Skip to main content

Full text of "Le catéchisme romain : ou, L'enseignement de la doctrine chrétienne; explication nouvelle"

See other formats


;  -y^A^^^A^: 


*>:2£^ 


^  ^  J  */* 


AA^.w^r^ 


*A*A* 


^p£*A 


^A^^^.rA^>A'^A 


^r\, 


'^r\A 


r.^^o, 


^^*^*«^fr*^*!^r^ 


\/}R!W". 


Maa' 


hK*ftH«fV 


lS^C!^^^^AC5^ 


-y^^^£ 


A/N.A/> 


:^PPP^^ 


l^pv^ 


**** 


Afifcfà; 


^r?  ;  -  £  /^  , 


^^^^m^Mvu 


~     "»  O     7    h    Jm.    •"> 


\  ^\  -^ ..         ~- .  .      ^  ^> 


IftKfïM, 


>MW; 


--  -  ^^ 


rSf:a#  WVV 


^CAi-yg! 


.  -  s    -  |  v  - 


:  aAâ^aaaAàaâ  *aA 


/■>  ^  /*.  '  'n  ^ 


^^>aMa^a^/. 


^:«M^ 


^^fif^ 


"VAAA^ 


'r>^/v     rH^ 


>^AM^ 


;~>^-^^^ 


**^ 


^a^.aAA^ 


^a^^s^iMS 


^^nA*.\.^ 


•^/Si^^-AV  :.c^ 


§^£j^ 


O'""     C   *s  a  /T  " 


■A,P^^ 


k&a#*^ 


^^^A^A.^A' 


O^C^'O^a* 


:^i«M^fâ? 


A^AA 


a^a< 


aaC'A 


^AAA,^r^°rvV      ^^r  -    ,,,aa,w,a^ 

A>vAft;       ^A/vw^A/y>â/?/^/^'',    -c^  Y 


c/> 


(  LIBRARY  1 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2012 


http://www.archive.org/details/lecatchismeromv3p2bare 


^GHAft" 


^1 

V: 


5RARY 


en 

m 


Wi- 


LE  CATECHISME 

ROMAIN 

OU  L'ENSEIGNEMENT  DE  LA 

Doctrine  Chrétienne 

EXPLICATION    NOUVELLE 

PAR 

Georges  BAREILLE 

Docteur  en  théologie  et  en  droit  canonique 
Chanoine  honoraire  de  Toulouse 


Instaurare  omnia    in  Christo. 
Tout  restaurer  dans  le  Christ. 

Eph.,  I,  10. 

TOME   TROISIÈME 

DEUXIÈME  PARTIE 

La  Grâce  et  les  Sacrements 

i 


MONTREJEAU 

(Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés 


LE 

Catéchisme  Romain 

OU  L'ENSEIGNEMENT  DE  LA 

Doctrine  Chrétienne 


NIH   L  OBSTAT 

Tolosœ,  die  10  januarii  1908. 
Ph.-H.  Dunand, 

Can.  theol.  censor. 


IMPRIMATUR 


Tolosœ,  die  15  januarii  1908. 

f  AUGUSTINUS, 

A.rch.  Tolosanus. 


L'éditeur  se  réserve  tous  les  droits  de  reproduction 
et  de  traduction 


Ce  volume  a  été  déposé  conformément  aux  lois 
en  février  1908 


LE  CATECHISME 

ROMAIN 

OU  L'ENSEIGNEMENT  DE  LA 

Doctrine  Chrétienne 

EXPLICATION   NOUVELLE 

PAR 

Georges  BAREILLE 

Docteur  en  théologie  et  en  droit  canonique 
Chanoine  honoraire  de  Toulouse 


Instaurare  omnia    in  Christo. 
Tout  restaurer  dans  le  Christ». 

Eph.,  I,  10. 

TOME   TROISIÈME 

DEUXIÈME  PARTIE 

La  Grâce  et  les  Sacrements 

i 


MONTRE  JEAU 

(Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

*  Droit;,  de   rjproductioo    et  de   traduction  réservés 


*"^S^<'C§j"^t'§j<*î^ô"^^§j<>»>^»    »^»    «-&*    »<S»    »&»    hP    jP    •^J    jP    "&*    «*%■*    *&»    JE 


ENCYCLIQUE 

«  PASCENDI  DOMINICI  GREGIS  » 
sur  le  Modernisme 


Gravité    des    erreurs    modernes    (ij.    —    «  Ce 

qui  exige  surtout  que  nous  parlions  sans  délai,  c'est  que, 
les  artisans  d'erreurs,  il  n'y  a  pas  à  les  chercher  aujour- 
d'hui  parmi  les  ennemis  déclarés.  Ils  se  cachent,  et 

I.  Cette  magnifique  Encyclique  du  8  septembre  1907  est  appelée  à 
un  grand  retentissement  et  marquera  une  date  célèbre  dans  l'histoire 
de  l'Eglise.  Il  en  est  peu,  dans  le  passé,  qui  l'égalent  en  importance  ; 
car  elle  englobe  dans  une  vue  synthétique  tout  ce  que  le  mouvement 
de  la  pensée  moderne,  en  opposition  avec  la  révélation  et  le  surna- 
turel, entraîne  de  principes  erronés  et  d'idées  fausses.  Ce  n'est  plus 
seulement  tel  ou  tel  dogme  qui  est  battu  en  brèche,  c'est  l'idée  même 
du  dogme,  c'est  la  nature  de  la  foi  dans  ses  racines  profondes,  c'est 
le  catholicisme,  et,  c'est  tonte  religion,  qui  sont  sapés  de  fond  en 
comble.  En  groupant  dans  un  système  cohérent  la  doctrine  des  mo- 
dernistes, jusque  là  éparse  et  comme  noyée  ou  dissimulée  dans  de 
nombreuses  publications  parues  depuis  une  dizaine  d'années,  et  d'au- 
tant plus  dangereuse  qu'elle  se  paraît  d'un  faux  zèle  pour  la  vérité  et 
pour  les  intérêts  religieux  de  l'Eglise,  S.  S.  Pie  X  a  magistralement 
dénoncé  le  péril.  Il  en  a  montré  les  faux  points  de  départ,  la  marche 
insidieuse,  le  lien  logique,  les  aboutissements  dangereux,  les  funes- 
tes conséquences  ;  car,  en  dépit  des  apparences,  c'est  bien  un  tout 
lié,  «  un  corps  parfaitement  organisé,  dont  les  parties  sont  si  bien 
solidaires  entre  elles  qu'on  n'en  peut  admettre  une  sans  les  admettre 
toutes.  »  Et  en  le  qualifiant  de  rendez-vous  de  toutes  les  héré- 
sies, de  ruine  de  la  religion  catholique  et  d'anéantissement 
de  toute  religion,  le  Pape  le  dénonce  et  le  condamne. 

Impossible  donc,  à  l'heure  qu'il  est,  d'avoir  le  moindre  doute  sur 
l'idée  qu'il  faut  avoir  du  modernisme.  Quelle  que  soit  la  valeur 
intellectuelle  et  scientifique  de  ses  fauteurs,  et  quelque  séduisants 
qu'aient  p»i  paraître,  aux  yeux  de  personnes  mal  averties,  les  ouvra- 
ges où  ils  ont  condensé  leur  doctrine,  tels  que  les  Etudes  évangéliques9 
V Evangile  et  l'Eglise,  Autour  d'un  petit  livre,  Dogme  et  critique  en- 
tre autres,  on  doit  tenir  pour  condamné  le  modernisme, 

LE   CATÉCHISME.  —  T.  III.  X 


1J 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


c'est  un  sujet  d'appréhension  et  d'angoisse  très  vives, 
dans  le  sein  même  et  au  cœur  de  l'Eglise,  ennemis  d'au- 
tant plus  redoutables  qu'ils  le  sont  moins  ouvertement. 
Nous  parlons  d'un  grand  nombre  de  catholiques  laïques 
et,  ce  qui  est  encore  plus  à  déplorer,  de  prêtres  qui, 
sous  couleur  d'amour  de  l'Eglise,  absolument  courts  de 
philosophie  et  de  théologie  sérieuses  (i),  imprégnés  au 
contraire  jusqu'aux  moelles  d'un  venin  d'erreur  puisé 
che^  les  adversaires  de  la  foi  catholique ',  se  posent,  au 
mépris  de  toute  modestie,  comme  rénovateurs  de  l'Egli- 
se ;  qui,  en  phalanges  serrées,  donnent  audacieusement 
l'assaut  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  dans  l'œuvre  de 
Jésus-Christ,  sans  respecter  sa  propre  personne  qu'ils 
abaissent,  par  une  témérité  sacrilège,  jusqu'à  la  simple 
et  pure  humanité. 

«  Ces  hommes-là  peuvent  s'étonner  que  nous  les  ran- 
gions parmi  les  ennemis  de  l'Eglise.  Nul  ne  s'en  étonnera 
avec  quelque  fondement  qui,  mettant  leurs  intentions 
'à  part>  dont  le  jugement  est  réservé  à  Dieu,  voudra 
bien  examiner  leurs  doctrines,  et,  conséquemment  à 
celles-ci,  leur  manière  de  parler  et  d'agir.  Ennemis  de 
l'Eglise,  certes  ils  le  sont,  et,  à  dire  qu'elle  n'en  a  pas 
de  pires,  on  ne  s'écarte  pas  du  vrai.  Ce  n'est  pas  du 
dehors,  en  effet,  c'est  du  dedans  qu'ils  trament  sa  rui- 
ne :  le  danger  est  aujourd'hui  presque  aux  entrailles 
mêmes  et  aux  veines  de  l'Eglise  ;  leurs  coups  sont  d'au- 

Déjà,  dans  les  deux  premiers  volumes,  nous  avons  signalé  et  com- 
battu quelques-unes  des  idées  modernistes  relatives  au  dogme,  à  la 
foi,  à  la  divinité,  à  la  science,  à  la  mort  expiatoire  et  à  la  résurrection 
de  Jésus-Christ,  à  l'Eglise.  Nous  en  signalons  et  combattons  quelques 
autres,  dans  le  présent  volume,  touchant  la  révélation,  l'inspiration, 
le  miracle,  la  prophétie,  le  surnaturel.  Il  en  restera  d'autres  encore 
à  réfuter  dans  les  volumes  suivants,  notamment  celles  qui  ont  trait  à 
la  nature  et  à  l'origine  des  sacrements. 

Nous  insérons  ici,  en  première  page,  ce  document  pontifical  de 
capitale  importance  ;  toute  la  première  par*ie  est  reproduite  dans  sa 
traduction  officielle. 


I.  C'est  nous  qui  soulignons. 


ENCYCLIQUE    «    PASCEISDI    DOMINICI    GRECIS    ))  llj 

tant  plus  sûrs  qu'ils  savent  mieux  où  la  frapper.  Ajou- 
tez que  ce  n'est  point  aux  rameaux  ou  aux  rejetons- 
qu'ils  ont  mis  la  cognée,  mais  à  la  racine  même,  c'est- 
à-dire  à  la  foi  et  à  ses  fibres  les  plus  profondes.  Puis, 
cette  racine  d'immortelle  vie  une  fois  tranchée,  ils  se 
donnent  la  tâche  de  faire  circuler  le  virus  par  tout  l'ar- 
bre ;  nulle  partie  de  la  foi  catholique  qui  reste  à  l'abri 
de  leur  main,  nulle  partie  qu'ils  ne  fassent  tout  pour 
corrompre.   » 

Tactique  perfide.  —  «  Et  tandis  qu'ils  poursuivent 
par  mille  chemins  leur  dessein  néfaste,  rien  de  si  insi- 
dieux, de  si  perfide  que  leur  tactique.  Amalgamant  eœ 
eux  le  rationaliste  et  le  catholique,  ils  le  font  avec  un  tel 
raffinement  d'habileté  qu'ils  abusent  facilement  les 
esprits  mal  avertis.  D'ailleurs,  consommés  en  témérité^ 
il  n'est  sorte  de  conséquences  qui  les  fassent  reculer,, 
ou  plutôt  qu'ils  ne  soutiennent  hautement  et  opiniâtre- 
ment. Avec  cela,  et  chose  très  propre  à  donner  le 
change,  une  vie  toute  d'activité,  une  assiduité  et  une 
ardeur  singulière  à  tous  les  genres  d'études,  des  mœurs- 
recommandables  d'ordinaire  pour  leur  sévérité.  Enfin,, 
et  ceci  paraît  ôter  tout  espoir  de  remède,  leurs  doctri- 
nes leur  ont  tellement  perverti  l'âme,  qu'ils  en  sont  de- 
venus contempteurs  de  toute  autorité,  impatients  de  tout 
frein  :  prenant  assiette  sur  une  conscience  fausse,  ils 
font  tout  pour  qu'on  attribue  au  pur  zèle  de  la  vérité  ce 
qui  est  œuvre  uniquement  d'opiniâtreté  et  d'orgueil..» 
Trêve  donc  au  silence,  qui  désormais  serait  un  crime  I 
Il  est  temps  de  lever  le  masque  à  ces  hommes-là  et  de 
les  montrer  à  l'Eglise  universelle  tels  qu'ils  sont.  Et 
comme  une  tactique  des  modernistes,  —  ainsi  les 
appelle-t-on  communément  et  avec  beaucoup  de  raison,. 
—  tactique  en  vérité  fort  insidieuse,  —  est  de  ne  jamais 
exposer  leurs  doctrines  méthodiquement  et  dans  leur 
ensemble,  mais  de  les  fragmenter  en  quelque  sorte  et 


IV  LE    CATECHISME    ROMAIN 

de  les  éparpiller  ça  et  là,  ce  qui  prête  à  les  faire  juger 
ondoyants  et  indécis,  quand  leurs  idées  au  contraire 
sont  parfaitement  arrêtées  et  consistantes,  il  importe 
ici  et  avant  tout,  de  présenter  ces  mêmes  doctrines  sous 
une  seule  vue,  et  de  montrer  le  lien  logique  qui  les  ratta- 
che entre  elles.  Nous  nous  réservons  d'indiquer  ensuite 
les  causes  des  erreurs  et  de  prescrire  les  remèdes  propres 
à  retrancher  le  mal.  » 


PREMIERE  PARTIE 

Analyse  des  doctrines  modernistes.  —  «  Et  pour 
procéder  avec  clarté  dans  une  matière  en  vérité  fort 
complexe,  il  faut  notertout  d'abord  que  les  modernistes 
assemblent  et  mélangent,  pour  ainsi  dire.,  en  eux  plu- 
sieurs personnages  :  c'est  à  savoir  le  philosophe,  le 
croyant,  le  théologien,  l'historien,  le  critique,  Yapolo- 
giste,  le  reformateur  :  personnages  qu'il  importe  de 
bien  démêler  si  l'on  veut  connaître  à  fond  leur  système 
et  se  rendre  compte  des  principes  comme  des  consé- 
quences de  leurs  doctrines.  » 

I.  Le  philosophe.  — ■  i°  L'Agnosticisme.  —  «  Et 
pour  commencer  par  le  philosophe,  les  modernistes 
posent  comme  base  de  leur  philosophie  religieuse,  la 
doctrine  appelée  communément  agnosticisme  Ci).  La 
raison  humaine,  enfermée  rigoureusement  dans  le  cer- 
cle des  phénomènes,  c'est-à-dire  des  choses  qui  appa- 
raissent, n'a  ni  la  faculté  ni  le  droit  d'en  franchir  les 
limites  ;  elle  n'est  donc  pas  capable  de  s'élever  jusqu'à 
Dieu,  non,  pas  même  pour  en  connaître,  par  le  moyen 
des  créatures,  l'existence  :  telle  est  cette  doctrine.  D'où 
ils  infèrent  deux  choses  :  que  Dieu  nyest  point  objet  di~ 

x.  Voir  t.  i,  p.  381-382  ;  398-400  ;  446-447'»  457>  479- 


ENCYCLIQUE    «    PaSCENDI    DOMINICI    GREGIS    »  V 

reci  de  science  ;  que  Dieu  n'est  point  un  personnage  his- 
torique. Qu'advient-il,  après  cela,  de  la  théologie  natu- 
relle, des  motifs  de  crédibilité,  de  la  révélation  extérieu- 
re ?  Il  est   aisé  de  le   comprendre  :   ils  les   suppriment 
purement  et  simplement  et  les  renvoient  à  V intellectua- 
lisme, système,  disent-ils,  qui  fait  sourire  de  pitié,  et 
dès  longtemps  périmé.  Rien  ne  les  arrête,  pas  même  les 
condamnations  dont  l'Eglise  a  frappé  ces  erreurs  mons- 
trueuses^).Maintenant,  de  l'agnosticisme, quin'estaprçs 
tout  qu'ignorance,   comment  les  modernistes  passent- 
ils  à  X athéisme  scientifique  et  historique,  dont  la  néga- 
tion fait   au  contraire  tout  le   caractère  ;    de  ce    qu'ils 
ignorent  si  Dieu  est  intervenu  dans  l'histoire   du  genre 
humain,  par  quel  artifice  de  raisonnement  en  viennent- 
ils  à  expliquer  cette  même  histoire  absolument   en  de- 
hors  de   Dieu,  qui  est  tenu  pour   n'y   avoir  point   eu 
effectivement  de  part?  Le  comprenne  qui  pourra.  Tou- 
jours est-il  qu'une  chose  pour  eux,  parfaitement  enten- 
due et  arrêtée,  c'est  que  la  science  doit  être  athée,  pareil- 
lement V  histoire  ;  nulle  place,  dans  le  champ   de  l'une 
comme  de  l'autre,  sinon  pour  les   phénomènes  :  Dieu 
et   le    divin    en    sont     bannis.    Quelles    conséquences 
découlent  de  cette  doctrine  absurde,  au   regard  de   la 
personne  sacrée  du  Sauveur,  des  mystères  de    sa  vie  et 
de  sa  mort,  de  sa  résurrection  et  de  son  ascension  glo- 
rieuse, c'est  ce  que  nous  verrons  bientôt.  » 

2°  V lmmanentisme.  —  «  L'agnosticisme  n'est  que 
le  côté  négatif  dans  la  doctrine  des  modernistes  ;  le 
côté  positif  est  constitué  par  ce  qu'on  appelle  Ximma- 
nence  vitale.  Ils  passent  de  l'un  à  l'autre  en  la  manière 
que  voici.  Naturelle  ou  surnaturelle,  la  religion,  comme 
tout  autre  fait,    demande  une  explication.    Or,  la  théo- 

I.  Pie  X  cite  là  les  canons  i  et  2,  du  C.  De  révélations,  de  lar 
Constitution  Dei  Films,  dont  nous  avons  relevé  la  doctrine,  t.  1,  p.. 
389  sq,  441,  446-447. 


"Vj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

logie  naturelle  une  fois  répudiée,  tout  accès  à  la  révé- 
lation fermé  par  le  rejet  des  motifs  de  crédibilité,  qui 
plus  est,  toute  révélation  extérieure  entièrement  abolie, 
il  est  clair  que,  cette  explication,  on  ne  doit  pas  la 
chercher  hors  de  l'homme.  C'est  donc  dans  l'homme 
«qu'elle  se  trouve,  et  comme  la  religion  est  une  forme 
de  vie,  dans  la  vie  même  de  l'homme.  Voilà  Y  immanence 
religieuse.  Or,  tout  phénomène  vital  —  et,  on  l'a  dit, 
telle  est  la  religion  —  a  pour  premier  stimulant  une 
nécessité,  un  besoin  ;  pour  première  manifestation,  ce 
mouvement  du  cœur  appelé  sentiment.  Il  s'ensuit, 
puisque  l'objet  de  la  religion  est  Dieu,  que  la  foi,  prin- 
cipe et  fondement  de  toute  religion,  réside  dans  un 
certain  sentiment  intime,  inspiré  lui-même  par  le  besoin 
du  divin.  Ce  besoin,  d'ailleurs,  ne  setrahissant  que  dans 
certaines  rencontres  déterminées  et  favorables,  n'ap- 
partient pas  de  soi  au  domaine  de  la  conscience  :  dans 
le  principe,  il  gît  au-dessous,  et,  selon  un  vocable 
emprunté  de  la  philosophie  moderne,  dans  la  sub- 
tonscience,  où  il  faut  ajouter  que  sa  racine  est  cachée, 
entièrement  inaccessible  à  l'esprit.  » 

3°  La  Foi  (i).  —  «  Veut-on  savoir  maintenant  en 
quelle  manière  ce  besoin  du  divin,  si  l'homme  vient  à 
l'éprouver,  se  tourne  finalement  en  religion  ?  —  Les 
modernistes  répondent  :  «  La  science  et  l'histoire  sont 
enfermées  entre  deux  bornes  :  l'une  extérieure,  du 
monde  visible  ;  l'autre  intérieure,  de  la  conscience. 
Parvenues  là,  impossible  à  elles  de  passer  outre  :  au 
delà,  c'est  V inconnaissable.  Justement,  en  face  de  cet 
inconnaissable,  de  celui,  disons-nous,  qui  est  hors  de 
l'homme,  par  delà  la  nature  visible,  comme  de  celui 
qui  est  en  l'homme  même,  dans  les  profondeurs  de  la 
sub-conscience,  sans  nul  jugement  préalable  (ce  qui 
est  du  pur  fidéisme),  le  besoin  du  divin  suscite  dans 

s.  Voir  t.  i,  p.  270-37*  ;  317-325. 


ENCYCLIQUE    ((    PASCENDI    DOMINICI    GREGIS    ))        Vlj 

l'âme,  portée  à  la  religion,  un  sentiment  particulier. 
Ce  sentiment  a  ceci  de  propre  qu'il  enveloppe  Dieu, 
et  comme  objet  et  comme  cause  intime,  et  qu'il  unit  en 
quelque  façon  l'homme  à  Dieu.  »  —  Telle  est,  pour  les 
modernistes,  la  foi,  et,  dans  la  foi  ainsi  entendue,  le 
commencement  de  toute  religion.  » 

4°  La  révélai  ion  (i).  —  «  Là  ne  se  borne  pas  leur 
philosophie  ou,  pour  mieux  dire,  leurs  divagations. 
Dans  ce  sentiment  ils  trouvent  donc  la  foi  ;  mais  aussi 
avec  la  foi  et  dans  la  foi,  la  révélation.  Et  pour  la  révé- 
lation, en  effet,  que  veut-on  de  plus?  Ce  sentiment 
qui  apparaît  dans  la  conscience,  et  Dieu  qui,  dans  ce 
sentiment,  quoique  confusément  encore,  se  manifeste 
à  l'âme,  n'est  ce  pas  là  une  révélation,  ou  tout  au  moins 
un  commencement  de  révélation?  Même,  si  l'on  y 
regarde  bien,  du  moment  que  Dieu  est  tout  ensemble 
cause  et  objet  de  la  foi,  dans  la  foi,  on  trouve  donc  la 
révélation  et  comme  venant  de  Dieu  et  comme  portant 
sur  Dieu,  c'est-à-dire  que  Dieu  y  est  dans  le  même 
temps  révélateur  et  révélé.  De  là,  cette  doctrine  absurde 
des  modernistes,  que  toute  religion  est  à  la  fois  naturelle 
et  surnaturelle,  selon  le  point  de  vue.  De  là,  Véqidva- 
lence  entre  la  conscience  et  la  révélation.  De  là,  enfin,  la 
loi  qui  érige  la  conscience  religieuse  en  règle  universelle, 
entièrement  de  pair  avec  la  révélation  et  à  laquelle  tout 
doit  s'assujettir,  jusqu'à  Vautorité  suprême,  dans  sa 
triple  manifestation,  doctrinale,  cultuelle,  disciplinaire,  » 

Conséquences  :  —  i.  Déformation  de  V histoire 
religieuse.  —  «  On  ne  donnerait  pas  une  idée  complète 
de  1  origine  de  la  foi  et  de  la  révélation,  telle  que  l'en- 
tendent les  modernistes  si  l'on  n'attirait  l'attention  sur 
un  point  fort  important,  à  raison  des  conséquences 
historio-critiques    qu'ils  en  tirent.    —  Il  ne  faut   pas 

i.  Voir  t.  m,  8-16. 


Vllj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

croire  que  V inconnaissable  s'offre  à  la  foi,  isolé  et  nu  ; 
il  est,  au  contraire,  relié  étroitement  à  un  phénomène 
qui,  pour  appartenir  au  domaine  de  la  science  et  de 
l'histoire,  ne  laisse  pas  de  le  déborder  par  quelque 
endroit  :  ce  sera  un  fait  de  la  nature,  enveloppant 
quelque  mystère  ;  ce  sera  encore  un  homme,  dont  le 
caractère,  les  actes,  les  paroles  paraissent  déconcerter 
les  communes  lois  de  l'histoire.  Or,  voici  ce  qui  arrive: 

Y  inconnais  sable,  dans  sa  liaison  avec  un  phénomène, 
venant  à  amorcer  la  foi,  celle-ci  s'étend  au  phénomène 
lui-même  et  le  pénètre  en  quelque  sorte  de  sa  propre 
vie.  » 

2.  Transfiguration  et  dé  figuration.  —  «  Deux  consé- 
quences en  dérivent.  Il  se  produit,  en  premier  lieu,  une 
espèce  de  transfiguration  du  phénomène,  que  la  foi 
hausse  au-dessus  de  lui-même  et  de  sa  vraie  réalité, 
comme  pour  le  mieux  adapter,  ainsi  qu'une  matière,  à 
la  forme  divine  qu'elle  veut  lui  donner.  Il  s'opère,  en 
second  lieu,  une  espèce  de  défiguration  du  phénomène, 
s'il  est  permis  d'employer  ce  mot,  en  ce  que  la  foi, 
l'ayant  soustrait  aux  conditions  de  l'espace  et  du  temps, 
en  vient  à  lui  attribuer  des  choses  qui,  selon  la  réalité, 
ne  lui  conviennent  point.  Ce  qui  arrive  surtout,  quand 
il  s'agit  d'un  phénomène  du  passé,  et  d'autant  plus 
aisément  que  ce  passé  est  lointain. 

«  De  cette  double  opération,  les  modernistes  tirent 
deux  lois  qui,  ajoutées  à  une  troisième,  déjà  fournie  par 

Y  agnosticisme,  forment  comme  les  bases  de  leur  critique 
historique.  Un  exemple  éclaircira  la  chose  et  Jésus- 
Christ  va  nous  le  fournir.  Dans  la  personne  du  Christ, 
disent-ils,  là  science  ni  l'histoire  ne  trouvent  autre  chose 
qu'un  homme.  De  son  histoire  donc,  au  nom  de  la  pre- 
mière loi,  basée  sur  V agnosticisme,  il  faut  effacer  tout  ce 
qui  a  caractère  de  divin.  La  personne  historique  du 
Christ  a  été  transfigurée  par  la  foi  :  il  faut  donc  encore 
retrancher  de  son  histoire,  de  par  la  seconde  loi,  tout  ce 


ENCYCLIQUE    «    PASCEXDI    DOMINICI    GREGIS    »  IX 

qui  l'élève  au-dessus  des  conditions  historiques.  Enfin,  la 
même  personne  du  Christ  a  été  défigurée  par  la  foi  :  il 
faut  donc,  en  vertu  de  la  troisième  loi,  écarter  en  outre 
de  son  histoire  les  paroles,  les  actes,  en  un  mot,  tout  ce 
qui  ne  répond  point  à  son  caractère,  à  sa  condition,  à  son 
éducation,  au  lieu  et  au  temps  où  il  vécut.  -  Etrange  paraî- 
tra sans  doute,  cette  façon  de  raisonner  :  telle  est 
pourtant  la  critique  moderniste.  » 

3.   Genèse  de  la  religion.  —  «  Le  sentiment  religieux, 
qui  jaillit  ainsi,  par  immanence  vitale,   des  profondeurs 
de  la  sub-conscience,    est  le  germe  de  toute  religion, 
comme  il  est  la  raison   de  tout  ce   qui  a   été  ou  sera 
jamais,  en  aucune  religion.  Obscur,  presque  informe  à 
l'origine,  ce   sentiment  est   allé  progressant  sous  l'in- 
fluence secrète  du   principe  qui  lui  donna  l'être,  et  de 
niveau  avec  la  vie  humaine,   dont  on  se  rappelle  qu'il 
est  une  forme.  Ainsi  naquirent  toutes  les  religions,  y 
compris  les  religions  surnaturelles  :  elles  ne  sont  toutes 
que  des   efrlorescences  de  ce  sentiment.   Et  qu'on  n'at- 
tende   pas   une    exception   en    faveur  de    la     religion 
catholique  :    elle   est  mise  entièrement  sur  le  pied  des 
autres.  Son  berceau  fut  la  conscience  de  Jésus-Christ, 
homme  de  nature  exquise,  comme  il   n'en  fut   ni  n'en 
sera  jamais   :  elle  est  née  là,  non   d'un  autre  principe 
que  de  l'immanence  vitale.  » 

«  On  est  saisi  de  stupeur  en  face  d'une  telle  audace 
dans  l'assertion,  d'une  telle  aisance  dans  le  blasphème. 
Et  ce  n'est  point  les  incrédules  seuls  qui  profèrent  de 
telles  témérités  :  ce  sont  des  catholiques,  ce  sont  des 
prêtres  même,  et  nombreux,  qui  les  publient  avec 
ostentation.  Et  dire  qu'ils  se  targuent,  avec  de  telles 
insanités,  de  rénover  l'Eglise  !  Certes,  il  ne  s'agit  plus 
de  la  vieille  erreur  qui  dotait  la  nature  humaine  d'une 
espèce  de  droit  à  l'ordre  surnaturel.  Que  cela  est 
dépassé!  En  l'homme  qui  est  Jésus-Christ,  aussi  bien 
qu'en  nous,   notre    sainte  religion   n'est    autre   chose 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


qu'un  fruit  propre  et  spontané  de  la  nature.  Y  a-t-il 
rien,  en  vérité,  qui  détruise  plus  radicalement  Tordre 
surnaturel  ?  C'est  donc  avec  souverainement  de  raison 
que  le  concile  du  Vatican  a  décidé  ce  qui  suit  :  «  Si 
quelqu'un  dit  que  l'homme  ne  peut  être  élevé  à  une 
connaissance  et  à  une  perfection  qui  surpassent  la 
nature,  mais  qu'il  peut  et  qu'il  doit,  par  un  progrès 
continu,  parvenir  enfin  de  lui-même  à  la  possession  de 
tout  vrai  et  de  tout  bien,  qu'il  soit  anathème  (i).  » 

4.  Genèse  des  dogmes.  —  Après  le  sentiment,  l'intelli- 
gence. —  «  Nous  n'avons  jusqu'ici  aucune  place  faite  à 
l'intelligence.  Selon  les  modernistes,  elle  a  pourtant  sa 
part  dans  l'acte  de  foi,  il  importe  de  dire  laquelle.  — 
Le  sentiment  dont  il  a  été  question —  précisément  parce 
qu'il  est  sentiment  et  non  connaissance  —  fait  bien 
surgir  Dieu  en  l'homme,  mais  si  confusément  encore 
que  Dieu,  à  vrai  dire,  ne  s'y  distingue  pas,  ou  à  peine, 
de  l'homme  lui-même.  Ce  sentiment,  il  faut  donc  qu'une 
lumière  vienne  l'irradier,  y  mettre  Dieu  en  relief,  dans 
une  certaine  opposition  avec  le  sujet,  c'est  l'office  de 
l'intelligence,  faculté  de  pensée  et  d'analyse,  dont 
l'homme  se  sert  pour  traduire  d'abord  en  représenta- 
tions intellectuelles,  puis  en  expressions  verbales,  les 
phénomènes  de  vie  dont  il  est  le  théâtre.  De  là  ce  mot 
devenu  banal  chez  les  modernistes  :  V homme  doit  penser 
sa  foi.  L'intelligence  survient  donc  au  sentiment  et,  se 
penchant  en  quelque  sorte  sur  lui,  y  opère  à  la  façon 
d'un  peintre  qui,  sur  une  toile  vieillie,  retrouverait  et 
ferait  reparaître  les  lignes  effacées  du  dessin  :  telle  est, 
à  peu  de  choses  près,  la  comparaison  fournie  par  l'un 
des  maîtres  des  modernistes.  Or,  en  ce  travail,  l'intelli- 
gence a  un  double  procédé  :  d  abord  par  un  acte 
naturel  et  spontané,  elle  traduit  la  chose  en  une  asser- 

1.  Const.  Dei  Filius,  deRevel.,  can.  3.  Sur  cette  question  delà 
genèse  des  dogmes,  de  leur  nature  essentiellement  variable,  selon  Je$ 
modernistes,  voir  t.  1,  p.  192  ;  214-254 


ENCYCLIQUE    «    TASCENDI    DOMINICI    GREGIS    »  XJ 


tion  simple  etvulgaire  ;  puis,  faisant  appel  à  la  réflexion 
et  à  l'étude,  travaillant  sur  sa  pensée,  comme  ils  disent, 
elle  interprète  la  formule  primitive,  au  moyen  de  for- 
mules dérivées,  plus  approtondies  et  plus  distinctes. 
Celles-ci,  venant  à  être  sanctionnées  par  le  magistère 
de  l'Eglise,  constitueront  le  dogme. 

5.  Nature  essentiellement  variable  du  dogme.  —  «  Le  dog- 
me, son  origine,  sa  nature,  tel  estle  point  capital,  dans  la 
doctrine  des  modernistes.  Le  dogme,  d'après  eux,  tire  son 
origine  des  formules  primitives  et  simples,  essentielles, 
sous  un  certain  rapport,  à  la  foi  ;  car  la  révélation,  pour 
être  vraie,  demande  une  claire  apparition  de  Dieu  dans 
la  conscience.  Le  dogme  lui-même,  si   on  le  comprend 
bien,  est  contenu  proprement  dans  les  formules  secondai- 
res .  Maintenant,   pour  bien  entendre  sa  nature,   il   faut 
voir  avant  tout  quelle  sorte  de  rapport  il  y  a  entre  les 
formules   religieuses  et  le  sentiment  religieux.  Ce   qui 
ne  sera  pas  malaisé  à  découvrir  si  on  se  reporte  au  but 
de  ces  mêmes  formules,   qui  est  de  fournir  au  croyant  le 
moyen  de  se  rendre  compte  de  sa  foi.   Elles  constituent 
donc,    entre   le  croyant  et  sa  foi,    une   sorte    d'entre- 
deux  ;  par  rapport  à  la  foi,   elles  ne  sont  que  des  signes 
inadéquats  de  son  objet,  vulgairement  des  symboles  ;  par 
rapport  au  croyant,  elles  ne  sont  que  de  purs  instruments. 
D'où    l'on   peut  déduire    ocelles   ne  contiennent  pas  la 
vérité  absolue  :  comme  symboles,   elles  sont  des  images 
de  la  vérité,  qui  ont  à  s'adapter  au  sentiment  religieux, 
dans  ses  rapports  avec  l'homme  ;   comme  instruments, 
des  véhicules  de  vérité,  qui  ont  réciproquement  à  s'ac- 
commcder  à  l'homme  dans  ses  rapports  avec  le  senti- 
ment religieux.  Et  comme  l'absolu,  qui  est  l'objet  de  ce 
sentiment,    a  des  aspects  infinis,  sous  lesquels  il  peut 
successivement  apparaître  ;  comme  le  croyant,   d'autre 
part,  peut  passer  successivement  sous   des  conditions 
fort  dissemblables,  il  s'ensuit  que  les  formules  dogmati" 
ques   sont  soumises   à   ces   mêmes  vicissitudes,  partant 


Xlj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

sujettes  à  mutation.  Ainsi  est  ouverte  la  voie  à  la  varia- 
tion substantielle  des  dogmes.  Amoncellement  infini  de 
sophismes  où  toute  religion  trouve  son  arrêt  de  mort.» 

6.  'Nécessité  de  cette  variation.  —  «  Evoluer  et  chan- 
ger, non  seulement  le  dogme  le  peut,  il  le  doit  :  c'est 
ce  que  les  modernistes  affirment  hautement  et  qui  d'ail- 
leurs découle  manifestement  de  leurs  principes.  —  Les 
formules  religieuses,  en  effet,  pour  être  véritablement 
religieuses,  non  de  simples  spéculations  théologiques, 
doivent  être  vivantes,  et  de  la  vie  même  du  sentiment  reli- 
gieux ;  ceci  est  une  doctrine  capitale  dans  leur  système, 
et  déduite  du  principe  de  X immanence  vitale.  Ne  l'enten- 
dez pas  en  ce  sens  qu'il  soit  nécessaire  de  construire  les 
formules,  surtout  si  elles  sont  imaginatives,  précisément 
en  vue  du  sentiment  :  non,  leur  origine,  leur  nombre, 
jusqu'à  un  certain  point  leur  qualité  même,  importent 
assez  peu  ;  ce  qu'il  faut,  c'est  que  le  sentiment,  après 
les  avoir  convenablement  modifiées,  s'il  y  a  lieu,  se  les 
assimile  vitalement.  Ce  qui  revient  à  dire  que  la  for- 
mule primitive  demande  à  être  acceptée  et  sanctionnée  par 
le  cœur  ;  le  travail  subséquent ,  d'où  s'engendrent  les  for- 
mules secondaires,  à  être  fait  sous  la  pression  du  cœur. 
C'est  en  cette  vue  surtout,  c'est-à-dire  afin  d'être  et  de 
rester  vivantes,  qu'il  est  nécessaire  qu'elles  soient  et 
qu'elles  restent  assorties  et  au  croyant  et  à  sa  foi.  Le 
jour  où  cette  adaptation  viendrait  à  cesser,  ce  jour-là 
elles  se  videraient  du  même  coup  de  leur  contenu  pri- 
mitif :  il  n'y  aurait  d'autre  parti  à  prendre  que  de  les 
changer. 

«  Etant  donné  le  caractère  si  précaire  et  si  instable 
des  formules  dogmatiques,  on  comprend  à  merveille 
que  les  modernistes  les  aient  en  si  mince  estime,  s'ils 
ne  les  méprisent  ouvertement.  Le  sentiment  religieux, 
la  vie  religieuse,  c'est  ce  qu'ils  ont  toujours  aux  lèvres, 
ce  qu'ils  exaltent  sans  fin.  En  même  temps  ils  répriman- 
dent l'Eglise  audacieusement,comme  faisant  fausse  route; 


ENCYCLIQUE    ((    PASCENDI    DOMINICI    GREGIS    »       X11J 

comme  ne  sachant  pas  discerner  de  la  signification  ma- 
térielle des  formules,  leur  sens  religieux  et  moral  ;  comme 
s'attachant  opiniâtrement  et  stérilement  à  des  formules 
vaines  et  vides,  cependant  qu'elles  laissent  la  religion 
aller  à  sa  ruine.  Aveugles  et  conducteurs  d'aveugles 
qui,  enflés  d'une  science  orgueilleuse,  en  sont  venus  à 
cette  folie  de  pervertir  l'éternelle  notion  de  la  vérité, 
en  même  temps  que  la  véritable  nature  du  sentiment 
religieux  ;  inventeurs  d'un  système  «  où  on  les  voit, 
sous  l'empire  d'un  amour  aveugle  et  effréné  de  nou- 
veauté, ne  se  préoccuper  aucunement  de  trouver  un 
point  d'appui  solide  à  la  vérité,  mais,  méprisant  les 
saintes  et  apostoliques  traditions,  embrasser  d'autres 
doctrines  vaines,  futiles,  incertaines,  condamnées  par 
l'Eglise,  sur  lesquelles,  hommes  très  vains  eux-mêmes, 
ils  prétendent  appuyer  et  asseoir  la  vérité  (i).  » 

II.  Le  croyant.  —  i.  L'expérience  individuelle ■,  source 
de  la  certitude  religieuse.  —  «  Si,  maintenant,  passant 
au  croyant,  nous  voulons  savoir  en  quoi,  chez  ce  même 
moderniste,  il  se  distingue  du  philosophe,  une  chose  est 
premièrement  à  noter  :  c'est  que  le  philosophe  admet 
bien  la  réalité  divine  comme  objet  de  foi  ;  mais  cette  réa- 
lite',  pour  lui y  n'existe  pas  ailleurs  que  dans  l'âme  du 
croyant,  c'est-à-dire  comme  objet  de  son  sentiment  et 
de  ses  affirmations  ;  ce  qui  ne  sort  pas,  après  tout,  du 
monde  des  phénomènes.  Si  Dieu  existe  en  soi,  hors  du 
sentiment  et  hors  des  affirmations,  c'est  de  quoi  il  n'a 
cure  ;  il  en  fait  totalement  abstraction.  Pour  le  croyant, 
au  contraire,  Dieu  existe  en  soi,  indépendamment  de 
lui,  croyant,  il  en  a  la  certitude,  et  c'est  par  là  qu'il  se 
distingue  du  philosophe.  Si  maintenant  vous  demandez 
sur  quoi,  en  fin  de  compte,  cette  certitude  repose,  les 
modernistes  répondent:  Sur  l'expérience  personnelle.  Ils 

i.  Grégoire  XVI,  Encycl.  Singidari  nos,  eu  35  juin  1834  ;  Den- 
zinger,  n°  1476. 


XIV  LE    CATECHISME    ROMAIN 

■  .      «  i  »       m 

se  séparent  ainsi  des  rationalistes,  mais  pour  verser 
dans  la  doctrine  des  protestants  et  des  pseudo-mysti- 
ques (i).  —  Voici,  au  surplus,  comme  ils  expliquent  la 
chose.  Si  l'on  pénètre  le  sentiment  religieux,  on  y 
découvrira  facilement  une  certaine  intuition  du  cœur, 
grâce  à  laquelle,  et  sans  nul  intermédiaire,  l'homme 
atteint  la  réalité  même  de  Dieu  :  d'où  une  certitude  de 
son  existence,  qui  passe  très  fort  toute  certitude  scien- 
tifique. Et  cela  est  une  véritable  expérience,  et  supé- 
rieure à  toutes  les  expériences  rationnelles.  Beaucoup, 
sans  doute,  la  méconnaissent  et  la  nient,  tels  les  ratio- 
nalistes ;  mais  c'est  tout  simplement  qu'ils  refusent  de 
se  placer  dans  les  conditions  morales  qu'elle  requiert. 
Voilà  donc,  dans  cette  expérience,  ce  qui,  d'après  les 
modernistes,  constitue  vraiment  et  proprement  le 
croyant.  —  Combien  tout  cela  est  contraire  à  la  foi 
catholique,  nous  l'avons  déjà  lu  dans  un  décret  du  con- 
cile du  Vatican  ;  comment  la  voie  s'en  trouve  ouverte  à 
l'athéisme,  de  même  que  pour  les  autres  erreurs  déjà 
exposées,  nous  le  dirons  plus  loin.  —  Ce  que  nous  vou- 
lons observer  ici,  c'est  que  la  doctrine  de  l'expérience, 
jointe  à  Vautre  du  symbolisme,  consacre  comme  vraie 
toute  religion,  sans  en  excepter  la  religion  païenne.  Est- 
ce  qu'on  ne  rencontre  pas  dans  toutes  les  religions  des 
expériences  de  ce  genre  ?  Beaucoup  le  disent.  Or,  de 
quel  droit  les  modernistes  dénieraient-ils  la  vérité  aux 
expériences  religieuses  qui  se  font,  par  exemple,  dans 
la  religion  mahométane  ?  Et  en  vertu  de  quel  principe 
attribueraient-ils  aux  seuls  catholiques  le  monopole  des 
expériences  vraies  ?  Ils  s'en  gardent  bien  :  les  uns 
d'une  façon  voilée,  les  autres  ouvertement,  ils  tiennent 
pour  vraies  toutes  les  religions.  C'est  aussi  bien  une 
nécessité  de  leur  système.  Car,  posés  leurs  principes,  à 
quel  chef  pourraient-ils  arguer  une  religion  de  fausseté? 

i.  Voir  au  t.  i,  les  leçons  sur  le  dogme  et  sur  la  foi. 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    DOMINICI    GRECIS    ))         XV 

Ce  ne  pourrait  être  évidemment  que  pour  la  fausseté  du 
sentiment  ou  pour  celle  de  la  formule.  Mais,  d'après 
eux,  le  sentiment  est  toujours  et  partout  le  même, 
substantiellement  identique  ;  quant  à  la  formule  reli- 
gieuse, tout  ce  qu'on  lui  demande,  c'est  l'adaptation  au 
croyant  —  quel  que  soit  par  ailleurs  son  niveau  intellec- 
tuel —  en  même  temps  qu'à  sa  foi.  Tout  au  plus,  dans 
cette  mêlée  de  religions,  ce  qu'ils  pourraient  revendi- 
quer en  faveur  de  la  religion  catholique,  c'est  qu'elle 
est  plus  vraie,  parce  qu'elle  est  plus  vivante  ;  c'est 
encore  qu'elle  est  plus  digne  du  nom  de  chrétienne 
parce  qu'elle  répond  mieux  que  toute  autre  aux  origines 
du  christianisme.  —  De  telles  conclusions  ne  sauraient 
surprendre  :  elles  découlent  des  prémisses.  Ce  qui  est 
fort  étrange,  c'est  que  des  catholiques,  c'est  que  des 
prêtres,  dont  nous  aimons  à  penser  que  de  telles  mons- 
truosités leur  font  horreur,  se  comportent  néanmoins, 
dans  la  pratique,  comme  s'ils  les  approuvaient  pleine- 
ment ;  c'est  que  des  catholiques,  des  prêtres  décernent 
de  telles  louanges,  rendent  de  tels  hommages  aux  cory- 
phées de  l'erreur,  qu'ils  prêtent  à  penser  que  ce  qu'ils 
veulent  honorer  par  là,  c'est  moins  les  hommes  eux- 
mêmes,  non  indignes  peut-être  de  toute  considération, 
que  les  erreurs  par  eux  ouvertement  professées  et  dont 
ils  se  sont  faits  les  champions.  » 

2.  Lexpérience  religieuse,  ruine  de  la  tradition,  — 
c  Un  autre  point  où  les  modernistes  se  mettent  en 
opposition  flagrante  avec  la  foi  catholique,  c'est  que  le 
principe  de  l'expérience  religieuse,  ils  le  transfèrent  à 
la  tradition  ;  et  la  tradition,  telle  que  V entend  l'Eglise, 
s'en  trouve  ruinée  totalement.  Qu'est-ce  que  la  tradition, 
pour  les  modernistes  ?  La  communication  faite  à  d'au- 
tres de  quelque  expérience  originale  (i),  par  l'organe 
de  la  prédication,  et  moyennant  la  formule  intellectuelle» 

x.  Voir  t.  m,  p.  8-16,  et  la  leçon  consacrée  à  la  tradition. 


XVJ  LE    CATECHISME    ROMAIN 

Car,  à  cette  dernière,  en  sus  de  la  vertu  représentative, 
comme  ils  l'appellent,  ils  attribuent  encore  une  vertu 
suggestive  s'exerçant,  soit  sur  le  croyant  même,  pour 
réveiller  en  lui  le  sentiment  religieux,  assoupi  peut-être, 
ou  encore  pour  lui  faciliter  de  réitérer  les  expériences 
déjà  faites  soit  sur  les  non-croyants  pour  engendrer  en 
eux  le  sentiment  religieux  et  les  amener  aux  expérien- 
ces qu'on  leur  désire.  C'est  ainsi  que  l'expérience  reli- 
gieuse va  se  propageant  à  travers  les  peuples,  et  non 
seulement  parmi  les  contemporains,  par  la  prédication 
proprement  dite,  mais  encore  de  génération  en  généra- 
tion, par  l'écrit  ou  par  la  transmission  orale.  —  Or, 
cette  communication  d'expériences  a  des  fortunes  fort 
diverses  :  tantôt  elle  prend  racine  et  s'implante  ;  tantôt 
elle  languit  et  s'éteint.  C'est  à  cette  épreuve,  d'ailleurs, 
que  les  modernistes,  pour  qui  vie  et  vérité  ne  sont 
qu'un,  jugent  de  la  vérité  des  religions  ;  si  une  religion 
vit,  c'est  quelle  est  vraie  ;  si  elle  n'était  pas  vraie,  elle  ne 
vivrait  pas.  D'où  l'on  conclut  encore  :  toutes  les  reli- 
gions existantes  sont  donc  vraies.  » 

3.  La  foi  est  ainsi  expulsée  delà  science  et  de  l'his- 
toire* —  «  Au  point  où  nous  en  sommes,  nous  avons 
plus  qu'il  ne  faut  pour  nous  faire  une  idée  exacte  des 
rapports  qu'ils  établissent  entre  la  foi  et  la  science, 
entendant  aussi,  sous  ce  dernier  mot,  l'histoire.  —  En 
premier  lieu,  leurs  objets  sont  totalement  étrangers 
entre  eux,  l'un  en  dehors  de  l'autre.  Celui  de  la  foi  est 
justement  ce  que  la  science  déclare  lui  être,  à  elle-même, 
inconnaissable.  De  là  un  champ  tout  divers  :  la  science 
est  toute  aux  phénomènes ,  la  foi  n'a  rien  à  y  voir  ;  la  foi 
est  toute  au  divin,  cela  est  au  dessus  de  la  science.  D'où 
l'on  conclut  enfin  o^entre  la  science  et  la  foi,  il  riy  a 
point  de  conflit  possible  :  qu'elles  restent  chacune  chez 
elles,  et  elles  ne  pourront  jamais  se  rencontrer,  ni  par- 
tant se  contredire.  —  Que  si  l'on  objecte  à  cela  qu'il 
est  certaines  choses  de  la  nature  visible  qui    relèvent 


ENCYCLIQUE    ((    PASCENDI    DOMINICI    GREGIS    »        XVlj 

aussidela  foi,  par  exemple  la  vie  humaine  de  Jésus-Christ, 
ilslenieront.il  estvrai,  diront-ils,  que  ces  choses-là  ap- 
partiennent parleur  nature  au  monde  des  phénomènes; 
mais,  en  tant  qu'elles  sont  pénétrées  de  la  vie  de  la  foi 
et  que,  en  la  manière  qui  a  été  dite,  elles  sont  transfigu- 
rées et  défigurées  par  la  foi,  sous  cet  aspect  précis,  les 
voilà  soustraites  au  monde  sensible  et  transportées,  en 
guise  de  matière,  dans  l'ordre  divin.  Ainsi,  à  la  deman- 
de si  Jésus-Christ  a  fait  de  vrais  miracles  et  de  vérita- 
bles prophéties,  s'il  est  ressuscité  et  monté  au  ciel  : 
non,  répondra  la  science  agnostique;  oui,  répondra  la 
foi.  Où  il  faudra  bien  se  garder  pourtant  de  trouver  une 
contradiction  :  la  négation  est  du  philosophe  parlant  à 
des  philosophes  et  qui  n'envisage  Jésus-Christ  que  sous 
la  réalité  historique  ;  l'affirmation  est  du  croyant  s'a- 
dressant  à  des  croyants,  et  qui  considère  la  vie  de 
Jésus-Christ  comme  vécue  à  nouveau  par  la  foi  et  dans 
la  loi.  » 

4.  Mais  la  foi  est  assujettie  à  la  science  à  trois  titres, 

—  «  Or,  Ton  se  tromperait  très  fort,  si  l'on  s'imaginait 
après  cela,  qu'entre  la  foi  et  la  science  il  n'existe  de  su- 
bordination d'aucune  sorte.  C'est  fort  bien  et  fort  juste- 
ment pensé  de  la  science,  mais  non  certes  de  la  foi, 
assujettie  qu'elle  est  à  la  science,  non  pas  à  un  titre, 
mais  à  trois.  —  Il  faut  observer,  premièrememt,  que, 
dans  tout  fait  religieux,  à  la  réserve  de  la  réalite 
divine  et  de  l'expérience  qu'en  a  le  croyant,  tout  le  reste, 
notamment  les  formules  religieuses,  ne  dépasse  point  la 
sphère  des  phénomènes,  n'est  point  soustrait  par  consé- 
quent au  domaine  scientifique.  Que  le  croyant  s'exile 
donc  du  monde,  s'il  lui  plaît;  mais,  tant  qu'il  y  reste,  il 
doit  subir  les  lois,  le  contrôle,  le  jugement  de  la  science. 

—  En  second  lieu,  si  l'on  a  dit  que  la  foi  seule  a  Dieu 
pour  objet,  il  faut  l'entendre  de  la  réalité  divine,  non 
de  Vidée  ;  car  l'idée  est  tributaire  de  la  science,  attendu 
que  celle-ci,  dans  Tordre  logique,  comme  on  dit,  s'é- 

LB  CATECHISME.  —  T.   III»  b 


XVllj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

lève  jusqu'à  l'absolu  et  à  l'idéal.  A  la  science,  donc,  à 
la  philosophie,  de  connaître  l'idée  de  Dieu,  de  la  gui- 
der dans  son  évolution,  et,  s'il  venait  à  s'y  mêler  quel- 
que élément  étranger,  de  la  corriger.  D'où  cette  maxi- 
me des  modernistes,  que  l'évolution  religieuse  doit  se 
coordonner  à  révolution  intellectuelle  et  morale^  ou,  pour 
mieux  dire,  et  selon  le  mot  d'un  de  leurs  maîtres,  s'y 
subordonner.  —  Enfin,  l'homme  ne  souffre  point  en  soi 
de  dualisme  :  aussi  le  croyant  est-il  stimulé  par  un 
besoin  intime  de  synthèse  à  tellement  harmoniser  entre 
elles  la  science  et  la  foi,  que  celle-ci  ne  contredira 
jamais  à  la  conception  générale  que  celle-là  se  fait 
de  l'univers.  Ainsi  donc,  vis-à-vis  de  la  foi,  liberté  to' 
taie  de  la  science  ;  au  contraire,  et  nonobstant  qu'on  les 
ait  données  pour  étrangères  l'une  à  l'autre,  à  la  science^ 
asservissement  de  la  foi,  —  Toutes  choses  qui  sont  en 
opposition  formelle  avec  les  enseignements  de  notre 
prédécesseur,  Pie  IX.  Il  écrivait  en  effet  qu'il  «  est 
de  la  philosophie,  en  tout  ce  qui  regarde  la  religion, 
non  de  commander,  mais  d'obéir,  non  de  prescrire  ce 
qui  est  à  croire,  mais  de  l'embrasser  avec  une  soumis- 
sion que  la  raison  éclaire,  de  ne  point  scruter  la  pro- 
fondeur des  mystères  de  Dieu,  mais  de  les  révérer  en 
toute  piété  et  humilité  (i).  »  Les  modernistes  renver- 
sent cet  ordre  et  méritent  qu'on  leur  applique  ce  que 
Grégoire  IX,  un  autre  de  nos  prédécesseurs,  écrivait 
de  certains  théologiens  de  son  temps  (2).  » 

5.  Conduite  des  modernistes  conforme  à  leurs  prince 


1.  Bref,  du  30  mars  1857,  àl'évêquede  Wrastilav;  Denzinger,  n°  1514. 
«—  2.  *  Il  en  est,  parmi  vous,  gonflés  d'esprit  de  vanité  ainsi  que  des 
outres  qui  s'efforcent  de  déplacer,  par  des  nouveautés  profanes,  les 
bornes  qu'ont  fixées  les  Pères;  qui  plient  les  saintes  Lettres  aux  doc-- 
trines  de  la  philosophie  rationnelle,  par  pure  ostentation  de  science, 
sans  visera  aucun  profit  des  auditeurs...  qui,  séduits  par  d'insolites 
et  bizarres  doctrines,  mettent  queue  en  tête  et  à  la  servante  assujet- 
tissent la  reine.  »  Epist.  ad  magist,  theol.  Pan'sienses,  juillet  1223;' 
Denzinger,  n.  379. 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    DOMINICI    GREGIS    »       XIX 

pes.  —  «  Ce  qui  jettera  plus  de  jour  encore  sur  ces  doc- 
trines des  modernistes,  c'est   leur   conduite,  qui    y   est 
pleinement  conséquente.  A  les  entendre,  à   les   lire,  on 
serait  tenté  de  croire    qu'ils   tombent   en  contradiction, 
avec  euK-mêmes,    qu'ils   sont   oscillants   et   incertains. 
Loin  de  là   :   tout  est   pesé,  tout   est  voulu  chez  eux», 
mais  à  la  lumière  de  ce  principe,  que  la  foi  et  la  science 
sont,  Vune  à  Vautre,  étrangères.  Telle  page  de  leurs  ou- 
vrages pourrait  être  signée  d'un  catholique;  tournez  la- 
page,    vous    croyez   lire   un   rationaliste.     Ecrivent  ils 
l'histoire    :    nulle    mention    de    la    divinité    de    Jésus- 
Christ  (i);  montent-ils  dans  la  chaire  sacrée,  ils  la  pro- 
clament  hautement.    Historiens,   ils  dédaignent    Pères 
et  conciles  ;  catéchistes,  il  les   citent  avec   honneur.  Si 
vous  y  prenez  garde,  il  y  a  pour  eux  deux  exégèses   fort- 
distinctes  :  V exégèse   théologique  et  pastorale,    V exégèse 
scientifique  et  historique.  —  De  même,  en  vertu   de    ce- 
principe  que  la  science  ne  relève  à  aucun  titre  de  la  foit 
s'ils  dissertent  de  philosophie,  d'histoire,    de    critique,, 
ils  affichent  en  mille  manières  —  n'ayant   pas   horreur 
de  marcher  en  cela  sur  les  traces  de  Luther  (2)  —   leur 
mépris  des  enseignements  catholiques,  des  saints  Pères,, 
des  Conciles  œcuméniques,    du    magistère    ecclésiasti- 
que :  réprimandés  sur  ce  point,  ils  jettent  les  hauts  cris,, 
se  plaignent  amèrement  qu'on  viole  leur  liberté.  Enfin,, 
vu  que  la  foi  est  subordonnée  à  la  science,  ils  reprennent 
l'Eglise  —  ouvertement  et  en  toute  rencontre  —  de  ce 
qu'elle  s'obstine   à   ne   point   assujettir  et  accommoder 

1.  C'est  notamment  le  reproche  fait  par  la  critique  à  Y  Evangile  et 
l'Eglise;  et  c'est  à  ce  reproche  que  répond  en  matière  de  justification 
la  Lettre  à  un  archevêque,  à? Autour  d'un  petit  livre,  p.  109,  sq.,  on 
l'on  trouve  très  légitime,  de  la  part  d'un  historien,  d'agir  ainsi. 
Voir  t.  11,  p.  259-281.  —  2.  Prop.  29,  condamnée  par  Léon  X,  Exurge 
Domine,  du  16  mai  1520  ;  Denzinger,  n.  653  :  «  Il  nous  a  été  donné 
de  pouvoir  infirmer  l'autorité  des  Conciles,  de  contredire  lib  ement  à- 
leurs  actes,  de  nous  faire  juge  des  lois  qu'ils  ont  portées,  et  d'af- 
firmer avec  assurance  tout  ce  qui  nous  paraît  vrai,  que  cela  soit  ap- 
prouvé ou  réprouvé  par  n'importe  quel  concile.  > 


XX  LE    CATECHISME    ROMAIN 

les  dogmes  aux  opinions  des  philosophes  ;  quanta  eux, 
après  avoir  fait  table  rase  dans  l'antique  théologie,  ils 
s'efforcent  d'en  introduire  une  autre,  complaisante, 
celle-ci,  aux  divagations  de  ces  mêmes    philosophes.  » 

III.  Le  théologien.  —  i.  Deux  principes  généra- 
teurs :  Immanence  et  Symbolisme.  —  «  Ici  se  présente  à 
nous  le  moderniste  théologien.  La  matière  est  vaste  et 
compliquée  :  nous  la  condensons  en  peu  de  mots.  Ce 
dont  il  s'agit,  c'est  de  concilier  la  science  et  la  foi,  tout 
naturellement  par  la  subordination  de  la  foi  à  la 
science.  La  méthode  du  moderniste  théologien  est  toute 
entière  à  prendre  les  principes  du  philosophe  et  à  les 
adapter  au  croyant,  et  c'est  à  savoir  les  principes  de  V im- 
manence et  du  symbolisme.  Fort  simple  est  le  procédé. 
Le  philosophe  disait  :  Le  principe  de  la  foi  est  immanent; 
le  croyant  ajoutait  :  Ce  principe  est  Dieu;  le  théologien 
conclut  :  Dieu  est  donc  immanent  dans  l'homme.  Imma- 
nence théologique,  —  De  même  le  philosophe  disait  : 
Les  représentations  de  V objet  sont  de  purs  symboles  ;  le 
croyant  ajoutait  :  L'objet  delafoi  est  Dieu  en  soi  ;le  théo- 
logien conclut  :  Les  représentations  de  la  réalité  divine 
sont  donc  purement  symboliques.  Symbolisme  théologique , 
Insignes  erreurs,  plus  pernicieuses  l'une  que  l'autre, 
ainsi  qu'on  va  le  voir  clairement  par  les  conséquences  » 
Symbolisme.  —  «  Et  pour  commencer  par  le  symbo- 
lisme, comme  les  symboles  sont  tout  ensemble  et  sym- 
boles au  regard  de  l'objet,  et  instruments  au  regard  du 
sujet,  il  découle  de  là  deux  conséquences  :  la  première, 
c'est  que  le  croyant  ne  doit  point  adhérer  précisément  à  la 
formule  en  tant  que  formule,  mais  en  user  purement 
pour  atteindre  à  la  vérité  absolue,  que  la  formule  voile 
et  dévoile  en  même  temps  qu'elle  fait  effort  pour  expri- 
mer, sans  y  parvenir  jamais.  La  seconde,  c'est  que  le 
croyant  doit  employer  ces  formules  dans  la  mesure  oh 
elles  peuvent  lui  servir,  car  c'est  pour  seconder  sa  loi, 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    DOMINICI   GREGIS    »       XXJ 

non  pour  l'entraver,  qu'elles  lui  sont  données  ;  sous  ré- 
serve toujours  du  respect  social  qui  leur  est  dû,  pour 
autant  que  le  magistère  public  les  aura  jugées  aptes  à 
traduire  la  conscience  commune,  et  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
réformé  ce  jugement.  » 

Immanence.  —  «  Pour  ce  qui  est  de  l'immanence,  il 
est  assez  malaisé  de  savoir  sur  ce  point  la  vraie  pensée 
des  modernistes,  tant  leurs  opinions  y  sont  divergentes. 
Les  uns  l'enlendent  dans  ce  sens  que  Dieu  est  plus  pré- 
sent à  l'homme  que  l'homme  n'est  présent  à  lui-même  : 
ce  qui,  sainement  compris,  est  irréprochable.  D'autres, 
veulent  que  l'action  de  Dieu  ne  fasse  qu'un  avec  l'ac- 
tion de  la  nature,  la  cause  première  pénétrant  la  cause 
seconde  :  ce  qui  est  en  réalité  la  ruine  de  Tordre  sur- 
naturel. D'autres  enfin  expliquent  tellement  la  chose 
qu'ils  se  font  soupçonner  d'interprétation  panthéiste  : 
ceux-ci  sont  d'accord  avec  eux-mêmes  et  vraiment 
logiques.  » 

Permanence  divine.  —  «  A  ce  principe  d'immanence, 
il  s'en  rattache  un  autre  que  l'on  peut  appeler  perma- 
nence divine  :  il  diffère  du  premier,  à  peu  près  comme 
l'expérience  transmise  par  tradition  de  la  simple  expé- 
rience individuelle.  Un  exemple  éclaircira  la  chose,  et 
il  sera  tiré  de  l'Eglise  et  des  sacrements.  —  Il  ne  faut 
pas  s'imaginer  disent-ils,  que  les  sacrements  et  l'Eglise 
aient  été  institués  immédiatement  par  Jésus-Christ.  Cela' 
est  en  contradiction  avec  l'agnosticisme  qui,  en  Jésus- 
Christ,  ne  voit  autre  chose  qu'un  homme,  dont  la 
conscience,  à  l'instar  de  toute  conscience  humaine,  est 
allée  se  formant  peu  à  peu  ;  avec  la  loi  d'immanence,, 
qui  répudie  les  applications  faites  du  dehors,  comme 
ils  disent;  avec  la  loi  d'évolution,  qui  demande  du 
temps  pour  le  développement  des  germes,  ainsi  qu'une 
série  changeante  de  circonstances  ;  avec  l'histoire  enfîiv 
qui  constate  que  les  choses  se  sont  passées  effective- 
ment selon  les  exigences  de  ces  lois.  Ce  qui  n'empêche 


XXlj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

point,  et  il  faut  l'affirmer,  que  PEglise  et  les  sacrements 
aient  été  institués  médiatement  par  Jésus-Christ.  Voici 
de  quelle  manière.  Toutes  les  consciences  chrétiennes 
furent  enveloppées  en  quelque  sorte  dans  la  conscience 
du  Christ,  ainsi  que  la  plante  dans  son  germe.  Et  de 
même  que  les  rejetons  vivent  de  la  vie  du  germe,  ainsi 
faut-il  dire  que  tous  les  chrétiens  vivent  de  la  vie  de 
Jésus-Christ.  Or,  la  vie  de  Jésus-Christ  est  divine, 
selon  la  foi  :  divine  sera  donc  aussi  la  vie  des 
chrétiens.  Et  c'est  pourquoi,  s'il  arrive  que  la  vie 
-chrétienne,  dans  la  suite  des  temps,  donne  nais- 
sance aux  sacrements  et  à  l'Eglise,  on  pourra  affirmer 
en  toute  vérité  que  l'origine  en  vient  de  Jésus-Christ 
-et  qu'elle  est  divine.  C'est  par  le  même  procédé  que  la 
divinité  sera  octroyée  aux  saintes  Ecritures,  qu'elle  le 
sera  aux  dogmes.  —  Là  se  borne  à  peu  près  la  théolo- 
gie des  modernistes  :  mince  bagage  sans  doute,  mais 
plus  que  suffisant,  si  l'on  tient,  avec  eux,  que  la  foi 
doit  en  passer  par  tous  les  caprices  de  la  science.  De 
tout  ceci,  nous  laisserons  à  chacun  le  soin  d'en  faire 
l'application  à  ce  qui  va  suivre:  elle  est  aisée.  » 

2.  Conséquences.  —  «  Nous  avons  surtout  parlé  jus- 
qu'ici de  l'origine  et  de  la  nature  de  la  foi.  Or,  dans 
le  système  des  modernistes,  la  foi  a  plusieurs  rejetons, 
dont  voici  les  principaux:  l'Eglise,  le  dogme,  le  culte, 
les  Livres  saints.  Voyons  ce  qu'ils  en  disent.  » 

Ce  que  devient  le  dogme.  —  «  Pour  commencer  par  le 
dogme,  il  est  si  connexe  avec  la  foi,  que  nous  avons 
déjà  dû  en  retracer  plus  haut  l'origine  et  la  nature  (i). 
Il  naît  du  besoin  qu'éprouve  le  croyant  de  travailler  sur 
sa  pensée  religieuse,  en  vue  d'éclairer  de  plus  en  plus 
et  sa  propre  conscience  et  celle  des  autres.  Ce  travail 
consiste  à  pénétrer  et  à  expliquer  la  formule  primitive; 
ce   qui   ne*    doit   point   s'entendre  d'un  développement 

—     t.  Voir,  t.  I,  les  leçons  consacrées  au  dogme. 


ENCYCLIQUE    «    PASCEISDI    DOMINICI    GREGIS    »      XXIJJ 

i  -  — ■ -    -  -    |      -  r       ^ 

d'ordre  rationnel  et  logique,  mais  commandé  entière- 
ment par  les  circonstances  :  ils  l'appellent,  d'un  mot 
assez  obscur  pour  qui  n'est  pas  au  fait  de  leur  langage, 
vital.  Il  arrive  ainsi  qu'autour  de  la  formule  primitive, 
naissent  peu  à  peu  des  formules  secondaires  ;  organi- 
sées par  la  suite  en  corps  de  doctrine,  ou,  pour  parler 
avec  eux,  en  constructions  doctrinales,  sanctionnées 
en  outre  par  le  magistère  public,  comme  répondant  à 
la  conscience  commune,  elles  recevront  le  nom  de 
dogme.  Du  dogme,  il  faut  distinguer  avec  soin  les 
pures  spéculations  théologiques.  Celles-ci,  d'ailleurs, 
pour  n'être  point  vivantes,  à  proprement  parler,  de  la 
vie  de  la  foi,  ne  laissent  pas  d'avoir  leur  utilité  :  elles 
servent  à  concilier  la  religion  avec  la  science,  à  suppri- 
mer entre  elles  tout  conflit  ;  de  même  à  éclairer  exté- 
rieurement la  religion,  à  la  défendre  ;  elles  peuvent 
enfin  constituer  une  matière  en  préparation  pour  un 
dogme  futur.  » 

Ce  que  devient  le  culte.  —  «  Du  culte,  il  y  aurait  peu 
à  dire,  si  ce  n'était  que  sous  ce  mot  sont  compris  les  sa- 
crements ;  et  sur  les  sacrements,  les  modernistes  gref- 
fent de  fort  graves  erreurs.  Le  culte  naît  d'une  double 
nécessité,  d'un  double  besoin  ;  car,  on  l'a  remarqué,  la 
nécessité,  le'besoin,  telle  est  dans  leur  système,  la 
grande  et  universelle  explication.  Le  premier  besoin,  ici, 
est  de  donner  à  la  religion  un  corps  sensible  /  le  second \ 
de  la  propager,  à  quoi  il  ne  faudrait  pas  songer  sans 
formes  sensibles  ni  sans  les  actes  sanctifiants  que  l'on 
appelle  les  sacrements.  » 

Ce  que  sont  les  sacrements.  —  «  Les  sacrements,  pour 
les  modernistes,  sont  de  purs  signes  ou  symboles,  bien 
que  doués  d'efficacité.  Ils  les  comparent  à  de  certaines 
paroles,  dont  on  dit  vulgairement  qu'elles  ont  fait  for- 
tune, parce  qu'elles  ont  la  vertu  de  faire  rayonner  des 
idées  fortes  et  pénétrantes,  qui  impressionnent  et 
remuent.  Comme  ces  paroles  sont  à  ces  idées,  de  même 


XXIV  LE    CATECHISME    ROMAIN 

les  sacrements  au  sentiment  religieux.  Rien  de  plus. 
Autant  dire,  en  vérité,  et  plus  clairement,  que  les  sa- 
crements n'ont  été  institués  que  pour  nourrir  la  foi: 
proposition  condamnée  par  le  Concile  de  Trente.  «Si 
quelqu'un  dit  que  les  sacrements  n'ont  été  institués  que 
pour  nourrir  la  foi,  qu'il  soit  anathème  (i).  » 

Ce  que  sont  les  Livres  saints  (2).  —  «  De  l'origine  et 
de  la  nature  des  Livres  saints,  nous  avons  déjà  touché 
quelque  chose.  Ils  ne  constituent,  non  plus,  que  de 
simples  rejetons  de  la  foi.  Si  l'on  veut  les  définir  exac- 
tement, on  dira  qu'ils  sont  le  recueil  des  expériences  fai- 
tes dans  une  religion  donnée,  non  point  expériences  à  la 
portée  de  tous  et  vulgaires,  mais  extraordinaires  et  insi- 
gnes. Ceci  est  dit  de  nos  Livres  saints  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau  Testament,  aussi  bien  que  des  autres.  Et  une 
remarque  qu'ils  ajoutent,  fort  avisée  à  leur  point  de  vue, 
c'est  que  si  l'expérience  roule  toujours  sur  le  présent,  elle 
peut  puiser  néanmoins  sa  matière  et  dans  le  passé  et  dans 
l'avenir,  attendu  que  le  croyant  vit  sous  la  forme  du 
présent,  et  les  choses  du  passé  qu'il  fait  renaître  par  le 
souvenir,  et  celles  de  l'avenir  qu'il  anticipe  par  la  pré- 
vision. De  là,  parmi  les  Livres  saints,  les  Livres  histori- 
ques et  les  apocalyptiques. —  C'est  Dieu  qui  parle  dans 
ces  Livres,  par  V organe  du  croyant  ;  mais,  selon  la  théo- 
logie moderniste,  par  voie  d'immanence  et  de  permanence 
vitale.  —  Demande-t-on  ce  qu'il  en  est  de  V inspiration? 
L'inspiration,  répondent-ils,  ne  diffère  pas,  si  ce  n'est 
par  l'intensité,  de  ce  besoin  qu'éprouve  tout  croyant  de 
communiquer  sa  foi,  par  V écrit  ou  par  la  parole.  On 
trouve  quelque  chose  de  semblable  dans  l  inspiration 
poétique^  et  on  se  souvient  du  mot  fameux  :  «  Un  Dieu 
est  en  nous  ;  de  lui  qui  nous  agite  vient  cette  flam- 
me. »  C'est  ainsi,  que  Dieu,  dans    leur   doctrine,  est  le 

1.  Sesfi.  vu,  De  satramentis  in  génère,  can.  5.  Il  est  question  de 
l'origine  et  de  la  nature  des  sacrements  au  t.  iv.  —  2.  Voir,  t.  m,  les 
loçons  îv- vu. 


ENCYCLIQUE    ((    PASCEXDI    DOMIMCI    GREOIS    »       XXV 

principe  de  l'inspiration  des  saints  Livres.  —  Cette  ins- 
piration, ajoutent-ils,  rien,  dans  ces  mêmes  Livres,  qui 
lui  échappe.  En  quoi  vous  les  croiriez  plus  orthodoxes 
que  certains  autres  de  ce  temps,  qui  la  rétrécissent 
quelque  peu,  en  lui  dérobant,  par  exemple,  ce  qu'ils 
appellent  les  citations  tacites.  Jonglerie  de  mots  et 
apparences  pures.  Si  l'on  commence  par  déclarer,  selon 
les  principes  de  l'agnosticisme,  que  la  Bible  est  un  ou- 
vrage humain,  écrit  par  des  hommes  et  pour  des  hom- 
mes, sauf  à  les  dire  théologiquement  divins  par  imma- 
nence, le  moyen  de  rétrécir  l'inspiration  ?  Universelle, 
l'inspiration  ?  oui,  au  sens  moderniste,  nulle,  au  sens 
catholique.  » 

Ce  quest  V Eglise  (i).  —  «  Nous  voici  à  l'Eglise,   où 
leurs  fantaisies  vont  nous  offrir  plus  ample   matière.  — 
VEvlise  est  née  d'un  double  besoin  :  du  besoin  qu'éprouve 
tout    fidèle^  surtout    s'il    a    quelque   expérience   origi- 
nale, de  communiquer  sa  foi  ;  ensuite,  quand  la  foi  est 
devenue  commune,  ou,  comme    on  dit,  collective,  du 
besoin  de  s'organiser  en  société)  pour   conserver,    accroî- 
tre, propager  le  trésor  commun.  — Alors  qu'est-ce  donc 
que  Y  Eglise?  Le  fruit  de  la  conscience  collective,  autre- 
ment dit  de  la  collection  des  consciences  individuelles  : 
consciences  qui,  en    vertu    de    la    permanence  vitale, 
dérivent  d'un  premier  croyant  —  pour  les   catholiques, 
de  Jésus-Christ.  —  Or,   toute  société    a  besoin  d'une 
autorité  dirigeante,  qui    guide    ses    membres   à  la   fin 
commune,  qui,    en   même   temps,   par  une  action  pru- 
demment conservatrice,  sauvegarde  ses  éléments  essen- 
tiels, c'est  à-dire,  dans  la    société  religieuse,  le  dogme 
et  le  culte.  De  là,  dans  l'Eglise  catholique,  le  triple  pou- 
voir, disciplinaire,  doctrinal,  liturgique.  —  De    l'origine 
de  cette  autorité,  se  déduit    sa    nature  ;    comme   de  sa 
nature,    ensuite,   ses    droits  et  ses  devoirs.  Aux  temps 

X.  Voir,  t.  il,  les  leçons  xxxiii-xxxiy. 


XXVJ  LE    CATECHISME    ROMAIN 

passés,  c'était  une    erreur   commune   que  l'autorité  fût 
venue  à  l'Eglise  du  dehors,  savoir   de   Dieu  immédiate- 
ment :  en  ce  temps-là,  on  pouvait,  à  bon  droit,  la  regar- 
der comme  autocratique.    Mais   on  en    est    bien  revenu 
aujourd'hui.  De  même  que  l'Eglise   est   une   émanation 
vitale  de  la  conscience  collective,  de  même,  à  son  tour, 
l'autorité  est  un  produit  vital  de  V Eglise.  La  conscience 
religieuse,  tel  est  donc  le  principe  d'où   l'autorité    pro- 
cède,  tout   comme    l'Eglise,  et   s'il  en  est  ainsi,  elle  en 
dépend.  Vient-elle  à  oublier   ou   méconnaître   cette   dé- 
pendance, elle  tourne  en  tyrannie.  Nous  sommes  à  une 
époque,  où   le   sentiment  de  la  liberté  est  en  plein  épa- 
nouissement :  dans  l'ordre    civil,   la  conscience  publi- 
que a  créé  le  régime  populaire.    Or,   il   n'y  a  pas   deux 
consciences  dans  l'homme,  non  plus    que  deux  vies.  Si 
l'autorité  ecclésiastique  ne  veut  pas,  au  plus  intime  des 
consciences,  provoquer  et  fomenter  un    conflit,    à   elle 
de  se   fier  aux  formes  démocratiques.  Au  surplus,  à  ne 
point  le  faire,  c'est  la  ruine.  Car,  il  y  aurait  folie   à  s'i- 
maginer que  le  sentiment  de  la  liberté,  au  point  où  il  en 
est,  puisse  reculer.  Enchaîné  de  force  et  contraint,   ter- 
rible serait  son  explosion  :  elle  emporterait  tout,  Eglise 
et  religion.  —  Telles  sont,  en  cette   matière,   les   idées 
des  modernistes,  dont  c'est,  par  suite,  le  grand  souci  de 
chercher  une  voie   de   conciliation   entre   l'autorité  de 
l'Eglise  et  la  liberté  des  croyants.  » 

Rapports  de  V Eglise  et  de  l'Etat.  —  «  Mais  l'Eglise 
n'a  pas  seulement  à  s'entendre  amicalement  avec  les 
siens  ;  ses  rapports  ne  se  bornent  pas  au  dedans  ;  elle 
en  a  encore  avec  le  dehors.  Car  elle  n'occupe  pas  seule 
le  monde.  En  regard,  il  y  a  d'autres  sociétés,  avec  qui 
elle  ne  peut  se  dispenser  de  communiquer  et  d'avoir 
commerce.  Vis-à-vis  de  celles-ci,  quels  sont  donc  ses 
droits  et  ses  devoirs  ?  C'est  ce  qu'il  s'agit  de  détermi- 
ner, et  non  pas  sur  d'autre  principe,  bien  entendu,  que 
sa   nature    même,    telle    qu'ils    l'ont    décrite.  —  Les 


ENCYCLIQUE  «  PASCENDI   DOMINICI  GREGIS  »      XXVÎj 

règles   qu'ils    appliquent   sont   les    mêmes  que  pour  la 
science  et  la  foi,  sauf  que  là  il  s'agissait  d'objets,    ici  de 
fins.  De  même  donc  que  la  foi  et  la  science  sont  étran- 
gères l'une  à  l'autre,  à  raison  delà  diversité  des  objets, 
de  même   l'Eglise    et    l'Etat,  à  raison  de    la    diversité 
des    fins,    spirituelle    pour   l'Eglise,    temporelle  pour 
l'Etat.  Autrefois  on  a  pu  subordonner    le   temporel    au 
spirituel  ;  on  a  pu  parler  de  questions  mixtes,  où  l'Eglise 
apparaissait  comme  reine,  maîtresse.  La   raison  en    est 
qu'on  tenait  alors  l'Eglise,  comme  instituée  directement 
de  Dieu,  en  tant  qu'il  est  l'auteur  de  l'ordre  surnaturel. 
Mais  cette  doctrine,  aujourd'hui,  philosophie  et  histoire 
s'accordent  à  la  répudier  :    donc  séparation  de  V Eglise 
et  de  l'Etat)  du  catholique  et  du  citoyen.    Tout   catholi' 
que,  car  il  est  en  même  temps  citoyen,  a  le  droit  et   le  de- 
voir,  sans  se  préoccuper   de   V autorité  de  V Eglise,  sans 
tenir  compte  de  ses  désirs,    de  ses   conseils,  de  ses  corn- 
mandements,  au   mépris  même   de  ses  réprimandes,   de 
poursuivre  le  bien  public  en  la  manière   qu'il  estime  la 
meilleure.  Tracer  et  prescrire   au   citoyen   une  ligne  de 
conduite,  sous  un  prétexte  quelconque,  est   un  abus  de 
la  puissance  ecclésiastique,  contre  lequel  c'est    un    de- 
voir de  réagir  de  toutes  ses  forces.  Les  principes,    dont 
toutes  ces  doctrines   dérivent,    ont   été   solennellement 
condamnés   par    Pie  VI,   notre  prédécesseur,    dans  sa 
Constitution  Auctorem  fidei  (i). 

i.  Prop.  2  :  «  La  proposition  qui  établit  que  le  pouvoir  a  été  donné 
par  Dieu  à  l'Eglise,  pour  être  communiqué  aux  pasteurs,  qui  sont  ses 
ministres  pour  le  salut  des  âmes,  ainsi  comprise  que  le  pouvoir  de 
ministère  et  de  gouvernement  dérive  de  la  communauté  des  fidèles 
aux  pasteurs  :  hérétique.  »  —  Prop.  3  :  «  De  plus  celle  qui  établit  que 
le  Pontife  romain  est  chef  ministériel,  ainsi  expliquée  que  le  Pontife 
romain  reçoit,  non  pas  du  Christ,  en  la  personne  du  bienheureux 
Pierre,  mais  de  l'Eglise,  le  pouvoir  de  ministère  dont  il  est  investi 
dans  toute  l'Eglise,  comme  successeur  de  Pierre,  vrai  Vicaire  du 
Christ  et  chef  de  toute  l'Eglise  :  hérétique.  »  Denzinger,  n.  1365, 
1366.  Voir,  sur  cette  question,  les  leçons  xxxm-xxxvi,  t.  n,  notam- 
ment p.  522-53 7,  où  sont  signalées  les  erreurs  des  modernistes  sur 
l'origine,  la  nature  de  l'Eglise  et  sur  la  question  de  la  séparation. 


XXVllj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

«Il  ne  suffit  pas  à  l'école  moderniste  que  l'Etat  soit 
séparé  de  l'Eglise.  De  même  que  la  foi  doit  se  subor- 
donner à  la  science,  quant  aux  éléments  phénoménaux, 
ainsi  faut-il  que  dans  les  affaires  temporelles,  V Eglise 
s" assujettisse  à  VEtat.  Cela,  ils  ne  le  disentpeut-être  pas 
encore  ouvertement;  ils  le  diront  quand,  sur  ce  point, 
ils  seront  logiques.  Posé,  en  effet,  que  dans  les  choses 
temporelles.,  l'Etat  est  maître,  s'il  arrive  que  le  croyant, 
aux  actes  intérieurs  de  religion,  dont  il  ne  se  contente 
pas  d  aventure,  en  veuille  ajouter  d'extérieurs,  comme 
serait  l'administration  des  sacrements,  la  conséquence 
nécessaire  c'est  qu'ils  tombent  sous  la  domination  de 
l'Etat.  —  Et  que  dire  alors  de  l'autorité  ecclésiastique, 
dont  justement  il  n'est  pas  un  seul  acte  qui  ne  se  tra- 
duise à  l'extérieur?  Il  faudra  donc  qu'elle  lui  soit  tota- 
lement assujettie.  C'estl'évidence  de  ces  conclusions  qui 
a  amené  bon  nombre  de  protestants  libéraux  à  rejeter 
tout  culte  extérieur,  même  toute  société  religieuse  ex- 
térieure, et  à  essayer  de  faire  prévaloir  une  religion 
purement  individuelle  (i).  — Si  les  modernistes  n'en 
sont  pas  encore  arrivés  là,  ce  qu'ils  demandent,  en 
attendant,  c'est  que  l'Eglise  veuille,  sans  trop  se  faire 
prier,  suivre  leur  direction,  et  qu'elle  en  vienne  enfin 
à  s'harmoniser  avec  les  formes  civiles.  Telles  sont  leurs 
idées  sur  V autorité  disciplinaire. 

«  Quant  à  V autorité  doctrinale  et  dogmatique,  bien 
plus  avancées,  bien  plus  pernicieuses  sont  sur  ce  point 
leurs  doctrines.  Veut-on  savoir  comment  ils  imaginent 
le  magistère  ecclésiastique  ?  Nulle  société  religieuse, 
disent-ils,  n'a  de  véritable  unité,  que  si  la  conscience 
religieuse  de  ses  membres  est  une,  et  une  aussi  la  for- 
mule qu'ils  adoptent.  Or,  cette  double  unité  requiert 
une  espèce  d'intelligence  universelle,  dont  ce  soit  l'of- 
fice de  chercher  et  de  déterminer  la  formule  répondant 

i.  Telle  est,  en  particulier,  la  prétention  des  Harnack,  Sabatier, 
Ménégoz,  etc.,  dont  il  a  été  question  plusieurs  ibis  dans  cet  ouvrage» 


ENCYCLIQUE    ((    PASCENDI    DOMINICI    GREGIS    »      XXIX 

le  mieux  à  la  conscience  commune,  qui  ait  en  outre 
suffisamment  d'autorité,  cette  formule  une  fois  arrêtée, 
pour  l'imposer  à  la  communauté.  De  la  combinaison  et 
comme  de  la  fusion  de  ces  deux  éléments,  intelligence 
qui  choisit  la  formule,  autorité  qui  l'impose,  résulte, 
pour  les  modernistes,  la  notion  du  magistère  ecclésias- 
tique. Et  comme  ce  magistère  a  sa  première  origine  dans 
les  consciences  individuelles ,  et  qu'il  remplit  un  service 
public  pour  leur  plus  grande  utilité,  il  est  de  toute  évi- 
dence qu'il  doit  s'y  subordonner,  par  là  même  se  plier 
aux  formes  populaires.  Interdire  aux  consciences  indivi- 
duelles de  proclamer  ouvertement  et  hautement  leurs 
besoins  ;  bâillonner  la  critique,  l'empêcher  de  pousser 
aux  évolutions  nécessaires,  ce  n'est  donc  plus  l'usage 
d'une  puissance  commise  pour  des  fins  utiles,  c'est  un 
abus  d'autorité.  —  Puis,  l'usage  de  cette  autorité  ou 
puissance  a  besoin  de  se  tempérer.  Condamner  et  pros- 
crire un  ouvrage  à  l'insu  de  l'auteur,  sans  explication 
de  sa  part,  sans  discussion,  cela  véritablement  confine 
à  la  tyrannie.  En  somme,  ici  encore,  il  faut  trouver  une 
voie  moyenne  où  soient  assurés  tout  ensemble  les  droits 
de  l'autorité  et  ceux  de  la  liberté.  En  attendant,  que 
fera  le  catholique  ?  Il  se  proclamera  hautement  très  res- 
pectueux de  l'autorité,  mais  sans  se  démentir  le  moins 
du  monde,  sans  rien  abdiquer  de  son  caractère  ni  de 
ses  idées.  —  Généralement,  voici  ce  qu'ils  imposent  à 
l'Eglise.  Du  moment  que  sa  fin  est  toute  spirituelle, 
l'autorité  religieuse  doit  se  dépouiller  de  tout  cet  appa- 
reil extérieur,  de  tous  ces  ornements  pompeux,  par  les- 
quels elle  se  donne  comme  en  spectacle.  En  quoi  ils 
oublient  que  la  religion,  si  elle  appartient  à  l'âme  pro- 
prement, n'y  est  pourtant  pas  confinée,  et  que  l'honneur 
rendu  à  l'autorité  rejaillit  sur  Jésus-Christ  qui  Ta  ins- 
tituée. 7> 

Point  capital  du  système  :  l'évolution,  —  «  Pour  épui- 
ser toute  cette  matière  de  la  foi  et  de  ses  rejetons,   il 


XXX  LE    CATECHISME    ROMAIN 

■      I.  ■■!»■■■■      I  -     -  ■  Il       ■  ■  -     -■  -  .        -     — .  —M  ■         -  —,  „,     « 

nous  reste  à  voir  comment  les   modernistes  entendent 
leur  développement.  —  Ils  posent  tout  d'abord  ce  prin. 
cipe  général  que,  dans  une  religion  vivante,  il  n'est  rien 
qui  ne  soit  variable,    rien  qui  ne  doive  varier.    D'où    ils 
passent   à   ce  que  Ton  peut  regarder   comme  le  point 
capital  de  leur  système,  savoir  l'évolution  (i).   Des  lois 
de  l'évolution,   dogme,  Eglise,  culte,  Livres  saints,   foi 
même,  tout  est  tributaire,  sous  peine  de  mort.  Que  l'on 
reprenne  sur  chacune  de  ces  choses  en  particulier  les 
enseignements    des   modernistes,    et    ce    principe    ne 
pourra  surprendre.  Quant  à  son  application,   quant  à  la, 
mise  en  acte  des  lois  de  l'évolution,  voici  leur  doctrine, 
et  d'abord  pour  la  foi.  Commune  à  tous  les  hommes  et 
obscure,  disent-ils,  fut  la  forme  primitive  de  la  foi  : 
parce  que  précisément  elle  prit  naissance  dans  la  nature 
même  et  dans  la  vie  de  l'homme.    Ensuite   elle   pro- 
gressa,   et  ce  fut  par  évolution  vitale,   c'est-à-dire    non 
pas   par   adjonction   de   nouvelles   formes   venues   du 
dehors  et  purement  adventices,   mais  par  pénétration 
croissante   du  sentiment  religieux  dans  la  conscience. 
Et  ce  progrès  fut  de  deux  sortes  :  négatif,  par  élimina- 
tion  de   tout  élément  étranger,  tel   que   le  sentiment 
familial  ou  national  ;  positif,  par  solidarité  avec  le  per- 
fectionnement intellectuel  et  moral    de   l'homme,    ce 
perfectionnement  ayant  pour  effet  d'élargir  et  d'éclairer 
de  plus  en  plus  la  notion  du  divin,  en  même  temps  que 
d'élever  et  d'affiner  le  sentiment  religieux.   —  Pour 
expliquer  ce  progrès  de  la  foi,  il   n'y  a  pas  à  recourir  à 
d'autres  causes  qu'à  celles-là  même  qui  lui  donnèrent 
origine,   si  ce  n'est  qu'il  faut  y  ajouter  l'action  de  cer- 
tains hommes  extraordinaires,  ceux  que  nous  appelons 
prophètes,  et  dont  le  plus  illustre  a  été  Jésus-Christ, 
Ils  concourent  au  progrès  de  la  foi,  soit  parce   qu'ils 
offrent  dans  leur  vie  et  dans  leurs  discours  quelque 

X.  Voir  les  leçons  iv-vi,  1. 1, 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    DOMIMCI    GREGIS    »      XXXJ 

chose  de  mystérieux  dont  la  foi  s'empare  et  qu'elle 
finit  par  attribuer  à  la  divinité  ;  soit  parce  qu'ils  sont 
favorisés  d'expériences  originales,  en  harmonie  avec 
les  besoins  des  temps  où  ils  vivent.  —  Le  progrès  du 
dogme  est  dû  surtout  aux  obstacles  que  la  foi  doit  sur- 
monter, aux  ennemis  qu'elle  doit  vaincre,  aux  contra- 
dictions qu'elle  doit  écarter.  Ajoutez-y  un  effort  pi  i  pé- 
tuel  pour  pénétrer  toujours  plus  profondément  ses  pro- 
pres mystères.  Ainsi  est-il  arrivé  —  pour  nous  borner  à 
un  seul  exemple  —  que  ce  quelque  chose  de  divin  que 
la  foi  reconnaissait  en  Jésus-Christ,  elle  est  allée  l'éle- 
vant et  l'élargissant  peu  à  peu  et  par  degrés,  jusqu'à  ce 
que  de  lui  finalement  elle  a  fait  un  Dieu.  —  Le  facteur 
principal  de  l'évolution  du  culte  est  la  nécessité  d'adap- 
tation aux  coutumes  et  traditions  populaires,  comme 
aussi  le  besoin  de  mettre  à  profit  la  valeur  que  certains 
actes  tirent  de  l'accoutumance.  —  Pour  V Eglise,  enfin, 
c'est  le  besoin  de  se  plier  aux  conjonctures  historiques, 
de  s'harmoniser  avec  les  formes  existantes  des  sociétés 
civiles.  —  Telle  est  l'évolution  dans  le  détail.  —  Ce 
que  nous  voulons  y  faire  noter  d'une  façon  toute  spé- 
ciale, c'est  la  théorie  des  nécessités  et  des  besoins  :  elle  a 
d'ailleurs  été  jusqu'ici  la  base  de  tout  ;  et  c'est  là-dessus 
que  portera  cette  fameuse  méthode  qu'ils  appellent  histo- 
rique. 

«  Nous  n'en  avons  pas  fini  avec  l'évolution.  L'évolu- 
tion est  due,  sans  doute,  à  ces  stimulants,  les  besoins  ; 
mais  sous  leur  seule  action,  entraînée  hors  de  la  ligne 
traditionnelle,  en  rupture  avec  le  germe  initial,  elle 
conduirait  à  la  ruine  plutôt  qu'au  progrès.  Disons  donc, 
pour  rendre  pleinement  la  pensée  des  modernistes,  que 
révolution  résulte  du  conflit  de  deux  forces,  dont  lune 
pousse  au  progrès ,  tandis  que  Vautré  tend  à  la  conserva- 
tion. —  La  force  conservatrice,  dans  l'Eglise,  c'est  la  tra- 
dition, et  la  tradition  y  estrepré.^entée  par  l'autorité  reli- 
gieuse. Ceci,  et  en  droit  et  en  fait  :  en  droit,  parce  que 


XXXlj  LE    CATECHISME    ROMAIN 

la  défense  de  la  tradition  est  comme  un  instinct  naturel 
de  l'autorité  ;  en  fait,  parce  que,  planant  au-dessus  des 
contingences   de   la   vie,  l'autorité  ne  suit  pas    ou  que 
très  peu  les  stimulants  du  progrès.  La  force  progressive, 
au    contraire,   qui   est  celle    qui   répond  aux  besoins, 
couve  et   fermente  dans   les  consciences  individuelles, 
et  dans  celles-là  surtout  qui  sont  en  contact  plus  intime 
avec  la  vie.  Voyez-vous  poindre  ici  cette  doctrine  per- 
nicieuse qui  veut  faire  des  laïques,  dans  l'Eglise,  un  fac- 
teurdeprogrès  ?  Or,  c'est  en  vertu  d'une  sorte  de  com- 
promis et  de  transaction  entre  la  force  conservatrice  et 
la  force  progressive,  que  les  changements  et  les  progrès 
seréalisent.   Il  arrive  que  les  consciences  individuelles, 
certaines  du  moins,  réagissent  sur  la  conscience  collec- 
tive :  celle-ci,  à  son  tour,  fait  pression  sur  les    déposi- 
taires de  l'autorité,  jusqu'à   ce   qu'enfin  ils  viennent   à 
composition,  et  le  pacte  fait,  elle  veille  à  son  maintien.» 
«  On  comprend  maintenant  Yétonnemeut  des  moder- 
nistes, quand  ils  sont  réprimandés  et  frappés.  Ce  qu'on 
leur   reproche  comme   une  faute,  mais    c'est  ce  qu'ils 
regardent    au   contraire    comme    un   devoir  sacré.    En 
contact  intime  avec  les  consciences,   mieux   que  per- 
sonne,   sûrement   mieux   que  l'autorité  ecclésiastique, 
ils  en  connaissent  les  besoins  :  ils   les   incarnent,   pour 
ainsi  dire,  en  eux.  Dès   lors,  ayant  une  parole   et  une 
plume,  ils    en  usent   publiquement,    c'est  un    devoir. 
Que  l'autorité  les  réprimande  tant  qu'il  lui  plaira  :  ils 
ont  pour  eux  leur  conscience  et  une  expérience  intime 
qui  leur  dit  avec   certitude  que  ce  qu'on  leur  doit,  ce 
sont  des  louanges  non  des  reproches.  Puis  ils  réfléchis- 
sent que,  après  tout,  les  progrès  ne  vont  pas  sans  crise, 
ni  les  crises  sans  victimes.  Victimes,  soit  !  Ils  léseront, 
après  les  prophètes,  après  Jésus-Christ.  Contre  l'autorité 
qui  les   maltraite,  ils   n'ont  point  d'amertume   :   après 
tout,  elle  fait  son  devoir  d'autorité.  Seulement  ils  dépL©-' 
rent  qu'elle   reste   sourde   à  leurs  objurgations,  parce? 


ENCYCLIQUE   ((   PASCENDI  DOMINICI  GREGIS  »      XXXI 1J 

qu'en  attendant  les  obstacles  se  multiplient  devant  les 
âmes  en  marche  vers  l'idéal.  Mais  l'heure  viendra,  elle 
viendra  sûrement,  où  il  faudra  ne  pas  tergiverser,  parce 
qu'on  peut  bien  contrarier  l'évolution,  on  ne  la 
force  pas.  Et  ils  vont  leur  route  :  réprimandés  et  con- 
damnés, ils  vent  toujours,  dissimulant  sous  des  dehors 
menteurs  de  soumission  une  audace  sans  bornes.  Ils 
courbent  hypocritement  la  tête,  pendant  que  de  toutes 
leurs  pensées,  de  toutes  leurs  énergies,  ils  poursuivent 
plus  audacieusement  que  jamais  le  plan  tracé.  Ceci  est 
chez  eux  une  volonté  et  une  tactique  :  etparce  qu'iis 
tiennent  qu'il  fautstimuler  l'autorité,  non  la  détruire,  et 
parce  qu'il  leur  importe  de  rester  au  sein  de  l'Eglise,  pour 
y  travailler  et  y  modifier  peu  à  peu  la  conscience  com- 
mune :  avouant  par  là,  mais  sans  s'en  apercevoir,  que 
la  conscience  commune  n'est  donc  pas  avec  eux,  et  que 
c'est  contre  tout  droit  qu'ils  s'en  prétendent  les  inter- 
prètes.  » 

La  doctrine  des  modernistes  se  heurte  à  des  condamna- 
tions déjà  portées.  —  «  Ainsi,  la  doctrine  des  moder- 
nistes, comme  l'objet 'de  leurs  efforts,  c'est  qu'il  n'y  ait 
rien  de  stable,  rien  d'immuable  dans  l'Eglise.  Ils  ont  eu 
des  précurseurs,  ceux  dont  Pie  IX,  notre  prédéces- 
seur, écrivait  :  «  Ces  ennemis  de  la  révélation  divine 
exaltent  le  progrès  humain  et  prétendent,  avec  une 
témérité  et  une  audace  vraiment  sacrilèges,  s'introduire 
dans  la  religion  catholique,  comme  si  cette  religion 
n'était  pas  l'œuvre  de  Dieu,  mais  l'œuvre  des  hommes, 
une  invention  philosophique  quelconque,  susceptible  de 
perfectionnements  humains  (i).  » — Sur  la  révélation  et 
le  dogme,  en  particulier,  la  doctrine  des  modernistes 
n'offre  rien  de  nouveau  :  nous  la  trouvons  condamnée 
dans  le  Syllabus  de  Pie  IX.  où  elle  est  énoncée  en  ces 
termes  :  «   La  révélation  divine   est  imparfaite,  sujette 

I.   Encyclique    Qui  pluribus,    du   9  novembre    1846;    Denzinger, 
n.  1497. 

LB  CATÉCHISME.   —  T.   III.  « 


^N^IV  LE    CATECHISME    ROMAIN 

par  conséquent  à  un  progrès  continu  et  indéfini,  en 
rapport  avec  le  progrès  de  la  raison  humaine  (i);  > 
plus  solennellement  encore,  dans  le  concile  du  Vati- 
can :  «  La  doctrine  de  foi  que  Dieu  a  révélée  n'a  pas 
été  proposée  aux  intelligences  comme  une  invention 
philosophique,  qu'elles  eussent  à  perfectionner,  mais 
elle  a  été  confiée  comme  un  dépôt  divin  à  l'épouse  de 
Jésus-Christ,  pour  être  par  elle  fidèlement  gardée  et  infail- 
liblement interprétée.  C'est  pourquoi  aussi  le  sens  des 
dogmes  doit  être  retenu,  tel  que  notre  sainte  mère  l'Eglise 
l'a  une  fois  défini,  et  il  ne  faut  jamais  s'écarter  de  ce 
sens,  sous  le  prétexte  et  le  nom  d'une  plus  profonde 
intelligence  (2).  »  Par  là,  et  même  en  matière  de  foi,  le 
développement  de  nos  connaissances,  loin  d'être  con- 
trarié, est  secondé  au  contraire  et  favorisé.  C'est  pour- 
quoi le  concile  du  Vatican  poursuit  :  «  Que  l'intelli- 
gence, que  la  science,  que  la  sagesse  croisse  et  pro- 
gresse, d'un  mouvement  vigoureux  et  intense,  en 
chacun  comme  en  tous,  dans  le  fidèle  comme  dans 
toute  l'Eglise,  d'âge  en  âge,  de  siècle  en  siècle,  mais 
seulement  dans  son  genre,  c'est-à-dire  selon  le  même 
dogme,  dans  le  même  sens,  la  même  acception  (3).  » 

IV.  L'historien.  —  Le  critique.  —   1.  Déformation 
arbritraire  de  l'histoire.  — «  Certains  d'entre  les  moder- 
nistes, adonnés  aux  études   historiques,    paraissent  re- 
douter très  fort  qu'on  les  prenne  pour  des  philosophes: 
*    de   philosophie,   ils    ne    savent   pas   le    premier   mot. 
j    Astuce  profonde.  Ce  qu'ils  craignent,  c'est  qu'on  ne  les 
1   soupçonne  d'apporter  en  histoire  des  idées  toutes  faites, 
!   de  provenance  philosophique,  qu'on  ne  les   tienne  pas 
pour   assez  objectifs,  comme  on    dit    aujourd'hui.    Et 
pourtant,  que  leur  histoire,  que   leur  critique,  soient 

1.  Prop.  5  :  Denzinger,  n.    155a.  —  a.  Const.  Dei   Pilius,  c.   iv. 
—  3.  Ibid.   Touie  cette  question  a  été  traitée  dans  la  leçon  ir,  1. 1> 

p.  162  sq. 


ENCYCLIQUE  «    PASCENDJ  DOMI.MCI  GREGIS    ))       XXXV 

pure  œuvre  de  philosophie;  que  leurs  conclusions  hisv 
torico-critiques  viennent  en  droiture  de  leurs  principes 
philosophiques  :  rien  de  plus  facile  à  démontrer.  — - 
Leurs  trois  premières  lois  sont'  contenues  dans  trois 
principes  philosophiques  déjà  vus,  savoir  :  le  principe, 
de  1  agnosticisme  ;  le  principe  de  la  Iran  s  figuration  des- 
choses par  la  foi  ;  le  principe,  enfin,  que  nous  avons  cm 
pouvoir  nommer  de  dèfiguration.  » 

A.  Par   V application  de  V agnosticisme,   —  «   De  pcm 
V agnosticisme,  l'histoire,  non    plus  que   la  science,  ne 
roule  que  sur  des  phénomènes.  Conclusion  :  Dieu,  toute 
intervention   de    Dieu  dans    les  choses  humaines,  doivent 
être   renvoyés  à   la   foi,    comme   de  son  ressort  exclusif* 
Que  s'il  se  présente  une  chose    où  le  divin  et  l'humain.' 
se  mélangent,  Jésus-Christ,  par  exemple,  l'Eglise,   les; 
sacrements,  il  y  aura   donc    à   scinder  ce  composé  et  à 
en  dissocier  les  éléments  :  l'humain  restera  à  l'histoire^  - 
le  divin  ira  à  la  foi.  De  là,  fort  courante  chez  les  modela 
nistes,  la  distinction  du  Christ  de  l'histoire  et  du  Christ; 
de  la  foi,  de  l'Eglise  de  1  histoire  et  de  l'Eglise  de  la  foL>,. 
des  sacrements  de  l'histoire  et  des  sacrements  de  la  foi',, 
et  ainsi  de  suite.  —  Puis,  tel  qu'il  apparaît  dans  les  do- 
cuments, cet  élément  humain  retenu   pour  l'histoire,   a 
été   lui-même     transfiguré   manifestement    par   la   foi, 
c'est-à-Jire  élevé  au-dessus  des  conditions  historiques^ 
Il  faut  donc  en  éliminer  toutes  les  adjonctions  que  la  foi 
y  a  faites,  et  les  renvoyer  à  la  foi  elle-même  et  à  l'his*- 
toire  de  la  foi  :  ainsi,  en   ce  qui  regarde  Jésus-Christ, 
tout  ce  qui  dépasse  l'homme  selon    sa   condition  natu- 
relle et  selon  la  conception  que  s'en  fait  la  psychologie^. 
l'homme    aussi   de  telle  région  et  de  telle  époque.  — 
Enfin,  au  nom  du  troisième  principe  philosophique,  les- 
choses  mêmes  qui  ne  dépendent  pas  de  la  sphère  histo- 
rique sont  passées  au  crible  ;  tout  ce  qui,  au   jugement: 
des  modernistes,    n'est  pas   dans    la   logique  des  faitsr 
comme  ils  disent,  tout  ce  qui  n'est  pas  assorti  aux  per* 


XXXVJ  LE    CATECHISME    ROMAIN 

sonnes,  est  encore  écarté  de  l'histoire  et  renvoyé  à  la  foi. 
Ainsi  ils  prétendent  que  Notre  Seigneur  n'a  jamais  pro- 
féré de  parole  qui  ne  pût  être  comprise  des  multitudes 
qui  l'entouraient.  D'où  ils  infèrent  que  toutes  les  allé- 
gories que  l'on  rencontre  dans  ses  discours  doivent  être 
rayées  de  son  histoire  réelle  et  transférées  à  la  foi.  De- 
mande-t-on  peut-être  au  nom  de  quel  critérium  s'o- 
pèrent de  tels  discernements  ?  Mais  c'est  en  étudiant 
le  caractère  de  l'homme,  sa  condition  sociale,  son  édu- 
cation, l'ensemble  des  circonstances  où  se  déroulent 
ses  actes  :  toutes  choses,  si  nous  l'entendons  bien,  qui 
se  résolvent  en  un  critérium  pareillement  subjectif  Car, 
voici  le  procédé  :  ils  cherchent  à  se  revêtir  de  la  per- 
sonnalité de  Jésus-Christ  ;  puis  tout  ce  qu'ils  eussent 
fait  eux-mêmes  en  semblables  conjonctures, ils  n'hésitent 
pas  à  le  lui  attribuer.  —  Ainsi,  absolument  à  priori,  et 
au  nom  de  certains  principes  philosophiques,  qu'ils 
affectent  d'ignorer,  mais  qui  sont  les  bases  de  leur  sys- 
tème, ils  dénient  au  Christ  de  l'histoire  réelle,  la  divi- 
nité, comme  à  ses  actes,  tout  caractère  divin;  quant  à 
l'homme,  il  n'a  fait  ni  dit  que  ce  qu'ils  lui  permettent, 
eux,  en  se  reportant  au  temps  où  il  a  vécu,  de  faire  ou  de 
dire.  » 

La  critique  suit  l'histoire. —  «  Or,,  de  même  que 
l'histoire  reçoit  de  la  philosophie  ses  conclusions  toutes 
faites,  ainsi  de  l'histoire,  la  critique.  En  effet,  sur  les 
données  fournies  par  l'historien,  la  critique  fait  deux 
parts  sur  les  documents.  Ceux  qui  répondent  à  la  triple 
élimination  vont  à  V histoire  dé  la  foi  ou  à  V histoire 
intérieure  ;  le  résidu  reste  à  V histoire  réelle.  Car  ils  dis- 
tinguent soigneusement  cette  double  histoire;  et  ce  qui 
esta  noter,  c'est  que  lf  histoire  de  la  foi,  ils  l'opposent  à 
l'histoire  réelle^  précisément  en  tant  que  réelle.  D'où  il 
soit  que  des  deux  Christs  que  nous  avons  mentionnés, 
l'un  est  réel,  l'autre,  celui  de  la  foi,  n'a  jamais  existé 
d^ns  la  réalité;  l'un  a  vécu  en  un  point  du  temps  et  de 


ENCYCLIQUE   «   PASCENDI  DOMIMCI  GREGIS  »      XXXVlj 

l'espace,  l'autre  n'a  jamais  vécu  ailleurs  que  dans  les 
pieuses  méditations  du  croyant.  Tel,  par  exemple,  le 
Christ  que  nous  offre  l'Evangile  de  saint  Jean  :  cet 
Evangile  n'est,  d'un  bout  à  l'autre,  qu'unepure  contem- 
plation (i).  » 

B.  Par  V application  du  principe  de  l'immanence  vi- 
tale. —  «  Là  ne  se  borne  pas  la  tutelle  exercée  par  la 
philosophie  sur  l'histoire.  Les  documents  partages  en 
deux  lots,  comme  il  a  été  dit,  voici  reparaître  le  philo- 
sophe avec  son  principe  de  V immanence  vitale.  L'imma- 
nence vitale,  déclare -t-il,  est  ce  qui  explique  tout  dans 
l'histoire  de  l'Eglise,  et  puisque  la  cause  ou  condition 
de  toute  émanation  vitale  réside  dans  quelque  besoin, 
il  s'ensuit  que  nul  fait  n'anticipe  sur  le  besoin  correspon- 
dant ;  historiquement ,  il  ne  peut  que  lui  être  postérieur. 
—  Là-dessus,  voici  comment  Y  historien  opère.  S'aidant 
des  documents  qu'il  peut  recueillir,  contenus  dans  les 
Livres  saints  ou  pris  ailleurs,  il  dresse  une  sorte  de  no- 
menclature des  besoins  successifs  par  où  est  passée  l'E- 
glise, et  une  fois  dressée,  il  la  remet  au  critique.  Celui- 
ci  la  recevant  d'une  main,  prenant,  de  l'autre,  le  lot 
des  documents  assignés  à  l'histoire  de  la  foi,  échelonne 
ceux-ci  le  long  des  âges,  dans  un  ordre  et  à  des  épo- 
ques qui  répondent  exactement  à  celle-là,  guidé  par  ce 
principe  que  la  narration  ne  peut  que  suivre  le  fait, 
comme  le  fait,  le  besoin  II  est  vrai,  d'ailleurs,  que  cer- 
taines parties  des  Livres  saints,  les  Epîtres,  par  exem- 
ple, constituent  le  fait  même  créé  par  le  besoin.  Mais, 
quoi  qu'il  en  soit,  c'est  une  loi  que  la  date  des  docu- 
ments ne  saurait  autrement  se  déterminer  que  par  la 
date  des  besoins  auxquels  successivement  l'Eglise  a  été 
sujette.  » 

C.  Par  V application  du  principe  de  Vévolutionisme.  — 
«  Suit  une  autre  opération,  car  il  y  a  à  distinguer  entre 

I.  On  reconnaît  là,  avec  assez    de    transparence,  des   idées  chères 
à  l'auteur  de  Y  Evangile  et  l'Eglise  et  à' Autour  d'un  petit  livre. 


XXXVllj  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Yorigine  d'un  fait  et  son  développement   :  ce    qui   naît 
«n    un   jour   ne    prend    des   accroissements    qu'avec  le 
ttemps.  Le  critique  reviendra  donc  aux  documents  éche- 
lonnés déjà  par  lui  à  travers  les  âges,  et  en  fera  encore 
deux  parts,  Tune   se  rapportant  à  l'origine,   l'autre   au 
développement.  Puis,  la  dernière,  il   la    répartira   à   di- 
verses époques,  dans  un  ordre  déterminé.   Le  principe 
«qui  le  dirigera  dans  cette  opération,  lui  sera  fourni  une 
is  de  plus  par  le  philosophe.  Car,  d'après  le  philoso- 
e,  une  loi  domine  et  régit  Vhistoire,  c'est   l'évolution. 
A  l'historien  donc  de  sonder  à  nouveau  les  documents, 
■M'y  rechercher  attentivement  les  conjonctures   ou  con- 
-«Iftions  que  l'Eglise  a  traversées,  au   cours   de    sa  vie, 
«d'évaluer  sa  force  conservatrice,  les  nécessités  intérieu- 
rs  et    extérieures   qui   l'ont  stimulée   au    progrès,  les 
obstacles  qui  ont  essayé  de  lui  barrer  la  route,    en  un 
^not  tout  ce  qui  peut  renseigner  sur  la  manière  dont  se 
«ont  appliquées    en   elle   les   lois    de  l'évolution.  Cela 
fait,  et  comme  conclusion  de  cette   étude,   il  trace  une 
<&©rte  d'esquisse  de  l'histoire   de   l'Eglise  ;  le  critique   y 
adapte  son  dernier  lot  de  documents,  la   plume   court,  | 
^histoire  est   écrite.  —  Nous  demandons  :  qui   en    sera  , 
sait  l'auteur  ?  L'historien  ?  Le  critique  ?  A  coup  sûr,  ni  l 
l'un  ni  l'autre,  mais  bien  le  philosophe.   Du  commence- 
ment à  la  fin  n'est-ce  pas  Ta  priori?  Sans  contredit,   et j 
mm  a  priori  où  V  hérésie  foisonne.    Ces    hommes-là  nous! 
•■fo-nt  véritablement  compassion;  d'eux  l'Apôtre  dirait  : 
<•«  Ils  se  sont  évanouis   dans   leurs  pensées...  se  disant 
sages,  ils  sont  tombés   en   démence  (i).  »   Mais  où   ils 
^soulèvent  le  cœur  d'indignation,  c'est  quand  ils  accu- 
-sent  l'Eglise  de  torturer  les  textes,  de  les  arranger  et  de 
lesamalgamer  à  sa  guise  et  pour  les  besoins  de  sa  cause. 
Simplement,  ils  reprochent  à  l'Eglise  ce  qu'ils    doivent 
-sentir  que    leur   reproche   très    nettement   leur    cons- 
cience. » 

i.  Rom.,  I,  21-23. 


ENCYCLIQUE  «  PASCENDI  DOMIiMCI  GREGIS   »        XXXIX 

2.  Cette  méthode  appliquée  aux  Livres  saints.  —  «  De 
cet  échelonnement,  de  cet  éparpillement  le  long  des 
siècles,  il  suit  tout  naturellement  que  les  Livres  saints 
ne  sauraient  plus  être  attribués  aux  auteurs  dont  ils 
portent  le  nom.  Qu'à  cela  ne  tienne!  Ils  n'hésitent  pas 
à  affirmer  couramment  que  les  livres  en  question,  sur- 
tout le  Pentateuque  et  les  trois  premiers  Evangiles,  se 
sont  formés  lentement  d'adjonctions  faites  à  une  narra- 
tion primitive  fort  brève  :  interpolations  par  manière 
d'interprétations  théologiques  ou  allégoriques,  ou  sim- 
plement transitions  ou  sutures.  —  C'est  que,  pour  dire 
la  chose  d'un  mot,  il  y  a  à  reconnaître  dans  les  Livres 
sacrés  une  évolution  vitale,  parallèle  et  même  conséquente 
à  V évolution  de  la  foi.  —  Aussi  bien,  ajoutent-ils,  les 
traces  de  cette  évolution  y  sont  si  visibles  qu'on  en 
pourrait  quasiment  écrire  l'histoire.  Ils  récrivent,  cette 
histoire,  et  si  imperturbablement,  que  vous  diriez  qu'ils 
ont  vu  de  leurs  yeux  les  écrivains  à  l'œuvre,  alors  que, 
le  long  des  âges,  ils  travaillaient  à  amplifier  les  Livres 
saints.  —  La  critique  textuelle  vient  à  la  rescousse  : 
pour  confirmer  cette  histoire  du  texte  sacré,  ils  s'éver- 
tuent à  montrer  que  tel  fait,  que  telle  parole  n'y  est , 
point  à  sa  place,  ajoutant  d'autres  critiques  du  même 
acabit.  Vous  croiriez  en  vérité  qu'ils  se  sont  construit 
certains  types  de  narrations  et  de  discours,  sur  lesquels 
ils  jugent  ce  qui -est  ou  ce  qui  n'est  pas  déplacé.  —  Et 
combien  ils  sont  aptes  à  ce  genre  de  critique  !  Aies  en- 
tendre vous  parler  de  leurs  travaux  sur  les  Livres  sacrés, 
grâce  auquels  ils  ont  pu  découvrir  en  ceux-ci  tant  de 
choses  défectueuses,  il  semblerait  vraiment  que  nul 
homme,  avant  eux,  ne  les  a  feuilletés,  qu'il  n'y  a  pas  eu 
à  les  fouiller  en  tous  sens,  une  multitude  de  docteurs 
infiniment  supérieurs  à  eux  en  génie,  en  érudition,  en 
sainteté;  lesquels  docteurs,  bien  loin  d'y  trouvera 
redire,  redoublaient  au  contraire,  à  mesure  qu'ils  les 
scrutaient  plus  profondément,  d'actions  de  grâces  à  la; 


XL  LE    CATECHISME    ROMAIN 

bonté  divine,  qui  avait  daigné  de  la  sorte  parler  aux 
hommes.  C'est  que,  malheureusement,  ils  n'avaient  pas 
les  mêmes  auxiliaires  d'études  que  les  modernistes, 
savoir,  comme  guide  et  règle,  une  philosophie  venue 
de  l'agnosticisme,  et,  commecriterium,eux-mêmes(i).  » 
3.  Critique  agnostique,  immanentiste,  évolutionniste. 
—  «  Il  nous  semble  avoir  exposé  assez  clairement  la 
méthode  historique  des  modernistes.  Le  philosophe 
ouvre  la  marche  ;  suit  l'historien  ;  puis,  par  ordre,  la 
critique  interne  et  la  critique  textuelle.  Et  comme  le 
propre  de  la  cause  première  est  de  laisser  sa  vertu  dans 
tout  ce  qui  suit,  il  est  de  toute  évidence  que  nous  ne 
sommes  pas  ici  en  face  d'une  critique  quelconque,  mais 
bien  agnostique, immanentiste, évolutionniste. C'est  pour- 
quoi quiconque  l'embrasse  et  l'emploie  fait  profession 
par  là  même  d'accepter  les  erreurs  qui  y  sont  impli- 
quées et  se  met  en  opposition  avec  la  foi  catholique. 
S'il  en  est  ainsi,  on  ne  peut  être  qu'étrangement  surpris 
de  la  valeur  que  lui  prêtent  certains  catholiques.  A 
cela  il  y  a  deux  causes  :  d'une  part,  l'alliance  étroite 
qu'ont  faite  entre  eux  les  historiens  et  les  critiques  de 
cette  école,  au  dessus  de  toutes  les  diversités  de  natio- 
nalité et  de  religion  ;  d'autre  part,  chez  ces  mêmes 
hommes,  une  audace  sans  bornes  :  que  l'un  d'entre  eux 
ouvre  les  lèvres,  les  autres  d'une  même  voix  l'applau- 
dissent, en  criant  au  progrès  de  la  science  ;  quelqu'un 
a-t-il  le  malheur  de  critiquer  l'une  ou  l'autre  de  leurs 
nouveautés,  pour  monstrueuse  qu'elle  soit,  en  rangs 
serrés  ils  fondent  sur  lui  ;  qui  la  nie  est  traité  d'igno- 
rant ;  qui  l'embrasse  et  la  défend  est  porté  aux  nues. 
Abusés  par  là,  beaucoup  vont  à  eux,  qui,  s'ils  se  ren- 
daient compte  des  choses,  reculeraient  d'horreur.  —  A 
la  faveur  de  l'audace  et  de  la  prépotence  des  uns,  de  la 

1.  Pie  X  condense  là,  en  quelques  lignes,  des  idées  émises,  sous 
des  formes  diverses,  en  maints  passages  de  certains  ouvrages,  parues 
depuis  une  dizaine  d'années,  en  France  et  en  Angleterre. 


ENCYCLIQUE    «    PASGENDI    DOMINICI    G  REGIS    »  xlj 

légèreté  et  de  l'imprudence  des  autres,  il  s'est  formé 
comme  une  atmosphère  pestilentielle  qui  gagne  tout, 
pénètre  tout  et  propage  la  contagion  (i).  » 

V.  L'Apologiste. — i.  //  relève  du  philosophe. — «  L'a- 
pologiste, chez  les  modernistes,  relève  encore  du  phi- 
losophe, et  à  double  titre.  D'abord,  indirectement,  en 
ce  que,  pour  thème,  il  prend  l'histoire,  dictée,  comme 
nous  l'avons  vu,  par  le  philosophe.  Puis,  directement, 
en  ce  qu'il  emprunte  de  lui  ses  lois.  De  là  cette  affir- 
mation courante  chez  les  modernistes  que  I3  nouvelle 
apologétique  doit  s'alimenter  aux  sources  psycholo- 
giques et  historiques.  Donc,  les  modernes  apologistes 
entrent  en  matière,  en  avertissant  les  rationalistes  que, 
s'ils  défendent  la  religion,  ce  n'est  pas  sur  les  données 
des  Livres  saints,  ni  sur  les  histoires  qui  ont  cours  dans 
l'Eglise,  écrites  sous  l'inspiration  des  vieilles  méthodes; 
mais  sur  une  histoire  réelle,  rédigée  à  la  lumière  des 
principes  modernes,  et  selon  toute  la  rigueur  des  mé- 
thodes modernes.  Et  ce  n'est  pas  par  manière  d'argu- 
mentation ad  hominemf  qu'ils  parlent  ainsi  ;  nullement, 
mais  parce  qu'ils  tiennent  en  effet  cette  dernière  his- 
toire pour  la  seule  vraie.  Qu'ils  se  tranquillisent  !  les 
rationalistes  les  savent  sincères:  ne  les  connaissent-ils 
pas  bien  pour  les  avoir  vus  combattre  àleurs  côtés,  sous 
le  même  drapeau  ?  Et  ces  louanges  qu'ils  leur  décernent, 
n'est-ce  pas  un  salaire?  louanges  qui  feraient  horreur  à 
un  vrai  catholique,  mais  dont  eux,  les  modernistes,  se 
félicitent  et  qu'ils  opposent  aux  réprimandes  de 
l'Eglise.  » 

2.  Procédés  apologétiques.  —  «  Mais  voyons  leurs  pro- 
cédés apologétiques.  La  fin  qu'ils   se   proposent,    c'est 

1.  Ce  qui  a  fait  le  succès  des  théories  modernistes  auprès  de  tant 
d'esprits,  peu  avertis  et  épris  de  nouveautés,  c'est  bien  «  l'audace 
et  la  prépotence  des  uns,  :»  niais  c'est  surtout  «  la  légèreté  et  l'impru- 
dence des  autres.  > 


Xlij  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

d'amener  le  non-croyant  à  faire  l'expérience  de  la  reli- 
gion catholique,  expérience  qui  est,  d'après  leurs  prin- 
cipes, le  seul  vrai  fondement  de  la  foi.  Deux  voies  y 
aboutissent  :  l'une  objective,  l'autre  subjective.  » 

A.  Voie  objective.  Application  de  l'agnosticisme. —  «La pre- 
mière procède  de  l'agnosticisme.  Elle  tend  à  faire  la  preuve 
que  la  religion  catholique, celle-là  surtout,  est  douée  d'une 
telle  vitalité  que  son  histoire,  pour  tout  psychologue  et 
pour  tout  historien    de   bonne  foi,  cache  une   inconnue. 
En  cette  vue,  il  est  nécessaire  de  démontrer    que    cette 
religion,  telle   qu'elle   existe   aujourd'hui,    est   bien  la 
même  qui   fut   fondée   par   Jésus-Christ,  c'est-à-dire  le 
produit  d'un  développement  progressif  du  germe   qu'il 
apporta  au  monde.  Ce  germe,  il  s'agit  donc,  avant  tout, 
de  le  bien  déterminer  ;  et  ils  prétendent  le  faire   par  la 
formule  suivante  :  le  Christ  a  annoncé   l'avènement  du 
royaume   de   Dieu   comme   devant   se  réaliser  à  brève 
échéance,  royaume  dont  il  devait  être  lui-même,  de  par 
la  volonté  divine,   l'agent   et  l'ordonnateur.    Puis,  on 
doit  montrer  comment  ce  germe,  toujours   immanent  et 
permanent   au  sein   de   la  religion  catholique,  est  allé  se 
développant  lentement   au   cours  de  l'histoire,  syadaptant 
successivement   aux  divers    milieux  qu'il  traversait,  em- 
pruntant d'eux,  par  assimilation  vitale,  toutes  les  formes 
dogmatiques^    cultuelles,   ecclésiastiques   qui   pouvaient 
lui   convenir  ;   tandis   que,    d'autre   part,  il  surmontait 
tous  les   obstacles,    terrassait  tous  les  ennemis,  survi- 
vant à  toutes  les  attaques  et  à  tous  les  combats.    Qui- 
conque aura  bien  et  dûment  considéré    tout  cet  ensem- 
ble d'obstacles,  d'adversaires,  d'attaques,  de   combats, 
ainsi  que  la  vitalité  et  la  fécondité  qu'y  affirme  l'Eglise, 
devra   reconnaître   que,  si   les   lois  de  l'évolution  sont 
visibles  dans  sa  vie,  elles  n'expliquent  pas    néanmoins 
le  tout  de  son  histoire  :  qu'une  inconnue  s'en    dégage, 
qui  se  dresse  devant  l'esprit.  Ainsi  raisonnent-ils,  sans 
s'apercevoir  que  la  iétermination  du  germe  primitif  est 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    D0MIN1CI    GHEGIS    »      xliîj 

un  a  priori  du  philosophe  agnostique  et  évolutionniste,  et 
que  la  formule  en  est  gratuite,  créée  pour  les  besoins 
de  la  cause.  > 

Elle  renferme  des  concessions.  —  «  Tgut  en  s 'efforçant 
par  de  telles  affirmations,  d'ouvrir  ainsi  les  âmes  à  la 
religion  catholique,  les  nouveaux  apologistes  concèdent 
d'ailleurs  bien  volontiers  qu'il  s'y  rencontre  nombre  de 
choses  dont  ont  pourrait  s'offenser.  Ils  vont  même,  et 
non  sans  une  sorte  de  plaisir  mal  diss  mule,  jusqu'à 
proclamer  hautement  que  le  dogme,  —  ils  l'ont  constaté 
— n'est  pas  exempt  d'erreurs  ni  decontradictions.Ws  ajou- 
tent aussitôt, il  est  vrai,  quetout  cela  estnon  seulement  ex- 
cusable, mais  encore  —  étrange  chose  en  vérité  —  juste  et 
légitime.  Dans  les  Livres  sacrés,  il  y  a  maints  endroits , 
touchant  à  la  science  ou  à  l'histoire,  où  se  constatent  des 
erreurs  manifestes.  Mais  ce  n'est  pas  d'histoire  ni  de 
science  que  ces  livres  traitent,  c'est  uniquement  de  re- 
ligion et  de  morale.  L'histoire  et  la  science  n'y  sont  que 
des  sortes  d'involucres,  où  les  expériences  religieuses 
et  morales  s'enveloppent,  pour  pénétrer  plus  facile- 
ment dans  les  masses.  Si  en  effet  les  masses  n'enten- 
dent pas  autrement  les  choses,  il  est  clair  qu'une 
science  et  une  histoire  plus  parfaites  eussent  été  d'obs- 
tacle plutôt  que  de  secours.  Au  surplus,  les  Livres 
saints,  étant  essentiellement  religieux,  sont  par  là  même 
nécessairement  vivants.  Or,  la  vie  a  sa  vérité  et  sa  logi- 
que propres  bien  différentes  de  la  vérité  et  de  la  logique 
rationnelles,  d'un  autre  ordre,  savoir,  vérité  d'adaptation 
et  de  proportion,  soit  avec  le  milieu  où  se  déroule  la  vie,1 
soit  avec  la  fin  où  elle  tend.  Enfin  ils  poussent  si  loin 
les  choses  que,  perdant  toute  mesure,  ils  en  viennent  à 
déclarer  ce  qui  s'explique  par  la  vie,  vrai  et  légitime  (i).  I 
Nous,  pour  qui  il  n'existe  qu'une  seule  et  unique  vérité? 

i.  Voilà  bien,  résumées  en  quelques  mots,  les   théories    de  TEvan-  \ 
file  et  l'Eglise  et  d 'Autour  d'un  petit  livre  % 


XIÎV  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  qui  tenons  que  les  saints  Livres,  écrits  sous  l'inspira- 
tion du  Saint-Esprit,  ont  Dieu  pour  auteur,  nous  affirmons 
que  cela  équivaut  à  prêter  à  Dieu  lui-même  le   mensonge 
d'utilité  ou  mensonge   officieux,    et   nous    disons   avec 
Saint-Augustin  :    «  En  une  autorité   si    haute,   admettez 
un  seul  mensonge  officieux,  il  ne  restera  plus    parcelle 
de  ces  Livres,   dès  qu'elle   paraîtra  difficile   ou  à  prati- 
quer ou  à  croire,    dans    laquelle  il    ne    soit  loisible  de 
voir  un  mensonge  de  l'auteur,   voulu  à  dessein  en    vue 
d'un  but  (i).  »  Et  ainsi  il  arrivera,  poursuit  le  saint  doc- 
teur, que  «  chacun  croira   ce  qu'il    voudra,    ne   croira 
pas  ce  qu'il  ne  voudra  pas.  »  Mais  les  nouveaux  apolo- 
gistes vont  de  l'avant,   fort  allègrement.  Ils  accordent 
encore    que,    dans  les    Livres  saints,  certains  raisonne- 
ments, allégués  pour  justifier  telle  ou  telle  doctrine,  ne 
reposent   sur   aucun   fondement   rationnel  ;    ceux,  par 
exemple,  qui  s'appuient  sur  les  prophéties.    Ils  ne  sont 
d'ailleurs   nullement   embarrassés   pour  les  défendre  : 
artifices  de  prédication,  disent-ils,  légitimés  par  la  vie. 
Quoi  encore?  En  ce  qui  regarde  Jésus-Christ,  ils  recon- 
naissent, bien  plus  ils  affirment,  qu'il  a  erré  manifeste- 
ment dans  la  détermination  du  temps   où  l'avènement 
du   royaume   de   Dieu   devait  se  réaliser.  Aussi    bien, 
quoi  d'étonnant,  s'il  était  lui-même   tributaire   des  .lois 
de  la  vie  !  Après  cela,  que  ne  diront-ils   pas    des    dog- 
mes de  l'Eglise?  Les  dogmes  !    ils  foisonnent   de   con- 
tradictions flagrantes  ;  mais,  sans  compter  que    la  logi- 
que vitale  les  accepte,  la  vérité   symbolique   n'y  répu- 
gne pas  :  est-ce  qu'il  ne  s'agit  pas  de  l'infini  ?   et  est-ce 
que  l'infini  n'a  pas  d'infinis  aspects  ?  Enfin,  ils  tiennent 
tant  et  si  bien  à  soutenir  et  à  défendre  les   contradictions  y 
qu'ils  ne  reculent  pas  devant  cette  déclaration.,    que    le 
plus  bel  hommage  à  rendre  à  l'infini,  c'est  encore  d'en 
faire  l'objet  de  propositions  contradictoires.  En  vérité, 

X.  Ej>is t.,    xxviu. 


ENCYCLIQUE    ((    PASCENDI    DOMIMCI    GREGIS    »       xlv 

quand    on   a   légitimé  la  contradiction,  y  a-t-il  quelque 
chose  qu'on  ne  puisse  légitimer?» 

B    Argument  subjectif.  —  Application  de  l'immanence. 

—  «  Ce  n'est  pas  seulement  par  des  raisonnements 
objectifs  que  le  non-croyant  peut  être  disposé  à  la  foi, 
mais  encore  par  des  arguments  subjectifs.  En  cette  vue, 
les  modernistes,  revenant  à  la  doctrine  de  l'imma- 
nence, s'efforcent  de  persuader  à  cet  homme  que,  en 
lui,  dans  les  profondeurs  mêmes  de  sa  nature  et  de  sa 
vie,  se  cachent  l'exigence  et  le  désir  d'une  religion, 
non  point  d'une  religion  quelconque,  mais  de  cette  reli- 
gion spécifique,  qui  est  le  catholicisme,  absolument  pos- 
tulée, disent-ils,  par  leplein  épanouissement  de  la  vie,  — 
Ici,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  déplorer  une 
fois  encore  et  très  vivement  qu'il  se  rencontre  des 
catholiques  qui,  répudiant  V immanence  comme  doctrine^ 
V emploient  néanmoins  comme  méthode  d'apologétique  \ 
qui  le  font,  disons-nous,  avec  si  peu  de  retenue,  qu'ils 
paraissent  admettre  dans  la  nature  humaine,  au  regard 
de  l'ordre  surnaturel,  non  pas  seulement  une  capacité 
et  une  convenance  — ■  choses  que,  de  tout  temps,  les 
apologistes  catholiques  ont  eu  soin  de  mettre  en  relie 

—  mais  une  vraie  et  rigoureuse  exigence.  A  vrai  dire, 
ceux  des  modernistes  qui  recourent  ainsi  à  une  exi- 
gence de  la  religion  catholique  sont  les  modérés.  Quant 
aux  autres,  que  l'on  peut  appeler  intégralistcs,  ce  qu'ils 
se  font  forts  de  montrer  au  non-croyant,  caché  au  fond 
de  son  être,  c'est  le  germe  même  que  Jésus-Christ  porte 
dans  sa  conscience,  et  qu'il  a  légué  au  monde.  —  Telle 
est,  rapidement  esquissée,  la  méthode  apologétique 
des  modernistes,  en  parfaite  concordance,  on  le  voit, 
avec  leurs  doctrines  ;  méthodes  et  doctrines  semées  d'er- 
reurs faites  non  pour  édifier,  mais  pour  détruire;  non 
pour  susciter  des  catholiques,  mais  pour  précipiter  les 
catholiques  à  V hérésie;  mortelles  même  à  toute  religion,  » 


Xlvj  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  ■  '  — — —  — — ai m 

VI.  —  Le  réformateur.  —  Manie  réformatrice  des 
modernistes.  —  «  Déjà,  par  tout  ce  que  nous  avons* 
exposé  jusqu'ici,  on  a  pu  se  faire  une  idée  de  la  manie 
réformatrice  qui  possède  les  modernistes  ;  rien,  abso- 
lument rien,  dans  le  catholicisme,  à  quoi  elle  ne  s'atta- 
que. —  Réforme  de  la  philosophie,  surtout  dans  les 
séminaires  :  que  Ton  relègue  la  philosophie  scolas- 
tique  dans  l'histoire  de  la  philosophie,  parmi  les  systè- 
mes périmés,  et  que  l'on  enseigne  aux  jeunes  gens  la 
philosophie  moderne,  la  seule  vraie,  la  seule  qui 
convienne  à  son  temps.  —  Réforme  de  la  théologie: 
que  la  théologie  rationnelle  ait  pour  base  la  philosophie 
moderne;  la  théologie  positive,  pour  fondement  l'his- 
toire des  dogmes.  —  Quant  à  V histoire,  qu'elle  ne  soit 
plus  écrite  ni  enseignée  que  selon  leurs  méthodes  et 
leurs  principes  modernes.  —  Que  les  dogmes  et  la 
notion  de  leur  évolution  soient  harmonisées  avec  la 
science  et  l'histoire.  —  Que,  dans  les  catéchismes,  on 
n'insère  plus,  en  fait  de  dogmes,  que  ceux  qui  auront 
été  réformés,  et  qui  seront  à  la  portée  du  vulgaire.  — 
En  ce  qui  regarde  le  culte,  que  l'on  diminue  le  nombre 
des  dévotions  extérieures,  ou  tout  au  moins  qu'on  en 
arrête  l'accroissement.  Il  est  vrai  de  dire  que  certains,. 
par  amour  du  symbolisme,  se  montrent  assez  coulants 
sur  cette  matière.  ^—  Que  le  gouvernement  ecclésiastique 
soit  réformé  dans  toutes  ses  branches,  surtout  la  disci- 
plinaire et  la  dogmatique.  Que  son  esprit,  que  ses  pro- 
cédés extérieurs  soient  mis  en  harmonie  avec  la  cons- 
cience, qui  tourne  à  la  démocratie,  qu'une  part  soit 
donc  faite  dans  le  gouvernement  au  clergé  inférieur  et 
même  aux  laïques  ;  que  l'autorité  soit  décentralisée.— 
Réforme  des  Congrégations  romaines,  surtout  celles  du 
Saint-Office  et  de  Y  Index.  —  Que  le  pouvoir  ecclésias- 
tique change  de  ligne  de  conduite  sur  le  terrain  social 
et  politique;  se  tenant  en  dehors  des  organisations 
politiques  et  sociales,  qu'il  s'y  adapte  néanmoins,  pour 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    DOMIXICI    GREGIS    ))     xlvij 

les  pénétrer  de  son  esprit.  —  En  morale,  ils  font  leur 
le  principe  des  américanistes,  que  les  vertus  actives 
doivent  aller  avant  les  passives,  dans  l'estimation  que 
l'on  en  fait,  comme  dans  la  pratique.  —  Au  clergé  ils 
demandent  de  revenir  à  l'humilité  et  à  la  pauvreté 
antiques,  et,  quint  à  ses  idées  et  son  action,  de  les 
régler  sur  leurs  principes.  —  lien  est  enfin  qui,  faisant 
écho  à  leurs  maîtres  protestants,  désirent  la  suppression 
du  célibat  ecclésiastique.  —  Que  reste-t-il  donc  sur 
quoi,  et  par  application  de  leurs  principes,  ils  ne  de- 
mandent réforme?  » 

Conclusion  de  la  première  partie.  —  Critique 
du  système.  —  Pourquoi  cet  exposé  synthétique? 

— »«  Quelqu'un  pensera  peut-être  que  cette  exposition 
des  doctrines  des  modernistes  nous  a  retenu  trop  long- 
temps. Elle  était  pourtant  nécessaire,  soit  pour  parer  à 
leur  reproche  coutumier  que  nous  ignorons  leurs  vraies 
idées  ;  soit  pour  montrer  que  leur  système  ne  consiste 
pas  en  théories  éparses  et  sans  lien,  mais  bien  en  un 
corps  parfaitement  organisé,  dont  les  parties  sont  si 
bien  solidaires  entre  elles,  qu'on  n'en  peut  admettre 
une  sans  les  admettre  toutes.  C'est  pour  cela  aussi  que 
nous  avons  dû  donner  à  cette  exposition  un  tour 
quelque  peu  didactique,  sans  avoir  peur  de  certains 
vocables  barbares,  en  usage  chez  eux.  » 

Le  modernisme,  rendez-vous  de  toutes  les 
hérésies.  —  «  Maintenant,  embrassant  d'un  seul 
regard  tout  le  système,  qui  pourra  s'étonner  que  nous 
le  définissions  le  rendez-vous  de  toutes  les  hérésies  ? 
Si  quelqu'un  s'était  donné  la  tâche  de  recueillir  toutes 
les  erreurs  qui  furent  jamais  contre  la  foi,  et  d'en  con- 
centrer la  substance  et  comme  le  suc  en  une  seule, 
véritablement  il  n'eût  pas  mieux  réussi.  Ce  n'est  pas 
encore  assez  dire  :  ils  ne  ruinent  pas  seulement  la  reli- 
gion   catholique,    mais,    comme     nous    l'avons    déjà 


Xlviij  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

insinué,  toute  religion.  Les  rationalistes  les  applaudis- 
sent, et  ils  ont  pour  cela  leurs  bonnes  raisons  :  les  plus 
sincères,  les  plus  francs  saluent  en  eux  leurs  plus  puis- 
sants auxiliaires.  » 

L'agnosticisme,  doctrine  pernicieuse.  —  «  Toute 
issue  fermée  vers  Dieu  du  côté  de  l'intelligence,  ils  se 
font  forts  d'en  ouvrir  une  autre  du  côté  du  sentiment  et 
de  Yaction.  Tentative  vaine.  Car,  qu'est-ce,  après  tout, 
que  le  sentiment,  sinon  une  réaction  de  l'âme  à  l'action 
de  Tintelligence  ou  des  sens  ?  Otez  l'intelligence  : 
l'homme  déjà  si  enclin  à  suivre  les  sens  en  deviendra 
l'esclave.  Vaine  tentative  à  un  autre  point  de  vue. 
Toutes  ces  fantaisies  sur  le  sens  religieux  n'aboliront 
pas  le  sens  commun.  Or,  ce  que  dit  le  sens  commun, 
c'est  que  l'émotion  et  tout  ce  qui  captive  l'âme,  loin  de 
favoriser  la  découverte  de  la  vérité,  l'entravent.  Nous 
parlons  bien  entendu  de  la  vérité  en  soi.  Quant  à  cette 
autre  vérité,  purement  subjective,  issue  du  sentiment 
et  de  l'action,  si  elle  peut  être  bonne  aux  jongleries  de 
mots,  elle  ne  sert  de  rien  à  l'homme,  à  qui  il  importe 
surtout  de  savoir  si%  hors  de  lui,  il  existe  un  Dieu,  entre 
les  mains  de  qui  il  tombera  un  jour.  » 

L'expérience,  insuffisante.  —  «  Pour  donner  quel- 
que assiette  au  sentiment,  les  modernistes  recourent  à 
l'expérience.  Mais  l'expérience,  qu'y  ajoute-t-elle?  Abso- 
lument rien,  sinon  une  certaine  intensité,    qui  entraîne 
une  conviction  proportionnée    de  la  réalité  de   l'objet. 
Or,  ces  deux  choses   ne  font   pas  que  le  sentiment  ne 
soit  sentiment,  ils  ne  lui  ôtent  pas  son  caractère  qui  est 
de  décevoir,  si  l'intelligence  ne  le  guide  ;  au  contraire, 
ce  caractère,  ils  le  confirment  et  l'aggravent,  car   plus 
le  sentiment  est  intense  et  plus  il  est  sentiment.  —  En 
matière   de    sentiment   religieux   et  d'expérience   reli- 
gieuse, vous  n'ignorez  pas  quelle  prudence  est  néces- 
saire, quelle    science   aussi,    qui   dirige  la  prudence. 


ENCYCLIQUE    «    PASCENDI    DOMINICI    GREGIS    »       xYlK 

Vous  le  savez  de  votre  usage  des  âmes,  de  celles  sur- 
tout où  le  sentiment  domine  ;  vous  le  savez  aussi  de  la 
lecture  des  ouvrages  ascétiques;  ouvrages  que  les 
modernistes  prisent  tort  peu,  mais  qui  témoignent 
d'une  science  autrement  solide  que  la  leur,  d'une  saga- 
cité d'observation  autrement  fine  et  subtile.  En  vérité, 
n'est-ce  pas  une  folie,  ou  tout  au  moins  une  souveraine 
imprudence,  de  se  fier,  sans  nul  contrôle,  à  des  expé- 
riences comme  celles  que  prônent  les  modernistes?  Et 
qu'il  nous  soit  permis,  en  passant,  de  poser  une  ques- 
tion :  si  ces  expériences  ont  tant  de  valeur  à  leurs 
yeux,  pourquoi  ne  la  reconnaissent-ils  pas  à  celle  que 
des  milliers  et  des  milliers  de  catholiques  déclarent 
avoir  sur  leur  compte  à  eux,  et  qui  les  convainc  qu'ils 
font  fausse  route  ?  Est-ce  que,  par  hasard,  ces  der- 
nières expériences  seraient  les  seules  fausses  et  trom- 
peuses? La  très  grande  majorité  des  hommes  tient  fer- 
mement et  tiendra  toujours  que  le  sentiment  et  l'expé- 
rience seuls,  sans  être  éclairés  et  guidés  de  la  raison, 
ne  conduisent  pas  à  Dieu.  Que  reste-t-il  donc  sinon 
V anéantissement  de  toute  religion  et  l'athéisme?  » 

L'athéisme.  —  «  Ce  n'est  certes  pas  la  théorie  du 
symbolisme  qui  pourra  le  conjurer.  Car,  si  tous 
les  éléments,  dans  la  religion,  ne  sont  que  de  purs 
symboles  de  Dieu,  pourquoi  le  nom  même  de  Dieu,  le 
nom  de  personnalité  divine  ne  seraient  ils  pas  aussi  de 
purs  symboles  ?  Cela  admis,  voilà  la  personnalité  de 
Dieu  mise  en  question,  et  la  voie  ouverte  an  panthéisme.  » 

Le  panthéisme.  —  «  Au  panthéisme,  mais  cette  autre 
doctrine  de  l'immanence  divine  y  conduit  tout  droit. 
Car  nous  demandons  si  elle  laisse  Dieu  distinct  de 
l'homme,  ou  non  :  si  distinct,  en  quoi  difïère-t-elle 
de  la  doctrine  catholique,  et  de  quel  droit  rejeter  la  ré- 
vélation extérieure  ?  Si  non  distinct,  nous  voilà  en 
plein  panthéisme.  Or,  la  doctrine  de  l'immanence,  au 

LE   CATÉCHISMB.   —  T.    III.  d 


LE   CATÉCHISME    ROMAIN 


sens  moderniste,  tient  et  professe  que  tout  phénomène 
de  conscience  est  issu  de  l'homme,  en  tant  qu'homme. 
La  conclusion  rigoureuse,  c'est  l'identité  de  l'homme 
et  de  Dieu,  c'est-à-dire  le  panthéisme.  —  La  même 
conclusion  découle  de  la  distinction  qu'ils  posent  entre 
la  science  et  la  foi.  L'objet  de  la  science  c'est  la  réalité 
du  connaissable  ;  l'objet  de  la  foi,  au  contraire,  la  réa- 
lite de  l'inconnaissable.  Or,  ce  qui  fait  l'inconnaissable, 
c'est  la  disproportion  avec  l'intelligence  :  disproportion 
que  rien  au  monde,  même  dans  la  doctrine  des  moder- 
nistes, ne  peut  faire  disparaître.  Par  conséquent  l'in- 
connaissable reste  et  restera  éternellement  inconnais- 
sable, autant  au  croyant  qu'à  l'homme  de  la  science. 
La  religion  d'une  réalité  inconnaissable,  voilà  donc  la 
seule  possible.  Et  pourquoi  cette  réalité  ne  serait-ellt 
pas  Lame  universelle  du  monde,  dont  parle  tel  rationa- 
liste, c'est  ce  que  nous  ne  voyons  pas. 

«  Voilà  qui  suffit,  et  surabondamment,  pour  montrer 
par  combien  de  routes  le  modernisme  conduit  à  l'a- 
néantissement de  toute  religion.  Le  premier  pas  fut 
fait  par  le  protestantisme,  le  second  est  fait  par  le  mo- 
dernisme: le  prochain  précipitera  dans  l'athéisme  (i).  » 

I.  La  deuxième  partie  de  l'Encyclique  traite  des  causes  du  moder- 
nisme :  des  causes  morales,  la  curiosité  et  l'orgueil,  qui  doivent  déter- 
miner les  évêques  à  ne  confier  aux  superbes  que  «  d'infimes  et 
obscures  fonctions,  »  et  à  «  écarter  sans  pitié  du  sacerdoce  »  les 
clercs  chez  lesquels  ils  auront  constaté  l'esprit  d'orgueil  ;  —  de  la 
cause  intellectuelle,  qui  est  l'ignorance  de  la  philosopie  scolastique,  la 
méconnaissance  de  la  tradition,  dont  on  fausse  le  caractère  et  dont  on 
sape  l'autorité,  l'amoindrissement  du  magistère  ecclésiastique,  dont  on 
déna'ure  l'origine,  le  caractère,  les  droits. 

La  troisième  partie,  d'ordre  pratique,  indique  les  remèdes.  Mettre 
la  philosophie  scolastique  à  la  base  des  sciences  sacrées,  c'est-à-dire  la 
philosophie  de  saint  Thomas  ;  stimuler  l'étude  de  la  théologie  par  les 
apports  de  la  théologie  positive,  sans  le  moindre  détriment  pour  la 
théologie  scolastique  ;  s'appliquer  à  l'étude  des  sciences  naturelles  ;  se 
guder  sur  ces  prescriptions  dans  le  choix  des  directeurs  et  profe  seurs 
des  sém inaires  et  des  Universités  ;  exclure  ceux  qui  sont  imbus  de 
modernisme  ou  qui  le  favorisent  ;  procéder  avec  la  même  vigilance  & 
l'examen  et  au  choix  des  candidats  aux  saints  ordres  ;   ne   conférer  le 


DÉCRET    «    LAMENTABILI    SANE    EXITU    »  I jf * 

Décret    du    Saint-Office 

«  Lamentabili  sanë  exitu  » 


Le  Saint-Office,  officiellement  chargé  par  Sa  Sainteté  Pie  X  de 
noter  les  principales  erreurs  actuelles,  a  porté  un  décret,  en  date  dus 
3  juillet  1907,  où  soixante-cinq  propositions  sont  condamnées.  Ces 
propositions  forment  un  tout,  admirablement  groupé.  Les  nuits  pre- 
mières concernent  le  magistère  de  l'Eglise  :  elles  condamnent  les  dis- 
tinctions et  les  faux-fuyants  qui  cherchent  à  éluder,  à  diminuer  et  k 
réduire  à  une  simple  police  extérieure  l'autorité  doctrinale  de 
l'tglise  ;  —  ix-xii  traitent  de  l'inspiration  de  l'Ecriture,  dans  sons 
auteur  qui  est  Dieu,  dans  son  effet  qui  est  l'inerrance,  et  dans  le 
devoir,  pour  l'exégète,  de  ne  jamais  oublier  le  caractère  surnaturel 
des  livres  dont  il  s'occupe  ;  —  xiii-xix  visent  quelques  points  fonda- 
mentaux de  la  critique  du  Nouveau  Testament  :  authenticité  de» 
paraboles  évangéliques;  historicité  de  saint  Jean  ;  explication  abusive 

doctorat  en  théologie  et  en  droit  canonique  qu'à  ceux  qui  auront  suivi 
le  cours  régulier  de  philosophie  scolastique  :  défense  aux  prêtres  et 
aux  clercs  des  universités  ou  instituts  catholiques  de  suivre,  pour  les 
matières  qui  y  sont  professées,  les  cours  des  universités  civiles;  inter- 
dire la  publication  et  la  lecture  des  écrits  entachés  de  modernisme;  éta- 
blir, dans  toutes  les  curies  épiscopales,  des  censeurs  d'office,  chargés  de 
l'examen  des  ouvrages  à  publier  ;  ne  permettre  que  très  rarement  des 
congrès  sacerdotaux  ;  instituer  dans  chaque  diocèse  un  Conseil  de- 
vigilance,  chargé  de  surveiller  très  attentivement  et  de  très  près  tons 
les  indices,  toutes  les  traces  de  modernisme  dans  les  publications  et 
dans  l'enseignement,  tous  les  ouvrages  où  l'on  traite  de  pieuses  tra- 
ditions et  de  reliques,  de  questions  sociales.  Le  Pape  ordonne  enfin 
que  tous  les  Ordinaires  des  diocèses,  un  an  après  la  publication  de 
Sun  Encyclique,  et  ensuite  tous  les  Irois  ans,  envoient  au  Saint-Siège 
une  relation  fidèle  et  corroborée  par  le  serment  sur  l'exécution  de 
tout  ce  qu'il  vient  de  prescrire  ;  même  injonction  aux  Supérieurs 
généraux  des  Ordres  religieux.  Et  pour  opposer  une  réponse  inédite 
à  la  vieille  calomnie  qui  représente  l'Eglise  comme  l'ennemie  de  la 
science  et  du  progrès,  Pie  X  ajoute  :  «  Nous  avons  conçu  le  dessein 
de  seconder  de  tout  notre  pouvoir  la  fondation  d'une  Institution  par- 
ticulière qui  groupera  les  plus  illustres  représentants  de  la  science 
parmi  les  catholiques,  et  qui  aura  pour  but  de  favoriser,  avec  1* 
vérité  catholique  pour  lumière  et  pour  guide,  le  progrès  de  tout  ce 
que  l'on  peut  désigner  sous  le  nom  de  science  et  d'érudition.  >  Tel 
est  ce  document  pontifical.  Son  importance  est  de  premier  ordre. 
L'auteur  du  présent  ouvrage  est  particulièrement  heureux  d'avoir 
suivi,  avant  la  lettre,  l'enseignement  de  l'Encyclique  Pascendi  domi— 
nia,  dans  les  volumes  déjà  parus  ;  il  compte,  avec  la  grâce  de  Dieu, 
le  suivre  encore  dans  les  volumes  qui  restent  à  paraître. 


lij 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


de  la  genèse  des  récits  évangéiiques  ;  mésestime  blâmable  des  exé- 
gètes  catholiques  ;  préférence  accordée  aux  exégètes  hétérodoxes  ;  — 
xx  xx.vi  condamnent  la  notion  naturaliste  de  la  révélation,  la  dis- 
tinction entre  les  assertions  de  foi  et  les  vérités  de  fait,  la  prétention 
de  fonder  l'assentiment  de  la  foi  sur  une  accumulation  de  probabili- 
tés, et  le  pragmatisme  qui  ne  veut  pas  voir  dans  les  dogmes  des 
règles  de  la  croyance,  mais  des  préceptes  d'attitude  morale  ;  — 
xx\  ,1-xxxvm  condamnent  les  erreurs  sur  la  Christologie  :  le  dogme  de 
la  divi  ité  de  Notre  Seigneur  n'est  pas  une  traduction  par  la  cons- 
cience chrétienne  de  la  notion  de  Messie  ;  le  Christ  s'est  donné 
comme  Messie,  mais  le  nom  de  Fils  de  Dieu  n'équivaut  pas  au  nom 
de  Messie,  il  exprime  sa  filiation  vraie  et  naturelle  ;  la  conscience  et 
la  science  du  Christ  sont  vengées  ;  sa  résurrection  est  un  fait  histori- 
que ;  la  théorie  de  la  rédemption,  loin  d'être  une  inlerprétation  pau- 
linienne,  est  l'enseignement  propre  du  Christ  :  —  xxxix-li  réprou- 
vent l'explication  naturaliste  et  évolutionniste  de  l'origine  et  de  la 
nature  des  sacrements;  —  lii-lvi  maintiennent  l'institution  divine  de 
l'Eglise,  l'immutabilité  de  sa  constitution  organique,  la  primauté  de 
saint  Pierre  ;  dogmes,  sacrements  et  hiérarchie  ne  sont  pas  le  produit 
de  la  pensée  chret  enne  ajoutant  au  germe  latent  dans  l'Evangile  de 
données  extérieures  ;  —  lvii-lxv  condamnent  les  principes  mêmes 
de  l'évolutionisme  religieux  :  la  vérité  n'est  pas  en  incessante  trans- 
formation ;  le  Christ  n'a  pas  inauguré  uu  mouvement  religieux 
indéfiniment  adaptable  à  l'évolution  de  l'homme  et  des  sociétés, 
mais  il  a  donne  une  doctrine  ferme  et  stable,  identique  toujours  dans 
sa  signification  et  irré  ormable.  Telle  est  la  somme  de  ces  erreurs 
dont  l'aboutissement  serait  un  catholicisme  sans  dogme,  c'est-à-dire 
un  protestantisme  large  et  libéral.  A  vrai  dire,  c'est  la  condamna- 
tion détaillée  de  L'Evangile  et  l 'Eglise. 

Ce  décret,  véritable  décision  doctrinale,  n'a  pas  été  simplement 
approuvé  et  confirmé,  le  4  juillet  ;  Pie  X  a  de  plus  «  donné  l'ordre 
que  toutes  et  chacune  des  propositions  (qu'il  contient)  fussent  tenues 
par  tous  comme  réprouvées  et  proscrites.  »  En  donnant  cet  ordre,  le 
Pape  n'a  pas  changé  la  nature  première  de  ce  décret  qui,  émanant 
du  Saint-Office,  vaut  par  l'autorité  immédiate  de  cette  congrégation. 
et  oblige  tous  les  fidèles  (1).  Ce  n'est  donc  pas  une  définition  ex 
cathedra,  garantie  par  l'infaillibilité,  car  la  prérogative  de  l'infailli- 
bilité est  personnelle  au  Pape  et  incommunicable  ,  ce  n'est  même  pas 
un  acte  strictem  nt  pontifical,  comme  le  fut  le  Syllabus  de  Pie  IX  ; 
il  n'en  exige  pas  moins,  de  la  part  des  catholiques,  non  seulement 
un  silence  respectueux,  niais  encore  un  assentiment  intérieur.  Héré- 
tiques ou  non,  —  le  décret  ne  les  qualifie  pas,  —  les  propositions 
doivent  être  tenues  pour  condamnées  et  nul  catholique  ne  peut  plus 
8e  permettre  de  les  soutenir. 

Sous  le  fallacieux  prétexte  que  le  divin  et  le  surnaturel  sont  au- 
dessus  ou  en  dehors  de  la  raison,  et  que  la  critique,  œuvre  de  pure 
raison,  ne  peut  ni  ne  doit  s'en  occuper,  on  faisait  deux  parts  distinctes 

I.  Cf.  Choupin,  Valeur  des  décisions  doctrinales  tt  disciplinaires  du  Saint» 
Siège,   Paris,  1907,  p.  44  sq. 


DECRET    «    LAMENTABILI    SANE    EXITU    » 


lïîj 


entre  le  surnaturel  et  le  naturel,  soit  dans  l'Ecriture,  soit  dans  la 
personne,  les  actes  et  les  enseignements  de  Notre  Seigneur,  soit  dans 
la  constitution  de  l'Eglise,  les  sacrements,  les  dogmes  et  la  morale. 
Et  c'est  ainsi  que,  de  nos  jours,  certains  n'envisageaient  l'Ecriture  que 
comme  un  document  humain,  sans  tenir  compte  de  son  inspiration 
divine  ;  on  traitait  de  l'Eglise  comme  d'une  institution  humaine, 
abstraction  faite  de  son  institution  et  de  sa  constitution  divines  ;  et 
pareillement  des  sacrements  et  des  dogmes.  Ce  n'était  pas  là  simple- 
ment un  procédé  de  discussion,  une  méthode,  c'était  la  prétention 
plus  ou  moins  déguisée  de  supprimer  le  surnaturel,  en  le  déclarant 
indémontré  en  fait  et  indémontrable  en  droit,  incompatible  avec  la 
raison  autonome  et  avec  les  données  de  l'histoire.  Le  décret  a  coupé 
court  à  tous  ces  subterfuges.  Il  ne  nomme  pas  d'auteurs,  mais  les 
propositions  qu'il  condamne  sont  faciles  à  reconnaître  :  elles  sont  la 
traduction  textuelle  ou  équivalente  des  propositions  qu'on  trouve 
dans  certains  livres  contemporains.  Nous  en  avons  signalé  et  com- 
battu plusieurs  dans  les  deux  premiers  volumes  de  cet  ouvrage;  nous 
en  signalerons  et  cqmbattrons  d'autres  dans  la  suite.  Puisse  ce  docu- 
ment libérateur,  qui  a  précédé  la  publication  de  l'Encyclique  Pas- 
cendi  dominici  gregis,  ramener  les  égarés  de  bonne  foi,  surtout  ceux 
qui  sont  les  auteurs  responsables  de  ces  nouveautés  ou  qui  s'en  sont 
fait  le*  propagateurs  !  Il  ne  peut  que  réjouir  les  catholiques  fidèles  ; 
et  nous  sommes  heureux,  quant  à  nous,  d'y  souscrire  pleinement,  car 
il  confirme  ce  que  nous  avons  déjà  dit  et  servira  de  guide  à  ce  que 
nous  dirons  dans  la  suite 

Voici   la  liste  des  propositions   condamnées,    dans   sa  teneur  offi- 
cielle ;    nous  y  ajoutons  une  traduction  française. 


I.  Ecclesiastica  lex  quas 
praescribit  subjicere  pras- 
viae  censuras  libros  Divinas 
respicientes  Scripturas,  ad 
cultores  critices  aut  exe- 
geseosscientifîcae  librorum 
Veteris  et  Novi  Testa- 
ment! non  extenditur. 


II.  Ecclesias  interpretatio 
sacrorum  Librorum  non 
est  quidem  spernenda, 
subjacet  tamen  accuratiori 
exegetarum  judicio  et  cor- 
rectioni. 


I.  La  loi  ecclésiastique 
qui  prescrit  de  soumettre 
à  la  censure  préalable  les 
livres  qui  concernent  les 
divinesEcritures,ne  s'étend 
pas  aux  écrivains  qui  culti- 
vent la  critique  et  l'exégèse 
scientifique  des  livres  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament. 

IL  L'interprétation  des 
Livres  saints  par  l'Eglise 
n'est  pas  à  dédaigner  sans 
doute,  mais  elle  est  sujette 
au  jugement  plus  appro- 
fondi des  exégètes  et  à  cor- 
rection. 


lïv 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


ITT.  Exjudiciis  et  censu- 
Tis  ecclesiasticis  contra  li- 
iberam  et  cultiorem  exe- 
^gesim  latis  colligi  potestfi- 
-dem  ab  Ecclesia  proposi- 
itam  contradicere  historiae, 
et  dogmata  catholica  cum 
■verioribus  christianae  reli- 
.gionis  originibus  componi 
xeipsa  non  nosse. 


IV.  Magisterium  Eccle- 
siae  ne  per  dogmaticas  qui- 
-dem  definitiones  genui- 
iium  sacrarum  Spiritura- 
lum  sensum  determinare 
potest. 

V.  Quum  in  deposito 
fîdei  veritates  tantum  re- 
velatas  contineantur,  nullo 
sub  respectu  ad  Ecclesiam 
pertinet  judicium  ferre  de 
assertionibus  disciplina- 
irum  humanarum. 

VI.  In  detiniendis  veri- 
<&atibus  ita  collaborant 
discens  et  docens  Ecclesia 
sit  docenti  Ecclesia?  nihil 
supersit  nisi  communes 
<discentis  opinationes  san- 
dre. 


III.  Des  jugements  et 
des  censures  ecclésiasti- 
ques portés  contre  l'exé- 
gèse libre  et  plus  savante 
on  peut  inférer  que  la  foi 
proposée  par  l'Eglise  est 
en  contraditcion  avec 
l'histoire  et  que  les  dog- 
mes catholiques  ne  peu- 
vent réellement  pas  se 
concilier  avec  les  origines 
vraies  de  la  religion  chré 
tienne. 

IV.  Le  magistère  de  l'E- 
glise ne  peut  pas  détermi- 
ner le  sens  propre  des  sain- 
tes Ecritures,  même  par  des 
définitions  dogmatiques. 

V.  Le  dépôt  de  la  foi 
ne  contenant  que  des  vé- 
rités révélées,  il  n'appar- 
tient sous  aucun  rapport  à 
l'Eglise  de  porter  un  juge- 
ment sur  les  assertions 
des  sciences  humaines. 

VI.  L'Eglise  enseignée 
et  l'Eglise  enseignante  col-, 
laborent  à  ce  point  dans 
les  définitions  doctrinales, 
que  TEgliseenseignante  n'a 
plus  qu'à  sanctionner  les 
opinions  communes  de 
l'Eglise  enseignée  (i). 


i.  «  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Y  Ecclesia  discens  joue  son  rôle  à 
.côté  de  VEcclesia  docens  et  travaille  comme  elle  à  prendre  davantage 
conscience  de  l'idée  chrétienne  dont  elle  vit.  C'est  parmi  les  simples 
•fidèles,  humbles  aussi  bien  que  savants,  que  se  prépare,  dans  le  con- 
tact incessant  du  christianisme  avec   les  idées    contemporaines  où  il 


DÉCRET    U    LAMENTABILI    SANE    EXITU    »  Iv 


VII.  Ecclesia  cum  pros-  VII.  L'Eglise,  lorsqu'elle 
cribit  errores,  nequit  a  fi-  proscrit  des  erreurs,  ne 
delibus  exigere  ullum  in-  peut  exiger  des  fidèles 
ternum  assensum,  quo  ju-  l'assentiment  intérieur  aux 
dicia  a  se  édita  complec-  jugements  qu'elle  a  ren- 
tantur.  dus. 

VIII.  Ab  omni  culpa  VIII.  On  doit  estimer 
immunes  existimandi  sunt  exempts  de  toute  faute 
qui  reprobationes  a  Sacra  ceux  qui  tiennent  pour 
Congregatione  Indicis  ali-  non  avenues  les  condam- 
isve  Sacris  Romanis  Con-  nations  de  la  Sacrée  Con- 
gregationibus  latas  nihili  grégation  de  l'Index  ou 
pendunt.  des  autres  Sacrées  Con- 
grégations Romaines. 

IX.  Nimiam  simplicita-  IX.  Ceux-là  font  preuve 
tem  aut  ignorantiam  prae  d'une  simplicité  et  d'une 
se  ferunt  qui  Deum  cre-  ignorance  excessive  qui 
dunt  vere  esse  Scripturae  croient  que  Dieu  est  vrai- 
sacrae  auctorem.  ment  l'auteur  de  la  sainte 

Ecriture. 

X.  Inspiratio  librorum  X.  L'inspiration  des  Li- 
Veteris  Testamenti  in  eo  vres  de  l'Ancien  Testa- 
consistit  quod  scriptores  ment  a  consisté  en  ce  que 
israelitae  religiosas  doctri-  les  écrivains  d'Israël  ont 
nas  sub  peculiari  quodam  transmis  les  doctrines  re- 
aspectu,  gentibus  parum  ligieuses  sous  un  certain 
noto  aut  ignoto,  tradide-  aspect,  peu  connu  ou 
runt.  même  inconnu  des  païens. 

baigne,  tout  le  progrès  religieux.  Les  formules  de  l'Eglise  ensei- 
gnante ne  font  jamais  que  constater  ce  progrès.  >  La  pensée  catholi- 
que dans  l'Angleterre  contemporaine,  Paris,  1906,  p.  XXX.  —  <  C'est 
l'Eglise  enseignée  qui,  par  la  nécessité  de  sa  position,  par  son  con- 
tact permanent  avec  la  civilisation  qui  l'environne  et  la  pénètre, 
élabore  instinctivement  le  développement  dont  nous  avons  parlé. 
C'est  l'Eglise  enseignante  qui  la  dirige  et  la  surveille,  et  de  temps  en 
temps  lui  fait  prendre  conscience  de  son  progrès  en  en  donnant  la 
formule.  »  Ibid.,  p.  218.  —  «  L'évolution  incessante  de  la  doc- 
trine se  fait  par  le  travail  des  individus,  selon  que  leur  activité  réa- 
git sur  l'activité  générale;  et  ce  sont  les  individus  qui  pensant  avec 
l'Eglise,  pensent  aussi  pour  elle.  »  Ibid.,  p.  219. 


Ivj 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


Xl.Inspiratio  divinanon 
ita  ad  totam  Scriptiram 
sacram  extenditur,  ut  om- 
nes  et  singulas  ejus  paites 
ab  omni  errore  praemu- 
niat. 

XII.  Exegeta,  si  velit 
utiliter  studiis  biblicis  in- 
cumbere,  in  primis  quam- 
iibet  praeconceptam  opi- 
nionem  de  supernaturali 
origine  Scripturas  sacrae 
seponere  débet,  eamque 
non  aliter  interpretari 
quam  cetera  documenta 
mère  humana. 

XIII.  Parabolasevange- 
licas  ipsimet  Evangelistae 
ac  christiani  secundag  et 
tertiae  generationis  artifi- 
ciose  digesserunt,  atque 
ita  rationem  dederunt  exi- 
gui  fructus  prasdicationis 
Christi  aqud  Judaeos. 


XI  L'inspiration  divine 
ne  s'étend  pas  à'  toute  la 
sainte  Ecriture  de  manière 
à  la  garantir  de  toute  er- 
reur dans  toutes  et  chacu- 
ne de  ses  parties. 

XII.  L'exégète,  s'il  veut 
s'adonner  utilement  aux 
études  bibliques,  doit 
écarter  avant  tout  toute 
opinion  préconçue  sur 
l'origine  surnaturelle  de 
l'Ecriture  sainte  et  ne  pas 
l'interpréter  autrement  que 
les  autres  documents  pu- 
rement humains  (i). 

XIII.  Les  Evangélistes 
eux-mêmes  et  les  chrétiens 
de  la  seconde  et  de  la  troi- 
sième génération  ont  arti- 
ficiellement élaboré  les 
paraboles  évangéliques,  et 
ils  ont  ainsi  rendu  raison 
du  peu  de  fruit  de  la  pré- 
dication du  Christ  auprès 
des  juifs  (2). 


1.  L'auteur  A' Autour  d'un  petit  livre,  2"  édit.  Paris,  1905,  parlant 
de  «  l'autonomie  nécessaire  de  la  critique  biblique,  »  p.  49,  des 
«  dtoits  respectifs  du  théologien  et  du  critique  »  p.  52,  écrit  p.  57  : 
«  On  ne  conçoit  pas  que  le  critique  puisse  suivre  à  l'égard  de 
l'Ecriture  une  méthode  différente  de  celle  qu'on  applique  aux 
autres  documents  de  l'antiquité.  »  —  2.  Toutes  les  indications 
des  Evangiles,  «  sans  exception  et  depuis  l'origine,  ont  été  pour 
la  foi  un  moyen  de  s'exprimer,  de  s'affirmer  et  de  se  répan- 
dre. »  L'Evangile  et  l'Eglise,  y  édit.  Paris,  1904,  p.  33.  «  Si 
l'on  a  tourné  peu  à  peu  les  paraboles  en  allégories  ;  si  l'on  a  cons- 
tamment adapté  l'enseignement  du  Sauveur  au  besoin  des  Eglises 
naissantes  ,  si  un  travail  d'idéalisation  progressive,  d'interprétation 
symbolique  et  dogmatique  s'est  opéré  sur  les  faits  mêmes,  l'historien 
doit  s'en  rendre  compte.  »  Autour  d'un  petit  livre,  p.  83.  — «  De 
nié. ne  si  l'influence  des  premières  spéculations   christologiques  se  fait 


DECRET    «    LAMENTADILI    SANE    EXITU    » 


lvîj 


XIV.  In  pluribus  narra- 
tionibus  non  tam  quas 
vera  sunt  Evangelistre  re- 
tulernnt  quam  quœ  lec- 
toribus,  etsi  falsa,  cen- 
suerunt  magis  proficua. 

XV.  Evangelia  u^que  ad 
definitum  constitutumque 
canonem  continuis  addi- 
tionibus  et  correctionibus 
aucta  fuerunt  ;  ipsis  pro- 
inde  doctrinae  Christi  non 
remansit  nisi  tenue  et  in- 
certum  vestigium. 

XVI.  Narrationes  Joan- 
nis  non  sunt  proprie  histo- 
ria,  sed  mystica  Evangelii 
contemplatio  ;  sermones, 
in  ejus  evangelio  contenti, 
sunt  meditationes  theolo- 


XIV.  Dans  plusieurs  de 
leurs  récits,  les  Evangélis- 
tes  ont  rapporté,  non  pas 
tant  la  vérité  que  ce  qu'ils 
ont  estimé,  quoique  faux, 
plus  profitable  à  leurs  lec- 
teurs (i). 

XV.  Les  Evangiles  se 
sont  enrichis  d'additions  et 
de  corrections  continuelles 
jusqu'à  la  fixation  et  à  la 
constitution  du  canon;  dès 
lors  il  n'y  subsista  de  la 
doctrine  du  Christ  que  des 
vestiges  ténus  et  incertains. 

XVI.  Les  récits  de  Jean 
ne  sont  pas  proprement  de 
l'histoire,  mais  une  con- 
templation mystique  de 
l'Evangile  ;  les  discours 
contenus  dans   son  Evan- 


sentir  sur  la  tradition  des  discours  du  Christ,  il  (l'historien)  ne  doit 
point  se  contraindre  à  n'en  rien  voir.  »  Ibid.,  p.  84.  —  «  Ni  les  pré- 
dicateurs chrétiens,  ni  les  évangélistes  n'avaient  souci  de  l'exactitude 
historique,  ils  visaient  à  produire  la  foi,  et  ils  interprétaient  l'Evan- 
gile en  le  racontant.  »  Ibid.,  p.  85.  Cf.  Etudes  Evangèliques,  p.  vi-vii. 

1.  «  La  gloire  du  Seigneur  ressuscité  rejaillit  sur  les  souvenirs  de 
sa  carrière  terrestre.  De  là,  une  sorte  d'idéalisation  et  de  systémati- 
sation des  discours  et  des  faits.  >  L'Ev.  et  l'Egl.,  p.  17.  —  Les  argu- 
ments des  Evangiles  sont  «  le  plus  ordinairement,  une  interprétation 
des  faits  primitifs.  »  Ibid.,  p.  19.  —  «  Cette  idéalisation  inévitable  et 
légitime  du  Christ,  se  produisant  spontanément  dans  la  conscience 
chrétienne,...  a  dû  affecter,  jusqu'à  un  certain  point,  la  forme  d'un 
développement  légendaire.  »  Ibid.,  p.  21-22.  —  «  Les  Synoptiques 
sont  déjà  des  livres  de  prédication  chrétienne  et  non  des  histoires 
proprement  dites.  >  Aat.  d'un  pet.  livre,  p.  88-S9.  —  «  Qu'à  leur  ra- 
cine 'des  Evangiles)  il  y  ait  un  noyau  primitif  de  souvenirs  immé- 
diats, on  ne  le  conteste  point.  Mais  ce  noyau  s'est  recouvert  peu  à 
peu  d'apports  multiples  ;  et  l'analyse  critique,  disséquant  le  produit 
final  pour  en  déterminer  la  structure,  y  discerne  sans  peine  plusieurs 
couches  rédactionnelles  superposées.  »  Dogme  et  critique,  Paris,  1907, 
p.  X96. 


lviij 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


gicae  circa  mysterium  salu- 
tis,  historica  veritate  des- 
titutae. 

XVII.  Quartum  Evan- 
gelium  miracula  exagera- 
vit  non  tantum  ut  extraor- 
dinaria  magis  apparerent, 
sed  etiam  ut  aptiora  fiè- 
rent ad  significandum  opus 
et  gloriam  Verbi  Incar- 
nati. 

XVIII.  Joannes  sibi  vin- 
dicatquidem  rationem  tes- 
tis  de  Chnsto  ;  re  tamen 
vera  non  est  nisi  eximius 
testis  vitae  christianae  seu 
vitae  Christi  in  Ecclesia, 
exeunte  primo  saeculo. 


gile  sont  des  méditations 
théologiques,  dénuées  de 
vérité  historique,  sur  le 
mystère  du  salut  (1). 

XVII.  Le  quatrième 
Evangile  a  exagéré  les  mi- 
racles, non  seulement  afin 
de  les  faire  paraître  plus 
extraordinaires,  mais  en- 
core pour  les  rendre  plus 
aptes  à  caractériser  l'œu- 
vre et  la  gloire  du  Verbe 
incarné  (2). 

XVIII.  Jean  revendique, 
il  est  vrai,  pour  lui-même 
la  qualité  de  témoin  du 
Christ;  il  n'est  cependant, 
en  réalité,  qu'un  témoin 
éminent  de  la  vie  chré- 
tienne, ou  de  la  vie  du 
Christ  dans  l'Eglise,  à  la 
fin  du  premier  siècle  (3). 


X.  «  Il  est  des  hypothèses  qui  ne  résistent  pas  à  l'examen  critique 
des  Livres  saints:  par  exemple....  le  caractère  strictement  historique 
de  l'Evangile  selon  saint  Jean.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  36  —  «  Les 
récits  de  Jean  ne  sont  pas  une  histoire,  mais  une  contemplation  mys- 
tique de  l'Evangile  ;  ses  discours  sont  des  méditations  théologiques 
sur  le  mystère  du  salut.  >  Ibid.,  p.  93.  —  «  Le  quatrième  Evangile 
est  un  livre  de  théologie  mystique,  où  l'on  entend  la  voix  de  la 
conscience  chrétienne,  non  le  Christ  de  l'histoire.  >  Ibid.,  p.  130.  — 
«  La  critique  est  portée  à  y  voir  (dans  le  quatrième  Evangile)  un 
chef-d'œuvre  de  théologie  mystique  plutôt  qu'une  narration  de 
pure  histoire.  »  Dogme  et  critique,  p.  202.  —  2.  Le  Christ  johan- 
nique  c  n'opère  de  miracles  que  pour  faire  valoir  ce  qu'il  enseigne, 
pour  manifester  sa  gloire.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  92.  — 
3.  «  L'imagination  mystique  de  l'auteur  (Jean)  et  l'énergie  de  sa 
conviction  ne  lui  permettent  pas  de  distinguer  nettement,  dans  ses 
méditations  religieuses,  l'idéal  du  réel,  la  théorie  de  l'histoire,  le 
symbole  de  son  objet.  >  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  103.  —  «  Jean  pré- 
tend être  le  témoin  du  Christ,  et  il  est,  en  vérité,  le  grand  témoin 
de  la  vie  chrétienne,  de  la  vie  du  Christ  dans  l'Eglise,  à  la  fin  du 
premier  siècle.  >  Etudes  èvangèliqiies,  Paris,  1902,  p.  xii. 


DECRET    «    LAMENTABILI    SANE    EX1ÏU    » 


lix 


XIX.  Heterodoxi  exege- 
tae  fidelius  expresserunt 
sensum  verum  Scriptura- 
rum  quam  exegetae  Catho- 
lici. 

XX .  Revelatio  nihil 
aliud  esse  potuit  quam 
acquisita  ab  homine  suas 
ad  Deum  relationis  cons- 
cientia. 

XXL  Revelatio,  objec- 
tum  fidei  catholicag  cons- 
tituens,  non  fuit  cum  Apos- 
tolis  compléta. 

XXII.  Dogmata,  quae 
Ecclesia  perhibet  tanquam 
revelata,  non  sunt  verita- 
tes  e  cœlo  delapsae  sed 
sunt  interpretatio  quaedam 
factorum  religiosorum 
quam  humana  mens  labo- 
rioso  conatu  sibi  compa- 
ravit. 

XXIII.  Existere  potest 
et  reipsa  existit  oppositio 
inter  facta  quag  in  sacra 
Scriptura  narrantur  eisque 
innixa  Ecclesiag  dogmata  ; 
ita  ut  criticus  tamquam 
falsa   rejicere   possit  facta 


XIX.  Les  exégètes  hété- 
rodoxes ont  rendu  plus 
fidèlement  le  vrai  sens  des 
Ecritures  que  les  exégètes 
catholiques. 

XX.  La  révélation  n'a 
pu  être  que  la  conscience 
acquise  par  l'homme  de  sa 
relation  avec  Dieu  (i). 

XXI.  La  révélation,  qui 
constitue  l'objet  de  la  foi 
catholique,  n'a  pas  été 
complète  avec  les  Apô- 
tres (2). 

XXII.  Les  dogmes,  que 
l'Eglise  propose  comme 
révélés,  ne  sont  pas  des 
vérités  descendues  du  ciel, 
mais  seulement  une  inter- 
prétation des  faits  religieux 
que  l'esprit  humain  s'est 
acquise  par  un  laborieux 
effort  (3). 

XXIII.  Il  peut  exister 
et  il  existe  réellement  en- 
tre les  faits  consignés 
dans  l'Ecriture  sainte  et 
les  dogmes  de  l'Eglise 
auxquels  ils  servent  de 
base,   une  opposition  telle 


i.cLa  révélation  n'a  pu  être  que  la  conscience  acquise  par  l'homme 
de  son  rapport  avec  Dieu.  »  Au(.  d'un  pet.  livre,  p.  195.  Voir  t.i,  p.  193, 
227  sq  ;  t.  m,  p.  13-16. —  2. Voir  t.  1,  p.  153-156  ;  t.  ni,  p.  159, 177,  184. 
—  3.  «  Les  conceptions  que  l'Eglise  présente  comme  des  dogmes  révé- 
lés ne  sont  pas  des  vérités  tombées  du  ciel  et  gardées  par  la  tradition 
religieuse  dans  la  forme  précise  où  elles  ont  paru  d'abord.  >  L'Bv. 
et  ÏEgl.,  p.  202-203.  <  L'historien  y  voit  l'interprétation  de  faits 
religieux,  acquise  par  un  laborieux  effort  de  la  pensée  théologique.  > 
Ibid.  Cf.  Aut.  d'un  petit  livre,  p.  189.  Voir  t.  1,  p.  221,  229  sq. 


lx 


LE  CATECHISME  ROMAIN 


qure  Ecclesia  tamquamcer- 
tissima  crédit. 


XXIV.  Reprobandus 
non  est  exegeta  qui  prae- 
missas  adstruit,  ex  quibus 
sequitur  dogmata  historiée 
falsa  aut  dubia  esse,  dum- 
modo  dogmata  ipsa  directe 
non  neget. 

XXV.  Assensus  fidei  ul- 
timo  innititur  in  congerie 
probabilitatum. 

XXVI.  Dogmata  fidei  re- 
tinenda  sunt  tantummodo 
juxta  sensum  practicum, 
id  est  tamquam  norma 
prasceptiva  agendi,  non 
vero  tamquam  norma  cre- 
dendi. 

XXVII.  Divinitas  Jesu- 
Christi  ex  Evangeliis  non 
probatur  ;  sed  est  dogma 
quod  conscientia  chris- 
tiana  e  notione  Messias 
deduxit. 


que  le  critique  peut  reje- 
ter comme  faux  des  faits 
que  l'Eglise  croit  comme 
très  certains. 

XXIV.  On  ne  doit  pas 
condamner  un  exégète  qui 
pose  des  prémisses  d'où  il 
suit  que  les  dogmes  sont 
historiquement  faux  ou 
douteux,  pourvu  qu'il  ne 
nie  pas  directement  les 
dogmes  eux-mêmes. 

XXV.  L'assentiment  de 
foi  se  fonde  en  dernier  lieu 
sur  une  accumulation  de 
probabilités. 

XXVI.  Les  dogmes  de  la 
foi  sont  à  retenir  seule- 
ment selon  leur  sens  pra- 
tique, c'est-à-dire  comme 
règle  préceptive  d'action, 
mais  non  comme  règle  de 
crovance  (i). 

XXVII.  La  divinité  de 
Jésus-Christ  ne  se  prouve 
pas  par  les  Evangiles  ; 
mais  c'est  un  dogme  que 
la  conscience  chrétienne  a 
déduit  de  la  notion  de 
Messie  (2). 


.  .  c  Un  dogme  a  surtout  un  sens  pratique.  Il  énonce  avant  tout 
une  prescription  d'ordre  pratique.  Il  est  plus  que  tout  la  formule 
d'une  règle  de  conduite.  »  Dogme  et  critique,  page  25.  —  Ce  qu'un 
dogme  nous  impose,  c'est  essentiellement  et  d'abord  une  attitude 
et  une  conduite.  »  Ibid.,  p.  51.  Voir  t.  1,  p.  232-251,  l'exposi- 
tion et  la  réfutation  de  cette  erreur.  — 2.  «  Le  dogme  christo- 
logique  fut  avant  tout  1  expression  de  ce  que  Jésus  était,  depuis 
le  commencement,  pour  la  conscience  chrétienne.  »  V Evangile 
et  L' Eglise,  p.  206.  —  La  divinité  du  Cinirt  est  un  dogme  qui 
a    uiu^di   dans     la     conscience   chrétienne,     mais    qui    n'avait    pas 


DÉCRET    «    LAMFNTABILI    SANE    EX1TU 


iNJ 


XXVIII.  Jésus,  cum  mi- 
nis  erium  suum  exercebat, 
non  in  eum  finem  loque- 
batur  ut  doceret  se  esse 
Messiam,  neque  ejus  mira- 
cula  eo  spectabant  ut  id 
denioiibtraret. 

XXIX.  Concedere  licet 
Christum,  quem  exhibet 
historia,  multo  inferiorem 
esse  Christo  qui  est  objec- 
tum  fidei. 

XXX.  In  omnibus  texti- 
bus  cvangelicis  nomen  Fi- 
lins Dci  aequivalet  tantum 
nomini  Messias,  minime 
vero  significat  Christum 
esse  verum  et  naturalem 
Dei  Filium. 


XXVIII.  Jésus,  pendant 
qu'il  exerçait  son  minis- 
tère, n'avait  pas  en  vue 
dans  ses  discours  d'ensei- 
gner qu'il  était  lui-même 
le  Messie,  et  ses  miracles 
ne  tendaient  pas  à  le  dé- 
montrer (i). 

XXIX.  On  peut  accor- 
der que  le  Christ  que  1  his- 
toire présente  est  bien  in- 
férieur au  Christ  qui  est 
1  objet  de  la  foi  (2). 

XXX.  Dans  tous  les  tex- 
tes évangéliques,  le  nom 
de  Fils  de  Dieu  équivaut 
seulement  au  nom  de 
Messie ,  il  ne  signifie  point 
du  tout  que  le  Christ  est 
le  Fils  vrai  et  naturel  de 
Dieu  (3). 


été  expressément  formulé  dans  l'Evangile  ;  il  existait  seulement 
en  germe  dans  la  notion  du  Messie  fils  de  Dieu.  »  Aut.  a' un  pet. 
livre,  p  117.  —  «  L'historien  connaît  ce  dogme  (de  la  divinité  de 
Jésus)  comme  une  définition  théorique,  élaborée  au  cours  des  pre- 
miers siècles  chrétiens,  non  cwmme  une  réalité  vérifiable  et  dire.te- 
nient  attestée  par  les  documents  de  l'histoire.  »  Ibid  ,  p.  147.  Voir 
la  réfutation  de  cette  erreur  t.   11,  p.  230-238,  257-284. 

I.  «  Jésu*  ne  s'avouait  pas  Mes?ie  dans  sa  prédication  »  L'Ev.  et  VEgl.y 
p.  84.  —  «  Au  cours  de  son  ministère,  Jésus  ne  parlait  pas  pour  ensei- 
gner sa  qualité  de  Messie,  et  les  miracles  qu'il  faisait  n'étaient  pas 
pour  la  démontrer.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p  83.  Voir  t.  n,  p,  272. 
—  1.  «  On  dit  que,  dans  ces  conditions,  —  (et  telle  est  l'opinion  du 
critique  historien)  —  le  Christ  de  l'histoire  serait  bien  au-dessous  du 
Christ  de  la  foi.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  113  Voir  t.  Il,  p.  272.  — 
3.  «  L'on  trouverait  sans  peine,  dans  les  Evangiles,  plus  d'un  pas- 
sage d'où  il  résulte  que  le  titre  de  Fils  de  Dieu  était  pour  les  juifs, 
pour  les  disciples  et  pour  le  Sauveur  même  l'équivalent  du  Messie.  » 
L'Ev.  et  l'Egl.y  p.  76.  —  «  En  tant  que  le  titre  de  Fils  de  Dieu 
appartient  exclusivement  au  Sauveur,  il  équivaut  à  celui  de  Messie, 
et  il  se  fonde  sur  la  qualité  de  Messie.  »  Ibid.,  p.  90-91.  Voir  t.  11, 
p.  273. 


lxij 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


XXXI.  Doctrina  de 
Christo,  quam  tradunt 
Paulus,  Joanneset  Concilia 
Nicaenum,  Ephesinum, 
Chalcedonense,  non  est  ea 
quam  Jésus  docuit,  sed 
quam  de  Jesu  concepit 
conscientia  christiana. 

XXXII.  Conciliari  ne- 
quit  sensus  naturalis  tex- 
tuum   evangelicorum  cum 


XXXI.  La  doctrine  chris- 
tologique  de  Paul,  de 
Jean  et  des  conciles  de 
Nicée,  d'Ephèse,  de  Chal- 
cédoine,  n'est  pas  celle 
que  Jésus  a  enseignée, 
mais  celle  quela  conscien- 
ce chrétienne  s'est  faite  de 
Jésus  (i). 

XXXII.  On  ne  peut  con- 
cilier le  sens  naturel  des 
textes  évangéliques    avec 


eo    quod  nostri    theologi      ce  qu'enseignent  nos  théo- 
docent  de   conscientia    et      logiens   touchant   la   con- 


scientia 
Christi. 


infallibili      Jesu 


XXXIII.  Evidens  est  cui- 
que  qui  praeconceptis  non 
ducitur  opinionibus,  Jesum 
aut  errorem  de  proximo 
messianico  adventu  fuisse 
professum,  aut  majorem 
partem  ipsius   doctrinas    in 


science   et   la   science   in- 
faillible du  Christ  (2). 

XXXIII. Uestévidentpour 
quiconque  n'est  pas  con*- 
duit  par  des  opinions  pré- 
conçues, ou  bien  que  Jé- 
sus a  enseigné  l'erreur  sur 
le  prochain  avènement 
messianique,  ou  bien    que 


Evangeliis  Synopticis  con-      la  majeure  partie  de  sa  doc- 
tentagauthenticitatecarere.      trine,    contenue   dans    les 

Evangiles       synoptiques  > 
manque  d'authenticité  (3). 


1.  Voir  les  passages  déjà  cités  en  note,  à  la  prop.  27.    —  «  On  ne 
fera  pas  admettre   au  critique   le   moins   expérimenté   que   Jésus  ait 
enseigné  en    termes   formels,    et  simultanément,   la    christologie   de 
Paul,  celle  de  Jean,  et  la  doctrine  de  Nicée,  d'Ephèse  et  de  Chalcé- 
doine.»  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  136.  — 2.  «Ce  qui  inquiète  l'esprit  des 
fidèles  sur  la  divinité  du  Christ  et  sa  science  infaillible,  c'est  l'impossi- 
bilité de  concilier  le  sens  naturel  des  textes  évangéliques  les  plus  cer^ 
tains  avec  ceux  que  nos  théologiens  enseignent  ou  semblent  enseigner 
touchant  la  conscience  et  la  science  de  Jésus.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p. 
xxiii.  —  1 .  <  L'attente  de  la  parousie,  du  prochain  avènement  du  Christ 
dans  la  gloire,  fut  une  erreur  de  la  génération  apo.  tolique.  Maiscette 
erreur,  si  erreur  il  y  a,  est  dans  l'Evangile,  et  vou    serez  obligé  d'ad- 
mettre, ou  que  Jésus  l'a  professée,  ou  que  la  majeure    partie  de   son 


DÉCRET    «    LAMENTABILI    SANE    EXITU    ))  lxiij 

XXXIV.  Criticus  nequit  XXXIV.  Le   critique  ne 

asserere  Christo  scientiam  peut  pas  attribuer  au  Christ 

nullo    circumscriptam    li-  une  science  illimitée,  si  ce 

mite  nisi  facta  hypothesi,  n'est  dans  l'hypothèse  his- 

quae  historiée  haud  concipi  toriquement  inconcevable 

potest,  quieque  sensui  mo-  et    qui    répugne   au   sens 

rali  répugnât  nempe  Chris-  moral,  que  le  Christ    com- 

tum  uti  hominem  habuisse  me      homme    a     possédé 

scientiam  Dei    et   nihilo-  la  science  de  Dieu  et  qu'il 

minus  nolui'sse  notitiam  tôt  a    néanmoins     refusé     de 

rerum   communicare  cum  communiquer  à  ses  disci- 

discipulis  ac  posteritate.  pies   et   à  la   postérité   la 

connaissance    de    tant    de 

choses  (i). 

XXXV.Christusnonsem-  XXXV. Le  Christ  n'a  pas 

per     habuit    conscientiam      eu  toujours  conscience  de 
sua?  dignitatis  messianicas.      sa  dignité  messianique. 

XXXVI.  Resurrectio  Sal-  XXXVI.  La  résurrection 

vatoris  non  est  proprie  fac-  du  Sauveur  n'est  pas  pro- 
tum  ordinis  historici,  sed  prement  un  fait  d'ordre 
factum  ordinis  mère  super  historique,  mais  un  fait 
naturalis,  nec  demonstra-  d'ordre  purement  surnatu- 
tum  nec  demonstrabile,  rel,  ni  démontré,  ni  dé- 
quodconscientia  christiana  montrable,  que  la  cons- 
sensim  ex  aliis  derivavit.  cience  chrétienne  a  insen- 
siblement déduit  d'autres 
faits (2). 

enseignement  dans  les  Synoptiques  est    dépourvue   d'authenticité.  » 
Aut.  d'un  pet.  Livre,  p.  68. 

1 .  Le  critique  ne  pourrait  attribuer  au  Christ  c  une  science  sans 
bornes  que  dans  une  hypothèse  historiquement  inconcevable  et  dé- 
concertante pour  le  sens  moral,  en  admettant  que  le  Christ,  comme 
homme,  avait  la  science  de  Dieu,  et  qu'il  a  délibérément  abandon- 
donné  ses  disciples  et  la  postérité  à  l'ignorance  et  à  l'erreur  sur 
quantité  de  choses  qu'il  pouvait  révéler  sans  le  moindre  inconvé- 
nient. »  Aui.  d'un  pet.  livre,  p.  138-139.  —  a.  c  Le  Christ  res- 
suscité n'appartient  plus  à  l'ordre  de  la  vie  présente,  qui  est 
celui  de  l'expérience  sensible,  et  par  conséquent  la  résurrection 
n'est  pas  un  fait  qui  ait  pu  être  constaté  directement  et  for- 
mellement. >  VEv  et  l'Eglise,  p.  118.  —  «  La  résurrection  du 
Christ  n'est  pas  un  fait  d'ordre  proprement  historique,  et  elle  n'est  pat 


Ixiv 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


XXXVII.  Fides  in  resur- 
rectionem  Christi  ab  ini- 
tio  fuit  non  tam  de  facto 
ipso  resurrectionis,  quam 
de  vita  Christi  immortali 
apud  Deum. 

XXXVIII.  Doctrina  de 
morte  piaculari  Christi  non 
est  evangelica  sed  tantum 
paulina. 

XXXIX.  Opiniones  de 
origine  sacramentorum 
quibus  Patres  Tridentini 
ifnbuti  erant,  quasque  in  eo- 
rum  canones  dogmaticos 
procul  dubio  influxum  ha- 
buerunt,  longe  distant  ab 
iis  quas  nunc  pênes  bisto- 
ricos  rei  christianas  inda- 
gatores  merito  obtinent. 


XXXVII.  La  foi  en  la  ré- 
surrection du  Christ,  à 
l'origine,  porta  moins  sur 
le  fait  même  de  sa  résur- 
rection que  sur  la  vie  im- 
mortelle du  Christ  auprès 
de  Dieu  (i). 

XXXVIII.  La  doctrine 
sur  la  mort  expiatoire  du 
Christ  n'est  pas  évangéli- 
que,  mais  seulement  pau- 
lmienne  (2). 

XXXIX.  Les  opinions 
dont  les  Pères  de  Trente 
étaient  imbus  sur  l'origine 
des  sacrements,  opinions 
qui  ont  influencé  sans  doute 
leurs  canons  dogmatiques, 
sont  bien  éloignées  de 
celles  qui  prévalent  au- 
jourd'hui à  bon  droit  par- 
mi les  historiens  du  chris- 
tianisme (3). 


rigoureusement  démontrée  en  cette   qualité.  »  Aut.    d'un  pet.    Livre 
page  vm.  —  «  La  résurrection  du  Sauveur...  n'est  pas  démontrable  ni 
démontrée    par   le    témoignage   de    l'histoire,    indépendamment     du 
témoignage    de    foi.  »    Ibid.,    p.     169.    Même  erreur    dans    Dogme 
et  critique    Voir  t.  11,  p.  271,  416-417. 

1.  La  foi  à  la  résurrection,  «  dès  l'abord,  fut  la  foi  à  la  vie  im- 
mortelle du  Crucifié  bien  plus  qu'au  fait  initial  qui  est  suggéré  à 
notre  esprit  par  le  mot  de  résurrection.  »  Aut.  d" un  pet.  livre,  p.  120. 
—  2  C'est  saint  Paul  qui  «  formula  la  théorie  de  la  rédemption.  » 
L'Ev.  et  l'Eg.,  p. 26.  —  «  Le  passage  de  l'Epître  aux  Corinthiens 
(I  Cor,  xv,  3-4)...  ne  garantit  aucunement  que  l'idée  de  la  mort  ex- 
piatrice  ait  existé,  dès  l'origine,  avec  la  netteté  que  lui  donne  l'en- 
seignement de  Paul.»  Ibid.,  p.  113.  —  «  Paul  découvre  à  la  mort  un 
sens  et  une  efficacité  qui  peuvent  compter  indépendamment  de  la  résur- 
rection, tuut  en  lui  étant  coordonnés.»  Ibid., -p.  117. Voir  t.  11,  p.  332- 
230.  —  3 .  «  Ces  opinions  (des  Pères  de  Trente,  sur  l'origine  des  sacre- 
ments) sont  en  rapport  avec  la  connaissance  qu'on  avait,  en  ce  temps- 
là,,  des  origines  chrétiennes,  c'est-à-dire  qu'elles  sont  fort  éloignées  de 


DÉCHET    «    LAMENTABILI    SANE    EX1TU    »  Ixr 


XL.    Sacramenta    ortum  XL.  Les  Sacrements  sont 

habuerunt     ex    eo     quod  nés  de  ce  que  les  Apôtres 

Apostoli    eorumque    suc-  et   leurs    successeurs    ont 

cessores  ideam  aliquam  et  interprété    une   idée,    une 

intentionem    Christi,  sua-  intention  du   Christ,   sous 

dentibus    et     moventibus  l'inspiration  et  la  poussée 

circumstantiiseteventibus,  des    circonstances    et    des 

intepretati  sunt.  événements  (i). 

XLI.      Sacramenta      eo  XLI.     Les      Sacrements 

tantum     spectant     ut     in  n'ont  d'autre  but  que  d'é- 

mentem  hominis  revocent  voquer  à  l'esprit  de  l'hom- 

praesentiam  Creatoris  sem-  me  la    présence    toujours 

per  beneficam.  bienfaisante  du  Créateur. 

XL1I.      Communitas  XLII.    La    communauté 

christiana        necessitatem  chrétienne   a  introduit  la 

baptismi     induxit,     adop-  nécessité   du  baptême,  en 

tans  illum  tamquam  ritum  l'adoptant  comme  un   rite 

necessarium,    eique    pro-  nécessaire  et  en  y   anne- 

fessionis  christianae  obliga-  xant  les  obligations  de  la 

tiones  adnectens.  profession  chrétienne  (2). 

XLIII.   Usus  conferendi  XLIII.  L'usage  de   con— 

baptismum  infantibus  evo-  férer  le  baptême  aux   en- 

'lutio  fuit  disciplinais,  quae  fants  fut  une  évolution  de 

una   ex    causis    extitit   ut  la  discipline,  qui  fut  une 

sacramentum  resolveretur  des  causes  pour  lesquelles 

in  duo,  in  baptismum  sci-  ce  sacrement  se  dédoubla 

licet  et  pœnitentiam.  en   baptême    et    péniten- 
ce (3). 

celles  que    professent   les   historiens    contemporains,  même    catholi- 
ques... Que  les  opinions  des  Pères  de   Trente  aient  déteint  sur  leurs- 
canons  dogmatiques,  rien  de   plus   naturel.  »  Aut.  d'un  pet.    livre+ 
'■    page  223. 

1.  <  Les  sacrements  sont  nés  d'une  pensée  et  d'une  intention  de- 
Jésus,  interprétés  par  les  apôtres  et  par  leurs  successeurs,  à  la  lumière 
et  sous  la  pression  des  circonstances  et  des  faits.  »  L'Ev.  et  l'Eg.,  p. 
339.  —  2.  c  C'est  la  communauté  qui  l'a  rendu  nécessaire  (le  baptême) 
en  l'adoptant  comme  tel,  et  qui  y  a  impliqué  en  même  temps  toutes 
les  obligations  de  la  profession  chrétienne.  »  Aut.  d'un  pet.  h'v.,  p.  234.. 
—  3.  c  L'habitude  de  conférer  le  baptême  aux  enfants  constitue  ua 
développement  disciplinaire   qui    ne  change   pas   la  signification  dm. 

II  CATÉCHISME.   —  T.    III.  e 


lxvj 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


XLIV.  Nihil  probat  ri- 
tum  sacramenti  confirma- 
tionis  usurpatum  fuisse  ab 
Apostolis:  formalis  autem 
distinctio  duorum  sacra- 
mentorum,  baptismi  sciti- 
cet  et  confirmationis,  haud 
spectat  ad  historiam  chris- 
tianismi  primitivi. 

XLV.  Non  omnia,  quas 
narrât  Paulus  de  institu- 
tione  Eucharistias  (I  Cor., 
xi,  23-25),  historiée  sunt 
sumenda. 

XLVI.  Non  adfuit  in 
primitiva  Ecclesia  concep- 
tus  de  christiano  pec- 
catore  auctoritate  Ecclesias 
reconciliato  ;  sed  Ecclesia 
nonnisi  admodum  lente 
hujusmodi  conceptui  as- 
suevit.  Imo,  etiam  post- 
quam  pœnitentia  tam- 
quam  Ecclesia?  institutio 
agnita  fuit,  non  appellaba- 
tur     sacramenti     nomine, 


XLIV.  Rien  ne  prouve 
que  le  rite  du  sacrement 
de  confirmation  ait  été 
usité  par  les  Apôtres;  au 
contraire,  la  distinction 
formelle  des  deux  sacre- 
ments, savoir  le  baptême 
et  la  confirmation,  n'ap- 
partient pas  à  l'histoire  du 
christianisme  primitif  (1). 

XLV.  Tout  n'est  pas  à 
entendre  historiquement 
dans  le  récitde  l'institution 
de  l'Eucharistie  par  Paul 
(1  Cor.,  xi,  23-25X2). 

XLVI.  Le  concept  du 
chrétien  pécheur  réconci- 
lié par  l'autorité  de  l'Egli- 
se ne  se  constate  pas  dans 
la  primitive  Eglise;  mais 
l'Eglise  ne  s'est  faite  à 
ce  concept  que  très  len- 
tement. Bien  plus,  même 
après  que  la  pénitence  eût 
été  reconnue  comme  une 
institution  de  l'Eglise,  elle 
ne  portait  pas  le   nom  de 


sacrement,   mais   qui   l'a  peut-être   un    peu  diminué    et    qui   a    con- 
tribué à  la  dédoubler  dans  la  pénitence.   *  L'Ev.  et  l'Eg.  p.  240. 

1.  «  Bien  que  le  rite  (de  la  confirmation)  soit  fort  ancien,  rien  ne 
prouve  qu'il  ait  été  pratiqué  par  les  apôtres.  Il  signifie  l'onction  de 
l'Esprit,  qui  est  donnée  dans  le  baptême.  C'est  évidemment  l'Eglise 
qui  a  développé  ainsi  le  rite  baptismal,  et  la  distinction  formelle  des 
deux  sacrements  n'appartient  pas  à  l'histoire  du  christianisme  primi- 
tif. >  Aut.  d'un  pet.  liv.,  p.  234-235.  —  2.  «  Quand  on  l'examine  de 
près  (ce  récit),  il  est  assez  malaisé  de  distinguer  rigoureusement  ce- 
qui  peut  venir  de  la  tradition  primitive,  ce  qui  peut  être  la  relation 
du  dernier  repas,  d'après  ceux  qui  y  avaient  assisté,  du  commentaire 
théologique  et  moral  que  l'apôtre  en  a  fait.  »  Aut.  d'un  pet.  liv.9 
p.  337. 


DECRET    «    LAMENTABILI    SANE    EXITU    » 


lxvij 


eo  quod  haberetur  uti  sa- 
cra ni  en  tu  m  probrosum. 

XLVII.  Verba  Domini  : 
Accipite  Spiritum  Sanc- 
tum y  quorum  remiseritis 
peccata,  remiiiuniur  eis, 
et  quorum  rctinucritis,  re- 
tenta  sunt  (Joan.,  xx,  22- 
23),  minime  referentur  ad 
sacramentum  poenitentiae, 
quidquid  Patribus  Triden- 
tinis  asserere  placuit. 


XLVIII.  Jacobus  in  sua 
Epistola  (v,  14-15)  non  in- 
tendit promulgare  aliquod 
sacramentum  Christi,  sed 
commendare  pium.  ali- 
quem  morem,  et  si  in  hoc 
more  forte  cernit  médium 
aliquod  gratire,  id  non 
accipit  eo  rigore,  quo  ac- 
ceperunt  theologi  qui  no- 


sacrement,  regardée  qu'el- 
le était  comme  un  sacre- 
ment honteux  (i). 

XLVII.  Les  paroles  du 
Seigneur  :  Recevez  1  ' Es- 
prit-Saint ;  les  péchés  se- 
ront remis  à  ceux  à  qui 
vous  les  remettrez,  et  ils 
seront  retenus  à  ceux  à 
qui  vous  les  retiendrez 
(Joan.i  xx,  22-23),  ne  ste 
rapportent  pas  du  tout  au 
sacrement  de  pénitence, 
quoi  qu'il  ait  plu  aux  Pè- 
res de  Trente  d'affir- 
mer (2). 

XLVIII.  Jacques,  dans 
son  Epître  (v,  14-15),  n'en- 
tend pas  promulguer  uïi 
sacrement  du  Christ,  mais 
recommander  un  pieux: 
usage,  et  s'il  voit  dans  cet 
usage  un  moyen  de  grâce, 
il  ne  l'entend  pas  avec  la 
même  rigueur  que  les  théo- 
logiens qui  ont  fixé  la  np- 


1.  c  On  n'eut  pas  d'abord  l'idée  du  chrétien  pécheur  et  réconcilié; 
et  l'Eglise  ne  s'y  habitua  même  que  très  lentement...  Mats  si  la  pé- 
nitence était  ainsi  devenue  une  institution  chrétienne,  et  la  récon- 
ciliation des  pécheurs  une  fonction  de  l'Hglise,  v>n  ne  songeait 
pas  encore  à  employer  le  nom  de  sacrement  pour  un  tel  ob- 
jet:   c'était  un    sacrement    honteux.   »    L'Ev.    et   ÏEg.,  p.    240-24». 

