  à  l'homme,  a  dû  né- 
cessairement, pour  se  faire  comprendre,  se  mettre 
à  la  portée  de  son  intelligence.  Et  puisqu'il  lui  a 
plu  de  réserver  pour  la  vision  intuitive  la  claire 
notion  de  ses  mystères,  il  n'a  pu  nous  en  donner 
quelque  notion  qu'en  les  rapprochant,  qu'en 
les  comparant  avec  ce  que  notre  raison  connaît 
par  elle-même,  c'est-à-dire  par  des  analogies.  En 
effet,  entre  les  mystères  et  les  vérités  naturelles 
il  n'y  a  point  d'identité,  ni  par  suite  de  res- 
semblance parfaite  ;  mais  il  peut  y  avoir  et  il  y 
a  des  rapprochements,  des  comparaisons,  tirés  soit 
du  rapport  que  ces  mystères  et  ces  vérités  naturelles 
ont  avec  un  même  objet,  soit  de  l'effet  qu'ils  pro- 
duisent, c'est-à-dire  des  analogies. 

Dieu  nous  proposant  donc  la  notion  de  ses  mys- 
tères à  l'aide  de  l'analogie  qu'ils  ont  avec  les  choses 
naturelles,  plus  les  analogies  seront  nombreuses  et 


ROLE  DE  LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTERES        3/jl 

plus  la  notion  des  mystères  nous  sera  facile,  plus 
au  contraire  elles  seront  rares  et  plus  la  notion  des 
mystères  nous  sera  difficile.  C'est  ainsi  que  les  ver- 
tus surnaturelles,  à  cause  de  leurs  multiples  rapports 
d'analogie  qu'elles  ont  avec  nos  vertus  naturelles, 
sont  facilement  accessibles  à  notre  intelligence.  La 
vie  surnaturelle,  au  contraire,  offre  moins  d'analo- 
gies ou  des  analogies  moins  saisissantes  avec  la  vie 
naturelle  ;  il  en  est  de  même  entre  l'efficacité  sur- 
naturelle des  sacrements  et  les  effets  physiques  de 
la  matière  qu'ils  emploient  ;  et  dès  lors  moins 
grande  est  notre  facilité  à  les  connaître.  Quant  à 
l'Incarnation  et  surtout  à  la  Trinité,  les  points  de 
comparaison  que  la  nature  fournit  sont  plus 
restreints  encore,  moins  clairs,  plus  difficiles  à 
saisir. 

Mais  que  ces  analogies,  indiquées  par  Dieu  dans 
sa  révélation  soient  rares  ou  nombreuses,  saisissan- 
tes ou  peu  aisées  à  saisir,  elles  permettent  toujours 
d'avoir  une  notion  suffisante  des  mystères  révélés. 
Or  il  appartient  à  la  raison  de  les  scruter,  de  les 
approfondir,  de  les  rapprocher,  de  les  combiner 
pour  leur  demander  le  plus  de  lumière  possible, 
car  elles  offrent  un  solide  point  d'appui  et  des 
données  authentiques.  Il  lui  appartient  aussi 
de  relever  celles  que  les  Pères  de  l'Eglise,  les 
conciles  et  les  papes  ont  signalées  dans  la  suite 
des  âges,  car  elles  entrent  dans  la  trame  vivante  de 
la  tradition.  Il  lui  appartient  enfin  d'y  joindre  celles 
qu'elle  pourrait  découvrir  elle-même  dans  l'étude 
comparative  du  dogme  et  de  la  nature,  à  la  condition 
bien  entendu  qu'elles  cadrent  avec  l'enseignement 
officiel  de  l'Eglise.  Et  c'est  ainsi  que  la  raison  arrive 
à  se  faire  des  mystères  révélés  une  notion  de  moins 
en  moins  imparfaite,  de  plus  en  plus  claire  et  précise. 

C'est,  du  reste,  ce   qu'ont  fait  tous  les  docteurs» 


3^2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

saint  Augustin  et  saint  Thomas  en  tête.  Platon  et 
Aristote  leur  ont  servi,  comme  on  sait,  non  certes 
pour  substituer  les  données  rationnelles  aux  mys- 
tères révélés1,  ni  pour  démontrer  les  mystères  au 
moyen  de  principes  rationnels,  mais  pour  mettre 
en  plein  relief  ce  que  certaines  vérités  de  l'ordre 
naturel,  que  renferme  leur  philosophie,  ont  d'ana- 
logie avec  les  mystères  de  la  foi.  La  psychologie  des 
néoplatoniciens,  note  M.  Vacant,  a  fourni  à  saint 
Augustin  des  images  de  la  Trinité  ;  l'éthique 
d' Aristote  a  fourni  à  saint  Thomas  une  partie  des 
cadres  de  la  seconde  partie  de  sa  Somme,  où  il  étudie 
les  principes  de  la  morale  chrétienne  et  les  diverses 
vertus  surnaturelles. 

3.  Intelligence  des  mystères  par  leurs  rap- 
ports mutuels.  C'est  encore  un  vaste  champ 
d'action  qu'offre  à  notre  raison  l'examen  des  rapports 
qui  enchaînent  les  uns  aux  autres,  dans  un  tout 
harmonique,  les  mystères  de  la  foi. 

On  ne  saurait  douter,  en  effet,  qu'il  y  ait  moins 
d'ordre  et  d'unité  dans  les  mystères  de  la  foi  que 
dans  le  monde  de  la  nature,  où  notre  raison  décou- 
vre un  plan  si  harmonieusement  établi.  Cet  ordre 
et  cette  unité  du  monde  surnaturel,  Dieu,  sans  les 
dévoiler  à  nos  yeux  autant  qu'il  les  connaît  lui- 
même,  nous  les  laisse  suffisamment  entrevoir  pour 
que  nous  y  découvrions  un  lien  logique  :  le  péché  ; 
ses  suites  ;  sa  réparation  ;  application  des  effets  de 
la  Rédemption  à  chacun  de  nous  ;  moyens  d'arriver 
au  salut  ;  rôle  du  Verbe  fait  chair  et  du  Saint- 
Esprit,  etc.  Ce  lien  logique  permet  à  notre  raison  de 
pousser  plus  avant  ses  connaissances  et  de  s'assimi- 
ler dans  la  mesure  du  possible  la  révélation. 
Assurément,  Dieu  ne  nous  a  pas  proposé  ses  vérités 
sous   la  forme  d'un  catalogue  abstrait  ou  comme 


ROLE  DE  LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTÈRES        343 

une  table  de  matières  ;  des  philosophes  seuls  auraient 
pu  s'en  contenter,  c'est-à-dire  le  petit  nombre.  La 
grande  masse  réclamait  un  autre  mode  d'enseigne- 
ment. Et  c'est  pourquoi  Dieu  leur  a  donné  une 
forme  concrète  et  vivante,  en  les  mêlant  d'ordinaire 
à  des  récits  historiques  ou  à  des  leçons  de  morale. 

Il  en  est  un  peu  de  la  vérité  révélée  comme  des 
lois  naturelles  ;  celles-ci,  notre  raison  les  découvre 
peu  à  peu  sous  la  variété  des  phénomènes  qui  s'en- 
chevêtrent dans  le  règne  minéral,  végétal  et  animal, 
dans  le  domaine  de  la  conscience  et  dans  l'activité 
sociale,  elle  les  dégage  et  les  formule.  Les  vérités 
révélées  se  trouvent  dans  les  pages  de  la  Bible  et  les 
documents  de  la  tradition  ;  depuis  la  mort  des 
apôtres,  toutes  sont  promulguées.  Le  dépôt  en  est 
confié  à  l'Eglise.  Mais,  pour  la  plupart,  il  reste  à  les 
découvrir,  à  les  dégager,  à  les  formuler  ;  et  c'est  à 
quoi  travaille  la  raison,  à  la  lueur  de  la  foi,  sous  la 
direction  de  l'Eglise  et  avec  l'assistance  du  Saint- 
Esprit.  Elle  a  beaucoup  fait  jusqu'ici  ;  il  lui  reste 
toujours  à  faire,  car  la  révélation  n'a  pas  encore 
livré  tous  les  secrets  qu'elle  renferme.  Plus  les 
travaux  s'accumulent,  plus  aussi  s'affirment  et  se 
précisent  explicitement  les  vérités  révélées  dans  des 
formules  dogmatiques. 

D'autre  part,  la  foi  désire  et  cherche  toujours  à 
mieux  connaître  ce  qu'elle  croit,  à  posséder  une 
intelligence  plus  parfaite  des  mystères  par  l'étude  de 
leurs  rapports  et  de  leur  enchaînement  logique.  Ici 
encore  la  raison  prête  son  concours.  Elle  n'a  pas 
encore  fini  de  classer  les  données  surnaturelles,  de 
déterminer  les  principes  surnaturels  qui  s'appliquent 
à  chaque  espèce  de  vérité  révélée,  de  déduire  les 
conséquences  qui  découlent  de  ces  principes.  Et 
pourtant  quelle  œuvre  considérable  déjà  réalisée  ! 
Et  n'est-ce  pas  à  cette  œuvre  que  nous  devons  cette 


344  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

u  certaine  intelligence,  »  encore  imparfaite  assuré- 
ment, mais  du  moins  «  très  fructueuse  des  mystères, 
tant  par  l'analogie  des  choses  que  la  raison  connaît 
naturellement,  que  par  la  liaison  des  mystères  entre 
eux,  »  comme  s'exprime  le  concile  du  Vatican  ? 

4.  Intelligence  des  mystères  par  leurs  rap- 
ports avec  la  fin  de  l'homme.  Autre  source  de 
connaissances  pour  la  raison  que  l'étude  des 
mystères  dans  leurs  rapports  avec  la  fin  de  l'homme. 

Tous  les  mystères  en  effet,  se  rapportent  à  la  fin 
de  l'homme,  et  c'est  en  vue  de  cette  fin  que  Dieu 
les  a  révélés  ;  car  ils  ont  pour  objet  soit  cette  fin 
surnaturelle,  soit  les  moyens  de  l'atteindre,  soit  les 
obstacles  à  écarter.  Leur  étude  ne  peut  donc  que 
contribuer  à  nous  faire  mieux  comprendre  l'ensem- 
ble et  l'enchaînement  des  vérités  révélées  ;  et  c'est 
par  là  que  cette  étude  est  vraiment  salutaire  et 
constitue  la  science  du  salut.  D'autant  plus  que, 
dans  ces  rapports  des  mystères  avec  notre  fin 
surnaturelle,  se  découvrent  des  analogies  plus  nom- 
breuses, plus  justes,  plus  saisissantes.  Dieu,  en  effet, 
n'a  pas  détruit  notre  nature,  il  l'a  élevée  et  a  élevé 
ses  facultés  :  nature  et  facultés  naturelles  servent 
de  point  d'appui  où  se  greffent  la  vie  et  les  vertus 
surnaturelles.  La  grâce  se  superposant  ainsi  à  la 
nature  sans  la  détruire,  la  fin  et  les  moyens  de 
l'ordre  naturel  présentent  beaucoup  d'analogies  avec 
la  fin  et  les  moyens  de  l'ordre  surnaturel.  Et  c'est 
ainsi,  dit  M.  Vacant,  qu'avec  les  réserves  de  droit, 
on  applique  légitimement  à  la  foi  surnaturelle  ce 
qu'une  saine  philosophie  enseigne  de  la  fin  dernière; 
à  la  grâce  sanctifiante  et  aux  vertus  surnaturelles, 
ce  qu'elle  établit  de  notre  vie,  de  nos  facultés  et 
vertus  naturelles  ;  à  la  grâce  actuelle,  ce  qu'elle 
démontre  du  concours  divin  ;    à  la  manière  dont 


ROLE  DE   LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTERES        3^5 

les  sacrements  produisent  et  entretiennent  la  grâce 
en  notre  âme,  la  manière  dont  la  vie  ordinaire  est 
communiquée,  fortifiée  et  entretenue.  La  lumière 
divine  de  la  foi  est  rapprochée  de  la  lumière 
physique  du  soleil  et  de  la  lumière  intellectuelle  de 
la  raison  ;  l'Eglise,  société  parfaite,  est  comparée 
à  la  société  civile.  Adam  et  Jésus-Christ  représen- 
tent l'humanité  devant  Dieu  ;  le  premier,  par  sa 
faute,  l'a  réduite  en  esclavage  ;  le  second,  par  la 
rédemption,  l'a  délivrée  et  lui  a  rendu  ses  droits. 
Combien  d'autres  rapprochements  encore  ne  pour- 
rait-on pas  faire  ?  Ceux-ci,  à  peine  indiqués, 
suffisent  du  moins  à  prouver  combien  vaste  est  le 
champ  d'action  de  la  raison  dans  les  mystères  de  la 
foi. 

5.  Limites  de  la  raison  dans  la  connaissance 
des  mystères  de  la  foi.  Sans  révélation,  nous 
venons  de  le  voir,  la  raison  ne  saurait  soupçonner 
les  mystères  de  la  foi  ;  après  la  révélation,  elle  peut 
en  acquérir  «  une  intelligence  très  fructueuses  ;  » 
mais,  ajoute  le  concile,  «jamais  elle  n'est  rendue 
capable  de  les  pénétrer  comme  les  vérités  qui  cons- 
tituent son  objet  propre.  » 

Frohschammer  prétendait  que  la  raison,  par  ses 
propres  forces,  peut  acquérir  de  tous  les  mystères 
révélés  sans  exception  une  certitude  naturelle  et 
scientifique.  D'autres  semi-rationalistes  accordaient 
que  les  mystères  qui  dépendent  de  la  libre  détermi- 
nation de  Dieu  sont  indémontrables,  mais  ils 
soutenaient  que  ceux  qui  sont  fondés  sur  l'essence 
nécessaire  des  choses,  comme  la  Trinité,  sont 
démontrables. 

Pie  IX,  en  condamnant  Frohschammer,  lui  re- 
prochait de  ranger  les  mystères  révélés  dans  le 
domaine  de  la  science  et  de  la  philosophie,  d'accor- 


346  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

der  à  la  raison  vis-à-vis  d'eux  le  pouvoir  naturel  de 
Les  connaître  avec  certitude  sans  s'appuyer  sur 
l'autorité  de  Dieu  qui  les  révèle.  Et  le  concile  du 
Vatican  a  défini  qu'il  y  a  des  dogmes  de  foi  que  la 
raison  la  mieux  développée  ne  saurait  comprendre 
ni  démontrer  par  elle  seule.  Cette  impuissance  de 
ta  raison,  il  la  tire  de  la  nature  même  de  ces 
mystères  et  cite  en  témoignage  un  passage  de  saint 
Paul  :  a  En  effet,  dit-il,  par  leur  nature,  les  divins 
mystères  dépassent  tellement  l'entendement  créé, 
qu'après  avoir  été  communiqués  par  la  révélation  et 
reçus  par  la  foi,  ils  restent  néanmoins  couverts  du 
voile  de  la  foi  elle-même  et  enveloppés  comme 
d'une  sorte  de  nuage,  tant  que  nous  restons  éloignés 
de  Dieu  par  cette  vie  mortelle  ;  car  nous  marchons 
dans  le  chemin  de  la  foi  et  non  dans  celui  de  la 
vision.  » 

La  nature  des  mystères  limite  la  puissance  de  la 
raison.  On  comprend  qu'il  en  soit  ainsi  pour  les 
mystères  qui  dépendent  de  la  libre  volonté  de  Dieu  ; 
car,  en  dehors  de  leur  révélation,  on  n'en  soupçon- 
nerait pas  l'existence  et  rien  de  créé  ne  saurait  les 
manifester.  En  est-il  de  même  vis-à-vis  des  mystères 
fondés  sur  une  nécessité  absolue,  comme  la  Trinité? 
Une  fois  révélée,  la  raison  n'est-elle  pas  à  même 
d'en  saisir  la  nécessité  logique  ?  Nullement,  car 
aucune  créature  n'en  peut  saisir  la  nécessité  ni  le 
rapport  logique  avec  aucun  principe  naturellement 
connu.  Et  lorsque  saint  Paul  dit  :  «  Nous  marchons 
dans  le  chemin  de  la  foi,  et  non  dans  celui  de  la 
vision  (i),  »  il  oppose  la  connaissance  que  nous 
avons  de  ces  mystères  ici-bas  à  celle  que  nous 
aurons  dans  le  ciel;  ici-bas,  c'est  une  connaissance 
de  foi,  motivée  par  le  témoignage  de  Dieu  :  au  ciel, 

i.  II  Cor.,  v,  7. 


ACCORD    DE    LA    RAISON    ET    DE    LA    FOI  3^7 

ce  sera  la  vision  du  face  à  face  ;  la  foi  disparaîtra, 
et  chacun,  selon  ses  mérites,  verra  la  volonté  de 
Dieu  avec  les  mystères  qui  en  dépendent,  et  l'intel- 
ligence divine  avec  les  mystères  fondés  sur  une 
nécessité  absolue  ;  il  les  verra,  non  par  les  seules 
forces  de  sa  raison,  mais  parla  lumière  de  gloire 
que  Dieu  lui  donnera  ;  sa  connaissance  sera  alors, 
non  une  connaissance  de  raison  ni  une  connaissance 
de  foi,  mais  une  connaissance  de  vision  intellectuelle 
surnaturelle. 

III.   Entre  la  raison  et  la  foi 
pas  d'opposition  possible 

Le  concile  du  Vatican  traite  trois  questions  très 
importantes  :  d'abord  il  affirme  et  démontre  L'im- 
possibilité d'une  opposition  entre  la  science  et  la 
foi  ;  ensuite  il  proclame  les  droits  de  l'Eglise  vis-à-vis 
de  la  fausse  science  ;  enfin  il  rappelle  aux  chrétiens 
les  devoirs  qui  lui  incombent  en  vertu  de  ces 
principes.  «  Bien  que  la  foi,  dit-il,  soit  au-dessus  de 
la  raison,  il  ne  saurait  pourtant  y.  avoir  jamais  de 
véritable  désaccord  entre  la  foi  et  la  raison,  attendu 
que  le  Dieu  qui  révèle  les  mystères  et  répand  la  foi 
en  nous,  est  le  même  qui  a  mis  la  raison  dans 
l'esprit  de  l'homme,  et  qu'il  est  impossible  que 
Dieu  se  renie  lui-même  ou  qu'une  vérité  soit  jamais 
contraire  à  une  autre  vérité.  L'apparence  imagi- 
naire d'une  contradiction  semblable  vient  surtout, 
ou  bien  de  ce  que  les  dogmes  de  la  foi  n'ont  pas  été 
compris  et  exposés  conformément  à  la  pensée  de 
l'Eglise,  ou  bien  de  ce  que  des  opinions  fausses 
sont  prises  pour  des  conclusions  de  la  raison.  Nous 
déclarons  donc  que  toute  assertion  contraire  à  une 


0\S  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

vérité  crue  par  une  foi  éclairée,  est  absolument 
fausse.  »  Voilà  pour  la  première  question. 

«  Or  l'Eglise,  continue  le  concile,  qui  a  reçu, 
avec  la  charge  apostolique  d'enseigner,  le  comman- 
dement de  garder  le  dépôt  de  la  foi,  tient  aussi  de 
Dieu  le  droit  et  le  devoir  de  proscrire  la  fausse 
science,  afin  que  nul  ne  soit  trompé  par  la  philo- 
sophie et  la  vaine  sophistique.  »  Voilà  pour  la 
seconde  question. 

«  C'est  pourquoi  tous  les  chrétiens  fidèles  ne  sont 
pas  seulement  tenus  de  s'abstenir  de  défendre 
comme  des  conclusions  légitimes  de  la  science,  ces 
opinions  qu'on  sait  contraires  à  la  doctrine  de  la 
foi,  surtout  lorsqu'elles  ont  été  réprouvées  par 
l'Eglise,  ils  sont  encore  absolument  obligés  de  les 
regarder  comme  des  erreurs  qui  se  couvrent  de 
l'apparence  trompeuse  de  la  vérité.  »  Voilà  pour  la 
troisième  question. 

Suit  le  canon  2  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  les 
enseignements  humains  doivent  être  donnés  avec 
une  telle  liberté,  que  leurs  assertions  pourraient 
être  maintenues  pour  vraies  et  ne  sauraient  être 
proscrites  par  l'Eglise,  alors  même  qu'elles  iraient 
contre  la  doctrine  révélée  (i).  » 

1.  Pas  de  désaccord  possible 

i°  Le  concile  affirme  d'abord  l'impossibilité 
d'un  désaccord  entre  la  raison  et  la  foi. 

Déjà,  au  xine  siècle  sous  Jean  XXI  (i 276-1 277), et 
plus  tard,  au  commencement  du  xvie,  quelques  phi- 
losophes distinguaient  ce  qui  est  vrai  philosophi- 
quement et  ce  qui  est  vrai  théologiquement,  de 
telle  sorte  qu'ils  estimaient  pouvoir  soutenir  une 
chose  philosophiquement  vraie,  quoiqu'elle  fût  en 

1.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  S  3. 


ACCORD  DE   LA.  RAISON   ET  DE   LA  FOI  3 41) 

T— ' 

contradiction  avec  la  vérité  révélée.  Le  cinquième 
concile  de  Latran  condamna  une  prétention  si  erro- 
née :  «  Gomme  le  vrai,  dit-il,  ne  contredit  en  rien 
le  vrai,  nous  définissons  que  toute  assertion  con- 
traire à  une  vérité  attestée  par  une  foi  éclairée,  est 
absolument  fausse  (i).  » 

Au  xixe  siècle,  les  rationalistes  ont  exalté  outre 
mesure  le  pouvoir  de  la  raison  jusqu'à  rejeter  la 
révélation  et  la  foi  ;  les  fidéistes,  au  contraire,  ont 
exalté  la  foi  au  détriment  de  la  raison.  Les  uns  et 
les  autres  péchaient  par  excès.  Pie  IX  parlait  ainsi 
des  premiers  :  «  Par  un  renversement  fallacieux  de 
la  logique,  ils  ne  cessent  d'en  appeler  à  la  force  et 
à  l'excellence  de  la  raison  humaine,  l'exaltent  con- 
tre la  sainte  foi  du  Christ  et  débitent  audacieuse- 
ment  que  cette  foi  est  contraire  à  la  raison  humaine. 
On  ne  saurait  à  coup  sûr  rien  imaginer  ni  supposer 
de  plus  insensé,  de  plus  impie  et  de  plus  contraire 
à  la  raison  que  cette  assertion  ;  car,  quoique  la  foi 
soit  au-dessus  de  la  raison,  il  ne  peut  jamais  exister 
entre  elles  aucune  contradiction  (2).  »  Les  fidéistes 
de  leur  côté,  furent  également  rappelés  à  la  vérité  et 
à  l'orthodoxie.  Mais,  d'autre  part,  sous  l'influence 
de  quelques  professeurs  d'Allemagne,  on  en  était 
venu  à  soutenir  que  la  raison  peut  démontrer  les 
mystères  de  la  foi  et  les  expliquer  beaucoup  mieux 
que  l'Eglise. 

Or,  c'est  contre  les  rationalistes,  qui  rejettent  la 
certitude  de  la  révélation,  et  contre  les  fidéistes,  qui 
rejettent  la  certitude  de  la  raison,  et  aussi  contre  les 
semi-rationalistes,  qui  prétendent  qu'une  vérité  de 
raison  peut  se  trouver  en  opposition  avec  une  vérité 
révélée,  que  le  concile  du  Vatican  affirme  l'impos- 
sibilité d'un  désaccord  entre  la  foi  et  la  raison. 

1.  Dcnzinger,  n.  621.  —  2.  Dcnzingcr,  n.  1^06. 


350  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

2°  Il  va  plus  loin  :  Il  démontre  l'impossibilié 
d'un  désaccord  quelconque  et  en  donne  deux  rai- 
sons. Déjà  Pie  IX  avait  dit  :  «  Il  ne  peutjamais  exis- 
ter entre  elles  (la  raison  et  la  foi)  aucune  contradic- 
tion, puisque  toutes  deux  viennent  d'une  seule  et 
même  source  de  l'immuable  et  éternelle  vérité,  de 
Dieu  très  bon  et  très  grand  (i).  »  Et  le  cinquième 
concile  de  Latran  avait  dit  que  «  le  vrai  ne  saurait 
contredire  en  rien  le  vrai.  »  Ces  deux  raisons,  le 
concile  du  Vatican  les  joint  ensemble.  La  foi,  vertu 
surnaturelle,  et  la  raison,  don  naturel,  viennent 
également  de  Dieu.  L'objet  de  la  foi  est  la  vérité 
révélée,  l'objet  de  la  raison  la  vérité  naturelle.  De 
vérité  à  vérité  pas  d'opposition  possible  ;  cela  répu- 
gne à  la  notion  même  de  vérité  ;  cela  répugne  aussi 
à  la  source  de  toute  vérité,  Dieu.  Dieu  se  contredi- 
rait, a  se  renierait  lui-même,  »  si  le  mensonge  pou- 
vait se  glisser  dans  ses  œuvres,  si  les  lumières  de  la 
foi  se  trouvaient  en  opposition  avec  les  lumières  de 
la  raison.  Il  n'y  a  point  de  relativité  dans  la  vérité  : 
la  vérité  est  absolument  ce  qu'elle  est  et  ne  peut  pas 
être  autre  chose  ;  le  vrai  ne  peut  pas  s'opposer  au 
vrai.  Tel  est  l'enseignement  dogmatique. 

3°  Gela  est  vrai  en  droit  ;  est-ce  également  vrai 
en  fait?  Et  n'y  a  t-il  pas  de  véritables  oppositions 
ou  contradictions  entre  l'enseignement  révélé  et  les 
données  rationnelles  ?  Non,  répond  le  concile  ;  ce 
qu'il  y  a  parfois  ce  sont  des  apparences  de  contra- 
diction, purement  imaginaires,  qui  proviennent,  ou 
de  ce  que  les  dogmes  ne  sont  pas  compris  et  expo- 
sés conformément  à  la  pensée  de  l'Eglise  et  à  l'en- 
seignement traditionnel,  ou  de  ce  que  des  opinions 
fausses  sont  prises  pour  des  conclusions  certaines 
de  la  raison.  Le  cas  n'est  nullement  chimérique,  car 

i.  Denzinger,n.  1496. 


ACCORD  DE  LA  RAISON  ET  DE  LA  FOI  35 1 

trop  souvent  on  prête  à  la  doctrine  catholique  un 
enseignement  qui  n'est  pas  le  sien,  et  plus  souvent 
encore  on  se  hâte  de  prendre  pour  des  résultats 
définitivement  acquis  à  la  science  ce  qui  n'est 
qu'une  hypothèse  plus  ou  moins  séduisante,  plus 
ou  moins  vraisemblable  ;  de  là  de  regrettables  con- 
flits, mais  qui  n'ont  pas  de  raison  d'être.  Une  con- 
clusion certaine,  scientifiquement  vraie,  est  chose 
réelle,  mais  assez  rare  ;  seule,  la  témérité  de  l'esprit 
va  jusqu'à  regarder  comme  une  certitude  scientifi- 
que des  hypothèses  en  vogue  qui,  dépourvues  d'une 
autorité  suffisante,  ne  sauraient  entrer  en  ligne  de 
compte  avec  des  données  positives*  Opposer  ces 
hypothèses  aux  vérités  de  la  foi,  c'est  créer  des  con- 
tradictions apparentes  dont  la  science  ne  saurait 
être  rendue  responsable.  Et  du  moment  qu'elles 
heurtent  réellement  l'enseignement  révélé,  l'Eglise 
déclare  qu'elles  ne  peuvent  être  qu'une  opinion 
fausse.  En  a-t-elle  le  droit  ?  Et  son  intervention, 
en  pareil  cas,  ne  constitue-t-elle  pas  une  intrusion 
abusive  dans  un  domaine  qui  n'est  pas  le  sien  ? 
C'est  la  seconde  question  que  tranche  le  concile 
du  Vatican. 

2.  Droits  de  l'Eglise 
vis-à-vis  de  la  fausse  science 

Incontestablement,  comme  l'Eglise  du  reste  se 
plaît  à  le  reconnaître,  les  sciences  humaines  ont  le 
droit,  chacune  dans  sa  sphère,  de  s'appuyer  sur 
leurs  propres  principes  et  d'employer  des  méthodes 
appropriées.  C'est  le  droit  de  la  philosophie,  de 
l'histoire,  de  toutes  les  sciences  naturelles.  Tant 
qu'elles  restent  fidèles  à  leur  méthode,  tant  qu'elles 
ne  tentent  pas  d'incursion  dans  un  domaine  qui 
n'est  pas  le  leur,  le  danger  semble  problématique 


352  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qu'elles  en  puissent  venir  un  jour  ou  l'autre  à 
heurter  de  front  la  révélation.  Mais  il  est  des  ques- 
tions qui  intéressent  la  révélation  au  premier  chef 
ou  qui  ont  avec  elle  d'étroits  rapports  ;  ici,  la  ré- 
serve s'impose  à  elles  comme  un  devoir,  et  l'Eglise 
a  le  droit  de  contrôler  et  déjuger  leurs  affirmations. 
i°  C'est  un  droit  que  revendique  le  concile  du 
Vatican.  Il  est  des  philosophes  qui  prétendent  que 
l'Eglise  n'a  aucun  droit  dans  le  domaine  scientifi- 
que ;  il  est  des  rationalistes  qui  ne  lui  accordent 
aucune  autorité  doctrinale  ;  il  est  des  semi-rationa- 
listes de  l'école  de  Gunther  et  de  Frohschammer 
qui  prétendent  que,  si  les  philosophes  chrétiens 
sont  tenus  de  respecter  son  autorité,  la  philosophie 
du  moins  échappe  à  son  contrôle  et  que  par  suite 
l'Eglise  n'a  pas  le  droit  de  redresser  les  erreurs  de 
la  philosophie.  Pie  IX  a  condamné  ces  derniers  (i), 
et  le  Syllabus  a  inséré  parmi  les  propositions  con- 
damnées les  deux  suivantes  :  «  Gomme  autre 
chose  est  le  philosophe  et  autre  chose  la  philosophie, 
le  philosophe  a  le  droit  et  le  devoir  de  se  soumettre 
à  une  autorité  dont  il  s'est  démontré  à  lui-même  la 
légitimité  ;  mais  la  philosophie  ne  peut  ni  ne  doit 
se  soumettre  à  aucune  autorité.  »  «  L'Eglise  non 
seulement  ne  doit,  dans  aucun  cas,  sévir  contre  la 
philosophie,  mais  elle  doit  tolérer  les  erreurs  de  la 
philosophie  et  lui  laisser  le  soin  de  se  corriger  elle- 
même  (2).  »  Or,  le  concile  du  Vatican  a  condamné 
à  son  tour  cette  double  erreur  et  a  défini  que  l'Eglise 
peut  proscrire  les  assertions  des  sciences  humaines, 
sans  distinction,  qui  seraient  contraires  à  la  doctrine 
révélée  ;  car  il  a  dit  «  anathème  à  qui  dirait  que  les 
enseignements  humains  doivent  être  donnés  avec 

1.  Denzinger,  n.  i528,  i535.  —  2.  Syllabus,  prop.  10,  zi  ; 
Denzinger,  n.  1557,  i558. 


ACCORD    DE    LA    RAISON    ET    DE    LA    FOI  353 

une  telle  liberté,  que  leurs  assertions  pourraient 
être  maintenues  pour  vraies  et  ne  sauraient  être 
proscrites  par  l'Eglise,  alors  même  qu'elles  iraient 
contre  la  doctrine  révélée  (i).  »  Le  droit  de  l'Eglise 
de  proscrire  toute  opinion  scientifique  contraire  aux 
données  de  la  révélation  est  donc  désormais  une 
vérité  de  foi  catholique.  Et  ce  n'est  pas  seulement 
un  droit,  ajoute  le  concile,  c'est  encore  un  devoir. 

2°  Ce  droit  et  ce  devoir,  le  concile  les  fonde  sur 
l'autorité  divine  :  ils  font  partie  de  la  mission  que 
l'Eglise  a  reçue  de  Jésus-Christ  d'enseigner  et  de 
garder  le  dépôt  de  la  foi.  Pour  garder  intégralement 
le  dépôt  confié,  pour  le  transmettre  dans  sa  pureté, 
l'Eglise,  en  effet,  doit  signaler  et  proscrire  tout 
sophisme,  toute  erreur  qu'une  fausse  science  serait 
tentée  de  mettre  en  opposition  avec  la  foi.  Gomme 
le  dit  l'apôtre  saint  Paul,«  il  faut  que  nul  ne  soit 
trompé  par  la  philosophie  et  une  vaine  sophisti- 
que (2).  »  Les  chrétiens  doivent  être  mis  en  garde 
contre  les  séductions  d'une  philosophie  trompeuse, 
toute  mondaine  et  non  conforme  à  la  doctrine  de 
Jésus-Christ  ;  car  c'est  là  un  danger  pour  la  foi, 
d'autant  plus  grand  de  nos  jours  que  la  philosophie 
est  plus  cultivée.  Il  est  des  points,  en  effet,  dont 
traite  la  philosophie  et  qui  font  en  même  temps  partie 
de  l'enseignement  révélé  ;  il  en  est  d'autres  qui  ont 
des  rapports  avec  la  doctrine  chrétienne,  et  sur  les- 
quels se  prononcent  les  philosophes  sans  se  préoccu- 
per si  les  solutions  qu'ils  proposent  s'accordent 
avec  la  révélation.  A  l'Eglise  de  veiller  sur  le  dépôt 
de  la  foi,  non  pour  repousser  systématiquement 
toute  donnée  philosophique,  puisqu'il  en  est  de 
parfaitement  légitimes  et  de  très  acceptables,  mais 
pour  empêcher  toute  immixtion  étrangère,  dange- 

1.  Const.  Dei  Filius.,  c.  iv,  can.  2.  —  a.  Col,  11,  8. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  2} 


354  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

reuse  ou  erronée,  intéressant  directement  la  foi.  Et 
si  un  tel  cas  se  présente,  c'est  le  droit  et  le  devoir 
de  l'Eglise,  à  raison  de  sa  mission  divine,  de  signa- 
ler le  danger  et  de  condamner  l'erreur,  pour  main- 
tenir intact  et  inviolé  l'enseignement  divin.  C'est  un 
droit  qu'elle  a  toujours  revendiqué,  un  devoir 
qu'elle  n'a  cessé  de  remplir  depuis  son  origine, 
droit  et  devoir,  que  le  concile  du  Vatican  a  reven- 
diqués de  la  manière  la  plus  expresse. 

La  véritable  science  n'a  pas  à  s'offusquer  d'une 
pareille  intervention  de  l'Eglise  ;  c'est  la  fausse 
science  seule  qui  est  en  cause,  et  uniquement  dans  ce 
qui  touche  à  la  foi  ;  car  l'Eglise  n'a  pas  pour  mission 
de  faire  de  la  science  pour  de  la  science  ;  elle  ne 
s'occupe  de  la  science  que  dans  la  mesure  où  celle- 
ci  aborde  et  tranche  témérairement  des  questions, 
qui  intéressent  trop  intimement  la  révélation,  et 
dans  lesquelles  elle  n'a  ni  compétence  ni  garantie. 

3.  Il  arrive  parfois  que  des  opinions  contraires 
aux  conclusions  théologiques  se  manifestent  et  sont 
par  là  même  erronées  ou  téméraires.  Vis-à-vis 
d'elles,  l'Eglise  a  le  droit  et  le  devoir  de  se  prononcer 
comme  vis-à-vis  des  opinions  hérétiques,  et  pour 
les  mêmes  raisons.  Mais  il  n'est  pas  de  foi  catholique 
que  l'Eglise  possède  ce  droit  ;  ce  point  n'a  pas  été 
tranché  par  le  concile  ;  le  seul  point  défini,  c'est  le 
droit  de  l'Eglise  pour  les  cas  où  la  fausse  science, 
directement  opposée  à  l'enseignement  révélé,  est 
hérétique.  Mais  les  principes  invoqués  ont  toute 
leur  force  vis-à-vis  des  opinions  qui,  sans  être 
hérétiques,  sont  erronées  ou  téméraires,  parce  que, 
virtuellement,  elles  sont  contraires  à  la  révélation. 
Et  tout  porte  à  croire  que  si  le  concile  avait  pu 
achever  ses  travaux,  ce  point  particulier  eût  été 
défini  comme  l'autre.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'autorité 
de  l'Eglise  s'étend  à  tout  ce  qui  touche  directement 


ACCORD  DE  LA  RAISON  ET  DE  LA  FOI      355 

ou  indirectement  à  la  foi,  et  ce  n'est  pas  seulement 
une  autorité  disciplinaire,  c'est  aussi  une  autorité 
doctrinale  :  elle  peut  proscrire  toute  opinion  con- 
traire à  une  conclusion  théologique. 

3.  Devoirs  des  catholiques 

dans  les  questions  scientifiques 

qui  appartiennent  à  la  foi 

Pas  de  contradiction  possible  entre  la  foi  et  la 
raison,  entre  la  révélation  et  la  science.  Toute  asser- 
tion contraire  aux  données  révélées  est  fausse  : 
l'Eglise  a  le  droit  et  le  devoir  de  les  proscrire, 
même  quand  elles  se  présentent  sous  le  couvert  de  la 
science.  De  là  découlent  des  conséquences  pratiques, 
lorsqu'on  se  croit  en  présence  d'une  opposition; 
elles  sont  indiquées  par  le  concile  du  Vatican. 

i°  Quelle  conduite  tenir  ?  Il  faut  d'abord  penser 
que  la  contradiction  signalée  n'est  qu'apparente. 
S'il  ne  s'agit  pas  d'une  vérité  nécessaire  de  nécessité 
de  moyen,  la  plupart  des  chrétiens  peuvent  s'en 
tenir  à  un  simple  acte  de  foi  sans  chercher  d'où 
peut  venir  cette  contradiction  apparente.  L'obliga- 
tion de  rechercher  à  quoi  tient  cette  apparence  de 
contradiction  incombe  à  ceux  qui  ont  mission  d'eu- 
seigner  les  autres.  Se  garder  alors  de  dire  en  chaire 
ou  d'écrire  qu'on  croit  voir  une  opposition  entre 
les  données  de  la  science  et  de  la  foi  ;  car  ce  serait 
pratiquement  mettre  les  chrétiens  en  demeure,  ou 
de  rejeter  la  foi,  ou  d'abandonner  une  hypothèse 
libre,  ou  même  peut-être  une  donnée  scientifique 
vraie  ;  ce  serait  une  faute  de  justice  et  de  charité 
contre  les  fidèles  faibles  ou  déjà  incrédules,  qui 
seraient  ainsi  exposés  à  de  graves  tentations  ou 
confirmés  dans  leur  incrédulité  ;  ce  serait  aussi  une 
faute  vis-à-vis  des  fidèles  croyants,  qu'on  obligerait 


356  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

d'abandonner  des  sentiments  que  Dieu  et  l'Eglise 
leur  laissent  la  liberté  de  garder  ;  ce  serait  enfin  une 
faute  d'ordre  social,  soit  contre  l'Eglise  et  la  religion 
chrétienne,,  qu'on  ferait  passer  devant  l'opinion 
publique  pour  hostiles  à  la  science,  soit  contre  l'es- 
prit humain  dont  on  entraverait  le  progrès  légitime. 
Ces  réflexions  de  M.  Vacant  (i)  sont  fort  justes. 

2°  Quelles  sont  les  causes  de  ces  apparentes  opposi- 
jions  ?  Le  concile  en  signale  surtout  deux  :  une 
altération  des  données  de  la  foi  ou  une  altération 
des  données  de  la  science. 

L'altération  des  données  de  la  foi  peut  être  le  fait 
de  ceux  qui  les  comprennent  ou  les  exposent  mal, 
c'est-à-dire  qui  ne  les  comprennent  ni  ne  les  expo- 
sent suivant  la  pensée  de  l'Eglise.» Cela  peut  avoir 
lieu  de  bonne  foi  et  avec  une  ignorance  invincible, 
mais  cela  peut  aussi  être  imputable  soit  à  l'igno- 
rance et  aux  exagérations  de  ceux  qui  exposent  la 
doctrine  chrétienne  et  à  qui  on  est  en  droit  de  se 
fier,  soit  à  l'ignorance  et  à  la  mauvaise  foi  des 
ennemis  de  la  religion,  qui  ne  prennent  pas  la  peine 
de  l'étudier  ou  qui  l'altèrent  de  parti  pris.  Le  public, 
évidemment,  sera  excusable  s'il  est  trompé  par 
l'enseignement  de  ses  pasteurs  ;  mais  il  sera  facile- 
ment coupable  s'il  prête  une  oreille  complaisante 
aux  adversaires  de  la  foi  (2). 

L'altération  des  données  de  la  science  provient 
d'ordinaire  de  ce  que  l'on  regarde  comme  une 
vérité  acquise  ce  qui  n'est  qu'une  opinion  fausse  ou 
hasardée.  C'est  le  fait  d'ennemis  résolus  de  la  reli- 
gion ou  de  demi-savants,  d'ignorants  présomp- 
tueux ou  même  de  vrais  savants,  qui  se  laissent 
séduire  par  de  faux  systèmes. 

3°  Devoirs  pour  Vapologiste.  L'apologiste  doit  évi- 

x.  Const.  Dei  Fllius,  t.  11,  p.  200.  —  a.  V.  Ibid.,  1. 11,  p.  a5i. 


ACCORD    DE    LA   RAISON    ET    DE    LA   FOI  35y 

ter  deux  exagérations  contraires.  Il  doit  d'abord 
présenter  les  dogmes  de  la  foi  sans  les  augmenter 
ni  les  diminuer,  donner  comme  certain  et  obliga- 
toire ce  qui  est  certain  et  obligatoire,  et  ne  point 
imposer  les  opinions  librement  discutées.  En  ajou- 
tant aux  obligations,  il  forgerait  des  armes  qui 
pourraient  se  retourner  contre  la  religion;  en 
amoindrissant  l'enseignement,  il  livrerait  la  doc- 
trine, fortifierait  la  fausse  science  et  discréditerait 
ceux  qui  soutiennent  les  vrais  enseignements  de 
l'Eglise.  Il  doit  ensuite  exposer  les  données  scienti- 
fiques sans  en  exagérer  la  valeur  ou  l'importance, 
alors  même  qu'il  les  estimerait  favorables  à  la  doc- 
trine catholique  ;  il  ne  doit  pas  s'appuyer  sur  une 
fausse  science  pour  prouver  les  vérités  de  la  foi  ou 
pour  interpréter  l'Ecriture  et  la  tradition,  car  ce  se- 
rait altérer  les  principes  de  la  religion  ;  il  ne  doit 
pas  amoindrir  la  science  et  par  suite  ne  pas  mé- 
priser les  véritables  découvertes  scientifiques,  ne 
pas  rendre  responsable  surtout  la  vraie  science  des 
conclusions  prématurées  et  parfois  insensées  qu'on 
lui  prête  (i). 

4°  Devoirs  pour  ceux  qui  étudient  les  questions 
scientifiques  qui  touchent  à  la  révélation.  Dans  ces  ques- 
tions qui  touchent  de  près  à  la  révélation,  il  y  a, 
pour  ceux  qui  s'en  occupent,  un  double  devoir  :  un 
devoir  négatif,  qui  est  de  ne  pas  soutenir  des  opi- 
pinions  contraires  à  la  foi  ;  un  devoir  positif,  qui 
est  de  regarder  ces  opinions  comme  fausses. 

Le  devoir  négatif  s'applique  à  toutes  les  asser- 
tions contraires  à  la  doctrine  révélée,  dit  le  canon  2; 
aux  fausses  opinions,  qu'on  sait  être  contraires  à  la 
foi  divine,  dit  le  chapitre  IV  de  la  constitution 
Dei  Filius  ;  et  cela  même  de  la  part  de  ceux  qui  les 

i.  Ibid.,  p.  a5a. 


358  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

croiraient  scientifiquement  fondées.  Le  devoir  posi- 
tif, c'est  de  les  tenir  pour  des  erreurs  qui  se  cou- 
vrent vainement  des  apparences  de  la  vérité.  Il  ne 
suffit  pas  de  s'abstenir  de  les  défendre  extérieure- 
ment et  de'  garder  le  silence,  il  faut  les  rejeter  inté- 
rieurement. Faut-il  de  plus  les  rejeter  et  les  com- 
battre extérieurement  ?  Le  concile  ne  le  dit  pas  ;  ce 
serait  pourtant  un  devoir  si  le  silence  était  suscepti- 
ble de  passer  pour  une  approbation. 

IV.  La  Foi  et  la  raison  se  prêtent 
une  aide  mutuelle 

Le  concile  du  Vatican  complète  heureusement 
son  enseignement  sur  les  relations  de  la  foi  et  de  la 
raison,  en  montrant  les  services  mutuels  qu'elles 
se  rendent  et  l'attitude  que  prend  l'Eglise  vis-à-vis 
de  la  science.  Rien  de  plus  instructif  et  de  plus 
opportun  qu'une  telle  doctrine,  en  face  des  imputa- 
tions calomnieuses  qu'on  ne  cesse  d'adresser  à 
l'Eglise  et  des  erreurs  qu'on  s'obstine  à  répandre 
contre  l'enseignement  catholique. 

«  Non  seulement,  dit  le  concile,  la  foi  et  la  rai- 
son ne  sauraient  être  en  désaccord  l'une  avec  l'au- 
tre, mais  elles  se  prêtent  encore  un  secours  mutuel. 
Car  la  droite  raison  démontre  les  fondements  de  la 
foi,  et,  éclairée  de  sa  lumière,  elle  cultive  la  science 
des  choses  divines  ;  tandis  que  la  foi  délivre  et 
préserve  la  raison  des  erreurs  et  l'instruit  de  con- 
naissances multiples  (i).  » 

Disons  d'abord  un  mot  des  services  que  la  raison, 
rend  à  la  foi  et  de  ceux  que  la  foi  rend  à  la  raison. 

x.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  S  4. 


AIDE    MUTUETLE    DE  LA   FOI    ET    DE    LA    RAISON     35g 

—  '  - 

1.  Services  que  la  raison  rend  à  la  foi.  — 
i°  Ce  n'est  pas  sans  un  motif  légitime  que  le 
concile  du  Vatican  a  jugé  nécessaire  de  proclamer 
la  valeur  et  les  droits  de  la  raison.  D'une  part,  en 
effet,  parmi  les  incrédules  et  les  protestants,  on  im- 
putait à  l'enseignement  catholique  la  prétention  de 
se  substituer  à  la  raison  et  de  se  passer  complète- 
ment d'elle,  en  imposant  la  foi  au  nom  de  l'auto- 
rité. L'imputation  est  calomnieuse.  D'autre  part,  les 
traditionalistes  de  l'école  de  Lamennais  et  les  fidéis- 
tes  de  l'école  de  Bautain  réduisaient  tellement  le  rôle 
de  la  raison  qu'ils  fournirent  des  arguments  aux  enne- 
mis de  l'Eglise  ;  mais  leurs  opinions  furent  prises 
à  tort  comme  l'expression  de  l'enseignement  catho- 
lique. Traditionalistes  et  fidéistes  accordaient  aux 
incrédules  que  la  raison  ne  fournit  aucune  preuve 
certaine,  soit  des  vérités  de  la  religion  naturelle, 
soit  du  fait  de  la  révélation  ;  ils  accordaient  aux 
protestants  qu'à  la  suite  du  péché  originel,  la  nature 
humaine  est  corrompue  dans  son  fond  et  qu'elle  a 
nécessairement  besoin  du  secours  de  la  grâce  pour 
les  actes  naturels  ;  double  concession,  qui  n'était 
pas  seulement  dangereuse,  mais  qui  constituait  une 
double  erreur.  C'est  pourquoi  le  concile  a  proclamé 
la  valeur  et  les  droits  de  la  raison. 

2°  La  raison,  en  effet,  rend  d'importants  services 
à  la  foi,  soit  avant  l'acte  de  foi,  en  le  préparant,  soit 
après  l'acte  de  foi  par  la  culture  des  sciences  sacrées. 
Le  premier  service  rendu,  c'est  la  démonstration  des 
fondements  de  la  foi,  comme  nous  l'avons  déjà  indi- 
qué dans  une  leçon  précédente  ;  démonstration  pro- 
prement dite,  partant  de  principes  vrais  et  abou- 
tissant à  une  conclusion  certaine;  démonstration 
faite  par  la  raison  seule,  par  ses  propres  lumières. 
Et  ceci  condamne  le  fidéisme  et  le  traditionalisme. 
Parmi  ces  fondements  de  la  foi,  il  y  a,  nous  l'avons 


36o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Vu,  les  vérités  de  la  religion  naturelle,  notamment 
celles  qui  se  rapportent  à  l'existence  de  Dieu  et  à  ses 
attributs;  il  y  a  aussi  le  fait  de  la  révélation.:  véri- 
tés et  fait  que  la  raison  suffit  à  démontrer  ;  nous 
n'y  reviendrons  pas.  Le  concile  avait  d'abord  ensei- 
gné que  l'existence  de  la  révélation  se  démontre 
avec  certitude  ;  il  déclare  ici  que  cette  démonstra- 
tion certaine  est  l'œuvre  de  la  raison  ;  il  ne  fait  que 
confirmer  l'enseignement  déjà  formulé  contre  les  fi- 
déistes  et  les  traditionalistes  par  Grégoire  XYI  et  par 
Pie  IX.  Tel  est  le  premier  service  rendu  par  la  rai- 
son à  la  foi. 

3°  Voici  le  second  :  la  raison  étudie  les  vérités 
révélées  et  en  fait  l'objet  d'une  science.  Cette  étude  de 
la  vérité  révélée,  la  raison,  il  est  vrai,  ne  peut 
l'entreprendre,  comme  le  note  le  concile,  que  si  elle 
est  éclairée  par  la  lumière  de  la  foi.  Après  que  ces 
vérités  révélées  lui  sont  connues,  la  raison  fait  sur 
elles  un  travail  semblable  à  celui,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,  touchant  les  mystères  ;  elle  appli- 
que la  méthode  scientifique  aux  dogmes  de  la  foi. 
Le  concile  ne  signale  aucun  des  avantages  que  cette 
étude  procure  à  la  raison  elle-même,  il  ne  parle  que 
de  ceux  que  la  foi  en  retire  :  d'abord  celui  de  mettre 
plus  complètement  les  vérités  de  la  foi  à  la  portée 
de  notre  intelligence,  ensuite  celui  de  préparer  les 
définitions  dogmatiques,  qui  éclaircissent,  distin- 
guent et  précisent  les  données  de  la  révélation.  Nous 
avons  déjà  parlé  de  ces  divers  services  que  la 
raison  rend  à  la  foi  dans  les  leçons  précédentes  ; 
nous  ne  faisons  donc  que  les  signaler  ici. 

[\°  Troisième  service  :  la  raison  défend  la  foi.  Elle 
répond  aux  difficultés  que  suscite  l'erreur  pour 
obscurcir  la  clarté  ou  infirmer  la  valeur  des  vérités 
révélées  ;  elle  s'arme  pour  la  lutte  et  lutte  vigoureu- 
sement.  «  La  raison  ennemie  de  la  foi  s'attaque  à 


AIDE    MUTUELLE    DE    LA    FOI    ET    DE    LA   RAISON     36 I 

ses  établissements  ;  la  raison  amie  de  la  foi  les  sou- 
tient et  les  fortifie  par  de  continuels  travaux.  La 
raison  ennemie  de  la  foi  cherche  à  convaincre  les 
dogmes  d'absurdité  ;  la  raison  amie  de  la  foi 
démontre  qu'aucun  principe  emprunté  à  l'ordre 
physique,  moral  ou  métaphysique,  ne  peut  entamer 
la  forte  structure  des  propositions  révélées.  La 
raison  ennemie  de  la  foi  voudrait  se  donner  le 
plaisir  d'immoler  au  moins  quelque  vérité  particu- 
lière ;  la  raison  amie  de  la  foi  démontre  que  cette 
vérité  est  tellement  soudée  à  toutes  les  autres,  que, 
la  détruire,  c'est  compromettre  la  solidité  de  l'en- 
semble. Ainsi,  de  tous  côtés,  la  raison  est  la  gar- 
dienne, l'homme  d'armes,  le  chevalier  défenseur  de 
la  foi  (i).  » 

Démonstration  des  motifs  de  crédibilité,  étude 
scientifique  de  la  vérité  révélée  ou  théologie,  défense 
éclairée  du  dogme  et  de  la  religion  ou  apologétique, 
tels  sont  les  services  rendus  à  la  foi  par  la  raison, 
tel  est  le  rôle  de  l'intelligence  humaine  auprès  de 
la  foi. 

2.  Services  que  la  foi  rend  à  la  raison.  — 

Les  services  que  la  foi  rend  à  la  raison  sont  beau- 
coup plus  grands  que  ceux  que  la  raison  rend  à  la 
foi.  La  foi  rend  à  la  raison  d'inappréciables  services 
même  dans  l'ordre  naturel  ;  quant  à  ceux  de  l'ordre 
surnaturel,  ils  dépassent  tout  ce  que  l'on  peut  con- 
cevoir. 

i°Pie  IX,  dans  son  encyclique  du  9  novembre  i846, 
envisageant  les  services  que  la  foi  rend  à  la  raison 
dans  les  matières  qui  leurs  sont  communes,  c'est  à- 
dire  par   rapport   aux     vérités   de   la  religion  na- 

1.  Monsabré,  Introduction  au  dogme  catholiçue,  Paris.  1SG6, 
t.  1,  p.  70. 


3Ô2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

turelle,    dit  que  «  la  foi  délivre  la  raison  de  toutes 
les  erreurs,  qu'elle  l'éclairé,  la  confirme  et  la  per- 
fectionne merveilleusement  par  la  connaissance  des 
choses  divines  (i).  »  Double  secours  :  un  secours 
négatif,  qui  est  de  la  préserver  de  toutes  les  erreurs  ; 
un  secours  positif,  qui  est  de  l'éclairer,  de  la  con- 
firmer et  de  la  perfectionner.  Cette  préservation  de 
l'erreur  n'a  lieu  que  dans  les  matières  formellement 
enseignées  par  la  foi,  car,  dans  les  autres  questions, 
la  raison  peut  errer,  la  foi  ne  l'en  empêche  point. 
La  raison  donc,  ainsi  secourue  par  la  foi,  connaît, 
sans  crainte  d'erreur,  tout  ce  qui  touche  à  la  reli- 
gion naturelle  ;  elle  le  connaît  d'emblée,  ce  qui  est 
un  avantage  unique.  Réduite  à  ses  seules  forces  elle 
arrive  à  le  connaître,   mais  au  prix   de    combien 
d'efforts  et  avec  quelles  craintes  d'erreur  !  L'histoire 
de  la  philosophie  est  là  pour  montrer  ses  défaillances 
et  ses  aberrations  ;   l'expérience  quotidienne  est  là 
pour  montrer  combien  petit  est  le  nombre  de  ceux 
qui  ont  le  temps,  le  loisir,  l'intelligence  et  la  volonté 
pour  mener  à  bien  une  telle  étude.  C'est  une  des 
raisons  que  saint  Thomas  fait  valoir  de  la  manière 
la  plus  heureuse  pour  démontrer  la  nécessité  relative 
de  la  révélation,   même  pour  la  connaissance  com- 
plète et  sûre  des  vérités  de  la  religion  naturelle.  Avec 
l'aide  de  la  foi,   rien  de  plus  facile,   rien   de  plus 
rapide,  rien  de  plus  certain  ;  la  raison  sait  ce  qu'elle 
doit  savoir,  sans  crainte  d'erreur.  Eclairée,  elle  est 
confirmée  et  perfectionnée  par  la  connaissance  des 
choses  divines.  «  C'est  donc  salutairement,  dit  saint 
Thomas,    que    la  divine  clémence  a   pourvu   aux 
besoins  de  l'humanité,  en  nous  ordonnant  de  tenir 
par  la  foi  ce  que  la  raison  peut  connaître  naturelle- 
ment, afin  que  tous  pussent  participer  facilement  à 

i.  Denzinger,  n.  1^96. 


AIDE   MUTUELLE    DE    LA   FOI   ET   DE    LA   RAISON     363 

la  connaissance  des  choses  divines,  et  cela  sans 
doute  ni  erreur  (i).  » 

2°  Ce  double  secours  négatif  et  positif  est  proclamé 
par  le  concile  du  Vatican.  Mais,  au  lieu  de  dire 
comme  Pie  IX  que  la  foi  délivre  de  toutes  les  erreurs, 
il  dit  simplement  qu'elle  la  préserve  des  erreurs  ; 
et  au  lieu  de  dire  qu'elle  perfectionne  la  raison  par 
la  connaissance  des  choses  divines,  il  dit  qu  elle  l'ins- 
truit de  connaissances  multiples,  sans  restreindre  cette 
connaissance  aux  seules  choses  divines.  Or,  parmi 
les  erreurs  dont  la  foi  préserve  la  raison,  il  faut 
signaler,  dans  la  science  du  monde  matériel,  celles 
qui  ont  trait  à  la  création  ;  dans  la  science  du 
monde  humain,  celles  qui  ont  trait  à  la  spiritualité 
et  à  la  liberté  de  Fhomme  ;  et  dans  la  science  du 
monde  métahysique,  celles  qui  ont  trait  à  Fexistence 
et  aux  attributs  de  Dieu. 

D'autre  part,  la  foi  enrichit  la  raison  de  connais- 
sances multiples,  tout  d'abord  dans  le  domaine  des 
vérités  mixtes,  qui  sont  communes  à  la  religion  et 
à  la  science.  Et,  bien  que  la  foi  n'ait  pas  pour  objet 
les  sciences  profanes,  en  dehors  de  ces  vérités  mix- 
tes, il  en  est  d'autres  encore  dont  elle  enrichit  la 
raison  indirectement.  Elle  l'aide  en  confirmant  les 
principes  dont  la  science  a  besoin  pour  ses  déduc- 
tions, notamment  dans  les  questions  morales,  socia- 
les et  métaphysiques  ;  elle  l'aide  en  l'empêchant  de 
tomber  dans  Terreur  et  en  l'engageant  ainsi  dans  le 
chemin  de  la  vérité  ;  c'est  dire  qu'elle  la  met  à  même 
de  multiplier  ses  propres  connaissances  et  de  s'enri- 
chir de  découvertes  nouvelles. 

Ainsi  donc  si  la  foi  est  redevable  à  la  raison  des 
secours  qu'elle  en  reçoit,  la  raison  n'est  pas  moins 
redevable  à  la  foi  des  avantages  qu'elle  lui  procure  ; 

x.  Contr.  Gent.,  I,  iv,  3. 


364  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

— *  ™  ■■■■■l     '  ■      ■    ■  ■     ii  !■■■■     ni        ■■  m  ii  ■!■— ^— ^ 

entre  elles  pas  d'antinomie,  point  de  désaccord, 
mais  l'entente  la  plus  fructueuse  et  un  concours  des 
plus  précieux,  des  plus  utiles,  des  plus  nécessaires. 

3.  Attitude  de  l'Eglise  en  face  des  sciences. 
—  Le  concile  du  Vatican  complète  son  enseigne- 
ment sur  les  relations  entre  la  foi  et  la  raison,  la 
révélation  et  la  science,  par  une  déclaration  des 
plus  importantes  sur  l'attitude  de  l'Eglise  en  face 
des  sciences.  On  a  si  souvent  méconnu  et  travesti 
cette  attitude,  on  la  méconnait  encore  et  on  la  tra- 
vestit d'une  manière  si  odieuse  qu'il  importe, 
puisque  l'occasion  toute  naturelle  s'en  offre,  de 
faire  connaître  celle  que  l'Eglise  a  toujours 
tenue  et  entend  tenir  :  rien  de  plus  net  que  la 
doctrine  du  concile  sur  ce  point  délicat. 

«  Bien  loin,  dit-il,  de  mettre  obstacle  à  la  culture 
des  arts  et  des  sciences  humaines,  l'Eglise  la  favorise 
et  la  fait  progresser  de  plusieurs  manières.  Car  elle 
n'ignore  ni  ne  méprise  les  avantages  qui  en  résul- 
tent pour  la  vie  d'ici-bas.  Bien  plus  elle  reconnaît 
que,  venant  de  Dieu,  le  maître  des  sciences,  ces 
sciences  et  ces  arts  conduisent  de  même  à  Dieu, 
avec  l'aide  de  sa  grâce,  si  on  les  cultive  comme  il 
convient.  L'Eglise  ne  défend  pas  assurément  que 
chacune  de  ces  sciences  se  serve,  dans  sa  sphère, 
de  ses  propres  principes  et  de  sa  propre  méthode  ; 
mais,  en  reconnaissant  cette  légitime  liberté,  elle 
veille  attentivement  à  ce  qu'elles  n'adoptent  point 
d'erreurs,  qui  les  mettent  en  opposition  avec  la 
doctrine  divine,  et  à  ce  qu'elles  n'envahissent  ni  ne 
troublent  ce  qui  est  du  domaine  de  la  foi,  après 
être  sorties  des  limites  de  leur  propre  empire  (i),  » 

Ces    quelques    lignes    justifient    pleinement   la 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  S  4. 


ATTITUDE    DE    i/eGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    365 

conduite  de  l'Eglise  vis-à-vis  des  arts  et  de  la 
science  ;  c'est  une  conduite  imposée  par  son  rôle  di- 
vin auprès  des  âmes.  Elle  ne  met  point  d'obstacle  à 
l'épanouissement  des  arts  et  des  sciences,  elle 
apporte  au  contraire  à  leur  légitime  exercice  un 
concours  sympathique  et  efficace.  Elle  ne  professe 
pas  le  moindre  mépris  à  leur  endroit,  elle  estime 
au  contraire  leur  utilité  pratique,  tant  au  point  de 
vue  temporel  qu'au  point  de  vue  spirituel.  Toute- 
fois, en  reconnaissant  leur  légitimité  et  le  droit  qu'ils 
ont  de  se  servir  de  leurs  principes  et  de  leurs 
méthodes  propres,  elle  revendique  le  droit  néces- 
saire, en  ce  qui  touche  au  domaine  de  la  foi,  qui 
est  le  sien,  de  sauvegarder  le  dépôt  de  la  vérité  qui 
lui  a  été  confié,  de  signaler  et  de  condamner  toute 
erreur  contraire  à  l'enseignement  divin,  d'empê- 
cher toute  tentative  étrangère  à  leur  objet,  toute 
intrusion  illégitime  dans  le  domaine  religieux.  Ces 
divers  points  de  vue  demanderaient  d'amples  dé- 
veloppements :  nous  ne  pouvons  que  les  indiquer 
d'un  mot  rapide  et  bref. 

1°  Point  d'obstacle  mais  concours  sympathi- 
que et  efficace.  —  L'Eglise,  comme  en  témoigne 
l'histoire,  loin  de  mettre  un  obstacle  quelconque  à  la 
culture  des  arts  et  des  sciences,  la  favorise  de  la  façon 
la  plus  efficace.  Par  la  foi  qu'elle  fait  régner,  elle  ne 
cessede  pénétrer  l'opinion,  les  mœurs  et  les  institu- 
tions des  principes  salutaires  et  féconds  de  la  révéla- 
tion, elle  sert  ainsi  d'auxiliaire  à  la  science,  en  la 
préservant  d'erreurs  funestes,  en  lui  assurant  un 
milieu  favorable.  Les  individus,  la  société,  les  géné- 
rations qui  se  succèdent  bénéficient  de  cette  action 
salutaire  de  l'Eglise.  En  l'affirmant,  le  concile  du 
Vatican  ne  fait  que  constater  un  fait  historique  indé- 
niable.   Léon    XIII,   dans  son  Encyclique  Libertas 


366  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

du  20  juin  1888,  a  lumineusement  exposé  ce  fait 
d'histoire  et  démontré  l'heureuse  influence  de 
l'Eglise  dans  toutes  les  branches  du  savoir. 

L'Eglise  ne  se  contente  pas  de  favoriser  les  arts 
et  les  sciences',  elle  leur  apporte  son  concours  efficace, 
elle  contribue  directement  à  leur  progrès.  Léon  XIII 
en  donne  trois  preuves  :  a  En  fait,  dit-il,  on  doit  à 
l'Eglise  ces  bienfaits  assurément  considérables, 
qu'elle  a  glorieusement  conservé  les  monuments  de 
la  sagesse  antique  ;  qu'elle  a  ouvert  en  divers  lieux 
des  résidences  à  la  science  ;  qu'elle  a  toujours 
excité  la  marche  des  intelligences,  en  entretenant 
avec  le  plus  grand  zèle  les  arts  qui  donnent  le  plus 
de  relief  à  la  civilisation  moderne.  »  Yoilà  trois 
grands  services  :  l'Eglise  a  conservé  les  monuments 
du  passé  ;  l'Eglise  a  fondé  des  institutions  destinées 
à  l'étude  ;  l'Eglise  a  été  l'inspiratrice  zélée  des 
arts.  On  peut  en  ajouter  une  quatrième  ;  l'Eglise  a 
produit  une  pléiade  de  savants  et  d'érudits.  Chacun 
de  ces  points  demanderait  des  volumes  pour  être 
illustré  comme  il  convient. 

Ce  rôle  si  important  s'explique  aisément  par 
deux  raisons,  c'est  que  l'Eglise  regarde  les  sciences 
comme  bonnes,  louables  et  désirables  en  soi,  comme 
très  utiles  et  fort  avantageuses,  soit  pour  réaliser  sa 
mission  divine  auprès  des  hommes,  soit  pour 
défendre  et  développer  son  propre  enseignement. 
Même  vis-à-vis  des  sciences  qui  n'ont  pas  de  rapport 
immédiat  avec  la  révélation,  l'Eglise  désire  qu'on 
les  cultive  et  les  fait  cultiver,  parce  que  toute 
science,  née  de  la  droite  raison  et  conforme  à  la 
vérité,  peut  concourir  à  la  glorification  de  la  vérité 
révélée,  comme  s'exprime  Léon  XIII.  Elle  s'intéresse 
surtout  à  celles  qui  ont  des  points  de  contact  avec 
l'enseignement  chrétien,  comme  les  sciences  philo- 
sophiques, morales,  historiques,  philologiques,  etc. 


ATTITUDE    DE    L'EGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    36 7 

Elle  en  impose  l'étude  à  ses  prêtres  pour  les  armer 
contre  les  objections  de  la  sophistique. 

2°  Point  de  mépris,  mais  estime  de  leur  utilité. 
—  C'est  l'objection  sans  cesse  mise  en  avant  contre 
l'Eglise  :  on  l'accuse  d'enseigner  et  de  professer  le 
mépris  des  choses  de  ce  monde,  de  se  désintéresser 
du  mouvement  scientifique  qui  s'accuse  avec  tant 
de  vigueur  et  compte  tant  de  succès.  Elle  a  tort, 
assure-t-on,  de  prêcher  le  renoncement,  de  regarder 
la  terre  comme  un  lieu  d'exil  et  de  passage,  de 
placer  au  delà  de  la  tombe  le  seul  bonheur  qui 
puisse  satisfaire  le  cœur  de  l'homme,  de  ne  point 
marcher  avec  le  siècle.  C'est  le  reproche  bien  connu 
de  l'obscurantisme.  L'Eglise,  ennemie  du  progrès  I 
Tel  est  le  dernier  mot  des  ennemis  du  Catholicisme. 
Nous  venons  de  voir  ce  qu'il  faut  en  penser.  Mais 
il  convient  d'y  répondre  avec  le  concile  du  Vatican. 

Que  déclare  donc  le  concile  ?  Deux  choses  :  la 
première,  c'est  que  l'Eglise  ne  méprise  nullement 
les  avantages  temporels  qui  résultent  de  la  culture 
des  arts  et  des  sciences  pour  la  vie  terrestre  ;  la 
seconde,  c'est  qu'elle  estime  que  les  arts  et  les 
sciences,  venant  de  Dieu,  peuvent  conduire  à  Dieu. 

Il  n'y  a  guère  que  la  mauvaise  foi  et  le  parti  pris 
pour  soutenir  que  le  renoncement  chrétien  soit  un 
mépris  et  un  désintéressement  absolu  de  ce  qui  se 
passe  ici-bas.  La  vie  chrétienne  n'anéantit  pas  la  vie 
naturelle  ;  elle  la  suppose,  au  contraire,  elle  s'y 
appuie,  non  pour  s'y  renfermer,  mais  pour  la 
dépasser,  car  elle  y  ajoute  la  pratique  des  comman- 
dements divins  et  souvent  celle  des  conseils  évangé- 
liques.  Loin  donc  de  paralyser  l'activité  naturelle, 
elle  la  stimule  de  la  façon  la  plus  heureuse  ;  et  Ton 
a  pu  dire  avec  raison  qu'il  n'y  a  de  véritablement 
homme  que  le  chrétien,  de  véritablement  chrétien 


368  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

que  le  catholique,  tant  la  foi  pousse  à  son  dévelop- 
pement parfait  tout  ce  qui  constitue  la  nature 
humaine. 

De  plus  si  les  sciences  viennent  de  Dieu,  comme 
tous  les  dons  naturels,  puisque  c'est  de  Dieu  que 
l'homme  tient  son  intelligence,  sa  lumière  et  sa 
force,  elles  conduisent  aussi  à  Dieu.  Dieu,  le  maître 
des  sciences,  est  leur  source  première  et  leur  fin 
dernière.  Il  se  peut  que  les  sciences  méconnaissent 
leur  origine  et  leur  destinée  ;  il  se  peut  aussi  qu'elles 
s'en  souviennent.  En  tout  cas,  elles  sont  à  même 
de  conduire  à  Dieu  celui  qui  les  cultive.  Et  elles  y 
conduisent  effectivement,  comme  dit  le  concile  du 
Vatican,  si  elles  sont  cultivées  comme  il  convient, 
c'est-à-dire  sans  préjugés  antireligieux,  sans  parti 
pris,  loyalement,  logiquement,  et  non  avecledédain 
de  l'indifférence  religieuse,  avec  l'obstination  du 
rationalisme  à  courte  vue,  avec  le  fanatisme  de 
l'hérésie  ou  de  l'impiété.  Elles  y  conduisent  avec  le 
secours  de  la  grâce,  comme  l'enseigne  le  concile. 
Et  c'est  par  là  que  leur  utilité  temporelle  se  double 
d'un  avantage  spirituel,  ce  qui  justifie  amplement 
l'estime  qu'en  professe  l'Eglise  catholique. 

3°  Point  d'hostilités,  mais  surveillance  néces- 
saire. —  Par  l'estime  qu'elle  professe  pour  l'utilité 
des  sciences,  comme  aussi  par  le  concours  sympathi- 
que et  efficace  qu'elle  leur  porte,  l'Eglise  montre 
bien  qu'elle  n'est  pas  l'ennemie  qu'on  imagine  dans 
certains  milieux,  toujours  prête  à  fulminer  l'ana- 
thème.  Rationalistes  et  semi-rationalistes  ont  raison 
de  réclamer  pour  la  science  le  droit  d'agir  en  toute 
liberté  dans  son  domaine,  avec  des  principes  et  des 
méthodes  propres  ;  c'est,  du  reste,  un  droit  légitime 
que  l'Eglise  se  plaît  à  reconnaître  et  à  procla- 
mer  la   première  ;  mais   ils  ont  tort,    après   avoir 


ATTITUDE    DE    L'ÉGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES     869 

réclamé  leur  indépendance  ou  leur  autonomie,  de 
se  refuser  à  admettre  toute  vérité  qu'ils  ne  se  seraient 
pas  démontrée  ou  qui  leur  serait  imposée  du  dehors, 
parce  qu'ils  n'ont  pas  le  monopole  de  la  vérité.  Et 
Dieu  a  bien  quelque  droit  à  l'audience  de  l'homme. 
Ils  ont  tort  également,  en  franchissant  leur  sphère 
propre,  de  tenter  quelque  excursion  dans  le  domaine 
de  la  foi,  dont  les  principes  et  la  méthode  diffèrent 
des  principes  et  de  la  méthode  des  sciences  natu- 
relles. Ils  ont  tort  surtout,  dans  les  questions  mixtes 
qui  appartiennent  à  la  fois  au  domaine  naturel  et  à 
la  révélation,  d'adopter  des  opinions  ou  de  soutenir 
des  thèses  en  contradiction  avec  les  données  révélées. 
Les  sciences  ont  droit  à  la  liberté,  chez  elles  et 
entre  elles  :  l'Eglise  n'intervient  pas.  Qu'elles  fassent 
d'heureuses  découvertes  ou  qu'elles  commettent 
des  erreurs,  l'Eglise  loue  les  premières,  mais  ne  se 
prononce  pas  sur  les  secondes,  parce  qu'elles 
sont  étrangères  à  son  enseignement.  L'Eglise  n'o- 
blige pas  les  sciences  à  user  des  principes  révélés 
et  de  sa  propre  méthode  dans  leur  domaine  respec- 
tif, mais  elle  ne  saurait  tolérer  de  leur  part  ni  des 
affirmations  contraires  aux  siennes  sur  le  terrain  de 
la  foi,  ni  une  intrusion  illégitime  dans  son  propre 
domaine.  Par  suite,  aux  yeux  de  l'Eglise,  la  liberté 
des  sciences  se  trouve  limitée  par  rapport  à  la  foi. 
Dans  les  questions  mixtes,  telles  par  exemple  que 
l'existence  de  Dieu,  la  spiritualité  de  l'âme,  la  liberté 
humaine  et  tout  ce  qui  constitue  la  religion  natu- 
relle, la  science  n'a  pas  le  droit  d'affirmer  ou  de 
souten>  quelque  chose  qui  heurte  l'enseignement 
révélé.  Encore  moins  a-t-elle  celui  de  sortir  de  son 
domaine  pour  envahir  celui  de  la  foi  :  c'est  là  un 
abus,  une  violation  de  territoire,  toujours  un  danger, 
presque  toujours  une  source  de  troubles  et  d'er- 
reurs :  l'Eglise  ne  saurait  le  tolérer  ;  et  c'est  pour 

iE   CATÉCHISME.    —  X.   X,  24  l 


37O  LE    CATECHISME    ROMAIN 

quoi  si  elle  veille  attentivement,  ainsi  que  s'exprime 
le  concile  du  Vatican,  à  ce  que  la  science  n'adopte 
point  d'erreurs,  qui  la  mettent  en  opposition  avec 
la  doctrine  révélée,  elle  ne  veille  pas  moins  attenti- 
vement à  ce  que  la  science  ne  sorte  des  limites  de 
son  propre  empire  pour  envahir  et  troubler  ce  qui 
est  du  domaine  de  la  foi. 

1.  Y  a-t-il  incompatibilité  entre  le  chrétien  et  le 
savant  ?  —  «  S'il  est  vrai  que  la  méthode  scientifique 
moderne  est  basée  sur  le  principe  de  la  libre  recherche, 
il  est  vrai  aussi  que  ce  n'est  pas  d'une  absurde  licence 
mais  d'une  liberté  rationnelle  qu'elle  entend  jouir.  Ne 
doit-elle  pas  respecter  les  lois  éternelles  du  bon  sens  et  de 
la  logique  ?  Est-ce  que  c'est  dans  le  monde  de  l'imagina- 
tion et  des  rêves,  aussi  bien  que  dans  celui  de  la  réalité  et 
de  la  vérité,  qu'elle  entend  diriger  ses  investigations  ?  Sa 
liberté  de  recherche  est  donc  évidemment  limitée,  sans 
qu'elle  cesse  pour  cela  d'être  vraiment  scientifique  au 
sens  moderne  du  mot.  Et  par  quoi  est-elle  limitée  ?  Il 
faut  bien  le  reconnaître,  par  l'œuvre  de  Dieu,  par  cette 
première  révélation  qu'il  a  faite  de  lui-même  par  la 
création  du  monde  et  de  l'homme.  Mais  si  le  respect  de 
cette  première  révélation  n'empêche  nullement  la  mé- 
thode moderne  d'être  libre  et  scientifique,  comment  la 
seconde  révélation  divine,  conservée  et  expliquée  par 
l'Eglise,  ruinerait-elle  davantage  son  caractère  de  science 
et  de  liberté  ?  Dieu,  quand  il  parle,  est-il  moins  le  Dieu 
des  sciences  que  lorsqu'il  crée  ?  Le  respect  de  la  religion 
positive  n'est  donc  pas  plus  antiscientifîque  que  le  respect 
delà  religion  naturelle.  Jamais,  quoi  qu'on  dise  et  quoi 
qu'on  fasse,  on  ne  pourra  ébranler  ce  droit  que  Dieu,  la 
vérité,  la  réalité,  ont  au  respect  de  toute  science  qui  veut 
se  respecter  elle-même. 

«  Quand  donc  la  foi  prévient  le  savant  qu'il  existe,  sur  le 
sujet  de  ses  études,  des  dogmes  révélés,  des  définitions 
ou  des  condamnations  portées  par  l'Eglise,  il  doit  s'en 
préoccuper  comme  le  pilote  se  préoccupe  des  signaux 
que  lui  donne  le  phare  allumé  au  milieu  des  écueils.  La 


ATTITUDE    DE    l'ÉGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    3^1 

liberté  de  la  science  et  de  la  recherche  scientifique  en 
est-elle  diminuée  ?  Aucunement,  à  moins  qu'on  ne  sou- 
tienne, ce  qui  est  absolument  insoutenable,  qu'il  est 
essentiel  à  la  science  de  pouvoir  errer  à  l'occasion,  et  qu'il 
est  antiscientifique  de  l'en  empêcher  ;  autant  vaudrait 
dire  qu'il  est  inhumain  d'empêcher  un  homme  de  se 
jeter  dans  un  abîme,  en  entourant  celui-ci  d'un  garde- 
fou.  Ainsi  se  trouve  résolue  la  question  de  la  liberté  des 
philosophes  et  des  historiens,  relativement  à  la  foi  :  ils 
ne  peuvent  jamais  s'arroger  le  droit  d'y  contredire,  et  de 
philosopher  ou  d'écrire  l'histoire  sans  égards  pour  l'en- 
seignement de  l'Eglise.  La  condition  des  savants  propre- 
ment dits,  de  ceux  qui  cultivent  les  sciences  expérimen- 
tales ou  exactes,  est  plus  favorable  encore,  si  l'on  peut 
s'exprimer  ainsi,  à  cause  du  manque  ou  de  la  rareté  des 
documents  surnaturels  relatifs  à  leurs  travaux.  Il  est  très 
peu  de  points  de  contact,  en  effet,  entre  ces  sciences  et  la 
foi,  tant  que  celles-là  se  confinent  dans  leur  domaine  et 
n'essaient  pas  d'empiéter  sur  celle-ci.  Un  algébriste,  par 
exemple,  ou  un  botaniste,  sait  d'avance  qu'il  ne  rencon- 
trera dans  ses  études  aucune  question  théologique,  à 
^moins  qu'il  ne  s'aventure  dans]certaines  questions  philoso- 
phiques qui  ne  sont  pas  précisément  de  son  ressort.  Il  a 
donc  toute  liberté,  toute  indépendance  dans  ses  recher- 
ches.» J.  Didiot,  La  Foi,  dans  le  Dictionnaire  apologéti- 
que deJaugey,  Paris,  1889,  col.  1191-1293. 

2.  Les  relations  entre  la  foi  et  la  raison.  —  Sous 
ce  titre,  M.  de  Broglie  se  posait  la  question   suivante  : 
Faut-il  abdiquer  sa  raison  pour  croire  ?  L'ignorance  ou 
l'absence  de  logique  sont-elles  des  conditions  nécessaires 
ipour  posséder  des  convictions   fondées  sur  la  foi  ?  Il  in- 
diquait les  deux  préjugés,  les  deux  opinions  considérées 
comme  des  axiomes   incontestables  et  incontestés  dans 
tune  grande  partie  du  public  éclairé. 
|     L'un  de  ces   préjugés   consiste  à  soutenir  qu'il  y  a 
^opposition  complète,  contradiction  absolue  entre  la  science, 
œuvre  de  la  raison,  et  les  doctrines  enseignées  par  l'Eglise 
au  nom  de  la  Foi.  C'est  Taine,  en  particulier,  qui  a  pré- 
tendu qu'une  telle  opposition  empêche  qu'on  puisse  être 


3-2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


à  la  fois  croyant  et  savant.  Si,  en  fait,  l'union  de  la  science 
et  de  la  foi  existe  chez  quelques  savants,  c'est,  prétend-il, 
ou  une  illusion  ou  un  manque  de  loyauté,  parce  que, 
pour  réaliser  un  tel  accord,  il  faut  ou  «  construire  entre 
des  doctrines  opposées  des  ponts  fragiles,  »  ou  établir 
dans  le  cerveau,  entre  les  courants  contraires  de  la  science 
et  de  la  foi  «  une  sorte  de  cloison  étanche.  »  Ce  qui 
revient  à  dire  que  tout  homme,  à  la  foisjcroyant  et  savant, 
porterait  en  lui-même  une  contradiction  irréductible. 

Le  second  préjugé,  aussi  radical  dans  ses  conséquen- 
ces, consiste  à  prétendre  que  la  science  et  la  foi  sont, 
non  pas  opposées,  mais  absolument  étrangères  l'une  à 
l'autre,  se  mouvant  dans  des  plans  différents  sans 
jamais  pouvoir  se  rencontrer,  différant  d'objet,  de  prin- 
cipes, de  méthode. 

La  conséquence  du  premier  préjugé  est  la  destruction 
de  toute  croyance  religieuse  :  la  foi,  étant  contraire  à  la 
raison,  doit  périr.  La  conséquence  du  second,  c'est  l'in- 
différence religieuse  et  la  relativité  de  toutes  les  croyan- 
ces ;  tout  ce  qui  regarde  la  destinée  de  l'homme,  tous  les 
principes  de  la  morale,  n'étant  pas  fixés  par  la  science, 
qui  n'atteint  que  le  monde  expérimental,  se  trouvent 
livrés  au  hasard  de  la  tradition,  aux  élans  incertains  et 
contradictoires  de  l'enthousiasme,  à  l'influence  variable 
des  passions  ou  au  caprice  de  la  volonté. 

A  ce  double  préjugé,  M.  de  Broglie  oppose  la  vraie 
doctrine  sur  les  relations  entre  la  raison  et  la  foi,  telle 
que  nous  l'avons  donnée,  en  résumant  les  enseigne- 
ments du  concile  du  Vatican. 

Mais,  en  dehors  de  ce  double  préjugé,  il  existe  une 
double  erreur  :  l'une,  qui  règne  en  France  et  dans  les 
pays  catholiques,  qu'il  appelle  rationalisme  par  négation 
ou  par  séparation,  parce  qu'elle  prétend  exclure  de  la 
connaissance  humaine  le  principe  de  la  foi  et  les  doctri- 
nes qui  en  découlent  ;  l'autre,  qui  règne  surtout  dans  les 
pays  protestants,  mais  qui  a  été  importée  en  France,  et 
qu'il  appelle  rationalisme  par  absorption  on  par  extension 
du  domaine  de  la  raison  au  delà  de  ses  limites.  Par 
contre,  le  fidéisme  met  en  question  l'autorité  de  la  raison, 


ATTITUDE    DE    L'ÉGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    Z^ 


lui  refuse  le  droit  et  le  pouvoir  de  prouver  l'existence  de 
Dieu  et  d'éclairer  aucunement  l'homme  sur  sa  destinée. 
Rationalisme  et  fidéisme  sont  également  condamnés, 
comme  nous  venons  de  le  dire  clans  cette  leçon. 

M.  de  Broglie  étudie  par  l'histoire  les  relations  de  la 
foi  et  de  la  raison.  Dans  l'antiquité  la  question  ne  se 
posait  pas  au  sens  où  nous  sommes  accoutumés  à  l'en- 
tendre, dit  le  P.  Largent,  dans  la  préface.  «  Elle  ne  surgit 
tout  entière  que  le  jour  où,  en  présence  de  doctrines  et 
de  cultes  rivaux,  le  christianisme  affirma  son  droit  sou- 
verain à  la  possession  de  la  vérité  religieuse  et  à  la  direc- 
tion des  âmes.  Les  apologistes  s'attachèrent  à  établir  ce 
droit...  Des  conflits  entre  la  raison  et  la  religion  seront 
provoqués  jusqu'à  la  fin  par  les  préventions,  par  l'igno- 
rance, par  l'orgueil  ;  ils  l'ont  été  quelquefois  par  les 
insuffisances  d'une  théologie  étroite,  par  les  intempé- 
rances d'une  apologétique  qui  imposait  à  la  pensée  et  à 
la  science  humaine  plus  qu'on  n'avait  droit  d'exiger.  11 
n'en  demeure  pas  moins  que  l'accord  entre  la  raison  et  la 
foi  est  possible,  qu'il  est  nécessaire,  qu'il  tient  à  la  nature 
même  des  choses,  et  que  le  contester,  c'est  s'inscrire 
contre  la  leçon  des  faits,  consciencieusement  interrogés,  et 
contre  le  formel  enseignement  de  l'Eglise.  »  C'est  la 
démonstration  érudite  qu'en  donne  M.  de  Broglie  dans 
les  conférences  de  1894,  parues  d'abord  dans  les  Annales 
de  philosophie  chrétienne,  avril,  juin,  août  1894  et  janvier 
1895,  et  publiées  par  le  P.  Largent  dans  la  collection 
((  Science  et  religion  »,  sous  ce  titre  :  Les  relations  entre 
la  foi  et  la  raison,  exposé  historique,  4°  édit.,  Paris,  1904. 


Article  Premier 
Je  crois  en  Dieu 

En  Dieu 

Leçon  Xe 
Existence  de  Dieu 


Peut-elle  se  prouver  par  la  raison  ?  —  I.  Erreurs» 
—  IL  Enseignement  du  Catéchisme  romain,  — 

III.  Définition    du     Concile    du     Vatican,   — 

IV.  Puissance  de  la  raison, 

I.   Erreurs 

Au  seuil  même  de  ces  études  (i),  et  en  face  de 
la  première  et   de  la  plus  importante  des 
vérités,  nous  sommes  obligés  de  constater 
combien  la  marche  de   l'homme  est  incertaine  et 


i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Saint  Thomas,  Sum.  theol,  I,  Q.  n, 
a.  i,  2  ;  Q.  xn  ;  Franzelin,  De  Deo  uno,  2e  édit.,  Rome,  1876; 
Vacant,  La  Constitution  Dei  Filius,  Paris,  1895,  t.  1  ;  de  Mar- 
gerie,  Théodicée,  3e  édit.,  Paris,  1874,  t.  1,  ch.  1-111;  Farges, 
L'idée  de  Dieu,  Paris,  1894  ;  Janssens,  De  Deo  uno,  Rome,  1899; 
Pesch,  De  Deo  uno,  Fribourg-en-Brisgau,  1890;  Tepe,  De  Deo 
uno,  Paris,  1895  ;  Billot,  De  Deo  uno,  Rome,  1897  ;  Scheeben, 


ERREURS    SUR    INEXISTENCE    DE    DIEU  375 

m*      — — —  '  » 

combien  sa  pensée  est  hésitante.  Il  semble  cepen- 
dant que  c'est  surtout  à  propos  de  l'existence  de 
Dieu  que  la  certitude  devrait  régner  et  l'accord 
être  universel.  Mais  il  n'en  est  rien,  et  les  esprits  se 
partagent  en  deux  camps  opposés.  Pour  les  uns, 
l'existence  de  Dieu  ne  saurait  faire  l'objet  d'un 
doute,  c'est  une  vérité  en  quelque  sorte  évidente, 
immédiate,  innée,  nécessaire  et  indéniable  ;  pour  les 
autres,  elle  est  inaccessible  aux  lumières  de  la  raison, 
elle  ne  peut  pas  se  démontrer,  elle  est  un  objet  de 
foi.  Que  penser  d'une  telle  discordance? 

i.  Bien  que,  selon  la  parole  de  saint  Paul,  nous 
ayons  en  Dieu  la  vie,  le  mouvement  et  l'être,  l'exis- 
tence de  Dieu  ne  tombe  pas  directement  sous  nos 
sens  ;  notre  raison  ne  la  saisit  pas  d'une  manière 
immédiate.  Nous  avons,  il  est  vrai,  naturellement 
gravée  dans  notre  âme,  une  certaine  connaissance 
de  Dieu,  en  tant  qu'il  est  la  félicité  de  l'homme  ; 
car  nous  désirons  naturellement  le  bonheur,  et 
tout  ce  que  nous  désirons  naturellement,  fait  obser- 
ver saint  Thomas,  nous  le  connaissons  de  même. 
Mais  ce  n'est  là  qu'une  connaissance  vague  et 
confuse,  non  une  connaissance  vraie,  puisque  les 
hommes  s'abusent  jusqu'au  point  de  placer  le 
bonheur,  pour  lequel  ils  sont  faits,  là  où  il  n'est 
pas,  par  exemple  dans  les  richesses  ou  dans  la 
volupté. 

2.  Gela  n'a  pas  empêché  pourtant  certains  philo- 
sophes de  regarder  l'idée  de  Dieu  comme  une  idée 
innée,  résultant  de  la  vue  que  Dieu  nous  donnerait 
de  sa  propre  essence  ;  Vonlologisme  n'est  autre  chose, 
en  effet,  que  la  théorie  de  la  vision   naturelle  de 


La  Dogmatique,  trad.,  Paris,  1880;  J.  Souben,  Nouvelle  théolo- 
gie dogmatique.  —  1.   Dieu  dans    l'histoire   et    la  Révélation, 
Paris,  1902» 


376  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

l'Etre  divin  ;  il  dérive  directement  de  la  théorie  de 
Descartes  sur  les  idées  innées,  mais  il  a  pris  quatre 
formes  principales,  la  forme  de  Y ontologisme  pan- 
théiste avec  Spinoza,  de  V ontologisme  absolu  avec 
Malebranche  et  Gioberti,  de  Yontologisme  modéré 
avec  Ubaghs,  de  Yontologisme  idéaliste  avec  Rosmini. 

Plus  près  de  nous,  mais  sans  être  inféodés  à  l'on- 
tologisme proprement  dit,  quelques  philosophes 
français  ont  prétendu  posséder  une  notion  expéri- 
mentale de  l'Infini.  Pour  Saisset  (f  i863),  Dieu  est 
une  vérité  d'intuition  (1).  Secrétan  (f  i8g5)  disait: 
«  Suivant  mon  intime  conviction,  Dieu  est  un  objet 
d'expérience.  Je  n'entends  pas  d'une  expérience  que 
chacun  ait  faite,  je  parle  seulement  d'une  expérience 
que  chacun  peut  faire  s'il  le  veut.  » 

Sans  entrer  dans  l'examen  d'une  telle  manière  de 
voir,  disons  seulement  qu'une  telle  expérience  ne 
peut  servir  de  preuve  valable  pour  ceux  qui  ne  l'ont 
pas  faite  ou  qui  nient  de  bonne  foi  l'avoir  faite  ;  et 
ajoutons  que  l'Eglise  a  condamné  le  principe  même 
de  l'ontologisme  (2),  l'ontologisme  absolu  (3),  et 
que  l'ontologisme  modéré  reste  suspect  et  dange- 
reux (4). 

3.  Se  plaçant  à  un  point  de  vue  bien  différent, 
les  fidéistes  estiment  que  nous  connaissons  Dieu, 
mais  ils  soutiennent  que  ce  n'est  pas  à  la  raison, 
mais  à  la  foi,  que  nous  sommes  redevables  d'une 
telle  connaissance.  Car,  à  leurs  yeux,  la  raison,  par 
ses  seules  lumières,  est  incapable  de  nous  faire 
connaître  les  vérités  religieuses  ou  morales  de  l'ordre 
naturel,  elle  a  nécessairement  besoin  de  la  révélation 
qui  lui  manifeste  ces  vérités  et  lui  en  garantit  la 
certitude.  Si  donc  l'homme  possède  une  certitude 

1.  Philosophie  religieuse,  t.  11,  p.  2o5,  sq.  —  2.  Denzinger, 
n.  4o3.  —  3.  Ibid.,n.  i5i6-i522.  —  4.  Kleutgen,  L'ontologisme  ; 
Lepidi,  Examen  philsophico-theologicum  de  ontologismo. 


ERREURS   SUR   L'EXISTENCE    DE   DIEU  877 

vraie  des  principes  rationnels,  c'est  à  la  foi  qu'il  le 
doit.  Théorie  erronée,  qui  ne  méconnaît  pas  seule- 
ment le  pouvoir  de  la  raison,  mais  qui  déclare 
absolument  nécessaire  la  révélation  et  qui  confond 
la  science  avec  la  foi.  Déjà,  au  xive  siècle,  Nicolas 
d'Oultricourt  professait  qu'en  dehors  de  la  certitude 
de  la  foi  il  n'y  en  a  pas  d'autre,  sauf  celle  de  ce 
premier  principe  :  S'il  y  a  quelque  chose,  il  y  a 
quelque  chose.  Ses  propositions  furent  condamnées 
par  le  Saint-Siège  et  révoquées,  en  i438,  devant  la 
faculté  de  Paris  (i).  Les  théories  protestantes  sur  la 
justification  impliquent  l'erreur  fidéiste.  Baïus  n'y 
est  pas  étranger.  Au  xvue  siècle,  Huet  a  eu  le  tort  de 
croire  que  la  foi  divine  seule  permet  d'arriver  à  la 
vérité  avec  une  entière  certitude.  Et  tout  récemment 
encore,  sous  l'influence  avouée  de  Pascal  et  de  Kant, 
mais  aussi  par  un  reste  de  fidéisme  subtil,  M.  Bru- 
netière  écrivait  :  «  Je  persiste  à  penser  que  l'on  ne 
démontre  ni  l'immortalité  de  lame  ni  l'existence 
de  Dieu.  C'était  l'opinion  de  Pascal,  c'était  égale- 
ment l'opinion  de  Kant  ;  et  j'ai  bien  le  droit  de  me 
«  tromper  »  avec  eux  !...  Je  ne  tiens  pour  preuves 
de  l'existence  de  Dieu  ni  celles  que  l'on  tire  de 
l'arrangement  et  de  l'ordre  du  monde  ;  ni  celles  que 
l'on  tire  de  l'idée  du  parfait  ou  de  l'infini,  dont 
l'essence  impliquerait  l'existence  ;  ni  celles  enfin 
que  l'on  tire  de  la  présence  en  nous  de  la  loi  mo- 
rale... Ceux  qui  les  trouvent  démonstratives  ne  font 
pas  attention  qu'elles  impliquent  toutes  un  Dieu 
«  sensible  au  cœur  »  et  affirmé  par  lui  avant  que 
d'être,  je  ne  dis  pas  démontré  par  le  raisonnement, 
mais  seulement  conçu  par  la  raison.  Ou,  en  d'autres 
termes,  on  connaît  déjà  Dieu  quand  on  essaie  de 
mettre  son  existence  en  preuve,    et  j'estime,  pour 

1.  Denzinger,  n.  457-463. 


378  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ma  part,  qu'aucune  preuve  ne  le  crée  dans  les  cœurs 
qui  ne  le  sentent  pas  (1).  » 

[\.  A  la  suite  de  certaines  théories  philosophiques» 
telles  que  celle  des  idées  innées  de  Descartes,  de  la 
table  rase 'des  sensualistes,  des  rapports  du  langage 
et  de  la  pensée  de  Locke,  et  en  partie  sous  leur 
influence,  se  formula,  en  France,  la  doctrine  tradi-  ' 
tionaliste.  De  Maistre,  dans  ses  Soirées,  avait  sou- 
tenu que  certaines  idées,  surtout  de  l'ordre  moral, 
renferment  un  élément  nécessaire  qui  ne  saurait 
provenir  d'une  source  bornée  et  contingente  et  que 
le  langage  n'a  pu  être  inventé  par  l'homme.  De 
Bonald,  partant  de  ce  principe  que  l'homme  pense 
sa  parole  avant  de  parler  sa  pensée  et  que  les  mots 
engendrent  les  idées,  réclamait  comme  absolument 
indispensable  l'intervention  de  la  révélation  primi- 
tive pour  assurer  à  l'homme  la  somme  des  vérités 
nécessaires  et  la  garantie  divine  de  leur  certitude. 
De  Lamennais  faisait  dériver,  lui  aussi,  d'une  révé- 
lation primitive  la  certitude  des  vérités  rationnelles. 
Il  regardait  la  raison  individuelle  comme  incapa- 
ble d'atteindre  seule  à  la  vérité  avec  certitude.  En 
revanche,  le  privilège  de  notifier  et  de  certifier  à 
l'homme  les  vérités  indispensables  de  la  croyance» 
il  l'attribuait  au  sens  commun,  dûment  appuyé  sur 
une  tradition  qui  remontait  jusqu'à  Dieu  tout  comme 
le  langage.  Moins  systématique,  mais  non  moins 
traditionaliste,  Bonetty  écrivait  :  «  Dieu  et  ses  attri- 
buts, l'homme,  son  origine,  sa  fin,  ses  devoirs,  les 
règles  de  la  société  civile  et  de  la  société  domesti- 
que :  voilà  les  vérités  que  nous  ne  croyons  pas  que 
la  philosophie  ait  trouvées  ou  inventées  sans  le  se- 
cours de  la  tradition  et  de  l'enseignement  (2).  »  Le 


1 .  La  science  et  la  religion,  12e  mille,  Paris,  1895,  p.  60-61. 
—  2.  Annales  de  Philos,  chrét.,  i853,  iv9  série,  t.  vin,  p.  374. 


