; -y^A^^^A^:
*>:2£^
^ ^ J */*
AA^.w^r^
*A*A*
^p£*A
^A^^^.rA^>A'^A
^r\,
'^r\A
r.^^o,
^^*^*«^fr*^*!^r^
\/}R!W".
Maa'
hK*ftH«fV
lS^C!^^^^AC5^
-y^^^£
A/N.A/>
:^PPP^^
l^pv^
****
Afifcfà;
^r? ; - £ /^ ,
^^^^m^Mvu
~ "» O 7 h Jm. •">
\ ^\ -^ .. ~- . . ^ ^>
IftKfïM,
>MW;
-- - ^^
rSf:a# WVV
^CAi-yg!
. - s - | v -
: aAâ^aaaAàaâ *aA
/■> ^ /*. ' 'n ^
^^>aMa^a^/.
^:«M^
^^fif^
"VAAA^
'r>^/v rH^
>^AM^
;~>^-^^^
**^
^a^.aAA^
^a^^s^iMS
^^nA*.\.^
•^/Si^^-AV :.c^
§^£j^
O'"" C *s a /T "
■A,P^^
k&a#*^
^^^A^A.^A'
O^C^'O^a*
:^i«M^fâ?
A^AA
a^a<
aaC'A
^AAA,^r^°rvV ^^r - ,,,aa,w,a^
A>vAft; ^A/vw^A/y>â/?/^/^'', -c^ Y
c/>
( LIBRARY 1
Digitized by the Internet Archive
in 2012
http://www.archive.org/details/lecatchismeromv3p2bare
^GHAft"
^1
V:
5RARY
en
m
Wi-
LE CATECHISME
ROMAIN
OU L'ENSEIGNEMENT DE LA
Doctrine Chrétienne
EXPLICATION NOUVELLE
PAR
Georges BAREILLE
Docteur en théologie et en droit canonique
Chanoine honoraire de Toulouse
Instaurare omnia in Christo.
Tout restaurer dans le Christ.
Eph., I, 10.
TOME TROISIÈME
DEUXIÈME PARTIE
La Grâce et les Sacrements
i
MONTREJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés
LE
Catéchisme Romain
OU L'ENSEIGNEMENT DE LA
Doctrine Chrétienne
NIH L OBSTAT
Tolosœ, die 10 januarii 1908.
Ph.-H. Dunand,
Can. theol. censor.
IMPRIMATUR
Tolosœ, die 15 januarii 1908.
f AUGUSTINUS,
A.rch. Tolosanus.
L'éditeur se réserve tous les droits de reproduction
et de traduction
Ce volume a été déposé conformément aux lois
en février 1908
LE CATECHISME
ROMAIN
OU L'ENSEIGNEMENT DE LA
Doctrine Chrétienne
EXPLICATION NOUVELLE
PAR
Georges BAREILLE
Docteur en théologie et en droit canonique
Chanoine honoraire de Toulouse
Instaurare omnia in Christo.
Tout restaurer dans le Christ».
Eph., I, 10.
TOME TROISIÈME
DEUXIÈME PARTIE
La Grâce et les Sacrements
i
MONTRE JEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
* Droit;, de rjproductioo et de traduction réservés
*"^S^<'C§j"^t'§j<*î^ô"^^§j<>»>^» »^» «-&* »<S» »&» hP jP •^J jP "&* «*%■* *&» JE
ENCYCLIQUE
« PASCENDI DOMINICI GREGIS »
sur le Modernisme
Gravité des erreurs modernes (ij. — « Ce
qui exige surtout que nous parlions sans délai, c'est que,
les artisans d'erreurs, il n'y a pas à les chercher aujour-
d'hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent, et
I. Cette magnifique Encyclique du 8 septembre 1907 est appelée à
un grand retentissement et marquera une date célèbre dans l'histoire
de l'Eglise. Il en est peu, dans le passé, qui l'égalent en importance ;
car elle englobe dans une vue synthétique tout ce que le mouvement
de la pensée moderne, en opposition avec la révélation et le surna-
turel, entraîne de principes erronés et d'idées fausses. Ce n'est plus
seulement tel ou tel dogme qui est battu en brèche, c'est l'idée même
du dogme, c'est la nature de la foi dans ses racines profondes, c'est
le catholicisme, et, c'est tonte religion, qui sont sapés de fond en
comble. En groupant dans un système cohérent la doctrine des mo-
dernistes, jusque là éparse et comme noyée ou dissimulée dans de
nombreuses publications parues depuis une dizaine d'années, et d'au-
tant plus dangereuse qu'elle se paraît d'un faux zèle pour la vérité et
pour les intérêts religieux de l'Eglise, S. S. Pie X a magistralement
dénoncé le péril. Il en a montré les faux points de départ, la marche
insidieuse, le lien logique, les aboutissements dangereux, les funes-
tes conséquences ; car, en dépit des apparences, c'est bien un tout
lié, « un corps parfaitement organisé, dont les parties sont si bien
solidaires entre elles qu'on n'en peut admettre une sans les admettre
toutes. » Et en le qualifiant de rendez-vous de toutes les héré-
sies, de ruine de la religion catholique et d'anéantissement
de toute religion, le Pape le dénonce et le condamne.
Impossible donc, à l'heure qu'il est, d'avoir le moindre doute sur
l'idée qu'il faut avoir du modernisme. Quelle que soit la valeur
intellectuelle et scientifique de ses fauteurs, et quelque séduisants
qu'aient p»i paraître, aux yeux de personnes mal averties, les ouvra-
ges où ils ont condensé leur doctrine, tels que les Etudes évangéliques9
V Evangile et l'Eglise, Autour d'un petit livre, Dogme et critique en-
tre autres, on doit tenir pour condamné le modernisme,
LE CATÉCHISME. — T. III. X
1J
LE CATECHISME ROMAIN
c'est un sujet d'appréhension et d'angoisse très vives,
dans le sein même et au cœur de l'Eglise, ennemis d'au-
tant plus redoutables qu'ils le sont moins ouvertement.
Nous parlons d'un grand nombre de catholiques laïques
et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres qui,
sous couleur d'amour de l'Eglise, absolument courts de
philosophie et de théologie sérieuses (i), imprégnés au
contraire jusqu'aux moelles d'un venin d'erreur puisé
che^ les adversaires de la foi catholique ', se posent, au
mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l'Egli-
se ; qui, en phalanges serrées, donnent audacieusement
l'assaut à tout ce qu'il y a de plus sacré dans l'œuvre de
Jésus-Christ, sans respecter sa propre personne qu'ils
abaissent, par une témérité sacrilège, jusqu'à la simple
et pure humanité.
« Ces hommes-là peuvent s'étonner que nous les ran-
gions parmi les ennemis de l'Eglise. Nul ne s'en étonnera
avec quelque fondement qui, mettant leurs intentions
'à part> dont le jugement est réservé à Dieu, voudra
bien examiner leurs doctrines, et, conséquemment à
celles-ci, leur manière de parler et d'agir. Ennemis de
l'Eglise, certes ils le sont, et, à dire qu'elle n'en a pas
de pires, on ne s'écarte pas du vrai. Ce n'est pas du
dehors, en effet, c'est du dedans qu'ils trament sa rui-
ne : le danger est aujourd'hui presque aux entrailles
mêmes et aux veines de l'Eglise ; leurs coups sont d'au-
Déjà, dans les deux premiers volumes, nous avons signalé et com-
battu quelques-unes des idées modernistes relatives au dogme, à la
foi, à la divinité, à la science, à la mort expiatoire et à la résurrection
de Jésus-Christ, à l'Eglise. Nous en signalons et combattons quelques
autres, dans le présent volume, touchant la révélation, l'inspiration,
le miracle, la prophétie, le surnaturel. Il en restera d'autres encore
à réfuter dans les volumes suivants, notamment celles qui ont trait à
la nature et à l'origine des sacrements.
Nous insérons ici, en première page, ce document pontifical de
capitale importance ; toute la première par*ie est reproduite dans sa
traduction officielle.
I. C'est nous qui soulignons.
ENCYCLIQUE « PASCEISDI DOMINICI GRECIS )) llj
tant plus sûrs qu'ils savent mieux où la frapper. Ajou-
tez que ce n'est point aux rameaux ou aux rejetons-
qu'ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c'est-
à-dire à la foi et à ses fibres les plus profondes. Puis,
cette racine d'immortelle vie une fois tranchée, ils se
donnent la tâche de faire circuler le virus par tout l'ar-
bre ; nulle partie de la foi catholique qui reste à l'abri
de leur main, nulle partie qu'ils ne fassent tout pour
corrompre. »
Tactique perfide. — « Et tandis qu'ils poursuivent
par mille chemins leur dessein néfaste, rien de si insi-
dieux, de si perfide que leur tactique. Amalgamant eœ
eux le rationaliste et le catholique, ils le font avec un tel
raffinement d'habileté qu'ils abusent facilement les
esprits mal avertis. D'ailleurs, consommés en témérité^
il n'est sorte de conséquences qui les fassent reculer,,
ou plutôt qu'ils ne soutiennent hautement et opiniâtre-
ment. Avec cela, et chose très propre à donner le
change, une vie toute d'activité, une assiduité et une
ardeur singulière à tous les genres d'études, des mœurs-
recommandables d'ordinaire pour leur sévérité. Enfin,,
et ceci paraît ôter tout espoir de remède, leurs doctri-
nes leur ont tellement perverti l'âme, qu'ils en sont de-
venus contempteurs de toute autorité, impatients de tout
frein : prenant assiette sur une conscience fausse, ils
font tout pour qu'on attribue au pur zèle de la vérité ce
qui est œuvre uniquement d'opiniâtreté et d'orgueil..»
Trêve donc au silence, qui désormais serait un crime I
Il est temps de lever le masque à ces hommes-là et de
les montrer à l'Eglise universelle tels qu'ils sont. Et
comme une tactique des modernistes, — ainsi les
appelle-t-on communément et avec beaucoup de raison,.
— tactique en vérité fort insidieuse, — est de ne jamais
exposer leurs doctrines méthodiquement et dans leur
ensemble, mais de les fragmenter en quelque sorte et
IV LE CATECHISME ROMAIN
de les éparpiller ça et là, ce qui prête à les faire juger
ondoyants et indécis, quand leurs idées au contraire
sont parfaitement arrêtées et consistantes, il importe
ici et avant tout, de présenter ces mêmes doctrines sous
une seule vue, et de montrer le lien logique qui les ratta-
che entre elles. Nous nous réservons d'indiquer ensuite
les causes des erreurs et de prescrire les remèdes propres
à retrancher le mal. »
PREMIERE PARTIE
Analyse des doctrines modernistes. — « Et pour
procéder avec clarté dans une matière en vérité fort
complexe, il faut notertout d'abord que les modernistes
assemblent et mélangent, pour ainsi dire., en eux plu-
sieurs personnages : c'est à savoir le philosophe, le
croyant, le théologien, l'historien, le critique, Yapolo-
giste, le reformateur : personnages qu'il importe de
bien démêler si l'on veut connaître à fond leur système
et se rendre compte des principes comme des consé-
quences de leurs doctrines. »
I. Le philosophe. — ■ i° L'Agnosticisme. — « Et
pour commencer par le philosophe, les modernistes
posent comme base de leur philosophie religieuse, la
doctrine appelée communément agnosticisme Ci). La
raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cer-
cle des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui appa-
raissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir les
limites ; elle n'est donc pas capable de s'élever jusqu'à
Dieu, non, pas même pour en connaître, par le moyen
des créatures, l'existence : telle est cette doctrine. D'où
ils infèrent deux choses : que Dieu nyest point objet di~
x. Voir t. i, p. 381-382 ; 398-400 ; 446-447'» 457> 479-
ENCYCLIQUE « PaSCENDI DOMINICI GREGIS » V
reci de science ; que Dieu n'est point un personnage his-
torique. Qu'advient-il, après cela, de la théologie natu-
relle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieu-
re ? Il est aisé de le comprendre : ils les suppriment
purement et simplement et les renvoient à V intellectua-
lisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et
dès longtemps périmé. Rien ne les arrête, pas même les
condamnations dont l'Eglise a frappé ces erreurs mons-
trueuses^).Maintenant, de l'agnosticisme, quin'estaprçs
tout qu'ignorance, comment les modernistes passent-
ils à X athéisme scientifique et historique, dont la néga-
tion fait au contraire tout le caractère ; de ce qu'ils
ignorent si Dieu est intervenu dans l'histoire du genre
humain, par quel artifice de raisonnement en viennent-
ils à expliquer cette même histoire absolument en de-
hors de Dieu, qui est tenu pour n'y avoir point eu
effectivement de part? Le comprenne qui pourra. Tou-
jours est-il qu'une chose pour eux, parfaitement enten-
due et arrêtée, c'est que la science doit être athée, pareil-
lement V histoire ; nulle place, dans le champ de l'une
comme de l'autre, sinon pour les phénomènes : Dieu
et le divin en sont bannis. Quelles conséquences
découlent de cette doctrine absurde, au regard de la
personne sacrée du Sauveur, des mystères de sa vie et
de sa mort, de sa résurrection et de son ascension glo-
rieuse, c'est ce que nous verrons bientôt. »
2° V lmmanentisme. — « L'agnosticisme n'est que
le côté négatif dans la doctrine des modernistes ; le
côté positif est constitué par ce qu'on appelle Ximma-
nence vitale. Ils passent de l'un à l'autre en la manière
que voici. Naturelle ou surnaturelle, la religion, comme
tout autre fait, demande une explication. Or, la théo-
I. Pie X cite là les canons i et 2, du C. De révélations, de lar
Constitution Dei Films, dont nous avons relevé la doctrine, t. 1, p..
389 sq, 441, 446-447.
"Vj LE CATECHISME ROMAIN
logie naturelle une fois répudiée, tout accès à la révé-
lation fermé par le rejet des motifs de crédibilité, qui
plus est, toute révélation extérieure entièrement abolie,
il est clair que, cette explication, on ne doit pas la
chercher hors de l'homme. C'est donc dans l'homme
«qu'elle se trouve, et comme la religion est une forme
de vie, dans la vie même de l'homme. Voilà Y immanence
religieuse. Or, tout phénomène vital — et, on l'a dit,
telle est la religion — a pour premier stimulant une
nécessité, un besoin ; pour première manifestation, ce
mouvement du cœur appelé sentiment. Il s'ensuit,
puisque l'objet de la religion est Dieu, que la foi, prin-
cipe et fondement de toute religion, réside dans un
certain sentiment intime, inspiré lui-même par le besoin
du divin. Ce besoin, d'ailleurs, ne setrahissant que dans
certaines rencontres déterminées et favorables, n'ap-
partient pas de soi au domaine de la conscience : dans
le principe, il gît au-dessous, et, selon un vocable
emprunté de la philosophie moderne, dans la sub-
tonscience, où il faut ajouter que sa racine est cachée,
entièrement inaccessible à l'esprit. »
3° La Foi (i). — « Veut-on savoir maintenant en
quelle manière ce besoin du divin, si l'homme vient à
l'éprouver, se tourne finalement en religion ? — Les
modernistes répondent : « La science et l'histoire sont
enfermées entre deux bornes : l'une extérieure, du
monde visible ; l'autre intérieure, de la conscience.
Parvenues là, impossible à elles de passer outre : au
delà, c'est V inconnaissable. Justement, en face de cet
inconnaissable, de celui, disons-nous, qui est hors de
l'homme, par delà la nature visible, comme de celui
qui est en l'homme même, dans les profondeurs de la
sub-conscience, sans nul jugement préalable (ce qui
est du pur fidéisme), le besoin du divin suscite dans
s. Voir t. i, p. 270-37* ; 317-325.
ENCYCLIQUE (( PASCENDI DOMINICI GREGIS )) Vlj
l'âme, portée à la religion, un sentiment particulier.
Ce sentiment a ceci de propre qu'il enveloppe Dieu,
et comme objet et comme cause intime, et qu'il unit en
quelque façon l'homme à Dieu. » — Telle est, pour les
modernistes, la foi, et, dans la foi ainsi entendue, le
commencement de toute religion. »
4° La révélai ion (i). — « Là ne se borne pas leur
philosophie ou, pour mieux dire, leurs divagations.
Dans ce sentiment ils trouvent donc la foi ; mais aussi
avec la foi et dans la foi, la révélation. Et pour la révé-
lation, en effet, que veut-on de plus? Ce sentiment
qui apparaît dans la conscience, et Dieu qui, dans ce
sentiment, quoique confusément encore, se manifeste
à l'âme, n'est ce pas là une révélation, ou tout au moins
un commencement de révélation? Même, si l'on y
regarde bien, du moment que Dieu est tout ensemble
cause et objet de la foi, dans la foi, on trouve donc la
révélation et comme venant de Dieu et comme portant
sur Dieu, c'est-à-dire que Dieu y est dans le même
temps révélateur et révélé. De là, cette doctrine absurde
des modernistes, que toute religion est à la fois naturelle
et surnaturelle, selon le point de vue. De là, Véqidva-
lence entre la conscience et la révélation. De là, enfin, la
loi qui érige la conscience religieuse en règle universelle,
entièrement de pair avec la révélation et à laquelle tout
doit s'assujettir, jusqu'à Vautorité suprême, dans sa
triple manifestation, doctrinale, cultuelle, disciplinaire, »
Conséquences : — i. Déformation de V histoire
religieuse. — « On ne donnerait pas une idée complète
de 1 origine de la foi et de la révélation, telle que l'en-
tendent les modernistes si l'on n'attirait l'attention sur
un point fort important, à raison des conséquences
historio-critiques qu'ils en tirent. — Il ne faut pas
i. Voir t. m, 8-16.
Vllj LE CATECHISME ROMAIN
croire que V inconnaissable s'offre à la foi, isolé et nu ;
il est, au contraire, relié étroitement à un phénomène
qui, pour appartenir au domaine de la science et de
l'histoire, ne laisse pas de le déborder par quelque
endroit : ce sera un fait de la nature, enveloppant
quelque mystère ; ce sera encore un homme, dont le
caractère, les actes, les paroles paraissent déconcerter
les communes lois de l'histoire. Or, voici ce qui arrive:
Y inconnais sable, dans sa liaison avec un phénomène,
venant à amorcer la foi, celle-ci s'étend au phénomène
lui-même et le pénètre en quelque sorte de sa propre
vie. »
2. Transfiguration et dé figuration. — « Deux consé-
quences en dérivent. Il se produit, en premier lieu, une
espèce de transfiguration du phénomène, que la foi
hausse au-dessus de lui-même et de sa vraie réalité,
comme pour le mieux adapter, ainsi qu'une matière, à
la forme divine qu'elle veut lui donner. Il s'opère, en
second lieu, une espèce de défiguration du phénomène,
s'il est permis d'employer ce mot, en ce que la foi,
l'ayant soustrait aux conditions de l'espace et du temps,
en vient à lui attribuer des choses qui, selon la réalité,
ne lui conviennent point. Ce qui arrive surtout, quand
il s'agit d'un phénomène du passé, et d'autant plus
aisément que ce passé est lointain.
« De cette double opération, les modernistes tirent
deux lois qui, ajoutées à une troisième, déjà fournie par
Y agnosticisme, forment comme les bases de leur critique
historique. Un exemple éclaircira la chose et Jésus-
Christ va nous le fournir. Dans la personne du Christ,
disent-ils, là science ni l'histoire ne trouvent autre chose
qu'un homme. De son histoire donc, au nom de la pre-
mière loi, basée sur V agnosticisme, il faut effacer tout ce
qui a caractère de divin. La personne historique du
Christ a été transfigurée par la foi : il faut donc encore
retrancher de son histoire, de par la seconde loi, tout ce
ENCYCLIQUE « PASCEXDI DOMINICI GREGIS » IX
qui l'élève au-dessus des conditions historiques. Enfin, la
même personne du Christ a été défigurée par la foi : il
faut donc, en vertu de la troisième loi, écarter en outre
de son histoire les paroles, les actes, en un mot, tout ce
qui ne répond point à son caractère, à sa condition, à son
éducation, au lieu et au temps où il vécut. - Etrange paraî-
tra sans doute, cette façon de raisonner : telle est
pourtant la critique moderniste. »
3. Genèse de la religion. — « Le sentiment religieux,
qui jaillit ainsi, par immanence vitale, des profondeurs
de la sub-conscience, est le germe de toute religion,
comme il est la raison de tout ce qui a été ou sera
jamais, en aucune religion. Obscur, presque informe à
l'origine, ce sentiment est allé progressant sous l'in-
fluence secrète du principe qui lui donna l'être, et de
niveau avec la vie humaine, dont on se rappelle qu'il
est une forme. Ainsi naquirent toutes les religions, y
compris les religions surnaturelles : elles ne sont toutes
que des efrlorescences de ce sentiment. Et qu'on n'at-
tende pas une exception en faveur de la religion
catholique : elle est mise entièrement sur le pied des
autres. Son berceau fut la conscience de Jésus-Christ,
homme de nature exquise, comme il n'en fut ni n'en
sera jamais : elle est née là, non d'un autre principe
que de l'immanence vitale. »
« On est saisi de stupeur en face d'une telle audace
dans l'assertion, d'une telle aisance dans le blasphème.
Et ce n'est point les incrédules seuls qui profèrent de
telles témérités : ce sont des catholiques, ce sont des
prêtres même, et nombreux, qui les publient avec
ostentation. Et dire qu'ils se targuent, avec de telles
insanités, de rénover l'Eglise ! Certes, il ne s'agit plus
de la vieille erreur qui dotait la nature humaine d'une
espèce de droit à l'ordre surnaturel. Que cela est
dépassé! En l'homme qui est Jésus-Christ, aussi bien
qu'en nous, notre sainte religion n'est autre chose
LE CATECHISME ROMAIN
qu'un fruit propre et spontané de la nature. Y a-t-il
rien, en vérité, qui détruise plus radicalement Tordre
surnaturel ? C'est donc avec souverainement de raison
que le concile du Vatican a décidé ce qui suit : « Si
quelqu'un dit que l'homme ne peut être élevé à une
connaissance et à une perfection qui surpassent la
nature, mais qu'il peut et qu'il doit, par un progrès
continu, parvenir enfin de lui-même à la possession de
tout vrai et de tout bien, qu'il soit anathème (i). »
4. Genèse des dogmes. — Après le sentiment, l'intelli-
gence. — « Nous n'avons jusqu'ici aucune place faite à
l'intelligence. Selon les modernistes, elle a pourtant sa
part dans l'acte de foi, il importe de dire laquelle. —
Le sentiment dont il a été question — précisément parce
qu'il est sentiment et non connaissance — fait bien
surgir Dieu en l'homme, mais si confusément encore
que Dieu, à vrai dire, ne s'y distingue pas, ou à peine,
de l'homme lui-même. Ce sentiment, il faut donc qu'une
lumière vienne l'irradier, y mettre Dieu en relief, dans
une certaine opposition avec le sujet, c'est l'office de
l'intelligence, faculté de pensée et d'analyse, dont
l'homme se sert pour traduire d'abord en représenta-
tions intellectuelles, puis en expressions verbales, les
phénomènes de vie dont il est le théâtre. De là ce mot
devenu banal chez les modernistes : V homme doit penser
sa foi. L'intelligence survient donc au sentiment et, se
penchant en quelque sorte sur lui, y opère à la façon
d'un peintre qui, sur une toile vieillie, retrouverait et
ferait reparaître les lignes effacées du dessin : telle est,
à peu de choses près, la comparaison fournie par l'un
des maîtres des modernistes. Or, en ce travail, l'intelli-
gence a un double procédé : d abord par un acte
naturel et spontané, elle traduit la chose en une asser-
1. Const. Dei Filius, deRevel., can. 3. Sur cette question delà
genèse des dogmes, de leur nature essentiellement variable, selon Je$
modernistes, voir t. 1, p. 192 ; 214-254
ENCYCLIQUE « TASCENDI DOMINICI GREGIS » XJ
tion simple etvulgaire ; puis, faisant appel à la réflexion
et à l'étude, travaillant sur sa pensée, comme ils disent,
elle interprète la formule primitive, au moyen de for-
mules dérivées, plus approtondies et plus distinctes.
Celles-ci, venant à être sanctionnées par le magistère
de l'Eglise, constitueront le dogme.
5. Nature essentiellement variable du dogme. — « Le dog-
me, son origine, sa nature, tel estle point capital, dans la
doctrine des modernistes. Le dogme, d'après eux, tire son
origine des formules primitives et simples, essentielles,
sous un certain rapport, à la foi ; car la révélation, pour
être vraie, demande une claire apparition de Dieu dans
la conscience. Le dogme lui-même, si on le comprend
bien, est contenu proprement dans les formules secondai-
res . Maintenant, pour bien entendre sa nature, il faut
voir avant tout quelle sorte de rapport il y a entre les
formules religieuses et le sentiment religieux. Ce qui
ne sera pas malaisé à découvrir si on se reporte au but
de ces mêmes formules, qui est de fournir au croyant le
moyen de se rendre compte de sa foi. Elles constituent
donc, entre le croyant et sa foi, une sorte d'entre-
deux ; par rapport à la foi, elles ne sont que des signes
inadéquats de son objet, vulgairement des symboles ; par
rapport au croyant, elles ne sont que de purs instruments.
D'où l'on peut déduire ocelles ne contiennent pas la
vérité absolue : comme symboles, elles sont des images
de la vérité, qui ont à s'adapter au sentiment religieux,
dans ses rapports avec l'homme ; comme instruments,
des véhicules de vérité, qui ont réciproquement à s'ac-
commcder à l'homme dans ses rapports avec le senti-
ment religieux. Et comme l'absolu, qui est l'objet de ce
sentiment, a des aspects infinis, sous lesquels il peut
successivement apparaître ; comme le croyant, d'autre
part, peut passer successivement sous des conditions
fort dissemblables, il s'ensuit que les formules dogmati"
ques sont soumises à ces mêmes vicissitudes, partant
Xlj LE CATECHISME ROMAIN
sujettes à mutation. Ainsi est ouverte la voie à la varia-
tion substantielle des dogmes. Amoncellement infini de
sophismes où toute religion trouve son arrêt de mort.»
6. 'Nécessité de cette variation. — « Evoluer et chan-
ger, non seulement le dogme le peut, il le doit : c'est
ce que les modernistes affirment hautement et qui d'ail-
leurs découle manifestement de leurs principes. — Les
formules religieuses, en effet, pour être véritablement
religieuses, non de simples spéculations théologiques,
doivent être vivantes, et de la vie même du sentiment reli-
gieux ; ceci est une doctrine capitale dans leur système,
et déduite du principe de X immanence vitale. Ne l'enten-
dez pas en ce sens qu'il soit nécessaire de construire les
formules, surtout si elles sont imaginatives, précisément
en vue du sentiment : non, leur origine, leur nombre,
jusqu'à un certain point leur qualité même, importent
assez peu ; ce qu'il faut, c'est que le sentiment, après
les avoir convenablement modifiées, s'il y a lieu, se les
assimile vitalement. Ce qui revient à dire que la for-
mule primitive demande à être acceptée et sanctionnée par
le cœur ; le travail subséquent , d'où s'engendrent les for-
mules secondaires, à être fait sous la pression du cœur.
C'est en cette vue surtout, c'est-à-dire afin d'être et de
rester vivantes, qu'il est nécessaire qu'elles soient et
qu'elles restent assorties et au croyant et à sa foi. Le
jour où cette adaptation viendrait à cesser, ce jour-là
elles se videraient du même coup de leur contenu pri-
mitif : il n'y aurait d'autre parti à prendre que de les
changer.
« Etant donné le caractère si précaire et si instable
des formules dogmatiques, on comprend à merveille
que les modernistes les aient en si mince estime, s'ils
ne les méprisent ouvertement. Le sentiment religieux,
la vie religieuse, c'est ce qu'ils ont toujours aux lèvres,
ce qu'ils exaltent sans fin. En même temps ils répriman-
dent l'Eglise audacieusement,comme faisant fausse route;
ENCYCLIQUE (( PASCENDI DOMINICI GREGIS » X11J
comme ne sachant pas discerner de la signification ma-
térielle des formules, leur sens religieux et moral ; comme
s'attachant opiniâtrement et stérilement à des formules
vaines et vides, cependant qu'elles laissent la religion
aller à sa ruine. Aveugles et conducteurs d'aveugles
qui, enflés d'une science orgueilleuse, en sont venus à
cette folie de pervertir l'éternelle notion de la vérité,
en même temps que la véritable nature du sentiment
religieux ; inventeurs d'un système « où on les voit,
sous l'empire d'un amour aveugle et effréné de nou-
veauté, ne se préoccuper aucunement de trouver un
point d'appui solide à la vérité, mais, méprisant les
saintes et apostoliques traditions, embrasser d'autres
doctrines vaines, futiles, incertaines, condamnées par
l'Eglise, sur lesquelles, hommes très vains eux-mêmes,
ils prétendent appuyer et asseoir la vérité (i). »
II. Le croyant. — i. L'expérience individuelle ■, source
de la certitude religieuse. — « Si, maintenant, passant
au croyant, nous voulons savoir en quoi, chez ce même
moderniste, il se distingue du philosophe, une chose est
premièrement à noter : c'est que le philosophe admet
bien la réalité divine comme objet de foi ; mais cette réa-
lite', pour lui y n'existe pas ailleurs que dans l'âme du
croyant, c'est-à-dire comme objet de son sentiment et
de ses affirmations ; ce qui ne sort pas, après tout, du
monde des phénomènes. Si Dieu existe en soi, hors du
sentiment et hors des affirmations, c'est de quoi il n'a
cure ; il en fait totalement abstraction. Pour le croyant,
au contraire, Dieu existe en soi, indépendamment de
lui, croyant, il en a la certitude, et c'est par là qu'il se
distingue du philosophe. Si maintenant vous demandez
sur quoi, en fin de compte, cette certitude repose, les
modernistes répondent: Sur l'expérience personnelle. Ils
i. Grégoire XVI, Encycl. Singidari nos, eu 35 juin 1834 ; Den-
zinger, n° 1476.
XIV LE CATECHISME ROMAIN
■ . « i » m
se séparent ainsi des rationalistes, mais pour verser
dans la doctrine des protestants et des pseudo-mysti-
ques (i). — Voici, au surplus, comme ils expliquent la
chose. Si l'on pénètre le sentiment religieux, on y
découvrira facilement une certaine intuition du cœur,
grâce à laquelle, et sans nul intermédiaire, l'homme
atteint la réalité même de Dieu : d'où une certitude de
son existence, qui passe très fort toute certitude scien-
tifique. Et cela est une véritable expérience, et supé-
rieure à toutes les expériences rationnelles. Beaucoup,
sans doute, la méconnaissent et la nient, tels les ratio-
nalistes ; mais c'est tout simplement qu'ils refusent de
se placer dans les conditions morales qu'elle requiert.
Voilà donc, dans cette expérience, ce qui, d'après les
modernistes, constitue vraiment et proprement le
croyant. — Combien tout cela est contraire à la foi
catholique, nous l'avons déjà lu dans un décret du con-
cile du Vatican ; comment la voie s'en trouve ouverte à
l'athéisme, de même que pour les autres erreurs déjà
exposées, nous le dirons plus loin. — Ce que nous vou-
lons observer ici, c'est que la doctrine de l'expérience,
jointe à Vautre du symbolisme, consacre comme vraie
toute religion, sans en excepter la religion païenne. Est-
ce qu'on ne rencontre pas dans toutes les religions des
expériences de ce genre ? Beaucoup le disent. Or, de
quel droit les modernistes dénieraient-ils la vérité aux
expériences religieuses qui se font, par exemple, dans
la religion mahométane ? Et en vertu de quel principe
attribueraient-ils aux seuls catholiques le monopole des
expériences vraies ? Ils s'en gardent bien : les uns
d'une façon voilée, les autres ouvertement, ils tiennent
pour vraies toutes les religions. C'est aussi bien une
nécessité de leur système. Car, posés leurs principes, à
quel chef pourraient-ils arguer une religion de fausseté?
i. Voir au t. i, les leçons sur le dogme et sur la foi.
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMINICI GRECIS )) XV
Ce ne pourrait être évidemment que pour la fausseté du
sentiment ou pour celle de la formule. Mais, d'après
eux, le sentiment est toujours et partout le même,
substantiellement identique ; quant à la formule reli-
gieuse, tout ce qu'on lui demande, c'est l'adaptation au
croyant — quel que soit par ailleurs son niveau intellec-
tuel — en même temps qu'à sa foi. Tout au plus, dans
cette mêlée de religions, ce qu'ils pourraient revendi-
quer en faveur de la religion catholique, c'est qu'elle
est plus vraie, parce qu'elle est plus vivante ; c'est
encore qu'elle est plus digne du nom de chrétienne
parce qu'elle répond mieux que toute autre aux origines
du christianisme. — De telles conclusions ne sauraient
surprendre : elles découlent des prémisses. Ce qui est
fort étrange, c'est que des catholiques, c'est que des
prêtres, dont nous aimons à penser que de telles mons-
truosités leur font horreur, se comportent néanmoins,
dans la pratique, comme s'ils les approuvaient pleine-
ment ; c'est que des catholiques, des prêtres décernent
de telles louanges, rendent de tels hommages aux cory-
phées de l'erreur, qu'ils prêtent à penser que ce qu'ils
veulent honorer par là, c'est moins les hommes eux-
mêmes, non indignes peut-être de toute considération,
que les erreurs par eux ouvertement professées et dont
ils se sont faits les champions. »
2. Lexpérience religieuse, ruine de la tradition, —
c Un autre point où les modernistes se mettent en
opposition flagrante avec la foi catholique, c'est que le
principe de l'expérience religieuse, ils le transfèrent à
la tradition ; et la tradition, telle que V entend l'Eglise,
s'en trouve ruinée totalement. Qu'est-ce que la tradition,
pour les modernistes ? La communication faite à d'au-
tres de quelque expérience originale (i), par l'organe
de la prédication, et moyennant la formule intellectuelle»
x. Voir t. m, p. 8-16, et la leçon consacrée à la tradition.
XVJ LE CATECHISME ROMAIN
Car, à cette dernière, en sus de la vertu représentative,
comme ils l'appellent, ils attribuent encore une vertu
suggestive s'exerçant, soit sur le croyant même, pour
réveiller en lui le sentiment religieux, assoupi peut-être,
ou encore pour lui faciliter de réitérer les expériences
déjà faites soit sur les non-croyants pour engendrer en
eux le sentiment religieux et les amener aux expérien-
ces qu'on leur désire. C'est ainsi que l'expérience reli-
gieuse va se propageant à travers les peuples, et non
seulement parmi les contemporains, par la prédication
proprement dite, mais encore de génération en généra-
tion, par l'écrit ou par la transmission orale. — Or,
cette communication d'expériences a des fortunes fort
diverses : tantôt elle prend racine et s'implante ; tantôt
elle languit et s'éteint. C'est à cette épreuve, d'ailleurs,
que les modernistes, pour qui vie et vérité ne sont
qu'un, jugent de la vérité des religions ; si une religion
vit, c'est quelle est vraie ; si elle n'était pas vraie, elle ne
vivrait pas. D'où l'on conclut encore : toutes les reli-
gions existantes sont donc vraies. »
3. La foi est ainsi expulsée delà science et de l'his-
toire* — « Au point où nous en sommes, nous avons
plus qu'il ne faut pour nous faire une idée exacte des
rapports qu'ils établissent entre la foi et la science,
entendant aussi, sous ce dernier mot, l'histoire. — En
premier lieu, leurs objets sont totalement étrangers
entre eux, l'un en dehors de l'autre. Celui de la foi est
justement ce que la science déclare lui être, à elle-même,
inconnaissable. De là un champ tout divers : la science
est toute aux phénomènes , la foi n'a rien à y voir ; la foi
est toute au divin, cela est au dessus de la science. D'où
l'on conclut enfin o^entre la science et la foi, il riy a
point de conflit possible : qu'elles restent chacune chez
elles, et elles ne pourront jamais se rencontrer, ni par-
tant se contredire. — Que si l'on objecte à cela qu'il
est certaines choses de la nature visible qui relèvent
ENCYCLIQUE (( PASCENDI DOMINICI GREGIS » XVlj
aussidela foi, par exemple la vie humaine de Jésus-Christ,
ilslenieront.il estvrai, diront-ils, que ces choses-là ap-
partiennent parleur nature au monde des phénomènes;
mais, en tant qu'elles sont pénétrées de la vie de la foi
et que, en la manière qui a été dite, elles sont transfigu-
rées et défigurées par la foi, sous cet aspect précis, les
voilà soustraites au monde sensible et transportées, en
guise de matière, dans l'ordre divin. Ainsi, à la deman-
de si Jésus-Christ a fait de vrais miracles et de vérita-
bles prophéties, s'il est ressuscité et monté au ciel :
non, répondra la science agnostique; oui, répondra la
foi. Où il faudra bien se garder pourtant de trouver une
contradiction : la négation est du philosophe parlant à
des philosophes et qui n'envisage Jésus-Christ que sous
la réalité historique ; l'affirmation est du croyant s'a-
dressant à des croyants, et qui considère la vie de
Jésus-Christ comme vécue à nouveau par la foi et dans
la loi. »
4. Mais la foi est assujettie à la science à trois titres,
— « Or, Ton se tromperait très fort, si l'on s'imaginait
après cela, qu'entre la foi et la science il n'existe de su-
bordination d'aucune sorte. C'est fort bien et fort juste-
ment pensé de la science, mais non certes de la foi,
assujettie qu'elle est à la science, non pas à un titre,
mais à trois. — Il faut observer, premièrememt, que,
dans tout fait religieux, à la réserve de la réalite
divine et de l'expérience qu'en a le croyant, tout le reste,
notamment les formules religieuses, ne dépasse point la
sphère des phénomènes, n'est point soustrait par consé-
quent au domaine scientifique. Que le croyant s'exile
donc du monde, s'il lui plaît; mais, tant qu'il y reste, il
doit subir les lois, le contrôle, le jugement de la science.
— En second lieu, si l'on a dit que la foi seule a Dieu
pour objet, il faut l'entendre de la réalité divine, non
de Vidée ; car l'idée est tributaire de la science, attendu
que celle-ci, dans Tordre logique, comme on dit, s'é-
LB CATECHISME. — T. III» b
XVllj LE CATECHISME ROMAIN
lève jusqu'à l'absolu et à l'idéal. A la science, donc, à
la philosophie, de connaître l'idée de Dieu, de la gui-
der dans son évolution, et, s'il venait à s'y mêler quel-
que élément étranger, de la corriger. D'où cette maxi-
me des modernistes, que l'évolution religieuse doit se
coordonner à révolution intellectuelle et morale^ ou, pour
mieux dire, et selon le mot d'un de leurs maîtres, s'y
subordonner. — Enfin, l'homme ne souffre point en soi
de dualisme : aussi le croyant est-il stimulé par un
besoin intime de synthèse à tellement harmoniser entre
elles la science et la foi, que celle-ci ne contredira
jamais à la conception générale que celle-là se fait
de l'univers. Ainsi donc, vis-à-vis de la foi, liberté to'
taie de la science ; au contraire, et nonobstant qu'on les
ait données pour étrangères l'une à l'autre, à la science^
asservissement de la foi, — Toutes choses qui sont en
opposition formelle avec les enseignements de notre
prédécesseur, Pie IX. Il écrivait en effet qu'il « est
de la philosophie, en tout ce qui regarde la religion,
non de commander, mais d'obéir, non de prescrire ce
qui est à croire, mais de l'embrasser avec une soumis-
sion que la raison éclaire, de ne point scruter la pro-
fondeur des mystères de Dieu, mais de les révérer en
toute piété et humilité (i). » Les modernistes renver-
sent cet ordre et méritent qu'on leur applique ce que
Grégoire IX, un autre de nos prédécesseurs, écrivait
de certains théologiens de son temps (2). »
5. Conduite des modernistes conforme à leurs prince
1. Bref, du 30 mars 1857, àl'évêquede Wrastilav; Denzinger, n° 1514.
«— 2. * Il en est, parmi vous, gonflés d'esprit de vanité ainsi que des
outres qui s'efforcent de déplacer, par des nouveautés profanes, les
bornes qu'ont fixées les Pères; qui plient les saintes Lettres aux doc--
trines de la philosophie rationnelle, par pure ostentation de science,
sans visera aucun profit des auditeurs... qui, séduits par d'insolites
et bizarres doctrines, mettent queue en tête et à la servante assujet-
tissent la reine. » Epist. ad magist, theol. Pan'sienses, juillet 1223;'
Denzinger, n. 379.
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMINICI GREGIS » XIX
pes. — « Ce qui jettera plus de jour encore sur ces doc-
trines des modernistes, c'est leur conduite, qui y est
pleinement conséquente. A les entendre, à les lire, on
serait tenté de croire qu'ils tombent en contradiction,
avec euK-mêmes, qu'ils sont oscillants et incertains.
Loin de là : tout est pesé, tout est voulu chez eux»,
mais à la lumière de ce principe, que la foi et la science
sont, Vune à Vautre, étrangères. Telle page de leurs ou-
vrages pourrait être signée d'un catholique; tournez la-
page, vous croyez lire un rationaliste. Ecrivent ils
l'histoire : nulle mention de la divinité de Jésus-
Christ (i); montent-ils dans la chaire sacrée, ils la pro-
clament hautement. Historiens, ils dédaignent Pères
et conciles ; catéchistes, il les citent avec honneur. Si
vous y prenez garde, il y a pour eux deux exégèses fort-
distinctes : V exégèse théologique et pastorale, V exégèse
scientifique et historique. — De même, en vertu de ce-
principe que la science ne relève à aucun titre de la foit
s'ils dissertent de philosophie, d'histoire, de critique,,
ils affichent en mille manières — n'ayant pas horreur
de marcher en cela sur les traces de Luther (2) — leur
mépris des enseignements catholiques, des saints Pères,,
des Conciles œcuméniques, du magistère ecclésiasti-
que : réprimandés sur ce point, ils jettent les hauts cris,,
se plaignent amèrement qu'on viole leur liberté. Enfin,,
vu que la foi est subordonnée à la science, ils reprennent
l'Eglise — ouvertement et en toute rencontre — de ce
qu'elle s'obstine à ne point assujettir et accommoder
1. C'est notamment le reproche fait par la critique à Y Evangile et
l'Eglise; et c'est à ce reproche que répond en matière de justification
la Lettre à un archevêque, à? Autour d'un petit livre, p. 109, sq., on
l'on trouve très légitime, de la part d'un historien, d'agir ainsi.
Voir t. 11, p. 259-281. — 2. Prop. 29, condamnée par Léon X, Exurge
Domine, du 16 mai 1520 ; Denzinger, n. 653 : « Il nous a été donné
de pouvoir infirmer l'autorité des Conciles, de contredire lib ement à-
leurs actes, de nous faire juge des lois qu'ils ont portées, et d'af-
firmer avec assurance tout ce qui nous paraît vrai, que cela soit ap-
prouvé ou réprouvé par n'importe quel concile. >
XX LE CATECHISME ROMAIN
les dogmes aux opinions des philosophes ; quanta eux,
après avoir fait table rase dans l'antique théologie, ils
s'efforcent d'en introduire une autre, complaisante,
celle-ci, aux divagations de ces mêmes philosophes. »
III. Le théologien. — i. Deux principes généra-
teurs : Immanence et Symbolisme. — « Ici se présente à
nous le moderniste théologien. La matière est vaste et
compliquée : nous la condensons en peu de mots. Ce
dont il s'agit, c'est de concilier la science et la foi, tout
naturellement par la subordination de la foi à la
science. La méthode du moderniste théologien est toute
entière à prendre les principes du philosophe et à les
adapter au croyant, et c'est à savoir les principes de V im-
manence et du symbolisme. Fort simple est le procédé.
Le philosophe disait : Le principe de la foi est immanent;
le croyant ajoutait : Ce principe est Dieu; le théologien
conclut : Dieu est donc immanent dans l'homme. Imma-
nence théologique, — De même le philosophe disait :
Les représentations de V objet sont de purs symboles ; le
croyant ajoutait : L'objet delafoi est Dieu en soi ;le théo-
logien conclut : Les représentations de la réalité divine
sont donc purement symboliques. Symbolisme théologique ,
Insignes erreurs, plus pernicieuses l'une que l'autre,
ainsi qu'on va le voir clairement par les conséquences »
Symbolisme. — « Et pour commencer par le symbo-
lisme, comme les symboles sont tout ensemble et sym-
boles au regard de l'objet, et instruments au regard du
sujet, il découle de là deux conséquences : la première,
c'est que le croyant ne doit point adhérer précisément à la
formule en tant que formule, mais en user purement
pour atteindre à la vérité absolue, que la formule voile
et dévoile en même temps qu'elle fait effort pour expri-
mer, sans y parvenir jamais. La seconde, c'est que le
croyant doit employer ces formules dans la mesure oh
elles peuvent lui servir, car c'est pour seconder sa loi,
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMINICI GREGIS » XXJ
non pour l'entraver, qu'elles lui sont données ; sous ré-
serve toujours du respect social qui leur est dû, pour
autant que le magistère public les aura jugées aptes à
traduire la conscience commune, et jusqu'à ce qu'il ait
réformé ce jugement. »
Immanence. — « Pour ce qui est de l'immanence, il
est assez malaisé de savoir sur ce point la vraie pensée
des modernistes, tant leurs opinions y sont divergentes.
Les uns l'enlendent dans ce sens que Dieu est plus pré-
sent à l'homme que l'homme n'est présent à lui-même :
ce qui, sainement compris, est irréprochable. D'autres,
veulent que l'action de Dieu ne fasse qu'un avec l'ac-
tion de la nature, la cause première pénétrant la cause
seconde : ce qui est en réalité la ruine de Tordre sur-
naturel. D'autres enfin expliquent tellement la chose
qu'ils se font soupçonner d'interprétation panthéiste :
ceux-ci sont d'accord avec eux-mêmes et vraiment
logiques. »
Permanence divine. — « A ce principe d'immanence,
il s'en rattache un autre que l'on peut appeler perma-
nence divine : il diffère du premier, à peu près comme
l'expérience transmise par tradition de la simple expé-
rience individuelle. Un exemple éclaircira la chose, et
il sera tiré de l'Eglise et des sacrements. — Il ne faut
pas s'imaginer disent-ils, que les sacrements et l'Eglise
aient été institués immédiatement par Jésus-Christ. Cela'
est en contradiction avec l'agnosticisme qui, en Jésus-
Christ, ne voit autre chose qu'un homme, dont la
conscience, à l'instar de toute conscience humaine, est
allée se formant peu à peu ; avec la loi d'immanence,,
qui répudie les applications faites du dehors, comme
ils disent; avec la loi d'évolution, qui demande du
temps pour le développement des germes, ainsi qu'une
série changeante de circonstances ; avec l'histoire enfîiv
qui constate que les choses se sont passées effective-
ment selon les exigences de ces lois. Ce qui n'empêche
XXlj LE CATECHISME ROMAIN
point, et il faut l'affirmer, que PEglise et les sacrements
aient été institués médiatement par Jésus-Christ. Voici
de quelle manière. Toutes les consciences chrétiennes
furent enveloppées en quelque sorte dans la conscience
du Christ, ainsi que la plante dans son germe. Et de
même que les rejetons vivent de la vie du germe, ainsi
faut-il dire que tous les chrétiens vivent de la vie de
Jésus-Christ. Or, la vie de Jésus-Christ est divine,
selon la foi : divine sera donc aussi la vie des
chrétiens. Et c'est pourquoi, s'il arrive que la vie
-chrétienne, dans la suite des temps, donne nais-
sance aux sacrements et à l'Eglise, on pourra affirmer
en toute vérité que l'origine en vient de Jésus-Christ
-et qu'elle est divine. C'est par le même procédé que la
divinité sera octroyée aux saintes Ecritures, qu'elle le
sera aux dogmes. — Là se borne à peu près la théolo-
gie des modernistes : mince bagage sans doute, mais
plus que suffisant, si l'on tient, avec eux, que la foi
doit en passer par tous les caprices de la science. De
tout ceci, nous laisserons à chacun le soin d'en faire
l'application à ce qui va suivre: elle est aisée. »
2. Conséquences. — « Nous avons surtout parlé jus-
qu'ici de l'origine et de la nature de la foi. Or, dans
le système des modernistes, la foi a plusieurs rejetons,
dont voici les principaux: l'Eglise, le dogme, le culte,
les Livres saints. Voyons ce qu'ils en disent. »
Ce que devient le dogme. — « Pour commencer par le
dogme, il est si connexe avec la foi, que nous avons
déjà dû en retracer plus haut l'origine et la nature (i).
Il naît du besoin qu'éprouve le croyant de travailler sur
sa pensée religieuse, en vue d'éclairer de plus en plus
et sa propre conscience et celle des autres. Ce travail
consiste à pénétrer et à expliquer la formule primitive;
ce qui ne* doit point s'entendre d'un développement
— t. Voir, t. I, les leçons consacrées au dogme.
ENCYCLIQUE « PASCEISDI DOMINICI GREGIS » XXIJJ
i - — ■ - - - | - r ^
d'ordre rationnel et logique, mais commandé entière-
ment par les circonstances : ils l'appellent, d'un mot
assez obscur pour qui n'est pas au fait de leur langage,
vital. Il arrive ainsi qu'autour de la formule primitive,
naissent peu à peu des formules secondaires ; organi-
sées par la suite en corps de doctrine, ou, pour parler
avec eux, en constructions doctrinales, sanctionnées
en outre par le magistère public, comme répondant à
la conscience commune, elles recevront le nom de
dogme. Du dogme, il faut distinguer avec soin les
pures spéculations théologiques. Celles-ci, d'ailleurs,
pour n'être point vivantes, à proprement parler, de la
vie de la foi, ne laissent pas d'avoir leur utilité : elles
servent à concilier la religion avec la science, à suppri-
mer entre elles tout conflit ; de même à éclairer exté-
rieurement la religion, à la défendre ; elles peuvent
enfin constituer une matière en préparation pour un
dogme futur. »
Ce que devient le culte. — « Du culte, il y aurait peu
à dire, si ce n'était que sous ce mot sont compris les sa-
crements ; et sur les sacrements, les modernistes gref-
fent de fort graves erreurs. Le culte naît d'une double
nécessité, d'un double besoin ; car, on l'a remarqué, la
nécessité, le'besoin, telle est dans leur système, la
grande et universelle explication. Le premier besoin, ici,
est de donner à la religion un corps sensible / le second \
de la propager, à quoi il ne faudrait pas songer sans
formes sensibles ni sans les actes sanctifiants que l'on
appelle les sacrements. »
Ce que sont les sacrements. — « Les sacrements, pour
les modernistes, sont de purs signes ou symboles, bien
que doués d'efficacité. Ils les comparent à de certaines
paroles, dont on dit vulgairement qu'elles ont fait for-
tune, parce qu'elles ont la vertu de faire rayonner des
idées fortes et pénétrantes, qui impressionnent et
remuent. Comme ces paroles sont à ces idées, de même
XXIV LE CATECHISME ROMAIN
les sacrements au sentiment religieux. Rien de plus.
Autant dire, en vérité, et plus clairement, que les sa-
crements n'ont été institués que pour nourrir la foi:
proposition condamnée par le Concile de Trente. «Si
quelqu'un dit que les sacrements n'ont été institués que
pour nourrir la foi, qu'il soit anathème (i). »
Ce que sont les Livres saints (2). — « De l'origine et
de la nature des Livres saints, nous avons déjà touché
quelque chose. Ils ne constituent, non plus, que de
simples rejetons de la foi. Si l'on veut les définir exac-
tement, on dira qu'ils sont le recueil des expériences fai-
tes dans une religion donnée, non point expériences à la
portée de tous et vulgaires, mais extraordinaires et insi-
gnes. Ceci est dit de nos Livres saints de l'Ancien et du
Nouveau Testament, aussi bien que des autres. Et une
remarque qu'ils ajoutent, fort avisée à leur point de vue,
c'est que si l'expérience roule toujours sur le présent, elle
peut puiser néanmoins sa matière et dans le passé et dans
l'avenir, attendu que le croyant vit sous la forme du
présent, et les choses du passé qu'il fait renaître par le
souvenir, et celles de l'avenir qu'il anticipe par la pré-
vision. De là, parmi les Livres saints, les Livres histori-
ques et les apocalyptiques. — C'est Dieu qui parle dans
ces Livres, par V organe du croyant ; mais, selon la théo-
logie moderniste, par voie d'immanence et de permanence
vitale. — Demande-t-on ce qu'il en est de V inspiration?
L'inspiration, répondent-ils, ne diffère pas, si ce n'est
par l'intensité, de ce besoin qu'éprouve tout croyant de
communiquer sa foi, par V écrit ou par la parole. On
trouve quelque chose de semblable dans l inspiration
poétique^ et on se souvient du mot fameux : « Un Dieu
est en nous ; de lui qui nous agite vient cette flam-
me. » C'est ainsi, que Dieu, dans leur doctrine, est le
1. Sesfi. vu, De satramentis in génère, can. 5. Il est question de
l'origine et de la nature des sacrements au t. iv. — 2. Voir, t. m, les
loçons îv- vu.
ENCYCLIQUE (( PASCEXDI DOMIMCI GREOIS » XXV
principe de l'inspiration des saints Livres. — Cette ins-
piration, ajoutent-ils, rien, dans ces mêmes Livres, qui
lui échappe. En quoi vous les croiriez plus orthodoxes
que certains autres de ce temps, qui la rétrécissent
quelque peu, en lui dérobant, par exemple, ce qu'ils
appellent les citations tacites. Jonglerie de mots et
apparences pures. Si l'on commence par déclarer, selon
les principes de l'agnosticisme, que la Bible est un ou-
vrage humain, écrit par des hommes et pour des hom-
mes, sauf à les dire théologiquement divins par imma-
nence, le moyen de rétrécir l'inspiration ? Universelle,
l'inspiration ? oui, au sens moderniste, nulle, au sens
catholique. »
Ce quest V Eglise (i). — « Nous voici à l'Eglise, où
leurs fantaisies vont nous offrir plus ample matière. —
VEvlise est née d'un double besoin : du besoin qu'éprouve
tout fidèle^ surtout s'il a quelque expérience origi-
nale, de communiquer sa foi ; ensuite, quand la foi est
devenue commune, ou, comme on dit, collective, du
besoin de s'organiser en société) pour conserver, accroî-
tre, propager le trésor commun. — Alors qu'est-ce donc
que Y Eglise? Le fruit de la conscience collective, autre-
ment dit de la collection des consciences individuelles :
consciences qui, en vertu de la permanence vitale,
dérivent d'un premier croyant — pour les catholiques,
de Jésus-Christ. — Or, toute société a besoin d'une
autorité dirigeante, qui guide ses membres à la fin
commune, qui, en même temps, par une action pru-
demment conservatrice, sauvegarde ses éléments essen-
tiels, c'est à-dire, dans la société religieuse, le dogme
et le culte. De là, dans l'Eglise catholique, le triple pou-
voir, disciplinaire, doctrinal, liturgique. — De l'origine
de cette autorité, se déduit sa nature ; comme de sa
nature, ensuite, ses droits et ses devoirs. Aux temps
X. Voir, t. il, les leçons xxxiii-xxxiy.
XXVJ LE CATECHISME ROMAIN
passés, c'était une erreur commune que l'autorité fût
venue à l'Eglise du dehors, savoir de Dieu immédiate-
ment : en ce temps-là, on pouvait, à bon droit, la regar-
der comme autocratique. Mais on en est bien revenu
aujourd'hui. De même que l'Eglise est une émanation
vitale de la conscience collective, de même, à son tour,
l'autorité est un produit vital de V Eglise. La conscience
religieuse, tel est donc le principe d'où l'autorité pro-
cède, tout comme l'Eglise, et s'il en est ainsi, elle en
dépend. Vient-elle à oublier ou méconnaître cette dé-
pendance, elle tourne en tyrannie. Nous sommes à une
époque, où le sentiment de la liberté est en plein épa-
nouissement : dans l'ordre civil, la conscience publi-
que a créé le régime populaire. Or, il n'y a pas deux
consciences dans l'homme, non plus que deux vies. Si
l'autorité ecclésiastique ne veut pas, au plus intime des
consciences, provoquer et fomenter un conflit, à elle
de se fier aux formes démocratiques. Au surplus, à ne
point le faire, c'est la ruine. Car, il y aurait folie à s'i-
maginer que le sentiment de la liberté, au point où il en
est, puisse reculer. Enchaîné de force et contraint, ter-
rible serait son explosion : elle emporterait tout, Eglise
et religion. — Telles sont, en cette matière, les idées
des modernistes, dont c'est, par suite, le grand souci de
chercher une voie de conciliation entre l'autorité de
l'Eglise et la liberté des croyants. »
Rapports de V Eglise et de l'Etat. — « Mais l'Eglise
n'a pas seulement à s'entendre amicalement avec les
siens ; ses rapports ne se bornent pas au dedans ; elle
en a encore avec le dehors. Car elle n'occupe pas seule
le monde. En regard, il y a d'autres sociétés, avec qui
elle ne peut se dispenser de communiquer et d'avoir
commerce. Vis-à-vis de celles-ci, quels sont donc ses
droits et ses devoirs ? C'est ce qu'il s'agit de détermi-
ner, et non pas sur d'autre principe, bien entendu, que
sa nature même, telle qu'ils l'ont décrite. — Les
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMINICI GREGIS » XXVÎj
règles qu'ils appliquent sont les mêmes que pour la
science et la foi, sauf que là il s'agissait d'objets, ici de
fins. De même donc que la foi et la science sont étran-
gères l'une à l'autre, à raison delà diversité des objets,
de même l'Eglise et l'Etat, à raison de la diversité
des fins, spirituelle pour l'Eglise, temporelle pour
l'Etat. Autrefois on a pu subordonner le temporel au
spirituel ; on a pu parler de questions mixtes, où l'Eglise
apparaissait comme reine, maîtresse. La raison en est
qu'on tenait alors l'Eglise, comme instituée directement
de Dieu, en tant qu'il est l'auteur de l'ordre surnaturel.
Mais cette doctrine, aujourd'hui, philosophie et histoire
s'accordent à la répudier : donc séparation de V Eglise
et de l'Etat) du catholique et du citoyen. Tout catholi'
que, car il est en même temps citoyen, a le droit et le de-
voir, sans se préoccuper de V autorité de V Eglise, sans
tenir compte de ses désirs, de ses conseils, de ses corn-
mandements, au mépris même de ses réprimandes, de
poursuivre le bien public en la manière qu'il estime la
meilleure. Tracer et prescrire au citoyen une ligne de
conduite, sous un prétexte quelconque, est un abus de
la puissance ecclésiastique, contre lequel c'est un de-
voir de réagir de toutes ses forces. Les principes, dont
toutes ces doctrines dérivent, ont été solennellement
condamnés par Pie VI, notre prédécesseur, dans sa
Constitution Auctorem fidei (i).
i. Prop. 2 : « La proposition qui établit que le pouvoir a été donné
par Dieu à l'Eglise, pour être communiqué aux pasteurs, qui sont ses
ministres pour le salut des âmes, ainsi comprise que le pouvoir de
ministère et de gouvernement dérive de la communauté des fidèles
aux pasteurs : hérétique. » — Prop. 3 : « De plus celle qui établit que
le Pontife romain est chef ministériel, ainsi expliquée que le Pontife
romain reçoit, non pas du Christ, en la personne du bienheureux
Pierre, mais de l'Eglise, le pouvoir de ministère dont il est investi
dans toute l'Eglise, comme successeur de Pierre, vrai Vicaire du
Christ et chef de toute l'Eglise : hérétique. » Denzinger, n. 1365,
1366. Voir, sur cette question, les leçons xxxm-xxxvi, t. n, notam-
ment p. 522-53 7, où sont signalées les erreurs des modernistes sur
l'origine, la nature de l'Eglise et sur la question de la séparation.
XXVllj LE CATECHISME ROMAIN
«Il ne suffit pas à l'école moderniste que l'Etat soit
séparé de l'Eglise. De même que la foi doit se subor-
donner à la science, quant aux éléments phénoménaux,
ainsi faut-il que dans les affaires temporelles, V Eglise
s" assujettisse à VEtat. Cela, ils ne le disentpeut-être pas
encore ouvertement; ils le diront quand, sur ce point,
ils seront logiques. Posé, en effet, que dans les choses
temporelles., l'Etat est maître, s'il arrive que le croyant,
aux actes intérieurs de religion, dont il ne se contente
pas d aventure, en veuille ajouter d'extérieurs, comme
serait l'administration des sacrements, la conséquence
nécessaire c'est qu'ils tombent sous la domination de
l'Etat. — Et que dire alors de l'autorité ecclésiastique,
dont justement il n'est pas un seul acte qui ne se tra-
duise à l'extérieur? Il faudra donc qu'elle lui soit tota-
lement assujettie. C'estl'évidence de ces conclusions qui
a amené bon nombre de protestants libéraux à rejeter
tout culte extérieur, même toute société religieuse ex-
térieure, et à essayer de faire prévaloir une religion
purement individuelle (i). — Si les modernistes n'en
sont pas encore arrivés là, ce qu'ils demandent, en
attendant, c'est que l'Eglise veuille, sans trop se faire
prier, suivre leur direction, et qu'elle en vienne enfin
à s'harmoniser avec les formes civiles. Telles sont leurs
idées sur V autorité disciplinaire.
« Quant à V autorité doctrinale et dogmatique, bien
plus avancées, bien plus pernicieuses sont sur ce point
leurs doctrines. Veut-on savoir comment ils imaginent
le magistère ecclésiastique ? Nulle société religieuse,
disent-ils, n'a de véritable unité, que si la conscience
religieuse de ses membres est une, et une aussi la for-
mule qu'ils adoptent. Or, cette double unité requiert
une espèce d'intelligence universelle, dont ce soit l'of-
fice de chercher et de déterminer la formule répondant
i. Telle est, en particulier, la prétention des Harnack, Sabatier,
Ménégoz, etc., dont il a été question plusieurs ibis dans cet ouvrage»
ENCYCLIQUE (( PASCENDI DOMINICI GREGIS » XXIX
le mieux à la conscience commune, qui ait en outre
suffisamment d'autorité, cette formule une fois arrêtée,
pour l'imposer à la communauté. De la combinaison et
comme de la fusion de ces deux éléments, intelligence
qui choisit la formule, autorité qui l'impose, résulte,
pour les modernistes, la notion du magistère ecclésias-
tique. Et comme ce magistère a sa première origine dans
les consciences individuelles , et qu'il remplit un service
public pour leur plus grande utilité, il est de toute évi-
dence qu'il doit s'y subordonner, par là même se plier
aux formes populaires. Interdire aux consciences indivi-
duelles de proclamer ouvertement et hautement leurs
besoins ; bâillonner la critique, l'empêcher de pousser
aux évolutions nécessaires, ce n'est donc plus l'usage
d'une puissance commise pour des fins utiles, c'est un
abus d'autorité. — Puis, l'usage de cette autorité ou
puissance a besoin de se tempérer. Condamner et pros-
crire un ouvrage à l'insu de l'auteur, sans explication
de sa part, sans discussion, cela véritablement confine
à la tyrannie. En somme, ici encore, il faut trouver une
voie moyenne où soient assurés tout ensemble les droits
de l'autorité et ceux de la liberté. En attendant, que
fera le catholique ? Il se proclamera hautement très res-
pectueux de l'autorité, mais sans se démentir le moins
du monde, sans rien abdiquer de son caractère ni de
ses idées. — Généralement, voici ce qu'ils imposent à
l'Eglise. Du moment que sa fin est toute spirituelle,
l'autorité religieuse doit se dépouiller de tout cet appa-
reil extérieur, de tous ces ornements pompeux, par les-
quels elle se donne comme en spectacle. En quoi ils
oublient que la religion, si elle appartient à l'âme pro-
prement, n'y est pourtant pas confinée, et que l'honneur
rendu à l'autorité rejaillit sur Jésus-Christ qui Ta ins-
tituée. 7>
Point capital du système : l'évolution, — « Pour épui-
ser toute cette matière de la foi et de ses rejetons, il
XXX LE CATECHISME ROMAIN
■ I. ■■!»■■■■ I - - ■ Il ■ ■ - -■ - . - — . —M ■ - —, „, «
nous reste à voir comment les modernistes entendent
leur développement. — Ils posent tout d'abord ce prin.
cipe général que, dans une religion vivante, il n'est rien
qui ne soit variable, rien qui ne doive varier. D'où ils
passent à ce que Ton peut regarder comme le point
capital de leur système, savoir l'évolution (i). Des lois
de l'évolution, dogme, Eglise, culte, Livres saints, foi
même, tout est tributaire, sous peine de mort. Que l'on
reprenne sur chacune de ces choses en particulier les
enseignements des modernistes, et ce principe ne
pourra surprendre. Quant à son application, quant à la,
mise en acte des lois de l'évolution, voici leur doctrine,
et d'abord pour la foi. Commune à tous les hommes et
obscure, disent-ils, fut la forme primitive de la foi :
parce que précisément elle prit naissance dans la nature
même et dans la vie de l'homme. Ensuite elle pro-
gressa, et ce fut par évolution vitale, c'est-à-dire non
pas par adjonction de nouvelles formes venues du
dehors et purement adventices, mais par pénétration
croissante du sentiment religieux dans la conscience.
Et ce progrès fut de deux sortes : négatif, par élimina-
tion de tout élément étranger, tel que le sentiment
familial ou national ; positif, par solidarité avec le per-
fectionnement intellectuel et moral de l'homme, ce
perfectionnement ayant pour effet d'élargir et d'éclairer
de plus en plus la notion du divin, en même temps que
d'élever et d'affiner le sentiment religieux. — Pour
expliquer ce progrès de la foi, il n'y a pas à recourir à
d'autres causes qu'à celles-là même qui lui donnèrent
origine, si ce n'est qu'il faut y ajouter l'action de cer-
tains hommes extraordinaires, ceux que nous appelons
prophètes, et dont le plus illustre a été Jésus-Christ,
Ils concourent au progrès de la foi, soit parce qu'ils
offrent dans leur vie et dans leurs discours quelque
X. Voir les leçons iv-vi, 1. 1,
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMIMCI GREGIS » XXXJ
chose de mystérieux dont la foi s'empare et qu'elle
finit par attribuer à la divinité ; soit parce qu'ils sont
favorisés d'expériences originales, en harmonie avec
les besoins des temps où ils vivent. — Le progrès du
dogme est dû surtout aux obstacles que la foi doit sur-
monter, aux ennemis qu'elle doit vaincre, aux contra-
dictions qu'elle doit écarter. Ajoutez-y un effort pi i pé-
tuel pour pénétrer toujours plus profondément ses pro-
pres mystères. Ainsi est-il arrivé — pour nous borner à
un seul exemple — que ce quelque chose de divin que
la foi reconnaissait en Jésus-Christ, elle est allée l'éle-
vant et l'élargissant peu à peu et par degrés, jusqu'à ce
que de lui finalement elle a fait un Dieu. — Le facteur
principal de l'évolution du culte est la nécessité d'adap-
tation aux coutumes et traditions populaires, comme
aussi le besoin de mettre à profit la valeur que certains
actes tirent de l'accoutumance. — Pour V Eglise, enfin,
c'est le besoin de se plier aux conjonctures historiques,
de s'harmoniser avec les formes existantes des sociétés
civiles. — Telle est l'évolution dans le détail. — Ce
que nous voulons y faire noter d'une façon toute spé-
ciale, c'est la théorie des nécessités et des besoins : elle a
d'ailleurs été jusqu'ici la base de tout ; et c'est là-dessus
que portera cette fameuse méthode qu'ils appellent histo-
rique.
« Nous n'en avons pas fini avec l'évolution. L'évolu-
tion est due, sans doute, à ces stimulants, les besoins ;
mais sous leur seule action, entraînée hors de la ligne
traditionnelle, en rupture avec le germe initial, elle
conduirait à la ruine plutôt qu'au progrès. Disons donc,
pour rendre pleinement la pensée des modernistes, que
révolution résulte du conflit de deux forces, dont lune
pousse au progrès , tandis que Vautré tend à la conserva-
tion. — La force conservatrice, dans l'Eglise, c'est la tra-
dition, et la tradition y estrepré.^entée par l'autorité reli-
gieuse. Ceci, et en droit et en fait : en droit, parce que
XXXlj LE CATECHISME ROMAIN
la défense de la tradition est comme un instinct naturel
de l'autorité ; en fait, parce que, planant au-dessus des
contingences de la vie, l'autorité ne suit pas ou que
très peu les stimulants du progrès. La force progressive,
au contraire, qui est celle qui répond aux besoins,
couve et fermente dans les consciences individuelles,
et dans celles-là surtout qui sont en contact plus intime
avec la vie. Voyez-vous poindre ici cette doctrine per-
nicieuse qui veut faire des laïques, dans l'Eglise, un fac-
teurdeprogrès ? Or, c'est en vertu d'une sorte de com-
promis et de transaction entre la force conservatrice et
la force progressive, que les changements et les progrès
seréalisent. Il arrive que les consciences individuelles,
certaines du moins, réagissent sur la conscience collec-
tive : celle-ci, à son tour, fait pression sur les déposi-
taires de l'autorité, jusqu'à ce qu'enfin ils viennent à
composition, et le pacte fait, elle veille à son maintien.»
« On comprend maintenant Yétonnemeut des moder-
nistes, quand ils sont réprimandés et frappés. Ce qu'on
leur reproche comme une faute, mais c'est ce qu'ils
regardent au contraire comme un devoir sacré. En
contact intime avec les consciences, mieux que per-
sonne, sûrement mieux que l'autorité ecclésiastique,
ils en connaissent les besoins : ils les incarnent, pour
ainsi dire, en eux. Dès lors, ayant une parole et une
plume, ils en usent publiquement, c'est un devoir.
Que l'autorité les réprimande tant qu'il lui plaira : ils
ont pour eux leur conscience et une expérience intime
qui leur dit avec certitude que ce qu'on leur doit, ce
sont des louanges non des reproches. Puis ils réfléchis-
sent que, après tout, les progrès ne vont pas sans crise,
ni les crises sans victimes. Victimes, soit ! Ils léseront,
après les prophètes, après Jésus-Christ. Contre l'autorité
qui les maltraite, ils n'ont point d'amertume : après
tout, elle fait son devoir d'autorité. Seulement ils dépL©-'
rent qu'elle reste sourde à leurs objurgations, parce?
ENCYCLIQUE (( PASCENDI DOMINICI GREGIS » XXXI 1J
qu'en attendant les obstacles se multiplient devant les
âmes en marche vers l'idéal. Mais l'heure viendra, elle
viendra sûrement, où il faudra ne pas tergiverser, parce
qu'on peut bien contrarier l'évolution, on ne la
force pas. Et ils vont leur route : réprimandés et con-
damnés, ils vent toujours, dissimulant sous des dehors
menteurs de soumission une audace sans bornes. Ils
courbent hypocritement la tête, pendant que de toutes
leurs pensées, de toutes leurs énergies, ils poursuivent
plus audacieusement que jamais le plan tracé. Ceci est
chez eux une volonté et une tactique : etparce qu'iis
tiennent qu'il fautstimuler l'autorité, non la détruire, et
parce qu'il leur importe de rester au sein de l'Eglise, pour
y travailler et y modifier peu à peu la conscience com-
mune : avouant par là, mais sans s'en apercevoir, que
la conscience commune n'est donc pas avec eux, et que
c'est contre tout droit qu'ils s'en prétendent les inter-
prètes. »
La doctrine des modernistes se heurte à des condamna-
tions déjà portées. — « Ainsi, la doctrine des moder-
nistes, comme l'objet 'de leurs efforts, c'est qu'il n'y ait
rien de stable, rien d'immuable dans l'Eglise. Ils ont eu
des précurseurs, ceux dont Pie IX, notre prédéces-
seur, écrivait : « Ces ennemis de la révélation divine
exaltent le progrès humain et prétendent, avec une
témérité et une audace vraiment sacrilèges, s'introduire
dans la religion catholique, comme si cette religion
n'était pas l'œuvre de Dieu, mais l'œuvre des hommes,
une invention philosophique quelconque, susceptible de
perfectionnements humains (i). » — Sur la révélation et
le dogme, en particulier, la doctrine des modernistes
n'offre rien de nouveau : nous la trouvons condamnée
dans le Syllabus de Pie IX. où elle est énoncée en ces
termes : « La révélation divine est imparfaite, sujette
I. Encyclique Qui pluribus, du 9 novembre 1846; Denzinger,
n. 1497.
LB CATÉCHISME. — T. III. «
^N^IV LE CATECHISME ROMAIN
par conséquent à un progrès continu et indéfini, en
rapport avec le progrès de la raison humaine (i); >
plus solennellement encore, dans le concile du Vati-
can : « La doctrine de foi que Dieu a révélée n'a pas
été proposée aux intelligences comme une invention
philosophique, qu'elles eussent à perfectionner, mais
elle a été confiée comme un dépôt divin à l'épouse de
Jésus-Christ, pour être par elle fidèlement gardée et infail-
liblement interprétée. C'est pourquoi aussi le sens des
dogmes doit être retenu, tel que notre sainte mère l'Eglise
l'a une fois défini, et il ne faut jamais s'écarter de ce
sens, sous le prétexte et le nom d'une plus profonde
intelligence (2). » Par là, et même en matière de foi, le
développement de nos connaissances, loin d'être con-
trarié, est secondé au contraire et favorisé. C'est pour-
quoi le concile du Vatican poursuit : « Que l'intelli-
gence, que la science, que la sagesse croisse et pro-
gresse, d'un mouvement vigoureux et intense, en
chacun comme en tous, dans le fidèle comme dans
toute l'Eglise, d'âge en âge, de siècle en siècle, mais
seulement dans son genre, c'est-à-dire selon le même
dogme, dans le même sens, la même acception (3). »
IV. L'historien. — Le critique. — 1. Déformation
arbritraire de l'histoire. — « Certains d'entre les moder-
nistes, adonnés aux études historiques, paraissent re-
douter très fort qu'on les prenne pour des philosophes:
* de philosophie, ils ne savent pas le premier mot.
j Astuce profonde. Ce qu'ils craignent, c'est qu'on ne les
1 soupçonne d'apporter en histoire des idées toutes faites,
! de provenance philosophique, qu'on ne les tienne pas
pour assez objectifs, comme on dit aujourd'hui. Et
pourtant, que leur histoire, que leur critique, soient
1. Prop. 5 : Denzinger, n. 155a. — a. Const. Dei Pilius, c. iv.
— 3. Ibid. Touie cette question a été traitée dans la leçon ir, 1. 1>
p. 162 sq.
ENCYCLIQUE « PASCENDJ DOMI.MCI GREGIS )) XXXV
pure œuvre de philosophie; que leurs conclusions hisv
torico-critiques viennent en droiture de leurs principes
philosophiques : rien de plus facile à démontrer. — -
Leurs trois premières lois sont' contenues dans trois
principes philosophiques déjà vus, savoir : le principe,
de 1 agnosticisme ; le principe de la Iran s figuration des-
choses par la foi ; le principe, enfin, que nous avons cm
pouvoir nommer de dèfiguration. »
A. Par V application de V agnosticisme, — « De pcm
V agnosticisme, l'histoire, non plus que la science, ne
roule que sur des phénomènes. Conclusion : Dieu, toute
intervention de Dieu dans les choses humaines, doivent
être renvoyés à la foi, comme de son ressort exclusif*
Que s'il se présente une chose où le divin et l'humain.'
se mélangent, Jésus-Christ, par exemple, l'Eglise, les;
sacrements, il y aura donc à scinder ce composé et à
en dissocier les éléments : l'humain restera à l'histoire^ -
le divin ira à la foi. De là, fort courante chez les modela
nistes, la distinction du Christ de l'histoire et du Christ;
de la foi, de l'Eglise de 1 histoire et de l'Eglise de la foL>,.
des sacrements de l'histoire et des sacrements de la foi',,
et ainsi de suite. — Puis, tel qu'il apparaît dans les do-
cuments, cet élément humain retenu pour l'histoire, a
été lui-même transfiguré manifestement par la foi,
c'est-à-Jire élevé au-dessus des conditions historiques^
Il faut donc en éliminer toutes les adjonctions que la foi
y a faites, et les renvoyer à la foi elle-même et à l'his*-
toire de la foi : ainsi, en ce qui regarde Jésus-Christ,
tout ce qui dépasse l'homme selon sa condition natu-
relle et selon la conception que s'en fait la psychologie^.
l'homme aussi de telle région et de telle époque. —
Enfin, au nom du troisième principe philosophique, les-
choses mêmes qui ne dépendent pas de la sphère histo-
rique sont passées au crible ; tout ce qui, au jugement:
des modernistes, n'est pas dans la logique des faitsr
comme ils disent, tout ce qui n'est pas assorti aux per*
XXXVJ LE CATECHISME ROMAIN
sonnes, est encore écarté de l'histoire et renvoyé à la foi.
Ainsi ils prétendent que Notre Seigneur n'a jamais pro-
féré de parole qui ne pût être comprise des multitudes
qui l'entouraient. D'où ils infèrent que toutes les allé-
gories que l'on rencontre dans ses discours doivent être
rayées de son histoire réelle et transférées à la foi. De-
mande-t-on peut-être au nom de quel critérium s'o-
pèrent de tels discernements ? Mais c'est en étudiant
le caractère de l'homme, sa condition sociale, son édu-
cation, l'ensemble des circonstances où se déroulent
ses actes : toutes choses, si nous l'entendons bien, qui
se résolvent en un critérium pareillement subjectif Car,
voici le procédé : ils cherchent à se revêtir de la per-
sonnalité de Jésus-Christ ; puis tout ce qu'ils eussent
fait eux-mêmes en semblables conjonctures, ils n'hésitent
pas à le lui attribuer. — Ainsi, absolument à priori, et
au nom de certains principes philosophiques, qu'ils
affectent d'ignorer, mais qui sont les bases de leur sys-
tème, ils dénient au Christ de l'histoire réelle, la divi-
nité, comme à ses actes, tout caractère divin; quant à
l'homme, il n'a fait ni dit que ce qu'ils lui permettent,
eux, en se reportant au temps où il a vécu, de faire ou de
dire. »
La critique suit l'histoire. — « Or,, de même que
l'histoire reçoit de la philosophie ses conclusions toutes
faites, ainsi de l'histoire, la critique. En effet, sur les
données fournies par l'historien, la critique fait deux
parts sur les documents. Ceux qui répondent à la triple
élimination vont à V histoire dé la foi ou à V histoire
intérieure ; le résidu reste à V histoire réelle. Car ils dis-
tinguent soigneusement cette double histoire; et ce qui
esta noter, c'est que lf histoire de la foi, ils l'opposent à
l'histoire réelle^ précisément en tant que réelle. D'où il
soit que des deux Christs que nous avons mentionnés,
l'un est réel, l'autre, celui de la foi, n'a jamais existé
d^ns la réalité; l'un a vécu en un point du temps et de
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMIMCI GREGIS » XXXVlj
l'espace, l'autre n'a jamais vécu ailleurs que dans les
pieuses méditations du croyant. Tel, par exemple, le
Christ que nous offre l'Evangile de saint Jean : cet
Evangile n'est, d'un bout à l'autre, qu'unepure contem-
plation (i). »
B. Par V application du principe de l'immanence vi-
tale. — « Là ne se borne pas la tutelle exercée par la
philosophie sur l'histoire. Les documents partages en
deux lots, comme il a été dit, voici reparaître le philo-
sophe avec son principe de V immanence vitale. L'imma-
nence vitale, déclare -t-il, est ce qui explique tout dans
l'histoire de l'Eglise, et puisque la cause ou condition
de toute émanation vitale réside dans quelque besoin,
il s'ensuit que nul fait n'anticipe sur le besoin correspon-
dant ; historiquement , il ne peut que lui être postérieur.
— Là-dessus, voici comment Y historien opère. S'aidant
des documents qu'il peut recueillir, contenus dans les
Livres saints ou pris ailleurs, il dresse une sorte de no-
menclature des besoins successifs par où est passée l'E-
glise, et une fois dressée, il la remet au critique. Celui-
ci la recevant d'une main, prenant, de l'autre, le lot
des documents assignés à l'histoire de la foi, échelonne
ceux-ci le long des âges, dans un ordre et à des épo-
ques qui répondent exactement à celle-là, guidé par ce
principe que la narration ne peut que suivre le fait,
comme le fait, le besoin II est vrai, d'ailleurs, que cer-
taines parties des Livres saints, les Epîtres, par exem-
ple, constituent le fait même créé par le besoin. Mais,
quoi qu'il en soit, c'est une loi que la date des docu-
ments ne saurait autrement se déterminer que par la
date des besoins auxquels successivement l'Eglise a été
sujette. »
C. Par V application du principe de Vévolutionisme. —
« Suit une autre opération, car il y a à distinguer entre
I. On reconnaît là, avec assez de transparence, des idées chères
à l'auteur de Y Evangile et l'Eglise et à' Autour d'un petit livre.
XXXVllj LE CATÉCHISME ROMAIN
Yorigine d'un fait et son développement : ce qui naît
«n un jour ne prend des accroissements qu'avec le
ttemps. Le critique reviendra donc aux documents éche-
lonnés déjà par lui à travers les âges, et en fera encore
deux parts, Tune se rapportant à l'origine, l'autre au
développement. Puis, la dernière, il la répartira à di-
verses époques, dans un ordre déterminé. Le principe
«qui le dirigera dans cette opération, lui sera fourni une
is de plus par le philosophe. Car, d'après le philoso-
e, une loi domine et régit Vhistoire, c'est l'évolution.
A l'historien donc de sonder à nouveau les documents,
■M'y rechercher attentivement les conjonctures ou con-
-«Iftions que l'Eglise a traversées, au cours de sa vie,
«d'évaluer sa force conservatrice, les nécessités intérieu-
rs et extérieures qui l'ont stimulée au progrès, les
obstacles qui ont essayé de lui barrer la route, en un
^not tout ce qui peut renseigner sur la manière dont se
«ont appliquées en elle les lois de l'évolution. Cela
fait, et comme conclusion de cette étude, il trace une
<&©rte d'esquisse de l'histoire de l'Eglise ; le critique y
adapte son dernier lot de documents, la plume court, |
^histoire est écrite. — Nous demandons : qui en sera ,
sait l'auteur ? L'historien ? Le critique ? A coup sûr, ni l
l'un ni l'autre, mais bien le philosophe. Du commence-
ment à la fin n'est-ce pas Ta priori? Sans contredit, et j
mm a priori où V hérésie foisonne. Ces hommes-là nous!
•■fo-nt véritablement compassion; d'eux l'Apôtre dirait :
<•« Ils se sont évanouis dans leurs pensées... se disant
sages, ils sont tombés en démence (i). » Mais où ils
^soulèvent le cœur d'indignation, c'est quand ils accu-
-sent l'Eglise de torturer les textes, de les arranger et de
lesamalgamer à sa guise et pour les besoins de sa cause.
Simplement, ils reprochent à l'Eglise ce qu'ils doivent
-sentir que leur reproche très nettement leur cons-
cience. »
i. Rom., I, 21-23.
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMIiMCI GREGIS » XXXIX
2. Cette méthode appliquée aux Livres saints. — « De
cet échelonnement, de cet éparpillement le long des
siècles, il suit tout naturellement que les Livres saints
ne sauraient plus être attribués aux auteurs dont ils
portent le nom. Qu'à cela ne tienne! Ils n'hésitent pas
à affirmer couramment que les livres en question, sur-
tout le Pentateuque et les trois premiers Evangiles, se
sont formés lentement d'adjonctions faites à une narra-
tion primitive fort brève : interpolations par manière
d'interprétations théologiques ou allégoriques, ou sim-
plement transitions ou sutures. — C'est que, pour dire
la chose d'un mot, il y a à reconnaître dans les Livres
sacrés une évolution vitale, parallèle et même conséquente
à V évolution de la foi. — Aussi bien, ajoutent-ils, les
traces de cette évolution y sont si visibles qu'on en
pourrait quasiment écrire l'histoire. Ils récrivent, cette
histoire, et si imperturbablement, que vous diriez qu'ils
ont vu de leurs yeux les écrivains à l'œuvre, alors que,
le long des âges, ils travaillaient à amplifier les Livres
saints. — La critique textuelle vient à la rescousse :
pour confirmer cette histoire du texte sacré, ils s'éver-
tuent à montrer que tel fait, que telle parole n'y est ,
point à sa place, ajoutant d'autres critiques du même
acabit. Vous croiriez en vérité qu'ils se sont construit
certains types de narrations et de discours, sur lesquels
ils jugent ce qui -est ou ce qui n'est pas déplacé. — Et
combien ils sont aptes à ce genre de critique ! Aies en-
tendre vous parler de leurs travaux sur les Livres sacrés,
grâce auquels ils ont pu découvrir en ceux-ci tant de
choses défectueuses, il semblerait vraiment que nul
homme, avant eux, ne les a feuilletés, qu'il n'y a pas eu
à les fouiller en tous sens, une multitude de docteurs
infiniment supérieurs à eux en génie, en érudition, en
sainteté; lesquels docteurs, bien loin d'y trouvera
redire, redoublaient au contraire, à mesure qu'ils les
scrutaient plus profondément, d'actions de grâces à la;
XL LE CATECHISME ROMAIN
bonté divine, qui avait daigné de la sorte parler aux
hommes. C'est que, malheureusement, ils n'avaient pas
les mêmes auxiliaires d'études que les modernistes,
savoir, comme guide et règle, une philosophie venue
de l'agnosticisme, et, commecriterium,eux-mêmes(i). »
3. Critique agnostique, immanentiste, évolutionniste.
— « Il nous semble avoir exposé assez clairement la
méthode historique des modernistes. Le philosophe
ouvre la marche ; suit l'historien ; puis, par ordre, la
critique interne et la critique textuelle. Et comme le
propre de la cause première est de laisser sa vertu dans
tout ce qui suit, il est de toute évidence que nous ne
sommes pas ici en face d'une critique quelconque, mais
bien agnostique, immanentiste, évolutionniste. C'est pour-
quoi quiconque l'embrasse et l'emploie fait profession
par là même d'accepter les erreurs qui y sont impli-
quées et se met en opposition avec la foi catholique.
S'il en est ainsi, on ne peut être qu'étrangement surpris
de la valeur que lui prêtent certains catholiques. A
cela il y a deux causes : d'une part, l'alliance étroite
qu'ont faite entre eux les historiens et les critiques de
cette école, au dessus de toutes les diversités de natio-
nalité et de religion ; d'autre part, chez ces mêmes
hommes, une audace sans bornes : que l'un d'entre eux
ouvre les lèvres, les autres d'une même voix l'applau-
dissent, en criant au progrès de la science ; quelqu'un
a-t-il le malheur de critiquer l'une ou l'autre de leurs
nouveautés, pour monstrueuse qu'elle soit, en rangs
serrés ils fondent sur lui ; qui la nie est traité d'igno-
rant ; qui l'embrasse et la défend est porté aux nues.
Abusés par là, beaucoup vont à eux, qui, s'ils se ren-
daient compte des choses, reculeraient d'horreur. — A
la faveur de l'audace et de la prépotence des uns, de la
1. Pie X condense là, en quelques lignes, des idées émises, sous
des formes diverses, en maints passages de certains ouvrages, parues
depuis une dizaine d'années, en France et en Angleterre.
ENCYCLIQUE « PASGENDI DOMINICI G REGIS » xlj
légèreté et de l'imprudence des autres, il s'est formé
comme une atmosphère pestilentielle qui gagne tout,
pénètre tout et propage la contagion (i). »
V. L'Apologiste. — i. // relève du philosophe. — « L'a-
pologiste, chez les modernistes, relève encore du phi-
losophe, et à double titre. D'abord, indirectement, en
ce que, pour thème, il prend l'histoire, dictée, comme
nous l'avons vu, par le philosophe. Puis, directement,
en ce qu'il emprunte de lui ses lois. De là cette affir-
mation courante chez les modernistes que I3 nouvelle
apologétique doit s'alimenter aux sources psycholo-
giques et historiques. Donc, les modernes apologistes
entrent en matière, en avertissant les rationalistes que,
s'ils défendent la religion, ce n'est pas sur les données
des Livres saints, ni sur les histoires qui ont cours dans
l'Eglise, écrites sous l'inspiration des vieilles méthodes;
mais sur une histoire réelle, rédigée à la lumière des
principes modernes, et selon toute la rigueur des mé-
thodes modernes. Et ce n'est pas par manière d'argu-
mentation ad hominemf qu'ils parlent ainsi ; nullement,
mais parce qu'ils tiennent en effet cette dernière his-
toire pour la seule vraie. Qu'ils se tranquillisent ! les
rationalistes les savent sincères: ne les connaissent-ils
pas bien pour les avoir vus combattre àleurs côtés, sous
le même drapeau ? Et ces louanges qu'ils leur décernent,
n'est-ce pas un salaire? louanges qui feraient horreur à
un vrai catholique, mais dont eux, les modernistes, se
félicitent et qu'ils opposent aux réprimandes de
l'Eglise. »
2. Procédés apologétiques. — « Mais voyons leurs pro-
cédés apologétiques. La fin qu'ils se proposent, c'est
1. Ce qui a fait le succès des théories modernistes auprès de tant
d'esprits, peu avertis et épris de nouveautés, c'est bien « l'audace
et la prépotence des uns, :» niais c'est surtout « la légèreté et l'impru-
dence des autres. >
Xlij LE CATÉCHISME ROMAIN
d'amener le non-croyant à faire l'expérience de la reli-
gion catholique, expérience qui est, d'après leurs prin-
cipes, le seul vrai fondement de la foi. Deux voies y
aboutissent : l'une objective, l'autre subjective. »
A. Voie objective. Application de l'agnosticisme. — «La pre-
mière procède de l'agnosticisme. Elle tend à faire la preuve
que la religion catholique, celle-là surtout, est douée d'une
telle vitalité que son histoire, pour tout psychologue et
pour tout historien de bonne foi, cache une inconnue.
En cette vue, il est nécessaire de démontrer que cette
religion, telle qu'elle existe aujourd'hui, est bien la
même qui fut fondée par Jésus-Christ, c'est-à-dire le
produit d'un développement progressif du germe qu'il
apporta au monde. Ce germe, il s'agit donc, avant tout,
de le bien déterminer ; et ils prétendent le faire par la
formule suivante : le Christ a annoncé l'avènement du
royaume de Dieu comme devant se réaliser à brève
échéance, royaume dont il devait être lui-même, de par
la volonté divine, l'agent et l'ordonnateur. Puis, on
doit montrer comment ce germe, toujours immanent et
permanent au sein de la religion catholique, est allé se
développant lentement au cours de l'histoire, syadaptant
successivement aux divers milieux qu'il traversait, em-
pruntant d'eux, par assimilation vitale, toutes les formes
dogmatiques^ cultuelles, ecclésiastiques qui pouvaient
lui convenir ; tandis que, d'autre part, il surmontait
tous les obstacles, terrassait tous les ennemis, survi-
vant à toutes les attaques et à tous les combats. Qui-
conque aura bien et dûment considéré tout cet ensem-
ble d'obstacles, d'adversaires, d'attaques, de combats,
ainsi que la vitalité et la fécondité qu'y affirme l'Eglise,
devra reconnaître que, si les lois de l'évolution sont
visibles dans sa vie, elles n'expliquent pas néanmoins
le tout de son histoire : qu'une inconnue s'en dégage,
qui se dresse devant l'esprit. Ainsi raisonnent-ils, sans
s'apercevoir que la iétermination du germe primitif est
ENCYCLIQUE « PASCENDI D0MIN1CI GHEGIS » xliîj
un a priori du philosophe agnostique et évolutionniste, et
que la formule en est gratuite, créée pour les besoins
de la cause. >
Elle renferme des concessions. — « Tgut en s 'efforçant
par de telles affirmations, d'ouvrir ainsi les âmes à la
religion catholique, les nouveaux apologistes concèdent
d'ailleurs bien volontiers qu'il s'y rencontre nombre de
choses dont ont pourrait s'offenser. Ils vont même, et
non sans une sorte de plaisir mal diss mule, jusqu'à
proclamer hautement que le dogme, — ils l'ont constaté
— n'est pas exempt d'erreurs ni decontradictions.Ws ajou-
tent aussitôt, il est vrai, quetout cela estnon seulement ex-
cusable, mais encore — étrange chose en vérité — juste et
légitime. Dans les Livres sacrés, il y a maints endroits ,
touchant à la science ou à l'histoire, où se constatent des
erreurs manifestes. Mais ce n'est pas d'histoire ni de
science que ces livres traitent, c'est uniquement de re-
ligion et de morale. L'histoire et la science n'y sont que
des sortes d'involucres, où les expériences religieuses
et morales s'enveloppent, pour pénétrer plus facile-
ment dans les masses. Si en effet les masses n'enten-
dent pas autrement les choses, il est clair qu'une
science et une histoire plus parfaites eussent été d'obs-
tacle plutôt que de secours. Au surplus, les Livres
saints, étant essentiellement religieux, sont par là même
nécessairement vivants. Or, la vie a sa vérité et sa logi-
que propres bien différentes de la vérité et de la logique
rationnelles, d'un autre ordre, savoir, vérité d'adaptation
et de proportion, soit avec le milieu où se déroule la vie,1
soit avec la fin où elle tend. Enfin ils poussent si loin
les choses que, perdant toute mesure, ils en viennent à
déclarer ce qui s'explique par la vie, vrai et légitime (i). I
Nous, pour qui il n'existe qu'une seule et unique vérité?
i. Voilà bien, résumées en quelques mots, les théories de TEvan- \
file et l'Eglise et d 'Autour d'un petit livre %
XIÎV LE CATÉCHISME ROMAIN
et qui tenons que les saints Livres, écrits sous l'inspira-
tion du Saint-Esprit, ont Dieu pour auteur, nous affirmons
que cela équivaut à prêter à Dieu lui-même le mensonge
d'utilité ou mensonge officieux, et nous disons avec
Saint-Augustin : « En une autorité si haute, admettez
un seul mensonge officieux, il ne restera plus parcelle
de ces Livres, dès qu'elle paraîtra difficile ou à prati-
quer ou à croire, dans laquelle il ne soit loisible de
voir un mensonge de l'auteur, voulu à dessein en vue
d'un but (i). » Et ainsi il arrivera, poursuit le saint doc-
teur, que « chacun croira ce qu'il voudra, ne croira
pas ce qu'il ne voudra pas. » Mais les nouveaux apolo-
gistes vont de l'avant, fort allègrement. Ils accordent
encore que, dans les Livres saints, certains raisonne-
ments, allégués pour justifier telle ou telle doctrine, ne
reposent sur aucun fondement rationnel ; ceux, par
exemple, qui s'appuient sur les prophéties. Ils ne sont
d'ailleurs nullement embarrassés pour les défendre :
artifices de prédication, disent-ils, légitimés par la vie.
Quoi encore? En ce qui regarde Jésus-Christ, ils recon-
naissent, bien plus ils affirment, qu'il a erré manifeste-
ment dans la détermination du temps où l'avènement
du royaume de Dieu devait se réaliser. Aussi bien,
quoi d'étonnant, s'il était lui-même tributaire des .lois
de la vie ! Après cela, que ne diront-ils pas des dog-
mes de l'Eglise? Les dogmes ! ils foisonnent de con-
tradictions flagrantes ; mais, sans compter que la logi-
que vitale les accepte, la vérité symbolique n'y répu-
gne pas : est-ce qu'il ne s'agit pas de l'infini ? et est-ce
que l'infini n'a pas d'infinis aspects ? Enfin, ils tiennent
tant et si bien à soutenir et à défendre les contradictions y
qu'ils ne reculent pas devant cette déclaration., que le
plus bel hommage à rendre à l'infini, c'est encore d'en
faire l'objet de propositions contradictoires. En vérité,
X. Ej>is t., xxviu.
ENCYCLIQUE (( PASCENDI DOMIMCI GREGIS » xlv
quand on a légitimé la contradiction, y a-t-il quelque
chose qu'on ne puisse légitimer?»
B Argument subjectif. — Application de l'immanence.
— « Ce n'est pas seulement par des raisonnements
objectifs que le non-croyant peut être disposé à la foi,
mais encore par des arguments subjectifs. En cette vue,
les modernistes, revenant à la doctrine de l'imma-
nence, s'efforcent de persuader à cet homme que, en
lui, dans les profondeurs mêmes de sa nature et de sa
vie, se cachent l'exigence et le désir d'une religion,
non point d'une religion quelconque, mais de cette reli-
gion spécifique, qui est le catholicisme, absolument pos-
tulée, disent-ils, par leplein épanouissement de la vie, —
Ici, nous ne pouvons nous empêcher de déplorer une
fois encore et très vivement qu'il se rencontre des
catholiques qui, répudiant V immanence comme doctrine^
V emploient néanmoins comme méthode d'apologétique \
qui le font, disons-nous, avec si peu de retenue, qu'ils
paraissent admettre dans la nature humaine, au regard
de l'ordre surnaturel, non pas seulement une capacité
et une convenance — ■ choses que, de tout temps, les
apologistes catholiques ont eu soin de mettre en relie
— mais une vraie et rigoureuse exigence. A vrai dire,
ceux des modernistes qui recourent ainsi à une exi-
gence de la religion catholique sont les modérés. Quant
aux autres, que l'on peut appeler intégralistcs, ce qu'ils
se font forts de montrer au non-croyant, caché au fond
de son être, c'est le germe même que Jésus-Christ porte
dans sa conscience, et qu'il a légué au monde. — Telle
est, rapidement esquissée, la méthode apologétique
des modernistes, en parfaite concordance, on le voit,
avec leurs doctrines ; méthodes et doctrines semées d'er-
reurs faites non pour édifier, mais pour détruire; non
pour susciter des catholiques, mais pour précipiter les
catholiques à V hérésie; mortelles même à toute religion, »
Xlvj LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ■ ' — — — — — ai m
VI. — Le réformateur. — Manie réformatrice des
modernistes. — « Déjà, par tout ce que nous avons*
exposé jusqu'ici, on a pu se faire une idée de la manie
réformatrice qui possède les modernistes ; rien, abso-
lument rien, dans le catholicisme, à quoi elle ne s'atta-
que. — Réforme de la philosophie, surtout dans les
séminaires : que Ton relègue la philosophie scolas-
tique dans l'histoire de la philosophie, parmi les systè-
mes périmés, et que l'on enseigne aux jeunes gens la
philosophie moderne, la seule vraie, la seule qui
convienne à son temps. — Réforme de la théologie:
que la théologie rationnelle ait pour base la philosophie
moderne; la théologie positive, pour fondement l'his-
toire des dogmes. — Quant à V histoire, qu'elle ne soit
plus écrite ni enseignée que selon leurs méthodes et
leurs principes modernes. — Que les dogmes et la
notion de leur évolution soient harmonisées avec la
science et l'histoire. — Que, dans les catéchismes, on
n'insère plus, en fait de dogmes, que ceux qui auront
été réformés, et qui seront à la portée du vulgaire. —
En ce qui regarde le culte, que l'on diminue le nombre
des dévotions extérieures, ou tout au moins qu'on en
arrête l'accroissement. Il est vrai de dire que certains,.
par amour du symbolisme, se montrent assez coulants
sur cette matière. ^— Que le gouvernement ecclésiastique
soit réformé dans toutes ses branches, surtout la disci-
plinaire et la dogmatique. Que son esprit, que ses pro-
cédés extérieurs soient mis en harmonie avec la cons-
cience, qui tourne à la démocratie, qu'une part soit
donc faite dans le gouvernement au clergé inférieur et
même aux laïques ; que l'autorité soit décentralisée.—
Réforme des Congrégations romaines, surtout celles du
Saint-Office et de Y Index. — Que le pouvoir ecclésias-
tique change de ligne de conduite sur le terrain social
et politique; se tenant en dehors des organisations
politiques et sociales, qu'il s'y adapte néanmoins, pour
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMIXICI GREGIS )) xlvij
les pénétrer de son esprit. — En morale, ils font leur
le principe des américanistes, que les vertus actives
doivent aller avant les passives, dans l'estimation que
l'on en fait, comme dans la pratique. — Au clergé ils
demandent de revenir à l'humilité et à la pauvreté
antiques, et, quint à ses idées et son action, de les
régler sur leurs principes. — lien est enfin qui, faisant
écho à leurs maîtres protestants, désirent la suppression
du célibat ecclésiastique. — Que reste-t-il donc sur
quoi, et par application de leurs principes, ils ne de-
mandent réforme? »
Conclusion de la première partie. — Critique
du système. — Pourquoi cet exposé synthétique?
— »« Quelqu'un pensera peut-être que cette exposition
des doctrines des modernistes nous a retenu trop long-
temps. Elle était pourtant nécessaire, soit pour parer à
leur reproche coutumier que nous ignorons leurs vraies
idées ; soit pour montrer que leur système ne consiste
pas en théories éparses et sans lien, mais bien en un
corps parfaitement organisé, dont les parties sont si
bien solidaires entre elles, qu'on n'en peut admettre
une sans les admettre toutes. C'est pour cela aussi que
nous avons dû donner à cette exposition un tour
quelque peu didactique, sans avoir peur de certains
vocables barbares, en usage chez eux. »
Le modernisme, rendez-vous de toutes les
hérésies. — « Maintenant, embrassant d'un seul
regard tout le système, qui pourra s'étonner que nous
le définissions le rendez-vous de toutes les hérésies ?
Si quelqu'un s'était donné la tâche de recueillir toutes
les erreurs qui furent jamais contre la foi, et d'en con-
centrer la substance et comme le suc en une seule,
véritablement il n'eût pas mieux réussi. Ce n'est pas
encore assez dire : ils ne ruinent pas seulement la reli-
gion catholique, mais, comme nous l'avons déjà
Xlviij LE CATÉCHISME ROMAIN
insinué, toute religion. Les rationalistes les applaudis-
sent, et ils ont pour cela leurs bonnes raisons : les plus
sincères, les plus francs saluent en eux leurs plus puis-
sants auxiliaires. »
L'agnosticisme, doctrine pernicieuse. — « Toute
issue fermée vers Dieu du côté de l'intelligence, ils se
font forts d'en ouvrir une autre du côté du sentiment et
de Yaction. Tentative vaine. Car, qu'est-ce, après tout,
que le sentiment, sinon une réaction de l'âme à l'action
de Tintelligence ou des sens ? Otez l'intelligence :
l'homme déjà si enclin à suivre les sens en deviendra
l'esclave. Vaine tentative à un autre point de vue.
Toutes ces fantaisies sur le sens religieux n'aboliront
pas le sens commun. Or, ce que dit le sens commun,
c'est que l'émotion et tout ce qui captive l'âme, loin de
favoriser la découverte de la vérité, l'entravent. Nous
parlons bien entendu de la vérité en soi. Quant à cette
autre vérité, purement subjective, issue du sentiment
et de l'action, si elle peut être bonne aux jongleries de
mots, elle ne sert de rien à l'homme, à qui il importe
surtout de savoir si% hors de lui, il existe un Dieu, entre
les mains de qui il tombera un jour. »
L'expérience, insuffisante. — « Pour donner quel-
que assiette au sentiment, les modernistes recourent à
l'expérience. Mais l'expérience, qu'y ajoute-t-elle? Abso-
lument rien, sinon une certaine intensité, qui entraîne
une conviction proportionnée de la réalité de l'objet.
Or, ces deux choses ne font pas que le sentiment ne
soit sentiment, ils ne lui ôtent pas son caractère qui est
de décevoir, si l'intelligence ne le guide ; au contraire,
ce caractère, ils le confirment et l'aggravent, car plus
le sentiment est intense et plus il est sentiment. — En
matière de sentiment religieux et d'expérience reli-
gieuse, vous n'ignorez pas quelle prudence est néces-
saire, quelle science aussi, qui dirige la prudence.
ENCYCLIQUE « PASCENDI DOMINICI GREGIS » xYlK
Vous le savez de votre usage des âmes, de celles sur-
tout où le sentiment domine ; vous le savez aussi de la
lecture des ouvrages ascétiques; ouvrages que les
modernistes prisent tort peu, mais qui témoignent
d'une science autrement solide que la leur, d'une saga-
cité d'observation autrement fine et subtile. En vérité,
n'est-ce pas une folie, ou tout au moins une souveraine
imprudence, de se fier, sans nul contrôle, à des expé-
riences comme celles que prônent les modernistes? Et
qu'il nous soit permis, en passant, de poser une ques-
tion : si ces expériences ont tant de valeur à leurs
yeux, pourquoi ne la reconnaissent-ils pas à celle que
des milliers et des milliers de catholiques déclarent
avoir sur leur compte à eux, et qui les convainc qu'ils
font fausse route ? Est-ce que, par hasard, ces der-
nières expériences seraient les seules fausses et trom-
peuses? La très grande majorité des hommes tient fer-
mement et tiendra toujours que le sentiment et l'expé-
rience seuls, sans être éclairés et guidés de la raison,
ne conduisent pas à Dieu. Que reste-t-il donc sinon
V anéantissement de toute religion et l'athéisme? »
L'athéisme. — « Ce n'est certes pas la théorie du
symbolisme qui pourra le conjurer. Car, si tous
les éléments, dans la religion, ne sont que de purs
symboles de Dieu, pourquoi le nom même de Dieu, le
nom de personnalité divine ne seraient ils pas aussi de
purs symboles ? Cela admis, voilà la personnalité de
Dieu mise en question, et la voie ouverte an panthéisme. »
Le panthéisme. — « Au panthéisme, mais cette autre
doctrine de l'immanence divine y conduit tout droit.
Car nous demandons si elle laisse Dieu distinct de
l'homme, ou non : si distinct, en quoi difïère-t-elle
de la doctrine catholique, et de quel droit rejeter la ré-
vélation extérieure ? Si non distinct, nous voilà en
plein panthéisme. Or, la doctrine de l'immanence, au
LE CATÉCHISMB. — T. III. d
LE CATÉCHISME ROMAIN
sens moderniste, tient et professe que tout phénomène
de conscience est issu de l'homme, en tant qu'homme.
La conclusion rigoureuse, c'est l'identité de l'homme
et de Dieu, c'est-à-dire le panthéisme. — La même
conclusion découle de la distinction qu'ils posent entre
la science et la foi. L'objet de la science c'est la réalité
du connaissable ; l'objet de la foi, au contraire, la réa-
lite de l'inconnaissable. Or, ce qui fait l'inconnaissable,
c'est la disproportion avec l'intelligence : disproportion
que rien au monde, même dans la doctrine des moder-
nistes, ne peut faire disparaître. Par conséquent l'in-
connaissable reste et restera éternellement inconnais-
sable, autant au croyant qu'à l'homme de la science.
La religion d'une réalité inconnaissable, voilà donc la
seule possible. Et pourquoi cette réalité ne serait-ellt
pas Lame universelle du monde, dont parle tel rationa-
liste, c'est ce que nous ne voyons pas.
« Voilà qui suffit, et surabondamment, pour montrer
par combien de routes le modernisme conduit à l'a-
néantissement de toute religion. Le premier pas fut
fait par le protestantisme, le second est fait par le mo-
dernisme: le prochain précipitera dans l'athéisme (i). »
I. La deuxième partie de l'Encyclique traite des causes du moder-
nisme : des causes morales, la curiosité et l'orgueil, qui doivent déter-
miner les évêques à ne confier aux superbes que « d'infimes et
obscures fonctions, » et à « écarter sans pitié du sacerdoce » les
clercs chez lesquels ils auront constaté l'esprit d'orgueil ; — de la
cause intellectuelle, qui est l'ignorance de la philosopie scolastique, la
méconnaissance de la tradition, dont on fausse le caractère et dont on
sape l'autorité, l'amoindrissement du magistère ecclésiastique, dont on
déna'ure l'origine, le caractère, les droits.
La troisième partie, d'ordre pratique, indique les remèdes. Mettre
la philosophie scolastique à la base des sciences sacrées, c'est-à-dire la
philosophie de saint Thomas ; stimuler l'étude de la théologie par les
apports de la théologie positive, sans le moindre détriment pour la
théologie scolastique ; s'appliquer à l'étude des sciences naturelles ; se
guder sur ces prescriptions dans le choix des directeurs et profe seurs
des sém inaires et des Universités ; exclure ceux qui sont imbus de
modernisme ou qui le favorisent ; procéder avec la même vigilance &
l'examen et au choix des candidats aux saints ordres ; ne conférer le
DÉCRET « LAMENTABILI SANE EXITU » I jf *
Décret du Saint-Office
« Lamentabili sanë exitu »
Le Saint-Office, officiellement chargé par Sa Sainteté Pie X de
noter les principales erreurs actuelles, a porté un décret, en date dus
3 juillet 1907, où soixante-cinq propositions sont condamnées. Ces
propositions forment un tout, admirablement groupé. Les nuits pre-
mières concernent le magistère de l'Eglise : elles condamnent les dis-
tinctions et les faux-fuyants qui cherchent à éluder, à diminuer et k
réduire à une simple police extérieure l'autorité doctrinale de
l'tglise ; — ix-xii traitent de l'inspiration de l'Ecriture, dans sons
auteur qui est Dieu, dans son effet qui est l'inerrance, et dans le
devoir, pour l'exégète, de ne jamais oublier le caractère surnaturel
des livres dont il s'occupe ; — xiii-xix visent quelques points fonda-
mentaux de la critique du Nouveau Testament : authenticité de»
paraboles évangéliques; historicité de saint Jean ; explication abusive
doctorat en théologie et en droit canonique qu'à ceux qui auront suivi
le cours régulier de philosophie scolastique : défense aux prêtres et
aux clercs des universités ou instituts catholiques de suivre, pour les
matières qui y sont professées, les cours des universités civiles; inter-
dire la publication et la lecture des écrits entachés de modernisme; éta-
blir, dans toutes les curies épiscopales, des censeurs d'office, chargés de
l'examen des ouvrages à publier ; ne permettre que très rarement des
congrès sacerdotaux ; instituer dans chaque diocèse un Conseil de-
vigilance, chargé de surveiller très attentivement et de très près tons
les indices, toutes les traces de modernisme dans les publications et
dans l'enseignement, tous les ouvrages où l'on traite de pieuses tra-
ditions et de reliques, de questions sociales. Le Pape ordonne enfin
que tous les Ordinaires des diocèses, un an après la publication de
Sun Encyclique, et ensuite tous les Irois ans, envoient au Saint-Siège
une relation fidèle et corroborée par le serment sur l'exécution de
tout ce qu'il vient de prescrire ; même injonction aux Supérieurs
généraux des Ordres religieux. Et pour opposer une réponse inédite
à la vieille calomnie qui représente l'Eglise comme l'ennemie de la
science et du progrès, Pie X ajoute : « Nous avons conçu le dessein
de seconder de tout notre pouvoir la fondation d'une Institution par-
ticulière qui groupera les plus illustres représentants de la science
parmi les catholiques, et qui aura pour but de favoriser, avec 1*
vérité catholique pour lumière et pour guide, le progrès de tout ce
que l'on peut désigner sous le nom de science et d'érudition. > Tel
est ce document pontifical. Son importance est de premier ordre.
L'auteur du présent ouvrage est particulièrement heureux d'avoir
suivi, avant la lettre, l'enseignement de l'Encyclique Pascendi domi—
nia, dans les volumes déjà parus ; il compte, avec la grâce de Dieu,
le suivre encore dans les volumes qui restent à paraître.
lij
LE CATECHISME ROMAIN
de la genèse des récits évangéiiques ; mésestime blâmable des exé-
gètes catholiques ; préférence accordée aux exégètes hétérodoxes ; —
xx xx.vi condamnent la notion naturaliste de la révélation, la dis-
tinction entre les assertions de foi et les vérités de fait, la prétention
de fonder l'assentiment de la foi sur une accumulation de probabili-
tés, et le pragmatisme qui ne veut pas voir dans les dogmes des
règles de la croyance, mais des préceptes d'attitude morale ; —
xx\ ,1-xxxvm condamnent les erreurs sur la Christologie : le dogme de
la divi ité de Notre Seigneur n'est pas une traduction par la cons-
cience chrétienne de la notion de Messie ; le Christ s'est donné
comme Messie, mais le nom de Fils de Dieu n'équivaut pas au nom
de Messie, il exprime sa filiation vraie et naturelle ; la conscience et
la science du Christ sont vengées ; sa résurrection est un fait histori-
que ; la théorie de la rédemption, loin d'être une inlerprétation pau-
linienne, est l'enseignement propre du Christ : — xxxix-li réprou-
vent l'explication naturaliste et évolutionniste de l'origine et de la
nature des sacrements; — lii-lvi maintiennent l'institution divine de
l'Eglise, l'immutabilité de sa constitution organique, la primauté de
saint Pierre ; dogmes, sacrements et hiérarchie ne sont pas le produit
de la pensée chret enne ajoutant au germe latent dans l'Evangile de
données extérieures ; — lvii-lxv condamnent les principes mêmes
de l'évolutionisme religieux : la vérité n'est pas en incessante trans-
formation ; le Christ n'a pas inauguré uu mouvement religieux
indéfiniment adaptable à l'évolution de l'homme et des sociétés,
mais il a donne une doctrine ferme et stable, identique toujours dans
sa signification et irré ormable. Telle est la somme de ces erreurs
dont l'aboutissement serait un catholicisme sans dogme, c'est-à-dire
un protestantisme large et libéral. A vrai dire, c'est la condamna-
tion détaillée de L'Evangile et l 'Eglise.
Ce décret, véritable décision doctrinale, n'a pas été simplement
approuvé et confirmé, le 4 juillet ; Pie X a de plus « donné l'ordre
que toutes et chacune des propositions (qu'il contient) fussent tenues
par tous comme réprouvées et proscrites. » En donnant cet ordre, le
Pape n'a pas changé la nature première de ce décret qui, émanant
du Saint-Office, vaut par l'autorité immédiate de cette congrégation.
et oblige tous les fidèles (1). Ce n'est donc pas une définition ex
cathedra, garantie par l'infaillibilité, car la prérogative de l'infailli-
bilité est personnelle au Pape et incommunicable , ce n'est même pas
un acte strictem nt pontifical, comme le fut le Syllabus de Pie IX ;
il n'en exige pas moins, de la part des catholiques, non seulement
un silence respectueux, niais encore un assentiment intérieur. Héré-
tiques ou non, — le décret ne les qualifie pas, — les propositions
doivent être tenues pour condamnées et nul catholique ne peut plus
8e permettre de les soutenir.
Sous le fallacieux prétexte que le divin et le surnaturel sont au-
dessus ou en dehors de la raison, et que la critique, œuvre de pure
raison, ne peut ni ne doit s'en occuper, on faisait deux parts distinctes
I. Cf. Choupin, Valeur des décisions doctrinales tt disciplinaires du Saint»
Siège, Paris, 1907, p. 44 sq.
DECRET « LAMENTABILI SANE EXITU »
lïîj
entre le surnaturel et le naturel, soit dans l'Ecriture, soit dans la
personne, les actes et les enseignements de Notre Seigneur, soit dans
la constitution de l'Eglise, les sacrements, les dogmes et la morale.
Et c'est ainsi que, de nos jours, certains n'envisageaient l'Ecriture que
comme un document humain, sans tenir compte de son inspiration
divine ; on traitait de l'Eglise comme d'une institution humaine,
abstraction faite de son institution et de sa constitution divines ; et
pareillement des sacrements et des dogmes. Ce n'était pas là simple-
ment un procédé de discussion, une méthode, c'était la prétention
plus ou moins déguisée de supprimer le surnaturel, en le déclarant
indémontré en fait et indémontrable en droit, incompatible avec la
raison autonome et avec les données de l'histoire. Le décret a coupé
court à tous ces subterfuges. Il ne nomme pas d'auteurs, mais les
propositions qu'il condamne sont faciles à reconnaître : elles sont la
traduction textuelle ou équivalente des propositions qu'on trouve
dans certains livres contemporains. Nous en avons signalé et com-
battu plusieurs dans les deux premiers volumes de cet ouvrage; nous
en signalerons et cqmbattrons d'autres dans la suite. Puisse ce docu-
ment libérateur, qui a précédé la publication de l'Encyclique Pas-
cendi dominici gregis, ramener les égarés de bonne foi, surtout ceux
qui sont les auteurs responsables de ces nouveautés ou qui s'en sont
fait le* propagateurs ! Il ne peut que réjouir les catholiques fidèles ;
et nous sommes heureux, quant à nous, d'y souscrire pleinement, car
il confirme ce que nous avons déjà dit et servira de guide à ce que
nous dirons dans la suite
Voici la liste des propositions condamnées, dans sa teneur offi-
cielle ; nous y ajoutons une traduction française.
I. Ecclesiastica lex quas
praescribit subjicere pras-
viae censuras libros Divinas
respicientes Scripturas, ad
cultores critices aut exe-
geseosscientifîcae librorum
Veteris et Novi Testa-
ment! non extenditur.
II. Ecclesias interpretatio
sacrorum Librorum non
est quidem spernenda,
subjacet tamen accuratiori
exegetarum judicio et cor-
rectioni.
I. La loi ecclésiastique
qui prescrit de soumettre
à la censure préalable les
livres qui concernent les
divinesEcritures,ne s'étend
pas aux écrivains qui culti-
vent la critique et l'exégèse
scientifique des livres de
l'Ancien et du Nouveau
Testament.
IL L'interprétation des
Livres saints par l'Eglise
n'est pas à dédaigner sans
doute, mais elle est sujette
au jugement plus appro-
fondi des exégètes et à cor-
rection.
lïv
LE CATECHISME ROMAIN
ITT. Exjudiciis et censu-
Tis ecclesiasticis contra li-
iberam et cultiorem exe-
^gesim latis colligi potestfi-
-dem ab Ecclesia proposi-
itam contradicere historiae,
et dogmata catholica cum
■verioribus christianae reli-
.gionis originibus componi
xeipsa non nosse.
IV. Magisterium Eccle-
siae ne per dogmaticas qui-
-dem definitiones genui-
iium sacrarum Spiritura-
lum sensum determinare
potest.
V. Quum in deposito
fîdei veritates tantum re-
velatas contineantur, nullo
sub respectu ad Ecclesiam
pertinet judicium ferre de
assertionibus disciplina-
irum humanarum.
VI. In detiniendis veri-
<&atibus ita collaborant
discens et docens Ecclesia
sit docenti Ecclesia? nihil
supersit nisi communes
<discentis opinationes san-
dre.
III. Des jugements et
des censures ecclésiasti-
ques portés contre l'exé-
gèse libre et plus savante
on peut inférer que la foi
proposée par l'Eglise est
en contraditcion avec
l'histoire et que les dog-
mes catholiques ne peu-
vent réellement pas se
concilier avec les origines
vraies de la religion chré
tienne.
IV. Le magistère de l'E-
glise ne peut pas détermi-
ner le sens propre des sain-
tes Ecritures, même par des
définitions dogmatiques.
V. Le dépôt de la foi
ne contenant que des vé-
rités révélées, il n'appar-
tient sous aucun rapport à
l'Eglise de porter un juge-
ment sur les assertions
des sciences humaines.
VI. L'Eglise enseignée
et l'Eglise enseignante col-,
laborent à ce point dans
les définitions doctrinales,
que TEgliseenseignante n'a
plus qu'à sanctionner les
opinions communes de
l'Eglise enseignée (i).
i. « Il ne faut pas oublier que Y Ecclesia discens joue son rôle à
.côté de VEcclesia docens et travaille comme elle à prendre davantage
conscience de l'idée chrétienne dont elle vit. C'est parmi les simples
•fidèles, humbles aussi bien que savants, que se prépare, dans le con-
tact incessant du christianisme avec les idées contemporaines où il
DÉCRET U LAMENTABILI SANE EXITU » Iv
VII. Ecclesia cum pros- VII. L'Eglise, lorsqu'elle
cribit errores, nequit a fi- proscrit des erreurs, ne
delibus exigere ullum in- peut exiger des fidèles
ternum assensum, quo ju- l'assentiment intérieur aux
dicia a se édita complec- jugements qu'elle a ren-
tantur. dus.
VIII. Ab omni culpa VIII. On doit estimer
immunes existimandi sunt exempts de toute faute
qui reprobationes a Sacra ceux qui tiennent pour
Congregatione Indicis ali- non avenues les condam-
isve Sacris Romanis Con- nations de la Sacrée Con-
gregationibus latas nihili grégation de l'Index ou
pendunt. des autres Sacrées Con-
grégations Romaines.
IX. Nimiam simplicita- IX. Ceux-là font preuve
tem aut ignorantiam prae d'une simplicité et d'une
se ferunt qui Deum cre- ignorance excessive qui
dunt vere esse Scripturae croient que Dieu est vrai-
sacrae auctorem. ment l'auteur de la sainte
Ecriture.
X. Inspiratio librorum X. L'inspiration des Li-
Veteris Testamenti in eo vres de l'Ancien Testa-
consistit quod scriptores ment a consisté en ce que
israelitae religiosas doctri- les écrivains d'Israël ont
nas sub peculiari quodam transmis les doctrines re-
aspectu, gentibus parum ligieuses sous un certain
noto aut ignoto, tradide- aspect, peu connu ou
runt. même inconnu des païens.
baigne, tout le progrès religieux. Les formules de l'Eglise ensei-
gnante ne font jamais que constater ce progrès. > La pensée catholi-
que dans l'Angleterre contemporaine, Paris, 1906, p. XXX. — < C'est
l'Eglise enseignée qui, par la nécessité de sa position, par son con-
tact permanent avec la civilisation qui l'environne et la pénètre,
élabore instinctivement le développement dont nous avons parlé.
C'est l'Eglise enseignante qui la dirige et la surveille, et de temps en
temps lui fait prendre conscience de son progrès en en donnant la
formule. » Ibid., p. 218. — « L'évolution incessante de la doc-
trine se fait par le travail des individus, selon que leur activité réa-
git sur l'activité générale; et ce sont les individus qui pensant avec
l'Eglise, pensent aussi pour elle. » Ibid., p. 219.
Ivj
LE CATECHISME ROMAIN
Xl.Inspiratio divinanon
ita ad totam Scriptiram
sacram extenditur, ut om-
nes et singulas ejus paites
ab omni errore praemu-
niat.
XII. Exegeta, si velit
utiliter studiis biblicis in-
cumbere, in primis quam-
iibet praeconceptam opi-
nionem de supernaturali
origine Scripturas sacrae
seponere débet, eamque
non aliter interpretari
quam cetera documenta
mère humana.
XIII. Parabolasevange-
licas ipsimet Evangelistae
ac christiani secundag et
tertiae generationis artifi-
ciose digesserunt, atque
ita rationem dederunt exi-
gui fructus prasdicationis
Christi aqud Judaeos.
XI L'inspiration divine
ne s'étend pas à' toute la
sainte Ecriture de manière
à la garantir de toute er-
reur dans toutes et chacu-
ne de ses parties.
XII. L'exégète, s'il veut
s'adonner utilement aux
études bibliques, doit
écarter avant tout toute
opinion préconçue sur
l'origine surnaturelle de
l'Ecriture sainte et ne pas
l'interpréter autrement que
les autres documents pu-
rement humains (i).
XIII. Les Evangélistes
eux-mêmes et les chrétiens
de la seconde et de la troi-
sième génération ont arti-
ficiellement élaboré les
paraboles évangéliques, et
ils ont ainsi rendu raison
du peu de fruit de la pré-
dication du Christ auprès
des juifs (2).
1. L'auteur A' Autour d'un petit livre, 2" édit. Paris, 1905, parlant
de « l'autonomie nécessaire de la critique biblique, » p. 49, des
« dtoits respectifs du théologien et du critique » p. 52, écrit p. 57 :
« On ne conçoit pas que le critique puisse suivre à l'égard de
l'Ecriture une méthode différente de celle qu'on applique aux
autres documents de l'antiquité. » — 2. Toutes les indications
des Evangiles, « sans exception et depuis l'origine, ont été pour
la foi un moyen de s'exprimer, de s'affirmer et de se répan-
dre. » L'Evangile et l'Eglise, y édit. Paris, 1904, p. 33. « Si
l'on a tourné peu à peu les paraboles en allégories ; si l'on a cons-
tamment adapté l'enseignement du Sauveur au besoin des Eglises
naissantes , si un travail d'idéalisation progressive, d'interprétation
symbolique et dogmatique s'est opéré sur les faits mêmes, l'historien
doit s'en rendre compte. » Autour d'un petit livre, p. 83. — « De
nié. ne si l'influence des premières spéculations christologiques se fait
DECRET « LAMENTADILI SANE EXITU »
lvîj
XIV. In pluribus narra-
tionibus non tam quas
vera sunt Evangelistre re-
tulernnt quam quœ lec-
toribus, etsi falsa, cen-
suerunt magis proficua.
XV. Evangelia u^que ad
definitum constitutumque
canonem continuis addi-
tionibus et correctionibus
aucta fuerunt ; ipsis pro-
inde doctrinae Christi non
remansit nisi tenue et in-
certum vestigium.
XVI. Narrationes Joan-
nis non sunt proprie histo-
ria, sed mystica Evangelii
contemplatio ; sermones,
in ejus evangelio contenti,
sunt meditationes theolo-
XIV. Dans plusieurs de
leurs récits, les Evangélis-
tes ont rapporté, non pas
tant la vérité que ce qu'ils
ont estimé, quoique faux,
plus profitable à leurs lec-
teurs (i).
XV. Les Evangiles se
sont enrichis d'additions et
de corrections continuelles
jusqu'à la fixation et à la
constitution du canon; dès
lors il n'y subsista de la
doctrine du Christ que des
vestiges ténus et incertains.
XVI. Les récits de Jean
ne sont pas proprement de
l'histoire, mais une con-
templation mystique de
l'Evangile ; les discours
contenus dans son Evan-
sentir sur la tradition des discours du Christ, il (l'historien) ne doit
point se contraindre à n'en rien voir. » Ibid., p. 84. — « Ni les pré-
dicateurs chrétiens, ni les évangélistes n'avaient souci de l'exactitude
historique, ils visaient à produire la foi, et ils interprétaient l'Evan-
gile en le racontant. » Ibid., p. 85. Cf. Etudes Evangèliques, p. vi-vii.
1. « La gloire du Seigneur ressuscité rejaillit sur les souvenirs de
sa carrière terrestre. De là, une sorte d'idéalisation et de systémati-
sation des discours et des faits. > L'Ev. et l'Egl., p. 17. — Les argu-
ments des Evangiles sont « le plus ordinairement, une interprétation
des faits primitifs. » Ibid., p. 19. — « Cette idéalisation inévitable et
légitime du Christ, se produisant spontanément dans la conscience
chrétienne,... a dû affecter, jusqu'à un certain point, la forme d'un
développement légendaire. » Ibid., p. 21-22. — « Les Synoptiques
sont déjà des livres de prédication chrétienne et non des histoires
proprement dites. > Aat. d'un pet. livre, p. 88-S9. — « Qu'à leur ra-
cine 'des Evangiles) il y ait un noyau primitif de souvenirs immé-
diats, on ne le conteste point. Mais ce noyau s'est recouvert peu à
peu d'apports multiples ; et l'analyse critique, disséquant le produit
final pour en déterminer la structure, y discerne sans peine plusieurs
couches rédactionnelles superposées. » Dogme et critique, Paris, 1907,
p. X96.
lviij
LE CATECHISME ROMAIN
gicae circa mysterium salu-
tis, historica veritate des-
titutae.
XVII. Quartum Evan-
gelium miracula exagera-
vit non tantum ut extraor-
dinaria magis apparerent,
sed etiam ut aptiora fiè-
rent ad significandum opus
et gloriam Verbi Incar-
nati.
XVIII. Joannes sibi vin-
dicatquidem rationem tes-
tis de Chnsto ; re tamen
vera non est nisi eximius
testis vitae christianae seu
vitae Christi in Ecclesia,
exeunte primo saeculo.
gile sont des méditations
théologiques, dénuées de
vérité historique, sur le
mystère du salut (1).
XVII. Le quatrième
Evangile a exagéré les mi-
racles, non seulement afin
de les faire paraître plus
extraordinaires, mais en-
core pour les rendre plus
aptes à caractériser l'œu-
vre et la gloire du Verbe
incarné (2).
XVIII. Jean revendique,
il est vrai, pour lui-même
la qualité de témoin du
Christ; il n'est cependant,
en réalité, qu'un témoin
éminent de la vie chré-
tienne, ou de la vie du
Christ dans l'Eglise, à la
fin du premier siècle (3).
X. « Il est des hypothèses qui ne résistent pas à l'examen critique
des Livres saints: par exemple.... le caractère strictement historique
de l'Evangile selon saint Jean. » Aut. d'un pet. livre, p. 36 — « Les
récits de Jean ne sont pas une histoire, mais une contemplation mys-
tique de l'Evangile ; ses discours sont des méditations théologiques
sur le mystère du salut. > Ibid., p. 93. — « Le quatrième Evangile
est un livre de théologie mystique, où l'on entend la voix de la
conscience chrétienne, non le Christ de l'histoire. > Ibid., p. 130. —
« La critique est portée à y voir (dans le quatrième Evangile) un
chef-d'œuvre de théologie mystique plutôt qu'une narration de
pure histoire. » Dogme et critique, p. 202. — 2. Le Christ johan-
nique c n'opère de miracles que pour faire valoir ce qu'il enseigne,
pour manifester sa gloire. » Aut. d'un pet. livre, p. 92. —
3. « L'imagination mystique de l'auteur (Jean) et l'énergie de sa
conviction ne lui permettent pas de distinguer nettement, dans ses
méditations religieuses, l'idéal du réel, la théorie de l'histoire, le
symbole de son objet. > Aut. d'un pet. livre, p. 103. — « Jean pré-
tend être le témoin du Christ, et il est, en vérité, le grand témoin
de la vie chrétienne, de la vie du Christ dans l'Eglise, à la fin du
premier siècle. > Etudes èvangèliqiies, Paris, 1902, p. xii.
DECRET « LAMENTABILI SANE EX1ÏU »
lix
XIX. Heterodoxi exege-
tae fidelius expresserunt
sensum verum Scriptura-
rum quam exegetae Catho-
lici.
XX . Revelatio nihil
aliud esse potuit quam
acquisita ab homine suas
ad Deum relationis cons-
cientia.
XXL Revelatio, objec-
tum fidei catholicag cons-
tituens, non fuit cum Apos-
tolis compléta.
XXII. Dogmata, quae
Ecclesia perhibet tanquam
revelata, non sunt verita-
tes e cœlo delapsae sed
sunt interpretatio quaedam
factorum religiosorum
quam humana mens labo-
rioso conatu sibi compa-
ravit.
XXIII. Existere potest
et reipsa existit oppositio
inter facta quag in sacra
Scriptura narrantur eisque
innixa Ecclesiag dogmata ;
ita ut criticus tamquam
falsa rejicere possit facta
XIX. Les exégètes hété-
rodoxes ont rendu plus
fidèlement le vrai sens des
Ecritures que les exégètes
catholiques.
XX. La révélation n'a
pu être que la conscience
acquise par l'homme de sa
relation avec Dieu (i).
XXI. La révélation, qui
constitue l'objet de la foi
catholique, n'a pas été
complète avec les Apô-
tres (2).
XXII. Les dogmes, que
l'Eglise propose comme
révélés, ne sont pas des
vérités descendues du ciel,
mais seulement une inter-
prétation des faits religieux
que l'esprit humain s'est
acquise par un laborieux
effort (3).
XXIII. Il peut exister
et il existe réellement en-
tre les faits consignés
dans l'Ecriture sainte et
les dogmes de l'Eglise
auxquels ils servent de
base, une opposition telle
i.cLa révélation n'a pu être que la conscience acquise par l'homme
de son rapport avec Dieu. » Au(. d'un pet. livre, p. 195. Voir t.i, p. 193,
227 sq ; t. m, p. 13-16. — 2. Voir t. 1, p. 153-156 ; t. ni, p. 159, 177, 184.
— 3. « Les conceptions que l'Eglise présente comme des dogmes révé-
lés ne sont pas des vérités tombées du ciel et gardées par la tradition
religieuse dans la forme précise où elles ont paru d'abord. > L'Bv.
et ÏEgl., p. 202-203. < L'historien y voit l'interprétation de faits
religieux, acquise par un laborieux effort de la pensée théologique. >
Ibid. Cf. Aut. d'un petit livre, p. 189. Voir t. 1, p. 221, 229 sq.
lx
LE CATECHISME ROMAIN
qure Ecclesia tamquamcer-
tissima crédit.
XXIV. Reprobandus
non est exegeta qui prae-
missas adstruit, ex quibus
sequitur dogmata historiée
falsa aut dubia esse, dum-
modo dogmata ipsa directe
non neget.
XXV. Assensus fidei ul-
timo innititur in congerie
probabilitatum.
XXVI. Dogmata fidei re-
tinenda sunt tantummodo
juxta sensum practicum,
id est tamquam norma
prasceptiva agendi, non
vero tamquam norma cre-
dendi.
XXVII. Divinitas Jesu-
Christi ex Evangeliis non
probatur ; sed est dogma
quod conscientia chris-
tiana e notione Messias
deduxit.
que le critique peut reje-
ter comme faux des faits
que l'Eglise croit comme
très certains.
XXIV. On ne doit pas
condamner un exégète qui
pose des prémisses d'où il
suit que les dogmes sont
historiquement faux ou
douteux, pourvu qu'il ne
nie pas directement les
dogmes eux-mêmes.
XXV. L'assentiment de
foi se fonde en dernier lieu
sur une accumulation de
probabilités.
XXVI. Les dogmes de la
foi sont à retenir seule-
ment selon leur sens pra-
tique, c'est-à-dire comme
règle préceptive d'action,
mais non comme règle de
crovance (i).
XXVII. La divinité de
Jésus-Christ ne se prouve
pas par les Evangiles ;
mais c'est un dogme que
la conscience chrétienne a
déduit de la notion de
Messie (2).
. . c Un dogme a surtout un sens pratique. Il énonce avant tout
une prescription d'ordre pratique. Il est plus que tout la formule
d'une règle de conduite. » Dogme et critique, page 25. — Ce qu'un
dogme nous impose, c'est essentiellement et d'abord une attitude
et une conduite. » Ibid., p. 51. Voir t. 1, p. 232-251, l'exposi-
tion et la réfutation de cette erreur. — 2. « Le dogme christo-
logique fut avant tout 1 expression de ce que Jésus était, depuis
le commencement, pour la conscience chrétienne. » V Evangile
et L' Eglise, p. 206. — La divinité du Cinirt est un dogme qui
a uiu^di dans la conscience chrétienne, mais qui n'avait pas
DÉCRET « LAMFNTABILI SANE EX1TU
iNJ
XXVIII. Jésus, cum mi-
nis erium suum exercebat,
non in eum finem loque-
batur ut doceret se esse
Messiam, neque ejus mira-
cula eo spectabant ut id
denioiibtraret.
XXIX. Concedere licet
Christum, quem exhibet
historia, multo inferiorem
esse Christo qui est objec-
tum fidei.
XXX. In omnibus texti-
bus cvangelicis nomen Fi-
lins Dci aequivalet tantum
nomini Messias, minime
vero significat Christum
esse verum et naturalem
Dei Filium.
XXVIII. Jésus, pendant
qu'il exerçait son minis-
tère, n'avait pas en vue
dans ses discours d'ensei-
gner qu'il était lui-même
le Messie, et ses miracles
ne tendaient pas à le dé-
montrer (i).
XXIX. On peut accor-
der que le Christ que 1 his-
toire présente est bien in-
férieur au Christ qui est
1 objet de la foi (2).
XXX. Dans tous les tex-
tes évangéliques, le nom
de Fils de Dieu équivaut
seulement au nom de
Messie , il ne signifie point
du tout que le Christ est
le Fils vrai et naturel de
Dieu (3).
été expressément formulé dans l'Evangile ; il existait seulement
en germe dans la notion du Messie fils de Dieu. » Aut. a' un pet.
livre, p 117. — « L'historien connaît ce dogme (de la divinité de
Jésus) comme une définition théorique, élaborée au cours des pre-
miers siècles chrétiens, non cwmme une réalité vérifiable et dire.te-
nient attestée par les documents de l'histoire. » Ibid , p. 147. Voir
la réfutation de cette erreur t. 11, p. 230-238, 257-284.
I. « Jésu* ne s'avouait pas Mes?ie dans sa prédication » L'Ev. et VEgl.y
p. 84. — « Au cours de son ministère, Jésus ne parlait pas pour ensei-
gner sa qualité de Messie, et les miracles qu'il faisait n'étaient pas
pour la démontrer. » Aut. d'un pet. livre, p 83. Voir t. n, p, 272.
— 1. « On dit que, dans ces conditions, — (et telle est l'opinion du
critique historien) — le Christ de l'histoire serait bien au-dessous du
Christ de la foi. » Aut. d'un pet. livre, p. 113 Voir t. Il, p. 272. —
3. « L'on trouverait sans peine, dans les Evangiles, plus d'un pas-
sage d'où il résulte que le titre de Fils de Dieu était pour les juifs,
pour les disciples et pour le Sauveur même l'équivalent du Messie. »
L'Ev. et l'Egl.y p. 76. — « En tant que le titre de Fils de Dieu
appartient exclusivement au Sauveur, il équivaut à celui de Messie,
et il se fonde sur la qualité de Messie. » Ibid., p. 90-91. Voir t. 11,
p. 273.
lxij
LE CATECHISME ROMAIN
XXXI. Doctrina de
Christo, quam tradunt
Paulus, Joanneset Concilia
Nicaenum, Ephesinum,
Chalcedonense, non est ea
quam Jésus docuit, sed
quam de Jesu concepit
conscientia christiana.
XXXII. Conciliari ne-
quit sensus naturalis tex-
tuum evangelicorum cum
XXXI. La doctrine chris-
tologique de Paul, de
Jean et des conciles de
Nicée, d'Ephèse, de Chal-
cédoine, n'est pas celle
que Jésus a enseignée,
mais celle quela conscien-
ce chrétienne s'est faite de
Jésus (i).
XXXII. On ne peut con-
cilier le sens naturel des
textes évangéliques avec
eo quod nostri theologi ce qu'enseignent nos théo-
docent de conscientia et logiens touchant la con-
scientia
Christi.
infallibili Jesu
XXXIII. Evidens est cui-
que qui praeconceptis non
ducitur opinionibus, Jesum
aut errorem de proximo
messianico adventu fuisse
professum, aut majorem
partem ipsius doctrinas in
science et la science in-
faillible du Christ (2).
XXXIII. Uestévidentpour
quiconque n'est pas con*-
duit par des opinions pré-
conçues, ou bien que Jé-
sus a enseigné l'erreur sur
le prochain avènement
messianique, ou bien que
Evangeliis Synopticis con- la majeure partie de sa doc-
tentagauthenticitatecarere. trine, contenue dans les
Evangiles synoptiques >
manque d'authenticité (3).
1. Voir les passages déjà cités en note, à la prop. 27. — « On ne
fera pas admettre au critique le moins expérimenté que Jésus ait
enseigné en termes formels, et simultanément, la christologie de
Paul, celle de Jean, et la doctrine de Nicée, d'Ephèse et de Chalcé-
doine.» Aut. d'un pet. livre, p. 136. — 2. «Ce qui inquiète l'esprit des
fidèles sur la divinité du Christ et sa science infaillible, c'est l'impossi-
bilité de concilier le sens naturel des textes évangéliques les plus cer^
tains avec ceux que nos théologiens enseignent ou semblent enseigner
touchant la conscience et la science de Jésus. » Aut. d'un pet. livre, p.
xxiii. — 1 . < L'attente de la parousie, du prochain avènement du Christ
dans la gloire, fut une erreur de la génération apo. tolique. Maiscette
erreur, si erreur il y a, est dans l'Evangile, et vou serez obligé d'ad-
mettre, ou que Jésus l'a professée, ou que la majeure partie de son
DÉCRET « LAMENTABILI SANE EXITU )) lxiij
XXXIV. Criticus nequit XXXIV. Le critique ne
asserere Christo scientiam peut pas attribuer au Christ
nullo circumscriptam li- une science illimitée, si ce
mite nisi facta hypothesi, n'est dans l'hypothèse his-
quae historiée haud concipi toriquement inconcevable
potest, quieque sensui mo- et qui répugne au sens
rali répugnât nempe Chris- moral, que le Christ com-
tum uti hominem habuisse me homme a possédé
scientiam Dei et nihilo- la science de Dieu et qu'il
minus nolui'sse notitiam tôt a néanmoins refusé de
rerum communicare cum communiquer à ses disci-
discipulis ac posteritate. pies et à la postérité la
connaissance de tant de
choses (i).
XXXV.Christusnonsem- XXXV. Le Christ n'a pas
per habuit conscientiam eu toujours conscience de
sua? dignitatis messianicas. sa dignité messianique.
XXXVI. Resurrectio Sal- XXXVI. La résurrection
vatoris non est proprie fac- du Sauveur n'est pas pro-
tum ordinis historici, sed prement un fait d'ordre
factum ordinis mère super historique, mais un fait
naturalis, nec demonstra- d'ordre purement surnatu-
tum nec demonstrabile, rel, ni démontré, ni dé-
quodconscientia christiana montrable, que la cons-
sensim ex aliis derivavit. cience chrétienne a insen-
siblement déduit d'autres
faits (2).
enseignement dans les Synoptiques est dépourvue d'authenticité. »
Aut. d'un pet. Livre, p. 68.
1 . Le critique ne pourrait attribuer au Christ c une science sans
bornes que dans une hypothèse historiquement inconcevable et dé-
concertante pour le sens moral, en admettant que le Christ, comme
homme, avait la science de Dieu, et qu'il a délibérément abandon-
donné ses disciples et la postérité à l'ignorance et à l'erreur sur
quantité de choses qu'il pouvait révéler sans le moindre inconvé-
nient. » Aui. d'un pet. livre, p. 138-139. — a. c Le Christ res-
suscité n'appartient plus à l'ordre de la vie présente, qui est
celui de l'expérience sensible, et par conséquent la résurrection
n'est pas un fait qui ait pu être constaté directement et for-
mellement. > VEv et l'Eglise, p. 118. — « La résurrection du
Christ n'est pas un fait d'ordre proprement historique, et elle n'est pat
Ixiv
LE CATECHISME ROMAIN
XXXVII. Fides in resur-
rectionem Christi ab ini-
tio fuit non tam de facto
ipso resurrectionis, quam
de vita Christi immortali
apud Deum.
XXXVIII. Doctrina de
morte piaculari Christi non
est evangelica sed tantum
paulina.
XXXIX. Opiniones de
origine sacramentorum
quibus Patres Tridentini
ifnbuti erant, quasque in eo-
rum canones dogmaticos
procul dubio influxum ha-
buerunt, longe distant ab
iis quas nunc pênes bisto-
ricos rei christianas inda-
gatores merito obtinent.
XXXVII. La foi en la ré-
surrection du Christ, à
l'origine, porta moins sur
le fait même de sa résur-
rection que sur la vie im-
mortelle du Christ auprès
de Dieu (i).
XXXVIII. La doctrine
sur la mort expiatoire du
Christ n'est pas évangéli-
que, mais seulement pau-
lmienne (2).
XXXIX. Les opinions
dont les Pères de Trente
étaient imbus sur l'origine
des sacrements, opinions
qui ont influencé sans doute
leurs canons dogmatiques,
sont bien éloignées de
celles qui prévalent au-
jourd'hui à bon droit par-
mi les historiens du chris-
tianisme (3).
rigoureusement démontrée en cette qualité. » Aut. d'un pet. Livre
page vm. — « La résurrection du Sauveur... n'est pas démontrable ni
démontrée par le témoignage de l'histoire, indépendamment du
témoignage de foi. » Ibid., p. 169. Même erreur dans Dogme
et critique Voir t. 11, p. 271, 416-417.
1. La foi à la résurrection, « dès l'abord, fut la foi à la vie im-
mortelle du Crucifié bien plus qu'au fait initial qui est suggéré à
notre esprit par le mot de résurrection. » Aut. d" un pet. livre, p. 120.
— 2 C'est saint Paul qui « formula la théorie de la rédemption. »
L'Ev. et l'Eg., p. 26. — « Le passage de l'Epître aux Corinthiens
(I Cor, xv, 3-4)... ne garantit aucunement que l'idée de la mort ex-
piatrice ait existé, dès l'origine, avec la netteté que lui donne l'en-
seignement de Paul.» Ibid., p. 113. — « Paul découvre à la mort un
sens et une efficacité qui peuvent compter indépendamment de la résur-
rection, tuut en lui étant coordonnés.» Ibid., -p. 117. Voir t. 11, p. 332-
230. — 3 . « Ces opinions (des Pères de Trente, sur l'origine des sacre-
ments) sont en rapport avec la connaissance qu'on avait, en ce temps-
là,, des origines chrétiennes, c'est-à-dire qu'elles sont fort éloignées de
DÉCHET « LAMENTABILI SANE EX1TU » Ixr
XL. Sacramenta ortum XL. Les Sacrements sont
habuerunt ex eo quod nés de ce que les Apôtres
Apostoli eorumque suc- et leurs successeurs ont
cessores ideam aliquam et interprété une idée, une
intentionem Christi, sua- intention du Christ, sous
dentibus et moventibus l'inspiration et la poussée
circumstantiiseteventibus, des circonstances et des
intepretati sunt. événements (i).
XLI. Sacramenta eo XLI. Les Sacrements
tantum spectant ut in n'ont d'autre but que d'é-
mentem hominis revocent voquer à l'esprit de l'hom-
praesentiam Creatoris sem- me la présence toujours
per beneficam. bienfaisante du Créateur.
XL1I. Communitas XLII. La communauté
christiana necessitatem chrétienne a introduit la
baptismi induxit, adop- nécessité du baptême, en
tans illum tamquam ritum l'adoptant comme un rite
necessarium, eique pro- nécessaire et en y anne-
fessionis christianae obliga- xant les obligations de la
tiones adnectens. profession chrétienne (2).
XLIII. Usus conferendi XLIII. L'usage de con—
baptismum infantibus evo- férer le baptême aux en-
'lutio fuit disciplinais, quae fants fut une évolution de
una ex causis extitit ut la discipline, qui fut une
sacramentum resolveretur des causes pour lesquelles
in duo, in baptismum sci- ce sacrement se dédoubla
licet et pœnitentiam. en baptême et péniten-
ce (3).
celles que professent les historiens contemporains, même catholi-
ques... Que les opinions des Pères de Trente aient déteint sur leurs-
canons dogmatiques, rien de plus naturel. » Aut. d'un pet. livre+
'■ page 223.
1. < Les sacrements sont nés d'une pensée et d'une intention de-
Jésus, interprétés par les apôtres et par leurs successeurs, à la lumière
et sous la pression des circonstances et des faits. » L'Ev. et l'Eg., p.
339. — 2. c C'est la communauté qui l'a rendu nécessaire (le baptême)
en l'adoptant comme tel, et qui y a impliqué en même temps toutes
les obligations de la profession chrétienne. » Aut. d'un pet. h'v., p. 234..
— 3. c L'habitude de conférer le baptême aux enfants constitue ua
développement disciplinaire qui ne change pas la signification dm.
II CATÉCHISME. — T. III. e
lxvj
LE CATECHISME ROMAIN
XLIV. Nihil probat ri-
tum sacramenti confirma-
tionis usurpatum fuisse ab
Apostolis: formalis autem
distinctio duorum sacra-
mentorum, baptismi sciti-
cet et confirmationis, haud
spectat ad historiam chris-
tianismi primitivi.
XLV. Non omnia, quas
narrât Paulus de institu-
tione Eucharistias (I Cor.,
xi, 23-25), historiée sunt
sumenda.
XLVI. Non adfuit in
primitiva Ecclesia concep-
tus de christiano pec-
catore auctoritate Ecclesias
reconciliato ; sed Ecclesia
nonnisi admodum lente
hujusmodi conceptui as-
suevit. Imo, etiam post-
quam pœnitentia tam-
quam Ecclesia? institutio
agnita fuit, non appellaba-
tur sacramenti nomine,
XLIV. Rien ne prouve
que le rite du sacrement
de confirmation ait été
usité par les Apôtres; au
contraire, la distinction
formelle des deux sacre-
ments, savoir le baptême
et la confirmation, n'ap-
partient pas à l'histoire du
christianisme primitif (1).
XLV. Tout n'est pas à
entendre historiquement
dans le récitde l'institution
de l'Eucharistie par Paul
(1 Cor., xi, 23-25X2).
XLVI. Le concept du
chrétien pécheur réconci-
lié par l'autorité de l'Egli-
se ne se constate pas dans
la primitive Eglise; mais
l'Eglise ne s'est faite à
ce concept que très len-
tement. Bien plus, même
après que la pénitence eût
été reconnue comme une
institution de l'Eglise, elle
ne portait pas le nom de
sacrement, mais qui l'a peut-être un peu diminué et qui a con-
tribué à la dédoubler dans la pénitence. * L'Ev. et l'Eg. p. 240.
1. « Bien que le rite (de la confirmation) soit fort ancien, rien ne
prouve qu'il ait été pratiqué par les apôtres. Il signifie l'onction de
l'Esprit, qui est donnée dans le baptême. C'est évidemment l'Eglise
qui a développé ainsi le rite baptismal, et la distinction formelle des
deux sacrements n'appartient pas à l'histoire du christianisme primi-
tif. > Aut. d'un pet. liv., p. 234-235. — 2. « Quand on l'examine de
près (ce récit), il est assez malaisé de distinguer rigoureusement ce-
qui peut venir de la tradition primitive, ce qui peut être la relation
du dernier repas, d'après ceux qui y avaient assisté, du commentaire
théologique et moral que l'apôtre en a fait. » Aut. d'un pet. liv.9
p. 337.
DECRET « LAMENTABILI SANE EXITU »
lxvij
eo quod haberetur uti sa-
cra ni en tu m probrosum.
XLVII. Verba Domini :
Accipite Spiritum Sanc-
tum y quorum remiseritis
peccata, remiiiuniur eis,
et quorum rctinucritis, re-
tenta sunt (Joan., xx, 22-
23), minime referentur ad
sacramentum poenitentiae,
quidquid Patribus Triden-
tinis asserere placuit.
XLVIII. Jacobus in sua
Epistola (v, 14-15) non in-
tendit promulgare aliquod
sacramentum Christi, sed
commendare pium. ali-
quem morem, et si in hoc
more forte cernit médium
aliquod gratire, id non
accipit eo rigore, quo ac-
ceperunt theologi qui no-
sacrement, regardée qu'el-
le était comme un sacre-
ment honteux (i).
XLVII. Les paroles du
Seigneur : Recevez 1 ' Es-
prit-Saint ; les péchés se-
ront remis à ceux à qui
vous les remettrez, et ils
seront retenus à ceux à
qui vous les retiendrez
(Joan.i xx, 22-23), ne ste
rapportent pas du tout au
sacrement de pénitence,
quoi qu'il ait plu aux Pè-
res de Trente d'affir-
mer (2).
XLVIII. Jacques, dans
son Epître (v, 14-15), n'en-
tend pas promulguer uïi
sacrement du Christ, mais
recommander un pieux:
usage, et s'il voit dans cet
usage un moyen de grâce,
il ne l'entend pas avec la
même rigueur que les théo-
logiens qui ont fixé la np-
1. c On n'eut pas d'abord l'idée du chrétien pécheur et réconcilié;
et l'Eglise ne s'y habitua même que très lentement... Mats si la pé-
nitence était ainsi devenue une institution chrétienne, et la récon-
ciliation des pécheurs une fonction de l'Hglise, v>n ne songeait
pas encore à employer le nom de sacrement pour un tel ob-
jet: c'était un sacrement honteux. » L'Ev. et ÏEg., p. 240-24».
— 2. « L'on chercherait vainement dans la prédication du Sauveur
une doctrine du péché et de la justification. > L'Ev. et ÏEg. p. 199.
— « Vous pouvez demander à quelque docteur bien sûr et immaculé
■i l'idée du chrétien pécheur et absous par un jugement ecclésiasti-
que remonte à la prédication du Sauveur: si la parole du Christ
johannique (Joan., xx, 23) sur la rémission des péchés vise directe-
ment le sacrement de pénitence... Jésus n'avait pas réglé, pendant
34 vie mortelle, les conditions de la rémission des péchés commis par
les croyants baptisés. » Aut. d'un pet. liv., p. 246-247.
ixvïïj
LE CATECHISME ROMAlîf
lionem et numerum sacra-
■ mentorvm statuerunt.
XLIX. Cœna christiana
paulatim indolem actionis
iïturgicas assumente, hi,
qui Cœnae prasesse consue-
verant characterem sacer-
-do'.alern acquisiverunt.
L. Seniores qui in chris-
tianorum cœtibus invigi-
landi munere fungebantur,
instituii sunt ab Apostolis
presbyteri aut episcopi
.ad providendum necessa-
rias crescentium commu-
nitatum ordinationi, non
proprie ad perpetuandam
missionem et potestatem
.apostolicam.
LI. Matrimonium non
potuit evadere sacramen-
tura novae legis nisi serius
tion et le nombre des sa-
crements (i).
XLIX. La Cène chré-
tienne prenant peu à peu
le caractère d'une action li-
turgique, ceux qui avaient
coutume de la présider
acquirent le caractère sa-
cerdotal (2).
L. Les anciens, qui
étaient chargés de la sur-
veillance dans les assem-
blées des chrétiens ont été
établis par les Apôtres prê-
tres ou évêques, en vue de
pourvoir à l'organisation
nécessaire des communau-
tés croissantes, non pas
proprement en vue de
perpétuer la mission et le
pouvoir apostolique (3),
LI. Le mariage n'a pu
devenir dans l'Eglise sa-
crement de la nouvelle loi
1 « Jésus paraît avoir enjoint, ou permis, on donné à ses disciples
l'exemple de faire aux malades drs onctions d'huile accompagnées
de prières, pour les soulager oq même les guérir : c'est, dans l'Evan-
gile, tout le sacrement de l'extrêiiie -onction. » L'Ev. et l'Egl., p.
34s. — « L'auteur (de l'Epître de saint Jacques) ne manifeste pas
l'intention de promulguer un sacrement du Christ, mais de recom-
smander une bonne coutume ; s'il voit dans cet usage un moyen d«
.grâce, il ne l'entend pas avec la même rigueur que les théologiens
«qui ont fixé la notion et le catalogue des sacrements. » Aut. d'un
J>et. livre, p. 251. — a. « A mesure que la cène prit le carac-
tère d'un acte liturgique ceux qui y présidaient d'ordinaire acqui-
rent le caractère des prêtres. » Aut. d'un pet. livre, p. 25s. —
•3. c Les anciens, qui exerçaient dans les assemblées chréttennes les
■fonctions de surveillants, ont été institués de même par les apôtres,
f>our satisfaire à la nécessité d'une organisation dans les communau-
tés, non précisément pour perpétuer la mission et le pouvoir apos-
toliques. a> Aut d'un pet. livre, p. 353. Voir t. 12, p. 499-503, l'orga-
nisation des premières communautés.
DÉCRET « LAMENTABILI SANE EXITU »
lxix
in Ecclesia ; siquidem ut
matrimoniurn pro sacra-
mento haberetur necesse
erat ut praecederet plena
doctrinas de gratia et sa-
cramentis theologica ex-
plicatio.
LU. Alienum fuit a men-
te Christi Ecclesiam cons-
tituere veluti societatem
super terram per longam
saeculorum seriem duratu-
rara; quinimo in mente
Christi regnum cœli una
cura fine mundi jamjam
adventurum erat.
LUI. Constitutio orga-
nica Ecclesiag non est im-
mutabilis ; sed societas
christiana perpétua? evolu-
tioni aeque ac societas hu-
mana est obnoxia.
LIV. Dogmata, sacra-
menta, hierarchia, tum
quod ad notionem tum
quod ad realitatem attinet
qu'assez tardivement; en
effet, pour que le mariage
fûttenu pour un sacrement,
il fallait au préalable que la
doctrine théologique delà
grâce et des sacrements
eût acquis son plein déve-
loppement^).
LIî. Il n'était pas dans
la pensée du Christ de
constituer l'Eglise comme
une société destinée à du-
rer sur la terre une longue
série de siècles ; au con-
traire, dans la pensée du
Christ, la fin du monde et
le royaume du ciel étaient
également imminents (2).
LUI. La constitution or-
ganique de l'Eglise n'est
pas immuable ; mais la so-
ciété chrétienne est su-
jette, comme toute société
humaine, à une évolution
perpétuelle (3).
LIV. Les dogmes, les
sacrements, la hiérarchie,
tant dans leur notion que
dans la réalité, ne sont
1. < Le mariage n'a pu devenir un sacrement que dans l'Eglise après
la résurrection du Sauveur... Mais.. . la considération du mariage
comme sacrement suppose tout le développement de la doctrine de
la grâce et de la théologie sacramentelle >Aut. d'un pet. livre, p. 255. i
— a « Il est certain que Jésus-Christ n'avait pas réglé d'avance la
constitution de l'Eglise comme celle d'un gouvernement établi sur la
terre et destiné à s'y perpétuer pendant une longue série de siècles. »
JL'Ev. et VEg'L, p. 155. Voir t. 11, p. 472-488, la vraie pensée de Jé-
sus dans la constitution de l'Eglise. — 3. « L'Evolution de la société
chrétienne continuera avec celle de la société humaine. » Aut. d'un
Pet. livre, p. 182. Voir t. il, les leçons sur l'Eglise.
lxx
L^ CATECHISME ROMAIN
non sunt nisi intelligentias
Christian as in.terpretationes
evoiutionesque quae exi-
guum germen in Evangelio
latens extern is incrementis
auxerunt perfeceruntque.
LV. Simon Petrus ne
suspicatus quidem unquam
est sibi a Christo de-
mandatum esse primatum
in Ecclesia.
LVL Ecclesia Romana,
non ex divinas providen-
tiag ordinatione, sed ex
mère politicis conditioni-
bus caput omnium Eccle-
siarum effecta est.
que les interprétations et
les évolutions de la pensée
chrétienne, qui ont déve-
loppe et perfectionné par
des apports extéiieurs le
petit germe latent dans
l'Evangile (i).
LV. Simon-Pierre, en
vérité, n'a jamais même
soupçonné que le Christ
lui ait délégué la primauté
dans l'Eglise (2).
LVI. L'Eglise Romaine
est devenue la tête de tou-
tes les Eglises, non pas par
une disposition de la divi-
ne providence, mais en
vertu de circonstances pu-
rement politiques (3),
I. « Les réalités et les notions de hiérarchie, de primauté, d'infail-
libilité, de dogme, même de sacrements, correspondent à un accroisse-
ment de la communauté chrétienne qui a seulement son germe dans
l'Evangile. » Aut. d'un pet. livre, p. 16-17. Voir t. 1, à propos du
dogme, les leçons iv, v et vi, et t. il, sur la hiérarchie, l'infaillibilité,
et la primauté, les leçons xxxm et xxxv. — 1. < De savoir si le Christ
a voulu la primauté du Pape, c'est un point qui n'est pas à discuter
sur le terrain de l'histoire évangélique » Aut. d un pet. livre, p. 173-
174. Voir t. 11, p. 476-481, 488-494, 578-579, ce qu'il faut penser du
cho.x de Pierre, de son rôle et de l'institution du primat apostolique.
— 3. « On peut penser que lorsqu'ils moururent (Pierre et Paul), ils
ne se doutaient pas qu'ils eussent donné un chef suprême à l'Eglise. »
L'Ev. etVEgl.y p. 144. — « Très consciemment, ils avaient fait de
Rome le chef-lieu de l'Evangile; par là même, sans le vouloir expres-
sément, ils avaient fait de l'Eglise romaine la mère et la reine des
Eglises du monde entier. » Ibid., p. 145. — « Reprocher à l'Eglise
catholique tout le développement de sa constitution, c'est lui repro-
cher d'avoir vécu... Chaque progrès s'explique par une nécessité de fait
qui s'accompagne de nécessités logiques. » Ibid., p. 154. — « La sim-
ple critique cks textes ne peut démontrer l'institution divine du pon-
tificat romain, ni déterminer les conditions légitimes de son exercice. »
Aut. d'un pet. livre, p. 177. Voir t. n, p. 545~575> ce qu'on doit pen-
ser de cette proposition.
DECRET « LAMENTABILT SANE EXITU »
l\xj
LVII. Ecclesia sese prae-
fcet scientiarum naturalium
et theologicarum progres-
sifs infensam.
LVIII. Veritas non est
knmutabilis plusquam ipse
komo, quippe quae cum
ipso, in ipso et per ipsum
evolvitur.
LIX. Christus determi-
natum doctrinae corpus
omnibus cunctisque homi-
nibus applicabile non do-
cuit, sed potius inchoavit
motum quemdam religio-
sum diversistemporibusac
locis adaptatum vel adap-
tandum.
LX. Doctrina christiana
in suis exordiis fuit judai-
ca, sed facta est per suc-
cessivas evolutiones prim-
um paulina, tum joannica,
demum hellenica et uni-
versalis.
LVII. L'Eglise se mon-
tre ennemie des progrès
des sciences naturelles et
théologiques (i).
LVIII. La vérité n'est
pas plus immuable que
l'homme lui-même, puis-
qu'elle a évolué avec lui,
en lui et par lui (2).
LIX. Le Christ n'a pas
enseigné un corps déter-
miné de doctrine qui fût
applicable à tous les t^mps
et à tous les hommes, mais
il a plutôt inauguré un
mouvement religieux qui
s'adapte ou qui doit être
adapté à la diversité des
temps et des lieux (3).
LX. La doctrine chré-
tienne fut, en ses origines,
judaïque, mais elle est de-
venue, par évolutions suc-
cessives, d'abord pauli-
nienne, puis johannique,
enfin hellénique et uni-
verselle (4).
X. Voir t. 1, p. 364-370, combien il est faux que l'Eglise soit l'en-
nemie du progrès. — 2. « La vérité est en nous quelque chose de
nécessairement conditionné, relatif, toujours perfectible, et susceptible
aussi de diminution. > Aut. d'un pet. livre, p. 191. — « La vérité
n'entre pas toute faite dans notre cerveau ; elle se fait lentement et
l'on ne peut pas dire qu'elle soit jamais achevée. > Ibid., p. 191. —
c La vérité, en tant que bien de l'homme, n'est pas plus immuable
que l'homme lui-même. Elle évolue avec lui, en lui, par lui. » Ibt'd.,
p. 192. Voir t. 1, p. 225. — 3. < Jésus avait été beaucoup moins le
représentant d'une doctrine que l'initiateur d'un mouvement reli-
gieux. > Etudes évangéliques, p. x'n. — « Il ne reste dans les Evan-
giles, qu'un écho nécessairement affaibli et un peu mêlé de la
parole de Jésus, il reste le mouvement dont Jésus a été l'ini-
tiateur. > L'Ev et l'Egl., p. xx-xxi. Voir t. 11, p. 537. — 4. « La
Ixxij
LE CATECHISME ROMAIN
LXI. Dici potest absque
paradoxo nullum Scriptu-
ral caput, a primo Genesis
adpostremumApocalypsis,
continere doctrinam pror-
sus identicam illi quam su-
per eadem re tradit Eccle-
sia, etidcirco nullumScrip-
turae caput habere eum-
dem sensum pro critico ac
pro theologo.
LXII. Praecipui articuli
Symboli Apostolici non
eamdem pro christianis
primorum temporum si-
LXI. On peut dire sans
paradoxe que, du premier
chapitre de la Genèse au
dernier de l'Apocalypse,
aucun chapitre de l'Ecri-
ture ne renferme une doc-
trine absolumentidentique
à celle que l'Eglise ensei-
gne sur la même matière,
et, par conséquent, qu'au-
cun chapitre de l'Ecriture
n'a le même sens pour le
critique et le théolo-
gien (i).
LXII. Les principaux
articles du Symbole des
Apôtres n'avaient pas pour
les chrétiens des premiers
pensée chrétienne, k ses débuts, fut juive et ne pouvait être
que juive. » L'Ev. et PEgl., p. 178. — c La théorie paulinienne
du salut fut indispensable, a son heure, pour que le christianisme ne
restât pas une secte juive... La théorie du Logos fut nécessaire aussi
lorsque l'Evangile fut présenté... au monde païen tout entier et il
quiconque avait reçu l'éducation hellénique. > Ibid., p. 180. — « La
théologie savante d'Origène était la synthèse doctrinale qui devait
faire accepter le christianisme aux esprits les plus cultivés. C'était le
pont jeté entre la nouvelle religion et la science de l'antiquiié. >
Ibid., p. 181. — « C'est ainsi que progressivement, mais de très
bonne heure, par l'effort spontané de la foi pour se définir elle-même,
par les exigences naturelles de la propagande, l'interprétation grec-
que du messianisme chrétien se fit jour, et que le Christ, Fils de
Dieu et fils de l'homme, Sauveur prédestiné, devint le Verbe fait
chair, le révélateur de Dieu à l'humanité. > Ibid., p. 183. — « Cha-
que progrès du dogme accentue l'introduction de la philosophie grec-
que dans le christianisme, et un compromis entre cette philosophie
et la tradition chrétienne. > Ibid., p. 184. Voir t. 1, la leçon v« et
vi*, au sujet de ces fausses prétentions.
1. « On peut dire, sans paradoxe, que pas un chapitre de l'Ecri-
ture, depuis le commencement de la Genèse jusqu'à la fin de l'Apo-
calypse, ne contient un enseignement tout à fait identique à celui de
l'Eglise sur le même objet; conséquemment, pas un seul chapitre
n'a le même sens pour le critique et pour 1* théologien. > Aut. d'un
pet. livre, p. 54.
DECRET (( LAMENTABILI SANE EXITU »
lxxiîj
gnificationem habebant
quam habent pro chris-
tianis nostri temporis.
LXIII. Ecclesiasese prag-
bet imparem ethicas evan-
gelicas efficaciter tuendae,
quia obstinate adhaeret im-
mutabilibus doctrinis qua3
cum hodiernis progressi-
bus componi nequeunt.
LXIV. Progressus scien-
tiarum postulat ut refor-
mentur conceptus doctri-
nae christianae de Deo, de
Creatione, de Revelatione,
de Persona Verbi incarna-
ti, de Redemptione.
LXV. Catholicismus ho-
diernus cum vera scientia
componi nequit nisi tra.s-
formetur in quemdam
çhristianismum non dog-
maticum, id est in protes-
tantismum latum et libera-
lem.
siècles la même signifîca*
tion qu'ils ont pour ceux
de notre temps (i).
LXIII. L'Eglise se mon-
tre incapable de défendre
efficacement la morale
évangélique, parce qu'elle
se tient obstinément atta- ,
chée à des doctrines im-
muables qui ne peuvent
se concilier avec les pro-
grès modernes.
LXIV. Le progrès des
sciences exige que l'on ré-
forme les concepts de la
doctrine chrétienne sur
Dieu, sur la Création, sur
la Révélation, sur la Per-
sonne du Verbe incarné,
sur la Rédemption.
LXV. Le catholicisme
d'aujourd'hui ne peut se
concilier avec la vraie
science, à moins de se
transformer en un christia-
nisme non dogmatique,
c'est-à-dire en un protes-
tantisme large et libéral.
I. « Les articles principaux du Symbole apostolique n'ont pas tout
a fait la même signification pour les chrétiens d'aujourd'hui que
pour ceux des premiers temps. > Aut. d'un pet. livre, p. aoa.
DEUXIÈME PARTIE
La Grâce
et les Sacrements
IB CATECHISMB. — T. III.
. ■- ■
"\
<. , , > A £ V r  ■ ik - ■' -' "
"" ' .
es . *
&'J gj
AVERTISSEMENT
Le Catéchisme Romain passe immédiatement
de l'exposition du Symbole des apôtres à
l'explication des sacrements; questions de la
révélation, du surnaturel et de la grâce, il les omet
qu les suppose connues. Nous devons la connais-
sance de notre élévation à Tordre surnaturel et de
l'organisation harmonieuse de cet ordre à la révé^
lation. Or, au xvie siècle, le fait de la révélation
avec tout ce qu'il implique de notions et de consé-
quences n'était point contesté ;; on tenait pour
avéré que Dieu, par un moyen surnaturel^ a
manifesté au genre humain les vérités, nécessaires
pour connaître la fin surnaturelle et les moyens dfy
parvenir. Dans ces conditions, on comprend que
Je Concile de Trente, s'en tenant strictement à ce
qui était discuté entre catholiques et protestants^
se soit borné à indiquer les sources de la révélation^,
notamment la Tradition qu'il place sur la ; rrïêm.e
ligne que l'Ecriture ; et l'on comprend aussi que
les rédacteurs du Catéchisme Romain aient passé
sous silence tout ce qui a trait à la révélation.
Nous n'avons pas les mêmes motifs de nous,
taire ; loin de là. Nous sommes, au contraire, dans
l'obligation étroite de consacrer plusieurs leçons &
la question, aujourd'hui si importante, de la-réyg—
LE CATECHISME ROMAIN
lation, de ses preuves et de ses sources ; car c'est
sur ce terrain qu'a porté tout l'effort de Terreur
depuis trois siècles. Le rationalisme, en effet, né
du principe protestant du libre examen ou plutôt
déchaîné par lui, a de plus en plus manifesté la
prétention exorbitante et bien arrêtée de ne s'en
tenir qu'aux seules lumières de la raison, aux
seules lois de la nature, en déclarant inacceptable
1e surnaturel sous quelque forme que ce soit. Il
s'est organisé en corps de doctrine : doctrine spé-
culative qui proclame l'intelligence absolument
"indépendante, autonome, maîtresse souveraine et
exclusive dans le domaine de la connaissance reli-
gieuse ; doctrine pratique aussi, car, par une
-morale purement naturelle, il entend régler la con-
duite des individus comme le gouvernement des
-sociétés.
"■ Mais comme l'Eglise catholique est la manifes-
tation vivante et la preuve indéniable de l'exis-
tence et du fonctionnement de l'ordre surnaturel
dans le monde, c'est contre l'enseignement et la
pratique de l'Eglise que le rationalisme s'est in-
surgé, cherchant par tous les moyens à déchristia-
niser les intelligences et les volontés, la conduite
privée et les mœurs publiques. En conséquence, il
a nié la révélation, l'élévation de l'homme à l'ordre
surnaturel, c'est-à-dire toute communication sur*
naturelle de Dieu à l'homme, soit dans l'ordre
logique ou de la vérité, soit dans l'ordre ontologie
<pie ou de l'être.
< La révélation affirme et prouve la réalité histo-
rique du surnaturel; le rationalisme la déclare
donc impossible, inutile, indémontrable, inexis*
AVERTISSEMENT
tante ; — impossible, parce que, une fois le plan du
monde arrêté et réalisé, Dieu n'a plus eu à inter-
venir ; il ne communique avec l'homme que parla
création et la raison; de son côté, l'homme possède,
dans sa seule nature, de quoi arrivera l'acquisition
de toutes les vérités qui lui sont nécessaires ; — ■
inutile, parce qu'elle augmenterait le poids déjà
lourd de nos obligations naturelles envers Dieu et
rétrécirait d'autant le domaine déjà limité de notre
liberté; — indémontrable, parce que le moyen
nous ferait défaut de la distinguer et de la recon-
naître ; — inexistante enfin, parce que ce que l'on
donne pour une révélation surnaturelle ne sort
pas des limites du monde naturel.
La question se pose donc dès lors de savoir ce
que valent des prétentions aussi radicales et si
l'enseignement doctrinal de l'Eglise est vraiment
dénué de toute preuve solide.
Incontestablement, Dieu ne saurait disposer de
son essence qui est incommunicable ; le panthéisme
seul oserait le prétendre. Mais, par la création,
Dieu appelle les créatures à une certaine ressem-
blance avec lui; ressemblance d'autant plut grande
que la créature s'élève davantage dans l'échelle
des êtres, et d'autant plus étendue que Dieu est
indéfiniment imitable, sans que jamais il puisse y
avoir identité complète entre la créature et le
Créateur. Par suite, en dehors des êtres, qui cons-
tituent actuellement le monde, d'autres encore-
pourraient être appelés à l'existence. Mais dans le
nombre de ceux qui existent ou pourraient exis-
ter, rien n'empêche Dieu de donner à l'un la per-
fection qui appartient ou appartiendrait naturelle-
LE CATECHISME ROMAIN
ment à un autre d'ordre supérieur ; rien ne l'em*
pêche non plus, par pure libéralité et don gracieux,
<le doter la créature raisonnable d'une perfection
telle que, dans aucun cas, cette perfection ne sau-
rait appartenir à la nature d'aucun être créé ou
possible, et qui, par là même, constituerait avec
Dieu une ressemblance toute particulière, absolu-
ment transcendante et proprement surnaturelle.
Dans ce dernier cas, Dieu ne se contentera pas
4le promouvoir la créature intelligente et libre à un
état surnaturel, auquel elle n'a aucun droit, de l'y
introduire et de l'y entretenir par des moyens
appropriés, il lui fera nécessairement connaître et
la dignité extraordinaire à laquelle il a daigné
l'appeler, et les secours qu'il met à sa disposition,
et les conditions qu'elle a à remplir pour réaliser
le plan divin. Mais c'est justement là ce que nous
appelons la révélation. C'est pourquoi nous devons
traiter de la révélation, des preuves qui en éta-
blissent l'existence et la réalité, des sources où
elle se trouve ; après quoi viendra logiquement la
question du surnaturel et de la grâce, et nous
rejoindrons ainsi, après ce nécessaire détour, le
texte même du Catéchisme Romain.
Leçon I
re
De la Révélation
I. Notion. — IL Possibilité. — III. Nécessité. •<—
IV. Existence:
I. Notion de la Révélation
On s'accordait généralement jusqu'ici à voir
dans la révélation ce que l'Eglise y a tou-
jours vu, à savoir : la notification surna-
turelle faite par Dieu à l'homme des vérités qu'il
doit croire et des devoirs qu'il doit remplir pour
atteindre la fin surnaturelle à laquelle il a été gra-
tuitement élevé (i). Quelques esprits ne l'entendent
plus ainsi. Ils conservent le mot, ce qui peut par-
fois prêter à de fâcheuses équivoques, mais ils lui
prêtent un sens nouveau, qui diffère essentielle-
i. BÏBLTOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. contr. gent., 1, 1-8 ;
Bossuet, Discours sur l histoire universelle ; dans le t. n du
Curs. compl. theolog., de Migne: Hooke, De vera religione;
Valsecchi, De possibilitate et necessitate revelationis ; la censure
de « l'Emile » par la Sorbonne ; — Pie, Instruction synodale
du 7 juillet 1855 ; Dechamps, Entretiens sur la démonstration
catholique de la révélation chrétienne, 3e éd., Paris, 1861 ; Mon-
sabré, Introduction au dogme catholique, Paris, 1866, t. i ; Het-
tinger, Apologie du christianisme, trad. franc., Paris, 1869, 1. 11;
Brugèrc, De vera religione, Paris, 1873 ; Vacant, La Constitution
Dei Filius, Paris, 1895 ; Didiot, Logique surnaturelle objective.
Paris, 1892; Gondal, Mystère et ré vélation, Paris 1905 ; les
. théologies récentes. < - .
8 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment du sens traditionnel. C'est notamment le cas
de MM. Sabatier et Loisy.
i . Notion erronée de la révélation, d'après
M. Sabatier. — i. Comment donc l'auteur de
VEsquisse d'une philosophie de la religion entend-il
la révélation ? — Partisan résolu du subjectivisme
kantien comme Schleiermacher et Ritschl et fidèle
écho du protestantisme libéral d'Allemagne, M. Sa-
batier, au nom de la psychologie et de l'histoire, a
condamné la notion traditionnelle de la révélation
pour lui en substituer une autre, qu'il estime plus
rationnelle et seule acceptable aujourd'hui, en face
des progrès de la science et des exigences de la
pensée contemporaine, celle-ci : la conscience qu'a
tout individu de son rapport avec Dieu, dans
l'exercice et la pratique de la piété.
En effet, dit-il, « il y a, dans toute piété, quel-
que manifestation positive de Dieu. Les idées de
religion et de révélation restent corrélatives et reli-
gieusement inséparables. La religion n'est rien
d'autre que la révélation subjective de Dieu dans
l'homme, et la révélation c'est la religion objective
en Dieu. » Pur « phénomène psychologique, »
aussi universel que le phénomène religieux et de
même ordre, c'est-à-dire quelque chose de subjectif
qui n'a de réalité sensible qu'au fond de la cons-
cience. « Je conçois donc que la révélation soil
aussi universelle que la religion elle-même, qu'elle
descende aussi bas, aille aussi loin, monte aussi
haut et l'accompagne toujours. Aucune forme de
piété n'est vide ; aucune religion n'est absolument
fausse ; aucune prière n'est vaine. » Phénomène
qui naît et se développe sur place, dans la vie re-
ligieuse intime ; car « la révélation est dans l&
prière et progresse avec la prière. D'une révélation
LA REVELATION D APR^S M. SABATIER 9
0 ' ■■ ■■■■-■! ■— — ' — — ' — ■ ■ I " ■ ■!■■
obtenue dans une première prière naît une prière
plus pure, et de celle-ci une révélation plus haute.