—  2.  «  L'on  chercherait  vainement  dans  la  prédication  du  Sauveur 
une  doctrine  du  péché  et  de  la  justification.  >  L'Ev.  et  ÏEg.  p.   199. 

—  «  Vous  pouvez  demander  à  quelque  docteur  bien  sûr  et  immaculé 
■i  l'idée  du  chrétien  pécheur  et  absous  par  un  jugement  ecclésiasti- 
que remonte  à  la  prédication  du  Sauveur:  si  la  parole  du  Christ 
johannique  (Joan.,  xx,  23)  sur  la  rémission  des  péchés  vise  directe- 
ment le  sacrement  de  pénitence...  Jésus  n'avait  pas  réglé,  pendant 
34  vie  mortelle,  les  conditions  de  la  rémission  des  péchés  commis  par 
les  croyants  baptisés.  »  Aut.  d'un  pet.  liv.,  p.  246-247. 


ixvïïj 


LE    CATECHISME    ROMAlîf 


lionem  et  numerum  sacra- 
■  mentorvm  statuerunt. 

XLIX.  Cœna  christiana 
paulatim  indolem  actionis 
iïturgicas  assumente,  hi, 
qui  Cœnae  prasesse  consue- 
verant  characterem  sacer- 
-do'.alern  acquisiverunt. 

L.  Seniores  qui  in  chris- 
tianorum  cœtibus  invigi- 
landi  munere  fungebantur, 
instituii  sunt  ab  Apostolis 
presbyteri      aut      episcopi 

.ad  providendum  necessa- 
rias  crescentium  commu- 
nitatum  ordinationi,  non 
proprie  ad  perpetuandam 
missionem    et    potestatem 

.apostolicam. 

LI.  Matrimonium  non 
potuit  evadere  sacramen- 
tura  novae  legis  nisi  serius 


tion  et  le  nombre  des  sa- 
crements (i). 

XLIX.  La  Cène  chré- 
tienne prenant  peu  à  peu 
le  caractère  d'une  action  li- 
turgique, ceux  qui  avaient 
coutume  de  la  présider 
acquirent  le  caractère  sa- 
cerdotal (2). 

L.  Les  anciens,  qui 
étaient  chargés  de  la  sur- 
veillance dans  les  assem- 
blées des  chrétiens  ont  été 
établis  par  les  Apôtres  prê- 
tres ou  évêques,  en  vue  de 
pourvoir  à  l'organisation 
nécessaire  des  communau- 
tés croissantes,  non  pas 
proprement  en  vue  de 
perpétuer  la  mission  et  le 
pouvoir  apostolique  (3), 

LI.  Le  mariage  n'a  pu 
devenir  dans  l'Eglise  sa- 
crement de  la  nouvelle  loi 


1  «  Jésus  paraît  avoir  enjoint,  ou  permis,  on  donné  à  ses  disciples 
l'exemple  de  faire  aux  malades  drs  onctions  d'huile  accompagnées 
de  prières,  pour  les  soulager  oq  même  les  guérir  :  c'est,  dans  l'Evan- 
gile, tout  le  sacrement  de  l'extrêiiie -onction.  »  L'Ev.  et  l'Egl.,  p. 
34s.  — «  L'auteur  (de  l'Epître  de  saint  Jacques)  ne  manifeste  pas 
l'intention  de  promulguer  un  sacrement  du  Christ,  mais  de  recom- 
smander  une  bonne  coutume  ;  s'il  voit  dans  cet  usage  un  moyen  d« 
.grâce,  il  ne  l'entend  pas  avec  la  même  rigueur  que  les  théologiens 
«qui  ont  fixé  la  notion  et  le  catalogue  des  sacrements.  »  Aut.  d'un 
J>et.  livre,  p.  251.  —  a.  «  A  mesure  que  la  cène  prit  le  carac- 
tère d'un  acte  liturgique  ceux  qui  y  présidaient  d'ordinaire  acqui- 
rent le  caractère  des  prêtres.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  25s.  — 
•3.  c  Les  anciens,  qui  exerçaient  dans  les  assemblées  chréttennes  les 
■fonctions  de  surveillants,  ont  été  institués  de  même  par  les  apôtres, 
f>our  satisfaire  à  la  nécessité  d'une  organisation  dans  les  communau- 
tés, non  précisément  pour  perpétuer  la  mission  et  le  pouvoir  apos- 
toliques. a>  Aut  d'un  pet.  livre,  p.  353.  Voir  t.  12,  p.  499-503,  l'orga- 
nisation des  premières  communautés. 


DÉCRET  «  LAMENTABILI  SANE  EXITU  » 


lxix 


in  Ecclesia  ;  siquidem  ut 
matrimoniurn  pro  sacra- 
mento  haberetur  necesse 
erat  ut  praecederet  plena 
doctrinas  de  gratia  et  sa- 
cramentis  theologica  ex- 
plicatio. 

LU.  Alienum  fuit  a  men- 
te Christi  Ecclesiam  cons- 
tituere  veluti  societatem 
super  terram  per  longam 
saeculorum  seriem  duratu- 
rara;  quinimo  in  mente 
Christi  regnum  cœli  una 
cura  fine  mundi  jamjam 
adventurum  erat. 

LUI.  Constitutio  orga- 
nica  Ecclesiag  non  est  im- 
mutabilis  ;  sed  societas 
christiana  perpétua?  evolu- 
tioni  aeque  ac  societas  hu- 
mana  est  obnoxia. 

LIV.  Dogmata,  sacra- 
menta,  hierarchia,  tum 
quod  ad  notionem  tum 
quod  ad  realitatem  attinet 


qu'assez  tardivement;  en 
effet,  pour  que  le  mariage 
fûttenu  pour  un  sacrement, 
il  fallait  au  préalable  que  la 
doctrine  théologique  delà 
grâce  et  des  sacrements 
eût  acquis  son  plein  déve- 
loppement^). 

LIî.  Il  n'était  pas  dans 
la  pensée  du  Christ  de 
constituer  l'Eglise  comme 
une  société  destinée  à  du- 
rer sur  la  terre  une  longue 
série  de  siècles  ;  au  con- 
traire, dans  la  pensée  du 
Christ,  la  fin  du  monde  et 
le  royaume  du  ciel  étaient 
également  imminents  (2). 

LUI.  La  constitution  or- 
ganique de  l'Eglise  n'est 
pas  immuable  ;  mais  la  so- 
ciété chrétienne  est  su- 
jette, comme  toute  société 
humaine,  à  une  évolution 
perpétuelle  (3). 

LIV.  Les  dogmes,  les 
sacrements,  la  hiérarchie, 
tant  dans  leur  notion  que 
dans  la   réalité,    ne    sont 


1.  <  Le  mariage  n'a  pu  devenir  un  sacrement  que  dans  l'Eglise  après 
la  résurrection  du  Sauveur...  Mais.. .  la  considération  du  mariage 
comme  sacrement  suppose  tout  le  développement  de  la  doctrine  de 
la  grâce  et  de  la  théologie  sacramentelle  >Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  255.  i 
—  a  «  Il  est  certain  que  Jésus-Christ  n'avait  pas  réglé  d'avance  la 
constitution  de  l'Eglise  comme  celle  d'un  gouvernement  établi  sur  la 
terre  et  destiné  à  s'y  perpétuer  pendant  une  longue  série  de  siècles.  » 
JL'Ev.  et  VEg'L,  p.  155.  Voir  t.  11,  p.  472-488,  la  vraie  pensée  de  Jé- 
sus dans  la  constitution  de  l'Eglise.  —  3.  «  L'Evolution  de  la  société 
chrétienne  continuera  avec  celle  de  la  société  humaine.  »  Aut.  d'un 
Pet.  livre,  p.  182.  Voir  t.  il,  les  leçons  sur  l'Eglise. 


lxx 


L^    CATECHISME    ROMAIN 


non  sunt  nisi  intelligentias 
Christian  as  in.terpretationes 
evoiutionesque  quae  exi- 
guum  germen  in  Evangelio 
latens  extern is  incrementis 
auxerunt    perfeceruntque. 

LV.  Simon  Petrus  ne 
suspicatus  quidem  unquam 
est  sibi  a  Christo  de- 
mandatum  esse  primatum 
in  Ecclesia. 

LVL  Ecclesia  Romana, 
non  ex  divinas  providen- 
tiag  ordinatione,  sed  ex 
mère  politicis  conditioni- 
bus  caput  omnium  Eccle- 
siarum  effecta  est. 


que  les  interprétations  et 
les  évolutions  de  la  pensée 
chrétienne,  qui  ont  déve- 
loppe et  perfectionné  par 
des  apports  extéiieurs  le 
petit  germe  latent  dans 
l'Evangile  (i). 

LV.  Simon-Pierre,  en 
vérité,  n'a  jamais  même 
soupçonné  que  le  Christ 
lui  ait  délégué  la  primauté 
dans  l'Eglise  (2). 

LVI.  L'Eglise  Romaine 
est  devenue  la  tête  de  tou- 
tes les  Eglises,  non  pas  par 
une  disposition  de  la  divi- 
ne providence,  mais  en 
vertu  de  circonstances  pu- 
rement politiques  (3), 


I.  «  Les  réalités  et  les  notions  de  hiérarchie,  de  primauté,  d'infail- 
libilité, de  dogme,  même  de  sacrements,  correspondent  à  un  accroisse- 
ment de  la  communauté  chrétienne  qui  a  seulement  son  germe  dans 
l'Evangile.  »  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  16-17.  Voir  t.  1,  à  propos  du 
dogme,  les  leçons  iv,  v  et  vi,  et  t.  il,  sur  la  hiérarchie,  l'infaillibilité, 
et  la  primauté,  les  leçons  xxxm  et  xxxv.  —  1.  <  De  savoir  si  le  Christ 
a  voulu  la  primauté  du  Pape,  c'est  un  point  qui  n'est  pas  à  discuter 
sur  le  terrain  de  l'histoire  évangélique  »  Aut.  d un  pet.  livre,  p.  173- 
174.  Voir  t.  11,  p.  476-481,  488-494,  578-579,  ce  qu'il  faut  penser  du 
cho.x  de  Pierre,  de  son  rôle  et  de  l'institution  du  primat  apostolique. 
—  3.  «  On  peut  penser  que  lorsqu'ils  moururent  (Pierre  et  Paul),  ils 
ne  se  doutaient  pas  qu'ils  eussent  donné  un  chef  suprême  à  l'Eglise.  » 
L'Ev.  etVEgl.y  p.  144.  —  «  Très  consciemment,  ils  avaient  fait  de 
Rome  le  chef-lieu  de  l'Evangile;  par  là  même,  sans  le  vouloir  expres- 
sément, ils  avaient  fait  de  l'Eglise  romaine  la  mère  et  la  reine  des 
Eglises  du  monde  entier.  »  Ibid.,  p.  145.  —  «  Reprocher  à  l'Eglise 
catholique  tout  le  développement  de  sa  constitution,  c'est  lui  repro- 
cher d'avoir  vécu...  Chaque  progrès  s'explique  par  une  nécessité  de  fait 
qui  s'accompagne  de  nécessités  logiques.  »  Ibid.,  p.  154.  —  «  La  sim- 
ple critique  cks  textes  ne  peut  démontrer  l'institution  divine  du  pon- 
tificat romain,  ni  déterminer  les  conditions  légitimes  de  son  exercice.  » 
Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  177.  Voir  t.  n,  p.  545~575>  ce  qu'on  doit  pen- 
ser de  cette  proposition. 


DECRET    «    LAMENTABILT    SANE    EXITU    » 


l\xj 


LVII.  Ecclesia  sese  prae- 
fcet  scientiarum  naturalium 
et  theologicarum  progres- 
sifs infensam. 

LVIII.  Veritas  non  est 
knmutabilis  plusquam  ipse 
komo,  quippe  quae  cum 
ipso,  in  ipso  et  per  ipsum 
evolvitur. 

LIX.  Christus  determi- 
natum  doctrinae  corpus 
omnibus  cunctisque  homi- 
nibus  applicabile  non  do- 
cuit,  sed  potius  inchoavit 
motum  quemdam  religio- 
sum  diversistemporibusac 
locis  adaptatum  vel  adap- 
tandum. 

LX.  Doctrina  christiana 
in  suis  exordiis  fuit  judai- 
ca,  sed  facta  est  per  suc- 
cessivas  evolutiones  prim- 
um  paulina,  tum  joannica, 
demum  hellenica  et  uni- 
versalis. 


LVII.  L'Eglise  se  mon- 
tre ennemie  des  progrès 
des  sciences  naturelles  et 
théologiques  (i). 

LVIII.  La  vérité  n'est 
pas  plus  immuable  que 
l'homme  lui-même,  puis- 
qu'elle a  évolué  avec  lui, 
en  lui  et  par  lui  (2). 

LIX.  Le  Christ  n'a  pas 
enseigné  un  corps  déter- 
miné de  doctrine  qui  fût 
applicable  à  tous  les  t^mps 
et  à  tous  les  hommes,  mais 
il  a  plutôt  inauguré  un 
mouvement  religieux  qui 
s'adapte  ou  qui  doit  être 
adapté  à  la  diversité  des 
temps  et  des  lieux  (3). 

LX.  La  doctrine  chré- 
tienne fut,  en  ses  origines, 
judaïque,  mais  elle  est  de- 
venue, par  évolutions  suc- 
cessives, d'abord  pauli- 
nienne,  puis  johannique, 
enfin  hellénique  et  uni- 
verselle (4). 


X.  Voir  t.  1,  p.  364-370,  combien  il  est  faux  que  l'Eglise  soit  l'en- 
nemie du  progrès.  —  2.  «  La  vérité  est  en  nous  quelque  chose  de 
nécessairement  conditionné,  relatif,  toujours  perfectible,  et  susceptible 
aussi  de  diminution.  >  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  191.  —  «  La  vérité 
n'entre  pas  toute  faite  dans  notre  cerveau  ;  elle  se  fait  lentement  et 
l'on  ne  peut  pas  dire  qu'elle  soit  jamais  achevée.  >  Ibid.,  p.  191.  — 
c  La  vérité,  en  tant  que  bien  de  l'homme,  n'est  pas  plus  immuable 
que  l'homme  lui-même.  Elle  évolue  avec  lui,  en  lui,  par  lui.  »  Ibt'd., 
p.  192.  Voir  t.  1,  p.  225.  —  3.  <  Jésus  avait  été  beaucoup  moins  le 
représentant  d'une  doctrine  que  l'initiateur  d'un  mouvement  reli- 
gieux. >  Etudes  évangéliques,  p.  x'n.  —  «  Il  ne  reste  dans  les  Evan- 
giles, qu'un  écho  nécessairement  affaibli  et  un  peu  mêlé  de  la 
parole  de  Jésus,  il  reste  le  mouvement  dont  Jésus  a  été  l'ini- 
tiateur. >  L'Ev    et  l'Egl.,  p.  xx-xxi.  Voir  t.  11,  p.    537.  —  4.  «  La 


Ixxij 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


LXI.  Dici  potest  absque 
paradoxo  nullum  Scriptu- 
ral caput,  a  primo  Genesis 
adpostremumApocalypsis, 
continere  doctrinam  pror- 
sus  identicam  illi  quam  su- 
per eadem  re  tradit  Eccle- 
sia,  etidcirco  nullumScrip- 
turae  caput  habere  eum- 
dem  sensum  pro  critico  ac 
pro  theologo. 


LXII.  Praecipui  articuli 
Symboli  Apostolici  non 
eamdem  pro  christianis 
primorum    temporum    si- 


LXI.  On  peut  dire  sans 
paradoxe  que,  du  premier 
chapitre  de  la  Genèse  au 
dernier  de  l'Apocalypse, 
aucun  chapitre  de  l'Ecri- 
ture ne  renferme  une  doc- 
trine absolumentidentique 
à  celle  que  l'Eglise  ensei- 
gne sur  la  même  matière, 
et,  par  conséquent,  qu'au- 
cun chapitre  de  l'Ecriture 
n'a  le  même  sens  pour  le 
critique  et  le  théolo- 
gien (i). 

LXII.  Les  principaux 
articles  du  Symbole  des 
Apôtres  n'avaient  pas  pour 
les  chrétiens  des  premiers 


pensée  chrétienne,  k  ses  débuts,  fut  juive  et  ne  pouvait  être 
que  juive.  »  L'Ev.  et  PEgl.,  p.  178.  —  c  La  théorie  paulinienne 
du  salut  fut  indispensable,  a  son  heure,  pour  que  le  christianisme  ne 
restât  pas  une  secte  juive...  La  théorie  du  Logos  fut  nécessaire  aussi 
lorsque  l'Evangile  fut  présenté...  au  monde  païen  tout  entier  et  il 
quiconque  avait  reçu  l'éducation  hellénique.  >  Ibid.,  p.  180.  —  «  La 
théologie  savante  d'Origène  était  la  synthèse  doctrinale  qui  devait 
faire  accepter  le  christianisme  aux  esprits  les  plus  cultivés.  C'était  le 
pont  jeté  entre  la  nouvelle  religion  et  la  science  de  l'antiquiié.  > 
Ibid.,  p.  181.  —  «  C'est  ainsi  que  progressivement,  mais  de  très 
bonne  heure,  par  l'effort  spontané  de  la  foi  pour  se  définir  elle-même, 
par  les  exigences  naturelles  de  la  propagande,  l'interprétation  grec- 
que du  messianisme  chrétien  se  fit  jour,  et  que  le  Christ,  Fils  de 
Dieu  et  fils  de  l'homme,  Sauveur  prédestiné,  devint  le  Verbe  fait 
chair,  le  révélateur  de  Dieu  à  l'humanité.  >  Ibid.,  p.  183.  —  «  Cha- 
que progrès  du  dogme  accentue  l'introduction  de  la  philosophie  grec- 
que dans  le  christianisme,  et  un  compromis  entre  cette  philosophie 
et  la  tradition  chrétienne.  >  Ibid.,  p.  184.  Voir  t.  1,  la  leçon  v«  et 
vi*,  au  sujet  de  ces  fausses  prétentions. 

1.  «  On  peut  dire,  sans  paradoxe,  que  pas  un  chapitre  de  l'Ecri- 
ture, depuis  le  commencement  de  la  Genèse  jusqu'à  la  fin  de  l'Apo- 
calypse, ne  contient  un  enseignement  tout  à  fait  identique  à  celui  de 
l'Eglise  sur  le  même  objet;  conséquemment,  pas  un  seul  chapitre 
n'a  le  même  sens  pour  le  critique  et  pour  1*  théologien.  >  Aut.  d'un 
pet.  livre,  p.    54. 


DECRET  ((  LAMENTABILI  SANE  EXITU  » 


lxxiîj 


gnificationem  habebant 
quam  habent  pro  chris- 
tianis  nostri  temporis. 

LXIII.  Ecclesiasese  prag- 
bet  imparem  ethicas  evan- 
gelicas  efficaciter  tuendae, 
quia  obstinate  adhaeret  im- 
mutabilibus  doctrinis  qua3 
cum  hodiernis  progressi- 
bus  componi  nequeunt. 


LXIV.  Progressus  scien- 
tiarum  postulat  ut  refor- 
mentur  conceptus  doctri- 
nae  christianae  de  Deo,  de 
Creatione,  de  Revelatione, 
de  Persona  Verbi  incarna- 
ti,  de  Redemptione. 

LXV.  Catholicismus  ho- 
diernus  cum  vera  scientia 
componi  nequit  nisi  tra.s- 
formetur  in  quemdam 
çhristianismum  non  dog- 
maticum,  id  est  in  protes- 
tantismum  latum  et  libera- 
lem. 


siècles  la  même  signifîca* 
tion  qu'ils  ont  pour  ceux 
de  notre  temps  (i). 

LXIII.  L'Eglise  se  mon- 
tre incapable  de  défendre 
efficacement  la  morale 
évangélique,  parce  qu'elle 
se  tient  obstinément  atta-  , 
chée  à  des  doctrines  im- 
muables qui  ne  peuvent 
se  concilier  avec  les  pro- 
grès modernes. 

LXIV.  Le  progrès  des 
sciences  exige  que  l'on  ré- 
forme les  concepts  de  la 
doctrine  chrétienne  sur 
Dieu,  sur  la  Création,  sur 
la  Révélation,  sur  la  Per- 
sonne du  Verbe  incarné, 
sur  la  Rédemption. 

LXV.  Le  catholicisme 
d'aujourd'hui  ne  peut  se 
concilier  avec  la  vraie 
science,  à  moins  de  se 
transformer  en  un  christia- 
nisme non  dogmatique, 
c'est-à-dire  en  un  protes- 
tantisme large  et  libéral. 


I.  «  Les  articles  principaux  du  Symbole  apostolique  n'ont  pas  tout 
a  fait  la  même  signification  pour  les  chrétiens  d'aujourd'hui  que 
pour  ceux  des  premiers  temps.  >  Aut.  d'un  pet.  livre,  p.  aoa. 


DEUXIÈME   PARTIE 


La  Grâce 
et   les  Sacrements 


IB  CATECHISMB.  —  T.  III. 


.  ■-     ■ 


"\ 


<.    , ,       >       A    £     V  r        Â        ■     ik     -    ■'  -'        " 


""  '      . 


es        .  * 


&'J  gj 


AVERTISSEMENT 


Le  Catéchisme  Romain  passe  immédiatement 
de   l'exposition  du   Symbole   des  apôtres   à 
l'explication  des  sacrements;  questions  de  la 
révélation,  du  surnaturel  et  de  la  grâce,  il  les  omet 
qu  les  suppose  connues.  Nous  devons  la  connais- 
sance de  notre  élévation  à  Tordre  surnaturel  et  de 
l'organisation  harmonieuse  de  cet  ordre  à  la  révé^ 
lation.  Or,  au   xvie  siècle,  le  fait  de  la  révélation 
avec  tout  ce  qu'il  implique  de  notions  et  de  consé- 
quences n'était   point   contesté  ;;  on    tenait    pour 
avéré   que    Dieu,    par    un    moyen    surnaturel^  a 
manifesté  au  genre  humain  les  vérités,  nécessaires 
pour  connaître  la  fin  surnaturelle  et  les  moyens  dfy 
parvenir.  Dans  ces  conditions,  on  comprend  que 
Je  Concile  de  Trente,  s'en  tenant  strictement  à  ce 
qui  était  discuté  entre  catholiques  et  protestants^ 
se  soit  borné  à  indiquer  les  sources  de  la  révélation^, 
notamment  la  Tradition  qu'il  place  sur  la  ;  rrïêm.e 
ligne  que  l'Ecriture  ;  et  l'on  comprend  aussi  que 
les  rédacteurs  du  Catéchisme  Romain  aient  passé 
sous  silence  tout  ce  qui  a  trait  à  la  révélation. 

Nous  n'avons  pas  les  mêmes  motifs  de  nous, 
taire  ;  loin  de  là.  Nous  sommes,  au  contraire,  dans 
l'obligation  étroite  de  consacrer  plusieurs  leçons  & 
la  question,  aujourd'hui  si  importante,  de  la-réyg— 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


lation,  de  ses  preuves  et  de  ses  sources  ;  car  c'est 
sur  ce  terrain  qu'a  porté  tout  l'effort  de  Terreur 
depuis  trois  siècles.  Le  rationalisme,  en  effet,  né 
du  principe  protestant  du  libre  examen  ou  plutôt 
déchaîné  par  lui,  a  de  plus  en  plus  manifesté   la 
prétention  exorbitante  et   bien  arrêtée  de  ne  s'en 
tenir  qu'aux  seules  lumières   de    la    raison,    aux 
seules  lois  de  la  nature,  en  déclarant  inacceptable 
1e  surnaturel  sous  quelque  forme  que  ce  soit.  Il 
s'est  organisé  en  corps  de  doctrine  :  doctrine  spé- 
culative  qui  proclame    l'intelligence    absolument 
"indépendante,  autonome,  maîtresse  souveraine  et 
exclusive  dans  le  domaine  de  la  connaissance  reli- 
gieuse ;    doctrine    pratique    aussi,   car,    par    une 
-morale  purement  naturelle,  il  entend  régler  la  con- 
duite des  individus  comme  le  gouvernement  des 
-sociétés. 

"■  Mais  comme  l'Eglise  catholique  est  la  manifes- 
tation vivante  et  la  preuve  indéniable  de  l'exis- 
tence et  du  fonctionnement  de  l'ordre  surnaturel 
dans  le  monde,  c'est  contre  l'enseignement  et  la 
pratique  de  l'Eglise  que  le  rationalisme  s'est  in- 
surgé, cherchant  par  tous  les  moyens  à  déchristia- 
niser les  intelligences  et  les  volontés,  la  conduite 
privée  et  les  mœurs  publiques.  En  conséquence,  il 
a  nié  la  révélation,  l'élévation  de  l'homme  à  l'ordre 
surnaturel,  c'est-à-dire  toute  communication  sur* 
naturelle  de  Dieu  à  l'homme,  soit  dans  l'ordre 
logique  ou  de  la  vérité,  soit  dans  l'ordre  ontologie 
<pie  ou  de  l'être. 

<  La  révélation  affirme  et  prouve  la  réalité  histo- 
rique du  surnaturel;  le  rationalisme  la  déclare 
donc  impossible,   inutile,  indémontrable,   inexis* 


AVERTISSEMENT 


tante  ;  —  impossible,  parce  que,  une  fois  le  plan  du 
monde  arrêté  et  réalisé,  Dieu  n'a  plus  eu  à  inter- 
venir ;  il  ne  communique  avec  l'homme  que  parla 
création  et  la  raison;  de  son  côté,  l'homme  possède, 
dans  sa  seule  nature,  de  quoi  arrivera  l'acquisition 
de  toutes  les  vérités  qui  lui  sont  nécessaires  ;  — ■ 
inutile,  parce  qu'elle  augmenterait  le  poids  déjà 
lourd  de  nos  obligations  naturelles  envers  Dieu  et 
rétrécirait  d'autant  le  domaine  déjà  limité  de  notre 
liberté;  —  indémontrable,  parce  que  le  moyen 
nous  ferait  défaut  de  la  distinguer  et  de  la  recon- 
naître ;  —  inexistante  enfin,  parce  que  ce  que  l'on 
donne  pour  une  révélation  surnaturelle  ne  sort 
pas  des  limites  du  monde  naturel. 

La  question  se  pose  donc  dès  lors  de  savoir  ce 
que  valent  des  prétentions  aussi  radicales  et  si 
l'enseignement  doctrinal  de  l'Eglise  est  vraiment 
dénué  de  toute  preuve  solide. 

Incontestablement,  Dieu  ne  saurait  disposer  de 
son  essence  qui  est  incommunicable  ;  le  panthéisme 
seul  oserait  le  prétendre.  Mais,  par  la  création, 
Dieu  appelle  les  créatures  à  une  certaine  ressem- 
blance avec  lui;  ressemblance  d'autant  plut  grande 
que  la  créature  s'élève  davantage  dans  l'échelle 
des  êtres,  et  d'autant  plus  étendue  que  Dieu  est 
indéfiniment  imitable,  sans  que  jamais  il  puisse  y 
avoir  identité  complète  entre  la  créature  et  le 
Créateur.  Par  suite,  en  dehors  des  êtres,  qui  cons- 
tituent actuellement  le  monde,  d'autres  encore- 
pourraient  être  appelés  à  l'existence.  Mais  dans  le 
nombre  de  ceux  qui  existent  ou  pourraient  exis- 
ter, rien  n'empêche  Dieu  de  donner  à  l'un  la  per- 
fection qui  appartient  ou  appartiendrait  naturelle- 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


ment  à  un  autre  d'ordre  supérieur  ;  rien  ne  l'em* 
pêche  non  plus,  par  pure  libéralité  et  don  gracieux, 
<le  doter  la  créature  raisonnable  d'une  perfection 
telle  que,  dans  aucun  cas,  cette  perfection  ne  sau- 
rait appartenir  à  la  nature  d'aucun  être  créé  ou 
possible,  et  qui,  par  là  même,  constituerait  avec 
Dieu  une  ressemblance  toute  particulière,  absolu- 
ment transcendante  et  proprement  surnaturelle. 

Dans  ce  dernier  cas,  Dieu  ne  se  contentera  pas 
4le  promouvoir  la  créature  intelligente  et  libre  à  un 
état  surnaturel,  auquel  elle  n'a  aucun  droit,  de  l'y 
introduire  et  de  l'y  entretenir  par  des  moyens 
appropriés,  il  lui  fera  nécessairement  connaître  et 
la  dignité  extraordinaire  à  laquelle  il  a  daigné 
l'appeler,  et  les  secours  qu'il  met  à  sa  disposition, 
et  les  conditions  qu'elle  a  à  remplir  pour  réaliser 
le  plan  divin.  Mais  c'est  justement  là  ce  que  nous 
appelons  la  révélation.  C'est  pourquoi  nous  devons 
traiter  de  la  révélation,  des  preuves  qui  en  éta- 
blissent l'existence  et  la  réalité,  des  sources  où 
elle  se  trouve  ;  après  quoi  viendra  logiquement  la 
question  du  surnaturel  et  de  la  grâce,  et  nous 
rejoindrons  ainsi,  après  ce  nécessaire  détour,  le 
texte  même  du  Catéchisme  Romain. 


Leçon  I 


re 


De  la  Révélation 


I.  Notion.  —  IL  Possibilité.  —  III.  Nécessité.  •<— 
IV.  Existence: 

I.  Notion  de  la  Révélation 

On  s'accordait  généralement  jusqu'ici  à  voir 
dans  la  révélation  ce  que  l'Eglise  y  a  tou- 
jours vu,  à  savoir  :  la  notification  surna- 
turelle faite  par  Dieu  à  l'homme  des  vérités  qu'il 
doit  croire  et  des  devoirs  qu'il  doit  remplir  pour 
atteindre  la  fin  surnaturelle  à  laquelle  il  a  été  gra- 
tuitement élevé  (i).  Quelques  esprits  ne  l'entendent 
plus  ainsi.  Ils  conservent  le  mot,  ce  qui  peut  par- 
fois prêter  à  de  fâcheuses  équivoques,  mais  ils  lui 
prêtent  un   sens   nouveau,  qui  diffère  essentielle- 

i.  BÏBLTOGRAPHIE  :  Saint  Thomas,  Sum.  contr.  gent.,  1, 1-8  ; 
Bossuet,  Discours  sur  l  histoire  universelle  ;  dans  le  t.  n  du 
Curs.  compl.  theolog.,  de  Migne:  Hooke,  De  vera  religione; 
Valsecchi,  De  possibilitate  et  necessitate  revelationis  ;  la  censure 
de  «  l'Emile  »  par  la  Sorbonne  ;  —  Pie,  Instruction  synodale 
du  7  juillet  1855  ;  Dechamps,  Entretiens  sur  la  démonstration 
catholique  de  la  révélation  chrétienne,  3e  éd.,  Paris,  1861  ;  Mon- 
sabré,  Introduction  au  dogme  catholique,  Paris,  1866,  t.  i  ;  Het- 
tinger,  Apologie  du  christianisme,  trad.  franc.,  Paris,  1869,  1. 11; 
Brugèrc,  De  vera  religione,  Paris,  1873  ;  Vacant,  La  Constitution 
Dei  Filius,  Paris,  1895  ;  Didiot,  Logique  surnaturelle  objective. 
Paris,  1892;  Gondal,  Mystère  et  ré vélation,  Paris  1905  ;  les 
.  théologies  récentes.  <      -   . 


8  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

ment  du  sens  traditionnel.  C'est  notamment  le  cas 
de  MM.  Sabatier  et  Loisy. 

i .  Notion  erronée  de  la  révélation,  d'après 
M.  Sabatier.  —  i.  Comment  donc  l'auteur  de 
VEsquisse  d'une  philosophie  de  la  religion  entend-il 
la  révélation  ?  —  Partisan  résolu  du  subjectivisme 
kantien  comme  Schleiermacher  et  Ritschl  et  fidèle 
écho  du  protestantisme  libéral  d'Allemagne,  M.  Sa- 
batier, au  nom  de  la  psychologie  et  de  l'histoire,  a 
condamné  la  notion  traditionnelle  de  la  révélation 
pour  lui  en  substituer  une  autre,  qu'il  estime  plus 
rationnelle  et  seule  acceptable  aujourd'hui,  en  face 
des  progrès  de  la  science  et  des  exigences  de  la 
pensée  contemporaine,  celle-ci  :  la  conscience  qu'a 
tout  individu  de  son  rapport  avec  Dieu,  dans 
l'exercice  et  la  pratique  de  la  piété. 

En  effet,  dit-il,  «  il  y  a,  dans  toute  piété,  quel- 
que manifestation  positive  de  Dieu.  Les  idées  de 
religion  et  de  révélation  restent  corrélatives  et  reli- 
gieusement inséparables.  La  religion  n'est  rien 
d'autre  que  la  révélation  subjective  de  Dieu  dans 
l'homme,  et  la  révélation  c'est  la  religion  objective 
en  Dieu.  »  Pur  «  phénomène  psychologique,  » 
aussi  universel  que  le  phénomène  religieux  et  de 
même  ordre,  c'est-à-dire  quelque  chose  de  subjectif 
qui  n'a  de  réalité  sensible  qu'au  fond  de  la  cons- 
cience. «  Je  conçois  donc  que  la  révélation  soil 
aussi  universelle  que  la  religion  elle-même,  qu'elle 
descende  aussi  bas,  aille  aussi  loin,  monte  aussi 
haut  et  l'accompagne  toujours.  Aucune  forme  de 
piété  n'est  vide  ;  aucune  religion  n'est  absolument 
fausse  ;  aucune  prière  n'est  vaine.  »  Phénomène 
qui  naît  et  se  développe  sur  place,  dans  la  vie  re- 
ligieuse intime  ;  car  «  la  révélation  est  dans  l& 
prière  et  progresse  avec  la  prière.  D'une  révélation 


LA    REVELATION    D  APR^S    M.    SABATIER  9 

0  '  ■■         ■■■■-■!  ■—  —  '  —  — '  —       ■       ■      I  "  ■  ■!■■ 

obtenue  dans  une  première  prière  naît  une  prière 
plus  pure,  et  de  celle-ci  une  révélation  plus  haute. 
Ainsi  la  lumière  grandit  avec  la  vie,  la  vérité  avec 
la  piété  (1).  » 

2.  «  La  révélation  n'est  donc  pas  une  communi- 
cation une  fois  faite  de  doctrines  immuables  et 
qu'il  n'y  aurait  qu'à  retenir...  Si  l'on  en  réclame 
une  définition,  il  faudra  dire  qu'elle  consiste  dans 
la  création,  l'épuration  et  la  clarté  progressive  de  la 
conscience  de  Dieu  dans  l'homme  individuel  et 
dans  l'humanité  (2).  » 

L'idée  de  révélation  aurait  traversé  deux  phases 
dans  l'histoire  :  la  phase  mythologique  ou  des  origi- 
nes, celle  où  l'imagination  se  plaît  aux  légendes  et 
aux  symboles  ;  et  la  phase  dogmatique,  celle  où  l'on 
légitime  une  doctrine  divine  par  des  signes  divins 
ou  des  miracles.  Or,  elle  en  est  actuellement  à  une 
troisième  phase,  à  la  phase  critique,  celle  que  pro- 
pose M.  Sabatier.  Si  donc  «  il  y  a,  dans  toute  piété, 
quelque  manifestation  positive  de  Dieu,  »  il  en  dé- 
coule comme  conséquence  que  la  révélation  de 
Dieu  sera  intérieure,  évidente  et  progressive  :  in- 
térieure, «  parce  que  Dieu,  n'ayant  pas  d'existence 
phénoménale,  ne  peut  se  révéler  qu'à  l'esprit  et 
dans  la  piété  (3)  ;  »  —  évidente,  car  «  le  contraire 
impliquerait  contradition  ;  qui  dit  révélation,  dit 
voile  tiré  et  lumière  venue  ;  »  —  progressive,  car 
«  elle  se  développera  avec  le  progrès  de  la  vie 
morale  et  religieuse  (4).  » 

3.  «  Quand  Dieu  voulut  donner  le  décalogue  à 
Israël,  il  ne  l'écrivit  pas  du  bout  de  son  doigt  sur 
des  tables  de  pierre  ;  mais  il  suscita  Moïse,  et,  de 
la  conscience  de  Moïse,  le  décalogue  est  sorti.  Pour 


1.  Esquisse,  p.  34.  —  a.  Ibid.,  p.  35.  —  3.  Ibid.,   p.  5a,  — 
4*  Ibid.,  p.  53. 


ÏO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

nous  faire  lire  l'Epître  aux  Romains,  il  n'a  pas  eu 
besoin  de  la  dicter  à  l'apôtre,  mais  il  créa  la  puis- 
sante individualité  de  Paul  de  Tarse,  sachant  bien 
qu'une  fois  l'arbre  vivant,  le  fruit  ne  manquerait 
pas.  Et  de  même  pour  l'Evangile:  il  ne  l'a  pas 
laissé  tomber  du  ciel  ;  il  ne  l'a  pas  envoyé  par  l'in- 
termédiaire d'un  ange  ;  il  a  fait  naître  Jésus  des 
flancs  même  de  la  race  humaine,  et  Jésus  nous  a 
donné  l'Evangile  éclos  au  fond  de  son  cœur.  Ainsi 
Dieu  se  révèle  dans  les  grandes  consciences  que 
son  Esprit  fait  surgir  l'une  après  l'autre,  qu'il  em- 
plit et  qu'il  illumine  ;  elles  forment  une  théorie 
sainte  à  travers  les  âges  de  l'histoire  et  y  tracent  un 
sillon  lumineux  (i).  » 

J\.  Se  produisant  ainsi  dans  le  domaine  de  la 
conscience,  comment  la  révélation  pourra-t-elle 
devenir  objective  et  concrète  ?  Tout  simplement, 
d'après  M.  Sabatier,  parce  que,  entre  les  âmes,  il  y 
a  une  parenté  religieuse,  un  commerce,  une  réci- 
procité et  des  prolongements  infinis  de  la  même 
inspiration.  Faite  sur  un  point  et  dans  une  cons- 
cience, la  révélation  de  Dieu  se  prolonge  et  rayonne 
infailliblement  ;  l'ébranlement  donné  à  une  âme  re- 
tentit dans  toutes  les  âmes  sœurs,  et  une  conscience 
illuminée  devient  illuminatrice  à  son  tour.  Mais ,  pour 
cela,  l'expérience  intime  de  l'un  doit  être  notifiée 
aux  autres  par  la  parole  ou  par  l'écriture;  et  ceux-ci, 
à  leur  tour,  pour  reconnaître  dans  le  témoignage 
d'autrui  une  manifestation  authentique  de  Dieu, 
ont  un  critère  authentique  et  suffisant,  celui  d'ex- 
périmenter personnellement  l'expérience  des  autres, 
parce  que  «  toute  révélation  divine,  toute  expé- 
rience religieuse  vraiment  bonne  pour  nourrir  et 
sustenter  l'âme,  doit  pouvoir  se  répéter  et  se  con- 

i.  Esquisse,  p.  54.  ■■    ■   •  •  l 


LA    RÉVÉLATION    D'APRÈS    M.    LOIS  Y  H 

tinucr  comme  révélation  actuelle  et  expérience  in- 
dividuelle (i).  » 

5.  Telle  est,  d'après  M.  Sabatier,  la  notion  qu'on 
doit  se  faire  de  la  révélation.  Ce  n'est  pas  une  com- 
munication de  Dieu  à  l'homme,  appuyée  sur  un 
témoignage  divin,  c'est  Dieu  «  sensible  au  cœur  » 
dans  la  piété  ;  c'est  une  expérience  subjective,  la 
conscience  que  chacun  a  ou  croit  avoir  de  son  rap- 
port avec  Dieu.  Il  suit  de  là  qu'elle  n'est  pas  autre 
chose  qu'un  phénomène  purement  psychologique 
et  naturel,  phénomène  que  l'on  confond  avec  la 
piété,  parfois  aussi  avec  l'inspiration  et  avec  la 
grâce,  et  qu'il  y  a  nécessairement  autant  de  révéla- 
tions que  d'individus.  On  prétend  bien  que  la  révé- 
lation de  l'un  peut  profiter  aux  autres,  mais  à  la 
condition  de  devenir  pour  autrui  objet  d'expérience 
personnelle  ;  d'où  il  suit  qu'il  n'y  a  pas,  à  propre- 
ment parler,  de  révélation  publique  et  que  Dieu 
n'intervient  pas  dans  l'histoire  de  l'humanité  à  la 
manière  dont  en  parlent  l'Ecriture  et  la  tradition. 
Pour  toutes  ces  raisons,  cette  notion  de  la  révélation 
est  inacceptable. 

2.  Notion  de  la  révélation,  d'après  M.  Loisy. 
—  i.  Le  langage  de  M.  Loisy  est  parfois  fuyant  et 
subtil  comme  sa  pensée  ;  sur  des  notions  essen- 
tielles, tantôt  il  déconcerte,  rarement  il  rassure, 
trop  souvent  il  inquiète  :  tel  est  le  cas,  semble-t-il, 
relativement  à  la  révélation.  Dans  un  article,   signé 

i.  esquisse,  p.  58.  M.  Sabatier  revient  sans  cesse  sur  les  mê- 
mes idées.  «  Dieu  ne  se  révèle  que  dans  et  par  la  piété,  »  p  376. 
«  L'objet  de  la  connaissance  religieuse  ne  se  révèle  que  dans  le 
sujet  par  le  phénomène  religieux  lui-même,  »  p.  379.  «  La 
connaissance  religieuse  ne  saurait.jamais  dépouiller  son  carac- 
tère subjectif  ;  mais  elle  n'est  pas  autre  chose,  en  réalité,  que 
cette  subjectivité  même  de  la  piété  considérée  dans  son  action 
et  son  développement  légitimes.  »  p.  38i. 


12  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Firmin  (i),  M.  Loisy  écrivait  :  o  La  révélation,  dans 
sa  forme  intellectuelle  et  son  expression  verbale, 
consiste  en  idées  qui  ont  pris  naissance  dans  l'hu- 
manité, en  idées  telles  qu'une  intelligence  a  pu  les 
concevoir,  telles  qu'elles  ne  peuvent  exister  ail- 
leurs que  dans  une  intelligence  humaine,  telles 
que  le  langage  humain  est  capable  de  les  traduire.  » 
Ne  viendraient-elles  pas  de  Dieu,  au  moins  pour 
une  part  et  par  exemple  pour  les  dogmes  qui  dépas- 
sent la  portée  de  notre  intelligence,  bien  que  revues 
par  l'homme  ?  Examinons  la  suite.  «  La  révélation 
de  Dieu  est  une  révélation,  c'est-à-dire  qu'elle  ne 
consiste  pas  en  découvertes  que  l'homme  aurait 
faites  par  lui-même  dans  Tordre  de  la  connaissance 
religieuse,  mais  en  communications  réelles  de  véri- 
tés divines,  adaptées  seulement,  dans  leur  proposi- 
tion, aux  conditions  générales  de  la  nature  et  de 
l'intelligence  humaine,  ainsi  qu'aux  conditions 
spéciales  et  personnelles  de  ceux  qui  les  ont  d'abord 
perçues  et  formulées...  Chacune  des  assertions 
essentielles  qui  constituent  la  révélation  objective, 
a  commencé  par  être  une  révélation  subjective,  une 
assertion  de  Dieu  même  parlant  à  la  conscience 
d'un  être  humain,  et  cette  assertion  était  une  mani- 
festation de  Dieu,  qui  apportait  ainsi  avec  elle  sa 
certitude  absolue  pour  celui  qui  en  était  favorisé... 
Il  y  a  au  fond  de  toute  révélation  :  perception  d'une 
vérité  divine  qui  s'est  fait  jour  dans  une  intelligence 
humaine  par  l'action  divine,  avec  l'autorité  d'un 
témoignage  divin  (2).  » 

2.  Une  telle  manière  de  s'exprimer  manque  de 
clarté  ;  cet  article  parut  suspect,  dès  son  appari- 
tion. Loin  de  le  répudier  et  de  l'éclaircir,  M.  Loisy 
l'a  repris  dans  Autour  d'un  petit  livre  sans  en  dissi- 

1.  Revue  du  Clergé,  t.  xxi.  —  2.  Ibid.,  p.  2G7-269. 


LA    RÉVÉLATION    D'APRÈS    M.    LOISY  l3 

per  les  obscurités  ou  les  équivoques.  Dans  ce  der- 
nier ouvrage,  son  langage  se  rapproche  sensible- 
ment de  celui  de  M.  Sabatier  et  des  subjectivistes 
allemands.  Voici  ce  qu'on  y  lit  :  «  La  théologie 
distingue  deux  formes  de  connaissance  religieuse, 
la  connaissance  naturelle  ou  de  raison,  et  la  con- 
naissance surnaturelle  ou  de  révélation.  Cette  dis- 
tinction correspond  originairement  à  celle  des 
vérités  que  l'Eglise  reconnaissait  dans  la  philosophie 
grecque,  et  des  vérités  proprement  chrétiennes  qui 
appartenaient  à  la  révélation  biblique.  »  En  ajou- 
tant que  cette  distinction  des  théologiens  «  n'a 
guère  d'application  dans  la  réalité  de  l'histoire  (i),  » 
M.  Loisy  laisse  entendre  qu'il  ne  l'accepte  pas. 

3.  Qu'est-ce  donc,  à  ses  yeux,  que  la  révélation  ? 
Le  voici.  «  Pour  peu  qu'on  y  réfléchisse,  et  quelles 
que  soient  les  circonstances  extérieures  auxquelles 
se  sont  rattachés  l'éveil  et  les  progrès  de  la  con- 
naissance religieuse  dans  l'histoire,  ce  quon  appelle 
révélation  n'a  pa  être  que  la  conscience  acquise  par 
l'homme  de  son  rapport  avec  Dieu  (2).  »  Et  «  qu'est-ce 
que  la  révélation  chrétienne,  dans  son  principe  et 
son  point  de  départ,  sinon  la  perception,  dans  lame 
du  Christ,  du  rapport  qui  unissait  à  Dieu  le  Christ  lui- 
même  et  de  celui  qui  relie  tous  les  hommes  à  leur  Père 
céleste  (3)  ?  » 

Si  nous  comprenons  bien,  voilà  la  révélation 
ramenée  par  M.  Loisy  à  un  simple  phénomène  de 
conscience,  à  quelque  chose  de  subjectif  et  de  natu- 
rel, dans  son  origine  ;  naturellement,  dans  son 
développement,  elle  ne  peut  que  rester  ce  qu'elle  a 

1.  Autour  d'un  petit  livre,  p.  19^.  —  2.  Ibid.,  p.  195.  Le 
décret  Lamentabili  sane  exilu,  du  4  juillet  1907,  condamne  cette 
proposition,  n.  20  :  «  La  révélation  n'a  pu  être  que  la  cons- 
cience acquise  par  l'homme  de  son  rapport  avec  Dieu.  »  — 
$.  Ibid.,  p.  19G  ;  c'est  nous  qui  soulignons. 


l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

été  à  son  point  de  départ,  sauf  à  s'enrichir  d'élé- 
ments de  môme  ordre.  En  effet,  «  toute  connais- 
sance réfléchie  naît  de  notions  antérieures,  et  le 
progrès  résulte  d'une  combinaison  nouvelle  d'idées 
acquises,  qui  éclaire  d'un  jour  très  satisfaisant  le 
rapport  des  choses.  Les  vérités  fécondes  de  Tordre 
religieux,  celles  qui  constituent,  en  style  théologi- 
que, la  substance  de  la  révélation,  se  sont  formées 
par  la  conjonction  d'idées  ou  d'images  qui  préexis- 
taient à  ces  vérités  dans  l'esprit  de  ceux  qui  les  ont 
d'abord  conçues.  Ce  qui  fut,  à  un  moment  donné,  le 
commencement  de  la  révélation,  a  été  la  perception, 
si  rudimentaire  qu'on  la  suppose,  du  rapport  qui  doit 
exister  entre  V homme  conscient  de  lui-même  et  Dieu 
présent  derrière  le  monde  phénoménal.  Le  développe- 
ment de  la  religion  révélée  s'est  effectué  par  la  percep- 
tion de  nouveaux  rapports,  ou  plutôt  par  une  déter- 
mination plus  précise  et  plus  distincte  du  rapport 
essentiel,  entrevu  dès  l'origine,  l'homme  apprenant 
ainsi  à  connaître  de  mieux  en  mieux  et  la  grandeur  de 
Dieu  et  le  caractère  de  son  propre  devoir  (i).  » 

4.  Cependant,  «  à  la  différence  des  perceptions  d'or- 
dre rationnel  et  scientifique,  la  perception  des  véri- 
tés religieuses  n'est  pas  un  fruit  de  la  seule  raison, 
c'est  un  travail  de  l'intelligence  exécuté,  pour  ainsi 
dire,  sous  la  pression  du  cœur,  du  sentiment  reli- 
gieux et  moral,  delà  volonté  réelle  du  bien.  »  Mais 
c'est  toujours  là  du  subjectivisme.  N'y  aurait-il  pas 
là  pourtant  une  place  pour  l'action  de  Dieu  ?  et 
quelle  est  la  nature  de  cette  action  ?  Oui,  sans 
doute,  Dieu  a  sa  part,  car  «  tout  ce  travail  qui  abou- 
tit à  un  résultat  de  plus  en  plus  parfait  dans  la  reli- 
gion israëiite,  puis  dans  la  religion  chrétienne,  n'est 
pas  proprement  un  travail  de  l'homme  sur  Dieu  ; 

1.  Autour  d un  petit  livre,  p.  196-197. 


LA   RÉVÉLATION    d'aPRES    M.    LOIS  Y  l5 

c'est  d'abord  et  principalement  le  travail  de  DieU 
dans  l'homme  ou  de  l'homme  avec  Dieu...  C'est 
l'homme  qui  cherche,  mais  c'est  Dieu  qui  l'excite  ; 
c'est  l'homme  qui  voit,  mais  c'est  Dieu  qui  l'éclairé, 
La  révélation  se  réalise  clans  l'homme,  mais  elle  est 
l'œuvre  de  Dieu  en  lui,  avec  lui  et  par  lui.  La  cause 
efficiente  de  la  révélai'  u  est  surnaturelle  comme 
gon  objet,  parce  que  cette  cause  et  cet  objet  sont 
Dieu  même,  mais  Dieu  it  dans  l'homme  et  il  est 
connu  par  l'homme  (i). 

5.  Dans  la  révélation  ainsi  entendue,  le  rôle  de 
Dieu  est  celui  d'éclaireur  el  d'acteur.  Il  éclaire,  mais 
que  manifeste-t-il  de  lui  même,  qu'affirme-t-il,  que 
garantit-il  de  l'autorité  de  sa  parole  ?  Il  agit,  mais 
son  action,  toute  surnaturelle  qu'on  la  dise,  en  quoi 
diflere-t  elle  du  concours  ordinaire,  puisqu'elle 
laisse  l'homme  au  mouvement  naturel  de  sa  pen- 
sée ?  II  ne  paraît  pas  qu'il  intervienne  pour  mani- 
fester sa  vérité  à  lui,  la  vérité  surnaturelle,  et  pouç 
la  garantir  de  l'autorité  de  son  témoignage,  et  pour 
l'imposer  par  un  homme  à  l'acceptation  du  genre 
humain,  puisque  les  idées  qui  constituent  la  révé- 
lation, —  M.  Loisy  tient  à  le  répéter  —  «  ont  pris 
naissance  dans  l'humanité  »  et  «  ne  peuvent  exister 
ailleurs  que  dans  une  intelligence  humaine  (2).  » 

6.  Une  telle  notion  de  la  révélation  est  inaccepta- 
ble, parce  qu'elle  bannit  de  l'histoire  toute  parole, 
tout  enseignement  de  Dieu  à  l'humanité.  Dieu  est 
«  partout  dans  l'histoire  de  l'humanité,  mais  il  n'est 
pas  plus  un  personnage  de  l'histoire  qu'il  n'est  un 
élément  du  monde  physique  (3).  »  IN'est-ce  pas  dire 
que  Dieu  n'a  pas  parlé  à  l'homme,  qu'il  ne  lui  à 
pas  communiqué  des  vérités  ? 

Et  si,  malgré  cela,  M.  Loisy  parle  encore  de  révé- 

1.  Autour  d'un  petit  livre,  p.  197-198.  —  a.  lbid.,  p.  198.  -*■» 
3.  lbid.,  p.  10. 


l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

lation,  de  révélation  surnaturelle  et  de  foi  divine, 
on  voit  que  cette  foi  et  cette  révélation  ne  sont  que 
la  perception  naturelle  de  Dieu,  l'homme  se  ren- 
dant compte  au-dedans  de  lui-même  du  rapport 
«  qu'il  a  avec  Dieu,  présent  derrière  le  monde  phé- 
nonénal,  »  et  apprenant  à  connaître  de  mieux  en 
mieux,  «  par  la  perception  de  nouveaux  rapports, 
ou  plutôt  par  une  détermination  plus  précise  et  plus 
distincte  du  rapport  essentiel,  entrevu  à  l'origine, 
et  la  grandeur  de  Dieu  et  le  caractère  de  son  propre 
devoir.  »  Le  mot  de  révélation  est  bien  celui  de  la 
langue  chrétienne,  mais  le  sens  que  la  tradition  lui 
reconnaît  a  été  subtilisé.  Qu'est-ce  donc  que  la  révé- 
lation, d'après  l'enseignement  catholique  ? 

3.  Vraie  notion  de  la  révélation.  —  i.  Le 
concile  du  Vatican  va  nous  l'apprendre  d'une  ma- 
nière autorisée  ;  ce  n'est  pas  qu'il  en  ait  donné  une 
définition,  mais  ce  qu'il  en  a  dit  permet  de  s'en 
faire  une  idée  précise  et  rigoureuse.  Voici,  en  effet, 
comment  il  s'exprime.  Il  rappelle  d'abord  que  «  par 
la  lumière  naturelle  de  la  raison  humaine,  Dieu 
peut  être  connu  avec  certitude  au  moyen  des  choses 
créées,  »  d'après  la  doctrine  expresse  de  saint  Paul, 
puis  il  ajoute  :  «  Néanmoins  il  a  plu  à  la  sagesse  et  à 
la  bonté  de  Dieu  de  se  révéler  lui-même  et  les  éternels 
décrets  de  sa  volonté,  par  une  autre  voie,  et  cela  par 
une  voie  surnaturelle.  C'est  ce  que  dit  l'Apôtre  : 
«  Après  avoir  à  plusieurs  reprises  et  en  diverses 
manières  parlé  autrefois  à  nos  pères  par  les  prophè- 
tes, Dieu,  dans  ces  derniers  temps,  nous  a  parlé  par 
le  Fils  (i).»  Dieu  est  donc  intervenu  dans  l'histoire. 

2.  Dans  ces  quelques  mots,  nous  trouvons  la 
cause  de  la  révélation,  la  manière  dont  elle  a  eu 
lieu,  son  objet  et  le  sujet  auquel  elle  s'adresse. 

i.  Constit.,  Dei  FUius  ;  Hebr.,  i,  i-a. 


VRAIE    NOTION    DE    LA   RÉVÉLATION  1J 

Sa  cause  d'abord.  C'est  Dieu  faisant  connaître  des 
vérités  religieuses  et  les  garantissant  de  l'autorité 
de  son  témoignage  ;  c'est  Dieu  intervenant  dans 
l'histoire  d'une  manière  toute  particulière,  très 
librement,  par  une  détermination  de  son  bon  plai- 
sir ;  car  aucune  nécessité  de  nature  ne  l'y  pousse, 
aucun  devoir  ne  l'y  oblige.  Mais,  pour  s'y  décider, 
il  a  des  raisons,  et  ces  raisons  il  les  puise  dans  sa 
sagesse  et  sa  bonté  :  dans  sa  sagesse,  parce  qu'il 
juge  que  ce  mode  d'enseignement  est  nécessaire 
moralement  à  l'homme  dans  l'ordre  naturel,  et 
absolument  dans  l'ordre  surnaturel  ;  dans  sa  bonté, 
par  ce  qu'il  veut  le  bien  de  l'homme  et  de  l'hu- 
manité. 

Son  mode  ensuite.  C'est  un  mode  de  connaître 
Dieu  tout  différent  de  celui  que  possède  naturelle- 
ment l'homme  par  sa  raison,  et  absolument  supé- 
rieur. Par  lui-même,  et  en  vertu  des  principes  consti- 
tutifs de  sa  nature  raisonnable,  l'homme  peut  arriver 
à  une  certaine  connaissance  de  Dieu.  Mais  rien, 
en  lui,  n'exige  que  Dieu  vienne  l'instruire  person- 
nellement par  un  autre  moyen  que  celui  de  la  nature 
créée.  Et  pourtant  Dieu  l'a  voulu  ;  il  a  voulu  ins- 
truire l'homme  par  un  moyen  qui  ne  se  trouve  ni 
dans  la  nature  humaine  ni  dans  la  création.  S'il 
s'adresse  directement  à  l'esprit  de  l'homme  dans 
l'intimité  de  la  conscience,  sans  aucune  démonstra- 
tion extérieure,  il  lui  donne  la  certitude  intime  iné- 
branlable que  c'est  bien  lui  qui  parle  et  qu'il  réclame 
une  adhésion  formelle  ;  et  cette  certitude  est  com- 
plètement en  dehors  ou  plutôt  au-dessus  des  lois 
psychologiques  ordinaires  ;  elle  ne  s'appuie  ni  sur 
une  évidence  naturelle,  ni  sur  une  preuve  de  raison, 
mais  sur  l'autorité  même  de  Dieu,  sur  sa  véracité 
infinie.  Si,  au  contraire,  il  use  de  signes  extérieurs, 
ces  signes  sont  produits  en  dehors  des  lois  de  la 

LB  CATBCHISMB.  —  T.   III.  3 


l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

nature  et  constituent  des  miracles.  Dans  aucun  cas, 
une  intelligence  quelconque,  créée  ou  possible, 
n'est  à  môme  par  sa  nature  de  réclamer  une  com- 
munication divine  de  ce  genre.  Et  c'est  pourquoi 
le  concile  du  Vatican  distingue  ce  moyen  du  moyen 
naturel  de  connaissance  propre  à  l'homme  et  le 
qualifie  de  moyen  surnaturel. 

Son  objet.  L'objet  de  la  révélation,  c'est  la  vérité 
religieuse,  que  cette  vérité  soit  accessible  ou  non  à 
la  raison.  C'est  Dieu,  l'être  nécessaire,  dans  l'unité 
de  sa  nature  et  la  trinité  de  ses  personnes  ;  ce  sont 
les  éternels  décrets  de  sa  volonté,  la  création,  par 
exemple,  l'élévation  de  la  créature  intelligente  et 
libre  à  l'ordre  surnaturel,  sa  rédemption,  sa  desti- 
née à  la  vision  béatifique  et  les  moyens  appropriés 
pour  l'atteindre.  Ainsi,  grâce  à  la  révélation,  l'es- 
prit humain  entre  sans  effort  et  sans  péril  d'errer 
dans  la  possession  complète  et  tranquille  des  véri- 
tés religieuses  qu'il  aurait  pu  connaître  par  lui- 
même  ;  mais  surtout  il  s'élève  d'un  infaillible  élan 
à  la  connaissance  assurée  de  celles  qui  le  dépassent, 
dont  il  n'aurait  pu  jamais  avoir  le  soupçon,  et  qu'il 
aurait  toujours  ignorées,  s'il  n'avait  plu  à  Dieu  de 
les  lui  faire  connaître  ;  dans  Fun  et  l'autre  cas,  il 
adhère  à  l'enseignement  révélé  parce  que  Dieu  l'a 
révélé,  le  motif  de  son  adhésion  n'étant  autre  que 
l'autorité  infaillible  du  témoignage  divin. 

Le  sujet  de  la  révélation.  C'est  le  genre  humain 
tout  entier  ;  car  il  ne  s'agit  pas  de  révélation  privée, 
ne  s'adressant  qu'à  un  homme  et  pour  l'intérêt  de 
quelques-uns,  mais  bien  de  révélation  publique, 
c'est-à-dire  destinée  à  être  communiquée  au  monde 
et  s'imposant  à  la  foi  de  tous  les  hommes  sans 
exception. 

,  i.  Le  fait  de  la  révélation.  —  Le  concile  l'af- 


POSSIBILITE    DE    LA    RÉVÉLATION  I(£ 

^-  «^— —— ■ W^— — ^—    ii  ■      ■  ■  ■-■■■■  i  .        ..      ■-        ■  — — «  ■-         ■      ■   ii  m  i 

firme  pour  l'Ancien  Testament  et  pour  le  Nouveau, 
sur  l'autorité  de  l'Epître  aux  Hébreux.  Dieu  a  parlé 
jadis  par  les  prophètes,  à  plusieurs  reprises  et  de? 
plusieurs  manières  ;  et  c'est  à  l'histoire  biblique  de 
nous  en  faire  connaître  tous  les  détails  circonstan- 
ciés. Dieu  a  parlé  en  dernier  lieu  par  son  propre? 
Fils,  et  c'est  à  l'histoire  évangélique  de  nous  ins- 
truire sur  cette  révélation  ultime,  parfaite  et  défi- 
nitive. 

A  la  lumière  de  cet  enseignement  et  avec  des 
données  aussi  précises,  la  révélation  publique  peut 
donc  se  définir  :  la  notification  faite  surnaturelle- 
ment  par  Dieu  au  genre  humain,  par  l'intermé- 
diaire des  prophètes  et  de  son  Fils,  des  vérités  qui 
tendent  à  la  fin  surnaturelle.  C'est  donc  un  mode* 
nouveau  de  connaissance,  librement  voulu  de  Dieu, 
auquel  ni  la  nature  humaine  ni  aucune  nature 
créée  ou  possible  ne  saurait  avoir  droit,  qui  vient  sa 
surajouter  à  notre  puissance  naturelle  de  connaître. 
Et  ainsi,  à  la  manifestation  de  Dieu,  qui  résulte  de> 
la  création  elle-même  et  qui  est  naturellement 
accessible  à  la  raison  humaine,  mais  qui  ne  nous 
apprend  rien  de  la  nature  intime  de  Dieu  ni  des 
décrets  de  sa  libre  volonté,  l'intervention  positive 
de  Dieu  ajoute  une  connaissance  infiniment  supé- 
rieure dans  son  mode  et  son  objet,  et  c'est  ce  qu'ont 
appelle  la  révélation. 

IL  Possibilité   de  la  Révélation 

i.  Objections  contre  la  possibilité  de  la  révé- 
lation. —  Cette  communication  surnaturelle  de  la 
vérité  religieuse  nécessaire  à  l'homme  pour  qu'il 
puisse  connaître  sa  fin  glorieuse  et  les  moyens 
appropriés  d'y  parvenir,  est-elle  possible? 

Non,  prétend  le  rationalisme.  Car  il  n'y  a,  pour 


20  LE    CATECHISME    ROMAIN 

l'homme,  d'autre  fin  que  celle  qui  résulte  de  sa 
constitution  naturelle.  Or,  il  est  à  même  de  la  con- 
naître par  sa  seule  raison,  de  la  poursuivre  et  de 
l'atteindre  par  ses  seules  forces.  Dieu  l'a  ainsi  réglé 
immuablement  dans  sa  sagesse,  dès  l'origine,  et 
rien  n'autorise  à  croire  qu'il  intervienne  de  nou- 
veau pour  remanier  son  œuvre,  pour  surcharger  le 
poids  déjà  assez  lourd  de  nos  obligations  naturelles 
envers  lui  et  pour  rétrécir  d'autant  le  champ  d'ac- 
tion de  notre  liberté.  Ce  serait  supposer  en  Dieu  — 
chose  absolument  inacceptable  —  soit  un  défaut  de 
prévision,  soit  un  changement  de  dessein.  Et  ce 
serait  aussi  réduire  la  raison  humaine  à  une  sorte 
de  passivité  et  d'abdication,  inconciliable  avec  sa 
dignité,  son  autonomie  et  sa  liberté.  La  religion 
naturelle  suffit  amplement  à  régler  nos  rapports 
avec  Dieu.  La  raison  découvre  avec  ses  propres 
lumières  les  obligations  qui  découlent  naturelle- 
ment du  seul  titre  de  Créateur  et  de  Providence,  du 
côté  de  Dieu,  et  du  seul  titre  de  créature  intelli- 
gente et  libre,  du  côté  de  l'homme.  Tout  autre  rap- 
port doit  être  considéré  comme  superflu  et  est  à 
rejeter.  C'est  donc  à  tort  que  la  religion  positive  ou 
le  catholicisme  revendique  une  provenance  surna- 
turelle et  se  réclame  d'une  parole  révélée  ou  pré- 
tendue telle. 

Ainsi  raisonne  le  rationalisme  et  tel  est,  en 
abrégé,  le  sommaire  des  objections  qu'il  oppose  à 
la  possibilité  de  la  révélation.  A  priori,  il  écarte 
toute  élévation  de  l'homme  à  l'ordre  surnaturel  et 
toute  notification  de  la  volonté  libre  de  Dieu  ;  et 
tour  à  tour  il  fait  appel  à  la  nature  de  Dieu  et  à  la 
nature  de  l'homme  pour  déclarer  impossible,  entre 
l'homme  et  Dieu,  tout  commerce  surnaturel.  A  tort 
ou  à  raison  ?  A  tort,  incontestablement.  Car  il  tient 
pour  acquise  l'impossibilité  de  l'élévation  de  l'homme 


POSSIBILITE    DE    LA    REVELATION  21 

à  l'état  surnaturel  comme  aussi  toute  révélation. 
Or,  cette  impossibilité,  comme  nous  le  verrons  pour 
l'ordre  surnaturel,  n'est  qu'un  postulat  que  rien  ne 
justifie.  Il  faudrait  qu'elle  résultât  d'une  contradic- 
tion dans  les  termes,  ce  qui  n'est  nullement  le  cas. 

2.  Réponse  à  ces  objections.  —  i.  Pour  ne 
nous  en  tenir  ici  qu'à  la  révélation,  qui  empêche 
Dieu  d'enseigner  d'abord  à  l'homme  ce  que  l'homme 
peut  connaître  par  lui-même  ?  Ce  rôle  de  pédago- 
gue ou  de  maître,  loin  d'être,  comme  on  le  pré- 
tend, indigne  de  la  majesté  divine,  répond  au  con- 
traire admirablement  à  ce  titre  de  Père  que  nous 
donnons  à  Dieu.  Dans  la  famille,  en  effet,  on  trouve 
tout  naturel  que  le  chef  initie  ou  fasse  initier  son 
enfant  le  plus  tôt  et  le  mieux  possible  à  la  connais- 
sance de  tout  ce  qui  lui  sera  nécessaire  ou  utile 
dans  la  vie.  Dans  la  société,  on  ne  trouve  pas  moins 
naturelle  la  confidence  intime  d'un  ami  à  son  ami, 
la  relation  d'un  voyageur  qui  vient  d'explorer  des 
pays  inconnus,  la  communication  d'un  savant  qui 
fait  part  de  ses  découvertes.  Et  ce  que  l'homme 
fait  pour  l'homme  serait  interdit  à  Dieu  !  De  quel 
droit  ? 

2.  En  outre,  Dieu,  étant  la  vérité  absolue  et  la 
science  infinie,  possède  plus  de  connaissances  et 
des  connaissances  plus  profondes  que  celles  de  la 
raison  humaine.  Or,  qui  l'empêche,  s'il  le  veut,  de 
faire  pénétrer  l'homme  dans  ce  monde  inconnu  de 
vérités  supérieures  ou  de  lui  en  faire  part.  N'en 
aurait-il  pas  le  pouvoir?  Il  lui  a  bien  donné  uri 
moyen  naturel  de  connaître,  pourquoi  n'y  ajoute- 
rait-il pas  un  autre  moyen,  d'ordre  surnaturel?  Il  a 
bien  mis  sous  ses  yeux,  dans  sa  propre  nature  et  dans 
le  monde  qui  l'entoure,  des  vérités  accessibles  à  sa 
raison,  pourquoi  n'y  mettrait-il  pas  aussi  des  véri- 


22  LE    CATECHISME    ROMAIN 

tés  naturellement  inaccessibles,  sauf  à  lui  donner  en 
môme  temps  un  moyen  approprié  de  les  saisir? 
Mieux  que  personne  il  sait  ce  qu'il  faudrait  pour 
cela  ;  il  le  sait  et  il  peut  réaliser  son  dessein.  Qui 
donc  l'en  empêcherait?  Certes,  il  ne  supprimera 
rien  de  ce  qu'il  a  créé,  il  respectera  notamment 
l'esprit  de  l'homme,  mais  il  se  mettra  en  rapport 
avec  lui,  soit  immédiatement  et  sans  idées  intermé- 
diaires, soit  médiatement  par  des  idées  qu'il  lui 
donnera  toutes  faites  ou  qu'il  lui  suggérera.  Ayant 
créé  l'intelligence  humaine,  il  peut  l'enrichir  de 
connaissances  infuses  ;  ayant  créé  les  êtres  phy- 
siques, il  peut  donner  à  certains  d'entre  eux  telle 
destination  particulière  ou  leur  faire  produire  tel 
effet  d'où  résultera  pour  l'homme  un  enseignement 
divin.  Et  quel  que  soit  le  moyen  qu'il  emploiera, 
la  révélation,  distincte  du  langage  que  Dieu  tient  à 
la  raison  par  l'intermédiaire  des  créatures,  et  par  la 
raison  elle-même,  reste  parfaitement  possible.  Qu'il 
se  décide  donc  à  révéler,  et  la  révélation  devient 
un  fait  positif  qu'il  n'y  aura  plus  qu'à  constater  par 
des  preuves  appropriées. 

3.  Or,  ce  fait  de  la  révélation  n'accuse  pas  plus  en 
Dieu  un  défaut  de  prescience  qu'il  ne  porte  atteinte  à 
son  immutabilité.  Car,  de  toute  éternité,  Dieu  voit 
et  décide,  il  ne  s'y  prend  pas  à  deux  fois  ;  l'excep- 
tion comme  la  règle,  la  révélation  comme  la  créa- 
tion, sont  voulues  et  décrétées  par  un  seul  et  même 
acte,  sans  hésitation,  sans  le  moindre  changement 
dans  son  immutabilité.  C'est  nous,  êtres  bornés  par 
le  temps  et  par  l'espace,  qui  transportons  indûment 
en  Dieu  notre  manière  de  concevoir  et  de  décider; 
et,  sans  nous  en  douter,  nous  sommes  victimes  de 
cet  anthropomorphisme,  qui  rabaisse  Dieu  à  notre 
mesure.  De  plus,  de  la  façon  la  plus  impertinente 
<du  monde,  nous   interdirions  à  Dieu  ce  que  nous 


POSSIBILITÉ    DE    LA    REVELATION  23 

serions  si  heureux  et  si  fiers  de  faire  nous-mêmes. 
Quel  est  donc  le  mortel,  surtout  s'il  est  homme  de 
savoir  ou  de  génie,  qui  ne  voudrait  chaque  jour 
davantage  étendre  le  cercle  de  ses  connaissances  et 
trouver  le  moyen  le  plus  rapide  et  le  plus  sûr  pour 
faciliter  à  ses  semblables  la  science  de  ce  qu'il  sait? 
Ce  que  l'homme  ne  fait  trop  souvent  que  désirer 
sans  pouvoir  pleinement  réaliser  ses  désirs,  Dieu 
l'accomplit  parce  qu'il  est  tout-puissant  ;  sa  bonté 
est  éclairée  par  sa  sagesse  ;  et  sa  sagesse,  au  lieu 
d'hésiter  ou  de  changer,  comme  on  l'en  accuse, 
décide  immuablemeut  de  toute  éternité  ce  qu'il  lui 
convient  de  faire. 

[\.  D'autre  part,  il  va  de  soi  que  si  Dieu  révèle, 
une  telle  communication  de  vérité,  tout  en  élargis- 
sant le  champ  de  nos  connaissances,  nous  impose 
des  obligations  et  des  devoirs  nouveaux  :  l'obliga- 
tion de  croire  à  son  enseignement  révélé  et  le  devoir 
de  régler  notre  conduite  morale  en  conséquence. 
Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que,  si  à  cette  augmenta- 
tion gratuite  de  lumière  divine  correspond  néces- 
sairement une  augmentation  proportionnelle  de 
nos  devoirs,  et,  si  l'on  veut,  une  limitation  de  notre 
liberté,  Dieu,  qui  est  sage  et  proportionne  admira- 
blement les  moyens  à  la  fin,  nous  communique  en 
même  temps,  par  une  très  large  compensation,  un' 
surcroît  d'être  et  de  facultés,  de  dignité  et  d'énergie 
incomparables.  Et,  dès  lors,  loin  de  détruire  ou  de 
gêner  notre  nature,  il  la  perfectionne  plutôt  et 
l'élève  bien  au  dessus  de  ce  qu'aucune  créature 
actuelle  ou  possible  ne  saurait  ni  rêver,  ni  exiger, 
par  son  droit  de  nature,  puisqu'il  la  fait  entrer  en 
participation  avec  la  nature  même  de  Dieu,  comme 
nous  l'expliquerons  dans  la  suite.  De  telle  sorte  que, 
là  où  le  rationalisme  voit  un  amoindrissement  ou 
U<ne  gêne,  c'est  tout  le  contraire  qui  a  lieu,  l'homme 


24  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  trouvant  en  définitive,  dans  l'intervention  sur- 
naturelle de  Dieu,  qu'un  immense  avantage  tout  à 
son  profit. 

5.  Prétendre  que,  par  la  révélation,  Dieu  ferait 
violence  à  l'intelligence  humaine  et  la  réduirait  à  un 
rôle  passif,  en  portant  atteinte  à  son  indépendance 
et  à  son  autonomie,  c'est  méconnaître  de  parti  pris 
que  la  raison  humaine  ne  perd  ni  son  indépendance 
ni  son  autonomie  en  face  de  l'évidence  naturelle  des 
faits  ou  de  l'autorité  du  témoignage  humain  ;  elle  est 
bien  obligée  de  se  soumettre  et  de  les  accepter,  sous 
peine  de  se  renier  elle-même.  Or,  il  n'en  va  pas 
autrement  vis-à-vis  de  la  révélation  divine  ;  que  le 
fait  de  cette  révélation  et  du  témoignage  authenti- 
que de  Dieu  soit  positivement  avéré,  et  la  raison 
humaine,  en  l'acceptant,  ne  s'abdique  pas  elle- 
même  ;  bien  au  contraire,  elle  fait  un  acte  éminem- 
ment raisonnable  et  rationnel.  Inutile  d'insister 
davantage  ;  les  objections  du  rationalisme  ne  tien- 
nent pas  et  ne  peuvent  pas  tenir. 

III.  Nécessité  de  la  révélation 

i.  Utilité  de  la  révélation  pour  la  connais- 
sance des  vérités  de  la  religion  naturelle.  — 
i .  C'est  l'enseignement  formel  du  concile  du  Vatican 
que  la  révélation  divine  est  utile  pour  la  connais- 
sance des  vérités  de  la  religion  naturelle,  ou  mora- 
lement nécessaire.  Cette  nécessité  morale  ne  tient 
pas  à  l'objet,  puisque  cet  objet  est  ce  qui,  dans  les 
choses  religieuses,  est  accessible  à  la  raison,  mais 
au  sujet,  c'est-à-dire  à  l'homme  dans  son  état  actuel. 
«  On  doit,  il  est  vrai,  attribuer  à  cette  divine  révé- 
lation que  les  points  qui,  dans  les  choses  divines, 
ne  sont  pas  par  eux-mêmes  inaccessibles  à  la  raison 
humaine,  puissent  aussi,  dans  la  condition  présente 


UTILITÉ    DE    LA    REVELATION  25 

du  genre  humain,  être  connus  de  tous  sans  diffi- 
culté, avec  une  ferme  certitude  et  à  l'exclusion  de 
toute  erreur  (i)  ». 

2.  Ainsi  donc  tous  les  hommes  doivent  à  la 
révélation  de  connaître  facilement,  avec  une  pleine 
certitude  et  sans  mélange  d'erreur  les  vérités  religieu- 
ses qui  ne  sont  pas  inaccessibles  à  la  raison  :  autant 
d'avantages  exceptionnels,  dûs  à  la  révélation,  dans 
la  condition  présente  du  genre  humain.  La  preuve 
en  est  dans  l'histoire  qui  nous  montre  les  peuples 
païens  se  trompant  grossièrement  sur  Dieu  et  la 
religion,  et  les  philosophes  incapables  d'instruire 
ces  peuples  d'une  façon  convaincante  et  pratique, 
La  preuve  en  est  aussi  dans  l'étude  psychologique 
de  la  nature  humaine,  signalée  par  saint  Augustin  (2) 
et  si  admirablement  développée  par  saint  Thomas 
d'Aquin  (3). 

Il  y  aurait  trois  inconvénients,  remarque  l'Ange 
de  l'école,  à  chercher  à  connaître  ces  vérités  ration- 
nelles sans  autre  secours  que  la  raison.  Le  premier, 
c'est  que  peu  d'hommes  parviendraient  ainsi  à  la 
connaissance  de  Dieu,  faute  d'intelligence  suffisante, 
ou  de  loisir,  ou  de  courage  pour  entreprendre  et 
mener  à  bonne  fin  une  telle  élude.  Le  second,  c'est 
que  ce  petit  nombre  n'y  parviendrait  qu'après  un 
temps  assez  long,  soit  à  cause  de  la  profondeur  de 
ces  vérités  rationnelles,  soit  à  cause  des  connaissan- 
ces nombreuses  que  requiert  une  telle  recherche, 
soit  parce  que  les  jeunes  gens,  en  particulier,  n'ont 
ni  le  calme  ni  la  sagesse  qu'elle  exige.  Le  troisième, 
c'est  qu'il  se  mêlerait  des  erreurs  à  cette  connais- 
sance, de  sorte  qu'elle  resterait  douteuse  pour  beau- 
coup. Au  contraire,  par  le  chemin  de  la  foi  et  grâce 

1.  Constit.  Dei  Filius.  —  2.  De  ut'ditate  credendi.  —  3.  Cont. 
Gent.,  I,  4;  Sum.  Theol.,  II*  IIœ,  Q.  u,  a.  4;  De  verit  ,  Q.  xiv, 
a.  10. 


26  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

à  la  révélation,  tous  ces  inconvénients  disparais- 
sent. Ainsi  raisonne  le  bon  sens  d'accord  avec  l'ex- 
périence. 

3.  Le  concile  du  Vatican  ne  s'est  pas  contenté  de 
faire  sien  l'enseignement  du  Docteur  angélique,  il 
a  de  plus  formulé  ce  canon  contre  les  rationalistes: 
«  Anatbème  à  qui  dirait  qu'il  ne  peut  se  faire  ou 
qu'il  n'est  pas  expédient  que  l'homme  soit  instruit 
par  la  révélation  divine  sur  Dieu  et  le  culte  à  lui 
rendre  (i).  »  Le  sens  et  la  portée  de  ce  canon  ne 
sauraient  être  douteux  :  il  vise  directement  les 
déistes  qui  vantent  la  religion  naturelle,  et  la  regar- 
dent comme  une  sorte  de  charte,  octroyée  par  Dieu 
et  le  liant  à  jamais  sans  qu'il  puisse  s'en  écarter.  Au- 
jourd'hui donc,  ce  serait  une  hérésie  que  de  soute- 
nir l'impossibilité  ou  la  non  convenance  dune 
révélation,  ayant  Dieu  pour  objet  et  le  cul  le  à  lui 
rendre.  La  possibilité  et  l'utilité  d'une  telle  révéla- 
tion sont  donc  désormais  un  dogme  de  foi  catholi- 
que, c'est-à-dire  un  dogme  révélé  par  Dieu  et  imposé 
comme  tel  par  l'Eglise  à  la  foi  des  fidèles. 

4.  Les  rationalistes  n'admettant  pas  la  révélation, 
ni  pour  autant  l'autorité  de  l'Eglise,  ce  n'est  pas  au 
nom  de  ce  dogme  qu'on  peut  les  réfuter,  mais  au 
nom  delà  seule  raison.  Et  c'est  pourquoi  nous  avons 
indiqué  quelques  uns  des  motifs  d'ordre  purement 
rationnel  pour  prouver  que  leurs  objections  étaient 
sans  valeur  et  maintenir  ainsi  soit  la  possibilité, >soit 
l'utilité  ou  la  nécessité  morale  de  la  révélation  divi- 
ne, relativement  aux  vérités  de  la  religion  natu- 
relle :  elle  est  possible  parce  que,  loin  d'impliquer 
la  moindre  contradiction  dans  les  termes,  elle 
répond  excellemment  à  la  nature  de  Dieu  et  à  celle  de 
l'homme;  elle  est  utile  ou  moralement  nécessaire 

1.  Constit.  Dei  FiUus,  c.  IL,  can.  a. 


ERREUR    DES    EVOLUTIONNISTES  2J 

parce  qu'elle  facilite  à  tout  homme  sans  exception 
la  connaissance  prompte,  facile  et  complète  des 
vérités  de  la  religion  naturelle  «  avec  une  ferme 
certitude  et  à  l'exclusion  de  toute  erreur.  » 

2.  Erreur  des  évolutionnistes.  —  Mais  à  côté 
des   rationalistes,  il  se  rencontre  aujourd'hui  des 
partisans  de  l'évolution   intégrale,  c'est-à-dire  des 
théoriciens    qui    appliquent    l'évolutionisme    aussi 
bien  aux  choses  religieuses  et  à  la  religion  elle- 
même  qu'à   la  cosmologie,  à  la  biologie  et  à  l'an- 
thropologie. Ils  abandonnent  le  culte  du  Dieu  vi- 
vant et  véritable  en  faveur  de  celui  de  l'humanité., 
Car  ils  regardent  l'humanité  comme  la  seule  divi- 
nité véritable.  En  conséquence  ils  nient  toute  éléva- 
tion de  l'homme  à  une  connaissance  surnaturelle  de 
Dieu  et  ils  soutiennent  que  l'homme,  sans  l'action 
de  Dieu,    mais  simplement  par  le  développement 
normal  de  sa  seule  nature,  est  capable  d'un  progrès 
indéfini,  à  même  par  conséquent  d'atteindre  toute 
vérité.   Révélation   et  ordre   surnaturel   sont   donc 
impossibles,  parce  qu'il  n'est  point  de  vérité  ni  de 
perfection  qui  dépassent  la  nature  humaine;  révéla- 
tion  et  ordre   surnaturel  sont  inutiles,    parce  que 
l'homme,  par  lui-même,  sans  secours  étranger,  peut 
et  doit  arriver  à  la  plénitude  de  la  véxité  et  du  bien. 
Quand  cela  ?  Dans  un  avenir,  dont  on  se  défend  de 
pouvoir  fixer  la  date  précise,  mais  dont  on  affirme 
résolument  la  réalisation  certaine,  grâce  au  progrès 
continu,  qui  est  la  loi  de  l'humanité. 

Le  concile  du  Vatican  a  dû  condamner  ce  qu'une 
telle  théorie  a  de  contraire  à  l'enseignement  révélé, 
et  il  l'a  fait  en  ces  termes  :  «  Anathème  à  qui  dirait 
que  l'homme  ne  peut  être  élevé  divinement  à  une 
connaissance  et  à  une  perfection  qui  surpassent 
celle  qui  lui  est  naturelle,  mais  que  de  lui-même  il 


28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

peut  et  doit,  par  un  progrès  perpétuel,  parvenir 
enfin  à  la  possession  de  tout  vrai  et  de  tout  bien  (i).  » 
Il  est  donc  de  foi  catholique  que  l'homme  peut  être 
élevé  divinement  à  une  connaissance  et  à  une  per- 
fection qui  surpasse  celle  qui  lui  est  naturelle.  Et 
c'est  désormais  une  hérésie  de  prétendre  que 
l'homme  peut  et  doit,  par  un  progrès  indéfini,  par- 
venir un  jour  à  la  possession  de  tout  vrai  et  de  tout 
bien. 

Cet  enseignement  dogmatique  est  naturellement 
rejeté  par  les  évolutionnistes.  Mais  le  bon  sens  dune 
part,  et  l'histoire  de  l'autre  suffisent,  en  dehors  de 
la  révélation,  à  montrer  le  mal  fondé  de  leur  théo- 
rie, qui  est  la  négation  même  de  Dieu,  ou  du  pur 
panthéisme,  puisqu'elle  divinise  l'humanité.  Per- 
sonne ne  conteste  que,  au  point  de  vue  matériel  et 
scientifique,  l'humanité  soit  en  progrès  et  puisse  en- 
core progresser  ;  mais  la  question  est  de  savoir, 
en  particulier,  si  ce  progrès  est  tout,  s'il  n'en  est 
pas  un  autre,  d'ordre  moral  et  religieux,  et  si  ce 
dernier,  de  beaucoup  plus  important  que  l'autre,  au 
lieu  d'être  exclusivement  conditionné  par  les  scien- 
ces naturelles,  ne  dépend  pas  au  contraire  de  la 
révélation,  ne  se  mesure  pas  à  elle  et  n'est  pas  d'au- 
tant plus  grand  que  cette  révélation  divine  est 
mieux  connue,  plus  humblement  acceptée  et  plus 
docilement  obéie. 

3.  Nécessité  absolue  de  la  révélation  pour  la 
connaissance  des  mystères  de  la  religion  sur- 
naturelle. —  i.  Il  n'est  plus  question  maintenant 
des  vérités  que  la  raison  humaine  peut  découvrir  et 
connaître  par  ses  seules  lumières,  mais  de  celles 
qui  lui  sont  complètement  inaccessibles.  Or,  le  con- 

i.  Constit.  DeiFilius,  c.  n,  can.  3. 


NÉCESSITÉ    DE    LA    RÉVÉLATION  2Q 

cile  du  Vatican  enseigne  l'absolue  nécessité  de  la 
révélation  divine  pour  manifester  à  l'homme  les 
vérités  religieuses  qui  dépassent  la  portée  de  sa  rai- 
son ;  il  montre  la  cause  de  celte  nécessité  dans  la 
fin  surnaturelle  à  laquelle  l'homme  est  ordonné,  que 
l'homme  ne  saurait  aucunement  connaître  par  ses 
lumières,  pas  plus  qu'il  ne  saurait  connaître  les 
moyens  de  l'atteindre  ;  et  il  prouve  sa  doctrine  par 
un  texte  de  saint  Paul  (i).  «  Ce  n'est  pourtant  pas 
pour  cette  cause,  dit-il  (celle  dont  il  vient  d'être 
parlé  plus  haut),  que  la  révélation  doit  être  déclarée 
absolument  nécessaire,  mais  parce  que  Dieu,  dans 
son  infinie  bonté,  a  ordonné  l'homme  à  la  fin  sur- 
naturelle, c'est-à-dire  à  la  participation  de  biens 
divins  qui  dépassent  tout  à  fait  l'intelligence  de  l'es- 
prit humain  ;  car  l'œil  n'a  point  vu,  ni  l'oreille 
entendu,  ni  le  cœur  de  l'homme  conçu  les  choses 
que  Dieu  a  préparées  à  ceux  qui  l'aiment  (2).  » 

2.  Que  la  révélation  divine  soit  absolument  néces- 
saire pour  nous  manifester  les  vérités  religieuses 
qui  dépassent  la  portée  de  notre  raison,  c'est  de 
toute  évidence  ;  car,  en  dehors  de  là,  comment 
pourrions-nous  les  connaître  ?  L'homme,  dans  sa 
sphère  et  avec  ses  propres  ressources,  peut  bien  en 
droit  arriver  à  connaître  et  à  démontrer  les  vérités 
religieuses  naturelles.  Mais  nous  venons  de  voir 
qu'en  fait  il  n'y  arrive  pas  toujours  ;  car  cette  con- 
naissance et  cette  démonstration  offrent  des  diffi- 
cultés qui  rebutent;  et  même  chez  les  esprits  culti- 
vés, actifs  et  pénétrants,  l'effort  n'est  pas  toujours 
couronné  d'un  plein  succès,  puisqu'il  se  mêle  des 
erreurs  aux  résultats  de  leurs  recherches.  Comment 
donc  l'homme  pourrait-il  atteindre  des  vérités, 
dont    aucun    principe    naturel    ni    aucune    expé- 

z.  I  Cor.,  11,  9.  —  a.  Constit.  Dei  Filius. 


30  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

rience  naturelle  ne  sauraient  établir  l'existence? 
Leur  connaissance  n'est  pas  seulement  difficile,  elle 
est  impossible,  sans  une  expresse  révélation,  faite 
par  Celui  qui  les  connaît.  Une  fois  révélées,  l'homme 
peut  et  doit  les  accepter  docilement  et  sans  crainte 
d'erreur,  sur  l'autorité  infaillible  du  témoignage 
divin.  Mais  telle  est  leur  nature  intime  et  leur 
transcendance  que,  même  alors,  il  est  incapable  de 
les  comprendre  comme  aussi  de  les  démontrer  par 
des  raisons  intrinsèques.  Car  ces  vérités,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit  (i),  sont  des  vérités  cachées  en 
Dieu,  et  dont  la  claire  connaissance  n'aura  lieu, 
pour  la  créature  intelligente  et  libre,  que  dans  la 
vision  intuitive.  Dieu  les  révèle  pourtant  dès  ici  bas  ; 
il  en  fait  connaître  l'existence  sans  en  manifester 
tout  l'éclat,  parce  que,  dans  son  infinie  bonté,  il  a 
ordonné  l'homme  à  la  fin  surnaturelle,  c'est-à-dire 
à  la  participation  de  biens  divins  qui  dépassent  tout 
à  fait  l'intelligence  de  l'esprit  humain.  Supprimez 
la  destination  de  l'homme  à  la  fin  surnaturelle, 
librement  et  gratuitement  décidée  par  Dieu,  la  con- 
naissance de  ces  vérités  ne  lui  est  plus  indispen- 
sable ;  mais  supposez  cette  destination,  laquelle  est 
voulue  de  Dieu,  et  alors  elle  est  absolument  néces- 
saire parce  que,  n'étant  pas  un  automate,  mû  mé- 
caniquement, mais  un  être  intelligent  et  libre,  il 
doit  avoir  conscience  de  ses  actes  et  agir  en  pleine 
connaissance  de  cause  ;  nécessairement  il  faut 
qu'il  sache  où  il  doit  aller,  par  quels  chemins,  avec 
quels  moyens  et  pourquoi.  C'est  donc  Dieu  seul  qui 
doit  l'en  instruire,  puisqu'il  a  plu  à  son  infinie 
bonté  de  surajouter  à  sa  fin  naturelle  cette  fin  sur- 
naturelle. 

3.  Dans  l'Ancien  Testament,  Isaïe,  faisant  allu- 

i.  Voir  t.  i,  p.  333. 


NÉCESSITÉ    DE    LA    RÉVÉLATION  3l 

sion  aux  futures  merveilles  de  l'incarnation,  avait 
dit  :  À  saeculo  non  audierunt,  neque  auribus  perce- 
perunt,  oculus  non  vidit,  Deus  absque  te,  quaeprae- 
paras  exspectantibus  te  (i).  C'était  une  merveille 
telle  qu'elle  dépassait  absolument  l'entendement 
humain.  Saint  Paul  reprend  la  pensée  du  prophète; 
il  l'applique,  non  plus  à  ceux  qui  attendent  l'incar- 
nation, puisque  l'incarnation  a  eu  lieu,  mais  à  ceux 
qui  aiment  Dieu.  Il  prêche  la  sagesse,  mais  celle  qui 
n'est  pas  de  ce  siècle  ni  des  princes  de  ce  siècle  ; 
une  sagesse  mystérieuse  et  cachée  que  Dieu,  avant 
les  siècles,  avait  destinée  pour  notre  glorification  ; 
une  sagesse  qu'aucun  des  princes  de  ce  siècle  n'a 
connue,  c'est-à-dire  une  science,  dont  ni  lui  ni  les 
Apôtres  ne  purent  avoir  eu  connaissance  que  par 
révélation,  et  une  science  surnaturelle  parce  que, 
humainement  parlant,  «  l'œil  n'a  point  vu,  ni 
l'oreille  entendu,  ni  le  cœur  conçu  les  choses  que 
Dieu  à  préparées  à  ceux  qui  l'aiment  (2).  » 

A  son  tour,  le  concile  emprunte  à  saint  Paul  ce 
texte  significatif  et  l'allègue  comme  une  preuve 
scripturaire  de  l'absolue  nécessité  de  4a  révélation 
divine  pour  la  connaissance  des  mystères  de  la  re- 
ligion surnaturelle.  Ce  texte,  il  est  vrai,  est  souvent 
appliqué  au  bonheur  du  ciel  ;  mais  il  doit  s'enten- 
dre aussi,  d'après  le  contexte  de  l'Apôtre  et  l'appli- 
cation précise  qu'en  fait  le  concile,  non  seulement 
de  tous  les  biens  surnaturels  en  général,  ceux  de  la 
vie  présente  comme  ceux  de  la  vie  future,  mais 
encore  de  la  connaissance  des  vérités  surnaturelles 

de  la  révélation. 

L 

1.  7s.,  lxiv,  4.  —  a.  I  Cor.,  n,  9. 


32  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


IV.   Existence  de  la  révélation 

La  révélation  a-t-elle  eu  lieu  ?  —  La  révélation 
n'est  pas  seulement  possible,  elle  est  encore  émi- 
nemment utile  pour  la  pleine  connaissance  de» 
vérités  de  la  religion  naturelle,  elle  est  aussi  absolu- 
ment nécessaire  pour  la  connaissance  assurée  des 
vérités  de  la  religion  surnaturelle.  A-t-elle  eu  lieu  ? 

i.  La  réponse  ne  saurait  être  douteuse.  Dieu, 
dans  sa  sagesse  et  sa  bonté,  n'a  pu  laisser  l'homme 
à  la  merci  de  circonstances  qui  lui  auraient  rendu 
sinon  impossible,  du  moins  difficile,  la  connais- 
sance et  la  poursuite  efficace  de  sa  fin  naturelle.  Et, 
d'autre  part,  comme  nous  le  verrons,  l'ayant  gra- 
tuitement élevé  à  l'ordre  surnaturel,  il  a  dû  néces- 
sairement lui  faire  part  de  cette  élévation,  des  de- 
voirs qui  en  découlent  et  des  moyens  à  prendre  pour 
atteindre  sa  fin  surnaturelle.  Il  a  dû  les  lui  notifier. 
Et  en  fait,  il  les  lui  a  notifiés  successivement,  pro- 
gressivement (i),  d'abord  dans  la  révélation  primi- 
tive, ensuite  dans  la  révélation  mosaïque,  et  enfin 
dans  la  révélation  chrétienne,  selon  le  plan  de  son 
économie  providentielle.  Il  n'y  a  donc  plus  qu'à 
constater  la  réalité  de  ces  faits.  Or,  le  seul  moyen 
de  la  constater,  c'est  de  recourir  à  l'histoire,  à 
l'examen  des  témoignages,  sauf,  bien  entendu,  à 
exiger  des  garanties  testimoniales  absolument  irré- 
cusables comme  pour  tout  fait  historique.  Car  il  est 
évident  qu'un  fait  d'aussi  capitale  importance  que 
celui  de  la  révélation  divine  a  dû  être  entouré,  pour 
s'imposer  logiquement  à  la  raison  humaine,  de 
preuves  rigoureusement  concluantes. 

2.  Ces  preuves  peuvent  être  d'ordre  divers.  A 
ceux  que  Dieu  a  daigné  choisir  pour  confidents  de 

i.  Voir  1. 1,  p.  i53  sq. 


EXISTENCE    DE    LA    REVELATION  33 

sa  pensée  et  pour  intermédiaires  entre  lui  et  les 
hommes,  il  aurait  pu  se  contenter  de  donner  la 
conviction  intime  et  certaine  que,  loin  d'être  l'objet 
d'un  illusion  subjective  et  dès  lors  sujette  à  caution, 
c'est  bien  lui  qui  leur  parlait  et  leur  intimait  l'ordre 
exprès  de  communiquer  aux  autres  en  son  nom  son 
propre  enseignement.  Mais  il  a  dû  en  outre  autori- 
ser et  garantir  leur  mission  par  des  signes  tels  que 
les  hommes  n'aient  pu  se  méprendre  sur  la  divinité 
d'un  tel  enseignement.  La  doctrine,  ainsi  trans- 
mise, devait  avant  tout  être  digne  de  Dieu  et  répon- 
dre à  tous  les  besoins  légitimes  et  à  toutes  les 
exigences  naturelles  de  la  nature  humaine,  sous 
peine  d'être  raisonnablement  refusée.  Mais  elle 
pouvait  aussi  ouvrir  un  champ  plus  vaste  à  l'acti- 
vité intellectuelle  et  morale  de  l'homme  et  le  con- 
vier à  une  destinée  supérieure  à  celle  de  sa  propre 
nature  ;  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  Dieu  avait 
un  droit  manifeste  et  parfaitement  légitime  à  l'ac- 
quiescement de  sa  raison  et  à  la  soumission  de  sa 
volonté.  Et  ainsi  les  preuves  tirées  de  l'examen  de 
la  doctrine  elle-même  ou  preuves  intrinsèques  peu- 
vent s'ajouter  à  celles  qui  sont  tirées  des  signes 
extérieurs  qui  autorisent  et  garantissent  divinement 
cette  doctrine  révélée,  c'est-à-dire  aux  preuves 
extrinsèques. 

3.  Or,  ni  les  unes  ni  les  autres  ne  font  défaut  à 
la  révélation.  Toutes  ont  une  valeur  et  sont  utili- 
sées par  les  apologistes.  Mais  les  plus  frappantes, 
celles  qui  s'accommodent  le  mieux  à  l'intelligence 
de  tous  sont  assurément  les  preuves  extrinsèques  : 
celles-ci  suffisent  pour  convaincre  tout  homme  de 
bon  sens  et  de  droite  raison,  et  ce  sont  celles  que 
préconise  le  concile  du  Vatican,  qui  frappe  d'ana- 
thème  quiconque  dirait  que  la  révélation  divine  ne 
peut   être   rendue    croyable    par   des    signes  exté- 

LE   CATÉCHISME.  —  T.   III.  a 


t€A 


34  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

rieurs.  Voici  sa  propre  déclaration  :  «  Afin  que 
l'hommage  de  notre  foi  fût  d'accord  avec  la  raison, 
aux  secours  intérieurs  du  Saint-Esprit,  Dieu  a  voulu 
joindre  des  preuves  extérieures  de  sa  révélation,  sa- 
voir des  faits  divins  et  surtout  des  miracles  et  des 
prophéties,  qui,  en  montrant  abondamment  la 
toute-puissance  et  la  science  inlinie  de  Dieu,  font 
reconnaître  la  révélation  divine,  dont  ils  sont  des 
signes  très  certains  et  appropriés  à  l'intelligence  de 
tous.  C'est  pourquoi  soit  Moïse  et  les  prophètes, 
soit  surtout  le  Christ  Notre  Seigneur  lui-même  ont 
fait  de  nombreux  et  très  manifestes  miracles  et 
prophéties  ;  et  nous  lisons  des  Apôtres  :  «  Etant 
partis,  ils  prêchèrent  en  tous  lieux,  le  Seigneur 
travaillant  avec  eux  et  confirmant  leur  parole  par 
les  miracles  qui  l'accompagnaient.  »  Il  est  aussi 
écrit  :  «  Ainsi  a  été  confirmée  pour  nous  l'Ecriture 
prophétique,  à  laquelle  vous  faites  bien  de  prêter, 
attention  comme  à  une  lampe  qui  brille  dans  un 
lieu  obscur.  » 

4.  En  proposant  ainsi,  parmi  les  faits  divins,  les 
miracles  et  les  prophéties  comme  les  meilleures 
preuves  extérieures  de  la  révélation,  le  concile  du 
Vatican  se  garde  bien  de  dénier  toute  valeur  aux 
autres  preuves.  Mais  il  entend  condamner  l'erreur 
des  rationalistes  des  deux  derniers  siècles,  qui  pré- 
tendaient qu'on  ne  peut  discerner  la  véritable  reli- 
gion que  par  des  notes  intrinsèques,  c'est-à-dire  par 
sa  conformité  avec  la  raison,  ce  qui  leur  permettait 
d'écarter  de  la  religion  et  les  miracles  et  les  mystères. 
IL  condamne  aussi  le  système  de  certains  protes- 
tants qui,  tout  en  admettant  la  révélation,  rejettent 
les  critères  par  lesquels  se  manifeste  et  se  démontre 
sa  divine  origine,  pour  ne  faire  exclusivement  ap- 
pel qu'à  l'expérience  intime,  au  sentiment  religieux, 
au  témoignage  du   Saint-Esprit.  «  Anathème  à  qui 


EXISTENCE    DE    LA    REVELATION  35 

dirait  que  les  hommes  ne  doivent  être  amenés  à  la 
foi  que  par  une  expérience  interne  et  personnelle 
ou  par  une  inspiration  privée.  » 

C'est  donc  spécialement  sur  ces  deux  preuve* 
extrinsèques  de  la  révélation  que  nous  allons  insis- 
ter, non  seulement  parce  que  le  concile  du  Vatican 
les  recommande,  mais  aussi  parce  qu'elles  sont  le* 
plus  discutées  depuis  un  siècle. 

1.  Impuissance  de  la  philosophie.  —  «  11  y  a  dans 
le  monde  moderne  deux  puissances  spirituelles,   la  reli- 
gion chrétienne   et  la  philosophie  ;  tout  le  reste  n'existe 
que  dans  l'imagination  des  faiseurs  d'utopie.  La  philo- 
sophie  est-elle   capable,   à   l'époque   où   nous   sommes, 
d'exercer  à  elle  seule  le  ministère  spirituel  ?  Voilà  la  véri- 
table question.   Nous  nous    adiessons   ici,   non  pas   aux. 
hommes  d'imagination  qui  s'exaltent  dans  la  solitude  du 
cabinet,  non  pas  aux  hommes  à  qui  la  haine  du  catholi- 
cisme ou  seulement  des  Jésuites  ôte  la  faculté  d'appré- 
cier sainement  les  choses,  mais  aux   hommes  qui  con- 
naissent à  la  fois  les  limites  de  la  spéculation  et  les  né 
cessités  de  la  vie  pratique,   et  nous  leur  demandons  ce 
qu'ils  pensent  du  dessein  de  confier  à  la  philosophie  toute 
seule,  réduite  à  ses  seules  ressources  et  dans  l'hypothèse 
de  la  dissolution   prochaine  des  institutions   religieuses,, 
l'exercice  universel  du  ministère  spirituel  dans  les  sociétés 
modernes.   Il  ne  s'agit  pas  ici  d'avoir  plus  ou  moins  de 
courage,   mais  d'avoir  plus  ou  moins  de  bon  sens,  de 
connaître  ou  de  ne  pas  connaître  la  nature  humaine,  de 
savoir  ou  de  ne  pas  savoir  ce  que  peut  la  philosophie  et 
quelles  sont  les  conditions  de  son  développement  parmi 
les  hommes. 

«  Voilà  les  philosophes  chargés  de  parler  aux  hommes 
de  Dieu  et  de  la  vie  future  :  les  voilà  en  face  de  l'hu- 
manité, chargés  de  suffire  à  ce  besoin  religieux,  l'hon- 
neur et  le  tourment  de  la  nature  humaine,  le  plus  uni- 
versel, le  plus  impérieux  de  tous.  Les  Ames  d'élite  ne 
sont  pas  les  seules  où  le  sentiment  religieux  vive  et  se 
déploie.  Nulle  âme  humaine  n'y  est  étrangère.  —  L'homme 


36  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

•du  peuple,  courbé  sur  le  sillon,  s'arrête  pour  songer  à 
Dieu,  pour  se  fortifier  et  se  relever  clans  cette  pensée.  11; 
sent  peser  sur  lui  et  le  fardeau  delà  responsabilité  morale 
et  le  mystère  de  la  vie  humaine.  Qui  lui  parlera  des  cho- 
ses divines  ?  Seront-ce  les  philosophes  ?  Les  philosophes 
font  des  livres.  Qu'importe  au  peuple  qui  ne  peut  les 
lire,  et  qui,  s'il  les  lisait,  ne  les  comprendrait  pas  ?  Se 
Teprésente-t-on  Kant  et  Locke  prédicateurs  de  morale  et 
de  religion  ?  D'ailleurs,  tout  besoin  universel  de  la  nature 
demande  un  développement  régulier.  Si  ce  besoin  est 
laissé  à  lui-même,  il  se  déprave,  il  s'égare.  Supposez 
le  peuple  le  plus  éclairé  de  l'Europe  moderne  privé 
d'instruction  religieuse  :  voilà  la  porte  ouverte  à  tou- 
tes les  folies.  Les  sectes  vont  naître  par  milliers.  Les 
rues  vont  se  remplir  de  phophètes  et  de  messies;  chaque 
père  de  famille  sera  pontife  d'une  religion  différente, 

«  Si  donc  la  philosophie  veut  exercer  le  ministère  spi- 
rituel, il  faudra  qu'elle  lutte  contre  cette  anarchie  de 
croyances  individuelles,  qu'elle  donne  aux  hommes  un 
symbole  de  la  foi,  un  catéchisme.  Car  on  ne  fera  pas  lire 
apparemment  aux  ouvriers  les  Méditations  de  Descartes 
ou  la  Théodicée  de  Leibnitz.  Or,  un  catéchisme  si  néces- 
saire, qui  le  composera?  Un  concile  de  philosophes?  Qui 
leur  déléguera  leurs  pouvoirs  ?  Qui  promulguera  leurs 
décisions  ?  Cette  nouvelle  Eglise  se  déclarera- t-elle  infail- 
lible ?  Aura-t-elle  un  Pape  ?  Quel  homme  sachant  qu'il 
n'est  qu'un  homme  osera  dire  à  ses  semblables  :  Voici 
l'Evangile,  voici  le  livre  de  vie  et  de  vérité  ?  Et,  s'il  en 
est  un  assez  orgueilleux  pour  le  dire,  en  trouvera-t-il  qui 
le  veuillent  croire  ?  »  Saisset,  Essais  sur  la  philosophie  et 
la  religion,  p.  25a. 

2.  Avantages  de  la  révélation.  —  «  Imposer  à 
l'homme  une  révélation,  dit  Wegscheider,  célèbre  théo- 
logien protestant,  c'est,  en  pure  perte,  l'humilier,  le  mu- 
tiler et  le  condamner  à  l'inertie  ou  à  l'agitation  ;  c'est  le 
priver  du  mérite  de  rechercher  et  de  l'honneur  de  décou- 
vrir le  vrai  ;  c'est  lui  ravir  le  plus  précieux  de  tous  les 
biens  de  lame,  l'indépendance  de  la  raison  ;  c'est  amoin- 
drir en  son  cœur  le  culte  de  la  science,  en  lui  persuadant 


AVANTAGES    DE    LA    REVELATION  3j 


que,  sans  étude  il  sait  tout,  ou  au  moins  l'essentiel  ;  c'est 
ouvrir  au  fanatisme  l'accès  de  son  esprit  sans  culture  et 
de  son  cœur  rétréci  ;  et  tout  cela  en  pure  perte,  puisque 
la  révélation  ne  nous  apporte  que  des  affirmations  incom- 
préhensibles, dont  le  moins  qu'on  puisse  dire  est  qu'elles 
sont  inutiles  (Inst.  théol.,  8e  édit.,  1 844,  P-  49)  »  —  Loin 
d'humilier  l'homme,  la  révélation  l'élève  et  l'ennoblit; 
loin  de  le  mutiler,  elle  le  complète  ;  au  lieu  de  le  con- 
damner à  l'inertie,  elle  l'exhorte  efficacement  au  travail  ; 
au  lieu  de  l'agiter,  elle  lui  donne  la  paix  et  le  repos  dans 
l'amour  de  la  vérité.  —  Ce  n'est  pas  la  recherche  de  la 
vérité  qui  est  un  mérite,  mais  bien  l'amour  que  cette 
recherche  suppose  ;  ce  n'est  pas  la  découverte  de  la  vérité 
qui  est  un  honneur,  mais  bien  la  possession  que  cette 
découverte  prépare.  Or,  la  révélation  augmente  l'amour 
de  la  vérité  et  rend  sa  possession  plus  prompte  et  plus 
pleine.  —  L'indépendance  absolue  de  la  raison  est  un 
non-sens  :  la  raison  est  essentiellement  dépendante  de  son 
objet,  dépendante  des  règles  de  la  dialectique,  dépen- 
dante de  la  raison  infinie  dont  elle  n'est  qu'un  pâle  reflet. 
La  raison  n'est  et  ne  peut  être  que  l'humble  servante  de- 
là vérité  :  plus  la  vérité  la  saisit  et  l'enchaîne,  plus  elle 
est  grande,  libre  et  heureuse.  L'indépendance  de  l'esprit 
mène  à  l'erreur,  et  l'erreur,  c'est  pour  la  raison  le  dés- 
honneur dans  la  servitude.  Or,  la  révélation  a  précisé- 
ment pour  but  d'affranchir  l'esprit  humain  de  l'erreur, 
et  de  le  mettre  en  possession  de  la  vérité.  —  C'est  un  fait 
d'expérience  que  les  esprits  les  plus  clairvoyants  sont 
aussi  les  plus  actifs  ;  plus  notre  horizon  intellectuel  s'élar- 
git et  s'éclaire,  plus  aussi  devient  actif  notre  besoin  de 
courir  à  la  conquête  des  vastes  espaces  qui  s'ouvrent  de- 
vant nous.  Or,  la  révélation  ouvre  sous  le  regard  de  l'âme 
des  horizons  d'une  profondeur  incommensurable,  et  fait 
briller  sur  nos  têtes  la  lumière  même  de  Dieu.  Qui  a 
plus  travaillé  que  ces  grands  esprits  qui  sont,  avec  la 
gloire  du  christianisme,  l'honneur  de  l'humanité  :  les. 
Augustin,  les  Thomas  d'Aquin,  les  Bossuet,  etc.?  Loin 
de  rétrécir  le  cœur,  la  vérité  le  dilate.  Le  chrétien  éclairé 
et  sincère  fait,  sans  efforts,  ces  trois  choses  :  il  aime  pas-* 


38  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


sîonnément  la  vérité;  il  hait  l'erreur  cordialement;  il 
plaint  de  toute  son  âme  le  malheureux  que  l'erreur  en- 
chaîne, et  fait,  sans  trouble  et  sans  violence,  tout  ce  qui 
dépend  de  lui  pour  le  délivrer.  Il  admire  ce  qu'il  com- 
prend dans  la  leçon  que  Dieu  daigne  lui  faire  ;  et,  ce  qu'il 
îie  comprend  pas,  il  l'adore.  Et  ainsi,  il  se  trouve  que  la 
révélation,  que  le  rationalisme  proclame  inutile,  aie  dou- 
Jble  avantage  d'enrichir  notre  intelligence  des  plus  pures 
lumières  et  d'orner  nos  cœurs  des  plus  précieuses  ver- 
tus. »  Gondal,  Mystère  et  révélation,  Paris,  1905, 
p.    137-139. 

3.  Caractères  de  la  révélation  ;  où  se  trouve- 

1-elle  ?  —  «  La  doctrine  qui  renferme  la  révélation, 
c'est-à-dire  la  parole  de  Dieu  à  l'humanité,  se  reconnaît 
d'après  Dieu  lui-même  qui  parle,  l'homme  auquel  il 
parle,  l'action  que  doit  exercer  sa  parole  et  l'étendue  que 
doit  avoir  son  action.  Ce  sont  là,  je  pense,  des  principes 
cpie  personne  de  vous  ne  met  en  contradiction.  Dès  lors, 
a  quoi  la  doctrine  révélée  va-t-elle  se  reconnaître  ?  Elle 
'vient,  disons-nous,  de  Dieu;  elle  s'adresse  à  l'homme; 
elle  a  pour  but  la  perfection  de  l'homme  ;  les  hommes 
sont  une  grande  famille  où  tous  sont  égaux.  La  vérité 
surnaturelle  a  donc  par  caractère,  —  divine,  d'être  iys- 
térieuse  ;  —  s'adressant  à  l'homme,  d'être  rationnelle  ;  — 
devant  produire  le  progrès,  d'être  bienfaisante  ou  sancti- 
ficatrice; —  s'adressant  à  la  raison  qui  est  la  même  en 
tous  les  hommes,  d'être  universelle... 

«  Trouvons-nous  dans  le  monde  une  doctrine  qui 
réunisse  ces  caractères?  En  trouverons-nous  plusieurs  ? 
Voici  la  réponse  :  il  y  en  a  une,  mais  il  n'y  en  a  qu'une. 

«  Nous  écartons  tout  de  suite,  n'est-ce  pas,  les  doctri- 
nes purement  rationalistes:  nous  avons  dit  pourquoi. 
Elles  ne  veulent  pas  du  mystère  ;  elles  se  jugent  elles- 
mêmes.  Nous  écartons  également,  comme  irrationnelles, 
toutes  les  mythoïogies  possibles  :  elles  se  condamnent  par 
le  seul  fait  qu'elles  s'exposent.  Nous  écartons  à  plus  forte 
raison  toutes  les  doctrines  immorales,  parce  qu'elles  sont 
flétries  par  le  premier  regard  honnête.  Nous  écartons 
toutes  les  doctrines    d'école  ou   de    nationalité,   parce 


AVANTAGES  DE  LA  REVELATION  3g 

qu'elles  n'ont  pas  le  dernier  et  suprême  caractère  de  la 
vérité.  Nous  écartons  par  conséquent  les  élucubrations 
qui  ne  procèdent  que  de  l'homme,  si  brillantes  et  si  pro- 
fondes qu'on  les  juge,  toutes  les  mythologies,  si  raffi- 
nées et  délicates  qu'on  les  dise,  même  ce  bouddhisme  qui 
a,  dit-on,  dans  Paris  tant  de  zélés  sectateurs.  Nous  écar- 
tons le  mahornétisme,  encore  qu'il  ait  un  regain,  paraît- 
il,  de  curiosité,  sinon  de  faveur  en  notre  temps,  parce 
que  je  ne  pense  pas  que  vous  lui  reconnaissiez  un  carac- 
tère de  moralisation  supérieure.  Nous  écartons  même 
toutes  les  sectes  chrétiennes,  parce  qu'elles  sont  plus  ou 
moins  des  doctrines  de  nationalités.  On  est  protestant, 
parce  qu'on  est  Anglais  ou  Prussien;  on  est  schismatique, 
parce  qu'on  est  Grec  ou  Russe.  Soit.  Mais  qu'est-ce  que 
la  nationalité  allemande  ou  anglaise,  russe  ou  grecque  en 
regard  de  l'universalité  qui  conduit  à  la  vérité?  Le  ju- 
daïsme n'est  pas  marqué  non  plus  d'un  caractère  uni- 
versel. De  plus,  il  a  été,  de  son  propre  aveu,  une  doc- 
trine de  préparation,  de  prophétie  et  d'image;  il  appelait, 
dans  l'aurore,  le  jour  qu'il  n'est  pas  ;  il  reste  à  jamais  sur 
la  route  et,  par  conséquent,  nous  passons.  Qu'avons-nous 
encore  à  voir  ?  Permettez-moi  de  le  dire  simplement  : 
l'Eglise  catholique.  »  Ollivier,  Conférences  de  Notre" 
Dame,  1897,  IIie  conf. 


*/fa    »>Jk#    «Jsi.    «Jy*»    «^»    »^>    •&»    *^N»    »^S>    «Jyj    »^N»    *$-»    •$■»    *^»    VW-*    *'^*    *^*    *^* 

Preuves  de  la  Révélation 

Leçon  IIe 
Le    Miracle 


I.  Sa  notion.  —  II.  Sa  possibilité.  —  III.  Sa  dis- 
cernibilitê.  —  IV.  Sa  valeur  démonstrative.  — 
V.  Doctrine  catholique  sur  le  miracle. 

Une  des  questions  les  plus  vivement  débat- 
tues depuis  la  fin  du  xvne  siècle,  c'est  assu- 
rément celle  du  miracle.  De  Spinoza  à 
Renan,  en  passant  par  Hume,  Voltaire  et  Rousseau, 
philosophes  rationalistes  et  savants  incrédules,  éru- 
dits  et  critiques  imbus  de  préjugés,  tous  ont  déclaré 
une  guerre  sans  merci  au  miracle.  La  raison  en  est 
dans  leur  haine  du  surnaturel  (i).  L'existence  du 

i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Saint  Augustin,  De  utllilate  credendi, 
xxxn-xxxiv  ;  De  civitate  Dei,  XXI,  v-ix  ;  De  Genesi  ad  lilte- 
ram,  xm  ;  saint  Thomas,  Quaest.  disp.,  de  Potentia,  Q.  vi,  de 
miraculis;  Cont.  Gentes,  III,  xcviii-cm  ;  Sum.  iheol.,  I,  Q.  cv, 
a.  1-8  ;  ex,  a.  k  ;  exiv,  a.  4  ;  Ia  II®,  Q.  cxm,  a.  10  ;  II*  II®, 
Q.  glxxviii,  a.  1-2  ;  Benoît  XIV.  De  servorum  beatificatione  et 
Beatorum  canonisatione,  L.  iv,  p.  i  ;  voir  l'abrégé  de  cet  ou- 
vrage, fait  par  Beaudeau  avec  l'approbation  de  Benoît  XIV, 
dans  le  Theologiœ  cursus  completus,  de Migne,  t.  vm;  Le  Grand, 
De  miraculis,  dans  le  Scripturœ  sacrœ  cursus  completus,  de 
Migne,  t.  xxm  ;  DeFrayssinous.Z)é/ense  du  Christianisme,  Con- 
férence sur  les  miracles  en  général  ;  Félix,  Conférences  de 
Notre-Dame,  Paris,  i864,  Conf.  ive  :  Le  miracle  et  la  critique 
nouvelle  ;  Cardinal  Pie,  Instructions  synodales,  troisième  ins- 
truction ;  Newman,  Two  essays  on  Scriplure   miracles»  Lon- 


LE    MIRACLE  4l 


surnaturel  nous  est  connue  par  la  révélation  ;  la 
révélation,  à  son  tour,  nous  est  prouvée  notam- 
ment par  le  miracle.  Ruiner,  donc  celte  preuve, 
c'était  ruiner  du  même  coup  le  christianisme  ;  ils 
s'en  flattaient  du  moins  ;  aussi  est-ce  contre  cette 
preuve  qu'ils  ont  dirigé  leurs  attaques.  Systémati- 
quement, ils  ont  faussé  la  notion  du  miracle,  moyen 
facile  pour  en  contester  la  possibilité  ;  ils  ont  aussi 
nié  sa  discernibilité  et  sa  force  probante. 

Les  apologistes  ont  riposté.  Mais,  voulant  faire 
front  sur  tous  les  points  de  l'attaque,  ils  ont  trop 
souvent  dispersé  leurs  efforts  au  lieu  de  les  concen- 
trer sur  le  point  décisif.  Or,  ce  point  décisif  c'était 
la  notion  du  miracle  qui,  même  chez  les  meilleurs, 
a  parfois  laissé  à  désirer.  De  là,  à  côté  de  répliques 
de  vraie  valeur  et  souvent  péremptoires,  quelques 
réponses  trop  indécises  prêtant  le  flanc  à  la  critique 
et  laissant  une  porte  ouverte  aux  sophismes  et  aux 
objections. 

Aussi,  pendant  que  la  philosophie  et  la  science, 
pour  des  raisons  estimées  excellentes,  croyaient  avoir 
banni  définitivement  le  miracle  de  la  nature  et  de 
l'histoire,  l'apologétique,  en  dépit  de  tout,  mainte- 
nait ses  positions.  Et  le  conflit  était  poussé  à  un 

dres,  1870  ;  Monsabré,  Conférences  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
Paris,  1866,  t.  11,  Conf.  xxi-xxx  ;  Brugère,  De  vera  religione, 
Paris,  1873  ;  Vacant,  La  constitution  Dei  Filias,  Paris,  1895,  t.  11, 
p.  4  0-66  ;  Muller,  Natur  und  Wunder,  Fribourg-en-Brisgau,  1892  ; 
Das  Wunder  und  Geschischtswissenchaft,  1898;  Ribet,  La  mys- 
tique divine,  Paris,  1879-1889  ;  Lescœur,  La  science  et  les  faits 
surnaturels  ;  Didiot,  Logique  surnaturelle  objective,  Paris,  1892, 
théorèmes  xxvi-xxvii,  xxxiv-xl  ;  Gondal,  Miracle,  Paris,  1905, 
dans  la  Collection  Croyance  et  Science  ;  Sortais,  La  Providence 
et  le  miracle  devant  la  science  moderne,  Paris,  1905;  Voiries 
réfutations  déjà  parues  de  la  théorie  de  M.  Le  Roy  sur  le  mira- 
cle, dans  la  Revue  du  Clergé  par  M.  Maisonneuse,  i5  juin  1907 
et  nos  suivants  ;  dans  la  Revue  Ausgustinienne,  par  M.  Anciaux, 
i5juin  1907. 


[\  1  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

point  aigu.  A  la  fin  du  dernier  siècle,  quelques 
esprits  se  sont  rencontrés,  parmi  les  protestants 
libéraux  et  quelques  catholiques,  pour  le  faire  ces- 
ser. Ils  ont  cherché  un  terrain  d'entente  et  de  con- 
ciliation entre  la  science  et  la  religion.  Le  but  est 
assurément  très  louable,  mais  le  moyen  imaginé 
pour  l'atteindre  n'a  qu'un  tort,  et  il  est  grave,  celui 
de  sacrifier  la  notion  traditionnelle.  Grâce  à  une 
conception  nouvelle  du  dogme  et  de  son  évolution, 
ils  estiment  qu'en  présence  des  progrès  de  la  science 
et  des  besoins  de  la  pensée  contemporaine,  il  im- 
porte, dans  le  dogme,  de  dégager  ce  qui  en  constitue 
le  fond  religieux  et  éternel  de  ce  qu'ils  appellent  sa 
formule  contingente  et  provisoire. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que  M.  Ménégoz,  esti- 
mant d'une  part  que  la  notion  biblique  et  la  défini- 
tion scolastique  du  miracle  heurtent  de  front  les 
découvertes  scientifiques,  mais  tenant  d'autre  part, 
po'ir  satisfaire  le  sentiment  religieux,  à  conserver 
le  miracle,  l'a  expliqué  d'une  étrange  manière  (i). 

i.  M.  Ménégoz  répudie  d'abord  la  notion  traditionnelle. 
«  La  vérité,  dit-il,  c'est  qu'il  n'y  a  plus  un  seul  théologien 
protestant  qui  partage,  avec  une  pleine  conviction,  les  vues  de 
Moïse,  des  prophètes,  de  Jésus,  des  Apôtres,  des  théologiens  du 
moyen  âge  et  même  des  Réformateurs  sur  le  miracle.  »  11  en 
donne  la  raison  :  «  Tous,  à  quelque  tendance  théologique  que 
nous  appartenions,  nous  croyons  fermement  aux  lois  de  la 
nature  ;  et  si  nous  admettons,  en  théorie,  la  possibilité  de 
modifications  aux  phénomènes  apparemment  constants  et 
réguliers,  nous  ne  le  faisons  qu'en  rapportant  ces  modifications 
éventuelles  à  des  lois  qui  nous  sont  encore  cachées,  et  non  à 
une  suspension  momentanée  de  l'action  des  lois  dûment  cons- 
tatées par  les  sciences  naturelles.  Nous  ne  croyons  plus  au 
miracle  considéré  comme  une  dérogation  aux  lois  de  la  nature  : 
voilà  ce  que  la  sincérité  nous  oblige  à  reconnaître.  »  Et  il 
ajoute  :  «  Nous  n'en  croyons  pas  moins  au  miracle,  tout  aussi 
fermement  que  les  auteurs  sacrés,  mais  nous  l'expliquons 
autrement...  Pour  les  anciens,  il  est  un  acte  divin  libre,  cou- 


LE    MIRACLE  l\ 3 


A  ses  yeux,  l'orthodoxie  avait  tort  de  méconnaître 
les  droits  de  la  science,  et  le  libéralisme  avait  tort 
de  méconnaître  les  droits  de  la  foi.  Quant  à  lui,  il  a 
découvert  une  «  boussole  directrice,  »  qui  lui  per- 
met tout  à  la  fois  et  de  proclamer  l'autonomie  de  la 
science  et  son  absolue  indépendance  vis-à-vis  de  la 
Bible,  et  de  revendiquer  pour  la  foi  une  indépen- 
dance tout  aussi  absolue  en  face  de  la  science  (i).  Il 
croit  donc  avoir  ainsi  soustrait  le  miracle  tant  à  la 
négation  rationaliste  qu'à  l'erreur  scientifique  de 
l'ancienne  orthodoxie,  en  maintenant  à  la  fois  l'é- 
lément de  vérité  du  rationalisme,  qui  affirme  la 
fi  vite  des  lois  naturelles,  et  l'élément  de  vérité  de 
l'orthodoxie,  qui  affirme  l'intervention  libre  de 
Dieu  dans  l'histoire.  Comment  cela  ?  En  réduisant  le 
miracle  à  n'être  que  «  l'exaucement  de  la  prière  (2),  » 
c'est-à-dire  à  ne  plus  être  du  tout  le  miracle.  Le 
mot  reste,  mais  il  est  préalablement  vidé  de  son 
sens  connu.  Son  emploi,  dès  lors,  ne  peut  que 
prêter  à  l'équivoque  ;  car  ce  n'est  plus  de  miracle 
qu'il  s'agit. 

Tout  comme  M.  Ménégoz,  M.  Sabatier  a  signifié 
un  congé  dédaigneux  à  l'ancienne  notion  du  mira- 

traire  aux  lois  de  la  nature  ;  pour  nous,  il  est  un  acte  divin 
libre,  conforme  aux  lois  de  la  nature.  »  Le  fidéisme,  Paris,  1900, 
p.  146,  i48,  i54« 

1.  Cette  «  boussole  directrice  reconnaît  aussi  bien  à  la 
science  qu'à  la  foi  leur  caractère  propre,  et  elle  leur  assigne,  à 
toutes  les  deux,  leur  vraie  place.  Elle  proclame  l'autonomie  de 
la  science  et  son  indépendance  absolue  vis-à-vis  de  la  Bible  ;  et 
elle  revendique  pour  la  foi  une  indépendance  tout  aussi  abso- 
lue en  face  de  la  science.  Elle  croit  aux  lois  immuables  de  la 
nature  et  repousse  toute  doctrine  enseignant,  au  nom  de  la 
religion,  la  violation  de  ces  lois  ;  et  elle  croit  à  la  paternité  de 
Dieu  et  repousse  toute  doctrine  niant,  au  nom  de  la  science,  la 
providence  divine  et  l'exaucement  de  la  prière.  »  Le  JidHsme, 
p.  1 07.  —  2.  Le  fideisme,  p.  iÔ2. 


44  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

clc  (i),  et  tout  comme  lui  il  ne  veut  voir  dans  le 
miracle  qu'une  affaire  de  piété,  qu'une  signification 
religieuse  et  morale:  «  l'exaucement  de  la  prière.  » 
Par  là,  dit-il,  «  se  trouvent  sauvegardées  les  trois 
choses  que  devait  garantir  la  vieille  notion  du  mira- 
cle :  la  réelle  et  active  présence  de  Dieu,  l'exauce- 
ment de  la  prière  et  la  liberté  de  l'espérance  (2).  » 
C'est  encore  le  mot  moins  la  chose,  et  toujours 
l'équivoque. 

Semblable  courant  d'idées  dans  M.  Harnack.  Le 
professeur  de  Berlin  condamne  résolument  le  mi  racle, 
au  nom  de  la  science  ;  mais  il  l'accepte,  au  point  de 
vue  religieux.  Les  lois  de  la  nature  sont  inviolables  ; 
toutes  ne  sont  pas  encore  connues,  et  il  est  à  croire 
que  l'une  d'elles  explique  naturellement  ce  que  la 
crédulité  prend  pour  une  intervention  directe  de 
Dieu.  Qu'est  donc  le  miracle  pour  M.  Harnack?  Il 
ne  l'a  pas  défini  comme  les  deux  professeurs  fran- 
çais ;  mais,  à  vrai  dire,  il  n'y  voit  qu'un  phénomène 

1.  «  Le  miracle  n'a  plus  aucune  base  dans  la  philosophie 
moderne.  »  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  religion,  Paris, 
1897.  «  La  science  moderne  n'affirme  point  le  miracle  ;  elle  ne 
le  nie  point  ;  elle  l'ignore  nécessairement.  Il  est,  pour  elle, 
comme  s'il  n'était  pas.  »  Ibid.,  p.  83.  La  science  procède  avec 
rigueur  ;  en  face  d'un  phénomène,  elle  cherche  la  cause;  si  elle 
n'en  trouve  pas,  elle  le  constate,  mais  elle  est  assurée  qu'il  y  en 
a  une  qui  est  naturelle,  et  qu'un  jour  on  la  trouvera.  Quant 
aux  miracles  anciens,  elle  attend  que  «  la  critique  et  l'exégèse 
aient  fixé  la  valeur  des  textes,  mesuré  le  poids  exact  des  témoi- 
gnages, sans  se  mettre  en  souci  de  quelques  faits  particuliers 
qui  resteront,  dans  la  meilleure  hypothèse,  isolés  et  stériles  au 
point  de  vue  scientifique.  »  Ibid.,  p.  85.  La  science  ne  s'occupe 
que  des  causes  secondes,  et  non  de  la  cause  première  ;  «  elle  a 
mis  hors  de  son  domaine  toutes  les  questions  d'origine  et  de 
lin,  parce  qu'elle  n'a  aucun  moyen  de  les  atteindre.  »  Ibid., 
p.  86.  Mais  M.  Sabatier  continue  quand  même  à  parler  du 
miracle,  dans  le  sens  particulier  qu'il  lui  donne,  et  conformé- 
ment à  sa  manière  de  concevoir  la  religion.  —  2.  Esquisse, 
p.  90. 


LE    MIRACLE  /[5 


naturel  (i)  ;  autrement  dit,  il  n'y  a  pas  de  miracle, 
ou,  si  l'on  conserve  le  mot,  on  doit  l'entendre  d'une 
manière  nouvelle. 

De  son  côté,  M.  le  Roy,  au  nom  de  «  la  philoso- 
phie nouvelle,  »  vient  d'exposer,  dans  les  Annales 
de  philosophie  (2),  une  théorie  de  miracle  qu'il 
estime  plus  en  harmonie  avec  les  exigences  de  la 
pensée  moderne,  qu'il  prétend  plus  conforme  à  la 
tradition,  mais  qui,  en  réalité,  ne  va  à  rien  moins  qu'à 
ruiner  la  notion  traditionnelle  et  qui  se  trouve  ainsi 
en  désaccord  formel  avec  la  pensée  de  l'Eglise  (3). 

1.  La  science  historique,  dit  M.  Harnack,a  appris  à  apprécier 
les  récits  miraculeux,  à  les  utiliser  comme  des  sources  histori- 
ques, et  voici  sa  position  actuelle  à  l'égard  du  miracle  :  Les 
Evangiles  sont  nés  dans  un  temps  où  le  miracle  était  partout, 
où  on  le  voyait  partout,  sans  une  notion  exacte,  sans  connais- 
sance des  lois  de  la  nature,  sans  le  rattacher,  comme  aujour- 
d'hui, à  une  question  religieuse,  sans  en  pénétrer  la  significa- 
tion exacte.  Tout  ce  qui  arrive  dans  le  temps  est  soumis  aux 
lois  générales  du  mouvement:  par  suite,  en  tant  que  rupture 
de  Tharmonie  des  lois  de  la  nature,  il  ne  peut  y  avoir  de  mira- 
cles. Mais  la  créature  vraiment  religieuse  n'est  pas  emprisonnée 
dans  le  cours  aveugle  et  brutal  de  la  nature  et  estime  par  une 
force  intérieure  et  divine  pouvoir  le  faire  servir  au  bien  ;  elle 
peut  se  soustraire  à  l'assujettissement,  à  la  contingence  de 
l'être.  Dès  lors,  on  peut  comprendre  le  divin  comme  une  force 
puissante  qui  intervient  dans  la  cohésion  des  lois  de  la  nature, 
la  rompt  ou  l'annule.  —  L'harmonie  des  lois  de  la  nature  est 
inviolable.  Mais  on  ne  connaît  pas  à  beaucoup  près  les  forces 
qui  par  là  sont  mises  en  mouvement  et  en  action  réciproque, 
ni  complètement  les  forces  matérielles  et  leur  champ  d'action, 
ni  surtout  les  forces  psychiques,  —  Certainement  il  n'y  a  pas 
de  miracles,  mais  simplement  des  phénomènes  merveilleux  et 
inexplicables  :  ce  n'est  pas  une  raison  de  repousser  comme  une 
illusion  les  récits  merveilleux  de  l'Evangile.  L'Essence  du  Chris- 
tianisme, trad.  franc.,  Paris,  1902,  p.  3o.  —  2.  Annales  de 
philosophie  chrétienne,  octobre,  novembre  et  décembre  rQo6. 
—  3.  Dans  l'impossibilité  d'exposer  ici  comme  il  conviendrait 
la  théorie  de  M.  le  Roy  (pour  plus  de  détails,  voir  les  réfu- 
tations qui  ont  paru  dans  la  Revue  du  clergé,  la  Revue  au-gus- 
tinienne,  la  Revue  thomiste,  etc.),   disons  seulement  qu'il  criti- 


46  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Ce  court  aperçu  suffit  pour  montrer  toute  rim- 
portance  de  la  question  et  la  nécessité  de  bien  définir 
le  miracle.  Qu'est-ce  donc  que  le  miracle? 

I.   Notion  du  miracle 

i.  D'après  l'Ecriture.  —  i.  La  Bible,  qui  offre 
le  récit  d'un  grand  nombre  de  miracles,  ne  donne 
pas  la  définition  de  ce  phénomène  ;  mais  elle  ren- 
ferme assez  de  traits  pour  permettre  d'en  distinguer 
les  éléments  constitutifs  et  les  caractères  essentiels 
et  pour  s'en  faire  une  idée  exacte.  Le  miracle  y 
apparaît  comme  un  événement  extraordinaire,  sur- 

que  et  démolit  les  données  traditionnelles  sur  la  définition,  la 
possibilité  et  la  constatation  du  miracle.  Pour  lui,  il  n'y  a  de 
miracle  que  par  et  pour  la   foi.  11  s'attache  donc  à  mettre  en 
relief  sa  signification  religieuse.  C'est  son  droit.  Mais  quel  dé- 
tour compliqué  pour  y  arriver  !  Et  au  nom  de    quel  système 
de  philosophie  !  Un  système  où  on  nie   «  tout   réalisme  onto- 
logique, »  où  on  pose  en  postulat   qu'il  n'y   a    pas  de  matière 
réelle.  «  La  matière  n'a  qu'une  existence  relative  à  l'esprit,  » 
p.  238.  Dès  lors  il  n'y  a  plus  qu'un  fait  :  la  pensée.  La  matière 
ne  se  différencie  pas  de  l'esprit.  «  Elle  n'existe  qu'en  lui,   par 
lui,   relativement  à  lui,  »    p.    2^0.   Passons   sur   «  la   matière 
interspirituellc  »  et   le  «   subliminal,»  termes   vraiment  nou- 
veaux et  à  signification  quintessenciée,  qui  servent  de  véhicule 
à  un  subjectivisme  subtil,   proche  parent  de  l'immanence  ou 
du  kantisme.  Et  ne  retenons  que  cette  double  définition  du  mi* 
racle,  à  laquelle  aboutit  M.  le  Roy,  et  dont  on   ne  pourra  pas 
dire  qu'elle  manque  d'une  clarté  aveuglante  ;  celle-ci  d'abord  : 
«  Un  miracle,  c'est  l'acte  d'un  esprit  individuel  fou  d'un  groupe 
d'esprits  individuels)  agissant  comme  esprit  à  un  degré  plus  haut 
que  d'habitude,  retrouvant  en  fait,  et  comme  dans   un  éclair ;  sa 
puissance  de  droit  ;  »  et  cette   autre  :  «  Un  miracle,  c'est  l'acte 
d'un  esprit  qui  se   retrouve  plus  complètement  que  d'habitude, 
qui  reconquiert  momentanément    une  part  de  ses  richesses  et  de 
ses  ressources  profondes,  »  p.  2^7.  Avec  une  telle  définition,  le 
miracle  n'est  plus  une  œuvre  de  Dieu  ;  c'est  un  acte  de  l'es- 
prit, un  fait  purement  naturel,  rien  de  plus,  complètement 
étranger  à  l'enseignement  de  l'Eglise  et  à  la  tradition. 


NOTION    DU    MIRACLE  k"J 

venant  dans  le  monde  de  la  nature,  excitant  la  sur- 
prise et  Fétonnement,  tel  qu'il  est  exclusivement 
attribué  à  Dieu  comme  à  son  auteur  propre  et  donné 
à  titre  de  signe  ou  de  preuve.  Dieu,  en  effet,  maître 
absolu  du  monde  qu'il  a  créé  et  organisé,  qu'il  gou- 
verne par  sa  providence,  intervient  parfois  dans  un 
but  déterminé,  celui  de  faire  connaître  aux  hommes 
que  c'est  bien  lui  qui  leur  communique  sa  pensée 
et  ses  ordres,  ou  encore  d'accréditer  auprès  d'eux 
d'une  manière  indubitable  ses  mandataires. 

2.  Ce  but  est  particulièrement  mis  en  relief  dans 
les  deux  Testaments.  Dathan  et  Abiron  se  sont  ren- 
dus coupables  d'immixtion  sacrilège  dans  les  céré- 
monies du  culte.  Moïse  s'autorise  d'avance  de  la 
punition  exemplaire  dont  ils  vont  être  l'objet  pour 
prouver  sa  mission  divine  (i).  C'est  pareillement 
aux  miracles  que  Jésus  en  appelle.  Quand  les  disci- 
ples de  Jean  viennent  lui  demander  :  «  Etes-vous 
celui  qui  doit  venir  ou  devons-nous  en  attendre  un 
autre?  »  Il  leur  répond  :  «  Allez,  rapportez  à  Jean 
ce  que  vous  entendez  et  vous  voyez  :  les  aveugles 
voient,  les  boiteux  marchent,  les  lépreux  sont  gué- 
ris, les  sourds  entendent,  les  morts  ressuscitent,  les 

i.  «  Vous  connaîtrez  à  ceci  que  Jéhovah  m'a  envoyé  pour 
faire  ces  choses,  et  que  je  n'agis  pas  de  moi-même  :  Si  ces  gens 
meurent  comme  meurent  tous  les  hommes,  ce  n'est  pas  Jého- 
vah qui  m'a  envoyé  ;  mais  si  Jéhovah  fait  une  chose  inouïe,  si 
la  terre  ouyre  sa  bouche  et  les  engloutit,  eux  et  tout  ce  qui 
leur  appartient,  et  qu'ils  descendent  vivants  dans  le  séjour  des 
morts,  vous  reconnaîtrez  que  ces  gens  ont  méprisé  Jéhovah.  » 
Comme  il  achevait  de  prononcer  ces  paroles,  le  sol  qui  était 
sous  eux  se  fendit,  la  terre  ouvrit  sa  bouche  et  les  engloutit, 
eux  et  leurs  familles,  avec  tous  les  gens  de  Coré  et  tous  leurs 
tiens.  »  Num.,  xvi,  28-33.  Même  preuve  donnée  par  les  autres 
thaumaturges  de  l'Ancien  Testament.  Cf.  pour  Josné,  Jos.t 
m,  5;  pour  Elie,  111  Iteg.,  xiii,  2  sq  ;  xvn,  1  sq  ;  xvm,  19  sq  ; 
pour  Elisée,  IV  Reg.,  1,  10;  11,  i4;  iv,  20  ;  v,  i4  '»  pour  Daniel, 
Dan.,  vi,  2G-27. 


48  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

^— ^— — — —  — — —  — — ^i— — i — ^^»^ 

pauvres  sont  évangélisés  (i).  »  Or,  d'après  Isaïe  (2), 
c'étaient  justement  là  quelques-uns  des  signes  de  la 
venue  du  Messie.  S'adressant  à  la  foule,  Jésus  dit  : 
«  Jean  était  la  lampe  qui  brûle  et  luit,  mais  vous 
n'avez  voulu  que  vous  réjouir  un  moment  à  sa 
lumière.  Pour  moi,  j'ai  un  témoignage  plus  grand 
que  celui  de  Jean  ;  car  les  œuvres  que  mon  Père 
m'a  donné  d'accomplir,  ces  œuvres  mêmes  que  je 
fais,  rendent  témoignage  de  moi,  que  c'est  le  Père 
qui  m'a  envoyé  (3).  »  Vers  la  fin  de  sa  vie  apostoli- 
que, il  adressa  ces  mots  aux  juifs  incrédules:  «  Vous 
blasphémez,  parce  que  j'ai  dit  :  «  Je  suis  le  Fils  de 
Dieu.  »  Si  je  ne  fais  pas  les  œuvres  de  mon  Père,  ne 
me  croyez  pas.  Mais  si  je  les  fais,  lors  même  que 
vous  ne  voudriez  pas  me  croire,  croyez  à  mes  œu- 
vres :  afin  que  vous  sachiez  et  reconnaissiez  que  le 
Père  est  en  moi,  et  que  je  suis  dans  le  Père  (4).  » 

3.  C'est  comme  garantie  authentique  de  la  foi  des 
futurs  chrétiens  que  Jésus  allègue  encore  le  miracle. 
«  Voilà,  dit-il,  les  miracles  qui  accompagneront  ceux 
qui  auront  cru  en  mon  nom,  ils  chasseront  les  dé- 
mons, ils  parleront  de  nouvelles  langues,  ils  pren- 
dront les  serpents,  et  s'ils  boivent  quelque  breuvage 
mortel,  il  ne  leur  fera  point  de  mal  ;  ils  imposeront  les 
mains  aux  malades,  et  les  malades  seront  guéris  (5).  » 

4.  Comme  leur  Maître,  c'est  par  les  miracles  que 
les  Apôtres  confirment  leur  prédication.  «  Pour 
eux,  étant  partis,  ils  prêchèrent  en  tous  lieux,  le 
Seigneur  travaillant  avec  eux,  et  confirmant  leur 
parole  par  les  miracles  qui  l'accompagnaient  (6).  » 

1.  Matth.,  xi,  2-5.  —  2.  Is.,  xxxv,  5  ;  lxi,  i-5.  —  3.  Joan.t  v, 
35-36.  —  4-  Joan.,  x,  36,  38;  cf.  Joan.,  xiv,  11-12.  Le  décret 
«  Lamentabili  sane  exitu  »,  du  4  juillet  1907,  a  condamné  cette 
proposition,  la  xxviir*  :  «  Pendant  qu'il  exerçait  son  ministère, 
Jésus  n'avait  pas  en  vue  dans  ses  discours  d'enseigner  qu'il 
était  lui-même  le  Messie,  et  ses  miracles  ne  tendaient  pas  à  le 
démontrer.  —  5.  Marc,  xvi,  17-18.  —  6.  Marc,  xvi,  20. 


NOTION   DU   MIRACLE  49 

Saint  Paul  écrit  aux  Romains  :  «  Je  n'oserais  point 
parler  des  choses  que  le  Christ  n'aurait  pas  faites 
par  mon  ministère  pour  amener  les  païens  à  obéir 
à  l'Evangile,  par  la  parole  et  par  l'action,  par  la 
vertu  des  miracles  et  des  prodiges,  par  la  puissance 
de  l'Esprit  (i).  » 

5.  Ainsi  donc,  rien  de  précis,  dans  l'Ecriture, 
comme  ce  trait  distinctif,  cette  note  caractéristique 
du  miracle  :  le  miracle  est  un  signe,  une  preuve. 
D'autre  part,  rien  d'avéré  également  comme  son 
origine  divine.  Si  Moïse  et  les  prophètes,  si  les  Apô- 
tres et  les  chrétiens  font  des  miracles,  ce  n'est  ni 
par  leur  propre  force,  ni  en  vertu  des  forces  de  la 
nature,  mais  par  la  toute-puissance  de  Dieu  ;  ce 
n'est  point  en  leur  nom,  c'est  au  nom  de  Dieu  ;  eux 
et  les  créatures  ne  sont  que  de  simples  instruments 
dont  Dieu  se  sert  pour  prouver  s*a  révélation,  pour 
accréditer  ses  représentants. 

2.  D'après  les  Pères.  —  i.  Dès  son  apparition, 
le  christianisme  se  propage  par  la  prédication  ;  et 
cette  prédication  est  accompagnée  de  nombreux  mi- 
racles. De  tels  faits  confirment  l'action  des  Apôtres 
et  de  leurs  successeurs.  Chose  étonnante  pourtant, 
pendant  les  deux  premiers  siècles,  ce  n'est  pas  aux 
miracles  que  les  Pères  apostoliques  ou  apologistes 
recourent  pour  prouver  la  divinité  de  la  religion 
chrétienne,  c'est  aux  prophéties  ;  non  certes  qu'ils 
doutassent  de  la  force  probante  des  miracles,  mais 
parce  que  les  esprits  étaient  trop  enclins  à  voir  par- 
tout des  œuvres  magiques.  En  pareil  cas,  semble-t- 
il,  c'est  la  notion  même  du  miracle  et  surtout  son 
origine  exclusivement  divine  qu'ils  auraient  dû  faire 
valoir  ;  ils  ne  le  firent  pas  (2).  D'autres  le  firent  plus 
tard,  à  partir  du  m6  siècle. 

1.  Rom.,  xv,  18-19.   —   2«  «  Juifs  et  Daïens  croyaient  aux 

LE    CATÉCHISMB.    —   T.    III.  4 


50  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

2.  Origène  ouvre  la  marche.  Celse  prétendait  que 
Notre  Seigneur  s'était  fait  initier  à  la  magie  pen- 
dant son  séjour  en  Egypte.  Origène  réplique  :  «  Les 
magiciens  ne  corrigent  jamais  les  mœurs  des  hom- 
mes. Ils  ne  le  peuvent  pas,  ils  ne  s'en  préoccupent 
môme  pas,  parce  qu'ils  sont  remplis  de  crimes... 
Mais  Jésus  a,  par  ses  miracles,  porté  les  hommes  à 
la  vertu  (i).  »  Au  commencement  du  ive  siècle, 
Arnobe  écrit  :  «  A-t-on  jamais  rencontré  un  magi- 
cien qui  ait  fait  la  millième  partie  des  œuvres  ac- 
complies par  le  Christ,  qui  ait  fait  des  guérisons 
sans  le  secours  des  formules,  des  herbes  ou  des 
astres?...  Peut-on  prendre  pour  un  mortel  comme 
nous  celui  qui,  d'un  mot,  mettait  en  fuite  les  mala- 
dies, les  fièvres  et  les  autres  infirmités  corporel- 
les (2)  !»  A  la  même  époque,  Eusèbe  de  Césarée 
consacre  deux  dissertations  à  établir  la  réalité  des 
faits  évangéliqueset  leur  caractère  divin  (3).  Ainsi  se 
dresse  peu  à  peu  la  série  des  traits  qui  servent  à  distin- 
guer le  miracle,  œuvre  de  Dieu,  des  prestiges,  œu- 
vres des  créatures  ;  cette  série  continuera,  se  déve- 
loppera et  formera  un  système  précis  et  complet 
pour  discerner  infailliblement  l'origine  divine  du 
miracle. 

3.  Origène  avait  encore  ouvert  la  voie  dans  un 

puissances  occultes  et  à  l'existence  de  recettes  spéciales  pour 
mettre  ces  puissances  en  action.  La  difficulté  n'était  donc  pas 

:  de  leur  faire  accepter  des  prodiges,  mais  de  leur  en  faire 
démêler  l'origine.  Il  fallait  leur  apprendre  à  discerner  le  mer- 

;  veilleux  divin  du  merveilleux  magique.  Et  plutôt  que  de  se 
résoudre  à  aborder  cette  tâche  délicate,  les  premiers  apolo- 
gistes préférèrent  se  priver  d'une  preuve  dont  la  valeur  pour- 
tant ne  faisait  pas  de  doute  à  leurs  yeux.  »  Turmel,  Histoire 
de  la  Théologie  positive,  Paris,  1904,  p.  10. 

1.  Cont.  Cels.,  I,  68;  Pair,  gr.,  t.  xi,  col.  788.  —  2.  Adv. 
Nat.,  I,  xlii-xlv  ;  Patr.  lat.,  t.  v,  col.  772-775.  —  3.  Demonst. 
evang.,  III,  5-6  ;  Patr.  gr.,  t.  xxn,  col.  197-244' 


NOTION    DU    MIRACLE  5  C 


autre  sens  :  il  s'agit  de  l'utilisation  du  miracle 
comme  d'une  preuve  décisive  en  faveur  du  chris- 
tianisme (i).  C'est  la  preuve  dont  se  servira  plus 
tard  Cyrille  d'Alexandrie  pour  réfuter  les  objections 
de  Julien  l'Apostat  (2).  Saint  Augustin  la  signale  avec 
raison  (3).  Il  se  moque  de  ceux  qui  croient  opposer 
les  prodiges  d'un  Apulée  ou  d'un  Apollonius  aux. 
miracles  de  l'Evangile  (4).  Et  il  se  préoccupe  sur- 
tout de  dissiper  un  préjugé  relatif  à  la  notion  dia 
miracle.  On  le  regardait  comme  un  fait  contre 
nature  ;  l'évêque  d'Hippone  s'inscrit  en  faux  contre 
une  conception  aussi  erronée  ;  car  Dieu  ne  saurait 
rien  faire  contre  nature,  parce  qu'il  ne  peut  rien  faire 
contre  lui-même  (5).  Quel  dommage  pourtant  que 
saint  Augustin  ne  nous  ait  pas  laissé  une  définitions 


1.  «  Nous  avons  une  démonstration  de  l'Evangile  plus  di- 
vine que  la  méthode  dialectique  des  Grecs,  une  démonstra- 
tion d'esprit  et  de  puissance  :  la  démonstration  par  l'esprit» 
c'est  la  preuve  tirée  des  prophéties  et  de  leur  accomplisse- 
ment ;  la  démonstration  de  puissance,  c'est  la  preuve  tirée  des 
miracles.  »  Conl.  Cels.,  I,  2.  —  2.  Cont.  Julian.,  vi,  vu  ;  Patr~ 
gr.i  t.  lxxvi,  col.  793,  877.  —  3.  De  util,  credendi,  xxxu- 
xxxiv  ;  Pair,  lai.,  t.  xlii,  col.  88-90.  —  4«  Epist  .  cxxxvm, 
18;  Pair,  lat.,  t.  xxxm,  col.  533.  —  5.  «  Le  miracle  n'est 
nullement  contre  la  nature,  mais  contre  l'usage  connu  de 
tous.  Ainsi,  quand  nous  disons  que  Dieu  fait  quelque 
chose  contre  la  nature,  nous  entendons  quelque  chose 
contre  ce  que  nous  connaissons  de  la  nature  ;  car  nous 
appelons  nature  le  cours  habituel  et  connu  de  la  naturel- 
Dieu  ne  fait  rien  contre  la  nature  pas  plus  que  contre  lui- 
même.  »  Cont.  Faust. ,  xxr,  3.  «  Nous  disons  tout  prodige  con- 
tre nature  ;  mais  cela  n'est  pas  ;  car,  comment  serait  contre 
nature  ce  qui  arrive  par  la  volonté  de  Dieu?...  Le  prodige  n'est 
donc  pas  contre  nature,  mais  contre  la  nature  telle  qu'elle 
nous  est  connue.  »  De  civ.  Dei,  XXI,  8.  Parlant  de  la  transfor- 
mation de  la  verge  d'Aaron,  il  dit  :  «  Nec  ista,  cum  fiunt, 
contra  naturam  fiunt,  nisi  nobis  quibus  aliter  naturse  cursu$ 
innoluil;  non  autem  Deo,  cum  hoc  est  natura,  quod  fecerit.  » 
De  Gen.  ad  litt.,  VI,  xm,  24. 


52  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

.         , — —      i  i  ii 

claire  du  miracle  1  Elle  aurait  évité  des  tâtonnements 
et  des  équivoques  sans  nombre. 

3.  D'après  les  Scolastiques.  —  i.  Sur  la  ques- 
tion du  miracle,  bien  des  précisions  étaient  à  faire 
et  beaucoup  de  points  à  élucider.  La  langue  théolo- 
gique laissait  beaucoup  à  désirer.  Sans  systématiser 
complètement  un  sujet  aussi  délicat,  sans  donner 
sur  ce  point  comme  sur  tant  d'autres  une  théorie 
définitive,  les  scolastiques  ont  eu  du  moins  le  mérite 
de  faire  ressortir,  dans  la  notion  du  miracle,  son 
caractère  préternaturel,  et  de  faire  valoir  sa  force 
démonstrative.  Pierre  Lombard  le  définit  une  inter- 
vention de  Dieu,  non  contre  la  nature,  mais  en 
dehors  de  Tordre  naturel  (i).  Et  telle  est  la  notion  à 
laquelle  se  rallie  saint  Thomas,  à  l'époque  de  sa 
maturité  (2). 

2.  L'Ange  de  l'école,  en  effet,  a  soumis  la  notion 
du  miracle  à  une  pénétrante  analyse  ;  il  en  a  mon- 
tré les  éléments  constitutifs  et  essentiels,  à  savoir 
son  caractère  préternaturel,  son  origine  exclusive- 
ment divine,  sa  force  probante.  Miracle  signifie 
quelque    chose    qui    étonne.    Or,  deux   conditions 

1.  «  Il  est  fâcheux  que  la  théorie  du  miracle  n'ait  pas  été* 
approfondie  par  quelqu'un  de  ces  incomparables  docteurs 
scolastiques  si  constamment  fidèles  à  renseignement  de  l'E- 
glise, si  largement  pourvus  de  bon  sens  et  de  pénétration  phi- 
losophique. Je  ne  pense  pas  qu'ils  eussent  considéré  le  mira- 
cle comme  une  suppression  et  comme  une  désorganisation 
des  lois  physiques  ou  morales  du  monde  naturel,  en  certains 
cas  donnés  ;  ni  comme  une  sorte  d'amélioration  de  l'ordre 
divinement  établi  par  la  création  ;  ni  comme  un  secoura 
accordé  à  ses  défaillances,  et  motivé  par  je  ne  sais  quel  repen- 
tir de  la  Providence  contrariée  de  n'avoir  pas  mieux  fait  à  son 
premier  essai  ;  ni  enfin  comme  le  résultat  merveilleux  de  cer- 
taines lois  inconnues.  »  Didiot,  Logique  surnat.  object.,  p.  ia5. 
—  a.  Cf.  De  potentia,  Q.  vi,  de  miraculis;  Cont.  Gentes,  III» 
xcviii-ciii  ;  Sum.  theol.,  I,  Q.  cv. 


NOTION    DU    MIRACLE  5$ 

concourent  à   exciter   l'admiration  :    la    première, 
c'est   que   la    cause    de    ce  qui  nous   étonne   nous 
échappe  ;   la  seconde,   c'est  que,    dans  ce  qui  nous 
étonne,  il  y  ait  quelque  chose  qui  doive    produire 
un  effet  autre  que  celui  qui  se  produit  réellement. 
Or,  pour  qu'il  y  ait  miracle,   ces  deux  conditions 
doivent  se  réaliser  au  plus   haut  degré  possible.  Il 
faut  donc  que  cette  cause  inconnue  soit  Dieu,  et  que 
l'effet  en  soit  inattendu,  non  seulement  pour  ceux 
qui  ignorent  les  lois  de  la  nature,  mais  encore  pour 
ceux  que  les  connaissent  (i).  Par  suite,  le  miracle  est 
«  une  œuvre  divine,  produite  en  dehors  des  causes 
connues,   en  dehors    de   Tordre  de  toute  la   nature» 
créée  ;  »  ou  bien  encore  :  «  un  fait   produit  exclu- 
sivement par  la  puissance  divine  dans  des  choses  où  ; 
l'ordre  de  la  nature  devrait  produire  un  tout  autre  , 
effet  ou   le  produire  tout  autrement;  »   ou  enfin  : 
«  un  témoignage  divin  révélateur  de   la  puissance 
divine  et  de  la  vérité.  » 

Ainsi  compris,  le  miracle  excède  la  puissance  de 
la  nature  de  trois   manières  :  —   par  la  substance 
même  du  fait,  comme  lorsque  deux  corps  occupent 
le  même  lieu,   que    le   soleil  rétrograde  ou  que  le 
corps  humain  est  glorifié  ;  la  nature  est  absolument 
impuissante  à  de  tels  effets  :  ce  sont  des  miracles  de 
premier  ordre  ;  —  par  le  sujet  dans  lequel  il  s'accom-.. 
plit  ;    ainsi,  par  exemple,  quand  la  vue  est  rendue 
aux  aveugles  ou  la  vie  aux  morts,   choses  que   la 
nature  ne  fait  pas  :    ce   sont  des  miracles  de  second  ' 
ordre  ;   —  par  la  manière  dont   il  se  produit  ;  ainsi 
desguérisons  instantanées,  sans  remède,  et  en  dehors  , 
de  la  marche  régulière  que  la  maladie  suit  en  pareil»' 
cas  :  ce  sont  des  miracles  de  troisième  ordre  (2). 

3.  Cette  définition  du  miracle  est  cependant  trop 

> 
1.  De  miraculis,  a.  2.  —  a.  Sum.  theoL,  I,  Q.  cv,  a.  8.  -    > 


54  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

large.  SaintThomas  exclutbiendu  nombre  des  mira- 
cles la  création  et  la  justification  du  pécheur,  mais  il 
y  englobe  l'incarnation,  la  rédemption,  la  transsubs- 
tantiation et  d'autres  faits  divins,  qui  sont  objet  de 
foi.  Mais,  comme  d'autre  part  il  soutient  avec  rai- 
son la  valeur  démonstrative  du  miracle,  on  ne  voit 
guère,  par  exemple,  comment  l'incarnation  ou  la 
transsubstantiation  peut  être  un  signe  ou  servir  de 
preuve. Telle  quelle  pourtant,  cette  définition  a  été  gé- 
néralement adoptée  sans  changements  notables  (i). 
II.  Mais,  à  partir  du  xviii6  siècle,  parurent  des 
définitions  du  miracle  erronées  ou  renfermant, 
soit  des  expressions  impropres,  soit  des  termes 
équivoques  (2),  que  des  catholiques  eurent  le  tort 
d'accepter.  Pour  les  uns,  le  miracle  était  contraire 
aux  lois  de  la  nature  ;  pour  les  autres,  c'était  une 
dérogation  à  ces  lois  ou  une  suspension  momenta- 
née de  ces  lois.  Or,  l'idée  d'une  contradiction,  dans 

.1.  Cf.  Bellarmin,  De  notis  Ecclesiœ,  iv,  i(\\  Suarez,  De  an- 
çelis,  iv,  3g  ;  De  fide,  disp.  iv,  sect.  ni,  8.  —  2.  Glarke 
if  !729)  regardait  la  matière  comme  absolument  inerte 
et  sans  action  propre  ;  il  supposait  en  conséquence  que 
tous  les  phénomènes  naturels  étaient  l'œuvre  de  Dieu  ;  et, 
•dans  ce  cas,  le  miracle  était  de  même  nature  et  ne  différait  de 
l'ordre  commun  et  du  train  régulier  de  la  Providence  que  par 
son  éclat  extraordinaire.  Cf.  De  la  religion  chrétienne,  xix, 
11.  6.  —  L'abbé  Houtteville  (La  religion  chrétienne  prouvée 
,par  les  faits,  I,  vi)  voit  dans  le  miracle  une  interruption  de 
l'harmonie  des  lois  générales,  ou  une  suspension  des  lois  uni- 
verselles, ou  un  événement  singulier  produit  hors  de  l'en- 
chaînement des  causes  naturelles  ;  mais  il  ne  répugne  pas  à  la 
doctrine  des  miracles  «  liés  à  l'action  des  lois  générales  in- 
connues à  tout  esprit  borné,  »  «  compris  dans  l'action  des 
lois  naturelles  qui  nous  sont  inconnues.  »  —  Hume  (f  1776), 
pour  mieux  nier  le  miracle,  le  définit  un  phénomène  contraire 
aux  lois  de  la  nature.  ~  Les  définitions  d-u  miracle  d'après 
Spinoza  ( Tract,  theol.  polilicus,  c.  vi)  et  d'après  Kant  (Religion 
dans  les  limites  de  la  raison,  p.  i3c)),  sont  la  négation  même 
du  miracle. 


NOTION    DU    MIRACLE  55 

les  œuvres  divines,  répugne  essentiellement  ;  l'idée 
d'une  dérogation  se  comprend  dans  les  lois  mo- 
rales, mais  n'a  point  d'application  dans  les  lois  du 
monde  physique,  où  les  êtres  agissent  toujours 
conformément  à  leur  nature  et  à  leurs  propriétés  ; 
quan  t  à  l'idée  de  suppression,  elle  prête  à  l'équivoque, 
car  elle  indique  plutôt  l'un  des  effets  du  miracle 
que  sa  propre  nature.  De  toute  nécessité  s'imposait 
une  définition  plus  correcte.  Aussi,  pour  couper 
court  à  toute  équivoque,  Perrone  définissait-il  le 
miracle  :  une  couvre  sensible  qu'aucune  cause  créée 
ne  peut  produire,  qui  s'accomplit  en  dehors  de  la 
nature,  et  qui  conduit  aux  choses  de  Dieu. 

5.  Le  P.  Perrone  écrivait  avant  le  concile  du 
Vatican.  Or,  le  concile  s'est  occupé  du  miracle; 
sans  le  définir  expressément,  il  permet  d'en  pré- 
ciser la  notion.  En  effet,  il  le  range  parmi  les  faits 
divins  susceptibles  d'établir  le  bien  fondé  de  la 
révélation  ;  il  l'appelle  «  un  signe  très  certain  et 
approprié  à  l'intelligence  de  tous,  »  et  le  distingue 
de  la  prophétie,  qu'on  est  convenu  d'appeler,  au 
sens  large,  un  miracle  d'ordre  intellectuel.  «  Afin, 
dit-il,  que  l'hommage  de  notre  foi  fût  d'accord  avec 
la  raison,  aux  secours  intérieurs  du  Saint-Esprit, 
Dieu  a  voulu  joindre  des  preuves  extérieures  de  sa 
révélation,  savoir  des  faits  divins  et  surtout  des 
miracles  et  des  prophéties,  qui,  en  montrant  abon- 
damment la  toute-puissance  et  la  science  infinie  de 
Dieu,  font  reconnaître  la  révélation  divine,  dont  ils 
sont  les  signes  très  certains  et  appropriés  à  l'intel- 
ligence de  tous  (i).  » 

4.  Définition.  —  Grâce  aux  précisions  apportées 
par  le  concile  du  Vatican,  le  miracle  strictement 
dit  peut  se  définir  :   un  fait  sensible,  extraordinaire 

1.  Constitution  Dei  Filius,  c.  m,  S  a. 


56  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ou  préternaturel,  opéré  par  Dieu  comme  signe  ou 
preuve  de  la  révélation. 

i.  C'est  d'abord  un  fait  sensible,  et  non  pas  sim- 
plement une  idée.  Avant  d'être  matière  de  raison- 
nement, il  est  objet  de  constatation  :  il  appartient  à 
la  catégorie  des  réalités  concrètes,  susceptibles 
d'être  observées  par  les  sens  ;  il  a  des  témoins  im- 
médiats comme  tout  autre  fait;  il  peut  être  notifié 
à  d'autres  à  travers  l'espace  et  le  temps,  et  appar- 
tient par  là  à  l'histoire.  Gela  se  comprend  sans 
peine  s'il  est  d'ordre  physique,  comme  une  guéri- 
son  ou  une  résurrection  ;  mais  s'il  est  d'ordre  in- 
tellectuel, comme  la  connaissance  infuse  de  faits 
passés  et  perdus  dans  l'oubli  ou  d'événements 
futurs  libres,  ou  d'ordre  moral,  comme  la  conver- 
sion de  saint  Paul,  il  échappe  alors  en  lui-même  à 
l'observation,  mais  il  se  manifeste  par  ses  effets, 
qui  sont  sensibles. 

2.  C'est  un  fait  sensible  extraordinaire,  au  sens 
propre  du  mot,  extra  ordinem,  c'est-à-dire  en  de- 
hors de  l'ordre  particulier  et  général  communé- 
ment observé,  soit  dans  chaque  créature  prise  à 
part,  soit  dans  la  création  entière  ;  ou  mieux  pré- 
ternaturel, praeter  naturam,  c'est-à-dire  complète- 
ment indépendant  de  toutes  les  causes  secondes, 
desquelles  il  ne  provient  pas  ou  desquelles  il  ne 
procède  pas  selon  leur  efficacité  naturelle.  Il  se 
passe  dans  le  monde  de  la  nature,  il  y  survient,  et 
s'intercale  dans  la  trame  des  événements  ordinai- 
res. Ce  n'est  ni  sa  grandeur  ni  sa  rareté  qui  en 
fait  un  miracle;  car  il  en  est  d'importance  très 
inégale,  tels  que  la  guérison  de  l'hémorroïse  et  la 
résurrection  de  Lazare,  et  Notre  Seigneur  en  a 
opéré  d'innombrables. 

*    3.  Le  miracle  est  un  fait  divin:   il  a  Dieu  pour 
auteur,  par  voie,  non  de  création  ou  de  providence 


NOTION    DU    MIRACLE  67 

naturelle,  mais  d'intervention  directe  dans  le  monde 
déjà  organisé,  et  pour  auteur  non  seulement  prin- 
cipal, car  en  tant  que  cause  première  Dieu  est  la 
cause  principale  de  tout,  mais  encore  unique.  Dieu, 
sans  doute,  est  la  cause  unique  du  monde  de  la 
nature,  et  pourtant  la  création  n'est  pas  un  miracle, 
parce  que  l'ordre  naturel  n'existait  pas  encore,  le 
monde  qu'il  sert  à  régler  n'existant  pas  lui-même; 
Dieu  aussi  est  la  cause  unique  du  monde  de  la 
grâce,  et  pourtant  l'élévation  de  l'homme  à  l'état 
surnaturel  n'est  pas  un  miracle  proprement  dit, 
parce  que  l'ordre  surnaturel  est  consécutif  à  cette 
élévation  surnaturelle.  Il  y  a  deux  mondes  et  deux 
ordres  superposés  :  le  monde  de  la  nature  avec 
l'ordre  naturel,  et  le  monde  de  la  grâce  avec  l'or- 
dre surnaturel.  Dans  ces  deux  mondes,  il  y  a  des 
causes  secondes  qui  agissent  conformément  à  leur 
nature.  «  Qu'un  laboureur  ensemence  son  champ 
bien  cultivé,  la  moisson  lèvera  ;  qu'un  confesseur 
absolve  un  pénitent  bien  disposé,  la  justification  sf 
produira.  »  Ces  deux  effets  sont  chacun  dans  leur 
ordre  ;  le  second,  bien  que  surnaturel,  n'est  pas 
plus  un  miracle  que  le  premier.  Ce  qui  revient  à 
dire  que  tout  ce  qui  est  surnaturel  n'est  point  par 
là  même  miraculeux.  Mais  dans  les  deux  mondes, 
le  miracle  est  l'intervention  de  Dieu  en  dehors  de 
l'ordre  qu'il  leur  a  fixé.  «  Que  Jésus  se  rende 
«  présent  »  sous  les  espèces  sacramentelles,  au  mo- 
ment où  le  prêtre  prononce  les  paroles  de  la  consé- 
cration, c'est  la  règle  ;  que  Jésus,  au  même  mo- 
ment, se  rende  «  visible,  »  c'est  l'exception.  Les 
deux  phénomènes  sont  évidemment  surnaturels  ; 
seul  cependant  le  second  est  réputé  miraculeux, 
parce  qu'il  est  seul  extraordinaire  (i),  »  et  nous 
ajouterons,  sensible. 

1.  Gondal,  Miracle,  p.  16.  Le  miracle,  dit  M.  Didiot,  «  n'est 


58  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

4.  Enfin,  pour  qu'il  y  ait  miracle,  au  sens  précis 
du  mot,  il  faut  que  le  fait  sensible,  préternaturel  et 
divin,  ait  pour  but  explicite  de  nous  avertir  de  l'in- 
tervention de  Dieu,  de  servir  de  signe  ou  de  preuve 
extérieurs  soit  à  ses  enseignements,  soit  à  ses  ordres, 
d'accréditer  les  mandataires  qu'il  a  chargés  de  nous 
faire  connaître  ses  volontés  (1). 

IL   Possibilité  du   miracle 

1.  Le  miracle  est-il  possible  ?  Dieu,  en  dehors 
de  tou  te  cause  créée  ou  en  se  servant  des  causes  secondes 

pas  surnaturel  au  sens  strict  du  mot,  puisqu'il  est  sensible  et 
que  le  surnaturel  ne  l'est  pas,  puisqu'il  étonne  nos  sens  et  que 
le  surnaturel  étonne  seulement  notre  raison.  11  est  moins 
élevé,  moins  digne,  moins  important,  quant  à  l'être,  que  le 
Surnaturel  ;  mais  il  est  plus  important,  quant  à  la  démonstra- 
tion de  l'œuvre  et  de  la  révélation  supranaturelles.  »  Logique 
snrriat.  object.,  n.  i85.  p.  126.  «  Le  miracle  est  divinement  pré- 
ternaturel, c'est-à-dire  il  est  l'œuvre  de  Dieu  communiquant 
à  telle  nature,  constituée  et  déterminée  par  la  création,  une 
perfection,  un  degré  d'être,  un  mouvement,  supérieurs  à  ceux 
qu'elle  a  reçus  de  l'acte  créateur,  et  qu'elle  a  pu  recevoir  ou 
se  procurer  dans  sa  catégorie  naturelle...  En  un  mot,  le  mira- 
cle est  la  concession  ou  la  restitution  surprenantes,  étonnan- 
tes, faites  par  voie  d'intervention  divine,  à  un  être  déjà  créé, 
d'une  perfection  à  laquelle  il  n'arriverait  pas  du  tout  ou  n'ar- 
riverait que  d'une  façon  moins  avantageuse,  et  par  laquelle 
cependant  il  n'est  pas  formellement  élevé  à  l'état  proprement 
surnaturel.  »  Ibid.,  n.  186,  p.  127. 

1.  Le  miracle  est  un  signe  :  la  tradition  l'a  reconnu  ;  et  à 
ce  point  de  vue,  la  doctrine  sert  à  contrôler  le  fait  miraculeux. 
Mais  il  est  aussi  et  avant  tout  une  preuve,  la  preuve  du  sur- 
naturel. M  Le  Roy,  avec  d'autres,  se  refuse  à  l'admettre.  Com- 
ment s'arrange-t-il  avec  le  concile  du  Vatican  qui  l'a  formelle- 
ment déclaré  ?  Le  miracle  peut  être  aussi  objet  de  foi  ;  mais 
cela  ne  lui  enlève  rien  de  sa  force  probante.  N'en  faire  avec 
M.  Le  Roy  et  avec  d'autres  qu'une  critère  interne,  c'est  le 
réduire  à  quelque  chose  de  purement  subjectif  et  le  sous, 
traire,  quoi  qu'on  dise,  à  la  causalité  divine. 


POSSIBILITÉ    DU    MIRACLE  5û 

d'une  manière  qui  dépasse  leur  capacité  naturelle, 
peut-il  produire  des  phénomènes  sensibles  et  sur- 
prenants qui,  sans  faire  partie  intégrante  du  monde 
de  la  nature,  s'y  adaptent?  Et  cela  sans  violer  la 
moindre  loi,  sans  déranger  le  moindre  rouage,  sans 
troubler  ni  fausser  en  rien  l'admirable  mécanisme 
réglé  par  la  Providence,  mais  en  manifestant  de  la 
manière  la  plus  saisissante  son  suprême  pouvoir 
d'intervenir  en  maître,  quand  il  lui  plaît,  dans  le 
monde  qu'il  a  créé?  Pour  quiconque  admet  l'exis- 
tence d'un  Dieu  personnel,  tout-puissant  et  libre, 
la  réponse  ne  saurait  être  douteuse  :  Oui,  le  miracle 
est  possible.  C'est  la  réponse  du  bon  sens  comme 
la  réponse  de  la  saine  philosophie  (i). 

2.  Elle  a  pourtant  été  résolue  négativement 
par  tous  ceux  qui  rejettent  le  surnaturel  ;  il  est  vrai 
que  c'est  au  mépris  du  bon  sens  et  au  nom  d'une 
fausse  théodicée.  Pour  les  panthéistes,  elle  ne  se 
pose  même  pas,  puisqu'ils  confondent  Dieu  avec  le 
monde;  pour  les  matérialistes  et  les  positivistes, 
elle  ne  se  pose  pas  davantage,  puisqu'ils  ne  voient 
dans  le  monde  qu'un  déterminisme  absolu,  où  l'in- 
tervention divine  n'a  que  faire.  Quant  aux  déistes, 
qui  admettent  l'existence  d'un  Dieu  personnel, 
créateur  et  providence,  ils  se  refusent  à  la  poser, 
par  une  contradiction  llagrante  avec  leurs  pro- 
pres principes,  sous  le  fallacieux  prétexte  que  Dieu, 
en  créant  le  monde,  la  réglé  une  fois  pour  toutes  et 
s'est  lié  les  mains.  D'autres  encore  se  buttent  à  cette 
question  par  peur  du  surnaturel  ou  par  la  supersti- 

i.  «  Dieu  peut-il  faire  des  miracles?  Cette  question  sérieuse- 
ment traitée  serait  impie,  si  elle  n'était  absurde.  Ce  serait  faire 
trop  d'honneur  à  celui  qui  la  résoudrait  négativement  que  de 
le  punir  ;  il  suffirait  de  renfermer.  Mais  aussi  quel  homme  a 
jamais  nié  que  Dieu  pût  faire  des  miracles?  »  J.-.l.  Rousseau, 
Lettres  de  la  Montagne,  35  lettre. 


CO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

tion  de  la  science.  La  peur  du  surnaturel  les  arrête, 
parce  que  le  miracle  lui  sert  de  preuve  et  que  dès 
lors  la  foi  s'impose  ;  la  superstition  de  la  science  les 
met  en  garde  contre  une  intervention  divine  qui 
serait,  pensent-ils,  le  bouleversement  de  l'ordre 
établi,  la  perturbation  des  lois  naturelles.  Autant 
de  vains  sophismes,  de  prétextes  puérils  et  de 
craintes  exagérées  ;  car,  au  regard  de  la  saine  phi- 
losophie, il  n'y  a  d'impossible  que  ce  qui  implique 
contradiction.  Et  tel  n'est  pas  précisément  le  cas 
du  miracle.  Le  miracle,  en  effet,  n'offre  rien  de  con- 
tradictoire: il  ne  va,  comme  nous  allons  le  mon- 
trer, ni  contre  la  nature  de  Dieu,  ni  contre  l'essence 
des  choses  ou  les  lois  naturelles.  Créatures  et  lois 
restent  ce  qu'elles  sont,  même  quand  intervient  mi- 
raculeusement Celui  qui  a  créé  ces  êtres  et  fixé  ces 
lois  ;  et  Dieu  reste  au-dessus  de  son  œuvre,  le  maî- 
tre souverainement  libre  et  tout-puissant. 

3.  Difficultés  d'ordre  scientifique.  —  i°  Si  le 
miracle  est  possible,  il  n'y  a  plus  de  science,  dit-on, 
parce  que  les  lois  naturelles  n'ont  plus  la  fixité 
nécessaire  aux  inductions  scientifiques.  Le  miracle 
implique  une  violation  de  ces  lois,  tandis  que  la 
science  proclame  ces  lois  absolument  inviolables  (i). 

Telle  est  l'objection  ;   le  malheur  est  qu'elle  re- 

i.  C'est  Tune  des  objections  mises  à  la  mode  par  Strauss, 
Littré,  Huxley,  Spencer,  Hoeckel,  etc.  «  Tout  calcul  est  une 
impertinence,  dit  Renan,  s'il  y  a  une  force  changeante  qui 
peut  modifier  à  son  gré  les  lois  de  l'univers...  Si  des  hommes 
réunis  et  priant  ont  le  pouvoir  de  produire  la  pluie  ou  la 
sécheresse,  la  météorologie  n'aurait  plus  sa  raison  d'être.  Si  on 
venait  dire  au  physiologiste  et  au  médecin  :  Vous  cherchez  la 
raison  des  maladies  et  de  la  mort  ;  c'est  Dieu  qui  frappe, 
guérit,  tue,  le  physiologiste  et  le  médecin  répondraient  :  Je 
cesse  mes  recherches,  adressez-vous  au  thaumaturge...  Il  en 
est  de  mèiiic  de  l'histoire.  »  Explications  à  mes  collèjues. 


POSSIBILITÉ    DU    MIRACLE  6l 

pose  sur  une  fausse  hypothèse,  à  savoir  la  violation 
des  lois  de  la  nature  par  le  miracle. 

2°  Notons  d'abord  que  Dieu  a  constitue  l'ordre 
propre  à  chaque  créature  et  l'ordre  général  de  la 
création  ;  mais  ces  deux  ordres  sont  englobés  dans 
un  ordre  supérieur  et  restent,  en  tout  état  de  cause, 
soumis  à  la  maîtrise  souveraine  de  Dieu.  Que  Dieu 
ne  puisse  rien  changer  à  l'ordre  supérieur,  rien  de 
plus  vrai.  De  toute  éternité,  par  un  seul  acte  de  sa 
science  infinie  et  de  sa  volonté  toute  puissante, 
Dieu  l'a  vu  et  réglé,  dans  son  ensemble  et  ses 
moindres  détails,  comme  dans  le  jeu  varié  des 
causes  secondes,  dont  l'intervention  prévue  doit 
concourir  à  son  inévitable  réalisation. 

3°  S'agit-il  maintenant  du  miracle  que  Dieu 
opère  directement  sans  le  concours  d'aucun  agent 
créé,  par  exemple  une  résurrection,  comment  vio- 
lerait-il des  lois  qu'il  dépasse  ?  Dans  ce  cas,  c'est  un 
fait  nouveau  qui  s'ajoute  aux  faits  ordinaires.  S'agit- 
il  du  miracle  que  Dieu  opère,  en  produisant  seul  ce 
que  les  agents  créés  produisent  d'ordinaire  avec  son 
concours,  par  exemple  une  guérison,  comment  vio- 
lerait-il une  loi,  dont  il  se  passe  et  qu'il  supplée  ? 
S'agit-il  enfin  du  miracle  qui  modifie,  altère  ou 
même  empêche  l'action  naturelle  d'un  agent  créé, 
en  quoi  cette  intervention  compromet-elle  ou  viole- 
t-elle  la  loi  qui  n'en  continue  pas  moins  à  exister, 
et  en  vertu  de  laquelle  le  susdit  agent  conserve  sa 
tendance  naturelle  et  propre  (i)  ? 

i.  Cf.  s.  Thomas,  De  potentia,Q.  vi,  a.  2.  ad  20.  «  L'ensemble  du 
monde  matériel  n'est  nullement  modifié  par  le  miracle  ;  quel- 
ques individus  seulement  en  éprouvent  les  effets  physiques, 
dont  le  retentissement  sur  toute  la  machine  n'est  pas  appré- 
ciable. L'on  ne  remarque  pas  assez  combien  cette  majestueuse 
machine  est  à  la  fois  souple  et  solide.  Les  incrédules  la  con- 
çoivent comme  un  immense  château  de  cartes  que  la  moindre 


62  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

4°  Sur  ce  dernier  point,  le  seul  qui  puisse  offrir 
un  semblant  de  difficulté,  il  convient  de  distinguer 
la  loi  qui  règle  Fessence  d'un  être  créé  de  celle  qui 
ordonne  son  activité,  c'est-à-dire  la  loi  ontologique 
de  la  loi  dynamique. 

La  loi  ontologique  n'est  nécessaire  que  d'une 
nécessité  hypothétique  ;  ce  qui  veut  dire  que,  Dieu 
ayant  fixé  la  nature  constitutive  de  tel  être,  cet  être, 
s'il  vient  à  exister,  sera  ce  que  Dieu  l'a  voulu.  Il  a 
voulu,  par  exemple,  que  l'eau  fût  un  composé 
d'oxygène  et  d'hydrogène  ;  supposé  donc  que  Dieu 
crée  l'eau,  l'eau  sera  nécessairement  ce  composé. 
Or,  les  êtres  créés,  quels  qu'ils  soient,  sont  contin- 
gents, c'est-à-dire  qu'ils  pourraient  ne  pas  exister  ; 
mais,  étant  donné  qu'ils  existent,  leur  essence  ne 
varie  pas.  Contre  cette  essence  ou  contre  la  loi 
ontologique,  il  est  évident  que  le  miracle  ne  peut 
rien  et  qu'aucun  miracle  n'a  lieu. 

5°  Reste  la  loi  qui  gouverne  l'activité  des  êtres 
créés,  ou  la  loi  dynamique.  Les  êtres  créés  sont 
inconscients  ou  libres,  d'où  une  double  espèce  de 
loi  dynamique,  la  loi  physique  qui  règle  l'activité 
des  forces  aveugles,  et  la  loi  morale  qui  règle  celle 
des  êtres  libres.  Cette  dernière  se  distingue  de  la 
force  qu'elle  gouverne,  c'est-à-dire  de  la  volonté 
libre,  qui  peut  s'y  soumettre  ou  s'y  soustraire  ;   elle 

chiquenaude,  par  exemple  la  guérison  d'un  aveugle,  ferait 
crouler.  Rien  n'est  plus  inexact.  En  veut-on  une  preuve  sans 
réplique?  Les  individus  naissent  et  meurent  sans  que  la  mar- 
che générale  de  l'univers  en  éprouve  la  moindre  déviation;  les 
espèces  môme  disparaissent  tout  entières,  et  la  grande  ma- 
chine continue  son  mouvement  aussi  impassible  que  la  loco- 
motive qui  vient  d'écraser  un  ciron.  Qu'un  homme  meure 
puis  ressuscite,  elle  en  sera  certainement  aussi  peu  affectée  que 
si,  à  la  place  de  l'homme  ressuscité,  un  autre  était  entré  dans 
la  vie  par  la  voie  ordinaire  de  la  génération.  »  De  Bonniot,  Le 
miracle  et  ses  contrefaçons,  p.  ^. 


POSSIBILITÉ    DU    MIRACLE  63 

lui  impose  une  obligation,  mais  respecte  sa  liberté. 
La  loi  physique,  au  contraire,  est  inhérente  à  la 
force  qu'elle  règle,  elle  est  cette  force  même.  Par 
sa  nature,  la  loi  physique  est  une  loi  nécessitante, 
mais  d'une  nécessité  hypothétique.  C'est  dire  qu'elle 
pousse  fatalement  l'agent  à  Tacte  qui  lui  est  propre, 
qu'elle  le  lui  fait  toujours  produire,  à  la  condition 
que  les  circonstances  ne  changent  pas  et  restent 
identiques. 

6°  Or,  l'expérience  en  fait  foi,  l'ordre  particulier 
à  chaque  créature  change  à  chaque  instant,  à  raison 
du  changement  des  circonstances.  Il  y  a  action  et 
réaction  des  forces  naturelles  entre  elles  :  tantôt 
elles  s'ajoutent,  tantôt  elles  se  modifient,  parfois 
elles  vont  à  se  neutraliser,  et  cela  naturellement. 
Qu'une  force  supérieure  intervienne,  ces  change- 
ments s'opèrent  artificiellement.  L'homme,  en  effet, 
s'empare  des  forces  aveugles,  les  dirige  à  son  gré, 
les  renforce,  les  oppose  ou  les  neutralise,  sans 
d'autres  limites  à  son  intervention  que  celles  de 
sa  science  et  de  sa  puissance.  Or,  qui  s'avise  de 
regarder  cette  intervention  naUirelle  ou  artificielle 
comme  la  négation  des  lois  physiques?  Personne  (i). 

i.  «  Toute  industrie  humaine  est  l'intervention  de  la  raison 
et  de  la  volonté  de  l'homme  parmi  les  forces  aveugles  de  la 
nature  pour  les  diriger,  les  organiser,  les  faire  servir  à  des  fins 
vers  lesquelles  elles  n'étaient  point  ordonnées  par  leur  nature, 
qu'elles  étaient  incapables  d'atteindre  par  elles-mêmes.  Or,  c'est 
à  l'homme  que  revient  le  mérite  des  actions  qu'il  accomplit  ; 
c'est  lui  qui  en  est  responsable,  c'est  à  lui  qu'on  les  attribue 
comme  à  leur  auteur.  L'opération  qu'il  accomplit  en  elles,  avec 
elles  et  pour  elles,  est  une  opération  proprement  humaine. 
Même  le  miracle  est  une  action  exclusivement  divine...  Notre 
liberté  produit,  à  chaque  instant,  dans  la  série  des  phénomè- 
nes, des  cilêts  qui  semblent  échapper  au  déterminisme...  Tout 
le  monde  sait  bien  que  les  végétaux,  les  animaux,  les  hommes' 
dépendent  en  partie,  dans  leur  morphologie,  leur  physiologie, 
leur  psychologie  et  leur  morale,  de  l'élevage,  de  la  sélection, 


64  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

7°  Mais  s'il  en  est  ainsi,  l'intervention  divine  dans 
le  monde  par  le  miracle  n'est  pas  plus  la  violation 
des  lois  naturelles  que  ne  l'est  l'intervention 
humaine.  Tout  comme  l'homme,  Dieu  peut  inter- 
venir et  modifier  à  son  gré  les  conditions  actuelles 
des  forces  créées  ;  pas  plus  que  l'homme  il  ne 
supprime  leurs  lois.  Les  agents  conservent  et  leur 
nature,  et  leurs  tendances,  et  leur  activité  ;  tant  que 
les  conditions  restent  les  mêmes,  leur  marche  est 
régulièrement  la  même  ;  que  les  conditions  varient, 
et  leur  marche  varie.  L'homme  les  change,  pour- 
quoi pas  Dieu?  Or,  Dieu  les  change  par  le  miracle  ; 
et  son  intervention  miraculeuse  ne  viole  pas  plus 
les  lois  physiques  que  ne  les  viole  l'intervention 
libre  de  l'homme.  L'objection  scientifique  ne  tient 
donc  pas. 

4.  Difficultés  d'ordre  philosophique.  — 
i°  Déniera  Dieu  le  pouvoir  de  faire  des  miracles,  les 
vrais  philosophes  n'y  pensent  pas.  Il  y  a  longtemps 
qu'à  cette  question  :  Dieu  peut-il  faire  quelque 
chose  en  dehors  de  l'ordre  naturel  des  créatures  ? 
Saint  Thomas  a  répondu  :  Si  l'on  considère  l'ordre 
des  êtres  comme  dépendant  de  la  cause  première, 
Dieu  ne  peut  rien  faire  contre  cet  ordre,  car  il  agi- 
rait contre  sa  prescience,  sa  volonté  et  sa  bonté. 
Mais  si  l'on  considère  l'ordre  des  choses  comme 
dépendant  des  causes   secondes,   Dieu  peut  agir  en 

de  l'hérédité,  de  l'hygiène,  de  l'instruction,  de  l'éducation. 
Donc  des  conditions  contingentes  font  varier  à  chaque  instant 
cet  ordre  de  l'univers,  qui  ne  présente  rien  d'immuable.  Je 
sais  bien  que  l'homme  ne  maîtrise  la  nature  qu'en  obéissant  à 
ses  lois,  mais  c'est  parce  qu'il  est  partie  intégrante  de  cette 
nature,  et  s'il  est  vrai  qu'il  en  subit  le  déterminisme,  il  dépend 
de  sa  libre  volonté  que  les  résultats  de  ce  déterminisme  soient 
perpétuellement  et  indéfiniment  modifiés.  »  Maisonneuve,  La 
notion  du  miracle,  Revue  du  clergé,  i5  juin  1907,  p.  686,  687,  690. 


POSSIBILITÉ    DU    MIRACLE  65 

dehors  de  cet  ordre,  parce  que,  au  lieu  d'être  sou- 
mis à  cet  ordre,  c'est  au  contraire  cet  ordre  qui  lui 
est  soumis,  puisqu'il  dépend  d'un  acte  libre  de  sa 
volonté.  Or,  en  dehors  de  cet  ordre,  il  peut  agir, 
soit  en  produisant  les  effets  des  causes  secondes 
sans  le  secours  de  ces  causes,  soit  en  produisant 
certains  effets  auxquels  les  causes  secondes  ne  s'é- 
tendent pas  (i). 

2°  Tout  en  admettant  en  droit  cette  puissance 
divine,  des  philosophes  estiment  qu'en  fait  Dieu 
n'intervient  pas,  parce  que  cela  impliquerait  con- 
tradiction, ou  du  moins  un  changement  en  Dieu 
contraire  à  son  immutabilité  et  à  sa  sagesse.  Cette 
étrange  théodicée  fait  Dieu  à  la  mesure  de  l'homme 
et  suppose  que  Dieu  agit  par  à-coups  et  sans  pré- 
voyance. Au  contraire,  le  miracle  appartient  à  sa 
science  et  à  ses  décrets  éternels,  et  en  Dieu  il  n'y  a 
ni  changement,  ni  surprise,  ni  retouche,  parce  qu'il 
n'arrive  que  ce  qu'il  a  éternellement  décrété,  le  mi- 
racle comme  le  reste,  il  n'y  a  simplement  qu'un  fait  en 
plus,  un  fait  extraordinaire  il  est  vrai,  mais  dont  Dieu 
se  sert  pour  des  motifs  et  dans  un  but  à  lui  connus. 
«  C'est  dans  un  même  plan  et  par  un  seul  décret 
que,  de  toute  éternité,  Dieu  a  fixé  les  lois  naturelles 
et  les  circonstances  où  leur  activité  est  suspendue 
pour  une  raison  supérieure  à  l'ordre  physique  :   le 


i.  «  Non,  certes,  que  le  miracle  exige  plus  de  puissance  que 
le  gouvernement  régulier  et  accoutumé  de  l'univers,  mais 
parce  que  l'action  souveraine  de  Dieu  n'est  plus  voilée  par 
l'action  des  causes  secondes,  qu'il  se  montre  affranchi  du 
déterminisme  qu'il  leur  a  imposé,  qu'il  se  dresse,  pour  ainsi 
parler,  dans  sa  majesté  incompréhensible  «  supra  omnem 
speciem,  supra  omnem  modum,  supra  omnem  ordinem  »  et 
qu'il  n'est  plus  permis  de  douter  qu'il  ne  soit  antérieur,  ex- 
térieur et  supérieur  à  l'ordre  qu'il  a  établi.  »  Maisonneuve, 
loc.  cit.,  p.  692. 

LE    CATÉCHISMB.   —  T.    III.  « 


66  LE    CATÉCHISME  ROMAIN 

bien  moral  (i).  »  C'est  au  miracle  que  Dieu  réserve 
le  rôle  d'avertisseur,  de  signe  et  de  preuve  de  ses 
desseins  sur  l'humanité.  «  Comment  refuser  à  la 
Cause  première,  libre  et  toute-puissante,  la  faculté 
d'intervenir  dans  son  œuvre,  surtout  quand  une 
telle  intervention  est  le  moyen  nécessaire  pour  la 
plus  noble  des  fins,  celle  d'enseigner  à  l'humanité 
ses  devoirs  et  sa  destinée  (2)  ?  » 

Le  miracle  fait  ainsi  resplendir  les  perfections  de 
Dieu,  sa  puissance  et  sa  liberté,  sa  sagesse  et  sa  mi- 
séricorde, au  lieu  de  porter  la  moindre  atteinte  à 
ses  attributs.  D'autre  part,  il  ne  change  rien  aux 
lois  de  la  nature  :  il  est  donc  possible. 

III.  Discernibilité  du  miracle 

1.  Le  miracle  n'est  pas  seulement  possible,  il 
existe  ;  il  y  a  eu  des  miracles,  il  y  en  a  encore.  Im- 
possible de  le  constater,  prétendent  les  négateurs  du 
surnaturel.  Ce  qu'on  appelle  ainsi,  disent-ils,  a  été 

1.  Van  Wcddingen,  De  miraculo,  Louvain,  18G9,  p.  77.  — 
2.  De  Broglic,  Religion  et  Science,  p.  207.  «  Supposons,  par 
exemple,  qu'il  entre  dans  les  desseins  de  la  miséricorde  divine 
de  verser  la  lumière  dans  une  intelligence  que  le  spectacle 
mal  compris  de  Tordre  universel  a  conduite,  non  à  adorer  la 
Providence,  mais  à  la  méconnaître  et  à  ne  voir  dans  les  lois  de 
la  nature,  en  apparence  immuables,  que  le  jeu  fatal  d'un 
système  de  forces  mécaniques  ;  et  supposons  que,  pour  rendre 
à  cet  esprit  égaré  le  sentiment  du  divin,  il  daigne  interrompre 
le  cours  ordinaire  des  choses  par  un  coup  d'autorité,  où  visi- 
blement il  agit  seul...  Disons-le  donc,  si  courte  que  soit  notre 
vie,  elle  s'étend  assez  pour  nous  montrer  qu'en  soi  l'idée  du 
miracle  ne  répugne  pas  plus  aux  attributs  moraux  de  Dieu 
qu'à  ses  attributs  métaphysiques.  Sans  chercher  à  pénétrer  la 
profondeur  des  secrets  que  Dieu  s'est  réservés  à  lui  seul,  nous 
pouvons  concevoir  des  cas  extraordinaires  où  ce  mode  d'action 
convient  éminemment  aux  fins  de  la  Providence.  »  De  Marge-* 
rie,  Théodicée,  t.  11,  p.  327-328. 


LE    MIRACLE    EST    DISCERNABLE  67 

considéré  à  tort  comme  une  intervention  immé- 
diate de  Dieu,  à  une  époque  peu  éclairée  et  par  de* 
témoins  sans  critique  qui  voyaient  des  miracle» 
partout  (1).  Le  miracle  n'est  simplement  qu'un  phé- 
nomène comme  les  autres,  dont  on  ignore  actuel- 
lement la  cause  naturelle,  mais  que  la  science 
découvrira  un  jour  ;  car  ses  progrès  passés  et  récents 
sont  une  garantie  de  ses  succès  futurs,  et  ainsi  se 
rétrécira  nécessairement  le  champ  du  merveilleux 
jusqu'à  bannir  le  miracle  de  la  nature  et  de  l'his* 
toire. 

a.  De  telles  prétentions  sont  loin  d'être  justifiées 
et  ne  le  seront  jamais.  Car,  théoriquement  et  prati- 
quement, le  caractère  historique  d'un  fait  miracu- 
leux peut  être  établi  :  ni  le  témoignage  des  sens,  ni 
celui  des  hommes  ne  peut  rien  perdre  de  sa  valeur 
pour  porter  sur  de  tels  faits,  sans  quoi  on  abouti- 
rait fatalement  au  scepticisme  scientifique  et  histo- 
rique. Et,  d'autre  part,  le  caractère  miraculeux  d'un 
fait  scientifique  peut  être  sûrement  discerné.  Il  y  a 
d'abord  des  faits,  dont  la  provenance  divine  est 
certaine,  d'une  certitude  métaphysique;  il  en  est 
d'autres,  dont  on  peut  donner  la  preuve  scientifi- 
que qu'ils  ne  sont  pas  naturels;  d'autres  encore,, 
inexplicables  par  le  jeu  régulier  des  forces  naturel- 
les, dont  on  a  la  preuve  théologique  qu'ils  ne  sont 
pas  diaboliques  ;  d'autres   enfin,  naturels  en  eux- 

1.  C'était  le  souhait  de  Voltaire  (Dict.  philos.,  art.  Miracles^ 
pour  qu'un  miracle  fût  bien  constaté,  qu'il  fût  fait  en  présence 
de  l'Académie  des  Sciences  de  Paris,  ou  de  la  Société  royale  de 
Londres  et  de  la  faculté  de  médecine.  Il  n'y  a  pas  de  miracle 
suffisamment  constaté,  disait  Renan  dans  sa  Préface  de  la  Vie 
de  Jésus  ;  car,  pour  une  telle  constatation,  ni  les  personnes  di* 
peuple  ni  les  gens  du  monde  ne  sont  compétents.  En  consé- 
quence il  demandait  «  une  commission  composée  de  physiolo- 
gistes, de  physiciens,  de  chimistes,  de  personnes  exercées  à  l* 
critique  historique.  » 


CS  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

miêmes,  dont  on  a  la  certitude  morale  qu'ils  ont  Dieu 
pour  auleur.  Et  c'est  tout  ce  qu'il  faut  pour  consta- 
ter et  discerner  le  miracle. 

3.  Le  miracle,  étant  un  phénomène  sensible,  est 
d'abord  observable,  comme  tout  fait  d'expérience, 
pour  ses  témoins  immédiats,  et,  comme  objet  de 
témoignage  humain,  pour  les  autres.  La  certitude 
de  son  existence  est  donc  rationnellement  garantie  t 
elle  s'impose,  pour  lui  comme  pour  tout  autre  fait, 
et  de  la  même  manière,  à  savoir  par  l'évidence  im- 
médiate et  par  le  témoignage  historique. 

4.  Le  caractère  préternaturel  du  miracle  est  facile 
à  déterminer.  Des  lépreux  se  présentent  à  Jésus  ;  leur 
maladie  hideuse  inspire  un  mouvement  de  répulsion 
à  la  foule  ;  d'un  mot,  d'un  signe,  ils  sont  instantané- 
ment guéris.  Lazare  est  mort  et  repose  depuis  qua- 
tre jours  dans  le  sépulcre,  en  pleine  décomposition; 
Jésus  survient  et  le  rend  à  la  vie.  Comment  la 
lèpre  a-t-elle  disparu  ?  Comment  Lazare  est-il  res- 
suscité? Cette  guérison  instantanée,  cette  résurrec- 
tion, sont  des  faits  extraordinaires  ;  la  foule,  qui  en 
est  témoin,  y  voit  des  miracles,  et  elle  a  raison  ; 
car  dans  les  cas  précités  et  dans  des  cas  semblables, 
toute  explication  naturelle  fait  défaut;  il  n'est  point 
d'exemple,  dans  la  nature,  de  la  résurrection  d'un 
mort  ou  de  la  guérison  subite  d'un  mal  réputé  in- 
curable. Point  besoin  pour  cela  d'appareil  scientifi- 
que ou  de  commission  savante  :  le  bon  sens  et  la 
saine  raison  suffisent  à  proclamer  qu'il  s'agit  là 
d'un  fait  préternaturel,  c'est-à-dire  d'un  fait  produit 
eh  dehors  du  cours  habituel  des  choses,  en  dehors 
des  lois  connues  de  tous  ;  l'hésitation  est  impos- 
sible (i). 

i.  «  Est-il  besoin  d'être  physicien  pour  savoir  qu'il  n'est  pas 
dans  l'habitude  de  l'ombre  de  rétrograder  tout  d'un  coup  de 
plusieurs  degrés  sur  le  cadran  solaire  ?  Est-il  besoin  d'être  phy 


LE  MIRACLE  EST  DISCERNABLE  69 

5.  Il  est  d'autres  phénomènes,  tels  que  la  guéri- 
son  de  certains  paralytiques  et  de  possédés,  pour 
lesquels  l'évidence  du  caractère  préternaturei  ne 
s'impose  pas  avec  la  même  autorité.  Il  y  a,  en 
effet,  toute  une  série  de  maladies  nerveuses  où 
l'électricité,  le  magnétisme,  l'hypnotisme,  la  sug- 
gestion, peuvent  être  invoqués  comme  des  agents 
naturels  de  guérison.  Dans  des  cas  de  ce  genre,  la 
question  est  de  savoir  si  ces  agents  thérapeutiques 
ou  d'autres  analogues  ont  été  mis  en  œuvre.  S'il 
est  réellement  constaté  qu'ils  ne  sont  pas  interve- 
nus, la  guérison  peut  être  regardée  comme  obtenue 
en  dehors  des  moyens  naturels.  Si,  au  contraire,  ils 
ont  été  employés,  une  prudente  réserve  s'impose, 
parce  qu'on  ignore  si  en  fait  la  guérison  doit  être 
attribuée  à  leur  efficacité.  A  la  sagesse  de  l'Eglise 
d'en  décider  (i). 

siologiste  pour  savoir  qu'il  n'est  pas  dans  les  habitudes  d'un 
homme  mort  et  enterré  depuis  quatre  jours  de  se  relever  et 
de  reprendre  sa  place  au  milieu  des  vivants  ?  Est-il  besoin 
d'être  chimiste  pour  savoir  que  la  poussière  du  chemin,  à  quel- 
que degré  qu'elle  soit  saturée  de  salive  humaine,  n'a  pas  pour 
habitude  de  guérir  les  yeux  des  aveugles-nés  ?  Est-il  besoin 
d'être  naturaliste  pour  savoir  que,  si  le  blé  pousse  en  terre,  il 
n'est  pas  dans  les  habitudes  du  pain  d'en  faire  autant  dans  le» 
mains  de  ceux  qui  le  rompent  ?  »  Monsabré,  Conf.  de  saint 
Thomas  d'Aquin,  t.   n,  p.  £o-4i. 

1.  Bien  avant  les  expériences  de  Charcot  à  la  Salpétrière  et 
de  Bernheim  à  Nancy,  l'Eglise  s'imposait  comme  un  devoir 
cette  réserve.  Benoît  XIV  écarte  du  nombre  des  miracles  les 
guérisons  que  l'influence  nerveuse  pourrait  expliquer.  «  Il  sera 
bien  difficile,  dit-il,  de  tenir  pour  miraculeuses  de  semblable» 
guérisons.  Si  quelquefois  les  postulateurs  des  causes  de  béati- 
fication et  de  canonisation  l'ont  essayé,  jamais  je  ne  les  ai  vu 
réussir.  »  De  beat.  Sanctorum,  au  chapitre  intitulé  :  De  l'imagi- 
nation  et  de  son  pouvoir.  Le  Dr  Bernheim  reconnaît  que  la  sug- 
gestion ne  peut  guérir  que  des  maladies  nerveuses,  et  encore 
ne  les  guérit-elle  pas  toutes,  et  ne  les  guérit-elle  pa» 
d'une  façon  définitive.   Quant  aux  maladies  organiques,  ella 


"]0  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

4— +m . . , .1 

6.  A  défaut  de  ces  agents  thérapeutiques,  connus  et 
pratiqués  depuis  peu,  les  adversaires  du  miracle, 
pour  lui  dénier  tout  caractère  préternaturel,  ont 
■recours  à  un  suprême  expédient.  Impossible,  disent- 
Ils,  d'affirmer  que  tel  fait  est  un  miracle  parce  qu'il 
y  a  dans  la  nature  des  multitudes  de  ressources  im- 
prévues, de  forces  secrètes,  d'agents  mystérieux 
«lue  nous  ignorons  encore.  Tel  phénomène,  dans 
l'état  actuel  de  la  science,  peut  bien  paraître  extra- 
ordinaire et  ne  pouvoir  s'expliquer  naturellement  ; 
mais  qui  assure  qu'il  n'est  pas  l'effet  de  l'une  de 
ces  forces  ou  de  l'un  de  ces  agents  naturels  encore 
inconnus,  et  qu'un  avenir  peut-être  prochain  décou- 
vrira? Dès  lors,  il  ne  peut  plus  être  question  que  de 
choses  naturellement  inexpliquées. 

L'expédient  est  assurément  habile,  il  n'est  nulle- 
ment justifié  ;  car  il  repose  sur  une  double  hypo- 
thèse ruineuse,  à  savoir  que  la  nature  contient  une 
réserve  inépuisable  d'énergie  et  que  la  raison  hu- 
maine peut  et  doit  avoir  réponse  à  tout;  nature  et 
raison  sont  limitées.  Du  reste,  pour  affirmer  le 
caractère  préternaturel  d'un  phénomène,  il  n'est 
point  nécessaire  de  connaître  toutes  les  lois  de  la 
nature,  ni  de  recourir  à  l'existence  problématique 
d'une  force  ou  d'une  loi  inconnues  ;  il  suffit  de  con- 
naître avec  certitude  la  loi  ou  l'ordre  qui  est  en  jeu. 
m  II  est,  par  exemple',  très  clairement  et  très  dis- 
tinctement prouvé  par  la  philosophie  comme  par 
la  physiologie  expérimentale  que,  chez  l'homme, 

ne  peut  rien.  «  Elle  est,  dit-il,  une  thérapeutique  presque 
exclusivement  fonctionnelle  (si  elle  arrive  à  rétablir  les  fonc- 
tions troublées,  elle  ne  parvient  pas  à  guérir  les  organes  mala- 
des). La  suggestion  ne  peut  réduire  un  membre  luxé,  dégon- 
fler une  articulation  gonflée  par  le  rhumatisme,  restaurer  la 

,  substance  cérébrale  détruite,  etc.  »  Hypnotisme,   suggestion, 

,  Psychothérapie. 