ERREURS    SUR   INEXISTENCE    DE   DIEU  $7$ 

P.  Ventura  mitigea  le  système.  Il  admettait  bien 
que  c'est  à  une  révélation  primitive,  transmise  au 
genre  humain  par  la  parole,  que  l'homme  doit  la 
connaissance  de  Dieu,  de  l'immortalité  de  l'âme  et 
des  principes  de  la  morale,  mais  il  soutenait  que 
cette  connaissance  une  fois  acquise,  notre  esprit  est 
à  même  de  la  démontrer,  de  la  défendre  et  de  la  (, 
développer.  Ubaghs  unit  le  traditionalisme  à  l'onto- 
logisme,  et  Bautain,  tout  en  accordant  moins  d'im- 
portance au  langage  et  à  la  tradition,  se  crut  autorisé 
par  des  considérations  psychologiques  à  mettre  le  fon- 
dement de  la  certitude  dans  la  foi  ou  la  parole  de  Dieu. 
De  telles  théories,  quelque  séduisantes  qu'elles 
aient  pu  paraître,  n'en  constituaient  pas  moins  des 
erreurs  aussi  graves  que  dangereuses.  C'était  insis- 
ter outre  mesure  sur  l'incapacité  de  la  raison, 
réduite  presque  à  une  impuissance  radicale  ;  c'était 
méconnaître  la  nature  de  la  révélation  primitive  et 
confondre  sa  nécessité  morale  avec  sa  nécessité  ab- 
solue ;  c'était  enfin  exagérer  le  rôle  de  la  tradition, 
du  langage  et  de  l'enseignement  qui  servent  bien  à 
communiquer  la  connaissance  de  Dieu,  à  la  faciliter 
et  à  la  généraliser,  mais  qui,  en  définitive,  ne  sont 
pas  des  moyens  absolument  indispensables.  Rien 
d'étonnant  dès  lors  que  l'Eglise,  jalouse  des  droits 
de  la  raison  comme  des  intérêts  de  la  foi,  soit  in- 
tervenue. Ses  avertissements  d'abord,  ses  condam- 
nations ensuite  ont  dû  faire  justice  de  pareilles 
erreurs  qui  méconnaissaient  la  puissance  de  la  rai- 
son humaine  et  qui  mettaient  en  péril  l'intégrité  et 
la  pureté  de  la  foi  (i). 

i.  Voir  dans  Denzinger  :  les  propositions  de  Nicolas  d'Oulti- 
court,  n.  457-467  ;  la  condamnation  de  Lamennais  par  Gré- 
goire XVI,  en  i834,  n.  1476  ;  les  propositions  souscrites  par 
l'abbé  Bautain,  en  i835  et  1860,  n.  i488-i4g3  ;  les  quatre  thè- 
ses imposées  à  Bonnetty,  en  i855,  n.  i5o5-i5o8. 


380  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


5.  Un  prêtre  allemand,  mort  en  i83i,  Hermès, 
s'était  flatté  de  ruiner  le  crédit  de  la  philosoplie  de 
Kant  et  subit  la  secrète  influence  de  ce  philosophe. 
Ses  idées  eurent  un  certain  succès  en  Allemagne. 
Il  n'admettait  pas  d'autre  preuve  de  l'existence  de 
Dieu  que  l'argument  tiré  par  la  raison  spéculative 
de  la  nécessité  d'une  cause  première,  seule  capable 
d'expliquer  l'existence  des  êtres  contingents  ;  il 
repoussait  la  preuve  tirée  de  l'ordre  du  monde, 
parce  que  cet  ordre  pourrait  être  à  la  rigueur  l'effet 
du  hasard  ;  il  repoussait  également  celle  qui  est 
fondée  sur  l'idée  du  devoir,  parce  que  la  raison 
du  devoir  étant  la  dignité  de  l'homme,  il  n'est 
pas  nécessaire  que  Dieu  existe  pour  que  l'homme 
soit  tenu  de  se  respecter  et  de  remplir  ses  obli- 
gations. Etendant  sa  théorie,  Hermès  prétendait 
que  la  raison  ne  peut  démontrer  que  Dieu  diffère 
d'une  substance  immuable,  qui  ferait  partie  du 
monde,  tout  en  restant  séparée  des  phénomènes 
dont  le  monde  est  le  théâtre  ;  ni  que  Dieu  est  un 
esprit  pur,  ni  que  ses  attributs  sont  infinis,  ni  que 
sa  science  s'étend  à  d'autres  objets  que  les  créatu- 
res, ni  que  sa  sainteté  est  sans  limites  ;  ce  sont 
là,  estimait-il,  autant  de  vérités  que  la  Révéla- 
tion seule  nous  fait  connaître.  L'Hermésianisme, 
légitimement  suspect  d'hétérodoxie,  fut  condamné 
par  l'Eglise  (i). 

6.  En  dehors  de  l'Eglise,  parmi  les  incrédules, 
une  théorie  s'est  fait  jour  peu  à  peu,  qui  dénie  à  la 
raison  le  droit  de  s'occuper  de  l'existence  de  Dieu 
et  le  pouvoir  de  la  démontrer.  En  effet,  au  regard 
des  positivistes,  Dieu  ne  saurait  être  objet  de  connais- 
sance positive.  Par  sa  définition  même  il  est 
transcendant,  et,  dès  lors,  inaccessible  à  la  raison,  en 

i.  Denzinger,  n.  i486,  1^87. 


ERREURS   SUR    INEXISTENCE    DE    DIEU  38 1 

dehors  ou  au-dessus  des  prises  de  la  science,  de  la 
méthode  expérimentale  et  du  contrôle  rigoureux 
qui  s'impose  désormais  en  matière  scientifique. 
Aussi  traitent-ils  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu 
de  chimériques,  de  caduques,  d'incapables  d'engen- 
drer la  certitude.  Ils  partent  d'hypothèses  fausses,  à 
savoir  qu'il  n'y  a  que  ce  qui  tombe  sous  les  sens 
qui  puisse  être  matière  de  science,  que  la  seule  mé- 
thode rationnelle  qui  convienne  à  l'esprit  c'est  la 
méthode  expérimentale,  et  que  Dieu,  si  tant  est  qu'il 
existe,  appartient  en  tout  cas  au  domaine  de  l'incon- 
naissable. Ce  congé  donné  à  Dieu  est  impertinent  ; 
la  réduction  de  toute  connaissance  à  une  connais- 
sance d'ordre  purement  sensible  méconnaît  de  parti 
pris  la  puissance  de  la  raison  et  mutile  l'intelligence 
humaine. 

C'était  déjà  la  pensée  de  Hume  (f  1716)  (1).  Ce 
fut  aussi  celle  de  Comte  et  de  Stuart  Mill  (f  1873)  (2). 
Mais  les  disciples  de  Comte  se  sont  séparés  sur  le 
terrain  de  la  théologie  naturelle.  Dans  l'école  fran- 
çaise, Littré  (j*  1881)  disait  :  «  Il  ne  faut  pas  consi- 
dérer le  philosophe  positif  comme  si,  traitant  uni- 
quement des  causes  secondes,  il  laissait  libre  de 
penser  ce  qu'on  veut  des  causes  premières.  Non,  il 
ne  laisse  là-dessus  aucune  liberté.  » 

7.  Dans  l'école  anglaise,  H.  Spencer  (f  1903) 
enseigna  qu'au  delà  de  la  sphère  du  connaissable 
s'étend  la  région  de  Y  inconnaissable,  région  inac- 
cesible  et  mystérieuse,  avec  laquelle  on  ne  peut 
entrer  en  contact  que  par  le  sentiment  religieux, 
sans  prétendre  le  comprendre  ou  le  définir  :  c'est 
Y  agnosticisme  (3).   Mais  cet   inconnaissable   existe. 


1.  Essai  sur  V entendement  humain,  vu"  Essai.  —  2.  Logique, 
liv.  m,  en.  5.  —  3.  Les  premiers  principes,  trad.  Guymiot, 
Paris,  1902. 


382  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  Par  derrière  toutes  les  apparences  matérielles  qui 
frappent  nos  sens  et  que  les  sciences  étudient,  ap- 
parences fugitives  et  contradictoires  qui  posent  à 
notre  raison  de  plus  difficiles  problèmes  qu'elle  n'en 
peut  résoudre,  il  existe  une  réalité  profonde,  plus 
proche  de  l'esprit  que  de  la  matière,  mais,  dans  son 
essence  ultime,  inconnue  et  inconnaissable.  C'est 
cette  réalité  substantielle  que  les  religions  nom- 
ment Dieu.  Les  religions  ont  le  droit  d'affirmer  son 
existence,  et  les  sciences  ont  le  tort  de  la  nier.  Mais 
les  religions  ont  tort  de  prétendre  connaître  et  défi- 
nir les  attributs  de  Dieu  ;  tout  ce  que  nous  pouvons 
dire  de  lui,  c'est  qu'il  existe  et  non  quel  il  existe. 
La  religion  et  la  science  seront  d'accord  le  jour  où, 
chacune  se  renfermant  dans  son  domaine  propre, 
la  science  cessera  d'expliquer  les  faits  positifs  par 
des  entités  métaphysiques  inconnaissables,  et  lareli- 
gion  cessera  de  donner  à  l'essence  métaphysique  de 
Dieu  des  attributs  physiques  contradictoires  :  adorer 
et  se  taire  est  le  tout  de  l'âme  religieuse  (i).  » 

IL  L'enseignement  du  Catéchisme 

romain 

Voici  en  quels  termes  s'exprime  le  Catéchisme 
romain  sur  l'existence  de  Dieu  (2)  : 

«  Ces  paroles  (en  Dieu),  font  connaître  quelle  est 
l'excellence  et  la  dignité  de  la  sagesse  chrétienne,  et 
combien  nous  sommes  redevables  à  la  bonté  divine, 
qui  nous  a  élevés  par  les  vérités  de  la  foi,  comme 
par  autant  de  degrés,  à  la  connaissance  de  l'objet 
le  plus  parfait  et  le  plus  désirable.    Il  y  a,  en  effet, 

1.  Thouverez,  H.  Spencer,  Paris,  1905,  p.  3a,  dans  la  collec- 
tion Science  et  Religion.  —  2.  Cat.  rom.t  I.  a.  1,  vi-ix. 


l'existence  de  dieu  d'après  le  catéchisme     383 

une  différence  considérable  entre  la  philosophie 
chrétienne  et  la  sagesse  du  siècle.  L'une,  guidée 
seulement  par  la  lumière  naturelle,  s'élève  peu  à 
peu,  à  l'aide  des  effets  et  des  choses  sensibles,  et 
ne  parvient  enfin  qu'après  de  longs  travaux  à  con- 
templer les  choses  invisibles  de  Dieu,  à  reconnaître  et 
à  comprendre  la  cause  et  l'auteur  de  ce  qui  existe. 
L'autre,  au  contraire,  perfectionne  tellement  la 
pénétration  naturelle  de  l'esprit  humain,  qu'il  peut 
aisément  s'élever  jusqu'au  ciel  où,  environné  d'une 
splendeur  céleste,  il  contemple  d'abord  la  source 
éternelle  de  toute  lumière,  et  ensuite  toutes  les 
choses  créées.  C'est  alors  que  nous  connaissons  par 
expérience  et  avec  une  joie  infinie  de  notre  âme 
que  nous  avons  élé  appelés  des  ténèbres  à  une  lumière 
admirable,  comme  dit  le  prince  des  apôtres  (i),  et 
que  notre  foi  nous  cause  un  ravissement  ineffable  (2). 

u  C'est  donc  avec  raison  que  les  fidèles  professent 
d'abord  qu'ils  croient  en  Dieu,  dont  la  majesté ', 
suivant  Jérémie,  est  incompréhensible  (3)  ;  qui  habite, 
dit  l'apôtre,  une  lumière  inaccessible,  qu'aucun  des 
hommes  na  vue  ni  ne  peut  voir  (4),  que  nul  homme  ne 
pourra  voir  sans  mourir,  comme  il  le  dit  lui-même  à 
Moïse  (5).  En  effet,  pour  aller  jusqu'à  Dieu,  qui  est 
au-dessus  de  toutes  choses,  notre  esprit  aurait  besoin 
d'être  entièremenl  dégagé  des  choses  sensibles  ; 
mais  cela  ne  lui  est  naturellement  pas  possible  dans 
cette  vie. 

«  Cependant  Dieu  ne  s'est  pas  laissé  lui-même  sans 
témoignage,  dit  l'apôtre,  car  c'est  lui  qui  fait  le  bien 
aux  hommes  ;  il  dispense  les  pluies  et  les  saisons  favo- 
rables ;  il  nous  donne  la  nourriture  avec  abondance  et 
il  remplit  nos  cœurs  de  joie  (6).  Aussi  les  philosophes 


1.  I  Petr.,  11,  9.  —  2.  I  Petr.,  1,  8.  —  3.  Jerem.,  xxxn,   19. 
—  4.  I  Tim.t  vi,  16.  —  5.  Exod.,  xxxm,  20.  —  6.  Ad.,  xiv,  16. 


384  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

n'ont-ils  pu  concevoir  en  lui  rien  d'imparfait  ;  ils 
ont  rejeté  comme  indigne  de  lui  tout  ce  qui  est 
corporel,  toute  composition  et  tout  mélange.  Ils 
L'ont  regardé  comme  possédant  en  lui-même  la  plé- 
nitude de  tous  les  biens,  et  ils  ont  enseigné  que 
tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  et  de  parfait  dans  toutes  les 
créatures  vient  de  lui  comme  d'une  source  inépui- 
sable et  perpétuelle  de  bonté  et  de  charité.  Ils  l'ont 
appelé  sage,  auteur  et  amateur  de  la  vérité,  juste  et 
bienfaisant,  et  ils  lui  ont  donné  plusieurs  noms, 
qui  expriment  la  perfection  souveraine  et  absolue. 
Enfin  ils  ont  reconnu  en  lui  un  pouvoir  immense 
et  infini,  qui  s'étend  à  toutes  les  choses  et  à  tous  les 
lieux. 

«  Mais  ces  vérités  sont  bien  plus  certaines  et  bien 
plus  clairement  exprimées  dans  l'Ecriture.  Ici,  elle 
nous  dit  :  Dieu  est  esprit  (i)  ;  soyez  parfaits  comme 
votre  Père  céleste  est  parfait  (2)  ;  tout  est  nu  et  à 
découvert  à  ses  yeux  (3)  ;  là,  elle  s'écrie  :  0  profon- 
deur des  richesses  de  la  sagesse  et  de  la  science  de 
Dieu  (4)  I  Ailleurs  :  Dieu  est  véritable  (5)  ;  il  est  la 
voie,  la  vérité  et  la  vie  (6)  ;  sa  droite  est  pleine  de  sa 
justice  (7)  ;  il  ouvre  la  main  et  répand  sa  bénédiction 
sur  tout  ce  qui  respire  (8)  ;  Enfin  David  s'écrie  : 

a  Où  irai- je  devant  votre  esprit? 

Où  fuirai-je  devant  votre  face  ? 

Si  je  monte  au  ciel,  vous  y  êtes  : 

Si  je  descends  dans  le  scheol,  vous  êtes  présent 

Si  je  prends  les  ailes  de  V aurore 

Et  que  je  me  transporte  au-delà  des  mers, 

C'est  votre  main  qui  m'y  conduira, 

Votre  droite  qui  me  soutiendra  (9).  » 

1.  Joan.,  iv,  2/i-  —  2.  Matlh.,  v,  48.  —  3.  Hebr.,  iv,  13.  — 

6.  Rom.,    xi,  33.   —  5.  Rom.,  m,  l\.  —  6.  Joan.,  xiv,  6.  — 

7.  Psal.,  xlvii,  n.  —  8.  Psal,  cxliv,  16.  —  9.  PsaL,  cxxxvin, 
7-10. 


l'existence  de  dieu  d'après  le  catéchisme    385 

Et  Dieu  nous  dit  lui-même  :  «  Est-ce  que  je  ne 
remplis  pas  le  ciel  et  la  terre  (i)  ?  » 

«  Telles  sont  les  grandes  idées  que  les  philosophes 
eux-mêmes  se  sont  formées  de  la  nature  divine,  en 
considérant  les  effets  sensibles  de  ce  monde,  et  qui 
sont  conformes  à  l'autorité  des  Livres  saints.  Et 
cependant  pour  sentir  combien  nous  avions  besoin, 
même  à  cet  égard,  de  l'enseignement  céleste,  il 
suffît  de  remarquer  que  la  foi  n'a  pas  seulement 
pour  effet  de  faire  connaître  promptement  et  sans 
peine  aux  plus  ignorants  et  aux  plus  grossiers  ce 
que  des  philosophes  si  savants  n'ont  connu  qu'après 
de  longues  éludes,  mais  encore  la  connaissance 
qu'elle  nous  donne  des  choses  est  beaucoup  plus 
certaine,  plus  pure  et  plus  exempte  d'erreur,  que  si 
elle  venait  des  raisonnements  delà  science  humaine. 
Et  d'ailleurs  quelle  différence  entre  la  contempla- 
tion de  la  nature,  qui  ne  peut  pas  faire  connaître 
Dieu  à  tout  le  monde,  et  la  lumière  de  la  foi  qui  le 
révèle  infailliblement  à  tous  ceux  qui  croient. 

«  Or  tout  ce  que  nous  connaissons  de  Dieu  par  la 
foi  est  renfermé  dans  le  symbole.  Nous  y  trouvons 
l'unité  de  l'essence  divine  et  la  distinction  des  trois 
personnes.  Il  nous  apprend  que  Dieu  est  la  fin  der- 
nière de  l'homme,  et  que  nous  devons  attendre  de 
lui  un  bonheur  céleste  et  éternel,  suivant  ce  qu'en- 
seigne saint  Paul,  que  Dieu  récompense  ceux  qui  le 
cherchent  (2)  ;  et  comme  l'avait  dit  longtemps  avant 
lui  le  prophète  Isaïe,  depuis  l'origine  des  siècles,  les 
hommes  n'ont  point  conçu,  l'oreille  n'a  point  entendu, 
aucun  œil  n'a  vu,  excepté  vous,  Seigneur,  ce  que  vous 
avez  préparé  pour  ceux  qui  vous  aiment  (3)  ;  paroles 
qui  nous  montrent  non  seulement  la  grandeur  des 
biens  qui  nous  attendent,  mais  qui  font  voir  encore 

1.  Jerem.,  xxm,  24. 2.  Hebr.,  xi,  6.  —  3.  Isaï.,  lxiv,  4* 

LB  CATÉCHISME.  —  T.   I.  S  S 


386  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

que  l'homme  est  incapable  de  les  connaître  parla 
seule  lumière  naturelle. 

«  De  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  suit  qu'il  n'y 
a  qu'un  seul,  Dieu,  et  non  plusieurs.  Car  nous  avons 
vu  que  Dieu  possède  une  bonté  et  une  perfection 
souveraines.  Or  il  est  impossible  que  la  perfection 
souveraine  et  absolue  convienne  à  plusieurs  ;  car 
celui  qui  manque  de  la  moindre  chose  est  par  là 
même  imparfait,  il  ne  saurait  être  Dieu.  Cette  vérité 
se  trouve  dans  une  multitude  d'endroits  de  l'Ecri- 
ture. Il  est  écrit  :  Ecoule,  Israël;  le  Seigneur  notre 
jji^u  est  le  seul  Dieu  (i).  De  plus  c'est  un  précepte 
du  Seigneur  :  Tu  n  auras  point  d'autres  dieux  devant 
moi  (2).  Il  nous  dit  par  le  prophète  :  Je  suis  le  premier 
et  le  dernier  ;  en  dehors  de  moi  il  n'est  pas  d'autre  Dieu  (3). 
Enfin  l'apôtre  l'atteste  clairement  :  Un  seigneur,  une 
foi,  un  baptême  (4). 

«  Que  si  l'Ecriture  donne  quelquefois  le  nom  de 
dieux  à  des  êtres  créés,  cela  ne  doit  pas  nous  sur- 
prendre. Car  lorsqu'elle  appelle  dieux  les  juges  et 
les  prophètes,  ce  n'est  pas  dans  le  sens  impie  et 
absurde  des  païens  qui  se  sont  forgé  plusieurs  divi- 
nités ;  c'est  pour  exprimer,  selon  une  manière 
ordinaire  de  parler,  ou  quelque  perfection  particu- 
lière, ou  quelque  fonction  à  laquelle  Dieu  les  avait 
élevés.  La  foi  chrétienne  professe  donc  qu'il  n'y  a 
qu'un  seul  Dieu  par  nature  et  par  essence,  comme 
il  a  été  défini  par  le  concile  de  Nicée,  qui  a  confirmé 
cette  vérité  dans  son  symbole.  Mais,  remontant 
encore  plus  haut,  elle  reconnaît  l'unité  de  Dieu,  tout 
en  adorant  en  même  temps  la  trinité  dans  son  unité 
et  l'unité  dans  sa  trinité.  » 

Ce  passage  du  Catéchisme  romain  résume  admi- 

1.  DeuL,  vi,  4.  —  a.  Exod.,  xx,  3.  —  3.  Isaï.,  xu,  4.   — 
—  4.  Ephes.,  iv,  5. 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  SS't 

rablement  l'enseignement  de  l'Eglise  sur  la  question 
de  l'existence  de  Dieu.  Que  Dieu  existe,  c'est  une 
vérité  d'ordre  naturel,  accessible  par  conséquent  à 
la  raison  de  l'homme.  L'homme,  en  effet,  quelques 
privilégiés  du  moins,  à  l'aide  de  leurs  seules  lu- 
mières, arrivent  à  l'acquérir  par  l'étude  du  monde 
créé,  par  le  raisonnement,  mais  ce  n'est  ni  sans 
efforts,  ni  sans  travaux,  ni  surtout  sans  danger 
d'erreurs,  efforts  et  travaux  dont  tout  le  monde  n'est 
pas  capable,  erreurs  auxquelles  n'échappent  pas 
toujours  même  les  plus  sages.  D'où  la  nécessité 
morale  de  la  révélation  divine  qui,  de  prime  abord 
et  sans  nulle  peine,  met  en  possession  de  cette  vérité 
primordiale  les  simples  d'esprit  et  les  ignorants, 
la  leur  communique  dans  sa  pureté  native,  sans  le 
moindre  mélange  d'erreur  et  avec  pleine  sécurité. 

III.  Définition 
du  Concile  du  Vatican 

Le  dernier  concile  œcuménique  avait  une  im- 
mense tâche  à  remplir,  qu'il  ne  put  mener  à  bon 
terme  à  cause  des  circonstances  politiques,  qui 
vinrent  interrompre  ses  travaux  ;  quelques  résultats 
doctrinaux,  et  non  des  moins  importants,  ont  été 
atteints,  notamment  sur  les  forces  qu'on  doit  recon- 
naître à  la  raison  humaine. 

Pie  IX  légitimait  de  la  manière  suivante  la  réunion 
du  concile  ;  il  disait  entre  autres  choses  :  «  Alors 
est  née  et  s'est  malheureusement  trop  répandue  dans 
tout  l'univers,  cette  doctrine  du  rationalisme  ou  du 
naturalisme,  qui,  se  mettant  de  tous  points  en 
opposition  avec  la  religion  chrétienne,  à  raison  du 
caractère  surnaturel  de  cette  institution,  s'applique 


388  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

avec  les  plus  grands  efforts  à  exclure  Jésus-Christ, 
notre  unique  Seigneur  et  Sauveur,  de  la  pensée  des 
hommes,  de  la  vie  et  des  mœurs  des  peuples,  pour 
établir  le  règne  de  ce  qu'on  appelle  la  pure  raison 
ou  la  nature.  Mais  après  avoir  abandonné  et  rejeté 
la  religion  chrétienne,  après  avoir  renié  le  vrai 
Dieu  et  son  Christ,  plusieurs  ont  laissé  tomber  leur 
intelligence  dans  le  gouffre  du  panthéisme,  du 
matérialisme,  de  l'athéisme,  et  niant  la  spiritualité 
de  la  raison  et  toute  règle  de  la  justice  et  de  la 
vertu,  ils  unissent  leurs  efforts  pour  saper  les  fon- 
dements les  plus  profonds  de  la  société  humaine. 

«  Par  le  fait  de  cette  impiété  qui  s'est  propagée 
de  tous  côtés,  il  est  malheureusement  arrivé  que 
plusieurs  même  des  enfants  de  l'Eglise  catholique 
se  sont  écartés  du  chemin  de  la  véritable  piété,  et 
que  le  sens  catholique  s'est  émoussé  en  eux  par 
suite  de  l'amoindrissement  progressif  des  vérités. 
Entraînés  par  toutes  sortes  de  doctrines  étrangères 
et  faisant  un  alliage  mal  ordonné  de  la  nature  et  de 
la  grâce,  de  la  science  et  de  la  foi  divine,  l'expérience 
le  montre,  ils  dénaturent  la  signification  véritable 
des  dogmes  admis  et  enseignés,  et  ils  mettent  en 
péril  l'intégrité  et  la  pureté  de  la  foi. 

«  Au  spectacle  de  toutes  ces  erreurs,  comment  se 
pourrait-il  faire  que  l'Eglise  ne  fût  émue  au  plus 
profond  de  ses  entrailles  ?  Car,  comme  Dieu  veut 
que  tous  les  hommes  soient  sauvés  et  arrivent  à  la 
connaissance  de  la  vérité,  comme  le  Christ  est  venu 
afin  de  sauver  ce  qui  était  perdu  et  de  réunir  dans 
l'unité  les  enfants  de  Dieu  qui  étaient  dispersés, 
ainsi  l'Eglise,  constituée  par  Dieu  la  mère  et  la  maî- 
tresse des  peuples,  a  le  sentiment  de  ses  devoirs 
vis-à-vis  de  tous  les  hommes  ;  elle  est  toujours  prêta 
et  attentive  à  relever  ceux  qui  sont  tombés,  à  soute- 
nir ceux  qui  chancellent,  à  recevoir  dans  ses  braa 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  38g 

ceux  qui  reviennent  à  elle,  à  confirmer  ceux  qui 
sont  dans  le  bien,  et  à  les  poussera  un©  plus  grande 
perfection.  Aussi  ne  peut-elle  s'abstenir  à  aucun 
moment  d'affirmer  et  de  prêcher  la  vérité  divine 
qui  guérit  tout  ;  car  elle  n'ignore  pas  que  c'est  à 
elle  qu'il  a  été  dit  :  «  Mon  esprit  qui  est  en  toi  et 
mes  paroles  que  j'ai  mises  en  ta  bouche  ne  cesseront 
d'être  sur  tes  lèvres  maintenant  et  à  jamais  (i).  » 

C'est  au  concile  du  Vatican,  en  effet,  que  l'Eglise, 
cette  prétendue  ennemie  de  la  raison,  a  défendu  les 
droits  de  la  raison  et  a  solennellement  proclamé  et 
défini  son  pouvoir  d'arriver,  par  ses  seules  forces,  à 
la  connaissance  de  l'existence  de  Dieu.  «  La  même 
sainte  Eglise,  lisons-nous,  tient  et  enseigne  que,  par 
la  lainière  naturelle  de  la  raison  humaine,  Dieu,  prin- 
cipe et  fin  de  toutes  choses,  peut  être  connu  avec  cer- 
titude, au  moyen  des  choses  créées  ;  car,  depuis  la 
création  du  monde,  ses  invisibles  perfections  sont  vues 
par  V intelligence  des  hommes,  au  moyen  des  êtres  qu'il 
a  faits  ;  que,  néanmoins,  il  a  plu  à  la  sagesse  et  à 
la  bonté  de  Dieu  de  se  révéler  lui-même  et  les 
éternels  décrets  de  sa  volonté  par  une  autre  voie,  et 
cela  par  une  voie  surnaturelle.  C'est  ce  que  dit 
l'apôtre  :  «  Après  avoir  parlé  autrefois  à  nos  pères 
et  à  plusieurs  reprises  et  de  plusieurs  manières  par 
les  prophètes,  pour  la  dernière  fois,  Dieu  nous  a 
parlé  de  nos  jours  par  son  Fils  (2).  »  Après  cet 
exposé  de  doctrine,  le  concile  a  porté  le  canon 
suivant  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  le  Dieu  unique 
et  véritable,  notre  Créateur  et  Seigneur,  ne  peut  être 
connu  avec  certitude  par  la  lumière  naturelle  de  la 
raison  humaine,  au  moyen  des  êtres  créés  (3).  » 

1.  Constitution  Dei  Filius,  546  ;  le  texte  est  pris  dans  Isaïe, 
lix,  ai.  —  2.  Ibid.,  ch.  n,  S  1  ;  le  texte  cité  est  de  l'Epître  aux 
Hébreux,  1,  1-2.  —  3.  Ibid.,  De  révélât.,  canon  1. 


3oo  le  catéchisme  romain 

Que  désirer  de  plus  clair,  de  plus  formel  et  de 
plus  autorisé  ?  C'est  donc  un  dogme  de  foi  catholi- 
que que  Dieu  peut  être  connu  avec  certitude,  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  par  le  moyen  des 
créatures.  Un  tel  langage,  un  tel  enseignement,  s'ils 
étaient  plus  connus,  ne  seraient  pas  sans  étonner 
tous  ceux  qui,  parmi  nos  contemporains,  ne  cessent 
de  dire,  de  répéter  et  d'écrire  que  l'Eglise  méconnaît 
la  valeur  de  la  raison  humaine.  Du  reste,  à  pour- 
suivre l'étude  des  décisions  du  concile,  cet  étonne- 
ment  ne  pourra  que  croître.  Remarquons  ici  avec 
quelle  sagesse  l'Eglise  formule  et  le  pouvoir  radical 
de  la  raison,  et  la  méthode  qu'elle  doit  employer, 
et  la  certitude  des  conclusions  qu'elle  tire,  et  la 
connaissance  qu'elle  acquiert.  Oui,  l'homme  peut 
arriver  à  la  connaissance  de  Dieu.  Il  a  pour  cela  en 
lui-même  la  lumière  naturelle  de  la  raison  et  il  se 
sert  des  créatures.  Sa  connaissance  n'est  pas  vaine 
ou  discutable  :  elle  a  une  valeur  logique  et  certaine. 
Et  sa  connaissance  atteint  Dieu,  principe  et  fin  de 
toutes  choses,  le  Dieu  unique  et  véritable,  notre 
Créateur  et  Seigneur.  Tout  cet  enseignement  trouve 
sa  justification  dans  le  texte  célèbre  de  l'Epître  aux 
Hébreux.  Disons  donc  quelques  mots  sur  ces  divers 
points,  pour  mettre  en  lumière  autant  que  possible 
et  pour  caractériser  nettement  la  pensée  et  la  doc- 
trine des  Pères  du  concile. 

Abstraction  faite  de  toute  considération  historique, 
sans  tenir  compte  des  divers  états  dans  lesquels 
l'homme  a  vécu  ou  aurait  pu  vivre,  et  rien  qu'à 
envisager  la  nature  humaine  avec  son  pouvoir  pro- 
pre, les  Pères  du  concile  estiment  que  la  manifes- 
tation objective  de  Dieu  par  les  créatures  s'adapte 
à  l'organisation  de  la  raison  humaine  et  que  la 
raison  humaine  possède  ce  qu'il  faut  pour  se  con- 
vaincre, par  cette  manifestation,   de   la  réalité  de 


DEFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  3g  I 

l'existence  de  Dieu.  La  connaissance  de  Dieu  par  la 
raison  est  donc  chose  possible. 

Ce  qui  la  rend  possible,  c'est  la  lumière  naturelle 
de  la  raison  humaine.  Il  est  question  de  lumière 
par  comparaison  avec  la  lumière  physique  qui 
permet  à  la  vue  de  saisir  les  objets  sensibles  ; 
mais  il  s'agit  ici  d'une  lumière  intellectuelle 
qui  permet  à  la  raison  de  connaître  les  vérités 
d'ordre  naturel.  Cette  lui  mère  intellectuelle  est 
qualifiée  de  naturelle  parce  qu'elle  répond  à  la  nature 
de  l'homme,  qu'elle  est  de  même  ordre,  de  même 
qualité,  par  opposition  avec  la  lumière  surnaturelle 
qui,  infusée  par  la  grâce,  fait  accepter  par  la  foi  les 
vérités  révélées.  Et  il  s'agit  de  la  raison  humaine, 
c'est-à-dire  de  la  faculté  que  possède  l'homme  de 
connaître  les  premiers  principes  et  d'en  déduire  des 
conséquences.  Au  moyen  donc  de  cette  lumière,  la 
raison  peut  arriver  à  se  convaincre  de  l'existence  de 
Dieu,  sans  avoir  à  s'appuyer  soit  sur  la  révélation, 
soit  sur  la  tradition  ou  l'enseignement. 

Le  concile  indique  en  outre  le  moyen  extérieur 
qui  manifeste  l'existence  de  Dieu  ;  ce  sont  les  créa- 
tures, les  êtres  contingents.  Au  lieu  donc  d'admettre 
avec  les  ontologistes  que  la  notion  de  Dieu  est  en 
nous  à  l'état  habituel  et  inconscient  et  que  les 
créatures  ne  sont  qu'une  cause  occasionnelle  qui 
rend  cette  notion  distincte  et  consciente,  les  Pères 
du  Vatican,  en  indiquant  ce  moyen  externe,  favo- 
risent la  manière  de  voir  de  saint  Thomas  et  de 
presque  tous  les  théologiens,  d'après  laquelle  la 
connaissance  de  Dieu  est  une  vérité  acquise  et 
médiate,  les  créatures  servant  de  moyen  nécessaire 
pour  l'acquérir. 

De  plus,  à  rencontre  des  positivistes  français  et 
des  agnostiques  anglais,  qui  prétendent  que  l'exis- 
tence de  Dieu  ne  peut  être  prouvée  avec  une  entière 


3g 2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

certitude  et  que  les  arguments  qu'on  en  donne  ne 
sont  pas  au-dessus  de  toute  discussion  ;  à  l'encontre 
également  des  .traditionalistes,  d'après  lesquels  la 
raison  seule  ne  peut  donner  sur  les  vérités  religieuses 
que  des  probabilités,  le  concile  déclare  certaine 
cette  connaissance  rationnelle  de  Dieu. 

Mais  jusqu'où  s'étend  cette  connaissance   ration- 
nelle ?  Le  concile  l'a  déjà  insinué  dans  le  premier 
chapitre  de  sa  constitution,  par  la   condamnation 
de  l'athéisme  et  du  panthéisme  ;  il  y  traite  de  l'exis- 
tence et  des  attributs  de  Dieu,  dont  la  foi  suppose 
la  connaissance  rationnelle  déjà  acquise  ;  car  il  y 
aurait  cercle  vicieux  à  exiger  comme  condition  de 
la  foi  une  connaissance  de  Dieu  que  la   foi    seule 
pourrait  donner.   Mais,   ici,  au  chapitre  second,  le 
concile  indique   formellement,  en  quelques  mots, 
la  notion  de  Dieu  que  la  raison  peut  avoir  et  il  la 
résume  dans  ces  deux  formules  :  Dieu,  principe  et 
fin  de  toute  choses  ;  Dieu  unique  et  véritable,  notre 
Créateur  et  Seigneur.  Dieu,  principe  et  fin  de  toute 
choses,  voilà  une  donnée  intellectuelle,  qui  renferme 
d'autres  vérités  et  les  suppose  logiquement.  Dieu, 
unique    et   véritable,   Créateur  et   Seigneur,   voilà 
encore  quelques  attributs  caractéristiques  de  Dieu, 
que  la  raison  peut  connaître.  Sans  doute  le  concile 
n'a  pas  entendu  définir  que  la  raison  peut  connaître 
avec  certitude  l'unité  de  Dieu,  la  vraie  nature  de 
Dieu,  le  mystère  de  la  création  ex  nihilo',  sa  défini- 
tion, plus  restreinte,  ne  porte  que  sur  la  possibilité 
de  la  connaissance  certaine  de  l'existence  de  Dieu 
par  les  lumières  de  la  raison,  au  moyen  des  créatu- 
res. Là  est  le  dogme  de  foi.  Mais  il  n'en  reste  pas 
moins   certain,  d'après  le  concile,  qu'à  la  lumière 
de  la  raison  Dieu  peut  être  connu  comme  principe 
et  fin.  En  fait  la  plupart  des  vérités,  qui  entrent 
dans  la  notion  complète  de  Dieu,  se  démontrent 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  3^3 

rationnellement.  Mais  qui  ne  sait,  par  l'histoire  des 
religions  et  de  la  philosophie,  combien  d'erreurs  se 
sont  mêlées  à  l'idée  de  Dieu,  et  combien  sont  rares 
ceux  qui  ont  pu  parvenir  à  une  connaissance  satis- 
faisante de  Dieu.  Aussi  la  constatation  de  ces  faits 
sera-t-elle  invoquée  comme  un  argument  pour 
démontrer  la  nécessité  morale  d'une  révélation. 

Le  concile  appuie  sa  doctrine  sur  ce  texte  de 
saint  Paul,  ponctué  de  la  manière  suivante  :  «  Invi- 
sibilia  enim  ipsius,  a  creatura  mundi,  per  ea  quae  facta 
sunt,  intellecta,  conspiciuntur  (i).  »  La  virgule,  pla- 
cée après  intellecta,  fixe  authentiquement  la  lecture 
de  ce  verset  et  détermine,  semble-t-il,  la  significa- 
tion de  ces  mots  :  a  creatura  mundi,  dans  lesquels, 
parmi  les  interprètes,  les  uns  voyaient  la  créature 
raisonnable  par  qui  Dieu  est  connu,  les  autres  celle 
au  moyen  de  laquelle  on  connaît  Dieu,  d'autres 
encore  la  date  depuis  laquelle  Dieu  est  connu  natu- 
rellement, c'est-à-dire  depuis  la  création.  C'est  ce 
dernier  sens  qui  paraît  le  plus  naturel. 

Or  ce  verset  se  trouve  encadré  dans  la  preuve 
que  donne  saint  Paul  que  la  justification  par  l'évan- 
gile a  été  un  don  gratuit  pour  les  gentils  et  pour  les 
juifs.  L'apôtre  rappelle  que,  suivant  l'enseignement 
de  la  révélation,  c'est  la  foi  en  l'évangile  qui  sauve. 
Il  l'établit  notamment  pour  les  gentils,  en  montrant 
qu'ils  avaient  besoin  de  cette  foi,  sans  y  avoir  le 
moindre  droit,  attendu  que  leur  idolâtrie  et  leurs 
fautes  appelaient  sur  leur  tête  la  colère  de  Dieu. 
u  II  est  révélé,  dit-il,  que  la  colère  de  Dieu  menace 
du  ciel  la  souveraine  impiété  (l'idolâtrie)  et  l'injus- 
tice (les  autres  fautes)  de  ces  hommes  qui  retiennent 
la  vérité  de  Dieu  cachée  dans  leur  injustice.  En 
effet,   ce  que  l'on  sait  (naturellement)  de  Dieu  se 

x.  Rom.,  i,  20. 


3g4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

manifeste  en  eux  (comme  la  loi  naturelle,  par 
exemple),  vu  que  Dieu  l'a  manifesté  en  eux.  Car 
depuis  la  création  da  monde,  ses  invisibles  perfections 
sont  vues  par  notre  intelligence  au  moyen  des  êtres 
qu'il  a  faits)  ainsi  que  son  éternelle  puissance  et  sa 
divinité.  De  sorte  qu'ils  sont  inexcusables  parce 
que,  ayant  connaissance  de  Dieu,  ils  ne  l'ont  pas 
glorifié  ni  remercié  comme  Dieu,  mais  ils  se  sont 
perdus  dans  leurs  raisonnements,  et  leur  cœur 
irréfléchi  s'est  rempli  d'obscurité  (i).  »  De  tout  ce 
passage,  le  concile  n'a  retenu  que  les  mots  souli- 
gnés ;  et  c'est  là  qu'il  a  vu  un  témoignage  révélé  en 
faveur  de  son  enseignement  sur  la  possibilité  de  la 
connaissance  rationnelle  de  l'existence  de  Dieu.  Mais 
saint  Paul  va  plus  loin  ;  avant  et  après  ce  verset  20, 
il  affirme  le  fait  que  les  païens  ont  réellement  connu 
Dieu,  et  c'est  précisément  cette  connaissance  réelle, 
dont  ils  ne  tenaient  pratiquement  aucun  compte, 
qui  les  rendait  «  inexcusables.  » 

IV.  Puissance  de  la  raison 

1.  La  raison,  par  ses  seules  forces,  est  capable  de 
se  démontrer  l'existence  de  Dieu  :  telle  est  la  vérité 
définie  par  le  concile  du  Vatican  ;  et  nous  venons  de 
voir  par  quels  moyens  et  dans  quelle  mesure  elle 
peut  s'élever  à  la  connaissance  de  Dieu. 

La  raison,  en  effet,  est  naturellement  faite  pour  la 
conquête  et  la  possession  du  vrai  ;  mais  elle  n'y 
parvient  pas  toujours  du  premier  coup  ;  sa  marcha 
est  parfois  lente,  et  tel  est  le  cas  pour  l'existence  da 
Dieu.  Car,  cette  vérité  ne  ressort  pas  de  Févidence 
immédiate  des  termes  qui  servent  à  la  formuler  ; 

1.  Rom.,  h  18-21. 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  3o,5 

elle  se  démontre  logiquement,  non  pas  a  priori, 
c'est-à-dire  par  la  cause,  mais  a  posteriori  par  les 
effets.  Dieu,  étant  sans  cause,  échappe  par  là  même 
à  une  démonstration  a  priori  ;  étant  la  cause  des 
causes,  son  existence  peut  être  démontrée  a  posteriori. 
Sans  doute,  l'effet,  n'étant  pas  proportionné  à  la 
cause,  ne  saurait  en  donner  une  connaissance  adé- 
quate, parfaite  ;  il  sert  du  moins  et  il  suffit  à  en 
prouver  rigoureusement  l'existence.  Par  suite,  les 
créatures,  bien  qu'impuissantes  à  nous  faire  connaî- 
tre Dieu  dans  son  essence  complète,  démontrent  ce- 
pendant son  existence  d'une  manière  irréfutable.  Et 
ce  procédé  de  démonstration  s'impose  ;  car,  si  Dieu 
est  le  premier  dans  l'ordre  de  l'être  au  point  de 
vue  ontologique,  il  n'est  pas  le  premier  dans  l'ordre 
de  notre  connaissance.  Aussi  la  seule  voie  qui  s'offre 
à  nous  c'est  de  nous  élever  jusqu'à  lui  en  partant 
des  créatures,  en  remontant  des  effets  à  leur  cause 
première. 

2.  Nous  constatons,  tant  par  l'expérience  interne 
que  par  l'expérience  externe,  qu'il  y  a  des.  substances 
et  des  causes  :  des  substances,  c'est-à-dire  des  entités 
qui  servent  de  support  aux  divers  phénomènes  sen- 
sibles ;  des  causes,  c'est-à-dire  de  véritables  agents 
d'action  ;  d'autre  part,  nous  possédons  l'idée  claire 
de  certains  principes  nécessaires  et  absolus,  par 
exemple,  celui-ci  :  Le  tout  est  plus  grand  que  la 
partie.  Or,  parmi  ces  principes,  se  trouve  le  prin- 
cipe général  de  raison  suffisante,  qui  s'applique  à 
tous  les  êtres  sans  exception  et  qui  se  formule  ainsi: 
Tout  ce  qui  est  a  sa  raison  d'être  en  soi  ou  dans  un 
autre.  Ce  principe,  appliqué  aux  êtres  qui  naissent  ou 
commencent  d'exister  pour  disparaître  ensuite,  est 
proprement  le  principe  de  causalité:  Tout  ce  qui 
commence  a  une  cause.  Aristote  disait  et  saint  Tho- 
mas a  répété  :  Tout  ce  qui  passe  de  la  puissance  à 


396  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'acte  est  mû  par  un  autre.  Rien  de  plus  exact,  déplus 
certain.  Equdvalemment  on  peut  dire  :  Tout  chan- 
gement est  produit  par  une  cause  ;  tout  phénomène 
a  une  cause  ;  rien  n'arrive  sans  une  raison  suffi- 
sante. 

3.  C'est  justement  l'application  de  ce  principe  de 
causalité,  de  raison  suffisante,  qui  permet  à  notre 
raison  de  conclure  légitimement  à  l'existence  de 
Dieu  ;  mais  c'est  aussi  ce  principe  qu'on  a  essayé 
de  battre  en  brèche,  pour  interdire  à  la  raison  le 
droit  de  conclure  à  l'existence  de  Dieu.  Hume, 
Stuart  Mill  et  la  plupart  des  positivistes  suppri- 
ment donc  le  principe  de  causalité  et  se  contentent 
de  dire  :  tout  phénomène  a  un  antécédent.  Mais  c'est 
là  déclarer  simplement  qu'entre  les  phénomènes  il 
n'y  a  pas  d'autre  rapport  que  celui  de  succession, 
sans  aucun  lien  de  causalité,  et  méconnaître  abusi- 
vement ce  rapport  très  particulier  qui  fait  que  tel 
phénomène  n'existe  que  parce  qu'il  a  sa  raison 
d'être  dans  une  cause  antérieure  ;  la  causalité  im- 
plique succession,  mais  elle  n'est  pas  qu'un  pur 
phénomène  antécédent,  elle  produit  en  réalité  le 
phénomène  qui  suit,  elle  est  vraiment  cause,  ce  qui 
est  fort  différent. 

4.  Kant,  de  son  côté,  dans  sa  Critique.de  la  raison 
pure,  a  essayé  de  ruiner  le  principe  de  causalité.  Il 
n'a  voulu  y  voir  qu'une  manière  habituelle  de 
juger,  tenant  à  la  nature  de  notre  esprit,  d'ordre 
par  conséquent  purement  subjectif,  indiquant  bien 
ce  qui  se  passe  en  nous  au  point  de  vue  intellectuel, 
mais  ne  garantissant  pas  le  moins  du  monde  que  cela 
se  passe  de  même  hors  de  nous  dans  la  réalité  objec- 
tive, et  que,  par  suite,  les  phénomènes  constatés  aient' 
une  cause  réelle.  Aussi  rejette^t-il  les  preuves  de 
l'existence  de  Dieu  qui  s'appuient  sur  ce  principe 
de  causalité.  Après   avoir  nié  que  la  raison  pure 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  3 97 

pût  atteindre  sous  le  phénomène  le  noumène,  la 
réalité,  c'est-à-dire  les  substances  et  les  causes,  et 
par  conséquent  Dieu  et  le  monde,  il  a  essayé  d'un 
expédient  pour  sauvegarder  quand  même  la  vérité 
objective  de  l'existence  de  Dieu  ;  il  a  donc  recouru  a 
la  raison  pratique  qui  lui  a  montré  la  loi  du  devoir, 
inconditionnelle  et  absolue,  s'imposant  à  nous 
comme  un  impératif  catégorique,  et  prouvant  par  là 
même  l'existence  réelle  d'un  législateur,  de  Dieu. 
Mais  ce  n'est  là  qu'une  inconséquence,  condamnée 
d'avance  par  la  critique  de  la  raison  pure,  car  il  n'y 
a  pas  deux  raisons  en  nous,  l'une  spéculative,  l'autre 
pratique  ;  il  n'y  en  a  qu'une,  et  c'est  la  même  rai- 
son qui  découvre  les  lois  de  la  pensée  pure  et  celles 
de  la  volonté,  les  règles  de  la  logique  et  celles  de 
la  morale,  qui  tantôt  s'exerce  dans  le  domaine  de  la 
spéculation  et  tantôt  dans  celui  de  la  pratique. 

5.  Kant  s'est  donc  abusé;  son  subjectivisme  doit 
être  résolument  écarté.  Il  a  eu  tort  de  prendre  le  prin- 
cipe de  causalité  au  sens  purement  empirique  ;  car  ce 
principe  n'est  pas  la  simple  constation  de  faits 
sensibles  ou  d'une  succession  de  phénomènes  sans 
lien  intime  et  réel  entre  eux.  Il  implique  nécessai- 
rement une  relation  d'ordre  particulier  qui  fait  que 
tel  phénomène  n'existe  que  parce  qu'il  dépend  d'un 
autre  comme  l'effet  dépend  de  sa  cause.  Car,  pour 
être,  tout  phénomène  exige  une  force  proportion- 
née qui  le  fasse  être  et  être  ce  qu'il  est  ;  pour  passer 
de  la  puissance  à  l'acte,  il  lui  faut  une  cause  qui 
l'actue.  Ce  principe  s'entend  de  la  causalité  méta- 
physique, dans  laquelle  il  ne  s'agit  plus  de  phéno- 
mènes qui  ne  font  que  se  succéder,  mais  d'une 
cause  supérieure  aux  phénomènes.  Or,  cette  causa- 
lité-là, nous  l'atteignons  et  la  connaissons  en  nous 
par  la  conscience.  Car  nous  nous  connaissons 
comme    une  cause  réelle   et  vraie,  antérieure  aux 


398  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

^  -  ■■       I  -       -  ■  ■  I  —     -M~       ■  —     .—  .    ■-  ■  .  |      ,  .        .  Mmt 

effets  que  nous  produisons,  et  leur  survivant,  c'est- 
à-dire  comme  un  être  identique  et  permanent.  Dire 
en  ce  sens  qu'il  n'y  a  pas  d'effet  sans  cause,  c'est 
faire  entendre  qu'il  y  a  hors  de  nous  des  causes 
semblables  à  celles  que  nous  trouvons  en  nous,  des 
êtres  identiques  et  permanents  comme  nous,  c'est- 
à-dire  des  causes  métaphysiques.  Et  cela  suffit  pour 
conclure  légitimement,  au  nom  de  ce  principe  de 
causalité,  de  la  constatation  de  certains  faits  à 
l'existence  d'une  cause,  que  celle-ci  soit  ou  non 
accessible  en  elle-même,  sous  peine  de  tomber  dans 
le  scepticisme  et  de  douter  de  tout,  même  de  l'évi- 
dence. Cela  étant,  l'emploi  judicieux  du  principe 
de  causalité  et  de  raison  suffisante  nous  autorise  à 
chercher  la  raison  dernière,  la  cause  première  de 
tout  ce  qui  est.  et  à  les  trouver  en  Dieu. 

6.  Des  lors  de  quel  droit  les  positivistes  rigoureux 
dénient-ils  à  la  raison  le  pouvoir  de  s'exercer  dans 
le  domaine  qu'ils  appellent  l'inconnaissable  ?  d'au- 
tant que  la  raison  n'y  pénètre  pas  sans  partir  de 
données  positives.  C'est  décréter  a  priori  qu'il  n'y  a 
de  connaissances  que  les  connaissances  expérimen- 
tales et  tout  ramener  de  parti  pris  à  la  méthode  des 
sciences.  Moins  inconséquent,  l'un  d'entre  eux, 
Herbert  Spencer,  proclame  du  moins  l'existence  de 
l'Inconnaissable  ;  et  si,  après  avoir  proclamé  son 
existence,  il  se  refuse  à  chercher  à  le  connaître, 
libre  à  lui  ;  il  n'a  pas  le  droit  d'interdire  aux  autres 
cette  recherche,  ni  surtout  celui  de  la  frapper  de 
suspicion,  de  la  déclarer  illogique  et  vaine,  car  c'est 
là  mutiler  la  raison. 

Ce  n'est  pas,  évidemment,  à  une  époque  comme 
la  nôtre,  qu'on  peut  refuser  à  la  raison  une  force 
d'investigation  et  une  action  couronnée  de  succès 
éclatants  dans  tous  les  domaines  de  l'expérience  : 
les  progrès  merveilleux  des  sciences  sont  là  pour 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  3()C) 

prouver,  clair  comme  le  jour,  le  bonheur  de  ses 
initiatives  et  de  ses  travaux  ;  mais  ce  n'est  pas  un 
motif  suffisant  pour  lui  interdire,  dans  des  domaines 
différents,  d'autres  initiatives  et  d'autres  travaux. 
Il  n'y  a  pas,  en  effet,  que  des  vérités  d'ordre  pure- 
ment expérimental  ;  il  en  est  d'un  autre  ordre  qui 
ne  sont  ni  moins  utiles  ni  moins  fécondes  ;  et  la 
philosophie  a  quelque  droit  sans  aucun  doute  à 
utiliser  la  raison  dans  son  domaine  propre,  et  au 
moyen  d'une  méthode  à  elle,  pour  poursuivre  les 
plus  beaux  travaux  de  la  pensée  humaine  ;  et  la 
religion,  à  son  tour,  loin  de  méconnaître  la  valeur 
de  la  raison,  la  suppose  avant  tout,  s'appuie  sur 
elle,  travaille  avec  elle,  requiert  sans  cesse  son  con- 
cours nécessaire,  même  clans  les  questions  où  le 
dernier  mot  doit  rester  à  la  foi.  Encore  une  fois  de 
quel  droit  interdire  à  la  raison  l'emploi  de  ses 
facultés  ailleurs  que  dans  les  sciences  naturelles  ? 

7.  La  raison  est  faite  pour  la  vérité  dans  tous  les 
ordres  ;  la  vérité  est  son  objet  propre,  connaturel. 
Qu'elle  arrive,  par  son  libre  jeu,  à  la  connaissance 
des  vérités  naturelles  ;  qu'elle  découvre  les  lois  du 
monde  physique  et  les  rapports  des  substances 
matérielles  entre  elles  ;  qu'elle  fasse  de  ces  connais- 
sances, de  ces  lois  et  de  ces  rapports,  une  science, 
où  les  principes  conduisent  à  des  conclusions,  et 
où  les  progrès  enfantent  de  nouveaux  progrès,  rien 
de  mieux.  Mais  ne  peut-elle  également  pénétrer 
dans  le  monde  métaphysique  et  moral  ?  Qui  donc 
pourrait  l'en  empêcher  ?  Insister  serait  vraiment 
trop  faire  injure  au  bon  sens  et  plaider  une  cause 
évidente  et  incontestable  ;  car,  depuis  que  l'homme 
existe,  il  n'a  jamais  cessé  un  seul  instant  de  philo- 
sopher, c'est-à-dire  de  chercher  à  se  rendre  compte 
de  la  raison  de  tout  ce  qu'il  voit  autour  de  lui,  de 
tout  ce  qu'il  constate  en  lui-même. 


4ûO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

—      i  ■■        i  ■■  ,._■ .  i.  ■■■ ■ !      m,      — —  ■  i  i»l^ ^^ 

Et  c'est  pourquoi,  en  face  des  phénomènes  de 
conscience  dont  il  est  le  théâtre  et  le  témoin,  en 
présence  des  phénomènes  variés  qui  Tentourent  et 
dans  lesquels  il  se  meut,  l'homme  raisonnable 
entend  dégager  l'inconnue  qui  s'y  cache  et  déchiffrer 
le  mot  de  l'énigme.  Les  questions  se  pressent  dans 
son  esprit.  Il  existe  ;  mais  qu'est-il  ?  d'où  vient-il  ? 
où  va  t-il  ?  D'autres  êtres  existent  à  côté  de  lui,  qui 
pourraient  ne  pas  exister  ;  il  y  a,  dans  le  monde, 
de  la  vie,  du  mouvement,  de  l'ordre.  Y  a-t-il  une 
cause  à  tout  cela  ?  Et  cette  cause  peut-il  en  affirmer 
l'existence  ?  peut  il  parvenir  à  dire  un  peu  ce  qu'elle 
est  ?  Oui,  pense-t-il,  et  il  estime  ne  pas  s'abuser. 
C'est  plus  qu'il  ne  lui  en  faut  pour  légitimer  ses 
recherches  et  l'assurer  de  n'avoir  pas  travaillé  en 
pure  perte. 

1.  Le  pouvoir  de  la  raison.  —  «  Au  fond,  les  erreurs, 
les  extravagances,  les  fluctuations,  les  contradictions 
des  systèmes  philosophiques  qui,  en  dehors  du  christia- 
nisme, se  sont  élevés  sur  les  ruines  les  uns  des  autres, 
voilà  le  grand  argument  de  Montaigne,  de  Pascal  et  du 
P.  Ventura,  et  de  tous  ceux  qui  ont  cru  bien  servir  la 
religion  en  attaquant  la  philosophie.  Or,  cet  argument 
ne  prouve  rien,  parce  qu'il  prouverait  trop  ;  s'il  vaut  con- 
tre la  métaphysique,  il  vaudra  contre  toutes  les  sciences 
humaines  ;  car  en  toutes  on  s'est  battu,  en  toutes  on  s'est 
trompé,  en  toutes  les  systèmes  ont  succédé  aux  systèmes. 
Mais,  pour  ne  considérer  que  la  philosophie,  est-ce  à  dire 
que,  dans  cette  mêlée,  rien  ne  surnage,  qu'aucune  vérité 
stable  et  définitivement  établie  ne  se  dégage  des  contro- 
verses, et  qu'il  n'y  ait,  pour  le  spectateur  de  la  lutte, 
aucun  moyen  de  discerner  de  quel  côté  est  le  bon  droit  ? 
Quand  Socrate  combat  les  sophistes  avec  son  bon  sens  et 
donne,  le  premier,  une  forme  régulière  à  la  preuve  de 
l'existence  de  Dieu  tirée  de  l'ordre  de  la  nature,  quand 
Platon  ouvre  à  la  raison  qui  cherche  Dieu  le  chemin  de  la 
dialectique,  quand  Aristote  conclut  du  fait  du  mouve- 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  4oi 


ment  la  nécessité  d'un  premier  moteur,  quand  les  stoï- 
ciens défendent  l'idée  de  l'honnête  contre  la  volupté 
épicurienne,  est-ce  que  ces  hautes  vérités  périssent  dans 
la  décadence  de  leurs  écoles  ?  est-ce  que  ces  patriciens  de 
la  philosophie,  comme  on  les  a  heureusement  appelés, 
n'ont  pas  légué  aux  âges  suivants  quelques-uns  des  maté- 
riaux et  quelques-uns  des  procédés  d'une  métaphysique 
indestructible  ?  La  vérité,  je  l'avoue,  n'était  chez  eux  ni 
complète,  ni  pure  ;  mais  elle  y  était,  et  l'étude  de  leurs 
doctrines  établit  du  même  coup  les  deux  thèses  fonda- 
mentales de  la  philosophie  chrétienne  :  premièrement, 
que  la  raison  est  capable  de  trouver  Dieu  ;  secondement, 
qu'elle  est  exposée  à  se  tromper  dans  sa  recherche,  et 
qu'en  devenant  chrétienne,  elle  acquiert  tout  à  la  fois  une 
portée  et  une  sûreté  qu'elle  n'a  pas  en  dehors  du  christia- 
nisme. Mais,  qu'on  me  permette  de  le  dire,  ce  serait  une 
pusillanimité  misérable  de  n'oser  suivre  la  raison  dans 
une  voie  qui  est  la  sienne  à  cause  des  chutes  qu'elle  peut 
y  faire,  et  des  mauvaises  routes  où  elle  peut  s'engager  par 
sa  faute.  J'aimerais  autant  dire  qu'il  faut  renoncer  à  agir 
et  se  croiser  les  bras,  parce  qu'en  agissant,  on  s'exposerait 
à  mal  user  de  sa  liberté.  Non,  le  serviteur  qui  enfouit 
son  talent  en  terre  n'est  pas  un  bon  serviteur,  et  c'est  mal 
répondre  aux  vues  de  la  Providence  que  de  ne  point  exer- 
cer, dans  leur  sphère  légitime,  les  facultés  dont  elle  nous 
a  pourvus.  Gomme  elle  nous  a  donné  la  volonté  pour 
l'appliquer  à  son  objet,  qui  est  la  pratique  du  bien,  elle 
nous  a  donné  aussi  la  raison  pour  l'appliquer  au  sien,  à  la 
recherche  de  la  vérité  et  à  l'acquisition  de  la  sagesse, 
laquelle  dit  Bossuet,  consiste  à  connaître  Dieu  et  à  se 
connaître  soi-même.  «  De  Margerie,  Théodicée,  3"  édit., 
Paris,  1874,  t.  1,  p.  i32-i33. 

2.  Procédé  de  la  raison. —  «  De  quoi  sommes-nous  en- 
tourés ?  de  quoi,  étant  donnée  notre  organisation  intellec- 
tuelle, pouvons-nous  partir  ?  De  Dieu,  pour  descendre  à  ses 
œuvres  ?  Non,  mais  des  œuvres  de  Dieu  pour  remonter  à 
leur  auteur.  Notre  point  de  départ,  c'est  d'abord  le  monde 
extérieur  ;  puis,  c'est  notre  âme  où  nous  trouvons  ces 
idées  absolues,  dont  on  peut  bien  dire  qu'elles  ont  leur 

LE  CATÉCHISME.    —  T.    I.  â6 


£o2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


fondement  et  leur  substance  en  Dieu,  mais  non  pas 
qu'elles  sont  Dieu.  Découvrir  en  soi-même  ces  idées,  ce 
n'est  pas  avoir  l'intuition  de  Dieu,  c'est  apercevoir  le 
signe  visible  et  certain  d'une  réalité  cachée,  argumentum 
non  apparentïum.  Nous  les  apercevons  sans  doute  dans  la 
lumière  de  notre  raison,  qui  est  une  participation  de  la 
lumière  divine  ;  et  les  rayons  de  cette  lumière  nous  con- 
duisent, si  nous  savons  les  suivre,  jusqu'à  leur  éternel  et 
vivant  foyer.  Mais  à  quelles  conditions  ?  A  condition  que 
nous  les  prendrons  pour  ce  qu'ils  sont,  pour  des  rayons, 
pour  des  intermédiaires,  pour  des  degrés,  pour  des  routes 
qui  mènent  à  Dieu,  itinera  in  Deum  ;  à  condition  aussi 
qu'il  y  aura  en  nous  une  force,  un  ressort,  qui  nous  pous- 
seront jusqu'à  la  réalité  suprême,  je  veux  dire  à  condi- 
tion que  notre  raison  possédera  des  principes  évidents  et 
premiers,  qui  nous  obligeront  à  remonter  de  l'effet  à  la 
cause,  et  de  l'imparfaite  copie  au  modèle  divin.  Tel  est, 
en  effet,  le  procédé  de  la  raison  ;  tel  est  le  caractère  de 
cette  ascension  dialectique  qu'ont  opérée,  depuis  Platon, 
tous  les  grands  esprits  qui  se  sont  occupés  de  théodicée. 
Nous  arrivons  à  Dieu  par  des  échelons,  per  scalam,  per 
gradus,  en  suivant  ses  traces,  en  passant  par  ce  qui  le 
représente,  par  la  nature  extérieure,  par  l'âme  humaine, 
par  les  idées  absolues,  et  en  dépassant  ces  représentations 
incomplètes  à  l'aide  des  principes  nécessaires  delà  raison. 
Or,  que  faisons-nous  quand  nous  prenons  pour  point  de 
départ  un  fait  réel,  le  monde,  ou  le  moi,  ou  les  idées 
réellement  présentes  à  la  conscience  ?  nous  posons  une 
mineure.  Et  que  faisons-nous  quand  nous  prenons  pour 
point  d'appui  une  vérité  universelle  ?  nous  posons  une 
majeure.  Que  faisons-nous  enfin,  quand,  à  l'aide  du  point 
d'appui,  nous  dépassons  le  point  de  départ,  quand  nous 
nous  fondons  sur  le  principe  de  causalité  pour  deviner 
l'ouvrier  derrière  son  ouvrage,  le  modèle  derrière  sa 
copie,  la  réalité  substantielle  de  l'infini  derrière  ce  fait 
psychologique  qui  est  l'idée  de  l'infini  ?  nous  tirons  une 
conclusion.  Car  nous  accomplissons  ces  trois  opérations 
avec  une  rigueur  syllogistique,  latine  et  informis,  ou  en 
français,  tantôt  par  un  développement  oratoire,  tantôt  par 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  ^0$ 


un  rapide  élan  qui  transforme  le  syllogisme  en  un  enthy- 
mème  ou  l'argument  en  une  prière  ;  que  nous  suivions 
lentement  chacun  des  pas  de  la  démonstration,  ou  que 
nous  les  traversions  d'un  bond,  le  procédé  au  fond  reste 
le  même,  il  s'appelle  le  raisonnement  ;  le  résultat  est  le 
même  aussi,  il  s'appelle  la  démonstration. 

«  Je  ne  sais  pourquoi  on  s'effraye,  et  pourquoi  on 
s'imagine  qu'en  se  résignant  à  raisonner,  on  se  condamne 
ànepoint  sortir  des  abstractions.  Quand  on  raisonne  sur  des 
prémisses  abstraites,  comme  sont,  par  exemple,  les  défi- 
nitions de  la  géométrie,  c'est  à  des  conclusions  abstraites 
qu'on  arrive.  Mais  quand  on  résonne  sur  le  réel,  c'est  au 
réel  aussi  qu'on  aboutit.  Tel  sera  le  caractère  des  preuves 
sur  lesquelles  nous  établirons  l'existence  de  Dieu  :  con- 
formes aux  règles  les  plus  rigoureuses  de  la  logique,  elles 
atteindront  la  réalité  créatrice,  parce  qu'elles  s'appuient 
sur  la  réalité  créée,  non  pour  s'y  enfermer,  mais  pour  la 
dépasser.  »  Ibid.,  p.  i43-i44- 

3.  Aller  à  Dieu  de  toute  son  âme.  —  «  Il  y  a  dans 
l'âme  qui  cherche  Dieu  autre  chose  qu'un  mouvement  de 
la  pensée  qui  conçoit  l'infini  et  raisonne  sur  cette  idée  ;  il 
y  a  un  mouvement  de  l'amour.  Et  l'amour,  s'ajoutant  au 
raisonnement,  produit  en  nous,  outre  la  conviction  scienti- 
fique de  l'existence  de  Dieu,  l'impression  sensible  de  sa 
présence.  Oui,  il  y  a  en  nous  plus  qu'une  puissance  de 
raisonner  spéculativement  sur  la  nature  de  Dieu,  comme 
sur  la  notion  du  cercle  ou  du  triangle  ;  il  y  a  une  voix  du 
sang  qui  nous  crie  de  chercher  notre  père,  et  un  tact  du 
cœur  qui  nous  le  fait  deviner.  Nous  ne  le  voyons  pas,  car 
c'est  la  condition  de  la  vie  présente  et  l'épreuve  de  notre 
fidélité  qu'il  faille  l'aimer  à  travers  un  voile  ;  mais  nous 
sentons  qu'il  nous  enveloppe  et  nous  soutient,  nous 
entendons  sa  voix,  nous  reconnaissons  sa  main  aux  bien- 
faits qu'elle  répand,  sa  sagesse  et  sa  puissance  à  la  beauté 
de  son  ouvrage,  sa  sainteté  à  la  sainteté  même  de  la  loi 
qu'il  a  gravée  dans  nos  consciences.  Ainsi  le  cœur  s'ajoute 
à  la  raison,  non  plus,  comme  il  arrive  trop  souvent,  pour 
la  troubler  et  l'obscurcir,  mais  pour  lui  imprimer  un 
élan  plus  rapide  vers  la  vérité,  pour  lui  donner  un  senti- 


4o4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ment  plus  vif  des  réalités  divines.  Ce  n'est  plus  seulement 
l'esprit  qui  raisonne,  c'est  l'âme  tout  entière  qui  monte 
'sur  l'aile  de  la  pensée  et  sur  l'aile  de  l'amour.  La  pensée 
"va  au  vrai  et  l'amour  va  au  bien  ;  et  puisque  le  vrai  et  le 
bien  ne  sont' que  deux  aspects  divers  d'une  même  réalité 
qui  est  Dieu,  la  pensée  et  l'amour  ne  doivent  pas  être  ici 
séparés  l'une  de  l'autre.  Leur  objet  est  le  même,  et,  pour 
l'atteindre,  ce  n'est  pas  trop  de  leur  commun  effort.  » 
Ibid.,  p.  1 44-i 45. 

4.  Conséquences  du  scepticisme.  —  «  Des  tentatives 
malheureuses  de  Kant,  des  traditionalistes  et  des  fîdéistes, 
nous  devons  conclure  que  le  scepticisme,  soit  idéaliste, 
soit  empirique,  en  niant  les  premiers  principes  de  la 
raison  humaine,  aboutit  à  la  négation  de  Dieu,  fatale- 
ment et  sans  espoir  d'y  revenir  par  un  autre  chemin,  et 
que  réciproquement  on  ne  peut  refuser  à  la  raison  la 
puissance  de  s'élever  à  Dieu  et  de  prouver  son  existence, 
sans  attaquer  la  raison  elle-même  jusque  dans  ses  fon- 
dements. En  ruinant  la  théodicée  par  la  base,  on  ruine  en 
même  temps  toute  connaissance  par  les  causes,  et  toute 
certitude  scientifique.  Et  comment  s'étonner  de  cette 
alternative,  où  se  trouve  l'esprit  humain,  ou  de  croire  que 
la  raison  est  capable  de  connaître  l'existence  des  causes  et 
de  la  cause  première  qui  est  Dieu,  ou  bien  qu'elle  est 
incapable  de  rien  connaître  scientifiquement,  pas  même 
sa  propre  existence  substantielle,  lorsqu'on  se  rappelle 
que  ces  idées  d'être,  de  substance,  de  cause  en  général, 
de  cause  première,  d'être  nécessaire,  et  par  conséquent  le 
désir  inné  et  le  besoin  de  les  connaître,  sont  comme  le 
fond  indestructible  de  la  raison  humaine  et  le  patrimoine 
commun  de  toutes  les  intelligences.  Impossible  de  n'ac- 
cepter qu'une  partie  de  la  raison  humaine,  et  d'en  répu- 
dier l'autre  partie;  de  rejeter  la  nécessité  d'une  cause 
première,  raison  dernière  de  toute  chose,  et  de  croire 
encore  aux  principes  de  causalité  ou  de  raison  suffisante  ; 
impossible  de  faire  un  choix  parmi  les  évidences  ;  il  faut 
les  admettre  ou  les  rejeter  toutes.  Tant  est  grande  la 
dépendance  absolue  de  la  raison  à  l'égard  de  l'Intelli- 
gence divine  :  elle  ne  peut  la  nier  sans   se   renier  elle- 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  4o5 


même  ;  elle  ne  peut  fermer  les  yeux  à  cette  lumière  d'en 
haut  «  qui  illumine  tout  homme  venant  en  ce  monde,  » 
sans  s'égarer  en  pleines  ténèbres,  ou  sans  se  condamner  à 
une  contradiction  perpétuelle  !  »  Farges,  Lidée  de  Dieu, 
Paris,  1894,  p.  57-58. 


mmmUHm 


Leçon  XI 
De  Dieu 


L'existence  de  Dieu  est  un  dogme  de  la  raison  : 
Ses  preuves.  —  I.  Preuves  psychologiques.  — ■ 
II.  Preuves  morales.  —  III.  Preuves  de  saint 
Thomas. 

Pour  arriver  à  prouver  l'existence  de  Dieu,  l'es- 
prit humain  n'a  qu'à  constater  des  faits  et  à  en 
chercher  l'explication  dernière  par  l'applica- 
tion du  principe  de  causalité  et  de  raison  suffisante  : 
cette  solution  ne  se  trouve  que  dans  l'existence  de 
Dieu.  Que  l'homme  s'interroge  lui-même,  au  fond  du 
sanctuaire  mystérieux  de  sa  conscience,  ou  qu'il 
jette  un  regard  sur  le  monde  qui  l'entoure,  dès  qu'il 
voudra  posséder  le  dernier  mot  de  ce  qu'il  voit,  il 
devra  toujours  remonter  plus  haut  jusqu'à  la  cause 
première,  jusqu'à  Dieu.  S'il  emprunte  les  éléments 
de  sa  démonstration  aux  phénomènes  de  conscience, 
il  formulera  les  preuves  psychologiques  ou  morales 
de  l'existence  de  Dieu  ;  s'il  les  emprunte  aux  phé- 
nomènes à  travers  lesquels  il  se  meut,  il  formulera 
les  preuves  cosmologiques.  Disons  quelques  mots  des 
uns  et  des  autres  (i). 


i.  BIBLIOGRAPHIE  :    Saint  Thomas,  Sum.   Theol.  ;    Sum. 
conl.  qenl.  ;  Franzelin,  De  Deo:    Gratry,  De   la  connaissance  de 


PREUVES    PSYCHOLOGIQUES  IxO'] 


I.  Preuves  psychologiques 

i°  C'est  l'austère  Tertullien  qui  invoquait,  en 
faveur  de  l'existence  de  Dieu,  le  témoignage  de  Mme. 
«  Viens  donc,  ô  âme  humaine,  comparais  devant 
nous,  soit  qu'il  faille  avec  plusieurs  philosophes  te 
reconnaître  pour  une  substance  éternelle  et  divine, 
et  par  là  même  plus  incapable  de  mentir  ;  soit 
qu'étrangère  à  la  divinité,  tu  n'aies  rien  que  de 
mortel,  comme  l'a  professé  le  seul  Epicure,  ce  qui 
fera  paraître  ton  témoignage  d'autant  moins  suspect; 
soit  que  tu  descendes  du  ciel  ou  que  la  terre  te  con- 
çoive ;  que  tu  naisses  avec  le  corps  ou  que  tu  iui 
sois  ajoutée  après  coup  ;  d'où  que  tu  viennes,  et  de 
quelque  manière  que  tu  rendes  l'homme  un  animal 
raisonnable,  doué  d'intelligence  et  de  sentiment, 
réponds-moi  !  Mais  ce  n'est  pas  toi  que  j'appelle, 
ô  âme  qui,  formée  dans  les  écoles,  exercée  dans  les 
bibliothèques  et  nourrie  dans  les  académies  ou 
sous  les  portiques  de  la  Grèce,  débites  d'orgueilleu- 
ses maximes.  Non,  viens  ici  dans  toute  ta  rudesse, 
dans  toute  la  simplicité  de  ton  ignorance  primitive, 
telle  que  te  possèdent  ceux  qui  n'ont  que  toi  ;  ac- 
cours de  la  voie  publique,  du  carrefour,  de  l'atelier. 
11  me  faut  ton  expérience,  puisque  personne  n'ajoute 
plus  foi  à  ton  habileté,  si  petite  qu'elle  soit.  Je  ne 
te  demande  que  ce  que  tu  apportes  avec  toi  dans 
l'homme,  soit  que  tu  le  tires  de  ton  propre  fonds, 
ou  que  tu  le  reçoives  de  ton  auteur,  n'importe  lequel. 
Tu  n'es  pas  chrétienne,  que  je  sache,  car  tu  as  cou- 
tume   de    devenir    et   non   de    naître    chrétienne. 

Dieu,  Paris  i856;  ajouter  aux  ouvrages  déjà  signalés  dans  la 
leçon  précédente  :  Janct,  Les  causes  finales,  Paris,  i876;Blon- 
del,  V Action,  Paris,  1893  ;  Monsabré,  Conférences  de  Notre 
DaniQ. 


£o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Toutefois  les  chrétiens  requièrent  aujourd'hui  ton 
témoignage.  Etrangère,  dépose  contre  les  tiens,  afin 
que  nos  persécuteurs  rougissent  devant  toi  de  leur 
mépris  pour  une  doctrine,  dont  tu  es   complice... 
On  ne  veut  pas  nous  écouter  quand  nous  prêchons 
un  Dieu  unique,  de  qui  tout  vient,   sous  qui  tout 
subsiste.  Eh  bien,  parle,  ô  âme  :  n'est-ce  point  là  ta 
croyance  à  toi  même  ?...  Ces  témoignages  de  l'âme 
sont  d'autant  plus  simples   qu'ils  sont  plus  vrais, 
d'autant  plus  populaires  qu'ils   sont  plus  simples, 
d'autant  plus  communs  qu'ils  sont  plus  populaires, 
d'autant  plus  naturels  qu'ils  sont  plus  communs, 
d'autant  plus  divins  qu'ils  sont  plus  naturels  (i).  » 
2°  C'est  saint  Augustin  qui  donnait  ses  préféren- 
ces à  la  preuve  basée  sur  la  constatation  d'une  vérité 
éternelle  et  immuable,  supérieure  à  l'homme.  La  rai- 
son de  l'homme  occupe  le  plus  haut  degré  de  la 
hiérarchie   des  êtres   de  ce   monde  visible  ;   mais  si 
elle  découvre  un  être  plus  parfait,  cet  être  sera  Dieu. 
Or,  la  raison  humaine  constate  qu'au-dessns  d'elle, 
il  y  a  la  vérité  éternelle  et  immuable,   qu'elle   ne 
crée  pas,  mais  qu'elle  contemple,  qui  n'est  ni  sienne 
ni  en  elle,  puisque  tout  homme  la  contemple  sem- 
blablement.  Cette  vérité  est  donc  Dieu  lui-même  ou, 
si  l'on  suppose  un  être  encore  plus  élevé,  nous  con- 
duit à  cet  être,   source  de  vérité  (2).  Ce  n'est  point 
là,  remarquons-le,  l'édition  anticipée  de  l'argument 
de  saint  Anselme,  car  l'évêque  d'Hippone  ne  con- 
clut pas  de  l'idée  de  Dieu  à  son  existence  ;  analysant 
les  caractères  de  la  vérité,  il  les  trouve  inexplicables 
si  au-dessus  d'elle  il  n'y  a  un  être  immuable,  source 
de  l'immuable  vérité. 

1.  De  test,  am.,  i-v  ;  Patr.  lat.,  t.  1,  col.  610  sq.  —  2.  De  lib. 
arb.,  11,  7-33  ;  Patr.  lat.,  t.  xxxu,  col.  I243-I263;  ConJ.,  VII,  x, 
16;  ibid.,  col.  7^2;  De  Div.  quœst.  lxxxiii,  q.  liv  ;  Patr.  lat.,  t. 
xl,  col.  38. 


PREUVES    PSYCHOLOGIQUES  ^OC) 

Notre  Bossuet  a  repris  cette  preuve  avec  son  tour 
inimitable  :  «  Toutes  ces  vérités...  subsistent  indé- 
pendamment de  tous  les  temps  :  en  quelque  temps 
que  je  mette  un  entendement  humain,  il  les  con- 
naîtra ;  mais,  en  les  connaissant,  il  les  trouvera 
vérité,  il  ne  les  fera  pas  telles  ;  car  ce  ne  sont  pas 
nos  connaissances  qui  font  leurs  objets,  elles  les 
supposent.  Aussi  ces  vérités  subsistent  devant  tous 
les  siècles,  et  devant  qu'il  y  ait  un  entendement 
humain...  et  je  verrais  clairement  qu'elles  seraient 
toujours  bonnes,  toujours  véritables,  quand  moi 
même  je  serais  détruit  avec  le  reste.  Si  je  cherche 
maintenant,  où,  et  en  quel  sujet,  elles  subsistent 
éternelles  ou  immuables,  comme  elles  le  sont,  je 
suis  obligé  d'avouer  un  Être,  où  la  vérité  est 
éternellement  subsistante  et  où  elle  est  toujours 
entendue  ;  et  cet  Etre  doit  être  la  Vérité  même 
et  doit  être  toute  vérité  ;  et  c'est  de  lui  que  la  vérité 
dérive  dans  tout  ce  qui  est  et  entend  hors  de  lui... 
Ces  vérités  éternelles,  que  tout  entendement  aper- 
çoit toujours  les  mêmes,  par  lesquelles  tout  enten- 
dement est  réglé,  sont  quelque  chose  de  Dieu,  ou 
plutôt  sont  Dieu  même.  Car  toutes  ces  vérités  éter- 
nelles ne  sont  au  fond  qu'une  seule  vérité.  En  effet, 
je  m'aperçois  en  raisonnant  que  ces  vérités  sont 
suivies...  La  vérité  est  une  de  soi.  Qui  la  connaît  en 
partie,  en  voit  plusieurs  ;  qui  les  verrait  parfaite- 
ment, n'en  verrait  qn'une  (i).  » 

3°  D'autres  sont  partis  des  aspirations  de  rame 
vers  Vinfini.  Voici  comment  en  parle  de  Margerie  : 
u  Notre  raison,  si  faible  et  si  fragile,  possède  un 
ressort  qui,  par  sa  force  naturelle,  la  lance  jusque 
dans  l'infini  ;   du  sein  de  mes  ténèbres  et  de  mon 

i.  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  ch.  iv  ;  cf.  Cousin, 
Du  vrai,  p.  72. 


4 10  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ignorance  se  dégage  une  idée  qui  déborde  de  toutes 
parts  l'étroite  intelligence  où  elle  fait  son  apparition, 
l'idée  du  parfait,  de  l'absolu,  du  nécessaire,  de 
l'éternel,  l'idée  de  l'infini,  l'idée  de  Dieu.  S'il  est 
vrai  que  je  possède  cette  idée,  sa  présence  est  un 
fait  psychologique  d'une  immense  portée  métaphy- 
sique ;  par  lui  et  en  lui  l'expérience  nous  fournit 
une  idée  qui  la  dépasse,  et  cette  donnée  constitue, 
pour  la  théodicée  une  mineure  incomparablement 
plus  riche  et  plus  féconde  que  toutes  les  magnifi- 
cences du  monde  matériel...  Que  suis-je  ?  Un  fini 
qui,  par  un  mouvement  naturel,  tend  à  l'infini 
dans  toutes  les  directions  de  son  activité.  Qu'est-ce 
que  mon  intelligence  ?  Une  ignorance  qui  tend  à  la 
science,  à  la  lumière  sans  ombre,  et  qui,  si  haut 
qu'elle  s'élève  et  si  avant  qu'elle  pénètre,  veut  tou^ 
jours  monter  et  creuser  davantage,  parce  que  ce 
qu'elle  sait  est  infiniment  distant  de  ce  qui  lui  reste  à 
apprendre.  Qu'est-ce  que  ma  volonté,  sinon  une 
force  qui,  partant  de  l'extrême  imperfection  et  de 
l'extrême  faiblesse,  se  sent  appelée  à  un  perfection- 
nement continu,  c'est-à-dire  à  un  mouvement  au- 
quel l'idée  de  la  perfection  absolue  peut  seule  tracer 
sa  route.  Qu'est-ce  que  mon  cœur,  sinon  un  amour 
borné  dans  sa  puissance,  infini  dans  ses  vœux,  cher- 
chant partout  cet  infini,  inépuisable  aliment  de  sa 
faim  insatiable,  le  rêvant  dans  les  choses  créées,  par 
une  illusion  qui  dure  autant  que  leur  poursuite  et 
s'évanouit  avec  leur  conquête,  se  désabusant  parla 
jouissance  elle-même,  et  condamné  à  n'être  pas  sa- 
tisfait tant  qu'il  demande  au  fini  ce  que  le  fini  ne 
contient  pas  ?  Quest-ce  que  ma  vie,  sinon  un  flot 
qui  s'écoule,  et  qui,  en  s'écoulant,  invoque  obsti- 
nément la  stabilité,  le  repos  et  la  béatitude  ?  Je  ne 
fais  qu'indiquer  ;  si  je  voulais  approfondir,  il  fau- 
drait reprendre  toute  la  psychologie,  toute  la  morale, 


PREUVES    PSYCHOLOGIQUES  4 II 

toute  l'esthétique,  sciences  vaines  ou  plutôt  mots  vi- 
des de  sens,  si  l'idée  d'infini  qui  les  remplit,  qui  est 
leur  centre  et  leur  terme  commun,  n'a  pas  de  place 
dans  la  raison  (i).  »  «  Quelle  est  la  cause  objective 
dont  l'idée  d'infini  est  l'effet  psychologique,  le  mo- 
dèle dont  elle  est  la  représentation  de  l'image  ?  Le 
bon  sens  répond  à  cette  question  d'une  manière 
tellement  rapide  et  positive,  le  principe  de  causa- 
lité, s'ajoutant  au  fait  psychologique,  produit  un  rai- 
sonnement si  simple,  il  y  a  une  absurdité  si  visible 
et  une  contradiction  si  énorme  à  expliquer  l'idée 
d'infini  autrement  que  par  l'existence  de  l'être 
infini,  que  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu 
semble  ici  prendre  le  caractère  d'une  intuition  im- 
médiate... Il  faut  concevoir  l'humanité  comme  un 
tout  vivant,  comme  une  personne,  et  puisque  l'idée 
d'infini  est  en  elle,  il  faut  lui  demander  d'où  elle  la 
tient.  Elle  ne  Ta  pas  créée,  elle  ne  l'a  pas  construite, 
elle  n'en  a  rencontré  le  modèle  ni  en  elle-même,  ni 
dans  le  monde,  ni  dans  quelque  réalité  finie  que  ce 
puisse  être,  elle  ne  l'a  trouvée  que  dans  un  être  qui 
est  réellement  tout  ce  que  cette  idée  représente,  en 
Dieu  (2).  » 

4°  Quelques  esprits  supérieurs,  aux  envolées 
superbes,  se  sont  laissé  séduire  au  mirage  trompeur 
de  leur  propre  pensée  et  ont  cru  pouvoir  conclure 
de  Vidée  de  l'être  parfait  à  l'existence  réelle  de  cet 
être.  Ce  fat  le  cas  de  saint  Anselme  (f  1109). 
Gaunilon,  moine  de  Noirmoutiers,  fit  la  critique 
ingénieuse  et  profonde  de  l'argument  de  saint  An- 
selme, dans  son  Liber  pro  insipiente  ;  et  saint  Thomas 
l'a  justement  écarté  à  cause  du  passage  injustifié  de 
l'ordre  logique  de  l'idée  d'existence  à  l'ordre  onto- 


1.  Théodicée,  t.   1,  p.  ai 4»  220-22 1,   —   a.  Ibid.,  t.  I,  p» 

323-226. 


4  I  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

logique  de  l'existence  réelle  (i).  Repris  par  Descartes, 
puis  par  Leibnilz,  cet  argument  a  été  soumis  par 
Kant  à  une  critique  minutieuse  et  impitoyablement 
condamné,  parce  que  partir  de  l'idée  de  l'être 
parfait  et  Vouloir  que  cette  idée  renferme  comme 
attribut  l'existence  réelle  de  Dieu  est  une  contradic- 
tion, une  impossibilité.  Le  Dieu  réel,  concret, 
vivant,  ne  se  trouve  pas  dans  une  pure  conception 
de  l'esprit. 

IL  Preuves  morales 

i°  A  côté  des  lois  de  la  logique  qui  règlent  la 
pensée,  il  y  a  les  lois  morales  qui  régissent  les  actes 
de  la  volonté.  Toute  âme  droite,  sincère  et  loyale 
constate  sans  peine  l'existence  de  ces  derniè- 
res au  fond  de  sa  conscience.  Faire  le  bien, 
éditer  le  mal;  être  fidèle,  probe,  honnête,  juste, 
c'est  un  bien  ;  pratiquer  la  fraude,  l'improbité,  la 
perfidie,  l'injustice,  c'est  un  mal  ;  mieux  vaut  rester 
pauvre  mais  honnêle  que  d'acquérir  la  richesse  au 
prix  du  déshonneur  et  d'une  lâcheté  :  autant  de 
vérités  d'ordre  pratique,  partout  et  toujours  les 
mêmes,  partout  et  toujours  impérieuses,  s'imposant 
bon  gré  mal  gré  à  la  conscience  de  l'homme.  D'où 
viennent-elles  ?  Ce  n'est  pas  de  l'homme  :  elles 
s'imposent  à  lui  ;  elles  aussi  impliquent  nécessaire- 
ment l'existence  de  Dieu. 

2°  Par  une  inconséquence  heureuse  avec  ses 
principes  de  la  raison  pure,  Kant  a  demandé  à  la 
raison  pratique  un  argument  irrésistible  en  faveur 
de  l'existence  de  Dieu.  «  Le  ciel  au-dessus  de  ma 
tête,  la  morale  dans  mon  cœur,  »  disait-il,  c'est 
tout  ce  qu'il  faut  pour  établir  la  réalité  de  l'exis- 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.,  n,  a.  i,  ad.  2. 


PREUVES    MORALES  4l3 

tence  de  Dieu.  Car  chacun  reconnaît  avoir  des  de- 
voirs à  remplir  et  se  regarde  comme  obligé  de  les 
remplir.  Où  donc  trouver  le  principe  du  devoir  et  de 
son  obligation?  On  ne  peut  le  chercher,  ni  avec  les 
moralistes  de  l'intérêt  au-dessous  de  la  volonté, 
dans  les  conséquences  agréables  ou  désagréables  de 
nos  actes,  ni  avec  les  moralistes  du  sentiment  dans 
les  penchants  sympathiques  de  notre  nature,  ni 
avec  les  moralistes  indépendants  dans  la  volonté 
même,  mais  bien  dans  un  principe  supérieur  à  la 
volonté  1  Car  le  devoir  est  un  impératif  catégori- 
que, sans  condition,  absolu,  qui  s'impose  à  nous, 
malgré  nous.  Il  nous  dit  :  Fais  ce  que  dois,  advienne 
que  pourra.  Lui  reconnaître  ce  caractère,  et  il  le 
faut  bien,  sans  quoi  il  se  confondrait,  comme 
l'observe  Kant,  avec  les  conseils  de  l'hygiène  ou  de 
la  prudence,  c'est  lui  reconnaître  une  valeur  absolue. 
Mais  d'où  peut  lui  venir  ce  caractère  de  valeur 
absolue?  Pas  de  ce  monde,  car  la  conscience  crie  : 
Pereat  mandas,  fiatjastitial  Le  monde  n'est  rien  au 
prix  de  la  justice.  C'est  donc  en  dehors  de  ce 
monde,  et  au  dessus,  en  Dieu.  Car  Dieu  seul  peut 
rendre  compte  du  devoir  qui  nous  incombe  et  de 
l'obligation  qui  nous  lie. 