Ainsi la lumière grandit avec la vie, la vérité avec
la piété (1). »
2. « La révélation n'est donc pas une communi-
cation une fois faite de doctrines immuables et
qu'il n'y aurait qu'à retenir... Si l'on en réclame
une définition, il faudra dire qu'elle consiste dans
la création, l'épuration et la clarté progressive de la
conscience de Dieu dans l'homme individuel et
dans l'humanité (2). »
L'idée de révélation aurait traversé deux phases
dans l'histoire : la phase mythologique ou des origi-
nes, celle où l'imagination se plaît aux légendes et
aux symboles ; et la phase dogmatique, celle où l'on
légitime une doctrine divine par des signes divins
ou des miracles. Or, elle en est actuellement à une
troisième phase, à la phase critique, celle que pro-
pose M. Sabatier. Si donc « il y a, dans toute piété,
quelque manifestation positive de Dieu, » il en dé-
coule comme conséquence que la révélation de
Dieu sera intérieure, évidente et progressive : in-
térieure, « parce que Dieu, n'ayant pas d'existence
phénoménale, ne peut se révéler qu'à l'esprit et
dans la piété (3) ; » — évidente, car « le contraire
impliquerait contradition ; qui dit révélation, dit
voile tiré et lumière venue ; » — progressive, car
« elle se développera avec le progrès de la vie
morale et religieuse (4). »
3. « Quand Dieu voulut donner le décalogue à
Israël, il ne l'écrivit pas du bout de son doigt sur
des tables de pierre ; mais il suscita Moïse, et, de
la conscience de Moïse, le décalogue est sorti. Pour
1. Esquisse, p. 34. — a. Ibid., p. 35. — 3. Ibid., p. 5a, —
4* Ibid., p. 53.
ÏO LE CATÉCHISME ROMAIN
nous faire lire l'Epître aux Romains, il n'a pas eu
besoin de la dicter à l'apôtre, mais il créa la puis-
sante individualité de Paul de Tarse, sachant bien
qu'une fois l'arbre vivant, le fruit ne manquerait
pas. Et de même pour l'Evangile: il ne l'a pas
laissé tomber du ciel ; il ne l'a pas envoyé par l'in-
termédiaire d'un ange ; il a fait naître Jésus des
flancs même de la race humaine, et Jésus nous a
donné l'Evangile éclos au fond de son cœur. Ainsi
Dieu se révèle dans les grandes consciences que
son Esprit fait surgir l'une après l'autre, qu'il em-
plit et qu'il illumine ; elles forment une théorie
sainte à travers les âges de l'histoire et y tracent un
sillon lumineux (i). »
J\. Se produisant ainsi dans le domaine de la
conscience, comment la révélation pourra-t-elle
devenir objective et concrète ? Tout simplement,
d'après M. Sabatier, parce que, entre les âmes, il y
a une parenté religieuse, un commerce, une réci-
procité et des prolongements infinis de la même
inspiration. Faite sur un point et dans une cons-
cience, la révélation de Dieu se prolonge et rayonne
infailliblement ; l'ébranlement donné à une âme re-
tentit dans toutes les âmes sœurs, et une conscience
illuminée devient illuminatrice à son tour. Mais , pour
cela, l'expérience intime de l'un doit être notifiée
aux autres par la parole ou par l'écriture; et ceux-ci,
à leur tour, pour reconnaître dans le témoignage
d'autrui une manifestation authentique de Dieu,
ont un critère authentique et suffisant, celui d'ex-
périmenter personnellement l'expérience des autres,
parce que « toute révélation divine, toute expé-
rience religieuse vraiment bonne pour nourrir et
sustenter l'âme, doit pouvoir se répéter et se con-
i. Esquisse, p. 54. ■■ ■ • • l
LA RÉVÉLATION D'APRÈS M. LOIS Y H
tinucr comme révélation actuelle et expérience in-
dividuelle (i). »
5. Telle est, d'après M. Sabatier, la notion qu'on
doit se faire de la révélation. Ce n'est pas une com-
munication de Dieu à l'homme, appuyée sur un
témoignage divin, c'est Dieu « sensible au cœur »
dans la piété ; c'est une expérience subjective, la
conscience que chacun a ou croit avoir de son rap-
port avec Dieu. Il suit de là qu'elle n'est pas autre
chose qu'un phénomène purement psychologique
et naturel, phénomène que l'on confond avec la
piété, parfois aussi avec l'inspiration et avec la
grâce, et qu'il y a nécessairement autant de révéla-
tions que d'individus. On prétend bien que la révé-
lation de l'un peut profiter aux autres, mais à la
condition de devenir pour autrui objet d'expérience
personnelle ; d'où il suit qu'il n'y a pas, à propre-
ment parler, de révélation publique et que Dieu
n'intervient pas dans l'histoire de l'humanité à la
manière dont en parlent l'Ecriture et la tradition.
Pour toutes ces raisons, cette notion de la révélation
est inacceptable.
2. Notion de la révélation, d'après M. Loisy.
— i. Le langage de M. Loisy est parfois fuyant et
subtil comme sa pensée ; sur des notions essen-
tielles, tantôt il déconcerte, rarement il rassure,
trop souvent il inquiète : tel est le cas, semble-t-il,
relativement à la révélation. Dans un article, signé
i. esquisse, p. 58. M. Sabatier revient sans cesse sur les mê-
mes idées. « Dieu ne se révèle que dans et par la piété, » p 376.
« L'objet de la connaissance religieuse ne se révèle que dans le
sujet par le phénomène religieux lui-même, » p. 379. « La
connaissance religieuse ne saurait.jamais dépouiller son carac-
tère subjectif ; mais elle n'est pas autre chose, en réalité, que
cette subjectivité même de la piété considérée dans son action
et son développement légitimes. » p. 38i.
12 LE CATÉCHISME ROMAIN
Firmin (i), M. Loisy écrivait : o La révélation, dans
sa forme intellectuelle et son expression verbale,
consiste en idées qui ont pris naissance dans l'hu-
manité, en idées telles qu'une intelligence a pu les
concevoir, telles qu'elles ne peuvent exister ail-
leurs que dans une intelligence humaine, telles
que le langage humain est capable de les traduire. »
Ne viendraient-elles pas de Dieu, au moins pour
une part et par exemple pour les dogmes qui dépas-
sent la portée de notre intelligence, bien que revues
par l'homme ? Examinons la suite. « La révélation
de Dieu est une révélation, c'est-à-dire qu'elle ne
consiste pas en découvertes que l'homme aurait
faites par lui-même dans Tordre de la connaissance
religieuse, mais en communications réelles de véri-
tés divines, adaptées seulement, dans leur proposi-
tion, aux conditions générales de la nature et de
l'intelligence humaine, ainsi qu'aux conditions
spéciales et personnelles de ceux qui les ont d'abord
perçues et formulées... Chacune des assertions
essentielles qui constituent la révélation objective,
a commencé par être une révélation subjective, une
assertion de Dieu même parlant à la conscience
d'un être humain, et cette assertion était une mani-
festation de Dieu, qui apportait ainsi avec elle sa
certitude absolue pour celui qui en était favorisé...
Il y a au fond de toute révélation : perception d'une
vérité divine qui s'est fait jour dans une intelligence
humaine par l'action divine, avec l'autorité d'un
témoignage divin (2). »
2. Une telle manière de s'exprimer manque de
clarté ; cet article parut suspect, dès son appari-
tion. Loin de le répudier et de l'éclaircir, M. Loisy
l'a repris dans Autour d'un petit livre sans en dissi-
1. Revue du Clergé, t. xxi. — 2. Ibid., p. 2G7-269.
LA RÉVÉLATION D'APRÈS M. LOISY l3
per les obscurités ou les équivoques. Dans ce der-
nier ouvrage, son langage se rapproche sensible-
ment de celui de M. Sabatier et des subjectivistes
allemands. Voici ce qu'on y lit : « La théologie
distingue deux formes de connaissance religieuse,
la connaissance naturelle ou de raison, et la con-
naissance surnaturelle ou de révélation. Cette dis-
tinction correspond originairement à celle des
vérités que l'Eglise reconnaissait dans la philosophie
grecque, et des vérités proprement chrétiennes qui
appartenaient à la révélation biblique. » En ajou-
tant que cette distinction des théologiens « n'a
guère d'application dans la réalité de l'histoire (i), »
M. Loisy laisse entendre qu'il ne l'accepte pas.
3. Qu'est-ce donc, à ses yeux, que la révélation ?
Le voici. « Pour peu qu'on y réfléchisse, et quelles
que soient les circonstances extérieures auxquelles
se sont rattachés l'éveil et les progrès de la con-
naissance religieuse dans l'histoire, ce quon appelle
révélation n'a pa être que la conscience acquise par
l'homme de son rapport avec Dieu (2). » Et « qu'est-ce
que la révélation chrétienne, dans son principe et
son point de départ, sinon la perception, dans lame
du Christ, du rapport qui unissait à Dieu le Christ lui-
même et de celui qui relie tous les hommes à leur Père
céleste (3) ? »
Si nous comprenons bien, voilà la révélation
ramenée par M. Loisy à un simple phénomène de
conscience, à quelque chose de subjectif et de natu-
rel, dans son origine ; naturellement, dans son
développement, elle ne peut que rester ce qu'elle a
1. Autour d'un petit livre, p. 19^. — 2. Ibid., p. 195. Le
décret Lamentabili sane exilu, du 4 juillet 1907, condamne cette
proposition, n. 20 : « La révélation n'a pu être que la cons-
cience acquise par l'homme de son rapport avec Dieu. » —
$. Ibid., p. 19G ; c'est nous qui soulignons.
l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
été à son point de départ, sauf à s'enrichir d'élé-
ments de môme ordre. En effet, « toute connais-
sance réfléchie naît de notions antérieures, et le
progrès résulte d'une combinaison nouvelle d'idées
acquises, qui éclaire d'un jour très satisfaisant le
rapport des choses. Les vérités fécondes de Tordre
religieux, celles qui constituent, en style théologi-
que, la substance de la révélation, se sont formées
par la conjonction d'idées ou d'images qui préexis-
taient à ces vérités dans l'esprit de ceux qui les ont
d'abord conçues. Ce qui fut, à un moment donné, le
commencement de la révélation, a été la perception,
si rudimentaire qu'on la suppose, du rapport qui doit
exister entre V homme conscient de lui-même et Dieu
présent derrière le monde phénoménal. Le développe-
ment de la religion révélée s'est effectué par la percep-
tion de nouveaux rapports, ou plutôt par une déter-
mination plus précise et plus distincte du rapport
essentiel, entrevu dès l'origine, l'homme apprenant
ainsi à connaître de mieux en mieux et la grandeur de
Dieu et le caractère de son propre devoir (i). »
4. Cependant, « à la différence des perceptions d'or-
dre rationnel et scientifique, la perception des véri-
tés religieuses n'est pas un fruit de la seule raison,
c'est un travail de l'intelligence exécuté, pour ainsi
dire, sous la pression du cœur, du sentiment reli-
gieux et moral, delà volonté réelle du bien. » Mais
c'est toujours là du subjectivisme. N'y aurait-il pas
là pourtant une place pour l'action de Dieu ? et
quelle est la nature de cette action ? Oui, sans
doute, Dieu a sa part, car « tout ce travail qui abou-
tit à un résultat de plus en plus parfait dans la reli-
gion israëiite, puis dans la religion chrétienne, n'est
pas proprement un travail de l'homme sur Dieu ;
1. Autour d un petit livre, p. 196-197.
LA RÉVÉLATION d'aPRES M. LOIS Y l5
c'est d'abord et principalement le travail de DieU
dans l'homme ou de l'homme avec Dieu... C'est
l'homme qui cherche, mais c'est Dieu qui l'excite ;
c'est l'homme qui voit, mais c'est Dieu qui l'éclairé,
La révélation se réalise clans l'homme, mais elle est
l'œuvre de Dieu en lui, avec lui et par lui. La cause
efficiente de la révélai' u est surnaturelle comme
gon objet, parce que cette cause et cet objet sont
Dieu même, mais Dieu it dans l'homme et il est
connu par l'homme (i).
5. Dans la révélation ainsi entendue, le rôle de
Dieu est celui d'éclaireur el d'acteur. Il éclaire, mais
que manifeste-t-il de lui même, qu'affirme-t-il, que
garantit-il de l'autorité de sa parole ? Il agit, mais
son action, toute surnaturelle qu'on la dise, en quoi
diflere-t elle du concours ordinaire, puisqu'elle
laisse l'homme au mouvement naturel de sa pen-
sée ? II ne paraît pas qu'il intervienne pour mani-
fester sa vérité à lui, la vérité surnaturelle, et pouç
la garantir de l'autorité de son témoignage, et pour
l'imposer par un homme à l'acceptation du genre
humain, puisque les idées qui constituent la révé-
lation, — M. Loisy tient à le répéter — « ont pris
naissance dans l'humanité » et « ne peuvent exister
ailleurs que dans une intelligence humaine (2). »
6. Une telle notion de la révélation est inaccepta-
ble, parce qu'elle bannit de l'histoire toute parole,
tout enseignement de Dieu à l'humanité. Dieu est
« partout dans l'histoire de l'humanité, mais il n'est
pas plus un personnage de l'histoire qu'il n'est un
élément du monde physique (3). » IN'est-ce pas dire
que Dieu n'a pas parlé à l'homme, qu'il ne lui à
pas communiqué des vérités ?
Et si, malgré cela, M. Loisy parle encore de révé-
1. Autour d'un petit livre, p. 197-198. — a. lbid., p. 198. -*■»
3. lbid., p. 10.
l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
lation, de révélation surnaturelle et de foi divine,
on voit que cette foi et cette révélation ne sont que
la perception naturelle de Dieu, l'homme se ren-
dant compte au-dedans de lui-même du rapport
« qu'il a avec Dieu, présent derrière le monde phé-
nonénal, » et apprenant à connaître de mieux en
mieux, « par la perception de nouveaux rapports,
ou plutôt par une détermination plus précise et plus
distincte du rapport essentiel, entrevu à l'origine,
et la grandeur de Dieu et le caractère de son propre
devoir. » Le mot de révélation est bien celui de la
langue chrétienne, mais le sens que la tradition lui
reconnaît a été subtilisé. Qu'est-ce donc que la révé-
lation, d'après l'enseignement catholique ?
3. Vraie notion de la révélation. — i. Le
concile du Vatican va nous l'apprendre d'une ma-
nière autorisée ; ce n'est pas qu'il en ait donné une
définition, mais ce qu'il en a dit permet de s'en
faire une idée précise et rigoureuse. Voici, en effet,
comment il s'exprime. Il rappelle d'abord que « par
la lumière naturelle de la raison humaine, Dieu
peut être connu avec certitude au moyen des choses
créées, » d'après la doctrine expresse de saint Paul,
puis il ajoute : « Néanmoins il a plu à la sagesse et à
la bonté de Dieu de se révéler lui-même et les éternels
décrets de sa volonté, par une autre voie, et cela par
une voie surnaturelle. C'est ce que dit l'Apôtre :
« Après avoir à plusieurs reprises et en diverses
manières parlé autrefois à nos pères par les prophè-
tes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par
le Fils (i).» Dieu est donc intervenu dans l'histoire.
2. Dans ces quelques mots, nous trouvons la
cause de la révélation, la manière dont elle a eu
lieu, son objet et le sujet auquel elle s'adresse.
i. Constit., Dei FUius ; Hebr., i, i-a.
VRAIE NOTION DE LA RÉVÉLATION 1J
Sa cause d'abord. C'est Dieu faisant connaître des
vérités religieuses et les garantissant de l'autorité
de son témoignage ; c'est Dieu intervenant dans
l'histoire d'une manière toute particulière, très
librement, par une détermination de son bon plai-
sir ; car aucune nécessité de nature ne l'y pousse,
aucun devoir ne l'y oblige. Mais, pour s'y décider,
il a des raisons, et ces raisons il les puise dans sa
sagesse et sa bonté : dans sa sagesse, parce qu'il
juge que ce mode d'enseignement est nécessaire
moralement à l'homme dans l'ordre naturel, et
absolument dans l'ordre surnaturel ; dans sa bonté,
par ce qu'il veut le bien de l'homme et de l'hu-
manité.
Son mode ensuite. C'est un mode de connaître
Dieu tout différent de celui que possède naturelle-
ment l'homme par sa raison, et absolument supé-
rieur. Par lui-même, et en vertu des principes consti-
tutifs de sa nature raisonnable, l'homme peut arriver
à une certaine connaissance de Dieu. Mais rien,
en lui, n'exige que Dieu vienne l'instruire person-
nellement par un autre moyen que celui de la nature
créée. Et pourtant Dieu l'a voulu ; il a voulu ins-
truire l'homme par un moyen qui ne se trouve ni
dans la nature humaine ni dans la création. S'il
s'adresse directement à l'esprit de l'homme dans
l'intimité de la conscience, sans aucune démonstra-
tion extérieure, il lui donne la certitude intime iné-
branlable que c'est bien lui qui parle et qu'il réclame
une adhésion formelle ; et cette certitude est com-
plètement en dehors ou plutôt au-dessus des lois
psychologiques ordinaires ; elle ne s'appuie ni sur
une évidence naturelle, ni sur une preuve de raison,
mais sur l'autorité même de Dieu, sur sa véracité
infinie. Si, au contraire, il use de signes extérieurs,
ces signes sont produits en dehors des lois de la
LB CATBCHISMB. — T. III. 3
l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
nature et constituent des miracles. Dans aucun cas,
une intelligence quelconque, créée ou possible,
n'est à môme par sa nature de réclamer une com-
munication divine de ce genre. Et c'est pourquoi
le concile du Vatican distingue ce moyen du moyen
naturel de connaissance propre à l'homme et le
qualifie de moyen surnaturel.
Son objet. L'objet de la révélation, c'est la vérité
religieuse, que cette vérité soit accessible ou non à
la raison. C'est Dieu, l'être nécessaire, dans l'unité
de sa nature et la trinité de ses personnes ; ce sont
les éternels décrets de sa volonté, la création, par
exemple, l'élévation de la créature intelligente et
libre à l'ordre surnaturel, sa rédemption, sa desti-
née à la vision béatifique et les moyens appropriés
pour l'atteindre. Ainsi, grâce à la révélation, l'es-
prit humain entre sans effort et sans péril d'errer
dans la possession complète et tranquille des véri-
tés religieuses qu'il aurait pu connaître par lui-
même ; mais surtout il s'élève d'un infaillible élan
à la connaissance assurée de celles qui le dépassent,
dont il n'aurait pu jamais avoir le soupçon, et qu'il
aurait toujours ignorées, s'il n'avait plu à Dieu de
les lui faire connaître ; dans Fun et l'autre cas, il
adhère à l'enseignement révélé parce que Dieu l'a
révélé, le motif de son adhésion n'étant autre que
l'autorité infaillible du témoignage divin.
Le sujet de la révélation. C'est le genre humain
tout entier ; car il ne s'agit pas de révélation privée,
ne s'adressant qu'à un homme et pour l'intérêt de
quelques-uns, mais bien de révélation publique,
c'est-à-dire destinée à être communiquée au monde
et s'imposant à la foi de tous les hommes sans
exception.
, i. Le fait de la révélation. — Le concile l'af-
POSSIBILITE DE LA RÉVÉLATION I(£
^- «^— —— ■ W^— — ^— ii ■ ■ ■ ■-■■■■ i . .. ■- ■ — — « ■- ■ ■ ii m i
firme pour l'Ancien Testament et pour le Nouveau,
sur l'autorité de l'Epître aux Hébreux. Dieu a parlé
jadis par les prophètes, à plusieurs reprises et de?
plusieurs manières ; et c'est à l'histoire biblique de
nous en faire connaître tous les détails circonstan-
ciés. Dieu a parlé en dernier lieu par son propre?
Fils, et c'est à l'histoire évangélique de nous ins-
truire sur cette révélation ultime, parfaite et défi-
nitive.
A la lumière de cet enseignement et avec des
données aussi précises, la révélation publique peut
donc se définir : la notification faite surnaturelle-
ment par Dieu au genre humain, par l'intermé-
diaire des prophètes et de son Fils, des vérités qui
tendent à la fin surnaturelle. C'est donc un mode*
nouveau de connaissance, librement voulu de Dieu,
auquel ni la nature humaine ni aucune nature
créée ou possible ne saurait avoir droit, qui vient sa
surajouter à notre puissance naturelle de connaître.
Et ainsi, à la manifestation de Dieu, qui résulte de>
la création elle-même et qui est naturellement
accessible à la raison humaine, mais qui ne nous
apprend rien de la nature intime de Dieu ni des
décrets de sa libre volonté, l'intervention positive
de Dieu ajoute une connaissance infiniment supé-
rieure dans son mode et son objet, et c'est ce qu'ont
appelle la révélation.
IL Possibilité de la Révélation
i. Objections contre la possibilité de la révé-
lation. — Cette communication surnaturelle de la
vérité religieuse nécessaire à l'homme pour qu'il
puisse connaître sa fin glorieuse et les moyens
appropriés d'y parvenir, est-elle possible?
Non, prétend le rationalisme. Car il n'y a, pour
20 LE CATECHISME ROMAIN
l'homme, d'autre fin que celle qui résulte de sa
constitution naturelle. Or, il est à même de la con-
naître par sa seule raison, de la poursuivre et de
l'atteindre par ses seules forces. Dieu l'a ainsi réglé
immuablement dans sa sagesse, dès l'origine, et
rien n'autorise à croire qu'il intervienne de nou-
veau pour remanier son œuvre, pour surcharger le
poids déjà assez lourd de nos obligations naturelles
envers lui et pour rétrécir d'autant le champ d'ac-
tion de notre liberté. Ce serait supposer en Dieu —
chose absolument inacceptable — soit un défaut de
prévision, soit un changement de dessein. Et ce
serait aussi réduire la raison humaine à une sorte
de passivité et d'abdication, inconciliable avec sa
dignité, son autonomie et sa liberté. La religion
naturelle suffit amplement à régler nos rapports
avec Dieu. La raison découvre avec ses propres
lumières les obligations qui découlent naturelle-
ment du seul titre de Créateur et de Providence, du
côté de Dieu, et du seul titre de créature intelli-
gente et libre, du côté de l'homme. Tout autre rap-
port doit être considéré comme superflu et est à
rejeter. C'est donc à tort que la religion positive ou
le catholicisme revendique une provenance surna-
turelle et se réclame d'une parole révélée ou pré-
tendue telle.
Ainsi raisonne le rationalisme et tel est, en
abrégé, le sommaire des objections qu'il oppose à
la possibilité de la révélation. A priori, il écarte
toute élévation de l'homme à l'ordre surnaturel et
toute notification de la volonté libre de Dieu ; et
tour à tour il fait appel à la nature de Dieu et à la
nature de l'homme pour déclarer impossible, entre
l'homme et Dieu, tout commerce surnaturel. A tort
ou à raison ? A tort, incontestablement. Car il tient
pour acquise l'impossibilité de l'élévation de l'homme
POSSIBILITE DE LA REVELATION 21
à l'état surnaturel comme aussi toute révélation.
Or, cette impossibilité, comme nous le verrons pour
l'ordre surnaturel, n'est qu'un postulat que rien ne
justifie. Il faudrait qu'elle résultât d'une contradic-
tion dans les termes, ce qui n'est nullement le cas.
2. Réponse à ces objections. — i. Pour ne
nous en tenir ici qu'à la révélation, qui empêche
Dieu d'enseigner d'abord à l'homme ce que l'homme
peut connaître par lui-même ? Ce rôle de pédago-
gue ou de maître, loin d'être, comme on le pré-
tend, indigne de la majesté divine, répond au con-
traire admirablement à ce titre de Père que nous
donnons à Dieu. Dans la famille, en effet, on trouve
tout naturel que le chef initie ou fasse initier son
enfant le plus tôt et le mieux possible à la connais-
sance de tout ce qui lui sera nécessaire ou utile
dans la vie. Dans la société, on ne trouve pas moins
naturelle la confidence intime d'un ami à son ami,
la relation d'un voyageur qui vient d'explorer des
pays inconnus, la communication d'un savant qui
fait part de ses découvertes. Et ce que l'homme
fait pour l'homme serait interdit à Dieu ! De quel
droit ?
2. En outre, Dieu, étant la vérité absolue et la
science infinie, possède plus de connaissances et
des connaissances plus profondes que celles de la
raison humaine. Or, qui l'empêche, s'il le veut, de
faire pénétrer l'homme dans ce monde inconnu de
vérités supérieures ou de lui en faire part. N'en
aurait-il pas le pouvoir? Il lui a bien donné uri
moyen naturel de connaître, pourquoi n'y ajoute-
rait-il pas un autre moyen, d'ordre surnaturel? Il a
bien mis sous ses yeux, dans sa propre nature et dans
le monde qui l'entoure, des vérités accessibles à sa
raison, pourquoi n'y mettrait-il pas aussi des véri-
22 LE CATECHISME ROMAIN
tés naturellement inaccessibles, sauf à lui donner en
môme temps un moyen approprié de les saisir?
Mieux que personne il sait ce qu'il faudrait pour
cela ; il le sait et il peut réaliser son dessein. Qui
donc l'en empêcherait? Certes, il ne supprimera
rien de ce qu'il a créé, il respectera notamment
l'esprit de l'homme, mais il se mettra en rapport
avec lui, soit immédiatement et sans idées intermé-
diaires, soit médiatement par des idées qu'il lui
donnera toutes faites ou qu'il lui suggérera. Ayant
créé l'intelligence humaine, il peut l'enrichir de
connaissances infuses ; ayant créé les êtres phy-
siques, il peut donner à certains d'entre eux telle
destination particulière ou leur faire produire tel
effet d'où résultera pour l'homme un enseignement
divin. Et quel que soit le moyen qu'il emploiera,
la révélation, distincte du langage que Dieu tient à
la raison par l'intermédiaire des créatures, et par la
raison elle-même, reste parfaitement possible. Qu'il
se décide donc à révéler, et la révélation devient
un fait positif qu'il n'y aura plus qu'à constater par
des preuves appropriées.
3. Or, ce fait de la révélation n'accuse pas plus en
Dieu un défaut de prescience qu'il ne porte atteinte à
son immutabilité. Car, de toute éternité, Dieu voit
et décide, il ne s'y prend pas à deux fois ; l'excep-
tion comme la règle, la révélation comme la créa-
tion, sont voulues et décrétées par un seul et même
acte, sans hésitation, sans le moindre changement
dans son immutabilité. C'est nous, êtres bornés par
le temps et par l'espace, qui transportons indûment
en Dieu notre manière de concevoir et de décider;
et, sans nous en douter, nous sommes victimes de
cet anthropomorphisme, qui rabaisse Dieu à notre
mesure. De plus, de la façon la plus impertinente
<du monde, nous interdirions à Dieu ce que nous
POSSIBILITÉ DE LA REVELATION 23
serions si heureux et si fiers de faire nous-mêmes.
Quel est donc le mortel, surtout s'il est homme de
savoir ou de génie, qui ne voudrait chaque jour
davantage étendre le cercle de ses connaissances et
trouver le moyen le plus rapide et le plus sûr pour
faciliter à ses semblables la science de ce qu'il sait?
Ce que l'homme ne fait trop souvent que désirer
sans pouvoir pleinement réaliser ses désirs, Dieu
l'accomplit parce qu'il est tout-puissant ; sa bonté
est éclairée par sa sagesse ; et sa sagesse, au lieu
d'hésiter ou de changer, comme on l'en accuse,
décide immuablemeut de toute éternité ce qu'il lui
convient de faire.
[\. D'autre part, il va de soi que si Dieu révèle,
une telle communication de vérité, tout en élargis-
sant le champ de nos connaissances, nous impose
des obligations et des devoirs nouveaux : l'obliga-
tion de croire à son enseignement révélé et le devoir
de régler notre conduite morale en conséquence.
Mais il ne faut pas oublier que, si à cette augmenta-
tion gratuite de lumière divine correspond néces-
sairement une augmentation proportionnelle de
nos devoirs, et, si l'on veut, une limitation de notre
liberté, Dieu, qui est sage et proportionne admira-
blement les moyens à la fin, nous communique en
même temps, par une très large compensation, un'
surcroît d'être et de facultés, de dignité et d'énergie
incomparables. Et, dès lors, loin de détruire ou de
gêner notre nature, il la perfectionne plutôt et
l'élève bien au dessus de ce qu'aucune créature
actuelle ou possible ne saurait ni rêver, ni exiger,
par son droit de nature, puisqu'il la fait entrer en
participation avec la nature même de Dieu, comme
nous l'expliquerons dans la suite. De telle sorte que,
là où le rationalisme voit un amoindrissement ou
U<ne gêne, c'est tout le contraire qui a lieu, l'homme
24 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne trouvant en définitive, dans l'intervention sur-
naturelle de Dieu, qu'un immense avantage tout à
son profit.
5. Prétendre que, par la révélation, Dieu ferait
violence à l'intelligence humaine et la réduirait à un
rôle passif, en portant atteinte à son indépendance
et à son autonomie, c'est méconnaître de parti pris
que la raison humaine ne perd ni son indépendance
ni son autonomie en face de l'évidence naturelle des
faits ou de l'autorité du témoignage humain ; elle est
bien obligée de se soumettre et de les accepter, sous
peine de se renier elle-même. Or, il n'en va pas
autrement vis-à-vis de la révélation divine ; que le
fait de cette révélation et du témoignage authenti-
que de Dieu soit positivement avéré, et la raison
humaine, en l'acceptant, ne s'abdique pas elle-
même ; bien au contraire, elle fait un acte éminem-
ment raisonnable et rationnel. Inutile d'insister
davantage ; les objections du rationalisme ne tien-
nent pas et ne peuvent pas tenir.
III. Nécessité de la révélation
i. Utilité de la révélation pour la connais-
sance des vérités de la religion naturelle. —
i . C'est l'enseignement formel du concile du Vatican
que la révélation divine est utile pour la connais-
sance des vérités de la religion naturelle, ou mora-
lement nécessaire. Cette nécessité morale ne tient
pas à l'objet, puisque cet objet est ce qui, dans les
choses religieuses, est accessible à la raison, mais
au sujet, c'est-à-dire à l'homme dans son état actuel.
« On doit, il est vrai, attribuer à cette divine révé-
lation que les points qui, dans les choses divines,
ne sont pas par eux-mêmes inaccessibles à la raison
humaine, puissent aussi, dans la condition présente
UTILITÉ DE LA REVELATION 25
du genre humain, être connus de tous sans diffi-
culté, avec une ferme certitude et à l'exclusion de
toute erreur (i) ».
2. Ainsi donc tous les hommes doivent à la
révélation de connaître facilement, avec une pleine
certitude et sans mélange d'erreur les vérités religieu-
ses qui ne sont pas inaccessibles à la raison : autant
d'avantages exceptionnels, dûs à la révélation, dans
la condition présente du genre humain. La preuve
en est dans l'histoire qui nous montre les peuples
païens se trompant grossièrement sur Dieu et la
religion, et les philosophes incapables d'instruire
ces peuples d'une façon convaincante et pratique,
La preuve en est aussi dans l'étude psychologique
de la nature humaine, signalée par saint Augustin (2)
et si admirablement développée par saint Thomas
d'Aquin (3).
Il y aurait trois inconvénients, remarque l'Ange
de l'école, à chercher à connaître ces vérités ration-
nelles sans autre secours que la raison. Le premier,
c'est que peu d'hommes parviendraient ainsi à la
connaissance de Dieu, faute d'intelligence suffisante,
ou de loisir, ou de courage pour entreprendre et
mener à bonne fin une telle élude. Le second, c'est
que ce petit nombre n'y parviendrait qu'après un
temps assez long, soit à cause de la profondeur de
ces vérités rationnelles, soit à cause des connaissan-
ces nombreuses que requiert une telle recherche,
soit parce que les jeunes gens, en particulier, n'ont
ni le calme ni la sagesse qu'elle exige. Le troisième,
c'est qu'il se mêlerait des erreurs à cette connais-
sance, de sorte qu'elle resterait douteuse pour beau-
coup. Au contraire, par le chemin de la foi et grâce
1. Constit. Dei Filius. — 2. De ut'ditate credendi. — 3. Cont.
Gent., I, 4; Sum. Theol., II* IIœ, Q. u, a. 4; De verit , Q. xiv,
a. 10.
26 LE CATÉCHISME ROMAIN
à la révélation, tous ces inconvénients disparais-
sent. Ainsi raisonne le bon sens d'accord avec l'ex-
périence.
3. Le concile du Vatican ne s'est pas contenté de
faire sien l'enseignement du Docteur angélique, il
a de plus formulé ce canon contre les rationalistes:
« Anatbème à qui dirait qu'il ne peut se faire ou
qu'il n'est pas expédient que l'homme soit instruit
par la révélation divine sur Dieu et le culte à lui
rendre (i). » Le sens et la portée de ce canon ne
sauraient être douteux : il vise directement les
déistes qui vantent la religion naturelle, et la regar-
dent comme une sorte de charte, octroyée par Dieu
et le liant à jamais sans qu'il puisse s'en écarter. Au-
jourd'hui donc, ce serait une hérésie que de soute-
nir l'impossibilité ou la non convenance dune
révélation, ayant Dieu pour objet et le cul le à lui
rendre. La possibilité et l'utilité d'une telle révéla-
tion sont donc désormais un dogme de foi catholi-
que, c'est-à-dire un dogme révélé par Dieu et imposé
comme tel par l'Eglise à la foi des fidèles.
4. Les rationalistes n'admettant pas la révélation,
ni pour autant l'autorité de l'Eglise, ce n'est pas au
nom de ce dogme qu'on peut les réfuter, mais au
nom delà seule raison. Et c'est pourquoi nous avons
indiqué quelques uns des motifs d'ordre purement
rationnel pour prouver que leurs objections étaient
sans valeur et maintenir ainsi soit la possibilité, >soit
l'utilité ou la nécessité morale de la révélation divi-
ne, relativement aux vérités de la religion natu-
relle : elle est possible parce que, loin d'impliquer
la moindre contradiction dans les termes, elle
répond excellemment à la nature de Dieu et à celle de
l'homme; elle est utile ou moralement nécessaire
1. Constit. Dei FiUus, c. IL, can. a.
ERREUR DES EVOLUTIONNISTES 2J
parce qu'elle facilite à tout homme sans exception
la connaissance prompte, facile et complète des
vérités de la religion naturelle « avec une ferme
certitude et à l'exclusion de toute erreur. »
2. Erreur des évolutionnistes. — Mais à côté
des rationalistes, il se rencontre aujourd'hui des
partisans de l'évolution intégrale, c'est-à-dire des
théoriciens qui appliquent l'évolutionisme aussi
bien aux choses religieuses et à la religion elle-
même qu'à la cosmologie, à la biologie et à l'an-
thropologie. Ils abandonnent le culte du Dieu vi-
vant et véritable en faveur de celui de l'humanité.,
Car ils regardent l'humanité comme la seule divi-
nité véritable. En conséquence ils nient toute éléva-
tion de l'homme à une connaissance surnaturelle de
Dieu et ils soutiennent que l'homme, sans l'action
de Dieu, mais simplement par le développement
normal de sa seule nature, est capable d'un progrès
indéfini, à même par conséquent d'atteindre toute
vérité. Révélation et ordre surnaturel sont donc
impossibles, parce qu'il n'est point de vérité ni de
perfection qui dépassent la nature humaine; révéla-
tion et ordre surnaturel sont inutiles, parce que
l'homme, par lui-même, sans secours étranger, peut
et doit arriver à la plénitude de la véxité et du bien.
Quand cela ? Dans un avenir, dont on se défend de
pouvoir fixer la date précise, mais dont on affirme
résolument la réalisation certaine, grâce au progrès
continu, qui est la loi de l'humanité.
Le concile du Vatican a dû condamner ce qu'une
telle théorie a de contraire à l'enseignement révélé,
et il l'a fait en ces termes : « Anathème à qui dirait
que l'homme ne peut être élevé divinement à une
connaissance et à une perfection qui surpassent
celle qui lui est naturelle, mais que de lui-même il
28 LE CATÉCHISME ROMAIN
peut et doit, par un progrès perpétuel, parvenir
enfin à la possession de tout vrai et de tout bien (i). »
Il est donc de foi catholique que l'homme peut être
élevé divinement à une connaissance et à une per-
fection qui surpasse celle qui lui est naturelle. Et
c'est désormais une hérésie de prétendre que
l'homme peut et doit, par un progrès indéfini, par-
venir un jour à la possession de tout vrai et de tout
bien.
Cet enseignement dogmatique est naturellement
rejeté par les évolutionnistes. Mais le bon sens dune
part, et l'histoire de l'autre suffisent, en dehors de
la révélation, à montrer le mal fondé de leur théo-
rie, qui est la négation même de Dieu, ou du pur
panthéisme, puisqu'elle divinise l'humanité. Per-
sonne ne conteste que, au point de vue matériel et
scientifique, l'humanité soit en progrès et puisse en-
core progresser ; mais la question est de savoir,
en particulier, si ce progrès est tout, s'il n'en est
pas un autre, d'ordre moral et religieux, et si ce
dernier, de beaucoup plus important que l'autre, au
lieu d'être exclusivement conditionné par les scien-
ces naturelles, ne dépend pas au contraire de la
révélation, ne se mesure pas à elle et n'est pas d'au-
tant plus grand que cette révélation divine est
mieux connue, plus humblement acceptée et plus
docilement obéie.
3. Nécessité absolue de la révélation pour la
connaissance des mystères de la religion sur-
naturelle. — i. Il n'est plus question maintenant
des vérités que la raison humaine peut découvrir et
connaître par ses seules lumières, mais de celles
qui lui sont complètement inaccessibles. Or, le con-
i. Constit. DeiFilius, c. n, can. 3.
NÉCESSITÉ DE LA RÉVÉLATION 2Q
cile du Vatican enseigne l'absolue nécessité de la
révélation divine pour manifester à l'homme les
vérités religieuses qui dépassent la portée de sa rai-
son ; il montre la cause de celte nécessité dans la
fin surnaturelle à laquelle l'homme est ordonné, que
l'homme ne saurait aucunement connaître par ses
lumières, pas plus qu'il ne saurait connaître les
moyens de l'atteindre ; et il prouve sa doctrine par
un texte de saint Paul (i). « Ce n'est pourtant pas
pour cette cause, dit-il (celle dont il vient d'être
parlé plus haut), que la révélation doit être déclarée
absolument nécessaire, mais parce que Dieu, dans
son infinie bonté, a ordonné l'homme à la fin sur-
naturelle, c'est-à-dire à la participation de biens
divins qui dépassent tout à fait l'intelligence de l'es-
prit humain ; car l'œil n'a point vu, ni l'oreille
entendu, ni le cœur de l'homme conçu les choses
que Dieu a préparées à ceux qui l'aiment (2). »
2. Que la révélation divine soit absolument néces-
saire pour nous manifester les vérités religieuses
qui dépassent la portée de notre raison, c'est de
toute évidence ; car, en dehors de là, comment
pourrions-nous les connaître ? L'homme, dans sa
sphère et avec ses propres ressources, peut bien en
droit arriver à connaître et à démontrer les vérités
religieuses naturelles. Mais nous venons de voir
qu'en fait il n'y arrive pas toujours ; car cette con-
naissance et cette démonstration offrent des diffi-
cultés qui rebutent; et même chez les esprits culti-
vés, actifs et pénétrants, l'effort n'est pas toujours
couronné d'un plein succès, puisqu'il se mêle des
erreurs aux résultats de leurs recherches. Comment
donc l'homme pourrait-il atteindre des vérités,
dont aucun principe naturel ni aucune expé-
z. I Cor., 11, 9. — a. Constit. Dei Filius.
30 LE CATÉCHISME ROMAIN
rience naturelle ne sauraient établir l'existence?
Leur connaissance n'est pas seulement difficile, elle
est impossible, sans une expresse révélation, faite
par Celui qui les connaît. Une fois révélées, l'homme
peut et doit les accepter docilement et sans crainte
d'erreur, sur l'autorité infaillible du témoignage
divin. Mais telle est leur nature intime et leur
transcendance que, même alors, il est incapable de
les comprendre comme aussi de les démontrer par
des raisons intrinsèques. Car ces vérités, ainsi que
nous l'avons dit (i), sont des vérités cachées en
Dieu, et dont la claire connaissance n'aura lieu,
pour la créature intelligente et libre, que dans la
vision intuitive. Dieu les révèle pourtant dès ici bas ;
il en fait connaître l'existence sans en manifester
tout l'éclat, parce que, dans son infinie bonté, il a
ordonné l'homme à la fin surnaturelle, c'est-à-dire
à la participation de biens divins qui dépassent tout
à fait l'intelligence de l'esprit humain. Supprimez
la destination de l'homme à la fin surnaturelle,
librement et gratuitement décidée par Dieu, la con-
naissance de ces vérités ne lui est plus indispen-
sable ; mais supposez cette destination, laquelle est
voulue de Dieu, et alors elle est absolument néces-
saire parce que, n'étant pas un automate, mû mé-
caniquement, mais un être intelligent et libre, il
doit avoir conscience de ses actes et agir en pleine
connaissance de cause ; nécessairement il faut
qu'il sache où il doit aller, par quels chemins, avec
quels moyens et pourquoi. C'est donc Dieu seul qui
doit l'en instruire, puisqu'il a plu à son infinie
bonté de surajouter à sa fin naturelle cette fin sur-
naturelle.
3. Dans l'Ancien Testament, Isaïe, faisant allu-
i. Voir t. i, p. 333.
NÉCESSITÉ DE LA RÉVÉLATION 3l
sion aux futures merveilles de l'incarnation, avait
dit : À saeculo non audierunt, neque auribus perce-
perunt, oculus non vidit, Deus absque te, quaeprae-
paras exspectantibus te (i). C'était une merveille
telle qu'elle dépassait absolument l'entendement
humain. Saint Paul reprend la pensée du prophète;
il l'applique, non plus à ceux qui attendent l'incar-
nation, puisque l'incarnation a eu lieu, mais à ceux
qui aiment Dieu. Il prêche la sagesse, mais celle qui
n'est pas de ce siècle ni des princes de ce siècle ;
une sagesse mystérieuse et cachée que Dieu, avant
les siècles, avait destinée pour notre glorification ;
une sagesse qu'aucun des princes de ce siècle n'a
connue, c'est-à-dire une science, dont ni lui ni les
Apôtres ne purent avoir eu connaissance que par
révélation, et une science surnaturelle parce que,
humainement parlant, « l'œil n'a point vu, ni
l'oreille entendu, ni le cœur conçu les choses que
Dieu à préparées à ceux qui l'aiment (2). »
A son tour, le concile emprunte à saint Paul ce
texte significatif et l'allègue comme une preuve
scripturaire de l'absolue nécessité de 4a révélation
divine pour la connaissance des mystères de la re-
ligion surnaturelle. Ce texte, il est vrai, est souvent
appliqué au bonheur du ciel ; mais il doit s'enten-
dre aussi, d'après le contexte de l'Apôtre et l'appli-
cation précise qu'en fait le concile, non seulement
de tous les biens surnaturels en général, ceux de la
vie présente comme ceux de la vie future, mais
encore de la connaissance des vérités surnaturelles
de la révélation.
L
1. 7s., lxiv, 4. — a. I Cor., n, 9.
32 LE CATÉCHISME ROMAIN
IV. Existence de la révélation
La révélation a-t-elle eu lieu ? — La révélation
n'est pas seulement possible, elle est encore émi-
nemment utile pour la pleine connaissance de»
vérités de la religion naturelle, elle est aussi absolu-
ment nécessaire pour la connaissance assurée des
vérités de la religion surnaturelle. A-t-elle eu lieu ?
i. La réponse ne saurait être douteuse. Dieu,
dans sa sagesse et sa bonté, n'a pu laisser l'homme
à la merci de circonstances qui lui auraient rendu
sinon impossible, du moins difficile, la connais-
sance et la poursuite efficace de sa fin naturelle. Et,
d'autre part, comme nous le verrons, l'ayant gra-
tuitement élevé à l'ordre surnaturel, il a dû néces-
sairement lui faire part de cette élévation, des de-
voirs qui en découlent et des moyens à prendre pour
atteindre sa fin surnaturelle. Il a dû les lui notifier.
Et en fait, il les lui a notifiés successivement, pro-
gressivement (i), d'abord dans la révélation primi-
tive, ensuite dans la révélation mosaïque, et enfin
dans la révélation chrétienne, selon le plan de son
économie providentielle. Il n'y a donc plus qu'à
constater la réalité de ces faits. Or, le seul moyen
de la constater, c'est de recourir à l'histoire, à
l'examen des témoignages, sauf, bien entendu, à
exiger des garanties testimoniales absolument irré-
cusables comme pour tout fait historique. Car il est
évident qu'un fait d'aussi capitale importance que
celui de la révélation divine a dû être entouré, pour
s'imposer logiquement à la raison humaine, de
preuves rigoureusement concluantes.
2. Ces preuves peuvent être d'ordre divers. A
ceux que Dieu a daigné choisir pour confidents de
i. Voir 1. 1, p. i53 sq.
EXISTENCE DE LA REVELATION 33
sa pensée et pour intermédiaires entre lui et les
hommes, il aurait pu se contenter de donner la
conviction intime et certaine que, loin d'être l'objet
d'un illusion subjective et dès lors sujette à caution,
c'est bien lui qui leur parlait et leur intimait l'ordre
exprès de communiquer aux autres en son nom son
propre enseignement. Mais il a dû en outre autori-
ser et garantir leur mission par des signes tels que
les hommes n'aient pu se méprendre sur la divinité
d'un tel enseignement. La doctrine, ainsi trans-
mise, devait avant tout être digne de Dieu et répon-
dre à tous les besoins légitimes et à toutes les
exigences naturelles de la nature humaine, sous
peine d'être raisonnablement refusée. Mais elle
pouvait aussi ouvrir un champ plus vaste à l'acti-
vité intellectuelle et morale de l'homme et le con-
vier à une destinée supérieure à celle de sa propre
nature ; dans un cas comme dans l'autre, Dieu avait
un droit manifeste et parfaitement légitime à l'ac-
quiescement de sa raison et à la soumission de sa
volonté. Et ainsi les preuves tirées de l'examen de
la doctrine elle-même ou preuves intrinsèques peu-
vent s'ajouter à celles qui sont tirées des signes
extérieurs qui autorisent et garantissent divinement
cette doctrine révélée, c'est-à-dire aux preuves
extrinsèques.
3. Or, ni les unes ni les autres ne font défaut à
la révélation. Toutes ont une valeur et sont utili-
sées par les apologistes. Mais les plus frappantes,
celles qui s'accommodent le mieux à l'intelligence
de tous sont assurément les preuves extrinsèques :
celles-ci suffisent pour convaincre tout homme de
bon sens et de droite raison, et ce sont celles que
préconise le concile du Vatican, qui frappe d'ana-
thème quiconque dirait que la révélation divine ne
peut être rendue croyable par des signes exté-
LE CATÉCHISME. — T. III. a
t€A
34 LE CATÉCHISME ROMAIN
rieurs. Voici sa propre déclaration : « Afin que
l'hommage de notre foi fût d'accord avec la raison,
aux secours intérieurs du Saint-Esprit, Dieu a voulu
joindre des preuves extérieures de sa révélation, sa-
voir des faits divins et surtout des miracles et des
prophéties, qui, en montrant abondamment la
toute-puissance et la science inlinie de Dieu, font
reconnaître la révélation divine, dont ils sont des
signes très certains et appropriés à l'intelligence de
tous. C'est pourquoi soit Moïse et les prophètes,
soit surtout le Christ Notre Seigneur lui-même ont
fait de nombreux et très manifestes miracles et
prophéties ; et nous lisons des Apôtres : « Etant
partis, ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur
travaillant avec eux et confirmant leur parole par
les miracles qui l'accompagnaient. » Il est aussi
écrit : « Ainsi a été confirmée pour nous l'Ecriture
prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter,
attention comme à une lampe qui brille dans un
lieu obscur. »
4. En proposant ainsi, parmi les faits divins, les
miracles et les prophéties comme les meilleures
preuves extérieures de la révélation, le concile du
Vatican se garde bien de dénier toute valeur aux
autres preuves. Mais il entend condamner l'erreur
des rationalistes des deux derniers siècles, qui pré-
tendaient qu'on ne peut discerner la véritable reli-
gion que par des notes intrinsèques, c'est-à-dire par
sa conformité avec la raison, ce qui leur permettait
d'écarter de la religion et les miracles et les mystères.
IL condamne aussi le système de certains protes-
tants qui, tout en admettant la révélation, rejettent
les critères par lesquels se manifeste et se démontre
sa divine origine, pour ne faire exclusivement ap-
pel qu'à l'expérience intime, au sentiment religieux,
au témoignage du Saint-Esprit. « Anathème à qui
EXISTENCE DE LA REVELATION 35
dirait que les hommes ne doivent être amenés à la
foi que par une expérience interne et personnelle
ou par une inspiration privée. »
C'est donc spécialement sur ces deux preuve*
extrinsèques de la révélation que nous allons insis-
ter, non seulement parce que le concile du Vatican
les recommande, mais aussi parce qu'elles sont le*
plus discutées depuis un siècle.
1. Impuissance de la philosophie. — « 11 y a dans
le monde moderne deux puissances spirituelles, la reli-
gion chrétienne et la philosophie ; tout le reste n'existe
que dans l'imagination des faiseurs d'utopie. La philo-
sophie est-elle capable, à l'époque où nous sommes,
d'exercer à elle seule le ministère spirituel ? Voilà la véri-
table question. Nous nous adiessons ici, non pas aux.
hommes d'imagination qui s'exaltent dans la solitude du
cabinet, non pas aux hommes à qui la haine du catholi-
cisme ou seulement des Jésuites ôte la faculté d'appré-
cier sainement les choses, mais aux hommes qui con-
naissent à la fois les limites de la spéculation et les né
cessités de la vie pratique, et nous leur demandons ce
qu'ils pensent du dessein de confier à la philosophie toute
seule, réduite à ses seules ressources et dans l'hypothèse
de la dissolution prochaine des institutions religieuses,,
l'exercice universel du ministère spirituel dans les sociétés
modernes. Il ne s'agit pas ici d'avoir plus ou moins de
courage, mais d'avoir plus ou moins de bon sens, de
connaître ou de ne pas connaître la nature humaine, de
savoir ou de ne pas savoir ce que peut la philosophie et
quelles sont les conditions de son développement parmi
les hommes.
« Voilà les philosophes chargés de parler aux hommes
de Dieu et de la vie future : les voilà en face de l'hu-
manité, chargés de suffire à ce besoin religieux, l'hon-
neur et le tourment de la nature humaine, le plus uni-
versel, le plus impérieux de tous. Les Ames d'élite ne
sont pas les seules où le sentiment religieux vive et se
déploie. Nulle âme humaine n'y est étrangère. — L'homme
36 LE CATÉCHISME ROMAIN
•du peuple, courbé sur le sillon, s'arrête pour songer à
Dieu, pour se fortifier et se relever clans cette pensée. 11;
sent peser sur lui et le fardeau delà responsabilité morale
et le mystère de la vie humaine. Qui lui parlera des cho-
ses divines ? Seront-ce les philosophes ? Les philosophes
font des livres. Qu'importe au peuple qui ne peut les
lire, et qui, s'il les lisait, ne les comprendrait pas ? Se
Teprésente-t-on Kant et Locke prédicateurs de morale et
de religion ? D'ailleurs, tout besoin universel de la nature
demande un développement régulier. Si ce besoin est
laissé à lui-même, il se déprave, il s'égare. Supposez
le peuple le plus éclairé de l'Europe moderne privé
d'instruction religieuse : voilà la porte ouverte à tou-
tes les folies. Les sectes vont naître par milliers. Les
rues vont se remplir de phophètes et de messies; chaque
père de famille sera pontife d'une religion différente,
« Si donc la philosophie veut exercer le ministère spi-
rituel, il faudra qu'elle lutte contre cette anarchie de
croyances individuelles, qu'elle donne aux hommes un
symbole de la foi, un catéchisme. Car on ne fera pas lire
apparemment aux ouvriers les Méditations de Descartes
ou la Théodicée de Leibnitz. Or, un catéchisme si néces-
saire, qui le composera? Un concile de philosophes? Qui
leur déléguera leurs pouvoirs ? Qui promulguera leurs
décisions ? Cette nouvelle Eglise se déclarera- t-elle infail-
lible ? Aura-t-elle un Pape ? Quel homme sachant qu'il
n'est qu'un homme osera dire à ses semblables : Voici
l'Evangile, voici le livre de vie et de vérité ? Et, s'il en
est un assez orgueilleux pour le dire, en trouvera-t-il qui
le veuillent croire ? » Saisset, Essais sur la philosophie et
la religion, p. 25a.
2. Avantages de la révélation. — « Imposer à
l'homme une révélation, dit Wegscheider, célèbre théo-
logien protestant, c'est, en pure perte, l'humilier, le mu-
tiler et le condamner à l'inertie ou à l'agitation ; c'est le
priver du mérite de rechercher et de l'honneur de décou-
vrir le vrai ; c'est lui ravir le plus précieux de tous les
biens de lame, l'indépendance de la raison ; c'est amoin-
drir en son cœur le culte de la science, en lui persuadant
AVANTAGES DE LA REVELATION 3j
que, sans étude il sait tout, ou au moins l'essentiel ; c'est
ouvrir au fanatisme l'accès de son esprit sans culture et
de son cœur rétréci ; et tout cela en pure perte, puisque
la révélation ne nous apporte que des affirmations incom-
préhensibles, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles
sont inutiles (Inst. théol., 8e édit., 1 844, P- 49) » — Loin
d'humilier l'homme, la révélation l'élève et l'ennoblit;
loin de le mutiler, elle le complète ; au lieu de le con-
damner à l'inertie, elle l'exhorte efficacement au travail ;
au lieu de l'agiter, elle lui donne la paix et le repos dans
l'amour de la vérité. — Ce n'est pas la recherche de la
vérité qui est un mérite, mais bien l'amour que cette
recherche suppose ; ce n'est pas la découverte de la vérité
qui est un honneur, mais bien la possession que cette
découverte prépare. Or, la révélation augmente l'amour
de la vérité et rend sa possession plus prompte et plus
pleine. — L'indépendance absolue de la raison est un
non-sens : la raison est essentiellement dépendante de son
objet, dépendante des règles de la dialectique, dépen-
dante de la raison infinie dont elle n'est qu'un pâle reflet.
La raison n'est et ne peut être que l'humble servante de-
là vérité : plus la vérité la saisit et l'enchaîne, plus elle
est grande, libre et heureuse. L'indépendance de l'esprit
mène à l'erreur, et l'erreur, c'est pour la raison le dés-
honneur dans la servitude. Or, la révélation a précisé-
ment pour but d'affranchir l'esprit humain de l'erreur,
et de le mettre en possession de la vérité. — C'est un fait
d'expérience que les esprits les plus clairvoyants sont
aussi les plus actifs ; plus notre horizon intellectuel s'élar-
git et s'éclaire, plus aussi devient actif notre besoin de
courir à la conquête des vastes espaces qui s'ouvrent de-
vant nous. Or, la révélation ouvre sous le regard de l'âme
des horizons d'une profondeur incommensurable, et fait
briller sur nos têtes la lumière même de Dieu. Qui a
plus travaillé que ces grands esprits qui sont, avec la
gloire du christianisme, l'honneur de l'humanité : les.
Augustin, les Thomas d'Aquin, les Bossuet, etc.? Loin
de rétrécir le cœur, la vérité le dilate. Le chrétien éclairé
et sincère fait, sans efforts, ces trois choses : il aime pas-*
38 LE CATÉCHISME ROMAIN
sîonnément la vérité; il hait l'erreur cordialement; il
plaint de toute son âme le malheureux que l'erreur en-
chaîne, et fait, sans trouble et sans violence, tout ce qui
dépend de lui pour le délivrer. Il admire ce qu'il com-
prend dans la leçon que Dieu daigne lui faire ; et, ce qu'il
îie comprend pas, il l'adore. Et ainsi, il se trouve que la
révélation, que le rationalisme proclame inutile, aie dou-
Jble avantage d'enrichir notre intelligence des plus pures
lumières et d'orner nos cœurs des plus précieuses ver-
tus. » Gondal, Mystère et révélation, Paris, 1905,
p. 137-139.
3. Caractères de la révélation ; où se trouve-
1-elle ? — « La doctrine qui renferme la révélation,
c'est-à-dire la parole de Dieu à l'humanité, se reconnaît
d'après Dieu lui-même qui parle, l'homme auquel il
parle, l'action que doit exercer sa parole et l'étendue que
doit avoir son action. Ce sont là, je pense, des principes
cpie personne de vous ne met en contradiction. Dès lors,
a quoi la doctrine révélée va-t-elle se reconnaître ? Elle
'vient, disons-nous, de Dieu; elle s'adresse à l'homme;
elle a pour but la perfection de l'homme ; les hommes
sont une grande famille où tous sont égaux. La vérité
surnaturelle a donc par caractère, — divine, d'être iys-
térieuse ; — s'adressant à l'homme, d'être rationnelle ; —
devant produire le progrès, d'être bienfaisante ou sancti-
ficatrice; — s'adressant à la raison qui est la même en
tous les hommes, d'être universelle...
« Trouvons-nous dans le monde une doctrine qui
réunisse ces caractères? En trouverons-nous plusieurs ?
Voici la réponse : il y en a une, mais il n'y en a qu'une.
« Nous écartons tout de suite, n'est-ce pas, les doctri-
nes purement rationalistes: nous avons dit pourquoi.
Elles ne veulent pas du mystère ; elles se jugent elles-
mêmes. Nous écartons également, comme irrationnelles,
toutes les mythoïogies possibles : elles se condamnent par
le seul fait qu'elles s'exposent. Nous écartons à plus forte
raison toutes les doctrines immorales, parce qu'elles sont
flétries par le premier regard honnête. Nous écartons
toutes les doctrines d'école ou de nationalité, parce
AVANTAGES DE LA REVELATION 3g
qu'elles n'ont pas le dernier et suprême caractère de la
vérité. Nous écartons par conséquent les élucubrations
qui ne procèdent que de l'homme, si brillantes et si pro-
fondes qu'on les juge, toutes les mythologies, si raffi-
nées et délicates qu'on les dise, même ce bouddhisme qui
a, dit-on, dans Paris tant de zélés sectateurs. Nous écar-
tons le mahornétisme, encore qu'il ait un regain, paraît-
il, de curiosité, sinon de faveur en notre temps, parce
que je ne pense pas que vous lui reconnaissiez un carac-
tère de moralisation supérieure. Nous écartons même
toutes les sectes chrétiennes, parce qu'elles sont plus ou
moins des doctrines de nationalités. On est protestant,
parce qu'on est Anglais ou Prussien; on est schismatique,
parce qu'on est Grec ou Russe. Soit. Mais qu'est-ce que
la nationalité allemande ou anglaise, russe ou grecque en
regard de l'universalité qui conduit à la vérité? Le ju-
daïsme n'est pas marqué non plus d'un caractère uni-
versel. De plus, il a été, de son propre aveu, une doc-
trine de préparation, de prophétie et d'image; il appelait,
dans l'aurore, le jour qu'il n'est pas ; il reste à jamais sur
la route et, par conséquent, nous passons. Qu'avons-nous
encore à voir ? Permettez-moi de le dire simplement :
l'Eglise catholique. » Ollivier, Conférences de Notre"
Dame, 1897, IIie conf.
*/fa »>Jk# «Jsi. «Jy*» «^» »^> •&» *^N» »^S> «Jyj »^N» *$-» •$■» *^» VW-* *'^* *^* *^*
Preuves de la Révélation
Leçon IIe
Le Miracle
I. Sa notion. — II. Sa possibilité. — III. Sa dis-
cernibilitê. — IV. Sa valeur démonstrative. —
V. Doctrine catholique sur le miracle.
Une des questions les plus vivement débat-
tues depuis la fin du xvne siècle, c'est assu-
rément celle du miracle. De Spinoza à
Renan, en passant par Hume, Voltaire et Rousseau,
philosophes rationalistes et savants incrédules, éru-
dits et critiques imbus de préjugés, tous ont déclaré
une guerre sans merci au miracle. La raison en est
dans leur haine du surnaturel (i). L'existence du
i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Augustin, De utllilate credendi,
xxxn-xxxiv ; De civitate Dei, XXI, v-ix ; De Genesi ad lilte-
ram, xm ; saint Thomas, Quaest. disp., de Potentia, Q. vi, de
miraculis; Cont. Gentes, III, xcviii-cm ; Sum. iheol., I, Q. cv,
a. 1-8 ; ex, a. k ; exiv, a. 4 ; Ia II®, Q. cxm, a. 10 ; II* II®,
Q. glxxviii, a. 1-2 ; Benoît XIV. De servorum beatificatione et
Beatorum canonisatione, L. iv, p. i ; voir l'abrégé de cet ou-
vrage, fait par Beaudeau avec l'approbation de Benoît XIV,
dans le Theologiœ cursus completus, de Migne, t. vm; Le Grand,
De miraculis, dans le Scripturœ sacrœ cursus completus, de
Migne, t. xxm ; DeFrayssinous.Z)é/ense du Christianisme, Con-
férence sur les miracles en général ; Félix, Conférences de
Notre-Dame, Paris, i864, Conf. ive : Le miracle et la critique
nouvelle ; Cardinal Pie, Instructions synodales, troisième ins-
truction ; Newman, Two essays on Scriplure miracles» Lon-
LE MIRACLE 4l
surnaturel nous est connue par la révélation ; la
révélation, à son tour, nous est prouvée notam-
ment par le miracle. Ruiner, donc celte preuve,
c'était ruiner du même coup le christianisme ; ils
s'en flattaient du moins ; aussi est-ce contre cette
preuve qu'ils ont dirigé leurs attaques. Systémati-
quement, ils ont faussé la notion du miracle, moyen
facile pour en contester la possibilité ; ils ont aussi
nié sa discernibilité et sa force probante.
Les apologistes ont riposté. Mais, voulant faire
front sur tous les points de l'attaque, ils ont trop
souvent dispersé leurs efforts au lieu de les concen-
trer sur le point décisif. Or, ce point décisif c'était
la notion du miracle qui, même chez les meilleurs,
a parfois laissé à désirer. De là, à côté de répliques
de vraie valeur et souvent péremptoires, quelques
réponses trop indécises prêtant le flanc à la critique
et laissant une porte ouverte aux sophismes et aux
objections.
Aussi, pendant que la philosophie et la science,
pour des raisons estimées excellentes, croyaient avoir
banni définitivement le miracle de la nature et de
l'histoire, l'apologétique, en dépit de tout, mainte-
nait ses positions. Et le conflit était poussé à un
dres, 1870 ; Monsabré, Conférences de saint Thomas d'Aquin,
Paris, 1866, t. 11, Conf. xxi-xxx ; Brugère, De vera religione,
Paris, 1873 ; Vacant, La constitution Dei Filias, Paris, 1895, t. 11,
p. 4 0-66 ; Muller, Natur und Wunder, Fribourg-en-Brisgau, 1892 ;
Das Wunder und Geschischtswissenchaft, 1898; Ribet, La mys-
tique divine, Paris, 1879-1889 ; Lescœur, La science et les faits
surnaturels ; Didiot, Logique surnaturelle objective, Paris, 1892,
théorèmes xxvi-xxvii, xxxiv-xl ; Gondal, Miracle, Paris, 1905,
dans la Collection Croyance et Science ; Sortais, La Providence
et le miracle devant la science moderne, Paris, 1905; Voiries
réfutations déjà parues de la théorie de M. Le Roy sur le mira-
cle, dans la Revue du Clergé par M. Maisonneuse, i5 juin 1907
et nos suivants ; dans la Revue Ausgustinienne, par M. Anciaux,
i5juin 1907.
[\ 1 LE CATÉCHISME ROMAIN
point aigu. A la fin du dernier siècle, quelques
esprits se sont rencontrés, parmi les protestants
libéraux et quelques catholiques, pour le faire ces-
ser. Ils ont cherché un terrain d'entente et de con-
ciliation entre la science et la religion. Le but est
assurément très louable, mais le moyen imaginé
pour l'atteindre n'a qu'un tort, et il est grave, celui
de sacrifier la notion traditionnelle. Grâce à une
conception nouvelle du dogme et de son évolution,
ils estiment qu'en présence des progrès de la science
et des besoins de la pensée contemporaine, il im-
porte, dans le dogme, de dégager ce qui en constitue
le fond religieux et éternel de ce qu'ils appellent sa
formule contingente et provisoire.
C'est ainsi, par exemple, que M. Ménégoz, esti-
mant d'une part que la notion biblique et la défini-
tion scolastique du miracle heurtent de front les
découvertes scientifiques, mais tenant d'autre part,
po'ir satisfaire le sentiment religieux, à conserver
le miracle, l'a expliqué d'une étrange manière (i).
i. M. Ménégoz répudie d'abord la notion traditionnelle.
« La vérité, dit-il, c'est qu'il n'y a plus un seul théologien
protestant qui partage, avec une pleine conviction, les vues de
Moïse, des prophètes, de Jésus, des Apôtres, des théologiens du
moyen âge et même des Réformateurs sur le miracle. » 11 en
donne la raison : « Tous, à quelque tendance théologique que
nous appartenions, nous croyons fermement aux lois de la
nature ; et si nous admettons, en théorie, la possibilité de
modifications aux phénomènes apparemment constants et
réguliers, nous ne le faisons qu'en rapportant ces modifications
éventuelles à des lois qui nous sont encore cachées, et non à
une suspension momentanée de l'action des lois dûment cons-
tatées par les sciences naturelles. Nous ne croyons plus au
miracle considéré comme une dérogation aux lois de la nature :
voilà ce que la sincérité nous oblige à reconnaître. » Et il
ajoute : « Nous n'en croyons pas moins au miracle, tout aussi
fermement que les auteurs sacrés, mais nous l'expliquons
autrement... Pour les anciens, il est un acte divin libre, cou-
LE MIRACLE l\ 3
A ses yeux, l'orthodoxie avait tort de méconnaître
les droits de la science, et le libéralisme avait tort
de méconnaître les droits de la foi. Quant à lui, il a
découvert une « boussole directrice, » qui lui per-
met tout à la fois et de proclamer l'autonomie de la
science et son absolue indépendance vis-à-vis de la
Bible, et de revendiquer pour la foi une indépen-
dance tout aussi absolue en face de la science (i). Il
croit donc avoir ainsi soustrait le miracle tant à la
négation rationaliste qu'à l'erreur scientifique de
l'ancienne orthodoxie, en maintenant à la fois l'é-
lément de vérité du rationalisme, qui affirme la
fi vite des lois naturelles, et l'élément de vérité de
l'orthodoxie, qui affirme l'intervention libre de
Dieu dans l'histoire. Comment cela ? En réduisant le
miracle à n'être que « l'exaucement de la prière (2), »
c'est-à-dire à ne plus être du tout le miracle. Le
mot reste, mais il est préalablement vidé de son
sens connu. Son emploi, dès lors, ne peut que
prêter à l'équivoque ; car ce n'est plus de miracle
qu'il s'agit.
Tout comme M. Ménégoz, M. Sabatier a signifié
un congé dédaigneux à l'ancienne notion du mira-
traire aux lois de la nature ; pour nous, il est un acte divin
libre, conforme aux lois de la nature. » Le fidéisme, Paris, 1900,
p. 146, i48, i54«
1. Cette « boussole directrice reconnaît aussi bien à la
science qu'à la foi leur caractère propre, et elle leur assigne, à
toutes les deux, leur vraie place. Elle proclame l'autonomie de
la science et son indépendance absolue vis-à-vis de la Bible ; et
elle revendique pour la foi une indépendance tout aussi abso-
lue en face de la science. Elle croit aux lois immuables de la
nature et repousse toute doctrine enseignant, au nom de la
religion, la violation de ces lois ; et elle croit à la paternité de
Dieu et repousse toute doctrine niant, au nom de la science, la
providence divine et l'exaucement de la prière. » Le JidHsme,
p. 1 07. — 2. Le fideisme, p. iÔ2.
44 LE CATÉCHISME ROMAIN
clc (i), et tout comme lui il ne veut voir dans le
miracle qu'une affaire de piété, qu'une signification
religieuse et morale: « l'exaucement de la prière. »
Par là, dit-il, « se trouvent sauvegardées les trois
choses que devait garantir la vieille notion du mira-
cle : la réelle et active présence de Dieu, l'exauce-
ment de la prière et la liberté de l'espérance (2). »
C'est encore le mot moins la chose, et toujours
l'équivoque.
Semblable courant d'idées dans M. Harnack. Le
professeur de Berlin condamne résolument le mi racle,
au nom de la science ; mais il l'accepte, au point de
vue religieux. Les lois de la nature sont inviolables ;
toutes ne sont pas encore connues, et il est à croire
que l'une d'elles explique naturellement ce que la
crédulité prend pour une intervention directe de
Dieu. Qu'est donc le miracle pour M. Harnack? Il
ne l'a pas défini comme les deux professeurs fran-
çais ; mais, à vrai dire, il n'y voit qu'un phénomène
1. « Le miracle n'a plus aucune base dans la philosophie
moderne. » Esquisse d'une philosophie de la religion, Paris,
1897. « La science moderne n'affirme point le miracle ; elle ne
le nie point ; elle l'ignore nécessairement. Il est, pour elle,
comme s'il n'était pas. » Ibid., p. 83. La science procède avec
rigueur ; en face d'un phénomène, elle cherche la cause; si elle
n'en trouve pas, elle le constate, mais elle est assurée qu'il y en
a une qui est naturelle, et qu'un jour on la trouvera. Quant
aux miracles anciens, elle attend que « la critique et l'exégèse
aient fixé la valeur des textes, mesuré le poids exact des témoi-
gnages, sans se mettre en souci de quelques faits particuliers
qui resteront, dans la meilleure hypothèse, isolés et stériles au
point de vue scientifique. » Ibid., p. 85. La science ne s'occupe
que des causes secondes, et non de la cause première ; « elle a
mis hors de son domaine toutes les questions d'origine et de
lin, parce qu'elle n'a aucun moyen de les atteindre. » Ibid.,
p. 86. Mais M. Sabatier continue quand même à parler du
miracle, dans le sens particulier qu'il lui donne, et conformé-
ment à sa manière de concevoir la religion. — 2. Esquisse,
p. 90.
LE MIRACLE /[5
naturel (i) ; autrement dit, il n'y a pas de miracle,
ou, si l'on conserve le mot, on doit l'entendre d'une
manière nouvelle.
De son côté, M. le Roy, au nom de « la philoso-
phie nouvelle, » vient d'exposer, dans les Annales
de philosophie (2), une théorie de miracle qu'il
estime plus en harmonie avec les exigences de la
pensée moderne, qu'il prétend plus conforme à la
tradition, mais qui, en réalité, ne va à rien moins qu'à
ruiner la notion traditionnelle et qui se trouve ainsi
en désaccord formel avec la pensée de l'Eglise (3).
1. La science historique, dit M. Harnack,a appris à apprécier
les récits miraculeux, à les utiliser comme des sources histori-
ques, et voici sa position actuelle à l'égard du miracle : Les
Evangiles sont nés dans un temps où le miracle était partout,
où on le voyait partout, sans une notion exacte, sans connais-
sance des lois de la nature, sans le rattacher, comme aujour-
d'hui, à une question religieuse, sans en pénétrer la significa-
tion exacte. Tout ce qui arrive dans le temps est soumis aux
lois générales du mouvement: par suite, en tant que rupture
de Tharmonie des lois de la nature, il ne peut y avoir de mira-
cles. Mais la créature vraiment religieuse n'est pas emprisonnée
dans le cours aveugle et brutal de la nature et estime par une
force intérieure et divine pouvoir le faire servir au bien ; elle
peut se soustraire à l'assujettissement, à la contingence de
l'être. Dès lors, on peut comprendre le divin comme une force
puissante qui intervient dans la cohésion des lois de la nature,
la rompt ou l'annule. — L'harmonie des lois de la nature est
inviolable. Mais on ne connaît pas à beaucoup près les forces
qui par là sont mises en mouvement et en action réciproque,
ni complètement les forces matérielles et leur champ d'action,
ni surtout les forces psychiques, — Certainement il n'y a pas
de miracles, mais simplement des phénomènes merveilleux et
inexplicables : ce n'est pas une raison de repousser comme une
illusion les récits merveilleux de l'Evangile. L'Essence du Chris-
tianisme, trad. franc., Paris, 1902, p. 3o. — 2. Annales de
philosophie chrétienne, octobre, novembre et décembre rQo6.
— 3. Dans l'impossibilité d'exposer ici comme il conviendrait
la théorie de M. le Roy (pour plus de détails, voir les réfu-
tations qui ont paru dans la Revue du clergé, la Revue au-gus-
tinienne, la Revue thomiste, etc.), disons seulement qu'il criti-
46 LE CATÉCHISME ROMAIN
Ce court aperçu suffit pour montrer toute rim-
portance de la question et la nécessité de bien définir
le miracle. Qu'est-ce donc que le miracle?
I. Notion du miracle
i. D'après l'Ecriture. — i. La Bible, qui offre
le récit d'un grand nombre de miracles, ne donne
pas la définition de ce phénomène ; mais elle ren-
ferme assez de traits pour permettre d'en distinguer
les éléments constitutifs et les caractères essentiels
et pour s'en faire une idée exacte. Le miracle y
apparaît comme un événement extraordinaire, sur-
que et démolit les données traditionnelles sur la définition, la
possibilité et la constatation du miracle. Pour lui, il n'y a de
miracle que par et pour la foi. 11 s'attache donc à mettre en
relief sa signification religieuse. C'est son droit. Mais quel dé-
tour compliqué pour y arriver ! Et au nom de quel système
de philosophie ! Un système où on nie « tout réalisme onto-
logique, » où on pose en postulat qu'il n'y a pas de matière
réelle. « La matière n'a qu'une existence relative à l'esprit, »
p. 238. Dès lors il n'y a plus qu'un fait : la pensée. La matière
ne se différencie pas de l'esprit. « Elle n'existe qu'en lui, par
lui, relativement à lui, » p. 2^0. Passons sur « la matière
interspirituellc » et le « subliminal,» termes vraiment nou-
veaux et à signification quintessenciée, qui servent de véhicule
à un subjectivisme subtil, proche parent de l'immanence ou
du kantisme. Et ne retenons que cette double définition du mi*
racle, à laquelle aboutit M. le Roy, et dont on ne pourra pas
dire qu'elle manque d'une clarté aveuglante ; celle-ci d'abord :
« Un miracle, c'est l'acte d'un esprit individuel fou d'un groupe
d'esprits individuels) agissant comme esprit à un degré plus haut
que d'habitude, retrouvant en fait, et comme dans un éclair ; sa
puissance de droit ; » et cette autre : « Un miracle, c'est l'acte
d'un esprit qui se retrouve plus complètement que d'habitude,
qui reconquiert momentanément une part de ses richesses et de
ses ressources profondes, » p. 2^7. Avec une telle définition, le
miracle n'est plus une œuvre de Dieu ; c'est un acte de l'es-
prit, un fait purement naturel, rien de plus, complètement
étranger à l'enseignement de l'Eglise et à la tradition.
NOTION DU MIRACLE k"J
venant dans le monde de la nature, excitant la sur-
prise et Fétonnement, tel qu'il est exclusivement
attribué à Dieu comme à son auteur propre et donné
à titre de signe ou de preuve. Dieu, en effet, maître
absolu du monde qu'il a créé et organisé, qu'il gou-
verne par sa providence, intervient parfois dans un
but déterminé, celui de faire connaître aux hommes
que c'est bien lui qui leur communique sa pensée
et ses ordres, ou encore d'accréditer auprès d'eux
d'une manière indubitable ses mandataires.
2. Ce but est particulièrement mis en relief dans
les deux Testaments. Dathan et Abiron se sont ren-
dus coupables d'immixtion sacrilège dans les céré-
monies du culte. Moïse s'autorise d'avance de la
punition exemplaire dont ils vont être l'objet pour
prouver sa mission divine (i). C'est pareillement
aux miracles que Jésus en appelle. Quand les disci-
ples de Jean viennent lui demander : « Etes-vous
celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un
autre? » Il leur répond : « Allez, rapportez à Jean
ce que vous entendez et vous voyez : les aveugles
voient, les boiteux marchent, les lépreux sont gué-
ris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les
i. « Vous connaîtrez à ceci que Jéhovah m'a envoyé pour
faire ces choses, et que je n'agis pas de moi-même : Si ces gens
meurent comme meurent tous les hommes, ce n'est pas Jého-
vah qui m'a envoyé ; mais si Jéhovah fait une chose inouïe, si
la terre ouyre sa bouche et les engloutit, eux et tout ce qui
leur appartient, et qu'ils descendent vivants dans le séjour des
morts, vous reconnaîtrez que ces gens ont méprisé Jéhovah. »
Comme il achevait de prononcer ces paroles, le sol qui était
sous eux se fendit, la terre ouvrit sa bouche et les engloutit,
eux et leurs familles, avec tous les gens de Coré et tous leurs
tiens. » Num., xvi, 28-33. Même preuve donnée par les autres
thaumaturges de l'Ancien Testament. Cf. pour Josné, Jos.t
m, 5; pour Elie, 111 Iteg., xiii, 2 sq ; xvn, 1 sq ; xvm, 19 sq ;
pour Elisée, IV Reg., 1, 10; 11, i4; iv, 20 ; v, i4 '» pour Daniel,
Dan., vi, 2G-27.
48 LE CATÉCHISME ROMAIN
^— ^— — — — — — — — — ^i— — i — ^^»^
pauvres sont évangélisés (i). » Or, d'après Isaïe (2),
c'étaient justement là quelques-uns des signes de la
venue du Messie. S'adressant à la foule, Jésus dit :
« Jean était la lampe qui brûle et luit, mais vous
n'avez voulu que vous réjouir un moment à sa
lumière. Pour moi, j'ai un témoignage plus grand
que celui de Jean ; car les œuvres que mon Père
m'a donné d'accomplir, ces œuvres mêmes que je
fais, rendent témoignage de moi, que c'est le Père
qui m'a envoyé (3). » Vers la fin de sa vie apostoli-
que, il adressa ces mots aux juifs incrédules: « Vous
blasphémez, parce que j'ai dit : « Je suis le Fils de
Dieu. » Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne
me croyez pas. Mais si je les fais, lors même que
vous ne voudriez pas me croire, croyez à mes œu-
vres : afin que vous sachiez et reconnaissiez que le
Père est en moi, et que je suis dans le Père (4). »
3. C'est comme garantie authentique de la foi des
futurs chrétiens que Jésus allègue encore le miracle.
« Voilà, dit-il, les miracles qui accompagneront ceux
qui auront cru en mon nom, ils chasseront les dé-
mons, ils parleront de nouvelles langues, ils pren-
dront les serpents, et s'ils boivent quelque breuvage
mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les
mains aux malades, et les malades seront guéris (5). »
4. Comme leur Maître, c'est par les miracles que
les Apôtres confirment leur prédication. « Pour
eux, étant partis, ils prêchèrent en tous lieux, le
Seigneur travaillant avec eux, et confirmant leur
parole par les miracles qui l'accompagnaient (6). »
1. Matth., xi, 2-5. — 2. Is., xxxv, 5 ; lxi, i-5. — 3. Joan.t v,
35-36. — 4- Joan., x, 36, 38; cf. Joan., xiv, 11-12. Le décret
« Lamentabili sane exitu », du 4 juillet 1907, a condamné cette
proposition, la xxviir* : « Pendant qu'il exerçait son ministère,
Jésus n'avait pas en vue dans ses discours d'enseigner qu'il
était lui-même le Messie, et ses miracles ne tendaient pas à le
démontrer. — 5. Marc, xvi, 17-18. — 6. Marc, xvi, 20.
NOTION DU MIRACLE 49
Saint Paul écrit aux Romains : « Je n'oserais point
parler des choses que le Christ n'aurait pas faites
par mon ministère pour amener les païens à obéir
à l'Evangile, par la parole et par l'action, par la
vertu des miracles et des prodiges, par la puissance
de l'Esprit (i). »
5. Ainsi donc, rien de précis, dans l'Ecriture,
comme ce trait distinctif, cette note caractéristique
du miracle : le miracle est un signe, une preuve.
D'autre part, rien d'avéré également comme son
origine divine. Si Moïse et les prophètes, si les Apô-
tres et les chrétiens font des miracles, ce n'est ni
par leur propre force, ni en vertu des forces de la
nature, mais par la toute-puissance de Dieu ; ce
n'est point en leur nom, c'est au nom de Dieu ; eux
et les créatures ne sont que de simples instruments
dont Dieu se sert pour prouver s*a révélation, pour
accréditer ses représentants.
2. D'après les Pères. — i. Dès son apparition,
le christianisme se propage par la prédication ; et
cette prédication est accompagnée de nombreux mi-
racles. De tels faits confirment l'action des Apôtres
et de leurs successeurs. Chose étonnante pourtant,
pendant les deux premiers siècles, ce n'est pas aux
miracles que les Pères apostoliques ou apologistes
recourent pour prouver la divinité de la religion
chrétienne, c'est aux prophéties ; non certes qu'ils
doutassent de la force probante des miracles, mais
parce que les esprits étaient trop enclins à voir par-
tout des œuvres magiques. En pareil cas, semble-t-
il, c'est la notion même du miracle et surtout son
origine exclusivement divine qu'ils auraient dû faire
valoir ; ils ne le firent pas (2). D'autres le firent plus
tard, à partir du m6 siècle.
1. Rom., xv, 18-19. — 2« « Juifs et Daïens croyaient aux
LE CATÉCHISMB. — T. III. 4
50 LE CATÉCHISME ROMAIN
2. Origène ouvre la marche. Celse prétendait que
Notre Seigneur s'était fait initier à la magie pen-
dant son séjour en Egypte. Origène réplique : « Les
magiciens ne corrigent jamais les mœurs des hom-
mes. Ils ne le peuvent pas, ils ne s'en préoccupent
môme pas, parce qu'ils sont remplis de crimes...
Mais Jésus a, par ses miracles, porté les hommes à
la vertu (i). » Au commencement du ive siècle,
Arnobe écrit : « A-t-on jamais rencontré un magi-
cien qui ait fait la millième partie des œuvres ac-
complies par le Christ, qui ait fait des guérisons
sans le secours des formules, des herbes ou des
astres?... Peut-on prendre pour un mortel comme
nous celui qui, d'un mot, mettait en fuite les mala-
dies, les fièvres et les autres infirmités corporel-
les (2) !» A la même époque, Eusèbe de Césarée
consacre deux dissertations à établir la réalité des
faits évangéliqueset leur caractère divin (3). Ainsi se
dresse peu à peu la série des traits qui servent à distin-
guer le miracle, œuvre de Dieu, des prestiges, œu-
vres des créatures ; cette série continuera, se déve-
loppera et formera un système précis et complet
pour discerner infailliblement l'origine divine du
miracle.
3. Origène avait encore ouvert la voie dans un
puissances occultes et à l'existence de recettes spéciales pour
mettre ces puissances en action. La difficulté n'était donc pas
: de leur faire accepter des prodiges, mais de leur en faire
démêler l'origine. Il fallait leur apprendre à discerner le mer-
; veilleux divin du merveilleux magique. Et plutôt que de se
résoudre à aborder cette tâche délicate, les premiers apolo-
gistes préférèrent se priver d'une preuve dont la valeur pour-
tant ne faisait pas de doute à leurs yeux. » Turmel, Histoire
de la Théologie positive, Paris, 1904, p. 10.
1. Cont. Cels., I, 68; Pair, gr., t. xi, col. 788. — 2. Adv.
Nat., I, xlii-xlv ; Patr. lat., t. v, col. 772-775. — 3. Demonst.
evang., III, 5-6 ; Patr. gr., t. xxn, col. 197-244'
NOTION DU MIRACLE 5 C
autre sens : il s'agit de l'utilisation du miracle
comme d'une preuve décisive en faveur du chris-
tianisme (i). C'est la preuve dont se servira plus
tard Cyrille d'Alexandrie pour réfuter les objections
de Julien l'Apostat (2). Saint Augustin la signale avec
raison (3). Il se moque de ceux qui croient opposer
les prodiges d'un Apulée ou d'un Apollonius aux.
miracles de l'Evangile (4). Et il se préoccupe sur-
tout de dissiper un préjugé relatif à la notion dia
miracle. On le regardait comme un fait contre
nature ; l'évêque d'Hippone s'inscrit en faux contre
une conception aussi erronée ; car Dieu ne saurait
rien faire contre nature, parce qu'il ne peut rien faire
contre lui-même (5). Quel dommage pourtant que
saint Augustin ne nous ait pas laissé une définitions
1. « Nous avons une démonstration de l'Evangile plus di-
vine que la méthode dialectique des Grecs, une démonstra-
tion d'esprit et de puissance : la démonstration par l'esprit»
c'est la preuve tirée des prophéties et de leur accomplisse-
ment ; la démonstration de puissance, c'est la preuve tirée des
miracles. » Conl. Cels., I, 2. — 2. Cont. Julian., vi, vu ; Patr~
gr.i t. lxxvi, col. 793, 877. — 3. De util, credendi, xxxu-
xxxiv ; Pair, lai., t. xlii, col. 88-90. — 4« Epist . cxxxvm,
18; Pair, lat., t. xxxm, col. 533. — 5. « Le miracle n'est
nullement contre la nature, mais contre l'usage connu de
tous. Ainsi, quand nous disons que Dieu fait quelque
chose contre la nature, nous entendons quelque chose
contre ce que nous connaissons de la nature ; car nous
appelons nature le cours habituel et connu de la naturel-
Dieu ne fait rien contre la nature pas plus que contre lui-
même. » Cont. Faust. , xxr, 3. « Nous disons tout prodige con-
tre nature ; mais cela n'est pas ; car, comment serait contre
nature ce qui arrive par la volonté de Dieu?... Le prodige n'est
donc pas contre nature, mais contre la nature telle qu'elle
nous est connue. » De civ. Dei, XXI, 8. Parlant de la transfor-
mation de la verge d'Aaron, il dit : « Nec ista, cum fiunt,
contra naturam fiunt, nisi nobis quibus aliter naturse cursu$
innoluil; non autem Deo, cum hoc est natura, quod fecerit. »
De Gen. ad litt., VI, xm, 24.
52 LE CATÉCHISME ROMAIN
. , — — i i ii
claire du miracle 1 Elle aurait évité des tâtonnements
et des équivoques sans nombre.
3. D'après les Scolastiques. — i. Sur la ques-
tion du miracle, bien des précisions étaient à faire
et beaucoup de points à élucider. La langue théolo-
gique laissait beaucoup à désirer. Sans systématiser
complètement un sujet aussi délicat, sans donner
sur ce point comme sur tant d'autres une théorie
définitive, les scolastiques ont eu du moins le mérite
de faire ressortir, dans la notion du miracle, son
caractère préternaturel, et de faire valoir sa force
démonstrative. Pierre Lombard le définit une inter-
vention de Dieu, non contre la nature, mais en
dehors de Tordre naturel (i). Et telle est la notion à
laquelle se rallie saint Thomas, à l'époque de sa
maturité (2).
2. L'Ange de l'école, en effet, a soumis la notion
du miracle à une pénétrante analyse ; il en a mon-
tré les éléments constitutifs et essentiels, à savoir
son caractère préternaturel, son origine exclusive-
ment divine, sa force probante. Miracle signifie
quelque chose qui étonne. Or, deux conditions
1. « Il est fâcheux que la théorie du miracle n'ait pas été*
approfondie par quelqu'un de ces incomparables docteurs
scolastiques si constamment fidèles à renseignement de l'E-
glise, si largement pourvus de bon sens et de pénétration phi-
losophique. Je ne pense pas qu'ils eussent considéré le mira-
cle comme une suppression et comme une désorganisation
des lois physiques ou morales du monde naturel, en certains
cas donnés ; ni comme une sorte d'amélioration de l'ordre
divinement établi par la création ; ni comme un secoura
accordé à ses défaillances, et motivé par je ne sais quel repen-
tir de la Providence contrariée de n'avoir pas mieux fait à son
premier essai ; ni enfin comme le résultat merveilleux de cer-
taines lois inconnues. » Didiot, Logique surnat. object., p. ia5.
— a. Cf. De potentia, Q. vi, de miraculis; Cont. Gentes, III»
xcviii-ciii ; Sum. theol., I, Q. cv.
NOTION DU MIRACLE 5$
concourent à exciter l'admiration : la première,
c'est que la cause de ce qui nous étonne nous
échappe ; la seconde, c'est que, dans ce qui nous
étonne, il y ait quelque chose qui doive produire
un effet autre que celui qui se produit réellement.
Or, pour qu'il y ait miracle, ces deux conditions
doivent se réaliser au plus haut degré possible. Il
faut donc que cette cause inconnue soit Dieu, et que
l'effet en soit inattendu, non seulement pour ceux
qui ignorent les lois de la nature, mais encore pour
ceux que les connaissent (i). Par suite, le miracle est
« une œuvre divine, produite en dehors des causes
connues, en dehors de Tordre de toute la nature»
créée ; » ou bien encore : « un fait produit exclu-
sivement par la puissance divine dans des choses où ;
l'ordre de la nature devrait produire un tout autre ,
effet ou le produire tout autrement; » ou enfin :
« un témoignage divin révélateur de la puissance
divine et de la vérité. »
Ainsi compris, le miracle excède la puissance de
la nature de trois manières : — par la substance
même du fait, comme lorsque deux corps occupent
le même lieu, que le soleil rétrograde ou que le
corps humain est glorifié ; la nature est absolument
impuissante à de tels effets : ce sont des miracles de
premier ordre ; — par le sujet dans lequel il s'accom-..
plit ; ainsi, par exemple, quand la vue est rendue
aux aveugles ou la vie aux morts, choses que la
nature ne fait pas : ce sont des miracles de second '
ordre ; — par la manière dont il se produit ; ainsi
desguérisons instantanées, sans remède, et en dehors ,
de la marche régulière que la maladie suit en pareil»'
cas : ce sont des miracles de troisième ordre (2).
3. Cette définition du miracle est cependant trop
>
1. De miraculis, a. 2. — a. Sum. theoL, I, Q. cv, a. 8. - >
54 LE CATÉCHISME ROMAIN
large. SaintThomas exclutbiendu nombre des mira-
cles la création et la justification du pécheur, mais il
y englobe l'incarnation, la rédemption, la transsubs-
tantiation et d'autres faits divins, qui sont objet de
foi. Mais, comme d'autre part il soutient avec rai-
son la valeur démonstrative du miracle, on ne voit
guère, par exemple, comment l'incarnation ou la
transsubstantiation peut être un signe ou servir de
preuve. Telle quelle pourtant, cette définition a été gé-
néralement adoptée sans changements notables (i).
II. Mais, à partir du xviii6 siècle, parurent des
définitions du miracle erronées ou renfermant,
soit des expressions impropres, soit des termes
équivoques (2), que des catholiques eurent le tort
d'accepter. Pour les uns, le miracle était contraire
aux lois de la nature ; pour les autres, c'était une
dérogation à ces lois ou une suspension momenta-
née de ces lois. Or, l'idée d'une contradiction, dans
.1. Cf. Bellarmin, De notis Ecclesiœ, iv, i(\\ Suarez, De an-
çelis, iv, 3g ; De fide, disp. iv, sect. ni, 8. — 2. Glarke
if !729) regardait la matière comme absolument inerte
et sans action propre ; il supposait en conséquence que
tous les phénomènes naturels étaient l'œuvre de Dieu ; et,
•dans ce cas, le miracle était de même nature et ne différait de
l'ordre commun et du train régulier de la Providence que par
son éclat extraordinaire. Cf. De la religion chrétienne, xix,
11. 6. — L'abbé Houtteville (La religion chrétienne prouvée
,par les faits, I, vi) voit dans le miracle une interruption de
l'harmonie des lois générales, ou une suspension des lois uni-
verselles, ou un événement singulier produit hors de l'en-
chaînement des causes naturelles ; mais il ne répugne pas à la
doctrine des miracles « liés à l'action des lois générales in-
connues à tout esprit borné, » « compris dans l'action des
lois naturelles qui nous sont inconnues. » — Hume (f 1776),
pour mieux nier le miracle, le définit un phénomène contraire
aux lois de la nature. ~ Les définitions d-u miracle d'après
Spinoza ( Tract, theol. polilicus, c. vi) et d'après Kant (Religion
dans les limites de la raison, p. i3c)), sont la négation même
du miracle.
NOTION DU MIRACLE 55
les œuvres divines, répugne essentiellement ; l'idée
d'une dérogation se comprend dans les lois mo-
rales, mais n'a point d'application dans les lois du
monde physique, où les êtres agissent toujours
conformément à leur nature et à leurs propriétés ;
quan t à l'idée de suppression, elle prête à l'équivoque,
car elle indique plutôt l'un des effets du miracle
que sa propre nature. De toute nécessité s'imposait
une définition plus correcte. Aussi, pour couper
court à toute équivoque, Perrone définissait-il le
miracle : une couvre sensible qu'aucune cause créée
ne peut produire, qui s'accomplit en dehors de la
nature, et qui conduit aux choses de Dieu.
5. Le P. Perrone écrivait avant le concile du
Vatican. Or, le concile s'est occupé du miracle;
sans le définir expressément, il permet d'en pré-
ciser la notion. En effet, il le range parmi les faits
divins susceptibles d'établir le bien fondé de la
révélation ; il l'appelle « un signe très certain et
approprié à l'intelligence de tous, » et le distingue
de la prophétie, qu'on est convenu d'appeler, au
sens large, un miracle d'ordre intellectuel. « Afin,
dit-il, que l'hommage de notre foi fût d'accord avec
la raison, aux secours intérieurs du Saint-Esprit,
Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa
révélation, savoir des faits divins et surtout des
miracles et des prophéties, qui, en montrant abon-
damment la toute-puissance et la science infinie de
Dieu, font reconnaître la révélation divine, dont ils
sont les signes très certains et appropriés à l'intel-
ligence de tous (i). »
4. Définition. — Grâce aux précisions apportées
par le concile du Vatican, le miracle strictement
dit peut se définir : un fait sensible, extraordinaire
1. Constitution Dei Filius, c. m, S a.
56 LE CATÉCHISME ROMAIN
ou préternaturel, opéré par Dieu comme signe ou
preuve de la révélation.
i. C'est d'abord un fait sensible, et non pas sim-
plement une idée. Avant d'être matière de raison-
nement, il est objet de constatation : il appartient à
la catégorie des réalités concrètes, susceptibles
d'être observées par les sens ; il a des témoins im-
médiats comme tout autre fait; il peut être notifié
à d'autres à travers l'espace et le temps, et appar-
tient par là à l'histoire. Gela se comprend sans
peine s'il est d'ordre physique, comme une guéri-
son ou une résurrection ; mais s'il est d'ordre in-
tellectuel, comme la connaissance infuse de faits
passés et perdus dans l'oubli ou d'événements
futurs libres, ou d'ordre moral, comme la conver-
sion de saint Paul, il échappe alors en lui-même à
l'observation, mais il se manifeste par ses effets,
qui sont sensibles.
2. C'est un fait sensible extraordinaire, au sens
propre du mot, extra ordinem, c'est-à-dire en de-
hors de l'ordre particulier et général communé-
ment observé, soit dans chaque créature prise à
part, soit dans la création entière ; ou mieux pré-
ternaturel, praeter naturam, c'est-à-dire complète-
ment indépendant de toutes les causes secondes,
desquelles il ne provient pas ou desquelles il ne
procède pas selon leur efficacité naturelle. Il se
passe dans le monde de la nature, il y survient, et
s'intercale dans la trame des événements ordinai-
res. Ce n'est ni sa grandeur ni sa rareté qui en
fait un miracle; car il en est d'importance très
inégale, tels que la guérison de l'hémorroïse et la
résurrection de Lazare, et Notre Seigneur en a
opéré d'innombrables.
* 3. Le miracle est un fait divin: il a Dieu pour
auteur, par voie, non de création ou de providence
NOTION DU MIRACLE 67
naturelle, mais d'intervention directe dans le monde
déjà organisé, et pour auteur non seulement prin-
cipal, car en tant que cause première Dieu est la
cause principale de tout, mais encore unique. Dieu,
sans doute, est la cause unique du monde de la
nature, et pourtant la création n'est pas un miracle,
parce que l'ordre naturel n'existait pas encore, le
monde qu'il sert à régler n'existant pas lui-même;
Dieu aussi est la cause unique du monde de la
grâce, et pourtant l'élévation de l'homme à l'état
surnaturel n'est pas un miracle proprement dit,
parce que l'ordre surnaturel est consécutif à cette
élévation surnaturelle. Il y a deux mondes et deux
ordres superposés : le monde de la nature avec
l'ordre naturel, et le monde de la grâce avec l'or-
dre surnaturel. Dans ces deux mondes, il y a des
causes secondes qui agissent conformément à leur
nature. « Qu'un laboureur ensemence son champ
bien cultivé, la moisson lèvera ; qu'un confesseur
absolve un pénitent bien disposé, la justification sf
produira. » Ces deux effets sont chacun dans leur
ordre ; le second, bien que surnaturel, n'est pas
plus un miracle que le premier. Ce qui revient à
dire que tout ce qui est surnaturel n'est point par
là même miraculeux. Mais dans les deux mondes,
le miracle est l'intervention de Dieu en dehors de
l'ordre qu'il leur a fixé. « Que Jésus se rende
« présent » sous les espèces sacramentelles, au mo-
ment où le prêtre prononce les paroles de la consé-
cration, c'est la règle ; que Jésus, au même mo-
ment, se rende « visible, » c'est l'exception. Les
deux phénomènes sont évidemment surnaturels ;
seul cependant le second est réputé miraculeux,
parce qu'il est seul extraordinaire (i), » et nous
ajouterons, sensible.
1. Gondal, Miracle, p. 16. Le miracle, dit M. Didiot, « n'est
58 LE CATÉCHISME ROMAIN
4. Enfin, pour qu'il y ait miracle, au sens précis
du mot, il faut que le fait sensible, préternaturel et
divin, ait pour but explicite de nous avertir de l'in-
tervention de Dieu, de servir de signe ou de preuve
extérieurs soit à ses enseignements, soit à ses ordres,
d'accréditer les mandataires qu'il a chargés de nous
faire connaître ses volontés (1).
IL Possibilité du miracle
1. Le miracle est-il possible ? Dieu, en dehors
de tou te cause créée ou en se servant des causes secondes
pas surnaturel au sens strict du mot, puisqu'il est sensible et
que le surnaturel ne l'est pas, puisqu'il étonne nos sens et que
le surnaturel étonne seulement notre raison. 11 est moins
élevé, moins digne, moins important, quant à l'être, que le
Surnaturel ; mais il est plus important, quant à la démonstra-
tion de l'œuvre et de la révélation supranaturelles. » Logique
snrriat. object., n. i85. p. 126. « Le miracle est divinement pré-
ternaturel, c'est-à-dire il est l'œuvre de Dieu communiquant
à telle nature, constituée et déterminée par la création, une
perfection, un degré d'être, un mouvement, supérieurs à ceux
qu'elle a reçus de l'acte créateur, et qu'elle a pu recevoir ou
se procurer dans sa catégorie naturelle... En un mot, le mira-
cle est la concession ou la restitution surprenantes, étonnan-
tes, faites par voie d'intervention divine, à un être déjà créé,
d'une perfection à laquelle il n'arriverait pas du tout ou n'ar-
riverait que d'une façon moins avantageuse, et par laquelle
cependant il n'est pas formellement élevé à l'état proprement
surnaturel. » Ibid., n. 186, p. 127.
1. Le miracle est un signe : la tradition l'a reconnu ; et à
ce point de vue, la doctrine sert à contrôler le fait miraculeux.
Mais il est aussi et avant tout une preuve, la preuve du sur-
naturel. M Le Roy, avec d'autres, se refuse à l'admettre. Com-
ment s'arrange-t-il avec le concile du Vatican qui l'a formelle-
ment déclaré ? Le miracle peut être aussi objet de foi ; mais
cela ne lui enlève rien de sa force probante. N'en faire avec
M. Le Roy et avec d'autres qu'une critère interne, c'est le
réduire à quelque chose de purement subjectif et le sous,
traire, quoi qu'on dise, à la causalité divine.
POSSIBILITÉ DU MIRACLE 5û
d'une manière qui dépasse leur capacité naturelle,
peut-il produire des phénomènes sensibles et sur-
prenants qui, sans faire partie intégrante du monde
de la nature, s'y adaptent? Et cela sans violer la
moindre loi, sans déranger le moindre rouage, sans
troubler ni fausser en rien l'admirable mécanisme
réglé par la Providence, mais en manifestant de la
manière la plus saisissante son suprême pouvoir
d'intervenir en maître, quand il lui plaît, dans le
monde qu'il a créé? Pour quiconque admet l'exis-
tence d'un Dieu personnel, tout-puissant et libre,
la réponse ne saurait être douteuse : Oui, le miracle
est possible. C'est la réponse du bon sens comme
la réponse de la saine philosophie (i).
2. Elle a pourtant été résolue négativement
par tous ceux qui rejettent le surnaturel ; il est vrai
que c'est au mépris du bon sens et au nom d'une
fausse théodicée. Pour les panthéistes, elle ne se
pose même pas, puisqu'ils confondent Dieu avec le
monde; pour les matérialistes et les positivistes,
elle ne se pose pas davantage, puisqu'ils ne voient
dans le monde qu'un déterminisme absolu, où l'in-
tervention divine n'a que faire. Quant aux déistes,
qui admettent l'existence d'un Dieu personnel,
créateur et providence, ils se refusent à la poser,
par une contradiction llagrante avec leurs pro-
pres principes, sous le fallacieux prétexte que Dieu,
en créant le monde, la réglé une fois pour toutes et
s'est lié les mains. D'autres encore se buttent à cette
question par peur du surnaturel ou par la supersti-
i. « Dieu peut-il faire des miracles? Cette question sérieuse-
ment traitée serait impie, si elle n'était absurde. Ce serait faire
trop d'honneur à celui qui la résoudrait négativement que de
le punir ; il suffirait de renfermer. Mais aussi quel homme a
jamais nié que Dieu pût faire des miracles? » J.-.l. Rousseau,
Lettres de la Montagne, 35 lettre.
CO LE CATÉCHISME ROMAIN
tion de la science. La peur du surnaturel les arrête,
parce que le miracle lui sert de preuve et que dès
lors la foi s'impose ; la superstition de la science les
met en garde contre une intervention divine qui
serait, pensent-ils, le bouleversement de l'ordre
établi, la perturbation des lois naturelles. Autant
de vains sophismes, de prétextes puérils et de
craintes exagérées ; car, au regard de la saine phi-
losophie, il n'y a d'impossible que ce qui implique
contradiction. Et tel n'est pas précisément le cas
du miracle. Le miracle, en effet, n'offre rien de con-
tradictoire: il ne va, comme nous allons le mon-
trer, ni contre la nature de Dieu, ni contre l'essence
des choses ou les lois naturelles. Créatures et lois
restent ce qu'elles sont, même quand intervient mi-
raculeusement Celui qui a créé ces êtres et fixé ces
lois ; et Dieu reste au-dessus de son œuvre, le maî-
tre souverainement libre et tout-puissant.
3. Difficultés d'ordre scientifique. — i° Si le
miracle est possible, il n'y a plus de science, dit-on,
parce que les lois naturelles n'ont plus la fixité
nécessaire aux inductions scientifiques. Le miracle
implique une violation de ces lois, tandis que la
science proclame ces lois absolument inviolables (i).
Telle est l'objection ; le malheur est qu'elle re-
i. C'est Tune des objections mises à la mode par Strauss,
Littré, Huxley, Spencer, Hoeckel, etc. « Tout calcul est une
impertinence, dit Renan, s'il y a une force changeante qui
peut modifier à son gré les lois de l'univers... Si des hommes
réunis et priant ont le pouvoir de produire la pluie ou la
sécheresse, la météorologie n'aurait plus sa raison d'être. Si on
venait dire au physiologiste et au médecin : Vous cherchez la
raison des maladies et de la mort ; c'est Dieu qui frappe,
guérit, tue, le physiologiste et le médecin répondraient : Je
cesse mes recherches, adressez-vous au thaumaturge... Il en
est de mèiiic de l'histoire. » Explications à mes collèjues.
POSSIBILITÉ DU MIRACLE 6l
pose sur une fausse hypothèse, à savoir la violation
des lois de la nature par le miracle.
2° Notons d'abord que Dieu a constitue l'ordre
propre à chaque créature et l'ordre général de la
création ; mais ces deux ordres sont englobés dans
un ordre supérieur et restent, en tout état de cause,
soumis à la maîtrise souveraine de Dieu. Que Dieu
ne puisse rien changer à l'ordre supérieur, rien de
plus vrai. De toute éternité, par un seul acte de sa
science infinie et de sa volonté toute puissante,
Dieu l'a vu et réglé, dans son ensemble et ses
moindres détails, comme dans le jeu varié des
causes secondes, dont l'intervention prévue doit
concourir à son inévitable réalisation.
3° S'agit-il maintenant du miracle que Dieu
opère directement sans le concours d'aucun agent
créé, par exemple une résurrection, comment vio-
lerait-il des lois qu'il dépasse ? Dans ce cas, c'est un
fait nouveau qui s'ajoute aux faits ordinaires. S'agit-
il du miracle que Dieu opère, en produisant seul ce
que les agents créés produisent d'ordinaire avec son
concours, par exemple une guérison, comment vio-
lerait-il une loi, dont il se passe et qu'il supplée ?
S'agit-il enfin du miracle qui modifie, altère ou
même empêche l'action naturelle d'un agent créé,
en quoi cette intervention compromet-elle ou viole-
t-elle la loi qui n'en continue pas moins à exister,
et en vertu de laquelle le susdit agent conserve sa
tendance naturelle et propre (i) ?
i. Cf. s. Thomas, De potentia,Q. vi, a. 2. ad 20. « L'ensemble du
monde matériel n'est nullement modifié par le miracle ; quel-
ques individus seulement en éprouvent les effets physiques,
dont le retentissement sur toute la machine n'est pas appré-
ciable. L'on ne remarque pas assez combien cette majestueuse
machine est à la fois souple et solide. Les incrédules la con-
çoivent comme un immense château de cartes que la moindre
62 LE CATÉCHISME ROMAIN
4° Sur ce dernier point, le seul qui puisse offrir
un semblant de difficulté, il convient de distinguer
la loi qui règle Fessence d'un être créé de celle qui
ordonne son activité, c'est-à-dire la loi ontologique
de la loi dynamique.
La loi ontologique n'est nécessaire que d'une
nécessité hypothétique ; ce qui veut dire que, Dieu
ayant fixé la nature constitutive de tel être, cet être,
s'il vient à exister, sera ce que Dieu l'a voulu. Il a
voulu, par exemple, que l'eau fût un composé
d'oxygène et d'hydrogène ; supposé donc que Dieu
crée l'eau, l'eau sera nécessairement ce composé.
Or, les êtres créés, quels qu'ils soient, sont contin-
gents, c'est-à-dire qu'ils pourraient ne pas exister ;
mais, étant donné qu'ils existent, leur essence ne
varie pas. Contre cette essence ou contre la loi
ontologique, il est évident que le miracle ne peut
rien et qu'aucun miracle n'a lieu.
5° Reste la loi qui gouverne l'activité des êtres
créés, ou la loi dynamique. Les êtres créés sont
inconscients ou libres, d'où une double espèce de
loi dynamique, la loi physique qui règle l'activité
des forces aveugles, et la loi morale qui règle celle
des êtres libres. Cette dernière se distingue de la
force qu'elle gouverne, c'est-à-dire de la volonté
libre, qui peut s'y soumettre ou s'y soustraire ; elle
chiquenaude, par exemple la guérison d'un aveugle, ferait
crouler. Rien n'est plus inexact. En veut-on une preuve sans
réplique? Les individus naissent et meurent sans que la mar-
che générale de l'univers en éprouve la moindre déviation; les
espèces môme disparaissent tout entières, et la grande ma-
chine continue son mouvement aussi impassible que la loco-
motive qui vient d'écraser un ciron. Qu'un homme meure
puis ressuscite, elle en sera certainement aussi peu affectée que
si, à la place de l'homme ressuscité, un autre était entré dans
la vie par la voie ordinaire de la génération. » De Bonniot, Le
miracle et ses contrefaçons, p. ^.
POSSIBILITÉ DU MIRACLE 63
lui impose une obligation, mais respecte sa liberté.
La loi physique, au contraire, est inhérente à la
force qu'elle règle, elle est cette force même. Par
sa nature, la loi physique est une loi nécessitante,
mais d'une nécessité hypothétique. C'est dire qu'elle
pousse fatalement l'agent à Tacte qui lui est propre,
qu'elle le lui fait toujours produire, à la condition
que les circonstances ne changent pas et restent
identiques.
6° Or, l'expérience en fait foi, l'ordre particulier
à chaque créature change à chaque instant, à raison
du changement des circonstances. Il y a action et
réaction des forces naturelles entre elles : tantôt
elles s'ajoutent, tantôt elles se modifient, parfois
elles vont à se neutraliser, et cela naturellement.
Qu'une force supérieure intervienne, ces change-
ments s'opèrent artificiellement. L'homme, en effet,
s'empare des forces aveugles, les dirige à son gré,
les renforce, les oppose ou les neutralise, sans
d'autres limites à son intervention que celles de
sa science et de sa puissance. Or, qui s'avise de
regarder cette intervention naUirelle ou artificielle
comme la négation des lois physiques? Personne (i).
i. « Toute industrie humaine est l'intervention de la raison
et de la volonté de l'homme parmi les forces aveugles de la
nature pour les diriger, les organiser, les faire servir à des fins
vers lesquelles elles n'étaient point ordonnées par leur nature,
qu'elles étaient incapables d'atteindre par elles-mêmes. Or, c'est
à l'homme que revient le mérite des actions qu'il accomplit ;
c'est lui qui en est responsable, c'est à lui qu'on les attribue
comme à leur auteur. L'opération qu'il accomplit en elles, avec
elles et pour elles, est une opération proprement humaine.
Même le miracle est une action exclusivement divine... Notre
liberté produit, à chaque instant, dans la série des phénomè-
nes, des cilêts qui semblent échapper au déterminisme... Tout
le monde sait bien que les végétaux, les animaux, les hommes'
dépendent en partie, dans leur morphologie, leur physiologie,
leur psychologie et leur morale, de l'élevage, de la sélection,
64 LE CATÉCHISME ROMAIN
7° Mais s'il en est ainsi, l'intervention divine dans
le monde par le miracle n'est pas plus la violation
des lois naturelles que ne l'est l'intervention
humaine. Tout comme l'homme, Dieu peut inter-
venir et modifier à son gré les conditions actuelles
des forces créées ; pas plus que l'homme il ne
supprime leurs lois. Les agents conservent et leur
nature, et leurs tendances, et leur activité ; tant que
les conditions restent les mêmes, leur marche est
régulièrement la même ; que les conditions varient,
et leur marche varie. L'homme les change, pour-
quoi pas Dieu? Or, Dieu les change par le miracle ;
et son intervention miraculeuse ne viole pas plus
les lois physiques que ne les viole l'intervention
libre de l'homme. L'objection scientifique ne tient
donc pas.
4. Difficultés d'ordre philosophique. —
i° Déniera Dieu le pouvoir de faire des miracles, les
vrais philosophes n'y pensent pas. Il y a longtemps
qu'à cette question : Dieu peut-il faire quelque
chose en dehors de l'ordre naturel des créatures ?
Saint Thomas a répondu : Si l'on considère l'ordre
des êtres comme dépendant de la cause première,
Dieu ne peut rien faire contre cet ordre, car il agi-
rait contre sa prescience, sa volonté et sa bonté.
Mais si l'on considère l'ordre des choses comme
dépendant des causes secondes, Dieu peut agir en
de l'hérédité, de l'hygiène, de l'instruction, de l'éducation.
Donc des conditions contingentes font varier à chaque instant
cet ordre de l'univers, qui ne présente rien d'immuable. Je
sais bien que l'homme ne maîtrise la nature qu'en obéissant à
ses lois, mais c'est parce qu'il est partie intégrante de cette
nature, et s'il est vrai qu'il en subit le déterminisme, il dépend
de sa libre volonté que les résultats de ce déterminisme soient
perpétuellement et indéfiniment modifiés. » Maisonneuve, La
notion du miracle, Revue du clergé, i5 juin 1907, p. 686, 687, 690.
POSSIBILITÉ DU MIRACLE 65
dehors de cet ordre, parce que, au lieu d'être sou-
mis à cet ordre, c'est au contraire cet ordre qui lui
est soumis, puisqu'il dépend d'un acte libre de sa
volonté. Or, en dehors de cet ordre, il peut agir,
soit en produisant les effets des causes secondes
sans le secours de ces causes, soit en produisant
certains effets auxquels les causes secondes ne s'é-
tendent pas (i).
2° Tout en admettant en droit cette puissance
divine, des philosophes estiment qu'en fait Dieu
n'intervient pas, parce que cela impliquerait con-
tradiction, ou du moins un changement en Dieu
contraire à son immutabilité et à sa sagesse. Cette
étrange théodicée fait Dieu à la mesure de l'homme
et suppose que Dieu agit par à-coups et sans pré-
voyance. Au contraire, le miracle appartient à sa
science et à ses décrets éternels, et en Dieu il n'y a
ni changement, ni surprise, ni retouche, parce qu'il
n'arrive que ce qu'il a éternellement décrété, le mi-
racle comme le reste, il n'y a simplement qu'un fait en
plus, un fait extraordinaire il est vrai, mais dont Dieu
se sert pour des motifs et dans un but à lui connus.
« C'est dans un même plan et par un seul décret
que, de toute éternité, Dieu a fixé les lois naturelles
et les circonstances où leur activité est suspendue
pour une raison supérieure à l'ordre physique : le
i. « Non, certes, que le miracle exige plus de puissance que
le gouvernement régulier et accoutumé de l'univers, mais
parce que l'action souveraine de Dieu n'est plus voilée par
l'action des causes secondes, qu'il se montre affranchi du
déterminisme qu'il leur a imposé, qu'il se dresse, pour ainsi
parler, dans sa majesté incompréhensible « supra omnem
speciem, supra omnem modum, supra omnem ordinem » et
qu'il n'est plus permis de douter qu'il ne soit antérieur, ex-
térieur et supérieur à l'ordre qu'il a établi. » Maisonneuve,
loc. cit., p. 692.
LE CATÉCHISMB. — T. III. «
66 LE CATÉCHISME ROMAIN
bien moral (i). » C'est au miracle que Dieu réserve
le rôle d'avertisseur, de signe et de preuve de ses
desseins sur l'humanité. « Comment refuser à la
Cause première, libre et toute-puissante, la faculté
d'intervenir dans son œuvre, surtout quand une
telle intervention est le moyen nécessaire pour la
plus noble des fins, celle d'enseigner à l'humanité
ses devoirs et sa destinée (2) ? »
Le miracle fait ainsi resplendir les perfections de
Dieu, sa puissance et sa liberté, sa sagesse et sa mi-
séricorde, au lieu de porter la moindre atteinte à
ses attributs. D'autre part, il ne change rien aux
lois de la nature : il est donc possible.
III. Discernibilité du miracle
1. Le miracle n'est pas seulement possible, il
existe ; il y a eu des miracles, il y en a encore. Im-
possible de le constater, prétendent les négateurs du
surnaturel. Ce qu'on appelle ainsi, disent-ils, a été
1. Van Wcddingen, De miraculo, Louvain, 18G9, p. 77. —
2. De Broglic, Religion et Science, p. 207. « Supposons, par
exemple, qu'il entre dans les desseins de la miséricorde divine
de verser la lumière dans une intelligence que le spectacle
mal compris de Tordre universel a conduite, non à adorer la
Providence, mais à la méconnaître et à ne voir dans les lois de
la nature, en apparence immuables, que le jeu fatal d'un
système de forces mécaniques ; et supposons que, pour rendre
à cet esprit égaré le sentiment du divin, il daigne interrompre
le cours ordinaire des choses par un coup d'autorité, où visi-
blement il agit seul... Disons-le donc, si courte que soit notre
vie, elle s'étend assez pour nous montrer qu'en soi l'idée du
miracle ne répugne pas plus aux attributs moraux de Dieu
qu'à ses attributs métaphysiques. Sans chercher à pénétrer la
profondeur des secrets que Dieu s'est réservés à lui seul, nous
pouvons concevoir des cas extraordinaires où ce mode d'action
convient éminemment aux fins de la Providence. » De Marge-*
rie, Théodicée, t. 11, p. 327-328.
LE MIRACLE EST DISCERNABLE 67
considéré à tort comme une intervention immé-
diate de Dieu, à une époque peu éclairée et par de*
témoins sans critique qui voyaient des miracle»
partout (1). Le miracle n'est simplement qu'un phé-
nomène comme les autres, dont on ignore actuel-
lement la cause naturelle, mais que la science
découvrira un jour ; car ses progrès passés et récents
sont une garantie de ses succès futurs, et ainsi se
rétrécira nécessairement le champ du merveilleux
jusqu'à bannir le miracle de la nature et de l'his*
toire.
a. De telles prétentions sont loin d'être justifiées
et ne le seront jamais. Car, théoriquement et prati-
quement, le caractère historique d'un fait miracu-
leux peut être établi : ni le témoignage des sens, ni
celui des hommes ne peut rien perdre de sa valeur
pour porter sur de tels faits, sans quoi on abouti-
rait fatalement au scepticisme scientifique et histo-
rique. Et, d'autre part, le caractère miraculeux d'un
fait scientifique peut être sûrement discerné. Il y a
d'abord des faits, dont la provenance divine est
certaine, d'une certitude métaphysique; il en est
d'autres, dont on peut donner la preuve scientifi-
que qu'ils ne sont pas naturels; d'autres encore,,
inexplicables par le jeu régulier des forces naturel-
les, dont on a la preuve théologique qu'ils ne sont
pas diaboliques ; d'autres enfin, naturels en eux-
1. C'était le souhait de Voltaire (Dict. philos., art. Miracles^
pour qu'un miracle fût bien constaté, qu'il fût fait en présence
de l'Académie des Sciences de Paris, ou de la Société royale de
Londres et de la faculté de médecine. Il n'y a pas de miracle
suffisamment constaté, disait Renan dans sa Préface de la Vie
de Jésus ; car, pour une telle constatation, ni les personnes di*
peuple ni les gens du monde ne sont compétents. En consé-
quence il demandait « une commission composée de physiolo-
gistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées à l*
critique historique. »
CS LE CATÉCHISME ROMAIN
miêmes, dont on a la certitude morale qu'ils ont Dieu
pour auleur. Et c'est tout ce qu'il faut pour consta-
ter et discerner le miracle.
3. Le miracle, étant un phénomène sensible, est
d'abord observable, comme tout fait d'expérience,
pour ses témoins immédiats, et, comme objet de
témoignage humain, pour les autres. La certitude
de son existence est donc rationnellement garantie t
elle s'impose, pour lui comme pour tout autre fait,
et de la même manière, à savoir par l'évidence im-
médiate et par le témoignage historique.
4. Le caractère préternaturel du miracle est facile
à déterminer. Des lépreux se présentent à Jésus ; leur
maladie hideuse inspire un mouvement de répulsion
à la foule ; d'un mot, d'un signe, ils sont instantané-
ment guéris. Lazare est mort et repose depuis qua-
tre jours dans le sépulcre, en pleine décomposition;
Jésus survient et le rend à la vie. Comment la
lèpre a-t-elle disparu ? Comment Lazare est-il res-
suscité? Cette guérison instantanée, cette résurrec-
tion, sont des faits extraordinaires ; la foule, qui en
est témoin, y voit des miracles, et elle a raison ;
car dans les cas précités et dans des cas semblables,
toute explication naturelle fait défaut; il n'est point
d'exemple, dans la nature, de la résurrection d'un
mort ou de la guérison subite d'un mal réputé in-
curable. Point besoin pour cela d'appareil scientifi-
que ou de commission savante : le bon sens et la
saine raison suffisent à proclamer qu'il s'agit là
d'un fait préternaturel, c'est-à-dire d'un fait produit
eh dehors du cours habituel des choses, en dehors
des lois connues de tous ; l'hésitation est impos-
sible (i).
i. « Est-il besoin d'être physicien pour savoir qu'il n'est pas
dans l'habitude de l'ombre de rétrograder tout d'un coup de
plusieurs degrés sur le cadran solaire ? Est-il besoin d'être phy
LE MIRACLE EST DISCERNABLE 69
5. Il est d'autres phénomènes, tels que la guéri-
son de certains paralytiques et de possédés, pour
lesquels l'évidence du caractère préternaturei ne
s'impose pas avec la même autorité. Il y a, en
effet, toute une série de maladies nerveuses où
l'électricité, le magnétisme, l'hypnotisme, la sug-
gestion, peuvent être invoqués comme des agents
naturels de guérison. Dans des cas de ce genre, la
question est de savoir si ces agents thérapeutiques
ou d'autres analogues ont été mis en œuvre. S'il
est réellement constaté qu'ils ne sont pas interve-
nus, la guérison peut être regardée comme obtenue
en dehors des moyens naturels. Si, au contraire, ils
ont été employés, une prudente réserve s'impose,
parce qu'on ignore si en fait la guérison doit être
attribuée à leur efficacité. A la sagesse de l'Eglise
d'en décider (i).
siologiste pour savoir qu'il n'est pas dans les habitudes d'un
homme mort et enterré depuis quatre jours de se relever et
de reprendre sa place au milieu des vivants ? Est-il besoin
d'être chimiste pour savoir que la poussière du chemin, à quel-
que degré qu'elle soit saturée de salive humaine, n'a pas pour
habitude de guérir les yeux des aveugles-nés ? Est-il besoin
d'être naturaliste pour savoir que, si le blé pousse en terre, il
n'est pas dans les habitudes du pain d'en faire autant dans le»
mains de ceux qui le rompent ? » Monsabré, Conf. de saint
Thomas d'Aquin, t. n, p. £o-4i.
1. Bien avant les expériences de Charcot à la Salpétrière et
de Bernheim à Nancy, l'Eglise s'imposait comme un devoir
cette réserve. Benoît XIV écarte du nombre des miracles les
guérisons que l'influence nerveuse pourrait expliquer. « Il sera
bien difficile, dit-il, de tenir pour miraculeuses de semblable»
guérisons. Si quelquefois les postulateurs des causes de béati-
fication et de canonisation l'ont essayé, jamais je ne les ai vu
réussir. » De beat. Sanctorum, au chapitre intitulé : De l'imagi-
nation et de son pouvoir. Le Dr Bernheim reconnaît que la sug-
gestion ne peut guérir que des maladies nerveuses, et encore
ne les guérit-elle pas toutes, et ne les guérit-elle pa»
d'une façon définitive. Quant aux maladies organiques, ella
"]0 LE CATÉCHISME ROMAIN
4— +m . . , .1
6. A défaut de ces agents thérapeutiques, connus et
pratiqués depuis peu, les adversaires du miracle,
pour lui dénier tout caractère préternaturel, ont
■recours à un suprême expédient. Impossible, disent-
Ils, d'affirmer que tel fait est un miracle parce qu'il
y a dans la nature des multitudes de ressources im-
prévues, de forces secrètes, d'agents mystérieux
«lue nous ignorons encore. Tel phénomène, dans
l'état actuel de la science, peut bien paraître extra-
ordinaire et ne pouvoir s'expliquer naturellement ;
mais qui assure qu'il n'est pas l'effet de l'une de
ces forces ou de l'un de ces agents naturels encore
inconnus, et qu'un avenir peut-être prochain décou-
vrira? Dès lors, il ne peut plus être question que de
choses naturellement inexpliquées.
L'expédient est assurément habile, il n'est nulle-
ment justifié ; car il repose sur une double hypo-
thèse ruineuse, à savoir que la nature contient une
réserve inépuisable d'énergie et que la raison hu-
maine peut et doit avoir réponse à tout; nature et
raison sont limitées. Du reste, pour affirmer le
caractère préternaturel d'un phénomène, il n'est
point nécessaire de connaître toutes les lois de la
nature, ni de recourir à l'existence problématique
d'une force ou d'une loi inconnues ; il suffit de con-
naître avec certitude la loi ou l'ordre qui est en jeu.
m II est, par exemple', très clairement et très dis-
tinctement prouvé par la philosophie comme par
la physiologie expérimentale que, chez l'homme,
ne peut rien. « Elle est, dit-il, une thérapeutique presque
exclusivement fonctionnelle (si elle arrive à rétablir les fonc-
tions troublées, elle ne parvient pas à guérir les organes mala-
des). La suggestion ne peut réduire un membre luxé, dégon-
fler une articulation gonflée par le rhumatisme, restaurer la
, substance cérébrale détruite, etc. » Hypnotisme, suggestion,
, Psychothérapie.
LE MIRACLE EST DISCERNABLE 71
la mort est incapable de produire la vie... Cela est
si certain que l'hypothèse adverse mettrait en con-
tradiction les faits les plus notoires avec eux-mê-
mes et substituerait aux lois de la nature la plus
entière anarchie ; car si la mort peut produire la
vie, elle n'est plus la mort, mais encore la vie
même (i). » Or, même en admettant cette hypo-
thèse, il reste à expliquer comment Jésus, par exem-
ple, a pu, bien longtemps avant les découvertes
contemporaines, se servir comme à plaisir de ces
forces inconnues, comment il a pu commander
aux cléments, reconstituer subitement des tissus
organiques, rendre l'ouïe aux sourds, la vue aux
aveugles, la vie aux morts. C'est donc qu'il en était le
maître. Mais alors se pose impérieusement la ques-
tion : Quel est celui à qui les vents et la mer obéis-
sent ?
7. Fait sensible, phénomène préternaturel, le mi-
racle doit avoir Dieu pour auteur. Comment déter-
miner avec certitude cette origine divine ? Au-dessus >,
des agents matériels ou humains, il y a, en effet,
les anges déchus qui cherchent à nous tromper en
contrefaisant l'œuvre de Dieu. Le merveilleux dia-
bolique est-il facile à distinguer? Oui, car il a,
avec le miracle, des différences ontologiques, tirées
de son degré d'être ou de mouvement; des différen-
ces logiques, tirées de la valeur de la doctrine qu'il
atteste; et des différences morales, tirées de sa con-
formité ou de son opposition avec les règles fon-
damentales de la morale naturelle. Ces signes
distinctifs sont empruntés, soit à la nature même
du phénomène, soit à la valeur de la doctrine, soit
aux circonstances.
Le démon, en effet, est incapable de vouloir le
i. Didiot, Logique surn. objective, n. ujb, p. i85« ,
~2 LE CATECHISME ROMAIN
bien, sauf en vue du mal; d'une façon ou d'une
autre, il doit se trahir. S'il est des choses qu'il ne
peut vouloir, il en est d'autres qu'il ne peut savoir,
et que, forcément, il ignore, d'autres encore qu'il
ne peut réaliser.
Ces dernières, telles que la résurrection d'un
mort ou la création d'une substance, relèvent exclu-
sivement de Dieu. Quant à celles qu'il peut accom-
plir, quelle que soit leur apparence, elles finissent
toujours par déceler son intervention (i). C'est ainsi
que tout prestige en faveur d'une doctrine qui serait
manifestement en opposition avec des vérités d'or-
dre rationnel ou philosophique, doit être réputé
d'origine diabolique ; car Dieu, vérité absolue, ne
saurait patronner l'erreur (2). Il en est de même de
1. « Le moyen infaillible de prouver qu'un prodige n'est
pas diabolique sera donc d'établir qu'il est parfait de tout
point. Un fait surhumain et extra-naturel qui ne présente, ni
dans la fin qu'il réalise, ni dans l'objet qu'il met en scène, ni
dans les agents qui l'opèrent, ni dans les circonstances qui
l'accompagnent, ni dans les résultats qu'il produit, rien, abso-
lument rien de louche, d'inconvenant, de faux, d'immoral, un
fait de ce genre ne peut pas être diabolique. L'œuvre porte
toujours la marque de l'ouvrier; tout contact de l'enfer engen-
dre une souillure ; regardez bien : Satan signe toutes ses
œuvres ; sa signature est une infamie éclatante ou cachée.
La haine de la vérité qui brûle son cœur lui inspire un irrésis-
tible besoin de négation et de mensonge ; il ne peut pas ne
pas mentir. L'horreur de la vertu qu'entretient en sa con-
science la vue de sa propre dépravation, le pousse invincible-
ment à l'injustice et à l'abjection ; il ne peut pas ne pas souf-
fler l'injustice et l'impureté ; le mépris de la vraie grandeur,
qu'exaspère incessamment le souvenir immortel de son irré-
médiable déchéance, le fait, malgré lui, insulter, blasphémer
et maudire : il ne peut pas ne pas être impie. L'aversion insur-
montable pour l'ordre et la dignité, qu'envenime le sentiment
de sa difformité et de sa bassesse, l'entraîne inévitablement à
l'extravagance et à la bouffonnerie : il ne peut pas ne pas être
grimaçant et vil. » Gondal, Miracle, p. 109. — 2. « Ainsi tous
les prodiges, invoqués et réalisés à l'appui du polythéisme, du
LE MIRACLE EST DISCERNABLE 7 3
tout fait merveilleux qui serait contraire à la morale
ou à la décence naturelles ou qui n'aurait que la
portée d'une curiosité vaine et puérile (i) ; car
Dieu, le bien par essence, ne saurait favoriser l'im-
moralité ni se prêter à d'indiscrètes expériences.
8. De là vient que Pascal a pu dire qu'il faut
juger de la doctrine par les miracles et des mira-
cles par la doctrine. Rien de plus juste, bien qu'on
ait voulu y voir un cercle vicieux ou un paradoxe (2).
Il faut, en effet, juger de la doctrine, donnée comme
révélée, par le miracle ; dans ce cas, le vrai mira-
cle, le miracle d'origine divine sert de signature
authentique et de garantie absolue à la doctrine
révélée. Inversement, la doctrine sert à distinguer
et à qualifier le miracle : vraie et bonne, elle écarte
son origine diabolique ; douteuse, futile ou mau-
vaise, elle décèle cette origine et le condamne.
9. Il est parfois des faits étonnants, dont l'ori-
gine divine n'apparaît pas avec une irrésistible évi-
dence ; des doutes restent, ou du moins des hésita-
tions ; cela a lieu dans certaines manifestations à
caractères peu tranchés qui troublent l'esprit et le
placent en face d'une énigme. C'est alors le cas,
pour lhomme raisonnable, d'attendre un examen
plus détaillé et, si rien de décisif n'apparaît, de
s'abstenir de se prononcer ; quant au chrétien, il
panthéisme, du mahométisme, sont condamnés sans appel ni
exception, par le seul fait de leur relation avec des théories
incontestablement fausses en matière de religion. » Didiot,
Logique surn. obj., n. 280, p. 189.
1. « De ce chef encore, les miracles du paganisme indien ou
gréco-romain, du mahométisme et de certaines sectes téné-
breuses plus récentes sont nettement écartés du terrain de la
saine apologétique : la raison voit trop bien qu'ils sont pour
favoriser quelque désordre moral. » Didiot, Logique surnat.
obj., n. 281, p. 190. — 2. Par exemple, Larroque et Sully-
Prudhomme.
•7 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
■■ ■ " ■
n'a qu'à se confier à la sagesse prudente de l'Eglise.
Il est aussi des cas, des phénomènes naturels en
eux-mêmes, qui sont de vrais miracles, mais dont
on ne peut avoir qu'une certitude morale qu'ils
ont Dieu pour auteur. Très raisonnablement on peut
être amené à conclure leur origine divine pour trois
motifs différents : « et parce que l'examen des cir-
constances révèle clairement la non-intervention
des créatures, rendant par là même évidente l'in-
tervention du Créateur ; et parce que l'éclat des
prodiges déjà accomplis par le thaumaturge, rejail-
lissant sur l'œuvre extraordinaire que nous avons
déjà sous les yeux, en fait ressortir le caractère
divin, autant et peut-être mieux que l'examen
attentif des circonstances de l'œuvre elle-même ; et
parce que l'Eglise, juge prudent, éclairé, sincère,
déclare, après l'avoir constatée, la divinité du fait
en question. De ces trois moyens d'arriver au vrai,
le plus sûr et le plus court est bien certainement le
troisième. Consulter l'Eglise, quoi de plus simple !
S'en rapporter à l'Eglise, quoi de plus raisonnable !
Elle a si sagement déterminé les règles qui permet-
tent de discerner sûrement les vrais miracles ; elle
les applique avec une si judicieuse maturité; elle ne
se prononce qu'après un si minutieux examen ; elle
est si lente à proclamer les merveilles que le Christ
opère à sa gloire, en faveur de ses œuvres et de ses
enfants (i) l »
IV. Valeur démonstrative
du miracle
i. Le miracle n'est pas une fin en soi, il n'est
qu'un moyen, un argument, dont Dieu se sert dans
i. Gondal, Miracle, p. 119.
VALEUR DÉMONSTRATIVE DU MIRACLE ^5
un but déterminé. Ce n'est pas seulement pour faire
connaître quelques-unes de ses perfections, c'est
surtout pour prouver la révélation qu'il communi-
que directement à ses mandataires de choix et que,
par eux, il fait transmettre au genre humain. Or,
prouver, c'est éclairer un fait ou une vérité de ma-
nière à les rendre visibles ; c'est aussi éclairer l'in-
telligence de manière à la rendre clairvoyante. La
force probante va à démontrer quelque chose, à
persuader quelqu'un ; parfaite, la démonstration
produit l'évidence, et la persuasion la certitude. Que
fait donc le miracle ? Produit-il l'évidence ? donne-
t-il la certitude ?
2. C'est la prétention de certains rationalistes que
les miracles ne prouvent rien, parce que, s'ils ont
une valeur démonstrative en faveur de la révélation
chrétienne, ils doivent l'avoir également en faveur
de toute autre religion ; mais c'est une prétention
absolument insoutenable. Elle repose, en effet, sur
une assimilation erronée des prestiges merveilleux
avec le miracle proprement dit, et dont nous avons
déjà fait justice. Qu'on allègue donc tant qu'on vou-
dra les prodiges de Zoroastre, de Bouddha ou de Ma-
homet, les phénomènes bizarres du paganisme gréco-
romain et les faits non moins stupéfiants des dervi-
ches ou des fakirs, tous ces faits fussent-ils avérés,
et tous sont loin de l'être, de l'aveu même d'histo-
riens compétents et de critiques sans préjugés (i),
i. « Sur la biographie de Zoroastre, on ne connaît rien de
positif; son existence même acte révoquée en doute, bien
qu'il nous ait été transmis grand nombre de légendes concer-
nant sa naissance sa tentation et ses miracles. » Ticlc, Manuel
de l'histoire des religions, p. 232. « Le plus ancien document
concernant la vie de Bouddha, le Lalita-Vistara, est un livre
sanscrit d'une date et d'une autorité inconnues, composé pro-
bablement au Népal, par quelque bouddhiste qui vivait en( e
les années 600 et 1000 après la mort de Bouddha. Gomme
76 LE CATÉCHISME ROMAIN
ils n'en seraient pas moins condamnés pour leur
origine suspecte et sans valeur aucune en faveur de
personnages ou de systèmes religieux, dont la raison
réprouve l'erreur notoire ou les vices secrets. Ii n'y
a là aucune parité possible. Les miracles racontés
dans la Bible, notamment les miracles évangéiiques,
ont une tout autre autorité : consignés par des
témoins oculaires ou auriculaires, annoncés par les
apôtres et avoués même par les adversaires, racon-
tés aussi en partie par des historiens profanes des
premiers siècles, scellés enfin par le témoignage
suprême du sang, ils se présentent à nous avec une
certitude qui s'impose et aussi avec une force pro-
bante dont il reste à déterminer la nature.
3. Constatons d'abord que le miracle ne prouve
pas la vérité intrinsèque de la révélation. Car « les
choses de la foi dépassant la portée de la raison
humaine, il n'est pas possible den faire l'objet
d'une démonstration rationnelle ; il faut qu'elles
soient prouvées par l'argument de la puissance
divine ; de telle sorte qu'en voyant un homme
accomplir des œuvres qui ne sont possibles qu'à
Dieu, on demeure persuadé que ses dires sont aussi
divins que ses actes, comme on croit sans hésiter,
document pour le bouddhisme primitif, il est à peu près de la
même valeur que le serait un poème du moyen âge pour les
faits de l'Evangile. » Rhys-David, dans les Hébert Lectures,
188*, p. 197-198. Quant à Mahomet, lui-même en fait l'aveu
dans le Coran (xvn, 91-99), il ne voulut point recourir aux
miracles ; mais on lui en prête, et leur récit remplit la Somma.
« Les avoir lus, dit M. Gondal (Miracle, p. 166), c'est être fixé
à jamais sur la valeur intellectuelle et morale d'hommes assez
dépourvus de sens et de pudeur pour imaginer de pareils
exploits ou simplement pour les prendre au sérieux. » Toute
proportion gardée, il convient d'en dire autant pour tous les
faits prodigieux anciens ou récents, qui se passent dans les sec-
tes ou chez les infidèles : ou ils sont faux, ou ils ne signifient
rien, si ce n'est parfois quelque intervention diabolique.
VALEUR DÉMONSTRATIVE DU MIRACLE 77
en voyant aux mains de quelqu'un une lettre por-
tant le sceau du roi, que ce qui est renfermé dans
cette lettre est l'expression . fidèle du vouloir
royal (i). »
[\. Le miracle prouve du moins avec évidence le
fait ou l'existence de la révélation. Dieu, il est vrai,
aurait pu directement faire connaître à chaque
homme les vérités et les ordres qu'il entend propo-
ser à son intelligence et imposer à sa volonté. Il ne
l'a pas voulu. Connaissant bien la nature humaine,
pour l'avoir créée, et sachant qu'en vertu de la loi
de sa vie intellectuelle, c'est par la parole que
l'homme, fait pour la société, parvient naturelle-
ment à la connaissance de la vérité, il a préféré se
choisir quelques représentants auprès de l'humanité
pour lui notifier ses pensées et lui intimer ses ordres.
Mais, ce faisant, il a dû investir ses mandataires
de son autorité propre. Car un homme n'est qu'un
homme. Le premier venu peut se dire envoyé de
Dieu et prétendre parler en son nom. Comment le
croire sur parole ? Qui assure qu'il n'est pas victime
d'une illusion ou qu'il ne cherche pas à exploiter
la crédulité publique? Où sont ses preuves? Car, de
toute nécessité, il en faut, et d'éclatantes, et d'irré-
cusables, surtout en face de vérités inaccessibles à la
raison et de devoirs supérieurs à ceux que dicte
d'ordinaire la conscience ; sans quoi, vaine est sa
parole et stérile son action.
Mais que cet homme appuie sa parole sur de
vrais miracles, manifestement il parle au nom de
Dieu. Le miracle est sa caution, sa garantie, la mar^
que authentique, la lettre de créance de Dieu. Or, il
peut le faire, soit d'une manière explicite, soit d'une
manière implicite : explicitement, en autorisant sa
1. S. Thomas, Sum. theol., III, Q. xlui, a. 1. '
7 S LE CATÉCHISME ROMAIN
mission par le miracle qu'il va opérer ou par ceux
qu'il a déjà opérés et auxquels il fait appel; impli-
citement, en laissant à ses auditeurs le soin de con-
clure eux-mêmes de la manifestation éclatante de
ses œuvres à l'origine divine de son enseignement.
Car Dieu, qui est la vérité même, ne peut appuyer
que la vérité ; d'aucune façon, il ne saurait autori-
ser son représentant légitime à induire les autres
en erreur; ses attributs l'empêchent d'intervenir
par le miracle en faveur du plus léger mensonge
ou du moindre mal. C'est ainsi, nous l'avons vu,
qu'ont toujours opéré les thaumaturges, Moïse et
les prophètes dans l'Ancien Testament, Notre Sei-
gneur et les Apôtres dans le Nouveau. Le miracle
est donc une preuve démonstrative, parfaitement
recevable ; il prouve que Dieu a réellement parlé;
que Dieu, en parlant, ait dit la vérité et que dès lors
il ait droit à notre docile assentiment, c'est la con-
clusion logique qui s'impose à notre raison.
5. C'est la conclusion logique, disons-nous ; mais
combien qui se refusent à la tirer ! Tant il est vrai
que la démonstration et la persuasion diffèrent I
que l'évidence externe ne produit pas toujours la
conviction interne ! Il y a toujours des irréducti-
bles (i). Du moins les âmes droites et pures, les
i. « Le miracle projette sur les choses de la religion ses
clartés divines. Pourrai-je me soustraire à l'évidence qu'il leur
communique ? Oui, sans aucun doute, si, par ma faute, j'ai
perdu la faculté de voir les choses de Fàmc ; oui encore, si, de
parti pris, je refuse de tourner mes regards du côté d'où vient
la lumière ; oui, toujours, si, volontairement et pour échapper
à ce jour qui m'importune, je demande aux passions de faire
artificiellement la nuit autour de mon âme ; non, certaine-
ment, si j'ai conservé, avec le respect des droits de Dieu, le
désir de les mieux connaître, pour en faire pratiquement la
règle de ma vie. Le philosophe athée, matérialiste ou panthéiste,
atteint de cécité religieuse, passera sans les voir devant les
VALEUR DÉMONSTRATIVE DU MIRACLE 7g
esprits sincères et amis de la lumière, se laissent
toucher. En voyant un miracle, spontanément ils
disent : Dieu est là ; il n'y a plus qu'à savoir ce qu'il
veut ; notre devoir impérieux est d'obéir Telle est
l'histoire de toutes les conversions. « J'ai bien long-
temps douté des miracles, écrivait Louis Veuillot,
et maintenant que j'y songe, je ne sais vraiment pas
comment je m'y prenais pouf cela ; car rien ne me
parait plus facile à croire. Quoi de plus naturel, de
plus conforme à la miseriez de divine, que ces
éclatants prodiges, qui viennent, à de fréquents
intervalles, récompenser une foi vive, ou ranimer
dans les cœurs bons et naïfs la foi ébranlée. Dieu,
dans sa bonté, se montre à tous, selon qu 'ils le peu-
vent voir ; il ne se cache qu'à l'orgueil, le plus
horrible des crimes, la pire espèce de toutes les
impiétés, à l'orgueil qui a créé l'enfer. Mais le cœur
simple voit de ses yeux, touche de ses doigts, sent
au contact de son cœur, le maître qu'il veut servir
et glorifier (i). »
6. En revanche, plus nos contemporains regim-
bent contre le miracle, plus ils inclinent vers la
crédulité. On connaît la fascination qu'exercent les
sciences occultes, ainsi que les expériences qui se
poursuivent dans les cliniques et les salons. Séan-
faits les plus évidents qui attestent l'existence et l'intervention
de Dieu. Le déiste, égaré par l'orgueil, refusera de les examiner,
craignant comme Rousseau que la vue d'un miracle, au lieu
de le rendre croyant, ne le rende fou. Le libertin, aveuglé par
ses préjugés, inventera mille prétextes pour se persuader que
la lumière qui l'éblouit n'est qu'un jour factice, et, quand lît
fumée des passions l'aura enveloppé d'un manteau de
ténèbres, il se flattera d'avoir supprimé le soleil. Pour toutes
ces âmes mortes ou malades, incapables de voir ou désireuses
de ne pas voir, l'argument du miracle est sans valeur. » Gon-
dal, Miracle, p. i52. ,
j. Pèlerinage en Suisse, t. i, p. i53.
80 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ' '■
ces de spiritisme, d'hypnotisme, de suggestion, com-
bien de faits ne révèlent-elles pas ! Et s'il est permis
parfoisde soupçonner l'illusion ou l'imposture, il est
pourtant des témoignages qui méritent créance. Qu'en
conclure? « La pensée ne saurait venir à un croyant
sincère de chercher Dieu dans des amusements
de salon ou des expériences de clinique. Des innom-
brables phénomènes étudiés par les savants sous les
noms d'hypnose, de suggestion, de spiritisme, etc.,
beaucoup sont d'apparence naturelle, plusieurs por-
tent des signes d'une provenance diabolique, pas
un ne révèle une céleste origine ; pas un qu'un
théologien puisse être tenté de prendre pour un
vrai miracle (i), » pas un, ajouterons-nous, qui
puisse contrebalancer la force probante du mira-
cle (2).
t. Gondal, Miracle, p. 175. — 2. C'était une doctrine
incontestée jusqu'ici, fermement et constamment professée
par la tradition, que les miracles opérées par Notre Seigneur
sont avant tout, dans leur réalité objective, des témoi-
gnages formels et des preuves irrécusables de l'origine et
de la mission divine du Christ. Ils constituent tout d'abord
des motifs de crédibilité. Qu'après cela ils signifient aussi
une réalité spirituelle, pas d'inconvénient. Mais les réduire
à n'être que le symbole d'une doctrine ou d'une vérité à pro-
fesser, c'est la prétention excessive de la nouvelle école d'apo-
logétique. M. Loisy va même jusqu'à refuser toute réalité his-
torique aux miracles rapportés par saint Jean. M. Laberthon-
nière admet l'authenticité des miracles du Christ, mais il ne
veut y reconnaître que le signe d'un mystère, d'une doctrine.
Une telle théorie ruinerait le fondement rationnel de notre
croyance; car, à rejeter la valeur apologétique du miracle, telle
que Fa toujours comprise l'Eglise, notre foi ne s'appuierait
plus sur un motif préalable absolument certain, qui lui serve
de justification. La vérité est que la valeur apologétique du
miracle reste primordiale et l'emporte, sans l'amoindrir, sur la
valeur symbolique. Voir plus haut. p. 48, la proposition ré-
cemment condamnée.
DOCTRINE CATHOLIQUE SUR LE MIRACLE 8l
V. Doctrine catholique
sur le miracle
i. L'enseignement de l'Eglise sur le miracle se
trouve résumé dans le troisième chapitre de la Cons-
titution Dei Filius, du concile du Vatican, et dans
deux: canons de ce même chapitre. « Néanmoins,
dit le concile, afin que l'hommage de cette foi fût
d'accord avec la raison, aux secours intérieurs du
Saint-Esprit, Dieu a voulu joindre des preuves exté-
rieures de sa révélation, savoir des faits divins, et
surtout dos miracles et des prophéties, qui, en mon-
trant abondamment la toute-puissance et la science
infinie de Dieu, font reconnaître la révélation di-
vine, dont ils sont des signes très certains et appro-
priés à l'intelligence de tous. C'est pourquoi soit
Moïse et les prophètes, soit surtout le Christ, Notre
Seigneur lui-même ont fait de nombreux et très
manifestes miracles et prophéties. Et nous lisons
des Apôtres : «. Pour eux, étant partis, ils prêchè-
rent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux,
et confirmant leur parole par les miracles qui l'ac-
compagnaient (i). » Il est aussi écrit: « Et ainsi a
été confirmée pour nous l'Ecriture prophétique, à
laquelle vous faites bien de prêter attention, comme
à une lampe qui brille dans un lieu obscur (2). »
Canon 3 : « Anathème à qui dirait que la révé-
lation divine ne peut être rendue croyable par des
signes extérieurs, et par conséquent que les hommes
ne doivent être amenés à la foi que par une expé-
rience interne et personnelle ou par une inspira-
tion privée. »
1. Marc, xvi, 20. — 2. II Petr., 1, 19. Const. Dei Filius,
C. ni, S 2.
IB CATÉCHISME. — T. III. 6
82 LE CATÉCHISME ROMAIN
Canon h : « Anathème à qui dirait qu'il n'y a
point de miracles possibles, et que par conséquent
tous les récits de miracles, même ceux de la sainte
Ecriture, doivent être rejetés comme des fables et
des mythes ; — ou bien que les miracles ne peu-
vent jamais être connus avec certitude et qu'ils ne
fournissent pas une preuve véritable de l'origine
divine de la religion chrétienne. »
2. D'après le texte de cette Constitution, il est
d'enseignement catholique : i° que le miracle est
un fait divin ; le concile ne dit rien du rapport de
ce fait avec l'ordre du monde ; — 20 que ce fait est
sensible, au moins sous un certain rapport, puis-
qu'il doit servir de signe et d'argument à la révéla-
tion ; — 3° que, parmi les faits divins destinés à
prouver la révélation, il faut placer en tête le mi-
racle, fait d'ordre physique, et la prophétie, fait
d'ordre intellectuel, d'où il suit que le concile dis-
tingue le miracle de la prophétie ; — 4° que le mi-
racle fait ressortir la toute-puissance de Dieu ; — ■
5° qu'il est un signe très certain et approprié à l'in-
telligence de tous ; — 6° et que, pour ce motif,
Moïse, les prophètes, Notre Seigneur et les Apôtres,
mais surtout Jésus, ont fait des miracles.
3. D'après les canons, il est de foi catholique :
i° que la révélation divine peut être rendue
croyable par des signes extérieurs, et donc par des
miracles ; — 20 que le miracle est possible ; il faut
cependant remarquer que la première partie du
canon l\ est susceptible de deux interprétations :
* fait-il tomber l'anathème simplement sur ceux qui
nient la possibilité du miracle ? ce sens serait plus
conforme à V esprit du texte ; ou bien sur ceux qui
nient d'abord cette possibilité et qui en consé-
quence traitent de fables et de mythes tous les récits
scripturaires ? Ce sens serait plus conforme à la
VALEUR DÉMONSTRATIVE DU MIRACLE 85"
lettre du texte. Dans le premier cas, la possibilités
du miracle serait une vérité de foi catholique ; dans
le second, elle ne serait qu'une vérité très proche de
la foi catholique ; — 3° que le miracle est discernable ,.
puisqu'il peut être connu avec certitude ; — 4° que le;
miracle est probant, puisqu'il fournit une preuve
véritable de l'origine divine de la religion chré-
tienne ; — 5° que le miracle est démonstratif, puis-
que la révélation divine peut devenir croyable par
des signes extérieurs, et persuasif, puisque la pré-
tention protestante, que l'homme ne peut être
amené à la foi que par la seule expérience intérieure
ou par l'inspiration privée, est condamnée.
1. Miracle, Nature et histoire. — « La négation;
du surnaturel dans l'histoire est, selon toute apparence,,
la négation de la loi de l'histoire, et la négation du sur-
naturel dans la nature, sans ombre d'hésitation ni de
doute, la négation de la liberté de Dieu... De même que
l'hypothèse de la stabilité des lois de la nature est la con-
dition d'avancement delà science, ainsi l'hypothèse de la
Providence est la condition d'intelligibilité de l'histoire.
C'est ce qu'on appelle le « surnaturel général, » en de-
hors duquel nous ne pouvons seulement concevoir l'en-
chaînement des effets et des causes, ni même ce que ce sont
que des effets et que des causes ; et l'histoire n'est plus
qu'un chaos, rudis indinestaque moles, une succession
irrégulière et désordonnée de mouvements inutiles, une
agitation tumultueuse et vaine, l'illusion passagère, la
Maya des philosophes de l'Inde, le rêve que nous con-
tinuons sans savoir quand il a commencé, ni s'il finira,
ni pourquoi nous le rêvons. Mais à la lumière du sur-
naturel, tout s'éclaire ! La vie de l'espèce prend un sens !
l'histoire de l'humanité s'organise ! Et nous nous dé-
veloppons enfin, au sein de la nature indifférente ou
hostile, comme un empire dans un empire, sous une loi
qui participe de la divinité de son auteur. — Mais, s'il
est vrai qu'ainsi Dieu demeure le « maître de l'heure, »-
84 LE CATÉCHISME ROMAIN
comment méconnaîtrions nous que sa Liberté fait partie
de sa définition ? et qu'en conséquence, de nier le sur-
naturel, c'est exactement la même chose que de nier
Dieu ? Voilà ce qu'il faut bien voir. Je ne suis pas de ceux
qui croient qu'on ne fait pas au scepticisme sa part, et,
au contraire, c'est peut-être en cela que consiste toute la
critique : affirmer quand il le faut, et douter quand il le
faut. Je ne discute pas non plus l'authenticité de tel ou
tel miracle en particulier ; j'en laisse le soin à l'exégèse,
vous savez maintenant en quel sens et à quelles condi-
tions. — Mais ce que je dis, c'est que l'affirmation du
surnaturel est inséparable de l'affirmation de l'existence
de Dieu. Le Dieu d'Epicure et de Lucrèce,
Au fond de son azur immobile et dormant,
dépossédé du droit d'intervenir dans son œuvre et de-
venu l'esclave de sa création, n'est pas un Dieu, mais le
contraire d'un Dieu. J'en dis autant du Dieu de Spinoza,
s'il se définit par son immanence à son œuvre, et par
l'impossibilité, non seulement pour nous, mais pour lui-
même, de s'en séparer et de s'en distinguer. Mais si nous
y voyons clair, la notion du surnaturel conditionne la
notion de Dieu ; ou encore l'idée de Dieu n'a de réalité,
de signification même, que dans la catégorie du surna-
turel. Dieu se manifeste par la liberté qu'il a de défaire
les liens où notre courte science essaye de l'emprisonner;
et il faut renoncer à s'entendre quand on parle, ou il faut
convenir que, de tous les attributs par lesquels nous
essayons de le caractériser, il n'y en a pas un qui lui soit
plus essentiel que celui de sa liberté. La liberté de Dieu,
c'est son essence même, puisqu'enfin ce n'est qu'un autre
nom de sa toute-puissance ; et quand on affirme le sur-
naturel, on affirme tout simplement que la nature et
l'humanité, qui ne sont pas leur propre cause, ne sont
pas davantage à elles-mêmes leur loi et leur fin. L'homme
en a-t-il vraiment jamais douté?» Brunetière, Les diffi-
cultés de croire, conférence faite à Amsterdam, le
9 mai 1904.
2. Raison du miracle. — « Au point de vue de sa
VALEUR DÉMONSTRATIVE DU MIRACLE 85
finalité, de sa raison d'être, de son but, le miracle n'esl
pas un blâme ']Gté par Dieu sur la création, comme si elle
était manquée en certains points et démandait à être cor-
rigée par une intervention préternaturelle. — Ce n'est
pas non plus un acte de repentir du Créateur reprenant
le monde en sous-œuvre et lui donnant des suppléments
dont il aurait eu primitivement grand besoin. — Ce n'est
pas davantage un acte de réparation, comme si quelque
faute, quelque crime originel, avait altéré la constitution
cosmique antérieure. — Enfin ce n'est pas un acte de
caprice ou de hasard, comme si nulle raison plausible
n'avait présidé à sa production et ne pouvait lui être
assignée. Aucune opération divine, surtout préternaturelle
ou surnaturelle, ne saurait être que pleinement et pro-
fondément sage. — Le miracle étant avant tout une com-
munication d'être et de mouvement plus sublimes que
dans l'ordre naturel, il a pour suprême raison déter-
minante la glorification extérieure et accidentelle de Dieu
mieux manifesté et mieux connu, plus estimé, plus aimé
et mieux loué. — Si la création fut possible parce qu'elle
était à la gloire de Dieu, le miracle est plus possible en-
core, parce qu'il est à une plus grande gloire de Dieu. —
Le miracle étant destiné à amplifier notre perfection
intellectuelle par une plus claire connaissance de Dieu,
notre perfection morale par un plus grand amour de
Dieu, notre éternelle béatitude par une plus intime
union, dès cette vie, avec Dieu, il a pour raison secon-
daire la bonté divine envers nous. — Le miracle étant
objectivement un complément d'être et de mouvement
pour l'univers entier, et conséquemment un rapproche-
ment marqué de celui-ci avec son auteur, il a pour rai-
son secondaire aussi Vamour du Créateur pour les
créatures. » Didiot, Logique surnat. object., Paris, 1892,.
n. 200-201, p. i38-i3q.
3. Preuve que donne le miracle. — • Dieu est la
vérité, la vérité sans ombre, ce qu'il garantit est vrai, ce
qu'il signe est authentique, son témoignage est irré-
cusable. Le miracle, œuvre divine et témoignage divin,,
est un argument sans réplique ; c'est la lumière divine
86 LE CATÉCHISME ROMAIN
tombant d'aplomb sur les hommes ou sur les choses
désignées par le thaumaturge ; et cette illumination d'en
tiaut rend tout ce qui se trouve sous son rayonnement,
non seulement clair, mais évident, mais éblouissant.
Oui, le miracle donne l'évidence, non pas l'évidence in-
trinsèque qui ouvre le fond et explique le pourquoi des
choses, mais l'évidence extrinsèque qui, en éclairant les
•surfaces et en délimitant les contours, met hors de toute
contestation l'existence de ce qu'affirme l'envoyé divin, et
nous permet de le saisir sans le comprendre. Même après
un miracle accompli en faveur d'un prophète, je puis ne
pas pénétrer le sens mystérieux de la vérité qu'il annonce,
-mais le fait de la révélation est hors de toute contestation
possible... Le miracle n'étant qu'un témoignage ne peut
établir qu'un fait, sans en donner la raison; mais ce
témoignage étant divin, le fait est certain, d'une certitude
inébranlable. » Gondal, Miracle, p. i5o-i5i.
« Le miracle est le véritable pivot de la religion chré-
tienne. Ni dans la personne de ses prophètes, ni dans la
personne de son Fils, Dieu n'a essayé de « démontrer »
par des raisonnements quelconques la possibilité des
vérités qu'il enseignait ou la convenance des préceptes
<juil intimait au monde. Il a parlé, il a commandé ; et
comme garantie de sa doctrine, comme justification de
son autorité, il a opéré le miracle. Il ne nous est donc en
. aucune façon permis d'abandonner ou d'affaiblir, en le
reléguant au second plan, un ordre de preuves qui occupe
le premier rang dans l'économie et dans l'histoire de l'éta-
blissement du christianisme... Le miracle, qui appartient
-à l'ordre des faits, est infiniment plus probant pour les
^multitudes que tous les autres genres d'arguments ; c'est
$>ar lui qu'une religion révélée s'impose et se popularise.
Si vous laissez debout la notion du miracle, la possibilité
•du miracle, vous ouvrez la porte au surnaturel qui entrera
Avec un cortège de preuves invincibles. Au contraire, si
vous supprimez le miracle, vous ôtez au surnaturel son
garant efficace, son témoin nécessaire, vous transportez
la question du domaine historique dans le domaine mé-
ttaphysique. Là, le philosophisme aura beau jeu. » G"1 Pie,
VALEUR DÉMONSTRATIVE DU MIRACLE 87
Troisième instruction synodale, œuvres, t. v, p. 106, 108.
4. Le miracle, démonstration non nécessitante*
— « Quand nous disons que la force démonstrative du
miracle est rigoureuse, nous ne disons pas qu'elle obtient
toujours son effet ; quand nous disons qu'elle est univer-
selle nous ne disons pas que tout le monde l'accepte. Le
miracle est une démonstration rigoureusement univer-
selle, mais ce n'est pas une démonstration nécessitante.
Dieu nous éclaire, mais il ne nous brutalise pas ; en
demandant notre foi, il respecte notre liberté. L'homme
demeure donc tout entier en face des prodiges, avec ses
préjugés, ses faiblesses, ses dépendances, ses frayeurs et
surtout ses passions. S'il n'est pas convaincu, n'en accu-
sez que lui et non les preuves qu'on lui donne.
Les païens ont résisté : mais leur vie facile et toute à
la volupté les relenait captifs. Les Juifs ont résisté :
mais ils étaient aveuglés par le préjugé d'un Messie
conquérant et maître de la terre ; ils subissaient
la domination jalouse d'un Sacerdoce, dont le pouvoir et
la haine leur causaient de mortelles frayeurs. Les scribes,
les pharisiens, les princes des prêtres ont résisté : mais
leur orgueil, plus fort que l'évidence, leur faisait crain-
dre la perle du prestige et de l'influencedontils abusaient.
Le plus grand nombre a résisté : mais le plus grand nom-
bre a obéi à la voix de la passion... Ah ! où en serions-
nous, si nous jugions la valeur des preuves à l'effet
qu'elles produisent P Ne savez-vous pas que chaque jour
des millions de lecteurs se laissent prendre aux niaiseries
des feuilles publiques, et des in-octavo que met au monde
l'intempérante paternité de nos sophistes ? Il n'est pire
sourd que qui ne veut pas entendre, et jamais je n'ai été
mieux convaincu de la justesse de ce proverbe, que lors-
qu'il s'est agi de démontrer les vérités religieuses. Un
jour, un esprit fort conversait avec moi. Gomme il avait
admis certains principes, je l'amenai à reconnaître une
contradiction dans sa conduite, et lui dis le plus poliment
du monde : « Mon ami, \ous n'èles pas logique. » -—
uEh! répliqua-t-il, je me moque bien de votre logi-
que !» — Je l'avoue, tous les arguments que j'avais pris
88 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ■ ^ *
tant de peine à entasser sur sa tête croulèrent devant
celui-là. et ce beau raisonneur put se flatter, à mon silence,
de m'avoii* vaincu, et ma cause avec moi. » Monsabré,
Conférences de saint Thomas d'Aqain, Gonf. xxvi, Paris,
1866, t. 11, p. 189-190.
5. Dieu peut-il intervenir dans le monde? — « Je
ne vois qu'une seule loi naturelle qui puisse être mise en
écbec par le miracle, mais c'est à la condition qu'elle
existe. Je veux parler d'une loi de non-intervention inter-
disant à Dieu de reparaître dans la demeure qu'il a créée,
d'agir dans le monde qu'il a doté primitivement d'exis-
tence, de substance et de mouvement. Or, qui me démon-
trera jamais l'existence de cette loi fameuse? Sera-ce un
philosophe, armé de principes métaphysiques prouvant
clairement qu'un ouvrier ne doit plus s'occuper de son
œuvre, un peintre de son tableau, un maître de son disci-
ple, un père de son enfant ? Eh bien ! ce philosophe
déraisonnerait. — Sera-ce un théologien, au nom de lin-
finie perfection de Dieu ? Mais, si cette perfection ne l'a
pas empêché de produire la terre et les hommes, par quel
sophisme puissant viendra-t-elle lui interdire de les
gouverner, de les visiter, de les appeler et de leur par-
ler ? — Sera-ce un naturaliste, sous prétexte de respecter
la machine cosmique, si admirable et si délicate ? Mais
l'horloger et le mécanicien savent fort bien mettre une
montre à l'heure et un compteur au point, et donner au
moteur qu'ils ont fabriqué le secours supplémentaire de
la célèbre « chiquenaude » des cartésiens, sans déranger
ni briser quoi que ce soit... Dieu n'est nullement enchaîné
par les lois cosmiques. Il n'en est pas le captif parce que
c'est lui qui les a faites pour ses créatures, et non lui qui
les a subies ou se les ait imposées. Il serait bien le maî-
tre de les supprimer ou de les suspendre, s'il en avait le
désir. Mais il ne va pas si loin : il se contente de se mêler,
quand il a des raisons pour cela, parmi les moteurs
actuels du cosmos. Il est intervenu seul, à l'origine, pour
les créer et se manifester en eux ; et parfois encore il inter-
vient pour se manifester parmi eux. » Didiot, Logique
surn. object.y n. 197, p. i35-i3G.
j 5 » g a j g j | j S .->v .>y $ s>> ^ * $ $ .-» -S .-fr j .-fr M $ $ % $ » jt .-» * 3 g j g
Leçon IIIe
La Prophétie
I. Sa nature. — II. Sa possibilité. — III. Sa
valeur démonstrative. — IV. Le prophètisme.
Ici, comme pour le miracle, mais avec aussi peu
de succès, quoique toujours poussé par la
môme préoccupation d'éluder le surnaturel, le
rationalisme a menii une campagne acharnée ; il a
dénaturé la prophétie, Ta déclarée impossible, inexis-
tante et sans valeur (1). C'est qu'en effet s'il y a
des prophéties authentiques et authentiquement
réalisées, le bon sens et la logique veulent que Dieu
soit intervenu dans l'histoire, et que l'Eglise porte
en elle-même la preuve certaine de son origine
divine. Gela se comprend ; car un événement futur,
1. BIBLIOGRAPHIE: S.Thomas, Sum.theol, IIa IF3 , Q. clxxi-
clxxiv; Monsabré, Conférences de S. Thomas d'Aquin, Paris, 1866,
Conf.xi-xx,t. 1.; Le Hir, Les prophètes d'Israël, réponseà A. Ré-
ville, dans Etudes bibliques, Paris, 1869, t. 1; Vigouroux, Manuel
biblique, 4e édit., Paris, i885, t. 11 ; Brugère, Devera religione,
Paris 1873 ; Gal Meignan, Les prophètes d'Israël, Paris, i8g3 ;
de Broglie, Les nouveaux historiens a" Israël, dans le Corres-
pondant, 1888, t. cxiv, cxv ; Didiot, Logique surnaturelle objec-
tive, Paris, 1892, théor. xxxi-xxxn, xl ; Brucker, L'époque des
prophètes, dans les Etudes, 1892, t. lvi ; 1893, t. lix ; S.Justin,
Apolog., 1, 53 ; Dialogue avec Tryphon; La Luzerne, Dissertation sur
les prophéties, dans le Scriplurac Sacrœ cursus completus, de
Migne, t, xvm ; Vacant, La constitution Dei Filius, Paris, i8g5,
t. 11 ; les récents traités de théologie et les apologies du chris-
tianisme ; Lagrangc, Pascal et les prophéties messianiques, dans
la Revue biblique, 1906, p. 532-56o.
gO LE CATECHISME ROMAIN
contingent et libre, ne saurait être connu que de
Dieu et de ceux à qui Dieu a bien voulu le révéler.
Si donc un homme affirme et prouve qu'il possède
celte connaissance de l'avenir et la formule publi-
quement, il n'a pu y être autorisé que par Celui
qui sait tout ; et si l'événement survient tel qu'il a
été annoncé d'avance, manifestement Dieu est là.
Impossible d'échapper à cette conclusion.
( ette conclusion s'imposerait, n'y eût-il qu'une
seule prophétie ; mais à combien plus forte raison
s'iroposc-t-elle si, au lieu d'une seule, il s'en ren-
contre toute une série, de date et d'origine diver-
ses, convergeant vers le même but, se complétant»
par une accumulation de détails plus abondante et
de plus en plus précise ! Or, "tel est justement le
cas, relativement au Messie et au Christianisme.
Aussi, pour infirmer la valeur d'une telle preuve,
que n'a-t-on pas imaginé! A quelles hypothèses, à
quels sophismes n'a-t-on pas recouru ! La tactique
rationaliste est toujours la même, ses procédés ne
Varient pas. Les textes sont là pourtant ; ils sont
consignés dans un document public, officiellement
arrêté par l'autorité juive, puis traduit en grec par
les Septante, près de trois siècles avant notre ère.
On n'a donc qu'à les consulter pour constater l'an-
tériorité et connaître le contenu des prophéties.
Vient ensuite l'histoire évangélique, consignée elle
aussi dans un document officiel et public qui,
'même dans l'hypothèse la plus défavorable, remon-
.te.au moins à la fin du second siècle, et qui atteste
Ja réalisation des prophéties messianiques. Quoi de
plus probant aux yeux de tout homme de bonne
(foi !
' A'ais ce n'est pas ainsi que l'entend le rationa-
lisme. Les textes prophétiques, c'est son droit, il
les soumet à une critique rigoureuse. S'ils peuvent
LA PROPHETIE 91
s'interpréter avec assez de vraisemblance, sans qu'il
soit nécessaire de supposer une intervention surna-
turelle, il les admet. Au contraire, restent-ils irré-
ductibles à toute explication naturelle, il les frappe
d'exclusive, en les déclarant écrits après coup,
interpolés, apocryphes. El ainsi, contre le dogma-
tisme qu'il reproche à l'Eglise, mais qui se tient et
qui se justifie en toute rigueur de logique, il dresse
un autre dogmatisme, dont le défaut est de partir
d'une hypothèse a priori, celle de la non-existence
du surnaturel, et de procéder arbitrairement à ren-
contre des faits les mieux avérés pour aboutir à un
système, qui n'a même pas le mérite de la vrai-
semblance et qui est manifestement insuffisant à
résoudre le problème.
L'Eglise n'a pas à craindre la critique, l'exégèse,
la psychologie ou l'histoire. Dès son apparition,
elle a donné les preuves de son institution divine ;
et l'une de ces preuves est celle de l'accomplisse-
ment des prophéties. Les Apôtres l'esquissent lar-
gement, les Pères agrandissent encore le cadre et
précisent certains détails ; les scolastiques la font
valoir avec la rigueur de leur logique ; Pascal la
déclare décisive. Mais depuis le xvme siècle jusqu'à
nos jours, le rationalisme n'a cessé de la battre en
brèche. Rien d'étonnant dès lors que le concile du
Vatican l'ait rangée, avec celle des miracles, parmi
les faits divins qui servent à la révélation de preuve
extérieure très certaine et appropriée à l'intelligence
de tous (1). Il importe donc, pour répondre au
rationalisme, de dire quelle est la nature de la
prophétie, d'en montrer la force probante.
1. ConstU. Dei Filius, G. m, S a.
9?. LE CATECHISME ROMAIN
I. Nature de la prophétie
i. Prophète vient de 7rpocp^T7)ç, terme grec,
dont se sont servis les Septante pour traduire les
mots hébreux Rôéh, Khôzéh, qui signifient Voyant (i),
ou Nabi, qui signifie Inspiré. Le Nabi, au sens usuel
et étymologique du mot, est l'inspiré de Dieu, celui
qui fait connaître une révélation divine, quel qu'en
soit l'objet ; au sens restreint, celui qui révèle
l'avenir. Le Prophète signifie de même, au sens
large, celui qui parle pour un autre, et, au sens
restreint, celui qui prédit l'avenir.
2. Dans ce sens restreint, le seul à retenir ici, la
prophétie peut se définir : La connaissance certaine
et la prédiction d'événements futurs, qui ne peu-
vent être connus naturellement. Avant d'être une
prédiction, la prophétie est une connaissance, com-
muniquée par Dieu au prophète par l'intermédiaire
des sens, de l'imagination ou de la raison ; une
connaissance certaine, dont le prophète ne peut
douter. Quand le prophète, dans une illumination
ou une vision rapide, aperçoit tel fait qui n'est pas
encore mais qui sera, il a conscience qu'il n'est pas
le jouet d'une illusion, il est certain d'avoir bien vu.
3. Que voit-il? — Des événements éloignés de
lui dans un avenir plus ou moins lointain, que
rien, dans le jeu prodigieusement varié et mêlé des
causes contingentes et des agents libres, ne permet
de prévoir ou de soupçonner, et qui échappent à la
puissance intellectuelle de toute intelligence créée,
homme ou ange. C'est donc de Celui qui sait tout
qu'il a dû en recevoir notification ; Dieu seul, en
effet, peut soulever un coin du voile qui cache
l'avenir et faire entrevoir ce qui sera librement un
i. I Reg., ix, 9 ; Amos., vu, ia.
NATURE DR IA PROPHETIE QO
jour. La prophétie implique donc d'abord une révé-
lai ion.
[\. Mais elle implique aussi une mission spéciale.
Car, ce n'est pas pour lui que le prophète reçoit
une telle faveur, c'est pour les autres ; ce qu'il
apprend ainsi surnaturellement, c'est afin de le ma-
nifester autour de lui. Il n'est pas seulement un
confident de Dieu, il a de plus un rôle à jouer, un
mandat à remplir, qui est précisément de publier
sa confidence. Voilà donc le double élément cons-
titutif de la prophétie : c'est une connaissance de
l'avenir par révélation, et une prédiction par ordre
divin de cet avenir (i). Le prophète connaît l'ave-
nir, tel que Dieu le lui a révélé, et il l'annonce
parce que Dieu l'y oblige (2). Le faux prophète, au
contraire, n'a ni révélation, ni mission ; il agit sans
mandat ; sa parole est mensonge (3).
5. Pour instrument de sa volonté, Dieu prend
qui il lui plait : un pâtre près de son troupeau, un
paysan qui laboure ou émonde ses oliviers, aussi
bien qu'un prêtre ou un roi. Son choix, essentielle-
ment libre, ne requiert dans celui qui en est l'objet,
aucune disposition naturelle d'ordre physique, in-
tellectuel ou moral ; il s'affirme souverainement,
1. « Je leur susciterai d'entre leurs frères un prophète tel
que toi ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira
tout ce que je lui commanderai. » Deut., xvm, 18. —
2. Cf. Isaie, vi, 9; Jérémie, 1, 7-10 ; Ezéchiel, 11, 3-4 ; etc. —
3. Le rôle du faux prophète est nettement caractérisé dans
la Bible. « Le prophète qui osera prononcer en mon nom une
parole que je ne lui aurai pas commandé de dire, ou qui par-
lera au nom d'autres dieux, ce prophète mourra. » Deut.,
xvm, jq. « Et Jéhovah me dit : C'est le mensonge que les pro-
phètes prophétisent en mon nom ; je ne les ai pas envoyés ; je
ne leur ai point donné d'ordre, et je ne leur ai point parlé.
Visions mensongères, vaines divinations, imposture de leur
propre cœur, voilà leurs prophéties. » Jerem., xiv, i4; cf,
Jerem., xxvn, i5; Ëzech., xlii, 6 ; etc.
94 LE CATÉCHISME ROMAIN
sans mécanisme ni rite d'aucune sorte ; il éclate
soudain, rapide comme un rayon lumineux ou
comme un éclair fulgurant; et il s'impose d'auto-
rité. Ce n'est pas à dire qu'il soit capricieux et sans
motif; car Dieu, sagesse infinie, sait très bien ce
qu'il fait : il a ses raisons, qui parfois nous échap-
pent, mais qui parfois aussi laissent entrevoir cer-
taines affinités mystérieuses qui, sans créer un
droit quelconque chez le prophète, prouvent néan-
moins une providentielle harmonie. Son choix fait,
il donne à l'élu la connaissance certaine de tel ou
tel événement à venir, impossible à connaître natu-
turellement ; il le fait, soit en éclairant son esprit
d'une manière surnaturelle, soit en frappant son
imagination ou ses sens par une vue sensible du
fait, mais toujours en lui donnant la conviction
intime qu'il est bien l'objet d'une intervention posi-
tive de Dieu et non le sujet d'une hallucination.
A cette révélation Dieu ajoute l'ordre au prophète
de faire part aux autres de ce qu'il vient d'appren-
dre lui-même.
6. De son côté, l'élu, quelle que soit sa condi-
tion sociale, sa valeur intellectuelle et morale, n'a
qu'à prêter une attention docile à l'action de Dieu.
Sa nature ne change pas. Quand Dieu se révèle à
lui par une parole intérieure, ce qui était le cas le
plus fréquent, il conserve son état normal dans
l'exercice de ses facultés ; mais quand, par excep-
tion, Dieu se révèle à lui en vision ou en songe, il
perd alors momentanément l'usage des sens ; son
âme, dans un état passif et impuissante à réagir,
possède une grande clairvoyance ; une fois la vision
ou le songe passés, le prophète revenu à l'état nor-
mal, a pleinement conscience de l'intervention
divine qui vient d'avoir lieu. Et alors, tout en con-
servant son génie propre, son caractère personnel,
NATURE DE LA PROPHETIE 9 5
il manifeste clans le geste, la parole ou l'accent,
dans son attitude ou sa conduite, qu'il a reçu la
visite inopinée de Dieu : de là , l'éclat de son lan-
gage, la puissance et l'autorité de son affirmation,
l'indomptable énergie dans l'accomplissement de
son mandat. 11 se sent, il se sait le mandataire de
Dieu, 'il parle en inspiré, il révèle ce qui lui a été
révélé. « Parole de Dieu ! » s'écrie-t-il.
7. Mais quelle que soit son attitude, elle n'a rien
de l'exaltation incohérente et désordonnée de la
mantique ou de la divination, auxquelles, bien à
tort, on a voulu la comparer et l'assimiler ; les dif-
férences sont trop caractérisques. Le prophète con-
serve la pleine possession, la maîtrise de lui-même.
Son inspiration n'est pas à confondre avec la fureur,
le délire ou la démence des devins du paga-
nisme (i), elle ne constitue pas un cas pathologi-
que ; elle ne naît pas spontanément de la piété ou
de la conscience religieuse (2) ; elle vient de Dieu.