LE  MIRACLE  EST  DISCERNABLE  71 

la  mort  est  incapable  de  produire  la  vie...  Cela  est 
si  certain  que  l'hypothèse  adverse  mettrait  en  con- 
tradiction les  faits  les  plus  notoires  avec  eux-mê- 
mes et  substituerait  aux  lois  de  la  nature  la  plus 
entière  anarchie  ;  car  si  la  mort  peut  produire  la 
vie,  elle  n'est  plus  la  mort,  mais  encore  la  vie 
même  (i).  »  Or,  même  en  admettant  cette  hypo- 
thèse, il  reste  à  expliquer  comment  Jésus,  par  exem- 
ple, a  pu,  bien  longtemps  avant  les  découvertes 
contemporaines,  se  servir  comme  à  plaisir  de  ces 
forces  inconnues,  comment  il  a  pu  commander 
aux  cléments,  reconstituer  subitement  des  tissus 
organiques,  rendre  l'ouïe  aux  sourds,  la  vue  aux 
aveugles,  la  vie  aux  morts.  C'est  donc  qu'il  en  était  le 
maître.  Mais  alors  se  pose  impérieusement  la  ques- 
tion :  Quel  est  celui  à  qui  les  vents  et  la  mer  obéis- 
sent ? 

7.  Fait  sensible,  phénomène  préternaturel,  le  mi- 
racle doit  avoir  Dieu  pour  auteur.  Comment  déter- 
miner avec  certitude  cette  origine  divine  ?  Au-dessus  >, 
des  agents  matériels  ou  humains,  il  y  a,  en  effet, 
les  anges  déchus  qui  cherchent  à  nous  tromper  en 
contrefaisant  l'œuvre  de  Dieu.  Le  merveilleux  dia- 
bolique est-il  facile  à  distinguer?  Oui,  car  il  a, 
avec  le  miracle,  des  différences  ontologiques,  tirées 
de  son  degré  d'être  ou  de  mouvement;  des  différen- 
ces logiques,  tirées  de  la  valeur  de  la  doctrine  qu'il 
atteste;  et  des  différences  morales,  tirées  de  sa  con- 
formité ou  de  son  opposition  avec  les  règles  fon- 
damentales de  la  morale  naturelle.  Ces  signes 
distinctifs  sont  empruntés,  soit  à  la  nature  même 
du  phénomène,  soit  à  la  valeur  de  la  doctrine,  soit 
aux  circonstances. 
Le  démon,  en  effet,  est  incapable  de  vouloir  le 

i.  Didiot,  Logique  surn.  objective,  n.  ujb,  p.  i85«  , 


~2  LE    CATECHISME    ROMAIN 


bien,  sauf  en  vue  du  mal;  d'une  façon  ou  d'une 
autre,  il  doit  se  trahir.  S'il  est  des  choses  qu'il  ne 
peut  vouloir,  il  en  est  d'autres  qu'il  ne  peut  savoir, 
et  que,  forcément,  il  ignore,  d'autres  encore  qu'il 
ne  peut  réaliser. 

Ces  dernières,  telles  que  la  résurrection  d'un 
mort  ou  la  création  d'une  substance,  relèvent  exclu- 
sivement de  Dieu.  Quant  à  celles  qu'il  peut  accom- 
plir, quelle  que  soit  leur  apparence,  elles  finissent 
toujours  par  déceler  son  intervention  (i).  C'est  ainsi 
que  tout  prestige  en  faveur  d'une  doctrine  qui  serait 
manifestement  en  opposition  avec  des  vérités  d'or- 
dre rationnel  ou  philosophique,  doit  être  réputé 
d'origine  diabolique  ;  car  Dieu,  vérité  absolue,  ne 
saurait  patronner  l'erreur  (2).   Il  en  est  de  même  de 

1.  «  Le  moyen  infaillible  de  prouver  qu'un  prodige  n'est 
pas  diabolique  sera  donc  d'établir  qu'il  est  parfait  de  tout 
point.  Un  fait  surhumain  et  extra-naturel  qui  ne  présente,  ni 
dans  la  fin  qu'il  réalise,  ni  dans  l'objet  qu'il  met  en  scène,  ni 
dans  les  agents  qui  l'opèrent,  ni  dans  les  circonstances  qui 
l'accompagnent,  ni  dans  les  résultats  qu'il  produit,  rien,  abso- 
lument rien  de  louche,  d'inconvenant,  de  faux,  d'immoral,  un 
fait  de  ce  genre  ne  peut  pas  être  diabolique.  L'œuvre  porte 
toujours  la  marque  de  l'ouvrier;  tout  contact  de  l'enfer  engen- 
dre une  souillure  ;  regardez  bien  :  Satan  signe  toutes  ses 
œuvres  ;  sa  signature  est  une  infamie  éclatante  ou  cachée. 
La  haine  de  la  vérité  qui  brûle  son  cœur  lui  inspire  un  irrésis- 
tible besoin  de  négation  et  de  mensonge  ;  il  ne  peut  pas  ne 
pas  mentir.  L'horreur  de  la  vertu  qu'entretient  en  sa  con- 
science la  vue  de  sa  propre  dépravation,  le  pousse  invincible- 
ment à  l'injustice  et  à  l'abjection  ;  il  ne  peut  pas  ne  pas  souf- 
fler l'injustice  et  l'impureté  ;  le  mépris  de  la  vraie  grandeur, 
qu'exaspère  incessamment  le  souvenir  immortel  de  son  irré- 
médiable déchéance,  le  fait,  malgré  lui,  insulter,  blasphémer 
et  maudire  :  il  ne  peut  pas  ne  pas  être  impie.  L'aversion  insur- 
montable pour  l'ordre  et  la  dignité,  qu'envenime  le  sentiment 
de  sa  difformité  et  de  sa  bassesse,  l'entraîne  inévitablement  à 
l'extravagance  et  à  la  bouffonnerie  :  il  ne  peut  pas  ne  pas  être 
grimaçant  et  vil.  »  Gondal,  Miracle,  p.  109.  —  2.  «  Ainsi  tous 
les  prodiges,  invoqués  et  réalisés  à  l'appui  du  polythéisme,    du 


LE    MIRACLE    EST    DISCERNABLE  7 3 

tout  fait  merveilleux  qui  serait  contraire  à  la  morale 
ou  à  la  décence  naturelles  ou  qui  n'aurait  que  la 
portée  d'une  curiosité  vaine  et  puérile  (i)  ;  car 
Dieu,  le  bien  par  essence,  ne  saurait  favoriser  l'im- 
moralité ni  se  prêter  à  d'indiscrètes  expériences. 

8.  De  là  vient  que  Pascal  a  pu  dire  qu'il  faut 
juger  de  la  doctrine  par  les  miracles  et  des  mira- 
cles par  la  doctrine.  Rien  de  plus  juste,  bien  qu'on 
ait  voulu  y  voir  un  cercle  vicieux  ou  un  paradoxe  (2). 
Il  faut,  en  effet,  juger  de  la  doctrine,  donnée  comme 
révélée,  par  le  miracle  ;  dans  ce  cas,  le  vrai  mira- 
cle, le  miracle  d'origine  divine  sert  de  signature 
authentique  et  de  garantie  absolue  à  la  doctrine 
révélée.  Inversement,  la  doctrine  sert  à  distinguer 
et  à  qualifier  le  miracle  :  vraie  et  bonne,  elle  écarte 
son  origine  diabolique  ;  douteuse,  futile  ou  mau- 
vaise, elle  décèle  cette  origine  et  le  condamne. 

9.  Il  est  parfois  des  faits  étonnants,  dont  l'ori- 
gine divine  n'apparaît  pas  avec  une  irrésistible  évi- 
dence ;  des  doutes  restent,  ou  du  moins  des  hésita- 
tions ;  cela  a  lieu  dans  certaines  manifestations  à 
caractères  peu  tranchés  qui  troublent  l'esprit  et  le 
placent  en  face  d'une  énigme.  C'est  alors  le  cas, 
pour  lhomme  raisonnable,  d'attendre  un  examen 
plus  détaillé  et,  si  rien  de  décisif  n'apparaît,  de 
s'abstenir  de  se  prononcer  ;  quant  au  chrétien,    il 

panthéisme,  du  mahométisme,  sont  condamnés  sans  appel  ni 
exception,  par  le  seul  fait  de  leur  relation  avec  des  théories 
incontestablement  fausses  en  matière  de  religion.  »  Didiot, 
Logique  surn.  obj.,  n.  280,  p.  189. 

1.  «  De  ce  chef  encore,  les  miracles  du  paganisme  indien  ou 
gréco-romain,  du  mahométisme  et  de  certaines  sectes  téné- 
breuses plus  récentes  sont  nettement  écartés  du  terrain  de  la 
saine  apologétique  :  la  raison  voit  trop  bien  qu'ils  sont  pour 
favoriser  quelque  désordre  moral.  »  Didiot,  Logique  surnat. 
obj.,  n.  281,  p.  190.  —  2.  Par  exemple,  Larroque  et  Sully- 
Prudhomme. 


•7  4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■■  ■  "  ■ 

n'a  qu'à  se  confier  à  la  sagesse  prudente  de  l'Eglise. 
Il  est  aussi  des  cas,  des  phénomènes  naturels  en 
eux-mêmes,  qui  sont  de  vrais  miracles,  mais  dont 
on  ne  peut  avoir  qu'une  certitude  morale  qu'ils 
ont  Dieu  pour  auteur.  Très  raisonnablement  on  peut 
être  amené  à  conclure  leur  origine  divine  pour  trois 
motifs  différents  :  «  et  parce  que  l'examen  des  cir- 
constances révèle  clairement  la  non-intervention 
des  créatures,  rendant  par  là  même  évidente  l'in- 
tervention du  Créateur  ;  et  parce  que  l'éclat  des 
prodiges  déjà  accomplis  par  le  thaumaturge,  rejail- 
lissant sur  l'œuvre  extraordinaire  que  nous  avons 
déjà  sous  les  yeux,  en  fait  ressortir  le  caractère 
divin,  autant  et  peut-être  mieux  que  l'examen 
attentif  des  circonstances  de  l'œuvre  elle-même  ;  et 
parce  que  l'Eglise,  juge  prudent,  éclairé,  sincère, 
déclare,  après  l'avoir  constatée,  la  divinité  du  fait 
en  question.  De  ces  trois  moyens  d'arriver  au  vrai, 
le  plus  sûr  et  le  plus  court  est  bien  certainement  le 
troisième.  Consulter  l'Eglise,  quoi  de  plus  simple  ! 
S'en  rapporter  à  l'Eglise,  quoi  de  plus  raisonnable  ! 
Elle  a  si  sagement  déterminé  les  règles  qui  permet- 
tent de  discerner  sûrement  les  vrais  miracles  ;  elle 
les  applique  avec  une  si  judicieuse  maturité;  elle  ne 
se  prononce  qu'après  un  si  minutieux  examen  ;  elle 
est  si  lente  à  proclamer  les  merveilles  que  le  Christ 
opère  à  sa  gloire,  en  faveur  de  ses  œuvres  et  de  ses 
enfants  (i)  l  » 

IV.  Valeur  démonstrative 
du  miracle 

i.  Le  miracle  n'est  pas  une  fin  en  soi,    il  n'est 
qu'un  moyen,  un  argument,  dont  Dieu  se  sert  dans 

i.  Gondal,  Miracle,  p.  119. 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DU    MIRACLE  ^5 


un  but  déterminé.  Ce  n'est  pas  seulement  pour  faire 
connaître  quelques-unes  de  ses  perfections,  c'est 
surtout  pour  prouver  la  révélation  qu'il  communi- 
que directement  à  ses  mandataires  de  choix  et  que, 
par  eux,  il  fait  transmettre  au  genre  humain.  Or, 
prouver,  c'est  éclairer  un  fait  ou  une  vérité  de  ma- 
nière à  les  rendre  visibles  ;  c'est  aussi  éclairer  l'in- 
telligence de  manière  à  la  rendre  clairvoyante.  La 
force  probante  va  à  démontrer  quelque  chose,  à 
persuader  quelqu'un  ;  parfaite,  la  démonstration 
produit  l'évidence,  et  la  persuasion  la  certitude.  Que 
fait  donc  le  miracle  ?  Produit-il  l'évidence  ?  donne- 
t-il  la  certitude  ? 

2.  C'est  la  prétention  de  certains  rationalistes  que 
les  miracles  ne  prouvent  rien,  parce  que,  s'ils  ont 
une  valeur  démonstrative  en  faveur  de  la  révélation 
chrétienne,  ils  doivent  l'avoir  également  en  faveur 
de  toute  autre  religion  ;  mais  c'est  une  prétention 
absolument  insoutenable.  Elle  repose,  en  effet,  sur 
une  assimilation  erronée  des  prestiges  merveilleux 
avec  le  miracle  proprement  dit,  et  dont  nous  avons 
déjà  fait  justice.  Qu'on  allègue  donc  tant  qu'on  vou- 
dra les  prodiges  de  Zoroastre,  de  Bouddha  ou  de  Ma- 
homet, les  phénomènes  bizarres  du  paganisme  gréco- 
romain  et  les  faits  non  moins  stupéfiants  des  dervi- 
ches ou  des  fakirs,  tous  ces  faits  fussent-ils  avérés, 
et  tous  sont  loin  de  l'être,  de  l'aveu  même  d'histo- 
riens compétents  et  de  critiques  sans  préjugés  (i), 

i.  «  Sur  la  biographie  de  Zoroastre,  on  ne  connaît  rien  de 
positif;  son  existence  même  acte  révoquée  en  doute,  bien 
qu'il  nous  ait  été  transmis  grand  nombre  de  légendes  concer- 
nant sa  naissance  sa  tentation  et  ses  miracles.  »  Ticlc,  Manuel 
de  l'histoire  des  religions,  p.  232.  «  Le  plus  ancien  document 
concernant  la  vie  de  Bouddha,  le  Lalita-Vistara,  est  un  livre 
sanscrit  d'une  date  et  d'une  autorité  inconnues,  composé  pro- 
bablement au  Népal,  par  quelque  bouddhiste  qui  vivait  en(  e 
les  années  600  et  1000  après  la  mort  de  Bouddha.    Gomme 


76  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ils  n'en  seraient  pas  moins  condamnés  pour  leur 
origine  suspecte  et  sans  valeur  aucune  en  faveur  de 
personnages  ou  de  systèmes  religieux,  dont  la  raison 
réprouve  l'erreur  notoire  ou  les  vices  secrets.  Ii  n'y 
a  là  aucune  parité  possible.  Les  miracles  racontés 
dans  la  Bible,  notamment  les  miracles  évangéiiques, 
ont  une  tout  autre  autorité  :  consignés  par  des 
témoins  oculaires  ou  auriculaires,  annoncés  par  les 
apôtres  et  avoués  même  par  les  adversaires,  racon- 
tés aussi  en  partie  par  des  historiens  profanes  des 
premiers  siècles,  scellés  enfin  par  le  témoignage 
suprême  du  sang,  ils  se  présentent  à  nous  avec  une 
certitude  qui  s'impose  et  aussi  avec  une  force  pro- 
bante dont  il  reste  à  déterminer  la  nature. 

3.  Constatons  d'abord  que  le  miracle  ne  prouve 
pas  la  vérité  intrinsèque  de  la  révélation.  Car  «  les 
choses  de  la  foi  dépassant  la  portée  de  la  raison 
humaine,  il  n'est  pas  possible  den  faire  l'objet 
d'une  démonstration  rationnelle  ;  il  faut  qu'elles 
soient  prouvées  par  l'argument  de  la  puissance 
divine  ;  de  telle  sorte  qu'en  voyant  un  homme 
accomplir  des  œuvres  qui  ne  sont  possibles  qu'à 
Dieu,  on  demeure  persuadé  que  ses  dires  sont  aussi 
divins  que  ses  actes,   comme  on  croit  sans  hésiter, 

document  pour  le  bouddhisme  primitif,  il  est  à  peu  près  de  la 
même  valeur  que  le  serait  un  poème  du  moyen  âge  pour  les 
faits  de  l'Evangile.  »  Rhys-David,  dans  les  Hébert  Lectures, 
188*,  p.  197-198.  Quant  à  Mahomet,  lui-même  en  fait  l'aveu 
dans  le  Coran  (xvn,  91-99),  il  ne  voulut  point  recourir  aux 
miracles  ;  mais  on  lui  en  prête,  et  leur  récit  remplit  la  Somma. 
«  Les  avoir  lus,  dit  M.  Gondal  (Miracle,  p.  166),  c'est  être  fixé 
à  jamais  sur  la  valeur  intellectuelle  et  morale  d'hommes  assez 
dépourvus  de  sens  et  de  pudeur  pour  imaginer  de  pareils 
exploits  ou  simplement  pour  les  prendre  au  sérieux.  »  Toute 
proportion  gardée,  il  convient  d'en  dire  autant  pour  tous  les 
faits  prodigieux  anciens  ou  récents,  qui  se  passent  dans  les  sec- 
tes ou  chez  les  infidèles  :  ou  ils  sont  faux,  ou  ils  ne  signifient 
rien,  si  ce  n'est  parfois  quelque  intervention  diabolique. 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DU    MIRACLE  77 

en  voyant  aux  mains  de  quelqu'un  une  lettre  por- 
tant le  sceau  du  roi,  que  ce  qui  est  renfermé  dans 
cette  lettre  est  l'expression  .  fidèle  du  vouloir 
royal  (i).  » 

[\.  Le  miracle  prouve  du  moins  avec  évidence  le 
fait  ou  l'existence  de  la  révélation.  Dieu,  il  est  vrai, 
aurait  pu  directement  faire  connaître  à  chaque 
homme  les  vérités  et  les  ordres  qu'il  entend  propo- 
ser à  son  intelligence  et  imposer  à  sa  volonté.  Il  ne 
l'a  pas  voulu.  Connaissant  bien  la  nature  humaine, 
pour  l'avoir  créée,  et  sachant  qu'en  vertu  de  la  loi 
de  sa  vie  intellectuelle,  c'est  par  la  parole  que 
l'homme,  fait  pour  la  société,  parvient  naturelle- 
ment à  la  connaissance  de  la  vérité,  il  a  préféré  se 
choisir  quelques  représentants  auprès  de  l'humanité 
pour  lui  notifier  ses  pensées  et  lui  intimer  ses  ordres. 
Mais,  ce  faisant,  il  a  dû  investir  ses  mandataires 
de  son  autorité  propre.  Car  un  homme  n'est  qu'un 
homme.  Le  premier  venu  peut  se  dire  envoyé  de 
Dieu  et  prétendre  parler  en  son  nom.  Comment  le 
croire  sur  parole  ?  Qui  assure  qu'il  n'est  pas  victime 
d'une  illusion  ou  qu'il  ne  cherche  pas  à  exploiter 
la  crédulité  publique?  Où  sont  ses  preuves?  Car,  de 
toute  nécessité,  il  en  faut,  et  d'éclatantes,  et  d'irré- 
cusables, surtout  en  face  de  vérités  inaccessibles  à  la 
raison  et  de  devoirs  supérieurs  à  ceux  que  dicte 
d'ordinaire  la  conscience  ;  sans  quoi,  vaine  est  sa 
parole  et  stérile  son  action. 

Mais  que  cet  homme  appuie  sa  parole  sur  de 
vrais  miracles,  manifestement  il  parle  au  nom  de 
Dieu.  Le  miracle  est  sa  caution,  sa  garantie,  la  mar^ 
que  authentique,  la  lettre  de  créance  de  Dieu.  Or,  il 
peut  le  faire,  soit  d'une  manière  explicite,  soit  d'une 
manière  implicite  :   explicitement,  en  autorisant  sa 

1.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  III,  Q.  xlui,  a.  1.  ' 


7 S  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mission  par  le  miracle  qu'il  va  opérer  ou  par  ceux 
qu'il  a  déjà  opérés  et  auxquels  il  fait  appel;  impli- 
citement, en  laissant  à  ses  auditeurs  le  soin  de  con- 
clure eux-mêmes  de  la  manifestation  éclatante  de 
ses  œuvres  à  l'origine  divine  de  son  enseignement. 
Car  Dieu,  qui  est  la  vérité  même,  ne  peut  appuyer 
que  la  vérité  ;  d'aucune  façon,  il  ne  saurait  autori- 
ser son  représentant  légitime  à  induire  les  autres 
en  erreur;  ses  attributs  l'empêchent  d'intervenir 
par  le  miracle  en  faveur  du  plus  léger  mensonge 
ou  du  moindre  mal.  C'est  ainsi,  nous  l'avons  vu, 
qu'ont  toujours  opéré  les  thaumaturges,  Moïse  et 
les  prophètes  dans  l'Ancien  Testament,  Notre  Sei- 
gneur et  les  Apôtres  dans  le  Nouveau.  Le  miracle 
est  donc  une  preuve  démonstrative,  parfaitement 
recevable  ;  il  prouve  que  Dieu  a  réellement  parlé; 
que  Dieu,  en  parlant,  ait  dit  la  vérité  et  que  dès  lors 
il  ait  droit  à  notre  docile  assentiment,  c'est  la  con- 
clusion logique  qui  s'impose  à  notre  raison. 

5.  C'est  la  conclusion  logique,  disons-nous  ;  mais 
combien  qui  se  refusent  à  la  tirer  !  Tant  il  est  vrai 
que  la  démonstration  et  la  persuasion  diffèrent  I 
que  l'évidence  externe  ne  produit  pas  toujours  la 
conviction  interne  !  Il  y  a  toujours  des  irréducti- 
bles (i).  Du  moins  les  âmes  droites  et  pures,  les 

i.  «  Le  miracle  projette  sur  les  choses  de  la  religion  ses 
clartés  divines.  Pourrai-je  me  soustraire  à  l'évidence  qu'il  leur 
communique  ?  Oui,  sans  aucun  doute,  si,  par  ma  faute,  j'ai 
perdu  la  faculté  de  voir  les  choses  de  Fàmc  ;  oui  encore,  si,  de 
parti  pris,  je  refuse  de  tourner  mes  regards  du  côté  d'où  vient 
la  lumière  ;  oui,  toujours,  si,  volontairement  et  pour  échapper 
à  ce  jour  qui  m'importune,  je  demande  aux  passions  de  faire 
artificiellement  la  nuit  autour  de  mon  âme  ;  non,  certaine- 
ment, si  j'ai  conservé,  avec  le  respect  des  droits  de  Dieu,  le 
désir  de  les  mieux  connaître,  pour  en  faire  pratiquement  la 
règle  de  ma  vie.  Le  philosophe  athée,  matérialiste  ou  panthéiste, 
atteint  de  cécité  religieuse,  passera  sans  les  voir  devant  les 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DU    MIRACLE  7g 

esprits  sincères  et  amis  de  la  lumière,  se  laissent 
toucher.  En  voyant  un  miracle,  spontanément  ils 
disent  :  Dieu  est  là  ;  il  n'y  a  plus  qu'à  savoir  ce  qu'il 
veut  ;  notre  devoir  impérieux  est  d'obéir  Telle  est 
l'histoire  de  toutes  les  conversions.  «  J'ai  bien  long- 
temps douté  des  miracles,  écrivait  Louis  Veuillot, 
et  maintenant  que  j'y  songe,  je  ne  sais  vraiment  pas 
comment  je  m'y  prenais  pouf  cela  ;  car  rien  ne  me 
parait  plus  facile  à  croire.  Quoi  de  plus  naturel,  de 
plus  conforme  à  la  miseriez  de  divine,  que  ces 
éclatants  prodiges,  qui  viennent,  à  de  fréquents 
intervalles,  récompenser  une  foi  vive,  ou  ranimer 
dans  les  cœurs  bons  et  naïfs  la  foi  ébranlée.  Dieu, 
dans  sa  bonté,  se  montre  à  tous,  selon  qu 'ils  le  peu- 
vent voir  ;  il  ne  se  cache  qu'à  l'orgueil,  le  plus 
horrible  des  crimes,  la  pire  espèce  de  toutes  les 
impiétés,  à  l'orgueil  qui  a  créé  l'enfer.  Mais  le  cœur 
simple  voit  de  ses  yeux,  touche  de  ses  doigts,  sent 
au  contact  de  son  cœur,  le  maître  qu'il  veut  servir 
et  glorifier  (i).  » 

6.  En  revanche,  plus  nos  contemporains  regim- 
bent contre  le  miracle,  plus  ils  inclinent  vers  la 
crédulité.  On  connaît  la  fascination  qu'exercent  les 
sciences  occultes,  ainsi  que  les  expériences  qui  se 
poursuivent  dans  les  cliniques  et  les  salons.  Séan- 

faits  les  plus  évidents  qui  attestent  l'existence  et  l'intervention 
de  Dieu.  Le  déiste,  égaré  par  l'orgueil,  refusera  de  les  examiner, 
craignant  comme  Rousseau  que  la  vue  d'un  miracle,  au  lieu 
de  le  rendre  croyant,  ne  le  rende  fou.  Le  libertin,  aveuglé  par 
ses  préjugés,  inventera  mille  prétextes  pour  se  persuader  que 
la  lumière  qui  l'éblouit  n'est  qu'un  jour  factice,  et,  quand  lît 
fumée  des  passions  l'aura  enveloppé  d'un  manteau  de 
ténèbres,  il  se  flattera  d'avoir  supprimé  le  soleil.  Pour  toutes 
ces  âmes  mortes  ou  malades,  incapables  de  voir  ou  désireuses 
de  ne  pas  voir,  l'argument  du  miracle  est  sans  valeur.  »  Gon- 
dal,  Miracle,  p.  i52.  , 

j.  Pèlerinage  en  Suisse,  t.  i,  p.  i53. 


80  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  '  '■ 

ces  de  spiritisme,  d'hypnotisme,  de  suggestion,  com- 
bien de  faits  ne  révèlent-elles  pas  !  Et  s'il  est  permis 
parfoisde  soupçonner  l'illusion  ou  l'imposture,  il  est 
pourtant  des  témoignages  qui  méritent  créance.  Qu'en 
conclure?  «  La  pensée  ne  saurait  venir  à  un  croyant 
sincère  de  chercher  Dieu  dans  des  amusements 
de  salon  ou  des  expériences  de  clinique.  Des  innom- 
brables phénomènes  étudiés  par  les  savants  sous  les 
noms  d'hypnose,  de  suggestion,  de  spiritisme,  etc., 
beaucoup  sont  d'apparence  naturelle,  plusieurs  por- 
tent des  signes  d'une  provenance  diabolique,  pas 
un  ne  révèle  une  céleste  origine  ;  pas  un  qu'un 
théologien  puisse  être  tenté  de  prendre  pour  un 
vrai  miracle  (i),  »  pas  un,  ajouterons-nous,  qui 
puisse  contrebalancer  la  force  probante  du  mira- 
cle (2). 

t.  Gondal,  Miracle,  p.  175.  —  2.  C'était  une  doctrine 
incontestée  jusqu'ici,  fermement  et  constamment  professée 
par  la  tradition,  que  les  miracles  opérées  par  Notre  Seigneur 
sont  avant  tout,  dans  leur  réalité  objective,  des  témoi- 
gnages formels  et  des  preuves  irrécusables  de  l'origine  et 
de  la  mission  divine  du  Christ.  Ils  constituent  tout  d'abord 
des  motifs  de  crédibilité.  Qu'après  cela  ils  signifient  aussi 
une  réalité  spirituelle,  pas  d'inconvénient.  Mais  les  réduire 
à  n'être  que  le  symbole  d'une  doctrine  ou  d'une  vérité  à  pro- 
fesser, c'est  la  prétention  excessive  de  la  nouvelle  école  d'apo- 
logétique. M.  Loisy  va  même  jusqu'à  refuser  toute  réalité  his- 
torique aux  miracles  rapportés  par  saint  Jean.  M.  Laberthon- 
nière  admet  l'authenticité  des  miracles  du  Christ,  mais  il  ne 
veut  y  reconnaître  que  le  signe  d'un  mystère,  d'une  doctrine. 
Une  telle  théorie  ruinerait  le  fondement  rationnel  de  notre 
croyance;  car,  à  rejeter  la  valeur  apologétique  du  miracle,  telle 
que  Fa  toujours  comprise  l'Eglise,  notre  foi  ne  s'appuierait 
plus  sur  un  motif  préalable  absolument  certain,  qui  lui  serve 
de  justification.  La  vérité  est  que  la  valeur  apologétique  du 
miracle  reste  primordiale  et  l'emporte,  sans  l'amoindrir,  sur  la 
valeur  symbolique.  Voir  plus  haut.  p.  48,  la  proposition  ré- 
cemment condamnée. 


DOCTRINE    CATHOLIQUE    SUR    LE   MIRACLE  8l 

V.   Doctrine   catholique 
sur  le   miracle 

i.  L'enseignement  de  l'Eglise  sur  le  miracle  se 
trouve  résumé  dans  le  troisième  chapitre  de  la  Cons- 
titution Dei  Filius,  du  concile  du  Vatican,  et  dans 
deux:  canons  de  ce  même  chapitre.  «  Néanmoins, 
dit  le  concile,  afin  que  l'hommage  de  cette  foi  fût 
d'accord  avec  la  raison,  aux  secours  intérieurs  du 
Saint-Esprit,  Dieu  a  voulu  joindre  des  preuves  exté- 
rieures de  sa  révélation,  savoir  des  faits  divins,  et 
surtout  dos  miracles  et  des  prophéties,  qui,  en  mon- 
trant abondamment  la  toute-puissance  et  la  science 
infinie  de  Dieu,  font  reconnaître  la  révélation  di- 
vine, dont  ils  sont  des  signes  très  certains  et  appro- 
priés à  l'intelligence  de  tous.  C'est  pourquoi  soit 
Moïse  et  les  prophètes,  soit  surtout  le  Christ,  Notre 
Seigneur  lui-même  ont  fait  de  nombreux  et  très 
manifestes  miracles  et  prophéties.  Et  nous  lisons 
des  Apôtres  :  «.  Pour  eux,  étant  partis,  ils  prêchè- 
rent en  tous  lieux,  le  Seigneur  travaillant  avec  eux, 
et  confirmant  leur  parole  par  les  miracles  qui  l'ac- 
compagnaient (i).  »  Il  est  aussi  écrit:  «  Et  ainsi  a 
été  confirmée  pour  nous  l'Ecriture  prophétique,  à 
laquelle  vous  faites  bien  de  prêter  attention,  comme 
à  une  lampe  qui  brille  dans  un  lieu  obscur  (2).  » 

Canon  3  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  la  révé- 
lation divine  ne  peut  être  rendue  croyable  par  des 
signes  extérieurs,  et  par  conséquent  que  les  hommes 
ne  doivent  être  amenés  à  la  foi  que  par  une  expé- 
rience interne  et  personnelle  ou  par  une  inspira- 
tion privée.  » 

1.  Marc,  xvi,  20.  —  2.  II  Petr.,  1,  19.  Const.  Dei  Filius, 
C.  ni,  S  2. 

IB   CATÉCHISME.  —  T.  III.  6 


82  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Canon  h  :  «  Anathème  à  qui  dirait  qu'il  n'y  a 
point  de  miracles  possibles,  et  que  par  conséquent 
tous  les  récits  de  miracles,  même  ceux  de  la  sainte 
Ecriture,  doivent  être  rejetés  comme  des  fables  et 
des  mythes  ;  —  ou  bien  que  les  miracles  ne  peu- 
vent jamais  être  connus  avec  certitude  et  qu'ils  ne 
fournissent  pas  une  preuve  véritable  de  l'origine 
divine  de  la  religion  chrétienne.  » 

2.  D'après  le  texte  de  cette  Constitution,  il  est 
d'enseignement  catholique  :  i°  que  le  miracle  est 
un  fait  divin  ;  le  concile  ne  dit  rien  du  rapport  de 
ce  fait  avec  l'ordre  du  monde  ;  —  20  que  ce  fait  est 
sensible,  au  moins  sous  un  certain  rapport,  puis- 
qu'il doit  servir  de  signe  et  d'argument  à  la  révéla- 
tion ;  —  3°  que,  parmi  les  faits  divins  destinés  à 
prouver  la  révélation,  il  faut  placer  en  tête  le  mi- 
racle, fait  d'ordre  physique,  et  la  prophétie,  fait 
d'ordre  intellectuel,  d'où  il  suit  que  le  concile  dis- 
tingue le  miracle  de  la  prophétie  ;  —  4°  que  le  mi- 
racle fait  ressortir  la  toute-puissance  de  Dieu  ;  — ■ 
5°  qu'il  est  un  signe  très  certain  et  approprié  à  l'in- 
telligence de  tous  ;  —  6°  et  que,  pour  ce  motif, 
Moïse,  les  prophètes,  Notre  Seigneur  et  les  Apôtres, 
mais  surtout  Jésus,  ont  fait  des  miracles. 

3.  D'après  les  canons,  il  est  de  foi  catholique  : 
i°  que  la  révélation  divine  peut  être  rendue 
croyable  par  des  signes  extérieurs,  et  donc  par  des 
miracles  ;  —  20  que  le  miracle  est  possible  ;  il  faut 
cependant  remarquer  que  la  première  partie  du 
canon  l\  est  susceptible  de  deux  interprétations  : 

*  fait-il  tomber  l'anathème  simplement  sur  ceux  qui 
nient  la  possibilité  du  miracle  ?  ce  sens  serait  plus 
conforme  à  V esprit  du  texte  ;  ou  bien  sur  ceux  qui 
nient  d'abord  cette  possibilité  et  qui  en  consé- 
quence traitent  de  fables  et  de  mythes  tous  les  récits 
scripturaires  ?   Ce   sens  serait  plus  conforme  à  la 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DU    MIRACLE  85" 

lettre  du  texte.  Dans  le  premier  cas,  la  possibilités 
du  miracle  serait  une  vérité  de  foi  catholique  ;  dans 
le  second,  elle  ne  serait  qu'une  vérité  très  proche  de 
la  foi  catholique  ;  —  3°  que  le  miracle  est  discernable ,. 
puisqu'il  peut  être  connu  avec  certitude  ;  —  4°  que  le; 
miracle  est  probant,  puisqu'il  fournit  une  preuve 
véritable  de  l'origine  divine  de  la  religion  chré- 
tienne ;  —  5°  que  le  miracle  est  démonstratif,  puis- 
que la  révélation  divine  peut  devenir  croyable  par 
des  signes  extérieurs,  et  persuasif,  puisque  la  pré- 
tention protestante,  que  l'homme  ne  peut  être 
amené  à  la  foi  que  par  la  seule  expérience  intérieure 
ou  par  l'inspiration  privée,  est  condamnée. 

1.  Miracle,  Nature  et  histoire.  —  «  La  négation; 
du  surnaturel  dans  l'histoire  est,  selon  toute  apparence,, 
la  négation  de  la  loi  de  l'histoire,  et  la  négation  du  sur- 
naturel dans  la  nature,  sans  ombre  d'hésitation  ni  de 
doute,  la  négation  de  la  liberté  de  Dieu...  De  même  que 
l'hypothèse  de  la  stabilité  des  lois  de  la  nature  est  la  con- 
dition d'avancement  delà  science,  ainsi  l'hypothèse  de  la 
Providence  est  la  condition  d'intelligibilité  de  l'histoire. 
C'est  ce  qu'on  appelle  le  «  surnaturel  général,  »  en  de- 
hors duquel  nous  ne  pouvons  seulement  concevoir  l'en- 
chaînement des  effets  et  des  causes,  ni  même  ce  que  ce  sont 
que  des  effets  et  que  des  causes  ;  et  l'histoire  n'est  plus 
qu'un  chaos,  rudis  indinestaque  moles,  une  succession 
irrégulière  et  désordonnée  de  mouvements  inutiles,  une 
agitation  tumultueuse  et  vaine,  l'illusion  passagère,  la 
Maya  des  philosophes  de  l'Inde,  le  rêve  que  nous  con- 
tinuons sans  savoir  quand  il  a  commencé,  ni  s'il  finira, 
ni  pourquoi  nous  le  rêvons.  Mais  à  la  lumière  du  sur- 
naturel, tout  s'éclaire  !  La  vie  de  l'espèce  prend  un  sens  ! 
l'histoire  de  l'humanité  s'organise  !  Et  nous  nous  dé- 
veloppons enfin,  au  sein  de  la  nature  indifférente  ou 
hostile,  comme  un  empire  dans  un  empire,  sous  une  loi 
qui  participe  de  la  divinité  de  son  auteur.  —  Mais,  s'il 
est  vrai  qu'ainsi  Dieu  demeure  le  «  maître  de  l'heure,  »- 


84  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

comment  méconnaîtrions  nous  que  sa  Liberté  fait  partie 
de  sa  définition  ?  et  qu'en  conséquence,  de  nier  le  sur- 
naturel, c'est  exactement  la  même  chose  que  de  nier 
Dieu  ?  Voilà  ce  qu'il  faut  bien  voir.  Je  ne  suis  pas  de  ceux 
qui  croient  qu'on  ne  fait  pas  au  scepticisme  sa  part,  et, 
au  contraire,  c'est  peut-être  en  cela  que  consiste  toute  la 
critique  :  affirmer  quand  il  le  faut,  et  douter  quand  il  le 
faut.  Je  ne  discute  pas  non  plus  l'authenticité  de  tel  ou 
tel  miracle  en  particulier  ;  j'en  laisse  le  soin  à  l'exégèse, 
vous  savez  maintenant  en  quel  sens  et  à  quelles  condi- 
tions. —  Mais  ce  que  je  dis,  c'est  que  l'affirmation  du 
surnaturel  est  inséparable  de  l'affirmation  de  l'existence 
de  Dieu.  Le  Dieu  d'Epicure  et  de  Lucrèce, 

Au  fond  de  son  azur  immobile  et  dormant, 

dépossédé  du  droit  d'intervenir  dans  son  œuvre  et  de- 
venu l'esclave  de  sa  création,  n'est  pas  un  Dieu,  mais  le 
contraire  d'un  Dieu.  J'en  dis  autant  du  Dieu  de  Spinoza, 
s'il  se  définit  par  son  immanence  à  son  œuvre,  et  par 
l'impossibilité,  non  seulement  pour  nous,  mais  pour  lui- 
même,  de  s'en  séparer  et  de  s'en  distinguer.  Mais  si  nous 
y  voyons  clair,  la  notion  du  surnaturel  conditionne  la 
notion  de  Dieu  ;  ou  encore  l'idée  de  Dieu  n'a  de  réalité, 
de  signification  même,  que  dans  la  catégorie  du  surna- 
turel. Dieu  se  manifeste  par  la  liberté  qu'il  a  de  défaire 
les  liens  où  notre  courte  science  essaye  de  l'emprisonner; 
et  il  faut  renoncer  à  s'entendre  quand  on  parle,  ou  il  faut 
convenir  que,  de  tous  les  attributs  par  lesquels  nous 
essayons  de  le  caractériser,  il  n'y  en  a  pas  un  qui  lui  soit 
plus  essentiel  que  celui  de  sa  liberté.  La  liberté  de  Dieu, 
c'est  son  essence  même,  puisqu'enfin  ce  n'est  qu'un  autre 
nom  de  sa  toute-puissance  ;  et  quand  on  affirme  le  sur- 
naturel, on  affirme  tout  simplement  que  la  nature  et 
l'humanité,  qui  ne  sont  pas  leur  propre  cause,  ne  sont 
pas  davantage  à  elles-mêmes  leur  loi  et  leur  fin.  L'homme 
en  a-t-il  vraiment  jamais  douté?»  Brunetière,  Les  diffi- 
cultés de  croire,  conférence  faite  à  Amsterdam,  le 
9  mai  1904. 

2.  Raison  du  miracle.  —  «  Au  point  de  vue  de  sa 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DU    MIRACLE  85 


finalité,  de  sa  raison  d'être,  de  son  but,   le  miracle  n'esl 
pas  un  blâme  ']Gté  par  Dieu  sur  la  création,  comme  si  elle 
était  manquée  en  certains  points  et  démandait  à  être  cor- 
rigée par  une  intervention  préternaturelle.    —  Ce  n'est 
pas  non  plus  un  acte  de  repentir  du  Créateur  reprenant 
le  monde  en  sous-œuvre  et  lui  donnant  des  suppléments 
dont  il  aurait  eu  primitivement  grand  besoin.  —  Ce  n'est 
pas  davantage  un  acte  de  réparation,  comme  si  quelque 
faute,  quelque  crime  originel,  avait  altéré  la  constitution 
cosmique  antérieure.  —  Enfin  ce  n'est  pas  un  acte  de 
caprice  ou  de  hasard,  comme  si  nulle  raison  plausible 
n'avait  présidé  à  sa   production  et  ne  pouvait  lui   être 
assignée.  Aucune  opération  divine,  surtout  préternaturelle 
ou  surnaturelle,  ne  saurait  être  que  pleinement  et  pro- 
fondément sage.  —  Le  miracle  étant  avant  tout  une  com- 
munication d'être  et  de  mouvement  plus   sublimes  que 
dans  l'ordre   naturel,    il  a   pour  suprême   raison  déter- 
minante la  glorification  extérieure  et  accidentelle  de  Dieu 
mieux  manifesté  et  mieux  connu,  plus  estimé,  plus  aimé 
et  mieux  loué.  —  Si  la  création  fut  possible  parce  qu'elle 
était  à  la  gloire  de  Dieu,  le  miracle  est  plus  possible  en- 
core, parce  qu'il  est  à  une  plus  grande  gloire  de  Dieu.  — 
Le   miracle  étant  destiné   à   amplifier  notre  perfection 
intellectuelle  par  une  plus  claire  connaissance  de  Dieu, 
notre  perfection  morale  par  un   plus  grand   amour  de 
Dieu,    notre    éternelle    béatitude  par  une  plus    intime 
union,  dès  cette  vie,  avec  Dieu,  il  a  pour  raison  secon- 
daire la  bonté  divine  envers  nous.   —  Le  miracle   étant 
objectivement  un  complément  d'être  et  de  mouvement 
pour  l'univers  entier,   et  conséquemment  un  rapproche- 
ment marqué  de  celui-ci  avec  son  auteur,  il  a  pour  rai- 
son   secondaire    aussi    Vamour    du    Créateur    pour    les 
créatures.  »  Didiot,  Logique  surnat.  object.,  Paris,  1892,. 
n.  200-201,  p.  i38-i3q. 

3.  Preuve  que  donne  le  miracle.  —  •  Dieu  est  la 

vérité,  la  vérité  sans  ombre,  ce  qu'il  garantit  est  vrai,  ce 
qu'il  signe  est  authentique,  son  témoignage  est  irré- 
cusable. Le  miracle,  œuvre  divine  et  témoignage  divin,, 
est  un  argument  sans  réplique  ;  c'est  la  lumière  divine 


86  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


tombant  d'aplomb  sur  les  hommes  ou  sur  les  choses 
désignées  par  le  thaumaturge  ;  et  cette  illumination  d'en 
tiaut  rend  tout  ce  qui  se  trouve  sous  son  rayonnement, 
non  seulement  clair,  mais  évident,  mais  éblouissant. 
Oui,  le  miracle  donne  l'évidence,  non  pas  l'évidence  in- 
trinsèque qui  ouvre  le  fond  et  explique  le  pourquoi  des 
choses,  mais  l'évidence  extrinsèque  qui,  en  éclairant  les 
•surfaces  et  en  délimitant  les  contours,  met  hors  de  toute 
contestation  l'existence  de  ce  qu'affirme  l'envoyé  divin,  et 
nous  permet  de  le  saisir  sans  le  comprendre.  Même  après 
un  miracle  accompli  en  faveur  d'un  prophète,  je  puis  ne 
pas  pénétrer  le  sens  mystérieux  de  la  vérité  qu'il  annonce, 
-mais  le  fait  de  la  révélation  est  hors  de  toute  contestation 
possible...  Le  miracle  n'étant  qu'un  témoignage  ne  peut 
établir  qu'un  fait,  sans  en  donner  la  raison;  mais  ce 
témoignage  étant  divin,  le  fait  est  certain,  d'une  certitude 
inébranlable.  »  Gondal,  Miracle,  p.  i5o-i5i. 

«  Le  miracle  est  le  véritable  pivot  de  la  religion  chré- 
tienne. Ni  dans  la  personne  de  ses  prophètes,  ni  dans  la 
personne  de  son  Fils,   Dieu  n'a  essayé  de  «  démontrer  » 
par  des   raisonnements   quelconques   la  possibilité    des 
vérités  qu'il  enseignait  ou  la  convenance   des  préceptes 
<juil  intimait  au  monde.   Il  a  parlé,  il  a  commandé  ;   et 
comme  garantie   de  sa  doctrine,  comme  justification  de 
son  autorité,  il  a  opéré  le  miracle.  Il  ne  nous  est  donc  en 
.  aucune  façon  permis  d'abandonner  ou  d'affaiblir,   en  le 
reléguant  au  second  plan,  un  ordre  de  preuves  qui  occupe 
le  premier  rang  dans  l'économie  et  dans  l'histoire  de  l'éta- 
blissement du  christianisme...  Le  miracle,  qui  appartient 
-à  l'ordre  des  faits,  est  infiniment  plus  probant  pour  les 
^multitudes  que  tous  les  autres  genres  d'arguments  ;  c'est 
$>ar  lui  qu'une  religion  révélée  s'impose  et  se  popularise. 
Si  vous  laissez  debout  la  notion  du  miracle,  la  possibilité 
•du  miracle,  vous  ouvrez  la  porte  au  surnaturel  qui  entrera 
Avec  un  cortège  de  preuves  invincibles.   Au  contraire,  si 
vous  supprimez  le  miracle,  vous  ôtez  au  surnaturel  son 
garant  efficace,  son  témoin  nécessaire,  vous  transportez 
la  question  du  domaine  historique  dans  le  domaine  mé- 
ttaphysique.  Là,  le  philosophisme  aura  beau  jeu.  »  G"1  Pie, 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DU    MIRACLE  87 


Troisième  instruction  synodale,  œuvres,  t.  v,  p.  106,  108. 

4.  Le  miracle,  démonstration  non  nécessitante* 

—  «  Quand  nous  disons  que  la  force  démonstrative  du 
miracle  est  rigoureuse,  nous  ne  disons  pas  qu'elle  obtient 
toujours  son  effet  ;  quand  nous  disons  qu'elle  est  univer- 
selle nous  ne  disons  pas  que  tout  le  monde  l'accepte.  Le 
miracle  est  une  démonstration  rigoureusement  univer- 
selle, mais  ce  n'est  pas  une  démonstration  nécessitante. 
Dieu  nous  éclaire,  mais  il  ne  nous  brutalise  pas  ;  en 
demandant  notre  foi,  il  respecte  notre  liberté.  L'homme 
demeure  donc  tout  entier  en  face  des  prodiges,  avec  ses 
préjugés,  ses  faiblesses,  ses  dépendances,  ses  frayeurs  et 
surtout  ses  passions.  S'il  n'est  pas  convaincu,  n'en  accu- 
sez que  lui  et  non  les  preuves  qu'on  lui  donne. 
Les  païens  ont  résisté  :  mais  leur  vie  facile  et  toute  à 
la  volupté  les  relenait  captifs.  Les  Juifs  ont  résisté  : 
mais  ils  étaient  aveuglés  par  le  préjugé  d'un  Messie 
conquérant  et  maître  de  la  terre  ;  ils  subissaient 
la  domination  jalouse  d'un  Sacerdoce,  dont  le  pouvoir  et 
la  haine  leur  causaient  de  mortelles  frayeurs.  Les  scribes, 
les  pharisiens,  les  princes  des  prêtres  ont  résisté  :  mais 
leur  orgueil,  plus  fort  que  l'évidence,  leur  faisait  crain- 
dre la  perle  du  prestige  et  de  l'influencedontils  abusaient. 
Le  plus  grand  nombre  a  résisté  :  mais  le  plus  grand  nom- 
bre a  obéi  à  la  voix  de  la  passion...  Ah  !  où  en  serions- 
nous,  si  nous  jugions  la  valeur  des  preuves  à  l'effet 
qu'elles  produisent  P  Ne  savez-vous  pas  que  chaque  jour 
des  millions  de  lecteurs  se  laissent  prendre  aux  niaiseries 
des  feuilles  publiques,  et  des  in-octavo  que  met  au  monde 
l'intempérante  paternité  de  nos  sophistes  ?  Il  n'est  pire 
sourd  que  qui  ne  veut  pas  entendre,  et  jamais  je  n'ai  été 
mieux  convaincu  de  la  justesse  de  ce  proverbe,  que  lors- 
qu'il s'est  agi  de  démontrer  les  vérités  religieuses.  Un 
jour,  un  esprit  fort  conversait  avec  moi.  Gomme  il  avait 
admis  certains  principes,  je  l'amenai  à  reconnaître  une 
contradiction  dans  sa  conduite,  et  lui  dis  le  plus  poliment 
du  monde  :  «  Mon  ami,  \ous  n'èles  pas  logique.  »  -— 
uEh!  répliqua-t-il,  je  me  moque  bien  de  votre  logi- 
que !»  —  Je  l'avoue,  tous  les  arguments  que  j'avais  pris 


88  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  ■  ^ * 

tant  de  peine  à  entasser  sur  sa  tête  croulèrent  devant 
celui-là.  et  ce  beau  raisonneur  put  se  flatter,  à  mon  silence, 
de  m'avoii*  vaincu,  et  ma  cause  avec  moi.  »  Monsabré, 
Conférences  de  saint  Thomas  d'Aqain,  Gonf.  xxvi,  Paris, 
1866,  t.  11,  p.  189-190. 

5.  Dieu  peut-il  intervenir  dans  le  monde?  —  «  Je 

ne  vois  qu'une  seule  loi  naturelle  qui  puisse  être  mise  en 
écbec  par  le  miracle,  mais  c'est  à  la  condition  qu'elle 
existe.  Je  veux  parler  d'une  loi  de  non-intervention  inter- 
disant à  Dieu  de  reparaître  dans  la  demeure  qu'il  a  créée, 
d'agir  dans  le  monde  qu'il  a  doté  primitivement  d'exis- 
tence, de  substance  et  de  mouvement.  Or,  qui  me  démon- 
trera jamais  l'existence  de  cette  loi  fameuse?  Sera-ce  un 
philosophe,  armé  de  principes  métaphysiques  prouvant 
clairement  qu'un  ouvrier  ne  doit  plus  s'occuper  de  son 
œuvre,  un  peintre  de  son  tableau,  un  maître  de  son  disci- 
ple, un  père  de  son  enfant  ?  Eh  bien  !  ce  philosophe 
déraisonnerait.  —  Sera-ce  un  théologien,  au  nom  de  lin- 
finie  perfection  de  Dieu  ?  Mais,  si  cette  perfection  ne  l'a 
pas  empêché  de  produire  la  terre  et  les  hommes,  par  quel 
sophisme  puissant  viendra-t-elle  lui  interdire  de  les 
gouverner,  de  les  visiter,  de  les  appeler  et  de  leur  par- 
ler ?  —  Sera-ce  un  naturaliste,  sous  prétexte  de  respecter 
la  machine  cosmique,  si  admirable  et  si  délicate  ?  Mais 
l'horloger  et  le  mécanicien  savent  fort  bien  mettre  une 
montre  à  l'heure  et  un  compteur  au  point,  et  donner  au 
moteur  qu'ils  ont  fabriqué  le  secours  supplémentaire  de 
la  célèbre  «  chiquenaude  »  des  cartésiens,  sans  déranger 
ni  briser  quoi  que  ce  soit...  Dieu  n'est  nullement  enchaîné 
par  les  lois  cosmiques.  Il  n'en  est  pas  le  captif  parce  que 
c'est  lui  qui  les  a  faites  pour  ses  créatures,  et  non  lui  qui 
les  a  subies  ou  se  les  ait  imposées.  Il  serait  bien  le  maî- 
tre de  les  supprimer  ou  de  les  suspendre,  s'il  en  avait  le 
désir.  Mais  il  ne  va  pas  si  loin  :  il  se  contente  de  se  mêler, 
quand  il  a  des  raisons  pour  cela,  parmi  les  moteurs 
actuels  du  cosmos.  Il  est  intervenu  seul,  à  l'origine,  pour 
les  créer  et  se  manifester  en  eux  ;  et  parfois  encore  il  inter- 
vient pour  se  manifester  parmi  eux.  »  Didiot,  Logique 
surn.  object.y  n.  197,  p.  i35-i3G. 


j  5  »  g  a  j  g  j  |  j  S  .->v  .>y  $  s>>  ^  *  $  $ .-»  -S  .-fr  j  .-fr  M  $  $  %  $  »  jt .-»  *  3  g  j  g 

Leçon  IIIe 
La   Prophétie 


I.  Sa  nature.  —  II.  Sa  possibilité.  —  III.  Sa 
valeur  démonstrative.  —  IV.  Le  prophètisme. 

Ici,  comme  pour  le  miracle,  mais  avec  aussi  peu 
de  succès,  quoique  toujours  poussé  par  la 
môme  préoccupation  d'éluder  le  surnaturel,  le 
rationalisme  a  menii  une  campagne  acharnée  ;  il  a 
dénaturé  la  prophétie,  Ta  déclarée  impossible,  inexis- 
tante et  sans  valeur  (1).  C'est  qu'en  effet  s'il  y  a 
des  prophéties  authentiques  et  authentiquement 
réalisées,  le  bon  sens  et  la  logique  veulent  que  Dieu 
soit  intervenu  dans  l'histoire,  et  que  l'Eglise  porte 
en  elle-même  la  preuve  certaine  de  son  origine 
divine.  Gela  se  comprend  ;  car  un  événement  futur, 

1.  BIBLIOGRAPHIE:  S.Thomas,  Sum.theol, IIa  IF3 ,  Q.  clxxi- 
clxxiv;  Monsabré,  Conférences  de  S.  Thomas  d'Aquin,  Paris,  1866, 
Conf.xi-xx,t.  1.;  Le  Hir,  Les  prophètes  d'Israël,  réponseà  A.  Ré- 
ville, dans  Etudes  bibliques,  Paris,  1869,  t.  1;  Vigouroux,  Manuel 
biblique,  4e  édit.,  Paris,  i885,  t.  11  ;  Brugère,  Devera  religione, 
Paris  1873  ;  Gal  Meignan,  Les  prophètes  d'Israël,  Paris,  i8g3  ; 
de  Broglie,  Les  nouveaux  historiens  a" Israël,  dans  le  Corres- 
pondant, 1888,  t.  cxiv,  cxv  ;  Didiot,  Logique  surnaturelle  objec- 
tive, Paris,  1892,  théor.  xxxi-xxxn,  xl  ;  Brucker,  L'époque  des 
prophètes,  dans  les  Etudes,  1892,  t.  lvi  ;  1893,  t.  lix  ;  S.Justin, 
Apolog.,  1, 53  ;  Dialogue  avec  Tryphon;  La  Luzerne,  Dissertation  sur 
les  prophéties,  dans  le  Scriplurac  Sacrœ  cursus  completus,  de 
Migne,  t,  xvm  ;  Vacant,  La  constitution  Dei  Filius,  Paris,  i8g5, 
t.  11  ;  les  récents  traités  de  théologie  et  les  apologies  du  chris- 
tianisme ;  Lagrangc,  Pascal  et  les  prophéties  messianiques,  dans 
la  Revue  biblique,  1906,  p.  532-56o. 


gO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

contingent  et  libre,  ne  saurait  être  connu  que  de 
Dieu  et  de  ceux  à  qui  Dieu  a  bien  voulu  le  révéler. 
Si  donc  un  homme  affirme  et  prouve  qu'il  possède 
celte  connaissance  de  l'avenir  et  la  formule  publi- 
quement, il  n'a  pu  y  être  autorisé  que  par  Celui 
qui  sait  tout  ;  et  si  l'événement  survient  tel  qu'il  a 
été  annoncé  d'avance,  manifestement  Dieu  est  là. 
Impossible  d'échapper  à  cette  conclusion. 

(  ette  conclusion  s'imposerait,  n'y  eût-il  qu'une 
seule  prophétie  ;  mais  à  combien  plus  forte  raison 
s'iroposc-t-elle  si,  au  lieu  d'une  seule,  il  s'en  ren- 
contre toute  une  série,  de  date  et  d'origine  diver- 
ses, convergeant  vers  le  même  but,  se  complétant» 
par  une  accumulation  de  détails  plus  abondante  et 
de  plus  en  plus  précise  !  Or,  "tel  est  justement  le 
cas,  relativement  au  Messie  et  au  Christianisme. 

Aussi,  pour  infirmer  la  valeur  d'une  telle  preuve, 
que  n'a-t-on  pas  imaginé!  A  quelles  hypothèses,  à 
quels  sophismes  n'a-t-on  pas  recouru  !  La  tactique 
rationaliste  est  toujours  la  même,  ses  procédés  ne 
Varient  pas.  Les  textes  sont  là  pourtant  ;  ils  sont 
consignés  dans  un  document  public,  officiellement 
arrêté  par  l'autorité  juive,  puis  traduit  en  grec  par 
les  Septante,  près  de  trois  siècles  avant  notre  ère. 
On  n'a  donc  qu'à  les  consulter  pour  constater  l'an- 
tériorité et  connaître  le  contenu  des  prophéties. 
Vient  ensuite  l'histoire  évangélique,  consignée  elle 
aussi  dans  un  document  officiel  et  public  qui, 
'même  dans  l'hypothèse  la  plus  défavorable,  remon- 
.te.au  moins  à  la  fin  du  second  siècle,  et  qui  atteste 
Ja  réalisation  des  prophéties  messianiques.  Quoi  de 
plus  probant  aux  yeux  de  tout  homme  de  bonne 
(foi  ! 

'  A'ais  ce  n'est  pas  ainsi  que  l'entend  le  rationa- 
lisme. Les  textes  prophétiques,  c'est  son  droit,  il 
les  soumet  à  une  critique  rigoureuse.  S'ils  peuvent 


LA    PROPHETIE  91 


s'interpréter  avec  assez  de  vraisemblance,  sans  qu'il 
soit  nécessaire  de  supposer  une  intervention  surna- 
turelle, il  les  admet.  Au  contraire,  restent-ils  irré- 
ductibles à  toute  explication  naturelle,  il  les  frappe 
d'exclusive,  en  les  déclarant  écrits  après  coup, 
interpolés,  apocryphes.  El  ainsi,  contre  le  dogma- 
tisme qu'il  reproche  à  l'Eglise,  mais  qui  se  tient  et 
qui  se  justifie  en  toute  rigueur  de  logique,  il  dresse 
un  autre  dogmatisme,  dont  le  défaut  est  de  partir 
d'une  hypothèse  a  priori,  celle  de  la  non-existence 
du  surnaturel,  et  de  procéder  arbitrairement  à  ren- 
contre des  faits  les  mieux  avérés  pour  aboutir  à  un 
système,  qui  n'a  même  pas  le  mérite  de  la  vrai- 
semblance et  qui  est  manifestement  insuffisant  à 
résoudre  le  problème. 

L'Eglise  n'a  pas  à  craindre  la  critique,  l'exégèse, 
la  psychologie  ou  l'histoire.  Dès  son  apparition, 
elle  a  donné  les  preuves  de  son  institution  divine  ; 
et  l'une  de  ces  preuves  est  celle  de  l'accomplisse- 
ment des  prophéties.  Les  Apôtres  l'esquissent  lar- 
gement, les  Pères  agrandissent  encore  le  cadre  et 
précisent  certains  détails  ;  les  scolastiques  la  font 
valoir  avec  la  rigueur  de  leur  logique  ;  Pascal  la 
déclare  décisive.  Mais  depuis  le  xvme  siècle  jusqu'à 
nos  jours,  le  rationalisme  n'a  cessé  de  la  battre  en 
brèche.  Rien  d'étonnant  dès  lors  que  le  concile  du 
Vatican  l'ait  rangée,  avec  celle  des  miracles,  parmi 
les  faits  divins  qui  servent  à  la  révélation  de  preuve 
extérieure  très  certaine  et  appropriée  à  l'intelligence 
de  tous  (1).  Il  importe  donc,  pour  répondre  au 
rationalisme,  de  dire  quelle  est  la  nature  de  la 
prophétie,  d'en  montrer  la  force  probante. 


1.  ConstU.  Dei  Filius,  G.  m,  S  a. 


9?.  LE    CATECHISME    ROMAIN 

I.  Nature  de  la  prophétie 

i.  Prophète  vient  de  7rpocp^T7)ç,  terme  grec, 
dont  se  sont  servis  les  Septante  pour  traduire  les 
mots  hébreux  Rôéh,  Khôzéh,  qui  signifient  Voyant  (i), 
ou  Nabi,  qui  signifie  Inspiré.  Le  Nabi,  au  sens  usuel 
et  étymologique  du  mot,  est  l'inspiré  de  Dieu,  celui 
qui  fait  connaître  une  révélation  divine,  quel  qu'en 
soit  l'objet  ;  au  sens  restreint,  celui  qui  révèle 
l'avenir.  Le  Prophète  signifie  de  même,  au  sens 
large,  celui  qui  parle  pour  un  autre,  et,  au  sens 
restreint,  celui  qui  prédit  l'avenir. 

2.  Dans  ce  sens  restreint,  le  seul  à  retenir  ici,  la 
prophétie  peut  se  définir  :  La  connaissance  certaine 
et  la  prédiction  d'événements  futurs,  qui  ne  peu- 
vent être  connus  naturellement.  Avant  d'être  une 
prédiction,  la  prophétie  est  une  connaissance,  com- 
muniquée par  Dieu  au  prophète  par  l'intermédiaire 
des  sens,  de  l'imagination  ou  de  la  raison  ;  une 
connaissance  certaine,  dont  le  prophète  ne  peut 
douter.  Quand  le  prophète,  dans  une  illumination 
ou  une  vision  rapide,  aperçoit  tel  fait  qui  n'est  pas 
encore  mais  qui  sera,  il  a  conscience  qu'il  n'est  pas 
le  jouet  d'une  illusion,  il  est  certain  d'avoir  bien  vu. 

3.  Que  voit-il? —  Des  événements  éloignés  de 
lui  dans  un  avenir  plus  ou  moins  lointain,  que 
rien,  dans  le  jeu  prodigieusement  varié  et  mêlé  des 
causes  contingentes  et  des  agents  libres,  ne  permet 
de  prévoir  ou  de  soupçonner,  et  qui  échappent  à  la 
puissance  intellectuelle  de  toute  intelligence  créée, 
homme  ou  ange.  C'est  donc  de  Celui  qui  sait  tout 
qu'il  a  dû  en  recevoir  notification  ;  Dieu  seul,  en 
effet,  peut  soulever  un  coin  du  voile  qui  cache 
l'avenir  et  faire  entrevoir  ce  qui  sera  librement  un 

i.  I  Reg.,  ix,  9  ;  Amos.,  vu,  ia. 


NATURE    DR    IA    PROPHETIE  QO 

jour.  La  prophétie  implique  donc  d'abord  une  révé- 
lai ion. 

[\.  Mais  elle  implique  aussi  une  mission  spéciale. 
Car,  ce  n'est  pas  pour  lui  que  le  prophète  reçoit 
une  telle  faveur,  c'est  pour  les  autres  ;  ce  qu'il 
apprend  ainsi  surnaturellement,  c'est  afin  de  le  ma- 
nifester autour  de  lui.  Il  n'est  pas  seulement  un 
confident  de  Dieu,  il  a  de  plus  un  rôle  à  jouer,  un 
mandat  à  remplir,  qui  est  précisément  de  publier 
sa  confidence.  Voilà  donc  le  double  élément  cons- 
titutif de  la  prophétie  :  c'est  une  connaissance  de 
l'avenir  par  révélation,  et  une  prédiction  par  ordre 
divin  de  cet  avenir  (i).  Le  prophète  connaît  l'ave- 
nir, tel  que  Dieu  le  lui  a  révélé,  et  il  l'annonce 
parce  que  Dieu  l'y  oblige  (2).  Le  faux  prophète,  au 
contraire,  n'a  ni  révélation,  ni  mission  ;  il  agit  sans 
mandat  ;  sa  parole  est  mensonge  (3). 

5.  Pour  instrument  de  sa  volonté,  Dieu  prend 
qui  il  lui  plait  :  un  pâtre  près  de  son  troupeau,  un 
paysan  qui  laboure  ou  émonde  ses  oliviers,  aussi 
bien  qu'un  prêtre  ou  un  roi.  Son  choix,  essentielle- 
ment libre,  ne  requiert  dans  celui  qui  en  est  l'objet, 
aucune  disposition  naturelle  d'ordre  physique,  in- 
tellectuel ou   moral  ;   il   s'affirme  souverainement, 

1.  «  Je  leur  susciterai  d'entre  leurs  frères  un  prophète  tel 
que  toi  ;  je  mettrai  mes  paroles  dans  sa  bouche,  et  il  leur  dira 
tout    ce    que  je    lui    commanderai.    »   Deut.,   xvm,    18.    — 

2.  Cf.  Isaie,  vi,  9;   Jérémie,  1,    7-10  ;  Ezéchiel,  11,  3-4  ;  etc.  — 

3.  Le  rôle  du  faux  prophète  est  nettement  caractérisé  dans 
la  Bible.  «  Le  prophète  qui  osera  prononcer  en  mon  nom  une 
parole  que  je  ne  lui  aurai  pas  commandé  de  dire,  ou  qui  par- 
lera au  nom  d'autres  dieux,  ce  prophète  mourra.  »  Deut., 
xvm,  jq.  «  Et  Jéhovah  me  dit  :  C'est  le  mensonge  que  les  pro- 
phètes prophétisent  en  mon  nom  ;  je  ne  les  ai  pas  envoyés  ;  je 
ne  leur  ai  point  donné  d'ordre,  et  je  ne  leur  ai  point  parlé. 
Visions  mensongères,  vaines  divinations,  imposture  de  leur 
propre  cœur,  voilà  leurs  prophéties.  »  Jerem.,  xiv,  i4;  cf, 
Jerem.,  xxvn,  i5;  Ëzech.,  xlii,  6  ;  etc. 


94  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

sans  mécanisme  ni  rite  d'aucune  sorte  ;  il  éclate 
soudain,  rapide  comme  un  rayon  lumineux  ou 
comme  un  éclair  fulgurant;  et  il  s'impose  d'auto- 
rité. Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  soit  capricieux  et  sans 
motif;  car  Dieu,  sagesse  infinie,  sait  très  bien  ce 
qu'il  fait  :  il  a  ses  raisons,  qui  parfois  nous  échap- 
pent, mais  qui  parfois  aussi  laissent  entrevoir  cer- 
taines affinités  mystérieuses  qui,  sans  créer  un 
droit  quelconque  chez  le  prophète,  prouvent  néan- 
moins une  providentielle  harmonie.  Son  choix  fait, 
il  donne  à  l'élu  la  connaissance  certaine  de  tel  ou 
tel  événement  à  venir,  impossible  à  connaître  natu- 
turellement  ;  il  le  fait,  soit  en  éclairant  son  esprit 
d'une  manière  surnaturelle,  soit  en  frappant  son 
imagination  ou  ses  sens  par  une  vue  sensible  du 
fait,  mais  toujours  en  lui  donnant  la  conviction 
intime  qu'il  est  bien  l'objet  d'une  intervention  posi- 
tive de  Dieu  et  non  le  sujet  d'une  hallucination. 
A  cette  révélation  Dieu  ajoute  l'ordre  au  prophète 
de  faire  part  aux  autres  de  ce  qu'il  vient  d'appren- 
dre lui-même. 

6.  De  son  côté,  l'élu,  quelle  que  soit  sa  condi- 
tion sociale,  sa  valeur  intellectuelle  et  morale,  n'a 
qu'à  prêter  une  attention  docile  à  l'action  de  Dieu. 
Sa  nature  ne  change  pas.  Quand  Dieu  se  révèle  à 
lui  par  une  parole  intérieure,  ce  qui  était  le  cas  le 
plus  fréquent,  il  conserve  son  état  normal  dans 
l'exercice  de  ses  facultés  ;  mais  quand,  par  excep- 
tion, Dieu  se  révèle  à  lui  en  vision  ou  en  songe,  il 
perd  alors  momentanément  l'usage  des  sens  ;  son 
âme,  dans  un  état  passif  et  impuissante  à  réagir, 
possède  une  grande  clairvoyance  ;  une  fois  la  vision 
ou  le  songe  passés,  le  prophète  revenu  à  l'état  nor- 
mal, a  pleinement  conscience  de  l'intervention 
divine  qui  vient  d'avoir  lieu.  Et  alors,  tout  en  con- 
servant son  génie  propre,  son  caractère  personnel, 


NATURE    DE    LA    PROPHETIE  9 5 

il  manifeste  clans  le  geste,  la  parole  ou  l'accent, 
dans  son  attitude  ou  sa  conduite,  qu'il  a  reçu  la 
visite  inopinée  de  Dieu  :  de  là  ,  l'éclat  de  son  lan- 
gage, la  puissance  et  l'autorité  de  son  affirmation, 
l'indomptable  énergie  dans  l'accomplissement  de 
son  mandat.  11  se  sent,  il  se  sait  le  mandataire  de 
Dieu, 'il  parle  en  inspiré,  il  révèle  ce  qui  lui  a  été 
révélé.  «  Parole  de  Dieu  !  »  s'écrie-t-il. 

7.  Mais  quelle  que  soit  son  attitude,  elle  n'a  rien 
de  l'exaltation  incohérente  et  désordonnée  de  la 
mantique  ou  de  la  divination,  auxquelles,  bien  à 
tort,  on  a  voulu  la  comparer  et  l'assimiler  ;  les  dif- 
férences sont  trop  caractérisques.  Le  prophète  con- 
serve la  pleine  possession,  la  maîtrise  de  lui-même. 
Son  inspiration  n'est  pas  à  confondre  avec  la  fureur, 
le  délire  ou  la  démence  des  devins  du  paga- 
nisme (i),  elle  ne  constitue  pas  un  cas  pathologi- 
que ;  elle  ne  naît  pas  spontanément  de  la  piété  ou 
de  la  conscience  religieuse  (2)  ;  elle  vient  de  Dieu. 

1.  Déjà  Philonet  les  Montanistès  avaient  identifié  l'état  du 
prophète  avec  celui  des  devins.  Cf.  Philon,  De  vita  Mosis,  I,  11  ; 
Josèphe,  Antiq.jud.,  IV,  vi,  5;  Tertullien,  Adv.  Marc,  iv,  22  ; 
Patr.  lat.,  t.  11,  col.  4i3.  Cette  identification  fut  énergique- 
ment  condamnée  par  les  Pères.  Cf.  Origène,  Cont.  Cels.,  VII,  iv; 
Patr.  gr.,  t.  xi,  col.  1426  ;  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  V,  17  ;  Patr.  gr.9 
t.  xx,  col.  474  ;  S.  Basile,  in  Is.,  v;  Patr.  gr.,  t.  xxx,  col,  126  ; 
S.  Chrysostome,  in  Ps.,  xliv,  i  ;  in  I  Cor.,  homil.,  xxxi,  1  ; 
Patr.  gr.,  t.'  lvi,  col.  i83  ;  lxi,  col.  2^1  ;  S.  Jérôme,  Prolog,  in 
Nahum,  Prolog,  in  Is.  ;  Patr.  lat.,  t.  xxv,  col.  1232  ;  xxiv,col.  19. 
—  2.  C'est  l'habitudede  M.  Sabatier  de  conserver  certains  mots, 
mais  après  les  avoir  vidés  de  leur  sens  catholique  ;  tel  est  le  cas 
pour  ceux  de  prophétie  et  d'inspiration,  «  Les  voyants  hébreux, 
dit-il,  n'ont  pas  eu  plus  que  les  sibylles  ou  le  devin  Tirésias 
le  don  miraculeux  de  lire  dans  l'avenir.  La  supériorité  de  leur 
inspiration  est  ailleurs.  Elle  est  tout  entière  dans  une  idée  de 
Dieu  plus  pure,  dans  un  idéal  de  justice  plus  élevé,  dans  une 
religion  essentiellement  morale,  dans  leur  foi  indéfectible  au, 
triomphe  de  la  loi  et  de  la  volonté  sainte  et  miséricordieuse 
<ie  l'Eternel.  »  Les  prophéties  de  Jean-Baptiste  et  de  Jésus  «  ne 


96  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

8.  Au  reste,  le  prophète  ne  laisse  aucun  doute  sur 
son  rôle  d'envoyé  divin.  La  pureté  de  sa  vie,  l'éclat 
de  ses  vertus,  une  éminente  sainteté  sont  de  nature 
à  disposer  favorablement  les  auditeurs  ;  mais  cela 
ne  suffit  pas.  En  garantie  de  sa  véracité,  il  opère 
des  miracles  ;  en  garantie  de  la  réalisation  des  évé- 
nements lointains  qu'il  annonce,  il  offre  parfois  la 
réalisation  d'événements  plus  rapprochés,  mais  tout 
aussi  inaccessibles  que  les  autres  à  la  prévision 
humaine.  De  telle  sorte  que  ceux-là  ne  se  laissent 
pas  convaincre  qui  ferment  de  parti  pris  les  yeux 
à  la  lumière  et  restent  sourds  à  la  voix  du  bon  sens 
et  de  la  raison. 

9.  Les  prophéties  n'ont  pas  des  contours  nette- 
ment arrêtés  ;  elles  flottent  un  peu  dans  le  vague  ; 
des  obscurités  les  enveloppent.  Cela  tient  tout 
d'abord  à  leur  propre  caractère  :  elles  ne  sont  pas 
de  l'histoire.  Elles  esquissent  plus  qu'elles  ne  détail- 
lent ;  «  elles  nous  donnent  un  croquis  de  l'avenir, 
mais  non  un  tableau  achevé  (1).  »  —  Gela  tient 
encore  au  défaut  de  perspective  et  à  l'absence  de 
distinction  des  temps.  Parfois,  en  effet,  sur  un  même 
plan,  sans  précision  de  dates,  la  même  prophétie 
annonce  des  événements  distincts  qui  se  réaliseront 

procèdent  en  aucune  manière  d'un  don  spécial  ou  d'une  puis- 
sance miraculeuse  de  divination.  »  Esquisse,  p.  94.  «  I/inspi- 
ration  religieuse  n'est  pas  psychologiquement  différente  de 
l'inspiration  poétique.  Elle  offre  sans  doute  le  même  mystère, 
mais  n'implique  pas  plus  le  miracle.  »  Sa  «  racine  intérieure 
ne  se  trouve  pas  ailleurs  que  dans  la  piété  ;  elle  n'en  diffère 
pas  par  nature,  mais  seulement  par  l'intensité  de  l'énergie.  » 
Ibid.,  p.  99-100.  Le  subjcctivisme  de  M.  Sabatier  a  conditionné 
sa  théorie  de  l'inspiration  et  de  la  prophétie  ;  on  retrouve  chez 
lui  l'influence  de  la  conception  rationaliste  du  prophétisme, 
dont  il  sera  question  plus  loin. 

1.  Vigouroux,  Manuel  biblique,  4e  édit.,  Paris,  i885,  t.  11, 
D.  468. 


POSSIBILITÉ    DE    LA    PROPHETIE  97 

à  différentes  époques.  Nous  en  avons  un  exemple 
dans  celle  de  l'Evangile  (i),  relative  à  la  fois  à.  la 
ruine  de  Jérusalem  et  à  la  fin  du  monde.  —  Gela 
tient  aussi  à  notre  ignorance  des  milieux  dans  les- 
quels elles  ont  été  promulguées  ;  mieux  connus,  ces 
milieux  nous  expliqueraient  bien  des  choses.  La 
preuve  en  est  dans  les  découvertes  dernières  de 
l'assyriologie  et  de  l'égyptologie  qui  nous  ont  per- 
mis de  mieux  comprendre  les  oracles  d'Isaïe,  de 
Jérémie  et  d'Ezéchiel  contre  l'Egypte  (2).  Mais  cette 
obscurité  relative  n'empêche  pas  la  lumière  de  pro- 
jeter assez  de  clartés  pour  nous  permettre  de  cons- 
tater avec  certitude  l'accomplissement  de  telle  ou 
telle  prophétie.  Et,  en  tous  cas,  le  faisceau  lumi- 
neux qui  se  dégage  des  prophéties,  prises  dans  leur 
ensemble,  est  trop  intense  pour  ne  pas  laisser  voir 
avec  quelle  exactitude  les  faits  de  l'histoire  répon- 
dent à  ce  qu'avaient  annoncé  les  prophètes. 

IL  Possibilité  de  la  prophétie 

1.  La  prophétie,  comprise  au  sens  strict  du  mot, 
est-elle  possible  ?  Est-il  possible  que  Dieu  puisse 
faire  part  à  une  créature  intelligente  de  sa  connais- 
sance de  l'avenir  ?  Poser  seulement  une  telle  ques- 
tion, c'est  faire  preuve,    comme  pour  le  miracle, 

1.  Matth.,  xxiv.  —  2.  A  ces  raisons,  saint  Chrysostome,  dans 
deux  homélies,  De  prophetiarum  obscuritate,  Patr.  gr.,  t.  lvi, 
col.  163-192,  ajoute  celles-ci  :  c'est  que,  d'une  part,  Dieu  ne 
voudrait  pas  exposer  à  de  trop  grands  dangers  ses  prophètes, 
quand  ils  avaient  des  choses  désagréables  à  annoncer,  ni  rendre 
la  loi  mosaïque  méprisable,  en  faisant  prédire  trop  clairement  sa 
future  abrogation  ;  et  d'autre  part,  c'est  que  nous  ne  saisissons 
pas  ou  nous  entendons  difficilement  le  texte  original.  Cf. 
Théophylacte,  Proœmium  exposit.  sand.  prophetarum,  Patr» 
gr.t  t.  cxxvi,  col.  570. 

LB  CATÉCHISME.  —  T.  III.  7 


98  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

d'un  oubli  ou  d'un  mépris  des  principes  élémentai- 
res de  la  théodicée  et  de  la  logique.  Et  c'est  pour- 
tant la  question  que  l'on  pose,  et  qu'on  résout 
négativementparmi  les  rationalistes,  mais  à  laquelle, 
sans  crainte  d'errer,  nous  répondons  affirmative- 
ment :  Oui,  la  prophétie  est  possible,  car  elle  n'im- 
plique aucune  contradiction,  ni  du  côté  de  Dieu,  ni 
du  côté  de  l'homme. 

2.  Dieu,  nous  l'avons  dit  (1),  est  omniscient. 
Nécessairement,  il  connaît  toute  réalité,  même  avant 
qu'elle  existe.  Répéter  avec  Voltaire  que  Dieu  ne 
peut  connaître  l'avenir,  parce  qu'il  ne  peut  pas 
savoir  ce  qui  n'est  pas,  c'est  dire  cette  ineptie  que 
l'astronome,  par  exemple,  ne  peut  connaître 
d'avance  telle  éclipse  qui  n'est  pas  encore,  mais 
qui  aura  lieu  à  telle  date  fixe.  L'avenir  est  une  réa- 
lité, soit  dans  la  cause  qui  le  prépare,  soit  dans  la 
science  qui  le  voit  ;  et  Dieu,  cause  suprême  et  sou- 
veraine de  tout,  le  voit  en  lui-même  et  par  lui- 
même.  Librement,  il  peut  faire  part  de  sa  science 
sur  tel  ou  tel  point  de  l'avenir  à  la  créature  intelli- 
gente, faite  pour  la  vérité  ;  et  librement  encore., 
dans  un  but  connu  de  lui,  il  peut  obliger  son  con- 
fident à  communiquer  aux  autres  ce  qu'il  lui  a 
directement  appris. 

3.  Insistons.  «  Le  premier  moment  de  la  prophé- 
tie est  l'éternel  instant  où  Dieu  connaît  toute  vérité* 
Je  ne  crois  pas  qu'à  moins  d'être  athée  ou  pan* 
théiste  on  puisse  songer  à  limiter  cette  infinité  de 
connaissance.  Dieu  est  l'être  sans  bornes,  immense. 
Il  se  connaît  adéquatement,  puisque  son  acte  de 
connaissance,  c'est  lui-même.  Il  connaît  donc  infi- 
niment l'infini.  Après  cela,  quelle  difficulté  d'ad- 
mettre   qu'il    connaît    totalement   le    fini  ?   Cette 

l.  Voir  t.  1,  p.  492-497» 


POSSIBILITE    DE    LA    PROPHETIE  Q<|- 

„  -        — ^ 

seconde  connaissance,  —  nous  la  distinguons  logi- 
quement de  la  première,  mais  ontologiquement  elle 
lui  est  identique  quant  à  l'acte,  non  quant  à  l'objet,. 
—  est  incomparablement  plus  admissible  et  plus 
facile  à  entendre  que  celle  de  l'infini  par  le  fini. 
Objectera- t-on  que  l'avenir  ne  peut  être  connu  ? 
Tout  d'abord  le  divin  substantiel  n'étant  aucune- 
ment ni  passé  ni  futur,  mais  absolument  et  bien 
simplement  présent,  Dieu,  en  connaissant  tous  ses 
desseins  et  toutes  ses  opérations,  connaît  l'éternel 
présent.  Ensuite,  l'avenir  fini  et  créé,  qui  sera  réel- 
lement un  jour,  est  logiquement  de  toute  éternité,  en- 
ce  sens  qu'éternellement  ce  fut  et  c'est  une  vérité 
que  tel  fait  contingent  se  produira  ou  pourrait  se 
produire  ;  que  tel  agent  libre,  seulement  possible  et 
ne  devant  jamais  exister  de  fait,  prendrait  telle  réso- 
lution et  s'arrêterait  à  tel  choix,  s'il  se  trouvait  dans 
telle  conjoncture  également  possible,  mais  qui  ne  se 
rencontrera  jamais.  Ce  sont  là  pour  ainsi  dire  des 
théorèmes  abstraits  de  science  historique  abstraite, 
comme  il  y  a  des  théorèmes  de  calcul  abstrait,  inlini- 
tésimal  par  exemple,  puisque  les  infiniment  grands 
et  les  infiniment  petits,  pour  ne  parler  que  deux,, 
ne  sauraient  absolument  exister.  Refuser  à  Dieu  ht 
science  infinie  du  fini  simplement  possible,  du  fini 
réellement  futur,  du  fini  possiblement  futur,  serait- 
donc  nier  Dieu  ou  nier  la  vérité  plus  ou  moins  con- 
crète du  fini  :  alternatives  dont  les  deux  termes 
sont  également  inacceptables. 

4.  «  Le  second  instant  de  la  prophétie  est  le- 
moment  temporel  où  l'intelligence  créée,  soit  an- 
gélique  soit  humaine,  entre  en  participation  de  la 
connaissance  divine  relative  aux  futurs  libres  et 
contingents  ;  car,  des  futurs  nécessaires,  il  est  à 
peine  besoin  que  je  fas  <•  mention,  attendu  qu'ils 
résultent  des  causes    naturelles  dont  ils   sont  les 


IOO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

corollaires  inévitables,  et  dont  la  science  moderne 
soutient  que  notre  esprit  peut  ou  pourra  quelque 
jour  déduire  toutes  les  conséquences.  A  la  possi- 
bilité de  cette  transmission  de  prévision  ou  de  pres- 
cience, qu'objectera-t-on  ?  Que  ce  serait  un  mi- 
racle ?  Mais  nous  avons  vu  que  le  miracle  est 
possible.  Que  l'infini  ne  peut  pas  être  compris  par 
le  fini?  Mais  nous  ne  disons  pas  que  la  science 
même  de  Dieu,  cet  acte  infini  et  identique  à  Dieu, 
devienne  la  science  et  l'acte  de  l'esprit  créé.  Qu'il 
faudrait  que  Dieu  notifiât  à  celui-ci  sa  connaissance 
de  l'avenir,  ou  bien  en  songe  ou  bien  à  l'état  de 
veille,  par  une  illumination  intérieure,  une  parole 
intime,  une  infusion  de  la  pensée  représentant 
l'avenir?  Mais  ces  formes  ou  méthodes  de  commu- 
nication entre  Dieu  et  ses  créatures  intelligentes 
sont  métaphysiquement  et  psychologiquement  ac- 
ceptables, à  la  condition,  facilement  remplie  par 
Dieu,  de  manifester  intérieurement  ou  extérieure- 
ment aux  confidents  de  sa  prescience  le  caractère 
divin  de  la  confidence  qui  leur  est  faite. 

5.  «  Le  troisième  instant  de  la  prophétie,  — 
celle-ci  pourrait  cependant  s'arrêter  au  deuxième  et 
ne  le  point  dépasser,  —  est  celui  de  la  motion  im- 
primée au  prophète  créé  par  le  prophète  incréé,  en 
vue  d'une  communication  ultérieure  à  faire,  à  d'au- 
tres créatures,  de  la  vérité  divinement  prophé- 
tisée. Il  n'y  a  pas  d'impossibilité,  pas  de  difficulté 
non  plus,  dans  cette  impulsion  qui  peut  à  son  tour 
se  déclarer  divine  par  des  signes  internes  ou  exter- 
nes, par  une  extraordinaire  et  indubitablement 
divine  évidence,  ou  par  d'indiscutables  miracles. 

6.  d  Je  ne  sache  pas  que  le  quatrième  et  dernier 
instant  de  la  prophétie,  celui  de  la  communication 
faite  par  le  prophète  créé  à  d'autres  créatures,  anges 
ou  hommes,  présente  le  moindre  embarras  à  Tes- 


VALEUR    DÉMONSTRATIVE    DE    LA    PROPHÉTIE         10 1 

prit.  L'expression  de  l'avenir  se  fait  par  les  mêmes 
procédés  que  la  narration  du  passé  (i).  » 

III.  Valeur  démonstrative 
de  la  prophétie 

i .  La  prophétie  constitue  une  preuve  de  premier 
ordre,  parce  que  la  connaissance  et  la  prédiction 
de  l'avenir  portent  la  marque  authentique  de  Dieu. 

Que  peut,  en  effet,  l'intelligence  créée  ?  Connaître 
le  résultat  nécessaire  des  causes  cosmiques,  dans 
tel  ou  tel  cas,  dans  telle  ou  telle  circonstance? 
Evidemment.  Elargir  le  champ  des  déductions  au 
fur  et  à  mesure  des  progrès  réalisés  ?  Evidemment 
encore.  Mais  prévoir  un  phénomène  futur  en  vertu 
de  cette  science  des  choses  de  la  nature,  c'est  sim- 
plement faire  une  déduction  scientifique  ;  ce  n'est 
pas  là  prophétiser  au  sens  propre  du  mot.  — 
Qu'outre  cela  l'intelligence  créée  puisse  conjecturer 
ce  que  sont  capables  de  faire  les  causes  libres,  rien 
d'impossible.  Et  dans  cet  ordre  d'idées,  combien  de 
conjectures  que  rendent  vraisemblables  la  perspi- 
cacité de  l'esprit,  la  connaissance  acquise  des  carac- 
tères et  de  l'histoire  1  Et  que  d'observateurs  pro- 
fonds, que  de  moralistes  entrevoient  dans  le  présent 
ce  que  sera  un  prochain  avenir  I  Mais  ce  ne  sont  là 
que  des  conjectures  ;  et  pour  vraisemblables  et 
plausibles  qu'elles  soient,  elles  ne  constituent  pas 
ce  qu'on  appelle  une  prophétie  proprement  dite. 
Pour  ce  qui  est  des  phénomènes  matériels  contenus- 
dans  les  causes  naturelles,  le  calcul  des  probabilités 
a  sa  place,  et  la  certitude,  conséquence  de  l'induc- 
tion, aussi  ;  mais  en  matière  d'actes  libres,  dépen— 

i.  Didiot,  Legique  surn.  object.,  n.  a3i-a34,  p.  i58-i6o» 


S02  LE    CATECHISME    ROMAIN 

m         II  i  i  ■ 

3Ïant  de  la  volonté  de  l'homme  ou  de  Dieu,  ce 
calcul  ne  peut  aboutir  qu'à  des  conjectures  et  nulle- 
ment à  la  certitude,  et  cette  induction  n'est  pas  de 
mise.  Or,  c'est  de  certitude  qu'il  s'agit  dans  la 
prophétie  ;  c'est  avec  certitude  que  le  prophète  voit 
«et  annonce  les  faits  qui  dépendent  exclusivement  ou 
principalement  des  causes  libres.  Que  ces  faits 
tiennent  à  se  réaliser,  conformément  à  leur  an- 
nonce, il  faut  bon  gré  mal  gré  se  rendre,  en  pareil 
cas,  à  l'évidence  d'une  intervention  divine.  Mani- 
festement, Dieu  est  là,  puisque  aucune  intelligence 
créée  n'aurait  pu  ni  prévoir  ni  prédire  des  événe- 
ments de  cette  nature.  Et  qu'avec  cela  la  prophétie 
soit  alléguée  comme  la  caution  ou  la  garantie  d'une 
«doctrine  ou  d'une  institution,  sa  force  probante,  sa 
^valeur  démonstrative  est  absolument  irrécusable. 
Or.  c'est  justement  cette  preuve  que  l'Eglise  allègue 
en  faveur  de  la  divinité  du  christianisme  et  de  sa 
propre  institution. 

2.  Reste  à  savoir,  en  pareil  cas,  si  la  réalité  his- 
torique des  prophéties  est  un  fait  positif.  Une  pre- 
mière question  se  pose  alors  :  Oui  ou  non,  tel  per- 
sonnage, à  telle  date  ancienne,  a-t-il  annoncé 
formellement,  de  la  part  de  Dieu,  tel  événement 
contingent  et  futur  ?  Mais  la  réponse  à  cette  ques- 
tion s'obtient  de  la  même  manière  que  pour  toute 
autre  parole  humaine,  à  savoir  par  l'examen  cri- 
tique du  témoignage  historique.  Cela  ne  suffit  pas; 
il  faut  encore  se  demander  :  Oui  ou  non,  cette  pré- 
diction, dont  l'existence  antérieure  est  historique- 
ment   constatée,    s'est-elle    accomplie   (i)  ?   Et  ici 

i.  «  N'a-t-on  pas  fait  arriver  de  force  cet  accomplissement, 
afin  de  justifier  la  prophétie  ?  N'y  a-t-il  pas  beaucoup  de  va- 
gue et  d'indécision  dans  la  façon  dont  elle  s'est  réalisée  ? 
N'est-ce  pas  un  acte  d'indulgence,  de  complaisance,  de  conni- 
vence même,  que    de  la  croire    enfin    remplie  ?  Un  pur 


VALEUR   DÉMONSTRATIVE    \>E    LA   PROPHETIE        I03 


3ncore,  il  faut  recourir  à  l'histoire  ;  c'est  l'histoire 
qui  nous  apprendra  quand  et  comment  les  pro- 
phéties se  sont  réalisées.  Et  si  certains  points  de 
détail  peuvent  prêter  à  contestation,  l'ensemble  de 
«eux  qui  restent  acquis  suffit,  et  au  delà,  pour  jus- 
tifier l'accord  général  entre  les  prophéties  et  leur 
accomplissement.  Cette  concordance  éclate  parti- 
culièrement entre  les  prophéties  messianiques  et 
l'avènement,  la  vie,  la  mort  et  la  résurrection  de 
Notre  Seigneur. 

3.  Ces  deux  questions  tranchées,  de  l'antériorité 
des  prophéties  et  de  leur  réalisation  ultérieure,  il 
n'y  a  plus  qu'à  examiner  si,  oui  ou  non,  les  pro- 
phéties réalisées  ont  été  données  comme  une 
garantie  en  faveur  de  telle  doctrine,  de  telle  ins- 
titution. Rien  de  plus  aisé,  si  le  prophète  l'a  exprès-^ 
sèment  déclaré  ;  dans  ce  cas,  la  preuve  est  faite  : 
cette  doctrine,  cette  institution  sont  de  Dieu.  Et  la 
preuve  est  faite  encore,  même  si  le  caractère  démons- 
tratif n'est  qu'implicitement  sous-entendu.  Car 
Dieu  n'intervient  pas  dans  le  monde  inutilement  ; 
il  a  un  but  déterminé.  Pas  plus  que  le  miracle,  la 
prophétie  n'est  une  fin  en  soi,  elle  est  un  moyen; 

hasard,  une  coïncidence  simplement  fortuite,  n'en  rendent- 
ils  point  suffisamment  compte?  Les  faits  se  sont-ils  spon- 
tanément produits  comme  ils  le  devaient,  sous  l'action  de  la 
cause  divine  ou  humaine,  libre  toujours,  qui  en  est  la  source? 
Est-ce  bien  d'eux  qu'il  était  question  dans  l'annonce  prophé- 
tique ?  Y  a-t-il  lieu  d'attendre  encore  d'autres  temps  et  d'au- 
tres événements,  qui  s'adaptent  définitivement  bien  à  la  prédic- 
tion? Que  l'examen  de  ces  différentes  questions  nécessite 
parfois  une  grande  et  délicate  attention  ;  que  la  prudence  ne 
permette  pas,  non  plus  que  pour  les  miracles  proprement 
dits,  d'en  précipiter  la  solution,  c'est  absolument  notre  avis. 
Mais  ce  sera  aussi  la  conviction  de  tout  esprit  sensé,  qu'on 
peut  fort  bien  se  trouver  ici  en  face  de  problèmes  très  simples, 
et  que  les  malaisés  ne  sont  pas  toujours  insolubles.  »  Didioi, 
loCé  cit.,  n.  3o4»  p.  200. 


Io4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

elle  vise  comme  tout  l'ordre  surnaturel  dont  elle 
fait  partie,  le  bien  de  l'homme;  elle  avertit  l'homme 
d'une  remarquable  façon  ;  elle  appelle  et  fixe  son 
attention  ;  elle  lui  sert  de  preuve  irrésistible  que 
Dieu  est  intervenu  et  qu'il  n'a  plus,  s'il  est  raison- 
nable, qu'à  se  soumettre  à  sa  volonté  si  clairement 
manifestée. 

4.  Aussi  bien  la  prophétie  ne  constitue-t-elle  pas 
l'argument  sans  réplique  ?  Notre  Seigneur,  tout  le 
premier,  y  a  recours  pour  vaincre  l'obstination  des 
Juifs.  «  Vous  scrutez  les  Ecritures,  leur  dit-il, 
parce  que  vous  pensez  trouver  en  elles  la  vie  éter- 
nelle. Or,  ce  sont  elles  qui  rendent  témoignage  de 
moi...  Si  vous  croyiez  Moïse,  vous  me  croiriez  aussi 
parce  qu'il  a  écrit  de  moi  (1).  »  A  l'exemple  de 
leur  Maître,  les  Apôtres,  quand  ils  rédigent  l'Evan- 
gile, notamment  saint  Matthieu,  prennent  un  soin 
particulier  de  signaler  à  chaque  instant  l'accom- 
plissement de  telle  ou  telle  prophétie  ;  quand  ils 
prêchent  sur  les  places  publiques  ou  dans  les  syna- 
gogues, c'est  toujours  aux  anciens  prophètes  qu'ils 
en  appellent,  soit  pour  corriger  la  fausse  concep- 
tion d'un  Messie  conquérant,  au  rôle  essentielle- 
ment politique,  destiné  à  restaurer  le  prestige 
national  d'Israël  et  à  assurer  une  domination  univer- 
selle, soit  pour  montrer  que  tout  autre  avait  été 
prédit  le  Messie,  que  son  rôle  devait  être  exclusive- 
ment religieux,  que  sa  mission  de  rédempteur  était 
remplie  par  le  sacrifice  sanglant  de  la  croix.  La 
résurrection  du  Christ  surtout,  prédite  d'avance, 
devenait  sur  leurs  lèvres  et  dans  leurs  écrits  l'ar- 
gument des  arguments.  Ils  insistent  en  particulier 
sur  l'abrogation  de  la  loi  de  Moïse  et  de  l'antique 
alliance  :   tout  cela  n'était  que  provisoire  et  a   dû 

1.  Joan.,  y,  39,  46. 


VALEUR  DÉMONSTRATIVE  DE  LA  PROPHETIE    Io5 

céder  la  place  à  la  foi  et  à  une  alliance  nouvelle  et 
définitive  ;  aux  sacrifices  sanglants  du  temple  suc- 
cédait à  jamais  l'offrande  pure,  offerte  au  Seigneur 
en  tous  lieux,  du  levant  au  couchant,  selon  l'an- 
nonce formelle  de  Malachie. 

5.  C'est  sur  ce  terrain  de  l'économie  nouvelle 
pleinement  justifiée  par  la  réalisation  des  prophé- 
ties, qu'il  conviendrait  d'entendre  la  puissante 
argumentation  de  saint  Paul.  Mais  il  serait  trop 
long  de  le  suivre  pas  à  pas  dans  sa  course  aposto- 
lique. Rappelons  seulement,  à  titre  d'exemple,  son 
discours  aux  juifs  dans  la  synagogue  d'Antioche  de 
Pisidie.  Il  énumère  les  bienfaits  dont  Israël  a  été 
l'objet  de  la  part  de  Dieu  depuis  son  berceau.  C'est 
de  la  postérité  de  David,  dit-il,  que  Dieu,  selon  sa 
promesse,  a  fait  sortir  pour  Israël  un  Sauveur, 
Jésus...  Les  habitants  de  Jérusalem  et  leurs  magis- 
trats ont  méconnu  Jésus  et  les  oracles  des  prophè- 
tes... Nous  vous  annonçons  que  la  promesse  faite  à 
vos  pères,  Dieu  l'a  accomplie  pour  vous  en  ressus- 
citant Jésus,  selon  ce  qui  est  écrit  dans  le  psaume 
deuxième...  Que  Dieu  l'ait  ressuscité  des  morts,  de 
telle  sorte  qu'il  ne  retournera  pas  à  la  corruption, 
c'est  ce  qu'il  a  déclaré  (allusion  au  même  psaume). 
C'est  pourquoi  il  est  dit  ailleurs  :  Tu  ne  permettras 
pas  que  ton  Saint  voie  la  corruption  (i).  Or, 
David,  après  avoir,  pendant  qu'il  vivait,  accompli 
les  desseins  de  Dieu,  s'est  endormi  et  a  été  réuni  à 
ses  pères,  et  il  a  vu  la  corruption.  Mais  celui  que 
Dieu  a  ressuscité  n'a  pas  vu  la  corruption  (2).  Saint 
Paul  indique  ainsi  comment  s'éclaire,  à  la  lumière  des 
faits  évangéliques,  ce  que  les  prophéties  pouvaient 
avoir  d'énigmatique  ou  d'obscur.  Aux  yeux  des  juifs 
de  bonne  foi,  sa  parole  avait  une  autorité  décisive. 

1.  Ps.,xvi,  io.  —  2.  AcL,  xiii,  33-87. 


IOÔ  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6.  Saint  Pierre,  moins  instruit  que  saint  Paul, 
tient  le  même  langage,  use  du  même  procédé,  se 
sert  du  même  argument.  Dès  le  jour  de  la  Pente- 
côte, en  face  des  juifs  stupéfaits,  cet  illettré  explique 
l'état  des  Apôtres  par  la  prophétie  de  Joël  (i).  Le 
Christ  est  ressuscité,  mais  David  l'avait  prévu  et 
prédit  (2).  Vous  avez  fait  mourir  l'auteur  de  la  vie, 
que  Dieu  a  ressuscité  des  morts  ;  mais  Dieu  a  accom- 
pli de  la  sorte  ce  qu'il  avait  promis  par  la  bouche 
de  tous  les  prophètes,  que  son  Christ  devait  souf- 
frir (3).  Tous  les  prophètes,  qui  ont  successivement 
parlé  depuis  Samuel,  ont  annoncé  les  jours  ac- 
tuels (4).  Dans  sa  seconde  Epître,  il  rappelle  le 
miracle  de  la  transfiguration,  dont  il  a  été  le 
témoin,  et  il  ajoute  :  Habemus  firmlorem  propheti- 
cum  sermonem,  mettant  ainsi  la  prophétie  au  rang 
des  preuves  péremptoires  (5). 

7.  C'est  la  preuve  démonstrative  que  font  valoir 
avant  tout  les  premiers  Pères  (6)  ;  mais  ils  lui  don- 

1.  Ad.,  11,  i5-i6.  —  2.  Ad.,  11,  a5-36.  —  3.  Ad.,  m,  i5-i8.— • 
k.Ad.,  m,  24.  —  5.«  Saint  Pierre  veut-il  dire  par  ce  comparatif 
firmiorem  que  la  preuve  par  les  prophéties  de  l'A.  T.  est  plus 
certaine  ou  plus  sûre  que  la  preuve  par  la  transfiguration  dont 
l'Apôtre  vient  de  parler,  ou  en  général  que  la  preuve  par  les  mira- 
cles? Tel  ne  paraît  pas  être  le  sens  de  ce  passage  ;  car  TEpître  de 
saint  Pierre  qui  rend  témoignage  au  fait  de  la  transfiguration 
est  inspirée  aussi  bien  que  les  écrits  des  prophètes,  et  les  mira- 
cles qui  se  produisirent  à  la  transfiguration  prouvent  parfai- 
tement la  divinité  de  la  mission  de  Jésus-Christ.  Aussi  l'Apô- 
tre semble-t-il  exprimer  ici  que  la  force  probante  des  prophé- 
ties résultant  en  partie  de  leur  accomplissement,  la  réalisation 
des  prophéties  messianiques,  dont  les  Apôtres  avaient  été 
témoins,  non  seulement  lors  de  la  transfiguration,  mais 
encore  pendant  toute  la  vie  de  Jésus-Christ,  avait  ajouté  à  ces 
prophéties  une  valeur  démonstrative  nouvelle  et  en  avait  par 
conséquent  rendu  la  force  probante  plus  ferme,  firmiorem» 
Tel  est  le  sens  admis  par  de  savants  commentateurs,  en  parti- 
culier par  l'abbé  Drach.  »  Vacant,  La  constit.  Dei  Filius,  t.  11, 
p.  54. — 6.  Cî.Didaché,  xiv,  3;  pseudo-Barnabe,  Epist.,Y,ît  i3  ; 


VALEUR  DÉMONSTRATIVE  DE  LA  PROPHETIE    IO7 

nent  plus  d'ampleur.  Aux  prophéties  déjà  rappe- 
lées dans  le  Nouveau  Testament,  ils  en  ajoutent 
d'autres,  notamment  celle  de  Jacob  sur  le  sceptre 
promis  à  Juda  jusqu'à  l'avènement  du  Messie,  et 
enfin  celle  de  David  sur  les  soixante-dix  semaines 
d'années.  Us  s'en  servent  contre  les  juifs,  comme 
en  témoignent  en  particulier  l'épître  du  pseudo- 
Barnabe  et  le  Dialogue  de  saint  Justin,  mais  aussi 
contre  les  gentils,  estimant  avec  raison  qu'elle  vaut 
pour  les  uns  et  pour  les  autres.  C'est  le  cas  des 
Justin  (1),  des  Théophile  (2),  des  Athénagore  (3), 
des  Clément  d'Alexandrie  (4),  des  Origène  (5),  des 

S.  Justin  ;  S.  Irénée,  Adv.  hœr.,  IV,  xvn,  5  ;  xvin,  1  ;  Tertul- 
lien,  Adv.   Judœos,  x  ;   S.  Cyprien,    Testim.,   11,    i5,  etc. 

1.  «  Combien  d'autres  témoignages  tirés  des  prophètes  ne 
pourrions-nous  pas  encore  produire  ?  Mais  bornons  là  nos 
citations  :  celles-ci  ne  suffisent-elles  pas  à  tout  homme  qui  a 
des  oreilles  pour  écouter  et  un  esprit  pour  comprendre  ?  Ne 
voit-il  pas  que  notre  langage  n'a  rien  de  commun  avec  celui 
des  poètes,  qui  nous  racontent  tant  de  fables  sur  les  préten- 
dus fils  de  Jupiter,  sans  pouvoir  nous  donner  la  moindre 
preuve  de  ce  qu'ils  avancent  ?  Comment,  en  effet,  supposer 
que,  sur  la  parole  d'un  homme  mort  sur  une  croix,  nous 
l'aurions  adoré  comme  le  premier-né  du  Dieu  incréé,  et  que 
nous  aurions  cru  qu'il  devait  venir  un  jour  juger  tous  les 
hommes,  si  nous  ne  trouvions  avant  sa  venue  une  multitude 
d'oracles  qui  l'annoncent  et  si  nous  n'avions  sous  les  yeux  les 
événements  qui  les  accomplissent?  »  Apol.f  I,  53.  —  a.  S.  Théo- 
phile confesse  qu'il  s'est  converti  en  constatant  l'existence  et 
l'accomplissement  des  prophéties  et  invite  Autolycus  à  en  faire 
autant.  Ad.  Autol.,  1,  i4-  —  3.  «  Notre  croyance  paraîtrait  une 
doctrine  toute  humaine  si  elle  n'était  appuyée  que  sur  des 
raisonnements  pareils  (à  ceux  des  païens)  4  mais,  chez  nous, 
le  raisonnement  est  fortifié  par  l'autorité  de  nos  divins  ora- 
cles. »  Légat.,  ix.  —  4«  «  Que  Dieu  ait  un  Fils  et  que  ce  Fils 
soit  celui  que  nous  appelons  Sauveur  et  Seigneur,  c'est  ce  que 
montrent  clairement  les  divines  prophéties.  »  Strom.,  vu,  a. 
—  5.  «  Comme  preuve,  nous  apportons  d'abord  celle  de  la 
prophétie  des  prophètes.  »  Cont.  Cels.,  i,  35. 


Io8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

M  i  ■  ■  ■■  ■       ■      —^^— ■-■—..  ,■..      ■     -  ■  ■■— ■  il         ■■       — ^M — ^—^^ 

Lactance   (i).   Plus  on  avance    dans   l'histoire,  et 
plus  cette  preuve  prend  du  relief.  Origène  reproche 
à   Gelse  de  l'avoir  à  dessein  passée   sous    silence, 
parce  que   c'est  la  plus  forte  et  qu'il  ne  pouvait  y 
répondre  (2).  Saint  Cyrille   de   Jérusalem    dit  à  ses 
catéchumènes  :  Ne  croyez  pas  uniquement  à   mes 
raisonnements,  mais  croyez  aux:  choses  prédites  par 
les  prophètes.  Vous  pouvez  avoir  quelque  suspicion 
pour  celui  qui  vous  parle,  mais  comment  soupçon- 
ner ceux  qui  ont  prophétisé  plus  de  mille  ans  avant 
l'événement  (3)  ?  «  Outre  ces  miracles  si  nombreux 
et  si  éclatants,  qui  ont  établi   la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  dit  saint  Augustin,  des  prophéties  l'annon- 
çaient, prophéties  divines  et  très  dignes  de  créance, 
dont   nous    n'attendons   plus    comme    nos    pères, 
mais  dont  nous  démontrons  aujourd'hui  l'accom- 
plissement (4).  »   Et   ailleurs,  commentant  le  texte 
de  saint  Pierre,  il  remarque  que  la  voix  prophétique 
a,  pour  convaincre  les  incrédules,  quelque  chose  de 
plus  fort  que  la  voix  même  descendue  du  ciel.  On 
attribuait  à  la  magie  les  miracles  opérés  par  Jésus- 
Christ  ;  on  aurait  pu  attribuer  à  la  même  cause  la 
voix  céleste  ;  mais  comment  un  homme  aurait-il  pu 
être  magicien  avant  de  naître  (5)  ? 

8.  On  voit  la  force  exceptionnelle  de  l'argument 

1.  «  Que  personne  n'ajoute  foi  à  notre  assertion,  à  moins 
que  je  ne  prouve  que  longtemps  d'avance  les  prophètes  ont 
annoncé  la  naissance  du  Fils  de  Dieu,  ses  miracles,  sa  cruci- 
fixion, sa  résurrection  le  troisième  jour.  Mais  si  je  le  prouve 
au  moyen  des  documents  de  ceux-là  même  qui  l'ont  crucifié, 
qui  donc  empêchera  de  reconnaître  que  la  vraie  sagesse  est 
dans  notre  religion?  »  InstiL,  iv,  10.  —  2.  Cont.  Cels.,  n,  i3. 
—  3.  Catech.,  xn,  5.  —  k>  De  civ.  Dei,  xxu,  6.  —  5.  Ps.  n, 
auquel  fait  allusion  le  N.-T.  ;  souffrance  et  passion,  dans 
le  Ps.  xxi  (xxu)  et  lxviii  (lxix)  ;  union  de  Jésus-Christ 
avec  son  Eglise,  dans  le  Ps.  xnv  (xlv)  ;  royauté  et  sacerdoce, 
dans  le  Ps.  cix  (ex)  .  ascension,  dans  le  Ps.  xlvi  (xlvii). 


LES    PROPHETIES    MESSIANIQUES  IOg 

tiré  des  prophéties  ;  c'est  un  caneus  veritalis,  selon 
l'expression  qu'employait  Tertullien  dans  un  autre 
ordre  d'idées.  Toute  prophétie  est  une  révélation 
divine  ;  son  accomplissement  manifeste  également 
l'intervention  surnaturelle  de  Dieu.  Ce  miracle 
constaté  prouve  du  même  coup  et  la  véracité  du 
prophète,  et  la  vérité  de  la  religion  qu'il  professe 
ou  qu'il  annonce,  et  par  suite  celle  de  Dieu  qui  l'a 
suscité.  Tout  se  lient,  fortement  lié,  et  embarrasse 
fort  l'incrédulité  qui  reste  sans  réplique.  Aussi, 
avec  quel  à-propos  et  quelle  justesse,  le  concile  du 
Vatican  signale-t  il,  parmi  les  preuves  extérieures  de 
la  révélation,  celle  des  prophéties  ;  en  ajoutant 
qu'elle  est  très  certaine  et  accommodée  à  l'intelli- 
gence de  tous,  il  tient  le  langage  du  bon  sens,  qui 
est  celui  de  la  tradition  et  de  la  foi. 

IV.    Le  Prophétisme 

i.  Prophéties  messianiques.  —  La  pierre  d'a- 
choppement, contre  laquelle  se  heurte  et  se  brise 
le  rationalisme,  c'est  la  série  ininterrompue  des 
prophéties  messianiques  qui  va  d'Adam  à  Malachie.. 
La  Bible  hébraïque,  en  effet,  telle  qu'elle  était  con- 
nue du  temps  d'Esdras  au  retour  de  la  captivité, 
nous  offre  une  suite  incomparable  de  prophéties 
relatives  au  Messie.  Le  Messie  occupe  le  sommet  da 
l'histoire  ;  il  est  la  «  pierre  d'angle  »  qui  soutient 
successivement  l'édifice  religieux  d'Israël  et  le 
christianisme.  Depuis  les  premiers  jours  de  l'Eden 
jusqu'au  retour  de  Babylone,  il  ne  cesse  d'être  an- 
noncé et  figuré  ;  tout  l'espoir  du  peuple  juif  se 
concentre  en  lui  et  n'aspire  qu'à  son  avènement. 
Son  annonce,  quoique  formelle  dès  le  début,  s'en- 
toure d'ombre  et  de  mystère.  Mais  peu  à  peu  l'om- 
bre se  dissipe,  le  mystère  s'éclaire,  les  traits  se  déve- 


ÎIO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

loppent,  s'accusent,  se  précisent  et  se  complètent  ; 
chaque  prophète  ajoute  un  coup  de  pinceau.  Adam 
sait  qu'il  «  écrasera  la  tête  du  serpent.   »   Abraham 
apprend   qu'il  sortira  de  sa  race,  dans  la   descen- 
dance  d'Isaac  et  non  dans  celle  d'Ismaël  ;   Isaac, 
dans  celle  de  Jacob  et  non  dans  celle  d'Esaii;  Jacob, 
dans  la  tribu  de  Juda,   son   quatrième   fils,  et  non 
dans  la  triba  de  Ruben.  Le  sceptre,  en  effet,  ne  doit 
pas  sortir  de  Juda  jusqu'à  ce  que  vienne  «  Celui  qui 
doit  être  envoyé.  »  Moïse  voit  en  lui  le  législateur 
par  excellence.  David,  qui  sait  qu'il  appartiendra  à 
sa  propre  famille,  nous  le  montre   «  éternellement 
engendré  dans  les  splendeurs  des   saints  ;    »   il  l'a- 
perçoit couvert  de  gloire,  mais  aussi  abreuvé  d'hu- 
miliation, les  mains  et  les  pieds  percés  ;  il  voit  sa 
robe  tirée  au  sort,  ses  ennemis  branlant  la  tête  et 
frémissant  de  rage  autour  de  sa   croix  ;   il  l'entend 
pousser  ce  cri  :   «  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  pourquoi 
m'avez-vous  abandonné  ?  »   Puis,    il  le  contemple 
assis  à  la  droite  de  son  Père,  appelant  à  lui  tous  les 
peuples,    tandis   que  ses    ennemis   sont    sous    ses 
pieds.    Isaïe  salue   en  lui  le  Sauveur,  l'Emmanuel, 
le  fils  de  la  Vierge,  le   thaumaturge,  et  aussi  l'a- 
gneau  victime    conduit  à   la  mort,   mais  dont  la 
tombe  sera  glorieuse.  Jérémie  et  Ezéchiel  achèvent 
ce  tableau.  Michée  annonce  qu'il  naîtra  à  Bethléem. 
Daniel  énumère  la  suite  des  empires  qui  doivent  se 
succéder  jusqu'à  l'avènement  de  son  royaume  spiri- 
tuel, il  compte  les  semaines   d'années  qui  s'écoule- 
ront depuis  la  reconstructiou  du  temple  jusqu'au 
moment  où  ce  «  Christ-chef  »  viendra  faire  cesser 
la  prévarication,  mettre  fin  au  péché,  expier  l'ini- 
quité et  implanter  le  règne  de  la  justice.  Zacharie 
voit  son  entrée  triomphante  à  Jérusalem,  les  trente 
pièces  d'argent  payées   au  traître  et   consacrées  à 
l'achat  du  champ  du  potier,   le  pasteur  frappé,  les 


PROBLÊME    QUI    SE   POSE  III 

brebis  dispersées,  le  peuple  jetant  son  regard  sur 
son  Dieu  qu'il  a  perce,  le  Seigneur  appelant  à  lui 
les  gentils  pour  les  agréger  à  son  peuple  et  demeu- 
rer au  milieu  d'eux.  Malachie  enfin  contemple  ce 
dominateur,  cet  ange  du  Testament  venant  à  son 
temple,  et  annonce  le  sacrifice  nouveau,  l'hostie 
pure  qui  sera  offerte  au  Très-Haut,  du  levant  au 
couchant.  Et  désormais  plus  de  prophéties  nouvel- 
les pendant  plus  de  quatre  siècles  jusqu'au  moment 
où  Jean-Baptiste,  montrant  du  doigt  Jésus  de 
Nazareth  aux  juifs  qui  s'empressent  autour  de  lui, 
s'écrie  :  «  Voilà  l'agneau  de  Dieu  qui  efface  le  péché 
du  monde  (i).  » 

2.  Problème  qui  se  pose.  —  Il  est  difficile,  on 
l'avouera,  d'avoir  d'avance  un  tableau  plus  achevé 
de  ce  que  devait  être  le  Messie.  Bon  gré  mal  gré,  il 
s'impose  à  l'examen,  et  le  rationalisme  se  trouve  en 
face  d'un  formidable  problème.  Comment  le  résou- 
dre, quand  on  écarte  de  parti  pris  le  surnaturel  ? 
Nier  tous  ces  oracles  serait  un  moyen  radical,  et  le 
seul  logique.  Quelques-uns  l'ont  osé,  au  mépris  de 
ce  fait  absolument  incontestable  de  l'existence  et  de 
l'antiquité  des  prophéties  ;  mais  alors  que  devient 
la  Bible  du  temps  d'Esdras  ?  Elle  se  réduit  à  peine  à 
quelques  pages  d'histoire  et  de  morale  ou  à  quel- 
ques chants  sacrés  ;  tout  le  reste  ne  compte  pas> 
Mais  non,  ont  pensé  la  plupart,  mieux  vaut  constater 
franchement  le  fait  et  accepter  la  Bible  telle  qu'elle 
est,  sauf  à  lui  faire  subir  la  part  nécessaire  de  la 
critique  et  de  l'exégèse;  grâce  à  la  critique,  l'apo- 
cryphe sera  distingué  de  l'authentique  ;  et,  grâce  à 
une  rigoureuse  exégèse,  le  texte  vrai  sera  dûment 
interprété;  moyennant  quoi,  tout  s'explique  le  plus 

y.  Joan.,  i,  39. 


112  LE    CATECHISME    ROMAIN 

naturellement  du  monde,  sans  avoir  besoin  de 
de  recourir,  comme  le  fit  jadis  la  Synagogue  et 
comme  le  fait  encore  l'Eglise,  à  une  explication  sur- 
naturelle. 

3.  Comment  le  rationalisme  le  résout.  —  Tel 
est  le  but,  telle  est  la  tâche  que  s'est  donnés  le  ratio- 
nalisme. Gomment  a-t-il  rempli  cette  tache?  et  ce 
but,  l'a-t-il  vraiment  atteint  ?  —  Tout  d'abord,  dans 
ce  tableau  d'ensemble  des  prophéties  messianiques, 
il  a  supprimé  tout  ce  qui  regarde  la  promesse  faite 
à  Adam,  la  vocation  des  patriarches,  le  rôle  impor- 
tant de  Moïse.  De  quel  droit?  Du  droit  de  la  criti- 
que historique  qui  n'a  pas  à  s'occuper  de  récits, 
composés  «  à  coups  d'idéal,  »  et  où  la  légende  rem- 
place l'histoire  (i).  Certes,  il  y  aurait  beaucoup  à 
dire  contre  un  procédé  aussi  expéditif,  mais  si  arbi- 
traire et  si  peu  justifié.  On  n'en  use  qu'au  nom  d'un 
principe  regardé  comme  acquis,  celui  de  la  non- 
existence  du  surnaturel,  et  qui  n'est  qu'une  hypo- 
thèse ou  un  postulat.  Mais  passons,  et  arrivons  à  ce 
que  l'on  consent  à  regarder  comme  le  terrain  ferme 
de  l'histoire,  c'est-à-dire  à  l'époque  où  les  prophè- 
tes sont  entrés  en  jeu. 

En  général  on  s'accorde  sur  l'ancienneté  des  pro- 
phètes et  Fautenthicité  des  écrits  conservés  sous 
leur   nom  (2),  sauf  pour  la  seconde  partie  d'Isaïe, 

1.  D'après  Tielle  et  Kuenen  en  Hollande,  Wellhausen  et  Stade 
en  Allemagne,  Reuss,  Réville  et  Renan  en  France,  l'histoire 
d'Israël  est  légendaire  avant  David  et  falsifiée  dans  les  temps 
postérieurs.  —  2.  Havet  place  la  composition  des  livres  prophé- 
tiques au  second  siècle  avant  notre  ère,  dans  Le  christianisme  et 
ses  origines  et  dans  un  article  de  la  Revue  des  Deux  Mondes,  du 
icr  août  1889,  p.  517,  intitulé:  De  la  modernité  des  prophètes. 
Son  opinion  n'a  aucun  droit  à  être  prise  au  sérieux  ;  elle  est  de 
celles  qu'on  ne  discute  pas.  Maurice  Vernes  accorde  à  Havet 
que  les  prophètes  ont  le  retour  de  la  captivité  derrière  eux, 


EXPLICATION    RATIONALISTE  Il3 

Daniel  et  quelques  autres  passages.  Là  dessus  on 
construit  un  système,  le  prophétisme.  Qu'est-ce  à 
dire?  C'est  une  théorie  qui  consiste  à  ne  voir  dans 
le  rôle  des  prophètes  qu'un  côté,  celui  de  leur 
action  immédiate  sur  leur  époque,  et  à  nier  tout  ce 
qu'ils  ont  prédit  sur  l'avenir  ;  encore  une  fois,  le 
procédé  est  arbitraire  et  injustifié. 

4.  Comment  il  explique  l'action  des  prophè- 
tes. —  L'action  des  prophètes  sur  leurs  contempo- 
rains est  donc  seule  mise  en  relief  ;  elle  est  même 
exagérée  ;  des  erreurs  s'y  glissent,  et  finalement  le 
surnaturel  qu'on  voulait  évincer  s'impose  avec  plus 
de  force. 

Sans  nul  doute,  les  prophètes  ont  exercé  autour 
d'eux  une  action  puissante,  toujours  religieuse,  par- 
fois politique  (1).  Très  énergiquement,  sans  tenir 
compte  des  menaces,  ou  des  dangers,  ils  ont  lutté 
contre  l'idolâtrie  sous  toutes  ses  formes,  où  qu'elle 
se  manifestât.  Peuple,  rois  et  prêtres,  ils  n'ont 
cessé  de  leur  reprocher  leurs  infidélités  à  la  loi  de 
Moïse  et  de  les  rappeler  à  la  fidélité  envers  Jéhovah, 
les  menaçant  des  colères  célestes  et  des  châtiments 
divins  s'ils  ne  s'amendaient  pas.  Par  leur  incessante 

mais  il  les  place  avant  les  Machabées  ;  La  question  du  Deutéro- 
nome,  1887.  et  Etudes  bibliques,  1891  ;  il  ne  voit  dans  leurs 
œuvres  que  des  fictions  littéraires.  Véhémentement  il  relève 
tout  ce  qu'a  d'arbitraire  la  critique  des  Reuss,  des  Kuenen  et 
des  Wellhausen,  et  sur  ce  point  on  ne  peut  que  l'approuver  ; 
mais,  à  son  tour,  il  tombe  dans  le  même  défaut,  parce  que  lui 
aussi  n'entend  accepter  à  aucun  prix  le  surnaturel. 

1.  «  Ils  faisaient  de  la  politique,  dit  le  protestant  Reuss, 
non  pour  recommander  une  forme  de  gouvernement  de  pré- 
férence à  une  autre,  mais  pour  réformer  l'esprit  du  gouverne- 
ment en  général,  pour  faire  prévaloir  les  principes  du  droit, 
de  la  justice,  de  la  morale  sociale,  et  pour  combattre  tout  ce 
qui  devait  conduire  la  nation  à  la  ruine.  »  Les  Prophètes,  1. I, 
p.  37. 

LE   CJLTBCHISMB.   —    T.   III.  8 


Il4  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

et  courageuse  prédication  du  monothéisme,  dont  ils 
ont  été  les  apôtres,  les  défenseurs  et  les  martyrs,  ils 
ont  sauvegardé  l'idée  monothéiste  et  morale,  et  ont 
ainsi  rendu  à  Israël  et  à  l'humanité  un  service  signalé. 
Reuss,  Kuenen,  Renan,  sont  obligés  de  le  reconnaî- 
tre. Mais  cette  idée,  absolument  inconnue  partout 
ailleurs,  où  donc  l'avaient-ils  puisée?  C'est  ici,  sur 
cette  question  d'origine,  que  les  rationalistes  hasar- 
dent les  hypothèses  les  plus  invraisemblables,  d'au- 
tant plus  qu'ils  prétendent  qu'avec  Amos  et  Osée  le 
cadre  du  prophétisme  est  arrêté  et  que,  dès  le 
vme  siècle,  la  doctrine  des  prophètes  a  atteint  son 
complet  développement. 

5.  Comment  il  explique  le  monothéisme 
des  prophètes.  —  Le  monothéisme  des  prophè- 
tes au  vin0  siècle,  voilà  un  fait  admis  par  la  cri- 
tique rationaliste  ;  mais  ce  fait  est  unique  à  cette 
époque  et  constitue  un  phénomène  extraordinaire. 
La  Bible  l'explique  par  la  tradition  due  à  la  révé- 
lation primitive,  à  la  révélation  patriarcale,  à  la 
révélation  mosaïque,  et  par  l'inspiration  propre 
aux  prophètes,  qui  n'ont  pas  eu  à  inventer  le  mo- 
nothéisme, mais  à  le  maintenir  et  à  le  développer. 
Explication  inadmissible  que  celle-là,  puisqu'elle 
recourt  au  surnaturel  ;  il  en  faut  une  autre  :  laquelle  ? 

i°  Dès  i848,  Renan  proposait  celle  des  instincts 
monothéistes  de  la  race  sémitique,  négligeant  de 
parti  pris  les  renseignements  si  précis  de  la  Bible 
qui  nous  montrent  Israël  toujours  violemment 
entraîné  vers  l'idolâtrie,  d'où  il  dut  être  toujours 
détourné  par  les  protestations  énergiques  et  les  ter- 
ribles menaces  des  prophètes.  Mais  voici  que  les 
documents  écrits  des  sémites  sédentaires,  non  plus 
ceux  de  la  Bible,  mais  ceux  des  briques  assyriennes, 
des  inscriptions  de  Phénicie  et  d'Arabie,  ont  com- 


EXPLICATION    RATIONALISTE  I  I  S 

plètement  démenti  l'explication  de  Renan  ;  car  ils 
prouvent  que  les  sémites  ont  tous  été  polythéistes. - 
Son  admirateur  Darmesteter  a  dû  en  convenir  (i). 
2°  De  leur  côté,  Kuenen  et  Wellhausen  ont  eut 
recours  à  l'hypothèse  d'une  évolution  naturelle,  qu£> 
aurait  transformé  graduellement  le  polythéisme  pri- 
mitif des  juifs  en  monothéisme,  accompli  du  temps 
des  prophètes.  Avant  Moïse,  le  Dieu  d'Israël  aurait 
été  inconnu  ;  à  partir  de  Moïse,  c'est  Jéhovah,  un* 
dieu  naturaliste,  jaloux,  terrible,  partial  et  injuste- 
Les  prophètes  en  font  un  être  invisible,  un  pur 
esprit,  maître  de  l'univers,  Dieu  unique,  juste,  bon, 
traitant  le  culte  extérieur  comme  quelque  chose 
d'indifférent  et  ne  demandant  que  la  pratique  de  la 
morale.  Et  le  sacerdoce,  unissant  l'Ialivisme  des 
prophètes  au  Iahvisme  populaire,  forme  le  Iahvisme 
légal.  Nous  sommes  loin  de  la  Bible,  et  c'est  pour- 
tant au  nom  de  la  Bible  qu'on  propose  cette  expli- 
cation (2).    La  transformation  est   singulière  ;    on 

1.  «  Depuis  que  la  création  de  l'épigraphie  sémitique  et  la 
découverte  de  Babylone  et  de  Ninive  nous  ont  introduits  dari» 
l'intimité  des  dieux  sémitiques,  on  a  été  étonné  de  voir  com- 
bien ils  diffèrent  peu  au  fond  de  leurs  vis-à-vis  aryens.  L'esprit- 
monothéiste,  que  l'on  croyait  au  fond  de  l'esprit  sémitique*, 
n'appartient  en  somme  qu'aux  juifs  et  aux  arabes  semi- 
judaïsés  et  semi-christianisés  par  Mahomet.  Dans  les  épo- 
ques antérieures,  les  religions  de  langue  sémitique  mon- 
trent le  même  polythéisme  que  les  religions  de  langues 
aryenne.  »  Les  prophètes  d'Israël,  p.  256-257.  —  2.  M.  de 
Broglie  dénonce  ainsi  le  procédé  employé  :  «  Rayer  des* 
documents,  soit  à  titre  de  passages  interpolés,  soit  à  titre 
d'insertions  mensongères  de  l'auteur,  les  innombrables  affir- 
mations de  la  Bible  entière  relatives  à  l'antiquité  du  mono- 
théisme d'Israël  ;  rassembler  d'autre  part  les  récits  où  il  est 
parlé  d'actes  d'idolâtrie  commis  par  le  peuple  ;  supprimer  las 
mention  réprobative  qui  accompagne  ces  récits,  et  déclarer  que 
ces  faits  du  polythéisme  étaient  la  coutume  nationale  et  l'an- 
tique tradition,  cela  est  on  ne  peut  plus  facile.  »  Les  nouveaux: 
historiens  d'Israël,  dans  le  Correspondant,  1888,   t.  cxv,  p.  08^- 


Il6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

essaie  du  moins  de  la  rendre  vraisemblable,  et  voici 
comment.  Dans  la  lutte  entre  Iahveh  et  Baal,  du 
temps  d'Elie  et  d'Elisée,  éclate  l'opposition  entre 
les  deux  divinités.  Comme  Baal  est  le  Dieu  de  la 
nature,  on  fait  de  Iahveh  le  Dieu  de  la  morale  et  de 
la  justice.  Puis,  Israël  étant  vaincu  par  les  Assyriens, 
Amos  réfléchit  que  Iahveh  n'a  pu  laisser  périr  son 
peuple  que  pour  le  punir  de  ses  crimes.  De  là  l'idée 
d'un  Dieu  juste  ;  et  comme  la  justice  est  univer- 
selle, le  Dieu  juste  ne  peut  être  que  le  souverain  du 
inonde.  Enfin  Juda,  menacé  lui  aussi  par  les  Assy- 
riens, est  délivré  au  lieu  de  succomber  :  donc  c'est 
Iahveh  qui  est  le  souverain  du  monde.  La  transfor- 
mation est  faite  ;  ce  qu'on  en  peut  dire,  c'est  qu'elle 
est  plus  miraculeuse  que  le  surnaturel  de  la  Bible. 
Mais  voici  qui  est  plus  fort  encore,  c'est  le  con- 
traste entre  les  voyants  de  Moab  et  les  prophètes  de 
Baal  d'un  côté,  et  les  prophètes  d'Israël  et  de  Juda 
de  l'autre  :  même  pays,  même  race,  même  langue, 
même  genre  de  vie,  et  pourtant  les  premiers  restent 
magiciens  et  idolâtres,  tandis  que  les  seconds  sont 
d'excellents  monothéistes.  D'où  vient  la  différence 
des  effets,  si  les  causes  sont  identiques  ?  D'où  vient 
ce  phénomène  unique  au  monde  ?  L'évolution  n'a 
donc  opéré  qu'en  Israël,  à  l'exclusion  des  tribus 
environnantes  ?  Ni  Kuenen,  ni  Wellhausen  ne  l'ex- 
pliquent. Ici  encore,  le  surnaturel,  dont  ou  voulait 
se  passer,  reparaît  et  s'impose. 

3°  Après  quarante  ans  passés  à  l'étude  du  pro- 
blème, Renan  lui  a  cherché  une  solution  plus  plau- 
sible. Corrigeant  sa  première  erreur  et  profitant  des 
travaux  de  Kuenen  et  des  autres  rationalistes,  il 
prétend  que  le  monothéisme  a  été  la  caractéristique, 
non  des  sémites  sédentaires  puisque  les  découvertes 
sont  venues  prouver  le  contraire,  mais  des  sémites 
nomades  ;  ce  qui  n'est  qu'une  hypothèse.  Sur  cette 


EXPLICATION    RATIONALISTE  II7 

première  hypothèse  il  en  greffe  une  autre,  celle  que 
ce  monothéisme  primitif  n'est  pas  celui  des  pro- 
phètes, mais  un  intermédiaire  entre  le  mono- 
théisme prophétique  et  le  polythéisme,  YElohisme  ou 
la  croyance  à  des  génies  multiples  agissant  en  com- 
mun et  ne  formant  en  apparence  qu'une  force  uni- 
que, désignée  par  le  pluriel  Elohim,  joint  à  un  verbe 
au  singulier.  Mais,  entre  les  patriarches  et  les  pro- 
phètes, a  lieu  une  grande  transformation  :  le  Iah- 
visme  succède  à  l'Elohisme,  et  c'est  un  Iahvisme 
matérialiste  et  païen.  Tandis  qu'Elohim  est  le  dieu 
de  tous  les  peuples,  Iahveh  est  le  dieu  particulier 
d'Israël,  jaloux,  égoïste,  partial,  dont  le  culte 
devient  rapidement  idolâtrique  jusqu'au  temps  de 
David.  Grâce  aux  prophètes,  une  réaction  s'opère  : 
il  y  a  retour  du  Iahvisme  vers  l'Elohisme  primitif, 
vers  l'idéal  de  la  vie  patriarcale.  Les  prophètes 
transforment  l'idée  de  Iahveh  et  lui  rendent  les 
traits  d'Elohim  et  finissent  par  persuader  le  peuple; 
leur  monothéisme  n'est  que  la  combinaison  entre 
l'Iahvisme  et  l'Elohisme  patriarcal,  la  correction 
du  premier  par  le  second 

C'est  en  ces  termes  que  M.  de  Broglie  expose  le 
système  de  Renan,  en  faisant  remarquer  très  juste- 
ment l'oubli  des  textes  positifs  de  la  Bible,  qui  le 
réduisent  à  néant,  et  l'abus  considérable  d'hypo- 
thèses, qui  servent  à  1  étayer  sans  le  rendre  plus 
vraisemblable.  Là  où  Kuenen  dit  que  les  prophètes 
inventent,  Renan  prétend  qu'ils  retournent  en 
arrière.  L'explication  est  insuffisante  pour  rendre 
raison  de  la  grande  œuvre  des  prophètes  et  de  leur 
succès  définitif  ;  œuvre  et  succès  sont  tellement 
extraordinaires,  ils  constituent  un  fait  si  unique 
dans  l'histoire  qu'au  lieu  de  supprimer  le  surnatu- 
rel, comme  on  s'en  flattait,  par  l'explication  qu'on 
en  donne,   ils  l'impliquent.  Car,   à  un  phénomène 


Bl8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«inique,  il  faut  une  cause  unique  ;  et  ni  l'évolution 
de  Kuenen  ou  de  Wellhausen,  ni  la  théorie  de 
Henan  ne  la  donnent  ;  elle  n'est  ni  dans  le  déve- 
loppement naturel  des  éléments  préexistants  en 
Israël,  ni  dans  la  logique  des  événements  ;  elle 
n'est  pas  davantage  dans  une  réaction  heureuse  et 
réussie  qui,  telle  quelle,  serait  un  vrai  miracle  ;  elle 
se  trouve  uniquement  dans  l'explication  tradition- 
nelle, dans  la  révélation  et  l'inspiration  (i). 

6.  La   prédiction  des  prophètes  :    comment 
l'expliquent  les  rationalistes.  —  i°  Les  prophè- 
tes  sont  aussi  des  voyants,  instruits  par  la  révéla- 
tion et  prédisant  l'avenir.  Conserver  et  transmettre 
le  précieux  dépôt  des  promesses  divines  n'est  pas 
leur  unique  mission,  ils  en  ont  une  autre,  qui  expli- 
que la  première,  celle  d'augmenter  ce  dépôt  par  le 
développement    et   la    publication   des    prophéties 
'messianiques.  Et  celle-ci  à  son  tour,  en  face   des 
obstacles  qu'ils  eurent  à  combattre,   soit  de  la  part 
du  peuple,   soit  de  la  part  des  rois,  soit  de  la  part 
du  sacerdoce,   ne  s'explique  que  par  une  positive 
intervention  de  Dieu,   tant    est    disproportionnée, 
•comme  plus  tard  pour  la  diffusion  de  l'Evangile,  la 
faiblesse  des  moyens  avec  la  grandeur  des  résultats. 
Aussi  le  rationalisme  se  montre-t-il  systématique- 
ment opposé  et  s'arroge-t-ii  tous  les  droits  pour 
infirmer  la  réalité  d'un  tel  rôle. 

2°  Le  but  du  rationalisme  étant  d'écarter  à  tout 
prix  le  surnaturel  de  l'Ancien  Testament  comme 
des  origines  chrétiennes,  on  y  a  procédé  méthodi- 

i.  «  Si  la  science  n'est  pas  le  contraire  du  bon  sens  et  de  la 

raison,  il  faut  dire  que  la  seule  théorie  vraiment  scientifique 

des  origines  du  prophétisme,  c'est  la  théorie  supranaturaliste.  » 

Srucker,  Renseignement  des  Prophètes,  dans  les  Etudes,  189a, 

S*  lvi,  p.  58o. 


! 


EXPLICATION    RATIONALISTE  I  I() 

»  '       "  '      ' 

quement.  A  la  base  du  système  on  a  placé  une  pure 
hypothèse,  à  savoir  qu'il  n'y  a  pas  de  surnaturel. 
Fragile  base,  système  fragile.  Mais  c'est  là  de  l'aprio- 
risme,  et  un  apriorisme  dogmatique  mal  venu 
pour  combattre  le  dogmatisme  rationnel  de  l'Eglise. 
La  méthode  adoptée  est  celle  de  l'arbitraire,  soit 
dans  ce  qu'elle  rejette  de  la  Bible,  soit  dans  ce 
qu'elle  consent  à  en  retenir.  Elle  rejette,  en  effet, 
tout  ce  qui  gêne,  uniquement  parce  que  cela  gêne, 
le  déclarant  légendaire,  erroné,  ou  apocryphe  ; 
quant  à  ce  qu'elle  garde,  elle  l'utilise  dans  le  sens 
de  l'idée  préconçue,  dût-elle  solliciter  les  textes  ou 
en  dénaturer  la  signification.  On  voit  bien  ce  que 
de  telles  libertés  ont  de  contraire  à  l'enseignement 
traditionnel,  on  n'aperçoit  pas  ce  qu'elles  ont  de 
légitime.  Pas  plus  ici  qu'ailleurs  la  fin  ne  justifie 
les  moyens  (i). 

3°  Qu'en  est-il  résulté  ?  C'est  que,  malgré  l'iden- 
tité du  but,  la  diversité  des  moyens  a  créé  des 
divergences  de  vues,  qui  montrent  combien  peu 
sûre  d'elle-même  est  la  critique  rationaliste.  Au 
dernier  siècle,  Reuss  niait  que  les  prophètes  eussent 
prophétisé  ;  Renan,  au  contraire,  prétendait  qu'ils 
avaient  «  tenu  bureau  de  divination,  »   comme  des 


i.  «  N'est-ce  pas  inouï  de  prétendre  tirer  autre  chose  que  le 
scepticisme  absolu  et  l'ignorance  complète  de  documents  que 
l'on  déclare  falsifiés  dans  une  si  grande  mesure  ?  Comment 
peut-on  supposer  que  les  érudits  de  notre  siècle  connaîtront 
mieux  le  temps  des  rois  d'Israël  que  les  scribes  du  temps 
d'Esdras?  Si  réellement  il  y  a  eu  une  immense  falsification 
faite  dans  un  but  dogmatique,  il  y  a  plus  de  vingt  siècles, 
peut-on  espérer  retrouver  la  vérité  par  un  procédé  exactement 
semblable,  par  un  nouveau  remaniement  des  documents  que 
nous  possédons,  fait  également  dans  un  but  dogmatique, 
puisqu'il  est  destiné  à  faire  cadrer  les  textes  avec  une  hypo- 
thèse évolutionniste  ?  »  De  Broglic,  Les  nouveaux  historien 
d'Israël,  dans  le  Correspondant,  1888,  t.  exiv,  p.  474. 


120  LE    CATECHISME    ROMAIN 

■ 

fournisseurs  d'oracles,  de  vrais  charlatans  de  mé- 
tier. Kucnen  reconnaît  qu'ils  n'ont  parlé  de  l'avenir 
que  lorsque  Dieu  les  y  poussait,  toujours  dans  un 
but  élevé  et  moral,  et  non  pour  satisfaire  une  vaine 
curiosité  ou  quelque  intérêt  matériel.  Et  prenant 
les  prophéties  une  à  une,  il  s'efforce  de  montrer 
qu'elles  ne  se  sont  réalisées  que  dans  des  cas  où  la 
prévision  était  dans  l'ordre  des  choses  et  ne  récla- 
mait point  de  révélation  divine.  Quant  à  celles  qui 
échappent  par  leur  aveuglante  clarté  à  toute  inter- 
prétation naturelle,  il  se  contente  de  dire  qu'elles 
ont  été  écrites  après  coup. 

4°  Veut-on  un  exemple  de  l'application  de  cette 
méthode  rationaliste  ?  Renan  va  nous  le  donner  avec 
toute  son  ingéniosité  prestigieuse.  Au  dire  de  son 
admirateur,  Darmesteter,  voici  les  quatre  axiomes 
du  prophétisme  :  Ce  qui  n'est  point  fondé  sur  la 
justice  doit  périr  ;  —  Jéhovah  a  révélé  la  justice  à 
Israël  ; —  Israël  doit  réaliser  la  justice  ;  — ■  la  jus- 
tice sera  réalisée  un  jour.  «  Quatre  certitudes  qui 
ont  fait  sa  puissance  surnaturelle,  et  dont  la  der- 
nière, en  l'armant  d'espérance  pour  l'éternité,  l'a 
soustrait  à  tous  les  écrasements  de  la  réalité  (i).  » 
Mais  sur  ce  dernier  point  :  quand  et  comment  sera 
réalisée  la  justice  ?  les  prophètes  varient.  Il  y  a  trois 
étapes  dans  le  drame  prophétique  :  celle  de  l'illu- 
sion, qui  veut  directement  construire  l'avenir  avec 
le  présent  ;  celle  des  destructions  nécessaires  ;  celle 
de  la  restauration  devenue  possible.  La  première 
est  dominée  par  Isaïe,  la  seconde  par  Jérémie,  la 
troisième  par  le  grand  Anonyme. 

Première  étape  :  Israël  et  Damas  menacent  Juda  ; 
Isaïe  rassure  son  roi.  Et  Assur  vient  briser  Damas 

i.  Darmesteter,  Les  prophètes  d'Israël,  dans  la  Revue  des 
Deux  Mondes,  1891,  t.  civ,  p.  5a8. 


EXPLICATION    RATIONALISTE  121 

et  ruiner  Israël.  Isaïe  prêche  contre  l'avidité  du 
riche,  l'iniquité  du  juge,  le  vjde  du  culle.  On  ne 
l'écoute  pas.  Il  en  appelle  alors  à  l'avenir  ;  élar- 
gissant le  champ  de  la  vision  d'Amos  et  d'Osée,  il 
voit  Israël  sauvé,  mais  sauvant  le  monde  :  c'est  la 
religion  universelle  entrevue.  Mais,  sous  Ezéchias, 
la  paix  règne,  le  royaume  de  David  est  rétabli  ; 
alors  Isaïe  salue  en  ce  roi  l'enfant  de  Jéhovah  et 
pousse  un  cri  de  triomphe,  «  d'où  sept  siècles  plus 
tard  naquit  le  Christ  (i).  »  Car  le  Messie  n'est  au- 
tre qu'Ezéchias,  «  l'idée  du  Messie  lointain,  du 
Messie  des  derniers  jours,  n'était  pas  encore 
née  (2).  »  Juda  est  menacé  par  Assur  ;  alors  Isaïe 
prophétise  la  perte  d'Assur  et  voit,  dans  une  vision 
de  paix,  la  fin  de  toute  guerre,  de  toute  haine, 
l'apparition  du  roi  idéal,  du  juge  sur  lequel  des- 
cendra l'esprit  de  Jéhovah  :  ce  n'est  qu'une  vision. 
Seconde  étape  :  avec  Manassé,  retour  violent  à 
l'idolâtrie  et  à  la  corruption  ;  avec  Josias,  réaction 
en  sens  inverse  :  Jérémie  est  là.  Mais  avec  Jérémie, 
évolution  nouvelle  ;  «  le  prophétisme  prend  cons- 
cience de  l'impossibilité  radicale  de  réaliser  avec  le 
présent  les  réformes  qui  pourraient  sauver  la  na- 
tion ;  il  renonce  à  la  nation  présente  qui  court 
volontairement  et  inévitablement  à  sa  ruine,  et  ne 
songe  plus  qu'à  préparer  la  nation  future  qui  sor- 
tira de  ses  débris  (3).  »  Assur  est  tombé  ;  Ninive 
n'est  plus  ;  Babylone  triomphe,  la  captivité  est  là. 
La  vieille  prophétie  de  démembrement,  de  ruine  et 
d'exil,  se  réalisait  dans  l'épouvantement.  Jérémie 
est  désormais  convaincu  que  le  Juda  prophétisé  ne 
pourrait  pousser  en  terre  sainte  qu'après  avoir  été 
déraciné  ;    il   recommande   donc  d'accepter   l'exil, 

i.  Darmestcter,   loc.  eU,t  p.   53a.    —   2.  Ibid.,  p.    53a.   — 
3.  Ibid. y  p.  534.  . 


122  LE    CATECHISME    ROMAIN 

qui  aura  son  terme,  et  il  annonce  une  alliance 
nouvelle.  Durant  l'exil,  Ezéchiel  prophétise  ;  il  re- 
fait l'âme  de  sa  nation.  Transporté  par  la  pensée  de 
la  Jérusalem  future,  il  reconstruit  le  temple  en 
esprit.  Cyrus  défait  ce  qu'avait  fait  Nabuchodono- 
sor  :  il  rend  la  liberté  aux  captifs. 

Troisième  étape  :  avec  le  retour  de  la  captivité, 
le  dernier  acte  du  drame  prophétique  s'accomplit, 
le  plan  divin  se  réalise.  Désormais,  les  souffrances 
d'Israël  ne  sont  plus  l'expiation  de  ses  fautes,  la 
punition  de  ses  péchés,  mais  le  prix  du  salut  de 
l'âme  humaine.  Et  le  second  Isaïe  (i)  trace  le  por- 
trait du  Messie  souffrant,  à  la  lumière  de  cette  nou- 
velle perspective.  Mais  où  est  la  réalisation  des 
espérances  ?  Hélas  !  la  réalité  ne  répond  pas  à  l'at- 
tente immédiate,  malgré  le  retour  et  la  reconstruc- 
tion de  la  ville  et  du  temple.  Alors  transposition 
nouvelle  et  dernière  :  le  royaume  tant  annoncé 
n'est  pas  de  ce  monde.  «  La  conception  des  pro- 
phètes devint  une  image  et  une  allégorie,  et  le 
christianisme,  s'appuyant  sur  un  dogme  nouveau(I) 
emprunté  à  la  philosophie  grecque,  et  que  le 
judaïsme  ignora  toujours  (!),  —  la  croyance  à  la 
résurrection  et  à  une  rémunération  future,  —  sup- 
prima le  problème  qui  troublait  la  conscience 
d'Israël,  en  renvoyant  la  solution  à  un  autre 
monde  (2).  » 

7.  Ce  qu'il  faut  penser  de  l'explication  ra- 
tionaliste. —  Telle  est,  d'après  Darmesteter,  l'ex- 
plication de  Renan.  Le  sacré  s'y  mêle  au  profane 
dans  des  proportions  habilement  dosées.  On  y 
parle  des  prophètes,  mais  on  a  soin  de  supprimer  la 

1.  Ce  second  Isaïe,  comme  on  l'appelle,  l'auteur  des  vingt- 
six  derniers  chapitres  d'Isaïe,  est  arbitrairement  placé  à  cette 
date  récente.  —  2.  Darmesteter,  loc.  cit.,  n.  55i. 


EXPLICATION    RATIONALISTE  123 


révélation  qui  en  fait  des  mandataires  de  Dieu  ;  on 
y  parle  même  de  leurs  prophéties,  mais  on  les  fait 
naître  comme  spontanément  des  circonstances  am- 
biantes ;  la  seule  réalité  qu'on  leur  reconnaisse  n'est 
que  dans  les  événements  immédiats  ;  quant  à  l'avenir 
qu'elles  évoquent,  il  reste  une  chimère  ou  un  idéal, 
témoignage  d'espérances  déçues,  mais  qui  s'obs- 
tinent quand  même  à  s'affirmer.  Et  le  christia- 
nisme, en  se  déclarant  l'héritier  légitime  du  Ju- 
daïsme et  en  s'autorisant  de  l'accomplissement  des 
dites  prophéties,  se  leurre,  obligé  qu'il  est,  nous 
dit-on,  de  mettre  par  delà  le  temps  ce  qui  fut  le 
rêve  chimérique  d'Israël.  Darmesteter  appelait  cette 
histoire  de  Renan  «  la  grande  œuvre  constructrice 
du  siècle,  »  et  sa  conception  du  prophétisme  «  un 
coup  de  baguette  divinatoire.  »  C'est  bien  plutôt 
une  gageure  ;  et  s'il  était  vrai  qu'Israël  «  ait  fait  son 
histoire  à  coups  d'idéal,  »  Renan  et  ses  imitateurs, 
comment  donc  l'ont-ils  refaite?  A  coups  d'idéal, 
çux  aussi,  mais  en  sens  inverse.  Et  puisque  l'on 
nous  dit  que  l'histoire  d'Israël  est  suspecte,  telle 
que  nous  l'offre  la  Bible,  celle  qu'on  nous  raconte 
sur  nouveaux  frais  que  sera-t-elle  donc  (i)  ?  Mais 
le  rationalisme  a  beau  faire  ;  qu'il  chicane  sur  des 
points  de  détail,  l'ensemble  des  prophéties  est  là, 
formidable  ;    il    forme   un    bloc  solide,    qu'aucun 

i .  «  La  critique  moderne  a  beau  pousser  des  cris  de  triom- 
phe, elle  n'a  pas  détruit  l'autorité  des  textes  bibliques.  Elle  ne 
peut  convaincre  que  ceux  qui  sont  disposés  à  l'écouter,  soit  par 
timidité  d'esprit,  en  présence  d'opinions  bruyantes  et  audacieu- 
ses, soit  par  passion  contre  la  tradition.  Les  esprits  indépen- 
dants ne  croiront  pas  qu'il  soit  si  facile  de  bouleverser  une 
histoire  écrite,  appuyée  par  une  tradition  orale  qui  lui  est 
conforme.  Ils  préféreront  accepter  les  difficultés  qui  résultent 
des  documents  tels  qu'ils  existent  que  de  les  échanger  contre 
de  plus  grandes  difficultés  résultant  d'une  hypothèse  peu  vrai- 
semblable. »  De  Broglie,  Correspondant,  t.  cxrv,  p.  469. 


124  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

coup  de  baguette  divinatoire  ne  parviendra  à  ébran- 
ler ;  impérieusement,  il  s'impose  avec  l'autorité 
d'une  certitude  morale,  suffisante  pour  satisfaire 
tout  homme  de  bon  sens  et  d'esprit  droit.  Après 
comme  avant  l'assaut  du  rationalisme,  les  prophé- 
ties relatives  au  Messie,  comme  celles  qui  annon- 
çaient la  destruction  de  l'idolâtrie  et  la  conversion 
des  gentils,  restent  inscrites  dans  la  vieille  Bible. 
Et  depuis  vingt  siècles,  l'Evangile  d'abord,  l'Eglise 
ensuite,  c'est-à-dire  l'histoire  d'hier  et  l'histoire  d'au- 
jourd'hui, sont  la  preuve  vivante,  indéniable,  de 
leur  accomplissement  (i). 

i.  A  propos  des  prophéties  sur  la  conversion  des  gentils,  le 
P.  Brucker  écrit  :  «  Toutes  les  circonstances  les  plus  extraor- 
dinaires se  rencontrent  dans  l'énoncé  et  dans  la  réalisation  de 
ces  oracles  pour  en  faire  la  chose  la  plus  inexplicable  au  point 
de  vue  purement  humain.  Le  grand  événement  qui  en  forme 
le  sujet  est  tel  qu'aucune  perspicacité  naturelle  ne  pouvait  le 
prévoir,  ni  surtout  l'affirmer  d'avance  avec  certitude.  En  effet, 
il  porte  les  caractères  d'une  contingence  qui  défie  les  calculs 
de  la  sagesse  la  plus  profonde.  Que  des  milliers,  des  millions 
d'intelligences  abjurent  tout  d'un  coup  des  conceptions  invé- 
térées et  chères  pour  adopter  des  dogmes  obscurs,  prêches  par 
de  misérables  étrangers  ;  surtout  que  des  milliers,  des  millions 
de  volontés  libres  soient  touchées,  transformées  par  cette  pré- 
dication jusqu'à  passer  en  un  instant  de  l'habitude  de  tous  les 
vices  à  la  pratique  des  vertus  les  plus  difficiles  :  voilà  qui  n'est 
nullement  conforme  aux  lois  «  du  mouvement  des  choses  et 
des  idées  »  ;  et  les  rationalistes,  qui  ne  peuvent  nier  le  fait, 
n'admettraient  jamais  qu'il  soit  vraisemblable,  ni  même  possi- 
ble, s'il  n'était  arrivé.  La  conversion  du  monde  païen,  consi- 
dérée historiquement,  révèle  donc  d'une  manière  éclatante 
l'action  de  la  divinité  qui  y  a  la  part  principale.  Mais  combien 
la  main  de  Dieu  apparaît  plus  visible  encore  dans  ce  prodi- 
gieux événement,  si  on  le  voit  prédit  avec  toutes  ses  circons- 
tances, plusieurs  siècles  auparavant!  Cette  vaste  transformation 
morale  étant  impossible  sans  une  intervention  divine  spéciale, 
elle  n'a  pu  être  connue  à  Favance  sftns  une  révélation  expresse 
de  Celui  qui  devait  l'opérer.  »  Les  Prophètes  d'Israël,  dans  les 
Etudes,  août  1893,  t.  lix,  p.  600. 


LE    PROPHETISME    ET    L'APOLOGETIQUE  125 

8.  Le    prophétisme     et     l'apologétique.     — 
«  L'histoire  du  prophétisme  en  Israël,   fait  remar- 

M.  Loisy  regarde  comme  «  impossible  d'établir,  par  la  con- 
cordance des  prédictions  anciennes  et  des  faits  qui  sont  présen- 
tés comme  leur  accomplissement,  la  preuve  évidente  et  indis- 
cutable d'une  prescience  que  les  organes  de  la  révélation  n'au- 
raient pu  tenir  que  de  Dieu  »  ;  mais,  quelque  arbitraire  que 
puisse  paraître  l'exégèse  du  sens  spirituel,  il  la  justifie  parce 
qu'elle  repose  sur  ce  «  principe  incontestable  :  l'intime  et  cons- 
tante harmonie  des  idées  et  des  choses  dans  un  mouvement 
religieux  qui  s'est  accompli  progressivement  sous  la  conduite 
de  la  Providence.  »  «  Si  l'explication  de  chaque  passage  prisa 
part  ne   représente  pas  le  sens  rigoureusement  historique  du 
texte,  l'explication  de  tous  les  passages  pris  ensemble  repré- 
sente,  dit-il,   ce  qu'on  pourrait  appeler  le  sens  providentiel, 
jamais  épuisé,  de  l'Ancien  Testament  et  de  toutes  les  prophé- 
ties, le  développement  que  les  germes  déposés  dans  l'Ecriture 
étaient  destinés  à  recevoir  par  la  manifestation  et  le  progrès  de 
l'Evangile.  »  Il  reconnaît  donc  que  l'argument   général  garde 
toute  sa  force  et  que  la  thèse  catholique  est  très  solide.  Il  recon- 
naît que  «  les  anticipations  d'idées  et  de  principes  religieux, 
qui  ne  se  sont  réalisées  parfaitement  que  plus  tard,  sont  une 
preuve  non  négligeable  de  l'action  providentielle  dans  l'his- 
toire. »  Et  quelle  que  soit,  au  vrai,  sa  pensée  intime,  si  nua- 
geuse, si  ondoyante  dans  son  expression,  et  par  là  même  sus- 
pecte aux  yeux  d'un  certain  nombre,  voici  ce  qu'il  écrit  au 
sujet  des  espérances  messianiques  :  «  Rien  de   plus  homogène 
au  fond,  de  plus  logique  dans   son   rajeunissement  perpétuel, 
que  l'espérance  messianique  depuis  les  plus  anciens  prophètes 
jusqu'à  la  prédication  du  royaume  des  cieux  et  l'apocalypse 
johannique.  »  La  forme,  la  couleur  de  cette  espérance  varient, 
mais  «  l'espérance  elle-même,  l'intuition  du  triomphe  que  se 
réservent  et  se  préparent  la  justice  et  la  miséricorde  éternelle, 
est  un  fait  unique  dans  son  genre,  inexplicable  en  lui-même, 
vraiment  surnaturel  ;  l'épuration  progressive   de  celte   espé- 
rance, sa  réalisation   commencée,    toujours  poursuivie   dans 
l'Evangile  et  dans  l'Eglise,  sont  la  grande  prophétie,  celle  qui 
embrasse  et  vérifie  toutes  les  autres,  celle  que  la  critique  n'a 
point  ébranlée,  qui  parle  encore  à  l'esprit  religieux  (et  à  tout 
esprit  droit),  qui  a   toujours  été  reconnue  par  les  âmes  de 
bonne  volonté...  L'argument  des  prophéties,  bien  compris, 
reste  donc  avec  celui  des  miracles,  comme  une  de  ces  probabi- 


126  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

quer  très  justement  Mgr  Mignot  (i),  devra  servir  de 
base  scripturaire  à  l'apologétique,  par  la  raison  que 
l'unique  mission  du  peuple  choisi  a  été  de  préparer 
le  royaume  de  Jésus-Christ,  et  que  cette  prépara- 
tion a  été  le  rôle  suréminent  des  prophètes... 
L'Eglise  est  le  Christ  continué,  et  le  Christ  est  la 
fin,  l'épanouissement  de  l'ancienne  alliance  :  pour 
comprendre  l'Eglise  et  le  Christ,  il  faut  donc  com- 
prendre la  Bible.  Or,  qui  nous  donnera  le  vrai  sens 
de  la  vie  d'Israël,  sinon  les  prophètes  ?  Non,  certes, 
que  leurs  écrits  renferment  explicitement  ce  que 
nous  voudrions  y  trouver,  ni  qu'ils  parlent  du 
Christ  comme  saint  Jean  ou  saint  Paul.  N'oublions 
pas  que  les  manifestations  vitales  d'un  organisme 
vivant  sont  successives  et  non  simultanées.  Dieu 
seul  est  un  acte  pur  dans  lequel  est  renfermée  toute 
son  activité,  mais  ses  œuvres  sont  soumises  aux 
conditions  de  l'espace  et  du  temps.  La  Bible  ne 
renferme  pas  toute  la  pensée  de  Dieu  dans  chacun 
de  ses  mots,  dans  chacune  de  ses  lignes.  Dieu  n'a 
point  parlé  aussi  clairement  dans  l'Eden  que  sur  le 
Sinaï.  Chaque  page  du  livre  nous  découvre  une 
manifestation  progressive  de  Dieu.  Les  prophètes 
correspondent  à  une  phase  précise  du  développe- 
ment religieux  de  cet  organisme  divin  à  un  mo- 
ment donné  et  il  ne  faut  pas  leur  en  demander 
davantage... 

«  S'ils  furent  les  guides,  les  éducateurs,  les  re- 
ntes (!)  ou  plutôt  une  de  ces  catégories  de  probabilités  (!),  qui 
servent  de  témoignage  à  la  religion  révélée  et  qui  deviennent 
pour  la  foi  (mais  aussi  pour  la  raison)  des  vues  certaines,  évi- 
dentes même  à  leur  manière.  »  Les  preuves  et  l'économie  de  la 
révélation,  dans  la  Revue  du  clergé,  1900,  t.  xxn,  p.  i34-i37. 

1.  L'Apologétique  et  la  critique  biblique,  5°  lettre  sur  les 
Etudes  ecclésiastiques,  dans  la  Revue  du  clergé,  1901,  t,  xxvn, 
p.  4o-43. 


LE    PROPIIETISME    ET    L  APOLOGETIQUE  127 

formateurs — j'allais  presque  dire  les  créateurs  — 
de  la  vie  religieuse  en  Israël,  ils  furent  surtout  les 
hérauts  des  espérances  messianiques,  les  messagers 
de  la  bonne  nouvelle.  Ils  ont  donné  à  leur  nation 
ce  cachet  unique,  ce  caractère  spécial  qui  a  fait 
d'Israël  un  peuple  figuratif.  Ils  l'ont  peinte  avec  des 
couleurs  si  brillantes  qu'elle  n'est  plus  reconnais- 
sable  tant  elle  est  transfigurée.  En  dessinant  sept 
ou  huit  siècles  d'avance  un  royaume  qu'ils  disent 
être  le  leur,  celui  d'Israël,  ils  ont  reproduit  trait 
pour  trait  le  royaume  idéal  du  Christ.  Comme  le 
remarque  Bruce,  par  un  phénomène  unique  dans 
Thistoire,  ils  ont  tous  cru  à  la  perpétuité  d'Israël  et, 
loin  d'abattre  leur  courage,  les  malheurs  inouïs  de 
leur  nation  n'ont  fait  qu'affermir  leur  foi  et  rendre 
plus  vives  leurs  indomptables  espérances.  Remar- 
quons-le bien,  cette  foi  en  l'avenir  n'est  pas  le  fait 
de  quelques  individualités  puissantes  qu'aucune 
épreuve  ne  décourage,  c'est  celle  de  toute  une  école 
qui  a  fait  partager  à  la  nation  entière  les  espérances 
les  plus  invraisemblables,  étant  donné  l'état  lamen- 
table d'Israël  après  la  destruction  de  Jérusalem. 
Pourquoi  cette  foi  exclusive  à  Israël  ?  Jamais  peu- 
ple ne  s'est  cru  appelé  à  réaliser  pareille  destinée, 
n'est  arrivé  à  se  croire  immortel.  Jamais  Ammon, 
Moab,  Edom,  Damas,  Tyr,  Sidon  n'ont  rêvé  de  se 
survivre  ni  surtout  de  grouper  autour  d'un  roi 
idéal  de  leur  race  toutes  les  nations  du  monde.  C'eût 
été  du  délire.  A  leurs  yeux,  comme  pour  les  Sages 
de  la  Grèce  et  de  Rome,  les  nations  naissent,  gran- 
dissent et  disparaissent  comme  les  individus.  Les 
anciens  plaçaient  l'âge  d'or  à  leur  origine  ;  nul, 
sauf  le  peuple  juif,  ne  le  plaça  jamais  au  déclin  de 
la  vie.  Ou  Dieu  n'est  nulle  part,  ou  il  est  dans 
l'esprit  et  le  cœur  des  prophètes.  » 


28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


1.  Le  monothéisme  des  Prophètes  et  l'explica- 
tion rationaliste  de  Kuenen  et  de  Wellhausen.  — 

Selon  Kuenen  et  Wellhausen,  «  dans  le  siècle  même  qui 
précède  Amos,  aucune  idée  élevée  n'existait  ;  c'était  un  pur 
culte  païen.  Et  voilà  qu'au  milieu  de  ces  usages  en  pleine 
vigueur,  usages  parfaitement  semblables  à  ceux  des  peu- 
ples voisins,  plusieurs  hommes  se  lèvent  et,  se  séparant 
du   groupe  des  voyants  païens,  se  mettent  à  enseigner 
une   doctrine   absolument  nouvelle.    Ils    déclarent    que 
Iahveh,  qui  a  fait  sortir  les   Israélites  de  l'Egypte,  n'est 
pas  seulement  le  Dieu  national,  mais  le  Dieu  de  tous  les 
peuples,  qu'il  est  le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  que 
les  autres  Dieux  ne  sont  rien  devant  lui  ;  que  s'il  a  choisi 
Israël,  c'est  qu'il  l'a  bien  voulu,  qu'il  peut  le  rejeter,  si 
cela  lui  plaît.  Bien  plus,  ils  disent  que  ce  Dieu  va  châtier 
Israël  et  le  disperser  au  milieu  des  peuples  ennemis.  — ■ 
Ils  déclarent  en  outre  que  Iahveh  est  un  Dieu  invisible, 
que   c'est  une  abomination  de  le  représenter  sous  une 
forme   visible,    que  c'est  un  crime  de  l'associer  ou  de 
l'assimiler  à  des  dieux  étrangers.  Ils  déclarent  que  les 
sacrifices  offerts  à  Béthel  et  à  Dan  sont  autant  de  péchés 
qui  irritent  Iahveh  au  lieu  de  l'apaiser.  Enfin,  ce  qui  est 
plus  étrange  encore,  ils  énoncent  ces  doctrines  toutes  nou- 
velles en  les  déclarant  antiques.   Us  affirment  que  jadis  il 
a  existé  une  alliance   solennelle  entre  Israël  et  Iahveh, 
alliance  dont  la  clause  principale  était  le  monothéisme  et 
le  culte  sans  idoles.   —  Cette  alliance,  selon  Kuenen, 
n'aurait  jamais  existé  ;   elle  serait  la  pure  invention  des 
prophètes.  Néanmoins  ceux-ci,  de  bonne  ou  de  mauvaise 
foi,  peu  importe,  font  appel  à  cette  alliance,  dont  la  pro- 
hibition de  l'idolâtrie  et  du  polythéisme  sont  les  condi- 
tions  fondamentales,    comme    au   pacte  constituant  la 
nation  d'Israël  comme  le  peuple  spécial  de  Iahveh.  Si  les 
choses  s'étaient  passées  comme  le  veulent  nos  modernes 
historiens,  n'est-il  pas  évident  que  des  prophètes  venant 
ainsi  sans   motifs,  sans  preuves,   apporter  une  doctrine 
inconnue,  contredire  des   traditions  séculaires,  choquer 
les  instincts  religieux  du  peuple  et  des  peuples  voisins, 
imposer  une  doctrine  austère  au  nom  d'engagements  chi- 


LE    PROPIIETISME   ET    L  APOLOGETIQUE  I2£ 

mériques  de  la  nation  dont  on  ne  pouvait  avoir  aucun  sou- 
venir, puisqu'ils  n'avaient  jamais  existé,  n'est-il  pas  évi- 
dent, dis-je,  C}ue  ces  hommes  auraient  été  lapidés  par  lo 
peuple,  à  moins  qu'on  eût  préféré  les  traiter  d'insensés  et 
les  laisser  exposer  uue  doctrine  qui  n'aurait  attiré  sur  eux 
que  la  raillerie  et  le  mépris  ?...  Or,  qu'arrive-t-il,  au 
contraire?  Au  lieu  d'être  lapidés  et  traités  de  tous,  ces 
prophètes  sont  écoutés,  ces  prophètes  se  créent  des  parti- 
sans, ces  prophètes  finissent  par  conquérir  à  leurs  idées  une 
notahle  partie  de  la  nation.  Le  reste  même  est  ébranlé,  et 
les  adorateurs  du  veau  d'or  se  sentent  troublés  dans  leur 
conscience.  —  Bientôt  les  rois  auxquels  les  prophètes 
n'ont  cessé  de  reprocher  leurs  vices,  les  prêtres  dont  ils 
combattaient  les  intérêts  en  déclarant  les  sacrifices  inuti- 
les, sont  eux-mêmes  gagnés  à  la  doctrine  nouvelle. 
Ezéchias  s'efforce  de  l'imposer  au  peuple.  Josias  recom- 
mence la  même  tentative,  et,  après  la  captivité,  le  succès 
de  la  doctrine  prophétique  est  tel,  qu'il  n'y  a  plus  un  juif 
qui  ne  reconnaisse  la  souveraineté  de  Iahveh,  Dieu  créa- 
teur, et  que  les  idoles  ont  disparu  pour  jamais  du  peuple 
qui  lui  est  consacré. 

a  Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  :  non  seulement  le  peu- 
ple est  devenu  monothéiste,  mais  on  lui  fait  croire  qu'il  l'a 
toujours  été.  Une  immense  fraude  littéraire,  une  révision 
faite  de  toute  la  littérature  hébraïque  transporte  au  temps 
de  Moïse  les  idées  qui  étaient  nouvelles  au  huitième  siè- 
cle avant  Jésus-Christ.  Une  histoire  mensongère  est  inven- 
tée. Cette  histoire  est  gravée  non  seulement  sur  tous  les 
rouleaux  écrits,  mais  dans  toutes  les  mémoires  et  dans 
toutes  les  consciences.  Elle  passe  sans  altération  de  géné- 
ration en  génération.  Elle  est  transmise  des  juifs  aux 
chrétiens.  Là,  étudiée,  méditée,  commentée  pendant 
vingt-cinq  siècles  par  la  plus  noble  partie  de  l'humanité, 
cette  histoire  paraît  naturelle  et  vraisemblable...  Il  faut 
venir  jusqu'au  xix°  siècle  pour  qu'un  ou  deux  professeurs 
hollandais,  quelques  alsaciens  et  deux  ou  trois  allemands, 
déchirant  le  voile  tendu  depuis  le  temps  d'Esdras  devant 
les  esprits,  reconnaissent  la  iraude  et  enseignent  au 
monde  la  véritable   histoire  d'Israël:   cette  histoire  qui 

LE  CATÉCHISME.   —  T.   111.  Q 


l3o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


consiste  à  dire  qu'en  pays  païen  on  a  vu  tout  d'un  coup 
sortir  de  terre,  comme  par  une  génération  spontanée,  des 
prophètes  monothéistes,  que  ces  hommes  ont  créé  une 
doctrine  sublime,  l'ont  imposée  au  peuple  à  titre  de  tradi- 
tion antique,  et  ont  répandu  ainsi,  au  moyen  de  la  fraude 
et  du  mensonge,  sur  toute  l'humanité,  la  lumière  de  la 
connaissance  du  Dieu  créateur,  faisant  ce  que  tous  les 
philosophes  ont  été  impuissants  à  accomplir. 

u  En  vérité,  je  ne  crains  pas  de  dire  que  si  le  récit 
d'une  telle  succession  de  faits  était  inscrit  dans  des  docu- 
ments anciens  et  authentiques,  c'est  à  peine  si  on  pour- 
rait l'admettre.  Une  telle  narration  serait  si  incohérente, 
si  absurde,  si  invraisemblable,  si  contraire  à  toutes  les 
lois  de  l'histoire  et  à  toutes  les  expériences  psychologi- 
ques, que  le  livre  qui  la  contiendrait  serait,  par  son 
contenu  même,  suspect  d'être  un  pur  roman.  Mais  quand 
on  songe  que  cette  histoire  n'existe  dans  aucun  docu- 
ment, qu'elle  est  contraire  à  tous  les  documents  et  à  tou- 
tes les  traditions,  qu'elle  sort  toute  entière  du  cerveau  de 
MM.  Kuenen  et  Wellhausen,  comme  Pallas  du  cerveau  de 
Jupiter,  on  est  alors  saisi  d'un  autre  étonnement  :  on  se 
demande  comment  des  hommes  raisonnables  ont  pu 
inventer  un  pareil  récit,  et  comment  d'autres  hommes 
raisonnables  ont  pu  accepter  si  facilement  le  récit  des  pre- 
miers. )>  De  Broglie,  Les  nouveaux  historiens  d'Israël, 
dans  le  Correspondant,  1888,  t.  cxv,  de  la  nouvelle  série, 
p.  690-692. 

2.  Les  hypothèses  de  Renan. —  «Par  ses  efforts  réi- 
térés et  persévérants,  et  par  leur  impuissance,  il  (Renan) 
prouve  qu'on  ne  saurait  expliquer  le  fait  unique  dans 
l'univers  d'un  peuple  monothéiste  qu'en  admettant  l'an- 
cienne histoire  d'Israël,  la  révélation  faite  aux  patriar- 
ches, la  mission  de  Moïse  et  les  grands  miracles  de 
l'Exode.  C'est  Moïse  qui  est  le  véritable  créateur  du  culte 
monothéiste  en  tant  que  culte  national,  comme  il  est  le 
fondateur  de  la  nation  hébraïque  et  son  législateur.  Ce  sont 
les  miracles  publics  de  l'Exode  qui  seuls  ont  pu  graver 
dans  une  nation  entière  la  croyance  au  Dieu  créateur, 
effacée  depuis  longtemps  dans  l'univers  et  conservée  seu- 


LE  PROPHÉTISME  ET  l' APOLOGETIQUE       l3l 

mm**— 

lement  par  certains  individus  et  certaines  familles.  Ce 
fait  qui,  selon  Renan,  ne  s'est  réalise  nulle  part  ailleurs, 
s'est  accompli  grâce  au  passage  de  la  mer  Rouge  et  à  la 
manifestation  du  Sinaï... 

«  L'ancienne  histoire  d'Israël  a  pour  elle  tous  les  docu- 
ments... Elle  a  pour  elle  la  tradition  unanime  d'un  peu- 
ple entier.  Elle  a  pour  elle  la  vraisemblance  historique, 
car  elle  seule  explique  le  fait  unique  et  évident  d'un 
peuple  professant  le  culte  pur  du  Dieu  créateur  et  infini- 
ment saint,  quand  tous  les  autres  peuples  étaient  païens. 
Pour  expliquer  ce  fait,  elle  a  recours  à  des  causes  surna- 
turelles. Mais  cela  même  est  logique.  Il  faut  que  la  cause 
soit  proportionnée  à  l'effet.  L'effet  est  unique  et  transcen- 
dant en  lui-même:  un  peuple  entier  qui  adore  le  vrai 
Dieu.  L'effet  se  manifeste  encore  au  dehors  d'une  manière 
sublime  et  transcendante  par  une  littérature  religieuse  à 
laquelle  nulle  autre  ne  peut  être  comparée.  A  un  effet 
transcendant,  il  faut  une  cause  transcendante.  Les  mira- 
cles physiques  de  l'Exode,  le  miracle  moral  de  la  doc- 
trine de  Moïse  et  des  prophètes,  le  miracle  historique  du 
monothéisme  national  d'Israël,  la  sublimité  incomparable 
de  l'Evangile,  le  miracle  de  la  propagation  du  mono- 
théisme chrétien  dans  l'univers,  s'appuient  et  s'expliquent 
mutuellement.  Il  y  a  entre  ces  grands  faits  une  parfaite 
harmonie  et  une  admirable  proportion.  C'est  au  point 
de  vue  surnaturel  et  chrétien  qu'il  faut  se  placer  pour  bien 
juger  l'histoire  religieuse  du  peuple  d'Israël  et  celle  du 
monde  chrétien...  L'ancienne  histoire  est  la  seule  qui 
unisse  d'une  manière  logique  et  vraisemblable  le  passé 
antique  de  la  croyance  du  peuple  d'Israël  à  la  religioa 
professée  par  cette  nation  pendant  les  derniers  siècles  de 
son  existence  indépendante.  Elle  est  la  seule  aussi  qui 
fournisse  une  explication  plausible  de  la  diffusion  ulté- 
rieure du  monothéisme  dans  le  monde.  Ce  grand  fait, 
auquel,  selon  Renan,  nul  autre  dans  l'histoire  des  reli- 
gions ne  peut  être  comparé,  exige  une  cause  proportion- 
née à  sa  grandeur;  cette  cause  ne  se  rencontre  que  dans- 
l'histoire  traditionnelle  du  peuple  d'Israël.  »  Ibid.p 
p.  872-874. 


l32  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


3.  Pascal  et  les  prophéties  messianiques.  —  Pas- 
cal «  n'avait  pas  tort  de   penser  qu'en  matière  religieuse, 
rien  n'est  clair   à   ceux    qui   n'ont   pas  quelque  désir  de 
trouver  Dieu,   on  dirait  presque,   quelque  goût  de  Dieu. 
Et  c'est  par  là,  comme  l'a   fait  remarquer  M.  V.  Giraud, 
que  son  apologie  est  demeurée  ou  redevenue  si  moderne. 
Lui,  mathématicien  de  génie,  maigre  sa  tentative  hardie 
du  pari,  ne   paraît   pas   attendre   grand'chose   des  argu- 
ments  mathématiques    pour  prouver  l'accomplissement 
des  prophéties.  Ou  plutôt  il  sait  bien  que  ces  arguments 
n'existent  pas.  Il  a  cru  que  le  temps  du   Messie  était  clai- 
rement marqué,    mais   avec   une  approximation  de  deux 
cents  ans.  Si  les  Juifs  n'ont  pas  compris  les  prophéties, 
parce  qu'ils   étaient    charnels,    si   les  Apôtres  ont  levé  le 
voile  parce  qu'ils  ont  mis  à  sa  place,  qui  est  la  première,  le 
sens  religieux,    le  seul    digne   de  Dieu,   c'est   qu'il  faut, 
pour  juger  en   ces    matières,  avoir   un  certain  sentiment 
de  ce  que  Dieu   est  pour  nous  et  de  ce  que  nous  devons 
être  envers  lui  :    il  faut  pénétrer  en  quelque  façon  dans 
ses  pensées  ou  du  moins    souhaiter  de  les  connaître  pour 
en  inspirer  sa  vie.    Sans   un  certain  sentiment  religieux, 
quelle  que  soit  la  part   qu'y   prend  la  grâce,  il  est  inutile 
d'aborder  l'exégèse  des  prophéties  ;  on    n'y  trouverait  pas 
de  lumières.  C'est  ce  que  Pascal  a  dit  dans  une  demi-page, 
où  son  âme  ardente  fait  éclater  la  foudre  pour  se  rasséré- 
ner et   rasséréner   les  autres   dans    la   douceur  vraiment 
infinie  de  la  rédemption  promise  :  «  Il  y  en  a  qui  voient 
bien  qu'il   n'y    a  pas   d'autre   ennemi  de  l'homme  que  la 
concupiscence,  qui  le  détourne  de  Dieu,  et  non  pas  Dieu  ; 
ni  d'autre   bien    que   Dieu,  et  non   pas  une  terre  grasse. 
Ceux  qui  croient  que  le  bien  de  l'homme  est  en  la  chair, 
et  le  mal  en  ce  qui  détourne  les   plaisirs  des  sens,  qu'il 
s'en  soûle  et  qu'il  y  meure.  Mais  ceux  qui  cherchent  Dieu 
de  tout  leur  cœur,  qui  n'ont  de  déplaisir  que  d'être  privés 
de  sa  vue,    qui  n'ont   de   désir  que  pour  le  posséder  et 
d'ennemis  que  ceux  qui  les  en  détournent,  qui  s'affligent 
de  se  voir  environnés  et  dominés  de  tels  ennemis,  qu'ils 
se  consolent,  je  leur  annonce  une  heureuse  nouvelle  :  il 
y  a  un  libérateur  pour  eux,  je  le  leur  ferai  voir  :  je  leur 


LE   PROPHÈTISME    ET   L 'APOLOGETIQUE  l33 

montrerai  qu'il  y  a  un  Dieu  pour  eux  ;  je  ne  le  ferai  pas 
voir  aux  autres  (i).  »  Sans  la  passion  qui  l'anime,  la  pen- 
sée ne  nous  porterait  pas  au  cœur  te  coup  dont  on  est 
étourdi  en  lisant  ces  lignes...  Il  n'est  pas  nécessaire  d'être 
aussi  envahi  qu'un  Pascal  du  désir  de  posséder  Dieu  pour 
être  dans  la  voie  qui  conduit  à  Lui  et  où  les  prophéties 
peuvent  être  vraiment  utiles.  Mais  n'est-ce  pas  l'objet 
d'un  éternel  regret  que  Pascal  n'ait  pu  réaliser  sa  pro- 
messe et  montrer  aux  âmes  de  bonne  volonté  le  Libéra- 
teur promis  ?  »  Lagrange,  Pascal  et  les  prophéties  messia- 
niques, dans  la  Revue  biblique,  Paris,  1906,  p.  559-560. 

1.  Pensées,  édit.  Havet,  p.  343. 


mmwHmmM 


Sources  de  la  Révélation 

Leçon  IVe 
L'Écriture  Sainte 


La  canonicitè:  I.  Notions  préliminaires.  —  IL  Ca- 
non de  l'Ancien  Testament.  —  III.  Canon  du 
Nouveau  Testament.  —  IV.  Décret  du  concile 
de  Trente  (i). 

Souvent  on  accuse  l'enseignement  catholique 
de  faire  un  cercle  vicieux.  Prouver  la  révéla- 
tion par  les  miracles  et  les  prophéties  en  serait 
tin,  car  ce  serait  prouver  le  surnaturel  par  le  surna- 
turel. 

Que  les  miracles  et  les  prophéties  soient  des  faits 
surnaturels  et  divins,  telle  est  bien  la  croyance 
catholique.  Mais  c'est  une  croyance  très  légitime 
«t  rationnellement  justifiée,  parce  que  le  caractère 

ï.  BIBLIOGRAPHIE  :  Pour  l'histoire  du  canon  en  général, 
voiries  introductions  générales  à  l'Ecriture  sainte,  notamment 
celle  de  Cornély,  t.  ï,  p.  19-230;  pour  les  questions  théologi- 
*jues  de  la  canonicitè,  voir  les  divers  traités  De  locis  theologicis; 
pour  le  canon  des  deux  Testaments,  voir  les  articles  du  Die- 
'tionnalre  apologétique,  de  Jaugey  ;  Dictionnaire  de  la  Bible,  de 
Vigouroux  ;  Dictionnaire  de  théologie,  art.  Canon;  Realencyclo- 
pâdie;  Dictionary  of  the  Bible,  de  Hastings,  Edimbourg,  1898- 
1900  ;  Credner,  Zur  Geschichte  des  Kanons,  Halle,  1847  ; 
Causson,  Le  canon  des  saintes  Ecritures,  Lausanne,  1860; 
Beuss,  Histoire  du  canon,  2*  édit.,  Strasbourg.  18G4  ;  Davidson, 
The  canon  of  the  Bible,  Londres,  1877  ;  Magnier,  Etude  sur  la 
canonicitè,  Paris,  1892  ;  Preuschen,  Analecta.  Kurzere  Texte  zur 


ÉCRITURE    SAINTE,    LA    CANOMCITE  l35 

surnaturel  ou  l'origine  divine  des  miracles  et  des  pro- 
phéties est  la  seule  conclusion  logique  possible  qui 
s'impose  devant  l'impossibilité  où  la  raison  se  trouve 
de  les  expliquer  adéquatement  par  une  cause  pure- 
ment naturelle,  au  même  titre  que  les  faits  ordinai- 
res dont  se  compose  la  trame  des  événements 
humains.  C'est  en  tant  que  faits,  et  de  la  même 
manière  que  pour  n'importe  quel  fait,  qu'on  les 
constate  d'abord  sans  préjuger  le  moins  du  monde 
leur  nature  intime.  Telle  est  la  base,  tel  est  le  point 
de  départ.  Qu'après  cela  se  pose  la  question  de 
savoir  si  ces  faits  sont  transcendants  et  divins,  c'est 
un  devoir  de  l'examiner.  Et  si  un  tel  examen ,  conduit 
en  toute  rigueur  de  logique,  oblige  la  raison  à 
s'avouer  incapable  d'en  rendre  compte  naturelle- 
ment, quoi  de  plus  rationnel  que  d'admettre,  puisque 
la  logique  l'exige,  leur  caractère  surnaturel,  leur 
origine  divine  ? 

La    raison  est  donc  pleinement   autorisée   à  en 
faire  état  :  Dieu  a  révélé  aux  hommes  une  doctrine 

Geschichte  des  aile  Kirchen  und  des  Kanons,  Fribourg-en-Brisgau, 
1893  ;  Chevalier,  Répertoire  Topobibliographie,  col.  506-568.  ~— 
Pour  l'Ancien  Testament  :  Loisy,  Histoire  du  canon  de  l'Ancien 
Testament,  Paris,  1890;  Ryle,  The  canon  of  the  Old  Testament, 
Londres,  1892;  Mullan,  The  canon  of  the  Old  Testament,  1893; 
Kœnig,  Essai  sur  la  formation  du  canon  de  V Ancien  Testament, 
Paris,  1894  ;  Reuss,  Geschichte  der  heiligen  Schriften  A.  T., 
Brunswick,  Ce  édit.,  1887  ;  Westcott,  A  gênerai  survey  of  the 
history  of  the  canon  of  the  N.  T.,  during  the  first  four  centuries, 
6e  édit.,  Londres,  1889;  Van  Kasteren,  Le  canon  juif  vers  le 
commencement  de  notre  ère,  dans  la  Revue  biblique,  1896,  t.  v  ; 
Dombrovski,  La  doctrine  de  l'Eglise  russe  et  le  canon  de  l'A.  T., 
dans  la  Revue  biblique,  1901.  —  Pour  le  Nouveau  Testament  : 
Reuss,  Geschichte  der  heiligen  Schriften  N.  T.,  6e  édit., 
Brunswick,  1887  ;  Hilgenfeld,  Der  Kanon  und  die  Krilik  des 
N.  T.,  Halle,  i863  ;  John,  Geschichte  der  Neulestamentlichen 
Kanons,  Leipzig,  1888-1892  ;  Grundriss  der  Geschichte  der 
Neulestamentlichen  Kanons,  Leipzig,  1901  ;  Loisy,  Histoire  du 
canon  du  N.  T.,  Paris,  [891. 


l36  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

de  salut  ;  où  est-elle  ?  en  quoi  consiste-t-clle  ?  qui 
nous  la  garantit  ?  Cette  marche  dialectique  nous 
met  en  face  d'un  enseignement  oral  ou  écrit,  dont 
la  garde  et  l'interprétation,  loin  d'être  livrées  au 
hasard,  sont  confiées  à  une  institution  organique 
et  vivante,  qui  n'est  autre  que  l'Eglise   catholique. 

De  son  côté,  l'Eglise,  en  dehors  de  tout  appel  à 
l'Ecriture  ou  à  la  Tradition,  mais  par  le  seul  fait 
de  son  éclat  apologétique  dans  le  monde,  apparaît 
comme  un  fait  divin,  comme  un  motif  exception- 
nel de  crédibilité,  sanction  et  garantie  de  son  ensei- 
gnement (i).  Son  enseignement,  elle  l'a  pris  dans 
l'Ecriture  et  la  Tradition.  Ainsi  donc,  sans  le 
moindre  cercle  vicieux,  la  révélation,  dont  l'exis- 
tence se  prouve  par  la  raison,  reçoit  de  l'Eglise  un 
témoignage  formel  de  sa  divinité  ;  et,  à  son  tour, 
l'Eglise,  dont  l'existence  et  le  caractère  transcendant 
sont  indéniables  aux  yeux  du  bon  sens  et  de  la 
saine  raison,  reçoit  de  l'Ecriture  et  de  la  Tradition 
un  témoignage  non  moins  formel  de  sa  divinité. 
Partie  de  données  positives,  c'est  rationnellement 
que  procède  la  démonstration  catholique,  et  c'est 
rationnellement  qu'elle  aboutit  au  surnaturel.  Une 
fois  là,  elle  est  logiquement  autorisée  à  se  servir 
d'arguments  d'autorité.  Et  c'est  ainsi  que  la  révé- 
lation et  l'Eglise  aboutissent  l'une  à  l'autre,  et  se 
prêtent  un  mutuel  appui  et  se  servent  réciproque- 
ment de  preuves,  mais  après  avoir  été  l'une  et 
l'autre  rationnellement  démontrées. 

La  révélation  existe  :  où  est-elle  ?  —  Dans  l'Ecri- 
ture sainte  et  la  Tradition,  répond  l'Eglise.  —  Mais 
qu'entendre  par  Ecriture  sainte  et  par  Tradition  ? 
—  C'est  à  cette  double  question  qu'il  s'agit  de 
répondre. 

i.  Voir  la  Leçon  xxxvi6,  t.  n,  p.  612  sq. 


LA    CANONICITE  107 


Relativement  à  l'Ecriture,  nous  examinerons  seu- 
lement ce  qui  regarde  la  canonicité  et  l'inspira- 
tion :  la  canonicité,  pour  savoir  quels  sont  les 
livres  qui  composent  la  Bible  catholique,  et  com- 
ment on  est  parvenu  à  en  dresser  le  catalogue  ; 
l'inspiration,  pour  savoir  quelle  est  l'idée  que  se 
fait  l'Eglise  des  saints  Livres,  et  comment  il  con- 
vient d'entendre,  au  milieu  des  débats  actuels,  la 
nature  intime  de  ce  charisme. 

I.  Notions  préliminaires 

1°  Canon,  canonique.  —  Le  mot  et  la  chose. 
Actuellement,  le  mot  canon  des  Ecritures  éveille 
Tidée  d'une  liste  officielle  ;  telle  ne  fut  pas  sa  signi- 
fication primitive. 

Canon,  du  grec  xavwv,  désigne,  dans  son  sens 
étymologique,  bâton,  bâton  droit  qui  sert  â  mesu- 
rer, d'où,  par  extension,  mesure  et  chose  mesurée, 
règle  et  chose  réglée.  Ce  mot  convenait  à  l'Ecri- 
ture, puisqu'elle  est  à  la  fois  une  règle,  celle  de 
l'enseignement  et  de  la  foi,  et  une  collection,  celle 
des  Livres  saints.  On  ne  le  trouve  cependant  qu'au 
ive  siècle,  et  c'est  saint  Athanase  qui  s'en  sert  le 
premier.  Il  dit  du  Pasteur  qu'il  n'appartient  pas  au 
Canon  (i)  ;  il  nomme  canonisés  les  Livres  divins 
qu'il  distingue  des  non  canonisés  et  des  apocry- 
phes (2).  Le  concile  de  Laodicée,  vers  36o,  décide 
qu'on  ne  doit  lire  que  les  seuls  livres  canoniques  (3). 
Un  livre  canonisé  devient  canonique  et  appartient 
au  canon  ;  cela  suppose  un  acte  qui  le  canonise  ;  et 
dès  lors  le  sens  de  ces  mots,    appliqués  aux  Livres 

i.  De  nie.  deer  ,  18  ;  Pair.  gr.\  t.  xxv,  col.  456.  —  2.  Epist. 
jest.,  xxxix ;  Patr.  gr.,  t.  xxvi,  col.  i436,  1^7,  i44o.  —  3.  Can. 
$g,  dans  Mansi.  t.  Il,  col.  574.  » 


l38  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

saints,  ne  signifie  pas  que  ces  livres  sont  la  règle 
de  la  foi,  mais  simplement  qu'ils  font  partie  d'un 
recueil  réglé.  Or,  cette  idée  de  catalogue  ou  de  col- 
lection existait  dès  l'époque  apostolique  ;  elle  s'ex- 
primait par  le  terme  Ecriture  avec  le  qualificatif  de 
sainte,  sacrée  ou  divine,  par  les  mots  la  Loi  et 
l'Evangile,  les  Prophètes  et  les  Apôtres,  ou  encore 
par  celui  de  Testament,  àtaO-^xTj.  D'autre  part,  l'idée 
d'Ecriture  comme  règle  de  foi  existait  pareillement  ; 
et  les  mots  canon,  canonique  servirent  aussi  à  l'ex- 
primer. De  là,  dans  la  suite,  leur  double  sens,  le 
sens  actif  de  règle  de  foi,  et  le  sens  passif  de  cata- 
logue réglé.  Les  latins  les  empruntèrent  et  les  em- 
ployèrent dans  l'un  et  l'autre  sens.  Le  canon  des 
Ecritures  est  donc  la  liste,  réglée  par  l'Eglise,  des 
livres  d'origine  divine  destinés  à  régler  la  foi  et 
l'enseignement.  Depuis  le  concile  de  Trente,  c'est 
Pacception  de  reconnaissance  officielle  par  l'Eglise 
qui  a  prévalu. 

2°  Critérium  de  la  canonicité.  —  i.  Chez  les 
catholiques.  —  Pour  nous,  l'unique  critère  de  l'inspi- 
ration et  de  la  canonicité  des  Livres  saints,  c'esJ,  l'au- 
torité de  l'Eglise.  Comment  l'Eglise  a-t-el  le  reconnu 
et  proclamé  la  canonicité  ?  Dès  les  origines,  elle  a  été 
en  possession  de  l'Ecriture,  elle  s'en  est  servie  dans 
la  liturgie,  et  elle  a  toujours  allégué  cette  possession 
traditionnelle  et  cet  usage  liturgique.  Elle  a  toujours 
opposé  sa  possession  traditionnelle  aux  hérétiques 
qui  essayaient,  soit  d'augmenter  ou  de  diminuer  le 
nombre  des  Livres  inspirés,  soit  d'en  modifier  le 
sens  ou  le  contenu.  Pour  trancher  tout  débat,  les 
premiers  Pères  en  appelaient  à  la  tradition.  Mais 
la  tradition  peut  ne  pas  être  universelle  ni  uni- 
forme. Dans  ce  cas,  dit  saint  Augustin,  «  en  ce  qui 
concerne  les  Ecritures  canoniques,   il  faut  suivrft 


LA    CANONICITÉ  l39 


l'autorité  du  plus  grand  nombre  des  Eglises  catho- 
liques, parmi  lesquelles  doivent  être  assurément 
celles  qui  ont  mérité  d'avoir  des  chaires  apostoli- 
ques et  de  recevoir  des  épîtres.  On  se  conduira 
donc,  à  l'égard  des  Ecritures  canoniques,  de  façon 
à  préférer  celles  qui  sont  reçues  de  toutes  les  églises 
apostoliques  à  celles  qui  ne  sont  reçues  que  de 
quelques-unes  ;  parmi  celles  qui  ne  sont  pas  reçues 
de  toutes,  celles  que  reçoivent  les  plus  nombreuses 
et  les  plus  importantes  à  celles  que  retiennent  les 
églises  moins  nombreuses  et  de  moindre  autorité. 
Si  l'on  en  trouve  qui  soient  gardées  par  les  plus 
nombreuses,  et  d'autres  par  les  plus  importantes, 
bien  que  cela  ne  puisse  facilement  se  rencontrer,  je 
crois  qu'il  faut  leur  attribuer  une  égale  autorité(i).  » 

La  lecture  publique  d'un  livre  a  aussi  servi  de 
pierre  de  touche  pour  reconnaître  les  Livres  saints. 
Et  si  d'autres  livres  ont  été  admis,  ici  ou  là,  à  une 
telle  lecture,  comme  divins,  ce  ne  fut  qu'une  appli- 
cation particulière  mais  erronée  d'une  règle  qui 
servira  au  triage  définitif  des  livres  canoniques.  Tel 
a  été  le  principe  d'autorité,  appliqué  justement  par 
l'Eglise,  dès  le  second  siècle,  pour  reconnaître  la 
canonicité  des  Livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament  (2). 

Mais  lorsque  des  doutes  ont  persévéré,  l'Eglise  est 
intervenue  par  un  acte  officiel  et  déclara toire.  C'est 
ainsi  qu'un  concile  romain  sous  Damase,  en  382, 
a  donné  une  liste  complète  des  Livres  saints  reçus 
dans  l'Eglise  (3).  Innocent  I  l'a  reproduite,  en  4o5, 
dans  sa  lettre  à  l'évêque  de  Toulouse,  saint  Exu- 
père  (4).   En  Afrique,   les   conciles  d'Hippone,  en 

1.  Pair,  lat.,  t.  xxxiv,  col.  4o-4i.  —  a.  C'est  ce  que  recon* 
naît  le  protestant  Reuss  dans  son  Histoire  du  canon,  p.  a43.  — 
3.  Cf.  Thiel,  De  décrétait  Gelasii,  p.  ai.  —  4.Denzinger,  n.  5g; 
Patr.  lat.,  t.  xx,  col.  5oi. 


l/|0  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

393,  et  de  Carthage,  en  397  et  £19,  ont  dressé  une 
liste  semblable  (1).  Au  ix°  siècle,  Nicolas  I,  dans 
une  lettre  aux  évêques  de  la  Gaule,  invoque  le 
décret  d'Innocent  sur  les.  Ecritures  pour  prouver 
qu'il  faut  aussi  recevoir  toutes  les  décrétâtes  ponti- 
ficales (2).  En  i442,  dans  son  décret  pour  les  Jaco- 
bites,  Eugène  IV,  avec  l'approbation  du  concile  de 
Florence,  insère  la  liste  des  livres  bibliques,  affir- 
mant leur  inspiration  et  leur  origine  divines.  A 
ces  mesures,  à  ces  décisions,  il  ne  manquait  qu'une 
définition  de  la  canonicité  :  ce  fut  le  concile  de 
Trente  qui  la  formula,  le  8  avril  1 546. 

2.  Chez  les  protestants.  Carlstadt  (3),  le  390  article 
de  l'Eglise  anglicane,  la  Confession  de  Bohême, 
en  i535,  la  Confessio  wirtemburgica,  de  i552,  ont 
accepté  le  canon  biblique  de  l'Eglise.  Mais,  à 
repoussser  selon  le  principe  de  la  Réforme  l'auto- 
rité de  l'Eglise  et  de  la  tradition,  c'était  là  une 
inconséquence.  Comment  donc  savoir  dès  lors 
qu'un  livre  est  inspiré  ? 

Luther  s'est  placé  à  son  point  de  vue  dogmatique 
du  salut  gratuit,  de  la  justification  par  la  foi  sans 
les  œuvres,  et  a  proclamé  la  règle  suivante  :  tout 
livre  conforme  à  cette  doctrine  doit  être  reçu  ;  tout 
livre,  fût-il  de  Pierre  ou  de  Paul,  qui  ne  s'y  rapporte 
pas,  doit  être  exclu  (4). 

Calvin  en  appelle  à  l'Ecriture  elle-même  :  c'est 
elle  qui  se  révèle  comme  divine  par  les  effets  qu'elle 
produit  sur  ceux  qui  la  lisent  ;  c'est  le  Saint-Esprit 
qui  lui  rend  témoignage  dans  l'intime  du  cœur  (5). 
L'Eglise  n'a  pas  eu  d'autre  moyen.  Ce  principe  d'or- 
dre subjectif  écarte  tout  intermédiaire  autorisé  entre 
Dieu  et  nous  ;   mais,  en  fait,   il  a   été  insuffisant, 

1.  Denzinger,  n.  49.  —  2.  Pair,  lat.,  t.  cxix,  col.  902.  — 
3.  De  canonicls  Scripturis,  Wittemberg,  i52o.  —  4-  Vorrede 
aufdasN.  T.,  i522.  —  5.  Instit.,  I,  vu,  2  ;  vin,  1. 


DÉCRET    DU    CONCILE    DE    TRENTE  I  t\l 

puisque  les  calvinistes  eux-mêmes  ont  dû  chercher 
autre  chose. 

L'action  intérieure  du  Saint  Esprit  est  un  critère 
difficile  à  contrôler.  On  eut  donc  recours  à  des  cri- 
tères internes,  tirés  du  contenu  de  l'Ecriture,  et  à 
des  critères  externes,  tirés  de  son  antiquité  et  des 
témoignages  anciens.  L'Eglise  n'aurait  pas  été  juge 
en  la  matière  ;  elle  ne  fut  qu'un  témoin  ;  son  droit 
n'allait  pas  à  canoniser  les  Livres  saints.  La  Syna- 
gogue avait  garanti  ceux  de  l'Ancien  Testament  ; 
Jésus-Christ  et  les  Apôtres  ont  accepté  la  Bible 
hébraïque  ;  la  question  des  deutérocanoniques  res- 
tait pendante  (i). 

Depuis  Semler,  la  plupart  des  protestants  n'usent 
plus  que  des  principes  de  la  critique  historique, 
abstraction  faite  de  la  tradition  et  même  du  témoi- 
gnage intérieur  du  Saint-Esprit  :  la  Bible  n'est 
qu'un  recueil  humain  des  documents  de  la  pensée 
religieuse  (2). 

3°  Canon  biblique.  —  Le  voici  tel  qu'il  a  été 
formulé  par  le  concile  de  Trente,  dans  son  Décret 
De  canonicis  Scripturis  : 

a  Le  très  saint  concile  de  Trente  ...  suivant  l'exemple 
des  Pères  orthodoxes,  reçoit  et  vénère  avec  un  égal  senti- 
ment de  piété  et  un  égal  respect  tous  les  livres  tant  de 
l'Ancien  que  du  Nouveau  Testament,  puisque  l'unique 
Dieu  est  l'auteur  de  l'un  et  de  l'autre,  aussi  bien  que  les 
traditions  elles-mêmes.  Mais,  pour  que  personne  ne 
puisse  douter  quels  sont  les  Livres  saints  que  le  concile 
lui-même  reçoit,  il  a  pensé  qu'il  fallait  joindre  à  ce  décret 
le  catalogue  de  ces  livres.  Or,  ce  sont  les  suivants  :  — 
De  l'Ancien  Testament,  les  cinq  livres  de  Moïse,  à  savoir, 

1.  Cf.  Reuss,  op.  cit.,  p.  32o-33g ;  360-392  ;  Rabaud,  Histoire 
de  la  doctrine  de  l'inspiration,  Paris,  i883,  p.  i4a-i55.  —  a.  Cf. 
Reuss,  op.  cit.,  p.  4"-43i. 


l!\1  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


la  Genèse,  l'Exode,  le  Lévitique,  les  Nombres,  le  Deuté- 
ronome;  Josué,  les  Juges,  Ruth,  les  quatre  Livres  des 
rois,  les  deux  des  Paralipomènes,  le  premier  d'Esdras,  et 
le  second  qui  est  dit  de  Néhémie,  Tobie,  Judith,  Esther, 
Job,  le  Psautier  davidique  qui  contient  cent  cinquante 
psaumes,  les  Paraboles,  l'Ecclésiaste,  le  Cantique  des 
cantiques,  la  Sagesse,  l'Ecclésiastique  ;  Isaïe,  Jérémie 
avec  Baruch,  Ezéchiel,  Daniel  ;  les  douze  petits  pro- 
phètes, à  savoir,  Osée,  Joël,  Amos,  Abdias,  Jonas,  Michée, 
Nahum,  Habacuc,  Sophonie,  Aggée,  Zacharie,  Malachie  ; 
deux  livres  des  Machabées,  le  premier  et  le  second.  —  Du 
Nouveau  Testament,  les  quatre  Evangiles,  selon  Mat- 
thieu, Marc,  Luc  et  Jean  ;  les  Actes  des  Apôtres,  écrits 
par  l'évangéliste  Luc  ;  les  quatorze  Epîtres  de  l'apôtre 
Paul,  aux  Romains,  deux  aux  Corinthiens,  aux  Galates, 
aux  Ephésiens,  aux  Philippiens,  aux  Colossiens,  deux  aux 
Thessaloniciens,  deux  à  Timothée,  à  Tite,  à  Philémon, 
aux  Hébreux  ;  deux  de  l'apôtre  Pierre,  trois  de  l'apôtre 
Jean,  une  de  l'apôtre  Jacques,  une  de  l'apôtre  Jude,  et 
l'Apocalypse  de  l'apôtre  Jean.  —  Si  quelqu'un  ne  reçoit 
pas  pour  sacrés  et  canoniques  ces  mêmes  livres  en  entier 
avec  toutes  leurs  parties,  tels  qu'on  a  coutume  de  les  lire 
dans  l'Eglise  catholique  et  tels  qu'ils  sont  dans  l'ancienne 
édition  latine  de  la  Vulgate,  ou  méprise  avec  connais- 
sance et  de  propos  délibéré  les  traditions  dont  il  a  été 
parlé»  qu'il  soit  anathème.  Que  tous  sachent  dans  quel 
ordre  et  par  quelle  voie  le  concile  lui-même,  après  avoir 
établi  le  fondement  de  la  confession  de  la  foi,  doit  pro- 
céder, et  de  quels  témoignages  et  secours  il  doit  parti- 
culièrement se  servir  pour  confirmer  les  dogmes  et  res- 
taurer les  mœurs  dans  l'Eglise.  » 


IL  Canon  de  l'Ancien  Testament 

i.  La  Bible  hébraïque.  —  Elle  comprenait  : 
i°  la  loi  ou  le  Pentateuque  ;  2°  les  Prophètes  :  Josué, 
les  Juges,  Samuel,  les  Rois,  Isaïe,  Jérémie,  Ezéchiel, 
les  douze  petits  Prophètes  ;   3°  les  Hagiographes  : 


LA    BIBLE  l43 

les  Psaumes,  les  Proverbes,  Job,  le  Cantique  des 
cantiques,  Rutli,  les  Lamentations,  l'Ecelésiaste, 
Estlier,  Daniel,  Esdras  étNéhémie,  les  Chroniques. 
Gomment  et  par  qui  a  été  formée  cette  collection  ? 
C'est  ce  que  l'histoire  ne  dit  point,  pas  plus  qu'elle 
ne  nous  apprend  la  règle  suivie  en  pareille  matière  (i). 
On  en  est  donc  réduit  à  des  conjectures.  Ce  serait 
Esdras,  au  retour  de  la  captivité,  vers  le  milieu  du 
v°  siècle,  qui  aurait  réuni  les  écrits  compris  sous 
le  titre  de  la  Loi,  et  son  contemporain  Néhémiequi 
aurait  rassemblé  ce  que  les  juifs  appelaient  les  livres 
prophétiques  (2).  Quant  aux  hagiographes,  ils  au- 
raient été  collectionnés  plus  tard  encore,  à  une 
dale  impossible  à  préciser  ;  la  première  mention 
s'en  trouve  dans  la  préface  de  l'Ecclésiastique, 

2.  La  Bible  Alexandrine.  —  La  Bible  hébraï- 
que, traduite  par  les  Septante,  aurait  été  complétée 
par  l'adjonction  de  livres  nouveaux  et  l'addition  de 
quelques  fragments,  sans  déclaration  officielle  con- 
nue de  leur  origine  divine  :  Tobie,  Judith,  la  Sa- 
gesse, l'Ecclésiastique,  Baruch,  les  deux  livres  des 
Machabées,  les  sept  derniers  chapitres  d'Esther,  le 
cantique  des  trois  enfants  dans  la  fournaise, 
l'histoire  de  Suzanne  et  celle  de  Bel  et  du  dragon  (3) 
sont  dans  ce  cas  ;  ce  sont  ceux  qu'il  est  convenu  de 
désigner  sous  le  nom  de  deutérocanoniques,  pour 
les  distinguer  des  autres  ou  des  protocanoniques. 