Voici,  d'après  Kant,  la  preuve  tirée  de  la  nécessité 
d'âne  sanction.  La  raison  pratique  affirme  la  nécessité 
du  souverain  bien,  c'est-à-dire  l'accord  de  la  vertu 
et  du  bonheur.  Or  cet  accord  n'existe  pas  et  ne  peut 
pas  même  exister  dans  le  monde  tel  qu'il  est,  puis- 
que la  nature  des  choses  est  constituée  de  telle  sorte 
qu'elle  impose  les  plus  rudes  sacrifices  à  qui  veut 
faire  son  devoir.  Faire  son  devoir  en  ce  monde, 
c'est  infailliblement  se  heurtera  la  nature  et  souffrir. 
La  vertu  elle-même,  par  les  efforts  qu'elle  demande 
et  les  sacrifices  qu'elle  exige  dans  le  monde  tel  qu'il 
est,  est  souvent  la  source  des  plus  profondes   dou- 


4l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

leurs.  Sans  doute,  il  y  a  des  compensations,  mais 
combien  insuffisantes  !  De  sorte  que  si  l'homme  de 
bien  a,  en  ce  nionde,  quelques  privilèges,  ce  n'est 
pas  tant  celui  du  bonheur  que  celui  de  la  souffrance. 
Ce  désaccord  existant,  en  fait,  qui  pourra  réaliser 
l'accord  nécessaire,  réclamé  par  la  raison  au  nom 
de  la  justice  ?   Qui   pourra  modifier  la  nature  de 
façon  à  ce  que  les  lois  physiques  ne  soient  plus  en 
conflit   avec  les   lois   morales,  que    la   loi   morale 
devienne  en  quelque  façon  la  loi  unique,  souveraine, 
et  qu'elle  s'assujettisse  le  monde  entier?  Qui  pourra 
faire  un  monde  tel  que  la  volonté  vertueuse  y  soit 
toujours  heureuse,  et  seule  heureuse?  Ce  n'est  point 
l'agent  moral  lui-même,  car  notre  volonté  en  est 
évidemment  incapable.  Ce  n'est  point  la  nature  qui, 
d'elle-même,  pourra  se  modifier  dans  ce  sens.   Il 
faut  donc  admettre  un  être  supérieur  à  la  nature, 
tout  puissant  et  tout  bon,  un  Dieu  en  un  mot  qui, 
prenant  en  main  la  cause  de  la  moralité,  produira 
cet  accord  nécessaire  entre  l'intention  morale  et  la 
nature  pour  que  le  souverain  bien  soit  enfin  réalisé. 
3°  Avec  beaucoup  plus  d'autorité,  de  Margerie  a 
tiré  de  l'idée  du  devoir  la  preuve  de  l'existence  de 
Dieu.   Analysant  les  faits  moraux  de  la  conscience 
et  trouvant  qu'ils  impliquent  l'idée  d'une  loi  éter- 
nelle absolue,  parfaite,  universelle,  il  constate  que 
cette  loi  n'a  pas  sa  source  dans  l'expérience.  Sans 
doute  on  peut  se  tromper,  et  l'on  se  trompe  sur 
l'idée  du  devoir,    car  on  pèche   contre  la  morale 
comme  on  pèche  contre  la  logique  ;  on  se  trompe 
surtout  si  le  sens  moral  est  malade  et  lorsque  l'ha- 
bitude de  mal  faire  en  a  émoussé  la  clairvoyance. 
L'idée  alors  peut  être  obscurcie,  méconnue,  oblité- 
rée même,  chez  les  individus  et  dans  les  peuples. 
Car  «  le   grand  moyen  de  discerner  le  devoir,  ce 
i  n'est  pas  d'avoir  une  raison  puissante,  c'est  d'avoir 


PREUVES   MORALES  4l5 


une  volonté  droite  et  un  cœur  pur.  A  mesure  qu'on 
devient  meilleur,  les  vérités  morales  apparaissent 
avec  une  plus  irrésistible  évidence  ;  et,  tout  au  con- 
traire, l'habitude  de  violer  le  devoir  et  d'en  détourner 
nos  regards  nous  fait  désirer,  puis  trouver  des 
raisons  contre  lui,  et  ne  réussit  que  trop  aisément  à 
nous  le  rendre  obscur.  Aussi  pouvons-nous  remar- 
quer que  bien  des  consciences,  fort  saines  et  fort 
délicates  en  ce  qui  concerne  certaines  vertus  aux- 
quelles on  a  su  rester  fidèle,  sont  étrangement 
élargies  dès  qu'il  s'agit  d'autres  devoirs  dont  le 
chemin  est  oublié.  » 

De  même  pour  les  actions  :  à  raison  de  l'éducation 
et  des  préjugés,  les  idées  morales  se  faussent  dans 
la  conscience  publique.  L'abandon  du  devoir  con- 
duit à  son  oubli,  et  la  perversion  va  s'accen tuant. 
«  C'est  ainsi  que  des  peuples  entiers  arrivent,  non 
seulement  à  tolérer  des  actions  criminelles,  non 
seulement  à  les  croire  innocentes,  mais  encore  à 
les  imposer  au  nom  des  lois  et  au  nom  des 
dieux.  » 

«  La  loi  morale  est.  Elle  a  toute  la  réalité  qu'elle 
peut  avoir  ;  elle  commande  à  ses  sujets  ;  elle  se 
fait  reconnaître  par  ceux  mêmes  qui  la  violent  ;  elle 
a  dans  la  conscience  l'organe  qui  la  promulgue,  le 
tribunal  qui  l'applique,  premier  exécuteur  de  ses 
jugements.  Et  elle  a  de  plus  une  réalité  privilégiée 
et  souveraine,  qui  lui  subordonne  les  lois  faites  par 
les  hommes  aussi  bien  que  leurs  actions.  Gomme 
parfaite,  elle  les  juge  et  les  annule  toutes  les  fois 
qu'elles  viennent  à  la  contredire.  Comme  éternelle, 
elle  est  à  l'abri  de  leurs  vicissitudes.  Comme  uni- 
verselle, elle  s'étend  à  tout  et  donne  la  décision  des 
cas  que  les  lois  écrites  n'ont  pu  prévoir...  Si  elle  est 
tout  cela,  ne  voyons-nous  pas  que  la  conclusion 
saute  aux  yeux  du  bon  sens,  et  que  nous  arrivons 


4lG  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

droit  à  Dieu  ?  Et  n'est-ce  pas  une  chose  manifeste 
que  la  loi  éternelle  et  parfaite  a  sa  source  et  son 
fondement  dans  un  législateur  éternel  et  parfait, 
lequel,  étant  le  principe  du  devoir  parce  qu'il  a 
droit  de  nous  commander,  est  aussi  la  dernière  fin 
de  notre  activité  et  la  réalité  suprême  de  cet  idéal 
moral  qu'ici-bas  nous  concevons  toujours  et  n'attei- 
gnons jamais  (i)  ?  » 

4°  En  1891,  dans  ses  Conférences  de  Notre  Dame, 
Mgr  d'IIulst  a  examiné  tour  à  tour  la  morale  et  la 
liberté,  la  morale  et  l'obligation,  la  morale  et  la 
sanction.  En  passant,  il  montre  que  «  du  devoir  à 
Dieu,  il  n'y  a  qu'un  pas  à  faire,  »  et  il  s'écrie  :  «  Le 
Bien  parfait  c'est  le  premier  Etre,  c'est  le  type  de 
tout  ce  qui  peut  être,  la  cause  de  tout  ce  qui  est,  le 
terme  de  tout  ce  qui  devient.  Demandez  à  Platon  sa 
voix  enchanteresse  pour  exalter  sa  grandeur  et 
glorifier  sa  beauté.  Demandez  à  Àristote  son  regard 
pénétrant  pour  découvrir  dans  chaque  créature 
l'anneau  qui  la  rattache  à  cette  fin  suprême.  Deman- 
dez aux  docteurs  chrétiens  leur  dialectique  trans- 
cendante pour  vous  transporter,  à  travers  les 
abstractions  de  la  pensée  imparfaite,  jusqu'à  la 
radieuse  réalité  de  l'idéal,  jusqu'à  l'activité  créatrice 
de  la  cause  première,  jusqu'aux  pieds  du  Dieu 
vivant.  Non,  ce  n'est  pas  un  Dieu  rêvé,  un  Dieu 
d'illusion  et  de  mirage,  c'est  un  Dieu  substantiel 
que  nous  adorons.  Nous  ne  voyons  pas  sa  face,  mais 
nous  sentons  sa  main  dans  toutes  ses  œuvres,  nous 
entendons  sa  voix  dans  notre  conscience.  Pour 
remonter  jusqu'à  lui,  mille  chemins  sont  ouverts. 
Pourrions-nous  l'atteindre  en  partant  seulement  du 
commandement  intérieur  qui  retentit  au  fond  de 
nous-mêmes  ?  Oui,   sans  doute,   car  un  impératif 

1.  Théodicée,  t.  1,  p.  239,  240,  i!\\-i!\i. 


PREUVES    MORALES  kl*] 

absolu  suppose  un  maître  qui  ne  dépend  de  per- 
sonne (i).  » 

Cette  preuve,  il  la  donne,  l'année  suivante,  quand 
il  montre  par  quel  chemin  on  remonte  du  devoir  à 
Dieu.  Il  constate  d'abord  que  le  devoir  se  révèle 
à  la  conscience  de  trois  manières  :  d'abord  par  le 
sentiment  de  la  liberté  ;  ensuite  par  la  claire  vue 
de  l'obligation  ;  et  enfin  par  l'idée  de  responsabilité  ; 
après  quoi,  il  prouve  que  ce  triple  témoignage 
démontre  l'existence  de  Dieu.  Dieu,  en  effet,  se 
place  comme  un  anneau  nécessaire  entre  les  trois 
chaînons  dont  se  compose  la  trame  de  la  morale. 
Entre  la  liberté  et  l'obligation,  il  intervient  comme 
support  du  commandement  moral.  Qui  dit  com- 
mandement dit  opposition  de  maître  à  sujet.  Où  est 
ce  maître  ?  en  dehors  de  nous.  Il  nous  est  supérieur, 
puisqu'il  nous  commande  ;  il  nous  est  antérieur, 
puisque  toute  conscience  humaine,  à  peine  éveillée, 
entend  son  commandement.  Ce  commandement 
est-il  une  abstraction  ou  émane-t-il  d'un  être  réel  ? 
Il  ne  peut  être  une  simple  abstraction  ;  car  Fabstrait 
dépend  d'une  intelligence  ;  l'abstraction  est  une 
opération  de  l'esprit.  Le  vice  radical  de  la  philoso- 
phie qu'un  rêveur  allemand  a  inoculée  à  notre  siècle, 
c'est  de  renverser  l'ordre  des  priorités  en  mettant 
l'abstrait  à  l'origine  du  concret.  Ce  qui  est  antérieur 
à  tout  existe  en  soi,  et  ce  qui  existe  en  soi  est  une 
réalité  vivante  ;  l'abstrait  n'est  que  le  résidu  de  la 
pensée  d'un  vivant.  Ce  quelque  chose  de  réel  et  de 
concret  qui  précède  tout,  qui  domine  tout  et  que 
rien  ne  renferme,  c'est  Dieu.  Le  vrai  Dieu  seul  peut 
fournir  un  support  à  l'impératif  absolu  du  devoir. 

Mais  Dieu  intervient  une  seconde  fois  entre  l'obli- 
gation et  la  responsabilité.  Il  y  a  un  témoin  tou- 

j.  Conférences  de  Notre  Dame,  189 1,  iw9  conf. 

2.1    CATÉCHISME.  —  T.  I.  »J 


Z|l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

jours  présent,  toujours  clairvoyant,  toujours  équi- 
table et  incorruptible,  dont  le  regard  fouille  les 
plus  secrets  replis  de  notre  cœur  et  voit  à  découvert 
ces  derniers  dessous  que  je  voudrais  me  cacher  à 
moi-même  ",  c'est  celui  que  l'espace  n'emprisonne 
pas,  que  le  temps  n'emporte  pas  ;  celui  qui  atteint 
l'être  dans  son  fond  parce  que  c'est  lui  qui  l'a  fait. 

Et  Dieu  intervient  une  troisième  fois  entre  la 
responsabilité  et  la  sanction.  Si  je  me  sens  débiteur 
pour  mes  fautes,  où  est  le  créancier  du  châtiment  ? 
Si  je  suis  créancier  au  titre  de  mes  vertus,  où  est  le 
débiteur  de  la  récompense?  Otez  Dieu,  et  le  pécheur 
pourra  se  vanter  jusqu'au  bout  d'avoir  bravé  l'ordre. 
Otez  Dieu,  et  le  juste  aura  vainement  souffert  ;  et 
l'appel  qu'il  a  interjeté  au-delà  de  ce  monde  contre 
le  scandale  de  l'iniquité  victorieuse,  se  sera  perdu 
dans  le  désert  des  abstractions  mortes,  dans  le  vide 
des  formules  impuissantes.  Si  la  justice  est  plus 
qu'un  mot,  il  faut  que  le  juge  soit  vivant.  Ma  cons- 
cience crie  :  je  crois  en  Dieu  qui  viendra  juger  les 
vivants  et  les  morts. 

Pour  conclusion  :  «  Il  est  donc  vrai,  le  sentiment 
moral  appelle  la  réalité  et  l'amabilité  de  Dieu.  Delà 
cette  émotion  de  joie  ou  de  tristesse  qui,  en  dehors 
de  tout  espoir  et  de  toute  frayeur,  accompagne  en 
nous  la  rectitude  ou  les  égarements  de  la  conduite. 
La  tentation  est  venue  secouer  mon  âme  ;  l'appât 
du  plaisir  défendu  a  sollicité  mon  libre  vouloir.  Ai- 
je  cédé  à  cette  séduction  que  ma  conscience 
réprouve  ?  Sans  attendre  le  châtiment  que  ma  pré- 
varication appelle,  avant  même  que  la  crainte  de 
l'expiation  future  soit  venue  inquiéter  mon  égoïsme, 
un  nuage  a  passé  sur  mon  ciel  intérieur,  une  amer- 
tume a  empoisonné  ma  jouissance,  une  mélancolie 
a  pris  la  place  de  la  joie  coupable  à  laquelle  j'ai 
sacrifié  le  devoir.   Mais,  si  j'ai  vaincu  le  mai  ;  si, 


PREUVES    MORALES  friy 


aux  instances  pressantes  de  la  tentation,  j'ai  répondu 
fièrement  :  Non  licet,  il  n'est  pas  permis  ;  si,  pour 
soutenir  jusqu'au  bout  cette  résistance,  j'ai  dû  en- 
sanglanter mes  mains  et  mes  pieds  aux  épines  du 
devoir,  ah  !  je  n'ai  pas  besoin  d'attendre  que  le  prix 
longtemps  retardé  de  la  vertu  me  soit  payé  avec 
usure  ;  non,  dès  maintenant,  et  parmi  les  âpretési< 
du  sacrifice,  une  félicité  intérieure  m'envahit,  une 
paix  délicieuse  me  pénètre  et  me  console.  Ne  niez; 
pas  cela,  vous  vous  feriez  tort  à  vous-même,  et  quel- 
que chose  de  meilleur  en  vous  que  vos  paroles  pro- 
testerait contre  un  démenti  qui  déshonore.  Me  niez 
pas  cela,  car  c'est  le  cri  de  nature  et,  par  consé- 
quent, l'écho  de  Dieu  (i).  » 

5°  Avant  de  passer  aux  preuves  cosmologiques,, 
signalons  particulièrement  celle  qui  est  tirée  de  la 
foi  du  genre  humain.  Il  s'agit  d'abord  de  savoir  si 
l'humanité,  dans  son  ensemble  et  non  dans  chacun, 
des  individus  qui  la  compose,  considérée  dans  la 
suite  des  âges  et  à  l'heure  actuelle,  a  possédé  et  pos- 
sède, non  pas  la  notion  vraie  et  pure  de  la  nature 
divine,  mais  simplement  si  elle  a  eu,  si  elle  a  l'idée 
de  Dieu,  si  elle  a  cru,  si  elle  croit  à  l'existence  d'un 
être  supérieur  et  transcendant.  Or,  la  réponse  à  cette 
question,  ainsi  délimitée  et  précisée,  ne  saurait  être- 
douteuse.  Les  sciences  historiques  et  ethnographi- 
ques, notamment  la  science  des  religions,  si  en 
faveur  depuis  quelques  années,  les  multiples  voya- 
ges à  travers  notre  planète,  auprès  de  tous  les  peu- 
ples qui  l'habitent,  permettent  de  constater  que, 
partout  et  toujours,  dans  toutes  les  races,  chez  lest 
barbares  et  les  sauvages  comme  chez  les  peuples 
policés,  se  rencontrent  l'idée  de  Dieu  et  la  foi  en 
son  existence.   Sans   doute,  à  parcourir  les  docu- 


i.  Conférences  de  Notre-Dame,  1892,  11e  Conf. 


^20  LE    CATÉCHISME  ROMAIN 

ments,  on  ne  peut  qu'être  affligé  au  spectacle  de 
certaines  altérations,  de  grossiers  abaissements  de 
la  raison  humaine  en  face  du  divin  ;  mais,  sous  les 
emblèmes  superstitieux  ou  horribles  des  races  les 
plus  dégradées,  dans  les  cultes  les  plus  absurdes, 
les  plus  licencieux  et  les  plus  cruels,  gît  l'idée  de 
Dieu  ;  idée  de  plus  en  plus  déformée,  de  plus  en 
plus  corrompue,  à  mesure  que  baisse  l'étiage  moral 
de  ces  races,  mais  idée  reconnaissable  quand  même 
qui  permet  de  conclure  qu'il  n'y  a  pas  de  peuples 
athées. 

Nous  n'avons  pas,  pour  le  moment,  à  rechercher 
comment  les  peuples  sont  arrivés  des  religions  pri- 
mitives aux  religions  actuelles,  ni  comment  ils 
avaient  la  religion  qui  se  manifeste  chez  eux,  dès 
que  l'histoire  les  saisit  ;  nous  n'avons  pas  davan- 
tage à  résoudre  la  question  de  savoir  si  l'évolution 
religieuse  dans  l'humanité  s'est  faite  dans  le  sens  du 
monothéisme  vers  le  polythéisme  ou  en  sens  con- 
traire, ces  questions  viendront  à  leur  heure  et  seront 
traitées  à  leur  place,  mais  nous  devons  constater  le 
fait  qu'il  n'y  a  pas,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  race  ou 
de  peuple  sans  religion.  Si  bien  que  l'on  a  pu  dire 
que  l'une  des  caractéristiques  de  l'espèce  humaine, 
et  la  principale,  c'est  la  religiosité.  L'homme  n'est 
pas  seulement  «  l'animal  politique  »  au  sens  d'Aris- 
tote,  il  est  surtout  l'être  religieux.  «  Sa  définition, 
sa  caractéristique,  dirait-on  en  zoologie,  est  donc 
celle-ci  :  l'homme  est  un  corps,  ou  mieux  un  être 
organisé  vivant,  sentant,  se  mouvant  spontanément, 
doué  de  moralité  et  de  religiosité  (i).  »  De  sorte 
que,  dans  l'espèce  humaine,  au  sens  des  naturalis- 
tes comme  au  sens  des  moralistes,  l'athéisme  cons- 
titue une  anomalie,  une  monstruosité.  Au  terme  de 

i.  De  Quatrefages,  Unité  de  l'espèce  humaine,  p.  3a. 


PREUVES    MORALES  421 


l'enquête,  assurée  par  les  découvertes  modernes  de 
la  géographie,  de  l'histoire,  de  la  linguistique  et  des 
autres  sciences  relatives  à  l'espèce  humaine,  M.  de 
Quatrefages  a  pu  écrire  ces  lignes  :  «  Obligé  par  mon 
enseignement  de  passer  en  revue  toutes  les  races 
humaines,  j'ai  cherché  l'athéisme  chez  les  plus 
inférieures  comme  chez  les  plus  élevées.  Je  ne  l'ai 
rencontré  nulle  part,  si  ce  n'est  à  l'état  individuel 
ou  à  celui  d'écoles  plus  ou  moins  restreintes... 
L'athéisme  n'est  nulle  part  qu'à  l'état  erratique. 
Partout  et  toujours  la  masse  des  populations  lui  a 
échappé;  nulle  part,  ni  une  des  grandes  races, 
ni  même  une  division  quelque  peu  importante 
de  ces  races  n'est  athée  (i).  » 

Tel  est  le  fait.  Mais  que  prouve-t  il  ?  Pour  le 
croyant  qui  adhère  à  l'enseignement  de  la  Bible  et 
de  l'Eglise  catholique,  la  réponse  est  facile  ;  mais 
pour  celui  qui  ne  croit  ni  à  l'inspiration  biblique, 
ni  à  la  révélation,  la  solution  est  à  chercher.  On  Ta 
cherchée,  soit  au  moyen  d'hypothèses,  soit  par  l'in- 
duction tirée  de  faits  déjà  contrôlés,  soit  par  l'étude 
psychologique  du  sentiment  religieux.  L'a-t-on 
trouvée  ?  C'est  ce  que  nous  n'avons  pas  à  dire  ici  ; 
mais  ce  que  nous  devons  dire  c'est  que  l'homme  n'a 
pas  changé  de  nature,  et  par  suite  qu'il  a  toujours 
été  à  même,  par  sa  raison,  de  s'élever  à  la  connais- 
sance de  Dieu,  comme  nous  l'avons  prouvé  dans  la 
leçon  précédente  ;  et  ce  que  nous  devons  ajouter, 
c'est  que  cette  connaissance  ou  cette  foi  au  divin, 
étant  si  universelle,  a  une  force  qui  mérite  d'être 
prise  en  considération. 

Ce  fait  démontre-t-il  donc  l'existence  de  Dieu, 
demande  M.  Vacant  ?  «  Oui,  car  il  confirme  la 
valeur  des  preuves  déjà  rapportées.  Comment  expli- 

i.  De  Quatrefages,  V espèce  humaine,  c.xxxv,  n°  4. 


#2  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

q»cr,  en  effet,  l'universalité  de  cette  croyance,  sinon 
par  la  force  persuasive  des  arguments  invoqués  ? 
La  foi  de  tous  les  peuples  au  divin  peut  venir  de  la 
révélation  primitive,  faite  aux  premiers  ancêtres  du 
genre  humain  ;  alors  elle  confirme  les  enseigne- 
ments de  la  Genèse  à  ce  sujet.  Mais  cette  foi  se  serait 
iSâns  doute  évanouie  à  la  longue,  si  elle  n'avait  été 
constamment  soutenue  par  ce  magnifique  témoi- 
gnage que  l'âme  humaine  et  l'univers  tout  entier 
rendent  à  l'existence  de  la  divinité.  Certains  auteurs 
ont  prétendu  que  la  foi  au  divin  est  l'effet  d'une 
crainte  déraisonnable,  ou  qu'elle  a  été  inspirée  aux 
peuples  par  des  législateurs  qui  voulaient  revêtir 
leurs  lois  d'une  autorité  sacrée.  S'il  en  était  ainsi, 
cette  foi  aurait  disparu  au  milieu  des  hommes,  avec 
les  causes  qui  lui  auraient  donné  naissance.  Elle 
s'est,  au  contraire  maintenue  partout  avec  une 
ténacité  que  rien  n'a  pu  vaincre  (i).  » 

III.  Les  preuves  de  saint  Thomas 

On  comprend  combien  l'âme,  avec  ses  facultés  et 
«es  opérations,  avec  les  phénomènes  intimes  de  la 
pensée  et  de  l'acte  libre,  peut  servir  de  base  solide  à 
une  démonstration  de  l'existence  de  Dieu.  Car,  du 
moment  que  l'intelligence  et  la  volonté  sont  ce 
qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  Tordre  naturel,  elles 
sont  par  là  même  plus  aptes  à  nous  faire  connaître 
l'existence  et  la  nature  de  Dieu.  Preuves  psycholo- 
giques et  preuves  morales,  elles  intéressent  et  ont 
les  préférences  de  certains  esprits  cultivés  de  nos 
jours  ;  c'est,  en  effet,  à  l'intelligence  et  à  la  volonté 
humaines  qu'on  demande  la  preuve  irrécusable  de 

i.  La  Constitution  Dei  Films,  t.  i,  p.  3a.3. 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  k^'S 

-  ■  ■ 

l'existence  d'une  intelligence  et  d'une  volonté  divi- 
nes qui  les  explique  et  en  donne  la  raison  suffisante. 
«  L'identité  absolue  du  réel  et  de  l'idéal,  de  la 
puissance  et  de  la  sagesse,  de  l'être  et  de  la  perfec- 
tion, voilà  ce  qu'il  est  (Dieu)  pour  que  je  sois  ce 
que  je  suis.  Pensée  et  volonté,  sans  lesquelles  il  n'y 
aurait  ni  pensée  ni  volonté  en  moi,  et  qu'en  même 
temps  ni  ma  pensée  ni  ma  volonté  ne  peuvent 
comprendre,  tels  sont  les  termes  solidaires  du  mys- 
tère qui  s'impose  à  ma  conscience.  Je  n'ai  de  raison 
de  l'affirmer  que  parce  qu'il  m'est  à  la  fois  néces- 
saire et  inaccessible  :  il  est  ce  qui  ne  peut  être  fait 
ou  pensé  par  moi,  quoique  je  ne  puisse  rien  faire  ou 
penser  que  par  lui.  Et  s'il  me  demeure  inaccessible, 
ce  n'est  pas  faute  d'être  ou  de  clarté  en  lui,  mais 
en  moi.  Il  est  donc  ce  que  je  ne  puis  être  :  toute 
pensée  et  toute  action  (i).  » 

Mais,  à  côté  de  ces  preuves,  il  en  est  d'autres, 
dites  cosmologiques,  où  l'expérience  sert  de  point  de 
départ  à  l'application  rigoureuse  du  grand  principe 
de  causalité  et  de  raison  suffisante,  et  aboutit  légiti- 
mement à  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu. 
[De  nos  jours,  il  est  vrai,  on  a  essayé  de  dénier  à 
l'expérience  le  droit  d'aller  par  delà  le  phénomène 
jusqu'au  noumène,  jusqu'à  la  substance,  jusqu'à  la 
cause,  jusqu'à  Dieu.  Dieu  ne  s'expérimentant  pas, 
on  a  écarté  son  idée  comme  inutile  et  étrangère  à 
la  science,  ou  bien  on  l'a  rangée  dans  la  catégorie 
des  vérités  inconnaissables  et  qui  n'importent  pas  à 
l'homme.  De  la  théorie  à  la  pratique,  la  distance  a 
été  vite  franchie  ;  le  malheur  est  qu'on  a  voulu  en 
faire  un  système  d'enseignement  ;  et,  malheur  plus 
grand  encore,  c'est  qu'on  y  a  procédé  à  coups  de 
lois  :  c'est  ce  que  la  langue  nouvelle  appelle  de  ce 

I.  Blondel,  L'action,  Paris,  i8g3,  p.  347. 


kll\  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mot  barbare,  la  laïcisation.  Il  est  donc  plus  que 
jamais  urgent  de  proclamer  les  résultats  assurés  de 
]a  méthode  expérimentale  et  de  la  raison  ;  et  rien 
ne  vaut,  pour  le  plus  grand  nombre,  dans  la  ques- 
tion de  l'existence  de  Dieu,  comme  les  preuves 
cosmologiques  :  ce  sont  celles  que  saint  Thomas  a 
insérées  dans  sa  Somme  théologique. 

L'ange  de  l'école  les  a  groupées  intentionnellement 
au  nombre  de  cinq.  Partant  toujours  de  données 
empiriques,  puis,  leur  appliquant  d'une  manière 
uniforme  le  principe  de  causalité,  il  a  conclu  en 
toute  rigueur  de  logique  à  l'existence  de  Dieu.  Dans 
le  monde  phénoménal  extérieur,  en  effet,  il  com- 
mence par  relever  certains  faits.  Il  y  a,  dans  le 
monde,  des  mouvements  ou  du  mouvement  :  quel 
en  est  le  principe  ?  Ce  ne  peut  être  qu'un  premier 
moteur  immobile.  Il  y  a,  dans  le  monde,  des  êtres 
qui  apparaissent,  se  succèdent  et  disparaissent  : 
quelle  est  leur  origine  ?  Ce  ne  peut  être  qu'une 
cause  sans  cause,  possédant  en  elle-même  toute  la 
raison  suffisante  de  cause,  et  appelée  pour  cela  la 
cause  première.  Il  y  a,  dans  le  monde,  des  êtres  qui 
existent  mais  pourraient  tout  aussi  bien  ne  pas 
exister  :  qui  explique  leur  contingence  ?  Ce  ne 
peut  être  que  l'existence  d'un  être  absolument 
nécessaire.  Il  y  a,  dans  le  monde,  gradation  et  pro- 
grès dans  l'échelle  des  êtres  :  d'où  viennent-ils  ?  Ce 
ne  peut  être  que  de  l'existence  d'un  être  souverai- 
nement parfait.  Il  y  a,  dans  le  monde,  de  l'ordre  et 
de  la  finalité  :  qui  donc  a  produit  cet  ordre  et  mar- 
qué cette  finalité  ?  Ce  ne  peut  être  qu'un  suprême 
ordonnateur. 

Tel  est,  en  raccourci,  l'admirable  question  traitée 
par  saint  Thomas,  au  commencement  de  sa  Somme. 
Cinq  preuves,  qui  toutes  ne  sont  que  l'application 
dune  même  méthode,  et  qui  toutes,  par  leur  choix, 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  ^25 

vont  non  seulement  à  prouver  que  Dieu  existe, 
mais  encore  à  insinuer  quelque  chose  de  ce  qu'il 
est.  Cinq  preuves,  qui  prêtent  aux  plus  beaux 
et  aux  plus  riches  développements.  Dieu  seul,  cause 
du  mouvement  ;  Dieu  seul,  source  et  origine  de 
l'être  ;  Dieu  seul,  cause  de  la  subsistance  des  créatu- 
res ;  Dieu  seul,  idéal  d'où  procède  et  où  tend  toute 
perfection  créée  ;  Dieu  seul,  intelligence  qui  a  fait, 
un  système  d'harmonie  et  de  beauté  de  ce  qu'on 
appelle  le  Cosmos.  Devant  renoncer,  faute  de  place,! 
à  donner  à  ces  cinq  preuves  le  développement 
qu'elles  comportent,  contentons-nous  de  les  repro- 
duire dans  leur  austère  simplicité,  sans  trahir  la 
pensée  du  grand  Maître. 

Première  preuve.  «  Il  est  certain  et  nous  consta- 
tons qu'il  y  a  du  mouvement  dans  le  monde.  Or, 
tout  objet  en  mouvement  est  poussé  par  un  autre. 
Une  chose  ne  peut  se  mouvoir,  si  elle  n'était  en 
puissance  par  rapport  au  mouvement  qui  lui  est 
imprimé  ;  une  chose  ne  saurait  mouvoir  que  si 
elle  est  en  acte,  car  mouvoir,  c'est  pousser  de  la 
puissance  à  l'acte.  Evidemment,  une  chose  ne  peut 
être  portée  de  la  puissance  à  l'acte  que  par  ce  qui 
est  déjà  en  acte,  comme  le  feu,  actuellement  brû- 
lant, rend  actuellement  brûlant  le  bois,  qui  aupara- 
vant était  brûlant  en  puissance,  et  ainsi  le  meut  et 
le  change.  Or,  il  est  impossible  qu'une  même  chose 
soit  en  même  temps  et  sous  le  même  rapport  en 
acte  et  en  puissance  ;  ceci  ne  se  produit  que  sous 
des  rapports  différents.  Ce  qui  est  maintenant 
chaud  en  acte  n'est  pas  chaud  en  puissance  sur  le 
même  point  ;  mais  est  sur  ce  point  froid  en  puis- 
sance. Il  est  donc  impossible  qu'un  même  objet, 
sous  le  même  rapport,  soit  à  la  fois  mû  et  moteur, 
c'est-à  dire  qu'il  se  meuve  lui-même.  Donc  tout  ce 
qui  est  en  mouvement  est  mû  par  autre  chose.  Donc 


Z|2b  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

^  — —  — ..  ., M  ,        ■■  ..  !■!.!■  ■  !■  I  ,  IM 

ce  moteur,  s'il  est  lui-même  en  mouvement,  est  à 
son  tour  mû  par  un  autre.  Mais  il  faut  s'arrêter  ; 
on  ne  saurait  aller  ainsi  à  l'infini,  car  alors  il  n'y 
aurait  pas  de  premier  moteur;  et  s'il  n'y  avait  pas 
de  premier  moteur,  il  n'y  aurait  aucun  moteur, 
puisque  les  moteurs  secondaires  ne  meuvent  que 
par  le  premier,  comme  un  bâton  ne  meut  que  par  la 
main.  Il  faut  donc  de  toute  nécessité  en  arriver  à 
un  premier  moteur  que  nul  autre  ne  meut.  Chacun 
comprend  qu'un  tel  moteur  c'est  Dieu.  » 

Seconde  preuve.  La  seconde  preuve  est  celle  de  la 
cause  efficiente.  «  Nous  trouvons  dans  les  choses 
sensibles  une  série  de  causes  efficientes  ;  mais  on 
ne  trouve  pas  et  il  n'est  pas  possible  qu'une  chose 
soit  sa  propre  cause  efficiente,  puisqu'une  telle 
cause  serait  avant  d'être,  ce  qui  est  impossible.  Or 
il  n'est  pas  possible  dans  les  causes  efficientes  de 
remonter  à  l'infini  ;  car  dans  l'ensemble  de  la  série 
des  causes  efficientes,  le  commencement  est  la  cause 
du  milieu,  et  le  milieu  est  la  cause  du  dernier,  qu'il 
y  ait  plusieurs  termes  intermédiaires  ou  qu'il  n'y 
en  ait  qu'un.  Mais  si  on  supprime  la  cause,  on 
supprime  l'effet.  Donc  s'il  n'y  avait  pas  une  pre- 
mière cause  efficiente,  il  n'y  aurait  ni  milieu 
ni  fin.  Et  si  l'on  procède  à  l'infini  dans  la  série  des 
causes  efficientes,  il  n'y  aurait  pas  une  cause  pre- 
mière efficiente,  ni  dernier  effet,  ni  causes  efficientes 
intermédiaires,  ce  qui  est  manifestement  faux.  Il 
faut  donc  de  toute  nécessité  une  cause  première 
efficiente,  que  tout  le  monde  nomme  Dieu.  » 

Troisième  preuve.  La  troisième  preuve  est  tirée 
du  possible  et  du  nécessaire.  La  voici  :  «  Nous  voyons 
des  êtres  qui  peuvent  être  ou  ne  pas  être,  puisqu'il 
y  a  des  corruptions  et  des  générations.  Or,  il  ne  se 
peut  pas  que  ce  qui  est  tel  soit  toujours,  car  ce  qui 
peut  ne  pas  être,  parfois  n'est  pas.  Si  donc  tout 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  l\^ 

pouvait  ne  pas  être,  il  s'ensuivrait  qu'il  y  a  eu  un 
temps  où  rien  n'était.  Mais,  dans  ce  cas,  il  n'y 
aurait  rien  encore  aujourd'hui,  car  ce  qui  n'existe 
pas  ne  commence  pas  à  être  sans  l'intervention 
d'un  être  préexistant.  Si  rien  n'était,  il  est  impossi- 
ble que  quelque  chose  ait  commencé  à  être  ;  donc 
il  n'y  aurait  rien,  ce  qui  est  manifestement  faux. 
Donc  tous  les  êtres  ne  sont  pas  seulement  possibles, 
il  en  faut  un  qui  soit  nécessaire.  Or  ce  qui  est  né- 
cessaire a  la  cause  de  sa  nécessité  en  soi  ou  hors  de 
soi.  Mais  il  ne  peut  y  avoir  une  série  sans  fin  d'êtres 
nécessaires,  nécessités  par  le  dehors,  pas  plus  qu'il 
n'y  a  une  série  sans  fin  de  causes  efficientes.  Il  faut 
donc  poser  qu'il  y  a  quelque  chose  de  nécessaire  en 
soi,  n'ayant  pas  d'autre  cause  de  sa  nécessité,  mais 
étant  cause  de  tout  ce  qui  est  nécessaire.  Et  cet  être 
nécessaire  par  soi-même  c'est  Dieu.  » 

Quatrième  preuve.  La  quatrième  preuve  se  tire  des 
degrés  de  perfections  qui  sont  dans  les  êtres.  «  On 
trouve  du  plus  et  du  moins,  des  degrés  dans  la 
bonté,  la  vérité,  la  noblesse  et  toutes  les  autres 
qualités  des  choses.  Mais  le  plus  et  le  moins  ne 
s'appliquent  qu'à  des  êtres  divers  qui  se  rapprochent 
diversement  d'un  type  souverain,  comme,  par 
exemple,  le  chaud  est  ce  qui  participe  plus  ou  moins 
de  la  chaleur  absolue.  Il  y  a  donc  aussi  un  être 
qui  est  souverainement  bon,  souverainement  vrai, 
souverainement  noble,  et  qui,  dès  lors,  est  souve- 
rainement l'être  ;  car,  comme  le  dit  Aristote,  ce  qui 
est  souverainement  vrai  est  ce  qui  est  souveraine- 
ment. Or,  ce  qui  est  souverainement  doué  de 
perfection,  en  quelque  genre  que  ce  soit,  est  cause 
de  tous  les  degrés  de  perfection  du  même  genre, 
comme  le  feu  est  cause  de  toute  chaleur.  Il  y  a 
donc  un  être,  cause  de  l'être,  de  la  bonté,  de  la  per- 
fection de  tout  être,  et  cet  être  nous  l'appelons  Dieu.  » 


4 28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Cinquième  preuve.  La  cinquième  preuve  est  tirée 
du  gouvernement  du  monde.  «  Nous  voyons  certains 
êtres  inintelligents,  tels  que  les  corps,  tendre  à  une 
fin,  puisqu'ils  font  ordinairement  ou  toujours,  et 
de  la  même  manière,  ce  qui  les  mène  à  un  but  très 
bon.  Ce  n'est  donc  pas  par  hasard,  mais  bien  par 
suite  d'une  intention,  qu'ils  arrivent  à  cette  fin. 
Mais,  n'ayant  pas  de  connaissance,  ils  n'ont  pas 
eux-mêmes  d'intention  et  ne  vont  à  leur  fin  que 
dirigés  par  une  intelligence  qui  possède  l'intention, 
comme  la  flèche  quand  elle  est  dirigée  par  le  chas- 
seur. Il  y  a  donc  un  être  intellif  ent  qui  ordonne  la 
nature  et  la  pousse  à  sa  fin.  Nous  l'appelons  Dieu.  » 

Telles  sont  les  preuves  de  saint  Thomas  (i).  Il 
était  difficile,  on  en  conviendra,  de  condenser  en 
moins  de  mots  plus  de  force  probante.  Et  n'était 
la  rudesse  de  ce  langage  scolastique,  auquel  il 
faut  être  initié  pour  en  saisir  toute  la  portée,  et 
qui  déconcerte  quelque  peu  un  lecteur  moderne, 
elles  mériteraient  d'être  apprises  par  cœur.  Elles 
renferment  la  substance  de  tout  un  traité. 

1.  L'argument  des  causes  finales.  —  Voici  com- 
ment en  parle  Kant  et  comment  il  l'expose.  «  Le  monde, 
tel  qu'il  se  révèle  à  nous,  présente  un  théâtre  si  étendu 
de  diversité,  de  finalité  et  de  beauté,  que  tout  est  im- 
puissant pour  rendre  de  si  nombreuses  et  si  inépuisables 
merveilles  et  l'impression  qu'elles  produisent  dans  nos 
âmes.  Partout  nous  voyons  un  enchaînement  d'effets  et 
de  causes,  de  fins  et  de  moyens,  une  régularité  dans  la 
vie  et  dans  la  mort.  Et  comme  rien  n'est  parvenu  de 
soi-même  à  l'état  où  il  se  trouve,  l'universalité  des  choses 
irait  s'abîmer  dans  le  néant,  si  on  ne  lui  donnait  pour 
principe  et  pour  cause  une  réalité  supérieure  qui  la 
soutient  après  l'avoir  produite.   Cet  argument,  le  plus 

i.  Sum.  theol,  I,  Q.  n,  a.  3. 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  ^20, 


ancien  et  le  plus  clair  de  tous,  mérite  toujours  d'être 
rappelé  avec  respect,  et  ce  serait  non  seulement  nous 
priver  d'une  consolation,  mais  encore  vouloir  l'impossible 
que  de  prétendre  enlever  quelque  chose  à  son  autorité. 
La  raison,  incessamment  élevée  par  des  arguments  si 
forts,  et  qui  vont  toujours  se  multipliant  sous  sa  main, 
n'offre  plus  de  prise  au  doute  d'une  spéculation  stérile  et 
abstraite  ;  elle  s'affranchit  de  toute  irrésolution  sophisti- 
que ;  et  en  présence  de  la  majesté  qui  éclate  dans  la 
structure  du  monde,  de  grandeur  en  grandeur  elle  s'élève 
jusqu'à  la  grandeur  absolue.  »  Kant,  Dialectique  trans- 
cendantale.  Critique  de  la  raison  pure. 

«  Dans  mon  système  (l'hypothèse  de  la  nébuleuse  pri- 
mitive), je  trouve  la  matière  soumise  à  des  lois  certaines 
et  nécessaires.  Je  vois  cette  matière,  décomposée  en  ses 
derniers  éléments,  se  façonner  successivement  et  sous 
l'empire  de  ces  lois  naturelles,  en  un  tout  admirablement 
ordonné.  Ce  n'est  point  là  l'effet  du  hasard,  c'est  la  con- 
séquence nécessaire  des  propriétés  naturelles  de  la 
matière.  Et  alors  n'est-on  pas  forcé  de  se  demander 
pourquoi  la  matière  obéit  précisément  à  des  lois  qui  ont 
pour  but  une  si  merveilleuse  ordonnance  ?  Serait-il  possi- 
ble que  tant  d'éléments,  dont  chacun  a  sa  nature  propre 
et  indépendante,  pussent  d'eux-mêmes  se  prêter  un 
concours  tel  qu'il  en  sortît  un  tout  bien  ordonné  ;  et  s'ils 
agissent  ainsi,  n'y  a-t-il  pas  là  une  preuve  indéniable  de  la 
communauté  de  leur  origine  première,  qui  ne  peut  être 
qu'une  Intelligence  souveraine  et  toute-puissante,  par 
laquelle  les  caractères  divers  des  éléments  ont  été  dessinés 
en  vue  de  leurs  combinaisons  futures  ?  La  matière, 
élément  primitif  de  toutes  choses,  est  donc  astreinte  à  des 
lois  déterminées,  et,  librement  abandonnée  à  ces  lois, 
elle  engendre  nécessairement  d'admirables  combinaisons. 
Elie  n'est  point  libre  de  s'écarter  du  plan  tracé  par  son 
Créateur.  Puisqu'elle  est  ainsi  soumise  à  des  vues  sou- 
verainement sages,  il  faut  nécessairement  qu'elle  ait  reçu 
des  propriétés  si  bien  concertées  d'une  Cause  première 
supérieure.  Il  existe  un  Dieu,  précisément  parce  que  le 
chaos  lui-même   ne   peut   engendrer  que  l'ordre  de  la 


£3o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


régularité.    »   Kant,    Histoire  générale  de  la  nature    et 
théorie  da  ciel,  préf . ,  traduction  de  Wolf. 

2.  Comme  l'argument  cosmologique,  la  preuve 
téléologicjue  est  renouvelée  et  confirmée  par  son 
un  ion  avec  les  autres. . .  «  Il  ne  suffit  pas  d'établir,  par  un 
syllogisme,  l'harmonie  des  moyens,  la  grandeur  des  fins, 
et  la  nécessité  d'une  cause  sage  et  intelligente  pour  ordon- 
ner l'univers  et  la  pensée.  La  vraie  preuve  téléologique  va 
plus  avant.  Elle  montre  que  la  sagesse  des  choses  n'est 
pas  dans  les  choses  ;  que  la  sagesse  de  l'homme  n'est  pas 
dans  l'homme...  Elle  ne  mesure  pas  la  Cause  qu'elle 
affirme  à  la  taille  des  effets  ;  mais  en  la  reconnaissant  en 
eux,  elle  la  met  hors  d'eux  et  trouve  dans  la  beauté 
relative  des  choses  le  principe  même  de  toute  beauté.  Sous 
sa  forme  abstraite,  voici  donc  comment  cet  argument,  si 
riche  en  aspects  variés,  s'offre  à  la  réflexion,  Ni  ma  pensée 
ne  peut  égaler  mon  action,  ni  mon  action  ne  peut  égaler 
ma  pensée.  Il  y  a,  en  moi,  des  proportions  entre  la  cause 
efficiente  et  la  cause  finale;  et  pourtant  ni  l'une  ni  l'autre 
ne  peuvent  être  en  moi  ce  qu'elles  sont  déjà,  sans  la 
médiation  permanente  d'une  pensée  et  d'une  action  par- 
faites. Tout  ce  qu'il  y  a  de  beauté  et  de  vie  dans  les 
choses,  tout  ce  qu'il  y  a  de  lumière  et  de  puissance  en 
l'homme  enveloppe,  dans  son  imperfection  et  son  infir- 
mité même,  une  perfection  souveraine  :  ainsi  va  se  déter- 
miner cette  triple  relation.  —  C'est  en  nous,  c'est  dans  le 
réel  que  nous  découvrons,  comme  en  un  miroir  impar- 
fait, cette  inaccessible  perfection.  Et  pourtant,  —  ni  nous 
ne  pouvons  nous  confondre  avec  elle,  —  ni  nous  ne 
pouvons  la  confondre  avec  nous.  La  force  de  cette  preuve, 
c'est  de  prendre  son  point  d'appui  dans  notre  expérience 
la  plus  intime.  »  Blondel,  L'Action,  Paris,  1893,  p.  345-346, 

3.  Toute  la  nature  montre  l'art  infini  de  son  au- 
teur. —  «  Quand  je  parle  d'un  art,  je  veux  dire  un  assem- 
blage de  moyens  choisis  tout  exprès  pour  parvenir  à  une  fin 
précise;  c'est  un  ordre,  un  arrangement,  une  industrie,  un 
dessein  suivi.  Le  hasard  est,  tout  au  contraire,  une  cause 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  43 1 


aveugle  et  nécessaire,  qui  ne  prépare,  qui  n'arrange,  qui 
ne  choisit  rien,  et  qui  n'a  ni  volonté  ni  intelligence.  Or  je 
soutiens  que  l'univers  porte  le  caractère  d'une  cause 
infiniment  puissante  et  industrieuse.  Je  soutiens  que  le 
hasard,  c'est-à-dire  le  concours  aveugle  et  fortuit  de  cau- 
ses nécessaires  et  privées  de  raison,  ne  peut  avoir  formé 
ce  tout.  C'est  ici  qu'il  est  bon  de  rappeler  les  célèbres 
comparaisons  des  anciens.  Qui  croira  que  l'Iliade  d'Ho- 
mère, ce  poème  si  parfait,  n'ait  jamais  été  composé  par 
un  effort  du  génie  d'un  grand  poète,  et  que  les  caractères 
de  l'alphabet,  ayant  été  jetés  en  confusion,  un  coup  du 
pur  hasard,  comme  un  coup  de  dés,  ait  rassemblé  toutes 
les  lettres,  précisément  dans  l'arrangement  nécessaire 
pour  décrire  dans  des  vers  pleins  d'harmonie  et  de 
variété,  tant  de  grands  événements  pour  les  placer  et  les 
lier  si  bien  tous  ensemble,  pour  peindre  chaque  objet 
avec  ce  qu'il  a  de  plus  gracieux,  de  plus  noble  et  de  plus 
touchant,  enfin  pour  faire  parler  chaque  personne  selon 
son  caractère,  d'une  manière  si  naïve  et  si  passionnée  ? 
Qu'on  raisonne  et  qu'on  subtilise  tant  qu'on  voudra, 
jamais  on  ne  persuadera  à  un  homme  sensé  que  l'Iliade 
n'ait  point  d'autre  auteur  que  le  hasard...  Pourquoi  donc 
cet  homme  sensé  croirait-il  de  l'univers,  sans  doute 
encore  plus  merveilleux  que  l'Iliade,  ce  que  son  bon  sens 
ne  lui  permettra  jamais  de  croire  de  ce  poème  ?  »  Fé- 
nelon,  Traité  de  l'existence  de  Dieu,  P.  i,  ch.  i. 

4.  L'unique  nécessaire.  —  «  En  se  déployant  dans 
l'univers,  la  volonté  prend  plus  clairement  conscience 
d'elle-même  et  de  ses  exigences  :  la  nature,  la  science,  la 
conscience,  la  vie  sociale,  le  domaine  métaphysique,  le 
monde  moral  n'ont  été,  pour  elle,  qu'une  série  de 
moyens;  elle  ne  peut  ni  y  renoncer  ni  s'en  contenter  ;  elle 
s'en  sert  donc  comme  de  tremplin  pour  prendre  son  élan. 
La  preuve  de  «  l'unique  nécessaire  »  emprunte  ainsi  sa 
force  et  sa  valeur  à  l'ordre  entier  des  phénomènes.  Sans 
lui,  tout  n'est  rien,  et  rien  ne  peut  pas  être.  Tout  ce  que 
nous  voulons  suppose  qu'il  est  ;  tout  ce  que  nous  sommes 
exige  qu'il  soit.  C'est  donc  de  mille  façons  qu'on  peut 
formuler  l'argument  tiré  de  l'universelle  contingence.  Cet 


M 


' 


£32  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


unique  nécessaire  se  tient  à  l'entrée  ou  au  terme  de  toutes 
les  avenues  où  l'homme  peut  entrer;  au  bout  de  la  science 
et  de  la  curiosité  de  l'esprit,  au  bout  de  la  passion  sincère 
et  meurtrie,  au  bout  de  la  souffrance  et  du  dégoût,  au 
bout  de  la  joie  et  de  la  reconnaissance,  partout,  qu'on 
descende  en  soi  ou  qu'on  monte  aux  limites  de  la  spécu- 
lation métaphysique,  le  même  besoin  renaît.  Rien  de  ce 
qui  est  connu,  possédé,  fait,  ne  se  suffit  ni  ne  s'annihile. 
Impossible  de  s'y  tenir  ;  impossible  d'y  renoncer. 

«  Ainsi  compris,  l'argument  a  contingentia  a  un  tout 
autre  caractère,  un  ressort  plus  puissant  qu'on  ne  l'a  cru 
d'ordinaire.  Au  lieu  de  chercher  le  nécessaire  hors  du 
contingent,  comme  un  terme  ultérieur,  il  le  montre  dans 
le  contingent  même,  comme  une  réalité  déjà  présente.  Au 
lieu  d'en  faire  un  support  transcendant  mais  extérieur,  il 
découvre  qu'il  est  immanent  au  centre  même  de  ce  qui  est. 
Au  lieu  de  prouver  simplement  l'impossibilité  d'affirmer 
le  contingent  seul,  il  prouve  l'impossibilité  de  nier  le 
nécessaire  qui  le  fonde.  Au  lieu  de  dire  :  «  Qu'à  un 
moment  rien  ne  soit,  éternellement  rien  ne  sera,  »  il 
conclut  :  «  Du  moment  où  quelque  chose  a  été,  éternel- 
lement l'unique  nécessaire  est.  »  Au  lieu  de  s'appuyer  sur 
la  fiction  d'un  idéal  nécessaire,  il  s'appuie  sur  la  nécessité 
même  du  réel...  Ainsi  donc  l'ordre  entier  de  la  nature 
nous  est  forcément  un  garant  de  ce  qui  le  dépasse.  La 
nécessité  relative  du  contingent  nous  révèle  la  nécessité 
absolue  du  nécessaire...  Le  contingent  participe  à  la 
nécessité  du  réel,  sans  en  partager  le  privilège.  Ce  qui  est 
existe  nécessairement  pendant  qu'il  est,  quoique,  par 
nature,  il  n'ait  rien  de  nécessaire. 

a  Voilà  pourquoi  les  choses  visibles,  les  sciences  humai- 
nes, les  phénomènes  de  la  conscience,  les  arts  et  les 
œuvres,  tout  en  nous  et  hors  de  nous  exige  «  l'unique 
nécessaire.  »  Et  si,  pour  le  porter,  ces  ombres  d'être  sont 
un  fondement  solide,  c'est  qu'il  en  fait  lui-même  l'invi- 
sible appui.  »  Blondel,  L'Action,  Paris,  1893,  p.  343-344. 

5.  L'argument  tiré  de  l'existence  de  la  loi  mo- 
rale et  de  la  nécessité  de  sa  sanction.  —  «  Sans 
doute,   faire  le  bien  et  fuir  le  mal  exclusivement  par 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  ^33 


crainte  du  châtiment  ou  par  espoir  de  la  récompense, 
c'est  un  sentiment  peu  noble  ;  c'est  le  signe  d'une  mora- 
lité inférieure.  Mais  il  est  nécessaire  qu'aux  heures  de 
crise  où  la  bête  humaine  se  réveille,  quand  ses  rugisse- 
ments étouffent  le  langage  de  la  raison,  la  crainte  de  Dieu 
se  dresse  comme  une  barrière  entre  le  mal  et  nous.  Pour 
dompter  un  fauve,  on  oppose  à  sa  fureur  une  barre 
de  fer  rougie  au  feu.  Combien  d'hommes  portent  en  eux 
une  bête  féroce  ou  une  bête  obscène,  quelquefois  l'une  et 
l'autre  !  Alors,  aux  moments  de  troubles  profonds,  la 
pensée  d'un  suprême  Justicier  dompte  les  révoltes  de  la 
chair  ou  de  l'esprit.  Et  d'ailleurs,  si  l'ordre  moral  a  été 
violé,  il  faut  une  réparation  ;  la  justice  doit  avoir  son 
tour,  puisque  l'injustice  a  eu  le  sien.  Si  l'homme  a  fait 
effort  pour  garder  toute  la  loi,  une  récompense  propor- 
tionnée lui  est  due  dans  la  vie  future  ;  ici  bas,  trop  sou- 
vent elle  lui  échappe,  et  du  reste  un  bonheur  purement 
terrestre  ne  peut  balancer  la  valeur  transcendante  des 
actions  vertueuses.  Supposons  un  moment  qu'un  homme, 
victime  volontaire  de  sa  fidélité  à  la  loi  morale,  n'ait  rien 
à  espérer  d'un  Dieu  illusoire  pour  rétablir  l'équilibre 
entre  le  bien  et  le  bonheur  ;  il  s'ensuit  qu'ayant  sacrifié  la 
félicité  terrestre,  il  se  trouve  le  plus  malheureux  des  êtres 
pour  avoir  écouté  le  dictamen  de  sa  conscience  et  suivi 
librement  l'impulsion  de  sa  nature  raisonnable.  Il  y  aurait 
donc  des  cas  où  l'infidélité  à  la  loi  naturelle  serait  pru- 
dence et  sagesse.  Quelle  conclusion  !  et  qui  croira  que  ce 
soit  là  le  dernier  mot  de  la  philosophie  ?  Son  dernier  mot, 
c'est  qu'il  faut  à  la  morale  une  sanction  rigoureusement 
exacte,  et  pour  que  cette  sanction  existe,  il  faut  un  légis- 
lateur qui  la  détermine,  un  juge  qui  l'applique,  c'est-à- 
dire  il  faut  un  Dieu  pour  graver  la  loi  naturelle  dans 
notre  cœur,  pour  maintenir  ou  réparer  l'ordre  moral, 
comme  il  en  faut  un  pour  façonner  et  soutenir  l'ordre 
physique.  »  Souben,  Nouvelle  théologie,  Paris,  1902, 
t.  1,  p.  54, 


LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  ^  *       »8 


Leçon  XII' 
De  Dieu 


ï.  L'existence  de  Dieu  est  une  vérité  révélée. 
II.  C'est  un  dogme  de  foi  catholique,  —  III.  Y 
a-t-il  des  athées  ? 


I.  C'est  une  vérité  révélée 


Le  Catéchisme  romain  rappelle  le  témoignage  que 
Dieu  a  donné  de  lui-même  dans  l'Ecriture  ;  et 
cette  connaissance  ainsi  obtenue,  il  la  carac- 
térise comme  une  vérité  beaucoup  plus  explicitement 
formulée  que  par  les  philosophes,  absolument 
certaine  et  à  l'abri  de  toute  erreur.  Les  Pères  du 
concile  du  Vatican  n'ont  pas  parlé  d'une  manière 
différente.  Après  avoir  affirmé,  comme  nous  venons 
de  le  voir,  le  pouvoir  naturel  qu'a  la  raison  de 
connaître  Dieu,  ils  ajoutent  :  «  Il  a  plu  néanmoins  à 
la  sagesse  et  à  la  bonté  de  Dieu  de  se  révéler  lui- 
même  et  les  éternels  décrets  de  sa  volonté,  par  une 
autre  voie,  et  cela  par  une  voie  surnaturelle.  C'est 
ce  que  dit  l'Apôtre  :  «  Après  avoir  parlé  autrefois 
à  nos  pères,  à  plusieurs  reprises  et  de  plusieurs 
manières,  par  les  prophètes  ;  pour  la  dernière  fois, 


l'existence  de  dieu  :  vérité  révélée        43& 

Dieu  nous  a  parlé  de  nos  jours  par  son  Fils  (i).  » 
La  révélation  constitue  donc  un  autre  moyen 
d'arriver  à  la  connaissance  de  Dieu.  Et  ce  moyen 
offre  des  avantages  et  des  garanties  qu'on  ne  saurait 
attendre  de  la  raison  laissée  à  elle  seule.  Les  Pères 
disent  en  effet  :  «  C'est  à  cette  divine  révélation 
qu'il  faut  attribuer  que  les  points  qui,  dans  les 
choses  divines,  ne  sont  pas  par  eux-mêmes  inacces- 
sibles à  la  raison  humaine,  puissent  aussi  être 
connus  de  tous,  sans  difficulté,  avec  une  ferme 
certitude  et  à  l'exclusion  de  toute  erreur  (2).  » 
C'est,  en  d'autres  termes,  proclamer  l'utilité  de  la 
révélation,  d'une  manière  générale  pour  toutes  les 
vérités  de  la  religion  naturelle,  mais  en  particulier 
pour  la  première  de  toutes,  pour  la  connaissance 
de  l'existence  de  Dieu. 

Ainsi  donc,  grâce  à  la  révélation,  tout  homme, 
dans  les  conditions  de  la  vie  présente,  peut  facile- 
ment arriver  à  la  connaissance  de  Dieu,  sans  retard 
et  sans  labeur,  avec  une  ferme  certitude  et  sans  mé- 
lange d'erreur.  C'est  là,  du  reste,  un  fait  d'expérience 
quotidienne.  Pour  le  passé,  l'histoire  prouve  avec 
surabondance  de  combien  d'erreurs,  non  seulement 
dans  le  peuple  mais  encore  chez  les  esprits  les  plus- 
cultivés,  s'enveloppait  l'idée  de  Dieu.  Livrée  à  ses 
seules  forces,  la  raison  se  heurte  à  des  difficultés 
avant  d'arriver  effectivement  à  la  connaissance  de 
Dieu.  Saint  Thomas  signale  trois  inconvénients  qui 
résulteraient  pour  l'homme  de  l'absence  d'un  ensei- 
gnement révélé.  C'est  que  d'abord  le  nombre  serait 
fort  restreint  de  ceux  qui  pourraient  parvenir  à  cette 
connaissance,  faute  soit  d'intelligence  suffisante,- 
soit  de  loisirs  et  de  goûts,  soit  de  courage  ;  c'est 
ensuite    que    ce    petit    nombre    n'y    parviendrait 

1.  Constitution  Dei  Filius,  c.  11,  Si.  —  a.  Ibid.,  c.  11,  S  a. 


Q 


6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


qu'après  un  temps  assez  long,  la  jeunesse  ne  possé- 
dant pas  le  calme  et  la  sagesse  requis,  la  maturité 
se  trouvant  aux  prises  avec  des  questions  d'ordre 
matériel;  et  c'est  enfin  que  ceux  qui  y  parviendraient 
ne  sauraient  être  complètement  à  l'abri  de  toute 
erreur  et  de  tout  doute.  Ainsi  le  meilleur  moyen 
d'assurer  à  chacun  une  connaissance  facile,  prompte, 
certaine  et  indubitable  de  Dieu,  est-ce  la  foi.  Et 
cela  est  vrai  non  seulement  pour  ceux  qui  sont 
insensibles  à  une  démonstration  philosophique  ou 
qui  en  sont  incapables,  mais  encore  pour  les  esprits 
plus  élevés  qui  par  là  sont  assurés  contre  toute 
erreur.  «  11  était  nécessaire,  dit  saint  Thomas,  que 
l'homme  apprit  par  l'enseignement  de  la  foi,  non 
seulement  les  choses  inaccessibles  à  la  raison  natu- 
relle, mais  aussi  celles  qui  peuvent  êtres  connues 
par  elle  ;  et  cela  pour  trois  motifs.  D'abord  pour 
que  l'homme  arrive  plus  promptement  à  la  connais- 
sance de  Dieu.  En  effet,  ce  n'est  qu'en  dernier  lieu, 
et  après  avoir  acquis  préalablement  des  connaissan- 
ces nombreuses,  que  les  hommes  peuvent  se  livrer 
à  l'étude  de  l'Ecriture  sainte,  à  laquelle  il  appartient 
de  démontrer  l'existence  de  Dieu  et  plusieurs  autres 
de  ses  attributs  qui  se  rattachent  à  cette  première 
vérité.  L'homme,  en  suivant  cette  marche,  ne  par- 
viendrait donc  à  connaître  Dieu  qu'après  avoir  passé 
déjà  une  grande  partie  de  sa  vie.  En  second  lieu, 
pour  que  la  connaissance  de  Dieu  fût  plus  générale. 
Combien  n'y  en  a-t-il  pas,  en  effet,  qui  ne  peuvent 
faire  de  progrès  clans  la  science,  soit  par  défaut 
d'intelligence,  soit  à  cause  des  préoccupations  et 
des  nécessités  de  la  vie  matérielle,  soit  parce  qu'ils 
ont  peu  de  désir  d'apprendre.  Or,  tous  ceux-là 
seraient  privés  de  la  connaissance  de  Dieu,  s'ils  ne 
la  recevaient  par  l'enseignement  divin.  En  troisième 
lieu,  à  cause  de  la  certitude  de  cette  connaissance 


l'existence  de  dieu  :  vérité  révélée       437 

même  :  la  raison  humaine  est  si  défectueuse  quand 
il  s'agit  de  choses  divines  I  la  preuve  en  est  dans 
les  nombreuses  erreurs  où  l'investigation  ration- 
nelle sur  la  nature  a  conduit  les  philosophes 
anciens,  et  dans  les  contradictions  où  ils  sont 
tombés.  Il  a  donc  fallu,  pour  avoir  de  Dieu  une 
connaissance  certaine  et  indubitable,  que  les  hom- 
mes la  trouvassent  dans  l'enseignement  de  la  foi, 
manifestée  par  la  parole  de  Dieu  lui-même,  qui  ne 
peut  tromper  (1).  » 

Ces  paroles  restent  toujours  vraies  ;  et  nul  doute 
que  si  le  Docteur  angélique  vivait  dans  ce  commen- 
cement du  xxe  siècle,  il  ne  les  eût  appuyées  sur  le 
témoignage  des  erreurs  et  des  contradictions  de  la 
plupart  des  philosophes  contemporains.  C'est  grâce 
à  la  révélation,  en  effet,  qu'on  échappe  au  désordre, 
à  l'anarchie,  au  chaos,  aux  aberrations  de  l'intel- 
ligence, pour  entrer  de  plein  pied  et  se  reposer  en 
pleine  sécurité  sur  le  terrain  ferme  et  harmonieuse- 
ment ordonné  de  la  foi,  terrain  d'où  la  raison  est 
loin  d'être  exclue,  mais  où  au  contraire  elle  est 
appelée  à  exercer  ses  droits  dans  toute  leur  plénitude. 

L'existence  de  Dieu,  en  même  temps  qu'elle 
appartient  au  domaine  de  la  raison,  est  donc  une 
vérité  révélée  ;  elle  peut  se  lire  à  chacune  des  pages 
de  la  sainte  Ecriture. 

La  Bible,  en  effet,  est  remplie  des  affirmations 
que  Dieu  lui-même  donne  de  son  existence,  des 
paroles  qu'il  prononce,  des  actes  qu'il  accomplit,  de 
ses  interventions  fréquentes  dans  l'histoire.  Il  s'y 
nomme  et  son  nom  propre  est  Iahveh  ou  Jehovah. 
Celai  qui  est  ;  c'est  ainsi  qu'il  dit  à  Moïse  :  «  Je  suis 
Celui  qui  suis.  Voici  ce  que  tu  diras  au  fils  d'Israël: 


1.  Sam.  theol.,  ii'ii»,  Q.  n, a.  4«  Cf.  Cont.  Gent.,  I, iv;  QuœsU 
ie  Verit.,  Q.  xiv,  a.  10.  , 


£38  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Celui  qui  est  m'a  envoyé  vers  vous  (i).  »  A  la  der- 
nière page  du  saint  Livre,  il  s'appelle  «  l'alpha  el 
l'oméga,  le  premier  et  le  dernier,  le  commencement 
et  la  fin,  celui  qui  est,  qui  était  et  qui  doit  venir  (2).» 
D'autres  noms  sont  encore  donnés  à  Dieu  :  Adonaï, 
«  mon  Seigneur»  ;  El-Shaddaï,  «  le  Tout-puissant  :  » 
Elion,  le  Dieu  très-haut.  «  Sa  personnalité  ressort 
de  toutes  les  narrations  de  style  populaire,  où  d'au- 
dacieux anthropomorphismes  sont  employés  pour 
caractériser  l'acte  divin  à  l'égard  des  créatures  ;  un 
être  abstrait  ou  impersonnel  n'ordonne  pas,  ne 
défend  pas,  ne  menace  pas,  n'est  pas  saisi  de  dou- 
leur, ni  touché  de  repentir,  ne  veille  pas  sur  les 
hommes,  ne  leur  apparaît  pas  sous  des  formes  visi- 
bles. Son  caractère  moral  se  manifeste  par  la  sévé* 
rite  dont  il  use  à  l'égard  des  pécheurs,  par  les 
récompenses  qu'il  promet  à  ceux  qui  observeront 
sa  Loi  ;  et  cette  Loi,  c'est  sans  doute  le  rituel  mo- 
saïque, mais  c'est  aussi  et  avant  tout  le  Décalogue, 
c'est-à-dire  l'énoncé  ferme  et  précis  de  la  loi  natu- 
relle. Ce  caractère  moral  du  Dieu  de  la  révélation 
achève  de  se  dessiner  dans  les  Evangiles  ;  la  notion 
de  paternité  divine  à  l'égard  des  hommes  n'avait 
pas  été  inconnue  aux  Juifs  ;  mais  l'histoire  évangé- 
lique  a  dégagé  cette  notion  dans  toute  son  intégrité, 
l'a  fait  connaître  aux  Gentils  (3).  » 

La  sainte  Ecriture,  œuvre  inspirée  de  Dieu,  mais 
«'adressant  aux  hommes,  est  obligée  de  recourir 
à.  des  expressions  anthropomorphiques,  à  cause  de 
l'imperfection  de  notre  intelligence  et  de  l'infirmité 
de  notre  langage  ;  et  il  a  fallu  la  naïveté  de  quel- 
ques chrétiens  (4)  ou  le  manque  de  bonne  foi  de 


1.  Exod.,  m,  i4.  —  2.  Apoc,  1,  8.  —  3.  Souben,  Dieu  dans 
l'histoire,  Paris,  1902,  p.  55.  —  4-  voir  notre  article  Anthropo~ 
morphites  dans  le  Dict.  de  théol,  t.  1,  col.  1370-1872. 


l'existence  de  dieu  :  vérité  révélée         ^39 

certains  esprits  pour  voir  dans  l'anthropomor- 
phisme une  doctrine  littérale.  Ce  n'est  pourtant  pas 
le  cas.  Et  s'il  y  est  question  si  souvent  des  théopha- 
nies,  la  tradition  n'a  pas  eu  de  peine  à  en  dégager 
la  haute  portée  religieuse.  Car,  comme  le  signale 
Thomassin  (1),  il  découle  de  l'enseignement  des 
Pères  que  Dieu  n'a  pu  apparaître  sous  forme 
humaine  que  pour  s'accoutumer  lui-même  en  quel- 
que sorte  à  l'humanité  qu'il  devait  revêtir  un  jour  : 
pour  apaiser  l'impatience  de  son  amour  et,  tandis 
que,  par  un  conseil  de  sa  sagesse,  ilretardait  l'heure 
de  l'Incarnation,  il  prenait  comme  un  avant  goût 
de  ce  grand  mystère  ;  pour  habituer  peu  à  peu  les 
hommes  à  l'éclat  trop  vif  de  sa  divinité  et,  par  la 
demi-lumière  de  ses  apparitions,  fortifier  leur  regard 
et  le  préparer  au  grand  jour  ;  pour  dissiper  graduel- 
lement leur  incrédulité  (2). 

Dieu  s'est  choisi  un  peuple  pour  lui  communi- 
quer ses  enseignements  progressifs  et  il  n'a  cessé 
de  le  mettre  en  contact  avec  les  races  diverses  dans 
un  dessein  très  arrêté  de  sa  providence,  comme  l'a 
si  admirablement  montré  Bossuet  dans  son  Histoire 
universelle  ;  il  lui  a  sans  cesse  envoyé  des  prophè- 
tes, toujours  en  vue  du  grand  avènement  du  Messie. 
Bref,  à  chaque  page,  Dieu   se  montre,  parle  et  agit. 

Son  existence  se  manifeste  encore  par  tant 
d'œuvres  surnaturelles,  qui  constituent  de  si  puis- 
sants motifs  de  crédibilité  et  servent  en  même 
temps  de  preuve  à  la  révélation.  Ces  œuvres,  mani- 
festement au-dessus  des  puissances  de  la  nature, 
impliquent  une  cause  transcendante,  surnaturelle, 
Dieu.  Mais  certains  groupes  de  ces  œuvres  merveil- 


1.  De  Incarn.  Verbi.  I,  vi,  n.  10,  Venise,  1730,  p.  3o.  — • 
a.  Cf.  De  Régnon,  Etudes  de  Théologie  positive*  3*  série. 
Etude  xiv,  Paris  1898,  t.  1,  p.  &4. 


44o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


leuses  attestent  encore  mieux,  si  c'est  possible, 
l'existence  de  Dieu. 

Si  l'on  considère,  en  effet,  l'histoire  du  peuple 
juif,  dit  Franzelin  (i),  on  voit  comment  la  vie 
religieuse  et  politique  de  toute  cette  nation  reste 
pendant  deux  mille  ans  absolument  différente  de  la 
religion,  de  la  vie  et  des  mœurs  de  tous  les  peuples. 
Or  cette  vie  si  singulière  se  relie  à  des  faits  surna- 
turels, à  des  prophéties  faites  et  accomplies,  à  des 
théophanies  continues  qui,  depuis  la  grande  appa- 
rition du  Sinaï,  s'offrent  sans  cesse  aux  regards  de 
toute  la  nation.  Et  ce  n'est  pas  seulement  par  hasard 
que  cette  suite  de  faits  surnaturels  est  liée  à  cette 
histoire  religieuse  et  politique,  mais  au  contraire 
elle  en  forme  le  fond  et  l'élément  essentiel,  de  telle 
sorte  que,  sans  ces  faits  surnaturels,  la  trame  de 
l'histoire  du  peuple  juif  ne  saurait  ni  se  comprendre, 
ni  s'expliquer. 

Et  n'est-ce  pas  une  preuve  évidente  de  l'existence 
de  Dieu,  que  la  vie,  les  œuvres,  l'enseignement 
de  Jésus-Christ  ?  Yie,  œuvres  et  enseignements, 
inexplicables  par  les  seules  ressources  humaines,  et 
qui  proclament  l'action  surnaturelle  de  Dieu.  Parmi 
ces  œuvres,  que  dire  de  la  fondation  de  l'Eglise,  de 
son  existence  à  travers  les  siècles,  de  sa  force  de 
résistance  à  tant  d'assauts,  de  sa  marche  progres- 
sive à  travers  tant  de  peuples  qui  occupent  tour  à  tour 
le  premier  plan  de  l'histoire  ?  Si  le  divin  est  quelque 
part,  il  est  là.  Et  ce  n'est  certes  pas  l'un  des  moin- 
dres motifs  de  crédibilité  que  ce  phénomène  vrai- 
ment déconcertant  de  la  persistance  de  l'Eglise  :  à 
qui  sait  voir,  ce  n'est  que  Dieu  qui  soutient  son 
Eglise. 

Mais,  pour  le  croyant,  si  le  monde  de  la  nature 

i.  De  Deo  uno,  3e  édit.,  p.  117-118. 


l'existence  de  dieu   :   DOGME  de  foi  44  1 

«  I  —  ' 

est  un  livre  admirable  où  se  lit,  en  caractères 
indélébiles,  le  nom  du  Créateur,  le  monde  de  la 
grâce  avec  son  harmonie,  son  éclat,  sa  prodigieuse 
fécondité,  avec  les  perspectives  qu'il  ouvre  devant 
la  foi  étonnée  et  ravie,  ne  proclame-t-il  pas  l'exis- 
tence de  l'auteur  de  l'ordre  surnaturel  ?  Il  est  donc 
superflu  d'insister. 

IL  C'est  un  dogme  de  foi 
catholique 

Rien  d'étonnant,  puisque  l'existence  de  Dieu  est 
une  vérité  révélée,  que  l'Eglise  en  ait  pu  faire  un 
dogme  de  foi  catholique  ;  et  c'est,  en  effet,  ce  qu'a 
proclamé  le  concile  du  Vatican  une  fois  de  plus. 
Car  tous  les  symboles,  nous  l'avons  vu,  débutent 
par  un  acte  de  foi  à  l'existence  d'un  seul  Dieu.  Mais 
c'est  parce  que,  dans  le  dernier  siècle,  cette  vérité 
capitale  était  méconnue  ou  défigurée  par  certains 
philosophes  et  certaines  écoles  de  philosophie,  que 
les  Pères  du  Vatican  ont  tenu  à  en  faire  une  pro- 
fession solennelle  de  foi. 

Nous  lisons  dans  la  Constitution  Dei  Filius  :  «  La 
sainte  Eglise  catholique,  apostolique,  romaine,  croit 
et  professe  qu'il  y  a  un  seul  Dieu,  vrai  et  vivant, 
créateur  et  seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  tout- 
puissant  (i).  »  Cette  profession  solennelle  de  foi  en 
l'existence  de  Dieu  fait  de  cette  vérité  révélée  un 
dogme  de  foi  catholique,  puisqu'il  y  est  dit  que 
«  l'Eglise  la  croit  et  la  professe.  » 

Remarquons,  toutefois,  que  les  titres  donnés  à 
Dieu  dans  cette  profession  de  foi  ne  sont  pas  de  foi 
en  vertu  de  cette  profession  même,  car  ils   ont   été 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  i,  §  i. 


l\l\1  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

déjà  définis  en  d'autres  circonstances.  Que  Dieu  soit 
un  et  vivant,  créateur  et  seigneur  du  ciel  et  de  la  terret 
tout-puissant,  ces  vérités  sont  déjà  acquises  par 
d'autres  définitions  ;  elle  servent  ici  à  mieux  dis- 
tinguer le  Dieu,  dont  l'existence  est  définie,  et  à 
préciser  la  profession  de  foi  par  quelques  traits  dis- 
tinctifs,  tels  que  ceux  qu'on  rencontre  dans  l'Ancien 
et  le  Nouveau  Testament,  où  l'on  oppose  aux  idoles 
la  notion  du  Dieu  véritable  :  ce  Dieu  n'est  autre 
que  le  Dieu  des  patriarches,  des  juifs  et  des  chré- 
tiens, auteur  tout  à  la  fois  de  la  nature  et  de  la 
grâce.  La  croyance  à  l'existence  de  Dieu  est  néces- 
saire de  nécessité  de  moyen  pour  être  sauvé  ;  mais 
le  concile  n'a  pas  spécifié  si  l'acte  de  foi  doit 
s'appliquer  à  Dieu  considéré  et  comme  auteur  de 
l'ordre  naturel  et  comme  auteur  de  l'ordre  surna- 
turel. Quelques  thomistes,  sous  prétexte  qu'on  ne 
peut  faire  un  véritable  acte  de  foi  à  une  vérité  qu'on 
s'est  démontrée  par  la  raison,  soutiennent  que  la 
foi  en  l'existence  de  Dieu,  nécessaire  de  nécessité 
de  moyen  pour  le  salut,  n'est  autre  que  la  foi  en 
l'existence  de  Dieu,  considéré  comme  l'auteur  de 
l'ordre  surnaturel  (i).  C'est  peut-être  beaucoup  trop 
dire  ;  mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point  particulier, 
à  débattre  entre  théologiens  de  profession,  il  con- 
vient de  retenir  que  l'acte  de  foi  nécessaire  de 
nécessité  de  moyen  pour  le  salut  est  au  moins 
l'acte  de  foi  en  l'existence  de  Dieu,  considéré  comme 
auteur  de  l'ordre  naturel. 

De  cette  définition  du  concile  du  Vatican  décou- 
lent quelques  conséquences,  dont  l'une  est  d'exclure 
du  corps  de  l'Eglise  quiconque  se  refuse  à  admettre 
l'existence  de  Dieu,  sur  l'autorité  de  la  révélation, 
par  suite  les  athées  formels,  les  matérialistes  qui 

i.  Cf.  Vacant,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  169. 


l'existence  de  dieu  :  DOGME  de  foi         443 

n'admettent  rien  en  dehors  de  la  matière,  les 
rationalistes  qui,  repoussant  toute  révélation,  n'ad- 
mettent l'existence  de  Dieu  qu'à  cause  des  preuves 
qu'en  donne  la  raison,  et  certains  protestants 
contemporains  qui,  par  un  tour  de  force  comparable 
à  une  gageure,  estiment  pouvoir  rester  chrétiens 
sans  croire  à  l'existence  de  Dieu,  si  hautement 
affirmée  par  Notre  Seigneur. 

Les  matérialistes,  cela  va  de  soi,  en  vertu  de  leurs 
propres  principes,  ne  peuvent  reconnaître  rien  en 
dehors  et  au  dessus  de  la  matière  :  ils  ne  vont  pas 
seulement  contre  la  foi,  ils  sont  en  révolte  contre 
la  raison.  Le  concile  du  Vatican  les  frappe  d'ana- 
thème  :  «  Anathème  à  qui  ne  rougirait  pas  d'affirmer 
qu'il  n'existe  rien  en  dehors  de  la  matière  I  »  Sans 
être  des  matérialistes  déterminés,  les  positivistes 
ofîrent-ils  prise  à  cette  condamnation  ?  Car  ils 
éliminent  résolument  de  leurs  recherches  l'absolu, 
sous  prétexte  qu'il  échappe  aux  prises  de  l'expé- 
rience, qu'il  ne  peut  être  connu  ;  ils  renoncent  par 
conséquent  à  la  recherche  des  causes,  surtout  des 
causes  premières  et  des  causes  finales,  parce  que 
c'est  là,  à  leur  sens,  une  enquête  qui  ne  put  pas 
aboutir  ;  c'est  dire  qu'ils  suppriment  le  problème 
de  l'origine  du  monde  et  celui  de  sa  destination, 
parce  que  «  le  travail  de  la  science  a  eu  pour  résul- 
tat de  démontrer  que  nulle  part  il  n'y  a  place  pour 
l'intervention  des  dieux  d'aucune  théologie.  »  Dieu 
a  donc  pu  être  une  hypothèse,  utile  sinon  nécessaire, 
pendant  le  premier  stage  de  l'esprit  humain,  dans 
Vétat  théologique,  et  même  pendant  le  second,  dans 
létal  métaphysique  ;  mais,  dans  l'état  actuel,  dans 
Vétat  positif,  c'est  une  hypothèse  démodée,  complè- 
tement inutile  :  l'homme  n'a  qu'à  prendre  congé  de 
Dieu;  il  s'en  passe,  il  l'ignore,  il  explique  sans  lui 
tout  ce  qui  est  explicable.  Une  telle  manière  de  voir 


444  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

est  fausse,  philosophiquement  parlant,  et  pour  bien 
des  raisons  que  nous  n'avons  pas  à  signaler  ici  ; 
mais  il  ne  suffit  pas  qu'elle  soit  fausse  pour  que  les 
positivistes  soient  englobés  dans  l'anathème  que 
nous  venons  de  rapporter  et  qui  vise  d'une  façon 
nette  et  précise  les  purs  matérialistes. 

Des  idéalistes  exagérés  sont  tombés  dans  une 
autre  erreur  pareillement  condamnable  et  pareille- 
ment condamnée.  Il  y  a  tant  de  manières  de  repousser 
l'idée  de  Dieu  1  Les  athées,  nous  verrons  tout  à 
Fheure  ce  qu'il  convient  d'en  penser,  la  rejettent 
formellement,  explicitement  ;  certains  idéalistes, 
tout  en  se  défendant  de  lui  porter  la  moindre 
atteinte,  l'écartent  implicitement  et  en  quelque 
sorte  d'une  manière  subreptice.  C'est  ce  que  nous 
avons  vu  dans  la  seconde  moitié  du  dernier  siècle. 
Certains  esprits  raffinés  affichaient  pour  Dieu  un 
respect  profond  ;  mais,  outre  le  sens  ordinaire 
attaché  à  ce  nom,  ils  en  avaient  imaginé  un  autre 
tout  différent. 

Vacherot,  par  exemple,  était  très  affirmatif  en 
cosmologie  et  très  négatif  en  théologie.  En  cosmo- 
logie, il  admettait  fort  bien  l'existence  de  Dieu  ; 
mais  ce  Dieu  vivant,  concret,  c'est  «  l'être  universel, 
infini,  sujet  et  cause  de  tous  les  phénomènes  dont 
il  paraît  n'être  que  le  théâtre,  se  suffisant  à  lui- 
même  et  n'ayant  nul  besoin  d'un  principe  hyper- 
cosmique  ;  »  il  se  confond  avec  le  monde,  ce  qui, 
pour  nous,  revient  à  dire  qu'il  n'est  vraiment  pas 
Dieu.  En  théologie,  au  contraire,  Yacherot  admet- 
tait aussi  l'idée  d'un  Dieu,  immuable,  immobile, 
parfait,  de  celui  que  la  foi  du  genre  humain  et  le 
cri  de  toute  conscience  religieuse  saluent  du  nom 
de  Dieu  ;  mais  ce  Dieu  n'existe  pas  ;  ce  n'est  qu'un 
être  de  raison  dont  la  perfection  est  toute  idéale  ; 
ce  n'est  qu'une  idée,  qu'une  abstraction,  parce  que 


l'existence  de  dieu  :  dogme  de  foi  /i/j5 

l'existence  et  la  perfection  ne  marchent  pas  de  pair. 
Et  vouloir  que  le  Dieu  parfait  de  la  théologie  fût 
réel,  ce  serait  le  mutiler,  le  faire  déchoir  de  sa 
perfection.  D'où  ce  dilemme:  ou  Dieu  est  parfait, 
mais  alors  il  n'existe  pas,  et  c'est  l'athéisme  ;  ou 
Dieu  existe,  mais  alors  il  n'est  pas  parfait,  il  so 
confond  avec  le  Cosmos,  et  c'est  le  panthéisme. 

Renan,  de  son  côté,  a  une  théorie  quelque  peu 
semblable,  sous  des  formules  plus  subtiles  et  plus 
nuancées.  Il  rejette  l'idée  d'un  Dieu  créateur,  d'une 
Providence  intervenant  à  un  degré  quelconque  dans 
les  affaires  de  ce  monde,  il  regarde  la  vraie  théolo- 
gie comme  «  la  science  du  monde  et  de  l'humanité, 
aboutissant,  comme  culte,  à  la  poésie  et  à  l'art, '-et 
par  dessus  tout  à  la  morale.  »  Quant  à  savoir  si 
Dieu  existe,  il  répond  oui  et  non.  Oui,  il  existe,  si 
on  le  considère  comme  la  collection  des  êtres,  nature 
et  humanité,  qui  sont  l'objet  de  la  vraie  théologie; 
non,  si  on  le  regarde  comme  l'absolu,  l'éternel, 
l'immuable,  sans  progrès  et  sans  devenir.  Et  ainsi 
le  Dieu,  dont  il  affirme  la  réelle  existence,  n'est  autre 
chose  que  le  monde,  ce  qui  est  du  panthéisme  ;  et 
le  Dieu  dont  il  affirme  la  perfection,  n'est  aulre 
que  le  résumé  de  nos  besoins  suprasensibles,  un 
concept  sans  objet  réel,  la  «  catégorie  de  l'idéal,  » 
et  ceci  est  de  l'athéisme.  «  Dieu,  providence,  im- 
mortalité, autant  de  bons  vieux  mots  ;  un  peu  lourds 
peut-être,  que  la  philosophie  interprétera  dans  des 
sens  de  plus  en  plus  raffinés,  mais  qu'elle  ne  rem- 
placera jamais  avec  avantage.  Sous  une  forme  ou 
sous  une  autre,  Dieu  sera  toujours  le  résumé  de  nos 
besoins  suprasensibles,  la  catégorie  de  Vidéal  (c'est- 
à-dire,  la  forme  sous  laquelle  nous  concevons  l'idéal), 
comme  l'espace  et  le  temps  sont  les  catégories  des 
corps  (c'est-à-dire  les  formes  sous  lesquelles  nous 
concevons  les  corps).  » 


446  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  m 

Cet  athéisme  subtil  et  plus  ou  moins  raffiné  est 
condamné,  croyons-nous,  tout  comme  l'athéisme 
brutal  et  formel,  par  le  concile  du  Vatican,  qui  dit 
«  anathème  à  qui  nierait  le  seul  vrai  Dieu,  créateur 
et  seigneur  des  choses  visibles  et  invisibles  (i).  » 

Mais,  avons-nous  dit,  la  définition  du  concile  du 
Vatican  exclut  du  corps  de  l'Eglise  certains  protes- 
tants qui  en  sont  arrivés  à  ne  plus  croire  en  Dieu, 
tout  en  se  disant  chrétiens.  C'est  que,  en  effet,  le 
protestantisme,  suivant  fatalement  la  voie  de  son 
évolution,  qui  est  commandée  par  son  principe  de 
libre  examen,  est  en  train  de  toucher  au  terme 
dernier,  la  négation  pure  et  simple  de  l'existence 
personnelle  de  Dieu.  Qui  voudrait  en  connaître,  non 
pas  la  genèse  primitive,  mais  les  manifestations  les 
plus  récentes,  en  trouverait  l'explication  dans  l'article 
Dogmatique,  publié  par  M.  le  pasteur  Bouvier,  dans 
Y  Encyclopédie  des  sciences  religieuses,  de  Lichtem- 
berger  (2)  ;  il  y  verrait  que  la  dogmatique  protes- 
tante a  subi,  au  xixe  siècle,  deux  influences,  celle  de 
la  philosophie  de  l'absolu  et  celle  de  la  théologie 
du  sentiment  ;  que  peu  à  peu  elle  en  est  venue  non 
pas  seulement  à  rejeter,  comme  l'a  dit  la  Constitu- 
tion Dei  Filius,  toute  foi  surnaturelle  en  Jésus- 
Christ,  mais  encore  à  mettre  en  doute  ce  premier 
principe  de  la  religion  naturelle,  l'existence  d'un 
Dieu  distinct  du  monde.  Et  dès  lors  on  ne  s'étonne- 
rait plus  de  cet  état  d'individualisme  et  de  sub- 
jectivisme,  dont  M.  Sabatier,  en  France,  dans 
son  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  religion,  et 
M.  Harnack,  en  Allemagne,  dans  son  Histoire  des 
dogmes  et  surtout  dans  son  Essence  du  Christianisme, 
sont  une  preuve  toute  récente.  Dans  leur  pensée  et 

1.  Const.  Dei  Filius,  1  can.  de  Deo,  can.  1  et  2.  —  2.  T.  iv, 

p.  i4  sq. 


Y    A-T-IL    DES    ATHEES  4^7 

sous  leur  plume,  Dieu,  chassé  du  domaine  de  la 
nature  et  de  celui  de  l'histoire,  n'a  guère  pour  refuge 
que  la  conscience  humaine.  Dans  quel  état  ?  Dans 
un  état  fort  précaire,  assurément  ;  car  il  finira  par 
ressembler,  s'il  ne  lui  ressemble  pas  déjà,  à  la 
catégorie  de  l'idéal,  dont  nous  venons  de  parler,  ou 
«  à  l'activité  imparfaite  aspirant  au  parfait,  »  autant 
dire  à  un  fantôme  de  divinité,  à  un  athéisme  latent. 

III.  Y  a-t-il  des  athées  ? 

Les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  sont  si  nom- 
breuses, toutes  accessibles  à  la  raison,  quelques- 
unes  si  faciles  et  si  obvies,  que  la  question  se  pose 
s'il  peut  y  avoir,  s'il  y  a  réellement  des  athées. 

L'athéisme  est  la  négation  ou  l'ignorance  de  Dieu. 
On  peut  distinguer  deux  sortes  d'athéisme:  V  athéisme 
négatif,  simple  ignorance  de  Dieu,  chez  ceux  qui 
n'auraient  jamais  pensé  à  lui,  ou  qui  ne  se  seraient 
jamais  demandé  s'il  existe  ;  l'athéisme  positif,  néga- 
tion de  Dieu.  Ce  dernier,  à  son  tour,  peut  se 
se  subdiviser  en  deux  :  il  est  spéculatif  ou  théorique, 
chez  ceux  qui  se  croient  persuadés  de  la  non-exis- 
tence de  Dieu  ;  il  est  pratique,  chez  ceux  qui  agissent 
comme  si  Dieu  n'existait  pas. 

i.  Or,  qu'il  y  ait  des  athées  pratiques,  c'est-à-dire 
des  êtres  humains  pensant,  parlant,  vivant  comme 
s'il  n'y  avait  pas  de  Dieu,  c'est  un  fait  d'expérience: 
il  y  en  a  beaucoup  trop  et  le  nombre,  avec  les 
mœurs  actuelles,  ne  peut  aller,  hélas  !  qu'en  aug- 
mentant. Combien  d'hommes,  en  effet,  qui  lais- 
sent prédominer  en  eux  les  bas  instincts,  qui 
n'obéissent  qu'au  gré  de  leurs  intérêts  matériels  et 
au  caprice  de  leurs  passions,  avides  de  jouir  avant 
tout,  immédiatement,  le  plus  possible,  qui  étouffent 


fl/\8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  voix  de  leur  conscience,  témoin  ou  juge  impor- 
tun, qui  écartent  comme  un  joug  intolérable  toute 
loi  morale,  qui  bannissent  de  leur  vie  pratique 
l'idée  d'un  Dieu  rémunérateur  et  justicier,  et  qui 
nient  l'existence  future  et  les  sanctions  d'outre 
tombe  1  Depuis  l'époque  où  Lamennais  écrivait  son 
Essai  sur  l'indifférence,  l'impiété  n'a  cessé  de  faire 
des  progrès  ;  elle  tend  de  plus  en  plus  à  ramener 
les  âmes  en  plein  paganisme.  Et,  d'autre  part,  le 
rationalisme  contemporain  a  essayé  d'ériger  en  sys- 
tème une  règle  de  vie,  d'où  Dieu  est  délibérément 
exclu.  Plus  de  dogmes  ni  de  croyances  religieuses  1 
Ce  ne  sont  là  que  des  hypothèses  inadmissibles, 
dont  la  science  fait  bon  marché,  parce  qu'elles 
échappent  à  tout  contrôle  scientifique.  L'homme 
est  autonome  :  il  doit  organiser  sa  vie  scientifique- 
ment, sans  se  préoccuper  de  Dieu,  sans  rattacher  la 
morale  à  une  théologie  ou  métaphysique  quelcon- 
ques. C'est  la  «  laïcisation  »  de  la  morale,  et  cette 
«  laïcisation  »  gagne  de  proche  en  proche.  L'Etat, 
sous  prétexte  de  «  neutralité,  »  s'est  soustrait  à  toute 
idée  religieuse.  Il  efface  Dieu  de  ses  lois,  de  son  code, 
de  ses  prétoires,  de  ses  constitutions,  de  ses  monu- 
ments, de  ses  fêtes,  de  ses  discours,  de  son  ensei- 
gnement et  de  ses  écoles. 

Ajoutez  à  cela  la  vogue  du  matérialisme,  tel  que 
Moleschott,  Buchner,  Cari  Vogt  et  Yirchow  l'ont 
formulé  en  Allemagne,  et  vous  comprendrez  com- 
ment Buchner  a  pu  écrire  dans  Science  et  Nature  : 
«  En  regard  des  courants  spiritualistes  de  l'époque, 
on  peut  considérer  la  philosophie  positive  comme 
étant  athée,  matérialiste  et  sensualiste.  Ce  que  l'on 
désigne,  à  l'époque  actuelle,  sous  le  nom  de  Dieu, 
de  Créateur,  de  Providence,  d'Eternel,  etc.,  ne 
représente,  suivant  la  philosophie  positive,  que  des 
figures  de  théologie  métaphysique,  des  artifices  de 


Y   A-T-IL    DES    ATHÉES  4^9 

logique,  des  hypothèses  qui,  à  l'origine,  pouvaient 
bien  être  nécessaires.  Ce  qui  doit  remplacer  le  Dieu 
d'autrefois,  c'est  actuellement  l'humanité  ou,  à  un 
point  de  vue  général,  l'amour  de  l'humanité.  Dits 
exstinctis,  Deoque  successif  humanitas  (i).  »  Tel  est 
le  dernier  mot  du  dogmatisme  scientifique,  le  credo 
de  quelques  savants  contemporains.  Et  la  doctrine, 
dans  les  masses,  se  traduit  par  le  sensualisme  le 
plus  effréné.  Que  faut-il  de  plus  pour  expliquer 
l'existence  des  athées  pratiques  ? 

2.  Y  a-t-il  semblablement  des  athées  spéculatifs  ? 
Nous  venons  d'entendre  Buchner,  et  le  doute  n'est 
pas  possible  en  ce  qui  regarde  les  matérialistes,  qui 
prétendent  expliquer  le  monde  en  se  passant  de 
l'hypothèse-Dieu.  On  peut  en  dire  autant  pour  les 
partisans  du  panthéisme  qui,  bien  qu'ils  s'en  dé- 
fendent, par  leur  système  incohérent  de  l'unité 
absolue,  aboutissent  ou  bien  à  réduire  l'idée  de 
Dieu  à  une  pure  abstraction,  à  une  idéal  métaphy- 
sique, à  la  catégorie  de  l'idéal,  ou  bien  à  sacrifier 
l'existence  des  choses  visibles  en  faveur  d'une  divi- 
nité vaporeuse,  indistincte,  sans  personnalité.  Pan- 
théisme naturaliste  ou  panthéisme  mystique,  peu 
importe,  l'un  comme  l'autre,  passant  du  domaine 
philosophique  dans  l'exploitation  littéraire,  finissent 
par  vider  l'esprit  et  le  cœur  de  toute  idée  vraie  de 
Dieu,  et  acheminent  l'homme,  sur  le  chemin  du 
rêve  et  de  la  chimère,  jusqu'à  la  négation  de 
Dieu. 

Les  positivistes  n'échappent  pas  davantage  au 
même  reproche.  Sans  doute,  ils  raillent  l'athée  et  le 
déiste  comme  des  esprits  non  émancipés,  théolo- 
giens dogmatiques  à  leur  manière.  L'intelligence  a 
évolué,  disent-ils  ;  elle  n'en  est  plus  au  stage  théo- 

i.  Wissen  und  Natur,  trad.  franc.,  Paris,  1866,  t.  I,  p.  24. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  39 


450  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

logique,  ni  même  au  stage  métaphysique,  où  elle 
expliquait  l'origine  du  monde  par  l'intervention 
d'agents  surnaturels  ou  de  forces  abstraites  ;  elle 
est  au  stage  scientifique  ou  positif,  et  elle  doit 
renoncer  de  parti  pris  à  chercher  une  cause  introu- 
vable, inaccessible,  inconnaissable,  du  monde,  pour 
se  confiner  exclusivement  dans  le  domaine  de 
l'expérience  sensible.  Gela  n'a  pas  empêché,  par 
une  inconséquence  assez  piquante,  Comte  lui-même 
d'essayer  à  son  tour  d'établir  dogmatiquement  une 
religion,  dans  laquelle,  il  est  vrai,  ne  paraissent  ni 
Dieu,  ni  l'âme. 

Mais,  au  fond,  l'athée  spéculatif  est-il  réellement, 
logiquement,  scientifiquement  convaincu  de  la  non- 
existence  de  Dieu  ?  Il  en  est  qui  l'affirment,  et  plu- 
sieurs sur  un  ton  blasphématoire  tel  qu'ils  en  de- 
viennent suspects,  et  avouent  ainsi  implicitement 
leur  croyance  intime  à  l'existence  d'un  Dieu,  qui 
les  fait  baver  de  colère.  Il  en  est  d'autres,  moins 
exaltés,  plus  maîtres  d'eux-mêmes,  plus  froids,  qui 
l'affirment  sur  un  ton  de  sincérité,  qu'il  serait 
impertinent  de  mettre  en  doute,  bien  qu'il  paraisse 
impossible  que  l'homme  raisonnable  puisse  arriver 
à  se  faire  une  telle  conviction .  On  s'explique  assez 
aisément  qu'une  intelligence,  continuellement  assail- 
lie par  des  doutes,  finisse  par  être  victime  de  leur 
travail  de  destruction.  Elle  lutte  parfois,  et  doulou- 
reusement, mais  parfois  aussi  elle  va  à  la  dérive,  se 
laisse  complètement  désemparer  et  glisse  dans 
l'abîme  de  l'athéisme  spéculatif.  Mais,  manifestement, 
ce  ne  peut  être  qu'une  crise  passagère,  exception- 
nelle, aiguë.  Car,  la  raison  reste  la  raison,  et,  à  un 
moment  donné,  elle  peut  secouer  ses  chaînes,  repren- 
dre son  élan,  revenir  à  la  lumière  et  se  convaincre 
de  son  aberration  pour  adorer  le  Dieu  inconnu.  Car, 
selon  l'Ecriture,  «  l'insensé  dit  dans  son  cœur  :  il 


Y    A-T-IL    DES    ATHEES  £5l 

n'y  a  pas  de  Dieu  (i).  »  C'est  un  langage  intéressé  ; 
il  vient  du  cœur  et  non  de  l'intelligence. 

3.  Reste  maintenant  à  savoir  si  un  homme,  qui 
jouit  de  l'usage  de  sa  raison,  qui  distingue  le  bien 
du  mal,  qui  sait  qu'il  fait  mal  quand  il  enfreint  les 
prescriptions  de  sa  conscience,  peut  passer  sa  vie 
dans  l'ignorance  totale  de  Dieu  et  être  de  bonne  foi. 
En  d'autres  termes,  y  a-t-il  des  athées  négatifs?  Il 
ne  s'agit  pas,  cela  va  de  soi,  de  l'enfant  ou  du 
dément,  mais  de  l'homme  sain  d'esprit.  Sur  ce 
point,  la  réponse  ne  saurait  être  douteuse,  si  l'on 
tient  compte,  et  il  le  faut  bien,  de  l'enseignement 
de  l'Ecriture  et  de  la  tradition.  Car,  d'après  cet 
enseignement,  l'ignorance  invincible  de  l'existence 
de  Dieu  doit  être  rangée  au  rang  des  chimères. 

Saint  Paul  ne  nous  apprend-il  pas,  en  effet,  que 
l'ignorance  de  Dieu,  dans  laquelle  vivaient  prati- 
quement les  païens,  était  déraisonnable  et  coupable  ? 
Et  saint  Paul  ne  répétait  il  pas  renseignement  déjà 
consigné  au  livre  de  la  Sagesse  (2)  ?  La  connaissance 
de  Dieu  était  donc  moralement  possible  aux  païens  ; 
elle  l'est  encore  de  nos  jours  à  tout  homme  raison- 
nable et  de  bonne  foi.  Du  reste,  d'après  saint  Paul, 
la  loi  naturelle  nous  est  connue  par  les  lumières  de 
la  raison.  Et  Franzelin  (3)  fait  observer  que  nul  ne 
saurait  se  croire  obligé  par  la  loi  naturelle  sans 
avoir,  par  là  même,  au  moins  une  idée  vague  de 
l'existence  d'un  législateur,  qui  a  droit  de  comman- 
der, et  auquel  l'homme  a  le  devoir  d'obéir.  Les 
Pères  (4)  sont  unanimes  à  regarder  comme  coupable 
la  méconnaissance  de  l'existence  de  Dieu.  Leurs 
témoignages  explicites   sont  trop   nombreux   pour 


1.  Psal.,  lxxvi,  1.  —  2.  Sap.,  xm.  —  3.  De  Deo,  thes.  m.  — 
4.  Voir  dans  Petau,  De  Deo,  L.  1,  ch.  1  et  2,  et  dans  Thomassin, 
De  Deo,  Lib.  1,  de  nombreux  textes  patristiques. 