1. Déjà Philonet les Montanistès avaient identifié l'état du
prophète avec celui des devins. Cf. Philon, De vita Mosis, I, 11 ;
Josèphe, Antiq.jud., IV, vi, 5; Tertullien, Adv. Marc, iv, 22 ;
Patr. lat., t. 11, col. 4i3. Cette identification fut énergique-
ment condamnée par les Pères. Cf. Origène, Cont. Cels., VII, iv;
Patr. gr., t. xi, col. 1426 ; Eusèbe, Hist. eccl., V, 17 ; Patr. gr.9
t. xx, col. 474 ; S. Basile, in Is., v; Patr. gr., t. xxx, col, 126 ;
S. Chrysostome, in Ps., xliv, i ; in I Cor., homil., xxxi, 1 ;
Patr. gr., t.' lvi, col. i83 ; lxi, col. 2^1 ; S. Jérôme, Prolog, in
Nahum, Prolog, in Is. ; Patr. lat., t. xxv, col. 1232 ; xxiv,col. 19.
— 2. C'est l'habitudede M. Sabatier de conserver certains mots,
mais après les avoir vidés de leur sens catholique ; tel est le cas
pour ceux de prophétie et d'inspiration, « Les voyants hébreux,
dit-il, n'ont pas eu plus que les sibylles ou le devin Tirésias
le don miraculeux de lire dans l'avenir. La supériorité de leur
inspiration est ailleurs. Elle est tout entière dans une idée de
Dieu plus pure, dans un idéal de justice plus élevé, dans une
religion essentiellement morale, dans leur foi indéfectible au,
triomphe de la loi et de la volonté sainte et miséricordieuse
<ie l'Eternel. » Les prophéties de Jean-Baptiste et de Jésus « ne
96 LE CATÉCHISME ROMAIN
8. Au reste, le prophète ne laisse aucun doute sur
son rôle d'envoyé divin. La pureté de sa vie, l'éclat
de ses vertus, une éminente sainteté sont de nature
à disposer favorablement les auditeurs ; mais cela
ne suffit pas. En garantie de sa véracité, il opère
des miracles ; en garantie de la réalisation des évé-
nements lointains qu'il annonce, il offre parfois la
réalisation d'événements plus rapprochés, mais tout
aussi inaccessibles que les autres à la prévision
humaine. De telle sorte que ceux-là ne se laissent
pas convaincre qui ferment de parti pris les yeux
à la lumière et restent sourds à la voix du bon sens
et de la raison.
9. Les prophéties n'ont pas des contours nette-
ment arrêtés ; elles flottent un peu dans le vague ;
des obscurités les enveloppent. Cela tient tout
d'abord à leur propre caractère : elles ne sont pas
de l'histoire. Elles esquissent plus qu'elles ne détail-
lent ; « elles nous donnent un croquis de l'avenir,
mais non un tableau achevé (1). » — Gela tient
encore au défaut de perspective et à l'absence de
distinction des temps. Parfois, en effet, sur un même
plan, sans précision de dates, la même prophétie
annonce des événements distincts qui se réaliseront
procèdent en aucune manière d'un don spécial ou d'une puis-
sance miraculeuse de divination. » Esquisse, p. 94. « I/inspi-
ration religieuse n'est pas psychologiquement différente de
l'inspiration poétique. Elle offre sans doute le même mystère,
mais n'implique pas plus le miracle. » Sa « racine intérieure
ne se trouve pas ailleurs que dans la piété ; elle n'en diffère
pas par nature, mais seulement par l'intensité de l'énergie. »
Ibid., p. 99-100. Le subjcctivisme de M. Sabatier a conditionné
sa théorie de l'inspiration et de la prophétie ; on retrouve chez
lui l'influence de la conception rationaliste du prophétisme,
dont il sera question plus loin.
1. Vigouroux, Manuel biblique, 4e édit., Paris, i885, t. 11,
D. 468.
POSSIBILITÉ DE LA PROPHETIE 97
à différentes époques. Nous en avons un exemple
dans celle de l'Evangile (i), relative à la fois à. la
ruine de Jérusalem et à la fin du monde. — Gela
tient aussi à notre ignorance des milieux dans les-
quels elles ont été promulguées ; mieux connus, ces
milieux nous expliqueraient bien des choses. La
preuve en est dans les découvertes dernières de
l'assyriologie et de l'égyptologie qui nous ont per-
mis de mieux comprendre les oracles d'Isaïe, de
Jérémie et d'Ezéchiel contre l'Egypte (2). Mais cette
obscurité relative n'empêche pas la lumière de pro-
jeter assez de clartés pour nous permettre de cons-
tater avec certitude l'accomplissement de telle ou
telle prophétie. Et, en tous cas, le faisceau lumi-
neux qui se dégage des prophéties, prises dans leur
ensemble, est trop intense pour ne pas laisser voir
avec quelle exactitude les faits de l'histoire répon-
dent à ce qu'avaient annoncé les prophètes.
IL Possibilité de la prophétie
1. La prophétie, comprise au sens strict du mot,
est-elle possible ? Est-il possible que Dieu puisse
faire part à une créature intelligente de sa connais-
sance de l'avenir ? Poser seulement une telle ques-
tion, c'est faire preuve, comme pour le miracle,
1. Matth., xxiv. — 2. A ces raisons, saint Chrysostome, dans
deux homélies, De prophetiarum obscuritate, Patr. gr., t. lvi,
col. 163-192, ajoute celles-ci : c'est que, d'une part, Dieu ne
voudrait pas exposer à de trop grands dangers ses prophètes,
quand ils avaient des choses désagréables à annoncer, ni rendre
la loi mosaïque méprisable, en faisant prédire trop clairement sa
future abrogation ; et d'autre part, c'est que nous ne saisissons
pas ou nous entendons difficilement le texte original. Cf.
Théophylacte, Proœmium exposit. sand. prophetarum, Patr»
gr.t t. cxxvi, col. 570.
LB CATÉCHISME. — T. III. 7
98 LE CATÉCHISME ROMAIN
d'un oubli ou d'un mépris des principes élémentai-
res de la théodicée et de la logique. Et c'est pour-
tant la question que l'on pose, et qu'on résout
négativementparmi les rationalistes, mais à laquelle,
sans crainte d'errer, nous répondons affirmative-
ment : Oui, la prophétie est possible, car elle n'im-
plique aucune contradiction, ni du côté de Dieu, ni
du côté de l'homme.
2. Dieu, nous l'avons dit (1), est omniscient.
Nécessairement, il connaît toute réalité, même avant
qu'elle existe. Répéter avec Voltaire que Dieu ne
peut connaître l'avenir, parce qu'il ne peut pas
savoir ce qui n'est pas, c'est dire cette ineptie que
l'astronome, par exemple, ne peut connaître
d'avance telle éclipse qui n'est pas encore, mais
qui aura lieu à telle date fixe. L'avenir est une réa-
lité, soit dans la cause qui le prépare, soit dans la
science qui le voit ; et Dieu, cause suprême et sou-
veraine de tout, le voit en lui-même et par lui-
même. Librement, il peut faire part de sa science
sur tel ou tel point de l'avenir à la créature intelli-
gente, faite pour la vérité ; et librement encore.,
dans un but connu de lui, il peut obliger son con-
fident à communiquer aux autres ce qu'il lui a
directement appris.
3. Insistons. « Le premier moment de la prophé-
tie est l'éternel instant où Dieu connaît toute vérité*
Je ne crois pas qu'à moins d'être athée ou pan*
théiste on puisse songer à limiter cette infinité de
connaissance. Dieu est l'être sans bornes, immense.
Il se connaît adéquatement, puisque son acte de
connaissance, c'est lui-même. Il connaît donc infi-
niment l'infini. Après cela, quelle difficulté d'ad-
mettre qu'il connaît totalement le fini ? Cette
l. Voir t. 1, p. 492-497»
POSSIBILITE DE LA PROPHETIE Q<|-
„ - — ^
seconde connaissance, — nous la distinguons logi-
quement de la première, mais ontologiquement elle
lui est identique quant à l'acte, non quant à l'objet,.
— est incomparablement plus admissible et plus
facile à entendre que celle de l'infini par le fini.
Objectera- t-on que l'avenir ne peut être connu ?
Tout d'abord le divin substantiel n'étant aucune-
ment ni passé ni futur, mais absolument et bien
simplement présent, Dieu, en connaissant tous ses
desseins et toutes ses opérations, connaît l'éternel
présent. Ensuite, l'avenir fini et créé, qui sera réel-
lement un jour, est logiquement de toute éternité, en-
ce sens qu'éternellement ce fut et c'est une vérité
que tel fait contingent se produira ou pourrait se
produire ; que tel agent libre, seulement possible et
ne devant jamais exister de fait, prendrait telle réso-
lution et s'arrêterait à tel choix, s'il se trouvait dans
telle conjoncture également possible, mais qui ne se
rencontrera jamais. Ce sont là pour ainsi dire des
théorèmes abstraits de science historique abstraite,
comme il y a des théorèmes de calcul abstrait, inlini-
tésimal par exemple, puisque les infiniment grands
et les infiniment petits, pour ne parler que deux,,
ne sauraient absolument exister. Refuser à Dieu ht
science infinie du fini simplement possible, du fini
réellement futur, du fini possiblement futur, serait-
donc nier Dieu ou nier la vérité plus ou moins con-
crète du fini : alternatives dont les deux termes
sont également inacceptables.
4. « Le second instant de la prophétie est le-
moment temporel où l'intelligence créée, soit an-
gélique soit humaine, entre en participation de la
connaissance divine relative aux futurs libres et
contingents ; car, des futurs nécessaires, il est à
peine besoin que je fas <• mention, attendu qu'ils
résultent des causes naturelles dont ils sont les
IOO LE CATECHISME ROMAIN
corollaires inévitables, et dont la science moderne
soutient que notre esprit peut ou pourra quelque
jour déduire toutes les conséquences. A la possi-
bilité de cette transmission de prévision ou de pres-
cience, qu'objectera-t-on ? Que ce serait un mi-
racle ? Mais nous avons vu que le miracle est
possible. Que l'infini ne peut pas être compris par
le fini? Mais nous ne disons pas que la science
même de Dieu, cet acte infini et identique à Dieu,
devienne la science et l'acte de l'esprit créé. Qu'il
faudrait que Dieu notifiât à celui-ci sa connaissance
de l'avenir, ou bien en songe ou bien à l'état de
veille, par une illumination intérieure, une parole
intime, une infusion de la pensée représentant
l'avenir? Mais ces formes ou méthodes de commu-
nication entre Dieu et ses créatures intelligentes
sont métaphysiquement et psychologiquement ac-
ceptables, à la condition, facilement remplie par
Dieu, de manifester intérieurement ou extérieure-
ment aux confidents de sa prescience le caractère
divin de la confidence qui leur est faite.
5. « Le troisième instant de la prophétie, —
celle-ci pourrait cependant s'arrêter au deuxième et
ne le point dépasser, — est celui de la motion im-
primée au prophète créé par le prophète incréé, en
vue d'une communication ultérieure à faire, à d'au-
tres créatures, de la vérité divinement prophé-
tisée. Il n'y a pas d'impossibilité, pas de difficulté
non plus, dans cette impulsion qui peut à son tour
se déclarer divine par des signes internes ou exter-
nes, par une extraordinaire et indubitablement
divine évidence, ou par d'indiscutables miracles.
6. d Je ne sache pas que le quatrième et dernier
instant de la prophétie, celui de la communication
faite par le prophète créé à d'autres créatures, anges
ou hommes, présente le moindre embarras à Tes-
VALEUR DÉMONSTRATIVE DE LA PROPHÉTIE 10 1
prit. L'expression de l'avenir se fait par les mêmes
procédés que la narration du passé (i). »
III. Valeur démonstrative
de la prophétie
i . La prophétie constitue une preuve de premier
ordre, parce que la connaissance et la prédiction
de l'avenir portent la marque authentique de Dieu.
Que peut, en effet, l'intelligence créée ? Connaître
le résultat nécessaire des causes cosmiques, dans
tel ou tel cas, dans telle ou telle circonstance?
Evidemment. Elargir le champ des déductions au
fur et à mesure des progrès réalisés ? Evidemment
encore. Mais prévoir un phénomène futur en vertu
de cette science des choses de la nature, c'est sim-
plement faire une déduction scientifique ; ce n'est
pas là prophétiser au sens propre du mot. —
Qu'outre cela l'intelligence créée puisse conjecturer
ce que sont capables de faire les causes libres, rien
d'impossible. Et dans cet ordre d'idées, combien de
conjectures que rendent vraisemblables la perspi-
cacité de l'esprit, la connaissance acquise des carac-
tères et de l'histoire 1 Et que d'observateurs pro-
fonds, que de moralistes entrevoient dans le présent
ce que sera un prochain avenir I Mais ce ne sont là
que des conjectures ; et pour vraisemblables et
plausibles qu'elles soient, elles ne constituent pas
ce qu'on appelle une prophétie proprement dite.
Pour ce qui est des phénomènes matériels contenus-
dans les causes naturelles, le calcul des probabilités
a sa place, et la certitude, conséquence de l'induc-
tion, aussi ; mais en matière d'actes libres, dépen—
i. Didiot, Legique surn. object., n. a3i-a34, p. i58-i6o»
S02 LE CATECHISME ROMAIN
m II i i ■
3Ïant de la volonté de l'homme ou de Dieu, ce
calcul ne peut aboutir qu'à des conjectures et nulle-
ment à la certitude, et cette induction n'est pas de
mise. Or, c'est de certitude qu'il s'agit dans la
prophétie ; c'est avec certitude que le prophète voit
«et annonce les faits qui dépendent exclusivement ou
principalement des causes libres. Que ces faits
tiennent à se réaliser, conformément à leur an-
nonce, il faut bon gré mal gré se rendre, en pareil
cas, à l'évidence d'une intervention divine. Mani-
festement, Dieu est là, puisque aucune intelligence
créée n'aurait pu ni prévoir ni prédire des événe-
ments de cette nature. Et qu'avec cela la prophétie
soit alléguée comme la caution ou la garantie d'une
«doctrine ou d'une institution, sa force probante, sa
^valeur démonstrative est absolument irrécusable.
Or. c'est justement cette preuve que l'Eglise allègue
en faveur de la divinité du christianisme et de sa
propre institution.
2. Reste à savoir, en pareil cas, si la réalité his-
torique des prophéties est un fait positif. Une pre-
mière question se pose alors : Oui ou non, tel per-
sonnage, à telle date ancienne, a-t-il annoncé
formellement, de la part de Dieu, tel événement
contingent et futur ? Mais la réponse à cette ques-
tion s'obtient de la même manière que pour toute
autre parole humaine, à savoir par l'examen cri-
tique du témoignage historique. Cela ne suffit pas;
il faut encore se demander : Oui ou non, cette pré-
diction, dont l'existence antérieure est historique-
ment constatée, s'est-elle accomplie (i) ? Et ici
i. « N'a-t-on pas fait arriver de force cet accomplissement,
afin de justifier la prophétie ? N'y a-t-il pas beaucoup de va-
gue et d'indécision dans la façon dont elle s'est réalisée ?
N'est-ce pas un acte d'indulgence, de complaisance, de conni-
vence même, que de la croire enfin remplie ? Un pur
VALEUR DÉMONSTRATIVE \>E LA PROPHETIE I03
3ncore, il faut recourir à l'histoire ; c'est l'histoire
qui nous apprendra quand et comment les pro-
phéties se sont réalisées. Et si certains points de
détail peuvent prêter à contestation, l'ensemble de
«eux qui restent acquis suffit, et au delà, pour jus-
tifier l'accord général entre les prophéties et leur
accomplissement. Cette concordance éclate parti-
culièrement entre les prophéties messianiques et
l'avènement, la vie, la mort et la résurrection de
Notre Seigneur.
3. Ces deux questions tranchées, de l'antériorité
des prophéties et de leur réalisation ultérieure, il
n'y a plus qu'à examiner si, oui ou non, les pro-
phéties réalisées ont été données comme une
garantie en faveur de telle doctrine, de telle ins-
titution. Rien de plus aisé, si le prophète l'a exprès-^
sèment déclaré ; dans ce cas, la preuve est faite :
cette doctrine, cette institution sont de Dieu. Et la
preuve est faite encore, même si le caractère démons-
tratif n'est qu'implicitement sous-entendu. Car
Dieu n'intervient pas dans le monde inutilement ;
il a un but déterminé. Pas plus que le miracle, la
prophétie n'est une fin en soi, elle est un moyen;
hasard, une coïncidence simplement fortuite, n'en rendent-
ils point suffisamment compte? Les faits se sont-ils spon-
tanément produits comme ils le devaient, sous l'action de la
cause divine ou humaine, libre toujours, qui en est la source?
Est-ce bien d'eux qu'il était question dans l'annonce prophé-
tique ? Y a-t-il lieu d'attendre encore d'autres temps et d'au-
tres événements, qui s'adaptent définitivement bien à la prédic-
tion? Que l'examen de ces différentes questions nécessite
parfois une grande et délicate attention ; que la prudence ne
permette pas, non plus que pour les miracles proprement
dits, d'en précipiter la solution, c'est absolument notre avis.
Mais ce sera aussi la conviction de tout esprit sensé, qu'on
peut fort bien se trouver ici en face de problèmes très simples,
et que les malaisés ne sont pas toujours insolubles. » Didioi,
loCé cit., n. 3o4» p. 200.
Io4 LE CATÉCHISME ROMAIN
elle vise comme tout l'ordre surnaturel dont elle
fait partie, le bien de l'homme; elle avertit l'homme
d'une remarquable façon ; elle appelle et fixe son
attention ; elle lui sert de preuve irrésistible que
Dieu est intervenu et qu'il n'a plus, s'il est raison-
nable, qu'à se soumettre à sa volonté si clairement
manifestée.
4. Aussi bien la prophétie ne constitue-t-elle pas
l'argument sans réplique ? Notre Seigneur, tout le
premier, y a recours pour vaincre l'obstination des
Juifs. « Vous scrutez les Ecritures, leur dit-il,
parce que vous pensez trouver en elles la vie éter-
nelle. Or, ce sont elles qui rendent témoignage de
moi... Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi
parce qu'il a écrit de moi (1). » A l'exemple de
leur Maître, les Apôtres, quand ils rédigent l'Evan-
gile, notamment saint Matthieu, prennent un soin
particulier de signaler à chaque instant l'accom-
plissement de telle ou telle prophétie ; quand ils
prêchent sur les places publiques ou dans les syna-
gogues, c'est toujours aux anciens prophètes qu'ils
en appellent, soit pour corriger la fausse concep-
tion d'un Messie conquérant, au rôle essentielle-
ment politique, destiné à restaurer le prestige
national d'Israël et à assurer une domination univer-
selle, soit pour montrer que tout autre avait été
prédit le Messie, que son rôle devait être exclusive-
ment religieux, que sa mission de rédempteur était
remplie par le sacrifice sanglant de la croix. La
résurrection du Christ surtout, prédite d'avance,
devenait sur leurs lèvres et dans leurs écrits l'ar-
gument des arguments. Ils insistent en particulier
sur l'abrogation de la loi de Moïse et de l'antique
alliance : tout cela n'était que provisoire et a dû
1. Joan., y, 39, 46.
VALEUR DÉMONSTRATIVE DE LA PROPHETIE Io5
céder la place à la foi et à une alliance nouvelle et
définitive ; aux sacrifices sanglants du temple suc-
cédait à jamais l'offrande pure, offerte au Seigneur
en tous lieux, du levant au couchant, selon l'an-
nonce formelle de Malachie.
5. C'est sur ce terrain de l'économie nouvelle
pleinement justifiée par la réalisation des prophé-
ties, qu'il conviendrait d'entendre la puissante
argumentation de saint Paul. Mais il serait trop
long de le suivre pas à pas dans sa course aposto-
lique. Rappelons seulement, à titre d'exemple, son
discours aux juifs dans la synagogue d'Antioche de
Pisidie. Il énumère les bienfaits dont Israël a été
l'objet de la part de Dieu depuis son berceau. C'est
de la postérité de David, dit-il, que Dieu, selon sa
promesse, a fait sortir pour Israël un Sauveur,
Jésus... Les habitants de Jérusalem et leurs magis-
trats ont méconnu Jésus et les oracles des prophè-
tes... Nous vous annonçons que la promesse faite à
vos pères, Dieu l'a accomplie pour vous en ressus-
citant Jésus, selon ce qui est écrit dans le psaume
deuxième... Que Dieu l'ait ressuscité des morts, de
telle sorte qu'il ne retournera pas à la corruption,
c'est ce qu'il a déclaré (allusion au même psaume).
C'est pourquoi il est dit ailleurs : Tu ne permettras
pas que ton Saint voie la corruption (i). Or,
David, après avoir, pendant qu'il vivait, accompli
les desseins de Dieu, s'est endormi et a été réuni à
ses pères, et il a vu la corruption. Mais celui que
Dieu a ressuscité n'a pas vu la corruption (2). Saint
Paul indique ainsi comment s'éclaire, à la lumière des
faits évangéliques, ce que les prophéties pouvaient
avoir d'énigmatique ou d'obscur. Aux yeux des juifs
de bonne foi, sa parole avait une autorité décisive.
1. Ps.,xvi, io. — 2. AcL, xiii, 33-87.
IOÔ LE CATÉCHISME ROMAIN
6. Saint Pierre, moins instruit que saint Paul,
tient le même langage, use du même procédé, se
sert du même argument. Dès le jour de la Pente-
côte, en face des juifs stupéfaits, cet illettré explique
l'état des Apôtres par la prophétie de Joël (i). Le
Christ est ressuscité, mais David l'avait prévu et
prédit (2). Vous avez fait mourir l'auteur de la vie,
que Dieu a ressuscité des morts ; mais Dieu a accom-
pli de la sorte ce qu'il avait promis par la bouche
de tous les prophètes, que son Christ devait souf-
frir (3). Tous les prophètes, qui ont successivement
parlé depuis Samuel, ont annoncé les jours ac-
tuels (4). Dans sa seconde Epître, il rappelle le
miracle de la transfiguration, dont il a été le
témoin, et il ajoute : Habemus firmlorem propheti-
cum sermonem, mettant ainsi la prophétie au rang
des preuves péremptoires (5).
7. C'est la preuve démonstrative que font valoir
avant tout les premiers Pères (6) ; mais ils lui don-
1. Ad., 11, i5-i6. — 2. Ad., 11, a5-36. — 3. Ad., m, i5-i8.— •
k.Ad., m, 24. — 5.« Saint Pierre veut-il dire par ce comparatif
firmiorem que la preuve par les prophéties de l'A. T. est plus
certaine ou plus sûre que la preuve par la transfiguration dont
l'Apôtre vient de parler, ou en général que la preuve par les mira-
cles? Tel ne paraît pas être le sens de ce passage ; car TEpître de
saint Pierre qui rend témoignage au fait de la transfiguration
est inspirée aussi bien que les écrits des prophètes, et les mira-
cles qui se produisirent à la transfiguration prouvent parfai-
tement la divinité de la mission de Jésus-Christ. Aussi l'Apô-
tre semble-t-il exprimer ici que la force probante des prophé-
ties résultant en partie de leur accomplissement, la réalisation
des prophéties messianiques, dont les Apôtres avaient été
témoins, non seulement lors de la transfiguration, mais
encore pendant toute la vie de Jésus-Christ, avait ajouté à ces
prophéties une valeur démonstrative nouvelle et en avait par
conséquent rendu la force probante plus ferme, firmiorem»
Tel est le sens admis par de savants commentateurs, en parti-
culier par l'abbé Drach. » Vacant, La constit. Dei Filius, t. 11,
p. 54. — 6. Cî.Didaché, xiv, 3; pseudo-Barnabe, Epist.,Y,ît i3 ;
VALEUR DÉMONSTRATIVE DE LA PROPHETIE IO7
nent plus d'ampleur. Aux prophéties déjà rappe-
lées dans le Nouveau Testament, ils en ajoutent
d'autres, notamment celle de Jacob sur le sceptre
promis à Juda jusqu'à l'avènement du Messie, et
enfin celle de David sur les soixante-dix semaines
d'années. Us s'en servent contre les juifs, comme
en témoignent en particulier l'épître du pseudo-
Barnabe et le Dialogue de saint Justin, mais aussi
contre les gentils, estimant avec raison qu'elle vaut
pour les uns et pour les autres. C'est le cas des
Justin (1), des Théophile (2), des Athénagore (3),
des Clément d'Alexandrie (4), des Origène (5), des
S. Justin ; S. Irénée, Adv. hœr., IV, xvn, 5 ; xvin, 1 ; Tertul-
lien, Adv. Judœos, x ; S. Cyprien, Testim., 11, i5, etc.
1. « Combien d'autres témoignages tirés des prophètes ne
pourrions-nous pas encore produire ? Mais bornons là nos
citations : celles-ci ne suffisent-elles pas à tout homme qui a
des oreilles pour écouter et un esprit pour comprendre ? Ne
voit-il pas que notre langage n'a rien de commun avec celui
des poètes, qui nous racontent tant de fables sur les préten-
dus fils de Jupiter, sans pouvoir nous donner la moindre
preuve de ce qu'ils avancent ? Comment, en effet, supposer
que, sur la parole d'un homme mort sur une croix, nous
l'aurions adoré comme le premier-né du Dieu incréé, et que
nous aurions cru qu'il devait venir un jour juger tous les
hommes, si nous ne trouvions avant sa venue une multitude
d'oracles qui l'annoncent et si nous n'avions sous les yeux les
événements qui les accomplissent? » Apol.f I, 53. — a. S. Théo-
phile confesse qu'il s'est converti en constatant l'existence et
l'accomplissement des prophéties et invite Autolycus à en faire
autant. Ad. Autol., 1, i4- — 3. « Notre croyance paraîtrait une
doctrine toute humaine si elle n'était appuyée que sur des
raisonnements pareils (à ceux des païens) 4 mais, chez nous,
le raisonnement est fortifié par l'autorité de nos divins ora-
cles. » Légat., ix. — 4« « Que Dieu ait un Fils et que ce Fils
soit celui que nous appelons Sauveur et Seigneur, c'est ce que
montrent clairement les divines prophéties. » Strom., vu, a.
— 5. « Comme preuve, nous apportons d'abord celle de la
prophétie des prophètes. » Cont. Cels., i, 35.
Io8 LE CATÉCHISME ROMAIN
M i ■ ■ ■■ ■ ■ —^^— ■-■—.. ,■.. ■ - ■ ■■— ■ il ■■ — ^M — ^—^^
Lactance (i). Plus on avance dans l'histoire, et
plus cette preuve prend du relief. Origène reproche
à Gelse de l'avoir à dessein passée sous silence,
parce que c'est la plus forte et qu'il ne pouvait y
répondre (2). Saint Cyrille de Jérusalem dit à ses
catéchumènes : Ne croyez pas uniquement à mes
raisonnements, mais croyez aux: choses prédites par
les prophètes. Vous pouvez avoir quelque suspicion
pour celui qui vous parle, mais comment soupçon-
ner ceux qui ont prophétisé plus de mille ans avant
l'événement (3) ? « Outre ces miracles si nombreux
et si éclatants, qui ont établi la divinité de Jésus-
Christ, dit saint Augustin, des prophéties l'annon-
çaient, prophéties divines et très dignes de créance,
dont nous n'attendons plus comme nos pères,
mais dont nous démontrons aujourd'hui l'accom-
plissement (4). » Et ailleurs, commentant le texte
de saint Pierre, il remarque que la voix prophétique
a, pour convaincre les incrédules, quelque chose de
plus fort que la voix même descendue du ciel. On
attribuait à la magie les miracles opérés par Jésus-
Christ ; on aurait pu attribuer à la même cause la
voix céleste ; mais comment un homme aurait-il pu
être magicien avant de naître (5) ?
8. On voit la force exceptionnelle de l'argument
1. « Que personne n'ajoute foi à notre assertion, à moins
que je ne prouve que longtemps d'avance les prophètes ont
annoncé la naissance du Fils de Dieu, ses miracles, sa cruci-
fixion, sa résurrection le troisième jour. Mais si je le prouve
au moyen des documents de ceux-là même qui l'ont crucifié,
qui donc empêchera de reconnaître que la vraie sagesse est
dans notre religion? » InstiL, iv, 10. — 2. Cont. Cels., n, i3.
— 3. Catech., xn, 5. — k> De civ. Dei, xxu, 6. — 5. Ps. n,
auquel fait allusion le N.-T. ; souffrance et passion, dans
le Ps. xxi (xxu) et lxviii (lxix) ; union de Jésus-Christ
avec son Eglise, dans le Ps. xnv (xlv) ; royauté et sacerdoce,
dans le Ps. cix (ex) . ascension, dans le Ps. xlvi (xlvii).
LES PROPHETIES MESSIANIQUES IOg
tiré des prophéties ; c'est un caneus veritalis, selon
l'expression qu'employait Tertullien dans un autre
ordre d'idées. Toute prophétie est une révélation
divine ; son accomplissement manifeste également
l'intervention surnaturelle de Dieu. Ce miracle
constaté prouve du même coup et la véracité du
prophète, et la vérité de la religion qu'il professe
ou qu'il annonce, et par suite celle de Dieu qui l'a
suscité. Tout se lient, fortement lié, et embarrasse
fort l'incrédulité qui reste sans réplique. Aussi,
avec quel à-propos et quelle justesse, le concile du
Vatican signale-t il, parmi les preuves extérieures de
la révélation, celle des prophéties ; en ajoutant
qu'elle est très certaine et accommodée à l'intelli-
gence de tous, il tient le langage du bon sens, qui
est celui de la tradition et de la foi.
IV. Le Prophétisme
i. Prophéties messianiques. — La pierre d'a-
choppement, contre laquelle se heurte et se brise
le rationalisme, c'est la série ininterrompue des
prophéties messianiques qui va d'Adam à Malachie..
La Bible hébraïque, en effet, telle qu'elle était con-
nue du temps d'Esdras au retour de la captivité,
nous offre une suite incomparable de prophéties
relatives au Messie. Le Messie occupe le sommet da
l'histoire ; il est la « pierre d'angle » qui soutient
successivement l'édifice religieux d'Israël et le
christianisme. Depuis les premiers jours de l'Eden
jusqu'au retour de Babylone, il ne cesse d'être an-
noncé et figuré ; tout l'espoir du peuple juif se
concentre en lui et n'aspire qu'à son avènement.
Son annonce, quoique formelle dès le début, s'en-
toure d'ombre et de mystère. Mais peu à peu l'om-
bre se dissipe, le mystère s'éclaire, les traits se déve-
ÎIO LE CATECHISME ROMAIN
loppent, s'accusent, se précisent et se complètent ;
chaque prophète ajoute un coup de pinceau. Adam
sait qu'il « écrasera la tête du serpent. » Abraham
apprend qu'il sortira de sa race, dans la descen-
dance d'Isaac et non dans celle d'Ismaël ; Isaac,
dans celle de Jacob et non dans celle d'Esaii; Jacob,
dans la tribu de Juda, son quatrième fils, et non
dans la triba de Ruben. Le sceptre, en effet, ne doit
pas sortir de Juda jusqu'à ce que vienne « Celui qui
doit être envoyé. » Moïse voit en lui le législateur
par excellence. David, qui sait qu'il appartiendra à
sa propre famille, nous le montre « éternellement
engendré dans les splendeurs des saints ; » il l'a-
perçoit couvert de gloire, mais aussi abreuvé d'hu-
miliation, les mains et les pieds percés ; il voit sa
robe tirée au sort, ses ennemis branlant la tête et
frémissant de rage autour de sa croix ; il l'entend
pousser ce cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'avez-vous abandonné ? » Puis, il le contemple
assis à la droite de son Père, appelant à lui tous les
peuples, tandis que ses ennemis sont sous ses
pieds. Isaïe salue en lui le Sauveur, l'Emmanuel,
le fils de la Vierge, le thaumaturge, et aussi l'a-
gneau victime conduit à la mort, mais dont la
tombe sera glorieuse. Jérémie et Ezéchiel achèvent
ce tableau. Michée annonce qu'il naîtra à Bethléem.
Daniel énumère la suite des empires qui doivent se
succéder jusqu'à l'avènement de son royaume spiri-
tuel, il compte les semaines d'années qui s'écoule-
ront depuis la reconstructiou du temple jusqu'au
moment où ce « Christ-chef » viendra faire cesser
la prévarication, mettre fin au péché, expier l'ini-
quité et implanter le règne de la justice. Zacharie
voit son entrée triomphante à Jérusalem, les trente
pièces d'argent payées au traître et consacrées à
l'achat du champ du potier, le pasteur frappé, les
PROBLÊME QUI SE POSE III
brebis dispersées, le peuple jetant son regard sur
son Dieu qu'il a perce, le Seigneur appelant à lui
les gentils pour les agréger à son peuple et demeu-
rer au milieu d'eux. Malachie enfin contemple ce
dominateur, cet ange du Testament venant à son
temple, et annonce le sacrifice nouveau, l'hostie
pure qui sera offerte au Très-Haut, du levant au
couchant. Et désormais plus de prophéties nouvel-
les pendant plus de quatre siècles jusqu'au moment
où Jean-Baptiste, montrant du doigt Jésus de
Nazareth aux juifs qui s'empressent autour de lui,
s'écrie : « Voilà l'agneau de Dieu qui efface le péché
du monde (i). »
2. Problème qui se pose. — Il est difficile, on
l'avouera, d'avoir d'avance un tableau plus achevé
de ce que devait être le Messie. Bon gré mal gré, il
s'impose à l'examen, et le rationalisme se trouve en
face d'un formidable problème. Comment le résou-
dre, quand on écarte de parti pris le surnaturel ?
Nier tous ces oracles serait un moyen radical, et le
seul logique. Quelques-uns l'ont osé, au mépris de
ce fait absolument incontestable de l'existence et de
l'antiquité des prophéties ; mais alors que devient
la Bible du temps d'Esdras ? Elle se réduit à peine à
quelques pages d'histoire et de morale ou à quel-
ques chants sacrés ; tout le reste ne compte pas>
Mais non, ont pensé la plupart, mieux vaut constater
franchement le fait et accepter la Bible telle qu'elle
est, sauf à lui faire subir la part nécessaire de la
critique et de l'exégèse; grâce à la critique, l'apo-
cryphe sera distingué de l'authentique ; et, grâce à
une rigoureuse exégèse, le texte vrai sera dûment
interprété; moyennant quoi, tout s'explique le plus
y. Joan., i, 39.
112 LE CATECHISME ROMAIN
naturellement du monde, sans avoir besoin de
de recourir, comme le fit jadis la Synagogue et
comme le fait encore l'Eglise, à une explication sur-
naturelle.
3. Comment le rationalisme le résout. — Tel
est le but, telle est la tâche que s'est donnés le ratio-
nalisme. Gomment a-t-il rempli cette tache? et ce
but, l'a-t-il vraiment atteint ? — Tout d'abord, dans
ce tableau d'ensemble des prophéties messianiques,
il a supprimé tout ce qui regarde la promesse faite
à Adam, la vocation des patriarches, le rôle impor-
tant de Moïse. De quel droit? Du droit de la criti-
que historique qui n'a pas à s'occuper de récits,
composés « à coups d'idéal, » et où la légende rem-
place l'histoire (i). Certes, il y aurait beaucoup à
dire contre un procédé aussi expéditif, mais si arbi-
traire et si peu justifié. On n'en use qu'au nom d'un
principe regardé comme acquis, celui de la non-
existence du surnaturel, et qui n'est qu'une hypo-
thèse ou un postulat. Mais passons, et arrivons à ce
que l'on consent à regarder comme le terrain ferme
de l'histoire, c'est-à-dire à l'époque où les prophè-
tes sont entrés en jeu.
En général on s'accorde sur l'ancienneté des pro-
phètes et Fautenthicité des écrits conservés sous
leur nom (2), sauf pour la seconde partie d'Isaïe,
1. D'après Tielle et Kuenen en Hollande, Wellhausen et Stade
en Allemagne, Reuss, Réville et Renan en France, l'histoire
d'Israël est légendaire avant David et falsifiée dans les temps
postérieurs. — 2. Havet place la composition des livres prophé-
tiques au second siècle avant notre ère, dans Le christianisme et
ses origines et dans un article de la Revue des Deux Mondes, du
icr août 1889, p. 517, intitulé: De la modernité des prophètes.
Son opinion n'a aucun droit à être prise au sérieux ; elle est de
celles qu'on ne discute pas. Maurice Vernes accorde à Havet
que les prophètes ont le retour de la captivité derrière eux,
EXPLICATION RATIONALISTE Il3
Daniel et quelques autres passages. Là dessus on
construit un système, le prophétisme. Qu'est-ce à
dire? C'est une théorie qui consiste à ne voir dans
le rôle des prophètes qu'un côté, celui de leur
action immédiate sur leur époque, et à nier tout ce
qu'ils ont prédit sur l'avenir ; encore une fois, le
procédé est arbitraire et injustifié.
4. Comment il explique l'action des prophè-
tes. — L'action des prophètes sur leurs contempo-
rains est donc seule mise en relief ; elle est même
exagérée ; des erreurs s'y glissent, et finalement le
surnaturel qu'on voulait évincer s'impose avec plus
de force.
Sans nul doute, les prophètes ont exercé autour
d'eux une action puissante, toujours religieuse, par-
fois politique (1). Très énergiquement, sans tenir
compte des menaces, ou des dangers, ils ont lutté
contre l'idolâtrie sous toutes ses formes, où qu'elle
se manifestât. Peuple, rois et prêtres, ils n'ont
cessé de leur reprocher leurs infidélités à la loi de
Moïse et de les rappeler à la fidélité envers Jéhovah,
les menaçant des colères célestes et des châtiments
divins s'ils ne s'amendaient pas. Par leur incessante
mais il les place avant les Machabées ; La question du Deutéro-
nome, 1887. et Etudes bibliques, 1891 ; il ne voit dans leurs
œuvres que des fictions littéraires. Véhémentement il relève
tout ce qu'a d'arbitraire la critique des Reuss, des Kuenen et
des Wellhausen, et sur ce point on ne peut que l'approuver ;
mais, à son tour, il tombe dans le même défaut, parce que lui
aussi n'entend accepter à aucun prix le surnaturel.
1. « Ils faisaient de la politique, dit le protestant Reuss,
non pour recommander une forme de gouvernement de pré-
férence à une autre, mais pour réformer l'esprit du gouverne-
ment en général, pour faire prévaloir les principes du droit,
de la justice, de la morale sociale, et pour combattre tout ce
qui devait conduire la nation à la ruine. » Les Prophètes, 1. I,
p. 37.
LE CJLTBCHISMB. — T. III. 8
Il4 LE CATÉCHISME ROMAIN
et courageuse prédication du monothéisme, dont ils
ont été les apôtres, les défenseurs et les martyrs, ils
ont sauvegardé l'idée monothéiste et morale, et ont
ainsi rendu à Israël et à l'humanité un service signalé.
Reuss, Kuenen, Renan, sont obligés de le reconnaî-
tre. Mais cette idée, absolument inconnue partout
ailleurs, où donc l'avaient-ils puisée? C'est ici, sur
cette question d'origine, que les rationalistes hasar-
dent les hypothèses les plus invraisemblables, d'au-
tant plus qu'ils prétendent qu'avec Amos et Osée le
cadre du prophétisme est arrêté et que, dès le
vme siècle, la doctrine des prophètes a atteint son
complet développement.
5. Comment il explique le monothéisme
des prophètes. — Le monothéisme des prophè-
tes au vin0 siècle, voilà un fait admis par la cri-
tique rationaliste ; mais ce fait est unique à cette
époque et constitue un phénomène extraordinaire.
La Bible l'explique par la tradition due à la révé-
lation primitive, à la révélation patriarcale, à la
révélation mosaïque, et par l'inspiration propre
aux prophètes, qui n'ont pas eu à inventer le mo-
nothéisme, mais à le maintenir et à le développer.
Explication inadmissible que celle-là, puisqu'elle
recourt au surnaturel ; il en faut une autre : laquelle ?
i° Dès i848, Renan proposait celle des instincts
monothéistes de la race sémitique, négligeant de
parti pris les renseignements si précis de la Bible
qui nous montrent Israël toujours violemment
entraîné vers l'idolâtrie, d'où il dut être toujours
détourné par les protestations énergiques et les ter-
ribles menaces des prophètes. Mais voici que les
documents écrits des sémites sédentaires, non plus
ceux de la Bible, mais ceux des briques assyriennes,
des inscriptions de Phénicie et d'Arabie, ont com-
EXPLICATION RATIONALISTE I I S
plètement démenti l'explication de Renan ; car ils
prouvent que les sémites ont tous été polythéistes. -
Son admirateur Darmesteter a dû en convenir (i).
2° De leur côté, Kuenen et Wellhausen ont eut
recours à l'hypothèse d'une évolution naturelle, qu£>
aurait transformé graduellement le polythéisme pri-
mitif des juifs en monothéisme, accompli du temps
des prophètes. Avant Moïse, le Dieu d'Israël aurait
été inconnu ; à partir de Moïse, c'est Jéhovah, un*
dieu naturaliste, jaloux, terrible, partial et injuste-
Les prophètes en font un être invisible, un pur
esprit, maître de l'univers, Dieu unique, juste, bon,
traitant le culte extérieur comme quelque chose
d'indifférent et ne demandant que la pratique de la
morale. Et le sacerdoce, unissant l'Ialivisme des
prophètes au Iahvisme populaire, forme le Iahvisme
légal. Nous sommes loin de la Bible, et c'est pour-
tant au nom de la Bible qu'on propose cette expli-
cation (2). La transformation est singulière ; on
1. « Depuis que la création de l'épigraphie sémitique et la
découverte de Babylone et de Ninive nous ont introduits dari»
l'intimité des dieux sémitiques, on a été étonné de voir com-
bien ils diffèrent peu au fond de leurs vis-à-vis aryens. L'esprit-
monothéiste, que l'on croyait au fond de l'esprit sémitique*,
n'appartient en somme qu'aux juifs et aux arabes semi-
judaïsés et semi-christianisés par Mahomet. Dans les épo-
ques antérieures, les religions de langue sémitique mon-
trent le même polythéisme que les religions de langues
aryenne. » Les prophètes d'Israël, p. 256-257. — 2. M. de
Broglie dénonce ainsi le procédé employé : « Rayer des*
documents, soit à titre de passages interpolés, soit à titre
d'insertions mensongères de l'auteur, les innombrables affir-
mations de la Bible entière relatives à l'antiquité du mono-
théisme d'Israël ; rassembler d'autre part les récits où il est
parlé d'actes d'idolâtrie commis par le peuple ; supprimer las
mention réprobative qui accompagne ces récits, et déclarer que
ces faits du polythéisme étaient la coutume nationale et l'an-
tique tradition, cela est on ne peut plus facile. » Les nouveaux:
historiens d'Israël, dans le Correspondant, 1888, t. cxv, p. 08^-
Il6 LE CATÉCHISME ROMAIN
essaie du moins de la rendre vraisemblable, et voici
comment. Dans la lutte entre Iahveh et Baal, du
temps d'Elie et d'Elisée, éclate l'opposition entre
les deux divinités. Comme Baal est le Dieu de la
nature, on fait de Iahveh le Dieu de la morale et de
la justice. Puis, Israël étant vaincu par les Assyriens,
Amos réfléchit que Iahveh n'a pu laisser périr son
peuple que pour le punir de ses crimes. De là l'idée
d'un Dieu juste ; et comme la justice est univer-
selle, le Dieu juste ne peut être que le souverain du
inonde. Enfin Juda, menacé lui aussi par les Assy-
riens, est délivré au lieu de succomber : donc c'est
Iahveh qui est le souverain du monde. La transfor-
mation est faite ; ce qu'on en peut dire, c'est qu'elle
est plus miraculeuse que le surnaturel de la Bible.
Mais voici qui est plus fort encore, c'est le con-
traste entre les voyants de Moab et les prophètes de
Baal d'un côté, et les prophètes d'Israël et de Juda
de l'autre : même pays, même race, même langue,
même genre de vie, et pourtant les premiers restent
magiciens et idolâtres, tandis que les seconds sont
d'excellents monothéistes. D'où vient la différence
des effets, si les causes sont identiques ? D'où vient
ce phénomène unique au monde ? L'évolution n'a
donc opéré qu'en Israël, à l'exclusion des tribus
environnantes ? Ni Kuenen, ni Wellhausen ne l'ex-
pliquent. Ici encore, le surnaturel, dont ou voulait
se passer, reparaît et s'impose.
3° Après quarante ans passés à l'étude du pro-
blème, Renan lui a cherché une solution plus plau-
sible. Corrigeant sa première erreur et profitant des
travaux de Kuenen et des autres rationalistes, il
prétend que le monothéisme a été la caractéristique,
non des sémites sédentaires puisque les découvertes
sont venues prouver le contraire, mais des sémites
nomades ; ce qui n'est qu'une hypothèse. Sur cette
EXPLICATION RATIONALISTE II7
première hypothèse il en greffe une autre, celle que
ce monothéisme primitif n'est pas celui des pro-
phètes, mais un intermédiaire entre le mono-
théisme prophétique et le polythéisme, YElohisme ou
la croyance à des génies multiples agissant en com-
mun et ne formant en apparence qu'une force uni-
que, désignée par le pluriel Elohim, joint à un verbe
au singulier. Mais, entre les patriarches et les pro-
phètes, a lieu une grande transformation : le Iah-
visme succède à l'Elohisme, et c'est un Iahvisme
matérialiste et païen. Tandis qu'Elohim est le dieu
de tous les peuples, Iahveh est le dieu particulier
d'Israël, jaloux, égoïste, partial, dont le culte
devient rapidement idolâtrique jusqu'au temps de
David. Grâce aux prophètes, une réaction s'opère :
il y a retour du Iahvisme vers l'Elohisme primitif,
vers l'idéal de la vie patriarcale. Les prophètes
transforment l'idée de Iahveh et lui rendent les
traits d'Elohim et finissent par persuader le peuple;
leur monothéisme n'est que la combinaison entre
l'Iahvisme et l'Elohisme patriarcal, la correction
du premier par le second
C'est en ces termes que M. de Broglie expose le
système de Renan, en faisant remarquer très juste-
ment l'oubli des textes positifs de la Bible, qui le
réduisent à néant, et l'abus considérable d'hypo-
thèses, qui servent à 1 étayer sans le rendre plus
vraisemblable. Là où Kuenen dit que les prophètes
inventent, Renan prétend qu'ils retournent en
arrière. L'explication est insuffisante pour rendre
raison de la grande œuvre des prophètes et de leur
succès définitif ; œuvre et succès sont tellement
extraordinaires, ils constituent un fait si unique
dans l'histoire qu'au lieu de supprimer le surnatu-
rel, comme on s'en flattait, par l'explication qu'on
en donne, ils l'impliquent. Car, à un phénomène
Bl8 LE CATÉCHISME ROMAIN
«inique, il faut une cause unique ; et ni l'évolution
de Kuenen ou de Wellhausen, ni la théorie de
Henan ne la donnent ; elle n'est ni dans le déve-
loppement naturel des éléments préexistants en
Israël, ni dans la logique des événements ; elle
n'est pas davantage dans une réaction heureuse et
réussie qui, telle quelle, serait un vrai miracle ; elle
se trouve uniquement dans l'explication tradition-
nelle, dans la révélation et l'inspiration (i).
6. La prédiction des prophètes : comment
l'expliquent les rationalistes. — i° Les prophè-
tes sont aussi des voyants, instruits par la révéla-
tion et prédisant l'avenir. Conserver et transmettre
le précieux dépôt des promesses divines n'est pas
leur unique mission, ils en ont une autre, qui expli-
que la première, celle d'augmenter ce dépôt par le
développement et la publication des prophéties
'messianiques. Et celle-ci à son tour, en face des
obstacles qu'ils eurent à combattre, soit de la part
du peuple, soit de la part des rois, soit de la part
du sacerdoce, ne s'explique que par une positive
intervention de Dieu, tant est disproportionnée,
•comme plus tard pour la diffusion de l'Evangile, la
faiblesse des moyens avec la grandeur des résultats.
Aussi le rationalisme se montre-t-il systématique-
ment opposé et s'arroge-t-ii tous les droits pour
infirmer la réalité d'un tel rôle.
2° Le but du rationalisme étant d'écarter à tout
prix le surnaturel de l'Ancien Testament comme
des origines chrétiennes, on y a procédé méthodi-
i. « Si la science n'est pas le contraire du bon sens et de la
raison, il faut dire que la seule théorie vraiment scientifique
des origines du prophétisme, c'est la théorie supranaturaliste. »
Srucker, Renseignement des Prophètes, dans les Etudes, 189a,
S* lvi, p. 58o.
!
EXPLICATION RATIONALISTE I I()
» ' " ' '
quement. A la base du système on a placé une pure
hypothèse, à savoir qu'il n'y a pas de surnaturel.
Fragile base, système fragile. Mais c'est là de l'aprio-
risme, et un apriorisme dogmatique mal venu
pour combattre le dogmatisme rationnel de l'Eglise.
La méthode adoptée est celle de l'arbitraire, soit
dans ce qu'elle rejette de la Bible, soit dans ce
qu'elle consent à en retenir. Elle rejette, en effet,
tout ce qui gêne, uniquement parce que cela gêne,
le déclarant légendaire, erroné, ou apocryphe ;
quant à ce qu'elle garde, elle l'utilise dans le sens
de l'idée préconçue, dût-elle solliciter les textes ou
en dénaturer la signification. On voit bien ce que
de telles libertés ont de contraire à l'enseignement
traditionnel, on n'aperçoit pas ce qu'elles ont de
légitime. Pas plus ici qu'ailleurs la fin ne justifie
les moyens (i).
3° Qu'en est-il résulté ? C'est que, malgré l'iden-
tité du but, la diversité des moyens a créé des
divergences de vues, qui montrent combien peu
sûre d'elle-même est la critique rationaliste. Au
dernier siècle, Reuss niait que les prophètes eussent
prophétisé ; Renan, au contraire, prétendait qu'ils
avaient « tenu bureau de divination, » comme des
i. « N'est-ce pas inouï de prétendre tirer autre chose que le
scepticisme absolu et l'ignorance complète de documents que
l'on déclare falsifiés dans une si grande mesure ? Comment
peut-on supposer que les érudits de notre siècle connaîtront
mieux le temps des rois d'Israël que les scribes du temps
d'Esdras? Si réellement il y a eu une immense falsification
faite dans un but dogmatique, il y a plus de vingt siècles,
peut-on espérer retrouver la vérité par un procédé exactement
semblable, par un nouveau remaniement des documents que
nous possédons, fait également dans un but dogmatique,
puisqu'il est destiné à faire cadrer les textes avec une hypo-
thèse évolutionniste ? » De Broglic, Les nouveaux historien
d'Israël, dans le Correspondant, 1888, t. exiv, p. 474.
120 LE CATECHISME ROMAIN
■
fournisseurs d'oracles, de vrais charlatans de mé-
tier. Kucnen reconnaît qu'ils n'ont parlé de l'avenir
que lorsque Dieu les y poussait, toujours dans un
but élevé et moral, et non pour satisfaire une vaine
curiosité ou quelque intérêt matériel. Et prenant
les prophéties une à une, il s'efforce de montrer
qu'elles ne se sont réalisées que dans des cas où la
prévision était dans l'ordre des choses et ne récla-
mait point de révélation divine. Quant à celles qui
échappent par leur aveuglante clarté à toute inter-
prétation naturelle, il se contente de dire qu'elles
ont été écrites après coup.
4° Veut-on un exemple de l'application de cette
méthode rationaliste ? Renan va nous le donner avec
toute son ingéniosité prestigieuse. Au dire de son
admirateur, Darmesteter, voici les quatre axiomes
du prophétisme : Ce qui n'est point fondé sur la
justice doit périr ; — Jéhovah a révélé la justice à
Israël ; — Israël doit réaliser la justice ; — ■ la jus-
tice sera réalisée un jour. « Quatre certitudes qui
ont fait sa puissance surnaturelle, et dont la der-
nière, en l'armant d'espérance pour l'éternité, l'a
soustrait à tous les écrasements de la réalité (i). »
Mais sur ce dernier point : quand et comment sera
réalisée la justice ? les prophètes varient. Il y a trois
étapes dans le drame prophétique : celle de l'illu-
sion, qui veut directement construire l'avenir avec
le présent ; celle des destructions nécessaires ; celle
de la restauration devenue possible. La première
est dominée par Isaïe, la seconde par Jérémie, la
troisième par le grand Anonyme.
Première étape : Israël et Damas menacent Juda ;
Isaïe rassure son roi. Et Assur vient briser Damas
i. Darmesteter, Les prophètes d'Israël, dans la Revue des
Deux Mondes, 1891, t. civ, p. 5a8.
EXPLICATION RATIONALISTE 121
et ruiner Israël. Isaïe prêche contre l'avidité du
riche, l'iniquité du juge, le vjde du culle. On ne
l'écoute pas. Il en appelle alors à l'avenir ; élar-
gissant le champ de la vision d'Amos et d'Osée, il
voit Israël sauvé, mais sauvant le monde : c'est la
religion universelle entrevue. Mais, sous Ezéchias,
la paix règne, le royaume de David est rétabli ;
alors Isaïe salue en ce roi l'enfant de Jéhovah et
pousse un cri de triomphe, « d'où sept siècles plus
tard naquit le Christ (i). » Car le Messie n'est au-
tre qu'Ezéchias, « l'idée du Messie lointain, du
Messie des derniers jours, n'était pas encore
née (2). » Juda est menacé par Assur ; alors Isaïe
prophétise la perte d'Assur et voit, dans une vision
de paix, la fin de toute guerre, de toute haine,
l'apparition du roi idéal, du juge sur lequel des-
cendra l'esprit de Jéhovah : ce n'est qu'une vision.
Seconde étape : avec Manassé, retour violent à
l'idolâtrie et à la corruption ; avec Josias, réaction
en sens inverse : Jérémie est là. Mais avec Jérémie,
évolution nouvelle ; « le prophétisme prend cons-
cience de l'impossibilité radicale de réaliser avec le
présent les réformes qui pourraient sauver la na-
tion ; il renonce à la nation présente qui court
volontairement et inévitablement à sa ruine, et ne
songe plus qu'à préparer la nation future qui sor-
tira de ses débris (3). » Assur est tombé ; Ninive
n'est plus ; Babylone triomphe, la captivité est là.
La vieille prophétie de démembrement, de ruine et
d'exil, se réalisait dans l'épouvantement. Jérémie
est désormais convaincu que le Juda prophétisé ne
pourrait pousser en terre sainte qu'après avoir été
déraciné ; il recommande donc d'accepter l'exil,
i. Darmestcter, loc. eU,t p. 53a. — 2. Ibid., p. 53a. —
3. Ibid. y p. 534. .
122 LE CATECHISME ROMAIN
qui aura son terme, et il annonce une alliance
nouvelle. Durant l'exil, Ezéchiel prophétise ; il re-
fait l'âme de sa nation. Transporté par la pensée de
la Jérusalem future, il reconstruit le temple en
esprit. Cyrus défait ce qu'avait fait Nabuchodono-
sor : il rend la liberté aux captifs.
Troisième étape : avec le retour de la captivité,
le dernier acte du drame prophétique s'accomplit,
le plan divin se réalise. Désormais, les souffrances
d'Israël ne sont plus l'expiation de ses fautes, la
punition de ses péchés, mais le prix du salut de
l'âme humaine. Et le second Isaïe (i) trace le por-
trait du Messie souffrant, à la lumière de cette nou-
velle perspective. Mais où est la réalisation des
espérances ? Hélas ! la réalité ne répond pas à l'at-
tente immédiate, malgré le retour et la reconstruc-
tion de la ville et du temple. Alors transposition
nouvelle et dernière : le royaume tant annoncé
n'est pas de ce monde. « La conception des pro-
phètes devint une image et une allégorie, et le
christianisme, s'appuyant sur un dogme nouveau(I)
emprunté à la philosophie grecque, et que le
judaïsme ignora toujours (!), — la croyance à la
résurrection et à une rémunération future, — sup-
prima le problème qui troublait la conscience
d'Israël, en renvoyant la solution à un autre
monde (2). »
7. Ce qu'il faut penser de l'explication ra-
tionaliste. — Telle est, d'après Darmesteter, l'ex-
plication de Renan. Le sacré s'y mêle au profane
dans des proportions habilement dosées. On y
parle des prophètes, mais on a soin de supprimer la
1. Ce second Isaïe, comme on l'appelle, l'auteur des vingt-
six derniers chapitres d'Isaïe, est arbitrairement placé à cette
date récente. — 2. Darmesteter, loc. cit., n. 55i.
EXPLICATION RATIONALISTE 123
révélation qui en fait des mandataires de Dieu ; on
y parle même de leurs prophéties, mais on les fait
naître comme spontanément des circonstances am-
biantes ; la seule réalité qu'on leur reconnaisse n'est
que dans les événements immédiats ; quant à l'avenir
qu'elles évoquent, il reste une chimère ou un idéal,
témoignage d'espérances déçues, mais qui s'obs-
tinent quand même à s'affirmer. Et le christia-
nisme, en se déclarant l'héritier légitime du Ju-
daïsme et en s'autorisant de l'accomplissement des
dites prophéties, se leurre, obligé qu'il est, nous
dit-on, de mettre par delà le temps ce qui fut le
rêve chimérique d'Israël. Darmesteter appelait cette
histoire de Renan « la grande œuvre constructrice
du siècle, » et sa conception du prophétisme « un
coup de baguette divinatoire. » C'est bien plutôt
une gageure ; et s'il était vrai qu'Israël « ait fait son
histoire à coups d'idéal, » Renan et ses imitateurs,
comment donc l'ont-ils refaite? A coups d'idéal,
çux aussi, mais en sens inverse. Et puisque l'on
nous dit que l'histoire d'Israël est suspecte, telle
que nous l'offre la Bible, celle qu'on nous raconte
sur nouveaux frais que sera-t-elle donc (i) ? Mais
le rationalisme a beau faire ; qu'il chicane sur des
points de détail, l'ensemble des prophéties est là,
formidable ; il forme un bloc solide, qu'aucun
i . « La critique moderne a beau pousser des cris de triom-
phe, elle n'a pas détruit l'autorité des textes bibliques. Elle ne
peut convaincre que ceux qui sont disposés à l'écouter, soit par
timidité d'esprit, en présence d'opinions bruyantes et audacieu-
ses, soit par passion contre la tradition. Les esprits indépen-
dants ne croiront pas qu'il soit si facile de bouleverser une
histoire écrite, appuyée par une tradition orale qui lui est
conforme. Ils préféreront accepter les difficultés qui résultent
des documents tels qu'ils existent que de les échanger contre
de plus grandes difficultés résultant d'une hypothèse peu vrai-
semblable. » De Broglie, Correspondant, t. cxrv, p. 469.
124 LE CATÉCHISME ROMAIN
coup de baguette divinatoire ne parviendra à ébran-
ler ; impérieusement, il s'impose avec l'autorité
d'une certitude morale, suffisante pour satisfaire
tout homme de bon sens et d'esprit droit. Après
comme avant l'assaut du rationalisme, les prophé-
ties relatives au Messie, comme celles qui annon-
çaient la destruction de l'idolâtrie et la conversion
des gentils, restent inscrites dans la vieille Bible.
Et depuis vingt siècles, l'Evangile d'abord, l'Eglise
ensuite, c'est-à-dire l'histoire d'hier et l'histoire d'au-
jourd'hui, sont la preuve vivante, indéniable, de
leur accomplissement (i).
i. A propos des prophéties sur la conversion des gentils, le
P. Brucker écrit : « Toutes les circonstances les plus extraor-
dinaires se rencontrent dans l'énoncé et dans la réalisation de
ces oracles pour en faire la chose la plus inexplicable au point
de vue purement humain. Le grand événement qui en forme
le sujet est tel qu'aucune perspicacité naturelle ne pouvait le
prévoir, ni surtout l'affirmer d'avance avec certitude. En effet,
il porte les caractères d'une contingence qui défie les calculs
de la sagesse la plus profonde. Que des milliers, des millions
d'intelligences abjurent tout d'un coup des conceptions invé-
térées et chères pour adopter des dogmes obscurs, prêches par
de misérables étrangers ; surtout que des milliers, des millions
de volontés libres soient touchées, transformées par cette pré-
dication jusqu'à passer en un instant de l'habitude de tous les
vices à la pratique des vertus les plus difficiles : voilà qui n'est
nullement conforme aux lois « du mouvement des choses et
des idées » ; et les rationalistes, qui ne peuvent nier le fait,
n'admettraient jamais qu'il soit vraisemblable, ni même possi-
ble, s'il n'était arrivé. La conversion du monde païen, consi-
dérée historiquement, révèle donc d'une manière éclatante
l'action de la divinité qui y a la part principale. Mais combien
la main de Dieu apparaît plus visible encore dans ce prodi-
gieux événement, si on le voit prédit avec toutes ses circons-
tances, plusieurs siècles auparavant! Cette vaste transformation
morale étant impossible sans une intervention divine spéciale,
elle n'a pu être connue à Favance sftns une révélation expresse
de Celui qui devait l'opérer. » Les Prophètes d'Israël, dans les
Etudes, août 1893, t. lix, p. 600.
LE PROPHETISME ET L'APOLOGETIQUE 125
8. Le prophétisme et l'apologétique. —
« L'histoire du prophétisme en Israël, fait remar-
M. Loisy regarde comme « impossible d'établir, par la con-
cordance des prédictions anciennes et des faits qui sont présen-
tés comme leur accomplissement, la preuve évidente et indis-
cutable d'une prescience que les organes de la révélation n'au-
raient pu tenir que de Dieu » ; mais, quelque arbitraire que
puisse paraître l'exégèse du sens spirituel, il la justifie parce
qu'elle repose sur ce « principe incontestable : l'intime et cons-
tante harmonie des idées et des choses dans un mouvement
religieux qui s'est accompli progressivement sous la conduite
de la Providence. » « Si l'explication de chaque passage prisa
part ne représente pas le sens rigoureusement historique du
texte, l'explication de tous les passages pris ensemble repré-
sente, dit-il, ce qu'on pourrait appeler le sens providentiel,
jamais épuisé, de l'Ancien Testament et de toutes les prophé-
ties, le développement que les germes déposés dans l'Ecriture
étaient destinés à recevoir par la manifestation et le progrès de
l'Evangile. » Il reconnaît donc que l'argument général garde
toute sa force et que la thèse catholique est très solide. Il recon-
naît que « les anticipations d'idées et de principes religieux,
qui ne se sont réalisées parfaitement que plus tard, sont une
preuve non négligeable de l'action providentielle dans l'his-
toire. » Et quelle que soit, au vrai, sa pensée intime, si nua-
geuse, si ondoyante dans son expression, et par là même sus-
pecte aux yeux d'un certain nombre, voici ce qu'il écrit au
sujet des espérances messianiques : « Rien de plus homogène
au fond, de plus logique dans son rajeunissement perpétuel,
que l'espérance messianique depuis les plus anciens prophètes
jusqu'à la prédication du royaume des cieux et l'apocalypse
johannique. » La forme, la couleur de cette espérance varient,
mais « l'espérance elle-même, l'intuition du triomphe que se
réservent et se préparent la justice et la miséricorde éternelle,
est un fait unique dans son genre, inexplicable en lui-même,
vraiment surnaturel ; l'épuration progressive de celte espé-
rance, sa réalisation commencée, toujours poursuivie dans
l'Evangile et dans l'Eglise, sont la grande prophétie, celle qui
embrasse et vérifie toutes les autres, celle que la critique n'a
point ébranlée, qui parle encore à l'esprit religieux (et à tout
esprit droit), qui a toujours été reconnue par les âmes de
bonne volonté... L'argument des prophéties, bien compris,
reste donc avec celui des miracles, comme une de ces probabi-
126 LE CATÉCHISME ROMAIN
quer très justement Mgr Mignot (i), devra servir de
base scripturaire à l'apologétique, par la raison que
l'unique mission du peuple choisi a été de préparer
le royaume de Jésus-Christ, et que cette prépara-
tion a été le rôle suréminent des prophètes...
L'Eglise est le Christ continué, et le Christ est la
fin, l'épanouissement de l'ancienne alliance : pour
comprendre l'Eglise et le Christ, il faut donc com-
prendre la Bible. Or, qui nous donnera le vrai sens
de la vie d'Israël, sinon les prophètes ? Non, certes,
que leurs écrits renferment explicitement ce que
nous voudrions y trouver, ni qu'ils parlent du
Christ comme saint Jean ou saint Paul. N'oublions
pas que les manifestations vitales d'un organisme
vivant sont successives et non simultanées. Dieu
seul est un acte pur dans lequel est renfermée toute
son activité, mais ses œuvres sont soumises aux
conditions de l'espace et du temps. La Bible ne
renferme pas toute la pensée de Dieu dans chacun
de ses mots, dans chacune de ses lignes. Dieu n'a
point parlé aussi clairement dans l'Eden que sur le
Sinaï. Chaque page du livre nous découvre une
manifestation progressive de Dieu. Les prophètes
correspondent à une phase précise du développe-
ment religieux de cet organisme divin à un mo-
ment donné et il ne faut pas leur en demander
davantage...
« S'ils furent les guides, les éducateurs, les re-
ntes (!) ou plutôt une de ces catégories de probabilités (!), qui
servent de témoignage à la religion révélée et qui deviennent
pour la foi (mais aussi pour la raison) des vues certaines, évi-
dentes même à leur manière. » Les preuves et l'économie de la
révélation, dans la Revue du clergé, 1900, t. xxn, p. i34-i37.
1. L'Apologétique et la critique biblique, 5° lettre sur les
Etudes ecclésiastiques, dans la Revue du clergé, 1901, t, xxvn,
p. 4o-43.
LE PROPIIETISME ET L APOLOGETIQUE 127
formateurs — j'allais presque dire les créateurs —
de la vie religieuse en Israël, ils furent surtout les
hérauts des espérances messianiques, les messagers
de la bonne nouvelle. Ils ont donné à leur nation
ce cachet unique, ce caractère spécial qui a fait
d'Israël un peuple figuratif. Ils l'ont peinte avec des
couleurs si brillantes qu'elle n'est plus reconnais-
sable tant elle est transfigurée. En dessinant sept
ou huit siècles d'avance un royaume qu'ils disent
être le leur, celui d'Israël, ils ont reproduit trait
pour trait le royaume idéal du Christ. Comme le
remarque Bruce, par un phénomène unique dans
Thistoire, ils ont tous cru à la perpétuité d'Israël et,
loin d'abattre leur courage, les malheurs inouïs de
leur nation n'ont fait qu'affermir leur foi et rendre
plus vives leurs indomptables espérances. Remar-
quons-le bien, cette foi en l'avenir n'est pas le fait
de quelques individualités puissantes qu'aucune
épreuve ne décourage, c'est celle de toute une école
qui a fait partager à la nation entière les espérances
les plus invraisemblables, étant donné l'état lamen-
table d'Israël après la destruction de Jérusalem.
Pourquoi cette foi exclusive à Israël ? Jamais peu-
ple ne s'est cru appelé à réaliser pareille destinée,
n'est arrivé à se croire immortel. Jamais Ammon,
Moab, Edom, Damas, Tyr, Sidon n'ont rêvé de se
survivre ni surtout de grouper autour d'un roi
idéal de leur race toutes les nations du monde. C'eût
été du délire. A leurs yeux, comme pour les Sages
de la Grèce et de Rome, les nations naissent, gran-
dissent et disparaissent comme les individus. Les
anciens plaçaient l'âge d'or à leur origine ; nul,
sauf le peuple juif, ne le plaça jamais au déclin de
la vie. Ou Dieu n'est nulle part, ou il est dans
l'esprit et le cœur des prophètes. »
28 LE CATÉCHISME ROMAIN
1. Le monothéisme des Prophètes et l'explica-
tion rationaliste de Kuenen et de Wellhausen. —
Selon Kuenen et Wellhausen, « dans le siècle même qui
précède Amos, aucune idée élevée n'existait ; c'était un pur
culte païen. Et voilà qu'au milieu de ces usages en pleine
vigueur, usages parfaitement semblables à ceux des peu-
ples voisins, plusieurs hommes se lèvent et, se séparant
du groupe des voyants païens, se mettent à enseigner
une doctrine absolument nouvelle. Ils déclarent que
Iahveh, qui a fait sortir les Israélites de l'Egypte, n'est
pas seulement le Dieu national, mais le Dieu de tous les
peuples, qu'il est le créateur du ciel et de la terre, que
les autres Dieux ne sont rien devant lui ; que s'il a choisi
Israël, c'est qu'il l'a bien voulu, qu'il peut le rejeter, si
cela lui plaît. Bien plus, ils disent que ce Dieu va châtier
Israël et le disperser au milieu des peuples ennemis. — ■
Ils déclarent en outre que Iahveh est un Dieu invisible,
que c'est une abomination de le représenter sous une
forme visible, que c'est un crime de l'associer ou de
l'assimiler à des dieux étrangers. Ils déclarent que les
sacrifices offerts à Béthel et à Dan sont autant de péchés
qui irritent Iahveh au lieu de l'apaiser. Enfin, ce qui est
plus étrange encore, ils énoncent ces doctrines toutes nou-
velles en les déclarant antiques. Us affirment que jadis il
a existé une alliance solennelle entre Israël et Iahveh,
alliance dont la clause principale était le monothéisme et
le culte sans idoles. — Cette alliance, selon Kuenen,
n'aurait jamais existé ; elle serait la pure invention des
prophètes. Néanmoins ceux-ci, de bonne ou de mauvaise
foi, peu importe, font appel à cette alliance, dont la pro-
hibition de l'idolâtrie et du polythéisme sont les condi-
tions fondamentales, comme au pacte constituant la
nation d'Israël comme le peuple spécial de Iahveh. Si les
choses s'étaient passées comme le veulent nos modernes
historiens, n'est-il pas évident que des prophètes venant
ainsi sans motifs, sans preuves, apporter une doctrine
inconnue, contredire des traditions séculaires, choquer
les instincts religieux du peuple et des peuples voisins,
imposer une doctrine austère au nom d'engagements chi-
LE PROPIIETISME ET L APOLOGETIQUE I2£
mériques de la nation dont on ne pouvait avoir aucun sou-
venir, puisqu'ils n'avaient jamais existé, n'est-il pas évi-
dent, dis-je, C}ue ces hommes auraient été lapidés par lo
peuple, à moins qu'on eût préféré les traiter d'insensés et
les laisser exposer uue doctrine qui n'aurait attiré sur eux
que la raillerie et le mépris ?... Or, qu'arrive-t-il, au
contraire? Au lieu d'être lapidés et traités de tous, ces
prophètes sont écoutés, ces prophètes se créent des parti-
sans, ces prophètes finissent par conquérir à leurs idées une
notahle partie de la nation. Le reste même est ébranlé, et
les adorateurs du veau d'or se sentent troublés dans leur
conscience. — Bientôt les rois auxquels les prophètes
n'ont cessé de reprocher leurs vices, les prêtres dont ils
combattaient les intérêts en déclarant les sacrifices inuti-
les, sont eux-mêmes gagnés à la doctrine nouvelle.
Ezéchias s'efforce de l'imposer au peuple. Josias recom-
mence la même tentative, et, après la captivité, le succès
de la doctrine prophétique est tel, qu'il n'y a plus un juif
qui ne reconnaisse la souveraineté de Iahveh, Dieu créa-
teur, et que les idoles ont disparu pour jamais du peuple
qui lui est consacré.
a Mais ce n'est pas tout encore : non seulement le peu-
ple est devenu monothéiste, mais on lui fait croire qu'il l'a
toujours été. Une immense fraude littéraire, une révision
faite de toute la littérature hébraïque transporte au temps
de Moïse les idées qui étaient nouvelles au huitième siè-
cle avant Jésus-Christ. Une histoire mensongère est inven-
tée. Cette histoire est gravée non seulement sur tous les
rouleaux écrits, mais dans toutes les mémoires et dans
toutes les consciences. Elle passe sans altération de géné-
ration en génération. Elle est transmise des juifs aux
chrétiens. Là, étudiée, méditée, commentée pendant
vingt-cinq siècles par la plus noble partie de l'humanité,
cette histoire paraît naturelle et vraisemblable... Il faut
venir jusqu'au xix° siècle pour qu'un ou deux professeurs
hollandais, quelques alsaciens et deux ou trois allemands,
déchirant le voile tendu depuis le temps d'Esdras devant
les esprits, reconnaissent la iraude et enseignent au
monde la véritable histoire d'Israël: cette histoire qui
LE CATÉCHISME. — T. 111. Q
l3o LE CATÉCHISME ROMAIN
consiste à dire qu'en pays païen on a vu tout d'un coup
sortir de terre, comme par une génération spontanée, des
prophètes monothéistes, que ces hommes ont créé une
doctrine sublime, l'ont imposée au peuple à titre de tradi-
tion antique, et ont répandu ainsi, au moyen de la fraude
et du mensonge, sur toute l'humanité, la lumière de la
connaissance du Dieu créateur, faisant ce que tous les
philosophes ont été impuissants à accomplir.
u En vérité, je ne crains pas de dire que si le récit
d'une telle succession de faits était inscrit dans des docu-
ments anciens et authentiques, c'est à peine si on pour-
rait l'admettre. Une telle narration serait si incohérente,
si absurde, si invraisemblable, si contraire à toutes les
lois de l'histoire et à toutes les expériences psychologi-
ques, que le livre qui la contiendrait serait, par son
contenu même, suspect d'être un pur roman. Mais quand
on songe que cette histoire n'existe dans aucun docu-
ment, qu'elle est contraire à tous les documents et à tou-
tes les traditions, qu'elle sort toute entière du cerveau de
MM. Kuenen et Wellhausen, comme Pallas du cerveau de
Jupiter, on est alors saisi d'un autre étonnement : on se
demande comment des hommes raisonnables ont pu
inventer un pareil récit, et comment d'autres hommes
raisonnables ont pu accepter si facilement le récit des pre-
miers. )> De Broglie, Les nouveaux historiens d'Israël,
dans le Correspondant, 1888, t. cxv, de la nouvelle série,
p. 690-692.
2. Les hypothèses de Renan. — «Par ses efforts réi-
térés et persévérants, et par leur impuissance, il (Renan)
prouve qu'on ne saurait expliquer le fait unique dans
l'univers d'un peuple monothéiste qu'en admettant l'an-
cienne histoire d'Israël, la révélation faite aux patriar-
ches, la mission de Moïse et les grands miracles de
l'Exode. C'est Moïse qui est le véritable créateur du culte
monothéiste en tant que culte national, comme il est le
fondateur de la nation hébraïque et son législateur. Ce sont
les miracles publics de l'Exode qui seuls ont pu graver
dans une nation entière la croyance au Dieu créateur,
effacée depuis longtemps dans l'univers et conservée seu-
LE PROPHÉTISME ET l' APOLOGETIQUE l3l
mm**—
lement par certains individus et certaines familles. Ce
fait qui, selon Renan, ne s'est réalise nulle part ailleurs,
s'est accompli grâce au passage de la mer Rouge et à la
manifestation du Sinaï...
« L'ancienne histoire d'Israël a pour elle tous les docu-
ments... Elle a pour elle la tradition unanime d'un peu-
ple entier. Elle a pour elle la vraisemblance historique,
car elle seule explique le fait unique et évident d'un
peuple professant le culte pur du Dieu créateur et infini-
ment saint, quand tous les autres peuples étaient païens.
Pour expliquer ce fait, elle a recours à des causes surna-
turelles. Mais cela même est logique. Il faut que la cause
soit proportionnée à l'effet. L'effet est unique et transcen-
dant en lui-même: un peuple entier qui adore le vrai
Dieu. L'effet se manifeste encore au dehors d'une manière
sublime et transcendante par une littérature religieuse à
laquelle nulle autre ne peut être comparée. A un effet
transcendant, il faut une cause transcendante. Les mira-
cles physiques de l'Exode, le miracle moral de la doc-
trine de Moïse et des prophètes, le miracle historique du
monothéisme national d'Israël, la sublimité incomparable
de l'Evangile, le miracle de la propagation du mono-
théisme chrétien dans l'univers, s'appuient et s'expliquent
mutuellement. Il y a entre ces grands faits une parfaite
harmonie et une admirable proportion. C'est au point
de vue surnaturel et chrétien qu'il faut se placer pour bien
juger l'histoire religieuse du peuple d'Israël et celle du
monde chrétien... L'ancienne histoire est la seule qui
unisse d'une manière logique et vraisemblable le passé
antique de la croyance du peuple d'Israël à la religioa
professée par cette nation pendant les derniers siècles de
son existence indépendante. Elle est la seule aussi qui
fournisse une explication plausible de la diffusion ulté-
rieure du monothéisme dans le monde. Ce grand fait,
auquel, selon Renan, nul autre dans l'histoire des reli-
gions ne peut être comparé, exige une cause proportion-
née à sa grandeur; cette cause ne se rencontre que dans-
l'histoire traditionnelle du peuple d'Israël. » Ibid.p
p. 872-874.
l32 LE CATÉCHISME ROMAIN
3. Pascal et les prophéties messianiques. — Pas-
cal « n'avait pas tort de penser qu'en matière religieuse,
rien n'est clair à ceux qui n'ont pas quelque désir de
trouver Dieu, on dirait presque, quelque goût de Dieu.
Et c'est par là, comme l'a fait remarquer M. V. Giraud,
que son apologie est demeurée ou redevenue si moderne.
Lui, mathématicien de génie, maigre sa tentative hardie
du pari, ne paraît pas attendre grand'chose des argu-
ments mathématiques pour prouver l'accomplissement
des prophéties. Ou plutôt il sait bien que ces arguments
n'existent pas. Il a cru que le temps du Messie était clai-
rement marqué, mais avec une approximation de deux
cents ans. Si les Juifs n'ont pas compris les prophéties,
parce qu'ils étaient charnels, si les Apôtres ont levé le
voile parce qu'ils ont mis à sa place, qui est la première, le
sens religieux, le seul digne de Dieu, c'est qu'il faut,
pour juger en ces matières, avoir un certain sentiment
de ce que Dieu est pour nous et de ce que nous devons
être envers lui : il faut pénétrer en quelque façon dans
ses pensées ou du moins souhaiter de les connaître pour
en inspirer sa vie. Sans un certain sentiment religieux,
quelle que soit la part qu'y prend la grâce, il est inutile
d'aborder l'exégèse des prophéties ; on n'y trouverait pas
de lumières. C'est ce que Pascal a dit dans une demi-page,
où son âme ardente fait éclater la foudre pour se rasséré-
ner et rasséréner les autres dans la douceur vraiment
infinie de la rédemption promise : « Il y en a qui voient
bien qu'il n'y a pas d'autre ennemi de l'homme que la
concupiscence, qui le détourne de Dieu, et non pas Dieu ;
ni d'autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse.
Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair,
et le mal en ce qui détourne les plaisirs des sens, qu'il
s'en soûle et qu'il y meure. Mais ceux qui cherchent Dieu
de tout leur cœur, qui n'ont de déplaisir que d'être privés
de sa vue, qui n'ont de désir que pour le posséder et
d'ennemis que ceux qui les en détournent, qui s'affligent
de se voir environnés et dominés de tels ennemis, qu'ils
se consolent, je leur annonce une heureuse nouvelle : il
y a un libérateur pour eux, je le leur ferai voir : je leur
LE PROPHÈTISME ET L 'APOLOGETIQUE l33
montrerai qu'il y a un Dieu pour eux ; je ne le ferai pas
voir aux autres (i). » Sans la passion qui l'anime, la pen-
sée ne nous porterait pas au cœur te coup dont on est
étourdi en lisant ces lignes... Il n'est pas nécessaire d'être
aussi envahi qu'un Pascal du désir de posséder Dieu pour
être dans la voie qui conduit à Lui et où les prophéties
peuvent être vraiment utiles. Mais n'est-ce pas l'objet
d'un éternel regret que Pascal n'ait pu réaliser sa pro-
messe et montrer aux âmes de bonne volonté le Libéra-
teur promis ? » Lagrange, Pascal et les prophéties messia-
niques, dans la Revue biblique, Paris, 1906, p. 559-560.
1. Pensées, édit. Havet, p. 343.
mmwHmmM
Sources de la Révélation
Leçon IVe
L'Écriture Sainte
La canonicitè: I. Notions préliminaires. — IL Ca-
non de l'Ancien Testament. — III. Canon du
Nouveau Testament. — IV. Décret du concile
de Trente (i).
Souvent on accuse l'enseignement catholique
de faire un cercle vicieux. Prouver la révéla-
tion par les miracles et les prophéties en serait
tin, car ce serait prouver le surnaturel par le surna-
turel.
Que les miracles et les prophéties soient des faits
surnaturels et divins, telle est bien la croyance
catholique. Mais c'est une croyance très légitime
«t rationnellement justifiée, parce que le caractère
ï. BIBLIOGRAPHIE : Pour l'histoire du canon en général,
voiries introductions générales à l'Ecriture sainte, notamment
celle de Cornély, t. ï, p. 19-230; pour les questions théologi-
*jues de la canonicitè, voir les divers traités De locis theologicis;
pour le canon des deux Testaments, voir les articles du Die-
'tionnalre apologétique, de Jaugey ; Dictionnaire de la Bible, de
Vigouroux ; Dictionnaire de théologie, art. Canon; Realencyclo-
pâdie; Dictionary of the Bible, de Hastings, Edimbourg, 1898-
1900 ; Credner, Zur Geschichte des Kanons, Halle, 1847 ;
Causson, Le canon des saintes Ecritures, Lausanne, 1860;
Beuss, Histoire du canon, 2* édit., Strasbourg. 18G4 ; Davidson,
The canon of the Bible, Londres, 1877 ; Magnier, Etude sur la
canonicitè, Paris, 1892 ; Preuschen, Analecta. Kurzere Texte zur
ÉCRITURE SAINTE, LA CANOMCITE l35
surnaturel ou l'origine divine des miracles et des pro-
phéties est la seule conclusion logique possible qui
s'impose devant l'impossibilité où la raison se trouve
de les expliquer adéquatement par une cause pure-
ment naturelle, au même titre que les faits ordinai-
res dont se compose la trame des événements
humains. C'est en tant que faits, et de la même
manière que pour n'importe quel fait, qu'on les
constate d'abord sans préjuger le moins du monde
leur nature intime. Telle est la base, tel est le point
de départ. Qu'après cela se pose la question de
savoir si ces faits sont transcendants et divins, c'est
un devoir de l'examiner. Et si un tel examen , conduit
en toute rigueur de logique, oblige la raison à
s'avouer incapable d'en rendre compte naturelle-
ment, quoi de plus rationnel que d'admettre, puisque
la logique l'exige, leur caractère surnaturel, leur
origine divine ?
La raison est donc pleinement autorisée à en
faire état : Dieu a révélé aux hommes une doctrine
Geschichte des aile Kirchen und des Kanons, Fribourg-en-Brisgau,
1893 ; Chevalier, Répertoire Topobibliographie, col. 506-568. ~—
Pour l'Ancien Testament : Loisy, Histoire du canon de l'Ancien
Testament, Paris, 1890; Ryle, The canon of the Old Testament,
Londres, 1892; Mullan, The canon of the Old Testament, 1893;
Kœnig, Essai sur la formation du canon de V Ancien Testament,
Paris, 1894 ; Reuss, Geschichte der heiligen Schriften A. T.,
Brunswick, Ce édit., 1887 ; Westcott, A gênerai survey of the
history of the canon of the N. T., during the first four centuries,
6e édit., Londres, 1889; Van Kasteren, Le canon juif vers le
commencement de notre ère, dans la Revue biblique, 1896, t. v ;
Dombrovski, La doctrine de l'Eglise russe et le canon de l'A. T.,
dans la Revue biblique, 1901. — Pour le Nouveau Testament :
Reuss, Geschichte der heiligen Schriften N. T., 6e édit.,
Brunswick, 1887 ; Hilgenfeld, Der Kanon und die Krilik des
N. T., Halle, i863 ; John, Geschichte der Neulestamentlichen
Kanons, Leipzig, 1888-1892 ; Grundriss der Geschichte der
Neulestamentlichen Kanons, Leipzig, 1901 ; Loisy, Histoire du
canon du N. T., Paris, [891.
l36 LE CATÉCHISME ROMAIN
de salut ; où est-elle ? en quoi consiste-t-clle ? qui
nous la garantit ? Cette marche dialectique nous
met en face d'un enseignement oral ou écrit, dont
la garde et l'interprétation, loin d'être livrées au
hasard, sont confiées à une institution organique
et vivante, qui n'est autre que l'Eglise catholique.
De son côté, l'Eglise, en dehors de tout appel à
l'Ecriture ou à la Tradition, mais par le seul fait
de son éclat apologétique dans le monde, apparaît
comme un fait divin, comme un motif exception-
nel de crédibilité, sanction et garantie de son ensei-
gnement (i). Son enseignement, elle l'a pris dans
l'Ecriture et la Tradition. Ainsi donc, sans le
moindre cercle vicieux, la révélation, dont l'exis-
tence se prouve par la raison, reçoit de l'Eglise un
témoignage formel de sa divinité ; et, à son tour,
l'Eglise, dont l'existence et le caractère transcendant
sont indéniables aux yeux du bon sens et de la
saine raison, reçoit de l'Ecriture et de la Tradition
un témoignage non moins formel de sa divinité.
Partie de données positives, c'est rationnellement
que procède la démonstration catholique, et c'est
rationnellement qu'elle aboutit au surnaturel. Une
fois là, elle est logiquement autorisée à se servir
d'arguments d'autorité. Et c'est ainsi que la révé-
lation et l'Eglise aboutissent l'une à l'autre, et se
prêtent un mutuel appui et se servent réciproque-
ment de preuves, mais après avoir été l'une et
l'autre rationnellement démontrées.
La révélation existe : où est-elle ? — Dans l'Ecri-
ture sainte et la Tradition, répond l'Eglise. — Mais
qu'entendre par Ecriture sainte et par Tradition ?
— C'est à cette double question qu'il s'agit de
répondre.
i. Voir la Leçon xxxvi6, t. n, p. 612 sq.
LA CANONICITE 107
Relativement à l'Ecriture, nous examinerons seu-
lement ce qui regarde la canonicité et l'inspira-
tion : la canonicité, pour savoir quels sont les
livres qui composent la Bible catholique, et com-
ment on est parvenu à en dresser le catalogue ;
l'inspiration, pour savoir quelle est l'idée que se
fait l'Eglise des saints Livres, et comment il con-
vient d'entendre, au milieu des débats actuels, la
nature intime de ce charisme.
I. Notions préliminaires
1° Canon, canonique. — Le mot et la chose.
Actuellement, le mot canon des Ecritures éveille
Tidée d'une liste officielle ; telle ne fut pas sa signi-
fication primitive.
Canon, du grec xavwv, désigne, dans son sens
étymologique, bâton, bâton droit qui sert â mesu-
rer, d'où, par extension, mesure et chose mesurée,
règle et chose réglée. Ce mot convenait à l'Ecri-
ture, puisqu'elle est à la fois une règle, celle de
l'enseignement et de la foi, et une collection, celle
des Livres saints. On ne le trouve cependant qu'au
ive siècle, et c'est saint Athanase qui s'en sert le
premier. Il dit du Pasteur qu'il n'appartient pas au
Canon (i) ; il nomme canonisés les Livres divins
qu'il distingue des non canonisés et des apocry-
phes (2). Le concile de Laodicée, vers 36o, décide
qu'on ne doit lire que les seuls livres canoniques (3).
Un livre canonisé devient canonique et appartient
au canon ; cela suppose un acte qui le canonise ; et
dès lors le sens de ces mots, appliqués aux Livres
i. De nie. deer , 18 ; Pair. gr.\ t. xxv, col. 456. — 2. Epist.
jest., xxxix ; Patr. gr., t. xxvi, col. i436, 1^7, i44o. — 3. Can.
$g, dans Mansi. t. Il, col. 574. »
l38 LE CATÉCHISME ROMAIN
saints, ne signifie pas que ces livres sont la règle
de la foi, mais simplement qu'ils font partie d'un
recueil réglé. Or, cette idée de catalogue ou de col-
lection existait dès l'époque apostolique ; elle s'ex-
primait par le terme Ecriture avec le qualificatif de
sainte, sacrée ou divine, par les mots la Loi et
l'Evangile, les Prophètes et les Apôtres, ou encore
par celui de Testament, àtaO-^xTj. D'autre part, l'idée
d'Ecriture comme règle de foi existait pareillement ;
et les mots canon, canonique servirent aussi à l'ex-
primer. De là, dans la suite, leur double sens, le
sens actif de règle de foi, et le sens passif de cata-
logue réglé. Les latins les empruntèrent et les em-
ployèrent dans l'un et l'autre sens. Le canon des
Ecritures est donc la liste, réglée par l'Eglise, des
livres d'origine divine destinés à régler la foi et
l'enseignement. Depuis le concile de Trente, c'est
Pacception de reconnaissance officielle par l'Eglise
qui a prévalu.
2° Critérium de la canonicité. — i. Chez les
catholiques. — Pour nous, l'unique critère de l'inspi-
ration et de la canonicité des Livres saints, c'esJ, l'au-
torité de l'Eglise. Comment l'Eglise a-t-el le reconnu
et proclamé la canonicité ? Dès les origines, elle a été
en possession de l'Ecriture, elle s'en est servie dans
la liturgie, et elle a toujours allégué cette possession
traditionnelle et cet usage liturgique. Elle a toujours
opposé sa possession traditionnelle aux hérétiques
qui essayaient, soit d'augmenter ou de diminuer le
nombre des Livres inspirés, soit d'en modifier le
sens ou le contenu. Pour trancher tout débat, les
premiers Pères en appelaient à la tradition. Mais
la tradition peut ne pas être universelle ni uni-
forme. Dans ce cas, dit saint Augustin, « en ce qui
concerne les Ecritures canoniques, il faut suivrft
LA CANONICITÉ l39
l'autorité du plus grand nombre des Eglises catho-
liques, parmi lesquelles doivent être assurément
celles qui ont mérité d'avoir des chaires apostoli-
ques et de recevoir des épîtres. On se conduira
donc, à l'égard des Ecritures canoniques, de façon
à préférer celles qui sont reçues de toutes les églises
apostoliques à celles qui ne sont reçues que de
quelques-unes ; parmi celles qui ne sont pas reçues
de toutes, celles que reçoivent les plus nombreuses
et les plus importantes à celles que retiennent les
églises moins nombreuses et de moindre autorité.
Si l'on en trouve qui soient gardées par les plus
nombreuses, et d'autres par les plus importantes,
bien que cela ne puisse facilement se rencontrer, je
crois qu'il faut leur attribuer une égale autorité(i). »
La lecture publique d'un livre a aussi servi de
pierre de touche pour reconnaître les Livres saints.
Et si d'autres livres ont été admis, ici ou là, à une
telle lecture, comme divins, ce ne fut qu'une appli-
cation particulière mais erronée d'une règle qui
servira au triage définitif des livres canoniques. Tel
a été le principe d'autorité, appliqué justement par
l'Eglise, dès le second siècle, pour reconnaître la
canonicité des Livres de l'Ancien et du Nouveau
Testament (2).
Mais lorsque des doutes ont persévéré, l'Eglise est
intervenue par un acte officiel et déclara toire. C'est
ainsi qu'un concile romain sous Damase, en 382,
a donné une liste complète des Livres saints reçus
dans l'Eglise (3). Innocent I l'a reproduite, en 4o5,
dans sa lettre à l'évêque de Toulouse, saint Exu-
père (4). En Afrique, les conciles d'Hippone, en
1. Pair, lat., t. xxxiv, col. 4o-4i. — a. C'est ce que recon*
naît le protestant Reuss dans son Histoire du canon, p. a43. —
3. Cf. Thiel, De décrétait Gelasii, p. ai. — 4.Denzinger, n. 5g;
Patr. lat., t. xx, col. 5oi.
l/|0 LE CATÉCHISME ROMAIN
393, et de Carthage, en 397 et £19, ont dressé une
liste semblable (1). Au ix° siècle, Nicolas I, dans
une lettre aux évêques de la Gaule, invoque le
décret d'Innocent sur les. Ecritures pour prouver
qu'il faut aussi recevoir toutes les décrétâtes ponti-
ficales (2). En i442, dans son décret pour les Jaco-
bites, Eugène IV, avec l'approbation du concile de
Florence, insère la liste des livres bibliques, affir-
mant leur inspiration et leur origine divines. A
ces mesures, à ces décisions, il ne manquait qu'une
définition de la canonicité : ce fut le concile de
Trente qui la formula, le 8 avril 1 546.
2. Chez les protestants. Carlstadt (3), le 390 article
de l'Eglise anglicane, la Confession de Bohême,
en i535, la Confessio wirtemburgica, de i552, ont
accepté le canon biblique de l'Eglise. Mais, à
repoussser selon le principe de la Réforme l'auto-
rité de l'Eglise et de la tradition, c'était là une
inconséquence. Comment donc savoir dès lors
qu'un livre est inspiré ?
Luther s'est placé à son point de vue dogmatique
du salut gratuit, de la justification par la foi sans
les œuvres, et a proclamé la règle suivante : tout
livre conforme à cette doctrine doit être reçu ; tout
livre, fût-il de Pierre ou de Paul, qui ne s'y rapporte
pas, doit être exclu (4).
Calvin en appelle à l'Ecriture elle-même : c'est
elle qui se révèle comme divine par les effets qu'elle
produit sur ceux qui la lisent ; c'est le Saint-Esprit
qui lui rend témoignage dans l'intime du cœur (5).
L'Eglise n'a pas eu d'autre moyen. Ce principe d'or-
dre subjectif écarte tout intermédiaire autorisé entre
Dieu et nous ; mais, en fait, il a été insuffisant,
1. Denzinger, n. 49. — 2. Pair, lat., t. cxix, col. 902. —
3. De canonicls Scripturis, Wittemberg, i52o. — 4- Vorrede
aufdasN. T., i522. — 5. Instit., I, vu, 2 ; vin, 1.
DÉCRET DU CONCILE DE TRENTE I t\l
puisque les calvinistes eux-mêmes ont dû chercher
autre chose.
L'action intérieure du Saint Esprit est un critère
difficile à contrôler. On eut donc recours à des cri-
tères internes, tirés du contenu de l'Ecriture, et à
des critères externes, tirés de son antiquité et des
témoignages anciens. L'Eglise n'aurait pas été juge
en la matière ; elle ne fut qu'un témoin ; son droit
n'allait pas à canoniser les Livres saints. La Syna-
gogue avait garanti ceux de l'Ancien Testament ;
Jésus-Christ et les Apôtres ont accepté la Bible
hébraïque ; la question des deutérocanoniques res-
tait pendante (i).
Depuis Semler, la plupart des protestants n'usent
plus que des principes de la critique historique,
abstraction faite de la tradition et même du témoi-
gnage intérieur du Saint-Esprit : la Bible n'est
qu'un recueil humain des documents de la pensée
religieuse (2).
3° Canon biblique. — Le voici tel qu'il a été
formulé par le concile de Trente, dans son Décret
De canonicis Scripturis :
a Le très saint concile de Trente ... suivant l'exemple
des Pères orthodoxes, reçoit et vénère avec un égal senti-
ment de piété et un égal respect tous les livres tant de
l'Ancien que du Nouveau Testament, puisque l'unique
Dieu est l'auteur de l'un et de l'autre, aussi bien que les
traditions elles-mêmes. Mais, pour que personne ne
puisse douter quels sont les Livres saints que le concile
lui-même reçoit, il a pensé qu'il fallait joindre à ce décret
le catalogue de ces livres. Or, ce sont les suivants : —
De l'Ancien Testament, les cinq livres de Moïse, à savoir,
1. Cf. Reuss, op. cit., p. 32o-33g ; 360-392 ; Rabaud, Histoire
de la doctrine de l'inspiration, Paris, i883, p. i4a-i55. — a. Cf.
Reuss, op. cit., p. 4"-43i.
l!\1 LE CATÉCHISME ROMAIN
la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deuté-
ronome; Josué, les Juges, Ruth, les quatre Livres des
rois, les deux des Paralipomènes, le premier d'Esdras, et
le second qui est dit de Néhémie, Tobie, Judith, Esther,
Job, le Psautier davidique qui contient cent cinquante
psaumes, les Paraboles, l'Ecclésiaste, le Cantique des
cantiques, la Sagesse, l'Ecclésiastique ; Isaïe, Jérémie
avec Baruch, Ezéchiel, Daniel ; les douze petits pro-
phètes, à savoir, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée,
Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie ;
deux livres des Machabées, le premier et le second. — Du
Nouveau Testament, les quatre Evangiles, selon Mat-
thieu, Marc, Luc et Jean ; les Actes des Apôtres, écrits
par l'évangéliste Luc ; les quatorze Epîtres de l'apôtre
Paul, aux Romains, deux aux Corinthiens, aux Galates,
aux Ephésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, deux aux
Thessaloniciens, deux à Timothée, à Tite, à Philémon,
aux Hébreux ; deux de l'apôtre Pierre, trois de l'apôtre
Jean, une de l'apôtre Jacques, une de l'apôtre Jude, et
l'Apocalypse de l'apôtre Jean. — Si quelqu'un ne reçoit
pas pour sacrés et canoniques ces mêmes livres en entier
avec toutes leurs parties, tels qu'on a coutume de les lire
dans l'Eglise catholique et tels qu'ils sont dans l'ancienne
édition latine de la Vulgate, ou méprise avec connais-
sance et de propos délibéré les traditions dont il a été
parlé» qu'il soit anathème. Que tous sachent dans quel
ordre et par quelle voie le concile lui-même, après avoir
établi le fondement de la confession de la foi, doit pro-
céder, et de quels témoignages et secours il doit parti-
culièrement se servir pour confirmer les dogmes et res-
taurer les mœurs dans l'Eglise. »
IL Canon de l'Ancien Testament
i. La Bible hébraïque. — Elle comprenait :
i° la loi ou le Pentateuque ; 2° les Prophètes : Josué,
les Juges, Samuel, les Rois, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel,
les douze petits Prophètes ; 3° les Hagiographes :
LA BIBLE l43
les Psaumes, les Proverbes, Job, le Cantique des
cantiques, Rutli, les Lamentations, l'Ecelésiaste,
Estlier, Daniel, Esdras étNéhémie, les Chroniques.
Gomment et par qui a été formée cette collection ?
C'est ce que l'histoire ne dit point, pas plus qu'elle
ne nous apprend la règle suivie en pareille matière (i).
On en est donc réduit à des conjectures. Ce serait
Esdras, au retour de la captivité, vers le milieu du
v° siècle, qui aurait réuni les écrits compris sous
le titre de la Loi, et son contemporain Néhémiequi
aurait rassemblé ce que les juifs appelaient les livres
prophétiques (2). Quant aux hagiographes, ils au-
raient été collectionnés plus tard encore, à une
dale impossible à préciser ; la première mention
s'en trouve dans la préface de l'Ecclésiastique,
2. La Bible Alexandrine. — La Bible hébraï-
que, traduite par les Septante, aurait été complétée
par l'adjonction de livres nouveaux et l'addition de
quelques fragments, sans déclaration officielle con-
nue de leur origine divine : Tobie, Judith, la Sa-
gesse, l'Ecclésiastique, Baruch, les deux livres des
Machabées, les sept derniers chapitres d'Esther, le
cantique des trois enfants dans la fournaise,
l'histoire de Suzanne et celle de Bel et du dragon (3)
sont dans ce cas ; ce sont ceux qu'il est convenu de
désigner sous le nom de deutérocanoniques, pour
les distinguer des autres ou des protocanoniques.
3. L'Ancien Testament chrétien. — 1. Durant
1. Ceux qui fixèrent le canon palestinien, dit M. Yigouroux,
« semblent avoir pris pour règle de l'acceptation d'un écrit,
dans le canon, sa conformité rigoureuse avec la loi mosaïque,
telle qu'ils l'entendaient, et avoir requis en outre qu'il fût an-
cien et eût été composé en Palestine même, où au moins écrit
en hébreu. » Manuel biblique, t. 1, p. 66. — 2. II Mach., 11, i3.
1 — 3. Dan., m, 24-90; xiii-xiv.
l44 LE CATÉCHISME ROMAIN
les trois premiers siècles. — Notre Seigneur et les
Apôtres se sont servis de la Bible des Septante. Ainsi
autorisée, la version des Septante passa à l'Eglise
naissante dans son texte même, puis dans une
vieille traduction latine. L'Eglise continua la prati-
que apostolique; elle se servit du texte pour les
lectures publiques et pour son enseignement dog-
matique. Tous les deutérocanoniques sont cités (i);
il est vrai que quelques apocryphes de l'Ancien
Testament le sont aussi .(2). Mais Tertullien fait
remarquer que le livre d'Hénoch n'est reçu ni par
les juifs ni par les chrétiens (3), et Origène en dit
autant des autres (4). Du reste on ne voit pas qu'ils
1. Ces citations consistent en emprunts de termes ou de
pensées caractéristiques, parfois de phrases entières, parfois en
allusions àFhistoire de Tobie, de Judith, de Susanne, de Bel et
du dragon. La Didaché, emprunte des termes à Eccli., et
Sap., 1, 2 ; x, 3 ; édit. Funk, Tubingue, 1887, p. 4, 28 ; Barnabe
cite un passage de Sap., vi, 7; Funk, Patr. apost., Tubin-
gue, 1881, p. 18 ; emprunt à Eccli,, xix, 70, p. 54; Clément
analyse Judith, 1 Cor., lv, 4-5: lix, 3-4, p. 128; allusion à
Esther, à la Sagesse et à YEcclèsiastiaae ; II Cor., xvi, 4, cite
Tobie, p. i()4 ; S. Polycarpe cite Tobie, Phil, x, 2, p. 276;
Hermas fait allusion à Tobie, à la Sagesse et à Y Ecclésiastique ;
S. Justin croit à Finspiration des Septante, Coh. ad Grsec, i3 ;
Patr. gr., t. vi, col. 2o5, et s'inspire d'un fragment de Daniel,
Apol., I, 46, col. 397; le canon de Muratori mentionne la
Sagesse ; S. Irénée cite Baruch sous le nom de Jérémie. Adv.
hœr., v, 35, 1 ; Pair, gr., t. vu, col. 1219 ; la Sagesse, iv, 38, 3,
col. 1108 ; l'histoire de Susanne et de Bel, îv, 26, 1 ; v, 1, 2,
col. io53, 11 35 ; Clément d'Alexandrie se sert de tous les deu-
térocanoniques, Paedag., u, 3; Stroni., 1, 28; 11, 23; iv, 19;
v, i4 ; vi, 1 1 ; Patr. gr., t. vin, col. 436, 852, 1089, l^29 '■> t« ix»
col. i45 ; Origène défend contre Jules Africain les fragments
de Daniel, Tobie et Judith, Epist. ad Afric, 4, 5, i3 ; De orat.,
?3, 29 ; Patr. gr., t. xi, col. 453, 532. — 2. Barnabe, iv, 3,
Funk, p. 8, cite Hénoch ; Hermas, Eldad et Modat, Vis., 11, 3, 4»
Funk, p. 348 ; S. Justin fait allusion à Y Ascension d'Isaïe, Dial.,
120 ; Patr. gr., t. vi, col. 756. — 3. De cuit, fem., 1, 3 ; Patr. lat.9
t. 1, col. 1307. — 4. In Joan., 11, 25 ; Patr. gr., t. xiv, col. 168.
LES LIVRES DE i/aNCIEN TESTAMENT I^S
aient été introduits dans l'usage liturgique et l'en-
seignement.
2. Au IV6 siècle. — En Orient. : — Le fait, pour les
deutérocanoniques, d'être étrangers au canon pales-
tinien ne tarda pas à faire concevoir des doutes sur
leur canonicité. Sans doute, ils étaient lus et regar-
dés comme inspirés ; mais le canon hébreu, tel que
le connurent Méliton de Sardes (i) et Origène (2), et
tel que le donne saint Anathase, ne les comprenait
pas (3). Cyrille de Jérusalem (4), Grégoire de
Nazianze (5), Amphilochius (6), Epiphane de Sala-
mine (7) ne parlent que des vingt-deux livres
de l'Ancien Testament. Quelques Pères latins, en
commerce étroit avec l'Orient, connaissent cette
liste et par suite l'exclusion des deutérocanoniques.
C'est le cas notamment de saint Hilaire de Poi-
tiers (8), de Rufin (9). Aucun cependant ne se fait
faute, à l'occasion, de les citer comme les autres, à
titre de livres inspirés, utiles pour l'édification. Mais
c'est surtout saint Jérôme, dont l'influence aura
tant de poids dans la suite en Occident, qui pose
en principe que tout ce qui n'est pas dans l'hébreu
doit être rangé parmi les apocryphes ; il exclut
en conséquence les deutérocanoniques (10). Ce n'est
certes pas qu'il leur dénie toute valeur, ni même
qu'il songe à blâmer l'usage qu'en fait l'Eglise, mais
il estime que l'Eglise les fait lire dans un but d'édi-
1. Eusèbe, Hist. eccl., îv, 26; Patr. gr., t. xx, col. 396-397. —
3. In Ps., 1 ; Patr gr., t. xn, col. io84; Eusèbe, Hist. eccl., vi,
a5, col. 58o. — 3. Epist. fest., xxxix; Patr. gr., t. xxv, col.
1676. — 4. Cat., iv, 33, 35, 36; Patr. gr.,t. xxxni, col 496 sq.
— 5. Carm., 1, 12; Patr. gr., t. xxxvn, col. 472. — 6. lamb.
ad Seleuc, ibid., col. i5g3. — 7. Hœr., vin, 6 ; lxxvi, 5; Patr.
gr., t, xli, col. 4i3; t. xlii, col. 56o. — 8. In Ps., prolog., i5 ;
Patr. lat., t. xi, col. a4i. — Q.InSymb., 36-38 ; Patr. lat.,t. xxi,
col. 373-375, — 10. Prolog, galeatas; Patr. lat.t t. xxvin, col.
1242-1243.
LB CATÉCHISME. — T. m. 10
I46 LE CATÉCHISME ROMAIN
fïcation, et non pour confirmer l'autorité de l'en-
seignement dogmatique. C'est pourquoi il n'en
parle qu'avec une réserve marquée, en opposition
manifeste avec la tradition ecclésiastique, comme le
lui reprocha Rufin (1).
3. En Occident. — Tout autre, à cette époque, est
l'attitude de l'Occident. A défaut d'une décision
officielle et sans se préoccuper de savoir la diffé-
rence à mettre entre les divers livres, on s'en tient
àHa pratique religieuse en vigueur et traditionnel-
lement observée depuis les Apôtres et on place au
même rang les deutéro et les prolocanoniques.
C'est vers la fin du ive siècle qu'intervient, dans
l'Eglise romaine, la décision du concile tenu sous
Damase ; au commencement du ve, une liste est
envoyée par Innocent à Exupère de Toulouse ; dans
l'Eglise d'Afrique, les conciles d'Hippone, en 3q,3,
de Carthage, en 397 et £19, se prononcent; celle
d'Espagne, possède le témoignage peu suspect de
Priscillien (2). Ici donc, nulle différence au point
de vue de la canonicité ; tous les livres de l'Ancien
Testament sont également reçus ; on estime que la
tradition tranche la question ; et saint Augustin a
raison de tenir pour canonique tout livre reçu par
l'Eglise ; au reste, la tradition est corroborée par
des actes pontificaux.
Chose remarquable, cette divergence d'opinions
sur la canonicité des livres de l'Ancien Testament
n'a donné lieu à aucun conflit. La raison en est
sans doute dans une différence de point de vue qui
ne paraissait nullement irréductible. Les Pères
grecs, malgré l'opinion qu'ils ont sur les deutéro-
canoniques, conviennent qu'ils sont inspirés, trou-
1. Apol., 11, 33-34; Patr. lat., t. xxi, col. G61-662. — 2. Liber
de fide et apocryphis, édit., Schepss, Corp. script, eccles., t.
xyiii, p. 44 sq.
LES LIVRES DE L ANCIEN TESTAMENT i/jj
vent légitime leur lecture publique et leur emploi
liturgique, et s'en servent au besoin. Les Père»
latins s'en tiennent à la tradition et les regardent
comme canoniques dès là qu'ils sont inspirés. 11 ne
s'agit plus du canon hébreu, mais du canon de
l'Eglise.
4. De la fin du Ve siècle et pendant le moyert
âge. — Dans le courant du v° siècle, un change-
ment s'opère. Les Grecs en arrivent peu à peu h
oublier les hésitations et les doutes anciens et à
adopter dans sa presque totalité le canon de
l'Eglise latine ; et quelques Latins, sous l'influence
de saint Jérôme, formulent théoriquement des res-
trictions, qui restent sans portée, sur l'autorité de
*la tradition.
Dans l'Eglise orientale. — En 692, le concile in
' Trullo range parmi les autorités qui font foi pour
. l'Eglise grecque les canons apostoliques, ceux de
[Laodicée et de Garthage, dont les listes sont loin de
( concorder. Cela explique du moins, malgré la cita-
itiondu concile de Garthage, comment, en Orient,,
l'opinion de saint Athanase a pu conserver des
partisans ; comment aussi, à cause même de cette
insertion, le catalogue de l'Eglise latine a pu passer
presque intégralement dans l'usage grec. Photius
(•j- 891), sans nous dire comment il les conciliait,
reproduit les trois listes déjà signalées par le con-
cile in Trullo (1). Il témoigne ainsi que même le»
deutérocanoniques sont lus publiquement et uti-
lisés dans la liturgie. Puis les canonistes s'en
mêlent ; et Zonaras, amalgamant les listes de Pho-
tius avec celle de saint Athanase forme un catalo-
gue où les livres de l'Ancien Testament, sans
1. Syntagma; Pair, gr.t t. civ, col. 58g.
1^8 LE CATÉCHISME ROMAIN
distinction entre livres « canoniques » et livres
« lus, » se trouvent réunis ; et ainsi, sans interven-
tion officielle, mais par le fait d'une entreprise
privée, le canon de l'Eglise grecque se trouve
coïncider presque identiquement avec celui de
l'Eglise latine et entre désormais dans l'usage
courant.
Vainement, en 1629, Cyrille Lucar, sous l'in-
fluence du protestantisme, essaya de condamner
les deutérocanoniques ; sa tentative avorta. Il fut
condamné de ce chef par le synode de Constanti-
nople, en i638, et par celui de Jassy, en 1648. Et
les synodes de Gonstantinople et de Jérusalem, en
1672, revendiquèrent la canonicité des deutéro-
canoniques (1).
Dans l'Eglise latine. — 1. En Occident, sans de-
venir générale ni surtout décisive, l'influence de
saint Jérôme se fît néanmoins sentir. De la fin du
ve siècle au moyen âge, les deutérocanoniques
comptèrent quelques adversaires (2) ; mais ils
eurent aussi des partisans déterminés (3). Les
t. « Attachés à la règle de l'Eglise catholique, disent les
membres du synode de Jérusalem, nous appelons Ecriture
sainte tous les livres que Cyrille (Lucar) énumère en les em-
pruntant au concile de Laodicée, et de plus ceux que, par témé-
rité ou ignorance, ou plutôt par malice, il a nommés apocry-
phes, c'est-à-dire la Sagesse, Judith, Tobie, l'histoire du
dragon, l'histoire de Suzanne, les JMachabécs, la Sagesse de
Sirach. (Le Synode) les juge canoniques et confesse qu'ils
appartiennent à l'Ecriture sainte. » Cf. Strack, art. Konon dans
le Bealencyclopâdie , p. 446, — 2. Au xne siècle, Rupert, abbé
de Deutz, Hugues de saint Victor, Pierre le Vénérable, Pierre
le Mangeur, Jean de Salisbury, Pierre de Celles ; au xnie. saint
Thomas ; plus tard Ockam, Nicolas de Lyre, Thomas d'An-
gleterre, Tostat d'Espagne, saint Antonin de Forence. —
3. Au xne siècle, saint Etienne Harding, abbé de Citeaux ;
Gieslebert, abbé de Westminster, Gratien, Honorius d'Autun.
Pierre de Blois ; au xme et xive, Langton, archevêque de Can-
LES LIVRES DE L'ANCIEN TESTAMENT l40/
usages liturgiques, les pratiques religieuses, la tra-
dition maintenaient fermement leur canonicité. Les
catalogues des papes Damase e.t Innocent ne pou-
vaient passer pour lettre morte. Charlcmagne n'en
reçut pas d'autre, en 774 ; il l'imposa par une loi à
l'Eglise franque en 802. C'est celui qu'insérèrent
dans leur recueil Burchard de Worms, au xi° siècle (1),
et Yves de Chartres, au xue (2). Qu'une occasion se
présentât, et la canonicité des deutérocanoniques
de l'Ancien Testament s'aifirmerait de nouveau, en
attendant d'être l'objet d'une définition.
2. Pendant la tenue du concile de Florence,
Eugène IV inséra le canon romain dans son décret
du 4 février i442 relatif aux Jacobites (3). Tous ces
livres, disait le pape, sont reçus comme ayant Dieu
pour auteur, comme ayant été écrits sous l'inspi-
ration du Saint-Esprit. Le mot seul de canonicité
n'était pas prononcé, si bien qu'après comme avant
des doutes, ou du moins des soupçons, persis-
tèrent (4)- Et ce fut Thomas de Yio, le célèbre
Cajetan, qui reprit à son compte l'opinion de saint
Jérôme (5). Certes il connaissait bien la matière
torbéry, Neckam professeur à l'Université de Paris, Albert le
Grand, saint Bonaventure, Vincent de Beauvais.
1. Décret., m; Pair, lai., t. ccxvn, col. i£o. — 2. Décret.,
iv, 61 ;Patr. lat., t, clxi, col. 276-277. — 3. Denzinger, n. 600.
— [\. L'évêque d'Avila, Tostat, réédite les opinions de saint
Jérôme; cf. les citations qu'en donne Cornély, t. 1, p. i34 ;
saint Antonin, Chron., 1, 3, 4; Denys le Chartreux (f 1/171),
Prolog, in Eccli., dans la Biblia Glossata de 1^98 \ Praef. de
libris canonicis, dans la Bible de Cbmplute, i5i5. — 5. Par-
lant des deutérocanoniques, Cajetan écrit : « Ne t'inquiète
pas, novice, en trouvant quelque part ces livres comp-
tés parmi les canoniques, soit dans les saints conciles, soit
par les saints docteurs. Car il faut faire passer à la lime de
Jérôme aussi bien les paroles des conciles que celles des doc-
teurs ; et, selon l'opinion qu'il exprime aux évoques Chroma-
l5o LX. CATÉCHISME ROMAIN
et il n'est pas à croire qu'il ait eu la prétention do
mettre saint Jérôme au dessus des Papes et des
Conciles, mais il mettait en relief la distinction
entre les canoniques, régulateurs de la foi, et les
«Leutérocanoniques, régulateurs de l'édification ; il
savait ces derniers admis par l'Eglise et il les
admettait aussi. Mais son idée semble bien être que
la canonicité implique, outre la reconnaissance
officielle de l'Eglise, une autorité dogmatique en
matière de foi.
3. Des précisions devenaient nécessaires, d'autant
rplus que les protestants changèrent en négation
formelle ce qui n'avait été jusque là qu'une opinion,
et refusèrent, pour la plupart, aux deutérocanoni-
ques l'inspiration et la canonicité. Certains cepen-
dant, par une contradiction avec leur principe de
libre examen et avec leur critérium de canonicité,
les conservèrent dans leurs éditions de la Bible (i).
tius et Héliodore, ces livres et ceux du même genre qu'il peut
y avoir dans le canon de la Bible ne sont pas canoniques,
•c'est-à-dire ne sont par régulateurs pour confirmer ce qui est
de foi ; ils peuvent néanmoins être dits canoniques, c' est-a-
dire régulateurs pour l'édification des fidèles, comme étant
reçus dans le canon de la Bible et autorisés à cet effet. Avec
cette distinction, tu pourras expliquer et les paroles d'Augus-
tin au second livre de la Doctrine chrétienne, et ce qui est écrit
-dans le concile de Florence sous Eugène IV, et ce qui est écrit
«dans les conciles provinciaux de Carthage et de Laodicée, et ce
qu'enseignent le pontife Innocent et Gélase. » Comment, n,
4oo, dans Gornély, t. i, p. i35 ; cité par Loisy, Histoire da
canon de VA. T., p. i84.
i. « Ce procédé, dit Reuss, n'était autre que celui qu'on
avait condamné en principe; c'était la reconnaissance implicite
«4e l'autorité de la tradition, et, de fait, on revenait ainsi, par
lin détour, à la position qu'on avait bien hautement déclaré
vouloir quitter comme n'étant plus tenable. » Op+ cit.t p. 33i.
i Depuis le xvi* siècle, on est allé bien plus avant. On s'en est
3>ris aux protocanoniques eux-mêmes; et, actuellement, la
DÉCRET DU COSCILE DE TRENTE l5l
Une décision de l'Eglise s'imposait, et c'est le concile
de Trente qui la porta.
5. Décret du concile de Trente. — i. Sans
s'occuper explicitement de la distinction de quel-
ques Pères de l'Eglise, telle que l'avait adoptée
Cajetari, le concile déclare « recevoir » tous les
livres de l'Ancien Testament et « les vénérer avec un
égal sentiment de piété et de respect. » Dans la liste
qu'il en donne, il insère les deutérocanoniques et
porte l'anathème cité plus haut. Rien de plus légi-
time. Car, en fait et en droit, les deutérocanoni-
ques étaient reçus depuis des siècles. Le concile
de Florence ne laissait aucun doute sur leur
canonicité de droit, conformément aux listes
de Damase et d'Innocent. Et l'usage tradition-
nel depuis les temps apostoliques n'en laissait pas
sur la question de fait. Toutefois, le concile de
Trente ne les place pas au même rang, sous le
rapport de la canonicité, sans une raison grave; et
cette raison est tirée de leur qualité de livres inspi-
rés. C'est parce qu'ils sont inspirés qu'ils sont sacrés
question de canonicité n'intéresse plus guère les protestants
libéraux. « La question du canon, disait Reuss, p. 43o-/i3i, ne
consiste plus à dresser un catalogue de livres ; cette idée a fait
son temps. La théologie vise désormais plus haut. » On sait à
quoi ; et c'est à éliminer le surnaturel, à expliquer sans lui
l'institution et le développement de l'Eglise. Quant aux pro-
testants orthodoxes, ils tiennent bon tant qu'ils le peuvent,
mais ils se laissent peu à peu envahir et entamer parla critique
et l'exégèse des rationalistes libéraux, si bien que le moment
n'est pas loin où la vieille Bible, qu'on disait jadis inspirée
jusque dans ses mots, ne conservera plus rien de divin. Expres-
sion humaine de la pensée religieuse antique, c'est à chacun,
par sa propre expérience, d'y découvrir, s'il le peut, le Dieu
caché, invisible et muet. Tout faux principe doit nécessaire-
ment, un jour ou l'autre, par les conséquences lamentables
qu'il entraîne, subir son juste châtiment.
l52 LE CATÉCHISME ROMAIN
et canoniques; et c'est en eux, comme dans les
protocanoniques, que le concile déclare vouloir
puiser « les témoignages et secours dont il doit
particulièrement se servir pour confirmer les dogmes
et restaurer les mœurs dans l'Eglise. » N'est-ce pas
implicitement déclarer vaine la distinction prônée
par Cajetan?
2. Quoi qu'il en soit, la notion de canonicité se
précise. Il ne s'agit plus de faire dépendre la cano-
nicité d'un livre de sa valeur objective, soit pour la
démonstration de la vérité, soit pour l'édification
des fidèles, mais uniquement de son inspiration ; et
c'est l'Eglise qui, en reconnaissant cette inspiration,
déclare le livre canonique (i). La canonicité impli-
que donc une reconnaissance officielle, un acte
d'autorité, fondé, non sur la valeur dogmatique ou
morale, mais sur l'inspiration. Canonique, un livre
peut servir pour la démonstration de la foi comme
pour l'édification des mœurs. Quanta la distinction
entre livres protocanoniques et deutérocanoniques,
introduite dans l'usage depuis le concile de Trente,
on voit à quoi elle répond.
Le concile du Vatican précise encore cette notion
de canonicité; il montre qu'elle est en corrélation
étroite avec l'inspiration, quand il déclare, après
avoir rappelé le décret du concile de Trente, que
« l'Eglise tient (les livres) pour sacrés et canoniques,
non point parce que, après avoir été composés par
le seul art de l'homme, ils ont ensuite été approuvés
i . On s'étonne d'entendre Melchior Cano proclamer que ce
serait une erreur « voisine de l'hérésie » de retrancher Baruch
du canon, mais qu'il serait « bien plus erroné, pour ne pas
dire hérétique, de rejeter Tobie, Judith, la Sagesse, l'Ecclésias-
tique, les Machabées. » Le décret du concile de Trente n'auto-
rise nullement une telle distinction. Baruch est canonique au
môme titre que les autres.
CANON DU NOUVEAU TESTAMEMT l53
par l'autorité de l'Eglise, ni pour ce seul motif qu'ils
renferment la révélation sans erreur, mais parce
que, écrits sous l'inspiration du Saint-Esprit, ils ont
Dieu pour auteur et ont été confiés comme tels à
l'Eglise elle-même (i). »
III. Canon du Nouveau
Testament
Pour le Nouveau Testament, comme pour l'An-
cien, se pose la question des deutérocanoniques.
Il y a, en effet, des livres tels que l'Epître aux Hé-
breux, l'Epi tre de saint Jacques, celle de saint
Jude, la seconde de saint Pierre, la seconde et la
troisième de saint Jean et l'Apocalypse, et des pas-
sages de livres tels que la finale de saint Marc, les
deux versets sur la sueur du sang dans saint Luc et
l'histoire de la femme adultère dans saint Jean (2),
au sujet desquels des doutes ont existé et des diffi-
cultés ont été soulevées. Quand et comment la
question de leur canonicité a-t-elle été tranchée ?
Rien de moins facile à savoir pour la période qui
va des origines à la fin du second siècle. A partir
du 111e siècle, la discussion s'engage ; et, à partir de
la fin du ve, elle est close jusqu'à la veille du con-
cile de Trente. Ici encore, le concile de Trente dé-
cide souverainement.
i° Pendant les deux premiers siècles. —
1. Sur cette première période, de beaucoup la plus
importante pour nous, puisqu'il s'agit du Nouveau
Testament qui appartient eu propre au Christia-
nisme, plane l'obscurité, faute de documents et de
1. Const. Dei Filius, c. 11, S 3. — 2. Marc, xvi, 9-20; Luc,
xxn, 43-44; Joan., vin, 1-11.
l54 LE CATÉCHISME ROMAIN
renseignements précis. Cette obscurité s'explique
en partie pour l'époque môme des origines. Les
livres du Nouveau Testament sont, en effet, des
écrits de circonstance, de date et d'auteurs diffé-
rents, quelques-uns adressés à des communautés
particulières ou à certains personnages. Ils n'ont
donc pu être connus que successivement et par la
communication réciproque de ceux qui les avaient
reçus. Mais on comprend sans peine qu'à la qualité
de leurs rédacteurs, à l'importance des sujets traités,
ils aient excité la plus vive et la plus religieuse cu-
riosité. Et si l'on veut tenir compte, soit de la dili-
gence que mettait, au second siècle, le bon Papias
à recueillir partout ce qu'avaient dit les Anciens et les
Apôtres, soit de l'empressement et de la rapidité
avec lesquels saint Polycarpe, évêque de Smyrne,
recueillait les lettres de saint Ignace, évêque d'An-
tioche, au lendemain de son passage, on imagine le
soin pieux des chrétiens du premier siècle pour se
procurer tous les écrits des Apôtres, notamment les
Evangiles et les Epîtres de saint Paul, les plus célè-
bres de tous. De bonne heure ces écrits et ceux
qu'on possède en plus circulent d'église en église,
de mains en mains ; ils sont lus dans les réunions
liturgiques de la communauté, ils servent de thème
à la prédication ; on les apprend par cœur. Mais oît
furent-ils groupés, et comment, et par qui?
2. Ce qu'il est permis de constater, c'est que,
vers i3o, il en existe deux recueils, celui de nos
quatre Evangiles, à l'exclusion de toute composition
similaire, et celui de treize Epîtres de saint Paul,
l'Evangile et l'Apôtre. Quant à l'Epître aux Hébreux,
aux Epîtres catholiques et à l'Apocalypse, ces écrits
circulent aussi ; ils sont connus et appréciés ; sont-
ils groupés ? S'ils ne le sont pas encore, ils ne tarde-
ront guère à être rangés autour du noyau central
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT l55
du Nouveau Testament. Les Pères apostoliques, à
Rome saint Clément et Ilcrmas. à Alexandrie l'au-
teur de la Didaché et de l'Epitre de Barnabe, en
Asie saint Ignace et saint Polycarpe (i), connaissent
la plupart des livres du Nouveau Testament ; ils les
regardent comme inspirés, les comparent à ceux
de l'Ancien Testament; ils les citent comme un
témoignage irrécusable, parfois même comme Ecri-
ture, avec la formule caractéristique : il est écrit,
<âç ysypocTUTai (2).
3. Les Pères apologistes y recourent encore plus
fréquemment et en font un plus large usage. Papias
d'Hiérapolis, curieux de tout savoir, voyage et in-
terroge, tant ce qui regarde les origines chrétiennes
lui tient à cœur ; il compose un ouvrage, les Expli-
cations des discours du Seigneur, malheureusement
perdu, que citait saint Irénée, et dont Eusèbe ne
nous a conservé que quelques extraits ; on sait du
moins qu'il y mettait à contribution nos Evangiles,
les Actes, la première Epître de saint Pierre et de
saint Jean (3). Le philosophe martyr Justin parle
des « Mémoires des Apôtres appelés Evangiles (4), »
lus dans l'assemblée des chrétiens avec les écrits
des Prophètes (5), composés par les Apôtres ou les
disciples (6), et estimés à l'égal des Prophètes de
l'Ancien Testament. L'Epitre de saint Jude, la se-
conde de saint Pierre, la seconde et la troisième de
saint Jean sont les seuls livres du Nouveau Testa-
ment, dont ne portent pas traces les quelques écrits
qui nous restent de lui. Son disciple Ta tien harmo-
1. Cf. dans le Dictionn. de Théol., nos articles Pères apostoli-
ques et Pères apologistes — 2. Le premier exemple se trouve
ctans Barnabe, iv, i4 ; Funk t. 1, p. 12. — 3. Eusèbe, Hist.
eçcl., 111, 39; Pair, gr., t. xx, col. 296-297. — [\. AjjoL, I, 66;
Patr. gr., t. vi, col. 429. — 5. Apol., I, 67 ; ibicl. — 6. ldal.,
çni ; ibid., col. 717.
S
l56 LE CATÉCHISME ROMAIN
nise les quatre Evangiles dans son Dlatessaron (i).
Méliton de Sardes, de son côté, compose un ou-
vragosur l'Apocalypse (2). H égésippe visite Corinthe,
Rome, et dit avoir rencontré dans toutes les églises
« un enseignement conforme à la Loi, aux Prophètes
et au Seigneur (3). »
4. D'autre part, les hérétiques usent aussi des livres
du Nouveau Testament. Yalentin et son école y font
des additions ; Marcion, au contraire, y opère des
retranchements caractéristiques, mêmedans ce qu'il
appelle « l'Evangile et l'Apôtre ; » car, pour lui,
l'Evangile se réduit à saint Luc, dûment expurgé et
accommodé ; et l'Apôtre, à quelques lettres de saint
Paul, non pour des raisons critiques, mais à
cause de son point de vue dogmatique, qui lui fai-
sait repousser tout l'Ancien Testament et ce qui, dans
le Nouveau, s'y rapportait. Tertullien le lui repro-
che au nom de la tradition (4). L'Eglise est en pos-
session des livres sacrés du Nouveau Testament,
source de sa foi, thème de son enseignement,
élément de sa liturgie. Les hérétiques le savent ;
aussi se gardent-ils de les répudier dans leur en-
semble. Mais, pour mieux glisser leurs erreurs, ils
en composent d'autres et comptent les accréditer en
les plaçant sous le patronage de quelque apôtre ou
de quelque disciple. Qu'ils amplifient le recueil ou
qu'ils le mutilent, l'Eglise, sans leur opposer une
liste détaillée de ses livres et des parties qu'ils com-
prennent, allègue son usage, sa tradition vivante,
i. Eusèbe, Hist. eccZ.,iv, 29; Patr.gr., t. xx, col. 4oo-4oi ; Ta-
tien aurait même, dit-on, mis saint Paul en style plus élégant.
— 2. Eusèbe, Hist. eccl., iv, 26 ; Pair, gr., t. xx, col. 392 ;
Eusèbe ne nous dit pas que Méliton possédât une liste des
livres du Nouveau Testament comme il en possédait une de
ceux de l'Ancien. — 3. Eusèbe, Hist. eccl., iv, 22 ; col. 377. —
4- Adu. Marc, iv, 1 ; Pair, lat., t. 11, col. 364.
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 167
son droit de possession et de propriété. Ses Ecri-
tures lui appartiennent ; elle en a le dépôt ; elle en
garantit l'origine divine et apostolique ; elle en dé-
fend l'autorité. Tel est, pris sur le vif, le principe
qui la guide pratiquement vis-à-vis de l'Ecriture.
5. Reuss n'est pas autorisé à prétendre, sur des
indices insuffisants, que les livres du Nouveau Tes-
tament, en particulier les deutérocanoniques, ont
été d'abord reçus à titre d'œuvres édifiantes seule-
ment et admis comme tels à la lecture publique,
puis canonisés. Car c'est oublier, comme nous le
verrons en traitant de l'inspiration, les témoignages
explicites que quelques-uns de ces livres rendent à
d'autres ; c'est oublier la croyance de la primitive
Eglise qui ne les traitait ainsi que parce qu'elle les
estimait sacrés et divins. Que tous n'aient pas été
également tenus pour tels partout, que quelques
autres, étrangers au canon actuel, aient été au
contraire regardés comme sacrés dans quelques
églises particulières, c'est un fait indéniable, mais
qui s'explique par l'absence d'un recueil complet,
officiellement arrêté et universellement admis.
6. Or, de 170 à 220, c'est un autre fait non
moins indiscutable qu'il existe un recueil du Nou-
veau Testament. Ce recueil contient, à tous le
moins et partout, les quatre Evangiles, le Tétra-
morphe, comme l'appelle saint Irénée (1), Y Instru-
ment évangélique, comme dit Tertullien (2), les
Actes et treize Epîtres de saint Paul. Restent les
deutérocanoniques ; ils ont assez de témoins, à
Alexandrie notamment, pour pouvoir prendre légi-
timement leur place dans le recueil (3).
1. Adv. hœr., III, 11, 8 ; Patr. gr., t. vu, col. 885. — 2. De
prœscr., 38; Adv. Marc, iv, 2 ; Patr. lat., t. 11. col. 5i, 363.
■ — 3. L'Epître aux Hébreux est connue de saint Irénée, de saint
Ilippolyte et de Caïus, mais non comme de saint Paul. Tertul-
l58 LE CATÉCHISME ROMAIN
Restent aussi d'autres écrits, admis ici ou la à la
lecture publique, tels que la Didaché, l'Epi tre de
Barnabe, l'Epître de saint Clément aux Corinthiens,
le Pasteur d'IIermas. Ils seront peu à peu éliminés.
Dès la fin du second siècle, l'Eglise a pleinement
conscience du rapport étroit qui unit les deux par-
ties de la Bible ; elle les désigne sous le nom de
livres de l'Ancien et du Nouveau Testament ; elle les
qualifie d'Ecriture, d'Ecriture sainte, divine. C'est
qu'à ses yeux ils forment un tout homogène, étroi-
tement relié, provenant d'un seul et même auteur,
possédant une autorité égale et source de la révéla-
tion (i). Quand elle dit : La Loi et les Prophètes, le
Christ et les Apôtres, ou encore les Prophètes et les
Apôtres, la Loi et l'Evangile, les deux Testaments,
par cette terminologie expressive, bien que non
lien la croit de Barnabe, De pudic, 20; Pair, lat., t. n, col.
1021 : elle est utilisée par Théophile d'Antioche et fait partie
du recueil des Epîtres de saint Paul à Alexandrie. L'Apoca-
lypse, suspecte à Caïus, à cause de l'exploitation qu'en faisaient
certains hérétiques, est défendue par Hippolyte, citée par
Irénée et Tertullien. Jacques, Jude et la seconde de saint
Pierre sont connus à Alexandrie. Ensèbe reconnaît que Clé-
ment d'Alexandrie, dans ses Hypotyposes, expliquait l'Epître
aux Hébreux comme étant de Paul, celle de Jude et les autres
catholiques, Hist. eccl., vi, i4 ; Patr. gr., t. xx, col. 54q. Quoi
déplus positif? Quant au Canon de Muratori, texte dans le
Manuel biblique de M. Vigouroux, t. 1, p. 8i-83, s'il est muet
sur l'Epître aux Hébreux et celles de Jacques et de Pierre, il
dépose en faveur de Jude et de Jean. « En parlant de l'Evan-
gile de saint Jean, dit M. Vigouroux, p. 24, il parle aussi de
ses Epîtres et en cite un passage, ce qui semble indiquer qu'il
joint la première Epi tre à l'Evangile, et alors les mots épis-
Uolis suis ne peuvent s'appliquer qu'à la seconde et à la troi-
sième. »
1. Tertullien a écrit : « Legem et Prophetas cum Evangeliis
et apostolicis litteris misect (Ecclcsia) et inde potat fîdcm. »
De prœsç., 3(3 ; Pair, lat., t. 11, col. 49.
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT l59
encore fixée, elle traduit manifestement sa foi à
l'autorité divine de ces livres.
7. En face du Montanisme qui, sans répudier les
deux Testaments, cherche à en imposer un troi-
sième, celui du Paraclet, elle déclare que la révéla-
tion est close depuis les Apôtres, que les Apôtres
en furent les derniers organes autorisés et met en
relief le principe traditionnel de l'apostolicité. De
ce chef, le Pasteur est à rayer de la liste et aussi la
Didaché. Par contre, le Montanisme, appuyant sa
théorie du Paraclet sur les écrits de saint Jean,
provoque la réaction des Aloges contre ces mêmes
écrits. Caïus eut tort de prêter l'oreille à cette réac-
tion relativement à l'Apocalypse, et saint Hippolyte
dut prendre la défense de ce livre. L'Evangile de
saint Jean était trop connu pour courir le moindre
risque devant les attaques des Aloges (1). Seules, la
seconde et la troisième Epîtres purent en subir un
contrecoup, mais passager et inoffensif.
20 A partir de 220. Période de discussion. —
1. En Orient. — A Alexandrie, Origène fait un relevé
complet des livres du Nouveau Testament. Il se
borne à constater les divergences d'opinion à pro-
pos de quelques-uns, mais il ne les résout pas. Pour
lui, le Nouveau Testament comprend deux parties :
l'Evangile et l'Apôtre (2). Il partage les livres en
trois catégories : les authentiques, les apocryphes et
les mixtes ; ces derniers sont les livres inspirés dont
le texte a été corrompu (3). Il range les deutéro-
canoniques parmi les authentiques (4). A Gésarée,
i.Cf. dans le Diction, de Théol., notre article Aloges. — a. De
princ., iv, 16; Patr. gr.,t. xi, col. 376; In Jerem., homil.,
xxi ; Pat. gr.t t. xm, col. 536. — 3. In Joan., tr. xm, 17 ; Pair.
gr.f t. xiv, col. 424-4a5; In Jesum Nave, homil., vu, 1; Patr.
gr., t. xn, col. 857. — 4. Quatre Evangiles à retenir, In Jerem.,
l6o LE CATÉCHISME ROMAIN
Eusèbe cherche à résoudre la question des deutéro-
canoniques; il consulte en conséquence les tradi-
tions, surtout celles d'Orient. A son avis, les livres
sont ou homolog o amènes , ofAo/oyou^evoi, c'est-à-dire
universellement reçus; ou aniilégomènes, àvTiXeydfAevot,
c'est-à-dire reçus par les uns et tenus en suspis-
cion par les autres ; ou apocryphes, voôot, c'est-à-
dire à rejeter. Dans la première classe, il range le
te sacré quadrige » des Evangiles, les Actes, les Epî-
tres de saint Paul, la première de saint Jean et de saint
Pierre, et, si Von veut, l'Apocalypse ; dans la seconde,
TEpître de Jacques, de Jude, la seconde de Pierre,
et là troisième de Jean ; dans la troisième, les
Actes de Paul, le Pasteur, l'Apocalypse de Pierre,
l'Epître de Barnabe, les Didachés des Apôtres, et, si
Von veut, l'Apocalypse de Jean et l'Evangile selon
les Hébreux. Il estimait par là distinguer suffisam-
ment les livres reçus, contestés ou douteux, des
Evangiles et des Actes forgés par les hérétiques
sous le faux nom d'un Apôtre (i). Cela ne l'empê-
che pas d'hésiter lui-même sur la place qui convient
à l'Apocalypse et de passer sous silence l'Epître aux
Hébreux; celle-ci, il est vrai, il l'avait déjà rangée
ailleurs (2) parmi celles de saint Paul, bien qu'il
homil. xxi ; quatorze Epitres de Paul, celle aux Hébreux consi-
dérée par quelques-uns comme n'étant pas de lui, Epist. ad
Afric, 19; Pair, gr., t. xi, col. 65 ; InMatth. comm. séries, 28;
Pair. gr. t. xiii, col. 1687 ; deux de Pierre, la seconde non
universellement reçue ; trois de Jean, les deux dernières contes-
tées, et l'Apocalypse ; Eusèbe, Hist. eccl., vi, 25; Patr. gr., t.
xx, col. 58 1-585 ; l'Epître de Jude et celle de Jacques, que
quelques-uns ne reçoivent pas, In Matth., t. xvn, 3o; Patr. gr.,
t. xiii, col. 1569 ; In Joan., t. xix, 6 ; xx, 10 ; Patr. gr., t. xiv,
col. 569, 572. Malgré la division qu'il adopte, Origène cite le
Pasteur et Barnabe ; il fait même état de quelques apocryphes.
1. Hist. eccl., m, 25; Patr. gr., t. xx, col. 268-269. — 2. Hist.
eccl., m, 3 ; col. 217.
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT l6l-
m
connût l'opinion différente de l'Eglise romaine. •—
A Jérusalem, saint Cyrille énumére tous les livres
du Nouveau Testament (i), à l'exception de l'Apoca-
lypse, dont il n'hésite pourtant pas à faire usage (2).
— EnCappadoce, Grégoire de Nazianze, Basile, Gré-
goire de Nysse font comme saint Cyrille (3).
Tandis qu'à Alexandrie, la question des deutéro-
canoniques finit par ne plus soulever de difficultés,
car saint Athanase les insère sans restriction, en
notant que la Didaché et le Pastear ne sont pas
«canonisés, » mais simplement destinés à l'ensei- ,
gnement des catéchumènes (4), à Antioche, on laisse
de côté les quatre petites Epîtres catholiques ainsi
que l'Apocalypse. La caractéristique de l'école d'An-
tioche est l'exégèse littérale, et c'est là vraisembla-
blement ce qui explique une telle exclusion. Dans
l'Eglise syrienne, témoins la Peschito et le catalogue
publiés par Me Lewis (5), on écarte les Epîtres
catholiques et l'Apocalypse.
Ainsi l'Orient se partage sur la question des deu-
térocanoniques, selon l'influence de l'école d'Antio-
che ou de l'école d'Alexandrie ; mais le canon
alexandrin finira par prévaloir. Les canonistes
grecs, à partir du xne siècle, en sont la preuve,
comme nous l'avons observé à propos du canon de >
l'Ancien Testament; et, au xive siècle, Nicéphore
Calliste a pu écrire que les vingt-sept livres du Nou-
veau Testament étaient acceptés depuis longtemps
1. Cal. iv, 36 ; Pair, gr., t. xxxm, col. 5oo. — 2. Cat., x, 3 ;
col. 664. — 3. Grégoire de Nazianze, Carm. I, 1, 12 ; Patr. grf,
t. xxxvii, col. 474 ; Orat., xxix, 17 ; Serm. xlii, 9 ; Patr. gr., ..
t. xxxvi, col. 97, A69 ; Basile, Adv. Eunom., iv, 2; Patr. gr.,
t. xxix, col. 677 ; Grégoire de Nysse, Adv. Eunom., n ; Adv.
Appol., 37 ; Patr. gr., t. xlv, col. 5oi, 1208. — 4- Epist.fest.,
xxxix; Patr. gr., t. xxvi, col. 1176. — 5. Studia sinaitica, Lon- .'
dres, 1894, t. i, p. n-i4.
I LE CATÉCHISME. — T. III II
IÔ2 LE CATÉCHISME ROMAIN
dans les églises sans la moindre contestation (i).
2. En Occident. — L'Occident, guidé par son .gé-
nie pratique, s'en était tenu jusque-là à ses usages
traditionnels ; mais bientôt il subit le contrecoup
des discussions de l'Orient. C'est ainsi que saint
Hilaire de Poitiers relève d'Origène, Rufin de saint
Athanase. Ce qu'il importe de connaître, c'est la
position prise par saint Jérôme. Personnellement,
Jérôme admet tous les deutérocanoniques (2), bien
qu'il n'ignore pas les contestations dont ils sont
l'objet. Malgré les Grecs, il n'hésite pas au sujet de
l'Apocalypse; et, malgré les Latins, il tient pour ca*
nonique l'Epître aux Hébreux. « Que si la coutume
des Latins ne la reçoit pas, dit-il, dans les Ecritures
canoniques, et si les églises grecques rejettent
l'Apocalypse avec la même liberté, nous ne laissons
pas cependant de les recevoir l'une et l'autre, ne
nous attachant pas à la coutume actuelle, mais à
l'autorité des anciens (3). » Saint Jérôme connaît
aussi les trois passages, celui de la finale de Marc, de
la sueur de sang et de la femme adultère (4). Son
catalogue du Nouveau Testament est pleinement
conforme à celui de l'Eglise romaine, tel que nous
le font connaître les papes Damase et Innocent, à
celui de l'Eglise d'Afrique, tel que le dressèrent les
conciles d'Hippone et de Carthage et que saint
Augustin inséra dans son De doctrina christiana, à
celui de l'Eglise d'Espagne comme le montrent les
œuvres de Prisciilien Et c'est le catalogue du pape
1. Hist. eccl., n, 45 ; Patr, gr.t t. cxlv, col. 88o-885. -*•
a. Cf. Sanders, Etude sur saint Jérôme, Paris, 1903 ; Gau*
cher, Saint Jérôme et Vinspiration des deutérocanoniques dans
la Science catholique, février 1904. — 3. Epist., cxxrx, 3 ; Patr*
lat., t. xxii, col. no3. Tous les livres énumérés dans Epist.
ad Paul, 8; col. 548. — 4. Epist., cxx ; Patr. lat., t. xxii, col»
587 ; Adv. Pclag., 11; Patr. lat.t t. xxm, col. 55a-553.
DÉCRET DU CONCILE DE TRENTE 163^
■Ml I»
Eugène IV et du concile de Trente. Le canon dm
Nouveau Testament est désormais fixé dans l'Eglise
latine, à partir de la fin du iv* siècle. Il doit sa con-
sécration à l'usage liturgique, à la tradition.
IV. Décret du concile de Trente
i* Question tranchée : la Canonicité. — i . Eti
face des contestations soulevées par les protestants
relativement aux sources de la vérité révélée, le
concile de Trente avait à indiquer quelles étaient les
sources de la révélation : il affirme que c'est la Tra-
dition aussi bien que l'Ecriture. Mais, dans l'Ecri-
ture, quels sont les livres qui font autorité, au point
de vue dogmatique et moral ? Le concile en dressé
le catalogue et déclare que tous, en entier et dans
toutes leurs parties, tels qu'on a coutume de les lire
dans l'Eglise et tels qu'ils se trouvent dans l'an~
cienne version latine de la Vulgate, doivent être
tenus pour sacrés et canoniques, sous peine d'ana-
thème. C'est à eux sans distinction qu'il emprun-
tera les témoignages et les secours pour confirmer
les dogmes et restaurer les mœurs dans l'Eglise.
2. Caractère dogmatique du décret. — A la
différence des décisions antérieures des papes ou
des conciles qui affirmaient simplement le fait dé
la canonicité sans en faire une vérité de Jbi catholi-
que, le concile de Trente définit comme de foi;
catholique l'inspiration et la canonicité des Livres
saints, de telle sorte qu'il y aurait désormais héré-
sie à nier cette inspiration et cette canonicité. Mais,
pour cela, faut-il nier l'une et l'autre ? Y aurait-il
hérésie à nier seulement la canonicité? M. Chau-
vin (i) ne le pense pas ; mais il croit que celui qui.
i. Leçons d'introduction générale, Paris, 1898, p. 73-74?
l64 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne nierait que la canonicité serait suspect d'hérésie,
parce qu'on serait en droit de soupçonner qu'il
nie ou l'inspiration ou l'infaillibilité de l'Eglise,
qui les déclare canoniques. C'est là une interpréta-
tion bénigne.
é r,
2° Egalité d'autorité. — Le concile de Trente
détermine dans son Décret le principe régulateur de
la foi. Sans examen ni discussion des preuves, mais
en pleine conformité avec les précédentes décisions,
-et à l'exemple des Pères orthodoxes, il déclare sacrés
et canoniques tous les livres dont il donne l'énumé-
ration. Quant à la question de savoir s'il convenait
de rappeler la distinction entre ceux qui servent de
fondement dogmatique à la foi et ceux qui sont utiles
pour l'enseignement et l'édification, il ne la tranche
pas, il la laisse dans l'état où les Pères l'avaient
laissée. Fallait-il cependant marquer une différence
entre les livres toujours et partout reconnus comme
canoniques et ceux qui avaient été l'objet de doutes
ou de suspicions ? Le concile n'a pas jugé à propos
de rappeler ce point d'histoire ; c'est avec un égal
respect, dit-il, qu'il les tient tous, sans différence
aucune, pour sacrés et canoniques. D'où il suit
qu'au point de vue de la canonicité, les deutéroca-
noniques ne diffèrent pas des protocanoniques (i).
S'ensuit-il aussi, entre les uns et les autres, une
égalité absolue à tous égards? Non, pense M. Loisy;
après comme avant le Décret, il reste entre eux
une différence d'autorité, soit historique, soit dog-
matique (2), provenant de la différence de leur
contenu qui, de sa nature propre, a un rapport
1. Cette conclusion n'a agréé ni à Lamy (-J- 1714), Apparatus
biblicus, II, v, édit. de 1696, p. 335, ni à Jahn (•{• 181 7), Enlei-
iung, 2e édid, t. 1, p. a4o. — 2. Histoire du canon de IA» T., p.
ai3-2i4.
ÉTENDUE DE LA CANONICITE l65
plus ou moins direct avec le dogme et la morale (i)„
A vrai dire, la question du contenu concerne plu-
tôt l'inspiration que la canonicité. Nous croyons,
au contraire, que les uns comme les autres peuvent
également servir ; car le concile les signale tous
comme l'une des sources de la révélation où il
puisera pour confirmer le dogme et restaurer les
mœurs. D'autant plus que les protocanoniques
eux-mêmes ne renferment pas que des matières
dogmatiques, ils contiennent aussi des passages
sans rapport direct et immédiat, soit avec le dogme,
soit avec la morale.
3° Etendue de la canonicité. — Tous les livres en
entier avec toutes leurs parties, tels qu'on a coutume
de les lire dans l'Eglise catholique et tels qu'ils sont
dans l'ancienne édition latine de la Vulgate, sont
sacrés et canoniques. Qu'est-ce à dire ? — Faut-ii
étendre cette canonicité à toutes les assertions, à
toutes les phrases, jusqu'aux moindres mots, aux
syllabes et au plus petit iota ? Ce serait exagérer»
On a pu le faire jadis, on n'y songe plus aujour-
d'hui. Faut-il, avec Bellarmin, ne l'appliquer qu'aux
parties insérées dans la liturgie ? ou bien, avec
Franzelin, aux parties directement dogmatiques et
morales ? Ce serait trop la restreindre.
Disons avec Didiot : Ni un accent, ni un signe de
ponctuation, ni une lettre, ni une syllabe, ni un
mot, ni un membre de phrase, ne constituent les
parties d'un livre. Non, à moins qu'il ne soit essen-
tiel, un membre de phrase n'est pas, dans le lan-
gage grammatical ou littéraire, dans le langage du
vulgaire ou des savants, une partie du livre. Une
phrase entière, si elle est courte et peu importante^
i. lbid., p. 2 35-238.
l66 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne paraît pas l'être davantage ; longue et impor-
tante, comme il y en a souvent, elle pourra l'être.
Mais ce qui est formellement une partie de livre,
cfest le récit d'un fait dans un livre historique, l'ex-
posé d'une doctrine dans un livre de dogme, l'é-
noncé d'un précepte dans un livre de morale : c'est
-encore, si l'on veut, un alinéa, un paragraphe, un
article, un chapitre et plus dans un ouvrage distri-
ÎHié à la moderne; c'est une ode ou un chant dans un
recueil poétique, c'est une strophe peut-être dans
Une pièce lyrique (i). C'est donc de passages, courts
eu longs, mais d'une certaine importance, que le
concile veut parler quand il dit « avec toutes leurs
parties. »
Précisons davantage avec Vacant, en tenant compte
de la coutume de l'Eglise et de l'état où les livres
sacrés se trouvaient dans la Vulgate ; et n'oublions
pas que les Pères de Trente, en employant leur for-
mule, visaient spécialement des passages de l'im-
portance de la finale de Marc, de l'apparition de
Tange et de la sueur du sang de Luc, ou de celui de
Jean sur la femme adultère. Il s'agit donc de par-
ties notables et de valeur, et non de parties moin-
dres.
C'est en se basant sur la coutume de l'Eglise que
le concile a défini la canonicité de tous les passages
de l'Ecriture, qui ont l'importance des parties deu-
térocanoniques de saint Marc, de saint Luc et de
«aint Jean, et qui depuis des siècles sont admis sans
hésitation dans les exemplaires des Livres sacrés
employés par l'Eglise (2).
4° Précisions du concile du Vatican. — 1. Le
concile du Vatican ne s'est pas seulement contenté
1. Logique surnaturelle subjective, Paris, 1894, n. 326, p. ia5.
— a. Vacant, La constitution Dei Filius, 1. 1, p. 42a.
PRÉCISIONS DU CONCILE DU VATICAN 167
■ .in m ■■
de rappeler le décret du concile de Trente, il l'a
encore précisé. L'Eglise, dit-il, tient les Livres
pour sacrés et canoniques, « non point parce que,
après avoir été composés par le seul art de l'homme,
ils ont été ensuite approuvés par l'autorité de l'Eglise; »
par là se trouve exclue l'erreur des protestants con-
temporains, qui font consister la canonicité dans
une simple approbation ou décision de l'Eglise ;
« ni pour ce seul motif qu'ils renferment la révéla-
tion sans erreur; » par là se trouve exclue l'opinion
de quelques protestants modernes, qui regardent
bien la Bible comme le livre des révélations divi-
ses, mais non comme un livre dont Dieu soit pro-
prement l'auteur.
Qu'est-ce donc, d'après le concile du Vatican,
qu'un livre sacré et canonique? C'est un livre qui,
écrit sous l'inspiration du Saint-Esprit, a Dieu pour
auteur et a été confié comme tel à l'Eglise elle-
même. C'est à cette double condition, et d'avoir
Dieu pour auteur par l'inspiration, et d'avoir été
remis à l'Eglise comme livre inspiré, qu'un livre
est canonique, au sens actif du mot, c'est-à-dire
faisant loi.
2. Un écrivain compose un livre ; Dieu en garan-
tit l'exactitude, la véracité, l'infaillibilité, et lui donne
sa propre autorité ; que ce livre ait été écrit par l'au-
teur avec ses seules ressources ou avec le secours
d'une assistance spéciale, naturelle ou préternatu-
relle, il n'est pas, à strictement parler, d'origine
divine. Quand même Dieu, par une hypothèse non
vérifiée, ferait siens tous les ordres et toutes les
pensées d'un livre et le remettrait à l'Eglise comme
l'expression de sa propre pensée et de sa propre
volonté, ce livre hypothétique n'aurait pas davan-
tage, au sens strict du mot, une origine divine.
Pour qu'un livre soit de Dieu, il faut que Dieu eu sçit
l68 LE CATÉCHISME ROMAIN
■■a
l'auteur, ou par lui-même et saus le concours d'une
créature, comme pour les tables de la Loi, ou par
lui-même mais avec le concours instrumental d'une
créature intelligente qu'il inspire. Dans ce dernier
cas, si le livre n'est pas destiné à servir de règle
pour l'humanité, il est bien de Dieu, il est bien ins-
piré, mais il ne saurait passer pour canonique ;
pour avoir droit au titre de canonique, il faut qu'il
soit confié par Dieu à son Eglise, en qualité de livre
inspiré. Canonique au sens actif de règle de la foi
et des mœurs, le livre inspiré devient canonique au
sens passif de livre catalogué par sa réception ou
son insertion officielle au canon par l'Eglise (i).
i. « L'Ecriture est la parole de Dieu écrite par Lui avec le
concours d'un homme et remise à son Eglise pour régler la foi
et les mœurs de l'humanité. Si elle est parole de Dieu, l'Ecri-
ture a une autorité divine, elle exige foi et obéissance de qui
la connaît avec certitude, même abstraction faite de la manière
dont cette parole émane de Dieu, pourvu que vraiment ce
soit sa parole à Lui. Si elle est parole écrite de Dieu, procédant
de Lui comme cause principale, et d'un homme comme cause
secondaire instrumentale, les théologiens vous diront : C'est
ce que nous appelons un livre inspiré, et non plus seulement
un livre revêtu après coup de l'autorité divine, ni un livre
composé par Dieu exclusivement, ni davantage un livre com-
posé avec la simple assistance de Dieu ; c'est ce que nous appelons
aussi, et légitimement, un livre d'origine divine et ayant Dieu
pour auteur. Si elle est parole écrite de Dieu et a été remise
par Lui à son Eglise, pour éclairer et régir les hommes, c'est
donc aussi un livre qui a en soi, par destination, une valeur
normative, c'est-à-dire qui est au sens actif un livre canonique
en faisant loi pour toute l'humanité. Que l'Eglise maintenant
reçoive et manifeste autour d'elle, par sa foi ou son enseigne-
ment, qu'elle a reçu de la main de Dieu, ou de a main de son
délégué, ce livre comme un livre divin, inspiré, régulateur de
la foi et des mœurs, ce livre aura en plus la canonicité passive
ou externe, qui pourra même devenir officielle, si l'Eglise
donne officiellement le livre pour sacré et canonique. Mais
cette canonicité passive, qu'on le comprenne bien, ne consti-
' tue pas, à proprement parler, la canonicité des Livres saints :
AUTORITÉ DE LA VULGATE 169
3. La canonicité au sens actif est une vérité révé-
lée. Dieu seul, en effet, a pu faire connaître que cer-
tains livres étaient la règle de la foi et des mœurs.
De plus l'existence de cette canonicité est un dogme
de foi catholique, d'après ce canon du concile du
Vatican : « Anathème à qui ne recevrait pas pour
sacrés et canoniques les livres de la sainte Ecriture
en entier avec toutes leurs parties, comme le saint
concile de Trente les a énumérés (i). »
1. L'autorité de la Vulgate. — Pour déterminer ce
qui appartient aux Livres saints, le concile de Trente
indique deux règles, à savoir : l'usage et la croyance
commune de l'Eglise, et le contenu de l'ancienne édition
latine de la Vulgate. En reproduisant le décret du concile
de Trente, le concile du Vatican omet la première de ces ■
deux règles, non point pour l'abroger, puisque c'est une
décision dogmatique et que toute décision de ce genre
demeure définitivement acquise, mais pour insister sur
la seconde ; car, depuis trois siècles, l'autorité de la Vul-
gate s'est accrue par l'usage quotidien et universel qui en
a été fait dans l'Eglise latine ; or, un tel usage, comme
le note Léon XIII, dans son Encyclique Providentissimus,
constitue une recommandation.
Mais qu'est cette Vulgate ? On sait que la première
version latine faite sur le grec des Septante porte le nom
d'Italique. Saint Jérôme a revisé cette Italique en partie ;
il a traduit les protocanoniques de l'Ancien Testament,
ainsi que Tobie et Judith, sur l'hébreu et le chaldéen.
Son œuvre se substitua à l'Italique à partir de saint Gré-
goire le Grand et s'appela la Vulgate ; elle comprenait le
Nouveau Testament et le psautier de l'Italique révisés, les
protocanoniques de l'Ancien, Tobie et Judith traduits de
l'original, et les deutérocanoniques de l'Ancien Testa-
elle n'en est que la manifestation, le signe infaillible. » Mè
chineau, L'autorité divine des Livres saints, clans les Etu-
des, 1901, t. lxxxix, p. 649-65o.
1. Const. Dei Filius, c. 11, can. 4.
I7O LE CATECHISME ROMAIN
^ 1 . 111 — — ^m
ment conservés par Yltalique. Mais, par suite de trans-
criptions multiples et successives, des variantes nombreu-
ses s'y étaient introduites et, bien que révisé à plusieurs
reprises pendant le moyen âge, le texte était loin d'être
fixé au xvi* siècle.
Que font les Pères du concile de Trente ? Ils signalent
les abus et y cherchent remède. L'un de ces abus était la
diversité des éditions, que chacun entendait utiliser
comme authentique dans l'enseignement, la prédication
et la controverse. Un autre était l'altération des exem-
plaires qui circulaient librement. Pour remédier au pre-
mier, on décide de n'admettre comme authentique que
l'ancienne Yulgate, ce qui n'est pas exclure les Septante
ni les autres versions utiles à consulter ; pour remédier
au second, on décide de faire faire une édition correcte
de la Vulgate. D'où le décret Insuper > de editione et usa
sacrorum librorum, de la session ive (1), sur l'authen-
ticité de la Vulgate et sur le projet d'une future édi-
tion (2).
2. L'authenticité de la Vulgate. — Qu'entendre par
cette authenticité de la Vulgate ? Est-ce simplement sa
conformité avec le texte primitif? Et, dans ce cas, comme
certains l'ont prétendu, cette conformité va-t-elle jus-
qu'aux moindres détails ? Le cardinal Franzelin pensait
que cette conformité consiste dans l'exactitude générale
de la traduction, dans la reproduction certaine, quant à
i. Nous y lisons : « Considérant qu'il pourrait résulter pour
l'Eglise de Dieu une assez grande utilité de la connaissance de
l'édition qu'il faut tenir pour authentique, parmi toutes les
éditions latines des Livres saints qui se colportent, le même
saint Concile statue et déclare que c'est l'édition ancienne et
répandue (vulgataj, approuvée par le long usage de l'Eglise
elle-même pendant tant de siècles, qui doit elle-même être
regardée comme authentique dans les leçons, discussions,
prédications et expositions publiques, et que personne ne doit
avoir l'audace ou la présomption de la rejeter sous aucun
prétexte. » — 2. En 1590 seulement, Sixte V fit imprimer
l'édition projetée ; trop imparfaite, Clément VIII dut la réfor-
mer et donna en 1592 l'édition actuellement en usage.
AUTORITE DE LA VULGATE I7I
la substance sinon quant aux détails, des passades direc-
tement dogmatiques. D'autres ont pensé (i) que l'authen-
ticité n'est autre chose que la reconnaissance officielle de
la Vulgate, lui conférant un caractère juridique officiel
qui rend son emploi obligatoire dans l'enseignement
public et la place ainsi au dessus de toute autre version.
Ceux-ci reconnaissent que la Vulgate ne peut rien conte-
nir de contraire à la foi ou aux mœurs et qu'elle est con-
forme dans son ensemble aux textes originaux, mais ils
ne croient pas que l'authenticité qui lui est reconnue
implique nécessairement la reproduction substantielle
des passages directement dogmatiques.
Rien dans les Actes du concile n'autorise à croire que
les Pères aient entendu l'authenticité dans le sens très
précis de la première opinion ; au contraire, tout permet
de voir qu'il s'agit d'un caractère officiel qu'on lui recon-,
naît, c'est-à-dire d'un caractère qui en fait un document
public (2).
1. «Une s'agit pas, dit Didiot, Logique surnat. subj., n.
219, p. 116, de condamner toutes les versions latines de la
Bible déjà mises en circulation, ni d'empêcher que la science
exégétique, guidée par l'Eglise, en prépare jamais une autre.
Il ne s'agit pas non plus de prononcer sur la perfection, soit
absolue, soit presque absolue, de celle qui sera choisie pour
authentique, mais simplement d'en choisir une. Ce n'est donc
nullement d'une définition dogmatique à faire ni d'un acte de
foi à imposer qu'il est question, mais d'une notification rela-
tive à la conduite des chrétiens envers cette édition qu'ils
auront à « traiter désormais comme authentique. »
2. Voir Vacant, La constit. Dei Films, 1. 1, p. 429 sq. Dans
le Dict. de Théol., à l'article Authenticité, 1. 1, col. 2590, M. Man-
genot dit : « De tous ces débats il ressort clairement que les
Pères du concile de Trente, dans leurs délibérations, n'ont pas
examiné la conformité de la Vulgate avec les textes originaux,
qu'ils n'en ont parlé qu'indirectement et que ce n'est pas à
cause de cette conformité qu'ils ont déclaré la Vulgate
authentique. Ils voulaient un texte officiel, faisant autorité
dans les écoles, la prédication et la liturgie. S'ils ont choisi la
Vulgate pour en faire ce texte officiel, c'est en raison de son
ancien et universel usage dans l'Eglise. Le décret ne déclare
I72 LE CATECHISME ROMAIN
3. Quelle est cette Vulgate ? — Il ne s'agit pas de
ia Vulgate, actuellement en usage, de celle que Clé-
ment VIII, en 1592, a publiée et investie d'un caractère
officiel, mais de l'ancienne, en usage depuis des siècles.
Est-ce la vieille Italique ? ou bien l'œuvre de saint
Jérôme ? — Il est évident que pour les livres traduits par
saint Jérôme, c'est-à-dire pour les protocanoniques de
l'Ancien Testament autres que le psautier, et pour Tobie
et Judith, c'est la traduction môme de saint Jérôme. Pour
les livres de l'ancienne Italique, empruntés sans correc-
tion, c'est-à-dire pour les deutérocanoniques de l'Ancien
Testament autres que Tobie et Judith, c'estle texte primi-
tif de l'Italique antérieure à saint Jérôme ; et c'est encore
le texte de l'Italique pour les livres passés dans l'œuvre
de saint Jérôme avec retouches, c'est-à-dire pour les livres
du Nouveau Testament et le psautier. En vertu donc des
décrets des conciles de Trente et du Vatican, on doit tenir
pour canoniques tous les passages, et c'est la presque
totalité, qui n'ont pas cessé d'être dans la plupart des
exemplaires, soit de la traduction de saint Jérôme pour
les livres qu'il a traduits de l'original et qui sont passés
dans notre Vulgate actuelle, soit de l'Italique antérieure
à saint Jérôme pour les autres livres, passés eux aussi
dans notre Vulgate.
Toutefois, une réserve est à indiquer au sujet des pas-
sages des protocanoniques de l'Ancien Testament traduits
par saint Jérôme, et qui ne se trouvaient pas dans le
texte original hébreu, comme l'observe l'édition clémen-
tine actuelle avec saint Jérôme. Il semble, en effet, que
ces passages, qui sont à retenir comme canoniques, ne
sont à considérer comme tels que dans la mesure même
où la Vulgate les donne.
Quant aux passages, observe Vacant (1), qui ne se trou-
veraient pas dans la plupart des exemplaires de saint
Jérôme ou de l'Italique, on ne serait pas obligé de les
recevoir pour canoniques en vertu de la règle : prout in
pas que la Vulgate est la version la plus conforme aux origi-
naux. »
1. Vacant; loc. cit., t. 1, p. 433.
AUTORITÉ DE LA VULGATE ^3
veteri Vulgata latina cdikone habentur, comme par exem-
ple le verset de saint Jean dit des trois témoins célestes,
mais on y est tenu en vertu de l'autre règle : proul ab
Eçclesia catholica legi consueverunt.
4. Que penser de la déclaration de la Congré-
gation du Concile, de 1576 ? — La Congrégation du
Concile, établie par Pie IV en i564 pour faire exécuter les
décrets du concile de Trente (i), fit une déclaration, le 17
janvier 1576, qui a soulevé de vives discussions. Les uns
l'ont traitée d'apocryphe ; les autres, la tenant pour
authentique, lui prêtent un sens qui n'est pas le sien.
Sans entrer dans l'histoire détaillée de cette controverse,
disons de suite que son authenticité est au dessus de tout
soupçon, et ajoutons que sa doctrine est parfaitement
correcte.
' Suarez (2) la connaissait. Mais Allatius (f 1669), Richard
Simon et Petitdidier, entre autres, prétendaient qu'elle
affirmait la perfection absolue de la Yulgate. Malheureu-
sement, une telle attitude fit suspecter ce document.
Scheeben (3) et Mazella (4) le rejettent comme non
authentique ; Franzelin (5) en 1876, Cornély (6) en i885,
le P. Prat (7) en 1890 combattent son authenticité. La
publication de la Vaticane de Paul III à Paul V (8) permit
de voir le mal fondé de leurs opinions. Le manuscrit du
cardinal Caraffa, président de la Congrégation du Concile
en 1576, ne laisse subsister aucun doute sur l'authenticité
de la déclaration (9).
1. Devant la difficulté de remplir sa mission sans interpréter
les décrets du concile de Trente, cette Congrégation, par l'au-
torité de Sixte V, en i588, fut chargée d'interpréter ceux qui
étaient relatifs aux mœurs et à la discipline, le Pape se réser-
vant l'interprétation authentique des décrets relatifs à la foi.
C'est la règle actuellement suivie. — 2. Disp., v, sect. m, n. 10.
— 3. Dogmatique, trad. franc., Paris, 1877, t. 1, p. 206. —
4. De virt. inf., Rome, 1879, P- 566. — 5. De div. tradit.,
3* édit., Rome, 1882, p. 563. — 6. Intr. gêner., p. 45i. — ■
7. Etudes, août 1890, p. 576. — 8. Batilfol, La Vaticane, Paris,
1890. — 9. Cf. l'article de J. Thomas sur l'authenticité en
réponse au P. Prat, dans le Bulletin de l'Institut catholique de
Toulouse, mars 1891, p. 19.
174 LE CATÉCHISME ROMAIN
En quoi donc consiste-t-elle, et quel est son véritable
sens ? — Voici la question posée : le concile de Trente,
ayant fixé une double règle pour déterminer quels sont
les livres et les parties de livres à regarder comme sacrés
et canoniques, à savoir l'usage de l'Eglise et le contenu de
la Vulgate, on demande si, en vertu de ce décret, on
devrait imputer une erreur dans la foi à ceux qui avance-
raient quelque chose de contraire à la moindre période et
au moindre membre de phrase des livres énumérés, même
en tenant compte des textes omis par la Vulgate, mais qui
se trouvent dans l'hébreu et le grec, — ou bien si l'on
devrait imputer une erreur à ceux-là seulement qui rejet-
teraient soit un de ces livres tout entier, soit une des par-
ties dont lacanonicité et l'inspiration avaient été discutées
autrefois.
Que répond la Congrégation ? — D'abord qu'on né
pourrait rien avancer qui fût contraire à l'édition latine
de la Vulgate, quand ce ne serait qu'une période, une
assertion, un membre de phrase, une parole, un iota ; -à
ensuite que Véga a eu tort de prétendre que n'importe
qui, pour n'importe quelle raison, est en droit de corriger
la version Vulgate ; — et enfin que, pour les différences
qui séparent le texte hébreu et grec du latin, on doit se
rapporter à la troisième règle de l'Index, d'après laquelle
l'autorité de toutes les versions non authentiques est infér
rieure et subordonnée à l'autorité de la Vulgate.
Peut-on en inférer que cette déclaration garantit l'an*
solue perfection de la Vulgate et qu'elle interdit d'en
mettre en question la moindre phrase, le moindre mot? 11
n'y paraît guère. Ce que la Congrégation déclare, c'est
qu'on ne peut rien avancer de contraire à la Vulgate, ni
phrase, ni mot, ni syllabe, ni lettre ; ce qui revient à dire
qu'on ne peut rien avancer contre l'Ecriture et que l'Ecriture
est dans la Vulgate ; et en cela la Congrégation du Concile
a complètement raison. Quant à savoir jusqu'à quel point
la Vulgate rend le texte original, c'est une autre question»;
la Congrégation n'en souffle pas mot, parce qu'elle n'avait
pas à répondre sur une demande qui n'était pas formulée,
l£lle n'affirme donc pas, comme certains l'ont prétendu,
AUTORITE DB LA VULGATE 176
la canonicité de la Vulgate jusqu'au plus petit iota. Ce
qu'elle affirme, c'est la supériorité relative de cette version
sur toute autre, mais non son absolue perfection. Les
membres qui la composaient savaient trop bien qu'elle
était loin d'être parfaite puisque, d'une part, le concile
^vait décidé d'en faire donner une édition correcte, et que,
d'autre part, on travaillait déjà à cette œuvre si impor-
tante et si délicate (i).
1. Sur cette question, voir Vacant, La constitution Dei Filins*
Paris, 1895, 1. 1, p. 435-455; et l'article de M. Mangenot dans
le Diet. de Théol., t. 1, col. 3587-3590.
Leçon Ve
L'Ecriture Sainte
L'Inspiration. — I. Histoire du dogme
de l'inspiration. — IL Nature de l'inspiration,
arantie par l'Eglise, la canonicité des Livres
saints se trouve intimement liée à leur ins-
piration et la suppose. Mais l'inspiration
existe-t-elle ? En quoi consiste-t-elle ? Quelle est sa
nature ? Quels sont ses effets? Jusqu'où s'étend-elle?
Autant de questions à résoudre. L'histoire nous
apprendra comment elles ont été envisagées et la ré-
ponse qui leur a été faite. L'une d'elles, celle du fait
de l'inspiration, n'a jamais été l'objet d'un doute
ou d'une hésitation : de tout temps, l'Eglise a cru à
l'existence de l'inspiration. Mais les autres ? La plu-
part ont été posées et résolues ; d'autres pourront se
poser encore et seront traitées à leur tour ; car
• l'Ecriture offre un champ si vaste, qu'il est loin
d'avoir été exploré dans toute son étendue et sa
profondeur, et qu'il le sera chaque jour davantage,
conformément aux besoins de la nature humaine,
dans un incessant et perpétuel renouveau.
Nous avons vu comment a été tranchée la ques-
tion de canonicité ; il nous reste à voir comment
l'a été celle d'inspiration. Elle ne s'est point posée
tout d'abord avec tout ce qu'elle implique de no-
tions et de conséquences ; ce n'est que peu à peu
qu'elle s'est dégagée et est devenue, depuis la Ré-
forme, l'objet d'un examen attentif et approfondi.
INSPIRATION I77
Jadis, contre les gnostiques, l'Eglise a revendiqué
l'Ecriture comme son bien propre ; contre les mon-
tanistes, elle a déterminé l'époque où a pris fin la
révélation. Dès le ni0 siècle, on s'est demandé quel
sens il faut voir dans la Bible : est-ce le sens littéral
ou le sens allégorique? l'un est-il exclusif de l'au-
tre? ou bien l'un et l'autre sont-ils légitimes et
dans quelle mesure ? A. la fin du ive, saint Augus-
tin et saint Jérôme ont été aux prises : l'un, esti-
mant que, pour la tranquillité des esprits, mieux
valait ne pas agiter des questions de critique et de
révision de nature à troubler de respectables habi-
tudes ; l'autre, jugeant que l'intérêt de la vérité et
la fidélité d'une version n'avaient qu'à gagner à.
une confrontation méticuleuse avec l'original. Aux
temps de la scolastique, les manuscrits de la Bible
offraient tant de variantes que l'on travaille à une
refonte pour arriver à un texte uniforme. Le concile
de Trente décide du moins de s'en tenir à un texte
officiel, celui de la Vulgate qu'il déclare authenti-
que, en attendant qu'on puisse convenablement
l'amender ; il déclare en outre qu'on doit tenir pour
sacrés et canoniques tous les livres de la Bible.
Avec la Réforme, c'est le rôle de la tradition en
matière d'exégèse qui est nié par les protestants et
maintenu par l'Eglise.
Depuis lors c'est, entre catholiques et protestants,
particulièrement sur le terrain scripturaire, une
lutte continue ; les catholiques interprètent diffé-
remment le décret conciliaire de Trente. Puis, se
font jour des théories inacceptables sur l'inspira-
tion ; le concile du Vatican intervient et les con-
damne. A sa suite, le pape Léon XIII précise la
nature de l'inspiration (1). Mais comme, d'autre part,
1. Voir, dans le décret Lamentabili sane exitu, les prop. ix-xix.
LB CATÉCHISME. — T. III. la
I78 LE CATÉCHISME ROMAIN
la méthode critique des rationalistes fait sentir son
influence et qu'elle n'est pas sans offrir de graves
dangers contre l'orthodoxie, le même Pontife jette
le cri d'alarme et trace la méthode à suivre parmi
les catholiques. Est-ce à dire que par là toute diffi-
culté ait été écartée, tout problème résolu ? Loin de
là. Problèmes et difficultés n'ont cessé de naître et
d'être poussés à leurs extrêmes conséquences. Pour
faire face aux besoins nouveaux, Léon XIII, en
1902, a créé une commission d'érudits compétents,
la Commission biblique, qui s'est déjà prononcée sur
quelques questions délicates et importantes.
C'est à travers cette longue série de faits que
nous devons suivre l'histoire du dogme de l'inspi-
ration ; c'est de tous les témoignages que nous
offrent l'enseignement des Pères et des docteurs, les
actes de l'autorité ecclésiastique, les décisions offi-
cielles, que nous devons dégager la notion aussi
exacte que possible de l'inspiration ; la tâche assu-
rément est délicate, mais qui ne voit son impor-
tance actuelle (1)?
1. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sam. theol, II» II», Q.
clxxi-clxxiv ; De verlt., Q. xu ; Suarez, De fide, dispat. v, s. 3 ;
M. Cano, De locis theologicis ; Franzelin, De divina trad. et
Script., 3e édit., Rome 1882 ; les théologies récentes de Pesch,
Tepe, Tanquerey, etc.; Schmid, De inspirationis biblior. vi et
ratione, Brixen, i885 ; Grets, De divina inspiraiione, Louvain,
1886; Ubaldi, Introd. in S. S., Rome, 1888; Gornely, De di-
vina inspiratione commentariolus, Paris, 1891 ; Dausch, Die
Schriftinspiralion, Fribourg-en-Brisgau, 1891 ; Brandi, La
question biblique, trad. franc., s. d. ; Holzey Die Inspiration,
Munich, i8g5 ; Vacant, La constitution Dei Filius, Paris, 1895,
t. 1, p. 4^(3-5 16 ; Brucker, Questions actuelles d'Ecrit, sainte,
Paris, 1895 ; Pègues, Une pensée de saint Thomas sur l'ins-
piration scripturaire, dans la Revue thomiste, i8g5, p. 95-112 ;.
Lévesque, Essai sur la nature de l'inspiration, dans la Revue
des Facultés cath. de l'Ouest, décembre i8g5 ; Lagrange, L'ins-
piration des Livres saints, dans la Revue biblique, 1896, t. v,
HISTOIRE DU DOGME DE L INSPIRATION IJ§
I. Histoire du dogme
de l'inspiration
D'une manière générale, sauf les précisions que
nous indiquerons dans la seconde partie de cette
leçon, l'inspiration peut se définir l'action surnatu-
relle du Saint-Esprit qui détermine et aide un écri-
vain sacré à écrire ce que Dieu veut, de telle sorte
que le livre, quoique rédigé de main d'homme, a
réellement Dieu pour auteur. Qui dit livre inspiré,
dit par là même livre d'origine divine.
Inspiré répond au mot latin inspiratas, qui traduit
littéralement le mot grec 8ed7cveu<rroç . Etymologique-
ment, celui-ci signifie, au sens actif, l'action de
Dieu sur l'homme, son souffle, son inspiration, et
au sens passif, l'état de l'homme sous cette motion
divine: il est soufflé, inspiré de Dieu. C'est saint
Paul qui l'emploie, quand il écrit : rcaca. ypacp^
6e<$7rv£ucTo; (1) ; et c'est saint Pierre qui exprime la
même idée par un terme équivalent, quand il dit des
prophètes qu'ils ont été poussés par l'Esprit-Saint (2).