3.  L'Ancien  Testament  chrétien.  —  1.  Durant 

1.  Ceux  qui  fixèrent  le  canon  palestinien,  dit  M.  Yigouroux, 
«  semblent  avoir  pris  pour  règle  de  l'acceptation  d'un  écrit, 
dans  le  canon,  sa  conformité  rigoureuse  avec  la  loi  mosaïque, 
telle  qu'ils  l'entendaient,  et  avoir  requis  en  outre  qu'il  fût  an- 
cien et  eût  été  composé  en  Palestine  même,  où  au  moins  écrit 
en  hébreu.  »  Manuel  biblique,  t.  1,  p.  66.  —  2.  II  Mach.,  11,  i3. 
1 —  3.  Dan.,  m,  24-90;  xiii-xiv. 


l44  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

les  trois  premiers  siècles.  —  Notre  Seigneur  et  les 
Apôtres  se  sont  servis  de  la  Bible  des  Septante.  Ainsi 
autorisée,  la  version  des  Septante  passa  à  l'Eglise 
naissante  dans  son  texte  même,  puis  dans  une 
vieille  traduction  latine.  L'Eglise  continua  la  prati- 
que apostolique;  elle  se  servit  du  texte  pour  les 
lectures  publiques  et  pour  son  enseignement  dog- 
matique. Tous  les  deutérocanoniques  sont  cités  (i); 
il  est  vrai  que  quelques  apocryphes  de  l'Ancien 
Testament  le  sont  aussi  .(2).  Mais  Tertullien  fait 
remarquer  que  le  livre  d'Hénoch  n'est  reçu  ni  par 
les  juifs  ni  par  les  chrétiens  (3),  et  Origène  en  dit 
autant  des  autres  (4).  Du  reste  on  ne  voit  pas  qu'ils 

1.  Ces  citations  consistent  en  emprunts  de  termes  ou  de 
pensées  caractéristiques,  parfois  de  phrases  entières,  parfois  en 
allusions  àFhistoire  de  Tobie,  de  Judith,  de  Susanne,  de  Bel  et 
du  dragon.  La  Didaché,  emprunte  des  termes  à  Eccli.,  et 
Sap.,  1,  2  ;  x,  3  ;  édit.  Funk,  Tubingue,  1887,  p.  4,  28  ;  Barnabe 
cite  un  passage  de  Sap.,  vi,  7;  Funk,  Patr.  apost.,  Tubin- 
gue, 1881,  p.  18  ;  emprunt  à  Eccli,,  xix,  70,  p.  54;  Clément 
analyse  Judith,  1  Cor.,  lv,  4-5:  lix,  3-4,  p.  128;  allusion  à 
Esther,  à  la  Sagesse  et  à  YEcclèsiastiaae  ;  II  Cor.,  xvi,  4,  cite 
Tobie,  p.  i()4  ;  S.  Polycarpe  cite  Tobie,  Phil,  x,  2,  p.  276; 
Hermas  fait  allusion  à  Tobie,  à  la  Sagesse  et  à  Y  Ecclésiastique  ; 
S.  Justin  croit  à  Finspiration  des  Septante,  Coh.  ad  Grsec,  i3  ; 
Patr.  gr.,  t.  vi,  col.  2o5,  et  s'inspire  d'un  fragment  de  Daniel, 
Apol.,  I,  46,  col.  397;  le  canon  de  Muratori  mentionne  la 
Sagesse  ;  S.  Irénée  cite  Baruch  sous  le  nom  de  Jérémie.  Adv. 
hœr.,  v,  35,  1  ;  Pair,  gr.,  t.  vu,  col.  1219  ;  la  Sagesse,  iv,  38,  3, 
col.  1108  ;  l'histoire  de  Susanne  et  de  Bel,  îv,  26,  1  ;  v,  1,  2, 
col.  io53,  11 35  ;  Clément  d'Alexandrie  se  sert  de  tous  les  deu- 
térocanoniques, Paedag.,  u,  3;  Stroni.,  1,  28;  11,  23;  iv,  19; 
v,  i4  ;  vi,  1 1  ;  Patr.  gr.,  t.  vin,  col.  436,  852, 1089,  l^29  '■>  t«  ix» 
col.  i45  ;  Origène  défend  contre  Jules  Africain  les  fragments 
de  Daniel,  Tobie  et  Judith,  Epist.  ad  Afric,  4,  5,  i3  ;  De  orat., 
?3,  29  ;  Patr.  gr.,  t.  xi,  col.  453,  532.  —  2.  Barnabe,  iv,  3, 
Funk,  p.  8,  cite  Hénoch  ;  Hermas,  Eldad  et  Modat,  Vis.,  11,  3,  4» 
Funk,  p.  348  ;  S.  Justin  fait  allusion  à  Y  Ascension  d'Isaïe,  Dial., 
120  ;  Patr.  gr.,  t.  vi,  col.  756.  —  3.  De  cuit,  fem.,  1,  3  ;  Patr.  lat.9 
t.  1,  col.  1307.  —  4.  In  Joan.,  11,  25  ;  Patr.  gr.,  t.  xiv,  col.  168. 


LES    LIVRES    DE    i/aNCIEN    TESTAMENT  I^S 


aient  été  introduits  dans  l'usage  liturgique  et  l'en- 
seignement. 

2.  Au  IV6  siècle.  —  En  Orient.  : —  Le  fait,  pour  les 
deutérocanoniques,  d'être  étrangers  au  canon  pales- 
tinien ne  tarda  pas  à  faire  concevoir  des  doutes  sur 
leur  canonicité.  Sans  doute,  ils  étaient  lus  et  regar- 
dés comme  inspirés  ;  mais  le  canon  hébreu,  tel  que 
le  connurent  Méliton  de  Sardes  (i)  et  Origène  (2),  et 
tel  que  le  donne  saint  Anathase,  ne  les  comprenait 
pas  (3).  Cyrille  de  Jérusalem  (4),  Grégoire  de 
Nazianze  (5),  Amphilochius  (6),  Epiphane  de  Sala- 
mine  (7)  ne  parlent  que  des  vingt-deux  livres 
de  l'Ancien  Testament.  Quelques  Pères  latins,  en 
commerce  étroit  avec  l'Orient,  connaissent  cette 
liste  et  par  suite  l'exclusion  des  deutérocanoniques. 
C'est  le  cas  notamment  de  saint  Hilaire  de  Poi- 
tiers (8),  de  Rufin  (9).  Aucun  cependant  ne  se  fait 
faute,  à  l'occasion,  de  les  citer  comme  les  autres,  à 
titre  de  livres  inspirés,  utiles  pour  l'édification.  Mais 
c'est  surtout  saint  Jérôme,  dont  l'influence  aura 
tant  de  poids  dans  la  suite  en  Occident,  qui  pose 
en  principe  que  tout  ce  qui  n'est  pas  dans  l'hébreu 
doit  être  rangé  parmi  les  apocryphes  ;  il  exclut 
en  conséquence  les  deutérocanoniques  (10). Ce  n'est 
certes  pas  qu'il  leur  dénie  toute  valeur,  ni  même 
qu'il  songe  à  blâmer  l'usage  qu'en  fait  l'Eglise,  mais 
il  estime  que  l'Eglise  les  fait  lire  dans  un  but  d'édi- 

1.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  îv,  26;  Patr.  gr.,  t.  xx,  col.  396-397.  — 
3.  In  Ps.,  1  ;  Patr  gr.,  t.  xn,  col.  io84;  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  vi, 
a5,  col.  58o.  —  3.  Epist.  fest.,  xxxix;  Patr.  gr.,  t.  xxv,  col. 
1676.  —  4.  Cat.,  iv,  33,  35,  36;  Patr.  gr.,t.  xxxni,  col  496 sq. 
—  5.  Carm.,  1,  12;  Patr.  gr.,  t.  xxxvn,  col.  472.  —  6.  lamb. 
ad  Seleuc,  ibid.,  col.  i5g3.  —  7.  Hœr.,  vin,  6  ;  lxxvi,  5;  Patr. 
gr.,  t,  xli,  col.  4i3;  t.  xlii,  col.  56o.  —  8.  In  Ps.,  prolog.,  i5  ; 
Patr.  lat.,  t.  xi,  col.  a4i.  —  Q.InSymb.,  36-38  ;  Patr.  lat.,t.  xxi, 
col.  373-375,  —  10.  Prolog,  galeatas;  Patr.  lat.t  t.  xxvin,  col. 
1242-1243. 

LB    CATÉCHISME.   —  T.  m.  10 


I46  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

fïcation,  et  non  pour  confirmer  l'autorité  de  l'en- 
seignement dogmatique.  C'est  pourquoi  il  n'en 
parle  qu'avec  une  réserve  marquée,  en  opposition 
manifeste  avec  la  tradition  ecclésiastique,  comme  le 
lui  reprocha  Rufin  (1). 

3.  En  Occident.  —  Tout  autre,  à  cette  époque,  est 
l'attitude  de  l'Occident.  A  défaut  d'une  décision 
officielle  et  sans  se  préoccuper  de  savoir  la  diffé- 
rence à  mettre  entre  les  divers  livres,  on  s'en  tient 
àHa  pratique  religieuse  en  vigueur  et  traditionnel- 
lement observée  depuis  les  Apôtres  et  on  place  au 
même  rang  les  deutéro  et  les  prolocanoniques. 
C'est  vers  la  fin  du  ive  siècle  qu'intervient,  dans 
l'Eglise  romaine,  la  décision  du  concile  tenu  sous 
Damase  ;  au  commencement  du  ve,  une  liste  est 
envoyée  par  Innocent  à  Exupère  de  Toulouse  ;  dans 
l'Eglise  d'Afrique,  les  conciles  d'Hippone,  en  3q,3, 
de  Carthage,  en  397  et  £19,  se  prononcent;  celle 
d'Espagne,  possède  le  témoignage  peu  suspect  de 
Priscillien  (2).  Ici  donc,  nulle  différence  au  point 
de  vue  de  la  canonicité  ;  tous  les  livres  de  l'Ancien 
Testament  sont  également  reçus  ;  on  estime  que  la 
tradition  tranche  la  question  ;  et  saint  Augustin  a 
raison  de  tenir  pour  canonique  tout  livre  reçu  par 
l'Eglise  ;  au  reste,  la  tradition  est  corroborée  par 
des  actes  pontificaux. 

Chose  remarquable,  cette  divergence  d'opinions 
sur  la  canonicité  des  livres  de  l'Ancien  Testament 
n'a  donné  lieu  à  aucun  conflit.  La  raison  en  est 
sans  doute  dans  une  différence  de  point  de  vue  qui 
ne  paraissait  nullement  irréductible.  Les  Pères 
grecs,  malgré  l'opinion  qu'ils  ont  sur  les  deutéro- 
canoniques,  conviennent  qu'ils  sont  inspirés,  trou- 

1.  Apol.,  11,  33-34;  Patr.  lat.,  t.  xxi,  col.  G61-662.  —  2.  Liber 
de  fide  et  apocryphis,  édit.,  Schepss,  Corp.  script,  eccles.,  t. 
xyiii,  p.  44  sq. 


LES    LIVRES    DE   L  ANCIEN    TESTAMENT  i/jj 

vent  légitime  leur  lecture  publique  et  leur  emploi 
liturgique,  et  s'en  servent  au  besoin.  Les  Père» 
latins  s'en  tiennent  à  la  tradition  et  les  regardent 
comme  canoniques  dès  là  qu'ils  sont  inspirés.  11  ne 
s'agit  plus  du  canon  hébreu,  mais  du  canon  de 
l'Eglise. 

4.  De  la  fin  du  Ve  siècle  et  pendant  le  moyert 
âge.  —  Dans  le  courant  du  v°  siècle,  un  change- 
ment s'opère.  Les  Grecs  en  arrivent  peu  à  peu  h 
oublier  les  hésitations  et  les  doutes  anciens  et  à 
adopter  dans  sa  presque  totalité  le  canon  de 
l'Eglise  latine  ;  et  quelques  Latins,  sous  l'influence 
de  saint  Jérôme,  formulent  théoriquement  des  res- 
trictions, qui  restent  sans  portée,  sur  l'autorité  de 
*la  tradition. 

Dans  l'Eglise  orientale.  —  En  692,  le  concile  in 
'  Trullo  range  parmi  les  autorités  qui  font  foi  pour 
.  l'Eglise  grecque  les  canons  apostoliques,   ceux  de 
[Laodicée  et  de  Garthage,  dont  les  listes  sont  loin  de 
(  concorder.  Cela  explique  du  moins,  malgré   la  cita- 
itiondu  concile  de  Garthage,  comment,  en  Orient,, 
l'opinion    de   saint  Athanase   a   pu    conserver  des 
partisans  ;  comment  aussi,  à  cause  même  de  cette 
insertion,  le  catalogue  de  l'Eglise  latine  a  pu  passer 
presque  intégralement  dans  l'usage  grec.  Photius 
(•j-  891),  sans  nous  dire  comment  il  les  conciliait, 
reproduit  les  trois  listes  déjà  signalées  par  le  con- 
cile in  Trullo  (1).  Il  témoigne  ainsi  que  même  le» 
deutérocanoniques  sont   lus  publiquement  et  uti- 
lisés  dans    la    liturgie.    Puis   les    canonistes    s'en 
mêlent  ;  et  Zonaras,  amalgamant  les  listes  de  Pho- 
tius  avec  celle  de  saint  Athanase  forme  un  catalo- 
gue où   les  livres  de    l'Ancien    Testament,    sans 

1.  Syntagma;  Pair,  gr.t  t.  civ,  col.  58g. 


1^8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

distinction  entre  livres  «  canoniques  »  et  livres 
«  lus,  »  se  trouvent  réunis  ;  et  ainsi,  sans  interven- 
tion officielle,  mais  par  le  fait  d'une  entreprise 
privée,  le  canon  de  l'Eglise  grecque  se  trouve 
coïncider  presque  identiquement  avec  celui  de 
l'Eglise  latine  et  entre  désormais  dans  l'usage 
courant. 

Vainement,  en  1629,  Cyrille  Lucar,  sous  l'in- 
fluence du  protestantisme,  essaya  de  condamner 
les  deutérocanoniques  ;  sa  tentative  avorta.  Il  fut 
condamné  de  ce  chef  par  le  synode  de  Constanti- 
nople,  en  i638,  et  par  celui  de  Jassy,  en  1648.  Et 
les  synodes  de  Gonstantinople  et  de  Jérusalem,  en 
1672,  revendiquèrent  la  canonicité  des  deutéro- 
canoniques (1). 

Dans  l'Eglise  latine.  —  1.  En  Occident,  sans  de- 
venir générale  ni  surtout  décisive,  l'influence  de 
saint  Jérôme  se  fît  néanmoins  sentir.  De  la  fin  du 
ve  siècle  au  moyen  âge,  les  deutérocanoniques 
comptèrent  quelques  adversaires  (2)  ;  mais  ils 
eurent    aussi   des    partisans    déterminés    (3).    Les 

t.  «  Attachés  à  la  règle  de  l'Eglise  catholique,  disent  les 
membres  du  synode  de  Jérusalem,  nous  appelons  Ecriture 
sainte  tous  les  livres  que  Cyrille  (Lucar)  énumère  en  les  em- 
pruntant au  concile  de  Laodicée,  et  de  plus  ceux  que,  par  témé- 
rité ou  ignorance,  ou  plutôt  par  malice,  il  a  nommés  apocry- 
phes, c'est-à-dire  la  Sagesse,  Judith,  Tobie,  l'histoire  du 
dragon,  l'histoire  de  Suzanne,  les  JMachabécs,  la  Sagesse  de 
Sirach.  (Le  Synode)  les  juge  canoniques  et  confesse  qu'ils 
appartiennent  à  l'Ecriture  sainte.  »  Cf.  Strack,  art.  Konon  dans 
le  Bealencyclopâdie ,  p.  446,  —  2.  Au  xne  siècle,  Rupert,  abbé 
de  Deutz,  Hugues  de  saint  Victor,  Pierre  le  Vénérable,  Pierre 
le  Mangeur,  Jean  de  Salisbury,  Pierre  de  Celles  ;  au  xnie.  saint 
Thomas  ;  plus  tard  Ockam,  Nicolas  de  Lyre,  Thomas  d'An- 
gleterre, Tostat  d'Espagne,  saint  Antonin  de  Forence.  — 
3.  Au  xne  siècle,  saint  Etienne  Harding,  abbé  de  Citeaux  ; 
Gieslebert,  abbé  de  Westminster,  Gratien,  Honorius  d'Autun. 
Pierre  de  Blois  ;  au  xme  et  xive,  Langton,  archevêque  de  Can- 


LES    LIVRES    DE    L'ANCIEN    TESTAMENT  l40/ 

usages  liturgiques,  les  pratiques  religieuses,  la  tra- 
dition maintenaient  fermement  leur  canonicité.  Les 
catalogues  des  papes  Damase  e.t  Innocent  ne  pou- 
vaient passer  pour  lettre  morte.  Charlcmagne  n'en 
reçut  pas  d'autre,  en  774  ;  il  l'imposa  par  une  loi  à 
l'Eglise  franque  en  802.  C'est  celui  qu'insérèrent 
dans  leur  recueil  Burchard  de  Worms,  au  xi°  siècle  (1), 
et  Yves  de  Chartres,  au  xue  (2).  Qu'une  occasion  se 
présentât,  et  la  canonicité  des  deutérocanoniques 
de  l'Ancien  Testament  s'aifirmerait  de  nouveau,  en 
attendant  d'être  l'objet  d'une  définition. 

2.  Pendant  la  tenue  du  concile  de  Florence, 
Eugène  IV  inséra  le  canon  romain  dans  son  décret 
du  4  février  i442  relatif  aux  Jacobites  (3).  Tous  ces 
livres,  disait  le  pape,  sont  reçus  comme  ayant  Dieu 
pour  auteur,  comme  ayant  été  écrits  sous  l'inspi- 
ration du  Saint-Esprit.  Le  mot  seul  de  canonicité 
n'était  pas  prononcé,  si  bien  qu'après  comme  avant 
des  doutes,  ou  du  moins  des  soupçons,  persis- 
tèrent (4)-  Et  ce  fut  Thomas  de  Yio,  le  célèbre 
Cajetan,  qui  reprit  à  son  compte  l'opinion  de  saint 
Jérôme  (5).    Certes  il  connaissait  bien  la  matière 


torbéry,  Neckam  professeur  à   l'Université  de  Paris,  Albert  le 
Grand,  saint  Bonaventure,  Vincent  de  Beauvais. 

1.  Décret.,  m;  Pair,  lai.,  t.  ccxvn,  col.  i£o.  —  2.  Décret., 
iv,  61  ;Patr.  lat.,  t,  clxi,  col.  276-277.  —  3.  Denzinger,  n.  600. 
—  [\.  L'évêque  d'Avila,  Tostat,  réédite  les  opinions  de  saint 
Jérôme;  cf.  les  citations  qu'en  donne  Cornély,  t.  1,  p.  i34  ; 
saint  Antonin,  Chron.,  1,  3,  4;  Denys  le  Chartreux  (f  1/171), 
Prolog,  in  Eccli.,  dans  la  Biblia  Glossata  de  1^98  \  Praef.  de 
libris  canonicis,  dans  la  Bible  de  Cbmplute,  i5i5.  —  5.  Par- 
lant des  deutérocanoniques,  Cajetan  écrit  :  «  Ne  t'inquiète 
pas,  novice,  en  trouvant  quelque  part  ces  livres  comp- 
tés parmi  les  canoniques,  soit  dans  les  saints  conciles,  soit 
par  les  saints  docteurs.  Car  il  faut  faire  passer  à  la  lime  de 
Jérôme  aussi  bien  les  paroles  des  conciles  que  celles  des  doc- 
teurs ;  et,  selon  l'opinion  qu'il  exprime  aux  évoques  Chroma- 


l5o  LX.    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  il  n'est  pas  à  croire  qu'il  ait  eu  la  prétention  do 
mettre  saint  Jérôme  au  dessus  des  Papes  et  des 
Conciles,  mais  il  mettait  en  relief  la  distinction 
entre  les  canoniques,  régulateurs  de  la  foi,  et  les 
«Leutérocanoniques,  régulateurs  de  l'édification  ;  il 
savait  ces  derniers  admis  par  l'Eglise  et  il  les 
admettait  aussi.  Mais  son  idée  semble  bien  être  que 
la  canonicité  implique,  outre  la  reconnaissance 
officielle  de  l'Eglise,  une  autorité  dogmatique  en 
matière  de  foi. 

3.  Des  précisions  devenaient  nécessaires,  d'autant 
rplus  que  les  protestants  changèrent  en  négation 
formelle  ce  qui  n'avait  été  jusque  là  qu'une  opinion, 
et  refusèrent,  pour  la  plupart,  aux  deutérocanoni- 
ques  l'inspiration  et  la  canonicité.  Certains  cepen- 
dant, par  une  contradiction  avec  leur  principe  de 
libre  examen  et  avec  leur  critérium  de  canonicité, 
les  conservèrent  dans  leurs  éditions  de  la  Bible  (i). 

tius  et  Héliodore,  ces  livres  et  ceux  du  même  genre  qu'il  peut 
y  avoir  dans  le  canon  de  la  Bible  ne  sont  pas  canoniques, 
•c'est-à-dire  ne  sont  par  régulateurs  pour  confirmer  ce  qui  est 
de  foi  ;  ils  peuvent  néanmoins  être  dits  canoniques,  c' est-a- 
dire  régulateurs  pour  l'édification  des  fidèles,  comme  étant 
reçus  dans  le  canon  de  la  Bible  et  autorisés  à  cet  effet.  Avec 
cette  distinction,  tu  pourras  expliquer  et  les  paroles  d'Augus- 
tin au  second  livre  de  la  Doctrine  chrétienne,  et  ce  qui  est  écrit 
-dans  le  concile  de  Florence  sous  Eugène  IV,  et  ce  qui  est  écrit 
«dans  les  conciles  provinciaux  de  Carthage  et  de  Laodicée,  et  ce 
qu'enseignent  le  pontife  Innocent  et  Gélase.  »  Comment,  n, 
4oo,  dans  Gornély,  t.  i,  p.  i35  ;  cité  par  Loisy,  Histoire  da 
canon  de  VA.  T.,  p.  i84. 

i.  «  Ce  procédé,  dit  Reuss,  n'était  autre  que  celui  qu'on 
avait  condamné  en  principe;  c'était  la  reconnaissance  implicite 
«4e  l'autorité  de  la  tradition,  et,  de  fait,  on  revenait  ainsi,  par 
lin  détour,  à  la  position  qu'on  avait  bien  hautement  déclaré 
vouloir  quitter  comme  n'étant  plus  tenable.  »  Op+  cit.t  p.  33i. 
i  Depuis  le  xvi*  siècle,  on  est  allé  bien  plus  avant.  On  s'en  est 
3>ris  aux  protocanoniques  eux-mêmes;  et,   actuellement,  la 


DÉCRET  DU  COSCILE  DE  TRENTE         l5l 

Une  décision  de  l'Eglise  s'imposait,  et  c'est  le  concile 
de  Trente  qui  la  porta. 

5.  Décret  du  concile  de  Trente.  —  i.  Sans 
s'occuper  explicitement  de  la  distinction  de  quel- 
ques Pères  de  l'Eglise,  telle  que  l'avait  adoptée 
Cajetari,  le  concile  déclare  «  recevoir  »  tous  les 
livres  de  l'Ancien  Testament  et  «  les  vénérer  avec  un 
égal  sentiment  de  piété  et  de  respect.  »  Dans  la  liste 
qu'il  en  donne,  il  insère  les  deutérocanoniques  et 
porte  l'anathème  cité  plus  haut.  Rien  de  plus  légi- 
time. Car,  en  fait  et  en  droit,  les  deutérocanoni- 
ques étaient  reçus  depuis  des  siècles.  Le  concile 
de  Florence  ne  laissait  aucun  doute  sur  leur 
canonicité  de  droit,  conformément  aux  listes 
de  Damase  et  d'Innocent.  Et  l'usage  tradition- 
nel depuis  les  temps  apostoliques  n'en  laissait  pas 
sur  la  question  de  fait.  Toutefois,  le  concile  de 
Trente  ne  les  place  pas  au  même  rang,  sous  le 
rapport  de  la  canonicité,  sans  une  raison  grave;  et 
cette  raison  est  tirée  de  leur  qualité  de  livres  inspi- 
rés. C'est  parce  qu'ils  sont  inspirés  qu'ils  sont  sacrés 

question  de  canonicité  n'intéresse  plus  guère  les  protestants 
libéraux.  «  La  question  du  canon,  disait  Reuss,  p.  43o-/i3i,  ne 
consiste  plus  à  dresser  un  catalogue  de  livres  ;  cette  idée  a  fait 
son  temps.  La  théologie  vise  désormais  plus  haut.  »  On  sait  à 
quoi  ;  et  c'est  à  éliminer  le  surnaturel,  à  expliquer  sans  lui 
l'institution  et  le  développement  de  l'Eglise.  Quant  aux  pro- 
testants orthodoxes,  ils  tiennent  bon  tant  qu'ils  le  peuvent, 
mais  ils  se  laissent  peu  à  peu  envahir  et  entamer  parla  critique 
et  l'exégèse  des  rationalistes  libéraux,  si  bien  que  le  moment 
n'est  pas  loin  où  la  vieille  Bible,  qu'on  disait  jadis  inspirée 
jusque  dans  ses  mots,  ne  conservera  plus  rien  de  divin.  Expres- 
sion humaine  de  la  pensée  religieuse  antique,  c'est  à  chacun, 
par  sa  propre  expérience,  d'y  découvrir,  s'il  le  peut,  le  Dieu 
caché,  invisible  et  muet.  Tout  faux  principe  doit  nécessaire- 
ment, un  jour  ou  l'autre,  par  les  conséquences  lamentables 
qu'il  entraîne,  subir  son  juste  châtiment. 


l52  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  canoniques;  et  c'est  en  eux,  comme  dans  les 
protocanoniques,  que  le  concile  déclare  vouloir 
puiser  «  les  témoignages  et  secours  dont  il  doit 
particulièrement  se  servir  pour  confirmer  les  dogmes 
et  restaurer  les  mœurs  dans  l'Eglise.  »  N'est-ce  pas 
implicitement  déclarer  vaine  la  distinction  prônée 
par  Cajetan? 

2.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  notion  de  canonicité  se 
précise.  Il  ne  s'agit  plus  de  faire  dépendre  la  cano- 
nicité d'un  livre  de  sa  valeur  objective,  soit  pour  la 
démonstration  de  la  vérité,  soit  pour  l'édification 
des  fidèles,  mais  uniquement  de  son  inspiration  ;  et 
c'est  l'Eglise  qui,  en  reconnaissant  cette  inspiration, 
déclare  le  livre  canonique  (i).  La  canonicité  impli- 
que donc  une  reconnaissance  officielle,  un  acte 
d'autorité,  fondé,  non  sur  la  valeur  dogmatique  ou 
morale,  mais  sur  l'inspiration.  Canonique,  un  livre 
peut  servir  pour  la  démonstration  de  la  foi  comme 
pour  l'édification  des  mœurs.  Quanta  la  distinction 
entre  livres  protocanoniques  et  deutérocanoniques, 
introduite  dans  l'usage  depuis  le  concile  de  Trente, 
on  voit  à  quoi  elle  répond. 

Le  concile  du  Vatican  précise  encore  cette  notion 
de  canonicité;  il  montre  qu'elle  est  en  corrélation 
étroite  avec  l'inspiration,  quand  il  déclare,  après 
avoir  rappelé  le  décret  du  concile  de  Trente,  que 
«  l'Eglise  tient  (les  livres)  pour  sacrés  et  canoniques, 
non  point  parce  que,  après  avoir  été  composés  par 
le  seul  art  de  l'homme,  ils  ont  ensuite  été  approuvés 

i .  On  s'étonne  d'entendre  Melchior  Cano  proclamer  que  ce 
serait  une  erreur  «  voisine  de  l'hérésie  »  de  retrancher  Baruch 
du  canon,  mais  qu'il  serait  «  bien  plus  erroné,  pour  ne  pas 
dire  hérétique,  de  rejeter  Tobie,  Judith,  la  Sagesse,  l'Ecclésias- 
tique, les  Machabées.  »  Le  décret  du  concile  de  Trente  n'auto- 
rise nullement  une  telle  distinction.  Baruch  est  canonique  au 
môme  titre  que  les  autres. 


CANON    DU    NOUVEAU    TESTAMEMT  l53 

par  l'autorité  de  l'Eglise,  ni  pour  ce  seul  motif  qu'ils 
renferment  la  révélation  sans  erreur,  mais  parce 
que,  écrits  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  ils  ont 
Dieu  pour  auteur  et  ont  été  confiés  comme  tels  à 
l'Eglise  elle-même  (i).  » 

III.  Canon  du  Nouveau 
Testament 

Pour  le  Nouveau  Testament,  comme  pour  l'An- 
cien, se  pose  la  question  des  deutérocanoniques. 
Il  y  a,  en  effet,  des  livres  tels  que  l'Epître  aux  Hé- 
breux, l'Epi tre  de  saint  Jacques,  celle  de  saint 
Jude,  la  seconde  de  saint  Pierre,  la  seconde  et  la 
troisième  de  saint  Jean  et  l'Apocalypse,  et  des  pas- 
sages de  livres  tels  que  la  finale  de  saint  Marc,  les 
deux  versets  sur  la  sueur  du  sang  dans  saint  Luc  et 
l'histoire  de  la  femme  adultère  dans  saint  Jean  (2), 
au  sujet  desquels  des  doutes  ont  existé  et  des  diffi- 
cultés ont  été  soulevées.  Quand  et  comment  la 
question  de  leur  canonicité  a-t-elle  été  tranchée  ? 
Rien  de  moins  facile  à  savoir  pour  la  période  qui 
va  des  origines  à  la  fin  du  second  siècle.  A  partir 
du  111e  siècle,  la  discussion  s'engage  ;  et,  à  partir  de 
la  fin  du  ve,  elle  est  close  jusqu'à  la  veille  du  con- 
cile de  Trente.  Ici  encore,  le  concile  de  Trente  dé- 
cide souverainement. 

i°  Pendant  les  deux  premiers  siècles.  — 
1.  Sur  cette  première  période,  de  beaucoup  la  plus 
importante  pour  nous,  puisqu'il  s'agit  du  Nouveau 
Testament  qui  appartient  eu  propre  au  Christia- 
nisme, plane  l'obscurité,   faute  de  documents  et  de 

1.  Const.  Dei  Filius,  c.  11,  S  3.  —  2.  Marc,  xvi,  9-20;  Luc, 
xxn,  43-44;  Joan.,  vin,  1-11. 


l54  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

renseignements  précis.  Cette  obscurité  s'explique 
en  partie  pour  l'époque  môme  des  origines.  Les 
livres  du  Nouveau  Testament  sont,  en  effet,  des 
écrits  de  circonstance,  de  date  et  d'auteurs  diffé- 
rents, quelques-uns  adressés  à  des  communautés 
particulières  ou  à  certains  personnages.  Ils  n'ont 
donc  pu  être  connus  que  successivement  et  par  la 
communication  réciproque  de  ceux  qui  les  avaient 
reçus.  Mais  on  comprend  sans  peine  qu'à  la  qualité 
de  leurs  rédacteurs,  à  l'importance  des  sujets  traités, 
ils  aient  excité  la  plus  vive  et  la  plus  religieuse  cu- 
riosité. Et  si  l'on  veut  tenir  compte,  soit  de  la  dili- 
gence que  mettait,  au  second  siècle,  le  bon  Papias 
à  recueillir  partout  ce  qu'avaient  dit  les  Anciens  et  les 
Apôtres,  soit  de  l'empressement  et  de  la  rapidité 
avec  lesquels  saint  Polycarpe,  évêque  de  Smyrne, 
recueillait  les  lettres  de  saint  Ignace,  évêque  d'An- 
tioche,  au  lendemain  de  son  passage,  on  imagine  le 
soin  pieux  des  chrétiens  du  premier  siècle  pour  se 
procurer  tous  les  écrits  des  Apôtres,  notamment  les 
Evangiles  et  les  Epîtres  de  saint  Paul,  les  plus  célè- 
bres de  tous.  De  bonne  heure  ces  écrits  et  ceux 
qu'on  possède  en  plus  circulent  d'église  en  église, 
de  mains  en  mains  ;  ils  sont  lus  dans  les  réunions 
liturgiques  de  la  communauté,  ils  servent  de  thème 
à  la  prédication  ;  on  les  apprend  par  cœur.  Mais  oît 
furent-ils  groupés,  et  comment,  et  par  qui? 

2.  Ce  qu'il  est  permis  de  constater,  c'est  que, 
vers  i3o,  il  en  existe  deux  recueils,  celui  de  nos 
quatre  Evangiles,  à  l'exclusion  de  toute  composition 
similaire,  et  celui  de  treize  Epîtres  de  saint  Paul, 
l'Evangile  et  l'Apôtre.  Quant  à  l'Epître  aux  Hébreux, 
aux  Epîtres  catholiques  et  à  l'Apocalypse,  ces  écrits 
circulent  aussi  ;  ils  sont  connus  et  appréciés  ;  sont- 
ils  groupés  ?  S'ils  ne  le  sont  pas  encore,  ils  ne  tarde- 
ront guère  à  être  rangés  autour  du  noyau  central 


CANON    DU    NOUVEAU    TESTAMENT  l55 


du  Nouveau  Testament.  Les  Pères  apostoliques,  à 
Rome  saint  Clément  et  Ilcrmas.  à  Alexandrie  l'au- 
teur de  la  Didaché  et  de  l'Epitre  de  Barnabe,  en 
Asie  saint  Ignace  et  saint  Polycarpe  (i),  connaissent 
la  plupart  des  livres  du  Nouveau  Testament  ;  ils  les 
regardent  comme  inspirés,  les  comparent  à  ceux 
de  l'Ancien  Testament;  ils  les  citent  comme  un 
témoignage  irrécusable,  parfois  même  comme  Ecri- 
ture,  avec  la  formule  caractéristique  :   il  est  écrit, 

<âç  ysypocTUTai  (2). 

3.  Les  Pères  apologistes  y  recourent  encore  plus 
fréquemment  et  en  font  un  plus  large  usage.  Papias 
d'Hiérapolis,  curieux  de  tout  savoir,  voyage  et  in- 
terroge, tant  ce  qui  regarde  les  origines  chrétiennes 
lui  tient  à  cœur  ;  il  compose  un  ouvrage,  les  Expli- 
cations des  discours  du  Seigneur,  malheureusement 
perdu,  que  citait  saint  Irénée,  et  dont  Eusèbe  ne 
nous  a  conservé  que  quelques  extraits  ;  on  sait  du 
moins  qu'il  y  mettait  à  contribution  nos  Evangiles, 
les  Actes,  la  première  Epître  de  saint  Pierre  et  de 
saint  Jean  (3).  Le  philosophe  martyr  Justin  parle 
des  «  Mémoires  des  Apôtres  appelés  Evangiles  (4),  » 
lus  dans  l'assemblée  des  chrétiens  avec  les  écrits 
des  Prophètes  (5),  composés  par  les  Apôtres  ou  les 
disciples  (6),  et  estimés  à  l'égal  des  Prophètes  de 
l'Ancien  Testament.  L'Epitre  de  saint  Jude,  la  se- 
conde de  saint  Pierre,  la  seconde  et  la  troisième  de 
saint  Jean  sont  les  seuls  livres  du  Nouveau  Testa- 
ment, dont  ne  portent  pas  traces  les  quelques  écrits 
qui  nous  restent  de  lui.  Son  disciple  Ta  tien  harmo- 

1.  Cf.  dans  le  Dictionn.  de  Théol.,  nos  articles  Pères  apostoli- 
ques et  Pères  apologistes  —  2.  Le  premier  exemple  se  trouve 
ctans  Barnabe,  iv,  i4  ;  Funk  t.  1,  p.  12.  —  3.  Eusèbe,  Hist. 
eçcl.,  111,  39;  Pair,  gr.,  t.  xx,  col.  296-297.  —  [\.  AjjoL,  I,  66; 
Patr.  gr.,  t.  vi,  col.  429.  —  5.  Apol.,  I,  67  ;  ibicl.  —  6.  ldal., 
çni  ;  ibid.,  col.  717. 


S 


l56  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

nise  les  quatre  Evangiles  dans  son  Dlatessaron  (i). 
Méliton  de  Sardes,  de  son  côté,  compose  un  ou- 
vragosur  l'Apocalypse  (2).  H  égésippe  visite  Corinthe, 
Rome,  et  dit  avoir  rencontré  dans  toutes  les  églises 
«  un  enseignement  conforme  à  la  Loi,  aux  Prophètes 
et  au  Seigneur  (3).  » 

4.  D'autre  part,  les  hérétiques  usent  aussi  des  livres 
du  Nouveau  Testament.  Yalentin  et  son  école  y  font 
des  additions  ;  Marcion,  au  contraire,  y  opère  des 
retranchements  caractéristiques,  mêmedans  ce  qu'il 
appelle  «  l'Evangile  et  l'Apôtre  ;  »  car,  pour  lui, 
l'Evangile  se  réduit  à  saint  Luc,  dûment  expurgé  et 
accommodé  ;  et  l'Apôtre,  à  quelques  lettres  de  saint 
Paul,  non  pour  des  raisons  critiques,  mais  à 
cause  de  son  point  de  vue  dogmatique,  qui  lui  fai- 
sait repousser  tout  l'Ancien  Testament  et  ce  qui,  dans 
le  Nouveau,  s'y  rapportait.  Tertullien  le  lui  repro- 
che au  nom  de  la  tradition  (4).  L'Eglise  est  en  pos- 
session des  livres  sacrés  du  Nouveau  Testament, 
source  de  sa  foi,  thème  de  son  enseignement, 
élément  de  sa  liturgie.  Les  hérétiques  le  savent  ; 
aussi  se  gardent-ils  de  les  répudier  dans  leur  en- 
semble. Mais,  pour  mieux  glisser  leurs  erreurs,  ils 
en  composent  d'autres  et  comptent  les  accréditer  en 
les  plaçant  sous  le  patronage  de  quelque  apôtre  ou 
de  quelque  disciple.  Qu'ils  amplifient  le  recueil  ou 
qu'ils  le  mutilent,  l'Eglise,  sans  leur  opposer  une 
liste  détaillée  de  ses  livres  et  des  parties  qu'ils  com- 
prennent, allègue  son  usage,  sa  tradition  vivante, 

i.  Eusèbe,  Hist.  eccZ.,iv,  29;  Patr.gr.,  t.  xx,  col.  4oo-4oi  ;  Ta- 
tien  aurait  même,  dit-on,  mis  saint  Paul  en  style  plus  élégant. 
—  2.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  iv,  26  ;  Pair,  gr.,  t.  xx,  col.  392  ; 
Eusèbe  ne  nous  dit  pas  que  Méliton  possédât  une  liste  des 
livres  du  Nouveau  Testament  comme  il  en  possédait  une  de 
ceux  de  l'Ancien.  —  3.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  iv,  22  ;  col.  377.  — 
4-  Adu.  Marc,  iv,  1  ;  Pair,  lat.,  t.  11,  col.  364. 


CANON    DU    NOUVEAU    TESTAMENT  167 

son  droit  de  possession  et  de  propriété.  Ses  Ecri- 
tures lui  appartiennent  ;  elle  en  a  le  dépôt  ;  elle  en 
garantit  l'origine  divine  et  apostolique  ;  elle  en  dé- 
fend l'autorité.  Tel  est,  pris  sur  le  vif,  le  principe 
qui  la  guide  pratiquement  vis-à-vis  de  l'Ecriture. 

5.  Reuss  n'est  pas  autorisé  à  prétendre,  sur  des 
indices  insuffisants,  que  les  livres  du  Nouveau  Tes- 
tament, en  particulier  les  deutérocanoniques,  ont 
été  d'abord  reçus  à  titre  d'œuvres  édifiantes  seule- 
ment et  admis  comme  tels  à  la  lecture  publique, 
puis  canonisés.  Car  c'est  oublier,  comme  nous  le 
verrons  en  traitant  de  l'inspiration,  les  témoignages 
explicites  que  quelques-uns  de  ces  livres  rendent  à 
d'autres  ;  c'est  oublier  la  croyance  de  la  primitive 
Eglise  qui  ne  les  traitait  ainsi  que  parce  qu'elle  les 
estimait  sacrés  et  divins.  Que  tous  n'aient  pas  été 
également  tenus  pour  tels  partout,  que  quelques 
autres,  étrangers  au  canon  actuel,  aient  été  au 
contraire  regardés  comme  sacrés  dans  quelques 
églises  particulières,  c'est  un  fait  indéniable,  mais 
qui  s'explique  par  l'absence  d'un  recueil  complet, 
officiellement  arrêté  et  universellement  admis. 

6.  Or,  de  170  à  220,  c'est  un  autre  fait  non 
moins  indiscutable  qu'il  existe  un  recueil  du  Nou- 
veau Testament.  Ce  recueil  contient,  à  tous  le 
moins  et  partout,  les  quatre  Evangiles,  le  Tétra- 
morphe,  comme  l'appelle  saint  Irénée  (1),  Y  Instru- 
ment évangélique,  comme  dit  Tertullien  (2),  les 
Actes  et  treize  Epîtres  de  saint  Paul.  Restent  les 
deutérocanoniques  ;  ils  ont  assez  de  témoins,  à 
Alexandrie  notamment,  pour  pouvoir  prendre  légi- 
timement leur  place  dans  le  recueil  (3). 

1.  Adv.  hœr.,  III,  11,  8  ;  Patr.  gr.,  t.  vu,  col.  885.  —  2.  De 
prœscr.,  38;  Adv.  Marc,  iv,  2  ;  Patr.  lat.,  t.  11.  col.  5i,  363. 
■ —  3.  L'Epître  aux  Hébreux  est  connue  de  saint  Irénée,  de  saint 
Ilippolyte  et  de  Caïus,  mais  non  comme  de  saint  Paul.  Tertul- 


l58  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


Restent  aussi  d'autres  écrits,  admis  ici  ou  la  à  la 
lecture  publique,  tels  que  la  Didaché,  l'Epi tre  de 
Barnabe,  l'Epître  de  saint  Clément  aux  Corinthiens, 
le  Pasteur  d'IIermas.  Ils  seront  peu  à  peu  éliminés. 
Dès  la  fin  du  second  siècle,  l'Eglise  a  pleinement 
conscience  du  rapport  étroit  qui  unit  les  deux  par- 
ties de  la  Bible  ;  elle  les  désigne  sous  le  nom  de 
livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  ;  elle  les 
qualifie  d'Ecriture,  d'Ecriture  sainte,  divine.  C'est 
qu'à  ses  yeux  ils  forment  un  tout  homogène,  étroi- 
tement relié,  provenant  d'un  seul  et  même  auteur, 
possédant  une  autorité  égale  et  source  de  la  révéla- 
tion (i).  Quand  elle  dit  :  La  Loi  et  les  Prophètes,  le 
Christ  et  les  Apôtres,  ou  encore  les  Prophètes  et  les 
Apôtres,  la  Loi  et  l'Evangile,  les  deux  Testaments, 
par  cette   terminologie  expressive,   bien   que   non 

lien  la  croit  de  Barnabe,  De  pudic,  20;  Pair,  lat.,  t.  n,  col. 
1021  :  elle  est  utilisée  par  Théophile  d'Antioche  et  fait  partie 
du  recueil  des  Epîtres  de  saint  Paul  à  Alexandrie.  L'Apoca- 
lypse, suspecte  à  Caïus,  à  cause  de  l'exploitation  qu'en  faisaient 
certains  hérétiques,  est  défendue  par  Hippolyte,  citée  par 
Irénée  et  Tertullien.  Jacques,  Jude  et  la  seconde  de  saint 
Pierre  sont  connus  à  Alexandrie.  Ensèbe  reconnaît  que  Clé- 
ment d'Alexandrie,  dans  ses  Hypotyposes,  expliquait  l'Epître 
aux  Hébreux  comme  étant  de  Paul,  celle  de  Jude  et  les  autres 
catholiques,  Hist.  eccl.,  vi,  i4  ;  Patr.  gr.,  t.  xx,  col.  54q.  Quoi 
déplus  positif?  Quant  au  Canon  de  Muratori,  texte  dans  le 
Manuel  biblique  de  M.  Vigouroux,  t.  1,  p.  8i-83,  s'il  est  muet 
sur  l'Epître  aux  Hébreux  et  celles  de  Jacques  et  de  Pierre,  il 
dépose  en  faveur  de  Jude  et  de  Jean.  «  En  parlant  de  l'Evan- 
gile de  saint  Jean,  dit  M.  Vigouroux,  p.  24,  il  parle  aussi  de 
ses  Epîtres  et  en  cite  un  passage,  ce  qui  semble  indiquer  qu'il 
joint  la  première  Epi  tre  à  l'Evangile,  et  alors  les  mots  épis- 
Uolis  suis  ne  peuvent  s'appliquer  qu'à  la  seconde  et  à  la  troi- 
sième. » 

1.  Tertullien  a  écrit  :  «  Legem  et  Prophetas  cum  Evangeliis 
et  apostolicis  litteris  misect  (Ecclcsia)  et  inde  potat  fîdcm.  » 
De  prœsç.,  3(3  ;  Pair,  lat.,  t.  11,  col.  49. 


CANON    DU    NOUVEAU    TESTAMENT  l59 

encore  fixée,  elle    traduit   manifestement  sa  foi    à 
l'autorité  divine  de  ces  livres. 

7.  En  face  du  Montanisme  qui,  sans  répudier  les 
deux  Testaments,  cherche  à  en  imposer  un  troi- 
sième, celui  du  Paraclet,  elle  déclare  que  la  révéla- 
tion est  close  depuis  les  Apôtres,  que  les  Apôtres 
en  furent  les  derniers  organes  autorisés  et  met  en 
relief  le  principe  traditionnel  de  l'apostolicité.  De 
ce  chef,  le  Pasteur  est  à  rayer  de  la  liste  et  aussi  la 
Didaché.  Par  contre,  le  Montanisme,  appuyant  sa 
théorie  du  Paraclet  sur  les  écrits  de  saint  Jean, 
provoque  la  réaction  des  Aloges  contre  ces  mêmes 
écrits.  Caïus  eut  tort  de  prêter  l'oreille  à  cette  réac- 
tion relativement  à  l'Apocalypse,  et  saint  Hippolyte 
dut  prendre  la  défense  de  ce  livre.  L'Evangile  de 
saint  Jean  était  trop  connu  pour  courir  le  moindre 
risque  devant  les  attaques  des  Aloges  (1).  Seules,  la 
seconde  et  la  troisième  Epîtres  purent  en  subir  un 
contrecoup,  mais  passager  et  inoffensif. 

20  A  partir  de  220.  Période  de  discussion.  — 
1.  En  Orient.  —  A  Alexandrie,  Origène  fait  un  relevé 
complet  des  livres  du  Nouveau  Testament.  Il  se 
borne  à  constater  les  divergences  d'opinion  à  pro- 
pos de  quelques-uns,  mais  il  ne  les  résout  pas.  Pour 
lui,  le  Nouveau  Testament  comprend  deux  parties  : 
l'Evangile  et  l'Apôtre  (2).  Il  partage  les  livres  en 
trois  catégories  :  les  authentiques,  les  apocryphes  et 
les  mixtes  ;  ces  derniers  sont  les  livres  inspirés  dont 
le  texte  a  été  corrompu  (3).  Il  range  les  deutéro- 
canoniques  parmi  les  authentiques  (4).  A  Gésarée, 

i.Cf.  dans  le  Diction,  de  Théol.,  notre  article  Aloges.  —  a.  De 
princ.,  iv,  16;  Patr.  gr.,t.  xi,  col.  376;  In  Jerem.,  homil., 
xxi  ;  Pat.  gr.t  t.  xm,  col.  536.  —  3.  In  Joan.,  tr.  xm,  17  ;  Pair. 
gr.f  t.  xiv,  col.  424-4a5;  In  Jesum  Nave,  homil.,  vu,  1;  Patr. 
gr.,  t.  xn,  col.  857.  —  4.  Quatre  Evangiles  à  retenir,  In  Jerem., 


l6o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Eusèbe  cherche  à  résoudre  la  question  des  deutéro- 
canoniques;  il   consulte  en  conséquence   les  tradi- 
tions, surtout  celles  d'Orient.  A  son  avis,   les  livres 
sont  ou  homolog o amènes ,    ofAo/oyou^evoi,    c'est-à-dire 
universellement  reçus;  ou  aniilégomènes,  àvTiXeydfAevot, 
c'est-à-dire  reçus   par   les  uns  et  tenus    en   suspis- 
cion  par   les    autres  ;    ou  apocryphes,   voôot,  c'est-à- 
dire  à  rejeter.  Dans  la  première  classe,  il  range  le 
te  sacré  quadrige  »  des  Evangiles,  les  Actes,  les  Epî- 
tres  de  saint  Paul,  la  première  de  saint  Jean  et  de  saint 
Pierre,  et,  si  Von  veut,  l'Apocalypse  ;  dans  la  seconde, 
TEpître  de  Jacques,  de  Jude,  la  seconde  de  Pierre, 
et  là   troisième    de    Jean  ;    dans    la  troisième,   les 
Actes  de  Paul,  le  Pasteur,   l'Apocalypse  de  Pierre, 
l'Epître  de  Barnabe,  les  Didachés  des  Apôtres,  et,  si 
Von  veut,  l'Apocalypse  de  Jean  et  l'Evangile  selon 
les  Hébreux.  Il  estimait  par  là  distinguer  suffisam- 
ment les   livres  reçus,   contestés  ou  douteux,   des 
Evangiles  et  des   Actes  forgés   par    les   hérétiques 
sous  le  faux  nom  d'un  Apôtre  (i).  Cela  ne  l'empê- 
che pas  d'hésiter  lui-même  sur  la  place  qui  convient 
à  l'Apocalypse  et  de  passer  sous  silence  l'Epître  aux 
Hébreux;  celle-ci,  il  est  vrai,  il  l'avait  déjà  rangée 
ailleurs  (2)   parmi  celles   de  saint  Paul,  bien  qu'il 

homil.  xxi  ;  quatorze  Epitres  de  Paul,  celle  aux  Hébreux  consi- 
dérée par  quelques-uns  comme  n'étant  pas  de  lui,  Epist.  ad 
Afric,  19;  Pair,  gr.,  t.  xi,  col.  65  ;  InMatth.  comm.  séries,  28; 
Pair.  gr.  t.  xiii,  col.  1687  ;  deux  de  Pierre,  la  seconde  non 
universellement  reçue  ;  trois  de  Jean,  les  deux  dernières  contes- 
tées, et  l'Apocalypse  ;  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  vi,  25;  Patr.  gr.,  t. 
xx,  col.  58 1-585  ;  l'Epître  de  Jude  et  celle  de  Jacques,  que 
quelques-uns  ne  reçoivent  pas,  In  Matth.,  t.  xvn,  3o;  Patr.  gr., 
t.  xiii,  col.  1569  ;  In  Joan.,  t.  xix,  6  ;  xx,  10  ;  Patr.  gr.,  t.  xiv, 
col.  569,  572.  Malgré  la  division  qu'il  adopte,  Origène  cite  le 
Pasteur  et  Barnabe  ;  il  fait  même  état  de  quelques  apocryphes. 

1.  Hist.  eccl.,  m,  25;  Patr.  gr.,  t.  xx,  col.  268-269. —  2.  Hist. 
eccl.,  m,  3  ;  col.  217. 


CANON    DU    NOUVEAU    TESTAMENT  l6l- 

m 

connût  l'opinion  différente  de  l'Eglise  romaine.  •— 
A  Jérusalem,  saint  Cyrille  énumére  tous  les  livres 
du  Nouveau  Testament  (i),  à  l'exception  de  l'Apoca- 
lypse, dont  il  n'hésite  pourtant  pas  à  faire  usage  (2). 
—  EnCappadoce,  Grégoire  de  Nazianze,  Basile,  Gré- 
goire de  Nysse  font  comme  saint  Cyrille  (3). 

Tandis  qu'à  Alexandrie,  la  question  des  deutéro- 
canoniques  finit  par  ne  plus  soulever  de  difficultés, 
car  saint  Athanase  les  insère  sans  restriction,  en 
notant  que  la  Didaché  et  le  Pastear  ne  sont  pas 
«canonisés,  »  mais  simplement  destinés  à  l'ensei-  , 
gnement  des  catéchumènes  (4),  à  Antioche,  on  laisse 
de  côté  les  quatre  petites  Epîtres  catholiques  ainsi 
que  l'Apocalypse.  La  caractéristique  de  l'école  d'An- 
tioche  est  l'exégèse  littérale,  et  c'est  là  vraisembla- 
blement ce  qui  explique  une  telle  exclusion.  Dans 
l'Eglise  syrienne,  témoins  la  Peschito  et  le  catalogue 
publiés  par  Me  Lewis  (5),  on  écarte  les  Epîtres 
catholiques  et  l'Apocalypse. 

Ainsi  l'Orient  se  partage  sur  la  question  des  deu- 
térocanoniques,  selon  l'influence  de  l'école  d'Antio- 
che  ou  de  l'école  d'Alexandrie  ;  mais  le  canon 
alexandrin  finira  par  prévaloir.  Les  canonistes 
grecs,  à  partir  du  xne  siècle,  en  sont  la  preuve, 
comme  nous  l'avons  observé  à  propos  du  canon  de  > 
l'Ancien  Testament;  et,  au  xive  siècle,  Nicéphore 
Calliste  a  pu  écrire  que  les  vingt-sept  livres  du  Nou- 
veau Testament  étaient  acceptés  depuis  longtemps 

1.  Cal.  iv,  36  ;  Pair,  gr.,  t.  xxxm,  col.  5oo.  —  2.  Cat.,  x,  3  ; 
col.  664.  —  3.  Grégoire  de  Nazianze,  Carm.  I,  1,  12  ;  Patr.  grf, 
t.  xxxvii,  col.  474  ;  Orat.,  xxix,  17  ;  Serm.  xlii,  9  ;  Patr.  gr.,  .. 
t.  xxxvi,  col.  97,  A69  ;  Basile,  Adv.  Eunom.,  iv,  2;  Patr.  gr., 
t.  xxix,  col.  677  ;  Grégoire  de  Nysse,  Adv.  Eunom.,  n  ;  Adv. 
Appol.,  37  ;  Patr.  gr.,  t.  xlv,  col.  5oi,  1208.  —  4-  Epist.fest., 
xxxix;  Patr.  gr.,  t.  xxvi,  col.  1176.  —  5.  Studia  sinaitica,  Lon- .' 
dres,  1894,  t.  i,  p.  n-i4. 

I  LE   CATÉCHISME.    —    T.   III  II 


IÔ2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

dans  les  églises  sans  la  moindre  contestation  (i). 
2.  En  Occident.  — L'Occident,  guidé  par  son  .gé- 
nie pratique,  s'en  était  tenu  jusque-là  à  ses  usages 
traditionnels  ;  mais  bientôt  il  subit  le  contrecoup 
des  discussions  de  l'Orient.  C'est  ainsi  que  saint 
Hilaire  de  Poitiers  relève  d'Origène,  Rufin  de  saint 
Athanase.  Ce  qu'il  importe  de  connaître,  c'est  la 
position  prise  par  saint  Jérôme.  Personnellement, 
Jérôme  admet  tous  les  deutérocanoniques  (2),  bien 
qu'il  n'ignore  pas  les  contestations  dont  ils  sont 
l'objet.  Malgré  les  Grecs,  il  n'hésite  pas  au  sujet  de 
l'Apocalypse;  et,  malgré  les  Latins,  il  tient  pour  ca* 
nonique  l'Epître  aux  Hébreux.  «  Que  si  la  coutume 
des  Latins  ne  la  reçoit  pas,  dit-il,  dans  les  Ecritures 
canoniques,  et  si  les  églises  grecques  rejettent 
l'Apocalypse  avec  la  même  liberté,  nous  ne  laissons 
pas  cependant  de  les  recevoir  l'une  et  l'autre,  ne 
nous  attachant  pas  à  la  coutume  actuelle,  mais  à 
l'autorité  des  anciens  (3).  »  Saint  Jérôme  connaît 
aussi  les  trois  passages,  celui  de  la  finale  de  Marc,  de 
la  sueur  de  sang  et  de  la  femme  adultère  (4).  Son 
catalogue  du  Nouveau  Testament  est  pleinement 
conforme  à  celui  de  l'Eglise  romaine,  tel  que  nous 
le  font  connaître  les  papes  Damase  et  Innocent,  à 
celui  de  l'Eglise  d'Afrique,  tel  que  le  dressèrent  les 
conciles  d'Hippone  et  de  Carthage  et  que  saint 
Augustin  inséra  dans  son  De  doctrina  christiana,  à 
celui  de  l'Eglise  d'Espagne  comme  le  montrent  les 
œuvres  de  Prisciilien  Et  c'est  le  catalogue  du  pape 

1.  Hist.  eccl.,  n,  45  ;  Patr,  gr.t  t.  cxlv,  col.  88o-885.  -*• 
a.  Cf.  Sanders,  Etude  sur  saint  Jérôme,  Paris,  1903  ;  Gau* 
cher,  Saint  Jérôme  et  Vinspiration  des  deutérocanoniques  dans 
la  Science  catholique,  février  1904.  —  3.  Epist.,  cxxrx,  3  ;  Patr* 
lat.,  t.  xxii,  col.  no3.  Tous  les  livres  énumérés  dans  Epist. 
ad  Paul,  8;  col.  548.  —  4.  Epist.,  cxx  ;  Patr.  lat.,  t.  xxii,  col» 
587  ;  Adv.  Pclag.,  11;  Patr.  lat.t  t.  xxm,  col.  55a-553. 


DÉCRET  DU  CONCILE  DE  TRENTE        163^ 

■Ml  I» 

Eugène  IV  et  du  concile  de  Trente.  Le  canon  dm 
Nouveau  Testament  est  désormais  fixé  dans  l'Eglise 
latine,  à  partir  de  la  fin  du  iv*  siècle.  Il  doit  sa  con- 
sécration à  l'usage  liturgique,  à  la  tradition. 

IV.  Décret  du  concile  de  Trente 

i*  Question  tranchée  :  la  Canonicité.  —  i .  Eti 
face  des  contestations  soulevées  par  les  protestants 
relativement  aux  sources  de  la  vérité  révélée,  le 
concile  de  Trente  avait  à  indiquer  quelles  étaient  les 
sources  de  la  révélation  :  il  affirme  que  c'est  la  Tra- 
dition aussi  bien  que  l'Ecriture.  Mais,  dans  l'Ecri- 
ture, quels  sont  les  livres  qui  font  autorité,  au  point 
de  vue  dogmatique  et  moral  ?  Le  concile  en  dressé 
le  catalogue  et  déclare  que  tous,  en  entier  et  dans 
toutes  leurs  parties,  tels  qu'on  a  coutume  de  les  lire 
dans  l'Eglise  et  tels  qu'ils  se  trouvent  dans  l'an~ 
cienne  version  latine  de  la  Vulgate,  doivent  être 
tenus  pour  sacrés  et  canoniques,  sous  peine  d'ana- 
thème.  C'est  à  eux  sans  distinction  qu'il  emprun- 
tera les  témoignages  et  les  secours  pour  confirmer 
les  dogmes  et  restaurer  les  mœurs  dans  l'Eglise. 

2.  Caractère  dogmatique  du  décret.  —  A  la 
différence  des  décisions  antérieures  des  papes  ou 
des  conciles  qui  affirmaient  simplement  le  fait  dé 
la  canonicité  sans  en  faire  une  vérité  de  Jbi  catholi- 
que, le  concile  de  Trente  définit  comme  de  foi; 
catholique  l'inspiration  et  la  canonicité  des  Livres 
saints,  de  telle  sorte  qu'il  y  aurait  désormais  héré- 
sie à  nier  cette  inspiration  et  cette  canonicité.  Mais, 
pour  cela,  faut-il  nier  l'une  et  l'autre  ?  Y  aurait-il 
hérésie  à  nier  seulement  la  canonicité?  M.  Chau- 
vin (i)  ne  le  pense  pas  ;  mais  il  croit  que  celui  qui. 

i.  Leçons  d'introduction  générale,  Paris,  1898,  p.  73-74? 


l64  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  nierait  que  la  canonicité  serait  suspect  d'hérésie, 
parce  qu'on  serait  en  droit  de  soupçonner  qu'il 
nie  ou  l'inspiration  ou  l'infaillibilité  de  l'Eglise, 
qui  les  déclare  canoniques.  C'est  là  une  interpréta- 
tion bénigne. 

é  r, 

2°  Egalité  d'autorité.  —  Le  concile  de  Trente 
détermine  dans  son  Décret  le  principe  régulateur  de 
la  foi.  Sans  examen  ni  discussion  des  preuves,  mais 
en  pleine  conformité  avec  les  précédentes  décisions, 
-et  à  l'exemple  des  Pères  orthodoxes,  il  déclare  sacrés 
et  canoniques  tous  les  livres  dont  il  donne  l'énumé- 
ration.  Quant  à  la  question  de  savoir  s'il  convenait 
de  rappeler  la  distinction  entre  ceux  qui  servent  de 
fondement  dogmatique  à  la  foi  et  ceux  qui  sont  utiles 
pour  l'enseignement  et  l'édification,  il  ne  la  tranche 
pas,  il  la  laisse  dans  l'état  où  les  Pères  l'avaient 
laissée.  Fallait-il  cependant  marquer  une  différence 
entre  les  livres  toujours  et  partout  reconnus  comme 
canoniques  et  ceux  qui  avaient  été  l'objet  de  doutes 
ou  de  suspicions  ?  Le  concile  n'a  pas  jugé  à  propos 
de  rappeler  ce  point  d'histoire  ;  c'est  avec  un  égal 
respect,  dit-il,  qu'il  les  tient  tous,  sans  différence 
aucune,  pour  sacrés  et  canoniques.  D'où  il  suit 
qu'au  point  de  vue  de  la  canonicité,  les  deutéroca- 
noniques  ne  diffèrent  pas  des  protocanoniques  (i). 
S'ensuit-il  aussi,  entre  les  uns  et  les  autres,  une 
égalité  absolue  à  tous  égards?  Non,  pense  M.  Loisy; 
après  comme  avant  le  Décret,  il  reste  entre  eux 
une  différence  d'autorité,  soit  historique,  soit  dog- 
matique (2),  provenant  de  la  différence  de  leur 
contenu  qui,  de  sa  nature  propre,  a  un  rapport 

1.  Cette  conclusion  n'a  agréé  ni  à  Lamy  (-J- 1714),  Apparatus 
biblicus,  II,  v,  édit.  de  1696,  p.  335,  ni  à  Jahn  (•{•  181 7),  Enlei- 
iung,  2e  édid,  t.  1,  p.  a4o.  —  2.  Histoire  du  canon  de  IA»  T.,  p. 
ai3-2i4. 


ÉTENDUE    DE    LA    CANONICITE  l65 

plus  ou  moins  direct  avec  le  dogme  et  la  morale  (i)„ 
A  vrai  dire,  la  question  du  contenu  concerne  plu- 
tôt l'inspiration  que  la  canonicité.  Nous  croyons, 
au  contraire,  que  les  uns  comme  les  autres  peuvent 
également  servir  ;  car  le  concile  les  signale  tous 
comme  l'une  des  sources  de  la  révélation  où  il 
puisera  pour  confirmer  le  dogme  et  restaurer  les 
mœurs.  D'autant  plus  que  les  protocanoniques 
eux-mêmes  ne  renferment  pas  que  des  matières 
dogmatiques,  ils  contiennent  aussi  des  passages 
sans  rapport  direct  et  immédiat,  soit  avec  le  dogme, 
soit  avec  la  morale. 

3°  Etendue  de  la  canonicité.  —  Tous  les  livres  en 
entier  avec  toutes  leurs  parties,  tels  qu'on  a  coutume 
de  les  lire  dans  l'Eglise  catholique  et  tels  qu'ils  sont 
dans  l'ancienne  édition  latine  de  la  Vulgate,  sont 
sacrés  et  canoniques.  Qu'est-ce  à  dire  ?  —  Faut-ii 
étendre  cette  canonicité  à  toutes  les  assertions,  à 
toutes  les  phrases,  jusqu'aux  moindres  mots,  aux 
syllabes  et  au  plus  petit  iota  ?  Ce  serait  exagérer» 
On  a  pu  le  faire  jadis,  on  n'y  songe  plus  aujour- 
d'hui. Faut-il,  avec  Bellarmin,  ne  l'appliquer  qu'aux 
parties  insérées  dans  la  liturgie  ?  ou  bien,  avec 
Franzelin,  aux  parties  directement  dogmatiques  et 
morales  ?  Ce  serait  trop  la  restreindre. 

Disons  avec  Didiot  :  Ni  un  accent,  ni  un  signe  de 
ponctuation,  ni  une  lettre,  ni  une  syllabe,  ni  un 
mot,  ni  un  membre  de  phrase,  ne  constituent  les 
parties  d'un  livre.  Non,  à  moins  qu'il  ne  soit  essen- 
tiel, un  membre  de  phrase  n'est  pas,  dans  le  lan- 
gage grammatical  ou  littéraire,  dans  le  langage  du 
vulgaire  ou  des  savants,  une  partie  du  livre.  Une 
phrase  entière,  si  elle  est  courte  et  peu  importante^ 

i.  lbid.,  p.  2  35-238. 


l66  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  paraît  pas  l'être  davantage  ;  longue  et  impor- 
tante, comme  il  y  en  a  souvent,  elle  pourra  l'être. 
Mais  ce  qui  est  formellement  une  partie  de  livre, 
cfest  le  récit  d'un  fait  dans  un  livre  historique,  l'ex- 
posé d'une  doctrine  dans  un  livre  de  dogme,  l'é- 
noncé d'un  précepte  dans  un  livre  de  morale  :  c'est 
-encore,  si  l'on  veut,  un  alinéa,  un  paragraphe,  un 
article,  un  chapitre  et  plus  dans  un  ouvrage  distri- 
ÎHié  à  la  moderne;  c'est  une  ode  ou  un  chant  dans  un 
recueil  poétique,  c'est  une  strophe  peut-être  dans 
Une  pièce  lyrique  (i).  C'est  donc  de  passages,  courts 
eu  longs,  mais  d'une  certaine  importance,  que  le 
concile  veut  parler  quand  il  dit  «  avec  toutes  leurs 
parties.  » 

Précisons  davantage  avec  Vacant,  en  tenant  compte 
de  la  coutume  de  l'Eglise  et  de  l'état  où  les  livres 
sacrés  se  trouvaient  dans  la  Vulgate  ;  et  n'oublions 
pas  que  les  Pères  de  Trente,  en  employant  leur  for- 
mule, visaient  spécialement  des  passages  de  l'im- 
portance de  la  finale  de  Marc,  de  l'apparition  de 
Tange  et  de  la  sueur  du  sang  de  Luc,  ou  de  celui  de 
Jean  sur  la  femme  adultère.  Il  s'agit  donc  de  par- 
ties notables  et  de  valeur,  et  non  de  parties  moin- 
dres. 

C'est  en  se  basant  sur  la  coutume  de  l'Eglise  que 
le  concile  a  défini  la  canonicité  de  tous  les  passages 
de  l'Ecriture,  qui  ont  l'importance  des  parties  deu- 
térocanoniques  de  saint  Marc,  de  saint  Luc  et  de 
«aint  Jean,  et  qui  depuis  des  siècles  sont  admis  sans 
hésitation  dans  les  exemplaires  des  Livres  sacrés 
employés  par  l'Eglise  (2). 

4°  Précisions  du  concile  du  Vatican. —  1.  Le 
concile  du  Vatican  ne  s'est  pas  seulement  contenté 

1.  Logique  surnaturelle  subjective,  Paris,  1894,  n.  326,  p.  ia5. 
—  a.  Vacant,  La  constitution  Dei  Filius,  1. 1,  p.  42a. 


PRÉCISIONS    DU    CONCILE    DU    VATICAN  167 

■  .in  m  ■■ 

de  rappeler  le  décret  du  concile  de  Trente,  il  l'a 
encore  précisé.  L'Eglise,  dit-il,  tient  les  Livres 
pour  sacrés  et  canoniques,  «  non  point  parce  que, 
après  avoir  été  composés  par  le  seul  art  de  l'homme, 
ils  ont  été  ensuite  approuvés  par  l'autorité  de  l'Eglise;  » 
par  là  se  trouve  exclue  l'erreur  des  protestants  con- 
temporains, qui  font  consister  la  canonicité  dans 
une  simple  approbation  ou  décision  de  l'Eglise  ; 
«  ni  pour  ce  seul  motif  qu'ils  renferment  la  révéla- 
tion sans  erreur;  »  par  là  se  trouve  exclue  l'opinion 
de  quelques  protestants  modernes,  qui  regardent 
bien  la  Bible  comme  le  livre  des  révélations  divi- 
ses, mais  non  comme  un  livre  dont  Dieu  soit  pro- 
prement l'auteur. 

Qu'est-ce  donc,  d'après  le  concile  du  Vatican, 
qu'un  livre  sacré  et  canonique?  C'est  un  livre  qui, 
écrit  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  a  Dieu  pour 
auteur  et  a  été  confié  comme  tel  à  l'Eglise  elle- 
même.  C'est  à  cette  double  condition,  et  d'avoir 
Dieu  pour  auteur  par  l'inspiration,  et  d'avoir  été 
remis  à  l'Eglise  comme  livre  inspiré,  qu'un  livre 
est  canonique,  au  sens  actif  du  mot,  c'est-à-dire 
faisant  loi. 

2.  Un  écrivain  compose  un  livre  ;  Dieu  en  garan- 
tit l'exactitude,  la  véracité,  l'infaillibilité,  et  lui  donne 
sa  propre  autorité  ;  que  ce  livre  ait  été  écrit  par  l'au- 
teur avec  ses  seules  ressources  ou  avec  le  secours 
d'une  assistance  spéciale,  naturelle  ou  préternatu- 
relle,  il  n'est  pas,  à  strictement  parler,  d'origine 
divine.  Quand  même  Dieu,  par  une  hypothèse  non 
vérifiée,  ferait  siens  tous  les  ordres  et  toutes  les 
pensées  d'un  livre  et  le  remettrait  à  l'Eglise  comme 
l'expression  de  sa  propre  pensée  et  de  sa  propre 
volonté,  ce  livre  hypothétique  n'aurait  pas  davan- 
tage, au  sens  strict  du  mot,  une  origine  divine. 
Pour  qu'un  livre  soit  de  Dieu,  il  faut  que  Dieu  eu  sçit 


l68  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■■a 

l'auteur,  ou  par  lui-même  et  saus  le  concours  d'une 
créature,  comme  pour  les  tables  de  la  Loi,  ou  par 
lui-même  mais  avec  le  concours  instrumental  d'une 
créature  intelligente  qu'il  inspire.  Dans  ce  dernier 
cas,  si  le  livre  n'est  pas  destiné  à  servir  de  règle 
pour  l'humanité,  il  est  bien  de  Dieu,  il  est  bien  ins- 
piré, mais  il  ne  saurait  passer  pour  canonique  ; 
pour  avoir  droit  au  titre  de  canonique,  il  faut  qu'il 
soit  confié  par  Dieu  à  son  Eglise,  en  qualité  de  livre 
inspiré.  Canonique  au  sens  actif  de  règle  de  la  foi 
et  des  mœurs,  le  livre  inspiré  devient  canonique  au 
sens  passif  de  livre  catalogué  par  sa  réception  ou 
son  insertion  officielle  au  canon  par  l'Eglise  (i). 

i.  «  L'Ecriture  est  la  parole  de  Dieu  écrite  par  Lui  avec  le 
concours  d'un  homme  et  remise  à  son  Eglise  pour  régler  la  foi 
et  les  mœurs  de  l'humanité.  Si  elle  est  parole  de  Dieu,  l'Ecri- 
ture a  une  autorité  divine,   elle   exige  foi  et  obéissance  de  qui 
la  connaît  avec  certitude,  même  abstraction  faite  de  la  manière 
dont  cette  parole   émane  de  Dieu,  pourvu  que  vraiment  ce 
soit  sa  parole  à  Lui.  Si  elle  est  parole  écrite  de  Dieu,  procédant 
de  Lui  comme  cause  principale,  et  d'un  homme  comme  cause 
secondaire  instrumentale,    les  théologiens  vous  diront  :  C'est 
ce  que  nous  appelons  un  livre  inspiré,  et  non  plus  seulement 
un  livre  revêtu  après  coup   de  l'autorité   divine,   ni  un  livre 
composé  par  Dieu  exclusivement,  ni  davantage  un  livre  com- 
posé avec  la  simple  assistance  de  Dieu  ;  c'est  ce  que  nous  appelons 
aussi,  et  légitimement,  un  livre  d'origine  divine  et  ayant  Dieu 
pour  auteur.  Si  elle  est  parole  écrite  de  Dieu  et  a  été  remise 
par  Lui  à  son  Eglise,  pour  éclairer  et  régir  les  hommes,  c'est 
donc  aussi  un  livre  qui  a  en  soi,   par  destination,  une  valeur 
normative,  c'est-à-dire  qui  est  au  sens  actif  un  livre  canonique 
en  faisant  loi  pour  toute  l'humanité.  Que  l'Eglise  maintenant 
reçoive  et  manifeste  autour  d'elle,  par  sa  foi  ou  son  enseigne- 
ment, qu'elle  a  reçu  de  la  main  de  Dieu,  ou  de  a  main  de  son 
délégué,  ce  livre  comme  un  livre  divin,  inspiré,  régulateur  de 
la  foi  et  des  mœurs,  ce  livre  aura  en  plus  la  canonicité  passive 
ou  externe,   qui  pourra  même  devenir    officielle,   si  l'Eglise 
donne   officiellement  le  livre  pour  sacré  et  canonique.  Mais 
cette  canonicité  passive,  qu'on  le  comprenne  bien,  ne  consti- 
'  tue  pas,  à  proprement  parler,   la  canonicité  des  Livres  saints  : 


AUTORITÉ  DE  LA  VULGATE  169 

3.  La  canonicité  au  sens  actif  est  une  vérité  révé- 
lée. Dieu  seul,  en  effet,  a  pu  faire  connaître  que  cer- 
tains livres  étaient  la  règle  de  la  foi  et  des  mœurs. 
De  plus  l'existence  de  cette  canonicité  est  un  dogme 
de  foi  catholique,  d'après  ce  canon  du  concile  du 
Vatican  :  «  Anathème  à  qui  ne  recevrait  pas  pour 
sacrés  et  canoniques  les  livres  de  la  sainte  Ecriture 
en  entier  avec  toutes  leurs  parties,  comme  le  saint 
concile  de  Trente  les  a  énumérés  (i).  » 

1.  L'autorité  de  la  Vulgate.  —  Pour  déterminer  ce 
qui  appartient  aux  Livres  saints,  le  concile  de  Trente 
indique  deux  règles,  à  savoir  :  l'usage  et  la  croyance 
commune  de  l'Eglise,  et  le  contenu  de  l'ancienne  édition 
latine  de  la  Vulgate.  En  reproduisant  le  décret  du  concile 
de  Trente,  le  concile  du  Vatican  omet  la  première  de  ces  ■ 
deux  règles,  non  point  pour  l'abroger,  puisque  c'est  une 
décision  dogmatique  et  que  toute  décision  de  ce  genre 
demeure  définitivement  acquise,  mais  pour  insister  sur 
la  seconde  ;  car,  depuis  trois  siècles,  l'autorité  de  la  Vul- 
gate s'est  accrue  par  l'usage  quotidien  et  universel  qui  en 
a  été  fait  dans  l'Eglise  latine  ;  or,  un  tel  usage,  comme 
le  note  Léon  XIII,  dans  son  Encyclique  Providentissimus, 
constitue  une  recommandation. 

Mais  qu'est  cette  Vulgate  ?  On  sait  que  la  première 
version  latine  faite  sur  le  grec  des  Septante  porte  le  nom 
d'Italique.  Saint  Jérôme  a  revisé  cette  Italique  en  partie  ; 
il  a  traduit  les  protocanoniques  de  l'Ancien  Testament, 
ainsi  que  Tobie  et  Judith,  sur  l'hébreu  et  le  chaldéen. 
Son  œuvre  se  substitua  à  l'Italique  à  partir  de  saint  Gré- 
goire le  Grand  et  s'appela  la  Vulgate  ;  elle  comprenait  le 
Nouveau  Testament  et  le  psautier  de  l'Italique  révisés,  les 
protocanoniques  de  l'Ancien,  Tobie  et  Judith  traduits  de 
l'original,  et  les  deutérocanoniques  de  l'Ancien  Testa- 
elle  n'en  est  que  la  manifestation,  le  signe  infaillible.  »  Mè 
chineau,  L'autorité  divine  des  Livres  saints,  clans  les  Etu- 
des, 1901,  t.  lxxxix,  p.  649-65o. 

1.  Const.  Dei  Filius,  c.  11,  can.  4. 


I7O  LE    CATECHISME    ROMAIN 

^  1  .  111  — — ^m 

ment  conservés  par  Yltalique.  Mais,  par  suite  de  trans- 
criptions multiples  et  successives,  des  variantes  nombreu- 
ses s'y  étaient  introduites  et,  bien  que  révisé  à  plusieurs 
reprises  pendant  le  moyen  âge,  le  texte  était  loin  d'être 
fixé  au  xvi*  siècle. 

Que  font  les  Pères  du  concile  de  Trente  ?  Ils  signalent 
les  abus  et  y  cherchent  remède.  L'un  de  ces  abus  était  la 
diversité  des  éditions,  que  chacun  entendait  utiliser 
comme  authentique  dans  l'enseignement,  la  prédication 
et  la  controverse.  Un  autre  était  l'altération  des  exem- 
plaires qui  circulaient  librement.  Pour  remédier  au  pre- 
mier, on  décide  de  n'admettre  comme  authentique  que 
l'ancienne  Yulgate,  ce  qui  n'est  pas  exclure  les  Septante 
ni  les  autres  versions  utiles  à  consulter  ;  pour  remédier 
au  second,  on  décide  de  faire  faire  une  édition  correcte 
de  la  Vulgate.  D'où  le  décret  Insuper >  de  editione  et  usa 
sacrorum  librorum,  de  la  session  ive  (1),  sur  l'authen- 
ticité de  la  Vulgate  et  sur  le  projet  d'une  future  édi- 
tion (2). 

2.  L'authenticité  de  la  Vulgate.  —  Qu'entendre  par 
cette  authenticité  de  la  Vulgate  ?  Est-ce  simplement  sa 
conformité  avec  le  texte  primitif?  Et,  dans  ce  cas,  comme 
certains  l'ont  prétendu,  cette  conformité  va-t-elle  jus- 
qu'aux moindres  détails  ?  Le  cardinal  Franzelin  pensait 
que  cette  conformité  consiste  dans  l'exactitude  générale 
de  la  traduction,  dans  la  reproduction  certaine,  quant  à 

i.  Nous  y  lisons  :  «  Considérant  qu'il  pourrait  résulter  pour 
l'Eglise  de  Dieu  une  assez  grande  utilité  de  la  connaissance  de 
l'édition  qu'il  faut  tenir  pour  authentique,  parmi  toutes  les 
éditions  latines  des  Livres  saints  qui  se  colportent,  le  même 
saint  Concile  statue  et  déclare  que  c'est  l'édition  ancienne  et 
répandue  (vulgataj,  approuvée  par  le  long  usage  de  l'Eglise 
elle-même  pendant  tant  de  siècles,  qui  doit  elle-même  être 
regardée  comme  authentique  dans  les  leçons,  discussions, 
prédications  et  expositions  publiques,  et  que  personne  ne  doit 
avoir  l'audace  ou  la  présomption  de  la  rejeter  sous  aucun 
prétexte.  »  —  2.  En  1590  seulement,  Sixte  V  fit  imprimer 
l'édition  projetée  ;  trop  imparfaite,  Clément  VIII  dut  la  réfor- 
mer et  donna  en  1592  l'édition  actuellement  en  usage. 


AUTORITE  DE  LA  VULGATE  I7I 

la  substance  sinon  quant  aux  détails,  des  passades  direc- 
tement dogmatiques.  D'autres  ont  pensé  (i)  que  l'authen- 
ticité n'est  autre  chose  que  la  reconnaissance  officielle  de 
la  Vulgate,  lui  conférant  un  caractère  juridique  officiel 
qui  rend  son  emploi  obligatoire  dans  l'enseignement 
public  et  la  place  ainsi  au  dessus  de  toute  autre  version. 
Ceux-ci  reconnaissent  que  la  Vulgate  ne  peut  rien  conte- 
nir de  contraire  à  la  foi  ou  aux  mœurs  et  qu'elle  est  con- 
forme dans  son  ensemble  aux  textes  originaux,  mais  ils 
ne  croient  pas  que  l'authenticité  qui  lui  est  reconnue 
implique  nécessairement  la  reproduction  substantielle 
des  passages  directement  dogmatiques. 

Rien  dans  les  Actes  du  concile  n'autorise  à  croire  que 
les  Pères  aient  entendu  l'authenticité  dans  le  sens  très 
précis  de  la  première  opinion  ;  au  contraire,  tout  permet 
de  voir  qu'il  s'agit  d'un  caractère  officiel  qu'on  lui  recon-, 
naît,  c'est-à-dire  d'un  caractère  qui  en  fait  un  document 
public  (2). 

1.  «Une  s'agit  pas,  dit  Didiot,  Logique  surnat.  subj.,  n. 
219,  p.  116,  de  condamner  toutes  les  versions  latines  de  la 
Bible  déjà  mises  en  circulation,  ni  d'empêcher  que  la  science 
exégétique,  guidée  par  l'Eglise,  en  prépare  jamais  une  autre. 
Il  ne  s'agit  pas  non  plus  de  prononcer  sur  la  perfection,  soit 
absolue,  soit  presque  absolue,  de  celle  qui  sera  choisie  pour 
authentique,  mais  simplement  d'en  choisir  une.  Ce  n'est  donc 
nullement  d'une  définition  dogmatique  à  faire  ni  d'un  acte  de 
foi  à  imposer  qu'il  est  question,  mais  d'une  notification  rela- 
tive à  la  conduite  des  chrétiens  envers  cette  édition  qu'ils 
auront  à  «  traiter  désormais  comme  authentique.  » 

2.  Voir  Vacant,  La  constit.  Dei  Films,  1. 1,  p.  429  sq.  Dans 
le  Dict.  de  Théol.,  à  l'article  Authenticité,  1. 1,  col.  2590,  M.  Man- 
genot  dit  :  «  De  tous  ces  débats  il  ressort  clairement  que  les 
Pères  du  concile  de  Trente,  dans  leurs  délibérations,  n'ont  pas 
examiné  la  conformité  de  la  Vulgate  avec  les  textes  originaux, 
qu'ils  n'en  ont  parlé  qu'indirectement  et  que  ce  n'est  pas  à 
cause  de  cette  conformité  qu'ils  ont  déclaré  la  Vulgate 
authentique.  Ils  voulaient  un  texte  officiel,  faisant  autorité 
dans  les  écoles,  la  prédication  et  la  liturgie.  S'ils  ont  choisi  la 
Vulgate  pour  en  faire  ce  texte  officiel,  c'est  en  raison  de  son 
ancien  et  universel  usage  dans  l'Eglise.  Le  décret  ne  déclare 


I72  LE    CATECHISME    ROMAIN 

3.  Quelle  est  cette  Vulgate  ?  —  Il  ne  s'agit  pas  de 
ia  Vulgate,  actuellement  en  usage,  de  celle  que  Clé- 
ment VIII,  en  1592,  a  publiée  et  investie  d'un  caractère 
officiel,  mais  de  l'ancienne,  en  usage  depuis  des  siècles. 
Est-ce  la  vieille  Italique  ?  ou  bien  l'œuvre  de  saint 
Jérôme  ?  —  Il  est  évident  que  pour  les  livres  traduits  par 
saint  Jérôme,  c'est-à-dire  pour  les  protocanoniques  de 
l'Ancien  Testament  autres  que  le  psautier,  et  pour  Tobie 
et  Judith,  c'est  la  traduction  môme  de  saint  Jérôme.  Pour 
les  livres  de  l'ancienne  Italique,  empruntés  sans  correc- 
tion, c'est-à-dire  pour  les  deutérocanoniques  de  l'Ancien 
Testament  autres  que  Tobie  et  Judith,  c'estle  texte  primi- 
tif de  l'Italique  antérieure  à  saint  Jérôme  ;  et  c'est  encore 
le  texte  de  l'Italique  pour  les  livres  passés  dans  l'œuvre 
de  saint  Jérôme  avec  retouches,  c'est-à-dire  pour  les  livres 
du  Nouveau  Testament  et  le  psautier.  En  vertu  donc  des 
décrets  des  conciles  de  Trente  et  du  Vatican,  on  doit  tenir 
pour  canoniques  tous  les  passages,  et  c'est  la  presque 
totalité,  qui  n'ont  pas  cessé  d'être  dans  la  plupart  des 
exemplaires,  soit  de  la  traduction  de  saint  Jérôme  pour 
les  livres  qu'il  a  traduits  de  l'original  et  qui  sont  passés 
dans  notre  Vulgate  actuelle,  soit  de  l'Italique  antérieure 
à  saint  Jérôme  pour  les  autres  livres,  passés  eux  aussi 
dans  notre  Vulgate. 

Toutefois,  une  réserve  est  à  indiquer  au  sujet  des  pas- 
sages des  protocanoniques  de  l'Ancien  Testament  traduits 
par  saint  Jérôme,  et  qui  ne  se  trouvaient  pas  dans  le 
texte  original  hébreu,  comme  l'observe  l'édition  clémen- 
tine actuelle  avec  saint  Jérôme.  Il  semble,  en  effet,  que 
ces  passages,  qui  sont  à  retenir  comme  canoniques,  ne 
sont  à  considérer  comme  tels  que  dans  la  mesure  même 
où  la  Vulgate  les  donne. 

Quant  aux  passages,  observe  Vacant  (1),  qui  ne  se  trou- 
veraient pas  dans  la  plupart  des  exemplaires  de  saint 
Jérôme  ou  de  l'Italique,  on  ne  serait  pas  obligé  de  les 
recevoir  pour  canoniques  en  vertu  de  la  règle  :  prout  in 

pas  que  la  Vulgate  est  la  version  la  plus  conforme  aux  origi- 
naux. » 

1.  Vacant;  loc.  cit.,  t.  1,  p.  433. 


AUTORITÉ    DE    LA    VULGATE  ^3 


veteri  Vulgata  latina  cdikone  habentur,  comme  par  exem- 
ple le  verset  de  saint  Jean  dit  des  trois  témoins  célestes, 
mais  on  y  est  tenu  en  vertu  de  l'autre  règle  :  proul  ab 
Eçclesia  catholica  legi  consueverunt. 

4.  Que  penser  de  la  déclaration  de  la  Congré- 
gation du  Concile,  de  1576  ?  —  La  Congrégation  du 
Concile,  établie  par  Pie  IV  en  i564  pour  faire  exécuter  les 
décrets  du  concile  de  Trente  (i),  fit  une  déclaration,  le  17 
janvier  1576,  qui  a  soulevé  de  vives  discussions.  Les  uns 
l'ont  traitée  d'apocryphe  ;  les  autres,  la  tenant  pour 
authentique,  lui  prêtent  un  sens  qui  n'est  pas  le  sien. 
Sans  entrer  dans  l'histoire  détaillée  de  cette  controverse, 
disons  de  suite  que  son  authenticité  est  au  dessus  de  tout 
soupçon,  et  ajoutons  que  sa  doctrine  est  parfaitement 
correcte. 

'  Suarez  (2)  la  connaissait.  Mais  Allatius  (f  1669),  Richard 
Simon  et  Petitdidier,  entre  autres,  prétendaient  qu'elle 
affirmait  la  perfection  absolue  de  la  Yulgate.  Malheureu- 
sement, une  telle  attitude  fit  suspecter  ce  document. 
Scheeben  (3)  et  Mazella  (4)  le  rejettent  comme  non 
authentique  ;  Franzelin  (5)  en  1876,  Cornély  (6)  en  i885, 
le  P.  Prat  (7)  en  1890  combattent  son  authenticité.  La 
publication  de  la  Vaticane  de  Paul  III  à  Paul  V  (8)  permit 
de  voir  le  mal  fondé  de  leurs  opinions.  Le  manuscrit  du 
cardinal  Caraffa,  président  de  la  Congrégation  du  Concile 
en  1576,  ne  laisse  subsister  aucun  doute  sur  l'authenticité 
de  la  déclaration  (9). 

1.  Devant  la  difficulté  de  remplir  sa  mission  sans  interpréter 
les  décrets  du  concile  de  Trente,  cette  Congrégation,  par  l'au- 
torité de  Sixte  V,  en  i588,  fut  chargée  d'interpréter  ceux  qui 
étaient  relatifs  aux  mœurs  et  à  la  discipline,  le  Pape  se  réser- 
vant l'interprétation  authentique  des  décrets  relatifs  à  la  foi. 
C'est  la  règle  actuellement  suivie. —  2.  Disp.,  v,  sect.  m,  n.  10. 
—  3.  Dogmatique,  trad.  franc.,  Paris,  1877,  t.  1,  p.  206.  — 
4.  De  virt.  inf.,  Rome,  1879,  P-  566.  —  5.  De  div.  tradit., 
3*  édit.,  Rome,  1882,  p.  563.  —  6.  Intr.  gêner.,  p.  45i.  — ■ 
7.  Etudes,  août  1890,  p.  576.  —  8.  Batilfol,  La  Vaticane,  Paris, 
1890.  —  9.  Cf.  l'article  de  J.  Thomas  sur  l'authenticité  en 
réponse  au  P.  Prat,  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  catholique  de 
Toulouse,  mars  1891,  p.  19. 


174  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


En  quoi  donc  consiste-t-elle,  et  quel  est  son  véritable 
sens  ?  —  Voici  la  question  posée  :  le  concile  de  Trente, 
ayant  fixé  une  double  règle  pour  déterminer  quels  sont 
les  livres  et  les  parties  de  livres  à  regarder  comme  sacrés 
et  canoniques,  à  savoir  l'usage  de  l'Eglise  et  le  contenu  de 
la  Vulgate,  on  demande  si,  en  vertu  de  ce  décret,  on 
devrait  imputer  une  erreur  dans  la  foi  à  ceux  qui  avance- 
raient quelque  chose  de  contraire  à  la  moindre  période  et 
au  moindre  membre  de  phrase  des  livres  énumérés,  même 
en  tenant  compte  des  textes  omis  par  la  Vulgate,  mais  qui 
se  trouvent  dans  l'hébreu  et  le  grec,  —  ou  bien  si  l'on 
devrait  imputer  une  erreur  à  ceux-là  seulement  qui  rejet- 
teraient soit  un  de  ces  livres  tout  entier,  soit  une  des  par- 
ties dont  lacanonicité  et  l'inspiration  avaient  été  discutées 
autrefois. 

Que  répond  la  Congrégation  ?  —  D'abord  qu'on  né 
pourrait  rien  avancer  qui  fût  contraire  à  l'édition  latine 
de  la  Vulgate,  quand  ce  ne  serait  qu'une  période,  une 
assertion,  un  membre  de  phrase,  une  parole,  un  iota  ;  -à 
ensuite  que  Véga  a  eu  tort  de  prétendre  que  n'importe 
qui,  pour  n'importe  quelle  raison,  est  en  droit  de  corriger 
la  version  Vulgate  ;  —  et  enfin  que,  pour  les  différences 
qui  séparent  le  texte  hébreu  et  grec  du  latin,  on  doit  se 
rapporter  à  la  troisième  règle  de  l'Index,  d'après  laquelle 
l'autorité  de  toutes  les  versions  non  authentiques  est  infér 
rieure  et  subordonnée  à  l'autorité  de  la  Vulgate. 

Peut-on  en  inférer  que  cette  déclaration  garantit  l'an* 
solue  perfection  de  la  Vulgate  et  qu'elle  interdit  d'en 
mettre  en  question  la  moindre  phrase,  le  moindre  mot?  11 
n'y  paraît  guère.  Ce  que  la  Congrégation  déclare,  c'est 
qu'on  ne  peut  rien  avancer  de  contraire  à  la  Vulgate,  ni 
phrase,  ni  mot,  ni  syllabe,  ni  lettre  ;  ce  qui  revient  à  dire 
qu'on  ne  peut  rien  avancer  contre  l'Ecriture  et  que  l'Ecriture 
est  dans  la  Vulgate  ;  et  en  cela  la  Congrégation  du  Concile 
a  complètement  raison.  Quant  à  savoir  jusqu'à  quel  point 
la  Vulgate  rend  le  texte  original,  c'est  une  autre  question»; 
la  Congrégation  n'en  souffle  pas  mot,  parce  qu'elle  n'avait 
pas  à  répondre  sur  une  demande  qui  n'était  pas  formulée, 
l£lle  n'affirme  donc  pas,  comme  certains  l'ont  prétendu, 


AUTORITE  DB  LA  VULGATE  176 

la  canonicité  de  la  Vulgate  jusqu'au  plus  petit  iota.  Ce 
qu'elle  affirme,  c'est  la  supériorité  relative  de  cette  version 
sur  toute  autre,  mais  non  son  absolue  perfection.  Les 
membres  qui  la  composaient  savaient  trop  bien  qu'elle 
était  loin  d'être  parfaite  puisque,  d'une  part,  le  concile 
^vait  décidé  d'en  faire  donner  une  édition  correcte,  et  que, 
d'autre  part,  on  travaillait  déjà  à  cette  œuvre  si  impor- 
tante et  si  délicate  (i). 

1.  Sur  cette  question,  voir  Vacant,  La  constitution  Dei  Filins* 
Paris,  1895,  1. 1,  p.  435-455;  et  l'article  de  M.  Mangenot  dans 
le  Diet.  de  Théol.,  t. 1,  col.  3587-3590. 


Leçon  Ve 
L'Ecriture  Sainte 


L'Inspiration.  —  I.  Histoire  du  dogme 
de  l'inspiration.  —  IL  Nature  de  l'inspiration, 

arantie  par  l'Eglise,  la  canonicité  des  Livres 
saints  se  trouve  intimement  liée  à  leur  ins- 
piration et  la  suppose.  Mais  l'inspiration 
existe-t-elle  ?  En  quoi  consiste-t-elle  ?  Quelle  est  sa 
nature  ?  Quels  sont  ses  effets?  Jusqu'où  s'étend-elle? 
Autant  de  questions  à  résoudre.  L'histoire  nous 
apprendra  comment  elles  ont  été  envisagées  et  la  ré- 
ponse qui  leur  a  été  faite.  L'une  d'elles,  celle  du  fait 
de  l'inspiration,  n'a  jamais  été  l'objet  d'un  doute 
ou  d'une  hésitation  :  de  tout  temps,  l'Eglise  a  cru  à 
l'existence  de  l'inspiration.  Mais  les  autres  ?  La  plu- 
part ont  été  posées  et  résolues  ;  d'autres  pourront  se 
poser  encore  et  seront  traitées  à  leur  tour  ;  car 
•  l'Ecriture  offre  un  champ  si  vaste,  qu'il  est  loin 
d'avoir  été  exploré  dans  toute  son  étendue  et  sa 
profondeur,  et  qu'il  le  sera  chaque  jour  davantage, 
conformément  aux  besoins  de  la  nature  humaine, 
dans  un  incessant  et  perpétuel  renouveau. 

Nous  avons  vu  comment  a  été  tranchée  la  ques- 
tion de  canonicité  ;  il  nous  reste  à  voir  comment 
l'a  été  celle  d'inspiration.  Elle  ne  s'est  point  posée 
tout  d'abord  avec  tout  ce  qu'elle  implique  de  no- 
tions et  de  conséquences  ;  ce  n'est  que  peu  à  peu 
qu'elle  s'est  dégagée  et  est  devenue,  depuis  la  Ré- 
forme, l'objet  d'un  examen  attentif  et  approfondi. 


INSPIRATION  I77 


Jadis,  contre  les  gnostiques,  l'Eglise  a  revendiqué 
l'Ecriture  comme  son  bien  propre  ;  contre  les  mon- 
tanistes,  elle  a  déterminé  l'époque  où  a  pris  fin  la 
révélation.  Dès  le  ni0  siècle,  on  s'est  demandé  quel 
sens  il  faut  voir  dans  la  Bible  :  est-ce  le  sens  littéral 
ou  le  sens  allégorique?  l'un  est-il  exclusif  de  l'au- 
tre? ou  bien  l'un  et  l'autre  sont-ils  légitimes  et 
dans  quelle  mesure  ?  A.  la  fin  du  ive,  saint  Augus- 
tin et  saint  Jérôme  ont  été  aux  prises  :  l'un,  esti- 
mant que,  pour  la  tranquillité  des  esprits,  mieux 
valait  ne  pas  agiter  des  questions  de  critique  et  de 
révision  de  nature  à  troubler  de  respectables  habi- 
tudes ;  l'autre,  jugeant  que  l'intérêt  de  la  vérité  et 
la  fidélité  d'une  version  n'avaient  qu'à  gagner  à. 
une  confrontation  méticuleuse  avec  l'original.  Aux 
temps  de  la  scolastique,  les  manuscrits  de  la  Bible 
offraient  tant  de  variantes  que  l'on  travaille  à  une 
refonte  pour  arriver  à  un  texte  uniforme.  Le  concile 
de  Trente  décide  du  moins  de  s'en  tenir  à  un  texte 
officiel,  celui  de  la  Vulgate  qu'il  déclare  authenti- 
que, en  attendant  qu'on  puisse  convenablement 
l'amender  ;  il  déclare  en  outre  qu'on  doit  tenir  pour 
sacrés  et  canoniques  tous  les  livres  de  la  Bible. 
Avec  la  Réforme,  c'est  le  rôle  de  la  tradition  en 
matière  d'exégèse  qui  est  nié  par  les  protestants  et 
maintenu  par  l'Eglise. 

Depuis  lors  c'est,  entre  catholiques  et  protestants, 
particulièrement  sur  le  terrain  scripturaire,  une 
lutte  continue  ;  les  catholiques  interprètent  diffé- 
remment le  décret  conciliaire  de  Trente.  Puis,  se 
font  jour  des  théories  inacceptables  sur  l'inspira- 
tion ;  le  concile  du  Vatican  intervient  et  les  con- 
damne. A  sa  suite,  le  pape  Léon  XIII  précise  la 
nature  de  l'inspiration  (1).  Mais  comme,  d'autre  part, 

1.  Voir,  dans  le  décret  Lamentabili  sane  exitu,  les  prop.  ix-xix. 

LB  CATÉCHISME.  —  T.  III.  la 


I78  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  méthode  critique  des  rationalistes  fait  sentir  son 
influence  et  qu'elle  n'est  pas  sans  offrir  de  graves 
dangers  contre  l'orthodoxie,  le  même  Pontife  jette 
le  cri  d'alarme  et  trace  la  méthode  à  suivre  parmi 
les  catholiques.  Est-ce  à  dire  que  par  là  toute  diffi- 
culté ait  été  écartée,  tout  problème  résolu  ?  Loin  de 
là.  Problèmes  et  difficultés  n'ont  cessé  de  naître  et 
d'être  poussés  à  leurs  extrêmes  conséquences.  Pour 
faire  face  aux  besoins  nouveaux,  Léon  XIII,  en 
1902,  a  créé  une  commission  d'érudits  compétents, 
la  Commission  biblique,  qui  s'est  déjà  prononcée  sur 
quelques  questions  délicates  et  importantes. 

C'est  à  travers  cette  longue  série  de  faits  que 
nous  devons  suivre  l'histoire  du  dogme  de  l'inspi- 
ration ;  c'est  de  tous  les  témoignages  que  nous 
offrent  l'enseignement  des  Pères  et  des  docteurs,  les 
actes  de  l'autorité  ecclésiastique,  les  décisions  offi- 
cielles, que  nous  devons  dégager  la  notion  aussi 
exacte  que  possible  de  l'inspiration  ;  la  tâche  assu- 
rément est  délicate,  mais  qui  ne  voit  son  impor- 
tance actuelle  (1)? 

1.  BIBLIOGRAPHIE  :  Saint  Thomas,  Sam.  theol,  II»  II»,  Q. 
clxxi-clxxiv  ;  De  verlt.,  Q.  xu  ;  Suarez,  De  fide,  dispat.  v,  s.  3  ; 
M.  Cano,  De  locis  theologicis  ;  Franzelin,  De  divina  trad.  et 
Script.,  3e  édit.,  Rome  1882  ;  les  théologies  récentes  de  Pesch, 
Tepe,  Tanquerey,  etc.;  Schmid,  De  inspirationis  biblior.  vi  et 
ratione,  Brixen,  i885  ;  Grets,  De  divina  inspiraiione,  Louvain, 
1886;  Ubaldi,  Introd.  in  S.  S.,  Rome,  1888;  Gornely,  De  di- 
vina inspiratione  commentariolus,  Paris,  1891  ;  Dausch,  Die 
Schriftinspiralion,  Fribourg-en-Brisgau,  1891  ;  Brandi,  La 
question  biblique,  trad.  franc.,  s.  d.  ;  Holzey  Die  Inspiration, 
Munich,  i8g5  ;  Vacant,  La  constitution  Dei  Filius,  Paris,  1895, 
t.  1,  p.  4^(3-5 16  ;  Brucker,  Questions  actuelles  d'Ecrit,  sainte, 
Paris,  1895  ;  Pègues,  Une  pensée  de  saint  Thomas  sur  l'ins- 
piration scripturaire,  dans  la  Revue  thomiste,  i8g5,  p.  95-112  ;. 
Lévesque,  Essai  sur  la  nature  de  l'inspiration,  dans  la  Revue 
des  Facultés  cath.  de  l'Ouest,  décembre  i8g5  ;  Lagrange,  L'ins- 
piration des  Livres  saints,  dans  la  Revue  biblique,   1896,  t.  v, 


HISTOIRE    DU    DOGME    DE    L  INSPIRATION  IJ§ 

I.   Histoire  du  dogme 
de  l'inspiration 

D'une  manière  générale,  sauf  les  précisions  que 
nous  indiquerons  dans  la  seconde  partie  de  cette 
leçon,  l'inspiration  peut  se  définir  l'action  surnatu- 
relle du  Saint-Esprit  qui  détermine  et  aide  un  écri- 
vain sacré  à  écrire  ce  que  Dieu  veut,  de  telle  sorte 
que  le  livre,  quoique  rédigé  de  main  d'homme,  a 
réellement  Dieu  pour  auteur.  Qui  dit  livre  inspiré, 
dit  par  là  même  livre  d'origine  divine. 

Inspiré  répond  au  mot  latin  inspiratas,  qui  traduit 
littéralement  le  mot  grec  8ed7cveu<rroç  .  Etymologique- 
ment,  celui-ci  signifie,  au  sens  actif,  l'action  de 
Dieu  sur  l'homme,  son  souffle,  son  inspiration,  et 
au  sens  passif,  l'état  de  l'homme  sous  cette  motion 
divine:  il  est  soufflé,  inspiré  de  Dieu.  C'est  saint 
Paul  qui  l'emploie,  quand  il  écrit  :  rcaca.  ypacp^ 
6e<$7rv£ucTo;  (1)  ;  et  c'est  saint  Pierre  qui  exprime  la 
même  idée  par  un  terme  équivalent,  quand  il  dit  des 
prophètes  qu'ils  ont  été  poussés  par  l'Esprit-Saint  (2). 
L'expression  de  saint  Paul  entrera  dans  le  langage 
technique  de  la  théologie  pour  désigner  l'inspiration 
ou,  comme  disent  certains  protestants,  la  théop- 
neustie. 

p.  199-220,  496-5i8;  Chauvin,  L'inspiration  des  divines  Ecri- 
tures, Paris  1896  ;  Encore  l'inspiration  biblique,  dans  la 
Science  catholique,  mars  1900;  Calmes,  Qu'est-ce  que  l'Ecriture 
sainte  ?  Paris,  1899  ;  Zanecchia,  Divina  inspiratio,  S.  S.  ad 
mentem  S.  Thomx  Aquinatis,  Rome  1899  ;  Prat,  L'état  présent 
des  études  bibliques  en  France  ;  dans  les  Etudes,  1901,  t.  lxxxix, 
xg  ;  Mangenot,  art.  Inspiration  dans  le  Dict.  de  la  Bible  ; 
Billot,  De  inspiratione  S.  S.,  Rome,  1903;  Schiffini,  Divinitas 
Scripturarum,  Turin,  1905  ;  Pesch,  De  inspiratione  S.  S.,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1906. 

1.  II  Tint.,  m,  16.  —  a.  II  Petr.,  1,  ai. 


ï8o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


1°  Pendant  les  cinq  premiers  siècles 

i .  Au  temps  des  Apôtres.  —  A  titre  purement 
historique,  les  livres  du  Nouveau  Testament  suffi- 
sent à  établir  la  mission  divine  de  Jésus-Christ  et 
des  Apôtres  ;  ils  contiennent  aussi  le  témoignage 
formel  que  Notre  Soigneur  et  ses  disciples  ont  rendu 
à  l'origine  divine,  à  l'inspiration  des  livres  de 
l'Ancien  Testament.  Jésus,  en  effet,  pour  prouver 
la  divinité  de  sa  mission  et  sa  filiation  divine  en 
appelle  au  témoignage  de  Dieu  contenu  dans  l'An- 
cien Testament,  notamment  à  l'accomplissement 
des  prophéties  messianiques  qui  le  concernaient(i). 
Il  reconnaît  à  la  Loi  et  aux  Prophètes  une  autorité 
infaillible,  décisive,  découlant  de  ce  que  l'Ecriture, 
telle  que  la  connaissaient  ses  auditeurs  juifs,  est  la 
parole  même  de  Dieu.  Or,  les  juifs,  au  dire  de 
Josèphe  (2)  et  de  Philon  (3),  croyaient  à  l'inspira- 
tion des   prophètes,  c'est-à-dire  des   auteurs  sacrés. 

Les  Apôtres,  à  l'exemple  de  leur  Maître,  ont 
également  recouru  à  l'Ancien  Testament  comme  à 
une  autorité  irrécusable  et  divine  ;  car,  disent-ils, 
c'est  le  Saint-Esprit  qui  a  parlé  par  les  prophète?  (4). 

1.  Matth.,  xxiv,  i5,  24,  26,  27;  xxvi,  3i,  54;  Luc.,  iv,  21  ; 
xvin,  3i  ;  xxiv,  26,  27  ;  Joan.,  xin,  18.  Voir,  dans  le  décret 
Lamenlabili  sane  exitu,  les  prop.  xxvn,  xxvm,  xxx,  xxxv.  — 
2.  Cont.  Apion.,  1,  7.  —  3.  Vita  Mosis,  11. —  4-  Act.,  iv,  25;  xxvm, 
25,  26.  Le  protestant  Reuss  fait  les  aveux  suivants  :  «  Dans  la 
presque  totalité  des  écrits  chrétiens  du  premier  siècle,  on 
trouve  de  nombreuses  citations  de  passages  empruntés  aux 
Livres  sacrés  de  l'A.  T.,  et  ces  citations,  en  majeure  par- 
tie, servent  de  preuves  dogmatiques  à  un  enseignement 
positif.  »  Histoire  de  la  théologie,  3'  édit.,  Strasbourg,  1 864» 
p.  4io.  —  «  Quant  aux  théories  dogmatiques  qui  s'ap- 
pliquaient chez  les  juifs  à  ce  recueil  (de  l'A.  T.),  les  Apôtres 
n'y  ont  rien  changé.  Le  dogme  de  l'inspiration  des  prophètes, 
et  en  général  des  auteurs  sacrés,  avait  reçu  dans  les  écoles  tout 
le  développement  dont  il   était  susceptible.»  Ibid  ,  p.   &ii. 


HISTOIRE    DU    DOGME    DE    L'iNSPIRATION  l8l 

Saint  Pierre  enseigne  expressément  l'inspiration 
quand  il  exhorte  les  judéo-chrétiens  à  demeurer 
fermes  dans  la  foi  ;  car  la  foi  repose  sur  un  double 
témoignage  de  Dieu,  celui  que  le  Père  a  rendu  à  son 
Fils  à  la  transfiguration,  et  surtout  celui  des  Ecri- 
tures prophétiques,  <i  Ce  n'est  pas,  en  effet,  par  une 
volonté  d'homme  qu'une  prophétie  a  jamais  été 
apportée,  mais  c'est,  poussés  par  le  Saint-Esprit,  que 
les  saints  hommes  de  Dieu  ont  parlé  (i).  »  Saint 
Paul  de  même,  lorsqu'il  exhorte  son  disciple  Timo- 
thée  à  s'appuyer  sur  les  saintes  Lettres  qu'il  con- 
naissait depuis  son  enfance,  car  «  toute  Ecriture  est 
divinement  inspirée  (2)  ;  »  toute,  au  sens  distributif 
comme  au  sens  collectif,  c'est-à-dire  dans  toutes  ses 
parties,  dans  tout  son  contenu.  —  L'un  et  l'autre 
ont  aussi  rendu  témoignage  à  quelques  livres  du 
Nouveau  Testament  :  Pierre,  en  mettant  les  Epîtres 
de  saint  Paul  au  rang  des  Ecritures  (3)  ;  Paul,  en 
citant  comme  Ecriture,  à  côté  d'un  passage  du  Deu- 
téronome  (4),  un  passage  de  l'Evangile  de  saint 
Luc  (5). 

2.  Les  premiers   Pères. —  Les  Pères  de  l'E- 

«  On  pouvait  se  contenter  d'en  appeler  à  l'Ecriture  d'une  ma- 
nière abstraite  et  générale,  ou  plutôt  c'était  une  conséquence 
naturelle  du  principe  dogmatique  d'en  parler  comme  d'une 
autorité  unique,  continue,  organique  et  personnelle.  »  \b'ul., 
p.  k «2.  «  Les  apôtres  et  leurs  disciples  se  trouvaient  en  pos- 
session d'une  clef  nouvelle  qui  leur  permettait  de  résoudre  les 
hiéroglyphes  de  la  prophétie.  Ils  avaient  reçu  des  révélations 
plus  complètes  sur  le  royaume  de  Dieu,  ses  destinées  et  ses 
lois,  et  avec  ce  moyen  ils  déchiffraient  plus  facilement  le  sens 
d'une  lettre,  ou  imparfaitement  comprise  jusqu'à  eux,  ou  né- 
glii:  c  tout  à  fait  par  la  théologie  (de  la  synagogue).  »  Ibid., 
p.  4i3. 

1.  II  PeÈr.,  1,  1G-21.  —  2.  II   77m.,    m,    16.   —  3.  II   Pelr., 
m.  1 5-i 0.  —  4.  Dcut.,  xxv,  24.  —  5.  Luc,  x,  7  ;  I  Tim.,  \,  18. 


e 


l82  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

glise  ont  cité  les  écrits  du  Nouveau  Testament  au 
même  titre  que  ceux  de  l'Ancien,  en  affirmant  leur 
autorité  et  leur  origine  divines.  Nulle  difficulté 
pour  l'Ancien  Testament;  on  est  d'accord  pour 
reconnaître  que  l'Eglise  a  reçu  des  juifs  leurs  livres 
sacrés.  Mais,  tout  en  citant  les  livres  de  l'Ancien 
Testament,  les  Pères  apostoliques  (i)  contiennent, 
Soit  des  allusions,  soit  des  citations  presque  tex- 
tuelles, empruntées  au  Nouveau,  sans  référence  et 
sans  nom  d'auteur.  Toutefois  Barnabe  cite  un  texte 
de  saint  Matthieu  comme  Ecriture,  e5ç  vévpa7CTai  (2). 
La  Didaché  parle  de  l'Evangile  comme  d'une  col- 
lection connue  (3).  Saint  Ignace  compare  l'Evangile 
et  les  Apôtres  à  la  Loi  et  aux  Prophètes  et  leur 
reconnaît  une  autorité  semblable  (4).  Ainsi  donc  le 
fait  de  l'inspiration  est  reconnu,  mais  la  question 
de  sa  nature  n'est  pas  abordée. 

Il  en  est  autrement  avec  les  Apologistes  (5). 
Ceux-ci,  en  effet,  ne  se  contentent  pas  de  citer 
l'Ancien  Testament,  ils  citent  encore  le  Nouveau. 
Saint  Justin  (6),  par  exemple,  raconte  que  les 
Mémoires  des  Apôtres  sont  lus,  le  dimanche,  à  l'as- 
semblée des  fidèles  avec  le  même  respect  et  le  même 
honneur  que  les  écrits  des  Prophètes  (7).  En  outre 
les  Apologistes  essayent  d'expliquer  l'inspiration. 
Pour  saint  Justin,  si  les  Livres  sacrés  diffèrent  des 
livres  humains  en  ce  qu'ils  ne  renferment  ni 
erreur  ni  contradiction,  c'est  parce  qu'ils  sont  ins- 
pirés (8).   La  prophétie  est  un  don  divin  (9);   les 

1.  Voir  notre  article  Pères  apostoliques ,  dans  le  Dict.  de 
Théol.  —  a.  Barn.,  rv,  i4;  édit.  Funk,  p.  12.  —  3.  Didaché, 
xv,  3,  4;  édit.,  Funk,  1887,  p.  44-46.  —  4.  Phil,  v,  1,  a  ;  vin, 
tx;  Smyr.,  v,  1,  édit.,  Funk,  p.  aa8,  a3o-a3a,  a38.  —  5.  Voir 
notre  article  Pères  apologistes,  dans  le  Dict.  de  Théol.  —  6.  ApoU, 
I,  67;  Patr.  gr.,  t.  vi,  col.  429.  —  7.  Cf.  Apol.t  I,  28  ;  col.  37a. 
-<-  8.  Goh.  ad  Grsec.,  8  ;  col.  a56-a57.  —  9.  ApoU,  I,  la  ;  col, 
345, 


HISTOIRE    DU    DOGME    DE    i/lNSPIRATION  l83 

Prophètes  ont  été  inspirés  par  le  Saint-Esprit  (i). 
Tout  livre  de  l'Ancien  Testament,  en  particulier, 
est  prophétique,  et  tout  auteur  sacré  est  Prophète  (2). 
Les  livres  historiques  eux-mêmes  ont  été  écrits  sous 
l'inspiration  prophétique  (3).  L'auteur  sacré  est 
entre  les  mains  du  Saint-Esprit  comme  la  cithare 
sous  la  main  du  harpiste  (4)  :  mais  il  reste  un  ins- 
trument conscient,  et  non  mécanique  ;  car,  à  la  dif- 
férence des  sibylles  et  des  devins,  il  comprend  et 
retient,  même  après  avoir  été  ravi  en  extase,  la 
révélation  divine  (5). 

3.  Contre  les  hérétiques.  —  Quand  les  gnosll- 
ques  attaquent  l'Ecriture,  l'accusant  d'erreur  ou  de 
désaccord,  Irénée  et  Tcrlullien  protestent.  L'évêque 
de  Lyon  estime  que  l'Ecriture  est  parfaite,  parce 
qu'elle  a  été  dictée  par  le  Verbe  de  Dieu  ou  par 
l'Esprit-Saint  (G).  Il  en  appelle  aux  Apôtres  qui, 
remplis  de  l'Esprit-Saint,  ont  enseigné  oralement 
et  par  écrit  que  Dieu  est  l'auteur  des  deux  Testa- 
ments  (7).  Il  reproche  aux  gnostiques  de  résister 

t 

1.  Apol,  I,  3i-33,  35,  39,   4o;  col.  376,  377,  38i,  384.  388, 

389;  cf.  Delitzsch,  De  inspiratlone  S.  S.  quid  statuerint  Paires 
apostolici  et  apologetœ  secundi  sœculi,  Leipzig,  1872,  p.  38-4i. 
1 —  2.  Coh.ad  Grœc.,  9,  11,  18  ;  Apol.,  I,  32,  54.  5g;  col.  257, 
261,  264,  293,  377,  409,  4i6.  —  3.  Coh.  ad  Grœc.,  35;  col. 
3o4.  Parce  qu'elle  ne  peut  avoir  qu'une  origine  divine, 
Justin  appelle  la  preuve  par  les  prophéties,  ueyiSTav  xal 
àXYiOeaTàTTqv  à7r68si;tv  Apoc.,  I,  3o  ;  col.  373.  Même  manière 
de  voir  dans  Tatien,  son  disciple,  dans  Athénagore.  S.  Théo- 
phile d'Antioche  presse  Autolycus  de  se  convertir  pour 
éviter  les  supplices  éternels  prédits  par  les  prophètes,  Ad 
AutoL,  1,  14  ;  col.  io45;  il  dit  que  les  prophètes,  mus  par  le 
même  esprit  qui  est  l'Esprit  de  Dieu,  annoncent  la  vérité 
sans  mélange  d'erreur;  Ad  AutoL,  11,  9,  35;  col.  1064,  1109. 
—  4-  Coh.  ad  Grœc.,  8  ;  col.  256-257.  —  5.  Ibid.,  37  ;  col. 
.3o8-3og.  —  6.  Adv.  hœr.,  II,  xxvm,  2,  3  ;  Pair.  gr.>  t.  vu,  col. 
8o4-  —  7.  Ibid.,  J1I,  1,  2  ;  coi.  844.  sq. 


l84  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

au  Saint-Esprit  qui  parle  dans  l'Ecriture  (i).  —  A 
Rome,  Caïus  dit  de  ceux  qui  osent  altérer  les  Ecri- 
tures :  «  Ou  bien,  ils  ne  croient  pas  que  les  saintes 
Ecritures  ont  été  dictées  par  le  Saint-Esprit,  et  ils 
sont  des  infidèles;  ou  bien,  ils  s'estiment  plus  sages 
que  le  Saint-Esprit,  et  ils  sont  des  démoniaques  (2).» 
—  A  Carthage,  Tertullien  appelle  les  Livres  saints 
la  parole  de  Dieu  (3).  Il  dit  que  l'Eglise  les 
regarde,  à  cause  de  leur  origine  divine,  comme  la 
règle  de  foi,  qu'elle  les  révère  et  leur  obéit,  tandis 
que  les  gnostiques  les  corrompent  ou  les  mu- 
tilent (4). 

Lorsque,  à  la  fin  du  second  siècle,  les  montanistes 
essayent  d'imposer  leur  théorie  du  Paraclet  et  un 
troisième  Testament,  les  évêques  s'assemblent,  dé- 
libèrent et  condamnent.  Ces  exaltés,  hommes  et 
femmes,  troublaient  par  leurs  scènes  de  désordre 
certains  cantons  d'Asie  ;  ils  parlaient  «  en  extase,  » 
dans  des  accès  de  frénésie.  Entre  autres  erreurs,  on 
dut  condamner  leurs  théories  d'une  révélation  nou- 
velle, en  déclarant  que  l'ère  des  révélations  divines 
et  publkmes  était  close  depuis  les  Apôtres  et  que 
leurs  prétentions  prophétiques  étaient  illusoires  (5). 

4.   Parmi   les    Pères  grecs.  —  A  Alexandrie. 

1.  Ibid.,  III,  vi,  1,  5;  col.  861,  864.  S.  Hippolyte  pense 
comme  Irénée,  De  Christo  et  Antichristo,  48,  58  ;  Pair.  gr., 
t.  x,  col.  765,  777.  —  2.  Eusèbe,  Hlst.  eccl.,  v,  28;  Patr.  gr., 
t.  xx,  col.  517.  —  3.  Apolog.,  3i  ;  Patr.  lai.,  t.  1,  col.  446.  — 
4.  De  prœscr.,  37-39  ;  Patr.  lat.,  t.  11,  col.  5o-53.  —  5.  Ter* 
tullien,  De  anima,  9  ;  De  resar.  car.,  11,  63;  Patr.  lat.,  t.  11, 
col.  65g,  809,  886;  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  v,  16-17;  Pair.  gr.% 
t.  xx,  col.  466,  sq.  L'Anonyme  d'Eusèbe,  Apollinaire  d'Hiéra- 
polis,  Zotique  de  Comane,  Julien  d'Appamée,  le  rhéteur 
Miltiade,  traitent  les  manifestations  montanistes  d'extravagan- 
ces et  de  pseudo-prophéties.  Saint  Epiphane  les  qualifie  do 
folies,  Hœr.,  xlviii;  Patr.  gr.,  t.  xli,  col.  858. 


HISTOIRE    DU    DOGME    DE    i/lNSPIRATION  l85 

Clément  d'Alexandrie  a  pris  à  tâche  de  convertir 
les  grecs  au  Christ  qui  a  parlé  par  les  Prophètes  (i). 
C'est  L'Esprit-Saint,  dit-il,  qui  a  parlé  par  leur  bou- 
che (2),  et  c'est  le  même  Pédagogue  qui  enseigne, 
quoique  diversement,  dans  les  deux  Testaments  (3). 
Contre  Basilide  et  Valentin,  il  prouve  que  Dieu  est 
l'auteur  des  deux  Testaments,  qu'il  n'y  a  qu'une 
seule  foi,  fondée  sur  les  prophéties  et  achevée  dans 
l'Evangile  (4).  Il  proclame  l'Ecriture  comme  la 
règle  suprême  du  vrai  parce  qu'elle  est  inspirée  de 
Dieu  (5). 

A  sa  suite,  Origène  prouve  l'inspiration  des  Ecri- 
tures par  l'accomplissement  des  prophéties  messia- 
niques :  l'avènement  de  Jésus-Christ  est  la  preuve 
irréfragable  de  la  divinité  des  Livres  de  l'Ancien 
Testament  (6).  Tel  est  son  principe:  il  s'en  sert 
pour  réfuter  Apelle,  surtout  Celse.  Moïse  a  parlé  ou 
écrit  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit.  Les  Juifs 
croyaient  avec  raison  que  leurs  prophètes  avaient 
été  inspirés  et  ils  joignaient  leurs  livres  aux  livres 
sacrés  de  Moïse  (7).  Les  chrétiens  partagent,  sur  ce 
point,  la  foi  des  juifs  (8),  et  la  foi  des  chrétiens 
n'est  nullement  aveugle;  car  l'Esprit-Saint,  qui  a 
inspiré  la  doctrine  chétienne,  l'a  appuyée  par  des 
prophéties  et  des  miracles  (9).  Origène  exagéra 
l'extension  de  l'inspiration  (10). 

1.  Coh.  ad  Grœc,  1;  Pair,  gr.,  t.  vin,  col.  64.  —  2.  Ibid.,  S, 
9,  col.  188,  193.  —  3.  Pedag.,  1,  7,  11;  col.  33o,  365.  — • 
4.  Strom.,  11,  6;  iv,  1;  col.  964,  1216.  —  5.  Il  professe  aussi 
que    sous  la  lettre  se  cache   un   sens  allégorique   multiple. 

—  6.  De  princ,  iv,  6;  Patr.  gr.,  t.,  xi  col.  352-353  ;  cf.  Zôllig, 
Die  Inspirationslehre  des  Origenes,  Fribourg-en-Brisgau, 
1902,  p.  7-15.  —  7.  Cont.  Cels.,  1,  43  ;  m,  2,  3  ;  col.  741,  921, 
925.  — 8.  Cont.  Cels.,  1,  45;  m,  4;  v,  Co  ;  col.   744,  925,    127G. 

—  9.  Cont.  Cels.,  1,  2,  5o  ;  col.  C56,  753.  —  10.  Origène  distin- 
gue aussi  plusieurs  sens  et  marque  la  tendance  de  l'école 
d'Alexandrie  à  exagérer  l'allégorisme. 


l86  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  i  i      i^aa 

Au  ive  siècle,  saint  Atbanase  croit  au  Saint- 
Esprit  «  qui  a  parlé  dans  la  Loi,  dans  les  Prophètes 
et  dans  les  Evangiles  (i).  »  Didyme  proclame  le 
principe  de  saint  Paul  que  toute  Ecriture  est  ins- 
pirée et  en  conclut  contre  les  Macédoniens  que  le 
Saint-Esprit  est  Dieu  (2).  Il  réfute  aussi  les  mon- 
tanistes  et  soutient  que,  dans  l'extase,  les  prophètes 
comprenaient  ce  que  Dieu  leur  manifestait  (3). 

A  Jérusalem,  saint  Cyrille  prouve  les  dogmes 
qu'il  expose  dans  ses  Catéchèses  par  les  Ecritures 
inspirées  de  Dieu  ;  car  Dieu  a  enseigné  les  hommes 
dans  les  deux  Testaments  (l\).  Le  Saint-Esprit,  dit- 
il,  a  parlé  par  les  prophètes  et  les  apôtres  (5)  ; 
ravis  en  extase,  ils  étaient  inondés  de  la  lumière  du 
Saint-Esprit  et  voyaient  des  choses  qu'ils  ne  con- 
naissaient pas  auparavant  (6). 

A  Vécole  d'Antioche,  c'est  le  même  enseignement 
sur  le  fait  de  l'inspiration.  Citons  seulement  saint 
Ghrysoslome.  Pour  lui,  saint  Matthieu  a  écrit  son 
Evangile,  «  étant  rempli  du  Saint-Esprit  (7);  »  saint 
Jean  parlait  par  le  mouvement  de  la  grâce  divine, 
et  son  âme  était  comme  une  lyre  touchée  par 
l'Esprit-Saint  (8)  ;  Paul  était  «  la  bouche  du  Christ,  » 
i<  la  lyre  de  l'Esprit  (9)  ;  »  sa  voix  une  trompette 
céleste,  une  lyre  spirituelle  (10).  Mais  noublionspas 
que  l'école  d'Antioche  s'en  est  tenue  à  l'interpré- 
tation littérale  de  la  Bible  ;  Théodoret  de  Cyr  et 
Chrysostome  avec  sagesse,  sans  exclure  le  sens 
allégorique  quand  il  s'impose;   mais  d'autres  avec 

1.  In  symb.  ;  Pair,  gr.,  t.  xxvi,  col.  i23a.  —  a.  De  Triait.,  n, 
10  ;  Pair,  gr.,  t.  xxxix,  col.  644-645.  —  3.  In  Act.  Ap.,  x,  10; 
col.  1677.  —  4.  Cal.,  iv;  Pair,  gr.,  t.  xxxm,  col.  4q3,  496.  — 
5.  Cat.,  xvi,  2-4;  ibid.,  col.  920-921.  —  6.  CaL,  xvi,  16-18; 
ibid.,  col.  941,  944.  —  7-  In  Matth.,  hom.  1,  1,8;  Pair.  gr..  t. 
Lvn,  col.  i5,  24.  —  8.  In  Joan,,  hom.,  1,  1-2;  t.  lix,  col.  25, 
36.  —  9.  De  Lazaro,  vi,  9;  t.  xlviii,  col.  io4i.  —  10.  Ad  pop. 
Antioch.,  hom.,  1,  1  ;  t.  xlix,  col.  i5. 


.  HISTOIRE    DU    DOGME    DE    i/lNSPIRATION  187 

moins  de  réserve,  au  point  de  prêter  à  croire  qu'il 
n'y  a  qu'un  sens  dans  l'Ecriture. 

Inutile  de  rapporter  les  témoignages  des  Pères 
cappadociens,  ce  serait  tomber  dans  des  redites. 
Constatons  cependant  qu'en  38  r,  au  second  con- 
cile œcuménique,  les  Pères  de  Gonstantinople  ont 
traduit  la  foi  de  l'Eglise  en  introduisant  dans  le 
symbole  cette  expression  caractérisque,  relative  au 
Saint-Esprit:  Qui  a  parlé  par  les  Prophètes.  Et  cons- 
tatons aussi  que  si  le  fait  de  l'inspiration  est  si  fer- 
mement affirmé,  les  Pères  grecs  ne  nous  offrent 
pas  une  théorie  proprement  dite  sur  la  nature  de 
l'inspiration,  mais  à  peine  quelques  traits,  quelques 
expressions  qui  pourront  être  utilisés. 

5.  Parmi  les  Pères  latins.  —  Saint  Hilaire  de 
Poitiers  sait  bien  que  le  recueil  des  Ecritures,  qui 
comprend  la  Loi  et  les  Prophètes,  a  été  écrit  de 
main  d'homme,  mais  il  sait  aussi  qu'il  est  une  œu- 
vre divine,  car  c'est  l'Esprit  de  Dieu  qui  a  inspiré 
les  écrivains  sacrés  de  l'Ancien  Testament  (i).  A 
plusieurs  reprises,  il  réfute  les  Ariens  qui  cher- 
chaient à  mettre  les  prophètes  en  opposition  avec 
les  évangélistes  et  les  apôtres,  en  montrant  l'accord 
de  deux  Testaments,  qui  ont  le  même  Dieu  et  le 
même  Esprit  (2).  Saint  Ambroise  fait  comme 
Didyme,  il  prouve  la  divinité  du  Saint-Esprit,  parce 
qu'il  a  inspiré  l'Ecriture  (3),  et  il  affirme  que  c'est 
le  même  Esprit  de  vérité  qui  a  inspiré  les  prophètes 
et  les  apôtres  (4). 

Saint  Jérôme  ne  cesse  d'insister  sur  l'inspiratior. 
de  l'Ecriture.  Il  n'est  «  ni  assez  sot  ni  assez  rusti- 
que pour  penser  qu'aucune  parole  de  Notre  Sei- 

1.  Libellas  ;  Patr.  lat.,  t.  x,  col.  733,  753-754.  —  2.  De  TrU 
nit.,  m,  3a  ;  col.  73.  —  3.  De  Spir.  S.,  m,  11a  ;  Pair,  lat.,  t. 
xvi,  col.  8o3.  —  4.  De  Spir.  S.,  1,  4t  n.  55,  60;  col.  718,  719* 


l88  x.E    CATÉCHISME    ROMAIN 

gneur,  rapportée  dans  l'Evangile,  ne  soit  divinement 
inspirée  (i).  Même  le  billet  à  Philémon  lui  paraît 
digne  du  Saint-Esprit,  qui  a  suggéré  tout  ce  qui  est 
écrit  (2).  Contrairement  au  rêve  des  montanis- 
tes,  il  croit  que  les  prophètes  n'étaient  pas  privés 
de  sentiment,  mais  qu'ils  comprenaient  ce  qu'ils 
disaient  et  restaient  libres  de  parler  ou  de  se 
taire  (3).  Il  estime  que  l'écrivain  sacré  est  un  ins- 
trument animé,  à  même  par  conséquent  de  choisir 
des  expressions,  quand  elles  n'altèrent  pas  le  sens 
voulu  par  Dieu,  et  de  donner  à  sa  rédaction  un 
cachet  distinctif  et  un  caractère  personnel.  Il  est 
regrettable  que  l'illustre  exégète  n'ait  point  formulé 
une  théorie  de  l'inspiration. 

Point  de  théorie  arrêtée  non  plus  dans  saint 
Augustin.  L'évèque  d'Hippone  considère  les  Livres 
saints  comme  des  lettres  écrites  par  Dieu  aux  hom- 
mes. C'est  l'esprit  de  Dieu  qui  parle  par  la  bouche  des 
Prophètes  et  conduit  la  plume  des  Apôtres  (4)  ;  c'est  lui 
qui  meut  l'esprit  des  écrivains  sacrés  de  manière  à  leur 
rappeler  touche  chose  et  à  leur  inspirer  de  l'écrire  (5). 
En  conséquence,  tout  ce  qui  s'appuie  clairement 
sur  l'Ecriture  doit  être  cru  sans  hésitation  ;  dans  le 
cas  d'une  difficulté,  contradiction  ou  erreur  appa- 
rente, il  pose  en  règle  :  aut  codex  mendosus  est,  aut 
interpres  erravit,  aut  tu  non  inlelligis  (6).  En  tout 
cas,  le  dernier  mot  doit  rester  à  la  foi  catholique, 
c'est-à-dire  à  l'Eglise  (7). 

1.  Epist.,  xxvii,  1  ;  Pair,  lat.,  t.  xxn,  col.  43 1.  —  2.  In  ep.  ad 
PhiL,  prolog.;  t.  xxvi,  col.  599-602.  —  3.  In  Is.,  ix,  29  ;  t.  xxiv, 
col.  33a.  —  4-  De  doct.  christ.,  11,  6  ;  m,  27.  —  5.  De  conc. 
Evang.,  n,  12,  29  ;  11,  20,  5i  ;  Pair,  lat.,  t.  xxxiv,  col.  1091, 1102. 
—  6.  Cont.  Faust,  man.,  xi,  5  ;  Pair,  lat.,  t.  xlii,  col.  2^9.  — 
7.  De  Gen.  lib.  imp.,  1,  1  ;  Pair,  lat.,  t.  xxxiv,  col.  220  ;  cf. 
Coni.  epist.  Manich.,  \,  5.  S.  Augustin  admit  à  tort  la  pluralité 
des  sens  littéraux  et  exagéra  l'autorité  des  Septante,  en  les 
regardant  comme  inspirés 


HISTOIRE    DU    DOGME    DE    L'iXSPIRATION  189 

Saint  Grégoire  le  Grand  juge  inutile  la  question 
de  savoir  qui  a  écrit  tel  ou  tel  livre,  du  moment 
qu'on  croit  que  c'est  L'Esprit-Saint  qui  en  est  l'au- 
teur (i).  A  quoi  bon  s'occuper  de  la  plume  qui  a 
rédigé  la  lettre,  quand  on  sait  d'où  vient  cette  let- 
tre? Poussé  à  l'extrême,  ce  principe  exagérerait 
l'élément  divin  de  l'inspiration,  car  l'homme,  bien 
que  mû  par  Dieu,  reste  un  instrument  libre  et 
conscient. 

En  résumé,  d'après  le  témoignage  des  Pères,  la 
tradition  est  très  ferme  sur  la  croyance  au  fait  de 
l'inspiration.  Dieu  est  l'auteur  de  l'Ecriture  ;  l'Ecri- 
ture est  la  parole  de  Dieu,  elle  possède  une  indiscu- 
table autorité.  D'autre  part,  nous  savons  qu'elle  a 
été  donnée  à  l'Eglise  comme  un  dépôt  et  que  c'est  à 
l'Eglise  qu'il  appartient  de  décider  quels  sont  les 
livres  canoniques.  Mais  la  nature  de  l'inspiration 
n'a  pas  été  déterminée.  En  disant  que  le  Saint- 
Esprit  a  parlé,  qu'il  a  dicté,  que  les  prophètes  sont 
des  théodidactes  (2),  des  organes,  des  instruments, 
des  lyres,  les  Pères  signalent  sans  doute  quelques- 
uns  des  éléments  constitutifs  de  l'inspiration,  mais 
ils  ne  précisent  pas  les  rapports  intimes  entre  la 
motion  divine  et  l'activité  humaine;  ils  semblent 
même,  par  leurs  expressions  et  leurs  comparaisons, 
exagérer  l'action  de  Dieu  au  détriment  du  concours 
de  l'homme  ;  des  précisions  sont  nécessaires.  La 
scolastique  les  a-t-elle  faites  ? 

2°  Au  Moyen  Age 

1.  Travail  de  compilation.  —  L'époque  qui  suit 

1.  «  Ipse  igitur  ha?c  scripsit,  qui  scrihenda  dictavit;  Ipse 
scripsit  qui  in  illius  opéra  inspiralor  exslitit.  »  In  Job,  prœf,  1  ; 
Pair.  lat.y  t.  lxxv,  col.  5i5  sq.  —  2.  Expression  de  Théophilo 
d'Ànlioche,  Ad  Aaioi,  11,  9,  10;  m,  a3.  > 


IQ0  LE    CATECHISME    ROMAIN 

immédiatement  la  période  patristique  comprend 
surtout  des  compilateurs;  c'est  le  cas.  notamment, 
pour  la  question  qui  nous  occupe  (i).  Grâce  à  eux, 
les  trésors  antiques  de  la  littérature  chrétienne  sont 
recueillis,  conservés  et  transmis.  A  défaut  d'initia- 
tive personnelle  et  d'originalité,  ils  ont  eu  le  mérite 
de  conserver  la  tradition.  Les  uns,  à  la  suite  du  pape 
saint  Grégoire,  se  préoccupent  peu  des  auteurs 
humains  des  Livres  sacrés  ;  exagérant  plutôt  l'ins- 
piration, ils  cherchent  surtout  à  approfondir  l'Ecri- 
ture ;  les  autres,  subissant  l'influence  de  saint 
Augustin,  s'appliquent  à  distinguer  méticuleuse- 
ment  les  divers  sens  qui  se  cachent  sous  la  lettre  du 
texte  sacré  ;  mais  ni  les  uns  ni  les  autres  n'abor- 
dent le  problème  proprement  dit  de  l'inspiration. 
Il  en  est  de  même,  au  début  de  la  scolastique  :  ni 
Hugues  de  saint  Victor,  ni  les  auteurs  des  livres 
des  Sentences,  Rolland,  Robert  Pull  ou  Pierre  Lom- 
bard, quand  ils  traitent  de  l'Ecriture  et  des  écri- 
vains sacrés,  ne  tentent  de  l'examiner. 

2.  Premiers  essais.  —  Dans  l'école  francis- 
caine, Alexandre  de  Halès  insiste,  au  commence- 
ment de  la  Somme,  sur  l'origine  divine  des  Ecritures  ; 
saint  Bonaventure  pareillement,  dans  son  Brevilo- 
quium  et  son  Hexameron.  En  cela,  ils  restent  fidèles 
à  la  tradition  ;  l'inspiration  ne  fait  doute  pour  per- 
sonne. Mais  quelle  est  la  part  de  Dieu,  quelle  est 
celle  qui  revient  à  l'écrivain,  voilà  ce  qu'ils  ne 
isent  pas.  Duns  Scot  (2)  parle  seulement  de  l'aide 
spéciale,  de  la  lumière  surnaturelle,  qui  donnait  à 


1.  Cf.  Cassiodore,  De  institut,  divin,  litter arum  ;  Pair,  lat., 
t.  lxx,  col.  no5  sq.  ;  S.  Isidore  de  Séville,  Etymologiarum, 
Patr.  lat.,  t.  lxxxii,  col.  73  sq.  ;  les  œuvres  deBède,  d'Agobard, 
de  Raban  Maur,  etc.  —  2.  In  I  Sent.,  Q.  u,  n.  3. 


HISTOIRE    DU    DOGME   DE    L  INSPIRATION  19I 

l'hagiographe  la  certitude  des  vérités  qu'il  avait  à 
écrire  et  à  communiquer,  et  c'est  tout. 

Dans  l'école  dominicaine,  Albert  le  Grand  ensei- 
gne de  combien  de  manières  les  choses  divines  peu- 
vent être  perçues  par  l'homme  (i).  Ce  premier  coup 
d'œil,  jeté  sur  la  nature  de  l'inspiration,  y  découvre 
presque  tout  ce  qui  appartient  à  ce  concept.  Il  ne 
reste  plus  qu'à  développer  et  à  préciser  :  ce  fut  le 
rôle  de  saint  Thomas  qui,  pour  longtemps,  imposa 
sa  doctrine  sur  l'inspiration. 

3.  Doctrine  de  saint  Thomas.  —  L'Ange  de 
l'école,  dans  la  Somme,  ne  s'attarde  pas  à  prouver 
le  dogme  de  l'inspiration  ;  il  préfère  analyser  son 
concept,  mais  il  le  ramène,  comme  les  Pères,  à 
celui  de  prophétie,  entendue  au  sens  large  (2),  c'est-* 
à-dire  à  celui  d'une  connaissance  surnaturelle  et 
transitoire,  que  son  objet  en  soit  présent,  passé  ou 
futur,  par  mode*  de  vision  sensible,  imaginaire  ou 
intellectuelle,  sans  que  l'écrivain  distingue  toujours 
nécessairement  s'il  agit  spontanément  ou  sous  la 
motion  divine  (3).  La  part  de  Dieu,  c'est  une  illumi- 
nation et  une  motion  surnaturelle,  l'une  qui  va  à 
éclairer  l'esprit  de  l'écrivain  sacré,  l'autre  qui 
pousse  sa  volonté  à  parler  ou  à  écrire.  Mais,  ail- 
leurs, saint  Thomas  a  formulé  sa  pensée  d'une 
manière  précise  et  décisive,  quand  il  a  dit  :  Le 
Saint-Esprit  est  l'auteur  principal  de  l'Ecriture,, 
l'homme  en  a  été  l'auteur  instrumental  (4).  C'est, 
en  effet,  dans  la  notion  et  la  distinction  de  cause,  de 
cause  principale  et  de  cause  instrumentale,  telle 
qu'il  la  fait  connaître  au  sujet  des  sacrements,  que 
se  trouve  le  principe  lumineux  et  fécond  qui  per- 

1.  Dans  son  commentaire  de  l'Evangile  de  saint  Jean.  : — 
2.  Sum.  theol.  lla  llœ,  Q.  clxxc.  clxxv.  —  3.  II*  II*,  Q.clxxiii^ 
a.  4-  —  4-  Quodl.,  vu,  a.  \[\,  ai  5.  > 


192  LE    CATECHISME    ROMAIN 

met  d'entrevoir,  dans  le  concept  de  l'inspiration,  la 
part  qui  appartient  à  Dieu  et  celle  qui  revient  à 
l'homme.  L'homme  n'est  pas  uniquement  un  ins- 
trument passif,  il  agit  personnellement  et  librement, 
mais  en  vertu  du  mouvement  ou  de  l'inspiration 
dont  Dieu,  agent  principal,  le  meut.  Et  par  là,  le 
livre  inspiré,  est  tout  entier  de  Dieu,  comme  de  son 
auteur  principal,  et  tout  entier  de  l'homme,  comme 
de  son  auteur  instrumental.  Là,  croyons-nous,  est 
la  véritable  solution  du  problème  si  agité  dans  ces 
derniers  temps  de  la  nature  de  l'inspiration. 

3°   Depuis  le   Concile  de  Trente 

Jusqu'au  xvie  siècle,  les  actes  officiels  de  l'Eglise 
s'étaient  bornés  à  affirmer  que  Dieu  est  l'auteur  des 
Livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  (1). 
Eugène  IV  (2)  en  donne  pour  raison  que  les  saints 
des  deux  Testaments  ont  parlé  sous  l'inspiration  du 
Saint-Esprit,  et  il  ajoute  que  c'est  à  cause  de  cela 
que  l'Eglise  reçoit  et  vénère  les  livres  dont  il  fait 
l'énumération  complète.  Le  concile  de  Trente,  nous 
l'avons  vu,  consacre  par  une  définition  solennelle 
la  croyance  de  l'Eglise  à  l'inspiration,  mais  sans 
faire  connaître  la  nature  de  ce  charisme.  Or,  depuis 
le  xvi°  siècle,  protestants  et  catholiques  ont  abordé 
ce  problème  si  délicat,  et  nous  allons  rapporter 
brièvement  l'histoire  des  solutions  qu'on  lui  a  don- 
nées. 

1.  Chez  les  Protestants.  —  A  rejeter  l'auto- 
rité de  la  tradition  et  la  règle  extérieure  de  la  foi, 
les    protestants    durent    concentrer    leurs    efforts 

1.  Cf.  les  Professions  de  foi  de  Léon  IX,  d'Innocent  III,  de 
Clément  IV,  Denzinger,  n.  296,  367,  386.  —  2.  Denzinger,  n. 
€00. 


\     l'inspiration  d'après  les  protestants        193 

pour  sauvegarder  l'autorité  de  la  Bible.  Aux  débuts 
même  de  la  Réforme,  ils  allèrent  beaucoup  plus 
loin  que  les  catholiques,  jusqu'à  déclarer  inspirés 
les  mots,  les  accents  et  les  points  voyelles  (1). 
Mais  tout  excès  appelle  un  excès  opposé  ;  et,  grâce 
au  rationalisme,  l'évolution,  dans  le  sens  de  la 
négation,  a  été  rapide  et  significative.  On  a  fait 
tour  à  tour  appel  aux  critères  internes,  à  l'action 
intime  du  Saint-Esprit,  à  la  méthode  historique, 
mais  sans  réussir,  ou  parce  que  ces  critères  sont 
manifestement  insuffisants,  ou  parce  que  cette 
méthode  se  borne  à  constater  des  faits  sans  en 
rechercher  la  vraie  cause.  Bref  on  a  abouti  partout  à 
de  telles  divergences  de  vues  qu'un  vaste  et  carac- 
téristique chapitre  peut  s'ajouter  sans  peine  à  la 
célèbre  Histoire  des  Variations  de  Bossuet.  Les  ratio- 

1.  «  La  Réforme,  écrit  M.  Sabatier,  a  eu  pour  les  destinées 
du  canon  biblique  deux  conséquences  à  peu  près  contraires. 
D'abord,  comme  elle  en  a  fait  la  source  et  la  règle  unique  de 
la  vérité,  elle  a  eu  pour  effet  de  donner  au  dogme  théologique 
du  canon  une  importance  beaucoup  plus  grande  ;  elle  en  a 
consacré  l'autorité  souveraine  par  la  théorie  de  la  théopneustie 
absolue,  et  l'a,  pour  ainsi  parler,  divinisé.  Mais,  d'un  autre 
côté,  en  l'opposant  d'une  façon  absolue  à  l'Eglise  et  à  la  tradi- 
tion, elle  lui  a  enlevé  sa  base  historique  et  séculaire,  et  a  ouvert 
la  porte  aux  appréciations  subjectives  et  à  la  critique.  Plus  les 
réformateurs  exaltaient  le  rôle  et  l'autorité  des  écrits  sacrés, 
plus  il  était  nécessaire  de  savoir  quels  étaient  ces  écrits  et  de 
les  distinguer  de  ceux  qui  ne  peuvent  prétendre  à  ce  haut 
caractère.  A  quel  critère  les  reconnaîtra-t-on  ?  Faudra-t-il  sur 
ce  point  capital  s'en  remettre  à  l'autorité  de  l'Eglise  ou  de  la 
tradition  qu'on  récuse  en  tout  le  reste  ?  Ni  Luther,  ni  Zwingle, 
ni  Calvin  n'ont  voulu  y  consentir,  et  sur  ce  point  les  témoi- 
gnages des  Pères  de  la  Réforme  sont  unanimes.  La  confession 
de  foi  helvétique  même  regarde  comme  un  blasphème  de  dire 
que  l'Ecriture,  pour  avoir  son  autorité,  a  besoin  d'être  garan- 
tie par  l'Eglise.  Dès  lors,  il  fallait  chercher  un  autre  critère  aux 
livres  canoniques.  »  Article  Canon  du  N.  T.,  dans  Y  Encyclopé- 
die des  sciences  religieuses,  t.  11,  p.  60a. 

LE    CATÉCHISME.    —  T.    III.  1} 


TQ4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

~™»~^— ■— —  — ^— * 

nalistcs  purs  d'aujourd'hui,  tels  que  Harnack, 
n'aid mettent  aucun  fait  surnaturel,  ni  révélation,  ni 
inspiration,  ni  assistance  :  pour  eux,  les  livres  de  la 
Bible  ont  été  réputés  divins,  mais  à  tort,  car  ce  sont 
des  livres  comme  les  autres.  Les  semi-rationalistes, 
dans  le  genre  de  Zahn,  admettent  la  révélation  mais 
rejettent  l'inspiration  :  les  livres  de  la  Bible  ont  en 
leur  utilité  pratique  ;  fidèles  échos  de  la  pensée  des 
prophètes,  de  Jésus  et  des  Apôtres,  ils  ont  servi  à 
la  lecture  publique  dans  les  réunions  liturgiques, 
mais  ce  sont  des  œuvres  humaines.  Quant  aux 
orthodoxes,  de  jour  en  jour  moins  nombreux,  on  sa 
demande  sur  quoi  ils  peuvent  bien  fonder  leur 
croyance  à  l'inspiration,  attendu  qu'elle  ne  peqit 
être  connue  que  par  la  révélation  et  que  la  révéla- 
tion ne  nous  est  garantie  que  par  la  tradition  de 
l'Eglise. 

i.  Les  premiers  réformateurs .  —  Luther  pose  en 
principe  que  tout  livre  où  est  prêché  le  Christ 
appartient  à  l'Ecriture.  Pratiquement,  c'est  à  cha- 
cun de  voir  si  le  Christ  est  prêché  ou  non  dans  tel 
ou  te!  livre.  L'application  d'un  tel  principe  ne  pou- 
vait aboutir  qu'à  de  déplorables  conséquences,  dont 
l'une,  nullement  prévue,  devait  être  la  négation 
même  de  l'inspiration  (1).  —  Inutile  de  parler  de 

i.  «  Fort  personnel  était  son  principe  de  critique,  écrit  le 
protestant  Uabaud  :  de  l'intensité  avec  laquelle  le  Christ  est  prê- 
ché, il  concluait  à  l'inspiration  et  à  la   canonicité  du  livre. 
r-j  N'était-ce  pas  renverser  l'autorité  de  la  Bible  et  la  remplacer 
f  r   par  l'autorité  de  la  conscience  individuelle  ?  Qui  déterminera 
i      le  degré  de  la  fidélité  de   l'écrivain  sacré?   Qui  appréciera  la 
y    pureté  de  sa  doctrine?  Qui  dira  si  le  Christ  est  prêché  comme 
il  convient  ?  Ce  principe,  plus  pratique   en  apparence,  aussi 
subjectif  en  réalité  que  celui  des  autres  héros  de  la  Réforme, 
aboutit  au  même  résultat  :  l'autorité  de  la  conscience  indivi- 
duelle ou  de  la  théologie  du  lecteur  biblique.    Luther  en  a 
fourni  le  premier  et  remarquable  exemple.  Par  ses  hardiesse» 


THÉORIE    EXAGÉRÉE   DE    i/lNSPIRATION  I<)5 

■      II»  !..  . 

Zwingle,  puisque  Luther  prétendait  qu'il  aurait 
mieux  fait  de  ne  rien  écrire  et  que  ses  livres  étaient 
le  poison  du  diable.  —  Calvin  admet  l'autorité  de 
l'Ecriture,  mais  il  nie  que  son  origine  divine  nous 
aoit  attestée  par  la  tradition  de  l'Eglise,  le  seul 
témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit  suffisant  h 
nous  en  convaincre.  —  Mélanchton  tombe  dans  un. 
Cercle  vicieux.  Pour  entendre  correctement  l'Ecri- 
ture, dit-il,  suivons  ceux  qui  croient  correctement* 
Et  pour  savoir  ceux  qui  croient  correctement,  pre- 
nons l'Ecriture  pour  règle.  Au  fond,  c'est  son  auto- 
rité privée  qu'il  substitue  à  l'autorité  de  la  Bible* 
puisqu'il  dresse  la  liste  des  synodes  et  des  auteurs 
qu'il  regarde  comme  corrects  (i). 

a.  Théorie  exagérée  de  l'inspiration.  —  Cette  théo- 
rie exagérée  est  due  aux  disciples  de  Calvin.  D'après 
la  Formula  consensus  helvetica  de  1675,  l'inspira tion 
s'étend  jusqu'aux  moindres  mots,  jusqu'aux  lettres 
et  aux  points  (2).  Jean  Gerhard  la  formula  au 
xvne  siècle. 

La  voici  résumée  (3)  :  l'Esprit-Saint  est  l'auteur 
de  l'Ecriture  ;  c'est  au  Saint-Esprit  que  revient  tout 
son   contenu,  y    compris  le»   mots    et   les   points 

celtiques  et  son  indépendance  vis-à-vis  de  l'Ecriture  extérieure* 
il  posa  les  germes  des  futures  objections  qui  ébranleront  un< 
jour  et  ruineront  la  doctrine  de  la  théopneustie,  qu'il  accepte? 
avec  tous  ses  contemporains,  mais  qu'il  reconnaît  seulement 
dans  les  passages  en  harmonie  avec  sa  théologie  ou  son  sens 
religieux.  »  Histoire  de  la  doctrine  de  l'inspiration,  Paris,  i883, 
p.  39. 

1.  Gela  revient  à  dire  :  «  Ut  recte  intelligamus  Scripturamv 
debemus  sequi  recte  docentes.  Qui  vero  recte  docuerint, 
Mélanchton  docet  :  ergo  recte  interpetamur  Scripturam,  si 
sequimur  Melanchtonis  judicium.  »  Pesch,  De  inspiratione*. 
p.  ai 5.  —  2.  Imposée  sous  peine  d'amende,  de  prison  01» 
d'exil,  cette  formule  ne  fut  abrogée  qu'en  1725.  —  3.  De  locis~ 
thgologicis. 


I96  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

voyelles  de  l'hébreu,  à  plus  forte  raison  le  genre 
littéraire.  L'hagiographe  n'a  fait  que  prêter  le 
secours  de  sa  main.  C'est  moins  de  la  nature  que  de 
l'extension  de  l'inspiration  qu'il  s'agit  là.  Mais  telle 
quelle,  cette  théorie  fut  regardée  par  les  uns  comme 
la  seule  exposition  orthodoxe  de  la  foi  protestante 
et  rejetée  par  les  autres  comme  le  renversement  des 
principes  sur  lesquels  s'appuyait  le  protestantisme 
primitif. 

3.  Réaction  rationaliste.  —  Cet  excès  en  suscita  un 
autre  par  réaction,  celui  du  rationalisme  biblique. 
L'idée  fut  émise  de  refuser  à  l'Ecriture  toute  valeur 
surnaturelle  et  de  faire  de  la  raison  seule  la  règle 
suprême  en  matière  religieuse.  Elle  était  la  consé- 
quence légitime  du  principe  protestant  de  libre  exa- 
men. Grâce  au  naturalisme  et  au  déisme  du  xvnr* 
siècle,  elle  fit  son  chemin,  appelée  qu'elle  était  à 
de  hautes  destinées  (1).  Fatalement,  la  Bible  devait 
finir  par  être  considérée  comme  un  livre  purement 
humain  et  être  traitée  en  conséquence.  Aux  débuts, 
on  n'y  voyait  guère  que  Dieu,  et  l'écrivain  sacré 
était  réduit  à  un  rôle  purement  mécanique  ;  aujour- 
d'hui, on  n'y  voit  plus  Dieu,  il  ne  reste  plus  que 
l'homme,  seul  auteur  responsable.  Telle  est  bien 
la  situation  actuelle  parmi  les  protestants  rationalis- 
tes, qui  s'obstinent  encore  à  parler  d'inspiration, 
comme  ils  parlent  de  révélation  et  de  foi,  sauf  à 
entendre  ces  termes  d'une  manière  nouvelle,  c'est- 
à-dire  en  les  vidant  de  leur  sens  traditionnel. 

4.  Le  rationalisme  biblique  en  Allemagne.  —  C'est 
Wolf  (f  1754)  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  père 

1.  Pour  le  rationalisme  en  général,  cf.  Vigouroux,  Les  Livres 
saints  et  la  critique  rationaliste  ;  pour  le  rationalisme  biblique 
relatif  à  l'inspiration,  cf.  Pesch,  De  inspiratione,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1906  ;  nous  ne  faisons  que  résumer  ses  renseigne- 
ments. 


RATIONALISME    BIBLIQUE    EN    ALLEMAGNE  I97 

du  rationalisme  allemand,  mais  c'est  à  Scmler 
(y  1791)  que  revient  le  titre  de  père  du  rationalisme 
biblique  (i)  ;  et  ce  rationalisme  spécial  a  été  forte- 
ment accentué  par  Kant  (y  i8o4)  (2).  Il  sert  de  base 
à  la  théologie  dogmatique  de  Wegscheider  (3)  et 
il  peut  se  résumer  en  deux  mots  :  Dans  la  Bible,  ni 
inspiration,  ni  autorité. 

On  connait  la  théorie  de  Schleiermacher  (f 
iS34)  (4)  :  la  religion  n'est  que  la  perception  immé- 
diate de  l'infini  ou  le  sentiment  intime  de  notre 
dépendance  de  l'absolu  ;  la  révélation  est  un  mou- 
vement religieux  spécial,  qui  naît  spontanément 
dans  l'esprit  et  qu'on  ne  peut  dériver  d'aucun  inter- 
médiaire externe.  Que  peut  bien  être  alors  l'inspira- 
tion ?  Schleiermacher  la  nie  pour  la  plus  grande 
partie  de  l'Ancien  Testament  et  dit  que  le  Nouveau 
est  inspiré  dans  ce  sens  qu'il  manifeste  le  sentiment 
religieux  de  la  communauté  chrétienne  primitive. 
On  dirait  déjà  un  mot  d'ordre,  un  principe  arrêté, 
celui  de  conserver  les  termes  usités,  de  les  vider  de 
leur  sens  traditionnel  et  de  leur  donner  une  signi- 
fication nouvelle. 

Rothe  (5)  réduit  l'Ecriture  à  n'être  qu'un  docu- 
ment historique,  qu'un  livre  comme  les  autres,  que 
l'on  doit  traiter  par  la  critique  et  la  science.  A  sa 
suite,  bon  nombre  de  théologiens  protestants  alle- 
mands ont  décidé  d'abandonner  complètement 
l'ancienne  théorie  de  l'inspiration,  de  substituer 
l'inspiration  personnelle  à  l'inspiration  verbale  et 
réelle  et  de  ne  voir  dans  l'Ecriture  qu'un  document 
historique  de  la  révélation  :   c'est  l'attitude  des  con- 

1.  Comment,  hist.  de  antiquo  Chris tianorum  statu,  Halle,  1771. 
—  2.  Religion  innerhalb  der  Grenzen  der  blossen  Vernunjl* 
1793  ;  Der  Streit  der  Fakultaten,  1798.  —  3.  lnstit.  theolog.  dog- 
mat.  christianœ.  Halle,  1826.  —  4.  Der  christliche  Glaube.  — 
5.  Theol.  Stadien  und  Kriliken,  Gotha,  1860. 


39^  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

xérvaleurs.  Mais  les  critiques  vont  plus  loin  :  pour 
eux,  les  livres  sacrés  ne  sont  rien  moins  qu'histori- 
qUes  ;  ce  sont  plutôt,  dans  leur  plus  grande  partie, 
^des  fictions  dogmatiques  incapables  par  suite  de  nous 
•renseigner  sur  les  faits  dont  ils  prétendent  être  les 
témoins.  Les  critiques  se  flattent  d'avoir  eu  raison 
<lu  canon  de  l'Ancien  Testament,  et  ils  comptent 
«qu'au  xxe  siècle  on  détruira  de  même  le  canon  du 
^Nouveau  (1). 

1.  Opinions  actuelles.  Sur  la  question  de  l'inspiration,  celle 
qui  nous  occupe,  les  protestants  allemands  se  divisent  actuel- 
lement en  trois  classes  :  les  critiques  libéraux,  les  orthodoxes  et 
les  conservateurs.  — ■  Les  critiques  traitent  les  Livres  saints 
«comme  tout  livre  profane.  Nous  avons  appris  ce  qu'est  l'his- 
toire et  nous  voulons  savoir  comment  la  religion  révélée  est 
mée  et  s'est  développée.  Aussi  repoussons-nous  tout  dogme  qui 
^place  l'Ecriture,  son  origine  et  son  autorité  en  dehors  de  la 
^série  des  causes  naturelles.  Nous  avons  fait  des  progrès  en 
psychologie  et  nous  avons  compris  que  la  certitude  du  salut 
sue  doit  pas  être  placée  dans  quelque  chose  d'extérieur,  mais 
<sdans  l'expérience  interne.  Nous  savons  que  la  religion  ne  con- 
siste pas  dans  des  choses  intermédiaires  entre  Dieu  et  l'homme, 
«nais  dans  une  attitude  personnelle  de  l'homme  vis-à-vis  de 
Dieu.  Gomment,  dans  ces  conditions,  l'Ecriture  peut-elle  être 
-&in  moyen  et  une  règle  de  foi  ?  Elle  est  complètement  inutile. 
Telle  est  la  conclusion  de  l'école  de  Ritschl,  celle  notamment 
<de  M.  Harnack. 

Les  conservateurs  rejettent  l'opinion  d'après  laquelle  toute 
'l'autorité  de  l'Ecriture  repose  sur  l'expérience  subjective  d'un 
«chacun,  et  essayent  de  lui  conserver  quelque  autorité  objec- 
tive. S'ils  la  gardent,  c'est  comme  un  document  authentique 
•de  la  révélation.  Mais,  pour  ne  point  paraître  renoncer  à  la 
science  critique,  ils  rattachent  cette  autorité,  non  à  chaque 
proposition,  mais  à  l'ensemble  de  l'Ecriture,  et  laissent  ainsi 
toute  liberté  à  la  critique  scientifique  de  s'exercer  sur  chaque 
point  en  particulier.  A  défaut  d'entente,  chose  difficile,  ils 
retiennent  du  moins  qu'il  faut  renoncer  à  l'inspiration  ver- 
i>ale  et  s'en  tenir  à  l'inspiration  personnelle.  Les  écrivains  sacres 
font  simplement  part  de  l'opération  salutaire  de  Dieu  qu'ils 
4ont  personnellement  éprouvée.  L'Ecriture  n'est  donc  pas  la 
parole  de  Dieu,  mais  la  parole  de  Dieu  est  dans  l'Ecriture, 


RATIONALISME    BIBLIQUE    EX    ANGLETERRE  I99 

5.  Le  rationalisme  biblique  en  Angleterre.  —  Pour 
n'avoir  été  ni  aussi  rapide  ni  aussi  accentué  tout 
d'abord  sur  la  question  de  l'inspiration,  le  rationa- 
lisme biblique  ne  s'en  est  pas  moins  fait  sentir  en 
Angleterre  (i).  Longtemps  l'inspiration  passa  pour 
une  vérité  admise  sans  contestation.  Mais  bien- 
mêlée  à  la  parole  de  l'homme.  L'infaillibilité  convient  à  l'en- 
semble, non  aux  parties.  Et  cette  révélation  a  été  faite  pour 
amener  les  hommes  à  la  foi  qui  sauve.  Donc  quiconque  lit 
l'Ecriture,  dans  de  bonnes  dispositions,  entendra  Dieu  lui  pro- 
mettant le  salut,  prendra  confiance  et  sera  sauvé.  Vaine  tenta- 
tive.  peut-on  dire  ;  car,  malgré  des  efforts  pour  sauvegarder 
quelque  chose  en  face  des  critiques  entreprenants,  au  fond  ils 
lâchent  tout,  puisqu'en  définitive  ils  abandonnent  l'homme  à 
sa  propre  expérience  subjective  et  au  prétendu  témoignage  du 
Saint-Esprit.  Aussi  leur  position  est-elle  précaire.  La  science 
théologique  manque  de  tout  fondement  dogmatique  et  ne  se 
trouve  plus  réduite  qu'à  des  recherches  critiques,  historiques, 
exégétiques  ;  elle  n'est  plus  qu'un  système  de  propositions  qui 
expose  l'expérience  religieuse  actuelle  de  telle  ou  telle  person- 
nalité, système  forcément  variable  comme  l'expérience  elle- 
même,  fait  d'incertitude  et  d'instabilité. 

Aussi  les  orthodoxes  ont-ils  beau  jeu  contre  l'attitude  d'équi- 
libre instable  des  conservateurs.  Et,  en  présence  de  l'audace 
des  critiques,  ils  ne  peuvent  que  récriminer,  se  plaindre  et  se 
lamenter.  Les  seuls  logiques,  pourtant,  ce  sont  les  critiques  : 
ils  tirent  chaque  jour  davantage,  et  rigoureusement,  les  con- 
séquences du  principe  protestant.  C'est  donc  contre  le  prin- 
cipe lui-même  qu'il  faudrait  s'en  prendre.  Et  à  s'en  tenir  à  ce 
principe  faux,  la  logique,  encore  une  fois,  n'est  pas  du  côté 
des  orthodoxes.  Aussi  professeurs  et  pasteurs  prennent-ils 
l'attitude  scandalisée  des  orthodoxes  comme  une  preuve  de 
peu  de  foi  ou  plutôt  comme  un  signe  du  peu  d'intelligence 
qu'ils  ont  du  principe  protestant,  qui  est  la  liberté  des  enfants 
de  Dieu.  Une  belle  liberté,  comme  on  voit,  puisqu'elle  est 
essentiellement  destructrice. 

t.  Dèslafîn  du  xvie  siècle,  Whitaker.'dans  snDisputatio, Cam- 
bridge, i588,  et  son  Pro  authoritate,  Cambridge,  1&94,  soutient 
que  c'est  au  seul  témoignage  interne  du  Saint-Esprit  qu'on 
ui  it  de  reconnaître  l'origine  divine  de  l'Ecriture  et  non  à 
celui  de  l'Eglise. 


200  LE    CATECHISME    ROMAIN 

tôt  (i)  la  tradition  est  rompue  ;  on  commence  par 
abandonner  l'inspiration  verbale  sans  toutefois  en- 
traîner encore  l'opinion.  Ce  n'est  que  vers  le  milieu 
du  xixe  siècle  qu'on  attaque  le  concept  primitif  de 
l'inspiration  comme  une  théorie  sans  fondement, 
attendu  que  l'Ecriture  n'est  exempte  ni  de  défauts, 
ni  d'erreurs  (2).  Et  naguère  M.  W.  Sanday  a  essayé 
de  concilier  les  deux  concepts  de  l'inspiration,  le 
concept  traditionnel  et  le  nouveau  concept  de  la 
critique  (3).  Actuellement,  à  part  quelques  anglicans, 

1.  Par  exemple,    grâce  à  Witby  ;   cf.  Manning,  The  tempo- 
ral Mission  of  the   Holy   Ghost,    Londres,    18G6,    p.    i3i    sq. 
—  a.  L'incident   Wilson   et  Williams  montre  les  progrès   du 
rationalisme  biblique.   Ces  deux  docteurs   furent   condamnés 
par  le  tribunal   ecclésiastique,  The  Court  of  Arches,  en  1862  ; 
sur  appel  au  Conseil  privé,    The  privey  Council,  leur  opinion 
fut  jugée  non  contraire  à  la  doctrine  de  l'Eglise  anglicane.    En 
1889,  Gore,  dans  sa  Lux  mundi,  rejette  l'inspiration   réelle  et 
n'admet   que  l'inspiration  personnelle.  —  3.  D'après   le  con- 
cept   traditionnel,    toute    sentence    de   l'Ecriture  est  parole 
de    Dieu    et    vérité    infaillible  ;    mais   la   méthode   critique 
demande    aux  livres    eux-mêmes    le    mode  et  le   degré   de 
leur  inspiration.   Les  prophètes,  organes  de  la   religion  vraie 
et  pure  et  conscients   de  leur  mission  surnaturelle,   montrent 
très  bien  en  quoi  consiste  l'inspiration  ;   les   psalmistes  et  les 
auteurs  des  livres  sapientiaux  marchent  près  des  prophètes  ; 
mais  les  autres  ?  La  pureté  et  l'intensité  du  sentiment  religieux 
diffèrent.  Il  y  a   comme  une    échelle  dans   l'inspiration  :    au 
sommet,  les  prophéties  et  beaucoup  de  psaumes  ;   au   milieu, 
l'Ecclésiastique  par  exemple  ;  et  en    bas,    Esther  ;    c'est-à-dire 
des  livres  pleinement  inspirés,  ou  semi-inspirés,   ou   a   peine 
inspirés.  Quant  aux  livres  historiques,   ils  sont  à  juger  comme 
tout   autre   livre   d'histoire.    L'Ecriture  n'est  pas  absolument 
parfaite.  Donc  pas  d'inspiration  verbale,  rien  que  l'inspiration 
personnelle.    L'Ecriture   n'est   pas   simplement  la  parole    de 
Dieu,  elle  est  la  parole   de  Dieu  exprimée  par  la   parole  hu- 
maine. Même  dans  chaque   livre,   les  degrés   d'inspiration  dif- 
fèrent, car  tantôt  c'est  l'élément  divin   qui  prédomine,  et  tan- 
tôt c'est  l'élément  humain.  L'inerrance  absolue  n'appartient  à 
aucune  partie   de   l'Ecriture  :    mais  à   chaque  partie   il  faut 
attribuer  l'autorité  qui  lui  convient,  en   tant  qu'elle  est  utile 


RATIONALISME    BIBLIQUE    EN    FRANCE  201 

dont  le  nombre  va  sans  cesse  diminuant  de  jour  en 
jour,  la  plupart  ne  se  préoccupent  plus  guère  de  la 
question  et  s'abandonnent  totalement  au  mouve- 
ment rationaliste. 

6.  Le  rationalisme  biblique  en  France.  —  Sur  cette 
question  de  l'inspiration,  le  calvinisme,  en  France,  a 
suivi  les  mêmes  phases  que  le  luthéranisme.  Du 
principe  de  Calvin  que  l'Ecriture  est  l'unique  et 
suffisante  règle  de  la  doctrine  religieuse,  les  calvi- 
nistes sont  passés  peu  à  peu  à  une  théorie  très 
étroite  de  l'inspiration,  puis,  par  réaction,  à  la 
négation  de  toute  vraie  inspiration  (i).  Aux  débuts, 
on  exagéra  la  doctrine  de  Calvin  et  l'idée  d'inspi- 
piration  jusqu'à  réduire  les  écrivains  sacrés  au 
simple  rôle  de  secrétaires  ou  de  scribes.  Puis,  on 
miligea  ce  qu'une  telle  théorie  avait  d'excessif  ; 
finalement,  quelques-uns  la  rejetèrent  dès  le 
xvne  siècle.  Au  xvin0,  grâce  à  l'influence  du  ratio- 
nalisme allemand,  l'abandon  de  l'idée  calviniste  fut 
général.  Au  xixe,  on  tomba  en  plein  latitudina- 
risme,  malgré  quelques  tentatives  de  réaction  (2), 
qui  restèrent  vaines.  La  faillite  était  faite  :  on  ne 
remonte  pas,  en  effet,  un  tel  courant  quand  tous  les 
principes  internes  mis  en  avant  le  précipitent  et 
quand  il  est  du  reste  la  conséquence  naturelle  et 
logique  du  principe  posé  dès  la  première  heure  (3). 

au  salut  ;  le  reste  regarde   la  critique.    Inspiration,   Londres, 
1901. 

1.  C'est  ce  qu'a  décrit  le  protestant  Rabaud,  dans  son 
Histoire  de  la  doctrine  de  i 'inspiration,  Paris,  i883.  —  2.  C'est 
L.  Gausscn  qui  essaya  de  sonner  le  réveil,  dans  sa  Théop- 
neustie  oa  pleine  inspiration  des  Ecritures.  Paris,  i84o.  — 
3.  À.  Monod  regardait  l'Ecriture  beaucoup  moins  comme 
une  règle  de  foi  et  de  doctrine  que  comme  une  règle  de  vie  et 
de  mœurs.  Dieu  parle  en  elle  par  des  hommes  à  des  hommes  ; 
et  partout  elle  porte  la  trace  de  l'infirmité  et  de  l'ignorance 
humaine?  ;  toutefois,  elle  reste  le  livre  unique  pour  sanctifier 


202  LE    CATECHISME    ROMAIN 

IÇÎ, 

Inutilement  E.  de  Pressensé  a  essayé  de  trouver  un 
moyen  terme  de  conciliation  entre  la  vieille  ortho- 
doxie et  le  rationalisme  récent.  Les  efforts  de  la 
faculté  de  théologie  protestante  de  Montauban  sont 
impuissants  à  arrêter  le  mouvement  rationaliste  de 
la  Revue  de  Strasbourg  et  de  la  faculté  de  Paris.  Le 
nombre  des  orthodoxes  conservateurs  diminue, 
celui  des  critiques  indépendants  augmente  ;  les  cal- 
vinistes libéraux  ont  rejoint  les  critiques  allemands. 
MM.  Ménégoz  et  Sabatier  pensent  et  parlent,  à  quel- 
ques nuances  près,  comme  M.  Harnack.  Plus  d'au- 
torité spirituelle  :  la  foi  l'exclut  ;  accepter  celle  du 
Pape  ou  celle  de  l'Ecriture  serait  judaïser;  la  révéla- 
tion n'est  que  la  communication  intime  entre  Dieu 
et  l'homme,  qui  fait  que  Dieu  est  vu  et  senti  par 
l'homme;  l'Ecriture  n'est  qu'une  œuvre  humaine  (i). 

l'homme  ;  Adieux  à  ses  amis  et  à  l'Eglise,  Paris,  i855,  1859. 
Tandis  que  A.  Monod  restreignait  l'inspiration  par  des  motifs 
tirés  du  piétisme,  Goquerel  la  restreignit  par  rationalisme  ; 
Le  christianisme  expérimental,  Paris,  1866.  E.  Schérer,  La  cri- 
tique et  la  foi,  Paris,  i85o,  expliquait  pourquoi  il  avait  quitté 
Genève  et  le  professorat  en  face  des  principes  rigides  sur  l'au- 
torité de  la  Bible  que  rien,  disait-il,  ne  justifiait  dans  le  calvi- 
nisme. Contre  E.  Schérer,  de  Gasparin  reprit  la  thèse  de 
Gaussen,  La  Bible,  Les  écoles  du  doute  et  les  écoles  de  la  foi, 
Genève,  i85o.  Il  formule  ainsi  sa  pensée  :  Nier  ou  limiter  l'ins- 
piration, c'est  ruiner  toute  l'autorité  de  l'Ecriture,  c'est  ruiner 
la  religion  elle-même.  Donc,  sans  pleine  théopneustie,  pas  de 
salut. 

1.  D'après  Rabaud,  Hist.  de  la  doctrine  de  V inspiration,  p. 
34o-34i,  «  l'inspiration  est  un  phénomène  moral.  Toute  parole 
qui  élève  et  purifie,  tout  exemple  qui  réveille  en  nous  les  ger- 
mes endormis  delà  spiritualité,  toute  impression  qui  ranime 
le  sentiment  de  notre  grandeur  native  et  de  notre  dignité 
originelle,  toute  voix  éclatante  ou  intime  qui  nous  secoue  par 
le  frisson  divin  lui  servent  de  canal  et  d'organe.  »  —  D'après 
Pécaut,  Le  Christ  et  la  conscience,  p.  87,  «  l'action  de  Dieu 
ne  s'est  pas  exercée  sur  l'esprit  des  auteurs  sacrés  en  dehors 
des  lois  naturelles,  ni  autrement  qu'elle  ne   s'exerce  en  tout 


L  INSPIRATION    CHEZ    LES    CATHOLIQUES  203 

2°  Chez  les  catholiques.  —  i.  A  l'époque  du 
concile  de  Trente,  les  catholiques,  d'accord  avec 
l'enseignement  traditionnel,  étaient  unanimes  à 
admettre  le  fait  de  l'inspiration  et  de  l'origine 
divine  de  l'Ecriture.  Ils  chantaient,  à  la  messe,  le 
Qui  locutus  est  per  Prophetas  du  symbole  de  Cons- 
tantinople  ;  ils  connaissaient  la  profession  de  foi 
imposée  par  le  IVe  concile  de  Carthnge,  puis  par 
toute  l'Eglise,  aux  évêques  nouvellement  promus, 
que  «  le  même  Dieu  et  Seigneur  tout-puissant  est 
l'unique  auteur  du  Nouveau  et  de  l'Ancien  Testa- 
ment, de  la  Loi  et  des  Prophètes  et  des  Apôtres  ;  » 
ils  avaient  appris  du  concile  de  Florence  que  la 
raison  de  l'origine  divine  des  saints  Livres,  c'est 
l'inspiration  des  écrivains  sacrés,  auteurs  secondai- 
res de  la  Bible.  Sans  définir  formellement  l'inspira- 
tion, que  les  protestants  d'alors  ne  niaient  pas,  le 
concile  de  Trente  avait  déclaré  nommément  quels 
étaient  les  livres  inspirés.  Mais  bien  des  questions 
se  posaient  encore  ;  bien  des  problèmes  allaient 
être  agités  ;  ni  la  nature  intime,  ni  l'extention 
exacte  de  l'inspiration  n'avaient  été  déterminées 
d'une  manière  précise.  De  là,  parmi  les  catholiques, 
une  double  tendance  dans  l'interprétation  des 
décrets  du  concile  :  les  uns  les  expliquaient  d'une 
façon  rigide,  les  autres  largement. 

Melchior  Gano  admet  la  complète  inerrance  de 
l'Ecriture,  mais  il  ne  détermine  pas  distinctement 

homme.  Leur  supériorité  religieuse  a  la  même  cause  que  la 
supériorité  du  poète,  de  l'orateur,  du  philosophe,  de  l'homme 
de  génie.  »  —  D'après  Sabatier,  Esquisse,  p.  ioo,  «  l'inspira- 
tion religieuse  n'est  pas  psychologiquement  différente  de  Fins- 
piration  poétique.  Elle  offre  sans  doute  le  même  mystère, 
mais  n'implique  pas  plus  le  miracle...  La  raison  intérieure  de 
cette  inspiration  ne  se  trouve  pas  ailleurs  que  dans  la  piété  ' 
commune  à  tous  les  hommes  religieux  ;  elle  n'en  diffère 
point  par  nature,  mais  seulement  par  l'intensité  et  l'énergie.  » 


204  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

les  éléments  constitutifs  de  l'inspiration.  Bancs 
se  prononce  pour  l'inspiration  verbale,  sans  con- 
damner cependant  ceux  qui  ne  l'acceptent  pas  ; 
et  quant  à  la  nature  de  l'inspiration,  il  l'expli- 
que d'après  le  système  thomiste  de  la  prédétermi- 
nation physique.  C'est  aussi  l'explication  de  Bil- 
luart,  qui  regarde  comme  simplement  plus  probable 
l'inspiration  verbale. 

2.  Opinions  contestables.  —  D'après  Lessius,  «  un 
livre  écrit  avec  les  seules  ressources  humaines,  sans 
l'assistance  du  Saint-Esprit,  devient  Ecriture  sainte, 
si  le  Saint-Esprit  témoigne  subséquemment  qu'il 
ne  s'y  trouve  rien  de  faux.  »  Cette  proposition  fut 
censurée  par  les  facultés  de  théologie  de  Louvain  et 
de  Douai.  Au  concile  du  Vatican,  Mgr  Gasser, 
rapporteur  de  la  députation  de  la  foi,  a  fait  obser- 
ver que  Lessius  traitait  une  simple  question  de  pos- 
sibilité, et  qu'il  supposait  une  certaine  motion 
divine,  qui  aurait  porté  l'écrivain  à  écrire,  et  une 
révélation  subséquente  que  le  livre  profane  ne  ren- 
fermait pas  d'erreur.  En  tout  cas,  un  tel  livre,  ainsi 
garanti  par  le  Saint-Esprit,  aurait  sans  doute  une 
autorité  divine,  mais  il  n'aurait  pas  Dieu  pour  au- 
teur, il  ne  serait  pas  inspiré  au  sens  propre  du  mot. 

Bonfrère  distinguait  plusieurs  modes  d'inspira- 
tion ;  la  troisième,  qu'il  appelle  V inspiration  subsé- 
quente, consistait  dans  l'approbation  du  Saint- 
Esprit  en  faveur  d'un  livre,  composé  sans  une 
assistance  divine  spéciale  ;  et  tel  n'est  pas  le  cas, 
dit-il,  des  livres  actuels  de  la  Bible.  Ce  n'est  donc 
qu'une  hypothèse,  laquelle,  du  reste,  pourrait  bien 
donner  à  ce  livre  une  autorité  divine,  mais  ne  ferait 
pas  qu'il  eût  Dieu  pour  auteur,  comme  le  requiert 
la  notion  d'inspiration  (i). 

i.  In  totam  Scrip.Sacr.prœloquia,  c.  vin,  s.  vu,  dans  le  Cours 
de  Migne,  1. 1,  col.  i4i. 


l'inspiration   chez   les   CATHOLIQUES  205 

3.  Opinions  erronées.  —  À  côte  de  ces  opinions 
contestables  parce  qu'elles  ne  rendent  pas  pleine- 
ment compte  de  l'inspiration,  d'antres  ont  été  émi- 
ses qui  sont  erronées  parce  qu'elles  ne  Aront  à  rien 
moins  qu'à  nier  l'inspiration  proprement  dite.  Sixte 
de  Sienne  (i)  se  préoccupe  peu  de  l'opinion  des 
Juifs  sur  l'inspiration  des  livres  des  ^'achabées, 
du  moment  que  l'Eglise  les  a  inscrits  au  canon. 
«  Ils  ne  perdraient  rien,  dit-il,  de  la  créance  qui 
leur  est  due,  quand  même  ils  auraient  été  écrits  par 
un  auteur  profane  ;  car  cette  créance  leur  est  due, 
non  à  cause  de  l'auteur,  mais  à  cause  de  l'autorité 
de  l'Eglise  catholique,  et  les  choses  que  celle-ci  a 
admises  s'imposent  comme  vraies  et  indubitables,  • 
quel  que  soit  l'auteur  qui  les  a  dites  ;  je  n'oserais 
affirmer  si  c'est  ici  un  auteur  sacré  ou  un  auteur 
profane.  »  Au  xix°  siècle,  Haneberg  (2)  a  entendu 
l'inspiration  subséquente,  non  plus  comme  une 
approbation  du  Saint-Esprit,  mais  comme  la  cano- 
nisation officielle  par  l'Eglise  d'un  livre  profane. 
C'est  confondre  deux  choses  distinctes,  l'inspira- 
tion et  la  canonicité.  L'Eglise,  en  canonisant  un 
livre,  ne  change  pas  sa  nature  ;  elle  ne  saurait  faire 
qu'un  livre  humain  soit  divin  ;  elle  constate  que 
tel  livre  est  inspiré  et  l'introduit  en  conséquence 
dans  le  canon. 

D'autre  part,  le  fait  seul,  pour  un  livre,  de  ren- 
fermer la  révélation  sans  mélange  d'erreur  ne 
suffit  pas  à  le  rendre  «  sacré  et  canonique.  »  A.  ce 
compte,  nos  catéchismes  et  nos  recueils  de  défini- 
tions conciliaires  seraient  des  livres  inspirés.  Telle 
est  pourtant  la  conclusion  qui  se  dégage  de  l'opi- 
nion  de    ceux   qui    réduisent   l'inspiration    à    une 

1.  Bibliotheca  sancta,  Venise,  i566,  1.  vin,  haer  12,  p.  io46- 
1047.  —  a.  Histoire  de  la  révélation  biblique,  trad.  franc.,  Paris, 
1806,  t.  11,  p.  469. 


2o6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

assistance  négative  du  Saint-Esprit  préservant  l'écri- 
vain de  toute  erreur.  C'était  la  pensée  de  Jahn  (i) 
qu'une  telle  assistance  suffit  pour  assurer  à  un 
livre  une  autorité  divine,  et  qu'on  l'appelle  im- 
proprement inspiration  ;  mais  c'était  assimiler  à 
tort  les  Livres  saints  avec  les  définitions  ponti- 
ficales et  conciliaires,  qui  sont  infaillibles  à  cause 
de  l'assistance  divine,  et  méconnaître  que  l'ins- 
piration implique  un  secours  positif,  dont  la  na- 
ture reste  à  déterminer.  Cette  détermination  a  été 
l'œuvre  du  concile  du  Vatican  et  du  pape  Léon  XIII  ; 
nous  devons  dire  dans  quelle  mesure  (2). 

IL  Nature  de  l'inspiration 

1.  Définition  de  l'inspiration.  —  Le  concile  du 
Yatican  a  défini  l'inspiration  des  Livres  saints  z 
«  Anathème  à  qui  ne  recevrait  pas  pour  sacrés  et 
canoniques  les  livres  de  la  sainte  Ecriture...  ou 
nierait  qu'ils  sont  divinement  inspirés  (3).  »  Cette 
définition  n'a  pas  lieu  de  surprendre,  quand  on  se 
rappelle  le  sentiment  des  juifs  vis-à-vis  de  leurs 
Livres  sacrés  et  la  croyance  traditionnelle  de  l'E- 
glise sur  les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Tes- 
tament. 

Pour  les  juifs,  en  effet,  tout  Livre  sacré,  quel 
qu'en  fût  l'objet,  était  traité  de  prophétique  ;  tout 
hagiographe  était  appelé  prophète.  Un  propète  était 
l'envoyé  de  Dieu  pour  communiquer  des  ordres 
divins  au  peuple  d'Israël  ;  c'était  donc  un  homme 

1.  Introductio  in  libros  V.  T.,  a*  édit.  181 4,  pars  ia,  §  19.  — * 
3.  "Voir,  au  commencement  de  ce  volume,  comment  Pie  X» 
dans  son  Encyclique  du  huit  septembre  1907,  qualifie  la  théo- 
rie des  «  modernistes  »  sur  l'origine  et  la  nature  des  Livres 
saints,  et  sur  la  nature  de  l'inspiration.  —  3.  Const.  Dei  Filiu$* 
C  11,  can.  4* 


FAUSSES    NOTIONS    CONDAMNEES  20"J 

m     «i  ■  i 

mû  par  Dieu  pour  parler  au  nom  de  Dieu  ;  il  rece- 
vait dans  sa  volonté  et  son  intelligence  la  motion 
surnaturelle  qui  le  faisait  un  instrument  vivant  de 
Dieu.  Et  comme  Dieu  parlait  par  le  prophète,  ne 
pas  écouter  le  prophète  c'était  se  révolter  contre 
Dieu.  Sous  l'influx  divin,  le  prophète  n'était  pas 
nécessairement  privé  de  l'usage  de  (ses  sens,  encore 
moins  de  celui  de  sa  raison.  Il  savait  ce  qu'il  fai- 
sait, ce  qu'il  disait  ;  conscient  de  son  infirmité,  il 
l'alléguait  parfois  et  cherchait  à  se  soustraire  à  sa 
difficile  mission  ;  il  se  plaignait  mêmejde  l'inutilité 
de  sa  parole.  Il  ne  parlait  pas  en  son  propre  nom, 
mais  il  disait  au  nom  de  Dieu  les  paroles  de  Dieu, 
D'où  l'on  peut  conclure  que  s'il  écrivait,  c'était  de 
même  au  nom  de  Dieu.  Dieu,  du  reste,  lui  en 
donnait  parfois  le  commandement  formel.  Son  livre 
portait  la  garantie  divine  ;  il  était  tenu  pour  sacré. 
Les  auteurs  du  Nouveau  Testament,  nous  l'avons 
tu,  font  appel  à  l'Ancien  comme  à  la  parole  de 
Dieu  :  c'était  là  un  argument  sans  réplique,  pleine- 
ment autorisé,  infaillible.  Les  Pères  ne  cessent  d'in- 
sister sur  le  fait  de  l'inspiration  des  Livres  saints 
qui  leur  assure  une  irréfragable  autorité.  Ils  quali- 
fient de  divine  la  sainte  Ecriture  ;  d'une  manière 
générale,  ils  s'inquiètent  peu  du  rédacteur  humain 
4es  livres,  du  moment  qu'ils  estiment  que  Dieu  eu 
est  l'auteur.  Dieu  est  l'auteur  de  l'Ecriture,  tout  est  là. 

2.  Fausses  notions  condamnées.  —  Le  con- 
cile du  Vatican  n'a  donc  fait  que  définir  une 
croyance  depuis  longtemps  explicite.  Mais,  en  même 
temps,  il  a  déterminé  dans  une  certaine  mesure  le$ 
conditions  requises  pour  l'inspiration,  et  du  même 
coup  il  a  condamné  quelques  notions  erronées  de 
l'inspiration.  Parlant,  en  effet,  des  livres  de  l'An- 
cien et   du   Nouveau  Testament,  et  rappellant  le 


2o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

décret  du  concile  de  Trente  qui  les  concerne,  il 
dit:  «  Ces  livres,  l'Eglise  les  tient  pour  sacrés  et 
canoniques,  non  point  parce  que,  après  avoir  été 
composés  par  le  seul  art  de  l'homme,  ils  ont  été 
ensuite  approuvés  par  l'autorité  de  l'Eglise,  ni  pour 
ce  seul  motif  qu'ils  renferment  la  révélation  sans 
erreur,  mais  parce  que,  écrits  sous  l'inspiration  du 
Saint-Esprit,  ils  ont  Dieu  pour  auteur  et  ont  été 
confiés  comme  tels  à  l'Eglise  elle-même  (i).  » 

On  le  voit,  le  fait  seul  pour  un  livre  d'être 
approuvé  par  l'Eglise,  ou  de  contenir  la  révélation 
sans  mélange  d'erreur,  ne  constitue  pas  l'inspira- 
tion ;  un  livre  inspiré  doit  avoir  été  écrit  sous  l'in- 
fluence de  l'Esprit-Saint  ou  avoir  Dieu  pour  au- 
teur ;  il  faut  aussi  qu'il  ait  été  confié  comme  tel  à 
l'Eglise.  Il  s'agit  ici  d'un  fait  d'ordre  public,  qui 
intéresse  le  genre  humain,  et  sur  l'existence  duquel 
ne  doit  planer  l'ombre  d'aucun  doute.  Il  ne  suffit 
donc  pas  que  Dieu  ait  inspiré  les  écrivains  sacrés, 
qu'il  soit  l'auteur  principal  de  leurs  écrits,  il  faut 
encore  qu'il  l'ait  manifesté  par  des  preuves  irré- 
cusables et  publiques,  et  qu'il  ait  placé  cette  ins- 
piration parmi  les  vérités,  dont  l'Eglise  a  reçu  le 
dépôt  et  qu'elle  a  été  chargée  de  nous  enseigner. 

En  conséquence,  les  opinions  de  Sixte  de  Sienne, 
de  Haneberg  et  de  Jahn  sont  condamnées  par  le 
concile  comme  des  erreurs  en  matière  d'inspiration 
biblique  ;  et  il  ne  reste  plus  qu'à  chercher  ce  qu'il 
faut  entendre  par  ces  mots  :  Dieu  est  l'auteur  de 
l'Ecriture,  car  le  concile  ne  l'a  pas  déterminé.  Il  y 
a  tant  de  manières,  en  effet,  d'interpréter  cette  ex- 
pression, et  d'autant  plus  délicates  qu'il  convient 
de  sauvegarder  en  même'  temps  et  de  qualifier  le 
rôle  de  l'écrivain  sacré. 

1.  Const.  Dei  Films,  ç.  n,  $  3. 


PRÉCISIONS    DE    LÉON   XIII  20g 

3.  Précisions  de  Léon  XIII.  —  Nous  devons 
du  moins  à  Léon  XIII  de  précieuses  indications  à 
ce  sujet.  Il  précise  quelques  points,  relatifs  à  l'ac- 
tion de  Dieu  et  à  la  coopération  de  l'homme,  qui 
vont  nous  servir  à  élucider  autant  que  possible  la 
notion  d'inspiration.  Voici,  en  effet,  comment  il 
s'exprime  dans  la  seconde  partie  de  son  encyclique 
Provkientis  su  nus  :  «  On  ne  doit  donc  presque  en 
rien  se  préoccuper  de  ce  que  l'Esprit-Saint  ait  pris 
des  hommes  comme  des  instruments  pour  écrire, 
comme  si  quelque  opinion  fausse  pouvait  être 
émise,  non  pas  certes  par  le  premier  auteur,  mais 
par  les  écrivains  sacrés.  En  effet,  lui-même  les  a, 
par  sa  vertu,  excités  à  écrire,  lui-même  les  a  assis- 
tés tandis  qu'ils  écrivaient,  de  telle  sorte  qu'ils 
concevaient  exactement,  qu'ils  voulaient  rapporter 
fidèlement  et  qu'ils  exprimaient  avec  une  vérité  in- 
faillible tout  ce  qu'il  leur  ordonnait  et  seulement 
ce  qu'il  leur  ordonnait  d'écrire  ;  sans  quoi  il  ne 
serait  pas  Lui-même  l'auteur  de  toute  l'Ecriture.  » 

l\.  Question  à  résoudre.  —  D'après  l'étude  his- 
torique du  dogme  de  l'inspiration,  il  est  permis  de 
constater  que  dans  les  Livres  saints,  une  part,  la 
part  prépondérante,  appartient  à  Dieu,  et  qu'une 
part,  la  part  secondaire,  revient  à  l'homme  ;  que 
l'action  de  Dieu  est  à  la  fois  une  motion  qui 
«  pousse  »  l'écrivain  sacré,  une  illumination  qui 
«  l'éclairé,  »  une  direction  et  une  assistance  qui 
l'empêche  d'errer,  une  influence  qui  le  fait  «  parler  » 
ou  écrire  ;  que  l'homme,  comme  un  instrument 
sous  les  doigts  d'un  artiste,  a  prêté  à  Dieu  un  con- 
cours passif  et  actif,  bien  que  secondaire  et  subor- 
donné, pour  écrire  ;  et  que  par  suite  l'Ecriture  est, 
dans  de  différentes  proportions,  le  résultat  combiné 
et  harmonieux  de  l'action  de  l'homme,  son  auteur 

LB  CATBCHISMB.  —  T.   III.  14 


210  LE    CATECHISME    ROMAIN 

secondaire  et  instrumental.  Mais,  grâce  aux  préci- 
sions apportées  par  l'encyclique  Providentissimus ,  on 
peut  se  faire,  sémble-t-il,  une  idée  moins  imparfaite 
encore  de  la  nature  de  l'inspiration,  en  cherchant  à 
expliquer  la  relation  intime  qui  existe  entre  l'Esprit- 
Saint,  auteur  principal,  et  l'écrivain  sacré,  auteur 
secondaire,  et  en  cherchant  aussi  à  déterminer, 
dans  la  mesure  du  possible,  la  part  de  Dieu  et  celle 
de  l'homme.  La  question  à  résoudre  est  des  plus 
délicates  et  des  plus  difficiles. 

1°  L'action  de  Dieu  dans  l'inspiration 

1.  Observations  préliminaires.  —  i.  Ce  que 
l'inspiration  n'est  pas  —  L'inspiration  biblique  n'est 
pas  la  préservation  de  l'erreur  ;  l'assistance  confère 
l'infaillibilité,  elle  ne  constitue  pas  l'inspiration. 
Les  papes  et  les  conciles  généraux  sont  infaillibles 
dans  leurs  définitions,  à  cause  de  l'assistance  divine, 
ils  ne  sont  pas  par  là  même  inspirés.  —  Ni  l'appro- 
bation subséquente  de  Dieu  ni  celle  de  l'Eglise  ne 
font  qu'un  livre  soit  d'origine  divine  ;  l'approbation 
n'est  pas  l'inspiration.  —  L'inspiration  personnelle, 
dont  parlent  à  tout  propos  les  protestants  d'aujour- 
d'hui, c'est-à-dire  le  mouvement  religieux  qui  ferait 
ressembler  l'écrivain  sacré  à  un  poète,  à  un  artiste, 
et  qui,  partant  d'une  inspiration  intime,  inspire  à 
son  tour  un  mouvement  religieux  semblable  chez 
le  lecteur,  cette  inspiration  personnelle  n'a  rien  à 
voir  avec  l'inspiration  biblique  :  un  livre  n'est  pas 
inspiré,  au  sens  biblique  du  mot,  parce  qu'il  inspire, 
mais  parce  qu'il  a  Dieu  pour  auteur.  Sans  quoi  les 
Confessions  de  saint  Augustin  et  Y  Imitation  seraient 
des  livres  inspirés. 

2.  Révélation  et  inspiration,    —  D'une  part,  la  ré- 
vélation proprement  dite  n'appartient  pas  au  con- 


ACTION    DE    DIEU    DANS    L  INSPIRATION  211 

■^— y       —      ■!■  —  ■■  ■  —  ■  i  i  ■  m 

cept  formel  de  l'inspiration  ;  et,  d'autre  part,  tout 
ce  qui  est  inspiré  est  révélé.  Qu'entendre  exacte- 
ment par  là  ?  Il  importe  de  distinguer  et  de  préciser. 

La  révélation  proprement  dite  est  la  notification 
faite  par  Dieu  à  l'homme  des  vérités  que  l'homme 
ne  connaît  pas.  Si  Dieu  communique  une  lumière 
surnaturelle  à  l'homme  pour  qu'il  puisse  se  servir 
d'une  manière  déterminée  de  ce  qu'il  sait  déjà,  c'est 
une  révélation  au  sens  large,  ou  la  suggestion. 
Quand  Dieu  meut  un  homme  à  proposer  aux  autres 
hommes,  au  nom  et  par  l'autorité  de  Dieu,  une 
doctrine,  que  cette  doctrine  lui  soit  révélée  ou  sim- 
plement suggérée,  il  y  a  révélation  publique. 

Or,  il  est  certain  que  tous  les  écrivains  sacrés 
n'ont  pas  reçu  une  révélation  proprement  dite,  car 
il  en  est  qui  indiquent  les  sources  où  ils  ont  puisé. 
Même  quand  ils  ont  eu  à  écrire  des  choses  révélées, 
il  a  pu  se  faire  qu'ils  aient  rapporté  des  vérités  ré- 
vélées, déjà  connues  par  ailleurs,  comme  le  prouve 
l'exemple  de  saint  Luc  ;  Jérémie  et  saint  Jean,  au 
contraire  consignent  par  écrit  ce  qui  leur  a  été  ré- 
vélé à  eux-mêmes.  C'est  donc  que  la  révélation 
proprement  dite  ne  fait  pas  partie  du  concept  for- 
mel de  l'inspiration. 

On  comprend  dès  lors  dans  quel  sens  on  peut 
dire  que  tout  ce  qui  est  inspiré  est  révélé  ;  la  parole 
de  Dieu,  consignée  par  l'écrivain  sacré,  qu'elle  soit 
pour  l'écrivain  lui-même  une  révélation  ou  une 
suggestion  peu  importe,  devient  une  révélation 
pour  ceux  à  qui  elle  s'adresse  ;  et  c'est  dans  ce  sens 
que  tout  ce  qui  est  inspiré  est  révélé. 

3.  L'inspiration  n  est  pas  la  révélation.  —  L'auleur 
sacré  peut  consigner  par  écrit  ce  qu'il  sait  déjà,  que 
cela  ait  été  révélé  par  Dieu  ou  qu'il  l'ait  acquis  par  ses 
moyens  naturels,  mais  dans  tous  les  cas  la  connais- 
sance de  ce  qu'il  doit  écrire  a  au   moins  une  prio- 


212  LE    CATECHISME    ROMAIN 

rite  de  raison  sur  l'inspiration.  Si  la  révélation 
stricte  constituait  l'inspiration,  l'hagiographe  ne 
serait  pas  inspiré  quand  il  écrit  ce  qu'il  sait  na- 
turellement. Or,  c'est  toute  l'Ecriture,  avec  toutes 
ses  parties,  qui  est  inspirée.  C'est  donc  encore  une 
fois  que  l'inspiration  n'est  pas  la  révélation. 

Rien  n'empêche  qu'un  écrivain  soit  inspiré  pour 
écrire  ce  qu'il  connaît  déjà  ou  ce  que  d'autres  ont 
connu  et  écrit  par  des  moyens  purement  naturels  ; 
il  suffit  que  Dieu  veuille  utiliser  ces  connaissances 
pour  le  bien  des  autres  et  qu'il  les  fasse  écrire  en 
son  nom  pour  les  livrer  à  l'Eglise  comme  parole 
divine  ;  dans  ce  cas,  la  vérité  qui  jusque  là  n'était 
connue  que  humano  modo  devient  objet  de  foi  di- 
vine pour  le  lecteur. 

Quant  aux  vérités  surnaturelles  et  non  connues  de 
l'écrivain  sacré,  leur  notification  ou  révélation  doit 
précéder  l'inspiration  dans  l'esprit  de  l'hagiogra- 
phe. Par  contre,  l'inspiration  elle-même  n'est  con- 
nue que  par  une  révélation  ;  c'est  à  Dieu  de  révéler 
ce  fait  surnaturel,  et  c'est  à  l'Eglise  de  nous  garan- 
tir que  Dieu  l'a  vraiment  révélé. 

4.  L'inspiration  est  une  grâce  gratis  data.  —  Toute 
œuvre  de  Dieu  ad  extra  est  commune  aux  trois  per- 
sonnes divines  (1);  cependant,  par  appropriation, 
tout  ce  qui  appartient  à  l'ordre  de  la  grâce  en  géné- 
ral, et  particulièrement  l'inspiration,  est  attribué 
au  Saint-Esprit.  L'inspiration,  requérant  l'intermé- 
diaire d'un  agent  intelligent  et  libre,  rentre  dans  le 
genre  du  concours  divin  ;  mais  c'est  un  concours 
spécial,  distinct  de  celui  que  Dieu  accorde  à  toute 
créature  pour  agir  naturellement,  extraordinaire, 
surnaturel  ;  c'est  une  grâce  destinée,  non  à  sancti- 
fier, mais  à  pousser  celui  qui  la  reçoit  vers  ce  but 

1.  Voir  t.  11,  p.  18. 


ACTION    DE    DIEU    DANS    l'iNSPIRaTION  2l3 

très  spécial,  qui  est  la  rédaction  ou  la  composition 
d'un  livre,  voulu  de  Dieu  dans  l'intérêt  surnaturel 
du  genre  humain  ;  c'est  une  grâce  gratis  data,  effi- 
cace de  sa  nature,  ne  rendant  pas  seulement  l'écri- 
vain sacré  apte  à  écrire,  mais  le  déterminant  sûre- 
ment à  écrire  librement,  élevant  ses  facultés  et  son 
action  à  une  collaboration  divine  pour  lui  faire 
écrire  tout  ce  que  Dieu  veut  et  rien  que  ce  que 
Dieu  veut. 

5.  Motion  et  assistance.  — La  psychologie  de  l'ins- 
piration est  en  germe  dans  l'encyclique  Providentis- 
simus.  Dieu,  dit  Léon  XIII,  par  sa  vertu  surnatu- 
relle, a  excité  les  auteurs  sacrés  à  écrire  ;  il  les  a 
assistés  pendant  qu'ils  écrivaient,  de  sorte  qu'ils 
ont  conçu  exactement,  qu'ils  ont  voulu  rapporter 
fidèlement  et  qu'ils  ont  exprimé  avec  une  vérité 
infaillible  tout  ce  qu'il  leur  ordonnait  et  seulement 
ce  qu'il  leur  ordonnait  d'écrire.  Motion  prévenante, 
assistance  continue,  voilà  ce  que  le  pape  requiert 
pour  que  Dieu  soit  vraiment  l'auteur  de  l'Ecriture. 
De  son  côté,  le  cardinal  Manning  formulait  ainsi  sa 
pensée  :  «  L'inspiration  comprend  les  trois  opéra- 
tions suivantes  du  Saint-Esprit  sur  l'écrivain  sacré: 
l'inspiration  qui  le  porte  à  écrire  les  vérités  que 
Dieu  veut  nous  faire  connaître  ;  la  suggestion  des 
choses  qui  doivent  être  écrites,  soit  en  lui  révélant 
celles  qu'il  ignore,  soit  en  lui  présentant  ou  lui  in- 
diquant celles  qu'il  connaît  déjà  ;  l'assistance  qui  la 
préserve  de  toute  erreur  et  lui  fait  rapporter  exacte- 
ment tout  ce  dont  le  Saint-Esprit  veut  nous  ins- 
truire (i).  »  Avec  ces  données,  essayons  de  dire 
comment  l'action  de  Dieu  agit  sur  l'homme  pour 
la  composition  d'un  livre  inspiré. 

i.  Temporal  mission  of  the  Holy  Ghosl,  trad.  frac.,  Paris, 
18G7,  p.  161. 


2l/|  LE    CATECHISME    ROMAIN 

■ * 

II.  Influence  de  l'inspiration  sur  l'intelli- 
gence. —  i.  Le  Saint-Esprit,  ayant  choisi  pour 
faire  composer  tel  livre  sacré  des  instruments  intel- 
ligents, agit  nécessairement  sur  leur  intelligence, 
avec  et  par  elle.  Mais  comment?  Evidemment  par 
révélation,  dans  le  cas  où  l'écrivain  sacré  ignore 
totalement  ce  qu'il  a  à  écrire.  Mais  dans  le  cas  où 
il  connaît  de  science  naturelle  et  acquise  ce  que 
Dieu  entend  faire  entrer  dans  le  Livre  sacré?  Ici,  la 
révélation  est  inutile,  l'auteur  est  en  possession  dçs 
vérités  qu'il  doit  écrire.  Mais  quelle  est  alors  l'ac- 
tion exigée  de  la  part  du  Saint-Esprit  pour  que  ces 
vérités  soient  consignées  dans  le  livre  inspiré  par  sa 
volonté  et  soient  sa  propre  pensée  ?  Les  théologiens 
l'expliquent  diversement.  Jadis,  les  uns  réclamaient 
une  révélation  indirecte  ou  une  suggestion;  d'au- 
tres se  contentaient  d'une  direction  ou  assistance 
spéciale  et  positive  dans  le  choix  des  matériaux  et 
leur  mise  en  œuvre  ;  d'autres,  d'une  simple  assis- 
tance négative,  préservant  de  toute  erreur  dans 
l'exposé  fidèle  des  faits  connus  et  dans  la  rédaction 
<Ie  leurs  récits  (i).  Aujourd'hui,  il  n'y  a  plus  que 
deux  sentiments  en  présence. 

2.  D'après  les  uns  (2),  pour  ce  qui  est  naturelle- 
ment connaissable  ou  connu  par  l'expérience,  la 
raison,  la  tradition  et  l'histoire,  l'action  divine  sur 
l'intelligence  est  une  simple  direction  qui  aide  à 
choisir,  suggère  s'il  le  faut,  mais  laisse  à  l'écrivain 
la  disposition  des  faits  et  des  pensées,  ainsi  que  la« 
mise  en  scène  et  le  langage  des  personnages.  L'écri- 

1.  Cf.  Dausch,  Die  Schriftinspiration,  p.  146-174.  —  a.  Pescb» 
Praelect,  theolog.,  Fribourg-en-Brisgau,  1894,  t.  1,  p.  3a4; 
Lévesque,  Essai  sur  la  nature  de  V inspiration,  dans  la  Revue 
des  Facultés  cath.  de  l'Ouest,  décembre  i8g5,  p.  208-211  ; 
Calmes,  Qu'est-ce  que  l'Ecriture  sainte?  Paris,  1889,  p.  33-4i  ; 
Bévue  biblique,  t.  iy,  1895,  p.  4ai-4aa  ;  t.  vi,  1887,  p.  3a4-3a6» 


INFLUENCE  DE  i/lNSPIRATlON  SUR  ININTELLIGENCE    2l5 

vain  est  en  quelque  sorte  prêt  ;  l'Èsprit-Saint  n'a 
qu'à  le  mettre  en  branle  dans  le  sens  qu'il  veut. 
L'écrivain  travaille  alors  comme  s'il  était  laissé  à 
ses  propres  forces;  il  conçoit,  il  ordonne,  il  élabore 
son  ouvrage,  et,  grâce  à  la  direction  divine,  il  réa- 
lise précisément  ce  que  Dieu  a  voulu.  L'action  ins- 
piratrice s'exerce  sur  l'intelligence  ;  mais,  au  lieu 
de  précéder  la  motion  à  écrire,  elle  en  est  plutôt  le 
résultat,  elle  ne  fait  pas  que  l'auteur  inspiré  con- 
naisse mieux  qu'avant  ce  qu'il  doit  écrire,  mais  elle 
fait  qu'il  connaît  mieux  l'opportunité  de  l'écrire. 
Une  telle  manière  de  voir  répond-elle  bien  à  la  con- 
dition signalée  par  Léon  XIII,  ut  recte  mente  conci- 
perent?  Nous  ne  le  pensons  pas  (i). 