/j52  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

être  rappelés  ici.  Ajoutons  encore  que  c'est  l'opinion 
des  théologiens  en  grande  majorité. 

Cela  se  comprend.  Car  l'homme  raisonnable  ne 
peut  point  passer  toute  sa  vie  sans  se  sentir  poussé, 
un  jour  ou  l'autre,  à  se  poser  la  question  de  savoir 
ce  qu'il  est,  d'où  il  vient,  où  il  va,  s'il  y  a  par  delà 
les  phénomènes  qui  l'entourent  autre  chose  que  le 
néant,  un  être  qui  explique  l'énigme  du  monde.  La 
question  posée  appelle  une  solution.  Et  alors,  avec 
son  intelligence,  il  la  résoudra,  bien  ou  mal,  mais 
il  la  résoudra.  Ce  qui  revient  à  dire  qu'un  homme 
sensé  et  de  bonne  foi  ne  saurait  vivre  dans  Y  athéisme 
négatif.  C'est  un  des  motifs,  dit  Vacant,  pour  quoi 
il  ne  saurait  y  avoir  de  Jaute  parement  philosophique, 
c'est-à-dire  de  péché  qui  violerait  gravement  une 
loi  morale  bien  connue,  et  qui  ne  serait  pas  en 
même  temps  une  offense  de  Dieu.  Certains  théolo- 
giens avaient  avancé  que  le  péché  philosophique 
peut  exister  chez  ceux  qui  ignoreraient  Dieu  ou  ne 
penseraient  pas  à  lui.  Mais,  le  i[\  août  1690,  Alexan- 
dre VIII  condamna  cette  proposition  comme  scan- 
daleuse et  erronée  (1).  Cette  condamnation  implique 
que  quiconque  peut  commettre  une  faute  grave,  est 
à  même  de  connaître  Dieu  (2). 

1.  Causes  de  doute.  —  «  De  nos  jours,  la  vérité  de 
l'existence  de  Dieu  a  subi  une  éclipse  qui  a  profondément 
troublé  les  consciences.  Au  premier  rang  des  causes  qui 
l'ont  produite,  il  faut  mettre  cette  myopie  intellectuelle 
qui  résulte  d'une  demi-science  vaniteuse,  fréquente  aux 
époques  d'instruction  générale,  et  aussi  cette  myopie 
morale  qui  frappe  les  adorateurs  de  la  chair  et  du  veau 
d'or.  Mais  peut-être  existe-t-il  une  cause  plus  profonde 
qu'il  serait  injuste  d'oublier  :  Le  changement  radical  qui 

1.  Denzinger,  n.  1157.  —  2.  La  Constitution  Dei  Films,  t.  1, 
p.  329. 


Y   A-T-IL    DES   ATHÉES  453 


s'est  opéré  dans  la  conception  de  l'univers  sous  Vinfluence 
du  progrès  scientifique. 

«  La  création  s'est  démesurément  agrandie  aux  yeux  de 
l'intelligence.  Les  contemporains  de  Galilée  s'effrayèrent 
d'apprendre  que  le  savant  n'avait  pu  mesurer  la  distance 
de  la  terre  aux  étoiles,  en  prenant  pour  base  du  triangle 
le  diamètre  de  l'ellipse  de  révolution  de  la  terre  autour  du 
soleil;  cette  base  immense  était  donc  insignifiante  par 
rapport  aux  éloignements  stellaires.  Puis  la  voie  lactée, 
qui  leur  avait  semblé  jusqu'alors  un  amas  de  poussière 
lumineuse,  se  révélait  comme  une  prodigieuse  agglomé- 
ration d'étoiles.  Plus  tard,  ces  mondes,  qui  avaient  reculé 
dans  les  lointains  de  l'espace,  furent  rejetés  hors  des 
étroites  limites  du  temps  où  d'anciens  calculs  voulaient 
les  enserrer.  Tous  les  vieux  cadres  éclataient.  Les  forces 
physiques  se  manifestaient  dans  toute  leur  puissance  aux 
savants  étonnés  :  pesanteur,  électricité,  attraction,  affi- 
nité chimique,  mouvement  et  chaleur.  A  l'idée  simple  et 
populaire  d'une  création  instantanée  se  substituait  l'idée 
complexe  d'une  création  lentement  progressive.  Jusque  là 
effacées,  les  causes  secondes  vinrent  occuper  désormais  le 
devant  du  tableau  ;  par  la  multiplicité  et  l'énergie  de  leurs 
effets  sensibles,  elles  accaparaient  l'attention,  tandis  que 
l'action  de  la  Cause  première,  autrefois  prédominante, 
se  trouvait  ainsi  reportée  à  l'arri  ère-plan.  11  était  donc 
conforme  à  la  logique  de  la  faiblesse  humaine  que  la 
Cause  première  subît  une  éclipse.  »  Souben,  Nouvelle 
Théologie,  Paris,  1902,  t.  1,  p.  44-45. 

2.  Myopie  intellectuelle  et  morale.  —  «  La  myopie 
intellectuelle  peut  se  guérir  par  des  études  plus  appro- 
fondies, sincères  et  loyales.  Le  mot  de  Bacon  reste  tou- 
jours vrai  :  «  Un  peu  de  science  éloigne  de  Dieu  ;  beau- 
coup de  science  ramène  à  Dieu.  »  Qu'on  leur  fasse 
comprendre  qu'il  ne  sauraient  se  croire  supérieurs  à  des 
savants  tels  que  Leibnitz  et  Newton,  Leverrier  et  Faye, 
Cuvier  et  Albert  Gaudry,  et  qu'on  peut  reconnaître,  sans 
s'abaisser,  le  Dieu  devant  qui  de  tels  hommes  se  sont 
abaissés.  Leur  exemple  est  là  pour  prouver  que  la  con- 
ception nouvelle  de  l'univers  ne  conduit  pas  le  moins  du 


454  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


monde  à  l'athéisme,  qu'elle  ouvre  au  contraire  des  pers- 
pectives inattendues  sur  la  grandeur,  la  toute-puissance 
et  la  bonté  de  l'Etre  qui  a  tout  créé. 

a  Si  l'athée  est  atteint  de  myopie  morale,  il  faut  lui 
faire  suivre  un  traitement  différent.  Chateaubriand  avait 
vu  juste,  lorsqu'il  écrivait  :  «  Rien  ne  trouble  le  compas 
du  géomètre,  et  tout  trouble  le  cœur  du  philosophe.  » 
L'existence  de  Dieu  n'est  pas  une  vérité  stérile,  c'est  une 
vérité  féconde  dont  les  contrecoups  se  font  sentir  d'une 
manière  parfois  redoutable  dans  notre  vie  intérieure  et 
morale.  On  est  porté  à  la  nier,  non  pour  elle-même,  non 
à  cause  des  contradictions  et  des  impossibilités  internes 
qu'on  y  a  reconnues,  mais  à  cause  des  conséquences 
irrésistibles  qui  en  découlent  pour  nous-mêmes.  On  vou- 
drait bien  se  persuader  que  Dieu  n'existe  pas,  parce  qu'il 
est  trop  gênant  pour  nous  qu'il  existe,  et  comme  on 
croit  volontiers  ce  qu'on  désire,  on  en  vient  à  préférer  le 
sophisme  au  raisonnement,  l'erreur  commode  à  la  vérité 
désagréable.  En  un  mot,  la  licence  de  la  vie  engendre  la 
licence  de  la  pensée,  pour  se  créer  une  excuse  à  ses  pro- 
pres yeux,  excuse  misérable  qui  aggrave  la  faute  et  qui 
est  impuissante  à  détruire  l'immortel  objet  de  sa  né- 
gation, Ici,  le  vrai  remède,  c'est  le  retour  à  l'observation 
sérieuse  et  persévérante  delà  loi  morale.  »  Ibid.,  p.  57-58. 

3.  Perte  de  la  foi  pour  raisons  d'ordre  intellec- 
tuel. —  «  Il  faut  tenir  compte  d'abord  de  l'atmosphère 
intellectuelle,  des  idées  courantes  et  des  préoccupations 
ordinaires,  du  milieu  où  l'on  vit.  Quoi  d'étonnant  qu'un 
enfant  grandisse,  vive  et  meure  sans  la  foi,  qui  n'a  jamais 
entendu  parler  de  Dieu,  de  la  religion,  de  l'Eglise,  que 
pour  blasphémer,  pour  en  rire,  pour  en  dire  du  mal  ? 

«  D'autres  ont  eu  la  foi  dans  leur  enfance.  Mais  le  pre- 
mier usage  qu'ils  font  de  leur  raison  et  de  leur  liberté, 
c'est  de  tout  rejeter  avec  une  légèreté  et  une  présomption 
inexcusables,  sans  étude  sérieuse,  pour  des  objections 
futiles,  pour  ne  s'en  rapporter  qu'à  soi,  pour  faire  comme 
tel  ou  tel,  pour  secouer  le  joug.  Ainsi  fit  Taine  à  i5  ans. 
«  L'orgueil  et  l'amour  de  la  liberté  m'ont  affranchi,  » 
écrivait-il  lui-même  quelques  années  plus  tard.  Eman- 


Y   A-T-IL   DES    ATHÉES  455 


cipation  folle  et  prématurée,  dont  beaucoup  porteront  la 
peine  toute  leur  vie.  Du  plus  au  moins,  il  y  a  de  cela  chez 
la  plupart  des  jeunes  gens  qui  perdent  la  foi,  depuis 
Taine  jusqu'à  Jouffroy  ou  à  Renan. 

«Cette  présomption  se  complique,  chez  un  grand  nom- 
bre, d  études  sérieuses  et  d'effort  intellectuel  puissant. 
On  veut  juger  de  tout,  sans  avoir  acquis  encore  les  ma- 
tériaux suffisants  ;  on  se  met  en  face  des  objections  les 
plus  subtiles,  sans  avoir  l'esprit  assez  préparé  pour  voir 
la  valeur  de  la  réponse  ;  on  veut  entrer  en  lutte,  et  tout 
seul,  sans  être  encore  armé  ou  exercé... Beaucoup  d'hom- 
mes, grâce  en  partie  aux  défauts  de  la  première  forma- 
tion, sont  frappés  de  cette  incurable  faiblesse  en  face  de 
l'objection.  Ils  devraient  le  savoir  et  ne  pas  s'exposer  à 
une  lutte  inégale.  Ils  n'en  tiennent  pas  compte  :  ils 
s'exposent  et  ils  tombent.  L'imprudence  et  la  présomp- 
tion ne  sont  pas  moins  funestes  à  la  foi  qu'aux  mœurs. 

«Il peut  arriver  que  l'esprit  même  soit  faussé,  déformé, 
par  une  culture  trop  étroite,  trop  exclusive.  Un  tel  en 
viendra  à  ne  plus  admettre  que  la  démonstration  ma- 
thématique, et  il  est  clair  qu'il  ne  l'aura  pas  en  matière 
religieuse  et  morale. 

«  Un  autre  est  d'un  scepticisme  incurable  en  fait  de 
métaphysique  :  il  ne  pourra  être  logiquement  que  scepti- 
que sur  Dieu  ou  sur  l'âme. 

«Quelquefois  on  se  fait  une  mauvaise  méthode  ou  une 
fausse  idée  de  la  vraie  méthode.  Ne  vouloir  rien  admettre 
dont  on  n'ait  l'idée  claire  et  distincte,  c'est  s'exposer  à 
rejeter  bien  des  idées  précieuses  ;  car  ni  l'idée  n'atteint 
tout  le  réel,  ni  l'idée  claire  n'est  le  seul  mode  de  posséder 
la  vérité.  S'arrêter  à  ne  regarder  que  les  difficultés  em- 
pêche de  voir  la  réalité  substantielle  et  solide.  Une 
difficulté  insoluble  ne  peut  rien  contre  une  vérité  acquise  ; 
mais  en  s'attardant  autour  de  la  difficulté,  on  peut 
perdre  le  sens  de  la  vérité  possédée  et  la  sécurité  de  la 
possession.  Ainsi  trop  de  critique  peut  éloigner  du  vrai. 

«  Il  en  est  qui  veulent  refaire  à  eux  seuls  tout  le  travail 
de  l'humanité.  Ils  n'admettent  rien  sur  la  parole  d'un 
autre  ;  ils  veulent  tout  voir  par  eux-mêmes.   C'estts'ex- 


456  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


poser  à  rester  pauvre  :  nous  ne  pouvons  guère  être  riches 
que  de  l'acquis  des  autres.  En  voulant  se  suffire  et  ne 
rien  devoir  qu'à  soi  on  mourra  de  faim. 

«  Il  en  est  qui  font  de  tout  pure  matière  d'observation  et 
de  critique  :  dilettantisme  intellectuel  qui  se  complait  à 
voir,  à  étudier,  à  comprendre  ;  qui  ne  cherche  pas  le 
vrai,  mais  le  plaisir  de  la  recherche  et  de  l'étude.  A  ceux- 
là  le  vrai  se  dérobe,  du  moins  le  vrai  qu'il  importe 
d'avoir.  La  religion  est  affaire  sérieuse. 

.  «  D'autres  ont  fait  leur  siège  à  l'avance.  Il  est  entendu 
qu'il  n'y  a  pas  de  miracles.  Pourquoi  se  gêner  a  décou- 
vrir une  imposture  dont  on  est  sûr  avant  examen  ?  Il  est 
entendu  que  la  foi  ne  saurait  aller  avec  la  critique  et  avec 
la  science:  à  quoi  bon  examiner  les  raisons  des  croyants? 

(dl  faut  tenir  compte  surtout  de  notre  faiblesse  d'esprit, 
de  notre  multiple  insuffisance,  et  de  notre  dépendance 
nécessaire;  tenir  compte  aussi  du  développement  normal 
et  progressif  de  notre  vie  intellectuelle  ;  en  voulant  aller 
seuls,  en  voulant  aller  trop  vite,  en  voulant  braver  les 
obstacles,  en  voulant  aller  par  nos  voies  à  nous,  nous 
risquons  de  nous  perdre  ou  de  ne  pas  arriver.  »  Bainvel, 
Nature  et  Surnaturel,  Paris,  1903,  p.  332-336. 


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Leçon  XIII 
De  Dieu 


De  la  nature  de  Dieu.  —  I.  Méthode  à  suivre, — 
IL  Division  des  attributs.  —  III.  De  quelques 
attributs.  —  IV.  Enseignement  du  concile  du 
Vatican  :  Condamnation  du  Panthéisme, 


I.  Méthode  à  suivre 

Dieu  est  ;  mais  qu'est-il  ?  Après  la  question  de 
son  existence,  celle  de  sa  nature.  Dieu  est-il 
Y  inconnaissable ,  comme  le  prétendait  Spencer? 
ou,  comme  le  prétendait  Littré,  est-il  «  un  océan 
qui  vient  battre  notre  rive,  mais  pour  lequel  nous 
n'avons  ni  barque,  ni  voile  ?  »  —  Nullement,  et 
nous  allons  indiquer  brièvement  la  marche  à 
suivre  (i). 

Notre  raison  démontre  l'existence  de  Dieu  ;  nous 
savons  donc  que  Dieu  est  et  par  là  même  un  peu  ce 
qu'il  est.  Mais  cela  ne  suffit  pas  à  notre  légitime 
curiosité.  Nous  désirons  connaître  aussi  bien  que 
possible  cette  cause  première,  cet  être  nécessaire, 
parfait,  infini.  Malheureusement,  d'une  part,  Dieu 
nous    reste    inaccessible    en    lui-même,    nous    ne 

i.  Saint  Thomas,  Sam.  theol.,  I,  Q.  m  sq.  Pour  la  bibliogra- 
phie, voir  les  leçons  précédentes. 


£58  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pouvons  arriver  jusqu'à  lui  que  par  les  créatures  ; 
et,  d'autre  part,  notre  raison  est  bornée;  elle  est 
donc  incapable  de  comprendre  Dieu  tel  qu'il  est, 
d'en  avoir  une  notion  adéquate,  le  fini  ne  pouvant 
se  flatter  d'étreindre  l'infini.  Lui  faut-il  donc  renon- 
cer à  pénétrer  un  peu  le  mystère  de  la  nature  divine, 
tout  assurée  qu'elle  est  d'avance  de  n'en  pouvoir 
soulever  tous  les  voiles  ?  Loin  de  là.  Dans  la  mesure 
des  moyens  dont  elle  dispose  et  des  forces  qui  lui 
sont  propres,  elle  s'y  essaie,  et  elle  y  réussit 
d'autant  mieux  que  sa  méthode  est  plus  rigoureuse 
et  plus  sagement  appliquée.  Sa  connaissance  de 
Dieu  grandit  ainsi  sans  cesse,  sans  qu'elle  puisse 
jamais  épuiser  son  sujet  et  le  comprendre  totalement, 
car  la  dis  lance  qui  sépare  Dieu  de  nous  est  incom- 
mensurable. Elle  atteint  du  moins  quelques  résul- 
tats positifs  et  certains,  et  voici  comment. 

A  l'aide  de  Y  analogie,  grâce  aux  données  de 
l'expérience  sensible  et  de  l'étude  psychologique, 
elle  se  sert  du  principe  de  causalité,  qui  lui  permet 
de  conclure  que  Dieu  est  l'Etre  nécessaire,  l'Etre  par 
soi,  infini  et  unique  ;  elle  procède  par  voie  d'élimi- 
nation ou  de  négation,  ce  qui  lui  permet  de  connaître 
la  simplicité,  l'immutabilité,  l'éternité  et  l'immen- 
sité de  Dieu  ;  et  par  voie  d'affirmation  et  de  sure- 
minence,  ce  qui  lui  permet  d'attribuer  à  Dieu,  mais 
à  un  degré  infini,  les  perfections  des  créatures.  Par 
là,  elle  se  forme  un  concept  qui  ne  peut  s'appliquer 
qu'à  l'être  infini.  Elle  nie  d'abord  de  Dieu  tout  ce 
qui  ressemble  à  une  imperfection,  à  une  limite, 
comme  absolument  incompatible  avec  la  nature  de 
l'être  parfait  ;  elle  affirme  de  Dieu  toute  perfection 
qu'elle  constate  dans  la  créature.  Mais  ces  perfections 
des  créatures  sont  toujours  courtes  par  quelque 
endroit,  comme  les  êtres  qui  les  possèdent  ;  la 
raison  les  applique  à  Dieu  d'une  manière  surémi- 


NATURE    DE    DIEU  45o, 


nente,  dans  toute  leur  plénitude.  Ainsi,  par  exemple, 
toute  créature  est  limitée  dans  sa  nature,  bornée 
par  le  temps  et  l'espace  :  la  raison  nie  de  Dieu  ces 
limites,  ces  bornes  ;  elle  le  met  au-dessus  du  fini, 
du  temps  et  de  l'espace  ;  elle  le  proclame  infini, 
éternel,  immense.  11  se  rencontre  dans  les  créatures 
certaines  perfections  ;  il  est  des  êtres  qui  sont  bons, 
sages,  justes  :  la  raison  proclame  aussitôt  Dieu  bon, 
sage,  juste,  infiniment  bon,  infiniment  sage,  infi- 
niment juste  ;  elle  déclare  même  qu'il  est  la  bonté, 
la  sagesse,  la  justice,  en  gardant  toujours  devers 
elle  la  conviction  assurée  de  ne  pas  égaler  sa  pensée 
et  son  expression  à  celui  qui  en  est  l'objet,  parce 
que,  comme  le  remarque  saint  Augustin,  Dieu  est 
plus  grand  que  la  grandeur,  plus  beau  que  la 
beauté,  plus  juste  que  la  justice. 

Or  cette  limite  de  notre  connaissance  de  Dieu, 
cette  impuissance  où  nous  sommes  de  le  compren- 
dre et  de  l'exprimer,  cette  impossibilité  d'épuiser  la 
notion  de  l'infini,  justement  reconnues  par  la 
raison,  sont  un  bommage  à  ce  Dieu  qui  reste,  en 
dépit  de  tout,  absolument  ineffable.  «  Tout  peut 
être  dit  de  Dieu,  remarque  l'évêque  d'Hippone, 
mais  rien  n'est  dit  dignement  de  Dieu  (i).  »  Et  c'est 
pourquoi,  d'après  saint  Grégoire  le  Grand,  quand  il 
veut  parler  de  Dieu,  l'homme,  fut-il  un  génie 
transcendant,  en  est  réduit  à  «  balbutier  (2).  » 

La  raison  humaine  ne  pouvant  donc  parler  de 
Dieu  d'une  manière  digne  de  Dieu,  essaie  du  moins 
d'en  parler  de  la  manière  la  moins  indigne  de 
Dieu  et  la  plus  digne  de  l'homme.  La  marge 
est  large  avant  que  Dieu  lui  apparaisse,  au  bout  de 
ses  efforts,  comme  l'être  par  excellence,  l'être  dans 


1.  Inevang.Joan.,  tract.,  xm,  5;  Patr.  lat.,  t.  xxxv,  col.  i4g5. 
—  a.  Moral.,  y,  26. 


460  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  plénitude  de  la  perfection,  l'être  au-dessus  duquel, 
en  dehors  duquel  et  sans  lequel  rien  n'existe  ici-bas. 

Est-elle  assurée  du  moins  de  marcher  sur  un 
terrain  ferme,  de  ne  pas  divaguer  et  d'atteindre  des 
résultats  vrais  ?  Oui,  certes.  Car  elle  procède  ici 
comme  pour  arriver  à  la  connaissance  de  l'existence 
de  Dieu.  Elle  part  des  créatures  et  applique  le  prin- 
cipe de  causalité.  Elle  constate  des  perfections  et  elle 
les  attribue  à  Dieu,  comme  nous  venons  de  le  dire. 
Ces  perfections  sont  diverses,  multiples  ;  les  idées 
que  nous  en  acquérons  sont  dans  notre  esprit 
comme  dans  le  sujet  qui  les  reçoit,  mais  elles  sont 
en  Dieu  comme  dans  la  source  qui  les  rend  vraies. 
Ces  idées,  légitimes  et  objectives,  ne  supposent  pas 
deux  concepts  différents,  mais  un  seul  et  même 
concept  qui,  appliqué  à  Dieu,  en  reste  l'expression 
imparfaite,  tandis  que,  appliqué  à  la  créature,  il  en 
est  l'expression  adéquate,  Par  suite  les  noms  de  ces 
concepts  ne  se  disent  pas  de  Dieu  et  de  la  créature 
au  même  titre  ;  ce  qu'ils  expriment  est  épuisé  par 
rapport  à  la  créature  ;  tandis  qu'en  Dieu,  ce  qu'ils 
expriment  les  déborde  et  les  dépasse. 

Dieu  dépassant  infiniment  la  portée  de  notre 
intelligence,  il  nous  est  impossible,  par  une  seule 
idée  et  dans  un  seul  concept,  de  saisir  toute  sa 
perfection.  Nous  ne  pouvons  procéder  que  succes- 
sivement, fragmentairement,  pour  détailler  cette 
plénitude  de  perfection  qui  est  en  Dieu  ;  cette  plé- 
nitude même  en  est  la  cause,  et  aussi  l'imperfection 
de  notre  raison.  Force  nous  est  donc  de  détailler 
les  perfections  que  nous  trouvons  dans  les  créatures 
pour  les  appliquer  à  Dieu  ;  chacune  l'exprime  à  sa 
manière,  sous  un  aspect  différent,  tout  en  laissant 
indivise  l'absolue  perfection  de  Dieu  ;  chacune 
n'ajoute  pas  une  réalité  nouvelle  en  Dieu,  mais 
seulement  en  nous.   Notre  raison  raisonnante  est 


ATTRIBUTS    DIVINS  46  I 


obligée,  pour  se  rendre  compte  de  la  nature  de  Dieu, 
d'énumérer  divers  attributs,  de  les  distinguer  les 
uns  des  autres,  de  les  étudier,  de  les  approfondir  les 
uns  après  les  autres,  mais  toujours  sans  prétendre 
que  ce  qu'elle  voi't  ainsi,  d'une  manière  discursive 
et  par  voie  d'analyse,  soit  réellement  distinct  en 
Dieu,  qui  est  la  simplicité  même,  et  en  prenant 
toujours  les  expressions  anthropomorpbiques  de 
l'Ecriture,  qui  s'adresse  à  l'homme  en  parlant  de 
Dieu,  comme  une  nécessité  de  s'accommoder  à  la 
manière  de  comprendre  et  de  parler  de  l'homme. 

II.  Principales  divisions 
des  attributs  divins 

Sous  le  bénéfice  des  observations  précédentes,  on 
s'explique  comment  la  raison  a  étudié  les  attributs 
de  Dieu  et  les  a  divisés. 

D'après  la  manière  de  les  connaître,  les  uns  sont 
appelés  négatifs,  les  autres  positifs.  Les  attributs 
négatifs  sont  ceux  dont  le  concept  implique  une 
négation  ;  les  attributs  positifs,  ceux  dont  le  concept 
implique  une  affirmation.  Qui  dit  créature  désigne 
un  être  créé,  dépendant,  contingent,  composé, 
fini,  changeant,  mesuré  par  le  temps  et  par  l'es- 
pace, etc.  La  négation  de  ces  imperfections  constitue 
un  attribut  négatif.  Et  c'est  ainsi  que  l'on  dit  de 
Dieu  qu'il  est  incréé,  indépendant,  nécessaire,  sim- 
ple, infini,  immuable,  immense,  éternel,  etc.  La 
forme  étymologique  de  ces  termes  ne  doit  pas  don- 
ner le  change,  c'est  leur  sens  qui  importe,  et  quel- 
ques-uns, en  effet,  ont  une  forme  positive,  mais  ils 
sont  la  négation  d'une  imperfection.  D'autre  part, 
affirmant  de  Dieu  les  perfections  que  nous  trouvons 


462  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


dans  les  créatures,  nous  disons  qu'il  est  être,  subs- 
tance, vie,  vérité,  intelligence,  volonté,  puissance  : 
ce  sont  des  attributs  positifs. 

D'après  V analogie,  qui  existe  entre  certaines  per- 
fections de  Dieu  et  celles  dos  créatures,  on  dit  des 
attributs  divins  que  les  uns  sont  communicables,  les 
autres  incommunicables .  Les  premiers  sont  en  Dieu 
à  l'état  absolu,  et  dans  les  créatures  à  l'état  relatif, 
participé  ;  ce  sont  les  attributs  positifs  déjà  signalés. 
Les  autres  restent  la  propriété  exclusive  de  Dieu  ; 
ce  sont  les  attributs  négatifs. 

Parmi  les  perfections  divines,  les  unes  ne  suppo- 
sent aucun  rapport  entre  Dieu  et  d'autres  êtres  ;  ce 
sont  les  attributs  absolus  ;  les  autres,  au  contraire, 
supposent  un  rapport  entre  Dieu  et  des  êtres  exté- 
rieurs à  Dieu  ;  ce  sont  les  attributs  relatifs. 

Il  existe  encore  d'autres  divisions  :  nous  ne  nous 
y  arrêterons  pas,  nous  contentant  de  signaler,  à  la 
suite  de  saint  Tbomas  (i),  les  principaux  attributs 
relatifs  à  la  substance  de  Dieu  ;  ce  sont  :  la  simpli- 
cité, la  perfection  et  la  boni,  l'infinité  et  l'ubiquité, 
l'immutabilité,  l'éternité,  l'unité. 

III.  De  quelques  attributs  de  Dieu 

i.  La  simplicité. —  Dieu  est  simple,  plus  simple 
que  la  pensée,  que  l'âme,  que  l'ange.  Il  écbappe  à 
toute  composition  soit  physique,  soit  métaphysique, 
soit  logique.  On  entend  par  composition  physique 
l'union  de  parties  substantielles  réellement  distinc- 
tes ;  par  composition  métaphysique,  celle  de  la 
puissance  et  de  l'acte,  de  l'essence  et  de  l'existence, 
de  l'essence  et  des  attributs, du  sujet  et  des  accidents  ; 
par  composition  logique,  l'union  dans  un  être  d'élé- 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.  m-xi. 


DIEU    EST    SIMPLE  463 


ments  qui  lui  sont  communs  avec  d'autres  êtres  du 
même  genre  et  d'éléments  qui  lui  sont  propres  ; 
c'est  la  composition  du  genre  et  de  la  différence 
spécifique. 

En  Dieu,  pas  de  composition  matérielle  :  il  est 
un  esprit  ;  pas  de  composition  de  matière  et  de 
forme  :  il  est  un  pur  esprit  ;  pas  de  composition  de 
puissance  et  d'acte  :  il  est  tout  en  acte,  un  acte  pur  ; 
pas  de  composition  logique  :  il  n'entre  dans  aucun 
genre,  dans  aucune  espèce  ;  pas  de  composition 
d'essence  et  d'existence  :  il  est  son  essence,  son 
existence,  sa  vie.  En  Dieu  l'être,  la  substance, 
l'essence  et  l'existence  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
chose.  Dieu,  c'est  la  simplicité  souveraine,  la  sim- 
plicité absolue.  Et  de  même  qu'il  est  sans  composi- 
tion d'aucune  sorte,  il  n'entre  dans  la  composition 
d'aucune  créature,  bien  que  pourtant  la  créature  ne 
puisse  être  que  par  lui.  Il  est  l'être  de  l'être,  l'être 
des  êtres,  non  par  son  essence,  qui  est  incommuni- 
cable, mais  par  la  cause  exemplaire  qu'il  en  a  et 
par  la  cause  efficiente  qui  les  produit. 

2.  La  perfection.  —  Un  être  étant  plus  ou  moins 
parfait  selon  qu'il  est  plus  ou  moins  en  acte,  il 
s'ensuit  que  Dieu,  qui  est  le  premier  principe  actif, 
la  première  cause  efficiente,  toujours  et  totalement 
en  acte,  un  acte  pur,  est  absolument  parfait  :  il 
possède  la  perfection  absolue,  toutes  les  perfections 
de  tous  les  êtres,  dune  manière  suréminente,  et 
toute  la  perfection  de  l'être.  A  ce  titre,  la  bonté  lui 
convient  excellemment. 

D'autre  part,  tandis  que  les  créatures  sont  limitées 
par  le  nombre,  par  l'espace,  par  la  durée,  et  sont 
sujettes  au  changement,  Dieu  ne  saurait  ni  avoir 
ces  limites  ni  subir  ces  changements  :  de  là  les 
attributs  suivants.  Point  de  limites  en   lui,  quant 


46 4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

aux  nombres  :  étant  l'être  subsistant  en  soi,  il  est 
Vinflni.  Point  de  limites  clans  l'espace  :  il  domine 
l'espace,  il  est'  immense.  Point  de  limites  dans  la 
durée  :  il  domine  le  temps,  il  est  éternel.  Pas  le 
moindre  changement  :  il  est  immuable.  Et  ce  Dieu 
d'une  simplicité  si  absolue,  d'une  perfection  si  com- 
plète, à  la  fois  infini,  immense,  éternel,  immuable, 
est  unique,  est  un,  il  est  l'unique,  Vun  par  excellence. 
Mais  qu'est-ce  à  dire  ?  La  raison  est  opprimée  par 
tant  de  majesté  ;  elle  ne  peut  que  balbutier,  et  même, 
aidée  par  la  foi,  elle  se  heurte  de  tous  côtés  à  d'in- 
sondables mystères. 

3.  L'immensité.  —   Par  son    immensité,    Dieu 
domine  l'espace.  Il  est  partout,  en  tous  lieux,  non  pas 
qu'il  les  occupe  à  la  manière  des  corps  qui  excluent 
la  présence  des  autres  corps,   puisqu'il  est  simple, 
non  qu'il  y  remplisse  le  rôle  de  l'âme  dans  le  corps, 
ceci  serait  du  panthéisme  ;  mais  parce  qu'il  fait  que 
l'espace  est  ce  qu'il  est,  parce  qu'il  lui  donne  la 
capacité    de   contenir  des  êtres   et  parce  que   tous 
les  êtres  qui  l'occupent,  c'est  lui  qui  les  a  faits.  Il 
est  présent  à  toute  créature  et  clans  toute  créature, 
non  comme  partie  de  son  essence  ou  l'un  de  ses 
accidents,  mais  comme  la  cause  est  présente  à  son 
effet,   comme  l'agent   est  présent  à  son  œuvre.  En 
tout  et  partout  par    sa  puissance,  rien  n'échappe  à 
son   pouvoir,     depuis     les     infiniment    petits    qui 
s'abritent  sous  un  brin   d'herbe  ou  de  mousse   ou 
s'agitent  dans  une  goutte  de  rosée  jusqu'aux  sphères 
géantes    qui   gravitent    dans   l'espace.   En    tout   et 
partout  par  sa  présence,  rien  n'est  soustrait  ou  caché 
à  ses  yeux,  le  fond  des  cœurs,  le  secret  des  conscien- 
ces, tout  comme  l'abîme  insondable  du  firmament 
étoile.  En  tout  et  partout  par  son  essence,   tout  ce 
qui  est,  tout  ce  qui  vit,  tout  ce  qui  pense  a  sa  raison 


DIEU    EST    ÉTERNEL  465 


d'être,    de   vivre   et   de  penser   dans  cette    cause 
efficiente  souveraine. 

Rappelons-nous  le  passage  du  psalmiste,  déjà 
cité  par  le  Catéchisme  romain  : 

«  Où  irai-je  devant  votre  esprit  ? 
Oàfuirai-je  devant  votre  face?.,.  » 

Ajoutons-y  celui  de  Job  (i)  : 

«  //  est  plus  haut  que  le  ciel.  Que  feras-tu? 
Plus  profond  que  le  scheol  :  doù  le  connaîtras-tu? 
Sa  mesure  est  plus  longue  que  la  terre, 
Elle  est  plus  large  que  la  mer.  » 

Et  celui-ci  de  saint  Paul  :  «  Le  Seigneur  est  bien 
près  de  nous,  puisque  c'est  en  lui  que  nous  trouvons 
Vêtre,  le  mouvement  et  la  vie  (2).  »  L'homme,  par 
la  pensée,  peut  franchir  les  espaces  en  un  clin 
d'œil,  mais  il  reste  localisé  ;  Dieu,  au  contraire,  les 
remplit  sans  être  localisé.  Mystère?  Oui,  sans  doute. 
Si  l'explication  nous  échappe,  nous  en  voyons  du 
moins  la  nécessité. 

[\.  L'éternité.  —  De  même  qu'il  domine  l'espace 
Dieu  domine  le  temps.  Il  n'a  ni  commencement  ni 
fin  ;  il  n'est  pas  mesuré  par  la  durée.  Rien  de  suc- 
cessif en  lui  ;  tout  est  actuel  dans  son  essence  ;  toul 
ce  qui  s'y  trouve  s'y  est  toujours  trouvé,  s'y  trou- 
vera toujours.  Point  de  passé  ni  d'avenir  en  Dieu, 
mais  un  présent  toujours  le  même.  Passé,  futur, 
formules  nécessaires  pour  notre  usage,  car  nous 
sommes  des  êtres  successifs  et  changeants,  dont  les 
sourires  et  les  tristesses,  les  joies  et  les  larmes 
s'écoulent  sans  cesse  dans  un  passé  qui  n'est  plus, 

1.  Job,  xi,  8.  —  2.  Ad.  xx,  27-28. 

LB  CATÉCHISME.  —  T.    I.  30 


466  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

dont  les  espérances  et  les  craintes,  chimériques  ou 
fondées,  se  perdent  dans  un  avenir  qui  n'est  pas 
encore,  mais  formules  absolument  impropres  et 
inapplicables,  dès  qu'il  s'agit  de  Dieu,  et  dont 
pourtant  il  faut  bien  que  nous  usions,  puisque  nous 
parlons  de  Dieu  en  créatures,  et  dont  la  Bible  elle- 
même  est  obligée  de  se  servir  pour  se  faire  entendre 
en  parlant  de  Dieu  à  des  hommes.  L'Ecriture  du 
moins  prend  soin  de  nous  avertir  à  maintes  reprises 
que  Dieu  est  éternel. 

«  Avant  la  création  des  montagnes, 

La  formation  de  la  terre  et  de  V  univers, 

Vous  êtes,  Seigneur,  et  vous  serez  toujours.,. 

Mille  années  sont  devant  vos  yeux 

Comme  la  journée  d'hier  déjà  passée, 

Comme  la  veille  d'une  nuit  (i).  » 

«  Au  commencement,  vous  avez  fondé  la  terre, 

Et  les  deux  sont  l'ouvrage  de  vos  mains. 

Ils  passeront  et  vous  durerez; 

Ils  s'useront  tous  comme  un  vêtement, 

Et  vous  les  changerez  comme  on  change  un  habit, 

Et  ils  passeront  ;  mais  vous  restez  le  même 

Et  les  années  ne  vous  manqueront  pas  (2).  » 

On  a  dit  du  temps  qu'il  était  «  l'image  mobile 
de  l'immobile  éternité.  »  Mais  qu'est-ce  que  l'éter- 
nité ?  Impossible  de  le  comprendre  et  de  l'expliquer. 
Dire  que  c'est  un  jour  sans  matin  ni  soir,  un  présent 
immuable  sans  succession  ;  la  définir  avec  Boèce  : 
«  la  possession  entière,  simultanée  et  parfaite  d'une 
vie  sans  terme  (3),  »  ce  n'est  pas  en  donner  une  idée 
adéquate  ;  et  le  mystère  reste  toujours  de  savoir 
comment  Dieu  la  possède.    Saint  Augustin,  saint 

1.  Psaî.t  lxxxix,  a,  &.  —  2.  Psal.,  ci,  26  sq.  —  3.  Cons., 
ni,  2. 


DIEU    EST    IMMUABLE  46 7 

Anselme,  saint  Thomas  déclaraient  le  problème 
difficile  à  résoudre  :  on  peut  les  en  croire.  L'homme, 
mesuré  par  le  temps,  tâche  bien  de  rendre  présent 
le  passé,  qui  n'est  plus,  par  le  souvenir,  et  devance 
l'avenir,  qui  n'est  pas  encore,  par  la  prévision,  et 
c'est  à  peine  s'il  jouit  d'un  moment  présent  fort 
précaire  en  vérité,  tant  il  est  prompt  à  se  transformer 
en  passé,  tant  il  est  vite  remplacé  par  le  moment 
qui  suit.  En  Dieu,  rien  de  semblable  :  l'éternel  est 
son  nom. 

5.  L'immutabilité.  —  Dieu  est  enfin  au  dessus 
de  tout  changement.  Parce  qu'il  est  un  acte  pm\  il 
ne  peut  point  passer  de  la  puissance  à  l'acte  ;  parce 
qu'il  est  absolument  simple,  il  exclut  toute  espèce 
de  composition,  comme  nous  l'avons  vu; parce  qu'il 
est  infiniment  parfait,  il  ne  peut  rien  perdre,  rien 
gagner.  Donc,  en  lui,  ni  contingence,  ni  possibilité 
de  changement,  comme  dans  les  êtres  contingents 
et  changeants.  Il  ne  change  ni  dans  sa  nature,  ni 
dans  sa  volonté.  «  Dieu  n'est  pas  comme  V homme 
qui  ment,  ou  comme  le  fils  de  l'homme  qui  change  (i).  » 
«  Je  suis  le  Seigneur,  dit-il,  et  je  ne  change  pas  (2).  » 
«  Vous  restez  toujours  le  même,  Seigneur  (3).  » 
«  Nombreuses  sont  les  pensées  de  l'homme,  mais 
la  volonté  de  Dieu  est  permanente  (4).  »  «  En 
Dieu  point  de  changement  ni  d'ombre  de  vicissi- 
tudes (5).  » 

Que  de  fois  pourtant  la  Bible  nous  montre  Dieu 
pardonnant  après  avoir  menacé  ou  puni,  exau- 
çant la  prière  après  avoir  refusé  de  l'entendre  ! 
Mais  ce  changement  n'est  pas  en  Dieu,  il  est  en* 
nous.  C'est  nous  qui  sommes  pardonnes,  après  avoir 


1.  Num.f  xxiii,  19.  —  a.  Malach.,  ni,  6.  —  3.  Psal.,  ci,  27.. 
*—  4-  Prov.,  xix,  21.  —  5.  Jac,  1,  17. 


468  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mérité  ou  subi  le  châtiment  ;  c'est  nous  qui  som- 
mes exaucés,  après  avoir  mal  prié  ;  et  l'Ecriture, 
ici  comme  toujours,  ne  fait  que  parler  notre  lan- 
gage pour  se  mettre  à  notre  portée,  et  montre  le 
Dieu  immuable  s'accommodant  à  notre  manière 
d'être. 

Voilà  donc  quelques  attributs  de  Dieu,  et  telle  est, 
grâce  à  eux,  la  notion  que  nous  pouvons  nous  faire 
de  la  nature  divine.  Mais  cette  notion  est  loin  d'avoir 
épuisé  le  sujet  ;  et  fût-elle  encore  plus  complète, 
elle  ne  nous  donnerait  pas  pour  cela  une  idée  adé- 
quate de  Dieu.  Elle  nous  permet  du  moins  de  savoir 
quelque  chose  de  vrai  sur  l'être  infini,  que  notre 
intelligence  est  toujours  incapable  de  comprendre 
dans  toute  sa  réalité  vivante  ;  du  même  coup  elle 
permet  de  nommer  Dieu  d'une  manière  approxima 
tive,  c'est-à-dire  de  lui  donner  des  noms  qui  n'expri- 
ment pas,  il  est  vrai,  adéquatement  son  essence 
infiniment  parfaite,  mais  qui  répondent  aussi  bien 
que  possible  à  notre  manière  limitée  de  la  con- 
naître. 

6.  Les  noms  de  Dieu.  —  De  tels  noms,  quand 
ils  ont  un  sens  négatif,  comme  infini,  immense, 
éternel,  immuable,  ou  quand  ils  impliquent  une 
idée  de  relations  des  créatures  avec  Dieu,  comme 
créateur,  seigneur,  n'expriment  pas  la  substance  di- 
vine; mais  quand  ils  ont  un  sens  affirmatifet  absolu, 
comme  bon,  sage,  vivant,  ils  la  désignent,  ils  en 
sont  les  vrais  attributs,  quoique  toujours  d'une  ma- 
nière imparfaite,  puisque  ils  dépendent  de  la  ma- 
nière imparfaite  dont  nous  connaissons  Dieu.  Or, 
parmi  les  noms  que  nous  donnons  à  Dieu,  tous  ne 
sont  pas  de  pures  métaphores  ;  quelques-uns  dési- 
gnent à  n'en  pas  douter  les  propriétés  de  l'essence 
divine,  et  bien  qu'empruntés  aux  perfections  des 


LES   NOMS   DE    DIEU  469 

créatures,  ils  s'appliquent  beaucoup  mieux  à  Dieu 
qu'aux  êtres  créés.  Et  ces  noms  propres  de  Dieu, 
quoique  se  rapportant  à  un  seul  et  même  être,  qui 
est  la  simplicité  absolue,  n'offrent  pas  cependant 
une  synonymie  complète,  rigoureuse.  Ils  renferment 
des  significations  multiples,  différentes  les  unes  des 
autres,  parce  que  les  perfections,  d'où  la  raison  les 
lire,  sont  diverses  dans  les  créatures  ;  mais  cette  di- 
versité de  signification  n'est  que  dans  notre  esprit, 
et  nullement  en  Dieu  (i). 

Dans  quel  sens  les  mêmes  noms  peuvent-ils  donc 
si  dire  de  Dieu  et  des  créatures  ?  Ne  parle-ton  pas, 
en  effet,  de  la  sagesse  de  l'homme,  de  la  sagesse  de 
Dieu  ?  Quelques  explications  sont  nécessaires.  Les 
choses  sont  désignées  d'une  manière  univoque 
quand,  sous  ces  mêmes  noms,  elles  ont  la  même 
essence.  Ainsi  le  mot  homme  se  dit  univoquement 
de  Pierre  et  de  Paul,  parce  que  Pierre  et  Paul 
possèdent  la  même  nature  humaine.  Elles  sont 
désignées  d'une  manière  équivoque  lorsque,  sous 
un  même  nom,  elles  ont  une  nature  différente. 
Ainsi  le  mot  lion  se  dit  d'une  manière  équivoque  du 
roi  des  animaux  et  du  signe  du  zodiaque.  Elles  sont, 
enfin  désiguées  d'une  manière  analogue  lorsque, 
sous  le  même  nom,  elles  ont  des  ressemblances 
accidentelles,  des  analogies. 

Cela  dit,  il  est  évident  que  les  mêmes  noms  don- 
nés à  Dieu  et  aux  créatures  ne  peuvent  avoir  un 
sens  univoque,  puisque  la  nature  de  Dieu  diffère  de 
celle  des  créatures.  Ils  ne  peuvent  pas  davantage 
avoir  un  sens  purement  équivoque,  parce  que  si  la 
nature  de  l'être  souverain  et  celle  de  l'être  contin- 
gent diffèrent  essentiellement,  elles  offrent  du  moins 
certains  traits  de  ressemblance.  Ces  noms  ne   peu- 

1.  Sam.  theol.,  I,  Q.  xni. 


47°  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  ' 

vent  donc  s'employer  que  dans  un  sens  analogue, 
qu'il  importe  de  préciser.  Car  il  y  a  deux  sortes 
d'analogie,  l'une  qui  n'éveille  qu'une  simple  idée 
de  rapprochement,  par  exemple,  entre  la  cause  et 
son  signe,  l'autre  qui  indique  au  contraire  un  rap- 
port déterminé  de  cause  et  d'effet,  et  c'est  de  cette 
dernière  analogie  qu'il  est  question  ici.  Les  termes 
analogues  n'expriment  pas  la  même  idée  comme  les 
univoques,  ni  une  idée  totalement  différente  comme 
les  équivoques,  mais  sous  des  significations  diver- 
ses un  véritable  rapport.  Or,  le  rapport  d'analo- 
gie qui  existe  entre  Dieu  et  les  créatures  est  préci- 
sément celui  de  la  cause  et  de  l'effet.  Par  suite, 
quand  on  emploie  les  mêmes  noms  pour  parler  de 
Dieu  et  des  créatures,  c'est  par  analogie  :  dans  les 
créatures,  ils  servent  à  désigner  l'effet  ;  en  Dieu,  ils 
indiquent  la  cause  de  cet  effet. 

Or,  parmi  les  termes  dont  on  se  sert  pour  dési- 
gner la  cause  première,  est  le  nom  universellement 
connu  de  Dieu.  Celui-ci,  dans  son  sens  propre,  ne 
convient  qu'à  l'être  absolu,  il  est  donc  incommuni- 
cable ;  mais,  dans  un  sens  restreint,  il  peut  être 
parfois  appliqué  aux  créatures  par  analogie.  Le 
nom  propre  par  excellence  de  Dieu  est  le  nom  ré- 
véré entre  tous,  le  tétragramme  sacré  de  la  Bible  : 
Iahveh,  ou  Jéhovah,  celai  qui  est.  Ce  nom-là  exprime 
d'abord  l'être  même  ;  il  a  une  signification  plus 
.générale  que  tout  autre  ;  c'est  «  l'être  tout  entier, 
l'océan  sans  bornes  et  sans  rivages  de  la  substance,  » 
comme  dit  saint  Jean  Damascène  (i)  ;  et  il  signifie 
l'être  toujours  actuel,  toujours  présent,  sens  qui 
convient  admirablement  à  Dieu,  puisqu'en  Dieu  il 
n'y  a  ni  passé  ni  futur. 

i.  Defid.  orth ,  i,  ia. 


DIEU   EST   INCOMPRÉHENSIBLE  fa*]! 


IV.  Enseignement  du  concile 
du  Vatican 

Le  concile  du  Vatican,  placé  en  face  des  erreurs 
modernes,  s'est  appliqué  à  les  combattre  et  à  les 
condamner  directement.  Aussi,  sur  la  question  de 
savoir  ce  qu'est  Dieu  en  lui-même,  tout  en  restant 
l'écho  fidèle  du  symbole  de  saint  Athanase  (i)  et  du 
ive  concile  de  Latran  (i2i5)  (2),  a-t-il  expressément 
voulu,  par  un  choix  déterminé,  opposer  l'enseigne- 
ment catholique  aux  erreurs  des  derniers  siècles. 
€'est  pourquoi  de  tous  les  attributs  de  Dieu  n'a-t-il 
retenu,  ce  qui  n'est  pas  pour  exclure  les  autres,  que 
l'éternité,  l'immensité,  l'incompréhensibilité  et 
l'infinité  en  intelligence,  en  volonté  et  en  toute  per- 
fection. Voici  comment  il  s'exprime  :  «  La  sainte 
Eglise  catholique,  apostolique,  romaine,  croit  et 
professe  qu'il  y  a  un  seul  Dieu  vrai  et  vivant,  créa- 
teur et  seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  tout  puissant, 
éternel,  immense,  incompréhensible,  infini  en  intelli- 
gence, en  volonté  et  en  toute  perfection  (3).  » 

Ayant  déjà  parlé  de  l'éternité  et  de  l'immensité, 
nous  n'y  reviendrons  pas  ;  nous  traiterons  seule- 
ment des  autres  attributs. 

1.  Incompréhensibilité.  —  Dieu  est  incom- 
préhensible, déclare  le  concile  du  Vatican  dans  cette 
profession  de  foi.  Qu'entendre  par  là?  Car  les  mots 
latins  et  français,  bien  qu'identiques  quant  à  la 
forme,  ont  un  sens  différent.  En  français,  les  mots 
comprendre,   incompréhensible,    n'ont   pas   un  sens 

1.  Denzinger,  n.  i36.  —  a.  Ibid.,  n.  355.  —  &  Const.  Dei 
Filius,  c.  1,  S  i« 


472  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

-  ■ * 

correspondant  aux  mots  latins  comprehendere,  incom- 
prehensibilis.  Comprendre  signifie,  pour  nous,  se 
rendre  compte  d'une  chose,  en  avoir  l'intelligence, 
et  répond  ainsi  au  sens  du  verbe  latin  intelligere  ; 
incompréhensible  signifie  une  chose  dont  on  ne 
peut  pas  se  rendre  compte,  dont  on  ne  peut 
pas  avoir  l'intelligence.  En  latin,  comprehendere 
exprime  la  prise  de  possession,  la  possession 
d'un  objet  ;  c'est  ainsi  que  la  possession  de  la 
béatitude  est  une  comprehensio .  Mais  appliqué  à 
l'intelligence,  ce  terme  signifie  connaître  parfaite- 
ment. Or  connaître  parfaitement  une  chose,  c'est  la 
connaître  autant  qu'elle  est  connaissable.  Dieu  seul 
peut  se  comprendre  ainsi  et  avoir  de  lui-même  une 
connaissance  absolument  adéquate.  Mais  vis-à-vis 
de  la  créature  raisonnable,  même  surélevée  par  la 
grâce,  même  jouissant  de  la  vision  béatifique,  Dieu 
reste  incomprehensibilis ,  incompréhensible,  au  sens 
des  conciles  de  Latran  et  du  Vatican.  La  créature  le 
connaît  par  la  raison,  par  la  foi  ici-bas,  par  la  vision 
au  ciel,  mais  toujours  d'une  manière  créée,  jamais 
d'une  manière  compréhensive .  Elle  ne  peut  donc 
comprendre  Dieu  au  sens  théologique  du  mot 
comprendre  ;  c'est-à-dire  elle  ne  peut  pas  connaî- 
tre Dieu  autant  que  Dieu  est  connaissable.  La  vision 
intuitive  elle-même,  qui  est  pour  la  créature  le 
mode  le  plus  parfait  de  connaissance  de  Dieu, 
donne  bien  une  véritable  connaissance  de  l'essence 
divine,  mais  pas  la  connaissance  parfaite  et  com- 
préhensive que  Dieu  a  de  lui-même  ;  car  elle  ne  lui 
fait  pas  connaître  tout  ce  que  Dieu  y  voit  (1). 

1.  Les  théologiens  discutent  pour  savoir  quelle  est  la  raison 
fondamentale  des  limites  de  la  vision  intuitive,  vision  qui  n'a 
ni  l'étendue  ni  l'intensité  de  la  compréhension  que  Dieu  a  de 
lui-même.  Cf.  Franzelin,  De  Deo,  th.  xviu  ;  Gasajoana,  De  Dtot 
77-85. 


DIEU    EST    DISTINCT    DU    MONDE  473 

2.  Infini  en  intelligence,  en  volonté,  en  toute 
perfection.  —  Trois  déterminatifs  du  mot  infini  ; 
ils  n'ont  pas  été  choisis  sans  motif,  et  chacun  d'eux 
porte  contre  les  erreurs  visées  par  le  concile. 

Dieu  est  dit  infini  en  intelligence  et  en  volonté. 
Pourquoi  ?  Pour  condamner  explicitement  le  pan- 
théisme matérialiste,  d'après  lequel  la  divinité  n'est 
qu'une  nécessité  aveugle,  impersonnelle,  une  loi 
fatale,  sans  intelligence  ni  volonté. 

Infini  en  perfection.  Pourquoi  ?  Parce  que,  en 
Dieu,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  la  perfection  ne 
peut  être  relative,  elle  est  absolue.  Mais  le  concile 
a  mis  :  en  toute  perfection,  au  singulier.  Serait-ce 
qu'en  Dieu,  l'être  absolument  simple,  les  perfections 
seraient  réellement  multiples,  diverses,  distinctes, 
chose  que  nous  avons  déjà  déclarée  impossible  ? 
Nullement.  Mais,  définissant  pour  des  hommes,  le 
concile  a  dû  s'accommoder  à  la  manière  humaine 
de  concevoir,  de  comprendre  et  d'exprimer  Dieu. 
De  plus,  en  déclarant  Dieu  infini  en  intelligence, 
en  volonté  et  en  toute  perfection,  on  écarte  le 
sens  ancien  du  mot  infini,  chose  inachevée  ou 
incomplètement  déterminée,  et  le  sens  de  Hegel  qui 
n'y  voyait  qu'un  être  idéal,  collection  de  toutes  les 
perfections  possibles,  mais  toujours  en  formation 
ou  en  train  de  se  réaliser. 

3.  Dieu  distinct  du  monde.  —  Pour  ne  donner 
lieu  à  aucune  méprise,  le  concile  poursuit  ses 
précisions  dogmatiques  en  ces  termes  :  «  Ce  Dieu 
éternel,  immense,  incompréhensible  et  infini,  étant 
une  substance  spirituelle  unique  par  nature,  tout  à  fait 
simple  et  immuable,  doit  être  déclaré  distinct  du  monde 
en  réalité  et  par  son  essence  (i).  »   Encore  un  choix 

l.  Const.  Dei  Filius,  c.  I,  S  i. 


k^k  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

d'expressions  en  vue  du  panthéisme  qui  confond 
Dieu  avec  le  mpnde.  Déjà  réprouvé  par  le  iv°  concile 
de  Latran,  plutôt  comme  une  folie  que  comme  une 
hérésie,  le  panthéisme  n'en  avait  pas  moins  reparu 
dans  les  siècles  suivants.   Sous   ses  métamorphoses 
incessantes,   variant  au  gré  des  esprits  audacieux  I 
qui  ont  cherché  à  le  réduire  en  système,  le  pan-  I 
théisme  repose  sur  cette  erreur  capitale,  que  Dieu  ^ 
et  le  monde  sont  con substantiels,  soit  qu'on  absorbe 
Dieu  dans  le   monde,  soit  qu'on  fasse  de  Dieu  le 
sujet  unique  de  tous  les  phénomènes.  De  plus  il 
aboutit  fatalement  à  des  conséquences  désastreuses  et 
immorales  qui  révoltent  la  conscience,  le  bon  sens, 
et  détruisent  de  fond  en  comble  toute  moralité. 

Déjà,  au  xvne  siècle,  le  juif  Spinoza  (f  1677)  avait 
fait  reposer  le  panthéisme  sur  un  axiome,  d'appa- 
rence vraie,  et  sur  une  définition  absolument  fausse 
de  la  substance.  L'axiome  était  ainsi  formulé  :  «  Tout 
ce  qui  est  et  tout  ce  qui  peut  être  conçu  comme 
existant,  se  ramène  à  Tune  des  trois  catégories  de 
substance,  d'attribut  ou  de  mode.  »  Cet  axiome  serait 
vrai  si  les  termes  qu'il  emploie  gardaient  leur  accep- 
tion ordinaire.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi.  Car, 
pour  Spinoza,  la  substance  est  ce  qui  est  en  soi  et 
est  conçu  par  sol,  c'est-à-dire,  ce  dont  le  concept  peut 
être  formé  sans  avoir  besoin  du  concept  d'une  autre 
chose.  Au  sens  ordinaire  du  mot  substance,  Spinoza 
ajoute  l'idée  d'être  conçu  par  soi,  qui  n'est  applicable 
qu'à  Dieu  ;  grâce  à  ce  subterfuge,  il  est  en  droit  de 
rayer  de  la  catégorie  des  substances  et  de  reléguer 
dans  celle  des  attributs  ou  des  modes  tout  ce  qui 
n'est  pas  Dieu  ;  il  proclame  l'unité  absolue  de  subs- 
tance, ce  qui  ouvre  la  porte  au  panthéisme.  Mais  le 
subterfuge  doit  être  signalé,  et  il  faut  refuser  à  Spi- 
noza le  droit  de  supprimer  les  substances,  entendues 
au  sens  ordinaire.  Ce  point  de   départ  étant  faux, 


DIEU   EST    DISTINCT   DU    MONDE  ^5 

tout  son  édifice  croule  en  dépit  de  la  rigueur  géomé- 
trique dont  il  a  su  l'envelopper. 

Au  xvme  siècle,  Kant,  par  la  rigueur  de  sa  Critique 
de  la  raison  pure,  avait  créé  le  subjeciivisme  et 
interdit  à  l'esprit  humain  le  droit  de  pénétrer  dans 
Fabsolu  ;  l'absolu,  il  est  possible  qu'on  le  conçoive, 
disait-il,  mais  il  est  impossible  de  savoir  s'il  existe. 

Fichte  (f  i8i4),  sans  sortir  du  subjectif,  résolut 
de  créer  l'absolu,  de  créer  Dieu,  rien  qu'avec  son 
moi.  En  disant  je  suis  moi,  on  prend  conscience  de 
soi  ;  or,  en  disant  je  suis,  le  moi  «  se  pose,  »  c'est- 
à-dire  se  crée,  est  cause  de  lui-même,  c'est  l'absolu, 
l'infini.  Mais,  en  même  temps  qu'il  se  «  pose,  »  il 
«  s'oppose,  »  c'est-à-dire  qu'en  même  temps  qu'il  se 
connaît  comme  actif,  il  se  connaît  comme  passif, 
comme  limité,  comme  déterminé  par  le  non-moi,  ou 
par  les  choses  extérieures  ;  et  par  là  le  moi  crée  le 
monde  tout  comme  il  s'est  créé  lui-même.  Donc, 
pas  de  Dieu,  et  c'est  l'athéisme  ;  ou  bien,  au  fond, 
c'est  l'homme  qui  est  Dieu,  et  c'est  de  l'anthropolâ- 
trie  ou  du  panthéisme  subjectif. 

Son  disciple  Schelling  (y  i854)  allait  servir  d'inter- 
médiaire entre  lui  et  Hegel.  Il  part  comme  Fichte 
du  moi  absolu,  mais  il  admet  que  la  nature  est  quel- 
que chose  de  plus  qu'une  simple  création  du  moit 
une  réalité  objective  ;  réalité  qui  s'ajoute  à  la  réalité 
subjective  comme  une  manière  différente  de  consi- 
dérer les  objets,  mais  qui  n'empêche  pas  la  réalité 
d'être  unique  et  de  constituer  l'absolu.  Or  cet  absolu 
n'est  pas  le  parfait  ;  ce  n'est  qu'un  germe,  indéter- 
miné et  inconscient,  capable  de  se  développer,  de 
se  réaliser  ;  et  il  se  réalise,  soit  dans  le  monde 
d'une  manière  inconsciente,  soit  dans  l'homme  où 
il  prend  conscience  de  lui-même,  par  un  progrès 
indéfini  dans  l'histoire  de  la  civilisation.  S'il  est  la 
principe,  tel  que  nous  venons  de  le  dire,  il  est  aussi 


4 7  6  LE  CATÉCHISME    ROMAIN 

la  fin,  l'idéal  toujours  poursuivi,  jamais  atteint, 
toujours  en  train  de  se  faire,  à  travers  le  temps  et 
l'espace,  dans  le  monde  et  l'humanité,  par  la  nature 
et  l'humanité.  Cette  théorie  est  du  panthéisme,  si 
l'on  veut,  mais  c'est  aussi  de  l'athéisme. 

Hegel  (f  i83i)  a  précisé  la  méthode  du  panthéisme 
idéaliste  et  il  a  formulé  la  théorie  du  processus  ou 
progrès,  dont  Schelling  n'avait  qu'affirmé  l'existence. 
La  contradiction  étant  à  la  base  et  faisant  le  fond  du 
système,  Hegel,  par  un  audacieux  défi  au  bon  sens 
et  à  la  raison,  a  proclamé  le  principe  de  V identité  des 
contradictoires,  dont  voici  la  formule  à  couleur 
scientifique.  Dans  la  nature,  toute  chose  traverse 
trois  phases  successives  :  le  moment  d'enveloppe- 
ment ou  de  la  chose  en  soi,  c'est  la  thèse  ;  le  moment 
où  la  chose  sort  de  soi,  en  se  niant  elle-même,  c'est 
Yantithèse  ;  le  moment  où  elle  se  replie  sur  elle-même 
et  ramène  à  l'unité  les  deux  premiers  moments,  c'est 
la  synthèse.  En  partant  donc  de  cette  idée  fondamen- 
tale que  tout  ce  qui  est  est  un  développement  de 
l'absolu,  on  a  dans  cette  triple  formule  :  affirmation, 
négation,  conciliation,  la  loi  même  de  la  vie  (i). 
L'absolu,  c'est  l'idée  ;  l'idée,  en  se  développant, 
acquiert  la  conscience  d'elle-même,  c'est  l'esprit  ;  et 
l'absolu,  c'est  Dieu.  Mais  Dieu  est  identique  au 
néant,  puisque,  d'après  le  principe  fondamental 
posé  au  début  du  système,  les  contradictoires  sont 
identiques. 

Telle  est  la  systématisation  du  panthéisme  au 
xviii*  et  au  xixe  siècles.  On  ne  saurait  aller  au  delà. 
Malheureusement  le  panthéisme  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  faire  des  victimes  en  Allemagne  ;  il  en  a 
fait  aussi  en  France  ;  et  nous  signalions  plus  haut, 
dans  les  doctrines  de   Yacherot  et  de  Renan,    des 

i.  De  Margerie,  Théodicée,  t.  n,  p.  i36  sq. 


DIEU    EST    DISTINCT    DU    MONDE  ^77 

«  ■ 

infiltrations  caractéristiques   des  théories  panthéis- 
tiques. 

L'Eglise,  gardienne  de  la  vérité,  n'a  pas  pu  laisser, 
sans  protester,  de  telles  doctrines  ravager  les  âmes. 
Pie  IX,  dans  son  allocution  Maxima  quidem  du 
9  juin  1862  (1),  avait  condamné  le  panthéisme.  A 
son  tour,  le  concile  du  Vatican  a  repris  la  question 
pour  formuler,  sur  ce  point,  aussi  nettement  que 
possible,  la  foi  catholique.  De  là  le  choix  si  judicieux, 
des  termes  pour  couper  court  à  toute  échappatoire. 

Qu'enseigne,  en  effet,  le  concile? 

Le  panthéisme  regarde  Dieu  comme  une  substance 
immanente  au  monde,  et  la  seule,  puisque  toute  chose 
finie  et  contingente  n'est  qu'un  accident  de  cette 
substance  ;  ou  bien  encore  il  regarde  Dieu  comme 
Vâme  du  monde.  Et  le  concile  dit  :  pas  de  substance 
unique.  Dieu  et  le  monde  ne  forment  pas  un  com- 
posé substantiel,  où  Dieu  jouerait  le  rôle  de  forme 
ou  de  principe  vital.  Quelle  que  soit  la  substance 
du  monde,  et  il  y  en  a  une  très  certainement,  elle 
ne  saurait  être  ni  la  substance  de  Dieu,  ni  un  mode 
accidentel  de  cette  substance  divine.  C'est  pourquoi 
le  concile  caractérise  la  substance  de  Dieu,  en 
l'appelant  spirituelle  par  opposition  avec  la  substance 
du  monde  et  les  substances  des  êtres  composés. 
Mais  cela  ne  suffît  pas  ;  car,  en  dehors  de  Dieu,  il 
existe  d'autres  substances  spirituelles  comme  celle 
des  anges  ;  le  concile  précise  donc  en  disant  que  la 
substance  divine  spirituelle  est  unique  par  nature, 
tout  à  fait  simple  et  immuable.  Or,  nous  avons  vu  ce 
qu'il  faut  entendre  par  ces  attributs  d'unité,  de 
simplicité  et  d'immutabilité  ;  appartenant  en  propre 
à  Dieu,  selon  la  déclaration  du  concile,  il  faut  que 

1.  Cette  condamnation  devint  la  première  proposition  du 
Syllabus  ;  Denzinger,  n.  i548. 


k^S  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

^ ^— — — — — — —  — — — — ^— — — — ^— » 

Dieu  se  distingue  de  toute  substance  spirituelle 
autre  que  lui.  Et  pour  couper  court  à  toute  équivo- 
que, le  concile  a  soin  d'ajouter  que  cette  substance 
spirituelle  de  Dieu,  unique  par  nature,  tout  à  fait 
simple  et  immuable,  n'est  pas  immanente,  mais 
transcendante,  car  Dieu  doit  être  déclaré  distinct  du 
monde  en  idéalité  et  par  son  essence.  Enfin,  pour 
compléter  son  enseignement  dogmatique  sur  la 
nature  de  Dieu,  il  termine  par  un  dernier  trait  : 
Dieu,  dit-il,  est  «  bienheureux  en  lui-même  et  par 
lui-même,  et  élevé  indiciblement  au-dessus  de  tout 
ce  qui  est  et  peut  se  concevoir  en  dehors  de  lui  (i).  » 

A  cette  exposition  doctrinale  s'ajoute,  sous  forme 
d'anathèmes,  la  condamnation  des  systèmes  pan- 
théistiques,  dont  nous  venons  de  parler.  Qu'on  en 
remarque  la  propriété  et  la  précision  des  termes. 
Sont  condamnés  et  le  panthéisme  substantiel,  celui 
qui  conçoit  Dieu  et  le  monde  comme  consubstan- 
tiels  ;  et  le  panthéisme  essentiel  de  Schelling,  celui 
qui  fait  du  moi  et  du  non-moi,  de  l'esprit  et  de  la 
matière,  du  fini  et  de  Finfini,  du  réel  et  de  l'idéal, 
la  réalisation  progressive  d'une  seule  et  même 
essence  ;  et  le  panthéisme  de  Vêtre  universel  de  Hegel. 

Canon  3  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  la  subs- 
tance ou  l'essence  de  Dieu  et  de  toutes  choses  est 
une  et  la  même.  » 

Canon  4  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  les  choses 
finies,  soit  corporelles,  soit  spirituelles,  ou  que  du 
moins  les  spirituelles  sont  émanées  de  la  substance 
divine  ; 

«  Ou  que  l'essence  divine,  par  la  manifestation  ou 
l'évolution  d'elle-même,  devient  toutes  choses  ; 

«  Ou  enfin  que  Dieu  est  l'être  universel  et  indéfini 
qui,  en  se  déterminant,    constitue  l'ensemble  des 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  i,  S  i. 


DIEU   EST    DISTINCT    DU   MONDE  [\ 79 

choses  et  leur  distinction  en  genres,    en  espèces  et 
en  individus  (i).  » 

1.  Le  Positivisme  et  l'idée  de  Dieu.  —  L'idée,  la 
notion  de  Dieu,  sa  nature  ont  été  singulièrement  défigu- 
rées en  France  pendant  le  xixe  siècle,  soit  par  l'école 
positiviste,  soit  par  la  critique  idéaliste  :  elles  aboutissent 
au  panthéisme  ou  à  l'athéisme.  Sans  vouloir  en  raconter 
toutes  les  phases,  il  semble  utile  d'en  dire  quelque 
chose,  ne  serait-ce  que  pour  montrer  jusqu'où  peut  aller, 
chez  les  intelligences  les  plus  hautes  et  les  plus  cultivées, 
la  décroissance  de  la  foi  philosophique  et  religieuse. 

Le  positivisme,  emprisonné  par  sa  méthode,  renonce 
non  seulement  à  définir  Dieu  mais  encore  à  se  poser  la 
moindre  question  sur  son  existence  ou  sa  nature.  La 
méthode  positive,  en  effet,  condamne  absolument  toute 
recherche  concernant  les  principes,  parce  qu'elle  ne  peut 
aboutir  ;  elle  bannit  de  ses  études,  comme  inaccessibles  à 
l'expérience,  aussi  bien  les  causes  finales  que  les  causes 
premières  ;  elle  supprime  le  problème  de  l'origine  et  de 
la  distinction  du  monde  ;  elle  se  passe  de  l'hypothèse 
Dieu.  Réduite  aux  phénomènes  sensibles,  elle  s'y  appli- 
que exclusivement  et  se  contente  d'expliquer  ce  qui  est  par 
un  mécanisme  aveugle  et  inconscient,  ou  par  un  proces- 
sus immanent  à  la  matière,  nécessaire  et  fatal,  mais 
d'une  prodigieuse  habileté  pour  profiter  des  moindres  cir- 
constances, pour  s'adapter  aux  divers  milieux,  pour 
choisir  les  meilleurs  moyens  dans  le  but  d'atteindre  une 
fin  déterminée.  Et  ainsi  positivistes,  évolutionistes,  se 
passent  de  Dieu  comme  d'une  hypothèse  inutile,  ou 
réconduisent,  «  en  le  remerciant  de  ses  services  provisoi- 
res, »  comme  disait  Auguste  Comte.  Finalement,  c'est 
l'agnosticisme  érigé  en  système.  Herbert  Spencer  proclama 
l'existence  de  Y  Inconnaissable,  mais  le  déclara  inacces- 
sible à  notre  raison.  C'est  donc  comme  si  Dieu  n'existait 
pas,  c'est-à-dire  de  l'athéisme  pratique. 

Mais,  comme  malgré  tout,  l'esprit  humain  tient  essen- 

1.  Const.  Dei  Filas,  c.  1,  can.  3  et  4. 


48o  LE    CATECHISME    ROMAIN 


tiellement  à  se  rendre  compte  des  choses,  l'obligation  s'est 
Imposée  d'expliquer  le  monde  sans  l'intervention  exté- 
rieure d'un  Dieu  créateur,  organisateur  et  providence.  Et 
l'on  s'y  est  essayé,  non  sans  efforts  ni  sans  peines,  mais  à 
coup  d'hypothèses  plus  déconcertantes  les  unes  que  les 
autres.  La  genèse  du  monde  à  dû  s'expliquer  par  le 
monde  lui-même,  par  une  action  incessante,  qui,  peu  à 
peu  et  avec  le  temps,  ne  cesse  d'évoluer,  de  se  détermi- 
ner, de  progresser.  L'être  s'élève  ainsi,  par  une  métamor- 
phose lente  et  inconsciente,  du  pur  mécanisme  des  origi- 
nes jusqu'à  la  région  sereine  de  l'idéal.  De  forme  en  forme, 
de  règne  en  règne,  de  la  matière  primitive,  en  passant 
par  l'état  de  minéral,  puis  de  végétal,  puis  d'animal,  il 
arrive  à  prendre  conscience  de  lui-même  dans  l'être  intel- 
ligent qu'est  l'homme.  Parti  depuis  longtemps,  et  tou- 
jours en  marche,  il  est  loin  encore  d'être  arrivé  à  son 
dernier  terme.  Et  comme  il  n'y  a  que  cet  être  qui  existe, 
toujours  en  train  de  se  faire,  de  prendre  conscience  de  lui- 
même,  c'est  en  somme  du  pur  panthéisme.  D'un  côté 
comme  de  l'autre,  le  positivisme  est  condamné. 

2.  Le  Dieu  de  l'Idéalisme.  —  Vacherot,  au  siècle 
dernier,  imagina  la  théorie  du  Dieu  réel,  mais  imparfait, 
et  du  Dieu  idéal,  mais  non  existant.  Il  aboutissait  à  ce 
résultat  par  trois  propositions  qu'il  liait  étroitement  l'une 
à  l'autre.  Dieu,  disait-il,  est  l'être  pur  ;  et  en  cela  il  avait 
raison,  caries  théologiens  proclament  son  absolue  simpli- 
cité et  le  définissent  un  acte  pur.  Or,  ajoutait-il,  l'être  pur 
c'est  l'être  indéterminé  ;  et  il  appliquait  ici  le  faux 
principe  de  Spinoza,  que  toute  détermination  est  une 
négation  et  une  limitation.  Donc,  concluait-il,  l'être  indé- 
terminé c'est  l'être  non  réel,  Dieu  ;  conclusion  fausse. 

«  La  première  conception  théologique,  dit  Garo  en 
résumant  la  théorie  de  Vacherot  (i),  est  celle  de  l'être,  de 
l'Etre  en  soi,  un,  parce  qu'il  est  tout  ;  infini,  parce  qu'il 
est  sans  borne  dans  le  temps  et  l'espace  ;  absolu,  parce 
qu'il  n'a  besoin  d'aucune  condition,  soit  pour  exister,  soit 

i.  Garo,  L'idée  de  Dieu,  5e  édit. ,  Paris,  1873,  p.  225-226. 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  /j8l 


pour  agir  ;  nécessaire,  parce  qu'il  est  tel  que  son  essence 
implique  son  existence  ;  universel,  parce  qu'il  comprend 
la  totalité  des  phénomènes.  Cette  conception,  nous  la 
tirons,  par  une  opposition  forcée  des  notions  empiriques 
de  phénomène,  de  multiplicité,  de  relation,  de  contin- 
gence, d'individualité.  Dieu,  à  ce  premier  degré,  ou  ce 
premier  Dieu  de  la  métaphysique,  est  la  synthèse,  l'unité 
rationnelle  de  ces  conceptions  de  l'Etre  en  soi,  de  l'Infini, 
de  l'Universel.  Toute  détermination  empirique  répugne  à 
son  essence.  Ame  ou  corps,  esprit  ou  nature,  personne  ou 
chose,  nul  être  individuel,  si  grand,  si  pur,  si  parfait 
qu'il  soit,  ne  peut  contenir  sa  réalité  infinie.  Il  n'est 
aucune  des  réalités  finies,  mais  il  les  contient  toutes,  non 
pas  en  puissance  seulement,  mais  en  acte.  En  ce  sens  il 
est  Esprit,  mais  comme  il  est  Nature.  Il  est  intelligence 
et  volonté,  mais  comme  il  est  instinct  et  nécessité.  La  loi 
de  sa  relation  au  monde  n'est  pas  celle  de  cause  à  effet. 

Il  n'y  a  pas  de  relation  de  ce  genre-là  où  il  y  a  identité 
substantielle  des  deux  termes.  Son  vrai  nom  est  la  Vie 
universelle.  C'est  en  lui  et  par  lui  que  tout  se  meut,  existe 
et  vit,  non  dans  le  sens  plus  ou  moins  figuré  où  saint  Paul 
le  dit,  mais  dans  un  sens  exact  et  littéral.  L'Etre  infini 
n'est  pas  seulement  réel,  il  est  tout  le  réel  ;  il  est  le  Dieu 
vivant  (i). 

Or,  cet  Etre  universel,  envisagé  dans  sa  réalité,  c'est  le 
monde  ou  le  cosmos  ;  envisagé  dans  son  idée,  c'est  Dieu. 
Sous  le  premier  aspect,  c'est-à-dire  dans  son  existence  à 
travers  le  temps  et  l'espace,  Dieu  vit  réellement,  mais  il 
est  imparfait.  Pour  être  parfait,  il  doit  nécessairement 
passer  à  l'état  idéal,  mais  alors  sa  divinité  parfaite  lui 
coûte  la  réalité  :  il  n'existe  pas. 

La  réalité,  en  effet,  et  la  vérité  on  perfection  s'opposent  : 
ce  sont  des  termes  contradictoires.  La  réalité  est  vivante, 
concrète,  déterminée  ;  la  vérité,  c'est  l'idée  pure,  la  per- 
fection absolue.  La  réalité  peut  aspirer  à  la  vérité,  mais 
ne  l'atteindra  pas  ;  la  vérité,  en  tout  cas,  ne  peut  tomber 
dans  la  réalité.  L'essence  s'oppose  à  l'existence  ;  celle-ci 

i.  Vacherot,  La  métaphysique  et  la  science,  i"  édit.,  Paris» 
t.  ii,  p.  5oo,  537. 

LE    CATÉCHISMB.   —  T.    I.  )X 


482  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

se  développe  dans  la  réalité  des  phénomènes,  des  formes, 
à  travers  le  temps  ,et  l'espace,  dans  la  nature  et  l'histoire, 
tandis  que  l'essence  n'a  son  siège  que  dans  la  pensée 
pure.  Essence,  type,  vérité,  idée  pure,  idéal  suprême, 
perfection,  ce  sont  les  vrais  noms  de  Dieu.  Mais  si  Dieu 
est  conçu  comme  réel,  il  ne  les  mérite  plus.  Il  faut  donc 
choisir  entre  l'Infini  réel  et  vivant,  qui  n'est  pas  parfait, 
ou  l'Etre  parfait  qui  n'est  pas  vivant. 

C'est  l'être  pariait  que  choisit  Vacherot.  «  C'est  le  Dieu 
abstrait  de  la  pensée  pure,  en  dehors  du  temps,  de- 
l'espace,  du  mouvement,  de  la  vie,  de  toutes  les  condi- 
tions de  la  réalité.  C'est  le  Dieu  que,  dans  leur  élan  de- 
spéculation,  Platon,  Plotin,  Maleb ranch e,  Fénelon  pour- 
suivent en  vain  comme  un  être  réel  ;  le  Dieu  dont  l'acti- 
vité est  sans  mouvement,  la  pensée  sans  développement, 
la  volonté  sans  choix,  l'éternité  sans  durée,  l'immensité 
sans  étendue.  Ce  Dieu-là  qu'une  philosophie  contempo- 
raine nous  représente  relégué  sur  le  trône  désert  de  son 
éternité  silencieuse  et  vide,  n'a  pas  d'autre  trône  que 
l'esprit,  ni  d'autre  réalité  que  l'idée  (i)  ». 

Ainsi,  dans  le  système  de  Vacherot,  deux  sciences,  la 
théologie  et  la  cosmologie,  ont  le  même  objet,  mais  elles 
l'envisagent  à  deux  points  de  vue  différents  ;  la  théologie 
étudie  le  Dieu  idéal,  mais  non  existant  ;  la  cosmologie 
étudie  le  Dieu  réel,  mais  non  parfait  ;  la  théologie  est 
une  cosmologie  idéale  ;  la  cosmologie,  une  théologie  posi- 
tive. Leur  objet,  c'est  Dieu,  vu  par  l'une  dans  son  état  de 
perfection,  vu  par  l'autre  dans  son  existence  réelle.  Dieu 
est  l'idée  du  monde  ;  le  monde  est  la  réalité  de  Dieu  (2). 
Point  d'autre  démonstration  que  cette  incessante  opposi- 
tion entre  sa  forme  concrète  et  le  type,  l'existence  et 
l'essence,  la  réalité  et  la  vérité,  et  toujours  même  conclu- 
sion :  Dieu  parfait  n'est  pas  un  être  vivant;  autrement 
dit,  il  n'existe  pas,  ce  qui  est  de  l'athéisme. 

Mais  Vacherot  tenait  à  ne  point  passer  pour  athée.  Aux 
accusations  d'athéisme,  il  répondait  par  des  professions 
de  foi,  dont  quelques-unes  sont  fort  éloquentes,  mais  qui 

1.  Vacherot,  lac,  cit.,  t.  u,  p.  5oo,  53g.  —  a.  Ibid.,  p.  5oi» 
$98, 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  4 83 

s'adressaient  au  Dieu  abstrait.  Quant  à  son  Dieu  réel,  il 
devenait  l'occasion  d'une  accusation  de  panthéisme,  à 
laquelle  il  lui  était  impossible  d'échapper.  Nous  ne  pou- 
vons que  la  signaler.  M.  Caro  écrivait  (i)  :  «  Je  suis 
obligé  de  convenir  que  je  vois  le  panthéisme  sortir  de 
chaque  point  de  celte  doctrine.  Que  la  conscience  de  M. 
"Vacherot  ne  soit  pas  panthéiste,  je  l'accorde  de  grand 
cœur  ;  mais  que  son  système  ne  le  soit  pas,  c'est  ce  que 
toute  la  subtilité  du  monde  ne  pourrait  obtenir.  Ce  carac- 
tère du  système  de  M.  Vacherot  est  si  évident  pour  ceux 
qui  ont  ouvert  son  livre,  que  toute  démonstration  leur 
semblera  inutile.  » 

Déjà,  en  i85i,  à  la  fin  de  la  publication  de  son  Histoire 
de  l  école  d'Alexandrie,  Vacherot,  alors  directeur  de 
l'Ecole  normale  supérieure,  s'était  attiré  de  la  part  de 
Gratry,  aumônier  de  l'Ecole,  l'accusation  formelle  d'a- 
théisme :  «  Vous  n'avez  pas  l'athéisme  dans  le  cœur,  lui 
disait  l'aumônier  ;  mais  votre  philosophie,  c'est  l'athéis- 
me, inévitable  résultat  de  votre  méthode,  la  sophistique. 
Votre  doctrine,  c'est  l'athéisme.  Qu'on  me  comprenne.  Je 
ne  dis  pas  le  panthéisme,  mais  je  dis  l'athéisme  (2).  » 

3.  L'idée  de  Dieu  dans  Renan.  —  Renan  a  eu  deux 
conceptions  de  Dieu  dans  sa  vie,  l'une  au  début,  comme 
cela  ressort  de  ses  Etudes  d'histoire  religieuse,  l'autre  à  la 
fin.  Pour  la  première,  c'est  un  symbole,  le  symbole  des 
nobles  instincts  de  l'âme  ;  pour  la  seconde,  c'est  l'Infini 
vague,  l'Absolu  de  Hegel,  en  train  de  se  réaliser  dans  la 
nature  et  dans  l'humanité,  servant  à  la  fois  de  substance 
et  de  trame  aux  choses.  Examinons-les  l'une  après  l'autre, 
d'un  trait  rapide. 

Le  Dieu  subjectif.  Renan  partage  l'humanité  en  deux 
portions  :  les  parties  simples  et  les  parties  cultivées.  Aux 
simples,  qui  ne  sont  pas  arrivés  à  la  vie  réfléchie  et  qui 
sont  frappés  d'une  sorte  d'incapacité  scientifique,  con- 
vient et  appartient  la  religion;  aux  cultivés,  qui  sont 
gens  de  réflexion  et  de  savoir,  revient  la  culture  propre 

1.  Vidée  de  Dieu,  p.  261 .  —  2.  Gratry,  Etude  sar  la  sophis* 
tique  contemporaine,  Parif ,  i85i,  p.  52-53,  i3o-i3i,  224. 


484  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

de  la  science  et  de  l'art.  Or,  la  religion  est  d'origine 
humaine,  mais  dans  sa  partie  simple.  Voici  comment. 
Renan  nie  que  le  miracle  ou  le  surnaturel  pénètre  dans 
la  trame  de  l'histoire  ou  de  la  vie  humaine,  et  par  suite 
donne  à  entendre  que  tout,  dans  le  monde  moral  comme 
dans  le  monde  physique,  s'explique  naturellement.  Car 
toute  religion  est  l'œuvre  spontanée  de  la  conscience  ;  et 
spontanéité,  sous  la  plume  de  Renan,  est  synonyme 
d'ignorance.  Or,  la  spontanéité  se  manifeste  soit  par 
la  crédulité  timide,  qui  crée  la  légende,  c'est-à-dire 
un  mélange  de  réel  et  d'idéal,  soit  par  Yhallu- 
cinaiion,  qui  crée  le  mythe,  c'est-à-dire  une  pure  fic- 
tion. Par  le  mythe,  la  spontanéité  a  créé  les  religions 
de  l'antiquité  ;  par  la  légende,  elle  a  créé  le  christianisme. 
Vient  la  réflexion,  la  culture,  le  savoir,  et  les  fantômes 
du  mythe  ou  de  la  légende  disparaissent  et  la  religion 
disparaît  avec  eux  pour  laisser  place  à  l'art.  C'est  la  con- 
clusion dernière  et  suprême  des  Etudes  d'histoire  reli- 
gieuse. 

L'influence  de  Kant  se  fait  sentir  ici.  Renan  conçoit 
Dieu  comme  l'auteur  de  la  Critique  de  la  raison  pure: 
c'est  quelque  chose  de  subjectif,  sans  réalité  objective. 
Ainsi  que  le  résume  Caro,  l'homme  fait  Dieu.  L'homme 
crée  Dieu  en  pensant.  Il  appelle  de  ce  nom  sublime  le 
mobile  secret  et  intérieur  de  toutes  ses  grandes  aspira- 
tions. Dieu,  c'est  pour  lui  le  type  le  plus  élevé  de  la 
science,  de  l'art.  C'est  le  vrai  qu'il  conçoit,  c'est  le  beau 
qu'il  imagine.  C'est  tout  cela,  mais  ce  n'est  pas  un  être. 
C'est  t@ut  cela,  mais  ce  n'est  pas  une  réalité  distincte  de 
ce  que  nous  pensons  ;  c'est  l'esprit  de  l'homme  réfléchi 
dans  ce  qu'il  u  a  de  plus  grand  ;  c'est  le  cœur  de  l'homme 
réfléchi  dans  ce  qu'il  y  a  de  plus  pur.  C'est  toujours 
l'esprit  et  le  cœur  de  l'homme.  C'est  toujours  l'homme(i). 
Renan  a  dit,  en  effet,  que  l'humanité  «  ne  se  trompe  pas 
sur  l'objet  même  de  son  culte  :  ce  qu'elle  adore  est  réel- 
lement adorable  ;  car  ce  qu'elle  adore  dans  les  caractères 
qu'elle  a  idéalisés,  c'est  la  bonté  et  la  beauté  qu'elle  y  a 
unies.  »  «  Les  symboles  ne  signifient  que  ce  qu'on  leur 

i.  Caro,  L'idée  de  Dieu,  p.  63. 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  ^85 


ordonne  de  signifier  ;  l'homme  fait  la  sainteté  de  ce  qu'il 
croit  comme  la  beauté  de  ce  qu'il  aime  (i).  »  Pour 
l'homme  réfléchi,  Dieu  c'est  la  catégorie  de  Vidêal.  «  Le 
mot  Dieu  étant  en  possession  des  respects  de  l'humanité, 
ce  mot  ayant  pour  lui-même  une  longue  prescription,  et 
ayant  été  employé  dans  les  belles  poésies,  ce  serait  ren- 
verser toutes  les  habitudes  du  langage  que  de  l'aban- 
donner. Dites  aux  simples  de  vivre  d'aspiration  à  la 
vérité,  à  la  beauté,  à  la  bonté  morale,  ces  mots  n'auraient 
pour  eux  aucun  sens.  Dites-leur  d'aimer  Dieu,  de  ne  pas 
offenser  Dieu,  il  vous  comprendront  à  merveille.  Dieu, 
Providence,  immortalité,  autant  de  bons  vieux  mots,  un 
peu  lourds  peut-être,  que  la  philosophie  interprétera  dans 
des  sens  de  plus  en  plus  raffinés,  mais  qu'elle  ne  rem- 
placera jamais  avec  avantage.  Sous  une  forme  ou  sous 
une  autre,  Dieu  sera  toujours  le  résumé  de  nos  besoins 
supra-sensibles,  la  catégorie  de  l'idéal,  c'est-à-dire  la 
forme  sous  laquelle  nous  concevons  l'idéal,  comme 
l'espace  et  le  temps  sont  les  catégories  des  corps,  c'est-à- 
dire  les  formes  sous  lesquelles  nous  concevons  les 
corps  (2).  » 

Tel  est  le  Dieu  subjectif  de  Renan,  la  catégorie  de 
l'idéal,  une  pure  forme  de  la  raison.  Et  par  suite  le  sen- 
timent religieux  se  confond  ici  avec  l'émotion  esthétique. 
C'est  un  Dieu  qui  n'habite  plus  le  ciel,  mais  seulement 
les  hautes  régions  de  l'esprit,  objet  intime  et  immanent 
du  culte  que  lui  offre  le  cœur  ;  c'est  un  Dieu,  dont  le 
nom  et  dont  le  culte  ne  parviennent  pas  à  masquer 
l'athéisme  subtil. 

Le  Dieu  devenir.  Renan,  à  ses  débuts,  a  écarté  le  pro- 
duit de  la  spontanéité,  du  aux  parties  simples  de  l'huma- 
nité, en  faveur  de  la  réflexion,  du  savoir  et  de  l'art,  et  a 
abouti  à  un  Dieu  abstrait  tel  qu'on  peut  dire  qu'il  n'existe 
pas  réellement.  Plus  tard,  écartant  de  même  les  résultats 
de  la  théodicée  expérimentale,  parce  que  ni  la  nature  ni 
l'histoire  ne  prouvent  Dieu,  ainsi  que  les  affirmations  de 
la  théodicée  spéculative,  parce  que  l'abstraction  est  aussi 

1.  Renan,  Ekides  d'histoire  religieuse,  préf.,  p.  334-  —  2.  Ibid., 
p.  419. 


486  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

inefficace  à  prouver  Dieu  que  l'expérience,  Renan  s'est 
jeté  dans  le  mysticisme.  «  Dieu,  disait-il,  est  le  produit  de 
la  conscience,  non  de  la  science  et  de  la  métaphysique. 
Ce  n'est  pas  la  raison,  c'est  le  sentiment  qui  détermine 
Dieu.  »  Voilà  un  Dieu  à  la  taille  de  l'homme  et  au  niveau 
de  son  esprit,  un  Dieu  que  chacun  se  fait  à  sa  guise. 

Quel  sera  ce  Dieu  ?  et  est-il  autre  chose  qu'un  nom  ? 
Henan  répudie  toutes  les  formules  des  systèmes  mé- 
taphysiques ;  comme  Vacherot,  il  reprend  à  son  compte, 
à. la  suite  d'Hamilton,  l'axiome  de  Spinoza  que  toute  dé- 
termination est  une  négation,  pour  rejeter  toute  idée  de 
Dieu  religieuse  ou  philosophique,  par  le  seul  fait  qu'elle 
fausse  l'idée  de  Dieu,  en  le  déterminant.  Il  se  gardera 
donc,  par  respect,  de  limiter  Dieu  par  une  formule  quel- 
conque, il  préférera  garder  le  silence  ou  il  se  contentera 
de  dire  simplement  que  Dieu  est,  sans  rien  impliquer  de 
positif  dans  cette  affirmation  vague. 

Mais  Renan  sait  se  contredire.  Et  voilà  pourquoi  on 
retrouve  sous  sa  plume  des  formules  hégéliennes.  «  La 
vraie  théologie,  dit-il,  est  la  science  du  monde  et  de 
l'humanité,  science  de  l'universel  devenir,  aboutissant 
comme  culte  à  la  poésie  et  à  l'art,  et  par-dessus  tout  à 
la  morale.  »  «  Dans  la  nature  et  dans  l'histoire,  je  vois 
bien  mieux  le  divin  que  dans  les  formules  abstraites 
d'une  théodicée  artificielle  et  d'une  ontologie  sans  rap- 
port avec  les  faits.  L'absolu  de  la  justice  et  de  la  raison 
.ne  se  manifeste  que  dans  l'humanité  :  envisagé  hors  de 
l'humanité,  cet  absolu  n'est  qu'une  abstraction;  envisagé 
dans  l'humanité,  il  est  une  réalité.  Et  ne  dites  pas  que  la 
forme  qu'il  revêt  entre  les  mains  de  l'homme  le  souille 
et  l'abaisse.  Non,  non  ;  l'infini  n'existe  que  quand  il  revêt 
une  forme  finie.  »  Voilà  bien  des  contradictions,  et  des 
contradictions  formelles  avec  ce  que  Renan  prétendait  ;  il 
subit  maintenant,  malgré  ses  protestations,  l'influence 
de  Hegel. 

Tout  à  l'heure,  sous  l'influence  de  Kant,  il  disait  que 
Dieu  est  la  catégorie  de  l'idéal,  par  horreur  pour  la  méta- 
physique. Spinoza  et  Hamilton  lui  inspirent  l'horreur  des 
formules  qui  chercheraient  à  déterminer  Dieu.  Hegel  enfin 


LE   DIEU   DE   L'IDÉALISME  ^87 


l'introduit  dans  la  théorie  du  devenir.  Et  Renan  écrit,  dans 
l'Avenir  des  sciences  naturelles,  cette  phrase  suggestive, 
à  propos  du  développement  du  monde  depuis  l'atome 
jusqu'à  l'homme  :  «  Dieu  alors  sera  complet,  si  l'on  fait 
du  mot  Dieu  le  synonyme  de  la  totale  expérience  ;  en  ce 
sens,  Dieu  sera  plutôt  qu'il  n'est  :  il  est  infieri,  il  est  en 
voie  de  se  faire.  »  Mais  Dieu  est  plus  que  le  total  de  l'ex- 
périence, il  est  encore  l'absolu.  Et  voilà  deux  Dieu,  l'un 
éternel  et  immobile,  l'autre  en  voie  de  se  faire  ;  mais  le: 
premier  ressemble  à  celui  de  Vacherot  et  il  n'existe  pas  ; 
quant  au  second,  c'est  celui  de  Hegel,  et  il  implique  le 
panthéisme. 

«  Sur  les  traces  de  Hegel,  dit  Caro,  comme  sur  les  tra- 
ces de  Kant,  c'est  toujours  le  divin,  sa  foi  au  divin,  que 
nous  rencontrons  à  la  place  de  Dieu  et  de  la  foi  en  Dieu. 
Le  divin  n'est  probablement  pas  un  Etre,  mais  c'est  assu- 
rément ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  et  de  plus  élevé  dans 
tous  les  êtres.  Le  rechercher,  le  contempler  partout  où  il 
a  laissé  sa  trace  et  son  reflet,  dans  les  formes  et  les  cou- 
leurs de  la  beauté  physique,  dans  la  pensée  et  dans  l'ac- 
tion, dans  le  génie  et  l'héroïsme,  dans  les  inspirations  de 
la  science  et  de  l'art,  dans  la  grandeur  morale  surtout,  la 
plus  divine  de  toutes  les  grandeurs,  voilà  ce  qui  donne  du 
prix  à  la  vie  et  ce  qui  doit  consoler  l'humanité  de  perdre 
son  Dieu  (1).  »  a  Que  la  poésie,  que  l'art,  que  la  morale 
nous  désintéressent  de  nous-mêmes  et  nous  arrachent 
aux  pensées  vulgaires  ;  qu'il  y  ait  une  affinité  naturelle 
entre  tous  les  grands  instincts  de  la  nature  humaine,  et 
que  toute  émotion  noble,  portée  à  son  plus  haut  degré, 
s'achève  et  s'absorbe  dans  le  sentiment  de  l'infini,  qui 
songerait  à  le  nier  ?  Mais  tout  cela  n'est  pas  la  religion. 
L'objet  de  l'art,  c'est  le  beau,  l'objet  de  la  morale,  c'est  le 
bien  ;  l'art  et  la  morale  aboutissent  au  culte  de  l'idéal 
qui  ne  se  confond  pas  avec  la  religion.  Ou  la  religion  n'est 
rien  par  soi  et  fait  double  emploi  avec  la  morale  et  l'art, 
ou  il  faut  bien  reconnaître  qu'elle  a  son  objet  propre,  par 
lequel  elle  se  définit,  en  vue  duquel  elle  existe,  et  qui 
n'est,  ne  peut  être  que  Dieu,  non  pas  ce  Dieu  vague  et 

1.  Caro,  L'idée  de  Dieu,  p.  83. 


àS8 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


abstrait,  résumé  des  idées  de  la  raison,  ni  même  cet 
infini  des  hégéliens  qui  s'engendre  et  se  révèle  dans  le 
monde,  mais  un'  Dieu  qui  soit  la  plus  haute  et  la  plus 
sainte  des  réalités  au  lieu  d'être  la  négation  ironique  ou 
sentimentale  de  Dieu  (i).  » 

i.  L'idée  de  Dieu,  p.  85-86.  Cf.  de  Margerie,  Théodicée,  39  édit., 
Paris,  i874,  t.  i,  p.  393-4oi  ;  t.  h,  p.  i59-2a3  ;  Farges,  Vidée 
de  Dieu,  Paris,  1894,  p.  409-442. 