L'expression de saint Paul entrera dans le langage
technique de la théologie pour désigner l'inspiration
ou, comme disent certains protestants, la théop-
neustie.
p. 199-220, 496-5i8; Chauvin, L'inspiration des divines Ecri-
tures, Paris 1896 ; Encore l'inspiration biblique, dans la
Science catholique, mars 1900; Calmes, Qu'est-ce que l'Ecriture
sainte ? Paris, 1899 ; Zanecchia, Divina inspiratio, S. S. ad
mentem S. Thomx Aquinatis, Rome 1899 ; Prat, L'état présent
des études bibliques en France ; dans les Etudes, 1901, t. lxxxix,
xg ; Mangenot, art. Inspiration dans le Dict. de la Bible ;
Billot, De inspiratione S. S., Rome, 1903; Schiffini, Divinitas
Scripturarum, Turin, 1905 ; Pesch, De inspiratione S. S., Fri-
bourg-en-Brisgau, 1906.
1. II Tint., m, 16. — a. II Petr., 1, ai.
ï8o LE CATÉCHISME ROMAIN
1° Pendant les cinq premiers siècles
i . Au temps des Apôtres. — A titre purement
historique, les livres du Nouveau Testament suffi-
sent à établir la mission divine de Jésus-Christ et
des Apôtres ; ils contiennent aussi le témoignage
formel que Notre Soigneur et ses disciples ont rendu
à l'origine divine, à l'inspiration des livres de
l'Ancien Testament. Jésus, en effet, pour prouver
la divinité de sa mission et sa filiation divine en
appelle au témoignage de Dieu contenu dans l'An-
cien Testament, notamment à l'accomplissement
des prophéties messianiques qui le concernaient(i).
Il reconnaît à la Loi et aux Prophètes une autorité
infaillible, décisive, découlant de ce que l'Ecriture,
telle que la connaissaient ses auditeurs juifs, est la
parole même de Dieu. Or, les juifs, au dire de
Josèphe (2) et de Philon (3), croyaient à l'inspira-
tion des prophètes, c'est-à-dire des auteurs sacrés.
Les Apôtres, à l'exemple de leur Maître, ont
également recouru à l'Ancien Testament comme à
une autorité irrécusable et divine ; car, disent-ils,
c'est le Saint-Esprit qui a parlé par les prophète? (4).
1. Matth., xxiv, i5, 24, 26, 27; xxvi, 3i, 54; Luc., iv, 21 ;
xvin, 3i ; xxiv, 26, 27 ; Joan., xin, 18. Voir, dans le décret
Lamenlabili sane exitu, les prop. xxvn, xxvm, xxx, xxxv. —
2. Cont. Apion., 1, 7. — 3. Vita Mosis, 11. — 4- Act., iv, 25; xxvm,
25, 26. Le protestant Reuss fait les aveux suivants : « Dans la
presque totalité des écrits chrétiens du premier siècle, on
trouve de nombreuses citations de passages empruntés aux
Livres sacrés de l'A. T., et ces citations, en majeure par-
tie, servent de preuves dogmatiques à un enseignement
positif. » Histoire de la théologie, 3' édit., Strasbourg, 1 864»
p. 4io. — « Quant aux théories dogmatiques qui s'ap-
pliquaient chez les juifs à ce recueil (de l'A. T.), les Apôtres
n'y ont rien changé. Le dogme de l'inspiration des prophètes,
et en général des auteurs sacrés, avait reçu dans les écoles tout
le développement dont il était susceptible.» Ibid , p. &ii.
HISTOIRE DU DOGME DE L'iNSPIRATION l8l
Saint Pierre enseigne expressément l'inspiration
quand il exhorte les judéo-chrétiens à demeurer
fermes dans la foi ; car la foi repose sur un double
témoignage de Dieu, celui que le Père a rendu à son
Fils à la transfiguration, et surtout celui des Ecri-
tures prophétiques, <i Ce n'est pas, en effet, par une
volonté d'homme qu'une prophétie a jamais été
apportée, mais c'est, poussés par le Saint-Esprit, que
les saints hommes de Dieu ont parlé (i). » Saint
Paul de même, lorsqu'il exhorte son disciple Timo-
thée à s'appuyer sur les saintes Lettres qu'il con-
naissait depuis son enfance, car « toute Ecriture est
divinement inspirée (2) ; » toute, au sens distributif
comme au sens collectif, c'est-à-dire dans toutes ses
parties, dans tout son contenu. — L'un et l'autre
ont aussi rendu témoignage à quelques livres du
Nouveau Testament : Pierre, en mettant les Epîtres
de saint Paul au rang des Ecritures (3) ; Paul, en
citant comme Ecriture, à côté d'un passage du Deu-
téronome (4), un passage de l'Evangile de saint
Luc (5).
2. Les premiers Pères. — Les Pères de l'E-
« On pouvait se contenter d'en appeler à l'Ecriture d'une ma-
nière abstraite et générale, ou plutôt c'était une conséquence
naturelle du principe dogmatique d'en parler comme d'une
autorité unique, continue, organique et personnelle. » \b'ul.,
p. k «2. « Les apôtres et leurs disciples se trouvaient en pos-
session d'une clef nouvelle qui leur permettait de résoudre les
hiéroglyphes de la prophétie. Ils avaient reçu des révélations
plus complètes sur le royaume de Dieu, ses destinées et ses
lois, et avec ce moyen ils déchiffraient plus facilement le sens
d'une lettre, ou imparfaitement comprise jusqu'à eux, ou né-
glii: c tout à fait par la théologie (de la synagogue). » Ibid.,
p. 4i3.
1. II PeÈr., 1, 1G-21. — 2. II 77m., m, 16. — 3. II Pelr.,
m. 1 5-i 0. — 4. Dcut., xxv, 24. — 5. Luc, x, 7 ; I Tim., \, 18.
e
l82 LE CATÉCHISME ROMAIN
glise ont cité les écrits du Nouveau Testament au
même titre que ceux de l'Ancien, en affirmant leur
autorité et leur origine divines. Nulle difficulté
pour l'Ancien Testament; on est d'accord pour
reconnaître que l'Eglise a reçu des juifs leurs livres
sacrés. Mais, tout en citant les livres de l'Ancien
Testament, les Pères apostoliques (i) contiennent,
Soit des allusions, soit des citations presque tex-
tuelles, empruntées au Nouveau, sans référence et
sans nom d'auteur. Toutefois Barnabe cite un texte
de saint Matthieu comme Ecriture, e5ç vévpa7CTai (2).
La Didaché parle de l'Evangile comme d'une col-
lection connue (3). Saint Ignace compare l'Evangile
et les Apôtres à la Loi et aux Prophètes et leur
reconnaît une autorité semblable (4). Ainsi donc le
fait de l'inspiration est reconnu, mais la question
de sa nature n'est pas abordée.
Il en est autrement avec les Apologistes (5).
Ceux-ci, en effet, ne se contentent pas de citer
l'Ancien Testament, ils citent encore le Nouveau.
Saint Justin (6), par exemple, raconte que les
Mémoires des Apôtres sont lus, le dimanche, à l'as-
semblée des fidèles avec le même respect et le même
honneur que les écrits des Prophètes (7). En outre
les Apologistes essayent d'expliquer l'inspiration.
Pour saint Justin, si les Livres sacrés diffèrent des
livres humains en ce qu'ils ne renferment ni
erreur ni contradiction, c'est parce qu'ils sont ins-
pirés (8). La prophétie est un don divin (9); les
1. Voir notre article Pères apostoliques , dans le Dict. de
Théol. — a. Barn., rv, i4; édit. Funk, p. 12. — 3. Didaché,
xv, 3, 4; édit., Funk, 1887, p. 44-46. — 4. Phil, v, 1, a ; vin,
tx; Smyr., v, 1, édit., Funk, p. aa8, a3o-a3a, a38. — 5. Voir
notre article Pères apologistes, dans le Dict. de Théol. — 6. ApoU,
I, 67; Patr. gr., t. vi, col. 429. — 7. Cf. Apol.t I, 28 ; col. 37a.
-<- 8. Goh. ad Grsec., 8 ; col. a56-a57. — 9. ApoU, I, la ; col,
345,
HISTOIRE DU DOGME DE i/lNSPIRATION l83
Prophètes ont été inspirés par le Saint-Esprit (i).
Tout livre de l'Ancien Testament, en particulier,
est prophétique, et tout auteur sacré est Prophète (2).
Les livres historiques eux-mêmes ont été écrits sous
l'inspiration prophétique (3). L'auteur sacré est
entre les mains du Saint-Esprit comme la cithare
sous la main du harpiste (4) : mais il reste un ins-
trument conscient, et non mécanique ; car, à la dif-
férence des sibylles et des devins, il comprend et
retient, même après avoir été ravi en extase, la
révélation divine (5).
3. Contre les hérétiques. — Quand les gnosll-
ques attaquent l'Ecriture, l'accusant d'erreur ou de
désaccord, Irénée et Tcrlullien protestent. L'évêque
de Lyon estime que l'Ecriture est parfaite, parce
qu'elle a été dictée par le Verbe de Dieu ou par
l'Esprit-Saint (G). Il en appelle aux Apôtres qui,
remplis de l'Esprit-Saint, ont enseigné oralement
et par écrit que Dieu est l'auteur des deux Testa-
ments (7). Il reproche aux gnostiques de résister
t
1. Apol, I, 3i-33, 35, 39, 4o; col. 376, 377, 38i, 384. 388,
389; cf. Delitzsch, De inspiratlone S. S. quid statuerint Paires
apostolici et apologetœ secundi sœculi, Leipzig, 1872, p. 38-4i.
1 — 2. Coh.ad Grœc., 9, 11, 18 ; Apol., I, 32, 54. 5g; col. 257,
261, 264, 293, 377, 409, 4i6. — 3. Coh. ad Grœc., 35; col.
3o4. Parce qu'elle ne peut avoir qu'une origine divine,
Justin appelle la preuve par les prophéties, ueyiSTav xal
àXYiOeaTàTTqv à7r68si;tv Apoc., I, 3o ; col. 373. Même manière
de voir dans Tatien, son disciple, dans Athénagore. S. Théo-
phile d'Antioche presse Autolycus de se convertir pour
éviter les supplices éternels prédits par les prophètes, Ad
AutoL, 1, 14 ; col. io45; il dit que les prophètes, mus par le
même esprit qui est l'Esprit de Dieu, annoncent la vérité
sans mélange d'erreur; Ad AutoL, 11, 9, 35; col. 1064, 1109.
— 4- Coh. ad Grœc., 8 ; col. 256-257. — 5. Ibid., 37 ; col.
.3o8-3og. — 6. Adv. hœr., II, xxvm, 2, 3 ; Pair. gr.> t. vu, col.
8o4- — 7. Ibid., J1I, 1, 2 ; coi. 844. sq.
l84 LE CATÉCHISME ROMAIN
au Saint-Esprit qui parle dans l'Ecriture (i). — A
Rome, Caïus dit de ceux qui osent altérer les Ecri-
tures : « Ou bien, ils ne croient pas que les saintes
Ecritures ont été dictées par le Saint-Esprit, et ils
sont des infidèles; ou bien, ils s'estiment plus sages
que le Saint-Esprit, et ils sont des démoniaques (2).»
— A Carthage, Tertullien appelle les Livres saints
la parole de Dieu (3). Il dit que l'Eglise les
regarde, à cause de leur origine divine, comme la
règle de foi, qu'elle les révère et leur obéit, tandis
que les gnostiques les corrompent ou les mu-
tilent (4).
Lorsque, à la fin du second siècle, les montanistes
essayent d'imposer leur théorie du Paraclet et un
troisième Testament, les évêques s'assemblent, dé-
libèrent et condamnent. Ces exaltés, hommes et
femmes, troublaient par leurs scènes de désordre
certains cantons d'Asie ; ils parlaient « en extase, »
dans des accès de frénésie. Entre autres erreurs, on
dut condamner leurs théories d'une révélation nou-
velle, en déclarant que l'ère des révélations divines
et publkmes était close depuis les Apôtres et que
leurs prétentions prophétiques étaient illusoires (5).
4. Parmi les Pères grecs. — A Alexandrie.
1. Ibid., III, vi, 1, 5; col. 861, 864. S. Hippolyte pense
comme Irénée, De Christo et Antichristo, 48, 58 ; Pair. gr.,
t. x, col. 765, 777. — 2. Eusèbe, Hlst. eccl., v, 28; Patr. gr.,
t. xx, col. 517. — 3. Apolog., 3i ; Patr. lai., t. 1, col. 446. —
4. De prœscr., 37-39 ; Patr. lat., t. 11, col. 5o-53. — 5. Ter*
tullien, De anima, 9 ; De resar. car., 11, 63; Patr. lat., t. 11,
col. 65g, 809, 886; Eusèbe, Hist. eccl., v, 16-17; Pair. gr.%
t. xx, col. 466, sq. L'Anonyme d'Eusèbe, Apollinaire d'Hiéra-
polis, Zotique de Comane, Julien d'Appamée, le rhéteur
Miltiade, traitent les manifestations montanistes d'extravagan-
ces et de pseudo-prophéties. Saint Epiphane les qualifie do
folies, Hœr., xlviii; Patr. gr., t. xli, col. 858.
HISTOIRE DU DOGME DE i/lNSPIRATION l85
Clément d'Alexandrie a pris à tâche de convertir
les grecs au Christ qui a parlé par les Prophètes (i).
C'est L'Esprit-Saint, dit-il, qui a parlé par leur bou-
che (2), et c'est le même Pédagogue qui enseigne,
quoique diversement, dans les deux Testaments (3).
Contre Basilide et Valentin, il prouve que Dieu est
l'auteur des deux Testaments, qu'il n'y a qu'une
seule foi, fondée sur les prophéties et achevée dans
l'Evangile (4). Il proclame l'Ecriture comme la
règle suprême du vrai parce qu'elle est inspirée de
Dieu (5).
A sa suite, Origène prouve l'inspiration des Ecri-
tures par l'accomplissement des prophéties messia-
niques : l'avènement de Jésus-Christ est la preuve
irréfragable de la divinité des Livres de l'Ancien
Testament (6). Tel est son principe: il s'en sert
pour réfuter Apelle, surtout Celse. Moïse a parlé ou
écrit sous l'inspiration du Saint-Esprit. Les Juifs
croyaient avec raison que leurs prophètes avaient
été inspirés et ils joignaient leurs livres aux livres
sacrés de Moïse (7). Les chrétiens partagent, sur ce
point, la foi des juifs (8), et la foi des chrétiens
n'est nullement aveugle; car l'Esprit-Saint, qui a
inspiré la doctrine chétienne, l'a appuyée par des
prophéties et des miracles (9). Origène exagéra
l'extension de l'inspiration (10).
1. Coh. ad Grœc, 1; Pair, gr., t. vin, col. 64. — 2. Ibid., S,
9, col. 188, 193. — 3. Pedag., 1, 7, 11; col. 33o, 365. — •
4. Strom., 11, 6; iv, 1; col. 964, 1216. — 5. Il professe aussi
que sous la lettre se cache un sens allégorique multiple.
— 6. De princ, iv, 6; Patr. gr., t., xi col. 352-353 ; cf. Zôllig,
Die Inspirationslehre des Origenes, Fribourg-en-Brisgau,
1902, p. 7-15. — 7. Cont. Cels., 1, 43 ; m, 2, 3 ; col. 741, 921,
925. — 8. Cont. Cels., 1, 45; m, 4; v, Co ; col. 744, 925, 127G.
— 9. Cont. Cels., 1, 2, 5o ; col. C56, 753. — 10. Origène distin-
gue aussi plusieurs sens et marque la tendance de l'école
d'Alexandrie à exagérer l'allégorisme.
l86 LE CATÉCHISME ROMAIN
« i i i^aa
Au ive siècle, saint Atbanase croit au Saint-
Esprit « qui a parlé dans la Loi, dans les Prophètes
et dans les Evangiles (i). » Didyme proclame le
principe de saint Paul que toute Ecriture est ins-
pirée et en conclut contre les Macédoniens que le
Saint-Esprit est Dieu (2). Il réfute aussi les mon-
tanistes et soutient que, dans l'extase, les prophètes
comprenaient ce que Dieu leur manifestait (3).
A Jérusalem, saint Cyrille prouve les dogmes
qu'il expose dans ses Catéchèses par les Ecritures
inspirées de Dieu ; car Dieu a enseigné les hommes
dans les deux Testaments (l\). Le Saint-Esprit, dit-
il, a parlé par les prophètes et les apôtres (5) ;
ravis en extase, ils étaient inondés de la lumière du
Saint-Esprit et voyaient des choses qu'ils ne con-
naissaient pas auparavant (6).
A Vécole d'Antioche, c'est le même enseignement
sur le fait de l'inspiration. Citons seulement saint
Ghrysoslome. Pour lui, saint Matthieu a écrit son
Evangile, « étant rempli du Saint-Esprit (7); » saint
Jean parlait par le mouvement de la grâce divine,
et son âme était comme une lyre touchée par
l'Esprit-Saint (8) ; Paul était « la bouche du Christ, »
i< la lyre de l'Esprit (9) ; » sa voix une trompette
céleste, une lyre spirituelle (10). Mais noublionspas
que l'école d'Antioche s'en est tenue à l'interpré-
tation littérale de la Bible ; Théodoret de Cyr et
Chrysostome avec sagesse, sans exclure le sens
allégorique quand il s'impose; mais d'autres avec
1. In symb. ; Pair, gr., t. xxvi, col. i23a. — a. De Triait., n,
10 ; Pair, gr., t. xxxix, col. 644-645. — 3. In Act. Ap., x, 10;
col. 1677. — 4. Cal., iv; Pair, gr., t. xxxm, col. 4q3, 496. —
5. Cat., xvi, 2-4; ibid., col. 920-921. — 6. CaL, xvi, 16-18;
ibid., col. 941, 944. — 7- In Matth., hom. 1, 1,8; Pair. gr.. t.
Lvn, col. i5, 24. — 8. In Joan,, hom., 1, 1-2; t. lix, col. 25,
36. — 9. De Lazaro, vi, 9; t. xlviii, col. io4i. — 10. Ad pop.
Antioch., hom., 1, 1 ; t. xlix, col. i5.
. HISTOIRE DU DOGME DE i/lNSPIRATION 187
moins de réserve, au point de prêter à croire qu'il
n'y a qu'un sens dans l'Ecriture.
Inutile de rapporter les témoignages des Pères
cappadociens, ce serait tomber dans des redites.
Constatons cependant qu'en 38 r, au second con-
cile œcuménique, les Pères de Gonstantinople ont
traduit la foi de l'Eglise en introduisant dans le
symbole cette expression caractérisque, relative au
Saint-Esprit: Qui a parlé par les Prophètes. Et cons-
tatons aussi que si le fait de l'inspiration est si fer-
mement affirmé, les Pères grecs ne nous offrent
pas une théorie proprement dite sur la nature de
l'inspiration, mais à peine quelques traits, quelques
expressions qui pourront être utilisés.
5. Parmi les Pères latins. — Saint Hilaire de
Poitiers sait bien que le recueil des Ecritures, qui
comprend la Loi et les Prophètes, a été écrit de
main d'homme, mais il sait aussi qu'il est une œu-
vre divine, car c'est l'Esprit de Dieu qui a inspiré
les écrivains sacrés de l'Ancien Testament (i). A
plusieurs reprises, il réfute les Ariens qui cher-
chaient à mettre les prophètes en opposition avec
les évangélistes et les apôtres, en montrant l'accord
de deux Testaments, qui ont le même Dieu et le
même Esprit (2). Saint Ambroise fait comme
Didyme, il prouve la divinité du Saint-Esprit, parce
qu'il a inspiré l'Ecriture (3), et il affirme que c'est
le même Esprit de vérité qui a inspiré les prophètes
et les apôtres (4).
Saint Jérôme ne cesse d'insister sur l'inspiratior.
de l'Ecriture. Il n'est « ni assez sot ni assez rusti-
que pour penser qu'aucune parole de Notre Sei-
1. Libellas ; Patr. lat., t. x, col. 733, 753-754. — 2. De TrU
nit., m, 3a ; col. 73. — 3. De Spir. S., m, 11a ; Pair, lat., t.
xvi, col. 8o3. — 4. De Spir. S., 1, 4t n. 55, 60; col. 718, 719*
l88 x.E CATÉCHISME ROMAIN
gneur, rapportée dans l'Evangile, ne soit divinement
inspirée (i). Même le billet à Philémon lui paraît
digne du Saint-Esprit, qui a suggéré tout ce qui est
écrit (2). Contrairement au rêve des montanis-
tes, il croit que les prophètes n'étaient pas privés
de sentiment, mais qu'ils comprenaient ce qu'ils
disaient et restaient libres de parler ou de se
taire (3). Il estime que l'écrivain sacré est un ins-
trument animé, à même par conséquent de choisir
des expressions, quand elles n'altèrent pas le sens
voulu par Dieu, et de donner à sa rédaction un
cachet distinctif et un caractère personnel. Il est
regrettable que l'illustre exégète n'ait point formulé
une théorie de l'inspiration.
Point de théorie arrêtée non plus dans saint
Augustin. L'évèque d'Hippone considère les Livres
saints comme des lettres écrites par Dieu aux hom-
mes. C'est l'esprit de Dieu qui parle par la bouche des
Prophètes et conduit la plume des Apôtres (4) ; c'est lui
qui meut l'esprit des écrivains sacrés de manière à leur
rappeler touche chose et à leur inspirer de l'écrire (5).
En conséquence, tout ce qui s'appuie clairement
sur l'Ecriture doit être cru sans hésitation ; dans le
cas d'une difficulté, contradiction ou erreur appa-
rente, il pose en règle : aut codex mendosus est, aut
interpres erravit, aut tu non inlelligis (6). En tout
cas, le dernier mot doit rester à la foi catholique,
c'est-à-dire à l'Eglise (7).
1. Epist., xxvii, 1 ; Pair, lat., t. xxn, col. 43 1. — 2. In ep. ad
PhiL, prolog.; t. xxvi, col. 599-602. — 3. In Is., ix, 29 ; t. xxiv,
col. 33a. — 4- De doct. christ., 11, 6 ; m, 27. — 5. De conc.
Evang., n, 12, 29 ; 11, 20, 5i ; Pair, lat., t. xxxiv, col. 1091, 1102.
— 6. Cont. Faust, man., xi, 5 ; Pair, lat., t. xlii, col. 2^9. —
7. De Gen. lib. imp., 1, 1 ; Pair, lat., t. xxxiv, col. 220 ; cf.
Coni. epist. Manich., \, 5. S. Augustin admit à tort la pluralité
des sens littéraux et exagéra l'autorité des Septante, en les
regardant comme inspirés
HISTOIRE DU DOGME DE L'iXSPIRATION 189
Saint Grégoire le Grand juge inutile la question
de savoir qui a écrit tel ou tel livre, du moment
qu'on croit que c'est L'Esprit-Saint qui en est l'au-
teur (i). A quoi bon s'occuper de la plume qui a
rédigé la lettre, quand on sait d'où vient cette let-
tre? Poussé à l'extrême, ce principe exagérerait
l'élément divin de l'inspiration, car l'homme, bien
que mû par Dieu, reste un instrument libre et
conscient.
En résumé, d'après le témoignage des Pères, la
tradition est très ferme sur la croyance au fait de
l'inspiration. Dieu est l'auteur de l'Ecriture ; l'Ecri-
ture est la parole de Dieu, elle possède une indiscu-
table autorité. D'autre part, nous savons qu'elle a
été donnée à l'Eglise comme un dépôt et que c'est à
l'Eglise qu'il appartient de décider quels sont les
livres canoniques. Mais la nature de l'inspiration
n'a pas été déterminée. En disant que le Saint-
Esprit a parlé, qu'il a dicté, que les prophètes sont
des théodidactes (2), des organes, des instruments,
des lyres, les Pères signalent sans doute quelques-
uns des éléments constitutifs de l'inspiration, mais
ils ne précisent pas les rapports intimes entre la
motion divine et l'activité humaine; ils semblent
même, par leurs expressions et leurs comparaisons,
exagérer l'action de Dieu au détriment du concours
de l'homme ; des précisions sont nécessaires. La
scolastique les a-t-elle faites ?
2° Au Moyen Age
1. Travail de compilation. — L'époque qui suit
1. « Ipse igitur ha?c scripsit, qui scrihenda dictavit; Ipse
scripsit qui in illius opéra inspiralor exslitit. » In Job, prœf, 1 ;
Pair. lat.y t. lxxv, col. 5i5 sq. — 2. Expression de Théophilo
d'Ànlioche, Ad Aaioi, 11, 9, 10; m, a3. >
IQ0 LE CATECHISME ROMAIN
immédiatement la période patristique comprend
surtout des compilateurs; c'est le cas. notamment,
pour la question qui nous occupe (i). Grâce à eux,
les trésors antiques de la littérature chrétienne sont
recueillis, conservés et transmis. A défaut d'initia-
tive personnelle et d'originalité, ils ont eu le mérite
de conserver la tradition. Les uns, à la suite du pape
saint Grégoire, se préoccupent peu des auteurs
humains des Livres sacrés ; exagérant plutôt l'ins-
piration, ils cherchent surtout à approfondir l'Ecri-
ture ; les autres, subissant l'influence de saint
Augustin, s'appliquent à distinguer méticuleuse-
ment les divers sens qui se cachent sous la lettre du
texte sacré ; mais ni les uns ni les autres n'abor-
dent le problème proprement dit de l'inspiration.
Il en est de même, au début de la scolastique : ni
Hugues de saint Victor, ni les auteurs des livres
des Sentences, Rolland, Robert Pull ou Pierre Lom-
bard, quand ils traitent de l'Ecriture et des écri-
vains sacrés, ne tentent de l'examiner.
2. Premiers essais. — Dans l'école francis-
caine, Alexandre de Halès insiste, au commence-
ment de la Somme, sur l'origine divine des Ecritures ;
saint Bonaventure pareillement, dans son Brevilo-
quium et son Hexameron. En cela, ils restent fidèles
à la tradition ; l'inspiration ne fait doute pour per-
sonne. Mais quelle est la part de Dieu, quelle est
celle qui revient à l'écrivain, voilà ce qu'ils ne
isent pas. Duns Scot (2) parle seulement de l'aide
spéciale, de la lumière surnaturelle, qui donnait à
1. Cf. Cassiodore, De institut, divin, litter arum ; Pair, lat.,
t. lxx, col. no5 sq. ; S. Isidore de Séville, Etymologiarum,
Patr. lat., t. lxxxii, col. 73 sq. ; les œuvres deBède, d'Agobard,
de Raban Maur, etc. — 2. In I Sent., Q. u, n. 3.
HISTOIRE DU DOGME DE L INSPIRATION 19I
l'hagiographe la certitude des vérités qu'il avait à
écrire et à communiquer, et c'est tout.
Dans l'école dominicaine, Albert le Grand ensei-
gne de combien de manières les choses divines peu-
vent être perçues par l'homme (i). Ce premier coup
d'œil, jeté sur la nature de l'inspiration, y découvre
presque tout ce qui appartient à ce concept. Il ne
reste plus qu'à développer et à préciser : ce fut le
rôle de saint Thomas qui, pour longtemps, imposa
sa doctrine sur l'inspiration.
3. Doctrine de saint Thomas. — L'Ange de
l'école, dans la Somme, ne s'attarde pas à prouver
le dogme de l'inspiration ; il préfère analyser son
concept, mais il le ramène, comme les Pères, à
celui de prophétie, entendue au sens large (2), c'est-*
à-dire à celui d'une connaissance surnaturelle et
transitoire, que son objet en soit présent, passé ou
futur, par mode* de vision sensible, imaginaire ou
intellectuelle, sans que l'écrivain distingue toujours
nécessairement s'il agit spontanément ou sous la
motion divine (3). La part de Dieu, c'est une illumi-
nation et une motion surnaturelle, l'une qui va à
éclairer l'esprit de l'écrivain sacré, l'autre qui
pousse sa volonté à parler ou à écrire. Mais, ail-
leurs, saint Thomas a formulé sa pensée d'une
manière précise et décisive, quand il a dit : Le
Saint-Esprit est l'auteur principal de l'Ecriture,,
l'homme en a été l'auteur instrumental (4). C'est,
en effet, dans la notion et la distinction de cause, de
cause principale et de cause instrumentale, telle
qu'il la fait connaître au sujet des sacrements, que
se trouve le principe lumineux et fécond qui per-
1. Dans son commentaire de l'Evangile de saint Jean. : —
2. Sum. theol. lla llœ, Q. clxxc. clxxv. — 3. II* II*, Q.clxxiii^
a. 4- — 4- Quodl., vu, a. \[\, ai 5. >
192 LE CATECHISME ROMAIN
met d'entrevoir, dans le concept de l'inspiration, la
part qui appartient à Dieu et celle qui revient à
l'homme. L'homme n'est pas uniquement un ins-
trument passif, il agit personnellement et librement,
mais en vertu du mouvement ou de l'inspiration
dont Dieu, agent principal, le meut. Et par là, le
livre inspiré, est tout entier de Dieu, comme de son
auteur principal, et tout entier de l'homme, comme
de son auteur instrumental. Là, croyons-nous, est
la véritable solution du problème si agité dans ces
derniers temps de la nature de l'inspiration.
3° Depuis le Concile de Trente
Jusqu'au xvie siècle, les actes officiels de l'Eglise
s'étaient bornés à affirmer que Dieu est l'auteur des
Livres de l'Ancien et du Nouveau Testament (1).
Eugène IV (2) en donne pour raison que les saints
des deux Testaments ont parlé sous l'inspiration du
Saint-Esprit, et il ajoute que c'est à cause de cela
que l'Eglise reçoit et vénère les livres dont il fait
l'énumération complète. Le concile de Trente, nous
l'avons vu, consacre par une définition solennelle
la croyance de l'Eglise à l'inspiration, mais sans
faire connaître la nature de ce charisme. Or, depuis
le xvi° siècle, protestants et catholiques ont abordé
ce problème si délicat, et nous allons rapporter
brièvement l'histoire des solutions qu'on lui a don-
nées.
1. Chez les Protestants. — A rejeter l'auto-
rité de la tradition et la règle extérieure de la foi,
les protestants durent concentrer leurs efforts
1. Cf. les Professions de foi de Léon IX, d'Innocent III, de
Clément IV, Denzinger, n. 296, 367, 386. — 2. Denzinger, n.
€00.
\ l'inspiration d'après les protestants 193
pour sauvegarder l'autorité de la Bible. Aux débuts
même de la Réforme, ils allèrent beaucoup plus
loin que les catholiques, jusqu'à déclarer inspirés
les mots, les accents et les points voyelles (1).
Mais tout excès appelle un excès opposé ; et, grâce
au rationalisme, l'évolution, dans le sens de la
négation, a été rapide et significative. On a fait
tour à tour appel aux critères internes, à l'action
intime du Saint-Esprit, à la méthode historique,
mais sans réussir, ou parce que ces critères sont
manifestement insuffisants, ou parce que cette
méthode se borne à constater des faits sans en
rechercher la vraie cause. Bref on a abouti partout à
de telles divergences de vues qu'un vaste et carac-
téristique chapitre peut s'ajouter sans peine à la
célèbre Histoire des Variations de Bossuet. Les ratio-
1. « La Réforme, écrit M. Sabatier, a eu pour les destinées
du canon biblique deux conséquences à peu près contraires.
D'abord, comme elle en a fait la source et la règle unique de
la vérité, elle a eu pour effet de donner au dogme théologique
du canon une importance beaucoup plus grande ; elle en a
consacré l'autorité souveraine par la théorie de la théopneustie
absolue, et l'a, pour ainsi parler, divinisé. Mais, d'un autre
côté, en l'opposant d'une façon absolue à l'Eglise et à la tradi-
tion, elle lui a enlevé sa base historique et séculaire, et a ouvert
la porte aux appréciations subjectives et à la critique. Plus les
réformateurs exaltaient le rôle et l'autorité des écrits sacrés,
plus il était nécessaire de savoir quels étaient ces écrits et de
les distinguer de ceux qui ne peuvent prétendre à ce haut
caractère. A quel critère les reconnaîtra-t-on ? Faudra-t-il sur
ce point capital s'en remettre à l'autorité de l'Eglise ou de la
tradition qu'on récuse en tout le reste ? Ni Luther, ni Zwingle,
ni Calvin n'ont voulu y consentir, et sur ce point les témoi-
gnages des Pères de la Réforme sont unanimes. La confession
de foi helvétique même regarde comme un blasphème de dire
que l'Ecriture, pour avoir son autorité, a besoin d'être garan-
tie par l'Eglise. Dès lors, il fallait chercher un autre critère aux
livres canoniques. » Article Canon du N. T., dans Y Encyclopé-
die des sciences religieuses, t. 11, p. 60a.
LE CATÉCHISME. — T. III. 1}
TQ4 LE CATÉCHISME ROMAIN
~™»~^— ■— — — ^— *
nalistcs purs d'aujourd'hui, tels que Harnack,
n'aid mettent aucun fait surnaturel, ni révélation, ni
inspiration, ni assistance : pour eux, les livres de la
Bible ont été réputés divins, mais à tort, car ce sont
des livres comme les autres. Les semi-rationalistes,
dans le genre de Zahn, admettent la révélation mais
rejettent l'inspiration : les livres de la Bible ont en
leur utilité pratique ; fidèles échos de la pensée des
prophètes, de Jésus et des Apôtres, ils ont servi à
la lecture publique dans les réunions liturgiques,
mais ce sont des œuvres humaines. Quant aux
orthodoxes, de jour en jour moins nombreux, on sa
demande sur quoi ils peuvent bien fonder leur
croyance à l'inspiration, attendu qu'elle ne peqit
être connue que par la révélation et que la révéla-
tion ne nous est garantie que par la tradition de
l'Eglise.
i. Les premiers réformateurs . — Luther pose en
principe que tout livre où est prêché le Christ
appartient à l'Ecriture. Pratiquement, c'est à cha-
cun de voir si le Christ est prêché ou non dans tel
ou te! livre. L'application d'un tel principe ne pou-
vait aboutir qu'à de déplorables conséquences, dont
l'une, nullement prévue, devait être la négation
même de l'inspiration (1). — Inutile de parler de
i. « Fort personnel était son principe de critique, écrit le
protestant Uabaud : de l'intensité avec laquelle le Christ est prê-
ché, il concluait à l'inspiration et à la canonicité du livre.
r-j N'était-ce pas renverser l'autorité de la Bible et la remplacer
f r par l'autorité de la conscience individuelle ? Qui déterminera
i le degré de la fidélité de l'écrivain sacré? Qui appréciera la
y pureté de sa doctrine? Qui dira si le Christ est prêché comme
il convient ? Ce principe, plus pratique en apparence, aussi
subjectif en réalité que celui des autres héros de la Réforme,
aboutit au même résultat : l'autorité de la conscience indivi-
duelle ou de la théologie du lecteur biblique. Luther en a
fourni le premier et remarquable exemple. Par ses hardiesse»
THÉORIE EXAGÉRÉE DE i/lNSPIRATION I<)5
■ II» !.. .
Zwingle, puisque Luther prétendait qu'il aurait
mieux fait de ne rien écrire et que ses livres étaient
le poison du diable. — Calvin admet l'autorité de
l'Ecriture, mais il nie que son origine divine nous
aoit attestée par la tradition de l'Eglise, le seul
témoignage intérieur du Saint-Esprit suffisant h
nous en convaincre. — Mélanchton tombe dans un.
Cercle vicieux. Pour entendre correctement l'Ecri-
ture, dit-il, suivons ceux qui croient correctement*
Et pour savoir ceux qui croient correctement, pre-
nons l'Ecriture pour règle. Au fond, c'est son auto-
rité privée qu'il substitue à l'autorité de la Bible*
puisqu'il dresse la liste des synodes et des auteurs
qu'il regarde comme corrects (i).
a. Théorie exagérée de l'inspiration. — Cette théo-
rie exagérée est due aux disciples de Calvin. D'après
la Formula consensus helvetica de 1675, l'inspira tion
s'étend jusqu'aux moindres mots, jusqu'aux lettres
et aux points (2). Jean Gerhard la formula au
xvne siècle.
La voici résumée (3) : l'Esprit-Saint est l'auteur
de l'Ecriture ; c'est au Saint-Esprit que revient tout
son contenu, y compris le» mots et les points
celtiques et son indépendance vis-à-vis de l'Ecriture extérieure*
il posa les germes des futures objections qui ébranleront un<
jour et ruineront la doctrine de la théopneustie, qu'il accepte?
avec tous ses contemporains, mais qu'il reconnaît seulement
dans les passages en harmonie avec sa théologie ou son sens
religieux. » Histoire de la doctrine de l'inspiration, Paris, i883,
p. 39.
1. Gela revient à dire : « Ut recte intelligamus Scripturamv
debemus sequi recte docentes. Qui vero recte docuerint,
Mélanchton docet : ergo recte interpetamur Scripturam, si
sequimur Melanchtonis judicium. » Pesch, De inspiratione*.
p. ai 5. — 2. Imposée sous peine d'amende, de prison 01»
d'exil, cette formule ne fut abrogée qu'en 1725. — 3. De locis~
thgologicis.
I96 LE CATÉCHISME ROMAIN
voyelles de l'hébreu, à plus forte raison le genre
littéraire. L'hagiographe n'a fait que prêter le
secours de sa main. C'est moins de la nature que de
l'extension de l'inspiration qu'il s'agit là. Mais telle
quelle, cette théorie fut regardée par les uns comme
la seule exposition orthodoxe de la foi protestante
et rejetée par les autres comme le renversement des
principes sur lesquels s'appuyait le protestantisme
primitif.
3. Réaction rationaliste. — Cet excès en suscita un
autre par réaction, celui du rationalisme biblique.
L'idée fut émise de refuser à l'Ecriture toute valeur
surnaturelle et de faire de la raison seule la règle
suprême en matière religieuse. Elle était la consé-
quence légitime du principe protestant de libre exa-
men. Grâce au naturalisme et au déisme du xvnr*
siècle, elle fit son chemin, appelée qu'elle était à
de hautes destinées (1). Fatalement, la Bible devait
finir par être considérée comme un livre purement
humain et être traitée en conséquence. Aux débuts,
on n'y voyait guère que Dieu, et l'écrivain sacré
était réduit à un rôle purement mécanique ; aujour-
d'hui, on n'y voit plus Dieu, il ne reste plus que
l'homme, seul auteur responsable. Telle est bien
la situation actuelle parmi les protestants rationalis-
tes, qui s'obstinent encore à parler d'inspiration,
comme ils parlent de révélation et de foi, sauf à
entendre ces termes d'une manière nouvelle, c'est-
à-dire en les vidant de leur sens traditionnel.
4. Le rationalisme biblique en Allemagne. — C'est
Wolf (f 1754) qu'on est convenu d'appeler le père
1. Pour le rationalisme en général, cf. Vigouroux, Les Livres
saints et la critique rationaliste ; pour le rationalisme biblique
relatif à l'inspiration, cf. Pesch, De inspiratione, Fribourg-en-
Brisgau, 1906 ; nous ne faisons que résumer ses renseigne-
ments.
RATIONALISME BIBLIQUE EN ALLEMAGNE I97
du rationalisme allemand, mais c'est à Scmler
(y 1791) que revient le titre de père du rationalisme
biblique (i) ; et ce rationalisme spécial a été forte-
ment accentué par Kant (y i8o4) (2). Il sert de base
à la théologie dogmatique de Wegscheider (3) et
il peut se résumer en deux mots : Dans la Bible, ni
inspiration, ni autorité.
On connait la théorie de Schleiermacher (f
iS34) (4) : la religion n'est que la perception immé-
diate de l'infini ou le sentiment intime de notre
dépendance de l'absolu ; la révélation est un mou-
vement religieux spécial, qui naît spontanément
dans l'esprit et qu'on ne peut dériver d'aucun inter-
médiaire externe. Que peut bien être alors l'inspira-
tion ? Schleiermacher la nie pour la plus grande
partie de l'Ancien Testament et dit que le Nouveau
est inspiré dans ce sens qu'il manifeste le sentiment
religieux de la communauté chrétienne primitive.
On dirait déjà un mot d'ordre, un principe arrêté,
celui de conserver les termes usités, de les vider de
leur sens traditionnel et de leur donner une signi-
fication nouvelle.
Rothe (5) réduit l'Ecriture à n'être qu'un docu-
ment historique, qu'un livre comme les autres, que
l'on doit traiter par la critique et la science. A sa
suite, bon nombre de théologiens protestants alle-
mands ont décidé d'abandonner complètement
l'ancienne théorie de l'inspiration, de substituer
l'inspiration personnelle à l'inspiration verbale et
réelle et de ne voir dans l'Ecriture qu'un document
historique de la révélation : c'est l'attitude des con-
1. Comment, hist. de antiquo Chris tianorum statu, Halle, 1771.
— 2. Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunjl*
1793 ; Der Streit der Fakultaten, 1798. — 3. lnstit. theolog. dog-
mat. christianœ. Halle, 1826. — 4. Der christliche Glaube. —
5. Theol. Stadien und Kriliken, Gotha, 1860.
39^ LE CATÉCHISME ROMAIN
xérvaleurs. Mais les critiques vont plus loin : pour
eux, les livres sacrés ne sont rien moins qu'histori-
qUes ; ce sont plutôt, dans leur plus grande partie,
^des fictions dogmatiques incapables par suite de nous
•renseigner sur les faits dont ils prétendent être les
témoins. Les critiques se flattent d'avoir eu raison
<lu canon de l'Ancien Testament, et ils comptent
«qu'au xxe siècle on détruira de même le canon du
^Nouveau (1).
1. Opinions actuelles. Sur la question de l'inspiration, celle
qui nous occupe, les protestants allemands se divisent actuel-
lement en trois classes : les critiques libéraux, les orthodoxes et
les conservateurs. — ■ Les critiques traitent les Livres saints
«comme tout livre profane. Nous avons appris ce qu'est l'his-
toire et nous voulons savoir comment la religion révélée est
mée et s'est développée. Aussi repoussons-nous tout dogme qui
^place l'Ecriture, son origine et son autorité en dehors de la
^série des causes naturelles. Nous avons fait des progrès en
psychologie et nous avons compris que la certitude du salut
sue doit pas être placée dans quelque chose d'extérieur, mais
<sdans l'expérience interne. Nous savons que la religion ne con-
siste pas dans des choses intermédiaires entre Dieu et l'homme,
«nais dans une attitude personnelle de l'homme vis-à-vis de
Dieu. Gomment, dans ces conditions, l'Ecriture peut-elle être
-&in moyen et une règle de foi ? Elle est complètement inutile.
Telle est la conclusion de l'école de Ritschl, celle notamment
<de M. Harnack.
Les conservateurs rejettent l'opinion d'après laquelle toute
'l'autorité de l'Ecriture repose sur l'expérience subjective d'un
«chacun, et essayent de lui conserver quelque autorité objec-
tive. S'ils la gardent, c'est comme un document authentique
•de la révélation. Mais, pour ne point paraître renoncer à la
science critique, ils rattachent cette autorité, non à chaque
proposition, mais à l'ensemble de l'Ecriture, et laissent ainsi
toute liberté à la critique scientifique de s'exercer sur chaque
point en particulier. A défaut d'entente, chose difficile, ils
retiennent du moins qu'il faut renoncer à l'inspiration ver-
i>ale et s'en tenir à l'inspiration personnelle. Les écrivains sacres
font simplement part de l'opération salutaire de Dieu qu'ils
4ont personnellement éprouvée. L'Ecriture n'est donc pas la
parole de Dieu, mais la parole de Dieu est dans l'Ecriture,
RATIONALISME BIBLIQUE EX ANGLETERRE I99
5. Le rationalisme biblique en Angleterre. — Pour
n'avoir été ni aussi rapide ni aussi accentué tout
d'abord sur la question de l'inspiration, le rationa-
lisme biblique ne s'en est pas moins fait sentir en
Angleterre (i). Longtemps l'inspiration passa pour
une vérité admise sans contestation. Mais bien-
mêlée à la parole de l'homme. L'infaillibilité convient à l'en-
semble, non aux parties. Et cette révélation a été faite pour
amener les hommes à la foi qui sauve. Donc quiconque lit
l'Ecriture, dans de bonnes dispositions, entendra Dieu lui pro-
mettant le salut, prendra confiance et sera sauvé. Vaine tenta-
tive. peut-on dire ; car, malgré des efforts pour sauvegarder
quelque chose en face des critiques entreprenants, au fond ils
lâchent tout, puisqu'en définitive ils abandonnent l'homme à
sa propre expérience subjective et au prétendu témoignage du
Saint-Esprit. Aussi leur position est-elle précaire. La science
théologique manque de tout fondement dogmatique et ne se
trouve plus réduite qu'à des recherches critiques, historiques,
exégétiques ; elle n'est plus qu'un système de propositions qui
expose l'expérience religieuse actuelle de telle ou telle person-
nalité, système forcément variable comme l'expérience elle-
même, fait d'incertitude et d'instabilité.
Aussi les orthodoxes ont-ils beau jeu contre l'attitude d'équi-
libre instable des conservateurs. Et, en présence de l'audace
des critiques, ils ne peuvent que récriminer, se plaindre et se
lamenter. Les seuls logiques, pourtant, ce sont les critiques :
ils tirent chaque jour davantage, et rigoureusement, les con-
séquences du principe protestant. C'est donc contre le prin-
cipe lui-même qu'il faudrait s'en prendre. Et à s'en tenir à ce
principe faux, la logique, encore une fois, n'est pas du côté
des orthodoxes. Aussi professeurs et pasteurs prennent-ils
l'attitude scandalisée des orthodoxes comme une preuve de
peu de foi ou plutôt comme un signe du peu d'intelligence
qu'ils ont du principe protestant, qui est la liberté des enfants
de Dieu. Une belle liberté, comme on voit, puisqu'elle est
essentiellement destructrice.
t. Dèslafîn du xvie siècle, Whitaker.'dans snDisputatio, Cam-
bridge, i588, et son Pro authoritate, Cambridge, 1&94, soutient
que c'est au seul témoignage interne du Saint-Esprit qu'on
ui it de reconnaître l'origine divine de l'Ecriture et non à
celui de l'Eglise.
200 LE CATECHISME ROMAIN
tôt (i) la tradition est rompue ; on commence par
abandonner l'inspiration verbale sans toutefois en-
traîner encore l'opinion. Ce n'est que vers le milieu
du xixe siècle qu'on attaque le concept primitif de
l'inspiration comme une théorie sans fondement,
attendu que l'Ecriture n'est exempte ni de défauts,
ni d'erreurs (2). Et naguère M. W. Sanday a essayé
de concilier les deux concepts de l'inspiration, le
concept traditionnel et le nouveau concept de la
critique (3). Actuellement, à part quelques anglicans,
1. Par exemple, grâce à Witby ; cf. Manning, The tempo-
ral Mission of the Holy Ghost, Londres, 18G6, p. i3i sq.
— a. L'incident Wilson et Williams montre les progrès du
rationalisme biblique. Ces deux docteurs furent condamnés
par le tribunal ecclésiastique, The Court of Arches, en 1862 ;
sur appel au Conseil privé, The privey Council, leur opinion
fut jugée non contraire à la doctrine de l'Eglise anglicane. En
1889, Gore, dans sa Lux mundi, rejette l'inspiration réelle et
n'admet que l'inspiration personnelle. — 3. D'après le con-
cept traditionnel, toute sentence de l'Ecriture est parole
de Dieu et vérité infaillible ; mais la méthode critique
demande aux livres eux-mêmes le mode et le degré de
leur inspiration. Les prophètes, organes de la religion vraie
et pure et conscients de leur mission surnaturelle, montrent
très bien en quoi consiste l'inspiration ; les psalmistes et les
auteurs des livres sapientiaux marchent près des prophètes ;
mais les autres ? La pureté et l'intensité du sentiment religieux
diffèrent. Il y a comme une échelle dans l'inspiration : au
sommet, les prophéties et beaucoup de psaumes ; au milieu,
l'Ecclésiastique par exemple ; et en bas, Esther ; c'est-à-dire
des livres pleinement inspirés, ou semi-inspirés, ou a peine
inspirés. Quant aux livres historiques, ils sont à juger comme
tout autre livre d'histoire. L'Ecriture n'est pas absolument
parfaite. Donc pas d'inspiration verbale, rien que l'inspiration
personnelle. L'Ecriture n'est pas simplement la parole de
Dieu, elle est la parole de Dieu exprimée par la parole hu-
maine. Même dans chaque livre, les degrés d'inspiration dif-
fèrent, car tantôt c'est l'élément divin qui prédomine, et tan-
tôt c'est l'élément humain. L'inerrance absolue n'appartient à
aucune partie de l'Ecriture : mais à chaque partie il faut
attribuer l'autorité qui lui convient, en tant qu'elle est utile
RATIONALISME BIBLIQUE EN FRANCE 201
dont le nombre va sans cesse diminuant de jour en
jour, la plupart ne se préoccupent plus guère de la
question et s'abandonnent totalement au mouve-
ment rationaliste.
6. Le rationalisme biblique en France. — Sur cette
question de l'inspiration, le calvinisme, en France, a
suivi les mêmes phases que le luthéranisme. Du
principe de Calvin que l'Ecriture est l'unique et
suffisante règle de la doctrine religieuse, les calvi-
nistes sont passés peu à peu à une théorie très
étroite de l'inspiration, puis, par réaction, à la
négation de toute vraie inspiration (i). Aux débuts,
on exagéra la doctrine de Calvin et l'idée d'inspi-
piration jusqu'à réduire les écrivains sacrés au
simple rôle de secrétaires ou de scribes. Puis, on
miligea ce qu'une telle théorie avait d'excessif ;
finalement, quelques-uns la rejetèrent dès le
xvne siècle. Au xvin0, grâce à l'influence du ratio-
nalisme allemand, l'abandon de l'idée calviniste fut
général. Au xixe, on tomba en plein latitudina-
risme, malgré quelques tentatives de réaction (2),
qui restèrent vaines. La faillite était faite : on ne
remonte pas, en effet, un tel courant quand tous les
principes internes mis en avant le précipitent et
quand il est du reste la conséquence naturelle et
logique du principe posé dès la première heure (3).
au salut ; le reste regarde la critique. Inspiration, Londres,
1901.
1. C'est ce qu'a décrit le protestant Rabaud, dans son
Histoire de la doctrine de i 'inspiration, Paris, i883. — 2. C'est
L. Gausscn qui essaya de sonner le réveil, dans sa Théop-
neustie oa pleine inspiration des Ecritures. Paris, i84o. —
3. À. Monod regardait l'Ecriture beaucoup moins comme
une règle de foi et de doctrine que comme une règle de vie et
de mœurs. Dieu parle en elle par des hommes à des hommes ;
et partout elle porte la trace de l'infirmité et de l'ignorance
humaine? ; toutefois, elle reste le livre unique pour sanctifier
202 LE CATECHISME ROMAIN
IÇÎ,
Inutilement E. de Pressensé a essayé de trouver un
moyen terme de conciliation entre la vieille ortho-
doxie et le rationalisme récent. Les efforts de la
faculté de théologie protestante de Montauban sont
impuissants à arrêter le mouvement rationaliste de
la Revue de Strasbourg et de la faculté de Paris. Le
nombre des orthodoxes conservateurs diminue,
celui des critiques indépendants augmente ; les cal-
vinistes libéraux ont rejoint les critiques allemands.
MM. Ménégoz et Sabatier pensent et parlent, à quel-
ques nuances près, comme M. Harnack. Plus d'au-
torité spirituelle : la foi l'exclut ; accepter celle du
Pape ou celle de l'Ecriture serait judaïser; la révéla-
tion n'est que la communication intime entre Dieu
et l'homme, qui fait que Dieu est vu et senti par
l'homme; l'Ecriture n'est qu'une œuvre humaine (i).
l'homme ; Adieux à ses amis et à l'Eglise, Paris, i855, 1859.
Tandis que A. Monod restreignait l'inspiration par des motifs
tirés du piétisme, Goquerel la restreignit par rationalisme ;
Le christianisme expérimental, Paris, 1866. E. Schérer, La cri-
tique et la foi, Paris, i85o, expliquait pourquoi il avait quitté
Genève et le professorat en face des principes rigides sur l'au-
torité de la Bible que rien, disait-il, ne justifiait dans le calvi-
nisme. Contre E. Schérer, de Gasparin reprit la thèse de
Gaussen, La Bible, Les écoles du doute et les écoles de la foi,
Genève, i85o. Il formule ainsi sa pensée : Nier ou limiter l'ins-
piration, c'est ruiner toute l'autorité de l'Ecriture, c'est ruiner
la religion elle-même. Donc, sans pleine théopneustie, pas de
salut.
1. D'après Rabaud, Hist. de la doctrine de V inspiration, p.
34o-34i, « l'inspiration est un phénomène moral. Toute parole
qui élève et purifie, tout exemple qui réveille en nous les ger-
mes endormis delà spiritualité, toute impression qui ranime
le sentiment de notre grandeur native et de notre dignité
originelle, toute voix éclatante ou intime qui nous secoue par
le frisson divin lui servent de canal et d'organe. » — D'après
Pécaut, Le Christ et la conscience, p. 87, « l'action de Dieu
ne s'est pas exercée sur l'esprit des auteurs sacrés en dehors
des lois naturelles, ni autrement qu'elle ne s'exerce en tout
L INSPIRATION CHEZ LES CATHOLIQUES 203
2° Chez les catholiques. — i. A l'époque du
concile de Trente, les catholiques, d'accord avec
l'enseignement traditionnel, étaient unanimes à
admettre le fait de l'inspiration et de l'origine
divine de l'Ecriture. Ils chantaient, à la messe, le
Qui locutus est per Prophetas du symbole de Cons-
tantinople ; ils connaissaient la profession de foi
imposée par le IVe concile de Carthnge, puis par
toute l'Eglise, aux évêques nouvellement promus,
que « le même Dieu et Seigneur tout-puissant est
l'unique auteur du Nouveau et de l'Ancien Testa-
ment, de la Loi et des Prophètes et des Apôtres ; »
ils avaient appris du concile de Florence que la
raison de l'origine divine des saints Livres, c'est
l'inspiration des écrivains sacrés, auteurs secondai-
res de la Bible. Sans définir formellement l'inspira-
tion, que les protestants d'alors ne niaient pas, le
concile de Trente avait déclaré nommément quels
étaient les livres inspirés. Mais bien des questions
se posaient encore ; bien des problèmes allaient
être agités ; ni la nature intime, ni l'extention
exacte de l'inspiration n'avaient été déterminées
d'une manière précise. De là, parmi les catholiques,
une double tendance dans l'interprétation des
décrets du concile : les uns les expliquaient d'une
façon rigide, les autres largement.
Melchior Gano admet la complète inerrance de
l'Ecriture, mais il ne détermine pas distinctement
homme. Leur supériorité religieuse a la même cause que la
supériorité du poète, de l'orateur, du philosophe, de l'homme
de génie. » — D'après Sabatier, Esquisse, p. ioo, « l'inspira-
tion religieuse n'est pas psychologiquement différente de Fins-
piration poétique. Elle offre sans doute le même mystère,
mais n'implique pas plus le miracle... La raison intérieure de
cette inspiration ne se trouve pas ailleurs que dans la piété '
commune à tous les hommes religieux ; elle n'en diffère
point par nature, mais seulement par l'intensité et l'énergie. »
204 LE CATÉCHISME ROMAIN
les éléments constitutifs de l'inspiration. Bancs
se prononce pour l'inspiration verbale, sans con-
damner cependant ceux qui ne l'acceptent pas ;
et quant à la nature de l'inspiration, il l'expli-
que d'après le système thomiste de la prédétermi-
nation physique. C'est aussi l'explication de Bil-
luart, qui regarde comme simplement plus probable
l'inspiration verbale.
2. Opinions contestables. — D'après Lessius, « un
livre écrit avec les seules ressources humaines, sans
l'assistance du Saint-Esprit, devient Ecriture sainte,
si le Saint-Esprit témoigne subséquemment qu'il
ne s'y trouve rien de faux. » Cette proposition fut
censurée par les facultés de théologie de Louvain et
de Douai. Au concile du Vatican, Mgr Gasser,
rapporteur de la députation de la foi, a fait obser-
ver que Lessius traitait une simple question de pos-
sibilité, et qu'il supposait une certaine motion
divine, qui aurait porté l'écrivain à écrire, et une
révélation subséquente que le livre profane ne ren-
fermait pas d'erreur. En tout cas, un tel livre, ainsi
garanti par le Saint-Esprit, aurait sans doute une
autorité divine, mais il n'aurait pas Dieu pour au-
teur, il ne serait pas inspiré au sens propre du mot.
Bonfrère distinguait plusieurs modes d'inspira-
tion ; la troisième, qu'il appelle V inspiration subsé-
quente, consistait dans l'approbation du Saint-
Esprit en faveur d'un livre, composé sans une
assistance divine spéciale ; et tel n'est pas le cas,
dit-il, des livres actuels de la Bible. Ce n'est donc
qu'une hypothèse, laquelle, du reste, pourrait bien
donner à ce livre une autorité divine, mais ne ferait
pas qu'il eût Dieu pour auteur, comme le requiert
la notion d'inspiration (i).
i. In totam Scrip.Sacr.prœloquia, c. vin, s. vu, dans le Cours
de Migne, 1. 1, col. i4i.
l'inspiration chez les CATHOLIQUES 205
3. Opinions erronées. — À côte de ces opinions
contestables parce qu'elles ne rendent pas pleine-
ment compte de l'inspiration, d'antres ont été émi-
ses qui sont erronées parce qu'elles ne Aront à rien
moins qu'à nier l'inspiration proprement dite. Sixte
de Sienne (i) se préoccupe peu de l'opinion des
Juifs sur l'inspiration des livres des ^'achabées,
du moment que l'Eglise les a inscrits au canon.
« Ils ne perdraient rien, dit-il, de la créance qui
leur est due, quand même ils auraient été écrits par
un auteur profane ; car cette créance leur est due,
non à cause de l'auteur, mais à cause de l'autorité
de l'Eglise catholique, et les choses que celle-ci a
admises s'imposent comme vraies et indubitables, •
quel que soit l'auteur qui les a dites ; je n'oserais
affirmer si c'est ici un auteur sacré ou un auteur
profane. » Au xix° siècle, Haneberg (2) a entendu
l'inspiration subséquente, non plus comme une
approbation du Saint-Esprit, mais comme la cano-
nisation officielle par l'Eglise d'un livre profane.
C'est confondre deux choses distinctes, l'inspira-
tion et la canonicité. L'Eglise, en canonisant un
livre, ne change pas sa nature ; elle ne saurait faire
qu'un livre humain soit divin ; elle constate que
tel livre est inspiré et l'introduit en conséquence
dans le canon.
D'autre part, le fait seul, pour un livre, de ren-
fermer la révélation sans mélange d'erreur ne
suffit pas à le rendre « sacré et canonique. » A. ce
compte, nos catéchismes et nos recueils de défini-
tions conciliaires seraient des livres inspirés. Telle
est pourtant la conclusion qui se dégage de l'opi-
nion de ceux qui réduisent l'inspiration à une
1. Bibliotheca sancta, Venise, i566, 1. vin, haer 12, p. io46-
1047. — a. Histoire de la révélation biblique, trad. franc., Paris,
1806, t. 11, p. 469.
2o6 LE CATÉCHISME ROMAIN
assistance négative du Saint-Esprit préservant l'écri-
vain de toute erreur. C'était la pensée de Jahn (i)
qu'une telle assistance suffit pour assurer à un
livre une autorité divine, et qu'on l'appelle im-
proprement inspiration ; mais c'était assimiler à
tort les Livres saints avec les définitions ponti-
ficales et conciliaires, qui sont infaillibles à cause
de l'assistance divine, et méconnaître que l'ins-
piration implique un secours positif, dont la na-
ture reste à déterminer. Cette détermination a été
l'œuvre du concile du Vatican et du pape Léon XIII ;
nous devons dire dans quelle mesure (2).
IL Nature de l'inspiration
1. Définition de l'inspiration. — Le concile du
Yatican a défini l'inspiration des Livres saints z
« Anathème à qui ne recevrait pas pour sacrés et
canoniques les livres de la sainte Ecriture... ou
nierait qu'ils sont divinement inspirés (3). » Cette
définition n'a pas lieu de surprendre, quand on se
rappelle le sentiment des juifs vis-à-vis de leurs
Livres sacrés et la croyance traditionnelle de l'E-
glise sur les livres de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament.
Pour les juifs, en effet, tout Livre sacré, quel
qu'en fût l'objet, était traité de prophétique ; tout
hagiographe était appelé prophète. Un propète était
l'envoyé de Dieu pour communiquer des ordres
divins au peuple d'Israël ; c'était donc un homme
1. Introductio in libros V. T., a* édit. 181 4, pars ia, § 19. — *
3. "Voir, au commencement de ce volume, comment Pie X»
dans son Encyclique du huit septembre 1907, qualifie la théo-
rie des « modernistes » sur l'origine et la nature des Livres
saints, et sur la nature de l'inspiration. — 3. Const. Dei Filiu$*
C 11, can. 4*
FAUSSES NOTIONS CONDAMNEES 20"J
m «i ■ i
mû par Dieu pour parler au nom de Dieu ; il rece-
vait dans sa volonté et son intelligence la motion
surnaturelle qui le faisait un instrument vivant de
Dieu. Et comme Dieu parlait par le prophète, ne
pas écouter le prophète c'était se révolter contre
Dieu. Sous l'influx divin, le prophète n'était pas
nécessairement privé de l'usage de (ses sens, encore
moins de celui de sa raison. Il savait ce qu'il fai-
sait, ce qu'il disait ; conscient de son infirmité, il
l'alléguait parfois et cherchait à se soustraire à sa
difficile mission ; il se plaignait mêmejde l'inutilité
de sa parole. Il ne parlait pas en son propre nom,
mais il disait au nom de Dieu les paroles de Dieu,
D'où l'on peut conclure que s'il écrivait, c'était de
même au nom de Dieu. Dieu, du reste, lui en
donnait parfois le commandement formel. Son livre
portait la garantie divine ; il était tenu pour sacré.
Les auteurs du Nouveau Testament, nous l'avons
tu, font appel à l'Ancien comme à la parole de
Dieu : c'était là un argument sans réplique, pleine-
ment autorisé, infaillible. Les Pères ne cessent d'in-
sister sur le fait de l'inspiration des Livres saints
qui leur assure une irréfragable autorité. Ils quali-
fient de divine la sainte Ecriture ; d'une manière
générale, ils s'inquiètent peu du rédacteur humain
4es livres, du moment qu'ils estiment que Dieu eu
est l'auteur. Dieu est l'auteur de l'Ecriture, tout est là.
2. Fausses notions condamnées. — Le con-
cile du Vatican n'a donc fait que définir une
croyance depuis longtemps explicite. Mais, en même
temps, il a déterminé dans une certaine mesure le$
conditions requises pour l'inspiration, et du même
coup il a condamné quelques notions erronées de
l'inspiration. Parlant, en effet, des livres de l'An-
cien et du Nouveau Testament, et rappellant le
2o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
décret du concile de Trente qui les concerne, il
dit: « Ces livres, l'Eglise les tient pour sacrés et
canoniques, non point parce que, après avoir été
composés par le seul art de l'homme, ils ont été
ensuite approuvés par l'autorité de l'Eglise, ni pour
ce seul motif qu'ils renferment la révélation sans
erreur, mais parce que, écrits sous l'inspiration du
Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur et ont été
confiés comme tels à l'Eglise elle-même (i). »
On le voit, le fait seul pour un livre d'être
approuvé par l'Eglise, ou de contenir la révélation
sans mélange d'erreur, ne constitue pas l'inspira-
tion ; un livre inspiré doit avoir été écrit sous l'in-
fluence de l'Esprit-Saint ou avoir Dieu pour au-
teur ; il faut aussi qu'il ait été confié comme tel à
l'Eglise. Il s'agit ici d'un fait d'ordre public, qui
intéresse le genre humain, et sur l'existence duquel
ne doit planer l'ombre d'aucun doute. Il ne suffit
donc pas que Dieu ait inspiré les écrivains sacrés,
qu'il soit l'auteur principal de leurs écrits, il faut
encore qu'il l'ait manifesté par des preuves irré-
cusables et publiques, et qu'il ait placé cette ins-
piration parmi les vérités, dont l'Eglise a reçu le
dépôt et qu'elle a été chargée de nous enseigner.
En conséquence, les opinions de Sixte de Sienne,
de Haneberg et de Jahn sont condamnées par le
concile comme des erreurs en matière d'inspiration
biblique ; et il ne reste plus qu'à chercher ce qu'il
faut entendre par ces mots : Dieu est l'auteur de
l'Ecriture, car le concile ne l'a pas déterminé. Il y
a tant de manières, en effet, d'interpréter cette ex-
pression, et d'autant plus délicates qu'il convient
de sauvegarder en même' temps et de qualifier le
rôle de l'écrivain sacré.
1. Const. Dei Films, ç. n, $ 3.
PRÉCISIONS DE LÉON XIII 20g
3. Précisions de Léon XIII. — Nous devons
du moins à Léon XIII de précieuses indications à
ce sujet. Il précise quelques points, relatifs à l'ac-
tion de Dieu et à la coopération de l'homme, qui
vont nous servir à élucider autant que possible la
notion d'inspiration. Voici, en effet, comment il
s'exprime dans la seconde partie de son encyclique
Provkientis su nus : « On ne doit donc presque en
rien se préoccuper de ce que l'Esprit-Saint ait pris
des hommes comme des instruments pour écrire,
comme si quelque opinion fausse pouvait être
émise, non pas certes par le premier auteur, mais
par les écrivains sacrés. En effet, lui-même les a,
par sa vertu, excités à écrire, lui-même les a assis-
tés tandis qu'ils écrivaient, de telle sorte qu'ils
concevaient exactement, qu'ils voulaient rapporter
fidèlement et qu'ils exprimaient avec une vérité in-
faillible tout ce qu'il leur ordonnait et seulement
ce qu'il leur ordonnait d'écrire ; sans quoi il ne
serait pas Lui-même l'auteur de toute l'Ecriture. »
l\. Question à résoudre. — D'après l'étude his-
torique du dogme de l'inspiration, il est permis de
constater que dans les Livres saints, une part, la
part prépondérante, appartient à Dieu, et qu'une
part, la part secondaire, revient à l'homme ; que
l'action de Dieu est à la fois une motion qui
« pousse » l'écrivain sacré, une illumination qui
« l'éclairé, » une direction et une assistance qui
l'empêche d'errer, une influence qui le fait « parler »
ou écrire ; que l'homme, comme un instrument
sous les doigts d'un artiste, a prêté à Dieu un con-
cours passif et actif, bien que secondaire et subor-
donné, pour écrire ; et que par suite l'Ecriture est,
dans de différentes proportions, le résultat combiné
et harmonieux de l'action de l'homme, son auteur
LB CATBCHISMB. — T. III. 14
210 LE CATECHISME ROMAIN
secondaire et instrumental. Mais, grâce aux préci-
sions apportées par l'encyclique Providentissimus , on
peut se faire, sémble-t-il, une idée moins imparfaite
encore de la nature de l'inspiration, en cherchant à
expliquer la relation intime qui existe entre l'Esprit-
Saint, auteur principal, et l'écrivain sacré, auteur
secondaire, et en cherchant aussi à déterminer,
dans la mesure du possible, la part de Dieu et celle
de l'homme. La question à résoudre est des plus
délicates et des plus difficiles.
1° L'action de Dieu dans l'inspiration
1. Observations préliminaires. — i. Ce que
l'inspiration n'est pas — L'inspiration biblique n'est
pas la préservation de l'erreur ; l'assistance confère
l'infaillibilité, elle ne constitue pas l'inspiration.
Les papes et les conciles généraux sont infaillibles
dans leurs définitions, à cause de l'assistance divine,
ils ne sont pas par là même inspirés. — Ni l'appro-
bation subséquente de Dieu ni celle de l'Eglise ne
font qu'un livre soit d'origine divine ; l'approbation
n'est pas l'inspiration. — L'inspiration personnelle,
dont parlent à tout propos les protestants d'aujour-
d'hui, c'est-à-dire le mouvement religieux qui ferait
ressembler l'écrivain sacré à un poète, à un artiste,
et qui, partant d'une inspiration intime, inspire à
son tour un mouvement religieux semblable chez
le lecteur, cette inspiration personnelle n'a rien à
voir avec l'inspiration biblique : un livre n'est pas
inspiré, au sens biblique du mot, parce qu'il inspire,
mais parce qu'il a Dieu pour auteur. Sans quoi les
Confessions de saint Augustin et Y Imitation seraient
des livres inspirés.
2. Révélation et inspiration, — D'une part, la ré-
vélation proprement dite n'appartient pas au con-
ACTION DE DIEU DANS L INSPIRATION 211
■^— y — ■!■ — ■■ ■ — ■ i i ■ m
cept formel de l'inspiration ; et, d'autre part, tout
ce qui est inspiré est révélé. Qu'entendre exacte-
ment par là ? Il importe de distinguer et de préciser.
La révélation proprement dite est la notification
faite par Dieu à l'homme des vérités que l'homme
ne connaît pas. Si Dieu communique une lumière
surnaturelle à l'homme pour qu'il puisse se servir
d'une manière déterminée de ce qu'il sait déjà, c'est
une révélation au sens large, ou la suggestion.
Quand Dieu meut un homme à proposer aux autres
hommes, au nom et par l'autorité de Dieu, une
doctrine, que cette doctrine lui soit révélée ou sim-
plement suggérée, il y a révélation publique.
Or, il est certain que tous les écrivains sacrés
n'ont pas reçu une révélation proprement dite, car
il en est qui indiquent les sources où ils ont puisé.
Même quand ils ont eu à écrire des choses révélées,
il a pu se faire qu'ils aient rapporté des vérités ré-
vélées, déjà connues par ailleurs, comme le prouve
l'exemple de saint Luc ; Jérémie et saint Jean, au
contraire consignent par écrit ce qui leur a été ré-
vélé à eux-mêmes. C'est donc que la révélation
proprement dite ne fait pas partie du concept for-
mel de l'inspiration.
On comprend dès lors dans quel sens on peut
dire que tout ce qui est inspiré est révélé ; la parole
de Dieu, consignée par l'écrivain sacré, qu'elle soit
pour l'écrivain lui-même une révélation ou une
suggestion peu importe, devient une révélation
pour ceux à qui elle s'adresse ; et c'est dans ce sens
que tout ce qui est inspiré est révélé.
3. L'inspiration n est pas la révélation. — L'auleur
sacré peut consigner par écrit ce qu'il sait déjà, que
cela ait été révélé par Dieu ou qu'il l'ait acquis par ses
moyens naturels, mais dans tous les cas la connais-
sance de ce qu'il doit écrire a au moins une prio-
212 LE CATECHISME ROMAIN
rite de raison sur l'inspiration. Si la révélation
stricte constituait l'inspiration, l'hagiographe ne
serait pas inspiré quand il écrit ce qu'il sait na-
turellement. Or, c'est toute l'Ecriture, avec toutes
ses parties, qui est inspirée. C'est donc encore une
fois que l'inspiration n'est pas la révélation.
Rien n'empêche qu'un écrivain soit inspiré pour
écrire ce qu'il connaît déjà ou ce que d'autres ont
connu et écrit par des moyens purement naturels ;
il suffit que Dieu veuille utiliser ces connaissances
pour le bien des autres et qu'il les fasse écrire en
son nom pour les livrer à l'Eglise comme parole
divine ; dans ce cas, la vérité qui jusque là n'était
connue que humano modo devient objet de foi di-
vine pour le lecteur.
Quant aux vérités surnaturelles et non connues de
l'écrivain sacré, leur notification ou révélation doit
précéder l'inspiration dans l'esprit de l'hagiogra-
phe. Par contre, l'inspiration elle-même n'est con-
nue que par une révélation ; c'est à Dieu de révéler
ce fait surnaturel, et c'est à l'Eglise de nous garan-
tir que Dieu l'a vraiment révélé.
4. L'inspiration est une grâce gratis data. — Toute
œuvre de Dieu ad extra est commune aux trois per-
sonnes divines (1); cependant, par appropriation,
tout ce qui appartient à l'ordre de la grâce en géné-
ral, et particulièrement l'inspiration, est attribué
au Saint-Esprit. L'inspiration, requérant l'intermé-
diaire d'un agent intelligent et libre, rentre dans le
genre du concours divin ; mais c'est un concours
spécial, distinct de celui que Dieu accorde à toute
créature pour agir naturellement, extraordinaire,
surnaturel ; c'est une grâce destinée, non à sancti-
fier, mais à pousser celui qui la reçoit vers ce but
1. Voir t. 11, p. 18.
ACTION DE DIEU DANS l'iNSPIRaTION 2l3
très spécial, qui est la rédaction ou la composition
d'un livre, voulu de Dieu dans l'intérêt surnaturel
du genre humain ; c'est une grâce gratis data, effi-
cace de sa nature, ne rendant pas seulement l'écri-
vain sacré apte à écrire, mais le déterminant sûre-
ment à écrire librement, élevant ses facultés et son
action à une collaboration divine pour lui faire
écrire tout ce que Dieu veut et rien que ce que
Dieu veut.
5. Motion et assistance. — La psychologie de l'ins-
piration est en germe dans l'encyclique Providentis-
simus. Dieu, dit Léon XIII, par sa vertu surnatu-
relle, a excité les auteurs sacrés à écrire ; il les a
assistés pendant qu'ils écrivaient, de sorte qu'ils
ont conçu exactement, qu'ils ont voulu rapporter
fidèlement et qu'ils ont exprimé avec une vérité
infaillible tout ce qu'il leur ordonnait et seulement
ce qu'il leur ordonnait d'écrire. Motion prévenante,
assistance continue, voilà ce que le pape requiert
pour que Dieu soit vraiment l'auteur de l'Ecriture.
De son côté, le cardinal Manning formulait ainsi sa
pensée : « L'inspiration comprend les trois opéra-
tions suivantes du Saint-Esprit sur l'écrivain sacré:
l'inspiration qui le porte à écrire les vérités que
Dieu veut nous faire connaître ; la suggestion des
choses qui doivent être écrites, soit en lui révélant
celles qu'il ignore, soit en lui présentant ou lui in-
diquant celles qu'il connaît déjà ; l'assistance qui la
préserve de toute erreur et lui fait rapporter exacte-
ment tout ce dont le Saint-Esprit veut nous ins-
truire (i). » Avec ces données, essayons de dire
comment l'action de Dieu agit sur l'homme pour
la composition d'un livre inspiré.
i. Temporal mission of the Holy Ghosl, trad. frac., Paris,
18G7, p. 161.
2l/| LE CATECHISME ROMAIN
■ *
II. Influence de l'inspiration sur l'intelli-
gence. — i. Le Saint-Esprit, ayant choisi pour
faire composer tel livre sacré des instruments intel-
ligents, agit nécessairement sur leur intelligence,
avec et par elle. Mais comment? Evidemment par
révélation, dans le cas où l'écrivain sacré ignore
totalement ce qu'il a à écrire. Mais dans le cas où
il connaît de science naturelle et acquise ce que
Dieu entend faire entrer dans le Livre sacré? Ici, la
révélation est inutile, l'auteur est en possession dçs
vérités qu'il doit écrire. Mais quelle est alors l'ac-
tion exigée de la part du Saint-Esprit pour que ces
vérités soient consignées dans le livre inspiré par sa
volonté et soient sa propre pensée ? Les théologiens
l'expliquent diversement. Jadis, les uns réclamaient
une révélation indirecte ou une suggestion; d'au-
tres se contentaient d'une direction ou assistance
spéciale et positive dans le choix des matériaux et
leur mise en œuvre ; d'autres, d'une simple assis-
tance négative, préservant de toute erreur dans
l'exposé fidèle des faits connus et dans la rédaction
<Ie leurs récits (i). Aujourd'hui, il n'y a plus que
deux sentiments en présence.
2. D'après les uns (2), pour ce qui est naturelle-
ment connaissable ou connu par l'expérience, la
raison, la tradition et l'histoire, l'action divine sur
l'intelligence est une simple direction qui aide à
choisir, suggère s'il le faut, mais laisse à l'écrivain
la disposition des faits et des pensées, ainsi que la«
mise en scène et le langage des personnages. L'écri-
1. Cf. Dausch, Die Schriftinspiration, p. 146-174. — a. Pescb»
Praelect, theolog., Fribourg-en-Brisgau, 1894, t. 1, p. 3a4;
Lévesque, Essai sur la nature de V inspiration, dans la Revue
des Facultés cath. de l'Ouest, décembre i8g5, p. 208-211 ;
Calmes, Qu'est-ce que l'Ecriture sainte? Paris, 1889, p. 33-4i ;
Bévue biblique, t. iy, 1895, p. 4ai-4aa ; t. vi, 1887, p. 3a4-3a6»
INFLUENCE DE i/lNSPIRATlON SUR ININTELLIGENCE 2l5
vain est en quelque sorte prêt ; l'Èsprit-Saint n'a
qu'à le mettre en branle dans le sens qu'il veut.
L'écrivain travaille alors comme s'il était laissé à
ses propres forces; il conçoit, il ordonne, il élabore
son ouvrage, et, grâce à la direction divine, il réa-
lise précisément ce que Dieu a voulu. L'action ins-
piratrice s'exerce sur l'intelligence ; mais, au lieu
de précéder la motion à écrire, elle en est plutôt le
résultat, elle ne fait pas que l'auteur inspiré con-
naisse mieux qu'avant ce qu'il doit écrire, mais elle
fait qu'il connaît mieux l'opportunité de l'écrire.
Une telle manière de voir répond-elle bien à la con-
dition signalée par Léon XIII, ut recte mente conci-
perent? Nous ne le pensons pas (i).
3. D'après d'autres (2), l'action divine sur l'intel-
ligence serait une illumination, par laquelle le Saint-
Esprit présente à l'esprit de l'écrivain, comme sous
un jour nouveau et avec certitude divine les vérités
déjà connues de lui. Cette lumière, inondant l'es-
prit, réveille ses souvenirs, les met en relief et dési-
gne à son attention et à son choix ceux que Dieu
veut faire siens et introduire dans la trame du
livre. A cette clarté divine, l'auteur humain s'ingé-
nie et travaille : il consulte des sources, recueille des
documents, résume des ouvrages, fait œuvre d'écri-
vain par son choix intelligent et par un vif senti-
ment de l'opportunité de son choix. Et de la sorte,
c'est bien un livre qu'il nous donne, mais c'est
aussi et surtout le livre de Dieu, puisque c'est à
Dieu qu'il doit l'idée du livre et le choix des pensées
1. Cf. Chauvin, Encore l'inspiration biblique, dans La Science
catholique, mars 1900, p. 3oi-3i4 ; Mangenot, art. Inspiration,
dans le Dict. de la Bible, t. ni, col. 904. — a. Cf. Schmid, Dé
inspirationis Bibl. vi, p. 64-89 ; Chauvin, L'inspiration, p. 33*
46 ; Lagrange, L'inspiration, dans la Revue biblique, 1896, t. V»
p. 206-214, 488-493, 499-5o5 ; Mangenot, loc. cit., col. gô3.
2l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ' — — — ' ^ — — ^— —
qui le composent, grâce à l'action illuminatrice de
l'inspiration (i). C'est ainsi, croyons-nous, que s'ex-
plique ce que disent saint Luc et l'auteur du second
livre des Machabées. De son propre aveu, saint Luc
a puisé ce qu'il raconte dans ce qu'il a appris par
ouï-dire ; il s'est déterminé lui-même à écrire"; il a
tout disposé et ordonné, d'après sa manière de voir
personnelle (2) L'historien des Machabées s'est
décidé lui-même à prendre la plume, il s'en est
rapporté à des sources profanes, il a fait œuvre de
critique sur les livres de Jktson (3). El pourtant, les
deux auteurs ont été inspirés l'un et l'autre ; l'ins-
1. « S'il s'agit de l'action de Dieu sur l'intelligence par l'ins-
piration, dans ce premier stade de la composition, elle consiste
à élever l'esprit de l'écrivain sacré de manière à ce qu'il juge
avec certitude de la vérité divine des objets présentés à son
esprit: rien de moins quant à la certitude, rien de plus quant
à la manière dont les objets lui sont d'abord connus. Il n'est
donc pas nécessaire d'admettre, ni que Dieu ait révélé, fourni,
suggéré une seule idée, ni que l'écrivain sacré sache que c'est
lui qui parle et donne à l'objet une certitude divine. Mais,
d'autre part, cette certitude divine existe dans son jugement,
et tout ce qu'il affirmera en vertu de cette lumière prendra
son infaillibilité dans la vérité divine elle-même; c'est Dieu qui
est la cause du jugement certainement vrai; c'est donc lui qui
l'a prononcé, c'est lui qui parle et qui enseigne... L'inspiration,
telle que saint Thomas l'entend, est incompatible avec l'erreur.
Si Dieu agit sur l'esprit, et si cette action n'est pas une révéla-
tion, ni même nécessairement une suggestion de choses con-
nues, ce doit donc être du moins une lumière pour mieux
connaître ; le jugement étant l'acte propre de la connaissance,
cette lumière doit faire produire un jugement vrai; cette
vérité, venant de Dieu, participe à la certitude divine, consti-
tue un enseignement divin pour celui qui la reçoit et pour
celui auquel elle est transmise ; un enseignement divin est
incompatible avec l'erreur, puisque Dieu ne peut ni se trom-
per, ni nous tromper. Toutes ces propositions s'enchaînent
sans effort. » Lagrange, L'inspiration, dans la Revue biblique,
1896, p. 210. — 2. Luc., 1, 1, 3. — 3. II Mach., 11, 24, 27 ;
*v, 3g.
INFLUENCE DE L INSPIRATION SUR LA VOLONTE 2IJ
piration ne leur a rien appris, mais son action illu-
minatrice a spécialement éclairé l'objet de leur
science et fortifié leur esprit, au point que ce qu'ils
ont écrit est bien ce que Dieu a voulu qu'ils écri-
vissent.
III. Influence de l'inspiration sur la volonté.
— i. L'inspiration est avant tout une motion sur la
volonté de l'écrivain pour le déterminer à écrire ;
c'est une motion anlécédente et prévenante. Dieu
en prend l'initiative, il touche, saisit, pénètre, suré-
lève et détermine infailliblement la volonté de celui
qu'il a choisi pour collaborateur en vue de l'acte
divin à produire ; tantôt par un ordre positif et
formel, le plus souvent par une invitation secrète
mais efficace, toujours avec plein succès. Et pour
que les saints de Dieu aient parlé, selon l'expression
catégorique de saint Pierre, sous Y impulsion du
Saint-Esprit, une simple motion morale n'aurait pas
suffi ; il y fallait une motion physique, « une de
ces touches irrésistibles et mystérieuses, par les-
quelles l'Esprit-Saint change à son gré, remue,
transforme les volontés humaines (i). »
2. Que l'ordre ait été formellement exprimé,
comme nous le savons pour certains cas, de l'aveu
même des auteurs inspirés, ou qu'il ait été plus ou
moins exprès et simplement intérieur, peu importe;
l'écrivain sacré n'a pu s'y soustraire et y a librement
répondu. Il n'est pas nécessaire du reste que l'ha-
giographe ait eu conscience de l'influence exercée
par le Saint-Esprit sur sa volonté, puisque cette
influence peut agir sans que celui qui la reçoit s'en
rende compte, et sans qu'elle soit, bien que mysté-
rieuse, efficacement triomphante. Il se peut même
i. Chauvin, L'inspiration, p. 29.
2l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
que l'écrivain s'en taise, mais ce n'est pas une
preuve qu'il ne s'en soit pas rendu compte, et il
nous est interdit de dire que cette conscience lui ait
fait défaut.
3. D'après le Souverain Pontife, cette motion
divine produit sur l'écrivain sacré la volonté d'écrire
fidèlement ce que Dieu lui a commandé d'écrire.
Le motif déterminant de sa résolution doit donc
être l'ordre divin perçu de quelque manière ; mais
ce motif n'est pas exclusif; il peut en exister d'au-
tres, extérieurs et naturels en soi, quoique surnatu-
rellement ordonnés de Dieu. Ainsi saint Luc a écrit
par amitié pour Théophile; saint Paul, pour répon-
dre aux questions qu'on lui posait ou aux nécessités
des églises ; saint Marc, au dire de Clément d'Alexan-
drie (1), pour satisfaire la piété des Romains. Ces
motifs ne les ont pas empêchés d'être poussés par
Dieu, et ont pu être eux-mêmes voulus de Dieu.
[\. Comment expliquer dès lors que les écrivains
sacrés soient restés libres sous l'action de Dieu?
C'est toujours la question du concours de la grâce
et de la liberté ; et à défaut d'une explication meil-
leure de ce mystère, il faut toujours en revenir à
celle de saint Thomas. La créature libre est mue,
déterminée par Dieu, selon sa nature propre, et donc
librement. L'inspiration n'est pas plus incompatible
que toute autre grâce efficace avec l'usage de la
liberté. On pourrait même dire que l'action libre de
l'homme, sous la motion efficace de l'inspiration,
n'en est que plus libre en devenant divine. Toujours
est-il qu'éclairé dans son intelligence, mû dans sa
volonté, l'écrivain inspiré réalise la volonté divine,
tout en gardant sa nature propre. Ce qu'il nous
transmet, c'est bien l'œuvre de Dieu ; mais c'est
i. Dans Eusèbe, llist. eccl., vi, i4; Pair, gr., t. xx, col. 55 1.
INFLUENCE SUR LA REDACTION 219
aussi, comme le dit le P. Lagrangc, sa chair et son
sang, le produit de ses réflexions et de ses veilles,
de ses informations et de ses labeurs, c'est l'éclosion
de son esprit et de son cœur ; c'est d'autant plus lui
que son intelligence était élevée et agrandie, et sa
volonté guidée par l'Esprit-Saint (i).
IV. Influence sur la rédaction ou assistance
continue. — i. L'écrivain sacré, par une motion
prévenante et efficace, est poussé à écrire ; par une
illumination de l'intelligence qui pénètre aussi
l'imagination, il voit ce qu'il doit écrire : l'idée et
le cadre du livre sont là devant lui ; il ne reste plus
qu'à traduire l'idée, qu'à remplir le cadre. Mais pen-
dant ce travail de composition et de rédaction,
l'Esprit-Saint ne l'abandonnera pas ; car il faut qu'il
conçoive exactement, qu'il veuille rapporter fidèle-
ment et qu'il exprime avec une vérité infaillible
tout ce que le Saint-Esprit lui prescrit d'écrire et
rien que cela. Donc point de négligences ou de
distractions qui altéreraient sa pensée ou trahiraient
sa volonté ; point d'infidélité à la motion et à Eillu-
mination reçues ; point de défaut ou d'inexactitude
dans les formules ou dans la rédaction. Il est failli-
ble, mais l'Esprit-Saint veille et l'assiste pour empê-
cher l'erreur de se glisser sous sa plume. L'assis-
tance divine garantit l'exécution de l'œuvre ; néga-
tive ou positive, elle écarte l'erreur et tout ce qui
serait de nature à altérer la pensée divine, tout en
se prêtant à l'état d'âme, au caractère, au tempéra-
ment, aux qualités du rédacteur et aux circonstances
parmi lesquelles il écrit ; toujours là, chaque fois
que l'écrivain inspiré se consacre à sa tâche, et jus-
qu'au moment où il a complètement achevé son
Uvre.
1. L'inspiration, loc. cit., p. a 18.
220 LE CATECHISME ROMAIN
2. Une telle assistance ressemble, si l'on veut, à
celle qui est assurée aux papes et aux conciles dans
les définitions dogmatiques, elle est de même
nature, mais en diffère. Car, pour les papes et les
conciles, l'assistance est purement négative et ne
fait que préserver de l'erreur ; elle ne s'applique
exclusivement qu'à la définition proprement dite ;
pour Técrivain sacré, au contraire, elle fait partie
de l'inspiration ; elle s'étend d'un bout à l'autre du
livre, ce qui implique une inerrance complète.
Papes et conciles ne sont infaillibles qu'en vertu
de Fassistance promise et dans des conditions
déterminées ; ils ne sont pas inspirés. Les auteurs
sacrés, au contraire, ne sont assistés dans la com-
position de leurs livres, et par suite infaillibles, que
parce qu'ils sont inspirés, et ils sont inspirés préci-
sément pour écrire leurs livres.
2° La part de l'homme dans l'inspiration
i. Ce que l'écrivain inspiré n'est pas. — Pour
être inspiré, l'écrivain sacré n'en reste pas moins
un homme, et n'en conserve pas moins sa person-
nalité distincte, sa nature et son activité propres.
L'inspiration ne supprime rien de ce qu'il a, de ce
qu'il est. Elle le respecte, le traite comme un ins-
trument animé, intelligent et libre, capable de vou-
loir et d'agir, de concevoir et de juger, de travailler
et d'écrire avec ses ressources naturelles. Elle ne le
réduit pas au rôle d'un simple scribe, à l'action
purement mécanique d'un copiste, à la condition
d'un canal de transmission, pas même au rôle d'un
secrétaire rédacteur sans la moindre initiative, et
qui n'a pour fonctions que de recevoir des indica-
tions et des ordres et de traduire ainsi la pensée exclu-
sive de son maître. L'Ecriture elle-même nous montre,
PART DE L HOMME DANS L INSPIRATION 221
en effet, que tel n'a pas été le cas de saint Luc, quand
il a composé son Evangile, ni ^elui de l'auteur du
second livre des Machabées. Ces deux auteurs,
manifestement, ont fait une œuvre très personnelle
et qui n*a pas été sans leur coûter beaucoup d'efforts.
Est-ce à dire, par analogie, qu'il en a été de même
de tous les écrivains inspirés ? Ceux-ci, sans aucun
doute, ne nous ont pas fait part du labeur person-
nel qu'ils ont apporté dans la rédaction de leurs
livres ; quelques-uns même ont semblé signifier
qu'ils n'étaient, au service du Saint-Esprit, que des
échos fidèles, des « scribes, » des « plumes. » Mais
il convient de ne pas trop presser le sens de ces
expressions, et on doit s'interdire de n'y voir qu'une
action exclusivement mécanique. Le Saint-Esprit
aurait pu utiliser ainsi des instruments humains,
mais il ne Ta pas fait ; il les a traités comme des
êtres intelligents et libres ; et en les appelant à
l'honneur d'une collaboration divine, il les a pris
pour ce qu'ils étaient. Et de même que la confidence
de saint Luc et de l'auteur du second livre des
Machabées ne nous autorise pas à exclure l'inter-
vention surnaturelle de Dieu, qui en fait des auteurs
inspirés, de même les expressions de quelques
autres écrivains sacrés nous interdisent de conclure
qu'ils n'ont apporté dans leur collaboration à l'œu-
vre divine qu'un concours purement mécanique.
N'oublions pas, en effet, que, selon l'expression
significative du concile du Vatican, reprise par
Léon XIII, les livres saints ont été, non pas scripti,
mais conscripti. Scripti est un terme qui pourrait
s'entendre soit de l'action d'un scribe, qui écrit sous
la dictée, soit de celle d'un secrétaire rédacteur qui
exprime avec une certaine liberté les pensées qu'on
lui indique. Conscripti, au contraire, ne peut signi-
fier autre chose ici, sinon que les Livres saints ont
22 2 LE CATECHISME ROMAIN
été composés, par les écrivains sacrés, sous l'inspi-
ration du Saint-Esprit. Quelle est donc la part réelle
qui revient à l'auteur inspiré ?
2. Part des écrivains sacrés dans la compo-
sition des Livres saints. — Pas plus que la grâce
ne détruit la nature, mais au contraire l'élève et la
perfectionne, le charisme de l'inspiration ne sup-
prime la personnalité de l'écrivain, mais au con-
traire élève et perfectionne ses facultés natives.
L'écrivain est pris par Dieu avec tout ce qu'il est,
avec tout ce qu'il a ; Dieu le destine à écrire un
livre sacré, sans détruire ou paralyser en rien sa
nature ; il la parfait plutôt par là même qu'il l'uti-
lise. Sous la motion divine, l'écrivain sacré pense,
médite, combine, prend la plume, trace son cadre,
écrit, tout comme s'il était livré à ses seules forces,
à son initiative personnelle et privée. Son activité
d'auteur n'est ni absorbée, ni anéantie ; elle se
déploie librement ; elle s'exerce d'après la loi com-
mune. Ses facultés conservent leur vitalité, leur
énergie propres ; elles agissent, chacune dans sa
sphère, conformément à leur nature. L'œuvre dès
lors ne pourra que porter l'empreinte caractéristi-
que de l'écrivain ; elle sera de lui, du commence-
ment à la fin, du premier au dernier mot ; elle sera
sienne, qu'il la signe ou non. Mais, en même temps,
grâce à l'inspiration, elle sera de Dieu, elle sera
divine.
Dans le phénomène complexe de l'inspiration, il
y a d'abord la motion divine qui pousse à écrire :
l'écrivain sacré s'y prête en toute liberté, car il
■ pourrait s'y soustraire, bien qu'en fait il lui obéisse.
Il y a Y illumination qui éclaire et met en relief
saisissant ce qui devra être consigné par écrit, et
qui en même temps pénètre et fortifie Fintelligence,
PART DE L'HOMME DANS L'INSPIRATION 2 23
de manière à lui faire prononcer un jugement en
connaissance de cause : L'écrivain sacré, sous cette
influence illuminatrice, voit mieux, distingue plus
nettement, pénètre plus à fond et saisit avec pkus
d'à propos ce qu'il convient de faire entrer dans la
trame du livre dont il a déjà conçu le projet. Il y a
enfin Vassistance divine durant le cours de la rédac-
tion et de la composition. Cette multiple interven-
tion divine, due à l'inspiration, fait que l'écrivain
sacré, comme dit Léon XIII, conçoit exactement,
veut rapporter fidèlement et exprime avec une vérité
infaillible tout ce que Dieu lui ordonne et seule-
ment ce qu'il lui ordonne d'écrire.
Mû ou poussé à écrire, assisté pour écrire, et ainsi
sous l'action inspiratrice du Saint-Esprit, que fait donc
l'écrivain sacré ? Il travaille personnellement : con-
sultation des sources, dépouillement des documents,
rassemblement des matériaux, classement des notes,
disposition des matières, il tire de son fond ou puise
ailleurs ; et peu à peu, sous l'effort de la réflexion,
il conçoit mentalement son livre, il le formule dans
son esprit, et cela d'autant mieux qu'il est sous l'ac-
tion prévenante et illuminatrice du Saint-Esprit.
Tout ce labeur procède de lui ; mais, parce qu'il est
par ailleurs tout pénétré de lumière surnaturelle, il
aboutit infailliblement à l'humaine conception des
pensées divines ; sa propre pensée se trouve être
exactement celle de Dieu, celle que le Saint-Esprit
veut lui faire écrire.
Il n'a plus qu'à la formuler extérieurement, qu'à
la consigner par écrit. Nouveau travail, labeur de
rédaction, tout à la fois personnel et divin comme
le précédent. Garanti contre l'erreur par l'assistance
du Saint-Esprit, l'écrivain sacré exprime sa pensée
qui est celle de Dieu. Le choix des mots d'après
leurs convenances, leur combinaison d'après les lois
224 LE CATÉCHISME ROMAIN
de la grammaire et de la syntaxe, les formules et le
style, tant qu'ils ne trahissent pas la pensée voulue
par Dieu et devenue la sienne, sont laissés, pourrait-
on dire, à sa propre initiative ; mais, pourtant, il
n'est pas seul, Dieu est toujours là avec l'inspira-
tion. L'auteur sacré écrira donc, comme s'il était
livré à lui-même, comme on écrit à son époque, de
manière à se faire comprendre de ses lecteurs ; et
dans cette expression écrite de sa pensée, dans le
livre sorti de sa plume, ce sera bien lui, person-
nellement, avec sa culture intellectuelle, son talent
dislinctif, son cachet caractéristique, qu'on lira ;
mais ce sera en même temps Dieu lui-même, Dieu
qui l'a inspiré.
3. Ce qu'est le Livre sacré. — De cette
manière, le Livre inspiré a pour auteur à la fois
Dieu et l'homme ; Dieu en est l'auteur principal,
l'homme l'auteur instrumental. C'est la formule
même de saint Thomas d'Aquin (i), connue aussi
l'application féconde et lumineuse de la notion qu'il
donne de la cause principale et de la cause instru-
mentale. « La cause efficiente, dit-il, se divise en
cause principale et cause instrumentale. La cause
principale est celle qui opère par la vertu de sa
forme à laquelle s'est assimilé l'effet ; c'est ainsi que
le feu, en vertu de sa chaleur, chauffe. La cause
instrumentale, elle, n'agit pas par la vertu de sa
forme, mais seulement par le mouvement dont la
méat l'agent principal (2). » Or « l'instrument a
deux actions : l'une, instrumentale, selon qu'il
opère, non en sa vertu propre, mais en vertu de l'agent
principal ; l'autre, propre, qui lui revient selon sa
propre forme, tout comme il convient à la scie de
1. Quodl.t vu, a. i4> ad. 5. — 2. Sum theol, III, q. lui, a. l«
PART DE L'HOMME DANS L'iNSPIRATION 225
scier, en raison de son acuité, et de faire un lit,
en tant qu'elle est l'instrument de l'artisan (i). » De ;
même dans l'inspiration. L'effet de l'inspiration est
l'écriture d'un livre ; cette écriture revient à Dieu
comme à son auteur principal qui a mu l'instru-
ment choisi, ou l'auteur sacré, en l'excitant, l'illu-
minant et l'assistant, c'est-à dire en l'inspirant ;
cette écriture revient aussi à l'hagiographe comme à
son auteur instrumental, parce que, sous la motion,
l'illumination et l'assistance divine, c'est-à-dire sous
l'action de l'inspiration, il a fait acte personnel de
volonté et d'intelligence dans la conception, la dis-
position et l'ordonnance des matières, dans la com-
position et la rédaction du livre. Et ainsi, dans le
livre écrit, tout est à Dieu, tout est de Dieu, mais
par l'homme ; tout est à l'homme, tout est de
l'homme, mais par Dieu ; totalement et intégrale-
ment, le livre est l'œuvre de Dieu ; totalement et
intégralement, le livre est de l'auteur inspiré : de
l'homme, comme de l'auteur instrumental; de Dieu,,
comme de l'auteur principal (2).
r
1. Ibid., a. 1, ad 2. — 2. Cf. Pègues, Une pensée de
saint Thomas sur l'inspiration seripturaire, dans la Revue
thomiste, 1890, p. 96-112. « La Bible, dit M. Loisy (Etudes
bibliques, Paris, 1901, p. 35), contient un élément divin
et un élément humain. Mais ces deux éléments se pénè-
trent l'un l'autre pour constituer une œuvre divino-hu-
maine dans laquelle on ne saurait faire deux parts, celle
de l'activité divine et celle de l'activité humaine. Ces deux
activités ont agi per modum unius, comme disent les scolasti-
ques. Le livre inspiré tout entier est tout à la fois l'œuvre de
Dieu et l'œuvre de l'homme : de Dieu comme auteur princi-
pal, de l'homme comme auteur subordonné à Dieu. Dire que
Dieu est l'auteur des idées; que l'homme est l'auteur des mots ;
que Dieu est l'auteur du fond et l'homme l'auteur de la
forme ; que Dieu est l'auteur des passages dogmatiques ou ,
moraux et que l'homme est l'auteur des passages historiques
ou simplement des obiter dicta : c'est, comme l'observe
LH CATÉCHISME. — T. III. I^
2 26 LE CATÉCHISME ROMAIN
1. Les auteurs des Livres saints : Dieu et
l'homme. — « Avec les conciles nous cherchons la
raison du caractère propre des Livres saints. Nous ne
prenons pas pour point de départ la formule dogmati-
que : Dieu est l'auteur des divers saints ; mais nous
devons tenir une notion de l'inspiration qui la renferme
nécessairement. L'objet de l'inspiration étant de faire
écrire des livres, Dieu choisit son instrument, le décide
d'écrire, puis par une lumière surnaturelle il élève son
intelligence de manière à causer en lui un jugement
infaillible sur les objets proposés à sa connaissance, soit
par suggestion, soit par voie naturelle, soit par révéla-
tion. Celte lumière divine lui fait connaître également
son objet comme opportun à consigner dans son livre,
et l'éclairé sur l'expression convenable de la vérité. Après
le jugement pratique, la volonté est inclinée par Dieu
d'une manière proportionnelle ; cependant elle se déter-
mine librement à écrire ce que Dieu lui propose.
« En conséquence. Dieu est l'auteur du livre, parce
qu'il a suscité un homme pour l'écrire, parce qu'il garan-
tit la véracité de tout ce qu'il contient, non par une
approbation postérieure, ni parce qu'il en révèle le con-
tenu, mais parce qu'il cause, grâce au secours d'une
lumière divine, le jugement de l'écrivain sacré. Il se peut
qu'il n'ait pas fourni une seule idée, mais il a voulu tous
les jugements. Il est encore l'auteur du livre, parce que
l'écrivain sacré s'est décidé constamment, soit dans le
choix de ses pensées, soit dans celui des termes, par
l'opportunité objective que la lumière de Dieu répandait
sur les pensées qui se présentaient à lui. Tout l'ensei-
gnement est garanti vrai, tout est voulu par Dieu et il
n'y a rien autre.
« L'écrivain sacré est l'auteur instrumental du livre
Les idées sont les siennes, soit qu'il les possède depuis
longtemps, soit qu'il les acquière au cours de son travail.
M. Dausch, pratiquer la vivisection. Dieu et l'homme sont, à
des titres divers, les auteurs responsables de la Bible toute
entière, idées et mots, fond et forme, vérités religieuses et don-
nées historiques, cosmologiques ou autres. »
PSYCHOLOGIE DE L INSPIRATION 22 J
m A!. j ■
Son travail est d'un ordre supérieur, mais rien ne dît:
qu'il soit plus facile. Il fait tout ce que fait un autre
auteur, mais il le fait mieux. Les mots ne lui sont pas
imposés de manière à gêner sa liberté, mais il en est de
même des pensées. S'il emploie certaines pensées et cer-
taines expressions, ce n'est pas pour obéir à un ordre
directement perçu, c'est que pensées et expressions lui
plaisent, et comme Dieu n'a pas conçu son livre sans y
faire entrer la notion de son instrument, ce qu'il lui
paraît opportun d'écrire sous la lumière divine n'est pa»
moins spontané que ce qu'il aurait choisi de lui-même
sans ce secours spécial. De là le caractère profondément
humain et individuel de l'Ecriture. Tout s'explique en
reconnaissant la Toute-Puissance et l'infinie douceur dvt
Saint-Esprit. » Lagrange, L'inspiration des Livres saints?
dans la Revue biblique, 1896, t. v, p. 219-220.
2. La psychologie de l'inspiration. — « En ton*-
bant sur Y intelligence d'abord, la lumière inspiratrice se
décomposa. Un premier rayon — si je puis m'exprimer
ainsi — atteignit les concepts ou pensées, qui allaient
devenir le verbum Dei scriptum, tandis qu'un second,
pénétrant la puissance elle-même, la fortifiait et facilitait-
rémission de son acte.
« Or, sous 1 influence du premier rayon de lumière
divine, trois phénomènes purent se produire : ou bien de»
concepts tout nouveaux furent introduits dans l'intellect
de l'écrivain ; ou bien des concepts obscurs, oubliés/ y
redevinrent plus nets, plus définis ; ou enfin des concept»
préexistants déjà furent simplement réunis et coordon-
nés. De fait et à tout prendre, l'homme inspiré reçut de
l'Esprit-Saint l'ordre d'écrire soit des choses qu'il igno-
rait entièrement, ce cas fut assez rare ; soit des chose*
qu'il ne savait qu'imparfaitement, qu'il avait oubliées,,
totalement ou en partie ; soit des choses très connues de
lui, et dont sa mémoire gardait encore un vivant sou-
venir.
a Dans la première hypothèse, le rayon de lumière
introduisit le concept nouveau, ou mieux se transforma
en la pensée elle-même, qui se présenta éclatante au
2 28 LE CATÉCHISME ROMAIN
regard de l'esprit : « Omne quod manifestatur, dit saint
Paul (Eph., v, i3), lumen est. » C'était la révélation pro-
prement dite. Il y eut alors ce que saint Thomas appelle
acceptio cognitorum(De verit., Q. xn, a. 7), et cette accep-
tio cognitorum fut évidemment divina manifestatio ignoti.
Dieu parla directement à l'intellect humain et lui confia
son verbe, sa pensée qui allait être transmise au dehors
par l'écriture. Nous le répétons, ce cas de révélation
divine venant se mélanger à l'inspiration fut assez rare.
* « Dans la seconde hypothèse, — lorsqu'il s'agissait de
rendre plus saisissables ou de réveiller des concepts
endormis dans le sanctuaire de la mémoire intellec-
tuelle, — le rayon illuminateur qui les touche, les mit en
tm jour plus complet et plus vif. Ce n'était plus la révé-
lation stricte, la révélation totale, comme celle que sup-
pose la première hypothèse ; néanmoins, il nous faut bien
le reconnaître, cette illumination appartient encore au
genre de la révélation.
« Enfin, s'agissait-il de réunir des concepts préexis-
tants, de les coordonner entre eux, — telle est la troi-
sième hypothèse, — le rayon illuminateur dut s'arrêter
sur ceux que Dieu voulait faire siens, les désigner en
quelque sorte à l'attention actuelle et au choix de l'écri-
vain inspiré. Ce n'était là ni une révélation, ni une sug-
gestion ; c'était une simple manifestation ou illumination.
Comme l'enseigne saint Thomas, les connaissances natu-
relles, les souvenirs personnels de l'auteur sacré se trou-
vèrent placés dans une clarté d'un ordre supérieur, sous
le rayonnement de la lumière même de Dieu (IIa II* ,
Q. clxxi, a. 3, ad 2).
« Est-ce tout? Non. Il ne suffisait pas que les concepts
fussent illuminés dans l'intellect ; il fallait de plus que
la faculté fût à son tour et en même temps pénétrée par
la lumière inspiratrice (De verit., Q. ix, a. 1 ; II0 11®,
Q. clxxi, a. 1, ad 4). Donc, sous l'influence de cette
lumière d'en haut qui la pénétra, la fortifia, l'éclaira,
l'intelligence de l'écrivain put émettre et consommer son
acte d'intuition, de jugement, partant de connaissance;
c'est le judicium de acceptis, dont parle le docteur Ange-
PSYCHOLOGIE DE L INSPIRATION 22£
lique (De verit., Q. xn, a. 7). Ainsi aidée par l'Esprit-
Saint dans son travail intime, la puissance perçut mieux
la vérité en elle-même ; elle saisit plus clairement les
attaches de cette vérité avec d'autres, et son opportunité
à figurer au milieu d'elles dans le récit ou dans le con-
texte bibliques ; elle les combina toutes, les réunit, les
groupa, comme Dieu le voulait et l'entendait. La compo-
sition fut vraiment toute entière l'œuvre de Dieu, et toute
entière l'œuvre de l'homme : l'œuvre de Dieu, auteur
principal ; l'œuvre de l'homme, auteur secondaire :
c Effectus totas attribuitur instrumento, et principal!
agenti etiam totus...) sed totus ab utroque secundum
alium modum (Cont. Gent., m, c. 70). » C'est Dieu qui a
pensé, jugé, enseigné avec et par l'auteur inspiré, instru-
ment vivant, actif, raisonnable. Aussi la parole que
celui-ci laissait tomber de sa plume n'était-elle plus la
sienne, mais celle de Dieu. » Chauvin, L'inspiration des
divines Ecritures, Paris, 1896, p. 35-39.
Leçon VIe
L'Ecriture Sainte
Etendue de l'inspiration. — I. Inspiration
plènière. — IL Inspiration verbale
I. Inspiration plènière
Entre tant d'autres questions que soulève l'étude
de la Bible, celle de l'étendue de l'inspiration
et de l'inerrance qui en est la suite, est une
<des plus complexes (i). Il est de foi que l'Ecriture
<e$t inspirée ; mais dans quelle mesure ? Tous les
livres de la Bible et toutes les parties de chacun de
i. BIBLIOGRAPHIE : Voici les ouvrages signalés au com-
mencement de la leçon précédente ; plus particulièrement, sur
la question de l'inspiration verbale, cf. : Pègues, Une pensée
de saint Thomas sur l'inspiration scripturaire, dans la Revue
thomiste, i8g5, p. 95-1 ia ; Revue biblique, 1895, t. iv, p. 563r
567; 1897, t. vi, p. 76-79; Lévesque, dans la Revue biblique,
1895, p. 4a 5 ; dans la Revue des Facultés de l'Ouest, 5» année»
p. 212 ; Lagrange, L'inspiration des Livres saints, dans la
Revue biblique, 1896, t. v, p. 199-220 ; Chauvin, L'inspiration,
Paris, 1896 ; Leçons d introduction générale, Paris, 1898 ;
Encore l'inspiration biblique, dans la Science catholique, mars
1900 ; Zanecchia, Divina inspiratio, Rome, 1899 ; Dutouquet,
Psychologie de l'inspiration, dans les Etudes, octobre 1900 ;
Mangenot, Inspiration, dans le Dict. de la Bible; Schiffini, Di-
vinilas Scripturarum, Turin, 1905; Pesch, De inspiratione S. S.,
f ribourg-en-Brisgau, 1906.
OPINIONS ET ERREURS SUR L'INSPIRATION 23 1
■■ I Ml1
ces livres participent au privilège de l'inspiration ;
qu'entendre exactement par là ? Le moins qu'on
puisse accorder, c'est que tous les passages relatifs à
la doctrine et aux mœurs sont directement visés par
le Saint-Esprit ; mais les autres ? En traitant de la
canonicité, nous avons vu les hésitations qui se sont
produites à propos de certains livres et de certains
passages de quelques livres de l'Ancien et du Nou-
veau Testament ; nous avons vu également que la
question de la canonicité était étroitement liée à
celle de l'inspiration et en dépendait ; et nous
savons comment elle a été tranchée par l'autorité
souveraine de l'Eglise. Tous les livres de la Bible et
toutes les parties de chacun de ces livres ont été
reconnus comme canoniques, c'est donc que tous
ces livres et toutes leurs parties sont regardés comme
inspirés : telle est la doctrine de l'Eglise qui se
dégage de l'enseignement des conciles de Florence
et de Trente, notamment de celui du concile du
Vatican. Néanmoins, à raison de difficultés d'ordre
divers, que suscite en particulier la question de
l'inerrance biblique, quelques esprits ont cru qu'il
convenait de restreindre le domaine de l'inspira-
tion pour mieux sauvegarder le dogme. En avaient-
ils le droit ? C'est ce que nous allons examiner.
i° Opinions et erreurs touchant l'inspira-
tion restreinte. — i. Déjà, au xvie siècle, Erasme
avait essayé de restreindre l'inerrance de la Bible et
par suite l'inspiration, en prétendant que les Evan
gélistes, laissés à eux-mêmes, avaient commis des
erreurs de mémoire dans leurs citations de l'Ancien
Testament.
2. Au xvue siècle, Holden (i) accordait bien uue
;. Divinae fidei analysis, Paris, i65a.
232 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'Ecriture est exempte d'erreur. « Mais, disait-il,
dans les choses étrangères au but de l'écrivain, nous
pensons que Dieu l'a assisté du secours qu'il donne
à tous les autres auteurs pieux (i). » La véritable ins-
piration et l'assistance infaillible du Saint-Esprit ne
portent que sur les matières de foi et de mœurs; là
seulement, pensait-il, on est assuré de trouver l'en-
seignement divin. Cette manière de voir offrait un
avantage précieux pour écarter toutes les objections
que ne cessaient de faire naître contre la Bible le
progrès des sciences naturelles et historiques. En
distinguant dans la Bible une partie, celle qui con-
tient renseignement dogmatique et moral, comme
absolument préservée par Dieu contre toute erreur,
on accordait sans peine que le reste, d'ordre pure-
ment humain et par suite faillible, pouvait ren-
fermer des erreurs scientifiques et historiques,
sans nuire en rien au but essentiel de l'Ecri-
ture.
3. C'est ainsi que, dans la seconde partie du
xix° siècle, Rohling a cru pouvoir soutenir que l'ins-
piration ne s'étendait pas aux questions scientifiques
qui sont parfois mentionnées dans l'Ecriture (2).
D'après Lenormant, les décisions doctrinales de
l'Eglise n'étendent l'inspiration qu'à ce qui intéresse
la religion ou touche à la foi et aux mœurs, c'est-à-
dire aux seuls enseignements surnaturels contenus
dans l'Ecriture. Dans le reste, le caractère humain
de la Bible se retrouve tout entier; les auteurs sacrés
n'ont pas eu de lumières exceptionnelles, ils ont
suivi les opinions communes et même les préjugés
de leur temps. Le Saint-Esprit n'a pas plus révélé
1. Loc. cit., p. 80 ; cf. Manning, La mission temporelle du
Saint-Esprit, trad. franc., Paris, 1867, p. 185-187. — 2. Die J/is-
piration des Bibel, Munster, 1873.
OPINIONS ET ERREURS SUR l/lNSPIRATION 233
des vérités scientifiques qu'une histoire univer-
selle (i).
[\. Beaucoup moins exclusif, le cardinal New-
man (2) regardait comme une vérité de foi catholi-
que que l'Ecriture est divinement inspirée pour tout
ce qui se rapporte à la foi et aux mœurs , il tenait
pour certain que l'inspiration s'étend aux faits his-
toriques, parce que toute l'histoire biblique est inti-
mement liée à la révélation. Mais il ne croyait pas
possible que les Livres sacrés fussent inspirés sous
tout rapport, parce que, dans ce cas, on serait
obligé de croire de foi divine, par exemple, que la
terre est immobile. Du reste, disait-il, il semble
indigne de la majesté divine que Dieu, en se révé-
lant à nous, prenne sur lui des fonctions toutes pro-
fanes et se fasse narrateur, historien, géographe,
quand les matières historiques et géographiques
n'ont aucun rapport direct avec la vérité révélée. Il
estimait en conséquence qu'il peut se rencontrer des
choses dites en passant, des obiter dicta, telles que
la mention du manteau que saint Paul avait laissé à
Troas chez Carpus (3) et l'assertion que Nabucho-
donosor était roi de Ninive (4), qui ne fussent ni
inspirées, ni infaillibles. C'était laisser la porte
entr'ouverte à la possibilité d'une erreur dans la
Bible et donner le droit de multiplier arbitrairement
le nombre des détails qu'on pourrait regarder
comme insignifiants.
5. Le chanoine di Bartolo (5) a imaginé divers
1. Les origines de l'histoire et 'après la Bible, ae édit., Paris,
1880, t. 1, p. 8 ; ouvrage mis à l'Index. — 2. On the inspiration,
oj the Scripture, dans The nineteenth Century, fév. i884, trad.
dans le Correspondant, mai 1 884, t. cxxxv, p. 693-694. — ■
3. II. Tim., iv, i3. — 4. Judith, 1, 3. — 5. Les critères théologi"
ques, trad. franc., Paris, 1889, p. a43-a58 ; ouvrage mis à
l'Index.
234 LE CATÉCHISME ROMAIN
— — — — — — ^ »^— — — ^ — «— — — —
degrés dans l'inspiration. Dans tous les passages
bibliques relatifs à la foi ou aux mœurs et dans les
récits en connexion étroite et essentielle avec le
dogme et la morale, l'inspiration serait au degré
supérieur ; dans les autres, elle serait à un degré
moindre et ne garantirait pas l'infaillibilité de ce
qui s'y trouve. De la sorte, une partie notable de
l'Ecriture serait bien inspirée mais ne jouirait pas
du privilège de l'inerrance. Cette concession était
trop dangereuse pour pouvoir être maintenue.
6. Entre temps, une nouvelle école d'exégèse, dite
Ecole large, estimait que l'inspiration ne s'étend pas
aux matières historiques et scientifiques ou que, si
elle va jusque-là, elle ne confère pas à ces matières
le privilège de l'inerrance (i). Mgr d'Hulst s'en fit le
rapporteur bienveillant (2). Assurément, c'était
débarrasser l'apologétique de toutes les difficultés
historiques et autres ; mais n'était-ce pas en même
temps une imprudence et un danger ? L'année ne
s'était pas écoulée que Léon XIII publiait l'Encycli-
que Providentissimus Deus qui condamnait les prin-
cipes de l'Ecole large. Mgr d'Hulst reconnut aussi-
tôt son erreur. « Je considérais, écrivit-il (3),
comme une opinion libre (l'hypothèse) qui limite
aux matières de foi et de morale la garantie d'iner-
rance absolue résultant du fait de l'inspiration. Je
reconnais volontiers que la dernière partie de l'En-
cyclique ne permet plus de penser ainsi. »
7. L'opinion des partisans de l'inspiration res-
treinte s'appuie sur des principes contestables. Elle
mesure tout d'abord l'amplitude objective de l'ins-
piration au but divin qui était de faire connaître la
1. Cf. Loisy, La question biblique et V inspiration, p. 11-16. —
2. La question biblique, dans le Correspondant, 25 janvier 1898.
— 3. Lettre du 22 décembre i8q3, dans Brandi, La question,
biblique, trad. franc., Paris, 1894, p. 22g,
OPINIONS ET ERREURS SUR i/lNSPIRATION 235
vérité dogmatique et morale, c'est-à-dire l'enseigne-
ment religieux. Or, ce serait là donner à croire que
les vérités d'ordre religieux et moral constituent
seules l'objet de la révélation ; et ce serait penser à
tort, comme le remarque Léon XIIÏ, que lorsqu'il
s'agit de la vérité des doctrines, il ne faut pas recher-
cher surtout ce qu'a dit Dieu, mais examiner plutôt
le motif pour lequel il a parlé ainsi. — Elle suppose
ensuite que l'infaillibilité de l'Ecriture a les mêmes
limites que celle de l'Eglise, laquelle s'étend seule-
ment aux matières de foi et aux règles de morale.
Cette parité prétendue, observe M. Chauvin (i),
repose sur une équivoque palpable. L'infaillibilité*
donnée à l'Eglise est le résultat d'une assistance
divine spéciale, qui lui a été promise, et qui lui est
accordée, pour qu'elle conduise sûrement les hom-
mes au salut ; tandis que l'infaillibilité de la Bible
est le résultat d'une inspiration d'un ordre tout dif-
férent, et qui, d'après les Pères et les conciles,
embrasse toutes les parties indistinctement des Livres
saints. — Cette opinion pose enfin en principe que
l'inspiration plénière de la Bible constituerait un
obstacle sérieux au progrès de l'exégèse catholique
et entraînerait comme conséquence l'inerrance abso-
lue de l'Ecriture, ce qui rendrait, sinon impossible,
du moins très difficile la défense des Livres saints
contre les attaques de la science moderne. Or,
c'est là supposer qu'il peut se rencontrer dans la
Bible des erreurs formelles, ce que Léon XIII,
comme nous allons le voir, ne veut concéder à
aucun prix, parce que, dit-il, entre les sciences vrai-
ment dignes de ce nom et les phrases bibliques
expliquées comme il convient, il n'y a point et ne
saurait y avoir de conflit.
i. L'inspiration, p. 139.
236 LE CATÉCHISME ROMAIN
8. Avec leur double principe de Y immanence et du
symbolisme, les « modernistes » réduisent les Livres
saints à n'être que le recueil des expériences reli-
gieuses faites dans le passé. « C'est Dieu qui parle
dans ces Livres par l'organe d'un croyant ; maisv
selon la théologie moderniste, par voie d'immanence
et de permanence vitale. » L'inspiration ne diffère
que par l'intensité du besoin qu'éprouve tout
croyant de communiquer sa foi, par l'écrit ou par
la parole. « Celte inspiration, ajoutent-ils, rien,
dans ces mêmes Livres, qui lui échappe. En quoi
vous les croiriez plus orthodoxes que certains autres
de ce temps, qui la rétrécissent quelque peu, en lui
dérobant, par exemple, ce qu'ils appellent les cita-
tions tacites. Jonglerie de mots et apparences pures.
Si l'on commence par déclarer, selon les principes
de l'agnosticisme, que la Bible est un ouvrage
humain, écrit par des hommes et pour des hommes,
sauf à les dire théologiquement divins par imma-
nence, le moyen de rétrécir l'inspiration ? — Uni-
verselle, l'inspiration, oui, au sens moderniste ;
nulle, au sens catholique (i). »
2° La croyance traditionnelle. — i. Inspira-
tion et inerrance vont de pair ; l'une est la cause
et l'autre la conséquence. Or, il n'est pas de croyance
plus clairement affirmée que celle de l'inerrance
biblique : la tradition constante, l'enseignement
unanime des Pères déposent en sa faveur. Aucune
difficulté ne l'a jamais fait révoquer en doute.
Jamais on n'avait songé à recourir à ce facile expé-
dient qu'il pourrait y avoir, dans la Bible, en quel-
que matière que ce soit, des renseignements erro-
nés. Et si on n'y a pas songé, c'est parce qu'on
i. Encyclique Pascendi dominici gregis, du 8 septembre 1907.
CROYANCE TRADITIONNELLE SUR L'iNSPIRATION 'iS'J
estimait que Dieu, inspirateur de l'Ecriture, ne
peut enseigner formellement l'erreur ; l'inspiration
divine implique, en effet, l'inerrance ; et comme,
d'après le sentiment universel, l'inspiration s'étend
d'un bout à l'autre de la Bible, l'inerrance doit
s'étendre de même.
2. D'inévitables difficultés devaient surgir d'une
telle manière devoir; il s'en est déjà présenté dans
le cours des âges, et il s'en rencontre aujourd'hui
et il s'en rencontrera encore. Les Pères ont essayé
de les résoudre ; mais quel qu'ait été le résultat de
leurs efforts et le succès de leurs explications, tou-
jours est-il qu'ils ont entendu sauvegarder avant
tout le dogme de l'inspiration plénière et de l'iner-
rance absolue. Léon XIII n'a pas entendu autre-
ment l'état de la question ; mais, en maintenant
rigoureusement l'enseignement traditionnel, il a
indiqué les principes de solution, dont nous parle-
rons dans la leçon suivante.
3. Avant de faire connaître la pensée de Léon XIII
sur la question actuelle, rappelons que la doctrine
de l'inerrance appartient au dépôt de la foi catholi-
que et qu'elle s'appuie sur celle de l'inspiration.
D'après le témoignage de Notre Seigneur et des
Apôtres, tout ce qui est écrit est vrai. « C'est écrit, »
cela veut dire : c'est Dieu qui a parlé, et il est la
vérité et la véracité même. Les Pères de l'Eglise
imitèrent l'exemple donné par le divin Maître et
ses disciples ; mais ils empruntèrent leurs citations
au Nouveau Testament comme à l'Ancien, voyant
dans l'un comme dans l'autre la propre parole de
Dieu. Les difficultés ne les arrêtent pas. Saint Justin
préfère dire qu'il ignore que d'accorder qu'un pas-
sage de l'Ecriture puisse être en opposition avec un
autre, du moment que les auteurs sacrés ont été
238 LE CATÉCHISME ROMAIN
remplis du Saint-Esprit (i). Il ne faut pas s'étonner,
remarque saint Irénée, si nous ne comprenons pas
toute l'Ecriture ; il ne faut pas surtout admettre
qu'elle renferme des contradictions, parce qu'elle
est parfaite, étant la parole même de Dieu, tandis
que nous sommes bornés (2). L'Ecriture ne se
trompe pas, dit à son tour saint Hippolyte ; elle ne
renferme pas de mensonge (3). Origène affirme que,
grâce à la coopération du Saint-Esprit, les Evangé^
listes ne sont pas tombés dans l'erreur (4). Saint
Basile traduit la pensée des Pères quand il enseigne
la fidélité de Dieu et l'inerrance de l'Ecriture (5),
Aux juifs et aux hérétiques qui allèguent des diver-
gences dans les Evangiles, saint Chrysostome
répond : Que personne ne dise que l'histoire de
l'Ecriture ment (6). D'après Théodoret de Cyr,
l'Ecriture l'emporte sur les documents humains
parce que rien n'est dit témérairement par le Saint-
Esprit (7).
4. Même enseignement chez les Pères latins. Saint
Ambroise repousse tout soupçon de négligence ou
de mensonge chez les Evangélistes (8). L'Esprit-
Saint ne peut pas se contredire, affirme saint
Jérôme : défense donc de dire que l'Ecriture ment ;
il faut s'en tenir à l'autorité de l'Ecriture et de Dieu
qui enseigne (9). Saint Augustin croit fermement à
Vorigine divine et par suite à l'inerrance absolue
1. Dial. cum Tryph., 65 ; Patr. gr.. t. vi, col. 626. — a. Adp.
/ia?r., 11, xxviii. 2, 3 ; Pair, gr.., t. vu, col. 80 \. — 3. In Dan.,
I, 28 ; m, 8 ; édit. Bontwetsch, Leipzig, 1897. p, 4i, i36. —
4. InMalth., xvi, 2; Patr. gr., t. xin, col. i4io; ïnJoan., iv,
l8 ; t. xiv, col. 258. — b.Dejide, 1 ; Pair. gr.,t. xxx1.col.679,
— 6. InAct. apost., homil., xxn, 1 ; Pair. gr.. t. lx, col. 171.
— 7. In Const . ,. iv, 9 ; Pair. gr.ft. lxxxi, col. 178. — 8. Iw
Luc, ni, 1 ; vu, iS; x, 107; Patr. lai., t. xv, col. 1589, 1677,
1703, i83o, — 9. Epist.,xvm, 7 ; Patr. lat.t t. xxn. col. 366 : in
Jerem., x. 12 ; t. xxiv, col. 743.
CROYANCE TRADITIONNELLE SUR L 'INSPIRATION %3§
i*' — ' — ■ ' i ■ ■
des Livres saints (i). C'est, dit-il, l'Esprit de Dieu
qui parle par la bouche des prophètes et conduit la
plume des apôtres (2). Toute affirmation absolue
de l'Ecriture, môme celle que l'écrivain sacré a
conçue sans révélation, devient une vraie révélation
pour le lecteur parce que Dieu, en l'inspirant, la
garantit de sa propre autorité (3). Son traité sur
l'accord des Evangiles et sa controverse avec saint
Jérôme sur un passage de l'Epitre aux Galates ont
pour but d'exclure de la Bible, non seulement toute
dissimulation volontaire, mais toute erreur cons-
ciente.
5. Inutile d'insister davantage. Notons seulement
que la doctrine des Pères a été la doctrine des sco-
lastiques et que les papes Jean XXII (i3i6-i334) et
Benoît XII (i33£-i342) ont déclaré qu'il était défendu
aux catholiques d'attribuer des erreurs à l'Ecri-
ture (4). C'est à tort que l'on a regardé l'enseigne-
ment des conciles de Trente et du Vatican comme
restreignant l'inspiration aux seuls passages dogma-
tiques et moraux ; elle s'étend à tous les autres pas-
gages, même scientifiques ou historiques, bien
qu'ils n'aient pas été visés directement et explici-
tement par les décrets de ces conciles. L'Encycli-
que Providentissi/nas ne laisse aucun doute à cet
égard.
6. Quant à prétendre que les Pères n'ont pas eu
h, répondre aux difficultés de la science moderne,
sans quoi ils auraient très certainement modifié
leur théorie sur l'inspiration plénière et l'inerrance
totale de la Bible, c'est oublier que, s'il n'ont pas
1. De Gen. ad litt.t VII, xxvm, 4 a ; Patr. lat.f t. xxxiv,
col. 371. — a. De doct. christ., 11, 6 ; m, 37 ; Conf., vu, ai, 37;
De civit.y xvm, 43. — 3. Epist., lxxxii, i, 3 ; t. xxxm, col. 377
et 286. — 4. Pour Jean XXII, Denzinger, n. 419; pour Be-
noit XII, Mansi ; Suppl. m, col. 534.
2^0 LE CATÉCHISME ROMAIN
connu les difficultés actuelles, ils en ont connu
d'autres tout aussi gênantes et que jamais ils n'ont
songe à s'en débarrasser en admettant que l'Ecri-
ture pût contenir une erreur quelconque.
3° L'enseignement de l'Encyclique « Provi-
dentissimus. » — Préoccupé des attaques inces-
santes dont la Bible est l'objet de la part des ratio-
nalistes et aussi des concessions imprudentes et
dangereuses que certains catholiques avaient cru
devoir consentir pour faire cesser tout conflit entre
la Bible et la science moderne, le pape Léon XIII
a rédigé son Encyclique Providentissimus, en par-
faite connaissance de cause. Il condamne l'opinion
qui cherche à restreindre l'étendue de l'inspira-
tion ; il enseigne l'inspiration plénière et l'iner-
rance totale, il déclare l'impossibilité de l'erreur ;
il rappelle l'enseignement des Pères de l'Eglise,
notamment la règle de saint Augustin. Voici en
quels termes il s'explique.
i . Condamnation de l'opinion qui restreint l'inspira-
tion et U inerrance. — « Il serait absolument funeste,
soit de limiter l'inspiration à quelques parties de
l'Ecriture, soit d'accorder que l'auteur sacré lui-
même s'est trompé. On ne peut pas non plus tolé-
rer la méthode de ceux qui se délivrent de ces
difficultés en n'hésitant pas à supposer que l'inspi-
ration divine ne s'étend qu'aux vérités concernant
la foi et les mœurs, et à rien au delà. Ils pensent à
tort que, lorsqu'il s'agit de la vérité des doctrines,
il ne faut pas rechercher surtout ce qu'a dit Dieu,
mais examiner plutôt le motif pour lequel il a
parlé ainsi. »
2. Inspiration plénière et inerrance totale. — C'est
donc qu'aux yeux du Souverain Pontife, l'inspira-
tion n'a pas de limite, mais pénètre de part en part
ENSEIGNEMENT DE LEON XIII SUR L'iNSPIRATION 2^1
»■
toute la Bible. Et comme l'inerrance est la consé-
quence de l'inspiration, il s'ensuit qu'elle est totale
comme l'inspiration elle-même. « En effet, dit-il,
tous les Livres entiers que l'Eglise a reçus comme
sacrés et canoniques, dans toutes leurs parties, ont
été écrits sous la dictée du Saint-Esprit. Tant s'en
faut qu'aucune erreur puisse s'attacher à l'inspira-
tion divine, que non seulement celle-ci exclut par
elle-même toute erreur, mais encore l'exclut et y
répugne aussi nécessairement que nécessairement
Dieu, souveraine vérité, ne peut être l'auteur d'au-
cune erreur. Telle est la croyance antique et constante
de l'Eglise, confirmée enfin et plus expressément
exposée dans le Concile du Vatican (i). »
3. Garantie contre l'erreur. — Rien de plus expli-
cite : inspiration plénière et inerrance totale, celle-ci
à cause de celle-là. Mais s'il va de soi que Dieu n'a
pu inspirer l'erreur, l'auteur humain d'un livre
biblique ne serait-il pas responsable de quel-
qu'une? — Nullement, répond Léon XIII, et il
en donne pour raison la nature même de l'inspira-
tion, qu'il expose en ces termes : « On ne doit
presque en rien se préoccuper de ce que le Saint-
Esprit ait pris des hommes comme des instruments
pour écrire, comme si quelque opinion fausse
pouvait être émise, non pas certes par le premier au-
teur, mais parles écrivains sacrés. » Pourquoi donc?
parce que ces instruments ont été inspirés. En effet,
le Saint-Esprit lui-même, « les a, par sa vertu sur-
naturelle, excités à écrire ; lui-même les a assistés
tandis qu'ils écrivaient, de telle sorte qu'ils con-
cevaient exactement, qu'ils voulaient rapporter
i. Le décret Lamentabili, du 4 juillet 1907, condamne cette
proposition, la xie : « L'inspiration divine ne s'étend pas de
telle sorte à toute la sainte Ecriture qu'elle la préserve de toute
erreur dans toutes et chacune de ses parties. )>
1 LE CATÉCHISME. — T. III, l6
2^2 LE CATÉCHISME ROMAIN
fidèlement et qu'ils exprimaient avec une vérité in-
faillible tout ce qu'il leur ordonnait, et seulement
ce qu'il leur ordonnait d'écrire. »
4- Accord des saints Pères. — « Tel a été toujours
le sentiment des saints Pères. « Aussi, dit saint
Augustin (1), puisque ceux-ci ont écrit ce que le
Saint-Esprit leur a montré et leur a enjoint d'écrire,
on ne doit pas dire que lui-même n'a pas écrit.
Ceux-ci, comme les membres, ont mis en œuvre ce
que la tête leur dictait. » Saint Grégoire le Grand
s'exprime en ces termes : « Il est bien superflu de
chercher qui a écrit ces livres, puisqu'on croit fer-
mement que l'auteur en est l'Esprit-Saint. Celui-là,
en effet, a écrit qui a dicté ce qu'il fallait écrire ;
celui-là a écrit qui a inspiré l'œuvre (2). » Il suit de
là que ceux qui pensent que, dans les passages au-
thentiques des Livres saints, peut être renfermée
quelque idée fausse, ceux-là, assurément, ou per-
vertissent la doctrine catholique, ou font de Dieu
lui-même l'auteur d'une erreur. Tous les Pères et
tous les Docteurs ont été si fermement persuadés
que les Lettres divines, telles qu'elles nous ont été
livrées par les auteurs sacrés, sont exemptes de
toute erreur, qu'ils se sont appliqués, avec beau-
coup d'ingéniosité et religieusement, à faire con-
corder entre eux et à concilier,, les nombreux pas-
sages qui semblent présenter quelque contradiction
ou quelque divergence. Et ce sont presque les
mêmes qu'au nom de la science nouvelle on nous
oppose aujourd'hui. Ils ont été unanimes à croire
que ces Livres, et dans leur ensemble et dans leurs
parties, sont également d'inspiration divine, que
Dieu lui-même a parlé par les auteurs sacrés, et
qu'il n'a rien pu énoncer d'opposé à la vérité. »
1. De cons. Evang.t j, 35. — 3. In Job., praej., a.
ENSEIGNEMENT DE LEON XIII SUR L 'INSPIRATION 2^3 -
5. Règle de saint Augustin. — Certes, Léon XIII
n'ignorait pas les difficultés qu'a soulevées et que
soulève, dans certains passages, le texte biblique,
mais il estimait qu'on doit appliquer ici d'une
façon générale les paroles que Saint Augustin écri-
vait à saint Jérôme : « Je l'avoue, en effet, à ta
charité, j'ai appris à accorder aux seuls livres des
Ecritures, que l'on appelle maintenant canoniques,
cette révérence et cet honneur de croire très fer-
mement qu'aucun de leurs auteurs n'a pu commet-
tre une erreur en les écrivant. Et si je trouvais dans
ces saintes Lettres quelque passage qui me parût
contraire à la vérité, je n'hésiterais pas à affirmer
ou que le manuscrit est défectueux, ou que l'inter-
prète n'a pas suivi exactement le texte, ou que je
ne comprends pas bien (i). »
4° Conséquence de l'enseignement pontifi-
cal. — i. D'après cet enseignement de Léon XIII,
le but de l'inspiration a été un livre écrit; elle a
été donnée à l'auteur sacré pour écrire un livre. Or,
écrire un livre suppose nécessairement le choix et
la détermination des pensées à consigner par écrit ;
cela suppose aussi leur arrangement méthodique,
leur disposition logique ; cela suppose encore le
choix et la détermination du genre littéraire, qui
convient le mieux pour atteindre le but proposé.
Mais toute pensée demande à être exprimée, tout
genre littéraire comporte un style propre, le style
lui-même a son cachet spécial et distinctif ; d'où il
suit que l'inspiration atteint l'œuvre entière, dans
son fond et dans sa forme, dans ses pensées et dans
son expression littéraire, depuis le moment initial
où surgit dans l'esprit l'idée d'abord vague d'écrire
i. Epist., lxxxii, 3 ; Pair, lai., t. xxxiii, col. 277.
2/i4 LE CATÉCHISME ROMAIN
I ir
un livre, puis l'idée des choses qu'on pourrait
écrire, enfin le projet arrêté de consigner ces cho-
ses par écrit, jusqu'à la mise en œuvre par un plan
délimité, depuis le travail préparatoire de la com-
position, et tout le temps que dure la composition,
jusqu'au terme final où la rédaction se complète et
s'achève. L'auteur sacré poursuit tout ce long tra-
vail d'élaboration, de composition et de rédaction,
comme s'il était livré à lui-même ; quand, le livre
. fini, il dépose la plume, il peut dire légitimement :
voilà mon œuvre. Mais comme, d'autre part, l'ins-
piration divine n'a pas cessé d'agir sur lui, du com-
mencement à la fin, dans toutes les phases succes-
sives par lesquelles sont passés son esprit, sa
, volonté, ses efforts, jusqu'au point final, l'Esprit-
Saint a le droit de revendiquer son titre d'auteur
principal et de dire, lui aussi : voilà mon livre ; ce
, sont bien mes pensées qui s'y trouvent ; c'est bien
le genre littéraire que jai choisi qui les encadre.;
c'est bien le style que j'ai voulu qui les exprime;
l'instrument intelligent qui m'a servi a pleinement
atteint mon but.
2. Si cette explication rend bien la nature de
l'inspiration, on voit que les obiter dicta, choses
minimes ou humbles détails, clauses ou assertions
d'apparence peu importante, ne répugnent pas à la
motion inspiratrice de Dieu. Et l'on comprend que
les Pères les aient interprétés avec tout le respect
qui est dû à la parole divine, et qu'ils y aient dé-
couvert, soit un charme littéraire, soit des leçons
dignes de Dieu et de l'homme. Pourquoi dès lors
leur refuser le privilège de l'inspiration? Ces cho-
ses diles en passant complètent un récit et parfois
l'embellissent. « Le soc déchire seul la terre,
observe finement saint Augustin, et cependant il
lui faut le concours des autres membres de la char-
ENSEIGNEMENT DE LEON XIII SUR 1/ INSPIRATION 2^5 •
rue. Les cordes d'une harpe et de tout autre instru- .
ment de musique sont seules disposées pour l'har- .
monie, et cependant elles ne peuvent vibrer qu'à la ,
condition d'être liées à d'autres parties du mécanisme
instrumental que ne touche pas le doigt de l'artiste.
Ainsi l'histoire prophétique a des passages qui ne
signifient rien, mais auxquels se rattachent et pour
ainsi dire se relient les passages figuratifs (i). »
Est-il si difficile, du reste, de leur trouver quel-
que agrément ou quelque utile leçon ? Quand nous
lisons qu'au retour de Raphaël et de Tobie, « le
chien qui les avait accompagnés dans le voyage
courut devant eux, comme pour apporter la nou-
velle, caressant de la queue et tout joyeux, »
quoi de plus naturel et en même temps de plus
propre à rappeler le dogme de la Providence, qui (
met les êtres, même privés de raison, au service
de l'homme? Et lorsque saint Paul recommande à -
Timothée de lui rapporter, avec les livres et les par- ,."
chemins, le manteau qu'il a laissé chez Carpus, à
Troas, qui empêche d'y voir une leçon d'ordre
pratique pour montrer au chrétien qu'il ne faut .
point négliger le soin des choses matérielles ? Et .
combien d'autres détails, tout aussi humbles en [
apparence, ne pourrait-on pas relever dans l'Ecri-
ture, dont le charme littéraire ou la leçon morale
ont leur prix ! A quoi bon insister, en vérité, com-
me si de Dieu à l'homme, à côté des hauts ensei-
gnements donnés dans la Bible, quelque chose pou-
vait paraître indigne de l'un ou de l'autre ! Dieu
n'est-il pas toujours grand, même quand il se met à ,
la portée de l'homme ? D'ailleurs, si l'on admettait
que l'inspiration ne s'étend pas aux obiter dicta, ,
quel critère aurait-on pour les distinguer de ce qui
i. De civit.Dei, xvi, 2.
2^0 LE CATÉCHISME ROMAIN
est inspiré ? Et ne serait-ce pas la porte ouverte à
l'arbitraire, dès qu'on se trouverait en présence de
quelque difficulté?
IL L'Inspiration verbale
i. Dieu a inspiré la Bible: l'inspiration s'étend-
elle jusqu'aux mots eux-mêmes qui ont servi à tra-
duire la pensée divine ? Pourquoi pas? La question,
à vrai dire, n'a pas été traitée par les Pères d'une
manière explicite et approfondie. Les plus anciens
ont comparé les écrivains sacrés à des instruments,
<dont s'est servi le Saint-Esprit. Si l'on peut voir
l'inspiration verbale dans de semblables comparai-
sons, on pourrait y voir aussi l'inspiration mécani-
que, ce que tout le monde repousse. Origène, pour-
tant, à la suite de Philon, a étendu l'inspiration
jusqu'aux phrases, aux mots et aux caractères; d'où
tant d'allégories, dont quelques-unes ont dû être
réprouvées pour leur invraisemblance et leur exagé-
ration. Mais il a eu soin d'avertir qu'il fallait s'en
tenir plus au sens qu'aux mots. Saint Ambroise
pensait de même, et pour l'extension de l'inspira-
tion et pour l'interprétation. Personne plus que
saint Chrysostome n'a loué la force de chaque mot
'dans l'Ecriture ; mais il n'est pas allé jusqu'à dire
<jue c'est le Saint-Esprit qui les a formés. De son
côté, saint Jérôme poussait le respect des mots de
l'original jusqu'à préférer les mal traduire que de
xnettre en péril leur signification ; mais il ne pensait
pas que les termes matériels fussent du Saint-Esprit.
Il a même dit que l'Evangile n'est pas dans les
Tnots mais dans le sens, non dans la surface mais
«ians la moelle ; il laissait à d'autres le soin de
scruter les syllabes, il préférait rechercher la pensée.
Saint Augustin surtout a distingué entre le fond et
INSPIRATION VERBALE 2^7
la forme, la pensée et le style. Il est cependant
impossible de nier que certains Pères n'aient dit
parfois que les mots et le style de la Bible viennent
du Saint-Esprit, à cause du sens qu'ils renferment
et expriment. Et certaines de leurs expressions peu-
vent s'interpréter de l'inspiration verbale ou d'une
dictée.
2. C'est en Gaule, au ixe siècle, que la question
de l'inspiration verbale fut agitée entre Frédégise,
abbé d'un monastère de Tours, et Agobard, évêque
de Lyon. L'abbé reprochait à l'évêque de ne pas
croire que tout fût inspiré dans l'Ecriture, non seu-
lement les pensées, mais encore les termes, les
façons de parler, les tours de phrase. L'évêque
répliqua qu'il est absurde de prétendre que le Saint-
Esprit ait formé lui-même les propres paroles
employées par les écrivains sacrés, comme l'ange
forma celles de l'âne de Balaam. Il maintint en
conséquence que l'inspiration tombe bien sur le
sens mais ne s'étend pas jusqu'aux termes (i). La
question se trouvait mal posée, parce que l'on con-
fondait l'inspiration avec la révélation ; cette con-
fusion a duré fort longtemps. On regardait, en effet»
l'inspiration comme une dictée matérielle des mots,
si bien qu'à l'époque de la Renaissance, protestants
et catholiques, en ir.î^eure partie, tenaient pour
acquise cette théorie. A. leurs yeux, l'auteur inspiré
n'aurait été qu'un simple scribe, écrivant sous la
dictée du Saint-Esprit. Comment expliquer alors les
différences de style, les fautes de grammaire, les
divergences de rédaction? Une telle difficulté n'était
pas sans créer des embarras sérieux ; on s'en tirait
en prétendant que le Saint-Esprit, se prêtant à tou-
tes les circonstances de temps, de lieux, de person-
i. Cont. Fredeglsum; Patr. lal.t t. civ, col. iGj-i68.
24S LE CATÉCHISME ROMAIN
nés, s'était servi de chaque auteur inspiré sans rien
changer à sa manière de concevoir et de s'exprimer.
C'était expliquer assez étrangement la différence des
styles et des genres ; c'était surtout supprimer tota-
lement l'activité intellectuelle des auteurs sacrés et
réduire ceux-ci à de pures machines à écrire ; com-
ment, en pareil cas, pourrait-on les regarder comme
les auteurs des livres bibliques? Lessius, en 1687,
essaya de réagir. Pour être inspiré, disait-il, un
livre n'exige pas nécessairement la formation des
mots par le Saint-Esprit dans l'intelligence de celui
qui écrit. Une explication plus convenable s'impo-
sait.
3. On crut la trouver en posant pour principe
que si, dans la Bible, la pensée est divine, son
expression est humaine. Dans ces conditions, l'écri-
vain sacré aurait joui d'une pleine liberté dans le
choix des mots et dans la manière de s'exprimer :
son genre littéraire, son style, portaient sa marque
personnelle et gardaient ses défauts comme ses qua-
lités, sans qu'il fat nécessaire d'une intervention
directe du Saint-Esprit. Mais, comme d'autre part,
avec une telle initiative, l'auteur inspiré pouvait ne
pas rendre avec toute l'exactitude désirable la pen-
sée divine, et comme il fallait bien garantir suffi-
samment la véracité et l'infaillibilité de l'Ecriture,
on soutint que le Saint-Esprit avait veillé à ce que
rien d'erroné ne se glissât sous sa plume et l'avait
assisté pour le préserver de toute infidélité, de toute
erreur ; on exigeait donc tout au moins une assis-
tance négative.
4. Suarez opta pour une opinion intermédiaire,
celle d'une dictée restreinte et d'une assistance posi-
tive (1). Sans doute, disait-il, l'inspiration verbale
1. De fide, disp., v, sect. ni, n. 4» 5, i5.
INSPIRATION VERBALE 2'iq
est nécessaire pour assurer à l'Ecriture son autorité
divine et son infaillible vérité, mais l'infusion des
idées et la dictée des mots n'ont été requises que
pour formuler les mystères qui dépassent la portée
de la raison ; quant au reste, c'est-à-dire pour ce
que l'écrivain pouvait connaître ou comprendre
naturellement, une assistance spéciale du Saint-
Esprit suffisait: l'auteur évitait ainsi tout terme
impropre et toute erreur.
■ Telle fut, en général, la manière de voir de la
plupart des théologiens; point de dictée proprement
dite, si ce n'est à titre exceptionnel et dans des cas
déterminés, par exemple pour exprimer correcte-
ment une vérité révélée dogmatique ou morale;
l'inspiration des idées était suffisante ; les idées, en
effet, forment la substance du livre sacré, elles vien-
nent de Dieu ; leur expression écrite appartenait à
l'auteur inspiré et formait le côté humain de l'Ecri-
ture. L'auteur inspiré n'est pas une simple machine ;
il est un instrument intelligent, capable de conce-;
voir et de formuler convenablement sa pensée qui,
est celle de Dieu ; il la consigne donc par écrit avec
ses propres ressources naturelles ; il adopte tel oui
tel genre littéraire et il y conforme son style ; il dis-
pose son œuvre et la rédige en lui donnant le
cachet de sa personnalité ; ainsi s'expliquent les
différences, les lacunes et les imperfections des
Livres saints. Toutefois, il n'est pas totalement
abandonné à son initiative et à sa liberté ; le Saint-
Esprit l'assiste, non seulement d'une manière néga-
tive, en le préservant d'une infidélité ou d'une
erreur, mais encore positivement pour que son
œuvre rende fidèlement et exactement la pensée
divine.
3. De nos îours on est revenu à la théorie de
l'inspiration verbale, mais on l'explique d'une
25o LE CATÉCHISME ROMAIN
_ia__u -~
manière moins mécanique et plus psychologique.
Les mots n'ont été ni révélés, ni suggérés, ni dictés,
car l'écrivain choisi par Dieu connaissait sa langue,
mais ils ont été employés sous l'influence de la
motion inspiratrice. L'auteur, en effet, a été inspiré
pour écrire un livre et non pas seulement pour en
avoir l'idée ou pour en concevoir les pensées qu'il
devait y mettre. L'inspiration, qui commence parla
motion à écrire, s'étend à tous les actes propres à
réaliser le but visé par Dieu, à tout ce qui constitue
la composition du livre et ne s'arrête que lorsque
l'œuvre est achevée ; elle englobe donc, dans son
influence, les mots comme les pensées, du commen-
cement à la fin ; mots et pensées sont consignés
par écrit en vertu de la motion initiale et concomi-
tante du Saint-Esprit (i).
Dieu a écrit les Livres saints au moyen d'hommes
choisis comme instruments raisonnables et libres ;
dans ce but, il a élevé surnaturellement toutes leurs
facultés qui concourent à écrire et les a mues à
écrire. Or, chacun de ces instruments avait son
caractère, ses propriétés, ses perfections et ses
imperfections propres ; l'inspiration n'en a pas
changé la nature. L'élévation, qui a lieu dans l'ins-
piration, accorde à l'hagiographe une lumière pour
bien juger de ce qu'il doit écrire ; et la motion ins-
piratrice le pousse à consigner par écrit ce qui a été
bien jugé. Rien n'est changé dans les dispositions
de l'intelligence, de l'imagination et de la volonté ;
elles restent ce qu'elles étaient, mais elles sont sous
l'action divine de manière à ce que soit écrit ce que
Dieu veut et tel qu'il le veut, Dieu étant la cause
principale et l'homme la cause instrumentale. En
i. Cf. Pègues, Une pensée de saint Thomas sur V inspiration
scripturaire, dans la Revue thomiste, 1895, p. 109-110 ; Revue
biblique, iSqS, t. iv, p. 568-667 ; 1897, t. vi, p. 76-7.0.
INSPIRATION VERBALE 20 t
conséquence, Dieu, qui a choisi tel ou tel instru-
ment faillible, a prévu et permis les défauts, ou les
a voulus par accident. Pas de distinction ou de vivi-
section à faire, car cela répugne à l'intime pénétra-
tion qui existe entre l'action divine et l'action ins-
trumentale, entre Dieu élevant et mouvant l'homme
et Thomme agissant sous la motion divine. Toute
l'œuvre est de Dieu, toute l'œuvre est de l'homme,
Dieu et l'homme produisant simultanément le même
effet. Et ainsi, sans dictée matérielle, les pensées
et les mots sont inspirés par Dieu et ont Dieu pour
auteur.
Cette manière d'expliquer l'inspiration verbale
répond beaucoup mieux, croyons-nous, à l'ensei-
gnement catholique et à la psychologie de l'inspira-
tion. Les Pères et les conciles, en effet, ont pro-
clamé que la Bible est la parole écrite de Dieu. Or,
la parole écrite de Dieu, ce n'est pas seulement la
pensée, mais la pensée formulée, l'idée dans le mot
et avec le mot. Du reste, telle est la connexion
étroite qui existe entre l'idée et le mot que le Saint-
Esprit n'a pu inspirer la pensée sans avoir par là
même une influence dans le choix de l'expression
qui sert à la traduire. De la sorte, l'inspiration ver-
bale, loin d'être un fait anormal, paraît la consé-
quence naturelle de Pinspiration des idées.
Mais, dit-on, si l'inspiration s'étend jusqu'à l'em-
ploi des mots, jusqu'au choix des termes, com-
ment peut-il se faire que les écrivains sacrés aient
été autre chose que de simples instruments, des
plumes écrivant sous la dictée? Et s'ils sont de véri-
tables collaborateurs du Saint-Esprit, comment
n'ont-ils pas eu la libre disposition de la langue
dans laquelle ils s'exprimaient ?
C'est à répondre à cette objection que le P. La-
grange a consacré un article, où il distingue Pins-
2J2 LE CATECHISME ROMAIN
* ...
piration de la révélation et montre que la première
peut exister sans la seconde et implique une
influence divine jusque sur le choix des termes, ce
qui ne ressemble en rien à une dictée matérielle et
laisse à l'auteur sacré toute son activité intellec-
tuelle. L'inspiration totale, dit-il, doit être admise,
mais une inspiration qui ne gêne l'écrivain ni dans
le choix des expressions, ni dans la formation libre
de ses concepts. Deux excès sont à éviter : il ne faut
pas relever l'action de Dieu au point d'annuler celle
de l'homme ; il ne faut pas abandonner l'homme à
lui-même au point de méconnaître la qualité d'au-
teur qui est celle de Dieu. La solution n'est peut-
être pas impossible à trouver dans une philosophie
qui regarde l'activité de Dieu comme la source de
celle de l'homme et qui pense que plus l'action de
Dieu est puissante et spéciale, plus l'énergie
humaine est active, ample et personnelle.
Révélation et inspiration sont choses distinctes ;
dans la révélation, la lumière divine est connue par
celui qui la reçoit ; il n'en est pas de même dans
l'inspiration ; en outre, la manière de connaître
n'est pas la même dans l'une et dans l'autre. Il n'y
a connaissance complète que par le jugement. Or,
le jugement suppose que son objet est présent à
l'esprit. La manière dont se produit cette présence
fait toute la différence entre la révélation et l'inspi-
ration. Dans la révélation, il y a acceptio cognito-
rum; dans l'inspiration, il y a jugement sans accep-
tio. Saint Thomas distingue, en effet, le charisme
propre des prophètes, qui ne va pas sans une révé-
lation, de la grâce des hagiographes, c'est-à-dire des
écrivains sacrés qui n'ont que la simple inspira-
tion (i). Au premier stade de la composition,
. i. Sam. theol., IIa II* Q., clxxiv, a. 2, ad 3.
INSPIRATION VERBALE' 253
« l'action de Dieu sur l'intelligence par l'inspira-
tion, consiste à élever l'esprit de l'écrivain sacré
de manière à ce qu'il juge avec la certitude de la
vérité divine des objets présentés à son esprit : rien
de moins quant à la certitude, rien de plus quant à
la manière dont les objets lui sont d'abord connus.
Il n'est donc pas nécessaire d'admettre ni que Dieu
ait révélé, fourni, suggéré une seule idée, ni que
l'écrivain sacré sache que c'est lui qui parle et
donne à l'objet une certitude divine ; mais, d'autre
part, cette certitude divine existe en fait dans son
jugement, et tout ce qu'il affirmera en vertu de cette
lumière prendra son infaillibilité dans la vérité
divine elle-même ; c'est Dieu qui est la cause du
jugement certainement vrai ; c'est donc lui qui l'a
Drononcé, c'est lui qui parle et qui enseigne (i). »
i. L'inspiration des Livres saints, Revue biblique, 1896, p. 210.
Le P. Lagrange ajoute, p. 211-212, pour expliquer que, sous
l'inspiration, l'écrivain écrit tout ce que Dieu veut et rien de
plus : « Lorsque les causes secondes sont bien disposées, lors-
que Fécrivain en vertu de sa motion initiale s'est mis à l'œuvre,
ne suffit-il pas ordinairement de ce secours positif et inappré-
ciable qui est la lumière donnée tout d'abord en faveur du
jugement spéculatif ? Il est certain, en effet, qu'elle exercera
une influence considérable sur le jugement pratique. Tout ce
qui, grâce à elle, paraîtra incertain ou faux sera éliminé, ou
du moins ne sera pas affirmé. Son rayonnement s'étendra donc*
sur tout Facte de la composition. Ce ne sera pas un habitus,
une qualité permanente ; mais, donnée comme un secours-
transitoire, qui n'est pas enraciné dans son sujet, elle pourra
cependant être concédée pour un temps fort long, quoique à
de certaines intervalles, toutes les fois que l'écrivain sacré s'ap-
pliquera à son travail. Il y a plus, nous avons affirmé qu'elle
assurait la rectitude du jugement, mais nous n'avons pas dit
qu'elle ne faisait rien de plus. Une élévation de l'âme pour
mieux saisir la vérité suppose qu'on perçoit mieux non seule-
ment la vérité en elle-même, mais ses attaches avec d'autres
vérités, son opportunité, son intérêt par rapport au but pour-
suivi. Inutile donc d'exiger pour tous les cas une suggestion
254 LE CATÉCHISME ROMAIN
Mois c'est en même temps l'écrivain sacré qui
exprime son propre jugement et le formule par
écrit. Son jugement, il l'a prononcé à la lumière
inspiratrice de Dieu ; et c'est à cette même lumière
qu'il Iti formule par écrit. L'inspiration divine
atteint donc ainsi l'expression de la pensée, comme
la pensée elle-même. Et c'est en ce sens que peut se
soutenir la théorie de l'inspiration verbale (i) ;
particulière au moyen d'espèces nouvelles ou une mise en
mouvement d'espèces anciennes. Quant à l'action de Dieu sur
la volonté, elle est toujours dans un rapport étroit avec son
action sur l'intelligence. L'écrivain n'écrira rien qu'il ne l'ait
connu dans une lumière supérieure ; cette lumière sera cause
que la perception de l'objet en lui-môme et comme matière
de son livre sera tout autre que s'il avait été livré à lui-même.
Dieu sera donc cause du double jugement théorique et prati-
que. L'écrivain sacré n'écrira rien que ce que Dieu lui a fait
concevoir, et sa volonté, mise en mouvement par Dieu, se por-
tera librement sur tout cela. 11 n'écrira que ce que Dieu veut
et rien de plus ; et cependant Dieu ne lui aura peut-être pas
fourni une seule idée nouvelle, ni même excité, par une action
spéciale préalable, celles qu'il possédait déjà. »
i. D'autres que le P. Lagrange et le P. Pègues soutiennent
l'inspu *,ion verbale. Cf. Chauvin, L'inspiration, p. 167-20/i ;
Leçons d'introduction générale, p. 58-62 ; Encore l'inspiration
biblique, dans la Science catholique, mars 1900, p. 3i4-32o ;
Zanecchia, Divina inspiratio, p. 207-220 ; Dutouquet, Psycho-
logie de l'inspiration, dans les Etudes, octobre 1900, p. 163-171.
Le P. Pesch, dans son De inspiratione. p. £78-489, ne veut pas
qu'on mêle à cette explication nouvelle de l'inspiration verbale
une théorie quelconque sujette à controverse ; ni qu'on
recoure, pour la soutenir, aux arguments dont on se servait
1 jadis pour soutenir l'inspiration verbale telle qu'on l'entendait ;
ni qu'on exagère l'argument tiré de la notion de cause instru-
[ mentale,*car le concours ordinaire et l'assistance spéciale suffi-
sent, en dehors de l'inspiration, à faire de l'hagiographe une
; cause instrumentale, sans qu'il soit nécessaire que l'inspira-
tion atteigne les mots. Il reconnaît cependant que Dieu, en ins-
pirant un homme pour écrire un poème, une histoire, un dis-
cours, une lettre, et en l'aidant à former des jugements con-
INSPIRATION VERBALE 255
c'est en ce sens également que nous croyons pou-
voir l'admettre.
1. L'inspiration verbale. — « Pourquoi parler d'ins-
piration verbale et d'inspiration non verbale, d'inspira-
tion de mots et d'inspiration de choses, à l'effet de
soustraire dans l'Ecriture quelque chose à l'action de
Dieu, quelque chose à l'action de l'homme ? N'est-ce pas
de Y Ecriture que Dieu est l'auteur principal? N'est-ce pas
de Y Ecriture que l'homme est l'auteur instrumental ? Et
l'auteur principal produit-il rien dans son effet, sinon par
l'action de l'instrument? L'instrument produit-il quel-
que chose dans l'effet, sinon sous la motion de l'agent
principal ?
« Il n'y a donc pas, dans l'Ecriture, œuvre de Dieu par
les hommes de son choix, il n'y a pas un seul iota ou un
seul accent qui ne soit de Dieu ; comme aussi il n'y a pas
une seule proposition qui n'ait passé par l'action propre
de l'instrument humain. « Quand on attribue à la vertu
divine et à une cause naturelle un même effet, nous dit
saint Thomas, ce n'est pas en ce sens qu'il soit partielle-
ment de Dieu et partiellement de l'agent naturel, mais
bien parce que, tout entier des deux, il leur appartient à
divers titres. C'est ainsi que le même effet est attribué
tout entier à l'instrument, et qu'à l'agent principal il est
attribué tout entier. » Cont. GenL, m, 70. Donc, encore
formes à ces genres, exerce par là même une certaine influence
sur la détermination des mots ; mais il n'entend pas qu'on
exagère cette efficacité que tous les vocables soient déterminés
in individuo. Finalement, il résume ainsi sa pensée, p. 485 :
« Etsi psychologice fieri nequit, quin ipsum judicium de rébus
scribendis, a scriptore charismatice ad scribendum illuminato
et moto formatum, in ipsam materialem elocutionem influât j
nullo tamen solido argumento probari potest omnia et sin-
gula verba materialia Scriptural esse charismatice a Deo in
individuo determinata ; immo sunt rationes, quse suadeant
hoc non ita esse factum. » Mais, en refusant à Yinspiralion la
détermination de chaque mot, le P. Pesch requiert Yassistance
divine pour empêcher l'écrivain d'employer des mots impro-
pres.
256 LE CATÉCHISME ROMAIN
une fois, tout dans l'Ecriture est de Dieu et tout y est de
l'homme : mais de l'homme, comme de l'instrument, et
de Dieu, comme de l'auteur principal.
u II n'est plus difficile, après cela, de comprendre que
rien, dans la production de l'Ecriture, ne peut être sous-
trait à l'action de Dieu, non pas même l'acte matériel et
physique d'écrire... Qu'un peintre se soit servi d'un pin-
ceau déjà produit et déjà coloré, ou qu'il l'ait façonné
lui-même et revêtu de telle ou telle couleur, peu importe;
ce n'est pas d'après cela qu'on jugera si tout est de lui
dans l'effet final. Pour qu'il soit vraiment l'auteur de tout
dans le tableau, il n'est requis qu'une seule chose : c'est
que tout ce que le pinceau aura produit sur la toile,
même en vertu de sa forme à lui, il ne l'ait produit que
sous la motion artistique du peintre.
« De même pour les écrivains sacrés. Dieu n'a pas eu,
pour qu'il soit dit l'auteur de tout dans l'Ecriture, à
donner surnaturellement aux écrivains sacrés toutes les
pensées et tous les mots. Ce serait mal entendre l'inspira-
tion scripturaire ; ce serait la confondre avec ce que saint
Thomas appelle la prophétie proprement dite... L'inspira-
tion scripturaire n'est autre que l'acte spécial de Dieu par
lequel il peut et il doit être dit l'auteur principal, l'écrivain
premier de ce Livre qu'est l'Ecriture. Or, pour que
Dieu soit dit l'auteur principal de l'Ecriture, en sorte
jue tout, dans cet effet, lui soit attribué comme à sa
cause, et à sa cause principale, il n'est nullement requis
qu'il en ait révélé tous les mots ou toutes les pensées.
« Chose étonnante ! ce serait trop, et ce serait trop peu.
Ce serait trop : parce que si Dieu a directement déposé,
pour ainsi dire, dans l'esprit de l'écrivain sacré, toute
faite et sans que celui-ci ait travaillé, ait concouru à la
produire, sans qu'il l'ait conçue, la pensée qu'il avait des-
sein de nous écrire, alors l'esprit de l'écrivain sacré n'a
pas eu son action propre. Il n'est plus instrument ; il
n'est plus cause ; il n'est plus auteur. Dieu n'est plus
l'auteur principal de l'Ecriture, il en est Y auteur total ;
ce qui est inadmissible... Donc, dire que les pensées
exprimées dans l'Ecriture ne sont pas de l'écrivain sacré,
INSPIRATION VERBALE 2§J
à plus forte raison que le choix des mots et leur arran-
gement dans la phrase n'est pas de lui, serait dénaturer
l'inspiration scripturaire : ce serait trop dire.
« Et pourtant ce serait aussi dire trop peu. Si, en effet,
l'action inspiratrice de Dieu s'arrête là, si elle consiste
totalement à déposer une pensée toute conçue dans l'es-
prit de l'écrivain sacré, cette action me garantira bien
d'une chose, à savoir : que l'écrivain sacré a eu, dans son
esprit ou sur ses lèvres, une pensée divine ; elle ne me
garantira nullement que l'expression que j'en ai, ou l'E-
criture, soit divine. Or, que nous servirait à nous de
savoir qu'il y a eu dans l'esprit de l'écrivain sacré une
pensée divine, si nous ne savions, en même temps, que
l'expression que nous en avons est divine. Ce n'est pas
Fespritde l'écrivain sacré que nous avons entre les mains.
C'est l'Ecriture, et l'Ecriture seule. Si donc cette Ecri-
ture n'est pas divine, si l'action inspiratrice ne s'étend
pas jusqu'à elle, nous ne sommes plus assurés d'avoir
une définition, une expression divine...
« Que signifie cette expression de Notre Seigneur, cette
formule si souvent employée par lui : « comme il est
écrit? » Comme il est écrit, — par qui ? par un homme?
— Non ; mais « comme il est écrit » par Dieu même. Eh
bien ! pour que ce soit « comme il est écrit » par Dieu
même, il faut et il suffit que pas un mot, pas un iota,
pas un accent, pas une expression, rien n'ait été mis, n'ait
été écrit sur le papyrus ou les tablettes, autrement que
sous la motion scripturaire de Dieu. Cette motion scrip-
turaire qui, partant du premier moment où l'écrivain
sacré reçoit de Dieu et où il a l'idée d'écrire le livre que
Dieu veut écrire par lui, passe par tous les actes que fait
l'écrivain sacré en vue de ce même livre à écrire, et ne
cesse qu'à la complète réalisation de cette idée sur le
papyrus ou les tablettes, voilà ce qu'est l'inspiration
scripturaire...
« Mais, s'il n'est absolument rien, dans l'Ecriture,
que nous ayons voulu soustraire à l'action et, par suite,
à l'autorité de Dieu, il n'est rien aussi que nous ayons
reconnu avoir été produit dans cet effet, si ce n'est par
LE CATÉCHISME. — T. III. fj
258 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'action propre de l'instrument surélevée et divinisée, en
quelque sorte, par son union mystérieuse à la vertu ins-
trumentale que Dieu lui communiquait. Tout ce qu'un
écrivain humain fait, en verîu de sa nature humaine,
quand il veut écrire un livre, tout cela les écrivains sa-
crés l'ont l'ait. Mais, tandis que l'écrivain humain fait
cela de par les seules forces de sa nature, les écrivains
sacrés l'ont fait sous l'action, sous la motion, sous l'ins-
piration de Dieu. » Pègues, Une pensée de saint Thomajs
sur l'inspiration scripturairc. Revue thomiste, i8q5,
p. io5-no.
2. Essai d'explication de l'inspiration verbale. *•
« Il parait conforme à la manière pénétrante et douce
dont Dieu conduit le jeu des facultés, que la motion di-
vine pour écrire ceci ou cela soit précédée d'un jugement
sur la chose en elle-même qui doit être affirmée avec la
certitude divine. Ce jugement ne peut être que le résul-
tat d'une lumière qui élève l'âme, et c'est cette élévation
de l'esprit que nous nommons inspiration : inspiration
qui rayonne sur tout le travail de l'écrivain et qui ne se
diversifie qu'en raison des objets qu'elle atteint ou des
modalités que présente la vérité, considérée soit en elle-
même, soit comme apte ou non à figurer dans un écrit.
C'est aussi dans le caractère compréhensif de cette action
divine que nous trouvons la solution de la question de
l'inspiration verbale.
« 11 est à peine nécessaire de dire que nous n'admet-
tons, sauf des cas particuliers qui sont hors de cause, ni
la dictée à l'oreille, ni même une révélation intérieure
des mots au moyen d'images infuses. Nous n'admettons
même pas toujours cette révélation intérieure lorsqu'il
s'agit des concepts. Mais, en revanche, nous compre-
nons encore moins que l'expression de jugements dus à
une lumière divine soit considérée comme une chose
purement humaine. Dieu donnerait les pensées et laisse-
rait trouver l'expression, se contentant d'une assistance
négative, tout prêt à intervenir si l'écrivain trahissait par
l'expression la vérité de la pensée ! Mais, sans entrer
dans une discussion philosophique approfondie, cela
INSPIRATION VERBALE 25^
nous paraît un non-sens. Même si la pensée pouvait êtm
présentée à l'écrivain sacré toute prête à écrire, on ne
Comprendrait pas que cette pensée suggérée par Dieu fût
habillée de mots quelconques qui ne fussent pas son ex-
pression propre, et par conséquent une émanation de la-
pensée divine.
« Mais ce divorce impossible à concevoir entre la pen-
sée et l'expression est encore plus inimaginable dans le
système que nous croyons être celui de saint Thomas.
L'écrivain sacré a été élevé au-dessus de ses forces na-
turelles par une action divine qui éclaire son intelligence;
sous cette influence, il a mieux compris la vérité, il s'est
décidé à l'écrire, et tout cela ne ferait rien pour le choix
des mots ! Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement;
par conséquent celui qui est cause qu'on conçoit bien est
cause positive qu'on s'énonce comme il convient. L'ins-
piration est donnée pour écrire un livre, il est donc juste
qu'elle s'étende au livre tout entier.
« Sans doute, entre la pensée et le terme il y a une dif-
férence intrinsèque ; l'inspiration ne les atteindra donc
pas de la même manière. Le jugement doit être vrai, le
terme doit être propre. Sous la lumièce divine le juge-
ment sera donc vrai, les termes et autres accessoires
convenablement choisis. Si c'est ce que certains moder-
nes veulent dire en distinguant l'inspiration pour les pen-
sée, l'assistance pour les mots, nous sommes d'accord
pour le fond des choses.
« En deux mots, par la simple inspiration l'Esprit-
r îint ne fournit pas des idées que l'écrivain sacré rendra
comme il l'entendra, mais il éclaire les idées et le travail
de l'écrivain, plus ou moins préparé par son action anté-
rieure, et le guide pour enseigner ce qu'il veut.
« D'autre part, les affirmations de l'Esprit-Saint sont'
bien aussi celles de l'écrivain sacré qui les a acquises et
perçues dans une lumière supérieure. Dans ce système, la
causalité de Dieu s'applique surtout dans l'affirmation et
le choix des pensées, les idées conservant le sens qu'elles
ont dans Tordre humain ou dans le milieu qui a reçu la
révélation ; pourvu que le jugement soit vrai et spéciale-
2ÔO LE CATÉCHISME ROMAIN
ment voulu de Dieu, il importe peu que les éléments en
soient préexistants ou non dans l'esprit de l'homme. Il se
peut que l'inspiration n'ait rien suggéré, rien fourni, rien
déposé dans l'intelligence de l'écrivain, mais elle l'a dé-
terminé, disons décidé, pour ne froisser personne, à
écrire tout ce qu'il a écrit. » Lagrange, L'inspiration des
Livre saints, Bévue biblique, 1896, p. 2i4-ai5.
*$s îvtî î\tî îste ?to ?$* ste tffe ?fe fst/j ît/s afe fÉS SÉLëSife^Sife
Leçon VIIe
L'Ecriture Sainte
I. L'inerrance et la critique, — II. La Bible
et les sciences. — III. La Bible et V histoire.
I. L'inerrance et la critique
Opposant les règles de la prudence et de la sa-
gesse aux tentatives hasardeuses de certains
catholiques, Léon XIII a insisté à plusieurs
reprises et pour de graves motifs sur les témérités
et les dangers de la critique biblique, telle que la
pratiquent quelques exégètes (i). On prétend, en
i. BIBLIOGRAPHIE : Dausch, Die Schriftinspiration, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1891 ; Lagrange, L'inspiration des Livres
saints; L'inspiration et les exigences de la critique, dans la
Revue biblique, 1896, t. v, p. 199-200; 496-518 ; La méthode
historique, 2e édit., Paris, 190A ; Loisy, Etudes bibliques, Paris,
1901 ; Prat, Les historiens inspirés et leurs sources, dans les
Etudes, 1901, t. lxxxvi, p. 474-5oo ; Progrès et tradition en
exégèse, ibid., 1902, t. xciii, p. 289 sq, 610 sq ; La Bible et
V histoire, Paris, 1904 ; Durand, L'autorité de la Bible en matière
d'histoire, dans la Revue du Clergé, 1903, t. xxxiii, p. 5-3o ;
Brucker, Questions actuelles d'Ecriture sainte, Paris, i8g5 ;
L'inspiration et l'infaillibilité de la Bible en matière historique,
dans les Etudes, 1903, t. xciv, p. 222 sq ; Revue du Clergé, arti-
cles sur l'inerrance, dans les numéros du i5 juillet, du icr et
i5 août, du ier et i5 octobre, du ieret i5 décembre; Delat-
tre, Autour de la question biblique, Liège, 1904; de Hum-
mclauer, Exegetisches zur Inspirations J rage, Fribourg-en-Bri?-
gau, 1904; Mangenot, L'exégèse et la question de l'inspiration,
dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Paris, 1904; Pcschr
De inspiratione, Fribourg-cn-Brisgau, igcG.
«262 LE CATÉCHISME ROMAIN
» iiiji 1 — — — — »
■effet, traiter la Bible comme un livre ordinaire,
abstraction faite de son caractère inspiré, et l'inter-
préter sans se préoccuper du résultat, qu'il soit ou
non d'accord avec l'orthodoxie, pourvu qu'il pa-
raisse légitimement acquis. C'est là une prétention
abusive, un procédé des plus dangereux (i).
i° Les documents pontificaux. — 1. Déjà, dans
son Encyclique du 18 novembre i8g3, Léon XIII
avait clairement dénoncé les principes de la haute
critique, d'après lesquels toutes les questions d'ori-
gine, d'intégrité et d'autorité des livres de la Bible
doivent se résoudre par le seul examen de leurs
caractères intrinsèques (2) ; il avait également dé-
ïioncé ceux de l'école large sur la manière d'enten-
«ire l'inspiration et l'inerrance. Il revient à la charge,
te 25 novembre 1898, dans sa Lettre au Ministre
général de l'Ordre des Frères Mineurs. Après avoir fait
allusion aux enseignements qu'il avait donnés dans
1. Prop. xne condamnée par le décret Lamentabili : « L'exé-
-gète, s'il veut s'adonner utilement aux études bibliques,
-<doit écarter avant tout toute autre opinion préconçue sur l'o-
rigine surnaturelle de l'Ecriture sainte, et ne pas l'in-
terpréter autrement que les autres documents humains. » —
3. « Les ennemis de la religion prennent confiance pour
attaquer et battre en brèche l'authenticité des Livres sacrés ;
.«cette sorte de haute critique qu'on exalte arrivera enfin à ce
résultat que chacun, dans l'interprétation, s'attachera à ses
goûts et à ses opinions faites d'avance. Ainsi la lumière cher-
chée au sujet des Ecritures ne se fera pas, et aucun avantage n'en
résultera pour la science, mais on verra se manifester avec
«évidence ce caractère de Terreur qui est la diversité et la con-
tradiction des opinions. Déjà la conduite des chefs de cette
mouvelle science le prouve. En outre, comme la plupart d'en-
. tre eux sont imbus des maximes d'une vaine philosophie et
4u rationalisme, ils ne craignent pas d'écarter des saints
JLivres les prophéties, les miracles et tous les autres faits qui
surpassent Tordre naturel. » Encycl. Providentissimus* —
i/lNERRAXCE ET LA CRITIQUE 2Ô3
n ■ .i
l'encyclique Providentissimus, il ajoute : Prœcepla
vero et documenta Ponti/icis maximi neglegere, catho-
lico homini licet nemini. Il y revient encore, le 8 sep-
tembre 1899, dans sa Lettre au Clergé de France (1). ;
2. Voyant persister ou plutôt s'aggraver les caùt- '■■
ses qui lui avaient fait écrire les documents préci-
tés, il décide enfin par sa Lettre Vigilantiœ, du
3o octobre 1902, la création d'une Commission
biblique pour l'explication et la défense de l'Ecriture.
Les membres en ont été choisis parmi les hommes
les plus compétents du monde catholique, dans le 1
but de travailler à une étude approfondie de la
Bible, telle que la réclame notre époque, pour met-
tre l'Ecriture à l'abri de tout souffle d'erreur et de
toute témérité d'opinion.
« Après avoir très attentivement observé quelle est !
1. « Au sujet de l'étude des saintes Ecritures, Nous appelons
de nouveau votre attention sur les enseignements que Nous
avons donnés dans Notre encyclique Providentissimus, dont
Nous désirons que les professeurs donnent connaissance à leurs
disciples, en y ajoutant les explications nécessaires. Ils les met-
tront spécialement en garde contre les tendances inquiétantes
qui cherchent à s'introduire dans l'interprétation de la Bible,
et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas à en
ruiner l'inspiration et le caractère surnaturel. Sous le spécieux
prétexte d'enlever aux adversaires de la parole révélée l'usage
d'arguments qui semblaient irréfutables contre l'authenticité
et la véracité des Livres saints, des écrivains catholiques ont
cru très habile de prendre ces arguments à leur compte. En ,
vertu de cette étrange et dangereuse tactique, ils ont travaillé,
de leurs propres mains, à faire des brèches dans les murailles
de la cité qu'ils avaient mission de défendre. Dans Notre ency-
clique précitée ainsi que dans un autre document, Nous avons
fait justice de ces dangereuses témérités. Tout en encourageant
nos exégètes à se tenir au courant des progrès de la critique,
Nous avons fermement maintenu les principes sanctionnés en
celte matière par l'autorité traditionnelle des Pères et des con-
ciles, et renouvelés de nos jours par le concile du Vatican. » !