3.  D'après  d'autres  (2),  l'action  divine  sur  l'intel- 
ligence serait  une  illumination,  par  laquelle  le  Saint- 
Esprit  présente  à  l'esprit  de  l'écrivain,  comme  sous 
un  jour  nouveau  et  avec  certitude  divine  les  vérités 
déjà  connues  de  lui.  Cette  lumière,  inondant  l'es- 
prit, réveille  ses  souvenirs,  les  met  en  relief  et  dési- 
gne à  son  attention  et  à  son  choix  ceux  que  Dieu 
veut  faire  siens  et  introduire  dans  la  trame  du 
livre.  A  cette  clarté  divine,  l'auteur  humain  s'ingé- 
nie et  travaille  :  il  consulte  des  sources,  recueille  des 
documents,  résume  des  ouvrages,  fait  œuvre  d'écri- 
vain par  son  choix  intelligent  et  par  un  vif  senti- 
ment de  l'opportunité  de  son  choix.  Et  de  la  sorte, 
c'est  bien  un  livre  qu'il  nous  donne,  mais  c'est 
aussi  et  surtout  le  livre  de  Dieu,  puisque  c'est  à 
Dieu  qu'il  doit  l'idée  du  livre  et  le  choix  des  pensées 

1.  Cf.  Chauvin,  Encore  l'inspiration  biblique,  dans  La  Science 
catholique,  mars  1900,  p.  3oi-3i4  ;  Mangenot,  art.  Inspiration, 
dans  le  Dict.  de  la  Bible,  t.  ni,  col.  904.  —  a.  Cf.  Schmid,  Dé 
inspirationis  Bibl.  vi,  p.  64-89  ;  Chauvin,  L'inspiration,  p.  33* 
46  ;  Lagrange,  L'inspiration,  dans  la  Revue  biblique,  1896,  t.  V» 
p.  206-214,  488-493,  499-5o5  ;  Mangenot,  loc.  cit.,  col.  gô3. 


2l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■     '  — — —  '  ^ — — ^— — 

qui  le  composent,  grâce  à  l'action  illuminatrice  de 
l'inspiration  (i).  C'est  ainsi,  croyons-nous,  que  s'ex- 
plique ce  que  disent  saint  Luc  et  l'auteur  du  second 
livre  des  Machabées.  De  son  propre  aveu,  saint  Luc 
a  puisé  ce  qu'il  raconte  dans  ce  qu'il  a  appris  par 
ouï-dire  ;  il  s'est  déterminé  lui-même  à  écrire";  il  a 
tout  disposé  et  ordonné,  d'après  sa  manière  de  voir 
personnelle  (2)  L'historien  des  Machabées  s'est 
décidé  lui-même  à  prendre  la  plume,  il  s'en  est 
rapporté  à  des  sources  profanes,  il  a  fait  œuvre  de 
critique  sur  les  livres  de  Jktson  (3).  El  pourtant,  les 
deux  auteurs  ont  été  inspirés  l'un  et  l'autre  ;   l'ins- 

1.  «  S'il  s'agit  de  l'action  de  Dieu  sur  l'intelligence  par  l'ins- 
piration, dans  ce  premier  stade  de  la  composition,  elle  consiste 
à  élever  l'esprit  de  l'écrivain  sacré  de  manière  à  ce  qu'il  juge 
avec  certitude  de  la  vérité  divine  des  objets  présentés  à  son 
esprit:  rien  de  moins  quant  à  la  certitude,  rien  de  plus  quant 
à  la  manière  dont  les  objets  lui  sont  d'abord  connus.  Il  n'est 
donc  pas  nécessaire  d'admettre,  ni  que  Dieu  ait  révélé,  fourni, 
suggéré  une  seule  idée,  ni  que  l'écrivain  sacré  sache  que  c'est 
lui  qui  parle   et  donne  à  l'objet  une  certitude  divine.  Mais, 
d'autre  part,  cette  certitude  divine  existe  dans  son  jugement, 
et  tout  ce  qu'il  affirmera  en  vertu  de  cette  lumière  prendra 
son  infaillibilité  dans  la  vérité  divine  elle-même;  c'est  Dieu  qui 
est  la  cause  du  jugement  certainement  vrai;  c'est  donc  lui  qui 
l'a  prononcé,  c'est  lui  qui  parle  et  qui  enseigne...  L'inspiration, 
telle  que  saint  Thomas  l'entend,  est  incompatible  avec  l'erreur. 
Si  Dieu  agit  sur  l'esprit,  et  si  cette  action  n'est  pas  une  révéla- 
tion, ni  même  nécessairement  une  suggestion  de  choses  con- 
nues, ce  doit  donc  être  du  moins  une  lumière  pour  mieux 
connaître  ;  le  jugement  étant  l'acte  propre  de  la  connaissance, 
cette  lumière  doit  faire  produire   un  jugement  vrai;    cette 
vérité,  venant  de  Dieu,  participe  à  la  certitude  divine,  consti- 
tue un  enseignement  divin  pour  celui  qui  la  reçoit  et  pour 
celui  auquel  elle  est  transmise  ;  un  enseignement  divin  est 
incompatible  avec  l'erreur,  puisque  Dieu  ne  peut  ni  se  trom- 
per, ni  nous  tromper.   Toutes  ces   propositions   s'enchaînent 
sans  effort.  »  Lagrange,  L'inspiration,  dans  la  Revue  biblique, 
1896,  p.  210.  —  2.   Luc.,  1,   1,  3.  —  3.  II  Mach.,  11,  24,  27  ; 
*v,  3g. 


INFLUENCE  DE  L  INSPIRATION  SUR  LA  VOLONTE       2IJ 

piration  ne  leur  a  rien  appris,  mais  son  action  illu- 
minatrice  a  spécialement  éclairé  l'objet  de  leur 
science  et  fortifié  leur  esprit,  au  point  que  ce  qu'ils 
ont  écrit  est  bien  ce  que  Dieu  a  voulu  qu'ils  écri- 
vissent. 

III.  Influence  de  l'inspiration  sur  la  volonté. 
—  i.  L'inspiration  est  avant  tout  une  motion  sur  la 
volonté  de  l'écrivain  pour  le  déterminer  à  écrire  ; 
c'est  une  motion  anlécédente  et  prévenante.  Dieu 
en  prend  l'initiative,  il  touche,  saisit,  pénètre,  suré- 
lève et  détermine  infailliblement  la  volonté  de  celui 
qu'il  a  choisi  pour  collaborateur  en  vue  de  l'acte 
divin  à  produire  ;  tantôt  par  un  ordre  positif  et 
formel,  le  plus  souvent  par  une  invitation  secrète 
mais  efficace,  toujours  avec  plein  succès.  Et  pour 
que  les  saints  de  Dieu  aient  parlé,  selon  l'expression 
catégorique  de  saint  Pierre,  sous  Y  impulsion  du 
Saint-Esprit,  une  simple  motion  morale  n'aurait  pas 
suffi  ;  il  y  fallait  une  motion  physique,  «  une  de 
ces  touches  irrésistibles  et  mystérieuses,  par  les- 
quelles l'Esprit-Saint  change  à  son  gré,  remue, 
transforme  les  volontés  humaines  (i).  » 

2.  Que  l'ordre  ait  été  formellement  exprimé, 
comme  nous  le  savons  pour  certains  cas,  de  l'aveu 
même  des  auteurs  inspirés,  ou  qu'il  ait  été  plus  ou 
moins  exprès  et  simplement  intérieur,  peu  importe; 
l'écrivain  sacré  n'a  pu  s'y  soustraire  et  y  a  librement 
répondu.  Il  n'est  pas  nécessaire  du  reste  que  l'ha- 
giographe  ait  eu  conscience  de  l'influence  exercée 
par  le  Saint-Esprit  sur  sa  volonté,  puisque  cette 
influence  peut  agir  sans  que  celui  qui  la  reçoit  s'en 
rende  compte,  et  sans  qu'elle  soit,  bien  que  mysté- 
rieuse, efficacement  triomphante.  Il  se  peut  même 

i.  Chauvin,  L'inspiration,  p.  29. 


2l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

que  l'écrivain  s'en  taise,  mais  ce  n'est  pas  une 
preuve  qu'il  ne  s'en  soit  pas  rendu  compte,  et  il 
nous  est  interdit  de  dire  que  cette  conscience  lui  ait 
fait  défaut. 

3.  D'après  le  Souverain  Pontife,  cette  motion 
divine  produit  sur  l'écrivain  sacré  la  volonté  d'écrire 
fidèlement  ce  que  Dieu  lui  a  commandé  d'écrire. 
Le  motif  déterminant  de  sa  résolution  doit  donc 
être  l'ordre  divin  perçu  de  quelque  manière  ;  mais 
ce  motif  n'est  pas  exclusif;  il  peut  en  exister  d'au- 
tres, extérieurs  et  naturels  en  soi,  quoique  surnatu- 
rellement  ordonnés  de  Dieu.  Ainsi  saint  Luc  a  écrit 
par  amitié  pour  Théophile;  saint  Paul,  pour  répon- 
dre aux  questions  qu'on  lui  posait  ou  aux  nécessités 
des  églises  ;  saint  Marc,  au  dire  de  Clément  d'Alexan- 
drie (1),  pour  satisfaire  la  piété  des  Romains.  Ces 
motifs  ne  les  ont  pas  empêchés  d'être  poussés  par 
Dieu,  et  ont  pu  être  eux-mêmes  voulus  de  Dieu. 

[\.  Comment  expliquer  dès  lors  que  les  écrivains 
sacrés  soient  restés  libres  sous  l'action  de  Dieu? 
C'est  toujours  la  question  du  concours  de  la  grâce 
et  de  la  liberté  ;  et  à  défaut  d'une  explication  meil- 
leure de  ce  mystère,  il  faut  toujours  en  revenir  à 
celle  de  saint  Thomas.  La  créature  libre  est  mue, 
déterminée  par  Dieu,  selon  sa  nature  propre,  et  donc 
librement.  L'inspiration  n'est  pas  plus  incompatible 
que  toute  autre  grâce  efficace  avec  l'usage  de  la 
liberté.  On  pourrait  même  dire  que  l'action  libre  de 
l'homme,  sous  la  motion  efficace  de  l'inspiration, 
n'en  est  que  plus  libre  en  devenant  divine.  Toujours 
est-il  qu'éclairé  dans  son  intelligence,  mû  dans  sa 
volonté,  l'écrivain  inspiré  réalise  la  volonté  divine, 
tout  en  gardant  sa  nature  propre.  Ce  qu'il  nous 
transmet,  c'est   bien  l'œuvre  de  Dieu  ;    mais  c'est 

i.  Dans  Eusèbe,  llist.  eccl.,  vi,  i4;  Pair,  gr.,  t.  xx,  col.  55 1. 


INFLUENCE    SUR    LA    REDACTION  219 

aussi,  comme  le  dit  le  P.  Lagrangc,  sa  chair  et  son 
sang,  le  produit  de  ses  réflexions  et  de  ses  veilles, 
de  ses  informations  et  de  ses  labeurs,  c'est  l'éclosion 
de  son  esprit  et  de  son  cœur  ;  c'est  d'autant  plus  lui 
que  son  intelligence  était  élevée  et  agrandie,  et  sa 
volonté  guidée  par  l'Esprit-Saint  (i). 

IV.  Influence  sur  la  rédaction  ou  assistance 
continue.  —  i.  L'écrivain  sacré,  par  une  motion 
prévenante  et  efficace,  est  poussé  à  écrire  ;  par  une 
illumination  de  l'intelligence  qui  pénètre  aussi 
l'imagination,  il  voit  ce  qu'il  doit  écrire  :  l'idée  et 
le  cadre  du  livre  sont  là  devant  lui  ;  il  ne  reste  plus 
qu'à  traduire  l'idée,  qu'à  remplir  le  cadre.  Mais  pen- 
dant ce  travail  de  composition  et  de  rédaction, 
l'Esprit-Saint  ne  l'abandonnera  pas  ;  car  il  faut  qu'il 
conçoive  exactement,  qu'il  veuille  rapporter  fidèle- 
ment et  qu'il  exprime  avec  une  vérité  infaillible 
tout  ce  que  le  Saint-Esprit  lui  prescrit  d'écrire  et 
rien  que  cela.  Donc  point  de  négligences  ou  de 
distractions  qui  altéreraient  sa  pensée  ou  trahiraient 
sa  volonté  ;  point  d'infidélité  à  la  motion  et  à  Eillu- 
mination  reçues  ;  point  de  défaut  ou  d'inexactitude 
dans  les  formules  ou  dans  la  rédaction.  Il  est  failli- 
ble, mais  l'Esprit-Saint  veille  et  l'assiste  pour  empê- 
cher l'erreur  de  se  glisser  sous  sa  plume.  L'assis- 
tance divine  garantit  l'exécution  de  l'œuvre  ;  néga- 
tive ou  positive,  elle  écarte  l'erreur  et  tout  ce  qui 
serait  de  nature  à  altérer  la  pensée  divine,  tout  en 
se  prêtant  à  l'état  d'âme,  au  caractère,  au  tempéra- 
ment, aux  qualités  du  rédacteur  et  aux  circonstances 
parmi  lesquelles  il  écrit  ;  toujours  là,  chaque  fois 
que  l'écrivain  inspiré  se  consacre  à  sa  tâche,  et  jus- 
qu'au moment  où  il  a  complètement  achevé  son 
Uvre. 

1.  L'inspiration,  loc.  cit.,  p.  a  18. 


220  LE    CATECHISME    ROMAIN 

2.  Une  telle  assistance  ressemble,  si  l'on  veut,  à 
celle  qui  est  assurée  aux  papes  et  aux  conciles  dans 
les  définitions  dogmatiques,  elle  est  de  même 
nature,  mais  en  diffère.  Car,  pour  les  papes  et  les 
conciles,  l'assistance  est  purement  négative  et  ne 
fait  que  préserver  de  l'erreur  ;  elle  ne  s'applique 
exclusivement  qu'à  la  définition  proprement  dite  ; 
pour  Técrivain  sacré,  au  contraire,  elle  fait  partie 
de  l'inspiration  ;  elle  s'étend  d'un  bout  à  l'autre  du 
livre,  ce  qui  implique  une  inerrance  complète. 
Papes  et  conciles  ne  sont  infaillibles  qu'en  vertu 
de  Fassistance  promise  et  dans  des  conditions 
déterminées  ;  ils  ne  sont  pas  inspirés.  Les  auteurs 
sacrés,  au  contraire,  ne  sont  assistés  dans  la  com- 
position de  leurs  livres,  et  par  suite  infaillibles,  que 
parce  qu'ils  sont  inspirés,  et  ils  sont  inspirés  préci- 
sément pour  écrire  leurs  livres. 

2°  La  part  de  l'homme  dans  l'inspiration 

i.  Ce  que  l'écrivain  inspiré  n'est  pas.  —  Pour 
être  inspiré,  l'écrivain  sacré  n'en  reste  pas  moins 
un  homme,  et  n'en  conserve  pas  moins  sa  person- 
nalité distincte,  sa  nature  et  son  activité  propres. 
L'inspiration  ne  supprime  rien  de  ce  qu'il  a,  de  ce 
qu'il  est.  Elle  le  respecte,  le  traite  comme  un  ins- 
trument animé,  intelligent  et  libre,  capable  de  vou- 
loir et  d'agir,  de  concevoir  et  de  juger,  de  travailler 
et  d'écrire  avec  ses  ressources  naturelles.  Elle  ne  le 
réduit  pas  au  rôle  d'un  simple  scribe,  à  l'action 
purement  mécanique  d'un  copiste,  à  la  condition 
d'un  canal  de  transmission,  pas  même  au  rôle  d'un 
secrétaire  rédacteur  sans  la  moindre  initiative,  et 
qui  n'a  pour  fonctions  que  de  recevoir  des  indica- 
tions et  des  ordres  et  de  traduire  ainsi  la  pensée  exclu- 
sive de  son  maître.  L'Ecriture  elle-même  nous  montre, 


PART    DE    L  HOMME    DANS    L  INSPIRATION  221 

en  effet,  que  tel  n'a  pas  été  le  cas  de  saint  Luc,  quand 
il  a  composé  son  Evangile,    ni  ^elui  de  l'auteur  du 
second    livre    des   Machabées.    Ces    deux    auteurs, 
manifestement,  ont  fait  une  œuvre  très  personnelle 
et  qui  n*a  pas  été  sans  leur  coûter  beaucoup  d'efforts. 
Est-ce  à  dire,  par  analogie,   qu'il  en  a  été  de  même 
de  tous  les  écrivains  inspirés  ?  Ceux-ci,  sans  aucun 
doute,  ne   nous  ont  pas  fait  part  du  labeur  person- 
nel qu'ils  ont  apporté  dans  la  rédaction  de   leurs 
livres  ;   quelques-uns  même  ont    semblé    signifier 
qu'ils  n'étaient,  au  service  du  Saint-Esprit,  que  des 
échos  fidèles,  des  «  scribes,  »  des  «  plumes.  »    Mais 
il  convient  de  ne  pas  trop  presser  le  sens  de  ces 
expressions,  et  on  doit  s'interdire  de  n'y  voir  qu'une 
action   exclusivement   mécanique.    Le   Saint-Esprit 
aurait  pu  utiliser  ainsi  des  instruments  humains, 
mais  il  ne  Ta  pas  fait  ;  il  les  a  traités  comme  des 
êtres  intelligents   et   libres  ;    et  en  les  appelant  à 
l'honneur  d'une  collaboration  divine,   il  les  a  pris 
pour  ce  qu'ils  étaient.  Et  de  même  que  la  confidence 
de    saint  Luc   et  de   l'auteur   du   second  livre  des 
Machabées  ne  nous  autorise  pas  à  exclure  l'inter- 
vention surnaturelle  de  Dieu,  qui  en  fait  des  auteurs 
inspirés,     de   même    les    expressions   de    quelques 
autres  écrivains  sacrés  nous  interdisent  de  conclure 
qu'ils  n'ont  apporté  dans  leur  collaboration  à  l'œu- 
vre divine   qu'un   concours  purement  mécanique. 
N'oublions   pas,   en    effet,   que,    selon  l'expression 
significative    du   concile  du   Vatican,    reprise    par 
Léon  XIII,  les  livres  saints  ont  été,  non  pas  scripti, 
mais  conscripti.    Scripti  est  un  terme  qui  pourrait 
s'entendre  soit  de  l'action  d'un  scribe,  qui  écrit  sous 
la  dictée,  soit  de  celle  d'un  secrétaire  rédacteur  qui 
exprime  avec  une  certaine  liberté  les  pensées  qu'on 
lui  indique.  Conscripti,  au  contraire,  ne  peut  signi- 
fier autre  chose  ici,   sinon  que  les  Livres  saints  ont 


22  2  LE    CATECHISME    ROMAIN 

été  composés,  par  les  écrivains  sacrés,  sous  l'inspi- 
ration du  Saint-Esprit.  Quelle  est  donc  la  part  réelle 
qui  revient  à  l'auteur  inspiré  ? 

2.  Part  des  écrivains  sacrés  dans  la  compo- 
sition des  Livres  saints.  —  Pas  plus  que  la  grâce 
ne  détruit  la  nature,  mais  au  contraire  l'élève  et  la 
perfectionne,  le  charisme  de  l'inspiration  ne  sup- 
prime la  personnalité  de  l'écrivain,  mais  au  con- 
traire élève  et  perfectionne  ses  facultés  natives. 
L'écrivain  est  pris  par  Dieu  avec  tout  ce  qu'il  est, 
avec  tout  ce  qu'il  a  ;  Dieu  le  destine  à  écrire  un 
livre  sacré,  sans  détruire  ou  paralyser  en  rien  sa 
nature  ;  il  la  parfait  plutôt  par  là  même  qu'il  l'uti- 
lise. Sous  la  motion  divine,  l'écrivain  sacré  pense, 
médite,  combine,  prend  la  plume,  trace  son  cadre, 
écrit,  tout  comme  s'il  était  livré  à  ses  seules  forces, 
à  son  initiative  personnelle  et  privée.  Son  activité 
d'auteur  n'est  ni  absorbée,  ni  anéantie  ;  elle  se 
déploie  librement  ;  elle  s'exerce  d'après  la  loi  com- 
mune. Ses  facultés  conservent  leur  vitalité,  leur 
énergie  propres  ;  elles  agissent,  chacune  dans  sa 
sphère,  conformément  à  leur  nature.  L'œuvre  dès 
lors  ne  pourra  que  porter  l'empreinte  caractéristi- 
que de  l'écrivain  ;  elle  sera  de  lui,  du  commence- 
ment à  la  fin,  du  premier  au  dernier  mot  ;  elle  sera 
sienne,  qu'il  la  signe  ou  non.  Mais,  en  même  temps, 
grâce  à  l'inspiration,  elle  sera  de  Dieu,  elle  sera 
divine. 

Dans  le  phénomène  complexe  de  l'inspiration,  il 
y  a  d'abord  la  motion  divine  qui  pousse  à  écrire  : 
l'écrivain  sacré  s'y  prête  en  toute  liberté,  car  il 
■  pourrait  s'y  soustraire,  bien  qu'en  fait  il  lui  obéisse. 
Il  y  a  Y  illumination  qui  éclaire  et  met  en  relief 
saisissant  ce  qui  devra  être  consigné  par  écrit,  et 
qui  en  même  temps  pénètre  et  fortifie  Fintelligence, 


PART    DE    L'HOMME    DANS    L'INSPIRATION  2  23 

de  manière  à  lui  faire  prononcer  un  jugement  en 
connaissance  de  cause  :  L'écrivain  sacré,  sous  cette 
influence  illuminatrice,  voit  mieux,  distingue  plus 
nettement,  pénètre  plus  à  fond  et  saisit  avec  pkus 
d'à  propos  ce  qu'il  convient  de  faire  entrer  dans  la 
trame  du  livre  dont  il  a  déjà  conçu  le  projet.  Il  y  a 
enfin  Vassistance  divine  durant  le  cours  de  la  rédac- 
tion et  de  la  composition.  Cette  multiple  interven- 
tion divine,  due  à  l'inspiration,  fait  que  l'écrivain 
sacré,  comme  dit  Léon  XIII,  conçoit  exactement, 
veut  rapporter  fidèlement  et  exprime  avec  une  vérité 
infaillible  tout  ce  que  Dieu  lui  ordonne  et  seule- 
ment ce  qu'il  lui  ordonne  d'écrire. 

Mû  ou  poussé  à  écrire,  assisté  pour  écrire,  et  ainsi 
sous  l'action  inspiratrice  du  Saint-Esprit,  que  fait  donc 
l'écrivain  sacré  ?  Il  travaille  personnellement  :  con- 
sultation des  sources,  dépouillement  des  documents, 
rassemblement  des  matériaux,  classement  des  notes, 
disposition  des  matières,  il  tire  de  son  fond  ou  puise 
ailleurs  ;  et  peu  à  peu,  sous  l'effort  de  la  réflexion, 
il  conçoit  mentalement  son  livre,  il  le  formule  dans 
son  esprit,  et  cela  d'autant  mieux  qu'il  est  sous  l'ac- 
tion prévenante  et  illuminatrice  du  Saint-Esprit. 
Tout  ce  labeur  procède  de  lui  ;  mais,  parce  qu'il  est 
par  ailleurs  tout  pénétré  de  lumière  surnaturelle,  il 
aboutit  infailliblement  à  l'humaine  conception  des 
pensées  divines  ;  sa  propre  pensée  se  trouve  être 
exactement  celle  de  Dieu,  celle  que  le  Saint-Esprit 
veut  lui  faire  écrire. 

Il  n'a  plus  qu'à  la  formuler  extérieurement,  qu'à 
la  consigner  par  écrit.  Nouveau  travail,  labeur  de 
rédaction,  tout  à  la  fois  personnel  et  divin  comme 
le  précédent.  Garanti  contre  l'erreur  par  l'assistance 
du  Saint-Esprit,  l'écrivain  sacré  exprime  sa  pensée 
qui  est  celle  de  Dieu.  Le  choix  des  mots  d'après 
leurs  convenances,  leur  combinaison  d'après  les  lois 


224  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

de  la  grammaire  et  de  la  syntaxe,  les  formules  et  le 
style,  tant  qu'ils  ne  trahissent  pas  la  pensée  voulue 
par  Dieu  et  devenue  la  sienne,  sont  laissés,  pourrait- 
on  dire,  à  sa  propre  initiative  ;  mais,  pourtant,  il 
n'est  pas  seul,  Dieu  est  toujours  là  avec  l'inspira- 
tion. L'auteur  sacré  écrira  donc,  comme  s'il  était 
livré  à  lui-même,  comme  on  écrit  à  son  époque,  de 
manière  à  se  faire  comprendre  de  ses  lecteurs  ;  et 
dans  cette  expression  écrite  de  sa  pensée,  dans  le 
livre  sorti  de  sa  plume,  ce  sera  bien  lui,  person- 
nellement, avec  sa  culture  intellectuelle,  son  talent 
dislinctif,  son  cachet  caractéristique,  qu'on  lira  ; 
mais  ce  sera  en  même  temps  Dieu  lui-même,  Dieu 
qui  l'a  inspiré. 

3.  Ce  qu'est  le  Livre  sacré.  —  De  cette 
manière,  le  Livre  inspiré  a  pour  auteur  à  la  fois 
Dieu  et  l'homme  ;  Dieu  en  est  l'auteur  principal, 
l'homme  l'auteur  instrumental.  C'est  la  formule 
même  de  saint  Thomas  d'Aquin  (i),  connue  aussi 
l'application  féconde  et  lumineuse  de  la  notion  qu'il 
donne  de  la  cause  principale  et  de  la  cause  instru- 
mentale. «  La  cause  efficiente,  dit-il,  se  divise  en 
cause  principale  et  cause  instrumentale.  La  cause 
principale  est  celle  qui  opère  par  la  vertu  de  sa 
forme  à  laquelle  s'est  assimilé  l'effet  ;  c'est  ainsi  que 
le  feu,  en  vertu  de  sa  chaleur,  chauffe.  La  cause 
instrumentale,  elle,  n'agit  pas  par  la  vertu  de  sa 
forme,  mais  seulement  par  le  mouvement  dont  la 
méat  l'agent  principal  (2).  »  Or  «  l'instrument  a 
deux  actions  :  l'une,  instrumentale,  selon  qu'il 
opère,  non  en  sa  vertu  propre,  mais  en  vertu  de  l'agent 
principal  ;  l'autre,  propre,  qui  lui  revient  selon  sa 
propre  forme,  tout  comme  il  convient  à  la  scie  de 

1.  Quodl.t  vu,  a.  i4>  ad.  5.  —  2.  Sum  theol,  III,  q.  lui,  a.  l« 


PART    DE    L'HOMME    DANS    L'iNSPIRATION  225 

scier,  en  raison  de  son  acuité,  et  de  faire  un  lit, 
en  tant  qu'elle  est  l'instrument  de  l'artisan  (i).  »  De  ; 
même  dans  l'inspiration.  L'effet  de  l'inspiration  est 
l'écriture  d'un  livre  ;  cette  écriture  revient  à  Dieu 
comme  à  son  auteur  principal  qui  a  mu  l'instru- 
ment choisi,  ou  l'auteur  sacré,  en  l'excitant,  l'illu- 
minant et  l'assistant,  c'est-à  dire  en  l'inspirant  ; 
cette  écriture  revient  aussi  à  l'hagiographe  comme  à 
son  auteur  instrumental,  parce  que,  sous  la  motion, 
l'illumination  et  l'assistance  divine,  c'est-à-dire  sous 
l'action  de  l'inspiration,  il  a  fait  acte  personnel  de 
volonté  et  d'intelligence  dans  la  conception,  la  dis- 
position et  l'ordonnance  des  matières,  dans  la  com- 
position et  la  rédaction  du  livre.  Et  ainsi,  dans  le 
livre  écrit,  tout  est  à  Dieu,  tout  est  de  Dieu,  mais 
par  l'homme  ;  tout  est  à  l'homme,  tout  est  de 
l'homme,  mais  par  Dieu  ;  totalement  et  intégrale- 
ment, le  livre  est  l'œuvre  de  Dieu  ;  totalement  et 
intégralement,  le  livre  est  de  l'auteur  inspiré  :  de 
l'homme,  comme  de  l'auteur  instrumental;  de  Dieu,, 
comme  de  l'auteur  principal  (2). 

r 

1.  Ibid.,  a.  1,  ad  2.  —  2.  Cf.  Pègues,  Une  pensée  de 
saint  Thomas  sur  l'inspiration  seripturaire,  dans  la  Revue 
thomiste,  1890,  p.  96-112.  «  La  Bible,  dit  M.  Loisy  (Etudes 
bibliques,  Paris,  1901,  p.  35),  contient  un  élément  divin 
et  un  élément  humain.  Mais  ces  deux  éléments  se  pénè- 
trent l'un  l'autre  pour  constituer  une  œuvre  divino-hu- 
maine  dans  laquelle  on  ne  saurait  faire  deux  parts,  celle 
de  l'activité  divine  et  celle  de  l'activité  humaine.  Ces  deux 
activités  ont  agi  per  modum  unius,  comme  disent  les  scolasti- 
ques.  Le  livre  inspiré  tout  entier  est  tout  à  la  fois  l'œuvre  de 
Dieu  et  l'œuvre  de  l'homme  :  de  Dieu  comme  auteur  princi- 
pal, de  l'homme  comme  auteur  subordonné  à  Dieu.  Dire  que 
Dieu  est  l'auteur  des  idées;  que  l'homme  est  l'auteur  des  mots  ; 
que  Dieu  est  l'auteur  du  fond  et  l'homme  l'auteur  de  la 
forme  ;  que  Dieu  est  l'auteur  des  passages  dogmatiques  ou  , 
moraux  et  que  l'homme  est  l'auteur  des  passages  historiques 
ou   simplement    des   obiter   dicta   :    c'est,    comme    l'observe 

LH  CATÉCHISME.  —  T.    III.  I^ 


2  26  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 


1.  Les  auteurs  des  Livres  saints  :  Dieu  et 
l'homme.  —  «  Avec  les  conciles  nous  cherchons  la 
raison  du  caractère  propre  des  Livres  saints.  Nous  ne 
prenons  pas  pour  point  de  départ  la  formule  dogmati- 
que :  Dieu  est  l'auteur  des  divers  saints  ;  mais  nous 
devons  tenir  une  notion  de  l'inspiration  qui  la  renferme 
nécessairement.  L'objet  de  l'inspiration  étant  de  faire 
écrire  des  livres,  Dieu  choisit  son  instrument,  le  décide 
d'écrire,  puis  par  une  lumière  surnaturelle  il  élève  son 
intelligence  de  manière  à  causer  en  lui  un  jugement 
infaillible  sur  les  objets  proposés  à  sa  connaissance,  soit 
par  suggestion,  soit  par  voie  naturelle,  soit  par  révéla- 
tion. Celte  lumière  divine  lui  fait  connaître  également 
son  objet  comme  opportun  à  consigner  dans  son  livre, 
et  l'éclairé  sur  l'expression  convenable  de  la  vérité.  Après 
le  jugement  pratique,  la  volonté  est  inclinée  par  Dieu 
d'une  manière  proportionnelle  ;  cependant  elle  se  déter- 
mine  librement  à  écrire  ce  que  Dieu  lui  propose. 

«  En  conséquence.  Dieu  est  l'auteur  du  livre,  parce 
qu'il  a  suscité  un  homme  pour  l'écrire,  parce  qu'il  garan- 
tit la  véracité  de  tout  ce  qu'il  contient,  non  par  une 
approbation  postérieure,  ni  parce  qu'il  en  révèle  le  con- 
tenu, mais  parce  qu'il  cause,  grâce  au  secours  d'une 
lumière  divine,  le  jugement  de  l'écrivain  sacré.  Il  se  peut 
qu'il  n'ait  pas  fourni  une  seule  idée,  mais  il  a  voulu  tous 
les  jugements.  Il  est  encore  l'auteur  du  livre,  parce  que 
l'écrivain  sacré  s'est  décidé  constamment,  soit  dans  le 
choix  de  ses  pensées,  soit  dans  celui  des  termes,  par 
l'opportunité  objective  que  la  lumière  de  Dieu  répandait 
sur  les  pensées  qui  se  présentaient  à  lui.  Tout  l'ensei- 
gnement est  garanti  vrai,  tout  est  voulu  par  Dieu  et  il 
n'y  a  rien  autre. 

«  L'écrivain  sacré  est  l'auteur  instrumental  du  livre 
Les  idées  sont  les  siennes,  soit  qu'il  les  possède  depuis 
longtemps,  soit  qu'il  les  acquière  au  cours  de  son  travail. 

M.  Dausch,  pratiquer  la  vivisection.  Dieu  et  l'homme  sont,  à 
des  titres  divers,  les  auteurs  responsables  de  la  Bible  toute 
entière,  idées  et  mots,  fond  et  forme,  vérités  religieuses  et  don- 
nées historiques,  cosmologiques  ou  autres.  » 


PSYCHOLOGIE    DE    L  INSPIRATION  22  J 

m   A!.  j ■ 

Son  travail  est  d'un  ordre  supérieur,  mais  rien  ne  dît: 
qu'il  soit  plus  facile.  Il  fait  tout  ce  que  fait  un  autre 
auteur,  mais  il  le  fait  mieux.  Les  mots  ne  lui  sont  pas 
imposés  de  manière  à  gêner  sa  liberté,  mais  il  en  est  de 
même  des  pensées.  S'il  emploie  certaines  pensées  et  cer- 
taines expressions,  ce  n'est  pas  pour  obéir  à  un  ordre 
directement  perçu,  c'est  que  pensées  et  expressions  lui 
plaisent,  et  comme  Dieu  n'a  pas  conçu  son  livre  sans  y 
faire  entrer  la  notion  de  son  instrument,  ce  qu'il  lui 
paraît  opportun  d'écrire  sous  la  lumière  divine  n'est  pa» 
moins  spontané  que  ce  qu'il  aurait  choisi  de  lui-même 
sans  ce  secours  spécial.  De  là  le  caractère  profondément 
humain  et  individuel  de  l'Ecriture.  Tout  s'explique  en 
reconnaissant  la  Toute-Puissance  et  l'infinie  douceur  dvt 
Saint-Esprit.  »  Lagrange,  L'inspiration  des  Livres  saints? 
dans  la  Revue  biblique,  1896,  t.  v,  p.  219-220. 

2.  La  psychologie  de  l'inspiration.  —  «  En  ton*- 
bant  sur  Y  intelligence  d'abord,  la  lumière  inspiratrice  se 
décomposa.  Un  premier  rayon  —  si  je  puis  m'exprimer 
ainsi  —  atteignit  les  concepts  ou  pensées,  qui  allaient 
devenir  le  verbum  Dei  scriptum,  tandis  qu'un  second, 
pénétrant  la  puissance  elle-même,  la  fortifiait  et  facilitait- 
rémission  de  son  acte. 

«  Or,  sous  1  influence  du  premier  rayon  de  lumière 
divine,  trois  phénomènes  purent  se  produire  :  ou  bien  de» 
concepts  tout  nouveaux  furent  introduits  dans  l'intellect 
de  l'écrivain  ;  ou  bien  des  concepts  obscurs,  oubliés/  y 
redevinrent  plus  nets,  plus  définis  ;  ou  enfin  des  concept» 
préexistants  déjà  furent  simplement  réunis  et  coordon- 
nés. De  fait  et  à  tout  prendre,  l'homme  inspiré  reçut  de 
l'Esprit-Saint  l'ordre  d'écrire  soit  des  choses  qu'il  igno- 
rait entièrement,  ce  cas  fut  assez  rare  ;  soit  des  chose* 
qu'il  ne  savait  qu'imparfaitement,  qu'il  avait  oubliées,, 
totalement  ou  en  partie  ;  soit  des  choses  très  connues  de 
lui,  et  dont  sa  mémoire  gardait  encore  un  vivant  sou- 
venir. 

a  Dans  la  première  hypothèse,  le  rayon  de  lumière 
introduisit  le  concept  nouveau,  ou  mieux  se  transforma 
en  la  pensée  elle-même,  qui  se  présenta  éclatante  au 


2  28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


regard  de  l'esprit  :  «  Omne  quod  manifestatur,  dit  saint 
Paul  (Eph.,  v,  i3),  lumen  est.  »  C'était  la  révélation  pro- 
prement dite.  Il  y  eut  alors  ce  que  saint  Thomas  appelle 
acceptio  cognitorum(De  verit.,  Q.  xn,  a.  7),  et  cette  accep- 
tio cognitorum  fut  évidemment  divina  manifestatio  ignoti. 
Dieu  parla  directement  à  l'intellect  humain  et  lui  confia 
son  verbe,  sa  pensée  qui  allait  être  transmise  au  dehors 
par  l'écriture.  Nous  le  répétons,  ce  cas  de  révélation 
divine  venant  se  mélanger  à  l'inspiration  fut  assez  rare. 
*  «  Dans  la  seconde  hypothèse,  —  lorsqu'il  s'agissait  de 
rendre  plus  saisissables  ou  de  réveiller  des  concepts 
endormis  dans  le  sanctuaire  de  la  mémoire  intellec- 
tuelle, —  le  rayon  illuminateur  qui  les  touche,  les  mit  en 
tm  jour  plus  complet  et  plus  vif.  Ce  n'était  plus  la  révé- 
lation stricte,  la  révélation  totale,  comme  celle  que  sup- 
pose la  première  hypothèse  ;  néanmoins,  il  nous  faut  bien 
le  reconnaître,  cette  illumination  appartient  encore  au 
genre  de  la  révélation. 

«  Enfin,  s'agissait-il  de  réunir  des  concepts  préexis- 
tants, de  les  coordonner  entre  eux,  —  telle  est  la  troi- 
sième hypothèse,  —  le  rayon  illuminateur  dut  s'arrêter 
sur  ceux  que  Dieu  voulait  faire  siens,  les  désigner  en 
quelque  sorte  à  l'attention  actuelle  et  au  choix  de  l'écri- 
vain inspiré.  Ce  n'était  là  ni  une  révélation,  ni  une  sug- 
gestion ;  c'était  une  simple  manifestation  ou  illumination. 
Comme  l'enseigne  saint  Thomas,  les  connaissances  natu- 
relles, les  souvenirs  personnels  de  l'auteur  sacré  se  trou- 
vèrent placés  dans  une  clarté  d'un  ordre  supérieur,  sous 
le  rayonnement  de  la  lumière  même  de  Dieu  (IIa  II* , 
Q.  clxxi,  a.  3,  ad  2). 

«  Est-ce  tout?  Non.  Il  ne  suffisait  pas  que  les  concepts 
fussent  illuminés  dans  l'intellect  ;  il  fallait  de  plus  que 
la  faculté  fût  à  son  tour  et  en  même  temps  pénétrée  par 
la  lumière  inspiratrice  (De  verit.,  Q.  ix,  a.  1  ;  II0 11®, 
Q.  clxxi,  a.  1,  ad  4).  Donc,  sous  l'influence  de  cette 
lumière  d'en  haut  qui  la  pénétra,  la  fortifia,  l'éclaira, 
l'intelligence  de  l'écrivain  put  émettre  et  consommer  son 
acte  d'intuition,  de  jugement,  partant  de  connaissance; 
c'est  le  judicium  de  acceptis,  dont  parle  le  docteur  Ange- 


PSYCHOLOGIE    DE    L  INSPIRATION  22£ 

lique  (De  verit.,  Q.  xn,  a.  7).  Ainsi  aidée  par  l'Esprit- 
Saint  dans  son  travail  intime,  la  puissance  perçut  mieux 
la  vérité  en  elle-même  ;  elle  saisit  plus  clairement  les 
attaches  de  cette  vérité  avec  d'autres,  et  son  opportunité 
à  figurer  au  milieu  d'elles  dans  le  récit  ou  dans  le  con- 
texte bibliques  ;  elle  les  combina  toutes,  les  réunit,  les 
groupa,  comme  Dieu  le  voulait  et  l'entendait.  La  compo- 
sition fut  vraiment  toute  entière  l'œuvre  de  Dieu,  et  toute 
entière  l'œuvre  de  l'homme  :  l'œuvre  de  Dieu,  auteur 
principal  ;  l'œuvre  de  l'homme,  auteur  secondaire  : 
c  Effectus  totas  attribuitur  instrumento,  et  principal! 
agenti  etiam  totus...)  sed  totus  ab  utroque  secundum 
alium  modum  (Cont.  Gent.,  m,  c.  70).  »  C'est  Dieu  qui  a 
pensé,  jugé,  enseigné  avec  et  par  l'auteur  inspiré,  instru- 
ment vivant,  actif,  raisonnable.  Aussi  la  parole  que 
celui-ci  laissait  tomber  de  sa  plume  n'était-elle  plus  la 
sienne,  mais  celle  de  Dieu.  »  Chauvin,  L'inspiration  des 
divines  Ecritures,  Paris,  1896,  p.  35-39. 


Leçon  VIe 
L'Ecriture   Sainte 


Etendue  de  l'inspiration.  —  I.  Inspiration 
plènière.  —  IL  Inspiration  verbale 

I.  Inspiration  plènière 

Entre  tant  d'autres  questions  que  soulève  l'étude 
de  la  Bible,  celle  de  l'étendue  de  l'inspiration 
et  de  l'inerrance  qui  en  est  la  suite,  est  une 
<des  plus  complexes  (i).  Il  est  de  foi  que  l'Ecriture 
<e$t  inspirée  ;  mais  dans  quelle  mesure  ?  Tous  les 
livres  de  la  Bible  et  toutes  les  parties  de  chacun  de 

i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Voici  les  ouvrages  signalés  au  com- 
mencement de  la  leçon  précédente  ;  plus  particulièrement,  sur 
la  question  de  l'inspiration  verbale,  cf.  :  Pègues,  Une  pensée 
de  saint  Thomas  sur  l'inspiration  scripturaire,  dans  la  Revue 
thomiste,  i8g5,  p.  95-1  ia  ;  Revue  biblique,  1895,  t.  iv,  p.  563r 
567;  1897,  t.  vi,  p.  76-79;  Lévesque,  dans  la  Revue  biblique, 
1895,  p.  4a 5  ;  dans  la  Revue  des  Facultés  de  l'Ouest,  5»  année» 
p.  212  ;  Lagrange,  L'inspiration  des  Livres  saints,  dans  la 
Revue  biblique,  1896,  t.  v,  p.  199-220  ;  Chauvin,  L'inspiration, 
Paris,  1896  ;  Leçons  d introduction  générale,  Paris,  1898  ; 
Encore  l'inspiration  biblique,  dans  la  Science  catholique,  mars 
1900  ;  Zanecchia,  Divina  inspiratio,  Rome,  1899  ;  Dutouquet, 
Psychologie  de  l'inspiration,  dans  les  Etudes,  octobre  1900  ; 
Mangenot,  Inspiration,  dans  le  Dict.  de  la  Bible;  Schiffini,  Di- 
vinilas  Scripturarum,  Turin,  1905;  Pesch,  De  inspiratione  S.  S., 
f  ribourg-en-Brisgau,  1906. 


OPINIONS    ET    ERREURS    SUR    L'INSPIRATION  23 1 

■■  I  Ml1 

ces  livres  participent  au  privilège  de  l'inspiration  ; 
qu'entendre  exactement  par  là  ?  Le  moins  qu'on 
puisse  accorder,  c'est  que  tous  les  passages  relatifs  à 
la  doctrine  et  aux  mœurs  sont  directement  visés  par 
le  Saint-Esprit  ;  mais  les  autres  ?  En  traitant  de  la 
canonicité,  nous  avons  vu  les  hésitations  qui  se  sont 
produites  à  propos  de  certains  livres  et  de  certains 
passages  de  quelques  livres  de  l'Ancien  et  du  Nou- 
veau Testament  ;  nous  avons  vu  également  que  la 
question  de  la  canonicité  était  étroitement  liée  à 
celle  de  l'inspiration  et  en  dépendait  ;  et  nous 
savons  comment  elle  a  été  tranchée  par  l'autorité 
souveraine  de  l'Eglise.  Tous  les  livres  de  la  Bible  et 
toutes  les  parties  de  chacun  de  ces  livres  ont  été 
reconnus  comme  canoniques,  c'est  donc  que  tous 
ces  livres  et  toutes  leurs  parties  sont  regardés  comme 
inspirés  :  telle  est  la  doctrine  de  l'Eglise  qui  se 
dégage  de  l'enseignement  des  conciles  de  Florence 
et  de  Trente,  notamment  de  celui  du  concile  du 
Vatican.  Néanmoins,  à  raison  de  difficultés  d'ordre 
divers,  que  suscite  en  particulier  la  question  de 
l'inerrance  biblique,  quelques  esprits  ont  cru  qu'il 
convenait  de  restreindre  le  domaine  de  l'inspira- 
tion pour  mieux  sauvegarder  le  dogme.  En  avaient- 
ils  le  droit  ?  C'est  ce  que  nous  allons  examiner. 

i°  Opinions  et  erreurs  touchant  l'inspira- 
tion restreinte.  —  i.  Déjà,  au  xvie  siècle,  Erasme 
avait  essayé  de  restreindre  l'inerrance  de  la  Bible  et 
par  suite  l'inspiration,  en  prétendant  que  les  Evan 
gélistes,  laissés  à  eux-mêmes,  avaient  commis  des 
erreurs  de  mémoire  dans  leurs  citations  de  l'Ancien 
Testament. 

2.  Au  xvue  siècle,  Holden  (i)  accordait  bien  uue 

;.  Divinae  fidei  analysis,  Paris,  i65a. 


232  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'Ecriture  est  exempte  d'erreur.  «  Mais,  disait-il, 
dans  les  choses  étrangères  au  but  de  l'écrivain,  nous 
pensons  que  Dieu  l'a  assisté  du  secours  qu'il  donne 
à  tous  les  autres  auteurs  pieux  (i).  »  La  véritable  ins- 
piration et  l'assistance  infaillible  du  Saint-Esprit  ne 
portent  que  sur  les  matières  de  foi  et  de  mœurs;  là 
seulement,  pensait-il,  on  est  assuré  de  trouver  l'en- 
seignement divin.  Cette  manière  de  voir  offrait  un 
avantage  précieux  pour  écarter  toutes  les  objections 
que  ne  cessaient  de  faire  naître  contre  la  Bible  le 
progrès  des  sciences  naturelles  et  historiques.  En 
distinguant  dans  la  Bible  une  partie,  celle  qui  con- 
tient renseignement  dogmatique  et  moral,  comme 
absolument  préservée  par  Dieu  contre  toute  erreur, 
on  accordait  sans  peine  que  le  reste,  d'ordre  pure- 
ment humain  et  par  suite  faillible,  pouvait  ren- 
fermer des  erreurs  scientifiques  et  historiques, 
sans  nuire  en  rien  au  but  essentiel  de  l'Ecri- 
ture. 

3.  C'est  ainsi  que,  dans  la  seconde  partie  du 
xix°  siècle,  Rohling  a  cru  pouvoir  soutenir  que  l'ins- 
piration ne  s'étendait  pas  aux  questions  scientifiques 
qui  sont  parfois  mentionnées  dans  l'Ecriture  (2). 
D'après  Lenormant,  les  décisions  doctrinales  de 
l'Eglise  n'étendent  l'inspiration  qu'à  ce  qui  intéresse 
la  religion  ou  touche  à  la  foi  et  aux  mœurs,  c'est-à- 
dire  aux  seuls  enseignements  surnaturels  contenus 
dans  l'Ecriture.  Dans  le  reste,  le  caractère  humain 
de  la  Bible  se  retrouve  tout  entier;  les  auteurs  sacrés 
n'ont  pas  eu  de  lumières  exceptionnelles,  ils  ont 
suivi  les  opinions  communes  et  même  les  préjugés 
de  leur  temps.   Le  Saint-Esprit  n'a  pas  plus  révélé 

1.  Loc.  cit.,  p.  80  ;  cf.  Manning,  La  mission  temporelle  du 
Saint-Esprit,  trad.  franc.,  Paris,  1867,  p.  185-187.  —  2.  Die  J/is- 
piration  des  Bibel,  Munster,  1873. 


OPINIONS    ET    ERREURS    SUR    l/lNSPIRATION  233 

des  vérités  scientifiques  qu'une  histoire  univer- 
selle (i). 

[\.  Beaucoup  moins  exclusif,  le  cardinal  New- 
man  (2)  regardait  comme  une  vérité  de  foi  catholi- 
que que  l'Ecriture  est  divinement  inspirée  pour  tout 
ce  qui  se  rapporte  à  la  foi  et  aux  mœurs  ,  il  tenait 
pour  certain  que  l'inspiration  s'étend  aux  faits  his- 
toriques, parce  que  toute  l'histoire  biblique  est  inti- 
mement liée  à  la  révélation.  Mais  il  ne  croyait  pas 
possible  que  les  Livres  sacrés  fussent  inspirés  sous 
tout  rapport,  parce  que,  dans  ce  cas,  on  serait 
obligé  de  croire  de  foi  divine,  par  exemple,  que  la 
terre  est  immobile.  Du  reste,  disait-il,  il  semble 
indigne  de  la  majesté  divine  que  Dieu,  en  se  révé- 
lant à  nous,  prenne  sur  lui  des  fonctions  toutes  pro- 
fanes et  se  fasse  narrateur,  historien,  géographe, 
quand  les  matières  historiques  et  géographiques 
n'ont  aucun  rapport  direct  avec  la  vérité  révélée.  Il 
estimait  en  conséquence  qu'il  peut  se  rencontrer  des 
choses  dites  en  passant,  des  obiter  dicta,  telles  que 
la  mention  du  manteau  que  saint  Paul  avait  laissé  à 
Troas  chez  Carpus  (3)  et  l'assertion  que  Nabucho- 
donosor  était  roi  de  Ninive  (4),  qui  ne  fussent  ni 
inspirées,  ni  infaillibles.  C'était  laisser  la  porte 
entr'ouverte  à  la  possibilité  d'une  erreur  dans  la 
Bible  et  donner  le  droit  de  multiplier  arbitrairement 
le  nombre  des  détails  qu'on  pourrait  regarder 
comme  insignifiants. 

5.  Le  chanoine  di  Bartolo  (5)  a  imaginé  divers 

1.  Les  origines  de  l'histoire  et 'après  la  Bible,  ae  édit.,  Paris, 
1880,  t.  1,  p.  8  ;  ouvrage  mis  à  l'Index.  —  2.  On  the  inspiration, 
oj  the  Scripture,  dans  The  nineteenth  Century,  fév.  i884,  trad. 
dans  le  Correspondant,  mai  1 884,  t.  cxxxv,  p.  693-694.  — ■ 
3.  II.  Tim.,  iv,  i3.  —  4.  Judith,  1,  3.  —  5.  Les  critères  théologi" 
ques,  trad.  franc.,  Paris,  1889,  p.  a43-a58  ;  ouvrage  mis  à 
l'Index. 


234  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

— — — — — — ^ »^— —  — ^ — «— — — — 

degrés  dans  l'inspiration.  Dans  tous  les  passages 
bibliques  relatifs  à  la  foi  ou  aux  mœurs  et  dans  les 
récits  en  connexion  étroite  et  essentielle  avec  le 
dogme  et  la  morale,  l'inspiration  serait  au  degré 
supérieur  ;  dans  les  autres,  elle  serait  à  un  degré 
moindre  et  ne  garantirait  pas  l'infaillibilité  de  ce 
qui  s'y  trouve.  De  la  sorte,  une  partie  notable  de 
l'Ecriture  serait  bien  inspirée  mais  ne  jouirait  pas 
du  privilège  de  l'inerrance.  Cette  concession  était 
trop  dangereuse  pour  pouvoir  être  maintenue. 

6.  Entre  temps,  une  nouvelle  école  d'exégèse,  dite 
Ecole  large,  estimait  que  l'inspiration  ne  s'étend  pas 
aux  matières  historiques  et  scientifiques  ou  que,  si 
elle  va  jusque-là,  elle  ne  confère  pas  à  ces  matières 
le  privilège  de  l'inerrance  (i).  Mgr  d'Hulst  s'en  fit  le 
rapporteur  bienveillant  (2).  Assurément,  c'était 
débarrasser  l'apologétique  de  toutes  les  difficultés 
historiques  et  autres  ;  mais  n'était-ce  pas  en  même 
temps  une  imprudence  et  un  danger  ?  L'année  ne 
s'était  pas  écoulée  que  Léon  XIII  publiait  l'Encycli- 
que Providentissimus  Deus  qui  condamnait  les  prin- 
cipes de  l'Ecole  large.  Mgr  d'Hulst  reconnut  aussi- 
tôt son  erreur.  «  Je  considérais,  écrivit-il  (3), 
comme  une  opinion  libre  (l'hypothèse)  qui  limite 
aux  matières  de  foi  et  de  morale  la  garantie  d'iner- 
rance  absolue  résultant  du  fait  de  l'inspiration.  Je 
reconnais  volontiers  que  la  dernière  partie  de  l'En- 
cyclique ne  permet  plus  de  penser  ainsi.  » 

7.  L'opinion  des  partisans  de  l'inspiration  res- 
treinte s'appuie  sur  des  principes  contestables.  Elle 
mesure  tout  d'abord  l'amplitude  objective  de  l'ins- 
piration au  but  divin  qui  était  de  faire  connaître  la 

1.  Cf.  Loisy,  La  question  biblique  et  V inspiration,  p.  11-16. — 
2.  La  question  biblique,  dans  le  Correspondant,  25  janvier  1898. 
—  3.  Lettre  du  22  décembre  i8q3,  dans  Brandi,  La  question, 
biblique,  trad.  franc.,  Paris,  1894,  p.  22g, 


OPINIONS    ET    ERREURS    SUR    i/lNSPIRATION  235 

vérité  dogmatique  et  morale,  c'est-à-dire  l'enseigne- 
ment religieux.  Or,  ce  serait  là  donner  à  croire  que 
les  vérités  d'ordre  religieux  et  moral  constituent 
seules  l'objet  de  la  révélation  ;  et  ce  serait  penser  à 
tort,  comme  le  remarque  Léon  XIIÏ,  que  lorsqu'il 
s'agit  de  la  vérité  des  doctrines,  il  ne  faut  pas  recher- 
cher surtout  ce  qu'a  dit  Dieu,  mais  examiner  plutôt 
le  motif  pour  lequel  il  a  parlé  ainsi.  —  Elle  suppose 
ensuite  que  l'infaillibilité  de  l'Ecriture  a  les  mêmes 
limites  que  celle  de  l'Eglise,  laquelle  s'étend  seule- 
ment aux  matières  de  foi  et  aux  règles  de  morale. 
Cette  parité  prétendue,  observe  M.  Chauvin  (i), 
repose  sur  une  équivoque  palpable.  L'infaillibilité* 
donnée  à  l'Eglise  est  le  résultat  d'une  assistance 
divine  spéciale,  qui  lui  a  été  promise,  et  qui  lui  est 
accordée,  pour  qu'elle  conduise  sûrement  les  hom- 
mes au  salut  ;  tandis  que  l'infaillibilité  de  la  Bible 
est  le  résultat  d'une  inspiration  d'un  ordre  tout  dif- 
férent, et  qui,  d'après  les  Pères  et  les  conciles, 
embrasse  toutes  les  parties  indistinctement  des  Livres 
saints.  —  Cette  opinion  pose  enfin  en  principe  que 
l'inspiration  plénière  de  la  Bible  constituerait  un 
obstacle  sérieux  au  progrès  de  l'exégèse  catholique 
et  entraînerait  comme  conséquence  l'inerrance  abso- 
lue de  l'Ecriture,  ce  qui  rendrait,  sinon  impossible, 
du  moins  très  difficile  la  défense  des  Livres  saints 
contre  les  attaques  de  la  science  moderne.  Or, 
c'est  là  supposer  qu'il  peut  se  rencontrer  dans  la 
Bible  des  erreurs  formelles,  ce  que  Léon  XIII, 
comme  nous  allons  le  voir,  ne  veut  concéder  à 
aucun  prix,  parce  que,  dit-il,  entre  les  sciences  vrai- 
ment dignes  de  ce  nom  et  les  phrases  bibliques 
expliquées  comme  il  convient,  il  n'y  a  point  et  ne 
saurait  y  avoir  de  conflit. 

i.  L'inspiration,  p.  139. 


236  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


8.  Avec  leur  double  principe  de  Y  immanence  et  du 
symbolisme,  les  «  modernistes  »  réduisent  les  Livres 
saints  à  n'être  que  le  recueil  des  expériences  reli- 
gieuses faites  dans  le  passé.  «  C'est  Dieu  qui  parle 
dans  ces  Livres  par  l'organe  d'un  croyant  ;  maisv 
selon  la  théologie  moderniste,  par  voie  d'immanence 
et  de  permanence  vitale.  »  L'inspiration  ne  diffère 
que  par  l'intensité  du  besoin  qu'éprouve  tout 
croyant  de  communiquer  sa  foi,  par  l'écrit  ou  par 
la  parole.  «  Celte  inspiration,  ajoutent-ils,  rien, 
dans  ces  mêmes  Livres,  qui  lui  échappe.  En  quoi 
vous  les  croiriez  plus  orthodoxes  que  certains  autres 
de  ce  temps,  qui  la  rétrécissent  quelque  peu,  en  lui 
dérobant,  par  exemple,  ce  qu'ils  appellent  les  cita- 
tions tacites.  Jonglerie  de  mots  et  apparences  pures. 
Si  l'on  commence  par  déclarer,  selon  les  principes 
de  l'agnosticisme,  que  la  Bible  est  un  ouvrage 
humain,  écrit  par  des  hommes  et  pour  des  hommes, 
sauf  à  les  dire  théologiquement  divins  par  imma- 
nence, le  moyen  de  rétrécir  l'inspiration  ?  —  Uni- 
verselle, l'inspiration,  oui,  au  sens  moderniste  ; 
nulle,  au  sens  catholique  (i).  » 

2°  La  croyance  traditionnelle.  —  i.  Inspira- 
tion et  inerrance  vont  de  pair  ;  l'une  est  la  cause 
et  l'autre  la  conséquence.  Or,  il  n'est  pas  de  croyance 
plus  clairement  affirmée  que  celle  de  l'inerrance 
biblique  :  la  tradition  constante,  l'enseignement 
unanime  des  Pères  déposent  en  sa  faveur.  Aucune 
difficulté  ne  l'a  jamais  fait  révoquer  en  doute. 
Jamais  on  n'avait  songé  à  recourir  à  ce  facile  expé- 
dient qu'il  pourrait  y  avoir,  dans  la  Bible,  en  quel- 
que matière  que  ce  soit,  des  renseignements  erro- 
nés.  Et  si  on  n'y  a  pas  songé,  c'est  parce  qu'on 

i.  Encyclique  Pascendi  dominici  gregis,  du  8  septembre  1907. 


CROYANCE  TRADITIONNELLE  SUR  L'iNSPIRATION       'iS'J 


estimait  que  Dieu,  inspirateur  de  l'Ecriture,  ne 
peut  enseigner  formellement  l'erreur  ;  l'inspiration 
divine  implique,  en  effet,  l'inerrance  ;  et  comme, 
d'après  le  sentiment  universel,  l'inspiration  s'étend 
d'un  bout  à  l'autre  de  la  Bible,  l'inerrance  doit 
s'étendre  de  même. 

2.  D'inévitables  difficultés  devaient  surgir  d'une 
telle  manière  devoir;  il  s'en  est  déjà  présenté  dans 
le  cours  des  âges,  et  il  s'en  rencontre  aujourd'hui 
et  il  s'en  rencontrera  encore.  Les  Pères  ont  essayé 
de  les  résoudre  ;  mais  quel  qu'ait  été  le  résultat  de 
leurs  efforts  et  le  succès  de  leurs  explications,  tou- 
jours est-il  qu'ils  ont  entendu  sauvegarder  avant 
tout  le  dogme  de  l'inspiration  plénière  et  de  l'iner- 
rance absolue.  Léon  XIII  n'a  pas  entendu  autre- 
ment l'état  de  la  question  ;  mais,  en  maintenant 
rigoureusement  l'enseignement  traditionnel,  il  a 
indiqué  les  principes  de  solution,  dont  nous  parle- 
rons dans  la  leçon  suivante. 

3.  Avant  de  faire  connaître  la  pensée  de  Léon  XIII 
sur  la  question  actuelle,  rappelons  que  la  doctrine 
de  l'inerrance  appartient  au  dépôt  de  la  foi  catholi- 
que et  qu'elle  s'appuie  sur  celle  de  l'inspiration. 
D'après  le  témoignage  de  Notre  Seigneur  et  des 
Apôtres,  tout  ce  qui  est  écrit  est  vrai.  «  C'est  écrit,  » 
cela  veut  dire  :  c'est  Dieu  qui  a  parlé,  et  il  est  la 
vérité  et  la  véracité  même.  Les  Pères  de  l'Eglise 
imitèrent  l'exemple  donné  par  le  divin  Maître  et 
ses  disciples  ;  mais  ils  empruntèrent  leurs  citations 
au  Nouveau  Testament  comme  à  l'Ancien,  voyant 
dans  l'un  comme  dans  l'autre  la  propre  parole  de 
Dieu.  Les  difficultés  ne  les  arrêtent  pas.  Saint  Justin 
préfère  dire  qu'il  ignore  que  d'accorder  qu'un  pas- 
sage de  l'Ecriture  puisse  être  en  opposition  avec  un 
autre,   du  moment  que  les  auteurs  sacrés  ont  été 


238  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

remplis  du  Saint-Esprit  (i).  Il  ne  faut  pas  s'étonner, 
remarque  saint  Irénée,  si  nous  ne  comprenons  pas 
toute  l'Ecriture  ;  il  ne  faut  pas  surtout  admettre 
qu'elle  renferme  des  contradictions,  parce  qu'elle 
est  parfaite,  étant  la  parole  même  de  Dieu,  tandis 
que  nous  sommes  bornés  (2).  L'Ecriture  ne  se 
trompe  pas,  dit  à  son  tour  saint  Hippolyte  ;  elle  ne 
renferme  pas  de  mensonge  (3).  Origène  affirme  que, 
grâce  à  la  coopération  du  Saint-Esprit,  les  Evangé^ 
listes  ne  sont  pas  tombés  dans  l'erreur  (4).  Saint 
Basile  traduit  la  pensée  des  Pères  quand  il  enseigne 
la  fidélité  de  Dieu  et  l'inerrance  de  l'Ecriture  (5), 
Aux  juifs  et  aux  hérétiques  qui  allèguent  des  diver- 
gences dans  les  Evangiles,  saint  Chrysostome 
répond  :  Que  personne  ne  dise  que  l'histoire  de 
l'Ecriture  ment  (6).  D'après  Théodoret  de  Cyr, 
l'Ecriture  l'emporte  sur  les  documents  humains 
parce  que  rien  n'est  dit  témérairement  par  le  Saint- 
Esprit  (7). 

4.  Même  enseignement  chez  les  Pères  latins.  Saint 
Ambroise  repousse  tout  soupçon  de  négligence  ou 
de  mensonge  chez  les  Evangélistes  (8).  L'Esprit- 
Saint  ne  peut  pas  se  contredire,  affirme  saint 
Jérôme  :  défense  donc  de  dire  que  l'Ecriture  ment  ; 
il  faut  s'en  tenir  à  l'autorité  de  l'Ecriture  et  de  Dieu 
qui  enseigne  (9).  Saint  Augustin  croit  fermement  à 
Vorigine  divine  et  par  suite   à  l'inerrance  absolue 

1.  Dial.  cum  Tryph.,  65  ;  Patr.  gr..  t.  vi,  col.  626.  —  a.  Adp. 
/ia?r.,  11,  xxviii.  2,  3  ;  Pair,  gr..,  t.  vu, col.  80 \.  —  3.  In  Dan., 
I,  28  ;  m,  8  ;  édit.  Bontwetsch,  Leipzig,  1897.  p,  4i,  i36.  — 
4.  InMalth.,  xvi,  2;  Patr.  gr.,  t.  xin,  col.  i4io;  ïnJoan.,  iv, 
l8  ;  t.  xiv,  col.  258.  —  b.Dejide,  1  ;  Pair.  gr.,t.  xxx1.col.679, 

—  6.  InAct.  apost.,  homil.,  xxn,  1  ;  Pair.  gr..  t.  lx,  col.  171. 

—  7.  In  Const . ,. iv,  9  ;  Pair.  gr.ft.  lxxxi,  col.  178.  —  8.  Iw 
Luc,  ni,  1  ;  vu,  iS;  x,  107;  Patr.  lai.,  t.  xv,  col.  1589,  1677, 
1703,  i83o,  — 9.  Epist.,xvm,  7  ;  Patr.  lat.t  t.  xxn.  col.  366  :  in 
Jerem.,  x.  12  ;  t.  xxiv,  col.  743. 


CROYANCE  TRADITIONNELLE  SUR   L 'INSPIRATION       %3§ 

i*'  —       ' —    ■    '  i  ■  ■ 

des  Livres  saints  (i).  C'est,  dit-il,  l'Esprit  de  Dieu 
qui  parle  par  la  bouche  des  prophètes  et  conduit  la 
plume  des  apôtres  (2).  Toute  affirmation  absolue 
de  l'Ecriture,  môme  celle  que  l'écrivain  sacré  a 
conçue  sans  révélation,  devient  une  vraie  révélation 
pour  le  lecteur  parce  que  Dieu,  en  l'inspirant,  la 
garantit  de  sa  propre  autorité  (3).  Son  traité  sur 
l'accord  des  Evangiles  et  sa  controverse  avec  saint 
Jérôme  sur  un  passage  de  l'Epitre  aux  Galates  ont 
pour  but  d'exclure  de  la  Bible,  non  seulement  toute 
dissimulation  volontaire,  mais  toute  erreur  cons- 
ciente. 

5.  Inutile  d'insister  davantage.  Notons  seulement 
que  la  doctrine  des  Pères  a  été  la  doctrine  des  sco- 
lastiques  et  que  les  papes  Jean  XXII  (i3i6-i334)  et 
Benoît  XII  (i33£-i342)  ont  déclaré  qu'il  était  défendu 
aux  catholiques  d'attribuer  des  erreurs  à  l'Ecri- 
ture (4).  C'est  à  tort  que  l'on  a  regardé  l'enseigne- 
ment des  conciles  de  Trente  et  du  Vatican  comme 
restreignant  l'inspiration  aux  seuls  passages  dogma- 
tiques et  moraux  ;  elle  s'étend  à  tous  les  autres  pas- 
gages,  même  scientifiques  ou  historiques,  bien 
qu'ils  n'aient  pas  été  visés  directement  et  explici- 
tement par  les  décrets  de  ces  conciles.  L'Encycli- 
que Providentissi/nas  ne  laisse  aucun  doute  à  cet 
égard. 

6.  Quant  à  prétendre  que  les  Pères  n'ont  pas  eu 
h,  répondre  aux  difficultés  de  la  science  moderne, 
sans  quoi  ils  auraient  très  certainement  modifié 
leur  théorie  sur  l'inspiration  plénière  et  l'inerrance 
totale  de  la  Bible,  c'est  oublier  que,  s'il  n'ont  pas 

1.  De  Gen.  ad  litt.t  VII,  xxvm,  4  a  ;  Patr.  lat.f  t.  xxxiv, 
col.  371.  —  a.  De  doct.  christ.,  11,  6  ;  m,  37  ;  Conf.,  vu,  ai,  37; 
De  civit.y  xvm,  43.  —  3.  Epist.,  lxxxii,  i,  3  ;  t.  xxxm,  col.  377 
et  286.  —  4.  Pour  Jean  XXII,  Denzinger,  n.  419;  pour  Be- 
noit XII,  Mansi  ;  Suppl.  m,  col.  534. 


2^0  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

connu  les  difficultés  actuelles,  ils  en  ont  connu 
d'autres  tout  aussi  gênantes  et  que  jamais  ils  n'ont 
songe  à  s'en  débarrasser  en  admettant  que  l'Ecri- 
ture pût  contenir  une  erreur  quelconque. 

3°  L'enseignement  de  l'Encyclique  «  Provi- 
dentissimus.  »  —  Préoccupé  des  attaques  inces- 
santes dont  la  Bible  est  l'objet  de  la  part  des  ratio- 
nalistes et  aussi  des  concessions  imprudentes  et 
dangereuses  que  certains  catholiques  avaient  cru 
devoir  consentir  pour  faire  cesser  tout  conflit  entre 
la  Bible  et  la  science  moderne,  le  pape  Léon  XIII 
a  rédigé  son  Encyclique  Providentissimus,  en  par- 
faite connaissance  de  cause.  Il  condamne  l'opinion 
qui  cherche  à  restreindre  l'étendue  de  l'inspira- 
tion ;  il  enseigne  l'inspiration  plénière  et  l'iner- 
rance  totale,  il  déclare  l'impossibilité  de  l'erreur  ; 
il  rappelle  l'enseignement  des  Pères  de  l'Eglise, 
notamment  la  règle  de  saint  Augustin.  Voici  en 
quels  termes  il  s'explique. 

i .  Condamnation  de  l'opinion  qui  restreint  l'inspira- 
tion et  U inerrance.  —  «  Il  serait  absolument  funeste, 
soit  de  limiter  l'inspiration  à  quelques  parties  de 
l'Ecriture,  soit  d'accorder  que  l'auteur  sacré  lui- 
même  s'est  trompé.  On  ne  peut  pas  non  plus  tolé- 
rer la  méthode  de  ceux  qui  se  délivrent  de  ces 
difficultés  en  n'hésitant  pas  à  supposer  que  l'inspi- 
ration divine  ne  s'étend  qu'aux  vérités  concernant 
la  foi  et  les  mœurs,  et  à  rien  au  delà.  Ils  pensent  à 
tort  que,  lorsqu'il  s'agit  de  la  vérité  des  doctrines, 
il  ne  faut  pas  rechercher  surtout  ce  qu'a  dit  Dieu, 
mais  examiner  plutôt  le  motif  pour  lequel  il  a 
parlé  ainsi.  » 

2.  Inspiration  plénière  et  inerrance  totale.  —  C'est 
donc  qu'aux  yeux  du  Souverain  Pontife,  l'inspira- 
tion n'a  pas  de  limite,  mais  pénètre  de  part  en  part 


ENSEIGNEMENT  DE  LEON  XIII  SUR  L'iNSPIRATION       2^1 

»■ 

toute  la  Bible.  Et  comme  l'inerrance  est  la  consé- 
quence de  l'inspiration,  il  s'ensuit  qu'elle  est  totale 
comme  l'inspiration  elle-même.  «  En  effet,  dit-il, 
tous  les  Livres  entiers  que  l'Eglise  a  reçus  comme 
sacrés  et  canoniques,  dans  toutes  leurs  parties,  ont 
été  écrits  sous  la  dictée  du  Saint-Esprit.  Tant  s'en 
faut  qu'aucune  erreur  puisse  s'attacher  à  l'inspira- 
tion divine,  que  non  seulement  celle-ci  exclut  par 
elle-même  toute  erreur,  mais  encore  l'exclut  et  y 
répugne  aussi  nécessairement  que  nécessairement 
Dieu,  souveraine  vérité,  ne  peut  être  l'auteur  d'au- 
cune erreur.  Telle  est  la  croyance  antique  et  constante 
de  l'Eglise,  confirmée  enfin  et  plus  expressément 
exposée  dans  le  Concile  du  Vatican  (i).  » 

3.  Garantie  contre  l'erreur.  —  Rien  de  plus  expli- 
cite :  inspiration  plénière  et  inerrance  totale,  celle-ci 
à  cause  de  celle-là.  Mais  s'il  va  de  soi  que  Dieu  n'a 
pu  inspirer  l'erreur,  l'auteur  humain  d'un  livre 
biblique  ne  serait-il  pas  responsable  de  quel- 
qu'une? —  Nullement,  répond  Léon  XIII,  et  il 
en  donne  pour  raison  la  nature  même  de  l'inspira- 
tion, qu'il  expose  en  ces  termes  :  «  On  ne  doit 
presque  en  rien  se  préoccuper  de  ce  que  le  Saint- 
Esprit  ait  pris  des  hommes  comme  des  instruments 
pour  écrire,  comme  si  quelque  opinion  fausse 
pouvait  être  émise,  non  pas  certes  par  le  premier  au- 
teur, mais  parles  écrivains  sacrés.  »  Pourquoi  donc? 
parce  que  ces  instruments  ont  été  inspirés.  En  effet, 
le  Saint-Esprit  lui-même,  «  les  a,  par  sa  vertu  sur- 
naturelle, excités  à  écrire  ;  lui-même  les  a  assistés 
tandis  qu'ils  écrivaient,  de  telle  sorte  qu'ils  con- 
cevaient   exactement,    qu'ils     voulaient    rapporter 

i.  Le  décret  Lamentabili,  du  4  juillet  1907,  condamne  cette 
proposition,  la  xie  :  «  L'inspiration  divine  ne  s'étend  pas  de 
telle  sorte  à  toute  la  sainte  Ecriture  qu'elle  la  préserve  de  toute 
erreur  dans  toutes  et  chacune  de  ses  parties.  )> 

1  LE  CATÉCHISME.    —  T.    III,  l6 


2^2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

fidèlement  et  qu'ils  exprimaient  avec  une  vérité  in- 
faillible tout  ce  qu'il  leur  ordonnait,  et  seulement 
ce  qu'il  leur  ordonnait  d'écrire.  » 

4-  Accord  des  saints  Pères.  —  «  Tel  a  été  toujours 
le  sentiment  des  saints  Pères.  «  Aussi,  dit  saint 
Augustin  (1),  puisque  ceux-ci  ont  écrit  ce  que  le 
Saint-Esprit  leur  a  montré  et  leur  a  enjoint  d'écrire, 
on  ne  doit  pas  dire  que  lui-même  n'a  pas  écrit. 
Ceux-ci,  comme  les  membres,  ont  mis  en  œuvre  ce 
que  la  tête  leur  dictait.  »  Saint  Grégoire  le  Grand 
s'exprime  en  ces  termes  :  «  Il  est  bien  superflu  de 
chercher  qui  a  écrit  ces  livres,  puisqu'on  croit  fer- 
mement que  l'auteur  en  est  l'Esprit-Saint.  Celui-là, 
en  effet,  a  écrit  qui  a  dicté  ce  qu'il  fallait  écrire  ; 
celui-là  a  écrit  qui  a  inspiré  l'œuvre  (2).  »  Il  suit  de 
là  que  ceux  qui  pensent  que,  dans  les  passages  au- 
thentiques des  Livres  saints,  peut  être  renfermée 
quelque  idée  fausse,  ceux-là,  assurément,  ou  per- 
vertissent la  doctrine  catholique,  ou  font  de  Dieu 
lui-même  l'auteur  d'une  erreur.  Tous  les  Pères  et 
tous  les  Docteurs  ont  été  si  fermement  persuadés 
que  les  Lettres  divines,  telles  qu'elles  nous  ont  été 
livrées  par  les  auteurs  sacrés,  sont  exemptes  de 
toute  erreur,  qu'ils  se  sont  appliqués,  avec  beau- 
coup d'ingéniosité  et  religieusement,  à  faire  con- 
corder entre  eux  et  à  concilier,,  les  nombreux  pas- 
sages qui  semblent  présenter  quelque  contradiction 
ou  quelque  divergence.  Et  ce  sont  presque  les 
mêmes  qu'au  nom  de  la  science  nouvelle  on  nous 
oppose  aujourd'hui.  Ils  ont  été  unanimes  à  croire 
que  ces  Livres,  et  dans  leur  ensemble  et  dans  leurs 
parties,  sont  également  d'inspiration  divine,  que 
Dieu  lui-même  a  parlé  par  les  auteurs  sacrés,  et 
qu'il  n'a  rien  pu  énoncer  d'opposé  à  la  vérité.  » 

1.  De  cons.  Evang.t  j,  35.  —  3.  In  Job.,  praej.,  a. 


ENSEIGNEMENT  DE  LEON  XIII  SUR  L 'INSPIRATION       2^3 - 

5.  Règle  de  saint  Augustin.  —  Certes,  Léon  XIII 
n'ignorait  pas  les  difficultés  qu'a  soulevées  et  que 
soulève,  dans  certains  passages,  le  texte  biblique, 
mais  il  estimait  qu'on  doit  appliquer  ici  d'une 
façon  générale  les  paroles  que  Saint  Augustin  écri- 
vait à  saint  Jérôme  :  «  Je  l'avoue,  en  effet,  à  ta 
charité,  j'ai  appris  à  accorder  aux  seuls  livres  des 
Ecritures,  que  l'on  appelle  maintenant  canoniques, 
cette  révérence  et  cet  honneur  de  croire  très  fer- 
mement qu'aucun  de  leurs  auteurs  n'a  pu  commet- 
tre une  erreur  en  les  écrivant.  Et  si  je  trouvais  dans 
ces  saintes  Lettres  quelque  passage  qui  me  parût 
contraire  à  la  vérité,  je  n'hésiterais  pas  à  affirmer 
ou  que  le  manuscrit  est  défectueux,  ou  que  l'inter- 
prète n'a  pas  suivi  exactement  le  texte,  ou  que  je 
ne  comprends  pas  bien  (i).  » 

4°  Conséquence  de  l'enseignement  pontifi- 
cal. —  i.  D'après  cet  enseignement  de  Léon  XIII, 
le  but  de  l'inspiration  a  été  un  livre  écrit;  elle  a 
été  donnée  à  l'auteur  sacré  pour  écrire  un  livre.  Or, 
écrire  un  livre  suppose  nécessairement  le  choix  et 
la  détermination  des  pensées  à  consigner  par  écrit  ; 
cela  suppose  aussi  leur  arrangement  méthodique, 
leur  disposition  logique  ;  cela  suppose  encore  le 
choix  et  la  détermination  du  genre  littéraire,  qui 
convient  le  mieux  pour  atteindre  le  but  proposé. 
Mais  toute  pensée  demande  à  être  exprimée,  tout 
genre  littéraire  comporte  un  style  propre,  le  style 
lui-même  a  son  cachet  spécial  et  distinctif  ;  d'où  il 
suit  que  l'inspiration  atteint  l'œuvre  entière,  dans 
son  fond  et  dans  sa  forme,  dans  ses  pensées  et  dans 
son  expression  littéraire,  depuis  le  moment  initial 
où  surgit  dans  l'esprit  l'idée  d'abord  vague  d'écrire 

i.  Epist.,  lxxxii,  3  ;  Pair,  lai.,  t.  xxxiii,  col.  277. 


2/i4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

I    ir 

un  livre,    puis    l'idée    des    choses   qu'on    pourrait 
écrire,  enfin  le  projet  arrêté  de   consigner  ces  cho- 
ses par  écrit,  jusqu'à  la  mise  en  œuvre  par  un  plan 
délimité,   depuis  le  travail   préparatoire  de  la  com- 
position, et  tout  le  temps  que  dure  la  composition, 
jusqu'au  terme  final  où  la  rédaction  se  complète  et 
s'achève.  L'auteur  sacré  poursuit  tout  ce  long  tra- 
vail d'élaboration,  de   composition  et  de  rédaction, 
comme  s'il  était  livré  à  lui-même  ;  quand,  le  livre 
.  fini,  il  dépose  la  plume,  il  peut  dire  légitimement  : 
voilà  mon  œuvre.  Mais  comme,  d'autre  part,  l'ins- 
piration divine  n'a  pas  cessé  d'agir  sur  lui,  du  com- 
mencement à  la  fin,  dans  toutes  les  phases  succes- 
sives  par   lesquelles    sont     passés    son    esprit,   sa 
,  volonté,    ses  efforts,  jusqu'au  point  final,   l'Esprit- 
Saint  a   le  droit  de  revendiquer  son  titre  d'auteur 
principal  et  de  dire,  lui  aussi  :  voilà  mon  livre  ;  ce 
,  sont  bien  mes  pensées  qui  s'y  trouvent  ;   c'est  bien 
le  genre  littéraire  que  jai  choisi  qui   les  encadre.; 
c'est  bien   le  style  que  j'ai  voulu  qui  les  exprime; 
l'instrument  intelligent  qui  m'a  servi  a  pleinement 
atteint  mon  but. 

2.  Si  cette  explication  rend  bien  la  nature  de 
l'inspiration,  on  voit  que  les  obiter  dicta,  choses 
minimes  ou  humbles  détails,  clauses  ou  assertions 
d'apparence  peu  importante,  ne  répugnent  pas  à  la 
motion  inspiratrice  de  Dieu.  Et  l'on  comprend  que 
les  Pères  les  aient  interprétés  avec  tout  le  respect 
qui  est  dû  à  la  parole  divine,  et  qu'ils  y  aient  dé- 
couvert, soit  un  charme  littéraire,  soit  des  leçons 
dignes  de  Dieu  et  de  l'homme.  Pourquoi  dès  lors 
leur  refuser  le  privilège  de  l'inspiration?  Ces  cho- 
ses diles  en  passant  complètent  un  récit  et  parfois 
l'embellissent.  «  Le  soc  déchire  seul  la  terre, 
observe  finement  saint  Augustin,  et  cependant  il 
lui  faut  le  concours  des  autres  membres  de  la  char- 


ENSEIGNEMENT   DE  LEON  XIII  SUR  1/ INSPIRATION       2^5   • 

rue.  Les  cordes  d'une  harpe  et  de  tout  autre  instru-  . 
ment  de  musique  sont  seules  disposées  pour  l'har-  . 
monie,  et  cependant  elles  ne  peuvent  vibrer  qu'à  la  , 
condition  d'être  liées  à  d'autres  parties  du  mécanisme 
instrumental  que  ne  touche  pas  le  doigt  de  l'artiste. 
Ainsi  l'histoire  prophétique  a  des  passages  qui  ne 
signifient  rien,  mais  auxquels  se  rattachent  et  pour 
ainsi  dire  se  relient  les  passages  figuratifs  (i).  » 

Est-il  si  difficile,  du  reste,  de  leur  trouver  quel- 
que agrément  ou  quelque  utile  leçon  ?  Quand  nous 
lisons  qu'au  retour  de  Raphaël   et  de   Tobie,  «  le 
chien  qui  les   avait  accompagnés   dans   le  voyage 
courut  devant  eux,  comme  pour  apporter  la   nou- 
velle,  caressant    de  la    queue    et     tout   joyeux,  » 
quoi  de  plus  naturel  et   en  même  temps  de    plus 
propre  à  rappeler  le  dogme  de  la  Providence,  qui  ( 
met  les    êtres,  même  privés  de  raison,  au   service 
de  l'homme?  Et  lorsque  saint  Paul  recommande  à  - 
Timothée  de  lui  rapporter,  avec  les  livres  et  les  par-  ,." 
chemins,  le  manteau  qu'il  a  laissé  chez  Carpus,  à 
Troas,   qui   empêche    d'y   voir  une   leçon    d'ordre 
pratique  pour  montrer   au  chrétien  qu'il  ne  faut  . 
point  négliger  le  soin  des  choses  matérielles  ?    Et  . 
combien  d'autres  détails,   tout   aussi  humbles    en  [ 
apparence,  ne  pourrait-on  pas   relever  dans  l'Ecri- 
ture,  dont  le  charme  littéraire  ou  la  leçon  morale 
ont  leur  prix  !  A  quoi  bon  insister,  en  vérité,  com- 
me si  de  Dieu  à  l'homme,  à  côté  des   hauts  ensei- 
gnements  donnés  dans  la  Bible,  quelque  chose  pou- 
vait paraître  indigne  de  l'un   ou   de  l'autre  !  Dieu 
n'est-il  pas  toujours  grand,  même  quand  il  se  met  à  , 
la  portée  de  l'homme  ?  D'ailleurs,  si  l'on  admettait 
que   l'inspiration  ne  s'étend   pas  aux  obiter  dicta,  , 
quel  critère  aurait-on  pour  les  distinguer  de  ce  qui 

i.  De  civit.Dei,  xvi,  2. 


2^0  LE    CATÉCHISME  ROMAIN 

est  inspiré  ?  Et  ne  serait-ce  pas  la  porte  ouverte  à 
l'arbitraire,  dès  qu'on  se  trouverait  en  présence  de 
quelque  difficulté? 

IL   L'Inspiration  verbale 

i.  Dieu  a  inspiré  la  Bible:  l'inspiration  s'étend- 
elle  jusqu'aux  mots  eux-mêmes  qui  ont  servi  à  tra- 
duire la  pensée  divine  ?  Pourquoi  pas?  La  question, 
à  vrai  dire,  n'a  pas  été  traitée  par  les  Pères  d'une 
manière  explicite  et  approfondie.  Les  plus  anciens 
ont  comparé  les  écrivains  sacrés  à  des  instruments, 
<dont   s'est   servi  le   Saint-Esprit.   Si  l'on   peut  voir 
l'inspiration  verbale  dans  de  semblables   comparai- 
sons, on  pourrait  y  voir  aussi  l'inspiration  mécani- 
que, ce  que  tout  le  monde  repousse.  Origène,  pour- 
tant, à  la  suite  de  Philon,  a  étendu   l'inspiration 
jusqu'aux  phrases,  aux  mots  et  aux  caractères;  d'où 
tant  d'allégories,   dont  quelques-unes  ont  dû  être 
réprouvées  pour  leur  invraisemblance  et  leur  exagé- 
ration. Mais  il  a  eu   soin  d'avertir  qu'il  fallait  s'en 
tenir  plus   au  sens  qu'aux  mots.  Saint  Ambroise 
pensait  de   même,  et  pour  l'extension  de  l'inspira- 
tion et   pour   l'interprétation.  Personne   plus    que 
saint  Chrysostome  n'a  loué  la  force  de  chaque  mot 
'dans  l'Ecriture  ;  mais  il  n'est  pas  allé  jusqu'à  dire 
<jue  c'est  le  Saint-Esprit  qui  les  a  formés.  De  son 
côté,  saint  Jérôme  poussait  le  respect  des  mots  de 
l'original  jusqu'à  préférer  les  mal  traduire  que  de 
xnettre  en  péril  leur  signification  ;  mais  il  ne  pensait 
pas  que  les  termes  matériels  fussent  du  Saint-Esprit. 
Il  a  même  dit  que  l'Evangile  n'est  pas   dans  les 
Tnots  mais  dans  le  sens,   non  dans   la  surface  mais 
«ians  la  moelle  ;   il  laissait  à  d'autres   le  soin  de 
scruter  les  syllabes,  il  préférait  rechercher  la  pensée. 
Saint  Augustin  surtout  a  distingué  entre  le  fond  et 


INSPIRATION  VERBALE  2^7 

la  forme,  la  pensée  et  le  style.  Il  est  cependant 
impossible  de  nier  que  certains  Pères  n'aient  dit 
parfois  que  les  mots  et  le  style  de  la  Bible  viennent 
du  Saint-Esprit,  à  cause  du  sens  qu'ils  renferment 
et  expriment.  Et  certaines  de  leurs  expressions  peu- 
vent s'interpréter  de  l'inspiration  verbale  ou  d'une 
dictée. 

2.  C'est  en  Gaule,  au  ixe  siècle,  que  la  question 
de  l'inspiration  verbale  fut  agitée  entre  Frédégise, 
abbé  d'un  monastère  de  Tours,  et  Agobard,  évêque 
de  Lyon.  L'abbé  reprochait  à  l'évêque  de  ne  pas 
croire  que  tout  fût  inspiré  dans  l'Ecriture,  non  seu- 
lement les  pensées,  mais  encore  les  termes,  les 
façons  de  parler,  les  tours  de  phrase.  L'évêque 
répliqua  qu'il  est  absurde  de  prétendre  que  le  Saint- 
Esprit  ait  formé  lui-même  les  propres  paroles 
employées  par  les  écrivains  sacrés,  comme  l'ange 
forma  celles  de  l'âne  de  Balaam.  Il  maintint  en 
conséquence  que  l'inspiration  tombe  bien  sur  le 
sens  mais  ne  s'étend  pas  jusqu'aux  termes  (i).  La 
question  se  trouvait  mal  posée,  parce  que  l'on  con- 
fondait l'inspiration  avec  la  révélation  ;  cette  con- 
fusion a  duré  fort  longtemps.  On  regardait,  en  effet» 
l'inspiration  comme  une  dictée  matérielle  des  mots, 
si  bien  qu'à  l'époque  de  la  Renaissance,  protestants 
et  catholiques,  en  ir.î^eure  partie,  tenaient  pour 
acquise  cette  théorie.  A.  leurs  yeux,  l'auteur  inspiré 
n'aurait  été  qu'un  simple  scribe,  écrivant  sous  la 
dictée  du  Saint-Esprit.  Comment  expliquer  alors  les 
différences  de  style,  les  fautes  de  grammaire,  les 
divergences  de  rédaction?  Une  telle  difficulté  n'était 
pas  sans  créer  des  embarras  sérieux  ;  on  s'en  tirait 
en  prétendant  que  le  Saint-Esprit,  se  prêtant  à  tou- 
tes les  circonstances  de  temps,  de  lieux,  de  person- 

i.  Cont.  Fredeglsum;  Patr.  lal.t  t.  civ,  col.  iGj-i68. 


24S  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

nés,  s'était  servi  de  chaque  auteur  inspiré  sans  rien 
changer  à  sa  manière  de  concevoir  et  de  s'exprimer. 
C'était  expliquer  assez  étrangement  la  différence  des 
styles  et  des  genres  ;  c'était  surtout  supprimer  tota- 
lement l'activité  intellectuelle  des  auteurs  sacrés  et 
réduire  ceux-ci  à  de  pures  machines  à  écrire  ;  com- 
ment, en  pareil  cas,  pourrait-on  les  regarder  comme 
les  auteurs  des  livres  bibliques?  Lessius,  en  1687, 
essaya  de  réagir.  Pour  être  inspiré,  disait-il,  un 
livre  n'exige  pas  nécessairement  la  formation  des 
mots  par  le  Saint-Esprit  dans  l'intelligence  de  celui 
qui  écrit.  Une  explication  plus  convenable  s'impo- 
sait. 

3.  On  crut  la  trouver  en  posant  pour  principe 
que  si,  dans  la  Bible,  la  pensée  est  divine,  son 
expression  est  humaine.  Dans  ces  conditions,  l'écri- 
vain sacré  aurait  joui  d'une  pleine  liberté  dans  le 
choix  des  mots  et  dans  la  manière  de  s'exprimer  : 
son  genre  littéraire,  son  style,  portaient  sa  marque 
personnelle  et  gardaient  ses  défauts  comme  ses  qua- 
lités, sans  qu'il  fat  nécessaire  d'une  intervention 
directe  du  Saint-Esprit.  Mais,  comme  d'autre  part, 
avec  une  telle  initiative,  l'auteur  inspiré  pouvait  ne 
pas  rendre  avec  toute  l'exactitude  désirable  la  pen- 
sée divine,  et  comme  il  fallait  bien  garantir  suffi- 
samment la  véracité  et  l'infaillibilité  de  l'Ecriture, 
on  soutint  que  le  Saint-Esprit  avait  veillé  à  ce  que 
rien  d'erroné  ne  se  glissât  sous  sa  plume  et  l'avait 
assisté  pour  le  préserver  de  toute  infidélité,  de  toute 
erreur  ;  on  exigeait  donc  tout  au  moins  une  assis- 
tance négative. 

4.  Suarez  opta  pour  une  opinion  intermédiaire, 
celle  d'une  dictée  restreinte  et  d'une  assistance  posi- 
tive (1).  Sans  doute,  disait-il,  l'inspiration  verbale 

1.  De  fide,  disp.,  v,  sect.  ni,  n.  4»  5,  i5. 


INSPIRATION    VERBALE  2'iq 


est  nécessaire  pour  assurer  à  l'Ecriture  son  autorité 
divine  et  son  infaillible  vérité,  mais  l'infusion  des 
idées  et  la  dictée  des  mots  n'ont  été  requises  que 
pour  formuler  les  mystères  qui  dépassent  la  portée 
de  la  raison  ;  quant  au  reste,  c'est-à-dire  pour  ce 
que  l'écrivain  pouvait  connaître  ou  comprendre 
naturellement,  une  assistance  spéciale  du  Saint- 
Esprit  suffisait:  l'auteur  évitait  ainsi  tout  terme 
impropre  et  toute  erreur. 

■  Telle  fut,  en  général,  la  manière  de  voir  de  la 
plupart  des  théologiens;  point  de  dictée  proprement 
dite,  si  ce  n'est  à  titre  exceptionnel  et  dans  des  cas 
déterminés,  par  exemple  pour  exprimer  correcte- 
ment une  vérité  révélée  dogmatique  ou  morale; 
l'inspiration  des  idées  était  suffisante  ;  les  idées,  en 
effet,  forment  la  substance  du  livre  sacré,  elles  vien- 
nent de  Dieu  ;  leur  expression  écrite  appartenait  à 
l'auteur  inspiré  et  formait  le  côté  humain  de  l'Ecri- 
ture. L'auteur  inspiré  n'est  pas  une  simple  machine  ; 
il  est  un  instrument  intelligent,  capable  de  conce-; 
voir  et  de  formuler  convenablement  sa  pensée  qui, 
est  celle  de  Dieu  ;  il  la  consigne  donc  par  écrit  avec 
ses  propres  ressources  naturelles  ;  il  adopte  tel  oui 
tel  genre  littéraire  et  il  y  conforme  son  style  ;  il  dis- 
pose son  œuvre  et  la  rédige  en  lui  donnant  le 
cachet  de  sa  personnalité  ;  ainsi  s'expliquent  les 
différences,  les  lacunes  et  les  imperfections  des 
Livres  saints.  Toutefois,  il  n'est  pas  totalement 
abandonné  à  son  initiative  et  à  sa  liberté  ;  le  Saint- 
Esprit  l'assiste,  non  seulement  d'une  manière  néga- 
tive, en  le  préservant  d'une  infidélité  ou  d'une 
erreur,  mais  encore  positivement  pour  que  son 
œuvre  rende  fidèlement  et  exactement  la  pensée 
divine. 

3.  De   nos  îours  on  est   revenu  à  la  théorie  de 
l'inspiration    verbale,    mais    on    l'explique    d'une 


25o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

_ia__u  -~ 

manière  moins  mécanique  et  plus  psychologique. 
Les  mots  n'ont  été  ni  révélés,  ni  suggérés,  ni  dictés, 
car  l'écrivain  choisi  par  Dieu  connaissait  sa  langue, 
mais  ils  ont  été  employés  sous  l'influence  de  la 
motion  inspiratrice.  L'auteur,  en  effet,  a  été  inspiré 
pour  écrire  un  livre  et  non  pas  seulement  pour  en 
avoir  l'idée  ou  pour  en  concevoir  les  pensées  qu'il 
devait  y  mettre.  L'inspiration,  qui  commence  parla 
motion  à  écrire,  s'étend  à  tous  les  actes  propres  à 
réaliser  le  but  visé  par  Dieu,  à  tout  ce  qui  constitue 
la  composition  du  livre  et  ne  s'arrête  que  lorsque 
l'œuvre  est  achevée  ;  elle  englobe  donc,  dans  son 
influence,  les  mots  comme  les  pensées,  du  commen- 
cement à  la  fin  ;  mots  et  pensées  sont  consignés 
par  écrit  en  vertu  de  la  motion  initiale  et  concomi- 
tante du  Saint-Esprit  (i). 

Dieu  a  écrit  les  Livres  saints  au  moyen  d'hommes 
choisis  comme  instruments  raisonnables  et  libres  ; 
dans  ce  but,  il  a  élevé  surnaturellement  toutes  leurs 
facultés  qui  concourent  à  écrire  et  les  a  mues  à 
écrire.  Or,  chacun  de  ces  instruments  avait  son 
caractère,  ses  propriétés,  ses  perfections  et  ses 
imperfections  propres  ;  l'inspiration  n'en  a  pas 
changé  la  nature.  L'élévation,  qui  a  lieu  dans  l'ins- 
piration, accorde  à  l'hagiographe  une  lumière  pour 
bien  juger  de  ce  qu'il  doit  écrire  ;  et  la  motion  ins- 
piratrice le  pousse  à  consigner  par  écrit  ce  qui  a  été 
bien  jugé.  Rien  n'est  changé  dans  les  dispositions 
de  l'intelligence,  de  l'imagination  et  de  la  volonté  ; 
elles  restent  ce  qu'elles  étaient,  mais  elles  sont  sous 
l'action  divine  de  manière  à  ce  que  soit  écrit  ce  que 
Dieu  veut  et  tel  qu'il  le  veut,  Dieu  étant  la  cause 
principale  et  l'homme  la  cause  instrumentale.  En 

i.  Cf.  Pègues,  Une  pensée  de  saint  Thomas  sur  V inspiration 
scripturaire,  dans  la  Revue  thomiste,  1895,  p.  109-110  ;  Revue 
biblique,  iSqS,  t.  iv,  p.  568-667  ;  1897,  t.  vi,  p.  76-7.0. 


INSPIRATION    VERBALE  20  t 


conséquence,  Dieu,  qui  a  choisi  tel  ou  tel  instru- 
ment faillible,  a  prévu  et  permis  les  défauts,  ou  les 
a  voulus  par  accident.  Pas  de  distinction  ou  de  vivi- 
section à  faire,  car  cela  répugne  à  l'intime  pénétra- 
tion qui  existe  entre  l'action  divine  et  l'action  ins- 
trumentale, entre  Dieu  élevant  et  mouvant  l'homme 
et  Thomme  agissant  sous  la  motion  divine.  Toute 
l'œuvre  est  de  Dieu,  toute  l'œuvre  est  de  l'homme, 
Dieu  et  l'homme  produisant  simultanément  le  même 
effet.  Et  ainsi,  sans  dictée  matérielle,  les  pensées 
et  les  mots  sont  inspirés  par  Dieu  et  ont  Dieu  pour 
auteur. 

Cette  manière  d'expliquer  l'inspiration  verbale 
répond  beaucoup  mieux,  croyons-nous,  à  l'ensei- 
gnement catholique  et  à  la  psychologie  de  l'inspira- 
tion. Les  Pères  et  les  conciles,  en  effet,  ont  pro- 
clamé que  la  Bible  est  la  parole  écrite  de  Dieu.  Or, 
la  parole  écrite  de  Dieu,  ce  n'est  pas  seulement  la 
pensée,  mais  la  pensée  formulée,  l'idée  dans  le  mot 
et  avec  le  mot.  Du  reste,  telle  est  la  connexion 
étroite  qui  existe  entre  l'idée  et  le  mot  que  le  Saint- 
Esprit  n'a  pu  inspirer  la  pensée  sans  avoir  par  là 
même  une  influence  dans  le  choix  de  l'expression 
qui  sert  à  la  traduire.  De  la  sorte,  l'inspiration  ver- 
bale, loin  d'être  un  fait  anormal,  paraît  la  consé- 
quence naturelle  de  Pinspiration  des  idées. 

Mais,  dit-on,  si  l'inspiration  s'étend  jusqu'à  l'em- 
ploi des  mots,  jusqu'au  choix  des  termes,  com- 
ment peut-il  se  faire  que  les  écrivains  sacrés  aient 
été  autre  chose  que  de  simples  instruments,  des 
plumes  écrivant  sous  la  dictée?  Et  s'ils  sont  de  véri- 
tables collaborateurs  du  Saint-Esprit,  comment 
n'ont-ils  pas  eu  la  libre  disposition  de  la  langue 
dans  laquelle  ils  s'exprimaient  ? 

C'est  à  répondre  à  cette  objection  que  le  P.  La- 
grange  a  consacré  un  article,   où  il  distingue  Pins- 


2J2  LE    CATECHISME    ROMAIN 

*  ... 

piration  de  la  révélation  et  montre  que  la  première 
peut  exister  sans  la  seconde  et  implique  une 
influence  divine  jusque  sur  le  choix  des  termes,  ce 
qui  ne  ressemble  en  rien  à  une  dictée  matérielle  et 
laisse  à  l'auteur  sacré  toute  son  activité  intellec- 
tuelle. L'inspiration  totale,  dit-il,  doit  être  admise, 
mais  une  inspiration  qui  ne  gêne  l'écrivain  ni  dans 
le  choix  des  expressions,  ni  dans  la  formation  libre 
de  ses  concepts.  Deux  excès  sont  à  éviter  :  il  ne  faut 
pas  relever  l'action  de  Dieu  au  point  d'annuler  celle 
de  l'homme  ;  il  ne  faut  pas  abandonner  l'homme  à 
lui-même  au  point  de  méconnaître  la  qualité  d'au- 
teur qui  est  celle  de  Dieu.  La  solution  n'est  peut- 
être  pas  impossible  à  trouver  dans  une  philosophie 
qui  regarde  l'activité  de  Dieu  comme  la  source  de 
celle  de  l'homme  et  qui  pense  que  plus  l'action  de 
Dieu  est  puissante  et  spéciale,  plus  l'énergie 
humaine  est  active,  ample  et  personnelle. 

Révélation  et  inspiration  sont  choses  distinctes  ; 
dans  la  révélation,  la  lumière  divine  est  connue  par 
celui  qui  la  reçoit  ;  il  n'en  est  pas  de  même  dans 
l'inspiration  ;  en  outre,  la  manière  de  connaître 
n'est  pas  la  même  dans  l'une  et  dans  l'autre.  Il  n'y 
a  connaissance  complète  que  par  le  jugement.  Or, 
le  jugement  suppose  que  son  objet  est  présent  à 
l'esprit.  La  manière  dont  se  produit  cette  présence 
fait  toute  la  différence  entre  la  révélation  et  l'inspi- 
ration. Dans  la  révélation,  il  y  a  acceptio  cognito- 
rum;  dans  l'inspiration,  il  y  a  jugement  sans  accep- 
tio. Saint  Thomas  distingue,  en  effet,  le  charisme 
propre  des  prophètes,  qui  ne  va  pas  sans  une  révé- 
lation, de  la  grâce  des  hagiographes,  c'est-à-dire  des 
écrivains  sacrés  qui  n'ont  que  la  simple  inspira- 
tion   (i).    Au   premier   stade   de    la    composition, 

.  i.  Sam.  theol.,  IIa  II*  Q.,  clxxiv,  a.  2,  ad  3. 


INSPIRATION    VERBALE'  253 

«  l'action  de  Dieu  sur  l'intelligence  par  l'inspira- 
tion, consiste  à  élever  l'esprit  de  l'écrivain  sacré 
de  manière  à  ce  qu'il  juge  avec  la  certitude  de  la 
vérité  divine  des  objets  présentés  à  son  esprit  :  rien 
de  moins  quant  à  la  certitude,  rien  de  plus  quant  à 
la  manière  dont  les  objets  lui  sont  d'abord  connus. 
Il  n'est  donc  pas  nécessaire  d'admettre  ni  que  Dieu 
ait  révélé,  fourni,  suggéré  une  seule  idée,  ni  que 
l'écrivain  sacré  sache  que  c'est  lui  qui  parle  et 
donne  à  l'objet  une  certitude  divine  ;  mais,  d'autre 
part,  cette  certitude  divine  existe  en  fait  dans  son 
jugement,  et  tout  ce  qu'il  affirmera  en  vertu  de  cette 
lumière  prendra  son  infaillibilité  dans  la  vérité 
divine  elle-même  ;  c'est  Dieu  qui  est  la  cause  du 
jugement  certainement  vrai  ;  c'est  donc  lui  qui  l'a 
Drononcé,    c'est  lui  qui  parle  et  qui  enseigne  (i).   » 

i.  L'inspiration  des  Livres  saints,  Revue  biblique,  1896,  p.  210. 
Le  P.  Lagrange  ajoute,   p.  211-212,  pour  expliquer  que,  sous 
l'inspiration,  l'écrivain  écrit  tout  ce  que  Dieu  veut  et  rien  de 
plus  :   «  Lorsque  les  causes  secondes  sont  bien  disposées,  lors- 
que Fécrivain  en  vertu  de  sa  motion  initiale  s'est  mis  à  l'œuvre, 
ne  suffit-il  pas  ordinairement  de  ce  secours  positif  et  inappré- 
ciable qui  est  la  lumière  donnée  tout  d'abord  en  faveur  du 
jugement  spéculatif  ?  Il  est  certain,  en  effet,   qu'elle  exercera 
une  influence  considérable  sur  le  jugement  pratique.    Tout  ce 
qui,    grâce  à  elle,   paraîtra  incertain  ou  faux  sera  éliminé,  ou 
du  moins  ne  sera  pas  affirmé.  Son  rayonnement  s'étendra  donc* 
sur  tout  Facte  de  la  composition.   Ce  ne  sera  pas  un  habitus, 
une  qualité  permanente  ;  mais,   donnée  comme  un  secours- 
transitoire,  qui  n'est  pas  enraciné  dans  son  sujet,   elle  pourra 
cependant  être  concédée  pour  un  temps  fort  long,  quoique  à 
de  certaines  intervalles,  toutes  les  fois  que  l'écrivain  sacré  s'ap- 
pliquera à  son  travail.    Il  y  a  plus,  nous  avons  affirmé  qu'elle 
assurait  la  rectitude  du  jugement,    mais  nous  n'avons  pas  dit 
qu'elle  ne  faisait  rien  de  plus.  Une  élévation  de  l'âme  pour 
mieux  saisir  la  vérité  suppose  qu'on  perçoit  mieux  non  seule- 
ment la  vérité  en  elle-même,    mais  ses  attaches  avec  d'autres 
vérités,  son  opportunité,   son  intérêt  par  rapport  au  but  pour- 
suivi. Inutile  donc  d'exiger  pour  tous  les  cas  une  suggestion 


254  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Mois  c'est  en  même  temps  l'écrivain  sacré  qui 
exprime  son  propre  jugement  et  le  formule  par 
écrit.  Son  jugement,  il  l'a  prononcé  à  la  lumière 
inspiratrice  de  Dieu  ;  et  c'est  à  cette  même  lumière 
qu'il  Iti  formule  par  écrit.  L'inspiration  divine 
atteint  donc  ainsi  l'expression  de  la  pensée,  comme 
la  pensée  elle-même.  Et  c'est  en  ce  sens  que  peut  se 
soutenir    la   théorie    de    l'inspiration    verbale  (i)  ; 

particulière  au  moyen  d'espèces  nouvelles  ou  une  mise  en 
mouvement  d'espèces  anciennes.  Quant  à  l'action  de  Dieu  sur 
la  volonté,  elle  est  toujours  dans  un  rapport  étroit  avec  son 
action  sur  l'intelligence.  L'écrivain  n'écrira  rien  qu'il  ne  l'ait 
connu  dans  une  lumière  supérieure  ;  cette  lumière  sera  cause 
que  la  perception  de  l'objet  en  lui-môme  et  comme  matière 
de  son  livre  sera  tout  autre  que  s'il  avait  été  livré  à  lui-même. 
Dieu  sera  donc  cause  du  double  jugement  théorique  et  prati- 
que. L'écrivain  sacré  n'écrira  rien  que  ce  que  Dieu  lui  a  fait 
concevoir,  et  sa  volonté,  mise  en  mouvement  par  Dieu,  se  por- 
tera librement  sur  tout  cela.  11  n'écrira  que  ce  que  Dieu  veut 
et  rien  de  plus  ;  et  cependant  Dieu  ne  lui  aura  peut-être  pas 
fourni  une  seule  idée  nouvelle,  ni  même  excité,  par  une  action 
spéciale  préalable,  celles  qu'il  possédait  déjà.  » 

i.  D'autres  que  le  P.  Lagrange  et  le  P.  Pègues  soutiennent 
l'inspu  *,ion  verbale.  Cf.  Chauvin,  L'inspiration,  p.  167-20/i  ; 
Leçons  d'introduction  générale,  p.  58-62  ;  Encore  l'inspiration 
biblique,  dans  la  Science  catholique,  mars  1900,  p.  3i4-32o  ; 
Zanecchia,  Divina  inspiratio,  p.  207-220  ;  Dutouquet,  Psycho- 
logie de  l'inspiration,  dans  les  Etudes,  octobre  1900,  p.  163-171. 
Le  P.  Pesch,  dans  son  De  inspiratione.  p.  £78-489,  ne  veut  pas 
qu'on  mêle  à  cette  explication  nouvelle  de  l'inspiration  verbale 
une  théorie  quelconque  sujette  à  controverse  ;  ni  qu'on 
recoure,    pour  la  soutenir,   aux  arguments  dont  on  se  servait 

1  jadis  pour  soutenir  l'inspiration  verbale  telle  qu'on  l'entendait  ; 
ni  qu'on  exagère  l'argument  tiré  de  la  notion  de  cause  instru- 
[  mentale,*car  le  concours  ordinaire  et  l'assistance  spéciale  suffi- 
sent, en  dehors  de  l'inspiration,   à  faire  de  l'hagiographe  une 

;  cause  instrumentale,  sans  qu'il  soit  nécessaire  que  l'inspira- 
tion atteigne  les  mots.  Il  reconnaît  cependant  que  Dieu,  en  ins- 
pirant un  homme  pour  écrire  un  poème,  une  histoire,  un  dis- 
cours, une  lettre,  et  en  l'aidant  à  former  des  jugements  con- 


INSPIRATION    VERBALE  255 

c'est  en  ce  sens  également  que  nous  croyons  pou- 
voir l'admettre. 

1.  L'inspiration  verbale.  —  «  Pourquoi  parler  d'ins- 
piration verbale  et  d'inspiration  non  verbale,  d'inspira- 
tion de  mots  et  d'inspiration  de  choses,  à  l'effet  de 
soustraire  dans  l'Ecriture  quelque  chose  à  l'action  de 
Dieu,  quelque  chose  à  l'action  de  l'homme  ?  N'est-ce  pas 
de  Y  Ecriture  que  Dieu  est  l'auteur  principal?  N'est-ce  pas 
de  Y  Ecriture  que  l'homme  est  l'auteur  instrumental  ?  Et 
l'auteur  principal  produit-il  rien  dans  son  effet,  sinon  par 
l'action  de  l'instrument?  L'instrument  produit-il  quel- 
que chose  dans  l'effet,  sinon  sous  la  motion  de  l'agent 
principal  ? 

«  Il  n'y  a  donc  pas,  dans  l'Ecriture,  œuvre  de  Dieu  par 
les  hommes  de  son  choix,  il  n'y  a  pas  un  seul  iota  ou  un 
seul  accent  qui  ne  soit  de  Dieu  ;  comme  aussi  il  n'y  a  pas 
une  seule  proposition  qui  n'ait  passé  par  l'action  propre 
de  l'instrument  humain.  «  Quand  on  attribue  à  la  vertu 
divine  et  à  une  cause  naturelle  un  même  effet,  nous  dit 
saint  Thomas,  ce  n'est  pas  en  ce  sens  qu'il  soit  partielle- 
ment de  Dieu  et  partiellement  de  l'agent  naturel,  mais 
bien  parce  que,  tout  entier  des  deux,  il  leur  appartient  à 
divers  titres.  C'est  ainsi  que  le  même  effet  est  attribué 
tout  entier  à  l'instrument,  et  qu'à  l'agent  principal  il  est 
attribué  tout  entier.  »  Cont.  GenL,  m,  70.  Donc,  encore 

formes  à  ces  genres,  exerce  par  là  même  une  certaine  influence 
sur  la  détermination  des  mots  ;  mais  il  n'entend  pas  qu'on 
exagère  cette  efficacité  que  tous  les  vocables  soient  déterminés 
in  individuo.  Finalement,  il  résume  ainsi  sa  pensée,  p.  485  : 
«  Etsi  psychologice  fieri  nequit,  quin  ipsum  judicium  de  rébus 
scribendis,  a  scriptore  charismatice  ad  scribendum  illuminato 
et  moto  formatum,  in  ipsam  materialem  elocutionem  influât j 
nullo  tamen  solido  argumento  probari  potest  omnia  et  sin- 
gula  verba  materialia  Scriptural  esse  charismatice  a  Deo  in 
individuo  determinata  ;  immo  sunt  rationes,  quse  suadeant 
hoc  non  ita  esse  factum.  »  Mais,  en  refusant  à  Yinspiralion  la 
détermination  de  chaque  mot,  le  P.  Pesch  requiert  Yassistance 
divine  pour  empêcher  l'écrivain  d'employer  des  mots  impro- 
pres. 


256  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

une  fois,  tout  dans  l'Ecriture  est  de  Dieu  et  tout  y  est  de 
l'homme  :  mais  de  l'homme,  comme  de  l'instrument,  et 
de  Dieu,  comme  de  l'auteur  principal. 

u  II  n'est  plus  difficile,  après  cela,  de  comprendre  que 
rien,  dans  la  production  de  l'Ecriture,  ne  peut  être  sous- 
trait à  l'action  de  Dieu,  non  pas  même  l'acte  matériel  et 
physique  d'écrire...  Qu'un  peintre  se  soit  servi  d'un  pin- 
ceau déjà  produit  et  déjà  coloré,  ou  qu'il  l'ait  façonné 
lui-même  et  revêtu  de  telle  ou  telle  couleur,  peu  importe; 
ce  n'est  pas  d'après  cela  qu'on  jugera  si  tout  est  de  lui 
dans  l'effet  final.  Pour  qu'il  soit  vraiment  l'auteur  de  tout 
dans  le  tableau,  il  n'est  requis  qu'une  seule  chose  :  c'est 
que  tout  ce  que  le  pinceau  aura  produit  sur  la  toile, 
même  en  vertu  de  sa  forme  à  lui,  il  ne  l'ait  produit  que 
sous  la  motion  artistique  du  peintre. 

«  De  même  pour  les  écrivains  sacrés.  Dieu  n'a  pas  eu, 
pour  qu'il  soit  dit  l'auteur  de  tout  dans  l'Ecriture,  à 
donner  surnaturellement  aux  écrivains  sacrés  toutes  les 
pensées  et  tous  les  mots.  Ce  serait  mal  entendre  l'inspira- 
tion scripturaire  ;  ce  serait  la  confondre  avec  ce  que  saint 
Thomas  appelle  la  prophétie  proprement  dite...  L'inspira- 
tion scripturaire  n'est  autre  que  l'acte  spécial  de  Dieu  par 
lequel  il  peut  et  il  doit  être  dit  l'auteur  principal,  l'écrivain 
premier  de  ce  Livre  qu'est  l'Ecriture.  Or,  pour  que 
Dieu  soit  dit  l'auteur  principal  de  l'Ecriture,  en  sorte 
jue  tout,  dans  cet  effet,  lui  soit  attribué  comme  à  sa 
cause,  et  à  sa  cause  principale,  il  n'est  nullement  requis 
qu'il  en  ait  révélé  tous  les  mots  ou  toutes  les  pensées. 

«  Chose  étonnante  !  ce  serait  trop,  et  ce  serait  trop  peu. 
Ce  serait  trop  :  parce  que  si  Dieu  a  directement  déposé, 
pour  ainsi  dire,  dans  l'esprit  de  l'écrivain  sacré,  toute 
faite  et  sans  que  celui-ci  ait  travaillé,  ait  concouru  à  la 
produire,  sans  qu'il  l'ait  conçue,  la  pensée  qu'il  avait  des- 
sein de  nous  écrire,  alors  l'esprit  de  l'écrivain  sacré  n'a 
pas  eu  son  action  propre.  Il  n'est  plus  instrument  ;  il 
n'est  plus  cause  ;  il  n'est  plus  auteur.  Dieu  n'est  plus 
l'auteur  principal  de  l'Ecriture,  il  en  est  Y  auteur  total  ; 
ce  qui  est  inadmissible...  Donc,  dire  que  les  pensées 
exprimées  dans  l'Ecriture  ne  sont  pas  de  l'écrivain  sacré, 


INSPIRATION    VERBALE  2§J 

à  plus  forte  raison  que  le  choix  des  mots  et  leur  arran- 
gement dans  la  phrase  n'est  pas  de  lui,  serait  dénaturer 
l'inspiration  scripturaire  :  ce  serait  trop  dire. 

«  Et  pourtant  ce  serait  aussi  dire  trop  peu.  Si,  en  effet, 
l'action  inspiratrice  de  Dieu  s'arrête  là,  si  elle  consiste 
totalement  à  déposer  une  pensée  toute  conçue  dans  l'es- 
prit de  l'écrivain  sacré,  cette  action  me  garantira  bien 
d'une  chose,  à  savoir  :  que  l'écrivain  sacré  a  eu,  dans  son 
esprit  ou  sur  ses  lèvres,  une  pensée  divine  ;  elle  ne  me 
garantira  nullement  que  l'expression  que  j'en  ai,  ou  l'E- 
criture, soit  divine.  Or,  que  nous  servirait  à  nous  de 
savoir  qu'il  y  a  eu  dans  l'esprit  de  l'écrivain  sacré  une 
pensée  divine,  si  nous  ne  savions,  en  même  temps,  que 
l'expression  que  nous  en  avons  est  divine.  Ce  n'est  pas 
Fespritde  l'écrivain  sacré  que  nous  avons  entre  les  mains. 
C'est  l'Ecriture,  et  l'Ecriture  seule.  Si  donc  cette  Ecri- 
ture n'est  pas  divine,  si  l'action  inspiratrice  ne  s'étend 
pas  jusqu'à  elle,  nous  ne  sommes  plus  assurés  d'avoir 
une  définition,  une  expression  divine... 

«  Que  signifie  cette  expression  de  Notre  Seigneur,  cette 
formule  si  souvent  employée  par  lui  :  «  comme  il  est 
écrit?  »  Comme  il  est  écrit,  —  par  qui  ?  par  un  homme? 
—  Non  ;  mais  «  comme  il  est  écrit  »  par  Dieu  même.  Eh 
bien  !  pour  que  ce  soit  «  comme  il  est  écrit  »  par  Dieu 
même,  il  faut  et  il  suffit  que  pas  un  mot,  pas  un  iota, 
pas  un  accent,  pas  une  expression,  rien  n'ait  été  mis,  n'ait 
été  écrit  sur  le  papyrus  ou  les  tablettes,  autrement  que 
sous  la  motion  scripturaire  de  Dieu.  Cette  motion  scrip- 
turaire qui,  partant  du  premier  moment  où  l'écrivain 
sacré  reçoit  de  Dieu  et  où  il  a  l'idée  d'écrire  le  livre  que 
Dieu  veut  écrire  par  lui,  passe  par  tous  les  actes  que  fait 
l'écrivain  sacré  en  vue  de  ce  même  livre  à  écrire,  et  ne 
cesse  qu'à  la  complète  réalisation  de  cette  idée  sur  le 
papyrus  ou  les  tablettes,  voilà  ce  qu'est  l'inspiration 
scripturaire... 

«  Mais,  s'il  n'est  absolument  rien,  dans  l'Ecriture, 
que  nous  ayons  voulu  soustraire  à  l'action  et,  par  suite, 
à  l'autorité  de  Dieu,  il  n'est  rien  aussi  que  nous  ayons 
reconnu  avoir  été  produit  dans  cet  effet,   si  ce  n'est  par 

LE   CATÉCHISME.  —  T.   III.  fj 


258  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


l'action  propre  de  l'instrument  surélevée  et  divinisée,  en 
quelque  sorte,  par  son  union  mystérieuse  à  la  vertu  ins- 
trumentale que  Dieu  lui  communiquait.  Tout  ce  qu'un 
écrivain  humain  fait,  en  verîu  de  sa  nature  humaine, 
quand  il  veut  écrire  un  livre,  tout  cela  les  écrivains  sa- 
crés l'ont  l'ait.  Mais,  tandis  que  l'écrivain  humain  fait 
cela  de  par  les  seules  forces  de  sa  nature,  les  écrivains 
sacrés  l'ont  fait  sous  l'action,  sous  la  motion,  sous  l'ins- 
piration de  Dieu.  »  Pègues,  Une  pensée  de  saint  Thomajs 
sur  l'inspiration  scripturairc.  Revue  thomiste,  i8q5, 
p.  io5-no. 

2.  Essai  d'explication  de  l'inspiration  verbale.  *• 
«  Il  parait  conforme  à  la  manière  pénétrante  et  douce 
dont  Dieu  conduit  le  jeu  des  facultés,  que  la  motion  di- 
vine pour  écrire  ceci  ou  cela  soit  précédée  d'un  jugement 
sur  la  chose  en  elle-même  qui  doit  être  affirmée  avec  la 
certitude  divine.  Ce  jugement  ne  peut  être  que  le  résul- 
tat d'une  lumière  qui  élève  l'âme,  et  c'est  cette  élévation 
de  l'esprit  que  nous  nommons  inspiration  :  inspiration 
qui  rayonne  sur  tout  le  travail  de  l'écrivain  et  qui  ne  se 
diversifie  qu'en  raison  des  objets  qu'elle  atteint  ou  des 
modalités  que  présente  la  vérité,  considérée  soit  en  elle- 
même,  soit  comme  apte  ou  non  à  figurer  dans  un  écrit. 
C'est  aussi  dans  le  caractère  compréhensif  de  cette  action 
divine  que  nous  trouvons  la  solution  de  la  question  de 
l'inspiration  verbale. 

«  11  est  à  peine  nécessaire  de  dire  que  nous  n'admet- 
tons, sauf  des  cas  particuliers  qui  sont  hors  de  cause,  ni 
la  dictée  à  l'oreille,  ni  même  une  révélation  intérieure 
des  mots  au  moyen  d'images  infuses.  Nous  n'admettons 
même  pas  toujours  cette  révélation  intérieure  lorsqu'il 
s'agit  des  concepts.  Mais,  en  revanche,  nous  compre- 
nons encore  moins  que  l'expression  de  jugements  dus  à 
une  lumière  divine  soit  considérée  comme  une  chose 
purement  humaine.  Dieu  donnerait  les  pensées  et  laisse- 
rait trouver  l'expression,  se  contentant  d'une  assistance 
négative,  tout  prêt  à  intervenir  si  l'écrivain  trahissait  par 
l'expression  la  vérité  de  la  pensée  !  Mais,  sans  entrer 
dans  une  discussion  philosophique    approfondie,  cela 


INSPIRATION    VERBALE  25^ 

nous  paraît  un  non-sens.  Même  si  la  pensée  pouvait  êtm 
présentée  à  l'écrivain  sacré  toute  prête  à  écrire,  on  ne 
Comprendrait  pas  que  cette  pensée  suggérée  par  Dieu  fût 
habillée  de  mots  quelconques  qui  ne  fussent  pas  son  ex- 
pression propre,  et  par  conséquent  une  émanation  de  la- 
pensée  divine. 

«  Mais  ce  divorce  impossible  à  concevoir  entre  la  pen- 
sée et  l'expression  est  encore  plus  inimaginable  dans  le 
système  que  nous  croyons  être  celui  de  saint  Thomas. 
L'écrivain  sacré  a  été  élevé  au-dessus  de  ses  forces  na- 
turelles par  une  action  divine  qui  éclaire  son  intelligence; 
sous  cette  influence,  il  a  mieux  compris  la  vérité,  il  s'est 
décidé  à  l'écrire,  et  tout  cela  ne  ferait  rien  pour  le  choix 
des  mots  !  Ce  que  l'on  conçoit  bien  s'énonce  clairement; 
par  conséquent  celui  qui  est  cause  qu'on  conçoit  bien  est 
cause  positive  qu'on  s'énonce  comme  il  convient.  L'ins- 
piration est  donnée  pour  écrire  un  livre,  il  est  donc  juste 
qu'elle  s'étende  au  livre  tout  entier. 

«  Sans  doute,  entre  la  pensée  et  le  terme  il  y  a  une  dif- 
férence intrinsèque  ;  l'inspiration  ne  les  atteindra  donc 
pas  de  la  même  manière.  Le  jugement  doit  être  vrai,  le 
terme  doit  être  propre.  Sous  la  lumièce  divine  le  juge- 
ment sera  donc  vrai,  les  termes  et  autres  accessoires 
convenablement  choisis.  Si  c'est  ce  que  certains  moder- 
nes veulent  dire  en  distinguant  l'inspiration  pour  les  pen- 
sée, l'assistance  pour  les  mots,  nous  sommes  d'accord 
pour  le  fond  des  choses. 

«  En  deux  mots,  par  la  simple  inspiration  l'Esprit- 
r  îint  ne  fournit  pas  des  idées  que  l'écrivain  sacré  rendra 
comme  il  l'entendra,  mais  il  éclaire  les  idées  et  le  travail 
de  l'écrivain,  plus  ou  moins  préparé  par  son  action  anté- 
rieure, et  le  guide  pour  enseigner  ce  qu'il  veut. 

«  D'autre  part,  les  affirmations  de  l'Esprit-Saint  sont' 
bien  aussi  celles  de  l'écrivain  sacré  qui  les  a  acquises  et 
perçues  dans  une  lumière  supérieure.  Dans  ce  système,  la 
causalité  de  Dieu  s'applique  surtout  dans  l'affirmation  et 
le  choix  des  pensées,  les  idées  conservant  le  sens  qu'elles 
ont  dans  Tordre  humain  ou  dans  le  milieu  qui  a  reçu  la 
révélation  ;  pourvu  que  le  jugement  soit  vrai  et  spéciale- 


2ÔO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


ment  voulu  de  Dieu,  il  importe  peu  que  les  éléments  en 
soient  préexistants  ou  non  dans  l'esprit  de  l'homme.  Il  se 
peut  que  l'inspiration  n'ait  rien  suggéré,  rien  fourni,  rien 
déposé  dans  l'intelligence  de  l'écrivain,  mais  elle  l'a  dé- 
terminé, disons  décidé,  pour  ne  froisser  personne,  à 
écrire  tout  ce  qu'il  a  écrit.  »  Lagrange,  L'inspiration  des 
Livre  saints,  Bévue  biblique,  1896,  p.  2i4-ai5. 


*$s  îvtî  î\tî  îste  ?to  ?$*  ste  tffe  ?fe  fst/j  ît/s  afe  fÉS  SÉLëSife^Sife 


Leçon  VIIe 
L'Ecriture  Sainte 


I.  L'inerrance  et  la  critique,  —  II.  La  Bible 
et  les  sciences.   —  III.  La  Bible   et  V histoire. 

I.  L'inerrance  et  la  critique 

Opposant  les  règles  de  la  prudence  et  de  la  sa- 
gesse aux  tentatives  hasardeuses  de  certains 
catholiques,  Léon  XIII  a  insisté  à  plusieurs 
reprises  et  pour  de  graves  motifs  sur  les  témérités 
et  les  dangers  de  la  critique  biblique,  telle  que  la 
pratiquent  quelques  exégètes  (i).  On  prétend,  en 

i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Dausch,  Die  Schriftinspiration,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1891  ;  Lagrange,  L'inspiration  des  Livres 
saints;  L'inspiration  et  les  exigences  de  la  critique,  dans  la 
Revue  biblique,  1896,  t.  v,  p.  199-200;  496-518  ;  La  méthode 
historique,  2e  édit.,  Paris,  190A  ;  Loisy,  Etudes  bibliques,  Paris, 
1901  ;  Prat,  Les  historiens  inspirés  et  leurs  sources,  dans  les 
Etudes,  1901,  t.  lxxxvi,  p.  474-5oo  ;  Progrès  et  tradition  en 
exégèse,  ibid.,  1902,  t.  xciii,  p.  289  sq,  610  sq  ;  La  Bible  et 
V histoire,  Paris,  1904  ;  Durand,  L'autorité  de  la  Bible  en  matière 
d'histoire,  dans  la  Revue  du  Clergé,  1903,  t.  xxxiii,  p.  5-3o  ; 
Brucker,  Questions  actuelles  d'Ecriture  sainte,  Paris,  i8g5  ; 
L'inspiration  et  l'infaillibilité  de  la  Bible  en  matière  historique, 
dans  les  Etudes,  1903,  t.  xciv,  p.  222  sq  ;  Revue  du  Clergé,  arti- 
cles sur  l'inerrance,  dans  les  numéros  du  i5  juillet,  du  icr  et 
i5  août,  du  ier  et  i5  octobre,  du  ieret  i5  décembre;  Delat- 
tre,  Autour  de  la  question  biblique,  Liège,  1904;  de  Hum- 
mclauer,  Exegetisches  zur  Inspirations J rage,  Fribourg-en-Bri?- 
gau,  1904;  Mangenot,  L'exégèse  et  la  question  de  l'inspiration, 
dans  la  Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  Paris,  1904;  Pcschr 
De  inspiratione,  Fribourg-cn-Brisgau,  igcG. 


«262  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

»  iiiji  1  — — — — » 

■effet,  traiter  la  Bible  comme  un  livre  ordinaire, 
abstraction  faite  de  son  caractère  inspiré,  et  l'inter- 
préter sans  se  préoccuper  du  résultat,  qu'il  soit  ou 
non  d'accord  avec  l'orthodoxie,  pourvu  qu'il  pa- 
raisse légitimement  acquis.  C'est  là  une  prétention 
abusive,  un  procédé  des  plus  dangereux  (i). 

i°  Les  documents  pontificaux.  —  1.  Déjà,  dans 
son  Encyclique  du  18  novembre  i8g3,  Léon  XIII 
avait  clairement  dénoncé  les  principes  de  la  haute 
critique,  d'après  lesquels  toutes  les  questions  d'ori- 
gine, d'intégrité  et  d'autorité  des  livres  de  la  Bible 
doivent  se  résoudre  par  le  seul  examen  de  leurs 
caractères  intrinsèques  (2)  ;  il  avait  également  dé- 
ïioncé  ceux  de  l'école  large  sur  la  manière  d'enten- 
«ire  l'inspiration  et  l'inerrance.  Il  revient  à  la  charge, 
te  25  novembre  1898,  dans  sa  Lettre  au  Ministre 
général  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  Après  avoir  fait 
allusion  aux  enseignements  qu'il  avait  donnés  dans 

1.  Prop.  xne  condamnée  par  le  décret  Lamentabili  :  «  L'exé- 
-gète,    s'il   veut  s'adonner    utilement    aux    études  bibliques, 
-<doit  écarter  avant  tout  toute  autre  opinion  préconçue  sur  l'o- 
rigine   surnaturelle    de    l'Ecriture    sainte,    et    ne    pas    l'in- 
terpréter autrement  que  les  autres  documents  humains.  »  — 
3.    «    Les   ennemis  de  la  religion  prennent  confiance  pour 
attaquer  et  battre  en  brèche  l'authenticité  des  Livres  sacrés  ; 
.«cette  sorte  de  haute  critique  qu'on  exalte  arrivera  enfin  à  ce 
résultat  que  chacun,   dans  l'interprétation,  s'attachera  à  ses 
goûts  et  à  ses  opinions  faites  d'avance.  Ainsi  la  lumière  cher- 
chée au  sujet  des  Ecritures  ne  se  fera  pas,  et  aucun  avantage  n'en 
résultera  pour  la   science,   mais  on  verra  se  manifester  avec 
«évidence  ce  caractère  de  Terreur  qui  est  la  diversité  et  la  con- 
tradiction des  opinions.   Déjà  la  conduite  des  chefs  de  cette 
mouvelle  science  le  prouve.  En  outre,  comme  la  plupart  d'en- 
.  tre  eux  sont  imbus  des  maximes  d'une  vaine  philosophie  et 
4u    rationalisme,    ils   ne  craignent  pas    d'écarter  des   saints 
JLivres  les  prophéties,   les  miracles  et  tous  les  autres  faits  qui 
surpassent    Tordre   naturel.    »    Encycl.   Providentissimus*   — 


i/lNERRAXCE    ET    LA    CRITIQUE  2Ô3 

n  ■  .i 

l'encyclique   Providentissimus,   il  ajoute  :   Prœcepla 
vero  et  documenta  Ponti/icis  maximi  neglegere,  catho- 
lico  homini  licet  nemini.  Il  y  revient  encore,  le  8  sep- 
tembre 1899,  dans  sa  Lettre  au  Clergé  de  France  (1).  ; 
2.  Voyant  persister  ou  plutôt  s'aggraver  les  caùt-  '■■ 
ses  qui  lui  avaient  fait  écrire  les  documents  préci- 
tés,  il   décide   enfin  par  sa    Lettre    Vigilantiœ,    du 
3o    octobre    1902,    la    création    d'une    Commission 
biblique  pour  l'explication  et  la  défense  de  l'Ecriture. 
Les  membres  en  ont  été  choisis  parmi  les  hommes 
les  plus  compétents  du  monde  catholique,  dans  le  1 
but   de  travailler   à  une  étude   approfondie  de  la 
Bible,  telle  que  la  réclame  notre  époque,  pour  met- 
tre l'Ecriture  à  l'abri  de  tout  souffle  d'erreur  et  de 
toute  témérité  d'opinion. 

«  Après  avoir  très  attentivement  observé  quelle  est  ! 

1.  «  Au  sujet  de  l'étude  des  saintes  Ecritures, Nous  appelons 
de  nouveau  votre  attention  sur  les  enseignements  que  Nous 
avons  donnés  dans  Notre  encyclique  Providentissimus,  dont 
Nous  désirons  que  les  professeurs  donnent  connaissance  à  leurs 
disciples,  en  y  ajoutant  les  explications  nécessaires.  Ils  les  met- 
tront spécialement  en  garde  contre  les  tendances  inquiétantes 
qui  cherchent  à  s'introduire  dans  l'interprétation  de  la  Bible, 
et  qui,  si  elles  venaient  à  prévaloir,  ne  tarderaient  pas  à  en 
ruiner  l'inspiration  et  le  caractère  surnaturel.  Sous  le  spécieux 
prétexte  d'enlever  aux  adversaires  de  la  parole  révélée  l'usage 
d'arguments  qui  semblaient  irréfutables  contre  l'authenticité 
et  la  véracité  des  Livres  saints,  des  écrivains  catholiques  ont 
cru  très  habile  de  prendre  ces  arguments  à  leur  compte.  En  , 
vertu  de  cette  étrange  et  dangereuse  tactique,  ils  ont  travaillé, 
de  leurs  propres  mains,  à  faire  des  brèches  dans  les  murailles 
de  la  cité  qu'ils  avaient  mission  de  défendre.  Dans  Notre  ency- 
clique précitée  ainsi  que  dans  un  autre  document,  Nous  avons 
fait  justice  de  ces  dangereuses  témérités.  Tout  en  encourageant 
nos  exégètes  à  se  tenir  au  courant  des  progrès  de  la  critique, 
Nous  avons  fermement  maintenu  les  principes  sanctionnés  en 
celte  matière  par  l'autorité  traditionnelle  des  Pères  et  des  con- 
ciles, et  renouvelés  de  nos  jours  par  le  concile  du  Vatican.  »  ! 
Lettre  au  Clergé  de  France, 


^G4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


actuellement,  au  sujet  des  sciences,  la  marche  des  esprits, 
ils  devront  penser  que  rien  de  ce  qu'a  découvert  l'ingé- 
niosité des  modernes  n'est  étranger  à  l'objet  de  leur 
travail.  Bien  au  contraire,  si  un  jour  apporte  quelque 
chose  d'utile  à  l'exégèse  biblique,  qu'ils  veillent  à  s'en 
emparer  sans  retard  et  à  la  faire  passer  par  leurs 
écrits  dans  l'usage  commun.  Aussi  devront-ils  cultiver 
activement  l'étude  de  la  philologie  et  des  sciences 
connexes  et  suivre  tous  leurs  progrès.  —  Qu'ils  déploient 
un  grand  soin  et  un  zèle  ardent  à  maintenir  intacte  l'auto- 
rité des  saintes  Ecritures  ;  qu'ils  s'eiïbrcent  surtout  de  ne 
jamais  laisser  prévaloir  l'opinion  et  la  méthode  assurément 
blâmables,  qui  consistent  à  beaucoup  trop  accorder  aux 
opinions  des  hétérodoxes,  comme  si  le  vrai  sens  des  Ecri- 
tures devait  être  cherché  en  premier  lieu  dans  l'appareil 
de  l'érudition  étrangère.  Aucun  catholique,  en  effet,  ne 
peut  regarder  comme  douteux  ce  que  Nous  avons  ailleurs 
rappelé  plus  au  long  :  Dieu  n'a  pas  livré  les  saintes  Ecri- 
tures au  jugement  privé  des  savants,  mais  il  en  a  confié 
l'interprétation  au  magistère  de  l'Eglise. 

«  Telle  est,  d'ailleurs,  la  nature  des  Livres  sacrés  que, 

Ïionr  dissiper  cette  religieuse  obscurité  qui  les  enveloppe, 
es  lois  de  l'herméneutique  sont  parfois  insuffisantes  et 
que  l'Eglise  doit  être  regardée  comme  la  conductrice  et  la 
maîtresse  donnée  par  Dieu.  Enfin  le  sens  légitime  de  la 
divine  Ecriture  ne  peut  être  trouvé  nulle  part  en  dehors 
de  l'Eglise  ni  être  donné  par  ceux  qui  ont  rejeté  son 
magistère  et  son  autorité. 

a  Sans  doute,  il  arrive  à  l'interprète  catholique  de  trou- 
ver quelque  aide  chez  les  auteurs  dissidents,  surtout  en 
matière  de  critique  ;  toutefois  la  prudence  et  le  discerne- 
ment sont  nécessaires.  Que  la  science  de  la  critique,  assu- 
rément très  utile  pour  la  parfaite  intelligence  des  écri- 
vains sacrés,  devienne  l'objet  des  éludes  des  catholiques, 
c'est  ce  que  Nous  approuvons  entièrement.  Qu'ils  se  perfec- 
tionnent dans  cette  science,  en  s'aidant  au  besoin  des 
hétérodoxes,  Nous  ne  nous  y  opposons  pas.  Mais  qu'ils 
piétinent  garde  de  puiser  dans  la  fréquentation  habituelle 
de  ces  écrivains  la  témérité  du  jugement.  C'est,  en  effet,  à 


/  TJTILITÉ  ET  DANGERS  DE  LA.  GRITIQl  265 

cet  écueil  qu'aboutit  souvent  cette  méthode  de  critique, 
dite  supérieure,  et  dont  Nous  avons  Nous  môme  plus 
d'une  fois  dénoncé  la  périlleuse  témérité  (i).  » 

2.  Utilité  et  dangers  de  la  critique.  —  Quoi 
de  plus  clair  que  ces  solennels  avertissements  du 
Souverain  Pontife,  si  souvent  réitérés,  pour  savoir 
ce  qu'un  catholique  doit  penser  de  la  critique  et  la 
conduite  qu'il  convient  de  tenir  à  son  égard?  Loin 
de  l'interdire,  le  Pape  la  recommande  ;  c'est  donc 
qu'elle  peut  rendre  d'éminents  services.  Mais  il  la 
recommande  de  manière  qu'on  ne  s'en  serve  qu'en 
parfaite  connaissance  de  cause  et  avec  une  très 
grande  circonspection  ;  dans  tous  les  cas,  le  der- 
nier mot  doit  rester  à  l'Eglise,  seule  divinement 
autorisée  pour  interpréter  le  vrai  sens  de  l'Ecriture  : 
c'est  donc  que  la  critique  peut  constituer  un  dan- 
ger pour  l'orthodoxie.  Maniée  par  des  mains  inex- 
périmentées ou  par  des  esprits  imprudents,  à  plus 
forte  raison  par  ceux,  quelque  habiles  qu'il  soient, 
qui  entendent  traiter  la  Bible  comme  tout  autre 
livre  sans  plus,  c'est  une  arme  dangereuse.  La  diffi- 
culté est  de  savoir  s'en  servir,  et  tout  le  monde  ne 
possède  pas  cet  art  délicat. 

Son  nom,  disait  Mgr  Mignot  (2),  «  sonne  mal 
aux  oreilles  catholiques,  il  semble  synonyme  de 
contradiction,  d'opposition.  C'est  que  cette  science 
jusqu'à  présent  n'est  guère  connue  en  France  que 
par  ses  méfaits.  Elle  est,  semble-t-il,  l'arme  des 
mécontents,  des  frondeurs,  des  exaltés,  des  enne- 
mis de  la  religion  ;  elle  inspire  toutes  les  défiances. 

1.  Prop.  xixt  condamnée  par  le  décret  Lamentibili  :  «Les 
exégètes  hétérodoxes  ont  rendu  plus  fidèlement  le  vrai  sens 
des  Ecritures  que  les  exégetes  catholiques.  »  —  2 .  L,af)olor)é- 
tique  et  la  critique  biblique,  5e  Lettre  sur  les  Etudes  ecclésiasti- 
ques, dans  la  Revue  du  clergé,  1901,  t.  xxvn,  p.  i4-i5. 


266  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  i  i  — 

En  réalité,  il  n'en  est  pas  ainsi  ;  elle  n'est  ni  chré- 
tienne, ni  antichrétienne,  ni  bonne,  ni  mauvaise, 
pas  plus  que  les  mathématiques  et  les  sciences 
naturelles.  Elle  est  une  méthode  de  travail,  un  ins- 
trument de  recherches  qui  se  perfectionne  tous  les 
jours  ;  un  examen  des  textes  fait  à  la  lumière  de 
nos  découvertes  modernes  avec  toutes  les  ressour- 
ces historiques,  scientifiques,  linguistiques  et  autres, 
mises  à  notre  disposition  parles  progrès  constants 
de  l'érudition  contemporaine...  La  critique  est  un 
moyen  de  vérification...  elle  est  un  discernement 
scientifique  entre  le  vrai  et  le  faux...  elle  est  le 
discernement  du  vrai,  elle  n'en  est  pas  le  dénigre- 
ment. »  Et  Mgr  Mignot  de  conclure  avec  raison  : 
«  Le  seul  moyen  de  prévenir  les  dangers  de  la 
fausse  critique,  c'est  d'en  faire  de  la  bonne  (i).  » 

En  faire  de  la  bonne,  tout  est  là  ;  et  c'est  bien 
celle  que  se  flattent  de  faire  les  mieux  avisés  parmi 
nous.  On  convient  volontiers  que,  si  la  méthode  est 
utilisable,  elle  ne  l'est  pas  sans  discernement;  car 
elle  réclame  du  savoir,  du  tact,  de  la  prudence,  à 
raison  de  sa  délicatesse  extrême  et  des  dangers 
qu'elle  peut  offrir  chez  des  novices  insuffisamment 
préparés,  elle  requiert  surtout  et  avant  tout  un 
esprit  de  soumission  absolue  aux  directions  de 
l'Eglise.  C'est  toujours  à  l'Eglise  qu'il  faut  s'en 
rapporter  en  fin  de  compte.  A  l'Eglise  de  diriger, 
d'éclairer,  d'avertir  et  de  condamner  s'il  y  a  lieu, 
elle  a  autorité  pour  cela  ;  à  elle,  s'il  le  faut  de  fixer 
infailliblement  le  sens  qu'il  convient  de  donner  à 
tel  ou  tel  texte  sacré.  Et  ce  n'est  là  ni  une  gêne,  ni 
une  contrainte,  mais  une  sauvegarde  (2),  quoi  qu'on 

I.  Ibid.,  p.  16.  —  a.  Léon  XIII  le  faisait  justement  remarquer 
dans  son  encyclique  Providentissimus  :  «  Par  cette  loi  pleine  de 
sagesse, l'Eglise  n'arrête  et  ne  contrarie  en  rien  les  recherches  de 
la  science  biblique,  mais  elle  la  maintient  à  l'abri  de  toute  erreur 


UTILITÉ    ET    DANGERS    DE    LA    CRITIQUE  267 

en  ait  pu  dire  ;  c'est  la  liberté  dans  l'obéissance.  Il 
le  faut  bien,  si  l'on  est  sage  ;  car  il  importe  de  se 
prémunir  contre  les  illusions  du  subjectivisme 
kantien,  en  face  de  la  vérité  révélée,  qui  dépasse  la 
portée  de  l'intelligence.  «  Dans  ces  conditions,  dit 
le  P.  Lagrange,  l'obéissance  n'est  pas  un  esclavage 
irrationnel,  précisément  parce  que  le  fait  surnaturel 
est  une  partie  de  notre  étude,  et  que  nous  n'en 
avons  pas  reçu  de  Dieu  la  révélation  particulière. 
Mais  je  dis  de  plus  que  nous  suivons  une  excellente 
méthode  en  pratiquant  la  critique  sans  jamais  per- 
dre de  vue  l'autorité  de  l'Eglise,  parce  que  la  règle 
même  de  la  critique,  c'est  de  tenir  compte  du 
milieu,  et  que  l'Eglise  est  précisément  le  milieu  où 
a  paru  l'Ecriture  (i).  » 

Ainsi  comprise  et  prudemment  appliquée,  la 
critique  ne  saurait  plus  être  un  danger  pour  la  foi, 
puisqu'elle  reconnaît  l'autorité  de  l'Eglise.  La  foi 
n'a  rien  à  craindre  de  ses  travaux.  «  Aucun  de  nos 
dogmes,  assure  Mgr  Mignot,  ne  serait  en  danger 
quand  même,  par  hypothèse,  plusieurs  des  théories 
critiques  actuelles  devraient  être  un  jour  confirmées 
par  les  faits.  La  vérité  n'en  serait  pas  altérée.   Il 

et  contribue  puissamment  à  ses  véritables  progrès.  Chaque 
Docteur,  en  effet,  voit  ouvert  devant  lui  un  vaste  champ  dans 
lequel,  en  suivant  une  direction  sûre,  son  zèle  peut  s'exercer 
d'une  façon  remarquable  et  avec  profit  pour  l'Eglise.  A  la 
vérité,  quant  aux  passages  de  la  sainte  Ecriture  qui  attendent 
encore  une  explication  certaine  et  bien  définie,  il  peut  se  faire, 
grâce  à  un  bienveillant  dessein  de  la  Providence  de  Dieu,  que 
le  jugement  de  l'Eglise  se  trouve  pour  ainsi  dire  mûri  par  une 
étude  préparatoire.  Mais,  au  sujet  des  points  qui  ont  déjà  été 
fixés  (et  qui  sont  en  très  petit  nombre),  le  docteur  peut  jouer 
un  rôle  également  utile,  soit  en  les  expliquant  plus  clairement 
à  la  foule  des  fidèles,  d'une  façon  plus  ingénieuse  aux  hommes 
instruits,  soit  en  les  défendant  plus  fortement  contre  les  adver- 
saires de  la  foi.  » 

1.  La  méthode  historique,  p.  3q. 


268  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

^*  ■■    '■'    '    ■  ^— ^ ^—  !■■■■  ■  ii         !■■■  ^ ^ — ^—^— — — »^» 

suffirait  de  changer  l'ordre  et  la  forme  de  nos 
preuves,  puisque  le  dogme  ne  dépend  pas  de  tel 
procédé  de  démonstration  (i).  »  C'est  la  pensée  du 
P.  Lagrange  et  de  tous  ceux  qui  s'occupent  de  cri- 
tique biblique. 

Malgré  cette  assurance,  un  reste  de  méfiance  et 
de  crainte  persiste  au  fond  de  certains  esprits.  On 
voit  bien  que,  sur  le  terrain  des  principes  tout  le 
monde  est  d'accord,  mais,  dans  la  pratique,  les 
partisans  de  l'enseignement  traditionnel  n'aperçoi- 
vent pas  toujours  comment  on  sauvegarde  le  dogme 
de  l'inspiration  plénière  et  Finerrance  qui  en  est  la 
suite.  Incontestablement,  la  Bible  actuelle  contient 
des  imperfections,  des  contradictions  et  même  des 
erreurs  matérielles.  C'est  à  expliquer  leur  nature  et 
leur  présence  dans  l'Ecriture  que  chacun  s'applique 
du  mieux  qu'il  peut  ;  mais  n'est-ce  pas,  demande- 
t-on,  au  détriment  de  l'inspiration?  Et  la  pratique 
ne  contredit-elle  pas  la  théorie  ?  Sur  les  questions 
d'ordre  scientifique,  plus  de  difficulté;  Léon  XIII 
a  prononcé  la  parole  libératrice,  en  indiquant  les 
principes  de  solution.  Mais  sur  les  questions  d'or- 
dre historique,  il  ne  semble  pas  en  être  de  même. 
De  là  de  multiples  tentatives  de  la  part  de  nos 
exégètes.  Si  toutes  ne  sont  pas  couronnées  de  suc- 
cès, quelques-unes  du  moins  serrent  le  problème 
de  près.  A  défaut  d'une  solution  définitive  et  à  l'abri 
de  toute  suspicion  et  de  tout  reproche,  il  est  permis 
de  croire  que  les  efforts  de  ces  dernières  années  ne 
seront  pas  complètement  perdus.  Que  l'orthodoxie 
veille  et  demande  des  preuves  positives,  rien  de 
mieux  ;  elle  ne  songe  pas  à  décourager,  par  d'illégi- 
times soupçons,  les  travaux  des  exégètes.  Que  ceux- 
ci,  de  leur  côté,  n'affichent  pas  envers  les   théolo- 

i.  V apologétique  et  la  critique  biblique,  p.  7. 


UTILITÉ    ET    DANGERS    DE    LA    CRITIQUE  269 

giens  un  dédain  exagéré  et  poursuivent  leur  marche 
en  avant,  toujours  prêts  à  accepter  l'enseignement 
de  l'Eglise  dès  qu'il  sera  notifié.  Qu'ils  ne  préten- 
dent pas  que  la  loi  ecclésiastique  de  V Imprimatur  ne 
s'étend  pas  à  ceux  qui  cultivent  la  critique  de  l'exé- 
gèse scientifique  de  la  Bible  ;  que  l'interprétation 
des  Livres  saints  est  sujette  à  un  jugement  plus 
approfondi  des  exégètes  et  à  correction  ;  que,  des 
jugements  et  des  censures  ecclésiastiques  portés 
contre  l'exégèse  libre  et  plus  savante,  on  est  en 
droit  d'inférer  que  la  foi  proposée  par  l'Eglise  est  en 
contradiction  avec  l'histoire  ;  que  le  magistère  de 
l'Eglise  ne  peut  pas  déterminer  le  sens  propre  de 
l'Ecriture,  même  par  des  définitions  dogmatiques  ; 
qu'on  doit  estimer  exempts  de  toute  faute  ceux  qui 
tiennent  pour  non  avenues  les  condamnations  des 
Congrégations  romaines  ;  et  enfin  que  l'exégète, 
pour  s'adonner  utilement  aux  études  bibliques,  doit 
écarter  avant  tout  toute  opinion  préconçue  sur  l'ori- 
gine surnaturelle  de  l'Ecriture  sainte,  et  ne  pas  l'in- 
terpréter autrement  que  les  autres  documents 
purement  humains  (i).  Qu'ils  tiennent  compte  sur- 
tout de  l'Encyclique  Pascendi  dominici.  A  ces  con- 
ditions, la  paix  régnera  tout  d'abord,  une  paix 
d'autant  plus  féconde,  espérons-le,  que  chacun  y 
apportera  plus  de  bienveillance,  de  loyauté  et  de 
bonne  volonté. 

Essayons  maintenant  de  montrer  comment  Finer- 
rance  biblique  se  concilie  avec  les  données  de  la 
science  et  de  l'histoire.  «  Il  est  impossible  que 
Dieu  enseigne  l'erreur.  Il  est  donc  impossible,  non 
pas  que  la  Bible,  où  tout  le  monde  prend  la  parole, 
contienne  des  erreurs,  mais  que  l'examen  intelligent 
de  la  Bible  nous  force  à  conclure  que  Dieu  a  ensei- 

1.  Prop.  1,  11,  m.  iv,  vin,  xii,  condamnées  par  le  décret 
Lamentabili,  du  4  juillet  1907  :  cf.  le  texte  en  tête  de  ce  volume. 


2yO  LE    CATECHISME    ROMAIN 


grïé  l'erreur  (i).  »  C'est  à  cet  «  examen  intelligent  » 
qu'il  faut  procéder  pour  constater  comment  «  Dieu 
n'enseigne  rien  de  taux,  ne  s'appuie  sur  rien  de 
faux  comme  élément  matériel  de  son  enseignement, 
Il  est  libre  de  se  servir  de  nos  idées  scientifiques  ou 
de  l'histoire  comme  d'un  simple  procédé  de  prépa- 
ration, ainsi  qu'il  mènerait  nos  idées  au  point  voulu 
par  une  comparaison  ou  une  parabole  (2).  » 

[  ! 

II.   La  Bible  et  les  Sciences 

i°  Erreur  de  tactique  au  xix'  siècle.  —  En 
présence  de  l'essor  prodigieux  et  des  merveilleux 
progrès  des  sciences  physiques  et  naturelles,  dont 
s'emparaient  les  incrédules  pour  battre  en  brèche 
le  catholicisme,  les  apologistes  du  xix°  siècle  cru- 
rent bon  de  défendre  la  Bible,  au  nom  delà  science 
elle-même  et  sur  le  terrain  scientifique.  La  tactique 
était  habile  ;  elle  pouvait  être  indiscrète,  et  l'expé- 
rience montra  qu'elle  n'était  pas  sans  danger.  Les 
Pères  n'avaient  pas  songé  à  y  recourir  ;  ils  s'en 
étaient  tenus  de  préférence  au  sens  littéral  et  obvie 
de  l'Ecriture,  sans  se  préoccuper  outre  mesure  de 
ce  que  les  sciences  naturelles  pouvaient  enseigner, 
et  sans  chercher  à  mettre  quand  même  d'accord 
la  Bible  avec  la  science.  Car,  à  leurs  yeux,  et  ils 
avaient  raison,  la  Bible  ne  contient  pas  toutes  sortes 
de  vérités  ;  elle  renferme  la  vérité  religieuse,  celle 
qui  est  nécessaire  et  utile  au  salut,  et  non  la  vérité 
scientifique.  On  peut  dire,  en  effet,  des  auteurs 
sacrés  en  général  ce  que  saint  Augustin  disait  des 
apôtres:  «  On  ne  lit  pas  dans  l'Evangile  que  le  Sei- 
gneur leur  ait  dit  :  «  Je  vous  envoie  le  Paraclet 
pour  vous  enseigner  le   cours  du  soleil   et  de  la. 

•   1.  Lagrange,  La  méthode  historique,  p.  92.  —  a.  Ibid.,  p.  101». 


LA    BIBLE    ET    LES    SCIENCES  27 1 

>■  ■  ■  ■ 

lune.  »    Il  voulait  faire   des  chrétiens  et  non  des 
mathématiciens  (i).  » 

L'attitude  des  Pères  fut  oubliée  ;  on  crut  plus 
habile  d'en  prendre  une  autre,  que  semblaient  com- 
mander les  circonstances,  et  d'accepter  le  combat 
sur  le  terrain  choisi  par  les  adversaires.  En  consé- 
quence, les  apologistes,  avec  plus  de  courage  que 
de  prudence,  essayèrent  de  montrer  que  la  Bible, 
pour  ancienne  qu'elle  fût,  était  en  avance  et  renfer- 
mait déjà,  d'une  manière  plus  ou  moins  explicite, 
ce  que  la  science  avait  mis  tant  de  temps  et  de  pei- 
nes à  découvrir.  De  là  des  essais  de  conciliation  à 
tout  prix  entre  l'Ecriture  et  les  données  scientifiques. 
Tentative  téméraire  et  malheureuse  ! 

Il  fallut  en  rabattre  et  abandonner  l'une  après 
l'autre  les  fausses  positions  prises,  qui  n'étaient  plus 
tenables,  alors  qu'il  eût  été  si  tacile,  non  pas  certes 
de  se  désintéresser  du  mouvement  et  des  résultats 
scientifiques,  mais  de  montrer  qu'ils  ne  pouvaient 
compromettre  en  rien  l'autorité  de  la  Bible. 

Comme  le  remarque  le  P.  Lagrange,  résister 
n'est  pas  possible  ;  se  plier  à  toutes  les  exigences 
du  mouvement  scientifique,  passe  encore  ;  mais  y 
plier  le  texte  sacré,  ce  n'est  pas  digne  de  la  loi  et 
c'est  un  artifice  réprouvé  par  la  critique.  Mais  alors 
il  ne  reste  qu'un  parti  à  prendre,  celui  de  faire  abs- 
traction des  découvertes  scientifiques  actuelles  et 
de  faire  de  l'exégèse  avec  la  science  ancienne,  ou 
plutôt  d'appliquer  le  principe  fécond  signalé  par 
saint  Augustin,  formulé  par  saint  Thomas  d'Aquin 
et  consacré  officiellement  par  Léon  XIII,  dont  il  va 
être  question. 

2*  La  Bible  n'est  pas  un  livre  de  science.  — 
Une  remarque  s'impose,  en  effet,  c'est  que  la  Bible 

I.  De  actis  cum  Felice,  i,  10  ;  Pair,  lat.9 1.  xlii.  col.  5a5. 


272  LE    CATECHISME    ROMAIN 

m  ■       1.  ■  ■  — — —  ii  — — — — ^^ 

est  un  livre  religieux,  ce  n'est  pas  un  manuel 
scientifique.  Il  n'est  pas  question  dans  l'Ecriture  de 
révélation  scientifique  ;  et,  dans  le  catholicisme,  la 
religion  n'est  pas  inféodée  à  la  science. 

La  science  est  toujours  in  fieri',  elle  progresse, 
oui,  mais  il  lui  arrive  parfois  de  n'aboutir  qu'à  des 
résultats  provisoires,  qui  sont  l'engouement  d'un 
jour  et  qu'on  rejette  le  lendemain.  Dans  ses  résul- 
tats certains,  que  peut-elle  contre  la  Bible,  puisque 
les  vérités  qu'elle  enseigne  ne  sont  pas  du  même 
ordre?  Et  est-il  admissible,  du  reste,  que  le  vrai 
scientifique,  dès  qu'il  est  légitimement  acquis,  puisse 
être  en  contradiction  avec  la  vérité  religieuse  ?  Loin 
de  là  ;  a  priori,  c'est  impossible. 

Sans  doute,  on  rencontre  parfois  dans  la  Bible  des 
affirmations  en  matière  scientifique.  Mais  les  au- 
teurs inspirés  ne  les  donnent  pas  en  hommes  du 
métier,  ils  ne  traitent  pas  de  la  science  ex  professo  ; 
ce  qu'ils  en  disent  est  purement  l'expression  des 
apparences,  en  conformité  avec  l'opinion  courante 
de  leur  temps,  de  manière  à  se  faire  comprendre 
de  leurs  lecteurs.  Il  se  peut  donc  qu'en  agissant  da 
la  sorte,  leur  langage  populaire,  accessible  à  tous, 
soit  en  désaccord  avec  la  rigueur  scientifique  d'au- 
jourd'hui ou  avec  celle  de  demain.  Quel  incon- 
vénient à  cela  ?  Et  en  quoi  l'inerrance  biblique  en 
pourrait-elle  être  atteinte  (1)  ? 

1.  «  Le  domaine  de  la  révélation  et  celui  de  la  science  sont 
distincts  ;  rarement  ils  se  rejoignent  ;  plus  rarement  ils  se 
compénètrent.  C'est  sur  le  terrain  de  la  philosophie  qu'a  lieu 
le  contact.  Mais  si  théologien  et  savant  se  renferment  dans 
leurs  frontières  respectives,  évitant  de  donner  pour  certain  ce 
qui  ne  l'est  pas,  tout  péril  de  conflit  sera  écarté.  —  Le  but 
premier,  la  raison  essentielle  d'un  livre  inspiré  n'est  pas  et  ne 
peut  pas  être  la  science.  Il  n'y  a  de  science  révélée  que  dans  la 
mesure  nécessaire  au  salut  de  l'homme  et  à  l'économie  de  la 
foi.  Dès  lors  l'explication  prétendue  scientifique  de  l'Ecritura 


DÉFINITION   DE    LA   FOI  27^ 

dans  les  ténèbres  non  seulement  de  l'incompréhen- 
sible mais  encore  de  l'inintelligible,  il  est  des  catho- 
liques qui  penchent  soit  du  côté  de  l'agnosticisme, 
soit  du  côté  du  mysticisme.  Pour  M.  Brunetière, 
«  les  raisons  de  croire  ne  sont  pas  de  l'ordre  intel- 
lectuel, mais  de  l'ordre  moral  ;  on  croit  parce  que 
l'on  veut  croire  (i).  »  M.  Faguet  pense  de  même  : 
«  L'idéal  ne  se  prouve  en  aucune  façon  :  on  ne 
l'aime  qu'en  y  croyant,  sans  aucune  raison  d'y 
croire,  ce  qui  est  proprement  un  acte  de  foi.  » 
«  L'acte  de  foi  consiste  à  dire  :  je  crois  parce  que 
j'aime  (2).  »  D'autres  ne  cessent  de  répéter  avec 
Pascal  :  «  Le  cœur  a  ses  raisons  que  la  raison  ne 
connaît  point...  C'est  le  cœur  qui  sent  Dieu,  et  non 
la  raison.  Voilà  ce  que  c'est  que  la  foi  :  Dieu  sen- 
sible au  cœur,  non  à  la  raison  (3).  » 

Parmi  nos  contemporains,  quelques  catholiques 
ont  porté  les  efforts  d'une  analyse  psychologique 
pénétrante  et  minutieuse  sur  la  foi  pour  en  mieux 
déterminer  et  préciser  les  divers  éléments.  Mais  les 
uns,  fidèles  aux  données  scolastiques,  accentuent 
peut-être  un  peu  trop  le  caractère  intellectuel  de 
l'acte  de  foi,  et  cela,  semble-t-il,  au  détriment  de  la 
volonté  ;  et  c'est  ainsi  que  l'on  accuse  la  définition 
scolastique  de  la  foi  d'être  insuffisante,  «  parce 
qu'elle  n'implique  pas  un  élément  psychologique 
essentiel,  sans  lequel  la  foi  reste  philosophiquement 
inexplicable  et  la  synthèse  de  l'ordre  naturel  et  de  l'or- 
dre surnaturel  absolument  incompréhensible  (4).  » 
Les  autres,  au  contraire,  mettent  en  un  puissant 
relief  l'intervention    de  la   volonté,   et,  sans  nier 

1.  Brunetière,  La  science  et  la  religion,  p.  62,  note.  —  2.  Fa- 
guet, La  religion  de  nos  contemporains,  dans  la  Revue  bleue, 
ianvier  1896.  —  3.  Pensées,  édit.  Havet,  xxiv,  5.  —  4-  Péche- 
gut,  Une  définition  de  la  foi,  dans  la  Revue  du  clergé»  1902,  t. 
xxix,  p.  72. 

LE   CATÉCHISME.    —  T.  I.  T8 


274  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

le  caractère  intellectuel  de  l'acte  de  foi,  le  rejettent 
au  second  plan,  ce  qui  semble  dénaturer  la  vraie 
notion  de  la  foi. 

En  quoi  consiste  donc  véritablement  la  foi  ? 
Quelle  est  sa  nature  ?  Et  quel  est  le  rôle  qui  revient 
dans  cet  acte  mystérieux  soit  à  la  raison  soit  à  la 
volonté  ?  C'est  ce  que  nous  allons  demander  à 
l'enseignement  formulé  par  le  concile  du  Vatican. 

4.  Voici  d'abord  la  définition  de  la  foi  donnée  par 
le  concile  :  «  Cette  foi,  qui  est  le  commencement 
du  salut  de  l'homme,  l'Eglise  catholique  professe 
que  c'est  une  vertu  surnaturelle  par  laquelle,  prévenus 
et  aidés  de  la  grâce  de  Dieu,  nous  croyons  vraies  les 
choses  qu'il  a  révélées,  non  pas  à  cause  de  leur  vérité 
intrinsèque  perçue  à  la  lumière  naturelle  de  la  raison, 
mais  à  cause  de  ï autorité  de  Dieu  même  qui  révèle  et 
qui  ne  saurait  être  ni  trompé  ni  trompeur.  La  foi  est, 
en  effet,  au  témoignage  de  l'apôtre,  la  substance 
de  ce  que  nous  espérons  et  la  conviction  de  ce  que 
nous  ne  voyons  pas  (1).  » 

Cette  définition  dogmatique  est  de  capitale  im- 
portance. Chacun  de  ses  termes  porte.  Contentons- 
nous  d'en  indiquer  ici  les  principaux  éléments, 
sauf  à  insister  ensuite  sur  quelques-uns  d'entre 
eux,  ce  qui  nous  permettra  par  une  précision  plus 
grande  de  répondre  à  certaines  difficultés. 

Là  où  le  concile  de  Trente  ne  parle  que  de  l'acte 
de  foi  préparatoire  à  la  justification,  le  concile  du 
Vatican  considère  la  foi  comme  une  vertu,  comme 
une  habitude,  comme  une  disposition  permanente 
de  Tâme,  mais  comme  une  Arertu  surnaturelle,  c'est- 
à-dire  dépassant  les  exigences  et  les  ressources  de 


1.  Voir  dans  la  Somme  théologique,  na  nœ,  Q.  iv,  a.  1,  l'expli- 
cation de  ce  texte,  où  saint  Thomas  montre  tous  les  éléments 
constitutifs  d'une  définition  de  la  foi. 


DÉFINITION    DE    LA    FOI  275 

notre  nature,  ne  pouvant  être  en  nous  que  par  une 
infusion  divine,  par  un  don  gratuit  de  Dieu.  Nous 
aurons  à  revenir  sur  ce  sujet  quand  nous  traiterons 
des  vertus  théologales. 

Comme  le  concile  de  Trente,  le  concile  du  Vati- 
can signale  le  rôle  nécessaire  que  joue  dans  l'acte 
de  foi  la  grâce  prévenante  et  adjuvante.  Il  caractérise 
ensuite  la  nature  spéciale  de  cet  acte  en  disant 
qu'il  nous  fait  croire  vraies  les  choses  que  Dieu  a 
révélées.  Et  du  même  coup  il  nous  fait  connaître  le 
sujet  et  Y  objet  matériel  de  la  foi.  Le  sujet  d'abord  ; 
car,  du  moment  qu'il  s'agit  d'une  adhésion  à  la- 
vérité  des  choses  révélées  ou,  comme  s'exprime  le 
Catéchisme  romain,  d'un  «  assentiment  total,  » 
d'un  «  acquiescement,  »  d'une  «  connaissance,  »  il 
ne  peut  être  question  que  de  l'intelligence,  c'est-à- 
dire  de  la  faculté  spéciale  de  l'âme  sur  laquelle 
s'insère  et  se  greffe  la  vertu  de  la  foi.  L! 'objet  maté- 
riel ensuite,  c'est-à-dire  les  vérités  révélées  par  Dieu. 

Mais  le  concile  du  Vatican,  tout  comme  le  Caté- 
chisme romain  et  d'une  manière  plus  précise,  indi- 
que le  motif  de  notre  adhésion  à  la  vérité  révélée, 
ce  que  les  théologiens  appellent  Y  objet  formel  delà,  foi. 
Pourquoi  croyons-nous  à  la  vérité  révélée  ?  Ce  n'est 
pas  à  cause  de  sa  vérité  intrinsèque  perçue  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  parce  que  dans  ce  cas 
la  foi  se  confondrait  avec  la  science,  mais  c'est 
à  cause  de  V autorité  de  Dieu  même  qui  ne  peut  ni  être 
trompé  ni  tromper.  Et  c'est  justement  par  là  que  la 
foi  se  distingue  de  toutes  les  autres  espèces  d'adhé- 
sion. 

IV.  Le  motif  de  la  Foi 
ou  son  objet  formel 

Quel  est  le  motif  propre  de  la  foi,  la  raison  dé- 


276  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

terminante  de  notre  adhésion  à  la  vérité  révélée,  ce 
qui  la  fonde  et  constitue  sa  raison  dernière  et 
suprême,  ce  qui  fait  que  la  foi  est  foi  et  la  distingue 
des  autres  connaissances,  ou,  comme  disent  les 
théologiens,  son  objet  formel  ? 

1.  Faut-il  le  placer  avec  les  rationalistes  dans  la 
perception  claire  ou  l'évidence  de  la  vérité  ?  Faut-il 
le  mettre  dans  l'habitude  infuse  de  la  foi,  qui 
jouerait  ainsi  par  rapport  aux  vérités  révélées  le 
rôle  de  l'évidence  pour  les  vérités  naturelles? 
Serait-ce  la  perfection  souveraine  de  l'être  de  Dieu, 
source  première  de  sa  véracité  ?  Serait-ce  ce  que  l'on 
désigne  d'ordinaire  sous  le  nom  de  motifs  de  cré- 
dibilité, ou  bien  l'autorité  de  l'Eglise,  ou  enfin  le 
fait  même  de  la  révélation  ? 

Rappelons  tout  d'abord  que  l'homme  a  deux 
manières  de  connaître  :  par  la  science  et  par  la  foi. 
Par  la  science,  à  l'aide  des  seules  lumières  de  la 
raison,  il  voit,  il  se  rend  compte,  il  s'explique  le 
pourquoi  et  le  comment  des  choses,  il  en  pénètre 
la  vérité  intrinsèque.  Par  la  foi,  il  adhère  à  la  vérité 
sur  le  témoignage  d'autrui,  témoignage  préalable- 
ment jugé  certain  et  véridique.  Or,  ce  qu'il  importe 
de  remarquer,  c'est  que  ce  témoignage  provient 
originairement  de  quelqu'un  qui  sait  de  science 
certaine  la  vérité  de  ce  qu'il  affirme.  Et  de  la  sorte, 
croire  c'est  participer  à  la  science  positive  de 
celui  qui  sait  et  qui  dit  ce  qu'il  sait.  Ce  qu'il  sait,  le 
témoin  originaire  le  sait  par  lui-même,  de  science 
immédiate,  par  l'évidence  intrinsèque  de  la  vérité. 
Au  contraire,  celui  qui  croit  ne  possède  pas  cette 
connaissance  intrinsèque  de  la  vérité,  mais  il  admet 
quand  même  la  vérité  sur  le  témoignage  de  celui 
qu'il  estime  savoir  ce  qu'il  dit  et  dire  ce  qu'il  sait. 
Légitimement  garanti,  il  en  possède  du  moins  une 
connaissance  ferme  et  certaine,   bien  que  médiate 


LE    MOTIF    DE    L.V    FOI  277 


et  extrinsèque,  qui  se  distingue  du  doute,  du 
soupçon,  de  l'opinion.  Car  le  doute  existe  quand 
l'esprit  ne  se  prononce  pas  ;  le  soupçon,  quand  il 
penche  d'un  côté,  mais  sans  oser  se  prononcer; 
l'opinion,  quand  il  embrasse  un  sentiment,  tout  en 
craignant  que  le  sentiment  contraire  ne  soit  pré- 
férable. Or,  remarque  saint  Thomas  (i),  l'acte 
de  foi  implique  une  adhésion  ferme,  exclusive  de 
toute  crainte  d'erreur,  et  celui  qui  croit  a  cela  de 
commun  avec  celui  qui  sait  et  qui  connaît.  Toute- 
fois celui  qui  croit  n'a  pas  comme  celui  qui  sait 
la  connaissance  parfaite  qui  résulte  de  l'évidence 
intrinsèque,  et  en  cela  il  ressemble  à  celui  qui 
doute,  qui  soupçonne,  qui  a  une  opinion,  mais  il 
connaît. 

2.  Ainsi  en  est-il  pour  l'acte  de  foi  chrétienne. 
Le  motif  qui  le  détermine  n'est  pas,  —  et  c'est 
l'enseignement  formel  du  concile  du  Vatican  (2), — 
«  la  vérité  intrinsèque  de  la  chose  révélée  perçue  à 
la  lumière  naturelle  de  la  raison,  »  puisque  d'or- 
dinaire cette  chose  échappe  aux  prises  de  notre 
intelligence  et  reste  enveloppée  d'ombre  et  de  mys- 
tère. La  foi,  en  effet,  n'est  pas  la  science  ;  son 
motif,  et  c'est  encore  le  concile  du  Vatican  qui  le 
dit,  diffère  du  fondement  de  la  science.  Ne  pas 
distinguer  la  foi  divine  de  la  science  naturelle 
de  Dieu  et  des  choses  morales,  serait  encourir 
l'anathème  porté  par  le  canon  2  (3).  L'apôtre  saint 
Paul  écrivait  aux  Corinthiens  :  «  C'est  dans  la 
faiblesse,  dans  la  crainte  et  dans  un  grand  trem- 
blement que  je  me  suis  présenté  chez  vous  ;  et  ma 
parole  et  ma  prédication  n'avaient  rien  du  langage 
persuasif  de  la   sagesse,  mais  l'Esprit  (Saint)   et  la 


1.  Sum.  theolog.,  na  11*,  Q.  11,  a.  1;  Q.  iv,  a.  1.  —  2.  Const. 
Dei  FUius,  c.  111,  Si-  —  3.  Ibid.,  c.  m,  can.  2. 


278  LE    CATECHISME    ROMAIN 

force  de  Dieu  en  démontraient  la  vérité,  afin  que 
votre  foi  repose,  non  sur  la  sagesse  des  hommes, 
mais  sur  la  puissance  de  Dieu  (1).  »  Il  leur  disait 
encore  :  «  Nous  renversons  les  raisonnements  et 
toute  hauteur  qui  s'élève  contre  la  science  de  Dieu, 
et  nous  assujettissons  toute  pensée  à  l'obéissance  du 
Christ  (2).  »  C'est  la  foi  qui  ne  se  fonde  pas  sur  les 
moyens  et  les  raisonnements  humains,  sur  l'évidence 
de  la  vérité  qu'elle  croit. 

3.  Le  motif  propre,  l'objet  formel  de  la  foi,  ce 
qui  fait  croire  aux  choses  révélées  de  Dieu,  c'est, 
d'après  le  texte  du  concile,  a  l'autorité  de  Dieu 
révélateur,  qui  ne  peut  ni  se  tromper  ni  nous 
tromper.  »  Cette  autorité  implique,  comme  on  le 
voit,  deux  éléments  :  la  science  infaillible  de  Dieu 
et  sa  véracité  absolue,  tous  deux  également  néces- 
saires et  essentiels.  En  dernière  analyse,  c'est  à  cause 
de  cette  autorité  divine  que  je  donne  mon  assenti- 
ment à  la  vérité  révélée,  que  je  fais  l'acte  de  foi. 
Kotre  Seigneur  disait  :  «  Celui  qui  m'a  envoyé  est 
véridique,  et  ce  que  j'ai  entendu,  je  le  dis  au 
monde  (3),  »  «  Nous  disons  ce  que  nous  savons,  et 
nous  attestons  ce  que  nous  avons  vu,  mais  vous  no 
recevez  pas  notre  témoignage,,.  Celui  qui  vient  du 
ciel  est  au  dessus  de  tous,  et  ce  qu'il  a  vu  et  entendu, 
il  l'atteste,,,  Celui  qui  reçoit  son  témoignage  cer- 
tifie que  Dieu  est  véridique  (4).  » 

4,  Sans  doute,  l'Eglise  sert  d'intermédiaire  entre 
Dieu  et  nous.  Son  autorité  est  divine  ;  elle  a  reçu 
de  Dieu  le  droit  de  proposer  et  d'imposer  les  vérités 
à  croire  ;  mais  son  rôle  consiste  à  certifier  et  k 
garantir  sans  crainte  d'erreur  la  réalité  et  le  contenu, 
de  la  révélation,  Dans  l'état  actuel  de  l'humanité, 


j,  ï  Cor.,  u,  4-5»  —  2»  Il  Gor,,  x,  5,  —  3,  Jqml,  mu,  30, 
— *4-  JyuM'f  ilh  a*  33, 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  279 

ce  rôle  est  le  moyen  ordinaire,  la  règle  commune, 
dont  Dieu  se  sert  pour  nous  faire  arriver  à  la  foi  ; 
mais  il  n'est  pas  absolument  indispensable  et  il  n'est 
pas  exclusivement  le  seul.  Dans  la  formule  de  l'acte 
de  foi,  que  récitent  les  fidèles,  il  est  dit  qu'on  croit 
tout  ce  que  la  sainte  Eglise  catholique,  apostolique 
et  romaine  ordonne  de  croire,  mais  on  ne  le  croit 
pas  simplement  parce  qu'elle  l'ordonne,  on  le  croit 
parce  que  Dieu  l'a  révélé  et  qu'il  est  la  vérité  même. 
C'est  toujours  sur  l'autorité  de  Dieu  qu'on  s'appuie, 
et  c'est  uniquement  cette  autorité  qui  est  le  motif 
propre  ou  l'objet  formel  de  la  foi. 

5.  Mais  faut-il  pourtant,  pour  qu'il  y  ait  acte  de 
foi,  que  Dieu  ait  révélé  ?  Car,  même  dans  l'hypo- 
thèse où  Dieu  n'aurait  rien  révélé,  son  autorité  n'en 
existerait  pas  moins  et  il  aurait  toujours  droit  à 
notre  hommage  à  raison  de  sa  science  infaillible  et 
de  sa  véracité  absolue  ;  mais  il  ne  saurait  y  avoir 
acte  de  foi,  car  un  témoin  muet  n'apprend  rien. 
Pour  être  cru,  il  faut  qu'il  parle,  qu'ilrévèle  quelque 
chose.  Par  suite  la  révélation  est  indispensable  pour 
qu'il  puisse  y  avoir  acte  de  foi  ;  c'est  une  condition 
requise,  et  c'est  pourquoi  le  concile  du  Vatican, 
dans  la  question  présente,  ajoute  à  Dieu  le  qualifi- 
catif de  révélateur.  Il  dit,  en  effet,  propter  auctori- 
tatem  Dei  revelantis  ;  mais  il  n'a  pas  dit  :  propter 
auctoritatem  Dei  et  propter  revelationem,  ce  qui  laisse 
libre  par  conséquent  la  question  de  savoir  si  la 
révélation,  en  tant  que  fait,  entre  pour  une  part 
dans  le  motif  propre  ou  l'objet  formel  de  la  foi. 

V.  Les  motifs  de  crédibilité 

L'acte  de  foi  doit  être  un  acte  humain  :  il  requiert 
par  conséquent  le  concours  de  nos  facultés,  celui 


.f28o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


de  l'intelligence  pour  être  vraiment  rationnel,  celui 
de  la  volonté  pour  être  vraiment  libre.  Comme, 
d'autre  part,  il  est  salutaire  au  sens  théologique  du 
mot,  et  constitue  le  commencement  de  la  justifica- 
tion, il  doit  être  inspiré  et  informé  par  la  grâce, 
ainsi  que  nous  le  verrons.  Toutefois  il  n'est  pas  une 
improvisation. 

i.  Chez  le  simple  fidèle,  déjà  en  possession  de  la 
vertu  de   foi  reçue  au  baptême  et  vivant  dans  un 
milieu  chrétien,  l'acte  de  foi  est  l'exercice  normal  de 
««  son  habitude  infuse  ;  il  se  trouve  justifié  en  soi  par 
l'autorité  du  témoignage   de   l'Eglise,    qui    lui  est 
,  notifié  par  ses  parents,  ses  maîtres  ou  ses  pasteurs. 
Sans  doute  les  chrétiens,  pour  le  plus  grand  nombre, 
sont  incapables  par  eux-mêmes  de  justifier  la  valeur 
du  motif  qui  les  pousse  à  faire  l'acte  de  foi  ;  mais,  en 
le  faisant,  ils  sont  suffisamment  garantis  par  l'auto- 
..rite  de  l'Eglise  à  laquelle   ils  appartiennent.  Car, 
ainsi  que  l'enseigne  le  concile  du  Vatican,  «  c'est  à 
.,  l'Eglise   catholique   seule    qu'appartiennent   toutes 
m  ces  notes  si  nombreuses  et  si  frappantes  par  lesquel- 
les Dieu  a  rendu  évidente  la   crédibilité   de  la  foi 
chrétienne.  Bien   plus    elle    est  par  elle-même  un 
grand  et  perpétuel  motif  de  crédibilité,  en  même 
temps  qu'un  témoignage  irréfragable  de  sa  mission 
„ divine...  Elle  donne  à  ses  enfants  une  assurance 
,plus  certaine  que  la  foi  qu'ils  professent  repose  sur 
un  très  ferme  fondement  (i).  » 

,  2.  Chez  l'incrédule,  au  contraire,  l'acte  de  foi  ne 
*  se  produit  qu'après  un  travail  préparatoire,  parfois 
assez  long,  toujours  délicat  à  cause  de  tant  de  mo- 
biles d'ordre  divers  qui  entrent  en  jeu,  réalisable 
pourtant  pour  toute  âme  de  bonne  volonté.  En 
effet,  à  l'aide  de  la  raison  et  sur  des  preuves  d'or- 

,     i.  Çonst.  Dei  Filius,  c.  ni,  §  5  et  6. 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  28 1 

dre  philosophique,  l'incrédule  peut  se  convaincre 
tout  d'abord  que  Dieu  existe,  —  et  c'est  là  une  pre- 
mière vérité  dont  il  ne  saurait  raisonnablement  dou- 
ter, —  qu'il  possède  une  science  infinie  à  l'abri  de 
toute  erreur  et  une  véracité  qui  le  rend  absolument 
incapable  de  tromper,  c'est-à-dire  une  autorité 
au-dessus  de  tout  soupçon.  Que  Dieu,  dans  sa 
bonté  et  sa  condescendance,  puisse  communiquer 
à  l'homme  un  enseignement  divin,  c'est  encore  une 
vérité  dont  la  certitude  métaphysique  ne  peut  être 
légitimement  révoquée  en  doute.  Que  Dieu  ait  dû 
s'adresser  à  l'homme,  ou,  en  d'autres  termes, 
qu'une  révélation  divine  ait  été  moralement  néces- 
saire, c'est  ce  que  justifie  amplement  une  étude 
psychologique  de  la  nature  humaine. 

3.  Mais  Dieu  a  t-il  parlé?  Existe- t-il  une  révéla- 
tion ?  Et  s'il  a  parlé,  peut-on  le  savoir  pertinem- 
ment sur  des  preuves  certaines,  indubitables  ? 
Quelles  sont  ces  preuves  ?  Autant  de  questions  à 
résoudre  au  moyen  de  l'histoire  par  l'examen  de  la 
valeur  des  témoignages,  car  les  faits  se  prouvent 
par  des  témoins,  et  le  fait  de  la  révélation  doit  être 
entouré  des  garanties  testimoniales  les  plus  irrécu- 
sables. 

C'est  ici  qu'interviennent  les  motifs  de  crédibilité. 
Aussi  est-ce  avec  raison,  que  le  concile  du  Vatican 
les  signale  pour  montrer  que  l'acte  de  foi,  loin 
d'être  un  assentiment  aveugle  et  un  saut  dans 
l'inconnu,  se  trouve  pleinement  justifié  aux  yeux 
de  la  raison.  Ces  motifs  de  crédibilité,  en  effet, 
préparent  l'acte  de  foi,  mais  ne  sont  pas  l'acte  de 
foi.  Ils  aident  à  faire  voir  qu'il  y  a  une  vérité  révélée 
par  Dieu,  qu'elle  doit  donc  être  acceptée  comme 
telle  ;  ils  aident  à  constater  d'une  part  le  fait  de  la 
révélation,  et,  d'autre  part,  l'obligation  qui  s'impose 
de  l'accepter. 


282  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

La  raison  doit  se  convaincre,  non  de  la  vérité 
intime  des  affirmations  du  témoin,  chose  qui  peut 
avoir  lieu  dans  la  suite,  mais  avant  tout  du  droit  du 
témoin  à  être  cru  sur  parole,  de  la  valeur  de  son 
témoignage.  Mais  une  fois  bien  établies  l'autorité  et 
l'existence  du  témoignage  divin,  l'hésitation  n'est 
plus  de  mise.  Ce  serait  folie,  dit  saint  Augustin, 
d'attendre  alors  pour  croire  qu'on  ait  résolu  toutes 
les  questions,  a  quœ  non  surit  finiendx  antejidem,  ne 
finiatur  vlla  sine  fide  (1).  »  Rien  de  plus  juste  :  Dieu 
a  parlé,  il  n'y  a  plus  qu'à  s'incliner.  En  faisant  alors 
l'acte  de  foi,  on  est  certain  d'avoir  agi  raisonnable- 
ment. 

4.  Quels  sont  donc  ces  motifs  de  crédibilité  qui 
amènent  ainsi  à  l'acte  de  foi  ?  Il  y  en  a  d'internes, 
il  y  en  a  d'externes.  Les  uns,  inspirés  du  Saint- 
Esprit  ou  jaillissant  des  profondeurs  mystérieuses 
de  la  conscience,  peuvent  se  nuancer  indéiiniment 
et  échappent  même  le  plus  souvent  au  contrôle  de 
celui  qui  leur  obéit  ;  les  autres  s'imposent  du  de- 
hors. Le  concile  y  fait  allusion  en  ces  termes  : 
«  Afin  que  l'hommage  de  notre  foi  fût  d'accord  avec 
la  raison,  aux  secours  internes  du  Saint-Esprit  Dieu 
a  voulu  joindre  des  preuves  extérieures  de  sa  révé- 
lation. »  Le  concile  ne  prétend  pas  que  les  motifs 
internes  soient  jamais  insuffisants,  car  Dieu  peut 
très  bien  éclairer  surnaturellement  une  âme  et  lui 
donner  l'assurance  indubitable  qu'il  est  l'auteur  de 
telle  ou  telle  révélation  ;  c'est  ainsi  notamment 
qu'il  en  a  agi  avec  les  prophètes,  et  c'est  ainsi  qu'il 
en  agit  encore  avec  quelques  rares  privilégiés  ;  mais 
tel  n'est  pas  l'ordre  ordinaire  de  la  Providence. 

5.  L'erreur  des  protestants  a  été  précisément  de 
n'accorder  de  valeur  pour  la  foi  qu'aux  motifs  inter- 

1.  Saint  Augustin,  Epist.  en,  38,  Pat.  lat.,  t.  xxxiii,  col.  386* 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  283 

nés  de  crédibilité  à  l'exclusion  de  tout  motif  externe. 
D'après  les  anciens  réformateurs,  chaque  chrétien 
possède  une  lumière  surnaturelle  qui  lui  permet  de 
découvrir  dans  l'Ecriture  la  vraie  parole  de  Dieu  et 
sa  signification  véritable.  Mais,  depuis  le  xvi°  siècle, 
on  a  marché  dans  le  sens  de  plus  en  plus  accentué 
du  rationalisme  et  de  l'individualisme  :  à  la  lumière 
surnaturelle  on  a  substitué,  comme. critérium  de  la 
révélation,  la  lumière  naturelle  de  la  raison.  L'Ecri- 
ture elle-même  ne  compte  guère  plus,  et,  depuis 
Schleiermacher,  tout  se  réduit  de  plus  en  plus,  chez 
les  protestants  libéraux,  à  un  vague  sentimentalisme 
religieux,  où  la  révélation  n'est  pas  un  témoignage 
externe  de  Dieu,  mais  la  conscience  intime  des 
rapports  de  l'âme  avec  Dieu.  Ainsi,  tandis  que  les 
uns  repoussent  absolument  la  valeur  ou  la  nécessité 
des  motifs  externes  de  crédibilité,  d'autres,  moins 
radicaux,  n'y  voient  pour  le  croyant  qu'un  secours 
qui  vient  aider  la  foi  et  la  suppose  déjà,  et  pour 
l'incroyant  que  des  faits  inadmissibles  et  sans 
portée.  Car  c'est  aujourd'hui  la  tendance  générale, 
parmi  les  protestants,  d'en  appeler  exclusivement 
au  sentiment  religieux,  à  l'expérience  interne,  à 
une  action  directe  du  Saint-Esprit,  à  une  certitude 
immédiate  et  subjective  de  la  foi.  Or  cette  négation 
de  l'efficacité  des  signes  externes  pour  rendre 
croyable  la  révélation,  et  cette  prétention  de  ne  s'en 
tenir  qu'à  une  expérience  personnelle  interne  ont 
été  condamnés  par  le  concile  du  Vatican  :  «  Ana- 
thème  à  qui  dirait  que  la  révélation  divine  ne  peut 
être  rendue  croyable  par  des  signes  extérieurs,  et 
par  conséquent  que  les  hommes  ne  doivent  être 
amenés  à  la  foi  que  par  une  expérience  interne  et 
personnelle  ou  par  une  inspiration  privée  (i).  » 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  ni,  can.  3. 


284  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6.  Le  concile  détermine  clairement  la  part  qui 
revient  aux  motifs  externes  de  crédibilité  dans  la 
préparation  à  la  foi  ;  il  estime  que  ce  sont  des 
preuves  solides  et  suffisantes  pour  légitimer  l'accep- 
tation de  la  révélation  ;  car,  dit-il,  aux  secours 
intérieurs  du  Saint-Esprit,  Dieu  a  voulu  joindre  des 
preuves  extérieures  de  sa  révélation,  savoir  des  faits 
divins,  et  surtout  des  miracles  et  des  prophéties, 
qui,  en  montrant  abondamment  la  toute-puissance 
et  la  science  infinie  de  Dieu,  font  reconnaître  la 
révélation  divine,  dont  ils  sont  les  signes  très  cer- 
tains et  appropriés  à  l'intelligence  de  tous  (i).  » 
Parmi  ces  faits  divins  qui  sont  des  arguments 
externes,  des  signes  très  certains  de  la  révélation 
divine,  des  preuves  du  témoignage  de  Dieu,  le 
concile  ne  cite  ici  exceptionnellement  que  les 
miracles  et  les  prophéties  ;  mais  il  n'oublie  pas, 
deux  paragraphes  après,  de  signaler  l'existence  de 
l'Eglise  catholique  comme  une  preuve  évidente  de 
la  crédibilité  de  la  foi  chrétienne. 

7.  Ces  motifs  de  crédibilité,  ces  signes  très 
certains  et  appropriés  à  l'intelligence  de  tous, 
constituent  une  solide  et  véritable  démonstration  de 
la  foi,  non  pas  assurément  une  démonstration 
mathématique,  mais  une  démonstration  capable 
de  légitimer  l'adhésion  de  l'esprit,  à  l'exclusion  de 
tout  doute  sérieux  et  motivé,  et  de  produire  une 
certitude  suffisante  pour  justifier  l'acte  de  foi.  Les 
qualifier  de  simples  probabilités,  c'est  trop  peu  dire. 
Et  sans  doute  c'est  là  le  terme  qu'employait 
INewman  dans  le  récit  de  sa  conversion,  quand  il 
disait  :  Dieu  a  voulu  que,  «  dans  la  recherche  de  la 
religion,  nous  arrivions  à  la  certitude  par  des 
probabilités  accumulées...  11  nous  conduit,  si  se>>- 

1.  Ibid.,  c.  m,  s  2. 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  285 

lement  notre  volonté  coopère  avec  la  sienne,  è  "ne 
certitude  qui  s'élève  plus  haut  que  la  puissance 
logique  de  nos  conclusions  (i).*»  Non,  ce  ne  sont 
pas  de  simples  probabilités,  ce  sont  des  preuves 
certaines  ;  ils  constituent  une  certitude  réelle.  Plus 
loin,  au  delà  de  la  raison  logique,  après  l'acte  de 
foi,  dans  la  réalité  de  la  foi  possédée  et  vécue,  la 
certitude  est  œuvre  plus  haute,  comme  dit  NeAvman, 
mais  cette  certitude  résultant  de  la  vie  même  de  la 
foi  n'exclut  pas  la  certitude  qu'apportent  les  motifs 
de  crédibilité  et  qui  précède  l'acte  de  foi. 

8.  Est-ce  à  dire  que  cette  démonstration  par  les 
motifs  de  crédibilité  soit  d'une  efficacité  universelle 
et  invincible  ?  «  Certes,  non,  répond  M.  Gayraud. 
L'homme  y  échappe  par  inattention,  mépris,  mau- 
vaise volonté,  endurcissement  du  cœur,  et  aussi  par 
déviation  ou  par  anémie  de  l'esprit.  Je  passe  outre 
aux  causes  morales.   Mais    l'affaiblissement    de   la 
raison,   sous    l'influence  débilitante  et  toxique    du 
positivisme,  du  sensualisme  etdu  criticisme  kantien, 
doit  être  signalé.  La  démonstration   traditionnelle 
s'adresse  à  une  raison  saine  et  Adgoureuse,  confiante 
dans   ses  facultés  de  perception  et  de   déduction, 
sûre  d'atteindre,  à  la  lumière  des  premiers  principes 
imprimés  en  elle  par  les  choses  mêmes,  la  réalité 
substantielle  des  êtres,  et  de  s'élever  par  les  créatures 
jusqu'à  Dieu.  Un  pareil  travail  dépasse  assurément 
les  forces   de  la  raison  positiviste   ou    kantienne. 
Celle-ci  doit  être  abordée  par  un  autre  point.  Que 
si  la  philosophie  de  l'action,  du  pragmatisme,  du 
dogmatisme  moral,  de  l'immanence  ou  de  quelque 
autre  nom  qu'on  l'appelle,  peut  saisir  cette  raison 
anémiée,    et,   en    éveillant  chez   elle    le   sentiment 
d'une  hétéronomie  nécessaire,  en  lui  faisant  perce- 

i.  Newman,  Apologia,  p.  200. 


286  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


voir  dans  sa  vie  consciente  les  «  postulats  n  de  la 
révélation  surnaturelle  et  chrétienne,  la  préparer  à 
l'intelligence  et  au  don  divin  de  la  foi,  cette 
philosophie  apportera  un  concours  précieux  et 
opportun  à  l'apologétique  traditionnelle.  Elle  tour- 
nera la  pensée  moderne  vers  les  clartés  sereines  de 
la  foi,  et  suscitera  chez  quelques-uns  ces  bons  désirs 
et  cette  bonne  volonté  que  la  grâce  de  Dieu  prévient, 
accompagne,  parachève  et  récompense.  Mais  il  n'en 
reste  pas  moins  vrai  que  la  solide  démonstration 
de  la  vérité  de  cette  foi,  celle  qui  motive  et  justifie 
la  certitude  de  nos  croyances,  en  face  de  la  raison 
incrédule  et  superbe  comme  dans  l'esprit  du  fidèle 
convaincu,  c'est  la  preuve  par  les  fada  divina,  dont 
parle  le  concile  du  Vatican,  qui  sont  les  externa 
argumenta  et  les  signa  certlssima  omnium  intelligentiœ 
accommodata  de  la  révélation  divine  (i).  » 

1.  La  foi,  principe  de  connaissance.  —  «  S'il  n'y 
avait  que  deux  parties  dans  l'œuvre  universelle  (et  il  en 
pouvait  manifestement  être  ainsi,  puisque  l'institution 
surnaturelle  est  un  acte  libre  et  une  pure  grâce),  comme 
il  n'y  aurait  alors  que  deux  objets  à  connaître,  il  n'y 
aurait  non  plus  en  nous  que  deux  principes  de  connais- 
sance. En  effet,  si  Dieu  ne  manque  jamais  de  procurer- 
ce  qui  est  nécessaire,  on  ne  le  voit  jamais  non  plus  rien 
faire  d'inutile  ni  de  vain.  Supposé  donc  que,  comme 
l'impiété  l'affirme  avec  audace  parce  qu'elle  le  désire  avec 
passion,  il  n'y  ait  point  de  surnaturel,  il  est  parfaitement 
clair  que  le  sens  et  la  raison  suffiraient  à  l'humanité,  à  ses 
devoirs,  à  ses  besoins  ;  et  non  seulement  pour  la  vie  de 
ce  monde,  mais  encore  pour  la  vie  future.  Oui,  dans  cette 
hypothèse,  à  la  seule  condition  d'user  toujours  de  ses 
sens  et  de  sa  raison  en  toute  vérité,  sagesse  et  justice, 
l'homme  atteindrait  sa  fin.   Mais  si,   comme  il  est  bien 

i.  Gayraud,  Le  problème  de  la  certitude  religieuse,  dans  la 
Revue  du  clergé,  1902,  t.  xxx,  p.  ia3-ia4* 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  287 

certain,  il  y  a  un  ordre  surnaturel  ;  si,  comme  on  n'en 
saurait  ni  chrétiennement  ni  raisonnablement  douter, 
Dieu  a  voulu  qu'entre  cet  ordre  et  .nous  des  rapports 
existassent  ;  s'il  y  a  établi  notre  fin  dernière,  s'il  en  a  fait 
par  suite  découler  notre  loi,  s'il  y  rattache  toute  notre  vie 
morale,  il  doit  indispensablement  ouvrir  en  nos  âmes  une 
nouvelle  source  de  connaissance,  un  principe  supérieur 
de  perception  et  d'entendement,  qui  soit  précisément  à 
Bon  sublime  objet,  ce  que  sont  les  sens  et  la  raison  aux 
objets  qui  leur  correspondent.  Or,  cette  source  et  ce 
principe,  c'est  ce  qu'on  nomme  la  foi. 

«  Sans  doute,   cet  ordre  qui,   en  lui-même,   est  tout 
surnaturel,  ne  l'est  pas  dans  son  expression.  Sans  cela, 
il  serait  pour  nous   comme   n'existant  pas  ;   ou  il  nous 
faudrait,  pour  l'atteindre,  non  plus  seulement  dépasser 
notre  nature,  ce  qui  est  une  perfection,  mais  la  changer 
de  fond  en  comble,  c'est-à-dire  la  détruire,  ce  qui  serait 
un  désordre.   Dès  qu'en  disant  extérieurement  le  mot 
vivant  de  sa  vie  intime,  c'est  à  nous  que  Dieu  s'adresse, 
il  parle  nécessairement  une  langue  que  nous  pouvons 
entendre.  Ses  pensées  infinies,  pour  ne  considérer  ici  que 
ses  communications  intellectuelles,  il  les  met  dans  des 
mots  finis,  dans  des  mots  connus,  usuels,  et  dont  le  sens 
est  parfaitement  déterminé  d'avance.  A  ce   titre,  quand 
Dieu  s'en  sert,  chacun  de  nous  peut  les  percevoir  et  en 
saisir  le  sens  humain.   Dieu  fait  plus,  et  il  devait  faire 
plus  :  car  ce  n'est  point  assez  que  nous  sachions  qu'on 
parle  ;  il  faut  surtout  savoir  qui  parle,   et  que  celui  qui 
parle  est  Dieu.   Il  parle  donc  en  Dieu,   c'est-à-dire  qu'il 
revêt  ses  paroles  de  caractères  inimitables.  Il  ne  se  con- 
tente  pas   d'y  répandre  cette  beauté  intrinsèque  qui   ne 
leur  peut  manquer,  mais  que  son  excellence  même  tient 
au  dessus  de  la  portée  du  grand  nombre  ;  il  les  illustre, 
les   confirme  et  les  accrédite,  aux  yeux   de  tous,   par 
toutes  sortes  d'oeuvres  de  sa  droite,  et  principalement  par 
d'incontestables  miracles  ;  de  telle  sorte  que,  non  seule- 
ment  on  les  peut  raisonnablement  tenir  pour  divines, 
mais  que,  sans  mentir  au  bon  sens  et  trahir  sa  propre 
raison,  on  ne  peut  les  confondre  avec  celles  qui  ne  le  sont 


288  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


point.  Il  les  inonde  ainsi  des  clartés  qui  lui  sont  person- 
nelles, et,  en  se  montrant,  il  les  démontre.  »  Mgr  Gay, 
De  la  vie  et  des  vertus  chrétiennes,  6e  édit.,  Paris,  1878, 
t.  1,  p.  157-159. 


2.  Le  fait  de  la  révélation.  —  «  Le  motif  suprême 
de  la  foi,  c'est  la  véracité  de  Dieu  ;  mais  nous  ne  savons 
que  la  véracité  de  Dieu  est  intéressée  qu'autant  que  nous 
sommes  certains  que  Dieu  a  parlé...  Où  a-t-il  parlé  ? 
quand  a-t-il  parlé  ?  à  qui  a-t-il  parlé  ?  comment  a-t-il 
parlé  ?  Quatre  questions  auxquelles  il  est  nécessaire  de 
répondre,  si  l'on  veut  obtenir  l'assentiment  légitime  de 
la  raison  :  question  de  lieu,  question  de  temps,  question 
de  personne,  question  de  moyen.  Qui  répondra  à  ces 
questions  ?  La  parole  de  Dieu  elle-même  ?  mais  il  y  aurait 
pétition  de  principe,  puisque  c'est  précisément  le  fait  de 
cette  parole  qu'il  s'agit  de  démontrer,  afin  de  créer  une 
certitude  à  son  endroit.  Il  faut  donc  qu'intervienne  une 
autre  puissance,  et  je  n'en  connais  pas  d'autre  que  la 
puissance  rationnelle.  Je  n'en  connais  pas  d'autre,  parce 
que,  en  réalité,  il  n'y  en  a  pas  d'autre.  C'est  ce  que  disait 
le  chef  de  l'Eglise,  dans  une  encyclique  mémorable,  dont 
je  cite  les  termes  :  «  Il  faut  que  la  raison  s'informe  dili- 
gemment du  fait  de  la  révélation,  afin  qu'elle  soit  certaine 
que  Dieu  a  parlé,  et  qu'ainsi  elle  puisse  lui  offrir  une 
soumission  raisonnable,  comme  l'enseigne  très  sagement 
l'apôtre  (1).  »  Leibnitz  appelait  cela  :  «  faire  les  établis- 
sements du  christianisme.  » 

«  Il  appartient  donc  à  la  raison  d'établir,  par  une 
démonstration,  je  ne  dis  pas  les  vérités  de  la  foi,  car  il  y 
en  a  qu'elle  ne  comprend  pas,  et  qui,  par  conséquent, 
sont  indémontrables,  mais  ce  qu'on  appelle,  en  théologie, 
la  vérité  de  la  foi.  C'est  la  raison  qui  répond  aux  ques- 
tions de  la  raison,  alors  qu'elle  s'approche  pour  s'unir 
à  la    parole   de    Dieu,   par    l'assentiment.  »   Monsabré, 


1.  Encyclique  Noscitis  du  9   novembre   1846  ;   Denzinger, 
n.  1498. 


LES    MOTIFS    DE    CREDIBILITE  289 

^— — 

Introduction    au  dogme    catholique,    Paris,    18C6,    t.    i, 
p.  58-59. 

3.  La  foi  et  la  vision  béatifique.  —  «  Dieu  est  venu 
à  l'homme  ;  Dieu  lui  a  parlé  par  son  Fils.  Dieu  a  pris 
cette  frêle  créature  par  la  main,  et  la  faisant  sortir  de 
toute  limite  créée,  Ta  mise  en  face  d'un  nouveau  monde, 
d'une  terre  nouvelle  et  de  cieux  nouveaux.  Et  comme  le 
regard  humain  demeurait  fermé  à  ces  splendeurs  surhu- 
maines, Dieu  lui  a  dit  :  Ephphetha  !  «  ouvre-toi.  »  Au 
regard  naturel  de  l'homme  Dieu  a  ajouté  un  autre  regard 
vaste  et  perçant  comme  le  monde  qu'il  lui  était  donné 
d'explorer  ;  et  l'homme,  ainsi  divinement  pourvu  d'un 
organe  proportionné  aux  immensités  offertes  à  son 
regard,  l'homme  spirituel  apprécie  tout.  Jouissant  à 
travers  un  voile  d'une  première  vue  du  ciel,  par  la  foi 
nous  comprenons,  nous  pénétrons  dans  l'intérieur.  «  Notre 
raison,  aidée  et  soutenue  par  la  grâce,  dérobe  alors  en 
quelque  sorte  par  anticipation  au  séjour  de  la  gloire 
quelque  ébauche,  quelque  commencement  de  la  vision 
intuitive...  Quand  il  est  parvenu  à  la  cime  de  ces  monta- 
gnes, si  le  penseur  chrétien,  absorbé  dans  sa  méditation 
divine,  touche  encore  la  terre  du  bout  de  ses  pieds,  on 
peut  dire  qu'il  a  le  front  déjà  dans  le  ciel  :  encore  un 
effort,  une  secousse  qui  détache  l'esprit  de  la  matière, 
l'âme  du  corps,  et  il  sera  en  possession  du  face-à-face  de 
la  vérité  (i).  »  0  prérogative  merveilleuse  de  la  foi  !  Si  la 
grâce  est  la  gloire  en  germe,  la  foi  est,  en  germe,  la 
vision  béatifique.  Sans  doute,  elle  ne  perce  pas  à  jour  le 
mystère,  mais  elle  voit  en  énigme,  à  travers  un  voile.  Par 
la  foi,  les  choses  que  nous  espérons  prennent  un  corps, 
une  réalité  palpable  :  nous  les  touchons  pour  ainsi  parler, 
tellement  la  foi  nous  les  rend  présentes.  La  foi  c'est  la 
démonstration  des  choses  invisibles  ;  car,  par  la  foi,  nous 
nous  rendons  déjà  compte  de  ces  inscru tables  richesses 
du  Christ,  dont  est  dotée  notre  patrie  future.  Nous  con- 
naissons en  partie  ;  or,   quand  viendra  l'état  parfait,  ce 

i.  Mgr  Pie,  Œuvres,  t.  m,  p.  184. 

LF  C  \  f  SCHISME.  —  T.   I.  IÇ 


2QO  LE    CATECHISME    ROMAIN 

qui  n'est  que  partiel  disparaîtra  ;  les  rudiments  de  la  foi, 
premières  leçons  d'un  Dieu  à  un  Dieu  enfant,  feront 
place  aux  illuminations  de  la  claire  vue  du  ciel,  où, 
devenus  hommes  parfaits,  nous  aurons  atteint  la  pléni- 
tude de  l'âge  du  Christ.  »  Doublet,  Saint  Paul,  Paris, 
1876,  t.  11,  p.  247-248. 