Leçon   XIV 
De  Dieu 


I.   Science  de  Dieu.  —  II.    Volonté  de  Dieu.  — 
III.  Difficultés. 


près  avoir  étudié  l'être  divin  dans  sa  nature, 
nous  devons  l'étudier  dans  ses  opérations  : 
les  unes  sont  immanentes,  comme  V intelli- 
gence et  la  volonté  ;  les  autres  se  manifestent  au 
dehors  et  sont  le  principe  de  ses  actes  extérieurs, 
comme  la  toute-puissance  (i). 

Pour  arriver  à  la  connaissance  de  ces  nouveaux 
attributs,  le  procédé  rationnel  ne  varie  pas.  Par 
A^oie  d'analogie,  la  raison  attribue  à  Dieu  ce  qu'elle 
trouve  de  meilleur  dans  la  meilleure  des  créatures, 
l'intelligence,  la  volonté,  le  pouvoir.  Par  voie  de 
négation,  elle  écarte  de  cette  intelligence,  de  cette 
volonté,  de  ce  pouvoir,  tout  ce  qui  implique  une 
imperfection,  un  défaut,  une  limite,  dans  la  créa- 
ture. Et  enfin,  par  application  de  principe  de 
suréminence,  elle  leur  attribue  tout  ce  qu'elle  peut 
concevoir  de  plus  parfait. 


i.  Saint  Thomas,  Sam.  iheol.,  I,  Q.  xiv-xix  ;  de  Margerie, 
Thêodicée,  3*édit.,  Paris,  1876,  t.  1,  283-335;  Farges,  Vidée  de 
Dieu,  Paris,  1894,  p.  346-399. 


^9°  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


I.  Science  de  Dieu 

i.  Ses  caractères.  —  La  raison  humaine  con- 
naît, comprend,  sait  bien  des  choses,  mais  son 
objet  est  limité.  La  science  qu'elle  possède,  elle  ne 
parvient  à  l'acquérir  qu'en  passant  successivement 
d'un  objet  à  un  autre,  ou  d'une  manière  discursive 
en  tirant  des  conclusions  des  principes  qu'elle  con- 
naît. En  tout  état  de  cause,  elle  reste  fort  impar- 
faite. 

En  Dieu,  il  n'en  saurait  aller  de  même.  Dieu  est 
intelligent:  il  connaît,  il  comprend,  il  sait.  Mais 
étant  le  premier  en  tout  ordre,  il  est  l'intelligence 
suprême,  il  possède  la  connaissance  parfaite,  il  a 
une  science  infinie,  l'omniscience  ;  il  connaît  tout, 
il  comprend  tout,  il  sait  tout.  «  0  profondeur, 
disait  saint  Paul,  des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la 
scinnce  de  Dieu  !  » 

On.  comprend  qu'en  Dieu,  la  science  soit  à  son 
plus  haut  degré  de  perfection  ;  car  la  connaissance 
est  en  raison  directe  de  l'immatérialité.  Les  plantes 
ne  connaissent  pas,  parce  qu'elles  sont  matière  ; 
les  sens  connaissent,  parce  qu'ils  reçoivent  des 
objets  les  espèces  sensibles,  sans  la  matière;  l'in- 
telligence connaît,  parce  qu'elle  reçoit  les  espèces 
intelligibles  et  qu'elle  se  distingue  de  la  matière, 
tout  en  y  étant  impliquée.  Mais  Dieu,  étant  sou- 
verainement simple,  a  par  là  même  une  connais- 
sance et  une  science  aussi  parfaites  que  possible. 

La  science,  dans  l'homme,  constitue  une  habi- 
tude, une  qualité  ;  en  Dieu,  elle  s'identifie  avec  son 
essence,  elle  est  un  acte  pur.  Dans  l'homme,  elle 
est  multiple,  divisée  ;  en  Dieu,  une  et  simple.  Dans 
l'homme,  elle  est  successive  ou  discursive  ;  en 
Dieu,   pas  de  succession  ni  de  raisonnement  :  il 


LA    SCIENCE    DE    DIEU  [\  91 

voit  tout,  d'un  seul  regard,  dans  son  essence. 
L'homme  a  besoin  des  sens  et  des  facultés  ;  Dieu, 
n'étant  pas  en  puissance  mais  en  acte,  n'a  besoin 
d'aucun  intermédiaire  :  l'intelligence,  l'intelligible, 
les  idées  ne  font  en  lui  qu'une  seule  et  même  chose. 
A  ces  différences  dans  le  mode  de  connaissance 
s'ajoutent  d'autres  différences  dans  l'objet  de  la 
science. 

2.  Son  Objet.  —  i°.  Le  premier  objet  de  la 
connaissance  de  Dieu  c'est  Dieu  lui-même  ;  il  se 
connaît.  La  science,  en  effet,  est  la  connaissance 
des  êtres  dans  leur  cause  ;  or  le  premier  principe, 
la  cause  première,  c'est  Dieu.  Dieu  est  donc  souve- 
rainement intelligible.  Et  étant  souverainement 
intelligent,  il  se  connaît  lui-même,  directement, 
immédiatement,  par  un  acte  de  simple  vision  :  il 
se  voit  tel  qu'il  est,  il  voit  tout  ce  qu'il  fait.  De  plus 
il  se  connaît  autant  qu'il  est  connaissable,  infini- 
ment, c'est-à-dire  qu'il  se  comprend  ou  que  la  con- 
naissance qu'il  a  de  lui-même  va  jusqu'à  la  com- 
préhension totale  et  adéquate  de  lui-même,  sans 
qu'il  puisse  y  avoir  rien  de  lui-même  qu'il  ne  con- 
naisse. En  lui,  à  raison  de  sa  merveilleuse  simpli- 
cité, intelligible  et  intelligence,  vérité  connue  et 
savoir  ne  sont  qu'une  seule  et  même  chose,  qui  est 
sa  propre  essence. 

20.  Dieu  connaît  toutes  choses.  Dieu,  se  connais- 
sant et  se  comprenant  adéquatement,  connaît  sa 
propre  vertu  et  tout  ce  à  quoi  elle  s'étend.  Or  sa  ; 
vertu  s'étend  à  tout  ce  qui  est,  et  puisqu'il  en  est  j 
la  cause  efficiente,  il  connaît  tout  ce  qui  est.  Mais 
les  choses  qui  sont,  c'est  en  lui-même  qu'il  les  con- 
naît, parce  que  son  essence  contient  leur  image.  H 
les  connaît  non  seulement  d'une  manière  générale, 
mais  encore  séparément  d'une  manière  distincte,  et 


[\Ç)1  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

dans  ce  qu'elles  ont  de  commun  par  l'être,  et  dans 
ce  qui  les  distingue  les  unes  des  autres,  dans  leurs 
essences  et  dans  l'actualisation  de  leurs  essences.  Il 
les  voit  toutes  en  même  temps,  d'un  seul  regard, 
sans  succession,  sans  raisonnement.  Il  les  connaît 
toutes  dans  leur  individualité  propre  ;  car  sa  science 
égale  sa  causalité,  et  sa  causalité  s'étend  à  chaque 
être  en  particulier,  «  II  atteint  jusqu'à  la  division  de 
l'âme  et  de  V esprit  ;  il  discerne  les  pensées  et  les 
mouvements  des  cœurs,  et  aucune  créature  n'est 
invisible  à  ses  yeux  (i).  »  «  //  est  grand,  le  Seigneur, 
et  il  regarde  les  choses  les  plus  humbles  (2)  ». 

3°.  Dieu  connaît  les  choses  possibles.  Dieu,  en 
effet,  ne  connaît  pas  seulement  ce  qui  est  en  acte, 
mais  encore  tout  ce  qui  est  en  puissance  par  lui  ou 
par  ses  créatures  ;  car,  outre  les  choses  qui  sont, 
son  essence  infinie  représente  celles  qui  peuvent 
être,  et  dans  leurs  principes  généraux,  et  dans 
leurs  principes  particuliers.  Il  connaît  donc  tous 
les  possibles,  quel  qu'en  soit  le  nombre,  par  un 
seul  acte  égal  à  cette  possibilité  infinie  d'imiter  son 
essence  divine. 

4°.  Dieu  connaît  les  futurs  contingents.  Il  ne  les 
connaît  pas  seulement  dans  leurs  causes,  mais 
encore  dans  leur  réalisation,  dans  leur  existence 
contingente  et  future.  Ils  ont  beau  se  succéder  dans 
le  temps,  Dieu  est  au-dessus  de  la  durée,  il  les  con- 
naît simultanément.  Car  tout  ce  qui  s'agite  dans  le 
temps  est  éternellement  présent  à  Dieu,  non  seule- 
ment parce  que  Dieu  a  présentes  en  lui-même  les 
raisons  des  choses,  mais  encore  parce  que  son 
regard  embrasse  dans  les  siècles  tous  les  êtres 
futurs,  comme  existant  devant  lui,  comme  consti- 
tués dans  leur  existence  actuelle,  bien  qu'ils  soient 

1.  Hebr.,  iv,  12.  —  a.  Psal.,  cxxxvii,  6. 


LA    SCIENCE    DE    DIEU  /jg3 


futurs  relativement  aux  causes  qui  doivent  les 
actuer. 

5°  Dieu  connaît  les  futurs  libres.  Ces  futurs  libres 
préexistent  bien  dans  leurs  causes,  mais  à  l'état 
vague  et  indéterminé  ;  car  un  futur  libre  n'est 
qu'un  effet  possible  que  la  cause  peut  à  son  gré 
produire  ou  ne  pas  produire  :  il  n'y  a  point  de  lien 
nécessaire  entre  une  cause  libre  et  son  effet  libre. 
Par  suite  la  connaissance  de  la  cause  libre  ne  sau- 
rait donner  de  l'effet  libre  qu'une  connaissance 
conjecturale,  qui  ne  saurait  convenir  à  Dieu.  Expli- 
quer la  prescience  divine  par  la  connaissance 
parfaite  que  Dieu  a  de  la  liberté  humaine  en  général 
ou  de  la  liberté  de  chaque  homme  en  particulier, 
serait  précisément  réduire  la  science  de  Dieu  à  une 
science  conjecturale.  C'est  pourquoi  les  thomistes 
purs  écartent  cette  solution.  Ils  placent  la  science 
de  Dieu  des  futurs  libres  dans  la  connaissance  de  la 
cause  première  ou  du  décret  divin,  qui  détermine 
les  futurs  libres.  Mais,  dans  ce  cas,  une  telle  pré- 
détermination de  la  part  de  Dieu  ne  rend-elle  pas 
nécessaires  les  futurs  libres  ?  Et  alors  que  devient 
la  liberté  ?  C'est  une  grave  difficulté  qui  se  compli- 
que, ainsi  que  nous  le  verrons  à  la  fin  de  cette 
leçon,  d'une  autre  non  moins  grave  difficulté,  celle 
des  rapports  du  concours  divin  avec  la  liberté. 

La  plupart  des  thomistes  parlent,  à  propos  des 
futurs  libres,  de  vision  actuelle  plutôt  que  de  pré- 
vision. En  Dieu,  en  effet,  il  n'y  a  qu'un  présent 
éternel.  Si  donc,  de  toute  éternité,  il  voit  comme 
actuels  les  futurs  libres,  il  n'est  qu'un  simple 
témoin,  dont  le  regard  ne  change  rien  à  la  nature 
des  faits  :  il  voit  comme  nécessaires  les  faits 
nécessaires  ;  il  voit  comme  libres  les  actes  libres. 
Cette  solution  est  indiquée  par  saint  Thomas,  qui 
dit  entre  autre  choses  :    Nous,  nous  voyons  succès- 


4  9^  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


sivement  dans  le  temps  les  choses  qui  se  réalisent 
dans  le  temps  ;  mais  Dieu  les  voit  dans  l'éternité, 
qui  est  au-dessus  du  temps.  Aussi,  comme  nous  ne 
concevons  les  futurs  contingents  qu'en  tant  que 
contingents,  ne  pouvons-nous  les  connaître  avec 
certitude.  Dieu,  au  contraire  les  connaît  d'une  ma- 
nière infaillible,  comme  actués  devant  lui.  Le 
voyageur,  qui  chemine  dans  la  vallée,  ne  voit 
qu'une  partie  de  ceux  qui  cheminent  après  lui; 
l'observateur  qui  découvre  toute  la  route  du  haut 
d'une  montagne  voit  seul  tous  ceux  qui  la  sui- 
vent (i). 

Que  Dieu  connaisse  les  futurs  libres,  c'est  une 
vérité  qui  se  trouve  clairement  exprimée  dans 
l'Ecriture.  Citons  seulement  quelques  textes.  «  Je 
sais,  dit  le  Seigneur,  les  dispositions  qui  raniment 
dès  aujourd'hui  (le  peuple  d'Israël)  avant  même 
que  je  les  aie  fait  entrer  dans  le  pays  que  je  leur  ai 
promis  par  serment  (2).  »  «  Tu  découvres  mes  pensées 
de  loin  (3).  »  «  Dieu  éternel,  qui  connaissez  ce  qui  est 
caché  et  qui  savez  toutes  choses  avant  quelles  n'arri- 
vent (4).  » 

«  //  sonde  les  profondeurs  de  l'océan  et  le  cœur  de  l'homme, 

Et  il  connaît  leurs  desseins  les  plus  subtils  ; 

Car  le  Seigneur  possède  toute  science, 

Et  il  voit  les  signes  du  temps. 

Il  annonce  le  passé  et  l'avenir, 

Et  il  dévoile  les  traces  des  choses  cachées. 

Aucune  pensée  ne  lui  échappe, 

Aucune  parole  n'est  cachée  pour  lui  (5).  » 

C'est  cette  science  de  l'avenir  qui  rend  possible 


1.  Sam.  theol,  I,  Q.  xiv,  a.  i3,  ad  3.  —  2.  Dent.,  xxxi,  ai. 
—  3.  Psal.,  cxxxvm,  2.  —  4-  Daniel,  xm,  42.  —  5.  Eccli.,  xlii, 
18-22. 


LA    SCIENCE    DE    DIEU  4<)5 

la  prophétie  et  qui  a  permis  de  dire  à  Tertullien 
que  «  la  prescience  divine  a  autant  de  témoins 
qu'elle  a  formé  de  prophètes  (i).  » 

6°  Dieu  connaît  les  futurs  conditionnels.  Entre  le 
possible,  ce  qui  peut  être,  et  le  futur,  ce  qui  sera 
réalisé,  se  place  le  futur  conditionnel,  ce  dont  la 
condition,  qui  le  ferait  se  produire,  ne  se  réalisera 
pas  ;  c'est  moins  qu'un  futur,  puisqu'il  ne  sera 
jamais;  c'est  plus  qu'un  possible,  puisqu'il  existe- 
rait si  telle  condition  était  posée. 

Il  y  a  le  futur  conditionnel  nécessaire,  c'est  celui 
qui  fait  l'objet  des  sciences  humaines.  Ainsi,  dit 
Farges,  le  chimiste  prévoit  sûrement  que  ce  grain 
de  poudre  fera  explosion  si  on  l'allume,  et  cela  est 
certain  alors  même  qu'on  ne  l'allumerait  jamais. 
De  son  côté  l'astronome  peut  prévoir  avec  certitude 
les  déviations  qu'occasionneraient  dans  la  marche 
des  astres  telle  et  telle  hypothèse  qui  ne  se  réalise- 
ront probablement  jamais.  Or,  ces  futurs  que  les 
savants  connaissent,  il  est  clair  que  Dieu  les  con- 
naît aussi  dans  les  causes  nécessaires  qui  les 
contiennent,  c'est-à-dire  dans  les  lois  de  la  nature. 
Aucune  difficulté  sur  ce  point  (2). 

Mais  il  est  des  futurs  conditionnels  libres,  et  leur 
connaissance  ne  peut  pas  échapper  davantage  à  la 
science  infinie  de  celui  qui  prévoit  sûrement  les 
futurs  libres  absolus.  Mais  comment  Dieu  les  con- 
naît-il? Toute  la  difficulté  et  là.  Il  ne  les  voit  pas 
comme  présents,  puisqu'ils  ne  seront  jamais  pré- 
sents ;  il  ne  les  voit  ni  en  eux-mêmes  ni  dans 
l'actuation  qu'ils  n'auront  jamais  ;  il  les  voit  dans 
la  cause  qui  les  contient  et  qui  aurait  pu  les  pro- 
duire. 


1.  Cont.  Marc,  11,  5  ;  Patr.  lat.t  t.  11,  col.  290.  —  a.  Farges, 
Vidée  de  Dieu,  p.  36g. 


4C)6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Pour  les  thomistes,  Dieu  les  voit  dans  la  sou- 
veraine efficacité  de  la  cause  première,  source  de 
tout  ce  qui  existe  ou  aurait  pu  exister,  dans  le  décret 
divin.  Sa  connaissance  de  vision  embrasse  toutes 
les  réalités  contingentes,  voulues  ou  permises  dans 
les  décrets  éternels,  y  compris  les  futurs  libres  et 
les  futurs  conditionnels  libres.  Dieu  voit  dans  ses 
décrets  éternels  non  seulement  tout  ce  qui  arrive, 
mais  encore  tout  ce  qui  peut  arriver,  dans  des  con- 
ditions données,  qui  en  fait  ne  seront  pas  posées  ; 
c'est  là  qu'il  voit  les  solutions  implicitement  conte- 
nues par  chacun  des  cas  qui  peuvent  s'offrir. 

Les  molinistes  recourent  à  une  autre  explication, 
celle  de  la  Science  moyenne.  Dieu  verrait  les  futurs 
conditionnels  libres,  indépendamment  de  tout  dé- 
cret et  antérieurement  à  tout  décret,  dans  les  causes 
libres  elles-mêmes,  qui  sont  capables  de  produire 
tel  effet  si  telle  ou  telle  condition  est  posée.  Nous 
n'entrerons  pas  dans  l'examen  et  la  discussion  de 
cette  science  moyenne,  différemment  expliquée  par 
Molina,  par  Suarez  et  Mazzella  (i).  Le  P.  de  Régnon 
a  même  pour  elle  un  mot  dur  :  «  C'est  là  le  mys- 
tère, l'insondable  mystère,  écrivait  l'un  de  ses  dé- 
fenseurs découragés  ;  de  toutes  les  explications  pro  - 
posées  aucune  n'est  satisfaisante...  Il  faut  renoncer 
à  expliquer  le  comment  de  cette  science  divine  que 
nous  appelons  la  science  des  conditionnels....  Expli- 
quer cette  science,  c'est  œuvre  de  dilettantisme  phi- 
losophique (2).  »  M.  Farges  rapporte  ce  mot  sans  y 
souscrire  et  dit  :  «  Après  avoir  reconnu  l'ineffica- 
cité complète  du  mystère  de  la  Science  moyenne  à 
remplacer  le  mystère  des  décrets  divins,  nous  nous 
résignons   humblement  à    celui-ci,   persuadé   que 

1.  Mazzella,  De  gratia,  Disp.  ni,  a.  7.  —  a.  De  Régnon, 

Bannes  et  Molina,  p.  ii3-ii5. 


LA    SCIENCE   DE   DIEU  497 

l'efficacité  de  la  causalité  première,  bien  différente 
en  cela  des  causes  secondes,  peut  nous  mouvoir 
sans  violenter  notre  nature,  et  tout  causer  en  nous 
très  efficacement,  même  notre  liberté,  que  nous 
ne  saurions  soustraire,  sans  privilège,  à  la  causalité 
universelle  de  Dieu  (i).  » 

Quel  que  soit  le  mode  d'explication,  toujours  est- 
il  que  cette  connaissance  des  futurs  conditionnels 
existe  en  Dieu.  Dieu  connaît  assurément  les  actes 
que  la  créature  libre  accomplirait,  si  telle  condition 
qui,  du  reste,  ne  se  produira  pas,  venait  à  se  réaliser. 
En  voici  un  exemple,  pris  dans  l'Ancien  Testament. 
David,  réfugié  àCéïla,  dit:  «  Seigneur,  Dieu  d'Israël, 
votre  serviteur  a  appris  que  Saiïl  se  dispose  à  venir  à 
Céïla,  pour  détruire  la  ville  à  cause  de  moi.  Les  habi- 
tants de  Céïla  me  livreront-ils  entre  ses  mains  ?  Saiïl 
descendra-t-il  comme  votre  serviteur  Va  entendu  dire  ? 
Jéhovah,  Dieu  d'Israël,  daignez  le  révéler  à  votre 
serviteur.  »  Jéhovah  répondit  :  «  //  descendra.  »  Et 
David  dit  :  «  Les  habitants  de  Céïla  me  livreront-ils, 
moi  et  mes  hommes,  entre  les  mains  de  Saiïl  ?  » 
Jéhovah  répondit  :  «  Ils  te  livreront  (2).  »  Le  sort  de 
David  et  de  sa  troupe  dépendait  ainsi  d'une  condi- 
tion. En  restant  à  Céïla,  il  eût  été  livré  ;  il  quitta 
la  ville.  Yoici  un  autre  exemple,  donné  par  Notre 
Seigneur  dans  l'Evangile,  quand  il  dit  :  «  Malheur 
à  toi,  Corozaïn  !  malheur  à  toi,  Bethsaïda  !  parce  que 
si  Tyr  et  Sidon  avaient  été  les  témoins  des  prodiges 
qui  s'accomplissent  en  vous,  elles  auraient  fait  péni- 
tence sous  le  cilice  et  dans  la  cendre  (3).  »  Tyr  et 
Sidon  n'ont  pas  fait  pénitence  parce  que  la  condi- 
tion, qui  devait  la  leur  faire  faire,  n'a  pas  eu  lieu. 


1.  Farges,  L'idée  de  Dieu,  p.  377.  Cf.  Gayraud,  Thomisme  et 
Molinisme,  Paris,  1889,  p.  116.  —  a.  I  Reg.,  xxm,  10-12.  — 
3.  Malth.,  xi,  21. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  }2 


4q8  le  catéchisme  romain 

3.  Ses  divers  noms.  —  Cette  science  divine,  si 
parfaite  dans  son  mode,  si  pleine  dans  son  objet,  a 
reçu  des  théologiens  plusieurs  noms  qui  servent  à 
la  préciser. 

On  la  distingue  en  science  nécessaire  ou  libre, 
suivant  qu'elle  précède  tout  décret  divin  et  qu'elle 
a  pour  objet  l'être  souverain  ou  les  choses  pure- 
ment possibles,  ou  selon  qu'elle  est  consécutive  à 
un  décret  divin  et  qu'elle  a  pour  objet  ce  qui 
dépend  de  la  toute-puissance  divine,  toutes  les 
choses  qui  sont  ou  seront. 

Elle  est  dite  spéculative,  si  elle  se  borne  à  la  con- 
naissance des  choses  sans  les  effectuer  ou  les  réali- 
ser, ou  pratique,  quand  elle  les  connaît  et  les  fait 
passer  à  l'existence. 

Elle  s'appelle  science  de  simple  intelligence,  quand 
elle  s'applique  aux  possibles,  c'est-à-dire  aux  choses 
qui  n'ont  pas  été,  qui  ne  sont  pas  et  qui  ne  seront 
jamais,  et  science  de  vision,  quand  elle  a  pour  objet 
ce  qui  est  ou  sera. 

Si  son  objet  est  le  bien  et  suppose  un  décret  divin,, 
c'est  la  science  d'approbation  ;  si,  au  contraire,  son 
objet  est  le  mal,  que  Dieu  ne  saurait  vouloir,  à 
raison  même  de  sa  perfection,  c'est  la  science  de 
permission.  Sur  ces  paroles,  que  David  prête  au 
Seigneur  :  «  Je  ne  connaissais  pas  le  cœur  dépravé  et 
méchant,  qui  s'éloignait  de  moi,  (i)  »  saint  Augus- 
tin écrit  :  «  Je  ne  connaissais  pas,  qu'est-ce  à  dire  ? 
Je  n'approuvais  pas,  je  ne  louais  pas,  je  n'aimais 
pas,  car  le  mot  connaître,  clans  l'Ecriture,  signifie 
quelquefois  voir  avec  complaisance  (2).  » 

Les  molinistes,  nous  l'avons  vu,  ont  donné  à  la 
science  des  futurs  conditionnels  le  nom  de  science 
moyenne,  de  science  intermédiaire  entre  la  science 

1.  Psal.,  c,  t\.  —  2.  In  psal.,  c,  7. 


LA    VOLONTÉ    DE    DIEU  l\()$ 

de  simple  intelligence  et  la  science  de  vision.  Mais 
les  thomistes  jugent  inutile  ce  terme  nouveau, 
parce  que,  si  la  condition  se  réalise,  le  futur  condi- 
tionnel est  alors  connu  par  la  science  de  vision,  et 
si  elle  ne  se  réalise  pas,  le  futur  conditionnel  reste 
Fobjet  de  la  science  de  simple  intelligence  (i). 

IL  Volonté  de  Dieu 

i°  Ses  caractères.  —  La  tendance  au  bien,, 
perfection  de  l'être,  est  universelle  ;  on  la  trouve 
partout,  en  effet,  dans  le  monde  créé.  Mais  ce  qui 
n'est  qu'une  tendance  aveugle  ou  un  instinct  chez 
les  êtres  dépourvus  de  raison,  est  une  faculté  chez 
les  êtres  conscients.  Chez  ceux-ci,  l'intelligence 
perçoit  le  bien  ;  elle  y  tend  en  vertu  de  sa  propre 
nature,  quand  elle  ne  l'a  pas  ;  elle  le  cherche  jus- 
qu'à ce  qu'elle  le  trouve  et  s'y  repose  dès  qu'elle  le 
possède.  Or,  ce  sont  là  des  actes  de  volonté.  Tout 
être  doué  d'intelligence  est  par  là  même  un  être 
doué  de  volonté  ;  car  la  volonté  suit  toujours 
l'intelligence  et  est  toujours  en  proportion  avec 
elle.  C'est  précisément  le  cas  de  l'homme  raisonna- 
ble :  il  comprend  et  il  veut. 

Mais  l'homme  veut  nécessairement  le  bonheur 
parce  qu'il  est  fait  pour  lui  ;  c'est  une  nécessité  de 
nature.  Pourtant  il  est  libre  dans  le  choix  des  moyens 
pour  se  le  procurer,  pour  l'atteindre  et  en  jouir. 
Sa  liberté,  qui  est  une  prérogative  remarquable^ 
est  entourée  d'imperfections  :  elle  est  mêlée  de 
passivité,  mobile,  changeante,  faillible,  limitée  au 
dedans  et  au  dehors. 

i.  Cf.  Cardinal  Pecci,  La  prèdélerminalion  physique  et  la 
science  moyenne»  p.  5o  sq. 


500  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Dès  qu'il  agit,  l'homme  subit  une  réaction  ;  il  ne 
peut  pas  modifier  les  êtres  qui  l'entourent  sans  se 
modifier  lui-même  ;  sa  puissance  est  indéterminée  ; 
chaque  objet  voulu  la  détermine  et  la  modifie. 
Sous  l'influence  d'agents  extérieurs  ou  sous  la 
poussée  de  passions  mal  réglées,  il  se  laisse  décon- 
certer et  abuser.  Il  prend  le  mal  pour  le  bien  ou 
préfère  un  bien  accidentel,  que  lui  procure  le  mal, 
à  la  place  du  bien  véritable.  Sa  volonté  n'est  pas 
que  faillible  ;  elle  est  mobile,  changeante,  comme 
l'intelligence  qui  l'éclairé.  Elle  passe  capricieuse- 
ment d'un  motif  à  un  autre,  d'une  décision  à  une 
décision  contraire  ;  parfois  elle  ne  sait  à  quoi  se 
résoudre,  elle  hésite,  incertaine  ;  parfois  aussi  elle 
se  décide  en  aveugle.  Déplus,  si  elle  ne  veut  pas 
tout  ce  qu'elle  peut,  elle  ne  peut  pas  toujours  tout  ce 
qu'elle  veut.  Et  trop  souvent  elle  fait  le  mal  qu'elle 
ne  veut  pas  et  ne  fait  pas  le  bien  qu'elle  veut.  Qui- 
conque a  tant  soit  peu  l'expérience  des  phénomènes 
psychologiques  ou  moraux,  qui  se  passent  dans  le 
domaine  de  sa  conscience,  sait  combien  infirme,  et 
par  tant  de  côtés,  et  de  tant  de  manières,  est  sa 
propre  volonté. 

Si  donc  la  volonté,  puissance  de  faire  le  bien, 
est  une  noble  faculté,  une  perfection  des  êtres  intel- 
ligents, nul  doute)  qu'elle  ne  se  trouve  en  Dieu, 
puisque  Dieu  est  un  être  intelligent.  Mais  comme 
Dieu  est  l'intelligence  parfaite,  il  doit  donc  être  et 
dans  la  même  mesure  la  volonté  parfaite  ;  et  de 
même  qu'en  Dieu  l'intelligence  est  son  être,  de 
même  la  volonté  est  son  essence  divine  ;  nous  ne 
l'en  pouvons  distinguer  que  par  un  procédé  d'ordre 
logique.  Par  conséquent  nous  ne  pourrons  trouver 
en  Dieu  aucune  des  imperfections  qui  se  trouvent 
dans  la  volonté  de  l'homme. 

Tandis  que  l'homme  est  mû,   dans  la  recherche* 


LA   VOLONTÉ    DE   DIEU  5oi 

nécessaire  du  bien,  qui  lui  est  extérieur,  par  une 
cause  étrangère,  Dieu,  qui  est  son  propre  bien  à 
lui-même,  ne  peut  être  mû  vers  ce  bien  que  par  lui- 
même  :  sa  volonté  part  de  lui  et  aboutit  à  lui  ;  sa 
volonté,  c'est  lui,  c'est  un  acte  immanent. 

La  volonté  divine,  est  à  la  fois  nécessaire  et  libre, 
mais  sous  des  rapports  différents  ;  nécessaire  vis-à-vis 
de  lui-même,  comme  nous  allons  le  voir  en  parlant 
de  son  objet  ;  mais  libre  vis-à-vis  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  lui,  par  rapport  à  ses  actes  extérieurs.  Dans 
ceux-ci,  en  effet,  il  n'y  a  ni  nécessité  de  nature,  ni 
coaction  :  Dieu  est  libre.  La  nécessité  de  nature 
résulte  de  la  constitution  intime,  de  l'essence  même 
de  l'être  ;  elle  est  absolue,  quand  elle  est  indépen- 
dante de  toute  conjoncture  et  s'impose  partout  et 
toujours.  Or,  dit  saint  Thomas,  il  est  nécessaire 
d'une  nécessité  absolue  que  Dieu  veuille  quelque 
chose,  mais  il  ne  l'est  pas  de  même  qu'il  veuille  tout 
ce  qu'il  veut.  Sa  volonté  a  des  rapports  nécessaires 
avec  sa  bonté,  qui  est  son  objet  propre  :  il  veut 
donc  nécessairement,  par  une  nécessité  de  nature, 
sa  bonté.  Mais  il  aurait  pu  ne  pas  vouloir  les 
créatures.  Vis-à-vis  d'elles,  il  est  libre  ;  si  donc  il 
les  veut,  c'est  en  pleine  liberté  ;  et  s'il  les  veut  de 
toute  éternité,  il  ne  S'ensuit  pas  qu'il  les  veuille 
nécessairement  ;  il  ne  les  veut  que  selon  son  bon 
plaisir,  d'une  manière  toute  relative.  «  Tous  les 
habitants  de  la  terre  ne  comptent  pour  rien  devant 
lai  ;  il  agit  comme  il  lai  plaît  avec  V armée  des  cieax 
et  avec  les  habitants  de  la  terre  (i).  »  «  II  opère 
toutes  choses  d'après  le  conseil  de  sa  volonté  (2).  » 
Il  est  libre. 

Mais  sa   liberté  n'a  aucun    mélange  de  passivité 
comme  celle  de  l'homme.  L'homme,  incapable  de 

1.  Daniel,  iv,  3a    —  a.  Ephes.,  1,  11. 


5o2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

se  suffire  à  lui-même,  cherche  dans  les  biens  créés 
un  complément  à  son  indigence,  un  aliment  à  sa 
faim  et  à  sa  soif  de  bonheur.  Il  aime  les  choses 
parce  qu'elles  sont  bonnes  ou  lui  paraissent  bonnes. 
Dieu,  au  contraire  les  aime  pour  les  faire  bonnes, 
pour  leur  donner  avec  l'être  cette  bonté  qu'elles  ne 
sauraient  avoir  sans  lui  ;  il  répand  le  bien.  Si  donc 
les  choses  ont  l'être  et  quelque  bien,  c'est  parce  que 
Dieu  l'a  voulu  librement.  Mais  Dieu  n'aime  pas  de 
la  même  manière  que  nous  aimons.  Comme  notre 
volonté,  loin  de  donner  l'existence  aux  êtres,  en 
reçoit  plutôt  l'impulsion  qui  la  porte  à  l'acte,  l'amour 
par  lequel  nous  leur  voulons  du  bien  n'est  pas  la 
cause  de  leur  bonté  ;  c'est  leur  bonté  qui  fait  naître 
l'amour.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  Dieu  :  son  amour 
répand  et  crée  la  bonté  dans  les  choses  (i).  D'où 
l'indépendance  de  Dieu  vis-à-vis  des  créatures,  et  sa 
souveraine  liberté.  Il  donne  sans  recevoir  ;  il  pro- 
duit sans  avoir  besoin  de  s'enrichir  ;  il  modifie 
sans  être  modifié  lui-même  ;  il  reste  l'acte  pur, 
unique,  éternel  et  nécessaire. 

C'est  une  difficulté  de  concilier  en  Dieu  ces  deux 
attributs  :  la  liberté  et  la  nécessité.  Si  l'être  divin 
est  nécessaire,  comment  le  vouloir  divin  est-il  libre  ? 
Sans  doute  le  vouloir  divin  est  nécessaire,  mais  il 
est  nécessaire,  dit  M.  Farges,  qu'il  soit  avec  toutes 
ses  perfections,  dont  la  plus  importante  est  son 
Indépendance  absolue  des  créatnres  et  sa  parfaite 
liberté  à  leur  égard.  Il  est  donc  nécessaire  que  le 
vouloir  divin  soit  libre  de  ce  chef.  La  conception 
d'un  être  parfait,  nécessité  ad  intra  et  libre  ad  extra, 
n'a  donc  rien  de  contradictoire,  puisque  la  nécessilj 
et  la  liberté  n'existent  qu'à  deux  points  de  vue  diffé- 
rents, et  qu'elles  découlent  l'une  et  l'autre  également 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.  xx,  a.  a 


LA   VOLONTÉ   DE   DIEU  5o3 

•de  l'infinie  perfection  de  Dieu,  qui  ne  peut  souffrir, 
ni  l'indifférence  de  la  liberté  envers  le  bien  infini, 
ni  sa  nécessité  et  sa  dépendance  envers  les  biens 
finis  (i).  C'est  là,  du  reste^  ce  qui  a  lieu  dans 
l'homme,  qui  est  à  la  fois  nécessité  pour  le  bonheur 
et  libre  pour  les  moyens  non  indispensables  qui  y 
conduisent. 

La  volonté  de  Dieu  ne  change  pas  :  elle  est  immua- 
ble, comme  sa  science,  comme  son  être.  Infiniment 
parfait,  infiniment  sage,  Dieu  sait  ce  qu'il  veut,  et 
il  le  veut  sans  revenir  sur  ses  décisions,  sans  les 
modifier,  comme  l'homme,  au  gré  du  caprice  ou 
des  circonstances  imprévues.  Ayant  tout  vu,  tout 
prévu,  à  raison  de  sa  science  infinie  et  infaillible,  il 
a  voulu  en  conséquence  par  une  délibération  com- 
plètement libre  ;  et  cette  délibération  libre  de  sa 
volonté  demeure  perpétuellement  inébranlable. 

Elle  est  de  plus  efficace  :  elle  s'accomplit  toujours 
parce  qu'elle  est  la  cause  universelle  de  tout  ce  qui 
est.  Dans  le  domaine  créé,  tel  ou  tel  événement  peut 
nous  sembler  s'écarter  de  ses  lois  par  un  côté  ;  mais 
très  certainement  il  reste  sous  son  empire  par  un 
autre.  C'est  ainsi  que  le  pécheur  croit  se  soustraire  à 
l'action  divine  en  refusant  sa  miséricorde,  mais  il 
tombe  alors  sous  les  coups  de  sa  justice.  Il  semble 
pourtant,  d'après  l'Ecriture,  que  cette  efficacité  de 
la  volonté  divine  soit  limitée.  N'est-il  pas  écrit,  en 
effet,  que  la  volonté  de  Dieu  c'est  notre  sanctifica- 
tion (2),  et  que  Dieu  veut  le  salut  de  tous  (3)P  Et 
combien  hélas  !  qui  ne  se  sanctifient  pas  et  qui  ne 
se  sauvent  pas  !  Mais  c'est  qu'il  faut  distinguer  ici, 
car  cela  s'impose  à  notre  esprit,  entre  la  volonté 
absolue,    qui  infailliblement  atteint  et  réalise  son 


1.  Farges,  loc.  cit.,  p.  387.  —  a.  I  Thés.,  iv,  3.  —  3.  I  Tim.p 

41,  4- 


5o4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

but,  et  la  volonté  hypothétique,  qui  permet  aux 
causes  secondes  intelligentes  et  libres  d'aller  à  ren- 
contre de  ses  commandements.  C'est  une  difficulté 
sur  laquelle  nous  aurons  à  revenir. 

Elle  est  enfin  Impeccable,  incapable  par  conséquent 
de  pouvoir  faire  le  mal.  C'est  le  triste  privilège  de 
l'homme  de  pouvoir  faire  le  mal  et  de  ne  pas  faire 
le  bien.  Mais  la  liberté  ne  consiste  nullement  dans 
le  choix  entre  deux  contraires,  le  bien  ou  le  mal  ;  il 
lui  suffit  de  pouvoir  choisir  entre  deux  contradic- 
toires, comme  agir  ou  ne  pas  agir.  Et  comme  le  dit 
saint  Thomas,  la  vraie  liberté  consiste  à  choisir 
parmi  les  divers  moyens  qui  respectent  l'harmonie 
des  fins  et  non  parmi  ceux  qui  la  détruisent,  ce  qui 
serait  un  défaut  de  liberté  (i).  Or,  Dieu  qui  est  par 
essence  le  bien  souverain  et  la  perfection  absolue 
ne  saurait  vouloir  ou  faire  le  mal.  INous  verrons 
comment  le  mal  existe  pourtant  dans  le  monde  créé. 

2.  Son  objet.  —  En  parlant  des  principaux 
caractères  de  la  volonté  divine,  nous  avons  dû 
indiquer  quelques-uns  de  ses  objets.  Ajoutons  quel- 
ques mots. 

i°  Dieu  se  veut  d'abord  lui-même,  et  par  consé- 
quent s'aime  lui-même,  absolument,  par  nécessité 
de  nature.  L'objet  premier,  seul  nécessaire  et  adéquat 
de  sa  volonté,  ne  peut  être  que  lui.  C'est  en  lui,  et 
non  hors  de  lui,  qu'il  trouve  sa  béatitude,  et  sa 
béatitude  consiste  à  se  connaître  et  à  s'aimer  tel 
qu'il  est,  infiniment. 

2°  Mais  D'eu  veut  autre  chose  que  lui.  Ecoutons 
saint  Thomas  :  les  choses  naturelles  ont  une  double 
inclination  relativement  à  leur  propre  bien  ;  d'abord 
elles   le  cherchent  quand  elles  ne   l'ont  pas  et    sq 

i.  Swri.  tJicol,  I,  Q.  lxii,  a.  8,  ad  3.     ' 


LA    VOLONTÉ    DE    DIEU  5o5 

reposent  en  lui  quand  elles  l'ont  ;  puis  elles 
s'efforcent  de  le  répandre,  selon  les  lois  du  possible, 
dans  les  autres  êtres  ;  c'est  pourquoi  l'agent,  qui  est 
en  acte  et  parfait,  produit  son  semblable.  C'est  le 
propre  de  la  bonté,  dans  l'homme,  de  se  commu- 
niquer ;  cela  convient  surtout  à  la  bonté  de  Dieu. 
Dieu  aime  à  répandre  sa  bonté.  Et  c'est  ainsi  qu'il 
se  veut  lui-même  et  qu'il  veut  les  autres  choses  :  il 
se  veut  comme  fin,  et  il  veut  les  autres  choses  par 
rapport  à  sa  fin  (i).  «  De  même  que  Dieu,  dit-il 
ailleurs,  en  connaissant  son  essence,  connaît  tous 
les  êtres  qu'il  crée,  en  tant  qu'ils  sont  une  certaine 
image  de  sa  vérité  ;  de  même,  en  voulant  ou  aimant 
Bon  essence,  il  aime  tous  les  êtres  qu'il  crée,  en  tant 
qu'ils  ont  une  ressemblance  de  sa  bonté.  D'où  il  faut 
conclure  que  ce  qui  est  d'abord  voulu  par  lui,  c'est 
ca  bonté  ;  mais  il  veut  le  reste  par  rapport  à  sa 
bonté  (2).  )) 

3°  Gomme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  si  Dieu 
veut  par  nécessité  son  propre  bien  et  sa  béatitude,  il 
veut  librement  le  bien  et  le  bonheur  de  ses  créatures. 
Il  aime  les  créatures,  qui  sont  l'œuvre  de  son  amour  ; 
il  les  aime  toutes,  parce  que  toutes  sont  une  mani- 
festation de  sa  bonté.  Mais  l'amour  qu'il  leur  porte 
se  reporte  finalement  sur  lui-même  ;  c'est  sa  gloire 
qu'il  aime  en  elles.  «  Jéhovah  a  tout  fait  pour  son 
but  (3).  ))  Tel  n'est  pas,  on  le  sait,  le  Dieu  des  déistes. 
Celui-ci  n'aime  que  lui  ;  il  est  sans  sympathie,  sans 
bienveillance,  sans  amour  pour  les  autres  ;  il  ne 
voit  pas  la  souffrance,  il  n'entend  pas  la  prière,  il 
ne  soulage  pas  l'indigence,  il  ne  sèche  pas  les  lar- 
mes, il  ne  panse  pas  les  plaies  et  ne  guérit  pas  les 
maux.  Dieu  sans  cœur,   sans  entrailles,  sans  pitié, 

1.  Sam.  theol.,  I,  Q.  xix,  a.  a. —  a.  DisL,  xlv,  Q.  i,  a.  a.  — 
3.  Prov.,  xvi,  4- 


5o3  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

sans  miséricorde,  relégué  dans  un  égoïsmc  inacces- 
sible, complètement  indifférent  ou  désintéressé  à 
l'égard  du  monde  qu'il  s'est  contenté  de  créer  et 
d'abandonner  à  ses  lois.  Le  vrai  Dieu,  le  Dieu  des 
chrétiens,  est  au  contraire  la  bonté,  l'amour,  dans 
ce  qu'ils  ont  de  plus  exquis  et  de  plus  efficace 
vis-à-vis  des  créatures.  «  Il  sème  Vaumône,  il  donne 
aux  pauvres  (i),  est-il  écrit  ;  «  Tu  ouvres  ta  main, 
chante  le  prophète,  et  tu  rassasies  de  tes  biens  tout 
ce  qui  respire  (2).  » 

4°  Dieu  ne  voulant  que  le  bien,  comment  s'expli- 
que la  présence  du  mal  dans  son  œuvre  ?  Dieu  ne 
saurait  vouloir  le  mal,  ni  le  faire,  puisqu'il  est  par- 
fait, saint  et  bon  ;  mais  il  le  tolère,  le  pardonne  ou 
le  punit,  et  le  tourne  vers  un  bien.  Ainsi,  dans  le 
monde  des  êtres  purement  sensibles,  certains  faits 
qui  nous  paraissent  mauvais,  contribuent,  d'après 
la  volonté  de  Dieu,  à  l'ordre  général  et  au  but  qu'il 
s'est  proposé  ;  dans  le  monde  des  êtres  intelligents 
et  libres,  il  défend  et  condamne  le  péché  ;  il  le 
tolère  cependant  parce  qu'il  provient  de  la  volonté 
libre  qu'il  a  créée  ;  il  le  pardonne  dès  qu'on  s'en 
repent  ;  il  le  châtie  dans  ceux  qui  s'y  obstinent  et  y 
meurent.  C'est  là  un  des  grands  mystères  qui  scan- 
dalisent la  sagesse  toujours  courte  de  l'homme,  et 
que  nous  retrouverons  en  parlant  de  la  Providence. 

3.  Ses  divers  noms.  —  Ici  encore,  comme  pour 
l'intelligence,  afin  de  pouvoir  parler  d'une  manière 
aussi  exacte  que  possible,  les  théologiens  recourent 
à  divers  noms  pour  qualifier  la  volonté  divine. 

Saint  Thomas  distingue  la  volonté  de  bon  plaisir  et 
la  volonté  de  signe.  La  volonté  de  bon  plaisir  est  la 
volonté  de  Dieu  proprement  dite  ;  c'est  celle  qui 

1.  Psal.t  exi,  8.  —  a.  Psal,  cxliv,  16. 


LA   VOLONTÉ   DE    DIEU  507 

est  l'expression  de  son  être,  qu'il  possède  en  vertu 
de  sa  nature  et  par  laquelle  il  fait  toute  chose.  Son 
nom  a  été  emprunté  à  saint  Paul,  dans  ce  passage  : 
«  Transformez-vous  par  un  esprit  nouveau  afin  que 
vous  reconnaissiez  ce  qui  est  sa  volonté  de  bon  plai- 
sir, bonne  et  parfaite(i)  ».  La  volonté  de  signe  ne 
porte  le  nom  de  volonté  que  dans  un  sens  figuré, 
métaphorique  ;  elle  sert  à  manifester  extérieure- 
ment, aux  yeux  des  créatures,  par  divers  signes,  ce 
que  les  créatures,  en  constatant  leur  expérience, 
croient  pouvoir  appliquer  à  la  volonté  de  Dieu  par 
voie  d'analogie.  L'homme,  en  effet,  manifeste  qu'il 
veut  une  chose  par  lui-même  ou  par  un  autre.  Il  le 
manifeste  par  lui-même  lorsqu'il  agit  directement 
ou  indirectement  :  directement,  en  produisant  l'acte 
lui-même,  et  c'est  le  signe  d'opération  ;  indirecte- 
ment, en  n'empêchant  pas  l'acte,  et  c'est  le  signe 
de  permission.  Il  le  manifeste  par  un  autre,  quand 
il  le  porte  à  une  action,  soit  en  ordonnant  une  chose 
par  un  précepte  obligatoire,  et  c'est  le  signe  de 
commandement,  soit  en  prohibant  le  contraire,  et 
c'est  le  signe  de  défense,  soit  enfin  en  gagnant  l'as- 
sentiment par  la  persuasion,  c'est  le  signe  de  con- 
seil. Or,  comme  ces  signes  révèlent  et  manifestent 
la  volonté  de  l'homme,  on  les  appelle  tout  simple- 
ment, quand  on  les  attribue  à  Dieu,  la  volonté  de 
signe.  Tel  est,  en  effet,  le  nom  que  le  commande- 
ment, la  défense  et  le  conseil  portent  dans  ces  mots 
du  Pater  :  «  Que  voire  volonté  soit  faite  sur  la  terre 
comme  dans  le  ciel  (2)  »  Telle  est  aussi  la  dénomi- 
nation qui  représente  l'opération  et  la  permission 
dans  ce  passage  de  saint  Augustin  :  «  Le  Tout-Puis- 
sant fait  toutes  choses  par  sa  volonté,  soit  qu'il  per- 
mette de  les  faire,  soit  qu'il  les  fasse  lui-même  (3).» 

1.  Rom.,  xii,  a.  —  2.  Matth.,  vi,  10.  —  3.  Enchir.,  xcv. 


5o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

La  permission  et  l'opération  regardent  le  présent  ; 
le  commandement,  la  défense  et  le  conseil  se  rap- 
portent à  l'avenir  ;  la  défense  et  la  permission  con- 
cernent le  mal  ;  l'opération,  le  bien  en  général  ;  le 
commandement,  le  bien  obligatoire  ;  le  conseil,  le 
bien  surabondant. 

La  volonté  de  bon  plaisir  ne  va  pas  toujours  avec 
la  volonté  de  signe,  par  exemple,  quand  Dieu,  par 
sa  permission,  laisse  à  l'homme  le  pouvoir  de  faire 
le  mal  ;  elle  ne  s'en  sépare  pas,  au  contraire,  dans 
l'opération.  Sur  ces  deux  points  pas  de  difficulté.  Il 
n'en  est  pas  de  même  du  commandement,  de  la  dé- 
fense et  du  conseil.  Ces  trois  signes  peuvent,  il  est 
vrai,  impliquer  une  volonté  réelle  de  la  part  de 
Dieu.  Est-ce  toujours  ?  N'est-ce  que  dans  quelques 
cas  ?  Et  quand  ?  C'est  une  question  débattue  entre 
théologiens. 

L'Ecriture  est  pleine  d'exemples  de  ces  signes  de 
la  volonté  divine.  Dieu  commande  à  Abraham  d'im- 
moler son  fils  Isaac,  non  qu'il  veuille  dans  sa  réa- 
lité cette  immolation  sanglante,  puisqu'il  l'empêche 
de  se  consommer,  mais  uniquement  pour  éprouver 
l'obéissance  de  son  serviteur.  Lorsque  le  démon 
propose  d'aller  tromper  le  roi  Achab  par  la  bouche 
des  faux  prophètes,  Dieu  lui  dit  :  «  Va  et  fais  (i).  » 
C'est  une  simple  permission.  Il  en  est  de  même, 
lorsque  Notre  Seigneur  dit  à  Judas  :  «  Ce  que  tu 
fais ,  fais-le  vite  (2)  .»  Ailleurs,  le  divin  Maître  dit  à 
un  jeune  homme  :  «  Si  vous  voulez  être  parfait,  allez, 
vendez  ce  que  vous  avez  et  donnez-le  aux  pauvres  (3).» 
Ce  n'était  pas  un  ordre,  mais  un  conseil. 

La  volonté  de  bon  plaisir  est  dite  antécédente, 
lorsqu'elle  veut  une  chose  en  elle-même,  considérée 
dans  sa  nature,  abstraction  faite  des   circonstances 

1.  III  Reg.  xxii,  22.  —  2.  Joan.,  xm,  27.  —  3.  Matth.,  xix,  21. 


LA    VOLONTÉ    DE    DIEU  5oQ 

qui  l'entourent  ;  ainsi  Dieu  veut  la  sanctification,  le 
salut  de  tous.  Elle  est  dite  conséquente,  lorsqu'elle 
tient  compte  de  toutes  les  circonstances  et  de  tous 
les  accidents  qui  se  rattachent  à  une  chose  ;  ainsi 
Dieu  veut  la  punition  du  coupable,  la  damnation 
du  pécheur  impénitent.  Les  partisans  de  la  science 
moyenne  entendent  différemment  ces  deux  sortes 
de  volonté.  Selon  eux,  Dieu  voit  les  futurs  contin- 
gents, non  pas  dans  son  essence  infinie,  mais  dans 
ces  contingents  mêmes.  Pour  eux,  la  volonté  divine 
relative  à  la  liberté  humaine,  est  antécédente  quand 
elle  précède  la  prévision  du  consentement  de 
l'homme  à  la  grâce  ;  elle  est  conséquente  quand  elle 
la  suit. 

On  distingue  encore  la  volonté  absolue  et  la  volonté 
conditionnelle.  La  première  ne  dépend  d'aucune  con- 
dition ;  telle  est  la  volonté,  en  Dieu,  de  créer  le 
monde  ;  la  seconde,  au  contraire,  dépend  d'une 
condition  ;  telle  est  la  volonté  de  sauver  tous  les 
hommes,  c'est-à-dire  pourvu  qu'ils  le  veuillent.  On 
trouve  dans  l'Ecriture  des  exemples  nombreux  de 
cette  volonté  conditionnelle,  u  Dieu  avait  résolu  de 
les  perdre  (les  Israélites),  si  Moïse,  qu'il  avait  choisi, 
ne  s'y  fût  opposé  en  se  présentant  devant  lui  (i)  ». 
Le  Seigneur,  dit  à  Salomon  :  «  Si  lu  marches  en  ma 
présence,  comme  ton  père,  dans  la  droiture  et  la  sim- 
plicité du  cœur,  f  établirai  ton  trône  et  ton  règne  sur 
Israël  pour  toujours  (2)  ». 

La  volonté  divine  est  efficace  ou  inefficace  selon 
qu'elle  produit  infailliblement  son  effet  ou  qu'elle  1q 
laisse  paralyser  par  l'intervention  de  la  liberté 
humaine.  Ainsi  Dieu  dit  :  «  Mon  dessein  subsistera 
et  je  ferai  toute  ma  volonté  (3)  »  ;  mais  il  a  dit  aussi 
«  Jérusalem,  Jérusalem,  combien  de  fois  n'ai-je  pat 

1.  Psal.,  cv,  23.  —  2.  III  Reg.,  ix,  4.  —  3.  Is.,  xlvi,  ro. 


5lO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

voulu  rassembler  les  fils,   comme  la   poule  rassemble 
ses petils  sous  ses  ailes,  et  tu  ne  Vas  pas  voulu  (i)  /  » 

III.   Difficultés 

La  question  de  la  science  et  de  la  volonté  divine 
n'est  pas  sans  soulever  de  graves  difficultés.  Com- 
ment accorder,  en  effet,  la  prescience  divine  avec  la 
liberté  humaine  ?  Gomment  accorder  également 
cette  même  liberté  humaine  avec  la  volonté  divine, 
qui  est  d'une  efficaci  té  souveraine  ?  G  'est  un  problème 
qui,  sous  deux  aspects  différents,  a  toujours  préoc- 
cupé le  sage,  et  qui  se  complique  du  problème  plus 
délicat  encore  de  la  prédestination  et  de  la  réproba- 
tion. Nous  ne  pouvons  que  le  signaler  ici  aussi  suc- 
cinctement que  possible  (2). 

1.  La  Prescience  de  Dieu  et  la  liberté  hu- 
maine. —  Partout,  dans  les  relations  de  l'infini  avec 
le  fini,  de  Dieu  avec  la  créature,  notre  esprit  se  heurte 
en  dernière  analyse  à  un  mystère  impénétrable.  Nous 
ne  voyons  pas  comment  se  concilient  entre  elles 
des  vérités  certaines  ;  leur  lien  intime  nous 
échappe.  Qu'il  existe,  qu'il  doive  exister,  c'est  ce 
dont  nous  ne  saurions  raisonnablement  douter.  Si 
nous  ne  l'apercevons  pas,  la  faute  en  est  à  notre 
intelligence,  qui  n'est  pas  assez  pénétrante  ;  notre 
raison  peut  s'essayer  du  moins  à  faire  un  peu  de 
lumière  sans  se  flatter  de  dissiper  totalement 
l'obscurité.  Assurée  qu'aucune  vérité  ne  saurait 
aller  contre  une  autre  vérité,  le  parti  le  plus  sage 

1.  Malth.,  xxiii,  37.  —  2.  Cf.  De  Régnon,  Bannes  et  Molina, 
Paris,  i883.  Dummermuth,  S.  Thomas  et  doctrina  prœmotionis 
physicœ,  Paris,  1886  ;  Gayraud,  Thomisme  et  Molinisme,  Paris, 
1889  ;  Providence  et  libre  arbitre,  Paris,  1892. 


PRESCIENCE    DE    DIEU    ET    LIBERTÉ    HUMAINE        5ll 

qu'elle  ait  à  prendre,  c'est  d'accepter  l'une  et  l'au- 
tre, tout  en  avouant  son  impuissance  à  voir  leur 
mode  de  conciliation. 

Ainsi  en  est-il,  en  particulier,  pour  la  liberté 
humaine  d'une  part  et  pour  la  prescience  et  la 
volonté  divines  d'autre  part.  Si  Dieu  prévoit  les 
futurs  libres  et  si  sa  volonté  est  infailliblement 
efficace,  vérités  dont  nous  ne  saurions  douter, 
comment  l'homme  est-il  libre  ? 

Les  fatalistes,  estimant  la  conciliation  impossible, 
sacrifient  résolument  la  liberté  humaine  et  intro- 
duisent ainsi  dans  le  monde  le  règne  d'une  aveugle 
nécessité,  qui  fait  de  l'homme  un  jouet  inconscient 
et  irresponsable.  Ils  ont  tort.  Ils  estiment  ainsi, 
par  une  hypothèse  gratuite  et  injustifiée,  que 
l'homme  ne  peut  pas  agir  autrement  que  Dieu  ne 
Ta  prévu,  qu'il  agit  nécessairement  comme  Dieu 
Ta  prévu  et  parce  qu'il  l'a  prévu.  Ils  font  donc 
dépendre  l'acte  humain  de  la  science  divine  et 
confondent  ainsi  ce  qui  se  fera  certainement  avec  ce 
qui  se  fera  nécessairement.  Rien  n'est  pourtant  plus 
distinct.  Car  le  caractère  d'un  acte  est  intrinsèque 
à  cet  acte  lui-même  ;  la  certitude,  au  contraire,  est 
dans  celui  qui  voit  cet  acte  tel  qu'il  est  ou  qui  le 
prévoit  tel  qu'il  sera.  En  quoi  donc  cette  certitude 
est-elle  incompatible  avec  la  nature  de  l'acte  ? 
L'acte  demeure  ce  qu'il  est  en  lui-même,  ou  libre 
si  sa  nature  est  d'être  libre,  ou  nécessaire  si  sa 
nature  est  d'être  nécessaire.  Il  suffit  donc,  semble- 
t-il,  de  bien  déterminer  la  nature  de  l'acte  pour 
reconnaître  avec  certitude  que  le  fait  de  sa  prévi- 
sion ne  détruit  point  son  essence.  Il  suffit  égale- 
ment de  bien  déterminer  la  nature  de  la  science 
divine,  relative  aux  futurs  libres,  pour  reconnaître 
avec  certitude  que  les  termes  de  prévision  ou  de 
prescience  ne  s'appliquent  que  très  improprement 


5l2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

à  l'acte  de  la  science  divine.  Dieu,  comme  nous 
l'avons  dit  avec  saint  Thomas,  ne  prévoit  pas,  il 
voit  ;  point  de  passé  ni  d'avenir  en  lui,  mais  un 
présent  immuable  ;  point  de  prévision,  dès  lors, 
ni  de  prescience,  mais  un  acte  de  simple  vision, 
une  pure  constatation  (i). 

Est-ce  dire  que  le  mystère  soit  élucidé  ?  Nul- 
lement. Mais  ce  qu'il  faut  dire  c'est  que  la 
prétendue  incompatibilité  n'existe  pas,  ou  qu'en 
tout  cas  elle  n'autorise  pas  à  sacrifier  une  vérité 
certaine,  celle  de  l'existence  de  notre  liberté, 
sous  prétexte  que  nous  ne  saisissons  pas  le  rapport 
intime  qui  l'unit  avec  cette  autre  vérité,  que  nous 
désignons,  selon  notre  mode  de  connaissance  qui 
est  conditionné  par  le  temps,  sous  le  nom  de  pré- 
vision ou  de  prescience  divine.  Elle  y  autorise 
d'autant  moins  que,  pour  échapper  à  une  difficulté 
réelle,  le  fatalisme  se  heurte  à  une  absurdité,  celle 
d'admettre  que  la  vérité  détruit  la  vérité,  et  à  de 
désastreuses  conséquences,  absolument  inaccepta- 
bles pour  l'expérience  et  la  raison,  qui  témoignent 
hautement  en  faveur  de  l'existence  de  notre  liberté. 

La  nécessité  s'impose  à  nous,  en  effet,  d'accepter 
sagement  les  limites  de  notre  raison  pour  ne  pas 
sombrer  dans  le  scepticisme.  Yoici  comment  s'en 
explique  Bossuet  :  «  Quiconque  connaît  Dieu  ne 
peut  douter  que  sa  prescience  ne  s'étende  à  tout  ; 
et  quiconque  fera  un  peu  de  réflexion  sur  lui-même 
connaîtra  sa  liberté  avec  une  telle  évidence  que 
rien  ne  pourra  obscurcir  l'idée  et  le  sentiment  qu'il 

i.  Cf.  Sum.  iheol.,  I,  Q.  xiv.  a.  i3;  Cont.  Gent.,  I  66,  67  ; 
De  Verit.,  Q.  11.  a  12.  Entre  nos  actes  futurs  et  la  science  de 
Dieu,  il  n'y  a  aucune  priorité  de  temps  ou  de  durée,  mais 
simultanéité  parfaite  ;  la  science  de  Dieu  est  une  vision  du 
présent;  les  actes  qui,  pour  nous,  sont  futurs,  sont  toujours 
actuellement  présents  à  l'éternité  divine. 


PRESCIENCE    DE    DIEU    ET    LIBERTE    HUMAINE        01 0 

en  a  :  et  on  verra  clairement  que  deux  choses  qui 
sont  établies  sur  des  raisons  si  nécessaires  ne  peu- 
vent se  détruire  l'une  l'autre.  Car  la  vérité  ne 
détruit  point  la  vérité  ;  et  quoiqu'il  se  pût  bien  faire 
que  nous  ne  sussions  pas  trouver  les  moyens  d'ac- 
corder ces  choses,  ce  que  nous  ne  connaîtrions  pas, 
dans  une  matière  si  haute,  ne  devrait  point  affaiblir 
en  nous  ce  que  nous  connaissons  si  certainement. 

«  En  effet,  si  nous  avions  à  détruire  la  liberté  par 
la  Providence  ou  la  Providence  par  la  liberté,  nous 
ne  saurions  par  où  commencer,  tant  ces  deux  choses 
sont  nécessaires,  et  tant  sont  évidentes  et  indubi- 
tables les  idées  que  nous  en  avons.  Car  il  semble 
que  la  raison  nous  fasse  paraître  plus  nécessaire  ce 
que  nous  avons  attribué  à  Dieu,  nous  avons  plus 
d'expérience  de  ce  que  nous  avons  attribué  à 
l'homme  ;  de  sorte  que,  toutes  choses  bien  con- 
sidérées, ces  deux  vérités  doivent  passer  pour 
également  incontestables. 

«  Donc,  au  lieu  de  les  détruire  l'une  par  l'autre, 
nous  devons  si  bien  conduire  nos  pensées  que  rien 
n'obscurcisse  l'idée  très  distincte  que  nous  avons 
de  chacune  d'elles.  Et  il  ne  faudrait  pas  s'étonner 
que  nous  ne  sussions  peut-être  pas  si  bien  les 
concilier  ensemble.  Car  cela  viendrait  de  ce  que 
nous  ne  saurions  pas  le  moyen  par  lequel  Dieu 
conduit  notre  liberté,  chose  qui  le  regarde  et  non 
pas  nous,  et  dont  il  a  pu  se  réserver  le  secret  sans 
nous  faire  tort... 

«  Quand  donc  nous  nous  mettons  à  raisonner, 
nous  devons  d'abord  poser  comme  indubitable  que 
nous  pouvons  connaître  très  certainement  beau- 
coup de  choses,  dont  toutefois  nous  n'entendons 
pas  toutes  les  dépendances  ni  toutes  les  suites. 
C'est  pourquoi  la  première  règle  de  notre  logique, 
c'est  qu'il   ne  faut  jamais   abandonner   les  vérités 

IE  CATÉCHISME.  —  T.   I.  3) 


5l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

une  fois  connues,  quelque  difficulté  qui  survienne 
quand  on  veut  les  concilier  ;  mais  qu'il  faut  au 
contraire,  pour  ainsi  parler,  tenir  fortement 
comme  les  deux  bouts  de  la  chaîne,  quoi  qu'on  ne 
voie  pas  toujours  le  milieu  par  où  l'enchaînement 
se  continue  (i).  » 

Cette  sage  observation  de  Bossuet  trouvera  son 
application  dans  toutes  les  difficultés  du  même 
genre,  et  notamment  dans  celle  qui  naît  des  relations 
de  la  liberté  humaine  avec  la  volonté  souveraine- 
ment efficace  de  Dieu. 

2.  La  volonté  souveraine  de  Dieu  et  la  liberté 
le  l'homme. — -  La  volonté  de  Dieu  est  souveraine- 
nent  efficace  ;  non  seulement  elle  accomplit  tout 
;é  qu'elle  veut,  mais  elle  fait  encore  que  tout  s'ac- 
complit comme  elle  le  veut.  Tout  ce  que  Dieu  veut 
se  réalise  et  tout  se  réalise  comme  il  le  veut.  En 
conséquence  de  cette  efficacité  souveraine  de  la 
volonté  et  du  concours  de  Dieu,  la  liberté  humaine 
parait  fort  compromise.  En  réalité,  il  n'en  est  rien. 
Mais  la  difficulté  subsiste,  beaucoup  plus  grave 
i       ore  que  dans  le  cas  précédent. 

Incontestablement,  Dieu  meut  la  volonté  de 
l'homme,  parce  qu'il  est  le  bien  suprême  auquel 
<ule  aspire,  et  parce  qu'il  est  la  cause  de  sa  puissance 
.  i  vouloir.  Ecoutons  saint  Thomas  :  «  De  même 
que  l'entendement,  dit-il,  est  mû  par  l'objet  qu'il 
nprend  et  par  l'être  qui  lui  a  donné  la  faculté  de 
comprendre,  de  même  la  volonté  est  mue  par  son 
objet  qui  est  le  bien,  et  par  l'être  qui  lui  a  donné  la 
faculté  de  vouloir.  Tout  bien,  quel  qu'il  soit,  peut 
mouvoir  la  volonté  ;  mais  il  n'y  a  que  Dieu  qui  la 
meuve  d'une  manière  suffisante  et  efficace.  En  effet, 

i.  Bossuet,  Traité  du  libre  arbitre,  c.  iv. 


VOLONTÉ    DE    DIEU    ET    LIBERTÉ    HUMAINE  5l5 

un  moteur  ne  peut  mouvoir  un  mobile  que  quand 
sa  puissance  active  surpasse  ou  du  moins  égale  la 
puissance  passive  de  l'objet  qu'il  meut.  La  puissance 
passive  de  la  volonté  s'étend  au  bien  général,  car 
son  objet  est  le  bien  universel,  de  même  que  l'objet 
de  l'intelligence  est  l'être  universel.  Tout  bien  créé 
est  un  bien  particulier  ;  Dieu  seul  est  le  bien  uni- 
versel ;  donc  Dieu  est  le  seul  objet  qui  remplisse  la 
volonté  et  qui  lui  donne  une  impulsion  suffisante. 
Pareillement,  il  n'y  a  que  Dieu  qui  puisse  produira 
la  faculté  de  vouloir.  Car  que  signifie  ce  mot  de 
vouloir,  sinon  l'inclination  de  la  volonté  au  bien 
universel  ?  Or,  il  appartient  au  premier  moteur  de 
porter  la  volonté  vers  le  bien  universel,  de  même 
que,  dans  les  choses  humaines,  il  appartient  au 
chef  de  la  nation  de  diriger  tout  en  vue  du  bien  dé 
la  communauté  (i).  » 

a  Dieu,  dit-il  ailleurs,  gouverne  les  êtres  avec  un 
art  toujours  égal,  par  des  moyens  divers,  selon  la 
diversité  de  leur  nature  (2).  »  C'est  dire  que  Dieu 
dirige  différemment  les  êtres  intelligents  et  libres, 
qui  sont  maîtres  de  leurs  actes,  et  les  êtres  dénués 
de  raison.  Mais  que  devient  alors  la  liberté  ?  N'est- 
elle  pas  une  illusion,?  Non  certes.  Dieu  a  fait  des 
créatures  libres,  et  ces  créatures  conservent  leur 
liberté,  même  en  présence  de  la  volonté  et  de  l'action 
souveraine  de  Dieu,  ou  plutôt  en  vertu  même  de  la 
volonté  et  du  décret  de  Dieu.  Et  voici  comment, 
selon  saint  Thomas  :  «  La  volonté  divine  étant  sou- 
verainement efficace,  il  suit  de  là  que  non  seulement 
ce  que  Dieu  veut  arrive,  mais  encore  que  toutes 
choses  se  font  de  la  manière  dont  il  veut  qu'elles 
soient  faites.   Or   il  veut  l'existence  nécessaire  de 


1.  Sum.  theol.,  I,  Q.  cv,  a.  4-  —  a.  Sam.   theol.,  \,   Q.  cm, 
a.  5. 


5l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

telles  choses  et  l'existence  contingente  de  telles 
autres,  en  vue  de  Tordre  général,  et  afin  que  l'univers 
présente  un  ensemble  complet.  Dans  ce  but,  il  a 
rattaché  certains  effets  à  des  causes  nécessaires  qui 
ne  peuvent  pas  faillir,  et  par  lesquelles  ces  effets 
sont  nécessairement  produits  ;  il  en  a  rattaché 
d'autres  à  des  causes  contingentes,  faillibles  et  qui 
peuvent  ne  pas  les  produire.*  Gonséquemment,  les 
effets  voulus  de  Dieu  ne  tirent  pas  leur  contingence 
de  la  contingence  des  causes  prochaines  qui  les 
déterminent  ;  mais  comme  Dieu  les  voulait  contin- 
gents, il  a  préparé  dans  ce  dessein  des  causes  de 
même  nature...  Rien  ne  résiste  à  la  volonté  de  Dieu  ; 
d'où  il  résulte  que  non  seulement  il  fait  ce  qu'il 
veut,  mais  encore  que,  selon  qu'il  le  veut,  les 
choses  sont  contingentes  ou  nécessaires  (i).  » 

«  Il  appartient  à  la  Providence,  non  pas  de 
corrompre  la  nature  des  êtres,  mais  de  la  conserver. 
Ainsi  elle  meut  tous  les  êtres  conformément  à  leur 
nature,  de  telle  sorte  que  l'opération  divine  fait 
produire  aux  causes  nécessaires  des  effets  nécessai- 
res et  aux  causes  contingentes  des  effets  contingents. 
Or,  la  volonté  étant  un  principe  d'action  qui  n'est 
pas  déterminé  à  un  acte  unique,  mais  qui  peut  en 
accomplir  plusieurs  indifféremment,  Dieu  la  meut 
de  manière  à  ne  pas  la  déterminer  nécessairement 
pour  un  seul  objet,  mais  à  maintenir  la  contingence 
et  la  liberté  de  son  mouvement,  si  ce  n'est  à  l'égard 
des  choses  vers  lesquelles  elle  est  naturellement 
portée...  Il  répugnerait  à  l'opération  divine  que 
l'impulsion  qu'elle  donne  à  la  volonté  fût  nécessaire, 
contrairement  à  l'essence  de  la  faculté  de  vouloir; 
il  ne  répugne  pas  qu'elle  fasse  mouvoir  librement 

i.  Sum.  iheol.,  I,  Q.  xix,  a.  8,  et  ad  a. 


VOLONTÉ    DE    DIEU    ET    LIBERTE    HUMAINE  SlJ 


la  volonté,  comme  sa  nature  le  demande  (i).  » 
«  Dieu  est  la  cause  première  qui  meut  à  la  fois  et 
les  causes  naturelles  et  les  causes  volontaires.  Et 
comme,  lorsqu'il  meut  les  causes  naturelles,  il 
n'empêche  pas  que  leurs  actes  ne  soient  naturels  ; 
de  même,  lorsqu'il  agit  sur  les  causes  volontaires, 
il  n'empêche  pas  leurs  actions  d'être  volontaires  ; 
même  il  leur  donne  plutôt  ce  caractère,  car  il  agit 
dans  chaque  être  d'une  manière  conforme  à  sa 
nature  propre  (2).  » 

Pas  plus  dans  la  question  présente  que  dans  celle 
des  rapports  de  la  science  divine  avec  la  liberté 
humaine,  l'explication  qu'en  donne  saint  Thomas 
ne  réussit  à  dissiper  toutes  les  difficultés  ;  le  mys- 
tère reste.  Deux  vérités  sont  acquises  :  d'une  part, 
l'action  souverainement  efficace  de  la  volonté  divi- 
ne, d'autre  part  l'existence  de  la  liberté  de  l'homme. 
Comment  se  concilient-elles  ?  Nous  venons  d'en- 
tendre saint  Thomas  nous  dire  que  Dieu  ne  s'im- 
pose pas  à  l'homme  par  violence  ou  coaction,  qu'il 
respecte  sa  nature  d'être  libre  et  qu'il  agit  par  le 
dedans  conformément  à  cette  nature.  Les  molinis- 
tes  ont  essayé,  de  leur  côté,  de  donner  une  expli- 
cation différente.  On  sait  avec  quelle  puissance 
d'esprit,  avec  quelle  profondeur  de  pénétration, 
avec  quelle  ardeur  surtout,  thomistes  et  molinistes 
ont  travaillé  à  faire  prévaloir  leur  manière  de  voir. 
Ils  se  sont  accusés  mutuellement,  les  uns  de  détruire 
l'action  divine,  les  autres  de  supprimer  la  liberté 
humaine.  Qui  a  tort  ?  qui  a  raison  ?  La  Congréga- 
tion de  Auxiliis  a  été  longtemps  saisie  de  leurs  griefs 
réciproques.  Mais  le  pape  Paul  V  (1605-1621),  en 
autorisant,  en  1607,  les  uns  et  les  autres  à  défendre 

1.  Sum.  theol,  Ia  II®,  Q.  x,  a.  4.  —  2.  Sam.  theol,  I,  Q. 
LX-xxiii,  a.  1. 


Ï)l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

leur  sentiment  jusqu'à  décision  ultérieure  du  Saint- 
Siège,  leur  a  interdit  de  se  taxer  réciproquement 
d'hérésie.  Cette  sage  sentence  a  été  confirmée  encore 
par  Urbain  VIII  (i623-i644)  et  Clément  XII  (i73o- 
17/io).  Et  à  l'heure  qu'il  est,  aucune  décision  offi- 
cielle n'est  encore  intervenue.  On  est  donc  libre 
d'embrasser  l'une  ou  l'autre  des  deux  opinions  ; 
nous  aurons  l'occasion  d'y  revenir  plus  longuement. 

1.  La  Science  de  Dieu.  —  «  Dieu  voit  tout  ;  mais 
son  intelligence  sans  rivages  s'étend  au-delà  de  la  sphère 
où  sont  contenues  les  choses  actuellement  présentes  à  son 
regard.  Il  ne  se  connaîtrait  pas  s'il  ne  savait,  avec  ce  qu'il 
a  fait,  avec  ce  qu'il  veut  faire,  ce  qu'il  peut  faire.  Il  sait 
donc  tout  ce  qui  ne  sera  jamais,  tout  ce  qui  cependant 
pourrait  être  s'il  le  voulait  ;  et  cette  science  du  possible 
n'a  pas  d'autre  mesure  que  l'iniini  pouvoir  qu'a  son 
essence  d'être  participée  à  l'infini,  d'une  infinité  de 
manières.  Y  a-t-il  encore  quelque  chose  que  Dieu  puisse 
-connaître  ?  Je  ne  vois  plus  rien...  0  science  de  mon  Dieu, 
quelle  menace  effroyable  vous  êtes  pour  les  pêcheurs  !  Un 
sommeil  perfide  appesantit  leur  conscience  ;  ils  croient 
avoir  enseveli  dans  le  tombeau  de  l'oubli  leurs  crimes 
passés  parce  que  personne  ne  les  inquiète,  personne  ne 
vient  leur  dire  :  Souvenez-vous.  Enhardis  par  l'impunité, 
ils  poursuivent  en  cachette  la  trame  de  leurs  œuvres  per- 
verses ;  leur  âme  est  un  abîme  qui  vomit  l'iniquité  dégui- 
sée par  des  habiletés  et  des  protestations  hypocrites 
auxquelles  notre  simplicité  se  laisse  tromper.  Ils  poussent 
l'audace  à  cet  excès  qu'ils  comptent  prendre  Dieu  lui-même 
en  leurs  filets  et  renverser  ses  desseins.  Alors  ils  seront 
maîtres  de  l'avenir  et  leur  corruption  triomphante  devien- 
dra la  loi  des  peuples  qu'ils  auront  pervertis.  Mais  on 
veille  là  haut.  Un  jour  vous  viendrez  au  devant  de  ces 
misérables,  ô  Dieu  terrible,  et  vous  leur  direz  :  «  C'est 
moi.  J'ai  tout  vu,  je  sais  tout,  j'ai  déjoué  vos  complots  et 
sauvé  les  peuples  que  vous  vouliez  perdre.  Le  mal  que 
vous  avez  oublié,  le  mal  que  vous  avez  caché,  le  mal  que 
vous  avez  espéré,  le  voilà  !  Voyez  vous-mêmes  et  jugez.  » 


VOLONTÉ   DE   DIEU   ET   LIBERTÉ    HUMAINE  5 10, 

Et  le  pécheur  verra,  et  il  entrera  en  fureur,  et  il  grincera 
des  dents,  et  il  défaillira  sur  les  raines  de  ses  désirs 
écroulés.  »  Monsabré,  Conférences  de  Notre-Dame,  Gonf. 
viu%  Paris,  1874,  p.  69-70. 

2.  La  volonté  de  Dieu.  —  «  Cette  efficace  (de  la  cau- 
salité première),  est  si  grande  que  non  seulement  les 
choses  sont  absolument  dès  là  que  Dieu  veut  qu'elles 
joient,  mais  encore  qu'elles  soient  telles  dès  que  Dieu 
veut  qu'elles  soient  telles...;  car  il  ne  veut  pas  que  les 
choses  soient  en  général  seulement,  mais  il  les  veut  dans 
tout  leur  état,  dans  toutes  leurs  propriétés,  dans  tout 
leur  ordre.  Gomme  donc  un  homme  est,  dès  là  que 
Dieu  veut  qu'il  soit  ;  il  est  libre  dès  là  que  Dieu  veut 
qu'il  soit  libre  ;  et  il  agit  librement,  dès  là  que  Dieu  veut 
qu'il  agisse  librement  ;  et  il  fait  librement  telle  action  dès 
là  que  Dieu  le  veut  ainsi.  Car  toutes  les  volontés  et  des 
hommes  et  des  anges  sont  comprises  dans  la  volonté  de 
Dieu  comme  dans  leur  cause  première  et  universelle  ;  et 
elles  ne  sont  libres  que  parce  qu'elles  y  sont  comprises 
comme  libres...  Dieu  veut  donc  le  premier,  parce  qu'il 
est  le  premier  être  et  le  premier  libre  ;  et  tout  le  reste 
veut  après  lui,  et  veut  à  la  manière  que  Dieu  veut  qu'il 
veuille...  Et  il  ne  faut  pas  objecter  que  le  propre  de 
l'exercice  de  la  liberté,  c'est  de  venir  seulement  de  la 
liberté  même  ;  car  cela  serait  véritable,  si  la  liberté  de 
l'homme  était  une  liberté  première  et  indépendante,  et 
non  une  liberté  découlée  d'ailleurs.  »  Bossuet,  Traité  cla 
libre  arbitre,  cil.  S, 


Je  crois  en  Dieu...  tout-puissant 

Leçon  XVe 

De  Dieu 

Toute-Puissance 

et   Attributs  Moraux 


I.   Texte  du  Catéchisme  romain.  —  IL    Toute- 
Puissance  de  Dieu. —  III.  Attributs  moraux. 


I.   Texte  du  Catéchisme  romain 

es  saintes  Lettres  expriment  de  plusieurs  ma- 
nières la  puissance  souveraine  et  l'immense 
majesté  de  Dieu,  afin  de  faire  comprendre 
de  quel  respect  religieux  on  doit  entourer  son  très 
saint  nom.  Au  pasteur  d'enseigner  avant  tout  aux 
fidèles  qu'elles  lui  donnent  le  plus  souvent  le 
nom  de  Tout-puissant  (i).  En  effet,  en  parlant  de 
lui-même,  Jéhovah  dit  :  «  Je  suis  le  Dieu  tout- 
puissant  (2);  »  et  Jacob,  envoyant  ses  fils  à  Joseph, 
faisait  cette   prière  :     «    Que   le    Dieu    tout-puissant 

1.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xxv.  —  2.  Gènes.,  xvn,  1. 


TEXTE    DU    CATÉCHISME    ROMAIN  521 

vous  fasse  trouver  grâce  devant  lui  (i).  »  Il  est  écrit 
dans  L'Apocalypse  :  «  Le  Seigneur  Dieu,  celui  qui 
est,  qui  était  et  qui  vient,  le  Tout-puissant  (2)  ;  »  ail- 
leurs, le  jugement  est  appelé  «  le  grand  jour  du. 
Seigneur  tout-puissant  (3).  »  D'autres  fois  aussi 
nous  voyons  plusieurs  mots  employés  pour  dire  la 
même  chose,  comme  dans  ces  endroits  :  «  //  n'y  a 
rien  qui  soit  impossible  à  Dieu  (4).  »  «  Le  bras  de 
Jéhovah  est-il  trop  court  (5)  ?  »  «  Vous  pouvez  faire, 
Seigneur,  tout  ce  que  vous  voulez  (6).  »  L'Ecriture 
est  ainsi  remplie  d'une  foule  d'expressions,  qui, 
pour  le  sens,  sont  équivalentes  à  celle  de  Tout- 
puissant. 

u  Or  nous  entendons  par  ce  terme  qu'il  n'y  a 
rien,  qu'il  est  impossible  de  rien  concevoir,  de 
rien  imaginer  qui  surpasse  la  puissance  de  Dieu. 
Car  non  seulement  il  peut  faire  toutes  ces  choses 
qui,  toutes  grandes  qu'elles  sont,  nous  sont  cepen- 
dant plus  ou  moins  connues,  comme  de  faire  ren- 
trer l'univers  dans  le  néant,  ou  de  créer  de  rien, 
en  un  instant,  plusieurs  autres  mondes;  mais  son 
pouvoir  s'étend  aussi  à  des  choses  infiniment  plus 
relevées,  dont  la  raison  humaine  ne  saurait  même 
soupçonner  la  possibilité. 

«  Cependant,  bien  qu'il  soit  tout-puissant,  Dieu 
ne  saurait  mentir,  ni  tromper,  ni  être  trompé,  ni 
pécher,  ni  cesser  d'être,  ni  rien  ignorer.  Ce  sont  là 
des  choses  qui  n'appartiennent  qu'aux  êtres  impar- 
faits. Pour  Dieu,  dont  l'action  est  toujours  d'une 
perfection  infinie,  il  ne  peut  les  faire,  parce 
qu'elles  sont  des  effets  de  la  faiblesse,  et  non  d'un 
pouvoir  souverain  sur  toutes  choses,  tel  qu'il  le 
possède.  Ainsi  donc,  tout  en  reconnaissant  en  Dieu 


1.  Gènes.,  xliii,  i4-  —  2.  Apoc.,  1,  8.  —  3.  Apoc.,  vi,  17.  — 
£.  Luc.,  1,  37.  —  5.  Num.,  xi,  23.  —  6.  Sap.,  xn,  18. 


52  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  toute-puissance,  nous  croyons  cependant  qu'il 
est  parfaitement  exempt  de  tout  ce  qui  ne  serait  pas 
en  harmonie  et  en  rapport  avec  sa  nature  infini- 
ment parfaite. 

«  Que  si  le  Symbole  omettant  les  autres  perfec- 
tions de  Dieu,  ne  propose  à  notre  croyance  que  la 
toute-puissance,  le  pasteur  aura  soin  de  montrer 
que  ce  n'est  pas  sans  des  raisons  très  sages.  En 
effet,  dès  que  nous  croyons  qu'il  est  tout-puissant, 
nous  avouons  par  là  même  qu'il  a  la  connaissance 
de  toutes  choses,  et  que  tout  est  soumis  à  sa  volonté 
et  à  son  empire  ;  et  nous  reconnaissons  en  lui  tout 
ce  qui  est  lié  avec  sa  souveraine  puissance  et  qui 
est  nécessaire  pour  nous  le  faire  comprendre. 

«  D'ailleurs,  rien  n'est  plus  propre  à  affermir  notre 
foi  et  notre  espérance  que  la  conviction  profondé- 
ment gravée  dans  nos  esprits  que  rien  n'est  impos- 
sible à  Dieu.  Quoi  que  l'on  nous  propose  ensuite 
de  croire,  quelque  grand  et  quelque  incompréhen- 
sible que  cela  soit,  quelque  élevé  que  cela  se  trouve 
au-dessus  de  l'ordre  accoutumé  de  la  nature,  la  rai- 
son humaine  y  donnera  facilement  son  assentiment 
dès  qu'elle  aura  compris  la  toute-puissance  de  Dieu; 
et  même  plus  les  divins  oracles  annonceront  des 
choses  étonnantes,  plus  elle  y  ajoutera  foi  avec  em- 
pressement. Que  s'il  s'agit  des  biens  à  espérer, 
jamais  la  grandeur  de  l'objet  promis  n'ébranlera  la 
confiance  de  l'esprit,  qui  affermira  au  contraire  ses 
désirs  et  ses  espérances  par  cette  pensée,  souvent 
présente  à  son  souvenir,  que  rien  n'est  impossible 
à  un  Dieu  tout-puissant. 

«  Ayons  donc  soin  de  nous  fortifier  par  la  foi  de 
cette  vérité,  surtout  lorsque  nous  aurons  à  faire  pour 
l'utilité  du  prochain  quelque  chose  de  difficile,  ou 
que  nous  voudrons  obtenir  quelque  chose  de  Dieu 
par  la  prière.  Jésus-Christ  nous  enseigne  lui-même 


TEXTE    DU    CATÉCHISME    ROMAIN  52  3 

ce  devoir  lorsque,  reprochant  à  ses  apôtres  leur  in- 
crédulité, il  leur  dit  :  «  Si  vous  aviez  de  la  foi 
comme  un  grain  de  sénevé,  vous  diriez  à  cette  mon- 
tagne: Passe  d'ici  là-bas,  et  elle  y  passera,  et  rien 
ne  vous  sera  impossible  (i).  »  Et  l'apôtre  saint  Jac- 
ques, pour  exciter  la  confiance  du  fidèle  dans  la 
prière,  l'exhorte  à  «  demander  avec  foi,  sans  hésiter  ; 
car  celui  qui  hésite  est  semblable  au  flot  de  la  mer 
qui  est  poussé  par  le  vent  de  tous  les  côtés  ;  que  cet 
homme-là  ne  s'imagine  donc  pas  qu'il  recevra  quelque 
chose  du  Seigneur  (2).  » 

a  Au  reste,    cette  croyance  nous  est  très  utile  et 
très   avantageuse   sous   d'autres  rapports.    D'abord 
elle  nous  porte  à  la    modestie  et  à  l'humilité  de 
l'esprit,  suivant  ces  mots  de  saint  Pierre  :    «  Humi- 
liez-vous sous   la  main  puissante  de   Dieu  (3).  »  De 
plus,  elle  nous  apprend  à  ne  pas  craindre  «  là  ou  il 
n'existe  aucun  sujet  de  crainte  (4)  » ,  et  à  «  ne  crain- 
dre  que  Dieu   seul  (5)  »,   qui   «nous    tient    en   son 
pouvoir,  nous  et  tous  nos  biens  (6).  »  Et  le  Seigneur 
lui-même  a  dit  :  «  Je  vous  montrerai  celui  que  vous 
devez   craindre.    Craignez  celui  qui,   après  avoir  tué 
le   corps,    peut  vous  précipiter   dans  l'enfer    (7).   » 
Cette   même  foi   sert  encore  à  nous   rappeler  les 
grands  bienfaits  de  Dieu  à  notre  égard  et  à  exciter 
notre  reconnaissance.  Quiconque  pense,  en  effet,  à 
la  toute -puissance  de  Dieu,  serait  d'une  trop  grande 
ingratitude,  s'il  ne  s'écriait  souvent  :  «  Celui  qui  est 
tout-puissant  a  fait  pour  moi  de  grandes  choses  (8).)) 
«  Mais  de  ce  que,  dans  cet  article,  nous   disons 
que  le  Père  est  tout-puissant,  il  ne  faudrait  pas  croire  ; 
que  la  même  perfection  ne  soit  commune  au  Fils  et  v.i 


1.  Matth.,  xvii,  20.  —  2.  Jac,  1,  6-7.  —  3.  I,  Petr.t  v,  6.  — 
4.  Psal.,  lu,  6.  —  5.  Psal.,  xxxn,  8.  —  6.  Sap.,  vu,  16.  — 
7.  Luc,  xii,  5.  —  8.  Luc,  1,  49. 


524  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

au  Saint-Esprit.  De  même  que  nous  disons  que  le 
Père  est  Dieu,  le  Fils  est  Dieu,  le  Saint-Esprit  est 
Dieu,  sans  dire  pour  cela  qu'il  y  a  trois  Dieux,  mais 
en  confessant  réellement  un  seul  Dieu  ;  ainsi,  en 
confessant  que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
sont  tout-puissants,  nous  ne  reconnaissons  pas  trois 
tout-puissants,  mais  un  seul.  Il  y  a  pourtant  une 
raison  particulière  de  donner  cette  qualité  au  Père, 
c'est  qu'il  est  la  source  de  tout  ce  qui  existe.  Ainsi, 
nous  disons  du  Fils  qu'il  est  la  sagesse,  parce  qu'il  est 
le  Verbe  du  Père  ;  et  du  Saint-Esprit,  qu'il  possède 
la  bonté,  parce  qu'il  est  l'amour  du  Père  et  du  Fils  ; 
et  cependant  ces  qualités  ainsi  que  les  autres  con- 
viennent également  aux  trois  personnes  suivant  la 
règle  de  la  foi  catholique  (i)  ». 

II.  Toute-puissance  de  Dieu 

1.  Sa  corrélation  étroite  avec  l'Intelligence 
et  la  Volonté.  —  La  Toute-puissance  divine  est  le 
corollaire  logique  et  nécessaire  de  la  science  et  de 
la  volonté  de  Dieu.  La  science  et  la  volonté,  en 
effet,  concourent  à  la  création  et  sont  la  cause  des 
êtres  créés. 

i.  La  science  d'abord,  car  elle  est  aux  choses 
créées,  dit  saint  Thomas  (2),  ce  que  la  science  de 
Partisan  est  à  ses  ouvrages.  Or,  la  science  de  l'artisan 
est  la  cause  de  ses  ouvrages,  puisqu'il  opère  par 
son  intelligence.  La  forme  intellectuelle  est  ainsi  le 
principe  de  toute  opération.  Toutefois  la  forme 
intelligible  n'est  pas  principe  d'action  par  cela 
seul  qu'elle  est  dans  l'intelligence,  il  faut  qu'elle 
soit  inclinée  vers  tel  effet  par  la  volonté.   Placée 

i.Cat.  rom.,  I,  art.  1,  xv-xix.  —  2.  Sumtheol.,  I,  Q.  xvi,  a  8 


TOUTE-PUISSANCE    DE    DIEU  525 

^— — ^— ^^i  —   ■■■■■■  m-  ii  i  ■  ■    i  ■  ^ 

entre  deux  pôles  opposés,  elle  se  porte  vers  l'un  ou 
vers  l'autre  sous  l'impulsion  de  la  volonté.  Jointe 
ainsi  à  la  volonté,  elle  procède  à  l'opération  et 
constitue  la  science  d'approbation.  Cette  science 
diffère  de  celle  de  l'homme.  Car,  dit  saint  Augustin, 
«  Dieu  ne  connaît  pas  les  créatures  spirituelles  et 
corporelles  parce  qu'elles  sont,  mais  ces  créatures 
existent  parce  que  Dieu  les  connaît  (i).  »  Dans 
l'homme,  au  contraire,  ce  sont  les  créatures  qui 
sont  la  cause  de  sa  science;  en  lui,  la  nature  pré- 
cède et  mesure  sa  science  ;  tandis  que  la  science  de 
Dieu  précède  et  mesure  la  nature  elle-même.  Et 
bien  que  la  science  de  Dieu  soit  éternelle,  il  ne 
s'ensuit  pas  que  les  créatures  soient  aussi  éternelles  ; 
éternellement  elles  sont  dans  la  science  divine, 
mais  elles  ne  passent  à  l'existence  qu'au  moment 
fixé  par  Dieu. 

2.  A  la  science  s'ajoute  la  volonté.  Celle-ci  aussi 
est  la  cause  des  choses  (2).  Puisque  la  nature  agit 
pour  une  fin,  tout  aussi  bien  que  l'intelligence,  il 
faut  qu'une  intelligence  supérieure  prescrive 
à  la  nature  la  lin  qu'elle  doit  atteindre  et  les 
moyens  propres  à  y  parvenir.  Or  Dieu  est  la  pre- 
mière des  causes  :  Il  agit  donc  par  l'intelligence  et 
parla  volonté.  De  plus,  une  cause  naturelle  produit 
toujours  le  même  effet,  parce  qu'elle  agit  toujours, 
à  moins  d'obstacle,  d'une  manière  uniforme,  d'une 
manière  conforme  à  sa  nature  qui  est  déterminée, 
circonscrite,  limitée.  Ce  ne  peut  être  le  cas  de  Dieu; 
vis-à-vis  des  créatures,  il  n'agit  pas  par  nécessité, 
mais  uniquement  selon  la  détermination  de  sa 
volonté  et  de  son  intelligence.  Enfin,  la  cause  pro- 
duit son  effet  conformément  à  la  manière  dont  elle 
le  contient,  c'est-à-dire  selon  son  mode  d'être.  Or, 

1.  De  Triait.,  xv,  i3.  —  2.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xix,  a.  4« 


526  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


en  Dieu,  l'être  est  son  intelligence.  Il  contient  ses 
effets  d'une  manière  intelligible,  c'est-à-dire  par 
l'intervention  de  la  volonté  qui  seule  détermine 
Dieu  a  réaliser  ce  qu'il  a  conçu  dans  son  intelli- 
gence. N'oublions  pas  qu'intelligence  et  volonté  ne 
se  distinguent  entre  elles  et  avec  l'essence  divine 
que  par  un  effet  de  notre  esprit,  car  en  Dieu  c'est 
tout  un. 

2.  Son  existence  et  son  objet.  —  i.  Nous 
avons  vu  sur  quels  textes  scripturaires  le  Caté- 
chisme romain  s'appuie  pour  prouver  l'existence 
de  la  toute-puissance.  On  en  peut  signaler  d'autres, 
et,  par  exemple,  les  suivants  :  «  Tu  es  puissant^ 
Jéhovah  (i).  »   a  Je  sais  que  tu  peux  tout  (2).  » 

Tout  ce  que  veut  Jéhovah,  il  le  fait, 

Dans  les  cieux  et  sur  la  terre, 

Dans  la  mer  et  dans  tous  les  abîmes  (3). 

Nous  avons  vu  aussi  l'objet  qu'il  assigne  à  cette 
toute-puissance. 