Lettre au Clergé de France,
^G4 LE CATÉCHISME ROMAIN
actuellement, au sujet des sciences, la marche des esprits,
ils devront penser que rien de ce qu'a découvert l'ingé-
niosité des modernes n'est étranger à l'objet de leur
travail. Bien au contraire, si un jour apporte quelque
chose d'utile à l'exégèse biblique, qu'ils veillent à s'en
emparer sans retard et à la faire passer par leurs
écrits dans l'usage commun. Aussi devront-ils cultiver
activement l'étude de la philologie et des sciences
connexes et suivre tous leurs progrès. — Qu'ils déploient
un grand soin et un zèle ardent à maintenir intacte l'auto-
rité des saintes Ecritures ; qu'ils s'eiïbrcent surtout de ne
jamais laisser prévaloir l'opinion et la méthode assurément
blâmables, qui consistent à beaucoup trop accorder aux
opinions des hétérodoxes, comme si le vrai sens des Ecri-
tures devait être cherché en premier lieu dans l'appareil
de l'érudition étrangère. Aucun catholique, en effet, ne
peut regarder comme douteux ce que Nous avons ailleurs
rappelé plus au long : Dieu n'a pas livré les saintes Ecri-
tures au jugement privé des savants, mais il en a confié
l'interprétation au magistère de l'Eglise.
« Telle est, d'ailleurs, la nature des Livres sacrés que,
Ïionr dissiper cette religieuse obscurité qui les enveloppe,
es lois de l'herméneutique sont parfois insuffisantes et
que l'Eglise doit être regardée comme la conductrice et la
maîtresse donnée par Dieu. Enfin le sens légitime de la
divine Ecriture ne peut être trouvé nulle part en dehors
de l'Eglise ni être donné par ceux qui ont rejeté son
magistère et son autorité.
a Sans doute, il arrive à l'interprète catholique de trou-
ver quelque aide chez les auteurs dissidents, surtout en
matière de critique ; toutefois la prudence et le discerne-
ment sont nécessaires. Que la science de la critique, assu-
rément très utile pour la parfaite intelligence des écri-
vains sacrés, devienne l'objet des éludes des catholiques,
c'est ce que Nous approuvons entièrement. Qu'ils se perfec-
tionnent dans cette science, en s'aidant au besoin des
hétérodoxes, Nous ne nous y opposons pas. Mais qu'ils
piétinent garde de puiser dans la fréquentation habituelle
de ces écrivains la témérité du jugement. C'est, en effet, à
/ TJTILITÉ ET DANGERS DE LA. GRITIQl 265
cet écueil qu'aboutit souvent cette méthode de critique,
dite supérieure, et dont Nous avons Nous môme plus
d'une fois dénoncé la périlleuse témérité (i). »
2. Utilité et dangers de la critique. — Quoi
de plus clair que ces solennels avertissements du
Souverain Pontife, si souvent réitérés, pour savoir
ce qu'un catholique doit penser de la critique et la
conduite qu'il convient de tenir à son égard? Loin
de l'interdire, le Pape la recommande ; c'est donc
qu'elle peut rendre d'éminents services. Mais il la
recommande de manière qu'on ne s'en serve qu'en
parfaite connaissance de cause et avec une très
grande circonspection ; dans tous les cas, le der-
nier mot doit rester à l'Eglise, seule divinement
autorisée pour interpréter le vrai sens de l'Ecriture :
c'est donc que la critique peut constituer un dan-
ger pour l'orthodoxie. Maniée par des mains inex-
périmentées ou par des esprits imprudents, à plus
forte raison par ceux, quelque habiles qu'il soient,
qui entendent traiter la Bible comme tout autre
livre sans plus, c'est une arme dangereuse. La diffi-
culté est de savoir s'en servir, et tout le monde ne
possède pas cet art délicat.
Son nom, disait Mgr Mignot (2), « sonne mal
aux oreilles catholiques, il semble synonyme de
contradiction, d'opposition. C'est que cette science
jusqu'à présent n'est guère connue en France que
par ses méfaits. Elle est, semble-t-il, l'arme des
mécontents, des frondeurs, des exaltés, des enne-
mis de la religion ; elle inspire toutes les défiances.
1. Prop. xixt condamnée par le décret Lamentibili : «Les
exégètes hétérodoxes ont rendu plus fidèlement le vrai sens
des Ecritures que les exégetes catholiques. » — 2 . L,af)olor)é-
tique et la critique biblique, 5e Lettre sur les Etudes ecclésiasti-
ques, dans la Revue du clergé, 1901, t. xxvn, p. i4-i5.
266 LE CATÉCHISME ROMAIN
« i i —
En réalité, il n'en est pas ainsi ; elle n'est ni chré-
tienne, ni antichrétienne, ni bonne, ni mauvaise,
pas plus que les mathématiques et les sciences
naturelles. Elle est une méthode de travail, un ins-
trument de recherches qui se perfectionne tous les
jours ; un examen des textes fait à la lumière de
nos découvertes modernes avec toutes les ressour-
ces historiques, scientifiques, linguistiques et autres,
mises à notre disposition parles progrès constants
de l'érudition contemporaine... La critique est un
moyen de vérification... elle est un discernement
scientifique entre le vrai et le faux... elle est le
discernement du vrai, elle n'en est pas le dénigre-
ment. » Et Mgr Mignot de conclure avec raison :
« Le seul moyen de prévenir les dangers de la
fausse critique, c'est d'en faire de la bonne (i). »
En faire de la bonne, tout est là ; et c'est bien
celle que se flattent de faire les mieux avisés parmi
nous. On convient volontiers que, si la méthode est
utilisable, elle ne l'est pas sans discernement; car
elle réclame du savoir, du tact, de la prudence, à
raison de sa délicatesse extrême et des dangers
qu'elle peut offrir chez des novices insuffisamment
préparés, elle requiert surtout et avant tout un
esprit de soumission absolue aux directions de
l'Eglise. C'est toujours à l'Eglise qu'il faut s'en
rapporter en fin de compte. A l'Eglise de diriger,
d'éclairer, d'avertir et de condamner s'il y a lieu,
elle a autorité pour cela ; à elle, s'il le faut de fixer
infailliblement le sens qu'il convient de donner à
tel ou tel texte sacré. Et ce n'est là ni une gêne, ni
une contrainte, mais une sauvegarde (2), quoi qu'on
I. Ibid., p. 16. — a. Léon XIII le faisait justement remarquer
dans son encyclique Providentissimus : « Par cette loi pleine de
sagesse, l'Eglise n'arrête et ne contrarie en rien les recherches de
la science biblique, mais elle la maintient à l'abri de toute erreur
UTILITÉ ET DANGERS DE LA CRITIQUE 267
en ait pu dire ; c'est la liberté dans l'obéissance. Il
le faut bien, si l'on est sage ; car il importe de se
prémunir contre les illusions du subjectivisme
kantien, en face de la vérité révélée, qui dépasse la
portée de l'intelligence. « Dans ces conditions, dit
le P. Lagrange, l'obéissance n'est pas un esclavage
irrationnel, précisément parce que le fait surnaturel
est une partie de notre étude, et que nous n'en
avons pas reçu de Dieu la révélation particulière.
Mais je dis de plus que nous suivons une excellente
méthode en pratiquant la critique sans jamais per-
dre de vue l'autorité de l'Eglise, parce que la règle
même de la critique, c'est de tenir compte du
milieu, et que l'Eglise est précisément le milieu où
a paru l'Ecriture (i). »
Ainsi comprise et prudemment appliquée, la
critique ne saurait plus être un danger pour la foi,
puisqu'elle reconnaît l'autorité de l'Eglise. La foi
n'a rien à craindre de ses travaux. « Aucun de nos
dogmes, assure Mgr Mignot, ne serait en danger
quand même, par hypothèse, plusieurs des théories
critiques actuelles devraient être un jour confirmées
par les faits. La vérité n'en serait pas altérée. Il
et contribue puissamment à ses véritables progrès. Chaque
Docteur, en effet, voit ouvert devant lui un vaste champ dans
lequel, en suivant une direction sûre, son zèle peut s'exercer
d'une façon remarquable et avec profit pour l'Eglise. A la
vérité, quant aux passages de la sainte Ecriture qui attendent
encore une explication certaine et bien définie, il peut se faire,
grâce à un bienveillant dessein de la Providence de Dieu, que
le jugement de l'Eglise se trouve pour ainsi dire mûri par une
étude préparatoire. Mais, au sujet des points qui ont déjà été
fixés (et qui sont en très petit nombre), le docteur peut jouer
un rôle également utile, soit en les expliquant plus clairement
à la foule des fidèles, d'une façon plus ingénieuse aux hommes
instruits, soit en les défendant plus fortement contre les adver-
saires de la foi. »
1. La méthode historique, p. 3q.
268 LE CATÉCHISME ROMAIN
^* ■■ '■' ' ■ ^— ^ ^— !■■■■ ■ ii !■■■ ^ ^ — ^—^— — — »^»
suffirait de changer l'ordre et la forme de nos
preuves, puisque le dogme ne dépend pas de tel
procédé de démonstration (i). » C'est la pensée du
P. Lagrange et de tous ceux qui s'occupent de cri-
tique biblique.
Malgré cette assurance, un reste de méfiance et
de crainte persiste au fond de certains esprits. On
voit bien que, sur le terrain des principes tout le
monde est d'accord, mais, dans la pratique, les
partisans de l'enseignement traditionnel n'aperçoi-
vent pas toujours comment on sauvegarde le dogme
de l'inspiration plénière et Finerrance qui en est la
suite. Incontestablement, la Bible actuelle contient
des imperfections, des contradictions et même des
erreurs matérielles. C'est à expliquer leur nature et
leur présence dans l'Ecriture que chacun s'applique
du mieux qu'il peut ; mais n'est-ce pas, demande-
t-on, au détriment de l'inspiration? Et la pratique
ne contredit-elle pas la théorie ? Sur les questions
d'ordre scientifique, plus de difficulté; Léon XIII
a prononcé la parole libératrice, en indiquant les
principes de solution. Mais sur les questions d'or-
dre historique, il ne semble pas en être de même.
De là de multiples tentatives de la part de nos
exégètes. Si toutes ne sont pas couronnées de suc-
cès, quelques-unes du moins serrent le problème
de près. A défaut d'une solution définitive et à l'abri
de toute suspicion et de tout reproche, il est permis
de croire que les efforts de ces dernières années ne
seront pas complètement perdus. Que l'orthodoxie
veille et demande des preuves positives, rien de
mieux ; elle ne songe pas à décourager, par d'illégi-
times soupçons, les travaux des exégètes. Que ceux-
ci, de leur côté, n'affichent pas envers les théolo-
i. V apologétique et la critique biblique, p. 7.
UTILITÉ ET DANGERS DE LA CRITIQUE 269
giens un dédain exagéré et poursuivent leur marche
en avant, toujours prêts à accepter l'enseignement
de l'Eglise dès qu'il sera notifié. Qu'ils ne préten-
dent pas que la loi ecclésiastique de V Imprimatur ne
s'étend pas à ceux qui cultivent la critique de l'exé-
gèse scientifique de la Bible ; que l'interprétation
des Livres saints est sujette à un jugement plus
approfondi des exégètes et à correction ; que, des
jugements et des censures ecclésiastiques portés
contre l'exégèse libre et plus savante, on est en
droit d'inférer que la foi proposée par l'Eglise est en
contradiction avec l'histoire ; que le magistère de
l'Eglise ne peut pas déterminer le sens propre de
l'Ecriture, même par des définitions dogmatiques ;
qu'on doit estimer exempts de toute faute ceux qui
tiennent pour non avenues les condamnations des
Congrégations romaines ; et enfin que l'exégète,
pour s'adonner utilement aux études bibliques, doit
écarter avant tout toute opinion préconçue sur l'ori-
gine surnaturelle de l'Ecriture sainte, et ne pas l'in-
terpréter autrement que les autres documents
purement humains (i). Qu'ils tiennent compte sur-
tout de l'Encyclique Pascendi dominici. A ces con-
ditions, la paix régnera tout d'abord, une paix
d'autant plus féconde, espérons-le, que chacun y
apportera plus de bienveillance, de loyauté et de
bonne volonté.
Essayons maintenant de montrer comment Finer-
rance biblique se concilie avec les données de la
science et de l'histoire. « Il est impossible que
Dieu enseigne l'erreur. Il est donc impossible, non
pas que la Bible, où tout le monde prend la parole,
contienne des erreurs, mais que l'examen intelligent
de la Bible nous force à conclure que Dieu a ensei-
1. Prop. 1, 11, m. iv, vin, xii, condamnées par le décret
Lamentabili, du 4 juillet 1907 : cf. le texte en tête de ce volume.
2yO LE CATECHISME ROMAIN
grïé l'erreur (i). » C'est à cet « examen intelligent »
qu'il faut procéder pour constater comment « Dieu
n'enseigne rien de taux, ne s'appuie sur rien de
faux comme élément matériel de son enseignement,
Il est libre de se servir de nos idées scientifiques ou
de l'histoire comme d'un simple procédé de prépa-
ration, ainsi qu'il mènerait nos idées au point voulu
par une comparaison ou une parabole (2). »
[ !
II. La Bible et les Sciences
i° Erreur de tactique au xix' siècle. — En
présence de l'essor prodigieux et des merveilleux
progrès des sciences physiques et naturelles, dont
s'emparaient les incrédules pour battre en brèche
le catholicisme, les apologistes du xix° siècle cru-
rent bon de défendre la Bible, au nom delà science
elle-même et sur le terrain scientifique. La tactique
était habile ; elle pouvait être indiscrète, et l'expé-
rience montra qu'elle n'était pas sans danger. Les
Pères n'avaient pas songé à y recourir ; ils s'en
étaient tenus de préférence au sens littéral et obvie
de l'Ecriture, sans se préoccuper outre mesure de
ce que les sciences naturelles pouvaient enseigner,
et sans chercher à mettre quand même d'accord
la Bible avec la science. Car, à leurs yeux, et ils
avaient raison, la Bible ne contient pas toutes sortes
de vérités ; elle renferme la vérité religieuse, celle
qui est nécessaire et utile au salut, et non la vérité
scientifique. On peut dire, en effet, des auteurs
sacrés en général ce que saint Augustin disait des
apôtres: « On ne lit pas dans l'Evangile que le Sei-
gneur leur ait dit : « Je vous envoie le Paraclet
pour vous enseigner le cours du soleil et de la.
• 1. Lagrange, La méthode historique, p. 92. — a. Ibid., p. 101».
LA BIBLE ET LES SCIENCES 27 1
>■ ■ ■ ■
lune. » Il voulait faire des chrétiens et non des
mathématiciens (i). »
L'attitude des Pères fut oubliée ; on crut plus
habile d'en prendre une autre, que semblaient com-
mander les circonstances, et d'accepter le combat
sur le terrain choisi par les adversaires. En consé-
quence, les apologistes, avec plus de courage que
de prudence, essayèrent de montrer que la Bible,
pour ancienne qu'elle fût, était en avance et renfer-
mait déjà, d'une manière plus ou moins explicite,
ce que la science avait mis tant de temps et de pei-
nes à découvrir. De là des essais de conciliation à
tout prix entre l'Ecriture et les données scientifiques.
Tentative téméraire et malheureuse !
Il fallut en rabattre et abandonner l'une après
l'autre les fausses positions prises, qui n'étaient plus
tenables, alors qu'il eût été si tacile, non pas certes
de se désintéresser du mouvement et des résultats
scientifiques, mais de montrer qu'ils ne pouvaient
compromettre en rien l'autorité de la Bible.
Comme le remarque le P. Lagrange, résister
n'est pas possible ; se plier à toutes les exigences
du mouvement scientifique, passe encore ; mais y
plier le texte sacré, ce n'est pas digne de la loi et
c'est un artifice réprouvé par la critique. Mais alors
il ne reste qu'un parti à prendre, celui de faire abs-
traction des découvertes scientifiques actuelles et
de faire de l'exégèse avec la science ancienne, ou
plutôt d'appliquer le principe fécond signalé par
saint Augustin, formulé par saint Thomas d'Aquin
et consacré officiellement par Léon XIII, dont il va
être question.
2* La Bible n'est pas un livre de science. —
Une remarque s'impose, en effet, c'est que la Bible
I. De actis cum Felice, i, 10 ; Pair, lat.9 1. xlii. col. 5a5.
272 LE CATECHISME ROMAIN
m ■ 1. ■ ■ — — — ii — — — — ^^
est un livre religieux, ce n'est pas un manuel
scientifique. Il n'est pas question dans l'Ecriture de
révélation scientifique ; et, dans le catholicisme, la
religion n'est pas inféodée à la science.
La science est toujours in fieri', elle progresse,
oui, mais il lui arrive parfois de n'aboutir qu'à des
résultats provisoires, qui sont l'engouement d'un
jour et qu'on rejette le lendemain. Dans ses résul-
tats certains, que peut-elle contre la Bible, puisque
les vérités qu'elle enseigne ne sont pas du même
ordre? Et est-il admissible, du reste, que le vrai
scientifique, dès qu'il est légitimement acquis, puisse
être en contradiction avec la vérité religieuse ? Loin
de là ; a priori, c'est impossible.
Sans doute, on rencontre parfois dans la Bible des
affirmations en matière scientifique. Mais les au-
teurs inspirés ne les donnent pas en hommes du
métier, ils ne traitent pas de la science ex professo ;
ce qu'ils en disent est purement l'expression des
apparences, en conformité avec l'opinion courante
de leur temps, de manière à se faire comprendre
de leurs lecteurs. Il se peut donc qu'en agissant da
la sorte, leur langage populaire, accessible à tous,
soit en désaccord avec la rigueur scientifique d'au-
jourd'hui ou avec celle de demain. Quel incon-
vénient à cela ? Et en quoi l'inerrance biblique en
pourrait-elle être atteinte (1) ?
1. « Le domaine de la révélation et celui de la science sont
distincts ; rarement ils se rejoignent ; plus rarement ils se
compénètrent. C'est sur le terrain de la philosophie qu'a lieu
le contact. Mais si théologien et savant se renferment dans
leurs frontières respectives, évitant de donner pour certain ce
qui ne l'est pas, tout péril de conflit sera écarté. — Le but
premier, la raison essentielle d'un livre inspiré n'est pas et ne
peut pas être la science. Il n'y a de science révélée que dans la
mesure nécessaire au salut de l'homme et à l'économie de la
foi. Dès lors l'explication prétendue scientifique de l'Ecritura
DÉFINITION DE LA FOI 27^
dans les ténèbres non seulement de l'incompréhen-
sible mais encore de l'inintelligible, il est des catho-
liques qui penchent soit du côté de l'agnosticisme,
soit du côté du mysticisme. Pour M. Brunetière,
« les raisons de croire ne sont pas de l'ordre intel-
lectuel, mais de l'ordre moral ; on croit parce que
l'on veut croire (i). » M. Faguet pense de même :
« L'idéal ne se prouve en aucune façon : on ne
l'aime qu'en y croyant, sans aucune raison d'y
croire, ce qui est proprement un acte de foi. »
« L'acte de foi consiste à dire : je crois parce que
j'aime (2). » D'autres ne cessent de répéter avec
Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît point... C'est le cœur qui sent Dieu, et non
la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sen-
sible au cœur, non à la raison (3). »
Parmi nos contemporains, quelques catholiques
ont porté les efforts d'une analyse psychologique
pénétrante et minutieuse sur la foi pour en mieux
déterminer et préciser les divers éléments. Mais les
uns, fidèles aux données scolastiques, accentuent
peut-être un peu trop le caractère intellectuel de
l'acte de foi, et cela, semble-t-il, au détriment de la
volonté ; et c'est ainsi que l'on accuse la définition
scolastique de la foi d'être insuffisante, « parce
qu'elle n'implique pas un élément psychologique
essentiel, sans lequel la foi reste philosophiquement
inexplicable et la synthèse de l'ordre naturel et de l'or-
dre surnaturel absolument incompréhensible (4). »
Les autres, au contraire, mettent en un puissant
relief l'intervention de la volonté, et, sans nier
1. Brunetière, La science et la religion, p. 62, note. — 2. Fa-
guet, La religion de nos contemporains, dans la Revue bleue,
ianvier 1896. — 3. Pensées, édit. Havet, xxiv, 5. — 4- Péche-
gut, Une définition de la foi, dans la Revue du clergé» 1902, t.
xxix, p. 72.
LE CATÉCHISME. — T. I. T8
274 LE CATÉCHISME ROMAIN
le caractère intellectuel de l'acte de foi, le rejettent
au second plan, ce qui semble dénaturer la vraie
notion de la foi.
En quoi consiste donc véritablement la foi ?
Quelle est sa nature ? Et quel est le rôle qui revient
dans cet acte mystérieux soit à la raison soit à la
volonté ? C'est ce que nous allons demander à
l'enseignement formulé par le concile du Vatican.
4. Voici d'abord la définition de la foi donnée par
le concile : « Cette foi, qui est le commencement
du salut de l'homme, l'Eglise catholique professe
que c'est une vertu surnaturelle par laquelle, prévenus
et aidés de la grâce de Dieu, nous croyons vraies les
choses qu'il a révélées, non pas à cause de leur vérité
intrinsèque perçue à la lumière naturelle de la raison,
mais à cause de ï autorité de Dieu même qui révèle et
qui ne saurait être ni trompé ni trompeur. La foi est,
en effet, au témoignage de l'apôtre, la substance
de ce que nous espérons et la conviction de ce que
nous ne voyons pas (1). »
Cette définition dogmatique est de capitale im-
portance. Chacun de ses termes porte. Contentons-
nous d'en indiquer ici les principaux éléments,
sauf à insister ensuite sur quelques-uns d'entre
eux, ce qui nous permettra par une précision plus
grande de répondre à certaines difficultés.
Là où le concile de Trente ne parle que de l'acte
de foi préparatoire à la justification, le concile du
Vatican considère la foi comme une vertu, comme
une habitude, comme une disposition permanente
de Tâme, mais comme une Arertu surnaturelle, c'est-
à-dire dépassant les exigences et les ressources de
1. Voir dans la Somme théologique, na nœ, Q. iv, a. 1, l'expli-
cation de ce texte, où saint Thomas montre tous les éléments
constitutifs d'une définition de la foi.
DÉFINITION DE LA FOI 275
notre nature, ne pouvant être en nous que par une
infusion divine, par un don gratuit de Dieu. Nous
aurons à revenir sur ce sujet quand nous traiterons
des vertus théologales.
Comme le concile de Trente, le concile du Vati-
can signale le rôle nécessaire que joue dans l'acte
de foi la grâce prévenante et adjuvante. Il caractérise
ensuite la nature spéciale de cet acte en disant
qu'il nous fait croire vraies les choses que Dieu a
révélées. Et du même coup il nous fait connaître le
sujet et Y objet matériel de la foi. Le sujet d'abord ;
car, du moment qu'il s'agit d'une adhésion à la-
vérité des choses révélées ou, comme s'exprime le
Catéchisme romain, d'un « assentiment total, »
d'un « acquiescement, » d'une « connaissance, » il
ne peut être question que de l'intelligence, c'est-à-
dire de la faculté spéciale de l'âme sur laquelle
s'insère et se greffe la vertu de la foi. L! 'objet maté-
riel ensuite, c'est-à-dire les vérités révélées par Dieu.
Mais le concile du Vatican, tout comme le Caté-
chisme romain et d'une manière plus précise, indi-
que le motif de notre adhésion à la vérité révélée,
ce que les théologiens appellent Y objet formel delà, foi.
Pourquoi croyons-nous à la vérité révélée ? Ce n'est
pas à cause de sa vérité intrinsèque perçue à la
lumière naturelle de la raison, parce que dans ce cas
la foi se confondrait avec la science, mais c'est
à cause de V autorité de Dieu même qui ne peut ni être
trompé ni tromper. Et c'est justement par là que la
foi se distingue de toutes les autres espèces d'adhé-
sion.
IV. Le motif de la Foi
ou son objet formel
Quel est le motif propre de la foi, la raison dé-
276 LE CATÉCHISME ROMAIN
terminante de notre adhésion à la vérité révélée, ce
qui la fonde et constitue sa raison dernière et
suprême, ce qui fait que la foi est foi et la distingue
des autres connaissances, ou, comme disent les
théologiens, son objet formel ?
1. Faut-il le placer avec les rationalistes dans la
perception claire ou l'évidence de la vérité ? Faut-il
le mettre dans l'habitude infuse de la foi, qui
jouerait ainsi par rapport aux vérités révélées le
rôle de l'évidence pour les vérités naturelles?
Serait-ce la perfection souveraine de l'être de Dieu,
source première de sa véracité ? Serait-ce ce que l'on
désigne d'ordinaire sous le nom de motifs de cré-
dibilité, ou bien l'autorité de l'Eglise, ou enfin le
fait même de la révélation ?
Rappelons tout d'abord que l'homme a deux
manières de connaître : par la science et par la foi.
Par la science, à l'aide des seules lumières de la
raison, il voit, il se rend compte, il s'explique le
pourquoi et le comment des choses, il en pénètre
la vérité intrinsèque. Par la foi, il adhère à la vérité
sur le témoignage d'autrui, témoignage préalable-
ment jugé certain et véridique. Or, ce qu'il importe
de remarquer, c'est que ce témoignage provient
originairement de quelqu'un qui sait de science
certaine la vérité de ce qu'il affirme. Et de la sorte,
croire c'est participer à la science positive de
celui qui sait et qui dit ce qu'il sait. Ce qu'il sait, le
témoin originaire le sait par lui-même, de science
immédiate, par l'évidence intrinsèque de la vérité.
Au contraire, celui qui croit ne possède pas cette
connaissance intrinsèque de la vérité, mais il admet
quand même la vérité sur le témoignage de celui
qu'il estime savoir ce qu'il dit et dire ce qu'il sait.
Légitimement garanti, il en possède du moins une
connaissance ferme et certaine, bien que médiate
LE MOTIF DE L.V FOI 277
et extrinsèque, qui se distingue du doute, du
soupçon, de l'opinion. Car le doute existe quand
l'esprit ne se prononce pas ; le soupçon, quand il
penche d'un côté, mais sans oser se prononcer;
l'opinion, quand il embrasse un sentiment, tout en
craignant que le sentiment contraire ne soit pré-
férable. Or, remarque saint Thomas (i), l'acte
de foi implique une adhésion ferme, exclusive de
toute crainte d'erreur, et celui qui croit a cela de
commun avec celui qui sait et qui connaît. Toute-
fois celui qui croit n'a pas comme celui qui sait
la connaissance parfaite qui résulte de l'évidence
intrinsèque, et en cela il ressemble à celui qui
doute, qui soupçonne, qui a une opinion, mais il
connaît.
2. Ainsi en est-il pour l'acte de foi chrétienne.
Le motif qui le détermine n'est pas, — et c'est
l'enseignement formel du concile du Vatican (2), —
« la vérité intrinsèque de la chose révélée perçue à
la lumière naturelle de la raison, » puisque d'or-
dinaire cette chose échappe aux prises de notre
intelligence et reste enveloppée d'ombre et de mys-
tère. La foi, en effet, n'est pas la science ; son
motif, et c'est encore le concile du Vatican qui le
dit, diffère du fondement de la science. Ne pas
distinguer la foi divine de la science naturelle
de Dieu et des choses morales, serait encourir
l'anathème porté par le canon 2 (3). L'apôtre saint
Paul écrivait aux Corinthiens : « C'est dans la
faiblesse, dans la crainte et dans un grand trem-
blement que je me suis présenté chez vous ; et ma
parole et ma prédication n'avaient rien du langage
persuasif de la sagesse, mais l'Esprit (Saint) et la
1. Sum. theolog., na 11*, Q. 11, a. 1; Q. iv, a. 1. — 2. Const.
Dei FUius, c. 111, Si- — 3. Ibid., c. m, can. 2.
278 LE CATECHISME ROMAIN
force de Dieu en démontraient la vérité, afin que
votre foi repose, non sur la sagesse des hommes,
mais sur la puissance de Dieu (1). » Il leur disait
encore : « Nous renversons les raisonnements et
toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu,
et nous assujettissons toute pensée à l'obéissance du
Christ (2). » C'est la foi qui ne se fonde pas sur les
moyens et les raisonnements humains, sur l'évidence
de la vérité qu'elle croit.
3. Le motif propre, l'objet formel de la foi, ce
qui fait croire aux choses révélées de Dieu, c'est,
d'après le texte du concile, a l'autorité de Dieu
révélateur, qui ne peut ni se tromper ni nous
tromper. » Cette autorité implique, comme on le
voit, deux éléments : la science infaillible de Dieu
et sa véracité absolue, tous deux également néces-
saires et essentiels. En dernière analyse, c'est à cause
de cette autorité divine que je donne mon assenti-
ment à la vérité révélée, que je fais l'acte de foi.
Kotre Seigneur disait : « Celui qui m'a envoyé est
véridique, et ce que j'ai entendu, je le dis au
monde (3), » « Nous disons ce que nous savons, et
nous attestons ce que nous avons vu, mais vous no
recevez pas notre témoignage,,. Celui qui vient du
ciel est au dessus de tous, et ce qu'il a vu et entendu,
il l'atteste,,, Celui qui reçoit son témoignage cer-
tifie que Dieu est véridique (4). »
4, Sans doute, l'Eglise sert d'intermédiaire entre
Dieu et nous. Son autorité est divine ; elle a reçu
de Dieu le droit de proposer et d'imposer les vérités
à croire ; mais son rôle consiste à certifier et k
garantir sans crainte d'erreur la réalité et le contenu,
de la révélation, Dans l'état actuel de l'humanité,
j, ï Cor., u, 4-5» — 2» Il Gor,, x, 5, — 3, Jqml, mu, 30,
— *4- JyuM'f ilh a* 33,
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 279
ce rôle est le moyen ordinaire, la règle commune,
dont Dieu se sert pour nous faire arriver à la foi ;
mais il n'est pas absolument indispensable et il n'est
pas exclusivement le seul. Dans la formule de l'acte
de foi, que récitent les fidèles, il est dit qu'on croit
tout ce que la sainte Eglise catholique, apostolique
et romaine ordonne de croire, mais on ne le croit
pas simplement parce qu'elle l'ordonne, on le croit
parce que Dieu l'a révélé et qu'il est la vérité même.
C'est toujours sur l'autorité de Dieu qu'on s'appuie,
et c'est uniquement cette autorité qui est le motif
propre ou l'objet formel de la foi.
5. Mais faut-il pourtant, pour qu'il y ait acte de
foi, que Dieu ait révélé ? Car, même dans l'hypo-
thèse où Dieu n'aurait rien révélé, son autorité n'en
existerait pas moins et il aurait toujours droit à
notre hommage à raison de sa science infaillible et
de sa véracité absolue ; mais il ne saurait y avoir
acte de foi, car un témoin muet n'apprend rien.
Pour être cru, il faut qu'il parle, qu'ilrévèle quelque
chose. Par suite la révélation est indispensable pour
qu'il puisse y avoir acte de foi ; c'est une condition
requise, et c'est pourquoi le concile du Vatican,
dans la question présente, ajoute à Dieu le qualifi-
catif de révélateur. Il dit, en effet, propter auctori-
tatem Dei revelantis ; mais il n'a pas dit : propter
auctoritatem Dei et propter revelationem, ce qui laisse
libre par conséquent la question de savoir si la
révélation, en tant que fait, entre pour une part
dans le motif propre ou l'objet formel de la foi.
V. Les motifs de crédibilité
L'acte de foi doit être un acte humain : il requiert
par conséquent le concours de nos facultés, celui
.f28o LE CATÉCHISME ROMAIN
de l'intelligence pour être vraiment rationnel, celui
de la volonté pour être vraiment libre. Comme,
d'autre part, il est salutaire au sens théologique du
mot, et constitue le commencement de la justifica-
tion, il doit être inspiré et informé par la grâce,
ainsi que nous le verrons. Toutefois il n'est pas une
improvisation.
i. Chez le simple fidèle, déjà en possession de la
vertu de foi reçue au baptême et vivant dans un
milieu chrétien, l'acte de foi est l'exercice normal de
«« son habitude infuse ; il se trouve justifié en soi par
l'autorité du témoignage de l'Eglise, qui lui est
, notifié par ses parents, ses maîtres ou ses pasteurs.
Sans doute les chrétiens, pour le plus grand nombre,
sont incapables par eux-mêmes de justifier la valeur
du motif qui les pousse à faire l'acte de foi ; mais, en
le faisant, ils sont suffisamment garantis par l'auto-
..rite de l'Eglise à laquelle ils appartiennent. Car,
ainsi que l'enseigne le concile du Vatican, « c'est à
., l'Eglise catholique seule qu'appartiennent toutes
m ces notes si nombreuses et si frappantes par lesquel-
les Dieu a rendu évidente la crédibilité de la foi
chrétienne. Bien plus elle est par elle-même un
grand et perpétuel motif de crédibilité, en même
temps qu'un témoignage irréfragable de sa mission
„ divine... Elle donne à ses enfants une assurance
,plus certaine que la foi qu'ils professent repose sur
un très ferme fondement (i). »
, 2. Chez l'incrédule, au contraire, l'acte de foi ne
* se produit qu'après un travail préparatoire, parfois
assez long, toujours délicat à cause de tant de mo-
biles d'ordre divers qui entrent en jeu, réalisable
pourtant pour toute âme de bonne volonté. En
effet, à l'aide de la raison et sur des preuves d'or-
, i. Çonst. Dei Filius, c. ni, § 5 et 6.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 28 1
dre philosophique, l'incrédule peut se convaincre
tout d'abord que Dieu existe, — et c'est là une pre-
mière vérité dont il ne saurait raisonnablement dou-
ter, — qu'il possède une science infinie à l'abri de
toute erreur et une véracité qui le rend absolument
incapable de tromper, c'est-à-dire une autorité
au-dessus de tout soupçon. Que Dieu, dans sa
bonté et sa condescendance, puisse communiquer
à l'homme un enseignement divin, c'est encore une
vérité dont la certitude métaphysique ne peut être
légitimement révoquée en doute. Que Dieu ait dû
s'adresser à l'homme, ou, en d'autres termes,
qu'une révélation divine ait été moralement néces-
saire, c'est ce que justifie amplement une étude
psychologique de la nature humaine.
3. Mais Dieu a t-il parlé? Existe- t-il une révéla-
tion ? Et s'il a parlé, peut-on le savoir pertinem-
ment sur des preuves certaines, indubitables ?
Quelles sont ces preuves ? Autant de questions à
résoudre au moyen de l'histoire par l'examen de la
valeur des témoignages, car les faits se prouvent
par des témoins, et le fait de la révélation doit être
entouré des garanties testimoniales les plus irrécu-
sables.
C'est ici qu'interviennent les motifs de crédibilité.
Aussi est-ce avec raison, que le concile du Vatican
les signale pour montrer que l'acte de foi, loin
d'être un assentiment aveugle et un saut dans
l'inconnu, se trouve pleinement justifié aux yeux
de la raison. Ces motifs de crédibilité, en effet,
préparent l'acte de foi, mais ne sont pas l'acte de
foi. Ils aident à faire voir qu'il y a une vérité révélée
par Dieu, qu'elle doit donc être acceptée comme
telle ; ils aident à constater d'une part le fait de la
révélation, et, d'autre part, l'obligation qui s'impose
de l'accepter.
282 LE CATÉCHISME ROMAIN
La raison doit se convaincre, non de la vérité
intime des affirmations du témoin, chose qui peut
avoir lieu dans la suite, mais avant tout du droit du
témoin à être cru sur parole, de la valeur de son
témoignage. Mais une fois bien établies l'autorité et
l'existence du témoignage divin, l'hésitation n'est
plus de mise. Ce serait folie, dit saint Augustin,
d'attendre alors pour croire qu'on ait résolu toutes
les questions, a quœ non surit finiendx antejidem, ne
finiatur vlla sine fide (1). » Rien de plus juste : Dieu
a parlé, il n'y a plus qu'à s'incliner. En faisant alors
l'acte de foi, on est certain d'avoir agi raisonnable-
ment.
4. Quels sont donc ces motifs de crédibilité qui
amènent ainsi à l'acte de foi ? Il y en a d'internes,
il y en a d'externes. Les uns, inspirés du Saint-
Esprit ou jaillissant des profondeurs mystérieuses
de la conscience, peuvent se nuancer indéiiniment
et échappent même le plus souvent au contrôle de
celui qui leur obéit ; les autres s'imposent du de-
hors. Le concile y fait allusion en ces termes :
« Afin que l'hommage de notre foi fût d'accord avec
la raison, aux secours internes du Saint-Esprit Dieu
a voulu joindre des preuves extérieures de sa révé-
lation. » Le concile ne prétend pas que les motifs
internes soient jamais insuffisants, car Dieu peut
très bien éclairer surnaturellement une âme et lui
donner l'assurance indubitable qu'il est l'auteur de
telle ou telle révélation ; c'est ainsi notamment
qu'il en a agi avec les prophètes, et c'est ainsi qu'il
en agit encore avec quelques rares privilégiés ; mais
tel n'est pas l'ordre ordinaire de la Providence.
5. L'erreur des protestants a été précisément de
n'accorder de valeur pour la foi qu'aux motifs inter-
1. Saint Augustin, Epist. en, 38, Pat. lat., t. xxxiii, col. 386*
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 283
nés de crédibilité à l'exclusion de tout motif externe.
D'après les anciens réformateurs, chaque chrétien
possède une lumière surnaturelle qui lui permet de
découvrir dans l'Ecriture la vraie parole de Dieu et
sa signification véritable. Mais, depuis le xvi° siècle,
on a marché dans le sens de plus en plus accentué
du rationalisme et de l'individualisme : à la lumière
surnaturelle on a substitué, comme. critérium de la
révélation, la lumière naturelle de la raison. L'Ecri-
ture elle-même ne compte guère plus, et, depuis
Schleiermacher, tout se réduit de plus en plus, chez
les protestants libéraux, à un vague sentimentalisme
religieux, où la révélation n'est pas un témoignage
externe de Dieu, mais la conscience intime des
rapports de l'âme avec Dieu. Ainsi, tandis que les
uns repoussent absolument la valeur ou la nécessité
des motifs externes de crédibilité, d'autres, moins
radicaux, n'y voient pour le croyant qu'un secours
qui vient aider la foi et la suppose déjà, et pour
l'incroyant que des faits inadmissibles et sans
portée. Car c'est aujourd'hui la tendance générale,
parmi les protestants, d'en appeler exclusivement
au sentiment religieux, à l'expérience interne, à
une action directe du Saint-Esprit, à une certitude
immédiate et subjective de la foi. Or cette négation
de l'efficacité des signes externes pour rendre
croyable la révélation, et cette prétention de ne s'en
tenir qu'à une expérience personnelle interne ont
été condamnés par le concile du Vatican : « Ana-
thème à qui dirait que la révélation divine ne peut
être rendue croyable par des signes extérieurs, et
par conséquent que les hommes ne doivent être
amenés à la foi que par une expérience interne et
personnelle ou par une inspiration privée (i). »
i. Const. Dei Filius, c. ni, can. 3.
284 LE CATÉCHISME ROMAIN
6. Le concile détermine clairement la part qui
revient aux motifs externes de crédibilité dans la
préparation à la foi ; il estime que ce sont des
preuves solides et suffisantes pour légitimer l'accep-
tation de la révélation ; car, dit-il, aux secours
intérieurs du Saint-Esprit, Dieu a voulu joindre des
preuves extérieures de sa révélation, savoir des faits
divins, et surtout des miracles et des prophéties,
qui, en montrant abondamment la toute-puissance
et la science infinie de Dieu, font reconnaître la
révélation divine, dont ils sont les signes très cer-
tains et appropriés à l'intelligence de tous (i). »
Parmi ces faits divins qui sont des arguments
externes, des signes très certains de la révélation
divine, des preuves du témoignage de Dieu, le
concile ne cite ici exceptionnellement que les
miracles et les prophéties ; mais il n'oublie pas,
deux paragraphes après, de signaler l'existence de
l'Eglise catholique comme une preuve évidente de
la crédibilité de la foi chrétienne.
7. Ces motifs de crédibilité, ces signes très
certains et appropriés à l'intelligence de tous,
constituent une solide et véritable démonstration de
la foi, non pas assurément une démonstration
mathématique, mais une démonstration capable
de légitimer l'adhésion de l'esprit, à l'exclusion de
tout doute sérieux et motivé, et de produire une
certitude suffisante pour justifier l'acte de foi. Les
qualifier de simples probabilités, c'est trop peu dire.
Et sans doute c'est là le terme qu'employait
INewman dans le récit de sa conversion, quand il
disait : Dieu a voulu que, « dans la recherche de la
religion, nous arrivions à la certitude par des
probabilités accumulées... 11 nous conduit, si se>>-
1. Ibid., c. m, s 2.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 285
lement notre volonté coopère avec la sienne, è "ne
certitude qui s'élève plus haut que la puissance
logique de nos conclusions (i).*» Non, ce ne sont
pas de simples probabilités, ce sont des preuves
certaines ; ils constituent une certitude réelle. Plus
loin, au delà de la raison logique, après l'acte de
foi, dans la réalité de la foi possédée et vécue, la
certitude est œuvre plus haute, comme dit NeAvman,
mais cette certitude résultant de la vie même de la
foi n'exclut pas la certitude qu'apportent les motifs
de crédibilité et qui précède l'acte de foi.
8. Est-ce à dire que cette démonstration par les
motifs de crédibilité soit d'une efficacité universelle
et invincible ? « Certes, non, répond M. Gayraud.
L'homme y échappe par inattention, mépris, mau-
vaise volonté, endurcissement du cœur, et aussi par
déviation ou par anémie de l'esprit. Je passe outre
aux causes morales. Mais l'affaiblissement de la
raison, sous l'influence débilitante et toxique du
positivisme, du sensualisme etdu criticisme kantien,
doit être signalé. La démonstration traditionnelle
s'adresse à une raison saine et Adgoureuse, confiante
dans ses facultés de perception et de déduction,
sûre d'atteindre, à la lumière des premiers principes
imprimés en elle par les choses mêmes, la réalité
substantielle des êtres, et de s'élever par les créatures
jusqu'à Dieu. Un pareil travail dépasse assurément
les forces de la raison positiviste ou kantienne.
Celle-ci doit être abordée par un autre point. Que
si la philosophie de l'action, du pragmatisme, du
dogmatisme moral, de l'immanence ou de quelque
autre nom qu'on l'appelle, peut saisir cette raison
anémiée, et, en éveillant chez elle le sentiment
d'une hétéronomie nécessaire, en lui faisant perce-
i. Newman, Apologia, p. 200.
286 LE CATÉCHISME ROMAIN
voir dans sa vie consciente les « postulats n de la
révélation surnaturelle et chrétienne, la préparer à
l'intelligence et au don divin de la foi, cette
philosophie apportera un concours précieux et
opportun à l'apologétique traditionnelle. Elle tour-
nera la pensée moderne vers les clartés sereines de
la foi, et suscitera chez quelques-uns ces bons désirs
et cette bonne volonté que la grâce de Dieu prévient,
accompagne, parachève et récompense. Mais il n'en
reste pas moins vrai que la solide démonstration
de la vérité de cette foi, celle qui motive et justifie
la certitude de nos croyances, en face de la raison
incrédule et superbe comme dans l'esprit du fidèle
convaincu, c'est la preuve par les fada divina, dont
parle le concile du Vatican, qui sont les externa
argumenta et les signa certlssima omnium intelligentiœ
accommodata de la révélation divine (i). »
1. La foi, principe de connaissance. — « S'il n'y
avait que deux parties dans l'œuvre universelle (et il en
pouvait manifestement être ainsi, puisque l'institution
surnaturelle est un acte libre et une pure grâce), comme
il n'y aurait alors que deux objets à connaître, il n'y
aurait non plus en nous que deux principes de connais-
sance. En effet, si Dieu ne manque jamais de procurer-
ce qui est nécessaire, on ne le voit jamais non plus rien
faire d'inutile ni de vain. Supposé donc que, comme
l'impiété l'affirme avec audace parce qu'elle le désire avec
passion, il n'y ait point de surnaturel, il est parfaitement
clair que le sens et la raison suffiraient à l'humanité, à ses
devoirs, à ses besoins ; et non seulement pour la vie de
ce monde, mais encore pour la vie future. Oui, dans cette
hypothèse, à la seule condition d'user toujours de ses
sens et de sa raison en toute vérité, sagesse et justice,
l'homme atteindrait sa fin. Mais si, comme il est bien
i. Gayraud, Le problème de la certitude religieuse, dans la
Revue du clergé, 1902, t. xxx, p. ia3-ia4*
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 287
certain, il y a un ordre surnaturel ; si, comme on n'en
saurait ni chrétiennement ni raisonnablement douter,
Dieu a voulu qu'entre cet ordre et .nous des rapports
existassent ; s'il y a établi notre fin dernière, s'il en a fait
par suite découler notre loi, s'il y rattache toute notre vie
morale, il doit indispensablement ouvrir en nos âmes une
nouvelle source de connaissance, un principe supérieur
de perception et d'entendement, qui soit précisément à
Bon sublime objet, ce que sont les sens et la raison aux
objets qui leur correspondent. Or, cette source et ce
principe, c'est ce qu'on nomme la foi.
« Sans doute, cet ordre qui, en lui-même, est tout
surnaturel, ne l'est pas dans son expression. Sans cela,
il serait pour nous comme n'existant pas ; ou il nous
faudrait, pour l'atteindre, non plus seulement dépasser
notre nature, ce qui est une perfection, mais la changer
de fond en comble, c'est-à-dire la détruire, ce qui serait
un désordre. Dès qu'en disant extérieurement le mot
vivant de sa vie intime, c'est à nous que Dieu s'adresse,
il parle nécessairement une langue que nous pouvons
entendre. Ses pensées infinies, pour ne considérer ici que
ses communications intellectuelles, il les met dans des
mots finis, dans des mots connus, usuels, et dont le sens
est parfaitement déterminé d'avance. A ce titre, quand
Dieu s'en sert, chacun de nous peut les percevoir et en
saisir le sens humain. Dieu fait plus, et il devait faire
plus : car ce n'est point assez que nous sachions qu'on
parle ; il faut surtout savoir qui parle, et que celui qui
parle est Dieu. Il parle donc en Dieu, c'est-à-dire qu'il
revêt ses paroles de caractères inimitables. Il ne se con-
tente pas d'y répandre cette beauté intrinsèque qui ne
leur peut manquer, mais que son excellence même tient
au dessus de la portée du grand nombre ; il les illustre,
les confirme et les accrédite, aux yeux de tous, par
toutes sortes d'oeuvres de sa droite, et principalement par
d'incontestables miracles ; de telle sorte que, non seule-
ment on les peut raisonnablement tenir pour divines,
mais que, sans mentir au bon sens et trahir sa propre
raison, on ne peut les confondre avec celles qui ne le sont
288 LE CATÉCHISME ROMAIN
point. Il les inonde ainsi des clartés qui lui sont person-
nelles, et, en se montrant, il les démontre. » Mgr Gay,
De la vie et des vertus chrétiennes, 6e édit., Paris, 1878,
t. 1, p. 157-159.
2. Le fait de la révélation. — « Le motif suprême
de la foi, c'est la véracité de Dieu ; mais nous ne savons
que la véracité de Dieu est intéressée qu'autant que nous
sommes certains que Dieu a parlé... Où a-t-il parlé ?
quand a-t-il parlé ? à qui a-t-il parlé ? comment a-t-il
parlé ? Quatre questions auxquelles il est nécessaire de
répondre, si l'on veut obtenir l'assentiment légitime de
la raison : question de lieu, question de temps, question
de personne, question de moyen. Qui répondra à ces
questions ? La parole de Dieu elle-même ? mais il y aurait
pétition de principe, puisque c'est précisément le fait de
cette parole qu'il s'agit de démontrer, afin de créer une
certitude à son endroit. Il faut donc qu'intervienne une
autre puissance, et je n'en connais pas d'autre que la
puissance rationnelle. Je n'en connais pas d'autre, parce
que, en réalité, il n'y en a pas d'autre. C'est ce que disait
le chef de l'Eglise, dans une encyclique mémorable, dont
je cite les termes : « Il faut que la raison s'informe dili-
gemment du fait de la révélation, afin qu'elle soit certaine
que Dieu a parlé, et qu'ainsi elle puisse lui offrir une
soumission raisonnable, comme l'enseigne très sagement
l'apôtre (1). » Leibnitz appelait cela : « faire les établis-
sements du christianisme. »
« Il appartient donc à la raison d'établir, par une
démonstration, je ne dis pas les vérités de la foi, car il y
en a qu'elle ne comprend pas, et qui, par conséquent,
sont indémontrables, mais ce qu'on appelle, en théologie,
la vérité de la foi. C'est la raison qui répond aux ques-
tions de la raison, alors qu'elle s'approche pour s'unir
à la parole de Dieu, par l'assentiment. » Monsabré,
1. Encyclique Noscitis du 9 novembre 1846 ; Denzinger,
n. 1498.
LES MOTIFS DE CREDIBILITE 289
^— —
Introduction au dogme catholique, Paris, 18C6, t. i,
p. 58-59.
3. La foi et la vision béatifique. — « Dieu est venu
à l'homme ; Dieu lui a parlé par son Fils. Dieu a pris
cette frêle créature par la main, et la faisant sortir de
toute limite créée, Ta mise en face d'un nouveau monde,
d'une terre nouvelle et de cieux nouveaux. Et comme le
regard humain demeurait fermé à ces splendeurs surhu-
maines, Dieu lui a dit : Ephphetha ! « ouvre-toi. » Au
regard naturel de l'homme Dieu a ajouté un autre regard
vaste et perçant comme le monde qu'il lui était donné
d'explorer ; et l'homme, ainsi divinement pourvu d'un
organe proportionné aux immensités offertes à son
regard, l'homme spirituel apprécie tout. Jouissant à
travers un voile d'une première vue du ciel, par la foi
nous comprenons, nous pénétrons dans l'intérieur. « Notre
raison, aidée et soutenue par la grâce, dérobe alors en
quelque sorte par anticipation au séjour de la gloire
quelque ébauche, quelque commencement de la vision
intuitive... Quand il est parvenu à la cime de ces monta-
gnes, si le penseur chrétien, absorbé dans sa méditation
divine, touche encore la terre du bout de ses pieds, on
peut dire qu'il a le front déjà dans le ciel : encore un
effort, une secousse qui détache l'esprit de la matière,
l'âme du corps, et il sera en possession du face-à-face de
la vérité (i). » 0 prérogative merveilleuse de la foi ! Si la
grâce est la gloire en germe, la foi est, en germe, la
vision béatifique. Sans doute, elle ne perce pas à jour le
mystère, mais elle voit en énigme, à travers un voile. Par
la foi, les choses que nous espérons prennent un corps,
une réalité palpable : nous les touchons pour ainsi parler,
tellement la foi nous les rend présentes. La foi c'est la
démonstration des choses invisibles ; car, par la foi, nous
nous rendons déjà compte de ces inscru tables richesses
du Christ, dont est dotée notre patrie future. Nous con-
naissons en partie ; or, quand viendra l'état parfait, ce
i. Mgr Pie, Œuvres, t. m, p. 184.
LF C \ f SCHISME. — T. I. IÇ
2QO LE CATECHISME ROMAIN
qui n'est que partiel disparaîtra ; les rudiments de la foi,
premières leçons d'un Dieu à un Dieu enfant, feront
place aux illuminations de la claire vue du ciel, où,
devenus hommes parfaits, nous aurons atteint la pléni-
tude de l'âge du Christ. » Doublet, Saint Paul, Paris,
1876, t. 11, p. 247-248.
ïu$w&
*~A^ «"A-» **&* *>A^ **A"* *^» **A^ *^"» *"^» **ty* *^» *^» *^» «"^* *^f» *^ïr*
«Jfc «j» sfë «fë gp *§* ^ ^ «F ^ ^ *P ft$t *^ '4>e Sp
Leçon VIII
De la foi
I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans
l'acte de foi. — II. De la nécessité de la grâce»
— III. Les propriétés de la foi, — IV. Concep-
tion nouvelle de la foi.
I. Rôle de l'intelligence
et de la volonté dans l'acte de foi
Les partisans delà philosophie de l'action ou du
pragmatisme moral reprochent à la défini tioi*
scolastique de la foi d'être trop intellectualiste,
de trop insister sur l'efficacité des preuves de la révé-
lation, et par là, prétendent-ils, de compromettre
la liberté de l'acte de foi, expressément définie par
l'Eglise. Ils se plaignent de ce qu'on néglige ou de
ce qu'on méconnaît l'intervention des dispositions
morales, le rôle important et nécessaire de la
volonté dans cet acte vital qu'est l'acte de foi (i).
Mais, a leur tour, ils encourent le reproche de
sacrifier le caractère essentiellement rationnel de la
foi et de donner à celle-ci comme base dernière»
I. Pour la bibliographie, voir la leçon précédente.
292 LE CATECHISME ROMAIN
non pas des raisons et des faits externes, mais l'im-
pression subjective du croyant. Certains même
prétendent qu'ils faussent la notion traditionnelle
de la foi.
Il y a là des malentendus qu'il semble possible de
dissiper en précisant le rôle respectif de l'intelli-
gence et de la volonté. Avec le concile du Vatican,
il faut mettre en relief tout d'abord la parfaite
rationabilité de l'acte de foi, fondée sur la parole
révélatrice de Dieu et sur les motifs de crédibilité
qui garantissent le fait de la révélation ; ensuite la
pleine liberté du croyant, dont l'adhésion reste
volontaire et méritoire, malgré les preuves positi-
ves de la révélation. Après quoi il n'y a plus qu'à
déterminer la faculté spéciale de l'àme à laquelle
appartient proprement l'acte de foi, soit qu'elle soit
aidée transitoirement par la grâce, soit qu'elle ait été
surélevée par une habitude infuse surnaturelle.
2. L'acte de foi, on ne saurait le contester, appar-
tient à l'ordre intellectuel, puisqu'il est une adhé-
sion de l'esprit à la vérité révélée. Simple en
lui-même, il est pourtant entouré de circonstances,
où l'analyse permet de distinguer la part des facultés
qui concourent à le préparer, la part spéciale de celle
qui le décide et de celle qui V accomplit.
Saint Thomas qui, dans cet acte, accorde le primat
à l'intelligence, ne cesse pourtant pas de faire allu-
sion à la volonté. Il dit que l'objet de la vérité à
croire ne suffit pas à entraîner l'intelligence, que
celle-ci ne se détermine que par un choix volon-
taire. Or, quand ce choix exclut le doute et la crainte
de se tromper, c'est l'acte de foi (1). Il dit encore :
« L'intellect de celui qui croit est déterminé dans sa
foi, non par la raison, mais par la volonté; c'est
1. Sum. theol. na n* , Q. 1, a. 4-
ROLE DE L'INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ 2q3
pourquoi l'assentiment se prend ici pour un acte de
l'intellect, en tant que celui-ci est détermine par la
volonté (i). » Il dit enfin : « Croire, c'est l'acte de
l'intellect, en tant qu'il est mû par la volonté à
donner son assentiment; cet acte procède donc de
deux puissances... Mais croire est l'acte immédiat
de l'intellect, parce que l'objet de cet acte est le
vrai, qui est lui-même l'objet propre de l'intellect.
Par conséquent, il faut que la foi, par cela seul
qu'elle est le principe de cet acte, réside dans
l'intellect comme dans son sujet (2). »
3. La préparation à l'acte de foi peut bien appar-
tenir en partie à la volonté et à des motifs d'ordre
moral ; car il y a lieu de tenir compte des prédispo-
sitions, des aptitudes, des attraits, des aspirations et
des besoins de lame qui ne trouvent leur pleine
satisfaction que dans la foi. Mais elle appartient sur-
tout à l'intelligence qui, assurée par ses propres
lumières de la science infaillible et de la véracité
absolue de Dieu, comprend clairement que si Dieu
parle, il a droit à notre audience. L'esprit s'applique
donc à savoir si, réellement, Dieu a parlé ; il exa-
mine en conséquence les preuves historiques qu'on
donne de la révélation ; il pèse les témoignages qui
déposent en sa faveur ; il parvient à se convaincre
de sa réalité sur des raisons, non pas probables,
mais certaines, d'une certitude morale qui ne laisse
pas de place à un doute motivé et qui est à la fois
nécessaire et suffisante. Une simple connaissance
probable de la révélation, en effet, ne saurait ici
suffire : il faut une connaissance certaine ; car Inno-
cent XI (1676-1689) a condamné la proposition sui-
vante : « L'assentiment de foi surnaturelle et utile
au salut est compatible avec la connaissance pure-
1. Ibîd.t Q. 11, a. i, ad. 3. — a. Ibid., Q. iv, a. a.
^94 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment probable de la révélation et même avec la
crainte que Dieu n'ait pas parlé (1). »
L'intelligence est ainsi amenée à prononcer deux
jngements : un jugement théorique ou spéculatif:
« Il y a des raisons évidentes de croire ; je puis
croire ; » et un jugement pratique : « Je dois croire. »
Mais elle ne va pas jusqu'à la conclusion dernière
pour faire vraiment l'acte de foi et dire : « Je crois. »
Car l'inévidence du fait ou de la vérité à croire suf-
fit le plus souvent à l'arrêter.
fi. C'est ici, nécessairement, que la volonté doit
intervenir d'une façon décisive. J'entends bien
M. Rabier, écho d'un bon nombre de contempo-
rains, proposer ce dilemme : « Ou nos raisons intel-
lectuelles de croire nous semblent suffisantes, ou
elles nous semblent insuffisantes. Si elles nous
semblent suffisantes, il n'est que faire de la volonté
pour produire la croyance. Si elle nous semblent
insuffisantes, qu'on explique comment la volonté
pourrait dissimuler le manque de raison ou se pren-
dre elle-même pour une raison (2). »
Mais ce dilemme ne tient pas. Oui, nos raisons
intellectuelles de croire sont suffisantes : elles pré-
parent l'acte de foi, elles le rendent possible, elles
en garantissent la rationabilité, elles justifient le
bien fondé de cette conclusion spéculative : il y a
•des raisons de croire, et de cette obligation morale :
il faut croire ; mais elles ne nécessitent pas l'acte
même de croire, car on ne croit que si l'on veut.
L'acte de foi est essentiellement libre ; l'homme
peut s'y refuser en dépit de la raison. « Croire,
disait saint Augustin, on ne le peut que de bon
1. Proposition 21 condamnée le a mars 1679; Denzinger,
n. io38. — 2. Rabier, Leçons de philosophie. Psychologie,
5*édit., p. 271.
ROLE DE L'INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ 2C)5
gré (i). » C'est l'enseignement formel du concile
de Trente (2), comme aussi celui du concile du
Vatican (3). L'acte de foi reste libre, même après
l'acquisition des preuves de crédibilité, même après
la constatation des « faits divins, » de « ces signes
très certains et accommodés à l'intelligence de
tous, » que Dieu a donnés pour preuves de sa révé-
lation. Et prétendre que « l'assentiment de la foi
chrétienne n'est pas libre, qu'il est produit néces-
sairement par des preuves de raison humaine, » ce
serait tomber sous les coups de l'anathème porté
par le canon 5 (4).
5. Et c'est parce qu'il est libre que l'acte de foi
est méritoire. Ecoutons saint Thomas : « Nos actes
sont méritoires selon qu'ils procèdent du libre arbi-
tre mû par Dieu au moyen de la grâce. Il s'ensuit
que tout acte humain qui est soumis au libre arbi-
tre, s'il se rapporte à Dieu, peut être méritoire. Or,
l'acte même de la foi est un acte de l'entendement,
qui adhère à la vérité divine sous l'empire de la
volonté mue par Dieu au moyen de la grâce. Cet
acte est dès lors soumis au libre arbitre, et, déplus,
il se rapporte à Dieu. Donc l'acte de foi peut être
méritoire (5). » Et dans la science que se passe-t-il?
Saint Thomas répond : « On peut considérer deux
choses dans la science, l'assentiment de l'esprit à la
chose que l'on connait, et la considération actuelle de
cette même chose. L'assentiment à la science n'est
pas soumis au libre arbitre, parce qu'il est le résul-
tat forcé de la démonstration ; ce qui fait qu'il n'est
1. In Joan.t tract, xxvi, 2 ; Patr. lat.t t. xxxv, col. 1607. —
a. Sess. vi, cap. vi. — 3. Const. Dei Filius, cap. ni, S 3. —
4. Const. Dei Filius, cap. m, can. 5 : « Si quis dixerit assen-
sum fidei christianœ non esse liberum, sed argumentis huma-
nae rationis necessario produci... anathema sit. » — 5. Sum.
theol., na ir36 , Q. 11, a. 9.
2Q6 LE CATÉCHISME ROMAIN
pas méritoire. Au contraire, la considération de la
chose que l'on connaît dépend du libre arbitre, parce
qu'il est au pouvoir de l'homme d'appliquer ou de ne
pas appliquer son esprit à une chose ; et c'est pour-
quoi la considération de la science peut être méritoire,
si on la rapporte à la fin de la charité, c'est-à-dire
à la gloire de Dieu ou à l'utilité du prochain. Mais,
en matière de foi, ces deux choses que nous venons
de distinguer sont également soumises au libre
arbitre, ce qui fait que, par rapport à l'une et à
l'autre, l'acte de foi peut être méritoire (i). »
6. Donc, même en face de la certitude des preu-
ves de la révélation et de l'obligation de croire
qui en résulte, l'homme conserve la liberté de croire
ou de refuser son assentiment. Mais, après les opé-
rations intellectuelles qui préparent, protègent et
justifient l'acte de foi, cet acte de foi reste à faire. La
liberté qu'il requiert est à chercher dans une déter-
mination de la volonté, qui suit la connaissance des
motifs de crédibilité, et qui précède l'acte de foi. Une
fois que l'intelligence à porté un jugement spécula-
tif sur les raisons de croire et un jugement prati-
que sur l'obligation de croire, c'est à la volonté de se
décider et de décider l'intelligence à faire l'acte de
foi par un commandement exprès. Elle doit se
décider à intervenir, parce que, sous la vérité à
croire que lui présente l'intelligence, elle découvre
une obligation morale à remplir, un besoin du
cœur à satisfaire, un bien à poursuivre et à attein-
dre ; mais, pour se décider, elle doit écarter les
obstacles d'ordre pratique ; car il y a des consé-
quences morales : passions à réprimer, devoirs et
vertus à pratiquer, attitude austère à prendre, vie à
orienter. Reste alors à décider l'intelligence elle-
'D'
i. Ibid., Q. ii, a. 9, ad 2.
NÉCESSITÉ DE LA GRACE POUR L'ACTE DE FOI 2Q7
même, à la mouvoir, et par suite à exiger d'elle
Tac te môme d'adhésion à la vérité révélée, c'est-à-
dire l'acte de foi, malgré les difficultés d'ordre spé-
culatif qui peuvent surgir soit de l'histoire, soit des
objections scientifiques, soit de l'inévidence et de
l'impénétrabilité du mystère. Elle commande donc
à l'intelligence de donner son assentiment à la
vérité proposée, et ainsi, sous l'impulsion impé-
rieuse de la volonté, l'intelligence finit par dire :
Je crois. C'est l'acte de foi.
IL Nécessité de la grâce pour
l'acte de foi surnaturel
i . Les sens et la raison sont incapables par eux-
mêmes d'assurer et de réaliser l'assentiment surna-
turel de l'intelligence à la vérité révélée, de faire que
l'acte de foi soit vraiment salutaire et constitue le
commencement du salut. Ils le préparent, comme
nous venons de le voir, par la connaissance physi-
que ou historique des « faits divins » surnaturels
qu'ils nous procurent ; mais ils ne vont pas jus-
qu'à nous faire adhérer, comme il convient, à la
réalité intime de la révélation. La volonté elle-même,
pour se décider et pour décider l'intelligence à l'acte
de foi, est impuissante tant qu'elle reste avec ses
seules forces naturelles. De toute nécessité il faut
l'intervention de la grâce, et comme une double
touche du Saint-Esprit, comme une double grâce :
une grâce d'illumination qui éclaire, dirige, sou-
tienne et fortifie l'intelligence dans sa marche, dans le
jugement pratique qu'elle porte ; une grâce d'inspi-
ration qui touche, dégage, incline et meuve la vo-
lonté pour commander l'assentiment ; une grâce, en
un mot, qui pénètre et informe l'acte de foi dans sa
2g8 LE CATÉCHISME ROMAIN
»— — ^— ^ ■"— — ^»
préparation, dans son évolution et dans sa réalisation.
2. Faut-il, en outre, pour qu'il soit salutaire et
méritoire, que l'acte de foi soit informé par la cha-
rité ? Ce fut la pensée et aussi l'erreur d'Hermès au
dernier siècle. Plaçant le motif de la foi, non dans
l'autorité du Dieu révélateur, mais dans les argu-
ments qui prouvent à la raison les vérités des dog-
mes révélés, Hermès niait la liberté de la foi et son
caractère surnaturel. Il distinguait, en effet, l'assen-
timent à la vérité révélée, assentiment qu'il regar-
dait comme l'aboutissement logique et nécessaire de
la raison sans aucun rapport avec le salut, et la foi
qui agit par la charité, la foi du cœur, la seule qu'il
estimât vraiment libre et vraiment surnaturelle.
C'était -.donc, à ses yeux, uniquementpar la charité que
l'acte de foi devenait libre et surnaturel. Par là, il
allait plus loin que le semi-pélagianisme ; les semi-
pélagiens ne niaient la nécessité de la grâce que
pour le commencement de l'acte de foi ; Hermès le
niait pour l'acte de foi lui-même, tant que cet acte
n'était pas informé par la charité.
3. Et pourtant le second concile d'Orange, en
529, avait dit : « Si quelqu'un affirme que par la
force de la nature humaine, on peut penser comme
il faut à quelque bien qui touche au salut de la vie
éternelle, ou qu'on peut le choisir, ou qu'on peut
adhérer à l'enseignement du salut ou de l'Evangile,
sans une illumination et une inspiration du Saint-
Esprit, qui donne à tous la suavité de l'adhésion
et de la croyance à la vérité, il est trompé par l'es-
prit d'hérésie (1). » Ce n'est là, il est vrai, que
la décision d'un concile particulier ; mais il ne faut
point oublier que cette décision a été ratifiée par
Boniface II (53o-532).
1. Gonc. Araus., 11, can. 7 ; Denzinger, n° i5o.
NÉCESSITÉ DE LA GRACE POUR L'ACTE DE FOI 299
Du reste, d'après l'enseignement traditionnel de
l'Eglise, l'acte de foi a toujours été regardé comme
la base nécessaire de toute justification et de toute
œuvre surnaturelle, et tout acte qui se rapporte
au salut comme un produit de la grâce. Voici com-
ment l'a formulé le concile de Trente : « Les adultes
sont disposés à la justification lorsque, excités et
aidés par la grâce divine, ils conçoivent la foi par ce
qu'ils entendent et se portent librement vers Dieu,
en croyant à la vérité de ce que Dieu a révélé et
promis (i). » « Lorsque l'apôtre dit que l'homme
est justifié par la foi et gratuitement, il faut com-
prendre ces paroles dans le sens que l'Eglise catho-
lique a admis et enseigne avec un accord constant,
c'est-à-dire en ce sens que nous sommes justifiés
par la foi, parce que la foi est le commencement du
salut de l'homme, le fondement et la racine de toute
justification (2). » Gela montre que la foi qui pré-
cède la justification et qui, par suite, n'opère point
par la charité, prépare à l'infusion de la grâce sanc-
tifiante, constitue le commencement du salut et est
surnaturelle. Or, cette foi surnaturelle et salutaire,
toujours d'après le concile de Trente, continue
d'exister même chez ceux qui ont perdu la charité
par le péché (3).
Or, ces trois points : nécessité de la grâce pour
V assentiment de la foi, caractère surnaturel de la
foi même quand elle n'opère point par la charité,
et relation étroite entre cet acte et le salut, ont été
de nouveau précisés et formulés par le concile du \
Vatican. « Bien que l'assentiment de la foi, est-il
dit dans la Constitution Dei Filius, ne soit pas un
mouvement aveugle de l'esprit, personne pourtant
1. Gonc. Trid., sess. vi, cap. vi. — ^a. Conc. Trid., sess. vi,
cap. vin. — 3. Gonc. Trid., sess. vi, can. 28.
300 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne peut adhérer à l'enseignement de l'Evangile
comme il le faut pour arriver au salut sans une
illumination et une inspiration du Saint-Esprit,
qui donne la suavité de l'adhésion et de la croyance à
la vérité (ceci est pris au second concile d'Orange).
C'est pourquoi la foi, en elle-même, est un don de
Dieu, alors même qu'elle n'opère point par la cha-
rité, et son acte est une œuvre se rapportant au
salut, par laquelle l'homme se soumet librement à
Dieu, en consentant et en coopérant à sa grâce à
laquelle il pourrait résister (i). » Le concile déclare
anathème non seulement à celui qui prétendrait
que l'assentiment de la foi chrétienne n'est pas
libre, mais encore à celui qui dirait qu'il n'y a que
pour la foi vivante, qui opère par la charité, que la
grâce de Dieu soit nécessaire (i).
4- On peut distinguer trois sortes d'adhésion à
l'enseignement révélé : l'une purement naturelle,
et qui dès lors ne mène pas au salut ; l'autre sur-
naturelle, la foi proprement dite. Mais cette foi est
dite vivante, quand elle est jointe à la charité, et
morte, quand elle en est séparée ; foi vivante et foi
morte ne constituent pas deux fois d'espèce diffé-
rente ; elles sont une seule et même foi et ne se
distinguent que par leurs effets. La foi vivante existe
dans l'état de grâce et mérite en justice ou de con-
digno, comme disent les théologiens, une augmen-
tation de grâce ici bas et de gloire dans le ciel,
quand se trouvent remplies les conditions requises.
La foi morte, au contraire, existe en dehors de
l'état de grâce, n'a pas comme l'autre pour effet un
mérite de condigno, mais un simple mérite de
convenance, ou de congruo; elle est quand même un
don surnaturel.
1 Gonstit. DeiFilius, cap. ni, S 3. — a. Ibid.. can. 5.
NÉCESSITÉ DE LA GRACE POUR l'aCTE DE EOI 3oi
C'est de cette foi morte que parle le concile du
Vatican. Il enseigne, tout comme le concile de
Trente, qu'elle peut exister sans la grâce sancti-
fiante et la charité ; car elle n'est effectivement
détruite que par un acte positif, volontaire, grave-
ment coupable d'infidélité, par un péché formelle-
ment opposé à la foi. il enseigne encore que les
actes de cette foi morte sont des oeuvres qui se
rapportent au salut. L'acte de foi, en effet, même
quand il n'est pas vivifié par la charité, tend vers
la fin dernière : il a Dieu pour objet. S'il n'est pas
encore le salut, il en est du moins le germe, la
préparation, le commencement ou, comme dit le
concile de Trente, le « fondement » et la « racine. »
Le concile du Vatican enseigne enfin que non
seulement cette foi mais encore ses actes sont pro-
duits avec le concours de la grâce ; et, en tant que
vertu, elle est un don de Dieu.
Quant à l'acte de foi salutaire, il peut être fait
même par celui qui n'a jamais eu ou qui a p^rdu la
vertu de foi ; dans ce cas, la vertu absente est
suppléée par un secours transitoire de Dieu. Mais
qu'il soit produit à l'aide de la vertu de foi ou d'un
s -cours momentané, cet acte de foi salutaire a
toujours pour cause des grâces actuelles qui le pré-
viennent et l'accompagnent, aspirante et adjuvante
gralia, comme s'exprime le concile du Vatican,
in consentiendo et credendo, consentiendoet coopera/ido;
grâces prévenantes d'illumination pour l'esprit,
grâces adjuvantes d'inspiration pour la volonté,
grâces qui par leur suavité entraînent la volonté
pour lui faire commander à l'intelligence l'assenti-
ment qui constitue proprement l'acte de foi.
5. On voit ainsi, à la lumière de l'enseignement
dogmatique du concile du Vatican, les divers
éléments qui entrent dans l'acte de foi. C'est un
302 LE CATÉCHISME ROMAIN
assentiment certain et ferme de cette intelligence,
ayant pour dernier motif ou pour objet formel, non
pas la vérité intrinsèque des choses perçue à la
lumière naturelle de la raison, mais l'autorité même
de la parole de Dieu ; c'est un assentiment d'ordre
intellectuel, une véritable connaissance ; c'est un
assentiment qui n'est nullement provoqué par un
mouvement aveugle, mais rationnellement fondé
sur un des motifs certains de crédibilité, et pour-
tant libre, car il n'est pas et ne peut pas être l'effet
nécessaire du raisonnement humain ; c'est un
assentiment où la grâce de Dieu intervient pour
prêter son concours nécessaire et efficace à l'intel-
ligence et à la volonté. Par là il devient ce rationa-
bile obsequium, dont parle saint Paul, cet obsequium
rationi consentaneum, dont parle le concile du
Vatican, ce plein hommage de l'esprit et de la
volonté, dû par la créature à son Créateur et Sei-
gneur, mais librement rendu par l'âme qui accepte
docilement, avec la grâce de Dieu, et très raison-
nablement, en pleine connaissance de cause, l'en-
seignement qu'il a plu à Dieu de communiquer à
l'homme.
6. Et si tel est l'acte de foi, que doit donc être la
vertu infuse qui permet de le faire normalement et
comme sans effort ? « Elle est, dit Mgr Gay, le
couronnement divin de notre intelligence ; un
diadème de lumière céleste, dont la main tout
aimante de Dieu ceint notre front invisible ; un
supplément merveilleux à nos insuffisances men-
tales ; une immense extension de nos frontières
spirituelles ; une énergie surhumaine ajoutée à nos
énergies premières, et comme le prolongement en
Dieu de notre être moral. Elle est notre proportion
intellectuelle avec la vie intime de l'infini, notre
participation réelle à la connaissance essentielle que
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3o3
Dieu a de lui-même, la clé des idiomes ineffables,
le lieu et le moyen de nos entretiens immédiats
avec la très sainte Trinité (i). »
III. Les propriétés de la foi
Les propriétés Logiques et morales de la foi se
ramènent au nombre de quatre, d'après les théolo-
giens : la foi est vraie, certaine, obscure et ferme.
M. Maisonneuve résume ainsi cette doctrine dans
cette thèse : « L'acte de foi divin, essentiellement
vrai en son objet matériel et en son objet formel,
est nécessairement certain, d'une certitude souve-
raine impliquant l'infaillibilité objective et la fermeté
subjective de l'adhésion. Il ne peut exister de juste
cause de rétracter ou de suspendre l'assentiment une
fois donné, malgré Vobscurité inhérente au témoi-
gnage et la liberté de l'adhésion, conciliables, en
certains cas, avec l'évidence de l'objet matériel et
de l'objet formel (2). »
1. La foi est vraie, qu'on la considère soit dans
son objet formel, soit dans son objet matériel. Son
objet formel est l'autorité de Dieu, sa science infail-
lible et sa véracité absolue ; Dieu ne peut enseigner
que la vérité. Son objet matériel est la révélation
même de Dieu qui ne peut contenir que la vérité.
Et dès lors le faux ne saurait entrer à aucun titre
dans la foi. Voici comment le prouve saint Thomas.
Aucune des vertus, ayant pour effet de perfectionner
l'intelligence, ne peut se rapporter à l'erreur qui
est le mal de l'intelligence. Or, la foi est une de ces
1. Mgr Gay, De la vie et des vertus chrétiennes, 6'édit., Paris,
1878, t. 1, p, i63. — a. L'acte de foi, dans 1q Bulletin de littéra-
ture ecclésiastique, 1904, p. 173.
3o4 LE CATÉCHISME ROMAIN
vertus. Donc la foi ne peut être fausse dans son
objet. Pour arriver à sa fin, toute puissance, toute
vertu, tout acte a besoin comme intermédiaire de
son objet formel. C'est ainsi que la couleur ne peut
être vue sans le secours de la lumière, et on ne
peut atteindre la conclusion que par la démonstra-
tion. Or, Dieu, vérité première, est l'objet formel de
la foi. Donc rien ne peut entrer dans le domaine de
la foi sans relever de cette vérité première, qui ne
saurait pas plus comporter l'erreur que l'être n'est
compatible avec le néant, le bien avec le mal (i).
Le croyant sait que ce qui est révélé ne peut être
que vrai ; il sait aussi que Dieu a révélé. Assuré
ainsi du contenu et du fait de la révélation, il ne se
trompe pas. Il peut se faire néanmoins qu'il regarde
comme appartenant à la révélation quelque chose
qui lui est réellement étranger ; il se trompe alors
sur l'objet matériel de la foi ; il se trompe égale-
ment en estimant que l'objet formel l'autorise à y
adhérer ; mais, dans ce cas, l'assentiment qu'il
donne ne saurait être un acte de foi divine, c'est un
acte de pure crédulité. Sa volonté peut être droite,
honnête, animée d'un sentiment pieux ; mais le
jugement est erroné. Et tant que l'erreur persiste, il
est obligé, sur les injonctions de sa conscience, de
croire révélé ce qui pourtant ne l'est pas, sous peine
de manquer au respect et à l'obéissance qu'il croit
devoir à Dieu. Heureusement, en pratique, ce cas
est fort rare.
2. La foi est certaine. La certitude naît de l'évi-
dence ; mais l'évidence est dans les choses et la
certitude est dans l'esprit. Il ne s'agit pas ici de
l'évidence intrinsèque, immédiate ou médiate, et
de la certitude qui en résulte et qui fonde la science,
i. Sum. theol, n" n,a Q. i, a. 3.
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3o5
_ •
mais de i%évidence et de la certitude qui convien-
nent à la foi. Or, dans la foi, l'évidence ne se trouve
pas dans la chose ou le fait qui est l'objet matériel
de la croyance, mais dans l'autorité extérieure qui
en témoigne, dans les qualités de science et de
véracité du témoin, dans la clarté et la netteté du
témoignage, dans les preuves de la révélation ; d'où
la certitude en nous que ce que Dieu a dit ne peut
être que l'expression de la vérité. Le motif de notre
assentiment, la cause de notre adhésion, étant In
science infaillible, la véracité absolue de Dieu, Dic^i
lui même, la vérité par essence, la certitude de notre
foi l'emporte de ce côté sur toute certitude scienti-
fique, expérimentale ou rationnelle.
Subjectivement en est-il ainsi ? L'affirmation ne
semble-t-elle pas contraire au sens intime ? A cette
question, M. Maisonneuve répond très succincte-
ment : a Je ne puis mettre en doute certains
théorèmes géométriques ou certaines opérations
arithmétiques, tandis que le fait de l'Incarnation ou
l'efficacité de la Rédemption peuvent laisser le
champ libre à des doutes, non coupables, involon-
taires, mais réels. Pour résoudre cette difficulté, il
a fallu étudier la question logique des degrés de la
certitude, la théorie de la connaissance et instituer
une critique des moyens d'arriver au vrai. On peut
en conclure qu'il y a certainement une harmonie
plus naturelle entre les faits d'expérience, les vérités
d'intuition et notre intelligence qu'entre celle-ci et
les objets de nos croyances. Raisonnable, l'homme
sera plus satisfait par une démonstration géométri-
que que par l'affirmation d'un témoin ; le lien de
l'intelligible et de l'intelligence lui apparaît plus
clair dans ce principe de contradiction que dans la
réalité du sacrement de l'Eucharistie. Mais, d'autre
part, puisque c'est en vertu d'un jugement propre
LE CA r' " '" — T. I. SO
3o6 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'il admet le principe, tandis que c'est par un
jugement de Dieu, devenu le sien, qu'il croit à la
présence réelle, la certitude surnaturelle l'emporte,
à raison même du motif, sur toute assurance hu-
maine et créée de posséder la vérité (i). »
Saint Thomas se pose la question de savoir si la
certitude de la foi est plus grande que celle de la
science et des autres vertus intellectuelles ; il la
résout ainsi. Parmi les vertus intellectuelles, deux
ont pour objet les choses contingentes : la prudence
et l'art. La foi l'emporte sur elles en certitude par
la nature de son objet, puisqu'elle se rapporte aux
choses éternelles, qui ne peuvent être autrement
qu'elles ne sont. Les trois autres vertus intellec-
tuelles, la sagesse, la science et l'intelligence ont
pour objet les choses nécessaires ; mais ces trois
vertus peuvent se prendre ou pour des vertus
intellectuelles, comme les entend Àristote, ou pour
des dons du Saint-Esprit. Dans le premier cas, la
certitude peut-être considérée de deux manières :
d'abord, relativement à la cause de la certitude
même ; sous ce rapport, ce qui a une cause plus
certaine est également plus certain ; et, par là, la
foi, reposant sur la vérité première, est plus cer-
taine que ces trois vertus, qui reposent sur la raison
humaine. En second lieu, relativement à son sujet,
et alors ce qu'il y a de plus certain est ce que l'in-
telligence de l'homme perçoit plus pleinement.
Dans ce sens, la foi est moins certaine que la sagesse,
la science et l'intelligence, qui n'ont pas pour objet,
comme elle, des choses supérieures à l'entendement
humain. Mais, comme pour apprécier une chose
d'une manière absolue, il faut la considérer dans sa
cause, et que l'appréciation n'est que relative, si l'on
i. L'acte dejoi, loc. cit., p. 175.
LES mOmiÉTÉS DE LA FOI Soj
considère seulement la disposition du sujet par
rapport à cette même chose, il s'ensuit que la foi
est plus certaine absolument, tandis que les trois
autres vertus sont plus certaines relativement,
c'est-à-dire par rapport à nous. De même, si l'on
prend ces trois vertus pour des dons de la vie
présente, elles se rapportent, comme à leur principe,
à la foi, qu'elles présupposent ; et par conséquent,
dans ce sens encore, la foi est plus certaine que ces
autres vertus (i).
L'homme, observe encore saint Thomas, est beau-
coup plus certain de ce qu'il apprend de Dieu, qui est
infaillible, que de ce qu'il voit par sa propre raison,
laquelle est sujette à l'erreur. La perfection de l'in-
telligence et de la science est supérieure à la con-
naissance de la foi sous le rapport de l'évidence,
mais non sous le rapport de l'adhésion de l'esprit
parce que l'intelligence et la science, considérées
comme des dons, tirent toute leur certitude de
la certitude de la foi, de même que la certitude des
conclusions procède de la certitude des principes.
Si l'on prend la science, la sagesse et l'intelligence
pour des vertus intellectuelles, elles reposent sur
les lumières naturelles de la raison, qui n'a pas la
certitude absolue, ni celle de la parole de Dieu, sur
laquelle repose la foi (2).
3. La foi est obscure. Vraie et certaine, la foi ne
donne pas sur la vérité de son objet matériel une
connaissance parfaite ; celle-ci reste entourée d'om-
bres et ne nous offre pas en elle-même l'évidence que
nous rencontrons dans les données expérimentales
ou les déductions scientifiques. Dieu, en daignant
nous manifester l'existence de certains faits et de
1. Sum. theol, u» n®, Q. rr, a. 8. — a. Ibid., Q. iv, a. 8. ad
a et 3.
3o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
certaines vérités, qui nous dépassent, ne nous fait pas
connaître leur nature intime ; et par là le fait ou la
vérité, qu'il nous propose de croire, n'entraîne pas
et ne détermine pas notre assentiment ; nous y
adhérons pour un motif distinct de ces faits ou de
ces vérités, extérieur, voilé d'ombres.
Mais certains faits, certaines vérités, qui font
l'objet de la révélation, sont d'ordre naturel et peu-
vent être connus parles seules lumières de la raison.
Dans ce cas, peuvent-ils également faire l'objet de
la foi ? Sans aucun doute, comme l'enseigne le con-
cile du Vatican, parce qu'ils ont été révélés par Dieu;
et du moment que Dieu les a révélés, quiconque les
ignorerait, bien qu'ils soient accessibles à la raison,
peut faire à leur sujet un acte de foi.
Une autre question se pose, celle de savoir si on
peut faire un acte de foi surnaturelle à une vérité
révélée qu'on se serait déjà démontrée à soi-même
par la raison. Est-il possible qu'un homme fasse un
acte de foi à une vérité qu'il connaît par des preu-
ves naturelles ? En d'autres termes, un objet de
science peut-il être en même temps un objet de foi ?
Cette question est fort controversée parmi les
théologiens. Saint Thomas a dit : « Non est possible
quod idem ab eodem sit scitum et creditum (i). » Et
l'école thomiste a soutenu en conséquence qu'on ne
saurait croire ce que l'on sait. Quiconque donc s'est
démontré rationnellement certains dogmes ne sau-
rait y croire par un véritable acte de foi, car son
assentiment ne provient pas de leur révélation, mais
de leur démonstration. Dans ce cas, la révélation ne
fait que corroborer l'assentiment fondé sur la raison.
Par suite, le domaine de la foi, chez les savants,
serait moins étendu que chez les ignorants.
i. Ibid., Q. i, a. 5.
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3og
Mais, après le concile de Trente, la plupart des
théologiens se sont rangés à un avis opposé. Rien
n'empêche, disent-ils, de croire par un véritable
acte de foi des vérités rationnellement démontrées.
Et dès lors la seule différence entre le savant et
l'ignorant par rapport à ces vérités, c'est que le pre-
mier leur donne une adhésion naturelle de raison
et un assentiment surnaturel de foi, tandis que le
second ne les admet que par la foi.
La plupart des thomistes admettent cependant
qu'un savant peut faire un acte de foi à une vérité
déjà acquise par lui, quand il ne pense pas actuel-
lement à la démonstration qui la lui a fait connaî-
tre. D'autre part, Suarez regarde l'acte de foi et l'acte
de connaissance naturelle, qui portent sur la même
vérité, comme deux actes distincts et successifs (i).
Reste un point particulier sur lequel le désaccord
persiste, celui-ci : peut-on faire un acte de foi à une
vérité en même temps que la démonstration natu-
relle de cette vérité est au moins vaguement pré-
sente à l'esprit ? C'est ce que nient les thomistes.
Mazella (2) et Didiot (3) invoquent les enseigne-
ments du concile du Vatican contre l'opinion tho-
miste. Ils estiment que la controverse n'est plus
libre désormais. Mais c'est justement ce que se refu-
sent à admettre les thomistes ; ils maintiennent
leurs distinctions, ils précisent le point litigieux, ils
montrent que la constitution Dei Filins n'enseigne
pas du tout que ces vérités révélées peuvent être
l'objet d'un véritable acte de foi de la part du savant
qui se les démontre naturellement.
Quoi qu'il en soit, d'après le concile du Vatican,
l'acte de foi ne requiert qu'une adhésion de notre
1. Defide, Disp. m, sect. 9, n. 7 et 10. — 2. De virtutibus
infusis, a. 4G4- — 3. Loyique surnaturelle subjective, n. 477 S(ï*
3 10 LE CATÉCHISME ROMAIN
esprit à cause de l'autorité de Dieu révélateur ; il
n'est donc pas nécessaire que telle vérité révélée
n'ait pas été démontrée rationnellement à celai qui
la croit. Connues par la science ou acceptées par la
foi, des vérités identiques n'ont pas le même motif
de connaissance ou d'adhésion. Le savant peut donc
dire : je connais telle et telle vérité, puisque ma rai-
son la démontre. Il peut dire aussi, car il ne faitpas
toujours acte de savant : je crois telle ou telle vérité
parce que Dieu a daigné la révéler.
4. La foi est ferme. Malgré son obscurité, mais
parce qu'elle est vraie et certaine, la foi doit persé-
vérer fermement chez ceux qui la possèdent, quels
que soient d'ailleurs les épreuves et les déceptions
de la vie, les progrès de la culture intelleetueile et
tout ce qui peut naître d'objections dans l'ordre
moral, historique ou scientifique. N'étant pas la con-
clusion naturelle et nécessaire d'un syllogisme, elle
ne saurait dépendre de la rectitude de notre logique;
elle est un assentiment de l'intelligence à la vérité
révélée sous la motion de la volonté. Or, la volonté
qui ne commande pas en aveugle, mais par une
sage mesure de prudence, continue son rôle et raf-
fermit la foi, en dépit des difficultés et des obstacles.
Pour remplir cette tâche protectrice, elle trouve
dans l'Eglise des mobiles qui portent à maintenir
toujours et quand même la foi vivante dans l'esprit.
L'Eglise, en effet, possède un éclat apologétique
incomparable et unique, qui permet de discerner
la foi véritable et aussi d'y persévérer constamment;
elle le doit aux signes manifestes de son institution,
aux notes nombreuses et frappantes dont Dieu l'a
revêtue, à son admirable propagation, à son invin-
cible stabilité, à son unité, et elle constitue ainsi
*in grand et perpétuel motif de crédibilité. D'où
« il résulte, ainsi que s'exprime la Constitution
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3 II
^ ^ i^-^» — ^^^— ■■■!■ ».■»»■ ■ i — ^ — m^m
Dei Fiîius, que comme un étendard levé sous les
yeux des nations, elle appelle à elle ceux qui n'ont
pas encore cru et elle donne à ses enfants une
assurance plus certaine que la foi qu'ils professent
repose sur un très ferme fondement. A ce témoi-
gnage s'ajoute le secours efficace de la vertu d'en
haut. Car, par sa grâce, le Seigneur très miséricor-
dieux excite ceux qui sont dans l'erreur et les aide
à parvenir à la connaissance de la vérité. Il donne
aussi sa grâce à ceux qu'il a fait passer des ténèbres
dans son admirable lumière, n'abandonnant que
ceux qui l'abandonnent. C'est pourquoi toute autre
est la condition de ceux qui, par le don céleste de
la foi, ont adhéré à la vérité catholique et de ceux
qui, conduits par des vues tout humaines, professent
une fausse religion. Car ceux qui ont reçu la foi
par les enseignements de l'Eglise, ne peuvent
jamais avoir aucune juste cause de changer cette
foi ou de la révoquer en doute (i). »
Le concile distingue avec raison les catholiques
de ceux du dehors : leurs droits et leurs devoirs ne
sauraient être les mêmes. Celui du dehors a besoin
d'examiner l'autorité qui légitime la croyance,
l'obligation qui l'impose, la formule dogmatique
qui la lui propose ; il doit nécessairement peser les
motifs de crédibilité ; et s'il est de bonne volonté,
sincère et droit, nul doute que Dieu ne l'amène à la
foi qui sauve. Quant au catholique, il connaît
l'autorité doctrinale de l'Eglise, il accepte l'obligation
de croire et de combattre le doute ; et s'il étudie sa
religion, ce n'est pas pour établir, mais pour
confirmer sa croyance. Or, le concile définit qu'il
ne saurait avoir de juste cause de changer sa foi ou
de la révoquer en doute : qu'est-ce à dire ? Le canon
x. Const. Dei Filius, c. m, $ 6.
3l2 LE CATÉCHISME ROMAIN
6 dit « ana thème à qui dirait que les fidèles sont
dans la même condition que ceux qui ne sont pas
encore parvenus à la foi seule véritable, de telle sorte
que les catholiques peuvent avoir une juste cause
de suspendre leur assentiment pour mettre en
doute la foi qu'ils ont déjà reçue par les enseigne-
ments de l'Eglise, jusqu'à ce qu'ils aient terminé la
démonstration scientifique de la crédibilité et de la
vérité de leur foi. »
i° Ce texte du chapitre et du canon porte qu'un
catholique ne peut avoir de juste cause de mettre sa
foi en doute. Ces mois juste cause peuvent signifier
une persuasion subjective ou une raison objective. Le
concile a-t-il donc défini qu'un catholique ne saurait
révoquer sa foi en doute sans pécher formellement,
ou bien a-t-il entendu dire seulement qu'il ne peut
y avoir de raison en soi légitime de clouter de la
foi chrétienne ? La différence est notable.
M. Vacant, qui a étudié de près cette question, ne
connaît qu'un seul théologien qui ait soutenu
ex professo le premier sentiment ; il cite, au
contraire, Franzelin (i), Mgr Martin, évoque de
Paderborn, rapporteur au concile de la Députation
de la foi (2), Mgr Ciasca (3), M. Didiot (4), et le
P. Granderath (5), qui embrassent le second senti-
ment, et il pense comme eux, d'après le texte même
de la constitution et d'après les actes du concile.
Mettre en doute sa foi est toujours, de la part
d'un catholique, une faute au moins matérielle,
mais ce n'est pas toujours et nécessairement une
1. De traditione divina, Rome, 1875, 2e édit., p. 687. —
2. Les travaux du concile du Vatican, trad., 1870, p. il\- —
3. Examen saper constitutionem dogmaiicam de fide catholica,
1872, p. 228. — 4- Logique surnaturelle objective, 1892, th. xci.
— 5. ConsUluliones dogmaticœ Conc. Vaticani explicalœ, 1S92,
p. Gi.
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3l3
faute formelle. Mais, objectivemont parlant, et
c'est là que porle La défi ni (ion, il ne saurait y
avoir de raison vraie qui autorise un catholique
à douter de sa foi.
Au point de vue des preuves de la vraie foi et des
grâces accordées pour croire, catholiques et incré-
dules ne sont pas dans une condition différente :
preuves et grâces sont données aux uns et aux
autres, aux premiers pour persévérer, aux: seconds
pour se convertir. Mais au point de vue de la reli-
gion qu'ils professent, leur condition n'est pas du
tout la même : au catholique incombe l'obligation
de persévérer, parce qu'il ne peut avoir aucune
cause juste ou objectivement vraie de douter de sa
foi ; à l'Incrédule incombe le devoir d'abandonner
son erreur.
Le texte du troisième chapitre et le canon 6 qui
y correspond ont le même sens : ils ne définissent
pas que douter de sa foi, pour un catholique, soit
en tout état de cause et toujours un péché mortel ;
mais ils définissent qu'un catholique n'a pas le droit
d'abandonner sa foi ou que l'abandon de la foi
véritable est en soi une faute. Quelle faute? très
certainement une faute matérielle ; mais ils ne
s'expliquent pas sur la question de savoir si elle
peut être quelquefois purement matérielle ou si elle
est toujours formelle.
2° Reste la question suivante : Peut-on perdre la
foi sans pécher ?
La perte de la foi peut s'entendre de trois maniè-
res : ou bien c'est l'acte par lequel, après avoir cru,
le fidèle rejette ou met en doute un ou plusieurs
dogmes révélés ; — ou bien la perte de la vertu
surnaturelle de la foi ; — ou bien enfin cet état
d'esprit si fréquent de nos jours, qui fait que des
baptisés tombent dans une ignorance et des préjugés
3l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui les mettent das l'impossibilité de croire actuel-
lement certaines vérités révélées ou même la révéla-
tion dans son ensemble. Un fidèle peut-il sans
péché matériel ou sans péché formel, rejeter ou
mettre en doute une vérité de foi, perdre la vertu
de foi, tomber dans un état d'ignorance et de
préjugés qui le rende incapable de croire ?
Disons d'abord un mot de la perte de la foi,
entendue dans le premier sens. Du moment qu'il
y a obligation de croire à toutes les vérités que
l'Eglise nous propose comme révélées, il y a toujours
péché matériel à rejeter ou à mettre en doute un
dogme de foi catholique. Le cas peut se présenter
pourtant d'un fidèle qui, par une ignorance invin-
cible, rejette ou révoque en doute un dogme de foi
parce qu'il ne le croit pas révélé ; il n'y a alors
qu'une faute matérielle. Cette ignorance invincible
peut-elle s'étendre à tous les dogmes ? Dans un
milieu chrétien, cela semble impossible, et dès lors
il y aurait faute formelle. Dans un milieu païen, et
particulièrement pour des enfants baptisés, mais
élevés parmi des infidèles, cela semble possible, et
dès lors, faute de responsabilité, l'infidélité ne peut
être imputée comme une faute formelle (1).
Quant à la \ertu de foi, peut-on la perdre sans
pécher? Cette vertu, d'après le concile de Trente (2),
ne disparait que par un péché formel et gravement
coupable d'infidélité. Par suite tout autre péché,
même contre la foi, la laisse subsister. Cette vertu
ne serait donc détruite ni chez celui qui, par une
ignorance même vincible, rejetterait un ou plusieurs
dogmes, ni chez celui qui s'exposerait d'un façon
coupable à tomber dans l'hérésie (3).
1. De Lugo, Defide, Disp. xix, sect. 1, n. 10, sq. — 2. Sess.
vi, c. xv. — 3. De Lugo, Defide, Disp. xvii, sect. 5 ; cf. Suarez,
De fide, Disp. xvii, sect. 2, n. 4-
LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3l5
Que penser enfin de la perte de la foi chez ceux
dont les dispositions intellectuelles et morales
rendent actuellement impossible l'acte de foi ?
w Aujourd'hui, dit Vacant, ce cas se réalise surtout
chez cette foule d'hommes, qui, après avoir cru j
pendant leur enfance et fait une première commu- I
nion vraiment chrétienne, perdent ensuite peu à !
peu leurs convictions religieuses et en viennent à
mettre en doute ou à nier tous les dogmes qu'ils
admettaient autrefois. Beaucoup d'entre eux ne
sauraient dire le moment précis où ce changement
s'est opéré. Ils ont vécu dans un milieu, où leur
esprit s'est rempli de préjugés contre la religion, et
peu à peu ces préjugés ont remplacé les croyances
de leur enfance. Quelques-uns assurent qu'ils
seraient heureux de croire comme au jour de leur
première communion, mais qu'ils ne le peuvent
plus. Un très grand nombre disent et pensent que
leur incrédulité n'est aucunement coupable. Est-ce
illusion de leur part, ou bien est-il possible qu'ils
aient perdu leurs anciennes convictions sans
pécher (i).
Tout d'abord leur incrédulité constitue une faute
matérielle. Consiiïue-t-elle une faute formelle? Sans
soupçonner d'illusion ou de mensonge leurs affir-
mations, on peut croire qu'après avoir commis la
faute de se laisser dominer par les préjugés, il en.
est qui arrivent à ce point où leur incrédulité, cou-
pable dans sa cause, n'est pas un péché formel par
elle-même.
Mais il en est qui prétendent qu'ils sont irrespon-
sables même de leur transformation première, et
qu'ils sont devenus incrédules sans pécher formel-
lement. Cela paraît assez difficile à admettre. Il faut
i.La constit. Dei Filins, t. il, p. 176.
3l 6 LE CATÉCHISME ROMAIN
remarquer cependant, avec M. Vacant, que certains
catholiques, trop peu instruits de leur religion, se
trouvent, au sortir de l'enfance, jetés dans un
milieu où ils sont assaillis d'objections de toutes
sortes, contre lesquelles les enseignements reçus à
l'Eglise ne leur fournissent pas de réponse. Si ces
hommes sont coupables, et ils le sont, leur péché
formel sera de s'être trop peu instruits et de n'avoir
pas évité le danger.
Poussant plus loin, serait-il permis de supposer
que, parmi ces fidèles ignorants, qui ont été jetés
d#ns un milieu où leur médiocre instruction était
impuissante à les préserver de l'erreur, il en est
quelques-uns qui n'auraient pu s'instruire davan-
tage, ni éviter ces objections, et qui par conséquent
ont perdu les eonvictions religieuses de leur enfance,
non seulement sans perdre la vertu de foi, mais en-
core sans commettre aucune faute formelle contre
la foi ? Cette hypothèse n'a que trop lieu de se faire
de nos jours. Et, sur ce point spécial et délicat, le
concile du Vatican ne s'est pas prononcé, et la
question ne paraît pas jusqu'ici avoir été résolue
d'une façon indisou table. Aussi disons-nous avec M.
Vacant qu'en cette matière d'incrédulité contempo-
raine, il n'y a que l'œil de Dieu qui puisse scruter
complètement le fond des consciences et faire la
juste et entière part des responsabilités (i).
IV. Conception nouvelle de la Foi
La question des rapports de l'histoire et du dogme,
au sujet de la valeur historique des dogmes, n'a pas
été sans soulever, ces derniers temps, de passion-
i. Vacant, La constit. Del Filius, t. u, p. 164-179.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 3l7
nantes controverses. D'un côté, se dessine une théo-
rie nouvelle de la foi ; de L'autre, on se refuse à
l'accepter. En quoi consiste-t-elle ? Quels sont ses
caractères ? Quelle en est la clef?
1. L'analyse de cette théorie nouvelle et Fattribu-.
tion qui en rend solidaire l'école de l'immanence
sont le fait d'un correspondant anonyme du Bulle-
tin de littérature ecclésiastique (i). Ce correspondant,
fort sympathique, du reste, aux idées nouvelles, a
découvert et formulé l'idée maîtresse qui forme la
base, parfois latente, il est vrai, mais très réelle d'un
grand nombre de théories modernes de la révélation.
Il a observé d'un regard pénétrant que tous les pen-
seurs, dont il comparait les doctrines, M. Loisy, M.
de Hugel, M. Blondel, M. Laberthonniôre, le P.
Tyrrel, s'accordent à modifier la notion tradition-
nelle de la foi. « Tandis que la théologie classique,
dit-il, considère la foi comme une adhésion de l'es-
prit à une vérité spéculative énoncée dans une for-
mule abstraite, ou à un fait connu par voie 'de
témoignage, vérité ou fait dont l'autorité de Dieu
même est le garant, on trouve, sinon explicitement
exprimée, du moins supposée, chez M. Loisy,
comme chez M. Blondel, M. Laberthonnière, et le
P. Tyrrel, une conception de la foi, qui met l'accent
sur son élément moral plutôt que sur son élément
intellectuel, et marque plus fortement la différence
entre l'acte de foi et la connaissance scientifique (2). »
2. Or, dans cette notion nouvelle, il signale deux
caractères. D'abord l'élément moral domine l'élé-
1. La valeur historique du dogme, dans le Bulletin de litt. eccC,
1904, p. 338-357. Contre cet article ont protesté M. Blondel et
M. Laberthonnière. Le critique du Bulletin a répondu dans le
Bulletin de 1905, p. i3i-i38. Avec son autorisation, nous ne
faisons que résumer sa réponse, en employant autant que pos-
sible ses propres expressions. — 2. Bulletin, 1904, p. 343.
3l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment intellectuel. « L'acte de foi implique avant
tout une altitude morale, ci c'est ainsi la volonté,
non l'intelligence, qui y a la part principale (i). »
Puis, le rôle de l'intelligence, déjà si restreint, niais
non anéanti, est conçu comme une perception, une
sorte d'intuition des réalités divines dans les phéno-
mènes de ce monde, et spécialement dans les faits
religieux. « On a reconnu que les faits sont la base
de la foi, que la foi n'est autre chose que la percep-
tion dans leur réalité sensible de la présence et de
l'action de Dieu (2). » « Si les faits, dans leur réalité
matérielle, ne sont pas objets de foi, ils servent de
base à la foi, en tant qu'ils sont révélateurs des
réalités divines. Dieu parle à l'âme religieuse par les
faits, qui manifestent son action dans l'histoire, non
moins que par l'enseignement direct. Les faits de
l'histoire religieuse parleur contenu suprasensible,
constituent donc une part de ce qu'on pourrait
appeler la révélation objective. Mise en face de ces
faits, l'âme religieuse, éclairée par Faction intérieure
de l'esprit de Dieu, saisit à travers eux, par une
sorte d'intuition, la réalité surnaturelle dont ils
sont l'expression, tout comme la raison saisit son
objet, l'universel, dans le particulier ; et cette
réaction du sens religieux, sous l'action extérieure
des faits, est cela même qui constitue l'acte
de foi (3). »
3. Enfin il donne la clef de cette théorie de la foi,
en attirant l'attention sur le principe fondamental
supposé par les diverses écoles modernes. Dans
tout événement de ce monde, et spécialement dans
la vie de l'humanité, il faut distinguer un double
côté des choses : d'abord l'aspect phénoménal, sen-
sible, extérieur, qui constitue le domaine exclusif
1. Ibid., p. 343. — a. Ibid.t p. 354- — 3. lbid., p. 347.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 3l9
^ — >
de la science et de l'histoire ; et puis le côté intime,
suprasensible, de tous les êtres, inaccessible au pur
savant et au pur historien, sphère réservée « où les
investigations dn philosophe et les intuitions du
croyant sont seules capables de pénétrer (i). »
4. Dans l'exposition de cette foi moderne, M. La-
berthonnière prétend trouver des contradictions,
mais à tort. Les deux éléments qu'il essaye de con-
fondre sont là : la foi, dans ce système, est surtout
un acte de volonté. Or s'appuyer sur le Christ, sur
Dieu, pour en faire le centre de sa vie, c'est le fait
non de la pure foi, mais de la foi vivifiée par la
charité. L'intelligence y a aussi son rôle, et c'est
l'élément intellectuel de la foi, qui noua est repré-
senté comme étant la perception des réalités divines
dans les phénomènes de ce monde ; mais c'est trop
peu : une telle intuition sera peut-être une philo-
sophie, jamais un acte de foi.
5. Dans les déclarations de M. Blondel et de
M. Laberthonnière, il y a une lacune regrettable.
Au lieu d'un simple désaveu de la théorie nouvelle,
ils ont négligé de profiter de l'occasion pour for-
muler en quelques mots nets et précis leur pensée
sur la nature et l'objet de la foi. M. Blondel, il est
vrai, prépare un exposé doctrinal, qui donnera de
sa pensée sur la foi une explication décisive. Mais
M. Laberthonnière, qui vient de publier un second
ouvrage, le Réalisme chrétien et V idéalisme grec, est-il
autorisé à se plaindre des idées que le correspondant
anonyme lui attribuait? Sans doute, ces idées, il
les réprouve aujourd'hui. Mais, sans le vouloir,
n'a-t-il pas, dans plus d'une page, prêté à cette pré-
tendue substitution de sa pensée ? L'interprétation
de son système est précisément celle qu'ont puisée
I. lbid., p. 34a.
320 LE CATÉCHISME ROMAIN
dans ses livres les esprits les plus dégagés de préoc-
cupations théologiques.
Yoici en effet, ce qu'écrivait, à propos de ses
Essais de philosophie religieuse, un critique indépen-
dant: « M. Laberthonnière essaie d'une façon
originale de retrouver le catholicisme par le libre
effort de sa pensée intérieure : je ne dis pas la
morale évangélique ou la théologie chrétienne,
mais le catholicisme, l'Eglise, la révélation, l'au-
torité. Il a bien marqué l'analogie de sa tentative
avec celle de Pascal. J'ai peine à ne pas donner
raison aux théologiens qui lui ont reproché que
« c'était par le fait même se passer des miracles, de
la révélation, de l'autorité de l'Eglise. » Cette au-
tonomie active par laquelle nous faisons jaillir la
vérité de nous-mêmes, et le christianisme qui en
résulterait de M. Laberthonnière un protestant (i).
Non pas un luthérien, ni un calviniste, mais un pro-
testant d'une secte nouvelle. Il a beau être catholi-
que à la fin, au point de départ et pendant tout le
chemin, c'est un protestant, même un penseur
libre. Et il est impossible qu'à l'arrivée, l'autorité de
la Révélation et de l'Eglise ne soit pas transformée
en une autorité qui ne liera qu'autant que l'être
autonome consentira à être lié (2). »
Le Réalisme chrélien et Vidêalisme grec, venant
après ces critiques, aura-t-il dissipé toutes les obs-
curités? Une paraît pas, à en jugerpar l'appréciation
d'un autre juge également sympathique et indépen-
dant. M. À. Lilley, en effet, organe encore jeune de
l'anglicanisme libéral, résumant avec bienveillance
les vues de M. Laberthonnière dans ses deux ou-
vrages, retrace le dogmatisme moral et la foi de la
1. Ce qualificatif appelle d'expresses réserves. — a. Lanson
dans la Revue universitaire, 1903, p. 428.
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 321
philosophie de l'immanence en ces formules peu
rassurantes : « Les affirmations dogmatiques du
christianisme sont révélées seulement en ce sens
qu'elles sont l'expression lapins satisfaisante qu'on
ait pu trouver de cette vie (morale), et qu'elles peu-
vent constituer le stimulant le plus puissant à ses
progrès ultérieurs. » Puis, parlant de V esprit du
christianisme auquel seul peut s'appliquer la con-
ception du dogme immuable, il dit : « Et cet esprit
est l'assertion de foi, cette énergie morale de l'homme
qui peut seule affirmer la réalité. Comme nous
l'avons vu, cette foi est rationnelle dans le sens le
plus élevé de ce mot. L'affirmation immédiate de la
réalité est une affirmation qui implique la raison.
Mais l'explication logique de son contenu peut tou-
jours dépendre de ce fait que nous saisissons la
réalité à travers les phénomènes. Ainsi le dogme
chrétien par son côté intellectuel est provisoire et
relatif. Tout terme employé pour l'exprimer est
susceptible de profondes modifications; il les a en
réalité subies dans le passé, et il est exposé à les
subir continuellement dans l'avenir... La tradition
chrétienne est ce que M. Laberthonnière appelle la
vérité du Christ... Ni aujourd'hui, ni jamais dans le
passé la vérité (de Jésus-Christ) n'a pu être reconnue
ou établie par les faits de l'histoire, bien que na-
turellement, comme tout autre vérité concrète, elle
ait été donnée dans les faits de l'histoire... La vérité
du Christ est une affirmation de cette foi rationnelle
qui est l'expression nécessaire de l'esprit de l'homme
dans la plénitude de son activité. Les événements
du monde phénoménal par lesquels elle nous est
révélée sont entièrement enfermés dans la sphère
du criticisme historique (1). »
i. A.Lilley,dans The Hibbert journal, octobre 1904, p. 179, i83.
LE CATÉCHISME. — T. I. ai
Û22 LE CATECHISME ROMAIN
Il va de soi qu'on ne saurait rendre M. Laber-
thonnière responsable des interprétations de ses
lecteurs. Mais enfin, si telle est l'impression pro-
duite à la fois sur les théologiens dont il s'est plaint
si souvent, sur des critiques sympathiques comma
le correspondant anonyme du Bulletin, sur des
penseurs totalement étrangers à nos querelles
d'écoles, comme M. Lanson, sur des esprits saturés
de la philosophie moderne, comme M. Lilley, il
faut bien qu'il y ait de grandes obscurités dans
son exposé pour que, venus des points les plus
éloignés de l'horizon intellectuel, tous ou à peu
près s'accordent à trouver dans son système une
théorie de la foi si éloignée de la doctrine classique.
6. Dans cette conception nouvelle, au lieu du
témoignage divin, on met dans la foi l'intuition
des réalités surnaturelles par le sens religieux.
M. Laberthonnière s'en défend. Et pourtant ses
propres textes, dans leur ensemble, et en particulier
le principe fondamental de l'autonomie de la pensée,
tel qu'il est développé dans l'introduction des Essais,
justifie cette interprétation. « L'idée fondamentale
qui, malgré toutes les divergences, s'est affirmée
plus énergiquement que jamais à travers la philo-
sophie moderne, à savoir qu'il n'y a pas de vérité
pour l'homme qu'il ait à subir, parce que cette
vérité alors serait pour lui une compression au lieu
d'un épanouissement, l'esclavage au lieu de la liberté,
la mort au lieu de la vie, cette idée nous l'acceptons
en pleine connaissance de cause. Et nous ne pen-
sons pas que personne ose explicitement la rejeter.
Du reste, n'est-elle pas aussi, en définitive, l'idée
fondamentale qui anime toute tentative d'apologéti-
que sous quelque forme qu'elle se produise (i). »
i. Laberthonnière, Essai de philosophie religieuse, p. xyi.
CONCEPTION NOWYELLE DE LA FOI 323
Nullement, toute tentative d'apologétique n'a
point pour but de prouver la vérité intrinsèque des
dogmes révélés, mais seulement d'établir la réalité
de la révélation et l'autorité du témoignage divin.
Aussi est-on surpris de lire les lignes suivantes :
« Quand donc les philosophes, pour rester philo-
sophes, pour sauvegarder cette autonomie qui
constitue notre personnalité morale, réclament une
vérité qui ait pour caractère d'être immanente,
c'est-à-dire qui se rattache à eux, qu'ils puissent
trouver en eux dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils
doivent êlre, nous ne saurions faire autrement que
d'abonder dans leur sens, puisque toute vérité qui
n'aurait pas ce caractère serait inévitablement
opprimante en s'imposant du dehors (i). »
Si l'on voulait dire seulement que l'esprit humain
ne peut rien affirmer qu'il n'en voie ou du moins
qu'il ne croie en voir la vérité, soit dans l'objet lui-
même, soit dans un témoignage autorisé, rien de
plus exact ; jamais philosophie n'a pu nier cette
impossibilité ; car c'est une loi essentielle de notre
esprit de ne pouvoir adhérer qu'au vrai, c'est-à-dire
au moins à ce qui lui est présenté comme vrai.
Mais la grande conquête de la philosophie moderne,
proclamée ici, a un tout autre sens : c'est la néces-
sité de trouver toute vérité en soi-même, dans ce
que nous sommes ou dans ce que nous devons être,
à l'exclusion de tout témoignage même divin qui
nous l'apporterait du dehors. ,
Or, l'autonomie ainsi formulée, même si on
accepte pour l'esprit un secours et comme une
collaboration de Dieu, est à rejeter comme égale-
ment contraire à l'expérience, à la raison, efr
à la foi. Car il y a des vérités que l'homme ne
' i. Ibid., p. xyii-xviii.
324 LE CATÉCHISME ROMAIN
trouve pas en lui-même, dans ce qu'il est et dans ce
qu'il doit être, des vérités qu'il doit subir, sans êlre
pour cela condamné à Fcsclavage, ni à la mort.
Quand vous me confiez le secret de vos pensées
intimes, je subis cette vérité que vous me révélez,
je la subis, je ne la trouve pas en moi, ni dans ce
que je suis, ni dans ce que je dois être. Je subis
également toutes les vérités scientifiques ou histori-
ques dont je n'ai aucune expérience personnelle ;
je n'ai point le loisir d'expérimenter la télégraphie
sans fil, et cependant je ne doute point des affirma-
tions des physiciens. Et je ne me sens ni comprimé,
ni esclave, ni mort, mais plus vivant à mesure
qu'une vérité de plus m'arrive de l'extérieur. Et cela
reste vrai, quand même je ne saisirais aucune raison
intime de ces lois ni la portée des expériences ou
des calculs qui en ont préparé la découverte. Je
reçois ces vérités du dehors, du témoignage, de
l'autorité intellectuelle des hommes de science.
Et combien cela est plus profondément vrai dans
l'ordre des vérités révélées ? Je subis le dogme de la
Trinité. Je sais que Dieu un jour daigna révéler par
Jésus ce grand mystère de son être et de sa vie
intime, et je proteste que je l'admets uniquement sur
l'autorité de sa parole, sans même découvrir en mon
âme ces images de la Trinité dans lesquelles se
jouait l'esprit ingénieux d'Augustin, tout en se
gardant bien d'en faire le motif de son adhésion.
J'ajoute que, pour moi, la Trinité ainsi reçue du
dehors par une confidence divine, même transmise
de génération en génération jusqu'à moi, n'est
nullement une compression, ni un esclavage, ni
surtout une mort: c'est bien plutôt une nomvelle
vie, puisque je sais une nouvelle vérité, quelque
imparfaite qu'en soit la représentation, et une vérité
que les plus longs siècles de méditation psychologi-
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 325
que n'eussent jamais fait jaillir en mon esprit.
L'auteur des paroles qui précèdent termine ainsi:
« Nier qu'on puisse recevoir du dehors des vérités
que nous n'avons pu tirer de nous-mcme, n'est-ce
point faire de la foi un acte irréalisable, ou du
moins changer totalement le sens des mots (i). »
On ne saurait mieux dire.
1. A propos de la genèse de la foi. — « La foi,
étant une vertu surnaturelle, doit nécessairement pro-
céder, chez les adultes, de la grâce de Dieu et de la bonne
volonté de l'homme... Que fait l'homme pour préparer et
entretenir en lui, avec le concours de la grâce divine,
cette volonté bonne qui ouvre l'âme aux clartés de la foi ?
Car je ne parle pas ici de ces illuminations soudaines, de
ces irradiations miraculeuses par' le moyen desquelles un
saint Paul, par exemple, a passé subitement de l'impiété
la plus violente à la foi la plus humble et la plus géné-
reuse. Il s'agit des conversions ordinaires, où les choses
se passent humainement, où l'homme a sa grande part
dans l'œuvre divine. Que fait-il alors pour concourir avec
Dieu ? Il n'est pas possible,* dans ce mystère, de découvrir
les secrets que la conscience du converti ignore sans
doute elle-même. Mais l'on peut dire en général que la
bonne volonté procède de certains motifs qui l'inspirent,
qui l'animent, qui l'encouragent, qui la remplissent de
bons désirs et la rendent souple et docile aux appels de
l'Esprit divin. Eh bien, parmi ces motifs du bon vouloir
coopérateur de la grâce, s'il en est de si intimes et per-
sonnels qu'ils échappent par lewr variété même à toute
classification et à toute analyse psychologique, on eri
trouve cependant qui sont susceptibles d'être analysés et
classés, et qui peuvent servir à formuler presque scienti-
fiquement une sorte de préparation de l'âme à la foi, une
propédeutique de l'Evangile.
C'est à cela peut-être, je le reconnais volontiers, que
vient concourir la philosophie de l'action par la méthode
. i. Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. i38.
32Ô LE CATECHISME ROMAIN
de l'immanence. En nous montrant, à l'aide de leurs
analyses subtiles, que l'activité tout entière de l'âme
humaine, que le fond le plus intime, le ressort le plus
secret de notre vie, demande, exige, réclame et, pour
employer le terme à la mode, « postule» la foi catholique;
en rendant plus sensibles, en faisant mieux connaître ce
qu'ils appellent les « harmonies vivantes, coïncidences
vitales et finalités transcendai) tes » de notre nature et du
surnaturel chrétien, les philosophes de l'immanence nous
donneront un riche commentaire de la parole du vieux
Tertullien sur l'âme naturellement chrétienne, et nous
fourniront les motifs les plus délicats, les plus touchants
et les plus pressants peut-être, pour exciter, chez les
incrédules et les indifférents de ce siècle, les bons désirs
et la bonne volonté qui, par la grâce de Dieu, attirent la
divine lumière de la foi.
Mais ces philosophes auraient tort de penser qu'il n'y a
pas d'autres motifs efficaces que ceux qui sont fournis
par leur analyse immanente. Beaucoup d'esprits sont
accessibles à des considérations d'un tout autre ordre,
telle que l'influence morale et sociale du christianisme ou
la sublimité de l'Evangile. De même ces philosophes
seraient dans l'erreur s'ils prétendaient avoir inventé une
nouvelle méthode de préparation à la foi. Leur méthode a
toujours été connue et pratiquée dans l'Eglise par les
défenseurs et les prédicateurs du christianisme. Je ne sais
même pas s'ils ont rien découvert qui ne soit au moins
signalé par quelqu'un des anciens. Quoi qu'il en soit,
l'originalité de leur mérite consiste à mieux distinguer et
formuler cette méthode, à rendre son emploi plus usuel
et plus facile, et à combattre ainsi l'incrédulité moderne,
qui échappe, dans le scepticisme et le criticisme, aux
prises de la démonstration évangélique traditionnelle. »
Gayraud, Le problème de la certitude religieuse, dans la
Revue du clergé, 1902, t. xxx, p. 116-118.
2. L'acte de foi. — a Appuyés sur les données
dogmatiques qui jalonnent notre route et nous ôtent,
selon le beau mot de saint Jérôme, « la liberté de l'erreur, »
nous pouvons, non pas saisir l'acte et le présenter dans
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 327
■ ■
sa réalité vivante et concrète, non pas môme peut-être en
démonter toutes les pièces et en montrer le mécanisme
dans les derniers détails, mais bien en expliquer dans
l'ensemble le jeu et les mouvements, assez au moins pour
voir comment s'y concilient des propriétés en apparence
inconciliables, et pour soupçonner, sinon pour entrevoir,
combien beau dans sa réalité psychologique et surnatu-
relle, combien beau dans son ordre moral,' doit être cet
acte où la nature et le surnaturel se rencontrent et s'em-
brassent ; où l'homme, écoutant dans le respect, dans
l'adoration, dans la soumission absolue, Dieu qui parle
de la nuée, accepte librement sous la motion et la lumière
divine la main que Dieu lui tend ; où se nouent, dans
l'obscurité, entre le Créateur et la créature, des relations
intellectuelles et morales qui doivent mener l'homme,
s'il est fidèle, aux splendeurs de la vision béatifique ; où
les biens invisibles et les secrets de Dieu sont mis à notre
portée ; où commence enfin pour nous, dans une union
ineffable, quoique imparfaite encore, d'esprit et de volonté
avec Dieu, cette vie divine que nous sommes destinés à
mener éternellement dans le ciel, le connaissant face à
face comme il se connaît, l'aimant comme il s'aime,
tout transformés en lui par la connaissance et l'amour,
divinisés sans cesser d'être nous, un avec lui dans une
communion qui ne supprime rien de la distinction essen-
tielle et de la distance infinie entre « Celui qui est » et
« celui qui n'est pas. » Bainvel, La foi et l'acte de foi,
Paris, 1898, p. 98-99.
3. La liberté dans l'acte de foi. — « Il paraît
difficile de déterminer de quelle façon la liberté et la
certitude se concilient dans l'acte de foi considéré en
lui-même et pour ainsi dire in abstracto, il est d'ordinaire
aisé de constater, surtout à notre époque d'incrédulité,
d'où vient que les uns croient, pendant que les autres
doutent ou refusent de croire. Les hommes qui doutent
et ne croient pas aux vérités révélées sont ceux qui ne
sont pas convaincus du fait de la révélation. Les hommes
qui croient sont au contraire ceux qui sont convaincus
de ce fait. On serait tenté de conclure de là que la liberté
328 LE CATÉCHISME ROMAIN
de l'acte de foi vient exclusivement de la liberté d'étudier
et de considérer ou non les preuves de la révélation, et
qu'elle ne vient point, comme l'enseigne le concile du
Vatican, d'une détermination qui reste maîtresse d'elle-
même, malgré la science la plus complète de ces preuves.
Mais on change d'avis, lorsqu'on remarque qu'avec une
connaissance égale des motifs de crédibilité, les uns
croient pendant que les autres doutent. On s'accorde à le
reconnaître, la foi tient aux dispositions qu'on apporte
dans la considération des preuves de la religion. Ce sont
ces dispositions qui décident de la valeur que chacun
accorde aux preuves qui lui sont proposées. Or, que sont
ces dispositions, sinon le résultat et le signe des libres
déterminations de la volonté sollicitée par la grâce ? Ces
déterminations libres, que les théologiens n'envisagent
qu'au moment de l'acte de foi, se produiscrr très souvent,
chez les adultes, dans la conduite qui précède et prépare
l'acte de foi ou l'acte d'incrédulité. Cette conduite peut
avoir mis celui à qui la foi est proposée dans un état
d'esprit tel qu'il est facile de conjecturer à l'avance à
quoi il va se décider. C'est en raison des dispositions à
peu près permanentes dans lesquelles ils se sont mis,
que la plupart des hommes, qui connaissent suffisamment
les preuves de la religion, sont d'une manière à peu près
constante croyants ou incrédules.
Obéissant, d'ailleurs, à une tendance naturelle qui fait
que nous cherchons toujours à justifier nôtre conduite à
uos propres yeux, ceux qui ne croient pas s'habituent à
considérer les objections faites contre la révélation ; car
ils sentent qu'il serait déraisonnable de ne pas croire ce
que Dieu a révélé. Ils se forment ainsi à eux-mêmes des
préjugés, qui peuvent à la longue devenir si puissants,
qu'il faudrait un vrai miracle de la grâce pour les sur-
monter. Réciproquement, ceux qui Croient s'habituent à
considérer la faiblesse des objections faites contre la
religion et la force des preuves du christianisme. C'est
pourquoi la foi leur est facile. » Vacant, La constitution
Dei Films, Paris, 1895, t. 11, p. 81-82.
4. La Volonté et l'Intelligence dans l'acte de
CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 32g
— ■ — ■ — - _.....
foi. — « Un objet révélé se présente à notre intelligence
de la part de Dieu, souvent même de la part de l'Eglise
qui le définit, l'interprète ou l'enseigne. Qu'il soit essen-
tiellement mystérieux, ou qu'il soit naturellement con-
naissante avant que d'être affirmé par Dieu, nous disons
qu'il ne saurait nécessiter, comme les vérités intuitive-
ment ou démonstrativement évidentes, l'assentiment de
notre esprit. Non, certes, qu'il ne soit pas évidemment
croyable, que l'autorité divine dont il est revêtu ne soit
évidemment démontrée, que le devoir d'y adhérer ne nous
soit évidemment imposé. Bien au contraire, nous admettons
que les preuves de la crédibilité, le motif de la croyance,
l'obligation de la foi, sont tels dans le christianisme que,
sous peine de révoquer témérairement en doute les bases
mêmes de la certitude humaine, notre raison doit croire
tout objet divinement affirmé. Mais ce qu'elle doit faire,
elle n'est pas toujours nécessitée à le faire ; et comme nos
autres facultés, elle n'est fatalement entraînée que vers
son objet propre. Or, l'objet propre de l'intelligence
humaine ici-bas est la vérité évidente, soit que son évi-
dence apparaisse d'elle-même et que nous la percevions
par intuition directe, soit qu'elle apparaisse à l'aide
d'autres évidences et que nous ayons besoin de démons-
tration pour la disceraer. Que l'intelligence dispose ou
non de grâces surnaturelles dans ses rapports avec l'objet
à connaître, son fonctionnement reste essentiellement le
même : elle est invinciblement attirée par lui s'il est
évident ; elle ne l'est pas s'il est seulement certain sans
évidence. L'objet révélé n'étant jamais évident comme tel,
il ne saurait jamais nécessiter l'adhésion intellectuelle
qu'il sollicite et à laquelle il a d'ailleurs un droit incon-
testable. » Didiot, Vertus théologales, Paris, 1897, n. 217,
p. 162.
Leçon IXe
De la Foi et de la Raison
I. Deux ordres de connaissance, — Les Mys-
tères de la foi. — II. Rôle de la raison dans
la connaissance des mystères de la foi. —
III. Ni opposition ni désaccord entre la foi
et la raison. — IV. La foi et la raison se
prêtent une aide mutuelle.
Sur cette question si importante et si débattue
au siècle dernier, relative aux rapports qui
doivent exister entre la foi et la raison, entre
la science et la révélation, le concile du Vatican,
dans le chapitre ive de la Constitution Dei Films,
a donné une solution remarquable par sa précision
et sa clarté. Aussi est-ce à ce chapitre et aux canons
qui le suivent que nous emprunterons les éléments
de cette leçon, en prenant pour guide celui qui les
a si bien mis en relief (i).
» i. BIBLIOGRAPHIE : A. Vacant, La Constitution Dei Filius,
Paris, i8g5, t. n, p. 181-281 ; Monsabré, Introduction au dogme
catholique, Paris, 1866, t. 1, p. 16-71 ; tous les traités De Jide des
théologies postérieures au concile du Vatican ; dans la collec-
tion Science et Religion, on peut lire avec intérêt et avec fruit
Du doute à la foi, de P. Tournebize ; V attitude du catholique de-
vant la science, de Fonsegrive; surtout Les relations entre la foi
et la raison, et Les conditions modernes de Vaccord entre la Joi
et la raison, de M. de Broglie.
DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 33 1
Dans le premier paragraphe, le concile, d'accord
avec la doctrine constante de l'Eglise, affirme
l'existence, pour l'homme, de deux ordres de con-
naissance, l'un naturel, l'autre surnaturel, et il
indique les mystères de la foi comme l'objet spécial
de la révélation divine.
Dans le second, il expose ce qui revient à la
raison et ce qui n'est point de son ressort, dans
l'étude de la vérité surnaturelle.
Dans le troisième, il déclare qu'entre la raison et
la foi, entre la science et la révélation, il ne saurait
jamais exister aucune opposition ni désaccord ; d'où
il résulte que toute assertion, certainement con-
traire à une vérité révélée, doit être regardée comme
n'étant pas une conclusion légitime de la science,
et qu'elle peut à bon droit être réprouvée par
l'Eglise.
Dans le quatrième enfin, il enseigne que non
seulement la raison et la foi ne s'opposent pas l'une
à l'autre, mais qu'elles s'entr'aident mutuellement,
et, tout en revendiquant une juste liberté pour la
science, il met en garde contre ses abus et ses
excès.
I. Deux ordres de connaissance.
Le mystère,
objet spécial de la révélation
Le chapitre iv* de la Constitution Dei Filius débute
ainsi : « L'Eglise catholique s'est toujours accordée
à admettre qu'il y a deux ordres de connaissance
distincts, non seulement par leur principe, mais
encore par leur objet : par leur principe, parce que
nous connaissons dans l'un, au moyen de la raison
332 LE CATÉCHISME ROMAIN
naturelle, dans l'autre au moyen de la foi divine ; par
leur objet, parce que, outre les vérités auxquelles la
raison naturelle peut atteindre, l'Eglise propose à
notre foi des mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent
être connus que par la révélation divine. C'est pour-
quoi l'apôtre, qui rend témoignage à la connaissance
que les nations ont eue de Dieu, au moyen des
choses créées, dit néanmoins en parlant de la grâce
et de la vérité données par Jésus-Christ : « Nous
prêchons la sagesse de Dieu renfermée dans son
mystère, cette sagesse cachée, que Dieu a prédes-
tinée avant tous les siècles pour notre gloire, qu'au-
cun des princes de ce siècle n'a connue ; mais pour
nous, Dieu nous l'a révélée par son Esprit ; car cet
Esprit pénètre tout jusqu'aux secrets les plus pro-
fonds de Dieu. » Et le Fils unique lui-même rend
gloire à son Père de ce qu'il a caché ces choses aux
sages et aux prudents et le* a révélées aux petits. »
Canon i : « Anathème à qui dirait que la révé-
lation divine ne renferme à proprement parler
aucun mystère véritable, mais qu'une raison con-
venablement cultivée peut par ses principes natu-
rels comprendre et démontrer tous les dogmes de
la foi. »
Nous ne nous arrêterons pas sur la distinction
des deux ordres de connaissance, mais nous insis-
terons sur l'objet spécial de la révélation, à savoir
les mystères, dont l'existence est affirmée et définie ;
nous répondrons à ces trois questions : Quelle est
la nature des mystères de la foi? En existe-t-il?
Quels sont-ils ?
i . Nature des mystères de la foi. — La nature
des mystères de la foi ressort clairement soit de
la lettre de Pie IX à l'archevêque de Munich,
du ii décembre 1862, portant condamnation des
DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 333
erreurs de Frohschammer (i), soit du premier
paragraphe du chapitre ive de la Constitution Dei
Filius, transcrit plus haut.
Trois propriétés caractérisent les mystères de la
foi : ce sont des vérités cachées en Dieu ; elles ne
peuvent être connues que si Dieu les révèle ; les fidèles
ne peuvent en avoir une claire connaissance que dans
la vision intuitive.
Ce sont d'abord des vérités cachées en Dieu. Dieu
dépasse toute créature intelligente ; il a une science
infinie qu'aucune créature créée ou créable ne sau-
rait embrasser dans sa totalité ; il possède donc des
secrets absolument impénétrables, des vérités sur-
naturelles en elles-mêmes, et c'est à ces secrets
qu'appartiennent les mystères de la foi : ils sont
donc cachés en Dieu, au-dessus de toute nature
créée, dépassant la portée de la raison humaine et
de l'intelligence angélique, inaccessibles par con-
séquent à toute raison naturelle, à tout principe
naturel.
Pour être connus, iljaut donc que Dieu les révèle. Dieu
peut les montrer, les faire voir, comme il les voit
lui-même, mais ce mode de connaissance appartient
à la vision intuitive ; il peut aussi nous les révéler
ici-bas, en entourant son témoignage des preuves
les plus authentiques et les plus irrécusables. Ces
mystères de la foi différent essentiellement de ce
qu'on appelle les mystères de la nature. Ceux-ci
sont des vérités dont la raison ne s'explique ni le
pourquoi ni le comment, mais dont elle constate
ou prouve l'existence ; ceux-là, au contraire, échap-
pent complètement aux prises de notre raison, non
seulement dans leur nature intime, mais même dans
i. Denzinger, n. i524-i5a8.
33/i LE CATÉCHISME ROMAIN
leur existence : nous ne connaissons cette existence
que si Dieu veut bien nous en faire part.
Enfin ces mystères de la foi sont tels que, même
lorsque leur existence nous est révélée, l'intelligence
et la connaissance parfaite de leur nature nous sont
refusées ici-bas. Ils restent pour nous, comme ledit
Pie IX. « couverts du voile sacré de la foi elle-même
et enveloppés d'une ombre obscure, » et, comme le
dit le concile du Vatican, « la raison n'est jamais
rendue capable de les pénétrer comme les vérités
qui constituent son objet propre. »
Les mystères de la foi sont donc des vérités, dont
Dieu seul possède une. connaissance naturelle et
adéquaie, qui ne peuvent nous être connus que par
une révélation divine, et que nous ne saurions
comprendre ni démontrer par des principes d'ordre
naturel, même après que Dieu nous les a révélés.
2. Existence des mystères de la foi. En frappant
d'ana thème quiconque dirait que la révélation
divine ne renferme à proprement parler aucun
mystère véritable, le concile du Vatican a défini
qu'il existe des mystères dans la religion chrétienne.
C'est donc un dogme de foi ; constatation officielle
d'un point de doctrine toujours enseigné par l'Eglise
et basé sur l'Ecriture et la tradition, ainsi que le
faisait déjà remarquer Pie IX dans sa lettre à
l'archevêque de Munich. Pie IX empruntait ses
preuves scripturaires à l'épi tre aux Colossiens, aux
Hébreux, au quatrième Evangile et à la première
épître aux Corinthiens. C'est ce dernier texte que
reproduit le concile en y ajoutant un passage de
saint Matthieu.
L'apôtre saint Paul, en parlant de ce que l'œil
n'a pas vu, ni l'oreille entendu, ni le cœur de
l'homme conçu, n'en faisait pas une explication
DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 335
exclusive au bonheur céleste, il l'entendait aussi
des vérités qu'il prêchait et qui sont l'objet de la
foi. Or ces vérités sont des mystères proprement
dits, ainsi que cela ressort clairement de son
langage. Il prêche la sagesse, dit-il, non la sagesse
du siècle, mais la sagesse même de Dieu, et, bien
qu'il s'adresse aux parfaits, il la dit mystérieuse et
cachée par sa nature ; aucun prince de ce siècle ne
l'a connue, mais c'est Dieu lui-même qui l'a révélée
aux apôtres par son Esprit, lequel pénètre tout,
même les profondeurs de Dieu (i). De même dans
le texte évangélique, ce que Jésus entend par les
choses que Dieu a cachées aux sages et aux prudents
et qu'il a révélées aux petits (2), ce sont bien des
mystères connus seulement des personnes divines
et de ceux à qui Dieu veut les révéler, puisqu'il
ajoute : « Toutes choses m'ont été données par
mon Père ; personne ne connaît le Fils si ce n'est
le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est
le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler (3). »
Cet enseignement scripturaire n'ayant jamais été
révoqué en doute même par les hérétiques qui
attaquèrent les dogmes de la Trinité et de l'incarna-
tion, les Pères de l'Eglise se contentèrent de signaler
en passant les passages de l'Ecriture relatifs au
caractère mystérieux des vérités révélées (4). Mais
ce caractère frappa surtout les scolastiques ; nui ne
l'a mieux fait ressortir que Saint Thomas (5). Pour-
1. I Cor. 11, 7-9. — a. Malth., xi, a5. — 3. Matth. xi, 27. —
4. S. Ambroise, De fide ad Gral., 1, 10 ; Pair, lai., t. xvi,
col. 54i-543 ; S. Jérôme, In Galat., m, a ; Pair, lat., t. xxvi,
col. 374-375 ; S. Léon le Grand, De nat. Dom., serm. ix ; Pair,
lai. y t. liv, col. 160; S. Chrysostome, In I Cor.% homil. vu; Pair.
gr.y t. lxi ; S. Cyrille d'Alexandrie, In Joan., 1, 9 ; Pair, gr.,
t. lxxiii, col. i24-i34 ; S. Jean Damascène, In I Cor., 11 ; Patr%
gr.t t. xcv, col. 582-590. — 5. Cont.gent., iv, proœmium.
336 LE CATÉCHISME ROMAIN
tant quelques partisans de Raymond Lulle le mécon-
nurent et s'attirèrent les rigueurs de l'Eglise, une
première fois sous Alexandre IV, en 1260, une
seconde fois sous Grégoire XI, en 1376. Ce dernier
pape condamna notamment ces deux, propositions :
« Tous les articles de foi, les sacrements de l'Eglise
et le pouvoir du pape peuvent être prouvés et sont
prouvés par des raisons nécessaires, démonstrati-
ves, évidentes (Prop. 9G). » « La foi est nécessaire
aux gens rustiques, ignorants, mercenaires, de
basse intelligence, qui ne savent point connaître
par la raison et aiment à connaître par la foi ; mais
un homme subtil est plus facilement attiré à la vie
chrétienne par la raison que par la foi (Prop. 97)(i).
Au dernier siècle, quelques prêtres allemands,
professeurs dans les universités, Hermès, Gunther,
Frohschammer, entre autres, reprirent la thèse du
prétendu pouvoir qu'a la raison de démontrer les
dogmes, une fois qu'ils sont révélés. Ils furent
condamnés à leur tour. Pie IX, notamment, écrivait
à ce sujet : « Jamais la raison ne peut arriver par
les principes naturels à la science de ces dogmes
(les mystères). Que ceux qui ont la témérité de
soutenir le contraire, sachent qu'ils abandonnent
certainement, non pas l'opinion de certains doc-
teurs, mais la doctrine commune et constante de
l'Eglise. Les saintes Lettres et la tradition des saints
Pères témoignent, en effet, que si l'existence de
Dieu et plusieurs autres vérités sont connues à la
lumière naturelle de la raison, par ceux mêmes qui
n'ont pas encore reçu la foi, Dieu seul a manifesté
ces dogmes plus cachés (2). » Et il stigmatise,
comme étranger à l'enseignement catholique, le
sentiment contenu dans cette proposition, devenue
1. Denzinger, n. 474, 470. — 2. Denzinger, n. 1527.
DEUX ORDRES DE RECONNAISSANCE SSj
la neuvième du Syllabus : « Tous les dogmes de la
religion chrétienne sans distinction sont l'objet de
la science naturelle ou philosophie ; et avec une
culture purement historique, la raison humaine
peut, d'après ses principes et ses forces naturelles,
parvenir à une Arraie connaissance de tous les
dogmes, môme des plus cachés, pourvu que ces
dogmes aient été proposés à la raison comme
objet (1). »
Aussi le concile du Vatican, en définissant
comme une vérité de foi catholique l'existence des
mystères dans la révélation, n'a fait que proclamer
une vérité clairement contenue dans l'Ecriture,
constamment crue dans l'Eglise et plusieurs fois
formulée par les Souverains Pontifes.
3. Quels sont, parmi les dogmes de la foi,
ceux qui ont le caractère de mystère ? — Tous
ceux qui n'appartiennent pas en même temps à
l'ordre naturel, car il est des vérités révélées qui
sont accessibles à la raison ; par conséquent tous
ceux qui regardent l'élévation de l'homme à l'état
surnaturel, son commerce surnaturel avec Dieu, sa
fin surnaturellle et les moyens d'y parvenir ; et cela
pour deux raisons : d'abord parce que ce sont des
vérités qui ont les trois propriétés qui carac-
térisent les mystères de la foi ; ensuite parce que
l'ordre surnaturel a été librement établi par Dieu.
Or, ce qui dépend de la libre détermination de
Dieu ne saurait être connu des créatures qu'autant
que Dieu leur en fait part. Telle est l'élévation de
l'homme à l'ordre surnaturel, et telles sont les
vérités qui se rapportent à la fin surnaturelle de
l'homme et aux moyens surnaturels d'y parvenir.
i. Denzingcr, n. i556.
LE CATÉCHISME. — T. I. 33
338 LE CATÉCHISME ROMAIN
Ces moyens sont la vie surnaturelle elle-même et
tout ce qui sert à la produire, à l'entretenir, à la
développer. Il est clair que la vie surnaturelle
échappe à nos investigations, même quand elle est
en nous ; le caractère surnaturel de ses opérations
nous échappe de même. Nous n'avons conscience
en effet, ni de notre élévation à l'ordre surnaturel,
ni de notre état de grâce, ni de ce qu'a de surnatu-
rel notre acte de foi. Sont donc à ranger parmi les
mystères l'Incarnation, qui est la source de l'ordre
surnaturel, la Rédemption, qui en est l'application.
Tout cela dépend de la volonté libre de Dieu. En
est-il de même de ce qui constitue nécessairement
l'essence divine, et, par exemple, la Trinité ? Est-ce
un mystère ? Ni Pie IX ni le concile du Vatican ne
citent la Trinité parmi les mystères ; c'était inutile,
car d'autres documents la regardent comme un mys-
tère et comme plus le grand des mystères, absolument
ineffable et incompréhensible. Le Saint Office con-
damnait en 1887, avec l'approbation de Léon XIII,
une proposition de Rosmini qui déniait à la Tri-
nité le caractère de mystère de la foi ; c'est le mys-
tère des mystères ; tous les autres le supposent et
rien, dans l'ordre créé, ne saurait le manifester.
IL Rôle de la raison dans la
connaissance des mystères de la foi
Le rôle de la raison vis-à-vis des mystères chré-
tiens, ne se réduit pas à l'étude des motifs de crédi-
bilité, à l'examen du fait de la révélation, à tout ce
qui sert de préparation à l'acte de foi et à la pro-
duction de l'acte de foi lui-même, il est beaucoup
plus étendu ; car, sans les pénétrer à fond, elle peut
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTÈRES 33g
en acquérir une « certaine intelligence. » Le con-
cile du Vatican signale, en effet, les conditions dans
lesquelles elle peut agir, les qualités qu'elle doit
apporter dans son étude, les procédés qu'elle doit
employer, les résultats qu'elle peut obtenir et aussi
les limites qu'elle ne saurait franchir.
« Lorsque la raison, éclairée par la foi, cherche
avec soin, piété et modération, elle acquiert, il est
vrai, par le don de Dieu, quelque intelligence très
fructueuse des mystères, tant par l'analogie des cho-
ses qu'elle connaît naturellement, que par la liaison
des mystères entre eux et avec la fin dernière de
l'homme ; cependant jamais elle n'est rendue capa-
ble de les pénétrer comme les vérités qui constituent
son objet propre. En effet, par leur nature, les mys-
tères divins dépassent tellement l'entendement créé
qu'après avoir été communiqués par la révélation
et reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts
du voile de la foi elle-même et enveloppés comme
d'une sorte de nuage, tant que nous restons éloi-
gnés de Dieu par cette vie mortelle ; car nous mar-
chons dans le chemin de la foi et non dans celui de
la vision (i). »
i. La raison éclairée par la foi, doit observer
quelques règles dans ses recherches : elle doit agir,
dit le concile, avec soin, piété et discrétion. C'est
avec soin et attention tout d'abord, qu'elle doit étu-
dier l'Ecriture et la tradition, c'est-à-dire les docu-
ments où sont contenus les mystères révélés, pour
se rendre compte autant que possible de la manière
dont ils sont révélés, sous quelles images ils sont
présentés etquelles analogies ils suggèrent. G'esten-
suite avec piété, c'est-à-dire sous l'influence d'une
inspiration vraiment religieuse et avec un respect
i. Const. Dei Filius, c. iv, $ a.
34o LE CATÉCHISME ROMAIN
profond pour l'enseignement divin, sous lequel se
cachent des vérités, dont nous n'apercevons ici bas
que le dehors, et nullement avec la suffisance du
rationalisme qui se flatte, à l'aide de la seule raison,
d'en avoir le dernier mot. La piété ne pousse pas
aussi loin ses prétentions et se garde d'aussi chimé-
riques espoirs. Et c'est enfin avec réserve ou discré-
tion, c'est-à-dire en s'en tenant aux seules données
de la révélation, sans essayer de leur appliquer des
vues ou des théories étrangères sinon contraires à
renseignement traditionnel. Ces conditions requi-
ses étant remplies, la raison peut découvrir des ana-
logies entre les mystères et les vérités naturelles,
étudier les rapports qu'ils ont soit entre eux, soit
avec la fin surnaturelle de l'homme, et cela consti-
tue un vaste champ d'opération pour elle.
2. Analogies des mystères avec les vérités
naturelles. Dieu, en parlant à l'homme, a dû né-
cessairement, pour se faire comprendre, se mettre
à la portée de son intelligence. Et puisqu'il lui a
plu de réserver pour la vision intuitive la claire
notion de ses mystères, il n'a pu nous en donner
quelque notion qu'en les rapprochant, qu'en
les comparant avec ce que notre raison connaît
par elle-même, c'est-à-dire par des analogies. En
effet, entre les mystères et les vérités naturelles
il n'y a point d'identité, ni par suite de res-
semblance parfaite ; mais il peut y avoir et il y
a des rapprochements, des comparaisons, tirés soit
du rapport que ces mystères et ces vérités naturelles
ont avec un même objet, soit de l'effet qu'ils pro-
duisent, c'est-à-dire des analogies.
Dieu nous proposant donc la notion de ses mys-
tères à l'aide de l'analogie qu'ils ont avec les choses
naturelles, plus les analogies seront nombreuses et
ROLE DE LA RAISON YIS-A-VIS DES MYSTÈRES 3£l
plus la notion des mystères nous sera facile, plus
au contraire elles seront rares et plus la notion des
mystères nous sera difficile. C'est ainsi que les ver-
tus surnaturelles, à cause de leurs multiples rapports
d'analogie qu'elles ont avec nos vertus naturelles,
sont facilement accessibles à notre intelligence. La
vie surnaturelle, au contraire, offre moins d'analo-
gies ou des analogies moins saisissantes avec la vie
naturelle ; il en est de même entre l'efficacité sur-
naturelle des sacrements et les effets physiques de
la matière qu'ils emploient ; et dès lors moins
grande est notre facilité à les connaître. Quant à
l'Incarnation et surtout à la Trinité, les points de
comparaison que la nature fournit sont plus
restreints encore, moins clairs, plus difficiles à
saisir.
Mais que ces analogies, indiquées par Dieu dans
sa révélation soient rares ou nombreuses, saisissan-
tes ou peu aisées à saisir, elles permettent toujours
d'avoir une notion suffisante des mystères révélés.
Or il appartient à la raison de les scruter, de les
approfondir, de les rapprocher, de les combiner
pour leur demander le plus de lumière possible,
car elles offrent un solide point d'appui et des
données authentiques. Il lui appartient aussi
de relever celles que les Pères de l'Eglise, les
conciles et les papes ont signalées dans la suite
des âges, car elles entrent dans la trame vivante de
la tradition. Il lui appartient enfin d'y joindre celles
qu'elle pourrait découvrir elle-même dans l'étude
comparative du dogme et de la nature, à la condition
bien entendu qu'elles cadrent avec l'enseignement
officiel de l'Eglise. Et c'est ainsi que la raison arrive
à se faire des mystères révélés une notion de moins
en moins imparfaite, de plus en plus claire et précise.
C'est, du reste, ce qu'ont fait tous les docteurs.
3/^2 LE CATÉCHISME ROMAIN
saint Augustin et saint Thomas en tête. Platon et
Aristote leur ont servi, comme on sait, non certes
pour substituer les données rationnelles aux mys-
tères révélés, ni pour démontrer les mystères au
moyen de principes rationnels, mais pour mettre
en plein relief ce que certaines vérités de l'ordre
naturel, que renferme leur philosophie, ont d'ana-
logie avec les mystères de la foi. La psychologie des
néoplatoniciens, note M. Vacant, a fourni à saint
Augustin des images de la Trinité ; l'éthique
d' Aristote a fourni à saint Thomas une partie des
cadres de la seconde partie de sa Somme, où il étudie
les principes de la morale chrétienne et les diverses
vertus surnaturelles.
3. Intelligence des mystères par leurs rap-
ports mutuels. C'est encore un vaste champ
d'action qu'offre à notre raison l'examen des rapports
qui enchaînent les uns aux autres, dans un tout
harmonique, les mystères de la foi.
On ne saurait douter, en effet, qu'il y ait moins
d'ordre et d'unité dans les mystères de la foi que
dans le monde de la nature, où notre raison décou-
vre un plan si harmonieusement établi. Cet ordre
et cette unité du monde surnaturel, Dieu, sans les
dévoiler à nos yeux autant qu'il les connaît lui-
même, nous les laisse suffisamment entrevoir pour
que nous y découvrions un lien logique : le péché ;
ses suites ; sa réparation ; application des effets de
la Rédemption à chacun de nous ; moyens d'arriver
au salut ; rôle du Verbe fait chair et du Saint-
Esprit, etc. Ce lien logique permet à notre raison de
pousser plus avant ses connaissances et de s'assimi-
ler dans la mesure du possible la révélation.
Assurément, Dieu ne nous a pas proposé ses vérités
sous la forme d'un catalogue abstrait ou comme
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTÈRES 3^3
une table de matières; des philosophes seuls auraient
pu s'en contenter, c'est-à-dire le petit nombre. La
grande masse réclamait un autre mode d'enseigne-
ment. Et c'est pourquoi Dieu leur a donné une
forme concrète et vivante, en les mêlant d'ordinaire
à des récits historiques ou à des leçons de morale.
Il en est un peu de la vérité révélée comme des
lois naturelles ; celles-ci, notre raison les découvre
peu à peu sous la variété des phénomènes qui s'en-
chevêtrent dans le règne minéral, végétal et animal,
dans le domaine de la conscience et dans l'activité
sociale, elle les dégage et les formule. Les vérités
révélées se trouvent dans les pages de la Bible et les
documents de la tradition ; depuis la mort des
apôtres, toutes sont promulguées. Le dépôt en est
confié à l'Eglise. Mais, pour la plupart, il reste à les
découvrir, à les dégager, à les formuler ; et c'est à
quoi travaille la raison, à la lueur de la foi, sous la
direction de l'Eglise et avec l'assistance du Saint-
Esprit. Elle a beaucoup fait jusqu'ici ; il lui reste
toujours à faire, car la révélation n'a pas encore
livré tous les secrets qu'elle renferme. Plus les
travaux s'accumulent, plus aussi s'affirment et se
précisent explicitement les vérités révélées dans des
formules dogmatiques.
D'autre part, la foi désire et cherche toujours à
mieux connaître ce qu'elle croit, à posséder une
intelligence plus parfaite des mystères par l'étude de
leurs rapports et de leur enchaînement logique. Ici
encore la raison prête son concours. Elle n'a pas
encore fini de classer les données surnaturelles, de
déterminer les principes surnaturels qui s'appliquent
à chaque espèce de vérité révélée, de déduire les
conséquences qui découlent de ces principes. Et
pourtant quelle œuvre considérable déjà réalisée !
Et n'est-ce pas à cette œuvre que nous devons cette
344 LE CATÉCHISME ROMAIN
« certaine intelligence, » encore imparfaite assuré-
ment, mais du moins « très fructueuse des mystères,
tant par l'analogie des choses que la raison connaît
naturellement, que par la liaison des mystères entre
eux, » comme s'exprime le concile du Vatican ?
4. Intelligence des mystères par leurs rap-
ports avec la fin de l'homme. Autre source de
connaissances pour la raison que l'étude des
mystères dans leurs rapports avec la fin de l'homme.
Tous les mystères en effet, se rapportent à la fin
de l'homme, et c'est en vue de cette fin que Dieu
les a révélés ; car ils ont pour objet soit cette fin
surnaturelle, soit les moyens de l'atteindre, soit les
obstacles à écarter. Leur étude ne peut donc que
contribuer à nous faire mieux comprendre l'ensem-
ble et l'enchaînement des vérités révélées ; et c'est
par là que cette étude est vraiment salutaire et
constitue la science du salut. D'autant plus que,
dans ces rapports des mystères avec notre fin
surnaturelle, se découvrent des analogies plus nom-
breuses, plus justes, plus saisissantes. Dieu, en effet,
n'a pas détruit notre nature, il l'a élevée et a élevé
ses facultés : nature et facultés naturelles servent
de point d'appui où se greffent la vie et les vertus
surnaturelles. La grâce se superposant ainsi à la
nature sans la détruire, la fin et les moyens de
l'ordre naturel présentent beaucoup d'analogies avec
la fin et les moyens de l'ordre surnaturel. Et c'est
ainsi, dit M. Vacant, qu'avec les réserves de droit,
on applique légitimement à la foi surnaturelle ce
qu'une saine philosophie enseigne de la fin dernière;
à la grâce sanctifiante et aux vertus surnaturelles,
ce qu'elle établit de notre vie, de nos facultés et
vertus naturelles ; à la grâce actuelle, ce qu'elle
démontre du concours divin ; à la manière dont
ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTÈRES 345
les sacrements produisent et entretiennent la grâce
en notre âme, la manière dont la- vie ordinaire est
communiquée, fortifiée et entretenue. La lumière
divine de la foi est rapprochée de la lumière
physique du soleil et de la lumière intellectuelle de
la raison ; l'Eglise, société parfaite, est comparée
à la société civile. Adam et Jésus-Christ représen-
tent l'humanité devant Dieu ; le premier, par sa
faute, l'a réduite en esclavage ; le second, par la
rédemption, l'a délivrée et lui a rendu ses droits.
Combien d'autres rapprochements encore ne pour-
rait-on pas faire ? Ceux-ci, à peine indiqués,
suffisent du moins à prouver combien vaste est le
champ d'action de la raison dans les mystères de la
foi.
5. Limites de la raison dans la connaissance
des mystères de la foi. Sans révélation, nous
venons de le voir, la raison ne saurait soupçonner
les mystères de la foi ; après la révélation, elle peut
en acquérir « une intelligence très fructueuses ; »
mais, ajoute le concile, «jamais elle n'est rendue
capable de les pénétrer comme les vérités qui cons-
tituent son objet propre. »
Frohschammer prétendait que la raison, par ses
propres forces, peut acquérir de tous les mystères
révélés sans exception une certitude naturelle et
scientifique. D'autres semi-rationalistes accordaient
que les mystères qui dépendent de la libre détermi-
nation de Dieu sont indémontrables, mais ils
soutenaient que ceux qui sont fondés sur l'essence
nécessaire des choses, comme la Trinité, sont
démontrables.
Pie IX, en condamnant Frohschammer, lui re-
prochait de ranger les mystères révélés dans le
domaine de la science et de la philosophie, d'accor-
346 LE CATÉCHISME ROMAIN
der à la raison vis-à-vis d'eux le pouvoir naturel de
les connaître avec certitude sans s'appuyer sur
L'autorité de Dieu qui les révèle. Et le concile du
Vatican a défini qu'il y a des dogmes de foi que la
raison la mieux développée ne saurait comprendre
ni démontrer par elle seule. Cette impuissance de
la raison, il la tire de la nature même de ces
mystères et cite en témoignage un passage de saint
Paul : u En effet, dit-il, par leur nature, les divins
mystères dépassent tellement l'entendement créé,
qu'après avoir été communiqués par la révélation et
reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts du
voile de la foi elle-même et enveloppés comme
d'une sorte de nuage, tant que nous restons éloignés
de Dieu par cette vie mortelle ; car nous marchons
dans le chemin de la foi et non dans celui de la
vision. ))
La nature des mystères limite la puissance de la
raison. On comprend qu'il en soit ainsi pour les
mystères qui dépendent de la libre volonté de Dieu ;
car, en dehors de leur révélation, on n'en soupçon-
nerait pas l'existence et rien de créé ne saurait les
manifester. En est-il de même vis-à-vis des mystères
fondés sur une nécessité absolue, comme la Trinité?
Une fois révélée, la raison n'est-elle pas à même
d'en saisir la nécessité logique ? Nullement, car
aucune créature n'en peut saisir la nécessité ni le
rapport logique avec aucun principe naturellement
connu. Et lorsque saint Paul dit : « Nous marchons
dans le chemin de la foi, et non dans celui de la
vision (i), » il oppose la connaissance que nous
avons de ces mystères ici-bas à celle que nous
aurons dans le ciel; ici-bas, c'est une connaissance
de foi, motivée par le témoignage de Dieu : au ciel,
i. II Cor., v, 7.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 3^7
ce sera la vision du face à face ; la foi disparaîtra,
et chacun, selon ses mérites, verra la volonté de
Dieu avec les mystères qui en dépendent, et l'intel-
ligence divine avec les mystères fondés sur une
nécessité absolue ; il les verra, non par les seules
forces de sa raison, mais parla lumière de gloire
que Dieu lui donnera ; sa connaissance sera alors,
non une connaissance de raison ni une connaissance
de foi, mais une connaissance de vision intellectuelle
surnaturelle.
III. Entre la raison et la foi
pas d'opposition possible
Le concile du Vatican traite trois questions très
importantes : d'abord il affirme et démontre Fim-
possibilité d'une opposition entre la science et la
foi ; ensuite il proclame les droits de l'Eglise vis-à-vis
de la fausse science ; enfin il rappelle aux chrétiens
les devoirs qui lui incombent en vertu de ces
principes. « Bien que la foi, dit-il, soit au-dessus de
la raison, il ne saurait pourtant y avoir jamais de
véritable désaccord entre la foi et la raison, attendu
que le Dieu qui révèle les mystères et répand la foi
en nous, est le même qui a mis la raison dans
l'esprit de l'homme, et qu'il est impossible que
Dieu se renie lui-même ou qu'une vérité soit jamais
contraire à une autre vérité. L'apparence imagi-
naire d'une contradiction semblable vient surtout,
ou bien de ce que les dogmes de la foi n'ont pas été
compris et exposés conformément à la pensée de
l'Eglise, ou bien de ce que des opinions fausses
soat prises pour des conclusions de la raison. Nous
déclarons donc que toute assertion contraire à une
3/|8 LE CATÉCHISME ROMAIN
vérité crue par une foi éclairée, est absolument
fausse. » Voilà pour la première question.
« Or l'Eglise, continue le concile, qui a reçu,
avec la charge apostolique d'enseigner, le comman-
dement de garder le dépôt de la foi, tient aussi de
Dieu le droit et le devoir de proscrire la fausse
science, afin que nul ne soit trompé par la philo-
sophie et la vaine sophistique. » Voilà pour la
seconde question.
« C'est pourquoi tous les chrétiens fidèles ne sont
pas seulement tenus de s'abstenir de défendre
comme des conclusions légitimes de la science, ces
opinions qu'on sait contraires à la doctrine de la
foi, surtout lorsqu'elles ont été réprouvées par
l'Eglise, ils sont encore absolument obligés de les
regarder comme des erreurs qui se couvrent de
l'apparence trompeuse de la vérité. » Voilà pour la
troisième question.
Suit le canon 2 : « Anathème à qui dirait que les
enseignements humains doivent être donnés avec
une telle liberté, que leurs assertions pourraient
être maintenues pour vraies et ne sauraient être
proscrites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient
contre la doctrine révélée (1). »
1. Pas de désaccord possible
i° Le concile affirme d'abord l'impossibilité
d'un désaccord entre la raison et la foi.
Déjà, au xme siècle sous Jean XXI (1 276-1 277), et
plus tard, au commencement du xvie, quelques phi-
losophes distinguaient ce qui est vrai philosophi-
quement et ce qui est vrai théologiquement, de
telle sorte qu'ils estimaient pouvoir soutenir une
chose philosophiquement vraie, quoiqu'elle fût en
1. Const. Dei Filius, c. iv, §3.
ACCORD DE LA. RAISON ET DE LA FOI 3 4 1)
r—— m
contradiction avec la vérité révélée. Le cinquième
concile de Latran condamna une prétention si erro-
née : « Comme le vrai, dit-il, ne contredit en rien
le vrai, nous définissons que toute assertion con-
traire à une vérité attestée par une foi éclairée, est
absolument fausse (i). »
Au xixe siècle, les rationalistes ont exalté outre
mesure le pouvoir de la raison jusqu'à rejeter la
révélation et la foi ; les fidéisles, au contraire, ont
exailé la foi au détriment de la raison. Les uns et
les autres péchaient par excès. Pie IX parlait ainsi
des premiers : « Par un renversement fallacieux de
la logique, ils ne cessent d'en appeler à la force et
à l'excellence de la raison humaine, l'exaltent con-
tre la sainte foi du Christ et débitent audacieuse-
ment que cette foi est contraire à la raison humaine.
On ne saurait à coup sûr rien imaginer ni supposer
de plus insensé, de plus impie et de plus contraire
à la raison que cette assertion ; car, quoique la foi
soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais exister
entre elles aucune contradiction (2). » Les fidéistes
de leur côté, furent également rappelés à la vérité et
à l'orthodoxie. Mais, d'autre part, sous l'influence
de quelques professeurs d'Allemagne, on en était
venu à soutenir que la raison peut démontrer les
mystères de la foi et les expliquer beaucoup mieux
que l'Eglise.
Or, c'est contre les rationalistes, qui rejettent la
certitude de la révélation, et contre les fidéistes, qui
rejettent la certitude de la raison, et aussi contre les
semi-rationalistes, qui prétendent qu'une vérité de
raison peut se trouver en opposition avec une vérité
révélée, que le concile du Vatican affirme l'impos-
sibilité d'un désaccord entre la foi et la raison.
1. Denzingcr, n. C21. — 2. Denzinger, n. 1/I9G.
350 LE CATÉCHISME ROMAIN
2° Il va plus loin : Il démontre l'impossibilié
d'un désaccord quelconque et en donne deux rai-
sons. Déjà Pie IX avait dit : « Il ne peutjamais exis-
ter entre elles (la raison et la foi) aucune contradic-
tion, puisque toutes deux viennent d'une seule et
même source de l'immuable et éternelle vérité, de
Dieu très bon et très grand (i). » Et le cinquième
concile de Latran avait dit que « le vrai ne saurait
contredire en rien le vrai. » Ces deux raisons, le
concile du Vatican les joint ensemble. La foi, vertu
surnaturelle, et la raison, don naturel, viennent
également de Dieu. L'objet de la foi est la vérité
révélée, l'objet de la raison la vérité naturelle. De
vérité à vérité pas d'opposition possible ; cela répu-
gne à la notion même de vérité ; cela répugne aussi
à la source de toute vérité, Dieu. Dieu se contredi-
rait, « se renierait lui-même, » si le mensonge pou-
vait se glisser dans ses œuvres, si les lumières de la
foi se trouvaient en opposition avec les lumières de
la raison. Il n'y a point de relativité dans la vérité :
la vérité est absolument ce qu'elle est et ne peut pas
être autre cbose ; le vrai ne peut pas s'opposer au
vrai. Tel est l'enseignement dogmatique.
3° Gela est vrai en droit ; est-ce également vrai
en fait ? Et n'y a t-il pas de véritables oppositions
ou contradictions entre l'enseignement révélé et les
données rationnelles ? Non, répond le concile ; ce
qu'il y a parfois ce sont des apparences de contra-
diction, purement imaginaires, qui proviennent, ou
de ce que les dogmes ne sont pas compris et expo-
sés conformément à la pensée de l'Eglise et à l'en-
seignement traditionnel, ou de ce que des opinions
fausses sont prises pour des conclusions certaines
de la raison. Le cas n'est nullement chimérique, car
i
i. Denzinger, n. 1496.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 35 1
trop souvent on prête à la doctrine catholique un
enseignement qui n'est pas le sien, et plus souvent
encore on se hâte de prendre pour des résultats
définitivement acquis à la science ce qui n'est
qu'une hypothèse plus ou moins séduisante, plus
ou moins vraisemblable ; de là de regrettables con-
flits, mais qui n'ont pas de raison d'être. Une con-
clusion certaine, scientifiquement vraie, est chose
réelle, mais assez rare ; seule, la témérité de l'esprit
va jusqu'à regarder comme une certitude scientifi-
que des hypothèses en vogue qui, dépourvues d'une
autorité suffisante, ne sauraient entrer en ligne de
compte avec des données positives. Opposer ces
hypothèses aux vérités de la foi, c'est créer des con-
tradictions apparentes dont la science ne saurait
être rendue responsable. Et du moment qu'elles
heurtent réellement l'enseignement révélé, l'Eglise
déclare qu'elles ne peuvent être qu'une opinion
fausse. En a-t-elle le droit ? Et son intervention,
en pareil cas, ne constitue- telle pas une intrusion
abusive dans un domaine qui n'est pas le sien ?
C'est la seconde question que tranche le concile
du Vatican.
2. Droits de l'Eglise
vis-à-vis de la fausse science
Incontestablement, comme l'Eglise du reste se
plaît à le reconnaître, les sciences humaines ont le
droit, chacune dans sa sphère, de s'appuyer sur
leurs propres principes et d'employer des méthodes
appropriées. C'est le droit de la philosophie, de
l'histoire, de toutes les sciences naturelles. Tant
qu'elles restent fidèles à leur méthode, tant qu'elles
ne tentent pas d'incursion dans un domaine qui
n'est pas le leur, le danger semble problématique
352 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'elles en puissent venir un jour ou l'autre à
heurter de front la révélation. Mais il est des ques-
tions qui intéressent la révélation au premier chef
ou qui ont avec elle d'étroits rapports; ici, la ré-
serve s'impose à elles comme un devoir, et l'Eglise
a le droit de contrôler et déjuger leurs affirmations.
i° C'est un droit que revendique le concile du
Vatican. Il est des philosophes qui prétendent que
l'Eglise n'a aucun droit dans le domaine scientifi-
que ; il est des rationalistes qui ne lui accordent
aucune autorité doctrinale ; il est des semi-rationa-
listes de l'école de Gunther et de Frohschammer
qui prétendent que, si les philosophes chrétiens
sont tenus de respecter son autorité, la philosophie
du moins échappe à son contrôle et que par suite
l'Eglise n'a pas le droit de redresser les erreurs de
la philosophie. Pie IX a condamné ces derniers (i),
et le Syllabus a inséré parmi les propositions con-
damnées les deux suivantes : « Gomme autre
chose est le philosophe et autre chose la philosophie,
le philosophe a le droit et le devoir de se soumettre
à une autorité dont il s'est démontré à lui-même la
légitimité ; mais la philosophie ne peut ni ne doit
se soumettre à aucune autorité. » « L'Eglise non
seulement ne doit, dans aucun cas, sévir contre la
philosophie, mais elle doit tolérer les erreurs de la
philosophie et lui laisser le soin de se corriger elle-
même (2). )) Or, le concile du Vatican a condamné
à son tour cette double erreur et a défini que l'Eglise
peut proscrire les assertions des sciences humaines,
sans distinction, qui seraient contraires à la doctrine
révélée ; car il a dit « anathème à qui dirait que les
enseignements humains doivent être donnés avec
1. Denzinger, n. i528, i535. — 2. Syllabus, prop. 10, 11 ;
Denzinger, n. 1557, i558.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 353
une telle liberté, que leurs assertions pourraient
être maintenues pour vraies et ne sauraient être
proscrites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient
contre la doctrine révélée (i). » Le droit de l'Eglise
de proscrire toute opinion scientifique contraire aux
données de la révélation est donc désormais une
vérité de foi catholique. Et ce n'est pas seulement
un droit, ajoute le concile, c'est encore un devoir.
2° Ce droit et ce devoir, le concile les fonde sur
l'autorité divine : ils font partie de la mission que
l'Eglise a reçue de Jésus-Christ d'enseigner et de
garder le dépôt de la foi. Pour garder intégralement
le dépôt confié, pour le transmettre dans sa pureté,
l'Eglise, en effet, doit signaler et proscrire tout
sophisme, toute erreur qu'une fausse science serait
tenlée de mettre en opposition avec la foi. Gomme
le dit l'apôtre saint Paul,« il faut que nul ne soit
trompé par la philosophie et une vaine sophisti-
que (2). » Les chrétiens doivent être mis en garde
contre les séductions d'une philosophie trompeuse,
toute mondaine et non conforme à la doctrine de
Jésus-Christ ; car c'est là un danger pour la foi,
d'autant plus grand de nos jours que la philosophie
est plus cultivée. Il est des points, en effet, dont
traite la philosophie et qui font en même temps partie
de renseignement révélé; il en est d'autres qui ont
des rapports avec la doctrine chrétienne, et sur les-
quels se prononcent les philosophes sans se préoccu-
per si les solutions qu'ils proposent s'accordent
avec la révélation. A l'Eglise de veiller sur le dépôt
de la foi, non pour repousser systématiquement
toute donnée philosophique, puisqu'il en est de
parfaitement légitimes et de très acceptables, mais
pour empêcher toute immixtion étrangère, dange-
1. Const. Dei Filius., c. iv, can. a. — 2. Col., 11, 8.
LE CATECHISME. — T. I. 33
354 LE CATÉCHISME ROMAIN
reusc ou erronée, intéressant directement la foi. Et
si un tel cas se présente, c'est le droit et le devoir
de FEglise, à raison de sa mission divine, de signa-
ler le danger et de condamner l'erreur, pour main-
tenir intact et inviolé l'enseignement divin. C'est un
droit qu'elle a toujours revendiqué, un devoir
qu'elle n'a cessé de remplir depuis son origine,
droit et devoir, que le concile du Vatican a reven-
diqués de la manière la plus expresse.
La véritable science n'a pas à s'offusquer d'une
pareille intervention de l'Eglise ; c'est la fausse
science seule qui est en cause, et uniquement dans ce
qui touche à la foi ; car l'Eglise n'a pas pour mission
de faire de la science pour de la science ; elle ne
s'occupe de la science que dans la mesure où celle-
ci aborde et tranche témérairement des questions,
qui intéressent trop intimement la révélation, et
dans lesquelles elle n'a ni compétence ni garantie.
3. Il arrive parfois que des opinions contraires
aux conclusions théologiques se manifestent et sont
par là même erronées ou téméraires. Vis-à-vis
d'elles, l'Eglise a le droit et le devoir de se prononcer
comme vis-à-vis des opinions hérétiques, et pour
les mêmes raisons. Mais il n'est pas de foi catholique
que l'Eglise possède ce droit ; ce point n'a pas été
tranché par le concile ; le seul point défini, c'est le
droit de l'Eglise pour les cas où la fausse science,
directement opposée à l'enseignement révélé, est
hérétique. Mais les principes invoqués ont toute
leur force vis-à-vis des opinions qui, sans être
hérétiques, sont erronées ou téméraires, parce que,
virtuellement, elles sont contraires à la révélation.
Et tout porte à croire que si le concile avait pu
achever ses travaux, ce point particulier eût été
défini comme l'autre. Quoi qu'il en soit, l'autorité
de l'Eglise s'étend à tout ce qui touche directement
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 355
ou indirectement à la foi, et ce n'est pas seulement
une autorité disciplinaire, c'est aussi une autorité
doctrinale : elle peut proscrire toute opinion con-
traire à une conclusion théologique.
3. Devoirs des catholiques
dans les questions scientifiques
qui appartiennent à la foi
Pas de contradiction possible entre la foi et la
raison, entre la révélation et la science. Toute asser-
tion contraire aux données révélées est fausse :
l'Eglise a le droit et le devoir de les proscrire,
même quand elles se présentent sous le couvert de la
science. De là découlent des conséquences pratiques,
lorsqu'on se croit en présence d'une opposition;
elles sont indiquées par le concile du Vatican.
i° Quelle conduite tenir ? Il faut d'abord penser
que la contradiction signalée n'est qu'apparente.
S'il ne s'agit pas d'une vérité nécessaire de nécessité
de moyen, la plupart des chrétiens peuvent s.'en
tenir à un simple acte de foi sans chercher d'où
peut venir cette contradiction apparente. L'obliga-
tion de rechercher à quoi tient cette apparence de
contradiction incombe à ceux qui ont mission d'en-
seigner les autres. Se garder alors de dire en chaire
ou d'écrire qu'on croit voir une opposition entre
les données de la science et de la foi ; car ce serait
pratiquement mettre les chrétiens en demeure, ou
de rejeter la foi, ou d'abandonner une hypothèse
libre, ou même peut-être une donnée scientifique
vraie ; ce serait une faute de justice et de charité
contre les fidèles faibles ou déjà incrédules, qui
seraient ainsi exposés à de graves tentations ou
confirmés dans leur incrédulité ; ce serait aussi une
faute vis-à-vis des fidèles croyants, qu'on obligerait
356 LE CATÉCHISME ROMAIN
d'abandonner des sentiments que Dieu et l'Eglise
leur laissent la liberté de garder; ce serait enfin une
faute d'ordre social, soit contre l'Eglise et la religion
chrétienne, qu'on ferait passer devant l'opinion
publique pour hostiles à la science, soit contre l'es-
prit humain dont on entraverait le progrès légitime.
Ces réflexions de M. Vacant (i) sont fort justes.
2° Quelles sont les causes de ces apparentes opposi-
tions ? Le concile en signale surtout deux : une
altération des données de la foi ou une altération
des données de la science.
L'altération des données de la foi peut être le fait
de ceux qui les comprennent ou les exposent mal,
c'est-à-dire qui ne les comprennent ni ne les expo-
sent suivant la pensée de l'Eglise. Gela peut avoir
lieu de bonne foi et avec une ignorance invincible,
mais cela peut aussi être imputable soit à l'igno-
rance et aux exagérations de ceux qui exposent la
doctrine chrétienne et à qui on est en droit de se
fier, soit à l'ignorance et à la mauvaise foi des
ennemis de la religion, qui ne prennent pas la peine
de l'étudier ou qui l'altèrent de parti pris. Le public,
évidemment, sera excusable s'il est trompé par
l'enseignement de ses pasteurs ; mais il sera facile-
ment coupable s'il prête une oreille complaisante
aux adversaires de la foi (2).
L'altération des données de la science provient
d'ordinaire de ce que l'on regarde comme une
vérité acquise ce qui n'est qu'une opinion fausse ou
hasardée. C'est le fait d'ennemis résolus de la reli-
gion ou de demi-savants, d'ignorants présomp-
tueux ou même de vrais savants, qui se laissent
séduire par de faux systèmes.
3° Devoirs pour l'apologiste. L'apologiste doit évi-
1. Const. Dci Fillus, t. 11, p. 25o. — a. V. Ibid., t. 11, p. a5i.
ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 3ùJ
ter deux exagérations contraires. Il doit d'abord
présenter les dogmes de la foi sans les augmenter
ni les diminuer, donner comme certain et obliga-
toire ce qui est certain et obligatoire, et ne point
imposer les opinions librement discutées. En ajou-
tant aux obligations, il forgerait des armes qui
pourraient se retourner contre la religion; en
amoindrissant l'enseignement, il livrerait la doc-
trine, fortifierait la fausse science et discréditerait
ceux qui soutiennent les vrais enseignements de
l'Eglise. Il doit ensuite exposer les données scienti-
fiques sans en exagérer la valeur ou l'importance,
alors même qu'il les estimerait favorables à la doc-
trine catholique ; il ne doit pas s'appuyer sur une
fausse science pour prouver les vérités de la foi ou
pour interpréter l'Ecriture et la tradition, car ce se-
rait altérer les principes de la religion; il ne doit
pas amoindrir la science et par suite ne pas mé-
priser les véritables découvertes scientifiques, ne
pas rendre responsable surtout la vraie science des
conclusions prématurées et parfois insensées qu'on
lui prête (i).
4° Devoirs pour ceux qui étudient les questions
scientifiques qui touchent à la révélation. Dans ces ques-
tions qui touchent de près à la révélation, il y a,
pour ceux qui s'en occupent, un double devoir : un
devoir négatif, qui est de ne pas soutenir des opi-
pinions contraires à la foi ; un devoir positif, qui
est de regarder ces opinions comme fausses.
Le devoir négatif s'applique à toutes les asser-
tions contraires à la doctrine révélée, dit le canons;:
aux fausses opinions, qu'on sait être contraires à la
foi divine, dit le chapitre IV de la constitution
Dei Filius ; et cela même de la part de ceux qui les
x. Ibid., p. a5a.
358 LE CATÉCHISME ROMAIN
croiraient scientifiquement fondées. Le devoir posi-
tif, c'est de les tenir pour des erreurs qui se cou-
vrent vainement des apparences de la vérité. Il ne
suffit pas de s'abstenir de les défendre extérieure-
ment et de garder le silence, il faut les rejeter inté-
rieurement. Faut-il de plus les rejeter et les com-
battre extérieurement ? Le concile ne le dit pas ; ce
serait pourtant un devoir si le silence était suscepti-
ble de passer pour une approbation.
IV. La Foi et la raison se prêtent
une aide mutuelle
Le concile du Vatican complète heureusement
son enseignement sur les relations de la foi et de la
raison, en montrant les services mutuels qu'elles
se rendent et l'attitude que prend l'Eglise vis-à-vis
de la science. Rien de plus instructif et de plus
opportun qu'une telle doctrine, en face des imputa-
tions calomnieuses qu'on ne cesse d'adresser à.
l'Eglise et des erreurs qu'on s'obstine à répandre
ucontre l'enseignement catholique.