ïu$w& 


*~A^     «"A-»     **&*     *>A^     **A"*     *^»     **A^     *^"»     *"^»     **ty*     *^»     *^»     *^»     «"^*     *^f»     *^ïr* 

«Jfc  «j»  sfë  «fë  gp  *§*  ^  ^  «F  ^  ^  *P  ft$t  *^  '4>e  Sp 


Leçon  VIII 


De  la  foi 


I.  Rôle  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  dans 
l'acte  de  foi.  —  II.  De  la  nécessité  de  la  grâce» 
—  III.  Les  propriétés  de  la  foi,  —  IV.  Concep- 
tion nouvelle  de  la  foi. 

I.  Rôle  de  l'intelligence 
et  de  la  volonté  dans  l'acte  de  foi 


Les  partisans  delà  philosophie  de  l'action  ou  du 
pragmatisme  moral  reprochent  à  la  défini tioi* 
scolastique  de  la  foi  d'être  trop  intellectualiste, 
de  trop  insister  sur  l'efficacité  des  preuves  de  la  révé- 
lation, et  par  là,  prétendent-ils,  de  compromettre 
la  liberté  de  l'acte  de  foi,  expressément  définie  par 
l'Eglise.  Ils  se  plaignent  de  ce  qu'on  néglige  ou  de 
ce  qu'on  méconnaît  l'intervention  des  dispositions 
morales,  le  rôle  important  et  nécessaire  de  la 
volonté  dans  cet  acte  vital  qu'est  l'acte  de  foi  (i). 
Mais,  a  leur  tour,  ils  encourent  le  reproche  de 
sacrifier  le  caractère  essentiellement  rationnel  de  la 
foi  et  de  donner  à  celle-ci  comme  base  dernière» 

I.  Pour  la  bibliographie,  voir  la  leçon  précédente. 


292  LE    CATECHISME    ROMAIN 

non  pas  des  raisons  et  des  faits  externes,  mais  l'im- 
pression subjective  du  croyant.  Certains  même 
prétendent  qu'ils  faussent  la  notion  traditionnelle 
de  la  foi. 

Il  y  a  là  des  malentendus  qu'il  semble  possible  de 
dissiper  en  précisant  le  rôle  respectif  de  l'intelli- 
gence et  de  la  volonté.  Avec  le  concile  du  Vatican, 
il  faut  mettre  en  relief  tout  d'abord  la  parfaite 
rationabilité  de  l'acte  de  foi,  fondée  sur  la  parole 
révélatrice  de  Dieu  et  sur  les  motifs  de  crédibilité 
qui  garantissent  le  fait  de  la  révélation  ;  ensuite  la 
pleine  liberté  du  croyant,  dont  l'adhésion  reste 
volontaire  et  méritoire,  malgré  les  preuves  positi- 
ves de  la  révélation.  Après  quoi  il  n'y  a  plus  qu'à 
déterminer  la  faculté  spéciale  de  l'àme  à  laquelle 
appartient  proprement  l'acte  de  foi,  soit  qu'elle  soit 
aidée  transitoirement  par  la  grâce,  soit  qu'elle  ait  été 
surélevée  par  une  habitude  infuse  surnaturelle. 

2.  L'acte  de  foi,  on  ne  saurait  le  contester,  appar- 
tient à  l'ordre  intellectuel,  puisqu'il  est  une  adhé- 
sion de  l'esprit  à  la  vérité  révélée.  Simple  en 
lui-même,  il  est  pourtant  entouré  de  circonstances, 
où  l'analyse  permet  de  distinguer  la  part  des  facultés 
qui  concourent  à  le  préparer,  la  part  spéciale  de  celle 
qui  le  décide  et  de  celle  qui  V accomplit. 

Saint  Thomas  qui,  dans  cet  acte,  accorde  le  primat 
à  l'intelligence,  ne  cesse  pourtant  pas  de  faire  allu- 
sion à  la  volonté.  Il  dit  que  l'objet  de  la  vérité  à 
croire  ne  suffit  pas  à  entraîner  l'intelligence,  que 
celle-ci  ne  se  détermine  que  par  un  choix  volon- 
taire. Or,  quand  ce  choix  exclut  le  doute  et  la  crainte 
de  se  tromper,  c'est  l'acte  de  foi  (1).  Il  dit  encore  : 
«  L'intellect  de  celui  qui  croit  est  déterminé  dans  sa 
foi,  non  par  la  raison,  mais  par  la  volonté;  c'est 

1.  Sum.  theol.  na  n*  ,  Q.  1,  a.  4- 


ROLE  DE  L'INTELLIGENCE  ET  DE  LA  VOLONTÉ         2q3 

pourquoi  l'assentiment  se  prend  ici  pour  un  acte  de 
l'intellect,  en  tant  que  celui-ci  est  détermine  par  la 
volonté  (i).  »  Il  dit  enfin  :  «  Croire,  c'est  l'acte  de 
l'intellect,  en  tant  qu'il  est  mû  par  la  volonté  à 
donner  son  assentiment;  cet  acte  procède  donc  de 
deux  puissances...  Mais  croire  est  l'acte  immédiat 
de  l'intellect,  parce  que  l'objet  de  cet  acte  est  le 
vrai,  qui  est  lui-même  l'objet  propre  de  l'intellect. 
Par  conséquent,  il  faut  que  la  foi,  par  cela  seul 
qu'elle  est  le  principe  de  cet  acte,  réside  dans 
l'intellect  comme  dans  son  sujet  (2).  » 

3.  La  préparation  à  l'acte  de  foi  peut  bien  appar- 
tenir en  partie  à  la  volonté  et  à  des  motifs  d'ordre 
moral  ;  car  il  y  a  lieu  de  tenir  compte  des  prédispo- 
sitions, des  aptitudes,  des  attraits,  des  aspirations  et 
des  besoins  de  lame  qui  ne  trouvent  leur  pleine 
satisfaction  que  dans  la  foi.  Mais  elle  appartient  sur- 
tout à  l'intelligence  qui,  assurée  par  ses  propres 
lumières  de  la  science  infaillible  et  de  la  véracité 
absolue  de  Dieu,  comprend  clairement  que  si  Dieu 
parle,  il  a  droit  à  notre  audience.  L'esprit  s'applique 
donc  à  savoir  si,  réellement,  Dieu  a  parlé  ;  il  exa- 
mine en  conséquence  les  preuves  historiques  qu'on 
donne  de  la  révélation  ;  il  pèse  les  témoignages  qui 
déposent  en  sa  faveur  ;  il  parvient  à  se  convaincre 
de  sa  réalité  sur  des  raisons,  non  pas  probables, 
mais  certaines,  d'une  certitude  morale  qui  ne  laisse 
pas  de  place  à  un  doute  motivé  et  qui  est  à  la  fois 
nécessaire  et  suffisante.  Une  simple  connaissance 
probable  de  la  révélation,  en  effet,  ne  saurait  ici 
suffire  :  il  faut  une  connaissance  certaine  ;  car  Inno- 
cent XI  (1676-1689)  a  condamné  la  proposition  sui- 
vante :  «  L'assentiment  de  foi  surnaturelle  et  utile 
au  salut  est  compatible  avec  la  connaissance  pure- 

1.  Ibîd.t  Q.  11,  a.  i,  ad.  3.  —  a.  Ibid.,  Q.  iv,  a.  a. 


^94  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ment  probable  de  la  révélation    et  même   avec  la 
crainte  que  Dieu  n'ait  pas  parlé  (1).  » 

L'intelligence  est  ainsi  amenée  à  prononcer  deux 
jngements  :  un  jugement  théorique  ou  spéculatif: 
«  Il  y  a  des  raisons  évidentes  de  croire  ;  je  puis 
croire  ;  »  et  un  jugement  pratique  :  «  Je  dois  croire.  » 
Mais  elle  ne  va  pas  jusqu'à  la  conclusion  dernière 
pour  faire  vraiment  l'acte  de  foi  et  dire  :  «  Je  crois.  » 
Car  l'inévidence  du  fait  ou  de  la  vérité  à  croire  suf- 
fit le  plus  souvent  à  l'arrêter. 

fi.  C'est  ici,  nécessairement,  que  la  volonté  doit 
intervenir  d'une  façon  décisive.  J'entends  bien 
M.  Rabier,  écho  d'un  bon  nombre  de  contempo- 
rains, proposer  ce  dilemme  :  «  Ou  nos  raisons  intel- 
lectuelles de  croire  nous  semblent  suffisantes,  ou 
elles  nous  semblent  insuffisantes.  Si  elles  nous 
semblent  suffisantes,  il  n'est  que  faire  de  la  volonté 
pour  produire  la  croyance.  Si  elle  nous  semblent 
insuffisantes,  qu'on  explique  comment  la  volonté 
pourrait  dissimuler  le  manque  de  raison  ou  se  pren- 
dre elle-même  pour  une  raison  (2).  » 

Mais  ce  dilemme  ne  tient  pas.  Oui,  nos  raisons 
intellectuelles  de  croire  sont  suffisantes  :  elles  pré- 
parent l'acte  de  foi,  elles  le  rendent  possible,  elles 
en  garantissent  la  rationabilité,  elles  justifient  le 
bien  fondé  de  cette  conclusion  spéculative  :  il  y  a 
•des  raisons  de  croire,  et  de  cette  obligation  morale  : 
il  faut  croire  ;  mais  elles  ne  nécessitent  pas  l'acte 
même  de  croire,  car  on  ne  croit  que  si  l'on  veut. 
L'acte  de  foi  est  essentiellement  libre  ;  l'homme 
peut  s'y  refuser  en  dépit  de  la  raison.  «  Croire, 
disait  saint  Augustin,  on  ne  le  peut  que  de  bon 


1.  Proposition  21  condamnée  le  a  mars  1679;  Denzinger, 
n.  io38.  —  2.  Rabier,  Leçons  de  philosophie.  Psychologie, 
5*édit.,  p.  271. 


ROLE    DE    L'INTELLIGENCE    ET    DE    LA    VOLONTÉ      2C)5 

gré  (i).  »  C'est  l'enseignement  formel  du  concile 
de  Trente  (2),  comme  aussi  celui  du  concile  du 
Vatican  (3).  L'acte  de  foi  reste  libre,  même  après 
l'acquisition  des  preuves  de  crédibilité,  même  après 
la  constatation  des  «  faits  divins,  »  de  «  ces  signes 
très  certains  et  accommodés  à  l'intelligence  de 
tous,  »  que  Dieu  a  donnés  pour  preuves  de  sa  révé- 
lation. Et  prétendre  que  «  l'assentiment  de  la  foi 
chrétienne  n'est  pas  libre,  qu'il  est  produit  néces- 
sairement par  des  preuves  de  raison  humaine,  »  ce 
serait  tomber  sous  les  coups  de  l'anathème  porté 
par  le  canon  5  (4). 

5.  Et  c'est  parce  qu'il  est  libre  que  l'acte  de  foi 
est  méritoire.  Ecoutons  saint  Thomas  :  «  Nos  actes 
sont  méritoires  selon  qu'ils  procèdent  du  libre  arbi- 
tre mû  par  Dieu  au  moyen  de  la  grâce.  Il  s'ensuit 
que  tout  acte  humain  qui  est  soumis  au  libre  arbi- 
tre, s'il  se  rapporte  à  Dieu,  peut  être  méritoire.  Or, 
l'acte  même  de  la  foi  est  un  acte  de  l'entendement, 
qui  adhère  à  la  vérité  divine  sous  l'empire  de  la 
volonté  mue  par  Dieu  au  moyen  de  la  grâce.  Cet 
acte  est  dès  lors  soumis  au  libre  arbitre, et,  déplus, 
il  se  rapporte  à  Dieu.  Donc  l'acte  de  foi  peut  être 
méritoire  (5).  »  Et  dans  la  science  que  se  passe-t-il? 
Saint  Thomas  répond  :  «  On  peut  considérer  deux 
choses  dans  la  science,  l'assentiment  de  l'esprit  à  la 
chose  que  l'on  connait,  et  la  considération  actuelle  de 
cette  même  chose.  L'assentiment  à  la  science  n'est 
pas  soumis  au  libre  arbitre,  parce  qu'il  est  le  résul- 
tat forcé  de  la  démonstration  ;  ce  qui  fait  qu'il  n'est 

1.  In  Joan.t  tract,  xxvi,  2  ;  Patr.  lat.t  t.  xxxv,  col.  1607. — 
a.  Sess.  vi,  cap.  vi.  —  3.  Const.  Dei  Filius,  cap.  ni,  S  3.  — 
4.  Const.  Dei  Filius,  cap.  m,  can.  5  :  «  Si  quis  dixerit  assen- 
sum  fidei  christianœ  non  esse  liberum,  sed  argumentis  huma- 
nae  rationis  necessario  produci...  anathema  sit.  »  —  5.  Sum. 
theol.,  na  ir36 ,  Q.  11,  a.  9. 


2Q6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pas  méritoire.  Au  contraire,  la  considération  de  la 
chose  que  l'on  connaît  dépend  du  libre  arbitre,  parce 
qu'il  est  au  pouvoir  de  l'homme  d'appliquer  ou  de  ne 
pas  appliquer  son  esprit  à  une  chose  ;  et  c'est  pour- 
quoi la  considération  de  la  science  peut  être  méritoire, 
si  on  la  rapporte  à  la  fin  de  la  charité,  c'est-à-dire 
à  la  gloire  de  Dieu  ou  à  l'utilité  du  prochain.  Mais, 
en  matière  de  foi,  ces  deux  choses  que  nous  venons 
de  distinguer  sont  également  soumises  au  libre 
arbitre,  ce  qui  fait  que,  par  rapport  à  l'une  et  à 
l'autre,  l'acte  de  foi  peut  être  méritoire  (i).  » 

6.  Donc,  même  en  face  de  la  certitude  des  preu- 
ves de  la  révélation  et  de  l'obligation  de  croire 
qui  en  résulte,  l'homme  conserve  la  liberté  de  croire 
ou  de  refuser  son  assentiment.  Mais,  après  les  opé- 
rations intellectuelles  qui  préparent,  protègent  et 
justifient  l'acte  de  foi,  cet  acte  de  foi  reste  à  faire.  La 
liberté  qu'il  requiert  est  à  chercher  dans  une  déter- 
mination de  la  volonté,  qui  suit  la  connaissance  des 
motifs  de  crédibilité,  et  qui  précède  l'acte  de  foi.  Une 
fois  que  l'intelligence  à  porté  un  jugement  spécula- 
tif sur  les  raisons  de  croire  et  un  jugement  prati- 
que sur  l'obligation  de  croire,  c'est  à  la  volonté  de  se 
décider  et  de  décider  l'intelligence  à  faire  l'acte  de 
foi  par  un  commandement  exprès.  Elle  doit  se 
décider  à  intervenir,  parce  que,  sous  la  vérité  à 
croire  que  lui  présente  l'intelligence,  elle  découvre 
une  obligation  morale  à  remplir,  un  besoin  du 
cœur  à  satisfaire,  un  bien  à  poursuivre  et  à  attein- 
dre ;  mais,  pour  se  décider,  elle  doit  écarter  les 
obstacles  d'ordre  pratique  ;  car  il  y  a  des  consé- 
quences morales  :  passions  à  réprimer,  devoirs  et 
vertus  à  pratiquer,  attitude  austère  à  prendre,  vie  à 
orienter.  Reste   alors   à  décider  l'intelligence  elle- 


'D' 


i.  Ibid.,  Q.  ii,  a.  9,  ad  2. 


NÉCESSITÉ  DE  LA  GRACE  POUR   L'ACTE  DE  FOI       2Q7 

même,  à  la  mouvoir,  et  par  suite  à  exiger  d'elle 
Tac  te  môme  d'adhésion  à  la  vérité  révélée,  c'est-à- 
dire  l'acte  de  foi,  malgré  les  difficultés  d'ordre  spé- 
culatif qui  peuvent  surgir  soit  de  l'histoire,  soit  des 
objections  scientifiques,  soit  de  l'inévidence  et  de 
l'impénétrabilité  du  mystère.  Elle  commande  donc 
à  l'intelligence  de  donner  son  assentiment  à  la 
vérité  proposée,  et  ainsi,  sous  l'impulsion  impé- 
rieuse de  la  volonté,  l'intelligence  finit  par  dire  : 
Je  crois.  C'est  l'acte  de  foi. 

IL  Nécessité  de  la  grâce  pour 
l'acte  de  foi  surnaturel 

i .  Les  sens  et  la  raison  sont  incapables  par  eux- 
mêmes  d'assurer  et  de  réaliser  l'assentiment  surna- 
turel de  l'intelligence  à  la  vérité  révélée,  de  faire  que 
l'acte  de  foi  soit  vraiment  salutaire  et  constitue  le 
commencement  du  salut.  Ils  le  préparent,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  par  la  connaissance  physi- 
que ou  historique  des  «  faits  divins  »  surnaturels 
qu'ils  nous  procurent  ;  mais  ils  ne  vont  pas  jus- 
qu'à nous  faire  adhérer,  comme  il  convient,  à  la 
réalité  intime  de  la  révélation.  La  volonté  elle-même, 
pour  se  décider  et  pour  décider  l'intelligence  à  l'acte 
de  foi,  est  impuissante  tant  qu'elle  reste  avec  ses 
seules  forces  naturelles.  De  toute  nécessité  il  faut 
l'intervention  de  la  grâce,  et  comme  une  double 
touche  du  Saint-Esprit,  comme  une  double  grâce  : 
une  grâce  d'illumination  qui  éclaire,  dirige,  sou- 
tienne et  fortifie  l'intelligence  dans  sa  marche,  dans  le 
jugement  pratique  qu'elle  porte  ;  une  grâce  d'inspi- 
ration qui  touche,  dégage,  incline  et  meuve  la  vo- 
lonté pour  commander  l'assentiment  ;  une  grâce,  en 
un  mot,  qui  pénètre  et  informe  l'acte  de  foi  dans  sa 


2g8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

»— — ^— ^  ■"— — ^» 

préparation,  dans  son  évolution  et  dans  sa  réalisation. 

2.  Faut-il,  en  outre,  pour  qu'il  soit  salutaire  et 
méritoire,  que  l'acte  de  foi  soit  informé  par  la  cha- 
rité ?  Ce  fut  la  pensée  et  aussi  l'erreur  d'Hermès  au 
dernier  siècle.  Plaçant  le  motif  de  la  foi,  non  dans 
l'autorité  du  Dieu  révélateur,  mais  dans  les  argu- 
ments qui  prouvent  à  la  raison  les  vérités  des  dog- 
mes révélés,  Hermès  niait  la  liberté  de  la  foi  et  son 
caractère  surnaturel.  Il  distinguait,  en  effet,  l'assen- 
timent à  la  vérité  révélée,  assentiment  qu'il  regar- 
dait comme  l'aboutissement  logique  et  nécessaire  de 
la  raison  sans  aucun  rapport  avec  le  salut,  et  la  foi 
qui  agit  par  la  charité,  la  foi  du  cœur,  la  seule  qu'il 
estimât  vraiment  libre  et  vraiment  surnaturelle. 
C'était -.donc,  à  ses  yeux,  uniquementpar  la  charité  que 
l'acte  de  foi  devenait  libre  et  surnaturel.  Par  là,  il 
allait  plus  loin  que  le  semi-pélagianisme  ;  les  semi- 
pélagiens  ne  niaient  la  nécessité  de  la  grâce  que 
pour  le  commencement  de  l'acte  de  foi  ;  Hermès  le 
niait  pour  l'acte  de  foi  lui-même,  tant  que  cet  acte 
n'était  pas  informé  par  la  charité. 

3.  Et  pourtant  le  second  concile  d'Orange,  en 
529,  avait  dit  :  «  Si  quelqu'un  affirme  que  par  la 
force  de  la  nature  humaine,  on  peut  penser  comme 
il  faut  à  quelque  bien  qui  touche  au  salut  de  la  vie 
éternelle,  ou  qu'on  peut  le  choisir,  ou  qu'on  peut 
adhérer  à  l'enseignement  du  salut  ou  de  l'Evangile, 
sans  une  illumination  et  une  inspiration  du  Saint- 
Esprit,  qui  donne  à  tous  la  suavité  de  l'adhésion 
et  de  la  croyance  à  la  vérité,  il  est  trompé  par  l'es- 
prit d'hérésie  (1).  »  Ce  n'est  là,  il  est  vrai,  que 
la  décision  d'un  concile  particulier  ;  mais  il  ne  faut 
point  oublier  que  cette  décision  a  été  ratifiée  par 
Boniface  II  (53o-532). 

1.  Gonc.  Araus.,  11,  can.  7  ;  Denzinger,  n°  i5o. 


NÉCESSITÉ  DE  LA  GRACE  POUR  L'ACTE   DE  FOI       299 

Du  reste,  d'après  l'enseignement  traditionnel  de 
l'Eglise,  l'acte  de  foi  a  toujours  été  regardé  comme 
la  base  nécessaire  de  toute  justification  et  de  toute 
œuvre  surnaturelle,  et  tout  acte  qui  se  rapporte 
au  salut  comme  un  produit  de  la  grâce.  Voici  com- 
ment l'a  formulé  le  concile  de  Trente  :  «  Les  adultes 
sont  disposés  à  la  justification  lorsque,  excités  et 
aidés  par  la  grâce  divine,  ils  conçoivent  la  foi  par  ce 
qu'ils  entendent  et  se  portent  librement  vers  Dieu, 
en  croyant  à  la  vérité  de  ce  que  Dieu  a  révélé  et 
promis  (i).  »  «  Lorsque  l'apôtre  dit  que  l'homme 
est  justifié  par  la  foi  et  gratuitement,  il  faut  com- 
prendre ces  paroles  dans  le  sens  que  l'Eglise  catho- 
lique a  admis  et  enseigne  avec  un  accord  constant, 
c'est-à-dire  en  ce  sens  que  nous  sommes  justifiés 
par  la  foi,  parce  que  la  foi  est  le  commencement  du 
salut  de  l'homme,  le  fondement  et  la  racine  de  toute 
justification  (2).  »  Gela  montre  que  la  foi  qui  pré- 
cède la  justification  et  qui,  par  suite,  n'opère  point 
par  la  charité,  prépare  à  l'infusion  de  la  grâce  sanc- 
tifiante, constitue  le  commencement  du  salut  et  est 
surnaturelle.  Or,  cette  foi  surnaturelle  et  salutaire, 
toujours  d'après  le  concile  de  Trente,  continue 
d'exister  même  chez  ceux  qui  ont  perdu  la  charité 
par  le  péché  (3). 

Or,  ces  trois  points  :  nécessité  de  la  grâce  pour 
V assentiment  de  la  foi,  caractère  surnaturel  de  la 
foi  même  quand  elle  n'opère  point  par  la  charité, 
et  relation  étroite  entre  cet  acte  et  le  salut,  ont  été 
de  nouveau  précisés  et  formulés  par  le  concile  du  \ 
Vatican.  «  Bien  que  l'assentiment  de  la  foi,  est-il 
dit  dans  la  Constitution  Dei  Filius,  ne  soit  pas  un 
mouvement  aveugle  de  l'esprit,  personne  pourtant 

1.  Gonc.  Trid.,  sess.  vi,  cap.  vi.  — ^a.  Conc.  Trid.,  sess.  vi, 
cap.  vin.  —  3.  Gonc.  Trid.,  sess.  vi,  can.  28. 


300  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

ne  peut  adhérer  à  l'enseignement  de  l'Evangile 
comme  il  le  faut  pour  arriver  au  salut  sans  une 
illumination  et  une  inspiration  du  Saint-Esprit, 
qui  donne  la  suavité  de  l'adhésion  et  de  la  croyance  à 
la  vérité  (ceci  est  pris  au  second  concile  d'Orange). 
C'est  pourquoi  la  foi,  en  elle-même,  est  un  don  de 
Dieu,  alors  même  qu'elle  n'opère  point  par  la  cha- 
rité, et  son  acte  est  une  œuvre  se  rapportant  au 
salut,  par  laquelle  l'homme  se  soumet  librement  à 
Dieu,  en  consentant  et  en  coopérant  à  sa  grâce  à 
laquelle  il  pourrait  résister  (i).  »  Le  concile  déclare 
anathème  non  seulement  à  celui  qui  prétendrait 
que  l'assentiment  de  la  foi  chrétienne  n'est  pas 
libre,  mais  encore  à  celui  qui  dirait  qu'il  n'y  a  que 
pour  la  foi  vivante,  qui  opère  par  la  charité,  que  la 
grâce  de  Dieu  soit  nécessaire  (i). 

4-  On  peut  distinguer  trois  sortes  d'adhésion  à 
l'enseignement  révélé  :  l'une  purement  naturelle, 
et  qui  dès  lors  ne  mène  pas  au  salut  ;  l'autre  sur- 
naturelle, la  foi  proprement  dite.  Mais  cette  foi  est 
dite  vivante,  quand  elle  est  jointe  à  la  charité,  et 
morte,  quand  elle  en  est  séparée  ;  foi  vivante  et  foi 
morte  ne  constituent  pas  deux  fois  d'espèce  diffé- 
rente ;  elles  sont  une  seule  et  même  foi  et  ne  se 
distinguent  que  par  leurs  effets.  La  foi  vivante  existe 
dans  l'état  de  grâce  et  mérite  en  justice  ou  de  con- 
digno,  comme  disent  les  théologiens,  une  augmen- 
tation de  grâce  ici  bas  et  de  gloire  dans  le  ciel, 
quand  se  trouvent  remplies  les  conditions  requises. 
La  foi  morte,  au  contraire,  existe  en  dehors  de 
l'état  de  grâce,  n'a  pas  comme  l'autre  pour  effet  un 
mérite  de  condigno,  mais  un  simple  mérite  de 
convenance,  ou  de  congruo;  elle  est  quand  même  un 
don  surnaturel. 

1    Gonstit.  DeiFilius,  cap.  ni,  S  3.  —  a.  Ibid..  can.  5. 


NÉCESSITÉ  DE  LA  GRACE  POUR  l'aCTE    DE   EOI       3oi 

C'est  de  cette  foi  morte  que  parle  le  concile  du 
Vatican.  Il  enseigne,  tout  comme  le  concile  de 
Trente,  qu'elle  peut  exister  sans  la  grâce  sancti- 
fiante et  la  charité  ;  car  elle  n'est  effectivement 
détruite  que  par  un  acte  positif,  volontaire,  grave- 
ment coupable  d'infidélité,  par  un  péché  formelle- 
ment opposé  à  la  foi.  il  enseigne  encore  que  les 
actes  de  cette  foi  morte  sont  des  oeuvres  qui  se 
rapportent  au  salut.  L'acte  de  foi,  en  effet,  même 
quand  il  n'est  pas  vivifié  par  la  charité,  tend  vers 
la  fin  dernière  :  il  a  Dieu  pour  objet.  S'il  n'est  pas 
encore  le  salut,  il  en  est  du  moins  le  germe,  la 
préparation,  le  commencement  ou,  comme  dit  le 
concile  de  Trente,  le  «  fondement  »  et  la  «  racine.  » 
Le  concile  du  Vatican  enseigne  enfin  que  non 
seulement  cette  foi  mais  encore  ses  actes  sont  pro- 
duits avec  le  concours  de  la  grâce  ;  et,  en  tant  que 
vertu,  elle  est  un  don  de  Dieu. 

Quant  à  l'acte  de  foi  salutaire,  il  peut  être  fait 
même  par  celui  qui  n'a  jamais  eu  ou  qui  a  p^rdu  la 
vertu  de  foi  ;  dans  ce  cas,  la  vertu  absente  est 
suppléée  par  un  secours  transitoire  de  Dieu.  Mais 
qu'il  soit  produit  à  l'aide  de  la  vertu  de  foi  ou  d'un 
s -cours  momentané,  cet  acte  de  foi  salutaire  a 
toujours  pour  cause  des  grâces  actuelles  qui  le  pré- 
viennent et  l'accompagnent,  aspirante  et  adjuvante 
gralia,  comme  s'exprime  le  concile  du  Vatican, 
in  consentiendo  et  credendo,  consentiendoet  coopera/ido; 
grâces  prévenantes  d'illumination  pour  l'esprit, 
grâces  adjuvantes  d'inspiration  pour  la  volonté, 
grâces  qui  par  leur  suavité  entraînent  la  volonté 
pour  lui  faire  commander  à  l'intelligence  l'assenti- 
ment qui  constitue  proprement  l'acte  de  foi. 

5.  On  voit  ainsi,  à  la  lumière  de  l'enseignement 
dogmatique  du  concile  du  Vatican,  les  divers 
éléments  qui   entrent  dans   l'acte  de  foi.  C'est  un 


302  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


assentiment  certain  et  ferme  de  cette  intelligence, 
ayant  pour  dernier  motif  ou  pour  objet  formel,  non 
pas  la  vérité  intrinsèque  des  choses  perçue  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  mais  l'autorité  même 
de  la  parole  de  Dieu  ;  c'est  un  assentiment  d'ordre 
intellectuel,  une  véritable  connaissance  ;  c'est  un 
assentiment  qui  n'est  nullement  provoqué  par  un 
mouvement  aveugle,  mais  rationnellement  fondé 
sur  un  des  motifs  certains  de  crédibilité,  et  pour- 
tant libre,  car  il  n'est  pas  et  ne  peut  pas  être  l'effet 
nécessaire  du  raisonnement  humain  ;  c'est  un 
assentiment  où  la  grâce  de  Dieu  intervient  pour 
prêter  son  concours  nécessaire  et  efficace  à  l'intel- 
ligence et  à  la  volonté.  Par  là  il  devient  ce  rationa- 
bile  obsequium,  dont  parle  saint  Paul,  cet  obsequium 
rationi  consentaneum,  dont  parle  le  concile  du 
Vatican,  ce  plein  hommage  de  l'esprit  et  de  la 
volonté,  dû  par  la  créature  à  son  Créateur  et  Sei- 
gneur, mais  librement  rendu  par  l'âme  qui  accepte 
docilement,  avec  la  grâce  de  Dieu,  et  très  raison- 
nablement, en  pleine  connaissance  de  cause,  l'en- 
seignement qu'il  a  plu  à  Dieu  de  communiquer  à 
l'homme. 

6.  Et  si  tel  est  l'acte  de  foi,  que  doit  donc  être  la 
vertu  infuse  qui  permet  de  le  faire  normalement  et 
comme  sans  effort  ?  «  Elle  est,  dit  Mgr  Gay,  le 
couronnement  divin  de  notre  intelligence  ;  un 
diadème  de  lumière  céleste,  dont  la  main  tout 
aimante  de  Dieu  ceint  notre  front  invisible  ;  un 
supplément  merveilleux  à  nos  insuffisances  men- 
tales ;  une  immense  extension  de  nos  frontières 
spirituelles  ;  une  énergie  surhumaine  ajoutée  à  nos 
énergies  premières,  et  comme  le  prolongement  en 
Dieu  de  notre  être  moral.  Elle  est  notre  proportion 
intellectuelle  avec  la  vie  intime  de  l'infini,  notre 
participation  réelle  à  la  connaissance  essentielle  que 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA   FOI  3o3 

Dieu  a  de  lui-même,  la  clé  des  idiomes  ineffables, 
le  lieu  et  le  moyen  de  nos  entretiens  immédiats 
avec  la  très  sainte  Trinité  (i).  » 

III.  Les  propriétés  de  la  foi 

Les  propriétés  Logiques  et  morales  de  la  foi  se 
ramènent  au  nombre  de  quatre,  d'après  les  théolo- 
giens :  la  foi  est  vraie,  certaine,  obscure  et  ferme. 
M.  Maisonneuve  résume  ainsi  cette  doctrine  dans 
cette  thèse  :  «  L'acte  de  foi  divin,  essentiellement 
vrai  en  son  objet  matériel  et  en  son  objet  formel, 
est  nécessairement  certain,  d'une  certitude  souve- 
raine impliquant  l'infaillibilité  objective  et  la  fermeté 
subjective  de  l'adhésion.  Il  ne  peut  exister  de  juste 
cause  de  rétracter  ou  de  suspendre  l'assentiment  une 
fois  donné,  malgré  Vobscurité  inhérente  au  témoi- 
gnage et  la  liberté  de  l'adhésion,  conciliables,  en 
certains  cas,  avec  l'évidence  de  l'objet  matériel  et 
de  l'objet  formel  (2).  » 

1.  La  foi  est  vraie,  qu'on  la  considère  soit  dans 
son  objet  formel,  soit  dans  son  objet  matériel.  Son 
objet  formel  est  l'autorité  de  Dieu,  sa  science  infail- 
lible et  sa  véracité  absolue  ;  Dieu  ne  peut  enseigner 
que  la  vérité.  Son  objet  matériel  est  la  révélation 
même  de  Dieu  qui  ne  peut  contenir  que  la  vérité. 
Et  dès  lors  le  faux  ne  saurait  entrer  à  aucun  titre 
dans  la  foi.  Voici  comment  le  prouve  saint  Thomas. 
Aucune  des  vertus,  ayant  pour  effet  de  perfectionner 
l'intelligence,  ne  peut  se  rapporter  à  l'erreur  qui 
est  le  mal  de  l'intelligence.  Or,  la  foi  est  une  de  ces 


1.  Mgr  Gay,  De  la  vie  et  des  vertus  chrétiennes,  6'édit.,  Paris, 
1878,  t.  1,  p,  i63.  —  a.  L'acte  de  foi,  dans  1q  Bulletin  de  littéra- 
ture ecclésiastique,  1904,  p.  173. 


3o4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

vertus.  Donc  la  foi  ne  peut  être  fausse  dans  son 
objet.  Pour  arriver  à  sa  fin,  toute  puissance,  toute 
vertu,  tout  acte  a  besoin  comme  intermédiaire  de 
son  objet  formel.  C'est  ainsi  que  la  couleur  ne  peut 
être  vue  sans  le  secours  de  la  lumière,  et  on  ne 
peut  atteindre  la  conclusion  que  par  la  démonstra- 
tion. Or,  Dieu,  vérité  première,  est  l'objet  formel  de 
la  foi.  Donc  rien  ne  peut  entrer  dans  le  domaine  de 
la  foi  sans  relever  de  cette  vérité  première,  qui  ne 
saurait  pas  plus  comporter  l'erreur  que  l'être  n'est 
compatible  avec  le  néant,  le  bien  avec  le  mal  (i). 

Le  croyant  sait  que  ce  qui  est  révélé  ne  peut  être 
que  vrai  ;  il  sait  aussi  que  Dieu  a  révélé.  Assuré 
ainsi  du  contenu  et  du  fait  de  la  révélation,  il  ne  se 
trompe  pas.  Il  peut  se  faire  néanmoins  qu'il  regarde 
comme  appartenant  à  la  révélation  quelque  chose 
qui  lui  est  réellement  étranger  ;  il  se  trompe  alors 
sur  l'objet  matériel  de  la  foi  ;  il  se  trompe  égale- 
ment en  estimant  que  l'objet  formel  l'autorise  à  y 
adhérer  ;  mais,  dans  ce  cas,  l'assentiment  qu'il 
donne  ne  saurait  être  un  acte  de  foi  divine,  c'est  un 
acte  de  pure  crédulité.  Sa  volonté  peut  être  droite, 
honnête,  animée  d'un  sentiment  pieux  ;  mais  le 
jugement  est  erroné.  Et  tant  que  l'erreur  persiste,  il 
est  obligé,  sur  les  injonctions  de  sa  conscience,  de 
croire  révélé  ce  qui  pourtant  ne  l'est  pas,  sous  peine 
de  manquer  au  respect  et  à  l'obéissance  qu'il  croit 
devoir  à  Dieu.  Heureusement,  en  pratique,  ce  cas 
est  fort  rare. 

2.  La  foi  est  certaine.  La  certitude  naît  de  l'évi- 
dence ;  mais  l'évidence  est  dans  les  choses  et  la 
certitude  est  dans  l'esprit.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de 
l'évidence  intrinsèque,  immédiate  ou  médiate,  et 
de  la  certitude  qui  en  résulte  et  qui  fonde  la  science, 

i.  Sum.  theol,  n"  n,a  Q.  i,  a.  3. 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA   FOI  3o5 

_  • 

mais  de  i%évidence  et  de  la  certitude  qui  convien- 
nent à  la  foi.  Or,  dans  la  foi,  l'évidence  ne  se  trouve 
pas  dans  la  chose  ou  le  fait  qui  est  l'objet  matériel 
de  la  croyance,  mais  dans  l'autorité  extérieure  qui 
en  témoigne,  dans  les  qualités  de  science  et  de 
véracité  du  témoin,  dans  la  clarté  et  la  netteté  du 
témoignage,  dans  les  preuves  de  la  révélation  ;  d'où 
la  certitude  en  nous  que  ce  que  Dieu  a  dit  ne  peut 
être  que  l'expression  de  la  vérité.  Le  motif  de  notre 
assentiment,  la  cause  de  notre  adhésion,  étant  In 
science  infaillible,  la  véracité  absolue  de  Dieu,  Dic^i 
lui  même,  la  vérité  par  essence,  la  certitude  de  notre 
foi  l'emporte  de  ce  côté  sur  toute  certitude  scienti- 
fique, expérimentale  ou  rationnelle. 

Subjectivement  en  est-il  ainsi  ?  L'affirmation  ne 
semble-t-elle  pas  contraire  au  sens  intime  ?  A  cette 
question,  M.  Maisonneuve  répond  très  succincte- 
ment :  a  Je  ne  puis  mettre  en  doute  certains 
théorèmes  géométriques  ou  certaines  opérations 
arithmétiques,  tandis  que  le  fait  de  l'Incarnation  ou 
l'efficacité  de  la  Rédemption  peuvent  laisser  le 
champ  libre  à  des  doutes,  non  coupables,  involon- 
taires, mais  réels.  Pour  résoudre  cette  difficulté,  il 
a  fallu  étudier  la  question  logique  des  degrés  de  la 
certitude,  la  théorie  de  la  connaissance  et  instituer 
une  critique  des  moyens  d'arriver  au  vrai.  On  peut 
en  conclure  qu'il  y  a  certainement  une  harmonie 
plus  naturelle  entre  les  faits  d'expérience,  les  vérités 
d'intuition  et  notre  intelligence  qu'entre  celle-ci  et 
les  objets  de  nos  croyances.  Raisonnable,  l'homme 
sera  plus  satisfait  par  une  démonstration  géométri- 
que que  par  l'affirmation  d'un  témoin  ;  le  lien  de 
l'intelligible  et  de  l'intelligence  lui  apparaît  plus 
clair  dans  ce  principe  de  contradiction  que  dans  la 
réalité  du  sacrement  de  l'Eucharistie.  Mais,  d'autre 
part,  puisque  c'est  en  vertu   d'un  jugement  propre 

LE    CA  r'     "      '"        —   T.   I.  SO 


3o6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qu'il  admet  le  principe,  tandis  que  c'est  par  un 
jugement  de  Dieu,  devenu  le  sien,  qu'il  croit  à  la 
présence  réelle,  la  certitude  surnaturelle  l'emporte, 
à  raison  même  du  motif,  sur  toute  assurance  hu- 
maine et  créée  de  posséder  la  vérité  (i).  » 

Saint  Thomas  se  pose  la  question  de  savoir  si  la 
certitude  de  la  foi  est  plus  grande  que  celle  de  la 
science  et  des  autres  vertus  intellectuelles  ;  il  la 
résout  ainsi.  Parmi  les  vertus  intellectuelles,  deux 
ont  pour  objet  les  choses  contingentes  :  la  prudence 
et  l'art.  La  foi  l'emporte  sur  elles  en  certitude  par 
la  nature  de  son  objet,  puisqu'elle  se  rapporte  aux 
choses  éternelles,  qui  ne  peuvent  être  autrement 
qu'elles  ne  sont.  Les  trois  autres  vertus  intellec- 
tuelles, la  sagesse,  la  science  et  l'intelligence  ont 
pour  objet  les  choses  nécessaires  ;  mais  ces  trois 
vertus  peuvent  se  prendre  ou  pour  des  vertus 
intellectuelles,  comme  les  entend  Àristote,  ou  pour 
des  dons  du  Saint-Esprit.  Dans  le  premier  cas,  la 
certitude  peut-être  considérée  de  deux  manières  : 
d'abord,  relativement  à  la  cause  de  la  certitude 
même  ;  sous  ce  rapport,  ce  qui  a  une  cause  plus 
certaine  est  également  plus  certain  ;  et,  par  là,  la 
foi,  reposant  sur  la  vérité  première,  est  plus  cer- 
taine que  ces  trois  vertus,  qui  reposent  sur  la  raison 
humaine.  En  second  lieu,  relativement  à  son  sujet, 
et  alors  ce  qu'il  y  a  de  plus  certain  est  ce  que  l'in- 
telligence de  l'homme  perçoit  plus  pleinement. 
Dans  ce  sens,  la  foi  est  moins  certaine  que  la  sagesse, 
la  science  et  l'intelligence,  qui  n'ont  pas  pour  objet, 
comme  elle,  des  choses  supérieures  à  l'entendement 
humain.  Mais,  comme  pour  apprécier  une  chose 
d'une  manière  absolue,  il  faut  la  considérer  dans  sa 
cause,  et  que  l'appréciation  n'est  que  relative,  si  l'on 

i.  L'acte  dejoi,  loc.  cit.,  p.  175. 


LES    mOmiÉTÉS    DE    LA    FOI  Soj 

considère  seulement  la  disposition  du  sujet  par 
rapport  à  cette  même  chose,  il  s'ensuit  que  la  foi 
est  plus  certaine  absolument,  tandis  que  les  trois 
autres  vertus  sont  plus  certaines  relativement, 
c'est-à-dire  par  rapport  à  nous.  De  même,  si  l'on 
prend  ces  trois  vertus  pour  des  dons  de  la  vie 
présente,  elles  se  rapportent,  comme  à  leur  principe, 
à  la  foi,  qu'elles  présupposent  ;  et  par  conséquent, 
dans  ce  sens  encore,  la  foi  est  plus  certaine  que  ces 
autres  vertus  (i). 

L'homme,  observe  encore  saint  Thomas,  est  beau- 
coup plus  certain  de  ce  qu'il  apprend  de  Dieu,  qui  est 
infaillible,  que  de  ce  qu'il  voit  par  sa  propre  raison, 
laquelle  est  sujette  à  l'erreur.  La  perfection  de  l'in- 
telligence et  de  la  science  est  supérieure  à  la  con- 
naissance de  la  foi  sous  le  rapport  de  l'évidence, 
mais  non  sous  le  rapport  de  l'adhésion  de  l'esprit 
parce  que  l'intelligence  et  la  science,  considérées 
comme  des  dons,  tirent  toute  leur  certitude  de 
la  certitude  de  la  foi,  de  même  que  la  certitude  des 
conclusions  procède  de  la  certitude  des  principes. 
Si  l'on  prend  la  science,  la  sagesse  et  l'intelligence 
pour  des  vertus  intellectuelles,  elles  reposent  sur 
les  lumières  naturelles  de  la  raison,  qui  n'a  pas  la 
certitude  absolue,  ni  celle  de  la  parole  de  Dieu,  sur 
laquelle  repose  la  foi  (2). 

3.  La  foi  est  obscure.  Vraie  et  certaine,  la  foi  ne 
donne  pas  sur  la  vérité  de  son  objet  matériel  une 
connaissance  parfaite  ;  celle-ci  reste  entourée  d'om- 
bres et  ne  nous  offre  pas  en  elle-même  l'évidence  que 
nous  rencontrons  dans  les  données  expérimentales 
ou  les  déductions  scientifiques.  Dieu,  en  daignant 
nous  manifester  l'existence  de  certains  faits  et  de 


1.  Sum.  theol,  u»  n®,  Q.  rr,  a.  8.  —  a.  Ibid.,  Q.  iv,  a.  8.  ad 
a  et  3. 


3o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

certaines  vérités,  qui  nous  dépassent,  ne  nous  fait  pas 
connaître  leur  nature  intime  ;  et  par  là  le  fait  ou  la 
vérité,  qu'il  nous  propose  de  croire,  n'entraîne  pas 
et  ne  détermine  pas  notre  assentiment  ;  nous  y 
adhérons  pour  un  motif  distinct  de  ces  faits  ou  de 
ces  vérités,  extérieur,  voilé  d'ombres. 

Mais  certains  faits,  certaines  vérités,  qui  font 
l'objet  de  la  révélation,  sont  d'ordre  naturel  et  peu- 
vent être  connus  parles  seules  lumières  de  la  raison. 
Dans  ce  cas,  peuvent-ils  également  faire  l'objet  de 
la  foi  ?  Sans  aucun  doute,  comme  l'enseigne  le  con- 
cile du  Vatican,  parce  qu'ils  ont  été  révélés  par  Dieu; 
et  du  moment  que  Dieu  les  a  révélés,  quiconque  les 
ignorerait,  bien  qu'ils  soient  accessibles  à  la  raison, 
peut  faire  à  leur  sujet  un  acte  de  foi. 

Une  autre  question  se  pose,  celle  de  savoir  si  on 
peut  faire  un  acte  de  foi  surnaturelle  à  une  vérité 
révélée  qu'on  se  serait  déjà  démontrée  à  soi-même 
par  la  raison.  Est-il  possible  qu'un  homme  fasse  un 
acte  de  foi  à  une  vérité  qu'il  connaît  par  des  preu- 
ves naturelles  ?  En  d'autres  termes,  un  objet  de 
science  peut-il  être  en  même  temps  un  objet  de  foi  ? 

Cette  question  est  fort  controversée  parmi  les 
théologiens.  Saint  Thomas  a  dit  :  «  Non  est  possible 
quod  idem  ab  eodem  sit  scitum  et  creditum  (i).  »  Et 
l'école  thomiste  a  soutenu  en  conséquence  qu'on  ne 
saurait  croire  ce  que  l'on  sait.  Quiconque  donc  s'est 
démontré  rationnellement  certains  dogmes  ne  sau- 
rait y  croire  par  un  véritable  acte  de  foi,  car  son 
assentiment  ne  provient  pas  de  leur  révélation,  mais 
de  leur  démonstration.  Dans  ce  cas,  la  révélation  ne 
fait  que  corroborer  l'assentiment  fondé  sur  la  raison. 
Par  suite,  le  domaine  de  la  foi,  chez  les  savants, 
serait  moins  étendu  que  chez  les  ignorants. 

i.  Ibid.,  Q.  i,  a.  5. 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3og 

Mais,  après  le  concile  de  Trente,  la  plupart  des 
théologiens  se  sont  rangés  à  un  avis  opposé.  Rien 
n'empêche,  disent-ils,  de  croire  par  un  véritable 
acte  de  foi  des  vérités  rationnellement  démontrées. 
Et  dès  lors  la  seule  différence  entre  le  savant  et 
l'ignorant  par  rapport  à  ces  vérités,  c'est  que  le  pre- 
mier leur  donne  une  adhésion  naturelle  de  raison 
et  un  assentiment  surnaturel  de  foi,  tandis  que  le 
second  ne  les  admet  que  par  la  foi. 

La  plupart  des  thomistes  admettent  cependant 
qu'un  savant  peut  faire  un  acte  de  foi  à  une  vérité 
déjà  acquise  par  lui,  quand  il  ne  pense  pas  actuel- 
lement à  la  démonstration  qui  la  lui  a  fait  connaî- 
tre. D'autre  part,  Suarez  regarde  l'acte  de  foi  et  l'acte 
de  connaissance  naturelle,  qui  portent  sur  la  même 
vérité,  comme  deux  actes  distincts  et  successifs  (i). 

Reste  un  point  particulier  sur  lequel  le  désaccord 
persiste,  celui-ci  :  peut-on  faire  un  acte  de  foi  à  une 
vérité  en  même  temps  que  la  démonstration  natu- 
relle de  cette  vérité  est  au  moins  vaguement  pré- 
sente à  l'esprit  ?  C'est  ce  que  nient  les  thomistes. 

Mazella  (2)  et  Didiot  (3)  invoquent  les  enseigne- 
ments du  concile  du  Vatican  contre  l'opinion  tho- 
miste. Ils  estiment  que  la  controverse  n'est  plus 
libre  désormais.  Mais  c'est  justement  ce  que  se  refu- 
sent à  admettre  les  thomistes  ;  ils  maintiennent 
leurs  distinctions,  ils  précisent  le  point  litigieux,  ils 
montrent  que  la  constitution  Dei  Filins  n'enseigne 
pas  du  tout  que  ces  vérités  révélées  peuvent  être 
l'objet  d'un  véritable  acte  de  foi  de  la  part  du  savant 
qui  se  les  démontre  naturellement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'après  le  concile  du  Vatican, 
l'acte  de  foi  ne  requiert  qu'une  adhésion  de  notre 


1.  Defide,  Disp.  m,  sect.  9,  n.  7  et  10.  —  2.  De  virtutibus 
infusis,  a.  4G4-  —  3.  Loyique  surnaturelle  subjective,  n.  477  S(ï* 


3 10  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

esprit  à  cause  de  l'autorité  de  Dieu  révélateur  ;  il 
n'est  donc  pas  nécessaire  que  telle  vérité  révélée 
n'ait  pas  été  démontrée  rationnellement  à  celai  qui 
la  croit.  Connues  par  la  science  ou  acceptées  par  la 
foi,  des  vérités  identiques  n'ont  pas  le  même  motif 
de  connaissance  ou  d'adhésion.  Le  savant  peut  donc 
dire  :  je  connais  telle  et  telle  vérité,  puisque  ma  rai- 
son la  démontre.  Il  peut  dire  aussi,  car  il  ne  faitpas 
toujours  acte  de  savant  :  je  crois  telle  ou  telle  vérité 
parce  que  Dieu  a  daigné  la  révéler. 

4.  La  foi  est  ferme.  Malgré  son  obscurité,  mais 
parce  qu'elle  est  vraie  et  certaine,  la  foi  doit  persé- 
vérer fermement  chez  ceux  qui  la  possèdent,  quels 
que  soient  d'ailleurs  les  épreuves  et  les  déceptions 
de  la  vie,  les  progrès  de  la  culture  intelleetueile  et 
tout  ce  qui  peut  naître  d'objections  dans  l'ordre 
moral,  historique  ou  scientifique.  N'étant  pas  la  con- 
clusion naturelle  et  nécessaire  d'un  syllogisme,  elle 
ne  saurait  dépendre  de  la  rectitude  de  notre  logique; 
elle  est  un  assentiment  de  l'intelligence  à  la  vérité 
révélée  sous  la  motion  de  la  volonté.  Or,  la  volonté 
qui  ne  commande  pas  en  aveugle,  mais  par  une 
sage  mesure  de  prudence,  continue  son  rôle  et  raf- 
fermit la  foi,  en  dépit  des  difficultés  et  des  obstacles. 
Pour  remplir  cette  tâche  protectrice,  elle  trouve 
dans  l'Eglise  des  mobiles  qui  portent  à  maintenir 
toujours  et  quand  même  la  foi  vivante  dans  l'esprit. 

L'Eglise,  en  effet,  possède  un  éclat  apologétique 
incomparable  et  unique,  qui  permet  de  discerner 
la  foi  véritable  et  aussi  d'y  persévérer  constamment; 
elle  le  doit  aux  signes  manifestes  de  son  institution, 
aux  notes  nombreuses  et  frappantes  dont  Dieu  l'a 
revêtue,  à  son  admirable  propagation,  à  son  invin- 
cible stabilité,  à  son  unité,  et  elle  constitue  ainsi 
*in  grand  et  perpétuel  motif  de  crédibilité.  D'où 
«   il  résulte,  ainsi  que  s'exprime  la  Constitution 


LES    PROPRIÉTÉS   DE    LA   FOI  3 II 

^ ^ i^-^»  — ^^^— ■■■!■         ».■»»■     ■  i  — ^ — m^m 

Dei  Fiîius,  que  comme  un  étendard  levé  sous  les 
yeux  des  nations,  elle  appelle  à  elle  ceux  qui  n'ont 
pas  encore  cru  et  elle  donne  à  ses  enfants  une 
assurance  plus  certaine  que  la  foi  qu'ils  professent 
repose  sur  un  très  ferme  fondement.  A  ce  témoi- 
gnage s'ajoute  le  secours  efficace  de  la  vertu  d'en 
haut.  Car,  par  sa  grâce,  le  Seigneur  très  miséricor- 
dieux excite  ceux  qui  sont  dans  l'erreur  et  les  aide 
à  parvenir  à  la  connaissance  de  la  vérité.  Il  donne 
aussi  sa  grâce  à  ceux  qu'il  a  fait  passer  des  ténèbres 
dans  son  admirable  lumière,  n'abandonnant  que 
ceux  qui  l'abandonnent.  C'est  pourquoi  toute  autre 
est  la  condition  de  ceux  qui,  par  le  don  céleste  de 
la  foi,  ont  adhéré  à  la  vérité  catholique  et  de  ceux 
qui,  conduits  par  des  vues  tout  humaines,  professent 
une  fausse  religion.  Car  ceux  qui  ont  reçu  la  foi 
par  les  enseignements  de  l'Eglise,  ne  peuvent 
jamais  avoir  aucune  juste  cause  de  changer  cette 
foi  ou  de  la  révoquer  en  doute  (i).  » 

Le  concile  distingue  avec  raison  les  catholiques 
de  ceux  du  dehors  :  leurs  droits  et  leurs  devoirs  ne 
sauraient  être  les  mêmes.  Celui  du  dehors  a  besoin 
d'examiner  l'autorité  qui  légitime  la  croyance, 
l'obligation  qui  l'impose,  la  formule  dogmatique 
qui  la  lui  propose  ;  il  doit  nécessairement  peser  les 
motifs  de  crédibilité  ;  et  s'il  est  de  bonne  volonté, 
sincère  et  droit,  nul  doute  que  Dieu  ne  l'amène  à  la 
foi  qui  sauve.  Quant  au  catholique,  il  connaît 
l'autorité  doctrinale  de  l'Eglise,  il  accepte  l'obligation 
de  croire  et  de  combattre  le  doute  ;  et  s'il  étudie  sa 
religion,  ce  n'est  pas  pour  établir,  mais  pour 
confirmer  sa  croyance.  Or,  le  concile  définit  qu'il 
ne  saurait  avoir  de  juste  cause  de  changer  sa  foi  ou 
de  la  révoquer  en  doute  :  qu'est-ce  à  dire  ?  Le  canon 

x.  Const.  Dei  Filius,  c.  m,  $  6. 


3l2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6  dit  «  ana thème  à  qui  dirait  que  les  fidèles  sont 
dans  la  même  condition  que  ceux  qui  ne  sont  pas 
encore  parvenus  à  la  foi  seule  véritable,  de  telle  sorte 
que  les  catholiques  peuvent  avoir  une  juste  cause 
de  suspendre  leur  assentiment  pour  mettre  en 
doute  la  foi  qu'ils  ont  déjà  reçue  par  les  enseigne- 
ments de  l'Eglise,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  terminé  la 
démonstration  scientifique  de  la  crédibilité  et  de  la 
vérité  de  leur  foi.  » 

i°  Ce  texte  du  chapitre  et  du  canon  porte  qu'un 
catholique  ne  peut  avoir  de  juste  cause  de  mettre  sa 
foi  en  doute.  Ces  mois  juste  cause  peuvent  signifier 
une  persuasion  subjective  ou  une  raison  objective.  Le 
concile  a-t-il  donc  défini  qu'un  catholique  ne  saurait 
révoquer  sa  foi  en  doute  sans  pécher  formellement, 
ou  bien  a-t-il  entendu  dire  seulement  qu'il  ne  peut 
y  avoir  de  raison  en  soi  légitime  de  clouter  de  la 
foi  chrétienne  ?  La  différence  est  notable. 

M.  Vacant,  qui  a  étudié  de  près  cette  question,  ne 
connaît  qu'un  seul  théologien  qui  ait  soutenu 
ex  professo  le  premier  sentiment  ;  il  cite,  au 
contraire,  Franzelin  (i),  Mgr  Martin,  évoque  de 
Paderborn,  rapporteur  au  concile  de  la  Députation 
de  la  foi  (2),  Mgr  Ciasca  (3),  M.  Didiot  (4),  et  le 
P.  Granderath  (5),  qui  embrassent  le  second  senti- 
ment, et  il  pense  comme  eux,  d'après  le  texte  même 
de  la  constitution  et  d'après  les  actes  du    concile. 

Mettre  en  doute  sa  foi  est  toujours,  de  la  part 
d'un  catholique,  une  faute  au  moins  matérielle, 
mais  ce  n'est  pas  toujours  et   nécessairement  une 

1.  De   traditione   divina,  Rome,    1875,    2e  édit.,  p.   687.  — 

2.  Les   travaux  du  concile   du   Vatican,  trad.,   1870,  p.  il\-  — 

3.  Examen  saper  constitutionem  dogmaiicam  de  fide  catholica, 
1872,  p.  228.  —  4-  Logique  surnaturelle  objective,  1892,  th.  xci. 
—  5.  ConsUluliones  dogmaticœ  Conc.  Vaticani  explicalœ,  1S92, 
p.  Gi. 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3l3 

faute  formelle.  Mais,  objectivemont  parlant,  et 
c'est  là  que  porle  La  défi  ni  (ion,  il  ne  saurait  y 
avoir  de  raison  vraie  qui  autorise  un  catholique 
à  douter  de  sa  foi. 

Au  point  de  vue  des  preuves  de  la  vraie  foi  et  des 
grâces  accordées  pour  croire,  catholiques  et  incré- 
dules ne  sont  pas  dans  une  condition  différente  : 
preuves  et  grâces  sont  données  aux  uns  et  aux 
autres,  aux  premiers  pour  persévérer,  aux:  seconds 
pour  se  convertir.  Mais  au  point  de  vue  de  la  reli- 
gion qu'ils  professent,  leur  condition  n'est  pas  du 
tout  la  même  :  au  catholique  incombe  l'obligation 
de  persévérer,  parce  qu'il  ne  peut  avoir  aucune 
cause  juste  ou  objectivement  vraie  de  douter  de  sa 
foi  ;  à  l'Incrédule  incombe  le  devoir  d'abandonner 
son  erreur. 

Le  texte  du  troisième  chapitre  et  le  canon  6  qui 
y  correspond  ont  le  même  sens  :  ils  ne  définissent 
pas  que  douter  de  sa  foi,  pour  un  catholique,  soit 
en  tout  état  de  cause  et  toujours  un  péché  mortel  ; 
mais  ils  définissent  qu'un  catholique  n'a  pas  le  droit 
d'abandonner  sa  foi  ou  que  l'abandon  de  la  foi 
véritable  est  en  soi  une  faute.  Quelle  faute?  très 
certainement  une  faute  matérielle  ;  mais  ils  ne 
s'expliquent  pas  sur  la  question  de  savoir  si  elle 
peut  être  quelquefois  purement  matérielle  ou  si  elle 
est  toujours  formelle. 

2°  Reste  la  question  suivante  :  Peut-on  perdre  la 
foi  sans  pécher  ? 

La  perte  de  la  foi  peut  s'entendre  de  trois  maniè- 
res :  ou  bien  c'est  l'acte  par  lequel,  après  avoir  cru, 
le  fidèle  rejette  ou  met  en  doute  un  ou  plusieurs 
dogmes  révélés  ;  —  ou  bien  la  perte  de  la  vertu 
surnaturelle  de  la  foi  ;  —  ou  bien  enfin  cet  état 
d'esprit  si  fréquent  de  nos  jours,  qui  fait  que  des 
baptisés  tombent  dans  une  ignorance  et  des  préjugés 


3l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qui  les  mettent  das  l'impossibilité  de  croire  actuel- 
lement certaines  vérités  révélées  ou  même  la  révéla- 
tion dans  son  ensemble.  Un  fidèle  peut-il  sans 
péché  matériel  ou  sans  péché  formel,  rejeter  ou 
mettre  en  doute  une  vérité  de  foi,  perdre  la  vertu 
de  foi,  tomber  dans  un  état  d'ignorance  et  de 
préjugés  qui  le  rende  incapable  de  croire  ? 

Disons  d'abord  un  mot  de  la  perte  de  la  foi, 
entendue  dans  le  premier  sens.  Du  moment  qu'il 
y  a  obligation  de  croire  à  toutes  les  vérités  que 
l'Eglise  nous  propose  comme  révélées,  il  y  a  toujours 
péché  matériel  à  rejeter  ou  à  mettre  en  doute  un 
dogme  de  foi  catholique.  Le  cas  peut  se  présenter 
pourtant  d'un  fidèle  qui,  par  une  ignorance  invin- 
cible, rejette  ou  révoque  en  doute  un  dogme  de  foi 
parce  qu'il  ne  le  croit  pas  révélé  ;  il  n'y  a  alors 
qu'une  faute  matérielle.  Cette  ignorance  invincible 
peut-elle  s'étendre  à  tous  les  dogmes  ?  Dans  un 
milieu  chrétien,  cela  semble  impossible,  et  dès  lors 
il  y  aurait  faute  formelle.  Dans  un  milieu  païen,  et 
particulièrement  pour  des  enfants  baptisés,  mais 
élevés  parmi  des  infidèles,  cela  semble  possible,  et 
dès  lors,  faute  de  responsabilité,  l'infidélité  ne  peut 
être  imputée  comme  une  faute  formelle  (1). 

Quant  à  la  \ertu  de  foi,  peut-on  la  perdre  sans 
pécher?  Cette  vertu,  d'après  le  concile  de  Trente  (2), 
ne  disparait  que  par  un  péché  formel  et  gravement 
coupable  d'infidélité.  Par  suite  tout  autre  péché, 
même  contre  la  foi,  la  laisse  subsister.  Cette  vertu 
ne  serait  donc  détruite  ni  chez  celui  qui,  par  une 
ignorance  même  vincible,  rejetterait  un  ou  plusieurs 
dogmes,  ni  chez  celui  qui  s'exposerait  d'un  façon 
coupable  à  tomber  dans  l'hérésie  (3). 

1.  De  Lugo,  Defide,  Disp.  xix,  sect.  1,  n.  10,  sq.  —  2.  Sess. 
vi,  c.  xv.  —  3.  De  Lugo,  Defide,  Disp.  xvii,  sect.  5  ;  cf.  Suarez, 
De  fide,  Disp.  xvii,  sect.  2,  n.  4- 


LES    PROPRIÉTÉS    DE    LA    FOI  3l5 

Que  penser  enfin  de  la  perte  de  la  foi  chez  ceux 
dont  les  dispositions  intellectuelles  et  morales 
rendent  actuellement  impossible  l'acte  de  foi  ? 
w  Aujourd'hui,  dit  Vacant,  ce  cas  se  réalise  surtout 
chez  cette  foule  d'hommes,  qui,  après  avoir  cru  j 
pendant  leur  enfance  et  fait  une  première  commu-  I 
nion  vraiment  chrétienne,  perdent  ensuite  peu  à  ! 
peu  leurs  convictions  religieuses  et  en  viennent  à 
mettre  en  doute  ou  à  nier  tous  les  dogmes  qu'ils 
admettaient  autrefois.  Beaucoup  d'entre  eux  ne 
sauraient  dire  le  moment  précis  où  ce  changement 
s'est  opéré.  Ils  ont  vécu  dans  un  milieu,  où  leur 
esprit  s'est  rempli  de  préjugés  contre  la  religion,  et 
peu  à  peu  ces  préjugés  ont  remplacé  les  croyances 
de  leur  enfance.  Quelques-uns  assurent  qu'ils 
seraient  heureux  de  croire  comme  au  jour  de  leur 
première  communion,  mais  qu'ils  ne  le  peuvent 
plus.  Un  très  grand  nombre  disent  et  pensent  que 
leur  incrédulité  n'est  aucunement  coupable.  Est-ce 
illusion  de  leur  part,  ou  bien  est-il  possible  qu'ils 
aient  perdu  leurs  anciennes  convictions  sans 
pécher  (i). 

Tout  d'abord  leur  incrédulité  constitue  une  faute 
matérielle.  Consiiïue-t-elle  une  faute  formelle?  Sans 
soupçonner  d'illusion  ou  de  mensonge  leurs  affir- 
mations, on  peut  croire  qu'après  avoir  commis  la 
faute  de  se  laisser  dominer  par  les  préjugés,  il  en. 
est  qui  arrivent  à  ce  point  où  leur  incrédulité,  cou- 
pable dans  sa  cause,  n'est  pas  un  péché  formel  par 
elle-même. 

Mais  il  en  est  qui  prétendent  qu'ils  sont  irrespon- 
sables même  de  leur  transformation  première,  et 
qu'ils  sont  devenus  incrédules  sans  pécher  formel- 
lement. Cela  paraît  assez  difficile  à  admettre.  Il  faut 

i.La  constit.  Dei  Filins,  t.  il,  p.  176. 


3l  6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

remarquer  cependant,  avec  M.  Vacant,  que  certains 
catholiques,  trop  peu  instruits  de  leur  religion,  se 
trouvent,  au  sortir  de  l'enfance,  jetés  dans  un 
milieu  où  ils  sont  assaillis  d'objections  de  toutes 
sortes,  contre  lesquelles  les  enseignements  reçus  à 
l'Eglise  ne  leur  fournissent  pas  de  réponse.  Si  ces 
hommes  sont  coupables,  et  ils  le  sont,  leur  péché 
formel  sera  de  s'être  trop  peu  instruits  et  de  n'avoir 
pas  évité  le  danger. 

Poussant  plus  loin,  serait-il  permis  de  supposer 
que,  parmi  ces  fidèles  ignorants,  qui  ont  été  jetés 
d#ns  un  milieu  où  leur  médiocre  instruction  était 
impuissante  à  les  préserver  de  l'erreur,  il  en  est 
quelques-uns  qui  n'auraient  pu  s'instruire  davan- 
tage, ni  éviter  ces  objections,  et  qui  par  conséquent 
ont  perdu  les  eonvictions  religieuses  de  leur  enfance, 
non  seulement  sans  perdre  la  vertu  de  foi,  mais  en- 
core sans  commettre  aucune  faute  formelle  contre 
la  foi  ?  Cette  hypothèse  n'a  que  trop  lieu  de  se  faire 
de  nos  jours.  Et,  sur  ce  point  spécial  et  délicat,  le 
concile  du  Vatican  ne  s'est  pas  prononcé,  et  la 
question  ne  paraît  pas  jusqu'ici  avoir  été  résolue 
d'une  façon  indisou table.  Aussi  disons-nous  avec  M. 
Vacant  qu'en  cette  matière  d'incrédulité  contempo- 
raine, il  n'y  a  que  l'œil  de  Dieu  qui  puisse  scruter 
complètement  le  fond  des  consciences  et  faire  la 
juste  et  entière  part  des  responsabilités  (i). 

IV.  Conception  nouvelle  de  la  Foi 

La  question  des  rapports  de  l'histoire  et  du  dogme, 
au  sujet  de  la  valeur  historique  des  dogmes,  n'a  pas 
été  sans  soulever,  ces  derniers  temps,  de  passion- 

i.  Vacant,  La  constit.  Del  Filius,  t.  u,  p.  164-179. 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        3l7 

nantes  controverses.  D'un  côté,  se  dessine  une  théo- 
rie nouvelle  de  la  foi  ;  de  L'autre,  on  se  refuse  à 
l'accepter.  En  quoi  consiste-t-elle  ?  Quels  sont  ses 
caractères  ?  Quelle  en  est  la  clef? 

1.  L'analyse  de  cette  théorie  nouvelle  et  Fattribu-. 
tion  qui  en  rend  solidaire  l'école  de  l'immanence 
sont  le  fait  d'un  correspondant  anonyme  du  Bulle- 
tin de  littérature  ecclésiastique  (i).  Ce  correspondant, 
fort  sympathique,  du  reste,  aux  idées  nouvelles,  a 
découvert  et  formulé  l'idée  maîtresse  qui  forme  la 
base,  parfois  latente,  il  est  vrai,  mais  très  réelle  d'un 
grand  nombre  de  théories  modernes  de  la  révélation. 
Il  a  observé  d'un  regard  pénétrant  que  tous  les  pen- 
seurs, dont  il  comparait  les  doctrines,  M.  Loisy,  M. 
de  Hugel,  M.  Blondel,  M.  Laberthonniôre,  le  P. 
Tyrrel,  s'accordent  à  modifier  la  notion  tradition- 
nelle de  la  foi.  «  Tandis  que  la  théologie  classique, 
dit-il,  considère  la  foi  comme  une  adhésion  de  l'es- 
prit à  une  vérité  spéculative  énoncée  dans  une  for- 
mule abstraite,  ou  à  un  fait  connu  par  voie 'de 
témoignage,  vérité  ou  fait  dont  l'autorité  de  Dieu 
même  est  le  garant,  on  trouve,  sinon  explicitement 
exprimée,  du  moins  supposée,  chez  M.  Loisy, 
comme  chez  M.  Blondel,  M.  Laberthonnière,  et  le 
P.  Tyrrel,  une  conception  de  la  foi,  qui  met  l'accent 
sur  son  élément  moral  plutôt  que  sur  son  élément 
intellectuel,  et  marque  plus  fortement  la  différence 
entre  l'acte  de  foi  et  la  connaissance  scientifique  (2).  » 

2.  Or,  dans  cette  notion  nouvelle,  il  signale  deux 
caractères.   D'abord  l'élément  moral  domine  l'élé- 

1.  La  valeur  historique  du  dogme,  dans  le  Bulletin  de  litt.  eccC, 
1904,  p.  338-357.  Contre  cet  article  ont  protesté  M.  Blondel  et 
M.  Laberthonnière.  Le  critique  du  Bulletin  a  répondu  dans  le 
Bulletin  de  1905,  p.  i3i-i38.  Avec  son  autorisation,  nous  ne 
faisons  que  résumer  sa  réponse,  en  employant  autant  que  pos- 
sible ses  propres  expressions.  —  2.  Bulletin,  1904,  p.  343. 


3l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ment  intellectuel.  «  L'acte  de  foi  implique  avant 
tout  une  altitude  morale,  ci  c'est  ainsi  la  volonté, 
non  l'intelligence,  qui  y  a  la  part  principale  (i).  » 
Puis,  le  rôle  de  l'intelligence,  déjà  si  restreint,  niais 
non  anéanti,  est  conçu  comme  une  perception,  une 
sorte  d'intuition  des  réalités  divines  dans  les  phéno- 
mènes de  ce  monde,  et  spécialement  dans  les  faits 
religieux.  «  On  a  reconnu  que  les  faits  sont  la  base 
de  la  foi,  que  la  foi  n'est  autre  chose  que  la  percep- 
tion dans  leur  réalité  sensible  de  la  présence  et  de 
l'action  de  Dieu  (2).  »  «  Si  les  faits,  dans  leur  réalité 
matérielle,  ne  sont  pas  objets  de  foi,  ils  servent  de 
base  à  la  foi,  en  tant  qu'ils  sont  révélateurs  des 
réalités  divines.  Dieu  parle  à  l'âme  religieuse  par  les 
faits,  qui  manifestent  son  action  dans  l'histoire,  non 
moins  que  par  l'enseignement  direct.  Les  faits  de 
l'histoire  religieuse  parleur  contenu  suprasensible, 
constituent  donc  une  part  de  ce  qu'on  pourrait 
appeler  la  révélation  objective.  Mise  en  face  de  ces 
faits,  l'âme  religieuse,  éclairée  par  Faction  intérieure 
de  l'esprit  de  Dieu,  saisit  à  travers  eux,  par  une 
sorte  d'intuition,  la  réalité  surnaturelle  dont  ils 
sont  l'expression,  tout  comme  la  raison  saisit  son 
objet,  l'universel,  dans  le  particulier  ;  et  cette 
réaction  du  sens  religieux,  sous  l'action  extérieure 
des  faits,  est  cela  même  qui  constitue  l'acte 
de  foi (3).  » 

3.  Enfin  il  donne  la  clef  de  cette  théorie  de  la  foi, 
en  attirant  l'attention  sur  le  principe  fondamental 
supposé  par  les  diverses  écoles  modernes.  Dans 
tout  événement  de  ce  monde,  et  spécialement  dans 
la  vie  de  l'humanité,  il  faut  distinguer  un  double 
côté  des  choses  :  d'abord  l'aspect  phénoménal,  sen- 
sible, extérieur,  qui  constitue  le  domaine  exclusif 

1.  Ibid.,  p.  343.  —  a.  Ibid.t  p.  354-  —  3.  lbid.,  p.  347. 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        3l9 

^ —  > 

de  la  science  et  de  l'histoire  ;  et  puis  le  côté  intime, 
suprasensible,  de  tous  les  êtres,  inaccessible  au  pur 
savant  et  au  pur  historien,  sphère  réservée  «  où  les 
investigations  dn  philosophe  et  les  intuitions  du 
croyant  sont  seules  capables  de  pénétrer  (i).  » 

4.  Dans  l'exposition  de  cette  foi  moderne,  M.  La- 
berthonnière  prétend  trouver  des  contradictions, 
mais  à  tort.  Les  deux  éléments  qu'il  essaye  de  con- 
fondre sont  là  :  la  foi,  dans  ce  système,  est  surtout 
un  acte  de  volonté.  Or  s'appuyer  sur  le  Christ,  sur 
Dieu,  pour  en  faire  le  centre  de  sa  vie,  c'est  le  fait 
non  de  la  pure  foi,  mais  de  la  foi  vivifiée  par  la 
charité.  L'intelligence  y  a  aussi  son  rôle,  et  c'est 
l'élément  intellectuel  de  la  foi,  qui  noua  est  repré- 
senté comme  étant  la  perception  des  réalités  divines 
dans  les  phénomènes  de  ce  monde  ;  mais  c'est  trop 
peu  :  une  telle  intuition  sera  peut-être  une  philo- 
sophie, jamais  un  acte  de  foi. 

5.  Dans  les  déclarations  de  M.  Blondel  et  de 
M.  Laberthonnière,  il  y  a  une  lacune  regrettable. 
Au  lieu  d'un  simple  désaveu  de  la  théorie  nouvelle, 
ils  ont  négligé  de  profiter  de  l'occasion  pour  for- 
muler en  quelques  mots  nets  et  précis  leur  pensée 
sur  la  nature  et  l'objet  de  la  foi.  M.  Blondel,  il  est 
vrai,  prépare  un  exposé  doctrinal,  qui  donnera  de 
sa  pensée  sur  la  foi  une  explication  décisive.  Mais 
M.  Laberthonnière,  qui  vient  de  publier  un  second 
ouvrage,  le  Réalisme  chrétien  et  V idéalisme  grec,  est-il 
autorisé  à  se  plaindre  des  idées  que  le  correspondant 
anonyme  lui  attribuait?  Sans  doute,  ces  idées,  il 
les  réprouve  aujourd'hui.  Mais,  sans  le  vouloir, 
n'a-t-il  pas,  dans  plus  d'une  page,  prêté  à  cette  pré- 
tendue substitution  de  sa  pensée  ?  L'interprétation 
de  son  système  est  précisément  celle  qu'ont  puisée 

I.  lbid.,  p.  34a. 


320  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

dans  ses  livres  les  esprits  les  plus  dégagés  de  préoc- 
cupations théologiques. 

Yoici  en  effet,  ce  qu'écrivait,  à  propos  de  ses 
Essais  de  philosophie  religieuse,  un  critique  indépen- 
dant: «  M.  Laberthonnière  essaie  d'une  façon 
originale  de  retrouver  le  catholicisme  par  le  libre 
effort  de  sa  pensée  intérieure  :  je  ne  dis  pas  la 
morale  évangélique  ou  la  théologie  chrétienne, 
mais  le  catholicisme,  l'Eglise,  la  révélation,  l'au- 
torité. Il  a  bien  marqué  l'analogie  de  sa  tentative 
avec  celle  de  Pascal.  J'ai  peine  à  ne  pas  donner 
raison  aux  théologiens  qui  lui  ont  reproché  que 
«  c'était  par  le  fait  même  se  passer  des  miracles,  de 
la  révélation,  de  l'autorité  de  l'Eglise.  »  Cette  au- 
tonomie active  par  laquelle  nous  faisons  jaillir  la 
vérité  de  nous-mêmes,  et  le  christianisme  qui  en 
résulterait  de  M.  Laberthonnière  un  protestant  (i). 
Non  pas  un  luthérien,  ni  un  calviniste,  mais  un  pro- 
testant d'une  secte  nouvelle.  Il  a  beau  être  catholi- 
que à  la  fin,  au  point  de  départ  et  pendant  tout  le 
chemin,  c'est  un  protestant,  même  un  penseur 
libre.  Et  il  est  impossible  qu'à  l'arrivée,  l'autorité  de 
la  Révélation  et  de  l'Eglise  ne  soit  pas  transformée 
en  une  autorité  qui  ne  liera  qu'autant  que  l'être 
autonome  consentira  à  être  lié  (2).  » 

Le  Réalisme  chrélien  et  Vidêalisme  grec,  venant 
après  ces  critiques,  aura-t-il  dissipé  toutes  les  obs- 
curités? Une  paraît  pas,  à  en  jugerpar  l'appréciation 
d'un  autre  juge  également  sympathique  et  indépen- 
dant. M.  À.  Lilley,  en  effet,  organe  encore  jeune  de 
l'anglicanisme  libéral,  résumant  avec  bienveillance 
les  vues  de  M.  Laberthonnière  dans  ses  deux  ou- 
vrages, retrace  le  dogmatisme  moral  et  la  foi  de  la 

1.  Ce  qualificatif  appelle  d'expresses  réserves.  —  a.  Lanson 
dans  la  Revue  universitaire,  1903,  p.  428. 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        321 

philosophie  de  l'immanence  en  ces   formules  peu 
rassurantes  :    «   Les    affirmations    dogmatiques   du 
christianisme    sont  révélées   seulement  en  ce  sens 
qu'elles  sont  l'expression  lapins  satisfaisante  qu'on 
ait  pu  trouver  de  cette  vie  (morale),   et  qu'elles  peu- 
vent constituer  le   stimulant  le  plus  puissant  à  ses 
progrès   ultérieurs.   »    Puis,  parlant  de    V esprit  du 
christianisme  auquel  seul  peut   s'appliquer  la  con- 
ception du  dogme  immuable,  il  dit  :    «  Et  cet  esprit 
est  l'assertion  de  foi,  cette  énergie  morale  de  l'homme 
qui   peut    seule    affirmer   la   réalité.  Comme  nous 
l'avons  vu,  cette  foi  est  rationnelle   dans  le  sens  le 
plus  élevé  de  ce  mot.  L'affirmation  immédiate  de  la 
réalité  est  une  affirmation  qui   implique  la  raison. 
Mais  l'explication  logique  de  son  contenu  peut  tou- 
jours   dépendre  de   ce  fait  que   nous  saisissons   la 
réalité  à   travers  les  phénomènes.   Ainsi  le  dogme 
chrétien  par  son  côté  intellectuel  est  provisoire  et 
relatif.    Tout    terme    employé    pour  l'exprimer  est 
susceptible  de  profondes  modifications;  il  les  a  en 
réalité  subies   dans  le  passé,    et  il  est   exposé  à  les 
subir  continuellement  dans  l'avenir...  La  tradition 
chrétienne  est  ce  que  M.  Laberthonnière  appelle  la 
vérité  du  Christ...  Ni  aujourd'hui,  ni  jamais  dans  le 
passé  la  vérité  (de  Jésus-Christ)  n'a  pu  être  reconnue 
ou  établie  par  les  faits  de  l'histoire,  bien  que  na- 
turellement, comme  tout  autre  vérité  concrète,  elle 
ait  été  donnée  dans  les  faits  de  l'histoire...  La  vérité 
du  Christ  est  une  affirmation  de  cette  foi  rationnelle 
qui  est  l'expression  nécessaire  de  l'esprit  de  l'homme 
dans  la  plénitude  de    son  activité.  Les  événements 
du  monde  phénoménal  par   lesquels  elle    nous  est 
révélée  sont   entièrement  enfermés  dans   la  sphère 
du  criticisme  historique  (1).  » 

i.  A.Lilley,dans  The  Hibbert  journal,  octobre  1904, p.  179,  i83. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  ai 


Û22  LE    CATECHISME    ROMAIN 

Il  va  de  soi  qu'on  ne  saurait  rendre  M.  Laber- 
thonnière responsable  des  interprétations  de  ses 
lecteurs.  Mais  enfin,  si  telle  est  l'impression  pro- 
duite à  la  fois  sur  les  théologiens  dont  il  s'est  plaint 
si  souvent,  sur  des  critiques  sympathiques  comma 
le  correspondant  anonyme  du  Bulletin,  sur  des 
penseurs  totalement  étrangers  à  nos  querelles 
d'écoles,  comme  M.  Lanson,  sur  des  esprits  saturés 
de  la  philosophie  moderne,  comme  M.  Lilley,  il 
faut  bien  qu'il  y  ait  de  grandes  obscurités  dans 
son  exposé  pour  que,  venus  des  points  les  plus 
éloignés  de  l'horizon  intellectuel,  tous  ou  à  peu 
près  s'accordent  à  trouver  dans  son  système  une 
théorie  de  la  foi  si  éloignée  de  la  doctrine  classique. 

6.  Dans  cette  conception  nouvelle,  au  lieu  du 
témoignage  divin,  on  met  dans  la  foi  l'intuition 
des  réalités  surnaturelles  par  le  sens  religieux. 
M.  Laberthonnière  s'en  défend.  Et  pourtant  ses 
propres  textes,  dans  leur  ensemble,  et  en  particulier 
le  principe  fondamental  de  l'autonomie  de  la  pensée, 
tel  qu'il  est  développé  dans  l'introduction  des  Essais, 
justifie  cette  interprétation.  «  L'idée  fondamentale 
qui,  malgré  toutes  les  divergences,  s'est  affirmée 
plus  énergiquement  que  jamais  à  travers  la  philo- 
sophie moderne,  à  savoir  qu'il  n'y  a  pas  de  vérité 
pour  l'homme  qu'il  ait  à  subir,  parce  que  cette 
vérité  alors  serait  pour  lui  une  compression  au  lieu 
d'un  épanouissement,  l'esclavage  au  lieu  de  la  liberté, 
la  mort  au  lieu  de  la  vie,  cette  idée  nous  l'acceptons 
en  pleine  connaissance  de  cause.  Et  nous  ne  pen- 
sons pas  que  personne  ose  explicitement  la  rejeter. 
Du  reste,  n'est-elle  pas  aussi,  en  définitive,  l'idée 
fondamentale  qui  anime  toute  tentative  d'apologéti- 
que sous  quelque  forme  qu'elle  se  produise  (i).  » 

i.  Laberthonnière,  Essai  de  philosophie  religieuse,  p.  xyi. 


CONCEPTION  NOWYELLE  DE  LA  FOI        323 

Nullement,  toute  tentative  d'apologétique  n'a 
point  pour  but  de  prouver  la  vérité  intrinsèque  des 
dogmes  révélés,  mais  seulement  d'établir  la  réalité 
de  la  révélation  et  l'autorité  du  témoignage  divin. 
Aussi  est-on  surpris  de  lire  les  lignes  suivantes  : 
«  Quand  donc  les  philosophes,  pour  rester  philo- 
sophes, pour  sauvegarder  cette  autonomie  qui 
constitue  notre  personnalité  morale,  réclament  une 
vérité  qui  ait  pour  caractère  d'être  immanente, 
c'est-à-dire  qui  se  rattache  à  eux,  qu'ils  puissent 
trouver  en  eux  dans  ce  qu'ils  sont  et  dans  ce  qu'ils 
doivent  êlre,  nous  ne  saurions  faire  autrement  que 
d'abonder  dans  leur  sens,  puisque  toute  vérité  qui 
n'aurait  pas  ce  caractère  serait  inévitablement 
opprimante  en  s'imposant  du  dehors  (i).  » 

Si  l'on  voulait  dire  seulement  que  l'esprit  humain 
ne  peut  rien  affirmer  qu'il  n'en  voie  ou  du  moins 
qu'il  ne  croie  en  voir  la  vérité,  soit  dans  l'objet  lui- 
même,  soit  dans  un  témoignage  autorisé,  rien  de 
plus  exact  ;  jamais  philosophie  n'a  pu  nier  cette 
impossibilité  ;  car  c'est  une  loi  essentielle  de  notre 
esprit  de  ne  pouvoir  adhérer  qu'au  vrai,  c'est-à-dire 
au  moins  à  ce  qui  lui  est  présenté  comme  vrai. 
Mais  la  grande  conquête  de  la  philosophie  moderne, 
proclamée  ici,  a  un  tout  autre  sens  :  c'est  la  néces- 
sité de  trouver  toute  vérité  en  soi-même,  dans  ce 
que  nous  sommes  ou  dans  ce  que  nous  devons  être, 
à  l'exclusion  de  tout  témoignage  même  divin  qui 
nous  l'apporterait  du  dehors.  , 

Or,  l'autonomie  ainsi  formulée,  même  si  on 
accepte  pour  l'esprit  un  secours  et  comme  une 
collaboration  de  Dieu,  est  à  rejeter  comme  égale- 
ment contraire  à  l'expérience,  à  la  raison,  efr 
à  la  foi.  Car  il  y  a  des  vérités  que   l'homme  ne 

'    i.  Ibid.,  p.  xyii-xviii. 


324  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

trouve  pas  en  lui-même,  dans  ce  qu'il  est  et  dans  ce 
qu'il  doit  être,  des  vérités  qu'il  doit  subir,  sans  êlre 
pour  cela  condamné  à  Fcsclavage,  ni  à  la  mort. 
Quand  vous  me  confiez  le  secret  de  vos  pensées 
intimes,  je  subis  cette  vérité  que  vous  me  révélez, 
je  la  subis,  je  ne  la  trouve  pas  en  moi,  ni  dans  ce 
que  je  suis,  ni  dans  ce  que  je  dois  être.  Je  subis 
également  toutes  les  vérités  scientifiques  ou  histori- 
ques dont  je  n'ai  aucune  expérience  personnelle  ; 
je  n'ai  point  le  loisir  d'expérimenter  la  télégraphie 
sans  fil,  et  cependant  je  ne  doute  point  des  affirma- 
tions des  physiciens.  Et  je  ne  me  sens  ni  comprimé, 
ni  esclave,  ni  mort,  mais  plus  vivant  à  mesure 
qu'une  vérité  de  plus  m'arrive  de  l'extérieur.  Et  cela 
reste  vrai,  quand  même  je  ne  saisirais  aucune  raison 
intime  de  ces  lois  ni  la  portée  des  expériences  ou 
des  calculs  qui  en  ont  préparé  la  découverte.  Je 
reçois  ces  vérités  du  dehors,  du  témoignage,  de 
l'autorité  intellectuelle  des  hommes  de  science. 

Et  combien  cela  est  plus  profondément  vrai  dans 
l'ordre  des  vérités  révélées  ?  Je  subis  le  dogme  de  la 
Trinité.  Je  sais  que  Dieu  un  jour  daigna  révéler  par 
Jésus  ce  grand  mystère  de  son  être  et  de  sa  vie 
intime,  et  je  proteste  que  je  l'admets  uniquement  sur 
l'autorité  de  sa  parole,  sans  même  découvrir  en  mon 
âme  ces  images  de  la  Trinité  dans  lesquelles  se 
jouait  l'esprit  ingénieux  d'Augustin,  tout  en  se 
gardant  bien  d'en  faire  le  motif  de  son  adhésion. 
J'ajoute  que,  pour  moi,  la  Trinité  ainsi  reçue  du 
dehors  par  une  confidence  divine,  même  transmise 
de  génération  en  génération  jusqu'à  moi,  n'est 
nullement  une  compression,  ni  un  esclavage,  ni 
surtout  une  mort:  c'est  bien  plutôt  une  nomvelle 
vie,  puisque  je  sais  une  nouvelle  vérité,  quelque 
imparfaite  qu'en  soit  la  représentation,  et  une  vérité 
que  les  plus  longs  siècles  de  méditation  psychologi- 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        325 


que  n'eussent  jamais  fait  jaillir  en  mon  esprit. 
L'auteur  des  paroles  qui  précèdent  termine  ainsi: 
«  Nier  qu'on  puisse  recevoir  du  dehors  des  vérités 
que  nous  n'avons  pu  tirer  de  nous-mcme,  n'est-ce 
point  faire  de  la  foi  un  acte  irréalisable,  ou  du 
moins  changer  totalement  le  sens  des  mots  (i).  » 
On  ne  saurait  mieux  dire. 

1.  A  propos  de  la  genèse  de  la  foi.  —  «  La  foi, 
étant  une  vertu  surnaturelle,  doit  nécessairement  pro- 
céder, chez  les  adultes,  de  la  grâce  de  Dieu  et  de  la  bonne 
volonté  de  l'homme...  Que  fait  l'homme  pour  préparer  et 
entretenir  en  lui,  avec  le  concours  de  la  grâce  divine, 
cette  volonté  bonne  qui  ouvre  l'âme  aux  clartés  de  la  foi  ? 
Car  je  ne  parle  pas  ici  de  ces  illuminations  soudaines,  de 
ces  irradiations  miraculeuses  par' le  moyen  desquelles  un 
saint  Paul,  par  exemple,  a  passé  subitement  de  l'impiété 
la  plus  violente  à  la  foi  la  plus  humble  et  la  plus  géné- 
reuse. Il  s'agit  des  conversions  ordinaires,  où  les  choses 
se  passent  humainement,  où  l'homme  a  sa  grande  part 
dans  l'œuvre  divine.  Que  fait-il  alors  pour  concourir  avec 
Dieu  ?  Il  n'est  pas  possible,* dans  ce  mystère,  de  découvrir 
les  secrets  que  la  conscience  du  converti  ignore  sans 
doute  elle-même.  Mais  l'on  peut  dire  en  général  que  la 
bonne  volonté  procède  de  certains  motifs  qui  l'inspirent, 
qui  l'animent,  qui  l'encouragent,  qui  la  remplissent  de 
bons  désirs  et  la  rendent  souple  et  docile  aux  appels  de 
l'Esprit  divin.  Eh  bien,  parmi  ces  motifs  du  bon  vouloir 
coopérateur  de  la  grâce,  s'il  en  est  de  si  intimes  et  per- 
sonnels qu'ils  échappent  par  lewr  variété  même  à  toute 
classification  et  à  toute  analyse  psychologique,  on  eri 
trouve  cependant  qui  sont  susceptibles  d'être  analysés  et 
classés,  et  qui  peuvent  servir  à  formuler  presque  scienti- 
fiquement une  sorte  de  préparation  de  l'âme  à  la  foi,  une 
propédeutique  de  l'Evangile. 

C'est  à  cela  peut-être,  je  le  reconnais  volontiers,  que 
vient  concourir  la  philosophie  de  l'action  par  la  méthode 

.   i.  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1905,  p.  i38. 


32Ô  LE   CATECHISME    ROMAIN 

de  l'immanence.  En  nous  montrant,  à  l'aide  de  leurs 
analyses  subtiles,  que  l'activité  tout  entière  de  l'âme 
humaine,  que  le  fond  le  plus  intime,  le  ressort  le  plus 
secret  de  notre  vie,  demande,  exige,  réclame  et,  pour 
employer  le  terme  à  la  mode,  «  postule»  la  foi  catholique; 
en  rendant  plus  sensibles,  en  faisant  mieux  connaître  ce 
qu'ils  appellent  les  «  harmonies  vivantes,  coïncidences 
vitales  et  finalités  transcendai) tes  »  de  notre  nature  et  du 
surnaturel  chrétien,  les  philosophes  de  l'immanence  nous 
donneront  un  riche  commentaire  de  la  parole  du  vieux 
Tertullien  sur  l'âme  naturellement  chrétienne,  et  nous 
fourniront  les  motifs  les  plus  délicats,  les  plus  touchants 
et  les  plus  pressants  peut-être,  pour  exciter,  chez  les 
incrédules  et  les  indifférents  de  ce  siècle,  les  bons  désirs 
et  la  bonne  volonté  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  attirent  la 
divine  lumière  de  la  foi. 

Mais  ces  philosophes  auraient  tort  de  penser  qu'il  n'y  a 
pas  d'autres  motifs  efficaces  que  ceux  qui  sont  fournis 
par  leur  analyse  immanente.  Beaucoup  d'esprits  sont 
accessibles  à  des  considérations  d'un  tout  autre  ordre, 
telle  que  l'influence  morale  et  sociale  du  christianisme  ou 
la  sublimité  de  l'Evangile.  De  même  ces  philosophes 
seraient  dans  l'erreur  s'ils  prétendaient  avoir  inventé  une 
nouvelle  méthode  de  préparation  à  la  foi.  Leur  méthode  a 
toujours  été  connue  et  pratiquée  dans  l'Eglise  par  les 
défenseurs  et  les  prédicateurs  du  christianisme.  Je  ne  sais 
même  pas  s'ils  ont  rien  découvert  qui  ne  soit  au  moins 
signalé  par  quelqu'un  des  anciens.  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'originalité  de  leur  mérite  consiste  à  mieux  distinguer  et 
formuler  cette  méthode,  à  rendre  son  emploi  plus  usuel 
et  plus  facile,  et  à  combattre  ainsi  l'incrédulité  moderne, 
qui  échappe,  dans  le  scepticisme  et  le  criticisme,  aux 
prises  de  la  démonstration  évangélique  traditionnelle.  » 
Gayraud,  Le  problème  de  la  certitude  religieuse,  dans  la 
Revue  du  clergé,  1902,  t.  xxx,  p.  116-118. 

2.  L'acte  de  foi.  —  a  Appuyés  sur  les  données 
dogmatiques  qui  jalonnent  notre  route  et  nous  ôtent, 
selon  le  beau  mot  de  saint  Jérôme,  «  la  liberté  de  l'erreur,  » 
nous  pouvons,  non  pas  saisir  l'acte  et  le  présenter  dans 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        327 

■  ■ 

sa  réalité  vivante  et  concrète,  non  pas  môme  peut-être  en 
démonter  toutes  les  pièces  et  en  montrer  le  mécanisme 
dans  les  derniers  détails,  mais  bien  en  expliquer  dans 
l'ensemble  le  jeu  et  les  mouvements,  assez  au  moins  pour 
voir  comment  s'y  concilient  des  propriétés  en  apparence 
inconciliables,  et  pour  soupçonner,  sinon  pour  entrevoir, 
combien  beau  dans  sa  réalité  psychologique  et  surnatu- 
relle, combien  beau  dans  son  ordre  moral,'  doit  être  cet 
acte  où  la  nature  et  le  surnaturel  se  rencontrent  et  s'em- 
brassent ;  où  l'homme,  écoutant  dans  le  respect,  dans 
l'adoration,  dans  la  soumission  absolue,  Dieu  qui  parle 
de  la  nuée,  accepte  librement  sous  la  motion  et  la  lumière 
divine  la  main  que  Dieu  lui  tend  ;  où  se  nouent,  dans 
l'obscurité,  entre  le  Créateur  et  la  créature,  des  relations 
intellectuelles  et  morales  qui  doivent  mener  l'homme, 
s'il  est  fidèle,  aux  splendeurs  de  la  vision  béatifique  ;  où 
les  biens  invisibles  et  les  secrets  de  Dieu  sont  mis  à  notre 
portée  ;  où  commence  enfin  pour  nous,  dans  une  union 
ineffable,  quoique  imparfaite  encore,  d'esprit  et  de  volonté 
avec  Dieu,  cette  vie  divine  que  nous  sommes  destinés  à 
mener  éternellement  dans  le  ciel,  le  connaissant  face  à 
face  comme  il  se  connaît,  l'aimant  comme  il  s'aime, 
tout  transformés  en  lui  par  la  connaissance  et  l'amour, 
divinisés  sans  cesser  d'être  nous,  un  avec  lui  dans  une 
communion  qui  ne  supprime  rien  de  la  distinction  essen- 
tielle et  de  la  distance  infinie  entre  «  Celui  qui  est  »  et 
«  celui  qui  n'est  pas.  »  Bainvel,  La  foi  et  l'acte  de  foi, 
Paris,  1898,  p.  98-99. 

3.  La  liberté  dans  l'acte  de  foi.  —  «  Il  paraît 
difficile  de  déterminer  de  quelle  façon  la  liberté  et  la 
certitude  se  concilient  dans  l'acte  de  foi  considéré  en 
lui-même  et  pour  ainsi  dire  in  abstracto,  il  est  d'ordinaire 
aisé  de  constater,  surtout  à  notre  époque  d'incrédulité, 
d'où  vient  que  les  uns  croient,  pendant  que  les  autres 
doutent  ou  refusent  de  croire.  Les  hommes  qui  doutent 
et  ne  croient  pas  aux  vérités  révélées  sont  ceux  qui  ne 
sont  pas  convaincus  du  fait  de  la  révélation.  Les  hommes 
qui  croient  sont  au  contraire  ceux  qui  sont  convaincus 
de  ce  fait.  On  serait  tenté  de  conclure  de  là  que  la  liberté 


328  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


de  l'acte  de  foi  vient  exclusivement  de  la  liberté  d'étudier 
et  de  considérer  ou  non  les  preuves  de  la  révélation,  et 
qu'elle  ne  vient  point,  comme  l'enseigne  le  concile  du 
Vatican,  d'une  détermination  qui  reste  maîtresse  d'elle- 
même,  malgré  la  science  la  plus  complète  de  ces  preuves. 
Mais  on  change  d'avis,  lorsqu'on  remarque  qu'avec  une 
connaissance  égale  des  motifs  de  crédibilité,  les  uns 
croient  pendant  que  les  autres  doutent.  On  s'accorde  à  le 
reconnaître,  la  foi  tient  aux  dispositions  qu'on  apporte 
dans  la  considération  des  preuves  de  la  religion.  Ce  sont 
ces  dispositions  qui  décident  de  la  valeur  que  chacun 
accorde  aux  preuves  qui  lui  sont  proposées.  Or,  que  sont 
ces  dispositions,  sinon  le  résultat  et  le  signe  des  libres 
déterminations  de  la  volonté  sollicitée  par  la  grâce  ?  Ces 
déterminations  libres,  que  les  théologiens  n'envisagent 
qu'au  moment  de  l'acte  de  foi,  se  produiscrr  très  souvent, 
chez  les  adultes,  dans  la  conduite  qui  précède  et  prépare 
l'acte  de  foi  ou  l'acte  d'incrédulité.  Cette  conduite  peut 
avoir  mis  celui  à  qui  la  foi  est  proposée  dans  un  état 
d'esprit  tel  qu'il  est  facile  de  conjecturer  à  l'avance  à 
quoi  il  va  se  décider.  C'est  en  raison  des  dispositions  à 
peu  près  permanentes  dans  lesquelles  ils  se  sont  mis, 
que  la  plupart  des  hommes,  qui  connaissent  suffisamment 
les  preuves  de  la  religion,  sont  d'une  manière  à  peu  près 
constante  croyants  ou  incrédules. 

Obéissant,  d'ailleurs,  à  une  tendance  naturelle  qui  fait 
que  nous  cherchons  toujours  à  justifier  nôtre  conduite  à 
uos  propres  yeux,  ceux  qui  ne  croient  pas  s'habituent  à 
considérer  les  objections  faites  contre  la  révélation  ;  car 
ils  sentent  qu'il  serait  déraisonnable  de  ne  pas  croire  ce 
que  Dieu  a  révélé.  Ils  se  forment  ainsi  à  eux-mêmes  des 
préjugés,  qui  peuvent  à  la  longue  devenir  si  puissants, 
qu'il  faudrait  un  vrai  miracle  de  la  grâce  pour  les  sur- 
monter. Réciproquement,  ceux  qui  Croient  s'habituent  à 
considérer  la  faiblesse  des  objections  faites  contre  la 
religion  et  la  force  des  preuves  du  christianisme.  C'est 
pourquoi  la  foi  leur  est  facile.  »  Vacant,  La  constitution 
Dei  Films,  Paris,  1895,  t.  11,  p.  81-82. 


4.  La  Volonté  et  l'Intelligence  dans  l'acte  de 


CONCEPTION  NOUVELLE  DE  LA  FOI        32g 

—  ■  — ■   —  -  _..... 

foi.  —  «  Un  objet  révélé  se  présente  à  notre  intelligence 
de  la  part  de  Dieu,  souvent  même  de  la  part  de  l'Eglise 
qui  le  définit,  l'interprète  ou  l'enseigne.  Qu'il  soit  essen- 
tiellement mystérieux,  ou  qu'il  soit  naturellement  con- 
naissante avant  que  d'être  affirmé  par  Dieu,  nous  disons 
qu'il  ne  saurait  nécessiter,  comme  les  vérités  intuitive- 
ment ou  démonstrativement  évidentes,  l'assentiment  de 
notre  esprit.  Non,  certes,  qu'il  ne  soit  pas  évidemment 
croyable,  que  l'autorité  divine  dont  il  est  revêtu  ne  soit 
évidemment  démontrée,  que  le  devoir  d'y  adhérer  ne  nous 
soit  évidemment  imposé.  Bien  au  contraire,  nous  admettons 
que  les  preuves  de  la  crédibilité,  le  motif  de  la  croyance, 
l'obligation  de  la  foi,  sont  tels  dans  le  christianisme  que, 
sous  peine  de  révoquer  témérairement  en  doute  les  bases 
mêmes  de  la  certitude  humaine,  notre  raison  doit  croire 
tout  objet  divinement  affirmé.  Mais  ce  qu'elle  doit  faire, 
elle  n'est  pas  toujours  nécessitée  à  le  faire  ;  et  comme  nos 
autres  facultés,  elle  n'est  fatalement  entraînée  que  vers 
son  objet  propre.  Or,  l'objet  propre  de  l'intelligence 
humaine  ici-bas  est  la  vérité  évidente,  soit  que  son  évi- 
dence apparaisse  d'elle-même  et  que  nous  la  percevions 
par  intuition  directe,  soit  qu'elle  apparaisse  à  l'aide 
d'autres  évidences  et  que  nous  ayons  besoin  de  démons- 
tration pour  la  disceraer.  Que  l'intelligence  dispose  ou 
non  de  grâces  surnaturelles  dans  ses  rapports  avec  l'objet 
à  connaître,  son  fonctionnement  reste  essentiellement  le 
même  :  elle  est  invinciblement  attirée  par  lui  s'il  est 
évident  ;  elle  ne  l'est  pas  s'il  est  seulement  certain  sans 
évidence.  L'objet  révélé  n'étant  jamais  évident  comme  tel, 
il  ne  saurait  jamais  nécessiter  l'adhésion  intellectuelle 
qu'il  sollicite  et  à  laquelle  il  a  d'ailleurs  un  droit  incon- 
testable. »  Didiot,  Vertus  théologales,  Paris,  1897,  n.  217, 
p.  162. 


Leçon  IXe 
De  la  Foi  et  de  la  Raison 


I.  Deux  ordres  de  connaissance,  —  Les  Mys- 
tères de  la  foi.  —  II.  Rôle  de  la  raison  dans 
la  connaissance  des  mystères  de  la  foi.  — 
III.  Ni  opposition  ni  désaccord  entre  la  foi 
et  la  raison.  —  IV.  La  foi  et  la  raison  se 
prêtent  une  aide  mutuelle. 

Sur  cette  question  si  importante  et  si  débattue 
au  siècle  dernier,  relative  aux  rapports  qui 
doivent  exister  entre  la  foi  et  la  raison,  entre 
la  science  et  la  révélation,  le  concile  du  Vatican, 
dans  le  chapitre  ive  de  la  Constitution  Dei  Films, 
a  donné  une  solution  remarquable  par  sa  précision 
et  sa  clarté.  Aussi  est-ce  à  ce  chapitre  et  aux  canons 
qui  le  suivent  que  nous  emprunterons  les  éléments 
de  cette  leçon,  en  prenant  pour  guide  celui  qui  les 
a  si  bien  mis  en  relief  (i). 

»  i.  BIBLIOGRAPHIE  :  A.  Vacant,  La  Constitution  Dei  Filius, 
Paris,  i8g5,  t.  n,  p.  181-281  ;  Monsabré,  Introduction  au  dogme 
catholique,  Paris,  1866,  t.  1,  p.  16-71  ;  tous  les  traités  De  Jide  des 
théologies  postérieures  au  concile  du  Vatican  ;  dans  la  collec- 
tion Science  et  Religion,  on  peut  lire  avec  intérêt  et  avec  fruit 
Du  doute  à  la  foi,  de  P.  Tournebize  ;  V attitude  du  catholique  de- 
vant la  science,  de  Fonsegrive;  surtout  Les  relations  entre  la  foi 
et  la  raison,  et  Les  conditions  modernes  de  Vaccord  entre  la  Joi 
et  la  raison,  de  M.  de  Broglie. 


DEUX    ORDRES    DE    CONNAISSANCE  33 1 

Dans  le  premier  paragraphe,  le  concile,  d'accord 
avec  la  doctrine  constante  de  l'Eglise,  affirme 
l'existence,  pour  l'homme,  de  deux  ordres  de  con- 
naissance, l'un  naturel,  l'autre  surnaturel,  et  il 
indique  les  mystères  de  la  foi  comme  l'objet  spécial 
de  la  révélation  divine. 

Dans  le  second,  il  expose  ce  qui  revient  à  la 
raison  et  ce  qui  n'est  point  de  son  ressort,  dans 
l'étude  de  la  vérité  surnaturelle. 

Dans  le  troisième,  il  déclare  qu'entre  la  raison  et 
la  foi,  entre  la  science  et  la  révélation,  il  ne  saurait 
jamais  exister  aucune  opposition  ni  désaccord  ;  d'où 
il  résulte  que  toute  assertion,  certainement  con- 
traire à  une  vérité  révélée,  doit  être  regardée  comme 
n'étant  pas  une  conclusion  légitime  de  la  science, 
et  qu'elle  peut  à  bon  droit  être  réprouvée  par 
l'Eglise. 

Dans  le  quatrième  enfin,  il  enseigne  que  non 
seulement  la  raison  et  la  foi  ne  s'opposent  pas  l'une 
à  l'autre,  mais  qu'elles  s'entr'aident  mutuellement, 
et,  tout  en  revendiquant  une  juste  liberté  pour  la 
science,  il  met  en  garde  contre  ses  abus  et  ses 
excès. 

I.  Deux  ordres  de  connaissance. 

Le  mystère, 

objet  spécial  de  la  révélation 

Le  chapitre  iv*  de  la  Constitution  Dei  Filius  débute 
ainsi  :  «  L'Eglise  catholique  s'est  toujours  accordée 
à  admettre  qu'il  y  a  deux  ordres  de  connaissance 
distincts,  non  seulement  par  leur  principe,  mais 
encore  par  leur  objet  :  par  leur  principe,  parce  que 
nous  connaissons  dans  l'un,  au  moyen  de  la  raison 


332  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

naturelle,  dans  l'autre  au  moyen  de  la  foi  divine  ;  par 
leur  objet,  parce  que,  outre  les  vérités  auxquelles  la 
raison  naturelle  peut  atteindre,  l'Eglise  propose  à 
notre  foi  des  mystères  cachés  en  Dieu,  qui  ne  peuvent 
être  connus  que  par  la  révélation  divine.  C'est  pour- 
quoi l'apôtre,  qui  rend  témoignage  à  la  connaissance 
que  les  nations  ont  eue  de  Dieu,  au  moyen  des 
choses  créées,  dit  néanmoins  en  parlant  de  la  grâce 
et  de  la  vérité  données  par  Jésus-Christ  :  «  Nous 
prêchons  la  sagesse  de  Dieu  renfermée  dans  son 
mystère,  cette  sagesse  cachée,  que  Dieu  a  prédes- 
tinée avant  tous  les  siècles  pour  notre  gloire,  qu'au- 
cun des  princes  de  ce  siècle  n'a  connue  ;  mais  pour 
nous,  Dieu  nous  l'a  révélée  par  son  Esprit  ;  car  cet 
Esprit  pénètre  tout  jusqu'aux  secrets  les  plus  pro- 
fonds de  Dieu.  »  Et  le  Fils  unique  lui-même  rend 
gloire  à  son  Père  de  ce  qu'il  a  caché  ces  choses  aux 
sages  et  aux  prudents  et  le*  a  révélées  aux  petits.  » 

Canon  i  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  la  révé- 
lation divine  ne  renferme  à  proprement  parler 
aucun  mystère  véritable,  mais  qu'une  raison  con- 
venablement cultivée  peut  par  ses  principes  natu- 
rels comprendre  et  démontrer  tous  les  dogmes  de 
la  foi.  » 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  la  distinction 
des  deux  ordres  de  connaissance,  mais  nous  insis- 
terons sur  l'objet  spécial  de  la  révélation,  à  savoir 
les  mystères,  dont  l'existence  est  affirmée  et  définie  ; 
nous  répondrons  à  ces  trois  questions  :  Quelle  est 
la  nature  des  mystères  de  la  foi?  En  existe-t-il? 
Quels  sont-ils  ? 

i .  Nature  des  mystères  de  la  foi.  —  La  nature 
des  mystères  de  la  foi  ressort  clairement  soit  de 
la  lettre  de  Pie  IX  à  l'archevêque  de  Munich, 
du  ii  décembre  1862,  portant  condamnation  des 


DEUX  ORDRES  DE  CONNAISSANCE         333 

erreurs  de  Frohschammer  (i),  soit  du  premier 
paragraphe  du  chapitre  ive  de  la  Constitution  Dei 
Filius,  transcrit  plus  haut. 

Trois  propriétés  caractérisent  les  mystères  de  la 
foi  :  ce  sont  des  vérités  cachées  en  Dieu  ;  elles  ne 
peuvent  être  connues  que  si  Dieu  les  révèle  ;  les  fidèles 
ne  peuvent  en  avoir  une  claire  connaissance  que  dans 
la  vision  intuitive. 

Ce  sont  d'abord  des  vérités  cachées  en  Dieu.  Dieu 
dépasse  toute  créature  intelligente  ;  il  a  une  science 
infinie  qu'aucune  créature  créée  ou  créable  ne  sau- 
rait embrasser  dans  sa  totalité  ;  il  possède  donc  des 
secrets  absolument  impénétrables,  des  vérités  sur- 
naturelles en  elles-mêmes,  et  c'est  à  ces  secrets 
qu'appartiennent  les  mystères  de  la  foi  :  ils  sont 
donc  cachés  en  Dieu,  au-dessus  de  toute  nature 
créée,  dépassant  la  portée  de  la  raison  humaine  et 
de  l'intelligence  angélique,  inaccessibles  par  con- 
séquent à  toute  raison  naturelle,  à  tout  principe 
naturel. 

Pour  être  connus,  iljaut  donc  que  Dieu  les  révèle.  Dieu 
peut  les  montrer,  les  faire  voir,  comme  il  les  voit 
lui-même,  mais  ce  mode  de  connaissance  appartient 
à  la  vision  intuitive  ;  il  peut  aussi  nous  les  révéler 
ici-bas,  en  entourant  son  témoignage  des  preuves 
les  plus  authentiques  et  les  plus  irrécusables.  Ces 
mystères  de  la  foi  différent  essentiellement  de  ce 
qu'on  appelle  les  mystères  de  la  nature.  Ceux-ci 
sont  des  vérités  dont  la  raison  ne  s'explique  ni  le 
pourquoi  ni  le  comment,  mais  dont  elle  constate 
ou  prouve  l'existence  ;  ceux-là,  au  contraire,  échap- 
pent complètement  aux  prises  de  notre  raison,  non 
seulement  dans  leur  nature  intime,  mais  même  dans 

i.  Denzinger,  n.  i524-i5a8. 


33/i  LE  CATÉCHISME   ROMAIN 

leur  existence  :  nous  ne  connaissons  cette  existence 
que  si  Dieu  veut  bien  nous  en  faire  part. 

Enfin  ces  mystères  de  la  foi  sont  tels  que,  même 
lorsque  leur  existence  nous  est  révélée,  l'intelligence 
et  la  connaissance  parfaite  de  leur  nature  nous  sont 
refusées  ici-bas.  Ils  restent  pour  nous,  comme  ledit 
Pie  IX.  «  couverts  du  voile  sacré  de  la  foi  elle-même 
et  enveloppés  d'une  ombre  obscure,  »  et,  comme  le 
dit  le  concile  du  Vatican,  «  la  raison  n'est  jamais 
rendue  capable  de  les  pénétrer  comme  les  vérités 
qui  constituent  son  objet  propre.  » 

Les  mystères  de  la  foi  sont  donc  des  vérités,  dont 
Dieu  seul  possède  une.  connaissance  naturelle  et 
adéquaie,  qui  ne  peuvent  nous  être  connus  que  par 
une  révélation  divine,  et  que  nous  ne  saurions 
comprendre  ni  démontrer  par  des  principes  d'ordre 
naturel,   même  après   que  Dieu  nous  les  a  révélés. 

2.  Existence  des  mystères  de  la  foi.  En  frappant 

d'ana  thème    quiconque    dirait    que    la   révélation 

divine   ne   renferme    à    proprement  parler    aucun 

mystère   véritable,    le  concile   du  Vatican    a  défini 

qu'il  existe  des  mystères  dans  la  religion  chrétienne. 

C'est  donc  un  dogme  de  foi  ;   constatation  officielle 

d'un  point  de  doctrine  toujours  enseigné  par  l'Eglise 

et  basé   sur   l'Ecriture  et   la   tradition,    ainsi  que  le 

faisait    déjà    remarquer  Pie    IX  dans     sa   lettre  à 

l'archevêque   de    Munich.    Pie   IX  empruntait   ses 

preuves  scripturaires  à   l'épi tre  aux  Colossiens,  aux 

Hébreux,   au  quatrième  Evangile  et  à  la  première 

épître  aux  Corinthiens.   C'est  ce  dernier   texte  que 

reproduit   le  concile  en  y  ajoutant  un   passage  de 

saint  Matthieu. 

L'apôtre  saint  Paul,  en  parlant  de  ce  que  l'œil 
n'a  pas  vu,  ni  l'oreille  entendu,  ni  le  cœur  de 
l'homme   conçu,    n'en    faisait  pas  une  explication 


DEUX  ORDRES  DE  CONNAISSANCE         335 

exclusive  au  bonheur  céleste,  il  l'entendait  aussi 
des  vérités  qu'il  prêchait  et  qui  sont  l'objet  de  la 
foi.  Or  ces  vérités  sont  des  mystères  proprement 
dits,  ainsi  que  cela  ressort  clairement  de  son 
langage.  Il  prêche  la  sagesse,  dit-il,  non  la  sagesse 
du  siècle,  mais  la  sagesse  même  de  Dieu,  et,  bien 
qu'il  s'adresse  aux  parfaits,  il  la  dit  mystérieuse  et 
cachée  par  sa  nature  ;  aucun  prince  de  ce  siècle  ne 
l'a  connue,  mais  c'est  Dieu  lui-même  qui  l'a  révélée 
aux  apôtres  par  son  Esprit,  lequel  pénètre  tout, 
même  les  profondeurs  de  Dieu  (i).  De  même  dans 
le  texte  évangélique,  ce  que  Jésus  entend  par  les 
choses  que  Dieu  a  cachées  aux  sages  et  aux  prudents 
et  qu'il  a  révélées  aux  petits  (2),  ce  sont  bien  des 
mystères  connus  seulement  des  personnes  divines 
et  de  ceux  à  qui  Dieu  veut  les  révéler,  puisqu'il 
ajoute  :  «  Toutes  choses  m'ont  été  données  par 
mon  Père  ;  personne  ne  connaît  le  Fils  si  ce  n'est 
le  Père,  et  personne  ne  connaît  le  Père  si  ce  n'est 
le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils  a  voulu  le  révéler  (3).  » 
Cet  enseignement  scripturaire  n'ayant  jamais  été 
révoqué  en  doute  même  par  les  hérétiques  qui 
attaquèrent  les  dogmes  de  la  Trinité  et  de  l'incarna- 
tion, les  Pères  de  l'Eglise  se  contentèrent  de  signaler 
en  passant  les  passages  de  l'Ecriture  relatifs  au 
caractère  mystérieux  des  vérités  révélées  (4).  Mais 
ce  caractère  frappa  surtout  les  scolastiques  ;  nui  ne 
l'a  mieux  fait  ressortir  que  Saint  Thomas  (5).  Pour- 

1.  I  Cor.  11,  7-9.  —  a.  Malth.,  xi,  a5.  —  3.  Matth.  xi,  27.  — 
4.  S.  Ambroise,  De  fide  ad  Gral.,  1,  10  ;  Pair,  lai.,  t.  xvi, 
col.  54i-543  ;  S.  Jérôme,  In  Galat.,  m,  a  ;  Pair,  lat.,  t.  xxvi, 
col.  374-375  ;  S.  Léon  le  Grand,  De  nat.  Dom.,  serm.  ix  ;  Pair, 
lai. y  t.  liv,  col.  160;  S.  Chrysostome,  In  I  Cor.%  homil.  vu;  Pair. 
gr.y  t.  lxi  ;  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  In  Joan.,  1,  9  ;  Pair,  gr., 
t.  lxxiii,  col.  i24-i34  ;  S.  Jean  Damascène,  In  I  Cor.,  11  ;  Patr% 
gr.t  t.  xcv,  col.  582-590.  —  5.  Cont.gent.,  iv,  proœmium. 


336  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

tant  quelques  partisans  de  Raymond  Lulle  le  mécon- 
nurent et   s'attirèrent  les  rigueurs  de  l'Eglise,  une 
première    fois    sous    Alexandre   IV,    en    1260,   une 
seconde  fois  sous  Grégoire  XI,  en  1376.  Ce  dernier 
pape  condamna  notamment  ces  deux,  propositions  : 
«  Tous  les  articles  de  foi,  les  sacrements  de  l'Eglise 
et  le  pouvoir  du  pape  peuvent  être  prouvés  et  sont 
prouvés  par  des   raisons  nécessaires,   démonstrati- 
ves,  évidentes  (Prop.  9G).  »    «  La  foi  est  nécessaire 
aux    gens    rustiques,    ignorants,     mercenaires,     de 
basse   intelligence,   qui  ne  savent  point   connaître 
par  la  raison  et  aiment  à  connaître  par  la  foi  ;  mais 
un  homme  subtil  est  plus  facilement  attiré  à  la  vie 
chrétienne  par  la  raison  que  par  la  foi  (Prop.  97)(i). 
Au   dernier  siècle,    quelques   prêtres    allemands, 
professeurs  dans  les  universités,  Hermès,  Gunther, 
Frohschammer,  entre  autres,  reprirent  la  thèse  du 
prétendu  pouvoir  qu'a  la  raison  de  démontrer  les 
dogmes,    une    fois   qu'ils    sont  révélés.    Ils    furent 
condamnés  à  leur  tour.  Pie  IX,  notamment,  écrivait 
à  ce  sujet  :  «  Jamais  la  raison  ne  peut  arriver  par 
les  principes   naturels  à  la  science  de  ces  dogmes 
(les  mystères).   Que  ceux  qui   ont    la    témérité  de 
soutenir  le  contraire,    sachent   qu'ils  abandonnent 
certainement,  non  pas  l'opinion  de  certains    doc- 
teurs,  mais  la  doctrine  commune  et  constante  de 
l'Eglise.  Les  saintes  Lettres  et  la  tradition  des  saints 
Pères  témoignent,   en  effet,   que    si  l'existence  de 
Dieu  et  plusieurs  autres  vérités  sont  connues  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  par  ceux  mêmes  qui 
n'ont  pas  encore  reçu  la  foi,  Dieu  seul  a  manifesté 
ces   dogmes   plus    cachés  (2).    »   Et  il    stigmatise, 
comme  étranger   à    l'enseignement    catholique,   le 
sentiment  contenu  dans  cette  proposition,  devenue 

1.  Denzinger,  n.  474,  470.  —  2.  Denzinger,  n.  1527. 


DEUX  ORDRES  DE  RECONNAISSANCE       SSj 

la  neuvième  du  Syllabus  :  «  Tous  les  dogmes  de  la 
religion  chrétienne  sans  distinction  sont  l'objet  de 
la  science  naturelle  ou  philosophie  ;  et  avec  une 
culture  purement  historique,  la  raison  humaine 
peut,  d'après  ses  principes  et  ses  forces  naturelles, 
parvenir  à  une  Arraie  connaissance  de  tous  les 
dogmes,  môme  des  plus  cachés,  pourvu  que  ces 
dogmes  aient  été  proposés  à  la  raison  comme 
objet  (1).  » 

Aussi  le  concile  du  Vatican,  en  définissant 
comme  une  vérité  de  foi  catholique  l'existence  des 
mystères  dans  la  révélation,  n'a  fait  que  proclamer 
une  vérité  clairement  contenue  dans  l'Ecriture, 
constamment  crue  dans  l'Eglise  et  plusieurs  fois 
formulée  par  les  Souverains  Pontifes. 

3.  Quels  sont,  parmi  les  dogmes  de  la  foi, 
ceux  qui  ont  le  caractère  de  mystère  ?  —  Tous 
ceux  qui  n'appartiennent  pas   en   même   temps   à 
l'ordre  naturel,  car  il  est  des  vérités  révélées   qui 
sont   accessibles  à  la  raison  ;  par  conséquent  tous 
ceux  qui  regardent  l'élévation  de  l'homme  à  l'état 
surnaturel,  son  commerce  surnaturel  avec  Dieu,  sa 
fin  surnaturellle  et  les  moyens  d'y  parvenir  ;  et  cela 
pour  deux  raisons  :  d'abord  parce  que  ce  sont  des 
vérités    qui    ont    les    trois    propriétés    qui    carac- 
térisent les  mystères  de  la  foi  ;  ensuite  parce  que 
l'ordre  surnaturel  a  été  librement  établi  par  Dieu. 
Or,   ce  qui  dépend   de   la  libre  détermination    de 
Dieu  ne  saurait  être  connu  des  créatures  qu'autant 
que  Dieu  leur  en  fait  part.  Telle  est  l'élévation  de 
l'homme  à    l'ordre    surnaturel,    et  telles   sont    les 
vérités   qui   se   rapportent  à   la  fin  surnaturelle  de 
l'homme  et  aux  moyens  surnaturels  d'y  parvenir. 

i.  Denzingcr,  n.  i556. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  33 


338  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Ces  moyens  sont  la  vie  surnaturelle  elle-même  et 
tout  ce  qui  sert  à  la  produire,  à  l'entretenir,  à  la 
développer.  Il  est  clair  que  la  vie  surnaturelle 
échappe  à  nos  investigations,  même  quand  elle  est 
en  nous  ;  le  caractère  surnaturel  de  ses  opérations 
nous  échappe  de  même.  Nous  n'avons  conscience 
en  effet,  ni  de  notre  élévation  à  l'ordre  surnaturel, 
ni  de  notre  état  de  grâce,  ni  de  ce  qu'a  de  surnatu- 
rel notre  acte  de  foi.  Sont  donc  à  ranger  parmi  les 
mystères  l'Incarnation,  qui  est  la  source  de  l'ordre 
surnaturel,  la  Rédemption,  qui  en  est  l'application. 
Tout  cela  dépend  de  la  volonté  libre  de  Dieu.  En 
est-il  de  même  de  ce  qui  constitue  nécessairement 
l'essence  divine,  et,  par  exemple,  la  Trinité  ?  Est-ce 
un  mystère  ?  Ni  Pie  IX  ni  le  concile  du  Vatican  ne 
citent  la  Trinité  parmi  les  mystères  ;  c'était  inutile, 
car  d'autres  documents  la  regardent  comme  un  mys- 
tère et  comme  plus  le  grand  des  mystères,  absolument 
ineffable  et  incompréhensible.  Le  Saint  Office  con- 
damnait en  1887,  avec  l'approbation  de  Léon  XIII, 
une  proposition  de  Rosmini  qui  déniait  à  la  Tri- 
nité le  caractère  de  mystère  de  la  foi  ;  c'est  le  mys- 
tère des  mystères  ;  tous  les  autres  le  supposent  et 
rien,  dans  l'ordre  créé,  ne  saurait  le  manifester. 

IL  Rôle  de  la  raison  dans  la 
connaissance  des  mystères  de  la  foi 

Le  rôle  de  la  raison  vis-à-vis  des  mystères  chré- 
tiens, ne  se  réduit  pas  à  l'étude  des  motifs  de  crédi- 
bilité, à  l'examen  du  fait  de  la  révélation,  à  tout  ce 
qui  sert  de  préparation  à  l'acte  de  foi  et  à  la  pro- 
duction de  l'acte  de  foi  lui-même,  il  est  beaucoup 
plus  étendu  ;  car,  sans  les  pénétrer  à  fond,  elle  peut 


ROLE  DE  LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTÈRES       33g 

en  acquérir  une  «  certaine  intelligence.  »  Le  con- 
cile du  Vatican  signale,  en  effet,  les  conditions  dans 
lesquelles  elle  peut  agir,  les  qualités  qu'elle  doit 
apporter  dans  son  étude,  les  procédés  qu'elle  doit 
employer,  les  résultats  qu'elle  peut  obtenir  et  aussi 
les  limites  qu'elle  ne  saurait  franchir. 

«  Lorsque  la  raison,  éclairée  par  la  foi,  cherche 
avec  soin,  piété  et  modération,  elle  acquiert,  il  est 
vrai,  par  le  don  de  Dieu,  quelque  intelligence  très 
fructueuse  des  mystères,  tant  par  l'analogie  des  cho- 
ses qu'elle  connaît  naturellement,  que  par  la  liaison 
des  mystères  entre  eux  et  avec  la  fin  dernière  de 
l'homme  ;  cependant  jamais  elle  n'est  rendue  capa- 
ble de  les  pénétrer  comme  les  vérités  qui  constituent 
son  objet  propre.  En  effet,  par  leur  nature,  les  mys- 
tères divins  dépassent  tellement  l'entendement  créé 
qu'après  avoir  été  communiqués  par  la  révélation 
et  reçus  par  la  foi,  ils  restent  néanmoins  couverts 
du  voile  de  la  foi  elle-même  et  enveloppés  comme 
d'une  sorte  de  nuage,  tant  que  nous  restons  éloi- 
gnés de  Dieu  par  cette  vie  mortelle  ;  car  nous  mar- 
chons dans  le  chemin  de  la  foi  et  non  dans  celui  de 
la  vision  (i).  » 

i.  La  raison  éclairée  par  la  foi,  doit  observer 
quelques  règles  dans  ses  recherches  :  elle  doit  agir, 
dit  le  concile,  avec  soin,  piété  et  discrétion.  C'est 
avec  soin  et  attention  tout  d'abord,  qu'elle  doit  étu- 
dier l'Ecriture  et  la  tradition,  c'est-à-dire  les  docu- 
ments où  sont  contenus  les  mystères  révélés,  pour 
se  rendre  compte  autant  que  possible  de  la  manière 
dont  ils  sont  révélés,  sous  quelles  images  ils  sont 
présentés  etquelles  analogies  ils  suggèrent.  G'esten- 
suite  avec  piété,  c'est-à-dire  sous  l'influence  d'une 
inspiration  vraiment  religieuse  et  avec  un  respect 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  $  a. 


34o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

profond  pour  l'enseignement  divin,  sous  lequel  se 
cachent  des  vérités,  dont  nous  n'apercevons  ici  bas 
que  le  dehors,  et  nullement  avec  la  suffisance  du 
rationalisme  qui  se  flatte,  à  l'aide  de  la  seule  raison, 
d'en  avoir  le  dernier  mot.  La  piété  ne  pousse  pas 
aussi  loin  ses  prétentions  et  se  garde  d'aussi  chimé- 
riques espoirs.  Et  c'est  enfin  avec  réserve  ou  discré- 
tion, c'est-à-dire  en  s'en  tenant  aux  seules  données 
de  la  révélation,  sans  essayer  de  leur  appliquer  des 
vues  ou  des  théories  étrangères  sinon  contraires  à 
renseignement  traditionnel.  Ces  conditions  requi- 
ses étant  remplies,  la  raison  peut  découvrir  des  ana- 
logies entre  les  mystères  et  les  vérités  naturelles, 
étudier  les  rapports  qu'ils  ont  soit  entre  eux,  soit 
avec  la  fin  surnaturelle  de  l'homme,  et  cela  consti- 
tue un  vaste  champ  d'opération  pour  elle. 

2.  Analogies  des  mystères  avec  les  vérités 
naturelles.  Dieu,  en  parlant  à  l'homme,  a  dû  né- 
cessairement, pour  se  faire  comprendre,  se  mettre 
à  la  portée  de  son  intelligence.  Et  puisqu'il  lui  a 
plu  de  réserver  pour  la  vision  intuitive  la  claire 
notion  de  ses  mystères,  il  n'a  pu  nous  en  donner 
quelque  notion  qu'en  les  rapprochant,  qu'en 
les  comparant  avec  ce  que  notre  raison  connaît 
par  elle-même,  c'est-à-dire  par  des  analogies.  En 
effet,  entre  les  mystères  et  les  vérités  naturelles 
il  n'y  a  point  d'identité,  ni  par  suite  de  res- 
semblance parfaite  ;  mais  il  peut  y  avoir  et  il  y 
a  des  rapprochements,  des  comparaisons,  tirés  soit 
du  rapport  que  ces  mystères  et  ces  vérités  naturelles 
ont  avec  un  même  objet,  soit  de  l'effet  qu'ils  pro- 
duisent, c'est-à-dire  des  analogies. 

Dieu  nous  proposant  donc  la  notion  de  ses  mys- 
tères à  l'aide  de  l'analogie  qu'ils  ont  avec  les  choses 
naturelles,  plus  les  analogies  seront  nombreuses  et 


ROLE  DE  LA  RAISON  YIS-A-VIS  DES  MYSTÈRES        3£l 

plus  la  notion  des  mystères  nous  sera  facile,  plus 
au  contraire  elles  seront  rares  et  plus  la  notion  des 
mystères  nous  sera  difficile.  C'est  ainsi  que  les  ver- 
tus surnaturelles,  à  cause  de  leurs  multiples  rapports 
d'analogie  qu'elles  ont  avec  nos  vertus  naturelles, 
sont  facilement  accessibles  à  notre  intelligence.  La 
vie  surnaturelle,  au  contraire,  offre  moins  d'analo- 
gies ou  des  analogies  moins  saisissantes  avec  la  vie 
naturelle  ;  il  en  est  de  même  entre  l'efficacité  sur- 
naturelle des  sacrements  et  les  effets  physiques  de 
la  matière  qu'ils  emploient  ;  et  dès  lors  moins 
grande  est  notre  facilité  à  les  connaître.  Quant  à 
l'Incarnation  et  surtout  à  la  Trinité,  les  points  de 
comparaison  que  la  nature  fournit  sont  plus 
restreints  encore,  moins  clairs,  plus  difficiles  à 
saisir. 

Mais  que  ces  analogies,  indiquées  par  Dieu  dans 
sa  révélation  soient  rares  ou  nombreuses,  saisissan- 
tes ou  peu  aisées  à  saisir,  elles  permettent  toujours 
d'avoir  une  notion  suffisante  des  mystères  révélés. 
Or  il  appartient  à  la  raison  de  les  scruter,  de  les 
approfondir,  de  les  rapprocher,  de  les  combiner 
pour  leur  demander  le  plus  de  lumière  possible, 
car  elles  offrent  un  solide  point  d'appui  et  des 
données  authentiques.  Il  lui  appartient  aussi 
de  relever  celles  que  les  Pères  de  l'Eglise,  les 
conciles  et  les  papes  ont  signalées  dans  la  suite 
des  âges,  car  elles  entrent  dans  la  trame  vivante  de 
la  tradition.  Il  lui  appartient  enfin  d'y  joindre  celles 
qu'elle  pourrait  découvrir  elle-même  dans  l'étude 
comparative  du  dogme  et  de  la  nature,  à  la  condition 
bien  entendu  qu'elles  cadrent  avec  l'enseignement 
officiel  de  l'Eglise.  Et  c'est  ainsi  que  la  raison  arrive 
à  se  faire  des  mystères  révélés  une  notion  de  moins 
en  moins  imparfaite,  de  plus  en  plus  claire  et  précise. 

C'est,  du  reste,  ce   qu'ont  fait  tous  les  docteurs. 


3/^2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

saint  Augustin  et  saint  Thomas  en  tête.  Platon  et 
Aristote  leur  ont  servi,  comme  on  sait,  non  certes 
pour  substituer  les  données  rationnelles  aux  mys- 
tères révélés,  ni  pour  démontrer  les  mystères  au 
moyen  de  principes  rationnels,  mais  pour  mettre 
en  plein  relief  ce  que  certaines  vérités  de  l'ordre 
naturel,  que  renferme  leur  philosophie,  ont  d'ana- 
logie avec  les  mystères  de  la  foi.  La  psychologie  des 
néoplatoniciens,  note  M.  Vacant,  a  fourni  à  saint 
Augustin  des  images  de  la  Trinité  ;  l'éthique 
d' Aristote  a  fourni  à  saint  Thomas  une  partie  des 
cadres  de  la  seconde  partie  de  sa  Somme,  où  il  étudie 
les  principes  de  la  morale  chrétienne  et  les  diverses 
vertus  surnaturelles. 

3.  Intelligence  des  mystères  par  leurs  rap- 
ports mutuels.  C'est  encore  un  vaste  champ 
d'action  qu'offre  à  notre  raison  l'examen  des  rapports 
qui  enchaînent  les  uns  aux  autres,  dans  un  tout 
harmonique,  les  mystères  de  la  foi. 

On  ne  saurait  douter,  en  effet,  qu'il  y  ait  moins 
d'ordre  et  d'unité  dans  les  mystères  de  la  foi  que 
dans  le  monde  de  la  nature,  où  notre  raison  décou- 
vre un  plan  si  harmonieusement  établi.  Cet  ordre 
et  cette  unité  du  monde  surnaturel,  Dieu,  sans  les 
dévoiler  à  nos  yeux  autant  qu'il  les  connaît  lui- 
même,  nous  les  laisse  suffisamment  entrevoir  pour 
que  nous  y  découvrions  un  lien  logique  :  le  péché  ; 
ses  suites  ;  sa  réparation  ;  application  des  effets  de 
la  Rédemption  à  chacun  de  nous  ;  moyens  d'arriver 
au  salut  ;  rôle  du  Verbe  fait  chair  et  du  Saint- 
Esprit,  etc.  Ce  lien  logique  permet  à  notre  raison  de 
pousser  plus  avant  ses  connaissances  et  de  s'assimi- 
ler dans  la  mesure  du  possible  la  révélation. 
Assurément,  Dieu  ne  nous  a  pas  proposé  ses  vérités 
sous  la  forme  d'un  catalogue  abstrait  ou  comme 


ROLE  DE  LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTÈRES        3^3 

une  table  de  matières;  des  philosophes  seuls  auraient 
pu  s'en  contenter,  c'est-à-dire  le  petit  nombre.  La 
grande  masse  réclamait  un  autre  mode  d'enseigne- 
ment. Et  c'est  pourquoi  Dieu  leur  a  donné  une 
forme  concrète  et  vivante,  en  les  mêlant  d'ordinaire 
à  des  récits  historiques  ou  à  des  leçons  de  morale. 

Il  en  est  un  peu  de  la  vérité  révélée  comme  des 
lois  naturelles  ;  celles-ci,  notre  raison  les  découvre 
peu  à  peu  sous  la  variété  des  phénomènes  qui  s'en- 
chevêtrent dans  le  règne  minéral,  végétal  et  animal, 
dans  le  domaine  de  la  conscience  et  dans  l'activité 
sociale,  elle  les  dégage  et  les  formule.  Les  vérités 
révélées  se  trouvent  dans  les  pages  de  la  Bible  et  les 
documents  de  la  tradition  ;  depuis  la  mort  des 
apôtres,  toutes  sont  promulguées.  Le  dépôt  en  est 
confié  à  l'Eglise.  Mais,  pour  la  plupart,  il  reste  à  les 
découvrir,  à  les  dégager,  à  les  formuler  ;  et  c'est  à 
quoi  travaille  la  raison,  à  la  lueur  de  la  foi,  sous  la 
direction  de  l'Eglise  et  avec  l'assistance  du  Saint- 
Esprit.  Elle  a  beaucoup  fait  jusqu'ici  ;  il  lui  reste 
toujours  à  faire,  car  la  révélation  n'a  pas  encore 
livré  tous  les  secrets  qu'elle  renferme.  Plus  les 
travaux  s'accumulent,  plus  aussi  s'affirment  et  se 
précisent  explicitement  les  vérités  révélées  dans  des 
formules  dogmatiques. 

D'autre  part,  la  foi  désire  et  cherche  toujours  à 
mieux  connaître  ce  qu'elle  croit,  à  posséder  une 
intelligence  plus  parfaite  des  mystères  par  l'étude  de 
leurs  rapports  et  de  leur  enchaînement  logique.  Ici 
encore  la  raison  prête  son  concours.  Elle  n'a  pas 
encore  fini  de  classer  les  données  surnaturelles,  de 
déterminer  les  principes  surnaturels  qui  s'appliquent 
à  chaque  espèce  de  vérité  révélée,  de  déduire  les 
conséquences  qui  découlent  de  ces  principes.  Et 
pourtant  quelle  œuvre  considérable  déjà  réalisée  ! 
Et  n'est-ce  pas  à  cette  œuvre  que  nous  devons  cette 


344  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  certaine  intelligence,  »  encore  imparfaite  assuré- 
ment, mais  du  moins  «  très  fructueuse  des  mystères, 
tant  par  l'analogie  des  choses  que  la  raison  connaît 
naturellement,  que  par  la  liaison  des  mystères  entre 
eux,  »  comme  s'exprime  le  concile  du  Vatican  ? 

4.  Intelligence  des  mystères  par  leurs  rap- 
ports avec  la  fin  de  l'homme.  Autre  source  de 
connaissances  pour  la  raison  que  l'étude  des 
mystères  dans  leurs  rapports  avec  la  fin  de  l'homme. 

Tous  les  mystères  en  effet,  se  rapportent  à  la  fin 
de  l'homme,  et  c'est  en  vue  de  cette  fin  que  Dieu 
les  a  révélés  ;  car  ils  ont  pour  objet  soit  cette  fin 
surnaturelle,  soit  les  moyens  de  l'atteindre,  soit  les 
obstacles  à  écarter.  Leur  étude  ne  peut  donc  que 
contribuer  à  nous  faire  mieux  comprendre  l'ensem- 
ble et  l'enchaînement  des  vérités  révélées  ;  et  c'est 
par  là  que  cette  étude  est  vraiment  salutaire  et 
constitue  la  science  du  salut.  D'autant  plus  que, 
dans  ces  rapports  des  mystères  avec  notre  fin 
surnaturelle,  se  découvrent  des  analogies  plus  nom- 
breuses, plus  justes,  plus  saisissantes.  Dieu,  en  effet, 
n'a  pas  détruit  notre  nature,  il  l'a  élevée  et  a  élevé 
ses  facultés  :  nature  et  facultés  naturelles  servent 
de  point  d'appui  où  se  greffent  la  vie  et  les  vertus 
surnaturelles.  La  grâce  se  superposant  ainsi  à  la 
nature  sans  la  détruire,  la  fin  et  les  moyens  de 
l'ordre  naturel  présentent  beaucoup  d'analogies  avec 
la  fin  et  les  moyens  de  l'ordre  surnaturel.  Et  c'est 
ainsi,  dit  M.  Vacant,  qu'avec  les  réserves  de  droit, 
on  applique  légitimement  à  la  foi  surnaturelle  ce 
qu'une  saine  philosophie  enseigne  de  la  fin  dernière; 
à  la  grâce  sanctifiante  et  aux  vertus  surnaturelles, 
ce  qu'elle  établit  de  notre  vie,  de  nos  facultés  et 
vertus  naturelles  ;  à  la  grâce  actuelle,  ce  qu'elle 
démontre  du  concours  divin  ;    à  la  manière  dont 


ROLE  DE  LA  RAISON  VIS-A-VIS  DES  MYSTÈRES        345 

les  sacrements  produisent  et  entretiennent  la  grâce 
en  notre  âme,  la  manière  dont  la-  vie  ordinaire  est 
communiquée,  fortifiée  et  entretenue.  La  lumière 
divine  de  la  foi  est  rapprochée  de  la  lumière 
physique  du  soleil  et  de  la  lumière  intellectuelle  de 
la  raison  ;  l'Eglise,  société  parfaite,  est  comparée 
à  la  société  civile.  Adam  et  Jésus-Christ  représen- 
tent l'humanité  devant  Dieu  ;  le  premier,  par  sa 
faute,  l'a  réduite  en  esclavage  ;  le  second,  par  la 
rédemption,  l'a  délivrée  et  lui  a  rendu  ses  droits. 
Combien  d'autres  rapprochements  encore  ne  pour- 
rait-on pas  faire  ?  Ceux-ci,  à  peine  indiqués, 
suffisent  du  moins  à  prouver  combien  vaste  est  le 
champ  d'action  de  la  raison  dans  les  mystères  de  la 
foi. 

5.  Limites  de  la  raison  dans  la  connaissance 
des  mystères  de  la  foi.  Sans  révélation,  nous 
venons  de  le  voir,  la  raison  ne  saurait  soupçonner 
les  mystères  de  la  foi  ;  après  la  révélation,  elle  peut 
en  acquérir  «  une  intelligence  très  fructueuses  ;  » 
mais,  ajoute  le  concile,  «jamais  elle  n'est  rendue 
capable  de  les  pénétrer  comme  les  vérités  qui  cons- 
tituent son  objet  propre.  » 

Frohschammer  prétendait  que  la  raison,  par  ses 
propres  forces,  peut  acquérir  de  tous  les  mystères 
révélés  sans  exception  une  certitude  naturelle  et 
scientifique.  D'autres  semi-rationalistes  accordaient 
que  les  mystères  qui  dépendent  de  la  libre  détermi- 
nation de  Dieu  sont  indémontrables,  mais  ils 
soutenaient  que  ceux  qui  sont  fondés  sur  l'essence 
nécessaire  des  choses,  comme  la  Trinité,  sont 
démontrables. 

Pie  IX,  en  condamnant  Frohschammer,  lui  re- 
prochait de  ranger  les  mystères  révélés  dans  le 
domaine  de  la  science  et  de  la  philosophie,  d'accor- 


346  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

der  à  la  raison  vis-à-vis  d'eux  le  pouvoir  naturel  de 
les  connaître  avec  certitude  sans  s'appuyer  sur 
L'autorité  de  Dieu  qui  les  révèle.  Et  le  concile  du 
Vatican  a  défini  qu'il  y  a  des  dogmes  de  foi  que  la 
raison  la  mieux  développée  ne  saurait  comprendre 
ni  démontrer  par  elle  seule.  Cette  impuissance  de 
la  raison,  il  la  tire  de  la  nature  même  de  ces 
mystères  et  cite  en  témoignage  un  passage  de  saint 
Paul  :  u  En  effet,  dit-il,  par  leur  nature,  les  divins 
mystères  dépassent  tellement  l'entendement  créé, 
qu'après  avoir  été  communiqués  par  la  révélation  et 
reçus  par  la  foi,  ils  restent  néanmoins  couverts  du 
voile  de  la  foi  elle-même  et  enveloppés  comme 
d'une  sorte  de  nuage,  tant  que  nous  restons  éloignés 
de  Dieu  par  cette  vie  mortelle  ;  car  nous  marchons 
dans  le  chemin  de  la  foi  et  non  dans  celui  de  la 
vision.  )) 

La  nature  des  mystères  limite  la  puissance  de  la 
raison.  On  comprend  qu'il  en  soit  ainsi  pour  les 
mystères  qui  dépendent  de  la  libre  volonté  de  Dieu  ; 
car,  en  dehors  de  leur  révélation,  on  n'en  soupçon- 
nerait pas  l'existence  et  rien  de  créé  ne  saurait  les 
manifester.  En  est-il  de  même  vis-à-vis  des  mystères 
fondés  sur  une  nécessité  absolue,  comme  la  Trinité? 
Une  fois  révélée,  la  raison  n'est-elle  pas  à  même 
d'en  saisir  la  nécessité  logique  ?  Nullement,  car 
aucune  créature  n'en  peut  saisir  la  nécessité  ni  le 
rapport  logique  avec  aucun  principe  naturellement 
connu.  Et  lorsque  saint  Paul  dit  :  «  Nous  marchons 
dans  le  chemin  de  la  foi,  et  non  dans  celui  de  la 
vision  (i),  »  il  oppose  la  connaissance  que  nous 
avons  de  ces  mystères  ici-bas  à  celle  que  nous 
aurons  dans  le  ciel;  ici-bas,  c'est  une  connaissance 
de  foi,  motivée  par  le  témoignage  de  Dieu  :  au  ciel, 

i.  II  Cor.,  v,  7. 


ACCORD    DE    LA    RAISON    ET    DE    LA    FOI  3^7 

ce  sera  la  vision  du  face  à  face  ;  la  foi  disparaîtra, 
et  chacun,  selon  ses  mérites,  verra  la  volonté  de 
Dieu  avec  les  mystères  qui  en  dépendent,  et  l'intel- 
ligence divine  avec  les  mystères  fondés  sur  une 
nécessité  absolue  ;  il  les  verra,  non  par  les  seules 
forces  de  sa  raison,  mais  parla  lumière  de  gloire 
que  Dieu  lui  donnera  ;  sa  connaissance  sera  alors, 
non  une  connaissance  de  raison  ni  une  connaissance 
de  foi,  mais  une  connaissance  de  vision  intellectuelle 
surnaturelle. 

III.   Entre  la  raison  et  la  foi 
pas  d'opposition  possible 

Le  concile  du  Vatican  traite  trois  questions  très 
importantes  :  d'abord  il  affirme  et  démontre  Fim- 
possibilité  d'une  opposition  entre  la  science  et  la 
foi  ;  ensuite  il  proclame  les  droits  de  l'Eglise  vis-à-vis 
de  la  fausse  science  ;  enfin  il  rappelle  aux  chrétiens 
les  devoirs  qui  lui  incombent  en  vertu  de  ces 
principes.  «  Bien  que  la  foi,  dit-il,  soit  au-dessus  de 
la  raison,  il  ne  saurait  pourtant  y  avoir  jamais  de 
véritable  désaccord  entre  la  foi  et  la  raison,  attendu 
que  le  Dieu  qui  révèle  les  mystères  et  répand  la  foi 
en  nous,  est  le  même  qui  a  mis  la  raison  dans 
l'esprit  de  l'homme,  et  qu'il  est  impossible  que 
Dieu  se  renie  lui-même  ou  qu'une  vérité  soit  jamais 
contraire  à  une  autre  vérité.  L'apparence  imagi- 
naire d'une  contradiction  semblable  vient  surtout, 
ou  bien  de  ce  que  les  dogmes  de  la  foi  n'ont  pas  été 
compris  et  exposés  conformément  à  la  pensée  de 
l'Eglise,  ou  bien  de  ce  que  des  opinions  fausses 
soat  prises  pour  des  conclusions  de  la  raison.  Nous 
déclarons  donc  que  toute  assertion  contraire  à  une 


3/|8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

vérité  crue  par  une  foi  éclairée,  est  absolument 
fausse.  »  Voilà  pour  la  première  question. 

«  Or  l'Eglise,  continue  le  concile,  qui  a  reçu, 
avec  la  charge  apostolique  d'enseigner,  le  comman- 
dement de  garder  le  dépôt  de  la  foi,  tient  aussi  de 
Dieu  le  droit  et  le  devoir  de  proscrire  la  fausse 
science,  afin  que  nul  ne  soit  trompé  par  la  philo- 
sophie et  la  vaine  sophistique.  »  Voilà  pour  la 
seconde  question. 

«  C'est  pourquoi  tous  les  chrétiens  fidèles  ne  sont 
pas  seulement  tenus  de  s'abstenir  de  défendre 
comme  des  conclusions  légitimes  de  la  science,  ces 
opinions  qu'on  sait  contraires  à  la  doctrine  de  la 
foi,  surtout  lorsqu'elles  ont  été  réprouvées  par 
l'Eglise,  ils  sont  encore  absolument  obligés  de  les 
regarder  comme  des  erreurs  qui  se  couvrent  de 
l'apparence  trompeuse  de  la  vérité.  »  Voilà  pour  la 
troisième  question. 

Suit  le  canon  2  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  les 
enseignements  humains  doivent  être  donnés  avec 
une  telle  liberté,  que  leurs  assertions  pourraient 
être  maintenues  pour  vraies  et  ne  sauraient  être 
proscrites  par  l'Eglise,  alors  même  qu'elles  iraient 
contre  la  doctrine  révélée  (1).  » 

1.  Pas  de  désaccord  possible 

i°  Le  concile  affirme  d'abord  l'impossibilité 
d'un  désaccord  entre  la  raison  et  la  foi. 

Déjà,  au  xme  siècle  sous  Jean  XXI  (1 276-1 277), et 
plus  tard,  au  commencement  du  xvie,  quelques  phi- 
losophes distinguaient  ce  qui  est  vrai  philosophi- 
quement et  ce  qui  est  vrai  théologiquement,  de 
telle  sorte  qu'ils  estimaient  pouvoir  soutenir  une 
chose  philosophiquement  vraie,  quoiqu'elle  fût  en 

1.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  §3. 


ACCORD  DE   LA.  RAISON   ET  DE   LA  FOI  3 4 1) 

r——  m 

contradiction  avec  la  vérité  révélée.  Le  cinquième 
concile  de  Latran  condamna  une  prétention  si  erro- 
née :  «  Comme  le  vrai,  dit-il,  ne  contredit  en  rien 
le  vrai,  nous  définissons  que  toute  assertion  con- 
traire à  une  vérité  attestée  par  une  foi  éclairée,  est 
absolument  fausse  (i).  » 

Au  xixe  siècle,  les  rationalistes  ont  exalté  outre 
mesure  le  pouvoir  de  la  raison  jusqu'à  rejeter  la 
révélation  et  la  foi  ;  les  fidéisles,  au  contraire,  ont 
exailé  la  foi  au  détriment  de  la  raison.  Les  uns  et 
les  autres  péchaient  par  excès.  Pie  IX  parlait  ainsi 
des  premiers  :  «  Par  un  renversement  fallacieux  de 
la  logique,  ils  ne  cessent  d'en  appeler  à  la  force  et 
à  l'excellence  de  la  raison  humaine,  l'exaltent  con- 
tre la  sainte  foi  du  Christ  et  débitent  audacieuse- 
ment  que  cette  foi  est  contraire  à  la  raison  humaine. 
On  ne  saurait  à  coup  sûr  rien  imaginer  ni  supposer 
de  plus  insensé,  de  plus  impie  et  de  plus  contraire 
à  la  raison  que  cette  assertion  ;  car,  quoique  la  foi 
soit  au-dessus  de  la  raison,  il  ne  peut  jamais  exister 
entre  elles  aucune  contradiction  (2).  »  Les  fidéistes 
de  leur  côté,  furent  également  rappelés  à  la  vérité  et 
à  l'orthodoxie.  Mais,  d'autre  part,  sous  l'influence 
de  quelques  professeurs  d'Allemagne,  on  en  était 
venu  à  soutenir  que  la  raison  peut  démontrer  les 
mystères  de  la  foi  et  les  expliquer  beaucoup  mieux 
que  l'Eglise. 

Or,  c'est  contre  les  rationalistes,  qui  rejettent  la 
certitude  de  la  révélation,  et  contre  les  fidéistes,  qui 
rejettent  la  certitude  de  la  raison,  et  aussi  contre  les 
semi-rationalistes,  qui  prétendent  qu'une  vérité  de 
raison  peut  se  trouver  en  opposition  avec  une  vérité 
révélée,  que  le  concile  du  Vatican  affirme  l'impos- 
sibilité d'un  désaccord  entre  la  foi  et  la  raison. 

1.  Denzingcr,  n.  C21.  —  2.  Denzinger,  n.  1/I9G. 


350  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

2°  Il  va  plus  loin  :  Il  démontre  l'impossibilié 
d'un  désaccord  quelconque  et  en  donne  deux  rai- 
sons. Déjà  Pie  IX  avait  dit  :  «  Il  ne  peutjamais  exis- 
ter entre  elles  (la  raison  et  la  foi)  aucune  contradic- 
tion, puisque  toutes  deux  viennent  d'une  seule  et 
même  source  de  l'immuable  et  éternelle  vérité,  de 
Dieu  très  bon  et  très  grand  (i).  »  Et  le  cinquième 
concile  de  Latran  avait  dit  que  «  le  vrai  ne  saurait 
contredire  en  rien  le  vrai.  »  Ces  deux  raisons,  le 
concile  du  Vatican  les  joint  ensemble.  La  foi,  vertu 
surnaturelle,  et  la  raison,  don  naturel,  viennent 
également  de  Dieu.  L'objet  de  la  foi  est  la  vérité 
révélée,  l'objet  de  la  raison  la  vérité  naturelle.  De 
vérité  à  vérité  pas  d'opposition  possible  ;  cela  répu- 
gne à  la  notion  même  de  vérité  ;  cela  répugne  aussi 
à  la  source  de  toute  vérité,  Dieu.  Dieu  se  contredi- 
rait, «  se  renierait  lui-même,  »  si  le  mensonge  pou- 
vait se  glisser  dans  ses  œuvres,  si  les  lumières  de  la 
foi  se  trouvaient  en  opposition  avec  les  lumières  de 
la  raison.  Il  n'y  a  point  de  relativité  dans  la  vérité  : 
la  vérité  est  absolument  ce  qu'elle  est  et  ne  peut  pas 
être  autre  cbose  ;  le  vrai  ne  peut  pas  s'opposer  au 
vrai.  Tel  est  l'enseignement  dogmatique. 

3°  Gela  est  vrai  en  droit  ;  est-ce  également  vrai 
en  fait  ?  Et  n'y  a  t-il  pas  de  véritables  oppositions 
ou  contradictions  entre  l'enseignement  révélé  et  les 
données  rationnelles  ?  Non,  répond  le  concile  ;  ce 
qu'il  y  a  parfois  ce  sont  des  apparences  de  contra- 
diction, purement  imaginaires,  qui  proviennent,  ou 
de  ce  que  les  dogmes  ne  sont  pas  compris  et  expo- 
sés conformément  à  la  pensée  de  l'Eglise  et  à  l'en- 
seignement traditionnel,  ou  de  ce  que  des  opinions 
fausses  sont  prises  pour  des  conclusions  certaines 
de  la  raison.  Le  cas  n'est  nullement  chimérique,  car 
i 

i.  Denzinger,  n.  1496. 


ACCORD  DE  LA  RAISON  ET  DE  LA  FOI  35 1 

trop  souvent  on  prête  à  la  doctrine  catholique  un 
enseignement  qui  n'est  pas  le  sien,  et  plus  souvent 
encore  on  se  hâte  de  prendre  pour  des  résultats 
définitivement  acquis  à  la  science  ce  qui  n'est 
qu'une  hypothèse  plus  ou  moins  séduisante,  plus 
ou  moins  vraisemblable  ;  de  là  de  regrettables  con- 
flits, mais  qui  n'ont  pas  de  raison  d'être.  Une  con- 
clusion certaine,  scientifiquement  vraie,  est  chose 
réelle,  mais  assez  rare  ;  seule,  la  témérité  de  l'esprit 
va  jusqu'à  regarder  comme  une  certitude  scientifi- 
que des  hypothèses  en  vogue  qui,  dépourvues  d'une 
autorité  suffisante,  ne  sauraient  entrer  en  ligne  de 
compte  avec  des  données  positives.  Opposer  ces 
hypothèses  aux  vérités  de  la  foi,  c'est  créer  des  con- 
tradictions apparentes  dont  la  science  ne  saurait 
être  rendue  responsable.  Et  du  moment  qu'elles 
heurtent  réellement  l'enseignement  révélé,  l'Eglise 
déclare  qu'elles  ne  peuvent  être  qu'une  opinion 
fausse.  En  a-t-elle  le  droit  ?  Et  son  intervention, 
en  pareil  cas,  ne  constitue- telle  pas  une  intrusion 
abusive  dans  un  domaine  qui  n'est  pas  le  sien  ? 
C'est  la  seconde  question  que  tranche  le  concile 
du  Vatican. 

2.  Droits  de  l'Eglise 
vis-à-vis  de  la  fausse  science 

Incontestablement,  comme  l'Eglise  du  reste  se 
plaît  à  le  reconnaître,  les  sciences  humaines  ont  le 
droit,  chacune  dans  sa  sphère,  de  s'appuyer  sur 
leurs  propres  principes  et  d'employer  des  méthodes 
appropriées.  C'est  le  droit  de  la  philosophie,  de 
l'histoire,  de  toutes  les  sciences  naturelles.  Tant 
qu'elles  restent  fidèles  à  leur  méthode,  tant  qu'elles 
ne  tentent  pas  d'incursion  dans  un  domaine  qui 
n'est  pas  le  leur,  le  danger  semble  problématique 


352  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qu'elles  en  puissent  venir  un  jour  ou  l'autre  à 
heurter  de  front  la  révélation.  Mais  il  est  des  ques- 
tions qui  intéressent  la  révélation  au  premier  chef 
ou  qui  ont  avec  elle  d'étroits  rapports;  ici,  la  ré- 
serve s'impose  à  elles  comme  un  devoir,  et  l'Eglise 
a  le  droit  de  contrôler  et  déjuger  leurs  affirmations. 
i°  C'est  un  droit  que  revendique  le  concile  du 
Vatican.  Il  est  des  philosophes  qui  prétendent  que 
l'Eglise  n'a  aucun  droit  dans  le  domaine  scientifi- 
que ;  il  est  des  rationalistes  qui  ne  lui  accordent 
aucune  autorité  doctrinale  ;  il  est  des  semi-rationa- 
listes de  l'école  de  Gunther  et  de  Frohschammer 
qui  prétendent  que,  si  les  philosophes  chrétiens 
sont  tenus  de  respecter  son  autorité,  la  philosophie 
du  moins  échappe  à  son  contrôle  et  que  par  suite 
l'Eglise  n'a  pas  le  droit  de  redresser  les  erreurs  de 
la  philosophie.  Pie  IX  a  condamné  ces  derniers  (i), 
et  le  Syllabus  a  inséré  parmi  les  propositions  con- 
damnées les  deux  suivantes  :  «  Gomme  autre 
chose  est  le  philosophe  et  autre  chose  la  philosophie, 
le  philosophe  a  le  droit  et  le  devoir  de  se  soumettre 
à  une  autorité  dont  il  s'est  démontré  à  lui-même  la 
légitimité  ;  mais  la  philosophie  ne  peut  ni  ne  doit 
se  soumettre  à  aucune  autorité.  »  «  L'Eglise  non 
seulement  ne  doit,  dans  aucun  cas,  sévir  contre  la 
philosophie,  mais  elle  doit  tolérer  les  erreurs  de  la 
philosophie  et  lui  laisser  le  soin  de  se  corriger  elle- 
même  (2).  ))  Or,  le  concile  du  Vatican  a  condamné 
à  son  tour  cette  double  erreur  et  a  défini  que  l'Eglise 
peut  proscrire  les  assertions  des  sciences  humaines, 
sans  distinction,  qui  seraient  contraires  à  la  doctrine 
révélée  ;  car  il  a  dit  «  anathème  à  qui  dirait  que  les 
enseignements  humains  doivent  être  donnés  avec 

1.  Denzinger,  n.  i528,  i535.  —  2.  Syllabus,  prop.  10,  11  ; 
Denzinger,  n.  1557,  i558. 


ACCORD    DE    LA    RAISON    ET    DE    LA    FOI  353 

une  telle  liberté,  que  leurs  assertions  pourraient 
être  maintenues  pour  vraies  et  ne  sauraient  être 
proscrites  par  l'Eglise,  alors  même  qu'elles  iraient 
contre  la  doctrine  révélée  (i).  »  Le  droit  de  l'Eglise 
de  proscrire  toute  opinion  scientifique  contraire  aux 
données  de  la  révélation  est  donc  désormais  une 
vérité  de  foi  catholique.  Et  ce  n'est  pas  seulement 
un  droit,  ajoute  le  concile,  c'est  encore  un  devoir. 

2°  Ce  droit  et  ce  devoir,  le  concile  les  fonde  sur 
l'autorité  divine  :  ils  font  partie  de  la  mission  que 
l'Eglise  a  reçue  de  Jésus-Christ  d'enseigner  et  de 
garder  le  dépôt  de  la  foi.  Pour  garder  intégralement 
le  dépôt  confié,  pour  le  transmettre  dans  sa  pureté, 
l'Eglise,  en  effet,  doit  signaler  et  proscrire  tout 
sophisme,  toute  erreur  qu'une  fausse  science  serait 
tenlée  de  mettre  en  opposition  avec  la  foi.  Gomme 
le  dit  l'apôtre  saint  Paul,«  il  faut  que  nul  ne  soit 
trompé  par  la  philosophie  et  une  vaine  sophisti- 
que (2).  »  Les  chrétiens  doivent  être  mis  en  garde 
contre  les  séductions  d'une  philosophie  trompeuse, 
toute  mondaine  et  non  conforme  à  la  doctrine  de 
Jésus-Christ  ;  car  c'est  là  un  danger  pour  la  foi, 
d'autant  plus  grand  de  nos  jours  que  la  philosophie 
est  plus  cultivée.  Il  est  des  points,  en  effet,  dont 
traite  la  philosophie  et  qui  font  en  même  temps  partie 
de  renseignement  révélé;  il  en  est  d'autres  qui  ont 
des  rapports  avec  la  doctrine  chrétienne,  et  sur  les- 
quels se  prononcent  les  philosophes  sans  se  préoccu- 
per si  les  solutions  qu'ils  proposent  s'accordent 
avec  la  révélation.  A  l'Eglise  de  veiller  sur  le  dépôt 
de  la  foi,  non  pour  repousser  systématiquement 
toute  donnée  philosophique,  puisqu'il  en  est  de 
parfaitement  légitimes  et  de  très  acceptables,  mais 
pour  empêcher  toute  immixtion  étrangère,  dange- 

1.  Const.  Dei  Filius.,  c.  iv,  can.  a.  —  2.  Col.,  11,  8. 

LE  CATECHISME.  —  T.  I.  33 


354  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

reusc  ou  erronée,  intéressant  directement  la  foi.  Et 
si  un  tel  cas  se  présente,  c'est  le  droit  et  le  devoir 
de  FEglise,  à  raison  de  sa  mission  divine,  de  signa- 
ler le  danger  et  de  condamner  l'erreur,  pour  main- 
tenir intact  et  inviolé  l'enseignement  divin.  C'est  un 
droit  qu'elle  a  toujours  revendiqué,  un  devoir 
qu'elle  n'a  cessé  de  remplir  depuis  son  origine, 
droit  et  devoir,  que  le  concile  du  Vatican  a  reven- 
diqués de  la  manière  la  plus  expresse. 

La  véritable  science  n'a  pas  à  s'offusquer  d'une 
pareille  intervention  de  l'Eglise  ;  c'est  la  fausse 
science  seule  qui  est  en  cause,  et  uniquement  dans  ce 
qui  touche  à  la  foi  ;  car  l'Eglise  n'a  pas  pour  mission 
de  faire  de  la  science  pour  de  la  science  ;  elle  ne 
s'occupe  de  la  science  que  dans  la  mesure  où  celle- 
ci  aborde  et  tranche  témérairement  des  questions, 
qui  intéressent  trop  intimement  la  révélation,  et 
dans  lesquelles  elle  n'a  ni  compétence  ni  garantie. 

3.  Il  arrive  parfois  que  des  opinions  contraires 
aux  conclusions  théologiques  se  manifestent  et  sont 
par  là  même  erronées  ou  téméraires.  Vis-à-vis 
d'elles,  l'Eglise  a  le  droit  et  le  devoir  de  se  prononcer 
comme  vis-à-vis  des  opinions  hérétiques,  et  pour 
les  mêmes  raisons.  Mais  il  n'est  pas  de  foi  catholique 
que  l'Eglise  possède  ce  droit  ;  ce  point  n'a  pas  été 
tranché  par  le  concile  ;  le  seul  point  défini,  c'est  le 
droit  de  l'Eglise  pour  les  cas  où  la  fausse  science, 
directement  opposée  à  l'enseignement  révélé,  est 
hérétique.  Mais  les  principes  invoqués  ont  toute 
leur  force  vis-à-vis  des  opinions  qui,  sans  être 
hérétiques,  sont  erronées  ou  téméraires,  parce  que, 
virtuellement,  elles  sont  contraires  à  la  révélation. 
Et  tout  porte  à  croire  que  si  le  concile  avait  pu 
achever  ses  travaux,  ce  point  particulier  eût  été 
défini  comme  l'autre.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'autorité 
de  l'Eglise  s'étend  à  tout  ce  qui  touche  directement 


ACCORD    DE    LA   RAISON    ET   DE   LA   FOI  355 

ou  indirectement  à  la  foi,  et  ce  n'est  pas  seulement 
une  autorité  disciplinaire,  c'est  aussi  une  autorité 
doctrinale  :  elle  peut  proscrire  toute  opinion  con- 
traire à  une  conclusion  théologique. 

3.  Devoirs  des  catholiques 

dans  les  questions  scientifiques 

qui  appartiennent  à  la  foi 

Pas  de  contradiction  possible  entre  la  foi  et  la 
raison,  entre  la  révélation  et  la  science.  Toute  asser- 
tion contraire  aux  données  révélées  est  fausse  : 
l'Eglise  a  le  droit  et  le  devoir  de  les  proscrire, 
même  quand  elles  se  présentent  sous  le  couvert  de  la 
science.  De  là  découlent  des  conséquences  pratiques, 
lorsqu'on  se  croit  en  présence  d'une  opposition; 
elles  sont  indiquées  par  le  concile  du  Vatican. 

i°  Quelle  conduite  tenir  ?  Il  faut  d'abord  penser 
que  la  contradiction  signalée  n'est  qu'apparente. 
S'il  ne  s'agit  pas  d'une  vérité  nécessaire  de  nécessité 
de  moyen,  la  plupart  des  chrétiens  peuvent  s.'en 
tenir  à  un  simple  acte  de  foi  sans  chercher  d'où 
peut  venir  cette  contradiction  apparente.  L'obliga- 
tion de  rechercher  à  quoi  tient  cette  apparence  de 
contradiction  incombe  à  ceux  qui  ont  mission  d'en- 
seigner les  autres.  Se  garder  alors  de  dire  en  chaire 
ou  d'écrire  qu'on  croit  voir  une  opposition  entre 
les  données  de  la  science  et  de  la  foi  ;  car  ce  serait 
pratiquement  mettre  les  chrétiens  en  demeure,  ou 
de  rejeter  la  foi,  ou  d'abandonner  une  hypothèse 
libre,  ou  même  peut-être  une  donnée  scientifique 
vraie  ;  ce  serait  une  faute  de  justice  et  de  charité 
contre  les  fidèles  faibles  ou  déjà  incrédules,  qui 
seraient  ainsi  exposés  à  de  graves  tentations  ou 
confirmés  dans  leur  incrédulité  ;  ce  serait  aussi  une 
faute  vis-à-vis  des  fidèles  croyants,  qu'on  obligerait 


356  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

d'abandonner  des  sentiments  que  Dieu  et  l'Eglise 
leur  laissent  la  liberté  de  garder;  ce  serait  enfin  une 
faute  d'ordre  social,  soit  contre  l'Eglise  et  la  religion 
chrétienne,  qu'on  ferait  passer  devant  l'opinion 
publique  pour  hostiles  à  la  science,  soit  contre  l'es- 
prit humain  dont  on  entraverait  le  progrès  légitime. 
Ces  réflexions  de  M.  Vacant  (i)  sont  fort  justes. 

2°  Quelles  sont  les  causes  de  ces  apparentes  opposi- 
tions ?  Le  concile  en  signale  surtout  deux  :  une 
altération  des  données  de  la  foi  ou  une  altération 
des  données  de  la  science. 

L'altération  des  données  de  la  foi  peut  être  le  fait 
de  ceux  qui  les  comprennent  ou  les  exposent  mal, 
c'est-à-dire  qui  ne  les  comprennent  ni  ne  les  expo- 
sent suivant  la  pensée  de  l'Eglise.  Gela  peut  avoir 
lieu  de  bonne  foi  et  avec  une  ignorance  invincible, 
mais  cela  peut  aussi  être  imputable  soit  à  l'igno- 
rance et  aux  exagérations  de  ceux  qui  exposent  la 
doctrine  chrétienne  et  à  qui  on  est  en  droit  de  se 
fier,  soit  à  l'ignorance  et  à  la  mauvaise  foi  des 
ennemis  de  la  religion,  qui  ne  prennent  pas  la  peine 
de  l'étudier  ou  qui  l'altèrent  de  parti  pris.  Le  public, 
évidemment,  sera  excusable  s'il  est  trompé  par 
l'enseignement  de  ses  pasteurs  ;  mais  il  sera  facile- 
ment coupable  s'il  prête  une  oreille  complaisante 
aux  adversaires  de  la  foi  (2). 

L'altération  des  données  de  la  science  provient 
d'ordinaire  de  ce  que  l'on  regarde  comme  une 
vérité  acquise  ce  qui  n'est  qu'une  opinion  fausse  ou 
hasardée.  C'est  le  fait  d'ennemis  résolus  de  la  reli- 
gion ou  de  demi-savants,  d'ignorants  présomp- 
tueux ou  même  de  vrais  savants,  qui  se  laissent 
séduire  par  de  faux  systèmes. 

3°  Devoirs  pour  l'apologiste.  L'apologiste  doit  évi- 

1.  Const.  Dci  Fillus,  t.  11,  p.  25o.  —  a.  V.  Ibid.,  t.  11,  p.  a5i. 


ACCORD    DE    LA   RAISON    ET    DE    LA   FOI  3ùJ 

ter  deux  exagérations  contraires.  Il  doit  d'abord 
présenter  les  dogmes  de  la  foi  sans  les  augmenter 
ni  les  diminuer,  donner  comme  certain  et  obliga- 
toire ce  qui  est  certain  et  obligatoire,  et  ne  point 
imposer  les  opinions  librement  discutées.  En  ajou- 
tant aux  obligations,  il  forgerait  des  armes  qui 
pourraient  se  retourner  contre  la  religion;  en 
amoindrissant  l'enseignement,  il  livrerait  la  doc- 
trine, fortifierait  la  fausse  science  et  discréditerait 
ceux  qui  soutiennent  les  vrais  enseignements  de 
l'Eglise.  Il  doit  ensuite  exposer  les  données  scienti- 
fiques sans  en  exagérer  la  valeur  ou  l'importance, 
alors  même  qu'il  les  estimerait  favorables  à  la  doc- 
trine catholique  ;  il  ne  doit  pas  s'appuyer  sur  une 
fausse  science  pour  prouver  les  vérités  de  la  foi  ou 
pour  interpréter  l'Ecriture  et  la  tradition,  car  ce  se- 
rait altérer  les  principes  de  la  religion;  il  ne  doit 
pas  amoindrir  la  science  et  par  suite  ne  pas  mé- 
priser les  véritables  découvertes  scientifiques,  ne 
pas  rendre  responsable  surtout  la  vraie  science  des 
conclusions  prématurées  et  parfois  insensées  qu'on 
lui  prête  (i). 

4°  Devoirs  pour  ceux  qui  étudient  les  questions 
scientifiques  qui  touchent  à  la  révélation.  Dans  ces  ques- 
tions qui  touchent  de  près  à  la  révélation,  il  y  a, 
pour  ceux  qui  s'en  occupent,  un  double  devoir  :  un 
devoir  négatif,  qui  est  de  ne  pas  soutenir  des  opi- 
pinions  contraires  à  la  foi  ;  un  devoir  positif,  qui 
est  de  regarder  ces  opinions  comme  fausses. 

Le  devoir  négatif  s'applique  à  toutes  les  asser- 
tions contraires  à  la  doctrine  révélée,  dit  le  canons;: 
aux  fausses  opinions,  qu'on  sait  être  contraires  à  la 
foi  divine,  dit  le  chapitre  IV  de  la  constitution 
Dei  Filius  ;  et  cela  même  de  la  part  de  ceux  qui  les 

x.  Ibid.,  p.  a5a. 


358  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

croiraient  scientifiquement  fondées.  Le  devoir  posi- 
tif, c'est  de  les  tenir  pour  des  erreurs  qui  se  cou- 
vrent vainement  des  apparences  de  la  vérité.  Il  ne 
suffit  pas  de  s'abstenir  de  les  défendre  extérieure- 
ment et  de  garder  le  silence,  il  faut  les  rejeter  inté- 
rieurement. Faut-il  de  plus  les  rejeter  et  les  com- 
battre extérieurement  ?  Le  concile  ne  le  dit  pas  ;  ce 
serait  pourtant  un  devoir  si  le  silence  était  suscepti- 
ble de  passer  pour  une  approbation. 

IV.  La  Foi  et  la  raison  se  prêtent 
une  aide  mutuelle 

Le  concile  du  Vatican  complète  heureusement 
son  enseignement  sur  les  relations  de  la  foi  et  de  la 
raison,  en  montrant  les  services  mutuels  qu'elles 
se  rendent  et  l'attitude  que  prend  l'Eglise  vis-à-vis 
de  la  science.  Rien  de  plus  instructif  et  de  plus 
opportun  qu'une  telle  doctrine,  en  face  des  imputa- 
tions calomnieuses  qu'on  ne  cesse  d'adresser  à. 
l'Eglise  et  des  erreurs  qu'on  s'obstine  à  répandre 
ucontre  l'enseignement  catholique. 

«  Non  seulement,  dit  le  concile,  la  foi  et  la  rai- 
son ne  sauraient  être  en  désaccord  l'une  avec  l'au- 
tre, mais  elles  se  prêtent  encore  un  secours  mutuel. 
Car  la  droite  raison  démontre  les  fondements  de  la 
foi,  et,  éclairée  de  sa  lumière,  elle  cultive  la  science 
des  choses  divines  ;  tandis  que  la  foi  délivre  et 
préserve  la  raison  des  erreurs  et  l'instruit  de  con- 
naissances multiples  (i).  » 

Disons  d'abord  un  mot  des  services  que  la  raison 
Tend  à  la  foi  et  de  ceux  que  la  foi  rend  à  la  raison. 

x.  Const.  Dei  Filins,  c.  iv,  S  4. 


AIDE    MUTUETLE    DE   LA    FOI    ET    DE    LA    RAISON     35q 

1.  Services  que  la  raison  rend  à  la  foi.  — 
i°  Ce  n'est  pas  sans  un  motif-  légitime  que  le 
concile  du  Vatican  a  jugé  nécessaire  de  proclamer 
la  valeur  et  les  droits  de  la  raison.  D'une  part,  en 
effet,  parmi  les  incrédules  et  les  protestants,  on  im- 
putait à  l'enseignement  catholique  la  prétention  de 
se  substituer  à  la  raison  et  de  se  passer  complète- 
ment d'elle,  en  imposant  la  foi  au  nom  de  l'auto- 
rité. L'imputation  est  calomnieuse.  D'autre  part,  les 
traditionalistes  de  l'école  de  Lamennais  et  les  fidéis- 
tes  de  l'école  de  Bautain  réduisaient  tellement  le  rôle 
de  la  raison  qu'ils  fournirent  des  arguments  aux  enne- 
mis de  l'Eglise  ;  mais  leurs  opinions  furent  prises 
à  tort  comme  l'expression  de  l'enseignement  catho- 
lique. Traditionalistes  et  fidéistes  accordaient  aux 
incrédules  que  la  raison  ne  fournit  aucune  preuve 
certaine,  soit  des  vérités  de  la  religion  naturelle, 
soit  du  fait  de  la  révélation  ;  ils  accordaient  aux 
protestants  qu'à  la  suite  du  péché  originel,  la  nature 
humaine  est  corrompue  dans  son  fond  et  qu'elle  a 
nécessairement  besoin  du  secours  de  la  grâce  pour 
les  actes  naturels  ;  double  concession,  qui  n'était 
pas  seulement  dangereuse,  mais  qui  constituait  une 
double  erreur.  C'est  pourquoi  le  concile  a  proclamé 
la  valeur  et  les  droits  de  la  raison. 

2°  La  raison,  en  effet,  rend  d'importants  services 
à  la  foi,  soit  avant  l'acte  de  foi,  en  le  préparant,  soit 
après  l'acte  de  foi  par  la  culture  des  sciences  sacrées. 
Le  premier  service  rendu,  c'est  la  démonstration  des 
fondements  de  la  foi,  comme  nous  l'avons  déjà  indi- 
qué dans  une  leçon  précédente  ;  démonstration  pro- 
prement dite,  partant  de  principes  vrais  et  abou- 
tissant à  une  conclusion  certaine;  démonstration 
faite  par  la  raison  seule,  par  ses  propres  lumières. 
Et  ceci  condamne  le  fidéisme  et  le  traditionalisme. 
Parmi  ces  fondements  de  la  foi,  il  y  a,  nous  l'avons 


360  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

vu,  les  vérités  de  la  religion  naturelle,  notamment 
celles  qui  se  rapportent  à  l'existence  de  Dieu  et  à  ses 
attributs;  il  y  a  aussi  le  fait  de  la  révélation  :  véri- 
tés et  fait  que  la  raison  suffit  à  démontrer  ;  nous 
n'y  reviendrons  pas.  Le  concile  avait  d'abord  ensei- 
gné que  l'existence  de  la  révélation  se  démontre 
avec  certitude;  il  déclare  ici  que  cette  démonstra- 
tion certaine  est  l'œuvre  de  la  raison  ;  il  ne  fait  que 
confirmer  l'enseignement  déj à  formulé  contre  les  fi- 
déistes  et  les  traditionalistes  par  Grégoire  XYI  et  par 
Pie  IX.  Tel  est  le  premier  service  rendu  par  la  rai- 
son à  la  foi. 

3°  Voici  le  second  :  la  raison  étudie  les  vérités 
révélées  et  en  fait  l'objet  d'une  science.  Cette  étude  de 
la  vérité  révélée,  la  raison,  il  est  vrai,  ne  peut 
l'entreprendre,  comme  le  note  le  concile,  que  si  elle 
est  éclairée  par  la  lumière  de  la  foi.  Après  que  ces 
vérités  révélées  lui  sont  connues,  la  raison  fait  sur 
elles  un  travail  semblable  à  celui,  dont  nous  avons 
parlé  plus  baut,  touchant  les  mystères  ;  elle  appli- 
que la  méthode  scientifique  aux  dogmes  de  la  foi. 
Le  concile  ne  signale  aucun  des  avantages  que  cette 
étude  procure  à  la  raison  elle-même,  il  ne  parle  que 
de  ceux  que  la  foi  en  retire  :  d'abord  celui  de  mettre 
plus  complètement  les  vérités  de  la  foi  à  la  portée 
de  notre  intelligence,  ensuite  celui  de  préparer  les 
définitions  dogmatiques,  qui  éclaircissent,  distin- 
guent et  précisent  les  données  de  la  révélation.  Nous 
avons  déjà  parlé  de  ces  divers  services  que  la 
raison  rend  à  la  foi  dans  les  leçons  précédentes  ; 
nous  ne  faisons  donc  que  les  signaler  ici. 

4°  Troisième  service  :  la  raison  défend  la  foi.  Elle 
répond  aux  difficultés  que  suscite  l'erreur  pour 
obscurcir  la  clarté  ou  infirmer  la  valeur  des  vérités 
révélées  ;  elle  s'arme  pour  la  lutte  et  lutte  vigoureu- 
S3ment.   «  La  raison  ennemie  de  la  foi  s'attaque  à 


AIDE    MUTUELLE    DE    LA    FOI    ET    DE    LA   RAISON     36 I 

ses  établissements  ;  la  raison  amie  de  la  foi  les  sou- 
tient et  les  fortifie  par  de  continuels  travaux.  La 
raison  ennemie  de  la  foi  cherche  à  convaincre  les 
dogmes  d'absurdité  ;  la  raison  amie  de  la  foi 
démontre  qu'aucun  principe  emprunté  à  Tordre 
physique,  moral  ou  métaphysique,  ne  peut  entamer 
la  forte  structure  des  propositions  révélées.  La 
raison  ennemie  de  la  foi  voudrait  se  donner  le 
plaisir  d'immoler  au  moins  quelque  vérité  particu- 
lière ;  la  raison  amie  de  la  foi  démontre  que  cette 
vérité  est  tellement  soudée  à  toutes  les  autres,  que, 
la  détruire,  c'est  compromettre  la  solidité  de  l'en- 
semble. Ainsi,  de  tous  côtés,  la  raison  est  la  gar- 
dienne, l'homme  d'armes,  le  chevalier  défenseur  de 
la  foi  (i).  » 

Démonstration  des  motifs  de  crédibilité,  étude 
scientifique  de  la  vérité  révélée  ou  théologie,  défense 
éclairée  du  dogme  et  de  la  religion  ou  apologétique, 
tels  sont  les  services  rendus  à  la  foi  par  la  raison, 
tel  est  le  rôle  de  l'intelligence  humaine  auprès  de 
la  foi. 

2.  Services  que  la  foi  rend  à  la  raison.  — 
Les  services  que  la  foi  rend  à  la  raison  sont  beau- 
coup plus  grands  que  ceux  que  la  raison  rend  à  la 
foi.  La  foi  rend  à  la  raison  d'inappréciables  services 
même  dans  l'ordre  naturel  ;  quant  à  ceux  de  l'ordre 
surnaturel,  ils  dépassent  tout  ce  que  l'on  peut  con- 
cevoir. 

i°Pie  IX,  dans  son  encyclique  du  9  novembre  i846, 
envisageant  les  services  que  la  foi  rend  à  la  raison 
dans  les  matières  qui  leurs  sont  communes,  c'est-à- 
dire  par   rapport   aux     vérités   de   la  religion  na- 

1.  Monsabré,  Introduction  au  dogme  catholiaue,  Paris.  1SG6, 
t.  1,  p.  70. 


3Ô2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

turelle,    dit  que  «  la  foi  délivre  la  raison  de  toutes 
les  erreurs,  qu'elle  l'éclairé,  la  confirme  et  la  per- 
fectionne merveilleusement  par  la  connaissance  des 
choses  divines  (i).  »  Double  secours  :  un   secours 
négatif,  qui  est  de  la  préserver  de  toutes  les  erreurs  ; 
un  secours  positif,  qui  est  de  l'éclairer,  de  la  con- 
firmer et  de  la  perfectionner.  Cette  préservation  de 
l'erreur  n'a  lieu  que  dans  les  matières  formellement 
enseignées  par  la  foi,  car,  dans  les  autres  questions, 
la  raison  peut  errer,  la  foi  ne  l'en  empêche  point. 
La  raison  donc,  ainsi  secourue  par  la  foi,  connaît, 
sans  crainte  d'erreur,  tout  ce  qui  touche  à  la  reli- 
gion naturelle  ;  elle  le  connaît  d'emblée,   ce  qui  est 
un  avantage  unique.  Réduite  à  ses  seules  forces  elle 
arrive  à  le   connaître,   mais  au  prix   de    combien 
d'efforts  et  avec  quelles  craintes  d'erreur  !  L'histoire 
de  la  philosophie  est  là  pour  montrer  ses  défaillances 
et  ses  aberrations  ;   l'expérience  quotidienne  est  là 
pour  montrer  combien  petit  est  le  nombre  de  ceux 
qui  ont  le  temps,  le  loisir,  l'intelligence  et  la  volonté 
pour  mener  à  bien  une  telle  étude.  C'est  une  des 
raisons  que  saint  Thomas  fait  valoir  de  la  manière 
la  plus  heureuse  pour  démontrer  la  nécessité  relative 
de  la  révélation,   même  pour  la  connaissance  com- 
plète et  sûre  des  vérités  de  la  religion  naturelle.  Avec 
l'aide  de  la  foi,   rien  de  plus  facile,   rien   de  plus 
rapide,  rien  de  plus  certain  ;  la  raison  sait  ce  qu'elle 
doit  savoir,  sans  crainte  d'erreur.  Eclairée,  elle  est 
confirmée  et  perfectionnée  par  la  connaissance  des 
choses  divines,  «  C'est  donc  salutairement,  dit  saint 
Thomas,    que    la  divine  clémence  a   pourvu   aux 
besoins  de  Fhumanité,  en  nous  ordonnant  de  tenir 
par  la  foi  ce  que  la  raison  peut  connaître  naturelle- 
ment, afin  que  tous  pussent  participer  facilement  à 

i.  Denzinger,  n.  1496. 


AIDE   MUTUELLE    DE    LA    FOI   ET   DE    LA   RAISON     363 

la  connaissance  des  choses  divines,  et  cela  sans 
doute  ni  erreur  (i).  » 

2°  Ce  double  secours  négatif  et  positif  est  proclamé 
par  le  concile  du  Vatican.  Mais,  au  lieu  de  dira 
comme  Pie  IX  que  la  foi  délivre  de  toutes  les  erreurs, 
il  dit  simplement  qu'elle  la  préserve  des  erreurs  ; 
et  au  lieu  de  dire  qu'elle  perfectionne  la  raison  par 
la  connaissance  des  choses  divines,  il  dit  qu'elle  l'ins- 
truit de  connaissances  multiples,  sans  restreindre  cette 
connaissance  aux  seules  choses  divines.  Or,  parmi 
les  erreurs  dont  la  foi  préserve  la  raison,  il  faut 
signaler,  dans  la  science  du  monde  matériel,  celles 
qui  ont  trait  à  la  création  ;  dans  la  science  du 
monde  humain,  celles  qui  ont  trait  à  la  spiritualité 
et  à  la  liberté  de  l'homme  ;  et  dans  la  science  du 
monde  métahysique,  celles  qui  ont  trait  à  Fexistence 
et  aux  attributs  de  Dieu. 

D'autre  part,  la  foi  enrichit  la  raison  de  connais- 
sances multiples,  tout  d'abord  dans  le  domaine  des 
vérités  mixtes,  qui  sont  communes  à  la  religion  et 
à  la  science.  Et,  bien  que  la  foi  n'ait  pas  pour  objet 
les  sciences  profanes,  en  dehors  de  ces  vérités  mix- 
tes, il  en  est  d'autres  encore  dont  elle  enrichit  la 
raison  indirectement.  Elle  l'aide  en  confirmant  les 
principes  dont  la  science  a  besoin  pour  ses  déduc- 
tions, notamment  dans  les  questions  morales,  socia- 
les et  métaphysiques  ;  elle  l'aide  en  l'empêchant  de 
tomber  dans  Terreur  et  en  l'engageant  ainsi  dans  le 
chemin  de  la  vérité  ;  c'est  dire  qu'elle  la  met  à  même 
de  multiplier  ses  propres  connaissances  et  de  s'enri- 
chir de  découvertes  nouvelles. 

Ainsi  donc  si  la  foi  est  redevable  à  la  raison  des 
secours  qu'elle  en  reçoit,  la  raison  n'est  pas  moins 
redevable  à  la  foi  des  avantages  qu'elle  lui  procure  ; 

i.  Contr.  Gent.,  I,  iv,  3. 


364  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

entre  elles  pas  d'antinomie,  point  de  désaccord, 
mais  l'entenle  la  plus  fructueuse  et  un  concours  des 
plus  précieux,  des  plus  utiles,  des  plus  nécessaires. 

3.  Attitude  de  l'Eglise  en  face  des  sciences. 
« —  Le  concile  du  Vatican  complète  son  enseigne- 
ment sur  les  relations  entre  la  foi  et  la  raison,  la 
révélation  et  la  science,  par  une  déclaration  des 
plus  importantes  sur  l'attitude  de  l'Eglise  en  face 
des  sciences.  On  a  si  souvent  méconnu  et  travesti 
cette  attitude,  on  la  méconnait  encore  et  on  la  tra- 
vestit d'une  manière  si  odieuse  qu'il  importe, 
puisque  l'occasion  toute  naturelle  s'en  offre,  de 
faire  connaître  celle  que  l'Eglise  a  toujours 
tenue  et  entend  tenir  :  rien  de  plus  net  que  la 
doctrine  du  concile  sur  ce  point  délicat. 

«  Bien  loin,  dit-il,  de  mettre  obstacle  à  la  culture 
des  arts  et  des  sciences  humaines,  l'Eglise  la  favorise 
et  la  fait  progresser  de  plusieurs  manières.  Car  elle 
n'ignore  ni  ne  méprise  les  avantages  qui  en  résul- 
tent pour  la  vie  d'ici-bas.  Bien  plus  elle  reconnaît 
que,  venant  de  Dieu,  le  maître  des  sciences,  ces 
sciences  et  ces  arts  conduisent  de  même  à  Dieu, 
avec  l'aide  de  sa  grâce,  si  on  les  cultive  comme  il 
convient.  L'Eglise  ne  défend  pas  assurément  que 
chacune  de  ces  sciences  se  serve,  dans  sa  sphère, 
de  ses  propres  principes  et  de  sa  propre  méthode  ; 
mais,  en  reconnaissant  cette  légitime  liberté,  elle 
veille  attentivement  à  ce  qu'elles  n'adoptent  point 
d'erreurs,  qui  les  mettent  en  opposition  avec  la 
doctrine  divine,  et  à  ce  qu'elles  n'envahissent  ni  ne 
troublent  ce  qui  est  du  domaine  de  la  foi,  après 
être  sorties  des  limites  de  leur  propre  empire  (i),  » 

Ces    quelques     lignes    justifient    pleinement   la 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  iv,  S  4. 


ATTITUDE    DE    L'EGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    365 

conduite  de  l'Eglise  vis-à-vis  des  arts  et  de  la 
science  ;  c'est  une  conduite  imposée  par  son  rôle  di- 
vin auprès  des  âmes.  Elle  ne  met  point  d'obstacle  à 
l'épanouissement  des  arts  et  des  sciences,  elle 
apporte  au  contraire  à  leur  légitime  exercice  un 
concours  sympathique  et  efficace.  Elle  ne  professe 
pas  le  moindre  mépris  à  leur  endroit,  elle  estime 
au  contraire  leur  utilité  pratique,  tant  au  point  de 
vue  temporel  qu'au  point  de  vue  spirituel.  Toute- 
fois, en  reconnaissant  leur  légitimité  et  le  droit  qu'ils 
ont  de  se  servir  de  leurs  principes  et  de  leurs 
méthodes  propres,  elle  revendique  le  droit  néces- 
saire, en  ce  qui  touche  au  domaine  de  la  foi,  qui 
est  le  sien,  de  sauvegarder  le  dépôt  de  la  vérité  qui 
lui  a  été  confié,  de  signaler  et  de  condamner  toute 
erreur  contraire  à  l'enseignement  divin,  d'empê- 
cher toute  tentative  étrangère  à  leur  objet,  toute 
intrusion  illégitime  dans  le  domaine  religieux.  Ces 
divers  points  de  vue  demanderaient  d'amples  dé- 
veloppements :  nous  ne  pouvons  que  les  indiquer 
d'un  mot  rapide  et  bref. 

1°  Point  d'obstacle  mais  concours  sympathi- 
que et  efficace.  —  L'Eglise,  comme  en  témoigne 
l'histoire,  loin  de  mettre  un  obstacle  quelconque  à  la 
culture  des  arts  et  des  sciences,  la  favorise  de  la  façon 
la  plus  efficace.  Par  la  foi  qu'elle  fait  régner,  elle  ne 
cesse  de  pénétrer  l'opinion,  les  mœurs  et  les  institu- 
tions des  principes  salutaires  et  féconds  de  la  révéla- 
lion,  elle  sert  ainsi  d'auxiliaire  à  la  science,  en  la 
préservant  d'erreurs  funestes,  en  lui  assurant  un 
milieu  favorable.  Les  individus,  la  société,  les  géné- 
rations qui  se  succèdent  bénéficient  de  cette  action 
salutaire  de  l'Eglise.  En  l'affirmant,  le  concile  du 
Vatican  ne  fait  que  constater  un  fait  historique  indé- 
niable.   Léon    XIII,   dans  son  Encyclique  Liber  tas 


366  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

du  20  juin  1888,  a  lumineusement  exposé  ce  fait 
d'histoire  et  démontré  l'heureuse  influence  de 
l'Eglise  dans  toutes  les  branches  du  savoir. 

L'Eglise  ne  se  contente  pas  de  favoriser  les  arts 
et  les  sciences,  elle  leur  apporte  son  concours  efficace, 
elle  contribue  directement  à  leur  progrès.  Léon  XIII 
en  donne  trois  preuves  :  «  En  fait,  dit-il,  on  doit  à 
l'Eglise  ces  bienfaits  assurément  considérables, 
qu'elle  a  glorieusement  conservé  les  monuments  de 
la  sagesse  antique  ;  qu'elle  a  ouvert  en  divers  lieux 
des  résidences  à  la  science  ;  qu'elle  a  toujours 
excité  la  marche  des  intelligences,  en  entretenant 
avec  le  plus  grand  zèle  les  arts  qui  donnent  le  plus 
de  relief  à  la  civilisation  moderne.  »  Voilà  trois 
grands  services  :  l'Eglise  a  conservé  les  monuments 
du  passé  ;  l'Eglise  a  fondé  des  institutions  destinées 
à  l'étude  ;  l'Eglise  a  été  l'inspiratrice  zélée  des 
arts.  On  peut  en  ajouter  une  quatrième  ;  l'Eglise  a 
produit  une  pléiade  de  savants  et  d'érudits.  Chacun 
de  ces  points  demanderait  des  volumes  pour  être 
illustré  comme  il  convient. 

Ce  rôle  si  important  s'explique  aisément  par 
deux  raisons,  c'est  que  l'Eglise  regarde  les  sciences 
comme  bonnes,  louables  et  désirables  en  soi,  comme 
très  utiles  et  fort  avantageuses,  soit  pour  réaliser  sa 
mission  divine  auprès  des  hommes,  soit  pour 
défendre  et  développer  son  propre  enseignement. 
Même  vis-à-vis  des  sciences  qui  n'ont  pas  de  rapport 
immédiat  avec  la  révélation,  l'Eglise  désire  qu'on 
les  cultive  et  les  fait  cultiver,  parce  que  toute 
science,  née  de  la  droite  raison  et  conforme  à  la* 
vérité,  peut  concourir  à  la  glorification  de  la  vérité 
révélée,  comme  s'exprime  Léon  XIII.  Elle  s'intéresse 
surtout  à  celles  qui  ont  des  points  de  contact  avec 
l'enseignement  chrétien,  comme  les  sciences  philo- 
sophiques, morales,  historiques,  philologiques,  etc. 


ATTITUDE    DE    L'EGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    867 

Elle  en  impose  l'étude  à  ses  prêtres  pour  les  armer 
contre  les  objections  de  la  sophistique. 

2°  Point  de  mépris,  mais  estime  de  leur  utilité. 
—  C'est  l'objection  sans  cesse  mise  en  avant  contre 
l'Eglise  :  on  l'accuse  d'enseigner  et  de  professer  le 
mépris  des  choses  de  ce  monde,  de  se  désintéresser 
du  mouvement  scientifique  qui  s'accuse  avec  tant 
de  vigueur  et  compte  tant  de  succès.  Elle  a  tort, 
assure-t-on,  de  prêcher  le  renoncement,  de  regarder 
la  terre  comme  un  lieu  d'exil  et  de  passage,  de 
placer  au  delà  de  la  tombe  le  seul  bonheur  qui 
puisse  satisfaire  le  cœur  de  l'homme,  de  ne  point 
marcher  avec  le  siècle.  C'est  le  reproche  bien  connu 
de  l'obscurantisme.  L'Eglise,  ennemie  du  progrès  ! 
Tel  est  le  dernier  mot  des  ennemis  du  Catholicisme. 
Nous  venons  de  voir  ce  qu'il  faut  en  penser.  Mais 
il  convient  d'y  répondre  avec  le  concile  du  Vatican. 

Que  déclare  donc  le  concile  ?  Deux  choses  :  la 
première,  c'est  que  l'Eglise  ne  méprise  nullement 
les  avantages  temporels  qui  résultent  de  la  culture 
des  arts  et  des  sciences  pour  la  vie  terrestre  ;  la 
seconde,  c'est  qu'elle  estime  que  les  arts  et  les 
sciences,  venant  de  Dieu,  peuvent  conduire  à  Dieu. 

Il  n'y  a  guère  que  la  mauvaise  foi  et  le  parti  pris 
pour  soutenir  que  le  renoncement  chrétien  soit  un 
mépris  et  un  désintéressement  absolu  de  ce  qui  se 
passe  ici-bas.  La  vie  chrétienne  n'anéantit  pas  la  vie 
naturelle  ;  elle  la  suppose,  au  contraire,  elle  s'y 
appuie,  non  pour  s'y  renfermer,  mais  pour  la 
dépasser,  car  elle  y  ajoute  la  pratique  des  comman- 
dements divins  et  souvent  celle  des  conseils  évangé- 
liques.  Loin  donc  de  paralyser  l'activité  naturelle, 
elle  la  stimule  de  la  façon  la  plus  heureuse  ;  et  Ton 
a  pu  dire  avec  raison  qu'il  n'y  a  de  véritablement 
homme  que  le  chrétien,  de  véritablement  chrétien 


368  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

— — i  i— — — -^— — — —  — —  — — » — — — i^^m —m 

que  le  catholique,  tant  la  foi  pousse  à  son  dévelop- 
pement parfait  tout  ce  qui  constitue  la  nature 
humaine. 

De  plus  si  les  sciences  viennent  de  Dieu,  comme 
tous  les  dons  naturels,  puisque  c'est  de  Dieu  que 
l'homme  tient  son  intelligence,  sa  lumière  et  sa 
force,  elles  conduisent  aussi  à  Dieu.  Dieu,  le  maître 
des  sciences,  est  leur  source  première  et  leur  fin 
dernière.  Il  se  peut  que  les  sciences  méconnaissent 
leur  origine  et  leur  destinée  ;  il  se  peut  aussi  qu'elles 
s'en  souviennent.  En  tout  cas,  elles  sont  à  même 
de  conduire  à  Dieu  celui  qui  les  cultive.  Et  elles  y 
conduisent  effectivement,  comme  dit  le  concile  du 
Vatican,  si  elles  sont  cultivées  comme  il  convient, 
c'est-à-dire  sans  préjugés  antireligieux,  sans  parti 
pris,  loyalement,  logiquement,  et  non  avec  le  dédain 
de  l'indifférence  religieuse,  avec  l'obstination  du 
rationalisme  à  courte  vue,  avec  le  fanatisme  de 
l'hérésie  ou  de  l'impiété.  Elles  y  conduisent  avec  le 
secours  de  la  grâce,  comme  l'enseigne  le  concile. 
Et  c'est  par  là  que  leur  utilité  temporelle  se. double 
d'un  avantage  spirituel,  ce  qui  justifie  amplement 
l'estime  qu'en  professe  l'Eglise  catholique. 

3°  Point  d'hostilités,  mais  surveillance  néces- 
saire. —  Par  l'estime  qu'elle  professe  pour  l'utilité 
des  sciences,  comme  aussi  par  le  concours  sympathi- 
que et  efficace  qu'elle  leur  porte,  l'Eglise  montre 
bien  qu'elle  n'est  pas  l'ennemie  qu'on  imagine  dans 
certains  milieux,  toujours  prête  à  fulminer  l'ana- 
Ihème.  Rationalistes  et  semi-rationalistes  ont  raison 
de  réclamer  pour  la  science  le  droit  d'agir  en  toute 
liberté  dans  son  domaine,  avec  des  principes  et  des 
méthodes  propres  ;  c'est,  du  reste,  un  droit  légitime 
que  l'Eglise  se  plaît  à  reconnaître  et  à  procla- 
mer  la   première  ;  mais    ils  ont  tort,    après   avoir 


ATTITUDE    DE    l'ÉGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES     369 

réclamé  leur  indépendance  ou  leur  autonomie,  de 
se  refuser  à  admettre  toute  vérité  qu'ils  ne  se  seraient 
pas  démontrée  ou  qui  leur  serait  imposée  du  dehors, 
parce  qu'ils  n'ont  pas  le  monopole  de  la  vérité.  Et 
Dieu  a  bien  quelque  droit  à  l'audience  de  l'homme. 
Ils  ont  tort  également,  en  franchissant  leur  sphère 
propre,  de  tenter  quelque  excursion  dans  le  domaine 
de  la  foi,  dont  les  principes  et  la  méthode  diffèrent 
des  principes  et  de  la  méthode  des  sciences  natu- 
relles. Ils  ont  tort  surtout,  dans  les  questions  mixtes 
qui  appartiennent  à  la  fois  au  domaine  naturel  et  à 
la  révélation,  d'adopter  des  opinions  ou  de  soutenir 
des  thèses  en  contradiction  avec  les  données  révélées. 
Les  sciences  ont  droit  à  la  liberté,  chez  elles  et 
entre  elles  :  l'Eglise  n'intervient  pas.  Qu'elles  fassent 
d'heureuses  découvertes  ou  qu'elles  commettent 
des  erreurs,  l'Eglise  loue  les  premières,  mais  ne  se 
prononce  pas  sur  les  secondes,  parce  qu'elles 
sont  étrangères  à  son  enseignement.  L'Eglise  n'o- 
blige pas  les  sciences  à  user  des  principes  révélés 
et  de  sa  propre  méthode  dans  leur  domaine  respec- 
tif, mais  elle  ne  saurait  tolérer  de  leur  part  ni  des 
affirmations  contraires  aux  siennes  sur  le  terrain  de 
la  foi,  ni  une  intrusion  illégitime  dans  son  propre 
domaine.  Par  suite,  aux  yeux  de  l'Eglise,  la  liberté 
des  sciences  se  trouve  limitée  par  rapport  à  la  foi. 
Dans  les  questions  mixtes,  telles  par  exemple  que 
l'existence  de  Dieu,  la  spiritualité  de  l'âme,  la  liberté 
humaine  et  tout  ce  qui  constitue  la  religion  natu- 
relle, la  science  n'a  pas  le  droit  d'affirmer  ou  de 
souten>  quelque  chose  qui  heurte  l'enseignement 
révélé.  Encore  moins  a-t-elle  celui  de  sortir  de  son 
domaine  pour  envahir  celui  de  la  foi  :  c'est  là  un 
abus,  une  violation  de  territoire,  toujours  un  danger, 
presque  toujours  une  source  de  troubles  et  d'er- 
reurs :  l'Eglise  ne  saurait  le  tolérer  ;  et  c'est  pour 

U  CATÉCHISME.    —  I.   I,  24  i 


870  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

quoi  si  elle  veille  attentivement,  ainsi  que  s'exprime 
le  concile  du  Vatican,  à  ce  que  la  science  n'adopte 
point  d'erreurs,  qui  la  mettent  en  opposition  avec 
la  doctrine  révélée,  elle  ne  veille  pas  moins  attenti- 
vement à  ce  que  la  science  ne  sorte  des  limites  de 
son  propre  empire  pour  envahir  et  troubler  ce  qui 
est  du  domaine  de  la  foi. 

1.  Y  a-t-il  incompatibilité  entre  le  chrétien  et  le 
savant  ?  —  «  S'il  est  vrai  que  la  méthode  scientifique 
moderne  est  basée  sur  le  principe  de  la  libre  recherche, 
il  est  vrai  aussi  que  ce  n'est  pas  d'une  absurde  licence 
mais  d'une  liberté  rationnelle  qu'elle  entend  jouir.  Ne 
doit-elle  pas  respecter  les  lois  éternelles  du  bon  sens  et  de 
la  logique  ?  Est-ce  que  c'est  dans  le  monde  de  l'imagina- 
tion et  des  rêves,  aussi  bien  que  dans  celui  de  la  réalité  et 
de  la  vérité,  qu'elle  entend  diriger  ses  investigations  ?  Sa 
liberté  de  recherche  est  donc  évidemment  limitée,  sans 
qu'elle  cesse  pour  cela  d'être  vraiment  scientifique  au 
sens  moderne  du  mot.  Et  par  quoi  est-elle  limitée?  Il 
faut  bien  le  reconnaître,  par  l'œuvre  de  Dieu,  par  cette 
première  révélation  qu'il  a  faite  de  lui-même  par  la 
création  du  monde  et  de  l'homme.  Mais  si  le  respect  de 
cette  première  révélation  n'empêche  nullement  la  mé- 
thode moderne  d'être  libre  et  scientifique,  comment  la 
seconde  révélation  divine,  conservée  et  expliquée  par 
l'Eglise,  ruinerait-elle  davantage  son  caractère  de  science 
et  de  liberté  ?  Dieu,  quand  il  parle,  est-il  moins  le  Dieu 
des  sciences  que  lorsqu'il  crée  ?  Le  respect  de  la  religion 
positive  n'est  donc  pas  plus  antiscientifique  que  le  respect 
delà  religion  naturelle.  Jamais,  quoi  qu'on  dise  et  quoi 
qu'on  fasse,  on  ne  pourra  ébranler  ce  droit  que  Dieu,  la 
vérité,  la  réalité,  ont  au  respect  de  toute  science  qui  veut 
se  respecter  elle-même. 