Dieu,  étant  l'être  même,  exclut  de  son  essence 
tout  mélange  de  potentialité  ;  car  la  puissance  est 
un  devenir  et  le  devenir  est  en  opposition  formelle 
avec  Têtre.  Mais  la  puissance  peut  s'entendre  ou 
comme  une  pure  réceptivité  soumise  à  l'influence 
causale  d'un  agent  extrinsèque,  ou  comme  une 
force  capable  de  produire  certains  effets  ;  dans  le 
premier  cas,  on  l'appelle  puissance  passive,  dans  le 
second  puissance  active.  Considérée  dans  sa  signifi- 
cation formelle,  la  puissance  passive  implique  une 
imperfection,  un  défaut  d'être  ;  tandis  que  la  puis- 
sance active  ne  contient  dans  son  concept  aucune 

1.  PsaL,  lxxxviii,  9. —  a.  Job.,  xlii,  2.  —  3.  Psal., cxxxiv,  6. 


TOUTE-PUISSANCE    DE    DIEU  52 7 

imperfection  ;  on  ne  peut  agir,  en  effet,  que  parce 
qu'on  est  et  dans  la  mesure  où  on  est.  La  puissance 
active  étant  faite  pour  l'opération,  elle  sera  d'autant 
plus  parfaite  qu'elle  s'identifiera  mieux  avec  cette 
opération  ;  et  si  elle  se  confond  essentiellement  avec 
elle,  elle  sera  un  acte  pur  ;  l'acte  pur  et  fêtre  pur  ne 
seront  qu'une  seule  réalité.  Mais  si  la  puissance 
active  se  distingue  de  son  opération,  elle  conservera 
sans  cloute  sa  perfection  naturelle,  mais  elle  sera 
par  le  fait  même  une  puissance  mêlée  de  passivité, 
capable  de  recevoir,  par  son  exercice,  un  accroisse- 
ment d'être,  ce  qui  est  le  caractère  formel  de  la 
puissance  passive.  Ce  dernier  cas  regarde  les  créa- 
tures ;  le  premier  ne  s'applique  qu'à  Dieu. 

Dieu,  en  effet,  parce  qu'il  est  l'être  infini,  est 
l'acte  pur,  sans  aucun  mélange  de  potentialité.  Il 
est  déterminé  par  son  essence  à  la  plénitude  de 
l'être  et  à  la  plénitude  de  l'opération.  Mais  cette 
opération,  au  lieu  de  survenir  à  sa  vertu  active 
comme  une  perfection  nouvelle,  n'est  que  l'acte 
infiniment  subsistant  d'une  essence  qui  s'identifie 
avec  sa  propre  existence  :  être  et  agir  ne  sont  en 
Dieu  qu'une  seule  et  même  chose.  Mais  il  y  a  une 
différence  entre  l'opération  divine  ad  intra,  qui  se 
termine  tout  entière  dans  l'essence  subsistante  d'où 
elle  procède  et  dont  nous  parlerons  en  traitant  de 
la  trinité,  et  l'opération  ad  extra  qui,  sans  sortir 
formellement  de  cette  essence,  s'extériorise  pourtant 
virtuellement,  en  tant  qu'elle  aboutit  à  la  production 
d'un  être  distinct  de  l'être  divin.  Cette  dernière 
opération,  la  seule  à  envisager  ici,  s'étend  aussi  loin 
que  le  champ  des  essences  réalisables  ;  la  puissance 
divine  est  aussi  illimitée  que  son  essence. 

La  puissance  se  mesurant  à  l'être  qui  la  possède, 
il  va  de  soi  que  la  puissance  de  Dieu  comme  son 
être  est  infinie,  sans  bornes,  sans  limites.  Et  c'est 


528  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pourquoi  on  l'appelle  la  toute-puissance.  C'est  le  seul 
des  attributs  divins  que  mentionne  le  Symbole  des 
apôtres  ;  et  e  Catéchisme  romain  fait  observer  avec 
raison  qu'il  n'exclut  pas  les  autres,  puisqu'il  im- 
plique notamment  celui  d'intelligence  et  de  vo- 
lonté. 

2.  Dieu  est  tout-puissant,  qu'est-ce  à  dire?  qu'il 
peut  tout  ?  Oui,  sans  doute,  il  peut  tout  ce  qui  est 
possible.  Car  il  est  des  choses  absolument  impossi- 
bles, et,  par  exemple,  les  choses  contradictoires. 
Une  chose,  en  effet,  est  absolument  possible  lorsque, 
dans  les  deux  termes  de  la  proposition  qui  l'expri- 
ment, l'attribut  ne  répugne  pas  au  sujet.  Or  tout  ce 
qui  peut  avoir  la  nature  de  l'être  rentre  dans  les 
possibles  absolus  et  tombe  sous  le  domaine  de  la 
toute-puissance  divine.  Mais  comme  rien  n'est  con- 
traire à  la  nature  de  l'être  que  le  non-être,  il  ne  se 
trouve  hors  de  ces  possibles  absolus  que  ce  qui 
implique  en  même  temps  l'être  et  le  non-être,  c'est- 
à-dire  ce  qui  est  contradictoire.  L'intelligence  divine 
ne  saurait  concevoir  le  contradictoire.  On  ne  peut 
donc  pas  dire  que  Dieu  ne  peut  pas  le  faire  ;  on 
parle  plus  correctement  en  disant  que  cela  est 
impossible  de  soi. 

Le  péché  étant  un  défaut  de  perfection  dans  l'acte, 
Dieu,  qui  est  la  perfection  même,  ne  peut  se  con- 
cevoir avec  ce  défaut.  Et  c'est  parce  qu'il  est  tout- 
puissant  qu'il  ne  peut  absolument  pas  pécher. 

De  même  Dieu  ne  peut  pas  faire  que  les  choses 
passées  n'aient  été,  cela  implique  contradiction. 

Mais  Dieu  peut  faire  bien  des  choses  qu'il  ne  fait 
pas.  «  Pensez-vous,  disait  Notre  Seigneur,  que  je  ne 
puisse  pas  prier  mon  Père,  et  il  ni  enverrait  aussitôt 
douze  légions  d 'anges  (i).  »    Saint  Augustin  fait  les 

i.  Matth.  xxvi,  53, 


TOUTE-PUISSANCE    DE    DIEU  529 

remarques  suivantes  :  Dieu  aurait  pu  d'un  seul 
coup  exterminer  les  idolâtres  (i),  et  il  ne  l'a  pas 
fait;  infliger  aux  impies  de  nouveaux  tourments  (2), 
et  il  ne  l'a  pas  fait  ;  susciter  de  la  pierre  des  en- 
fants d'Abraham  (3),  et  il  ne  l'a  pas  fait  ;  jeter 
les  montagnes  dans  la  mer  (4),  et  il  ne  l'a  pas  fait  ; 
opérer  mille  autres  merveilles,  et  il  ne  l'a  pas  fait. 
«  On  voit  donc  que  Dieu  ne  fait  pas  tout  ce  qu'il 
peut  faire.  L'Ecriture  aussi  bien  que  la  raison  con- 
damne l'opinion  contraire  (5).  » 

Dieu  peut-il  faire  des  choses  meilleures  que  celles 
qui  existent?  Sans  aucun  doute.  «  Dieu,  dit  saint 
Paul,  peut  faire  infiniment  plus  que  tout  ce  que 
nous  demandons  ou  concevons  (6).  »  Il  y  a  deux 
sortes  de  bonté,  observe  saint  Thomas  ;  celle  qui 
tient  à  l'essence  des  choses,  et,  sous  ce  rapport, 
Dieu  peut  bien  faire  une  chose  meilleure  qu'une 
autre.  Mais  il  ne  peut  pas  faire  que  la  même  chose 
soit  meilleure  dans  son  essence  qu'elle  n'est.  Car 
de  même  qu'il  ne  saurait  rendre  le  nombre  quatre 
plus  grand,  parce  qu'il  en  changerait  l'espèce 
en  y  ajoutant,  de  même  il  ne  saurait,  sans  la  chan- 
ger, rendre  une  chose  meilleure  dans  son  essence, 
parce  que  l'addition  d'une  qualité  substantielle 
changerait  la  nature  des  choses.  Mais  outre  la  bonté 
essentielle  des  êtres,  il  y  a  une  bonté  accidentelle, 
par  exemple  la  sagesse  et  la  justice  dans  la  nature 
raisonnable  de  l'homme.  Celle-ci,  Dieu  peut  incon- 
testablement l'améliorer  et  l'accroître  (7). 

Mais  Dieu  pourrait-il  faire  mieux  qu'il  ne  fait,  en 
entendant  mieux  au  sens  d'adverbe  ?  Dieu  ne  peut 
pas  faire  mieux  qu'il  ne  fait,  si  on  le  considère  en 
lui-même,  car  en  faisant  ce  qu'il  fait,  il  ne  saurait 

1.  Jos.,  xxiw,  9.  —  2.  Sap.,  xvi,  6.  —  3.  Luc,  m,  8.  — 
4.  Matth.,  xi,  23.  —  5.  De  spirit.  et  litt.,  xxxiv.  —  6.  Eph.,  in, 
20.  —  7.  Sum.  theol,  I,  Q.  xxv,  a.  6. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.   I.  5 


53o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

opérer  ni  avec  plus  de  sagesse  ni  avec  plus  de  puis- 
sance ;  mais  si  l'on  regarde  les  choses  faites,  oui  il 
pourrait  faire  mieux,  puisqu'il  est  en  sa  puissance 
d'améliorer  les  choses  qui  existent,  non  dans  leur 
essence,  mais  dans  leurs  accidents. 

3.  Puissance  limitée  de  l'homme.  —  L'homme 
étant  intelligence  et  volonté  possède,  dans  la 
même  mesure,  la  puissance.  Mais  quelle  puis- 
sance que  la  sienne,  à  côté  de  la  toute-puissance 
divine  1  Que  de  limites,  comme,  du  reste,  dans  sa 
science  et  sa  volition  !  Et  pourtant  jusqu'à  quel 
point  ne  s'est-elle  pas  élevée  de  nos  jours  !  que  de 
travaux  I  que  de  recherches  !  que  de  progrès  déjà 
réalisés,  insoupçonnés  hier  encore  !  Dans  tous  les 
champs  de  l'activité  humaine,  en  histoire,  en  géo-* 
graphie,  en  archéologie,  en  philologie,  dans  les 
sciences  surtout,  qui  transforment  de  jour  en  jour  le 
commerce,  l'industrie,  et  apportent  plus  de  bien-être 
physique,  plus  de  civilisation  !  Et  que  de  progrès 
futurs,  qu'on  ne  soupçonne  pas  aujourd'hui,  mais 
qui,  demain  peut-être,  seront  des  réalités  I  La  marge 
est  grande  dans  l'œuvre  divine,  et  le  savoir,  et  la 
volonté,  et  la  puissance  de  l'homme  peuvent  y 
évoluer  à  leur  aise,  sans  qu'on  puisse  jamais  se 
flatter  d'en  avoir  découvert  tous  les  trésors,  et  d'en 
tarir  les  merveilles.  Et  l'espoir,  au  cœur  de  l'homme, 
s'est  élevé  jusqu'à  l'enthousiasme,  jusqu'à  l'enivre- 
ment de  lui-même.  Que  de  rêves  en  perspective,  dans 
un  avenir  qu'on  dit  plus  ou  moins  prochain  I  Plus 
de  misères  dans  les  masses,  rien  que  du  bonheur  ! 
Plus  de  guerres  entre  peuples,  rien  que  la  paix  ! 
Plus  de  maux,  plus  de  mort,  si  c'était  possible  !  Et 
ne  serait-ce  pas  possible  ?  Qui  sait  ?  Mais  non,  par 
là  l'homme  est  rappelé  au  peu  qu'il  est,  au  peu  qu'il 
peut.  Ce  serait  sagesse  que  de  le  reconnaître  ;  c'est 


ATTRIBUTS    MORAUX    :    LA    BONTE  53 1 

folie  de  le  méconnaître,  et  folie  plus  grande  encore 
de  penser,  de  parler,  d'agir,  comme  si  par  delà  le 
monde  phénoménal  Dieu  n'existait  pas,  de  rayer  du 
domaine  rationnel  son  existence  et  d'en  venir  à  cette 
monstruosité  de  croire  que  Dieu  est  en  train  de  se 
faire  dans  le  monde  grâce  au  progrès,  en  train  de 
prendre  conscience  de  lui-même  dans  l'homme  et 
par  l'homme.  L'homme  ne  serait-il  pas,  n'est-il  pas 
en  définitive  le  Dieu  nouveau  ?  Une  telle  aberration 
intellectuelle  et  morale  n'est  pas  rare  de  nos  jours* 
Impertinente  comme  l'orgueil,  dont  elle  est  l'ex- 
pression, il  pourrait  bien  se  faire  qu'elle  fût  châtiée 
tôt  ou  tard.  Car  s'il  est  vrai  que  la  foudre  frappe 
les  cimes  altières,  il  est  encore  plus  vrai  que  a  Dieu 
résiste  aux  superbes  (i).  »  Et  Dieu  n'a  guère  qu'à 
abandonner  l'homme  à  ses  propres  forces  ;  et  tout 
autonome  qu'il  se  proclame,  l'homme  se  suffît  à 
lui-même  pour  montrer  une  fois  de  plus  que,  sans 
Dieu,  il  n'est  rien  et  ne  peut  rien,  malgré  ses  pré- 
tentions. La  Providence  a  parfois  de  ces  leçons  de 
choses. 

III.  Attributs  moraux 

i.  La  Bonté  et  l'amour.  —  Dieu  est  le  bien,  le 
souverain  bien  ;  il  est  la  bonté,  la  bonté  souve- 
raine ;  c'est  dire  qu'il  est  souverainement  aimable* 
Il  est  en  même  temps  souverainement  amour. 

L'amour  va  au  bien,  naturellement  ;  tous  les  actes 
de  la  volonté  le  supposent  comme  leur  première 
racine,  comme  leur  principe  générateur.  Nul  être 
Intelligent  ne  désire  que  le  bien  aimé,  nul  ne  se 
délecte  que  dans  le  bien  aimé,  nul  ne  hait  que  ce 

x.  Jac,  iv,  6. 


532  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 



qui  s'oppose  au  bien  aimé  (i).  Partout  où  se  trouve 
la  volonté  se  trouve  donc  l'amour.  Par  suite  l'amour 
doit  se  retrouver  en  Dieu,  à  l'état  parfait,  puisqu'en 
Dieu  la  volonté  est  parfaite. 

Dieu  étant  le  bien,  la  bonté,  la  sagesse  et  la 
volonté,  dans  leur  perfection  absolue,  s'aime  lui- 
même  nécessairement,  en  vertu  même  de  sa  nature, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit. 

Il  aime  aussi  les  créatures,  toutes  les  créatures,  par 
le  seul  fait  qu'il  leur  a  donné  l'être,  ou  la  vie,  ou 
l'intelligence  et  la  volonté,  parce  que  tout  cela  est 
un  bien  qu'il  leur  a  libéralement  départi.  Mais  il  ne 
les  aime  pas  toutes  de  la  même  manière.  Celles  qui 
sont  privées  de  raison,  incapables  par  suite  de  lui 
rendre  amour  pour  amour  et  de  participer  à  sa 
béatitude,  il  les  aime  sans  doute,  mais  ce  n'est  pas 
à  rigoureusement  parler  d'un  amour  d'amiiié,  c'est 
plutôt  d'un  amour  de  quasi  concupiscence,  non  qu'il 
les  désire  ou  qu'il  en  ait  besoin,  mais  parce  que,  en 
les  créant  et  les  conservant,  c'est  le  bien  des  créa- 
tures raisonnables  qu'il  a  en  vue,  pour  leur  mani- 
fester sa  bonté  et  leur  faire  du  bien.  Quant  aux. 
créatures  raisonnables,  celles-ci,  par  un  mouvement 
de  leur  intelligence  et  de  leur  volonté,  pouvant 
répondre  à  son  amour,  Dieu  les  aime  d'un  amour 
d'amitié,  de  bienveillance,  et  il  les  aime  en  proportion 
du  bien  qu'il  communique  à  chacune  d'elles  et  du 
bien  que  chacune  d'elles  accomplit.  Mais  si,  par  le 
péché,  elles  viennent  à  se  détourner  de  lui,  il  les 
aime  encore,  non  pas  en  tant  que  coupables,  mais, 
quoi  qu'elles  soient  coupables,  en  tant  qu'êtres  qui 
sont  et  qui  sont  par  lui. 

L'Ecriture  renferme  d'innombrables  témoignages 
de  la  bonté  et  de  l'amour  de  Dieu  envers  les  hom- 

t.  Sum.  theol,  I,  Q.  xx,  a.  i. 


LA    BONTÉ    DE    DIEU  533 


mes  ;  elle  nous  représente  Dieu  sous  les  traits  d'un 
père,  d'une  mère,  d'un  ami,  d'un  époux.  Dieu  nous 
traite,  en  effet,  comme  des  êtres  de  prédilection  ;  il 
nous  couvre  de  bienfaits  ;  et  saint  Jean  l'a  défini 
avec  raison,  quand  il  a  dit  :    «  Dieu  est  charité  (i).  » 

«  Une  femme  oublier a-t-elle  son  nourrisson, 

Qu'elle  n'ait  pas  pitié  du  fruit  de  ses  entrailles  ? 

Quand  les  mères  oublieraient, 

Moi,  je  ne  t'oublierai  point  (2).  » 

«  //  l'a  entouré  (le  peuple  juif),  il  a  pris  soin  de  lui, 

Il  l'a  gardé  comme  la  prunelle  de  son  œil. 

Pareil  à  l'aigle  qui  excite  sa  couvée, 

Et  voltige  au-dessus  de  ses  petits, 

Jehovah  a  déployé  ses  ailes,  il  a  pris  Israël, 

//  l'a  porté  sur  ses  plumes  (3).  » 

«  Comme  un  homme  que  sa  mère  console,  ainsi  je 
vous  consolerai  (4).  » 

C'est  à  l'âme  chrétienne  que  peuvent  s'appliquer 
ces  paroles  d'Ezéchiei  :  «  Tu  fus  renommée  parmi 
les  nations  pour  ta  beauté,  car  elle  était  parfaite, 
grâce  à  ma  splendeur  que  f  avais  répandue  sur  toi, 
dit  le  seigneur  Jéhovah  (5).  »  L'âme  chrétienne,  en 
effet,  objet  de  la  tendre  sollicitude  de  Dieu  est  sa 
fille  adopfcive,  destinée  à  jouir  de  sa  propre  gloire 
dans  le  ciel.  De  combien  de  bienfaits  n'est-elle  pas 
redevable  ici  bas  à  ce  Dieu  bon  et  généreux?  Et 
de  combien  de  gloire  ne  sera-t-elle  pas  un  jour 
récompensée?  En  possession  delà  grâce  présente 
et  dans  l'espérance  de  la  gloire  future,  dont  l'homme 
ne  saurait  se  faire  une  idée,  combien  ne  doit-elle 
pas  s'efforcer  de  rép  ndre  par  son  amour  recon- 
naissant à  l'amour  inlini  ? 


1.  ÏJoan.,  iv,  16.  —  2.  haï.,  xlix,   i5.  —  3.  Deut.,  xxxii, 
io-ii.  —  4.  Isaï.,  lvi,  i3.  —  5.  Ezech.,  xvi,  i4. 


534  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

2.  La  Miséricorde.  —  C'est  particulièrement  à 
l'égard  des  malheureux,  et  de  la  manière  la  plus  tou- 
chante, qu'éclate  la  bonté  divine,  ou  la  Miséricorde. 
Ce  mot,  dit  saint  Augustin,  vient  de  «  miserum  cor 
facere  condolentis  alieno  malo  (i).  »  Il  s'applique  à 
l'âme  qui  compatit  aux  peines  des  autres. 

Dieu,  évidemment,  ne  possède  pas  cette  attribut 
comme  une  passion  affective  (2),  car  il  ne  saurait 
être  atteint  dans  sa  béatitude  infinie  par  la  misère 
d'autrui  ;  mais  il  lui  convient  éminemment  de  la 
soulager,  de  la  faire  disparaître,  parce  que  toute 
misère  est  un  défaut.  Or,  qui  est  plus  malheureux 
que  le  pécheur,  puisqu'en  lui  cette  misère  morale 
qu'est  le  péché  constitue  un  défaut  dont  il  est  res- 
ponsable ?  Et  qui  plus  que  le  pécheur,  surtout 
quand  il  est  pénitent,  attire  les  bienfaits  de  la  misé- 
ricorde divine  ? 

«  Reviens,  infidèle  Israël,  dit  Jéhovah  ; 

Je  ne  veux  pas  vous  montrer  un  visage  sévère, 

Car  je  suis  miséricordieux,  dit  Jéhovah, 

Et  je  ne  garde  pas  ma  colère  à  toujours. 

Seulement  reconnais  ta  faute, 

Car  tu  as  été  infidèle  à  Jéhovah,  ton  Dieu... 

Revenez,  fils  infidèles,  dit  Jéhovah, 

Car  je  suis  votre  maître  (3).  » 

«  Prendrai-je  plaisir  à  la  mort  du  méchant,  dit  le  Sei- 
gneur Jéhovah  ?  N'est-ce  pas  plutôt  à  ce  qu'il  se  détourne 
de  ses  voies  et  qu'il  vive  ?...  Détournez-vous  et  conver- 
tissez-vous de  tous  vos  péchés,  et  l'iniquité  ne  deviendra 
.pas  votre  ruine.  Rejetez  loin  de  vous  toutes  les  transgres- 
sions que  vous  avez  commises,  faites-vous  un  cœur  nou- 
veau et  un  esprit  nouveau.  Pourquoi  mourriez-vous,  mai- 
son d'Israël  ?  Car  je  ne  prends  point  plaisir  à  la  mort  de 

1.  De  mor.  Eccles.,  I,  xxvii,  53.  —  2.  Sum.  theol,  I,  Q.  xxi, 
&    2,  3.  —  3.  Jcrera.,  in,  12-14. 


LA    MISÉRICORDE    DE    DIEU  535 


celui  qui  meurt,  dit  le  Seigneur  Jéhovah  ;    convertissez- 
vous  donc  et  vivez  (i).  » 

a  Cest  moi,  moi  seul,  qui  efface  tes  prévarications 
pour  l'amour  de  moi  (2).  » 

«  SoUviens-toi  de  ces  choses,  6  Jacob, 

0  Israël,  car  tu  es  mon  serviteur  ; 

Je  t'ai  formé,  tu  es  mon  serviteur, 

0  Israël,  tu  ne  seras  pas  oublié  de  moi  ! 

J'ai  effacé  tes  transgressions  comme  un  nuage, 

Et  tes  péchés  comme  une  nuée  ; 

Reviens  à  moi,  car  je  t'ai  racheté. 

deux,  poussez  des  cris  de  joie,  car  Jéhovah  a  fait  cela  F 

Retentissez  d'allégresse,  profondeurs  de  la  terre  ! 

Eclatez  de  joie,  montagnes, 

Forêts,  avec  tous  vos  arbres, 

Car  Jéhovah  a  racheté  Jacob 

Et  manifesté  sa  gloire  en  Israël  (3).  » 

Qui  n'a  présents  à  la  mémoire  les  accents  de 
David  pour  remercier  Dieu  de  ses  bienfaits  (4)  ? 
Qui  ne  se  rappelle  ce  psaume  cxxxve,  sous  forme 
de  litanie,  où  à  chaque  verset  revient  comme  un 
relrain,  le  quoniam  in  œlernum  misericordia  ejus, 
sa  miséricorde  est.  éternelle  ?  Et  n'est-ce  pas  sous  le 
nom  de  Pèie  que  Notre  Seigneur  nous  a  appris  à, 
prier  Dieu  :  «  Noire  Père,  qui  êtes  aux  deux!))  Saint 
Paul  a  raison  d'appeler  Dieu  «  le  père  des  miséri- 
cordes et  le  Dieu  de  toute  consolation  (5).  »  La 
miséricorde  !  quel  attribut  plus  consolant  pour- 
nôtre  humaine  misère  !  En  quels  traits  inoubliables 
le  divin  Maître  l'a  marqué  dans  ces  paraboles  si 
touchantes  de  la  brebis  perdue  et  de  l'enfant  prodi- 
gue !  Et  quel  thème  fécond  sous  la  plume  et  sur  les 

1.  Ezech.,  xvin,  3o-32.  —  2.  haï.,  xliii,  25.  —  3.  haï.,  xlïv, 
21-23.  —  (\.  Psal.,  en  ;  on  le  trouvera  à  la  fin  de  cette  leçon. 
—  5.  II  Cor.,  1,  3. 


536  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

lèvres  des  Pères  de  l'Eglise  !  Mais,  par  contre,  de  la 
part  du  pécheur,  quelle  folie  de  rester  sourd  aux 
appels  de  la  miséricorde  divine,  de  s'attarder  dans 
le  péché,  de  s'y  endurcir  1  Et  quel  malheur  d'y 
mourir  !  Car  si  Dieu  est  bon  et  miséricordieux  au- 
delà  de  tout  ce  qu'on  peut  dire,  il  est  juste  égale- 
ment ;  sa  bonté  ne  saurait  entraver  sa  justice. 

3.  La  justice. —  Dieu  est  bon,  miséricordieux, 
patient,  d'une  longanimité  à  toute  épreuve  ;  mais  il 
est  juste.  Il  n'a  pas,  il  ne  peut  pas  avoir  la  justice 
commutative ,  celle  qui  règle  les  échanges,  les  tran- 
sactions, les  achats  ou  les  ventes  ;  car,  comme  l'a 
dit  saint  Paul,  «  qui  lui  a  donné  le  premier,  pour 
qu'il  ail  à  recevoir  en  retour  (i)  ?  »  Mais  il  a  la  jus- 
tice distributive,  qui  consiste  dans  une  répartition 
équitable  des  biens  et  des  maux,  et  qui  s'impose 
comme  une  règle  à  tout  souverain,  à  tout  adminis- 
trateur, à  tout  juge.  N'est-il  pas  le  Maître,  le  Sou- 
verain, le  Législateur,  le  Juge  par  excellence  ? 

Il  est  tenu  sans  aucun  doute,  dès  qu'il  se  décide 
à  faire  quelque  acte  extérieur,  d'accomplir  les  des- 
seins de  sa  sagesse  et  de  manifester  la  munificence 
de  sa  bonté  (a).  Ayant  donc  créé  les  êtres,  il  est  tenu 
de  plus  d'accorder  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû  selon 
sa  nature  et  sa  condition.  Nulle  difficulté  pour  les 
êtres  sans  raison.  Mais  vis-à-vis  de  l'homme  ? 
L'homme  peut  mal  user  de  sa  liberté,  il  désobéit  et 
il  pèche  ;  il  peut  aussi  en  faire  un  excellent  usage, 
s'en  servir  pour  vaincre  ses  passions,  pratiquer  la 
vertu  et  accumuler  de  bonnes  œuvres.  En  présence  de 
cette  alternative,  Dieu  se  doit  à  lui-même  et  il  doit  à 
l'homme  de  traiter  l'homme  selon  le  bon  ou  mau- 
vais usage  de  sa    liberté.    Nécessairement,   il   doit 

i.  Rom.,  xi,  35.  —  2.  Sam.  iheol,  I,  Q.  xxi,  a.  i,  2. 


LA    JUSTICE    DE    DIEU  53y 

récompenser  le  bien  et  punir  le  mal.  Dans  quelle 
mesure  et  de  quelle  manière,  c'est  ce  que  nous  ver- 
rons plus  tard. 

Cet  attribut  divin  se  retrouve,  cela  va  sans  dire,  à 
toutes  les  pages  de  nos  saints  Livres.  Tobie  disait 
dans  sa  prière  :  «  Vous  êtes  juste,  Seigneur  ;  justes 
sont  tous  vos  jugements,  et  toutes  vos  voies  sont 
miséricorde,  vérité  et  justice  (i).  »  Le  psalmiste, 
dans  son  éloge  de  la  loi  de  Dieu,  s'écriait  : 

«  Tu  es  juste,  Jéhovah, 

Et  tes  jugements  sont  équitables  (2).  » 

Saint  Mathieu  (3)  et  saint  Paul  (4)  répètent  : 
«  Dieu  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres.  »  L'Apôtre 
raisonnait  de  la  sorte  :  «  Ainsi,  qui  que  tu  sois, 
ô  homme,  toi  qui  juges,  tu  es  inexcusable  :  car  en 
jugeant  les  autres,  tu  te  condamnes  toi-même,  puisque 
tu  fais  les  mêmes  choses,  toi  qui  juges.  Car  nous  savons 
que  le  jugement  de  Dieu  est  selon  la  vérité  contre  ceux 
qui  commettent  de  telles  (fautes).  Et  tu  penses,  ô 
homme,  toi  qui  juges  ceux  qui  les  commettent,  et  qui 
les  fais  toi-même,  que  tu  échapperas  au  jugement  de 
Dieu  ?  Ou  méprises-tu  les  richesses  de  sa  bonté,  de  sa 
■  patience  et  de  sa  longanimité  ?  Et  ne  sais-tu  pas  que 
la  bonté  de  Dieu  t'invite  à  la  pénitence  ?  Par  ton  endur- 
cissement et  ton  cœur  impénitent,  tu  t'amasses  un 
trésor  de  colère  pour  le  jour  de  la  colère  et  de  la 
manifestation  du  juste  jugement  de  Dieu,  qui  rendra  à 
chacun  selon  ses  œuvres  :  la  vie  éternelle  à  ceux  qui, 
par  la  persévérance  dans  le  bien,  cherchent  la  gloire, 
l'honneur  et  l'immortalité  ;  mais  la  colère  et  l'indigna- 
tion aux  enfants  de  contention,  indociles  à  la  vérité, 
dociles  à  l'iniquité  (5).  »    C'est   en    quelques   mots, 

1.  Tob.,  m,  a.  —  2.  Psal.,  cxvm,  187.  —  3.  Matth.,  xvi,  27% 
—  4.  Rom.,  11,  6.  —  5.  Rom.,  11,  1-8. 


538  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'indication  de  la  rétribution  finale.  Et  si,  d'une 
part,  on  comprend,  devant  cette  alternative  formi- 
dable, la  vérité  de  celte  sentence .  «  II  est  effroyable 
de  tomber  dans  tes  mains  du  Dieu  vivant  (i),  »  car  la 
justice  de  Dieu  n'est  redoutable  qu'aux  pécheurs, 
on  comprend  aussi,  d'autre  part,  la  confiance,  la 
sérénité,  le  calme  et  la  paix  du  serviteur  bon  et 
fidèle,  qui  faisaient  dire  à  saint  Paul  :  «  J'ai  com- 
battu le  bon  combat,  j'ai  achevé  ma  course,  j'ai  gardé 
la  foi;  il  ne  me  reste  plus  qu'à  recevoir  la  couronne 
de  justice,  que  me  donnera  en  ce  jour-là  le  Seigneur, 
le  juste  juge,  et  non  seulement  à  moi,  mais  à  tous  ceux 
qui  auront  aimé  son  avènement  (2).  » 

4.  La  Sainteté.  —  La  Sainteté  est  l'abrégé  et 
comme  un  précis  des  perfections  divines.  C'est  elle 
qu'exaltait  en  particulier  Moïse,  après  le  passage 
miraculeux  de  la  Mer  Rouge. 

«  Je  chanterai  à  Jéhovah,  car  il  a  fait  éclater  sa  gloire  : 
Il  a  précipité  dans  la  mer  cheval  et  cavalier. 


Qui  est  comme  toi  parmi  les  Dieux,  ô  Jéhovah  ? 
Qui  est  comme  toi  auguste  en  sainteté  (3)  ?  » 

Dieu  se  manifeste  à  ses  prophètes  comme  le 
saint,  le  très  saint,  le  trois  fois  saint.  Isaïe  raconte 
ainsi  l'une  de  ses  visions  •  «  Je  vis  le  Seigneur 
assis  sur  un  trône  haut  et  élevé,  et  les  pans  de  sa  robe 
remplissaient  le  temple.  Des  séraphins  se  tenaient  au- 
dessus  de  lui  ;  ils  avaient  chacun  six  ailes...  Et  ils 
criaient  l'un  à  l'autre  et  disaient  : 

Saint,  saint,  saint  est  Jéhovah  des  armées  ! 
Toute  la  terre  est  pleine  de  sa  gloire  (4).  » 

1.  Heb.,  x,  3i.  —  2.  II  Tim.,  iv,  7-8.  —  3.  Exod.,  xv,  1,  n# 
—  4.  Isaï,  vi,  i-3. 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  53g 

Dans  la  vision  de  saint  Jean,  ce  sont  les  quatre 
animaux  symboliques,  recouverts  eux  aussi  de 
six  ailes,  qui  ne  cessent  de  dire  jour  et  nuit  : 
«  Saint,  saint,  saint  est  le  Dieu  tout-puissant,  qui 
était,  qui  est  et  qui  vient  (i).  » 

Saint,  tel  est  le  titre  que  Notre  Seigneur  donne  à 
son  Père  avec  celui  de  juste,  dans  sa  dernière 
prière  :  Pater  sancte  (2),  Pater  juste  (3);  ces  deux 
titres  n'en  font  qu'un,  ils  résument  toutes  les  per- 
fections morales  de  Dieu. 

La  sainteté  de  Dieu  est  incompatible  avec  tout 
péché,  avec  toute  imperfection  d'entendement  et  de 
volonté,  avec  tout  défaut;  car  Dieu  est  bon  par 
essence  ;  il  n'entend  et  ne  veut  que  ce  qu'il  faut  ; 
son  intelligence  et  sa  volonté  sont  sa  nature  même 
qui  est  excellente.  En  lui  se  confondent  sa  perfec- 
tion morale  et  sa  perfection  naturelle. 

A  raison  de  cette  sainteté,  Dieu  veut  que  les  créa- 
tures raisonnables  s'appliquent  de  tous  leurs  efforts 
à  lui  ressembler.  «  Je  suis  Jéhovah,  votre  Dieu  ; 
vous  vous  sanctifierez,  et  vous  serez  saints,  car  je  suis 
saint  (4).  »  Et  c'est  pourquoi  il  entoure  de  tant 
d'égards  prodigieux  ceux  qui  travaillent  à  se 
sanctifier  sur  la  terre.  Il  les  encourage,  il  les  engage 
à  redoubler  d'efforts,  à  progresser  sans  cesse.  «  Que 
le  juste  pratique  encore  la  justice  :  et  que  le  saint  se 
sanctifie  encore  (5).  » 

Jéhovah  aime  la  justice, 

Et  il  n  abandonne  pas  ses  fidèles  (6).  » 

Les  abandonner  n'est  pas  assez.  C'est  en  eux  qu'il 
établit  sa  demeure.  «  Si  quelqu'un  m'aime,  dit 
Notre  Seigneur,  il  gardera  ma  parole,  et  mon  Père 

i.  Apoc,  iv,  8.  —  2.  Joan.,  xvn,  11.  —  3.  Joan.,  xvn,  a5.  — 
4.  Levit.,  xi,  44  ;  xix,  2  ;  1  Petr.,  1,  16.  —  5.  Apoc,  xxn,  11.  — 
6.  PsaL,  xxxvi,  *8. 


54 O  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'aimera,  et  nous  viendrons  à  lui,  et  nous  ferons 
chez  lui  notre  demeure  (i).  »  L'âme  du  saint,  en 
effet,  est,  selon  l'enseignement  de  saint  Paul,  le 
temple  particulièrement  choisi  de  Dieu  (2).  De  ce 
temple  béni  s'élèvent  des  prières,  justement  compa- 
rées aux  parfums  de  l'encens  (3).  Voici  comment 
la  Sagesse  dépeint  la  vie  des  saints  : 

«  Les  âmes  des  justes  sont  dans  la  main  de  Dieu, 

Et  les  tourments  ne  les  atteindront  pas. 

Aux  yeux  des  insensés  ils  paraissent  être  morts, 

Et  leur  sortie  de  ce  monde  semble  être  un  malheur. 

Et  leur  départ  du  milieu  de  nous  un  anéantissement  ; 

Mais  ils  sont  dans  la  paix. 

Alors  même  que,  devant  les  hommes,  ils  ont  subi  des  châ- 

Leur  espérance  est  pleine  d'immortalité.  [timents, 

Après  une  légère  peine,  ils  recevront  une  grande  récompense. 

Car  Dieu  les  a  éprouves 

Et  il  les  a  trouvés  dignes  de  lui, 

Il  les  a  essayés  comme  l'or  dans  la  fournaise, 

Et  les  a  agréés  comme  un  parfait,  holaucausle. 

Au  jour  de  leur  récompense,  les  justes  brilleront, 

Semblables  à  la  flamme  qui  court  à  travers  les  roseaux. 

Ils  jugeront  les  nations  et  domineront  les  peuples, 

Et  le  Seigneur  régnera  sur  eux  à  jamais  (4).  » 

Le  psalmiste  a  raison  de  dire  : 

«  Elle  a  du  prix  aux  yeux  de  Jéhovah, 

La  mort  de  ses  fidèles  (5).   » 

«  Les  fidèles  triomphent  dans  la  gloire 

Et  tressaillent  de  joie  sur  leur  couche  (6).   » 

La  récompense  assurée  aux  élus  dépasse  tout  ce 
que  l'on  peut  concevoir.  Car,  dit  saint  Paul,  «  notre 

1.  Joan.,  xrv,  a3.  —  2.  T  Cor.,  in,  17  ;  vi,  19  ;  II  Cor.,  vi,  16. 
■ — 3.  Apoc,   v.  8.  —  4-  Sap.,  m,  1-8.  —  5.  l'&al.,   cxv,   i5. 
6.  PsaL,  cxLix,  5. 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  54 1 

légère  affliction  du  moment  présent  produit  pour 
nous,  au-delà  de  toute  mesure,  un  poids  éternel  de 
gloire  (i).  » 

Le  pécheur  ne  saurait  aspirer  à  une  telle  récom- 
pense ;  sa  vie  répugne  à  la  sainteté  de  Dieu  :  c'est  le 
sentiment  de  David,  dans  sa  prière  matinale  : 

«  Jéhovah,  dès  le  matin,  tu  entendras  ma  voix; 

Car  tu  n'es  pas  un  Dieu  qui  prenne  plaisir  au  mal; 

Avec  toi  le  méchant  ne  saurait  habiter. 

Les  insensés  ne  subsistent  pas  devant  tes  yeux  ; 

Tu  hais  tous  les  artisans  d'iniquité. 

Tu  fais  périr  les  menteurs  ; 

Jéhovah  abhorre  l'homme  de  sang  et  de  fraude  (2).  » 

«  Les  pécheurs  attaquent  Dieu  inutilement  par 
leur  rébellion,  dit  Bossuet;  et  sa  sainteté  demeure 
inviolable  au  milieu  des  impiétés,  des  blasphèmes, 
des  impuretés,  dont  tout  l'univers  est  rempli  par  la 
malice  des  hommes  et  des  démons.  Il  demeure 
saint,  quoique  pour  punir  les  pécheurs  il  les  livre 
à  leurs  mauvais  désirs,  parce  que  les  y  livrer  n'est 
pas  les  produire.  Dieu  ne  fait  que  se  soustraire  lui- 
même  à  un  cœur  ingrat  ;  et  cette  soustraction  est 
sainte,  parce  que  Dieu  se  soustrait  justement  lui- 
même  à  ceux  qui  le  quittent,  et  punit  leur  égare- 
ment volontaire  en  les  frappant  d'aveuglement.  Il 
fait  tout  dans  l'homme,  excepté  le  seul  péché,  où 
son  action  ne  se  mêle  point.  Celui  qu'il  permet  ne 
le  souille  point,  parce  que  lui  seul  il  en  peut  tirer 
un  bien  infini,  et  plus  grand  que  n'est  la  malice  de 
tous  les  péchés  ensemble  (3).  » 

Dieu,  par  bonté,  par  miséricorde,  est  toujours 
prêt  à  pardonner  au  pécheur  repentant,  à  purifier 

1.  II  Cor.,  iv,  17.  —  2.  Psal,  v,  4-7.  —  3.  Elévations  sur  les 
mystères,  Ie  Sem.,  élév.  xi. 


54^  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

sa  conscience,  à  laver  ses  souillures,  à  le  recevoir 
dans  ses  bras  et  sur  son  cœur,  à  le  revêtir  de  la  robe 
nuptiale  et  à'  se  réjouir  de  sa  conversion.  Car,  au 
ciel,  «  il  y  aura  plus  de  joie  pour  un  seul  pécheur 
qui  se  repent  que  pour  quatre-vingt-dix-neuf  justes 
qui  n'ont  pas  besoin  de  se  repentir  (i).  »  Mais  si, 
.malgré  tout,  le  pécheur  s'obstine  et  meurt  dans  son 
péché,  Dieu  lui  dira  :  «  Je  ne  vous  ai  jamais  connus. 
Retirez-vous  de  moi,  ouvriers  d'iniquité  (2).  »  Et  la 
sentence  du  souverain  juge,  condamnant  les  maudits 
au  feu  éternel,  sera  l'expression  de  sa  sainteté 
méconnue  et  de  sa  justice  suprême. 

En  présence  de  la  question  de  la  nature  de  Dieu, 
l'homme,  même  avec  les  secours  de  la  révélation, 
est  impuissant  à  la  résoudre  d'une  manière  adéquate, 
il  ne  peut  que  «  balbutier,  »  disions-nous  en  rappe- 
lant le  mot  de  saint  Grégoire.  Et  nous   ne  pouvons 
pas  mieux  terminer  que  par  ces  paroles  de  Fénelon  : 
«  Je  ne  puis   m'accoutumer  à    vous  voir,    ô  Infini 
simple,  au  dessus  de  toutes  les  mesures  par  lesquel- 
les mon   faible   esprit  est  toujours  tenté  de  vous 
mesurer.    J'oublie   toujours   le    point    essentiel  de 
votre  grandeur,  et  par  là  je  retombe  à  contre-temps 
dans  l'étroite  enceinte  des  choses  finies.  Pardonnez 
ces  erreurs,  ô  bonté  qui  n'est  pas  moins  infinie  que 
toutes   les  autres    perfections    de  mon  Dieu  ;   par- 
donnez les  bégayements  d'une  langue  qui  ne  peut 
s'abstenir  de  vous  louer,   et  les  défaillances  d'un 
esprit  que  vous  n'avez  fait  que  pour  admirer  votre 
perfection  (3).  » 


1.  Luc.,  xv,  7.  —  2.  Matth.,  vu,  a3.  —  3.  Traité  de  Vexistence 
de  Dieu,  à  la  fin. 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  543 

1.  Louange  à  Dieu  pour  sa  bonté. 

«  Mon  âme,  bénis  Jéhovah, 

Et  que  tout  ce  qui  est  en  moi  bénisse  son  saint  nom  1 

Mon  âme,  bénis  Jéhovah, 

Et  n'oublie  pas  ses  nombreux  bienfaits. 

C'est  lui  qui  pardonne  toutes  les  iniquités, 

Qui  guérit  toutes  les  maladies  ; 

C'est  lui  qui  délivre  ta  vie  de  la  fosse, 

Qui  te  couronne  de  bonté  et  de  miséricorde  ; 

C'est  lui  qui  comble  de  biens  tes  désirs  ; 

Et  ta  jeunesse  renouvelée  a  la  vigueur  de  l'aigle. 

t(  Jéhovah  exerce  la  justice, 

Il  fait  droit  à  tous  les  opprimés. 

Il  a  manifesté  ses  voies  à  Moïse, 

Ses  grandes  œuvres  aux  enfants  d'Israël. 

Jéhovah  est  miséricordieux  et  compatissant, 

Lent  à  la  colère  et  riche  en  bonté. 

Ce  n'est  pas  pour  toujours  qu'il  réprimande, 

Il  ne  garde  pas  à  jamais  sa  colère. 

Il  ne  nous  traite  pas  selon  nos  péchés, 

Et  ne  nous  châtie  pas  selon  nos  iniquités. 

<c  Car  autant  les  ci  eux  sont  élevés  au-dessus  de  la  terre, 
Autant  sa  bonté  est  grande  envers  ceux  qui  le  craignent. 
Autant  l'Orient  est  loin  de  l'Occident, 
Autant  il  éloigne  de  nous  nos  transgressions. 
Comme  un  père  a  compassion  de  ses  enfants 
Jéhovah  a  compassion  de  ceux  qui  le  craignent. 
Car  il  sait  de  quoi  nous  sommes  formés, 
Il  se  souvient  que  nous  sommes  poussière. 

«  L'homme  !  Ses  jours  sont  comme  l'herbe, 

11  fleurit  comme  la  fleur  des  champs. 

Qu'un  souffle  passe  sur  lui,  il  n'est  plus, 

Et  le  lieu  qu'il  occupait  ne  le  connaît  plus.       [craignent, 

Mais  la  bonté  de  Jéhovah  dure  à  jamais  pour  ceux  qui  le 

Et  sa  justice  pour  les  enfants  de  leurs  enfants, 

Pour  ceux  qui  gardent  son  alliance,  [ver. 

Et  se  souviennent  de  ses  commandements  pour  les  obser- 


544  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

<(  Jéhovah  a  établi  son  trône  dans  les  cieux, 

Et  son  empire  s'étend  sur  toutes  choses. 

Bénissez  Jéhovah,  vous,  ses  anges, 

Qui  êtes  puissants  et  forts,  et  qui  exécutez  ses  ordres, 

En  obéissant  à  la  voix  de  sa  parole. 

Bénissez  Jéhovah,  vous  toutes,  ses  armées, 

Qui  êtes  ses  serviteurs  et  exécutez  sa  volonté  ! 

Bénissez  Jéhovah,  vous  toutes,  ses  œuvres, 

Dans  tous  les  lieux  de  sa  domination  ! 

Mon  âme,  bénis  Jéhovah  !  »  (Psaume  en.) 

2.   En  l'honneur  du  Créateur  et  du  Bienfaiteur 
d'Israël. 

«  Rendez  hommage  à  Jéhovah,  car  il  est  bon, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

Rendez  hommage  au  Dieu  des  dieux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

Rendez  hommage  au  Seigneur  des  seigneurs, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

A  celui  qui  seul  opère  de  grands  prodiges, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Oui  a  fait  les  cieux  avec  sagesse, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Oui  a  étendu  la  terre  sur  les  eaux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Qui  a  fait  les  grands  luminaires, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Le  soleil  pour  présider  au  jour, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

La  lune  et  les  étoiles  pour  présider  la  nuit, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  frappa  les  Egyptiens  dans  leurs  premiers-nés, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Il  fit  sortir  Israël  du  milieu  d'eux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

D'une  main  forte  et  d'un  bras  étendu, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  divisa  en  deux  la  mer  rouge, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  5^5 


Qui  fit  passer  Israël  au  travers, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  précipita  Pharaon  et  son  armée  dans  la  mer  rouge 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  conduisit  son  peuple  dans  le  désert, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Qui  frappa  de  grands  rois, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  fit  périr  des  rois  puissants, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Séhon,  roi  des  Amorrhéens, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  Og,  roi  de  Basan, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Qui  donna  leur  pas  en  héritage, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

En  héritage  à  Israël,  son  serviteur, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  se  souvint  de  nous  quand  nous  étions  humiliés, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  nous  délivra  de  nos  oppresseurs, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  donne  à  tout  ce  qui  vit  la  nourriture, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

Rendez  hommage  au  Dieu  des  cieux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle.  » 

(Psaume  cxxxv.) 

3.  Toute-puissance  de  Dieu.  Chant  de  Moïse  après  le 
passage  de  la  mer  Rouge. 

«  Je  chanterai  à  Jéhovah,  car  il  a  fait  éclater  sa  gloire  : 

Il  a  précipité  dans  la  mer  cheval  et  cavalier. 

Jéhovah  est  ma  force  et  l'objet  de  mes  chants  ; 

C'est  lui  qui  m'a  sauvé  ; 

C'est  lui  qui  est  mon  Dieu  :  je  le  célébrerai  ; 

Le  Dieu  de  mon  père  :  je  l'exalterai. 

Jéhovah  est  un  vaillant  guerrier  ; 

Jéhovah  est  son  nom  ! 

Il  a  jeté  dans  la  mer  les  chars  de  Pharaon  et  son  armée  ; 

LH    CATÉCHISMB.    T.    I.  33 


546  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

L'élite  de  ses  capitaines  a  été  engloutie  dans  la  mer  rouge. 

Les  flots  les  couvrent. 

Ils  sont  descendus  au  fond  des   eaux  comme  une  pierre, 

Ta  droite,  ô  Jéhovah,  s'est  signalée  par   sa  force  : 

Ta  droite,  ô  Jéhovah,  a  écrasé  l'ennemi. 

Dans  la  plénitude  de  ta  majesté, 

Tu  renverses  tes  adversaires  ; 

Tu  jéchaînes  ta  colère  : 

Elle  les  consume  comme  du  chaume. 

Au  souffle  de  tes  narines,  les  eaux  se  sont  amoncelées, 

Les  flots  se  sont  dressés  comme  une  muraille, 

Les  vagues  se  sont  durcies  au  sein  de  la  mer. 

L'ennemi  disait  :  «  Je  les  poursuivrai,  je  les  atteindrai, 
Je  partagerai  les  dépouilles, 

Ma  vengeance  sera  assouvie  ; 

Je  tirerai  l'épée,  ma  main  les  exterminera.  » 

Tu  as  soufflé  de  ton  haleine  : 

La  mer  les  a  couverts, 

Ils  se  sont  enfoncés  comme  du  plomb 

Dans  les  vastes  eaux. 

Qui  est  comme  toi  parmi  les  dieux,  ô  Jéhovah  ? 

Qui  est  comme  toi  auguste  en  sainteté  ? 

Redoutable  à  la  louange  même, 

Opérant  des  prodiges  ? 

Tu  as  étendu  ta  droite, 

La  mer  les  a  engloutis... 

Les  peuples  l'ont  appris,  ils  tremblent  ; 

La  terreur  s'empare  des  Philistins  ; 

Déjà  les  princes  d'Edom  sont  dans  l'épouvante  ; 

L'angoisse  s'empare  des  forts  de  Moab  ; 

Tous  les  habitants  de  Chanaan  ont  perdu  courage  ; 

La  terreur  et  la  détresse  tomberont  sur  eux. 

Par  la  force  de  ton  bras 

Ils  deviendront  immobiles  comme  une  pierre, 

Jusqu'à  ce  que  ton  peuple  ait  passé,  ô  Jéhovah... 

Jéhovah  régnera  à  jamais  et  toujours.  » 

(Exode,  xv,  1-18.) 


Article  Premier 

Je  crois  en  Dieu  le  Père... 
en  Jésus-Christ...  au  Saint-Esprit. 


Leçon  XVIe 
De  la  Sainte  Trinité 


I.  Les  formules,  —  IL  La  preuve  scripturaire  r 
i*  Dans  l'Ancien  Testament  —  a°.  Dans  le  Nou- 
veau. 

I.  Les  Formules 

Le  mystère  de  la  Sainte  Trinité  se  trouve  formulé 
succintement  dans  ces  paroles  de  Notre  Seigneur 
à  ses  apôtres,  avant  l'ascension  :  «  Allez,  enseignez 
toutes  les  nations,  baptisez-les  au  nom  du  Père  et  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit  (i).  » 

i .  Il  y  a  loin  de  cette  formule  si  concise  à  celle  du  sym- 
bole de  saint  Athanase,  si  explicite  et  si  détaillée,  comme 
nous  l'avons  vu  :  «  La  foi  catholique  c'est  d'adorer  un 
seul  Dieu  dans  la  Trinité  et  la  Trinité  dans  l'unité,  sans 
confondre  les  personnes,  sans  séparer  les  substances.  Car 
autre  est  la  personne  du  Père,  autre  celle  du  Fils,  autr© 
celle  de  l'Esprit-Saint.  Mais  pour  le  Père,  le  Fils  et  l'Es- 
prit-Saint,  une  est  la  divinité,  égale  la  gloire,  coéternelle 

i.  Matth.,  xxviii,  19. 


548  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


la  majesté.  Tel  le  Père,  tel  le  Fils,  tel  l'Esprit-Saint. 
Incréé  est  le  Père,  incréé  est  le  Fils,  incréé  est  l'Esprit- 
Saint.  Immense  est  le  Père,  immense  le  Fils,  immense 
l'Esprit-Saint.  Eternel  est  le  Père,  éternel  est  le  Fils, 
éternel  l'Esprit-Saint  ;  et  pourtant  ce  ne  sont  point  trois 
éternels,  mais  un  seul  éternel  ;  ni  trois  incréés,  ni  trois 
immenses,  mais  un  seul  incréé  et  un  seul  immense.  De 
même  tout-puissant  est  le  Père,  tout-puissant  est  le  Fils, 
tout-puissant  est  l'Esprit-Saint  ;  et  pourtant  ce  ne  sont 
pas  trois  tout-puissants,  mais  un  seul  tout-puissant.  Ainsi 
Dieu  est  le  Père,  Dieu  le  Fils,  Dieu  l'Esprit-Saint  ;  et 
pourtant  ce  ne  sont  pas  trois  dieux,  mais  un  seul  Dieu... 
De  même  que  la  vérité  chrétienne  nous  oblige  de  confesser 
que  chaque  personne,  séparément,  est  Dieu  et  Seigneur, 
de  même  la  religion  catholique  nous  défend  de  dire  trois 
Dieux  ou  trois  Seigneurs.  Le  Père  n'a  été  ni  fait,  ni 
créé,  ni  engendré.  Le  Fils  est  du  Père  seul,  ni  fait,  ni 
créé,  mais  engendré.  L'Esprit-saint  est  du  Père  et  du  Fils, 
ni  fait,  ni  créé,  ni  engendré,  mais  procédant  de  l'un  et  de 
l'autre.  Il  n'y  a  donc  qu'un  Père,  et  non  trois  Pères  ; 
qu'un  Fils,  et  non  trois  Fils,  qu'un  Esprit-Saint,  et  non 
trois  Esprits-Saints.  Et,  dans  cette  Trinité,  rien  n'est  plus 
ancien  ou  plus  jeune,  rien  n'est  plus  grand  ou  plus  petit, 
mais  les  trois  personnes  sont  coéternelles  et  coégales 
entre  elles.  » 

2.  Tous  les  éléments  essentiels  du  dogme  de  la  Trinité 
se  trouvent  réunis  dans  le  symbole  de  foi  du  xie  Concile 
de  Tolède,  tenu  en  675  :  «  Nous  confessons  et  croyons  que 
la  sainte  et  ineffable  Trinité,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit  est 
essentiellement  un  seul  Dieu  d'une  seule  substance,  d'une 
seule  nature,  d'une  seule  majesté  et  puissance.  Noua 
professons  que  le  Père  n'est  ni  engendré,  ni  créé,  mais 
inengendré,  ne  tenant  de  personne  son  origine...,  que  le 
Fils  est  né  de  la  substance  du  Père  sans  commencement 
avant  tous  les  siècles...,  de  la  même  substance  que  la 
Père,  et  c'est  pourquoi  on  le  dit  consubstantiel  au 
Père...  Nous  croyons  également  que  l'Esprit-Saint,  la 
troisième  personne  de  la  Trinité,  est  un  seul  et  même 
Dieu  avec   Dieu    le   Père   et  le    Fils,    d'une   seule  et 


LA    SAINTE    TRINITÉ  5^9 

même  substance,  d'une  seule  et  même  nature  ;  ni  engen- 
dré, ni  créé,  mais  procédant  de  l'un  et  de  l'autre... 
Les  noms  des  personnes  marquent  leurs  relations  récir 
proques,  celui  de  Père  par  rapport  au  Fils,  celui  de  Fils 
par  rapport  au  Père,  celui  de  Saint-Esprit  par  rapport  à 
l'un  et  à  l'autre...  Nous  ne  professons  pas  trois  substan- 
ces comme  nous  professons  trois  personnes,  mais  une 
seule  substance  et  trois  personnes...  A  chacune  des  trois 
appartient  une  seule  et  indivise  et  égale  divinité...  Nous 
distinguons  les  personnes,  nous  ne  scindons  pas  la  divi- 
nité. Nous  reconnaissons  la  Trinité  dans  la  distinction 
des  personnes,  mais  nous  professons  l'unité  à  cause  de  la 
nature  ou  delà  substance...  Bien  qu'ils  soient  trois  en  un 
et  un  en  trois,  chaque  personne  cependant  possède  ses 
propriétés  personnelles  (i).  » 

3.  Au  commencement  du  xin6  siècle,  le  rve  Concile  de 
Latran  de  12 15  condamne  les  erreurs  de  Joachim  de 
Flore,  de  la  manière  suivante  :  «  Le  saint  Concile  approu- 
vant, nous  croyons  et  confessons  avec  Pierre  Lombard 
qu'il  existe  une  chose  unique  et  suprême,  incompréhensi- 
ble et  ineffable,  qui  est  véritablement  Père,  Fils  et  Saint- 
Esprit,  trois  personnes  ensemble  et  chacune  d'elles  à 
part.  Et  ainsi  en  Dieu  la  Trinité  seulement  existe,  non  la 
quaternité,  parce  que  chacune  de  ces  trois  personnes  est 
cette  chose,  c'est-à-dire  la  substance,  l'essence  ou  la 
nature  divine,  qui  seule  est  le  principe  de  toutes  choses 
en  dehors  duquel  on  ne  peut  en  découvrir  quelque  autre. 
Et  cette  chose  n'est  ni  génératrice,  ni  engendrée,  ni  pro- 
cédante, mais  elle  est  le  Père  qui  engendre,  et  le  Fils  qui 
est  engendré,  et  le  Saint-Esprit  qui  procède,  pour  que  les 
distinctions  soient  dans  les  personnes  et  l'unité  dans  la 
nature.  Donc,  bien  que  le  Père  soit  un  autre,  le  Fils  un 
autre,  le  Saint-Esprit  un  autre,  ils  ne  sont  pourtant  pas 
autre  chose,  mais  cette  chose,  qui  est  le  Père,  est  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit,  la  même  chose  tout-à-fait  ;  de  sorte 
que,  conformément  à  la  foi  orthodoxe  et  catholique,  nous 
croyons   qu'il   sont  consubstantiels.  En  effet,  le  Père,  en 

1.  Denzinger,  n,  232-234. 


550  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«ngendrant  éternellement  le  Fils,  lui  a  donné  sa  subs- 
tance, comme  il  (le  Fils)  en  témoigne  :  «  Ce  que  le  Père 
m'a  donné  est  plus  grand  que  toutes  choses.  »  Et  on  ne 
peut  pas  dire  qu'il  lui  ait  donné  une  partie  de  sa  subs- 
tance et  qu'il  en  ait  retenu  une  partie  pour  lui-même, 
puisque,  étant  absolument  simple,  la  substance  du  Père 
«st  indivisible.  Mais  l'on  ne  peut  pas  dire  davantage  que 
'le  Père,  en  engendrant,  ait  transféré  sa  substance  au  Fils, 
comme  s'il  l'avait  donnée  au  Fils  de  manière  à  ne  pas  la 
retenir  pour  lui-même  :  autrement  il  aurait  cessé  d'être 
uane  substance.  11  est  donc  clair  qu'en  naissant  le  Fils  a 
reçu  la  substance  du  Père  sans  aucune  diminution,  et 
ainsi  le  Père  et  le  Fils  ont  même  substance.  Par  consé- 
quent une  même  chose  est  à  la  fois  le  Père  et  le  Fils,  et 
aussi  le  Saint-Esprit,  qui  procède  de  l'un  et  de  l'au- 
tre (i).  » 

4.  Le  Catéchisme  romain  commence  par  légitimer  le 
nom  de  Père  qu'on  donne  à  Dieu  dans  le  Symbole.  «  Quel- 
ques-uns, dit-il,  même  de  ceux  dont  la  foi  n'éclairait  pas 
les  ténèbres,  ont  compris  que  Dieu  est  une  substance 
-éternelle,  qu'il  est  le  principe  de  toutes  choses,  qu'il  gou- 
verne et  conserve,  par  sa  providence,  l'ordre  et  l'état  de 
tout  ce  qui  est  ;  et  de  là,  voyant  que  les  hommes  don- 
nent le  nom  de  père  à  celui  qui  est  le  chef  d'une  famille, 
qui  la  gouverne  par  son  autorité  et  ses  conseils,  ils  ont 
attribué  aussi,  par  comparaison,  le  même  nom  à  Dieu, 
qu'ils  reconnaissent  pour  créateur  et  gouverneur  de  toutes 
choses.  C'est  du  même  nom  que  se  servent  les  Ecritures 
lorsqu'elles  rappellent  que  Dieu  est  le  créateur  de  toutes 
choses,  que  son  pouvoir  et  sa  providence  admirable  s'é- 
tendent sur  tout. 

«  îf  est-il  pas  ton  père,  ton  créateur  ? 
Celui  qui  Va  jait  et  qui  Va  établi  (a)  ? 

«  N'avons-nous  pas  tous  un  même  père?  Un  même 
,&ieu  ne  nous  a-i-ilpas  tous  créés  (3)  ?  »  Mais  il  est  appelé 


i.  Denzinger,  n.  358.  —  a.  Deut.,  xxxii,  6.  —  3.  Malach., 
II,  io. 


LA.    SAINTE    TRINITÉ  55 1 


bien  plus  souvent  et  d'une  manière  toute  particulière  le 
père  des  chrétiens,  surtout  dans  le  Nouveau  Testament. 
C'est  des  chrétiens  que  l'apôtre  dit  :  a  Vous  n'avez  pas 
reçu  un  esprit  de  servitude  pour  être  encore  dans  la 
crainte,  mais  un  Esprit  d'adoption,  en  qui  nous  crions  : 
Abba  !  Père  (i).  »  Là  «  le  Père  nous  a  témoigné  tant 
d'amour,  dit  saint  Jean,  que  nous  sommes  appelés  et  que 
nous  sommes  réellement  les  enfants  de  Dieu  (2)  ;  »  «  or 
si  nous  sommes  enfants,  nous  sommes  aussi  héritiers, 
héritiers  de  Dieu  et  cohéritiers  du  Christ  (3),  »  «  qui  est 
le  premier-né  d'un  grand  nombre  de  frères  (4),  »  «  et  qui 
ne  rougit  pas  de  nous  appeler  ses  frères  (5).  »  Ainsi,  soit 
que  l'on  regarde  Dieu  du  côté  de  la  création  et  de  sa  pro- 
vidence universelle,  soit  qu'on  considère  spécialement 
l'adoption  spirituelle  qu'il  a  faite  des  chrétiens,  c'est 
avec  raison  que  les  fidèles  le  reconnaissent  pour  leur 
père. 

«  Mais,  outre  ces  significations,  le  pasteur  avertira  les 
fidèles  qu'en  entendant  le  nom  de  Père,  ils  doivent  élever 
leur  esprit  à  des  mystères  plus  sublimes  encore.  Tout  ce 
qu'il  y  a,  en  effet,  et  de  plus  caché  et  de  plus  impénétra- 
ble dans  a  cette  lumière  inaccessible  que  Dieu  habite  (6),  » 
ce  que  la  raison  humaine  ne  pouvait  ni  atteindre  ni  soup- 
çonner, se  trouve  exprimé  par  ce  nom  de  Père,  comme 
nous  l'apprennent  les  oracles  sacrés.  Il  nous  avertit  donc 
qu'il  y  a  dans  l'essence  divine,  non  une  seule  personne 
mais  plusieurs  réellement  distinctes.  Nous  croyons,  en 
effet,  qu'il  y  en  a  trois  dans  la  même  nature  :  celle  du 
Père,  qui  n'est  engendrée  d'aucune  autre  ;  celle  du  Fils, 
qui  est  engendrée  du  Père  avant  tous  les  siècles  ;  celle  du 
Saint-Esprit,  qui  procède  du  Père  et  du  Fils,  de  toute 
éternité.  Le  Père  est,  dans  l'unité  de  la  nature  divine,  la 
première  personne,  faisant  avec  son  Fils  unique  et  le 
Saint-Esprit  un  seul  Dieu,  un  seul  Seigneur  :  non  point 
une  seule  personne,  mais  une  seule  nature  en  trois  per- 
sonnes. Et  on  ne  doit  pas  s'imaginer  qu'il  y  ait  entre 
elles  aucune   différence,    ni  aucune  inégalité.  Toute  la 

1.  Rom.,  vin,  i5.  —  2.  1  Joan.t  m,  1.  —  3.  Rom.,  vin,  17.  — 
4.  Rom.,  vin,  39.  —  5.  Heb.,  11,  11.  —  6.  1  Tim.,  vi,  16. 


552  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

distinction  que  l'on  conçoit  en  elles,  vient  de  leurs  pro- 
priétés respectives.  Le  Père  n'est  point  engendré  ;  le  Fils 
est  engendré  du  Père  ;  le  Saint-Esprit  procède  de  l'un  et 
de  l'autre.  Et  ainsi,  pour  ces  trois  personnes,  nous  con- 
fessons la  même  essence,  la  même  substance,  et,  dans  la 
confession  de  cette  vraie  et  éternelle  divinité,  nous  ado- 
rons avec  piété  et  respect  la  distinction  dans  les  person- 
nes, l'unité  dans  l'essence,  et  l'égalité  dans  la  Trinité. 

u  Ainsi  lorsque  nous  disons  que  le  Père  est  la  première 
personne,  il  ne  faut  pas  croire  que  nous  reconnaissions 
dans  la  Trinité  quelque  chose  de  premier  et  de  dernier, 
de  plus  grand  et  de  plus  petit.  A  Dieu  ne  plaise  qu'une 
telle  impiété  entre  dans  l'esprit  des  fidèles.  La  religion 
chrétienne  enseigne  que  la  même  éternité,  la  même 
gloire  et  la  même  majesté  conviennent  aux  trois  person- 
nes. Mais  parce  qu'il  est  le  principe  sans  principe,  nous 
affirmons  avec  vérité  et  sans  hésiter  que  le  Père  est  la 
première  personne  ;  et  parce  qu'il  est  distingué  des 
autres  personnes  par  la  propriété  de  Père,  c'est  par  là  que 
de  toute  éternité  il  a  dû  engendrer  son  Fils.  Et  de  là  vient 
que  dans  cet  article  nous  joignons  ensemble  le  nom  de 
Dieu  et  de  Père  pour  nous  faire  souvenir  que  la  première 
personne  a  toujours  été  Dieu  et  Père. 

«  Mais  comme  il  n'y  a  rien  de  plus  périlleux  que  de 
chercher  à  pénétrer  des  choses  si  sublimes  et  si  difficiles, 
ni  rien  de  plus  grave  que  de  se  tromper  en  voulant  les 
expliquer,  les  pasteurs  feront  entendre  aux  fidèles  qu'ils 
doivent  retenir  soigneusement  les  mots  d'essence  et  de 
personne,  consacrés  à  l'expression  propre  de  ce  mystère, 
et  se  souvenir  que  l'unité  est  dans  l'essence  et  la  distinc- 
tion dans  les  personnes.  Qu'ils  se  gardent  de  faire  là-des- 
sus des  recherches  subtiles  et  curieuses,  conformément  à 
cette  sentence  :  «  Celui  qui  veut  sonder  la  majesté 
(divine)  sera  accablé  par  sa  gloire  (i).  »  C'est  assez  pour 
nous  de  connaître  certainement  par  la  foi  que  Dieu  lui- 
même  nous  a  enseigné  cette  vérité  ;  car  ne  pas  croire  à 
ses  oracles  serait  le  comble  de  la  folie  et  du  malheur. 

i.  Prov.,  xxv,  27. 


LA    SAINTE    TRINITÉ  553 


a  Allez,  dit  Jésus-Christ  à  ses  apôtres,  enseignez  toutes 
tes  nations,  les  baptisant  au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et 
»Ui  Saint-Esprit.  »  Et  nous  lisons  dans  saint  Jean  :  «  Il  y 
en  a  trois  qui  rendent  témoignage  dans  le  ciel,  le  Père,  le 
Verbe  et  l'Esprit,  et  les  trois  ne  font  qu'une  chose  (i).  » 
-  Que  celui  donc  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  croit  ces 
vérités,  adresse  sans  cesse  ses  prières  au  Père  qui  a  créé 
toutes  choses  de  rien,  qui  les  a  ordonnées  par  sa  bonté, 
qui  «  nous  a  donné  le  pouvoir  de  devenir  ses  enfants  (2),  » 
qui  a  révélé  à  l'esprit  humain  le  mystère  de  la  sainte 
Trinité,  afin  qu'il  le  rende  digne  d'entrer  dans  les  taber- 
nacles éternels  et  d'y  contempler  cette  infinie  fécondité 
de  Dieu  le  Père  qui,  en  se  contemplant  et  en  se  connais- 
sant lui-même,  engendre  un  Fils  qui  lui  est  égal  et  sem- 

1.  I  Joan.,  v,  7.  Ce  verset  dit  des  trois  témoins  célestes  cadre 
avec  l'enseignement  de  saint  Jean.  Est-il  vraiment  de  l'apôtre  ? 
C'est  ce  que  la  critique  révoque  en  doute,  parce  qu'il  ne  se 
trouve  pas  dans  les  anciens  manuscrits.  En  fait,  pendant  toute 
la  controverse  trinitaire,    au   111e  et  iv°  siècles,  il  n'est  jamais 
cité  ;  c'eût  été  pourtant  le  cas.  Tout  au  plus  croit-on  trouver 
quelques  allusions   dans  Tertullien  et  saint  Cyprien.  Ni  saint 
Hilaire,  ni  saint  Athanase,  ni  les  Pères  cappadociens,  ni  même 
saint  Augustin   n'en   font  mention  ;  mais  il  paraît  à  partir  de 
la  seconde  moitié  du  ve  siècle,  et  depuis  il  a  été  souvent  utilisé. 
La  Vulgate  latine  le  renferme.  La  question  s'est  donc  posée  de 
savoir   s'il   faut   le   regarder   comme  authentiqne  ou  comme 
interpolé.    Sa  présence  dans  la  Bible  officielle  lui  confère  au 
moins  l'autorité  d'un  témoignage  traditionnel  de  vérité  doc- 
trinale, sans  qu'on  en  puisse  conclure  que  ce  soit  vraiment  un 
témoignage  biblique.   Le   Saint-Office,  il  est  vrai,  a  répondu 
négativement,   le    i3   janvier   1897,  à  cette  question  :  Utrum 
tuto  negari  aut  saltem  in  dubium  revocari  possit,  esse  authen- 
ticum   textum  sancti  Joannis  epistola?  prima?,  v,  7,   et  a  dit 
de  l'opinion  contraire  :  tuto  doceri  non  potest.  Interrogée  par 
le  cardinal  Vaughan,  la  Congrégation  a  répondu  qu'elle  n'avait 
pas  prétendu  trancher  la  question  de  critique   ni  d'authenti- 
cité proprement  dite,  mais  que  l'authenticité  doit  s'entendre 
relativement  à  la  Vulgate,   en  ce   sens  que  le  texte  doit  être 
respecté   comme  partie  de  la  Bible  ecclésiastique  et  comme 
document  traditionnel.   Voir  sur  ce  verset  l'étude  de  Le  Hir, 
Etudes  bibliques,  Paris,  1869, 1. 1.  —  a.  Joan.,  1,  12. 


554  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

blable,  ce  lien  éternel  et  indissoluble  par  lequel  le  Saint- 
Esprit,  amour  parfaitement  égal  du  Père  et  du  Fils,  pro- 
cédant de  l'un  et  de  l'autre,  unit  ensemble  à  jamais  celui 
qui  engendre  et  celui  qui  est  engendré  ;  enfin  l'unité 
d'essence  dans  la  sainte  Trinité  et  la  parfaite  distinction 
des  trois  personnes  (i).  » 

IL  La  preuve  scripturaire 

1°  Dans  l'Ancien  Testament.  —  Le  mys- 
tère de  la  sainte  Trinité  ne  se  trouve  pas  formel- 
lement exprimé  dans  l'Ancien  Testament  ;  il  n'y 
est  qu'insinué  ;  et  ce  n'est  que  grâce  à  la  révé- 
lation évangélique  qu'on  peut  en  relever  les  traces. 
Nulle  difficulté  en  ce  qui  regarde  la  divinité  et  la 
personnalité  de  Dieu  le  Père  :  ces  vérités  s'y  trou- 
vent nettement  enseignées.  On  n'en  saurait  dire  au- 
tant en  ce  qui  concerne  la  personne  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit. 

i.  Toutefois,  dans  la  Genèse  et  dans  l'histoire  des 
patriarches,  paraît  souvent  un  personnage  qui 
s'appelle  l'Ange  ou  l'Envoyé  de  Jéhovah,  qui  est 
traité  comme  Jéhovah  lui-même,  qui  parle  comme 
s'il  était  Jéhovah,  se  révèle  à  Moïse  comme  Jéhovah 
El  Schaddaï,  sauve  les  Israélites,  apparaît  à  Gédéon, 
annonce  aux  parents  de  Samson  la  naissance  du 
futur  libérateur  des  Hébreux,  qui  doit  se  montrer 
dans  le  temple  de  Jérusalem. 

N'est-ce  pas  là  une  hyposthase,  une  personne 
divine,  ayant  pour  rôle  de  manifester  et  de  révéler 
la  providence  de  Dieu,  rôle  qui  deviendra  plus 
visible  dès  qu'il  paraîtra  au  milieu  d'Israël?  Ce  per- 
sonnage mystérieux  est  dépeint  à  plusieurs  reprises 
sous  les  traits  de  la  Sagesse.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  nous  lisons  dans  les  Proverbes  (2)  : 

1.  Cat.  rom.,  I,  art.  1,  x-xiv.  —  2.  Prov.,  vin,  aa-3i. 


LA    TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE  555 

«  Jéhovah  m'a  possédée  au  commencement  de  ses  voies, 

Avant  ses  œuvres  les  plus  anciennes. 

J'ai  été  fondée  dès  l 'éternité, 

Dès  le  commencement,  avant  l'origine  de  la  terre. 

Il  n'y  avait  point  d'abîmes  quand  je  fus  formée, 

Point  de  sources  chargées  d'eaux. 

Avant  que  les  montagnes  fussent  affermies, 

Avant  les  collines,  fêtais  enfantée, 

Lorsqu'il  n'avait  encore  fait  ni  la  terre,  ni  les  plaines, 

Ni  les  premiers  éléments  de  la  poussière  du  globe. 

Lorsqu'il  disposa  les  deux,  j'étais  là  ; 

Lorsqu'il  traça  un  cercle  à  la  surface  de  l'abîme, 

Lorsqu'il  affermit  les  nuages  en  haut, 

El  qu'il  dompta  les  sources  de  l'abîme, 

Lorsqu'il  fixa  une  limite  à  la  mer, 

Pour  que  les  eaux  n'en  franchissent  pas  les  bords, 

Lorsqu'il  posa  les  fondements  de  la  terre, 

J'étais  à  l'œuvre  auprès  de  lui, 

Me  réjouissant  chaque  jour, 

Et  jouant  sans  cesse  en  sa  présence, 

Jouant  sur  le  globe  de  la  terre, 

Et  trouvant  mes  délices  parmi  les  enfants  des  hommes,  » 

L'Ecclésiastique  (i)  reprend  à  son  tour  le  portrait 
de  la  Sagesse  : 

«  Je  suis  sortie  de  la  bouche  du  Très-Haut, 

Et  comme  une  nuée  je  couvris  la  terre. 

J'habitai  sur  les  hauteurs  les  plus  élevées, 

Et  m&n  trône  était  sur  une  colonne  de  nuée. 

Seule  j'ai  parcouru  le  cercle  du  ciel, 

Et  je  me  suis  promenée  dans  les  prof  ondeurs  de  l'abîme. 

Dans  les  flots  de  la  mer  et  sur  toute  la  terre, 

Dans  tout  le  peuple  et  toute  nation  j'ai  exercé  l'empire. 

Parmi  tous  les  peuples  j'ai  cherché  un  lieu  de  repos, 

Et  dans  quel  domaine  je  devais  habiter.  » 

«  J'ai  poussé  mes  racines  au  milieu  du  peuple  glorifié, 

Dans  la  portion  du  Seigneur,  dans  son  héritage. 

i,  Eccl..  xxiv,  3-7,  ia-i4,  18-21,  26-27. 


556  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


Je  me  suis  élevée  comme  le  cèdre  dans  le  Liban, 

Et  comme  le  cyprès  sur  la  montagne  d'Hermon. 

Je  me  suis  élevée  comme  le  palmier  des  rivages, 

Et  comme  les  roses  de  Jéricho  ; 

Comme  un  bel  olivier  dans  la  plaine, 

Et  j'ai  grandi  comme  un  platane.  » 

«   Venez  à  moi,  vous  tous  qui  me  désirez, 

Et  rassasiez-vous  de  mes  fruits. 

Car  mon  souvenir  est  plus  doux  que  le  miel, 

Et  ma  possession  plus  douce  que  le  rayon  de  miel. 

Ceux  qui  me  mangent  auront  encore  faim, 

Et  ceux  qui  me  boivent  auront  encore  soif. 

Celui  qui  m'écoute  n'aura  jamais  de  confusion, 

Et  ceux  qui  agissent  par  moi  ne  pécheront  pas.  » 

«  Le  premier  (qui  l'a  étudiée)  n'a  pas  achevé  de  la  connaître, 

Et  le  dernier  ne  l'a  pas  pénétrée. 

Car  ses  pensées  sont  plus  vastes  que  la  mer, 

Et  ses  conseils  plus  profonds  que  le  grand  abîme.  » 

Le  livre  de  la  Sagesse  (i)  ajoute   encore  de  nou- 
veaux traits  : 

((  En  elle  il  y  a  un  esprit  intelligent,  saint, 

Unique,  multiple,  immatériel, 

Actif,  pénétrant,  sans  souillure, 

Infaillible,  impassible,  aimant  le  bien,  sagace, 

Ne  connaissant  pas  d'obstacle,  bienfaisant, 

Bon  pour  les  hommes,  immuable,  assuré, 

Tout-puissant,  surveillant  tout, 

Pénétrant  tous  les  esprits, 

Les  intelligents,  les  purs  et  les  subtils, 

Car  la  Sagesse  est  plus  agile  que  tout  mouvement  ; 

Elle  pénètre  tout  à  cause  de  sa  pureté. 

Elle  est  le  souffle  de  la  puissance  de  Dieu, 

Une  pure  émanation  de  la  gloire  du  Dieu  tout-puissant  ; 

Aussi  rien  de  souillé  ne  peut  tomber  sur  elle. 

Elle  est  le  resplendissement  de  la  lumière  éternelle, 

Le  miroir  sans  tache  de  l'activité  de  Dieu 

i.  Sap.t  vu,  aa-a8. 


LA   TRINITÉ    !    PREUVE    SCRIPTURAIRE  55y 

Et  l'image  de  sa  honte. 
Etant  l'unique,  elle  peut  tout  ; 
Restant  la  mêm.e,  elle  renouvelle  toutes  choses, 
Et  à  travers  les  âges  elle  se  répand  dans  toutes  âmes  saintes; 
Elle  en  fait  des  amis  de  Dieu  et  des  prophètes. 
Dieu,  en  effet,  n'aime  que  celui  qui  habite  avec  la  Sagesse.» 
«  C'est  elle  qui  initie  à  la  science  de  Dieu  (i).  » 
«  L'immortalité  est  le   fruit  de   l'union  intime  avec  la 

[Sagesse  (2).  » 
«  Avec  vous  (Seigneur)  est  la  Sagesse  qui  connaît  vos  œuvres, 
Qui  était  là  quand  vous  faisiez  l'univers, 
Et  qui  sait  ce  qui  est  agréable  à  vos  yeux 
Et  ce  qui  est  juste  selon  vos  commandements  (3).  » 
«  Qui  a  connu  votre  volonté  si  vous  ne  lui  avez  pas  donné  la 

[Sagesse 
Et  si  vous  n'avez  pas  envoyé  du  ciel  votre  Saint-Esprit  (4)  ?  » 

«  La  source  de  la  Sagesse,  dit  encore  l'Ecclésiasti- 
que (5),  c'est  la  Parole  de  Dieu  au  plus  haut  des 
deux  »  ;  et  le  livre  de  la  Sagesse  (6)  représente 
«  cette  Parole  toute-puissante  s1  élançant  du  haut  da 
ciel.  »  La  Parole  !   Le  Logos  I 

Malgré  tant  de  traits  et  de  titres,  cette  Sagesse 
restait  assez  énigmatique  aux  yeux  des  Juifs  mono- 
théistes. Son  portrait  ne  pouvait  pourtant  point 
passer  inaperçu  auprès  des  rabbins  qui  méditaient 
sur  l'Ecriture.  Mais  comment  concilier  avec  l'unité 
de  Dieu  l'idée  d'un  personnage  distinct,  d'une 
hypostase  divine  autre  que  Jéhovah  ?  On  s'arrêta  à 
l'idée  de  sagesse  et  puis,  probablement  sous  l'in- 
fluence alexandrine,  on  aboutit  au  concept  de  la 
Memra  ou  Parole  (7). 

1.  Sap.,  vin,  l\.  —  2.  Ibid,,  vin,  17.  —  3.  Ibid.,  ix,  9.  — 
A.  Ibid.,  ix,  17.  —  5.  Eccl.,  1,  5.  —  6.  Sap.,  xvm,  i5.  — ■ 
7.  Cf.  Hackspill,  Etude  sur  le  milieu  religieux  et  intellectuel 
contemporain  du  Nouveau  Testament,  dans  la  Revue  biblique , 
janvier  1902. 


558  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

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Dans  l'école  judéo-hellénique  d'Alexandrie,  plus 
libre  d'allures  et  plus  audacieuse  dans  ses  spécula- 
tions, Philon  se  garda  bien  de  négliger  ces  données 
scripturaires  que  lui  fournissaient  les  livres  sapien- 
tiaux  ;  mais  il  y  mêla  des  éléments  hétérogènes 
empruntés  à  la  philosophie  grecque,  notamment  à 
Heraclite,  à  Platon  et  au  stoïcisme,  et  aboutit  ainsi 
à  un  concept  du  Logos  assez  déconcertant.  Au 
regard  de  Platon,  le  Logos  est  le  monde  intelligible, 
le  monde  est  le  fils  de  Dieu,  et  le  Verbe  le  premier- 
né  de  Dieu.  Pour  Heraclite,  le  Logos  n'est  autre 
chose  que  la  force  intelligente  et  créatrice  du  monde. 
Pour  les  stoïciens,  le  Logos  est  l'âme  du  monde.  Et 
pour  l'éclectique  Philon,  heureux  de  trouver  dans 
la  Sagesse  et  l' Ecclésiastique  ce  terme  grec  de  Logos 
à  signification  si  imprécise,  il  fait  sans  doute  du 
Logos  l'image  de  Dieu,  le  monde  intelligible,  mais 
il  en  fait  aussi  le  premier-né  de  Dieu,  l'architecte  du 
monde,  le  démiurge,  un  Dieu  secondaire,  un  vice- 
roi  de  l'univers  chargé  du  gouvernement  des  hom- 
mes et  des  créatures.  Ceux  qui  sont  incapables, 
dit-il,  de  s'élever  à  l'unité  se  représentent  comme 
un  groupe  Dieu  et  ses  deux  premières  puissances, 
celle  par  laquelle  il  crée  et  organise  l'univers,  à 
laquelle  on  donne  le  nom  de  Dieu,  et  celle  par 
laquelle  il  le  gouverne  et  qu'on  appelle  Seigneur  : 
ce  sont  là  les  trois  hommes  qui  apparurent  à 
Abraham  (i).  Grâce  à  cet  éclectisme,  Philon  ouvrait 
la  voie  au  gnosticisme  et  à  l'arianisme  (2). 

L'apôtre  saint  Jean  dut  rétablir  et  fixer  la  vraie 
théorie  du  Logos,  en  la  dépouillant  tout  d'abord  de 
ses  éléments  hétérogènes,  en  la  mettant  ensuite  en 
pleine  lumière,  dans  le  sens  de  la  véritable  tradition 

1.  De  Abraham.,  p.  287. —  a.  Cf.  Souben,  Les  personnet 
divines,  Paris,  1903,  p.  i3  sq. 


LA   TRINITE    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE  55  Q 

juive,  et  grâce  aux  données  de  l'Evangile.  Il  fallait 
donc  renoncer  à  voir  dans  le  Logos  une  puissance 
intermédiaire,  une  force  nécessaire  ou  l'âme  du 
monde  ;  il  fallait  y  voir  le  Verbe  de  Dieu,  existant 
éternellement  en  Dieu,  et  Dieu  lui-même,  créateur, 
descendu  sur  terre  par  son  incarnation. 

D'autre  part,  les  données  partielles  et  insuffisantes 
sur  la  Sagesse  sont  développées,  précisées  et  fixées 
par  le  Nouveau  Testament,  au  point  que  l'identifi- 
cation du  Verbe,  du  Fils  de  Dieu  avec  la  Sagesse  ne 
saurait  plus  faire  doute.  Car  si  la  Sagesse  est  le 
rayonnement  de  la  gloire  de  Dieu,  si  elle  est  le 
miroir  sans  tâche  de  l'énergie  divine  et  une  image 
de  sa  bonté,  le  Fils  de  Dieu  est  «  le  rayonnement 
de  sa  gloire,  l'empreinte  de  sa  substance  (i)  »  ;  ce 
mot  rayonnement  exprime  l'identité  de  nature  entre 
le  Père  et  le  Fils  ;  et  le  mot  empreinte  marque  que 
le  Fils  porte  tous  les  traits  de  la  nature  du  Père, 
qu'il  en  est  la  manifestation  ou  révélation  extérieure. 
Si  la  Sagesse  a  collaboré  à  la  création,  si  elle  peut 
tout  et  renouvelle  tout  sans  sortir  d'elle-même,  le 
Fils  n'a-t-il  pas  créé  le  monde  (2)  ?  «  Tout  a  été  fait 
par  lui,  dit  saint  Jean,  et  sans  lui  rien  na  été  fait 
de  ce  qui  existe  (3).  »  «  Il  soutient  toutes  choses  par 
la  parole  de  sa  puissance  (4).  »  Et  c'est  ainsi  que, 
grâce  à  la  révélation  évangélique,  nous  savons  à 
quel  personnage  s'appliquaient,  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, les  traits  donnés  à  la  Sagesse. 

2.  Il  est  également  question,  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, de  l'Esprit  de  Jéhovah.  La  Genèse  nous  le 
représente  planant  sur  les  eaux  (5).  Isaïe  reproche  à 
Israël  d'avoir  contristé  l'Esprit-Saint  (6).  Et  Joël 
écrit  : 


x.  Hebr.,  1,  3,  —  a.  Ibid.,  1,3.  —  3.  Joan.,  1,  3,  —  4.  Hebr., 
1,  3.  —  5.  Gen.,  1,  a.  —  6.  Is.,  lxxiii,  10. 


66o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

((  Et  il  arrivera  après  cela 

Que  je  répandrai  mon  Esprit  sur  toute  chair  ; 

Vos  fils  et' vos  filles  prophétiseront.. 

Même  sur  les  serviteurs  et  les  servantes 

Je  répandrai  mon  Esprit  en  ces  jours-là  (i).  » 

Cet  Esprit  est  ainsi  mis  en  scène  dans  la  Bible  ; 
son  rôle  est  nettement  indiqué  dans  le  passé  et 
prédit  pour  l'avenir  ;  cela  n'éveille-t-il  pas  l'idée 
d'un  personnage  à  part,  d'une  hypostase  divine  ? 
Certes,  il  n'est  nulle  part  décrit  comme  la  Sagesse, 
avec  l'abondance  de  détails  et  les  traits  caractéristi- 
ques que  nous  venons  de  voir,  de  sorte,  dit  M.  Hacks- 
pill,  que  le  développement  de  la  doctrine  de  l'Es- 
prit de  Dieu,  dans  l'Ancien  Testament,  s'arrête  à 
une  simple  personnification  sans  jamais  aboutir 
clairement  à  l'hypostase  (2). 

Mais  avec  le  Nouveau  Testament,  toute  hésitation 
cesse.  Le  Saint-Esprit  est  bien  une  personne  divine. 
Sa  personnalité  s'accuse  dans  la  théophanie  du  bap- 
tême de  Notre  Seigneur,  dans  la  déclaration  de 
Jésus  que  le  blasphème  contre  le  Saint-Esprit  ne 
sera  pas  remis  (3),  dans  la  fonction  de  consolateur 
qui  lui  est  attribuée  (4),  dans  le  parallélisme  cons- 
tant entre  l'œuvre  du  Christ  et  la  sienne,  dans  les 
paroles  qu'il  prononce  et  les  ordres  qu'il  donne  (5), 
dans  les  prières  et  les  inexprimables  gémissements 
dont  il  est  l'auteur  (6),  dans  le  témoignage  qu'il 
nous  rend  que  nous  sommes  enfants  de  Dieu  (7). 
Nulle  part,  il  est  vrai,  le  Saint-Esprit  n'est  expres- 
sément appelé  Dieu  dans  le  Nouveau  Testament, 
mais  il  l'est  en  termes  équivalents  ;  sa  divinité  res- 
sort clairement  de  plusieurs  passages.  Saint  Paul  lui 

1.  Joël.,  11,  28-29. —  2*  Loc.  cit.t  p.  68.  —  S.Matth.,  xn,  3i. 
4.  Joan.,  xv,  26.  —  5.  AcL,  vin,  29  ;  x,  19  ;  xm,  a. —  G.Rom.p 
vin,  26.  —  7.  Rom.,  vin,  16. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE  56 1 

attribue,  en  particulier,  l'œuvre  essentiellement 
divine  de  la  justification,  de  la  régénération  du 
pécheur.  Il  dit  aussi  :  «  Dieu  nous  a  révélé  par  son 
Esprit,  car  l'Esprit  scrute  toutes  choses,  même  les 
profondeurs  de  Dieu.  Qui,  parmi  les  hommes,  sait  ce 
qui  se  passe  en  lai,  sinon  l'esprit  de  r homme  qui  est  en 
lui  ?  De  même  nul  ne  connaît  ce  qui  est  de  Dieu,  sinon 
l'Esprit  de  Dieu  (i).  »  Comparer  de  la  sorte  l'Es- 
prit-Saint  par  rapport  à  Dieu  à  l'esprit  de  l'homme 
par  rapport  à  l'homme,  n'est-ce  pas  dire  qu'il  existe 
dans  l'essence  divine  comme  la  conscience  est  en 
nous,  qu'il  est  Dieu  comme  la  conscience  c'est 
nous  ? 

Il  y  a  donc  eu  dans  la  révélation  de  ce  profond 
mystère  une  gradation  progressive,  un  développe- 
ment accentué,  dont  le  terme  final  se  trouve  dans 
le  Nouveau  Testament.  Saint  Grégoire  de  Nazianze  a 
donné  quelques  raisons  de  cette  Economie,  soit 
dans  l'Ancien,  soit  même  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment :  «  Voici,  dit-il,  comment  cela  s'est  passé  : 
l'Ancien  Testament  prêchait  ostensiblement  le  Père, 
plus  obscurément  le  Fils.  Le  Nouveau  nous  a  mon- 
tré très  clairement  le  Fils,  mais  n'a  indiqué  la  divi- 
nité de  l'Esprit  que  d'une  manière  obscure.  Mais 
maintenant  l'Esprit  vit  avec  nous  et  se  déclare  à  nous 
plus  ouvertement.  C'est  qu'il  n'était  pas  prudent 
de  nous  prêcher  clairement  le  Fils,  tant  que  la  divi- 
nité du  Père  n'était  pas  reconnue,  ni  de  nous  impo- 
ser l'Esprit-Saint  comme  un  fardeau  plus  lourd,  s'il 
est  permis  de  s'exprimer  ainsi,  avant  que  la  divinité 
du  Fils  n'eût  été  admise  ;  sans  cela,  à  l'exemple 
d'hommes  trop  chargés  de  nourriture  ou  présen- 
tant aux  rayons  du  soleil  des  yeux  éblouis,  nous 
aurions  couru  un  danger  pour  les  révélations  même 

i.  I  Cor.,  ii,  ii.  À 

LE  CATÉCHISMB.  —  T.  I.  36 


5Ô2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qui  nous  étaient  faites.  C'est  par  degrés  ou,  comme 
dit  David,  par  des  ascensions,  par  une  progression 
croissante  de  clarté  en  clarté,  que  la  lumière  de  la 
Trinité  devait  briller  d'une  manière  splendide.  C'est 
pour  cela,  je  crois,  que  (le  Saint-Esprit)  se  fait  con- 
naître progressivement  aux  disciples,  selon  leur 
degré  de  capacité.  Au  début  de  l'Evangile,  il  opère 
des  prodiges  ;  après  la  passion  du  Christ,  il  leur  est 
insufflé  ;  après  l'ascension,  il  paraît  sous  forme  de 
langues  de  feu  (i).  » 

Dans  le  Nouveau  Testament.  —  «  Après  avoir , 
à  plusieurs  reprises  et  en  diverses  manières,  parlé 
autrefois  à  nos  pères  par  les  Prophètes,  Dieu,  dans 
ces  derniers  temps,  nous  a  parlé  par  le  Fils,  qu'il  a 
établi  héritier  de  toutes  choses,  et  par  lequel  il  a  aussi 
créé  le  monde  (2).  »  Le  Fils  a  donc  parlé  et  l'un  des 
mystères  qu'il  a  révélés,  c'est  le  mystère  de  la  Tri- 
nité ;  lui  seul  pouvait  en  parler  pertinemment,  car 
si  «  si  nul  ne  connaît  le  Fils  sinon  le  Père,  nul  ne  con- 
naît le  Père  sinon  le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils  aura 
voulu  le  révéler  (3).  » 

Ce  n'est  pas  de  prime  abord  que  Notre  Seigneur 
révèle  l'existence  de  ce  mystère.  Il  fallait  que  les 
apôtres  y  fussent  préparés,  et  ils  y  furent  préparés 
peu  à  peu  par  les  diverses  manifestations,  dont  ils 
furent  les  témoins  au  cours  de  la  vie  publique  de 
leur  Maître.  La  scène  du  baptême  de  Notre  Seigneur 
au  Jourdain  était  faite  pour  frapper  les  esprits  et 
soulever  un  coin  du  voile.  Telle  qu'elle  est  racontée 
par  les  Synoptiques,  que  nous  montre-t-elle  ?  Au 
moment  où  Jésus  sort  de  l'eau,  le  Saint-Esprit 
descend  sur  lui  sous  forme  d'une  colombe,  et  une 

1.  Orat.t  xxxi,  26,  Patr.  gr.,  t.  xxxvi,  col.  161-164.  — 
3.  Hebr.,  1,  1-2.  —  3.  Matth.,  xi,  27. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    I    PREUVE    SCRIPTURAIRE       56^ 

voix  du  ciel  se  fait  entendre,  qui  dit  :  «  Celui-ci  est 
mon  Fils  bien-aimé,   en  qui  je  me  suis  complu  (i).  » 
Dans  cette   théophanie,  le  Père  révèle  la  qualité  de 
celui  qui  vient  de  recevoir  le  baptême  de  Jean  ;   ce 
baptisé  n'est  autre  que  le  Fils  de  Dieu  ;  et  l'Esprit 
de  Dieu,  comme  dit  saint  Matthieu,    l'Esprit-Saint, 
comme  dit   saint  Luc,    se   communique   au  Verbe 
fait  chair  pour  le  rôle  de  Messie  et  de   Rédempteur. 
Ils  sont  donc   trois  :    le    Père,  celui   que    Notre 
Seigneur  appelle  de  ce  nom  ;  le   Fils,  celui  qui  est 
descendu   du  ciel  pour   remplir  sa   mission  ;  et  le 
Saint-Esprit,  dont  le  rôle  sera  caractérisé  tout  par- 
ticulièrement, au  moment  voulu.  Ils  sont  trois,  mais 
ne  font  qu'une  seule  et  même  chose  ;   c'est  ce  que 
Jésus  affirme  de  lui  et  de  son  Père.  Il  le  dit  aux 
Juifs    étonnés  :    «  Le    Père    et  moi    nous    sommes 
une  même  chose  (2).  »   Il  le  répète  à  ses  apôtres  : 
«  Père  saint,  gardez  dans  votre  nom  ceux  que  vous 
m'avez    donnés,    afin  qu'ils    soient    un    comme  nous 
sommes  un  (3).  »  Cette  unité  mystérieuse  n'empêche 
pas    la   distinction  ;    c'est   ce  que   Notre    Seigneur 
donne  clairement  à  entendre  dans   ses  discours  : 
«  Je  prierai  le  Père,  et  il  vous  donnera  un  autre  Con- 
solateur pour  qu'il  demeure  toujours  avec  vous  ;  c'est 
V Esprit  de  .vérité,  que  le  monde  ne  peut  pas  recevoir, 
parce  qu'il  ne  le  voit  point  et  ne  le  connaît  point  ;  mais 
vous,  vous  le  connaissez,  parce  qu'il  demeure  au  milieu 
de  vous,  et  Usera  en  vous  (4).  »  Il  insiste  de  nouveau  : 
«  Je  vous  le  dis  en  vérité  :  il  vous  est  bon  que  je  m'en 
aille ,  car,  si  je  ne  m'en  vais  pas,  le  Consolateur  ne 
viendra  pas  en  vous;  mais  si  je  m'en  vais,  je  vous 
l'enverrai...  Celui-ci  me  glorifiera,  parce  qu'il  recevra 
de  ce  qui  est  à  moi,  et  il  vous  l'annoncera.  Tout  ce  que 

1.  Matth.,  in,  i6-i7«  —  2.  Joan.,  x,  3o.  —  3.  Joan.,  xvn,  11. 
«—  4.  Joan.,  xiv,  16-17. 


564  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

le  Père  a  est  à  moi.  C'est  pourquoi  j'ai  dit  qu'il  recevra 
de  ce  qui  est  à  moi  et  vous  V annoncera  (i).  »  Enfin, 
dans  ce  discours  qui  suivit  la  dernière  Cène,  il 
ajoute  :  «  Lorsque  le  Paraclet,  que  je  vous  enverrai 
d'auprès  du  Père,  sera  venu,  l'Esprit  de  vérité  qui 
procède  du  Père,  il  vous  rendra  témoignage  de  moi  (2).» 