« Non seulement, dit le concile, la foi et la rai-
son ne sauraient être en désaccord l'une avec l'au-
tre, mais elles se prêtent encore un secours mutuel.
Car la droite raison démontre les fondements de la
foi, et, éclairée de sa lumière, elle cultive la science
des choses divines ; tandis que la foi délivre et
préserve la raison des erreurs et l'instruit de con-
naissances multiples (i). »
Disons d'abord un mot des services que la raison
Tend à la foi et de ceux que la foi rend à la raison.
x. Const. Dei Filins, c. iv, S 4.
AIDE MUTUETLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 35q
1. Services que la raison rend à la foi. —
i° Ce n'est pas sans un motif- légitime que le
concile du Vatican a jugé nécessaire de proclamer
la valeur et les droits de la raison. D'une part, en
effet, parmi les incrédules et les protestants, on im-
putait à l'enseignement catholique la prétention de
se substituer à la raison et de se passer complète-
ment d'elle, en imposant la foi au nom de l'auto-
rité. L'imputation est calomnieuse. D'autre part, les
traditionalistes de l'école de Lamennais et les fidéis-
tes de l'école de Bautain réduisaient tellement le rôle
de la raison qu'ils fournirent des arguments aux enne-
mis de l'Eglise ; mais leurs opinions furent prises
à tort comme l'expression de l'enseignement catho-
lique. Traditionalistes et fidéistes accordaient aux
incrédules que la raison ne fournit aucune preuve
certaine, soit des vérités de la religion naturelle,
soit du fait de la révélation ; ils accordaient aux
protestants qu'à la suite du péché originel, la nature
humaine est corrompue dans son fond et qu'elle a
nécessairement besoin du secours de la grâce pour
les actes naturels ; double concession, qui n'était
pas seulement dangereuse, mais qui constituait une
double erreur. C'est pourquoi le concile a proclamé
la valeur et les droits de la raison.
2° La raison, en effet, rend d'importants services
à la foi, soit avant l'acte de foi, en le préparant, soit
après l'acte de foi par la culture des sciences sacrées.
Le premier service rendu, c'est la démonstration des
fondements de la foi, comme nous l'avons déjà indi-
qué dans une leçon précédente ; démonstration pro-
prement dite, partant de principes vrais et abou-
tissant à une conclusion certaine; démonstration
faite par la raison seule, par ses propres lumières.
Et ceci condamne le fidéisme et le traditionalisme.
Parmi ces fondements de la foi, il y a, nous l'avons
360 LE CATÉCHISME ROMAIN
vu, les vérités de la religion naturelle, notamment
celles qui se rapportent à l'existence de Dieu et à ses
attributs; il y a aussi le fait de la révélation : véri-
tés et fait que la raison suffit à démontrer ; nous
n'y reviendrons pas. Le concile avait d'abord ensei-
gné que l'existence de la révélation se démontre
avec certitude; il déclare ici que cette démonstra-
tion certaine est l'œuvre de la raison ; il ne fait que
confirmer l'enseignement déj à formulé contre les fi-
déistes et les traditionalistes par Grégoire XYI et par
Pie IX. Tel est le premier service rendu par la rai-
son à la foi.
3° Voici le second : la raison étudie les vérités
révélées et en fait l'objet d'une science. Cette étude de
la vérité révélée, la raison, il est vrai, ne peut
l'entreprendre, comme le note le concile, que si elle
est éclairée par la lumière de la foi. Après que ces
vérités révélées lui sont connues, la raison fait sur
elles un travail semblable à celui, dont nous avons
parlé plus baut, touchant les mystères ; elle appli-
que la méthode scientifique aux dogmes de la foi.
Le concile ne signale aucun des avantages que cette
étude procure à la raison elle-même, il ne parle que
de ceux que la foi en retire : d'abord celui de mettre
plus complètement les vérités de la foi à la portée
de notre intelligence, ensuite celui de préparer les
définitions dogmatiques, qui éclaircissent, distin-
guent et précisent les données de la révélation. Nous
avons déjà parlé de ces divers services que la
raison rend à la foi dans les leçons précédentes ;
nous ne faisons donc que les signaler ici.
4° Troisième service : la raison défend la foi. Elle
répond aux difficultés que suscite l'erreur pour
obscurcir la clarté ou infirmer la valeur des vérités
révélées ; elle s'arme pour la lutte et lutte vigoureu-
S3ment. « La raison ennemie de la foi s'attaque à
AIDE MUTUELLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 36 I
ses établissements ; la raison amie de la foi les sou-
tient et les fortifie par de continuels travaux. La
raison ennemie de la foi cherche à convaincre les
dogmes d'absurdité ; la raison amie de la foi
démontre qu'aucun principe emprunté à Tordre
physique, moral ou métaphysique, ne peut entamer
la forte structure des propositions révélées. La
raison ennemie de la foi voudrait se donner le
plaisir d'immoler au moins quelque vérité particu-
lière ; la raison amie de la foi démontre que cette
vérité est tellement soudée à toutes les autres, que,
la détruire, c'est compromettre la solidité de l'en-
semble. Ainsi, de tous côtés, la raison est la gar-
dienne, l'homme d'armes, le chevalier défenseur de
la foi (i). »
Démonstration des motifs de crédibilité, étude
scientifique de la vérité révélée ou théologie, défense
éclairée du dogme et de la religion ou apologétique,
tels sont les services rendus à la foi par la raison,
tel est le rôle de l'intelligence humaine auprès de
la foi.
2. Services que la foi rend à la raison. —
Les services que la foi rend à la raison sont beau-
coup plus grands que ceux que la raison rend à la
foi. La foi rend à la raison d'inappréciables services
même dans l'ordre naturel ; quant à ceux de l'ordre
surnaturel, ils dépassent tout ce que l'on peut con-
cevoir.
i°Pie IX, dans son encyclique du 9 novembre i846,
envisageant les services que la foi rend à la raison
dans les matières qui leurs sont communes, c'est-à-
dire par rapport aux vérités de la religion na-
1. Monsabré, Introduction au dogme catholiaue, Paris. 1SG6,
t. 1, p. 70.
3Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN
turelle, dit que « la foi délivre la raison de toutes
les erreurs, qu'elle l'éclairé, la confirme et la per-
fectionne merveilleusement par la connaissance des
choses divines (i). » Double secours : un secours
négatif, qui est de la préserver de toutes les erreurs ;
un secours positif, qui est de l'éclairer, de la con-
firmer et de la perfectionner. Cette préservation de
l'erreur n'a lieu que dans les matières formellement
enseignées par la foi, car, dans les autres questions,
la raison peut errer, la foi ne l'en empêche point.
La raison donc, ainsi secourue par la foi, connaît,
sans crainte d'erreur, tout ce qui touche à la reli-
gion naturelle ; elle le connaît d'emblée, ce qui est
un avantage unique. Réduite à ses seules forces elle
arrive à le connaître, mais au prix de combien
d'efforts et avec quelles craintes d'erreur ! L'histoire
de la philosophie est là pour montrer ses défaillances
et ses aberrations ; l'expérience quotidienne est là
pour montrer combien petit est le nombre de ceux
qui ont le temps, le loisir, l'intelligence et la volonté
pour mener à bien une telle étude. C'est une des
raisons que saint Thomas fait valoir de la manière
la plus heureuse pour démontrer la nécessité relative
de la révélation, même pour la connaissance com-
plète et sûre des vérités de la religion naturelle. Avec
l'aide de la foi, rien de plus facile, rien de plus
rapide, rien de plus certain ; la raison sait ce qu'elle
doit savoir, sans crainte d'erreur. Eclairée, elle est
confirmée et perfectionnée par la connaissance des
choses divines, « C'est donc salutairement, dit saint
Thomas, que la divine clémence a pourvu aux
besoins de Fhumanité, en nous ordonnant de tenir
par la foi ce que la raison peut connaître naturelle-
ment, afin que tous pussent participer facilement à
i. Denzinger, n. 1496.
AIDE MUTUELLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 363
la connaissance des choses divines, et cela sans
doute ni erreur (i). »
2° Ce double secours négatif et positif est proclamé
par le concile du Vatican. Mais, au lieu de dira
comme Pie IX que la foi délivre de toutes les erreurs,
il dit simplement qu'elle la préserve des erreurs ;
et au lieu de dire qu'elle perfectionne la raison par
la connaissance des choses divines, il dit qu'elle l'ins-
truit de connaissances multiples, sans restreindre cette
connaissance aux seules choses divines. Or, parmi
les erreurs dont la foi préserve la raison, il faut
signaler, dans la science du monde matériel, celles
qui ont trait à la création ; dans la science du
monde humain, celles qui ont trait à la spiritualité
et à la liberté de l'homme ; et dans la science du
monde métahysique, celles qui ont trait à Fexistence
et aux attributs de Dieu.
D'autre part, la foi enrichit la raison de connais-
sances multiples, tout d'abord dans le domaine des
vérités mixtes, qui sont communes à la religion et
à la science. Et, bien que la foi n'ait pas pour objet
les sciences profanes, en dehors de ces vérités mix-
tes, il en est d'autres encore dont elle enrichit la
raison indirectement. Elle l'aide en confirmant les
principes dont la science a besoin pour ses déduc-
tions, notamment dans les questions morales, socia-
les et métaphysiques ; elle l'aide en l'empêchant de
tomber dans Terreur et en l'engageant ainsi dans le
chemin de la vérité ; c'est dire qu'elle la met à même
de multiplier ses propres connaissances et de s'enri-
chir de découvertes nouvelles.
Ainsi donc si la foi est redevable à la raison des
secours qu'elle en reçoit, la raison n'est pas moins
redevable à la foi des avantages qu'elle lui procure ;
i. Contr. Gent., I, iv, 3.
364 LE CATÉCHISME ROMAIN
entre elles pas d'antinomie, point de désaccord,
mais l'entenle la plus fructueuse et un concours des
plus précieux, des plus utiles, des plus nécessaires.
3. Attitude de l'Eglise en face des sciences.
« — Le concile du Vatican complète son enseigne-
ment sur les relations entre la foi et la raison, la
révélation et la science, par une déclaration des
plus importantes sur l'attitude de l'Eglise en face
des sciences. On a si souvent méconnu et travesti
cette attitude, on la méconnait encore et on la tra-
vestit d'une manière si odieuse qu'il importe,
puisque l'occasion toute naturelle s'en offre, de
faire connaître celle que l'Eglise a toujours
tenue et entend tenir : rien de plus net que la
doctrine du concile sur ce point délicat.
« Bien loin, dit-il, de mettre obstacle à la culture
des arts et des sciences humaines, l'Eglise la favorise
et la fait progresser de plusieurs manières. Car elle
n'ignore ni ne méprise les avantages qui en résul-
tent pour la vie d'ici-bas. Bien plus elle reconnaît
que, venant de Dieu, le maître des sciences, ces
sciences et ces arts conduisent de même à Dieu,
avec l'aide de sa grâce, si on les cultive comme il
convient. L'Eglise ne défend pas assurément que
chacune de ces sciences se serve, dans sa sphère,
de ses propres principes et de sa propre méthode ;
mais, en reconnaissant cette légitime liberté, elle
veille attentivement à ce qu'elles n'adoptent point
d'erreurs, qui les mettent en opposition avec la
doctrine divine, et à ce qu'elles n'envahissent ni ne
troublent ce qui est du domaine de la foi, après
être sorties des limites de leur propre empire (i), »
Ces quelques lignes justifient pleinement la
i. Const. Dei Filius, c. iv, S 4.
ATTITUDE DE L'EGLISE EN FACE DES SCIENCES 365
conduite de l'Eglise vis-à-vis des arts et de la
science ; c'est une conduite imposée par son rôle di-
vin auprès des âmes. Elle ne met point d'obstacle à
l'épanouissement des arts et des sciences, elle
apporte au contraire à leur légitime exercice un
concours sympathique et efficace. Elle ne professe
pas le moindre mépris à leur endroit, elle estime
au contraire leur utilité pratique, tant au point de
vue temporel qu'au point de vue spirituel. Toute-
fois, en reconnaissant leur légitimité et le droit qu'ils
ont de se servir de leurs principes et de leurs
méthodes propres, elle revendique le droit néces-
saire, en ce qui touche au domaine de la foi, qui
est le sien, de sauvegarder le dépôt de la vérité qui
lui a été confié, de signaler et de condamner toute
erreur contraire à l'enseignement divin, d'empê-
cher toute tentative étrangère à leur objet, toute
intrusion illégitime dans le domaine religieux. Ces
divers points de vue demanderaient d'amples dé-
veloppements : nous ne pouvons que les indiquer
d'un mot rapide et bref.
1° Point d'obstacle mais concours sympathi-
que et efficace. — L'Eglise, comme en témoigne
l'histoire, loin de mettre un obstacle quelconque à la
culture des arts et des sciences, la favorise de la façon
la plus efficace. Par la foi qu'elle fait régner, elle ne
cesse de pénétrer l'opinion, les mœurs et les institu-
tions des principes salutaires et féconds de la révéla-
lion, elle sert ainsi d'auxiliaire à la science, en la
préservant d'erreurs funestes, en lui assurant un
milieu favorable. Les individus, la société, les géné-
rations qui se succèdent bénéficient de cette action
salutaire de l'Eglise. En l'affirmant, le concile du
Vatican ne fait que constater un fait historique indé-
niable. Léon XIII, dans son Encyclique Liber tas
366 LE CATÉCHISME ROMAIN
du 20 juin 1888, a lumineusement exposé ce fait
d'histoire et démontré l'heureuse influence de
l'Eglise dans toutes les branches du savoir.
L'Eglise ne se contente pas de favoriser les arts
et les sciences, elle leur apporte son concours efficace,
elle contribue directement à leur progrès. Léon XIII
en donne trois preuves : « En fait, dit-il, on doit à
l'Eglise ces bienfaits assurément considérables,
qu'elle a glorieusement conservé les monuments de
la sagesse antique ; qu'elle a ouvert en divers lieux
des résidences à la science ; qu'elle a toujours
excité la marche des intelligences, en entretenant
avec le plus grand zèle les arts qui donnent le plus
de relief à la civilisation moderne. » Voilà trois
grands services : l'Eglise a conservé les monuments
du passé ; l'Eglise a fondé des institutions destinées
à l'étude ; l'Eglise a été l'inspiratrice zélée des
arts. On peut en ajouter une quatrième ; l'Eglise a
produit une pléiade de savants et d'érudits. Chacun
de ces points demanderait des volumes pour être
illustré comme il convient.
Ce rôle si important s'explique aisément par
deux raisons, c'est que l'Eglise regarde les sciences
comme bonnes, louables et désirables en soi, comme
très utiles et fort avantageuses, soit pour réaliser sa
mission divine auprès des hommes, soit pour
défendre et développer son propre enseignement.
Même vis-à-vis des sciences qui n'ont pas de rapport
immédiat avec la révélation, l'Eglise désire qu'on
les cultive et les fait cultiver, parce que toute
science, née de la droite raison et conforme à la*
vérité, peut concourir à la glorification de la vérité
révélée, comme s'exprime Léon XIII. Elle s'intéresse
surtout à celles qui ont des points de contact avec
l'enseignement chrétien, comme les sciences philo-
sophiques, morales, historiques, philologiques, etc.
ATTITUDE DE L'EGLISE EN FACE DES SCIENCES 867
Elle en impose l'étude à ses prêtres pour les armer
contre les objections de la sophistique.
2° Point de mépris, mais estime de leur utilité.
— C'est l'objection sans cesse mise en avant contre
l'Eglise : on l'accuse d'enseigner et de professer le
mépris des choses de ce monde, de se désintéresser
du mouvement scientifique qui s'accuse avec tant
de vigueur et compte tant de succès. Elle a tort,
assure-t-on, de prêcher le renoncement, de regarder
la terre comme un lieu d'exil et de passage, de
placer au delà de la tombe le seul bonheur qui
puisse satisfaire le cœur de l'homme, de ne point
marcher avec le siècle. C'est le reproche bien connu
de l'obscurantisme. L'Eglise, ennemie du progrès !
Tel est le dernier mot des ennemis du Catholicisme.
Nous venons de voir ce qu'il faut en penser. Mais
il convient d'y répondre avec le concile du Vatican.
Que déclare donc le concile ? Deux choses : la
première, c'est que l'Eglise ne méprise nullement
les avantages temporels qui résultent de la culture
des arts et des sciences pour la vie terrestre ; la
seconde, c'est qu'elle estime que les arts et les
sciences, venant de Dieu, peuvent conduire à Dieu.
Il n'y a guère que la mauvaise foi et le parti pris
pour soutenir que le renoncement chrétien soit un
mépris et un désintéressement absolu de ce qui se
passe ici-bas. La vie chrétienne n'anéantit pas la vie
naturelle ; elle la suppose, au contraire, elle s'y
appuie, non pour s'y renfermer, mais pour la
dépasser, car elle y ajoute la pratique des comman-
dements divins et souvent celle des conseils évangé-
liques. Loin donc de paralyser l'activité naturelle,
elle la stimule de la façon la plus heureuse ; et Ton
a pu dire avec raison qu'il n'y a de véritablement
homme que le chrétien, de véritablement chrétien
368 LE CATÉCHISME ROMAIN
— — i i— — — -^— — — — — — — — » — — — i^^m —m
que le catholique, tant la foi pousse à son dévelop-
pement parfait tout ce qui constitue la nature
humaine.
De plus si les sciences viennent de Dieu, comme
tous les dons naturels, puisque c'est de Dieu que
l'homme tient son intelligence, sa lumière et sa
force, elles conduisent aussi à Dieu. Dieu, le maître
des sciences, est leur source première et leur fin
dernière. Il se peut que les sciences méconnaissent
leur origine et leur destinée ; il se peut aussi qu'elles
s'en souviennent. En tout cas, elles sont à même
de conduire à Dieu celui qui les cultive. Et elles y
conduisent effectivement, comme dit le concile du
Vatican, si elles sont cultivées comme il convient,
c'est-à-dire sans préjugés antireligieux, sans parti
pris, loyalement, logiquement, et non avec le dédain
de l'indifférence religieuse, avec l'obstination du
rationalisme à courte vue, avec le fanatisme de
l'hérésie ou de l'impiété. Elles y conduisent avec le
secours de la grâce, comme l'enseigne le concile.
Et c'est par là que leur utilité temporelle se. double
d'un avantage spirituel, ce qui justifie amplement
l'estime qu'en professe l'Eglise catholique.
3° Point d'hostilités, mais surveillance néces-
saire. — Par l'estime qu'elle professe pour l'utilité
des sciences, comme aussi par le concours sympathi-
que et efficace qu'elle leur porte, l'Eglise montre
bien qu'elle n'est pas l'ennemie qu'on imagine dans
certains milieux, toujours prête à fulminer l'ana-
Ihème. Rationalistes et semi-rationalistes ont raison
de réclamer pour la science le droit d'agir en toute
liberté dans son domaine, avec des principes et des
méthodes propres ; c'est, du reste, un droit légitime
que l'Eglise se plaît à reconnaître et à procla-
mer la première ; mais ils ont tort, après avoir
ATTITUDE DE l'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES 369
réclamé leur indépendance ou leur autonomie, de
se refuser à admettre toute vérité qu'ils ne se seraient
pas démontrée ou qui leur serait imposée du dehors,
parce qu'ils n'ont pas le monopole de la vérité. Et
Dieu a bien quelque droit à l'audience de l'homme.
Ils ont tort également, en franchissant leur sphère
propre, de tenter quelque excursion dans le domaine
de la foi, dont les principes et la méthode diffèrent
des principes et de la méthode des sciences natu-
relles. Ils ont tort surtout, dans les questions mixtes
qui appartiennent à la fois au domaine naturel et à
la révélation, d'adopter des opinions ou de soutenir
des thèses en contradiction avec les données révélées.
Les sciences ont droit à la liberté, chez elles et
entre elles : l'Eglise n'intervient pas. Qu'elles fassent
d'heureuses découvertes ou qu'elles commettent
des erreurs, l'Eglise loue les premières, mais ne se
prononce pas sur les secondes, parce qu'elles
sont étrangères à son enseignement. L'Eglise n'o-
blige pas les sciences à user des principes révélés
et de sa propre méthode dans leur domaine respec-
tif, mais elle ne saurait tolérer de leur part ni des
affirmations contraires aux siennes sur le terrain de
la foi, ni une intrusion illégitime dans son propre
domaine. Par suite, aux yeux de l'Eglise, la liberté
des sciences se trouve limitée par rapport à la foi.
Dans les questions mixtes, telles par exemple que
l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme, la liberté
humaine et tout ce qui constitue la religion natu-
relle, la science n'a pas le droit d'affirmer ou de
souten> quelque chose qui heurte l'enseignement
révélé. Encore moins a-t-elle celui de sortir de son
domaine pour envahir celui de la foi : c'est là un
abus, une violation de territoire, toujours un danger,
presque toujours une source de troubles et d'er-
reurs : l'Eglise ne saurait le tolérer ; et c'est pour
U CATÉCHISME. — I. I, 24 i
870 LE CATÉCHISME ROMAIN
quoi si elle veille attentivement, ainsi que s'exprime
le concile du Vatican, à ce que la science n'adopte
point d'erreurs, qui la mettent en opposition avec
la doctrine révélée, elle ne veille pas moins attenti-
vement à ce que la science ne sorte des limites de
son propre empire pour envahir et troubler ce qui
est du domaine de la foi.
1. Y a-t-il incompatibilité entre le chrétien et le
savant ? — « S'il est vrai que la méthode scientifique
moderne est basée sur le principe de la libre recherche,
il est vrai aussi que ce n'est pas d'une absurde licence
mais d'une liberté rationnelle qu'elle entend jouir. Ne
doit-elle pas respecter les lois éternelles du bon sens et de
la logique ? Est-ce que c'est dans le monde de l'imagina-
tion et des rêves, aussi bien que dans celui de la réalité et
de la vérité, qu'elle entend diriger ses investigations ? Sa
liberté de recherche est donc évidemment limitée, sans
qu'elle cesse pour cela d'être vraiment scientifique au
sens moderne du mot. Et par quoi est-elle limitée? Il
faut bien le reconnaître, par l'œuvre de Dieu, par cette
première révélation qu'il a faite de lui-même par la
création du monde et de l'homme. Mais si le respect de
cette première révélation n'empêche nullement la mé-
thode moderne d'être libre et scientifique, comment la
seconde révélation divine, conservée et expliquée par
l'Eglise, ruinerait-elle davantage son caractère de science
et de liberté ? Dieu, quand il parle, est-il moins le Dieu
des sciences que lorsqu'il crée ? Le respect de la religion
positive n'est donc pas plus antiscientifique que le respect
delà religion naturelle. Jamais, quoi qu'on dise et quoi
qu'on fasse, on ne pourra ébranler ce droit que Dieu, la
vérité, la réalité, ont au respect de toute science qui veut
se respecter elle-même.
« Quand donc la foi prévient le savant qu'il existe, sur le
sujet de ses études, des dogmes révélés, des définitions
ou des condamnations portées par l'Eglise, il doit s'en
préoccuper comme le pilote se préoccupe des signaux
que lui donne le phare allumé au milieu des écueils. La
ATTITUDE DE L'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES Z']!
liberté de la science et de la recherche scientifique en
est-elle diminuée ? Aucunement, à moins qu'on ne sou-
tienne, ce qui est absolument insoutenable, qu'il est
essentiel à la science de pouvoir errer à l'occasion, et qu'il
est antiscientifique de l'en empêcher ; autant vaudrait
dire qu'il est inhumain d'empêcher un homme de se
jeter dans un abîme, en entourant celui-ci d'un garde-
fou. Ainsi se trouve résolue la question de la liberté des
philosophes et des historiens, relativement à la foi : ils
ne peuvent jamais s'arroger le droit d'y contredire, et de
philosopher ou d'écrire l'histoire sans égards pour l'en-
seignement de l'Eglise. La condition des savants propre-
ment dits, de ceux qui cultivent les sciences expérimen-
tales ou exactes, est plus favorable encore, si l'on peut
s'exprimer ainsi, à cause du manque ou de la rareté des
documents surnaturels relatifs à leurs travaux. 11 est très
peu de points de contact, en effet, entre ces sciences et la
foi, tant que celles-là se confinent dans leur domaine et
n'essaient pas d'empiéter sur celle-ci. Un algébriste, par
exemple, ou un botaniste, sait d'avance qu'il ne rencon-
trera dans ses études aucune question théologique, à
moins qu'il ne s'aventure dans[certaines questions philoso-
phiques qui ne sont pas précisément de son ressort. Il a
donc toute liberté, toute indépendance dans ses recher-
ches.)) J. Didiot, La Foi, dans le Dictionnaire apologéti-
que deJaugey, Paris, 1889, col. 1191-1293.
2. Les relations entre la foi et la raison. — Sous
ce titre, M. de Broglie se posait la question suivante :
Faut-il abdiquer sa raison pour croire ? L'ignorance ou
l'absence de logique sont-elles des conditions nécessaires
pour posséder des convictions fondées sur la foi ? Il in-
diquait les deux préjugés, les deux opinions considérées
comme des axiomes incontestables et incontestés dans
une grande partie du public éclairé.
L'un de ces préjugés consiste à soutenir qu'il y a
opposi tion complète, contradiction absolue entre la science,
œuvre de la raison, et les doctrines enseignées par l'Eglise
au nom de la Foi. C'est Taine, en particulier, qui a pré-
tendu qu'une telle opposition empêche qu'on puisse être
3y2 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ h ii -i. ■— ,,■■■ n i i , ■■■■■■ . — — imiw ^— m^
à la fois croyant et savant. Si, en fait, l'union de la science
et de la foi existe chez quelques savants, c'est, prétend-il,
ou une illusion ou un manque de loyauté, parce que,
pour réaliser un tel accord, il faut ou « construire entre
des doctrines opposées des ponts fragiles, » ou établir
dans le cerveau, entre les courants contraires de la science
et de la foi « une sorte de cloison étanche. » Ce qui
revient à dire que tout homme, à la foisjcroyant et savant,
porterait en lui-même une contradiction irréductible.
Le second préjugé, aussi radical dans ses conséquen-
ces, consiste à prétendre que la science et la foi sont,
non pas opposées, mais absolument étrangères l'une à
l'autre, se mouvant dans des plans différents sans
jamais pouvoir se rencontrer, différant d'objet, de prin-
cipes, de méthode.
La conséquence du premier préjugé est la destruction
de toute croyance religieuse : la foi, étant contraire à la
raison, doit périr. La conséquence du second, c'est l'in-
différence religieuse et la relativité de toutes les croyan-
ces ; tout ce qui regarde la destinée de l'homme, tous les
principes de la morale, n'étant pas fixés par la science,
qui n'atteint que le monde expérimental, se trouvent
livrés au hasard de la tradition, aux élans incertains et
contradictoires de l'enthousiasme, à l'influence variable
des passions ou au caprice de la volonté.
A ce double préjugé, M. de Broglie oppose la vraie
doctrine sur les relations entre la raison et la foi, telle
que nous l'avons donnée, en résumant les enseigne-
ments du concile du Vatican.
Mais, en dehors de ce double préjugé, il existe une
double erreur : l'une, qui règne en France et dans les
pays catholiques, qu'il appelle rationalisme par négation
ou par séparation, parce qu'elle prétend exclure de la
connaissance humaine le principe de la foi et les doctri-
nes qui en découlent ; l'autre, qui règne surtout dans les
pays protestants, mais qui a été importée en France, et
qu'il appelle rationalisme par absorption ou par extension
du domaine de la raison au delà de ses limites. Par
contre, lefidéisme met en question l'autorité de la raison,
ATTITUDE DE i/ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES 373
lui refuse le droit et le pouvoir de prouver l'existence de
Dieu et declairer aucunement l'homme sur sa destinée.
Rationalisme et fîdéisme sont également condamnés,
comme nous venons de le dire dans cette leçon.
M. de Broglie étudie par l'histoire les relations de la
foi et de la raison. Dans l'antiquité la question ne se
posait pas au sens où nous sommes accoutumés à l'en-
tendre, dit le P. Largent, dans la préface. « Elle ne surgit
tout entière que le jour où, en présence de doctrines et
de cultes rivaux, le christianisme affirma son droit sou-
verain à la possession de la vérité religieuse et à la direc-
tion des âmes. Les apologistes s'attachèrent à établir ce
droit... Des conflits entre la raison et la religion seront
provoqués jusqu'à la fin par les préventions, par l'igno-
rance, par l'orgueil ; ils l'ont été quelquefois par les
insuffisances d'une théologie étroite, par les intempé-
rances d'une apologétique qui imposait à la pensée et à
la science humaine plus qu'on n'avait droit d'exiger. Il
n'en demeure pas moins que l'accord entre la raison et la
foi est possible, qu'il est nécessaire, qu'il tient à la nature
même des choses, et que le contester, c'est s'inscrire
contre la leçon des faits, consciencieusement interrogés, et
contre le formel enseignement de l'Eglise. » C'est la
démonstration érudite qu'en donne M. de Broglie dans
les conférences de 1894, parues d'abord dans les Annales
de philosophie chrétienne, avril, juin, août 1894 et janvier
1890, et publiées par le P. Largent dans la collection
« Science et religion », sous ce titre : Les relations entre
la foi et la raison, exposé historique, 4° édit., Paris, 1904.
Article Premier
Je crois en Dieu
En Dieu
Leçon Xe
Existence de Dieu
Peut-elle se prouver par la raison ? — I. Erreurs.
— IL Enseignement du Catéchisme romain» —
III. Définition du Concile du Vatican, —
IV. Puissance de la raison.
I. Erreurs
Au seuil même de ces études (i), et en face de
la première et de la plus importante des
vérités, nous sommes obligés de constater
combien la marche de l'homme est incertaine et
i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. theol, I, Q. n,
a. i, 2 ; Q. xn ; Franzelin, De Deo uno, 2e édit., Rome, 1876;
Vacant, La Constitution Dei Filias, Paris, 1895, t. 1 ; de Mar-
gerie, Théodicée, 3e édit., Paris, 1874, t. 1, ch. i-iii; Farges,
L'idée de Dieu, Paris, 1894 ; Janssens, De Deo uno, Rome, 1899;
Pesch, De Deo uno, Fribourg-en-Brisgau, 1890; Tcpe, De Deo
uno, Paris, 1895 ; Billot, De Deo uno, Rome, 1897 ; Scheeben,
ERREURS SUR L'EXISTENCE DE DIEU 375
combien sa pensée est hésitante. Il semble cepen-
dant que c'est surtout à propos, de l'existence de
Dieu que la certitude devrait régner et l'accord
être universel. Mais il n'en est rien, et les esprits se
partagent en deux camps opposés. Pour les uns,
l'existence de Dieu ne saurait faire l'objet d'un
doute, c'est une vérité en quelque sorte évidente,
immédiate, innée, nécessaire et indéniable; pour les
autres, elle est inaccessible aux lumières de la raison,
elle ne peut pas se démontrer, elle est un objet de
foi. Que penser d'une telle discordance?
i. Bien que, selon la parole de saint Paul, nous
ayons en Dieu la vie, le mouvement et l'être, l'exis-
tence de Dieu ne tombe pas directement sous nos
sens ; notre raison ne la saisit pas d'une manière
immédiate. Nous avons, il est vrai, naturellement
gravée dans notre âme, une certaine connaissance
de Dieu, en tant qu'il est la félicité de l'homme ;
car nous désirons naturellement le bonheur, et
tout ce que nous désirons naturellement, fait obser-
ver saint Thomas, nous le connaissons de même.
Mais ce n'est là qu'une connaissance vague et
confuse, non une connaissance vraie, puisque les
hommes s'abusent jusqu'au point de placer le
bonheur, pour lequel ils sont faits, là où il n'est
pas, par exemple dans les richesses ou dans la
volupté.
2. Cela n'a pas empêché pourtant certains philo-
sophes de regarder l'idée de Dieu comme une idée
innée, résultant de la vue que Dieu nous donnerait
de sa propre essence ; Yoniologisme n'est autre chose,
en effet, que la théorie de la vision naturelle de
La Dogmatique, trad., Paris, 1880; J. Souben, Nouvelle théolo-
gie dogmatique. — 1. Dieu dans V histoire et la Révélation,
Paris, 19021
376 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'Etre divin ; il dérive directement de la théorie de
Descartes sur les idées innées, mais il a pris quatre
formes principales, la forme de Vontologisme pan-
théiste avec Spinoza, de Vontologisme absolu avec
Malebranche et Gioberti, de Vontologisme modéré
avec Ubaghs, de Vontologisme idéaliste avec Rosmini.
Plus près de nous, mais sans être inféodés à l'on-
tologisme proprement dit, quelques philosophes
français ont prétendu posséder une notion expéri-
mentale de l'Infini. Pour Saisset (f i863), Dieu est
une vérité d'intuition (1). Secrétan (f 1895) disait:
« Suivant mon intime conviction, Dieu est un objet
d'expérience. Je n'entends pas d'une expérience que
chacun ait faite, je parle seulement d'une expérience
que chacun peut faire s'il le veut. »
Sans entrer dans l'examen d'une telle manière de
voir, disons seulement qu'une telle expérience ne
peut servir de preuve valable pour ceux qui ne l'ont
pas faite ou qui nient de bonne foi l'avoir faite ; et
ajoutons que l'Eglise a condamné le principe même
de l'ontologisme (2), l'ontologisme absolu (3), et
que l'ontologisme modéré reste suspect et dange-
reux (4).
3. Se plaçant à un point de vue bien différent,
les fidéistes estiment que nous connaissons Dieu,
mais ils soutiennent que ce n'est pas à la raison,
mais à la foi, que nous sommes redevables d'une
telle connaissance. Car, à leurs yeux, la raison, par
ses seules lumières, est incapable de nous faire
connaître les vérités religieuses ou morales de l'ordre
naturel, elle a nécessairement besoin de la révélation
qui lui manifeste ces vérités et lui en garantit la
certitude. Si donc l'homme possède une certitude
1. Philosophie religieuse, t. 11, p. 2o5, sq. — 2. Denzinger,
n. 4o3. — 3. Ibid. , n. i5i6-i522. — 4. Kleutgen, L'ontologisme;
Lepidi, Examen philsophico-theologicum de ontologismo.
ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 877
vraie des principes rationnels, c'est à la foi qu'il le
doit. Théorie erronée, qui ne méconnaît pas seule-
ment le pouvoir de la raison, mais qui déclare
absolument nécessaire la révélation et qui confond
la science avec la foi. Déjà, au xive siècle, Nicolas
d'Oultricourt professait qu'en dehors de la certitude
de la foi il n'y en a pas d'autre, sauf celle de ce
premier principe : S'il y a quelque chose, il y a
quelque chose. Ses propositions furent condamnées
par le Saint-Siège et révoquées, en i438, devant la
faculté de Paris (i). Les théories protestantes sur la
justification impliquent l'erreur fidéiste. Baïus n'y
est pas étranger. Au xvue siècle, Huet a eu le tort de
croire que la foi divine seule permet d'arriver à la
vérité avec une entière certitude. Et tout récemment
encore, sous l'influence avouée de Pascal et de Kant,
mais aussi par un reste de fidéisme subtil, M. Bru-
netière écrivait : « Je persiste à penser que l'on ne
démontre ni l'immortalité de l'âme ni l'existence
de Dieu. C'était l'opinion de Pascal, c'était égale-
ment l'opinion de Kant ; et j'ai bien le droit de me
« tromper » avec eux !... Je ne tiens pour preuves
de l'existence de Dieu ni celles que l'on tire de
l'arrangement et de l'ordre du monde ; ni celles que
l'on tire de l'idée du parfait ou de l'infini, dont
l'essence impliquerait l'existence ; ni celles enfin
que l'on tire de la présence en nous de la loi mo-
rale... Ceux qui les trouvent démonstratives ne font
pas attention qu'elles impliquent toutes un Dieu
« sensible au cœur » et affirmé par lui avant que
d'être, je ne dis pas démontré par le raisonnement,
mais seulement conçu par la raison. Ou, en d'autres
termes, on connaît déjà Dieu quand on essaie de
mettre son existence en preuve, et j'estime, pour
1. Denzinger, n. 457-463.
378 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ — — »
ma part, qu'aucune preuve ne le crée dans les cœurs
qui ne le sentent pas (1). »
[\. A la suite de certaines théories philosophiques,
telles que celle des idées innées de Descartes, de la
table rase des sensualistes, des rapports du langage
et de la pensée de Locke, et en partie sous leur
influence, se formula, en France, la doctrine tradi-
tionaliste. De Maistre, dans ses Soirées, avait sou-
tenu que certaines idées, surtout de l'ordre moral,
renferment un élément nécessaire qui ne saurait
provenir d'une source bornée et contingente et que
le langage n'a pu être inventé par l'homme. De
Bonald, partant de ce principe que l'homme pense
sa parole avant de parler sa pensée et que les mots
engendrent les idées, réclamait comme absolument
indispensable l'intervention de la révélation primi-
tive pour assurer à l'homme la somme des vérités
nécessaires et la garantie divine de leur certitude.
De Lamennais faisait dériver, lui aussi, d'une révé-
lation primitive la certitude des vérités rationnelles.
Il regardait la raison individuelle comme incapa-
ble d'atteindre seule à la vérité avec certitude. En
revanche, le privilège de notifier et de certifier à
l'homme les vérités indispensables de la croyance,
il l'attribuait au sens commun, dûment appuyé sur
une tradition qui remontait jusqu'à Dieu tout comme
le langage. Moins systématique, mais non moins
traditionaliste, Bonetty écrivait : « Dieu et ses attri-
buts, l'homme, son origine, sa fin, ses devoirs, les
règles de la société civile et de la société domesti-
que : voilà les vérités que nous ne croyons pas que
la philosophie ait trouvées ou inventées sans le se-
cours de la tradition et de l'enseignement (2). » Le
1. La science et la religion, 12e mille, Paris, 1895, p. 60-61.
— 2. Annales de Philos, chrét., i853, iv8 série, t. vin, p. 374.
ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 879
P. Ventura mitigea le système. Il admettait bien
que c'est à une révélation primitive, transmise au
genre humain par la parole, que l'homme doit la
connaissance de Dieu, de l'immortalité de l'âme et
des principes de la morale, mais il soutenait que
cette connaissance une fois acquise, notre esprit est
à même de la démontrer, de la défendre et de la
développer. Ubaghs unit le traditionalisme à l'onto-
logisme, et Bautain, tout en accordant moins d'im-
portance au langage et à la tradition, se crut autorisé
par des considérations psychologiques à mettre le fon-
dement de la certitude dans la foi ou la parole de Dieu.
De telles théories, quelque séduisantes qu'elles
aient pu paraître, n'en constituaient pas moins des
erreurs aussi graves que dangereuses. C'était insis-
ter outre mesure sur l'incapacité de la raison,
réduite presque à une impuissance radicale ; c'était
méconnaître la nature de la révélation primitive et
confondre sa nécessité morale avec sa nécessité ab-
solue ; c'était enfin exagérer le rôle de la tradition,
du langage et de l'enseignement qui servent bien à
communiquer la connaissance de Dieu, à la faciliter
et à la généraliser, mais qui, en définitive, ne sont
pas des moyens absolument indispensables. Rien
d'étonnant dès lors que l'Eglise, jalouse des droits
de la raison comme des intérêts de la foi, soit in-
tervenue. Ses avertissements d'abord, ses condam-
nations ensuite ont dû faire justice de pareilles
erreurs qui méconnaissaient la puissance de la rai-
son humaine et qui mettaient en péril l'intégrité et
la pureté de la foi (i).
1. Voir dans Dcnzinger : les propositions de Nicolas d'Oulti-
court, n. 457-467 ; la condamnation de Lamennais par Gré-
goire XVI, en i834, n. 1^76 ; les propositions souscrites par
l'abbé Bautain, en i835 et 1860, n. i488-i4g3 ; les quatre thè-
ses imposées à Bonnetty, en i855, n. i5o5-i5o8.
3So LE CATÉCHISME ROMAIN
5. Un prêtre allemand, mort en i83i, Hermès,
s'était flatté de ruiner le crédit de la philosoplie de
Rant et subit la secrète influence de ce philosophe.
Ses idées eurent un certain succès en Allemagne.
Il n'admettait pas d'autre preuve de l'existence de
Dieu que l'argument tiré par la raison spéculative
de la nécessité d'une cause première, seule capable
d'expliquer l'existence des êtres contingents ; il
repoussait la preuve tirée de l'ordre du monde,
parce que cet ordre pourrait être à la rigueur l'effet
du hasard ; il repoussait également celle qui est
fondée sur l'idée du devoir, parce que la raison
du devoir étant la dignité de l'homme, il n'est
pas nécessaire que Dieu existe pour que l'homme
soit tenu de se respecter et de remplir ses obli-
gations. Etendant sa théorie, Hermès prétendait
que la raison ne peut démontrer que Dieu diffère
d'une substance immuable, qui ferait partie du
monde, tout en restant séparée des phénomènes
dont le monde est le théâtre ; ni que Dieu est un
esprit pur, ni que ses attributs sont infinis, ni que
sa science s'étend à d'autres objets que les créatu-
res, ni que sa sainteté est sans limites ; ce sont
là, estimait-il, autant de vérités que la Révéla-
tion seule nous fait connaître. L'Hermésianisme,
légitimement suspect d'hétérodoxie, fut condamné
par l'Eglise (i).
6. En dehors de l'Eglise, parmi les incrédules,
une théorie s'est fait jour peu à peu, qui dénie à la
raison le droit de s'occuper de l'existence de Dieu
et le pouvoir de la démontrer. En effet, au regard
des positivistes, Dieu ne saurait être objet de connais-
sance positive. Par sa définition même il est
transcendant, et, dès lors, inaccessible à la raison, en
i. Denzinger, n. i486, 1487.
ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 38 1
dehors ou au-dessus des prises de la science, de la
méthode expérimentale et du contrôle rigoureux
qui s'impose désormais en matière scientifique.
Aussi traitent-ils les preuves de l'existence de Dieu
de chimériques, de caduques, d'incapables d'engen-
drer la certitude. Ils partent d'hypothèses fausses, à
savoir qu'il n'y a que ce qui tombe sous les sens
qui puisse être matière de science, que la seule mé-
thode rationnelle qui convienne à l'esprit c'est la
méthode expérimentale, et que Dieu, si tant est qu'il
existe, appartient en tout cas au domaine de Yincon-
naissable. Ce congé donné à Dieu est impertinent ;
la réduction de toute connaissance à une connais-
sance d'ordre purement sensible méconnaît de parti
pris la puissance de la raison et mutile l'intelligence
humaine.
C'était déjà la pensée de Hume (f 1716) (1). Ce
fut aussi celle de Comte et de Stuart Mill (f 1873) (2).
Mais les disciples de Comte se sont séparés sur le
terrain de la théologie naturelle. Dans l'école fran-
çaise, Littré (f 1881) disait : a II ne faut pas consi-
dérer le philosophe positif comme si, traitant uni-
quement des causes secondes, il laissait libre de
penser ce qu'on veut des causes premières. Non, il
ne laisse là-dessus aucune liberté. »
7. Dans l'école anglaise, H. Spencer (f 1903)
enseigna qu'au delà de la sphère du connaissable
s'étend la région de Y inconnaissable , région inac-
cesible et mystérieuse, avec laquelle on ne peut
entrer en contact que par le sentiment religieux,
sans prétendre le comprendre ou le définir : c'est
Y agnosticisme (3). Mais cet inconnaissable existe.
1. Essai sur V entendement humain, vne Essai. — 2. Logique,
liv. m, ch. 5. — 3. Les premiers principes, trad. Guymiot,
Paris, 1902.
382 LE CATÉCHISME ROMAIN
« Par derrière toutes les apparences matérielles qui
frappent nos sens et que les sciences étudient, ap-
parences fugitives et contradictoires qui posent à
notre raison de plus difficiles problèmes qu'elle n'en
peut résoudre, il existe une réalité profonde, plus
proche de l'esprit que de la matière, mais, dans son
essence ultime, inconnue et inconnaissable. C'est
cette réalité substantielle que les religions nom-
ment Dieu. Les religions ont le droit d'affirmer son
existence, et les sciences ont le tort de la nier. Mais
les religions ont tort de prétendre connaître et défi-
nir les attributs de Dieu; tout ce que nous pouvons
dire de lui, c'est qu'il existe et non quel il existe.
La religion et la science seront d'accord le jour où,
chacune se renfermant dans son domaine propre,
la science cessera d'expliquer les faits positifs par
des entités métaphysiques inconnaissables, et lareli-
gion cessera de donner à l'essence métaphysique de
Dieu des attributs physiques contradictoires : adorer
et se taire est le tout de l'âme religieuse (i). »
IL L'enseignement du Catéchisme
romain
Yoici en quels termes s'exprime le Catéchisme
romain sur l'existence de Dieu (2) :
« Ces paroles (en Dieu), font connaître quelle est
l'excellence et la dignité de la sagesse chrétienne, et
combien nous sommes redevables à la bonté divine,
qui nous a élevés par les vérités de la foi, comme
par autant de degrés, à la connaissance de l'objet
le plus parfait et le plus désirable. Il y a, en effet,
1. Thouverez, H. Spencer, Paris, 1905, p. 32, dans la collec-
tion Science et Religion. — 2. Cat. rom., I. a. 1, vi-ix.
l'existence de dieu d'après le catéchisme 383
une différence considérable entre la philosophie
chrétienne et la sagesse du siècle. L'une, guidée
seulement par la lumière naturelle, s'élève peu à
peu, à l'aide des effets et des choses sensibles, et
ne parvient enfin qu'après de longs travaux à con-
templer les choses invisibles de Dieu, à reconnaître et
à comprendre la cause et l'auteur de ce qui existe.
L'autre, au contraire, perfectionne tellement la
pénétration naturelle de l'esprit humain, qu'il peut
aisément s'élever jusqu'au ciel où, environné d'une
splendeur céleste, il contemple d'abord la source
éternelle de toute lumière, et ensuite toutes les
choses créées. C'est alors que nous connaissons par
expérience et avec une joie infinie de notre âme
que nous avons été appelés des ténèbres à une lumière
admirable, comme dit le prince des apôtres (i), et
que notre foi nous cause un ravissement ineffable (2).
« C'est donc avec raison que les fidèles professent
d'abord qu'ils croient en Dieu, dont la majesté,
suivant Jérémie, est incompréhensible (3) ; qui habite,
dit l'apôtre, une lumière inaccessible, qu'aucun des
hommes na vue ni ne peut voir (4), que nul homme ne
pourra voir sans mourir, comme il le dit lui-même à
Moïse (5). En effet, pour aller jusqu'à Dieu, qui est
au-dessus de toutes choses, notre esprit aurait besoin
d'être entièremenl dégagé des choses sensibles ;
mais cela ne lui est naturellement pas possible dans
cette vie.
« Cependant Dieu ne s'est pas laissé lui-même sans
témoignage, dit l'apôtre, car c'est lui qui fait le bien
aux hommes ; il dispense les pluies et les saisons favo-
rables ; il nous donne la nourriture avec abondance e$
il remplit nos cœurs de joie (6). Aussi les philosophes
••
!
1. I Petr., 11, 9. — 2. I Petr., 1, 8. — 3. Jerem., xxxn, 19/
— 4« I Tim., vi, 16. — 5. Exod., xxxiii, 20. — 6. Ad., xiv, i(L
384 LE CATÉCHISME ROMAIN
n'ont-ils pu concevoir en lui rien d'imparfait ; ils
ont rejeté comme indigne de lui tout ce qui est
corporel, toute composition et tout mélange. Ils
l'ont regardé comme possédant en lui-même la plé-
nitude de tous les biens, et ils ont enseigné que
tout ce qu'il y a de bon et de parfait dans toutes les
créatures vient de lui comme d'une source inépui-
sable et perpétuelle de bonté et de charité. Ils l'ont
appelé sage, auteur et amateur de la vérité, juste et
bienfaisant, et ils lui ont donné plusieurs noms,
qui expriment la perfection souveraine et absolue.
Enfin ils ont reconnu en lui un pouvoir immense
et infini, qui s'étend à toutes les choses et à tous les
lieux.
a Mais ces vérités sont bien plus certaines et bien
plus clairement exprimées dans l'Ecriture. Ici, elle
nous dit : Dieu est esprit (i) ; soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait (2) ; tout est nu et à
découvert à ses yeux (3) ; là, elle s'-écrie : 0 profon-
deur des richesses de la sagesse et de la science de
Dieu (4) I Ailleurs : Dieu est véritable (5) ; il est la
voie, la vérité et la vie (6) ; sa droite est pleine de sa
justice (7) ; il ouvre la main et répand sa bénédiction
sur tout ce qui respire (8) ; Enfin David s'écrie :
« Oà irai- je devant votre esprit?
Où fuirai-je devant votre face ?
Si je monte au ciel, vous y êtes :
Si je descends dans le scheol, vous êtes présent.
Si je prends les ailes de l'aurore
Et que je me transporte au-delà des mers,
C'est votre main qui m'y conduira,
Votre droite qui me soutiendra (9). »
1. Joan., iv, 24. — 2. Matth., v, 48. — 3. Hebr., iv, 13. —
6. Rom., xi, 33. — 5. Rom., m, 4. — 6. Joan., xiv, 6. —
7. Psal., xLvii, 11. — 8. Psal, cxuv, 16. — 9. Psal., cxxxvm,
7-10.
l'existence de dieu d'après le catéchisme 385
Et Dieu nous dit lui-même : « Est-ce que je ne
remplis pas le ciel et la terre (i) ? »
a Telles sont les grandes idées que les philosophes
eux-mêmes se sont formées de la nature divine, en
considérant les effets sensibles de ce monde, et qui
sont conformes à l'autorité des Livres saints. Et
cependant pour sentir combien nous avions besoin,
même à cet égard, de l'enseignement céleste, il
suffit de remarquer que la foi n'a pas seulement
pour effet de faire connaître promptement et sans
peine aux plus ignorants et aux plus grossiers ce
que des philosophes si savants n'ont connu qu'après
de longues études, mais encore la connaissance
qu'elle nous donne des choses est beaucoup plus
certaine, plus pure et plus exempte d'erreur, que si
elle venait des raisonnements delà science humaine.
Et d'ailleurs quelle différence entre la contempla-
tion de la nature, qui ne peut pas faire connaître
Dieu à tout le monde, et la lumière de la foi qui le
révèle infailliblement à tous ceux qui croient.
« Or tout ce que nous connaissons de Dieu par la
foi est renfermé dans le symbole. Nous y trouvons
l'unité de l'essence divine et la distinction des trois
personnes. Il nous apprend que Dieu est la fin der-
nière de l'homme, et que nous devons attendre de
lui un bonheur céleste et éternel, suivant ce qu'en-
seigne saint Paul, que Dieu récompense ceux qui le
cherchent (2) ; et comme l'avait dit longtemps avant
lui le prophète Isaïe, depuis T origine des siècles, les
hommes n'ont point conçu, [oreille na point entendu,
aucun œil ri a vu, excepté vous, Seigneur, ce que vous
avez préparé pour ceux qui vous aiment (3) ; paroles
qui nous montrent non seulement la grandeur des
biens qui nous attendent, mais qui font voir encore
1. Jerem., xxm, 24. 2. Ilebr., xi, 6. — S.Isaï., lxiv, 4»
LB CATÉCHISME. — T. I. »ï
386 LE CATÉCHISME ROMAIN
que l'homme est incapable de les connaître parla
seule lumière naturelle.
a De ce que nous venons de dire, il suit qu'il n'y
a qu'un seul Dieu, et non plusieurs. Car nous avons
vu que Dieu possède une bonté et une perfection
souveraines. Or il est impossible que la perfection
souveraine et absolue convienne à plusieurs ; car
celui qui manque de la moindre chose est par là
même imparfait, il ne saurait être Dieu. Cette vérité
se trouve dans une multitude d'endroits de l'Ecri-
ture. 11 est écrit : Ecoute, Israël; le Seigneur noire
D. « est le seul Dieu (i). De plus c'est un précepte
du Seigneur : Tu n'auras point d'autres dieux devant
moi (2). Il nous dit par ie prophète : Je suis lepremier
et le dernier ; en dehors de moi il n'est pas d'autre Dieu (3).
Eniin l'apôtre l'atteste clairement : Un seigneur, une
foi, un baptême (4).
« Que si l'Ecriture donne quelquefois le nom de
dieux à des êtres créés, cela ne doit pas nous sur-
prendre. Car lorsqu'elle appelle dieux les juges et
les prophètes, ce n'est pas dans le sens impie et
absurde des païens qui se sont forgé plusieurs divi-
nités ; c'est pour exprimer, selon une manière
ordinaire de parler, ou quelque perfection particu-
lière, ou quelque fonction à laquelle Dieu les avait
élevés. La foi chrétienne professe donc qu'il n'y a
qu'un seul Dieu par nature et par essence, comme
il a été défini par le concile de Nicée, qui a confirmé
cette vérité dans son symbole. Mais, remontant
encore plus haut, elle reconnaît l'unité de Dieu, tout
en adorant en même temps la trinité dans son unité
et l'unité dans sa trinité. »
Ce passage du Catéchisme romain résume admi-
1. Deut., vi, 4. — a. Exod., xx, 3. — 3. haï., xli, 4^ — *
« — 4« Ephes., iv, 5.
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 387
^^— ^— — !■■ ■ ■■■ ■ ■-■!■■ i ■■■■.- ■ ■■■■■ — ■■ , — — ^—— —— — — ^^
rablement l'enseignement de l'Eglise sur la question
de l'existence de Dieu. Que Dieu existe, c'est une
vérité d'ordre naturel, accessible par conséquent à
la raison de l'homme. L'homme, en effet, quelques
privilégiés du moins, à l'aide de leurs seules lu-
mières, arrivent à l'acquérir par l'étude du monde
créé, par le raisonnement, mais ce n'est ni sans
efforts, ni sans travaux, ni surtout sans danger
d'erreurs, efforts et travaux dont tout le monde n'est
pas capable, erreurs auxquelles n'échappent pas
toujours même les plus sages. D'où la nécessité
morale de la révélation divine qui, de prime abord
et sans nulle peine, met en possession de cette vérité
primordiale les simples d'esprit et les ignorants,
la leur communique dans sa pureté native, sans le
moindre mélange d'erreur et avec pleine sécurité.
III. Définition
du Concile du Vatican
Le dernier concile œcuménique avait une im-
mense tâche à remplir, qu'il ne put mener à bon
terme à cause des circonstances politiques, qui
vinrent interrompre ses travaux ; quelques résultats
doctrinaux, et non des moins importants, ont été
atteints, notamment sur les forces qu'on doit recon-
naître à la raison humaine.
Pie IX légitimait de la manière suivante la réunion
du concile ; il disait entre autres choses : « Alors
est née et s'est malheureusement trop répandue dans
tout l'univers, cette doctrine du rationalisme ou du
naturalisme, qui, se mettant de tous points en
opposition avec la religion chrétienne, à raison du
caractère surnaturel de celle institution, s'applique
388 LE CATÉCHISME ROMAIN
avec les plus grands efforts à exclure Jésus-Christ,
notre unique Seigneur et Sauveur, de la pensée dos
hommes, de la vie et des mœurs des peuples, pour
établir le règne de ce qu'on appelle la pure raison
ou la nature. Mais après avoir abandonné et rejeté
la religion chrétienne, après avoir renié le vrai
Dieu et son Christ, plusieurs ont laissé tomber leur
intelligence dans le gouffre du panthéisme, du
matérialisme, de l'athéisme, et niant la spiritualité
de la raison et toute règle de la justice et de la
vertu, ils unissent leurs efforts pour saper les fon-
dements les plus profonds de la société humaine.
« Par le fait de cette impiété qui s'est propagée
de tous côtés, il est malheureusement arrivé que
plusieurs même des enfants de l'Eglise catholique
se sont écartés du chemin de la véritable piété, et
que le sens catholique s'est émoussé en eux par
suite de l'amoindrissement progressif des vérités.
Entraînés par toutes sortes de doctrines étrangères
et faisant un alliage mal ordonné de la nature et de
la grâce, de la science et de la foi divine, l'expérience
le montre, ils dénaturent la signification véritable
des dogmes admis et enseignés, et ils mettent en
péril l'intégrité et la pureté de la foi.
« Au spectacle de toutes ces erreurs, comment se
pourrait-il faire que l'Eglise ne fût émue au plus
profond de ses entrailles ? Car, comme Dieu veut
que tous les hommes soient sauvés et arrivent à la
connaissance de la vérité, comme le Christ est venu
afin de sauver ce qui était perdu et de réunir dans
l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés,
ainsi l'Eglise, constituée par Dieu la mère et la maî-
tresse des peuples, a le sentiment de ses devoirs
vis-à-vis de tous les hommes ; elle est toujours prêta
et attentive à relever ceux qui sont tombés, à soute-
nir ceux qui chancellent, à recevoir dans ses bras
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 38g
ceux qui reviennent à elle, à confirmer ceux qui
sont clans le bien, et à les poussera une plus grande
perfection. Aussi ne peut-elle s'abstenir à aucun
moment d'affirmer et de prêcher la vérité divine
qui guérit tout ; car elle n'ignore pas que c'est à
elle qu'il a été dit : « Mon esprit qui est en toi et
mes paroles que j'ai mises en ta bouché ne cesseront
d'être sur tes lèvres maintenant et à jamais (i). »
C'est au concile du Vatican, en effet, que l'Eglise,,
cette prétendue ennemie de la raison, a défendu les
droits de la raison et a solennellement proclamé et
défini son pouvoir d'arriver, par ses seules forces, à
la connaissance de l'existence de Dieu. « La même
sainte Eglise, lisons-nous, tient et enseigne que, par
la lumière naturelle de la raison humaine, Dieu, prin-
cipe et fin de toutes choses, peut être connu avec cer-
titude, au moyen des choses créées ; car, depuis la
création du monde, ses invisibles perfections sont vues
par V intelligence des hommes, au moyen des êtres qu'il
a faits ; que, néanmoins, il a plu à la sagesse et à
la bonté de Dieu de se révéler lui-même et les
éternels décrets de sa volonté par une autre voie, et
cela par une voie surnaturelle. C'est ce que dit
l'apôtre : « Après avoir parlé autrefois à nos pères
et à plusieurs reprises et de plusieurs manières par
les prophètes, pour la dernière fois, Dieu nous a
parlé de nos jours par son Fils (2). » Après cet
exposé de doctrine, le concile a porté le canon
suivant : « Analhème à qui dirait que le Dieu unique
et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut être
connu avec certitude par la lumière naturelle de la
raison humaine, au moyen des êtres créés (3). »
1. Constitution Dei Filius, 546 ; le texte est pris dans Isaïe,
lix, ai. — 2. Ibid., ch. n, $ 1 ; le texte cité est de l'Epître aux
Hébreux, 1, 1-2. — 3. Ibid., De révélât., canon 1.
39O LE CATÉCHISME ROMAIN
Que désirer de plus clair, de plus formel et de
plus autorisé ? C'est donc un dogme de foi catholi-
que que Dieu peut être connu avec certitude, à la
lumière naturelle de la raison, par le moyen des
créatures. Un tel langage, un tel enseignement, s'ils
étaient plus connus, ne seraient pas sans étonner
tous ceux qui, parmi nos contemporains, ne cessent
de dire, de répéter et d'écrire que l'Eglise méconnaît
la valeur de la raison humaine. Du reste, à pour-
suivre l'étude des décisions du concile, cet étonne-
ment ne pourra que croître. Remarquons ici avec
quelle sagesse l'Eglise formule et le pouvoir radical
de la raison, et la méthode qu'elle doit employer,
et la certitude des conclusions qu'elle tire, et la
connaissance qu'elle acquiert. Oui, l'homme peut
arriver à la connaissance de Dieu. Il a pour cela en
lui-même la lumière naturelle de la raison et il se
sert des créatures. Sa connaissance n'est pas vaine
ou discutable : elle a une valeur logique et certaine.
Et sa connaissance atteint Dieu, principe et fin de
toutes choses, le Dieu unique et véritable, notre
Créateur et Seigneur. Tout cet enseignement trouve
sa justification dans le texte célèbre de l'Epître aux
Hébreux. Disons donc quelques mots sur ces divers
points, pour mettre en lumière autant que possible
et pour caractériser nettement la pensée et la doc-
trine des Pères du concile.
Abstraction faite de toute considération historique,
sans tenir compte des divers états dans lesquels
l'homme a vécu ou aurait pu vivre, et rien qu'à
envisager la nature humaine avec son pouvoir pro-
pre, les Pères du concile estiment que la manifes-
tation objective de Dieu par les créatures s'adapte
à l'organisation de la raison humaine et que la
raison humaine possède ce qu'il faut pour se con-
vaincre, par cette manifestation, de la réalité de
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 3()I
l'existence de Dieu. La connaissance de Dieu par la
raison est donc chose possible.
Ce qui la rend possible, c'est la lumière naturelle
de la raison humaine. Il est question de lumière
par comparaison avec la lumière physique qui
permet à la vue de saisir les objets sensibles ;
mais il s'agit ici d'une lumière intellectuelle
qui permet à la raison de connaître les vérités
d'ordre naturel. Cette lumière intellectuelle est
qualifiée de naturelle parce qu'elle répond à la nature
de l'homme, qu'elle est de même ordre, de même
qualité, par opposition avec la lumière surnaturelle
qui, infusée par la grâce, fait accepter par la foi les
vérités révélées. Et il s'agit de la raison humaine,
c'est-à-dire de la faculté que possède l'homme de
connaître les premiers principes et d'en déduire des
conséquences. Au moyen donc de cette lumière, la
raison peut arriver à se convaincre de l'existence de
Dieu, sans avoir à s'appuyer soit sur la révélation,
soit sur la tradition ou l'enseignement.
Le concile indique en outre le moyen extérieur
qui manifeste l'existence de Dieu ; ce sont les créa-
tures, les êtres contingents. Au lieu donc d'admettre
avec les ontologistes que la notion de Dieu est en
nous à l'état habituel et inconscient et que les
créatures ne sont qu'une cause occasionnelle qui
rend cette notion distincte et consciente, les Pères
du Vatican, en indiquant ce moyen externe, favo-
risent la manière de voir de saint Thomas et de
presque tous les théologiens, d'après laquelle la
connaissance de Dieu est une vérité acquise et
médiate, les créatures servant de moyen nécessaire
pour l'acquérir.
De plus, à rencontre des positivistes français et
des agnostiques anglais, qui prétendent que l'exis-
tence de Dieu ne peut être prouvée avec une entière
3 9 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
certitude et que les arguments qu'on en donne ne
sont pas au-dessus de toute discussion ; à l'encontre
également des traditionalistes, d'après lesquels la
raison seule ne peut donner sur les vérités religieuses
que des probabilités, le concile déclare certaine
cette connaissance rationnelle de Dieu.
Mais jusqu'où s'étend cette connaissance ration-
nelle ? Le concile l'a déjà insinué dans le premier
chapitre de sa constitution, par la condamnation
de l'athéisme et du panthéisme ; il y traite de l'exis-
tence et des attributs de Dieu, dont la foi suppose
la connaissance rationnelle déjà acquise ; car il y
aurait cercle vicieux à exiger comme condition de
la foi une connaissance de Dieu que la foi seule
pourrait donner. Mais, ici, au chapitre second, le
concile indique formellement, en quelques mots,
la notion de Dieu que la raison peut avoir et il la
résume dans ces deux formules : Dieu, principe et
fin de toute choses ; Dieu unique et véritable, notre
Créateur et Seigneur. Dieu, principe et fin de toute
choses, voilà une donnée intellectuelle, qui renferme
d'autres vérités et les suppose logiquement. Dieu,
unique et véritable, Créateur et Seigneur, voilà
encore quelques attributs caractéristiques de Dieu,
que la raison peut connaître. Sans doute le concile
n'a pas entendu définir que la raison peut connaître
avec certitude l'unité de Dieu, la vraie nature de
Dieu, le mystère de la création ex nihilo; sa défini-
tion, plus restreinte, ne porte que sur la possibilité
de la connaissance certaine de l'existence de Dieu
par les lumières de la raison, au moyen des créatu-
res. Là est le dogme de foi. Mais il n'en reste pas
moins certain, d'après le concile, qu'à la lumière
de la raison Dieu peut être connu comme principe
et fin. En fait la plupart des vérités, qui entrent
dans la notion complète de Dieu, se démontrent
DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 3q3
rationnellement. Mais qui ne sait, par l'histoire des
religions et de la philosophie, combien d'erreurs se
sont mêlées à l'idée de Dieu, et combien sont rares
ceux qui ont pu parvenir à une connaissance satis-
faisante de Dieu. Aussi la constatation de ces faits
scra-t elle invoquée comme un argument pour
démontrer la nécessité morale d'une révélation.
Le concile appuie sa doctrine sur ce texte de
saint Paul, ponctué de la manière suivante : « Invi-
sibllla enitn ipsius, a creatura mundi, per ea quœ facta
sunt, intellecta, conspiciuntur (i). » La virgule, pla-
cée après intellecta, fixe authentiquement la lecture
de ce verset et détermine, semhle-t-il, la significa-
tion de ces mots : a creatura mundi, dans lesquels,
parmi les interprètes, les uns voyaient la créature
raisonnable par qui Dieu est connu, les autres celle
au moyen de laquelle on connaît Dieu, d'autres
encore la date depuis laquelle Dieu est connu natu-
rellement, c'est-à-dire depuis la création. C'est ce
dernier sens qui paraît le plus naturel.
Or ce verset se trouve encadré dans la preuve
que donne saint Paul que la justification par l'évan-
gile a été un don gratuit pour les gentils et pour les
juifs. L'apôtre rappelle que, suivant l'enseignement
de la révélation, c'est la foi en l'évangile qui sauve.
Il l'établit notamment pour les gentils, en montrant
qu'ils avaient besoin de cette foi, sans y avoir le
moindre droit, attendu que leur idolâtrie et leurs
fautes appelaient sur leur tête la colère de Dieu.
« Il est révélé, dit-il, que la colère de Dieu menace
du ciel la souveraine impiété (l'idolâtrie) et l'injus-
tice (les autres fautes) de ces hommes qui retiennent
la vérité de Dieu cachée dans leur injustice. En
effet, ce que l'on sait (naturellement) de Dieu se
i. Rom., i, 20.
3g 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
manifeste en eux (comme la loi naturelle, par
exemple), vu que Dieu l'a manifesté en eux. Car
depuis la création du monde, ses invisibles perfections
sont vues par notre intelligence au moyen des êtres
qu'il a faits, ainsi que son éternelle puissance et sa
divinité. De sorte qu'ils sont inexcusables parce
que, ayont connaissance de Dieu, ils ne l'ont pas
glorifié ni remercié comme Dieu, mais ils se sont
perdus dans leurs raisonnements, et leur cœur
irréfléchi s'est rempli d'obscurité (i). » De tout ce
passage, le concile n'a retenu que les mots souli-
gnés ; et c'est là qu'il a vu un témoignage révélé en
faveur de son enseignement sur la possibilité de la
connaissance rationnelle de l'existence de Dieu. Mais
saint Paul va plus loin ; avant et après ce verset 20,
il affirme le fait que les païens ont réellement connu
Dieu, et c'est précisément cette connaissance réelle,
dont ils ne tenaient pratiquement aucun compte,
qui les rendait a inexcusables. »
IV. Puissance de la raison
1. La raison, par ses seules forces, est capable de
se démontrer l'existence de Dieu : telle est la vérité
définie par le concile du Vatican ; et nous venons de
voir par quels moyens et dans quelle mesure elle
peut s'élever à la connaissance de Dieu.
La raison, en effet, est naturellement faite pour la
conquête et la possession du vrai ; mais elle n'y
parvient pas toujours du premier coup ; sa marcha
est parfois lente, et tel est le cas pour l'existence d$
Dieu. Car, cette vérité ne ressort pas de Févidence
immédiate des termes qui servent à la formuler ;
1. Rom., x, 18-21.
PUISSANCE DE LA RAISON 3o,5
h. ■ ■ .
elle se démontre logiquement, non pas a priori,
c'est-à-dire par la cause, mais a posteriori par les
effets. Dieu, étant sans cause, échappe par là même
& une démonstration a priori ; étant la cause des
causes, son existence peut être démontrée a posteriori.
Sans doute, l'effet, n'étant pas proportionné à la
cause, ne saurait en donner une connaissance adé-
quate, parfaite ; il sert du moins et il suffit à en
prouver rigoureusement l'existence. Par suite, les
créatures, bien qu'impuissantes à nous faire connaî-
tre Dieu dans son essence complète, démontrent ce-
pendant son existence d'une manière irréfutable. Et
ce procédé de démonstration s'impose ; car, si Dieu
est le premier dans l'ordre de l'être au point de
vue ontologique, il n'est pas le premier dans l'ordre
de notre connaissance. Aussi la seule voie qui s'offre
à nous c'est de nous élever jusqu'à lui en partant
des créatures, en remontant des effets à leur cause
première.
2. Nous constatons, tant par l'expérience interne
que par l'expérience externe, qu'il y a des substances
et des causes : des substances, c'est-à-dire des entités
qui servent de support aux divers phénomènes sen-
sibles ; des causes, c'est-à-dire de véritables agents
d'action ; d'autre part, nous possédons l'idée claire
de certains principes nécessaires et absolus, par
exemple, celui-ci : Le tout est plus grand que la
partie. Or, parmi ces principes, se trouve le prin-
cipe général de raison suffisante, qui s'applique à
tous les êtres sans exception et qui se formule ainsi:
Tout ce qui est a sa raison d'être en soi ou dans un
autre. Ce principe, appliqué aux êtres qui naissent ou
commencent d'exister pour disparaître ensuite, est
proprement le principe de causatité: Tout ce qui
commence a une cause. Aristote disait et saint Tho-
mas a répété : Tout ce qui passe de la puissance à
3g6 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'acte est mû par un autre. Rien de plus exact, déplus
certain. Equivalemment on peut dire : Tout chan-
gement est produit par une cause ; tout phénomène
a une cause ; rien n'arrive sans une raison suffi-
sante.
3. C'est justement l'application de ce principe de
causalité, de raison suffisante, qui permet à notre
raison de conclure légitimement à l'existence de
Dieu ; mais c'est aussi ce principe qu'on a essayé
de battre en brèche, pour interdire à la raison le
droit de conclure à l'existence de Dieu. Hume,
Stuart Mill et la plupart des positivistes suppri-
ment donc le principe de causalité et se contentent
de dire : tout phénomène a un antécédent. Mais c'est
là déclarer simplement qu'entre les phénomènes il
n'y a pas d'autre rapport que celui de succession,
sans aucun lien de causalité, et méconnaître abusi-
vement ce rapport très particulier qui fait que tel
phénomène n'existe que parce qu'il a sa raison
d'être dans une cause antérieure ; la causalité im-
plique succession, mais, elle n'est pas qu'un pur
phénomène antécédent, elle produit en réalité le
phénomène qui suit, elle est vraiment cause, ce qui
est fort différent.
[\. Kant, de son côté, dans sa Critique de la raison
pure, a essayé de ruiner le principe de causalité. Il
n'a voulu y voir qu'une manière habituelle de
juger, tenant à la nature de notre esprit, d'ordre
par conséquent purement subjectif, indiquant bien
ce qui se passe en nous au point de vue intellectuel,
mais ne garantissant pas le moins du monde que cela
se passe de même hors de nous dans la réalité objec-
tive, et que, par suite, les phénomènes constatés aient
une cause rée'lle. Aussi rejette-t-il les preuves de
l'existence de Dieu qui s'appuient sur ce principe
de causalité. Après avoir nié que la raison pure
PUISSANCE DE LA RAISON 3q7
pût atteindre sous le phénomène le noumène, la
réalité, c'est-à-dire les substances et les causes, et
par conséquent Dieu et le monde, il a essayé d'un
expédient pour sauvegarder quand même la vérité
objective de l'existence de Dieu ; il a donc recouru a
la raison pratique qui lui a montré la loi du devoir,
inconditionnelle et absolue, s'imposant à nous
comme un impératif catégorique, et prouvant par là
même l'existence réelle d'un législateur, de Dieu.
Mais ce n'est là qu'une inconséquence, condamnée
d'avance par la critique de la raison pure, car il n'y
a pas deux raisons en nous, l'une spéculative, l'autre
pratique ; il n'y en a qu'une, et c'est la même rai-
son qui découvre les lois de la pensée pure et celles
de la volonté, les règles de la logique et celles de
la morale, qui tantôt s'exerce dans le domaine de la
spéculation et tantôt dans celui de la pratique.
5. Kant s'est donc abusé; son subjectivisme doit
être résolument écarté. Il a eu tort de prendre le prin-
cipe de causalité au sens purement empirique ; car ce
principe n'est pas la simple constation de faits
sensibles ou d'une succession de phénomènes sans
lien intime et réel entre eux. Il implique nécessai-
rement une relation d'ordre particulier qui fait que
tel phénomène n'existe que parce qu'il dépend d'un
autre comme l'effet dépend de sa cause. Car, pour
être, tout phénomène exige une force proportion-
née qui le fasse être et être ce qu'il est ; pour passer
de la puissance à l'acte, il lui faut une cause qui
l'actue. Ce principe s'entend de la causalité méta-
physique, dans laquelle il ne s'agit plus de phéno-
mènes qui ne font que se succéder, mais d'une
cause supérieure aux phénomènes. Or, cette causa-
lité-là, nous l'atteignons et la connaissons en nous
par la conscience. Car nous nous connaissons
comme une cause réelle et vraie, antérieure aux
398 LE CATÉCHISME ROMAIN
— " " 1 ■ 1 .. ■ ■ 1 1 —...,,.. — ■ 1 ■ ■ ^
effets que nous produisons, et leur survivant, c'est-
à-dire comme un être identique et permanent. Dire
en ce sens qu'il n'y a pas d'effet sans cause, c'est
faire entendre qu'il y a hors de nous des causes
semblables à celles que nous trouvons en nous, des
êtres identiques et permanents comme nous, c'est-
à-dire des causes métaphysiques. Et cela suffit pour
conclure légitimement, au nom de ce principe de
causalité, de la constatation de certains faits à
Fexistcnce d'une cause, que celle-ci soit ou non
accessible en elle-même, sous peine de tomber dans
le scepticisme et de douter de tout, même de l'évi-
dence. Gela étant, l'emploi judicieux du principe
de causalité et de raison suffisante nous autorise à
chercher la raison dernière, la cause première de
tout ce qui est. et à les trouver en Dieu.
6. Dès lors de quel droit les positivistes rigoureux
dénient-ils à la raison le pouvoir de s'exercer dans
le domaine qu'ils appellent l'inconnaissable ? d'au-
tant que la raison n'y pénètre pas sans partir de
données positives. C'est décréter a priori qu'il n'y a
de connaissances que les connaissances expérimen-
tales et tout ramener de parti pris à la méthode des
sciences. Moins inconséquent, l'un d'entre eux,
Herbert Spencer, proclame du moins l'existence de
l'Inconnaissable ; et si, après avoir proclamé son
existence, il se refuse à chercher à le connaître,
libre à lui ; il n'a pas le droit d'interdire aux autres
cette recherche, ni surtout celui de la frapper de
suspicion, de la déclarer illogique et vaine, car c*est
là mutiler la raison.
Ce n'est pas, évidemment, à une époque comme
la nôtre, qu'on peut refuser à la raison une force
d'investigation et une action couronnée de succès
éclatants dans tous les domaines de l'expérience :
les progrès merveilleux des sciences sont là pour
PUISSANCE DE LA RAISON 399
prouver, clair comme le jour, le bonheur de ses
initiatives et de ses travaux ; mais ce n'est pas un
motif suffisant pour lui interdire, dans des domaines
différents, d'autres initiatives et d'autres travaux.
Il n'y a pas, en effet, que des vérités d'ordre pure-
ment expérimental ; il en est d'un autre ordre qui
ne sont ni moins utiles ni moins fécondes ; et la
philosophie a quelque droit sans aucun doute à
utiliser la raison dans son domaine propre, et au
moyen d'une méthode à elle, pour poursuivre les
plus beaux travaux de la pensée humaine ; et la
religion, à son tour, loin de méconnaître la valeur
de la raison, la suppose avant tout, s'appuie sur
elle, travaille avec elle, requiert sans cesse son con-
cours nécessaire, même dans les questions où le
dernier mot doit rester à la foi. Encore une fois de
quel droit interdire à la raison l'emploi de ses
facultés ailleurs que dans les sciences naturelles ?
7. La raison est faite pour la vérité dans tous les
ordres ; la vérité est son objet propre, connaturel.
Qu'elle arrive, par son libre jeu, à la connaissance
des vérités naturelles ; qu'elle découvre les lois du
monde physique et les rapports des substances
matérielles entre elles ; qu'elle fasse de ces connais-
sances, de ces lois et de ces rapports, une science,
où les principes conduisent à des conclusions, et
où les progrès enfantent de nouveaux progrès, rien
de mieux. Mais ne peut-elle également pénétrer
dans le monde métaphysique et moral ? Qui donc
pourrait l'en empêcher ? Insister serait vraiment
trop faire injure au bon sens et plaider une cause
évidente et incontestable ; car, depuis que l'homme
existe, il n'a jamais cessé un seul instant de philo-
sopher, c'est-à-dire de chercher à se rendre compte
de la raison de tout ce qu'il voit autour de lui, de
tout ce qu'il constate en lui-même.
400 LE CATÉCHISME ROMAIN
Et c'est pourquoi, en face des phénomènes de
conscience dont il est le théâtre et le témoin, en
présence des phénomènes variés qui Tentourent et
dans lesquels il se meut, l'homme raisonnable
entend dégager l'inconnue qui s'y cache et déchiffrer
le mot de l'énigme. Les questions se pressent dans
son esprit. Il existe ; mais qu'est-il ? d'où vient-il ?
où va t-il ? D'autres êtres existent à côté de lui, qui
pourraient ne pas exister ; il y a, dans le monde,
de la vie, du mouvement, de l'ordre. Y a-t-il une
cause à tout cela ? Et cette cause peut-il en affirmer
l'existence ? peut il parvenir à dire un peu ce qu'elle
est ? Oui, pense-t-il, et il estime ne pas s'abuser.
C'est plus qu'il ne lui en faut pour légitimer ses
recherches et l'assurer de n'avoir pas travaillé en
pure perte.
1. Le pouvoir de la raison. — « Au fond, les erreurs,
les extravagances, les fluctuations, les contradictions
des systèmes philosophiques qui, en dehors du christia-
nisme, se sont élevés sur les ruines les uns des autres,
voilà le grand argument de Montaigne, de Pascal et du
P. Ventura, et de tous ceux qui ont cru bien servir la
religion en attaquant la philosophie. Or, cet argument
ne prouve rien, parce qu'il prouverait trop ; s'il vaut con-
tre la métaphysique, il vaudra contre toutes les sciences
humaines ; car en toutes on s'est battu, en toutes on s'est
trompé, en toutes les systèmes ont succédé aux systèmes.
Mais, pour ne considérer que la philosophie, est-ce à dire
que, dans cette mêlée, rien ne surnage, qu'aucune vérité
stable et définitivement établie ne se dégage des contro-
verses, et qu'il n'y ait, pour le spectateur de la lutte,
aucun moyen de discerner de quel côté est le bon droit ?
Quand Socrate combat les sophistes avec son bon sens et
donne, le premier, une forme régulière à la preuve de
l'existence de Dieu tirée de l'ordre de la nature, quand
Platon ouvre à la raison qui cherche Dieu le chemin de la
dialectique, quand Aristote conclut du fait du mouve-
PUISSANCE DE LA RAISON ^OI
ment la nécessite d'un premier moteur, quand les stoï-
ciens défendent l'idée de l'honnête contre la volupté
épicurienne, est-ce que ces hautes vérités périssent dans
la décadence de leurs écoles ? est-ce que ces patriciens de
la philosophie, comme on les a heureusement appelés,
n'ont pas légué aux âges suivants quelques-uns des maté-
riaux et quelques-uns des procédés d'une métaphysique
indestructible ? La vérité, je l'avoue, n'était chez eux ni
complète, ni pure ; mais elle y était, et l'étude de leurs
doctrines établit du même coup les deux thèses fonda-
mentales de la philosophie chrétienne : premièrement,
que la raison est capable de trouver Dieu ; secondement,
qu'elle est exposée à se tromper dans sa recherche, et
qu'en devenant chrétienne, elle acquiert tout à la fois une
portée et une sûreté qu'elle n'a pas en dehors du christia-
nisme. Mais, qu'on me permette de le dire, ce serait une
pusillanimité misérable de n'oser suivre la raison dans
une voie qui est la sienne à cause des chutes qu'elle peut
y faire, et des mauvaises routes où elle peut s'engager par
sa faute. J'aimerais autant dire qu'il faut renoncer à agir
et se croiser les bras, parce qu'en agissant, on s'exposerait
à mal user de sa liberté. Non, le serviteur qui enfouit
son talent en terre n'est pas un bon serviteur, et c'est mal
répondre aux vues de la Providence que de ne point exer-
cer, dans leur sphère légitime, les facultés dont elle nous
a pourvus. Comme elle nous a donné la volonté pour
l'appliquer à son objet, qui est la pratique du bien, elle
nous a donné aussi la raison pour l'appliquer au sien, à la
recherche de la vérité et à l'acquisition de la sagesse,
laquelle dit Bossuet, consiste à connaître Dieu et à se
connaître soi-même. « De Margerie, Théodicée, 3° édit.,
Paris, 1874, t. 1, p. i32-i33.
2. Procédé de la raison. — « De quoi sommes-nous en-
tourés ? de quoi, étant donnée notre organisation intellec-
tuelle, pouvons-nous partir ? De Dieu, pour descendre à ses
œuvres ? Non, mais des œuvres de Dieu pour remonter à
leur auteur. Notre point de départ, c'est d'abord le monde
extérieur ; puis, c'est notre âme où nous trouvons ces
idées absolues, dont on peut bien dire qu'elles ont leur
LE CATÉCHISME. — T. I. 26
402 LE CATÉCHISME ROMAIN
fondement et leur substance en Dieu, mais non pas
qu'elles sont Dieu. Découvrir en soi-même ces idées, ce
n'est pas avoir l'intuition de Dieu, c'est apercevoir le
signe visible et certain d'une réalité cachée, argumentant
non apparenlium. Nous les apercevons sans doute dans la
lumière de notre raison, qui est une participation de la
lumière divine ; et les rayons de cette lumière nous con-
duisent, si nous savons les suivre, jusqu'à leur éternel et
vivant foyer. Mais à quelles conditions ? A condition que
nous les prendrons pour ce qu'ils sont, pour des rayons,
pour des intermédiaires, pour des degrés, pour des routes
qui mènent à Dieu, itlnera in Deum ; à condition aussi
qu'il y aura en nous une force, un ressort, qui nous pous-
seront jusqu'à la réalité suprême, je veux dire à condi-
tion que notre raison possédera des principes évidents et
premiers, qui nous obligeront à remonter de l'effet à la
cause, et de l'imparfaite copie au modèle divin. Tel est,
en effet, le procédé de la raison ; tel est le caractère de
cette ascension dialectique qu'ont opérée, depuis Platon,
tous les grands esprits qui se sont occupés de théodicée.
Nous arrivons à Dieu par des échelons, per scalam, per
gradas, en suivant ses traces, en passant par ce qui le
représente, par la nature extérieure, par l'âme humaine,
par les idées absolues, et en dépassant ces représentations
incomplètes à l'aide des principes nécessaires delà raison.
Or, que faisons-nous quand nous prenons pour point de
départ un fait réel, le monde, ou le moi, ou les idées
réellement présentes à la conscience ? nous posons une
mineure. Et que faisons-nous quand nous prenons pour
point d'appui une vérité universelle ? nous posons une
majeure. Que faisons-nous enfin, quand, à l'aide du point
d'appui, nous dépassons le point de départ, quand nous
nous fondons sur le principe de causalité pour deviner
l'ouvrier derrière son ouvrage, le modèle derrière sa
copie, la réalité substantielle de l'infini derrière ce fait
psychologique qui est l'idée de l'infini ? nous tirons une
conclusion. Car nous accomplissons ces trois opérations
avec une rigueur syllogistique, latine et informis, ou en
français, tantôt par un développement oratoire, tantôt par
PUISSANCE DE LA RAISON 4o3
un rapide élan qui transforme le syllogisme en un enthy-
mème ou l'argument en une prière,; que nous suivions
lentement chacun des pas de la démonstration, ou que
nous les traversions d'un bond, le procédé au fond reste
le même, il s'appelle le raisonnement ; le résultat est le
même aussi, il s'appelle la démonstration.
« Je ne sais pourquoi on s'effraye, et pourquoi on
s'imagine qu'en se résignant à raisonner, on se condamne
àne point sortir des abstractions. Quand on raisonne sur des
prémisses abstraites, comme sont, par exemple, les défi-
nitions de la géométrie, c'est à des conclusions abstraites
qu'on arrive. Mais quand on résonne sur le réel, c'est au
réel aussi qu'on aboutit. Tel sera le caractère des preuves
sur lesquelles nous établirons l'existence de Dieu : con-
formes aux règles les plus rigoureuses de la logique, elles
atteindront la réalité créatrice, parce qu'elles s'appuient
sur la réalité créée, non pour s'y enfermer, mais pour la
dépasser. » Ibid.> p. i43-i44-
3. Aller à Dieu de toute son âme. — « Il y a dans
l'âme qui cherche Dieu autre chose qu'un mouvement de
la pensée qui conçoit l'infini et raisonne sur cette idée ; il
y a un mouvement de l'amour. Et l'amour, s'ajoutant au
raisonnement, produit en nous, outre la conviction scienti-
fique de l'existence de Dieu, l'impression sensible de sa
présence. Oui, il y a en nous plus qu'une puissance de
raisonner spéculativement sur la nature de Dieu, comme
sur la notion du cercle ou du triangle ; il y a une voix du
sang qui nous crie de chercher notre père, et un tact du
cœur qui nous le fait deviner. Nous ne le voyons pas, car
c'est la condition de la vie présente et l'épreuve de notre
fidélité qu'il faille l'aimer à travers un voile ; mais nous
sentons qu'il nous enveloppe et nous soutient, nous
entendons sa voix, nous reconnaissons sa main aux bien-
faits qu'elle répand, sa sagesse et sa puissance à la beauté
de son ouvrage, sa sainteté à la sainteté même de la loi
qu'il a gravée dans nos consciences. Ainsi le cœur s'ajoute
h la raison, non plus, comme il arrive trop souvent, pour
la troubler et l'obscurcir, mais pour lui imprimer un
élan plus rapide vers la vérité, pour lui donner un senti-
4û4 LE CATÉCHISME ROMAIN
ment plus vif des réalités divines. Ce n'est plus seulement
l'esprit qui raisonne, c'est l'âme tout entière qui monte
sur l'aile de la pensée et sur l'aile de l'amour. La pensée
va au vrai et l'amour va au bien ; et puisque le vrai et le
bien ne sont que deux aspects divers d'une même réalité
qui est Dieu, la pensée et l'amour ne doivent pas être ici
séparés l'une de l'autre. Leur objet est le même, et, pour
l'atteindre, ce n'est pas trop de leur commun effort. »
Ibid., p. 1 44-i 45.
4. Conséquences du scepticisme. — « Des tentatives
malheureuses de Kant, des traditionalistes et des fidéistes,
nous devons conclure que le scepticisme, soit idéaliste,
soit empirique, en niant les premiers principes de la
raison humaine, aboutit à la négation de Dieu, fatale-
ment et sans espoir d'y revenir par un autre chemin, et
que réciproquement on ne peut refuser à la raison la
puissance de s'élever à Dieu et de prouver son existence,
sans attaquer la raison elle-même jusque dans ses fon-
dements. En ruinant la théoclicée par la base, on ruine en
même temps toute connaissance par les causes, et toute
certitude scientifique. Et comment s'étonner de cette
alternative, où se trouve l'esprit humain, ou de croire que
la raison est capable de connaître l'existence des causes et
de la cause première qui est Dieu, ou bien qu'elle est
incapable de rien connaître scientifiquement, pas même
sa propre existence substantielle, lorsqu'on se rappelle
que ces idées d'être, de substance, de cause en général,
de cause première, d'être nécessaire, et par conséquent le
désir inné et le besoin de les connaître, sont comme le
fond indestructible de la raison humaine et le patrimoine
commun de toutes les intelligences. Impossible de n'ac-
cepter qu'une partie de la raison humaine, et d'en répu-
dier l'autre partie; de rejeter la nécessité d'une cause
première, raison dernière de toute chose, et de croire
encore aux principes de causalité ou de raison suffisante ;
impossible de faire un choix parmi les évidences ; il faut
les admettre ou les rejeter toutes. Tant est grande la
dépendance absolue de la raison à l'égard de l'Intelli-
gence divine : elle ne peut la nier sans se renier elle-
PUISSANCE DE LA RAISON
4o5
même ; elle ne peut fermer les yeux à cette lumière d'en
haut a qui illumine tout homme venant en ce monde, »
sans s'égarer en pleines ténèbres, ou sans se condamner à
une contradiction perpétuelle ! » Farges, Vidée de Dieu,
Paris, 1894, p. 57-58.
Leçon XI
De Dieu
L'existence de Dieu est un dogme de la raison :
Ses preuves. — I. Preuves psychologiques. —
II. Preuves morales. — III. Preuves de saint
Thomas.
Pour arriver à prouver l'existence de Dieu, l'es-
prit humain n'a qu'à constater des faits et à en
chercher l'explication dernière par l'applica-
tion du principe de causalité et de raison suffisante :
cette solution ne se trouve que dans l'existence de
Dieu. Que l'homme s'interroge lui-même, au fond du
sanctuaire mystérieux de sa conscience, ou qu'il
jette un regard sur le monde qui l'entoure, dès qu'U
voudra posséder le dernier mot de ce qu'il voit, U
devra toujours remonter plus haut jusqu'à la cause
première, jusqu'à Dieu. S'il emprunte les éléments
de sa démonstration aux phénomènes de conscience,
il formulera les preuves psychologiques ou morales
de l'existence de Dieu ; s'il les emprunte aux phé-
nomènes à travers lesquels il se meut, il formulera
les preuves cosmologiques. Disons quelques mots des
uns et des autres (i).
i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. Theol. ; Sum.
cont. qent. ; Franzelin, De Deo: Gratry.De la connaissance de
PREUVES PSYCHOLOGIQUES [\0*]
I. Preuves psychologiques
i° C'est l'austère Tertullien qui invoquait, en
faveur de l'existence de Dieu, le témoignage de rame.
« Viens donc, ô âme humaine, comparais devant
nous, soit qu'il faille avec plusieurs philosophes te
reconnaître pour une substance éternelle et divine,
et par là même plus incapable de mentir ; soit
qu'étrangère à la divinité, tu n'aies rien que de
mortel, comme l'a professé le seul Epicure, ce qui
fera paraître ton témoignage d'autant moins suspect;
soit que tu descendes du ciel ou que la terre te con-
çoive ; que tu naisses avec le corps ou que tu lui
sois ajoutée après coup ; d'où que tu viennes, et de
quelque manière que tu rendes l'homme un animal
raisonnable, doué d'intelligence et de sentiment,
réponds-moi I Mais ce n'est pas toi que j'appelle,
ô âme qui, formée dans les écoles, exercée dans les
bibliothèques et nourrie dans les académies ou
sous les portiques de la Grèce, débites d'orgueilleu-
ses maximes. Non, viens ici dans toute ta rudesse,
dans toute la simplicité de ton ignorance primitive,
telle que te possèdent ceux qui n'ont que toi ; ac-
cours de la voie publique, du carrefour, de l'atelier.
Il me faut ton expérience, puisque personne n'ajoute
plus foi à ton habileté, si petite qu'elle soit. Je ne
te demande que ce que tu apportes avec toi dans
l'homme, soit que tu le tires de ton propre fonds,
ou que tu le reçoives de ton auteur, n'importe lequel.
Tu n'es pas chrétienne, que je sache, car tu as cou-
tume de devenir et non de naître chrétienne.
Dieu, Paris i856; ajouter aux ouvrages déjà signalés dans la
leçon précédente : Janet, Les causes finales, Paris, i876;Blon-
■del, V Action, Paris, 1893 ; Monsabré, Conférences de Notre
Dame.
4o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
Toutefois les chrétiens requièrent aujourd'hui ton
témoignage. Etrangère, dépose contre les tiens, afin
que nos persécuteurs rougissent devant toi de leur
mépris pour une doctrine, dont tu es complice...
On ne veut pas nous écouter quand nous prêchons
un Dieu unique, de qui tout vient, sous qui tout
suhsiste.Eh bien, parle, ô âme : n'est-ce point là ta
croyance à toi même ?... Ces témoignages de l'âme
sont d'autant plus simples qu'ils sont plus vrais,
d'autant plus populaires qu'ils sont plus simples,
d'autant plus communs qu'ils sont plus populaires,
d'autant plus naturels qu'ils sont plus communs,
d'autant plus divins qu'ils sont plus naturels (i). »
2° C'est saint Augustin qui donnait ses préféren-
ces à la preuve basée sur la constatation d'une vérité
éternelle et immuable, supérieure à l'homme. La rai-
son de l'homme occupe le plus haut degré de la
hiérarchie des êtres de ce monde visible ; mais si
elle découvre un être plus parfait, cet être sera Dieu.
Or, la raison humaine constate qu'au-dessus d'elle,
il y a la vérité éternelle et immuable, qu'elle ne
crée pas, mais qu'elle contemple, qui n'est ni sienne
ni en elle, puisque tout homme la contemple sem-
blablement. Cette vérité est donc Dieu lui-même ou,
si l'on suppose un être encore plus élevé, nous con-
duit à cet être, source de vérité (2). Ce n'est point
là, remarquons-le, l'édition anticipée de l'argument
de saint Anselme, car l'évêque d'Ilippone ne con-
clut pas de l'idée de Dieu à son existence; analysant
les caractères de la vérité, il les trouve inexplicables
si au-dessus d'elle il n'y a un être immuable, source
de l'immuable vérité.
1. De test, ara., i-v ; Pair, lat., t. 1, col. 610 sq. — 2. De lib.
arb., 11, 7~33 ; Pair, lat., t. xxxn, col. I243-I2G3; Conj., VII, x,
16; ibid., col. 7^2; De Div. quœst. lxxxiii, q. liv; Pair, lat., t.
xl, col. 38.
PREUVES PSYCHOLOGIQUES l\OÇ)
Notre Bossuet a repris cette preuve avec son tour
Inimitable : «Toutes ces vérités..., subsistent indé-
pendamment de tous les temps : en quelque temps
que je mette un entendement humain, il les con-
naîtra ; mais, en les connaissant, il les trouvera
vérité, il ne les fera pas telles ; car ce ne sont pas
nos connaissances qui font leurs objets, elles les
supposent. Aussi ces vérités subsistent devant tous
les siècles, et devant qu'il y ait un entendement
humain... et je verrais clairement qu'elles seraient
toujours bonnes, toujours véritables, quand moi
même je serais détruit avec le reste. Si je cherche
maintenant, où, et en quel sujet, elles subsistent
éternelles ou immuables, comme elles le sont, je
suis obligé d'avouer un Etre, où la vérité est
éternellement subsistante et où elle est toujours
entendue ; et cet Etre doit être la Vérité même
et doit être toute vérité ; et c'est de lui que la vérité
dérive dans tout ce qui est et entend hors de lui...
Ces vérités éternelles, que tout entendement aper-
çoit toujours les mêmes, par lesquelles tout enten-
dement est réglé, sont quelque chose de Dieu, ou
plutôt sont Dieu même. Car toutes ces vérités éter-
nelles ne sont au fond qu'une seule vérité. En effet,
je m'aperçois en raisonnant que ces vérités sont
suivies... La vérité est une de soi. Qui la connaît en
partie, en voit plusieurs ; qui les verrait parfaite-
ment, n'en verrait qn'une (i). »
3° D'autres sont partis des aspirations de l'âme
vers r infini. Voici comment en parle de Margerie :
« Notre raison, si faible et si fragile, possède un
ressort qui, par sa force naturelle, la lance jusque
dans l'infini ; du sein de mes ténèbres et de mon
i. Connaissance de Dieu et de soi-même, ch. iv ; cf. Cousin,
Du vrai, p. 72.
^IO LE CATÉCHISME ROMAIN
ignorance se dégage une idée qui déborde de toutes
parts l'étroite intelligence oiielle fait son apparition,
l'idée du parfait, de l'absolu, du nécessaire, de
l'éternel, l'idée de l'infini, l'idée de Dieu. S'il est
vrai que je possède cette idée, sa présence est un
fait psychologique d'une immense portée métaphy-
sique ; par lui et en lui l'expérience nous fournit
une idée qui la dépasse, et cette donnée constitue,
pour la théodicée une mineure incomparablement
plus riche et plus féconde que toutes les magnifi-
cences du monde matériel... Que suis-je ? Un fini
qui, par un mouvement naturel, tend à l'infini
dans toutes les directions de son activité. Qu'est-ce
que mon intelligence ? Une ignorance qui tend à la
science, à la lumière sans ombre, et qui, si haut
qu'elle s'élève et si avant qu'elle pénètre, veut tou-
jours monter et creuser davantage, parce que ce
qu'elle sait est infiniment distant de ce qui lui reste à
apprendre. Qu'est-ce que ma volonté, sinon une
force qui, partant de l'extrême imperfection et de
l'extrême faiblesse, se sent appelée à un perfection-
nement continu, c'est-à-dire à un mouvement au-
quel l'idée de la perfection absolue peut seule tracer
sa route. Qu'est-ce que mon cœur, sinon un amour
borné dans sa puissance, infini dans ses vœux, cher-r
chant partout cet infini, inépuisable aliment de sa
faim insatiable, le rêvant dans les choses créées, par
une illusion qui dure autant que leur poursuite et
s'évanouit avec leur conquête, se désabusant parla
jouissance elle-même, et condamné à n'être pas sa-
tisfait tant qu'il demande au fini ce que le fini ne
contient pas ? Quest-ce que ma vie, sinon un flot
qui s'écoule, et qui, en s'écoulant, invoque obsti-
nément la stabilité, le repos et la béatitude ? Je ne
fais qu'indiquer ; si je voulais approfondir, il fau-
drait reprendre toute la psychologie, toute la morale,
PREUVES PSYCHOLOGIQUES 4ll
toute l'esthétique, sciences vaines ou plutôt mots vi-
des de sens, si l'idée d'infini qui les remplit, qui est
leur centre et leur terme commun, n'a pas de place
dans la raison (i). » « Quelle est la cause objective
dont l'idée d'infini est l'effet psychologique, le mo-
dèle dont elle est la représentation de l'image ? Le
bon sens répond à cette question d'une manière
tellement rapide et positive, le principe de causa-
lité, s'ajoutant au fait psychologique, produit un rai-
sonnement si simple, il y a une absurdité si visible
et une contradiction si énorme à expliquer l'idée
d'infini autrement que par l'existence de l'être
infini, que la démonstration de l'existence de Dieu
semble ici prendre le caractère d'une intuition im-
médiate... Il faut concevoir l'humanité comme un
tout vivant, comme une personne, et puisque l'idée
d'infini est en elle, il faut lui demander d'où elle la
tient. Elle ne Ta pas créée, elle ne l'a pas construite,
elle n'en a rencontré le modèle ni en elle-même, ni
dans le monde, ni dans quelque réalité finie que ce
puisse être, elle ne l'a trouvée que dans un être qui
est réellement tout ce que cette idée représente, en
Dieu (2). »
4° Quelques esprits supérieurs, aux envolées
superbes, se sont laissé séduire au mirage trompeur
de leur propre pensée et ont cru pouvoir conclure
de Vidée de Vêlre parfait à l'existence réelle de cet
être. Ce fut le cas de saint Anselme (f 1109).
Gaunilon, moine de Noirmoutiers, fit la critique
ingénieuse et profonde de l'argument de saint An-
selme, dans son Liber pro insipiente ; et saint Thomas
l'a justement écarté à cause du passage injustifié de
l'ordre logique de l'idée d'existence à l'ordre onto-
1. Théodicée, t. 1, p. ai 4, 220-221. — 2. Ibid., t. 1, p*
223-226.
4 I 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
logique de l'existence réelle (i). Repris par Descartes,
puis par Leibnitz, cet argument a été soumis par
Kant à une critique minutieuse et impitoyablement
condamné, parce que partir de l'idée de l'être
parfait et vouloir que cette idée renferme comme
attribut l'existence réelle de Dieu est une contradic-
tion, une impossibilité. Le Dieu réel, concret,
vivant, ne se trouve pas dans une pure conception
de l'esprit.
IL Preuves morales
i° À côté des lois de la logique qui règlent la
pensée, il y a les lois morales qui régissent les actes
de la volonté. Toute âme droite, sincère et loyale
constate sans peine l'existence de ces derniè-
res au fond de sa conscience. Faire le bien,
éditer le mal; être fidèle, probe, honnête, juste,
c'est un bien ; pratiquer la fraude, l'improbité, la
perfidie, l'injustice, c'est un mal ; mieux vaut rester
pauvre mais honnête que d'acquérir la richesse au
prix du déshonneur et d'une lâcheté : autant de
vérités d'ordre pratique, partout et toujours les
mêmes, partout et toujours impérieuses, s'imposant
bon gré mal gré à la conscience de l'homme. D'où
viennent-elles ? Ce n'est pas de l'homme : elles
s'imposent à lui ; elles aussi impliquent nécessaire-
ment l'existence de Dieu.
2° Par une inconséquence heureuse avec ses
principes de la raison pure, Kant a demandé à la
raison pratique un argument irrésistible en faveur
de l'existence de Dieu. « Le ciel au-dessus de ma
tête, la morale dans mon cœur, » disait-il, c'est
tout ce qu'il faut pour établir la réalité de i'exis-
i. Sam. theol., I, Q., n, a. i, ad. a.
PREUVES MORALES
4l3
tencc de Dieu. Car chacun reconnaît avoir des de-
voirs à remplir et se regarde comme obligé de les
remplir. Où donc trouver le principe du devoir et de
son obligation? On ne peut le chercher, ni avec les
moralistes de l'intérêt au-dessous de la volonté,
dans les conséquences agréables ou désagréables de
nos actes, ni avec les moralistes du sentiment dans
les penchants sympathiques de notre nature, ni
avec les moralistes indépendants dans la volonté
même, mais bien dans un principe supérieur à la
volonté ! Car le devoir est un impératif catégori-
que, sans condition, absolu, qui s'impose à nous,
malgré nous. Il nous dit : Fais ce que dois, advienne
que pourra. Lui reconnaître ce caractère, et il le
faut bien, sans quoi il se confondrait, comme
l'observe Kant, avec les conseils de l'hygiène ou de
la prudence, c'est lui reconnaître une valeur absolue.
Mais d'où peut lui venir ce caractère de valeur
absolue? Pas de ce monde, car la conscience crie :
Pereat mandas, fiât justitia! Le monde n'est rien au
prix de la justice. C'est donc en dehors de ce
monde, et au dessus, en Dieu. Car Dieu seul peut
rendre compte du devoir qui nous incombe et de
l'obligation qui nous lie.
Voici, d'après Kant, la preuve tirée de la nécessité
d'ane sanction. La raison pratique affirme la nécessité
du souverain bien, c'est-à-dire l'accord de la vertu
et du bonheur. Or cet accord n'existe pas et ne peut
pas même exister dans le monde tel qu'il est, puis-
que la nature des choses est constituée de telle sorte
qu'elle impose les plus rudes sacrifices à qui veut
faire son devoir. Faire son devoir en ce monde,
c'est infailliblement se beurterà la nature et souffrir.
La vertu elle-même, par les efforts qu'elle demande
et les sacrifices qu'elle exige dans te monde tel qu'il
est, est souvent la source des plus profondes dou-
£l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
leurs. Sans doute, il y a des compensations, mais
combien insuffisantes 1 De sorte que si l'homme de
bien a, en ce monde, quelques privilèges, ce n'est
pas tant celui du bonheur que celui de la souffrance.
Ce désaccord existant, en fait, qui pourra réaliser
l'accord nécessaire, réclamé par la raison au nom
de la justice ? Qui pourra modifier la nature de
façon à ce que les lois physiques ne soient plus en
conflit avec les lois morales, que la loi morale
devienne en quelque façon la loi unique, souveraine,
et qu'elle s'assujettisse le monde entier? Qui pourra
faire un monde tel que la volonté vertueuse y soit
toujours heureuse, et seule heureuse? Ce n'est point
l'agent moral lui-même, car notre volonté en est
évidemment incapable. Ce n'est point la nature qui,
d'elle-même, pourra se modifier dans ce sens. Il
faut donc admettre un être supérieur à la nature,
tout puissant et tout bon, un Dieu en un mot qui,
prenant en main la cause de la moralité, produira
cet accord nécessaire entre l'intention morale et la
nature pour que le souverain bien soit enfin réalisé.
3° Avec beaucoup plus d'autorité, de Margerie a
tiré de ridée du devoir la preuve de l'existence de
Dieu. Analysant les faits moraux de la conscience
et trouvant qu'ils impliquent l'idée d'une loi éter-
nelle absolue, parfaite, universelle, il constate que
cette loi n'a pas sa source dans l'expérience. Sans
doute on peut se tromper, et l'on se trompe sur
l'idée du devoir, car on pèche contre la morale
comme on pèche contre la logique ; on se trompe
surtout si le sens moral est malade et lorsque l'ha-
bitude de mal faire en a émoussé la clairvoyance.
L'idée alors peut être obscurcie, méconnue, oblité-
rée même, chez les individus et dans les peuples.
Car a le grand moyen de discerner le devoir, ce
! n'est pas d'avoir une raison puissante, c'est d'avoir
PREUVES MORALES 4l5
une volonté droite et un cœur pur. A mesure qu'on
devient meilleur, les vérités morales apparaissent
avec une plus irrésistible évidence ; et, tout au con-
traire, l'habitude de violer le devoir et d'en détourner
nos regards nous fait désirer, puis trouver des
raisons contre lui, et ne réussit que trop aisément à
nous le rendre obscur. Aussi pouvons-nous remar-
quer que bien des consciences, fort saines et fort
délicates en ce qui concerne certaines vertus aux-
quelles on a su rester fidèle, sont étrangement
élargies dès qu'il s'agit d'autres devoirs dont le
chemin est oublié. »
De même pour les actions : à raison de l'éducation
et des préjugés, les idées morales se faussent dans
la conscience publique. L'abandon du devoir con-
duit à son oubli, et la perversion va s'accen tuant.
« C'est ainsi que des peuples entiers arrivent, non
seulement à tolérer des actions criminelles, non
seulement à les croire innocentes, mais encore à
les imposer au nom des lois et au nom des
dieux. »
« La loi morale est. Elle a toute la réalité qu'elle
peut avoir ; elle commande à ses sujets ; elle se
fait reconnaître par ceux mêmes qui la violent; elle
a dans la conscience l'organe qui la promulgue, le
tribunal qui l'applique, premier exécuteur de ses
jugements. Et elle a de plus une réalité privilégiée
et souveraine, qui lui subordonne les lois faites par
les hommes aussi bien que leurs actions. Gomme
parfaite, elle les juge et les annule toutes les fois
qu'elles viennent à la contredire. Comme éternelle,
elle est à l'abri de leurs vicissitudes. Comme uni-
verselle, elle s'étend à tout et donne la décision des
cas que les lois écrites n'ont pu prévoir... Si elle est
tout cela, ne voyons-nous pas que la conclusion
saute aux yeux du bon sens, et que nous arrivons
fllG LE CATÉCHISME ROMAIN
droit à Dieu ? Et n'est-ce pas une chose manifeste
que la loi éternelle et parfaite a sa source et son
fondement dans un législateur éternel et parfait,
lequel, étant le principe du devoir parce qu'il a
droit de nous commander, est aussi la dernière fin
de notre activité et la réalité suprême de cet idéal
moral qu'ici-bas nous concevons toujours et n'attei-
gnons jamais (i) ? »
[\° En 1-891, dans ses Conférences de Notre Dame,
Mgr d'IIulst a examiné tour à tour la morale et la
liberté, la morale et l'obligation, la morale et la
sanction. En passant, il montre que « du devoir à
Dieu, il n'y a qu'un pas à faire, » et il s'écrie : « Le
Bien parfait c'est le premier Etre, c'est le type de
tout ce qui peut être, la cause de tout ce qui est, le
terme de tout ce qui devient. Demandez à Platon sa
voix enchanteresse pour exalter sa grandeur et
glorifier sa beauté. Demandez à Aristote son regard
pénétrant pour découvrir dans chaque créature
l'anneau qui la rattache à cette fin suprême. Deman-
dez aux docteurs chrétiens leur dialectique trans-
cendante pour vous transporter, à travers les
abstractions de la pensée imparfaite, jusqu'à la
radieuse réalité de l'idéal, jusqu'à l'activité créatrice
de la cause première, jusqu'aux pieds du Dieu
vivant. Non, ce n'est pas un Dieu rêvé, un Dieu
d'illusion et de mirage, c'est un Dieu substantiel
que nous adorons. Nous ne voyons pas sa face, mais
nous sentons sa main dans toutes ses œuvres, nous
entendons sa voix dans notre conscience. Pour
remonter jusqu'à lui, mille chemins sont ouverts.
Pourrions-nous l'atteindre en partant seulement du
commandement intérieur qui retentit au fond de
nous-mêmes ? Oui, sans doute, car un impératif
1. Thêodicée, t. 1, p. 239, 2/io, 241-242.
PREUVES MORALES [\ I J
absolu suppose un maître qui ne dépend de per-
sonne (i). »
Cette preuve, il la donne, l'année suivante, quand
il montre par quel chemin on remonte du devoir à
Dieu. Il constate d'abord que le devoir se révèle
à la conscience de trois manières : d'abord par le
sentiment de la liberté ; ensuite par la claire vue
de l'obligation ; et enfin par l'idée de responsabilité ;
après quoi, il prouve que ce triple témoignage
démontre l'existence de Dieu. Dieu, en effet, se
place comme un anneau nécessaire entre les trois
chaînons dont se compose la trame de la morale.
Entre la liberté et l'obligation, il intervient comme
support du commandement moral. Qui dit com-
mandement dit opposition de maître à sujet. Où est
ce maître ? en dehors de nous. Il nous est supérieur,
puisqu'il nous commande ; il nous est antérieur,
puisque toute conscience humaine, à peine éveillée,
entend son commandement. Ce commandement
est-il une abstraction ou émane-t-il d'un être réel ?
Il ne peut être une simple abstraction ; car Fabstrait
dépend d'une intelligence ; l'abstraction est une
opération de l'esprit. Le vice radical de la philoso-
phie qu'un rêveur allemand a inoculée à notre siècle,
c'est de renverser l'ordre des priorités en mettant
l'abstrait à l'origine du concret. Ce qui est antérieur
à tout existe en soi, et ce qui existe en soi est une
réalité vivante ; l'abstrait n'est que le résidu de la
pensée d'un vivant. Ce quelque chose de réel et de
concret qui précède tout, qui domine tout et que
rien ne renferme, c'est Dieu. Le vrai Dieu seul peut
fournir un support à l'impératif absolu du devoir.
Mais Dieu intervient une seconde fois entre l'obli-
gation et la responsabilité. Il y a un témoin tou-
i. Conférences de Notre Dame, 1891, ive conf.
LE CATECHISME. — T. I. *7
£l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
jours présent, toujours clairvoyant, toujours équi-
table et incorruptible, dont le regard fouille les
plus secrets replis de notre cœur et voit à découvert
ces derniers dessous que je voudrais me cacher à
moi-même ; c'est celui que l'espace n'emprisonne
pas, que le temps n'emporte pas ; celui qui atteint
l'être dans son fond parce que c'est lui qui l'a fait.
Et Dieu intervient une troisième fois entre la
responsabilité et la sanction. Si je me sens débiteur
pour mes fautes, où est le créancier du châtiment ?
Si je suis créancier au titre de mes vertus, où est le
débiteur de la récompense? Otez Dieu, et le pécheur
pourra se vanter jusqu'au bout d'avoir bravé l'ordre.
Otez Dieu, et le juste aura vainement souffert ; et
l'appel qu'il a interjeté au-delà de ce monde contre
le scandale de l'iniquité victorieuse, se sera perdu
dans le désert des abstractions mortes, dans le vide
des formules impuissantes. Si la justice est plus
qu'un mot, il faut que le juge soit vivant. Ma cons-
cience crie : je crois en Dieu qui viendra juger les
vivants et les morts.
Pour conclusion : « Il est donc vrai, le sentiment
moral appelle la réalité et l'amabilité de Dieu. Delà
cette émotion de joie ou de tristesse qui, en dehors
de tout espoir et de toute frayeur, accompagne en
nous la rectitude ou les égarements de la conduite.
La tentation est venue secouer mon âme ; l'appât
du plaisir défendu a sollicité mon libre vouloir. Ai-
je cédé à cette séduction que ma conscience
réprouve ? Sans attendre le châtiment que ma pré-
varication appelle, avant même que la crainte de
l'expiation future soit venue inquiéter mon égoïsme,
un nuage a passé sur mon ciel intérieur, une amer-
tume a empoisonné ma jouissance, une mélancolie
a pris la place de la joie coupable à laquelle j'ai
sacrifié le devoir. Mais, si j'ai vaincu le mal ; si,
PREUVES MORALES 4l£
aux instances pressantes de la tentation, j'ai repondu
fièrement : Non licet, il nest pas permis ; si, pour
soutenir jusqu'au bout cette résistance, j'ai dû en-
sanglanter mes mains et mes pieds aux épines du
devoir, ah ! je n'ai pas besoin d'attendre que le prix
longtemps retardé de la vertu me soit payé avec-
usure ; non, dès maintenant, et parmi les âpreté»;
du sacrifice, une félicité intérieure m'envahit, un&
paix délicieuse me pénètre et me console. Ne nies
pas cela, vous vous feriez tort à vous-même, et quel-
que chose de meilleur en vous que vos paroles pro-
testerait contre un démenti qui déshonore. Ne niez
pas cela, car c'est le cri de nature et, par consé-
quent, l'écho de Dieu (i). »
5° Avant de passer aux preuves cosmologiques,,
signalons particulièrement celle qui est tirée de la
foi da genre humain. Il s'agit d'abord de savoir si
l'humanité, dans son ensemble et non dans chacun
des individus qui la compose, considérée dans la
suite des âges et à l'heure actuelle, a possédé et pos-
sède, non pas la notion vr;iie et pure de la nature
divine, mais simplement si elle a eu, si elle a l'idée
de Dieu, si elle a cru, si elle croit à l'existence d'un
être supérieur et transcendant. Or, la réponse à cette
question, ainsi délimitée et précisée, ne saurait être
douteuse. Les sciences historiques et ethnographi-
ques, notamment la science des religions, si en
faveur depuis quelques années, les multiples voya-
ges à travers notre planète, auprès de tous les peu^
pies qui l'habitent, permettent de constater que,,
partout et toujours, dans toutes les races, chez les
barbares et les sauvages comme chez les peuples-
policés,. se rencontrent l'idée de Dieu et la foi en
son existence. Sans doute, à parcourir les docu-
i. Conférences de Notre-Dame, 1892, 11e Conf.
420 LE CATÉCHISME ROMAIN
ments, on ne peut qu'être affligé au spectacle de
certaines altérations, de grossiers abaissements de
la raison humaine en face du divin ; mais, sous les
emblèmes superstitieux ou horribles des races les
plus dégradées, dans les cultes les plus absurdes,
les plus licencieux et les plus cruels, gît l'idée de
Dieu ; idée de plus en plus déformée, de plus en
plus corrompue, à mesure que baisse l'étiage moral
de ces races, mais idée reconnaissable quand même
qui permet de conclure qu'il n'y a pas de peuples
athées.
Nous n'avons pas, pour le moment, à rechercher
comment les peuples sont arrivés des religions pri-
mitives aux religions actuelles, ni comment ils
avaient la religion qui se manifeste chez eux, dès
que l'histoire les saisit ; nous n'avons pas davan-
tage à résoudre la question de savoir si l'évolution
religieuse dans l'humanité s'est faite dans le sens du
monothéisme vers le polythéisme ou en sens con-
traire, ces questions viendront à leur heure et seront
traitées à leur place, mais nous devons constater le
fait qu'il n'y a pas, qu'il n'y a jamais eu de race ou
de peuple sans religion. Si bien que l'on a pu dire
que l'une des caractéristiques de l'espèce humaine,
et la principale, c'est la religiosité. L'homme n'est
pas seulement « l'animal politique » au sens d'Aris-
tote, il est surtout l'être religieux. « Sa définition,
sa caractéristique, dirait-on en zoologie, est donc
celle ci : l'homme est un corps, ou mieux un être
organisé vivant, sentant, se mouvant spontanément,
doué de moralité et de religiosité (i). » De sorte
que, dans l'espèce humaine, au sens des naturalis-
tes comme au sens des moralistes, l'athéisme cons-
titue une anomalie, une monstruosité. Au terme de
i. De Quatrefages, Unité de l'espèce humaine, p. 32.
PREUVES MORALES ^21
l'enquête, assurée par les découvertes modernes de
la géographie, de l'histoire, de la linguistique et des
autres sciences relatives à l'espèce humaine, M. de
Quatrefages a pu écrire ces lignes : « Obligé par mon
enseignement de passer en revue toutes les races
humaines, j'ai cherché l'athéisme chez les plus
inférieures comme chez les plus élevées. Je ne l'ai
rencontré nulle part, si ce n'est à l'état individuel
ou à celui d'écoles plus ou moins restreintes...
L'athéisme n'est nulle part qu'à l'état erratique.
Partout et toujours la masse des populations lui a
échappé ; nulle part, ni une des grandes races,
ni même une division quelque peu importante
de ces races n'est athée (i). »
Tel est le fait. Mais que prouve-t il ? Pour le
croyant qui adhère à l'enseignement de la Bible et
de l'Eglise catholique, la réponse est facile ; mais
pour celui qui ne croit ni à l'inspiration biblique,
ni à la révélation, la solution est à chercher. On l'a
cherchée, soit au moyen d'hypothèses, soit par l'in-
duction tirée de faits déjà contrôlés, soit par l'étude
psychologique du sentiment religieux. L'a-t-on
trouvée ? C'est ce que nous n'avons pas à dire ici ;
mais ce que nous devons dire c'est que l'homme n'a
pas changé de nature, et par suite qu'il a toujours
été à même, par sa raison, de s'élever à la connais-
sance de Dieu, comme nous l'avons prouvé dans la
leçon précédente ; et ce que nous devons ajouter,
c'est que cette connaissance ou cette foi au divin,
étant si universelle, a une force qui mérite d'être
prise en considération.
Ce fait démontre-t-il donc l'existence de Dieu,
demande M. Vacant ? « Oui, car il confirme la
valeur des preuves déjà rapportées. Comment expli-
i. De Quatrefages, L'espèce humaine, c.xxxv, n° 4.
422 LE CATÉCHISME ROMAIN
qmer, en effet, l'universalité de cette croyance, sinon
par la force persuasive des arguments invoqués ?
La foi de tous les peuples au divin peut venir de la
révélation primitive, faite aux premiers ancêtres du
genre humain ; alors elle confirme les enseigne-
ments de la Genèse à ce sujet. Mais cette foi se serait
sans doute évanouie à la longue, si elle n'avait été
constamment soutenue par ce magnifique témoi-
gnage que l'âme humaine et l'univers tout entier
rendent à l'existence de la divinité. Certains auteurs
ont prétendu que la foi au divin est l'effet d'une
crainte déraisonnable, ou qu'elle a été inspirée aux
peuples par des législateurs qui voulaient revêtir
leurs lois d'une autorité sacrée. S'il en était ainsi,
cette foi aurait disparu au milieu des hommes, avec
les causes qui lui auraient donné naissance. Elle
s'est, au contraire maintenue partout avec une
ténacité que rien n'a pu vaincre (i). »
III. Les preuves de saint Thomas
On comprend combien l'âme, avec ses facultés et
ses opérations, avec les phénomènes intimes de la
pensée et de l'acte libre, peut servir de base solide à
une démonstration de l'existence de Dieu. Car, du
moment que l'intelligence et la volonté sont ce
qu'il y a de plus parfait dans Tordre naturel, elles
sont par là même plus aptes à nous faire connaître
l'existence et la nature de Dieu. Preuves psycholo-
giques et preuves inorales, elles intéressent et ont
les préférences de certains esprits cultivés de nos
jours ; c'est, en effet, à l'intelligence et à la volonté
humaines qu'on demande la preuve irrécusable de
i, La Conslilalion Dei Filius, t. i, p. 3a.3,
PREUVES DE SAINT THOMAS 4 2 3
l'existence d'une intelligence et d'une volonté divi-
nes qui les explique et en donne la raison suffisante.
« L'identité absolue du réel et de l'idéal, de la
puissance et de la sagesse, de l'être et de la perfec-
tion, voilà ce qu'il est (Dieu) pour que je sois ce
que je suis. Pensée et volonté, sans lesquelles il n'y
aurait ni pensée ni volonté en moi, et qu'en même
temps ni ma pensée ni ma volonté ne peuvent
comprendre, tels sont les termes solidaires du mys-
tère qui s'impose à ma conscience. Je n'ai de raison
de l'affirmer que parce qu'il m'est à la fois néces-
saire et inaccessible : il est ce qui ne peut être fait
ou pensé par moi, quoique je ne puisse rien faire ou
penser que par lui. Et s'il me demeure inaccessible,
ce n'est pas faute d'être ou de clarté en lui, mais
en moi. Il est donc ce que je ne puis être : toute
pensée et toute action (i). »
Mais, à côté de ces preuves, il en est d'autres,
dites cosmologiques, où l'expérience sert de point de
départ à l'application rigoureuse du grand principe
de causalité et de raison suffisante, et aboutit légiti-
mement à la démonstration de l'existence de Dieu.
De nos jours, il est vrai, on a essayé de déniera
l'expérience le droit d'aller par delà le phénomène
jusqu'au noumène, jusqu'à la substance, jusqu'à la
cause, jusqu'à Dieu. Dieu ne s'expérimentant pas,
on a écarté son idée comme inutile et étrangère à
la science, ou bien on l'a rangée dans la catégorie
des vérités inconnaissables et qui n'importent pas à
l'homme. De la théorie à la pratique, la distance a
été vite franchie ; le malheur est qu'on a voulu en
faire un système d'enseignement ; et, malheur plus
grand encore, c'est qu'on y a procédé à coups de
lois : c'est ce que la langue nouvelle appelle de ce
i. Blondel, L'action, Paris, 1893, p. 347.
[\ll\ LE CATÉCHISME ROMAIN
mot barbare, la laïcisation. Il est donc plus que
jamais urgent de proclamer les résultats assurés de
la méthode expérimentale et de la raison ; et rien
ne vaut, pour le plus grand nombre, dans la ques-
tion de l'existence de Dieu, comme les preuves
cosmologiques : ce sont celles que saint Thomas a
insérées dans sa Somme théologique.
L'ange de l'école les a groupées intentionnellement
au nombre de cinq. Partant toujours de données
empiriques, puis, leur appliquant d'une manière
uniforme le principe de causalité, il a conclu en
toute rigueur de logique à l'existence de Dieu. Dans
le monde phénoménal extérieur, en effet, il com-
mence par relever certains faits. Il y a, dans le
monde, des mouvements ou du mouvement : quel
en est le principe ? Ce ne peut être qu'un premier
moteur immobile. Il y a, dans le monde, des êtres
qui apparaissent, se succèdent et disparaissent :
quelle est leur origine ? Ce ne peut être qu'une
cause sans cause, possédant en elle-même toute la
raison suffisante de cause, et appelée pour cela la
cause première. Il y a, dans le monde, des êtres qui
existent mais pourraient tout aussi bien ne pas
exister : qui explique leur contingence ? Ce ne
peut être que l'existence d'un être absolument
nécessaire. Il y a, dans le monde, gradation et pro-
grès dans l'échelle des êtres : d'où viennent-ils ? Ce
ne peut être que de l'existence d'un être souverai-
nement parfait. Il y a, dans le monde, de l'ordre et
de la finalité : qui donc a produit cet ordre et mar-
qué celte finalité ? Ce ne peut être qu'un suprême
ordonnateur.
Tel est, en raccourci, l'admirable question traitée
par saint Thomas, au commencement de sa Somme.
Cinq preuves, qui toutes ne sont que l'application
d'une même méthode, et qui toutes, par leur choix,
PREUVES DE SAINT THOMAS ^25
vont non seulement à prouver que Dieu existe,
mais encore à insinuer quelque chose de ce qu'il
est. Cinq preuves, qui prêtent aux plus beaux
et aux plus riches développements. Dieu seul, cause
du mouvement ; Dieu seul, source et origine de
l'être ; Dieu seul, cause de la subsistance des créatu-
res ; Dieu seul, idéal d'où procède et où tend toute
perfection créée ; Dieu seul, intelligence qui a fait,
un système d'harmonie et de beauté de ce qu'on
appelle le Cosmos. Devant renoncer, faute de place, .;
à donner à ces cinq preuves le développement
qu'elles comportent, contentons-nous de les repro-
duire dans leur austère simplicité, sans trahir la
pensée du grand Maître.
Première preuve. « Il est certain et nous consta-
tons qu'il y a du mouvement dans le monde. Or,
tout objet en mouvement est poussé par un autre.
Une chose ne peut se mouvoir, si elle n'était en
puissance par rapport au mouvement qui lui est
imprimé ; une chose ne saurait mouvoir que si
elle est en acte, car mouvoir, c'est pousser de la
puissance à l'acte. Evidemment, une chose ne peut
être portée de la puissance à l'acte que par ce qui
est déjà en acte, comme le feu, actuellement brû-
lant, rend actuellement brûlant le bois, qui aupara-
A*ant était brûlant en puissance, et ainsi le meut et
le change. Or, il est impossible qu'une même chose
soit en même temps et sous le même rapport en
acte et en puissance ; ceci ne se produit que sens
des rapports différents. Ce qui est maintenant
chaud en acte n'est pas chaud en puissance sur le
même point ; mais est sur ce point froid en puis-
sance. Il est donc impossible qu'un même objet,
sous le même rapport, soit à la fois mû et moteur,
c'est-à dire qu'il se meuve lui-même. Donc tout ce
qui est en mouvement est mû par autre chose. Donc
k'ib LE CATÉCHISME ROMAIN
■ «
ce moteur, s'il est lui-même en mouvement, est à
son tour mû par un autre. Mais il faut s'arrêter ;
on ne saurait aller ainsi à l'infini, car alors il n'y
aurait pas de premier moteur; et s'il n'y avait pas
de premier moteur, il n'y aurait aucun moteur,
puisque les moteurs secondaires ne meuvent que
par le premier, comme un bâton ne meut que par la
main. 11 faut donc de toute nécessité en arriver à
un premier moteur que nul autre ne meut. Chacun
comprend qu'un tel moteur c'est Dieu. »
Seconde preuve. La seconde preuve est celle de la
cause efficiente. « Nous trouvons dans les choses
sensibles une série de causes efficientes ; mais on
ne trouve pas et il n'est pas possible qu'une chose
soit sa propre cause efficiente, puisqu'une telle
cause serait avant d'être, ce qui est impossible. Or
il n'est pas possible dons les causes efficientes de
remonter à l'infini ; car dans l'ensemble de la série
des causes efficientes, le commencement est la cause
du milieu, et le milieu est la cause du dernier, qu'il
y ait plusieurs termes intermédiaires ou qu'il n'y
en ait qu'un. Mais si on supprime la cause, on
supprime l'effet. Donc s'il n'y avait pas une pre-
mière cause efficiente, il n'y aurait ni milieu
ni fin. Et si l'on procède à l'infini dans la série des
causes efficientes, il n'y aurait pas une cause pre-
mière efficiente, ni dernier effet, ni causes efficientes
intermédiaires, ce qui est manifestement faux. Il
faut donc de toute nécessité une cause première
efficiente, que tout le monde nomme Dieu. »
Troisième preuve. La troisième preuve est tirée
du possible et du nécessaire, La voici : « Nous voyons
des êtres qui peuvent être ou ne pas être, puisqu'il
y a des corruptions et des générations. Or, il ne se
peut pas que ce qui est tel soit toujours, car ce qui
peut ne pas être, parfois n'est pas. Si donc tout
PREUVES DE SAINT THOMAS [\ 2 7
pouvait ne pas être, il s'ensuivrait qu'il y a eu un
temps où rien n'était. Mais, dans ce cas, il n'y
aurait rien encore aujourd'hui, car ce qui n'existe
pas ne commence pas à être sans l'intervention
d'un être préexistant. Si rien n'était, il est impossi-
ble que quelque chose ait commencé à être ; donc
il n'y aurait rien, ce qui est manifestement faux.
Donc tous les êtres ne sont pas seulement possibles,
il en faut un qui soit nécessaire. Or ce qui est né-
cessaire a la cause de sa nécessité en soi ou hors de
soi. Mais il ne peut y avoir une série sans fin d'êtres
nécessaires, nécessités par le dehors, pas plus qu'il
n'y a une série sans fin de causes efficientes. Il faut
donc poser qu'il y a quelque chose de nécessaire en
soi, n'ayant pas d'autre cause de sa nécessité, mais
étant cause de tout ce qui est nécessaire. Et cet être
nécessaire par soi-même c'est Dieu. »
Quatrième preuve. La quatrième preuve se tire des
degrés de perfections qui sont dans les êtres. « On
trouve du plus et du moins, des degrés dans la
bonté, la vérité, la noblesse et toutes les autres
qualités des choses. Mais le plus et le moins ne
s'appliquent qu'à des êtres divers qui se rapprochent
diversement d'un type souverain, comme, par
exemple, le chaud est ce qui participe plus ou moins
de la chaleur absolue. Il y a donc aussi un être
qui est souverainement bon, souverainement vrai,
souverainement noble, et qui, dès lors, est souve-
rainement l'être ; car, comme le dit Aristote, ce qui
est souverainement vrai est ce qui est souveraine-
ment. Or, ce qui est souverainement doué de
perfection, en quelque genre que ce soit, est cause
de tous les degrés de perfection du même genre,
comme le feu est cause de toute chaleur. Il y a
donc un être, cause de l'être, de la bonté, de la per-
fection de tout être, et cet être nous l'appelons Dieu. »
4 28 LE CATÉCHISME ROMAIN
Cinquième preuve. La cinquième preuve est tirée
du gouvernement du monde. « Nous voyons certains
êtres inintelligents, tels que les corps, tendre à une
fin, puisqu'ils font ordinairement ou toujours, et
de la même manière, ce qui les mène à un but très
bon. Ce n'est donc pas par hasard, mais bien par
suite d'une intention, qu'ils arrivent à cette fin.
Mais, n'ayant pas de connaissance, ils n'ont pas
eux-mêmes d'intention et ne vont à leur fin que
dirigés par une intelligence qui possède l'intention,
comme la flèche quand elle est dirigée par le chas-
seur. Il y a donc un être intelligent qui ordonne la
nature et la pousse à sa fin. Nous l'appelons Dieu. »
Telles sont les preuves de saint Thomas (i). Il
était difficile, on en conviendra, de condenser en
moins de mots plus de force probante. Et n'était
la rudesse de ce langage scolastique, auquel il
faut être initié pour en saisir toute la portée, et
qui déconcerte quelque peu un lecteur moderne,
elles mériteraient d'être apprises par cœur. Elles
renferment la substance de tout un traité.
1. L'argument des causes finales. — Voici com-
ment en parle Kant et comment il l'expose. « Le monde,
tel qu'il se révèle à nous, présente un théâtre si étendu
de diversité, de finalité et de beauté, que tout est im-
puissant pour rendre de si nombreuses et si inépuisables
merveilles et l'impression qu'elles produisent dans nos
âmes. Partout nous voyons un enchaînement d'effets et
de causes, de fins et de moyens, une régularité dans la
vie et dans la mort. Et comme rien n'est parvenu de
soi-même à l'état où il se trouve, l'universalité des choses
irait s'abîmer dans le néant, si on ne lui donnait pour
principe et pour cause une réalité supérieure qui la
soutient après l'avoir produite. Cet argument, le plus
i. Sum. theol., I, Q. n, a. 3.
PREUVES DE SAINT THOMAS !\1 0,
ancien et le plus clair de tous, mérite toujours d'être
rappelé avec respect, et ce serait non seulement nous
priver d'une consolation, mais encore vouloir l'impossible
que de prétendre enlever quelque chose à son autorité.
La raison, incessamment élevée par des arguments si
forts, et qui vont toujours se multipliant sous sa main,
n'oiTre plus de prise au doute d'une spéculation stérile et
abstraite; elle s'affranchit de toute irrésolution sophisti-
que ; et en présence de la majesté qui éclate dans la
structure du monde, de grandeur en grandeur elle s'élève
jusqu'à la grandeur absolue. » Kant, Dialectique trans-
cendanlale. Critique de la raison pure.
« Dans mon système (l'hypothèse de la nébuleuse pri-
mitive), je trouve la matière soumise à des lois certaines
et nécessaires. Je vois cette matière, décomposée en ses
derniers éléments, se façonner successivement et sous
l'empire de ces lois naturelles, en un tout admirablement
ordonné. Ce n'est point là l'effet du hasard, c'est la con-
séquence nécessaire des propriétés naturelles de la
matière. Et alors n'est-on pas forcé de se demander
pourquoi la matière obéit précisément à des lois qui ont
pour but une si merveilleuse ordonnance ? Serait-il possi-
ble que tant d'éléments, dont chacun a sa nature propre
et indépendante, pussent d'eux-mêmes se prêter un
concours tel qu'il en sortît un tout bien ordonné ; et s'ils
agissent ainsi, n'y a-t-il pas là une preuve indéniable de la
communauté de leur origine première, qui ne peut être
qu'une Intelligence souveraine et toute-puissante, par
laquelle les caractères divers des éléments ont été dessinés
en vue de leurs combinaisons futures ? La matière,
élément primitif de toutes choses, est donc astreinte à des
lois déterminées, et, librement abandonnée à ces lois,
elle engendre nécessairement d'admirables combinaisons.
Elle n'est point libre de s'écarter du plan tracé par son
Créateur. Puisqu'elle est ainsi soumise à des vues sou-
verainement sages, il faut nécessairement qu'elle ait reçu
des propriétés si bien concertées d'une Cause première
supérieure. Il existe un Dieu, précisément parce que le
chaos lui-même ne peut engendrer que l'ordre de la
Zj3o LE CATÉCHISME ROMAIN
régularité. » Kant, Histoire générale de la nature et
théorie du ciel, préf . , traduction de Wolf .
2. Comme l'argument cosmologique, la preuve
téléologique est renouvelée et confirmée par son
union avec les autres... «Il ne suffit pas d'établir, par un
syllogisme, l'harmonie des moyens, la grandeur des fins,
et la nécessité d'une cause sage et intelligente pour ordon-
ner l'univers et la pensée. La vraie preuve téléologique va
plus avant. Elle montre que la sagesse des choses n'est
pas dans les choses ; que la sagesse de l'homme n'est pas
dans l'homme... Elle ne mesure pas la Cause qu'elle
affirme à la taille des effets ; mais en la reconnaissant en
eux, elle la met hors d'eux et trouve dans la beauté
relative des choses le principe même de toute beauté. Sous
sa forme abstraite, voici donc comment cet argument, si
riche en aspects variés, s'offre à la réflexion, Ni ma pensée
ne peut égaler mon action, ni mon action ne peut égaler
ma pensée. Il y a, en moi, des proportions entre la cause
efficiente et la cause finale; et pourtant ni l'une ni l'autre
ne peuvent être en moi ce qu'elles sont déjà, sans la
médiation permanente d'une pensée et d'une action par-
faites. Tout ce qu'il y a de beauté et de vie dans les
choses, tout ce qu'il y a de lumière et de puissance en
l'homme enveloppe, dans son imperfection et son infir-
mité même, une perfection souveraine : ainsi va se déter-
miner cette triple relation. — C'est en nous, c'est dans le
réel que nous découvrons, comme en un miroir impar-
fait, cette inaccessible perfection. Et pourtant, — ni nous
ne pouvons nous confondre avec elle, — ni nous ne
pouvons la confondre avec nous. La force de cette preuve,
c'est de prendre son point d'appui dans notre expérience
la plus intime. » Blondel, L'Action, Paris, 1893, p. 345-346.
3. Toute la nature montre l'art infini de son au-
teur. — « Quand je parle d'un art, je veux dire un assem-
blage de moyens choisis tout exprès pour parvenir à une fin
précise; c'est un ordre, un arrangement, une industrie, un
dessein suivi. Le hasard est, tout au contraire, une cause
PREUVES DE SAINT THOMAS 43 1
aveugle et nécessaire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui
ne choisit rien, et qui n'a ni volonté ni intelligence. Or je
soutiens que l'univers porte le caractère d'une cause
infiniment puissante et industrieuse. Je soutiens que le
hasard, c'est-à-dire le concours aveugle et fortuit de cau-
ses nécessaires et privées de raison, ne peut avoir formé
ce tout. C'est ici qu'il est bon de rappeler les célèbres
comparaisons des anciens. Qui croira que l'Iliade d'Ho-
mère, ce poème si parfait, n'ait jamais été composé par
un effort du génie d'un grand poète, et que les caractères
de l'alphabet, ayant été jetés en confusion, un coup du
pur hasard, comme un coup de dés, ait rassemblé toutes
les lettres, précisément dans l'arrangement nécessaire
pour décrire dans des vers pleins d'harmonie et de
variété, tant de grands événements pour les placer et les
lier si bien tous ensemble, pour peindre chaque objet
avec ce qu'il a de plus gracieux, de plus noble et de plus
touchant, enfin pour faire parler chaque personne selon
son caractère, d'une manière si naïve et si passionnée ?
Qu'on raisonne et qu'on subtilise tant qu'on voudra,
jamais on ne persuadera à un homme sensé que l'Iliade
n'ait point d'autre auteur que le hasard... Pourquoi donc
cet homme sensé croirait-il de l'univers, sans doute
encore plus merveilleux que l'Iliade, ce que son bon sens
ne lui permettra jamais de croire de ce poème ? » Fé-
nelon, Traité de l'existence de Dieu, P. i, ch. i.
4. L'unique nécessaire. — « En se déployant dans
l'univers, la volonté prend plus clairement conscience
d'elle-même et de ses exigences : la nature, la science, la
conscience, la vie sociale, le domaine métaphysique, le
monde moral n'ont été, pour elle, qu'une série de
moyens; elle ne peut ni y renoncer ni s'en contenter ; elle
s'en sert donc comme de tremplin pour prendre son élan,
La preuve de « l'unique nécessaire » emprunte ainsi sa
force et sa valeur à l'ordre entier des phénomènes. Sans
lui, tout n'est rien, et rien ne peut pas être. Tout ce que
nous voulons suppose qu'il est ; tout ce que nous sommes
exige qu'il soit. C'est donc de mille façons qu'on peut
formuler l'argument tiré de l'universelle contingence. Cet
£32 LE CATÉCHISME ROMAIN
unique nécessaire se tient à l'entrée ou au terme de toutes
les avenues où l'homme peut entrer; au bout de la science
et de la curiosité de l'esprit, au bout de la passion sincère
et meurtrie, au bout de la souffrance et du dégoût, au
bout de la joie et de la reconnaissance, partout, qu'on
descende en soi ou qu'on monte aux limites de la spécu-
lation métaphysique, le même besoin renaît. Rien de ce
qui est connu, possédé, fait, ne se suffit ni ne s'annihile.
Impossible de s'y tenir ; impossible d'y renoncer.
« Ainsi compris, l'argument a contingentia a un tout
autre caractère, un ressort plus puissant qu'on ne l'a cru
d'ordinaire. Au lieu de chercher le nécessaire hors du
contingent, comme un terme ultérieur, il le montre dans
le contingent même, comme une réalité déjà présente. Au
lieu d'en faire un support transcendant mais extérieur, il
découvre qu'il est immanent au centre même de ce qui est.
Au lieu de prouver simplement l'impossibilité d'affirmer
le contingent seul, il prouve l'impossibilité de nier le
nécessaire qui le fonde. Au lieu de dire : « Qu'à un
moment rien ne soit, éternellement rien ne sera, » il
conclut : « Du moment où quelque chose a été, éternel-
lement l'unique nécessaire est. » Au lieu de s'appuyer sur
la fiction d'un idéal nécessaire, il s'appuie sur la nécessité
même du réel... Ainsi donc l'ordre entier de la nature
nous est forcément un garant de ce qui le dépasse. La
nécessité relative du contingent nous révèle la nécessité
absolue du nécessaire... Le contingent participe à la
nécessité du réel, sans en partager le privilège. Ce qui est
existe nécessairement pendant qu'il est, quoique, par
nature, il n'ait rien de nécessaire.
« Voilà pourquoi les choses visibles, les sciences humai-
nes, les phénomènes de la conscience, les arts et les
œuvres, tout en nous et hors de nous exige « l'unique
nécessaire. » Et si, pour le porter, ces ombres d'être sont
un fondement solide, c'est qu'il en fait lui-même l'invi-
sible appui. )) Blondel, L'Action, Paris, 1893, p. 343-344.
5. L'argument tiré de l'existence de la loi mo-
rale et de la nécessité de sa sanction. — « Sans
doute, faire le bien et fuir le mal exclusivement par
PREUVES DE SAINT THOMAS £33
crainte du châtiment ou par espoir de la récompense,
c'est un sentiment peu noble ; c'est le signe d'une mora-
lité inférieure. Mais il est nécessaire qu'aux heures de
crise où la bête humaine se réveille, quand ses rugisse-
ments étouffent le tangage delà raison, la crainte de Dieu
se dresse comme une barrière entre le mal et nous. Pour
dompter un fauve, on oppose à sa fureur une barre
de fer rougie au feu. Combien d'hommes portent en eux
une bête féroce ou une bête obscène, quelquefois l'une et
l'autre ! Alors, aux moments de troubles profonds, la
pensée d'un suprême Justicier dompte les révoltes de la
chair ou de l'esprit. Et d'ailleurs, si l'ordre moral a été
violé, il faut une réparation ; la justice doit avoir son
tour, puisque l'injustice a eu le sien. Si l'homme a fait
effort pour garder toute la loi, une récompense propor-
tionnée lui est due dans la vie future ; ici bas, trop sou-
vent elle lui échappe, et du reste un bonheur purement
terrestre ne peut balancer la valeur transcendante des
actions vertueuses. Supposons un moment qu'un homme,
victime volontaire de sa fidélité à la loi morale, n'ait rien
à espérer d'un Dieu illusoire pour rétablir l'équilibre
entre le bien et le bonheur; il s'ensuit qu'ayant sacrifié la
félicité terrestre, il se trouve le plus malheureux des êtres
pour avoir écouté le dictamen de sa conscience et suivi
librement l'impulsion de sa nature raisonnable. Il y aurait
donc des cas où l'infidélité à la loi naturelle serait pru-
dence et sagesse. Quelle conclusion ! et qui croira que ce
soit là le dernier mot de la philosophie ? Son dernier mot,
c'est qu'il faut à la morale une sanction rigoureusement
exacte, et pour que cette sanction existe, il faut un légis-
lateur qui la détermine, un juge qui l'applique, c'est-à-
dire il faut un Dieu pour graver la loi naturelle dans
notre cœur, pour maintenir ou réparer l'ordre moral,
comme il en faut un pour façonner et soutenir l'ordre
physique. » Souben, Nouvelle théologie, Paris, 1902,
t. 1, p. 54,
LE CATÉCHISME. — T. I, v aS
Leçon XII
De Dieu
I. L'existence de Dieu est une vérité révélée,
II. C'est un dogme de foi catholique. — III. Y
a-t-il des athées ?
I. C'est une vérité révélée
e Catéchisme romain rappelle le témoignage que
Dieu a donné de lui-même dans l'Ecriture ; et
cette connaissance ainsi obtenue, il la carac-
térise comme une vérité beaucoup plus explicitement
formulée que par les philosophes, absolument
certaine et à l'abri de toute erreur. Les Pères du
concile du Vatican n'ont pas parlé d'une manière
différente. Après avoir affirmé, comme nous venons
de le voir, le pouvoir naturel qu'a la raison de
connaître Dieu, ils ajoutent : « Il a plu néanmoins à
la sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui-
même et les éternels décrets de sa volonté, par une
autre voie, et cela par une voie surnaturelle. C'est
ce que dit l'Apôtre : « Après avoir parlé autrefois
à nos pères, à plusieurs reprises et de plusieurs
manières, par les prophètes ; pour la dernière fois,
l'existence de dieu : VÉRITÉ révélée 435
Dieu nous a parlé de nos jours par son Fils (1). »
La révélation constitue donc un autre moyen
d'arriver à la connaissance de Dieu. Et ce moyen
offre des avantages et des garanties qu'on ne saurait
attendre de la raison laissée à elle seule. Les Pères
disent en effet : « C'est à cette divine révélation
qu'il faut attribuer que les points qui, dans les
choses divines, ne sont pas par eux-mêmes inacces-
sibles à la raison humaine, puissent aussi être
connus de tous, sans difficulté, avec une ferme
certitude et à l'exclusion de toute erreur (2). »
C'est, en d'autres termes, proclamer l'utilité de la
révélation, d'une manière générale pour toutes les
vérités de la religion naturelle, mais en particulier
pour la première de toutes, pour la connaissance
de l'existence de Dieu.
Ainsi donc, grâce à la révélation, tout homme,
dans les conditions de la vie présente, peut facile-
ment arriver à la connaissance de Dieu, sans retard
çt sans labeur, avec une ferme certitude et sans mé-
lange d'erreur. C'est là, du reste, un fait d'expérience
quotidienne. Pour le passé, l'histoire prouve avec
surabondance de combien d'erreurs, non seulement
dans le peuple mais encore chez les esprits les plus
cultivés, s'enveloppait l'idée de Dieu. Livrée à ses
seules forces, la raison se heurte à des difficultés
avant d'arriver effectivement à la connaissance de
Dieu. Saint Thomas signale trois inconvénients qui
résulteraient pour l'homme de l'absence d'un ensei-
gnement révélé. C'est que d'abord le nombre serait
fort restreint de ceux qui pourraient parvenir à cette
connaissance, faute soit d'intelligence suffisante,,
soit de loisirs et de goûts, soit de courage ; c'est
ensuite que ce petit nombre n'y parviendrait
1. Constitution Dei Filiixs, c. 11, Si. — 2. Ibid., c. 11, S a.
^36 LE CATÉCHISME ROMAIN
qu'après un temps assez long, la jeunesse ne possé-
dant pas le calme et la sagesse requis, la maturité
se trouvant aux prises avec des questions d'ordre
matériel; et c'est enfin que ceux qui y parviendraient
ne sauraient être complètement à l'abri de toute
erreur et de tout doute. Ainsi le meilleur moyen
d'assurer à chacun une connaissance facile, prompte,
certaine et indubitable de Dieu, est-ce la foi. Et
cela est vrai non seulement pour ceux qui sont
insensibles à une démonstration philosophique ou
qui en sont incapables, mais encore pour les esprits
plus élevés qui par là sont assurés contre toute
erreur. « 11 était nécessaire, dit saint Thomas, que
l'homme apprit par l'enseignement de la foi, non
seulement les choses inaccessibles à la raison natu-
relle, mais aussi celles qui peuvent êtres connues
par elle ; et cela pour trois motifs. D'abord pour
que l'homme arrive plus promptement à la connais-
sance de Dieu. En effet, ce n'est qu'en dernier lieu,
et après avoir acquis préalablement des connaissan-
ces nombreuses, que les hommes peuvent se livrer
à l'étude de l'Ecriture sainte, à laquelle il appartient
de démontrer l'existence de Dieu et plusieurs autres
de ses attributs qui se rattachent à cette première
vérité. L'homme, en suivant cette marche, ne par-
viendrait donc à connaître Dieu qu'après avoir passé
déjà une grande partie de sa vie. En second lieu,
pour que la connaissance de Dieu fût plus générale.
Combien n'y en a-t-il pas, en effet, qui ne peuvent
faire de progrès dans la science, soit par défaut
d'intelligence, soit à cause des préoccupations et
des nécessités de la vie matérielle, soit parce qu'ils
ont peu de désir d'apprendre. Or, tous ceux-là
seraient privés de la connaissance de Dieu, s'ils ne
la recevaient par l'enseignement divin. En troisième
lieu, à cause de la certitude de cette connaissance
l'existence de dieu : vérité révélée 437
même : la raison humaine est si défectueuse quand
il s'agit de choses divines I la preuve en est dans
les nombreuses erreurs où l'investigation ration-
nelle sur la nature a conduit les philosophes
anciens, et dans les contradictions où ils sont
tombés. Il a donc fallu, pour avoir de Dieu une
connaissance certaine et indubitable, que les hom-
mes la trouvassent dans l'enseignement de la foi,
manifestée par la parole de Dieu lui-même, qui ne
peut tromper (1). »
Ces paroles restent toujours vraies ; et nul doute
que si le Docteur angélique vivait dans ce commen-
cement du xxe siècle, il ne les eût appuyées sur le
témoignage des erreurs et des contradictions de la
plupart des philosophes contemporains. C'est grâce
à la révélation, en effet, qu'on échappe au désordre,
à l'anarchie, au chaos, aux aberrations de l'intel-
ligence, pour entrer de plein pied et se reposer en
pleine sécurité sur le terrain ferme et harmonieuse-
ment ordonné de la foi, terrain d'où la raison est
loin d'être exclue, mais où au contraire elle est
appelée à exercer ses droits dans toute leur plénitude.
L'existence de Dieu, en même temps qu'elle
appartient au domaine de la raison, est donc une
vérité révélée ; elle peut se lire à chacune des pages
de la sainte Ecriture.
La Bible, en effet, est remplie des affirmations
que Dieu lui-même donne de son existence, des
paroles qu'il prononce, des actes qu'il accomplit, de
ses interventions fréquentes dans l'histoire. Il s'y
nomme et son nom propre est Iahveh ou Jehovah.
Celai qui est ; c'est ainsi qu'il dit à Moïse : « Je suis
Celui qui suis. Voici ce que tu diras au fils d'Israël:
1. Sam. theol, ii'ii», Q. n, a. 4. Cf. Cont. Gent., I, iv; Qusest,
de Verit., Q. xiv, a. 10.
£38 LE CATÉCHISME ROMAIN
m
Celui qui est m'a envoyé vers vous (i). » A la dei>
nière page du saint Livre, il s'appelle «l'alpha et
l'oméga, le premier et le dernier, le commencement
et la fin, celui qui est, qui était et qui doit venir (2).»
D'autres noms sont encore donnés à Dieu : Adonaï,
« mon Seigneur» ; El-Shaddaï, « le Tout-puissant : »
Elion, le Dieu très-haut. « Sa personnalité ressort
de toutes les narrations de style populaire, où d'au-
dacieux anthropomorphismes sont employés pour
caractériser l'acte divin à l'égard des créatures ; un
être abstrait ou impersonnel n'ordonne pas, ne
défend pas, ne menace pas, n'est pas saisi de dou-
leur, ni touché de repentir, ne veille pas sur les
hommes, ne leur apparaît pas sous des formes visi-
bles. Son caractère moral se manifeste par la sévé-
rité dont il use à l'égard des pécheurs, par les
récompenses qu'il promet à ceux qui observeront
sa Loi ; et cette Loi, c'est sans doute le rituel mo-
saïque, mais c'est aussi et avant tout le Décaiogue,
c'est-à-dire l'énoncé ferme et précis de la loi natu-
relle. Ce caractère moral du Dieu de la révélation
achève de se dessiner dans les Evangiles ; la notion
de paternité divine à l'égard des hommes n'avait
pas été inconnue aux Juifs ; mais l'histoire évangé-
lique a dégagé cette notion dans toute son intégrité,
l'a fait connaître aux Gentils (3). »
La sainte Ecriture, œuvre inspirée de Dieu, mais
«'adressant aux hommes, est obligée de recourir
.à des expressions anthropomorphiques, à cause de
l'imperfection de notre intelligence et de l'infirmité
de notre langage ; et il a fallu la naïveté de quel-
ques chrétiens (4) ou le manque de bonne foi de
i. Exod., m, i4. — 2. Apoc, 1, 8. — 3. Souben, Dieu dam
l'histoire, Paris, 1902, p. 55. — 4. voir notre article Anthropo-
morphites dans le Dict. de théol, t. 1, col. 1370-1372.
l'existence de dieu : vérité révélée 439
certains esprits pour voir dans l'anthropomor-
phisme une doctrine littérale. Ce n'est pourtant pas
le cas. Et s'il y est question si souvent des théopha-
nies, la tradition n'a pas eu de peine à en dégager
la haute portée religieuse. Car, comme le signale
Thomassin (1), il découle de l'enseignement des
Pères que Dieu n'a pu apparaître sous forme
humaine que pour s'accoutumer lui-même en quel-
que sorte à l'humanité qu'il devait revêtir un jour :
pour apaiser l'impatience de son amour et, tandis
que, par un conseil de sa sagesse, il retardait l'heure
de l'Incarnation, il prenait comme un avant goût
de ce grand mystère ; pour habituer peu à peu les
hommes à l'éclat trop vif de sa divinité et, par la
demi-lumière de ses apparitions, fortifier leur regard
et le préparer au grand jour ; pour dissiper graduel-
lement leur incrédulité (2).
Dieu s'est choisi un peuple pour lui communi-
quer ses enseignements progressifs et il n'a cessé
de le mettre en contact avec les races diverses dans
un dessein très arrêté de sa providence, comme l'a
si admirablement montré Bossuet dans son Histoire
universelle ; il lui a sans cesse envoyé des prophè-
tes, toujours en vue du grand avènement du Messie.
Bref, à chaque page, Dieu se montre, parle et agit.
Son existence se manifeste encore par tant
d'œuvres surnaturelles, qui constituent de si puis-
sants motifs de crédibilité et servent en même
temps de preuve à la révélation. Ces œuvres, mani-
festement au-dessus des puissances de la nature,
impliquent une cause transcendante, surnaturelle,
Dieu. Mais certains groupes de ces œuvres merveil-
1. De Incarn. Verbi. I, vi, n. 10, Venise, 1730, p. 3o. -—
a. Cf. De Régnon, Etudes de Théologie positive, 3* série.
Etude xiv, Paris 1898, t. 1, p. §4.
£4o LE CATÉCHISME ROMAIN
leuses attestent encore mieux, si c'est possible,
l'existence de Dieu.
Si l'on considère, en effet, l'histoire du peuple
juif, dit Franzclin (i), on voit comment la vie
religieuse et politique de toute cette nation reste
pendant deux mille ans absolument différente de la
religion, de la vie et des mœurs de tous les peuples.
Or cette vie si singulière se relie à des faits surna-
turels, à des prophéties faites et accomplies, à des
théophanies continues qui, depuis la grande appa-
rition du Sinaï, s'offrent sans cesse aux regards de
toute la nation. Et ce n'est pas seulement par hasard
que cette suite de faits surnaturels est liée à cette
histoire religieuse et politique, mais au contraire
elle en forme le fond et l'élément essentiel, de telle
sorte que, sans ces faits surnaturels, la trame de
l'histoire du peuple juif ne saurait ni se comprendre,
ni s'expliquer.
Et n'est-ce pas une preuve évidente de l'existence
de Dieu, que la vie, les œuvres, l'enseignement
de Jésus-Christ? Yie, œuvres et enseignements,
inexplicables par les seules ressources humaines, et
qui proclament l'action surnaturelle de Dieu. Parmi
ces œuvres, que dire de la fondation de l'Eglise, de
son existence à travers les siècles, de sa force de
résistance à tant d'assauts, de sa marche progres-
sive à travers tant de peuples qui occupent tour à tour
le premier plan de l'histoire ? Si le divin est quelque
part, il est là. Et ce n'est certes pas l'un des moin-
dres motifs de crédibilité que ce phénomène vrai-
ment déconcertant de la persistance de l'Eglise : à
qui sait voir, ce n'est que Dieu qui soutient son
Eglise.
Mais, pour le croyant, si le monde de la nature
i. De Dco uno, 3e édit., p. 117-118.
l'existence de dieu : DOGME de foi 44 i
est un livre admirable où se lit, en caractères
indélébiles, le nom du Créateur, le monde de la
grâce avec son harmonie, son éclat, sa prodigieuse
fécondité, avec les perspectives qu'il ouvre devant
la foi étonnée et ravie, ne proclame-t-il pas l'exis-
tence de l'auteur de l'ordre surnaturel ? Il est donc
superflu d'insister.
IL C'est un dogme de foi
catholique
Rien d'étonnant, puisque l'existence de Dieu est
une vérité révélée, que l'Eglise en ait pu faire un
dogme de foi catholique ; et c'est, en effet, ce qu'a
proclamé le concile du Vatican une fois de plus.
Car tous les symboles, nous l'avons vu, débutent
par un acte de foi à l'existence d'un seul Dieu. Mais
c'est parce que, dans le dernier siècle, cette vérité
capitale était méconnue ou défigurée par certains
philosophes et certaines écoles de philosophie, que
les Pères du Vatican ont tenu à en faire une pro-
fession solennelle de foi.
Nous lisons dans la Constitution Del Filius : « La
sainte Eglise catholique, apostolique, romaine, croit
et professe qu'il y a un seul Dieu, vrai et vivant,
créateur et seigneur du ciel et de la terre, tout-
puissant (i). » Cette profession solennelle de foi en
l'existence de Dieu fait de cette vérité révélée un
dogme de foi catholique, puisqu'il y est dit que
« l'Eglise la croit et la professe. »
Remarquons, toutefois, que les titres donnés à
Dieu dans cette profession de foi ne sont pas de foi
en vertu de cette profession même, car ils ont été
i. Const. Dei Filius, c. I, S i.
442 LE CATÉCHISME ROMAIN
déjà définis en d'autres circonstances. Que Dieu soit
un et vivant, créateur et seigneur du ciel et de la terre,
tout-puissant, ces vérités sont déjà acquises par
d'autres définitions ; elle servent ici à mieux dis-
tinguer le Dieu, dont l'existence est définie, et à
préciser la profession de foi par quelques traits dis-
tinctifs, tels que ceux qu'on rencontre dans l'Ancien
et le Nouveau Testament, où l'on oppose aux idoles
la notion du Dieu véritable : ce Dieu n'est autre
que le Dieu des patriarches, des juifs et des chré-
tiens, auteur tout à la fois de la nature et de la
grâce. La croyance à l'existence de Dieu est néces-
saire de nécessité de moyen pour être sauvé ; mai»
le concile n'a pas spécifié si l'acte de foi doit
s'appliquer à Dieu considéré et comme auteur de
l'ordre naturel et comme auteur de l'ordre surna-
turel. Quelques thomistes, sous prétexte qu'on ne
peut faire un véritable acte de foi à une vérité qu'on
s'est démontrée par la raison, soutiennent que la
foi en l'existence de Dieu, nécessaire de nécessité
de moyen pour le salut, n'est autre que la foi en
l'existence de Dieu, considéré comme l'auteur de
l'ordre surnaturel (i). C'est peut-être beaucoup trop
dire ; mais, quoi qu'il en soit de ce point particulier,
à débattre entre théologiens de profession, il con-
vient de retenir que l'acte de foi nécessaire de
nécessité de moyen pour le salut est au moins
l'acte de foi en l'existence de Dieu, considéré comme
auteur de l'ordre naturel.
De cette définition du concile du Vatican décou-
lent quelques conséquences, dont l'une est d'exclure
du corps de l'Eglise quiconque se refuse à admettre
l'existence de Dieu, sur l'autorité de la révélation,
par suite les athées formels, les matérialistes qui
i. Cf. Vacant, loc. cit., 1. 1, p. 169.
l'existence de dieu : DOGME de foi 443
n'admettent rien en dehors de la matière, les
rationalistes qui, repoussant toute révélation, n'ad-
mettent l'existence de Dieu qu'à cause des preuves
qu'en donne la raison, et certains protestants
contemporains qui, par un tour de force comparable
à une gageure, estiment pouvoir rester chrétiens
sans croire à l'existence de Dieu, si hautement
affirmée par Notre Seigneur.
Les matérialistes, cela va de soi, en vertu de leurs
propres principes, ne peuvent reconnaître rien en
dehors et au dessus de la matière : ils ne vont pas
seulement contre la foi, ils sont en révolte contre
la raison. Le concile du Vatican les frappe d'ana-
thème : « Anathème à qui ne rougirait pas d'affirmer
qu'il n'existe rien en dehors de la matière I » Sans
être des matérialistes déterminés, les positivistes
offrent-ils prise à cette condamnation ? Car ils
éliminent résolument de leurs recherches l'absolu,
sous prétexte qu'il échappe aux prises de l'expé-
rience, qu'il ne peut être connu ; ils renoncent par
conséquent à la recherche des causes, surtout des
causes premières et des causes finales, parce que
c'est là, à leur sens, une enquête qui ne put pas
aboutir ; c'est dire qu'ils suppriment le problème
de l'origine du monde et celui de sa destination,
parce que « le travail de la science a eu pour résul-
tat de démontrer que nulle part il n'y a place pour
l'intervention des dieux d'aucune théologie. » Dieu
a donc pu être une hypothèse, utile sinon nécessaire,
pendant le premier stage de l'esprit humain, dans
l'état théologique, et même pendant le second, dans
ïétat métaphysique ; mais, dans l'état actuel, dan s
Vétat positif, c'est une hypothèse démodée, complè-
tement inutile : l'homme n'a qu'à prendre congé de
Dieu ; il s'en passe, il l'ignore, il explique sans lui
tout ce qui est explicable. Une telle manière de voir
444 LE CATÉCHISME ROMAIN
est fausse, philosophiquement parlant, et pour hien
des raisons que nous n'avons pas à signaler ici ;
mais il ne suffit pas qu'elle soit fausse pour que les
positivistes soient englobés dans l'anathème que
nous venons de rapporter et qui vise d'une façon
nette et précise les purs matérialistes.
Des idéalistes exagérés sont tombés dans une
autre erreur pareillement condamnable et pareille-
ment condamnée. Il y a tant de manières de repousser
l'idée de Dieu 1 Les athées, nous verrons tout à
Fheure ce qu'il convient d'en penser, la rejettent
formellement, explicitement ; certains idéalistes,
tout en se défendant de lui porter la moindre
atteinte, l'écartent implicitement et en quelque
sorte d'une manière subreptice. C'est ce que nous
avons vu dans la seconde moitié du dernier siècle.
Certains esprits raffinés affichaient pour Dieu un
respect profond ; mais, outre le sens ordinaire
attaché à ce nom, ils en avaient imaginé un autre
tout différent.
Vacherot, par exemple, était très affirmatif en
cosmologie et très négatif en théologie. En cosmo-
logie, il admettait fort bien l'existence de Dieu ;
mais ce Dieu vivant, concret, c'est « l'être universel,
infini, sujet et cause de tous les phénomènes dont
il paraît n'être que le théâtre, se suffisant à lui-
même et n'ayant nul besoin d'un principe hyper-
cosmique ; » il se confond avec le monde, ce qui,
pour nous, revient à dire qu'il n'est vraiment pas
Dieu. En théologie, au contraire, Vacherot admet-
tait aussi l'idée d'un Dieu, immuable, immobile,
parfait, de celui que la foi du genre humain et le
cri de toute conscience religieuse saluent du nom
de Dieu ; mais ce Dieu n'existe pas ; ce n'est qu'un
être de raison dont la perfection est toute idéale ;
ce n'est qu'une idée, qu'une abstraction, parce que
l'existence de dieu : dogme de foi /i/i">
l'existence et la perfection ne marchent pas de pair.
Et vouloir que le Dieu parfait de' la théologie lût
réel, ce serait le mutiler, le faire déchoir de sa
perfection. D'où ce dilemme: ou Dion est parfait,
m;iis alors il n'existe pas, et c'est l'athéisme ; ou
Dieu existe, mais alors il n'est pas parfait, il se
confond avec le Cosmos, et c'est le panthéisme.
Renan, de son coté, a une théorie quelque peu
semblable, sous des formules plus subtiles et plus
nuancées. Il rejette l'idée d'un Dieu créateur, d'une
Providence intervenant à un degré quelconque dans
les affaires de ce monde, il regarde la vraie théolo-
gie comme « la science du monde et de l'humanité,
aboutissant, comme culte, à la poésie et à l'art,' et
par dessus tout à la morale. » Quant à savoir si
Dieu existe, il répond oui et non. Oui, il existe, si
on le considère comme la collection des êtres, nature
et humanité, qui sont l'objet de la vraie théologie;
non, si on le regarde comme l'absolu, l'éternel,
l'immuable, sans progrès et sans devenir. Et ainsi
le Dieu, dont il affirme la réelle existence, n'est autre
chose que le monde, ce qui est du panthéisme ; et
le Dieu dont il affirme la perfection, n'est autre
que le résumé de nos besoins suprasensibles, un
concept sans objet réel, la « catégorie de l'idéal, »
et ceci est de l'athéisme. « Dieu, providence, im-
mortalité, autant de bons vieux mots ; un peu lourds
peut-être, que la philosophie interprétera dans des
sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne rem-
placera jamais avec avantage. Sous une forme ou
sous une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos
besoins suprasensibles, la catégorie de Vidéal (c'est-
à-dire, la forme sous laquelle nous concevons l'idéal),
comme l'espace et le temps sont les catégories des
corps (c'est-à-dire les formes sous lesquelles nous
concevons les corps). »
446 LE CATÉCHISME ROMAIN
Cet athéisme subtil et plus ou moins raffiné est
condamné, croyons-nous, tout comme Fathéisme
brutal et formel, par le concile du Vatican, qui dit
« anathème à qui nierait le seul vrai Dieu, créateur
et seigneur des choses visibles et invisibles (i). »
Mais, avons-nous dit, la définition du concile du
Vatican exclut du corps de l'Eglise certains protes-
tants qui en sont arrivés à ne plus croire en Dieu,
tout en se disant chrétiens. C'est que, en effet, le
protestantisme, suivant fatalement la voie de son
évolution, qui est commandée par son principe de
libre examen, est en train de toucher au terme
dernier, la négation pure et simple de l'existence
personnelle de Dieu. Qui voudrait en connaître, non
pas la genèse primitive, mais les manifestations les
plus récentes, en trouverait l'explication dans l'article
Dogmatique, publié par M. le pasteur Bouvier, dans
Y Encyclopédie des sciences religieuses, de Lichtem-
berger (2) ; il y verrait que la dogmatique protes-
tante a subi, au xixe siècle, deux influences, celle de
la philosophie de l'absolu et celle de la théologie
du sentiment ; que peu à peu elle en est venue non
pas seulement à rejeter, comme l'a dit la Constitu-
tion Dei Filius, toute foi surnaturelle en Jésus-
Christ, mais encore à mettre en doute ce premier
principe de la religion naturelle, l'existence d'un
Dieu distinct du monde. Et dès lors on ne s'étonne-
rait plus de cet état d'individualisme et de sub-
jectivisme, dont M. Sabatier, en France, dans
son Esquisse d'une philosophie de la religion, et
M. Harnack, en Allemagne, dans son Histoire des
dogmes et surtout dans son Essence du Christianisme,
sont une preuve toute récente. Dans leur pensée et
1. Const. Dei Filius, 1 can. de Deo, can. 1 et a. — 2. T. iv,
p. i4 sq.
Y A-T-IL DES ATHÉES 4^7
sous leur plume, Dieu, chassé du domaine de la
nature et de celui de l'histoire, n'a guère pour refuge
que la conscience humaine. Dans quel état ? Dans
un état fort précaire, assurément ; car il finira par
ressembler, s'il ne lui ressemble pas déjà, à la
catégorie de l'idéal, dont nous venons de parler, ou
« à l'activité imparfaite aspirant au parfait, » autant
dire à un fantôme de divinité, à un athéisme latent.
III. Y a-t-il des athées ?
Les preuves de l'existence de Dieu sont si nom-
breuses, toutes accessibles à la raison, quelques-
unes si faciles et si obvies, que la question se pose
s'il peut y avoir, s'il y a réellement des athées.
L'athéisme est la négation ou l'ignorance de Dieu.
On peut distinguer deux sortes d'athéisme: l'athéisme
négatif, simple ignorance de Dieu, chez ceux qui
n'auraient jamais pensé à lui, ou qui ne se seraient
jamais demandé s'il existe ; l'athéisme positif, néga-
tion de Dieu. Ce dernier, à son tour, peut se
se subdiviser en deux : il est spéculatif ou théorique,
chez ceux qui se croient persuadés de la non-exis-
tence de Dieu ; il est pratique, chez ceux qui agissent
comme si Dieu n'existait pas.
i. Or, qu'il y ait des athées pratiques, c'est-à-dire
des êtres humains pensant, parlant, vivant comme
s'il n'y avait pas de Dieu, c'est un fait d'expérience:
il y en a beaucoup trop et le nombre, avec les
mœurs actuelles, ne peut aller, hélas ! qu'en aug-
mentant. Combien d'hommes, en effet, qui lais-
sent prédominer en eux les bas instincts, qui
n'obéissent qu'au gré de leurs intérêts matériels et
au caprice de leurs passions, avides de jouir avant
tout, immédiatement, le plus possible, qui étouffent
/548 LE- CATÉCHISME ROMAIN
la voix de leur conscience, témoin ou juge impor-
tun, qui écartent comme un joug intolérable toute
loi morale, qui bannissent de leur vie pratique
l'idée d'un Dieu rémunérateur et justicier, et qui
nient l'existence future et les sanctions d'outre
tombe ! Depuis l'époque où Lamennais écrivait son
Essai sur V indifférence, l'impiété n'a cessé de faire
des progrès ; elle tend de plus en plus à ramener
les âmes en plein paganisme. Et, d'autre part, le
rationalisme contemporain a essayé d'ériger en sys-
tème une règle de vie, d'où Dieu est délibérément
exclu. Plus de dogmes ni de croyances religieuses 1
Ce ne sont là que des hypothèses inadmissibles,
dont la science fait bon marché, parce qu'elles
échappent à tout contrôle scientifique. L'homme
est autonome : il doit organiser sa vie scientifique-
ment, sans se préoccuper de Dieu, sans rattacher la
morale à une théologie ou métaphysique quelcon-
ques. C'est la « laïcisation » de la morale, et cette
u laïcisation » gagne de proche en proche. L'Etat,
sous prétexte de « neutralité, » s'est soustrait à toute
idée religieuse. Il efface Dieu de ses lois, de son code,
de ses prétoires, de ses constitutions, de ses monu-
ments, de ses fêtes, de ses discours, de son ensei-
gnement et de ses écoles.
Ajoutez à cela la vogue du matérialisme, tel que
Moleschott, Buchner, Garl Vogt et Yirchow l'ont
formulé en Allemagne, et vous comprendrez com-
ment Buchner a pu écrire dans Science et Nature :
a En regard des courants spiritualistes de l'époque,
on peut considérer la philosophie positive comme
étant athée, matérialiste et sensualiste. Ce que l'on
désigne, à l'époque actuelle, sous le nom de Dieu,
de Créateur, de Providence, d'Eternel, etc., ne
représente, suivant la philosophie positive, que des
figures de théologie métaphysique, des artifices de
Y A-TIL DES ATHÉES /|^9
logique, des hypothèses qui, à l'origine, pouvaient
bien être nécessaires. Ce qui doit remplacer le Dieu
d'autrefois, c'est actuellement l'humanité ou, à un
point de vue général, l'amour de l'humanité. Diis
exstinctis, Deoque successit humanitas (i). » Tel est
le dernier mot du dogmatisme scientifique, le credo
de quelques savants contemporains. Et la doctrine,
dans les masses, se traduit par le sensualisme le
plus effréné. Que faut-il de plus pour expliquer
l'existence des athées pratiques ?
2. Y a-t-il semblablement des athées spéculatifs ?
Nous venons d'entendre Buchner, et le doute n'est
pas possible en ce qui regarde les matérialistes, qui
prétendent expliquer le monde en se passant de
l'hypothèse-Dieu. On peut en dire autant pour les
partisans du panthéisme qui, bien qu'ils s'en dé-
fendent, par leur système incohérent de l'unité
absolue, aboutissent ou bien à réduire l'idée de
Dieu à une pure abstraction, à une idéal métaphy-
sique, à la catégorie de l'idéal, ou bien à sacrifier
l'existence des choses visibles en faveur d'une divi-
nité vaporeuse, indistincte, sans personnalité. Pan-
théisme naturaliste ou panthéisme mystique, peu
importe, l'un comme l'autre, passant du domaine
philosophique dans l'exploitation littéraire, finissent
par vider l'esprit et le cœur de toute idée vraie de
Dieu, et acheminent l'homme, sur le chemin du
rêve et de la chimère, jusqu'à la négation de
Dieu.
Les positivistes n'échappent pas davantage au
même reproche. Sans doute, ils raillent l'athée et le
déiste comme des esprits non émancipés, théolo-
giens dogmatiques à leur manière. L'intelligence a
évolué, disent-ils ; elle n'en est plus au stage théo-
i. Wissen und Natur, trad. franc., Paris, 1866, t. 1. p. 24.
LE CATECHISME. — T. I. 29
£5o LE CATÉCHISME ROMAIN
logique, ni même au stage métaphysique, où elle
expliquait l'origine du monde par l'intervention
d'agents surnaturels ou de forces abstraites ; elle
est au stage scientifique ou positif, et elle doit
renoncer de parti pris à chercher une cause introu-
vable, inaccessible, inconnaissable, du monde, pour
se confiner exclusivement dans le domaine de
l'expérience sensible. Cela n'a pas empêché, par
une inconséquence assez piquante, Comte lui-même
d'essayer à son tour d'établir dogmatiquement une
religion, dans laquelle, il est vrai, ne paraissent ni
Dieu, ni l'âme.
Mais, au fond, l'athée spéculatif est-il réellement,
logiquement, scientifiquement convaincu de la non-
existence de Dieu ? Il en est qui l'affirment, et plu-
sieurs sur un ton blasphématoire tel qu'ils en de-
viennent suspects, et avouent ainsi implicitement
leur croyance intime à l'existence d'un Dieu, qui
les fait baver de colère. 11 en est d'autres, moins
exaltés, plus maîtres d'eux-mêmes, plus froids, qui
l'affirment sur un ton de sincérité, qu'il serait
impertinent de mettre en doute, bien qu'il paraisse
impossible que l'homme raisonnable puisse arriver
à se faire une telle conviction. On s'explique assez
aisément qu'une intelligence, continuellement assail-
lie par des doutes, finisse par être victime de leur
travail de destruction. Elle lutte parfois, et doulou-
reusement, mais parfois aussi elle va à la dérive, se
laisse complètement désemparer et glisse dans
l'abîme de Yathéisme spéculatif. Mais, manifestement,
ce ne peut être qu'une crise passagère, exception-
nelle, aiguë. Car, la raison reste la raison, et, à un
moment donné, elle peut secouer ses chaînes, repren-
dre son élan, revenir à la lumière et se convaincre
de son aberration pour adorer le Dieu inconnu. Car,
selon l'Ecriture, « l'insensé dit dans son cœur : il
Y A-T-IL DES ATHEES 45 1
n'y a pas de Dieu (i). » C'est un langage intéressé £
il vient du cœur et non de l'intelligence.
3. Reste maintenant à savoir si un homme, qui
jouit de l'usage de sa raison, qui distingue le bien
du mal, qui sait qu'il fait mal quand il enfreint les
prescriptions de sa conscience, peut passer sa vie
dans l'ignorance totale de Dieu et être dé bonne foi.
En d'autres termes, y a-t-il des athées négatifs? II
ne s'agit pas, cela va de soi, de l'enfant ou du
dément, mais de l'homme sain d'esprit. Sur ce
point, la réponse ne saurait être douteuse, si l'on
tient compte, et il le faut bien, de l'enseignement
de l'Ecriture et de la tradition. Car, d'après cet
enseignement, l'ignorance invincible de l'existence
de Dieu doit être rangée au rang des chimères.
Saint Paul ne nous apprend-il pas, en effet, que
l'ignorance de Dieu, dans laquelle vivaient prati-
quement les païens, était déraisonnable et coupable ?
Et saint Paul ne répétait il pas l'enseignement déjà
consigné au livre de la Sagesse (2) ? La connaissance
de Dieu était donc moralement possible aux païens ;
elle l'est encore de nos jours à tout homme raison-
nable et de bonne foi. Du reste, d'après saint Paul,
la loi naturelle nous est connue par les lumières de
la raison. Et Franzelin (3) fait observer que nul ne
saurait se croire obligé par la loi naturelle sans
avoir, par là même, au moins une idée vague de
l'existence d'un législateur, qui a droit de comman-
der, et auquel l'homme a le devoir d'obéir. Les
Pères (4) sont unanimes à regarder comme coupable
la méconnaissance de l'existence de Dieu. Leurs
témoignages explicites sont trop nombreux pour
1. Psal., lxxvi, 1. — 2. Sap., xm. — 3. De Deo, thcs. ni. —
A. Voir dans Petau, De Deo, L. 1, ch. 1 et 2, et dans Thomassin,
De Deo, Lib. i, de nombreux textes patristiques.