«  Quand  donc  la  foi  prévient  le  savant  qu'il  existe,  sur  le 
sujet  de  ses  études,  des  dogmes  révélés,  des  définitions 
ou  des  condamnations  portées  par  l'Eglise,  il  doit  s'en 
préoccuper  comme  le  pilote  se  préoccupe  des  signaux 
que  lui  donne  le  phare  allumé  au  milieu  des  écueils.  La 


ATTITUDE    DE    L'ÉGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    Z']! 


liberté  de  la  science  et  de  la  recherche  scientifique  en 
est-elle  diminuée  ?  Aucunement,  à  moins  qu'on  ne  sou- 
tienne, ce  qui  est  absolument  insoutenable,  qu'il  est 
essentiel  à  la  science  de  pouvoir  errer  à  l'occasion,  et  qu'il 
est  antiscientifique  de  l'en  empêcher  ;  autant  vaudrait 
dire  qu'il  est  inhumain  d'empêcher  un  homme  de  se 
jeter  dans  un  abîme,  en  entourant  celui-ci  d'un  garde- 
fou.  Ainsi  se  trouve  résolue  la  question  de  la  liberté  des 
philosophes  et  des  historiens,  relativement  à  la  foi  :  ils 
ne  peuvent  jamais  s'arroger  le  droit  d'y  contredire,  et  de 
philosopher  ou  d'écrire  l'histoire  sans  égards  pour  l'en- 
seignement de  l'Eglise.  La  condition  des  savants  propre- 
ment dits,  de  ceux  qui  cultivent  les  sciences  expérimen- 
tales ou  exactes,  est  plus  favorable  encore,  si  l'on  peut 
s'exprimer  ainsi,  à  cause  du  manque  ou  de  la  rareté  des 
documents  surnaturels  relatifs  à  leurs  travaux.  11  est  très 
peu  de  points  de  contact,  en  effet,  entre  ces  sciences  et  la 
foi,  tant  que  celles-là  se  confinent  dans  leur  domaine  et 
n'essaient  pas  d'empiéter  sur  celle-ci.  Un  algébriste,  par 
exemple,  ou  un  botaniste,  sait  d'avance  qu'il  ne  rencon- 
trera dans  ses  études  aucune  question  théologique,  à 
moins  qu'il  ne  s'aventure  dans[certaines  questions  philoso- 
phiques qui  ne  sont  pas  précisément  de  son  ressort.  Il  a 
donc  toute  liberté,  toute  indépendance  dans  ses  recher- 
ches.)) J.  Didiot,  La  Foi,  dans  le  Dictionnaire  apologéti- 
que deJaugey,  Paris,  1889,  col.  1191-1293. 

2.  Les  relations  entre  la  foi  et  la  raison.  —  Sous 
ce  titre,  M.  de  Broglie  se  posait  la  question  suivante  : 
Faut-il  abdiquer  sa  raison  pour  croire  ?  L'ignorance  ou 
l'absence  de  logique  sont-elles  des  conditions  nécessaires 
pour  posséder  des  convictions  fondées  sur  la  foi  ?  Il  in- 
diquait les  deux  préjugés,  les  deux  opinions  considérées 
comme  des  axiomes  incontestables  et  incontestés  dans 
une  grande  partie  du  public  éclairé. 

L'un  de  ces  préjugés  consiste  à  soutenir  qu'il  y  a 
opposi  tion  complète,  contradiction  absolue  entre  la  science, 
œuvre  de  la  raison,  et  les  doctrines  enseignées  par  l'Eglise 
au  nom  de  la  Foi.  C'est  Taine,  en  particulier,  qui  a  pré- 
tendu qu'une  telle  opposition  empêche  qu'on  puisse  être 


3y2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  h  ii  -i.  ■—    ,,■■■    n    i  i    ,  ■■■■■■  .  —  —   imiw ^— m^ 

à  la  fois  croyant  et  savant.  Si,  en  fait,  l'union  de  la  science 
et  de  la  foi  existe  chez  quelques  savants,  c'est,  prétend-il, 
ou  une  illusion  ou  un  manque  de  loyauté,  parce  que, 
pour  réaliser  un  tel  accord,  il  faut  ou  «  construire  entre 
des  doctrines  opposées  des  ponts  fragiles,  »  ou  établir 
dans  le  cerveau,  entre  les  courants  contraires  de  la  science 
et  de  la  foi  «  une  sorte  de  cloison  étanche.  »  Ce  qui 
revient  à  dire  que  tout  homme,  à  la  foisjcroyant  et  savant, 
porterait  en  lui-même  une  contradiction  irréductible. 

Le  second  préjugé,  aussi  radical  dans  ses  conséquen- 
ces, consiste  à  prétendre  que  la  science  et  la  foi  sont, 
non  pas  opposées,  mais  absolument  étrangères  l'une  à 
l'autre,  se  mouvant  dans  des  plans  différents  sans 
jamais  pouvoir  se  rencontrer,  différant  d'objet,  de  prin- 
cipes, de  méthode. 

La  conséquence  du  premier  préjugé  est  la  destruction 
de  toute  croyance  religieuse  :  la  foi,  étant  contraire  à  la 
raison,  doit  périr.  La  conséquence  du  second,  c'est  l'in- 
différence religieuse  et  la  relativité  de  toutes  les  croyan- 
ces ;  tout  ce  qui  regarde  la  destinée  de  l'homme,  tous  les 
principes  de  la  morale,  n'étant  pas  fixés  par  la  science, 
qui  n'atteint  que  le  monde  expérimental,  se  trouvent 
livrés  au  hasard  de  la  tradition,  aux  élans  incertains  et 
contradictoires  de  l'enthousiasme,  à  l'influence  variable 
des  passions  ou  au  caprice  de  la  volonté. 

A  ce  double  préjugé,  M.  de  Broglie  oppose  la  vraie 
doctrine  sur  les  relations  entre  la  raison  et  la  foi,  telle 
que  nous  l'avons  donnée,  en  résumant  les  enseigne- 
ments du  concile  du  Vatican. 

Mais,  en  dehors  de  ce  double  préjugé,  il  existe  une 
double  erreur  :  l'une,  qui  règne  en  France  et  dans  les 
pays  catholiques,  qu'il  appelle  rationalisme  par  négation 
ou  par  séparation,  parce  qu'elle  prétend  exclure  de  la 
connaissance  humaine  le  principe  de  la  foi  et  les  doctri- 
nes qui  en  découlent  ;  l'autre,  qui  règne  surtout  dans  les 
pays  protestants,  mais  qui  a  été  importée  en  France,  et 
qu'il  appelle  rationalisme  par  absorption  ou  par  extension 
du  domaine  de  la  raison  au  delà  de  ses  limites.  Par 
contre,  lefidéisme  met  en  question  l'autorité  de  la  raison, 


ATTITUDE    DE    i/ÉGLISE    EN    FACE    DES    SCIENCES    373 


lui  refuse  le  droit  et  le  pouvoir  de  prouver  l'existence  de 
Dieu  et  declairer  aucunement  l'homme  sur  sa  destinée. 
Rationalisme  et  fîdéisme  sont  également  condamnés, 
comme  nous  venons  de  le  dire  dans  cette  leçon. 

M.  de  Broglie  étudie  par  l'histoire  les  relations  de  la 
foi  et  de  la  raison.  Dans  l'antiquité  la  question  ne  se 
posait  pas  au  sens  où  nous  sommes  accoutumés  à  l'en- 
tendre, dit  le  P.  Largent,  dans  la  préface.  «  Elle  ne  surgit 
tout  entière  que  le  jour  où,  en  présence  de  doctrines  et 
de  cultes  rivaux,  le  christianisme  affirma  son  droit  sou- 
verain à  la  possession  de  la  vérité  religieuse  et  à  la  direc- 
tion des  âmes.  Les  apologistes  s'attachèrent  à  établir  ce 
droit...  Des  conflits  entre  la  raison  et  la  religion  seront 
provoqués  jusqu'à  la  fin  par  les  préventions,  par  l'igno- 
rance, par  l'orgueil  ;  ils  l'ont  été  quelquefois  par  les 
insuffisances  d'une  théologie  étroite,  par  les  intempé- 
rances d'une  apologétique  qui  imposait  à  la  pensée  et  à 
la  science  humaine  plus  qu'on  n'avait  droit  d'exiger.  Il 
n'en  demeure  pas  moins  que  l'accord  entre  la  raison  et  la 
foi  est  possible,  qu'il  est  nécessaire,  qu'il  tient  à  la  nature 
même  des  choses,  et  que  le  contester,  c'est  s'inscrire 
contre  la  leçon  des  faits,  consciencieusement  interrogés,  et 
contre  le  formel  enseignement  de  l'Eglise.  »  C'est  la 
démonstration  érudite  qu'en  donne  M.  de  Broglie  dans 
les  conférences  de  1894,  parues  d'abord  dans  les  Annales 
de  philosophie  chrétienne,  avril,  juin,  août  1894  et  janvier 
1890,  et  publiées  par  le  P.  Largent  dans  la  collection 
«  Science  et  religion  »,  sous  ce  titre  :  Les  relations  entre 
la  foi  et  la  raison,  exposé  historique,  4°  édit.,  Paris,  1904. 


Article  Premier 
Je  crois  en  Dieu 

En  Dieu 

Leçon  Xe 
Existence  de  Dieu 


Peut-elle  se  prouver  par  la  raison  ?  —  I.  Erreurs. 
—  IL  Enseignement  du  Catéchisme  romain»  — 

III.  Définition    du     Concile    du     Vatican,   — 

IV.  Puissance  de  la  raison. 

I.   Erreurs 

Au  seuil  même  de  ces  études  (i),  et  en  face  de 
la  première  et   de  la  plus  importante  des 
vérités,  nous  sommes  obligés  de  constater 
combien  la  marche  de    l'homme  est  incertaine  et 


i.  BIBLIOGRAPHIE  :  Saint  Thomas,  Sum.  theol,  I,  Q.  n, 
a.  i,  2  ;  Q.  xn  ;  Franzelin,  De  Deo  uno,  2e  édit.,  Rome,  1876; 
Vacant,  La  Constitution  Dei  Filias,  Paris,  1895,  t.  1  ;  de  Mar- 
gerie,  Théodicée,  3e  édit.,  Paris,  1874,  t.  1,  ch.  i-iii;  Farges, 
L'idée  de  Dieu,  Paris,  1894  ;  Janssens,  De  Deo  uno,  Rome,  1899; 
Pesch,  De  Deo  uno,  Fribourg-en-Brisgau,  1890;  Tcpe,  De  Deo 
uno,  Paris,  1895  ;  Billot,  De  Deo  uno,  Rome,  1897  ;  Scheeben, 


ERREURS    SUR    L'EXISTENCE    DE    DIEU  375 

combien  sa  pensée  est  hésitante.  Il  semble  cepen- 
dant que  c'est  surtout  à  propos,  de  l'existence  de 
Dieu  que  la  certitude  devrait  régner  et  l'accord 
être  universel.  Mais  il  n'en  est  rien,  et  les  esprits  se 
partagent  en  deux  camps  opposés.  Pour  les  uns, 
l'existence  de  Dieu  ne  saurait  faire  l'objet  d'un 
doute,  c'est  une  vérité  en  quelque  sorte  évidente, 
immédiate,  innée,  nécessaire  et  indéniable;  pour  les 
autres,  elle  est  inaccessible  aux  lumières  de  la  raison, 
elle  ne  peut  pas  se  démontrer,  elle  est  un  objet  de 
foi.  Que  penser  d'une  telle  discordance? 

i.  Bien  que,  selon  la  parole  de  saint  Paul,  nous 
ayons  en  Dieu  la  vie,  le  mouvement  et  l'être,  l'exis- 
tence de  Dieu  ne  tombe  pas  directement  sous  nos 
sens  ;  notre  raison  ne  la  saisit  pas  d'une  manière 
immédiate.  Nous  avons,  il  est  vrai,  naturellement 
gravée  dans  notre  âme,  une  certaine  connaissance 
de  Dieu,  en  tant  qu'il  est  la  félicité  de  l'homme  ; 
car  nous  désirons  naturellement  le  bonheur,  et 
tout  ce  que  nous  désirons  naturellement,  fait  obser- 
ver saint  Thomas,  nous  le  connaissons  de  même. 
Mais  ce  n'est  là  qu'une  connaissance  vague  et 
confuse,  non  une  connaissance  vraie,  puisque  les 
hommes  s'abusent  jusqu'au  point  de  placer  le 
bonheur,  pour  lequel  ils  sont  faits,  là  où  il  n'est 
pas,  par  exemple  dans  les  richesses  ou  dans  la 
volupté. 

2.  Cela  n'a  pas  empêché  pourtant  certains  philo- 
sophes de  regarder  l'idée  de  Dieu  comme  une  idée 
innée,  résultant  de  la  vue  que  Dieu  nous  donnerait 
de  sa  propre  essence  ;  Yoniologisme  n'est  autre  chose, 
en  effet,  que  la  théorie  de  la  vision   naturelle  de 


La  Dogmatique,  trad.,  Paris,  1880;  J.  Souben,  Nouvelle  théolo- 
gie dogmatique.  —  1.  Dieu  dans  V histoire  et  la  Révélation, 
Paris,  19021 


376  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'Etre  divin  ;  il  dérive  directement  de  la  théorie  de 
Descartes  sur  les  idées  innées,  mais  il  a  pris  quatre 
formes  principales,  la  forme  de  Vontologisme  pan- 
théiste avec  Spinoza,  de  Vontologisme  absolu  avec 
Malebranche  et  Gioberti,  de  Vontologisme  modéré 
avec  Ubaghs,  de  Vontologisme  idéaliste  avec  Rosmini. 

Plus  près  de  nous,  mais  sans  être  inféodés  à  l'on- 
tologisme proprement  dit,  quelques  philosophes 
français  ont  prétendu  posséder  une  notion  expéri- 
mentale de  l'Infini.  Pour  Saisset  (f  i863),  Dieu  est 
une  vérité  d'intuition  (1).  Secrétan  (f  1895)  disait: 
«  Suivant  mon  intime  conviction,  Dieu  est  un  objet 
d'expérience.  Je  n'entends  pas  d'une  expérience  que 
chacun  ait  faite,  je  parle  seulement  d'une  expérience 
que  chacun  peut  faire  s'il  le  veut.  » 

Sans  entrer  dans  l'examen  d'une  telle  manière  de 
voir,  disons  seulement  qu'une  telle  expérience  ne 
peut  servir  de  preuve  valable  pour  ceux  qui  ne  l'ont 
pas  faite  ou  qui  nient  de  bonne  foi  l'avoir  faite  ;  et 
ajoutons  que  l'Eglise  a  condamné  le  principe  même 
de  l'ontologisme  (2),  l'ontologisme  absolu  (3),  et 
que  l'ontologisme  modéré  reste  suspect  et  dange- 
reux (4). 

3.  Se  plaçant  à  un  point  de  vue  bien  différent, 
les  fidéistes  estiment  que  nous  connaissons  Dieu, 
mais  ils  soutiennent  que  ce  n'est  pas  à  la  raison, 
mais  à  la  foi,  que  nous  sommes  redevables  d'une 
telle  connaissance.  Car,  à  leurs  yeux,  la  raison,  par 
ses  seules  lumières,  est  incapable  de  nous  faire 
connaître  les  vérités  religieuses  ou  morales  de  l'ordre 
naturel,  elle  a  nécessairement  besoin  de  la  révélation 
qui  lui  manifeste  ces  vérités  et  lui  en  garantit  la 
certitude.  Si  donc  l'homme  possède  une  certitude 

1.  Philosophie  religieuse,  t.  11,  p.  2o5,  sq.  —  2.  Denzinger, 
n.  4o3.  —  3.  Ibid. ,  n.  i5i6-i522.  —  4.  Kleutgen,  L'ontologisme; 
Lepidi,  Examen  philsophico-theologicum  de  ontologismo. 


ERREURS    SUR    INEXISTENCE    DE    DIEU  877 

vraie  des  principes  rationnels,  c'est  à  la  foi  qu'il  le 
doit.  Théorie  erronée,  qui  ne  méconnaît  pas  seule- 
ment le  pouvoir  de  la  raison,  mais  qui  déclare 
absolument  nécessaire  la  révélation  et  qui  confond 
la  science  avec  la  foi.  Déjà,  au  xive  siècle,  Nicolas 
d'Oultricourt  professait  qu'en  dehors  de  la  certitude 
de  la  foi  il  n'y  en  a  pas  d'autre,  sauf  celle  de  ce 
premier  principe  :  S'il  y  a  quelque  chose,  il  y  a 
quelque  chose.  Ses  propositions  furent  condamnées 
par  le  Saint-Siège  et  révoquées,  en  i438,  devant  la 
faculté  de  Paris  (i).  Les  théories  protestantes  sur  la 
justification  impliquent  l'erreur  fidéiste.  Baïus  n'y 
est  pas  étranger.  Au  xvue  siècle,  Huet  a  eu  le  tort  de 
croire  que  la  foi  divine  seule  permet  d'arriver  à  la 
vérité  avec  une  entière  certitude.  Et  tout  récemment 
encore,  sous  l'influence  avouée  de  Pascal  et  de  Kant, 
mais  aussi  par  un  reste  de  fidéisme  subtil,  M.  Bru- 
netière  écrivait  :  «  Je  persiste  à  penser  que  l'on  ne 
démontre  ni  l'immortalité  de  l'âme  ni  l'existence 
de  Dieu.  C'était  l'opinion  de  Pascal,  c'était  égale- 
ment l'opinion  de  Kant  ;  et  j'ai  bien  le  droit  de  me 
«  tromper  »  avec  eux  !...  Je  ne  tiens  pour  preuves 
de  l'existence  de  Dieu  ni  celles  que  l'on  tire  de 
l'arrangement  et  de  l'ordre  du  monde  ;  ni  celles  que 
l'on  tire  de  l'idée  du  parfait  ou  de  l'infini,  dont 
l'essence  impliquerait  l'existence  ;  ni  celles  enfin 
que  l'on  tire  de  la  présence  en  nous  de  la  loi  mo- 
rale... Ceux  qui  les  trouvent  démonstratives  ne  font 
pas  attention  qu'elles  impliquent  toutes  un  Dieu 
«  sensible  au  cœur  »  et  affirmé  par  lui  avant  que 
d'être,  je  ne  dis  pas  démontré  par  le  raisonnement, 
mais  seulement  conçu  par  la  raison.  Ou,  en  d'autres 
termes,  on  connaît  déjà  Dieu  quand  on  essaie  de 
mettre  son  existence  en  preuve,    et  j'estime,  pour 

1.  Denzinger,  n.  457-463. 


378  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  — — » 

ma  part,  qu'aucune  preuve  ne  le  crée  dans  les  cœurs 
qui  ne  le  sentent  pas  (1).  » 

[\.  A  la  suite  de  certaines  théories  philosophiques, 
telles  que  celle  des  idées  innées  de  Descartes,  de  la 
table  rase  des  sensualistes,  des  rapports  du  langage 
et  de  la  pensée  de  Locke,  et  en  partie  sous  leur 
influence,  se  formula,  en  France,  la  doctrine  tradi- 
tionaliste. De  Maistre,  dans  ses  Soirées,  avait  sou- 
tenu que  certaines  idées,  surtout  de  l'ordre  moral, 
renferment  un  élément  nécessaire  qui  ne  saurait 
provenir  d'une  source  bornée  et  contingente  et  que 
le  langage  n'a  pu  être  inventé  par  l'homme.  De 
Bonald,  partant  de  ce  principe  que  l'homme  pense 
sa  parole  avant  de  parler  sa  pensée  et  que  les  mots 
engendrent  les  idées,  réclamait  comme  absolument 
indispensable  l'intervention  de  la  révélation  primi- 
tive pour  assurer  à  l'homme  la  somme  des  vérités 
nécessaires  et  la  garantie  divine  de  leur  certitude. 
De  Lamennais  faisait  dériver,  lui  aussi,  d'une  révé- 
lation primitive  la  certitude  des  vérités  rationnelles. 
Il  regardait  la  raison  individuelle  comme  incapa- 
ble d'atteindre  seule  à  la  vérité  avec  certitude.  En 
revanche,  le  privilège  de  notifier  et  de  certifier  à 
l'homme  les  vérités  indispensables  de  la  croyance, 
il  l'attribuait  au  sens  commun,  dûment  appuyé  sur 
une  tradition  qui  remontait  jusqu'à  Dieu  tout  comme 
le  langage.  Moins  systématique,  mais  non  moins 
traditionaliste,  Bonetty  écrivait  :  «  Dieu  et  ses  attri- 
buts, l'homme,  son  origine,  sa  fin,  ses  devoirs,  les 
règles  de  la  société  civile  et  de  la  société  domesti- 
que :  voilà  les  vérités  que  nous  ne  croyons  pas  que 
la  philosophie  ait  trouvées  ou  inventées  sans  le  se- 
cours de  la  tradition  et  de  l'enseignement  (2).  »  Le 

1.  La  science  et  la  religion,  12e  mille,  Paris,  1895,  p.  60-61. 
—  2.  Annales  de  Philos,  chrét.,  i853,  iv8  série,  t.  vin,  p.  374. 


ERREURS    SUR   INEXISTENCE    DE    DIEU  879 

P.  Ventura  mitigea  le  système.  Il  admettait  bien 
que  c'est  à  une  révélation  primitive,  transmise  au 
genre  humain  par  la  parole,  que  l'homme  doit  la 
connaissance  de  Dieu,  de  l'immortalité  de  l'âme  et 
des  principes  de  la  morale,  mais  il  soutenait  que 
cette  connaissance  une  fois  acquise,  notre  esprit  est 
à  même  de  la  démontrer,  de  la  défendre  et  de  la 
développer.  Ubaghs  unit  le  traditionalisme  à  l'onto- 
logisme,  et  Bautain,  tout  en  accordant  moins  d'im- 
portance au  langage  et  à  la  tradition,  se  crut  autorisé 
par  des  considérations  psychologiques  à  mettre  le  fon- 
dement de  la  certitude  dans  la  foi  ou  la  parole  de  Dieu. 
De  telles  théories,  quelque  séduisantes  qu'elles 
aient  pu  paraître,  n'en  constituaient  pas  moins  des 
erreurs  aussi  graves  que  dangereuses.  C'était  insis- 
ter outre  mesure  sur  l'incapacité  de  la  raison, 
réduite  presque  à  une  impuissance  radicale  ;  c'était 
méconnaître  la  nature  de  la  révélation  primitive  et 
confondre  sa  nécessité  morale  avec  sa  nécessité  ab- 
solue ;  c'était  enfin  exagérer  le  rôle  de  la  tradition, 
du  langage  et  de  l'enseignement  qui  servent  bien  à 
communiquer  la  connaissance  de  Dieu,  à  la  faciliter 
et  à  la  généraliser,  mais  qui,  en  définitive,  ne  sont 
pas  des  moyens  absolument  indispensables.  Rien 
d'étonnant  dès  lors  que  l'Eglise,  jalouse  des  droits 
de  la  raison  comme  des  intérêts  de  la  foi,  soit  in- 
tervenue. Ses  avertissements  d'abord,  ses  condam- 
nations ensuite  ont  dû  faire  justice  de  pareilles 
erreurs  qui  méconnaissaient  la  puissance  de  la  rai- 
son humaine  et  qui  mettaient  en  péril  l'intégrité  et 
la  pureté  de  la  foi  (i). 

1.  Voir  dans  Dcnzinger  :  les  propositions  de  Nicolas  d'Oulti- 
court,  n.  457-467  ;  la  condamnation  de  Lamennais  par  Gré- 
goire XVI,  en  i834,  n.  1^76  ;  les  propositions  souscrites  par 
l'abbé  Bautain,  en  i835  et  1860,  n.  i488-i4g3  ;  les  quatre  thè- 
ses imposées  à  Bonnetty,  en  i855,  n.  i5o5-i5o8. 


3So  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


5.  Un  prêtre  allemand,  mort  en  i83i,  Hermès, 
s'était  flatté  de  ruiner  le  crédit  de  la  philosoplie  de 
Rant  et  subit  la  secrète  influence  de  ce  philosophe. 
Ses  idées  eurent  un  certain  succès  en  Allemagne. 
Il  n'admettait  pas  d'autre  preuve  de  l'existence  de 
Dieu  que  l'argument  tiré  par  la  raison  spéculative 
de  la  nécessité  d'une  cause  première,  seule  capable 
d'expliquer  l'existence  des  êtres  contingents  ;  il 
repoussait  la  preuve  tirée  de  l'ordre  du  monde, 
parce  que  cet  ordre  pourrait  être  à  la  rigueur  l'effet 
du  hasard  ;  il  repoussait  également  celle  qui  est 
fondée  sur  l'idée  du  devoir,  parce  que  la  raison 
du  devoir  étant  la  dignité  de  l'homme,  il  n'est 
pas  nécessaire  que  Dieu  existe  pour  que  l'homme 
soit  tenu  de  se  respecter  et  de  remplir  ses  obli- 
gations. Etendant  sa  théorie,  Hermès  prétendait 
que  la  raison  ne  peut  démontrer  que  Dieu  diffère 
d'une  substance  immuable,  qui  ferait  partie  du 
monde,  tout  en  restant  séparée  des  phénomènes 
dont  le  monde  est  le  théâtre  ;  ni  que  Dieu  est  un 
esprit  pur,  ni  que  ses  attributs  sont  infinis,  ni  que 
sa  science  s'étend  à  d'autres  objets  que  les  créatu- 
res, ni  que  sa  sainteté  est  sans  limites  ;  ce  sont 
là,  estimait-il,  autant  de  vérités  que  la  Révéla- 
tion seule  nous  fait  connaître.  L'Hermésianisme, 
légitimement  suspect  d'hétérodoxie,  fut  condamné 
par  l'Eglise  (i). 

6.  En  dehors  de  l'Eglise,  parmi  les  incrédules, 
une  théorie  s'est  fait  jour  peu  à  peu,  qui  dénie  à  la 
raison  le  droit  de  s'occuper  de  l'existence  de  Dieu 
et  le  pouvoir  de  la  démontrer.  En  effet,  au  regard 
des  positivistes,  Dieu  ne  saurait  être  objet  de  connais- 
sance positive.  Par  sa  définition  même  il  est 
transcendant,  et,  dès  lors,  inaccessible  à  la  raison,  en 

i.  Denzinger,  n.  i486,  1487. 


ERREURS   SUR    INEXISTENCE    DE    DIEU  38 1 

dehors  ou  au-dessus  des  prises  de  la  science,  de  la 
méthode  expérimentale  et  du  contrôle  rigoureux 
qui  s'impose  désormais  en  matière  scientifique. 
Aussi  traitent-ils  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu 
de  chimériques,  de  caduques,  d'incapables  d'engen- 
drer la  certitude.  Ils  partent  d'hypothèses  fausses,  à 
savoir  qu'il  n'y  a  que  ce  qui  tombe  sous  les  sens 
qui  puisse  être  matière  de  science,  que  la  seule  mé- 
thode rationnelle  qui  convienne  à  l'esprit  c'est  la 
méthode  expérimentale,  et  que  Dieu,  si  tant  est  qu'il 
existe,  appartient  en  tout  cas  au  domaine  de  Yincon- 
naissable.  Ce  congé  donné  à  Dieu  est  impertinent  ; 
la  réduction  de  toute  connaissance  à  une  connais- 
sance d'ordre  purement  sensible  méconnaît  de  parti 
pris  la  puissance  de  la  raison  et  mutile  l'intelligence 
humaine. 

C'était  déjà  la  pensée  de  Hume  (f  1716)  (1).  Ce 
fut  aussi  celle  de  Comte  et  de  Stuart  Mill  (f  1873)  (2). 
Mais  les  disciples  de  Comte  se  sont  séparés  sur  le 
terrain  de  la  théologie  naturelle.  Dans  l'école  fran- 
çaise, Littré  (f  1881)  disait  :  a  II  ne  faut  pas  consi- 
dérer le  philosophe  positif  comme  si,  traitant  uni- 
quement des  causes  secondes,  il  laissait  libre  de 
penser  ce  qu'on  veut  des  causes  premières.  Non,  il 
ne  laisse  là-dessus  aucune  liberté.  » 

7.  Dans  l'école  anglaise,  H.  Spencer  (f  1903) 
enseigna  qu'au  delà  de  la  sphère  du  connaissable 
s'étend  la  région  de  Y  inconnaissable ,  région  inac- 
cesible  et  mystérieuse,  avec  laquelle  on  ne  peut 
entrer  en  contact  que  par  le  sentiment  religieux, 
sans  prétendre  le  comprendre  ou  le  définir  :  c'est 
Y  agnosticisme  (3).   Mais  cet   inconnaissable   existe. 


1.  Essai  sur  V entendement  humain,  vne  Essai.  —  2.  Logique, 
liv.  m,  ch.  5.  —  3.  Les  premiers  principes,  trad.  Guymiot, 
Paris,  1902. 


382  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  Par  derrière  toutes  les  apparences  matérielles  qui 
frappent  nos  sens  et  que  les  sciences  étudient,  ap- 
parences fugitives  et  contradictoires  qui  posent  à 
notre  raison  de  plus  difficiles  problèmes  qu'elle  n'en 
peut  résoudre,  il  existe  une  réalité  profonde,  plus 
proche  de  l'esprit  que  de  la  matière,  mais,  dans  son 
essence  ultime,  inconnue  et  inconnaissable.  C'est 
cette  réalité  substantielle  que  les  religions  nom- 
ment Dieu.  Les  religions  ont  le  droit  d'affirmer  son 
existence,  et  les  sciences  ont  le  tort  de  la  nier.  Mais 
les  religions  ont  tort  de  prétendre  connaître  et  défi- 
nir les  attributs  de  Dieu;  tout  ce  que  nous  pouvons 
dire  de  lui,  c'est  qu'il  existe  et  non  quel  il  existe. 
La  religion  et  la  science  seront  d'accord  le  jour  où, 
chacune  se  renfermant  dans  son  domaine  propre, 
la  science  cessera  d'expliquer  les  faits  positifs  par 
des  entités  métaphysiques  inconnaissables,  et  lareli- 
gion  cessera  de  donner  à  l'essence  métaphysique  de 
Dieu  des  attributs  physiques  contradictoires  :  adorer 
et  se  taire  est  le  tout  de  l'âme  religieuse  (i).  » 

IL  L'enseignement  du  Catéchisme 

romain 

Yoici  en  quels  termes  s'exprime  le  Catéchisme 
romain  sur  l'existence  de  Dieu  (2)  : 

«  Ces  paroles  (en  Dieu),  font  connaître  quelle  est 
l'excellence  et  la  dignité  de  la  sagesse  chrétienne,  et 
combien  nous  sommes  redevables  à  la  bonté  divine, 
qui  nous  a  élevés  par  les  vérités  de  la  foi,  comme 
par  autant  de  degrés,  à  la  connaissance  de  l'objet 
le  plus  parfait  et  le  plus  désirable.    Il  y  a,  en  effet, 

1.  Thouverez,  H.  Spencer,  Paris,  1905,  p.  32,  dans  la  collec- 
tion Science  et  Religion.  —  2.  Cat.  rom.,  I.  a.  1,  vi-ix. 


l'existence  de  dieu  d'après  le  catéchisme     383 

une  différence  considérable  entre  la  philosophie 
chrétienne  et  la  sagesse  du  siècle.  L'une,  guidée 
seulement  par  la  lumière  naturelle,  s'élève  peu  à 
peu,  à  l'aide  des  effets  et  des  choses  sensibles,  et 
ne  parvient  enfin  qu'après  de  longs  travaux  à  con- 
templer les  choses  invisibles  de  Dieu,  à  reconnaître  et 
à  comprendre  la  cause  et  l'auteur  de  ce  qui  existe. 
L'autre,  au  contraire,  perfectionne  tellement  la 
pénétration  naturelle  de  l'esprit  humain,  qu'il  peut 
aisément  s'élever  jusqu'au  ciel  où,  environné  d'une 
splendeur  céleste,  il  contemple  d'abord  la  source 
éternelle  de  toute  lumière,  et  ensuite  toutes  les 
choses  créées.  C'est  alors  que  nous  connaissons  par 
expérience  et  avec  une  joie  infinie  de  notre  âme 
que  nous  avons  été  appelés  des  ténèbres  à  une  lumière 
admirable,  comme  dit  le  prince  des  apôtres  (i),  et 
que  notre  foi  nous  cause  un  ravissement  ineffable  (2). 

«  C'est  donc  avec  raison  que  les  fidèles  professent 
d'abord  qu'ils  croient  en  Dieu,  dont  la  majesté, 
suivant  Jérémie,  est  incompréhensible  (3)  ;  qui  habite, 
dit  l'apôtre,  une  lumière  inaccessible,  qu'aucun  des 
hommes  na  vue  ni  ne  peut  voir  (4),  que  nul  homme  ne 
pourra  voir  sans  mourir,  comme  il  le  dit  lui-même  à 
Moïse  (5).  En  effet,  pour  aller  jusqu'à  Dieu,  qui  est 
au-dessus  de  toutes  choses,  notre  esprit  aurait  besoin 
d'être  entièremenl  dégagé  des  choses  sensibles  ; 
mais  cela  ne  lui  est  naturellement  pas  possible  dans 
cette  vie. 

«  Cependant  Dieu  ne  s'est  pas  laissé  lui-même  sans 
témoignage,  dit  l'apôtre,  car  c'est  lui  qui  fait  le  bien 
aux  hommes  ;  il  dispense  les  pluies  et  les  saisons  favo- 
rables ;  il  nous  donne  la  nourriture  avec  abondance  e$ 
il  remplit  nos  cœurs  de  joie  (6).  Aussi  les  philosophes 
•• 

! 

1.  I  Petr.,  11,  9.  —  2.  I  Petr.,  1,  8.  —  3.  Jerem.,  xxxn,   19/ 
—  4«  I  Tim.,  vi,  16.  —  5.  Exod.,  xxxiii,  20.  —  6.  Ad.,  xiv,  i(L 


384  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

n'ont-ils  pu  concevoir  en  lui  rien  d'imparfait  ;  ils 
ont  rejeté  comme  indigne  de  lui  tout  ce  qui  est 
corporel,  toute  composition  et  tout  mélange.  Ils 
l'ont  regardé  comme  possédant  en  lui-même  la  plé- 
nitude de  tous  les  biens,  et  ils  ont  enseigné  que 
tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  et  de  parfait  dans  toutes  les 
créatures  vient  de  lui  comme  d'une  source  inépui- 
sable et  perpétuelle  de  bonté  et  de  charité.  Ils  l'ont 
appelé  sage,  auteur  et  amateur  de  la  vérité,  juste  et 
bienfaisant,  et  ils  lui  ont  donné  plusieurs  noms, 
qui  expriment  la  perfection  souveraine  et  absolue. 
Enfin  ils  ont  reconnu  en  lui  un  pouvoir  immense 
et  infini,  qui  s'étend  à  toutes  les  choses  et  à  tous  les 
lieux. 

a  Mais  ces  vérités  sont  bien  plus  certaines  et  bien 
plus  clairement  exprimées  dans  l'Ecriture.  Ici,  elle 
nous  dit  :  Dieu  est  esprit  (i)  ;  soyez  parfaits  comme 
votre  Père  céleste  est  parfait  (2)  ;  tout  est  nu  et  à 
découvert  à  ses  yeux  (3)  ;  là,  elle  s'-écrie  :  0  profon- 
deur des  richesses  de  la  sagesse  et  de  la  science  de 
Dieu  (4)  I  Ailleurs  :  Dieu  est  véritable  (5)  ;  il  est  la 
voie,  la  vérité  et  la  vie  (6)  ;  sa  droite  est  pleine  de  sa 
justice  (7)  ;  il  ouvre  la  main  et  répand  sa  bénédiction 
sur  tout  ce  qui  respire  (8)  ;  Enfin  David  s'écrie  : 

«  Oà  irai- je  devant  votre  esprit? 

Où  fuirai-je  devant  votre  face  ? 

Si  je  monte  au  ciel,  vous  y  êtes  : 

Si  je  descends  dans  le  scheol,  vous  êtes  présent. 

Si  je  prends  les  ailes  de  l'aurore 

Et  que  je  me  transporte  au-delà  des  mers, 

C'est  votre  main  qui  m'y  conduira, 

Votre  droite  qui  me  soutiendra  (9).  » 

1.  Joan.,  iv,  24.  —  2.  Matth.,  v,  48.  —  3.  Hebr.,  iv,  13.  — 

6.  Rom.,    xi,  33.   —  5.  Rom.,  m,  4.  —  6.  Joan.,  xiv,  6.  — 

7.  Psal.,  xLvii,  11.  —  8.  Psal,  cxuv,  16.  —  9.  Psal.,  cxxxvm, 
7-10. 


l'existence  de  dieu  d'après  le  catéchisme    385 

Et  Dieu  nous  dit  lui-même  :  «  Est-ce  que  je  ne 
remplis  pas  le  ciel  et  la  terre  (i)  ?  » 

a  Telles  sont  les  grandes  idées  que  les  philosophes 
eux-mêmes  se  sont  formées  de  la  nature  divine,  en 
considérant  les  effets  sensibles  de  ce  monde,  et  qui 
sont  conformes  à  l'autorité  des  Livres  saints.  Et 
cependant  pour  sentir  combien  nous  avions  besoin, 
même  à  cet  égard,  de  l'enseignement  céleste,  il 
suffit  de  remarquer  que  la  foi  n'a  pas  seulement 
pour  effet  de  faire  connaître  promptement  et  sans 
peine  aux  plus  ignorants  et  aux  plus  grossiers  ce 
que  des  philosophes  si  savants  n'ont  connu  qu'après 
de  longues  études,  mais  encore  la  connaissance 
qu'elle  nous  donne  des  choses  est  beaucoup  plus 
certaine,  plus  pure  et  plus  exempte  d'erreur,  que  si 
elle  venait  des  raisonnements  delà  science  humaine. 
Et  d'ailleurs  quelle  différence  entre  la  contempla- 
tion de  la  nature,  qui  ne  peut  pas  faire  connaître 
Dieu  à  tout  le  monde,  et  la  lumière  de  la  foi  qui  le 
révèle  infailliblement  à  tous  ceux  qui  croient. 

«  Or  tout  ce  que  nous  connaissons  de  Dieu  par  la 
foi  est  renfermé  dans  le  symbole.  Nous  y  trouvons 
l'unité  de  l'essence  divine  et  la  distinction  des  trois 
personnes.  Il  nous  apprend  que  Dieu  est  la  fin  der- 
nière de  l'homme,  et  que  nous  devons  attendre  de 
lui  un  bonheur  céleste  et  éternel,  suivant  ce  qu'en- 
seigne saint  Paul,  que  Dieu  récompense  ceux  qui  le 
cherchent  (2)  ;  et  comme  l'avait  dit  longtemps  avant 
lui  le  prophète  Isaïe,  depuis  T  origine  des  siècles,  les 
hommes  n'ont  point  conçu,  [oreille  na  point  entendu, 
aucun  œil  ri  a  vu,  excepté  vous,  Seigneur,  ce  que  vous 
avez  préparé  pour  ceux  qui  vous  aiment  (3)  ;  paroles 
qui  nous  montrent  non  seulement  la  grandeur  des 
biens  qui  nous  attendent,  mais  qui  font  voir  encore 

1.  Jerem.,  xxm,  24. 2.  Ilebr.,  xi,  6.  —  S.Isaï.,  lxiv,  4» 

LB  CATÉCHISME.  —  T.   I.  »ï 


386  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

que  l'homme  est  incapable  de  les  connaître  parla 
seule  lumière  naturelle. 

a  De  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  suit  qu'il  n'y 
a  qu'un  seul  Dieu,  et  non  plusieurs.  Car  nous  avons 
vu  que  Dieu  possède  une  bonté  et  une  perfection 
souveraines.  Or  il  est  impossible  que  la  perfection 
souveraine  et  absolue  convienne  à  plusieurs  ;  car 
celui  qui  manque  de  la  moindre  chose  est  par  là 
même  imparfait,  il  ne  saurait  être  Dieu.  Cette  vérité 
se  trouve  dans  une  multitude  d'endroits  de  l'Ecri- 
ture. 11  est  écrit  :  Ecoute,  Israël;  le  Seigneur  noire 
D.  «  est  le  seul  Dieu  (i).  De  plus  c'est  un  précepte 
du  Seigneur  :  Tu  n'auras  point  d'autres  dieux  devant 
moi  (2).  Il  nous  dit  par  ie  prophète  :  Je  suis  lepremier 
et  le  dernier  ;  en  dehors  de  moi  il  n'est  pas  d'autre  Dieu  (3). 
Eniin  l'apôtre  l'atteste  clairement  :  Un  seigneur,  une 
foi,  un  baptême  (4). 

«  Que  si  l'Ecriture  donne  quelquefois  le  nom  de 
dieux  à  des  êtres  créés,  cela  ne  doit  pas  nous  sur- 
prendre. Car  lorsqu'elle  appelle  dieux  les  juges  et 
les  prophètes,  ce  n'est  pas  dans  le  sens  impie  et 
absurde  des  païens  qui  se  sont  forgé  plusieurs  divi- 
nités ;  c'est  pour  exprimer,  selon  une  manière 
ordinaire  de  parler,  ou  quelque  perfection  particu- 
lière, ou  quelque  fonction  à  laquelle  Dieu  les  avait 
élevés.  La  foi  chrétienne  professe  donc  qu'il  n'y  a 
qu'un  seul  Dieu  par  nature  et  par  essence,  comme 
il  a  été  défini  par  le  concile  de  Nicée,  qui  a  confirmé 
cette  vérité  dans  son  symbole.  Mais,  remontant 
encore  plus  haut,  elle  reconnaît  l'unité  de  Dieu,  tout 
en  adorant  en  même  temps  la  trinité  dans  son  unité 
et  l'unité  dans  sa  trinité.  » 

Ce  passage  du  Catéchisme  romain  résume  admi- 

1.  Deut.,  vi,  4.  — a.  Exod.,  xx,  3.  —  3.  haï.,  xli,  4^  — * 
« —  4«  Ephes.,  iv,  5. 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  387 

^^— ^— — !■■  ■    ■■■        ■       ■-■!■■  i  ■■■■.-  ■       ■■■■■  —  ■■    ,    — — ^—— —— — — ^^ 

rablement  l'enseignement  de  l'Eglise  sur  la  question 
de  l'existence  de  Dieu.  Que  Dieu  existe,  c'est  une 
vérité  d'ordre  naturel,  accessible  par  conséquent  à 
la  raison  de  l'homme.  L'homme,  en  effet,  quelques 
privilégiés  du  moins,  à  l'aide  de  leurs  seules  lu- 
mières, arrivent  à  l'acquérir  par  l'étude  du  monde 
créé,  par  le  raisonnement,  mais  ce  n'est  ni  sans 
efforts,  ni  sans  travaux,  ni  surtout  sans  danger 
d'erreurs,  efforts  et  travaux  dont  tout  le  monde  n'est 
pas  capable,  erreurs  auxquelles  n'échappent  pas 
toujours  même  les  plus  sages.  D'où  la  nécessité 
morale  de  la  révélation  divine  qui,  de  prime  abord 
et  sans  nulle  peine,  met  en  possession  de  cette  vérité 
primordiale  les  simples  d'esprit  et  les  ignorants, 
la  leur  communique  dans  sa  pureté  native,  sans  le 
moindre  mélange  d'erreur  et  avec  pleine  sécurité. 

III.  Définition 
du  Concile  du  Vatican 

Le  dernier  concile  œcuménique  avait  une  im- 
mense tâche  à  remplir,  qu'il  ne  put  mener  à  bon 
terme  à  cause  des  circonstances  politiques,  qui 
vinrent  interrompre  ses  travaux  ;  quelques  résultats 
doctrinaux,  et  non  des  moins  importants,  ont  été 
atteints,  notamment  sur  les  forces  qu'on  doit  recon- 
naître à  la  raison  humaine. 

Pie  IX  légitimait  de  la  manière  suivante  la  réunion 
du  concile  ;  il  disait  entre  autres  choses  :  «  Alors 
est  née  et  s'est  malheureusement  trop  répandue  dans 
tout  l'univers,  cette  doctrine  du  rationalisme  ou  du 
naturalisme,  qui,  se  mettant  de  tous  points  en 
opposition  avec  la  religion  chrétienne,  à  raison  du 
caractère  surnaturel  de  celle  institution,  s'applique 


388  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

avec  les  plus  grands  efforts  à  exclure  Jésus-Christ, 
notre  unique  Seigneur  et  Sauveur,  de  la  pensée  dos 
hommes,  de  la  vie  et  des  mœurs  des  peuples,  pour 
établir  le  règne  de  ce  qu'on  appelle  la  pure  raison 
ou  la  nature.  Mais  après  avoir  abandonné  et  rejeté 
la  religion  chrétienne,  après  avoir  renié  le  vrai 
Dieu  et  son  Christ,  plusieurs  ont  laissé  tomber  leur 
intelligence  dans  le  gouffre  du  panthéisme,  du 
matérialisme,  de  l'athéisme,  et  niant  la  spiritualité 
de  la  raison  et  toute  règle  de  la  justice  et  de  la 
vertu,  ils  unissent  leurs  efforts  pour  saper  les  fon- 
dements les  plus  profonds  de  la  société  humaine. 

«  Par  le  fait  de  cette  impiété  qui  s'est  propagée 
de  tous  côtés,  il  est  malheureusement  arrivé  que 
plusieurs  même  des  enfants  de  l'Eglise  catholique 
se  sont  écartés  du  chemin  de  la  véritable  piété,  et 
que  le  sens  catholique  s'est  émoussé  en  eux  par 
suite  de  l'amoindrissement  progressif  des  vérités. 
Entraînés  par  toutes  sortes  de  doctrines  étrangères 
et  faisant  un  alliage  mal  ordonné  de  la  nature  et  de 
la  grâce,  de  la  science  et  de  la  foi  divine,  l'expérience 
le  montre,  ils  dénaturent  la  signification  véritable 
des  dogmes  admis  et  enseignés,  et  ils  mettent  en 
péril  l'intégrité  et  la  pureté  de  la  foi. 

«  Au  spectacle  de  toutes  ces  erreurs,  comment  se 
pourrait-il  faire  que  l'Eglise  ne  fût  émue  au  plus 
profond  de  ses  entrailles  ?  Car,  comme  Dieu  veut 
que  tous  les  hommes  soient  sauvés  et  arrivent  à  la 
connaissance  de  la  vérité,  comme  le  Christ  est  venu 
afin  de  sauver  ce  qui  était  perdu  et  de  réunir  dans 
l'unité  les  enfants  de  Dieu  qui  étaient  dispersés, 
ainsi  l'Eglise,  constituée  par  Dieu  la  mère  et  la  maî- 
tresse des  peuples,  a  le  sentiment  de  ses  devoirs 
vis-à-vis  de  tous  les  hommes  ;  elle  est  toujours  prêta 
et  attentive  à  relever  ceux  qui  sont  tombés,  à  soute- 
nir ceux  qui  chancellent,  à  recevoir  dans  ses  bras 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  38g 

ceux  qui  reviennent  à  elle,  à  confirmer  ceux  qui 
sont  clans  le  bien,  et  à  les  poussera  une  plus  grande 
perfection.  Aussi  ne  peut-elle  s'abstenir  à  aucun 
moment  d'affirmer  et  de  prêcher  la  vérité  divine 
qui  guérit  tout  ;  car  elle  n'ignore  pas  que  c'est  à 
elle  qu'il  a  été  dit  :  «  Mon  esprit  qui  est  en  toi  et 
mes  paroles  que  j'ai  mises  en  ta  bouché  ne  cesseront 
d'être  sur  tes  lèvres  maintenant  et  à  jamais  (i).  » 

C'est  au  concile  du  Vatican,  en  effet,  que  l'Eglise,, 
cette  prétendue  ennemie  de  la  raison,  a  défendu  les 
droits  de  la  raison  et  a  solennellement  proclamé  et 
défini  son  pouvoir  d'arriver,  par  ses  seules  forces,  à 
la  connaissance  de  l'existence  de  Dieu.  «  La  même 
sainte  Eglise,  lisons-nous,  tient  et  enseigne  que,  par 
la  lumière  naturelle  de  la  raison  humaine,  Dieu,  prin- 
cipe et  fin  de  toutes  choses,  peut  être  connu  avec  cer- 
titude, au  moyen  des  choses  créées  ;  car,  depuis  la 
création  du  monde,  ses  invisibles  perfections  sont  vues 
par  V intelligence  des  hommes,  au  moyen  des  êtres  qu'il 
a  faits  ;  que,  néanmoins,  il  a  plu  à  la  sagesse  et  à 
la  bonté  de  Dieu  de  se  révéler  lui-même  et  les 
éternels  décrets  de  sa  volonté  par  une  autre  voie,  et 
cela  par  une  voie  surnaturelle.  C'est  ce  que  dit 
l'apôtre  :  «  Après  avoir  parlé  autrefois  à  nos  pères 
et  à  plusieurs  reprises  et  de  plusieurs  manières  par 
les  prophètes,  pour  la  dernière  fois,  Dieu  nous  a 
parlé  de  nos  jours  par  son  Fils  (2).  »  Après  cet 
exposé  de  doctrine,  le  concile  a  porté  le  canon 
suivant  :  «  Analhème  à  qui  dirait  que  le  Dieu  unique 
et  véritable,  notre  Créateur  et  Seigneur,  ne  peut  être 
connu  avec  certitude  par  la  lumière  naturelle  de  la 
raison  humaine,  au  moyen  des  êtres  créés  (3).  » 


1.  Constitution  Dei  Filius,  546  ;  le  texte  est  pris  dans  Isaïe, 
lix,  ai.  —  2.  Ibid.,  ch.  n,  $  1  ;  le  texte  cité  est  de  l'Epître  aux 
Hébreux,  1,  1-2.  —  3.  Ibid.,  De  révélât.,  canon  1. 


39O  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Que  désirer  de  plus  clair,  de  plus  formel  et  de 
plus  autorisé  ?  C'est  donc  un  dogme  de  foi  catholi- 
que que  Dieu  peut  être  connu  avec  certitude,  à  la 
lumière  naturelle  de  la  raison,  par  le  moyen  des 
créatures.  Un  tel  langage,  un  tel  enseignement,  s'ils 
étaient  plus  connus,  ne  seraient  pas  sans  étonner 
tous  ceux  qui,  parmi  nos  contemporains,  ne  cessent 
de  dire,  de  répéter  et  d'écrire  que  l'Eglise  méconnaît 
la  valeur  de  la  raison  humaine.  Du  reste,  à  pour- 
suivre l'étude  des  décisions  du  concile,  cet  étonne- 
ment  ne  pourra  que  croître.  Remarquons  ici  avec 
quelle  sagesse  l'Eglise  formule  et  le  pouvoir  radical 
de  la  raison,  et  la  méthode  qu'elle  doit  employer, 
et  la  certitude  des  conclusions  qu'elle  tire,  et  la 
connaissance  qu'elle  acquiert.  Oui,  l'homme  peut 
arriver  à  la  connaissance  de  Dieu.  Il  a  pour  cela  en 
lui-même  la  lumière  naturelle  de  la  raison  et  il  se 
sert  des  créatures.  Sa  connaissance  n'est  pas  vaine 
ou  discutable  :  elle  a  une  valeur  logique  et  certaine. 
Et  sa  connaissance  atteint  Dieu,  principe  et  fin  de 
toutes  choses,  le  Dieu  unique  et  véritable,  notre 
Créateur  et  Seigneur.  Tout  cet  enseignement  trouve 
sa  justification  dans  le  texte  célèbre  de  l'Epître  aux 
Hébreux.  Disons  donc  quelques  mots  sur  ces  divers 
points,  pour  mettre  en  lumière  autant  que  possible 
et  pour  caractériser  nettement  la  pensée  et  la  doc- 
trine des  Pères  du  concile. 

Abstraction  faite  de  toute  considération  historique, 
sans  tenir  compte  des  divers  états  dans  lesquels 
l'homme  a  vécu  ou  aurait  pu  vivre,  et  rien  qu'à 
envisager  la  nature  humaine  avec  son  pouvoir  pro- 
pre, les  Pères  du  concile  estiment  que  la  manifes- 
tation objective  de  Dieu  par  les  créatures  s'adapte 
à  l'organisation  de  la  raison  humaine  et  que  la 
raison  humaine  possède  ce  qu'il  faut  pour  se  con- 
vaincre, par  cette  manifestation,    de   la  réalité   de 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  3()I 

l'existence  de  Dieu.  La  connaissance  de  Dieu  par  la 
raison  est  donc  chose  possible. 

Ce  qui  la  rend  possible,  c'est  la  lumière  naturelle 
de  la  raison  humaine.  Il  est  question  de  lumière 
par  comparaison  avec  la  lumière  physique  qui 
permet  à  la  vue  de  saisir  les  objets  sensibles  ; 
mais  il  s'agit  ici  d'une  lumière  intellectuelle 
qui  permet  à  la  raison  de  connaître  les  vérités 
d'ordre  naturel.  Cette  lumière  intellectuelle  est 
qualifiée  de  naturelle  parce  qu'elle  répond  à  la  nature 
de  l'homme,  qu'elle  est  de  même  ordre,  de  même 
qualité,  par  opposition  avec  la  lumière  surnaturelle 
qui,  infusée  par  la  grâce,  fait  accepter  par  la  foi  les 
vérités  révélées.  Et  il  s'agit  de  la  raison  humaine, 
c'est-à-dire  de  la  faculté  que  possède  l'homme  de 
connaître  les  premiers  principes  et  d'en  déduire  des 
conséquences.  Au  moyen  donc  de  cette  lumière,  la 
raison  peut  arriver  à  se  convaincre  de  l'existence  de 
Dieu,  sans  avoir  à  s'appuyer  soit  sur  la  révélation, 
soit  sur  la  tradition  ou  l'enseignement. 

Le  concile  indique  en  outre  le  moyen  extérieur 
qui  manifeste  l'existence  de  Dieu  ;  ce  sont  les  créa- 
tures, les  êtres  contingents.  Au  lieu  donc  d'admettre 
avec  les  ontologistes  que  la  notion  de  Dieu  est  en 
nous  à  l'état  habituel  et  inconscient  et  que  les 
créatures  ne  sont  qu'une  cause  occasionnelle  qui 
rend  cette  notion  distincte  et  consciente,  les  Pères 
du  Vatican,  en  indiquant  ce  moyen  externe,  favo- 
risent la  manière  de  voir  de  saint  Thomas  et  de 
presque  tous  les  théologiens,  d'après  laquelle  la 
connaissance  de  Dieu  est  une  vérité  acquise  et 
médiate,  les  créatures  servant  de  moyen  nécessaire 
pour  l'acquérir. 

De  plus,  à  rencontre  des  positivistes  français  et 
des  agnostiques  anglais,  qui  prétendent  que  l'exis- 
tence de  Dieu  ne  peut  être  prouvée  avec  une  entière 


3  9  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

certitude  et  que  les  arguments  qu'on  en  donne  ne 
sont  pas  au-dessus  de  toute  discussion  ;  à  l'encontre 
également  des  traditionalistes,  d'après  lesquels  la 
raison  seule  ne  peut  donner  sur  les  vérités  religieuses 
que  des  probabilités,  le  concile  déclare  certaine 
cette  connaissance  rationnelle  de  Dieu. 

Mais  jusqu'où  s'étend  cette  connaissance   ration- 
nelle ?  Le  concile  l'a  déjà  insinué  dans  le  premier 
chapitre  de  sa  constitution,  par   la   condamnation 
de  l'athéisme  et  du  panthéisme  ;  il  y  traite  de  l'exis- 
tence et  des  attributs  de  Dieu,  dont  la  foi  suppose 
la  connaissance  rationnelle  déjà  acquise  ;  car  il  y 
aurait  cercle  vicieux  à  exiger  comme  condition  de 
la  foi  une  connaissance  de  Dieu  que  la   foi    seule 
pourrait  donner.   Mais,   ici,  au  chapitre  second,  le 
concile  indique   formellement,  en  quelques  mots, 
la  notion  de  Dieu  que   la  raison  peut  avoir  et  il  la 
résume  dans  ces  deux  formules  :  Dieu,  principe  et 
fin  de  toute  choses  ;  Dieu  unique  et  véritable,  notre 
Créateur  et  Seigneur.  Dieu,  principe  et  fin  de  toute 
choses,  voilà  une  donnée  intellectuelle,  qui  renferme 
d'autres  vérités  et  les  suppose  logiquement.  Dieu, 
unique    et   véritable,   Créateur  et   Seigneur,   voilà 
encore  quelques  attributs  caractéristiques  de  Dieu, 
que  la  raison  peut  connaître.  Sans  doute  le  concile 
n'a  pas  entendu  définir  que  la  raison  peut  connaître 
avec  certitude  l'unité  de  Dieu,  la  vraie  nature  de 
Dieu,  le  mystère  de  la  création  ex  nihilo;  sa  défini- 
tion, plus  restreinte,  ne  porte  que  sur  la  possibilité 
de  la  connaissance  certaine  de  l'existence  de  Dieu 
par  les  lumières  de  la  raison,  au  moyen  des  créatu- 
res. Là  est  le  dogme  de  foi.  Mais  il  n'en  reste  pas 
moins   certain,  d'après  le  concile,  qu'à  la  lumière 
de  la  raison  Dieu  peut  être  connu  comme  principe 
et  fin.  En  fait  la  plupart  des  vérités,  qui  entrent 
dans  la  notion  complète  de  Dieu,  se  démontrent 


DÉFINITION    DU    CONCILE    DU    VATICAN  3q3 

rationnellement.  Mais  qui  ne  sait,  par  l'histoire  des 
religions  et  de  la  philosophie,  combien  d'erreurs  se 
sont  mêlées  à  l'idée  de  Dieu,  et  combien  sont  rares 
ceux  qui  ont  pu  parvenir  à  une  connaissance  satis- 
faisante de  Dieu.  Aussi  la  constatation  de  ces  faits 
scra-t  elle  invoquée  comme  un  argument  pour 
démontrer  la  nécessité  morale  d'une  révélation. 

Le  concile  appuie  sa  doctrine  sur  ce  texte  de 
saint  Paul,  ponctué  de  la  manière  suivante  :  «  Invi- 
sibllla  enitn  ipsius,  a  creatura  mundi,  per  ea  quœ  facta 
sunt,  intellecta,  conspiciuntur  (i).  »  La  virgule,  pla- 
cée après  intellecta,  fixe  authentiquement  la  lecture 
de  ce  verset  et  détermine,  semhle-t-il,  la  significa- 
tion de  ces  mots  :  a  creatura  mundi,  dans  lesquels, 
parmi  les  interprètes,  les  uns  voyaient  la  créature 
raisonnable  par  qui  Dieu  est  connu,  les  autres  celle 
au  moyen  de  laquelle  on  connaît  Dieu,  d'autres 
encore  la  date  depuis  laquelle  Dieu  est  connu  natu- 
rellement, c'est-à-dire  depuis  la  création.  C'est  ce 
dernier  sens  qui  paraît  le  plus  naturel. 

Or  ce  verset  se  trouve  encadré  dans  la  preuve 
que  donne  saint  Paul  que  la  justification  par  l'évan- 
gile a  été  un  don  gratuit  pour  les  gentils  et  pour  les 
juifs.  L'apôtre  rappelle  que,  suivant  l'enseignement 
de  la  révélation,  c'est  la  foi  en  l'évangile  qui  sauve. 
Il  l'établit  notamment  pour  les  gentils,  en  montrant 
qu'ils  avaient  besoin  de  cette  foi,  sans  y  avoir  le 
moindre  droit,  attendu  que  leur  idolâtrie  et  leurs 
fautes  appelaient  sur  leur  tête  la  colère  de  Dieu. 
«  Il  est  révélé,  dit-il,  que  la  colère  de  Dieu  menace 
du  ciel  la  souveraine  impiété  (l'idolâtrie)  et  l'injus- 
tice (les  autres  fautes)  de  ces  hommes  qui  retiennent 
la  vérité  de  Dieu  cachée  dans  leur  injustice.  En 
effet,   ce  que  l'on  sait  (naturellement)  de  Dieu  se 

i.  Rom.,  i,  20. 


3g 4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

manifeste  en  eux  (comme  la  loi  naturelle,  par 
exemple),  vu  que  Dieu  l'a  manifesté  en  eux.  Car 
depuis  la  création  du  monde,  ses  invisibles  perfections 
sont  vues  par  notre  intelligence  au  moyen  des  êtres 
qu'il  a  faits,  ainsi  que  son  éternelle  puissance  et  sa 
divinité.  De  sorte  qu'ils  sont  inexcusables  parce 
que,  ayont  connaissance  de  Dieu,  ils  ne  l'ont  pas 
glorifié  ni  remercié  comme  Dieu,  mais  ils  se  sont 
perdus  dans  leurs  raisonnements,  et  leur  cœur 
irréfléchi  s'est  rempli  d'obscurité  (i).  »  De  tout  ce 
passage,  le  concile  n'a  retenu  que  les  mots  souli- 
gnés ;  et  c'est  là  qu'il  a  vu  un  témoignage  révélé  en 
faveur  de  son  enseignement  sur  la  possibilité  de  la 
connaissance  rationnelle  de  l'existence  de  Dieu.  Mais 
saint  Paul  va  plus  loin  ;  avant  et  après  ce  verset  20, 
il  affirme  le  fait  que  les  païens  ont  réellement  connu 
Dieu,  et  c'est  précisément  cette  connaissance  réelle, 
dont  ils  ne  tenaient  pratiquement  aucun  compte, 
qui  les  rendait  a  inexcusables.  » 

IV.  Puissance  de  la  raison 

1.  La  raison,  par  ses  seules  forces,  est  capable  de 
se  démontrer  l'existence  de  Dieu  :  telle  est  la  vérité 
définie  par  le  concile  du  Vatican  ;  et  nous  venons  de 
voir  par  quels  moyens  et  dans  quelle  mesure  elle 
peut  s'élever  à  la  connaissance  de  Dieu. 

La  raison,  en  effet,  est  naturellement  faite  pour  la 
conquête  et  la  possession  du  vrai  ;  mais  elle  n'y 
parvient  pas  toujours  du  premier  coup  ;  sa  marcha 
est  parfois  lente,  et  tel  est  le  cas  pour  l'existence  d$ 
Dieu.  Car,  cette  vérité  ne  ressort  pas  de  Févidence 
immédiate  des  termes  qui  servent  à  la  formuler  ; 

1.  Rom.,  x,  18-21. 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  3o,5 

h.  ■    ■  . 

elle  se  démontre  logiquement,  non  pas  a  priori, 
c'est-à-dire  par  la  cause,  mais  a  posteriori  par  les 
effets.  Dieu,  étant  sans  cause,  échappe  par  là  même 
&  une  démonstration  a  priori  ;  étant  la  cause  des 
causes,  son  existence  peut  être  démontrée  a  posteriori. 
Sans  doute,  l'effet,  n'étant  pas  proportionné  à  la 
cause,  ne  saurait  en  donner  une  connaissance  adé- 
quate, parfaite  ;  il  sert  du  moins  et  il  suffit  à  en 
prouver  rigoureusement  l'existence.  Par  suite,  les 
créatures,  bien  qu'impuissantes  à  nous  faire  connaî- 
tre Dieu  dans  son  essence  complète,  démontrent  ce- 
pendant son  existence  d'une  manière  irréfutable.  Et 
ce  procédé  de  démonstration  s'impose  ;  car,  si  Dieu 
est  le  premier  dans  l'ordre  de  l'être  au  point  de 
vue  ontologique,  il  n'est  pas  le  premier  dans  l'ordre 
de  notre  connaissance.  Aussi  la  seule  voie  qui  s'offre 
à  nous  c'est  de  nous  élever  jusqu'à  lui  en  partant 
des  créatures,  en  remontant  des  effets  à  leur  cause 
première. 

2.  Nous  constatons,  tant  par  l'expérience  interne 
que  par  l'expérience  externe,  qu'il  y  a  des  substances 
et  des  causes  :  des  substances,  c'est-à-dire  des  entités 
qui  servent  de  support  aux  divers  phénomènes  sen- 
sibles ;  des  causes,  c'est-à-dire  de  véritables  agents 
d'action  ;  d'autre  part,  nous  possédons  l'idée  claire 
de  certains  principes  nécessaires  et  absolus,  par 
exemple,  celui-ci  :  Le  tout  est  plus  grand  que  la 
partie.  Or,  parmi  ces  principes,  se  trouve  le  prin- 
cipe général  de  raison  suffisante,  qui  s'applique  à 
tous  les  êtres  sans  exception  et  qui  se  formule  ainsi: 
Tout  ce  qui  est  a  sa  raison  d'être  en  soi  ou  dans  un 
autre.  Ce  principe,  appliqué  aux  êtres  qui  naissent  ou 
commencent  d'exister  pour  disparaître  ensuite,  est 
proprement  le  principe  de  causatité:  Tout  ce  qui 
commence  a  une  cause.  Aristote  disait  et  saint  Tho- 
mas a  répété  :  Tout  ce  qui  passe  de  la  puissance  à 


3g6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'acte  est  mû  par  un  autre.  Rien  de  plus  exact,  déplus 
certain.  Equivalemment  on  peut  dire  :  Tout  chan- 
gement est  produit  par  une  cause  ;  tout  phénomène 
a  une  cause  ;  rien  n'arrive  sans  une  raison  suffi- 
sante. 

3.  C'est  justement  l'application  de  ce  principe  de 
causalité,  de  raison  suffisante,  qui  permet  à  notre 
raison  de  conclure  légitimement  à  l'existence  de 
Dieu  ;  mais  c'est  aussi  ce  principe  qu'on  a  essayé 
de  battre  en  brèche,  pour  interdire  à  la  raison  le 
droit  de  conclure  à  l'existence  de  Dieu.  Hume, 
Stuart  Mill  et  la  plupart  des  positivistes  suppri- 
ment donc  le  principe  de  causalité  et  se  contentent 
de  dire  :  tout  phénomène  a  un  antécédent.  Mais  c'est 
là  déclarer  simplement  qu'entre  les  phénomènes  il 
n'y  a  pas  d'autre  rapport  que  celui  de  succession, 
sans  aucun  lien  de  causalité,  et  méconnaître  abusi- 
vement ce  rapport  très  particulier  qui  fait  que  tel 
phénomène  n'existe  que  parce  qu'il  a  sa  raison 
d'être  dans  une  cause  antérieure  ;  la  causalité  im- 
plique succession,  mais, elle  n'est  pas  qu'un  pur 
phénomène  antécédent,  elle  produit  en  réalité  le 
phénomène  qui  suit,  elle  est  vraiment  cause,  ce  qui 
est  fort  différent. 

[\.  Kant,  de  son  côté,  dans  sa  Critique  de  la  raison 
pure,  a  essayé  de  ruiner  le  principe  de  causalité.  Il 
n'a  voulu  y  voir  qu'une  manière  habituelle  de 
juger,  tenant  à  la  nature  de  notre  esprit,  d'ordre 
par  conséquent  purement  subjectif,  indiquant  bien 
ce  qui  se  passe  en  nous  au  point  de  vue  intellectuel, 
mais  ne  garantissant  pas  le  moins  du  monde  que  cela 
se  passe  de  même  hors  de  nous  dans  la  réalité  objec- 
tive,  et  que,  par  suite,  les  phénomènes  constatés  aient 
une  cause  rée'lle.  Aussi  rejette-t-il  les  preuves  de 
l'existence  de  Dieu  qui  s'appuient  sur  ce  principe 
de  causalité.  Après   avoir  nié  que  la  raison  pure 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  3q7 

pût  atteindre  sous  le  phénomène  le  noumène,  la 
réalité,  c'est-à-dire  les  substances  et  les  causes,  et 
par  conséquent  Dieu  et  le  monde,  il  a  essayé  d'un 
expédient  pour  sauvegarder  quand  même  la  vérité 
objective  de  l'existence  de  Dieu  ;  il  a  donc  recouru  a 
la  raison  pratique  qui  lui  a  montré  la  loi  du  devoir, 
inconditionnelle  et  absolue,  s'imposant  à  nous 
comme  un  impératif  catégorique,  et  prouvant  par  là 
même  l'existence  réelle  d'un  législateur,  de  Dieu. 
Mais  ce  n'est  là  qu'une  inconséquence,  condamnée 
d'avance  par  la  critique  de  la  raison  pure,  car  il  n'y 
a  pas  deux  raisons  en  nous,  l'une  spéculative,  l'autre 
pratique  ;  il  n'y  en  a  qu'une,  et  c'est  la  même  rai- 
son qui  découvre  les  lois  de  la  pensée  pure  et  celles 
de  la  volonté,  les  règles  de  la  logique  et  celles  de 
la  morale,  qui  tantôt  s'exerce  dans  le  domaine  de  la 
spéculation  et  tantôt  dans  celui  de  la  pratique. 

5.  Kant  s'est  donc  abusé;  son  subjectivisme  doit 
être  résolument  écarté.  Il  a  eu  tort  de  prendre  le  prin- 
cipe de  causalité  au  sens  purement  empirique  ;  car  ce 
principe  n'est  pas  la  simple  constation  de  faits 
sensibles  ou  d'une  succession  de  phénomènes  sans 
lien  intime  et  réel  entre  eux.  Il  implique  nécessai- 
rement une  relation  d'ordre  particulier  qui  fait  que 
tel  phénomène  n'existe  que  parce  qu'il  dépend  d'un 
autre  comme  l'effet  dépend  de  sa  cause.  Car,  pour 
être,  tout  phénomène  exige  une  force  proportion- 
née qui  le  fasse  être  et  être  ce  qu'il  est  ;  pour  passer 
de  la  puissance  à  l'acte,  il  lui  faut  une  cause  qui 
l'actue.  Ce  principe  s'entend  de  la  causalité  méta- 
physique, dans  laquelle  il  ne  s'agit  plus  de  phéno- 
mènes qui  ne  font  que  se  succéder,  mais  d'une 
cause  supérieure  aux  phénomènes.  Or,  cette  causa- 
lité-là, nous  l'atteignons  et  la  connaissons  en  nous 
par  la  conscience.  Car  nous  nous  connaissons 
comme    une  cause   réelle   et  vraie,  antérieure  aux 


398  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

—  "     "  1        ■     1 ..  ■  ■  1    1  —...,,..  — ■  1  ■       ■  ^ 

effets  que  nous  produisons,  et  leur  survivant,  c'est- 
à-dire  comme  un  être  identique  et  permanent.  Dire 
en  ce  sens  qu'il  n'y  a  pas  d'effet  sans  cause,  c'est 
faire  entendre  qu'il  y  a  hors  de  nous  des  causes 
semblables  à  celles  que  nous  trouvons  en  nous,  des 
êtres  identiques  et  permanents  comme  nous,  c'est- 
à-dire  des  causes  métaphysiques.  Et  cela  suffit  pour 
conclure  légitimement,  au  nom  de  ce  principe  de 
causalité,  de  la  constatation  de  certains  faits  à 
Fexistcnce  d'une  cause,  que  celle-ci  soit  ou  non 
accessible  en  elle-même,  sous  peine  de  tomber  dans 
le  scepticisme  et  de  douter  de  tout,  même  de  l'évi- 
dence. Gela  étant,  l'emploi  judicieux  du  principe 
de  causalité  et  de  raison  suffisante  nous  autorise  à 
chercher  la  raison  dernière,  la  cause  première  de 
tout  ce  qui  est.  et  à  les  trouver  en  Dieu. 

6.  Dès  lors  de  quel  droit  les  positivistes  rigoureux 
dénient-ils  à  la  raison  le  pouvoir  de  s'exercer  dans 
le  domaine  qu'ils  appellent  l'inconnaissable  ?  d'au- 
tant que  la  raison  n'y  pénètre  pas  sans  partir  de 
données  positives.  C'est  décréter  a  priori  qu'il  n'y  a 
de  connaissances  que  les  connaissances  expérimen- 
tales et  tout  ramener  de  parti  pris  à  la  méthode  des 
sciences.  Moins  inconséquent,  l'un  d'entre  eux, 
Herbert  Spencer,  proclame  du  moins  l'existence  de 
l'Inconnaissable  ;  et  si,  après  avoir  proclamé  son 
existence,  il  se  refuse  à  chercher  à  le  connaître, 
libre  à  lui  ;  il  n'a  pas  le  droit  d'interdire  aux  autres 
cette  recherche,  ni  surtout  celui  de  la  frapper  de 
suspicion,  de  la  déclarer  illogique  et  vaine,  car  c*est 
là  mutiler  la  raison. 

Ce  n'est  pas,  évidemment,  à  une  époque  comme 
la  nôtre,  qu'on  peut  refuser  à  la  raison  une  force 
d'investigation  et  une  action  couronnée  de  succès 
éclatants  dans  tous  les  domaines  de  l'expérience  : 
les  progrès  merveilleux  des  sciences  sont  là  pour 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  399 

prouver,  clair  comme  le  jour,  le  bonheur  de  ses 
initiatives  et  de  ses  travaux  ;  mais  ce  n'est  pas  un 
motif  suffisant  pour  lui  interdire,  dans  des  domaines 
différents,  d'autres  initiatives  et  d'autres  travaux. 
Il  n'y  a  pas,  en  effet,  que  des  vérités  d'ordre  pure- 
ment expérimental  ;  il  en  est  d'un  autre  ordre  qui 
ne  sont  ni  moins  utiles  ni  moins  fécondes  ;  et  la 
philosophie  a  quelque  droit  sans  aucun  doute  à 
utiliser  la  raison  dans  son  domaine  propre,  et  au 
moyen  d'une  méthode  à  elle,  pour  poursuivre  les 
plus  beaux  travaux  de  la  pensée  humaine  ;  et  la 
religion,  à  son  tour,  loin  de  méconnaître  la  valeur 
de  la  raison,  la  suppose  avant  tout,  s'appuie  sur 
elle,  travaille  avec  elle,  requiert  sans  cesse  son  con- 
cours nécessaire,  même  dans  les  questions  où  le 
dernier  mot  doit  rester  à  la  foi.  Encore  une  fois  de 
quel  droit  interdire  à  la  raison  l'emploi  de  ses 
facultés  ailleurs  que  dans  les  sciences  naturelles  ? 

7.  La  raison  est  faite  pour  la  vérité  dans  tous  les 
ordres  ;  la  vérité  est  son  objet  propre,  connaturel. 
Qu'elle  arrive,  par  son  libre  jeu,  à  la  connaissance 
des  vérités  naturelles  ;  qu'elle  découvre  les  lois  du 
monde  physique  et  les  rapports  des  substances 
matérielles  entre  elles  ;  qu'elle  fasse  de  ces  connais- 
sances, de  ces  lois  et  de  ces  rapports,  une  science, 
où  les  principes  conduisent  à  des  conclusions,  et 
où  les  progrès  enfantent  de  nouveaux  progrès,  rien 
de  mieux.  Mais  ne  peut-elle  également  pénétrer 
dans  le  monde  métaphysique  et  moral  ?  Qui  donc 
pourrait  l'en  empêcher  ?  Insister  serait  vraiment 
trop  faire  injure  au  bon  sens  et  plaider  une  cause 
évidente  et  incontestable  ;  car,  depuis  que  l'homme 
existe,  il  n'a  jamais  cessé  un  seul  instant  de  philo- 
sopher, c'est-à-dire  de  chercher  à  se  rendre  compte 
de  la  raison  de  tout  ce  qu'il  voit  autour  de  lui,  de 
tout  ce  qu'il  constate  en  lui-même. 


400  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Et  c'est  pourquoi,  en  face  des  phénomènes  de 
conscience  dont  il  est  le  théâtre  et  le  témoin,  en 
présence  des  phénomènes  variés  qui  Tentourent  et 
dans  lesquels  il  se  meut,  l'homme  raisonnable 
entend  dégager  l'inconnue  qui  s'y  cache  et  déchiffrer 
le  mot  de  l'énigme.  Les  questions  se  pressent  dans 
son  esprit.  Il  existe  ;  mais  qu'est-il  ?  d'où  vient-il  ? 
où  va  t-il  ?  D'autres  êtres  existent  à  côté  de  lui,  qui 
pourraient  ne  pas  exister  ;  il  y  a,  dans  le  monde, 
de  la  vie,  du  mouvement,  de  l'ordre.  Y  a-t-il  une 
cause  à  tout  cela  ?  Et  cette  cause  peut-il  en  affirmer 
l'existence  ?  peut  il  parvenir  à  dire  un  peu  ce  qu'elle 
est  ?  Oui,  pense-t-il,  et  il  estime  ne  pas  s'abuser. 
C'est  plus  qu'il  ne  lui  en  faut  pour  légitimer  ses 
recherches  et  l'assurer  de  n'avoir  pas  travaillé  en 
pure  perte. 

1.  Le  pouvoir  de  la  raison.  —  «  Au  fond,  les  erreurs, 
les  extravagances,  les  fluctuations,  les  contradictions 
des  systèmes  philosophiques  qui,  en  dehors  du  christia- 
nisme,  se  sont  élevés  sur  les  ruines  les  uns  des  autres, 
voilà  le  grand  argument  de  Montaigne,  de  Pascal  et  du 
P.  Ventura,  et  de  tous  ceux  qui  ont  cru  bien  servir  la 
religion  en  attaquant  la  philosophie.  Or,  cet  argument 
ne  prouve  rien,  parce  qu'il  prouverait  trop  ;  s'il  vaut  con- 
tre la  métaphysique,  il  vaudra  contre  toutes  les  sciences 
humaines  ;  car  en  toutes  on  s'est  battu,  en  toutes  on  s'est 
trompé,  en  toutes  les  systèmes  ont  succédé  aux  systèmes. 
Mais,  pour  ne  considérer  que  la  philosophie,  est-ce  à  dire 
que,  dans  cette  mêlée,  rien  ne  surnage,  qu'aucune  vérité 
stable  et  définitivement  établie  ne  se  dégage  des  contro- 
verses, et  qu'il  n'y  ait,  pour  le  spectateur  de  la  lutte, 
aucun  moyen  de  discerner  de  quel  côté  est  le  bon  droit  ? 
Quand  Socrate  combat  les  sophistes  avec  son  bon  sens  et 
donne,  le  premier,  une  forme  régulière  à  la  preuve  de 
l'existence  de  Dieu  tirée  de  l'ordre  de  la  nature,  quand 
Platon  ouvre  à  la  raison  qui  cherche  Dieu  le  chemin  de  la 
dialectique,  quand  Aristote  conclut  du  fait  du  mouve- 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  ^OI 


ment  la  nécessite  d'un  premier  moteur,  quand  les  stoï- 
ciens défendent  l'idée  de  l'honnête  contre  la  volupté 
épicurienne,  est-ce  que  ces  hautes  vérités  périssent  dans 
la  décadence  de  leurs  écoles  ?  est-ce  que  ces  patriciens  de 
la  philosophie,  comme  on  les  a  heureusement  appelés, 
n'ont  pas  légué  aux  âges  suivants  quelques-uns  des  maté- 
riaux et  quelques-uns  des  procédés  d'une  métaphysique 
indestructible  ?  La  vérité,  je  l'avoue,  n'était  chez  eux  ni 
complète,  ni  pure  ;  mais  elle  y  était,  et  l'étude  de  leurs 
doctrines  établit  du  même  coup  les  deux  thèses  fonda- 
mentales de  la  philosophie  chrétienne  :  premièrement, 
que  la  raison  est  capable  de  trouver  Dieu  ;  secondement, 
qu'elle  est  exposée  à  se  tromper  dans  sa  recherche,  et 
qu'en  devenant  chrétienne,  elle  acquiert  tout  à  la  fois  une 
portée  et  une  sûreté  qu'elle  n'a  pas  en  dehors  du  christia- 
nisme. Mais,  qu'on  me  permette  de  le  dire,  ce  serait  une 
pusillanimité  misérable  de  n'oser  suivre  la  raison  dans 
une  voie  qui  est  la  sienne  à  cause  des  chutes  qu'elle  peut 
y  faire,  et  des  mauvaises  routes  où  elle  peut  s'engager  par 
sa  faute.  J'aimerais  autant  dire  qu'il  faut  renoncer  à  agir 
et  se  croiser  les  bras,  parce  qu'en  agissant,  on  s'exposerait 
à  mal  user  de  sa  liberté.  Non,  le  serviteur  qui  enfouit 
son  talent  en  terre  n'est  pas  un  bon  serviteur,  et  c'est  mal 
répondre  aux  vues  de  la  Providence  que  de  ne  point  exer- 
cer, dans  leur  sphère  légitime,  les  facultés  dont  elle  nous 
a  pourvus.  Comme  elle  nous  a  donné  la  volonté  pour 
l'appliquer  à  son  objet,  qui  est  la  pratique  du  bien,  elle 
nous  a  donné  aussi  la  raison  pour  l'appliquer  au  sien,  à  la 
recherche  de  la  vérité  et  à  l'acquisition  de  la  sagesse, 
laquelle  dit  Bossuet,  consiste  à  connaître  Dieu  et  à  se 
connaître  soi-même.  «  De  Margerie,  Théodicée,  3°  édit., 
Paris,  1874,  t.  1,  p.  i32-i33. 

2.  Procédé  de  la  raison. —  «  De  quoi  sommes-nous  en- 
tourés ?  de  quoi,  étant  donnée  notre  organisation  intellec- 
tuelle, pouvons-nous  partir  ?  De  Dieu,  pour  descendre  à  ses 
œuvres  ?  Non,  mais  des  œuvres  de  Dieu  pour  remonter  à 
leur  auteur.  Notre  point  de  départ,  c'est  d'abord  le  monde 
extérieur  ;  puis,  c'est  notre  âme  où  nous  trouvons  ces 
idées  absolues,  dont  on  peut  bien  dire  qu'elles  ont  leur 

LE  CATÉCHISME.    —  T.    I.  26 


402  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


fondement  et  leur  substance  en  Dieu,  mais  non  pas 
qu'elles  sont  Dieu.  Découvrir  en  soi-même  ces  idées,  ce 
n'est  pas  avoir  l'intuition  de  Dieu,  c'est  apercevoir  le 
signe  visible  et  certain  d'une  réalité  cachée,  argumentant 
non  apparenlium.  Nous  les  apercevons  sans  doute  dans  la 
lumière  de  notre  raison,  qui  est  une  participation  de  la 
lumière  divine  ;  et  les  rayons  de  cette  lumière  nous  con- 
duisent, si  nous  savons  les  suivre,  jusqu'à  leur  éternel  et 
vivant  foyer.  Mais  à  quelles  conditions  ?  A  condition  que 
nous  les  prendrons  pour  ce  qu'ils  sont,  pour  des  rayons, 
pour  des  intermédiaires,  pour  des  degrés,  pour  des  routes 
qui  mènent  à  Dieu,  itlnera  in  Deum  ;  à  condition  aussi 
qu'il  y  aura  en  nous  une  force,  un  ressort,  qui  nous  pous- 
seront jusqu'à  la  réalité  suprême,  je  veux  dire  à  condi- 
tion que  notre  raison  possédera  des  principes  évidents  et 
premiers,  qui  nous  obligeront  à  remonter  de  l'effet  à  la 
cause,  et  de  l'imparfaite  copie  au  modèle  divin.  Tel  est, 
en  effet,  le  procédé  de  la  raison  ;  tel  est  le  caractère  de 
cette  ascension  dialectique  qu'ont  opérée,  depuis  Platon, 
tous  les  grands  esprits  qui  se  sont  occupés  de  théodicée. 
Nous  arrivons  à  Dieu  par  des  échelons,  per  scalam,  per 
gradas,  en  suivant  ses  traces,  en  passant  par  ce  qui  le 
représente,  par  la  nature  extérieure,  par  l'âme  humaine, 
par  les  idées  absolues,  et  en  dépassant  ces  représentations 
incomplètes  à  l'aide  des  principes  nécessaires  delà  raison. 
Or,  que  faisons-nous  quand  nous  prenons  pour  point  de 
départ  un  fait  réel,  le  monde,  ou  le  moi,  ou  les  idées 
réellement  présentes  à  la  conscience  ?  nous  posons  une 
mineure.  Et  que  faisons-nous  quand  nous  prenons  pour 
point  d'appui  une  vérité  universelle  ?  nous  posons  une 
majeure.  Que  faisons-nous  enfin,  quand,  à  l'aide  du  point 
d'appui,  nous  dépassons  le  point  de  départ,  quand  nous 
nous  fondons  sur  le  principe  de  causalité  pour  deviner 
l'ouvrier  derrière  son  ouvrage,  le  modèle  derrière  sa 
copie,  la  réalité  substantielle  de  l'infini  derrière  ce  fait 
psychologique  qui  est  l'idée  de  l'infini  ?  nous  tirons  une 
conclusion.  Car  nous  accomplissons  ces  trois  opérations 
avec  une  rigueur  syllogistique,  latine  et  informis,  ou  en 
français,  tantôt  par  un  développement  oratoire,  tantôt  par 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON  4o3 


un  rapide  élan  qui  transforme  le  syllogisme  en  un  enthy- 
mème  ou  l'argument  en  une  prière,;  que  nous  suivions 
lentement  chacun  des  pas  de  la  démonstration,  ou  que 
nous  les  traversions  d'un  bond,  le  procédé  au  fond  reste 
le  même,  il  s'appelle  le  raisonnement  ;  le  résultat  est  le 
même  aussi,  il  s'appelle  la  démonstration. 

«  Je  ne  sais  pourquoi  on  s'effraye,  et  pourquoi  on 
s'imagine  qu'en  se  résignant  à  raisonner,  on  se  condamne 
àne  point  sortir  des  abstractions.  Quand  on  raisonne  sur  des 
prémisses  abstraites,  comme  sont,  par  exemple,  les  défi- 
nitions de  la  géométrie,  c'est  à  des  conclusions  abstraites 
qu'on  arrive.  Mais  quand  on  résonne  sur  le  réel,  c'est  au 
réel  aussi  qu'on  aboutit.  Tel  sera  le  caractère  des  preuves 
sur  lesquelles  nous  établirons  l'existence  de  Dieu  :  con- 
formes aux  règles  les  plus  rigoureuses  de  la  logique,  elles 
atteindront  la  réalité  créatrice,  parce  qu'elles  s'appuient 
sur  la  réalité  créée,  non  pour  s'y  enfermer,  mais  pour  la 
dépasser.  »  Ibid.>  p.  i43-i44- 

3.  Aller  à  Dieu  de  toute  son  âme.  —  «  Il  y  a  dans 
l'âme  qui  cherche  Dieu  autre  chose  qu'un  mouvement  de 
la  pensée  qui  conçoit  l'infini  et  raisonne  sur  cette  idée  ;  il 
y  a  un  mouvement  de  l'amour.  Et  l'amour,  s'ajoutant  au 
raisonnement,  produit  en  nous,  outre  la  conviction  scienti- 
fique de  l'existence  de  Dieu,  l'impression  sensible  de  sa 
présence.  Oui,  il  y  a  en  nous  plus  qu'une  puissance  de 
raisonner  spéculativement  sur  la  nature  de  Dieu,  comme 
sur  la  notion  du  cercle  ou  du  triangle  ;  il  y  a  une  voix  du 
sang  qui  nous  crie  de  chercher  notre  père,  et  un  tact  du 
cœur  qui  nous  le  fait  deviner.  Nous  ne  le  voyons  pas,  car 
c'est  la  condition  de  la  vie  présente  et  l'épreuve  de  notre 
fidélité  qu'il  faille  l'aimer  à  travers  un  voile  ;  mais  nous 
sentons  qu'il  nous  enveloppe  et  nous  soutient,  nous 
entendons  sa  voix,  nous  reconnaissons  sa  main  aux  bien- 
faits qu'elle  répand,  sa  sagesse  et  sa  puissance  à  la  beauté 
de  son  ouvrage,  sa  sainteté  à  la  sainteté  même  de  la  loi 
qu'il  a  gravée  dans  nos  consciences.  Ainsi  le  cœur  s'ajoute 
h  la  raison,  non  plus,  comme  il  arrive  trop  souvent,  pour 
la  troubler  et  l'obscurcir,  mais  pour  lui  imprimer  un 
élan  plus  rapide  vers  la  vérité,  pour  lui  donner  un  senti- 


4û4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


ment  plus  vif  des  réalités  divines.  Ce  n'est  plus  seulement 
l'esprit  qui  raisonne,  c'est  l'âme  tout  entière  qui  monte 
sur  l'aile  de  la  pensée  et  sur  l'aile  de  l'amour.  La  pensée 
va  au  vrai  et  l'amour  va  au  bien  ;  et  puisque  le  vrai  et  le 
bien  ne  sont  que  deux  aspects  divers  d'une  même  réalité 
qui  est  Dieu,  la  pensée  et  l'amour  ne  doivent  pas  être  ici 
séparés  l'une  de  l'autre.  Leur  objet  est  le  même,  et,  pour 
l'atteindre,  ce  n'est  pas  trop  de  leur  commun  effort.  » 
Ibid.,  p.  1 44-i 45. 

4.  Conséquences  du  scepticisme. —  «  Des  tentatives 
malheureuses  de  Kant,  des  traditionalistes  et  des  fidéistes, 
nous  devons  conclure  que  le  scepticisme,  soit  idéaliste, 
soit  empirique,  en  niant  les  premiers  principes  de  la 
raison  humaine,  aboutit  à  la  négation  de  Dieu,  fatale- 
ment et  sans  espoir  d'y  revenir  par  un  autre  chemin,  et 
que  réciproquement  on  ne  peut  refuser  à  la  raison  la 
puissance  de  s'élever  à  Dieu  et  de  prouver  son  existence, 
sans  attaquer  la  raison  elle-même  jusque  dans  ses  fon- 
dements. En  ruinant  la  théoclicée  par  la  base,  on  ruine  en 
même  temps  toute  connaissance  par  les  causes,  et  toute 
certitude  scientifique.  Et  comment  s'étonner  de  cette 
alternative,  où  se  trouve  l'esprit  humain,  ou  de  croire  que 
la  raison  est  capable  de  connaître  l'existence  des  causes  et 
de  la  cause  première  qui  est  Dieu,  ou  bien  qu'elle  est 
incapable  de  rien  connaître  scientifiquement,  pas  même 
sa  propre  existence  substantielle,  lorsqu'on  se  rappelle 
que  ces  idées  d'être,  de  substance,  de  cause  en  général, 
de  cause  première,  d'être  nécessaire,  et  par  conséquent  le 
désir  inné  et  le  besoin  de  les  connaître,  sont  comme  le 
fond  indestructible  de  la  raison  humaine  et  le  patrimoine 
commun  de  toutes  les  intelligences.  Impossible  de  n'ac- 
cepter qu'une  partie  de  la  raison  humaine,  et  d'en  répu- 
dier l'autre  partie;  de  rejeter  la  nécessité  d'une  cause 
première,  raison  dernière  de  toute  chose,  et  de  croire 
encore  aux  principes  de  causalité  ou  de  raison  suffisante  ; 
impossible  de  faire  un  choix  parmi  les  évidences  ;  il  faut 
les  admettre  ou  les  rejeter  toutes.  Tant  est  grande  la 
dépendance  absolue  de  la  raison  à  l'égard  de  l'Intelli- 
gence divine  :  elle  ne  peut  la  nier  sans   se   renier  elle- 


PUISSANCE    DE    LA    RAISON 


4o5 


même  ;  elle  ne  peut  fermer  les  yeux  à  cette  lumière  d'en 
haut  a  qui  illumine  tout  homme  venant  en  ce  monde,  » 
sans  s'égarer  en  pleines  ténèbres,  ou  sans  se  condamner  à 
une  contradiction  perpétuelle  !  »  Farges,  Vidée  de  Dieu, 
Paris,  1894,  p.  57-58. 


Leçon  XI 
De  Dieu 


L'existence  de  Dieu  est  un  dogme  de  la  raison  : 
Ses  preuves.  —  I.  Preuves  psychologiques.  — 
II.  Preuves  morales.  —  III.  Preuves  de  saint 
Thomas. 

Pour  arriver  à  prouver  l'existence  de  Dieu,  l'es- 
prit humain  n'a  qu'à  constater  des  faits  et  à  en 
chercher  l'explication  dernière  par  l'applica- 
tion du  principe  de  causalité  et  de  raison  suffisante  : 
cette  solution  ne  se  trouve  que  dans  l'existence  de 
Dieu.  Que  l'homme  s'interroge  lui-même,  au  fond  du 
sanctuaire  mystérieux  de  sa  conscience,  ou  qu'il 
jette  un  regard  sur  le  monde  qui  l'entoure,  dès  qu'U 
voudra  posséder  le  dernier  mot  de  ce  qu'il  voit,  U 
devra  toujours  remonter  plus  haut  jusqu'à  la  cause 
première,  jusqu'à  Dieu.  S'il  emprunte  les  éléments 
de  sa  démonstration  aux  phénomènes  de  conscience, 
il  formulera  les  preuves  psychologiques  ou  morales 
de  l'existence  de  Dieu  ;  s'il  les  emprunte  aux  phé- 
nomènes à  travers  lesquels  il  se  meut,  il  formulera 
les  preuves  cosmologiques.  Disons  quelques  mots  des 
uns  et  des  autres  (i). 

i.  BIBLIOGRAPHIE  :    Saint  Thomas,  Sum.   Theol.  ;    Sum. 
cont.  qent.  ;  Franzelin,  De  Deo:    Gratry.De   la  connaissance  de 


PREUVES    PSYCHOLOGIQUES  [\0*] 


I.  Preuves  psychologiques 

i°  C'est  l'austère  Tertullien  qui  invoquait,  en 
faveur  de  l'existence  de  Dieu,  le  témoignage  de  rame. 
«  Viens  donc,  ô  âme  humaine,  comparais  devant 
nous,  soit  qu'il  faille  avec  plusieurs  philosophes  te 
reconnaître  pour  une  substance  éternelle  et  divine, 
et  par  là  même  plus  incapable  de  mentir  ;  soit 
qu'étrangère  à  la  divinité,  tu  n'aies  rien  que  de 
mortel,  comme  l'a  professé  le  seul  Epicure,  ce  qui 
fera  paraître  ton  témoignage  d'autant  moins  suspect; 
soit  que  tu  descendes  du  ciel  ou  que  la  terre  te  con- 
çoive ;  que  tu  naisses  avec  le  corps  ou  que  tu  lui 
sois  ajoutée  après  coup  ;  d'où  que  tu  viennes,  et  de 
quelque  manière  que  tu  rendes  l'homme  un  animal 
raisonnable,  doué  d'intelligence  et  de  sentiment, 
réponds-moi  I  Mais  ce  n'est  pas  toi  que  j'appelle, 
ô  âme  qui,  formée  dans  les  écoles,  exercée  dans  les 
bibliothèques  et  nourrie  dans  les  académies  ou 
sous  les  portiques  de  la  Grèce,  débites  d'orgueilleu- 
ses maximes.  Non,  viens  ici  dans  toute  ta  rudesse, 
dans  toute  la  simplicité  de  ton  ignorance  primitive, 
telle  que  te  possèdent  ceux  qui  n'ont  que  toi  ;  ac- 
cours de  la  voie  publique,  du  carrefour,  de  l'atelier. 
Il  me  faut  ton  expérience,  puisque  personne  n'ajoute 
plus  foi  à  ton  habileté,  si  petite  qu'elle  soit.  Je  ne 
te  demande  que  ce  que  tu  apportes  avec  toi  dans 
l'homme,  soit  que  tu  le  tires  de  ton  propre  fonds, 
ou  que  tu  le  reçoives  de  ton  auteur,  n'importe  lequel. 
Tu  n'es  pas  chrétienne,  que  je  sache,  car  tu  as  cou- 
tume   de    devenir    et   non   de    naître    chrétienne. 

Dieu,  Paris  i856;  ajouter  aux  ouvrages  déjà  signalés  dans  la 
leçon  précédente  :  Janet,  Les  causes  finales,  Paris,  i876;Blon- 
■del,  V Action,  Paris,  1893  ;  Monsabré,  Conférences  de  Notre 
Dame. 


4o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Toutefois  les  chrétiens  requièrent  aujourd'hui  ton 
témoignage.  Etrangère,  dépose  contre  les  tiens,  afin 
que  nos  persécuteurs  rougissent  devant  toi  de  leur 
mépris  pour  une  doctrine,  dont  tu  es   complice... 
On  ne  veut  pas  nous  écouter  quand  nous  prêchons 
un  Dieu  unique,  de  qui  tout  vient,    sous  qui  tout 
suhsiste.Eh  bien,  parle,  ô  âme  :  n'est-ce  point  là  ta 
croyance  à  toi  même  ?...  Ces  témoignages  de  l'âme 
sont  d'autant  plus  simples   qu'ils  sont  plus  vrais, 
d'autant  plus  populaires  qu'ils   sont  plus  simples, 
d'autant  plus  communs  qu'ils  sont  plus  populaires, 
d'autant  plus  naturels  qu'ils  sont  plus  communs, 
d'autant  plus  divins  qu'ils  sont  plus  naturels  (i).  » 
2°  C'est  saint  Augustin  qui  donnait  ses  préféren- 
ces à  la  preuve  basée  sur  la  constatation  d'une  vérité 
éternelle  et  immuable,  supérieure  à  l'homme.  La  rai- 
son de  l'homme  occupe  le  plus  haut  degré  de  la 
hiérarchie  des  êtres  de  ce   monde  visible  ;   mais  si 
elle  découvre  un  être  plus  parfait,  cet  être  sera  Dieu. 
Or,  la  raison  humaine  constate  qu'au-dessus  d'elle, 
il  y  a  la  vérité  éternelle  et  immuable,   qu'elle   ne 
crée  pas,  mais  qu'elle  contemple,  qui  n'est  ni  sienne 
ni  en  elle,  puisque  tout  homme  la  contemple  sem- 
blablement.  Cette  vérité  est  donc  Dieu  lui-même  ou, 
si  l'on  suppose  un  être  encore  plus  élevé,  nous  con- 
duit à  cet  être,   source  de  vérité  (2).  Ce   n'est  point 
là,  remarquons-le,  l'édition  anticipée  de  l'argument 
de  saint  Anselme,  car  l'évêque  d'Ilippone  ne  con- 
clut pas  de  l'idée  de  Dieu  à  son  existence;  analysant 
les  caractères  de  la  vérité,  il  les  trouve  inexplicables 
si  au-dessus  d'elle  il  n'y  a  un  être  immuable,  source 
de  l'immuable  vérité. 

1.  De  test,  ara.,  i-v  ;  Pair,  lat.,  t.  1,  col.  610  sq.  —  2.  De  lib. 
arb.,  11,  7~33  ;  Pair,  lat.,  t.  xxxn,  col.  I243-I2G3;  Conj.,  VII,  x, 
16;  ibid.,  col.  7^2;  De  Div.  quœst.  lxxxiii,  q.  liv;  Pair,  lat.,  t. 
xl,  col.  38. 


PREUVES    PSYCHOLOGIQUES  l\OÇ) 

Notre  Bossuet  a  repris  cette  preuve  avec  son  tour 
Inimitable  :  «Toutes  ces  vérités...,  subsistent  indé- 
pendamment de  tous  les  temps  :  en  quelque  temps 
que  je  mette  un  entendement  humain,  il  les  con- 
naîtra ;  mais,  en  les  connaissant,  il  les  trouvera 
vérité,  il  ne  les  fera  pas  telles  ;  car  ce  ne  sont  pas 
nos  connaissances  qui  font  leurs  objets,  elles  les 
supposent.  Aussi  ces  vérités  subsistent  devant  tous 
les  siècles,  et  devant  qu'il  y  ait  un  entendement 
humain...  et  je  verrais  clairement  qu'elles  seraient 
toujours  bonnes,  toujours  véritables,  quand  moi 
même  je  serais  détruit  avec  le  reste.  Si  je  cherche 
maintenant,  où,  et  en  quel  sujet,  elles  subsistent 
éternelles  ou  immuables,  comme  elles  le  sont,  je 
suis  obligé  d'avouer  un  Etre,  où  la  vérité  est 
éternellement  subsistante  et  où  elle  est  toujours 
entendue  ;  et  cet  Etre  doit  être  la  Vérité  même 
et  doit  être  toute  vérité  ;  et  c'est  de  lui  que  la  vérité 
dérive  dans  tout  ce  qui  est  et  entend  hors  de  lui... 
Ces  vérités  éternelles,  que  tout  entendement  aper- 
çoit toujours  les  mêmes,  par  lesquelles  tout  enten- 
dement est  réglé,  sont  quelque  chose  de  Dieu,  ou 
plutôt  sont  Dieu  même.  Car  toutes  ces  vérités  éter- 
nelles ne  sont  au  fond  qu'une  seule  vérité.  En  effet, 
je  m'aperçois  en  raisonnant  que  ces  vérités  sont 
suivies...  La  vérité  est  une  de  soi.  Qui  la  connaît  en 
partie,  en  voit  plusieurs  ;  qui  les  verrait  parfaite- 
ment, n'en  verrait  qn'une  (i).  » 

3°  D'autres  sont  partis  des  aspirations  de  l'âme 
vers  r infini.  Voici  comment  en  parle  de  Margerie  : 
«  Notre  raison,  si  faible  et  si  fragile,  possède  un 
ressort  qui,  par  sa  force  naturelle,  la  lance  jusque 
dans  l'infini  ;   du  sein  de  mes  ténèbres  et  de  mon 


i.  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  ch.  iv  ;  cf.  Cousin, 
Du  vrai,  p.  72. 


^IO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ignorance  se  dégage  une  idée  qui  déborde  de  toutes 
parts  l'étroite  intelligence  oiielle  fait  son  apparition, 
l'idée  du  parfait,  de  l'absolu,  du  nécessaire,  de 
l'éternel,  l'idée  de  l'infini,  l'idée  de  Dieu.  S'il  est 
vrai  que  je  possède  cette  idée,  sa  présence  est  un 
fait  psychologique  d'une  immense  portée  métaphy- 
sique ;  par  lui  et  en  lui  l'expérience  nous  fournit 
une  idée  qui  la  dépasse,  et  cette  donnée  constitue, 
pour  la  théodicée  une  mineure  incomparablement 
plus  riche  et  plus  féconde  que  toutes  les  magnifi- 
cences du  monde  matériel...  Que  suis-je  ?  Un  fini 
qui,  par  un  mouvement  naturel,  tend  à  l'infini 
dans  toutes  les  directions  de  son  activité.  Qu'est-ce 
que  mon  intelligence  ?  Une  ignorance  qui  tend  à  la 
science,  à  la  lumière  sans  ombre,  et  qui,  si  haut 
qu'elle  s'élève  et  si  avant  qu'elle  pénètre,  veut  tou- 
jours monter  et  creuser  davantage,  parce  que  ce 
qu'elle  sait  est  infiniment  distant  de  ce  qui  lui  reste  à 
apprendre.  Qu'est-ce  que  ma  volonté,  sinon  une 
force  qui,  partant  de  l'extrême  imperfection  et  de 
l'extrême  faiblesse,  se  sent  appelée  à  un  perfection- 
nement continu,  c'est-à-dire  à  un  mouvement  au- 
quel l'idée  de  la  perfection  absolue  peut  seule  tracer 
sa  route.  Qu'est-ce  que  mon  cœur,  sinon  un  amour 
borné  dans  sa  puissance,  infini  dans  ses  vœux,  cher-r 
chant  partout  cet  infini,  inépuisable  aliment  de  sa 
faim  insatiable,  le  rêvant  dans  les  choses  créées,  par 
une  illusion  qui  dure  autant  que  leur  poursuite  et 
s'évanouit  avec  leur  conquête,  se  désabusant  parla 
jouissance  elle-même,  et  condamné  à  n'être  pas  sa- 
tisfait tant  qu'il  demande  au  fini  ce  que  le  fini  ne 
contient  pas  ?  Quest-ce  que  ma  vie,  sinon  un  flot 
qui  s'écoule,  et  qui,  en  s'écoulant,  invoque  obsti- 
nément la  stabilité,  le  repos  et  la  béatitude  ?  Je  ne 
fais  qu'indiquer  ;  si  je  voulais  approfondir,  il  fau- 
drait reprendre  toute  la  psychologie,  toute  la  morale, 


PREUVES    PSYCHOLOGIQUES  4ll 

toute  l'esthétique,  sciences  vaines  ou  plutôt  mots  vi- 
des de  sens,  si  l'idée  d'infini  qui  les  remplit,  qui  est 
leur  centre  et  leur  terme  commun,  n'a  pas  de  place 
dans  la  raison  (i).  »  «  Quelle  est  la  cause  objective 
dont  l'idée  d'infini  est  l'effet  psychologique,  le  mo- 
dèle dont  elle  est  la  représentation  de  l'image  ?  Le 
bon  sens  répond  à  cette  question  d'une  manière 
tellement  rapide  et  positive,  le  principe  de  causa- 
lité, s'ajoutant  au  fait  psychologique,  produit  un  rai- 
sonnement si  simple,  il  y  a  une  absurdité  si  visible 
et  une  contradiction  si  énorme  à  expliquer  l'idée 
d'infini  autrement  que  par  l'existence  de  l'être 
infini,  que  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu 
semble  ici  prendre  le  caractère  d'une  intuition  im- 
médiate... Il  faut  concevoir  l'humanité  comme  un 
tout  vivant,  comme  une  personne,  et  puisque  l'idée 
d'infini  est  en  elle,  il  faut  lui  demander  d'où  elle  la 
tient.  Elle  ne  Ta  pas  créée,  elle  ne  l'a  pas  construite, 
elle  n'en  a  rencontré  le  modèle  ni  en  elle-même,  ni 
dans  le  monde,  ni  dans  quelque  réalité  finie  que  ce 
puisse  être,  elle  ne  l'a  trouvée  que  dans  un  être  qui 
est  réellement  tout  ce  que  cette  idée  représente,  en 
Dieu  (2).  » 

4°  Quelques  esprits  supérieurs,  aux  envolées 
superbes,  se  sont  laissé  séduire  au  mirage  trompeur 
de  leur  propre  pensée  et  ont  cru  pouvoir  conclure 
de  Vidée  de  Vêlre  parfait  à  l'existence  réelle  de  cet 
être.  Ce  fut  le  cas  de  saint  Anselme  (f  1109). 
Gaunilon,  moine  de  Noirmoutiers,  fit  la  critique 
ingénieuse  et  profonde  de  l'argument  de  saint  An- 
selme, dans  son  Liber  pro  insipiente  ;  et  saint  Thomas 
l'a  justement  écarté  à  cause  du  passage  injustifié  de 
l'ordre  logique  de  l'idée  d'existence  à  l'ordre  onto- 


1.  Théodicée,  t.    1,  p.  ai 4,  220-221.    —   2.  Ibid.,  t.  1,  p* 
223-226. 


4  I  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

logique  de  l'existence  réelle  (i).  Repris  par  Descartes, 
puis  par  Leibnitz,  cet  argument  a  été  soumis  par 
Kant  à  une  critique  minutieuse  et  impitoyablement 
condamné,  parce  que  partir  de  l'idée  de  l'être 
parfait  et  vouloir  que  cette  idée  renferme  comme 
attribut  l'existence  réelle  de  Dieu  est  une  contradic- 
tion, une  impossibilité.  Le  Dieu  réel,  concret, 
vivant,  ne  se  trouve  pas  dans  une  pure  conception 
de  l'esprit. 

IL  Preuves  morales 

i°  À  côté  des  lois  de  la  logique  qui  règlent  la 
pensée,  il  y  a  les  lois  morales  qui  régissent  les  actes 
de  la  volonté.  Toute  âme  droite,  sincère  et  loyale 
constate  sans  peine  l'existence  de  ces  derniè- 
res au  fond  de  sa  conscience.  Faire  le  bien, 
éditer  le  mal;  être  fidèle,  probe,  honnête,  juste, 
c'est  un  bien  ;  pratiquer  la  fraude,  l'improbité,  la 
perfidie,  l'injustice,  c'est  un  mal  ;  mieux  vaut  rester 
pauvre  mais  honnête  que  d'acquérir  la  richesse  au 
prix  du  déshonneur  et  d'une  lâcheté  :  autant  de 
vérités  d'ordre  pratique,  partout  et  toujours  les 
mêmes,  partout  et  toujours  impérieuses,  s'imposant 
bon  gré  mal  gré  à  la  conscience  de  l'homme.  D'où 
viennent-elles  ?  Ce  n'est  pas  de  l'homme  :  elles 
s'imposent  à  lui  ;  elles  aussi  impliquent  nécessaire- 
ment l'existence  de  Dieu. 

2°  Par  une  inconséquence  heureuse  avec  ses 
principes  de  la  raison  pure,  Kant  a  demandé  à  la 
raison  pratique  un  argument  irrésistible  en  faveur 
de  l'existence  de  Dieu.  «  Le  ciel  au-dessus  de  ma 
tête,  la  morale  dans  mon  cœur,  »  disait-il,  c'est 
tout  ce  qu'il  faut  pour  établir  la  réalité  de  i'exis- 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.,  n,  a.  i,  ad.  a. 


PREUVES    MORALES 


4l3 


tencc  de  Dieu.  Car  chacun  reconnaît  avoir  des  de- 
voirs à  remplir  et  se  regarde  comme  obligé  de  les 
remplir.  Où  donc  trouver  le  principe  du  devoir  et  de 
son  obligation?  On  ne  peut  le  chercher,  ni  avec  les 
moralistes  de  l'intérêt  au-dessous  de  la  volonté, 
dans  les  conséquences  agréables  ou  désagréables  de 
nos  actes,  ni  avec  les  moralistes  du  sentiment  dans 
les  penchants  sympathiques  de  notre  nature,  ni 
avec  les  moralistes  indépendants  dans  la  volonté 
même,  mais  bien  dans  un  principe  supérieur  à  la 
volonté  !  Car  le  devoir  est  un  impératif  catégori- 
que, sans  condition,  absolu,  qui  s'impose  à  nous, 
malgré  nous.  Il  nous  dit  :  Fais  ce  que  dois,  advienne 
que  pourra.  Lui  reconnaître  ce  caractère,  et  il  le 
faut  bien,  sans  quoi  il  se  confondrait,  comme 
l'observe  Kant,  avec  les  conseils  de  l'hygiène  ou  de 
la  prudence,  c'est  lui  reconnaître  une  valeur  absolue. 
Mais  d'où  peut  lui  venir  ce  caractère  de  valeur 
absolue?  Pas  de  ce  monde,  car  la  conscience  crie  : 
Pereat  mandas,  fiât  justitia!  Le  monde  n'est  rien  au 
prix  de  la  justice.  C'est  donc  en  dehors  de  ce 
monde,  et  au  dessus,  en  Dieu.  Car  Dieu  seul  peut 
rendre  compte  du  devoir  qui  nous  incombe  et  de 
l'obligation  qui  nous  lie. 

Voici,  d'après  Kant,  la  preuve  tirée  de  la  nécessité 
d'ane  sanction.  La  raison  pratique  affirme  la  nécessité 
du  souverain  bien,  c'est-à-dire  l'accord  de  la  vertu 
et  du  bonheur.  Or  cet  accord  n'existe  pas  et  ne  peut 
pas  même  exister  dans  le  monde  tel  qu'il  est,  puis- 
que la  nature  des  choses  est  constituée  de  telle  sorte 
qu'elle  impose  les  plus  rudes  sacrifices  à  qui  veut 
faire  son  devoir.  Faire  son  devoir  en  ce  monde, 
c'est  infailliblement  se  beurterà  la  nature  et  souffrir. 
La  vertu  elle-même,  par  les  efforts  qu'elle  demande 
et  les  sacrifices  qu'elle  exige  dans  te  monde  tel  qu'il 
est,  est  souvent  la  source  des  plus  profondes   dou- 


£l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

leurs.  Sans  doute,  il  y  a  des  compensations,  mais 
combien  insuffisantes  1  De  sorte  que  si  l'homme  de 
bien  a,  en  ce  monde,  quelques  privilèges,  ce  n'est 
pas  tant  celui  du  bonheur  que  celui  de  la  souffrance. 
Ce  désaccord  existant,  en  fait,  qui  pourra  réaliser 
l'accord  nécessaire,  réclamé  par  la  raison  au  nom 
de  la  justice  ?  Qui   pourra  modifier  la  nature  de 
façon  à  ce  que  les  lois  physiques  ne  soient  plus  en 
conflit  avec  les   lois   morales,  que    la   loi   morale 
devienne  en  quelque  façon  la  loi  unique,  souveraine, 
et  qu'elle  s'assujettisse  le  monde  entier?  Qui  pourra 
faire  un  monde  tel  que  la  volonté  vertueuse  y  soit 
toujours  heureuse,  et  seule  heureuse?  Ce  n'est  point 
l'agent  moral  lui-même,  car  notre  volonté  en  est 
évidemment  incapable.  Ce  n'est  point  la  nature  qui, 
d'elle-même,  pourra  se  modifier  dans  ce  sens.   Il 
faut  donc  admettre  un  être  supérieur  à  la  nature, 
tout  puissant  et  tout  bon,  un  Dieu  en  un  mot  qui, 
prenant  en  main  la  cause  de  la  moralité,  produira 
cet  accord  nécessaire  entre  l'intention  morale  et  la 
nature  pour  que  le  souverain  bien  soit  enfin  réalisé. 
3°  Avec  beaucoup  plus  d'autorité,  de  Margerie  a 
tiré  de  ridée  du  devoir  la  preuve  de  l'existence  de 
Dieu.  Analysant  les  faits  moraux  de  la  conscience 
et  trouvant  qu'ils  impliquent  l'idée  d'une  loi  éter- 
nelle absolue,  parfaite,  universelle,  il  constate  que 
cette  loi  n'a  pas  sa  source  dans  l'expérience.  Sans 
doute  on  peut  se  tromper,  et  l'on  se  trompe  sur 
l'idée  du  devoir,    car  on  pèche   contre  la  morale 
comme  on  pèche  contre  la  logique  ;  on  se  trompe 
surtout  si  le  sens  moral  est  malade  et  lorsque  l'ha- 
bitude de  mal  faire  en  a  émoussé  la  clairvoyance. 
L'idée  alors  peut  être  obscurcie,  méconnue,  oblité- 
rée même,   chez  les  individus  et   dans  les  peuples. 
Car  a  le   grand  moyen  de  discerner  le  devoir,  ce 
!  n'est  pas  d'avoir  une  raison  puissante,  c'est  d'avoir 


PREUVES   MORALES  4l5 


une  volonté  droite  et  un  cœur  pur.  A  mesure  qu'on 
devient  meilleur,  les  vérités  morales  apparaissent 
avec  une  plus  irrésistible  évidence  ;  et,  tout  au  con- 
traire, l'habitude  de  violer  le  devoir  et  d'en  détourner 
nos  regards  nous  fait  désirer,  puis  trouver  des 
raisons  contre  lui,  et  ne  réussit  que  trop  aisément  à 
nous  le  rendre  obscur.  Aussi  pouvons-nous  remar- 
quer que  bien  des  consciences,  fort  saines  et  fort 
délicates  en  ce  qui  concerne  certaines  vertus  aux- 
quelles on  a  su  rester  fidèle,  sont  étrangement 
élargies  dès  qu'il  s'agit  d'autres  devoirs  dont  le 
chemin  est  oublié.  » 

De  même  pour  les  actions  :  à  raison  de  l'éducation 
et  des  préjugés,  les  idées  morales  se  faussent  dans 
la  conscience  publique.  L'abandon  du  devoir  con- 
duit à  son  oubli,  et  la  perversion  va  s'accen tuant. 
«  C'est  ainsi  que  des  peuples  entiers  arrivent,  non 
seulement  à  tolérer  des  actions  criminelles,  non 
seulement  à  les  croire  innocentes,  mais  encore  à 
les  imposer  au  nom  des  lois  et  au  nom  des 
dieux.  » 

«  La  loi  morale  est.  Elle  a  toute  la  réalité  qu'elle 
peut  avoir  ;  elle  commande  à  ses  sujets  ;  elle  se 
fait  reconnaître  par  ceux  mêmes  qui  la  violent;  elle 
a  dans  la  conscience  l'organe  qui  la  promulgue,  le 
tribunal  qui  l'applique,  premier  exécuteur  de  ses 
jugements.  Et  elle  a  de  plus  une  réalité  privilégiée 
et  souveraine,  qui  lui  subordonne  les  lois  faites  par 
les  hommes  aussi  bien  que  leurs  actions.  Gomme 
parfaite,  elle  les  juge  et  les  annule  toutes  les  fois 
qu'elles  viennent  à  la  contredire.  Comme  éternelle, 
elle  est  à  l'abri  de  leurs  vicissitudes.  Comme  uni- 
verselle, elle  s'étend  à  tout  et  donne  la  décision  des 
cas  que  les  lois  écrites  n'ont  pu  prévoir...  Si  elle  est 
tout  cela,  ne  voyons-nous  pas  que  la  conclusion 
saute  aux  yeux  du  bon  sens,  et  que  nous  arrivons 


fllG  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

droit  à  Dieu  ?  Et  n'est-ce  pas  une  chose  manifeste 
que  la  loi  éternelle  et  parfaite  a  sa  source  et  son 
fondement  dans  un  législateur  éternel  et  parfait, 
lequel,  étant  le  principe  du  devoir  parce  qu'il  a 
droit  de  nous  commander,  est  aussi  la  dernière  fin 
de  notre  activité  et  la  réalité  suprême  de  cet  idéal 
moral  qu'ici-bas  nous  concevons  toujours  et  n'attei- 
gnons jamais  (i)  ?  » 

[\°  En  1-891,  dans  ses  Conférences  de  Notre  Dame, 
Mgr  d'IIulst  a  examiné  tour  à  tour  la  morale  et  la 
liberté,  la  morale  et  l'obligation,  la  morale  et  la 
sanction.  En  passant,  il  montre  que  «  du  devoir  à 
Dieu,  il  n'y  a  qu'un  pas  à  faire,  »  et  il  s'écrie  :  «  Le 
Bien  parfait  c'est  le  premier  Etre,  c'est  le  type  de 
tout  ce  qui  peut  être,  la  cause  de  tout  ce  qui  est,  le 
terme  de  tout  ce  qui  devient.  Demandez  à  Platon  sa 
voix  enchanteresse  pour  exalter  sa  grandeur  et 
glorifier  sa  beauté.  Demandez  à  Aristote  son  regard 
pénétrant  pour  découvrir  dans  chaque  créature 
l'anneau  qui  la  rattache  à  cette  fin  suprême.  Deman- 
dez aux  docteurs  chrétiens  leur  dialectique  trans- 
cendante pour  vous  transporter,  à  travers  les 
abstractions  de  la  pensée  imparfaite,  jusqu'à  la 
radieuse  réalité  de  l'idéal,  jusqu'à  l'activité  créatrice 
de  la  cause  première,  jusqu'aux  pieds  du  Dieu 
vivant.  Non,  ce  n'est  pas  un  Dieu  rêvé,  un  Dieu 
d'illusion  et  de  mirage,  c'est  un  Dieu  substantiel 
que  nous  adorons.  Nous  ne  voyons  pas  sa  face,  mais 
nous  sentons  sa  main  dans  toutes  ses  œuvres,  nous 
entendons  sa  voix  dans  notre  conscience.  Pour 
remonter  jusqu'à  lui,  mille  chemins  sont  ouverts. 
Pourrions-nous  l'atteindre  en  partant  seulement  du 
commandement  intérieur  qui  retentit  au  fond  de 
nous-mêmes  ?  Oui,   sans  doute,   car  un  impératif 

1.  Thêodicée,  t.  1,  p.  239,  2/io,  241-242. 


PREUVES    MORALES  [\  I  J 

absolu  suppose  un  maître  qui  ne  dépend  de  per- 
sonne (i).  » 

Cette  preuve,  il  la  donne,  l'année  suivante,  quand 
il  montre  par  quel  chemin  on  remonte  du  devoir  à 
Dieu.  Il  constate  d'abord  que  le  devoir  se  révèle 
à  la  conscience  de  trois  manières  :  d'abord  par  le 
sentiment  de  la  liberté  ;  ensuite  par  la  claire  vue 
de  l'obligation  ;  et  enfin  par  l'idée  de  responsabilité  ; 
après  quoi,  il  prouve  que  ce  triple  témoignage 
démontre  l'existence  de  Dieu.  Dieu,  en  effet,  se 
place  comme  un  anneau  nécessaire  entre  les  trois 
chaînons  dont  se  compose  la  trame  de  la  morale. 
Entre  la  liberté  et  l'obligation,  il  intervient  comme 
support  du  commandement  moral.  Qui  dit  com- 
mandement dit  opposition  de  maître  à  sujet.  Où  est 
ce  maître  ?  en  dehors  de  nous.  Il  nous  est  supérieur, 
puisqu'il  nous  commande  ;  il  nous  est  antérieur, 
puisque  toute  conscience  humaine,  à  peine  éveillée, 
entend  son  commandement.  Ce  commandement 
est-il  une  abstraction  ou  émane-t-il  d'un  être  réel  ? 
Il  ne  peut  être  une  simple  abstraction  ;  car  Fabstrait 
dépend  d'une  intelligence  ;  l'abstraction  est  une 
opération  de  l'esprit.  Le  vice  radical  de  la  philoso- 
phie qu'un  rêveur  allemand  a  inoculée  à  notre  siècle, 
c'est  de  renverser  l'ordre  des  priorités  en  mettant 
l'abstrait  à  l'origine  du  concret.  Ce  qui  est  antérieur 
à  tout  existe  en  soi,  et  ce  qui  existe  en  soi  est  une 
réalité  vivante  ;  l'abstrait  n'est  que  le  résidu  de  la 
pensée  d'un  vivant.  Ce  quelque  chose  de  réel  et  de 
concret  qui  précède  tout,  qui  domine  tout  et  que 
rien  ne  renferme,  c'est  Dieu.  Le  vrai  Dieu  seul  peut 
fournir  un  support  à  l'impératif  absolu  du  devoir. 

Mais  Dieu  intervient  une  seconde  fois  entre  l'obli- 
gation et  la  responsabilité.  Il  y  a  un  témoin  tou- 

i.  Conférences  de  Notre  Dame,  1891,  ive  conf. 

LE    CATECHISME.  —  T.  I.  *7 


£l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

jours  présent,  toujours  clairvoyant,  toujours  équi- 
table et  incorruptible,  dont  le  regard  fouille  les 
plus  secrets  replis  de  notre  cœur  et  voit  à  découvert 
ces  derniers  dessous  que  je  voudrais  me  cacher  à 
moi-même  ;  c'est  celui  que  l'espace  n'emprisonne 
pas,  que  le  temps  n'emporte  pas  ;  celui  qui  atteint 
l'être  dans  son  fond  parce  que  c'est  lui  qui  l'a  fait. 

Et  Dieu  intervient  une  troisième  fois  entre  la 
responsabilité  et  la  sanction.  Si  je  me  sens  débiteur 
pour  mes  fautes,  où  est  le  créancier  du  châtiment  ? 
Si  je  suis  créancier  au  titre  de  mes  vertus,  où  est  le 
débiteur  de  la  récompense?  Otez  Dieu,  et  le  pécheur 
pourra  se  vanter  jusqu'au  bout  d'avoir  bravé  l'ordre. 
Otez  Dieu,  et  le  juste  aura  vainement  souffert  ;  et 
l'appel  qu'il  a  interjeté  au-delà  de  ce  monde  contre 
le  scandale  de  l'iniquité  victorieuse,  se  sera  perdu 
dans  le  désert  des  abstractions  mortes,  dans  le  vide 
des  formules  impuissantes.  Si  la  justice  est  plus 
qu'un  mot,  il  faut  que  le  juge  soit  vivant.  Ma  cons- 
cience crie  :  je  crois  en  Dieu  qui  viendra  juger  les 
vivants  et  les  morts. 

Pour  conclusion  :  «  Il  est  donc  vrai,  le  sentiment 
moral  appelle  la  réalité  et  l'amabilité  de  Dieu.  Delà 
cette  émotion  de  joie  ou  de  tristesse  qui,  en  dehors 
de  tout  espoir  et  de  toute  frayeur,  accompagne  en 
nous  la  rectitude  ou  les  égarements  de  la  conduite. 
La  tentation  est  venue  secouer  mon  âme  ;  l'appât 
du  plaisir  défendu  a  sollicité  mon  libre  vouloir.  Ai- 
je  cédé  à  cette  séduction  que  ma  conscience 
réprouve  ?  Sans  attendre  le  châtiment  que  ma  pré- 
varication appelle,  avant  même  que  la  crainte  de 
l'expiation  future  soit  venue  inquiéter  mon  égoïsme, 
un  nuage  a  passé  sur  mon  ciel  intérieur,  une  amer- 
tume a  empoisonné  ma  jouissance,  une  mélancolie 
a  pris  la  place  de  la  joie  coupable  à  laquelle  j'ai 
sacrifié  le  devoir.   Mais,  si  j'ai  vaincu  le  mal  ;  si, 


PREUVES    MORALES  4l£ 


aux  instances  pressantes  de  la  tentation,  j'ai  repondu 
fièrement  :  Non  licet,  il  nest  pas  permis  ;  si,  pour 
soutenir  jusqu'au  bout  cette  résistance,  j'ai  dû  en- 
sanglanter mes  mains  et  mes  pieds  aux  épines  du 
devoir,  ah  !  je  n'ai  pas  besoin  d'attendre  que  le  prix 
longtemps  retardé  de  la  vertu  me  soit  payé  avec- 
usure  ;  non,  dès  maintenant,  et  parmi  les  âpreté»; 
du  sacrifice,  une  félicité  intérieure  m'envahit,  un& 
paix  délicieuse  me  pénètre  et  me  console.  Ne  nies 
pas  cela,  vous  vous  feriez  tort  à  vous-même,  et  quel- 
que chose  de  meilleur  en  vous  que  vos  paroles  pro- 
testerait contre  un  démenti  qui  déshonore.  Ne  niez 
pas  cela,  car  c'est  le  cri  de  nature  et,  par  consé- 
quent, l'écho  de  Dieu  (i).  » 

5°  Avant  de  passer  aux  preuves  cosmologiques,, 
signalons  particulièrement  celle  qui  est  tirée  de  la 
foi  da  genre  humain.  Il  s'agit  d'abord  de  savoir  si 
l'humanité,  dans  son  ensemble  et  non  dans  chacun 
des  individus  qui  la  compose,  considérée  dans  la 
suite  des  âges  et  à  l'heure  actuelle,  a  possédé  et  pos- 
sède, non  pas  la  notion  vr;iie  et  pure  de  la  nature 
divine,  mais  simplement  si  elle  a  eu,  si  elle  a  l'idée 
de  Dieu,  si  elle  a  cru,  si  elle  croit  à  l'existence  d'un 
être  supérieur  et  transcendant.  Or,  la  réponse  à  cette 
question,  ainsi  délimitée  et  précisée,  ne  saurait  être 
douteuse.  Les  sciences  historiques  et  ethnographi- 
ques, notamment  la  science  des  religions,  si  en 
faveur  depuis  quelques  années,  les  multiples  voya- 
ges à  travers  notre  planète,  auprès  de  tous  les  peu^ 
pies  qui  l'habitent,  permettent  de  constater  que,, 
partout  et  toujours,  dans  toutes  les  races,  chez  les 
barbares  et  les  sauvages  comme  chez  les  peuples- 
policés,. se  rencontrent  l'idée  de  Dieu  et  la  foi  en 
son   existence.   Sans    doute,   à  parcourir  les  docu- 


i.  Conférences  de  Notre-Dame,  1892,  11e  Conf. 


420  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

ments,  on  ne  peut  qu'être  affligé  au  spectacle  de 
certaines  altérations,  de  grossiers  abaissements  de 
la  raison  humaine  en  face  du  divin  ;  mais,  sous  les 
emblèmes  superstitieux  ou  horribles  des  races  les 
plus  dégradées,  dans  les  cultes  les  plus  absurdes, 
les  plus  licencieux  et  les  plus  cruels,  gît  l'idée  de 
Dieu  ;  idée  de  plus  en  plus  déformée,  de  plus  en 
plus  corrompue,  à  mesure  que  baisse  l'étiage  moral 
de  ces  races,  mais  idée  reconnaissable  quand  même 
qui  permet  de  conclure  qu'il  n'y  a  pas  de  peuples 
athées. 

Nous  n'avons  pas,  pour  le  moment,  à  rechercher 
comment  les  peuples  sont  arrivés  des  religions  pri- 
mitives aux  religions  actuelles,  ni  comment  ils 
avaient  la  religion  qui  se  manifeste  chez  eux,  dès 
que  l'histoire  les  saisit  ;  nous  n'avons  pas  davan- 
tage à  résoudre  la  question  de  savoir  si  l'évolution 
religieuse  dans  l'humanité  s'est  faite  dans  le  sens  du 
monothéisme  vers  le  polythéisme  ou  en  sens  con- 
traire, ces  questions  viendront  à  leur  heure  et  seront 
traitées  à  leur  place,  mais  nous  devons  constater  le 
fait  qu'il  n'y  a  pas,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  race  ou 
de  peuple  sans  religion.  Si  bien  que  l'on  a  pu  dire 
que  l'une  des  caractéristiques  de  l'espèce  humaine, 
et  la  principale,  c'est  la  religiosité.  L'homme  n'est 
pas  seulement  «  l'animal  politique  »  au  sens  d'Aris- 
tote,  il  est  surtout  l'être  religieux.  «  Sa  définition, 
sa  caractéristique,  dirait-on  en  zoologie,  est  donc 
celle  ci  :  l'homme  est  un  corps,  ou  mieux  un  être 
organisé  vivant,  sentant,  se  mouvant  spontanément, 
doué  de  moralité  et  de  religiosité  (i).  »  De  sorte 
que,  dans  l'espèce  humaine,  au  sens  des  naturalis- 
tes comme  au  sens  des  moralistes,  l'athéisme  cons- 
titue une  anomalie,  une  monstruosité.  Au  terme  de 

i.  De  Quatrefages,  Unité  de  l'espèce  humaine,  p.  32. 


PREUVES    MORALES  ^21 


l'enquête,  assurée  par  les  découvertes  modernes  de 
la  géographie,  de  l'histoire,  de  la  linguistique  et  des 
autres  sciences  relatives  à  l'espèce  humaine,  M.  de 
Quatrefages  a  pu  écrire  ces  lignes  :  «  Obligé  par  mon 
enseignement  de  passer  en  revue  toutes  les  races 
humaines,  j'ai  cherché  l'athéisme  chez  les  plus 
inférieures  comme  chez  les  plus  élevées.  Je  ne  l'ai 
rencontré  nulle  part,  si  ce  n'est  à  l'état  individuel 
ou  à  celui  d'écoles  plus  ou  moins  restreintes... 
L'athéisme  n'est  nulle  part  qu'à  l'état  erratique. 
Partout  et  toujours  la  masse  des  populations  lui  a 
échappé  ;  nulle  part,  ni  une  des  grandes  races, 
ni  même  une  division  quelque  peu  importante 
de  ces  races  n'est  athée  (i).  » 

Tel  est  le  fait.  Mais  que  prouve-t  il  ?  Pour  le 
croyant  qui  adhère  à  l'enseignement  de  la  Bible  et 
de  l'Eglise  catholique,  la  réponse  est  facile  ;  mais 
pour  celui  qui  ne  croit  ni  à  l'inspiration  biblique, 
ni  à  la  révélation,  la  solution  est  à  chercher.  On  l'a 
cherchée,  soit  au  moyen  d'hypothèses,  soit  par  l'in- 
duction tirée  de  faits  déjà  contrôlés,  soit  par  l'étude 
psychologique  du  sentiment  religieux.  L'a-t-on 
trouvée  ?  C'est  ce  que  nous  n'avons  pas  à  dire  ici  ; 
mais  ce  que  nous  devons  dire  c'est  que  l'homme  n'a 
pas  changé  de  nature,  et  par  suite  qu'il  a  toujours 
été  à  même,  par  sa  raison,  de  s'élever  à  la  connais- 
sance de  Dieu,  comme  nous  l'avons  prouvé  dans  la 
leçon  précédente  ;  et  ce  que  nous  devons  ajouter, 
c'est  que  cette  connaissance  ou  cette  foi  au  divin, 
étant  si  universelle,  a  une  force  qui  mérite  d'être 
prise  en  considération. 

Ce  fait  démontre-t-il  donc  l'existence  de  Dieu, 
demande  M.  Vacant  ?  «  Oui,  car  il  confirme  la 
valeur  des  preuves  déjà  rapportées.  Comment  expli- 

i.  De  Quatrefages,  L'espèce  humaine,  c.xxxv,  n°  4. 


422  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qmer,  en  effet,  l'universalité  de  cette  croyance,  sinon 
par  la  force  persuasive  des  arguments  invoqués  ? 
La  foi  de  tous  les  peuples  au  divin  peut  venir  de  la 
révélation  primitive,  faite  aux  premiers  ancêtres  du 
genre  humain  ;  alors  elle  confirme  les  enseigne- 
ments de  la  Genèse  à  ce  sujet.  Mais  cette  foi  se  serait 
sans  doute  évanouie  à  la  longue,  si  elle  n'avait  été 
constamment  soutenue  par  ce  magnifique  témoi- 
gnage que  l'âme  humaine  et  l'univers  tout  entier 
rendent  à  l'existence  de  la  divinité.  Certains  auteurs 
ont  prétendu  que  la  foi  au  divin  est  l'effet  d'une 
crainte  déraisonnable,  ou  qu'elle  a  été  inspirée  aux 
peuples  par  des  législateurs  qui  voulaient  revêtir 
leurs  lois  d'une  autorité  sacrée.  S'il  en  était  ainsi, 
cette  foi  aurait  disparu  au  milieu  des  hommes,  avec 
les  causes  qui  lui  auraient  donné  naissance.  Elle 
s'est,  au  contraire  maintenue  partout  avec  une 
ténacité  que  rien  n'a  pu  vaincre  (i).  » 

III.  Les  preuves  de  saint  Thomas 

On  comprend  combien  l'âme,  avec  ses  facultés  et 
ses  opérations,  avec  les  phénomènes  intimes  de  la 
pensée  et  de  l'acte  libre,  peut  servir  de  base  solide  à 
une  démonstration  de  l'existence  de  Dieu.  Car,  du 
moment  que  l'intelligence  et  la  volonté  sont  ce 
qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  Tordre  naturel,  elles 
sont  par  là  même  plus  aptes  à  nous  faire  connaître 
l'existence  et  la  nature  de  Dieu.  Preuves  psycholo- 
giques et  preuves  inorales,  elles  intéressent  et  ont 
les  préférences  de  certains  esprits  cultivés  de  nos 
jours  ;  c'est,  en  effet,  à  l'intelligence  et  à  la  volonté 
humaines  qu'on  demande  la  preuve  irrécusable  de 

i,  La  Conslilalion  Dei  Filius,  t.  i,  p.  3a.3, 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  4  2  3 



l'existence  d'une  intelligence  et  d'une  volonté  divi- 
nes qui  les  explique  et  en  donne  la  raison  suffisante. 
«  L'identité  absolue  du  réel  et  de  l'idéal,  de  la 
puissance  et  de  la  sagesse,  de  l'être  et  de  la  perfec- 
tion, voilà  ce  qu'il  est  (Dieu)  pour  que  je  sois  ce 
que  je  suis.  Pensée  et  volonté,  sans  lesquelles  il  n'y 
aurait  ni  pensée  ni  volonté  en  moi,  et  qu'en  même 
temps  ni  ma  pensée  ni  ma  volonté  ne  peuvent 
comprendre,  tels  sont  les  termes  solidaires  du  mys- 
tère qui  s'impose  à  ma  conscience.  Je  n'ai  de  raison 
de  l'affirmer  que  parce  qu'il  m'est  à  la  fois  néces- 
saire et  inaccessible  :  il  est  ce  qui  ne  peut  être  fait 
ou  pensé  par  moi,  quoique  je  ne  puisse  rien  faire  ou 
penser  que  par  lui.  Et  s'il  me  demeure  inaccessible, 
ce  n'est  pas  faute  d'être  ou  de  clarté  en  lui,  mais 
en  moi.  Il  est  donc  ce  que  je  ne  puis  être  :  toute 
pensée  et  toute  action  (i).  » 

Mais,  à  côté  de  ces  preuves,  il  en  est  d'autres, 
dites  cosmologiques,  où  l'expérience  sert  de  point  de 
départ  à  l'application  rigoureuse  du  grand  principe 
de  causalité  et  de  raison  suffisante,  et  aboutit  légiti- 
mement à  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu. 
De  nos  jours,  il  est  vrai,  on  a  essayé  de  déniera 
l'expérience  le  droit  d'aller  par  delà  le  phénomène 
jusqu'au  noumène,  jusqu'à  la  substance,  jusqu'à  la 
cause,  jusqu'à  Dieu.  Dieu  ne  s'expérimentant  pas, 
on  a  écarté  son  idée  comme  inutile  et  étrangère  à 
la  science,  ou  bien  on  l'a  rangée  dans  la  catégorie 
des  vérités  inconnaissables  et  qui  n'importent  pas  à 
l'homme.  De  la  théorie  à  la  pratique,  la  distance  a 
été  vite  franchie  ;  le  malheur  est  qu'on  a  voulu  en 
faire  un  système  d'enseignement  ;  et,  malheur  plus 
grand  encore,  c'est  qu'on  y  a  procédé  à  coups  de 
lois  :  c'est  ce  que  la  langue  nouvelle  appelle  de  ce 

i.  Blondel,  L'action,  Paris,  1893,  p.  347. 


[\ll\  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mot  barbare,  la  laïcisation.  Il  est  donc  plus  que 
jamais  urgent  de  proclamer  les  résultats  assurés  de 
la  méthode  expérimentale  et  de  la  raison  ;  et  rien 
ne  vaut,  pour  le  plus  grand  nombre,  dans  la  ques- 
tion de  l'existence  de  Dieu,  comme  les  preuves 
cosmologiques  :  ce  sont  celles  que  saint  Thomas  a 
insérées  dans  sa  Somme  théologique. 

L'ange  de  l'école  les  a  groupées  intentionnellement 
au  nombre  de  cinq.  Partant  toujours  de  données 
empiriques,  puis,  leur  appliquant  d'une  manière 
uniforme  le  principe  de  causalité,  il  a  conclu  en 
toute  rigueur  de  logique  à  l'existence  de  Dieu.  Dans 
le  monde  phénoménal  extérieur,  en  effet,  il  com- 
mence par  relever  certains  faits.  Il  y  a,  dans  le 
monde,  des  mouvements  ou  du  mouvement  :  quel 
en  est  le  principe  ?  Ce  ne  peut  être  qu'un  premier 
moteur  immobile.  Il  y  a,  dans  le  monde,  des  êtres 
qui  apparaissent,  se  succèdent  et  disparaissent  : 
quelle  est  leur  origine  ?  Ce  ne  peut  être  qu'une 
cause  sans  cause,  possédant  en  elle-même  toute  la 
raison  suffisante  de  cause,  et  appelée  pour  cela  la 
cause  première.  Il  y  a,  dans  le  monde,  des  êtres  qui 
existent  mais  pourraient  tout  aussi  bien  ne  pas 
exister  :  qui  explique  leur  contingence  ?  Ce  ne 
peut  être  que  l'existence  d'un  être  absolument 
nécessaire.  Il  y  a,  dans  le  monde,  gradation  et  pro- 
grès dans  l'échelle  des  êtres  :  d'où  viennent-ils  ?  Ce 
ne  peut  être  que  de  l'existence  d'un  être  souverai- 
nement parfait.  Il  y  a,  dans  le  monde,  de  l'ordre  et 
de  la  finalité  :  qui  donc  a  produit  cet  ordre  et  mar- 
qué celte  finalité  ?  Ce  ne  peut  être  qu'un  suprême 
ordonnateur. 

Tel  est,  en  raccourci,  l'admirable  question  traitée 
par  saint  Thomas,  au  commencement  de  sa  Somme. 
Cinq  preuves,  qui  toutes  ne  sont  que  l'application 
d'une  même  méthode,  et  qui  toutes,  par  leur  choix, 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  ^25 

vont  non  seulement  à  prouver  que  Dieu  existe, 
mais  encore  à  insinuer  quelque  chose  de  ce  qu'il 
est.  Cinq  preuves,  qui  prêtent  aux  plus  beaux 
et  aux  plus  riches  développements.  Dieu  seul,  cause 
du  mouvement  ;  Dieu  seul,  source  et  origine  de 
l'être  ;  Dieu  seul,  cause  de  la  subsistance  des  créatu- 
res ;  Dieu  seul,  idéal  d'où  procède  et  où  tend  toute 
perfection  créée  ;  Dieu  seul,  intelligence  qui  a  fait, 
un  système  d'harmonie  et  de  beauté  de  ce  qu'on 
appelle  le  Cosmos.  Devant  renoncer,  faute  de  place, .; 
à  donner  à  ces  cinq  preuves  le  développement 
qu'elles  comportent,  contentons-nous  de  les  repro- 
duire dans  leur  austère  simplicité,  sans  trahir  la 
pensée  du  grand  Maître. 

Première  preuve.  «  Il  est  certain  et  nous  consta- 
tons qu'il  y  a  du  mouvement  dans  le  monde.  Or, 
tout  objet  en  mouvement  est  poussé  par  un  autre. 
Une  chose  ne  peut  se  mouvoir,  si  elle  n'était  en 
puissance  par  rapport  au  mouvement  qui  lui  est 
imprimé  ;  une  chose  ne  saurait  mouvoir  que  si 
elle  est  en  acte,  car  mouvoir,  c'est  pousser  de  la 
puissance  à  l'acte.  Evidemment,  une  chose  ne  peut 
être  portée  de  la  puissance  à  l'acte  que  par  ce  qui 
est  déjà  en  acte,  comme  le  feu,  actuellement  brû- 
lant, rend  actuellement  brûlant  le  bois,  qui  aupara- 
A*ant  était  brûlant  en  puissance,  et  ainsi  le  meut  et 
le  change.  Or,  il  est  impossible  qu'une  même  chose 
soit  en  même  temps  et  sous  le  même  rapport  en 
acte  et  en  puissance  ;  ceci  ne  se  produit  que  sens 
des  rapports  différents.  Ce  qui  est  maintenant 
chaud  en  acte  n'est  pas  chaud  en  puissance  sur  le 
même  point  ;  mais  est  sur  ce  point  froid  en  puis- 
sance. Il  est  donc  impossible  qu'un  même  objet, 
sous  le  même  rapport,  soit  à  la  fois  mû  et  moteur, 
c'est-à  dire  qu'il  se  meuve  lui-même.  Donc  tout  ce 
qui  est  en  mouvement  est  mû  par  autre  chose.  Donc 


k'ib  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  « 

ce  moteur,  s'il  est  lui-même  en  mouvement,  est  à 
son  tour  mû  par  un  autre.  Mais  il  faut  s'arrêter  ; 
on  ne  saurait  aller  ainsi  à  l'infini,  car  alors  il  n'y 
aurait  pas  de  premier  moteur;  et  s'il  n'y  avait  pas 
de  premier  moteur,  il  n'y  aurait  aucun  moteur, 
puisque  les  moteurs  secondaires  ne  meuvent  que 
par  le  premier,  comme  un  bâton  ne  meut  que  par  la 
main.  11  faut  donc  de  toute  nécessité  en  arriver  à 
un  premier  moteur  que  nul  autre  ne  meut.  Chacun 
comprend  qu'un  tel  moteur  c'est  Dieu.  » 

Seconde  preuve.  La  seconde  preuve  est  celle  de  la 
cause  efficiente.  «  Nous  trouvons  dans  les  choses 
sensibles  une  série  de  causes  efficientes  ;  mais  on 
ne  trouve  pas  et  il  n'est  pas  possible  qu'une  chose 
soit  sa  propre  cause  efficiente,  puisqu'une  telle 
cause  serait  avant  d'être,  ce  qui  est  impossible.  Or 
il  n'est  pas  possible  dons  les  causes  efficientes  de 
remonter  à  l'infini  ;  car  dans  l'ensemble  de  la  série 
des  causes  efficientes,  le  commencement  est  la  cause 
du  milieu,  et  le  milieu  est  la  cause  du  dernier,  qu'il 
y  ait  plusieurs  termes  intermédiaires  ou  qu'il  n'y 
en  ait  qu'un.  Mais  si  on  supprime  la  cause,  on 
supprime  l'effet.  Donc  s'il  n'y  avait  pas  une  pre- 
mière cause  efficiente,  il  n'y  aurait  ni  milieu 
ni  fin.  Et  si  l'on  procède  à  l'infini  dans  la  série  des 
causes  efficientes,  il  n'y  aurait  pas  une  cause  pre- 
mière efficiente,  ni  dernier  effet,  ni  causes  efficientes 
intermédiaires,  ce  qui  est  manifestement  faux.  Il 
faut  donc  de  toute  nécessité  une  cause  première 
efficiente,  que  tout  le  monde  nomme  Dieu.  » 

Troisième  preuve.  La  troisième  preuve  est  tirée 
du  possible  et  du  nécessaire,  La  voici  :  «  Nous  voyons 
des  êtres  qui  peuvent  être  ou  ne  pas  être,  puisqu'il 
y  a  des  corruptions  et  des  générations.  Or,  il  ne  se 
peut  pas  que  ce  qui  est  tel  soit  toujours,  car  ce  qui 
peut  ne  pas  être,  parfois  n'est  pas.   Si  donc  tout 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  [\  2 7 

pouvait  ne  pas  être,  il  s'ensuivrait  qu'il  y  a  eu  un 
temps  où  rien  n'était.  Mais,  dans  ce  cas,  il  n'y 
aurait  rien  encore  aujourd'hui,  car  ce  qui  n'existe 
pas  ne  commence  pas  à  être  sans  l'intervention 
d'un  être  préexistant.  Si  rien  n'était,  il  est  impossi- 
ble que  quelque  chose  ait  commencé  à  être  ;  donc 
il  n'y  aurait  rien,  ce  qui  est  manifestement  faux. 
Donc  tous  les  êtres  ne  sont  pas  seulement  possibles, 
il  en  faut  un  qui  soit  nécessaire.  Or  ce  qui  est  né- 
cessaire a  la  cause  de  sa  nécessité  en  soi  ou  hors  de 
soi.  Mais  il  ne  peut  y  avoir  une  série  sans  fin  d'êtres 
nécessaires,  nécessités  par  le  dehors,  pas  plus  qu'il 
n'y  a  une  série  sans  fin  de  causes  efficientes.  Il  faut 
donc  poser  qu'il  y  a  quelque  chose  de  nécessaire  en 
soi,  n'ayant  pas  d'autre  cause  de  sa  nécessité,  mais 
étant  cause  de  tout  ce  qui  est  nécessaire.  Et  cet  être 
nécessaire  par  soi-même  c'est  Dieu.  » 

Quatrième  preuve.  La  quatrième  preuve  se  tire  des 
degrés  de  perfections  qui  sont  dans  les  êtres.  «  On 
trouve  du  plus  et  du  moins,  des  degrés  dans  la 
bonté,  la  vérité,  la  noblesse  et  toutes  les  autres 
qualités  des  choses.  Mais  le  plus  et  le  moins  ne 
s'appliquent  qu'à  des  êtres  divers  qui  se  rapprochent 
diversement  d'un  type  souverain,  comme,  par 
exemple,  le  chaud  est  ce  qui  participe  plus  ou  moins 
de  la  chaleur  absolue.  Il  y  a  donc  aussi  un  être 
qui  est  souverainement  bon,  souverainement  vrai, 
souverainement  noble,  et  qui,  dès  lors,  est  souve- 
rainement l'être  ;  car,  comme  le  dit  Aristote,  ce  qui 
est  souverainement  vrai  est  ce  qui  est  souveraine- 
ment. Or,  ce  qui  est  souverainement  doué  de 
perfection,  en  quelque  genre  que  ce  soit,  est  cause 
de  tous  les  degrés  de  perfection  du  même  genre, 
comme  le  feu  est  cause  de  toute  chaleur.  Il  y  a 
donc  un  être,  cause  de  l'être,  de  la  bonté,  de  la  per- 
fection de  tout  être,  et  cet  être  nous  l'appelons  Dieu.  » 


4 28  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Cinquième  preuve.  La  cinquième  preuve  est  tirée 
du  gouvernement  du  monde.  «  Nous  voyons  certains 
êtres  inintelligents,  tels  que  les  corps,  tendre  à  une 
fin,  puisqu'ils  font  ordinairement  ou  toujours,  et 
de  la  même  manière,  ce  qui  les  mène  à  un  but  très 
bon.  Ce  n'est  donc  pas  par  hasard,  mais  bien  par 
suite  d'une  intention,  qu'ils  arrivent  à  cette  fin. 
Mais,  n'ayant  pas  de  connaissance,  ils  n'ont  pas 
eux-mêmes  d'intention  et  ne  vont  à  leur  fin  que 
dirigés  par  une  intelligence  qui  possède  l'intention, 
comme  la  flèche  quand  elle  est  dirigée  par  le  chas- 
seur. Il  y  a  donc  un  être  intelligent  qui  ordonne  la 
nature  et  la  pousse  à  sa  fin.  Nous  l'appelons  Dieu.  » 

Telles  sont  les  preuves  de  saint  Thomas  (i).  Il 
était  difficile,  on  en  conviendra,  de  condenser  en 
moins  de  mots  plus  de  force  probante.  Et  n'était 
la  rudesse  de  ce  langage  scolastique,  auquel  il 
faut  être  initié  pour  en  saisir  toute  la  portée,  et 
qui  déconcerte  quelque  peu  un  lecteur  moderne, 
elles  mériteraient  d'être  apprises  par  cœur.  Elles 
renferment  la  substance  de  tout  un  traité. 

1.  L'argument  des  causes  finales.  —  Voici  com- 
ment en  parle  Kant  et  comment  il  l'expose.  «  Le  monde, 
tel  qu'il  se  révèle  à  nous,  présente  un  théâtre  si  étendu 
de  diversité,  de  finalité  et  de  beauté,  que  tout  est  im- 
puissant pour  rendre  de  si  nombreuses  et  si  inépuisables 
merveilles  et  l'impression  qu'elles  produisent  dans  nos 
âmes.  Partout  nous  voyons  un  enchaînement  d'effets  et 
de  causes,  de  fins  et  de  moyens,  une  régularité  dans  la 
vie  et  dans  la  mort.  Et  comme  rien  n'est  parvenu  de 
soi-même  à  l'état  où  il  se  trouve,  l'universalité  des  choses 
irait  s'abîmer  dans  le  néant,  si  on  ne  lui  donnait  pour 
principe  et  pour  cause  une  réalité  supérieure  qui  la 
soutient  après  l'avoir  produite.   Cet  argument,  le  plus 

i.  Sum.  theol.,  I,  Q.  n,  a.  3. 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  !\1 0, 


ancien  et  le  plus  clair  de  tous,  mérite  toujours  d'être 
rappelé  avec  respect,  et  ce  serait  non  seulement  nous 
priver  d'une  consolation,  mais  encore  vouloir  l'impossible 
que  de  prétendre  enlever  quelque  chose  à  son  autorité. 
La  raison,  incessamment  élevée  par  des  arguments  si 
forts,  et  qui  vont  toujours  se  multipliant  sous  sa  main, 
n'oiTre  plus  de  prise  au  doute  d'une  spéculation  stérile  et 
abstraite;  elle  s'affranchit  de  toute  irrésolution  sophisti- 
que ;  et  en  présence  de  la  majesté  qui  éclate  dans  la 
structure  du  monde,  de  grandeur  en  grandeur  elle  s'élève 
jusqu'à  la  grandeur  absolue.  »  Kant,  Dialectique  trans- 
cendanlale.  Critique  de  la  raison  pure. 

«  Dans  mon  système  (l'hypothèse  de  la  nébuleuse  pri- 
mitive), je  trouve  la  matière  soumise  à  des  lois  certaines 
et  nécessaires.  Je  vois  cette  matière,  décomposée  en  ses 
derniers  éléments,  se  façonner  successivement  et  sous 
l'empire  de  ces  lois  naturelles,  en  un  tout  admirablement 
ordonné.  Ce  n'est  point  là  l'effet  du  hasard,  c'est  la  con- 
séquence nécessaire  des  propriétés  naturelles  de  la 
matière.  Et  alors  n'est-on  pas  forcé  de  se  demander 
pourquoi  la  matière  obéit  précisément  à  des  lois  qui  ont 
pour  but  une  si  merveilleuse  ordonnance  ?  Serait-il  possi- 
ble que  tant  d'éléments,  dont  chacun  a  sa  nature  propre 
et  indépendante,  pussent  d'eux-mêmes  se  prêter  un 
concours  tel  qu'il  en  sortît  un  tout  bien  ordonné  ;  et  s'ils 
agissent  ainsi,  n'y  a-t-il  pas  là  une  preuve  indéniable  de  la 
communauté  de  leur  origine  première,  qui  ne  peut  être 
qu'une  Intelligence  souveraine  et  toute-puissante,  par 
laquelle  les  caractères  divers  des  éléments  ont  été  dessinés 
en  vue  de  leurs  combinaisons  futures  ?  La  matière, 
élément  primitif  de  toutes  choses,  est  donc  astreinte  à  des 
lois  déterminées,  et,  librement  abandonnée  à  ces  lois, 
elle  engendre  nécessairement  d'admirables  combinaisons. 
Elle  n'est  point  libre  de  s'écarter  du  plan  tracé  par  son 
Créateur.  Puisqu'elle  est  ainsi  soumise  à  des  vues  sou- 
verainement sages,  il  faut  nécessairement  qu'elle  ait  reçu 
des  propriétés  si  bien  concertées  d'une  Cause  première 
supérieure.  Il  existe  un  Dieu,  précisément  parce  que  le 
chaos  lui-même   ne   peut   engendrer  que  l'ordre   de  la 


Zj3o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


régularité.    »    Kant,    Histoire  générale  de   la  nature    et 
théorie  du  ciel,  préf . ,  traduction  de  Wolf . 

2.  Comme  l'argument  cosmologique,  la  preuve 
téléologique  est  renouvelée  et  confirmée  par  son 
union  avec  les  autres...  «Il  ne  suffit  pas  d'établir,  par  un 
syllogisme,  l'harmonie  des  moyens,  la  grandeur  des  fins, 
et  la  nécessité  d'une  cause  sage  et  intelligente  pour  ordon- 
ner l'univers  et  la  pensée.  La  vraie  preuve  téléologique  va 
plus  avant.  Elle  montre  que  la  sagesse  des  choses  n'est 
pas  dans  les  choses  ;  que  la  sagesse  de  l'homme  n'est  pas 
dans  l'homme...  Elle  ne  mesure  pas  la  Cause  qu'elle 
affirme  à  la  taille  des  effets  ;  mais  en  la  reconnaissant  en 
eux,  elle  la  met  hors  d'eux  et  trouve  dans  la  beauté 
relative  des  choses  le  principe  même  de  toute  beauté.  Sous 
sa  forme  abstraite,  voici  donc  comment  cet  argument,  si 
riche  en  aspects  variés,  s'offre  à  la  réflexion,  Ni  ma  pensée 
ne  peut  égaler  mon  action,  ni  mon  action  ne  peut  égaler 
ma  pensée.  Il  y  a,  en  moi,  des  proportions  entre  la  cause 
efficiente  et  la  cause  finale;  et  pourtant  ni  l'une  ni  l'autre 
ne  peuvent  être  en  moi  ce  qu'elles  sont  déjà,  sans  la 
médiation  permanente  d'une  pensée  et  d'une  action  par- 
faites. Tout  ce  qu'il  y  a  de  beauté  et  de  vie  dans  les 
choses,  tout  ce  qu'il  y  a  de  lumière  et  de  puissance  en 
l'homme  enveloppe,  dans  son  imperfection  et  son  infir- 
mité même,  une  perfection  souveraine  :  ainsi  va  se  déter- 
miner cette  triple  relation.  —  C'est  en  nous,  c'est  dans  le 
réel  que  nous  découvrons,  comme  en  un  miroir  impar- 
fait, cette  inaccessible  perfection.  Et  pourtant,  —  ni  nous 
ne  pouvons  nous  confondre  avec  elle,  —  ni  nous  ne 
pouvons  la  confondre  avec  nous.  La  force  de  cette  preuve, 
c'est  de  prendre  son  point  d'appui  dans  notre  expérience 
la  plus  intime.  »  Blondel,  L'Action,  Paris,  1893,  p.  345-346. 

3.  Toute  la  nature  montre  l'art  infini  de  son  au- 
teur. —  «  Quand  je  parle  d'un  art,  je  veux  dire  un  assem- 
blage de  moyens  choisis  tout  exprès  pour  parvenir  à  une  fin 
précise;  c'est  un  ordre, un  arrangement,  une  industrie,  un 
dessein  suivi.  Le  hasard  est,  tout  au  contraire,  une  cause 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  43 1 


aveugle  et  nécessaire,  qui  ne  prépare,  qui  n'arrange,  qui 
ne  choisit  rien,  et  qui  n'a  ni  volonté  ni  intelligence.  Or  je 
soutiens  que  l'univers  porte  le  caractère  d'une  cause 
infiniment  puissante  et  industrieuse.  Je  soutiens  que  le 
hasard,  c'est-à-dire  le  concours  aveugle  et  fortuit  de  cau- 
ses nécessaires  et  privées  de  raison,  ne  peut  avoir  formé 
ce  tout.  C'est  ici  qu'il  est  bon  de  rappeler  les  célèbres 
comparaisons  des  anciens.  Qui  croira  que  l'Iliade  d'Ho- 
mère, ce  poème  si  parfait,  n'ait  jamais  été  composé  par 
un  effort  du  génie  d'un  grand  poète,  et  que  les  caractères 
de  l'alphabet,  ayant  été  jetés  en  confusion,  un  coup  du 
pur  hasard,  comme  un  coup  de  dés,  ait  rassemblé  toutes 
les  lettres,  précisément  dans  l'arrangement  nécessaire 
pour  décrire  dans  des  vers  pleins  d'harmonie  et  de 
variété,  tant  de  grands  événements  pour  les  placer  et  les 
lier  si  bien  tous  ensemble,  pour  peindre  chaque  objet 
avec  ce  qu'il  a  de  plus  gracieux,  de  plus  noble  et  de  plus 
touchant,  enfin  pour  faire  parler  chaque  personne  selon 
son  caractère,  d'une  manière  si  naïve  et  si  passionnée  ? 
Qu'on  raisonne  et  qu'on  subtilise  tant  qu'on  voudra, 
jamais  on  ne  persuadera  à  un  homme  sensé  que  l'Iliade 
n'ait  point  d'autre  auteur  que  le  hasard...  Pourquoi  donc 
cet  homme  sensé  croirait-il  de  l'univers,  sans  doute 
encore  plus  merveilleux  que  l'Iliade,  ce  que  son  bon  sens 
ne  lui  permettra  jamais  de  croire  de  ce  poème  ?  »  Fé- 
nelon,  Traité  de  l'existence  de  Dieu,  P.  i,  ch.  i. 

4.  L'unique  nécessaire.  —  «  En  se  déployant  dans 
l'univers,  la  volonté  prend  plus  clairement  conscience 
d'elle-même  et  de  ses  exigences  :  la  nature,  la  science,  la 
conscience,  la  vie  sociale,  le  domaine  métaphysique,  le 
monde  moral  n'ont  été,  pour  elle,  qu'une  série  de 
moyens;  elle  ne  peut  ni  y  renoncer  ni  s'en  contenter  ;  elle 
s'en  sert  donc  comme  de  tremplin  pour  prendre  son  élan, 
La  preuve  de  «  l'unique  nécessaire  »  emprunte  ainsi  sa 
force  et  sa  valeur  à  l'ordre  entier  des  phénomènes.  Sans 
lui,  tout  n'est  rien,  et  rien  ne  peut  pas  être.  Tout  ce  que 
nous  voulons  suppose  qu'il  est  ;  tout  ce  que  nous  sommes 
exige  qu'il  soit.  C'est  donc  de  mille  façons  qu'on  peut 
formuler  l'argument  tiré  de  l'universelle  contingence.  Cet 


£32  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


unique  nécessaire  se  tient  à  l'entrée  ou  au  terme  de  toutes 
les  avenues  où  l'homme  peut  entrer;  au  bout  de  la  science 
et  de  la  curiosité  de  l'esprit,  au  bout  de  la  passion  sincère 
et  meurtrie,  au  bout  de  la  souffrance  et  du  dégoût,  au 
bout  de  la  joie  et  de  la  reconnaissance,  partout,  qu'on 
descende  en  soi  ou  qu'on  monte  aux  limites  de  la  spécu- 
lation métaphysique,  le  même  besoin  renaît.  Rien  de  ce 
qui  est  connu,  possédé,  fait,  ne  se  suffit  ni  ne  s'annihile. 
Impossible  de  s'y  tenir  ;  impossible  d'y  renoncer. 

«  Ainsi  compris,  l'argument  a  contingentia  a  un  tout 
autre  caractère,  un  ressort  plus  puissant  qu'on  ne  l'a  cru 
d'ordinaire.  Au  lieu  de  chercher  le  nécessaire  hors  du 
contingent,  comme  un  terme  ultérieur,  il  le  montre  dans 
le  contingent  même,  comme  une  réalité  déjà  présente.  Au 
lieu  d'en  faire  un  support  transcendant  mais  extérieur,  il 
découvre  qu'il  est  immanent  au  centre  même  de  ce  qui  est. 
Au  lieu  de  prouver  simplement  l'impossibilité  d'affirmer 
le  contingent  seul,  il  prouve  l'impossibilité  de  nier  le 
nécessaire  qui  le  fonde.  Au  lieu  de  dire  :  «  Qu'à  un 
moment  rien  ne  soit,  éternellement  rien  ne  sera,  »  il 
conclut  :  «  Du  moment  où  quelque  chose  a  été,  éternel- 
lement l'unique  nécessaire  est.  »  Au  lieu  de  s'appuyer  sur 
la  fiction  d'un  idéal  nécessaire,  il  s'appuie  sur  la  nécessité 
même  du  réel...  Ainsi  donc  l'ordre  entier  de  la  nature 
nous  est  forcément  un  garant  de  ce  qui  le  dépasse.  La 
nécessité  relative  du  contingent  nous  révèle  la  nécessité 
absolue  du  nécessaire...  Le  contingent  participe  à  la 
nécessité  du  réel,  sans  en  partager  le  privilège.  Ce  qui  est 
existe  nécessairement  pendant  qu'il  est,  quoique,  par 
nature,  il  n'ait  rien  de  nécessaire. 

«  Voilà  pourquoi  les  choses  visibles,  les  sciences  humai- 
nes, les  phénomènes  de  la  conscience,  les  arts  et  les 
œuvres,  tout  en  nous  et  hors  de  nous  exige  «  l'unique 
nécessaire.  »  Et  si,  pour  le  porter,  ces  ombres  d'être  sont 
un  fondement  solide,  c'est  qu'il  en  fait  lui-même  l'invi- 
sible appui.  ))  Blondel,  L'Action,  Paris,  1893,  p.  343-344. 

5.  L'argument  tiré  de  l'existence  de  la  loi  mo- 
rale et  de  la  nécessité  de  sa  sanction.  —  «  Sans 
doute,   faire  le  bien  et  fuir  le  mal  exclusivement  par 


PREUVES    DE    SAINT    THOMAS  £33 

crainte  du  châtiment  ou  par  espoir  de  la  récompense, 
c'est  un  sentiment  peu  noble  ;  c'est  le  signe  d'une  mora- 
lité inférieure.  Mais  il  est  nécessaire  qu'aux  heures  de 
crise  où  la  bête  humaine  se  réveille,  quand  ses  rugisse- 
ments étouffent  le  tangage  delà  raison,  la  crainte  de  Dieu 
se  dresse  comme  une  barrière  entre  le  mal  et  nous.  Pour 
dompter  un  fauve,  on  oppose  à  sa  fureur  une  barre 
de  fer  rougie  au  feu.  Combien  d'hommes  portent  en  eux 
une  bête  féroce  ou  une  bête  obscène,  quelquefois  l'une  et 
l'autre  !  Alors,  aux  moments  de  troubles  profonds,  la 
pensée  d'un  suprême  Justicier  dompte  les  révoltes  de  la 
chair  ou  de  l'esprit.  Et  d'ailleurs,  si  l'ordre  moral  a  été 
violé,  il  faut  une  réparation  ;  la  justice  doit  avoir  son 
tour,  puisque  l'injustice  a  eu  le  sien.  Si  l'homme  a  fait 
effort  pour  garder  toute  la  loi,  une  récompense  propor- 
tionnée lui  est  due  dans  la  vie  future  ;  ici  bas,  trop  sou- 
vent elle  lui  échappe,  et  du  reste  un  bonheur  purement 
terrestre  ne  peut  balancer  la  valeur  transcendante  des 
actions  vertueuses.  Supposons  un  moment  qu'un  homme, 
victime  volontaire  de  sa  fidélité  à  la  loi  morale,  n'ait  rien 
à  espérer  d'un  Dieu  illusoire  pour  rétablir  l'équilibre 
entre  le  bien  et  le  bonheur;  il  s'ensuit  qu'ayant  sacrifié  la 
félicité  terrestre,  il  se  trouve  le  plus  malheureux  des  êtres 
pour  avoir  écouté  le  dictamen  de  sa  conscience  et  suivi 
librement  l'impulsion  de  sa  nature  raisonnable.  Il  y  aurait 
donc  des  cas  où  l'infidélité  à  la  loi  naturelle  serait  pru- 
dence et  sagesse.  Quelle  conclusion  !  et  qui  croira  que  ce 
soit  là  le  dernier  mot  de  la  philosophie  ?  Son  dernier  mot, 
c'est  qu'il  faut  à  la  morale  une  sanction  rigoureusement 
exacte,  et  pour  que  cette  sanction  existe,  il  faut  un  légis- 
lateur qui  la  détermine,  un  juge  qui  l'applique,  c'est-à- 
dire  il  faut  un  Dieu  pour  graver  la  loi  naturelle  dans 
notre  cœur,  pour  maintenir  ou  réparer  l'ordre  moral, 
comme  il  en  faut  un  pour  façonner  et  soutenir  l'ordre 
physique.  »  Souben,  Nouvelle  théologie,  Paris,  1902, 
t.  1,  p.  54, 


LE  CATÉCHISME.  —  T.  I,  v       aS 


Leçon  XII 
De  Dieu 


I.  L'existence  de  Dieu  est  une  vérité  révélée, 
II.  C'est  un  dogme  de  foi  catholique.  —  III.  Y 
a-t-il  des  athées  ? 


I.  C'est  une  vérité  révélée 


e  Catéchisme  romain  rappelle  le  témoignage  que 
Dieu  a  donné  de  lui-même  dans  l'Ecriture  ;  et 
cette  connaissance  ainsi  obtenue,  il  la  carac- 
térise comme  une  vérité  beaucoup  plus  explicitement 
formulée  que  par  les  philosophes,  absolument 
certaine  et  à  l'abri  de  toute  erreur.  Les  Pères  du 
concile  du  Vatican  n'ont  pas  parlé  d'une  manière 
différente.  Après  avoir  affirmé,  comme  nous  venons 
de  le  voir,  le  pouvoir  naturel  qu'a  la  raison  de 
connaître  Dieu,  ils  ajoutent  :  «  Il  a  plu  néanmoins  à 
la  sagesse  et  à  la  bonté  de  Dieu  de  se  révéler  lui- 
même  et  les  éternels  décrets  de  sa  volonté,  par  une 
autre  voie,  et  cela  par  une  voie  surnaturelle.  C'est 
ce  que  dit  l'Apôtre  :  «  Après  avoir  parlé  autrefois 
à  nos  pères,  à  plusieurs  reprises  et  de  plusieurs 
manières,  par  les  prophètes  ;  pour  la  dernière  fois, 


l'existence  de  dieu  :   VÉRITÉ  révélée        435 

Dieu  nous  a  parlé  de  nos  jours  par  son  Fils  (1).  » 
La  révélation  constitue  donc  un  autre  moyen 
d'arriver  à  la  connaissance  de  Dieu.  Et  ce  moyen 
offre  des  avantages  et  des  garanties  qu'on  ne  saurait 
attendre  de  la  raison  laissée  à  elle  seule.  Les  Pères 
disent  en  effet  :  «  C'est  à  cette  divine  révélation 
qu'il  faut  attribuer  que  les  points  qui,  dans  les 
choses  divines,  ne  sont  pas  par  eux-mêmes  inacces- 
sibles à  la  raison  humaine,  puissent  aussi  être 
connus  de  tous,  sans  difficulté,  avec  une  ferme 
certitude  et  à  l'exclusion  de  toute  erreur  (2).  » 
C'est,  en  d'autres  termes,  proclamer  l'utilité  de  la 
révélation,  d'une  manière  générale  pour  toutes  les 
vérités  de  la  religion  naturelle,  mais  en  particulier 
pour  la  première  de  toutes,  pour  la  connaissance 
de  l'existence  de  Dieu. 

Ainsi  donc,  grâce  à  la  révélation,  tout  homme, 
dans  les  conditions  de  la  vie  présente,  peut  facile- 
ment arriver  à  la  connaissance  de  Dieu,  sans  retard 
çt  sans  labeur,  avec  une  ferme  certitude  et  sans  mé- 
lange d'erreur.  C'est  là,  du  reste,  un  fait  d'expérience 
quotidienne.  Pour  le  passé,  l'histoire  prouve  avec 
surabondance  de  combien  d'erreurs,  non  seulement 
dans  le  peuple  mais  encore  chez  les  esprits  les  plus 
cultivés,  s'enveloppait  l'idée  de  Dieu.  Livrée  à  ses 
seules  forces,  la  raison  se  heurte  à  des  difficultés 
avant  d'arriver  effectivement  à  la  connaissance  de 
Dieu.  Saint  Thomas  signale  trois  inconvénients  qui 
résulteraient  pour  l'homme  de  l'absence  d'un  ensei- 
gnement révélé.  C'est  que  d'abord  le  nombre  serait 
fort  restreint  de  ceux  qui  pourraient  parvenir  à  cette 
connaissance,  faute  soit  d'intelligence  suffisante,, 
soit  de  loisirs  et  de  goûts,  soit  de  courage  ;  c'est 
ensuite    que    ce    petit    nombre    n'y    parviendrait 

1.  Constitution  Dei  Filiixs,  c.  11,  Si.  —  2.  Ibid.,  c.  11,  S  a. 


^36  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qu'après  un  temps  assez  long,  la  jeunesse  ne  possé- 
dant pas  le  calme  et  la  sagesse  requis,  la  maturité 
se  trouvant  aux  prises  avec  des  questions  d'ordre 
matériel;  et  c'est  enfin  que  ceux  qui  y  parviendraient 
ne  sauraient  être  complètement  à  l'abri  de  toute 
erreur  et  de  tout  doute.  Ainsi  le  meilleur  moyen 
d'assurer  à  chacun  une  connaissance  facile,  prompte, 
certaine  et  indubitable  de  Dieu,  est-ce  la  foi.  Et 
cela  est  vrai  non  seulement  pour  ceux  qui  sont 
insensibles  à  une  démonstration  philosophique  ou 
qui  en  sont  incapables,  mais  encore  pour  les  esprits 
plus  élevés  qui  par  là  sont  assurés  contre  toute 
erreur.  «  11  était  nécessaire,  dit  saint  Thomas,  que 
l'homme  apprit  par  l'enseignement  de  la  foi,  non 
seulement  les  choses  inaccessibles  à  la  raison  natu- 
relle, mais  aussi  celles  qui  peuvent  êtres  connues 
par  elle  ;  et  cela  pour  trois  motifs.  D'abord  pour 
que  l'homme  arrive  plus  promptement  à  la  connais- 
sance de  Dieu.  En  effet,  ce  n'est  qu'en  dernier  lieu, 
et  après  avoir  acquis  préalablement  des  connaissan- 
ces nombreuses,  que  les  hommes  peuvent  se  livrer 
à  l'étude  de  l'Ecriture  sainte,  à  laquelle  il  appartient 
de  démontrer  l'existence  de  Dieu  et  plusieurs  autres 
de  ses  attributs  qui  se  rattachent  à  cette  première 
vérité.  L'homme,  en  suivant  cette  marche,  ne  par- 
viendrait donc  à  connaître  Dieu  qu'après  avoir  passé 
déjà  une  grande  partie  de  sa  vie.  En  second  lieu, 
pour  que  la  connaissance  de  Dieu  fût  plus  générale. 
Combien  n'y  en  a-t-il  pas,  en  effet,  qui  ne  peuvent 
faire  de  progrès  dans  la  science,  soit  par  défaut 
d'intelligence,  soit  à  cause  des  préoccupations  et 
des  nécessités  de  la  vie  matérielle,  soit  parce  qu'ils 
ont  peu  de  désir  d'apprendre.  Or,  tous  ceux-là 
seraient  privés  de  la  connaissance  de  Dieu,  s'ils  ne 
la  recevaient  par  l'enseignement  divin.  En  troisième 
lieu,  à  cause  de  la  certitude  de  cette  connaissance 


l'existence  de  dieu  :  vérité  révélée       437 

même  :  la  raison  humaine  est  si  défectueuse  quand 
il  s'agit  de  choses  divines  I  la  preuve  en  est  dans 
les  nombreuses  erreurs  où  l'investigation  ration- 
nelle sur  la  nature  a  conduit  les  philosophes 
anciens,  et  dans  les  contradictions  où  ils  sont 
tombés.  Il  a  donc  fallu,  pour  avoir  de  Dieu  une 
connaissance  certaine  et  indubitable,  que  les  hom- 
mes la  trouvassent  dans  l'enseignement  de  la  foi, 
manifestée  par  la  parole  de  Dieu  lui-même,  qui  ne 
peut  tromper  (1).  » 

Ces  paroles  restent  toujours  vraies  ;  et  nul  doute 
que  si  le  Docteur  angélique  vivait  dans  ce  commen- 
cement du  xxe  siècle,  il  ne  les  eût  appuyées  sur  le 
témoignage  des  erreurs  et  des  contradictions  de  la 
plupart  des  philosophes  contemporains.  C'est  grâce 
à  la  révélation,  en  effet,  qu'on  échappe  au  désordre, 
à  l'anarchie,  au  chaos,  aux  aberrations  de  l'intel- 
ligence, pour  entrer  de  plein  pied  et  se  reposer  en 
pleine  sécurité  sur  le  terrain  ferme  et  harmonieuse- 
ment ordonné  de  la  foi,  terrain  d'où  la  raison  est 
loin  d'être  exclue,  mais  où  au  contraire  elle  est 
appelée  à  exercer  ses  droits  dans  toute  leur  plénitude. 

L'existence  de  Dieu,  en  même  temps  qu'elle 
appartient  au  domaine  de  la  raison,  est  donc  une 
vérité  révélée  ;  elle  peut  se  lire  à  chacune  des  pages 
de  la  sainte  Ecriture. 

La  Bible,  en  effet,  est  remplie  des  affirmations 
que  Dieu  lui-même  donne  de  son  existence,  des 
paroles  qu'il  prononce,  des  actes  qu'il  accomplit,  de 
ses  interventions  fréquentes  dans  l'histoire.  Il  s'y 
nomme  et  son  nom  propre  est  Iahveh  ou  Jehovah. 
Celai  qui  est  ;  c'est  ainsi  qu'il  dit  à  Moïse  :  «  Je  suis 
Celui  qui  suis.  Voici  ce  que  tu  diras  au  fils  d'Israël: 

1.  Sam.  theol,  ii'ii»,  Q.  n,  a.  4.  Cf.  Cont.  Gent.,  I,  iv;  Qusest, 
de  Verit.,  Q.  xiv,  a.  10. 


£38  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

m 

Celui  qui  est  m'a  envoyé  vers  vous  (i).  »  A  la  dei> 
nière  page  du  saint  Livre,  il  s'appelle  «l'alpha  et 
l'oméga,  le  premier  et  le  dernier,  le  commencement 
et  la  fin,  celui  qui  est,  qui  était  et  qui  doit  venir  (2).» 
D'autres  noms  sont  encore  donnés  à  Dieu  :  Adonaï, 
«  mon  Seigneur»  ;  El-Shaddaï,  «  le  Tout-puissant  :  » 
Elion,  le  Dieu  très-haut.  «  Sa  personnalité  ressort 
de  toutes  les  narrations  de  style  populaire,  où  d'au- 
dacieux anthropomorphismes  sont  employés  pour 
caractériser  l'acte  divin  à  l'égard  des  créatures  ;  un 
être  abstrait  ou  impersonnel  n'ordonne  pas,  ne 
défend  pas,  ne  menace  pas,  n'est  pas  saisi  de  dou- 
leur, ni  touché  de  repentir,  ne  veille  pas  sur  les 
hommes,  ne  leur  apparaît  pas  sous  des  formes  visi- 
bles. Son  caractère  moral  se  manifeste  par  la  sévé- 
rité dont  il  use  à  l'égard  des  pécheurs,  par  les 
récompenses  qu'il  promet  à  ceux  qui  observeront 
sa  Loi  ;  et  cette  Loi,  c'est  sans  doute  le  rituel  mo- 
saïque, mais  c'est  aussi  et  avant  tout  le  Décaiogue, 
c'est-à-dire  l'énoncé  ferme  et  précis  de  la  loi  natu- 
relle. Ce  caractère  moral  du  Dieu  de  la  révélation 
achève  de  se  dessiner  dans  les  Evangiles  ;  la  notion 
de  paternité  divine  à  l'égard  des  hommes  n'avait 
pas  été  inconnue  aux  Juifs  ;  mais  l'histoire  évangé- 
lique  a  dégagé  cette  notion  dans  toute  son  intégrité, 
l'a  fait  connaître  aux  Gentils  (3).  » 

La  sainte  Ecriture,  œuvre  inspirée  de  Dieu,  mais 
«'adressant  aux  hommes,  est  obligée  de  recourir 
.à  des  expressions  anthropomorphiques,  à  cause  de 
l'imperfection  de  notre  intelligence  et  de  l'infirmité 
de  notre  langage  ;  et  il  a  fallu  la  naïveté  de  quel- 
ques chrétiens  (4)  ou  le  manque  de  bonne  foi  de 


i.  Exod.,  m,  i4.  —  2.  Apoc,  1,  8.  —  3.  Souben,  Dieu  dam 
l'histoire,  Paris,  1902,  p.  55.  —  4.  voir  notre  article  Anthropo- 
morphites  dans  le  Dict.  de  théol,  t.  1,  col.  1370-1372. 


l'existence  de  dieu  :  vérité  révélée         439 

certains  esprits  pour  voir  dans  l'anthropomor- 
phisme une  doctrine  littérale.  Ce  n'est  pourtant  pas 
le  cas.  Et  s'il  y  est  question  si  souvent  des  théopha- 
nies,  la  tradition  n'a  pas  eu  de  peine  à  en  dégager 
la  haute  portée  religieuse.  Car,  comme  le  signale 
Thomassin  (1),  il  découle  de  l'enseignement  des 
Pères  que  Dieu  n'a  pu  apparaître  sous  forme 
humaine  que  pour  s'accoutumer  lui-même  en  quel- 
que sorte  à  l'humanité  qu'il  devait  revêtir  un  jour  : 
pour  apaiser  l'impatience  de  son  amour  et,  tandis 
que,  par  un  conseil  de  sa  sagesse,  il  retardait  l'heure 
de  l'Incarnation,  il  prenait  comme  un  avant  goût 
de  ce  grand  mystère  ;  pour  habituer  peu  à  peu  les 
hommes  à  l'éclat  trop  vif  de  sa  divinité  et,  par  la 
demi-lumière  de  ses  apparitions,  fortifier  leur  regard 
et  le  préparer  au  grand  jour  ;  pour  dissiper  graduel- 
lement leur  incrédulité  (2). 

Dieu  s'est  choisi  un  peuple  pour  lui  communi- 
quer ses  enseignements  progressifs  et  il  n'a  cessé 
de  le  mettre  en  contact  avec  les  races  diverses  dans 
un  dessein  très  arrêté  de  sa  providence,  comme  l'a 
si  admirablement  montré  Bossuet  dans  son  Histoire 
universelle  ;  il  lui  a  sans  cesse  envoyé  des  prophè- 
tes, toujours  en  vue  du  grand  avènement  du  Messie. 
Bref,  à  chaque  page,  Dieu   se  montre,  parle  et  agit. 

Son  existence  se  manifeste  encore  par  tant 
d'œuvres  surnaturelles,  qui  constituent  de  si  puis- 
sants motifs  de  crédibilité  et  servent  en  même 
temps  de  preuve  à  la  révélation.  Ces  œuvres,  mani- 
festement au-dessus  des  puissances  de  la  nature, 
impliquent  une  cause  transcendante,  surnaturelle, 
Dieu.  Mais  certains  groupes  de  ces  œuvres  merveil- 


1.  De  Incarn.  Verbi.  I,  vi,  n.  10,  Venise,  1730,  p.  3o. -— 
a.  Cf.  De  Régnon,  Etudes  de  Théologie  positive,  3*  série. 
Etude  xiv,  Paris  1898,  t.  1,  p.  §4. 


£4o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

leuses    attestent   encore    mieux,    si  c'est  possible, 
l'existence  de  Dieu. 

Si  l'on  considère,  en  effet,  l'histoire  du  peuple 
juif,  dit  Franzclin  (i),  on  voit  comment  la  vie 
religieuse  et  politique  de  toute  cette  nation  reste 
pendant  deux  mille  ans  absolument  différente  de  la 
religion,  de  la  vie  et  des  mœurs  de  tous  les  peuples. 
Or  cette  vie  si  singulière  se  relie  à  des  faits  surna- 
turels, à  des  prophéties  faites  et  accomplies,  à  des 
théophanies  continues  qui,  depuis  la  grande  appa- 
rition du  Sinaï,  s'offrent  sans  cesse  aux  regards  de 
toute  la  nation.  Et  ce  n'est  pas  seulement  par  hasard 
que  cette  suite  de  faits  surnaturels  est  liée  à  cette 
histoire  religieuse  et  politique,  mais  au  contraire 
elle  en  forme  le  fond  et  l'élément  essentiel,  de  telle 
sorte  que,  sans  ces  faits  surnaturels,  la  trame  de 
l'histoire  du  peuple  juif  ne  saurait  ni  se  comprendre, 
ni  s'expliquer. 

Et  n'est-ce  pas  une  preuve  évidente  de  l'existence 
de  Dieu,  que  la  vie,  les  œuvres,  l'enseignement 
de  Jésus-Christ?  Yie,  œuvres  et  enseignements, 
inexplicables  par  les  seules  ressources  humaines,  et 
qui  proclament  l'action  surnaturelle  de  Dieu.  Parmi 
ces  œuvres,  que  dire  de  la  fondation  de  l'Eglise,  de 
son  existence  à  travers  les  siècles,  de  sa  force  de 
résistance  à  tant  d'assauts,  de  sa  marche  progres- 
sive à  travers  tant  de  peuples  qui  occupent  tour  à  tour 
le  premier  plan  de  l'histoire  ?  Si  le  divin  est  quelque 
part,  il  est  là.  Et  ce  n'est  certes  pas  l'un  des  moin- 
dres motifs  de  crédibilité  que  ce  phénomène  vrai- 
ment déconcertant  de  la  persistance  de  l'Eglise  :  à 
qui  sait  voir,  ce  n'est  que  Dieu  qui  soutient  son 
Eglise. 

Mais,  pour  le  croyant,  si  le  monde  de  la  nature 

i.  De  Dco  uno,  3e  édit.,  p.  117-118. 


l'existence  de  dieu   :   DOGME  de  foi  44  i 

est  un  livre  admirable  où  se  lit,  en  caractères 
indélébiles,  le  nom  du  Créateur,  le  monde  de  la 
grâce  avec  son  harmonie,  son  éclat,  sa  prodigieuse 
fécondité,  avec  les  perspectives  qu'il  ouvre  devant 
la  foi  étonnée  et  ravie,  ne  proclame-t-il  pas  l'exis- 
tence de  l'auteur  de  l'ordre  surnaturel  ?  Il  est  donc 
superflu  d'insister. 

IL  C'est  un  dogme  de  foi 
catholique 

Rien  d'étonnant,  puisque  l'existence  de  Dieu  est 
une  vérité  révélée,  que  l'Eglise  en  ait  pu  faire  un 
dogme  de  foi  catholique  ;  et  c'est,  en  effet,  ce  qu'a 
proclamé  le  concile  du  Vatican  une  fois  de  plus. 
Car  tous  les  symboles,  nous  l'avons  vu,  débutent 
par  un  acte  de  foi  à  l'existence  d'un  seul  Dieu.  Mais 
c'est  parce  que,  dans  le  dernier  siècle,  cette  vérité 
capitale  était  méconnue  ou  défigurée  par  certains 
philosophes  et  certaines  écoles  de  philosophie,  que 
les  Pères  du  Vatican  ont  tenu  à  en  faire  une  pro- 
fession solennelle  de  foi. 

Nous  lisons  dans  la  Constitution  Del  Filius  :  «  La 
sainte  Eglise  catholique,  apostolique,  romaine,  croit 
et  professe  qu'il  y  a  un  seul  Dieu,  vrai  et  vivant, 
créateur  et  seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  tout- 
puissant  (i).  »  Cette  profession  solennelle  de  foi  en 
l'existence  de  Dieu  fait  de  cette  vérité  révélée  un 
dogme  de  foi  catholique,  puisqu'il  y  est  dit  que 
«  l'Eglise  la  croit  et  la  professe.  » 

Remarquons,  toutefois,  que  les  titres  donnés  à 
Dieu  dans  cette  profession  de  foi  ne  sont  pas  de  foi 
en  vertu  de  cette  profession  même,  car  ils   ont   été 

i.  Const.  Dei  Filius,  c.  I,  S  i. 


442  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

déjà  définis  en  d'autres  circonstances.  Que  Dieu  soit 
un  et  vivant,  créateur  et  seigneur  du  ciel  et  de  la  terre, 
tout-puissant,  ces  vérités  sont  déjà  acquises  par 
d'autres  définitions  ;  elle  servent  ici  à  mieux  dis- 
tinguer le  Dieu,  dont  l'existence  est  définie,  et  à 
préciser  la  profession  de  foi  par  quelques  traits  dis- 
tinctifs,  tels  que  ceux  qu'on  rencontre  dans  l'Ancien 
et  le  Nouveau  Testament,  où  l'on  oppose  aux  idoles 
la  notion  du  Dieu  véritable  :  ce  Dieu  n'est  autre 
que  le  Dieu  des  patriarches,  des  juifs  et  des  chré- 
tiens, auteur  tout  à  la  fois  de  la  nature  et  de  la 
grâce.  La  croyance  à  l'existence  de  Dieu  est  néces- 
saire de  nécessité  de  moyen  pour  être  sauvé  ;  mai» 
le  concile  n'a  pas  spécifié  si  l'acte  de  foi  doit 
s'appliquer  à  Dieu  considéré  et  comme  auteur  de 
l'ordre  naturel  et  comme  auteur  de  l'ordre  surna- 
turel. Quelques  thomistes,  sous  prétexte  qu'on  ne 
peut  faire  un  véritable  acte  de  foi  à  une  vérité  qu'on 
s'est  démontrée  par  la  raison,  soutiennent  que  la 
foi  en  l'existence  de  Dieu,  nécessaire  de  nécessité 
de  moyen  pour  le  salut,  n'est  autre  que  la  foi  en 
l'existence  de  Dieu,  considéré  comme  l'auteur  de 
l'ordre  surnaturel  (i).  C'est  peut-être  beaucoup  trop 
dire  ;  mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point  particulier, 
à  débattre  entre  théologiens  de  profession,  il  con- 
vient de  retenir  que  l'acte  de  foi  nécessaire  de 
nécessité  de  moyen  pour  le  salut  est  au  moins 
l'acte  de  foi  en  l'existence  de  Dieu,  considéré  comme 
auteur  de  l'ordre  naturel. 

De  cette  définition  du  concile  du  Vatican  décou- 
lent quelques  conséquences,  dont  l'une  est  d'exclure 
du  corps  de  l'Eglise  quiconque  se  refuse  à  admettre 
l'existence  de  Dieu,  sur  l'autorité  de  la  révélation, 
par  suite  les  athées  formels,  les  matérialistes  qui 

i.  Cf.  Vacant,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  169. 


l'existence  de  dieu  :  DOGME  de  foi         443 

n'admettent  rien  en  dehors  de  la  matière,  les 
rationalistes  qui,  repoussant  toute  révélation,  n'ad- 
mettent l'existence  de  Dieu  qu'à  cause  des  preuves 
qu'en  donne  la  raison,  et  certains  protestants 
contemporains  qui,  par  un  tour  de  force  comparable 
à  une  gageure,  estiment  pouvoir  rester  chrétiens 
sans  croire  à  l'existence  de  Dieu,  si  hautement 
affirmée  par  Notre  Seigneur. 

Les  matérialistes,  cela  va  de  soi,  en  vertu  de  leurs 
propres  principes,  ne  peuvent  reconnaître  rien  en 
dehors  et  au  dessus  de  la  matière  :  ils  ne  vont  pas 
seulement  contre  la  foi,  ils  sont  en  révolte  contre 
la  raison.  Le  concile  du  Vatican  les  frappe  d'ana- 
thème  :  «  Anathème  à  qui  ne  rougirait  pas  d'affirmer 
qu'il  n'existe  rien  en  dehors  de  la  matière  I  »  Sans 
être  des  matérialistes  déterminés,  les  positivistes 
offrent-ils  prise  à  cette  condamnation  ?  Car  ils 
éliminent  résolument  de  leurs  recherches  l'absolu, 
sous  prétexte  qu'il  échappe  aux  prises  de  l'expé- 
rience, qu'il  ne  peut  être  connu  ;  ils  renoncent  par 
conséquent  à  la  recherche  des  causes,  surtout  des 
causes  premières  et  des  causes  finales,  parce  que 
c'est  là,  à  leur  sens,  une  enquête  qui  ne  put  pas 
aboutir  ;  c'est  dire  qu'ils  suppriment  le  problème 
de  l'origine  du  monde  et  celui  de  sa  destination, 
parce  que  «  le  travail  de  la  science  a  eu  pour  résul- 
tat de  démontrer  que  nulle  part  il  n'y  a  place  pour 
l'intervention  des  dieux  d'aucune  théologie.  »  Dieu 
a  donc  pu  être  une  hypothèse,  utile  sinon  nécessaire, 
pendant  le  premier  stage  de  l'esprit  humain,  dans 
l'état  théologique,  et  même  pendant  le  second,  dans 
ïétat  métaphysique  ;  mais,  dans  l'état  actuel,  dan  s 
Vétat  positif,  c'est  une  hypothèse  démodée,  complè- 
tement inutile  :  l'homme  n'a  qu'à  prendre  congé  de 
Dieu  ;  il  s'en  passe,  il  l'ignore,  il  explique  sans  lui 
tout  ce  qui  est  explicable.  Une  telle  manière  de  voir 


444  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

est  fausse,  philosophiquement  parlant,  et  pour  hien 
des  raisons  que  nous  n'avons  pas  à  signaler  ici  ; 
mais  il  ne  suffit  pas  qu'elle  soit  fausse  pour  que  les 
positivistes  soient  englobés  dans  l'anathème  que 
nous  venons  de  rapporter  et  qui  vise  d'une  façon 
nette  et  précise  les  purs  matérialistes. 

Des  idéalistes  exagérés  sont  tombés  dans  une 
autre  erreur  pareillement  condamnable  et  pareille- 
ment condamnée.  Il  y  a  tant  de  manières  de  repousser 
l'idée  de  Dieu  1  Les  athées,  nous  verrons  tout  à 
Fheure  ce  qu'il  convient  d'en  penser,  la  rejettent 
formellement,  explicitement  ;  certains  idéalistes, 
tout  en  se  défendant  de  lui  porter  la  moindre 
atteinte,  l'écartent  implicitement  et  en  quelque 
sorte  d'une  manière  subreptice.  C'est  ce  que  nous 
avons  vu  dans  la  seconde  moitié  du  dernier  siècle. 
Certains  esprits  raffinés  affichaient  pour  Dieu  un 
respect  profond  ;  mais,  outre  le  sens  ordinaire 
attaché  à  ce  nom,  ils  en  avaient  imaginé  un  autre 
tout  différent. 

Vacherot,  par  exemple,  était  très  affirmatif  en 
cosmologie  et  très  négatif  en  théologie.  En  cosmo- 
logie, il  admettait  fort  bien  l'existence  de  Dieu  ; 
mais  ce  Dieu  vivant,  concret,  c'est  «  l'être  universel, 
infini,  sujet  et  cause  de  tous  les  phénomènes  dont 
il  paraît  n'être  que  le  théâtre,  se  suffisant  à  lui- 
même  et  n'ayant  nul  besoin  d'un  principe  hyper- 
cosmique  ;  »  il  se  confond  avec  le  monde,  ce  qui, 
pour  nous,  revient  à  dire  qu'il  n'est  vraiment  pas 
Dieu.  En  théologie,  au  contraire,  Vacherot  admet- 
tait aussi  l'idée  d'un  Dieu,  immuable,  immobile, 
parfait,  de  celui  que  la  foi  du  genre  humain  et  le 
cri  de  toute  conscience  religieuse  saluent  du  nom 
de  Dieu  ;  mais  ce  Dieu  n'existe  pas  ;  ce  n'est  qu'un 
être  de  raison  dont  la  perfection  est  toute  idéale  ; 
ce  n'est  qu'une  idée,  qu'une  abstraction,  parce  que 


l'existence  de  dieu  :  dogme  de  foi  /i/i"> 

l'existence  et  la  perfection  ne  marchent  pas  de  pair. 
Et  vouloir  que  le  Dieu  parfait  de'  la  théologie  lût 
réel,  ce  serait  le  mutiler,  le  faire  déchoir  de  sa 
perfection.  D'où  ce  dilemme:  ou  Dion  est  parfait, 
m;iis  alors  il  n'existe  pas,  et  c'est  l'athéisme  ;  ou 
Dieu  existe,  mais  alors  il  n'est  pas  parfait,  il  se 
confond  avec  le  Cosmos,  et  c'est  le  panthéisme. 

Renan,  de  son  coté,  a  une  théorie  quelque  peu 
semblable,  sous  des  formules  plus  subtiles  et  plus 
nuancées.  Il  rejette  l'idée  d'un  Dieu  créateur,  d'une 
Providence  intervenant  à  un  degré  quelconque  dans 
les  affaires  de  ce  monde,  il  regarde  la  vraie  théolo- 
gie comme  «  la  science  du  monde  et  de  l'humanité, 
aboutissant,  comme  culte,  à  la  poésie  et  à  l'art,' et 
par  dessus  tout  à  la  morale.  »  Quant  à  savoir  si 
Dieu  existe,  il  répond  oui  et  non.  Oui,  il  existe,  si 
on  le  considère  comme  la  collection  des  êtres,  nature 
et  humanité,  qui  sont  l'objet  de  la  vraie  théologie; 
non,  si  on  le  regarde  comme  l'absolu,  l'éternel, 
l'immuable,  sans  progrès  et  sans  devenir.  Et  ainsi 
le  Dieu,  dont  il  affirme  la  réelle  existence,  n'est  autre 
chose  que  le  monde,  ce  qui  est  du  panthéisme  ;  et 
le  Dieu  dont  il  affirme  la  perfection,  n'est  autre 
que  le  résumé  de  nos  besoins  suprasensibles,  un 
concept  sans  objet  réel,  la  «  catégorie  de  l'idéal,  » 
et  ceci  est  de  l'athéisme.  «  Dieu,  providence,  im- 
mortalité, autant  de  bons  vieux  mots  ;  un  peu  lourds 
peut-être,  que  la  philosophie  interprétera  dans  des 
sens  de  plus  en  plus  raffinés,  mais  qu'elle  ne  rem- 
placera jamais  avec  avantage.  Sous  une  forme  ou 
sous  une  autre,  Dieu  sera  toujours  le  résumé  de  nos 
besoins  suprasensibles,  la  catégorie  de  Vidéal  (c'est- 
à-dire,  la  forme  sous  laquelle  nous  concevons  l'idéal), 
comme  l'espace  et  le  temps  sont  les  catégories  des 
corps  (c'est-à-dire  les  formes  sous  lesquelles  nous 
concevons  les  corps).  » 


446  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Cet  athéisme  subtil  et  plus  ou  moins  raffiné  est 
condamné,  croyons-nous,  tout  comme  Fathéisme 
brutal  et  formel,  par  le  concile  du  Vatican,  qui  dit 
«  anathème  à  qui  nierait  le  seul  vrai  Dieu,  créateur 
et  seigneur  des  choses  visibles  et  invisibles  (i).  » 

Mais,  avons-nous  dit,  la  définition  du  concile  du 
Vatican  exclut  du  corps  de  l'Eglise  certains  protes- 
tants qui  en  sont  arrivés  à  ne  plus  croire  en  Dieu, 
tout  en  se  disant  chrétiens.  C'est  que,  en  effet,  le 
protestantisme,  suivant  fatalement  la  voie  de  son 
évolution,  qui  est  commandée  par  son  principe  de 
libre  examen,  est  en  train  de  toucher  au  terme 
dernier,  la  négation  pure  et  simple  de  l'existence 
personnelle  de  Dieu.  Qui  voudrait  en  connaître,  non 
pas  la  genèse  primitive,  mais  les  manifestations  les 
plus  récentes,  en  trouverait  l'explication  dans  l'article 
Dogmatique,  publié  par  M.  le  pasteur  Bouvier,  dans 
Y  Encyclopédie  des  sciences  religieuses,  de  Lichtem- 
berger  (2)  ;  il  y  verrait  que  la  dogmatique  protes- 
tante a  subi,  au  xixe  siècle,  deux  influences,  celle  de 
la  philosophie  de  l'absolu  et  celle  de  la  théologie 
du  sentiment  ;  que  peu  à  peu  elle  en  est  venue  non 
pas  seulement  à  rejeter,  comme  l'a  dit  la  Constitu- 
tion Dei  Filius,  toute  foi  surnaturelle  en  Jésus- 
Christ,  mais  encore  à  mettre  en  doute  ce  premier 
principe  de  la  religion  naturelle,  l'existence  d'un 
Dieu  distinct  du  monde.  Et  dès  lors  on  ne  s'étonne- 
rait plus  de  cet  état  d'individualisme  et  de  sub- 
jectivisme,  dont  M.  Sabatier,  en  France,  dans 
son  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  religion,  et 
M.  Harnack,  en  Allemagne,  dans  son  Histoire  des 
dogmes  et  surtout  dans  son  Essence  du  Christianisme, 
sont  une  preuve  toute  récente.  Dans  leur  pensée  et 

1.  Const.  Dei  Filius,  1  can.  de  Deo,  can.  1   et  a.  —  2.  T.  iv, 
p.  i4  sq. 


Y    A-T-IL    DES    ATHÉES  4^7 

sous  leur  plume,  Dieu,  chassé  du  domaine  de  la 
nature  et  de  celui  de  l'histoire,  n'a  guère  pour  refuge 
que  la  conscience  humaine.  Dans  quel  état  ?  Dans 
un  état  fort  précaire,  assurément  ;  car  il  finira  par 
ressembler,  s'il  ne  lui  ressemble  pas  déjà,  à  la 
catégorie  de  l'idéal,  dont  nous  venons  de  parler,  ou 
«  à  l'activité  imparfaite  aspirant  au  parfait,  »  autant 
dire  à  un  fantôme  de  divinité,  à  un  athéisme  latent. 

III.  Y  a-t-il  des  athées  ? 

Les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  sont  si  nom- 
breuses, toutes  accessibles  à  la  raison,  quelques- 
unes  si  faciles  et  si  obvies,  que  la  question  se  pose 
s'il  peut  y  avoir,  s'il  y  a  réellement  des  athées. 

L'athéisme  est  la  négation  ou  l'ignorance  de  Dieu. 
On  peut  distinguer  deux  sortes  d'athéisme:  l'athéisme 
négatif,  simple  ignorance  de  Dieu,  chez  ceux  qui 
n'auraient  jamais  pensé  à  lui,  ou  qui  ne  se  seraient 
jamais  demandé  s'il  existe  ;  l'athéisme  positif,  néga- 
tion de  Dieu.  Ce  dernier,  à  son  tour,  peut  se 
se  subdiviser  en  deux  :  il  est  spéculatif  ou  théorique, 
chez  ceux  qui  se  croient  persuadés  de  la  non-exis- 
tence de  Dieu  ;  il  est  pratique,  chez  ceux  qui  agissent 
comme  si  Dieu  n'existait  pas. 

i.  Or,  qu'il  y  ait  des  athées  pratiques,  c'est-à-dire 
des  êtres  humains  pensant,  parlant,  vivant  comme 
s'il  n'y  avait  pas  de  Dieu,  c'est  un  fait  d'expérience: 
il  y  en  a  beaucoup  trop  et  le  nombre,  avec  les 
mœurs  actuelles,  ne  peut  aller,  hélas  !  qu'en  aug- 
mentant. Combien  d'hommes,  en  effet,  qui  lais- 
sent prédominer  en  eux  les  bas  instincts,  qui 
n'obéissent  qu'au  gré  de  leurs  intérêts  matériels  et 
au  caprice  de  leurs  passions,  avides  de  jouir  avant 
tout,  immédiatement,  le  plus  possible,  qui  étouffent 


/548  LE-  CATÉCHISME    ROMAIN 

la  voix  de  leur  conscience,  témoin  ou  juge  impor- 
tun, qui  écartent  comme  un  joug  intolérable  toute 
loi  morale,  qui  bannissent  de  leur  vie  pratique 
l'idée  d'un  Dieu  rémunérateur  et  justicier,  et  qui 
nient  l'existence  future  et  les  sanctions  d'outre 
tombe  !  Depuis  l'époque  où  Lamennais  écrivait  son 
Essai  sur  V indifférence,  l'impiété  n'a  cessé  de  faire 
des  progrès  ;  elle  tend  de  plus  en  plus  à  ramener 
les  âmes  en  plein  paganisme.  Et,  d'autre  part,  le 
rationalisme  contemporain  a  essayé  d'ériger  en  sys- 
tème une  règle  de  vie,  d'où  Dieu  est  délibérément 
exclu.  Plus  de  dogmes  ni  de  croyances  religieuses  1 
Ce  ne  sont  là  que  des  hypothèses  inadmissibles, 
dont  la  science  fait  bon  marché,  parce  qu'elles 
échappent  à  tout  contrôle  scientifique.  L'homme 
est  autonome  :  il  doit  organiser  sa  vie  scientifique- 
ment, sans  se  préoccuper  de  Dieu,  sans  rattacher  la 
morale  à  une  théologie  ou  métaphysique  quelcon- 
ques. C'est  la  «  laïcisation  »  de  la  morale,  et  cette 
u  laïcisation  »  gagne  de  proche  en  proche.  L'Etat, 
sous  prétexte  de  «  neutralité,  »  s'est  soustrait  à  toute 
idée  religieuse.  Il  efface  Dieu  de  ses  lois,  de  son  code, 
de  ses  prétoires,  de  ses  constitutions,  de  ses  monu- 
ments, de  ses  fêtes,  de  ses  discours,  de  son  ensei- 
gnement et  de  ses  écoles. 

Ajoutez  à  cela  la  vogue  du  matérialisme,  tel  que 
Moleschott,  Buchner,  Garl  Vogt  et  Yirchow  l'ont 
formulé  en  Allemagne,  et  vous  comprendrez  com- 
ment Buchner  a  pu  écrire  dans  Science  et  Nature  : 
a  En  regard  des  courants  spiritualistes  de  l'époque, 
on  peut  considérer  la  philosophie  positive  comme 
étant  athée,  matérialiste  et  sensualiste.  Ce  que  l'on 
désigne,  à  l'époque  actuelle,  sous  le  nom  de  Dieu, 
de  Créateur,  de  Providence,  d'Eternel,  etc.,  ne 
représente,  suivant  la  philosophie  positive,  que  des 
figures  de  théologie  métaphysique,  des  artifices  de 


Y   A-TIL    DES    ATHÉES  /|^9 

logique,  des  hypothèses  qui,  à  l'origine,  pouvaient 
bien  être  nécessaires.  Ce  qui  doit  remplacer  le  Dieu 
d'autrefois,  c'est  actuellement  l'humanité  ou,  à  un 
point  de  vue  général,  l'amour  de  l'humanité.  Diis 
exstinctis,  Deoque  successit  humanitas  (i).  »  Tel  est 
le  dernier  mot  du  dogmatisme  scientifique,  le  credo 
de  quelques  savants  contemporains.  Et  la  doctrine, 
dans  les  masses,  se  traduit  par  le  sensualisme  le 
plus  effréné.  Que  faut-il  de  plus  pour  expliquer 
l'existence  des  athées  pratiques  ? 

2.  Y  a-t-il  semblablement  des  athées  spéculatifs  ? 
Nous  venons  d'entendre  Buchner,  et  le  doute  n'est 
pas  possible  en  ce  qui  regarde  les  matérialistes,  qui 
prétendent  expliquer  le  monde  en  se  passant  de 
l'hypothèse-Dieu.  On  peut  en  dire  autant  pour  les 
partisans  du  panthéisme  qui,  bien  qu'ils  s'en  dé- 
fendent, par  leur  système  incohérent  de  l'unité 
absolue,  aboutissent  ou  bien  à  réduire  l'idée  de 
Dieu  à  une  pure  abstraction,  à  une  idéal  métaphy- 
sique, à  la  catégorie  de  l'idéal,  ou  bien  à  sacrifier 
l'existence  des  choses  visibles  en  faveur  d'une  divi- 
nité vaporeuse,  indistincte,  sans  personnalité.  Pan- 
théisme naturaliste  ou  panthéisme  mystique,  peu 
importe,  l'un  comme  l'autre,  passant  du  domaine 
philosophique  dans  l'exploitation  littéraire,  finissent 
par  vider  l'esprit  et  le  cœur  de  toute  idée  vraie  de 
Dieu,  et  acheminent  l'homme,  sur  le  chemin  du 
rêve  et  de  la  chimère,  jusqu'à  la  négation  de 
Dieu. 

Les  positivistes  n'échappent  pas  davantage  au 
même  reproche.  Sans  doute,  ils  raillent  l'athée  et  le 
déiste  comme  des  esprits  non  émancipés,  théolo- 
giens dogmatiques  à  leur  manière.  L'intelligence  a 
évolué,  disent-ils  ;  elle  n'en  est  plus  au  stage  théo- 

i.  Wissen  und  Natur,  trad.  franc.,  Paris,  1866,  t.  1.  p.  24. 