Unité  et  distinction,  voilà  ce  qui  constitue  l'éco- 
nomie mystérieuse  du  dogme  révélé  par  Notre 
Seigneur:  unité  d'essence,  de  nature;  distinction 
des  personnes  ;  personnes  qui  portent  chacune  un 
nom  propre,  mais  personnes  égales  entre  elles,  a  Le 
Fils  priera  le  Père,  et  le  fruit  de  sa  prière  sera  la 
mission  du  Saint-Esprit,  à  laquelle  il  collaborera. 
Le  Fils  est  égal  au  Père,  parce  que  tout  ce  que 
possède  le  Père  est  à  lui  ;  le  Père  lui  a  tout  remis 
comme  à  son  propre  Fils,  à  son  héritier  nécessaire; 
par  conséquent,  il  lui  a  communiqué  ce  qu'il 
possède  essentiellement,  la  nature  divine,  et  dans 
ce  don  souverain  il  ne  s'est  rien  réservé.  D'autre 
part,  l'Esprit  n'est  pas  inférieur  au  Fils,  puisqu'il 
procède  du  Père  ;  il  participe  au  don  que  le  Fils  a 
reçu  et  tiendra  la  place  du  Fils  près  des  apôtres  que 
le  Père  lui  avait  confiés  (3).  » 

Aussi,  au  moment  de  son  ascension,  dans  le 
dernier  ordre  qu'il  donne  à  ses  apôtres,  Notre 
Seigneur  formule-t-il  le  mystère  de  la  manière  la 
plus  brève  :  Yous  baptiserez  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit.  Au  nom!  Voilà  un  singulier 
qui  caractérise  l'unité  de  nature  qui  appartient 
également  aux  trois  personnes  ;  et  ces  trois  person- 
nes sont  désignées  nominativement,  l'une  après 
l'autre;  elles  sont  unies  par  un  lien,  et  ce  lien  est 
indiqué  pour  les  deux  premières,  le  Père  et  le  Fils, 

1.  Joan.,  xvi,  7,  i4-i5.  —  2.  Joan.,  xv,  26.  —  3  Souben» 
Les  personnes  divines,  Paris,  1903,  p.  9. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE       565 

*■  »  ■  — -^ —  - 

c'est  celui  de  la  génération  ;  le  lien  qui  rattache  le 
Saint-Esprit  au  Père  et  au  Fils  n'est  pas  aussi 
formellement  indiqué,  mais  il  n'en  existe  pas  moins 
et  peut  être  déterminé  par  renseignement  déjà 
donné  aux  apôtres  par  Notre  Seigneur. 

D'autre  part,  cette  formule  trinitaire  doit  être 
employée  dans  l'administration  du  baptême,  c'est- 
à-dire  dans  le  sacrement  de  la  régénération  chré- 
tienne ;  ce  qui  revient  à  dire  que  de  même  que  les 
trois  Personnes  divines  ont  agi  de  concert  pour  la 
création  de  l'homme,  de  même  elles  interviennent 
ensemble  pour  sa  régénération,  œuvre  essentielle- 
ment divine. 

Ainsi  instruits,  les  apôtres  ne  font  que  se  faire 
l'écho  de  l'enseignement  de  leur  Maitre  dans  l'en- 
seignement qu'ils  donnent  à  leurs  disciples,  et  dans 
cet  enseignement  ils  insistent  naturellement  sur  le 
dogme  de  la  Trinité.  Très  nombreux  sont  les 
passages  du  Nouveau  Testament  où  sont  expressé- 
ment nommées  deux  des  trois  personnes  de  la 
Trinité  ;  mais  il  en  est  quelques-uns  où  les  trois  sont 
rappelées  à  la  fois.  Bornons-nous  à  quelques  cita- 
tions. 

Le  chef  du  collège  apostolique  commence  sa 
première  épître  par  ces  mots  :  «  Pierre,  apôtre  de 
Jésus-Christ,  aux  étus,  étrangers  et  dispersés  dans  le 
Pont,  la  Galatie,  la  Cappadoce,  l'Asie  et  la  Bithynie, 
choisis  selon  la  prescience  de  Dieu  le  Père,  par  la 
sanctification  de  l'Esprit,  pour  obéir  à  la  foi  et  pour 
avoir  part  à  l 'aspersion  du  sang  de  Jésus-Christ  :  à 
vous  grâce  et  peux  de  plus  en  plus(i).  »  Dans  cette 
adresse  se  trouvent  réunies  les  trois  personnes  de  la 
Trinité  ;  l'une  y  est  nommée  Dieu  le  Père,  et  ce 
terme  de  Père  implique  nécessairement  le   terme 

i.  I  Petr.,  i,  1-2. 


566  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Ml  "^    "  M— ■  ■  .  ■■■  ■—  ■■  ■■  ■ ■— ■ — ^— ^^^^w^i^—f 

correspondant  de  Fils  ;  l'autre  est  nommé  Jésus- 
Christ  et  la  troisième  l'Esprit;  toutes  les  trois  sont 
mises  en  rapport  avec  la  justification  de  l'homme  ; 
mais  cette  manière  dénoncer  le  mystère  de  la 
Trinité  suppose  évidemment  la  connaissance  de  son 
existence  tant  de  la  part  de  saint  Pierre  que  de 
celle  des  chrétiens  à  qui  il  écrit. 

Saint    Paul,    instruit  directement  par  Notre  Sei- 
gneur lui-même,  connaît  lui  aussi  l'existence  de  la 
Trinité  ;  il   sait  que  le  Père  et  le  Fils  sont  égaux, 
car,    dit-il,   bien    que   le  Christ  Jésus  fut    dans   la 
condition  du  Père,  il  n'a  pas  retenu   avidement  son 
égalité  avec  Dieu  (i);    il  sait  aussi,  par  sa  connais- 
sance  de  l'Ecriture     que   le  titre  de  Seigneur  est 
exclusivement   donné   à  Dieu   dans   l'Ancien   Tes- 
tament ;   mais   quand  il  parle  des   trois  personnes 
divines,  il   nomme  Dieu  la  première,   Seigneur  la 
seconde,  Esprit  la  troisième,  pour  les  mieux  dis- 
tinguer. De  là,  sous  sa  plume,  des  formules  dans  le 
genre  des  suivantes,    qui  marquent  neltement  les 
trois  personnes  divines  :    a  II  y  a  des   divisions   de 
grâces,    mais    c'est   le    même    Esprit  :    diversité  de 
ministères,    mais  c'est  le  même  Seigneur  :   diversité 
d'opérations,  mais    ce-     le    même    Dieu   qui  opère 
tout  en  tous  (2).  »    «  Que  la  grâce  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ,   et  la  charité  de  Dieu,   et  la  communi- 
cation de  l'Esprit- Saint  soit  avec  vous  tous  (3).  »  La 
pensée  de  saint  Paul  est  claire   pour  qui  veut  se 
rendre  compte  du  but  qu'il  vise  en  écrivant  aux 
Corinthiens .   Les  païens  avaient  l'habitude  d'attri- 
buer   à    divers  dieux   les    différentes   qualités   des 
hommes  ;  les  chrétiens  auraient  tort  de  les  imiter. 
Et  la  différence  des  charismes  dont  ils  sont  l'objet 
11e  doit  pas  leur  faire  oublier  qu'ils  découlent  d'une 

1.  Philipp.,  11,  6.  —  2    I  Cor.,  xii,  4-6.  —  3.  II  Cor.,  xm,  i3. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE       567 


source  unique,  de  Dieu,  qui  seul  produit  toutes  ces 
merveilles.  Dans  rémunération  de  ces  dons  sur- 
naturels,  l'Esprit,  le  Seigneur  et  Dieu  sont  nommes 
séparément  parce  qu'ils  sont  distincts  réellement, 
mais  ils  constituent  le  principe  unique  de  ces 
grâces,  ils  possèdent  la  même  nature  divine.  Ils  sont 
trois,  mais  ne  forment  qu'un  seul  Dieu. 

Impossible,  par  conséquent,  de  se  refuser  à  voir 
dans  ces  textes  du  Nouveau  Testament  le  fait  de  la 
révélation  historique  du  dogme  de  la  Trinité.  Mais 
une  telle  révélation  doit  correspondre  à  une  réalité 
en  Dieu,  sans  quoi  elle  serait  futile  et  ne  mériterait 
à  aucun  titre  le  nom  de   révélation.    Si  donc  Dieu, 
d'après    l'enseignement  de  Notre  Seigneur  et  des 
apôtres,  s'est  révélé  sous  la  forme  d'une  trimté  de 
personnes    dans   l'unité   d'essence   ou    de   nature, 
l'esprit  chrétien    peut   accepter  un  tel   dogme  en 
toute  sécurité  ;  et,  pour  se  conformer  aux  prescrip- 
tions de  l'Eglise,   notamment  à    ses  symboles,    il 
doit  la  regarder  comme  un  dogme  de  foi  catholique. 
L'étude  des  Pères   et   des  travaux  des  théologiens 
l'aidera,  dans  la  mesure  du  possible,  non  seulement 
à  savoir  comment  la  tradition  chrétienne  a  envisage 
un  si  profond  mystère,  mais  encore  à  connaître  les 
raisons  de  convenance  qui  en  rendent  l'acceptation 
raisonnable. 

Comparaisons.  —  i.  «  Pourquoi  se  trouve-t-il,  par 
exemple,  que  la  physique,  ayant  décomposé  le  rayon  so- 
laire, découvre  justement  qu'il  se  réduit  à  trois  rayons  que 
l'on  peut  obtenir  isolément,  savoir  :  un  rayon  de  forme 
chimique,  sans  lumière  ni  chaleur  ;  un  rayon  de  lumière 
sans  chaleur  ni  action  chimique  ;  un  rayon  de  chaleur 
sans  action  chimique  ni  lumière  ?  De  sorte  que  la 
physique  doit  dire  de  la  lumière  ce  que  la  théologie  dit 
de  Dieu  :  Trinité  de  forces,  radicalement  distinctes,  dans 


568 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


l'unité  de  lumière.  Pourquoi  toutes  les  forces  de  la  nature 
se  ramènent-elles  à  ces  trois  forces   qui,  au  fond,  n'en 
sont  qu'une  ?  Pourquoi  les  sept  nuances   du  rayon* de  la 
lumière  décomposée  se  réduisent-elles  à  trois  couleurs,  la 
première,   la  troisième,   la   cinquième,    qui   produisent 
toutes  les  autres  ?  Pourquoi  les  sept  notes  delà  gamme 
s'appuient-elles  aussi  sur  trois  notes  fondamentales,  qui, 
en  rentrant  dans  la  première,  forment  l'accord  parfait, 
et  sont  aussi,  comme  pour  les   couleurs,  la  première,  la 
tierce  et  la  quinte  ?  Pourquoi  le  syllogisme,  analysé  par 
Aristote,  se  compose-t-il  précisément  de  trois  proposi- 
tions, qui  ne  font  qu'un,  si  le  raisonnement  est  vrai  ?  Et 
pourquoi  la  proposition  se  compose-f-elïe  précisément  de 
trois  termes  qui  ne  font  qu'un,  si  la  proposition  est  vraie? 
Pourquoi  la  vie  organique  a-t-elle  justement  trois  fonc- 
tions essentielles  dont  la  sympathie  et  l'union  constituent 
la  santé  ?  Pourquoi  cette  loi  universelle  de  l'unité  dans  la 
variété,  et  de  la  variété  dans  l'unité,  est-elle  le  propre 
caractère  du  vrai,  du  beau,  dans  le  discours,  la  musique, 
le  drame,  l'architecture,  la  vie  sociale  et  la  vie  organique? 
Pourquoi   enfin  la  plus  grande  découverte  qu'ait   laite 
l'esprit  humain,  celle  de  la  forme  exacte  du  monde  astro- 
nomique et  de  ses  lois,  dérive-t-elle,   historiquement  du 
moins,  de  cette  idée  de  Kepler  que  les  cieux  etleurs  mou- 
vements devaient  porter  quelque  vestige  et  quelque  trace  du 
mystère  de  la  Trinité,  trace  que  Kepler  recherche  dans  un 
petit  chapitre  intitulé  :  De  adumbratione  Trinitatis  in  cir- 
culo?  »  [A.  Gratry,  La  philosophie  du  Credo,  Paris    1861 
p.  99-100.] 

2.  «  Il  n'y  a  qu'un  infini  et  cependant  ils  sont  trois,  le 
Père,^  le  Fils  et  l'Esprit-Saint,  trois  qui  subsistent  dans 
la  même  essence,  existent  dans  la  même  existence,  trois 
personnes  Dieu  et  pourtant  un  seul  Dieu.  Voilà  le  dogme 
des  dogmes  et  le  mystère  des  mystères.  L'expliquer,  je  ne 
puis  pas,  j'ose  à  peine  raconter  ce  que  j'admire.  Le  Père 
innascible  est  le  principe  du  mouvement  vital,  la  racine 
de  la  famille  divine.  11  se  voit,  il  se  dit  à  lui-même  sa 
perfection,  et  l'acte  par  lequel  il  se  voit  et  se  parle  est  si 
parfait  qu'il  subsiste  par  cela  seul  qu'il  est  produit.  Le 


LA    SAINTE    TRINITÉ    '.    PREUVE    SCRIPTURAIRE     '  D6q 

fils  est  engendré.  Il  s'appelle  Verbe,  image  du  Père, 
splendeur  de  sa  gloire,  figure  de  sa  substance;  car  il 
représente  avec  toute  la  perfection  possible  son  principe. 
Ils  sont  deux,  ils  se  contemplent,  ils  s'admirent,  ils 
s'aiment,  ces  deux  amours  en  se  donnant  l'un  à  l'autre 
se  rencontrent  ;  par  le  fait  même  de  leur  rencontre,  ils 
subsistent  en  un  seul  amour  ;  c'est  l'Esprit-Saint.  Il 
s'appelle  don,  charité,  bonté,  bénignité,  suavité,  onction 
divine.  Ils  sont  trois  :  le  Père,  le  Fils  et  l'Esprit-Saint. 
Autres,  par  les  relations,  la  subsistance,  les  propriétés 
personnelles;  mêmes,  parl'essence,  la  substance,  la  nature. 
Distincts  cependant  l'un  de  l'autre,  dépendants  par  ['ori- 
gine, car  le  Fils  est  engendré  par  le  Père,  l'Esprit-Saint 
procède  du  Père  et  du  Fils  ;  dépendants  par  la  mission, 
car  le  Père  envoie  le  Fils,  le  Père  et  le  Fils  envoient  l'Es- 
prit-Saint ;  mais  ils  gardent  avec  cela  une  parfaite  égalité. 
0  vie  !  ô  processions  admirables  !  On  ne  peut  pas  dire 
qu'elles  commencent, car  elles  sont  nécessaires  et  éternel- 
les ;  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  sortent  de  Dieu,  car  elles 
sont  immanentes,  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  tourmentent 
la  nature  divine,  car  elles  sont  paisibles  et  immaculées  ; 
on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  diminuent  ou  partagent  les 
perfections,  car  elles  sont  intègres.  »  (Monsabré,  Confé- 
rences de  Notre-Dame,  Gonf.  Ire). 

3.  «  Ces  trois  personnes  ne  font-elles  pas  trois  dieux  ? 
Non  pas  plus  que  la  longueur,  la  largeur,  la  profondeur 
d'un  corps  ne  font  trois  corps  ;  pas  plus  que  le  mouvement, 
la  limpidité,  la  lluidité  des  eaux  ne  font  trois  fleuves  ;  pas 
plus  que  la  force  propulsive,  la  lumière  et  la  chaleur  du 
soleil  ne  font  trois  soleils  ;  pas  plus  que  la  racine,  le 
tronc  et  les  rameaux  d'un  arbre  ne  font  trois  arbres  :  pas 
plus  que  la  forme  gracieuse,  le  coloris  et  le  parfum  d'une 
fleur  ne  font  trois  fleurs  ;  pas  plus  que  la  conscience,  le 
connaître  et  le  vouloir  d'une  Ame  ne  font  trois  âmes  ;  pas 
plus  que  la  mémoire,  l'intelligence,  la  volonté  d'une 
substance  spirituelle  ne  font  trois  substances.  Considérées 
en  elles-mêmes  et  dans  le  fond  de  l'être,  dit  saint  Augus- 
tin, la  mémoire,  l'intelligence,  la  volonté  sont  âme,  vie 
et  substance,  ce  sont  leurs  relations  qui  les  déterminent 


570 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


e}  les,  distingucrlt  (0-  Portez  en  Dieu  la  distinction  et 
l'unité  jusqu'à,  l'infinie  perfection,  et  vous  verrez  que 
trois  peuvent  être  Dieu  sans  qu'il  y  ait  plus  d'un  seul 
Dieu.  »  (Ibid.,  conf.  Xe). 


1.  De  Trinitate,  X,  xi. 


*r  &t  ®r  &r  &r  w  w  W  W  w  w  $T  ^f  *r 

Ha  rva  r4*  r\h*  K*  rv*  K<  c4*r<A  H*  rfeg  rsy  a  K  4  cv-4 


Leçon  XVIIe 
De  la  Sainte  Trinité 


La  preuve  patristique  :  I.  Aux  deux  premiers 
siècles.  —  II.  Fin  du  IIe  et  IIP  siècle.  — 
III.  IVe  siècle,  —  IV.  L'œuvre  de  saint  Augustin. 

I.  Aux  deux  premiers  siècles 

Es  les  temps  apostoliques,  les  écrivains 
ecclésiastiques  et  les  Pères  possèdent  la  con- 
naissance explicite  de  l'existence  du  mys- 
tère de  la  Trinité.  Ils  en  emploient  du  reste  la  for- 
mule dans  la  récitation  du  symbole  et  la  liturgie 
baptismale.  Mais  bientôt,  en  face  de  l'hérésie,  il 
faudra  défendre  ce  mystère.  Or,  les  concepts  d'es- 
sence, de  nature,  de  substance,  de  personne,  sont 
loin  d'être  déterminés  d'une  façon  précise  ;  la  lan- 
gue théologique  n'en  est  qu'à  ses  débuts.  De  là  une 
terminologie  indécise,  des  impropriétés  de  termes, 
des  tâtonnements  inévitables,  des  essais  d'explica- 
tion notoirement  insuffisants,  et  parfois  aussi  des 
vues  erronées.  Le  progrès  ne  se  fera  que  peu  à  peu 
et  la  vérité  ne  sera  mise  dans  tout  son  jour  qu'après 
bien  des  luttes  (1). 

1.  BIBLIOGRAPHIE:  Franzelhi,  De  Deo  trino,  2ecdit.,  Rome, 
1874  î  Schwane,  Histoire  des  Dogmes,  trad.  franc.,  2e  cdit., 
Fribourg-en-Brisgau,  189/i,  t.  11  ;  Scheeben,  La  Dogma- 
tique,  trad.  franc.,  Paris,    1877,   t.  u  ;   Pesch,    De  Deo  irino 


b^'2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  ressort  tout  d'abord 
avec  une  indéniable  évidence,  c'est  que,  dès  le  dé- 
but du  Christianisme,  le  mystère  de  la  Trinité,  est 
connu. 

A  la  fin  du  Ier  siècle,  l'auteur  de  la  Didaché 
donne  la  formule  baptismale  :  «  Baptisez,  dit-il,  au 
nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  (i).  » 

Le  pape  saint  Clément  écrit  :  «  N'avons-nous  pas 
un  seul  Dieu,  et  un  seul  Christ,  et  un  seul  Esprit 
d'amour  répandu  sur  nous  (2).  » 

Au  commencement  du  11e  siècle,  c'est  saint 
Ignace  d'Antioche  (f  c.  107)  qui  dans  sa  Lettre  aux 
Ephésiens,  félicite  les  fidèles  d'Ephèse  d'avoir  fermé 
l'oreille  à  toute  doctrine  perverse  et  étrangère. 
Il  les  compare  à  des  pierres  vivantes,  destinées  à 
l'édifice  de  Dieu  le  Père,  et  mises  à  leur  place  res- 
pective par  la  puissante  machine  de  la  croix  du 
Christ,  grâce  au  Saint-Esprit  (3).  Aux  Magnésiens  il 
écrit  que  «  Jésus-Christ  était  auprès  de  son  Père 
avant  tous  les  siècles  (4)  ;  »  que  «  Dieu  s'est  mani- 
festé par  son  Fils,  le  Verbe  sortant  du  silence  (5).  » 
«  Appliquez-vous,  ajoute-t-il,  à  vous  affermir  dans 
les  enseignements  du  Seigneur  et  des  apôtres  pour 


secundum  personas,  Fribourg-en-  Brîsgau,  1890  ;  Tepe,  De  Deo 
trino,  Paris,  1895  ;  Billot,  De  Deo  uno  et  trino,  Rome,  1897  ; 
de  Régnon,  Etudes  de  théologie  positive  sur  la  sainte  Trinité, 
t.  iv  ;  Harnack,  Dogmengeschichte,  3e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau, 
t.  ni  ;  Précis  de  l'histoire  des  dogmes,  trad.  franc.,  Paris,  1893  ; 
Loofs,  Leitfaden  zum  Studiam  der  Dogmengeschichte,  3e  édit., 
Halle,  i8g3  ;  Seeberg,  Dogmengeschichte,  Erlangen,  1895  ; 
Duchesne,  Les  origines  chrétiennes,  ae  édit.  litb.,  Paris,  1886; 
Petau,  De  Trinitate  ;  Bull,  Defensio  Jîdei  Nicenœ. 

1.  Funk,  Doclrina  duodecim  apostolorum,  Tubingue,  1887, 
vu,  p.  20.  —  2.  Funk,  Opéra  Palrum  apostolicorum,  Tubingue, 
1881,  I  Clem.j  xlvi,  6,  p.  118.  —  3.  Ephes.,  ix,  1  ;  ibid.,  p.  180. 
—  4-  Mag.,  vi,  1  ;  ibid.,  p.  194.  —  5.  Magn.,  vin;  ibid.,  p.  196. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATRISTIQUE        5^3 

que  tout  ce  que  vous  faites  vous  réussisse...  dans  le 
Fils  et  le  Père  et  l'Esprit  (i).  » 

Un  ami  de  saint  Ignace,  mort  longtemps  après 
lui,  l'évêque  de  Smyrne,  saint  Polycarpe  (f  i55), 
qui  avait  connu  dans  son  enfance  l'apôtre  saint  Jean 
prie  ainsi  au  moment  de  subir  le  martyre  :  a  Sei- 
gneur Dieu  tout-puissant,  Père  de  Jésus-Christ, 
votre  Fils  aimé  et  béni,  par  qui  nous  avons  appris 
à  vous  connaître,  Dieu  des  anges  et  des  vertus,  de 
toute  créature,  de  tous  les  justes  qui  vivent  en  votre 
présence,  je  vous  bénis  d'avoir  daigné,  aujourd'hui 
et  à  cette  heure,  m'admettre  au  nombre  de  vos 
martyrs,  à  la  participation  du  calice  et  de  votre 
Christ,  pour  la  résurrection  à  la  vie  éternelle  de 
l'âme  et  du  corps,  dans  l'incorruptibilité  de  l'Esprit- 
Saint,  je  vous  loue  de  toutes  choses,  je  vous  bénis, 
je  vous  glorifie  avec  Jésus-Christ,  votre  fils  bien- 
aimé,  éternel  et  céleste,  avec  qui  gloire  soit  à  vous 
et  au  Saint-Esprit,  maintenant  et  dans  les  siècles 
futurs  (2).  » 

D'après  l'auteur  de  VEpître  à  Diognète,  «  c'est  le 
Fils,  le  créateur,  que  Dieu  a  envoyé,  de  préférence 
à  toute  créature,  ange  ou  prince,  gouverneur  de  la 
terre  ou  gouverneur  des  cieux  (3)  ;  »  a  c'est  par  ce 
Fils  que  Dieu  a  révélé  tout  ce  qui  avait  été  préparé 
dès  le  commencement  (4).  » 

A  l'accusation  d'athéisme,  portée  contre  les  chré- 
tiens, saint  Justin  (f  i63)  faisait  cette  réponse  : 
«  Oui,  s'il  s'agit  de  vos  dieux,  nous  sommes  athées  ; 
mais  nous  ne  le  sommes  pas  à  l'égard  du  Dieu  très 
vrai,  sans  mélange  de  mal,  père  de  la  justice,  de  la 
tempérance  et  des  autres  vertus.  Aussi  nous  l'hono- 
rons et  adorons  le  Fils,  qui  est  venu  de  lui  et  nous 

i.  Magn.,  xm  ;  ibid.,  p.  200.  —  2.  Martyr  Polyc,  xiv,  ibid., 
p.  298.  —  3.  Epist.  adDiogn.,  vu,  2  ;  ibid.,  p.  320.  —  4-  Ibid., 
vin,  11  ;  ibid.,  p.  324. 


574  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


a  enseigné  ces  choses...  et  l'Esprit  prophétique  (1).» 
Dans  son  Dialogue  avec  Tryphon,  le  philosophe  mar- 
tyr proclame  le  Fils  Dieu,  engendré  du  Père  de 
toutes  choses,  Verbe,  Sagesse,  Puissance  et  Gloire 
de  celui  qui  l'engendre  (2),  mais  distinct  du  Père 
puisque,  dans  les  Ecritures,  le  Père  lui  adresse  la 
parole  (3),  émanant  du  Père  sans  se  détacher  de 
lui  comme  la  lumière  sort  du  soleil  (4). 

Voici,  à  cette  même  accusation,  la  réponse  d'un 
autre  apologiste,  Athénagore  :  a  J'ai  suffisamment 
démontré  que  nous  ne  sommes  pas  athées,  nous  qui 
croyons  en  un  seul  Dieu  non  engendré,  éternel, 
invisible,  impassible,  incompréhensible,  immense, 
connu  de  l'esprit  seul  et  de  la  raison,  environné  de 
lumière,  de  beauté,  d'esprit,  de  puissance  indicible, 
qui  enfin  a  créé  et  orné  et  conserve  toutes  choses 
par  son  Verbe,  car  nous  reconnaissons  aussi  un 
Fils  de  Dieu.  Que  personne  ne  pense  qu'il  est  risi- 
ble  de  ma  part  (de  soutenir)  que  Dieu  a  un  Fils.  En 
effet,  notre  conception  de  Dieu  le  Père  ou  du  Fils 
ne  ressemble  pas  aux  imaginations  des  poètes  qui 
nous  montrent  les  dieux  aussi  mauvais  que  les  hom- 
mes. Mais  le  Fils  de  Dieu  est  le  Verbe  du  Père  en 
idée  et  efficacité  ;  car,  d'après  lui  et  par  lui  tout  a 
été  fait,  le  Père  et  le  Fils  n'étant  qu'un.  Gomme  le 
Fils  est  dans  le  Père  et  le  Père  est  dans  le  Fils  par 
l'unité  et  la  puissance  de  l'Esprit,  le  Fils  de  Dieu 
est  l'intelligence  et  le  Verbe  du  Père.  Si,  pour  mieux 
comprendre,  vous  désirez  savoir  ce  que  signifie  ce 
mot  Fils,  je  répondrai  brièvement  qu'il  est  le  pre- 
mier-né de  Dieu,  non  qu'il  ait  été  fait,  car,  dès  le 
commencement,  Dieu,  intelligence  éternelle,  avait 
le  Verbe  en  lui,  étant  éternellement  raisonnable, 

1.  Apol.  I  ;  Pat.  gr.,  t.  vi.  col.  336.  —  a.  Dial.  cam  Tryph., 
txi.  —  3.  Ibid.,  lxii.  —  4.  Ibid.,  cxxvm  ;  Pat.  gr.,  t.  vi, 
;col.  616. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATRISTIQUE         5^5 


mais  parce  qu'il  s'est  avancé  pour  être  l'idée  et 
l'énergie  formatrice  de  toutes  les  choses  matériel- 
les... L'Esprit  prophétique  est  aussi  conforme  avec 
le  Verbe...  Or,  ce  Saint-Esprit,  agissant  dans  les 
prophètes,  nous  disons  qu'il  est  une  émanation  de 
Dieu,  qu'il  sort  (de  lui)  et  qu'il  revient  (à  lui) 
comme  un  rayon  de  soleil.  Qui  donc  ne  s'étonne- 
rait d'entendre  appeler  athées  ceux  qui  affirment 
Dieu  le  Père,  Dieu  le  Fils  et TEsprit-Saint,  qui  mon- 
trent leur  puissance  dans  l'unité  et  leur  différence 
dans  l'ordre  (i). 

Saint  Théophile  d'Antioche  donne  aux  trois  per- 
sonnes divines  le  nom  de  Triade  (2). 

L'évêque  de  Lyon,  saint  Irénée,  écrivait  contre  les 
gnostiques  :  «  Pour  faire  ce  qu'il  avait  résolu  de 
créer,  Dieu  n'avait  pas  besoin  des  anges,  comme  s'il 
n'eût  pas  eu  ses  mains.  En  effet,  le  Verbe  et  la  Sagesse, 
le  Fils  et  l'Esprit,  lui  sont  toujours  présents  ;  par 
eux  et  en  eux  il  a  fait  toutes  les  choses  librement 
et  spontanément,  et  c'est  à  eux  qu'il  parle  lorsqu'il 
dit  :  «  Faisons  l'homme  à  notre  image  et  à  notre  res- 
semblance (3).  »  «  Nous  avons  démontré  par  beau- 
coup de  preuves  que  le  Verbe,  c'est-à-dire  le  Fils, 
était  toujours  avec  le  Père.  Mais  comme  la  Sagesse, 
qui  est  l'Esprit,  était  en  lui  avant  toute  création, 
elle  dit  par  Salomon  :  «  Dieu  m'a  créée  principe  de 
ses  voies  pour  ses  œuvres,  il  m'a  établie  avant  les 
siècles,  au  commencement  avant  qu'il  fit  la 
terre  (4).  » 

Saint  Irénée  insiste  sur  l'éternelle  génération  du 
Verbe,  mais  renonce  à  dire  ce  qu'est  cette  généra- 
tion :  «  Que  si  l'on  nous  demande  comment  le  Fils 
est  produit  par  le  Père,  nous  répondrons  que  cette 

1.  Légat,  pro  Christ,  10  ;  Pair.  gr.9  t.  vi,  col.  908-909.  — 
9.  Ad.  Anlol.y  1. 11,  i5  ;  ibid.,  col.  1077.  —  3.  Adv.  hœr.,  IV, 
tx,  1  ;  Pair,  gr.,  t.  vu,  col.  io3a.  —  4.  Ibid.,  3,  col.  io33. 


5 76  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

production,  de  quelque  nom  qu'on  la  désigne,  géné- 
ration ou  autre,  personne  ne  la  connaît...  si  ce  n'est  le 
Père  qui  engendre  et  le  Fils  qui  est  engendré.  Et 
puisque  cette  génération  est  indicible,  ce  n'est  pas 
avoir  la  pleine  possession  de  soi-même  que  d'entre- 
prendre de  raconter  génération,  émanation  (1).  » 

Jusqu'ici  ce  point  de  concept  de  substance,  d'hy- 
postase  ou  de  personne  nettement  défini  ;  pas  d'au- 
tre relation  caractérisée  que  celle  de  génération. 
C'est  que  les  Pères  s'occupent  alors  beaucoup  moins 
de  la  vie  intime  de  Dieu  que  de  sa  manifestation 
extérieure,  beaucoup  moins  du  Verbe  dans  ses  rela- 
tions avec  le  Père  que  dans  ses  rapports  avec  la 
création  et  l'œuvre  rédemptrice,  beaucoup  moins 
du  Saint-Esprit  que  du  Verbe.  Certaines  de  leurs 
expressions  ne  cadreraient  pas  aujourd'hui  avec  la 
pure  orthodoxie.  Après  avoir  proclamé  l'éternité  du 
Verbe,  les  apologistes  semblent  ne  le  faire  sortir  du 
sein  du  Père  par  voie  de  prolation  ou  de  génération 
qu'au  moment  et  dans  le  but  de  créer,  ce  qui  impli- 
querait une  génération  purement  temporelle,  le 
Verbe  passant  ainsi  de  son  état  caché  dans  le  sein 
de  Dieu,  èvotàôero;,  à  l'état  de  icpocpoptxoç  ou  d'être 
manifesté,  selon  les  expressions  de  Théophile  (2). 
Cette  idée,  moins  les  termes,  se  trouve  pareillement 
dans  saint  Justin,  Tatien  et  Athénagore.  Enfin,  tout 
en  parlant  de  Puni  té  divine  et  en  distinguant  dans 
cette  unité  les  trois  personnes,  ils  accusent  trop  leur 
subordination 

1.  Adv.  hœr.,  II,  xxviii,  6.  —  2.  Ad  Autol.,  11,  10,  22  ;  Pair, 
gr.,  t.  vi,  col.  1064,  1088  ;  voir  notre  article  Les  Pères  apolo- 
gistes dans  le  Diction,  de  théol.,  t.  11,  col.  1696-1597. 


LA  SAINTE  TRINITÉ   !    PREUVE   PATRISTIQUE  577 


II.  Fin  du  IIe  siècle  et  IIIe  siècle 

Vers  la  fin  du  11e  siècle  éclate  un  conflit  doctrinal 
entre  deux  écoles  rivales,  l'école  des  unitaires,  qui 
exagère  l'unité  sous  le  nom  de  monarchie,  pour 
couper  court  à  l'erreur  polythéiste,  mais  qui  en 
même  temps  compromet  la  Trinité,  formulée  dans 
le  symbole  et  la  liturgie  baptismale,  et  l'école  des 
trinilaires,  qui  entend  avant  tout  sauvegarder  la 
Trinité  des  personnes,  mais  qui  donne  prise  à 
l'accusation  de  dithéisme  ou  de  trithéisme. 

i.  Un  byzantin  ambitieux,  réfugié  à  R.ome.  Théo- 
dote  le  corroyeur,  se  mêla  de  questions  religieuses. 
Rejetant  la  métaphysique  folle  des  gnostiques  et 
l'illuminisme  des  montanistes,  il  tomba  dans  un 
rationalisme  intempérant.  Contrairement  aux  don- 
nées les  plus  formelles  de  la  tradition,  il  en  vint 
à  nier  la  divinité  de  Jésus-Christ,  sous  prétexte  de 
sauvegarder  l'unité  de  Dieu,  la  monarchie.  Suivi,  à 
quelques  nuances  près,  par  son  homonyme  le 
banquier  et  par  Artémon,  il  fut  finalement  condamné 
par  le  pape  Victor  (i). 

2.  Un  asiate,  Noët  de  Smyrne,  déjà  condamné 
pour  ses  opinions  hétérodoxes  par  sa  propre  Eglise, 
vint  également  à  Rome  avec  son  compatriote  Epigone 
et  eut  pour  disciple  Cléomène.  A  tout  prix,  disait-il, 
il  faut  maintenir  la  monarchie  divine  contre  le  poly- 
théisme païen,  le  plérome  gnostique  et  le  dualisme 
de  Marcion.  Le  Père  est  père  en  tant  qu'il  n'a  pas  été 
engendré  ;  une  fois  engendré,  il  est  son  propre  fils. 
Par  suite  ces  termes  de  père  et  de  fils,  dans  la 
Trinité,  s'appliquent  à  une  seule  et  même  personne, 
considérée    dans    deux   états   successifs   différents. 

i.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  v,  28  ;  Pair,  gr.,  t.  xx,  col.  5i3. 

LE  CATÉCHISMB.   —  T.  I.  J7 


578  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Epigone  précisait  que  c'est  le  Père  qui  a  souffert  sur 
la  croix,  en  tant  que  fils  incarné  (1). 

3.  De  la  Lybie  survient  Sabellius  qui,  systémati- 
sant ces  idées  nouvelles,  professe  le  Modalisme.  Il 
n'admet  qu'une  seule  personne  en  Dieu,  laquelle, 
il  est  vrai,  porte  trois  noms  différents,  mais  d'après 
le  rôle  joué  dans  le  monde  soit  pour  le  créer,  soit 
pour  le  racheter,  soit  pour  le  sanctifier,  et  se  mani- 
feste tour  à  tour,  comme  Père  dans  l'Ancien 
Testament,  comme  Fils  dans  l'incarnation  et  la 
rédemption  et  comme  Saint-Esprit  dans  la  justi- 
fication de  l'homme.  C'est  la  monade  qui,  en  se 
développant,  devient  triade.  Saint  Grégoire  de 
Nazianze  accusera  plus  tard  les  Sabelliens  d'athéisme, 
tandis  que  saint  Hilaire  de  Poitiers  et  saint  Athanase 
les  accuseront  de  panthéisme  (2). 

[\.  Pris  énergiquement  à  partie  par  Caïus,  saint 
Hippolyte  et  Tertullien,  la  plupart  de  ces  unitaires 
furent  condamnés  par  l'autorité  romaine.  Le  pape 
Zéphirin  condamna  Artémon  (3)  ;  Praxéas  fut  obligé 
de  rétracter  par  écrit  son  erreur  (4)  ;  et  Sabellius  fut 
excommunié  par  Calliste  (5).  Tertullien  écrivait 
avec  sa  verve  mordante  :  «  Les  simples,  pour  ne 
pas  dire  les  pauvres  d'esprit  et  les  imbéciles,  qui 
forment  toujours  la  majorité  des  croyants,  une  fois 
tirés  de  leur  polythéisme  et  amenés  à  croire  au  seul 
vrai  Dieu,  ne  comprennent  pas  que  ce  Dieu  est 
unique  sans  doute,  mais  avec  une  certaine  économie  ; 
c'est  celte  économie  qui  épouvante  leur  foi.  Ce  qui 
est  nombre  et  distribution  dans  la  divinité,  dans  la 
trinité,  ils  le  prennent  pour  une  division  de  l'unité. 
Or  l'unité,  produisant   d'elle-même  la  trinité,  n'est 

1.  Voir  Philosophumena,  ix.  —  2.  Voir  Eusèbe,  loc.  cit. — 
3.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  v,  28  ;  Patr.  gr.,  t.  xx,  col.  5i3.  — 
U.  Tertullien,  Adv.  Prax.,  1  ;  Patr.  lat.,  t.  11,  col.  i56.  — 
5.  Philosophumena,  ix,  12  ;  édit.  Cruice,  Paris,  1860,  p.  44i. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    '.    PREUVE    PATRISTIQUE'       5 7  9 

pas  pour  cela  divisée,  mais  organisée.  Ils  disent  que 
nous  prêchons  deux  ou  trois  dieux,  se  vantent  eux- 
mêmes  de  n'adorer  qu'un  seul  Dieu  ;  comme  si,  en 
resserrant  outre  mesure  l'unité  divine,  on  n'était 
pas  hérétique  ;  comme  si  la  trinité,  raisonnablement 
expliquée,  n'était  pas  la  vérité  même.  Nous  tenons, 
disent-ils,  à  la  monarchie  !  Et  l'on  entend  nos 
latins,  même  ces  bons  opiques,  répéter  ce  mot 
grec  avec  leur  agréable  accent  ;  on  voit  de  suite 
qu'ils  comprennent  aussi  bien  qu'ils  pronon- 
cent (1).  » 

5.  Mais  d'autre  part,  les  trinitaires  n'étaient-ils  pas 
à  l'abri  de  tout  reproche  doctrinal,  dans  leur 
manière  d'entendre  et  d'expliquer  a  raisonnable- 
ment »  «  l'économie  »  de  la  trinité  ?  L'accusation 
de  dithéisme  n'était-elle  pas  justifiée  ? 

Le  prêtre  romain  Hippolyte  composa  une  réfuta- 
tion de  Noët,  où  il  disait  entre  autres  choses  :  «  Il 
est  bien  obligé  de  confesser  le  Père,  Dieu  tout-puis- 
sant, et  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Dieu  fait  homme, 
à  qui  le  Père  a  tout  soumis  en  dehors  de  lui,  et 
l'Esprit-Saint,  et  d'avouer  qu'ils  sont  vraiment 
trois...  En  ce  qui  est  de  sa  puissance,  Dieu  est  un, 
mais  trine  quant  à  l'économie  (2).  »  D'autre  part,  à 
la  suite  des  apologistes,  il  insistait  trop  sur  la  dis- 
tinction du  Verbe  intérieur  et  du  Verbe  proféré  et 
donnait  prise  au  subordinatianisme.  Le  pape  Calliste 
accusa  de  dithéisme  une  telle  doctrine.  C'était  le 
point  de  vue  également  adopté  à  Carthage. 

6.  Dans  son  traité  Contre  Praxéas,  Ter  tuilier* 
expose  le  dogme  à  sa  manière.  Il  défend  la  trinité, 
mot  qui  paraît  pour  la  première  fois  chez  les  Latins, 
et  son  traité  est  le  premier  en  date  sur  cette  matière  ; 


1.  Adv.  Prax.,  3  ;  Pair,  lai.,  t.  11,  col.  i58.  —  2.  Homel.  conL 
hœres. 


58o  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

au  nom  de  la  tradition,  dit-il,  il  veut  concilier 
«  ï économie  »  avec  la  «  monarchie  »  :  «  Custodiatur 
œconomiœ  sacramentum,  quœ  unilalem  in  trinitatem 
disponit,  très  dirigeas,  Patrem,  et  Filium,  et  Spiritum 
Sanctum.  Très  autem  non  statu,  sed  grada  ;  nec  subs- 
tantia,  sed  forma  ;  nec  potestate,  sed  specie  :  unius 
autem  substantiœ,  et  unius  status,  et  unius  proiesiatis  ; 
quia  unus  Deus,  ex  quo  et  gradus  isti  et  formée  et 
species,  in  nomine  Patris  et  Fitii  et  Spiritus  Sancti 
deputantur  (ï).  » 

A  côté  d'expressions  et  de  formules  nouvelles, 
qui  accusent  un  progrès  sensible  dans  la  manière 
de  concevoir  et  d'exposer  le  mystère,  Tertullien  a 
des  imprécisions  de  termes,  des  incorrections  de 
langage  et  des  idées  erronées.  On  le  sent,  quand  il 
s'exprime  avec  justesse,  sur  le  terrain  ferme  de  la 
tradition.  Et  c'est  bien  comme  un  écho  fidèle  de 
l'enseignement  traditionnel  qu'il  soutient  la  distinc- 
tion des  personnes  divines,  qu'il  affirme  que  le  Père 
est  Dieu,  que  le  Fils  est  Dieu,  que  le  Saint-Esprit 
est  Dieu,  et  que  pourtant  ce  ne  sont  pas  là  trois 
dieux.  Mais  la  notion  de  pleine  consubstantialité 
n'est  pas  suffisamment  mise  en  relief  ;  elle  semble 
même  parfois  compromise.  C'est  dire  que  Tertullien, 
et  ceux  qui,  comme  lui,  attaquaient  les  monarchiens, 
en  sont  au  même  point  que  leurs  prédécesseurs  sur 
les  deux  états  successifs  du  Verbe,  d'abord  caché  en 
Dieu,  puis  proféré  ou  engendré.  Caché  en  Dieu,  le 
Verbe  est  éternel.  L'est-il  également  comme  Fils 
par  sa  génération  ?  Qu'on  en  juge  :  «  Tune  igitur 
etiam  ipse  Sermo  speciem  et  ornatum  sumit,  sonum 
et  vocem,  cum  dicit  Deus  :  Fiat  lux.  Haec  est  nativitas 
perfecta  Sermonis,  dum  ex  Deo  procedit  ;  conditus 
ab  eo    primum   ob  cogitatum    in  nomine    Sophiae, 

ï.  Adv.  Prax.,  2  ;  ibid.,  col.  157. 


LA    SAINTE    TRINITÉ     :    PREUVE    PATRISTIQUE-        58 1 

dehinc  generatus  ad  ejfeclum  (i).  »  Et  ceci  ne  sem- 
ble-t-il  pas  compromettre  la  parfaite  consubstantia- 
li té  .  «  Pater,  tota  substantia  est  ;  Filius  vero  derivatio 
tollus  et  porlio  (2)  ?  »  Du  reste  il  explique  que  le  Fils 
était  plus  apte  à  l'incarnation  à  cause  de  son  infé- 
riorité (3). 

7.   C'est  justement  cette  consubstantialité    qu'il 
fallait    sauvegarder    à    tout    prix    pour    maintenir 
intacte  l'unité  divine,  tout  en  professant  la  trinité 
des  personnes.  Et  c'est  elle  qu'a  défendue  Calliste, 
quoi  qu'en  disent  les  Philosophwnena.  Calliste,  de 
l'aveu    même    des    Philosophumena,    a    condamné 
Sabellius  et  le  modalisme  ;  s'il  n'en  a  pas  fait  autant 
pour  les  trinitaires,    qui  compromettaient  la   con- 
substantialité, ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  partageât  de 
tous  points  leurs  manière  de  voir  ;   il  la  partageait 
même  si  peu  qu'il  fut  de  leur  part  l'objet  d'accusa- 
tions injustifiées  ;  d'autant  plus,  et  ce  sont  toujours 
les  Philosophumena  qui  nous  renseignent,  que  son 
enseignement  resta  celui  de  l'Eglise  de  Rome.  Or 
cet  enseignement  nous  est  connu  par  l'attitude  de  l'un 
des   successeurs    de   saint  Calliste,    le    pape   saint 
Denys  (259-268),  vis-à-vis  de  l'évêque  d'Alexandrie. 
Sa  lettre  est  un  document  de  la  foi  romaine,  nette- 
ment consubstantialiste  et  anti-sabellienne,  égale- 
ment éloignée  de  l'erreur,  qui  prétend  que  le  Fils  est 
le  même  que  le  Père,  et  de  celle  qui  divise  l'unité  en 
trois  substances  séparées.   Comme  Calliste,   Denys 
condamne  le  sabellianisme  ;  comme  Calliste,  Denys 
accuse  de   dithéisme   les   adversaires   exagérés  du 
Sabellius.  De  part  et  d'autre,  même  langage  théolo- 
gique montrant  que  les  deux  papes,  à  un  demi-siè- 
cle de  distance,  ont  sur  la  légitimité  de  certaines 

i.  Adv.  Prax.,  tu  ;  Pair,  lat.,  1. 11,  col.  161.  —  2.  lbid.t  ix; 
ibid.t  col.  164.  —  3.  Ibid,,  xvi  ;  ibid.,  col.  ij4« 


582  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


formules  et  sur  le  sens  de  certains  textes  de  l'Ecri- 
ture les  mêmes  idées  contraires  à  celles  des  anti- 
sabelliens.  Ils  sont  pour  l'identité  substantielle  du 
Père  et  du  Fils  en  môme  temps  que  pour  la  trinité 
et  pour  la  distinction  personnelle  des  hypostases 
^divines  (i). 

8.  Peu  après  le  milieu  du  111e  siècle  parut  un 
traité  spécial  sur  la  Trinité,  dû  au  schismatique 
Novatien  ;  mais  il  ne  constitue  pas  le  moindre  pro- 
grès sur  la  question.  Le  Christ  promis  dans  l'Ancien 
Testament  est  celui  de  l'Evangile  :  il  est  homme  et 
Dieu,  il  est  l'Homme-Dieu.  Fils  de  Dieu,  né  de 
Dieu,  engendré  de  Dieu,  mais  quand  ?  Novatien 
répète  plusieurs  fois  que  la  génération  du  Fils  a 
précédé  la  création,  sans  jamais  affirmer  qu'elle  fut 
éternelle,  mais  laissant  entendre  au  contraire  qu'elle 
a  été  motivée  et  datée  par  la  création  (2).  De  ce  côté, 
point  de  progrès.  D'autre  part,  tout  en  combattant 
le  di théisme,  il  lui  prête  le  flanc  parce  qu'il  pousse 
trop  loin  la  distinction  du  Père  et  du  Fils.  Confor- 
mément à  la  Règle  de  foi,  il  proclame  l'unité  divine 
et  la  divinité  de  Jésus-Christ  ;  il  affirme  que  le 
Christ  reste  un  avec  le  Père,  auquel  il  doit  son  ori- 
gine, sa  génération,  sa  naissance,  son  "titre  de  Fils. 
Ne  dirait-on  pas  la  consubstantialité  ?  Il  n'en  est 
rien  ;  car  cette  unité,  sur  laquelle  appuie  tant 
Novatien,  c'est,  dit-il,  une  unité  de  «  concorde, 
d'amour,  de  dilection  »,  unité  purement  morale  (3). 
Relativement  au  Saint-Esprit,  il  ne  l'appelle  nulle 
part  Dieu  ou  personne  divine,  mais  il  le  donne  clai- 
rement à  entendre  En  revanche,  il  passe  complète- 
ment sous  silence  le  mode  de  relation  du  Saint- 


1.  Voir  notre  article  Calliste,  dans  le  Dictionnaire  de  théologie* 
i,.  11,  col.  i337~i338.  —  2.  De  Trinit.,  3i  ;  Pair,  lat  t  in,  col. 
4)5o.  —  3.  Ibid.   27  ;  ïïid.,  col.  938. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATRISTIQUE        583 

Esprit  avec  le  Père  et  le  Fils.  Il  est  vrai  que  jusque 
là,  Tertullien  avait  été  le  seul  à  dire  que  le  Saint- 
Esprit  procède  du  Père  par  le  Fils.  Et  enfin  Novatien 
a  le  tort  d'expliquer  l'ordre  hiérarchique  des  per- 
sonnes de  la  trinité  par  une  sorte  d'amoindrissement 
de  la  troisième  sur  la  seconde  (i),  et  de  la  seconde 
sur  la  première  (2),  ce  qui  laisse  la  porte  ouverte 
au  subordinatianisme. 

8.  Aurons-nous  du  moins  plus  de  chance  de 
trouver  une  doctrine  plus  ferme  dans  le  célèbre 
Didascalée  d'Alexandrie  ?  Il  n'y  paraît  guère,  en  ce 
qui  regarde  le  successeur  de  Pantène.  Sans  doute 
Clément  croit  à  la  «  sainte  Triade,  »  à  la  divinité 
du  Fils  et  du  Saint-Esprit  (3).  «  0  miracle  mysti- 
que s'écria-t-il  !  Un  seul  Père  de  toute  chose  !  Un 
seul  Verbe  de  toute  chose  !  Un  seul  Esprit,  et  lui- 
même  partout  (4)  I  »  «  Faites,  ô  Dieu,  qu'après 
avoir  vécu  dans  la  paix  nous  soyons  introduits  dans 
la  cité,  qu'après  avoir  franchi  sans  encombre  les 
flots  du  péché  nous  soyons  transportés  paisibles 
avec  F  Esprit-Saint  et  que,  vous  louant  nuit  et  jour 
avec  l'ineffable  Sagesse  jusqu'au  jour  parfait,  nous 
vous  rendions  grâces,  et,  en  rendant  grâces,  que 
nous  louions  Père  et  Fils,  Fils  et  Père,  le  Fils  notre 
pédagogue  et  maître,  avec  le  Saint-Esprit  (5)  I  » 
«  Les  aveugles  comprennent  quel  grand  trésor  nous 
portons  dans  un  vase  d'argile  par  la  vertu  de  Dieu 
le  Père,  par  le  sang  de  Dieu  le  Fils,  et  par  la  rosée 
du  Saint-Esprit  (6).  »  Mais,  d'autre  part,  Clément 
ne  serre  pas  d'assez  près  la  question  trinitaire  et  ne 
surveille  pas  suffisamment  son  langage.  Tantôt  il 
désigne  les  personnes  divines  par  des  expressions 

1.  De  TriniL,  16  ;  ibid.,  col.  91 5.  —  2.  Ibid.,  3i  ;  ibid.,  coJ. 
$49.  —  3.  Sirom.,  v,  i4  ;  Patr.  gr.,  t.  ix,  col.  i58.  —  4-  Pedag., 
1,6;  Patr.  gr.,  t.  vm,  col.  3oo.  —  5.  Pedag.,  ni,  12  ;  ibid.,  col. 
680.  —  6.  Quis  dives  salv.,  34  ;  Pat.  gr.,  t.  ix,  col.  64o. 


584  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

que  ne  désavouerait  pas  un  modaliste  ;  tantôt  il 
leur  attribue  des  aptitudes  si  tranchées  qu'on  croirait 
entendre  un  subordinatianiste,  ainsi  que  l'a  remar- 
qué Petau. 

9.  Tout  autre  est  le  cas  d'Origène,  bien  qu'il 
n'ait  pas  échappé  à  la  critique  de  saint  Jérôme. 
Voulant  réfuter  ceux  qui  ne  regardaient  le  Logos  en 
Dieu  que  comme  un  simple  phénomène  sans  exis- 
tence propre,  il  dit  que  le  Fils  de  Dieu  est  appelé 
Logos  pour  deux  motifs;  car  Logos  signifie  à  la  fois 
raison  et  parole.  Le  Fils  étant  la  raison  du  Père, 
fait  participer  tous  les  hommes  à  cette  raison  éter- 
nelle ou  à  la  vérité.  On  peut  l'appeler  également  la 
parole  qui  révèle  les  secrets  de  Dieu,  de  même  que 
la  parole,  chez  les  hommes,  est  le  signe  révélateur 
de  la  pensée.  Mais  cette  parole  ne  se  réduit  pas  à  un 
pur  accident,  à  un  son  passager  :  elle  est  substan- 
tielle, et  cette  substance  est  celle  du  Père  (1).  Donc 
consubstantialité  du  Verbe  et  de  Dieu. 

Mais  de  plus  existence  éternelle  du  Verbe. 
«  Relativement  à  Dieu,  le  Verbe  ne  devient  pas... 
Le  Verbe  n'a  point  passé  du  non-être  dans  le  prin- 
cipe à  l'être  dans  le  principe,  du  non-être  en  Dieu 
à  l'être  en  Dieu  ;  mais  avant  tous  les  temps  et  tous 
Ses  siècles,  le  Verbe  était  dans  le  principe,  et  le 
Verbe  était  Dieu  (2).  »  D'où  co-éternité  du  Verbe 
et  de  Dieu,  co-éternité  aussi  du  Fils  et  du  Père  : 
«  Dieu  n'a  pas  commencé  d'être  Père  à  la  façon 
des  hommes...  Car  si  le  pouvoir  d'être  père  ne  lui 
a  jamais  manqué,  si  c'est  pour  lui  une  perfection 
d'être  Père  d'un  tel  Fils,  quel  motif  aurait-il  eu  de 
différer  son  acte  et  de  se  priver  d'une  perfection  ? 
Pourquoi  ne  serait-il  pas  devenu  Père  aussitôt  qu'il 


1.  In  Joan.,  1,  4a  ;  Pair,  gr.,  |t.  xiv,  col.  96-104.   —  2.  In 
Joan.,  11,  1  ;  ibid.,  col.  io5. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    I    PREUVE    PATRISTIQUE        5S5 


le  pouvait.  On  doit  raisonner  de  même  touchant 
le  Saint-Esprit  (i).  »  Il  est  difficile,  on  l'avouera, 
de  se  prononcer  plus  formellement  contre  la  gêné-  • 
ration  temporelle,  et  ceci  est  un  progrès  incontes- 
table. Qu'Origène  ait  enseigné  la  consubstantialité 
et  la  co-éternité  du  Verbe  et  du  Père,  c'est  ce 
qu'affirme  saint  Athanase,  en  le  citant  contre  les 
Ariens  (2).  Cette  consubstantialité,  Origène  l'accuse 
énergiquement  contre  les  modalistes  et  sabelliens. 
«  Quant  à  nous,  dit-il,  nous  croyons  qu'il  y  trois 
hypostases,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  et  que 
le  Père  seul  ne  tire  son  origine  d'aucun  autre.  » 
Mais  il  insiste  trop  sur  le  rang  que  déterminent 
leurs  relations  naturelles,  sur  la  hiérarchie  fondée 
sur  leurs  rapports  d'origine,  et  par  là  les  subordonne 
tellement  l'une  à  l'autre  qu'il  semble  les  diviser 
et  par  suite  compromettre  leur  absolue  égalité  ! 

10.  Ainsi  donc,  au  nr9  siècle,  le  dogme  de  la 
Trinité  se  trouvait  battu  en  brèche,  d'un  côté  par 
les  modalistes  sabelliens,  qui  n'admettaient  en 
Dieu  qu'une  seule  personne  avec  trois  noms  diffé- 
rents servant  à  caractériser  ses  différents  rôles,  et 
d'un  autre  côté  par  les  trinitaires  trop  tranchants 
qui  introduisaient  un  subordinatianisme  exagéré 
parmi  les  hypostases.  L/autorité  romaine  condam- 
nait formellement  les  premiers  et  tenait  en  légitime 
suspicion  les  derniers.  Le  mérite  d'avoir  dégagé  le 
véritable  enseignement  de  l'Eglise  revient  au  pape 
saint  Denys,  bien  qu'il  ne  l'ait  pas  formulé  avec  la 
netteté  et  la  précision  des  Pères  du  ive  siècle.  Son 
homonyme,  l'évêque  d'Alexandrie,  saint  Denys, 
n'avait  pas  su  éviter,  dans  sa  réfutation  du  sabel- 
lianisme,    le  danger  du  subordinatianisme.    C'est 

1.  Pamphile,  Apolog.,  111  ;  Pair,  gr.,  t.  xvn,  col.  56 1.  — 
U.  In  Joan.t  11,  6  ;  Pair.  gr.t  t.  xiv,  col.  128. 


586  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pourquoi  le  pape  lui  écrivait  :  «  Il  serait  juste  de 
discuter  contre  ceux  qui  détruisent  la  monarchie, 
dogme  très  auguste  de  la  prédication  ecclésiastique, 
la  divisant  et  la  scindant  en  trois  puissances  et 
personnes  séparées,  en  trois  divinités.  J'ai  appris, 
en  effet,  que,  parmi  vous,  certains  qui  prêchent  et 
enseignent  la  parole  de  Dieu,  soutiennent  cette 
opinion,  s'opposant  ainsi  diamétralement,  si  je  puis 
dire,  à  l'erreur  de  Sabellius.  Celui-ci  blasphème  en 
affirmant  que  le  Fils  même  est  le  Père  et  récipro- 
quement; ceux-là  prêchent  d'une  certaine  manière 
trois  dieux,  lorsqu'ils  divisent  Funité  sainte  en 
trois  hypostases  étrangères  l'une  à  l'autre,  tout  à 
fait  séparées  l'une  de  l'autre.  Il  est  nécessaire,  en 
effet,  que  le  Verbe  divin  soit  uni  au  Dieu  de  toutes 
choses,  que  l'Esprit-Saint  demeure  et  inhabite  en 
Dieu,  et  qu'ainsi  la  divine  Trinité  se  ramène,  se 
réduise  en  un  point  culminant,  c'est-à-dire  au  seul 
Dieu  tout-puissant  de  l'univers...  11  ne  faut  pas 
moins  blâmer  ceux  qui  pensent  que  le  Fils  est  une 
créature  et  que  le  Seigneur  a  été  créé  comme  l'une 
des  choses  qui  ont  été  réellement  faites,  alors  que 
la  parole  divine  atteste  qu'il  a  été  engendré  ainsi 
qu'il  convient,  mais  non  créé  ou  produit...  Ne 
séparons  donc  pas  en  trois  divinités  l'admirable  et 
divine  unité;  ne  diminuons  pas  par  ce  terme  de  créa- 
tion la  dignité  et  la  suprême  grandeur  du  Seigneur  ; 
mais  croyons  en  Dieu  le  Père  tout-puissant,  et  en 
Jésus-Christ  son  Fils,  et  en  l'Esprit-Saint  ;  croyons 
que  le  Verbe  est  uni  au  Dieu  de  l'univers.  En  effet, 
«  le  Père  et  moi,  dit-il,  nous  sommes  une  même 
chose  ;  »  et  encore  :  «  Je  suis  dans  le  Père,  et  le 
Père  est  en  moi.  »  Ainsi  seront  conservées  et  la 
divine  Trinité  et  l'affirmation  delà  sainte  unité  (i).  » 

i.  Saint  Athanase,  De  ctecr.  Nie.  syn.,  a6  ;  Pair,  yr.,  t.  xxvi, 
col.  46 1  sq. 


LA    SAINTE    TRINITÉ     :    PREUVE    PATRISTIQUE         b8j 

il.  Cette  lettre  du  pape  saint  Dcnys  n'enraye  pas 
le  mouvement  de  l'erreur.  Celle-ci  allait  s'affirmer 
avec  force  et  susciter  des  luttes  et  des  troubles  fort 
graves  pendant  le  iv°  siècle.  L'un  des  foyers  fut  la 
capitale  de  la  Syrie,  Antioche,  où  Paul  de  Samosate, 
en  269,  fut  condamné  par  un  Synode  pour  avoir 
professé  sur  la  Trinité  des  opinions  erronées  qui 
rappelaient  celles  des  antitrinitaires  ;  opinions,  que 
Lucien  d'Antioche  colporta  et  répandit  à  Nicomédie 
avant  de  subir  le  martyre.  C'est  du  prêtre  Lucien, 
en  effet,  que  se  réclament  deux  «  conlucianistes*  » 
Eusèbe  et  Arius. 

III.  IVe  siècle 

1.  Originaire  de  la  Lybie,  Arius,  devenu  prêtre 
d'Alexandrie  et  chargé  de  l'église  paroissiale  de 
Baucale,  renforça  l'erreur,  malgré  son  évêque, 
soutenu  qu'il  était  par  des  personnages  étrangers, 
particulièrement  par  son  ami  Eusèbe.  Pour  lui,  le 
Fils  est  inférieur  au  Père  ;  il  est  créé  par  Dieu  et 
créé  pour  créer  tout  le  reste  ;  il  n'a  donc  pas  la 
substance  du  Père,  mais  une  nature  dissemblable. 
Par  suite  les  substances  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  diffèrent,  sont  étrangères  l'une  à  l'autre, 
sans  rapport  Tune  avec  l'autre.  Et  le  Saint-Esprit 
est  l'œuvre  du  Christ  comme  le  Christ  est  l'œuvre 
du  Père.  D'où  la  doxologie  habituelle  se  trouve 
remplacée  par  celle-ci  :  «  Gloire  au  Père  par  le  Fils 
dans  le  Saint-Esprit  (1).  » 

Condamné  à  Alexandrie,  Arius  le  fut  de  nouveau 
au  concile  de  Nicée,  en  325.  De  là,  dans  le  symbole 
de  Nicée,  ces  expressions  caractéristiques  :  a  Et  en. 

1.  Théodoret,  Hœret.  fab.,  iv,  1  ;  Patr.gr»,  t.  lxxxiii,  col.  4<4* 


588  LE    CATECHISME   ROMAIN 

un  seul  Jésus-Christ,  l'unique  engendré  du  Père, 
c'est-à-dire  de  la  substance  du  Père  ;  Dieu  de  Dieu, 
Lumière  de  Lumière,  vrai  Dieu  de  vrai  Dieu  ;  en- 
gendré, non  créé,  consubstantiel  au  Père,  par  qui 
tout  a  été  fait,  ce  qui  est  au  ciel  et  ce  qui  est  sur  la 
terre  (i).  »  De  là  encore  la  condamnation  expresse 
des  formules  favorites  d'Arius,  placée  à  la  fin  du 
symbole  de  Nicée. 

L'expression  qui  tranchait  dans  la  racine  l'erreur 
arienne,  celle  qui  allait  servir  de  tessère  à  l'ortho- 
doxie, c'est  le  consubstantiel,  Yb\i.ooû<sio<;.  Bien  qu'é- 
trangère à  l'Ecriture,  elle  répondait  trop  bien  à 
l'idée  maîtresse  pour  qu'on  la  négligeât.  Les  Pères 
de  Nicée,  en  déclarant  le  Fils  consubstantiel  au 
Père,  le  proclamaient  vrai  Dieu,  possédant  comme 
le  Père  la  nature  divine,  en  vertu  d'une  génération 
propre  et  naturelle,  et  non  métaphorique.  C'est  ce 
que  remarque  fort  justement  saint  Athanase  (2). 
Sans  doute,  ce  terme  avait  été  rejeté  au  ni0  siècle, 
parce  que,  sur  les  lèvres  et  dans  la  pensée  de  Paul 
de  Samosate,il  masquait  sous  l'identité  de  substance 
l'identité  numérique  du  Père  et  du  Fils  et  servait 
ainsi  de  véhicule  au  sabellianisme.  Mais  repris  cette 
fois  dans  un  sens  orthodoxe,  nettement  défini,  il 
acquérait  droit  de  cité  dans  l'Eglise  et  servait  à 
exprimer  convenablement  le  dogme.  Les  semi-ariens 
essayèrent  de  l'escamoter  en  y  introduisant  une 
voyelle,  qui  ne  le  défigurait  pas  trop,  mais  qui  en 
changeait  complètement  la  signification.  L'ô;xoiou<yioç 
n'est  pas  l'ôtxûous'.oç  ;  il  signifie  semblable  et  non 
consubstantiel  ;  les  défenseurs  de  l'orthodoxie  ne 
prirent  pas  le  change  et  dénoncèrent  le  subter- 
fuge. 

1.  Voir  plus  haut  ;  Denzinger,  n.  17.  —  3.  De  decr.  Nie, 
syn.,  20  ;  Pair.  gr.t  t.  xxvi,  col.  45a. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    .*    PREUVE    PATRISTTQUE         58 9 

2.  Mais,  dans  le  courant  du  siècle,  l'erreur  s'en 
prit  à  la  troisième  personne  de  la  Trinité.  On  avait 
nié  la  divinité  de  Jésus-Christ,  on  nia  la  divinité 
du  Saint-Esprit.  Jusque-là,  il  est  vrai,  la  spéculation 
ne  s'était  pas  portée  sur  cette  troisième  personne  ; 
mais  tôt  ou  tard  la  question  devait  se  poser  de 
savoir  si  le  Saint-Esprit  possède  lui  aussi  la  consubs- 
tantialité  et  à  quel  titre.  Pour  le  Fils,  la  génération 
explique  sa  consubstantialité.  Si  donc  le  Saint-Esprit 
est  consubstantiel  au  Père,  c'est  qu'il  serait  engen- 
dré, hypothèse  inadmissible,  le  Fils  seul  procédant 
du  Père  par  voie  de  génération.  Reste  alors  que  le 
Saint-Esprit  a  été  créé  par  le  Fils,  et  dès  lors  il  n'est 
pas  consubstantiel,  il  n'est  pas  Dieu.  Ce  fut  en 
particulier  l'erreur  de  l'évêque  semi-arien  de  Cons- 
tantinople,  Macédonius,  qui  avait  été  déposé  en 
36o  par  le  parti  d'Acace  ;  et  c'était  une  difficulté  de 
plus  qui  s'ajoutait  à  celle  de  faire  triompher  le 
consubstantiel  de  Nicée. 

3.  La  décision  doctrinale  de  Nicée  avait  déchaîné 
bien  des  colères  et  suscita  des  luttes  acharnées,  de 
violentes  persécutions.  Elle  rencontra  une  vive 
opposition  de  la  part  d'adversaires  qui  ne  craigni- 
rent pas  de  faire  appel  à  la  force  impériale  pour 
appuyer  leurs  revendications  ;  ils  opposèrent  des 
évoques  aux  évéques,  des  synodes  aux  synodes, 
des  professions  de  foi  aux  professions  de  foi.  Mais 
ni  les  subtilités  de  la  logique,  ni  les  menaces  du 
pouvoir,  ni  les  arrêts  d'exil  ne  firent  taire  les  cham- 
pions de  la  foi  de  Nicée.  A  la  tête  de  ces  derniers 
marchaient  vaillamment  le  glorieux  Athanase 
d'Alexandrie  et  l'illustre  Hilaire  «le  Poitiers.  Tous 
deux,  par  la  plume  et  par  la  parole,  durent  mener 
le  bon  combat  et  tenir  tête  à  l'hérésie.  L'un  repré- 
senta l'Orient  de  325  à  373  et  fut,  selon  l'expression 
de   saint  Basile,    le     a  porte- drapeau    de    l'ortho- 


5 gO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

doxie  (i)  ;  »  l'autre,  représentant  l'Occident,  n'entra 
en  scène  qu'en  355  et  mourut  en  366. 

[\.  Saint  Athanase  commence  par  défendre  le 
consubstantiel  contre  les  arguties  d'Arius.  Oui, 
disait-il,  Dieu  est  un,  mais  dans  cette  unité  il  y  a 
une  trinité  ;  une  seule  nature,  mais  trois  personnes 
distinctes  (2).  Les  termes  de  Père  et  de  Fils  sont 
corrélatifs  (3).  Le  Fils  n'a  pas  été  tiré  du  néant  ni 
produit  par  un  acte  libre  de  la  volonté  divine  ;  il 
est  engendré  de  la  substance  du  Père  (/[),  et  cette 
substance  il  la  possède  tout  entière  par  son  carac- 
tère propre  (5).  Il  possède  la  divinité  dans  sa  pléni- 
tude (6)  ;  il  est  éternel  comme  son  Père  (7).  Ils  sont 
deux  cependant,  le  Père  et  le  Fils,  distincts  l'un  de 
l'autre  ;  mais  il  n'y  a  qu'une  seule  nature,  et  dans 
cette  nature  divine  unique  pas  l'ombre  d'une  divi- 
sion (8). 

De  même  le  grand  évêque  prend  la  défense  de  la 
troisième  personne.  Le  Saint-Esprit  participe  lui 
aussi  à  la  divinité  et  à  la  puissance  de  Dieu  (9).  Il  a 
pour  principe  le  Fils  qui  est  avec  le  Père  (10),  et  il 
est  inséparable  du  Père  et  du  Fils  (n).  Il  forme  avec 
le  Père  et  le  Fils  une  seule  et  même  substance  (12). 
Il  n'y  a  par  conséquent  qu'une  seule  nature  divine 
et  un  seul  Dieu  en  trois  personnes  (i3). 

5.  De  son  côté,  Févêque  de  Poitiers  compose  un 
traité  en  douze  livres  sur  la  Trinité.  Partant  de  la 


1.  Epist.,  lxvi  ;  Patr.  gr.,  t.  xxxn,  col.  ^24-  —  2.  Orat.  cont. 
arian.,  1,  18;  Pair,  gr.,  t.  xxvi,  col.  48.  —  3.  Ibid.,  m,  6; 
ibid.,  col.  333.  —  4-  Ibid.,  in,  62  ;  ibid.,  col.  453.  —  5.  Ibid.t 
1,  16;  ibid.,  col.  45.  —  6.  Ibid.,  m,  6;  ibid.,  col.  33a.  — - 
7.  Ibid.,  1,  i4;  ibid.,  col.  4i.  —  8.  Ibid.,  in,  4;  ibid., 
t.  xxvi,  col.  328.  —  9.  De  inc.  et  cont.  arian.,  ix  ;  ibid., 
col.  997.  —  10.  Ibid.,  col.  1000.  —  11.  Tom.  ad  Ant.,  5; 
ibid.,  col.  801.  —  12.  Epist.  ad  Serap.,  1,  27;  ibid.,  col.  5y3. 
—  i3.  De  inc.  et  cont.  arian.,  x  ;  ibid.,  col.  1000. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATRISTIQUE  -       5g  I 

formule  baptismale,  il  traite  d'abord  de  la  généra- 
tion du  Verbe  et  prouve  la  consubstantialité  du  Père 
et  du  Fils.  Et  après  avoir  réfuté  les  objections  arien- 
nes contre  la  divinité  du  Christ,  il  venge  la  doctrine 
de  la  génération  éternelle  du  Verbe  dans  le  sein  du 
Père  de  toutes  les  calomnies  d'Arius  ;  il  s'applique 
à  saisir  cette  génération  éternelle  en  elle  même, 
dans  son  absolue  distinction  de  toute  procréation 
ou  production  temporelle,  enfin  il  défend  la  divinité 
du  Saint-Esprit (i).  Grâce  à  lui,  remarque  Schwane, 
la  terminologie  se  trouva  mieux  fixée  dans  la  langue 
latine  que  dans  la  grecque.  Unité  de  substance  : 
u  Dieu  le  Père  et  Dieu  le  Fils  ne  font  absolument 
qu'un,  non  par  l'union  de  personne,  mais  par 
l'unité  de  substance  (2).  »  Identité  de  nature,  le  Père 
et  le  Fils  «  se  compénètrent  réciproquement,  parce 
que  tout  est  parfait  dans  le  Fils  unique,  comme 
tout  est  parfait  dans  le  Père  inengendré  (3).  »  Mais 
distinction  personnelle.  La  génération  n'est  «  ni  un 
partage,  ni  une  diminution,  ni  une  émanation,  ni 
une  extension,  mais  la  production  d'un  être  vivant 
par  un  être  vivant  (4).  »  «  A  la  différence  de  plu- 
sieurs de  ses  devanciers,  dit  Largent,  Hilaîre  parle 
du  dogme  trini taire  avec  une  justesse  irrépréhen- 
sible ;  il  se  garde  des  paradoxes  de  langage  et  de 
pensée  où Tertullien  s'était  quelquefois  emporté  (5).  » 
6.  Bientôt,  du  sein  même  de  la  Cappadoce, 
jusque  ià  l'un  des  foyers  et  l'une  des  forteresses  de 
l'hérésie,  Dieu  suscite  de  vaillants  émules  et  de 
puissants  auxiliaires  à  saint  Athanase  et  à  saint 
Hilaîre  :  ce  sont  les  célèbres  cappadociens,  saint 
Basile  le  grand,  son  frère  saint  Grégoire  de  Nysse, 
son  ami  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  son  corres- 

1.  De  Trinitate,  Pat.  lat.t  t.  x,  col.  25-472.  —  2.  De  Trw., 
iv,  42  ;  ibld.,  col.  128.  —  3.  Ibid.,  111,  4;  ibid.,  col.  78.  — 
A. laid.,  iv,  35  ;  ibid.,  col.  i85. —  5. Largent,  saint  Hilaire,  p. 45. 


5()2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pondant  saint  Amphilochius  d'Inconium.  Ceux-ci 
apportent  plus  de  précision  dans  la  terminologie 
grecque  et  trouvent  une  formule  équivalente  à  la 
formule  latine.  Ils  conservent  les  termes  dt  oùc(% 
pour  désigner  la  substance  et  de  uTrôaTacj'.ç  pour 
désigner  la  personne;  ils  accentuent  la  réalité  de 
l'unité  d'essence  en  ramenant  les  trois  hypostases, 
expression  d'Origène,  à  l'unité  de  substance  : 
Tpeïç  u7ro<7T7.(T£t;  Èv  t/Ya  oiWot,  qui  répond  au  très  personse 
unius  substantise  des  latins  ;  ils  distinguent  nette- 
ment en  Dieu  l'essence  ou  la  nature,  la  substance 
et  toutes  les  perfections  absolues  des  propriétés 
relatives  et  personnelles  ;  ils  marquent  enfin  avec 
précision  que  ces  noms  de  Père,  de  Fils  et  de  Saint- 
Esprit  se  rapportent  aux  relations  d'origine.  Et  par 
là  ils  font  faire  un  progrès  notable  à  la  notion  et  à 
l'exposition  du  mystère  de  la  Trinité. 

7.  Pendant  la  période  qui  précéda  le  concile  de 
Nicée,  la  question  trinitaire  avait  surtout  porté  sur 
le  Fils,  sur  sa  divinité  et  ses  relations  avec  le  Père. 
Le  concile  de  Nicée  s'était  borné  à  mentionner  le 
Saint-Esprit.  Mais  l'arianisme  regardant  le  Fils 
comme  une  créature  créant  les  autres,  tôt  ou  tard 
on  devait  en  conclure  logiquement  que  le  Saint- 
Esprit  est  une  œuvre  du  Fils.  L'erreur  allait  ainsi 
s'étendre  de  la  seconde  à  la  troisième  personne  de 
la  Trinité.  Les  anoméens  firent  d'abord  du  Saint- 
Esprit  un  intermédiaire  du  Verbe.  Pour  Eunomius, 
«  le  Saint-Esprit  a  été,  quant  à  l'ordre  et  quant  à 
l'essence,  créé  le  troisième,  sur  l'ordre  du  Père,  par 
l'action  du  Fils  ;  honoré  du  troisième  rang  comme 
la  première  et  la  plus  élevée  des  créatures  du  Fils 
unique,  seul  de  son  espèce,  mais  dépourvu  de  divi- 
nité et  de  puissance  créatrice  (1).  »  Saint  Athanase 

1.  Saint  Basile,  Adv.  Eunom.,  ni,  5. 


LA   SAINTE    TRINITÉ    *.    PREUVE   PATRISTIQÛE        5û,3 

— —  — — ^ — ^— — .^^^^— 

avait  combattu  aussitôt  une  telle  erreur.  Mais  Ter- 
reur prit  un  élan  nouveau  avec  Macédonius,  succes- 
seur d'Eusèbe  sur  le  siège  de  Constantinople  en  3^2. 
Saint  Athanase  écrivit  dans  ses  Lettres  à  Sérapion 
de  Thmuis  pour  défendre  de  nouveau  la  divinité 
du  Saint-Esprit.  Mais  les  pneumatomaques,  comme 
on  désignait  les  adversaires  de  la  divinité  du  Saint-Es- 
prit, partaient  de  ce  dilemme  et  raisonnaient  ainsi  : 
«Le  Saint-Esprit  est  engendré  ou  non.  S'il  ne  l'est  pas 
il  est  un  nouveau  Dieu,  et  c'est  du  polythéisme.  S'il 
l'est,  de  deux  choses  l'une  :  ou  il  est  engendré  par 
le  Père  et  alors  le  Père  a  deux  fils,  ou  il  est  engen- 
dré par  le  Fils  et  alors  il  est  petit-fils  du  Père.  Tout 
cela  ne  pouvant  s'accorder  avec  l'Ecriture,  il  faut  en 
conclure  que  le  Saint-Esprit  n'est  pas  Dieu. 

A  Rome,  le  pape  saint  Damase  (366-384)  con- 
damna cette  nouvelle  erreur.  En  Orient,  les  Pères 
cappadociens  la  combattirent  à  leur  tour  ;  saint 
Basile,  avec  une  certaine  circonspection  de  langage, 
qui  ne  permettait  pas,  affirme  son  ami  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  de  suspecter  l'orthodoxie  de  sa 
pensée  mais  qui  le  poussa,  dans  la  suite,  à  écrire  son 
Traité  du  Saint-Esprit,  où  il  enseigne  la  consubstan- 
tialité  du  Saint-Esprit  et  sa  divinité  ;  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  dans  ses  Discours  ;  et  saint  Gré- 
goire de  Nysse,  dans  son  Traité  contre  Eunomius. 

Le  concile  de  Constantinople,  en  condamnant 
Macédonius  et  Maréthonius,  qui  regardaient  le 
Saint-Esprit  comme  le  serviteur  et  la  créature  du 
Fils,  comme  un  être  intermédiaire  entre  le  Fils  et  le 
monde  des  esprits  finis,  et  en  proclamant  la  con- 
substantialité  et  la  divinité  de  la  troisième  personne, 
mit  un  terme  aux  controverses  trinitaires  du  ive  siè- 
cle. Complétant  le  symbole  de  Nicée,  il  dit,  relati- 
vement au  Saint-Esprit  :  «Nous  croyons...  à  l'Es- 
prit-Saint,  le  Seigneur,  le  Vivifiant,  qui  procède  du 

LE   CATÉCHISME.    —  T.   I.  }8 


594  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

Père,  qui  conjointement  avec  le  Père  et  le  Fils  est 
adoré  et  glorifié,  et  qui  a  parlé  parles  prophètes  (i).» 
D'après  le  concile  de  38i,  le  Saint-Esprit,  personne 
distincte,  procède  du  Père,  est  consubstantiel  à 
Dieu,  est  Dieu  au  même  titre  que  le  Père  et  le  Fils. 
C'est  la  doctrine  que  répéteront,  en  Orient,  les  con- 
ciles d'Ephèse  en  43 1,  de  Ghalcédoine  en  45 1,  de 
Constantinople  en  553  et  en  68o.  Reste  un  point  à 
trancher,  celui  des  relations  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  qui  fera  plus  tard  l'objet  de  nouveaux  débats 
et  de  nouvelles  décisions  dogmatiques,  comme  nous 
aurons  soin  de  le  remarquer  dans  la  suite. 

Les  stades  parcourus  jusqu'ici  sont  les  suivants  : 
en  face  du  polythéisme,  proclamation  de  l'unité  de 
Dieu  ;  en  face  des  modalistes  et  des  ^subordinations, 
proclamation  de  la  génération  éternelle  du  Verbe, 
de  sa  divinité  et  de  sa  consubstantialité  avec  le  Père; 
en  face  des  pneumatomaques,  proclamation  de  la 
divinité  et  de  la  consubstantialité  du  Saint-Esprit. 
Reste,  après  tant  de  luttes  et  tant  d'écrits,  à  déga- 
ger les  principes  implicitement  sous-entendus  ou 
explicitement  formulés,  à  grouper  les  vérités  acquit 
ses  en  un  tout  ordonné  et  harmonieux,  en  un  mot 
à  faire  œuvre  de  science  théologique  :  ce  fut  la 
gloire  de  saint  Augustin  d'y  travailler  et  d'y  réussir 
dans  une  large  mesure,  car  il  orienta  l'Eglise  latine 
dans  un  concept  et  une  exposition  du  mystère  de  la 
trinité  que  les  scolastiques  ont  fait  triompher. 

IV.  L'œuvre  de  saint  Augustin 

Aux  prises  avec  l'hérésie  d'Arius  et  de  Macédo- 

i.  Voir  plus  haut  le  symbole  de  Nicée-Constantinople  ; 
Denzinger,  n.  47. 


LA  SAINTE  TRINITÉ  I  PREUVE  DE  SAINT  AUGUSTIN     5ç)J> 

nius.  les  Pères  durent  essayer  de  formuler  une 
interprétation  rationnelle  du  dogme  de  la  trinité  ; 
grecs  et  latins  rivalisèrent.  Mais,  chose  curieuse, 
la  spéculation  fut  moins  profonde  chez  les  premiers, 
beaucoup  plus  hardie  chez  les  seconds. 

Les  Pères  grecs,  en  effet,  dans  l'étude  de  ce  mys- 
tère, se  placèrent  surtout  au  point  de  vue  des  per- 
sonnes divines,  n'atteignant  la  nature  de  Dieu  qu'à 
travers  ces  personnes.  A  leurs  yeux,  la  personne  du 
Père  est  la  source  de  la  divinité  ;  la  personne  du 
Fils  est  la  perfection  physique  du  Père;  lapersonne 
du  Saint-Esprit  est  sa  perfection  morale.  Ainsi  que 
le  remarque  le  P.  de  Régnon,  «  les  perfections  divi- 
nes identifiées  au  Fils,  ou  personnifiées  dans  le  Fils, 
ce  sont  en  général  les  perfections  physiques, 
comme  si  l'opération  physique,  qu'on  appelle  géné- 
ration et  qui  a  pour  terme  un  fils  de  même  nature 
que  son  père  avait  pour  résultat  propre  et  formel 
de  produire  des  perfections  physiques  (i).  »  On 
l'appelle  la  Raison,  la  Sagesse,  et  ce  sont  là  des  per- 
fections de  l'intelligence  ;  on  l'appelle  la  Volonté,  la 
Puissance,  et  ce  sont  là  des  perfections  de  la  volonté 
divine  ;  et  comme  la  production  des  créatures  est 
une  œuvre  de  sagesse,  de  volonté  et  de  puissance, 
c'est  au  Fils  que  les  Pères  grecs  l'attribuent  spécia- 
lement. La  troisième  personne,  le  Saint-Esprit,  est 
la  perfection  morale  du  Père,  sa  Sainteté  person- 
nelle, et  principe  de  sanctification  des  créatures. 
Dans  cet  épanchement  de  la  divinité,  une  différence 
existe  sans  nul  doute  entre  la  génération  du  Fils  et 
la  procession  du  Saint-Esprit;  c'étaient  là  deux  don- 
nées de  la  Révélation,  deux  termes  consacrés  par 
l'Ecriture  ;  mais  les  grecs  ne  cherchèrent  pas  à  pré- 
ciser davantage.  Leur  concept  de  la  trinité  peut  se 

i,  De  Régnon,  Etudes  de  théologie  positive,  t.  rv,  p.  35o. 


596  LE    CATECHISME    ROMAIN 

formuler  ainsi  :  «  Trois  personnes  participant  plei- 
nement  et  également  à  une  même  nature  divine.  » 

1.  Saint  Augustin,  qui  est  justement  appelé  le 
Docteur  de  la  grâce,  et  qui  mériterait  tout  aussi 
bien  d'être  appelé  le  Docteur  de  la  trinité,  selon  la 
remarque  de  Schwane  (1),  ne  se  contente  pas,  dans 
son  traité  De  Trinitate  (2),  de  résumer  et  de  com- 
pléter tout  ce  qui  a  été  dit  de  plus  profond,  il  ren- 
verse complètement  le  point  de  vue.  Au  lieu  d'aller, 
comme  les  grecs,  des  personnes  divines  à  la  nature 
de  Dieu,  il  commence  par  l'étude  directe  de  la 
nature  divine  avant  de  passer  aux  personnes  pour 
atteindre  la  réalité  complète. 

Dieu,  c'est  la  divinité,  non  pas  abstraite,  mais 
concrète  et  personnelle,  s'épanouissant  sans  suc- 
cession, mais  non  sans  ordre  d'origine,  en  trois 
personnes.  Jusque  là  tous  les  symboles,  formulés 
d'après  le  concept  ancien,  posent  d'abord  la  foi  au 
Dieu  unique  qui  est  le  Père,  passent  ensuite  à  la 
foi  en  Jésus-Christ,  son  Fils  unique,  et  nomment 
enfin  le  Saint-Esprit  :  c'est  leur  seule  manière  de 
formuler  la  trinité.  Le  Qalcamque,  au  contraire, 
d'inspiration  manifestement  augustinienne,  con- 
sacre le  nouveau  point  de  vue  et  débute  par  la  foi  à 
l'unité  de  Dieu  dans  la  trinité  et  à  la  trinité  dans 
l'unité. 

Augustin  met  donc  l'accent  sur  l'unité  divine  en 
face  des  trois  personnes  ;  c'était  éviter  le  danger  de 
toute  accusation  de  trithéisme  qui  obligeait  les 
grecs  à  récapituler  la  trinité  dans  sa  source  pre- 
mière, le  Père.  En  mettant  en  plein  relief  l'égalité 
des  trois  personnes,  il  évitait  également  le  danger 
de  laisser  croire  à  la  supériorité  du  Père   et  à  la 

1.  Schwane,  Histoire  des  dogmes,  trad.  franc.,  t.  il,  p.  a65. 
—  2.  Pair,  lat.,  t.  xlii. 


LA  SAINTE  TRINITÉ  :  PREUVE  DE  SAINT  AUGUSTIN     b$J 

subordination  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Mais  ce 
double  avantage  n'offrait-il  pas  un  inconvénient 
grave,  celui  de  considérer  la  divinité  comme  un 
Dieu  personnel  avant  d'être  Père,  Fils  et  Saint- 
Esprit?  Saint  Augustin  a  prévu  la  difficulté  ;  aussi, 
a-t-il  soin  de  refuser  à  la  divinité  ainsi  considérée 
toute  réalité  distincte  de  la  réalité  des  trois  per- 
sonnes divines  (i). 

2.  En  outre,  saint  Augustin  insiste  pour  faire  de 
toute  opération  divine  ad  extra  l'œuvre  indistincte 
des  trois  personnes  :  création,  théophanics,  incarna- 
tion, sanctification.  Et  s'il  est  d'usage  d'attribuer  à 
chacune,  dans  ces  opérations,  un  rôle  particulier  à 
raison  de  son  origine,  c'est,  dit-il,  uile  simple 
appropriation.  Les  grecs,  au  contraire,  insistaient 
sur  le  rôle  distinct  de  chacune  des  personnes  dans 
l'œuvre  commune  au  point  de  laisser  croire  que 
chaque  personne  avait  exclusivement  une  opération 
propre.  Pour  l'évêque  d'Hippone  et  pour  les  scolas- 
tiques  à  sa  suite,  l'appropriation  consiste  à  attri- 
buer spécialement  à  l'une  des  personnes  l'un  ou 
l'autre  des  attributs  essentiels,  l'une  ou  l'autre  des 
opérations  communes,  lorsque  cet  attribut  ou  cette 
opération  est  particulièrement  apte  à  mettre  en 
relief  le  caractère  propre  d'une  personne,  lorsque 
celte  aptitude  repose  sur  une  analogie  véritable,  sur 
un  rapport  avec  la  propriété  de  la  personne.  De  la 
sorte  le  Père  est  dit  tout-puissant,  parce  que,  dans 
la  famille  créée,  le  père  a  naturellement  l'autorité  ; 
la  création  est  attribuée  au  Fils,  parce  qu'elle  est 
l'œuvre  de  la  science  divine  et  qu'elle  se  rapporte  à 
l'intelligence  d'où  procède  le  Verbe  ;  et  la  sancti- 
fication est  attribuée  au  Saint-Esprit,  parce  qu'il 
est  l'amour  incréé.  Et  ainsi  l'appropriation  se  fonde 

i.  Epist.  cxx  ;  Pair,  lat.,  t.  xxxm,  col.  452-46a. 


698  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

^M^— ■  —     M     !  M^— —    !  ■■  ■  ■  ■    I       I  ■■  .     !  ■    !    Il  ■  »  ■  I     I     ■  Il  I  I       I         ■  —— ^^«»— ■— — — ^ 

sur  une  relation  de  similitude  entre  la  propriété 
d'une  des  trois  personnes  et  Fattribut  essentiel  ou 
l'opération  commune. 

3.  Enfin,  saint  Augustin  a  fondé  la  théorie 
psychologique  des  processions  sur  l'étude  de  l'âme 
humaine,  qui  existe,  pense  et  veut  ;  théorie  systé- 
matisée plus  tard  par  saint  Anselme  et  achevée  par 
saint  Thomas.  Cette  théorie  explique  en  quoi  et 
comment  différent  la  génération  et  la  procession, 
pourquoi  il  y  a  deux  processions  en  Dieu  et  rien 
que  deux,  pourquoi  le  Verbe  est  Fils  et  mérite  per- 
sonnellement le  nom  d'Image  du  Père,  et  pourquoi 
le  Saint-Esprit,  amour  du  Père  pour  le  Fils  et  du 
Fils  pour  le  Père,  procède  de  l'un  et  de  l'autre  sans 
que  sa  procession  ressemble  le  moins  du  monde  à 
la  génération  (1). 

C'est  donc  dans  les  actes  d'intelligence  et  de 
volonté  que  saint  Augustin  trouve  l'explication  des 
processions  divines.  Dans  l'homme,  l'intelligence 
et  la  volonté  sont  des  facultés  naturelles  ;  leur 
existence  relève  de  la  nature  et  non  de  la  personne. 
Comment  donc  ces  actes  peuvent-ils  être  en  Dieu  la 
source  des  processions,  puisqu'ils  relèvent  de  la 
nature  et  que  ce  n'est  pas  la  nature  qui  engendre, 
mais  la  personne  du  Père  ?  C'est  qu'il  ne  faut  pas 
oublier  que  si  nous  distinguons  en  Dieu  l'essence 
divine  et  les  personnes,  c'est  sans  doute  parce  que 
<cette  distinction  de  raison  est  fondée  sur  la  réalité, 
mais  ce  n'est  pas  une  distinction  réelle.  Car 
l'essence  n'existe  pas  avant  ou  en  dehors  des  per- 
sonnes. Ce  n'est  donc  pas  à  l'acte  d'intelligence 
de  la  nature  divine  qu'on  doit  attribuer  la  géné- 
ration du  Fils,  mais  à  l'acte  d'intelligence  de  cette 

1.  E.  Portalié,  saint  Augustin,   dans  le   Dictionnaire  de  théo- 
4ogie,  t.  1,  col.  2346-2349. 


L'AME,    IMAGE   DE   LA   TRINITÉ  500, 

nature  en  tant  qu'elle  est  possédée.  Car  c'est  là  un 
acte  naturel  sans  doute,  mais  c'est  aussi  un  acte 
personnel,  ou,  comme  diront  les  scolastiques,  un 
acte  notionneU  c'est-à-dire  un  acte  envisagé  formel- 
lement sous  le  concept  de  personne. 

C'est  ainsi  que  le  génie  de  saint  Augustin  a 
apporté  sa  large  et  décisive  contribution  à  l'étude 
du  mystère  de  la  sainte  trinité.  Sur  le  chemin  tracé 
par  lui  et  dans  la  direction  fixée  par  lui,  la  scolas- 
tique  n'aura  qu'à  marcher.  Et  saint  Thomas  pourra 
d'une  main  sûre  dresser  et  remplir  le  plan  d'un 
traité  de  la  trinité,  qui  est  un  monument  d'érudi- 
tion, de  clairvoyance  et  de  profondeur. 

L'âme,  image  de  la  Trinité.  —  a  Nous  sommes 
quelque  chose  d'intelligent,  quelque  chose  qui  s'entend 
et  s'aime  soi-même  ;  qui  n'aime  que  ce  qu'il  entend,  mais 
qui  peut  connaître  et  entendre  ce  qu'il  n'aime  pas...  Ainsi 
entendre  et  aimer  sont  choses  distinctes,  mais  tellement 
inséparables  qu'il  n'y  a  point  de  connaissance  sans  quel- 
que volonté.  Et  si  l'homme  semblable  à  l'ange  connaissait 
tout  ce  qu'il  est,  sa  connaissance  serait  égale  à  son  être  ; 
et  s'aimant  à  proportion  de  sa  connaissance,  son  amour 
serait  égal  à  l'un  et  à  l'autre.  Et  si  tout  cela  était  bien 
réglé,  tout  cela  ne  ferait  ensemble  qu'un  seul  et  même 
bonheur  de  la  même  âme,  et  à  vrai  dire  la  même  âme 
heureuse,  en  ce  que  par  la  droiture  de  sa  volonté  conforme 
à  la  vérité  de  sa  connaissance,  elle  serait  juste.  Ainsi  ces 
trois  choses  :  être,  connaître  et  vouloir,  font  une  seule 
âme  heureuse  et  juste... 