/|52 LE CATÉCHISME ROMAIN
être rappelés ici. Ajoutons encore que c'est l'opinion
des théologiens en grande majorité.
Cela se comprend. Car l'homme raisonnable ne
peut point passer toute sa vie sans se sentir poussé,
un jour ou l'autre, à se poser la question de savoir
ce qu'il est, d'où il vient, où il va, s'il y a par delà
les phénomènes qui l'entourent autre chose que le
néant, un être qui explique l'énigme du monde. La
question posée appelle une solution. Et alors, avec
son intelligence, il la résoudra, bien ou mal, mais
il la résoudra. Ce qui revient à dire qu'un homme
sensé et de bonne foi ne saurait vivre dans Y athéisme
négatif. C'est un des motifs, dit Vacant, pour quoi
il ne saurait y avoir de jante parement philosophique,
c'est-à-dire de péché qui violerait gravement une
loi morale bien connue, et qui ne serait pas en
même temps une offense de Dieu. Certains théolo-
giens avaient avancé que le péché philosophique
peut exister chez ceux qui ignoreraient Dieu ou ne
penseraient pas à lui. Mais, le i!\ août 1690, Alexan-
dre VIII condamna cette proposition comme scan-
daleuse et erronée (1). Cette condamnation implique
que quiconque peut commettre une faute grave, est
à même de connaître Dieu (2).
1. Causes de doute. — « De nos jours, la vérité de
l'existence de Dieu a subi une éclipse qui a profondément
troublé les consciences. Au premier rang des causes qui
l'ont produite, il faut mettre cette myopie intellectuelle
qui résulte d'une demi-science vaniteuse, fréquente aux
époques d'instruction générale, et aussi cette myopie
morale qui frappe les adorateurs de la chair et du veau
d'or. Mais peut-être existe-t-il une cause plus profonde
qu'il serait injuste d'oublier : Le changement radical qui
1. Denzinger, n. 1157. — 2. La Constitution Dei Films, t. 1,
p. 329.
Y A-T-IL DES ATHÉES 453
s'est opéré dans la conception de l'univers sous V influence
du progrès scientifique.
« La création s'est démesurément agrandie aux yeux de
l'intelligence. Les contemporains de Galilée s'effrayèrent
d'apprendre que le savant n'avait pu mesurer la distance
de la terre aux étoiles, en prenant pour base du triangle
le diamètre de l'ellipse de révolution de la terre autour du
soleil ; cette base immense était donc insignifiante par
rapport aux éloignements stellaires. Puis la voie lactée,
qui leur avait semblé jusqu'alors un amas de poussière
lumineuse, se révélait comme une prodigieuse agglomé-
ration d'étoiles. Plus tard, ces mondes, qui avaient reculé
dans les lointains de l'espace, furent rejetés hors des
étroites limites du temps où d'anciens calculs voulaient
les enserrer. Tous les vieux cadres éclataient. Les forces
physiques se manifestaient dans toute leur puissance aux
savants étonnés : pesanteur, électricité, attraction, affi-
nité chimique, mouvement et chaleur. A l'idée simple et
populaire d'une création instantanée se substituait l'idée
complexe d'une création lentement progressive. Jusque là
effacées, les causes secondes vinrent occuper désormais le
devant du tableau ; par la multiplicité et l'énergie de leurs
effets sensibles, elles accaparaient l'attention, tandis que
l'action de la Cause première, autrefois prédominante,
se trouvait ainsi reportée à l'arrière-plan. 11 était donc
conforme à la logique de la faiblesse humaine que la
Cause première subît une éclipse. » Souben, Nouvelle
Théologie, Paris, 1902, t. 1, p. 44-45.
2. Myopie intellectuelle et morale. — « La myopie
intellectuelle peut se guérir par des études plus appro-
fondies, sincères et loyales. Le mot de Bacon reste tou-
jours vrai : « Un peu de science éloigne de Dieu ; beau-
coup de science ramène à Dieu. » Qu'on leur fasse
comprendre qu'il ne sauraient se croire supérieurs à des
savants tels que Leibnitz et Newton, Leverrier et Faye,
Cuvier et Albert Gaudry, et qu'on peut reconnaître, sans
s'abaisser, le Dieu devant qui de tels hommes se sont
abaissés. Leur exemple est là pour prouver que la con-
ception nouvelle de l'univers ne conduit pas le moins du
454 LE CATÉCHISME ROMAIN
monde à l'athéisme, qu'elle ouvre au contraire des pers-
pectives inattendues sur la grandeur, la toute-puissance
et la bonté de l'Etre qui a tout créé.
« Si l'athée est atteint de myopie morale, il faut lui
faire suivre un traitement différent. Chateaubriand avait
vu juste, lorsqu'il écrivait : « Rien ne trouble le compas
-du géomètre, et tout trouble le cœur du philosophe. »
L'existence de Dieu n'est pas une vérité stérile, c'est une
vérité féconde dont les contrecoups se font sentir d'une
manière parfois redoutable dans notre vie intérieure et
morale. On est porté à la nier, non pour elle-même, non
à cause des contradictions et des impossibilités internes
qu'on y a reconnues, mais à cause des conséquences
irrésistibles qui en découlent pour nous-mêmes. On vou-
drait bien se persuader que Dieu n'existe pas, parce qu'il
est trop gênant pour nous qu'il existe, et comme on
croit volontiers ce qu'on désire, on en vient à préférer le
sophisme au raisonnement, l'erreur commode à la vérité
désagréable. En un mot, la licence de la vie engendre la
licence de la pensée, pour se créer une excuse à ses pro-
pres yeux, excuse misérable qui aggrave la faute et qui
est impuissante à détruire l'immortel objet de sa né-
gation. Ici, le vrai remède, c'est le retour à l'observation
sérieuse et persévérante delà loi morale. » Ibid., p. 57~58.
3. Perte de la foi pour raisons d'ordre intellec-
tuel. — « Il faut tenir compte d'abord de l'atmosphère
intellectuelle, des idées courantes et des préoccupations
ordinaires, du milieu où l'on vit. Quoi d'étonnant qu'un
enfant grandisse, vive et meure sans la foi, qui n'a jamais
entendu parler de Dieu, de la religion, de l'Eglise, que
pour blasphémer, pour en rire, pour en dire du mal ?
« D'autres ont eu la'foi dans leur enfance. Mais le pre-
mier usage qu'ils font de leur raison et de leur liberté,
c'est de tout rejeter avec une légèreté et une présomption
inexcusables, sans étude sérieuse, pour des objections
futiles, pour ne s'en rapporter qu'à soi, pour faire comme
tel ou tel, pour secouer le joug. Ainsi fit Taine à i5 ans.
« L'orgueil et l'amour de la liberté m'ont affranchi, »
écrivait-il lui-même quelques années plus tard. Eman-
Y A-T-IL DES ATHÉES 455
cipation folle et prématurée, dont beaucoup porteront la
peine toute leur vie. Du plus au moins, il y a de cela chez
la plupart des jeunes gens qui perdent la foi, depuis
Taine jusqu'à Jouffroy ou à Renan.
«Cette présomption se complique, chez un grand nom-
bre, d études sérieuses et d'effort intellectuel puissant.
On veut juger de tout, sans avoir acquis encore les ma-
tériaux suffisants ; on se met en face des objections les
plus subtiles, sans avoir l'esprit assez préparé pour voir
la valeur de la réponse ; on veut entrer en lutte, et tout
seul, sans être encore armé ou exercé... Beaucoup d'hom-
mes, grâce en partie aux défauts de la première forma-
tion, sont frappés de cette incurable faiblesse en face de
l'objection. Ils devraient le savoir et ne pas s'exposer à
une lutte inégale. Ils n'en tiennent pas compte : ils
s'exposent et ils tombent. L'imprudence et la présomp-
tion ne sont pas moins funestes à la foi qu'aux mœurs.
«Il peut arriver que l'esprit même soit faussé, déformé,
par une culture trop étroite, trop exclusive. Un tel en
viendra à ne plus admettre que la démonstration ma-
thématique, et il est clair qu'il ne l'aura pas en matière
religieuse et morale.
« Un autre est d'un scepticisme incurable en fait de
métaphysique : il ne pourra être logiquement que scepti-
que sur Dieu ou sur l'âme.
« Quelquefois on se fait une mauvaise méthode ou une
fausse idée de la vraie méthode. Ne vouloir rien admettre
dont on n'ait l'idée claire et distincte, c'est s'exposer à
rejeter bien des idées précieuses ; car ni l'idée n'atteint
tout le réel, ni l'idée claire n'est le seul mode de posséder
la vérité. S'arrêter à ne regarder que les difficultés em-
pêche de voir la réalité substantielle et solide. Une
difficulté insoluble ne peut rien contre une vérité acquise ;
mais en s'attardant autour de la difficulté, on peut
perdre le sens de la vérité possédée et la sécurité de la
possession. Ainsi trop de critique peut éloigner du vrai.
« Il en est qui veulent refaire à eux seuls tout le travail
de l'humanité. Ils n'admettent rien sur la parole d'un
autre ; ils veulent tout voir par eux-mêmes. C'est.s'ex-
456 LE CATÉCHISME ROMAIN
poser à rester pauvre : nous ne pouvons guère être riches
que de l'acquis des autres. En voulant se suffire et ne
rien devoir qu'à soi on mourra de faim.
« Il en est qui font de tout pure matière d'observation et
de critique : dilettantisme intellectuel qui se complait à
voir, à étudier, à comprendre ; qui ne cherche pas le
vrai, mais le plaisir de la recherche et de l'étude. A ceux-
là le vrai se dérobe, du moins le vrai qu'il importe
d'avoir. La religion est affaire sérieuse.
« D'autres ont fait leur siège à l'avance. Il est entendu
qu'il n'y a pas de miracles. Pourquoi se gêner a décou-
vrir une imposture dont on est sûr avant examen ? Il est
entendu que la foi ne saurait aller avec la critique et avec
la science: à quoi bon examiner les raisons des croyants?
(dl faut tenir compte surtout de notre faiblesse d'esprit,
de notre multiple insuffisance, et de notre dépendance
nécessaire ; tenir compte aussi du développement normal
et progressif de notre vie intellectuelle ; en voulant aller
seuls, en voulant aller trop vite, en voulant braver les
obstacles, en voulant aller par nos voies à nous, nous
risquons de nous perdre ou de ne pas arriver. » Bainvel,
Nature et Surnaturel, Paris, 1903, p. 332-336.
•.çL" ..^jl» iio »Çj i-Çj «^.> >{L «/$-• »1S» "/J-» «-^N» *^N» "/S» "/N* *^N» "^" ••&» *^N*
r*» r>fr% «-fc-» r^f» «-A^ «^» rA» «^» i*> «-^» «-A-» "jr» "^r» •>&» •>8r* *N^* *^&» ^fi'*
Leçon XIII
De Dieu
De /a nature de Dieu. — I. Méthode à suivre. —
II. Division des attributs. — III. De quelques
attributs. — IV. Enseignement du concile du
Vatican : Condamnation du Panthéisme.
I. Méthode à suivre
Dieu est ; mais qu'est-il ? Après la question de
son existence, celle de sa nature. Dieu est-il
Y inconnaissable, comme le pré tendait Spencer?
ou, comme le prétendait Littré, est-il « un océan
qui vient battre notre rive, mais pour lequel nous
n'avons ni barque, ni voile ?» — Nullement, et
nous allons indiquer brièvement la marche à
suivre (i).
Notre raison démontre l'existence de Dieu ; nous
savons donc que Dieu est et par là même un peu ce
qu'il est. Mais cela ne suffit pas à notre légitime
curiosité. Nous désirons connaître aussi bien que
possible cette cause première, cet être nécessaire,
parfait, infini. Malheureusement, d'une part, Dieu
nous reste inaccessible en lui-même, nous ne
I. Saint Thomas, Sam. theol., I, Q. ni sq. Pour la bibliogra-
phie, voir les leçons précédentes.
458 LE CATÉCHISME ROMAIN
pouvons arriver jusqu'à lui que par les créatures ;
et, d'autre part, notre raison est bornée ; elle est
donc incapable de comprendre Dieu tel qu'il est,
d'en avoir une notion adéquate, le fini ne pouvant
se flatter d'étreindre l'infini. Lui faut-il donc renon-
cer à pénétrer un peu le mystère de la nature divine,
tout assurée qu'elle est d'avance de n'en pouvoir
soulever tous les voiles ? Loin de là. Dans la mesure
des moyens dont elle dispose et des forces qui lui
sont propres, elle s'y essaie, et elle y réussit
d'autant mieux que sa méthode est plus rigoureuse
et plus sagement appliquée. Sa connaissance de
Dieu grandit ainsi sans cesse, sans qu'elle puisse
jamais épuiser son sujet et le comprendre totalement,
car la distance qui sépare Dieu de nous est incom-
mensurable. Elle atteint du moins quelques résul-
tats positifs et certains, et voici comment.
A l'aide de Yanalogie, grâce aux données de
l'expérience sensible et de l'étude psychologique,
elle se sert du principe de causalité, qui lui permet
de conclure que Dieu est l'Etre nécessaire, l'Etre par
soi, infini et unique ; elle procède par voie d'élimi-
nation ou de négation, ce qui lui permet de connaître
la simplicité, l'immutabilité, l'éternité et l'immen-
sité de Dieu ; et par voie d'affirmation et de sure-
minence, ce qui lui permet d'attribuer à Dieu, mais
à un degré infini, les perfections des créatures. Par
là, elle se forme un concept qui ne peut s'appliquer
qu'à l'être infini. Elle nie d'abord de Dieu tout ce
qui ressemble à une imperfection, à une limite,
comme absolument incompatible avec la nature de
Têtre parfait ; elle affirme de Dieu toute perfection
qu'elle constate dans la créature. Mais ces perfections
des créatures sont toujours courtes par quelque
endroit, comme les êtres qui les possèdent ; la
raison les applique à Dieu d'une manière surémi-
NATURE DE DIEU &b§
nenle, dans toute leur plénitude. Ainsi, par exemple,
toulo créature est limitée dans sa nature, bornée
par le temps et l'espace : la raison nie de Dieu ces
limites, ces bornes; elle le met au-dessus du fini,
du temps et de l'espace ; elle le proclame infini,
éternel, immense. 11 se rencontre dans les créatures
certaines perfections ; il est des êtres qui sont bons,
Sages, justes : la raison proclame aussitôt Dieu bon,
sage, juste, infiniment bon, infiniment sage, infi-
niment juste ; elle déclare même qu'il est la bonté,
la sagesse, la justice, en gardant toujours devers
elle la conviction assurée de ne pas égaler sa pensée
et son expression à celui qui en est l'objet, parce
que. comme le remarque saint Augustin, Dieu est
plu? grand que la grandeur, plus beau que la
bea ité, plus juste que la justice.
Or cette limite de notre connaissance de Dieu,
cette impuissance où nous sommes de le compren-
dre et de l'exprimer, cette impossibilité d'épuiser la
notion de l'infini, justement reconnues par la
raison, sont un hommage à ce Dieu qui reste, en
dépit de tout, absolument ineffable. « Tout peut
être dit de Dieu, remarque l'évêque d'Hippone,
mai à rien n'est dit dignement de Dieu (i). » Et c'est
pourquoi, d'après saint Grégoire le Grand, quand il
veut parler de Dieu, l'homme, fut-il un génie
transcendant, en est réduit à « balbutier (2). »
La raison humaine ne pouvant donc parler de
Dieu d'une manière digne de Dieu, essaie du moins
d'en parler de la manière la moins indigne de
Dieu et la plus digne de l'homme. La marge
est large avant que Dieu lui apparaisse, au bout de
ses efforts, comme l'être par excellence, l'être dans
1. lnevang.Joan., tract., xm, 5; Pair, lat., t. xxxv, col. i4§5.
■— a. Moral., v, 26.
460 LE CATÉCHISME ROMAIN
la plénitude de la perfection, l'être au-dessus duquel,
en dehors duquel et sans lequel rien n'existe ici-bas.
Est-elle assurée du moins de marcher sur un
terrain ferme, de ne pas divaguer et d'atteindre des
résultats vrais ? Oui, certes. Car elle procède ici
comme pour arriver à la connaissance de l'existence
de Dieu. Elle part des créatures et applique le prin-
cipe de causalité. Elle constate des perfections etelle
les attribue à Dieu, comme nous venons de le dire.
Ces perfections sont diverses, multiples ; les idées
que nous en acquérons sont dans notre esprit
comme dans le sujet qui les reçoit, mais elles sont
en Dieu comme dans la source qui les rend vraies.
Ces idées, légitimes et objectives, ne supposent pas
deux concepts différents, mais un seul et même
concept qui, appliqué à Dieu, en reste l'expression
imparfaite, tandis que, appliqué à la créature, il en
est l'expression adéquate, Par suite les noms de ces
concepts ne se disent pas de Dieu et de la créature
au même titre ; ce qu'ils expriment est épuisé par
rapport à la créature ; tandis qu'en Dieu, ce qu'ils
expriment les déborde et les dépasse.
Dieu dépassant infiniment la portée de notre
intelligence, il nous est impossible, par une seule
idée et dans un seul concept, de saisir toute sa
perfection. Nous ne pouvons procéder que succes-
sivement, fragmentairement, pour détailler cette
plénitude de perfection qui est en Dieu ; cette plé-
nitude même en est la cause, et aussi l'imperfection
de notre raison. Force nous est donc de détailler
les perfections que nous trouvons dans les créatures
pour les appliquer à Dieu ; chacune Fexprime à sa
manière, sous un aspect différent, tout en laissant
indivise l'absolue perfection de Dieu ; chacune
n'ajoute pas une réalité nouvelle en Dieu, mais
seulement en nous. Notre raison raisonnante est
ATTRIBUTS DIVINS /|6l
obligée, pour se rendre compte de la nature de Dieu,
d'énumérer divers attributs, de les distinguer les
uns des autres, de les étudier, de les approfondir les
uns après les autres, mais toujours sans prétendre
que ce qu'elle voit ainsi, d'une manière discursive
et par voie d'analyse, soit réellement distinct en
Dieu, qui est la simplicité même, et en prenant
toujours les expressions anthropomorphiques de
l'Ecriture, qui s'adresse à l'homme en parlant de
Dieu, comme une nécessité de s'accommoder à la
manière de comprendre et de parler de l'homme.
II. Principales divisions
des attributs divins
Sous le bénéfice des observations précédentes, on
s'explique comment la raison a étudié les attributs
de Dieu et les a divisés.
D'après la manière de les connaître, les uns sont
appelés négatifs, les autres positifs. Les attributs
négatifs sont ceux dont le concept implique une
négation ; les attributs positifs, ceux dont le concept
implique une affirmation. Qui dit créature désigne
un être créé, dépendant, contingent, composé,
fini, changeant, mesuré par le temps et par l'es-
pace, etc. La négation de ces imperfections constitue
un attribut négatif. Et c'est ainsi que l'on dit de
Dieu qu'il est incréé, indépendant, nécessaire, sim-
ple, infini, immuable, immense, éternel, etc. La
forme étymologique de ces termes ne doit pas don-
ner le change, c'est leur sens qui importe, et quel-
ques-uns, en effet, ont une forme positive, mais ils
sont la négation d'une imperfection. D'autre part,
affirmant de Dieu les perfections que nous trouvons
462 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ * — — ^—— —
dans les créatures, nous disons qu'il est être, subs-
tance, vie, vérité, intelligence, volonté, puissance :
ce sont des attributs positifs.
D'après V analogie, qui existe entre certaines per-
fections de Dieu et celles des créatures, on dii de$
attributs divins que les uns sont communicables , les
autres incommunicables. Les premiers sont en Dieu
à l'état absolu, et dans les créatures à l'état relatif,
participé ; ce sont les attributs positifs déjà signalés.
Les autres restent la propriété exclusive de Dieu ;
ce sont les attributs négatifs.
Parmi les perfections divines, les unes ne suppo-
sent aucun rapport entre Dieu et d'autres êtres ; ce
sont les attributs absolus ; les autres, au contraire,
supposent un rapport entre Dieu et des êtres exté-
rieurs à Dieu ; ce sont les attributs relatifs.
Il existe encore d'autres divisions : nous ne nous
y arrêterons pas, nous contentant de signaler, à la
suite de saint Thomas (i), les principaux attributs
relatifs à la substance de Dieu ; ce sont : la simpli-
cité, la perfection et la bonté, l'infinité et l'ubiquité,
l'immutabilité, l'éternité, l'unité.
III. De quelques attributs de Dieu
i. La simplicité. — Dieu est simple, plus simple
que la pensée, que l'âme, que Fange. Il échappe à
toute composition soit physique, soit métaphysique,
soit logique. On entend par composition physique
l'union de parties substantielles réellement distinc-
tes ; par composition métaphysique, celle de la
puissance et de l'acte, de l'essence et de l'existence,
de l'essence et des attributs, du sujet et des accidents ;
par composition logique, l'union dans un être d'élé-
i. Sam. theol., I, Q. iii-xi.
DIEU EST SIMPLE 463
ments qui lui sont communs avec d'autres êtres du
même genre et d'éléments qui lui sont propres ;
c'est la composition du genre et de la différence
spécifique.
En Dieu, pas de composition matérielle : il est
un esprit ; pas de composition de matière et de
forme : il est un pur esprit ; pas de composition de
puissance et d'acte : il est tout en acte, un acte pur ;
pas de composition logique : il n'entre dans aucun
genre, dans aucune espèce ; pas de composition
d'essence et d'existence : il est son essence, son
existence, sa vie. En Dieu l'être, la substance,
l'essence et l'existence ne sont qu'une seule et même
chose. Dieu, c'est la simplicité souveraine, la sim-
plicité absolue. Et de même qu'il est sans composi-
tion d'aucune sorte, il n'entre dans la composition
d'aucune créature, bien que pourtant la créature ne
puisse être que par lui. Il est l'être de l'être, l'être
des êtres, non par son essence, qui est incommuni-
cable, mais par la cause exemplaire qu'il en a et
par la cause efficiente qui les produit.
2. La perfection. — Un être étant plus ou moins
parfait selon qu'il est plus ou moins en acte, il
s'ensuit que Dieu, qui est le premier principe actif,
la première cause efficiente, toujours et totalement
en acte, un acte pur, est absolument parfait : il
possède la perfection absolue, toutes les perfections
de tous les êtres, dune manière suréminente, et
toute la perfection de l'être. A ce titre, la bonté lui
convient excellemment.
D'autre part, tandis que les créatures sont limitées
par le nombre, par l'espace, par la durée, et sont
sujettes au changement, Dieu ne saurait ni avoir
ces limites ni subir ces changements : de là les
attributs suivants. Point de limites en lui, quant
464 LE CATÉCHISME ROMAIN
aux nombres : étant l'être subsistant en soi, il est
Yinflni. Point de limites dans l'espace : il domine
l'espace, il est immense. Point de limites dans la
durée : il domine le temps, il est éternel. Pas le
moindre changement : il est immuable. Et ce Dieu
d'une simplicité si absolue, d'une perfection si com-
plète, à la fois infini, immense, éternel, immuable,
est unique, est un, il est l'unique, Vun par excellence.
Mais qu'est-ce à dire ? La raison est opprimée par
tant de majesté ; elle ne peut que balbutier, et même,
aidée par la foi, elle se heurte de tous côtés à d'in-
sondables mystères.
3. L'immensité. — Par son immensité, Dieu
domine l'espace. Il est partout, en tous lieux, non pas
qu'il les occupe à la manière des corps qui excluent
la présence des autres xorps, puisqu'il est simple,
non qu'il y remplisse le rôle de l'âme dans le corps,
ceci serait du panthéisme ; mais parce qu'il fait que
l'espace est ce qu'il est, parce qu'il lui donne la
capacité de contenir des êtres et parce que tous
les êtres qui l'occupent, c'est lui qui les a faits. Il
est présent à toute créature et dans toute créature,
non comme partie de son essence ou l'un de ses
accidents, mais comme la cause est présente à son
effet, comme l'agent est présent à son œuvre. En
tout et partout par sa puissance, rien n'échappe à
son pouvoir, depuis les infiniment petits qui
s'abritent sous un brin d'herbe ou de mousse ou
s'agitent dans une goutte de rosée jusqu'aux sphères
géantes qui gravitent dans l'espace. En tout et
partout par sa présence, rien n'est soustrait ou caché
à ses yeux, le fond des cœurs, le secret des conscien-
ces, tout comme l'abîme insondable du firmament
étoile. En tout et partout par son essence, tout ce
qui est, tout ce qui vit, tout ce qui pense a sa raison
DIEU EST ÉTERNEL £65
d'être, de vivre et de penser dans cette cause
efficiente souveraine.
Rappelons-nous le passage du psalmiste, déjà
cité par le Catéchisme romain :
« Ou irai-je devant votre esprit ? .
Où fuirai-je devant votre face?.., »
Ajoutons-y celui de Job (i) :
« II est plus haut que le ciel. Que feras-tu?
Plus profond que le scheol : d'où le connaîtras-tu?
Sa mesure est plus longue que la terre,
Elle est plus large que la mer. »
Et celui-ci de saint Paul : « Le Seigneur est bien
près de nous, puisque c'est en lui que nous trouvons
l'être, le mouvement et la vie (2). » L'homme, par
la pensée, peut franchir les espaces en un clin
d'œil, mais il reste localisé ; Dieu, au contraire, les
remplit sans être localisé. Mystère? Oui, sans doute.
Si l'explication nous échappe, nous en voyons du
moins la nécessité.
4. L'éternité. — De même qu'il domine l'espace
Dieu domine le temps. Il n'a ni commencement ni
fin ; il n'est pas mesuré par la durée. Rien de suc-
cessif en lui ; tout est actuel dans son essence ; tout
ce qui s'y trouve s'y est toujours trouvé, s'y trou-
vera toujours. Point de passé ni d'avenir en Dieu,
mais un présent toujours le même. Passç» futur,
formules nécessaires pour notre usage, car nous
sommes des êtres successifs et changeants, dont les
sourires et les tristesses, les joies et les larmes
s'écoulent sans cesse dans un passé qui n'est plus,
1. Job, xi, 8. — 2. Ad. xx, 27-28.
LB CATÉCHISME. — T. I. 3O
466 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ^— — ^ ~~m— ~~ ■— ■»■"— — — ■ — — ■
dont les espérances et les craintes, chimériques ou
fondées, se perdent dans un avenir qui n'est pas
encore, mais formules absolument impropres et
inapplicables, dès qu'il s'agit de Dieu, et dont
pourtant il faut bien que nous usions, puisque nous
parlons de Dieu en créatures, et dont la Bible elle-
même est obligée de se servir pour se faire entendre
en parlant de Dieu à des hommes. L'Ecriture du
moins prend soin de nous avertir à maintes reprises
que Dieu est éternel.
« Avant la création des montagnes,
La formation de la terre et de V univers,
Vous êtes, Seigneur, et vous serez toujours...
Mille années sont devant vos yeux
Comme la journée d'hier déjà passée,
Comme la veille d'une nuit (i). »
« Au commencement, vous avez fondé la terre,
Et les deux sont l'ouvrage de vos mains.
Ils passeront et vous durerez;
Ils s'useront tous comme un vêtement,
Et vous les changerez comme on change un habit,
Et ils passeront ; mais vous restez le même
Et les années ne vous manqueront pas (2). »
On a dit du temps qu'il était « l'image mobile
de l'immobile éternité. » Mais qu'est-ce que l'éter-
nité ? Impossible de le comprendre et de l'expliquer.
Dire que c'est un jour sans matin ni soir, un présent
immuable sans succession ; la définir avec Boèce :
« la possession entière, simultanée et parfaite d'une
vie sans terme (3), » ce n'est pas en donner une idée
adéquate ; et le mystère reste toujours de savoir
comment Dieu la possède. Saint Augustin, saint
1. Psal, lxxxix, a, £• — 2. Psal, ci, 26 sq. — 3. Cons.,
m, 2.
DÏEU EST IMMUABLE 467
-
Anselme, saint Thomas déclaraient le problème
difficile à résoudre : on peut les en croire. L'homme,
mesuré par le temps, tâche bien de rendre présent
le passé, qui n'est plus, par le souvenir, et devance
l'avenir, qui n'est pas encore, par la prévision, et
c'est à peine s'il jouit d'un moment présent fort
précaire en vérité, tant il est prompt à se transformer
en passé, tant il est vite remplacé par le moment
qui suit. En Dieu, rien de semblable : l'éternel est
son nom.
5. L'immutabilité. — Dieu est enfin au dessus
de tout changement. Parce qu'il est un acte pur, il
ne peut point passer de la puissance à l'acte ; parce
qu'il est absolument simple, il exclut toute espèce
de composition, comme nous l'avons vu; parce qu'il
est infiniment parfait, il ne peut rien perdre, rien
gagner. Donc, en lui, ni contingence, ni possibilité
de changement, comme dans les êtres contingents
et changeants. Il ne change ni dans sa nature, ni
dans sa volonté. « Dieu n'est pas comme l'homme
qui ment, ou comme le fils de l'homme qui change (i). »
« Je suis le Seigneur, dit-il, et je ne change pas (2). »
« Vous restez toujours le même, Seigneur (3). »
« Nombreuses sont les pensées de l'homme, mais
la volonté de Dieu est permanente (4). » « En
Dieu point de changement ni d'ombre de vicissi-
tudes (5). »
Que de fois pourtant la Bible nous montre Dieu
pardonnant après avoir menacé ou puni, exau-
çant la prière après avoir refusé de l'entendre !
Mais ce changement n'est pas en Dieu, il est eu
nous. C'est nous qui sommes pardonnes, après avoir
1. Num.f xxiii, 19. — 2. Malach., ni, 6. — 3. Psal., ci, 27*
— 4. Prov., xix, 21. — 5. Jac, 1, 17.
468 LE CATÉCHISME ROMAIN
mérité ou subi le châtiment ; c'est nous qui som-
mes exaucés, après avoir mal prié ; et l'Ecriture,
ici comme toujours, ne fait que parler notre lan-
gage pour se mettre à notre portée, et montre le
Dieu immuable s'accommodant à notre manière
d'être.
Voilà donc quelques attributs de Dieu, et telle est,
grâce à eux, la notion que nous pouvons nous faire
de la nature divine. Mais cette notion est loin d'avoir
épuisé le sujet ; et fût-elle encore plus complète,
elle ne nous donnerait pas pour cela une idée adé-
quate de Dieu. Elle nous permet du moins de savoir
quelque chose de vrai sur l'être infini, que notre
intelligence est toujours incapable de comprendre
dans toute sa réalité vivante ; du même coup elle
permet de nommer Dieu d'une manière approxima
tive, c'est-à-dire de lui donner des noms qui n'expri-
ment pas, il est vrai, adéquatement son essence
infiniment parfaite, mais qui répondent aussi bien
que possible à notre manière limitée de la con-
naître.
6. Les noms de Dieu. — De tels noms, quand
ils ont un sens négatif, comme infini, immense,
éternel, immuable, ou quand ils impliquent une
idée de relations des créatures avec Dieu, comme
créateur, seigneur, n'expriment pas la substance di-
vine ; mais quand ils ont un sens afjirmatifet absolu,
comme bon, sage, vivant, ils la désignent, ils en
sont les vrais attributs, quoique toujours d'une ma-
nière imparfaite, puisque ils dépendent de la ma-
nière imparfaite dont nous connaissons Dieu. Or,
parmi les noms que nous donnons à Dieu, tous ne
sont pas de pures métaphores ; quelques-uns dési-
gnent à n'en pas douter les propriétés de l'essence
divine, et bien qu'empruntés aux perfections des
LES NOMS DE DIEU £69
créatures, ils s'appliquent beaucoup mieux à Dieu
qu'aux êtres créés. Et ces noms propres de Dieu,
quoique se rapportant à un seul et même être, qui
est la simplicité absolue, n'offrent pas cependant
une synonymie complète, rigoureuse. Ils renferment
des significations multiples, différentes les unes des
autres, parce que les perfections, d'où la raison les
tire, sont diverses dans les créatures ; mais cette di-
versité de signification n'est que dans notre esprit,
et nullement en Dieu (i).
Dans quel sens les mêmes noms peuvent-ils donc
s'î dire de Dieu et des créatures ? Ne parle- ton pas,
en effet, de la sagesse de l'homme, de la sagesse de
Dieu ? Quelques explications sont nécessaires. Les
choses sont désignées d'une manière univoque
quand, sous ces mêmes noms, elles ont la même
essence. Ainsi le mot homme se dit univoquement
de Pierre et de Paul, parce que Pierre et Paul
possèdent la même nature humaine. Elles sont
désignées d'une manière équivoque lorsque, sous
un même nom, elles ont une nature différente.
Ainsi le mot lion se dit d'une manière équivoque du
roi des animaux et du signe du zodiaque. Elles sont,
enfin désignées d'une manière analogue lorsque,
sous le même nom, elles ont des ressemblances
accidentelles, des analogies.
Gela dit, il est évident que les mêmes noms don-
nés à Dieu et aux créatures ne peuvent avoir un
sens univoque, puisque la nature de Dieu diffère de
celle des créatures. Ils ne peuvent pas davantage
avoir un sens purement équivoque, parce que si la
nature de l'être souverain et celle de l'être contin-
gent différent essentiellement, elles offrentdu moins
certains traits de ressemblance. Ces noms ne peu-
i. Sam. theol., I, Q. xni.
47° LE CATÉCHISME ROMAIN
vent donc s'employer que dans un sens analogue,
qu'il importe de préciser. Car il y a deux sortes
d'analogie, l'une qui n'éveille qu'une simple idée
de rapprochement, par exemple, entre la cause et
son signe, l'autre qui indique au contraire un rap-
port déterminé de cause et d'effet, et c'est de cette
dernière analogie qu'il est question ici. Les termes
analogues n'expriment pas la même idée comme les
univoques, ni une idée totalement différente comme
les équivoques, mais sous des significations diver-
ses un véritable rapport. Or, le rapport d'analo-
gie qui existe entre Dieu et les créatures est préci-
sément celui de la cause et de l'effet. Par suite,
quand on emploie les mêmes noms pour parler de
Dieu et des créatures, c'est par analogie : dans les
créatures, ils servent à désigner l'effet ; en Dieu, ils
indiquent la cause de cet effet.
Or, parmi les termes dont on se sert pour dési-
gner la cause première, est le nom universellement
connu de Dieu. Celui-ci, dans son sens propre, ne
convient qu'à l'être absolu, il est donc incommuni-
cable ; mais, dans un sens restreint, il peut être
parfois appliqué aux créatures par analogie. Le
nom propre par excellence de Dieu est le nom ré-
véré entre tous, le tétragramme sacré de la Bible :
Iahveh, ou Jéhovah, celai qui est. Ce nom-là exprime
d'abord l'être même ; il a une signification plus
.générale que tout autre ; c'est « l'être tout entier,
l'océan sans bornes et sans rivages de la substance, »
comme dit saint Jean Damascène (i) ; et il signifia
l'être toujours actuel, toujours présent, sens qui
convient admirablement à Dieu, puisqu'en Dieu il
AÏi'y a ni passé ni futur.
i. Defid. orth , i, ia.
DIEU EST INCOMPRÉHENSIBLE i']!
—
IV. Enseignement du concile
du Vatican
Le concile du Vatican, placé en face des erreurs
modernes, s'est appliqué à les combattre et à les
condamner directement. Aussi, sur la question de
savoir ce qu'est Dieu en lui-même, tout en restant
l'écho fidèle du symbole de saint Athanase (i) et du
ive concile de Latran (121 5) (2), a-t-il expressément
voulu, par un choix déterminé, opposer l'enseigne-
ment catholique aux erreurs des derniers siècles.
C'est pourquoi de tous les attributs de Dieu n'a-t-il
retenu, ce qui n'est pas pour exclure les autres, que
l'éternité, l'immensité, l'incompréhensibilité et
l'infinité en intelligence, en volonté et en toute per-
fection. Voici comment il s'exprime : « La sainte
Eglise catholique, apostolique, romaine, croit et
professe qu'il y a un seul Dieu vrai et vivant, créa-
teur et seigneur du ciel et de la terre, tout puissant,
éternel, immense, incompréhensible, infini en intelli-
gence, en volonté et en toute perfection (3). »
Ayant déjà parlé de l'éternité et de l'immensité,
nous n'y reviendrons pas ; nous traiterons seule-
ment des autres attributs.
1. Incompréhensibilité. — Dieu est incom-
préhensible, déclare le concile du Vatican dans cette
profession de foi. Qu'entendre par là? Car les mots
latins et français, bien qu'identiques quant à la
forme, ont un sens différent. En français, les mots
comprendre, incompréhensible, n'ont pas un sens
1. Denzinger, n. i36. — a. Ibid.t n. 355. —3. Const. Dd
Filius, c. i, S 1.
4^2 LE CATÉCHISME ROMAIN
■ ■■ ■ I I I ..!■! I ... - ■ ■-.. I. -..—■■■■ I- — - >
correspondant aux mots latins comprehendere, incom-
prehensibilis. Comprendre signifie, pour nous, se
rendre compte d'une chose, en avoir l'intelligence,
et répond ainsi au sens du verbe latin inteUigere ;
incompréhensible signifie une chose dont on ne
peut pas se rendre compte, dont on ne peut
pas avoir l'intelligence. En latin, comprehendere
exprime la prise de possession, la possession
d'un objet ; c'est ainsi que la possession de la
béatitude est une comprehensio . Mais appliqué à
l'intelligence, ce terme signifie connaître parfaite-
ment. Or connaître parfaitement une chose, c'est la
connaître autant qu'elle est connaissable. Dieu seul
peut se comprendre ainsi et avoir de lui-même une
connaissance absolument adéquate. Mais vis-à-vis
de la créature raisonnable, même surélevée par la
grâce, même jouissant de la vision béatifique, Dieu
reste incomprehensibills , incompréhensible, au sens
des conciles de Latran et du Vatican. La créature le
connaît par la raison, par la foi ici bas, par la vision
au ciel, mais toujours d'une manière créée, jamais
d'une manière compréhensive . Elle ne peut donc
comprendre Dieu au sens théologique du mot
comprendre ; c'est-à-dire elle ne peut pas connaî-
tre Dieu autant que Dieu est connaissable. La vision
intuitive elle-même, qui est pour la créature le
mode le plus parfait de connaissance de Dieu,
donne bien une véritable connaissance de l'essence
divine, mais pas la connaissance parfaite et com-
préhensive que Dieu a de lui-même ; car elle ne lui
fait pas connaître tout ce que Dieu y voit (i).
i. Les théologiens discutent pour savoir quelle est la raison
fondamentale des limites de la vision intuitive, vision qui n'a
ni l'étendue ni l'intensité de la compréhension que Dieu a de
lui-même. Cf. Franzelin, De Deo, th. xvm ; Casajoana, De Dlo,
77-85.
DIEU EST DISTINCT DU MONDE ^3
2. Infini en intelligence, en volonté, en toute
perfection. — Trois déterminatifs du mot infini ;
ils n'ont pas été choisis sans motif, et chacun d'eux
porte contre les erreurs visées par le concile.
Dieu est dit infini en intelligence et en volonté.
Pourquoi ? Pour condamner explicitement le pan-
théisme matérialiste, d'après lequel la divinité n'est
qu'une nécessité aveugle, impersonnelle, une loi
fatale, sans intelligence ni volonté.
Infini en perfection. Pourquoi ? Parce que, en
Dieu, nous l'avons dit plus haut, la perfection ne
peut être relative, elle est absolue. Mais le concile
a mis : en toute perfection, au singulier. Serait-ce
qu'en Dieu, l'être absolument simple, les perfections
seraient réellement multiples, diverses, distinctes,
chose que nous avons déjà déclarée impossible ?
Nullement. Mais, définissant pour des hommes, le
concile a dû s'accommoder à la manière humaine
de concevoir, de comprendre et d'exprimer Dieu.
De plus, en déclarant Dieu infini en intelligence,
en volonté et en toute perfection, on écarte le
sens ancien du mot infini, chose inachevée ou
incomplètement déterminée, et le sens de Hegel qui
n'y voyait qu'un être idéal, collection de toutes les
perfections possibles, mais toujours en formation
ou en train de se réaliser.
3. Dieu distinct du monde. — Pour ne donner
lieu à aucune méprise, le concile poursuit ses
précisions dogmatiques en ces termes : « Ce Dieu
éternel, immense, incompréhensible et infini, étant
une substance spirituelle unique par nature, tout à fait
simple et immuable, doit être déclaré distinct du monde
en réalité et par son essence (i). » Encore un choix
i. Const. Dei Filins, c. I, S i.
k"]k LE CATÉCHISME ROMAIN
d'expressions en vue du panthéisme qui confond
Dieu avec le monde. Déjà réprouvé par le iv° concile
de Latran, plutôt comme une folie que comme une
hérésie, le panthéisme n'en avait pas moins reparu
dans les siècles suivants. Sous ses métamorphoses
incessantes, variant au gré des esprits audacieux
qui ont cherché à le réduire en système, le pan-
théisme repose sur cette erreur capitale, que Dieu
et le monde sont con substantiels, soit qu'on absorbe
Dieu dans le monde, soit qu'on fasse de Dieu le
sujet unique de tous les phénomènes. De plus il
aboutit fatalement à des conséquences désastreuses et
immorales qui révoltent la conscience, le bon sens,
et détruisent de fond en comble toute moralité.
Déjà, au xvne siècle, le juif Spinoza (f 1677) avait
fait reposer le panthéisme sur un axiome, d'appa-
rence vraie, et sur une définition absolument fausse
de la substance. L'axiome était ainsi formulé : « Tout
ce qui est et tout ce qui peut être conçu comme
existant, se ramène à Furie des trois catégories de
substance, d'attribut ou de mode. » Cet axiome serait
vrai si les termes qu'il emploie gardaient leur accep-
tion ordinaire. Mais il n'en est pas ainsi. Car,
pour Spinoza, la substance est ce qui est en soi et
est conçu par sol, c'est-à-dire, ce dont le concept peut
être formé sans avoir besoin da concept d'une autre
chose. Au sens ordinaire du mot substance, Spinoza
ajoute l'idée d'être conçu par soi, qui n'est applicable
qu'à Dieu ; grâce à ce subterfuge, il est en droit de
rayer de la catégorie des substances et de reléguer
dans celle des attributs ou des modes tout ce qui
n'est pas Dieu ; il proclame l'unité absolue de subs-
tance, ce qui ouvre la porte au panthéisme. Mais le
subterfuge doit être signalé, et il faut refuser à Spi-
noza le droit de supprimer les substances, entendues
au sens ordinaire. Ce point de départ étant faux,
DIEU EST DISTINCT DU MONDE ^5
tout son édifice croule en dépit de la rigueur géomé-
trique dont il a su l'envelopper.
Au xvin6 siècle, Kant, par la rigueur de sa Critique
de la raison pure, avait créé le subjectivisme et
interdit à l'esprit humain le droit de pénétrer dans
l'absolu ; l'absolu, il est possible qu'on le conçoive,
disait-il, mais il est impossible de savoir s'il existe.
Fichte (f i8i4), sans sortir du subjectif, résolut
de créer l'absolu, de créer Dieu, rien qu'avec son
moi. En disant je suis moi, on prend conscience de
soi ; or, en disant je suis, le moi « se pose, » c'est-
à-dire se crée, est cause de lui-même, c'est l'absolu,
l'infini. Mais, en même temps qu'il se « pose, » il
« s'oppose, » c'est-à-dire qu'en même temps qu'il se
connaît comme actif, il se connaît comme passif,
comme limité, comme déterminé par le non-moi> ou
par les choses extérieures ; et par là le moi crée le
monde tout comme il s'est créé lui-même. Donc,
pas de Dieu, et c'est l'athéisme ; ou bien, au fond,
c'est l'homme qui est Dieu, et c'est de l'anthropolâ-
trie ou du panthéisme subjectif.
Son disciple Schelling (y i854) allait servir d'inter-
médiaire entre lui et Hegel. Il part comme Fichte
du moi absolu, mais il admet que la nature est quel-
que chose de plus qu'une simple création du moi,
une réalité objective ; réalité qui s'ajoute à la réalité
subjective comme une manière différente de consi-
dérer les objets, mais qui n'empêche pas la réalité
d'être unique et de constituer l'absolu. Or cet absolu
n'est pas le parfait ; ce n'est qu'un germe, indéter-
miné et inconscient, capable de se développer, de
se réaliser ; et il se réalise, soit dans le monde
d'une manière inconsciente, soit dans l'homme où
il prend conscience de lui-même, par un progrès
indéfini dans l'histoire de la civilisation. S'il est le
principe, tel que nous venons de le dire, il est aussi
/l'y 6 LE CATÉCHISME ROMAIN
la fin, l'idéal toujours poursuivi, jamais atteint,
toujours en train de se faire, à travers le temps et
l'espace, dans le monde et l'humanité, par la nature
et l'humanité. Cette théorie est du panthéisme, si
l'on veut, mais c'est aussi de l'athéisme.
Hegel (j* i83i) a précisé la méthode du panthéisme
idéaliste et il a formulé la théorie du processus ou
progrès, dont Schelling n'avait qu'affirmé l'existence.
La contradiction étant à la base et faisant le fond du
système, Hegel, par un audacieux défi au bon sens
et à la raison, a proclamé le principe de Y identité des
contradictoires, dont voici la formule à couleur
scientifique. Dans la nature, toute chose traverse
trois phases successives : le moment d'enveloppe-
ment ou de la chose en soi, c'est la thèse ; le moment
où la chose sort de soi, en se niant elle-même, c'est
Y antithèse ; le moment où elle se replie sur elle-même
et ramène à l'unité les deux premiers moments, c'est
la synthèse. En partant donc de cette idée fondamen-
tale que tout ce qui est est un développement de
l'absolu, on a dans cette triple formule : affirmation,
négation, conciliation, la loi même de la vie (1).
L'absolu, c'est l'idée ; l'idée, en se développant,
acquiert la conscience d'elle-même, c'est l'esprit ; et
l'absolu, c'est Dieu. Mais Dieu est identique au
néant, puisque, d'après le principe fondamental
posé au début du système, les contradictoires sont
identiques.
Telle est la systématisation du panthéisme au
xviii6 et au xixe siècles. On ne saurait aller au delà.
Malheureusement le panthéisme ne s'est pas con-
tenté de faire des victimes en Allemagne ; il en a
fait aussi en France ; et nous signalions plus haut,
dans les doctrines de Yacherot et de Renan, des
1. De Margerie, Théodicée, t. 11, p. i3G sq.
DIEU EST DISTINCT DU MONDE 477
infiltrations caractéristiques des théories panthéis-
tiques.
L'Eglise, gardienne de la vérité, n'a pas pu laisser,
sans protester, de telles doctrines ravager les âmes.
Pie IX, dans son allocution Maxima quldem du
9 juin 1862 (i), avait condamné le panthéisme. A
son tour, le concile du Vatican a repris la question
pour formuler, sur ce point, aussi nettement que
possible, la foi catholique. De là le choix si judicieux
des termes pour couper court à toute échappatoire.
Qu'enseigne, en effet, le concile ?
Le panthéisme regarde Dieu comme une substance
immanente au monde , et la seule, puisque toute chose
finie et contingente n'est qu'un accident de cette
substance ; ou bien encore il regarde Dieu comme
Vàme du monde. Et le concile dit : pas de substance
unique. Dieu et le monde ne forment pas un com-
posé substantiel, où Dieu jouerait le rôle de forme
ou de principe vital. Quelle que soit la substance
du monde, et il y en a une très certainement, elle
ne saurait être ni la substance de Dieu, ni un mode
accidentel de cette substance divine. C'est pourquoi
le concile caractérise la substance de Dieu, en
l'appelant spirituelle par opposition avec la substance
du monde et les substances des êtres composés.
Mais cela ne suffit pas ; car, en dehors de Dieu, il
existe d'autres substances spirituelles comme celle
des anges ; le concile précise donc en disant que la
substance divine spirituelle est unique par nature,
tout à fait simple et immuable. Or, nous avons vu ce
qu'il faut entendre par ces attributs d'unité, de
simplicité et d'immutabilité ; appartenant en propre
à Dieu, selon la déclaration du concile, il faut que
1. Cette condamnation devint la première proposition du
Syllabus ; Denzinger, n. i548.
/I78 LE CATÉCHISME ROMAIN
^— -^— — — — — — — i — — ^— — ^m
Dieu se distingue de toute substance spirituelle
autre que lui. Et pour couper court à toute équivo-
que, le concile a soin d'ajouter que cette substance
spirituelle de Dieu, unique par nature, tout à fait
simple et immuable, n'est pas immanente, mais
transcendante, car Dieu doit être déclaré distinct du
monde en réalité et par son essence. Enfin, pour
compléter son enseignement dogmatique sur la
nature de Dieu, il termine par un dernier trait :
Dieu, dit-il, est « bienheureux en lui-même et par
lui-même, et élevé indiciblement au-dessus de tout
ce qui est et peut se concevoir en dehors de lui (1). »
A cette exposition doctrinale s'ajoute, sous forme
d'anathèmes, la condamnation des systèmes pan-
théistiques, dont nous venons de parler. Qu'on en
remarque la propriété et la précision des termes.
Sont condamnés et le panthéisme substantiel, celui
qui conçoit Dieu et le monde comme consubstan-
tiels ; et le panthéisme essentiel de Schelling, celui
qui fait du moi et du non-moi, de l'esprit et de la
matière, du fini et de Finfini, du réel et de l'idéal,
la réalisation progressive d'une seule et même
essence ; et le panthéisme de Vêtre universel de Hegel.
Canon 3 : « Anathème à qui dirait que la subs-
tance ou l'essence de Dieu et de toutes choses est
une et la même. »
Canon 4 : « Anathème à qui dirait que les choses
finies, soit corporelles, soit spirituelles, ou que du
moins les spirituelles sont émanées de la substance
divine ;
« Ou que l'essence divine, par la manifestation ou
l'évolution d'elle-même, devient toutes choses ;
« Ou enfin que Dieu est l'être universel et indéfini
qui, en se déterminant, constitue l'ensemble des
1. Const. Dei Filius, c. 1, S i.
DIEU EST DISTINCT DU MONDE 4 79
choses et leur distinction en genres, en espèces et
en individus (i). »
1. Le Positivisme et l'idée de Dieu. — L'idée, la
notion de Dieu, sa nature ont été singulièrement défigu-
rées en France pendant le xix° siècle, soit par l'école
positiviste, soit par la critique idéaliste : elles aboutissent
au panthéisme ou à l'athéisme. Sans vouloir en raconter
toutes les phases, il semble utile d'en dire quelque
chose, ne serait-ce que pour montrer jusqu'où peut aller,
chez les intelligences les plus hautes et les plus cultivées,
la décroissance de la foi philosophique et religieuse.
Le positivisme, emprisonné par sa méthode, renonce
non seulement à définir Dieu mais encore à se poser la
moindre question sur son existence ou sa nature. La
méthode positive, en effet, condamne absolument toute
recherche concernant les principes, parce qu'elle ne peut
aboutir ; elle bannit de ses études, comme inaccessibles à
l'expérience, aussi bien les causes finales que les causes
premières ; elle supprime le problème de l'origine et de
la distinction du monde ; elle se passe de l'hypothèse
Dieu. Réduite aux phénomènes sensibles, elle s'y appli-
que exclusivement et se contente d'expliquer ce qui est par
un mécanisme aveugle et inconscient, ou par un proces-
sus immanent à la matière, nécessaire et fatal, mais
d'une prodigieuse habileté pour profiter des moindres cir-
constances, pour s'adapter aux divers milieux, pour
choisir les meilleurs moyens dans le but d'atteindre une
fin déterminée. Et ainsi positivistes, évolutionistes, se
passent de Dieu comme d'une hypothèse inutile, ou
réconduisent, « en le remerciant de ses services provisoi-
res, » comme disait Auguste Comte. Finalement, c'est
l'agnosticisme érigé en système. Herbert Spencer proclama
l'existence de Y Inconnaissable, mais le déclara inacces-
sible à notre raison. C'est donc comme si Dieu n'existait
pas, c'est-à-dire de l'athéisme pratique.
Mais, comme malgré tout, l'esprit humain tient essen-
i. Const. Dei Filus, c. i, can. 3 et 4.
£80 LE CATÉCHISME ROMAIN
tiellement à se rendre compte des choses, l'obligation s'est
imposée d'expliquer le monde sans l'intervention exté-
rieure d'un Dieu créateur, organisateur et providence. Et
l'on s'y est essayé, non sans efforts ni sans peines, mais à
coup d'hypothèses plus déconcertantes les unes que les
autres. La genèse du monde à dû s'expliquer par le
monde lui-même, par une action incessante, qui, peu à
peu et avec le temps, ne cesse d'évoluer, de se détermi-
ner, de progresser. L'être s'élève ainsi, par une métamor-
phose lente et inconsciente, du pur mécanisme des origi-
nes jusqu'à la région sereine de l'idéal. De forme en forme,
de règne en règne, de la matière primitive, en passant
par l'état de minéral, puis de végétal, puis d'animal, il
arrive à prendre conscience de lui-même dans l'être intel-
ligent qu'est l'homme. Parti depuis longtemps, et tou-
jours en marche, il est loin encore d'être arrivé à son
dernier terme. Et comme il n'y a que cet être qui existe,
toujours en train de se faire, de prendre conscience de lui-
même, c'est en somme du pur panthéisme. D'un côté
comme de l'autre, le positivisme est condamné.
2. Le Dieu de l'Idéalisme. — Vacherot, au siècle
dernier, imagina la théorie du Dieu réel, mais imparfait,
et du Dieu idéal, mais non existant. Il aboutissait à ce
résultat par trois propositions qu'il liait étroitement l'une
à l'autre. Dieu, disait-il, est l'être pur ; et en cela il avait
raison, caries théologiens proclament son absolue simpli-
cité et le définissent un acte pur. Or, ajoutait-il, l'être pur
c'est l'être indéterminé ; et il appliquait ici le faux
principe de Spinoza, que toute détermination est une
négation et une limitation. Donc, concluait-il, l'être indé-
terminé c'est l'être non réel, Dieu ; conclusion fausse.
« La première conception théologique, dit Caro en
résumant la théorie de Yacherot (i), est celle de l'être, de
l'Etre en soi, un, parce qu'il est tout ; infini, parce qu'il
est sans borne dans le temps et l'espace ; absolu, parce
qu'il n'a besoin d'aucune condition, soit pour exister, soit
i. Caro, L'idée "de Dieu, 5e édit., Paris, 1873, p. 225-226.
LE DIEU DE L'IDÉALISME 4^1
pour agir ; nécessaire, parce qu'il est tel que son essence
implique son existence ; universel, parce qu'il comprend
la totalité des phénomènes. Cette conception, nous la
tirons, par une opposition forcée des notions empiriques
de phénomène, de multiplicité, de relation, de contin-
gence, d'individualité. Dieu, à ce premier degré, ou ce
premier Dieu de la métaphysique, est la synthèse, l'unité
rationnelle de ces conceptions de l'Etre en soi, de l'Infini,
de l'Universel. Toute détermination empirique répugne à
son essence. Ame ou corps, esprit ou nature, personne ou
chose, nul être individuel, si grand, si pur, si parfait
qu'il soit, ne peut contenir sa réalité infinie. Il n'est
aucune des réalités finies, mais il les contient toutes, non
pas en puissance seulement, mais en acte. En ce sens il
est Esprit, mais comme il est Nature. Il est intelligence
et volonté, mais comme il est instinct et nécessité. La loi
de sa relation au monde n'est pas celle de cause à effet.
Il n'y a pas de relation de ce genre-là où il y a identité
substantielle des deux termes. Son vrai nom est la Vie
universelle. C'est en lui et par lui que tout se meut, existe
et vit, non dans le sens plus ou moins figuré où saint Paul
le dit, mais dans un sens exact et littéral. L'Etre infini
n'est pas seulement réel, il est tout le réel ; il est le Dieu
vivant (i).
Or, cet Etre universel, envisagé dans sa réalité, c'est le
monde ou le cosmos ; envisagé dans son idée, c'est Dieu.
Sous le premier aspect, c'est-à-dire dans son existence à
travers le temps et l'espace, Dieu vit réellement, mais il
est imparfait. Pour être parfait, il doit nécessairement
passer à l'état idéal, mais alors sa divinité parfaite lui
coûte la réalité : il n'existe pas.
La réalité, en effet, et la vérité on perfection s'opposent :
ce sont des termes contradictoires. La réalité est vivante,
concrète, déterminée ; la vérité, c'est l'idée pure, la per-
fection absolue. La réalité peut aspirer à la vérité, mais
ne l'atteindra pas ; la vérité, en tout cas, ne peut tomber
dans la réalité. L'essence s'oppose à l'existence ; celle-ci
i. Vacherot, La métaphysique et la science, i" édit., Paris,
t. h, p. ooo, 537.
IB CATÉCHISME. — T. I. }I
482 LE CATÉCHISME ROMAIN
se développe dans la réalité des phénomènes, des formes,
à travers le temps et l'espace, dans la nature et l'histoire,
tandis que l'essence n'a son siège que dans la pensée-
pure. Essence, type, vérité, idée pure, idéal suprême,
perfection, ce sont les vrais noms de Dieu. Mais si Dieu
est conçu comme réel, il ne les mérite plus. Il faut donc
choisir entre l'Infini réel et vivant, qui n'est pas parfait,
ou l'Etre parfait qui n'est pas vivant.
C'est l'être parfait que choisit Vacherot. « C'est le Dieu
abstrait de la pensée pure, en dehors du temps, de-
l'espace, du mouvement, de la vie, de toutes les condi-
tions de la réalité. C'est le Dieu que, dans leur élan de-
spéculation, Platon, Plotin, Malebranche, Fénelon pour-
suivent en vain comme un être réel ; le Dieu dont l'acti-
vité est sans mouvement, la pensée sans développement,
la volonté sans choix, l'éternité sans durée, l'immensité
sans étendue. Ce Dieu-là qu'une philosophie contempo-
raine nous représente relégué sur le trône désert de son
éternité silencieuse et vide, n'a pas d'autre trône que-
l'esprit, ni d'autre réalité que l'idée (i) ».
Ainsi, dans le système de Vacherot, deux sciences, la
théologie et la cosmologie, ont le même objet, mais elles
l'envisagent à deux points de vue différents ; la théologie
étudie le Dieu idéal, mais non existant ; la cosmologie
étudie le Dieu réel, mais non parfait ; la théologie est
une cosmologie idéale ; la cosmologie, une théologie posi-
tive. Leur objet, c'est Dieu, vu par l'une dans son état de-
perfection, vu par l'autre dans son existence réelle. Dieu
est l'idée du monde ; le monde est la réalité de Dieu (2).
Point d'autre démonstration que cette incessante opposi-
tion entre sa forme concrète et le type, l'existence et
l'essence, la réalité et la vérité, et toujours même conclu-
sion : Dieu parfait n'est pas un être vivant ; autrement
dit, il n'existe pas, ce qui est de l'athéisme.
Mais Vacherot tenait à ne point passer pour athée. Aux
accusations d'athéisme, il répondait par des professions
de foi, dont quelques-unes sont fort éloquentes, mais qui
1. Vacherot, toc, cit., U xi, p, 5oo, 53g. — a. Ibid., p. 5oi»
LE DIEU DE L'IDÉALISME l\S3
s'adressaient au Dieu abstrait. Quant à son Dieu réel, il
devenait l'occasion d'une accusation de panthéisme, à
laquelle il lui était impossible d'échapper. Nous ne pou-
vons que la signaler. M. Garo écrivait (i) : « Je suis
obligé de convenir que je vois le panthéisme sortir de
chaque point de celte doctrine. Que la conscience de M.
A acherot ne soit pas panthéiste, je l'accorde de grand
cœur ; mais que son système ne le soit pas, c'est ce que
toute la subtilité du monde ne pourrait obtenir. Ce carac-
tère du système de M. Vacherot est si évident pour ceux
qui ont ouvert son livre, que toute démonstration leur
semblera inutile. »
Déjà, en i85i, à la lin de la publication de son Histoire
de l'école d'Alexandrie, Vacherot, alors directeur de
l'Ecole normale supérieure, s'était attiré de la part de
Gratry, aumônier de l'Ecole, l'accusation formelle d'a-
théisme : « Vous n'avez pas l'athéisme dans le cœur, lui
disait l'aumônier ; mais votre philosophie, c'est l'athéis-
me, inévitable résultat de votre méthode, la sophistique.
Votre doctrine, c'est l'athéisme. Qu'on me comprenne. Je
ne dis pas le panthéisme, mais je dis l'athéisme (2). »
3. L'idée de Dieu dans Renan. — Renan a eu deux
conceptions de Dieu dans sa vie, l'une au début, comme
cela ressort de ses Etudes d'histoire religieuse, l'autre à la
fin. Pour la première, c'est un symbole, le symbole des
nobles instincts de l'àme ; pour la seconde, c'est l'Infini
vague, l'Absolu de Hegel, en train de se réaliser dans la
nature et dans l'humanité, servant à la fois de substance
et de trame aux choses. Examinons-les l'une après l'autre,
d'un trait rapide.
Le Dieu subjectif. Renan partage l'humanité en deux
portions : les parties simples et les parties cultivées. Aux
simples, qui ne sont pas arrivés à la vie réfléchie et qui
sont frappés d'une sorte d'incapacité scientifique, con-
vient et appartient la religion ; aux cultivés, qui sont
gens de réflexion et de savoir, revient la culture propre
1. Vidée de Dieu, p. 261 . — 2. Gratry, Etude sar la sophis*.
tique contemporaine, Paris , i85i, p. 52-53, i3o-i3i, 224.
£84 LE CATÉCHISME ROMAIN
de la science et de l'art. Or, la religion est d'origine
humaine, mais dans sa partie simple. Voici comment.
Renan nie que le miracle ou le surnaturel pénètre dans
la trame de l'histoire ou de la vie humaine, et par suite
donne à entendre que tout, dans le monde moral comme
dans le monde physique, s'explique naturellement. Car
toute religion est l'œuvre spontanée de la conscience ; et
spontanéité, sous la plume de Renan, est synonyme
d'ignorance. Or, la spontanéité se manifeste soit par
la crédulité timide, qui crée la légende, c'est-à-dire
un mélange de réel et d'idéal, soit par Y hallu-
cination, qui crée le mythe, c'est-à-dire une pure fic-
tion. Par le mythe, la spontanéité a créé les religions
de l'antiquité ; par la légende, elle a créé le christianisme.
Vient la réflexion, la culture, le savoir, et les fantômes
du mythe ou de la légende disparaissent et la religion
disparaît avec eux pour laisser place à l'art. C'est la con-
clusion dernière et suprême des Etudes d'histoire reli-
gieuse.
L'influence de Kant se fait sentir ici. Renan conçoit
Dieu comme l'auteur de la Critique de la raison pure :
c'est quelque chose de subjectif, sans réalité objective.
Ainsi que le résume Caro, l'homme l'ait Dieu. L'homme
crée Dieu en pensant. Il appelle de ce nom sublime le
mobile secret et intérieur de toutes ses grandes aspira-
tions. Dieu, c'est pour lui le type le plus élevé de la
science, de l'art. C'est le vrai qu'il conçoit, c'est le beau
qu'il imagine. C'est tout cela, mais ce n'est pas un être.
C'est t@ut cela, mais ce n'est pas une réalité distincte de
ce que nous pensons ; c'est l'esprit de l'homme réfléchi
dans ce qu'il % a de plus grand ; c'est le cœur de l'homme
réfléchi dans ce qu'il y a de plus pur. C'est toujours
1 esprit et le cœur de l'homme. C'est toujours l'homme (i).
Renan a dit, en effet, que l'humanité « ne se trompe pas
sur l'objet même de son culte : ce qu'elle adore est réel-
lement adorable ; car ce qu'elle adore dans les caractères
qu'elle a idéalisés, c'est la bonté et la beauté qu'elle y a
unies. » « Les symboles ne signifient que ce qu'on leur
i. Caro, L'idée de Dieu, p. G3.
LE DIEU DE L'IDÉALISME £85
ordonne de signifier ; l'homme fait la sainteté de ce qu'il
croit comme la beauté de ce qu'il aime (i). » Pour
l'homme réfléchi. Dieu c'est la catégorie de F idéal. « Le
mot Dieu étant en possession des respects de l'humanité,
ce mot ayant pour lui-même une longue prescription, et
ayant été employé dans les belles poésies, ce serait ren-
verser toutes les habitudes du langage que de l'aban-
donner. Dites aux simples de vivre d'aspiration à la
vérité, à la beauté, à la bonté morale, ces mots n'auraient
pour eux aucun sens. Dites-leur d'aimer Dieu, de ne pas
offenser Dieu, il vous comprendront à merveille. Dieu,
Providence, immortalité, autant de bons vieux mots, un
peu lourds peut-être, que la philosophie interprétera dans
des sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne rem-
placera jamais avec avantage. Sous une forme ou sous
une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos besoins
supra-sensibles, la catégorie de l'idéal, c'est-à-dire la
forme sous laquelle nous concevons l'idéal, comme
l'espace et le temps sont les catégories des corps, c'est-à-
dire les formes sous lesquelles nous concevons les
corps (2). ))
Tel est le Dieu subjectif de Renan, la catégorie de
l'idéal, une pure forme de la raison. Et par suite le sen-
timent religieux se confond ici avec l'émotion esthétique.
C'est un Dieu qui n'habite plus le ciel, mais seulement
les hautes régions de l'esprit, objet intime et immanent
du culte que lui offre le cœur ; c'est un Dieu, dont le
nom et dont le culte ne parviennent pas à masquer
l'athéisme subtil.
Le Dieu devenir. Renan, à ses débuts, a écarté le pro-
duit de la spontanéité, dû aux parties simples de l'huma-
nité, en faveur de la réflexion, du savoir et de l'art, et a
abouti à un Dieu abstrait tel qu'on peut dire qu'il n'existe
pas réellement. Plus tard, écartant de même les résultats
de la théodicée expérimentale, parce que ni la nature ni
l'histoire ne prouvent Dieu, ainsi que les affirmations de
la théodicée spéculative, parce que l'abstraction est aussi
1. Renan, Etudes d'histoire religieuse, préf., p. 334. — 2. Ibid.,
p. 419.
J86 LE CATÉCHISME ROMAIN
inefficace à prouver Dieu que l'expérience, Renan s'est
jeté dans le mysticisme. « Dieu, disait-il, est le produit de
la conscience, non de la science et de la métaphysique.
Ce n'est pas la raison, c'est le sentiment qui détermine
Dieu. » Voilà un Dieu à la taille de l'homme et au niveau
de son esprit, un Dieu que chacun se fait à sa guise.
Quel sera ce Dieu ? et est-il autre chose qu'un nom 7
Renan répudie toutes les formules des systèmes mé-
taphysiques ; comme Vacherot, il reprend à son compte,
à la suite d'Hamilton, l'axiome de Spinoza que toute dé-
termination est une négation, pour rejeter toute idée de
Dieu religieuse ou philosophique, par le seul fait qu'elle
fausse l'idée de Dieu, en le déterminant. Il se gardera
donc, par respect, de limiter Dieu par une formule quel-
conque, il préférera garder le silence ou il se contentera
de dire simplement que Dieu est, sans rien impliquer de
positif dans cette affirmation vague.
Mais Renan sait se contredire. Et voilà pourquoi on
retrouve sous sa plume des formules hégéliennes. « La
vraie théologie, dit-il, est la science du monde et de
l'humanité, science de l'universel devenir, aboutissant
comme culte à la poésie et à l'art, et par-dessus tout à
la morale. » « Dans la nature et dans l'histoire, je vois
bien mieux le divin que dans les formules abstraites
d'une théodicée artificielle et d'une ontologie sans rap-
port avec les faits. L'absolu de la justice et de la raison
ne se manifeste que dans l'humanité : envisagé hors de
l'humanité, cet absolu n'est qu'une abstraction; envisagé
dans l'humanité, il est une réalité. Et ne dites pas que la
forme qu'il revêt entre les mains de l'homme le souille
et l'abaisse. Non, non ; l'infini n'existe que quand il revêt
une forme finie. » Voilà bien des contradictions, et des
contradictions formelles avec ce que Renan prétendait ; il
subit maintenant, malgré ses protestations, l'influence
de Hegel.
Tout à l'heure, sous l'influence de Kant, il disait que
Dieu est la catégorie de l'idéal, par horreur pour la méta-
physique. Spinoza et Hamilton lui inspirent l'horreur des
formules qui chercheraient à déterminer Dieu. Hegel enfin
LE DIEU DE L'IDÉALISME 4$ 7
l'introduit dans la théorie du devenir. Et Renan écrit, dans
Y Avenir des sciences naturelles, cette phrase suggestive,
à propos du développement du monde depuis l'atome
jusqu'à l'homme : « Dieu alors sera complet, si l'on fait
du mot Dieu le synonyme de la totale expérience ; en ce
sens, Dieu sera plutôt qu'il n'est : il est infieri, il est en
voie de se faire. » Mais Dieu est plus que le total de l'ex-
périence, il est encore l'absolu. Et voilà deux Dieu, l'un
éternel et immobile, l'autre en voie de se faire ; mais le-
premier ressemble à celui de Vacherot et il n'existe pas ;
quant au second, c'est celui de Hegel, et il implique le
panthéisme.
« Sur les traces de Hegel, dit Caro, comme sur les tra-
ces de Kant, c'est toujours le divin, sa foi au divin, que
nous rencontrons à la place de Dieu et de la foi en Dieu.
Le divin n'est probablement pas un Etre, mais c'est assu-
rément ce qu'il y a de plus noble et de plus élevé dans
tous les êtres. Le rechercher, le contempler partout où il
a laissé sa trace et son reflet, dans les formes et les cou-
leurs de la beauté physique, dans la pensée et dans Fac-
tion, dans le génie et l'héroïsme, dans les inspirations de
la science et de l'art, dans la grandeur morale surtout, la
plus divine de toutes les grandeurs, voilà ce qui donne du
prix à la vie et ce qui doit consoler l'humanité de perdre
son Dieu (1). » « Que la poésie, que l'art, que la morale
nous désintéressent de nous-mêmes et nous arrachent
aux pensées vulgaires ; qu'il y ait une affinité naturelle
entre tous les grands instincts de la nature humaine, et
que toute émotion noble, portée à son plus haut degré,
s'achève et s'absorbe dans le sentiment de l'infini, qui
songerait à le nier ? Mais tout cela n'est pas la religion.
L'objet de l'art, c'est le beau, l'objet de la morale, c'est le
bien ; l'art et la morale aboutissent au culte de l'idéal
qui ne se confond pas avec la religion. Ou la religion n'est
rien par soi et fait double emploi avec la morale et l'art,
ou il faut bien reconnaître qu'elle a son objet propre, par
lequel elle se définit, en vue duquel elle existe, et qui
n'est, ne peut être que Dieu, non pas ce Dieu vague et
1. Caro, L'idée de Dieu, p. 83.
âSS LE CATÉCHISME ROMAIN
abstrait, résumé des idées de la raison, ni même cet
infini des hégéliens qui s'engendre et se révèle dans le
monde, mais un Dieu qui soit la plus haute et la plus
sainte des réalités au lieu d'être la négation ironique ou
sentimentale de Dieu (i). »
i. Vidée de Dieu, p. 85-86. Cf. de Margerie, Théodicée, 3« édit.,
Paris, 1874, t. 1, p. 393-401; t. 11, p. 159-233 ; Farges, Vidée
de Dieu, Paris, 1894, p. 409-442.
Leçon XIV
De Dieu
I. Science de Dieu. — II. Volonté de Dieu. —
III. Difficultés.
Après avoir étudié l'être divin dans sa nature,
nous devons l'étudier dans ses opérations :
les unes sont immanentes, comme V intelli-
gence et la volonté ; les autres se manifestent au
dehors et sont le principe de ses actes extérieurs,
comme la toute-puissance (i).
Pour arriver à la connaissance de ces nouveaux
attributs, le procédé rationnel ne varie pas. Par
voie d'analogie, la raison attribue à Dieu ce qu'elle
trouve de meilleur dans la meilleure des créatures,
l'intelligence, la volonté, le pouvoir. Par voie de
négation, elle écarte de cette intelligence, de cette
volonté, de ce pouvoir, tout ce qui implique une
imperfection, un défaut, une limite, dans la créa-
ture. Et enfin, par application de principe de
suréminence, elle leur attribue tout ce qu'elle peut
concevoir de plus parfait.
i. Saint Thomas, Sam. IheoL, I, Q. xiv-xix ; de Margerie,
Thêodicée, 3# édit., Paris, 1876, t. 1, 283-335 ; Farges, L'idée de
Dieu, Paris, 1894, p. 3/16-399.
490 LE CATÉCHISME ROMAIN
I. Science de Dieu
1. Ses caractères. — La raison humaine con-
naît, comprend, sait bien des choses, mais son
objet est limité. La science qu'elle possède, elle ne
parvient à l'acquérir qu'en passant successivement
d'un objet à un autre, ou d'une manière discursive
en tirant des conclusions des principes qu'elle con-
naît. En tout état de cause, elle reste fort impar-
faite.
En Dieu, il n'en saurait aller de même. Dieu est
intelligent : il connaît, il comprend, il sait. Mais
étant le premier en tout ordre, il est l'intelligence
suprême, il possède la connaissance parfaite, il a
une science infinie, l'omniscience ; il connaît tout,
il comprend tout, il sait tout. « 0 profondeur,
disait saint Paul, des trésors de la sagesse et de la
science de Dieu ! »
On comprend qu'en Dieu, la science soit à son
plus haut degré de perfection ; car la connaissance
est en raison directe de l'immatérialité. Les plantes
ne connaissent pas, parce qu'elles sont matière ;
les sens connaissent, parce qu'ils reçoivent des
objets les espèces sensibles, sans la matière; l'in-
telligence connaît, parce qu'elle reçoit les espèces
intelligibles et qu'elle se distingue de la matière,
tout en y étant impliquée. Mais Dieu, étant sou-
verainement simple, a par là même une connais-
sance et une science aussi parfaites que possible.
La science, dans l'homme, constitue une habi-
tude, une qualité ; en Dieu, elle s'identifie avec son
essence, elle est un acte pur. Dans l'homme, elle
.est multiple, divisée ; en Dieu, une et simple. Dans
l'homme, elle est successive ou discursive ; en
Dieu, pas de succession ni de raisonnement : il
LA SCIENCE DE DIEU 4 Q I
voit tout, d'un seul regard, dans son essence.
L'homme a besoin des sens et des facultés ; Dieu,
n'étant pas en puissance mais en acte, n'a besoin
d'aucun intermédiaire : l'intelligence, l'intelligible,
les idées ne font en lui qu'une seule et même chose.
A ces différences dans le mode de connaissance
s'ajoutent d'autres différences dans l'objet de la
science.
2. Son Objet. — i°. Le premier objet de la
connaissance de Dieu c'est Dieu lui-même ; il se
connaît. La science, en effet, est la connaissance
des êtres dans leur cause ; or le premier principe,
la cause première, c'est Dieu. Dieu est donc souve-
rainement intelligible. Et étant souverainement
intelligent, il se connaît lui-même, directement,
immédiatement, par un acte de simple vision : il
se voit tel qu'il est, il voit tout ce qu'il fait. De plus
il se connaît autant qu'il est connaissable, infini-
ment, c'est-à-dire qu'il se comprend ou que la con-
naissance qu'il a de lui-même va jusqu'à la com-
préhension totale et adéquate de lui-même, sans
qu'il puisse y avoir rien de lui-même qu'il ne con-
naisse. En lui, à raison de sa merveilleuse simpli-
cité, intelligible et intelligence, vérité connue et
savoir ne sont qu'une seule et même chose, qui est
sa propre essence.
2°. Dieu connaît toutes choses. Dieu, se connais-
sant et se comprenant adéquatement, connaît sa
propre vertu et tout ce à quoi elle s'étend. Or sa [f
vertu s'étend à tout ce qui est, et puisqu'il en est :
la cause efficiente, il connaît tout ce qui est. Mais
les choses qui sont, c'est en lui-même qu'il les con-
naît, parce que son essence contient leur image. H
les connaît non seulement d'une manière générale,
mais encore séparément d'une manière distincte, et
4[)2 LE CATÉCHISME ROMAIN
dans ce qu'elles ont de commun par l'être, et dans
ce qui les distingue les unes des autres, dans leurs
essences et dans l'actualisation de leurs essences. Il
les voit toutes en même temps, d'un seul regard,
sans succession, sans raisonnement. Il les connaît
toutes dans leur individualité propre ; car sa science
égale sa causalité, et sa causalité s'étend à chaque
être en particulier. « // atteint jusqu'à la division de
lame et de l'esprit ; il discerne les pensées et les
mouvements des cœurs, et aucune créature n'est
invisible à ses yeux (i). » « // est grand, le Seigneur,
et il regarde les choses les plus humbles (2) » .
3°. Dieu connaît les choses possibles. Dieu, en
effet, ne connaît pas seulement ce qui est en acte,
mais encore tout ce qui est en puissance par lui ou
par ses créatures ; car, outre les choses qui sont,
son essence infinie représente celles qui peuvent
être, et dans leurs principes généraux, et dans
leurs principes particuliers. Il connaît donc tous
les possibles, quel qu'en soit le nombre, par un
seul acte égal à cette possibilité infinie d'imiter son
essence divine.
4°. Dieu connaît les futurs contingents. Il ne les
connaît pas seulement dans leurs causes, mais
encore dans leur réalisation, dans leur existence
contingente et future. Ils ont beau se succéder dans
le temps, Dieu est au-dessus de la durée, il les con-
naît simultanément. Car tout ce qui s'agite dans le
temps est éternellement présent à Dieu, non seule-
ment parce que Dieu a présentes en lui-même les
raisons des choses, mais encore parce que son
regard embrasse dans les siècles tous les êtres
futurs, comme existant devant lui, comme consti-
tués dans leur existence actuelle, bien qu'ils soient
1. Hebr.t iv, ia. — a. Psal., cxxxvii, 6.
LA SCIENCE DE DIEU
493
futurs relativement aux causes qui doivent les
actuer.
5° Dieu connaît les futurs libres. Ces futurs libres
préexistent bien dans leurs causes, mais à l'état
vague et indéterminé ; car un futur libre n'est
qu'un effet possible que la cause peut à son gré
produire ou ne pas produire : il n'y a point de lien
nécessaire entre une cause libre et son effet libre.
Par suite la connaissance de la cause libre ne sau-
rait donner de l'eifet libre qu'une connaissance
conjecturale, qui ne saurait convenir à Dieu. Expli-
quer la prescience divine par la connaissance
parfaite que Dieu a de la liberté humaine en général
ou de la liberté de chaque homme en particulier,
serait précisément réduire la science de Dieu aune
science conjecturale. C'est pourquoi les thomistes
purs écartent cette solution. Ils placent la science
de Dieu des futurs libres dans la connaissance de la
cause première ou du décret divin, qui détermine
les futurs libres. Mais, dans ce cas, une telle pré-
détermination de la part de Dieu ne rend-elle pas
nécessaires les futurs libres ? Et alors que devient
la liberté ? C'est une grave difficulté qui se compli-
que, ainsi que nous le verrons à la fin de celte
leçon, d'une autre non moins grave difficulté, celle
des rapports du concours divin avec la liberté.
La plupart des thomistes parlent, à propos des
futurs libres, de vision actuelle plulôt que de pré-
vision. En Dieu, en effet, il n'y a qu'un présent
éternel. Si donc, de toute éternité, il voit comme
actuels les futurs libres, il n'est qu'un simple
témoin, dont le regard ne change rien à la nature
des faits: il voit comme nécessaires les faits
nécessaires ; il voit comme libres les actes libres.
Cette solution est indiquée par saint Thomas, qui
dit entre autre choses : Nous, nous voyons succès-
/j 9 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
sivement dans le temps les choses qui se réalisent
dans le temps ; mais Dieu les voit dans l'éternité,
qui est au-dessus du temps. Aussi, comme nous ne
concevons les futurs contingents qu'en tant que
contingents, ne pouvons-nous les connaître avec
certitude. Dieu, au contraire les connaît d'une ma-
nière infaillible, comme actués devant lui. Le
voyageur, qui chemine dans la vallée, ne voit
qu'une partie de ceux qui cheminent après lui;
l'observateur qui découvre toute la route du haut
d'une montagne voit seul tous ceux qui la sui-
vent (i).
Que Dieu connaisse les futurs libres, c'est une
vérité qui se trouve clairement exprimée dans
l'Ecriture. Citons seulement quelques textes. « Je
sais, dit le Seigneur, les dispositions qui raniment
dès aujourd'hui (le peuple d'Israël) avant même
que je les aie fait entrer dans le pays que je leur ai
promis par serment (2). » « Tu découvres mes pensées
de loin (3). » « Dieu éternel, qui connaissez ce qui est
caché et qui savez toutes choses avant quelles n'arri-
vent (li). »
« II sonde les profondeurs de Vocéan et le cœur de l'homme,
Et il connaît leurs desseins les plus subtils ;
Car le Seigneur possède toute science,
Et il voit les signes du temps.
Il annonce le passé et Vavenir,
Et il dévoile les traces des choses cachées.
Aucune pensée ne lui échappe,
Aucune parole n'est cachée pour lui (5). »
C'est cette science de l'avenir qui rend possible
1. Sum. theol, I, Q. xiv, a. i3, ad 3. — 2. Deut., xxxi, 21.
— 3. Psal* cxxxvm, 2. — 4- Daniel, xm, 4a. — 5. Eccli., xlii,
18-22.
LA SCIENCE DE DIEU
495
la prophétie et qui a permis de dire à Tertullien
que « la prescience divine a autant de témoins
qu'elle a formé de prophètes (i). »
6° Dieu connaît les futurs conditionnels. Entre le
possible, ce qui peut être, et le futur, ce qui sera
réalisé, se place le futur conditionnel, ce dont la
condition, qui le ferait se produire, ne se réalisera
pas ; c'est moins qu'un futur, puisqu'il ne sera
jamais; c'est plus qu'un possible, puisqu'il existe-
rait si telle condition était posée.
Il y a le futur conditionnel nécessaire, c'est celui
qui fait l'objet des sciences humaines. Ainsi, dit
Farges, le chimiste prévoit sûrement que ce grain
de poudre fera explosion si on l'allume, et cela est
certain alors même qu'on ne l'allumerait jamais.
De son côté l'astronome peut prévoir avec certitude
les déviations qu'occasionneraient dans la marche
des astres telle et telle hypothèse qui ne se réalise-
ront probablement jamais. Or, ces futurs que les
savants connaissent, il est clair que Dieu les con-
naît aussi dans les causes nécessaires qui les
contiennent, c'est-à-dire dans les lois de la nature.
Aucune difficulté sur ce point (2).
Mais il est des futurs conditionnels libres, et leur
connaissance ne peut pas échapper davantage à la
science infinie de celui qui prévoit sûrement les
futurs libres absolus. Mais comment Dieu les con-
naît-il? Toute la difficulté et là. Il ne les voit pas
comme présents, puisqu'ils ne seront jamais pré-
sents ; il ne les voit ni en eux-mêmes ni clans
l'actuation qu'ils n'auront jamais ; il les voit dans
la cause qui les contient et qui aurait pu les pro-
duire.
1. Cont. Marc, 11, 5 ; Pair. lai., t. 11, col. 390. — a. Farges,
Vidée de Dieu, p. 369.
49^ LE CATÉCHISME ROMAIN
Pour les thomistes, Dieu les voit dans la sou-
veraine efficacité de la cause première, source de
tout ce qui existe ou aurait pu exister, dans le décret
divin. Sa connaissance de vision embrasse toutes
les réalités contingentes, voulues ou permises dans
les décrets éternels, y compris les futurs libres et
les futurs conditionnels libres. Dieu voit dans ses
décrets éternels non seulement tout ce qui arrive,
mais encore tout ce qui peut arriver, dans des con-
ditions données, qui en fait ne seront pas posées ;
c'est là qu'il voit les solutions implicitement conte-
nues par chacun des cas qui peuvent s'offrir.
Les molinistes recourent à une autre explication,
celle de la Science moyenne. Dieu verrait les futurs
conditionnels libres, indépendamment de tout dé-
cret et antérieurement à tout décret, dans les causes
libres elles-mêmes, qui sont capables de produire
tel effet si telle ou telle condition est posée. Nous
n'entrerons pas dans l'examen et la discussion de
cette science moyenne, différemment expliquée par
Molina, par Suarez et Mazzella (1). Le P. de Régnon
a même pour elle un mot dur : « C'est là le mys-
tère, l'insondable mystère, écrivait l'un de ses dé-
fenseurs découragés ; de toutes les explications pro -
posées aucune n'est satisfaisante... Il faut renoncer
à expliquer le comment de cette science divine que
nous appelons la science des conditionnels Expli-
quer cette science, c'est œuvre de dilettantisme phi-
losophique (2). » M. Farges rapporte ce mot sans y
souscrire et dit : « Après avoir reconnu l'ineffica-
cité complète du mystère de la Science moyenne à
remplacer le mystère des décrets divins, nous nous
résignons humblement à celui-ci, persuadé que
i. Mazzella, De gratia, Disp. ni, a. 7. — a. De Régnon,
Bannes et Molina, p. ii3-ii5.
LA SCIENCE DE DIEU 497
l'efficacité de la causalité première, bien différente
en cela des causes secondes, peut nous mouvoir
sans violenter notre nature, et tout causer en nous
très efficacement, même notre liberté, que nous
ne saurions soustraire, sans privilège, à la causalité
universelle de Dieu (i). »
Quel que soit le mode d'explication, toujours est-
il que cette connaissance des futurs conditionnels
existe en Dieu. Dieu connaît assurément les actes
que la créature libre accomplirait, si telle condition
qui, du reste, ne se produira pas, venait à se réaliser.
En voici un exemple, pris dans l'Ancien Testament.
David, réfugié à Céïla, dit : « Seigneur, Dieu d'Israël,
votre serviteur a appris que Saiïl se dispose à venir à
Céïla, pour détruire la ville à cause de moi. Les habi-
tants de Céïla me livreront-ils entre ses mains ? Saiïl
descendra-t-il comme votre serviteur Va entendu dire ?
Jéhovah, Dieu d'Israël, daignez le révéler à votre
serviteur. » Jéhovah répondit : « Il descendra. » Et
David dit : « Les habitants de Céïla me livreront-ils ,
moi et mes hommes, entre les mains de Saiïl ? »
Jéhovah répondit : « Ils te livreront (2). » Le sort de
David et de sa troupe dépendait ainsi d'une condi-
tion. En restant à Céïla, il eût été livré ; il quitta
la ville. Voici un autre exemple, donné par Notre
Seigneur dans l'Evangile, quand il dit : « Malheur
à toi, Corozaïn ! malheur à toi, Bethsaïda ! parce que
si Tyr et Sidon avaient été les témoins des prodiges
qui s'accomplissent en vous, elles auraient fait péni-
tence sous le cilice et dans la cendre (3). » Tyr et
Sidon n'ont pas fait pénitence parce que la condi-
tion, qui devait la leur faire faire, n'a pas eu lieu.
1. Farges, L'idée de Dieu, p. 377. Cf. Gayraud, Thomisme et
Molinisme, Paris, 1889, p. 116. — a. I Reg., xxm, 10-12. —
3. Mallh., xi, 21.
LE CATÉCHISME. — T. I. }2
49§ LE CATÉCHISME ROMAIN
3. Ses divers noms. — Cette science divine, si
parfaite dans son mode, si pleine dans son objet, a
reçu des théologiens plusieurs noms qui servent à
la préciser.
On la distingue en science nécessaire ou libre,
suivant qu'elle précède tout décret divin et qu'elle
a pour objet l'être souverain ou les choses pure-
ment possibles, ou selon qu'elle est consécutive à
un décret divin et qu'elle a pour objet ce qui
dépend de la toute-puissance divine, toutes les
choses qui sont ou seront.
Elle est dite spéculative, si elle se borne à la con-
naissance des choses sans les effectuer ou les réali-
ser, ou pratique, quand elle les connaît et les fait
passer à l'existence.
Elle s'appelle science de simple intelligence, quand
elle s'applique aux possibles, c'est-à-dire aux choses
qui n'ont pas été, qui ne sont pas et qui ne seront
jamais, et science de vision, quand elle a pour objet
ce qui est ou sera.
Si son objet est le bien et suppose un décret divin,
c'est la science d'approbation; si, au contraire, son
objet est le mal, que Dieu ne saurait vouloir, à
raison même de sa perfection, c'est la science de
permission. Sur ces paroles, que David prête au
Seigneur : « Je ne connaissais pas le cœur dépravé et
méchant, qui s'éloignait de moi, (1) » saint Augus-
tin écrit : « Je ne connaissais pas, qu'est-ce à dire ?
Je n'approuvais pas, je ne louais pas, je n'aimais
pas, car le mot connaître, dans l'Ecriture, signifie
quelquefois voir avec complaisance (2). »
Les molinistes, nous l'avons vu, ont donné à la
science des futurs conditionnels le nom de science
moyenne, de science intermédiaire entre la science
1. Psal, c, 4. — 2. In psal, c, 7.
LA VOLONTÉ DE DIEU l\ 9$
de simple intelligence et la science de vision. Mais
les thomistes jugent inutile ce terme nouveau,
parce que, si la condition se réalise, le futur condi-
tionnel est alors connu par la science de vision, et
si elle ne se réalise pas, le futur conditionnel reste
l'objet de la science de simple intelligence (i).
IL Volonté de Dieu
i° Ses caractères. — La tendance au bien,
perfection de l'être, est universelle ; on la trouve
partout, en effet, dans le monde créé. Mais ce qui
n'est qu'une tendance aveugle ou un instinct chez
les êtres dépourvus de raison, est une faculté chez
les êtres conscients. Chez ceux-ci, l'intelligence
perçoit le bien ; elle y tend en vertu de sa propre
nature, quand elle ne l'a pas ; elle le cherche jus-
qu'à ce qu'elle le trouve et s'y repose dès qu'elle le
possède. Or, ce sont là des actes de volonté. Tout
être doué d'intelligence est par là même un être
doué de volonté ; car la volonté suit toujours
l'intelligence et est toujours en proportion avec
elle. C'est précisément le cas de l'homme raisonna-
ble : il comprend et il veut.
Mais l'homme veut nécessairement le bonheur
parce qu'il est fait pour lui ; c'est une nécessité de
nature. Pourtant il est libre dans le choix des moyens
pour se le procurer, pour l'atteindre et en jouir.
Sa liberté, qui est une prérogative remarquable^
est entourée d'imperfections : elle est mêlée de
passivité, mobile, changeante, faillible, limitée au
dedans et au dehors.
i. Cf. Cardinal Pecci, La prêdélerminalion physique et la
science moyenne, p. 5o sq.
500 LE CATÉCHISME ROMAIN
Dès qu'il agit, l'homme subit une réaction ; il ne
peut pas modifier les êtres qui l'entourent sans se
modifier lui-même; sa puissance est indéterminée;
chaque objet voulu la détermine et la modifie.
Sous l'influence d'agents extérieurs ou sous la
poussée de passions mal réglées, il se laisse décon-
certer et abuser. Il prend le mal pour le bien ou
préfère un bien accidentel, que lui procure le mal,
à la place du bien véritable. Sa volonté n'est pas
que faillible ; elle est mobile, changeante, comme
l'intelligence qui l'éclairé. Elle passe capricieuse-
ment d'un motif à un autre, d'une décision à une
décision contraire ; parfois elle, ne sait à quoi se
résoudre, elle hésite, incertaine ; parfois aussi elle
se décide en aveugle. De plus, si elle ne veut pas
tout ce qu'elle peut, elle ne peut pas toujours tout ce
qu'elle veut. Et trop souvent elle fait le mal qu'elle
ne veut pas et ne fait pas le bien qu'elle veut. Qui-
conque a tant soit peu l'expérience des phénomènes
psychologiques ou moraux, qui se passent dans le
domaine de sa conscience, sait combien infirme, et
par tant de côtés, et de tant de manières, est sa
propre volonté.
Si donc la volonté, puissance de faire le bien,
est une noble faculté, une perfection des êtres intel-
ligents, nul doute; qu'elle ne se trouve en Dieu,
puisque Dieu est un être intelligent. Mais comme
Dieu est l'intelligence parfaite, il doit donc être et
dans la même mesure la volonté parfaite ; et de
même qu'en Dieu l'intelligence est son être, de
même la volonté est son essence divine ; nous ne
l'en pouvons distinguer que par un procédé d'ordre
logique. Par conséquent nous ne pourrons trouver
en Dieu aucune des imperfections qui se trouvent
dans la volonté de l'homme.
Tandis que l'homme est mû, dans la rechercha
LA VOLONTÉ DE DIEU 5oi
nécessaire du bien, qui lui est extérieur, par une
cause étrangère, Dieu, qui est son propre bien à
lui-même, ne peut être mû vers ce bien que par lui-
même : sa volonté part de lui et aboutit à lui ; sa
volonté, c'est lui, c'est un acte immanent.
La volonté divine, est à la fois nécessaire et libre,
mais sous des rapports différents ; nécessaire vis-à-vis
de lui-même, comme nous allons le voir en parlant
de son objet ; mais libre vis-à-vis de tout ce qui
n'est pas lui, par rapport à ses actes extérieurs. Dans
ceux-ci, en effet, il n'y a ni nécessité de nature, ni
coaction : Dieu est libre. La nécessité de nature
résulte de la constitution intime, de l'essence même
de l'être ; elle est absolue, quand elle est indépen-
dante de toute conjoncture et s'impose partout et
toujours. Or, dit saint Thomas, il est nécessaire
d'une nécessité absolue que Dieu veuille quelque
chose, mais il ne l'est pas de même qu'il veuille tout
ce qu'il veut. Sa volonté a des rapports nécessaires
avec sa bonté, qui est son objet propre : il veut
donc nécessairement, par une nécessité dénature,
sa bonté. Mais il aurait pu ne pas vouloir les
créatures. Vis-à-vis d'elles, il est libre ; si donc il
les veut, c'est en pleine liberté ; et s'il les veut de
toute éternité, il ne s'ensuit pas qu'il les veuille
nécessairement ; il ne les veut que selon son bon
plaisir, d'une manière toute relative. « Tous les
habitants de la terre ne comptent pour rien devant
lai ; il agit comme il lai plaît avec l'armée des deux
et avec les habitants de la terre (i). » « Il opère
toutes choses d'après le conseil de sa volonté (2). »
Il est libre.
Mais sa liberté n'a aucun mélange de passivité
comme celle de l'homme. L'homme, incapable de
1. Daniel, iv, 32 — a. Ephes., 1, 11.
5o2 LE CATECHISME ROMAIN
se suffire à lui-même, cherche dans les biens créés
un complément à son indigence, un aliment à sa
faim et à sa soif de bonheur. Il aime les choses
parce qu'elles sont bonnes ou lui paraissent bonnes.
Dieu, au contraire les aime pour les faire bonnes,
pour leur donner avec l'être cette bonté qu'elles ne
sauraient avoir sans lui ; il répand le bien. Si donc
les choses ont l'être et quelque bien, c'est parce que
Dieu l'a voulu librement. Mais Dieu n'aime pas de
la même manière que nous aimons. Comme notre
volonté, loin de donner l'existence aux êtres, en
reçoit plutôt l'impulsion qui la porte à l'acle, l'amour
par lequel nous leur voulons du bien n'est pas la
cause de leur bonté ; c'est leur bonté qui fait naître
l'amour. Il n'en est pas ainsi de Dieu : son amour
répand et crée la bonté dans les choses (i). D'où
l'indépendance de Dieu vis-à-vis des créatures, et sa
souveraine liberté. Il donne sans recevoir ; il pro-
duit sans avoir besoin de s'enrichir ; il modifie
sans être modifié lui-même ; il reste l'acte pur,
unique, éternel et nécessaire.
C'est une difficulté de concilier en Dieu ces deux
attributs : la liberté et la nécessité. Si l'être divin
est nécessaire, comment le vouloir divin est-il libre ?
Sans doute le vouloir divin est nécessaire, mais il
est nécessaire, dit M. Farges, qu'il soit avec toutes
ses perfections, dont la plus importante est son
Indépendance absolue des créatnres et sa parfaite
liberté à leur égard. Il est donc nécessaire que le
vouloir divin soit libre de ce chef. La conception
d'un être parfait, nécessité ad inira et libre ad extra,
n'a donc rien de contradictoire, puisque la nécessité
et la liberté n'existent qu'à deux points de vue diffé-
rents, et qu'elles découlent l'une et l'autre également
i. Sam. theol., I, Q. xx, a. a
LA VOLONTÉ DE DIEU 5o3
<le Tin finie perfection de Dieu, qui ne peut souffrir,
ni l'indifférence de la liberté envers le bien infini,
ni sa nécessité et sa dépendance envers les biens
finis (i). C'est là, du reste, ce qui a lieu dans
l'homme, qui est à la fois nécessité pour le bonheur
et libre pour les moyens non indispensables qui y
conduisent.
La volonté de Dieu ne change pas : elle est immua-
ble, comme sa science, comme son être. Infiniment
parfait, infiniment sage, Dieu sait ce qu'il veut, et
il le veut sans revenir sur ses décisions, sans les
modifier, comme l'homme, au gré du caprice ou
des circonstances imprévues. Ayant tout vu, tout
prévu, à raison de sa science infinie et infaillible, il
a voulu en conséquence par une délibération com-
plètement libre ; et cette délibération libre de sa
volonté demeure perpétuellement inébranlable.
Elle est de plus efficace : elle s'accomplit toujours
parce qu'elle est la cause universelle de tout ce qui
est. Dans le domaine créé, tel ou tel événement peut
nous sembler s'écarter de ses lois par un côté ; mais
très certainement il reste sous son empire par un
autre. C'est ainsi que le pécheur croit se soustraire à
l'action divine en refusant sa miséricorde, mais il
tombe alors sous les coups de sa justice. Il semble
pourtant, d'après l'Ecriture, que cette efficacité de
la volonté divine soit limitée. N'est-il pas écrit, en
effet, que la volonté de Dieu c'est notre sanctifica-
tion (2), et que Dieu veut le salut de tous (3)? Et
combien hélas ! qui ne se sanctifient pas et qui ne
se sauvent pas ! Mais c'est qu'il faut distinguer ici,
<îar cela s'impose à notre esprit, entre la volonté
absolue, qui infailliblement atteint et réalise son
1. Farges, loc. cit., p. 387. — a. I Thes.f iv, 3. — 3. I Tint.,
11. 4-
5o4 LE CATÉCHISME ROMAIN
but, et la volonté hypothétique, qui permet aux
causes secondes intelligentes et libres d'aller à ren-
contre de ses commandements. C'est une difficulté
sur laquelle nous aurons à revenir.
Elle est enfin impeccable, incapable par conséquent
de pouvoir faire le mal. C'est le triste privilège de
l'homme de pouvoir faire le mal et de ne pas faire
le bien. Mais la liberté ne consiste nullement dans
le choix entre deux contraires, le bien ou le mal ; il
lui suffit de pouvoir choisir entre deux contradic-
toires, comme agir ou ne pas agir. Et comme le dit
saint Thomas, la vraie liberté consiste à choisir
parmi les divers moyens qui respectent l'harmonie
des fins et non parmi ceux qui la détruisent, ce qui
serait un défaut de liberté (i). Or, Dieu qui est par
essence le bien souverain et la perfection absolue
ne saurait vouloir ou faire le mal. ÎNous verrons
comment le mal existe pourtant dans le monde créé.
2. Son objet. — En parlant des principaux
caractères de la volonté divine, nous avons dû
indiquer quelques-uns de ses objets. Ajoutons quel-
ques mots.
i° Dieu se veut d'abord lui-même, et par consé-
quent s'aime lui-même, absolument, par nécessité
de nature. L'objet premier, seul nécessaire et adéquat
de sa volonté, ne peut être que lui. C'est en lui, et
non hors de lui, qu'il trouve sa béatitude, et sa
béatitude consiste à se connaître et à s'aimer tel
qu'il est, infiniment.
2° Mais D'eu veut autre chose que lui. Ecoutons
saint Thomas : les choses naturelles ont une double
inclination relativement à leur propre bien ; d'abord
elles le cherchent quand elles ne l'ont pas et s§
i. Sum. theol, I, Q. lxii, a. 8, ad 3.
LA VOLONTÉ DE DIEU 5o5
reposent en lui quand elles l'ont ; puis elles
s'efforcent de le répandre, selon les lois du possible,
dans les autres êtres ; c'est pourquoi l'agent, qui est
en acte et parfait, produit son semblable. C'est le
propre de la bonté, dans l'homme, de se commu-
niquer ; cela convient surtout à la bonté de Dieu.
Dieu aime à répandre sa bonté. Et c'est ainsi qu'il
se veut lui-même et qu'il veut les autres choses : il
se veut comme fin, et il veut les autres choses par
rapport à sa fin (i). « De même que Dieu, dit-il
ailleurs, en connaissant son essence, connaît tous
les êtres qu'il crée, en tant qu'ils sont une certaine
image de sa vérité ; de même, en voulant ou aimant
Bon essence, il aime tous les êtres qu'il crée, en tant
qu'ils ont une ressemblance de sa bonté. D'où il faut
conclure que ce qui est d'abord voulu par lui, c'est
sa bonté ; mais il veut le reste par rapport à sa
bonté (2). »
3° Comme nous l'avons dit plus haut, si Dieu
veut par nécessité son propre bien et sa béatitude, il
veut librement le bien et le bonheur de ses créatures.
Il aime les créatures, qui sont l'œuvre de son amour ;
il les aime toutes, parce que toutes sont une mani-
festation de sa bonté. Mais l'amour qu'il leur porte
se reporte finalement sur lui-même ; c'est sa gloire
qu'il aime en elles. « Jéhovah a tout fait pour son
but (3). )) Tel n'est pas, on le sait, le Dieu des déistes.
Celui-ci n'aime que lui ; il est sans sympathie, sans
bienveillance, sans amour pour les autres ; il ne
voit pas la souffrance, il n'entend pas la prière, il
ne soulage pas l'indigence, il ne sèche pas les lar-
mes, il ne panse pas les plaies et ne guérit pas 1rs
maux. Dieu sans cœur, sans entrailles, sans pitié,
1. Sam. theol., I, Q. xix, a. a. — a. Dist., xlv, Q. i, a. 2. —
3. Prov., xvi, 4-
5o5 LE CATÉCHISME ROMAIN
sans miséricorde, relégué dans un égoïsme inacces-
sible, complètement indifférent ou désintéressé à
l'égard du monde qu'il s'est contenté de créer et
d'abandonner à ses lois. Le vrai Dieu, le Dieu des
chrétiens, est au contraire la bonté, l'amour, dans
ce qu'ils ont de plus exquis et de plus efficace
vis-à-vis des créatures. « Il sème Vaumône, il donne
aux pauvres (i), est-il écrit ; « Tu ouvres ta main,
chante le prophète, et tu rassasies de tes biens tout
ce qui respire (2). »
4° Dieu ne voulant que le bien, comment s'expli-
que la présence du mai dans son œuvre ? Dieu ne
saurait vouloir le mal, ni le faire, puisqu'il est par-
fait, saint et bon ; mais il le tolère, le pardonne ou
le punit, et le tourne vers un bien. Ainsi, dans le
monde des êtres purement sensibles, certains faits
qui nous paraissent mauvais, contribuent, d'après
la volonté de Dieu, à l'ordre général et au but qu'il
s'est proposé ; dans le monde des êtres intelligents
et libres, il défend et condamne le péché ; il le
tolère cependant parce qu'il provient de la volonté
libre qu'il a créée ; il le pardonne dès qu'on s'en
repent ; il le châtie dans ceux qui s'y obstinent et y
meurent. C'est là un des grands mystères qui scan-
dalisent la sagesse toujours courte de l'homme, et
que nous retrouverons en parlant de la Providence.
3. Ses divers noms. — Ici encore, comme pour
l'intelligence, afin de pouvoir parler d'une manière
aussi exacte que possible, les théologiens recourent
à divers noms pour qualifier la volonté divine.
Saint Thomas distingue la volonté de bon plaisir et
la volonté de signe. La volonté de bon plaisir est la
volonté de Dieu proprement dite ; c'est celle qui
1. Psal., cxi, 8. — a. Psal., cxliv, 16.
LA VOLONTÉ DE DIEU boj
est l'expression de son être, qu'il, possède en vertu
de sa nature et par laquelle il fait toute chose. Son
nom a été emprunté à saint Paul, dans ce passage :
« Transformez-vous par un esprit nouveau afin que
vous reconnaissiez ce qui est sa volonté de bon plai-
sir, bonne et parfaile(i) ». La volonté de signe ne
porte le nom de volonté que dans un sens figuré,
métaphorique ; elle sert à manifester extérieure-
ment, aux yeux des créatures, par divers signes, ce
que les créatures, en constatant leur expérience,
croient pouvoir appliquer à la volonté de Dieu par
voie d'analogie. L'homme, en effet, manifeste qu'il
veut une chose par lui-même ou par un autre. Il le
manifeste par lui-même lorsqu'il agit directement
ou indirectement : directement, en produisant l'acte
lui-même, et c'est le signe d'opération ; indirecte-
ment, en n'empêchant pas l'acte, et c'est le signe
de permission. Il le manifeste par un autre, quand
il le porte à une action, soit en ordonnant une chose
par un précepte obligatoire, et c'est le signe de
commandement, soit en prohibant le contraire, et
c'est le signe de défense, soit enfin en gagnant l'as-
sentiment par la persuasion, c'est le signe de con-
seil. Or, comme ces signes révèlent et manifestent
la volonté de l'homme, on les appelle tout simple-
ment, quand on les attribue à Dieu, la volonté de
signe. Tel est, en effet, le nom que le commande-
ment, la défense et le conseil portent dans ces mots
du Pater : « Que voire volonté soit faite sur la terre
comme dans le ciel (2) » Telle est aussi la dénomi-
nation qui représente l'opération et la permission
dans ce passage de saint Augustin : « Le Tout-Puis-
sant fait toutes choses par sa volonté, soit qu'il per-
mette de les faire, soit qu'il les fasse lui-même (3).»
1. Rom., xii, a. — 2. Matth., \i, 10. — 3. Enchir., xcv.
5o8 LE CATÉCHISME ROMAIN
La permission et l'opération regardent le présent ;
le commandement, la défense et le conseil se rap-
portent à l'avenir ; la défense et la permission con-
cernent le mal ; l'opération, le bien en général ; le
commandement, le bien obligatoire ; le conseil, le
bien surabondant.
La volonté de bon plaisir ne va pas toujours avec
la volonté de signe, par exemple, quand Dieu, par
sa permission, laisse à l'homme le pouvoir de faire
le mal ; elle ne s'en sépare pas, au contraire, dans
l'opération. Sur ces deux points pas de difficulté. Il
n'en est pas de même du commandement, de la dé-
fense et du conseil. Ces trois signes peuvent, il est
vrai, impliquer une volonté réelle de la part de
Dieu. Est-ce toujours ? N'est-ce que dans quelques
cas ? Et quand ? C'est une question débattue entre
théologiens.
L'Ecriture est pleine d'exemples de ces signes de
la volonté divine. Dieu commande à Abraham d'im-
moler son fils Isaac, non qu'il veuille dans sa réa-
lité cette immolation sanglante, puisqu'il l'empêche
de se consommer, mais uniquement pour éprouver
l'obéissance de son serviteur. Lorsque le démon
propose d'aller tromper le roi Achab par la bouche
des faux prophètes, Dieu lui dit : « Va et fais (i). »
C'est une simple permission. Il en est de même,
lorsque Notre Seigneur dit à Judas : « Ce que ta
fais , fais-le vite (2) .» Ailleurs, le divin Maître dit à
un jeune homme : « Si vous voulez être parfait, allez,
vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (3).»
Ce n'était pas un ordre, mais un conseil.
La volonté de bon plaisir est dite antécédente,
lorsqu'elle veut une chose en elle-même, considérée
dans sa nature, abstraction faite des circonstances
1. III Reg. xxii, aa. — a. Joan., xm, 37. — 3. Matth., xix, ai.
LA VOLONTÉ DE DŒU 5oQ
qui l'entourent ; ainsi Dieu veut la sanctification, le
salut de tous. Elle est dite conséquente , lorsqu'elle
lient compte de toutes les circonstances et de tous
les accidents qui se rattachent à une chose ; ainsi
Dieu veut la punition du coupable, la damnation
du pécheur impénitent. Les partisans de la science
moyenne entendent différemment ces deux sortes
de volonté. Selon eux, Dieu voit les futurs contin-
gents, non pas dans son essence infinie, mais dans
ces contingents mêmes. Pour eux, la volonté divine
relative à la liberté humaine, est antécédente quand
elle précède la prévision du consentement de
l'homme à la grâce ; elle est conséquente quand elle
la suit.
On distingue encore la volonté absolue et la volonté
conditionnelle. La première ne dépend d'aucune con-
dition ; telle est la volonté, en Dieu, de créer le
monde ; la seconde, au contraire, dépend d'une
condition ; telle est la volonté de sauver tous les
hommes, c'est-à-dire pourvu qu'ils le veuillent. On
trouve dans l'Ecriture des exemples nombreux de
cette volonté conditionnelle. « Dieu avait résolu de
les perdre (les Israélites), si Moïse, qu'il avait choisi,
ne s'y fut opposé en se présentant devant lui (i) ».
Le Seigneur, dit à Salomon : « Si lu marches en ma
présence, comme ton père, dans la droiture et la sim-
plicité du cœur, /établirai ton trône et ton règne sur
Israël pour toujours (2) ».
La volonté divine est efficace ou inefficace selon
qu'elle produit infailliblement son effet ou qu'elle la
laisse paralyser par l'intervention de la liberté
humaine. Ainsi Dieu dit : « Mon dessein subsistera
et je ferai toute ma volonté (3) » ; mais il a dit aussj
« Jérusalem, Jérusalem, combien de fois rtai-je pai
1. Psal., cv, 23. — 2. III Reg., ix, 4. — 3. Is., xlvi, 10.
5 10 LE CATÉCHISME ROMAIN
voulu rassembler tes fils, comme la poule rassemble
ses petits sous ses ailes, et tu ne las pas voulu (i) / »
III. Difficultés
La question de la science et de la volonté divine
n'est pas sans soulever de graves difficultés. Gom-
ment accorder, en effet, la prescience divine avec la
liberté humaine ? Gomment accorder également
cette même liberté humaine avec la volonté divine,
qui est d'une efficacité souveraine? C'est un problème
qui, sous deux aspects différents, a toujours préoc-
cupé le sage, et qui se complique du problème plus
délicat encore de la prédestination et de la réproba-
tion. Nous ne pouvons que le signaler ici aussi suc-
cinctement que possible (2).
1. La Prescience de Dieu et la liberté hu-
maine. — Partout, dans les relations de l'infini avec
le fini, de Dieu avec la créature, notre esprit se heurte
en dernière analyse à un mystère impénétrable. Nous
ne voyons pas comment se concilient entre elles
des vérités certaines ; leur lien intime nous
échappe. Qu'il existe, qu'il doive exister, c'est ce
dont nous ne saurions raisonnablement douter. Si
nous ne l'apercevons pas, la faute en est à notre
intelligence, qui n'est pas assez pénétrante ; notre
raison peut s'essayer du moins à faire un peu de
lumière sans se flatter de dissiper totalement
l'obscurité. Assurée qu'aucune vérité ne saurait
aller contre une autre vérité, le parti le plus sage
1. Matth., xxiii, 37. — 2. Cf. De Régnon, Bannes et Molina,
Paris, i883. Dummermuth, S. Thomas et doctrina prœmotionis
physicœ, Paris, 1886 ; Gayraud, Thomisme et Molinisme, Paris,
1889 ; Providence et libre arbitre, Paris, 1892.
PRESCIENCE DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5ll
qu'elle ait à prendre, c'est d'accepter l'une et l'au-
tre, tout en avouant son impuissance à voir leur
mode de conciliation.
Ainsi en est-il, en particulier, pour la liberté
humaine d'une part et pour la prescience et la
volonté divines d'autre part. Si Dieu prévoit les
futurs libres et si sa volonté est infailliblement
efficace, vérités dont nous ne saurions douter,
comment l'homme est-il libre ?
Les fatalistes, estimant la conciliation impossible,
sacrifient résolument la liberté humaine et intro-
duisent ainsi dans le monde le règne d'une aveugle
nécessité, qui fait de l'homme un jouet inconscient
et irresponsable. Ils ont tort. Ils estiment ainsi,
par une hypothèse gratuite et injustifiée, que
l'homme ne peut pas agir autrement que Dieu ne
l'a prévu, qu'il agit nécessairement comme Dieu
l'a prévu et parce qu'il l'a prévu. Ils font donc
dépendre l'acte humain de la science divine et
confondent ainsi ce qui se fera certainement avec ce
qui se fera nécessairement. Rien n'est pourtant plus
distinct. Car le caractère d'un acte est intrinsèque
à cet acte lui-même ; la certitude, au contraire, est
dans celui qui voit cet acte tel qu'il est ou qui le
prévoit tel qu'il sera. En quoi donc cette certitude
est-elle incompatible avec la nature de l'acte ?
L'acte demeure ce qu'il est en lui-même, ou libre
si sa nature est d'être libre, ou nécessaire si sa
nature est d'être nécessaire. Il suffit donc, semble-
t-il, de bien déterminer la nature de l'acte pour
reconnaître avec certitude que le fait de sa prévi-
sion ne détruit point son essence. Il suffît égale-
ment de bien déterminer la nature de la science
divine, relative aux futurs libres, pour reconnaître
avec certitude que les termes de prévision ou de
prescience ne s'appliquent que très improprement
5l2 LE CATÉCHISME ROMAIN
à l'acte de la science divine. Dieu, comme nous
l'avons dit avec saint Thomas, ne prévoit pas, il
voit ; point de passé ni d'avenir en lui, mais un
présent immuable ; point de prévision, dès lors,
ni de prescience, mais un acte de simple vision,
une pure constatation (i).
Est-ce dire que le mystère soit élucidé ? Nul-
lement. Mais ce qu'il faut dire c'est que la
prétendue incompatibilité n'existe pas, ou qu'en
tout cas elle n'autorise pas à sacrifier une vérité
certaine, celle de l'existence de notre liberté,
sous prétexte que nous ne saisissons pas le rapport
intime qui l'unit avec celte autre vérité, que nous
désignons, selon notre mode de connaissance qui
est conditionné par le temps, sous le nom de pré-
vision ou de prescience divine. Elle y autorise
d'autant moins que, pour échapper à une difficulté
réelle, le fatalisme se heurte à une absurdité, celle
d'admettre que la vérité détruit la vérité, et à de
désastreuses conséquences, absolument inaccepta-
bles pour l'expérience et la raison, qui témoignent
hautement en faveur de l'existence de notre liberté.
La nécessité s'impose à nous, en effet, d'accepter
sagement les limites de notre raison pour ne pas
sombrer dans le scepticisme. Yoici comment s'en
explique Bossuet : « Quiconque connaît Dieu ne
peut douter que sa prescience ne s'étende à tout ;
et quiconque fera un peu de réflexion sur lui-même
connaîtra sa liberté avec une telle évidence que
rien ne pourra obscurcir l'idée et le sentiment qu'il
i. Cf. Sum. theol., I, Q. xiv. a. i3; Cont. Gent., I 66, 67 ;
De VeriL, Q. 11. a 12. Entre nos actes futurs et la science de
Dieu, il n'y a aucune priorité de temps ou de durée, mais
simultanéité parfaite ; la science de Dieu est une vision du
présent: les actes qui, pour nous, sont futurs, sont toujours
actuellement présents à l'éternité divine.
PRESCIENCE DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5l3
en a : et on verra clairement que deux choses qui
sont établies sur des raisons si nécessaires ne peu-
vent se détruire l'une l'autre. Car la vérité ne
détruit point la vérité ; et quoiqu'il se pût bien faire
que nous ne sussions pas trouver les moyens d'ac-
corder ces choses, ce que nous ne connaîtrions pas,
dans une matière si haute, ne devrait point affaiblir
en nous ce que nous connaissons si certainement.
« En effet, si nous avions à détruire la liberté par
la Providence ou la Providence par la liberté, nous
ne saurions par où commencer, tant ces deux choses
sont nécessaires, et tant sont évidentes et indubi-
tables les idées que nous en avons. Car il semble
que la raison nous fasse paraître plus nécessaire ce
que nous avons attribué à Dieu, nous avons plus
d'expérience de ce que nous avons attribué à
l'homme ; de sorte que, toutes choses bien con-
sidérées, ces deux vérités doivent passer pour
également incontestables.
u Donc, au lieu de les détruire l'une par l'autre,
nous devons si bien conduire nos pensées que rien
n'obscurcisse l'idée très distincte que nous avons
de chacune d'elles. Et il ne faudrait pas s'étonner
que nous ne sussions peut-être pas si bien les
concilier ensemble. Car cela viendrait de ce que
nous ne saurions pas le moyen par lequel Dieu
conduit notre liberté, chose qui le regarde et non
pas nous, et dont il a pu se réserver le secret sans
nous faire tort...
« Quand donc nous nous mettons à raisonner,
nous devons d'abord poser comme indubitable que
nous pouvons connaître très certainement beau-
coup de choses, dont toutefois nous n'entendons
pas toutes les dépendances ni toutes les suites.
C'est pourquoi la première règle de notre logique,
c'est qu'il ne faut jamais abandonner les vérités
LE CATECHISME. — T. I. tl
5 14 LE CATÉCHISME ROMAIN
une fois connues, quelque difficulté qui survienne
quand on veut les concilier ; mais qu'il faut au
contraire, pour ainsi parler, tenir fortement
comme les deux bouts de la chaîne, quoi qu'on ne
voie pas toujours le milieu par où Fenchaînement
se continue (i). »
Cette sage observation de Bossuet trouvera son
application dans toutes les difficultés du même
genre, et notamment dans celle qui naît des relations
de la liberté humaine avec la volonté souveraine-
ment efficace de Dieu.
2. La volonté souveraine de Dieu et la liberté
le l'homme. — La volonté de Dieu est souveraine-
nent efficace ; non seulement elle accomplit tout
;e qu'elle veut, mais elle fait encore que tout s'ac-
complit comme elle le veut. Tout ce que Dieu veut
;e réalise et tout se réalise comme il le veut. En
conséquence de cette efficacité souveraine de la
volonté et du concours de Dieu, la liberté humaine
paraît fort compromise. En réalité, il n'en est rien.
Vlais la difficulté subsiste, beaucoup plus grave
encore que dans le cas précédent.
Incontestablement, Dieu meut la volonté de
l'homme, parce qu'il est le bien suprême auquel
cille aspire, et parce qu'il est la cause de sa puissance
le vouloir. Ecoutons saint Thomas : « De même
que l'entendement, dit-il, est mû par l'objet qu'il
comprend et par lêtre qui lui a donné la faculté de
comprendre, de même la volonté est mue par son
objet qui est le bien, et par l'être qui lui a donné la
faculté de vouloir. Tout bien, quel qu'il soit, peut
mouvoir la volonté ; mais il n'y a que Dieu qui la
meuve d'une manière suffisante et efficace. En effet,
i. Bossuet, Traité du libre arbitre, c. iv.
VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTE HUMAINE 5l5
un moteur ne peut mouvoir un mobile que quand
sa puissance active surpasse ou du moins égaie la
puissance passive de l'objet qu'il meut. La puissance
passive de la volonté s'étend au bien général, car
son objet est le bien universel, de même que l'objet-
de l'intelligence est l'être universel. Tout bien créé
est un bien particulier ; Dieu seul est le bien uni-
versel ; donc Dieu est le seul objet qui remplisse la-
volonté et qui lui donne une impulsion suffisante.
Pareillement, il n'y a que Dieu qui puisse produire
la faculté de vouloir. Car que signifie ce mot de
vouloir, sinon l'inclination de la volonté au bien
universel ? Or, il appartient au premier moteur de
porter la volonté vers le bien universel, de même
que, dans les choses humaines, il appartient au*,
chef de la nation de diriger tout en vue du bien de
la communauté (i). »
« Dieu, dit-il ailleurs, gouverne les êtres avec un
art toujours égal, par des moyens divers, selon la
diversité de leur nature (2). » C'est dire que Dieu
dirige différemment les êtres intelligents et libres,
qui sont maîtres de leurs actes, et les êtres dénués
de raison. Mais que devient alors la liberté ? N'est-
elle pas une illusion ? Non certes. Dieu a fait des
créatures libres, et ces créatures conservent leur
liberté, même en présence de la volonté et de l'action
souveraine de Dieu, ou plutôt en vertu même de la
volonté et du décret de Dieu. Et voici comment,
selon saint Thomas : « La volonté divine étant sou-
verainement efficace, il suit de là que non seulement
ce que Dieu veut arrive, mais encore que toutes
choses se font de la manière dont il A^eut qu'elles
soient faites. Or il veut l'existence nécessaire de
1. Sam. theol., I, Q. cv, a. 4- — 2. Sam. theol., l, Q. cm,,
a. 5.
5l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
telles choses et l'existence contingente de telles
autres, en vue de l'ordre général, et afin que l'univers
présente un ensemble complet. Dans ce but, il a
rattaché certains effets à des causes nécessaires qui
ne peuvent pas faillir, et par lesquelles ces effets
sont nécessairement produits ; il en a rattaché
d'autres à des causes contingentes, faillibles et qui
peuvent ne pas les produire. Conséquemment, les
effets voulus de Dieu ne tirent pas leur contingence
de la contingence des causes prochaines qui les
déterminent ; mais comme Dieu les voulait contin-
gents, il a préparé dans ce dessein des causes de
même nature... Rien ne résiste à la volonté de Dieu ;
d'où il résulte que non seulement il fait ce qu'il
veut, mais encore que, selon qu'il le veut, les
choses sont contingentes ou nécessaires (i). »
« Il appartient à la Providence, non pas de
corrompre la nature des êtres, mais de la conserver.
Ainsi elle meut tous les êtres conformément à leur
nature, de telle sorte que l'opération divine fait
produire aux causes nécessaires des effets nécessai-
res et aux causes contingentes des effets contingents.
Or, la volonté étant un principe d'action qui n'est
pas déterminé à un acte unique, mais qui peut en
accomplir plusieurs indifféremment, Dieu la meut
de manière à ne pas la déterminer nécessairement
pour un seul objet, mais à maintenir la contingence
et la liberté de son mouvement, si ce n'est à l'égard
des choses vers lesquelles elle est naturellement
portée... Il répugnerait à l'opération divine que
l'impulsion qu'elle donne à la volonté fût nécessaire,
contrairement à l'essence de la faculté de vouloir;
il ne répugne pas qu'elle fasse mouvoir librement
i. Sam. iheol., l, Q. xix, a. S, et ad a.
VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE blj
la volonté, comme sa nature le demande (i). »
a Dieu est la cause première qui meut à la fois et
les causes naturelles et les causes volontaires. Et
comme, lorsqu'il meut les causes naturelles, il
n'empêche pas que leurs actes ne soient naturels ;
de même, lorsqu'il agit sur les causes volontaires,
il n'empêche pas leurs actions d'être volontaires ;
même il leur donne plutôt ce caractère, car il agit
dans chaque être d'une manière conforme à sa
nature propre (2). »
Pas plus dans la question présente que dans celle
des rapports de la science divine avec la liberté
humaine, l'explication qu'en donne saint Thomas
ne réussit à dissiper toutes les difficultés ; le mys-
tère reste. Deux vérités sont acquises : d'une part,
l'action souverainement efficace de la volonté divi-
ne, d'autre part l'existence de la liberté de l'homme.
Comment se concilient-elles ? Nous venons d'en-
tendre saint Thomas nous dire que Dieu ne s'im-
pose pas à l'homme par violence ou coaction, qu'il
respecte sa nature d'être libre et qu'il agit par le
dedans conformément à cette nature. Les molinis-
tes ont essayé, de leur côté, de donner une expli-
cation différente. On sait avec quelle puissance
d'esprit, avec quelle profondeur de pénétration,
avec quelle ardeur surtout, thomistes et molinistes
ont travaillé à faire prévaloir leur manière de voir.
Ils se sont accusés mutuellement, les uns de détruire
l'action divine, les autres de supprimer la liberté
humaine. Qui a tort ? qui a raison ? La Congréga-
tion de Auxiliis a été longtemps saisie de leurs griefs
réciproques. Mais le pape Paul V (1605-1621), en
autorisant, en 1607, les uns et les autres à défendre
r
1. Sam. theol.» I» II®, Q. x, a. £. — 2. Sam. theol, I, Q.
lxxxiii, a. 1.
5l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
leur sentiment jusqu'à décision ultérieure du Saint-
Siège, leur a interdit de se taxer réciproquement
d'hérésie. Cette sage sentence a été confirmée encore
par Urbain VIII (i6a3-i644) et Clément XII (i73o-
17/io). Et à l'heure qu'il est, aucune décision offi-
cielle n'est encore intervenue. On est donc libre
d'embrasser l'une ou l'autre des deux opinions ;
nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement.
1. La Science de Dieu. — « Dieu voit tout ; mais
son intelligence sans rivages s'étend au-delà de la sphère
où sont contenues les choses actuellement présentes à son
regard. Il ne se connaîtrait pas s'il ne savait, avec ce qu'il
a fait, avec ce qu'il veut faire, ce qu'il peut faire. Il sait
donc tout ce qui ne sera jamais, tout ce qui cependant
pourrait être s'il le voulait ; et cette science du possible
n'a pas d'autre mesure que l'infini pouvoir qu'a son
essence d'être participée à l'infini, d'une infinité de
manières. Y a-t-il encore quelque chose que Dieu puisse
connaître ? Je ne vois plus rien... 0 science de mon Dieu,
quelle menace effroyable vous êtes pour les pêcheurs ! Un
sommeil perfide appesantit leur conscience ; ils croient
avoir enseveli dans le tombeau de l'oubli leurs crimes
passés parce que personne ne les inquiète, personne ne
vient leur dire : Souvenez-vous. Enhardis par l'impunité,
ils poursuivent en cachette la trame de leurs œuvres per-
verses ; leur âme est un abîme qui vomit l'iniquité dégui-
sée par des habiletés et des protestations hypocrites
auxquelles notre simplicité se laisse tromper. Ils poussent
l'audace à cet excès qu'ils comptent prendre Dieu lui-même
en leurs filets et renverser ses desseins. Alors ils seront
maîtres de l'avenir et leur corruption triomphante devien-
dra la loi des peuples qu'ils auront pervertis. Mais on
veille là haut. Un jour vous viendrez au devant de ces
misérables, ô Dieu terrible, et vous leur direz : « C'est
moi. J'ai tout vu, je sais tout, j'ai déjoué vos complots et
sauvé les peuples que vous vouliez perdre. Le mal que
vous avez oublié, le mal que vous avez caché, le mal que
vous avez espéré, le voilà ! Voyez vous-mêmes et jugez. »
VOLONTE DE DIEU ET LIBERTÉ FUMAINE 5lQ
Et le pécheur verra, et il entrera en fureur, et il grincera
des dents, et il défaillira sur les ruines de ses désirs
écroulés. » Monsabré, Conférences de Notre-Dame, Gonf.
vm*, Paris, 1874, p. 69-70.
2. La volonté de Dieu. — « Cette efficace (de la cau-
salité première), est si grande que non seulement les
choses sont absolument dès là que Dieu veut qu'elles
soient, mais encore qu'elles soient telles dès que Dieu
mit qu'elles soient telles...; car il ne veut pas que les
choses soient en général seulement, mais il les veut dans
tout leur état, dans toutes leurs propriétés, dans tout
leur ordre. Gomme donc un homme est, dès là que
Dieu veut qu'il soit ; il est libre dès là que Dieu veut
qu'il soit libre ; et il agit librement, dès là que Dieu veut
qu'il agi? se librement ; et il fait librement telle action dès
là que Dieu le veut ainsi. Car toutes les volontés et des
hommes et des anges sont comprises dans la volonté de
Dieu comme dans leur cause première et universelle ; et
elles ne sont libres que parce qu'elles y sont comprises
comme libres... Dieu veut donc le premier, parce qu'il
est le premier être et le premier libre ; et tout le reste
veut après lui, et veut à la manière que Dieu vent qu'il
veuille... Et il ne faut pas objecter que le propre de
l'exercice de la liberté, c'est de venir seulement de la
liberté même ; car cela serait véritable, si la liberté de
l'homme était une liberté première et indépendante, et
non une liberté découlée d'ailleurs. » Bossuet, Traité du
libre arbitre, ch. S,
Je crois en Dieu... tout-puissant
Leçon XVe
De Dieu
Toute-Puissance
et Attributs Moraux
I. Texte du Catéchisme romain. — II. Toute-
Puissance de Dieu. — III. Attributs moraux.
I. Texte du Catéchisme romain
Les saintes Lettres expriment de plusieurs ma-
nières la puissance souveraine et l'immense
majesté de Dieu, afin de faire comprendre
de quel respect religieux on doit entourer son très
saint nom. Au pasteur d'enseigner avant tout aux
fidèles qu'elles lui donnent le plus souvent le
nom de Tout-puissant (i). En effet, en parlant de
lui-même, Jéhovah dit : « Je suis le Dieu tout-
puissant (2); » et Jacob, envoyant ses fils à Joseph,
faisait cette prière : « Que le Dieu tout-puissant
1. Sum. theol, I, Q. xxv. — 2. Gènes., xvn, 1.
TEXTE DU CATÉCHISME ROMAIN 521
vous fasse trouver grâce devant lui (i). » Il est écrit
dans l'Apocalypse : « Le Seigneur Dieu, celui qui
est, qui était et qui vient, le Tout-puissant (2) ; » ail-
leurs, le jugement est appelé « le grand jour du
Seigneur tout-puissant (3). » D'autres fois aussi
nous voyons plusieurs mots employés pour dire la
même chose, comme dans ces endroits : « // n'y a
rien qui soit impossible à Dieu (4). » « Le bras de
Jchovah est-il trop court (5) ? » « Vous pouvez faire.
Seigneur, tout ce que vous voulez (6). » I/Ecriture
est ainsi remplie d'une foule d'expressions, qui,
pour le sens, sont équivalentes à celle de Tout-
puissant.
a Or nous entendons par ce terme qu'il n'y a
rien, qu'il est impossible de rien concevoir, de
rien imaginer qui surpasse la puissance de Dieu.
Car non seulement il peut faire toutes ces choses
qui, toutes grandes qu'elles sont, nous sont cepen-
dant plus ou moins connues, comme de faire ren-
trer l'univers dans le néant, ou de créer de rien,
en un instant, plusieurs autres mondes ; mais son
pouvoir s'étend aussi à des choses infiniment plus
relevées, dont la raison humaine ne saurait même
soupçonner la possibilité.
« Cependant, bien qu'il soit tout-puissant, Dieu
ne saurait mentir, ni tromper, ni être trompé, ni
pécher, ni cesser d'être, ni rien ignorer. Ce sont là
des choses qui n'appartiennent qu'aux êtres impar-
faits. Pour Dieu, dont l'action est toujours d'une
perfection infinie, il ne peut les faire, parce
qu'elles sont des effets de la faiblesse, et non d'un
pouvoir souverain sur toutes choses, tel qu'il le
possède. Ainsi donc, tout en reconnaissant en Dieu
1. Gènes., xliii, i4- — 2. Apoc, 1, 8. — 3. Apoc., vi, 17.
4. Luc., 1, 37. — 5. Num., xi, 23. — 6. Sap., xii, 18.
52 2 LE CATÉCHISME ROMAIN
la toute-puissance, nous croyons cependant qu'il
est parfaitement exempt de tout ce qui ne serait pas
en harmonie et en rapport avec sa nature infini-
ment parfaite.
« Que si le Symbole omettant les autres perfec-
tions de Dieu, ne propose à notre croyance que la
toute-puissance, le pasteur aura soin de montrer
que ce n'est pas sans des raisons très sages. En
effet, dès que nous croyons qu'il est tout-puissant,
nous avouons par là même qu'il a la connaissance
de toutes choses, et que tout est soumis à sa volonté
et à son empire ; et nous reconnaissons en lui tout
ce qui est lié avec sa souveraine puissance et qui
est nécessaire pour nous le faire comprendre.
« D'ailleurs, rien n'est plus propre à affermir notre
foi et notre espérance que la conviction profondé-
ment gravée dans nos esprits que rien n'est impos-
sible à Dieu. Quoi que l'on nous propose ensuite
de croire, quelque grand et quelque incompréhen-
sible que cela soit, quelque élevé que cela se trouve
au-dessus de l'ordre accoutumé de la nature, la rai-
son humaine y donnera facilement son assentiment
dès qu'elle aura compris la toute-puissance de Dieu;
et même plus les divins oracles annonceront des
choses étonnantes, plus elle y ajoutera foi avec em-
pressement. Que s'il s'agit des biens à espérer,
jamais la grandeur de l'objet promis n'ébranlera la
confiance de l'esprit, qui affermira au contraire ses
désirs et ses espérances par cette pensée, souvent
présente à son souvenir, que rien n'est impossible
à un Dieu tout-puissant.
« Ayons donc soin de nous fortifier par la foi de
cette vérité, surtout lorsque nous aurons à faire pour
l'utilité du prochain quelque chose de difficile, ou
que nous voudrons obtenir quelque chose de Dieu
par la prière. Jésus-Christ nous enseigne lui-même
TEXTE DU CATÉCHISME ROMAIN 52 3
ce devoir lorsque, reprochant à ses apôtres leur in-
crédulité, il leur dit : « Si vous aviez de la foi
comme un grain de sénevé, vous diriez à cette mon-
tagne: Passe d'ici là-bas, et elle y passera, et rien
ne vous sera impossible (i). » Et l'apôtre saint Jac-
ques, pour exciter la confiance du fidèle dans la
prière, l'exhorte à « demander avec foi, sans hésiter;
car celui qui hésite est semblable au flot de la mer
qui est poussé par le vent de tous les côtés ; que cet
homme-là ne s'imagine donc pas qu'il recevra quelque
chose du Seigneur (2). »
« Au reste, cette croyance nous est très utile et
très avantageuse sous d'autres rapports. D'abord
elle nous porte à la modestie et à l'humilité de
l'esprit, suivant ces mots de saint Pierre : « Humi-
liez-vous sous la main puissante de Dieu (3). » De
plus, elle nous apprend à ne pas craindre « là ou il
n'existe aucun sujet de crainte (4) », et à « ne crain-
dre que Dieu seul (5) », qui « nous tient en son
pouvoir, nous et tous nos biens (6). » Et le Seigneur
lui-même a dit : « Je vous montrerai celui que vous
devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué
le corps, peut vous précipiter dans V enfer (7). »
Cette même foi sert encore à nous rappeler les
grands bienfaits de Dieu à notre égard et à exciter
notre reconnaissance. Quiconque pense, en effet, à
la toute -puissance de Dieu, serait d'une trop grande
ingratitude, s'il ne s'écriait souvent : « Celui qui est
tout-puissant a fait pour moi de grandes choses (8).» ;,
« Mais de ce que, dans cet article, nous disons
que le Père est tout-puissant, il ne faudrait pas croire [
que la même perfection ne soit commune au Fils et \ \
1. Malth., xvii, 20. — 2. Jac, 1, 6-7. — 3. I, Petr., v, 6. —
4. PsaL, lu, 6. — 5. Psal., xxxn, 8. — 6. Sap., vu, 16. —
7. Luc, xii, 5. — 8. Luc, 1, 49.
524 LE CATÉCHISME ROMAIN
<■ I ■■■ I I ■■!■■ I. . ..„ .,■ | ——— — — gj
au Saint-Esprit. De même que nous disons que le
Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est
Dieu, sans dire pour cela qu'il y a trois Dieux, mais
en confessant réellement un seul Dieu ; ainsi, en
confessant que le Père, le Fils et le Saint-Esprit
sont tout-puissants, nous ne reconnaissons pas trois
tout-puissants, mais un seul. Il y a pourtant une
raison particulière de donner cette qualité au Père,
c'est qu'il est la source de tout ce qui existe. Ainsi,
nous disons du Fils qu'il est la sagesse, parce qu'il est
le Verbe du Père ; et du Saint-Esprit, qu'il possède
la bonté, parce qu'il est l'amour du Père et du Fils ;
et cependant ces qualités ainsi que les autres con-
viennent également aux trois personnes suivant la
règle de la foi catholique (i) ».
IL Toute-puissance de Dieu
1. Sa corrélation étroite avec l'Intelligence
et la Volonté. — La Toute-puissance divine est le
corollaire logique et nécessaire de la science et de
la volonté de Dieu. La science et la volonté, en
effet, concourent à la création et sont la cause des
êtres créés.
i. La science d'abord, car elle est aux choses
créées, dit saint Thomas (2), ce que la science de
Partisan est à ses ouvrages. Or, la science de l'artisan
est la cause de ses ouvrages, puisqu'il opère par
son intelligence. La forme intellectuelle est ainsi le
principe de toute opération. Toutefois la forme
intelligible n'est pas principe d'action par cela
seul qu'elle est dans l'intelligence, il faut qu'elle
soit inclinée vers tel effet par la volonté. Placée
i.Cat. rom., I, art. 1, xv-xix. — 2. Sumtheol, I, Q. xvi, a 8
TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 525
entre deux pôles opposés, elle se porte vers l'un ou
vers l'autre sous l'impulsion de la volonté. Jointe
ainsi à la volonté, elle procède à l'opération et
constitue la science d'approbation. Cette science
diffère de celle de l'homme. Car, dit saint Augustin,
« Dieu ne connaît pas les créatures spirituelles et
corporelles parce qu'elles sont, mais ces créatures
existent parce que Dieu les connaît (i). » Dans
l'homme, au contraire, ce sont les créatures qui
sont la cause de sa science; en lui, la nature pré-
cède et mesure sa science ; tandis que la science de
Dieu précède et mesure la nature elle-même. Et
bien que la science de Dieu soit éternelle, il ne
s'ensuit pas que les créatures soient aussi éternelles ;
éternellement elles sont dans la science divine,
mais elles ne passent à l'existence qu'au moment
fixé par Dieu.
2. A la science s'ajoute la volonté. Celle-ci aussi
est la cause des choses (2). Puisque la nature agit
pour une fin, tout aussi bien que l'intelligence, il
faut qu'une intelligence supérieure prescrive
à la nature la fin qu'elle doit atteindre et les
moyens propres à y parvenir. Or Dieu est la pre-
mière des causes : Il agit donc par l'intelligence et
parla volonté. De plus, une cause naturelle produit
toujours le même effet, parce qu'elle agit toujours,
à moins d'obstacle, d'une manière uniforme, d'une
manière conforme à sa nature qui est déterminée,
circonscrite, limitée. Ce ne peut être le cas de Dieu;
vis-à-vis des créatures, il n'agit pas par nécessité,
mais uniquement selon la détermination de sa
volonté et de son intelligence. Enlin, la cause pro-
duit son effet conformément à la manière dont elle
le contient, c'est-à-dire selon son mode d'être. Or,
1. De Triait., xv, i3. — 2. Sum. theol., I, Q. xix, a. 4.
52Ô LE CATÉCHISME ROMAIN
en Dieu, l'être est son intelligence. Il contient ses
effets d'une manière intelligible, c'est-à-dire par
l'intervention de la volonté qui seule détermine
Dieu à réaliser ce qu'il a conçu dans son intelli-
gence. N'oublions pas qu'intelligence et volonté ne
se distinguent entre elles et avec l'essence divine
que par un effet de notre esprit, car en Dieu c'est
tout un.
2. Son existence et son objet. — i. Nous
avons vu sur quels textes scripturaires le Caté-
chisme romain s'appuie pour prouver l'existence
de la toute-puissance. On en peut signaler d'autres,
et, par exemple, les suivants : « Ta es puissant,
Jéhovah (i). » « Je sais que la peux toat (2). »
Tout ce que veut Jéhovah, il le fait,
Dans les cieux et sur la terre,
Dans la mer et dans tous les abîmes (3).
Nous avons vu aussi l'objet qu'il assigne à cette
toute-puissance.
Dieu, étant l'être même, exclut de son essence
tout mélange de potentialité ; car la puissance est
un devenir et le devenir est en opposition formelle
avec l'être . Mais la puissance peut s'entendre ou
comme une pure réceptivité soumise à l'influence
causale d'un agent extrinsèque, ou comme une
force capable de produire certains effets ; dans le
premier cas, on l'appelle puissance passive, dans le
second puissance active. Considérée dans sa signifi-
cation formelle, la puissance passive implique une
imperfection, un défaut d'être ; tandis que la puis-
sance active ne contient dans son concept aucune
1. Psal., lxxxviii, 9. — a. Job., xlii, 2. — 3. Psal., cxxxiv, 6.
TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 527
imperfection ; on ne peut agir, en effet, que parce
qu'on est et dans la mesure où on est. La puissance
active étant faite pour l'opération, elle sera d'autant
plus parfaite qu'elle s'identifiera mieux avec cette
opération ; et si elle se confond essentiellement avec
elle, elle sera un acte pur ; l'acte pur et l'être pur ne
seront qu'une seule réalité. Mais si la puissance
active se distingue de son opération, elle conservera
sans doute sa perfection naturelle, mais elle sera
par le fait même une puissance mêlée de passivité,
capable de recevoir, par son exercice, un accroisse-
ment d'être, ce qui est le caractère formel de la
puissance passive. Ce dernier cas regarde les créa-
tures ; le premier ne s'applique qu'à Dieu.
Dieu, en effet, parce qu'il est l'être infini, est
l'acte pur, sans aucun mélange de potentialité. Il
est déterminé par son essence à la plénitude de
l'être et à la plénitude de l'opération. Mais cette
opération, au lieu de survenir à sa vertu active
comme une perfection nouvelle, n'est que l'acte
infiniment subsistant d'une essence qui s'identifie
avec sa propre existence : être et agir ne sont en
Dieu qu'une seule et même chose. Mais il y a une
différence entre l'opération divine ad inira, qui se
termine tout entière dans l'essence subsistante d'où
elle procède et dont nous parlerons en traitant de
la trinité, et l'opération ad extra qui, sans sortir
formellement de cette essence, s'extériorise pourtant
virtuellement, en tant qu'elle aboutit à la production
d'un être distinct de l'être divin. Cette dernière
opération, la seule à envisager ici, s'étend aussi loin
que le champ des essences réalisables ; la puissance
divine est aussi illimitée que son essence.
La puissance se mesurant à l'être qui la possède,
il va de soi que la puissance de Dieu comme son
être est infinie, sans bornes, sans limites. Et c'est
528 LE CATÉCHISME ROMAIN
pourquoi on l'appelle la toute-puissance. C'est le seul
des attributs divins que mentionne le Symbole des
apôtres ; et e Catéchisme romain fait observer avec
raison qu'il n'exclut pas les autres, puisqu'il im-
plique notamment celui d'intelligence et de vo-
lonté.
2. Dieu est tout-puissant, qu'est-ce à dire? qu'il
peut tout? Oui, sans doute, il peut tout ce qui est
possible. Car il est des choses absolument impossi-
bles, et, par exemple, les choses contradictoires.
Une chose, en effet, est absolument possible lorsque,
dans les deux termes de la proposition qui l'expri-
ment, l'attribut ne répugne pas au sujet. Or tout ce
qui peut avoir la nature de l'être rentre dans les
possibles absolus et tombe sous le domaine de la
toute-puissance divine. Mais comme rien n'est con-
traire à la nature de l'être que le non-être, il ne se
trouve hors de ces possibles absolus que ce qui
implique en même temps l'être et le non-être, c'est-
à-dire ce qui est contradictoire. L'intelligence divine
ne saurait concevoir le contradictoire. On ne peut
donc pas dire que Dieu ne peut pas le faire ; on
parle plus correctement en disant que cela est
impossible de soi.
Le péché étant un défaut de perfection dans l'acte,
Dieu, qui est la perfection même, ne peut se con-
cevoir avec ce défaut. Et c'est parce qu'il est tout-
puissant qu'il ne peut absolument pas pécher.
De même Dieu ne peut pas faire que les choses
passées n'aient été, cela implique contradiction.
Mais Dieu peut faire bien des choses qu'il ne fait
pas. « Pensez-vous, disait Notre Seigneur, que je ne
puisse pas prier mon Père, et il in enverrait aussitôt
douze légions a" anges (i). » Saint Augustin fait les
i. Matth. xxyi, 53.
TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 5s>g
remarques suivantes : Dieu aurait pu d'un seul
coup exterminer les idolâtres (i), et il ne l'a pas
fait; infliger aux impies de nouveaux tourments (2),
et il ne l'a pas fait ; susciter de la pierre des en-
fants d'Abraham (3), et il ne l'a pas fait ; jeter
les montagnes dans la mer (4), et il ne l'a pas fait ;
opérer mille autres merveilles, et il ne l'a pas fait.
« On voit donc que Dieu ne fait pas tout ce qu'il
peut faire. L'Ecriture aussi bien que la raison con-
damne l'opinion contraire (5). »
Dieu pcut-il faire des choses meilleures que celles
qui existent? Sans aucun doute. « Dieu, dit saint
Paul, peut faire infiniment plus que tout ce que
nous demandons ou concevons (6). » Il y a deux
sortes de bonté, observe saint Thomas ; celle qui
tient à l'essence des choses, et, sous ce rapport,
Dieu peut bien faire une chose meilleure qu'une
autre. Mais il ne peut pas faire que la même chose
soit meilleure dans son essence qu'elle n'est. Car
de même qu'il ne saurait rendre le nombre quatre
plus grand, parce qu'il en changerait l'espèce
en y ajoutant, de même il ne saurait, sans la chan-
ger, rendre une chose meilleure dans son essence,
parce que l'addition d'une qualité substantielle
changerait la nature des choses. Mais outre la bonté
essentielle des êtres, il y a une bonté accidentelle,
par exemple la sagesse et la justice dans la nature
raisonnable de l'homme. Celle-ci, Dieu peut incon-
testablement l'améliorer et l'accroître (7).
Mais Dieu pourrait-il faire mieux qu'il ne fait, en
entendant mieux au sens d'adverbe ? Dieu ne peut
pas faire mieux qu'il ne fait, si on le considère en
lui-même, car en faisant ce qu'il fait, il ne saurait
1. Jos., xxm, 9. — 2. Sap., xvi, 6. — 3. Luc., m, 8. —
A. Matth., xi, 23. — 5. De spirit. et litt., xxxiv. — 6. Eph., m,
ao. — 7. Sum. theol., I, Q. xxv, a. 6.
LE CATÉCHISME. — T. I.
boO LE CATECHISME ROMAIN
opérer ni avec plus de sagesse ni avec plus de puis-
sance ; mais si l'on regarde les choses faites, oui il
pourrait faire mieux, puisqu'il est en sa puissance
d'améliorer les choses qui existent, non dans leur
essence, mais dans leurs accidents.
3. Puissance limitée de l'homme. — L'homme
étant intelligence et volonté possède, dans la
même mesure, la puissance. Mais quelle puis-
sance que la sienne, à côté de la toute-puissance
divine 1 Que de limites, comme, du reste, dans sa
science et sa volition 1 Et pourtant jusqu'à quel
point ne s'est elle pas élevée de nos jours 1 que de
travaux 1 que de recherches ! que de progrès déjà
réalisés, insoupçonnés hier encore 1 Dans tous les
champs de l'activité humaine, en histoire, en géo-
graphie, en archéologie, en philologie, dans les
sciences surtout, qui transforment de jour en jour le
commerce, l'industrie, et apportent plus de hien-être
physique, plus de civilisation ! Et que de progrès
futurs, qu'on ne soupçonne pas aujourd'hui, mais
qui, demain peut-être, seront des réalités ! La marge
est grande dans l'œuvre divine, et le savoir, et la
volonté, et la puissance de l'homme peuvent y
évoluer à leur aise, sans qu'on puisse jamais se
flatter d'en avoir découvert tous les trésors, et d'en
tarir les merveilles. Et l'espoir, au cœur de l'homme,
s'est élevé jusqu'à l'enthousiasme, jusqu'à l'enivre-
ment de lui-même. Que de rêves en perspective, dans
un avenir qu'on dit plus ou moins prochain ! Plus
de misères dans les masses, rien que du bonheur I
Plus de guerres entre peuples, rien que la paix !
Plus de maux, plus de mort, si c'était possible ! Et
ne serait-ce pas possible ? Qui sait ? Mais non, par
là l'homme est rappelé au peu qu'il est, au peu qu'il
peut. Ce serait sagesse que de le reconnaître ; c'est
ATTRIBUTS MORAUX '. LA BONTE 53 1
folie de le méconnaître, et folie plus grande encore
de penser, de parler, d'agir, comme si par delà le
monde phénoménal Dieu n'existait pas, de rayer du
domaine rationnel son existence et d'en venir à cette
monstruosité de croire que Dieu est en train de se
faire dans le monde grâce au progrès, en train de
prendre conscience de lui-môme dans l'homme et
par l'homme. L'homme ne serait-il pas, n'est-il pas
en définitive le Dieu nouveau ? Une telle aberration
intellectuelle et morale n'est pas rare de nos jours.
Impertinente comme l'orgueil, dont elle est l'ex-
pression, il pourrait bien se faire qu'elle fût châtiée
tôt ou tard. Car s'il est vrai que la foudre frappe
les cimes altières, il est encore plus vrai que « Dieu
résiste aux superbes (i). » Et Dieu n'a guère qu'à
abandonner l'homme à ses propres forces ; et tout
autonome qu'il se proclame, l'homme se suffît à
lui-même pour montrer une fois de plus que, sans
Dieu, il n'est rien et ne peut rien, malgré ses pré-
tentions. La Providence a parfois de ces leçons de
choses.
III. Attributs moraux
i. La Bonté et l'amour. — Dieu est le bien, le
souverain bien ; il est la bonté, la bonté souve-
raine ; c'est dire qu'il est souverainement aimable.
Il est en même temps souverainement amour.
L'amour va au bien, naturellement ; tous les actes
de la volonté le supposent comme leur première
racine, comme leur principe générateur. Nul être
intelligent ne désire que le bien aimé, nul ne se
délecte que dans le bien aimé, nul ne hait que ce
i.Jac, iv, 6.
532 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui s'oppose au bien aimé (i). Partout où se trouve
la volonté se trouve donc l'amour. Par suite l'amour
doit se retrouver en Dieu, à l'état parfait, puisqu'en
Dieu la volonté est parfaite.
Dieu étant le bien, la bonté, la sagesse et la
volonté, dans leur perfection absolue, s'aime lui-
même nécessairement, en vertu même de sa nature,
ainsi que nous l'avons déjà dit.
Il aime aussi les créatures, toutes les créatures, par
le seul fait qu'il leur a donné l'être, ou la vie, ou
l'intelligence et la volonté, parce que tout cela est
un bien qu'il leur a libéralement départi. Mais il ne
les aime pas toutes de la même manière. Celles qui
sont privées de raison, incapables par suite de lui
rendre amour pour amour et de participer à sa
béatitude, il les aime sans doute, mais ce n'est pas
à rigoureusement parler d'un amour d'amitié, c'est
plutôt d'un amour de quasi concupiscence, non qu'il
les désire ou qu'il en ait besoin, mais parce que, en
les créant et les conservant, c'est le bien des créa-
tures raisonnables qu'il a en vue, pour leur mani-
fester sa bonté et leur faire du bien. Quant aux
créatures raisonnables, celles-ci, par un mouvement
de leur intelligence et de leur volonté, pouvant
répondre à son amour, Dieu les aime d'un amour
d'amitié, de bienveillance, et il les aime en proportion
du bien qu'il communique à chacune d'elles et du
bien que chacune d'elles accomplit. Mais si, par le
péché, elles viennent à se détourner de lui, il les
aime encore, non pas en tant que coupables, mais,
quoi qu'elles soient coupables, en tant qu'êtres qui
sont et qui sont par lui.
L'Ecriture renferme d'innombrables témoignages
de la bonté et de l'amour de Dieu envers les hom-
It Sam. theol, I, Q. xx, a. i.
LA BONTÉ DE DIEU 533
mes ; elle nous représente Dieu sous les traits d'un
père, d'une mère, d'un ami, d'un époux. Dieu nous
traite, en e(Tet, comme des êtres de prédilection ; il
nous couvre de bienfaits ; et saint Jean l'a défini
avec raison, quand il a dit : « Dieu est charité (i). »
« Une femme oubliera-t-elle son nourrisson,
Qu'elle n'ait pas pitié du fruit de ses entrailles ?
Quand les mères oublieraient,
Moi, je ne t'oublierai point (2). »
« // l'a entouré (le peuple juif), il a pris soin de lui,
Il l'a gardé comme la prunelle de son œil.
Pareil à l'aigle qui excite sa couvée,
Et voltige au-dessus de ses petits,
Jehovah a déployé ses ailes, il a pris Israël,
J7 l'a porté sur ses plumes (3). »
« Comme un homme que sa mère console, ainsi je
vous consolerai ([[). ))
C'est à l'âme chrétienne que peuvent s'appliquer
ces paroles d'Ezéchiel : « Tu fus renommée parmi
les nations pour ta beauté, car elle était parfaite,
grâce à ma splendeur que j'avais répandue sur toi,
dit le seigneur Jéhovah (5). » L'âme chrétienne, en
effet, objet de la tendre sollicitude de Dieu est sa
fille adoptive, destinée à jouir de sa propre gloire
dans le ciel. De combien de bienfaits n'est-elle pas
redevable ici bas à ce Dieu bon et généreux? Et
de combien de gloire ne sera-t-elle pas un jour
récompensée? En possession delà grâce présente
et dans l'espérance de la gloire future, dont l'homme
ne saurait se faire une idée, combien ne doit-elle
pas s'efforcer de rép mdre par son amour recon-
naissant à l'amour infini ?
1. I Joan., iv, 16. — 2. haï., xlix, i5. — 3. Deut., xxxu,
io-ii. — 4. haï., Lvr, i3. — 5. Ezech., xvi, i4.
5.Vl LE CATÉCHISME ROMAIN
2. La Miséricorde. — C'est particulièrement à
l'égard des malheureux, et de la manière la plus lou-
chante, qu'éclate la bonté divine, ou la Miséricorde.
Ce mot, dit saint Augustin, vient de « miser um cor
faccre condolentis alieno malo (i). » Il s'applique à
l'âme qui compatit aux; peines des autres.
Dieu, évidemment, ne possède pas cette attribut
comme une passion affective (2), car il ne saurait
être atteint dans sa béatitude infinie par la misère
d'autrui u mais il lui convient éminemment de la
soulager, de la faire disparaître, parce que toute
misère est un défaut. Or, qui est plus malheureux
que le pécheur, puisqu'en lui cette misère morale
qu'est le péché constitue un défaut dont il est res-
ponsable ? Et qui plus que le pécheur, surtout
quand il est pénitent, attire les bienfaits de la misé-
ricorde divine ?
« Reviens, infidèle Israël, dit Jéhovah ;
Je ne veux pas vous montrer un visage sévère,
Car je suis miséricordieux, dit Jéhovah,
Et je ne garde pas ma colère à toujours.
Seulement reconnais ta faute,
Car tu as été infidèle à Jéhovah, ton Dieu..,
Revenez, fils infidèles, dit Jéhovah,
Car je suis votre maître (3). »
« Prendrai-je plaisir à la mort du méchant, dit le Sei-
gneur Jéhovah ? N'est-ce pas plutôt à ce qu'il se détourne
de ses voies et qu'il vive?... Détournez-vous et conver-
tissez-vous de tous vos péchés, et l'iniquité ne deviendra
pas votre ruine. Rejetez loin de vous toutes les transgres-
sions que vous avez commises, faites-vous un cœur nou-
veau et un esprit nouveau. Pourquoi mourriez-vous, mai-
son d'Israël? Car je ne prends point plaisir à la mort de
1. De mor. Eçcles., I, xxvn, 53. — 2. Sam. tkeol., I, Q. xxi,
a 2, 3. — 3. Jefem., m, 12-14.
LA MISÉRICORDE DE DIEU 535
celui qui meurt, dit le Seigneur Jéhovah ; convertissez-
vous donc et vivez (i). »
a Cest moi, moi seul, qui efface tes prévarications
pour l'amour de moi (2). »
« Souviens-toi de ces choses, ô Jacob,
0 Israël, car tu es mon serviteur ;
Je Vai formé, tu es mon serviteur,
0 Israël, tu ne seras pas oublié de moi !
J'ai effacé tes transgressions comme un nuage,
Et tes péchés comme une nuée ;
Reviens à moi, car je Vai racheté.
deux, poussez des cris de joie, car Jéhovah a fait cela l
Retentissez d'allégresse, profondeurs de la terre !
Eclatez de joie, montagnes,
Forêts, avec tous vos arbres,
Car Jéhovah a racheté Jacob
Et manifesté sa gloire en Israël (3). »
Qui n'a présents à la mémoire les accents de
David pour remercier Dieu de ses bienfaits (4) ?
Qui ne se rappelle ce psaume cxxxve, sous forme
de litanie, où à chaque verset revient comme un
refrain, le quoniam in seternum misericordia ejus,
sa miséricorde est éternelle ? Et n'est-ce pas sous le
nom de Pèie que Notre Seigneur nous a appris à
prier Dieu : « Noire Père, qui êtes aux deux! » Saint
Paul a raison d'appeler Dieu « le père des miséri-
cordes et le Dieu de toute consolation (5). » La
miséricorde ! quel attribut plus consolant pour
notre humaine misère ! En quels traits inoubliables
le divin Maître l'a marqué dans ces paraboles si
touchantes de la brebis perdue et de l'enfant prodi-
gue ! Et quel thème fécond sous la plume et sur les
1. Ezech., xviii, 3o-32. — 2. Isaï., xliii, 25. — 3. Isaï., xltv,
21-23. — 4. Psal., en ; on le trouvera à la fin de cette leçon.
— 5. Il Cor., 1, 3.
536 LE CATÉCHISME ROMAIN
lèvres des Pères de l'Eglise ! Mais, par contre, de la
part du pécheur, quelle folie de rester sourd aux
appels de la miséricorde divine, de s'attarder dans
le péché, de s'y endurcir I Et quel malheur d'y
mourir 1 Car si Dieu est bon et miséricordieux au-
delà de tout ce qu'on peut dire, il est juste égale-
ment ; sa bonté ne saurait entraver sa justice.
3. La justice. — Dieu est bon, miséricordieux,
patient, d'une longanimité à toute épreuve ; mais il
est juste. Il n'a pas, il ne peut pas avoir la justice
commutative , celle qui règle les échanges, les tran-
sactions, les achats ou les ventes ; car, comme l'a
dit saint Paul, « qui lui a donné le premier, pour
qu'il ail à recevoir en retour (i) ? » Mais il a la jus-
tice distributive, qui consiste dans une répartition
équitable des biens et des maux, et qui s'impose
comme une règle à tout souverain, à tout adminis-
trateur, à tout juge. N'est-il pas le Maître, le Sou-
verain, le Législateur, le Juge par excellence ?
Il est tenu sans aucun doute, dès qu'il se décide
à faire quelque acte extérieur, d'accomplir les des-
seins de sa sagesse et de manifester la munificence
de sa bonté (2). Ayant donc créé les êtres, il est tenu
de plus d'accorder à chacun ce qui lui est dû selon
sa nature et sa condition. Nulle difficulté pour les
êtres sans raison. Mais vis-à-vis de l'homme ?
L'homme peut mal user de sa liberté, il désobéit et
il pèche ; il peut aussi en faire un excellent usage,
s'en servir pour vaincre ses passions, pratiquer la
vertu et accumuler de bonnes œuvres. En présence de
cette alternative, Dieu se doit à lui-même et il doit à
l'homme de traiter l'homme selon le bon ou mau-
vais usage de sa liberté. Nécessairement, il doit
1. Rom., xi, 35. — 2. Sum. theol., I, Q. xxi, a. i, 2.
LA JUSTICE DE DIEU 537
récompenser le bien et punir le. mal. Dans quelle
mesure et de quelle manière, c'est ce que nous ver-
rons plus tard.
Cet attribut divin se retrouve, cela va sans dire, à
toutes les pages de nos saints Livres. Tobie disait
dans sa prière : « Vous êtes juste, Seigneur ; justes
sont tous vos jugements, et toutes vos voles sont
miséricorde, vérité et justice (i). » Le psalmiste,
dans son éloge de la loi de Dieu, s'écriait :
« Tu es juste, Jéhovah,
Et tes jugements sont équitables (2). »
Saint Mathieu (3) et saint Paul (4) répètent :
« Dieu rendra à chacun selon ses œuvres. » L'Apôtre
raisonnait de la sorte : « Ainsi, qui que tu sois,
6 homme, toi qui juges, tu es inexcusable : car en
jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque
tu fais les mêmes choses, toi qui juges. Car nous savons
que le jugement de Dieu est selon la vérité contre ceux
qui commettent de telles (fautes). Et tu penses, ô
homme, toi qui juges ceux qui les commettent, et qui
les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de
Dieu ? Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa
patience et de sa longanimité ? Et ne sais-tu pas que
la bonté de Dieu t'invite à la pénitence ? Par ton endur-
cissement et ton cœur impénitent, tu t'amasses un
trésor de colère pour le jour de la colère et de la
manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à
chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui,
par la persévérance dans le bien, cherchent la gloire,
l'honneur et l'immortalité ; mais la colère et l'indigna-
tion aux enfants de contention, indociles à la vérité,
dociles à l'iniquité (5). » C'est en quelques mots,
1. Tob., m, 2. — 2. Psal., cxviii, 137. — 3. Matth., xvi, 27»
— 4. Rom., 11, 6. — 5. Rom., 11, 1-8.
538 LE CATÉCHISME ROMAIN
l'indication de la rétribution finale. Et si, d'une
part, on comprend, devant cette alternative formi-
dable, la vérité de celte sentence . a 77 est effroyable
de tomber dans les mains du Dieu vivant (i), » car la
justice de Dieu n'est redoutable qu'aux pécheurs,
on comprend aussi, d'autre part, la confiance, la
sérénité, le calme et la paix du serviteur bon et
fidèle, qui faisaient dire à saint Paul : a J'ai com-
battu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé
la foi; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne
de justice, que me donnera en ce jour-là le Seigneur,
le juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux
qui auront aimé son avènement (2). »
4. La Sainteté. — La Sainteté est Fabrégé et
comme un précis des perfections divines. C'est elle
qu'exaltait en particulier Moïse, après le passage
miraculeux de la Mer Piouge.
« Je chanterai à Jéhovah, car il a fait éclater sa gloire :
Il a précipité dans la mer cheval et cavalier.
Qui est comme toi parmi les Dieux, 0 Jéhovah ?
Qui est comme toi auguste en sainteté (3) ? »
Dieu se manifeste à ses prophètes comme le
saint, le très saint, le trois fois saint. Isaïe raconte
ainsi l'une de ses visions • « Je vis le Seigneur
assis sur un trône haut et élevé, et les pans de sa robe
remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-
dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes... Et ils
criaient l'un à l'autre et disaient :
Saint, saint, saint est Jéhovah des armées !
Toute la terre est pleine de sa gloire (4). »
1. Heb., x, 3i. — 2. II Tim., iv, 7-8. — 3. Exod., xv, 1, ir»
— 4- Isaï, vi, i-3.
LA SAINTETÉ DE DIEU 539
Dans la vision de saint Jean, c.e sont les quatre
animaux symboliques, recouverts eux aussi de
six ailes, qui ne cessent de dire jour et nuit :
« Saint, saint, saint est le Dieu tout-puissant, qui
était, qui est et qui vient (i). »
Saint, tel est le titre que Notre Seigneur donne â
son Père avec celui de juste, dans sa dernière
prière : Pater sancte (2), Pater juste (3); ces deux
titres n'en font qu'un, ils résument toutes les pér-
il étions morales de Dieu.
La sainteté de Dieu est incompatible avec tout
péché, avec toute imperfection d'entendement et de
volonté, avec tout défaut; car Dieu est bon par
essence; il n'entend et ne veut que ce qu'il faut;
son intelligence et sa volonté sont sa nature même
qui est excellente. En lui se confondent, sa perfec-
tion morale et sa perfection naturelle.
A raison de cette sainteté, Dieu veut que les créa-
tures raisonnables s'appliquent de tous leurs efforts
à lui ressembler. « Je suis Jéhovah, votre Dieu ;
vous vous sanctifierez, et vous serez saints, car je suis
saint (4). » Et c'est pourquoi il entoure de tant
d'égards prodigieux ceux qui travaillent à se
sanctifier sur la terre. Il les encourage, il les engage
à redoubler d'efforts, à progresser sans cesse. « Que
le juste pratique encore la justice : et que le saint se
sanctifie encore (5). »
Jéhovah aime la justice,
Et il n abandonne pas ses fidèles (6). »
Les abandonner n'est pas assez. C'est en eux qu'il
établit sa demeure. « Si quelqu'un m'aime, dit
Notre Seigneur, il gardera ma parole, et mon Père
i. Apoc, iv, 8. — 2. Joan., xvu, 11. — 3. Joan., xvn, a5. —
4. Levit., xi, 44 ; xix, 2 ; 1 Petr.t if 16. — 5. Apoc, xxn, il. —
6. Puai., xxxvi, *8.
540 LE CATÉCHISME ROMAIN
Vaimera, et nous viendrons à lai, et' nous ferons
chez lui noire demeure (i). » L'âme du saint, en
effet, est, selon l'enseignement de saint Pau!, le
temple particulièrement choisi de Dieu (2). De ce
temple béni s'élèvent des prières, justement compa-
rées aux parfums de l'encens (3). Voici comment
la Sagesse dépeint la vie des saints :
«. Les âmes des justes sont dans la main de Dieu,
Et les tourments ne les atteindront pas .
Aux yeux des insensés ils paraissent être morts,
Et leur sortie de ce monde semble être un malheur.
El leur départ du milieu de nous un anéantissement ;
Mais ils sont dans la paix.
Alors même que, devant les hommes, ils ont subi des châ-
Leur espérance est pleine d'immortalité. [timents,
Après une légère peine, ils recevront une grande récompense.
Car Dieu les a éprouvés
Et il les a trouvés dignes de lui.
Il les a essayés comme l'or dans la fournaise,
Et les a agréés comme un parfait holaucausle.
Au jour de leur récompense, les justes (>rilleront,
Semblables à lajlamme qui court a travers les roseaux.
Ils jugeront les nations et domineront les peuples ,
Et le Seigneur régnera sur eux à jamais (4). »
Le psalmiste a raison de dire :
« Elle a du prix aux yeux de Jéhovah,
La mort de ses fidèles (5). »
« Les fidèles triomphent dans la gloire
Et tressaillent de joie sur leur couche (0). »
La récom pense assurée aux élus dépasse tout ce
que l'on peut concevoir. Car, dit saint Paul, « notre
1. Joan., xiv, a3. — 2. T Cor., ht, 17 ; vi, 19 ; II Cor., vi, 16.
— 3. Apoc, v. S. — [\. Sap., m, î-S. — 5. l'sal., cxv, i5. —
C. PoCll., cxlix, 5.
LA SAINTETÉ DE DIEU 5^1
légère affliction du moment présent produit pour
nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de
gloire (i). »
Le pécheur ne saurait aspirer à une telle récom-
pense ; sa vie répugne à la sainteté de Dieu : c'est le
sentiment de David, dans sa prière matinale :
« Jéhovah, dès le matin, tu entendras ma voix;
Car tu nés pas un Dieu qui prenne plaisir au mal;
Avec toi le méchant ne saurait habiter.
Les insensés ne subsistent pas devant tes yeux ;
Tu hais tous les artisans d'iniquité.
Tu fais périr les menteurs ;
Jéhovah abhorre V homme de sang et de fraude (2). »
« Les pécheurs attaquent Dieu inutilement par
leur rébellion, dit Bossuet; et sa sainteté demeure
inviolable au milieu des impiétés, des blasphèmes,
des impuretés, dont tout l'univers est rempli par la
malice des hommes et des démons. Il demeure
saint, quoique pour punir les pécheurs il les livre
à leurs mauvais désirs, parce que les y livrer n'est
pas les produire. Dieu ne fait que se soustraire lui-
même à un cœur ingrat ; et cette soustraction est
sainte, parce que Dieu se soustrait justement lui-
même à ceux qui le quittent, et punit leur égare-
ment volontaire en les frappant d'aveuglement. Il
fait tout dans l'homme, excepté le seul péché, où
son action ne se mêle point. Celui qu'il permet ne
le souille point, parce que lui seul il en peut tirer
un bien infini, et plus grand que n'est la malice de
tous les péchés ensemble (3). »
Dieu, par bonté, par miséricorde, est toujours
prêt à pardonner au pécheur repentant, à purifier
1. II Cor., iv, 17. — 2. Psal, v, 4-7. — 3. Elévations sur les
mystères, Ie Scm., élév. xi.
5^2 LE CATÉCHISME ROMAIN
sa conscience, à laver ses souillures, à le recevoir
dans ses bras et sur son cœur, à le revêtir de la robe
11 u plia Le et à se réjouir de sa conversion. Car, au
ciel, « il y aura plus de joie pour un seul pécheur
qui se repeut que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui n'ont pas besoin de se repentir (i). » Mais si,
malgré tout, le pécheur s'obstine et meurt dans son
péché, Dieu lui dira : « Je ne vous ai jamais connus.
Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité (2). » Et la
sentence du souverain juge, condamnant les maudits
au feu éternel, sera l'expression de sa sainteté
méconnue et de sa justice suprême.
En présence de la question de la nature de Dieu,
l'homme, même avec les secours de la révélation,
est impuissant à la résoudre d'une manière adéquate,
il ne peut que « balbutier, » disions-nous en rappe-
lant le mot de saint Grégoire. Et nous ne pouvons
pas mieux terminer que par ces paroles de Fénelon :
u Je ne puis m'accoutumer à vous voir, ô Infini
simple, au dessus de toutes les mesures par lesquel-
les mon fait)le esprit est toujours tenté de vous
mesurer. J'oublie toujours le point essentiel de
votre grandeur, et par là je retombe à contre-temps
dans l'étroite enceinte des choses finies. Pardonnez
ces erreurs, ô bonté qui n'est pas moins infinie que
toutes les autres perfections de mon Dieu ; par-
donnez les bégayements d'une langue qui ne peut
s'abstenir de vous louer, et les défaillances d'un
esprit que vous n'avez fait que pour admirer votre
perfection (3). »
1. Luc, xv, 7. — 2. Matth., vu, a3. — 3. Traité de l'existence
de Dieu, à la fin.
LA SAINTETÉ. DE DIEU 5/j3
1. Louange à Dieu pour sa bonté.
« Mon âme, bénis Jéhovah,
Et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom 1
Mon âme, bénis Jéhovah,
Et n'oublie pas ses nombreux bienfaits.
C'est lui qui pardonne toutes les iniquités,
Qui guérit toutes les maladies ;
Cest lui qui délivre ta vie de la fosse,
Qui te couronne de bonté et de miséricorde ;
C'est lui qui comble de biens tes désirs ;
Et ta jeunesse renouvelée a la vigueur de l'aigle.
(( Jéhovah exerce la justice,
Il fait droit à tous les opprimés.
Il a manifesté ses voies à Moïse,
Ses grandes œuvres aux enfants d'Israël.
Jéhovah est miséricordieux et compatissant,
Lent à la colère et riche en bonté.
Ce n'est pas pour toujours qu'il réprimande,
Il ne garde pas à jamais sa colère.
Il ne nous traite pas selon nos péchés,
Et ne nous châtie pas selon nos iniquités.
« Car autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre,
Autant sa bonté est grande envers ceux qui le craignent.
Autant l'Orient est loin de l'Occident,
Autant il éloigne de nous nos transgressions.
Comme un père a compassion de ses enfants
Jéhovah a compassion de ceux qui le craignent.
Car il sait de quoi nous sommes formés,
Il se souvient que nous sommes poussière.
« L'homme ! Ses jours sont comme l'herbe,
Il fleurit comme la fleur des champs.
Qu'un souffle passe sur lui, il n'est plus,
Et le lieu qu'il occupait ne le connaît plus. [craignent,
Mais la bonté de Jéhovah dure à jamais pour ceux qui le
Et sa justice pour les enfants de leurs enfants,
Pour ceux qui gardent son alliance, [ver.
£t se souviennent de ses commandements pour les obser-
5/|4 LE CATÉCHISME ROMAIN
« Jéhovah a établi son trône dans les cieux,
Et son empire s'étend sur toutes choses.
Bénissez Jéhovah, vous, ses anges,
Qui êtes puissants et forts, et qui exécutez ses ordres,
En obéissant à la voix de sa parole.
Bénissez Jéhovah, vous toutes, ses armées,
Qui êtes ses serviteurs et exécutez sa volonté !
Bénissez Jéhovah, vous toutes, ses œuvres,
Dans tous les lieux de sa domination !
Mon âme, bénis Jéhovah ! » (Psaume en.)
2. En l'honneur du Créateur et du Bienfaiteur
d'Israël.
« Rendez hommage à Jéhovah, car il est bon,
Car sa miséricorde est éternelle.
Rendez hommage au Dieu des dieux,
Car sa miséricorde est éternelle.
Rendez hommage au Seigneur des seigneurs,
Car sa miséricorde est éternelle.
A celui qui seul opère de grands prodiges,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Qui a fait les cieux avec sagesse,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Qui a étendu la terre sur les eaux,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Qui a fait les grands luminaires,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Le soleil pour présider au jour,
Car sa miséricorde est éternelle ;
La lune et les étoiles pour présider la nuit,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui frappa les Egyptiens dans leurs premiers-nés,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Il fit sortir Israël du milieu d'eux,
Car sa miséricorde est éternelle,
D'une main forte et d'un bras étendu,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui divisa en deux la mer rouge,
Car sa miséricorde est éternelle,
LA SAINTETÉ DE DIEU 5/J5
Qui fit passer Israël au travers,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et précipita Pharaon et son armée dans la mer rouge
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui conduisit son peuple dans le désert,
Car sa miséricorde est éternelle,
Qui frappa de grands rois,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et fit périr des rois puissants,
Car sa miséricorde est éternelle,
Séhon, roi des Amorrhéens,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et Og, roi de Basan,
Car sa miséricorde est éternelle ;
Qui donna leur pas en héritage,
Car sa miséricorde est éternelle,
En héritage à Israël, son serviteur,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui se souvint de nous quand nous étions humiliés,
Car sa miséricorde est éternelle,
Et nous délivra de nos oppresseurs,
Car sa miséricorde est éternelle ;
A celui qui donne à tout ce qui vit la nourriture,
Car sa miséricorde est éternelle.
Rendez hommage au Dieu des cieux,
Car sa miséricorde est éternelle. »
(Psaume cxxxv.)
3. Toute-puissance de Dieu. Chant de Moïse après le
passage de la mer Rouge.
« Je chanterai à Jéhovah, car il a fait éclater sa gloire :
Il a précipité dans la nier cheval et cavalier.
Jéhovah est ma force et l'objet de mes chants ;
C'est lui qui m'a sauvé ;
C'est lui qui est mon Dieu : je le célébrerai ;
Le Dieu de mon père : je l'exalterai.
Jéhovah est un vaillant guerrier ;
Jéhovah est son nom !
Il a jeté dans la mer les chars de Pharaon et son armée ;
LH CATF.CHISMB. T. I. 35
546 LE CATÉCHISME ROMAIN
L'élite de ses capitaines a été engloutie dans la mer ronge.
Les flots les couvrent.
Ils sont descendus au fond des eaux comme une pierre,
Ta droite, ô Jéhovah, s'est signalée par sa force :
Ta droite, ô Jéhovah, a écrasé l'ennemi.
Dans la plénitude de ta majesté,
Tu renverses tes adversaires ;
Tu déchaînes ta colère :
Elle les consume comme du chaume.
Au souffle de tes narines, les eaux se sont amoncelées,
Les flots se sont dressés comme une muraille,
Les vagues se sont durcies au sein de la mer.
L'ennemi disait : « Je les poursuivrai, je les atteindrai,
Je partagerai les dépouilles,
Ma vengeance sera assouvie ;
Je tirerai l'épée, ma main les exterminera. »
Tu as soufflé de ton haleine :
La mer les a couverts,
Ils se sont enfoncés comme du plomb
Dans les vastes eaux.
Qui est comme toi parmi les dieux, ô Jéhovah ?
Qui est comme toi auguste en sainteté ?
Redoutable à la louange même,
Opérant des prodiges ?
Tu as étendu ta droite,
La mer les a engloutis...