«  Ainsi,  à  notre  manière  imparfaite  et  défectueuse,  nous 
représentons  un  mystère  incompréhensible.  Une  trinité 
créée  que  Dieu  fait  dans  nos  âmes  nous  représente  la 
Trinité  incrééc,  que  lui  seul  peut  nous  révéler;  et  pour 
nous  la  faire  mieux  représenter,  il  a  mêlé  dans  nos  âmes, 
qui  la  représentent,  quelque  chose  d'incompréhensible. 

«  Entendre  et  vouloir,  connaître  et  aimer  sont  actes  très 
distingués  ;  mais  le  sont-ils  tellement  que  ce  soient  choses 
entièrement  et  substantiellement  dillérenlcs  ?   Cela  ne 


600  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

peut  être  ;  la  connaissance  n'est  autre  chose  que  la  subs- 
tance de  l'âme  affectée  d'une  certaine  façon  ;  et  la  volonté 
n'est  autre  chose  que  la  substance  de  l'âme  affectée  d'une 
autre.  Quand  je  change  de  pensée  et  de  volonté,  ai-je  cette 
volonté  et  cette  pensée  sans  que  ma  substance  y  entre  ? 
Sans  doute  elle  y  entre  ;  et  tout  cela,  au  fond,  n'est  autre 
chose  que  ma  substance  affectée,  diversifiée,  modifiée  de 
différentes  manières,  mais  dans  son  fond  toujours  le 
même  :  car,  en  changeant  de  pensée,  je  ne  change  pas  de 
substance,  et  ma  substance  demeure  une  pendant  que 
mes  pensées  vont  et  viennent... 

«  Je  ne  sais  qui  peut  se  vanter  d'entendre  cela  parfai- 
tement, ni  qui  pourra  se  bien  expliquer  à  soi-même  ce 
que  les  manières  d'être  ajoutent  à  l'être,  ni  d'où  leur  vient 
leur  distinction  dans  l'unité  et  identité  qu'elles  ont  avec 
l'être  même,  ni  comment  elles  sont  des  choses,  ni  com- 
ment elles  n'en  sont  pas.  Ce  sont  des  choses,  puisque  si 
c'était  un  pur  néant,  on  ne  pourrait  véritablement  ni  le? 
assurer,  ni  les  nier  ;  ce  n'en  sont  point,  puisqu'en  elles- 
mêmes  elles  ne  subsistent  pas.  Tout  cela  ne  s'entend  pas 
bien;  tout  cela  est  pourtant  chose  véritable  et  tout  cela 
nous  est  une  preuve  que,  même  dans  les  choses  natu- 
relles, l'unité  est  un  principe  de  multiplicité  en  elle-même, 
et  que  l'unité  et  la  multiplicité  ne  sont  pas  autant  incom- 
patibles qu'on  le  pense... 

«  Si  j'étais  une  nature  incapable  de  tout  accident  sur- 
venu à  sa  substance,  et  en  qui  il  fallût  que  tout  fût  subs- 
tantiel, ma  connaissance  et  mon  amour  seraient  quelque 
chose  de  substantiel  et  de  subsistant  :  et  je  serais  trois 
personnes  subsistantes  dans  une  seule  substance,  c'est-à- 
dire  je  serais  Dieu.  Mais  comme  il  n'en  est  pas  ainsi,  je 
suis  seulement  fait  à  l'image  et  à  la  ressemblance  de  Dieu, 
et  un  crayon  imparfait  de  cette  unique  substance  qui  est 
tout  ensemble  Père,  Fils  et  Saint-Esprit  :  substance  incom- 
préhensible dans  sa  trine  divinité,  qui  n'est  au  fond 
qu'une  même  chose,  souveraine,  immense,  éternelle,  par- 
faitement une  en  trois  personnes  distinctement  subsistan- 
tes, égales,  consubstantielles.  »  Bossuet,  Elévations  sur 
les  Mystères,  ne  Sem.,  élév.  vi, 


Leçon  XVIII 


De  la  Sainte  Trinité 


I.  Exposé  du  mystère.  —  IL  Enseignement  de 
saint  Thomas.  —  III.  Notions  erronées  et 
objections. 

I.   Exposé  du  mystère 

Ur  ne  seule  essence  divine  ;  clans  cette  essence 
unique,  trois  personnes  distinctes,  s'identi- 
fiant  dans  l'unité  d'une  même  et  indivisible 
substance,  portant  le  nom  commun  de  Dieu,  lequel 
désigne  la  communauté  de  nature,  et  les  noms 
propres  et  personnels  de  Père,  de  Fils  et  de  Saint- 
Esprit,  lesquels  répondent  aux  relations  subsistantes, 
qui,  seules,  fondent  les  distinctions  hypo statiques  : 
tel  est  le  dogme  de-la  Trinité. 

i.  Cet  énoncé  suppose  un  grand  nombre  de 
notions,  dont  le  sens  doit  être  précisé  avec  rigueur, 
pour  parler  correctement  en  un  sujet  aussi  délicat 
et  ne  pas  donner  prise  à  d'inextricables  difficultés  : 
un  langage  sans  précision,  une  terminologie  impro- 
pre frisent  facilement  l'hérésie. 

On  donne  le  nom  d'essence  au  principe  constitutif 
d'un  être,  qui  fait  que  cet  être  est  ce  qu'il  est  ;  le 
nom  de  nature  au  principe  d'opération  intrinsèque 
et  permanent  de  tel  être  actuellement  existant  ;  le 
nom  de  substance  à  ce  qui  sert  de  support  aux  acci- 


6o2  lTï  catéchisme  romain 


dents  et  aux  modifications  d'un  être,  à  ce  qui  désigne 
les  propriétés  constitutives  et  immuables  d'un  indi- 
vidu, par  opposition  aux  modes  transitoires  dont 
ces  propriétés  sont  le  sujet  ou  le  principe. 

Dieu,  étant  l'être  nécessaire,  Y  essence  et  la  nature 
désignent  un  principe  d'opération  toujours  en  acte  ; 
mais  échappant  par  sa  nature  même  à  toute  modi- 
fication accidentelle  et  transitoire,  la  substance 
désigne  en  lui  l'essence  par  opposition  aux  modes 
d'être  permanents,  qui  constituent  les  trois  per- 
sonnes. 

2.  L'unité  la  plus  haute  et  la  plus  générale  est 
celle  de  l'être  ;  mais  elle  enveloppe  d'autres  unités 
secondaires,  car  les  êtres  s'échelonnent  suivant  un 
ordre  de  continuité  ontologique,  où  ils  se  distinguent 
d'après  leurs  perfections.  Les  uns  existent  ou  sont 
capables  d'exister   sans  avoir   besoin  pour  recevoir 
l'être  ou  pour  s'y  maintenir  du  concours  d'aucune 
autre  cause  seconde,  par  exemple  les  substances  ;  les 
autres  requièrent  naturellement  comme  une  condi- 
tion de  leur  réalisation  l'appui  d'une  cause  seconde 
extérieure  à  eux-mêmes,  par  exemple  les  accidents. 
Or,  la  substance  n'existe  pas  à  l'état  indéterminé 
que  comporte  son   concept  générique  ;    elle  est  en 
vérité  telle  ou  telle.  Une  ligne  de  démarcation  par- 
tage le  genre  suprême  de  la  substance  en  genres 
subalternes,  lesquels  par  des  déterminations  spéci- 
fiques   se    ramifient  jusqu'à    la    dernière   espèce, 
l'espèce  infime.  Or,  Y  espèce  elle-même,    considérée 
objectivement    dans    la  réalité    métaphysique,   est 
essentiellement    un    universel,    qui    requiert    pour 
recevoir  son  actuation  totale  d'être  déterminé  dans 
son  être  substantiel  par  des  caractères  individuants» 
Et  ainsi  Yindividu  est  dans  l'ordre  de  la  substance  l^ 
dernière  unité  à  laquelle  on  arrive. 

3.  L1 individu ,  par  rapport  aux  autres,   est  dans 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITE  6o3 

une  certaine  mesure  absolu  ;  non  seulement  il 
existe,  mais  il  subsiste,  parce  que  à  lui  se  relient 
comme  à  leur  point  d'attache,  se  ramènent  comme 
à  leur  raison  commune,  en  lui  se  concentrent 
comme  dans  un  tout  qui  fait  leur  unité  sans  être 
lui-même  une  fraction  d'une  unité  plus  haute,  les 
degrés  d'être  substantiels  et  accidentels,  par  lesquels 
l'individu  est  déterminé  soit  spécifiquement,  soit 
singulièrement. 

Cette  substance  individuelle,  complète,  autonome, 
s'appelle  un  suppôt,  s'il  s'agit  d'êtres  dénués  de  rai- 
son, une  hypostase,  une  personne,  c'est-à-dire  ce 
qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  toute  la  nature,  s'il 
s'agit  d'êtres  intelligents  et  libres. 

Une  personne,  c'est  donc  une  substance  indivi- 
duelle, complète,  autonome,  intelligente  et  libre  ; 
parce  qu'elle  est  une  substance,  elle  sert  de  point 
d'appui  aux  réalités  accidentelles  qui  la  déterminent  ; 
parce  qu'elle  est  une  nature,  c'est-à-dire  une  énergie, 
une  puissance  active,  elle  peut  se  modifier  elle-même 
et  modifier  tous  les  êtres  susceptibles  de  recevoir 
son  action. 

4.  Nous  trouvons  dans  notre  expérience  intime  la 
matière  des  idées  de  substance  et  de  cause,  de  mode 
et  de  phénomène,  et  notre  esprit  est  amené  sans 
effort  par  le  travail  analytique  le  plus  élémentaire  à 
en  dégager  a  priori  ces  deux  principes  universels  : 
Tout  mode  requiert  une  substance  ;  tout  phénomène 
requiert  une  cause.  Il  est  facile  dès  lors  de  découvrir 
hors  de  soi,  avec  certitude,  des  réalités  invisibles 
aux  sens,  mais  accessibles  à  l'entendement,  dont 
elles  sont  l'objet  propre,  et  qui  ont  pour  fonction 
de  soutenir  dans  l'existence  des  qualités  sensibles 
et  de  poser  dans  l'existence  des  faits  nouveaux, 
perceptibles  à  l'expérience  externe.  Ces  réalités  sont 
les    substances    et   les    causes,    ainsi   appelées   par 


Co4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

analogie  avec  la  réalité  de  même  ordre  révélée  par 
notre  conscience.  Et  comme  le  moi  est  le  dernier 
sujet  d'attribution  de  tout  ce  qu'il  contient,  supporte 
ou  produit,  ainsi,  dans  le  monde  extérieur,  il  est  des 
individus  qui,  sans  pouvoir  être  ramenés  à  une 
individualité  supérieure,  se  possèdent  eux-mêmes  et 
sont  le  sujet  de  tout  ce  qui  est  en  eux,  le  principe 
de  tout  ce  qui  est  par  eux.  Cette  fonction  nouvelle 
qui  complète  la  substance  en  lui  conférant,  dans 
son  espèce,  tout  le  degré  d'être  et  d'autonomie  dont 
elle  est  capable,  s'appelle  subsistance,  qui  désigne  la 
forme  constitutive  de  l'hypostase  et  de  la  personne. 
Enfin  notre  intelligence  arrive  à  connaître  la  subs- 
tance infinie,  sujet  de  la  perfection  absolue,  et  cause 
infinie,  raison  suffisante  du  monde  et  du  moi, 
substance  et  cause  qui  est  la  personne  par  excel- 
lence. 

Notre  raison,  il  est  vrai,  ne  peut  parvenir  à  com- 
prendre la  raison  adéquate  de  substance  ;  elle  affirme 
du  moins  l'identité  physique  et  l'union  indissoluble 
des  deux  formes  de  substance  et  d'hypostase.  Or, 
dans  la  matière  de  sa  connaissance  naturelle,  elle 
ne  peut  puiser  l'idée  de  plusieurs  personnes  subsis- 
tant en  une  seule  nature,  ni  l'idée  d'une  même 
hypostase  subsistant  en  deux  ou  plusieurs  natures. 
Mais  ici  intervient  la  révélation  pour  fournir  une 
notion  complète  de  la  personnalité  dans  ses  rapports 
avec  la  nature.  Et  c'est  à  sa  lumière  que  nous 
apprenons  que  Dieu  est  une  essence  numériquement 
une  et  indivisible,  subsistant  en  trois  personnes 
réellement  distinctes,  et  que  l'une  de  ces  trois  per- 
sonnes subsiste,  sans  perdre  son  unité  hypostatique 
dans  deux  natures  numériquement  distinctes. 

5.  Il  s'agit  donc  d'expliquer,  dans  la  mesure  où 
la  raison  peut  s'y  engager,  et  d'étudier  la  vie 
intérieure    de     la    Trinité    soit    absolument,    soit 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ  6o5 

comparativement    aux    caractères  essentiels    de   la 
personnalité  créée. 

Dieu,  l'être  infini,  est  aussi  l'acte  pur  sans  mé- 
lange de  potentialité.  IL  est  déterminé  par  son 
essence  à  la  plénitude  de  l'être  et  à  la  plénitude  de 
l'opération.  Mais  cette  opération,  au  lieu  de  survenir 
à  sa  vertu  active  comme  une  perfection  nouvelle, 
n'est  que  l'acte  subsistant  d'une  essence  qui  s'iden- 
tifie avec  sa  propre  existence  :  être  et  agir  ne  sont 
en  Dieu  qu'une  seule  et  même  chose,  qu'un  seul  et 
même  Dieu. 

Mais  il  y  a  une  différence  entre  l'opération  divine 
ad  intra,  qui  se  termine  tout  entière  dans  l'essence 
subsistante  d'où  elle  procède,  et  l'opération  divine  ad 
extra  qui,  sans  sortir  formellement  de  cette  essence, 
s'extériorise  pourtant  virtuellement  en  tant  qu'elle 
se  termine  à  la  production  d'un  être  distinct  de 
Dieu.  Dans  ses  opérations  ad  extra,  Dieu  n'épuise 
pas  son  essence  et  ne  saurait  recevoir  le  moindre 
accroissement  des  natures  qu'il  crée,  quelle  que 
puisse  être  d'ailleurs  leur  perfection.  L'activité 
divine  doit  cependant  s'exercer  dans  toute  sa  pléni- 
tude, et  elle  s'exerce  dans  ses  opérations  ad  intra  : 
cet  acte  infini  demeure  tout  entier  dans  le  principe 
essentiel  d'où  il  émane  et  avec  lequel  il  se  confond. 

Or,  toute  action  aboutit  à  un  terme  distinct 
d'elle-même  et  qui  se  rapporte,  soit  à  l'agent  comme 
à  son  principe,  soit  à  l'opération  comme  au  lien  de 
l'un  et  de  l'autre.  L'action  divine  ad  intra  produit 
donc  un  terme,  et  la  perfection  de  ce  terme  répond 
à  la  perfection  de  l'opération  et  à  la  perfection  de  la 
nature  ;  la  nature  enveloppe  l'opération  et  son  terme 
et  se  développe  pleinement  par  eux  ;  ce  terme  ad 
intra  sera  donc  infini. 

6.  .Mais,  tandis  que  dans  les  créatures  le  principe 
et  la  fin  sont  distincts,  en  Dieu  ils  se  confondent 


Co6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  l'identification  est  complète.  Sans  doute,  Dieu  a 
un  comment  et  un  pourquoi  ;  ce  comment  est  son 
principe,  ce  pourquoi  est  sa  fin,  principe  et  fin 
immanents.  Le  comment  de  son  être  est  dans  l'ex- 
cellence métaphysique  de  l'essence  infinie,  et  le 
pourquoi  dans  cette  excellence  souveraine,  qui 
n'étant  susceptible  d'aucune  augmentation,  est  à 
elle-même  sa  fin,  son  complément.  Aussi  les  actes 
immanents  de  Dieu  ad  intra  s'accomplissent-ils 
d'une  manière  nécessaire,  non  point  que  cette 
nécessité  s'impose  à  l'activité  infinie  comme  une 
violence  subie,  car  la  nécessité  est  très  compatible 
avec  la  volonté  ;  si  elle  s'oppose  à  la  liberté,  elle 
s'allie  avec  la  spontanéité  réfléchie  et  consciente  ; 
si  elle  exclut  le  choisir,  elle  n'exclut  pas  le  vouloir 
et  le  consentir.  Dieu  a  dans  son  essence  la  loi  de  tout 
son  être  et  de  son  agir,  non  que  cette  loi  le  cons- 
titue dans  un  état  de  dépendance  par  rapport  à 
autrui,  puisque,  étant  à  lui-même  sa  raison  d'être 
totale,  il  ne  relève  que  de  lui-même  ;  non  que  cette 
loi  soit  en  lui  la  régularisatrice  d'un  mouvement 
véritable  qui  le  porterait  d'un  point  de  son  être  à 
un  autre  point  de  son  être  ;  mais  comme  la  loi 
contient  le  rapport  essentiel  de  ce  qu'un  être  est  à 
ce  qu'il  doit  être,  il  faut  aussi  que  Dieu,  qui  est 
nécessairement,  ait  un  rapport  à  l'être  qu'il  possède 
et  qui  lui  est  dû  essentiellement.  La  loi  de  son  être 
se  confond  donc  avec  cet  être  lui-même  ;  elle  n'a 
pas  d'autre  formule  que  la  nécessité  de  l'être  divin 
et  son  absolue  autonomie. 

La  puissance  incréée,  pure  de  toute  potentialité, 
se  confond  donc  avec  son  acte  propre,  et  puisqu'elle 
est  l'acte  subsistant,  s'identifie  pareillement  avec  la 
substance  :  nature,  puissance,  opération  ne  sont 
donc  en  Dieu  qu'une  seule  et  même  chose.  Cepen- 
dant nous  concevons  la  nature  ou,  plus  proprement 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE   LA   TRINITE  607 

l'essence  comme  la  forme  de  la  divinité  à  l'état 
purement  statique  ;  au  contraire,  en  tant  que  cette 
essence  est  le  principe  virtuellement  dynamique  de 
sa  perfection  et  atteint  de  toute  éternité,  sans  mou- 
vement véritable,  la  plénitude  de  son  développement, 
on  lui  donne  le  nom  plus  spécial  de  vertu  opérative 
ou  d'opération.  Et  l'on  conçoit  en  Dieu  son  opération 
comme  un  mouvement  virtuel  dans  la  nature 
divine,  formellement  identique  à  cette  nature,  et 
par  lequel  celle-ci  se  porte  en  quelque  sorte  vers 
elle-même,  considérée  comme  terme  et  fin  imma- 
nents de  l'essence  subsistanie.  Et  ainsi  l'action  ad 
intra  est  nécessaire  au  même  titre  que  l'être  de  Dieu. 

7.  Gela  nous  mène  à  une  conclusion  qui  nous 
rapproche  de  l'explication  formelle  de  la  trinité  des 
hypostases  dans  l'unité  de  sa  nature. 

En  effet  :  puisque  la  raison  immanente  de  fin 
détermine  nécessairement  en  Dieu  une  opération 
immanente,  elle  déterminera  aussi  le  caractère  de 
cette  opération.  Or,  toute  fin,  en  tant  que  fin,  exige, 
pour  provoquer  le  mouvement  d'un  être,  d'être 
connue  par  cet  être.  À  son  tour,  cette  connaissance 
engendre  un  mouvement  de  la  volonté  qui,  com- 
muniquant son  impulsion  à  l'être  tout  entier,  le  fera 
tendre  à  la  possession  de  la  fin.  Or,  en  Dieu,  pas  de 
bien  à  acquérir,  puisqu'il  est  sa  propre  fin.  L'action 
immanente  de  Dieu  ne  saurait  donc  consister  que 
dans  un  acte  de  connaissance  et  un  acte  de  volonté, 
par  lesquels  il  atteindra  adéquatement  la  vérité  de 
son  essence  et  aimera  par  un  acte  non  moins 
compréhensif  la  bonté  de  cette  même  essence.  Dieu, 
étant  l'être  infini,  possède  dans  son  essence  toutes 
les  raisons  de  vérité  et  de  bonté  :  il  est  l'universel 
intelligible  et  l'universelle  boulé,  ou  plutôt  il  est  la 
vérité  et  la  bonté  subsistantes.  Il  lui  suffit  d'un  seul 
acte  de  connaissance  pour  atteindre  le  vrai  dans 


6o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


toute  sa  plénitude  ;  il  lui  suffît  d'un  seul  acte  de 
volonté  pour  ,  embrasser  le  bien  dans  toute  sa 
plénitude. 

Or,  tout  acte  a  un  terme  ;  les  opérations  divines 
ad  inlra  ont  donc  aussi  un  point  d'arrivée.  L'acte 
par  lequel  Dieu  se  connaît  a  donc  un  terme  qui  est 
sa  propre  représentation,  sa  Parole  intérieure,  son 
Verbe  ;  et  le  terme  d'une  activité  infinie  devant  être 
lui  aussi  infini,  il  en  résulte  que,  puisque  l'essence 
divine  répugne  à  toute  multiplication,  ce  terme 
infini  se  confond  réellement  avec  cette  essence.  De 
même  pour  l'acte  par  lequel  Dieu  se  veut  et  s'aime. 

8.  Mais  chacun  de  ces  deux  termes  des  opérations 
divines  ad  intra  se  distingue   de   son  principe  par 
une  opposition  qui  les   rend  irréductibles.  Le  prin- 
cipe et  le  terme  de  l'acte  de  connaissance   sont  dès 
lors,  comme  tels,  formellement  incommunicables  ; 
de  même  le  principe  et  le  terme  de  l'acte  de  volonté. 
Il  faut   donc  distinguer,   dans  l'unité  d'une  même 
essence,  un  principe  infini  avec  deux  termes  infinis. 
Et  la  distinction  n'est  pas  seulement  entre  ce  prin- 
cipe unique  et  les  deux  termes,  mais  encore   entre 
les  deux  termes  eux-mêmes.  Car  si  Dieu  se  connaît 
et    s'aime    par  un    seul  acte  qui  est   son   essence, 
autre  est  le  point  sous  lequel  il  se  connaît,  autre 
celui  sous  lequel  il  s'aime  ;  car  il  se  connaît  en  tant 
que   vérité   infiniment  intelligible,  et  il  s'aime  en 
tant  que  bonté  infiniment  aimable.    La   simplicité 
de  l'être  divin  n'empêche  donc  pas  que  la  diversité 
des  objets  formels,   sous  lesquels  Dieu  atteint  son 
essence,    n'engendre    une   dualité  de   même  ordre 
dans   l'opération  divine  et  dans  le  terme  de  cette 
opération. 

Or,  les  actes  immanents  ne  se  distinguent  pas  de 
leur  principe  ni  entre  eux,  au  même  titre  que  les 
termes  de  ces  actes.  Les  actions  ad  inlva,  considérées 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ    '  609 


abstraction  faite  de  leurs  termes,  ne  posent  en 
Dieu  rien  de  nouveau,  mais  se  confondent  avec  le 
principe  agissant  ;  mais  si  on  les  envisage  in  sensu, 
composito  termini,  c'est-à-dire  comme  posant  en 
dehors  du  principe  le  terme  vers  lequel  Celui-ci 
tend  par  son  opération,  elles  se  subjectent  dans 
deux  réalités  distinctes,  soit  du  principe,  soit  l'une 
de  l'autre.  L'essence  divine,  principe  de  l'acte 
d'intelligence,  se  distingue  d'elle-même  considérée 
comme  objet  de  connaissance,  mais  seulement  sous  le 
rapport  où  elle  s'exprime  elle-même  par  son  Verbe; 
elle  ne  se  distingue  de  ce  chef  que  du  terme  de  son 
opération,  lequel  est  son  Verbe  ou  sa  Parole.  De 
même  Dieu  se  distingue  de  son  essence,  objet  de 
son  amour,  par  le  côté  où  cette  essence  pénètre 
pour  ainsi  dire  dans  le  principe  aimant  et  termine 
son  opération.  D'où  il  suit  que  la  dualité  seulement 
virtuelle  de  l'opération  par  laquelle  l'essence  divine 
se  connaît  et  s'aime  elle-même  comme  le  vrai  et  le 
bien  substantiels,  aboutit  à  la  dualité  de  deux 
termes  réellement  distincts. 

9.  Cette  mutuelle  distinction  est  fondée  autant  sur 
leur  opposition  réciproque  que  sur  leur  opposition 
respective  à  leur  commun  principe.  Car  si  le  terme 
formel  de  l'acte  de  connaissance  est  en  corrélation 
de  procession  avec  le  principe  de  cet  acte,  il  faut 
affirmer  le  même  rapport  entre  le  Verbe  et  le  terme 
de  l'acte  de  volonté.  Le  Verbe  éternel  manifestant  à 
son  principe  la  bonté  de  la  nature  divine,  c'est  en 
communion  avec  ce  Verbe,  et  c'est  par  ce  Verbe 
que  le  principe  de  l'acte  intellectif  produit  le  terme 
de  l'acte  d'amour.  Ce  dernier  se  distingue  donc  par 
une  commune  opposition  et  du  principe  du  Verbe 
et  du  Verbe  lui-même. 

Il  y  a  donc  en  Dieu  trois  sujets  irréductibles  l'un 
à  l'autre  et  s'opposant  comme  des  termes  que   de 

LH    CATÉCHISME.  T.  I.  29 


6lO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

—  ■  ■  -  ■■'  -  ■  ■  ■ ■  ■  —  ■  m. 

mutuelles  relations  rendent  incommunicables  ; 
mais,  par  ailleurs,  chacun  de  ces  sujets  s'identifie 
avec  la  nature  divine.  Chacun  d'eux  subsiste  donc, 
puisque  cette  nature  est  une  subsistance  ;  et  il 
subsiste  pleinement,  c'est-à-dire  ajoute  à  l'indépen- 
dance substantielle  de  l'être  divin,  considéré  abso- 
lument, l'indépendance  hypostatique  ou  l'incom- 
municabilité. Et  chacun  d'eux  est  une  personne, 
puisque  leur  distinction  est  fondée  sur  des  relations 
de  procession  ou  d'origine,  qui  sont  comme  les 
points  extrêmes  d'un  acte  de  connaissance  intellec- 
tuelle et  d'un  acte  d'amour  spirituel.  Il  y  a  donc 
en  Dieu  trois  personnes,  qu'il  convient  de  désigner 
par  des  noms  personnels. 

10.  Reste  à  déterminer  la  nature  de  ces  processions. 
L'acte  d'intelligence,  ayant  pour  objet  direct  et 
formel  de  produire  un  terme  qui  est  la  représen- 
tation de  l'objet  connu,  on  peut  et  on  doit  dire  que 
l'acte  par  lequel  Dieu  produit  son  Verbe,  c'est-à- 
dire  la  Parole  vivante,  qui,  en  vertu  de  la  proces- 
sion même  dont  il  est  le  terme,  l'exprime  et  le 
représente  tout  entier,  est  une  génération,  puisque 
la  génération  se  définit  :  Origo  viventis  a  vivente, 
principio  conjuncto,  in  similiiudinem  naturœ,  vi  pro- 
cessionis  formaliter . 

Or  la  génération  est  le  fondement  d'une  double 
relation  de  paternité  et  de  fdiation  :  au  principe  de 
la  génération  du  Verbe,  au  sujet  de  la  relation  de 
paternité,  correspond  donc  le  nom  de  Père  ;  au 
terme  de  cette  génération,  au  sujet  de  la  relation  de 
filiation,  celui  de  Fils. 

ii.  Quant  au  terme  de  l'acte  d'amour,  l'acte  qui 
le  produit  lui  communique  l'essence  infinie,  et.  par 
ce  côté,  sa  procession  ressemble  à  la  précédente  ; 
mais,  parce  que  le  terme  formel  de  cet  acte  n'est 
pas  la  production   d'une  représentation  de  l'objet 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA   TRINITE       '         6ll 

aimé,  cet  acte  n'a  pas  le  caractère  d'une  génération 
proprement  dite.  Dès  lors,  si  la  troisième  personne 
reçoit  avec  sa  personnalité  la  nature  divine,  ce  n'est 
pas  formellement  en  raison  de  l'opération  d'amour 
dont  elle  dérive,  mais  en  tant  qu'elle  terminé  une 
opération  divine.  Par  suite,  la  génération  étant, 
pour  nous,  le  seul  mode  naturellement  connu  par 
lequel  un  être  communique  à  un  autre  son  essence 
spécifique,  il  nous  est  impossible  de  concevoir 
directement  entre  les  deux  premières  personnes  et 
la  troisième  une  relation  dont  l'idée  soit  distincte 
de  celle  de  la  procession  qui  la  fonde.  Or  cette  der- 
nière est  une  opération  d'amour  que  nous  appelons 
Spiration.  Considéré  dans  son  principe,  l'acte  de 
volonté  constitue  la  relation  de  Spiration  active  ; 
considéré  dans  son  terme,  il  fonde  la  relation  de 
Spiration  passive,  à  laquelle  répond  le  nom  person- 
nel de  Saint-Esprit. 

12.  Mais  comme  en  Dieu  l'abstrait  s'identifie 
avec  le  concret,  la  Paternité  sera  le  Père,  la  Filiation 
le  Fils,  et  la  Spiration  passive  le  Saint-Esprit.  C'est 
dire  que  les  personnes  divines  sont  des  relations 
subsistantes ,  lesquelles,  à  leur  tour,  ne  sont  que  la 
nature  divine  subsistant  en  trois  hypostases,  par 
lesquelles  elle  s'oppose  à  elle-même,  et  dont  cha- 
cune, l'embrassant  dans  sa  plénitude,  se  distingue 
d'elle  par  une  pure  distinction  de  raison. 

En  outre,  il  n'y  a  en  Dieu  qu'un  Père,  qu'un  Fils» 
qu'un  Saint-Esprit.  Les  trois  personnes,  il  est  vrai, 
connaissent  et  aiment  ;  mais  ce  n'est  pas  par  le  côté- 
où  elles  se  distinguent  et  s'opposent  mutuellement, 
c'est  par  celui  où  elles  s'identifient  dans  l'unité 
d'une  même  et  indivisible  essence.  Leur  distinction 
vient  tout  entière  de  ce  que  cette  unique  essence  ou 
nature,  par  elle-même  subsistante,  s'oppose  réelle- 
ment à  elle-même,   considérée  comme  principe  et 


6l2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

terme  formellement  irrréductible  d'une  double 
opération.  De  la  distinction  réelle  du  principe  et 
des  termes  naît  la  trinité  des  subsistances  incom- 
municables, c'est-à-dire  la  trinité  des  hypostases 
ou  personnes. 

i3.  La  personnalité  divine  a  donc  une  double 
racine  ;  car  la  raison  de  la  subsistance  est  tout 
entière  dans  la  nature  considérée  absolument,  tan- 
dis que  la  raison  de  son  incommunicabilité  est 
uniquement  dans  l'opposition  des  relations  subsis- 
tantes. Cette  opposition,  du  reste,  est  le  seul  fonde- 
ment de  la  multiplication  des  hypostases  ;  car  la 
personne  est  un  tout  fermé,  une  unité  distincte  et 
indépendante  des  autres  unités.  Or  ce  sont  là  les 
effets  formels  de  l'incommunicabilité.  Il  est  donc 
vrai  de  dire  que  les  relations  réelles  sont  la  raison 
pour  laquelle  la  subsistance  de  la  nature  divine,  ail 
lieu  de  s'arrêter  et  de  se  terminer  dans  cette  nature 
considérée  absolument,  se  multiplie  avec  la  raison 
d'incommunicabilité,  essentielle  à  la  subsistance 
hypostatique  ou  personnelle.  Mais  arrivée,  en  vertu 
de  sa  loi  interne,  à  cette  perfection  de  développement 
immanent,  la  substance  divine  atteint  le  suprême 
degré  d'incommunicabilité  personnelle,  en  sorte 
que  non  seulement  le  caractère  absolu  de  cette 
substance  lui  assure  une  transcendance  inaliénable, 
mais  encore  les  personnes  qui  se  constituent  dans 
l'unité  de  son  essence  ferment  la  série  des  opérations 
intérieures  et  possèdent,  de  ce  chef,  avec  la  nature 
divine  dans  laquelle  elles  subsistent,  une  perfection 
hypostatique  infinie  comme  cette  nature  que  cha- 
cune d'elles  embrasse  adéquatement. 

II.  Enseignement  de  saint  Thomas 

!     i.  Avant  de  s'occuper  de  chacune  des  personnes 


PROCESSIONS    ET    RELATIONS  6l3 

_i  i  - 

de  la  Trinité,  saint  Thomas  commence  par  établir 
le  nombre  de  processions  et  de  relations  qui  existent 
en  Dieu  (i). 

La  procession  n'est  autre  chose  que  l'origine  d'un 
être  venant  d'un  autre  être.  Si  cet  être  sort  de  son 
principe  pour  former  un  être  distinct,  extérieur, 
séparé,  la  procession  est  dite  transitive  ;  si,  au  con- 
traire, l'être  reste  dans  son  principe,  elle  est  dite 
immanente.  C'est  de  cette  dernière  qu'il  s'agit  ici.  Il 
y  a  autant  de  relations  en  Dieu  que  d'actes  imma- 
nents. Or,  dans  toute  nature  intellectuelle,  les  actes 
immanents  ne  sont  qu'au  nombre  de  deux,  savoir 
l'acte  de  l'intelligence  et  l'acte  de  la  volonté.  Il  y  à 
donc  deux  processions  en  Dieu  et  il  ne  peut  y  en 
avoir  que  deux  :  l'une,  celle  de  l'intelligence  divine, 
par  laquelle  Dieu  comprend  la  vérité  totale  de  son 
essence  ;  l'autre,  celle  de  la  volonté  divine,  par 
laquelle  il  veut  et  aime  la  bonté  totale  de  son  essence. 
La  première  n'est  autre  que  la  procession  du  Verbe 
et  porte  le  nom  propre  de  génération,  parce  qu'elle 
exprime  l'origine  d'un  être  vivant,  qui  tient  d'un 
être  vivant  comme  lui,  la  même  nature  spécifique  ; 
la  seconde  est  celle  de  l'Amour  et  s'appelle  la  Spira- 
tion,  parce  qu'elle  exprime  le  mouvement  de  la 
volonté  vers  l'objet  aimé. 

2.  Cette  double  procession  pose  en  Dieu,  non  pas 
des  relations  purement  logiques  ou  de  simples  moda- 
lités, mais  des  relations  réelles,  de  vraies  réalités. 
Sans  doute,  parce  que,  en  Dieu,  rien  n'existe  à  la 
manière  des  accidents  et  que  tout  est  substantiel,  ces 
relations  ne  font  qu'un  avec  l'essence  divine  et  ne 
s'en  distinguent  que  dans  notre  manière  de  les  con- 
cevoir, mais,  entre  elles,  elles  se  distinguent  réelle- 
ment les  unes  des  autres.  Or  cette  distinction  réelle 

i.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xxvn. 


tôl4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  pouvant  être  dans  l'essence,  dans  l'être  absolu, 
où  règne  l'unité  souveraine,  la  suprême  simplicité, 
se  trouve  dans  l'être  relatif,  c'est-à-dire  dans  les 
personnes. 

Le  nombre  de  ces  relations  est  de  quatre,  ni  plus 
ni  moins  ;  car  toute  relation  est  fondée,  ou  sur  la 
quantité  —  et  celle-ci  ne  saurait  exister  en  Dieu  qui 
est  un  pur  esprit,  —  ou  sur  l'action  et  la  passion, 
comme  cause  et  effet,  père  et  fils,  maître  et  serviteur. 
En  Dieu,  la  relation  a  pour  fondement  l'action,  non 
pas  l'action  transitive,  mais  l'action  immanente,  qui 
détermine  les  processions  intimes  dans  le  sein  de 
l'Etre  infini.  Or  deux  actions  de    cette  nature,  et 
deux  seulement,  nous  venons  de  le  dire,  se  consom- 
ment dans  l'essence  divine  :  l'action  de  l'intelligence, 
qui  donne  lieu  à  la  génération  du  Verbe,  et  l'action 
de  la  volonté,  qui  est  le  principe  de  la  procession 
de   l'Amour.  Mais  de  chacune  de  ces  processions 
naissent,  par  opposition  l'une  à  l'autre,  deux  rela- 
tions :  la  relation  du  principe  au  terme,  et  la  relation 
du  terme  au  principe.  La  procession  du  Verbe  étant 
une  génération,  il  y  a  la  relation  active  de  paternité, 
propre  au  principe  générateur,  et  la  relation  passive 
de  filiation,  propre  au  Verbe  engendré.  Quant  à  la 
procession    de   l'Amour,    elle  constitue  la  relation 
active  de  spiration  dans  le  principe  et  la  relation 
passive  de  procession  dans  le  terme. 

3.  Ces  deux  processions  et  ces  quatre  relations 
impliquent  l'existence,  en  Dieu,  de  trois  personnes 
et  rien  que  de  trois.  Mais  qu'entendre  par  ce  mot 
personne?  Il  sert  à  désigner  le  parti "'dier  ou  V individu, 
dans  la  catégorie  de  substance,  et  plus  spécialement 
ou  proprement  dans  la  catégorie  de  substance  rai- 
sonnable. La  personne  est  donc  une  substance 
particulière,  individuelle,  de  nature  raisonnable  ; 
elle  exprime  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  toute 


LES    PERSONNES    DIVINES  6l5 

la  nature,  l'être  subsistant  et  raisonnable.  Ce  terme 
convient  donc  à  Dieu,  non  comme  il  convient  aux 
créatures,  mais  dans  un  sens  beaucoup  plus  élevé» 
Il  ne  se  trouve  pas,  il  est  vrai,  textuellement  dans 
la  sainte  Ecriture,  mais  il  y  est  d'une  manière 
équivalente. 

Ce  qui  rend  difficile  de  circonscrire  son  sens  dans 
la  Trinité,  c'est,  d'une  part,  qu'il  se  dit  au  pluriel, 
contrairement  aux  noms  qui  désignent  l'essence, 
et  c'est,  d'autre  part,  qu'il  n'exprime  rien  de  relatif, 
à  l'inverse  des  noms  qui  expriment  les  rapports  des 
êtres.  Il  signifie  la  substance  individuelle  d'une 
nature  raisonnable.  Or,  l'individu  se  distingue  de 
tout  autre  individu.  Et  la  distinction,  en  Dieu,  ne 
provient  que  des  relations  d'origine.  Mais  ces  rela- 
tions ne  sont  pas,  en  Dieu,  des  entités  modales, 
des  accidents  inhérents  au  sujet,  elles  sont  l'essence 
divine  elle-même,  et  par  suite  elles  subsistent 
comme  elle  et  constituent  des  relations  subsistantes. 
Or,  ces  relations  subsistantes  se  distinguent  entre 
elles  par  leur  opposition  relative.  Donc  deux  rela- 
tions opposées  doivent  nécessairement  appartenir  à 
deux  personnes.  Dès  lors,  la  paternité  et  la  filiation, 
formant  deux  relations  qui  s'opposent,  appartien- 
nent à  deux  personnes  :  la  paternité  subsistante  est 
la  personne  du  Père,  la  filiation  subsistante  est  la 
personne  du  Fils. 

Quant  aux  deux  autres  relations,  la  spiration 
active  et  la  spiration  passive,  elles  ne  sont  pas 
opposées  aux  précédentes,  c'est-à-dire  à  la  paternité 
et  à  la  filiation,  mais  elles  forment  opposition  à 
l'égard  l'une  de  l'autre,  et  par  suite  ne  peuvent 
convenir  toutes  les  deux  à  une  seule  et  même  per- 
sonne. Mais  à  qui  convient  la  spiration  active  ? 
Est-ce  au  Père  ou  au  Fils?  Est-ce  à  l'un  et  à  l'autre 
en  même  temps  ?  C'est  à  tous  les  deux  à  la  fois, 


6l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■—  -"  '       '  ■  —■  —  ■—  —  i  1   ■      -  ■  ■  ■  ■  ii»  !  i— ^^m 

d'autant  plus  que  cette  spiration  active  ne  renferme 
aucune  opposition  ni  vis-à-vis  de  la  paternité,  ni 
vis-à-vis  de  la  filiation.  Et  quant  à  la  spiration 
passive,  elle  appartient  en  propre  à  la  troisième 
personne,  à  la  personne  du  Saint-Esprit.  D'où  il 
suit  qu'il  y  a  trois  personnes  en  Dieu. 

k.  Il  y  a  trois  personnes  en  Dieu  et  il  ne  peut  y 
en  avoir  que  trois,  ce  qui  est  proprement  le  mystère 
de  la  sainte  Trinité,  l'unité  de  trois,  trima  wiitas, 
une  essence  et  trois  personnes,  mystère  qui  demeure 
inaccessible  aux  seules  lumières  de  la  raison.  La 
raison  naturelle,  en  effet,  ne  peut  connaître  Dieu 
que  par  les  créatures.  Or,  les  créatures  conduisent 
à  la  connaissance  de  Dieu  comme  l'effet  conduit  à 
la  connaissance  de  la  cause.  La  raison  peut  donc 
découvrir  uniquement  les  attributs  que  Dieu  pos- 
sède comme  principe  des  êtres,  comme  créateur. 
Mais  comme  la  puissance  créatrice  est  commune  à 
toute  la  Trinité,  elle  appartient  à  l'unité  de  l'essence 
divine,  et  non  à  la  pluralité  des  personnes,  et  ne 
peut  dès  lors  rien  nous  apprendre  sur  les  personnes, 
en  tant  que  personnes. 

Du  reste,  vouloir  établir  la  trinité  des  personnes 
sur  des  preuves  tirées  de  la  raison  pure,  serait  déro- 
ger doublement  à  la  foi,  dit  saint  Thomas.  D'abord, 
en  blessant  sa  dignité  ;  car  elle  a  pour  objet  les 
choses  invisibles.  Ensuite,  en  éloignant  autrui  de 
la  foi  ;  car  lorsqu'on  apporte  en  faveur  de  la  foi  des 
preuves  irrésistibles,  on  tombe  sous  la  dérision  des 
impies,  qui  s'imaginent  que  nous  croyons  en  nous 
appuyant  sur  ce  genre  de  preuves.  A  ceux  qui  ad- 
mettent l'autorité,  prouvons  notre  doctrine  par 
l'autorité  ;  à  ceux  qui  la  repoussent,  contentons- 
j  nous  de  montrer  que  les  choses  de  la  foi  ne  renfer- 
i  ment  rien  d'impossible,  rien  de  contraire  à  la  raison. 
Relativement  à  l'existence  de  Dieu,  les  raisonnements 


LES    PERSONNES    DIVINES  -         617 

i-  — — — — — — — — - ^— 

sont  démonstratifs  ;  relativement  à  la  Trinité,  ce  ne 
sont  que  des  raisonnements  de  convenance.  Les 
analogies  elles-mêmes  que  nous  trouvons  dans  notre 
âme  ne  fournissent  pas  de  preuve  démonstrative  de 
la  Trinité,  parce  que  l'intelligence  humaine  diffère 
essentiellement  de  l'intelligence  divine.  Et,  comme 
le  dit  saint  Augustin,  ce  n'est  pas  la  science  qui 
mène  à  la  foi,  «  c'est  la  foi  qui  mène  à  la  science.  » 

5.  Un  pas  de  plus,  et  l'on  aura  les  notions  suffi- 
santes pour  désigner  les  trois  personnes  de  la  Tri- 
nité. La  notion  est  la   raison  propre,  l'idée  particu- 
lière, le  signe  caractéristique,  la  marque  distinctive, 
l'attribut  spécial  qui  dénonce,  révèle,  notifie  et  fait 
connaître     distinctement    les    personnes    divines. 
Jusqu'ici  nous  avons   trouvé  quatre  notions  ;  il  en 
est  une  cinquième  à  faire  connaître.  Les  personnes 
divines,  en  effet,  se  multiplient  et  se  révèlent  par 
l'origine,  ou  comme  principe  ou  comme  terme.  Or, 
le  Père  ne  procède  de  personne,  et,  sous  ce  rapport, 
la  notion  qui  lui  confient  est  celle  d'innascibililé; 
mais,  en  tant  que  principe,  il  se  caractérise  double- 
ment, par  la  paternité  à  l'égard  du  Fils,  par  la  spi- 
ration  commune  à  l'égard  du  Saint-Esprit.  Le  Fils, 
procédant  de  son  Père  par  la  génération  est  notifié 
par  la  filiation.  Le  Saint-Esprit  a  pour  unique  note 
caractéristique  la  procession,  car  il  n'est  le  principe 
d'aucune  autre  personne.  Il  y  a  donc  cinq  notions  en 
Dieu  :  Yinnascibililé,  la  paternité,  la  filiation,  la  spira- 
tion  active  et  la  spiration  passive  de  procession.  De 
ces  cinq  notes,  quatre  constituent  des  relations,  car 
l'innascibilité  à  vrai  dire  n'est  pas  une  relation  ; 
quatre  sont  des  propriétés,  car  la  spiration  active 
commune  au  Père  et  au  Fils  n'appartient  pas  exclu- 
sivement à  une  seule  personne  ;  et  trois  enfin  sont 
des  notions  personnelles,  savoir  :  la  paternité,  la  filia- 
tion et  la  procession. 


6l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6.  Certains  attributs  sont  communs  à  l'essence 
divine;  d'autres  sont  propres  à  chaque  personne  en 
particulier.  Et  c'est  ainsi  qu'on  peut  appeler  la  pre- 
mière personne  :  Principe,  Père  non-engendré.  Prin- 
cipe signifie  l'origine,  la  source,  la  souche  d'où 
vient,  sort  ou  découle  une  chose.  Appliqué  à  Dieu, 
ce  mot  peut  s'entendre  des  attributs  communs,  et 
dans  ce  cas,  il  implique  des  actes  extrinsèques  dont 
le  terme  est  en  dehors  de  Dieu,  dans  les  créatures  ; 
il  peut  s'entendre  aussi  des  attributs  propres,  et, 
dans  ce  cas,  il  vise  les  actes  intrinsèques,  imma- 
nents, dont  le  terme  est  Dieu  même  ;  mais  comme 
en  Dieu  il  y  a  deux  processions,  il  y  a  aussi  deux 
principes,  l'un  qui  est  exclusif  au  Père,  comme 
source  de  toute  la  divinité,  l'autre  qui  appartient  au 
Père  et  au  Fils  vis-à-vis  du  Saint-Esprit.  La  pre- 
mière personne  est  encore  désignée  sous  le  nom  de 
Père,  car  la  paternité  est  sa  propriété  personnelle, 
et  sous  le  nom  à'innascïble  ou  de  non-engendré, 
parce  qu'elle  n'a  pas  de  principe  d'où  elle  dérive, 
étant  elle-même  le  principe  de  tout. 

La  seconde  personne  porte  le  nom  propre  de 
Fils,  parce  qu'elle  est  engendrée  par  le  Père  ;  de 
Verbe,  parce  qu'elle  est  le  concept  intérieur  qui  pro- 
cède de  l'intelligence  divine  et  l'exprime  totalement; 
et  d'Image,  parce  qu'elle  représente  pleinement  son 
modèle  et  est  sa  parfaite  image. 

La  troisième  personne  porte  le  nom  d'Esprit, 
consacré  par  l'Ecriture,  car  ce  mot  signifie  souffle, 
impulsion,  et  représente  le  mouvement  de  la 
volonté  ;  d'Amour,  parce  que,  personnellement,  elle 
procède  par  amour  et  est  l'amour  subsistant  ;  de 
Don,  parce  que  le  propre  de  l'amour  est  de  donner 
;  de  sa  plénitude  et  que  le  Saint-Esprit  procède  aussi 
comme  don  de  Dieu. 

7.  Comparées  avec  l'essence  divine,  ces  personnes 


LES    PERSONNES    DIVINES  6 IQ 

ne  nuisent-elles  pas  à  l'unité  de  Dieu?  Non,  répond 
saint  Thomas.  Car,  en  Dieu,  les  relations  sont 
L'essence  divine  elle-même.  Il  n'y  a  donc  entre  les 
personnes  et  la  nature  divine  qu'une  distinction  de 
raison,  virtuelle,  purement  logique.  Considérée 
absolument,  en  soi,  ou  dans  ses  rapports  avec  les 
personnes,  l'essence  divine  est  une  ;  elle  se  com- 
munique totalement  et  identiquement  aux  trois  per- 
sonnes, qui,  elles,  se  distinguent  réellement  entre 
elles  à  cause  de  leurs  relations  d'origine.  Il  n'y  a 
donc  qu'une  seule  essence  divine  en  trois  person- 
nes ;  ces  trois  personnes  sont  Dieu,  elles  ne  for- 
ment pas  trois  Dieux. 

8.  Considérées  dans  leurs  rapports  avec  les  relations 
ou  les  propriétés,  les  personnes  et  les  relations  sont 
identiques  ;  car,  d'une  part,  les  relations,  entités 
réelles  dans  l'Etre  nécessaire,  sont  l'essence  divine, 
et  d'autre  part,  l'essence  divine  est  la  même  chose 
que  la  personne.  Mais  les  personnes  se  distinguent 
entre  elles  par  les  relations. 

9.  Comparées  entre  elles,  les  trois  personnes  sont 
parfaitement  égales  en  toutes  choses,  aussi  ancien- 
nes, aussi  puissantes,  aussi  parfaites  l'une  que 
l'autre;  la  moindre  inégalité  romprait  l'unité  de 
l'essence  divine.  On  peut  donc  prendre  tous  les 
attributs  communs  et  les  appliquer  à  chaque  per- 
sonne, ainsi  que  l'a  fait  le  symbole  de  saint 
Athanase.  Toutefois  cette  absence  de  succession  ou  f 
d'inégalité  n'empêche  pas  qu'il  y  ait  clans  la  Trinité  ! 
un  ordre  d  origine  entre  les  personnes,  non  que 
Tune  précède  l'autre,  puisqu'elles  sont  éternelle- 
ment ce  qu'elles  sont,  mais  simplement  parce  que 
l'une  procède  de  l'autre.  La  procession  est  éternelle  : 
le  Père  est  Père,  le  Fils  est  Fils,  le  Saint-Esprit  est 
Saint-Esprit,  de  toute  éternité.  Donc  égalité  parfaite, 
mais  avec  subordination  d  origine. 


Ô20  LE  CATÉCHISME  ROMAIN 


La  procession  qui  est  nécessaire  et  éternelle  est 
aussi  immanente  :  d'où  l'idée  de  la  7rspi-//opv|(Tiç,  comme 
disaient  les  grecs,  ou  de  la  circuminsessio,  comme 
disent  les  scolastiques.  Ce  terme  latin,  remarque 
Petau,  est  loin  de  rendre  toute  la  valeur  du  mot 
grec,  introduit  dans  la  théologie  par  saint  Jean 
Damascène.  La  cir  cumins  es  sion  signifie  i'inhabitalion 
des  personnes  divines  l'une  dans  l'autre  ;  car,  par 
l'unité  d'essence,  les  trois  personnes  divines  se 
compénètrent  mutuellement.  Notre  Seigneur  disait: 
«  Ne  croyez-vous  pas  que  je  suis  dans  le  Père  et  que  le 
Père  est  en  moi  ?  »  Et  saint  Jérôme  a  pu  dire  que 
«  le  Fils  est  le  lieu  du  Père,  comme  le  Père  est  le 
lieu  du  Fils.  »  La  périchorêsis  signifie  en  plus  une 
circulation  vivante,  incessante,  l'épanchement  sans 
fin  du  Père  dans  le  Fils  et  le  retour  du  Fils  vers  sa 
source,  double  mouvement  qui  part  de  l'unité  et 
revient  à  l'unité. 

10.  L'exposition  de  ce  mystère  est  si  délicate  et 
si  difficile  que  saint  Thomas  a  tracé  quelques  règles 
précises  pour  permettre  d'en  parler  correctement. 
Parmi  les  noms  essentiels,  dit-il,  les  uns  désignent 
l'essence  divine  substantivement,  les  autres  adjective- 
ment. Les  premiers  se  disent  au  singulier,  les  autres 
se  disent  au  pluriel  des  trois  personnes.  Dans  la 
Trinité,  l'essence  est  souverainement  une,  infini- 
ment simple  ;  aussi  les  noms  qui  l'expriment 
doivent-ils  se  dire  des  trois  personnes  au  singulier  ; 
Platon,  Socrate  et  Gicéron  s'appellent  trois  hommes, 
parce  qu'il  y  a  dans  trois  suppôts  de  la  nature 
humaine  trois  humanités  ;  au  lieu  que  nous 
appelons  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  non  pas 
trois  dieux,  mais  un  seul  Dieu,  parce  qu'il  n'y  a 
qu'une  divinité  dans  les  trois  hypostases  de  la 
nature  divine.  Quant  aux  noms  qui  expriment 
l'essence   adjectivement,    nous    les    affirmons   des 


LA   MISSION   DES    PERSONNES    DIVINES    .  62 1 

trois  personnes  au  pluriel,  à  cause  de  la  multipli- 
cité des  suppôts,  et  nous  disons  trois  éternels,  trois 
incréés,  trois  immenses  ;  tandis  que  nous  devons 
dire  un  incréé,  un  immense,  un  éternel,  quand 
nous  prenons  ces  mots  comme  des  substantife. 

Les  noms  essentiels  concrets  se  disent  tantôt  de 
l'essence,  tantôt  d'une  ou  des  trois  personnes, 
selon  qu'ils  sont  accompagnés  de  mots  qui  se 
rapportent  à  l'essence  ou  à  la  personne.  Mais  les 
noms  essentiels  abstraits  ne  peuvent  pas  se  dire  de 
la  personne,  ils  ne  s'appliquent  qu'à  l'essence.  Les 
Pères  de  l'Eglise,  dans  leur  langage,  approprient 
certains  attributs  essentiels  aux  personnes  de  la 
Trinité,  et  saint  Thomas  légitime  leur  manière  de 
dire. 

11.  Saint  Thomas  termine  son  traité  de  la  Trinité, 
en  parlant  de  la  mission  des  personnes  divines.  Il  se 
demande  si  les  personnes  divines  peuvent  être 
envoyées,  et  il  répond  :  la  mission  implique  deux 
choses  dans  l'envoyé  :  un  rapport  avec  celui  qui 
l'envoie  et  un  rapport  avec  le  terme  où  il  est 
envoyé.  Le  premier  rapport  forme  toujours,  dans 
le  délégué,  une  procession  qui  peut  avoir  trois 
causes  :  le  commandement,  le  conseil,  l'origine.  Le 
second  rapport,  avec  le  terme,  fait  que  le  délégué 
commence  d'être  dans  un  lieu,  soit  qu'il  n'y  fût 
d'aucune  sorte  auparavant,  soit  qu'il  y  paraisse 
d'une  manière  nouvelle.  On  voit  par  là  que  la 
mission  convient  aux  personnes  divines  sous  deux 
rapports,  comme  impliquant  une  procession  d'ori- 
gine, et  comme  créant  une  nouvelle  manière  d'être 
dans  un  autre  :  ainsi  le  Fils  a  été  envoyé  par  le 
Père  dans  le  monde  ;  car,  bien  qu'il  y  fût  déjà,  il 
a  commencé  d'y  être  d'une  nouvelle  manière  par 
l'incarnation. 

Auprès  des  créatures,   la  mission  des  personnes 


62  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

divines  est  temporelle.  Ainsi  la  mission  du  Fils 
visible  pour  être  homme,  invisible  pour  être  dans 
l'homme,  est  temporelle,  s'accomplit  dans  le  temps. 
Cette  mission  invisible  se  consomme  uniquement  par 
la  grâce  sanctifiante  ;  car  elles  sont  envoyées  pour 
être  dans  un  lieu  d'une  nouvelle  manière  et  pour 
être  possédées  par  la  créature.  Or,  cette  présence  et 
cette  possession  s'accomplissent  uniquement  par  le 
don  de  la  grâce  justifiante.  La  sanctification  de 
l'homme,  tel  est  le  but  de  la  mission  des  personnes 
divines. 

Mais  qui,  parmi  les  personnes  divines,  peut  être 
envoyé  ?  La  mission  divine  impliquant  une  proces- 
sion d'origine,  seuls  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  peuvent 
être  envoyés.  Le  Père,  ne  procédant  pas,  ne  peut 
avoir  de  mission,  bien  qu'il  habite,  lui  aussi, 
l'âme  des  justes,  selon  cette  parole  de  saint  Jean  : 
«  Nous  viendrons  en  lai  et  nous  ferons  en  lai  notre 
demeure  ».  Le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  envoyés 
invisiblement  à  tous  ceux  qui  ont  la  grâce. 

D'autre  part,  Dieu  pourvoit  aux  besoins  des  êtres 
selon  leur  nature.  Or,  la  nature  de  l'homme  est  telle 
qu'il  va  des  choses  visibles  aux  invisibles  ;  il  fallait 
donc  que  les  mystères  cachés  dans  le  monde  spiri-; 
tuel  lui  fussent  révélés  par  le  monde  sensible.  De 
même  donc  que  Dieu  s'est  manifesté  lui-même  et  a 
manifesté  les  processions  divines  par  certains  traits, 
de  même  il  convenait  qu'il  manifestât  les  missions  ; 
invisibles  des  personnes  adorables  par  certaines 
réalités  visibles.  Mais  la  mission  du  Fils  devait  se 
révéler  autrement  que  celle  du  Saint-Esprit.  Le  Fils 
est  principe  de  procession,  tandis  que  FEsprit-Saint 
procède,  le  Fils  est  la  source  de  la  sainteté,  le  Saint- 
Esprit  en  est  le  don  ;  et  c'est  pourquoi  ils  ont  été 
envoyés,  l'un  comme  l'auteur,  l'autre  comme  le 
signe  de  la  sanctification. 


NOTIONS    ERRONÉES   ET    OBJECTIONS         .         623, 

Dans  ces  quelques  mots,  saint  Thomas  indique 
le  rôle  du  Verbe  incarné  et  du  Saint-Esprit  pour  la 
rédemption  et  la  sanctification  des  âmes  ;  et  c'est  ce , 
rôle  que  nous  aurons  à  étudier  avec  plus  de  détail 
dans  la  suite. 

> 

III.  Notions  erronées 
et  objections 

La  raison,  en  présence  de  ce  mystère  de  la  sainte 
Trinité,  est  absolument  impuissante  à  le  deviner, 
parce  que  rien  en  elle  ou  autour  d'elle  ne  saurait 
lui  en  suggérer  l'idée.  Eclairée  par  la  révélation, 
elle  en  connaît  du  moins  l'existence,  et  elle  cherche 
alors  à  s'en  rendre  compte,  sans  toutefois  pouvoir 
se  flatter  de  le  pénétrer  à  fond.  Le  mystère  reste  le 
mystère  :  c'est  un  mystère  qui  appartient  exclu- 
sivement à  l'enseignement  révélé,  et  dont  la 
révélation  expresse  date  des  origines  du  christia- 
nisme. 

On  a  cru  toutefois  que  l'esprit  humain  en  avait 
possédé  quelque  idée  vague  avant  la  révélation, 
messianique  ;  mais  ni  l'histoire  des  religions  ni 
l'histoire  de  la  philosophie  n'autorisent  une  telle 
conjecture. 

i.  Quelques  symboles  religieux,  antérieurs  au 
christianisme,  offrent,  il  est  vrai,  de  fugitives  res- 
semblances ;  mais  elles  sont  purement  superficielles  ; 
elles  répondent  à  des  conceptions  absolument  diffé- 
rentes et  complètement  irréductibles  au  dogme 
chrétien.  > 

L'histoire  des  religions  signale,  en  particulier,  la 
triade  égyptienne  et  la  trimoûrti  hindoue.  En  Egypte, 
la  triade  n'est,  en  général,  qu'une  allégorie  de  la 
société    domestique  :   un    dieu  père,    une  déesse. 


6^4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mère,  un  dieu  fils  ;  c'est  tout  au  plus  la  même 
divinité  sous  .trois  aspects  différents,  quelque  chose 
qui  ressemble  à  une  espèce  de  sabellianisme  anticipé. 
M.  Robiou  (i),  qui  a  spécialement  étudié  la  ques- 
tion, dit,  à  propos  de  la  triade  thébaine  et  d'autres 
encore,  que  la  présence  d'une  déesse  à  côté  de  deux 
personnages  masculins  «  implique  une  opposition 
absolue  avec  l'idée  de  la  trinité  chrétienne.  »  Il 
ajoute  «  que,  dans  tous  les  cas,  l'Esprit  ne  figure 
dans  aucune  des  triades  égyptiennes,  »  et  que  «  cette 
partie  de  la  doctrine  égyptienne  n'est  point  un 
écho,  même  indirect,  d'une  révélation  primitive 
touchant  les  trois  personnes  divines  (2).  » 

2.  Quant  à  la  tvlmoûrti  hindoue,  ce  n'est  que  la 
fusion  de  trois  cultes  distincts,  celui  de  Brahma, 
celui  de  Vishnou  et  celui  de  Ci  va  :  «  Brahma, 
Vishnou,  Çiva  sont  et  ils  ont  été  dès  l'origine  trois 
divinités  distinctes,  dit  M.  de  Harlez  (3).  Vishnou  est 
cité  dans  les  Védas,  alors  que  Brahma  n'existait 
pas  encore,  c'est-à-dire  n'avait  point  encore  été 
imaginé.  Mais  Vishnou  n'est  là  qu'un  Dieu  secon- 
daire, personnification  accessoire  de  la  force  géné- 
ratrice et  conservatrice  du  soleil.  Dans  la  plupart 
des  Brahmanas  et  dans  les  Lois  de  Manou,  c'est-à-dire 
dans  les  livres  des  brahmanites,  Vishnou  est  encore 
un  Dieu  inférieur,  placé  bien  au-dessous  de  Brahma; 
dans  le  Bhagavad-gîta  le  Harivansa  et  les  autres 
livres  vishnouites,  il  est,  au  contraire,  le  Dieu 
suprême,   l'être  universel.    Çiva  est  inconnu  aux 

1.  Théologie  de  V ancienne  Egypte,  dans  le  Compte  rendu  du 
Congrès  scientifique  de  1891,  Paris,  1891,  IIe  sect.,  p.  2/14-245. 

—  2.  Sur  les  triades  égyptiennes,  cf.  de  Rougé,  Etude  sur  le 
rituel  funéraire,  p.  45,  75-78  ;  Grébaut,  Mélanges  d'arche,  égypt. 
et  assyr.,  p.  247-254;  Pierret,  Essai  sur  la  myth.  égypt.,  p.  46-52. 

—  3.  Art.  Trinité  dans  le  Diction,  apologétique  de  Jaugey,  Paris, 
1889,  p.  3ii9-3i2o. 


NOTIONS    ERRONÉES   ET   OBJECTIONS  .  625 

Védas  ;  dans  les  livres  postérieurs  il  apparaît  et 
semble  se  confondre  avec  le  Dieu  des  tempêtes  Rudra, 
puis  il  s'en  sépare  et  devient  à  son  tour,  dans  cer- 
tains livres,  la  divinité  principale.  Ces  trois  dieux 
restèrent  donc  séparés  jusqu'à  ce  que  les  Brahmanes, 
longtemps  après  la  diffusion  de  l'Evangile,  voulant 
rallier  toutes  les  sectes,  eussent  formé  des  trois 
principales  divinités  une  triade  suprême,  dans 
laquelle  chacun  pouvait  choisir  son  Dieu  favori 
pour  le  mettre  à  la  tête  des  autres.  Mais  pour  con- 
server auprès  de  leurs  initiés  la  notion  du  panthéisme, 
il  imaginèrent  de  dire  que  ces  trois  dieux  n'étaient 
que  des  manifestations  diverses  de  l'être  absolu. 
Ils  désignèrent  le  groupe  par  le  nom  de  Trimoûrti, 
c'est-à-dire  «  triple  forme.  » 

3.  Platon  a  passé  longtemps  pour  avoir  eu 
quelque  soupçon  de  la  Trinité.  S'il  l'a  voilé,  c'est 
par  peur  des  accusateurs  de  Socrate,  affime  saint 
Cyrille  d'Alexandrie  (i).  Etl'on  sait  que  saint  Augus- 
tin estimait  avoir  trouvé  dans  les  livres  platoniciens 
de  frappantes  analogies  avec  la  doctrine  chrétienne 
du  Verbe  (2).  Dans  Platon,  il  est  vrai,  on  rencontre 
à  plusieurs  reprises  une  triade,  mais  assez  vague, 
inconsistante,  jamais  la  même  (3).  Ce  grand  génie 
reconnaît  l'existence  d'un  Dieu  éternel,  intelligent, 
tout-puissant  et  bon  en  face  d'une  matière  éternelle 
et  confuse.  Ce  Dieu  possède  un  Logos,  raison  de 
toute  chose,  mais  un  Logos  semblable  au  verbe 
humain,  plus  parfait,  mais  qui  n'est  pas  un  être 
subsistant.  Ce  qui  subsiste,  aux  yeux  de  Platon, 
c'est  le  plan  de  l'univers,  l'archétype  du  monde, 
l'idée  exemplaire,  mais  qui  n'est  pas  à  confondre 
avec  le  Logos.  Ce  Dieu  est  père,  et  le  monde,  distinct 

1.  Cont.  Jal,  t.  —  2.  Confes.,  VII,  ix  ;  Patr.  lat.,  t.  xxxn, 
col.  740.  —  3.  Tmée,  xxxvn  ;  Répub.,  vu. 

LE   CATÉCHISME.   —  T.   I.  4O 


628  LE    CATECHÏSME    ROMAIN 

du  Logos  et  de  l'archétype,  est  son  fils.  Enfin  une 
âme  universelle,  dont  on  ne  saurait  dire  si  elle  est 
une  émanation  de  Dieu  ou  un  produit  de  la  matière, 
est  répandue  dans  tous  les  êtres.  Où  voir  dans  tout 
cela  une  image  même  lointaine  de  la  Trinité  chré- 
tienne ? 

4.  Le  juif  Philon,  contemporain  de  Notre-Sei- 
gneur,  essaya  d'élaborer  une  théorie  de  Verbe,  en 
mêlant  les  idées  platoniciennes  aux  données 
bibliques.  Selon  lui,  Dieu,  être  transcendant, 
abstrait,  indéterminé,  ne  peut  entrer  en  contact 
direct  avec  la  matière  éternelle.  Il  n'agit  sur  elle 
que  par  des  intermédiaires  émanés  de  lui,  les  Idées, 
Verbes  intérieurs  se  manifestant  extérieurement 
dans  le  monde  matériel.  Le  plus  parfait  de  ces 
intermédiaires,  le  Logos,  l'Idée  suprême,  éternel, 
qu'est-il  ?  On  ne  réussit  pas  à  savoir  si  Philon  le 
regarde  comme  une  simple  puissance  divine,  comme 
un  attribut,  ou  s'il  y  voit  une  personne  distincte. 
Bien  qu'il  l'appelle  parfois  le  fils  premier-né,  il 
semble  n'être  qu'un  Dieu  subalterne,  une  sorte  de 
démiurge.  Nous  sommes  encore  loin  de  la  Trinité 
chrétienne. 

Mais  l'influence  du  platonisme  alexandrin,  grâce 
à  Philon,  se  fit  sentir  chez  les  Pères  apologistes, 
notamment  sur  la  double  conception  du  Verbe 
intérieur  et  proféré  (1).  Dans  la  suite,  nous  avons 
vu  aux  prises  les  unitaires  ou  monarchiens  avec  les 
trinitaires  qu'ils  accusaient  de  dithéisme  ;  puis  la 
lutte  des  Pères  grecs  et  latins  contre  l'arianisme,. 
l'intervention  des  conciles  dans  la  définition  des 
dogmes  de  la  Trinité  ;  nous  avons  passé  sous  silence» 
nous  réservant  d'y  revenir  plus  tard  en  traitant  du 

1.  Voir  notre  article  Pères  apologistes,  dans  le  Dictionnaire 
de  théologie,  1,  col.  i58o-i6oa.  j 


NOTIONS    ERRONÉES    ET    OBJECTIONS    .  627 

Saint-Esprit,  la  querelle  suscitée  par  le  Jilioque, 
5.  Au  moyen  âge,  pendant  que  les  uns,  comme 
Roscelin  (xie  s.),  Gilbert  de  la  Porrée,  évêque  de 
Poitiers  de  1142  à  n54,  et  le  calabrais  Joachim, 
abbé  de  Flore  (1130-1202),  versaient  dans,  le  tri- 
théisme,  et  que  les  autres,  comme  Abélard  (1079-1142), 
tombaient  dans  le  modalisme  ou  le  subordinatia- 
nisme,  l'orthodoxie  était  défendue  par  saint  Anselme 
(io33-iiog),  saint  Bernard  (1091-1153)  et  les  grands 
scolastiques.  L'erreur  pourtant  reparut,  au  xvie  siècle, 
avec  les  sociniens,  qui  renouvelèrent  le  modalisme 
ou  sabellianisme,  et  au  xvme  avec  les  anglais 
Whiston  et  Glarke,  qui,  en  1711  et  1712,  reproduisi- 
rent la  théorie  subordinatienne  des  semi-ariens. 

Avec  le  xixe  siècle,  le  rationalisme  repousse  la 
trinité  chrétienne  comme  un  dogme  inacceptable 
pour  la  raison  et  essaie,  concurremment  avec  le 
panthéisme,  d'en  donner  une  explication  ration- 
nelle. Pour  les  panthéistes  allemands,  à  la  suite  de 
Hegel,  la  trinité  c'est  l'idée  qui  évolue,  l'idée  qui 
devient  le  monde,  et  le  rapport  du  monde  à  l'idée, 
du  devenu  au  devenir.  Pour  les  panthéistes  français, 
les  mots  changent,  mais  la  théorie  ne  varie  pas.  La. 
trinité  c'est  l'infini,  le  fini  et  le  rapport  du  fini  à 
l'infini  ;  ou  encore  l'unité,  la  variété  et  le  rapport 
de  la  variété  à  l'unité  ;  ou  comme  dit  Cousin,  «  une 
triplicité  qui  se  résout  en  unité  et  une  unité  qui  se  résout 
en  triplicité.  »  Cousin  ajoute  que  c'est  là  «  le  Dieu 
trois  fois  saint  que  reconnaît  et  adore  le  genre 
humain,  le  fond  même  du  Chritianisme  (1).  » 

6.  Même  après  le  concile  du  Vatican,  qui  a 
condamné  le  rationalisme  et  le  panthéisme,  et  qui, 
dans  les  doctrines  de  Gûnther,  a  frappé  une  nouvelle 
conception  de  la  trinité  sous  forme  de  trithéisme, 

1.  Cousin,  Introduction  à  l'histoire  de  la  philosophie,  leç.  v% 


628  LE    CATECHISME    ROMAIN 

l'erreur  n'a  pas  désarmé  ;  elle  recourt  à  des  expli- 
cations subtiles,  dont  la  parenté  avec  le  panthéisme 
ne  saurait  faire  doute.  Ne  lisons-nous  pas,  en  effet, 
en  1902,  sous  la  plume  de  M.  Marcel  Hébert,  les 
lignes  suivantes  :  «  La  Réalité,  en  tant  qu'elle  se 
manifeste  comme  une  puissance  active,  ne  représente 
ni  une  toute  puissance,  ni  une  toute  science,  ni  une 
toute  bonté,  bien  plutôt  une  gigantesque,  une  incom- 
mensurable force  qui,  à  tâtons,  sans  jamais  se  lasser, 
poursuit,  à  travers  d'innombrables  essais,  son  incessant 
effort  vers  le  mieux,  vers  V Idéal.  Cet  Idéal,  loi  vivante, 
vraie  vie  de  toute  vie  et  non  loi  abstraite  comme  celles 
d'un  manuel  de  physique  ou  de  chimie,  la  Réalité  le 
porte  en  elle-même  comme  la  loi  propre  de  son  évolu- 
tion; voilà  pourquoi,  en  définitive,  la  résultante  des 
forces  du  monde  est  orientée  dans  le  sens  dubien  (1).» 

7.  Et  voici  enfin  ce  qu'un  esprit  très  cultivé  a  pu 
écrire,  sans  s'apercevoir  de  la  confusion  grossière 
qu'il  faisait,  au  sujet  du  mystère  de  la  Trinité  : 
«  Dire  qu'il  y  a  trois  personnes  en  Dieu,  c'est  dire 
qu'il  y  a  en  Dieu  trois  individualités  distinctes.  D'autre 
part,  cependant,  la  formule  du  mystère  déclare  qu'il 
n'y  en  a  qu'une,  celle  de  Dieu  même  :  le  Père  est 
Dieu  ;  le  Fils  également  ;  le  Saint-Esprit  également  ; 
les  trois  personnes  divines  ne  sont  qu'un  seul  et 
même  être  individuel  (2).  » 

M.  Sully  Prudhomme  n'est  pas  le  seul  à  prêter  à 
la  formule  du  dogme  trinitaire  un  sens  qu'elle  n'a 
pas  et  à  l'accuser  par  suite  d'être  incompréhensible 
ou  absurde.  Combien,  en  effet,  de  la  meilleure  foi 
sans  doute,  mais  peu  conformément  à  la  logique, 
s'appuyant  sur  l'identité  que  le  dogme  reconnaît 


1.  La  dernière  idole,  dans  la  Revue  de  métaphysique  et  de 
morale,  juillet  1902,  p.  A02.  —  2.  Sully  Prudhomme,  La  vraie 
religion  selon  Pascal,  Paris,  1905,  p.  393. 


NOTIONS    ERRONÉES    ET    OBJECTIONS  629 

entre   l'essence  divine   et   chacune  des    personnes, 
concluent  à  l'identité  des  personnes  entre  elles  ! 

On  invoque  le  principe  d'identité;  mais  on  oublie 
que  ce  principe  n'a  son  application  rigoureuse  que 
s'il  s'agit  d'une  identité  absolue  ;  car  la  moindre  dif- 
férence,  ne  serait-ce   qu'une   différence  de  raison, 
suffît  à  l'infirmer.  Or,  il  y  a  longtemps  que  saint 
Thomas^  et   tous  les  théologiens   avec  lui  ont  fait 
observer  que,  dans  la  Trinité,  l'identité  n'est  pas 
absolue.  Que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  soient 
la  même  essence,  la  même  réalité  divine,  le  dogme 
l'affirme.  Mais  le  dogme  affirme,   en  outre,  que  ce 
qui  fait  que  le  Père  est  Père,  et  que  le  Fils  est  Fils 
et  que  le  Saint-Esprit  est  Saint-Esprit  est  quelque 
chose   de   distinct.   Et,   dès   lors,    l'application    du 
principe  va  simplement  à  dire  ceci  :  toutes  réalités 
identiques  à  une  troisième    sont   identiques  entre 
elles  uniquement  sous  le  rapport  formel  qui  les  fait 
identiques   à   cette   troisième,    mais   non  pas  dans 
leur  totalité.  Or,  dans  la  Trinité,  s'il  est  vrai  que 
les  personnes   sont  identiques  à   l'essence  divine, 
c'est-à-dire  selon  l'être  divin   et  les  attributs  abso- 
lus, il  n'est  pas  moins  vrai  que  les  personnes  divi- 
nes restent  distinctes  entre  elles  précisément  par  ce 
qui  les  fait  être   telle  ou    telle    personne  ;    car    la 
notion  spécifique  qui  répond  à  Père  n'est  point  celle 
qui  répond  à  Fils  ou  à  Saint  Esprit;  et  la  notion  spéci- 
fique qui  répond  à  personne  n'est  pas  la  même  qui 
répond  à  essence.  Le  point  de  vue  diffère  ainsi  que  la 
réalité.  Les  personnes  divines  s'opposent  l'une  à  l'au- 
tre par  leurs  relations  d'origine.  En  conséquence,  le 
dogme  catholique  n'enseigne  nullement  que  trois 
ne  font  qu'un,  ni  qu'un  c'est  trois  ;  il  enseigne  que 
les  trois  personnes   sont  réduites  à  l'unité  par  la 
possession  de  la  même  et  unique  essence  ;  et  il  en- 
seigne également  que  cette  même  et  unique  essence 


630  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

n'est  pas  possédée  par  les  trois  de  la  même  manière 
ni  sous  le  même  rapport  :  la  première,  la  possède 
de  plein  droit;  la  seconde,  par  communication 
génératrice;  la  troisième,  par  procession  d'amour. 

Après  le  principe  d'identité  qui  porte  sur  l'être, 
on  invoque  le  principe  de  contradiction  qui  porte 
sur  l'opération  de  notre  esprit.  La  difficulté  se 
résout  de  la  même  manière.  L'affirmation  et  la  néga- 
tion ne  peuvent  être  vraies  toutes  les  deux  simulta- 
nément d'un  même  objet;  rien  de  plus  exact,  s'il 
s'agit  d'un  objet  qui  soit  tout  à  fait  le  même  et  abso- 
lument sous  tous  les  rapports  ;  mais  il  n'en  est  pas 
ainsi  s'il  s'agit  d'un  objet  qui,  quoique  matérielle- 
ment et  réellement  le  même,  n'est  pas  le  même 
formellement  ;  et  c'est  ce  dernier  cas  qui  se  réalise 
dans  la  formule  trinitaire  (i). 

Avec  le  catéchisme  il  faut  dire  :  En  Dieu,  ni  unité 
de  personne,  ni  multiplicité  de  natures,  mais  une 
seule  nature  et  trois  personnes,  ou  un  seul  Dieu  en 
trois  personnes. 

i.  La  Sainte  Trinité,  d'après  saint  Grégoire  de 
Nazianze.  —  «  Avant  toutes  choses,  dit-il  en  s'adres- 
sant  aux  catéchumènes,  gardez-moi  ce  bon  dépôt,  pour 
lequel  je  vis  et  je  combats,  avec  lequel  je  veux  mourir, 
qui  me  fait  supporter  tous  les  maux  et  mépriser  tous  les 
plaisirs  de  la  vie  :  je  veux  dire  la  profession  de  foi  en  le 
Père  et  le  Fils  et  le  Saint-Esprit.  Je  vous  la  confie  aujour- 
d'hui. C'est  pour  elle  que  je  vais  tout-à-1'heure  vous  plon- 
ger dans  l'eau  et  vous  en  élever.  Je  vous  la  donne  pour 
compagne  et  patronne  de  toute  votre  vie.  Je  vous  donne 
une  seule  Divinité  et  Puissance,  Une  dans  les  Trois,  et 
contenant  les  Trois  d'une  manière  distincte.  Divinité  sans 
disparate  de  substance  ou  de  nature,  sans  degré  supérieur 

i.  Voir,  à  ce  sujet,  un  article  de  P.  Pcgues  dans  la  Revue 
thomiste,  1901,  p.  694-715. 


LA   SAINTE   TRINITE 


63 


qui  élève  ou  degré  inférieur  qui  abaisse,  de  toute  façon 
égale,  de  toute  façon  la  même,  comme  dans  le  ciel  beauté 
et  grandeur  ne  sont  qu'un.  C'est  de  trois  infinis  l'infinie 
connaturalité,  Dieu  tout  entier,  chacun  considéré  en  soi- 
même,  aussi  bien  le  Fils  que  le  Père,  aussi  bien  le  Saint- 
Esprit  que  le  Fils,  chacun  pourtant  conservant  son 
caractère  personnel  ;  Dieu  les  Trois  considérés  ensemble. 
Chacun  est  Dieu  à  cause  de  la  consubstantialité  ;  les  Trois 
son  Dieu  à  cause  de  la  monarchie.  Je  n'ai  pas  commencé 
de  penser  à  l'Unité,  que  la  Trinité  me  baigne  de  sa  splen-  ' 
deur.  Je  n'ai  pas  commencé  de  penser  à  la  Trinité,  que 
l'Unité  me  ressaisit.  Lorsqu'un  des  Trois  se  présente  à 
moi,  je  pense  que  c'est  le  tout,  tant  mon  œil  est  rempli, 
tant  le  surplus  m'échappe  ;  car  dans  mon  esprit  trop 
borné  pour  comprendre  un  seul,  il  ne  reste  plus  de  place 
à  donner  au  surplus.  Lorsque  j'unis  les  Trois  dans  un 
même  concept,  je  vois  un  seul  flambeau  sans  pouvoir 
diviser  ou  analyser  la  lumière  unifiée.  »  Orat.  xl,  4i  (i)î 
trad.  du  P.  de  Régnon. 

2 .  Difficulté  et  attrait  du  mystère  de  la  Trinité.  — 
«  Que  reste-t-il  des  objections  contre  le  mystère  de  la 
sainte  Trinité  ?  Il  reste  que  la  possession  de  la  même 
nature  par  trois  personnes  est  une  chose  qui  dépasse  la 
portée  de  l'expérience  humaine  et  dont  nous  accroissons 
d'ailleurs  comme  à  plaisir  l'obscurité  par  les  images  sen- 
sibles que  nous  sommes  tentés  d'introduire  dans  l'ex- 
position du  dogme  ;  ces  images  sont  des  analogies  qui 
aident  notre  intelligence  à  concevoir  le  sens  du  mystère, 
mais  on  aurait  tort  d'y  chercher  des  explications.  Arrivés 
à  ce  point,  nous  sommes  obligés  de  nous  arrêter,  il  est 
vrai,  parce  que  le  mystère  est  en  face  de  nous  et  que 
notre  vue  est  trop  faible  pour  sonder  ses  profondeurs. 
Peut-être  même  paraît-il  plus  obscur  quand  on  a  essayé 
de  le  regarder  d'un  œil  respectueux.  Mais  ceci  ne  doit 
point  surprendre  :  lorsqu'on  a  gravi  la  cime  du  Gauri- 
sankar,  on  s'est  rapproché  des  limites  extrêmes  de 
l'atmosphère  terrestre  ;  mais  l'homme  n'en  est  averti  que 

i.  Pair.  gr.f  xxxvi,  col.  4 17» 


632  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


par  la  teinte  toujours  plus  sombre  qui  succède  au  bleu 
du  ciel,  le  froid  qui  devient  plus  vif,  l'air  qui  manque  à 
la  respiration. 

«  Est-il  possible,  cependant,  d'ajouter  quelque  chose 
aux  réponses  ordinaires  des  théologiens  ?  Doit-on  se  tenir 
exclusivement  sur  la  défensive,  et  la  splendeur  du  mys- 
tère n'a-t-elle  donc  aucun  attrait  ? 

«  On  a  remarqué  souvent  que  le  mystère  de  la  sainte  Tri- 
nité, bien  qu'inaccessible  à  l'esprit  humain,  complétait  ad- 
mirablement ce  que  la  raison  nous  apprend  de  Dieu.  Quand 
le  spectacle  des  créatures  et  de  nous-mêmes  nous  a  fait 
connaître  l'existence  de  Dieu  et  ses  attributs,  nous  con- 
cevons l'idée  de  l'Etre  infini  et  parfait  ;  mais  nous  ne 
savons  rien  encore  de  sa  vie  intérieure.  Si  l'esprit  de 
l'homme  est  seul  capable  de  savoir  ce  qui  se  passe  en  lui, 
à  plus  forte  raison  Dieu  seul  doit-il  contempler  le  secret 
de  sa  vie.  Mais,  d'autre  part,  nous  ne  pouvons  douter  que 
cette  vie  intime  ne  soit  la  plus  profonde  des  réalités  : 
Dieu,  source  inépuisable  de  vie  pour  tous  les  vivants, 
doit  vivre  pour  soi  avant  de  vivre  pour  les  autres.  Cette 
ignorance  de  la  vie  mystérieuse  de  Dieu  est  sans  doute 
l'une  des  raisons  pour  lesquelles  la  religion  naturelle  est 
frappée  de  stérilité  :  elle  conçoit  Dieu  en  dessus  des 
créatures  comme  une  unité  solitaire,  abstraite  et  froide. 
L'homme  s'intéresse  peu  à  un  Dieu  dont  l'action  paraît 
toute  extérieure,  dont  on  n'aperçoit  pas  le  mouvement 
vital  interne  ;  c'est  qu'en  effet  son  expérience  et  sa  cons- 
cience lui  montrent  la  vie  comme  un  acte  intime  à  l'être 
vivant.  Qu'il  apprenne  donc  à  estimer  à  sa  juste  valeur  la 
révélation  qui  a  déchiré  pour  lui  ce  nuage  opaque  sous 
lequel  la  vie  divine  se  cache.  Dieu  a  daigné  manifester 
aux  hommes  le  mystère  de  sa  vie  ;  et  voilà  que  les  hommes 
se  récrient  et  qu'ils  déclarent  impossible  ou  absurde  ce 
qu'il  ne  comprennent  pas.  Attendent-ils  donc  pour  fléchir 
les  genoux  et  pour  adorer  qu'ils  aient  compris  Dieu 
en  lui-même  ?  Mais  alors  le  rêve  insensé  des  panthéistes 
serait  devenu  une  réalité  :  Dieu  aurait  pris  conscience  de 
lui-même  en  l'esprit  humain,  et  l'homme  n'adorerait  plus 
que  l'humanité. 


LA    SAINTE    TRINITÉ  ,  633 


«  Quand  l'Absolu  lève  un  coin  du  voile  sous  lequel  il 
se  dérobait  à  nos  yeux,  le  mystère  non  seulement  ne  doit 
pas  effrayer  la  raison,  mais  il  s'impose  à  elle  comme  le 
signe  nécessaire  de  la  vérité.  La  vie  divine  ne  saurait  être 
à  ce  point  accessible  que  toute  obscurité  en  soit  bannie 
pour  nous,  et  si  elle  se  laissait  pénétrer  de  part  en  part 
au  regard  de  l'homme,  j'oserais  dire  qu'elle  ne  valait  pas 
la  peine  d'être  regardée,  car  nous  jetons  un  coup  d'oeil 
fugitif  sur  les  idées  trop  claires  et  les  choses  trop  faciles 
à  comprendre,  mais  nous  contemplons  longuement  ce 
qui  retient  une  part  de  mystère.  A  mesure  que  nous 
descendons  plus  profondément  dans  les  problèmes  de  la 
métaphysique,  le  mystère  croît  avec  la  profondeur  ;  pour- 
quoi voudrait-on  que  la  vie  intime  de  Dieu  se  présentât  à 
nos  regards  comme  une  surface  plane,  et  non  comme  un 
abîme  que  l'œil  ne  peut  sonder  ?  Ces  exigences  dénotent 
en  ceux  qui  les  prennent  au  sérieux  une  ignorance  totale 
des  conditions  du  problème  divin  et  une  recherche 
exagérée  des  clartés  superficielles  ;  les  vrais  métaphysi- 
ciens ne  redoutent  pas  tant  certaines  obscurités  néces- 
saires.» J.  Souben,  Nouvelle  théologie  dogmatique,  h,  Les 
personnes  divines,  2*  édit.,  Paris,  1903,  p.  95-97. 


FIN    DU    PREMIER    VOLUME 


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Table  des  Matières 


CONTENUES  DANS  CE  PREMIER  VOLUME 


Encyclique  Acerbo  nimis i 

Préface xn 

Introduction % 

La  Catéchèse  :  I.  La  catéchèse  pendant  les 
deux  premiers  siècles.  —  II.  La  catéchèse  du 
commencement  du  ni8  siècle  à  la  fin  du  v*.  — 
III.  La  Catéchèse  de  la  fin  du  ve  siècle  au  ix*. 

Le  Catéchisme  avant  le  Concile  de  Trente. 
I.  Pendant  la  période  Patristique.  —  II.  Du  v* 
au  vu8  siècle.  —  III.  Sous  Charlemagne  et  du  rx* 
au  xi8  siècle.  —  IV.  Au  xn8  et  xin8  siècles.  —  V. 
Au  xiv8  et  xv8  siècles.  —  VI.  Première  moitié  du 
xvi8  siècle. 

Le  Catéchisme  pendant  et  après  le  Concilb 
de  Trente  :  I.  L'œuvre  du  Bienheureux  Canisius. 
—  II.  Le  Catéchisme  Romain.  —  III.  Projet  d'un 
petit  Catéchisme  universel.  —  IV.  Préface  du 
Catéchisme  romain. 

Leçon  Première  :  Symbole  des  Apôtres 79 

I.  Le  mot  Symbole  :  Etymologie  et  significa- 
tion. —  II.  Le  Symbole  des  Apôtres  :  i°  Son 
texte,  20  Son  origine,  3*  Son  attribution  aux 
Apôtres,  4°  Son  autorité,  59  Sa  division  et  son 
contenu. 

Leçon  Deuxième  :  Autres  Symboles 109 

I.  Le  Symbole  de  Nicée-Constantinople  :  i*  Son 
origine,  20  Son  texte,  3°  Son  usage,  4°  Son  auto- 
rité. —  IL  Le  Symbole  de  Saint-Athanase  :  i* 
Son  texte,  20  Son  origine,  3*  Son  importance. 

Leçon  Troisième  :  Les  professions  de  foi, .......  •      i37 


636  LE    CATÉCHISE    ROMAIN 


I.  Les  professions  de  foi:  i°  d'Hormisdas,  2°  de 
Léon  IX,  3°  de  Clément  IV,  4°  d'Eugène  IV,  5° 
de  Grégoire  XIII,  6°  d'Urbain  VJ1I  et  de  Benoit 
XIV,  7°  d'Innocent  III.  —  II.  La  profession  de 
foi  de  Pie  IV  :  i°  Date,  2°  texte,  3<>  usage. 

Leçon  Quatrième  :  Immutabilité  et,  progrès i5o 

I.  Immutabilité  :  i°La  révélation  est  complète 
depuis  les  apôtres  ;  2°  La  règle  de  foi  dans  les 
premiers  siècles  ;  3<>  La  doctrine  de  saint  Vincent 
de  Lérins  ;  4°  L'enseignement  du  Vatican.  — 
II.  Progrès  :  i<>  Son  objet;  2°  Ses  caractères; 
3°  Sa  marche;  4°  Ses  limites. 

"Leçon  Cinquième  :  Du  Dogme i8a 

I.  Notion  catholique  du  dogme  :  i°  Sens  éty- 
mologique :  2°  Objet  ;  3»  Formule  ;  4°  Carac- 
tères. —  II.  Théorie  de  M.  A.  Sabatier  :  i°  Ses 
objections  ;  2°  Sa  théorie. 

Leçon  Sixième  :  Du  Dogme 2 14 

I.  Le  dogme  d'après  [M.  Loisy  :  i°  Dans  «  l'É- 
vangile et  l'Église  »  ;  2°  Dans  «  Autour  d'un  petit 
livre.  »  —  II.  La  question  de  M.  Le  Roy  : 
Qu'est-ce  qu'un  dogme  ?  i°  Motifs  allégués  pour 
ne  pas  admettre  la  notion  traditionnelle  ;  2°  So- 
lution proposée. 

Leçon  Septième  :  De  la  Foi 255 

I.  L'enseignement  du  Catéchisme  romain.  — 
II.     L'enseignement    du    Concile    du    Vatican. 

—  III.  Définition  de  la  Foi.  —  IV.  Le  motif  de 
la  Foi  ou  son  objet  formel.  —  V.  Les  motifs  de 
crédibilité. 

Leçon  Huitième  :  De  la  Foi 291 

I.  Rôle  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  dans 
l'acte  de  Foi.  —  II.  De  la  nécessité  de  la  Grâce. 

—  III.  Les  propriétés  de  la  Foi.  —  IV.  Concep- 
tion nouvelle  de  la  Foi. 

Leçon  Neuvième  :  De  la  Foi  et  de  la  Raison 33o 

I.  Deux  ordres  de  connaissance.  Les  mystères 
de  la  Foi.  —  IL  Rôle  de  la  raison   dans  la  con- 


TABLE    DES    MATIÈRES  ,  637 


naissance  des  mystères  de  la  Foi.  —  III.  Ni 
opposition  ni  désaccord  entre  la  foi  et  la  raison. 

—  IV.  La  foi  et  la  raison  se  prêtent  une  aide 
mutuelle. 

Leçon  Dixième  :  Existence  de  Dieu •       374 

Peut-elle  se  prouver  par  la  raison  ?  I.  Erreurs. 

—  II.    Enseignement   du    Catéchisme    romain. 

—  III.  Définition  du  Concile  du  Vatican.  — 
IV.  Puissance  de  la  raison. 

Leçon  Onzième  :  De  Dieu 4o6 

L'existence  de  Dieu  est  un  dogme  de  la  rai- 
son :  Ses  preuves.  —  I.  Preuves  psychologiques. 

—  II.  Preuves  morales.  —  III.  Preuves  de  saint 
Thomas. 

Leçon  Douzième  :  De  Dieu  ♦.,»«, 434 

L'existence  de   Dieu  est   une    vérité  révélée. 

—  II.  C'est  un  dogme  de  foi  catholique.  — 
III.  Y  a-t-il  des  athées  ? 

Leçon  Treizième  :  De  Dieu 457 

De  la  nature  de  Dieu.  —  I.  Méthode  à  suivre. 

—  II.  Division  des  attributs.  —  III.  De  quelques 
attributs.  —  IV.  Enseignement  du  Concile  du 
Vatican  :  Condamnation  du  Panthéisme. 

Leçon  Quatorzième  :  De  Dieu 489 

I.  Science  de  Dieu.  —  II.  Volonté  de  Dieu. 
III.  Difficultés. 

Leçon  Quinzième  :   De  Dieu.    Toute-Puissance  et 

attributs  moraux 520 

I.  Texte  du  Catéchisme  romain.  —  II.  Toute- 
puissance  de  Dieu.  —  III.  Attributs  moraux. 

Leçon  Seizième  :  De  la  Sainte  Trinité •       547 

I,  Les  formules.  —  II.  La  preuve  scripturaire  ; 
i°  Dans  l'Ancien  Testament,  20  Dans  le  Nouveau. 

Leçon  Dix-septième  :  De  la  Sainte  Trinité 571 

La  preuve  patristique  :  I.  Aux  deux  pre- 
miers siècles.  —  II.  Fin  du  11e  et  m8  siècle.  — 
III.  ive  siècle.  —  IV.  L'œuvre  de  saint  Augustin. 


638 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


Leçon  Dix-huitième  :  De  la  Sainte  Trinité 601 

I.  Exposé  du  Mystère.  —  II.  Enseignement  de 
Saint  Thomas.  —  III.  Notions  erronées  et  ob- 
jections. 


FIN   DE    LA    TABLE   DU   PREMIER   VOLUME 


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^  lui  servira   notre   ouvrage  ?  au  prêtre  surtout  :    H   trouvera  là    tout 

ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  son  ministère  sacerdotal,  pour  sa 
sanctification  et  pour  celle  des  autres.  Veut-il  comme  un  mémorial  de  toutes  ses 
études  théologiques  ?  Il  le  trouvera  là  :  toutes  les  questions  dogmatiques  y  sont 
traitées,  toutes  les  grandes  thèses  delà  Théologie  sont  démontrées  avec  une  lucidité 
et  une  logique  parfaites.  Réclamc-t-il  un  Sermonaire  pour  ses  ins- 
tructions «lu  dimanche  et  des  fêtes  ?  Qu'il  ouvre  ce  livre  :  il 
y  puisera  sur  tous  les  sujets  les  plus  hautes  et  les  plus  solides 
considérations  :  et  qu'il  ne  craigne  pas  de  ne  rencontrer  dans 
cette  moelle  de  Saint  Thomas  que  des  théories  ou  de  la  spécu- 
lation, il  sera  surpris  de  toutes  les  conséquences  pratiques  et 
admirablement  pieuses  que  notre  auteur  a  fait  jaillir  du 
dogme  comme  du  roc  jaillit  le  feu. 

En  un  mot  : 

«  II  est  inconstestable  que  bien  peu  de  livres,  parmi  la  multi- 
tude que  nous  offre,  dans  ce  genre,  une  presse  toujours  active, 
traitent  des  vérités  chrétiennes  avec  cette  clarté,  cette  sûreté 
de  doctrine,  cette  méthode  et  cette  heureuse  sobriété  dans  les 
développements  qui  permettent  au  prêtre  d'y  puiser,  sans 
perdre  de  temps,  la  matière  de  solides  instructions.  » 

Ajoutons  que  cet  ouvrage  présente  une  triple  utilité  pour  le  prêtre. 

Il  peut  lui  servir  : 

1  o  I>E  SOMME  DE  PltEDIC  \TIO\  ; 
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Bergerac.  -  Imp.   Générale  du  Sud-Ouest,  J.  Castanet,  place  des  Deux-Conils. 


AUG  2  8  2007 


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