Les peuples l'ont appris, ils tremblent ;
La terreur s'empare des Philistins ;
Déjà les princes d'Edom sont dans l'épouvante ;
L'angoisse s'empare des forts de Moab ;
Tous les habitants de Chanaan ont perdu courage ;
La terreur et la détresse tomberont sur eux.
Par la force de ton bras
Ils deviendront immobiles comme une p;erre,
Jusqu'à ce que ton peuple ait passé, ô Jéhovah...
Jéhovah régnera à jamais et toujours. »
(Exode, xv, 1-18.)
Article Premier
Je crois en Dieu le Père...
en Jésus-Christ... au Saint-Esprit.
Leçon XVIe
De la Sainte Trinité
I. Les formules. — IL La preuve scripturaire ?
i* Dans l'Ancien Testament — a°. Dans le Nou-
veau.
I. Les Formules
Le mystère de la Sainte Trinité se trouve formulé
succintement dans ces paroles de Notre Seigneur
à ses apôtres, avant l'ascension : « Allez, enseignez
toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils
et du Saint-Esprit (i). »
i . Il y a loin de cette formule si concise à celle du sym-
bole de saint Athanase, si explicite et si détaillée, comme
nous l'avons vu : « La foi catholique c'est d'adorer un
seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l'unité, sans
confondre les personnes, sans séparer les substances. Car
autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre
celle de l'Esprit-Saint. Mais pour le Père, le Fils et l'Es-
prit-Saint, une est la divinité, égale la gloire, coéternelle
i. Matth., xxvin, 19.
548 LE CATÉCHISME ROMAIN
la majesté. Tel le Père, tel le Fils, tel l'Esprit-Saint.
Incréé est le Père, incréé est le Fils, incréé est l'Esprit-
Saint. Immense est le Père, immense le Fils, immense
l'Esprit-Saint. Eternel est le Père, éternel est le Fils,
éternel l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont point trois
éternels, mais un seul éternel ; ni trois incréés, ni trois
immenses, mais un seul incréé et un seul immense. De
même tout-puissant est le Père, tout-puissant est le Fils,
tout-puissant est l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont
pas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant. Ainsi
Dieu est le Père, Dieu le Fils, Dieu l'Esprit-Saint ; et
pourtant ce ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu...
De même que la vérité chrétienne nous oblige de confesser
que chaque personne, séparément, est Dieu et Seigneur,
de même la religion catholique nous défend de dire trois
Dieux ou trois Seigneurs. Le Père n'a été ni fait, ni
créé, ni engendré. Le Fils est du Père seul, ni fait, ni
créé, mais engendré. L'Esprit-saint est du Père et du Fils,
ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant de l'un et de
l'autre. Il n'y a donc qu'un Père, et non trois Pères ;
qu'un Fils, et non trois Fils, qu'un Esprit-Saint, et non
trois Esprits-Saints. Et, dans cette Trinité, rien n'est plus
ancien ou plus jeune, rien n'est plus grand ou plus petit,
mais les trois personnes sont coéternelles et coégales
entre elles. »
2. Tous les éléments essentiels du dogme de la Trinité
se trouvent réunis dans le symbole de foi du xi" Concile
de Tolède, tenu en 675 : « Nous confessons et croyons que
la sainte et ineffable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit est
essentiellement un seul Dieu d'une seule substance, d'une
seule nature, d'une seule majesté et puissance. Nous
professons que le Père n'est ni engendré, ni créé, mais
inengendré, ne tenant de personne son origine..., que le
Fils est né de la substance du Père sans commencement
avant tous les siècles..., de la même substance que la
Père, et c'est pourquoi on le dit consubstantiel au
Père... Nous croyons également que l'Esprit-Saint, la
troisième personne de la Trinité, est un seul et même
Dieu avec Dieu le Père et le Fils, d'une seule et
LA SAINTE TRINITÉ 549
même substance, d'une seule et même nature ; ni engen-
dré, ni créé, mais procédant de l'un et de l'autre...
Les noms des personnes marquent leurs relations réci-
proques, celui de Père par rapport au Fils, celui de Fils
par rapport au Père, celui de Saint-Esprit par rapport à
l'un et à l'autre... Nous ne professons pas, trois substan-
ces comme nous professons trois personnes, mais une
seule substance et trois personnes... A chacune des trois
appartient une seule et indivise et égale divinité... Nous
distinguons les personnes, nous ne scindons pas la divi-
nité. Nous reconnaissons la Trinité dans la distinction
des personnes, mais nous professons l'unité à cause de la
nature ou delà substance... Bien qu'ils soient trois en un
et un en trois, chaque personne cependant possède ses
propriétés personnelles (i). »
3. Au commencement du xni° siècle, le rv° Concile de
Latran de 12 15 condamne les erreurs de Joachim de
Flore, de la manière suivante : a Le saint Concile approu-
vant, nous croyons et confessons avec Pierre Lombard
qu'il existe une chose unique et suprême, incompréhensi-
ble et ineffable, qui est véritablement Père, Fils et Saint-
Esprit, trois personnes ensemble et chacune d'elles à
part. Et ainsi en Dieu la Trinité seulement existe, non la
quaternité, parce que chacune de ces trois personnes est
cette chose, c'est-à-dire la substance, l'essence ou la
nature divine, qui seule est le principe de toutes choses
en dehors duquel on ne peut en découvrir quelque autre.
Et cette chose n'est ni génératrice, ni engendrée, ni pro-
cédante, mais elle est le Père qui engendre, et le Fils qui
est engendré, et le Saint-Esprit qui procède, pour que les
distinctions soient dans les personnes et l'unité dans la
nature. Donc, bien que le Père soit un autre, le Fils un
autre, le Saint-Esprit un autre, ils ne sont pourtant pas
autre chose, mais cette chose, qui est le Père, est le Fils
et le Saint-Esprit, la même chose tout-à-fait ; de sorte
que, conformément à la foi orthodoxe et catholique, nous
croyons qu'il sont consubstantiels. En effet, le Père, en
1. Denzinger, n, 222-234.
550 LE CATÉCHISME ROMAIN
engendrant éternellement le Fils, lui a donné sa subs-
tance, comme il (le Fils) en témoigne : « Ce que le Père
m'a donné est plus grand que toutes choses. » Et on ne
peut pas dire qu'il lui ait donné une partie de sa subs-
tance et qu'il en ait retenu une partie pour lui-même,
puisque, étant absolument simple, la substance du Père
est indivisible. Mais l'on ne peut pas dire davantage que
le Père, en engendrant, ait transféré sa substance au Fils,
comme s'il l'avait donnée au Fils de manière à ne pas la
retenir pour lui-même : autrement il aurait cessé d'être
une substance. 11 est donc clair qu'en naissant le Fils a
reçu la substance du Père sans aucune diminution, et
ainsi le Père et le Fils ont même substance. Par consé-
quent une même chose est à la fois le Père et le Fils, et
aussi le Saint-Esprit, qui procède de l'un et de l'au-
tre (i). »
4. Le Catéchisme romain commence par légitimer le
nom de Père qu'on donne à Dieu dans le Symbole. « Quel-
ques-uns, dit-il, même de ceux dont la foi n'éclairait pas
les ténèbres, ont compris que Dieu est une substance
éternelle, qu'il est le principe de toutes choses, qu'il gou-
verne et conserve, par sa providence, l'ordre et l'état de
tout ce qui est ; et de là, voyant que les hommes don-
nent le nom de père à celui qui est le chef d'une famille,
qui la gouverne par son autorité et ses conseils, ils ont
attribué aussi, par comparaison, le même nom à Dieu,
qu'ils reconnaissent pour créateuret gouverneur de toutes
choses. C'est du même nom que se servent les Ecritures
lorsqu'elles rappellent que Dieu est le créateur de toutes
choses, que son pouvoir et sa providence admirable s'é- ,
tendent sur tout.
« N'est-il pas ton père, ton créateur ?
Celui qui Va Jait et qui Va établi (a) ?
a N'avons-nous pas tous un même père? Un même
Dieu ne nous a-t-ilpas tous créés (3) ? » Mais il est appelé
i. Denzinger, n. 358. — a. Deut., xxxn, 6. — 3. Malach.,.
II, io.
LA SAINTE TRINITÉ 55 1
bien plus souvent et d'une manière toute particulière le
père des chrétiens, surtout dans le Nouveau Testament.
C'est des chrétiens que l'apôtre dit : « Vous n'avez pas
reçu un esprit de servitude pour être encore dans la
crainte, mais un Esprit d'adoption, en qui nous crions :
Abba ! Père (1). » Là « le Père nous a témoigné ta/il1,,
d'amour, dit saint Jean, que nous sommes appelés et quâ]
nous sommes réellement les enfants de Dieu (2) ; » « or
si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers,
héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (3), » « qui est
le premier-né d'un grand nombre de frères (4), » « et qui
ne rougit pas de nous appeler ses frères (5). » Ainsi, soit
que l'on regarde Dieu du côté de la création et de sa pro-
vidence universelle, soit qu'on considère spécialement
l'adoption spirituelle qu'il a faite des chrétiens, c'est
avec raison que les fidèles le reconnaissent pour leur
père.
« Mais, outre ces significations, le pasteur avertira les
fidèles qu'en entendant le nom de Père, ils doivent élever
leur esprit à des mystères plus sublimes encore. Tout ce
qu'il y a, en effet, et de plus caché et de plus impénétra-
ble dans a cette lumière inaccessible que Dieu habite (6), »
ce que la raison humaine ne pouvait ni atteindre ni soup-
çonner, se trouve exprimé par ce nom de Père, comme
nous l'apprennent les oracles sacrés. Il nous avertit donc
qu'il y a dans l'essence divine, non une seule personne
mais plusieurs réellement distinctes. Nous croyons, en
effet, qu'il y en a trois dans la même nature : celle du
Père, qui n'est engendrée d'aucune autre ; celle du Fils,
qui est engendrée du Père avant tous les siècles ; celle du
Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, de toute
éternité. Le Père est, dans l'unité de la nature divine, la
première personne, faisant avec son Fils unique et le
Saint-Esprit un seul Dieu, un seul Seigneur : non point
une seule personne, mais une seule nature en trois per-
sonnes. Et on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait entre
elles aucune différence, ni aucune inégalité. Toute la
1. Rom., vin, i5. — a. 1 Joan., m, 1. — 3. Rom., vm, 17. —
4. Rom., vm, 29, — 5. Heb., 11, 11. — 6. 1 Tim., vi, 16.
552 LE CATÉCHISME ROMAIN
distinction que l'on conçoit en elles, vient de leurs pro-
priétés respectives. Le Père n'est point engendré ; le Fils
est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède de l'un et
de l'autre. Et ainsi, pour ces trois personnes, nous con-
fessons la même essence, la même substance, et, dans la
confession de cette vraie et éternelle divinité, nous ado-
rons avec piété et respect la distinction dans les person-
nes, l'unité dans l'essence, et l'égalité dans la Trinité.
« Ainsi lorsque nous disons que le Père est la première
personne, il ne faut pas croire que nous reconnaissions
dans la Trinité quelque chose de premier et de dernier,
de plus grand et de plus petit. A Dieu ne plaise qu'une
telle impiété entre dans l'esprit des fidèles. La religion
chrétienne enseigne que la même éternité, la même
gloire et la même majesté conviennent aux trois person-
nes. Mais parce qu'il est le principe sans principe, nous
affirmons avec vérité et sans hésiter que le Père est la
première personne ; et parce qu'il est distingué des
autres personnes par la propriété de Père, c'est par là que
de toute éternité il a dû engendrer son Fils. Et de là vient
que dans cet article nous joignons ensemble le nom de
Dieu et de Père pour nous faire souvenir que la première
personne a toujours été Dieu et Père.
« Mais comme il n'y a rien de plus périlleux que de
chercher à pénétrer des choses si sublimes et si difficiles,
ni rien de plus grave que de se tromper en voulant les
expliquer, les pasteurs feront entendre aux fidèles qu'ils
doivent retenir soigneusement les mots d'essence et de
personne, consacrés à l'expression propre de ce mystère,
et se souvenir que l'unité est dans l'essence et la distinc-
tion dans les personnes. Qu'ils se gardent de faire là-des-
sus des recherches subtiles et curieuses, conformément à
cette sentence : « Celui qui veut sonder la majesté
(divine) sera accablé par sa gloire (i). » C'est assez pour
nous de connaître certainement par la foi que Dieu lui-
même nous a enseigné cette vérité ; car ne pas croire à
ses oracles serait le comble de la folie et du malheur.
i. Prov.y xxv, 27.
LA SAINTE TRINITÉ 553
Ulez, dit Jésus-Christ à ses apôtres, enseignez toutes
tes ;>:i lions, les baptisant au nom dû Père, et du Fils, et
■lu Saint-Esprit. » Et nous lisons dans saint Jean : « Il y
en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le
Verbe et l'Esprit, et les trois ne font qu'une chose (i). »
( Que celui donc qui, par la grâce de Dieu, croit ces
vérités, adresse sans cesse ses prières au Père qui a créé
toutes choses de rien, qui les a ordonnées par sa bonté,
qui « nous a donné le pouvoir de devenir ses entants (2), »
qui a révélé à l'esprit humain le mystère de la sainte
Trinité, afin qu'il le rende digne d'entrer dans les taber-
nacles éternels et d'y contempler cette infinie fécondité
de Dieu le Père qui, en se contemplant et en se connais-
sant lui-même, engendre un Fils qui lui est égal et sem-
1. I Joan., v, 7. Ce verset dit des trois témoins célestes cadre
avec l'enseignement de saint Jean. Est-il vraiment de l'apôtre ?
C'est ce que la critique révoque en doute, parce qu'il ne se
trouve pas dans les anciens manuscrits. En fait, pendant toute
la controverse trinitaire, au 111e et ive siècles, il n'est jamais
cité ; c'eût été pourtant le cas. Tout au plus croit-on trouver
quelques allusions dans Tertullien et saint Cyprien. Ni saint
Hilaire, ni saint Athanase, ni les Pères cappadociens, ni même
saint Augustin n'en font mention ; mais il parait à partir de
la seconde moitié du ve siècle, et depuis il a été souvent utilisé.
La Vulgate latine le renferme. La question s'est donc posée de
savoir s'il faut le regarder comme authentiqne ou comme
interpolé. Sa présence dans la Bible officielle lui confère au
moins l'autorité d'un témoignage traditionnel de vérité doc-
trinale, sans qu'on en puisse conclure que ce soit vraiment un
témoignage biblique. Le Saint-Office, il est vrai, a répondu
négativement, le i3 janvier 1897, à cette question : Utrum
tuto negari aut saltem in dubium revocari possit, esse authen-
ticum textum sancti Joannis epistolae prima?, v, 7, et a dit
de l'opinion contraire : tuto doceri non potcst. Interrogée par
le cardinal Vaughan, la Congrégation a répondu qu'elle n'avait
pas prétendu trancher la question de critique ni d'authenti-
cité proprement dite, mais que l'authenticité doit s'entendre
relativement à la Vulgate, en ce sens que le texte doit être
respecté comme partie de la Bible ecclésiastique et comme
document traditionnel. Voir sur ce verset l'étude de Le Hir,
Etudes bibliques, Paris, 1869, 1. 1. — 2. Joan., I, 12.
554 LE CATÉCHISME ROMAIN
blable, ce lien éternel et indissoluble par lequel le SainU
Esprit, amour parfaitement égal du Père et du Fils, pro-
cédant de l'un et de l'autre, unit ensemble à jamais celui
qui engendre et celui qui est engendré ; enfin l'unité
d'essence dans la sainte Trinité et la parfaite distinction
des trois personnes (i). »
IL La preuve scripturaire
1° Dans l'Ancien Testament. — Le mys-
tère de la sainte Trinité ne se trouve pas formel-
lement exprimé dans l'Ancien Testament ; il n'y
est qu insinué ; et ce n'est que grâce à la révé-
lation évangélique qu'on peut en relever les traces.
Nulle difficulté en ce qui regarde la divinité et la
personnalité de Dieu le Père : ces vérités s'y trou-
vent nettement enseignées. On n'en saurait dire au-
tant en ce qui concerne la personne du Fils et du
Saint-Esprit.
i. Toutefois, dans la Genèse et dans l'histoire des
patriarches, paraît souvent un personnage qui
s'appelle l'Ange ou l'Envoyé de Jéhovah, qui est
traité comme Jéhovah lui-même, qui parle comme
s'il était Jéhovah, se révèle à Moïse comme Jéhovah
El Schaddaï, sauve les Israélites, apparaît à Gédéon,
annonce aux parents de Samson la naissance du
futur libérateur des Hébreux, qui doit se montrer
dans le temple de Jérusalem.
N'est-ce pas là une hyposthase, une personne
divine, ayant pour rôle de manifester et de révéler l
la providence de Dieu, rôle qui deviendra plus
visible dès qu'il paraîtra au milieu d'Israël? Ce per-
sonnage mystérieux est dépeint à plusieurs reprises
sous les traits de la Sagesse. C'est ainsi, par
exemple, que nous lisons dans les Proverbes (2) :
1. Cat. rom., I, art. 1, x-xrv. — a. Prov., vin, aa-3i.
LA TRINITÉ I PREUVE SCRIPTURAIRE 555
« Jéhovah m'a possédée au commencement de ses voies,
Avant ses œuvres les plus anciennes.
J'ai été fendée dès i 'éternité,
Dès le commencement, avant l'origine de la terre.
Il n'y avait point a" abîmes quand je fus formée.
Point de sources chargées d'eaux.
Avant que les montagnes fussent affermies.
Avant les collines , j'étais enfantée,
Lorsqu'il n'avait encore fait ni la terre, ni les plaines,
Ni les premiers éléments de la poussière du globe.
Lorsqu'il disposa les deux, j'étais là ;
Lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme,
Lorsqu'il affermit les nuages en haut,
Et qu'il dompta les sources de l'abîme,
Lorsqu'il fixa une limite à la mer,
Pour que les eaux n'en franchissent pas les bords,
Lorsqu'il posa les fondements de la terre,
J'étais à l'œuvre auprès de lui,
Me réjouissant chaque jour,
Et jouant sans cesse en sa présence,
Jouant sur le globe de la terre,
Et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes. »
L'Ecclésiastique (i) reprend à son tour le portrait
de la Sagesse :
« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut,
Et comme une nuée je couvris la terre.
J'habitai sur les hauteurs les plus élevées,
Et men trône était sur une colonne de nuée.
Seule j'ai parcouru le cercle du ciel,
Et je me suis promenée dans les profondeurs de l'abîme.
Dans les flots de la mer et sur toute la terre,
Dans tout le peuple et toute nation j'ai exercé l'empire.
Parmi tous les peuples j'ai cherché un lieu de repos,
Et dans quel domaine je devais habiter. »
« J'ai poussé mes racines au milieu du peuple glorifié,
Dans la portion du Seigneur, dans son héritage.
x. Eccl.. xxiv, 3-7, 12-14. 18-21, 26-27.
556 LE CATÉCHISME ROMAIN
Je me suis élevée comme le cèdre dans le Liban,
Et comme le cyprès sur la montagne d'Hermon.
Je me suis élevée comme le palmier des rivages,
Et comme les roses de Jéricho ;
Comme un bel olivier dans la plaine ,
Et j'ai grandi comme un platane. »
« Venez à moi, vous tous qui me désirez,
Et rassasiez-vous de mes fruits.
Car mon souvenir est plus doux que le miel,
Et ma possession plus douce que le rayon de miel.
Ceux qui me mangent auront encore faim.
Et ceux qui me boivent auront encore soif.
Celui qui m'écoule n'aura jamais de confusion,
Et ceux qui agissent par moi ne pécheront pas. »
« Le premier (qui l'a étudiée) n'a pas achevé de la connaître,
Et le dernier ne l'a pas pénétrée.
Car ses pensées sont plus vastes que la mer,
Et ses conseils plus profonds que le grand abîme. »
Le livre de la Sagesse (i) ajoute encore de nou-
veaux traits :
« En elle il y a un esprit intelligent, saint,
Unique, multiple, immatériel,
Actif, pénétrant, sans souillure,
Infaillible, impassible, aimant le bien, sagace,
Ne connaissant pas d'obstacle, bienfaisant,
Bon pour les hommes, immuable, assuré,
Tout-puissant, surveillant tout,
Pénétrant tous les esprits,
Les intelligents, les purs et les subtils,
Car la Sagesse est plus agile que tout mouvement ;
Elle pénètre tout à cause de sa pureté.
Elle est le souffle de la puissance de Dieu,
Une pure émanation de la gloire du Dieu tout-puissant ;
Aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle.
Elle est le resplendissement de la lumière éternelle,
Le miroir sans tache de l'activité de Dieu
i. Sap., vu, aa-a8.
LA TRINITÉ ! PREUVE SCRIPTURAIRE 5T>7
Et l'image de sa bonté.
Etant l'unique, elle peut tout ;
Restant la même, elle renouvelle toutes choses,
Et à travers les âges elle se répand dans toutes âmes saintes;
Elle en fait des amis de Dieu et des prophètes.
Dieu, en effet, n'aime que celui qui habite avec la Sagesse.»
« C'est elle qui initie à la science de Dieu (i). »
« L'immortalité est le fruit de l'union intime avec la
[Sagesse (2). »
«Avec vous (Seigneur) est la Sagesse qui Cênnaîtvos œuvres,
Qui était là quand vous faisiez l'univers,
Et qui sait ce qui est agréable à vos yeux
Et ce qui est juste selon vos commandements (3). »
« Qui a connu votre volonté si vous ne lui avez pas donné la
[Sagesse
Et si vous n'avez pas envoyé du %iel votre Saint-Esprit (4)? »
« La source de la Sagesse, dit encore Y Ecclésiasti-
que (5), c'est la Parole de Dieu au plus haut des
deux » ; et le livre de la Sagesse (6) représente
« cette Parole toute-puissante s' élançant du haut da
ciel. » La Parole ! Le Logos I
Malgré tant de traits et de titres, cette Sagesse
restait assez énigmatique aux yeux des Juifs mono-
théistes. Son portrait ne pouvait pourtant point
passer inaperçu auprès des rabbins qui méditaient
sur l'Ecriture. Mais comment concilier avec l'unité
de Dieu l'idée d'un personnage distinct, d'une
hypostase divine autre que Jéhovah ? On s'arrêta à
l'idée de sagesse et puis, probablement sous l'in-
fluence alexandrine, on aboutit au concept de la
Menira ou Parole (7).
1. Sap., vin, 4. — 2. Ibid,, vin, 17. — 3. IbicL, ix, 9. —
/». Ibid., ix, 17. — 5. EccL, 1, 5. — 6. Sap., xvm, i5. —
7. Ci'. Hackspill, Etude sur le milieu relief ieux et intellectuel
contemporain du Nouveau Testament, dans la Revue biblique,
janvier 1902.
558 LE CATÉCHISME ROMAIN
Dans l'école judéo-hellénique d'Alexandrie, plus
libre d'allures et plus audacieuse dans ses spécula-
lions, Philon se garda bien de négliger ces données
scripturaires que lui fournissaient les livres sapien-
tiaux ; mais il y mêla des éléments hétérogènes
empruntés à la philosophie grecque, notamment à
Heraclite, à Platon et au stoïcisme, et aboutit ainsi
à un concept du Logos assez déconcertant. Au
regard de Platon, le Logos est le monde intelligible,
le monde est le fils de Dieu, et le Verbe le premier-
né de Dieu. Pour Heraclite, le Logos n'est autre
chose que la force intelligente etcréatrice du monde.
Pour les stoïciens, le Logos est l'âme du monde. Et
pour l'éclectique Philon, heureux de trouver dans
la Sagesse et l' Ecclésiastique ce terme grec de Logos
à signification si imprécise, il fait sans doute du
Logos l'image de Dieu, le monde intelligible, mais
il en fait aussi le premier-né de Dieu, l'architecte du
monde, le démiurge, un Dieu secondaire, un vice-
roi de l'univers chargé du gouvernement des hom-
mes et des créatures. Ceux qui sont incapables,
dit-il, de s'élever à l'unité se représentent comme
un groupe Dieu et ses deux premières puissances,
celle par laquelle il crée et organise l'univers, à
laquelle on donne le nom de Dieu, et celle par
laquelle il le gouverne et qu'on appelle Seigneur :
ee sont là les trois hommes qui apparurent à
Abraham (i). Grâce à cet éclectisme, Philon ouvrait
la voie au gnosticisme et à l'arianisme (2).
L'apôtre saint Jean dut rétablir et fixer la vraie
théorie du Logos, en la dépouillant tout d'abord de
ses éléments hétérogènes, en la mettant ensuite en
pleine lumière, dans le sens de la véritable tradition
1. De Abraham. , p. 287. — a. Cf. Souben, Les personnes
divines, Paris, 1903, p. i3 sq.
LA TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 55.Q
juive, et grâce aux données de l'Evangile. Il fallait
donc renoncer à voir dans le Logos une puissance
intermédiaire, une force nécessaire ou l'âme du
monde ; il fallait y voir le Verbe de Dieu, existant
éternellement en Dieu, et Dieu lui-même, créateur,
descendu sur terre par son incarnation.
D'autre part, les données partielles et insuffisantes
sur la Sagesse sont développées, précisées et fixées
par le Nouveau Testament, au point que l'identifi-
cation du Verbe, du Fils de Dieu avec la Sagesse ne
saurait plus faire doute. Car si la Sagesse est le
rayonnement de la gloire de Dieu, si elle est le
miroir sans tâche de l'énergie divine et une image
de sa bonté, le Fils de Dieu est « le rayonnement
de sa gloire, l'empreinte de sa substance (i) » ; ce
mot rayonnement exprime l'identité de nature entre
le Père et le Fils ; et le mot empreinte marque que
le Fils porte tous les traits de la nature du Père,
qu'il en est la manifestation ou révélation extérieure.
Si la Sagesse a collaboré à la création, si elle peut
tout et renouvelle tout sans sortir d'elle-même, le
Fils n'a-t-il pas créé le monde (2) ? « Tout a été fait
par lui, dit saint Jean, et sans lui rien na été fait
de ce qui existe (3). » « Il soutient toutes choses par
la parole de sa puissance (4). » Et c'est ainsi que,
grâce à la révélation évangélique, nous savons à
quel personnage s'appliquaient, dans l'Ancien Tes-
tament, les traits donnés à la Sagesse.
2. Il est également question, dans l'Ancien Tes-
tament, de l'Esprit de Jéhovah. La Genèse nous le
représente planant sur les eaux (5). Isaïe reproche à
Israël d'avoir contristé l'Esprit-Saint (6). Et Joël
écrit :
x. Hebr., 1, 3. — a. Ibid., 1, a. — 3. Joan.9 1, 3. — 4. Hebr.,
1, 3. — 5. Gen., x, a. — 6. Is., lxxiii, 10.
Ô6o LE CATÉCHISME ROMAIN
(( Et il arrivera après cela
Que je répandrai mon Esprit sur toute chair ;
Vos fils et vos filles prophétiseront...
Même sur les serviteurs et les servantes
Je répandrai mon Esprit en ces jours-là (i). »
Cet Esprit est ainsi mis en scène dans la Bible ;
son rôle est nettement indiqué dans le passé et
prédit pour l'avenir ; cela n'éveille-t-il pas l'idée
d'un personnage à part, d'une hypostase divine ?
Certes, il n'est nulle part décrit comme la Sagesse,
avec l'abondance de détails et les traits caractéristi-
ques que nous venons de voir, de sorte, ditM. Hacks-
pill, que le développement de la doctrine de l'Es-
prit de Dieu, dans l'Ancien Testament, s'arrête à
une simple personnification sans jamais aboutir
clairement à l'hypostase (2).
Mais avec le Nouveau Testament, toute hésitation
cesse. Le Saint-Esprit est bien une personne divine.
Sa personnalité s'accuse dans la théophanie du bap-
tême de Notre Seigneur, dans la déclaration de
Jésus que le blasphème contre le Saint-Esprit ne
sera pas remis (3), dans la fonction de consolateur
qui lui est attribuée (4), dans le parallélisme cons-
tant entre l'œuvre du Christ et la sienne, dans les
paroles qu'il prononce et les ordres qu'il donne (5),
dans les prières et les inexprimables gémissements
dont il est l'auteur (6), dans le témoignage qu'il
nous rend que nous sommes enfants de Dieu (7).
Nulle part, il est vrai, le Saint-Esprit n'est expres-
sément appelé Dieu dans le Nouveau Testament,
mais il l'est en termes équivalents ; sa divinité res-
sort clairement de plusieurs passages. Saint Paul lui
1. Joël., n, 28-29. — 2* Loc. cit., p. 68. — 3. Malth., xn, 3i.
4. Joan., xv, 26. — 5. Act.t vin, 29 ; x, 19 ; xm, a. — Q.Rom.,
vin, 26. — 7. Rom., vin, 16.
LA SAINTE TRINITÉ .* PREUVE SCRIPTURAIRE 56 1
attribue, en particulier, l'œuvre essentiellement
divine de la justification, de la régénération du
pécheur. Il dit aussi : « Dieu nous a révélé par son
Esprit, car l'Esprit scrute toutes choses, même les
profondeurs de Dieu. Qui, parmi les hommes, sait ce
qui se passe en lui, sinon l'esprit de V homme qui est en
lui ? De même nul ne connaît ce qui est de Dieu, sinon
l'Esprit de Dieu (i). » Comparer de la sorte l'Es-
prit-Saint par rapport à Dieu à l'esprit de l'homme
par rapport à l'homme, n'est-ce pas dire qu'il existe
dans l'essence divine comme la conscience est en
nous, qu'il est Dieu comme la conscience c'est
nous ?
Il y a donc eu dans la révélation de ce profond
mystère une gradation progressive, un développe-
ment accentué, dont le terme final se trouve dans
le Nouveau Testament. Saint Grégoire de Nazianze a
donné quelques raisons de cette Economie, soit
dans l'Ancien, soit même dans le Nouveau Testa-
ment : « Voici, dit-il, comment cela s'est passé :
l'Ancien Testament prêchait ostensiblement le Père,
plus obscurément le Fils. Le Nouveau nous a mon-
tré très clairement le Fils, mais n'a indiqué la divi-
nité de l'Esprit que d'une manière obscure. Mais
maintenant l'Esprit vit avec nous et se déclare à nous
plus ouvertement. C'est qu'il n'était pas prudent
de nous prêcher clairement le Fils, tant que la divi-
nité du Père n'était pas reconnue, ni de nous impo-
ser l'Esprit-Saint comme un fardeau plus lourd, s'il
est permis de s'exprimer ainsi, avant que la divinité
du Fils n'eût été admise ; sans cela, à l'exemple
d'hommes trop chargés de nourriture ou présen-
tant aux rayons du soleil des yeux éblouis, nous
aurions couru un danger pour les révélations même
l. I Cor., ii, ii.
LE CATÉCHISMB. — T. I. 36
562 LE CATÉCHISME ROMAIN
qui nous étaient faites. C'est par degrés ou, comme
dit David, par des ascensions, par une progression
croissante de clarté en clarté, que la lumière de la
Trinité devait briller d'une manière splcndide. C'est
pour cela, je crois, que (le Saint-Esprit) se fait con-
naître progressivement aux disciples, selon leur
degré de capacité. Au début de l'Evangile, il opère
des prodiges ; après la passion du Christ, il leur est
insufflé ; après l'ascension, il paraît sous forme de
langues de feu (i). »
Dans le Nouveau Testament. — « Après avoir,
à plusieurs reprises et en diverses manières, parlé
autrefois à nos pères par les Prophètes, Dieu, dans
ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a
établi héritier de toutes choses, et par lequel il a aussi
créé le monde (2). » Le Fils a donc parlé et l'un des
mystères qu'il a révélés, c'est le mystère de la Tri-
nité ; lui seul pouvait en parler pertinemment, car
si « si nul ne connaît le Fils sinon le Père, nul ne con-
naît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils aura
voulu le révéler (3). »
Ce n'est pas de prime abord que Notre Seigneur
révèle l'existence de ce mystère. Il fallait que les
apôtres y fussent préparés, et ils y furent préparés
peu à peu par les diverses manifestations, dont ils
furent les témoins au cours de la vie publique de
leur Maître. La scène du baptême de Notre Seigneur
au Jourdain était faite pour frapper les esprits et
soulever un coin du voile. Telle qu'elle est racontée
par les Synoptiques, que nous montre-t-elle ? Au
moment où Jésus sort de l'eau, le Saint-Esprit
descend sur lui sous forme d'une colombe, et une
1. Orat.t xxxi, 26, Patr. gr., t. xxxvi, col. 161-164. —
a. Hebr., 1, 1-2. — 3. Matth., xi, 27.
LA SAINTE TRINITÉ '. PREUVE SCRIPTURAIRE bG'S
voix du ciel se fait entendre, qui dit: « Celui-ci est
mon Fils bien-aimê, en qui je me suis complu (i). »
Dans cette théophanie, le Père ré voie la qualité de
celui qui vient de recevoir le baptême de Jean ; ce
baptisé n'est autre que le Fils de Dieu ; et l'Esprit
de Dieu, comme dit saint Matthieu, l'Esprit Saint,
comme dit saint Luc, se communique au Verbe
fait chair pour le rôle de Messie et de Rédempteur.
Ils sont donc trois : le Père, celui que Notre
Seigneur appelle de ce nom ; le Fils, celui qui est
descendu du ciel pour remplir sa mission ; et le
Saint-Esprit, dont le rôle sera caractérisé tout par-
ticulièrement, au moment voulu. Ils sont trois, mais
ne font qu'une seule et même chose ; c'est ce que
Jésus affirme de lui et de son Père. Il le dit aux
Juifs étonnés : « Le Père et moi nous sommes
une même chose (2). » Il le répète à ses apôtres :
<i Père saint, gardez dans votre nom ceux que vous
m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous
sommes un (3). » Cette unité mystérieuse n'empêche
pas la distinction ; c'est ce que Notre Seigneur
donne clairement à entendre dans ses discours :
« Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Con-
solateur pour qu'il demeure toujours avec vous ; c'est
r Esprit de vérité, que le monde ne peut pas recevoir,
parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point ; mais
vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure au milieu
de vous, et Usera en vous (4). » Il insiste de nouveau :
« Je vous le dis en vérité : il vous est bon que je m'en
aille , car, si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne
viendra pas en vous; mais si je m'en vais, je vous
l'enverrai. . . Celui-ci me glorifiera, parce qu'il recevra
de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera. Tout ce que
x. Mallh., m, 16-17. — 2. Joan., x, 3o. — 3. Joan., xvn, ix.
fc-4. Joan., xiv, 16-17,
564 LE CATÉCHISME ROMAIN
le Père a est à moi. C'est pourquoi f ai dit qu'il recevra
de ce qui est à moi et vous l'annoncera (i). » Enfin,
dans ce discours qui suivit la dernière Cène, il
ajoute : a Lorsque le Paraclet, que je vous enverrai
d'auprès du Père, sera venu, l'Esprit de vérité qui
procède du Père, il vous rendra témoignage de moi (2).»
Unité et distinction, voilà ce qui constitue l'éco-
nomie mystérieuse du dogme révélé par Notre
Seigneur: unité d'essence, de nature; distinction
des personnes ; personnes qui portent chacune un
nom propre, mais personnes égales entre elles « Le
Fils priera le Père, et le fruit de sa prière sera la
mission du Saint-Esprit, à laquelle il collaborera.
Le Fils est égal au Père, parce que tout ce que
possède le Père est à lui ; le Père lui a tout remis
comme à son propre Fils, à son héritier nécessaire;
par conséquent, il lui a communiqué ce qu'il
possède essentiellement, la nature divine, et dans
ce don souverain il ne s'est rien réservé. D'autre
part, l'Esprit n'est pas inférieur au Fils, puisqu'il
procède du Père ; il participe au don que le Fils a
reçu et tiendra la place du Fils près des apôtres que
le Père lui avait confiés (3). »
Aussi, au moment de son ascension, dans le
dernier ordre qu'il donne à ses apôtres, Notre
Seigneur formule-t-il le mystère de la manière la
plus brève : Vous baptiserez au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Au nom! Voilà un singulier
qui caractérise l'unité de nature qui appartient
également aux trois personnes; et ces trois person-
nes sont désignées nominativement, l'une après
l'autre; elles sont unies par un lien, et ce lien est
indiqué pour les deux premières, le Père et le Fils,
1. Joan., xvi, 7, i4-i5. — 2. Joan., xv, 26. — 3 Souben»
Les personnes divines, Paris, 1903, p. 9.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE SCRIPTURAIRE 565
c'est celui de la génération ; le lien qui rattache le
Saint-Esprit au Père et au Fils n'est pas aussi
formellement indiqué, mais il n'en existe pas moins
et peut être déterminé par renseignement déjà
donné aux apôtres par Notre Seigneur.
D'autre part, cette formule trinitaire doit être
employée dans l'administration du baptême, c'est-
à-dire dans le sacrement de la régénération chré-
tienne ; ce qui revient à dire que de même que les
trois Personnes divines ont agi de concert pour la
création de l'homme, de même elles interviennent
ensemble pour sa régénération, œuvre essentielle-
ment divine.
Ainsi instruits, les apôtres ne font que se faire
l'écho de l'enseignement de leur Maitre dans l'en-
seignement qu'ils donnent à leurs disciples, et dans
cet enseignement ils insistent naturellement sur le
dogme de la Trinité. Très nombreux sont les
passages du Nouveau Testament où sont expressé-
ment nommées deux des trois personnes de la
Trinité ; mais il en est quelques-uns où les trois sont
rappelées à la fois. Bornons-nous à quelques cita-
tions.
Le chef du collège apostolique commence sa
première épître par ces mots : « Pierre, apôtre de
Jésus-Christ, aux élus, étrangers et dispersés dans le
Pont, la Galalie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie,
choisis selon la prescience de Dieu le Père, par la
sanctification de l'Esprit, pour obéira la foi et pour
avoir part à l'aspersion du sang de Jésus-Christ : à
vous grâce et paix de plus en plus(i). » Dans cette
adresse se trouvent réunies les trois personnes de la
Trinité; l'une y est nommée Dieu le Père, et ce
terme de Père implique nécessairement le terme
i. I Pelr., i, 1-2.
566 LE CATÉCHISME ROMAIN
correspondant de Fils ; l'autre est nommé Jésus-
Christ et la troisième l'Esprit; toutes les trois sont
mises en rapport avec la justification de l'homme ;
mais cette manière d énoncer le mystère de la
Trinité suppose évidemment la connaissance de son
existence tant de la part de saint Pierre que de
celle des chrétiens à qui il écrit.
Saint Paul, instruit directement par Notre Sei-
gneur lui-même, connaît lui aussi l'existence de la
Trinité ; il sait que le Père et le Fils sont égaux,
car, dit-il, bien que le Christ Jésus fut dans la
condition du Père, il n'a pas retenu avidement son
égalité avec Dieu (i) ; il sait aussi, par sa connais-
sance de l'Ecriture que le titre de Seigneur est
exclusivement donné à Dieu dans l'Ancien Tes-
tament ; mais quand il parle des trois personnes
divines, il nomme Dieu la première, Seigneur la
seconde, Esprit la troisième, pour les mieux dis-
tinguer. De là, sous sa plume, des formules dans le
genre des suivantes, qui marquent nettement les
trois personnes divines : a II y a des divisions de
grâces, mais c'est le même Esprit : diversité de
ministères, mais c'est Je même Seigneur : diversité
d'opérations, mais ce- le même Dieu qui opère
tout en tous (2). » « Que la grâce de Noire Seigneur
Jésus-Christ, et la char dé de Dieu, et la communi-
cation de V Esprit-Saint soit avec vous tous (3). » La
pensée de saint Paul est claire pour qui veut se
rendre compte du but qu'il vise en écrivant aux
Corinthiens. Les païens avaient l'habitude d'attri-
buer à divers dieux les différentes qualités des
hommes ; les chrétiens auraient tort de les imiter.
Et la différence des charismes dont ils sont l'objet
ne doit pas leur faire oublier qu'ils découlent d'une
1. Philipp., 11, 6. — a I Cor., xii, 4-6. — 3. II Cor., un, i3.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE bQ/J
source unique, de Dieu, qui seul produit toutes ces
merveilles. Dans rénumération de ces dons sur-
naturels, l'Esprit, le Seigneur et Dieu sont nommés
séparément parce qu'ils sont distincts réellement,
mais ils constituent le principe unique de ces
grâces, ils possèdent la même nature divine. Us sont
trois, mais ne forment qu'un seul Dieu.
Impossible, par conséquent, de se refuser à voir
dans ces textes du Nouveau Testament le fait de la
révélation historique du dogme de la Trinité. Mais
une telle révélation doit correspondre à une réalité
en Dieu, sans quoi elle serait futile et ne mériterait
à aucun titre le nom de révélation. Si donc Dieu,
d'après l'enseignement de Notre Seigneur et des
apôtres, s'est révélé sous la forme d'une trinité de
personnes dans l'unité d'essence ou de nature,
l'esprit chrétien peut accepter un tel dogme en
toute sécurité ; et, pour se conformer aux prescrip-
tions de l'Eglise, notamment à ses symboles, il
doit la regarder comme un dogme de foi catholique.
L'étude des Pères et des travaux des théologiens
l'aidera, dans la mesure du possible, non seulement
à savoir comment la tradition chrétienne a envisagé
un si profond mystère, mais encore à connaître les
raisons de convenance qui en rendent l'acceptation
raisonnable.
Comparaisons. — i. « Pourquoi se trouve-t-il, par
exemple, que la physique, ayant décomposé le rayon so-
laire, découvre justement qu'il se réduit à trois rayons que
l'on peut obtenir isolément, savoir : un rayon de forme
chimique, sans lumière ni chaleur ; un rayon de lumière
sans chaleur ni action chimique ; un rayon de chaleur
sans action chimique ni lumière ? De sorte que la
physique doit dire de la lumière ce que la théologie dit
de Dieu : Trinité de forces, radicalement distinctes, dans
568
LE CATECHISME ROMAIN
l'unité de lumière. Pourquoi toutes les forces de la nature
se ramènent-elles à ces trois forces qui, au fond, n'en
sont qu'une ? Pourquoi les sept nuances du rayon de la
lumière décomposée se réduisent-elles à trois couleurs, la
première, la troisième, la cinquième, qui produisent
toutes les autres ? Pourquoi les sept notes de la gamme
s'appuient-elles aussi sur trois notes fondamentales, qui,
en rentrant dans la première, forment l'accord parfait,
et sont aussi, comme pour les couleurs, la première, la
tierce et la quinte ? Pourquoi le syllogisme, analysé par
Aristote, se compose-t-il précisément de trois proposi-
tions, qui ne font qu'un, si le raisonnement est vrai ? Et
pourquoi la proposition se compose-t-elie précisément de
trois termes qui ne font qu'un, si la proposition est vraie?
Pourquoi la vie organique a-t-elle justement trois fonc-
tions essentielles dont la sympathie et l'union constituent
la santé ? Pourquoi cette loi universelle de l'unité dans la
variété, et de la variété dans l'unité, est-elle le propre
caractère du vrai, du beau, dans le discours, la musique,
le drame, l'architecture, la vie sociale et la vie organique?
Pourquoi enfin la plus grande découverte qu'ait faite
l'esprit humain, celle de la forme exacte du monde astro-
nomique et de ses lois, dérive-t-elle. historiquement du
moins, de cette idée de Kepler que les cieux et leurs mou-
vements devaient porter quelque vestige et quelque trace du
mystère de la Trinité, trace que Kepler recherche dans un
petit chapitre intitulé : De adumbratione Trinitatis in cir-
cule*? » [A. Gratry, La philosophie du Credo, Paris, 1861,
P- 99-IO°']
2. ail n'y a qu'un infini et cependant ils sont trois, le
Père, le Fils et l'Esprit-Saint, trois qui subsistent dans
la même essence, existent dans la même existence, trois
personnes Dieu et pourtant un seul Dieu. Yoilà le dogme
des dogmes et le mystère des mystères. L'expliquer, je ne
puis pas, j'ose à peine raconter ce que j'admire. Le Père
innascible est le principe du mouvement vital, la racine
de la famille divine. Il se voit, il se dit à lui-même sa
perfection, et l'acte par lequel il se voit et se parle est si
parfait qu'il subsiste par cela seul qu'il est produit. Le
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAÏRE OGo,
fils est engendré. Il s'appelle Verbe, image du Père,
splendeur de sa gloire, figure de sa substance; car il
représente avec toute la perfection possible son principe.
Ils sont deux, ils se contemplent, ils s'admirent, ils
s'aiment, ces deux amours en se donnant l'un à l'autre
se rencontrent ; par le fait môme de leur rencontre, ils
subsistent en un seul amour ; c'est l'Esprit-Saint. Il
s'appelle don, charité, bonté, bénignité, suavité, onction
divine. Ils sont trois : le Père, le Fils et l'Esprit-Saint.
Autres, par les relations, la subsistance, les propriétés
personnelles ; mêmes, par l'essence, la substance, la nature.
Distincts cependant l'un de l'autre, dépendants par V ori-
gine, car le Fils est engendré par le Père, l'Esprit-Saint
procède du Père et du Fils ; dépendants par la mission,
car le Père envoie le Fils, le Père et le Fils envoient l'Es-
prit-Saint. ; mais ils gardent avec cela une parfaite égalité.
0 vie ! ô processions admirables î On ne peut pas dire
qu'elles commencent. car elles sont nécessaires et éternel-
les ; on ne peut pas dire qu'elles sortent de Dieu, car elles
sont immanentes ; on ne peut pas dire qu'elles tourmentent
la nature divine, car elles sont paisibles et immaculées ;
on ne peut pas dire qu'elles diminuent ou partagent les
perfections, car elles sont intègres. » (Monsabré, Confé-
rences de Notre-Dame, Conf. Ire).
3. « Ces trois personnes ne font-elles pas trois dieux ?
Non pas plus que la longueur, la largeur, la profondeur
d'un corps ne font trois corps; pas plus que le mouvement,
la limpidité, la fluidité des eaux ne font trois fleuves ; pas
plus que la force propulsive, la lumière et la chaleur du
soleil ne font trois soleils ; pas plus que la racine, le
tronc et les rameaux d'un arbre ne font trois arbres : pas
plus que la forme gracieuse, le coloris et le parfum d'une
fleur ne font trois fleurs ; pas plus que la conscience, le
connaître et le vouloir d'une Ame ne font trois âmes ; pas
plus que la mémoire, l'intelligence, la volonté d'une
substance spirituelle ne font trois substances. Considérées
en elles-mêmes et dans le fond de l'être, dit saint Augus-
tin, la mémoire, l'intelligence, la volonté sont âme, vie
et substance, ce sont leurs relations qui les déterminent
570 LE CATÉCHISME ROMAIN
et les distinguent (1). Portez en Dieu la distinction et
l'unité jusqu'à l'infinie perfection, et vous verrez que
trois peuvent être Dieu sans qu'il y ait plus d'un seul
Dieu. » (Ibid., conf. Xe).
1. De Trinitate, X, xi.
Leçon XVIIe
De la Sainte Trinité
La preuve patristique : I. Aux deux premiers
siècles. — II. Fin du II9 et 111° siècle. —
III. IV6 siècle, — IV. L'œuvre de saint Augustin.
I. Aux deux premiers siècles
Dès les temps apostoliques, les écrivains
ecclésiastiques et les Pères possèdent la con-
naissance explicite de l'existence du mys-
tère de la Trinité. Ils en emploient du reste la for-
mule dans la récitation du symbole et la liturgie
baptismale. Mais bientôt, en face de l'hérésie, il
faudra défendre ce mystère. Or, les concepts d'es-
sence, de nature, de substance, de personne, sont
loin d'être déterminés d'une façon précise ; la lan-
gue théologiquc n'en est qu'à ses débuts. De là une
terminologie indécise, des impropriétés de termes,
des tâtonnements inévitables, des essais d'explica-
tion notoirement insuffisants, et parfois aussi des
vues erronées. Le progrès ne se fera que peu à peu
et la vérité ne sera mise dans tout son jour qu'après
bien des luttes (i).
i. BIBLIOGRAPHIE: Franzelin, De Deo trino, a6<5dit., Rome,
1874 ; Schwane, Histoire des Dogmes, trad. franc., 2e odit.,
Fribonrg-en-Brisgan, iSq.^, t. 11 ; Scheeben, La Dogma-
tique, trad. franc., Paris, 1677, t. 11 ; Pesch, De Deo Iruio
672 LE CATECHISME ROMAIN
Quoi qu'il en soit, ce qui ressort tout d'abord
avec une indéniable évidence, c'est que, dès le dé-
but du Christianisme, le mystère de la Trinité, est
connu.
A la fin du Ier siècle, l'auteur de la Didaché
donne la formule baptismale : « Baptisez, dit-il, au
nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (1). »
Le pape saint Clément écrit : « N'avons-nous pas
un seul Dieu, et un seul Christ, et un seul Esprit
d'amour répandu sur nous (2). »
Au commencement du 11e siècle, c'est saint
Ignace d'Antioche (f c. 107) qui dans sa Lettre aux
Ephésiens, félicite les fidèles d'Ephèse d'avoir fermé
l'oreille à toute doctrine perverse et étrangère.
Il les compare à des pierres vivantes, destinées à
l'édifice de Dieu le Père, et mises à leur place res-
pective par la puissante machine de la croix du
Christ, grâce au Saint-Esprit (3). Aux Magnésiens il
écrit que « Jésus-Christ était auprès de son Père
avant tous les siècles (4) ; » que « Dieu s'est mani-
festé par son Fils, le Verbe sortant du silence (5). »
« Appliquez-vous, ajoutc-t-il, à vous affermir dans
les enseignements du Seigneur et des apôtres pour
secundum personas, Fribourg-en- Brisgnii, 1890 ; Tepe, De Deo
trino, Paris, i8q5 ; Billot, De Deo uno et trino, Rome, 1897 ;
de Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité,
t. iv ; Ilarnack, Dogmengeschichte. 3e édit., Fribourg-en-Brisgau,
t. 111 ; Précis de l'histoire des dogmes, trad. franc., Paris, 1893 ;
Loofs, Leilfaden zum Studium der Dogmengeschichte, 3e édit.,
Halle, 1893 ; Seeberg, Dogmengeschichte, Erlangen, 1895 ;
Duchesne, Les origines chrétiennes, 2e édit. lith., Paris, 1886;
Petau, De Trinitate ; Bull, Defensio fidei Nicenœ.
1. Funk, Doctrina duodecim apostolorum, Tubingue, 1887,
vu, p. 20. — 2. Funk, Opéra Patrum apostolicorum, Tubingue,
1881, I Clan., xlvi, 6, p. 118. — 3. Ephes., ix, 1 ; ibid., p. 180.
— 4. Mag., vi, 1 ; ibid., p. 194. — 5. Magn., vin; ibid., p. 196.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATR1STIQUE 5y3
que tout ce que vous failes vous réussisse... dans lo
Fils et le Père et l'Esprit (i). »
Un ami de saint Ignace, mort longtemps après
lui, l'évoque de Smyrne, saint Polycarpe (f i55),
qui avait connu dans son enfance l'apôtre saint Jean
prie ainsi au moment de subir le martyre : « Sei-
gneur Dieu tout puissant, Père de Jésus-Christ,
votre Fils aimé et béni, par qui nous avons appris
à vous connaître, Dieu des anges et des vertus, de
toute créature, de tous les justes qui vivent en votre
présence, je vous bénis d'avoir daigné, aujourd'hui
et à cette heure, m'admettre au nombre de vos
martyrs, à la participation du calice et de votre
Christ, pour la résurrection à la vie éternelle de
l'âme et du corps, dans l'incorruptibilité de l'Esprit-
Saint, je vous loue de toutes choses, je vous bénis,
je vous glorifie avec Jésus-Christ, votre fils bien-
aimé, éternel et céleste, avec qui gloire soit à vous
et au Saint-Esprit, maintenant et dans les siècles
futurs (2). »
D'après l'auteur de YEpître à Diognète, « c'est le
Fils, le créateur, que Dieu a envoyé, de préférence
à toute créature, ange ou prince, gouverneur de la
terre ou gouverneur des cieux (3) ; » « c'est par ce
Fils que Dieu a révélé tout ce qui avait été préparé
dès le commencement (4). »
A l'accusation d'athéisme, portée contre les chré-
tiens, saint Justin (f i63) faisait cette réponse :
« Oui, s'il s'agit de vos dieux, nous sommes athées;
mais nous ne le sommes pas à l'égard du Dieu très
vrai, sans mélange de mal, père de la justice, de la
tempérance et des autres vertus. Aussi nous l'hono-
rons et adorons le Fils, qui est venu de lui et nous
1. Magn., xni ; ibld., p. 200. — 2. Martyr Polyc, xiv, ibid.,
p. 298. — 3. Epist. ad Diogn., vu, 2 ; ibid., p. 320. — 4- Ibid.,
vin, 11 ; ibid., p. 324.
5 7 4 LE CATÉCHISME ROMAIN
a enseigné ces choses... et l'Esprit prophétique (i).»
Dans son Dialogue avec Tryphon, le philosophe mar-
tyr proclame le Fils Dieu, engendré du Père de
toutes choses, Verbe, Sagesse, Puissance et Gloire
de celui qui l'engendre (2), mais distinct du Père
puisque, dans les Ecritures, le Père lui adresse la
parole (3), émanant du Père sans se détacher de
lui comme la lumière sort du soleil (4).
Voici, à cette même accusation, la réponse d'un
autre apologiste, Athénagore : « J'ai suffisamment
démontré que nous ne sommes pas athées, nous qui
croyons en un seul Dieu non engendré, éternel,
invisible, impassible, incompréhensible, immense,
connu de l'esprit seul et de la raison, environné de
lumière, de beauté, d'esprit, de puissance indicible,
qui enfin a créé et orné et conserve toutes choses
par son Verbe, car nous reconnaissons aussi un
Fils de Dieu. Que personne ne pense qu'il est risi-
ble de ma part (de soutenir) que Dieu a un Fils. En
effet, notre conception de Dieu le Père ou du Fils
ne ressemble pas aux imaginations des poètes qui
nous montrent les dieux aussi mauvais que les hom-
mes. Mais le Fils de Dieu est le Verbe du Père en
idée et efficacité ; car, d'après lui et par lui tout a
été fait, le Père et le Fils n'étant qu'un. Gomme le
Fils est dans le Père et le Père est dans le Fils par
l'unité et la puissance de l'Esprit, le Fils de Dieu
est l'intelligence et le Verbe du Père. Si, pour mieux
comprendre, vous désirez savoir ce que signifie ce
mot Fils, je répondrai brièvement qu'il est le pre-
mier-né de Dieu, non qu'il ait été fait, car, dès le
commencement, Dieu, intelligence éternelle, avait
le Verbe en lui, étant éternellement raisonnable,
1. Apol. I ; Pat. gr., t. vi, col. 336. — a. Dial. cum Tryph.,
txi. — 3. Ibid.t lxii. — £• Ibid.t cxxviii ; Pat. gr., t. \i,
col. 616.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE b^b
mais parce qu'il s'est avancé pour être l'idée et
l'énergie formatrice de toutes les choses matériel-
les... L'Esprit prophétique est aussi conforme avec
le Verbe... Or, ce Saint-Esprit, agissant dans les
prophètes, nous disons qu'il est une émanation de
Dieu, qu'il sort (de lui) et qu'il revient (à lui)
comme un rayon de soleil. Qui donc ne s'étonne-
rait d'entendre appeler athées ceux qui affirment
Dieu le Père, Dieu le Fils et l'Esprit-Saint, qui mon-
trent leur puissance dans l'unité et leur différence
dans l'ordre (i).
Saint Théophile d'Antioche donne aux trois per-
sonnes divines le nom de Triade (2).
L'évêque de Lyon, saint Irénée, écrivait contre les
gnostiques : « Pour faire ce qu'il avait résolu de
créer, Dieu n'avait pas besoin des anges, comme s'il
n'eût pas eu ses mains. En effet, le Verbe et la Sagesse,
le Fils et l'Esprit, lui sont toujours présents ; par
eux et en eux il a fait toutes les choses librement
et spontanément, et c'est à eux qu'il parle lorsqu'il
dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre res-
semblance (3). » « Nous avons démontré par beau-
coup de preuves que le Verbe, c'est-à-dire le Fils,
était toujours avec le Père. Mais comme la Sagesse,
qui est l'Esprit, était en lui avant toute création,
elle dit par Salomon : « Dieu m'a créée principe de
ses voies pour ses œuvres, il m'a établie avant les
siècles, au commencement avant qu'il fit la
terre (4). »
Saint Irénée insiste sur l'éternelle génération du
Verbe, mais renonce à dire ce qu'est cette généra-
tion : « Que si l'on nous demande comment le Fils
est produit par le Père, nous répondrons que cette
1. Légat, pro Christ, 10 ; Patr. gr., t. vi, col. 908-909. —
a. Ad. Autol., t. 11, i5 ; ibid., col. 1077. — 3. Adv. hœr., IV,
tx, 1 ; Patr. gr., t. vu, col. io3a. — 4. Ibid., 3, col. io33.
5;6 Ï-E CATÉCHISME ROMAIN
production, de quelque nom qu'on la désigne, géné-
ration ou autre, personne ne la connaît... si ce n'est le
Père qui engendre et le Fils qui est engendré. Et
puisque cette génération est indicible, ce n'est pas
avoir la pleine possession de soi-même que d'entre-
prendre de raconter génération, émanation (i). »
Jusqu'ici ce point de concept de substance, d'hy-
postase ou de personne nettement défini ; pas d'au-
tre relation caractérisée que celle de génération.
C'est que les Pères s'occupent alors beaucoup moins
de la vie intime de Dieu que de sa manifestation
extérieure, beaucoup moins du Verbe dans ses rela-
tions avec le Père que dans ses rapports avec la
création et l'œuvre rédemptrice, beaucoup moins
du Saint-Esprit que du Verbe. Certaines de leurs
expressions ne cadreraient pas aujourd'hui avec la
pure orthodoxie. Après avoir proclamé l'éternité du
Verbe, les apologistes semblent ne le faire sortir du
sein du Père par voie de prolation ou de génération
qu'au moment et dans le but de créer, ce qui impli-
querait une génération purement temporelle, le
Verbe passant ainsi de son état caché dans le sein
de Dieu, àvotàôeToç, à l'état de 7rpocpopixdç ou d'être
manifesté, selon les expressions de Théophile (2).
Cette idée, moins les termes, se trouve pareillement
dans saint Justin, Tatien et Athénagore. Enfin, tout
en parlant de l'unité divine et en distinguant dans
cette unité les trois personnes, ils accusent trop leur
subordination
1. Adv. hœr.y II, xxviii, 6. — 2. Ad Autol., n, 10, 22 ; Pair»
gr., t. vi, col. 1064, 1088 ; voir notre article Les Pères apolo-
gistes dans le Diction, de théol., t. 11, col. 1596-1597.
LA SAINTE TRINITE '. PREUVE PATRISTIQUE 5y7
IL Fin du IIe siècle et IIIe siècle
Vers la fin du ne siècle éclate un conflit doctrinal
entre deux écoles rivales, l'école des unitaires, qui
exagère l'unité sous le nom de monarchie, pour
couper court à l'erreur polythéiste, mais qui en
même temps compromet la Trinité, formulée dans
le symbole et la liturgie baptismale, et l'école des
trinilaires, qui entend avant tout sauvegarder la
Trinité des personnes, mais qui donne prise à
l'accusation de dithéisme ou de trithéisme.
i. Un byzantin ambitieux, réfugié à Rome, Théo-
dote le corroyeur, se mêla de questions religieuses.
Rejetant la métaphysique folle des gnostiques et
l'illuminisme des montanistes, il tomba dans un
rationalisme intempérant. Contrairement aux don-
nées les plus formelles de la tradition, il en vint
à nier la divinité de Jésus-Christ, sous prétexte de
sauvegarder l'unité de Dieu, la monarchie. Suivi, à
quelques nuances près, par son homonyme le
banquier et par Artémon, il fut finalement condamné
par le pape Victor (i).
2. Un asiate, Noët de Smyrne, déjà condamné
pour ses opinions hétérodoxes par sa propre Eglise,
vint également à Rome avec son compatriote Epigone
et eut pour disciple Cléomène. À tout prix, disait-il,
il faut maintenir la monarchie divine contre le poly-
théisme païen, le plérome gnostique et le dualisme
de Marcion. Le Père est père en tant qu'il n'a pas été
engendré ; une fois engendré, il est son propre fils.
Par suite ces termes de père et de fils, dans la
Trinité, s'appliquent à une seule et même personne,
considérée dans deux états successifs différents.
i. Eusèbe, Hist. eccl., y, 28 ; Pair, gr., t. xx, col. 5i3.
LE CATÉCHISME. — T . I. JJ
678 LE CATÉCHISME ROMAIN
Epigone précisait que c'est le Père qui a souffert sur
la croix, en tant que fils incarné (1).
3. De la Lybie survient Sabellius qui, systémati-
sant ces idées nouvelles, professe le Modalisme. Il
n'admet qu'une seule personne en Dieu, laquelle,
il est vrai, porte trois noms différents, mais d'après
le rôle joué dans le monde soit pour le créer, soit
pour le racheter, soit pour le sanctifier, et se mani-
feste tour à tour, comme Père dans l'Ancien
Testament, comme Fils dans l'incarnation et la
rédemption et comme Saint-Esprit dans la justi-
fication de l'homme. C'est la monade qui, en se
développant, devient triade. Saint Grégoire de
Nazianze accusera plus tard les Sabelliens d'athéisme,
tandis que saint Hilaire de Poitiers et saint Athanase
les accuseront de panthéisme (2).
[\. Pris énergiquement à partie par Caïus, saint
Hippolyte et Tertullien, la plupart de ces unitaires
furent condamnés par l'autorité romaine. Le pape
Zéphirin condamna Artémon (3) ; Praxéas fut obligé
de rétracter par écrit son erreur (/j) ; et Sabellius fut
excommunié par Galliste (5). Tertullien écrivait
avec sa verve mordante : « Les simples, pour ne
pas dire les pauvres d'esprit et les imbéciles, qui
forment toujours la majorité des croyants, une fois
tirés de leur polythéisme et amenés à croire au seul
vrai Dieu, ne comprennent pas que ce Dieu est
unique sans doute, mais avec une certaine économie ;
c'est cette économie qui épouvante leur foi. Ce qui
est nombre et distribution dans la divinité, dans la
trinité, ils le prennent pour une division de l'unité.
Or l'unité, produisant d'elle-même la trinité, n'est
1. Voir Phihsophumena, ix. — 2. Voir Eusèbe, loc. cit. —
3. Eusèbe, Hist. eccl., v, 28 ; Pair, gr., t. xx, col. 5i3. —
4. Tertullien, Adv. Prax., 1 ; Pair, lat., t. 11, col. i56. - —
5. Philosophumena, ix, 12 ; édit. Cruice, Paris, 1860, p. 44i.
LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 5 7.9
pas pour cela divisée, mais organisée. Ils disent que
nous prêchons deux ou trois dieux, se vantent eux-
mêmes de n'adorer qu'un seul Dieu ; comme si, en
resserrant outre mesure l'unité divine, on n'était
pas hérétique ; comme si la trinité, raisonnablement
expliquée, n'était pas la vérité même. Nous tenons,
disent-ils, à la monarchie ! Et l'on entend nos
latins, même ces bons opiques, répéter ce mot
grec avec leur agréable accent ; on voit de suite
qu'ils comprennent aussi bien qu'ils pronon-
cent (1). »
5. Mais d'autre part, les trinitaires n'étaient-ils pas
à l'abri de tout reproche doctrinal, dans leur
manière d'entendre et d'expliquer a raisonnable-
ment » « l'économie » de la trinité ? L'accusation
de dithéisme n'était-elle pas justifiée ?
Le prêtre romain Hippoîyte composa une réfuta-
tion de Noët, où il disait entre autres choses : « Il
est bien obligé de confesser le Père, Dieu tout-puis-
sant, et Jésus-Christ, Fils de Dieu, Dieu fait homme,
à qui le Père a tout soumis en dehors de lui, et
l'Esprit-Saint, et d'avouer qu'ils sont vraiment
trois... En ce qui est de sa puissance, Dieu est un,
mais trine quant à l'économie (2). » D'autre part, à
la suite des apologistes, il insistait trop sur la dis-
tinction du Verbe intérieur et du Verbe proféré et
donnait prise au subordinatianisme. Le pape Galliste
accusa de dithéisme une telle doctrine. C'était le
point de vue également adopté à Carthage.
6. Dans son traité Contre Praxéas, Tertullien
expose le dogme à sa manière. Il défend la trinité,
mot qui paraît pour la première fois chez les Latins,
et son traité est le premier en date sur cette matière ;
1. Adv. Prax., 3 ; Pair, lat., t. 11, col. i58. — 2. Homel. conL
hœres.
58o LE CATÉCHISME ROMAIN
au nom de la tradition, dit-il, il veut concilier
(( l'économie » avec la « monarchie » : « Custodiatar
œconomiœ sacramentum, quœ unilalem in trinitatem
disponit, ires dirigeas, Patrem, et Filium, et SpiriUirn
Sanctum. Très aulem non stala, sed gradu ; nec subs-
tantiel, sed forma ; nec potes taie, sed specie : unius
autem subsiantiœ, et unius status, et unius proies tatis ;
quia unus Deus, ex quo et gradus isti et formœ et
species, in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancii
deputantur (i). »
A côté d'expressions et de formules nouvelles,
qui accusent un progrès sensible dans la manière
de concevoir et d'exposer le mystère, Tertullien a
des imprécisions de termes, des incorrections de
langage et des idées erronées. On le sent, quand il
s'exprime avec justesse, sur le terrain ferme de la
tradition. Et c'est bien comme un écho fidèle de
l'enseignement traditionnel qu'il soutient la distinc-
tion des personnes divines, qu'il afiirme que le Père
est Dieu, que le Fils est Dieu, que le Saint-Esprit
est Dieu, et que pourtant ce ne sont pas là trois
dieux. Mais la notion de pleine consubstantialité
n'est pas suffisamment mise en relief ; elle semble
même parfois compromise. C'est dire que Tertullien,
et ceux qui, comme lui, attaquaient les monarchiens,
en sont au môme point que leurs prédécesseurs sur
les deux états successifs du Verbe, d'abord caché en
Dieu, puis proféré ou engendré. Caché en Dieu, le
Yerbe est éternel. L'est-il également comme Fils
par sa génération ? Qu'on en juge : « Tune igitur
etiam ipse Sermo speciem et ornatum sumit, sonum
et vocem, cum dicit Deus : Fiat lux. Hsec est nativitas
perfecta Sermonis, dum ex Deo procedit ; conditus
ab eo primum ob cogitatum in nomine Sophiœ,
i. Adv. Prax., 2 ; ibid., col. 157.
LA SAINTE TRINITÉ : PRE! \ i; PATRISTIQUE 58l
dehinc generatus ad ejjectum (i). »■ Et ceci ne sem-
blc-t-il pas compromettre la parfaite consubslantia-
lité . u Pater, tota substantia est ; Filius vero derivatio
toiius el portio (2) ? » Du reste il explique que le Fils
était plus apte à l'incarnation à cause de son infé-
riorité (3).
7. C'est justement cette consubstantialité qu'il
fallait sauvegarder à tout prix pour maintenir
intacte l'unité divine, tout en professant la trinité
des personnes. Et c'est elle qu'a défendue Calliste,
quoi qu'en disent les Philosophumena. Calliste, de
l'aveu môme des Philosophumena, a condamné
Sabellius et le modalisme ; s'il n'en a pas fait autant
pour les trinitaires, qui compromettaient la con-
substantialité, ce n'est pas à dire qu'il partageât de
tous points leurs manière de voir ; il la partageait
même si peu qu'il fut de leur part l'objet d'accusa-
tions injustifiées ; d'autant plus, et ce sont toujours
les Philosophumena qui nous renseignent, que son
enseignement resta celui de l'Eglise de Rome. Or
cet enseignement nous est connu par l'attitude de l'un
des successeurs de saint Calliste, le pape saint
Denys (259-268), vis-à-vis de Févêque d'Alexandrie.
Sa lettre est un document de la foi romaine, nette-
ment consubstantialiste et anti-sabellienne, égale-
ment éloignée de l'erreur, qui prétend que le Fils est
le même que le Père, et de celle qui divise l'unité en
trois substances séparées. Comme Calliste, Denys
condamne le sabellianisme ; comme Calliste, Denys
accuse de di théisme les adversaires exagérés du
Sabellius. De part et d'autre, même langage théolo-
gique montrant que les deux papes, à un demi-siè-
cle de distance, ont sur la légitimité de certaines
i. Adv. Prax.t vn ; Pair, lat., 1. 11, col. 161. — a. Ibid., ix;
ibid., col. 164. — 3. Ibid., xyi ; ibid., col. ij4«
582 LE CATÉCHISME ROMAIN
formules et sur le sens de certains textes de l'Ecri-
ture les mêmes idées contraires à celles des anti-
sabelliens. Ils sont pour l'identité substantielle du
Père et du Fils en môme temps que pour la trinité
et pour la distinction personnelle des hypostases
divines (i).
8. Peu après le milieu du ni0 siècle parut un
traité spécial sur la Trinité, dû au schismatique
Nova tien ; mais il ne constitue pas le moindre pro-
grès sur la question. Le Christ promis dans l'Ancien
Testament est celui de l'Evangile : il est homme et
Dieu, il est l'Homme-Dieu. Fils de Dieu, né de
Dieu, engendré de Dieu, mais quand ? Novatien
répète plusieurs fois que la génération du Fils a
précédé la création, sans jamais affirmer qu'elle fut
éternelle, mais laissant entendre au contraire qu'elle
a été motivée et datée par la création (2). De ce côté,
point de progrès. D'autre part, tout en combattant
le dithéisme, il lui prête le flanc parce qu'il pousse
trop loin la distinction du Père et du Fils. Confor-
mément à la Règle de foi, il proclame l'unité divine
et la divinité de Jésus-Christ ; il affirme que le
Christ reste un avec le Père, auquel il doit son ori-
gine, sa génération, sa naissance, son titre de Fils.
Ne dirait-on pas la consubstantialité ? Il n'en est
rien ; car cette unité, sur laquelle appuie tant
Novatien, c'est, dit-il, une unité de « concorde,
d'amour, de dilection », unité purement morale (3).
Relativement au Saint-Esprit, il ne l'appelle nulle
part Dieu ou personne divine, mais il le donne clai-
rement à entendre En revanche, il passe complète-
ment sous silence le mode de relation du Saint-
1. Voir notre article Calliste, dans le Dictionnaire de théologie,
t. 11, col. 1 337-1 338. — 2. De Trinit., 3i ; Pair, lat t ni, col.
o5o. — 3. Ibid. 27 ; ibid., col. 938.
LA. SAINTE TRINITÉ *. PREUVE PATRISTIQUE 583
Esprit avec le Père et le Fils. Il, est vrai que jusque
là, Tcrtulïien avait été le soûl à dire que le Saint-
Esprit procède du Père par le Fils. Et enfin Novatien
a le tort d'expliquer l'ordre hiérarchique des per-
sonnes de la trinité par une sorte d'amoindrissement
de la troisième sur la seconde (i), et de la seconde
sur la première (2), ce qui laisse la porte ouverte
au suhordinatianisme.
8. Aurons-nous du moins plus de chance de
trouver une doctrine plus ferme dans le célèbre
Didascalée d'Alexandrie ? Il n'y paraît guère, en ce
qui regarde le successeur de Pantène. Sans doute
Clément croit à la « sainte Triade, » à la divinité
du Fils et du Saint-Esprit (3). « 0 miracle mysti-
que s'écria-t-il ! Un seul Père de toute chose ! Un
seul Yerbe de toute chose ! Un seul Esprit, et lui-
même partout (4) ! » « Faites, ô Dieu, qu'après
avoir vécu dans la paix nous soyons introduits dans
la cité, qu'après avoir franchi sans encombre les
flots du péché nous soyons transportés paisibles
avec l'E prit-Saint et que, vous louant nuit et jour
avec l'ineffable Sagesse jusqu'au jour parfait, nous
vous rendions grâces, et, en rendant grâces, que
nous louions Père et Fils, Fils et Père, le Fils notre
pédagogue et maître, avec le Saint-Esprit (5) 1 »
« Les aveugles comprennent quel grand trésor nous
portons dans un vase d'argile par la vertu de Dieu
le Père, par le sang de Dieu le Fils, et par la rosée
du Saint-Esprit (6). » Mais, d'autre part, Clément
ne serre pas d'assez près la question trinitaire et ne
surveille pas suffisamment son langage. Tantôt il
désigne les personnes divines par des expressions
1. De Triait., 16 ; ibid., col. gi5. — 2. Ibid., 3i ; ibid., coJ.
949. — 3. Strom., v, i4 ; Pair. <jr., t. ix, col. i58. — k- Peday.,
1,6; Patr. gr., t. vin, col. 3oo. — 5. Pedag., ni, 12 ; ibid., col.
€80. — 6. nais dives salv., 3 A ; Pat. gr., t. ix, col. 6/jo.
584 LE CATÉCHISME ROMAIN
que ne désavouerait pas un modaliste ; tantôt il
leur attribue des aptitudes si tranchées qu'on croirait
entendre un subordinatianiste, ainsi que l'a remar-
qué Petau.
9. Tout autre est le cas d'Origène, bien qu'il
n'ait pas échappé à la critique de saint Jérôme.
Voulant réfuter ceux qui ne regardaient le Logos en
Dieu que comme un simple phénomène sans exis-
tence propre, il dit que le Fils de Dieu est appelé
Logos pour deux motifs; car Logos signifie à la fois
raison et parole. Le Fils étant la raison du Père,
fait participer tous les hommes à cette raison éter-
nelle ou à la vérité. On peut l'appeler également la
parole qui révèle les secrets de Dieu, de même que
la parole, chez les hommes, est le signe révélateur
de la pensée. Mais cette parole ne se réduit pas à un
pur accident, à un son passager : elle est substan-
tielle, et cette substance est celle du Père (1). Donc
consubstantialité du Verbe et de Dieu.
Mais de plus existence éternelle du Verbe.
« Relativement à Dieu, le Verbe ne devient pas...
Le Verbe n'a point passé du non-être dans le prin-
cipe à l'être dans le principe, du non-être en Dieu
à l'être en Dieu ; mais avant tous les temps et tous
les siècles, le Verbe était dans le principe, et le
Verbe était Dieu (2). » D'où co-éternité du Verbe
et de Dieu, co-éternité aussi du Fils et du Père :
« Dieu n'a pas commencé d'être Père à la façon
des hommes... Car si le pouvoir d'être père ne lui
a jamais manqué, si c'est pour lui une perfection
d'être Père d'un tel Fils, quel motif aurait-il eu de
différer son acte et de se priver d'une perfection ?
Pourquoi ne serait-il pas devenu Père aussitôt qu'il
1. InJoan., 1, 42 ; Patr. gr.,\t. xiv, col. 96-104. — 2. In
Joan., 11, 1 ; ibid., col. io5.
LA SAINTE TRINITÉ '. PREUVE PATUISTIQUE 5S5
le pouvait. On doit raisonner de même touchant
le Saint-Esprit (i). » Il est difficile, on l'avouera,
de se prononcer plus formellement contre la géné-
ration temporelle, et ceci est un progrès incontes-
table. Qu'Origène ait enseigne la consubstantialité
et la co-éternité du Verbe et du Père, c'est ce
qu'affirme saint Athanase, en le citant contre les
Ariens (2). Cette consubstantialité, Origène l'accuse
énergiquement contre les modalistes et sabelliens.
« Quanta nous, dit-il, nous croyons qu'il y trois
hypostases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que
le Père seul ne tire son origine d'aucun autre. »
Mais il insiste trop sur le rang que déterminent
leurs relations naturelles, sur la hiérarchie fondée
sur leurs rapports d'origine, et par là les subordonne
tellement l'une à l'autre qu'il semble les diviser
et par suite compromettre leur absolue égalité !
10. Ainsi donc, au 111e siècle, le dogme de la
Trinité se trouvait battu en brèche, d'un côté par
les modalistes sabelliens, qui n'admettaient en
Dieu qu'une seule personne avec trois noms diffé-
rents servant à caractériser ses différents rôles, et
d'un autre côté par les trinitaires trop tranchants
qui introduisaient un subordinatianisme exagéré
parmi les hypostases. I/autorité romaine condam-
nait formellement les premiers et tenait en légitime
suspicion les derniers. Le mérite d'avoir dégagé le
véritable enseignement de l'Eglise revient au pape
saint Denys, bien qu'il ne l'ait pas formulé avec la
netteté et la précision des Pères du ive siècle. Son
homonyme, l'évêque d'Alexandrie, saint Denys,
n'avait pas su éviter, dans sa réfutation du sabel-
tianisme, le danger du subordinatianisme. C'est
1. Pamphile, Apolog., m; Pair, gr., t. xvn, col. 56i. —
a. In Joan., u, 6 ; Patr. gr., t. xiv, col. 128.
586 LE CATÉCHISME ROMAIN
pourquoi le pape lui écrivait : « Il serait juste de
discuter contre ceux qui détruisent la monarchie,
dogme très auguste de la prédication ecclésiastique,
la divisant et la scindant en trois puissances et
personnes séparées, en trois divinités. J'ai appris,
en effet, que, parmi vous, certains qui prêchent et
enseignent la parole de Dieu, soutiennent cette
opinion, s'opposant ainsi diamétralement, si je puis
dire, à l'erreur de Sabellius. Celui-ci blasphème en
affirmant que le Fils même est le Père et récipro-
quement ; ceux-là prêchent d'une certaine manière
trois dieux, lorsqu'ils divisent Funité sainte en
trois hypostases étrangères l'une à l'autre, tout à
fait séparées l'une de l'autre. Il est nécessaire, en
effet, que le Verbe divin soit uni au Dieu de toutes
choses, que l'Esprit-Saint demeure et inhabite en
Dieu, et qu'ainsi la divine Trinité se ramène, se
réduise en un point culminant, c'est-à-dire au seul
Dieu tout-puissant de l'univers... 11 ne faut pas
moins blâmer ceux qui pensent que le Fils est une
créature et que le Seigneur a été créé comme Tune
des choses qui ont été réellement faites, alors que
la parole divine atteste qu'il a été engendré ainsi
qu'il convient, mais non créé ou produit... Ne
séparons donc pas en trois divinités l'admirable et
divine unité ; ne diminuons pas par ce terme de créa-
tion la dignité et la suprême grandeur du Seigneur ;
mais croyons en Dieu le Père tout-puissant, et en
Jésus-Christ son Fils, et en l'Esprit-Saint ; croyons
que le Verbe est uni au Dieu de l'univers. En effet,
« le Père et moi, dit-il, nous sommes une même
chose ; » et encore : « Je suis dans le Père, et le
Père est en moi. » Ainsi seront conservées et la
divine Trinité et l'affirmation delà sainte unité (i). »
i. Saint Athanase, De ctecr. Nie* syn., 26 ; Pair. gr.9 1. xxvi,
col. 461 sq.
LA SAINTE TRINITÉ : JpREUVÎE PATRISTIQUE bSj
ii. Cette lettre du pape saint Dcnys n'enraye pas
le mouvement de l'erreur. Celle-ci allait s'affirmer
avec force et susciter des luttes et des troubles fort
graves pendant le iv° siècle. L'un des foyers fut la
capitale de la Syrie, Antioche, où Paul de Samosate,
en 269, fut condamné par un Synode pour avoir
professé sur la Trinité des opinions erronées qui
rappelaient celles des antitrinitaires ; opinions, que
Lucien d'Antioche colporta et répandit à Nicomédie
avant de subir le martyre. C'est du prêtre Lucien,
en effet, que se réclament deux « conlucianistes% »
Eusèbe et Arius.
III. IVe siècle
1. Originaire de la Lybie, Arius, devenu prêtre
d'Alexandrie et chargé de l'église paroissiale de
Baucale, renforça l'erreur, malgré son évêque,
soutenu qu'il était par des personnages étrangers,
particulièrement par son ami Eusèbe. Pour lui, le
Fils est inférieur au Père ; il est créé par Dieu et
créé pour créer tout le reste ; il n'a donc pas la
substance du Père, mais une nature dissemblable.
Par suite les substances du Père, du Fils et du Saint-
Esprit diffèrent, sont étrangères l'une à l'autre,
sans rapport Tune avec l'autre. Et le Saint-Esprit
est l'œuvre du Christ comme le Christ est l'œuvre
du Père. D'où la doxologie habituelle se trouve
remplacée par celle-ci : « Gloire au Père par le Fils
dans le Saint-Esprit (1). »
Condamné à Alexandrie, Arius le fut de nouveau
au concile de Nicée, en 325. De là, dans le symbole
de Nicée, ces expressions caractéristiques : a Et en
1. Théodoret, Hxret. fab.t iv, 1 ; Pair.gr., t. lxxxiii, col. 4i4*
588 LE CATÉCHISME ROMAIN
un seul Jésus-Christ, l'unique engendré du Père,
c'est-à-dire de la substance du Père ; Dieu de Dieu,
Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; en-
gendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui
tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur la
terre (i). » De là encore la condamnation expresse
des formules favorites d'Arius, placée à la fin du
symbole de Nicée.
L'expression qui tranchait dans la racine l'erreur
arienne, celle qui allait servir de tessère à l'ortho-
doxie, c'est le consubstantiel, Ybi*.oo6a<.oç. Bien qu'é-
trangère à l'Ecriture, elle répondait trop bien à
l'idée maîtresse pour qu'on la négligeât. Les Pères
de Nicée, en déclarant le Fils consubstantiel au
Père, le proclamaient vrai Dieu, possédant comme
le Père la nature divine, en vertu d'une génération
propre et naturelle, et non métaphorique. C'est ce
que remarque fort justement saint Athanase (2).
Sans doute, ce terme avait été rejeté au m0 siècle,
parce que, sur les lèvres et dans la pensée de Paul
de Samosate,il masquait sous l'identité de substance
l'identité numérique du Père et du Fils et servait
ainsi de véhicule au sabellianisme. Mais repris cette
fois dans un sens orthodoxe, nettement défini, il
acquérait droit de cité dans l'Eglise et servait à
exprimer convenablement le dogme. Les semi-ariens
essayèrent de l'escamoter en y introduisant une
voyelle, qui ne le défigurait pas trop, mais qui en
changeait complètement la signification. L'oaoïouc.oç
n'est pas i'b[/.ooucrio<; ; il signifie semblable et non
consubstantiel ; les défenseurs de l'orthodoxie ne
prirent pas le change et dénoncèrent le subter-
fuge.
1. Voir plus haut ; Denzinger, n. 17. — a. De decr. Nie.
syn., 20 ; Pair. gr.t t. xxvi, col. 45a.
LA SAIXTE TRIMTÉ l PREUVE PATRIST1QUE 689
2. Mais, dans le courant du siècle, l'erreur s'en
prit à la troisième personne de la Trinité. On avait
nié la divinité de Jésus-Christ, on nia la divinité
du Saint-Esprit. Jusque-là, il est vrai, la spéculation
ne s'était pas portée sur cette troisième personne ;
mais tôt ou tard la question devait se poser de
savoir si le Saint-Esprit possède lui aussi la consubs-
tanti alité et à quel titre. Pour le Fils, la génération
explique sa consubstantiaiité. Si donc le Saint-Esprit
est consubstantiel au Père, c'est qu'il serait engen-
dré, hypothèse inadmissible, le Fils seul procédant
du Père par voie de génération. Reste alors que le
Saint-Esprit a été créé par le Fils, et dès lors il n'est
pas consubstantiel, il n'est pas Dieu. Ce fut en
particulier l'erreur de l'évêque semi-arien de Cons-
tantinople, Macédonius, qui avait été déposé en
36o par le parti d'Acace ; et c'était une difficulté de
plus qui s'ajoutait à celle de faire triompher le
consubstantiel de Nicée.
3. La décision doctrinale de Nicée avait déchaîné
bien des colères et suscita des luttes acharnées, de
violentes persécutions. Elle rencontra une vive
opposition de la part d'adversaires qui ne craigni-
rent pas de faire appel à la force impériale pour
appuyer leurs revendications ; ils opposèrent des
évêques aux évoques, des synodes aux synodes,
des professions de foi aux professions de foi. Mais
ni les subtilités de la logique, ni les menaces du
pouvoir, ni les arrêts d'exil ne firent taire les cham-
pions de la foi de Nicée. À la tetc de ces derniers
marchaient vaillamment le glorieux Athanase
d'Alexandrie et l'illustre Hîlaire de Poitiers. Tous
deux, par la plume et par la parole, durent mener
le bon combat et tenir tétc à l'hérésie. L'un repré-
senta l'Orient de 325 à 373 et fut, selon l'expression
de saint Basile, le « porte-drapeau de l'ortho-
5 go le catéchisme romain
doxie (i) ; » l'autre, représentant l'Occident, n'entra
en scène qu'en 355 et mourut en 366.
4. Saint Athanase commence par défendre le
consubstantiel contre les arguties d'Arius. Oui,
disait-il, Dieu est un, mais dans cette unité il y a
une trinité ; une seule nature, mais trois personnes
distinctes (2). Les termes de Père et de Fils sont
corrélatifs (3). Le Fils n'a pas été tiré du néant ni
produit par un acte libre de la volonté divine ; il
est engendré de la substance du Père (4), et cette
substance il la possède tout entière par son carac-
tère propre (5). Il possède la divinité dans sa pléni-
tude (6) ; il est étemel comme son Père (7). Ils sont
deux cependant, le Père et le Fils, distincts l'un de
l'autre ; mais il n'y a qu'une seule nature, et dans
cette nature divine unique pas l'ombre d'une divi-
sion (8).
De même le grand évêque prend la défense de la
troisième personne. Le Saint-Esprit participe lui
aussi à la divinité et à la puissance de Dieu (9). Il a
pour principe le Fils qui est avec le Père (10), et il
est inséparable du Père et du Fils (n). Il forme avec
le Père et le Fils une seule et même substance (12).
Il n'y a par conséquent qu'une seule nature divine
et un seul Dieu en trois personnes (i3).
5. De son côté, Févêque de Poitiers compose un
traité en douze livres sur la Trinité. Partant de la
1. Epist., lxvi ; Patr. gr., t. xxxn, col. 424- — 2. Orat. cont,
arian., 1., 18; Pair, gr., t. xxvi, col. 48* — 3. Ibid., m, 6;
ibld., col. 333. — 4- Ibid., m, 62 ; ibid., col. 453. — 5. Ibid.,
1, iC; ibid., col. 45. — 6. Ibid., m, 6; ibid., col. 332. — ■
7. Ibid., 1, i4; ibid., col. 4i. — 8. Ibid., m, 4; ibid.,
t. xxvi, col. 328. — 9. De inc. et cont. arian., ix ; ibid.9
col. 997. — 10. Ibid., col. 1000. — 11. Tom. ad Ant., 5;
ibid., col. 801. — 12. Epist. ad Serap., 1, 27; ibid., col. 5t}3.
- — i3. De inc. et cont. arian., x ; ibid., col. 1000.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE PATRISTIQUE 5ûl
formule baptismale, il traite d'abord de la généra-
tion du Verbe et prouve la consubslantialilé du Père
et du Fils. Et après avoir réfuté les objeetions arien-
nes contre la divinité du Christ, il venge la doctrine
de la génération éternelle du Verbe dans le sein du
Père de toutes les calomnies d'Arius ; il s'applique
à saisir cette génération éternelle en elle-même,
dans son absolue distinction de toute procréation
ou production temporelle, enfin il défend la divinité
du Saint-Esprit (i). Grâce à lui, remarque Schwane,
la terminologie se trouva mieux fixée dans la langue
latine que dans la grecque. Unité de substance :
« Dieu le Père et Dieu le Fils ne font absolument
qu'un, non par l'union de personne, mais par
l'unité de substance (2). » Identité de nature, le Père
et le Fils « se compénètrent réciproquement, parce
que tout est parfait dans le Fils unique, comme
tout est parfait dans le Père inengendré (3). » Mais
distinction personnelle. La génération n'est « ni un
partage, ni une diminution, ni une émanation, ni
une extension, mais la production d'un être vivant
par un être vivant (4). » « A la différence de plu-
sieurs de ses devanciers, dit Largent, Hilaire parle
du dogme trini taire avec une justesse irrépréhen-
sible ; il se garde des paradoxes de langage et de
pensée où Tertullien s'était quelquefois emporté (5).»
6. Bientôt, du sein même de la Cappadoce,
jusque là l'un des foyers et l'une des forteresses de
l'hérésie, Dieu suscite de vaillants émules et de
I sants auxiliaires à saint Athanase et à saint
Hilaire : ce sont les célèbres cappadociens, saint
Basile le grand, son frère saint Grégoire de Nysse,
son ami saint Grégoire de Nazianze et son corres-
1. De Trinitate, Pal. lat.t t. x, col. 25-472. — 2. De Tri/i.,
iv, !\2 ; ibid., col. 128. — 3. Ibid., m, 4 ; ibid., col. 78. —
A. Ibid., iv, 35 ; ibid., col. i85. — 5. Largent, saint Hilaire, p. 45»
5o, 2 LE CATECHISME ROMAIN
pondant saint Amphilochius d'Inconium. Ceux-ci
apportent plus de précision dans la terminologie
grecque et trouvent une formule équivalente à la
formule latine. Ils conservent les termes dt ovaix.
pour désigner la substance et de bizéaxxaiq pour
désigner la personne; ils accentuent la réalité de
l'unité d'essence en ramenant les trois hypostases,
expression d'Origène, à l'unité de substance :
Tpeiç ÔTTosTaffsiç èv [j.17. oûffiot, qui répond au très personas
unius substantlse des latins ; ils distinguent nette-
ment en Dieu l'essence ou la nature, la substance
et toutes les perfections absolues des propriétés
relatives et personnelles ; ils marquent enfin avec
précision que ces noms de Père, de Fils et de Saint-
Esprit se rapportent aux relations d'origine. Et par
là ils font faire un progrès notable à la notion et à
l'exposition du mystère de la Trinité.
7. Pendant la période qui précéda le concile de
Nicée, la question trinitaire avait surtout porté sur
le Fils, sur sa divinité et ses relations avec le Père.
Le concile de Nicée s'était borné à mentionner le
Saint-Esprit. Mais l'arianisme regardant le Fils
comme une créature créant les autres, tôt ou tard
on devait en conclure logiquement que le Saint-
Esprit est une œuvre du Fils. L'erreur allait ainsi
s'étendre de la seconde à la troisième personne de
la Trinité. Les anoméens firent d'abord du Saint-
Esprit un intermédiaire du Verbe. Pour Eunomius,
« le Saint-Esprit a été, quant à l'ordre et quant à
l'essence, créé le troisième, sur l'ordre du Père, par
l'action du Fils ; honoré du troisième rang comme
la première et la plus élevée des créatures du Fils
unique, seul de son espèce, mais dépourvu de divi-
nité et de puissance créatrice (1). » Saint Athanase
*. Saint Basile, Adv. Eunom., ni, 5.
LA SAINTE TRIMTÉ *. PREUVE PATRISTIQUE 5û3
avait combattu aussitôt une telle erreur. Mais Ter-
reur prit un élan nouveau avec Macédonius, succes-
seur d'Eusèbe sur le siège de Gonstantinople en 342.
Saint Athanase écrivit dans ses Lettres à Sérapion
de Thmuis pour défendre de nouveau la divinité
du Saint-Esprit. Mais les pneumatomaques, comme
on désignait les adversaires de la divinité du Saint-Es-
prit, partaient de ce dilemme et raisonnaient ainsi :
«Le Saint-Esprit estengendré ou non. S'il ne Test pas
il est un nouveau Dieu, et c'est du polythéisme. S'il
l'est, de deux choses l'une : ou il est engendré par
le Père et alors le Père a deux fils, ou il est engen-
dré par le Fils et alors il est petit-fils du Père. Tout
cela ne pouvant s'accorder avec l'Ecriture, il faut en
conclure que le Saint-Esprit n'est pas Dieu.
A Rome, le pape saint Damase (366-384) con-
damna cette nouvelle erreur. En Orient, les Pères
cappadociens la combattirent à leur tour ; saint
Basile, avec une certaine circonspection de langage,
qui ne permettait pas, affirme son ami saint Gré-
goire de Nazianze, de suspecter l'orthodoxie de sa
pensée mais qui le poussa, dans la suite, à écrire son
Traité du Saint Esprit, où il enseigne la consubstan-
tialité du Saint-Esprit et sa divinité ; saint Gré-
goire de Nazianze, dans ses Discours ; et saint Gré-
goire de Nysse, dans son Traité contre Eanomius.
Le concile de Gonstantinople, en condamnant
Macédonius et Maréthonius, qui regardaient le
Saint-Esprit comme le serviteur et la créature du
Fils, comme un être intermédiaire entre le Fils et le
monde des esprits finis, et en proclamant la con-
substantialité et la divinité de la troisième personne,
mit un terme aux controverses trinitaires du ive siè-
cle. Complétant le symbole de ISicée, il dit, relati-
vement au Saint-Esprit : « Nous croyons... à l'Es-
prit-Saint, le Seigneur, le Vivifiant, qui procède du
T.F CATÉCHISME. — T. I. 38
594 LE CATÉCHISME ROMAIN
Père, qui conjointement avec le Père et le Fils est
adoré et glorifié, et qui a parlé parles prophètes (i).»
D'après le concile de 38i, le Saint-Esprit, personne
distincte, procède du Père, est consubstantiel à
Dieu, est Dieu au même titre que le Père et le Fils.
C'est la doctrine que répéteront, en Orient, les con-
ciles d'Ephèse en 43 1, de Ghalcédoine en 45 1, de
Constantinople en 553 et en 680. Reste un point à
trancher, celui des relations du Fils et du Saint-
Esprit, qui fera plus tard l'objet de nouveaux débats
et de nouvelles décisions dogmatiques, comme nous
aurons soin de le remarquer dans la suite.
Les stades parcourus jusqu'ici sont les suivants :
en face du polythéisme, proclamation de l'unité de
Dieu ; en face des modalistes et des subordinatiens,
proclamation de la génération éternelle du Verbe,
de sa divinité et de sa consubstantialité avec le Père;
en face des pneumatomaques, proclamation de la
divinité et de la consubstantialité du Saint-Esprit.
Reste, après tant de luttes et tant d'écrits, à déga-
ger les principes implicitement sous-entendus ou
explicitement formulés, à grouper les vérités acqui-
ses en un tout ordonné et harmonieux, en un mot
à faire œuvre de science théologique : ce fut la
gloire de saint Augustin d'y travailler et d'y réussir
dans une large mesure, car il orienta l'Eglise latine
dans un concept et une exposition du mystère de la
trinité que les scolastiques ont fait triompher.
IV. L'œuvre de saint Augustin
Aux prises avec l'hérésie d'Arius et de Macédo-
1. Voir plus haut le symbole de Nicée-Constantinople ;
Denzinger, n. kq.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE DE SAINT AUGUSTIN 5qS
nius, les Pères durent essayer de formuler une
interprétation rationnelle du dogme de la trinité ;
grecs et latins rivalisèrent. Mais, chose curieuse,
la spéculation fut moins profonde chez les premiers^
beaucoup plus hardie chez les seconds.
Les Pères grecs, en effet, dans l'étude de ce mys-
tère, se placèrent surtout au point de vue des per-
sonnes divines, n'atteignant la nature de Dieu qu'à
travers ces personnes. A leurs yeux, la personne dut
Père est la source de la divinité ; la personne du
Fils est la perfection physique du Père; la personne
du Saint-Esprit est sa perfection morale. Ainsi que
le remarque le P. de Régnon, « les perfections divi-
nes identifiées au Fils, ou personnifiées dans le Fils,,
ce sont en général les perfections physiques»
comme si l'opération physique, qu'on appelle géné-
ration et qui a pour terme un fils de même nature
que son père avait pour résultat propre et formel
de produire des perfections physiques (i). » On
l'appelle la Raison, la Sagesse, et ce sont là des per-
fections de l'intelligence ; on l'appelle la Volonté, la
Puissance, et ce sont là des perfections de la volonté
divine ; et comme la production des créatures est
une œuvre de sagesse, de volonté et de puissance,
c'est au Fils que les Pères grecs l'attribuent spécia-
lement. La troisième personne, le Saint-Esprit, est
la perfection morale du Père, sa Sainteté person-
nelle, et principe de sanctification des créatures.
Dans cet épanchement de la divinité, une différence
existe sans nul doute entre la génération du Fils et
la procession du Saint-Esprit; c'étaient là deux don-
nées de la Révélation, deux termes consacrés par
l'Ecriture ; mais les grecs ne cherchèrent pas à pré-
ciser davantage. Leur concept de la trinité peut se
i. De Régnon, Etudes de théologie positive, t. iv, p. 35o.
596 LE CATÉCHISME ROMAIN
formuler ainsi : « Trois personnes participant plei-
nement et également à une même nature divine. »
1. Saint Augustin, qui est justement appelé le
Docteur de la grâce, et qui mériterait tout aussi
bien d'être appelé le Docteur de la trinité, selon la
remarque de Schwane (1), ne se contente pas, dans
son traité De Trinitate (2), de résumer et de com-
pléter tout ce qui a été dit de plus profond, il ren-
verse complètement le point de vue. Au lieu d'aller,
comme les grecs, des personnes divines à la nature
de Dieu, il commence par l'étude directe de la
nature divine avant de passer aux personnes pour
atteindre la réalité complète.
Dieu, c'est la divinité, non pas abstraite, mais
concrète et personnelle, s'épanouissant sans suc-
cession, mais non sans ordre d'origine, en trois
personnes. Jusque là tous les symboles, formulés
d'après le concept ancien, posent d'abord la foi au
Dieu unique qui est le Père, passent ensuite à la
foi en Jésus-Christ, son Fils unique, et nomment
enfin le Saint-Esprit : c'est leur seule manière de
formuler la trinité. Le Quicumque, au contraire,
d'inspiration manifestement augustinienne, con-
sacre le nouveau point de vue et débute par la foi à
l'unité de Dieu dans la trinité et à la trinité dans
l'unité.
Augustin met donc l'accent sur l'unité divine en
face des trois personnes ; c'était éviter le danger de
toute accusation de tri théisme qui obligeait les
grecs à récapituler la trinité dans sa source pre-
mière, le Père. En mettant en plein relief l'égalité
des trois personnes, il évitait également le danger
de laisser croire à la supériorité du Père et à la
1. Schwane, Histoire des dogmes, trad. franc., t. 11, p. a65.
— 2. Pair, lat.y t. xlh.
LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE DE SAINT AUGUSTIN 5g7
subordination du Fils et du Saint-Esprit. Mais ce
double avantage n'offrait-il pas un inconvénient
grave, celui de considérer la divinité comme un
Dieu personnel avant d'être Père, Fils et Saint-
Esprit? Saint Augustin a prévu la difficulté ; aussi,
a-t-il soin de refuser à la divinité ainsi considérée
toute réalité distincte de la réalité des trois per-
sonnes divines (i).
2. En outre, saint Augustin insiste pour faire de
toute opération divine ad extra l'œuvre indistincte
des trois personnes : création, théophanics, incarna-
tion, sanctification. Et s'il est d'usage d'attribuer à
chacune, dans ces opérations, un rôle particulier à
raison de son origine, c'est, dit-il, une simple
appropriation. Les grecs, au contraire, insistaient
sur le rôle distinct de chacune des personnes dans
l'œuvre commune au point de laisser croire que
chaque personne avait exclusivement une opération
propre. Pour l'évêque d'Hippone et pour les scolas-
tiques à sa suite, l'appropriation consiste à attri-
buer spécialement à l'une des personnes l'un ou
l'autre des attributs essentiels, l'une ou l'autre des
opérations communes, lorsque cet attribut ou cette
opération est particulièrement apte à mettre en
relief le caractère propre d'une personne, lorsque
celte aptitude repose sur une analogie véritable, sur
un rapport avec la propriété de la personne. De la
sorte le Père est dit tout-puissant, parce que, dans
la famille créée, le père a naturellement l'autorité ;
la création est attribuée au Fils, parce qu'elle est
l'œuvre de la science divine et qu'elle se rapporte à
l'intelligence d'où procède le Verbe ; et la sancti-
fication est attribuée au Saint-Esprit, parce qu'il
est l'amour incréé. Et ainsi l'appropriation se fonde
i. Epist. cxx ; Pair, lat., t. xxim, col. 452-46a.
598 LE CATÉCHISME ROMAIN
-^— ^— — — »— — - ^^_^^^_^^^^_^^^__^^^__^
sur une relation de similitude entre la propriété
d'une des trois personnes et l'attribut essentiel ou
l'opération commune.
3. Enfin, saint Augustin a fondé la théorie
psychologique des processions *ur l'étude de l'âme
humaine, qui existe, pense et veut ; théorie systé-
matisée plus tard par saint Anselme et achevée par
saint Thomas. Cette théorie explique en quoi et
comment diffèrent la génération et la procession,
pourquoi il y a deux processions en Dieu et rien
que deux, pourquoi le Verbe est Fils et mérite per-
sonnellement le nom d'Image du Père, et pourquoi
le Saint-Esprit, amour du Père pour le Fils et du
Fils pour le Père, procède de l'un et de l'autre sans
que sa procession ressemble le moins du monde à
la génération (1).
C'est donc dans les actes d'intelligence et de
Tolonté que saint Augustin trouve l'explication des
processions divines. Dans l'homme, l'intelligence
et la volonté sont des facultés naturelles ; leur
existence relève de la nature et non de la personne»
Comment donc ces actes peuvent-ils être en Dieu la
source des processions, puisqu'ils relèvent de la
nature et que ce n'est pas la nature qui engendre,
mais la personne du Père ? C'est qu'il ne faut pas
oublier que si nous distinguons en Dieu l'essence
divine et les personnes, c'est sans doute parce que
cette distinction de raison est fondée sur la réalité,
mais ce n'est pas une distinction réelle. Car
l'essence n'existe pas avant ou en dehors des per-
sonnes. Ce n'est donc pas à l'acte d'intelligence
<le la nature divine qu'on doit attribuer la géné-
ration du Fils, mais à l'acte d'intelligence de cette
1. E. Portalié, saint Augustin, dans le Dictionnaire de thêo-
iogie, t. 1, col. 2846-2349.
L'AME, IMAGE DE LA TRINITÉ 699
nature en tant qu'elle est possédée. Car c'est là un
acte naturel sans doute, mais c'est aussi un acte
personnel, ou, comme diront les scolas tiques, un
acte notionneU c'est-à-dire un acte envisagé formel-
lement sous le concept de personne.
C'est ainsi que le génie de saint Augustin a
apporté sa large et décisive contribution à l'étude
du mystère de la sainte trinité. Sur le chemin tracé
par lui et dans la direction fixée par lui, la scolas-
tique n'aura qu'à marcher. Et saint Thomas pourra
d'une main sûre dresser et remplir le plan d'un
traité de la trinité, qui est un monument d'érudi-
tion, de clairvoyance et de profondeur.
L'âme, image de la Trinité. — « Nous sommes
quelque chose d'intelligent, quelque chose qui s'entend
et s'aime soi-même ; qui n'aime que ce qu'il entend, mais
qui peut connaître et entendre ce qu'il n'aime pas... Ainsi
entendre et aimer sont choses distinctes, mais tellement
inséparables qu'il n'y a point de connaissance sans quel-
que volonté. Et si l'homme semblable à l'ange connaissait
tout ce qu'il est, sa connaissance serait égale à son être ;
et s'aimant à proportion de sa connaissance, son amour
serait égal à l'un et à l'autre. Et si tout cela était bien
réglé, tout cela ne ferait ensemble qu'un seul et même
bonheur de la même âme, et à vrai dire la même âme
heureuse, en ce que par la droiture de sa volonté conforme
à la vérité de sa connaissance, elle serait juste. Ainsi ces
trois choses : être, connaître et vouloir, font une seule
âme heureuse et juste...
« Ainsi, à notre manière imparfaite et défectueuse, nous
représentons un mystère incompréhensible. Une trinité
créée que Dieu fait dans nos âmes nous représente la
Trinité incréce, que lui seul peut nous révéler ; et pour
nous la faire mieux représenter, il a mêlé dans nos âmes,
qui la représentent, quelque chose d'incompréhensible.
t» Entendre et vouloir, connaître et aimer sont actes très
distingués ; mais le sont-ils tellement que ce soient choses
entièrement et substantiellement différentes ? Cela ne
600 LE CATÉCHISME ROMAIN
peut être ; la connaissance n'est autre chose que la subs-
tance de l'âme affectée d'une certaine façon ; et la volonté
n'est autre chose que la substance de l'âme affectée d'une
autre. Quand je change de pensée et de volonté, ai-je cette
volonté et cette pensée sans que ma substance y entre?
Sans doute elle y entre ; et tout cela, au fond, n'est autre
chose que ma substance affectée, diversifiée, modifiée de
différentes manières, mais dans son fond toujours le
même : car, en changeant de pensée, je ne change pas de
substance, et ma substance demeure une pendant que
mes pensées vont et viennent...
« Je ne sais qui peut se vanter d'entendre cela parfai-
tement, ni qui pourra se bien expliquer à soi-même ce
que les manières d'être ajoutent à l'être, ni d'où leur vient
leur distinction dans l'unité et identité qu'elles ont avec
l'être même, ni comment elles sont des choses, ni com-
ment elles n'en sont pas. Ce sont des choses, puisque si
c'était un pur néant, on ne pourrait véritablement ni les
assurer, ni les nier ; ce n'en sont point, puisqu'en elles-
mêmes elles ne subsistent pas. Tout cela ne s'entend pas
bien ; tout cela est pourtant chose véritable et tout cela
nous est une preuve que, même dans les choses natu-
relles, l'unité est un principe de multiplicité en elle-même,
et que l'unité et la multiplicité ne sont pas autant incom-
patibles qu'on le pense...
« Si j'étais une nature incapable de tout accident sur-
venu à sa substance, et en qui il fallût que tout fût subs-
tantiel, ma connaissance et mon amour seraient quelque
chose de substantiel et de subsistant : et je serais trois
personnes subsistantes dans une seule substance, c'est-à-
dire je serais Dieu. Mais comme il n'en est pas ainsi, je
suis seulement fait à l'image et à la ressemblance de Dieu,
et un crayon imparfait de cette unique substance qui est
tout ensemble Père, Fils et Saint-Esprit : substance incom-
préhensible dans sa trine divinité, qui n'est au fond
qu'une même chose, souveraine, immense, éternelle, par-
faitement une en trois personnes distinctement subsistan-
tes, égales, consubstantielles. » Bossuet, Elévations sur
les Mystères, ne Sem., élév. \i.
Leçon XVIIIe
De la Sainte Trinité
I. Exposé du mystère. — II. Enseignement de
saint Thomas. — III. Notions erronées et
objections.
I. Exposé du mystère
Une seule essence divine ; dans cette essence
unique, trois personnes distinctes, s'identi-
fiant dans l'unité d'une même et indivisible
substance, portant le nom commun de Dieu, lequel
désigne la communauté de nature, et les noms
propres et personnels de Père, de Fils et de Saint-
Esprit, lesquels répondent aux relations subsistantes,
qui, seules, fondent les distinctions hyposta tiques :
tel est le dogme de la Trinité.
i. Cet énoncé suppose un grand nombre de
notions, dont le sens doit être précisé avec rigueur,
pour parler correctement en un sujet aussi délicat
et ne pas donner prise à d'inextricables difficultés :
un langage sans précision, une terminologie impro-
pre frisent facilement Fhérésie.
On donne le nom d'essence au principe constitutif
d'un être, qui fait que cet être est ce qu'il est ; le
nom de nature au principe d'opération intrinsèque
et permanent de tel être actuellement existant ; le
nom de substance à ce qui sert de support aux acci-
Ô02 LÎ CATÉCHISME ROMAIN
dents et aux modifications d'un être, à ce qui désigne
les propriétés constitutives et immuables d'un indi-
vidu, par opposition aux modes transitoires dont
ces propriétés sont le sujet ou le principe.
Dieu, étant l'être nécessaire, Y essence et la nature
désignent un principe d'opération toujours en acte ;
mais échappant par sa nature même à toute modi-
fication accidentelle et transitoire, la substance
désigne en lui l'essence par opposition aux modes
d'être permanents, qui constituent les trois per-
sonnes.
2. L'unité la plus haute et la plus générale est
celle de l'être ; mais elle enveloppe d'autres unités
secondaires, car les êtres s'échelonnent suivant un
ordre de continuité ontologique, où ils se distinguent
d'après leurs perfections. Les uns existent ou sont
capables d'exister sans avoir besoin pour recevoir
l'être ou pour s'y maintenir du concours d'aucune
autre cause seconde, par exemple les substances ; les
autres requièrent naturellement comme une condi-
tion de leur réalisation l'appui d'une cause seconde
extérieure à eux-mêmes, par exemple les accidents.
Or, la substance n'existe pas à l'état indéterminé
que comporte son concept générique ; elle est en
vérité telle ou telle. Une ligne de démarcation par-
tage le genre suprême de la substance en genres
subalternes, lesquels par des déterminations spéci-
fiques se ramifient jusqu'à la dernière espèce,
l'espèce infime. Or, Yespèce elle-même, considérée
objectivement dans la réalité métaphysique, est
essentiellement un universel, qui requiert pour
recevoir son actuation totale d'être déterminé dans
son être substantiel par des caractères individuants.
Et ainsi Yindividu est dans l'ordre de la substance 1$
dernière unité à laquelle on arrive.
3. L'individu, par rapport aux autres, est dans
EXrOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRIMTE 6o3
une certaine mesure absolu ; non seulement il
existe, mais il subsiste, parce que à lui se relient
comme à leur point d'attache, se ramènent comme
à leur raison commune, en lui se concentrent
comme dans un tout qui fait leur unité sans être
lui-même une fraction d'une unité plus haute, les
degrés d'être substantiels et accidentels, par lesquels
l'individu est déterminé soit spécifiquement, soit
singulièrement.
Cette substance individuelle, complète, autonome,
s'appelle un suppôt, s'il s'agit d'êtres dénués de rai-
son, une hypostase, une personne, c'est-à-dire ce
qu'il y a de plus parfait dans toute la nature, s'il
s'agit d'êtres intelligents et libres.
Une personne, c'est donc une substance indivi-
duelle, complète, autonome, intelligente et libre ;
parce qu'elle est une substance, elle sert de point
d'appui aux réalités accidentelles qui la déterminent ;
parce qu'elle est une nature, c'est-à-dire une énergie,
une puissance active, elle peut se modifier elle-même
et modifier tous les êtres susceptibles de recevoir
son action.
II. Nous trouvons dans notre expérience intime la
matière des idées de substance et de cause, de mode
et de phénomène, et notre esprit est amené sans
effort par le travail analytique le plus élémentaire à
en dégager a priori ces deux principes universels :
Tout mode requiert une substance ; tout phénomène
requiert une cause. Il est facile dès lors de découvrir
hors de soi, avec certitude, des réalités invisibles
aux sens, mais accessibles à l'entendement, dont
elles sont l'objet propre, et qui ont pour fonction
de soutenir dans l'existence des qualités sensibles
et de poser dans l'existence des faits nouveaux,
perceptibles à l'expérience externe. Ces réalités sont
les substances et les causes, ainsi appelées par
Co4 LE CATÉCHISME ROMAIN
analogie avec la réalité de même ordre révélée par
notre conscience. Et comme le moi est le dernier
sujet d'attribution de tout ce qu'il contient, supporte
ou produit, ainsi, dans le monde extérieur, il est des
individus qui, sans pouvoir être ramenés à une
individualité supérieure, se possèdent eux-mêmes et
sont le sujet de tout ce qui est en eux, le principe
de tout ce qui est par eux. Cette fonction nouvelle
qui complète la substance en lui conférant, dans
son espèce, tout le degré d'être et d'autonomie dont
elle est capable, s'appelle subsistance, qui désigne la
forme constitutive de l'hypostase et de la personne.
Enfin notre intelligence arrive à connaître la subs-
tance infinie, sujet de la perfection absolue, et cause
infinie, raison suffisante du monde et du moi,
substance et cause qui est la personne par excel-
lence.
Notre raison, il est vrai, ne peut parvenir à com-
prendre la raison adéquate de substance ; elle affirme
du moins l'identité physique et l'union indissoluble
des deux formes de substance et d'hypostase. Or,
dans la matière de sa connaissance naturelle, elle
ne peut puiser l'idée de plusieurs personnes subsis-
tant en une seule nature, ni l'idée d'une même
hypostase subsistant en deux ou plusieurs natures.
Mais ici intervient la révélation pour fournir une
notion complète de la personnalité dans ses rapports
avec la nature. Et c'est à sa lumière que nous
apprenons que Dieu est une essence numériquement
une et indivisible, subsistant en trois personnes
réellement distinctes, et que l'une de ces trois per-
sonnes subsiste, sans perdre son unité hypostatique
dans deux natures numériquement distinctes.
5. Il s'agit donc d'expliquer, dans la mesure où
la raison peut s'y engager, et d'étudier la vie
intérieure de la Trinité soit absolument, soit
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TKINITÉ 6o5
comparativement aux caractères- essentiels de la
personnalité créée.
Dieu, l'être infini, est aussi l'acte pur sans mé-
lange de potentialité. Il est déterminé par son
essence à la plénitude de l'être et à la plénitude de
l'opération. Mais cette opération, au lieu de survenir
à sa vertu active comme une perfection nouvelle,
n'est que l'acte subsistant d'une essence qui s'iden-
tifie avec sa propre existence : être et agir ne sont
en Dieu qu'une seule et même chose, qu'un seul et
même Dieu.
Mais il y a une différence entre l'opération divine
ad intra, qui se termine tout entière dans l'essence
subsistante d'où elle procède, et l'opération divine ad
ex tra qui, sans sortir formellement de cette essence,
s'extériorise pourtant virtuellement en tant qu'elle
se termine à la production d'un être distinct de
Dieu. Dans ses opérations ad extra, Dieu n'épuise
pas son essence et ne saurait recevoir le moindre
accroissement des natures qu'il crée, quelle que
puisse être d'ailleurs leur perfection. L'activité
divine doit cependant s'exercer dans toute sa pléni-
tude, et elle s'exerce dans ses opérations ad intra :
cet acte infini demeure tout entier dans le principe
essentiel d'où il émane et avec lequel il se confond.
Or, toute action aboutit à un terme distinct
d'elle-même et qui se rapporte, soit à l'agent comme
à son principe, soit à l'opération comme au lien de
l'un et de l'autre. L'action divine ad intra produit
donc un terme, et la perfection de ce terme répond
à la perfection de l'opération et à la perfection de la
nature ; la nature enveloppe l'opération et son terme
et se développe pleinement par eux ; ce terme ad
intra sera donc infini.
6. Mais, tandis que dans les créatures le principe
et la fin sont distincts, en Dieu ils se confondent
Co6 LE CATÉCHISME ROMAIN
et l'identification est complète. Sans doute, Dieu a
un comment et un pourquoi ; ce comment est son
principe, ce pourquoi est sa fin, principe et fin
immanents. Le comment de son être est dans l'ex-
cellence métaphysique de l'essence infinie, et le
pourquoi dans cette excellence souveraine, qui
n'étant susceptible d'aucune augmentation, est à
elle-même sa fin, son complément. Aussi les actes
immanents de Dieu ad intra s'accomplissent-ils
d'une manière nécessaire, non point que cette
nécessité s'impose à l'activité infinie comme une
violence subie, car la nécessité est très compatible
avec la volonté ; si elle s'oppose à la liberté, elle
s'allie avec la spontanéité réfléchie et consciente ;
si elle exclut le choisir, elle n'exclut pas le vouloir
et le consentir. Dieu a dans son essence la loi de tout
son être et de son agir, non que cette loi le cons-
titue dans un état de dépendance par rapport à
autrui, puisque, étant à lui-même sa raison d'être
totale, il ne relève que de lui-même ; non que cette
loi soit en lui la régularisatrice d'un mouvement
véritable qui le porterait d'un point de son être à
un autre point de son être ; mais comme la loi
contient le rapport essentiel de ce qu'un être est à
ce qu'il doit être, il faut aussi que Dieu, qui est
nécessairement, ait un rapport à l'être qu'il possède
et qui lui est dû essentiellement. La loi de son être
se confond donc avec cet être lui-même ; elle n'a
pas d'autre formule que la nécessité de l'être divin
et son absolue autonomie.
i La puissance incréée, pure de toute potentialité,
se confond donc avec son acte propre, et puisqu'elle
est l'acte subsistant, s'identifie pareillement avec la
substance : nature, puissance, opération ne sont
donc en Dieu qu'une seule et même chose. Cepen-
dant nous concevons la nature ou, plus proprement
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA. TRINITE 607
l'essence comme la forme dé la divinité à l'état
purement statique ; au contraire, en tant que cette
essence est le principe virtuellement dynamique de
sa perfection et atteint de toute éternité, sans mou-
vement véritable, la plénitude de son développement,
on lui donne le nom plus spécial de vertu opérative
ou d'opération. Et l'on conçoit en Dieu son opération
comme un mouvement virtuel dans la nature
divine, formellement identique à cette nature, et
par lequel celle-ci se porte en quelque sorte vers
elle-même, considérée comme terme et fin imma-
nents de l'essence subsistante. Et ainsi l'action ad
vitra est nécessaire au même titre que l'être de Dieu.
7. Cela nous mène à une conclusion qui nous
rapproche de l'explication formelle de la trinité des
hypostases dans l'unité de sa nature.
En effet : puisque la raison immanente de fin
détermine nécessairement en Dieu une opération
immanente, elle déterminera aussi le caractère de
cette opération. Or, toute lin, en tant que fin, exige,
pour provoquer le mouvement d'un être, d'être
connue par cet être. A son tour, cette connaissance
engendre un mouvement de la volonté qui, com-
muniquant son impulsion à l'être tout entier, le fera
tendre à la possession de la fin. Or, en Dieu, pas de
bien à acquérir, puisqu'il est sa propre fin. L'action
: immanente de Dieu ne saurait donc consister que
dans un acte de connaissance et un acte de volonté,
par lesquels il atteindra adéquatement la vérité de
son essence et aimera par un acte non moins
-compréhensif la bonté de cette même essence. Dieu,
étant l'être infini, possède dans son essence toutes
les raisons de vérité et de bonté : il est l'universel
intelligible et l'universelle bonté, ou plutôt il est la
vérité et la bonté subsistantes. Il lui suffit d'un seul
acte de connaissance pour atteindre le vrai dans
608 LE CATÉCHISME ROMAIN
toute sa plénitude ; il lui suffit d'un seul acte de
volonté pour embrasser le bien dans toute sa
plénitude.
Or, tout acte a un terme ; les opérations divines
ad mira ont donc aussi un point d'arrivée. L'acte
par lequel Dieu se connaît a donc un terme qui est
sa propre représentation, sa Parole intérieure, son
Verbe ; et le terme d'une activité infinie devant être
lui aussi infini, il en résulte que, puisque l'essence
divine répugne à toute multiplication, ce terme
infini se confond réellement avec cette essence. De
même pour l'acte par lequel Dieu se veut et s'aime.
8. Mais chacun de ces deux termes des opérations
divines ad inira se distingue de son principe par
une opposition qui les rend irréductibles. Le prin-
cipe et le terme de l'acte de connaissance sont dès
lors, comme tels, formellement incommunicables ;
de même le principe et le terme de l'acte de volonté.
Il faut donc distinguer, dans l'unité d'une même
essence, un principe infini avec deux termes infinis.
Et la distinction n'est pas seulement entre ce prin-
cipe unique et les deux termes, mais encore entre
les deux termes eux-mêmes. Car si Dieu se connaît
et s'aime par un seul acte qui est son essence,
autre est le point sous lequel il se connaît, autre
celui sous lequel il s'aime ; car il se connaît en tant
que vérité infiniment intelligible, et il s'aime en
tant que bonté infiniment aimable. La simplicité
de l'être divin n'empêche donc pas que la diversité
des objets formels, sous lesquels Dieu atteint son
essence, n'engendre une dualité de même ordre
dans l'opération divine et dans le terme de cette
opération.
Or, les actes immanents ne se distinguent pas de
leur principe ni entre eux, au même titre que les
termes de ces actes. Les actions ad inlra, considérées
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITÉ 6og
abstraction faite de leurs termes, ne posent en
Dieu rien de nouveau, mais se confondent avec le
principe agissant ; mais si on les envisage in sensu
composite* tennini, c'est-à-dire comme posant en
dehors du principe le terme vers lequel celui-ci
tend par son opération, elles se subjectent dans
deux réalités distinctes, soit du principe, soit l'une
de l'autre. L'essence divine, principe de l'acte
d'intelligence, se distingue d'elle-même considérée
comme objet de connaissance, mais seulement sous le
rapport où elle s'exprime elle-même par son Verbe;
elle ne se distingue de ce chef que du terme de son
opération, lequel est son Verbe ou sa Parole. De
même Dieu se distingue de son essence, objet de
son amour, par le côté où cette essence pénètre
pour ainsi dire dans le principe aimant et termine
son opération. D'où il suit que la dualité seulement
virtuelle de l'opération par laquelle l'essence divine
se connaît et s'aime elle-même comme le vrai et le
bien substantiels, aboutit à la dualité de deux
termes réellement distincts.
9. Cette mutuelle distinction est fondée autant sur
leur opposition réciproque que sur leur opposition
respective à leur commun principe. Car si le terme
formel de l'acte de connaissance est en corrélation
de procession avec le principe de cet acte, il faut
affirmer le même rapport entre le Verbe et le terme
de l'acte de volonté. Le Verbe éternel manifestant à
son principe la bonté de la nature divine, c'est en
communion avec ce Verbe, et c'est par ce Verbe
que le principe de l'acte intellectif produit le terme
de l'acte d'amour. Ce dernier se distingue donc par
une commune opposition et du principe du Verbe
et du Verbe lui-même.
Il y a donc en Dieu trois sujets irréductibles l'un
à l'autre et s'opposant comme des termes que do
LH CATÉCHISME. T. I. 39
6lO LE CATÉCHISME ROMAIN
fc— — ^— — ^^— ^— ^^^^^^M^— ■ ! ... ■ ■ ■ Il . ■ ■ ■ I l.l M|, | — — ^ |
mutuelles relations rendent incommunicables ;
mais, par ailleurs, chacun de ces sujets s'identifie
avec la nature divine. Chacun d'eux subsiste donc,
puisque cette nature est une subsistance ; et il
subsiste pleinement, c'est-à-dire ajoute à l'indépen-
dance substantielle de l'être divin, considéré abso-
lument, l'indépendance hypostatique où l'incom-
municabilité. Et chacun d'eux est une personne,
puisque leur distinction est fondée sur des relations
de procession ou d'origine, qui sont comme les
points extrêmes d'un acte de connaissance intellec-
tuelle et d'un acte d'amour spirituel. Il y a donc
en Dieu trois personnes, qu'il convient de désigner
par des noms personnels.
10. Reste à déterminer la nature de ces processions.
L'acte d'intelligence, ayant pour objet direct et
formel de produire un terme qui est la représen-
tation de l'objet connu, on peut et on doit dire que
l'acte par lequel Dieu produit son Verbe, c'est-à-
dire la Parole vivante, qui, en vertu de la proces-
sion même dont il est le terme, l'exprime et le
représente tout entier, est une génération, puisque
la génération se définit : Origo viventis a vivente,
principio conjuncto, in similiiudinem naiarœ, vi pro-
cessionis formaliter .
Or la génération est le fondement d'une double
relation de paternité et de filiation : au principe de
la génération du Verbe, au sujet de la relation de
paternité, correspond donc le nom de Père ; au
terme de cette génération, au sujet de la relation de
filiation, celui de Fils.
ii. Quant au terme de l'acte d'amour, l'acte qui
le produit lui communique l'essence infinie, et, par
ce côté, sa procession ressemble à la précédente ;
mais, parce que le terme formel de cet acte n'est
pas la production d'une représentation de l'objet
EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE 6 II
aimé, cet acte n'a pas le caractère d'une génération
proprement dite. Dès lors, si la troisième personne
reçoit avec sa personnalité la nature divine, ce n'est
pas formellement en raison de l'opération d'amour
dont elle dérive, mais en tant qu'elle termine une
opération divine. Par suite, la génération étant,
pour nous, le seul mode naturellement connu par
lequel un être communique à un autre son essence
spécifique, il nous est impossible de concevoir
directement entre les deux premières personnes et
la troisième une relation dont l'idée soit distincte
de celle de la procession qui la fonde. Or cette der-
nière est une opération d'amour que nous appelons
Spiration. Considéré dans son principe, l'acte de
volonté constitue la relation de Spiration active ;
considéré dans son terme, il fonde la relation de
Spiration passive, à laquelle répond le nom person-
nel de Saint-Esprit.
12. Mais comme en Dieu l'abstrait s'identifie
avec le concret, la Paternité sera le Père, la Filiation
le Fils, et la Spiration passive le Saint-Esprit. C'est
dire que les personnes divines sont des relations
subsistantes, lesquelles, à leur tour, ne sont que la
nature divine subsistant en trois hypostases, par
lesquelles elle s'oppose à elle-même, et dont cha-
cune, l'embrassant dans sa plénitude, se distingue
d'elle par une pure distinction de raison.
En outre, il n'y a en Dieu qu'un Père, qu'un Fils,
qu'un Saint-Esprit. Les trois personnes, il est vrai,
connaissent et aiment; mais ce n'est pas par le côté
où elles se distinguent et s'opposent mutuellement,
c'est par celui où elles s'identifient dans l'unité
d'une même et indivisible essence. Leur distinction
vient tout entière de ce que cette unique essence ou
nature, par elle-même subsistante, s'oppose réelle-
ment à elle-même, considérée comme principe et
6l2 LE CATÉCHISME ROMAIN
terme formellement irrréductible d'une double
opération. De la distinction réelle du principe et
des termes naît la trinité des subsistances incom-
municables, c'est-à-dire la trinité des hypostases
ou personnes.
i3. La personnalité divine a donc une double
racine ; car la raison de la subsistance est tout
entière dans la nature considérée absolument, tan-
dis que la raison de son incommunicabilité est
uniquement dans l'opposition des relations subsis-
tantes. Cette opposition, du reste, est le seul fonde-
ment de la multiplication des hypostases ; car la
personne est un tout fermé, une unité distincte et
indépendante des autres unités. Or ce sont là les
effets formels de l'incommunicabilité. Il est donc
vrai de dire que les relations réelles sont la raison
pour laquelle la subsistance de la nature divine, au
lieu de s'arrêter et de se terminer dans cette nature
considérée absolument, se multiplie avec la raison
d'incommunicabilité, essentielle à la subsistance
hypostatique ou personnelle. Mais arrivée, en vertu
de sa loi interne, à cette perfection de développement
immanent, la substance divine atteint le suprême
degré d'incommunicabilité personnelle, en sorte
que non seulement le caractère absolu de cette
substance lui assure une transcendance inaliénable,
mais encore les personnes qui se constituent dans
l'unité de son essence ferment la série des opérations
intérieures et possèdent, de ce chef, avec la nature
divine dans laquelle elles subsistent, une perfection
hypostatique infinie comme cette nature que cha-
cune d'elles embrasse adéquatement.
IL Enseignement de saint Thomas
i. Avant de s'occuper de chacune des personnes
PROCESSIONS ET RELATIONS t)l3
de la Trinité, saint Thomas commence par établir
le nombre de processions et de relations qui existent
en Dieu (i).
La procession n'est autre chose que l'origine d'un
être venant d'un autre être. Si cet être sort de son
principe pour former un être distinct, extérieur,
séparé, la procession est dite transitive ; si, au con-
traire, l'être reste dans son principe, elle est dite
immanente. C'est de cette dernière qu'il s'agit ici. Il
y a autant de relations en Dieu que d'actes imma-
nents. Or, dans toute nature intellectuelle, les actes
immanents ne sont qu'au nombre de deux, savoir
l'acte de l'intelligence et l'acte de la volonté. Il y a
donc deux processions en Dieu et il ne peut y en
avoir que deux : l'une, celle de l'intelligence divine,
par laquelle Dieu comprend la vérité totale de son
essence ; l'autre, celle de la volonté divine, par
laquelle il veut et aime la bonté totale de son essence.
La première n'est autre que la procession du Verbe
et porte le nom propre de génération, parce qu'elle
exprime l'origine d'un être vivant, qui tient d'un
être vivant comme lui, la même nature spécifique ;
la seconde est celle de l'Amour et s'appelle la Spira-
tion, parce qu'elle exprime le mouvement de la
volonté vers l'objet aimé.
2. Cette double procession pose en Dieu, non pas
des relations purement logiques ou de simples moda-
lités, mais des relations réelles, de vraies réalités.
Sans doute, parce que, en Dieu, rien n'existe à la
manière des accidents et que tout est substantiel, ces
relations ne font qu'un avec l'essence divine et ne
s'en distinguent que dans notre manière de les con-
cevoir, mais, entre elles, elles se distinguent réelle-
ment les unes des autres. Or cette distinction réelle
i. Sam. iheol., I, Q. xxvn.
f)l4 LE CATÉCHISME ROMAIN
ne pouvant être dans l'essence, dans l'être absolu,
où règne l'unité souveraine, la suprême simplicité,
se trouve dans l'être relatif, c'est-à-dire dans les
personnes.
Le nombre de ces relations est de quatre, ni plus
ni moins ; car toute relation est fondée, ou sur la
quantité — et celle-ci ne saurait exister en Dieu qui
est un pur esprit, — ou sur l'action et la passion,
comme cause et effet, père et fils, maître et serviteur.
En Dieu, la relation a pour fondement l'action, non
pas l'action transitive, mais l'action immanente, qui
détermine les processions intimes dans le sein de
l'Etre infini. Or deux actions de cette nature, et
deux seulement, nous venons de le dire, se consom-
ment dans l'essence divine: l'action de l'intelligence,
qui donne lieu à la génération du Verbe, et l'action
de la volonté, qui est le principe de la procession
de l'Amour. Mais de chacune de ces processions
naissent, par opposition l'une à l'autre, deux rela-
tions : la relation du principe au terme, et la relation
du terme au principe. La procession du Verbe étant
nne génération, il y a la relation active de paternité ',
propre au principe générateur, et la relation passive
de filiation, propre au Verbe engendré. Quant à la
procession de l'Amour, elle constitue la relation
«active de spiration dans le principe et la relation
passive de procession dans le terme.
3. Ces deux processions et ces quatre relations
impliquent l'existence, en Dieu, de trois personnes
et rien que de trois. Mais qu'entendre par ce mot
personne? Il sert à désigner le parti nidier ou V individu,
dans la catégorie de substance, et plus spécialement
ou proprement dans la catégorie de substance rai-
sonnable. La personne est donc une substance
particulière, individuelle, de nature raisonnable ;
elle exprime ce qu'il y a de plus parfait dans toute
LES PERSONNES DIVINES 6l5
la nature, l'être subsistant et raisonnable. Ce terme
convient donc à Dieu, non comme il convient aux
créatures, mais dans un sens beaucoup plus élevé.
Il ne se trouve pas, il est vrai, textuellement dans
la sainte Ecriture, mais il y est d'une manière
équivalente.
Ce qui rend difficile de circonscrire son sens dans
la Trinité, c'est, d'une part, qu'il se dit au pluriel,
contrairement aux noms qui désignent l'essence,
et c'est, d'autre part, qu'il n'exprime rien de relatif,
à l'inverse des noms qui expriment les rapports des
êtres. Il signifie la substance individuelle d'une
nature raisonnable. Or, l'individu se distingue de
tout autre individu. Et la distinction, en Dieu, ne
provient que des relations d'origine. Mais ces rela-
tions ne sont pas, en Dieu, des entités modales,
des accidents inhérents au sujet, elles sont l'essence
divine elle-même, et par suite elles subsistent
comme elle et constituent des relations subsistantes.
Or, ces relations subsistantes se distinguent entre
elles par leur opposition relative. Donc deux rela-
tions opposées doivent nécessairement appartenir à
deux personnes. Dès lors, la paternité et la filiation,
formant deux relations qui s'opposent, appartien-
nent à deux personnes : la paternité subsistante est
la personne du Père, la filiation subsistante est la
personne du Fils.
Quant aux deux autres relations, la spiration,
active et la spiration passive, elles ne sont pas
opposées aux précédentes, c'est-à-dire à la paternité
et à la filiation, mais elles forment opposition à
l'égard l'une de l'autre, et par suite ne peuvent
convenir toutes les deux à une seule et même per-
sonne. Mais à qui convient la spiration active ?
Est-ce au Père ou au Fils? Est-ce à l'un et à l'autre
en même temps ? C'est à tous les deux à la fois,
6l6 LE CATÉCHISME ROMAIN
d'autant plus que cette spiration active ne renferme
aucune opposition ni vis-à-vis de la paternité, ni
vis-à-vis de la filiation. Et quant à la spiration
passive, elle appartient en propre à la troisième
personne, à la personne du Saint-Esprit. D'où il
suit qu'il y a trois personnes en Dieu.
[\. Il y a trois personnes en Dieu et il ne peut y
en avoir que trois, ce qui est proprement le mystère
de la sainte Trinité, l'unité de trois, triurn unitas,
une essence et trois personnes, mystère qui demeure
inaccessible aux seules lumières de la raison. La
raison naturelle, en effet, ne peut connaître Dieu
que par les créatures. Or, les créatures conduisent
à la connaissance de Dieu comme l'effet conduit à
la connaissance de la cause. La raison peut donc
découvrir uniquement les attributs que Dieu pos-
sède comme principe des êtres, comme créateur.
Mais comme la puissance créatrice est commune à
toute la Trinité, elle appartient à l'unité de l'essence
divine, et non à la pluralité des personnes, et ne
peut dès lors rien nous apprendre sur les personnes,
en tant que personnes.
Du reste, vouloir établir la trinité des personnes
sur des preuves tirées de la raison pure, serait déro-
ger doublement à la foi, dit saint Thomas. D'abord,
en blessant sa dignité ; car elle a pour objet les
choses invisibles. Ensuite, en éloignant autrui de
la foi ; car lorsqu'on apporte en faveur de la foi des
preuves irrésistibles, on tombe sous la dérision des
impies, qui s'imaginent que nous croyons en nous
appuyant sur ce genre de preuves. A ceux qui ad-
mettent l'autorité, prouvons notre doctrine par
l'autorité; à ceux qui la repoussent, contentons-
\ nous de montrer que les choses de la foi ne renfer-
i ment rien d'impossible, rien de contraire à la raison.
H Relativement à l'existence de Dieu, les raisonnements
LES PERSONNES DIVINES 617
h
sont démonstratifs ; relativement à la Trinité, ce ne
sont que des raisonnements de convenance. Les
analogies elles-mêmes que nous trouvons dans notre
âme ne fournissent pas de preuve démonstrative de
la Trinité, parce que l'intelligence humaine diffère
essentiellement de l'intelligence divine. Et, comme
le dit saint Augustin, ce n'est pas la science qui
mène à la foi, « c'est la foi qui mène à la science. »
5. Un pas de plus, et l'on aura les notions suffi-
santes pour désigner les trois personnes de la Tri-
nité. La notion est la raison propre, l'idée particu-
lière, le signe caractéristique, la marque distinctive,
l'attribut spécial qui dénonce, révèle, notifie et fait
connaître distinctement les personnes divines.
Jusqu'ici nous avons trouvé quatre notions ; il en
est une cinquième à faire connaître. Les personnes
divines, en effet, se multiplient et se révèlent par
l'origine, ou comme principe ou comme terme. Or,
le Père ne procède de personne, et, sous ce rapport,
la notion qui lui convient est celle àUnnascibililé ;
mais, en tant que principe, il se caractérise double-
ment, par la paternité à l'égard du Fils, par la spi-
ration commune à l'égard du Saint-Esprit. Le Fils,
procédant de son Père par la génération est notifié
par la filiation. Le Saint-Esprit a pour unique note
caractéristique la procession, car il n'est le principe
d'aucune autre personne. Il y a donc cinq notions en
Dieu : l'innascibililé, la paternité, la filiation, la spira-
tion active et la spiration passive de procession. De
ces cinq notes, quatre constituent des relations, car
l'innascibilité à vrai dire n'est pas une relation ;
quatre sont des propriétés, car la spiration active
commune au Père et au Fils n'appartient pas exclu-
sivement à une seule personne ; et trois enfin sont
des notions personnelles, savoir : la paternité, la filia-
tion et la procession.
6l8 LE CATÉCHISME ROMAIN
6. Certains attributs sont communs à l'essence
divine; d'autres sont propres à chaque personne en
particulier. Et c'est ainsi qu'on peut appeler la pre-
mière personne : Principe, Père non-engendré. Prin-
cipe signifie l'origine, la source, la souche d'où
vient, sort ou découle une chose. Appliqué à Dieu,
ce mot peut s'entendre des attributs communs, et
dans ce cas, il implique des actes extrinsèques dont
le terme est en dehors de Dieu, dans les créatures ;
il peut s'entendre aussi des attributs propres, et,
dans ce cas, il vise les actes intrinsèques, imma-
nents, dont le terme est Dieu même ; mais comme
en Dieu il y a deux processions, il y a aussi deux
principes, l'un qui est exclusif au Père, comme
source de toute la divinité, l'autre qui appartient au
Père et au Fils vis-à-vis du Saint-Esprit. La pre-
mière personne est encore désignée sous le nom de
Père, car la paternité est sa propriété personnelle,
et sous le nom d'innas cible ou de non-engendré,
parce qu'elle n'a pas de principe d'où elle dérive,
étant elle-même le principe de tout.
La seconde personne porte le nom propre de
Fils, parce qu'elle est engendrée par le Père ; de
Verbe, parce qu'elle est le concept intérieur qui pro-
cède de l'intelligence divine et l'exprime totalement;
et d'Image, parce qu'elle représente pleinement son
modèle et est sa parfaite image.
La troisième personne porte le nom d'Esprit,
consacré par l'Ecriture, car ce mot signifie souffle,
impulsion, et représente le mouvement de la
volonté; d'Amour, parce que, personnellement, elle
procède par amour et est l'amour subsistant ; de
Don, parce que le propre de l'amour est de donner
de sa plénitude et que le Saint-Esprit procède aussi
comme don de Dieu.
7. Comparées avec Vessence divine, ces personnes
LES PERSONNES DIVINES 619
ne nuisent-elles pas à l'unité de Dieu? Non, repond
saint Thomas. Car, en Dieu, les relations sont
L'essence divine elle-même. Il n'y a donc entre les
personnes et la nature divine qu'une distinction de
raison, virtuelle, purement logique. Considérée
absolument, en soi, ou dans ses rapports avec les
personnes, l'essence divine est une ; elle se com-
munique totalement et identiquement aux trois per-
sonnes, qui, elles, se distinguent réellement entre
elles à cause de leurs relations d'origine. Il n'y a
donc qu'une seule essence divine en trois person-
nes ; ces trois personnes sont Dieu, elles ne for-
ment pas trois Dieux.
8. Considérées dans leurs rapports avec les relations
ou les propriétés, les personnes et les relations sont
identiques ; car, d'une part, les relations, entités
réelles dans l'Etre nécessaire, sont l'essence divine,
et d'autre part, l'essence divine est la même chose
que la personne. Mais les personnes se distinguent
entre elles par les relations.
9. Comparées entre elles, les trois personnes sont
parfaitement égales en toutes choses, aussi ancien-
nes, aussi puissantes, aussi parfaites l'une que
l'autre; la moindre inégalité romprait l'unité de
l'essence divine. On peut donc prendre tous les
attributs communs et les appliquer à chaque per-
sonne, ainsi que l'a fait le symbole de saint
Athanase. Toutefois cette absence de succession ou :
d'inégalité n'empêche pas qu'il y ait dans la Trinité j
un ordre dorigine entre les personnes, non que j
Tune précède l'autre, puisqu'elles sont éternelle- |
ment ce qu'elles sont, mais simplement parce que
l'une procède de l'autre. La procession est éternelle :
le Père est Père, le Fils est Fils, le Saint-Esprit est
Saint-Esprit, de toute éternité. Donc égalité parfaite,
mais avec subordination dorigine.
620 LE CATÉCHISME ROMAIN
La procession qui est nécessaire et éternelle est
aussi immanente : d'où l'idée de la rapt/wp^ai?, comme
disaient les grecs, ou de la circuminsessio, comme
disent les scolastiques. Ce terme latin, remarque
Petau, est loin de rendre toute la valeur du mot
grec, introduit dans la théologie par saint Jean
Damascène. La cire uminsess ion signifie l'inhabitation
des personnes divines l'une dans l'autre ; car, par
l'unité d'essence, les trois personnes divines se
compénètrent mutuellement. Notre Seigneur disait:
« Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père et que le
Père est en moi ? » Et saint Jérôme a pu dire que
« le Fils est le lieu du Père, comme le Père est le
lieu du Fils. » La périchorêsis signifie en plus une
circulation vivante, incessante, l'épanchement sans
fin du Père dans le Fils et le retour du Fils vers sa
source, double mouvement qui part de l'unité et
revient à l'unité.
10. L'exposition de ce mystère est si délicate et
si difficile que saint Thomas a tracé quelques règles
précises pour permettre d'en parler correctement.
Parmi les noms essentiels, dit-il, les uns désignent
l'essence divine substantivement, les autres adjective-
ment. Les premiers se disent au singulier, les autres
se disent au pluriel des trois .personnes. Dans la
Trinité, l'essence est souverainement une, infini-
ment simple ; aussi les noms qui l'expriment
doivent-ils se dire des trois personnes au singulier ;
Platon, Socrate et Gicéron s'appellent trois hommes,
parce qu'il y a dans trois suppôts de la nature
humaine trois humanités ; au lieu que nous
appelons le Père, le Fils et le Saint-Esprit, non pas
trois dieux, mais un seul Dieu, parce qu'il n'y a
qu'une divinité dans les trois hypostases de la
nature divine. Quant aux noms qui expriment
l'essence adjectivement, nous les affirmons des
LA MISSION DES PERSONNES DIVINES 621
trois personnes au pluriel, à cause de la multipli-
cité des suppôts, et nous disons trois éternels, trois
incréés, trois immenses ; tandis que nous devons
dire un incréé, un immense, un éternel, quand
nous prenons ces mots comme des substantifs.
Les noms essentiels concrets se disent tantôt de
l'essence, tantôt d'une ou des trois personnes,
selon qu'ils sont accompagnés de mots qui se
rapportent à l'essence ou à la personne. Mais les
noms essentiels abstraits ne peuvent pas se dire de
la personne, ils ne s'appliquent qu'à l'essence. Les
Pères de l'Eglise, dans leur langage, approprient
certains attributs essentiels aux personnes de la
Trinité, et saint Thomas légitime leur manière de
dire.
ii. Saint Thomas termine son traité de la Trinité,
en parlant de la mission des personnes divines. Il se
demande si les personnes divines peuvent être
envoyées, et il répond : la mission implique deux
choses dans l'envoyé : un rapport avec celui qui
l'envoie et un rapport avec le terme où il est
envoyé. Le premier rapport forme toujours, dans
le délégué, une procession qui peut avoir trois
causes : le commandement, le conseil, l'origine. Le
second rapport, avec le terme, fait que le délégué
commence d'être dans un lieu, soit qu'il n'y fût
d'aucune sorte auparavant, soit qu'il y paraisse
d'une manière nouvelle. On voit par là que la
mission convient aux personnes divines sous deux
rapports, comme impliquant une procession d'ori-
gine, et comme créant une nouvelle manière d'être
dans un autre : ainsi le Fils a été envoyé par le
Père dans le monde ; car, bien qu'il y fût déjà, il
a commencé d'y être d'une nouvelle manière par
l'incarnation.
Auprès des créatures, la mission des personnes
022 LE CATÉCHISME ROMAIN
divines est temporelle. Ainsi la mission du Fils
visible pour être homme, invisible pour être dans
l'homme, est temporelle, s'accomplit dans le temps.
Cette mission invisible se consomme uniquement par
la grâce sanctifiante ; car elles sont envoyées pour
être dans un lieu d'une nouvelle manière et pour
être possédées par la créature. Or, cette présence et
cette possession s'accomplissent uniquement par le
don de la grâce justifiante. La sanctification de
l'homme, tel est le but de la mission des personnes
divines.
Mais qui, parmi les personnes divines, peut être
envoyé ? La mission divine impliquant une proces-
sion d'origine, seuls le Fils et le Saint-Esprit peuvent
être envoyés. Le Père, ne procédant pas, ne peut
avoir de mission, bien qu'il habite, lui aussi,
l'âme des justes, selon cette parole de saint Jean :
« Nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre
demeure)). Le Fils et le Saint-Esprit sont envoyés
invisiblement à tous ceux qui ont la grâce.
D'autre part, Dieu pourvoit aux besoins des êtres
selon leur nature. Or, la nature de l'homme est telle
qu'il va des choses visibles aux invisibles ; il fallait
donc que les mystères cachés dans le monde spiri-
tuel lui fassent révélés par le monde sensible. De
même donc que Dieu s'est manifesté lui-même et a
manifesté les processions divines par certains traits,
de même il convenait qu'il manifestât les missions
invisibles des personnes adorables par certaines
réalités visibles. Mais la mission du Fils devait se
révéler autrement que celle du Saint-Esprit. Le Fils
est principe de procession, tandis que FEsprit-Saint
procède, le Fils est la source de la sainteté, le Saint-
Esprit en est le don ; et c'est pourquoi ils ont été
envoyés, l'un comme l'auteur, l'autre comme le
signe de la sanctification.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS 623
Dans ces quelques mots, saint Thomas indique
le rôle du Verbe incarné et du Saint-Esprit pour la
rédemption et la sanctification des âmes ; et c'est ce
rôle que nous aurons à étudier avec plus de détail
dans la suite.
III. Notions erronées
et objections
La raison, en présence de ce mystère de la sainte
Trinité, est absolument impuissante à le deviner,
parce que rien en elle ou autour d'elle ne saurait
lui en suggérer l'idée. Eclairée par la révélation,
elle en connaît du moins l'existence, et elle cherche
alors à s'en rendre compte, sans toutefois pouvoir
se flatter de le pénétrer à fond. Le mystère reste le
mystère : c'est un mystère qui appartient exclu-
sivement à l'enseignement révélé, et dont la,
révélation expresse date des origines du christia-
nisme.
On a cru toutefois que l'esprit humain en avait
possédé quelque i^ée vague avant la révélation
messianique ; mais ni l'histoire des religions ni
l'histoire de la philosophie n'autorisent une telle
conjecture.
i. Quelques symboles religieux, antérieurs au
christianisme, offrent, il est vrai, de fugitives res-
semblances ; mais elles sont purement superficielles ;
elles répondent à des conceptions absolument diffé-
rentes et complètement irréductibles au dogme
chrétien.
L'histoire des religions signale, en particulier, la
triade égyptienne et la trimoûrti hindoue. En Egypte,
la triade n'est, en général, qu'une allégorie de la
société domestique : un dieu père, une déesse
6^4 LE CATÉCHISME ROMAIN
mère, un dieu fils ; c'est tout au plus la mémo
divinité sous trois aspects différents, quelque chose
qui ressemble à une espèce de sabellianisme anticipé.
M. Robiou (i), qui a spécialement étudié la ques-
tion, dit, à propos de la triade thébaine et d'autres
encore, que la présence d'une déesse à côté de deux
personnages masculins « implique une opposition
absolue avec l'idée de la trinité chrétienne. » Il
ajoute « que, dans tous les cas, l'Esprit ne figure
dans aucune des triades égyptiennes, » et que « cette
partie de la doctrine égyptienne n'est point un
écho, même indirect, d'une révélation primitive
touchant les trois personnes divines (2). »
2. Quant à la trimoûrti hindoue, ce n'est que la
fusion de trois cultes distincts, celui de Brahma,
celui de Vishnou et celui de Çiva : « Brahma,
Vishnou, Çiva sont et ils ont été dès l'origine trois
divinités distinctes, dit M. de Harlez (3). Vishnou est
cité dans les Védas, alors que Brahma n'existait
pas encore, c'est-à-dire n'avait point encore été
imaginé. Mais Vishnou n'est là qu'un Dieu secon-
daire, personnification accessoire de la force géné-
ratrice et conservatrice du soleil. Dans la plupart
des Brahmanas et dans les Lois de Manou, c'est-à-dire
dans les livres des brahmanites, Vishnou est encore
un Dieu inférieur, placé bien au-dessous de Brahma;
dans le Bhagavad-gîta le Harivansa et les autres
livres vishnouites, il est, au contraire, le Dieu
suprême, l'être universel. Çiva est inconnu aux
1. Théologie de V ancienne Egypte, dans le Compte rendu du
Congrès scientifique de 1891, Paris, 1891, IIe sect., p. 244-245.
— 2. Sur les triades égyptiennes, cf. de Rougé, Etude sur le,
rituel funéraire, p. 45, 75-78 ; Grébaut, Mélanges d'arche, égypt.
et assyr., p. 247-254; Pierret, Essai sur la myth. égypt., p. 46-52.
— 3. Art. Trinité dans le Diction, apologétique de Jaugey, Paris,
1889, p. 3ii9-3i20.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS 625
Védas ; dans les livres postérieurs il apparaît et
semble se confondre avec le Dieu des tempêtes Rudra,
puis il s'en sépare et devient à son tour, dans cer-
tains livres, la divinité principale. Ces trois dieux
restèrent donc séparés jusqu'à ce que les Brahmanes,
longtemps après la diffusion de l'Evangile, voulant
rallier toutes les sectes, eussent formé des trois
principales divinités une triade suprême, dans
laquelle chacun pouvait choisir son Dieu favori
pour le mettre à la tête des autres. Mais pour con-
server auprès de leurs initiés la notion du panthéisme,
il imaginèrent de dire que ces trois dieux n'étaient
que des manifestations diverses de l'être absolu.
Ils désignèrent le groupe par le nom de Trimoûrti,
c'est-à-dire « triple forme. »
3. Platon a passé longtemps pour avoir eu
quelque soupçon de la Trinité. S'il l'a voilé, c'est
par peur des accusateurs de Socrate, affime saint
Cyrille d'Alexandrie (i). Et l'on sait que saint Augus-
tin estimait avoir trouvé dans les livres platoniciens
de frappantes analogies avec la doctrine chrétienne
du Verbe (2). Dans Platon, il est vrai, on rencontre
à plusieurs reprises une triade, mais assez A^ague,
inconsistante, jamais la même (3). Ce grand génie
reconnaît l'existence d'un Dieu éternel, intelligent,
tout-puissant et bon en face d'une matière éternelle
et confuse. Ce Dieu possède un Logos, raison de
toute chose, mais un Logos semblable au verbe
humain, plus parfait, mais qui n'est pas un être
subsistant. Ce qui subsiste, aux yeux de Platon,
c'est le plan de l'univers, l'archétype du monde,
l'idée exemplaire, mais qui n'est pas à confondre
avec le Logos. Ce Dieu est père, et le monde, distinct
1. Cont. JuL, t. — 2. Confes., VII, ix ; Patr. lat., t. xxxn,
col. 740. — 3. Tiwée, xxxvn ; Répub., vu.
LE CATÉCHISME. — T. I. 40
626 LE CATÉCHISME ROMAIN
du Logos et de l'archétype, est son fils. Enfin une
âme universelle, dont on ne saurait dire si elle est
une émanation de Dieu ou un produit de la matière,
est répandue dans tous les êtres. Où voir dans tout
cela une image même lointaine de la Trinité chré-
tienne ?
4. Le juif Philon, contemporain de Notre-Sei-
gneur, essaya d'élaborer une théorie de Verbe, en
mêlant les idées platoniciennes aux données
bibliques. Selon lui, Dieu, être transcendant,
abstrait, indéterminé, ne peut entrer en contact
direct avec la matière éternelle. Il n'agit sur elle
que par des intermédiaires émanés de lui, les Idées,
Verbes intérieurs se manifestant extérieurement
dans le monde matériel. Le plus parfait de ces
intermédiaires, le Logos, l'Idée suprême, éternel,
qu'est-il ? On ne réussit pas à savoir si Philon le
regarde comme une simple puissance divine, comme
un attribut, ou s'il y voit une personne distincte.
Bien qu'il l'appelle parfois le fils premier-né, il
semble n'être qu'un Dieu subalterne, une sorte de
démiurge. Nous sommes encore loin de la Trinité
chrétienne.
Mais l'influence du platonisme alexandrin, grâce
à Philon, se fit sentir chez les Pères apologistes,
notamment sur la double conception du Verbe
intérieur et proféré (1). Dans la suite, nous avons
vu aux prises les unitaires ou monarchiens avec les
trinitaires qu'ils accusaient de dithéisme ; puis la
lutte des Pères grecs et latins contre l'arianisme»,
l'intervention des conciles dans la définition des
dogmes de la Trinité ; nous avons passé sous silence,
nous réservant d'y revenir plus tard en traitant du
1. Voir notre article Pères apologistes, dans le Dictionnaire
de théologie, 1, col. i58o-i6oa.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS 627
Saint Esprit, la querelle suscitée par le filioque.
5. Au moyen âge, pendant que les ans, comme
Roscelin (xie s.), Gilbert de la Porrée, évêque de
Poitiers de 1142 à n54, et le calabrais Joachim,
abbé de Flore (n 30-1202), versaient dans le tri-
théisme, etque les autres, comme Abélard(io79-i 142),
tombaient dans le modalisme ou le subordinatia-
nisme, l'orthodoxie était défendue par saint Anselme
(io33-nog), saint Bernard (109 i-ii53) et les grands
Bcolastiques. L'erreur pourtant reparut, au xvi° siècle,
avec les sociniens, qui renouvelèrent le modalisme
ou sabellianisme, et au xviii6 avec les anglais
Whiston et Clarke, qui, en 1711 eti7i2, reproduisi-
rent la théorie subordinatienne des semi-ariens.
Avec le xixe siècle, le rationalisme repousse la
trinité chrétienne comme un dogme inacceptable
pour la raison et essaie, concurremment avec le
panthéisme, d'en donner une explication ration-
nelle. Pour les panthéistes allemands, à la suite de
Hegel, la trinité c'est l'idée qui évolue, l'idée qui
devient le monde, et le rapport du monde à l'idée,
du devenu au devenir. Pour les panthéistes français,
les mots changent, mais la théorie ne varie pas. La
trinité c'est l'infini, le fini et le rapport du fini à
l'infini ; ou encore l'unité, la variété et le rapport
de la variété à l'unité ; ou comme dit Cousin, « une
triplicité qui se résout en unité et une unité qui se résout
en tripticité. » Cousin ajoute que c'est là « le Dieu
trois fois saint que reconnaît et adore le genre
humain, le fond même du Chritianisme (1). »
6. Même après le concile du Vatican, qui a
condamné le rationalisme et le panthéisme, et qui,
dans les doctrines de Gûnther, a frappé une nouvelle
conception de la trinité sous forme de trithéisme,
x. Cousin, Introduction à l'histoire de la philosophie, leç. V.
628 LE CATÉCHISME ROMAIN
■■ " ' ' .. 1 . . .i 1 ■ ■-...— ...-■■ 1 ■■ . „, . | ^
l'erreur n'a pas désarmé ; elle recourt à des expli-
cations subtiles, dont la parenté avec le panthéisme
ne saurait faire doute. Ne lisons-nous pas, en effet,
en 1902, sous la plume de M. Marcel Hébert, les
lignes suivantes : « La Réalité, en tant qu'elle se
manifeste comme une puissance active, ne représente
ni une toute puissance, ni une toute science, ni une
toute bonté, bien plutôt une gigantesque, une incom-
mensurable force qui, à tâtons, sans jamais se lasser,
poursuit, à travers d'innombrables essais, son incessant
effort vers le mieux, vers l'Idéal. Cet Idéal, loi vivante,
vraie vie de toute vie et non loi abstraite comme celles
d'un manuel de physique ou de chimie, la Réalité le
porte en elle-même comme la loi propre de son évolu-
tion; voilà pourquoi, en définitive, la résultante des
forces du monde est orientée dans le sens du bien (1).»
7. Et voici enfin ce qu'un esprit très cultivé a pu
écrire, sans s'apercevoir de la confusion grossière
qu'il faisait, au sujet du mystère de la Trinité :
a Dire qu'il y a trois personnes en Dieu, c'est dire
qu'il y a en Dieu trois individualités distinctes. D'autre
part, cependant, la formule du mystère déclare qu'il
n'y en a qu'une, celle de Dieu même : le Père est
Dieu ; le Fils également ; le Saint-Esprit également ;
les trois personnes divines ne sont qu'un seul et
même être individuel (2). »
M. Sully Prudhomme n'est pas le seul à prêter à
la formule du dogme trinitaire un sens qu'elle n'a
pas et à l'accuser par suite d'être incompréhensible
ou absurde. Combien, en effet, de la meilleure foi
sans doute, mais peu conformément à la logique,
s'appuyant sur l'identité que le dogme reconnaît
< 1. La dernière idole, dans la Revue de métaphysique et de
morale, juillet 1902, p. 402. — 2. Sully Prudhomme, La vraie
religion selon Pascal, Paris, 1905, p. 393.
NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS 62 Q
entre l'essence divine et chacune des personnes,
concluent à l'identité des personnes entre elles !
On invoque le principe d'identité; mais on oublie
que ce principe n'a son application rigoureuse que
s'il s'agit d'une identité absolue ; car la moindre dif-
férence, ne serait-ce qu'une différence de raison,
suffît à l'infirmer. Or, il y a longtemps que saint
Thomas et tous les théologiens avec lui ont fait
observer que, dans la Trinité, l'identité n'est pas
absolue. Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient
la même essence, la même réalité divine, le dogme
l'affirme. Mais le dogme affirme, en outre, que ce
qui fait que le Père est Père, et que le Fils est Fils
et que le Saint-Esprit est Saint-Esprit est quelque
chose de distinct. Et, dès lors, l'application du
principe va simplement à dire ceci : toutes réalités
identiques à une troisième sont identiques entre
elles uniquement sous le rapport formel qui les fait
identiques à cette troisième, mais non pas dans
leur totalité. Or, dans la Trinité, s'il est vrai que
les personnes sont identiques à l'essence divine,
c'est à-dire selon l'être divin et les attributs abso-
lus, il n'est pas moins vrai que les personnes divi-
nes restent distinctes entre elles précisément par ce
qui les fait être telle ou telle personne ; car la
notion spécifique qui répond à Père n'est point celle
qui répond à Fils ou à Saint Esprit ; et la notion spéci-
fique qui répond à personne n'est pas la même qui
répond à essence. Le point de vue diffère ainsi que la
réalité. Les personnes divines s'opposent l'une à l'au-
tre par leurs relations d'origine. En conséquence, le
dogme catholique n'enseigne nullement que trois
ne font qu'un, ni qu'un c'est trois ; il enseigne que
les trois personnes sont réduites à l'unité par la
possession de la même et unique essence ; et il en-
seigne également que cette même et unique essence
630 LE CATÉCHISME ROMAIN
n'est pas possédée par les trois de la même manière
ni sous le même rapport : la première, la possède
de plein droit; la seconde, par communication
génératrice; la troisième, par procession d'amour.
Après le principe d'identité qui porte sur l'être,
on invoque le principe de contradiction qui porte
sur l'opération de notre esprit. La difficulté se
résout de la même manière. L'affirmation et la néga-
tion ne peuvent être vraies toutes les deux simulta-
nément d'un même objet; rien de plus exact, s'il
s'agit d'un objet qui soit tout à fait le même et abso-
lument sous tous les rapports ; mais il n'en est pas
ainsi s'il s'agit d'un objet qui, quoique matérielle-
ment et réellement le même, n'est pas le même
formellement ; et c'est ce dernier cas qui se réalise
dans la formule trinitaire (i).
Avec le catéchisme il faut dire : En Dieu, ni unité
de personne, ni multiplicité de natures, mais une
seule nature et trois personnes, ou un seul Dieu en
trois personnes.
i. La Sainte Trinité, d'après saint Grégoire de
Nazianze. — « Avant tontes choses, dit-il en s'adres-
sant aux catéchumènes, gardez-moi ce bon dépôt, pour
lequel je vis et je combats, avec lequel je veux mourir,
qui me fait supporter tous les maux et mépriser tous les
plaisirs de la vie : je veux dire la profession de foi en le
Père et le Fils et le Saint-Esprit. Je vous la confie aujour-
d'hui. C'est pour elle que je vais tout-à-1'heure vous plon-
ger dans l'eau et vous en élever. Je vous la donne pour
compagne et patronne de toute votre vie. Je vous donne
une seule Divinité et Puissance, Une dans les Trois, et
contenant les Trois d'une manière distincte. Divinité sans
disparate de substance ou de nature, sans degré supérieur
i. Voir, à ce sujet, un article de P. Pègues dans la Revue
thomiste, 1901, p. 694-715.
LA. SAINTE TRINITÉ 63 1
qui élève ou degré inférieur qui abaisse, de toute façon
égale, de toute façon la même, comme dans le ciel beauté
et grandeur ne sont qu'un. C'est de trois infinis l'infinia
connaturalité, Dieu tout entier, chacun considéré en soi-
même, aussi bien le Fils que le Père, aussi bien le Saint-
Esprit que le Fils, chacun pourtant conservant son
caractère personnel ; Dieu les Trois considérés ensemble.
Chacun est Dieu à cause de la consubstantialité ; les Trois
son Dieu à cause de la monarchie. Je n'ai pas commencé
de penser à l'Unité, que la Trinité me baigne de sa splen-
deur. Je n'ai pas commencé de penser à la Trinité, que
l'Unité me ressaisit. Lorsqu'un des Trois se présente à
moi, je pense que c'est le tout, tant mon oeil est rempli,
tant le surplus m'échappe ; car dans mon esprit trop
borné pour comprendre un seul, il ne reste plus de place
à donner au surplus. Lorsque j'unis les Trois dans un
même concept, je vois un seul flambeau sans pouvoir
diviser ou analyser la lumière unifiée. » Orat. xl, 4i (i);
trad. du P. de Régnon.
2. Difficulté et attrait du mystère de la Trinité.—
« Que reste-t-il des objections contre le mystère de la
sainte Trinité ? Il reste que la possession de la même
nature par trois personnes est une chose qui dépasse la
portée de l'expérience humaine et dont nous accroissons
d'ailleurs comme à plaisir l'obscurité par les images sen-
sibles que nous sommes tentés d'introduire dans l'ex-
position du dogme ; ces images sont des analogies qui
aident notre intelligence à concevoir le sens du mystère,
mais on aurait tort d'y chercher des explications. Arrivés
à ce point, nous sommes obligés de nous arrêter, il est
vrai, parce que le mystère est en face de nous et que
notre vue est trop faible pour sonder ses profondeurs.
Peut-être même paraît-il plus obscur quand on a essayé
de le regarder d'un œil respectueux. Mais ceci ne doit
point surprendre : lorsqu'on a gravi la cime du Gauri-
sankar, on s'est rapproché des limites extrêmes de
l'atmosphère terrestre ; mais l'homme n'en est averti que
i. Pair, gr., xxxvi, col. 417.
G32 LE CATECHISME ROMAIN
par la teinte toujours plus sombre qui succède au bleu
du ciel, le froid qui devient plus vif, l'air qui manque à
la respiration.
« Est-il possible, cependant, d'ajouter quelque chose
aux réponses ordinaires des théologiens ? Doit-on se tenir
exclusivement sur la défensive, et la splendeur du mys-
tère n'a-t-elle donc aucun attrait ?
« On a remarqué souvent que le mystère de la sainte Tri-
nité, bien qu'inaccessible à l'esprit humain, complétait ad-
mirablement ce que la raison nous apprend de Dieu. Quand
le spectacle des créatures et de nous-mêmes nous a fait
connaître l'existence de Dieu et ses attributs, nous con-
cevons l'idée de l'Etre infini et parfait ; mais nous ne
savons rien encore de sa vie intérieure. Si l'esprit de
l'homme est seul capable de savoir ce qui se passe en lui,
à plus forte raison Dieu seul doit-il contempler le secret
de sa vie. Mais, d'autre part, nous ne pouvons douter que
cette vie intime ne soit la plus profonde des réalités :
Dieu, source inépuisable de vie pour tous les vivants,
doit vivre pour soi avant de vivre pour les autres. Cette
ignorance de la vie mystérieuse de Dieu est sans doute
l'une des raisons pour lesqi-îfilles la religion naturelle est
frappée de stérilité : elle conçoit Dieu en dessus des
créatures comme une unité solitaire, abstraite et froide.
L'homme s'intéresse peu à un Dieu dont l'action paraît
toute extérieure, dont on n'aperçoit pas le mouvement
vital interne ; c'est qu'en effet son expérience et sa cons-
cience lui montrent la vie comme un acte intime à l'être
vivant. Qu'il apprenne donc à estimer à sa juste valeur la
révélation qui a déchiré pour lui ce nuage opaque sous
lequel la vie divine se cache. Dieu a daigné manifester
aux hommes le mystère de sa vie ; et voilà que les hommes
se récrient et qu'ils déclarent impossible ou absurde ce
qu'il ne comprennent pas. Attendent-ils donc pour fléchir
les genoux et pour adorer qu'ils aient compris Dieu
en lui-même ? Mais alors le rêve insensé des panthéistes
serait devenu une réalité : Dieu aurait pris conscience de
lui-même en l'esprit humain, et l'homme n'adorerait plus
que l'humanité.
LA SAINTE TRINITÉ 633
« Quand l'Absolu lève un coin du voile sous lequel il
se dérobait à nos yeux, le mystère non seulement ne doit
pas effrayer la raison, mais il s'impose à elle comme le
signe nécessaire de la vérité. La vie divine ne saurait être
à ce point accessible que toute obscurité en soit bannie
pour nous, et si elle se laissait pénétrer de part en part
au regard de l'homme, j'oserais dire qu'elle ne valait pas
la peine d'être regardée, car nous jetons un coup d'oeil
fugitif sur les idées trop claires et les choses trop faciles
à comprendre, mais nous contemplons longuement ce
qui retient une part de mystère. A mesure que nous
descendons plus profondément dans les problèmes de la
métaphysique, le mystère croît avec la profondeur; pour-
quoi voudrait-on que la vie intime de Dieu se présentât à
nos regards comme une surface plane, et non comme un
abîme que l'œil ne peut sonder ? Ces exigences dénotent
en ceux qui les prennent au sérieux une ignorance totale
des conditions du problème divin et une recherche
exagérée des clartés superficielles ; les vrais métaphysi-
ciens ne redoutent pas tant certaines obscurités néces-
saires.» J. Souben, Nouvelle théologie dogmatique, n, Les
personnes divines, 2' édit., Paris, 1903, p. 95-97.
FIN DU PREMIER VOLUME
4* & làt àc gte ièt >t/4 4k É* Ê* Sts É* ïfe ?fe Sfef ES SES îfe
*^i# «-^j «^kj *^j »^-» *-^* « /^* ■ ^» %^» *y^j %JK* %./p» *./£<» %/^j %^> *^._» »^» «^t*
rA* rA^ r^» rà*\ r$*% rA» r^» *-A» f^i <^* rA-» «^* «"A-» i^» «^» *^» oftf» cAf»
4* 4y 4e *$* *$* 4* *$* 4* *¥ 4* 4* 4* 4* 4* 4^ 4e 4^ 4^
Table des Matières
CONTENUES DANS CE PREMIER VOLUME
Encyclique Acerbo nimis t
Préface • • • • • • xn
Introduction • • • • • • t
La Catéchèse : I. La catéchèse pendant les
deux premiers siècles. — II. La catéchèse du
commencement du in* siècle à la fin du v*. —
III. La Catéchèse de la fin du v* siècle au ixa.
Le Catéchisme avant le Concile de Trente.
I. Pendant la période Patristique. — II. Du v*
au vne siècle. — III. Sous Charlemagne et du rx#
au xie siècle. — IV. Au xn° et xme siècles. — V.
Au xiv* et xve siècles. — VI. Première moitié du
xvie siècle.
Le Catéchisme pendant et après le Concile
de Trente : I. L'œuvre du Bienheureux Canisius.
— II. Le Catéchisme Romain. — III. Projet d'un
petit Catéchisme universel. — IV. Préface du
Catéchisme romain.
Leçon Première : Symbole des Apôtres 79
I. Le mot Symbole : Etymologie et significa-
tion. — H. Le Symbole des Apôtres : i° Son
texte, a0 Son origine, 3° Son attribution aux
Apôtres, 4° Son autorité, 5° Sa division et son
contenu.
Leçon Deuxième : Autres Symboles • • 109
I. Le Symbole de Nicée-Constantinople: i* Son
origine, a0 Son texte, 3° Son usage, 4° Son auto-
rité. — II. Le Symbole de Saint-Athanase : i#
Son texte, a0 Son origine, 3* Son importance.
Leçon Troisième : Les professions de foi i37
636 LE CATÉCHISE ROMAIN
I. Les professions de foi : i° d'IIormisdas, 2° de
Léon IX, 3° de Clément IV, 4° d'Eugène IV, 5°
de Grégoire XIII, 6° d'Urbain Vlil et de Benoit
XIV, 7° d'Innocent III. — II. La profession de
foi de Pie IV : i° Date, 2° texte, 3<> usage.
Leçon Quatrième : Immutabilité et progrès i5o
I. Immutabilité : i°La révélation est complète
depuis les apôtres; 2° La règle de foi dans les
premiers siècles ; 3» La doctrine de saint Vincent
de Lérins ; 4° L'enseignement du Vatican. —
II. Progrès : i<> Son objet; a0 Ses caractères;
3° Sa marche; 4° Ses limites.
Xeçon Cinquième : Du Dogme 182
I. Notion catholique du dogme : i° Sens éty-
mologique ; 2° Objet ; 3» Formule ; 4° Carac-
tères. — II. Théorie de M. A. Sabatier : i° Ses
objections ; 2° Sa théorie.
Leçon Sixième : Du Dogme 2i4
I. Le dogme d'après [M. Loisy : i° Dans « l'É-
vangile et l'Eglise » ; 2° Dans « Autour d'un petit
livre. » — II. La question de M. Le Roy :
Qu'est-ce qu'un dogme ? i° Motifs allégués pour
ne pas admettre la notion traditionnelle ; 2° So-
lution proposée.
Leçon Septième : De la Foi 255
I. L'enseignement du Catéchisme romain. —
IL L'enseignement du Concile du Vatican.
— III. Définition de la Foi. — IV. Le motif de
la Foi ou son objet formel. — V. Les motifs de
crédibilité.
Leçon Huitième : De la Foi 291
I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans
l'acte de Foi. — IL De la nécessité de la Grâce.
— III. Les propriétés de la Foi. — IV. Concep-
tion nouvelle de la Foi.
Leçon Neuvième : De la Foi et de la Raison 33o
I. Deux ordres de connaissance. Les mystères
de la Foi. — IL Rôle de la raison dans la con-
TABLE DES MATIERES 63*]
naissance des mystères de la Foi. — III. Ni
opposition ni désaccord entre la foi et la raison.
— IV. La foi et la raison se prêtent une aide
mutuelle.
Leçon Dixième : Existence de Dieu 374
Peut-elle se prouver par la raison ? I. Erreurs.
— II. Enseignement du Catéchisme romain.
— III. Définition du Concile du Vatican. —
IV. Puissance de la raison.
Leçon Onzième : De Dieu 4o6
L'existence de Dieu est un dogme de la rai-
son : Ses preuves. — I. Preuves psychologiques.
— II. Preuves morales. — III. Preuves de saint
Thomas.
Leçon Douzième : De Dieu ...«,, 434
L'existence de Dieu est une vérité révélée.
— II. C'est un dogme de foi catholique. —
III. Y a-t-il des athées ?
Leçon Treizième : De Dieu 457
De la nature de Pieu. — I. Méthode à suivre.
— II. Division des attributs. — III. De quelques
attributs. — IV. Enseignement du Concile du
Vatican : Condamnation du Panthéisme.
Leçon Quatorzième : De Dieu 489
I. Science de Dieu. — IL Volonté de Dieu.
III. Difficultés.
Leçon Quinzième : De Dieu. Toute-Puissance et
attributs moraux 520
I. Texte du Catéchisme romain. — IL Toute-
puissance de Dieu. — III. Attributs moraux.
Leçon Seizième : De la Sainte Trinité 547
L Les formules. — IL La preuve scripturaire ;
i° Dans l'Ancien Testament, 20 Dans le Nouveau.
Leçon Dix-septième : De la Sainte Trinité 571
La preuve patristique : I. Aux deux pre-
miers siècles. — IL Fin du 11e et 111e siècle. —
III. ive siècle. — IV. L'œuvre de saint Augustin.
638
LE CATECHISME ROMAIN
Leçon Dix-huitième : De la Sainte Trinité
I. Exposé du Mystère. — II. Enseignement de
Saint Thomas. — III. Notions erronées et ob-
jections.
601
FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME
A LA MEME LIBRAIRIE :
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
OU
Saint Thomas d'Aquin
médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET ANNOTÉE AVEC LE PLUS GRAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MODERNE
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RECENTES DECISIONS DE L'ÉGLISE
ET LES DERNIÈRES DECOUVERTES DE LA SCIENCE
augmentée d'un volume de tables générales
très complètes de tout l'ouvrage
par M. l'Abbé BOUGAL
Docteur en Théologie et en Droit canonique
12 Volumes in-8 égu 72 Francs
A qui servira notre ouvrage ? au prêtre surtout : II trouvera là tout
ce qui lui est nécessaire pour son ministère sacerdotal, pour sa
sanctification et pour celle des autres. Veut-il comme un mémorial de toutes ses
études théolQgiques ? Il le trouvera là : toutes les questions dogmatiques y sont
traitées, toutes les grandes thèses de la Théologie sont démontrées avec une lucidité
et une logique parfaites. Réclame-t-il un !§»erinonaire pour ses ins-
tructions du dimanche et des fêtes ? Qu'il ouvre ce livre : il
y puisera sur tous les sujets les plus hautes et les plus solides
considérations : et qu'il ne craigne pas de ne rencontrer dans
cette moelle de Saint Thomas que des théories ou de la spécu-
lation, il sera surpris de toutes les conséquences pratiques et
admirablement pieuses que notre auteur a fait jaillir du
dogme comme du roc jaillit le feu.
En un mot :
« Il est inconstestable que bien peu de livres, parmi la multi-
tude que nous offre, dans ce genre, une presse toujours active,
traitent des vérités chrétiennes avec cette clarté, cette sûreté
de doctrine, cette méthode et cette heureuse sobriété dans les
développements qui permettent au prêtre d'y puiser, sans
perdre de temps, la matière de solides instructions. :^
Ajoutons que cet ouvrage présente une triple utilité pour le prêtre.
Il peut lui servir ;
lo l»l<: SOMME DE PRÉDICATION :
2 a DE LIVRE DE MÉDITATION ;
:î DE SOMME THÉOEOUIQUE.
Bergerac. — Imp. Générale du Sud-Ouest, J. Castanht, place des Deux-Conils.
AUG 2 8 2007
*a^
^ ' ' ' ' o ** r
nr n^^A.r
^«A ^
^aÏAA*^
' *,>A^
•^AAA
^aa^aaA,
AAAA
^>%0^o ^^^^.:^
^,, -V- AA
^.aC-aOa/sAO
^r^w.i
~ r- .r. r r- r\ ? rs »
(sâkQsw
A * a ■ r»
'.' " A S "- y
iumm^
s A
*A*Ar^
lUHWîV^'
VAAA
'^%n^^-^k\Ari^r\A^^
■A/n/va
r> ' ''A^A.^A
^AA:
^Hw
'-;AMa^a
mÊÊËÊÊÊÊÊmm
a:^^^o,âa
Î^OW^^WA
AA' aAaa ^^
.... . *A**r\^
A^ÂAA^
aaaa^^>
^i*KftoÀ<^n' r' *'
,^ *' K 1 * r
J^A^AA'V'VA
^A^aAa
- ^aa^a^a^^^^aC^v^c
^AaAaA^>^-a^aa^" aaaa*'>%a*aa>^ A'
A A A ' V A
^a%o
~? 'T *N r\V - > < f\y>*o
^AAX
*w*m*^^
'^jÇ.AA«iftr"^
^^aa^a^^^A^* r' n- *WaaP#2a<
A^AaAa.a.a
àa'W,/?
WâS^aW
#YVM
- A
AW^f
:û^
rvApA
A '/* A
'^.^AO^ -
aa,*a;a
ao<*aa<~"~
^**A^^ _v^ ^ >^^
'Aa^aa^^^aA*^*^*^
>^»^«M«is
iz-N^A^v^' A
L'A"1
aaaaa^aA.aa'V -"«^n;r^>AAA
*/A Aa,
.
«ftwjmri
■
1
. :