LE  CATECHISME.  —  T.  I.  29 


£5o  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

logique,  ni  même  au  stage  métaphysique,  où  elle 
expliquait  l'origine  du  monde  par  l'intervention 
d'agents  surnaturels  ou  de  forces  abstraites  ;  elle 
est  au  stage  scientifique  ou  positif,  et  elle  doit 
renoncer  de  parti  pris  à  chercher  une  cause  introu- 
vable, inaccessible,  inconnaissable,  du  monde,  pour 
se  confiner  exclusivement  dans  le  domaine  de 
l'expérience  sensible.  Cela  n'a  pas  empêché,  par 
une  inconséquence  assez  piquante,  Comte  lui-même 
d'essayer  à  son  tour  d'établir  dogmatiquement  une 
religion,  dans  laquelle,  il  est  vrai,  ne  paraissent  ni 
Dieu,  ni  l'âme. 

Mais,  au  fond,  l'athée  spéculatif  est-il  réellement, 
logiquement,  scientifiquement  convaincu  de  la  non- 
existence  de  Dieu  ?  Il  en  est  qui  l'affirment,  et  plu- 
sieurs sur  un  ton  blasphématoire  tel  qu'ils  en  de- 
viennent suspects,  et  avouent  ainsi  implicitement 
leur  croyance  intime  à  l'existence  d'un  Dieu,  qui 
les  fait  baver  de  colère.  11  en  est  d'autres,  moins 
exaltés,  plus  maîtres  d'eux-mêmes,  plus  froids,  qui 
l'affirment  sur  un  ton  de  sincérité,  qu'il  serait 
impertinent  de  mettre  en  doute,  bien  qu'il  paraisse 
impossible  que  l'homme  raisonnable  puisse  arriver 
à  se  faire  une  telle  conviction.  On  s'explique  assez 
aisément  qu'une  intelligence,  continuellement  assail- 
lie par  des  doutes,  finisse  par  être  victime  de  leur 
travail  de  destruction.  Elle  lutte  parfois,  et  doulou- 
reusement, mais  parfois  aussi  elle  va  à  la  dérive,  se 
laisse  complètement  désemparer  et  glisse  dans 
l'abîme  de  Yathéisme  spéculatif.  Mais,  manifestement, 
ce  ne  peut  être  qu'une  crise  passagère,  exception- 
nelle, aiguë.  Car,  la  raison  reste  la  raison,  et,  à  un 
moment  donné,  elle  peut  secouer  ses  chaînes,  repren- 
dre son  élan,  revenir  à  la  lumière  et  se  convaincre 
de  son  aberration  pour  adorer  le  Dieu  inconnu.  Car, 
selon  l'Ecriture,  «  l'insensé  dit  dans  son  cœur  :  il 


Y    A-T-IL    DES    ATHEES  45 1 

n'y  a  pas  de  Dieu  (i).  »  C'est  un  langage  intéressé  £ 
il  vient  du  cœur  et  non  de  l'intelligence. 

3.  Reste  maintenant  à  savoir  si  un  homme,  qui 
jouit  de  l'usage  de  sa  raison,  qui  distingue  le  bien 
du  mal,  qui  sait  qu'il  fait  mal  quand  il  enfreint  les 
prescriptions  de  sa  conscience,  peut  passer  sa  vie 
dans  l'ignorance  totale  de  Dieu  et  être  dé  bonne  foi. 
En  d'autres  termes,  y  a-t-il  des  athées  négatifs?  II 
ne  s'agit  pas,  cela  va  de  soi,  de  l'enfant  ou  du 
dément,  mais  de  l'homme  sain  d'esprit.  Sur  ce 
point,  la  réponse  ne  saurait  être  douteuse,  si  l'on 
tient  compte,  et  il  le  faut  bien,  de  l'enseignement 
de  l'Ecriture  et  de  la  tradition.  Car,  d'après  cet 
enseignement,  l'ignorance  invincible  de  l'existence 
de  Dieu  doit  être  rangée  au  rang  des  chimères. 

Saint  Paul  ne  nous  apprend-il  pas,  en  effet,  que 
l'ignorance  de  Dieu,  dans  laquelle  vivaient  prati- 
quement les  païens,  était  déraisonnable  et  coupable  ? 
Et  saint  Paul  ne  répétait  il  pas  l'enseignement  déjà 
consigné  au  livre  de  la  Sagesse  (2)  ?  La  connaissance 
de  Dieu  était  donc  moralement  possible  aux  païens  ; 
elle  l'est  encore  de  nos  jours  à  tout  homme  raison- 
nable et  de  bonne  foi.  Du  reste,  d'après  saint  Paul, 
la  loi  naturelle  nous  est  connue  par  les  lumières  de 
la  raison.  Et  Franzelin  (3)  fait  observer  que  nul  ne 
saurait  se  croire  obligé  par  la  loi  naturelle  sans 
avoir,  par  là  même,  au  moins  une  idée  vague  de 
l'existence  d'un  législateur,  qui  a  droit  de  comman- 
der, et  auquel  l'homme  a  le  devoir  d'obéir.  Les 
Pères  (4)  sont  unanimes  à  regarder  comme  coupable 
la  méconnaissance  de  l'existence  de  Dieu.  Leurs 
témoignages  explicites   sont  trop  nombreux   pour 


1.  Psal.,  lxxvi,  1.  —  2.  Sap.,  xm.  —  3.  De  Deo,  thcs.  ni.  — 
A.  Voir  dans  Petau,  De  Deo,  L.  1,  ch.  1  et  2,  et  dans  Thomassin, 
De  Deo,  Lib.  i,  de  nombreux  textes  patristiques. 


/|52  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

être  rappelés  ici.  Ajoutons  encore  que  c'est  l'opinion 
des  théologiens  en  grande  majorité. 

Cela  se  comprend.  Car  l'homme  raisonnable  ne 
peut  point  passer  toute  sa  vie  sans  se  sentir  poussé, 
un  jour  ou  l'autre,  à  se  poser  la  question  de  savoir 
ce  qu'il  est,  d'où  il  vient,  où  il  va,  s'il  y  a  par  delà 
les  phénomènes  qui  l'entourent  autre  chose  que  le 
néant,  un  être  qui  explique  l'énigme  du  monde.  La 
question  posée  appelle  une  solution.  Et  alors,  avec 
son  intelligence,  il  la  résoudra,  bien  ou  mal,  mais 
il  la  résoudra.  Ce  qui  revient  à  dire  qu'un  homme 
sensé  et  de  bonne  foi  ne  saurait  vivre  dans  Y  athéisme 
négatif.  C'est  un  des  motifs,  dit  Vacant,  pour  quoi 
il  ne  saurait  y  avoir  de  jante  parement  philosophique, 
c'est-à-dire  de  péché  qui  violerait  gravement  une 
loi  morale  bien  connue,  et  qui  ne  serait  pas  en 
même  temps  une  offense  de  Dieu.  Certains  théolo- 
giens avaient  avancé  que  le  péché  philosophique 
peut  exister  chez  ceux  qui  ignoreraient  Dieu  ou  ne 
penseraient  pas  à  lui.  Mais,  le  i!\  août  1690,  Alexan- 
dre VIII  condamna  cette  proposition  comme  scan- 
daleuse et  erronée  (1).  Cette  condamnation  implique 
que  quiconque  peut  commettre  une  faute  grave,  est 
à  même  de  connaître  Dieu  (2). 

1.  Causes  de  doute.  —  «  De  nos  jours,  la  vérité  de 
l'existence  de  Dieu  a  subi  une  éclipse  qui  a  profondément 
troublé  les  consciences.  Au  premier  rang  des  causes  qui 
l'ont  produite,  il  faut  mettre  cette  myopie  intellectuelle 
qui  résulte  d'une  demi-science  vaniteuse,  fréquente  aux 
époques  d'instruction  générale,  et  aussi  cette  myopie 
morale  qui  frappe  les  adorateurs  de  la  chair  et  du  veau 
d'or.  Mais  peut-être  existe-t-il  une  cause  plus  profonde 
qu'il  serait  injuste  d'oublier  :  Le  changement  radical  qui 

1.  Denzinger,  n.  1157.  —  2.  La  Constitution  Dei  Films,  t.  1, 
p.  329. 


Y   A-T-IL    DES    ATHÉES  453 

s'est  opéré  dans  la  conception  de  l'univers  sous  V influence 
du  progrès  scientifique. 

«  La  création  s'est  démesurément  agrandie  aux  yeux  de 
l'intelligence.  Les  contemporains  de  Galilée  s'effrayèrent 
d'apprendre  que  le  savant  n'avait  pu  mesurer  la  distance 
de  la  terre  aux  étoiles,  en  prenant  pour  base  du  triangle 
le  diamètre  de  l'ellipse  de  révolution  de  la  terre  autour  du 
soleil  ;  cette  base  immense  était  donc  insignifiante  par 
rapport  aux  éloignements  stellaires.  Puis  la  voie  lactée, 
qui  leur  avait  semblé  jusqu'alors  un  amas  de  poussière 
lumineuse,  se  révélait  comme  une  prodigieuse  agglomé- 
ration d'étoiles.  Plus  tard,  ces  mondes,  qui  avaient  reculé 
dans  les  lointains  de  l'espace,  furent  rejetés  hors  des 
étroites  limites  du  temps  où  d'anciens  calculs  voulaient 
les  enserrer.  Tous  les  vieux  cadres  éclataient.  Les  forces 
physiques  se  manifestaient  dans  toute  leur  puissance  aux 
savants  étonnés  :  pesanteur,  électricité,  attraction,  affi- 
nité chimique,  mouvement  et  chaleur.  A  l'idée  simple  et 
populaire  d'une  création  instantanée  se  substituait  l'idée 
complexe  d'une  création  lentement  progressive.  Jusque  là 
effacées,  les  causes  secondes  vinrent  occuper  désormais  le 
devant  du  tableau  ;  par  la  multiplicité  et  l'énergie  de  leurs 
effets  sensibles,  elles  accaparaient  l'attention,  tandis  que 
l'action  de  la  Cause  première,  autrefois  prédominante, 
se  trouvait  ainsi  reportée  à  l'arrière-plan.  11  était  donc 
conforme  à  la  logique  de  la  faiblesse  humaine  que  la 
Cause  première  subît  une  éclipse.  »  Souben,  Nouvelle 
Théologie,  Paris,  1902,  t.  1,  p.  44-45. 

2.  Myopie  intellectuelle  et  morale.  —  «  La  myopie 

intellectuelle  peut  se  guérir  par  des  études  plus  appro- 
fondies, sincères  et  loyales.  Le  mot  de  Bacon  reste  tou- 
jours vrai  :  «  Un  peu  de  science  éloigne  de  Dieu  ;  beau- 
coup de  science  ramène  à  Dieu.  »  Qu'on  leur  fasse 
comprendre  qu'il  ne  sauraient  se  croire  supérieurs  à  des 
savants  tels  que  Leibnitz  et  Newton,  Leverrier  et  Faye, 
Cuvier  et  Albert  Gaudry,  et  qu'on  peut  reconnaître,  sans 
s'abaisser,  le  Dieu  devant  qui  de  tels  hommes  se  sont 
abaissés.  Leur  exemple  est  là  pour  prouver  que  la  con- 
ception nouvelle  de  l'univers  ne  conduit  pas  le  moins  du 


454  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


monde  à  l'athéisme,  qu'elle  ouvre  au  contraire  des  pers- 
pectives inattendues  sur  la  grandeur,  la  toute-puissance 
et  la  bonté  de  l'Etre  qui  a  tout  créé. 

«  Si  l'athée  est  atteint  de  myopie  morale,  il  faut  lui 
faire  suivre  un  traitement  différent.  Chateaubriand  avait 
vu  juste,  lorsqu'il  écrivait  :  «  Rien  ne  trouble  le  compas 
-du  géomètre,  et  tout  trouble  le  cœur  du  philosophe.  » 
L'existence  de  Dieu  n'est  pas  une  vérité  stérile,  c'est  une 
vérité  féconde  dont  les  contrecoups  se  font  sentir  d'une 
manière  parfois  redoutable  dans  notre  vie  intérieure  et 
morale.  On  est  porté  à  la  nier,  non  pour  elle-même,  non 
à  cause  des  contradictions  et  des  impossibilités  internes 
qu'on  y  a  reconnues,  mais  à  cause  des  conséquences 
irrésistibles  qui  en  découlent  pour  nous-mêmes.  On  vou- 
drait bien  se  persuader  que  Dieu  n'existe  pas,  parce  qu'il 
est  trop  gênant  pour  nous  qu'il  existe,  et  comme  on 
croit  volontiers  ce  qu'on  désire,  on  en  vient  à  préférer  le 
sophisme  au  raisonnement,  l'erreur  commode  à  la  vérité 
désagréable.  En  un  mot,  la  licence  de  la  vie  engendre  la 
licence  de  la  pensée,  pour  se  créer  une  excuse  à  ses  pro- 
pres yeux,  excuse  misérable  qui  aggrave  la  faute  et  qui 
est  impuissante  à  détruire  l'immortel  objet  de  sa  né- 
gation. Ici,  le  vrai  remède,  c'est  le  retour  à  l'observation 
sérieuse  et  persévérante  delà  loi  morale.  »  Ibid.,  p.  57~58. 

3.  Perte  de  la  foi  pour  raisons  d'ordre  intellec- 
tuel. —  «  Il  faut  tenir  compte  d'abord  de  l'atmosphère 
intellectuelle,  des  idées  courantes  et  des  préoccupations 
ordinaires,  du  milieu  où  l'on  vit.  Quoi  d'étonnant  qu'un 
enfant  grandisse,  vive  et  meure  sans  la  foi,  qui  n'a  jamais 
entendu  parler  de  Dieu,  de  la  religion,  de  l'Eglise,  que 
pour  blasphémer,  pour  en  rire,  pour  en  dire  du  mal  ? 

«  D'autres  ont  eu  la'foi  dans  leur  enfance.  Mais  le  pre- 
mier usage  qu'ils  font  de  leur  raison  et  de  leur  liberté, 
c'est  de  tout  rejeter  avec  une  légèreté  et  une  présomption 
inexcusables,  sans  étude  sérieuse,  pour  des  objections 
futiles,  pour  ne  s'en  rapporter  qu'à  soi,  pour  faire  comme 
tel  ou  tel,  pour  secouer  le  joug.  Ainsi  fit  Taine  à  i5  ans. 
«  L'orgueil  et  l'amour  de  la  liberté  m'ont  affranchi,  » 
écrivait-il  lui-même  quelques  années  plus  tard.  Eman- 


Y   A-T-IL   DES   ATHÉES  455 

cipation  folle  et  prématurée,  dont  beaucoup  porteront  la 
peine  toute  leur  vie.  Du  plus  au  moins,  il  y  a  de  cela  chez 
la  plupart  des  jeunes  gens  qui  perdent  la  foi,  depuis 
Taine  jusqu'à  Jouffroy  ou  à  Renan. 

«Cette  présomption  se  complique,  chez  un  grand  nom- 
bre, d  études  sérieuses  et  d'effort  intellectuel  puissant. 
On  veut  juger  de  tout,  sans  avoir  acquis  encore  les  ma- 
tériaux suffisants  ;  on  se  met  en  face  des  objections  les 
plus  subtiles,  sans  avoir  l'esprit  assez  préparé  pour  voir 
la  valeur  de  la  réponse  ;  on  veut  entrer  en  lutte,  et  tout 
seul,  sans  être  encore  armé  ou  exercé... Beaucoup  d'hom- 
mes, grâce  en  partie  aux  défauts  de  la  première  forma- 
tion, sont  frappés  de  cette  incurable  faiblesse  en  face  de 
l'objection.  Ils  devraient  le  savoir  et  ne  pas  s'exposer  à 
une  lutte  inégale.  Ils  n'en  tiennent  pas  compte  :  ils 
s'exposent  et  ils  tombent.  L'imprudence  et  la  présomp- 
tion ne  sont  pas  moins  funestes  à  la  foi  qu'aux  mœurs. 

«Il peut  arriver  que  l'esprit  même  soit  faussé,  déformé, 
par  une  culture  trop  étroite,  trop  exclusive.  Un  tel  en 
viendra  à  ne  plus  admettre  que  la  démonstration  ma- 
thématique, et  il  est  clair  qu'il  ne  l'aura  pas  en  matière 
religieuse  et  morale. 

«  Un  autre  est  d'un  scepticisme  incurable  en  fait  de 
métaphysique  :  il  ne  pourra  être  logiquement  que  scepti- 
que sur  Dieu  ou  sur  l'âme. 

«  Quelquefois  on  se  fait  une  mauvaise  méthode  ou  une 
fausse  idée  de  la  vraie  méthode.  Ne  vouloir  rien  admettre 
dont  on  n'ait  l'idée  claire  et  distincte,  c'est  s'exposer  à 
rejeter  bien  des  idées  précieuses  ;  car  ni  l'idée  n'atteint 
tout  le  réel,  ni  l'idée  claire  n'est  le  seul  mode  de  posséder 
la  vérité.  S'arrêter  à  ne  regarder  que  les  difficultés  em- 
pêche de  voir  la  réalité  substantielle  et  solide.  Une 
difficulté  insoluble  ne  peut  rien  contre  une  vérité  acquise  ; 
mais  en  s'attardant  autour  de  la  difficulté,  on  peut 
perdre  le  sens  de  la  vérité  possédée  et  la  sécurité  de  la 
possession.  Ainsi  trop  de  critique  peut  éloigner  du  vrai. 

«  Il  en  est  qui  veulent  refaire  à  eux  seuls  tout  le  travail 
de  l'humanité.  Ils  n'admettent  rien  sur  la  parole  d'un 
autre  ;  ils  veulent  tout  voir  par  eux-mêmes.   C'est.s'ex- 


456  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


poser  à  rester  pauvre  :  nous  ne  pouvons  guère  être  riches 
que  de  l'acquis  des  autres.  En  voulant  se  suffire  et  ne 
rien  devoir  qu'à  soi  on  mourra  de  faim. 

«  Il  en  est  qui  font  de  tout  pure  matière  d'observation  et 
de  critique  :  dilettantisme  intellectuel  qui  se  complait  à 
voir,  à  étudier,  à  comprendre  ;  qui  ne  cherche  pas  le 
vrai,  mais  le  plaisir  de  la  recherche  et  de  l'étude.  A  ceux- 
là  le  vrai  se  dérobe,  du  moins  le  vrai  qu'il  importe 
d'avoir.  La  religion  est  affaire  sérieuse. 

«  D'autres  ont  fait  leur  siège  à  l'avance.  Il  est  entendu 
qu'il  n'y  a  pas  de  miracles.  Pourquoi  se  gêner  a  décou- 
vrir une  imposture  dont  on  est  sûr  avant  examen  ?  Il  est 
entendu  que  la  foi  ne  saurait  aller  avec  la  critique  et  avec 
la  science:  à  quoi  bon  examiner  les  raisons  des  croyants? 

(dl  faut  tenir  compte  surtout  de  notre  faiblesse  d'esprit, 
de  notre  multiple  insuffisance,  et  de  notre  dépendance 
nécessaire  ;  tenir  compte  aussi  du  développement  normal 
et  progressif  de  notre  vie  intellectuelle  ;  en  voulant  aller 
seuls,  en  voulant  aller  trop  vite,  en  voulant  braver  les 
obstacles,  en  voulant  aller  par  nos  voies  à  nous,  nous 
risquons  de  nous  perdre  ou  de  ne  pas  arriver.  »  Bainvel, 
Nature  et  Surnaturel,  Paris,  1903,  p.  332-336. 


•.çL"     ..^jl»    iio    »Çj    i-Çj    «^.>    >{L    «/$-•    »1S»    "/J-»    «-^N»    *^N»    "/S»    "/N*    *^N»    "^"    ••&»    *^N* 

r*»      r>fr%      «-fc-»      r^f»      «-A^      «^»      rA»      «^»      i*>      «-^»      «-A-»      "jr»      "^r»      •>&»      •>8r*      *N^*      *^&»      ^fi'* 


Leçon  XIII 
De  Dieu 


De  /a  nature  de  Dieu.  —  I.  Méthode  à  suivre. — 
II.  Division  des  attributs.  —  III.  De  quelques 
attributs.  —  IV.  Enseignement  du  concile  du 
Vatican  :  Condamnation  du  Panthéisme. 


I.  Méthode  à  suivre 

Dieu  est  ;  mais  qu'est-il  ?  Après  la  question  de 
son  existence,  celle  de  sa  nature.  Dieu  est-il 
Y  inconnaissable,  comme  le  pré  tendait  Spencer? 
ou,  comme  le  prétendait  Littré,  est-il  «  un  océan 
qui  vient  battre  notre  rive,  mais  pour  lequel  nous 
n'avons  ni  barque,  ni  voile  ?»  —  Nullement,  et 
nous  allons  indiquer  brièvement  la  marche  à 
suivre  (i). 

Notre  raison  démontre  l'existence  de  Dieu  ;  nous 
savons  donc  que  Dieu  est  et  par  là  même  un  peu  ce 
qu'il  est.  Mais  cela  ne  suffit  pas  à  notre  légitime 
curiosité.  Nous  désirons  connaître  aussi  bien  que 
possible  cette  cause  première,  cet  être  nécessaire, 
parfait,  infini.  Malheureusement,  d'une  part,  Dieu 
nous    reste    inaccessible    en    lui-même,    nous    ne 

I.  Saint  Thomas,  Sam.  theol.,  I,  Q.  ni  sq.  Pour  la  bibliogra- 
phie, voir  les  leçons  précédentes. 


458  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pouvons  arriver  jusqu'à  lui  que  par  les  créatures  ; 
et,  d'autre  part,  notre  raison  est  bornée  ;  elle  est 
donc  incapable  de  comprendre  Dieu  tel  qu'il  est, 
d'en  avoir  une  notion  adéquate,  le  fini  ne  pouvant 
se  flatter  d'étreindre  l'infini.  Lui  faut-il  donc  renon- 
cer à  pénétrer  un  peu  le  mystère  de  la  nature  divine, 
tout  assurée  qu'elle  est  d'avance  de  n'en  pouvoir 
soulever  tous  les  voiles  ?  Loin  de  là.  Dans  la  mesure 
des  moyens  dont  elle  dispose  et  des  forces  qui  lui 
sont  propres,  elle  s'y  essaie,  et  elle  y  réussit 
d'autant  mieux  que  sa  méthode  est  plus  rigoureuse 
et  plus  sagement  appliquée.  Sa  connaissance  de 
Dieu  grandit  ainsi  sans  cesse,  sans  qu'elle  puisse 
jamais  épuiser  son  sujet  et  le  comprendre  totalement, 
car  la  distance  qui  sépare  Dieu  de  nous  est  incom- 
mensurable. Elle  atteint  du  moins  quelques  résul- 
tats positifs  et  certains,  et  voici  comment. 

A  l'aide  de  Yanalogie,  grâce  aux  données  de 
l'expérience  sensible  et  de  l'étude  psychologique, 
elle  se  sert  du  principe  de  causalité,  qui  lui  permet 
de  conclure  que  Dieu  est  l'Etre  nécessaire,  l'Etre  par 
soi,  infini  et  unique  ;  elle  procède  par  voie  d'élimi- 
nation ou  de  négation,  ce  qui  lui  permet  de  connaître 
la  simplicité,  l'immutabilité,  l'éternité  et  l'immen- 
sité de  Dieu  ;  et  par  voie  d'affirmation  et  de  sure- 
minence,  ce  qui  lui  permet  d'attribuer  à  Dieu,  mais 
à  un  degré  infini,  les  perfections  des  créatures.  Par 
là,  elle  se  forme  un  concept  qui  ne  peut  s'appliquer 
qu'à  l'être  infini.  Elle  nie  d'abord  de  Dieu  tout  ce 
qui  ressemble  à  une  imperfection,  à  une  limite, 
comme  absolument  incompatible  avec  la  nature  de 
Têtre  parfait  ;  elle  affirme  de  Dieu  toute  perfection 
qu'elle  constate  dans  la  créature.  Mais  ces  perfections 
des  créatures  sont  toujours  courtes  par  quelque 
endroit,  comme  les  êtres  qui  les  possèdent  ;  la 
raison  les  applique  à  Dieu  d'une  manière  surémi- 


NATURE    DE    DIEU  &b§ 


nenle,  dans  toute  leur  plénitude.  Ainsi,  par  exemple, 
toulo  créature  est  limitée  dans  sa  nature,  bornée 
par  le  temps  et  l'espace  :  la  raison  nie  de  Dieu  ces 
limites,  ces  bornes;  elle  le  met  au-dessus  du  fini, 
du  temps  et  de  l'espace  ;  elle  le  proclame  infini, 
éternel,  immense.  11  se  rencontre  dans  les  créatures 
certaines  perfections  ;  il  est  des  êtres  qui  sont  bons, 
Sages,  justes  :  la  raison  proclame  aussitôt  Dieu  bon, 
sage,  juste,  infiniment  bon,  infiniment  sage,  infi- 
niment juste  ;  elle  déclare  même  qu'il  est  la  bonté, 
la  sagesse,  la  justice,  en  gardant  toujours  devers 
elle  la  conviction  assurée  de  ne  pas  égaler  sa  pensée 
et  son  expression  à  celui  qui  en  est  l'objet,  parce 
que.  comme  le  remarque  saint  Augustin,  Dieu  est 
plu?  grand  que  la  grandeur,  plus  beau  que  la 
bea  ité,  plus  juste  que  la  justice. 

Or  cette  limite  de  notre  connaissance  de  Dieu, 
cette  impuissance  où  nous  sommes  de  le  compren- 
dre et  de  l'exprimer,  cette  impossibilité  d'épuiser  la 
notion  de  l'infini,  justement  reconnues  par  la 
raison,  sont  un  hommage  à  ce  Dieu  qui  reste,  en 
dépit  de  tout,  absolument  ineffable.  «  Tout  peut 
être  dit  de  Dieu,  remarque  l'évêque  d'Hippone, 
mai  à  rien  n'est  dit  dignement  de  Dieu  (i).  »  Et  c'est 
pourquoi,  d'après  saint  Grégoire  le  Grand,  quand  il 
veut  parler  de  Dieu,  l'homme,  fut-il  un  génie 
transcendant,  en  est  réduit  à  «  balbutier  (2).  » 

La  raison  humaine  ne  pouvant  donc  parler  de 
Dieu  d'une  manière  digne  de  Dieu,  essaie  du  moins 
d'en  parler  de  la  manière  la  moins  indigne  de 
Dieu  et  la  plus  digne  de  l'homme.  La  marge 
est  large  avant  que  Dieu  lui  apparaisse,  au  bout  de 
ses  efforts,  comme  l'être  par  excellence,  l'être  dans 


1.  lnevang.Joan.,  tract.,  xm,  5;  Pair,  lat.,  t.  xxxv,  col.  i4§5. 
■—  a.  Moral.,  v,  26. 


460  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  plénitude  de  la  perfection,  l'être  au-dessus  duquel, 
en  dehors  duquel  et  sans  lequel  rien  n'existe  ici-bas. 

Est-elle  assurée  du  moins  de  marcher  sur  un 
terrain  ferme,  de  ne  pas  divaguer  et  d'atteindre  des 
résultats  vrais  ?  Oui,  certes.  Car  elle  procède  ici 
comme  pour  arriver  à  la  connaissance  de  l'existence 
de  Dieu.  Elle  part  des  créatures  et  applique  le  prin- 
cipe de  causalité.  Elle  constate  des  perfections  etelle 
les  attribue  à  Dieu,  comme  nous  venons  de  le  dire. 
Ces  perfections  sont  diverses,  multiples  ;  les  idées 
que  nous  en  acquérons  sont  dans  notre  esprit 
comme  dans  le  sujet  qui  les  reçoit,  mais  elles  sont 
en  Dieu  comme  dans  la  source  qui  les  rend  vraies. 
Ces  idées,  légitimes  et  objectives,  ne  supposent  pas 
deux  concepts  différents,  mais  un  seul  et  même 
concept  qui,  appliqué  à  Dieu,  en  reste  l'expression 
imparfaite,  tandis  que,  appliqué  à  la  créature,  il  en 
est  l'expression  adéquate,  Par  suite  les  noms  de  ces 
concepts  ne  se  disent  pas  de  Dieu  et  de  la  créature 
au  même  titre  ;  ce  qu'ils  expriment  est  épuisé  par 
rapport  à  la  créature  ;  tandis  qu'en  Dieu,  ce  qu'ils 
expriment  les  déborde  et  les  dépasse. 

Dieu  dépassant  infiniment  la  portée  de  notre 
intelligence,  il  nous  est  impossible,  par  une  seule 
idée  et  dans  un  seul  concept,  de  saisir  toute  sa 
perfection.  Nous  ne  pouvons  procéder  que  succes- 
sivement, fragmentairement,  pour  détailler  cette 
plénitude  de  perfection  qui  est  en  Dieu  ;  cette  plé- 
nitude même  en  est  la  cause,  et  aussi  l'imperfection 
de  notre  raison.  Force  nous  est  donc  de  détailler 
les  perfections  que  nous  trouvons  dans  les  créatures 
pour  les  appliquer  à  Dieu  ;  chacune  Fexprime  à  sa 
manière,  sous  un  aspect  différent,  tout  en  laissant 
indivise  l'absolue  perfection  de  Dieu  ;  chacune 
n'ajoute  pas  une  réalité  nouvelle  en  Dieu,  mais 
seulement  en  nous.   Notre  raison  raisonnante  est 


ATTRIBUTS    DIVINS  /|6l 


obligée,  pour  se  rendre  compte  de  la  nature  de  Dieu, 
d'énumérer  divers  attributs,  de  les  distinguer  les 
uns  des  autres,  de  les  étudier,  de  les  approfondir  les 
uns  après  les  autres,  mais  toujours  sans  prétendre 
que  ce  qu'elle  voit  ainsi,  d'une  manière  discursive 
et  par  voie  d'analyse,  soit  réellement  distinct  en 
Dieu,  qui  est  la  simplicité  même,  et  en  prenant 
toujours  les  expressions  anthropomorphiques  de 
l'Ecriture,  qui  s'adresse  à  l'homme  en  parlant  de 
Dieu,  comme  une  nécessité  de  s'accommoder  à  la 
manière  de  comprendre  et  de  parler  de  l'homme. 

II.  Principales  divisions 
des  attributs  divins 

Sous  le  bénéfice  des  observations  précédentes,  on 
s'explique  comment  la  raison  a  étudié  les  attributs 
de  Dieu  et  les  a  divisés. 

D'après  la  manière  de  les  connaître,  les  uns  sont 
appelés  négatifs,  les  autres  positifs.  Les  attributs 
négatifs  sont  ceux  dont  le  concept  implique  une 
négation  ;  les  attributs  positifs,  ceux  dont  le  concept 
implique  une  affirmation.  Qui  dit  créature  désigne 
un  être  créé,  dépendant,  contingent,  composé, 
fini,  changeant,  mesuré  par  le  temps  et  par  l'es- 
pace, etc.  La  négation  de  ces  imperfections  constitue 
un  attribut  négatif.  Et  c'est  ainsi  que  l'on  dit  de 
Dieu  qu'il  est  incréé,  indépendant,  nécessaire,  sim- 
ple, infini,  immuable,  immense,  éternel,  etc.  La 
forme  étymologique  de  ces  termes  ne  doit  pas  don- 
ner le  change,  c'est  leur  sens  qui  importe,  et  quel- 
ques-uns, en  effet,  ont  une  forme  positive,  mais  ils 
sont  la  négation  d'une  imperfection.  D'autre  part, 
affirmant  de  Dieu  les  perfections  que  nous  trouvons 


462  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■  *  — — ^—— — 

dans  les  créatures,  nous  disons  qu'il  est  être,  subs- 
tance, vie,  vérité,  intelligence,  volonté,  puissance  : 
ce  sont  des  attributs  positifs. 

D'après  V analogie,  qui  existe  entre  certaines  per- 
fections de  Dieu  et  celles  des  créatures,  on  dii  de$ 
attributs  divins  que  les  uns  sont  communicables ,  les 
autres  incommunicables.  Les  premiers  sont  en  Dieu 
à  l'état  absolu,  et  dans  les  créatures  à  l'état  relatif, 
participé  ;  ce  sont  les  attributs  positifs  déjà  signalés. 
Les  autres  restent  la  propriété  exclusive  de  Dieu  ; 
ce  sont  les  attributs  négatifs. 

Parmi  les  perfections  divines,  les  unes  ne  suppo- 
sent aucun  rapport  entre  Dieu  et  d'autres  êtres  ;  ce 
sont  les  attributs  absolus  ;  les  autres,  au  contraire, 
supposent  un  rapport  entre  Dieu  et  des  êtres  exté- 
rieurs à  Dieu  ;  ce  sont  les  attributs  relatifs. 

Il  existe  encore  d'autres  divisions  :  nous  ne  nous 
y  arrêterons  pas,  nous  contentant  de  signaler,  à  la 
suite  de  saint  Thomas  (i),  les  principaux  attributs 
relatifs  à  la  substance  de  Dieu  ;  ce  sont  :  la  simpli- 
cité, la  perfection  et  la  bonté,  l'infinité  et  l'ubiquité, 
l'immutabilité,  l'éternité,  l'unité. 

III.  De  quelques  attributs  de  Dieu 

i.  La  simplicité. —  Dieu  est  simple,  plus  simple 
que  la  pensée,  que  l'âme,  que  Fange.  Il  échappe  à 
toute  composition  soit  physique,  soit  métaphysique, 
soit  logique.  On  entend  par  composition  physique 
l'union  de  parties  substantielles  réellement  distinc- 
tes ;  par  composition  métaphysique,  celle  de  la 
puissance  et  de  l'acte,  de  l'essence  et  de  l'existence, 
de  l'essence  et  des  attributs, du  sujet  et  des  accidents  ; 
par  composition  logique,  l'union  dans  un  être  d'élé- 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.  iii-xi. 


DIEU    EST    SIMPLE  463 


ments  qui  lui  sont  communs  avec  d'autres  êtres  du 
même  genre  et  d'éléments  qui  lui  sont  propres  ; 
c'est  la  composition  du  genre  et  de  la  différence 
spécifique. 

En  Dieu,  pas  de  composition  matérielle  :  il  est 
un  esprit  ;  pas  de  composition  de  matière  et  de 
forme  :  il  est  un  pur  esprit  ;  pas  de  composition  de 
puissance  et  d'acte  :  il  est  tout  en  acte,  un  acte  pur  ; 
pas  de  composition  logique  :  il  n'entre  dans  aucun 
genre,  dans  aucune  espèce  ;  pas  de  composition 
d'essence  et  d'existence  :  il  est  son  essence,  son 
existence,  sa  vie.  En  Dieu  l'être,  la  substance, 
l'essence  et  l'existence  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
chose.  Dieu,  c'est  la  simplicité  souveraine,  la  sim- 
plicité absolue.  Et  de  même  qu'il  est  sans  composi- 
tion d'aucune  sorte,  il  n'entre  dans  la  composition 
d'aucune  créature,  bien  que  pourtant  la  créature  ne 
puisse  être  que  par  lui.  Il  est  l'être  de  l'être,  l'être 
des  êtres,  non  par  son  essence,  qui  est  incommuni- 
cable, mais  par  la  cause  exemplaire  qu'il  en  a  et 
par  la  cause  efficiente  qui  les  produit. 

2.  La  perfection.  —  Un  être  étant  plus  ou  moins 
parfait  selon  qu'il  est  plus  ou  moins  en  acte,  il 
s'ensuit  que  Dieu,  qui  est  le  premier  principe  actif, 
la  première  cause  efficiente,  toujours  et  totalement 
en  acte,  un  acte  pur,  est  absolument  parfait  :  il 
possède  la  perfection  absolue,  toutes  les  perfections 
de  tous  les  êtres,  dune  manière  suréminente,  et 
toute  la  perfection  de  l'être.  A  ce  titre,  la  bonté  lui 
convient  excellemment. 

D'autre  part,  tandis  que  les  créatures  sont  limitées 
par  le  nombre,  par  l'espace,  par  la  durée,  et  sont 
sujettes  au  changement,  Dieu  ne  saurait  ni  avoir 
ces  limites  ni  subir  ces  changements  :  de  là  les 
attributs  suivants.  Point  de  limites  en   lui,  quant 


464  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

aux  nombres  :  étant  l'être  subsistant  en  soi,  il  est 
Yinflni.  Point  de  limites  dans  l'espace  :  il  domine 
l'espace,  il  est  immense.  Point  de  limites  dans  la 
durée  :  il  domine  le  temps,  il  est  éternel.  Pas  le 
moindre  changement  :  il  est  immuable.  Et  ce  Dieu 
d'une  simplicité  si  absolue,  d'une  perfection  si  com- 
plète, à  la  fois  infini,  immense,  éternel,  immuable, 
est  unique,  est  un,  il  est  l'unique,  Vun  par  excellence. 
Mais  qu'est-ce  à  dire  ?  La  raison  est  opprimée  par 
tant  de  majesté  ;  elle  ne  peut  que  balbutier,  et  même, 
aidée  par  la  foi,  elle  se  heurte  de  tous  côtés  à  d'in- 
sondables mystères. 

3.  L'immensité.  —  Par  son  immensité,  Dieu 
domine  l'espace.  Il  est  partout,  en  tous  lieux,  non  pas 
qu'il  les  occupe  à  la  manière  des  corps  qui  excluent 
la  présence  des  autres  xorps,  puisqu'il  est  simple, 
non  qu'il  y  remplisse  le  rôle  de  l'âme  dans  le  corps, 
ceci  serait  du  panthéisme  ;  mais  parce  qu'il  fait  que 
l'espace  est  ce  qu'il  est,  parce  qu'il  lui  donne  la 
capacité  de  contenir  des  êtres  et  parce  que  tous 
les  êtres  qui  l'occupent,  c'est  lui  qui  les  a  faits.  Il 
est  présent  à  toute  créature  et  dans  toute  créature, 
non  comme  partie  de  son  essence  ou  l'un  de  ses 
accidents,  mais  comme  la  cause  est  présente  à  son 
effet,  comme  l'agent  est  présent  à  son  œuvre.  En 
tout  et  partout  par  sa  puissance,  rien  n'échappe  à 
son  pouvoir,  depuis  les  infiniment  petits  qui 
s'abritent  sous  un  brin  d'herbe  ou  de  mousse  ou 
s'agitent  dans  une  goutte  de  rosée  jusqu'aux  sphères 
géantes  qui  gravitent  dans  l'espace.  En  tout  et 
partout  par  sa  présence,  rien  n'est  soustrait  ou  caché 
à  ses  yeux,  le  fond  des  cœurs,  le  secret  des  conscien- 
ces, tout  comme  l'abîme  insondable  du  firmament 
étoile.  En  tout  et  partout  par  son  essence,  tout  ce 
qui  est,  tout  ce  qui  vit,  tout  ce  qui  pense  a  sa  raison 


DIEU    EST    ÉTERNEL  £65 


d'être,    de   vivre   et   de  penser   dans   cette    cause 
efficiente  souveraine. 

Rappelons-nous  le  passage  du  psalmiste,  déjà 
cité  par  le  Catéchisme  romain  : 

«  Ou  irai-je  devant  votre  esprit  ?   . 
Où  fuirai-je  devant  votre  face?..,  » 

Ajoutons-y  celui  de  Job  (i)  : 

«  II  est  plus  haut  que  le  ciel.  Que  feras-tu? 
Plus  profond  que  le  scheol  :  d'où  le  connaîtras-tu? 
Sa  mesure  est  plus  longue  que  la  terre, 
Elle  est  plus  large  que  la  mer.  » 

Et  celui-ci  de  saint  Paul  :  «  Le  Seigneur  est  bien 
près  de  nous,  puisque  c'est  en  lui  que  nous  trouvons 
l'être,  le  mouvement  et  la  vie  (2).  »  L'homme,  par 
la  pensée,  peut  franchir  les  espaces  en  un  clin 
d'œil,  mais  il  reste  localisé  ;  Dieu,  au  contraire,  les 
remplit  sans  être  localisé.  Mystère?  Oui,  sans  doute. 
Si  l'explication  nous  échappe,  nous  en  voyons  du 
moins  la  nécessité. 

4.  L'éternité.  —  De  même  qu'il  domine  l'espace 
Dieu  domine  le  temps.  Il  n'a  ni  commencement  ni 
fin  ;  il  n'est  pas  mesuré  par  la  durée.  Rien  de  suc- 
cessif en  lui  ;  tout  est  actuel  dans  son  essence  ;  tout 
ce  qui  s'y  trouve  s'y  est  toujours  trouvé,  s'y  trou- 
vera toujours.  Point  de  passé  ni  d'avenir  en  Dieu, 
mais  un  présent  toujours  le  même.  Passç»  futur, 
formules  nécessaires  pour  notre  usage,  car  nous 
sommes  des  êtres  successifs  et  changeants,  dont  les 
sourires  et  les  tristesses,  les  joies  et  les  larmes 
s'écoulent  sans  cesse  dans  un  passé  qui  n'est  plus, 

1.  Job,  xi,  8.  —  2.  Ad.  xx,  27-28. 

LB   CATÉCHISME.   —  T.    I.  3O 


466  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■        ^— — ^ ~~m— ~~ ■—  ■»■"—  — — ■ — — ■ 

dont  les  espérances  et  les  craintes,  chimériques  ou 
fondées,  se  perdent  dans  un  avenir  qui  n'est  pas 
encore,  mais  formules  absolument  impropres  et 
inapplicables,  dès  qu'il  s'agit  de  Dieu,  et  dont 
pourtant  il  faut  bien  que  nous  usions,  puisque  nous 
parlons  de  Dieu  en  créatures,  et  dont  la  Bible  elle- 
même  est  obligée  de  se  servir  pour  se  faire  entendre 
en  parlant  de  Dieu  à  des  hommes.  L'Ecriture  du 
moins  prend  soin  de  nous  avertir  à  maintes  reprises 
que  Dieu  est  éternel. 

«  Avant  la  création  des  montagnes, 

La  formation  de  la  terre  et  de  V  univers, 

Vous  êtes,  Seigneur,  et  vous  serez  toujours... 

Mille  années  sont  devant  vos  yeux 

Comme  la  journée  d'hier  déjà  passée, 

Comme  la  veille  d'une  nuit  (i).  » 

«  Au  commencement,  vous  avez  fondé  la  terre, 

Et  les  deux  sont  l'ouvrage  de  vos  mains. 

Ils  passeront  et  vous  durerez; 

Ils  s'useront  tous  comme  un  vêtement, 

Et  vous  les  changerez  comme  on  change  un  habit, 

Et  ils  passeront  ;  mais  vous  restez  le  même 

Et  les  années  ne  vous  manqueront  pas  (2).  » 

On  a  dit  du  temps  qu'il  était  «  l'image  mobile 
de  l'immobile  éternité.  »  Mais  qu'est-ce  que  l'éter- 
nité ?  Impossible  de  le  comprendre  et  de  l'expliquer. 
Dire  que  c'est  un  jour  sans  matin  ni  soir,  un  présent 
immuable  sans  succession  ;  la  définir  avec  Boèce  : 
«  la  possession  entière,  simultanée  et  parfaite  d'une 
vie  sans  terme  (3),  »  ce  n'est  pas  en  donner  une  idée 
adéquate  ;  et  le  mystère  reste  toujours  de  savoir 
comment  Dieu  la  possède.    Saint  Augustin,  saint 

1.  Psal,  lxxxix,  a,  £•  —  2.  Psal,  ci,  26  sq.  —  3.  Cons., 
m,  2. 


DÏEU    EST    IMMUABLE  467 

- 

Anselme,  saint  Thomas  déclaraient  le  problème 
difficile  à  résoudre  :  on  peut  les  en  croire.  L'homme, 
mesuré  par  le  temps,  tâche  bien  de  rendre  présent 
le  passé,  qui  n'est  plus,  par  le  souvenir,  et  devance 
l'avenir,  qui  n'est  pas  encore,  par  la  prévision,  et 
c'est  à  peine  s'il  jouit  d'un  moment  présent  fort 
précaire  en  vérité,  tant  il  est  prompt  à  se  transformer 
en  passé,  tant  il  est  vite  remplacé  par  le  moment 
qui  suit.  En  Dieu,  rien  de  semblable  :  l'éternel  est 
son  nom. 

5.  L'immutabilité.  —  Dieu  est  enfin  au  dessus 
de  tout  changement.  Parce  qu'il  est  un  acte  pur,  il 
ne  peut  point  passer  de  la  puissance  à  l'acte  ;  parce 
qu'il  est  absolument  simple,  il  exclut  toute  espèce 
de  composition,  comme  nous  l'avons  vu; parce  qu'il 
est  infiniment  parfait,  il  ne  peut  rien  perdre,  rien 
gagner.  Donc,  en  lui,  ni  contingence,  ni  possibilité 
de  changement,  comme  dans  les  êtres  contingents 
et  changeants.  Il  ne  change  ni  dans  sa  nature,  ni 
dans  sa  volonté.  «  Dieu  n'est  pas  comme  l'homme 
qui  ment,  ou  comme  le  fils  de  l'homme  qui  change  (i).  » 
«  Je  suis  le  Seigneur,  dit-il,  et  je  ne  change  pas  (2).  » 
«  Vous  restez  toujours  le  même,  Seigneur  (3).  » 
«  Nombreuses  sont  les  pensées  de  l'homme,  mais 
la  volonté  de  Dieu  est  permanente  (4).  »  «  En 
Dieu  point  de  changement  ni  d'ombre  de  vicissi- 
tudes (5).  » 

Que  de  fois  pourtant  la  Bible  nous  montre  Dieu 
pardonnant  après  avoir  menacé  ou  puni,  exau- 
çant la  prière  après  avoir  refusé  de  l'entendre  ! 
Mais  ce  changement  n'est  pas  en  Dieu,  il  est  eu 
nous.  C'est  nous  qui  sommes  pardonnes,  après  avoir 

1.  Num.f  xxiii,  19.  —  2.  Malach.,  ni,  6.  —  3.  Psal.,  ci,  27* 
—  4.  Prov.,  xix,  21.  —  5.  Jac,  1,  17. 


468  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mérité  ou  subi  le  châtiment  ;  c'est  nous  qui  som- 
mes exaucés,  après  avoir  mal  prié  ;  et  l'Ecriture, 
ici  comme  toujours,  ne  fait  que  parler  notre  lan- 
gage pour  se  mettre  à  notre  portée,  et  montre  le 
Dieu  immuable  s'accommodant  à  notre  manière 
d'être. 

Voilà  donc  quelques  attributs  de  Dieu,  et  telle  est, 
grâce  à  eux,  la  notion  que  nous  pouvons  nous  faire 
de  la  nature  divine.  Mais  cette  notion  est  loin  d'avoir 
épuisé  le  sujet  ;  et  fût-elle  encore  plus  complète, 
elle  ne  nous  donnerait  pas  pour  cela  une  idée  adé- 
quate de  Dieu.  Elle  nous  permet  du  moins  de  savoir 
quelque  chose  de  vrai  sur  l'être  infini,  que  notre 
intelligence  est  toujours  incapable  de  comprendre 
dans  toute  sa  réalité  vivante  ;  du  même  coup  elle 
permet  de  nommer  Dieu  d'une  manière  approxima 
tive,  c'est-à-dire  de  lui  donner  des  noms  qui  n'expri- 
ment pas,  il  est  vrai,  adéquatement  son  essence 
infiniment  parfaite,  mais  qui  répondent  aussi  bien 
que  possible  à  notre  manière  limitée  de  la  con- 
naître. 

6.  Les  noms  de  Dieu.  —  De  tels  noms,  quand 
ils  ont  un  sens  négatif,  comme  infini,  immense, 
éternel,  immuable,  ou  quand  ils  impliquent  une 
idée  de  relations  des  créatures  avec  Dieu,  comme 
créateur,  seigneur,  n'expriment  pas  la  substance  di- 
vine ;  mais  quand  ils  ont  un  sens  afjirmatifet  absolu, 
comme  bon,  sage,  vivant,  ils  la  désignent,  ils  en 
sont  les  vrais  attributs,  quoique  toujours  d'une  ma- 
nière imparfaite,  puisque  ils  dépendent  de  la  ma- 
nière imparfaite  dont  nous  connaissons  Dieu.  Or, 
parmi  les  noms  que  nous  donnons  à  Dieu,  tous  ne 
sont  pas  de  pures  métaphores  ;  quelques-uns  dési- 
gnent à  n'en  pas  douter  les  propriétés  de  l'essence 
divine,  et  bien  qu'empruntés  aux  perfections  des 


LES    NOMS    DE    DIEU  £69 

créatures,  ils  s'appliquent  beaucoup  mieux  à  Dieu 
qu'aux  êtres  créés.  Et  ces  noms  propres  de  Dieu, 
quoique  se  rapportant  à  un  seul  et  même  être,  qui 
est  la  simplicité  absolue,  n'offrent  pas  cependant 
une  synonymie  complète,  rigoureuse.  Ils  renferment 
des  significations  multiples,  différentes  les  unes  des 
autres,  parce  que  les  perfections,  d'où  la  raison  les 
tire,  sont  diverses  dans  les  créatures  ;  mais  cette  di- 
versité de  signification  n'est  que  dans  notre  esprit, 
et  nullement  en  Dieu  (i). 

Dans  quel  sens  les  mêmes  noms  peuvent-ils  donc 
s'î  dire  de  Dieu  et  des  créatures  ?  Ne  parle-  ton  pas, 
en  effet,  de  la  sagesse  de  l'homme,  de  la  sagesse  de 
Dieu  ?  Quelques  explications  sont  nécessaires.  Les 
choses  sont  désignées  d'une  manière  univoque 
quand,  sous  ces  mêmes  noms,  elles  ont  la  même 
essence.  Ainsi  le  mot  homme  se  dit  univoquement 
de  Pierre  et  de  Paul,  parce  que  Pierre  et  Paul 
possèdent  la  même  nature  humaine.  Elles  sont 
désignées  d'une  manière  équivoque  lorsque,  sous 
un  même  nom,  elles  ont  une  nature  différente. 
Ainsi  le  mot  lion  se  dit  d'une  manière  équivoque  du 
roi  des  animaux  et  du  signe  du  zodiaque.  Elles  sont, 
enfin  désignées  d'une  manière  analogue  lorsque, 
sous  le  même  nom,  elles  ont  des  ressemblances 
accidentelles,  des  analogies. 

Gela  dit,  il  est  évident  que  les  mêmes  noms  don- 
nés à  Dieu  et  aux  créatures  ne  peuvent  avoir  un 
sens  univoque,  puisque  la  nature  de  Dieu  diffère  de 
celle  des  créatures.  Ils  ne  peuvent  pas  davantage 
avoir  un  sens  purement  équivoque,  parce  que  si  la 
nature  de  l'être  souverain  et  celle  de  l'être  contin- 
gent différent  essentiellement,  elles  offrentdu  moins 
certains  traits  de  ressemblance.  Ces  noms  ne   peu- 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.  xni. 


47°  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

vent  donc  s'employer  que  dans  un  sens  analogue, 
qu'il  importe  de  préciser.  Car  il  y  a  deux  sortes 
d'analogie,  l'une  qui  n'éveille  qu'une  simple  idée 
de  rapprochement,  par  exemple,  entre  la  cause  et 
son  signe,  l'autre  qui  indique  au  contraire  un  rap- 
port déterminé  de  cause  et  d'effet,  et  c'est  de  cette 
dernière  analogie  qu'il  est  question  ici.  Les  termes 
analogues  n'expriment  pas  la  même  idée  comme  les 
univoques,  ni  une  idée  totalement  différente  comme 
les  équivoques,  mais  sous  des  significations  diver- 
ses un  véritable  rapport.  Or,  le  rapport  d'analo- 
gie qui  existe  entre  Dieu  et  les  créatures  est  préci- 
sément celui  de  la  cause  et  de  l'effet.  Par  suite, 
quand  on  emploie  les  mêmes  noms  pour  parler  de 
Dieu  et  des  créatures,  c'est  par  analogie  :  dans  les 
créatures,  ils  servent  à  désigner  l'effet  ;  en  Dieu,  ils 
indiquent  la  cause  de  cet  effet. 

Or,  parmi  les  termes  dont  on  se  sert  pour  dési- 
gner la  cause  première,  est  le  nom  universellement 
connu  de  Dieu.  Celui-ci,  dans  son  sens  propre,  ne 
convient  qu'à  l'être  absolu,  il  est  donc  incommuni- 
cable ;  mais,  dans  un  sens  restreint,  il  peut  être 
parfois  appliqué  aux  créatures  par  analogie.  Le 
nom  propre  par  excellence  de  Dieu  est  le  nom  ré- 
véré entre  tous,  le  tétragramme  sacré  de  la  Bible  : 
Iahveh,  ou  Jéhovah,  celai  qui  est.  Ce  nom-là  exprime 
d'abord  l'être  même  ;  il  a  une  signification  plus 
.générale  que  tout  autre  ;  c'est  «  l'être  tout  entier, 
l'océan  sans  bornes  et  sans  rivages  de  la  substance,  » 
comme  dit  saint  Jean  Damascène  (i)  ;  et  il  signifia 
l'être  toujours  actuel,  toujours  présent,  sens  qui 
convient  admirablement  à  Dieu,  puisqu'en  Dieu  il 
AÏi'y  a  ni  passé  ni  futur. 

i.  Defid.  orth ,  i,  ia. 


DIEU   EST   INCOMPRÉHENSIBLE  i']! 

— 

IV.  Enseignement  du  concile 
du  Vatican 

Le  concile  du  Vatican,  placé  en  face  des  erreurs 
modernes,  s'est  appliqué  à  les  combattre  et  à  les 
condamner  directement.  Aussi,  sur  la  question  de 
savoir  ce  qu'est  Dieu  en  lui-même,  tout  en  restant 
l'écho  fidèle  du  symbole  de  saint  Athanase  (i)  et  du 
ive  concile  de  Latran  (121 5)  (2),  a-t-il  expressément 
voulu,  par  un  choix  déterminé,  opposer  l'enseigne- 
ment catholique  aux  erreurs  des  derniers  siècles. 
C'est  pourquoi  de  tous  les  attributs  de  Dieu  n'a-t-il 
retenu,  ce  qui  n'est  pas  pour  exclure  les  autres,  que 
l'éternité,  l'immensité,  l'incompréhensibilité  et 
l'infinité  en  intelligence,  en  volonté  et  en  toute  per- 
fection. Voici  comment  il  s'exprime  :  «  La  sainte 
Eglise  catholique,  apostolique,  romaine,  croit  et 
professe  qu'il  y  a  un  seul  Dieu  vrai  et  vivant,  créa- 
teur et  seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  tout  puissant, 
éternel,  immense,  incompréhensible,  infini  en  intelli- 
gence, en  volonté  et  en  toute  perfection  (3).  » 

Ayant  déjà  parlé  de  l'éternité  et  de  l'immensité, 
nous  n'y  reviendrons  pas  ;  nous  traiterons  seule- 
ment des  autres  attributs. 

1.  Incompréhensibilité.  —  Dieu  est  incom- 
préhensible, déclare  le  concile  du  Vatican  dans  cette 
profession  de  foi.  Qu'entendre  par  là?  Car  les  mots 
latins  et  français,  bien  qu'identiques  quant  à  la 
forme,  ont  un  sens  différent.  En  français,  les  mots 
comprendre,    incompréhensible,    n'ont   pas   un  sens 

1.  Denzinger,  n.  i36.  —  a.  Ibid.t  n.  355.  —3.  Const.  Dd 
Filius,  c.  i,  S  1. 


4^2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■        ■■  ■  I  I  I  ..!■!  I  ...  -  ■  ■-..       I. -..—■■■■       I-        —    -  > 

correspondant  aux  mots  latins  comprehendere,  incom- 
prehensibilis.  Comprendre  signifie,  pour  nous,  se 
rendre  compte  d'une  chose,  en  avoir  l'intelligence, 
et  répond  ainsi  au  sens  du  verbe  latin  inteUigere  ; 
incompréhensible  signifie  une  chose  dont  on  ne 
peut  pas  se  rendre  compte,  dont  on  ne  peut 
pas  avoir  l'intelligence.  En  latin,  comprehendere 
exprime  la  prise  de  possession,  la  possession 
d'un  objet  ;  c'est  ainsi  que  la  possession  de  la 
béatitude  est  une  comprehensio .  Mais  appliqué  à 
l'intelligence,  ce  terme  signifie  connaître  parfaite- 
ment. Or  connaître  parfaitement  une  chose,  c'est  la 
connaître  autant  qu'elle  est  connaissable.  Dieu  seul 
peut  se  comprendre  ainsi  et  avoir  de  lui-même  une 
connaissance  absolument  adéquate.  Mais  vis-à-vis 
de  la  créature  raisonnable,  même  surélevée  par  la 
grâce,  même  jouissant  de  la  vision  béatifique,  Dieu 
reste  incomprehensibills ,  incompréhensible,  au  sens 
des  conciles  de  Latran  et  du  Vatican.  La  créature  le 
connaît  par  la  raison,  par  la  foi  ici  bas,  par  la  vision 
au  ciel,  mais  toujours  d'une  manière  créée,  jamais 
d'une  manière  compréhensive .  Elle  ne  peut  donc 
comprendre  Dieu  au  sens  théologique  du  mot 
comprendre  ;  c'est-à-dire  elle  ne  peut  pas  connaî- 
tre Dieu  autant  que  Dieu  est  connaissable.  La  vision 
intuitive  elle-même,  qui  est  pour  la  créature  le 
mode  le  plus  parfait  de  connaissance  de  Dieu, 
donne  bien  une  véritable  connaissance  de  l'essence 
divine,  mais  pas  la  connaissance  parfaite  et  com- 
préhensive que  Dieu  a  de  lui-même  ;  car  elle  ne  lui 
fait  pas  connaître  tout  ce  que  Dieu  y  voit  (i). 

i.  Les  théologiens  discutent  pour  savoir  quelle  est  la  raison 
fondamentale  des  limites  de  la  vision  intuitive,  vision  qui  n'a 
ni  l'étendue  ni  l'intensité  de  la  compréhension  que  Dieu  a  de 
lui-même.  Cf.  Franzelin,  De  Deo,  th.  xvm  ;  Casajoana,  De  Dlo, 
77-85. 


DIEU    EST    DISTINCT    DU    MONDE  ^3 

2.  Infini  en  intelligence,  en  volonté,  en  toute 
perfection.  —  Trois  déterminatifs  du  mot  infini  ; 
ils  n'ont  pas  été  choisis  sans  motif,  et  chacun  d'eux 
porte  contre  les  erreurs  visées  par  le  concile. 

Dieu  est  dit  infini  en  intelligence  et  en  volonté. 
Pourquoi  ?  Pour  condamner  explicitement  le  pan- 
théisme matérialiste,  d'après  lequel  la  divinité  n'est 
qu'une  nécessité  aveugle,  impersonnelle,  une  loi 
fatale,  sans  intelligence  ni  volonté. 

Infini  en  perfection.  Pourquoi  ?  Parce  que,  en 
Dieu,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  la  perfection  ne 
peut  être  relative,  elle  est  absolue.  Mais  le  concile 
a  mis  :  en  toute  perfection,  au  singulier.  Serait-ce 
qu'en  Dieu,  l'être  absolument  simple,  les  perfections 
seraient  réellement  multiples,  diverses,  distinctes, 
chose  que  nous  avons  déjà  déclarée  impossible  ? 
Nullement.  Mais,  définissant  pour  des  hommes,  le 
concile  a  dû  s'accommoder  à  la  manière  humaine 
de  concevoir,  de  comprendre  et  d'exprimer  Dieu. 
De  plus,  en  déclarant  Dieu  infini  en  intelligence, 
en  volonté  et  en  toute  perfection,  on  écarte  le 
sens  ancien  du  mot  infini,  chose  inachevée  ou 
incomplètement  déterminée,  et  le  sens  de  Hegel  qui 
n'y  voyait  qu'un  être  idéal,  collection  de  toutes  les 
perfections  possibles,  mais  toujours  en  formation 
ou  en  train  de  se  réaliser. 

3.  Dieu  distinct  du  monde.  —  Pour  ne  donner 
lieu  à  aucune  méprise,  le  concile  poursuit  ses 
précisions  dogmatiques  en  ces  termes  :  «  Ce  Dieu 
éternel,  immense,  incompréhensible  et  infini,  étant 
une  substance  spirituelle  unique  par  nature,  tout  à  fait 
simple  et  immuable,  doit  être  déclaré  distinct  du  monde 
en  réalité  et  par  son  essence  (i).  »   Encore  un  choix 

i.  Const.  Dei  Filins,  c.  I,  S  i. 


k"]k  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

d'expressions  en  vue  du  panthéisme  qui  confond 
Dieu  avec  le  monde.  Déjà  réprouvé  par  le  iv°  concile 
de  Latran,  plutôt  comme  une  folie  que  comme  une 
hérésie,  le  panthéisme  n'en  avait  pas  moins  reparu 
dans  les  siècles  suivants.  Sous  ses  métamorphoses 
incessantes,  variant  au  gré  des  esprits  audacieux 
qui  ont  cherché  à  le  réduire  en  système,  le  pan- 
théisme repose  sur  cette  erreur  capitale,  que  Dieu 
et  le  monde  sont  con substantiels,  soit  qu'on  absorbe 
Dieu  dans  le  monde,  soit  qu'on  fasse  de  Dieu  le 
sujet  unique  de  tous  les  phénomènes.  De  plus  il 
aboutit  fatalement  à  des  conséquences  désastreuses  et 
immorales  qui  révoltent  la  conscience,  le  bon  sens, 
et  détruisent  de  fond  en  comble  toute  moralité. 

Déjà,  au  xvne  siècle,  le  juif  Spinoza  (f  1677)  avait 
fait  reposer  le  panthéisme  sur  un  axiome,  d'appa- 
rence vraie,  et  sur  une  définition  absolument  fausse 
de  la  substance.  L'axiome  était  ainsi  formulé  :  «  Tout 
ce  qui  est  et  tout  ce  qui  peut  être  conçu  comme 
existant,  se  ramène  à  Furie  des  trois  catégories  de 
substance,  d'attribut  ou  de  mode.  »  Cet  axiome  serait 
vrai  si  les  termes  qu'il  emploie  gardaient  leur  accep- 
tion ordinaire.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi.  Car, 
pour  Spinoza,  la  substance  est  ce  qui  est  en  soi  et 
est  conçu  par  sol,  c'est-à-dire,  ce  dont  le  concept  peut 
être  formé  sans  avoir  besoin  da  concept  d'une  autre 
chose.  Au  sens  ordinaire  du  mot  substance,  Spinoza 
ajoute  l'idée  d'être  conçu  par  soi,  qui  n'est  applicable 
qu'à  Dieu  ;  grâce  à  ce  subterfuge,  il  est  en  droit  de 
rayer  de  la  catégorie  des  substances  et  de  reléguer 
dans  celle  des  attributs  ou  des  modes  tout  ce  qui 
n'est  pas  Dieu  ;  il  proclame  l'unité  absolue  de  subs- 
tance, ce  qui  ouvre  la  porte  au  panthéisme.  Mais  le 
subterfuge  doit  être  signalé,  et  il  faut  refuser  à  Spi- 
noza le  droit  de  supprimer  les  substances,  entendues 
au  sens  ordinaire.  Ce  point  de   départ  étant  faux, 


DIEU    EST    DISTINCT    DU    MONDE  ^5 

tout  son  édifice  croule  en  dépit  de  la  rigueur  géomé- 
trique dont  il  a  su  l'envelopper. 

Au  xvin6  siècle,  Kant,  par  la  rigueur  de  sa  Critique 
de  la  raison  pure,  avait  créé  le  subjectivisme  et 
interdit  à  l'esprit  humain  le  droit  de  pénétrer  dans 
l'absolu  ;  l'absolu,  il  est  possible  qu'on  le  conçoive, 
disait-il,  mais  il  est  impossible  de  savoir  s'il  existe. 

Fichte  (f  i8i4),  sans  sortir  du  subjectif,  résolut 
de  créer  l'absolu,  de  créer  Dieu,  rien  qu'avec  son 
moi.  En  disant  je  suis  moi,  on  prend  conscience  de 
soi  ;  or,  en  disant  je  suis,  le  moi  «  se  pose,  »  c'est- 
à-dire  se  crée,  est  cause  de  lui-même,  c'est  l'absolu, 
l'infini.  Mais,  en  même  temps  qu'il  se  «  pose,  »  il 
«  s'oppose,  »  c'est-à-dire  qu'en  même  temps  qu'il  se 
connaît  comme  actif,  il  se  connaît  comme  passif, 
comme  limité,  comme  déterminé  par  le  non-moi>  ou 
par  les  choses  extérieures  ;  et  par  là  le  moi  crée  le 
monde  tout  comme  il  s'est  créé  lui-même.  Donc, 
pas  de  Dieu,  et  c'est  l'athéisme  ;  ou  bien,  au  fond, 
c'est  l'homme  qui  est  Dieu,  et  c'est  de  l'anthropolâ- 
trie  ou  du  panthéisme  subjectif. 

Son  disciple  Schelling  (y  i854)  allait  servir  d'inter- 
médiaire entre  lui  et  Hegel.  Il  part  comme  Fichte 
du  moi  absolu,  mais  il  admet  que  la  nature  est  quel- 
que chose  de  plus  qu'une  simple  création  du  moi, 
une  réalité  objective  ;  réalité  qui  s'ajoute  à  la  réalité 
subjective  comme  une  manière  différente  de  consi- 
dérer les  objets,  mais  qui  n'empêche  pas  la  réalité 
d'être  unique  et  de  constituer  l'absolu.  Or  cet  absolu 
n'est  pas  le  parfait  ;  ce  n'est  qu'un  germe,  indéter- 
miné et  inconscient,  capable  de  se  développer,  de 
se  réaliser  ;  et  il  se  réalise,  soit  dans  le  monde 
d'une  manière  inconsciente,  soit  dans  l'homme  où 
il  prend  conscience  de  lui-même,  par  un  progrès 
indéfini  dans  l'histoire  de  la  civilisation.  S'il  est  le 
principe,  tel  que  nous  venons  de  le  dire,  il  est  aussi 


/l'y  6  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

la  fin,  l'idéal  toujours  poursuivi,  jamais  atteint, 
toujours  en  train  de  se  faire,  à  travers  le  temps  et 
l'espace,  dans  le  monde  et  l'humanité,  par  la  nature 
et  l'humanité.  Cette  théorie  est  du  panthéisme,  si 
l'on  veut,  mais  c'est  aussi  de  l'athéisme. 

Hegel  (j*  i83i)  a  précisé  la  méthode  du  panthéisme 
idéaliste  et  il  a  formulé  la  théorie  du  processus  ou 
progrès,  dont  Schelling  n'avait  qu'affirmé  l'existence. 
La  contradiction  étant  à  la  base  et  faisant  le  fond  du 
système,  Hegel,  par  un  audacieux  défi  au  bon  sens 
et  à  la  raison,  a  proclamé  le  principe  de  Y  identité  des 
contradictoires,  dont  voici  la  formule  à  couleur 
scientifique.  Dans  la  nature,  toute  chose  traverse 
trois  phases  successives  :  le  moment  d'enveloppe- 
ment ou  de  la  chose  en  soi,  c'est  la  thèse  ;  le  moment 
où  la  chose  sort  de  soi,  en  se  niant  elle-même,  c'est 
Y  antithèse  ;  le  moment  où  elle  se  replie  sur  elle-même 
et  ramène  à  l'unité  les  deux  premiers  moments,  c'est 
la  synthèse.  En  partant  donc  de  cette  idée  fondamen- 
tale que  tout  ce  qui  est  est  un  développement  de 
l'absolu,  on  a  dans  cette  triple  formule  :  affirmation, 
négation,  conciliation,  la  loi  même  de  la  vie  (1). 
L'absolu,  c'est  l'idée  ;  l'idée,  en  se  développant, 
acquiert  la  conscience  d'elle-même,  c'est  l'esprit  ;  et 
l'absolu,  c'est  Dieu.  Mais  Dieu  est  identique  au 
néant,  puisque,  d'après  le  principe  fondamental 
posé  au  début  du  système,  les  contradictoires  sont 
identiques. 

Telle  est  la  systématisation  du  panthéisme  au 
xviii6  et  au  xixe  siècles.  On  ne  saurait  aller  au  delà. 
Malheureusement  le  panthéisme  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  faire  des  victimes  en  Allemagne  ;  il  en  a 
fait  aussi  en  France  ;  et  nous  signalions  plus  haut, 
dans  les  doctrines  de   Yacherot   et  de  Renan,    des 

1.  De  Margerie,  Théodicée,  t.  11,  p.  i3G  sq. 


DIEU    EST    DISTINCT    DU    MONDE  477 

infiltrations  caractéristiques  des  théories  panthéis- 
tiques. 

L'Eglise,  gardienne  de  la  vérité,  n'a  pas  pu  laisser, 
sans  protester,  de  telles  doctrines  ravager  les  âmes. 
Pie  IX,  dans  son  allocution  Maxima  quldem  du 
9  juin  1862  (i),  avait  condamné  le  panthéisme.  A 
son  tour,  le  concile  du  Vatican  a  repris  la  question 
pour  formuler,  sur  ce  point,  aussi  nettement  que 
possible,  la  foi  catholique.  De  là  le  choix  si  judicieux 
des  termes  pour  couper  court  à  toute  échappatoire. 

Qu'enseigne,  en  effet,  le  concile  ? 

Le  panthéisme  regarde  Dieu  comme  une  substance 
immanente  au  monde ,  et  la  seule,  puisque  toute  chose 
finie  et  contingente  n'est  qu'un  accident  de  cette 
substance  ;  ou  bien  encore  il  regarde  Dieu  comme 
Vàme  du  monde.  Et  le  concile  dit  :  pas  de  substance 
unique.  Dieu  et  le  monde  ne  forment  pas  un  com- 
posé substantiel,  où  Dieu  jouerait  le  rôle  de  forme 
ou  de  principe  vital.  Quelle  que  soit  la  substance 
du  monde,  et  il  y  en  a  une  très  certainement,  elle 
ne  saurait  être  ni  la  substance  de  Dieu,  ni  un  mode 
accidentel  de  cette  substance  divine.  C'est  pourquoi 
le  concile  caractérise  la  substance  de  Dieu,  en 
l'appelant  spirituelle  par  opposition  avec  la  substance 
du  monde  et  les  substances  des  êtres  composés. 
Mais  cela  ne  suffit  pas  ;  car,  en  dehors  de  Dieu,  il 
existe  d'autres  substances  spirituelles  comme  celle 
des  anges  ;  le  concile  précise  donc  en  disant  que  la 
substance  divine  spirituelle  est  unique  par  nature, 
tout  à  fait  simple  et  immuable.  Or,  nous  avons  vu  ce 
qu'il  faut  entendre  par  ces  attributs  d'unité,  de 
simplicité  et  d'immutabilité  ;  appartenant  en  propre 
à  Dieu,  selon  la  déclaration  du  concile,  il  faut  que 

1.  Cette  condamnation  devint  la  première  proposition  du 
Syllabus  ;  Denzinger,  n.  i548. 


/I78  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

^— -^— — — — — — — i  — — ^— — ^m 

Dieu  se  distingue  de  toute  substance  spirituelle 
autre  que  lui.  Et  pour  couper  court  à  toute  équivo- 
que, le  concile  a  soin  d'ajouter  que  cette  substance 
spirituelle  de  Dieu,  unique  par  nature,  tout  à  fait 
simple  et  immuable,  n'est  pas  immanente,  mais 
transcendante,  car  Dieu  doit  être  déclaré  distinct  du 
monde  en  réalité  et  par  son  essence.  Enfin,  pour 
compléter  son  enseignement  dogmatique  sur  la 
nature  de  Dieu,  il  termine  par  un  dernier  trait  : 
Dieu,  dit-il,  est  «  bienheureux  en  lui-même  et  par 
lui-même,  et  élevé  indiciblement  au-dessus  de  tout 
ce  qui  est  et  peut  se  concevoir  en  dehors  de  lui  (1).  » 

A  cette  exposition  doctrinale  s'ajoute,  sous  forme 
d'anathèmes,  la  condamnation  des  systèmes  pan- 
théistiques,  dont  nous  venons  de  parler.  Qu'on  en 
remarque  la  propriété  et  la  précision  des  termes. 
Sont  condamnés  et  le  panthéisme  substantiel,  celui 
qui  conçoit  Dieu  et  le  monde  comme  consubstan- 
tiels  ;  et  le  panthéisme  essentiel  de  Schelling,  celui 
qui  fait  du  moi  et  du  non-moi,  de  l'esprit  et  de  la 
matière,  du  fini  et  de  Finfini,  du  réel  et  de  l'idéal, 
la  réalisation  progressive  d'une  seule  et  même 
essence  ;  et  le  panthéisme  de  Vêtre  universel  de  Hegel. 

Canon  3  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  la  subs- 
tance ou  l'essence  de  Dieu  et  de  toutes  choses  est 
une  et  la  même.  » 

Canon  4  :  «  Anathème  à  qui  dirait  que  les  choses 
finies,  soit  corporelles,  soit  spirituelles,  ou  que  du 
moins  les  spirituelles  sont  émanées  de  la  substance 
divine  ; 

«  Ou  que  l'essence  divine,  par  la  manifestation  ou 
l'évolution  d'elle-même,  devient  toutes  choses  ; 

«  Ou  enfin  que  Dieu  est  l'être  universel  et  indéfini 
qui,  en  se  déterminant,    constitue  l'ensemble  des 

1.  Const.  Dei  Filius,  c.  1,  S  i. 


DIEU    EST    DISTINCT    DU   MONDE  4 79 

choses  et  leur  distinction  en  genres,    en  espèces  et 
en  individus  (i).  » 

1.  Le  Positivisme  et  l'idée  de  Dieu.  —  L'idée,  la 
notion  de  Dieu,  sa  nature  ont  été  singulièrement  défigu- 
rées en  France  pendant  le  xix°  siècle,  soit  par  l'école 
positiviste,  soit  par  la  critique  idéaliste  :  elles  aboutissent 
au  panthéisme  ou  à  l'athéisme.  Sans  vouloir  en  raconter 
toutes  les  phases,  il  semble  utile  d'en  dire  quelque 
chose,  ne  serait-ce  que  pour  montrer  jusqu'où  peut  aller, 
chez  les  intelligences  les  plus  hautes  et  les  plus  cultivées, 
la  décroissance  de  la  foi  philosophique  et  religieuse. 

Le  positivisme,  emprisonné  par  sa  méthode,  renonce 
non  seulement  à  définir  Dieu  mais  encore  à  se  poser  la 
moindre  question  sur  son  existence  ou  sa  nature.  La 
méthode  positive,  en  effet,  condamne  absolument  toute 
recherche  concernant  les  principes,  parce  qu'elle  ne  peut 
aboutir  ;  elle  bannit  de  ses  études,  comme  inaccessibles  à 
l'expérience,  aussi  bien  les  causes  finales  que  les  causes 
premières  ;  elle  supprime  le  problème  de  l'origine  et  de 
la  distinction  du  monde  ;  elle  se  passe  de  l'hypothèse 
Dieu.  Réduite  aux  phénomènes  sensibles,  elle  s'y  appli- 
que exclusivement  et  se  contente  d'expliquer  ce  qui  est  par 
un  mécanisme  aveugle  et  inconscient,  ou  par  un  proces- 
sus immanent  à  la  matière,  nécessaire  et  fatal,  mais 
d'une  prodigieuse  habileté  pour  profiter  des  moindres  cir- 
constances, pour  s'adapter  aux  divers  milieux,  pour 
choisir  les  meilleurs  moyens  dans  le  but  d'atteindre  une 
fin  déterminée.  Et  ainsi  positivistes,  évolutionistes,  se 
passent  de  Dieu  comme  d'une  hypothèse  inutile,  ou 
réconduisent,  «  en  le  remerciant  de  ses  services  provisoi- 
res, »  comme  disait  Auguste  Comte.  Finalement,  c'est 
l'agnosticisme  érigé  en  système.  Herbert  Spencer  proclama 
l'existence  de  Y  Inconnaissable,  mais  le  déclara  inacces- 
sible à  notre  raison.  C'est  donc  comme  si  Dieu  n'existait 
pas,  c'est-à-dire  de  l'athéisme  pratique. 

Mais,  comme  malgré  tout,  l'esprit  humain  tient  essen- 

i.  Const.  Dei  Filus,  c.  i,  can.  3  et  4. 


£80  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


tiellement  à  se  rendre  compte  des  choses,  l'obligation  s'est 
imposée  d'expliquer  le  monde  sans  l'intervention  exté- 
rieure d'un  Dieu  créateur,  organisateur  et  providence.  Et 
l'on  s'y  est  essayé,  non  sans  efforts  ni  sans  peines,  mais  à 
coup  d'hypothèses  plus  déconcertantes  les  unes  que  les 
autres.  La  genèse  du  monde  à  dû  s'expliquer  par  le 
monde  lui-même,  par  une  action  incessante,  qui,  peu  à 
peu  et  avec  le  temps,  ne  cesse  d'évoluer,  de  se  détermi- 
ner, de  progresser.  L'être  s'élève  ainsi,  par  une  métamor- 
phose lente  et  inconsciente,  du  pur  mécanisme  des  origi- 
nes jusqu'à  la  région  sereine  de  l'idéal.  De  forme  en  forme, 
de  règne  en  règne,  de  la  matière  primitive,  en  passant 
par  l'état  de  minéral,  puis  de  végétal,  puis  d'animal,  il 
arrive  à  prendre  conscience  de  lui-même  dans  l'être  intel- 
ligent qu'est  l'homme.  Parti  depuis  longtemps,  et  tou- 
jours en  marche,  il  est  loin  encore  d'être  arrivé  à  son 
dernier  terme.  Et  comme  il  n'y  a  que  cet  être  qui  existe, 
toujours  en  train  de  se  faire,  de  prendre  conscience  de  lui- 
même,  c'est  en  somme  du  pur  panthéisme.  D'un  côté 
comme  de  l'autre,  le  positivisme  est  condamné. 

2.  Le  Dieu  de  l'Idéalisme.  —  Vacherot,  au  siècle 
dernier,  imagina  la  théorie  du  Dieu  réel,  mais  imparfait, 
et  du  Dieu  idéal,  mais  non  existant.  Il  aboutissait  à  ce 
résultat  par  trois  propositions  qu'il  liait  étroitement  l'une 
à  l'autre.  Dieu,  disait-il,  est  l'être  pur  ;  et  en  cela  il  avait 
raison,  caries  théologiens  proclament  son  absolue  simpli- 
cité et  le  définissent  un  acte  pur.  Or,  ajoutait-il,  l'être  pur 
c'est  l'être  indéterminé  ;  et  il  appliquait  ici  le  faux 
principe  de  Spinoza,  que  toute  détermination  est  une 
négation  et  une  limitation.  Donc,  concluait-il,  l'être  indé- 
terminé c'est  l'être  non  réel,  Dieu  ;  conclusion  fausse. 

«  La  première  conception  théologique,  dit  Caro  en 
résumant  la  théorie  de  Yacherot  (i),  est  celle  de  l'être,  de 
l'Etre  en  soi,  un,  parce  qu'il  est  tout  ;  infini,  parce  qu'il 
est  sans  borne  dans  le  temps  et  l'espace  ;  absolu,  parce 
qu'il  n'a  besoin  d'aucune  condition,  soit  pour  exister,  soit 

i.  Caro,  L'idée  "de  Dieu,  5e  édit.,  Paris,  1873,  p.  225-226. 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  4^1 


pour  agir  ;  nécessaire,  parce  qu'il  est  tel  que  son  essence 
implique  son  existence  ;  universel,  parce  qu'il  comprend 
la  totalité  des  phénomènes.  Cette  conception,  nous  la 
tirons,  par  une  opposition  forcée  des  notions  empiriques 
de  phénomène,  de  multiplicité,  de  relation,  de  contin- 
gence, d'individualité.  Dieu,  à  ce  premier  degré,  ou  ce 
premier  Dieu  de  la  métaphysique,  est  la  synthèse,  l'unité 
rationnelle  de  ces  conceptions  de  l'Etre  en  soi,  de  l'Infini, 
de  l'Universel.  Toute  détermination  empirique  répugne  à 
son  essence.  Ame  ou  corps,  esprit  ou  nature,  personne  ou 
chose,  nul  être  individuel,  si  grand,  si  pur,  si  parfait 
qu'il  soit,  ne  peut  contenir  sa  réalité  infinie.  Il  n'est 
aucune  des  réalités  finies,  mais  il  les  contient  toutes,  non 
pas  en  puissance  seulement,  mais  en  acte.  En  ce  sens  il 
est  Esprit,  mais  comme  il  est  Nature.  Il  est  intelligence 
et  volonté,  mais  comme  il  est  instinct  et  nécessité.  La  loi 
de  sa  relation  au  monde  n'est  pas  celle  de  cause  à  effet. 

Il  n'y  a  pas  de  relation  de  ce  genre-là  où  il  y  a  identité 
substantielle  des  deux  termes.  Son  vrai  nom  est  la  Vie 
universelle.  C'est  en  lui  et  par  lui  que  tout  se  meut,  existe 
et  vit,  non  dans  le  sens  plus  ou  moins  figuré  où  saint  Paul 
le  dit,  mais  dans  un  sens  exact  et  littéral.  L'Etre  infini 
n'est  pas  seulement  réel,  il  est  tout  le  réel  ;  il  est  le  Dieu 
vivant  (i). 

Or,  cet  Etre  universel,  envisagé  dans  sa  réalité,  c'est  le 
monde  ou  le  cosmos  ;  envisagé  dans  son  idée,  c'est  Dieu. 
Sous  le  premier  aspect,  c'est-à-dire  dans  son  existence  à 
travers  le  temps  et  l'espace,  Dieu  vit  réellement,  mais  il 
est  imparfait.  Pour  être  parfait,  il  doit  nécessairement 
passer  à  l'état  idéal,  mais  alors  sa  divinité  parfaite  lui 
coûte  la  réalité  :  il  n'existe  pas. 

La  réalité,  en  effet,  et  la  vérité  on  perfection  s'opposent  : 
ce  sont  des  termes  contradictoires.  La  réalité  est  vivante, 
concrète,  déterminée  ;  la  vérité,  c'est  l'idée  pure,  la  per- 
fection absolue.  La  réalité  peut  aspirer  à  la  vérité,  mais 
ne  l'atteindra  pas  ;  la  vérité,  en  tout  cas,  ne  peut  tomber 
dans  la  réalité.  L'essence  s'oppose  à  l'existence  ;  celle-ci 

i.  Vacherot,  La  métaphysique  et  la  science,  i"  édit.,  Paris, 
t.  h,  p.  ooo,  537. 

IB    CATÉCHISME.    —  T.    I.  }I 


482  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

se  développe  dans  la  réalité  des  phénomènes,  des  formes, 
à  travers  le  temps  et  l'espace,  dans  la  nature  et  l'histoire, 
tandis  que  l'essence  n'a  son  siège  que  dans  la  pensée- 
pure.  Essence,  type,  vérité,  idée  pure,  idéal  suprême, 
perfection,  ce  sont  les  vrais  noms  de  Dieu.  Mais  si  Dieu 
est  conçu  comme  réel,  il  ne  les  mérite  plus.  Il  faut  donc 
choisir  entre  l'Infini  réel  et  vivant,  qui  n'est  pas  parfait, 
ou  l'Etre  parfait  qui  n'est  pas  vivant. 

C'est  l'être  parfait  que  choisit  Vacherot.  «  C'est  le  Dieu 
abstrait  de  la   pensée  pure,   en  dehors   du  temps,  de- 
l'espace,  du  mouvement,  de  la  vie,  de  toutes  les  condi- 
tions de  la  réalité.  C'est  le  Dieu  que,  dans  leur  élan  de- 
spéculation,  Platon,  Plotin,  Malebranche,  Fénelon  pour- 
suivent en  vain  comme  un  être  réel  ;  le  Dieu  dont  l'acti- 
vité est  sans  mouvement,  la  pensée  sans  développement, 
la  volonté  sans  choix,   l'éternité  sans  durée,  l'immensité 
sans  étendue.  Ce  Dieu-là  qu'une  philosophie  contempo- 
raine nous  représente  relégué  sur  le  trône  désert  de  son 
éternité  silencieuse  et  vide,   n'a  pas  d'autre  trône  que- 
l'esprit,  ni  d'autre  réalité  que  l'idée  (i)  ». 

Ainsi,  dans  le  système  de  Vacherot,  deux  sciences,  la 
théologie  et  la  cosmologie,  ont  le  même  objet,  mais  elles 
l'envisagent  à  deux  points  de  vue  différents  ;  la  théologie 
étudie  le  Dieu  idéal,  mais  non  existant  ;  la  cosmologie 
étudie  le  Dieu  réel,  mais  non  parfait  ;  la  théologie  est 
une  cosmologie  idéale  ;  la  cosmologie,  une  théologie  posi- 
tive. Leur  objet,  c'est  Dieu,  vu  par  l'une  dans  son  état  de- 
perfection,  vu  par  l'autre  dans  son  existence  réelle.  Dieu 
est  l'idée  du  monde  ;  le  monde  est  la  réalité  de  Dieu  (2). 
Point  d'autre  démonstration  que  cette  incessante  opposi- 
tion entre  sa  forme  concrète  et  le  type,  l'existence  et 
l'essence,  la  réalité  et  la  vérité,  et  toujours  même  conclu- 
sion :  Dieu  parfait  n'est  pas  un  être  vivant  ;  autrement 
dit,  il  n'existe  pas,  ce  qui  est  de  l'athéisme. 

Mais  Vacherot  tenait  à  ne  point  passer  pour  athée.  Aux 
accusations  d'athéisme,  il  répondait  par  des  professions 
de  foi,  dont  quelques-unes  sont  fort  éloquentes,  mais  qui 

1.  Vacherot,  toc,  cit.,  U  xi,  p,  5oo,  53g.  —  a.  Ibid.,  p.  5oi» 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  l\S3 

s'adressaient  au  Dieu  abstrait.  Quant  à  son  Dieu  réel,  il 
devenait  l'occasion  d'une  accusation  de  panthéisme,  à 
laquelle  il  lui  était  impossible  d'échapper.  Nous  ne  pou- 
vons que  la  signaler.  M.  Garo  écrivait  (i)  :  «  Je  suis 
obligé  de  convenir  que  je  vois  le  panthéisme  sortir  de 
chaque  point  de  celte  doctrine.  Que  la  conscience  de  M. 
A  acherot  ne  soit  pas  panthéiste,  je  l'accorde  de  grand 
cœur  ;  mais  que  son  système  ne  le  soit  pas,  c'est  ce  que 
toute  la  subtilité  du  monde  ne  pourrait  obtenir.  Ce  carac- 
tère du  système  de  M.  Vacherot  est  si  évident  pour  ceux 
qui  ont  ouvert  son  livre,  que  toute  démonstration  leur 
semblera  inutile.  » 

Déjà,  en  i85i,  à  la  lin  de  la  publication  de  son  Histoire 
de  l'école  d'Alexandrie,  Vacherot,  alors  directeur  de 
l'Ecole  normale  supérieure,  s'était  attiré  de  la  part  de 
Gratry,  aumônier  de  l'Ecole,  l'accusation  formelle  d'a- 
théisme :  «  Vous  n'avez  pas  l'athéisme  dans  le  cœur,  lui 
disait  l'aumônier  ;  mais  votre  philosophie,  c'est  l'athéis- 
me, inévitable  résultat  de  votre  méthode,  la  sophistique. 
Votre  doctrine,  c'est  l'athéisme.  Qu'on  me  comprenne.  Je 
ne  dis  pas  le  panthéisme,  mais  je  dis  l'athéisme  (2).  » 

3.  L'idée  de  Dieu  dans  Renan.  —  Renan  a  eu  deux 
conceptions  de  Dieu  dans  sa  vie,  l'une  au  début,  comme 
cela  ressort  de  ses  Etudes  d'histoire  religieuse,  l'autre  à  la 
fin.  Pour  la  première,  c'est  un  symbole,  le  symbole  des 
nobles  instincts  de  l'àme  ;  pour  la  seconde,  c'est  l'Infini 
vague,  l'Absolu  de  Hegel,  en  train  de  se  réaliser  dans  la 
nature  et  dans  l'humanité,  servant  à  la  fois  de  substance 
et  de  trame  aux  choses.  Examinons-les  l'une  après  l'autre, 
d'un  trait  rapide. 

Le  Dieu  subjectif.  Renan  partage  l'humanité  en  deux 
portions  :  les  parties  simples  et  les  parties  cultivées.  Aux 
simples,  qui  ne  sont  pas  arrivés  à  la  vie  réfléchie  et  qui 
sont  frappés  d'une  sorte  d'incapacité  scientifique,  con- 
vient et  appartient  la  religion  ;  aux  cultivés,  qui  sont 
gens  de  réflexion  et  de  savoir,  revient  la  culture  propre 

1.  Vidée  de  Dieu,  p.  261 .  —  2.  Gratry,  Etude  sar  la  sophis*. 
tique  contemporaine,  Paris ,  i85i,  p.  52-53,  i3o-i3i,  224. 


£84  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

de  la  science  et  de  l'art.  Or,  la  religion  est  d'origine 
humaine,  mais  dans  sa  partie  simple.  Voici  comment. 
Renan  nie  que  le  miracle  ou  le  surnaturel  pénètre  dans 
la  trame  de  l'histoire  ou  de  la  vie  humaine,  et  par  suite 
donne  à  entendre  que  tout,  dans  le  monde  moral  comme 
dans  le  monde  physique,  s'explique  naturellement.  Car 
toute  religion  est  l'œuvre  spontanée  de  la  conscience  ;  et 
spontanéité,  sous  la  plume  de  Renan,  est  synonyme 
d'ignorance.  Or,  la  spontanéité  se  manifeste  soit  par 
la  crédulité  timide,  qui  crée  la  légende,  c'est-à-dire 
un  mélange  de  réel  et  d'idéal,  soit  par  Y  hallu- 
cination, qui  crée  le  mythe,  c'est-à-dire  une  pure  fic- 
tion. Par  le  mythe,  la  spontanéité  a  créé  les  religions 
de  l'antiquité  ;  par  la  légende,  elle  a  créé  le  christianisme. 
Vient  la  réflexion,  la  culture,  le  savoir,  et  les  fantômes 
du  mythe  ou  de  la  légende  disparaissent  et  la  religion 
disparaît  avec  eux  pour  laisser  place  à  l'art.  C'est  la  con- 
clusion dernière  et  suprême  des  Etudes  d'histoire  reli- 
gieuse. 

L'influence  de  Kant  se  fait  sentir  ici.  Renan  conçoit 
Dieu  comme  l'auteur  de  la  Critique  de  la  raison  pure  : 
c'est  quelque  chose  de  subjectif,  sans  réalité  objective. 
Ainsi  que  le  résume  Caro,  l'homme  l'ait  Dieu.  L'homme 
crée  Dieu  en  pensant.  Il  appelle  de  ce  nom  sublime  le 
mobile  secret  et  intérieur  de  toutes  ses  grandes  aspira- 
tions. Dieu,  c'est  pour  lui  le  type  le  plus  élevé  de  la 
science,  de  l'art.  C'est  le  vrai  qu'il  conçoit,  c'est  le  beau 
qu'il  imagine.  C'est  tout  cela,  mais  ce  n'est  pas  un  être. 
C'est  t@ut  cela,  mais  ce  n'est  pas  une  réalité  distincte  de 
ce  que  nous  pensons  ;  c'est  l'esprit  de  l'homme  réfléchi 
dans  ce  qu'il  %  a  de  plus  grand  ;  c'est  le  cœur  de  l'homme 
réfléchi  dans  ce  qu'il  y  a  de  plus  pur.  C'est  toujours 
1  esprit  et  le  cœur  de  l'homme.  C'est  toujours  l'homme  (i). 
Renan  a  dit,  en  effet,  que  l'humanité  «  ne  se  trompe  pas 
sur  l'objet  même  de  son  culte  :  ce  qu'elle  adore  est  réel- 
lement adorable  ;  car  ce  qu'elle  adore  dans  les  caractères 
qu'elle  a  idéalisés,  c'est  la  bonté  et  la  beauté  qu'elle  y  a 
unies.  »  «  Les  symboles  ne  signifient  que  ce  qu'on  leur 

i.  Caro,  L'idée  de  Dieu,  p.  G3. 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  £85 

ordonne  de  signifier  ;  l'homme  fait  la  sainteté  de  ce  qu'il 
croit  comme  la  beauté  de  ce  qu'il  aime  (i).  »  Pour 
l'homme  réfléchi.  Dieu  c'est  la  catégorie  de  F  idéal.  «  Le 
mot  Dieu  étant  en  possession  des  respects  de  l'humanité, 
ce  mot  ayant  pour  lui-même  une  longue  prescription,  et 
ayant  été  employé  dans  les  belles  poésies,  ce  serait  ren- 
verser toutes  les  habitudes  du  langage  que  de  l'aban- 
donner. Dites  aux  simples  de  vivre  d'aspiration  à  la 
vérité,  à  la  beauté,  à  la  bonté  morale,  ces  mots  n'auraient 
pour  eux  aucun  sens.  Dites-leur  d'aimer  Dieu,  de  ne  pas 
offenser  Dieu,  il  vous  comprendront  à  merveille.  Dieu, 
Providence,  immortalité,  autant  de  bons  vieux  mots,  un 
peu  lourds  peut-être,  que  la  philosophie  interprétera  dans 
des  sens  de  plus  en  plus  raffinés,  mais  qu'elle  ne  rem- 
placera jamais  avec  avantage.  Sous  une  forme  ou  sous 
une  autre,  Dieu  sera  toujours  le  résumé  de  nos  besoins 
supra-sensibles,  la  catégorie  de  l'idéal,  c'est-à-dire  la 
forme  sous  laquelle  nous  concevons  l'idéal,  comme 
l'espace  et  le  temps  sont  les  catégories  des  corps,  c'est-à- 
dire  les  formes  sous  lesquelles  nous  concevons  les 
corps  (2).  )) 

Tel  est  le  Dieu  subjectif  de  Renan,  la  catégorie  de 
l'idéal,  une  pure  forme  de  la  raison.  Et  par  suite  le  sen- 
timent religieux  se  confond  ici  avec  l'émotion  esthétique. 
C'est  un  Dieu  qui  n'habite  plus  le  ciel,  mais  seulement 
les  hautes  régions  de  l'esprit,  objet  intime  et  immanent 
du  culte  que  lui  offre  le  cœur  ;  c'est  un  Dieu,  dont  le 
nom  et  dont  le  culte  ne  parviennent  pas  à  masquer 
l'athéisme  subtil. 

Le  Dieu  devenir.  Renan,  à  ses  débuts,  a  écarté  le  pro- 
duit de  la  spontanéité,  dû  aux  parties  simples  de  l'huma- 
nité, en  faveur  de  la  réflexion,  du  savoir  et  de  l'art,  et  a 
abouti  à  un  Dieu  abstrait  tel  qu'on  peut  dire  qu'il  n'existe 
pas  réellement.  Plus  tard,  écartant  de  même  les  résultats 
de  la  théodicée  expérimentale,  parce  que  ni  la  nature  ni 
l'histoire  ne  prouvent  Dieu,  ainsi  que  les  affirmations  de 
la  théodicée  spéculative,  parce  que  l'abstraction  est  aussi 

1.  Renan,  Etudes  d'histoire  religieuse,  préf.,  p.  334.  —  2.  Ibid., 
p.  419. 


J86  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

inefficace  à  prouver  Dieu  que  l'expérience,  Renan  s'est 
jeté  dans  le  mysticisme.  «  Dieu,  disait-il,  est  le  produit  de 
la  conscience,  non  de  la  science  et  de  la  métaphysique. 
Ce  n'est  pas  la  raison,  c'est  le  sentiment  qui  détermine 
Dieu.  »  Voilà  un  Dieu  à  la  taille  de  l'homme  et  au  niveau 
de  son  esprit,  un  Dieu  que  chacun  se  fait  à  sa  guise. 

Quel  sera  ce  Dieu  ?  et  est-il  autre  chose  qu'un  nom  7 
Renan  répudie  toutes  les  formules  des  systèmes  mé- 
taphysiques ;  comme  Vacherot,  il  reprend  à  son  compte, 
à  la  suite  d'Hamilton,  l'axiome  de  Spinoza  que  toute  dé- 
termination est  une  négation,  pour  rejeter  toute  idée  de 
Dieu  religieuse  ou  philosophique,  par  le  seul  fait  qu'elle 
fausse  l'idée  de  Dieu,  en  le  déterminant.  Il  se  gardera 
donc,  par  respect,  de  limiter  Dieu  par  une  formule  quel- 
conque, il  préférera  garder  le  silence  ou  il  se  contentera 
de  dire  simplement  que  Dieu  est,  sans  rien  impliquer  de 
positif  dans  cette  affirmation  vague. 

Mais  Renan  sait  se  contredire.  Et  voilà  pourquoi  on 
retrouve  sous  sa  plume  des  formules  hégéliennes.  «  La 
vraie  théologie,  dit-il,  est  la  science  du  monde  et  de 
l'humanité,  science  de  l'universel  devenir,  aboutissant 
comme  culte  à  la  poésie  et  à  l'art,  et  par-dessus  tout  à 
la  morale.  »  «  Dans  la  nature  et  dans  l'histoire,  je  vois 
bien  mieux  le  divin  que  dans  les  formules  abstraites 
d'une  théodicée  artificielle  et  d'une  ontologie  sans  rap- 
port avec  les  faits.  L'absolu  de  la  justice  et  de  la  raison 
ne  se  manifeste  que  dans  l'humanité  :  envisagé  hors  de 
l'humanité,  cet  absolu  n'est  qu'une  abstraction;  envisagé 
dans  l'humanité,  il  est  une  réalité.  Et  ne  dites  pas  que  la 
forme  qu'il  revêt  entre  les  mains  de  l'homme  le  souille 
et  l'abaisse.  Non,  non  ;  l'infini  n'existe  que  quand  il  revêt 
une  forme  finie.  »  Voilà  bien  des  contradictions,  et  des 
contradictions  formelles  avec  ce  que  Renan  prétendait  ;  il 
subit  maintenant,  malgré  ses  protestations,  l'influence 
de  Hegel. 

Tout  à  l'heure,  sous  l'influence  de  Kant,  il  disait  que 
Dieu  est  la  catégorie  de  l'idéal,  par  horreur  pour  la  méta- 
physique. Spinoza  et  Hamilton  lui  inspirent  l'horreur  des 
formules  qui  chercheraient  à  déterminer  Dieu.  Hegel  enfin 


LE    DIEU    DE    L'IDÉALISME  4$ 7 

l'introduit  dans  la  théorie  du  devenir.  Et  Renan  écrit,  dans 
Y  Avenir  des  sciences  naturelles,  cette  phrase  suggestive, 
à  propos  du  développement  du  monde  depuis  l'atome 
jusqu'à  l'homme  :  «  Dieu  alors  sera  complet,  si  l'on  fait 
du  mot  Dieu  le  synonyme  de  la  totale  expérience  ;  en  ce 
sens,  Dieu  sera  plutôt  qu'il  n'est  :  il  est  infieri,  il  est  en 
voie  de  se  faire.  »  Mais  Dieu  est  plus  que  le  total  de  l'ex- 
périence, il  est  encore  l'absolu.  Et  voilà  deux  Dieu,  l'un 
éternel  et  immobile,  l'autre  en  voie  de  se  faire  ;  mais  le- 
premier  ressemble  à  celui  de  Vacherot  et  il  n'existe  pas  ; 
quant  au  second,  c'est  celui  de  Hegel,  et  il  implique  le 
panthéisme. 

«  Sur  les  traces  de  Hegel,  dit  Caro,  comme  sur  les  tra- 
ces de  Kant,  c'est  toujours  le  divin,  sa  foi  au  divin,  que 
nous  rencontrons  à  la  place  de  Dieu  et  de  la  foi  en  Dieu. 
Le  divin  n'est  probablement  pas  un  Etre,  mais  c'est  assu- 
rément ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  et  de  plus  élevé  dans 
tous  les  êtres.  Le  rechercher,  le  contempler  partout  où  il 
a  laissé  sa  trace  et  son  reflet,  dans  les  formes  et  les  cou- 
leurs de  la  beauté  physique,  dans  la  pensée  et  dans  Fac- 
tion, dans  le  génie  et  l'héroïsme,  dans  les  inspirations  de 
la  science  et  de  l'art,  dans  la  grandeur  morale  surtout,  la 
plus  divine  de  toutes  les  grandeurs,  voilà  ce  qui  donne  du 
prix  à  la  vie  et  ce  qui  doit  consoler  l'humanité  de  perdre 
son  Dieu  (1).  »  «  Que  la  poésie,  que  l'art,  que  la  morale 
nous  désintéressent  de  nous-mêmes  et  nous  arrachent 
aux  pensées  vulgaires  ;  qu'il  y  ait  une  affinité  naturelle 
entre  tous  les  grands  instincts  de  la  nature  humaine,  et 
que  toute  émotion  noble,  portée  à  son  plus  haut  degré, 
s'achève  et  s'absorbe  dans  le  sentiment  de  l'infini,  qui 
songerait  à  le  nier  ?  Mais  tout  cela  n'est  pas  la  religion. 
L'objet  de  l'art,  c'est  le  beau,  l'objet  de  la  morale,  c'est  le 
bien  ;  l'art  et  la  morale  aboutissent  au  culte  de  l'idéal 
qui  ne  se  confond  pas  avec  la  religion.  Ou  la  religion  n'est 
rien  par  soi  et  fait  double  emploi  avec  la  morale  et  l'art, 
ou  il  faut  bien  reconnaître  qu'elle  a  son  objet  propre,  par 
lequel  elle  se  définit,  en  vue  duquel  elle  existe,  et  qui 
n'est,  ne  peut  être  que  Dieu,  non  pas  ce  Dieu  vague  et 

1.  Caro,  L'idée  de  Dieu,  p.  83. 


âSS  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


abstrait,  résumé  des  idées  de  la  raison,  ni  même  cet 
infini  des  hégéliens  qui  s'engendre  et  se  révèle  dans  le 
monde,  mais  un  Dieu  qui  soit  la  plus  haute  et  la  plus 
sainte  des  réalités  au  lieu  d'être  la  négation  ironique  ou 
sentimentale  de  Dieu  (i).  » 

i.  Vidée  de  Dieu,  p.  85-86.  Cf.  de  Margerie,  Théodicée,  3«  édit., 
Paris,  1874,  t.  1,  p.  393-401;  t.  11,  p.  159-233  ;  Farges,  Vidée 
de  Dieu,  Paris,  1894,  p.  409-442. 


Leçon   XIV 
De  Dieu 


I.  Science  de  Dieu.  —  II.    Volonté  de  Dieu.  — 
III.  Difficultés. 

Après  avoir  étudié  l'être  divin  dans  sa  nature, 
nous  devons  l'étudier  dans  ses  opérations  : 
les  unes  sont  immanentes,  comme  V intelli- 
gence et  la  volonté  ;  les  autres  se  manifestent  au 
dehors  et  sont  le  principe  de  ses  actes  extérieurs, 
comme  la  toute-puissance  (i). 

Pour  arriver  à  la  connaissance  de  ces  nouveaux 
attributs,  le  procédé  rationnel  ne  varie  pas.  Par 
voie  d'analogie,  la  raison  attribue  à  Dieu  ce  qu'elle 
trouve  de  meilleur  dans  la  meilleure  des  créatures, 
l'intelligence,  la  volonté,  le  pouvoir.  Par  voie  de 
négation,  elle  écarte  de  cette  intelligence,  de  cette 
volonté,  de  ce  pouvoir,  tout  ce  qui  implique  une 
imperfection,  un  défaut,  une  limite,  dans  la  créa- 
ture. Et  enfin,  par  application  de  principe  de 
suréminence,  elle  leur  attribue  tout  ce  qu'elle  peut 
concevoir  de  plus  parfait. 


i.  Saint  Thomas,  Sam.  IheoL,  I,  Q.  xiv-xix  ;  de  Margerie, 
Thêodicée,  3#  édit.,  Paris,  1876,  t.  1,  283-335  ;  Farges,  L'idée  de 
Dieu,  Paris,  1894,  p.  3/16-399. 


490  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


I.  Science  de  Dieu 

1.  Ses  caractères.  —  La  raison  humaine  con- 
naît, comprend,  sait  bien  des  choses,  mais  son 
objet  est  limité.  La  science  qu'elle  possède,  elle  ne 
parvient  à  l'acquérir  qu'en  passant  successivement 
d'un  objet  à  un  autre,  ou  d'une  manière  discursive 
en  tirant  des  conclusions  des  principes  qu'elle  con- 
naît. En  tout  état  de  cause,  elle  reste  fort  impar- 
faite. 

En  Dieu,  il  n'en  saurait  aller  de  même.  Dieu  est 
intelligent  :  il  connaît,  il  comprend,  il  sait.  Mais 
étant  le  premier  en  tout  ordre,  il  est  l'intelligence 
suprême,  il  possède  la  connaissance  parfaite,  il  a 
une  science  infinie,  l'omniscience  ;  il  connaît  tout, 
il  comprend  tout,  il  sait  tout.  «  0  profondeur, 
disait  saint  Paul,  des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la 
science  de  Dieu  !  » 

On  comprend  qu'en  Dieu,  la  science  soit  à  son 
plus  haut  degré  de  perfection  ;  car  la  connaissance 
est  en  raison  directe  de  l'immatérialité.  Les  plantes 
ne  connaissent  pas,  parce  qu'elles  sont  matière  ; 
les  sens  connaissent,  parce  qu'ils  reçoivent  des 
objets  les  espèces  sensibles,  sans  la  matière;  l'in- 
telligence connaît,  parce  qu'elle  reçoit  les  espèces 
intelligibles  et  qu'elle  se  distingue  de  la  matière, 
tout  en  y  étant  impliquée.  Mais  Dieu,  étant  sou- 
verainement simple,  a  par  là  même  une  connais- 
sance et  une  science  aussi  parfaites  que  possible. 

La  science,  dans  l'homme,  constitue  une  habi- 
tude, une  qualité  ;  en  Dieu,  elle  s'identifie  avec  son 
essence,  elle  est  un  acte  pur.  Dans  l'homme,  elle 
.est  multiple,  divisée  ;  en  Dieu,  une  et  simple.  Dans 
l'homme,  elle  est  successive  ou  discursive  ;  en 
Dieu,  pas  de  succession  ni  de  raisonnement  :  il 


LA    SCIENCE    DE   DIEU  4  Q I 

voit  tout,  d'un  seul  regard,  dans  son  essence. 
L'homme  a  besoin  des  sens  et  des  facultés  ;  Dieu, 
n'étant  pas  en  puissance  mais  en  acte,  n'a  besoin 
d'aucun  intermédiaire  :  l'intelligence,  l'intelligible, 
les  idées  ne  font  en  lui  qu'une  seule  et  même  chose. 
A  ces  différences  dans  le  mode  de  connaissance 
s'ajoutent  d'autres  différences  dans  l'objet  de  la 
science. 

2.  Son  Objet.  —  i°.  Le  premier  objet  de  la 
connaissance  de  Dieu  c'est  Dieu  lui-même  ;  il  se 
connaît.  La  science,  en  effet,  est  la  connaissance 
des  êtres  dans  leur  cause  ;  or  le  premier  principe, 
la  cause  première,  c'est  Dieu.  Dieu  est  donc  souve- 
rainement intelligible.  Et  étant  souverainement 
intelligent,  il  se  connaît  lui-même,  directement, 
immédiatement,  par  un  acte  de  simple  vision  :  il 
se  voit  tel  qu'il  est,  il  voit  tout  ce  qu'il  fait.  De  plus 
il  se  connaît  autant  qu'il  est  connaissable,  infini- 
ment, c'est-à-dire  qu'il  se  comprend  ou  que  la  con- 
naissance qu'il  a  de  lui-même  va  jusqu'à  la  com- 
préhension totale  et  adéquate  de  lui-même,  sans 
qu'il  puisse  y  avoir  rien  de  lui-même  qu'il  ne  con- 
naisse. En  lui,  à  raison  de  sa  merveilleuse  simpli- 
cité, intelligible  et  intelligence,  vérité  connue  et 
savoir  ne  sont  qu'une  seule  et  même  chose,  qui  est 
sa  propre  essence. 

2°.  Dieu  connaît  toutes  choses.  Dieu,  se  connais- 
sant et  se  comprenant  adéquatement,  connaît  sa 
propre  vertu  et  tout  ce  à  quoi  elle  s'étend.  Or  sa  [f 
vertu  s'étend  à  tout  ce  qui  est,  et  puisqu'il  en  est  : 
la  cause  efficiente,  il  connaît  tout  ce  qui  est.  Mais 
les  choses  qui  sont,  c'est  en  lui-même  qu'il  les  con- 
naît, parce  que  son  essence  contient  leur  image.  H 
les  connaît  non  seulement  d'une  manière  générale, 
mais  encore  séparément  d'une  manière  distincte,  et 


4[)2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

dans  ce  qu'elles  ont  de  commun  par  l'être,  et  dans 
ce  qui  les  distingue  les  unes  des  autres,  dans  leurs 
essences  et  dans  l'actualisation  de  leurs  essences.  Il 
les  voit  toutes  en  même  temps,  d'un  seul  regard, 
sans  succession,  sans  raisonnement.  Il  les  connaît 
toutes  dans  leur  individualité  propre  ;  car  sa  science 
égale  sa  causalité,  et  sa  causalité  s'étend  à  chaque 
être  en  particulier.  «  //  atteint  jusqu'à  la  division  de 
lame  et  de  l'esprit  ;  il  discerne  les  pensées  et  les 
mouvements  des  cœurs,  et  aucune  créature  n'est 
invisible  à  ses  yeux  (i).  »  «  //  est  grand,  le  Seigneur, 
et  il  regarde  les  choses  les  plus  humbles  (2)  » . 

3°.  Dieu  connaît  les  choses  possibles.  Dieu,  en 
effet,  ne  connaît  pas  seulement  ce  qui  est  en  acte, 
mais  encore  tout  ce  qui  est  en  puissance  par  lui  ou 
par  ses  créatures  ;  car,  outre  les  choses  qui  sont, 
son  essence  infinie  représente  celles  qui  peuvent 
être,  et  dans  leurs  principes  généraux,  et  dans 
leurs  principes  particuliers.  Il  connaît  donc  tous 
les  possibles,  quel  qu'en  soit  le  nombre,  par  un 
seul  acte  égal  à  cette  possibilité  infinie  d'imiter  son 
essence  divine. 

4°.  Dieu  connaît  les  futurs  contingents.  Il  ne  les 
connaît  pas  seulement  dans  leurs  causes,  mais 
encore  dans  leur  réalisation,  dans  leur  existence 
contingente  et  future.  Ils  ont  beau  se  succéder  dans 
le  temps,  Dieu  est  au-dessus  de  la  durée,  il  les  con- 
naît simultanément.  Car  tout  ce  qui  s'agite  dans  le 
temps  est  éternellement  présent  à  Dieu,  non  seule- 
ment parce  que  Dieu  a  présentes  en  lui-même  les 
raisons  des  choses,  mais  encore  parce  que  son 
regard  embrasse  dans  les  siècles  tous  les  êtres 
futurs,  comme  existant  devant  lui,  comme  consti- 
tués dans  leur  existence  actuelle,  bien  qu'ils  soient 

1.  Hebr.t  iv,  ia.  —  a.  Psal.,  cxxxvii,  6. 


LA    SCIENCE    DE    DIEU 


493 


futurs  relativement  aux  causes  qui  doivent  les 
actuer. 

5°  Dieu  connaît  les  futurs  libres.  Ces  futurs  libres 
préexistent  bien  dans  leurs  causes,  mais  à  l'état 
vague  et  indéterminé  ;  car  un  futur  libre  n'est 
qu'un  effet  possible  que  la  cause  peut  à  son  gré 
produire  ou  ne  pas  produire  :  il  n'y  a  point  de  lien 
nécessaire  entre  une  cause  libre  et  son  effet  libre. 
Par  suite  la  connaissance  de  la  cause  libre  ne  sau- 
rait donner  de  l'eifet  libre  qu'une  connaissance 
conjecturale,  qui  ne  saurait  convenir  à  Dieu.  Expli- 
quer la  prescience  divine  par  la  connaissance 
parfaite  que  Dieu  a  de  la  liberté  humaine  en  général 
ou  de  la  liberté  de  chaque  homme  en  particulier, 
serait  précisément  réduire  la  science  de  Dieu  aune 
science  conjecturale.  C'est  pourquoi  les  thomistes 
purs  écartent  cette  solution.  Ils  placent  la  science 
de  Dieu  des  futurs  libres  dans  la  connaissance  de  la 
cause  première  ou  du  décret  divin,  qui  détermine 
les  futurs  libres.  Mais,  dans  ce  cas,  une  telle  pré- 
détermination de  la  part  de  Dieu  ne  rend-elle  pas 
nécessaires  les  futurs  libres  ?  Et  alors  que  devient 
la  liberté  ?  C'est  une  grave  difficulté  qui  se  compli- 
que, ainsi  que  nous  le  verrons  à  la  fin  de  celte 
leçon,  d'une  autre  non  moins  grave  difficulté,  celle 
des  rapports  du  concours  divin  avec  la  liberté. 

La  plupart  des  thomistes  parlent,  à  propos  des 
futurs  libres,  de  vision  actuelle  plulôt  que  de  pré- 
vision. En  Dieu,  en  effet,  il  n'y  a  qu'un  présent 
éternel.  Si  donc,  de  toute  éternité,  il  voit  comme 
actuels  les  futurs  libres,  il  n'est  qu'un  simple 
témoin,  dont  le  regard  ne  change  rien  à  la  nature 
des  faits:  il  voit  comme  nécessaires  les  faits 
nécessaires  ;  il  voit  comme  libres  les  actes  libres. 
Cette  solution  est  indiquée  par  saint  Thomas,  qui 
dit  entre  autre  choses  :    Nous,  nous  voyons  succès- 


/j  9 4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

sivement  dans  le  temps  les  choses  qui  se  réalisent 
dans  le  temps  ;  mais  Dieu  les  voit  dans  l'éternité, 
qui  est  au-dessus  du  temps.  Aussi,  comme  nous  ne 
concevons  les  futurs  contingents  qu'en  tant  que 
contingents,  ne  pouvons-nous  les  connaître  avec 
certitude.  Dieu,  au  contraire  les  connaît  d'une  ma- 
nière infaillible,  comme  actués  devant  lui.  Le 
voyageur,  qui  chemine  dans  la  vallée,  ne  voit 
qu'une  partie  de  ceux  qui  cheminent  après  lui; 
l'observateur  qui  découvre  toute  la  route  du  haut 
d'une  montagne  voit  seul  tous  ceux  qui  la  sui- 
vent (i). 

Que  Dieu  connaisse  les  futurs  libres,  c'est  une 
vérité  qui  se  trouve  clairement  exprimée  dans 
l'Ecriture.  Citons  seulement  quelques  textes.  «  Je 
sais,  dit  le  Seigneur,  les  dispositions  qui  raniment 
dès  aujourd'hui  (le  peuple  d'Israël)  avant  même 
que  je  les  aie  fait  entrer  dans  le  pays  que  je  leur  ai 
promis  par  serment  (2).  »  «  Tu  découvres  mes  pensées 
de  loin  (3).  »  «  Dieu  éternel,  qui  connaissez  ce  qui  est 
caché  et  qui  savez  toutes  choses  avant  quelles  n'arri- 
vent (li).  » 

«  II  sonde  les  profondeurs  de  Vocéan  et  le  cœur  de  l'homme, 

Et  il  connaît  leurs  desseins  les  plus  subtils  ; 

Car  le  Seigneur  possède  toute  science, 

Et  il  voit  les  signes  du  temps. 

Il  annonce  le  passé  et  Vavenir, 

Et  il  dévoile  les  traces  des  choses  cachées. 

Aucune  pensée  ne  lui  échappe, 

Aucune  parole  n'est  cachée  pour  lui  (5).  » 

C'est  cette  science  de  l'avenir  qui  rend  possible 

1.  Sum.  theol,  I,  Q.  xiv,  a.  i3,  ad  3.   —  2.  Deut.,  xxxi,  21. 
—  3.  Psal*  cxxxvm,  2.  —  4-  Daniel,  xm,  4a.  —  5.  Eccli.,  xlii, 
18-22. 


LA    SCIENCE    DE    DIEU 


495 


la  prophétie  et  qui  a  permis  de  dire  à  Tertullien 
que  «  la  prescience  divine  a  autant  de  témoins 
qu'elle  a  formé  de  prophètes  (i).  » 

6°  Dieu  connaît  les  futurs  conditionnels.  Entre  le 
possible,  ce  qui  peut  être,  et  le  futur,  ce  qui  sera 
réalisé,  se  place  le  futur  conditionnel,  ce  dont  la 
condition,  qui  le  ferait  se  produire,  ne  se  réalisera 
pas  ;  c'est  moins  qu'un  futur,  puisqu'il  ne  sera 
jamais;  c'est  plus  qu'un  possible,  puisqu'il  existe- 
rait si  telle  condition  était  posée. 

Il  y  a  le  futur  conditionnel  nécessaire,  c'est  celui 
qui  fait  l'objet  des  sciences  humaines.  Ainsi,  dit 
Farges,  le  chimiste  prévoit  sûrement  que  ce  grain 
de  poudre  fera  explosion  si  on  l'allume,  et  cela  est 
certain  alors  même  qu'on  ne  l'allumerait  jamais. 
De  son  côté  l'astronome  peut  prévoir  avec  certitude 
les  déviations  qu'occasionneraient  dans  la  marche 
des  astres  telle  et  telle  hypothèse  qui  ne  se  réalise- 
ront probablement  jamais.  Or,  ces  futurs  que  les 
savants  connaissent,  il  est  clair  que  Dieu  les  con- 
naît aussi  dans  les  causes  nécessaires  qui  les 
contiennent,  c'est-à-dire  dans  les  lois  de  la  nature. 
Aucune  difficulté  sur  ce  point  (2). 

Mais  il  est  des  futurs  conditionnels  libres,  et  leur 
connaissance  ne  peut  pas  échapper  davantage  à  la 
science  infinie  de  celui  qui  prévoit  sûrement  les 
futurs  libres  absolus.  Mais  comment  Dieu  les  con- 
naît-il? Toute  la  difficulté  et  là.  Il  ne  les  voit  pas 
comme  présents,  puisqu'ils  ne  seront  jamais  pré- 
sents ;  il  ne  les  voit  ni  en  eux-mêmes  ni  clans 
l'actuation  qu'ils  n'auront  jamais  ;  il  les  voit  dans 
la  cause  qui  les  contient  et  qui  aurait  pu  les  pro- 
duire. 


1.  Cont.  Marc,  11,  5  ;  Pair.  lai.,  t.  11,  col.  390.  —  a.  Farges, 
Vidée  de  Dieu,  p.  369. 


49^  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Pour  les  thomistes,  Dieu  les  voit  dans  la  sou- 
veraine efficacité  de  la  cause  première,  source  de 
tout  ce  qui  existe  ou  aurait  pu  exister,  dans  le  décret 
divin.  Sa  connaissance  de  vision  embrasse  toutes 
les  réalités  contingentes,  voulues  ou  permises  dans 
les  décrets  éternels,  y  compris  les  futurs  libres  et 
les  futurs  conditionnels  libres.  Dieu  voit  dans  ses 
décrets  éternels  non  seulement  tout  ce  qui  arrive, 
mais  encore  tout  ce  qui  peut  arriver,  dans  des  con- 
ditions données,  qui  en  fait  ne  seront  pas  posées  ; 
c'est  là  qu'il  voit  les  solutions  implicitement  conte- 
nues par  chacun  des  cas  qui  peuvent  s'offrir. 

Les  molinistes  recourent  à  une  autre  explication, 
celle  de  la  Science  moyenne.  Dieu  verrait  les  futurs 
conditionnels  libres,  indépendamment  de  tout  dé- 
cret et  antérieurement  à  tout  décret,  dans  les  causes 
libres  elles-mêmes,  qui  sont  capables  de  produire 
tel  effet  si  telle  ou  telle  condition  est  posée.  Nous 
n'entrerons  pas  dans  l'examen  et  la  discussion  de 
cette  science  moyenne,  différemment  expliquée  par 
Molina,  par  Suarez  et  Mazzella  (1).  Le  P.  de  Régnon 
a  même  pour  elle  un  mot  dur  :  «  C'est  là  le  mys- 
tère, l'insondable  mystère,  écrivait  l'un  de  ses  dé- 
fenseurs découragés  ;  de  toutes  les  explications  pro  - 
posées  aucune  n'est  satisfaisante...  Il  faut  renoncer 
à  expliquer  le  comment  de  cette  science  divine  que 
nous  appelons  la  science  des  conditionnels Expli- 
quer cette  science,  c'est  œuvre  de  dilettantisme  phi- 
losophique (2).  »  M.  Farges  rapporte  ce  mot  sans  y 
souscrire  et  dit  :  «  Après  avoir  reconnu  l'ineffica- 
cité complète  du  mystère  de  la  Science  moyenne  à 
remplacer  le  mystère  des  décrets  divins,  nous  nous 
résignons   humblement  à   celui-ci,  persuadé   que 


i.  Mazzella,  De  gratia,  Disp.  ni,  a.  7.  —  a.  De  Régnon, 
Bannes  et  Molina,  p.  ii3-ii5. 


LA    SCIENCE   DE   DIEU  497 

l'efficacité  de  la  causalité  première,  bien  différente 
en  cela  des  causes  secondes,  peut  nous  mouvoir 
sans  violenter  notre  nature,  et  tout  causer  en  nous 
très  efficacement,  même  notre  liberté,  que  nous 
ne  saurions  soustraire,  sans  privilège,  à  la  causalité 
universelle  de  Dieu  (i).  » 

Quel  que  soit  le  mode  d'explication,  toujours  est- 
il  que  cette  connaissance  des  futurs  conditionnels 
existe  en  Dieu.  Dieu  connaît  assurément  les  actes 
que  la  créature  libre  accomplirait,  si  telle  condition 
qui,  du  reste,  ne  se  produira  pas,  venait  à  se  réaliser. 
En  voici  un  exemple,  pris  dans  l'Ancien  Testament. 
David,  réfugié  à  Céïla,  dit  :  «  Seigneur,  Dieu  d'Israël, 
votre  serviteur  a  appris  que  Saiïl  se  dispose  à  venir  à 
Céïla,  pour  détruire  la  ville  à  cause  de  moi.  Les  habi- 
tants de  Céïla  me  livreront-ils  entre  ses  mains  ?  Saiïl 
descendra-t-il  comme  votre  serviteur  Va  entendu  dire  ? 
Jéhovah,  Dieu  d'Israël,  daignez  le  révéler  à  votre 
serviteur.  »  Jéhovah  répondit  :  «  Il  descendra.  »  Et 
David  dit  :  «  Les  habitants  de  Céïla  me  livreront-ils , 
moi  et  mes  hommes,  entre  les  mains  de  Saiïl  ?  » 
Jéhovah  répondit  :  «  Ils  te  livreront  (2).  »  Le  sort  de 
David  et  de  sa  troupe  dépendait  ainsi  d'une  condi- 
tion. En  restant  à  Céïla,  il  eût  été  livré  ;  il  quitta 
la  ville.  Voici  un  autre  exemple,  donné  par  Notre 
Seigneur  dans  l'Evangile,  quand  il  dit  :  «  Malheur 
à  toi,  Corozaïn  !  malheur  à  toi,  Bethsaïda  !  parce  que 
si  Tyr  et  Sidon  avaient  été  les  témoins  des  prodiges 
qui  s'accomplissent  en  vous,  elles  auraient  fait  péni- 
tence sous  le  cilice  et  dans  la  cendre  (3).  »  Tyr  et 
Sidon  n'ont  pas  fait  pénitence  parce  que  la  condi- 
tion, qui  devait  la  leur  faire  faire,  n'a  pas  eu  lieu. 

1.  Farges,  L'idée  de  Dieu,  p.  377.  Cf.  Gayraud,  Thomisme  et 
Molinisme,  Paris,  1889,  p.  116.  —  a.  I  Reg.,  xxm,  10-12.  — 
3.  Mallh.,  xi,  21. 

LE  CATÉCHISME.  —  T.  I.  }2 


49§  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

3.  Ses  divers  noms.  —  Cette  science  divine,  si 
parfaite  dans  son  mode,  si  pleine  dans  son  objet,  a 
reçu  des  théologiens  plusieurs  noms  qui  servent  à 
la  préciser. 

On  la  distingue  en  science  nécessaire  ou  libre, 
suivant  qu'elle  précède  tout  décret  divin  et  qu'elle 
a  pour  objet  l'être  souverain  ou  les  choses  pure- 
ment possibles,  ou  selon  qu'elle  est  consécutive  à 
un  décret  divin  et  qu'elle  a  pour  objet  ce  qui 
dépend  de  la  toute-puissance  divine,  toutes  les 
choses  qui  sont  ou  seront. 

Elle  est  dite  spéculative,  si  elle  se  borne  à  la  con- 
naissance des  choses  sans  les  effectuer  ou  les  réali- 
ser, ou  pratique,  quand  elle  les  connaît  et  les  fait 
passer  à  l'existence. 

Elle  s'appelle  science  de  simple  intelligence,  quand 
elle  s'applique  aux  possibles,  c'est-à-dire  aux  choses 
qui  n'ont  pas  été,  qui  ne  sont  pas  et  qui  ne  seront 
jamais,  et  science  de  vision,  quand  elle  a  pour  objet 
ce  qui  est  ou  sera. 

Si  son  objet  est  le  bien  et  suppose  un  décret  divin, 
c'est  la  science  d'approbation;  si,  au  contraire,  son 
objet  est  le  mal,  que  Dieu  ne  saurait  vouloir,  à 
raison  même  de  sa  perfection,  c'est  la  science  de 
permission.  Sur  ces  paroles,  que  David  prête  au 
Seigneur  :  «  Je  ne  connaissais  pas  le  cœur  dépravé  et 
méchant,  qui  s'éloignait  de  moi,  (1)  »  saint  Augus- 
tin écrit  :  «  Je  ne  connaissais  pas,  qu'est-ce  à  dire  ? 
Je  n'approuvais  pas,  je  ne  louais  pas,  je  n'aimais 
pas,  car  le  mot  connaître,  dans  l'Ecriture,  signifie 
quelquefois  voir  avec  complaisance  (2).  » 

Les  molinistes,  nous  l'avons  vu,  ont  donné  à  la 
science  des  futurs  conditionnels  le  nom  de  science 
moyenne,  de  science  intermédiaire  entre  la  science 

1.  Psal,  c,  4.  —  2.  In  psal,  c,  7. 


LA    VOLONTÉ    DE    DIEU  l\ 9$ 

de  simple  intelligence  et  la  science  de  vision.  Mais 
les  thomistes  jugent  inutile  ce  terme  nouveau, 
parce  que,  si  la  condition  se  réalise,  le  futur  condi- 
tionnel est  alors  connu  par  la  science  de  vision,  et 
si  elle  ne  se  réalise  pas,  le  futur  conditionnel  reste 
l'objet  de  la  science  de  simple  intelligence  (i). 

IL  Volonté  de  Dieu 

i°  Ses  caractères.  —  La  tendance  au  bien, 
perfection  de  l'être,  est  universelle  ;  on  la  trouve 
partout,  en  effet,  dans  le  monde  créé.  Mais  ce  qui 
n'est  qu'une  tendance  aveugle  ou  un  instinct  chez 
les  êtres  dépourvus  de  raison,  est  une  faculté  chez 
les  êtres  conscients.  Chez  ceux-ci,  l'intelligence 
perçoit  le  bien  ;  elle  y  tend  en  vertu  de  sa  propre 
nature,  quand  elle  ne  l'a  pas  ;  elle  le  cherche  jus- 
qu'à ce  qu'elle  le  trouve  et  s'y  repose  dès  qu'elle  le 
possède.  Or,  ce  sont  là  des  actes  de  volonté.  Tout 
être  doué  d'intelligence  est  par  là  même  un  être 
doué  de  volonté  ;  car  la  volonté  suit  toujours 
l'intelligence  et  est  toujours  en  proportion  avec 
elle.  C'est  précisément  le  cas  de  l'homme  raisonna- 
ble :  il  comprend  et  il  veut. 

Mais  l'homme  veut  nécessairement  le  bonheur 
parce  qu'il  est  fait  pour  lui  ;  c'est  une  nécessité  de 
nature.  Pourtant  il  est  libre  dans  le  choix  des  moyens 
pour  se  le  procurer,  pour  l'atteindre  et  en  jouir. 
Sa  liberté,  qui  est  une  prérogative  remarquable^ 
est  entourée  d'imperfections  :  elle  est  mêlée  de 
passivité,  mobile,  changeante,  faillible,  limitée  au 
dedans  et  au  dehors. 

i.  Cf.  Cardinal  Pecci,  La  prêdélerminalion  physique  et  la 
science  moyenne,  p.  5o  sq. 


500  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Dès  qu'il  agit,  l'homme  subit  une  réaction  ;  il  ne 
peut  pas  modifier  les  êtres  qui  l'entourent  sans  se 
modifier  lui-même;  sa  puissance  est  indéterminée; 
chaque  objet  voulu  la  détermine  et  la  modifie. 
Sous  l'influence  d'agents  extérieurs  ou  sous  la 
poussée  de  passions  mal  réglées,  il  se  laisse  décon- 
certer et  abuser.  Il  prend  le  mal  pour  le  bien  ou 
préfère  un  bien  accidentel,  que  lui  procure  le  mal, 
à  la  place  du  bien  véritable.  Sa  volonté  n'est  pas 
que  faillible  ;  elle  est  mobile,  changeante,  comme 
l'intelligence  qui  l'éclairé.  Elle  passe  capricieuse- 
ment d'un  motif  à  un  autre,  d'une  décision  à  une 
décision  contraire  ;  parfois  elle,  ne  sait  à  quoi  se 
résoudre,  elle  hésite,  incertaine  ;  parfois  aussi  elle 
se  décide  en  aveugle.  De  plus,  si  elle  ne  veut  pas 
tout  ce  qu'elle  peut,  elle  ne  peut  pas  toujours  tout  ce 
qu'elle  veut.  Et  trop  souvent  elle  fait  le  mal  qu'elle 
ne  veut  pas  et  ne  fait  pas  le  bien  qu'elle  veut.  Qui- 
conque a  tant  soit  peu  l'expérience  des  phénomènes 
psychologiques  ou  moraux,  qui  se  passent  dans  le 
domaine  de  sa  conscience,  sait  combien  infirme,  et 
par  tant  de  côtés,  et  de  tant  de  manières,  est  sa 
propre  volonté. 

Si  donc  la  volonté,  puissance  de  faire  le  bien, 
est  une  noble  faculté,  une  perfection  des  êtres  intel- 
ligents, nul  doute;  qu'elle  ne  se  trouve  en  Dieu, 
puisque  Dieu  est  un  être  intelligent.  Mais  comme 
Dieu  est  l'intelligence  parfaite,  il  doit  donc  être  et 
dans  la  même  mesure  la  volonté  parfaite  ;  et  de 
même  qu'en  Dieu  l'intelligence  est  son  être,  de 
même  la  volonté  est  son  essence  divine  ;  nous  ne 
l'en  pouvons  distinguer  que  par  un  procédé  d'ordre 
logique.  Par  conséquent  nous  ne  pourrons  trouver 
en  Dieu  aucune  des  imperfections  qui  se  trouvent 
dans  la  volonté  de  l'homme. 

Tandis  que  l'homme  est  mû,   dans  la  rechercha 


LA    VOLONTÉ    DE    DIEU  5oi 

nécessaire  du  bien,  qui  lui  est  extérieur,  par  une 
cause  étrangère,  Dieu,  qui  est  son  propre  bien  à 
lui-même,  ne  peut  être  mû  vers  ce  bien  que  par  lui- 
même  :  sa  volonté  part  de  lui  et  aboutit  à  lui  ;  sa 
volonté,  c'est  lui,  c'est  un  acte  immanent. 

La  volonté  divine,  est  à  la  fois  nécessaire  et  libre, 
mais  sous  des  rapports  différents  ;  nécessaire  vis-à-vis 
de  lui-même,  comme  nous  allons  le  voir  en  parlant 
de  son  objet  ;  mais  libre  vis-à-vis  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  lui,  par  rapport  à  ses  actes  extérieurs.  Dans 
ceux-ci,  en  effet,  il  n'y  a  ni  nécessité  de  nature,  ni 
coaction  :  Dieu  est  libre.  La  nécessité  de  nature 
résulte  de  la  constitution  intime,  de  l'essence  même 
de  l'être  ;  elle  est  absolue,  quand  elle  est  indépen- 
dante de  toute  conjoncture  et  s'impose  partout  et 
toujours.  Or,  dit  saint  Thomas,  il  est  nécessaire 
d'une  nécessité  absolue  que  Dieu  veuille  quelque 
chose,  mais  il  ne  l'est  pas  de  même  qu'il  veuille  tout 
ce  qu'il  veut.  Sa  volonté  a  des  rapports  nécessaires 
avec  sa  bonté,  qui  est  son  objet  propre  :  il  veut 
donc  nécessairement,  par  une  nécessité  dénature, 
sa  bonté.  Mais  il  aurait  pu  ne  pas  vouloir  les 
créatures.  Vis-à-vis  d'elles,  il  est  libre  ;  si  donc  il 
les  veut,  c'est  en  pleine  liberté  ;  et  s'il  les  veut  de 
toute  éternité,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  les  veuille 
nécessairement  ;  il  ne  les  veut  que  selon  son  bon 
plaisir,  d'une  manière  toute  relative.  «  Tous  les 
habitants  de  la  terre  ne  comptent  pour  rien  devant 
lai  ;  il  agit  comme  il  lai  plaît  avec  l'armée  des  deux 
et  avec  les  habitants  de  la  terre  (i).  »  «  Il  opère 
toutes  choses  d'après  le  conseil  de  sa  volonté  (2).  » 
Il  est  libre. 

Mais  sa   liberté  n'a  aucun    mélange  de  passivité 
comme  celle  de  l'homme.  L'homme,  incapable  de 

1.  Daniel,  iv,  32    —  a.  Ephes.,  1,  11. 


5o2  LE    CATECHISME    ROMAIN 

se  suffire  à  lui-même,  cherche  dans  les  biens  créés 
un  complément  à  son  indigence,  un  aliment  à  sa 
faim  et  à  sa  soif  de  bonheur.  Il  aime  les  choses 
parce  qu'elles  sont  bonnes  ou  lui  paraissent  bonnes. 
Dieu,  au  contraire  les  aime  pour  les  faire  bonnes, 
pour  leur  donner  avec  l'être  cette  bonté  qu'elles  ne 
sauraient  avoir  sans  lui  ;  il  répand  le  bien.  Si  donc 
les  choses  ont  l'être  et  quelque  bien,  c'est  parce  que 
Dieu  l'a  voulu  librement.  Mais  Dieu  n'aime  pas  de 
la  même  manière  que  nous  aimons.  Comme  notre 
volonté,  loin  de  donner  l'existence  aux  êtres,  en 
reçoit  plutôt  l'impulsion  qui  la  porte  à  l'acle,  l'amour 
par  lequel  nous  leur  voulons  du  bien  n'est  pas  la 
cause  de  leur  bonté  ;  c'est  leur  bonté  qui  fait  naître 
l'amour.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  Dieu  :  son  amour 
répand  et  crée  la  bonté  dans  les  choses  (i).  D'où 
l'indépendance  de  Dieu  vis-à-vis  des  créatures,  et  sa 
souveraine  liberté.  Il  donne  sans  recevoir  ;  il  pro- 
duit sans  avoir  besoin  de  s'enrichir  ;  il  modifie 
sans  être  modifié  lui-même  ;  il  reste  l'acte  pur, 
unique,  éternel  et  nécessaire. 

C'est  une  difficulté  de  concilier  en  Dieu  ces  deux 
attributs  :  la  liberté  et  la  nécessité.  Si  l'être  divin 
est  nécessaire,  comment  le  vouloir  divin  est-il  libre  ? 
Sans  doute  le  vouloir  divin  est  nécessaire,  mais  il 
est  nécessaire,  dit  M.  Farges,  qu'il  soit  avec  toutes 
ses  perfections,  dont  la  plus  importante  est  son 
Indépendance  absolue  des  créatnres  et  sa  parfaite 
liberté  à  leur  égard.  Il  est  donc  nécessaire  que  le 
vouloir  divin  soit  libre  de  ce  chef.  La  conception 
d'un  être  parfait,  nécessité  ad  inira  et  libre  ad  extra, 
n'a  donc  rien  de  contradictoire,  puisque  la  nécessité 
et  la  liberté  n'existent  qu'à  deux  points  de  vue  diffé- 
rents, et  qu'elles  découlent  l'une  et  l'autre  également 

i.  Sam.  theol.,  I,  Q.  xx,  a.  a 


LA    VOLONTÉ   DE   DIEU  5o3 

<le  Tin  finie  perfection  de  Dieu,  qui  ne  peut  souffrir, 
ni  l'indifférence  de  la  liberté  envers  le  bien  infini, 
ni  sa  nécessité  et  sa  dépendance  envers  les  biens 
finis  (i).  C'est  là,  du  reste,  ce  qui  a  lieu  dans 
l'homme,  qui  est  à  la  fois  nécessité  pour  le  bonheur 
et  libre  pour  les  moyens  non  indispensables  qui  y 
conduisent. 

La  volonté  de  Dieu  ne  change  pas  :  elle  est  immua- 
ble, comme  sa  science,  comme  son  être.  Infiniment 
parfait,  infiniment  sage,  Dieu  sait  ce  qu'il  veut,  et 
il  le  veut  sans  revenir  sur  ses  décisions,  sans  les 
modifier,  comme  l'homme,  au  gré  du  caprice  ou 
des  circonstances  imprévues.  Ayant  tout  vu,  tout 
prévu,  à  raison  de  sa  science  infinie  et  infaillible,  il 
a  voulu  en  conséquence  par  une  délibération  com- 
plètement libre  ;  et  cette  délibération  libre  de  sa 
volonté  demeure  perpétuellement  inébranlable. 

Elle  est  de  plus  efficace  :  elle  s'accomplit  toujours 
parce  qu'elle  est  la  cause  universelle  de  tout  ce  qui 
est.  Dans  le  domaine  créé,  tel  ou  tel  événement  peut 
nous  sembler  s'écarter  de  ses  lois  par  un  côté  ;  mais 
très  certainement  il  reste  sous  son  empire  par  un 
autre.  C'est  ainsi  que  le  pécheur  croit  se  soustraire  à 
l'action  divine  en  refusant  sa  miséricorde,  mais  il 
tombe  alors  sous  les  coups  de  sa  justice.  Il  semble 
pourtant,  d'après  l'Ecriture,  que  cette  efficacité  de 
la  volonté  divine  soit  limitée.  N'est-il  pas  écrit,  en 
effet,  que  la  volonté  de  Dieu  c'est  notre  sanctifica- 
tion (2),  et  que  Dieu  veut  le  salut  de  tous  (3)?  Et 
combien  hélas  !  qui  ne  se  sanctifient  pas  et  qui  ne 
se  sauvent  pas  !  Mais  c'est  qu'il  faut  distinguer  ici, 
<îar  cela  s'impose  à  notre  esprit,  entre  la  volonté 
absolue,    qui  infailliblement  atteint  et  réalise  son 


1.  Farges,  loc.  cit.,  p.  387.  —  a.  I  Thes.f  iv,  3.  —  3.  I  Tint., 
11.  4- 


5o4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


but,  et  la  volonté  hypothétique,  qui  permet  aux 
causes  secondes  intelligentes  et  libres  d'aller  à  ren- 
contre de  ses  commandements.  C'est  une  difficulté 
sur  laquelle  nous  aurons  à  revenir. 

Elle  est  enfin  impeccable,  incapable  par  conséquent 
de  pouvoir  faire  le  mal.  C'est  le  triste  privilège  de 
l'homme  de  pouvoir  faire  le  mal  et  de  ne  pas  faire 
le  bien.  Mais  la  liberté  ne  consiste  nullement  dans 
le  choix  entre  deux  contraires,  le  bien  ou  le  mal  ;  il 
lui  suffit  de  pouvoir  choisir  entre  deux  contradic- 
toires, comme  agir  ou  ne  pas  agir.  Et  comme  le  dit 
saint  Thomas,  la  vraie  liberté  consiste  à  choisir 
parmi  les  divers  moyens  qui  respectent  l'harmonie 
des  fins  et  non  parmi  ceux  qui  la  détruisent,  ce  qui 
serait  un  défaut  de  liberté  (i).  Or,  Dieu  qui  est  par 
essence  le  bien  souverain  et  la  perfection  absolue 
ne  saurait  vouloir  ou  faire  le  mal.  ÎNous  verrons 
comment  le  mal  existe  pourtant  dans  le  monde  créé. 

2.  Son  objet.  —  En  parlant  des  principaux 
caractères  de  la  volonté  divine,  nous  avons  dû 
indiquer  quelques-uns  de  ses  objets.  Ajoutons  quel- 
ques mots. 

i°  Dieu  se  veut  d'abord  lui-même,  et  par  consé- 
quent s'aime  lui-même,  absolument,  par  nécessité 
de  nature.  L'objet  premier,  seul  nécessaire  et  adéquat 
de  sa  volonté,  ne  peut  être  que  lui.  C'est  en  lui,  et 
non  hors  de  lui,  qu'il  trouve  sa  béatitude,  et  sa 
béatitude  consiste  à  se  connaître  et  à  s'aimer  tel 
qu'il  est,  infiniment. 

2°  Mais  D'eu  veut  autre  chose  que  lui.  Ecoutons 
saint  Thomas  :  les  choses  naturelles  ont  une  double 
inclination  relativement  à  leur  propre  bien  ;  d'abord 
elles  le  cherchent  quand  elles  ne   l'ont  pas  et    s§ 

i.  Sum.  theol,  I,  Q.  lxii,  a.  8,  ad  3. 


LA    VOLONTÉ    DE    DIEU  5o5 

reposent  en  lui  quand  elles  l'ont  ;  puis  elles 
s'efforcent  de  le  répandre,  selon  les  lois  du  possible, 
dans  les  autres  êtres  ;  c'est  pourquoi  l'agent,  qui  est 
en  acte  et  parfait,  produit  son  semblable.  C'est  le 
propre  de  la  bonté,  dans  l'homme,  de  se  commu- 
niquer ;  cela  convient  surtout  à  la  bonté  de  Dieu. 
Dieu  aime  à  répandre  sa  bonté.  Et  c'est  ainsi  qu'il 
se  veut  lui-même  et  qu'il  veut  les  autres  choses  :  il 
se  veut  comme  fin,  et  il  veut  les  autres  choses  par 
rapport  à  sa  fin  (i).  «  De  même  que  Dieu,  dit-il 
ailleurs,  en  connaissant  son  essence,  connaît  tous 
les  êtres  qu'il  crée,  en  tant  qu'ils  sont  une  certaine 
image  de  sa  vérité  ;  de  même,  en  voulant  ou  aimant 
Bon  essence,  il  aime  tous  les  êtres  qu'il  crée,  en  tant 
qu'ils  ont  une  ressemblance  de  sa  bonté.  D'où  il  faut 
conclure  que  ce  qui  est  d'abord  voulu  par  lui,  c'est 
sa  bonté  ;  mais  il  veut  le  reste  par  rapport  à  sa 
bonté  (2).  » 

3°  Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  si  Dieu 
veut  par  nécessité  son  propre  bien  et  sa  béatitude,  il 
veut  librement  le  bien  et  le  bonheur  de  ses  créatures. 
Il  aime  les  créatures,  qui  sont  l'œuvre  de  son  amour  ; 
il  les  aime  toutes,  parce  que  toutes  sont  une  mani- 
festation de  sa  bonté.  Mais  l'amour  qu'il  leur  porte 
se  reporte  finalement  sur  lui-même  ;  c'est  sa  gloire 
qu'il  aime  en  elles.  «  Jéhovah  a  tout  fait  pour  son 
but  (3).  ))  Tel  n'est  pas,  on  le  sait,  le  Dieu  des  déistes. 
Celui-ci  n'aime  que  lui  ;  il  est  sans  sympathie,  sans 
bienveillance,  sans  amour  pour  les  autres  ;  il  ne 
voit  pas  la  souffrance,  il  n'entend  pas  la  prière,  il 
ne  soulage  pas  l'indigence,  il  ne  sèche  pas  les  lar- 
mes, il  ne  panse  pas  les  plaies  et  ne  guérit  pas  1rs 
maux.  Dieu  sans  cœur,   sans  entrailles,  sans  pitié, 

1.  Sam.  theol.,  I,  Q.  xix,  a.  a.  —  a.  Dist.,  xlv,  Q.  i,  a.  2.  — 
3.  Prov.,  xvi,  4- 


5o5  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

sans  miséricorde,  relégué  dans  un  égoïsme  inacces- 
sible, complètement  indifférent  ou  désintéressé  à 
l'égard  du  monde  qu'il  s'est  contenté  de  créer  et 
d'abandonner  à  ses  lois.  Le  vrai  Dieu,  le  Dieu  des 
chrétiens,  est  au  contraire  la  bonté,  l'amour,  dans 
ce  qu'ils  ont  de  plus  exquis  et  de  plus  efficace 
vis-à-vis  des  créatures.  «  Il  sème  Vaumône,  il  donne 
aux  pauvres  (i),  est-il  écrit  ;  «  Tu  ouvres  ta  main, 
chante  le  prophète,  et  tu  rassasies  de  tes  biens  tout 
ce  qui  respire  (2).  » 

4°  Dieu  ne  voulant  que  le  bien,  comment  s'expli- 
que la  présence  du  mai  dans  son  œuvre  ?  Dieu  ne 
saurait  vouloir  le  mal,  ni  le  faire,  puisqu'il  est  par- 
fait, saint  et  bon  ;  mais  il  le  tolère,  le  pardonne  ou 
le  punit,  et  le  tourne  vers  un  bien.  Ainsi,  dans  le 
monde  des  êtres  purement  sensibles,  certains  faits 
qui  nous  paraissent  mauvais,  contribuent,  d'après 
la  volonté  de  Dieu,  à  l'ordre  général  et  au  but  qu'il 
s'est  proposé  ;  dans  le  monde  des  êtres  intelligents 
et  libres,  il  défend  et  condamne  le  péché  ;  il  le 
tolère  cependant  parce  qu'il  provient  de  la  volonté 
libre  qu'il  a  créée  ;  il  le  pardonne  dès  qu'on  s'en 
repent  ;  il  le  châtie  dans  ceux  qui  s'y  obstinent  et  y 
meurent.  C'est  là  un  des  grands  mystères  qui  scan- 
dalisent la  sagesse  toujours  courte  de  l'homme,  et 
que  nous  retrouverons  en  parlant  de  la  Providence. 

3.  Ses  divers  noms.  —  Ici  encore,  comme  pour 
l'intelligence,  afin  de  pouvoir  parler  d'une  manière 
aussi  exacte  que  possible,  les  théologiens  recourent 
à  divers  noms  pour  qualifier  la  volonté  divine. 

Saint  Thomas  distingue  la  volonté  de  bon  plaisir  et 
la  volonté  de  signe.  La  volonté  de  bon  plaisir  est  la 
volonté  de  Dieu  proprement  dite  ;  c'est  celle  qui 

1.  Psal.,  cxi,  8.  —  a.  Psal.,  cxliv,  16. 


LA    VOLONTÉ   DE    DIEU  boj 

est  l'expression  de  son  être,  qu'il,  possède  en  vertu 
de  sa  nature  et  par  laquelle  il  fait  toute  chose.  Son 
nom  a  été  emprunté  à  saint  Paul,  dans  ce  passage  : 
«  Transformez-vous  par  un  esprit  nouveau  afin  que 
vous  reconnaissiez  ce  qui  est  sa  volonté  de  bon  plai- 
sir, bonne  et  parfaile(i)  ».  La  volonté  de  signe  ne 
porte  le  nom  de  volonté  que  dans  un  sens  figuré, 
métaphorique  ;  elle  sert  à  manifester  extérieure- 
ment, aux  yeux  des  créatures,  par  divers  signes,  ce 
que  les  créatures,  en  constatant  leur  expérience, 
croient  pouvoir  appliquer  à  la  volonté  de  Dieu  par 
voie  d'analogie.  L'homme,  en  effet,  manifeste  qu'il 
veut  une  chose  par  lui-même  ou  par  un  autre.  Il  le 
manifeste  par  lui-même  lorsqu'il  agit  directement 
ou  indirectement  :  directement,  en  produisant  l'acte 
lui-même,  et  c'est  le  signe  d'opération  ;  indirecte- 
ment, en  n'empêchant  pas  l'acte,  et  c'est  le  signe 
de  permission.  Il  le  manifeste  par  un  autre,  quand 
il  le  porte  à  une  action,  soit  en  ordonnant  une  chose 
par  un  précepte  obligatoire,  et  c'est  le  signe  de 
commandement,  soit  en  prohibant  le  contraire,  et 
c'est  le  signe  de  défense,  soit  enfin  en  gagnant  l'as- 
sentiment par  la  persuasion,  c'est  le  signe  de  con- 
seil. Or,  comme  ces  signes  révèlent  et  manifestent 
la  volonté  de  l'homme,  on  les  appelle  tout  simple- 
ment, quand  on  les  attribue  à  Dieu,  la  volonté  de 
signe.  Tel  est,  en  effet,  le  nom  que  le  commande- 
ment, la  défense  et  le  conseil  portent  dans  ces  mots 
du  Pater  :  «  Que  voire  volonté  soit  faite  sur  la  terre 
comme  dans  le  ciel  (2)  »  Telle  est  aussi  la  dénomi- 
nation qui  représente  l'opération  et  la  permission 
dans  ce  passage  de  saint  Augustin  :  «  Le  Tout-Puis- 
sant fait  toutes  choses  par  sa  volonté,  soit  qu'il  per- 
mette de  les  faire,  soit  qu'il  les  fasse  lui-même  (3).» 

1.  Rom.,  xii,  a.  —  2.  Matth.,  \i,  10.  —  3.  Enchir.,  xcv. 


5o8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

La  permission  et  l'opération  regardent  le  présent  ; 
le  commandement,  la  défense  et  le  conseil  se  rap- 
portent à  l'avenir  ;  la  défense  et  la  permission  con- 
cernent le  mal  ;  l'opération,  le  bien  en  général  ;  le 
commandement,  le  bien  obligatoire  ;  le  conseil,  le 
bien  surabondant. 

La  volonté  de  bon  plaisir  ne  va  pas  toujours  avec 
la  volonté  de  signe,  par  exemple,  quand  Dieu,  par 
sa  permission,  laisse  à  l'homme  le  pouvoir  de  faire 
le  mal  ;  elle  ne  s'en  sépare  pas,  au  contraire,  dans 
l'opération.  Sur  ces  deux  points  pas  de  difficulté.  Il 
n'en  est  pas  de  même  du  commandement,  de  la  dé- 
fense et  du  conseil.  Ces  trois  signes  peuvent,  il  est 
vrai,  impliquer  une  volonté  réelle  de  la  part  de 
Dieu.  Est-ce  toujours  ?  N'est-ce  que  dans  quelques 
cas  ?  Et  quand  ?  C'est  une  question  débattue  entre 
théologiens. 

L'Ecriture  est  pleine  d'exemples  de  ces  signes  de 
la  volonté  divine.  Dieu  commande  à  Abraham  d'im- 
moler son  fils  Isaac,  non  qu'il  veuille  dans  sa  réa- 
lité cette  immolation  sanglante,  puisqu'il  l'empêche 
de  se  consommer,  mais  uniquement  pour  éprouver 
l'obéissance  de  son  serviteur.  Lorsque  le  démon 
propose  d'aller  tromper  le  roi  Achab  par  la  bouche 
des  faux  prophètes,  Dieu  lui  dit  :  «  Va  et  fais  (i).  » 
C'est  une  simple  permission.  Il  en  est  de  même, 
lorsque  Notre  Seigneur  dit  à  Judas  :  «  Ce  que  ta 
fais ,  fais-le  vite  (2)  .»  Ailleurs,  le  divin  Maître  dit  à 
un  jeune  homme  :  «  Si  vous  voulez  être  parfait,  allez, 
vendez  ce  que  vous  avez  et  donnez-le  aux  pauvres  (3).» 
Ce  n'était  pas  un  ordre,  mais  un  conseil. 

La  volonté  de  bon  plaisir  est  dite  antécédente, 
lorsqu'elle  veut  une  chose  en  elle-même,  considérée 
dans  sa  nature,  abstraction  faite  des   circonstances 

1.  III  Reg.  xxii,  aa.  —  a.  Joan.,  xm,  37.  —  3.  Matth.,  xix,  ai. 


LA    VOLONTÉ    DE    DŒU  5oQ 

qui  l'entourent  ;  ainsi  Dieu  veut  la  sanctification,  le 
salut  de  tous.  Elle  est  dite  conséquente ,  lorsqu'elle 
lient  compte  de  toutes  les  circonstances  et  de  tous 
les  accidents  qui  se  rattachent  à  une  chose  ;  ainsi 
Dieu  veut  la  punition  du  coupable,  la  damnation 
du  pécheur  impénitent.  Les  partisans  de  la  science 
moyenne  entendent  différemment  ces  deux  sortes 
de  volonté.  Selon  eux,  Dieu  voit  les  futurs  contin- 
gents, non  pas  dans  son  essence  infinie,  mais  dans 
ces  contingents  mêmes.  Pour  eux,  la  volonté  divine 
relative  à  la  liberté  humaine,  est  antécédente  quand 
elle  précède  la  prévision  du  consentement  de 
l'homme  à  la  grâce  ;  elle  est  conséquente  quand  elle 
la  suit. 

On  distingue  encore  la  volonté  absolue  et  la  volonté 
conditionnelle.  La  première  ne  dépend  d'aucune  con- 
dition ;  telle  est  la  volonté,  en  Dieu,  de  créer  le 
monde  ;  la  seconde,  au  contraire,  dépend  d'une 
condition  ;  telle  est  la  volonté  de  sauver  tous  les 
hommes,  c'est-à-dire  pourvu  qu'ils  le  veuillent.  On 
trouve  dans  l'Ecriture  des  exemples  nombreux  de 
cette  volonté  conditionnelle.  «  Dieu  avait  résolu  de 
les  perdre  (les  Israélites),  si  Moïse,  qu'il  avait  choisi, 
ne  s'y  fut  opposé  en  se  présentant  devant  lui  (i)  ». 
Le  Seigneur,  dit  à  Salomon  :  «  Si  lu  marches  en  ma 
présence,  comme  ton  père,  dans  la  droiture  et  la  sim- 
plicité du  cœur,  /établirai  ton  trône  et  ton  règne  sur 
Israël  pour  toujours  (2)  ». 

La  volonté  divine  est  efficace  ou  inefficace  selon 
qu'elle  produit  infailliblement  son  effet  ou  qu'elle  la 
laisse  paralyser  par  l'intervention  de  la  liberté 
humaine.  Ainsi  Dieu  dit  :  «  Mon  dessein  subsistera 
et  je  ferai  toute  ma  volonté  (3)  »  ;  mais  il  a  dit  aussj 
«  Jérusalem,  Jérusalem,  combien  de  fois  rtai-je  pai 

1.  Psal.,  cv,  23.  —  2.  III  Reg.,  ix,  4.  —  3.  Is.,  xlvi,  10. 


5 10  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

voulu  rassembler  tes  fils,   comme  la   poule  rassemble 
ses  petits  sous  ses  ailes,  et  tu  ne  las  pas  voulu  (i)  /  » 

III.    Difficultés 

La  question  de  la  science  et  de  la  volonté  divine 
n'est  pas  sans  soulever  de  graves  difficultés.  Gom- 
ment accorder,  en  effet,  la  prescience  divine  avec  la 
liberté  humaine  ?  Gomment  accorder  également 
cette  même  liberté  humaine  avec  la  volonté  divine, 
qui  est  d'une  efficacité  souveraine?  C'est  un  problème 
qui,  sous  deux  aspects  différents,  a  toujours  préoc- 
cupé le  sage,  et  qui  se  complique  du  problème  plus 
délicat  encore  de  la  prédestination  et  de  la  réproba- 
tion. Nous  ne  pouvons  que  le  signaler  ici  aussi  suc- 
cinctement que  possible  (2). 

1.  La  Prescience  de  Dieu  et  la  liberté  hu- 
maine. —  Partout,  dans  les  relations  de  l'infini  avec 
le  fini,  de  Dieu  avec  la  créature,  notre  esprit  se  heurte 
en  dernière  analyse  à  un  mystère  impénétrable.  Nous 
ne  voyons  pas  comment  se  concilient  entre  elles 
des  vérités  certaines  ;  leur  lien  intime  nous 
échappe.  Qu'il  existe,  qu'il  doive  exister,  c'est  ce 
dont  nous  ne  saurions  raisonnablement  douter.  Si 
nous  ne  l'apercevons  pas,  la  faute  en  est  à  notre 
intelligence,  qui  n'est  pas  assez  pénétrante  ;  notre 
raison  peut  s'essayer  du  moins  à  faire  un  peu  de 
lumière  sans  se  flatter  de  dissiper  totalement 
l'obscurité.  Assurée  qu'aucune  vérité  ne  saurait 
aller  contre  une  autre  vérité,  le  parti  le  plus  sage 

1.  Matth.,  xxiii,  37.  —  2.  Cf.  De  Régnon,  Bannes  et  Molina, 
Paris,  i883.  Dummermuth,  S.  Thomas  et  doctrina  prœmotionis 
physicœ,  Paris,  1886  ;  Gayraud,  Thomisme  et  Molinisme,  Paris, 
1889  ;  Providence  et  libre  arbitre,  Paris,  1892. 


PRESCIENCE    DE    DIEU    ET    LIBERTÉ    HUMAINE        5ll 

qu'elle  ait  à  prendre,  c'est  d'accepter  l'une  et  l'au- 
tre, tout  en  avouant  son  impuissance  à  voir  leur 
mode  de  conciliation. 

Ainsi  en  est-il,  en  particulier,  pour  la  liberté 
humaine  d'une  part  et  pour  la  prescience  et  la 
volonté  divines  d'autre  part.  Si  Dieu  prévoit  les 
futurs  libres  et  si  sa  volonté  est  infailliblement 
efficace,  vérités  dont  nous  ne  saurions  douter, 
comment  l'homme  est-il  libre  ? 

Les  fatalistes,  estimant  la  conciliation  impossible, 
sacrifient  résolument  la  liberté  humaine  et  intro- 
duisent ainsi  dans  le  monde  le  règne  d'une  aveugle 
nécessité,  qui  fait  de  l'homme  un  jouet  inconscient 
et  irresponsable.  Ils  ont  tort.  Ils  estiment  ainsi, 
par  une  hypothèse  gratuite  et  injustifiée,  que 
l'homme  ne  peut  pas  agir  autrement  que  Dieu  ne 
l'a  prévu,  qu'il  agit  nécessairement  comme  Dieu 
l'a  prévu  et  parce  qu'il  l'a  prévu.  Ils  font  donc 
dépendre  l'acte  humain  de  la  science  divine  et 
confondent  ainsi  ce  qui  se  fera  certainement  avec  ce 
qui  se  fera  nécessairement.  Rien  n'est  pourtant  plus 
distinct.  Car  le  caractère  d'un  acte  est  intrinsèque 
à  cet  acte  lui-même  ;  la  certitude,  au  contraire,  est 
dans  celui  qui  voit  cet  acte  tel  qu'il  est  ou  qui  le 
prévoit  tel  qu'il  sera.  En  quoi  donc  cette  certitude 
est-elle  incompatible  avec  la  nature  de  l'acte  ? 
L'acte  demeure  ce  qu'il  est  en  lui-même,  ou  libre 
si  sa  nature  est  d'être  libre,  ou  nécessaire  si  sa 
nature  est  d'être  nécessaire.  Il  suffit  donc,  semble- 
t-il,  de  bien  déterminer  la  nature  de  l'acte  pour 
reconnaître  avec  certitude  que  le  fait  de  sa  prévi- 
sion ne  détruit  point  son  essence.  Il  suffît  égale- 
ment de  bien  déterminer  la  nature  de  la  science 
divine,  relative  aux  futurs  libres,  pour  reconnaître 
avec  certitude  que  les  termes  de  prévision  ou  de 
prescience  ne  s'appliquent  que  très  improprement 


5l2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

à  l'acte  de  la  science  divine.  Dieu,  comme  nous 
l'avons  dit  avec  saint  Thomas,  ne  prévoit  pas,  il 
voit  ;  point  de  passé  ni  d'avenir  en  lui,  mais  un 
présent  immuable  ;  point  de  prévision,  dès  lors, 
ni  de  prescience,  mais  un  acte  de  simple  vision, 
une  pure  constatation  (i). 

Est-ce  dire  que  le  mystère  soit  élucidé  ?  Nul- 
lement. Mais  ce  qu'il  faut  dire  c'est  que  la 
prétendue  incompatibilité  n'existe  pas,  ou  qu'en 
tout  cas  elle  n'autorise  pas  à  sacrifier  une  vérité 
certaine,  celle  de  l'existence  de  notre  liberté, 
sous  prétexte  que  nous  ne  saisissons  pas  le  rapport 
intime  qui  l'unit  avec  celte  autre  vérité,  que  nous 
désignons,  selon  notre  mode  de  connaissance  qui 
est  conditionné  par  le  temps,  sous  le  nom  de  pré- 
vision ou  de  prescience  divine.  Elle  y  autorise 
d'autant  moins  que,  pour  échapper  à  une  difficulté 
réelle,  le  fatalisme  se  heurte  à  une  absurdité,  celle 
d'admettre  que  la  vérité  détruit  la  vérité,  et  à  de 
désastreuses  conséquences,  absolument  inaccepta- 
bles pour  l'expérience  et  la  raison,  qui  témoignent 
hautement  en  faveur  de  l'existence  de  notre  liberté. 

La  nécessité  s'impose  à  nous,  en  effet,  d'accepter 
sagement  les  limites  de  notre  raison  pour  ne  pas 
sombrer  dans  le  scepticisme.  Yoici  comment  s'en 
explique  Bossuet  :  «  Quiconque  connaît  Dieu  ne 
peut  douter  que  sa  prescience  ne  s'étende  à  tout  ; 
et  quiconque  fera  un  peu  de  réflexion  sur  lui-même 
connaîtra  sa  liberté  avec  une  telle  évidence  que 
rien  ne  pourra  obscurcir  l'idée  et  le  sentiment  qu'il 

i.  Cf.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xiv.  a.  i3;  Cont.  Gent.,  I  66,  67  ; 
De  VeriL,  Q.  11.  a  12.  Entre  nos  actes  futurs  et  la  science  de 
Dieu,  il  n'y  a  aucune  priorité  de  temps  ou  de  durée,  mais 
simultanéité  parfaite  ;  la  science  de  Dieu  est  une  vision  du 
présent:  les  actes  qui,  pour  nous,  sont  futurs,  sont  toujours 
actuellement  présents  à  l'éternité  divine. 


PRESCIENCE    DE    DIEU    ET    LIBERTÉ    HUMAINE        5l3 

en  a  :  et  on  verra  clairement  que  deux  choses  qui 
sont  établies  sur  des  raisons  si  nécessaires  ne  peu- 
vent se  détruire  l'une  l'autre.  Car  la  vérité  ne 
détruit  point  la  vérité  ;  et  quoiqu'il  se  pût  bien  faire 
que  nous  ne  sussions  pas  trouver  les  moyens  d'ac- 
corder ces  choses,  ce  que  nous  ne  connaîtrions  pas, 
dans  une  matière  si  haute,  ne  devrait  point  affaiblir 
en  nous  ce  que  nous  connaissons  si  certainement. 

«  En  effet,  si  nous  avions  à  détruire  la  liberté  par 
la  Providence  ou  la  Providence  par  la  liberté,  nous 
ne  saurions  par  où  commencer,  tant  ces  deux  choses 
sont  nécessaires,  et  tant  sont  évidentes  et  indubi- 
tables les  idées  que  nous  en  avons.  Car  il  semble 
que  la  raison  nous  fasse  paraître  plus  nécessaire  ce 
que  nous  avons  attribué  à  Dieu,  nous  avons  plus 
d'expérience  de  ce  que  nous  avons  attribué  à 
l'homme  ;  de  sorte  que,  toutes  choses  bien  con- 
sidérées, ces  deux  vérités  doivent  passer  pour 
également  incontestables. 

u  Donc,  au  lieu  de  les  détruire  l'une  par  l'autre, 
nous  devons  si  bien  conduire  nos  pensées  que  rien 
n'obscurcisse  l'idée  très  distincte  que  nous  avons 
de  chacune  d'elles.  Et  il  ne  faudrait  pas  s'étonner 
que  nous  ne  sussions  peut-être  pas  si  bien  les 
concilier  ensemble.  Car  cela  viendrait  de  ce  que 
nous  ne  saurions  pas  le  moyen  par  lequel  Dieu 
conduit  notre  liberté,  chose  qui  le  regarde  et  non 
pas  nous,  et  dont  il  a  pu  se  réserver  le  secret  sans 
nous  faire  tort... 

«  Quand  donc  nous  nous  mettons  à  raisonner, 
nous  devons  d'abord  poser  comme  indubitable  que 
nous  pouvons  connaître  très  certainement  beau- 
coup de  choses,  dont  toutefois  nous  n'entendons 
pas  toutes  les  dépendances  ni  toutes  les  suites. 
C'est  pourquoi  la  première  règle  de  notre  logique, 
c'est  qu'il   ne  faut  jamais   abandonner   les  vérités 

LE   CATECHISME.   —  T.   I.  tl 


5 14  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

une  fois  connues,  quelque  difficulté  qui  survienne 
quand  on  veut  les  concilier  ;  mais  qu'il  faut  au 
contraire,  pour  ainsi  parler,  tenir  fortement 
comme  les  deux  bouts  de  la  chaîne,  quoi  qu'on  ne 
voie  pas  toujours  le  milieu  par  où  Fenchaînement 
se  continue  (i).  » 

Cette  sage  observation  de  Bossuet  trouvera  son 
application  dans  toutes  les  difficultés  du  même 
genre,  et  notamment  dans  celle  qui  naît  des  relations 
de  la  liberté  humaine  avec  la  volonté  souveraine- 
ment efficace  de  Dieu. 

2.  La  volonté  souveraine  de  Dieu  et  la  liberté 
le  l'homme. —  La  volonté  de  Dieu  est  souveraine- 
nent  efficace  ;  non  seulement  elle  accomplit  tout 
;e  qu'elle  veut,  mais  elle  fait  encore  que  tout  s'ac- 
complit comme  elle  le  veut.  Tout  ce  que  Dieu  veut 
;e  réalise  et  tout  se  réalise  comme  il  le  veut.  En 
conséquence  de  cette  efficacité  souveraine  de  la 
volonté  et  du  concours  de  Dieu,  la  liberté  humaine 
paraît  fort  compromise.  En  réalité,  il  n'en  est  rien. 
Vlais  la  difficulté  subsiste,  beaucoup  plus  grave 
encore  que  dans  le  cas  précédent. 

Incontestablement,  Dieu  meut  la  volonté  de 
l'homme,  parce  qu'il  est  le  bien  suprême  auquel 
cille  aspire,  et  parce  qu'il  est  la  cause  de  sa  puissance 
le  vouloir.  Ecoutons  saint  Thomas  :  «  De  même 
que  l'entendement,  dit-il,  est  mû  par  l'objet  qu'il 
comprend  et  par  lêtre  qui  lui  a  donné  la  faculté  de 
comprendre,  de  même  la  volonté  est  mue  par  son 
objet  qui  est  le  bien,  et  par  l'être  qui  lui  a  donné  la 
faculté  de  vouloir.  Tout  bien,  quel  qu'il  soit,  peut 
mouvoir  la  volonté  ;  mais  il  n'y  a  que  Dieu  qui  la 
meuve  d'une  manière  suffisante  et  efficace.  En  effet, 

i.  Bossuet,  Traité  du  libre  arbitre,  c.  iv. 


VOLONTÉ    DE    DIEU    ET    LIBERTE    HUMAINE  5l5 

un  moteur  ne  peut  mouvoir  un  mobile  que  quand 
sa  puissance  active  surpasse  ou  du  moins  égaie  la 
puissance  passive  de  l'objet  qu'il  meut.  La  puissance 
passive  de  la  volonté  s'étend  au  bien  général,  car 
son  objet  est  le  bien  universel,  de  même  que  l'objet- 
de  l'intelligence  est  l'être  universel.  Tout  bien  créé 
est  un  bien  particulier  ;  Dieu  seul  est  le  bien  uni- 
versel  ;  donc  Dieu  est  le  seul  objet  qui  remplisse  la- 
volonté  et  qui  lui  donne  une  impulsion  suffisante. 
Pareillement,  il  n'y  a  que  Dieu  qui  puisse  produire 
la  faculté  de  vouloir.  Car  que  signifie  ce  mot  de 
vouloir,  sinon  l'inclination  de  la  volonté  au  bien 
universel  ?  Or,  il  appartient  au  premier  moteur  de 
porter  la  volonté  vers  le  bien  universel,  de  même 
que,  dans  les  choses  humaines,  il  appartient  au*, 
chef  de  la  nation  de  diriger  tout  en  vue  du  bien  de 
la  communauté  (i).  » 

«  Dieu,  dit-il  ailleurs,  gouverne  les  êtres  avec  un 
art  toujours  égal,  par  des  moyens  divers,  selon  la 
diversité  de  leur  nature  (2).  »  C'est  dire  que  Dieu 
dirige  différemment  les  êtres  intelligents  et  libres, 
qui  sont  maîtres  de  leurs  actes,  et  les  êtres  dénués 
de  raison.  Mais  que  devient  alors  la  liberté  ?  N'est- 
elle  pas  une  illusion  ?  Non  certes.  Dieu  a  fait  des 
créatures  libres,  et  ces  créatures  conservent  leur 
liberté,  même  en  présence  de  la  volonté  et  de  l'action 
souveraine  de  Dieu,  ou  plutôt  en  vertu  même  de  la 
volonté  et  du  décret  de  Dieu.  Et  voici  comment, 
selon  saint  Thomas  :  «  La  volonté  divine  étant  sou- 
verainement efficace,  il  suit  de  là  que  non  seulement 
ce  que  Dieu  veut  arrive,  mais  encore  que  toutes 
choses  se  font  de  la  manière  dont  il  A^eut  qu'elles 
soient  faites.    Or  il  veut   l'existence  nécessaire  de 


1.  Sam.  theol.,  I,  Q.  cv,  a.  4-  —  2.  Sam.   theol.,  l,   Q.  cm,, 
a.  5. 


5l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

telles  choses  et  l'existence  contingente  de  telles 
autres,  en  vue  de  l'ordre  général,  et  afin  que  l'univers 
présente  un  ensemble  complet.  Dans  ce  but,  il  a 
rattaché  certains  effets  à  des  causes  nécessaires  qui 
ne  peuvent  pas  faillir,  et  par  lesquelles  ces  effets 
sont  nécessairement  produits  ;  il  en  a  rattaché 
d'autres  à  des  causes  contingentes,  faillibles  et  qui 
peuvent  ne  pas  les  produire.  Conséquemment,  les 
effets  voulus  de  Dieu  ne  tirent  pas  leur  contingence 
de  la  contingence  des  causes  prochaines  qui  les 
déterminent  ;  mais  comme  Dieu  les  voulait  contin- 
gents, il  a  préparé  dans  ce  dessein  des  causes  de 
même  nature...  Rien  ne  résiste  à  la  volonté  de  Dieu  ; 
d'où  il  résulte  que  non  seulement  il  fait  ce  qu'il 
veut,  mais  encore  que,  selon  qu'il  le  veut,  les 
choses  sont  contingentes  ou  nécessaires  (i).  » 

«  Il  appartient  à  la  Providence,  non  pas  de 
corrompre  la  nature  des  êtres,  mais  de  la  conserver. 
Ainsi  elle  meut  tous  les  êtres  conformément  à  leur 
nature,  de  telle  sorte  que  l'opération  divine  fait 
produire  aux  causes  nécessaires  des  effets  nécessai- 
res et  aux  causes  contingentes  des  effets  contingents. 
Or,  la  volonté  étant  un  principe  d'action  qui  n'est 
pas  déterminé  à  un  acte  unique,  mais  qui  peut  en 
accomplir  plusieurs  indifféremment,  Dieu  la  meut 
de  manière  à  ne  pas  la  déterminer  nécessairement 
pour  un  seul  objet,  mais  à  maintenir  la  contingence 
et  la  liberté  de  son  mouvement,  si  ce  n'est  à  l'égard 
des  choses  vers  lesquelles  elle  est  naturellement 
portée...  Il  répugnerait  à  l'opération  divine  que 
l'impulsion  qu'elle  donne  à  la  volonté  fût  nécessaire, 
contrairement  à  l'essence  de  la  faculté  de  vouloir; 
il  ne  répugne  pas  qu'elle  fasse  mouvoir  librement 

i.  Sam.  iheol.,  l,  Q.  xix,  a.  S,  et  ad  a. 


VOLONTÉ    DE    DIEU    ET    LIBERTÉ    HUMAINE  blj 

la  volonté,  comme  sa  nature  le  demande  (i).  » 
a  Dieu  est  la  cause  première  qui  meut  à  la  fois  et 
les  causes  naturelles  et  les  causes  volontaires.  Et 
comme,  lorsqu'il  meut  les  causes  naturelles,  il 
n'empêche  pas  que  leurs  actes  ne  soient  naturels  ; 
de  même,  lorsqu'il  agit  sur  les  causes  volontaires, 
il  n'empêche  pas  leurs  actions  d'être  volontaires  ; 
même  il  leur  donne  plutôt  ce  caractère,  car  il  agit 
dans  chaque  être  d'une  manière  conforme  à  sa 
nature  propre  (2).  » 

Pas  plus  dans  la  question  présente  que  dans  celle 
des  rapports  de  la  science  divine  avec  la  liberté 
humaine,  l'explication  qu'en  donne  saint  Thomas 
ne  réussit  à  dissiper  toutes  les  difficultés  ;  le  mys- 
tère reste.  Deux  vérités  sont  acquises  :  d'une  part, 
l'action  souverainement  efficace  de  la  volonté  divi- 
ne, d'autre  part  l'existence  de  la  liberté  de  l'homme. 
Comment  se  concilient-elles  ?  Nous  venons  d'en- 
tendre saint  Thomas  nous  dire  que  Dieu  ne  s'im- 
pose pas  à  l'homme  par  violence  ou  coaction,  qu'il 
respecte  sa  nature  d'être  libre  et  qu'il  agit  par  le 
dedans  conformément  à  cette  nature.  Les  molinis- 
tes  ont  essayé,  de  leur  côté,  de  donner  une  expli- 
cation différente.  On  sait  avec  quelle  puissance 
d'esprit,  avec  quelle  profondeur  de  pénétration, 
avec  quelle  ardeur  surtout,  thomistes  et  molinistes 
ont  travaillé  à  faire  prévaloir  leur  manière  de  voir. 
Ils  se  sont  accusés  mutuellement,  les  uns  de  détruire 
l'action  divine,  les  autres  de  supprimer  la  liberté 
humaine.  Qui  a  tort  ?  qui  a  raison  ?  La  Congréga- 
tion de  Auxiliis  a  été  longtemps  saisie  de  leurs  griefs 
réciproques.  Mais  le  pape  Paul  V  (1605-1621),  en 
autorisant,  en  1607,  les  uns  et  les  autres  à  défendre 

r 

1.  Sam.  theol.»  I»  II®,  Q.  x,  a.  £.  —  2.  Sam.  theol,  I,  Q. 
lxxxiii,  a.  1. 


5l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

leur  sentiment  jusqu'à  décision  ultérieure  du  Saint- 
Siège,  leur  a  interdit  de  se  taxer  réciproquement 
d'hérésie.  Cette  sage  sentence  a  été  confirmée  encore 
par  Urbain  VIII  (i6a3-i644)  et  Clément  XII  (i73o- 
17/io).  Et  à  l'heure  qu'il  est,  aucune  décision  offi- 
cielle n'est  encore  intervenue.  On  est  donc  libre 
d'embrasser  l'une  ou  l'autre  des  deux  opinions  ; 
nous  aurons  l'occasion  d'y  revenir  plus  longuement. 

1.  La  Science  de  Dieu.  —  «  Dieu  voit  tout  ;  mais 
son  intelligence  sans  rivages  s'étend  au-delà  de  la  sphère 
où  sont  contenues  les  choses  actuellement  présentes  à  son 
regard.  Il  ne  se  connaîtrait  pas  s'il  ne  savait,  avec  ce  qu'il 
a  fait,  avec  ce  qu'il  veut  faire,  ce  qu'il  peut  faire.  Il  sait 
donc  tout  ce  qui  ne  sera  jamais,  tout  ce  qui  cependant 
pourrait  être  s'il  le  voulait  ;  et  cette  science  du  possible 
n'a  pas  d'autre  mesure  que  l'infini  pouvoir  qu'a  son 
essence  d'être  participée  à  l'infini,  d'une  infinité  de 
manières.  Y  a-t-il  encore  quelque  chose  que  Dieu  puisse 
connaître  ?  Je  ne  vois  plus  rien...  0  science  de  mon  Dieu, 
quelle  menace  effroyable  vous  êtes  pour  les  pêcheurs  !  Un 
sommeil  perfide  appesantit  leur  conscience  ;  ils  croient 
avoir  enseveli  dans  le  tombeau  de  l'oubli  leurs  crimes 
passés  parce  que  personne  ne  les  inquiète,  personne  ne 
vient  leur  dire  :  Souvenez-vous.  Enhardis  par  l'impunité, 
ils  poursuivent  en  cachette  la  trame  de  leurs  œuvres  per- 
verses ;  leur  âme  est  un  abîme  qui  vomit  l'iniquité  dégui- 
sée par  des  habiletés  et  des  protestations  hypocrites 
auxquelles  notre  simplicité  se  laisse  tromper.  Ils  poussent 
l'audace  à  cet  excès  qu'ils  comptent  prendre  Dieu  lui-même 
en  leurs  filets  et  renverser  ses  desseins.  Alors  ils  seront 
maîtres  de  l'avenir  et  leur  corruption  triomphante  devien- 
dra la  loi  des  peuples  qu'ils  auront  pervertis.  Mais  on 
veille  là  haut.  Un  jour  vous  viendrez  au  devant  de  ces 
misérables,  ô  Dieu  terrible,  et  vous  leur  direz  :  «  C'est 
moi.  J'ai  tout  vu,  je  sais  tout,  j'ai  déjoué  vos  complots  et 
sauvé  les  peuples  que  vous  vouliez  perdre.  Le  mal  que 
vous  avez  oublié,  le  mal  que  vous  avez  caché,  le  mal  que 
vous  avez  espéré,  le  voilà  !  Voyez  vous-mêmes  et  jugez.  » 


VOLONTE    DE    DIEU    ET    LIBERTÉ    FUMAINE  5lQ 


Et  le  pécheur  verra,  et  il  entrera  en  fureur,  et  il  grincera 
des  dents,  et  il  défaillira  sur  les  ruines  de  ses  désirs 
écroulés.  »  Monsabré,  Conférences  de  Notre-Dame,  Gonf. 
vm*,  Paris,  1874,  p.  69-70. 

2.  La  volonté  de  Dieu.  —  «  Cette  efficace  (de  la  cau- 
salité première),  est  si  grande  que  non  seulement  les 
choses  sont  absolument  dès  là  que  Dieu  veut  qu'elles 
soient,  mais  encore  qu'elles  soient  telles  dès  que  Dieu 
mit  qu'elles  soient  telles...;  car  il  ne  veut  pas  que  les 
choses  soient  en  général  seulement,  mais  il  les  veut  dans 
tout  leur  état,  dans  toutes  leurs  propriétés,  dans  tout 
leur  ordre.  Gomme  donc  un  homme  est,  dès  là  que 
Dieu  veut  qu'il  soit  ;  il  est  libre  dès  là  que  Dieu  veut 
qu'il  soit  libre  ;  et  il  agit  librement,  dès  là  que  Dieu  veut 
qu'il  agi? se  librement  ;  et  il  fait  librement  telle  action  dès 
là  que  Dieu  le  veut  ainsi.  Car  toutes  les  volontés  et  des 
hommes  et  des  anges  sont  comprises  dans  la  volonté  de 
Dieu  comme  dans  leur  cause  première  et  universelle  ;  et 
elles  ne  sont  libres  que  parce  qu'elles  y  sont  comprises 
comme  libres...  Dieu  veut  donc  le  premier,  parce  qu'il 
est  le  premier  être  et  le  premier  libre  ;  et  tout  le  reste 
veut  après  lui,  et  veut  à  la  manière  que  Dieu  vent  qu'il 
veuille...  Et  il  ne  faut  pas  objecter  que  le  propre  de 
l'exercice  de  la  liberté,  c'est  de  venir  seulement  de  la 
liberté  même  ;  car  cela  serait  véritable,  si  la  liberté  de 
l'homme  était  une  liberté  première  et  indépendante,  et 
non  une  liberté  découlée  d'ailleurs.  »  Bossuet,  Traité  du 
libre  arbitre,  ch.  S, 


Je  crois  en  Dieu...  tout-puissant 


Leçon  XVe 

De  Dieu 

Toute-Puissance 

et    Attributs  Moraux 


I.   Texte  du  Catéchisme  romain.  —  II.    Toute- 
Puissance  de  Dieu. —  III.  Attributs  moraux. 


I.   Texte  du  Catéchisme  romain 

Les  saintes  Lettres  expriment  de  plusieurs  ma- 
nières la  puissance  souveraine  et  l'immense 
majesté  de  Dieu,  afin  de  faire  comprendre 
de  quel  respect  religieux  on  doit  entourer  son  très 
saint  nom.  Au  pasteur  d'enseigner  avant  tout  aux 
fidèles  qu'elles  lui  donnent  le  plus  souvent  le 
nom  de  Tout-puissant  (i).  En  effet,  en  parlant  de 
lui-même,  Jéhovah  dit  :  «  Je  suis  le  Dieu  tout- 
puissant  (2);  »  et  Jacob,  envoyant  ses  fils  à  Joseph, 
faisait  cette   prière  :     «    Que  le    Dieu    tout-puissant 

1.  Sum.  theol,  I,  Q.  xxv.  —  2.  Gènes.,  xvn,  1. 


TEXTE    DU    CATÉCHISME    ROMAIN  521 

vous  fasse  trouver  grâce  devant  lui  (i).  »  Il  est  écrit 
dans  l'Apocalypse  :  «  Le  Seigneur  Dieu,  celui  qui 
est,  qui  était  et  qui  vient,  le  Tout-puissant  (2)  ;  »  ail- 
leurs, le  jugement  est  appelé  «  le  grand  jour  du 
Seigneur  tout-puissant  (3).  »  D'autres  fois  aussi 
nous  voyons  plusieurs  mots  employés  pour  dire  la 
même  chose,  comme  dans  ces  endroits  :  «  //  n'y  a 
rien  qui  soit  impossible  à  Dieu  (4).  »  «  Le  bras  de 
Jchovah  est-il  trop  court  (5)  ?  »  «  Vous  pouvez  faire. 
Seigneur,  tout  ce  que  vous  voulez  (6).  »  I/Ecriture 
est  ainsi  remplie  d'une  foule  d'expressions,  qui, 
pour  le  sens,  sont  équivalentes  à  celle  de  Tout- 
puissant. 

a  Or  nous  entendons  par  ce  terme  qu'il  n'y  a 
rien,  qu'il  est  impossible  de  rien  concevoir,  de 
rien  imaginer  qui  surpasse  la  puissance  de  Dieu. 
Car  non  seulement  il  peut  faire  toutes  ces  choses 
qui,  toutes  grandes  qu'elles  sont,  nous  sont  cepen- 
dant plus  ou  moins  connues,  comme  de  faire  ren- 
trer l'univers  dans  le  néant,  ou  de  créer  de  rien, 
en  un  instant,  plusieurs  autres  mondes  ;  mais  son 
pouvoir  s'étend  aussi  à  des  choses  infiniment  plus 
relevées,  dont  la  raison  humaine  ne  saurait  même 
soupçonner  la  possibilité. 

«  Cependant,  bien  qu'il  soit  tout-puissant,  Dieu 
ne  saurait  mentir,  ni  tromper,  ni  être  trompé,  ni 
pécher,  ni  cesser  d'être,  ni  rien  ignorer.  Ce  sont  là 
des  choses  qui  n'appartiennent  qu'aux  êtres  impar- 
faits. Pour  Dieu,  dont  l'action  est  toujours  d'une 
perfection  infinie,  il  ne  peut  les  faire,  parce 
qu'elles  sont  des  effets  de  la  faiblesse,  et  non  d'un 
pouvoir  souverain  sur  toutes  choses,  tel  qu'il  le 
possède.  Ainsi  donc,  tout  en  reconnaissant  en  Dieu 


1.  Gènes.,  xliii,  i4-  —  2.  Apoc,  1,  8.  —  3.  Apoc.,  vi,  17. 
4.  Luc.,  1,  37.  —  5.  Num.,  xi,  23.  —  6.  Sap.,  xii,  18. 


52  2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

la  toute-puissance,  nous  croyons  cependant  qu'il 
est  parfaitement  exempt  de  tout  ce  qui  ne  serait  pas 
en  harmonie  et  en  rapport  avec  sa  nature  infini- 
ment  parfaite. 

«  Que  si  le  Symbole  omettant  les  autres  perfec- 
tions de  Dieu,  ne  propose  à  notre  croyance  que  la 
toute-puissance,  le  pasteur  aura  soin  de  montrer 
que  ce  n'est  pas  sans  des  raisons  très  sages.  En 
effet,  dès  que  nous  croyons  qu'il  est  tout-puissant, 
nous  avouons  par  là  même  qu'il  a  la  connaissance 
de  toutes  choses,  et  que  tout  est  soumis  à  sa  volonté 
et  à  son  empire  ;  et  nous  reconnaissons  en  lui  tout 
ce  qui  est  lié  avec  sa  souveraine  puissance  et  qui 
est  nécessaire  pour  nous  le  faire  comprendre. 

«  D'ailleurs,  rien  n'est  plus  propre  à  affermir  notre 
foi  et  notre  espérance  que  la  conviction  profondé- 
ment gravée  dans  nos  esprits  que  rien  n'est  impos- 
sible à  Dieu.  Quoi  que  l'on  nous  propose  ensuite 
de  croire,  quelque  grand  et  quelque  incompréhen- 
sible que  cela  soit,  quelque  élevé  que  cela  se  trouve 
au-dessus  de  l'ordre  accoutumé  de  la  nature,  la  rai- 
son humaine  y  donnera  facilement  son  assentiment 
dès  qu'elle  aura  compris  la  toute-puissance  de  Dieu; 
et  même  plus  les  divins  oracles  annonceront  des 
choses  étonnantes,  plus  elle  y  ajoutera  foi  avec  em- 
pressement. Que  s'il  s'agit  des  biens  à  espérer, 
jamais  la  grandeur  de  l'objet  promis  n'ébranlera  la 
confiance  de  l'esprit,  qui  affermira  au  contraire  ses 
désirs  et  ses  espérances  par  cette  pensée,  souvent 
présente  à  son  souvenir,  que  rien  n'est  impossible 
à  un  Dieu  tout-puissant. 

«  Ayons  donc  soin  de  nous  fortifier  par  la  foi  de 
cette  vérité,  surtout  lorsque  nous  aurons  à  faire  pour 
l'utilité  du  prochain  quelque  chose  de  difficile,  ou 
que  nous  voudrons  obtenir  quelque  chose  de  Dieu 
par  la  prière.  Jésus-Christ  nous  enseigne  lui-même 


TEXTE    DU    CATÉCHISME    ROMAIN  52  3 

ce  devoir  lorsque,  reprochant  à  ses  apôtres  leur  in- 
crédulité, il  leur  dit  :  «  Si  vous  aviez  de  la  foi 
comme  un  grain  de  sénevé,  vous  diriez  à  cette  mon- 
tagne: Passe  d'ici  là-bas,  et  elle  y  passera,  et  rien 
ne  vous  sera  impossible  (i).  »  Et  l'apôtre  saint  Jac- 
ques, pour  exciter  la  confiance  du  fidèle  dans  la 
prière,  l'exhorte  à  «  demander  avec  foi,  sans  hésiter; 
car  celui  qui  hésite  est  semblable  au  flot  de  la  mer 
qui  est  poussé  par  le  vent  de  tous  les  côtés  ;  que  cet 
homme-là  ne  s'imagine  donc  pas  qu'il  recevra  quelque 
chose  du  Seigneur  (2).  » 

«  Au  reste,   cette  croyance  nous  est  très  utile  et 
très   avantageuse   sous   d'autres  rapports.    D'abord 
elle  nous  porte  à  la    modestie  et  à  l'humilité  de 
l'esprit,  suivant  ces  mots  de  saint  Pierre  :    «  Humi- 
liez-vous sous   la  main  puissante  de   Dieu  (3).  »  De 
plus,  elle  nous  apprend  à  ne  pas  craindre  «  là  ou  il 
n'existe  aucun  sujet  de  crainte  (4)  »,  et  à  «  ne  crain- 
dre  que  Dieu   seul  (5)  »,   qui   «  nous    tient    en   son 
pouvoir,  nous  et  tous  nos  biens  (6).  »  Et  le  Seigneur 
lui-même  a  dit  :  «  Je  vous  montrerai  celui  que  vous 
devez   craindre.    Craignez  celui  qui,    après  avoir  tué 
le   corps,    peut  vous  précipiter   dans  V enfer   (7).   » 
Cette  même   foi   sert  encore  à  nous   rappeler  les 
grands  bienfaits  de  Dieu  à  notre  égard  et  à  exciter 
notre  reconnaissance.  Quiconque  pense,  en  effet,  à 
la  toute -puissance  de  Dieu,  serait  d'une  trop  grande 
ingratitude,  s'il  ne  s'écriait  souvent  :  «  Celui  qui  est 
tout-puissant  a  fait  pour  moi  de  grandes  choses  (8).»  ;, 

«  Mais  de  ce  que,  dans  cet  article,  nous   disons 
que  le  Père  est  tout-puissant,  il  ne  faudrait  pas  croire  [ 
que  la  même  perfection  ne  soit  commune  au  Fils  et  \  \ 


1.  Malth.,  xvii,  20.  —  2.  Jac,  1,  6-7.  —  3.  I,  Petr.,  v,  6.  — 
4.  PsaL,  lu,  6.  —  5.  Psal.,  xxxn,  8.  —  6.  Sap.,  vu,  16.  — 
7.  Luc,  xii,  5.  —  8.  Luc,  1,  49. 


524  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

<■        I  ■■■         I  I  ■■!■■  I.  .     ..„  .,■  |       ——— — — gj 

au  Saint-Esprit.  De  même  que  nous  disons  que  le 
Père  est  Dieu,  le  Fils  est  Dieu,  le  Saint-Esprit  est 
Dieu,  sans  dire  pour  cela  qu'il  y  a  trois  Dieux,  mais 
en  confessant  réellement  un  seul  Dieu  ;  ainsi,  en 
confessant  que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
sont  tout-puissants,  nous  ne  reconnaissons  pas  trois 
tout-puissants,  mais  un  seul.  Il  y  a  pourtant  une 
raison  particulière  de  donner  cette  qualité  au  Père, 
c'est  qu'il  est  la  source  de  tout  ce  qui  existe.  Ainsi, 
nous  disons  du  Fils  qu'il  est  la  sagesse,  parce  qu'il  est 
le  Verbe  du  Père  ;  et  du  Saint-Esprit,  qu'il  possède 
la  bonté,  parce  qu'il  est  l'amour  du  Père  et  du  Fils  ; 
et  cependant  ces  qualités  ainsi  que  les  autres  con- 
viennent également  aux  trois  personnes  suivant  la 
règle  de  la  foi  catholique  (i)  ». 

IL  Toute-puissance  de  Dieu 

1.  Sa  corrélation  étroite  avec  l'Intelligence 
et  la  Volonté.  —  La  Toute-puissance  divine  est  le 
corollaire  logique  et  nécessaire  de  la  science  et  de 
la  volonté  de  Dieu.  La  science  et  la  volonté,  en 
effet,  concourent  à  la  création  et  sont  la  cause  des 
êtres  créés. 

i.  La  science  d'abord,  car  elle  est  aux  choses 
créées,  dit  saint  Thomas  (2),  ce  que  la  science  de 
Partisan  est  à  ses  ouvrages.  Or,  la  science  de  l'artisan 
est  la  cause  de  ses  ouvrages,  puisqu'il  opère  par 
son  intelligence.  La  forme  intellectuelle  est  ainsi  le 
principe  de  toute  opération.  Toutefois  la  forme 
intelligible  n'est  pas  principe  d'action  par  cela 
seul  qu'elle  est  dans  l'intelligence,  il  faut  qu'elle 
soit  inclinée  vers  tel  effet  par  la  volonté.   Placée 

i.Cat.  rom.,  I,  art.  1,  xv-xix.  —  2.  Sumtheol,  I,  Q.  xvi,  a  8 


TOUTE-PUISSANCE    DE    DIEU  525 

entre  deux  pôles  opposés,  elle  se  porte  vers  l'un  ou 
vers  l'autre  sous  l'impulsion  de  la  volonté.  Jointe 
ainsi  à  la  volonté,  elle  procède  à  l'opération  et 
constitue  la  science  d'approbation.  Cette  science 
diffère  de  celle  de  l'homme.  Car,  dit  saint  Augustin, 
«  Dieu  ne  connaît  pas  les  créatures  spirituelles  et 
corporelles  parce  qu'elles  sont,  mais  ces  créatures 
existent  parce  que  Dieu  les  connaît  (i).  »  Dans 
l'homme,  au  contraire,  ce  sont  les  créatures  qui 
sont  la  cause  de  sa  science;  en  lui,  la  nature  pré- 
cède et  mesure  sa  science  ;  tandis  que  la  science  de 
Dieu  précède  et  mesure  la  nature  elle-même.  Et 
bien  que  la  science  de  Dieu  soit  éternelle,  il  ne 
s'ensuit  pas  que  les  créatures  soient  aussi  éternelles  ; 
éternellement  elles  sont  dans  la  science  divine, 
mais  elles  ne  passent  à  l'existence  qu'au  moment 
fixé  par  Dieu. 

2.  A  la  science  s'ajoute  la  volonté.  Celle-ci  aussi 
est  la  cause  des  choses  (2).  Puisque  la  nature  agit 
pour  une  fin,  tout  aussi  bien  que  l'intelligence,  il 
faut  qu'une  intelligence  supérieure  prescrive 
à  la  nature  la  fin  qu'elle  doit  atteindre  et  les 
moyens  propres  à  y  parvenir.  Or  Dieu  est  la  pre- 
mière des  causes  :  Il  agit  donc  par  l'intelligence  et 
parla  volonté.  De  plus,  une  cause  naturelle  produit 
toujours  le  même  effet,  parce  qu'elle  agit  toujours, 
à  moins  d'obstacle,  d'une  manière  uniforme,  d'une 
manière  conforme  à  sa  nature  qui  est  déterminée, 
circonscrite,  limitée.  Ce  ne  peut  être  le  cas  de  Dieu; 
vis-à-vis  des  créatures,  il  n'agit  pas  par  nécessité, 
mais  uniquement  selon  la  détermination  de  sa 
volonté  et  de  son  intelligence.  Enlin,  la  cause  pro- 
duit son  effet  conformément  à  la  manière  dont  elle 
le  contient,  c'est-à-dire  selon  son  mode  d'être.  Or, 

1.  De  Triait.,  xv,  i3.  —  2.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xix,  a.  4. 


52Ô  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

en  Dieu,  l'être  est  son  intelligence.  Il  contient  ses 
effets  d'une  manière  intelligible,  c'est-à-dire  par 
l'intervention  de  la  volonté  qui  seule  détermine 
Dieu  à  réaliser  ce  qu'il  a  conçu  dans  son  intelli- 
gence. N'oublions  pas  qu'intelligence  et  volonté  ne 
se  distinguent  entre  elles  et  avec  l'essence  divine 
que  par  un  effet  de  notre  esprit,  car  en  Dieu  c'est 
tout  un. 

2.  Son  existence  et  son  objet.  —  i.  Nous 
avons  vu  sur  quels  textes  scripturaires  le  Caté- 
chisme romain  s'appuie  pour  prouver  l'existence 
de  la  toute-puissance.  On  en  peut  signaler  d'autres, 
et,  par  exemple,  les  suivants  :  «  Ta  es  puissant, 
Jéhovah  (i).  »   «  Je  sais  que  la  peux  toat  (2).  » 

Tout  ce  que  veut  Jéhovah,  il  le  fait, 

Dans  les  cieux  et  sur  la  terre, 

Dans  la  mer  et  dans  tous  les  abîmes  (3). 

Nous  avons  vu  aussi  l'objet  qu'il  assigne  à  cette 
toute-puissance. 

Dieu,  étant  l'être  même,  exclut  de  son  essence 
tout  mélange  de  potentialité  ;  car  la  puissance  est 
un  devenir  et  le  devenir  est  en  opposition  formelle 
avec  l'être .  Mais  la  puissance  peut  s'entendre  ou 
comme  une  pure  réceptivité  soumise  à  l'influence 
causale  d'un  agent  extrinsèque,  ou  comme  une 
force  capable  de  produire  certains  effets  ;  dans  le 
premier  cas,  on  l'appelle  puissance  passive,  dans  le 
second  puissance  active.  Considérée  dans  sa  signifi- 
cation formelle,  la  puissance  passive  implique  une 
imperfection,  un  défaut  d'être  ;  tandis  que  la  puis- 
sance active  ne  contient  dans  son  concept  aucune 

1.  Psal.,  lxxxviii,  9. —  a.  Job.,  xlii,  2.  —  3.  Psal., cxxxiv,  6. 


TOUTE-PUISSANCE    DE    DIEU  527 

imperfection  ;  on  ne  peut  agir,  en  effet,  que  parce 
qu'on  est  et  dans  la  mesure  où  on  est.  La  puissance 
active  étant  faite  pour  l'opération,  elle  sera  d'autant 
plus  parfaite  qu'elle  s'identifiera  mieux  avec  cette 
opération  ;  et  si  elle  se  confond  essentiellement  avec 
elle,  elle  sera  un  acte  pur  ;  l'acte  pur  et  l'être  pur  ne 
seront  qu'une  seule  réalité.  Mais  si  la  puissance 
active  se  distingue  de  son  opération,  elle  conservera 
sans  doute  sa  perfection  naturelle,  mais  elle  sera 
par  le  fait  même  une  puissance  mêlée  de  passivité, 
capable  de  recevoir,  par  son  exercice,  un  accroisse- 
ment d'être,  ce  qui  est  le  caractère  formel  de  la 
puissance  passive.  Ce  dernier  cas  regarde  les  créa- 
tures ;  le  premier  ne  s'applique  qu'à  Dieu. 

Dieu,  en  effet,  parce  qu'il  est  l'être  infini,  est 
l'acte  pur,  sans  aucun  mélange  de  potentialité.  Il 
est  déterminé  par  son  essence  à  la  plénitude  de 
l'être  et  à  la  plénitude  de  l'opération.  Mais  cette 
opération,  au  lieu  de  survenir  à  sa  vertu  active 
comme  une  perfection  nouvelle,  n'est  que  l'acte 
infiniment  subsistant  d'une  essence  qui  s'identifie 
avec  sa  propre  existence  :  être  et  agir  ne  sont  en 
Dieu  qu'une  seule  et  même  chose.  Mais  il  y  a  une 
différence  entre  l'opération  divine  ad  inira,  qui  se 
termine  tout  entière  dans  l'essence  subsistante  d'où 
elle  procède  et  dont  nous  parlerons  en  traitant  de 
la  trinité,  et  l'opération  ad  extra  qui,  sans  sortir 
formellement  de  cette  essence,  s'extériorise  pourtant 
virtuellement,  en  tant  qu'elle  aboutit  à  la  production 
d'un  être  distinct  de  l'être  divin.  Cette  dernière 
opération,  la  seule  à  envisager  ici,  s'étend  aussi  loin 
que  le  champ  des  essences  réalisables  ;  la  puissance 
divine  est  aussi  illimitée  que  son  essence. 

La  puissance  se  mesurant  à  l'être  qui  la  possède, 
il  va  de  soi  que  la  puissance  de  Dieu  comme  son 
être  est  infinie,  sans  bornes,  sans  limites.  Et  c'est 


528  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pourquoi  on  l'appelle  la  toute-puissance.  C'est  le  seul 
des  attributs  divins  que  mentionne  le  Symbole  des 
apôtres  ;  et  e  Catéchisme  romain  fait  observer  avec 
raison  qu'il  n'exclut  pas  les  autres,  puisqu'il  im- 
plique notamment  celui  d'intelligence  et  de  vo- 
lonté. 

2.  Dieu  est  tout-puissant,  qu'est-ce  à  dire?  qu'il 
peut  tout?  Oui,  sans  doute,  il  peut  tout  ce  qui  est 
possible.  Car  il  est  des  choses  absolument  impossi- 
bles, et,  par  exemple,  les  choses  contradictoires. 
Une  chose,  en  effet,  est  absolument  possible  lorsque, 
dans  les  deux  termes  de  la  proposition  qui  l'expri- 
ment, l'attribut  ne  répugne  pas  au  sujet.  Or  tout  ce 
qui  peut  avoir  la  nature  de  l'être  rentre  dans  les 
possibles  absolus  et  tombe  sous  le  domaine  de  la 
toute-puissance  divine.  Mais  comme  rien  n'est  con- 
traire à  la  nature  de  l'être  que  le  non-être,  il  ne  se 
trouve  hors  de  ces  possibles  absolus  que  ce  qui 
implique  en  même  temps  l'être  et  le  non-être,  c'est- 
à-dire  ce  qui  est  contradictoire.  L'intelligence  divine 
ne  saurait  concevoir  le  contradictoire.  On  ne  peut 
donc  pas  dire  que  Dieu  ne  peut  pas  le  faire  ;  on 
parle  plus  correctement  en  disant  que  cela  est 
impossible  de  soi. 

Le  péché  étant  un  défaut  de  perfection  dans  l'acte, 
Dieu,  qui  est  la  perfection  même,  ne  peut  se  con- 
cevoir avec  ce  défaut.  Et  c'est  parce  qu'il  est  tout- 
puissant  qu'il  ne  peut  absolument  pas  pécher. 

De  même  Dieu  ne  peut  pas  faire  que  les  choses 
passées  n'aient  été,  cela  implique  contradiction. 

Mais  Dieu  peut  faire  bien  des  choses  qu'il  ne  fait 
pas.  «  Pensez-vous,  disait  Notre  Seigneur,  que  je  ne 
puisse  pas  prier  mon  Père,  et  il  in  enverrait  aussitôt 
douze  légions  a" anges  (i).  »   Saint  Augustin  fait  les 

i.  Matth.  xxyi,  53. 


TOUTE-PUISSANCE   DE   DIEU  5s>g 


remarques  suivantes  :  Dieu  aurait  pu  d'un  seul 
coup  exterminer  les  idolâtres  (i),  et  il  ne  l'a  pas 
fait;  infliger  aux  impies  de  nouveaux  tourments  (2), 
et  il  ne  l'a  pas  fait  ;  susciter  de  la  pierre  des  en- 
fants d'Abraham  (3),  et  il  ne  l'a  pas  fait  ;  jeter 
les  montagnes  dans  la  mer  (4),  et  il  ne  l'a  pas  fait  ; 
opérer  mille  autres  merveilles,  et  il  ne  l'a  pas  fait. 
«  On  voit  donc  que  Dieu  ne  fait  pas  tout  ce  qu'il 
peut  faire.  L'Ecriture  aussi  bien  que  la  raison  con- 
damne l'opinion  contraire  (5).  » 

Dieu  pcut-il  faire  des  choses  meilleures  que  celles 
qui  existent?  Sans  aucun  doute.  «  Dieu,  dit  saint 
Paul,  peut  faire  infiniment  plus  que  tout  ce  que 
nous  demandons  ou  concevons  (6).  »  Il  y  a  deux 
sortes  de  bonté,  observe  saint  Thomas  ;  celle  qui 
tient  à  l'essence  des  choses,  et,  sous  ce  rapport, 
Dieu  peut  bien  faire  une  chose  meilleure  qu'une 
autre.  Mais  il  ne  peut  pas  faire  que  la  même  chose 
soit  meilleure  dans  son  essence  qu'elle  n'est.  Car 
de  même  qu'il  ne  saurait  rendre  le  nombre  quatre 
plus  grand,  parce  qu'il  en  changerait  l'espèce 
en  y  ajoutant,  de  même  il  ne  saurait,  sans  la  chan- 
ger, rendre  une  chose  meilleure  dans  son  essence, 
parce  que  l'addition  d'une  qualité  substantielle 
changerait  la  nature  des  choses.  Mais  outre  la  bonté 
essentielle  des  êtres,  il  y  a  une  bonté  accidentelle, 
par  exemple  la  sagesse  et  la  justice  dans  la  nature 
raisonnable  de  l'homme.  Celle-ci,  Dieu  peut  incon- 
testablement l'améliorer  et  l'accroître  (7). 

Mais  Dieu  pourrait-il  faire  mieux  qu'il  ne  fait,  en 
entendant  mieux  au  sens  d'adverbe  ?  Dieu  ne  peut 
pas  faire  mieux  qu'il  ne  fait,  si  on  le  considère  en 
lui-même,  car  en  faisant  ce  qu'il  fait,  il  ne  saurait 

1.  Jos.,  xxm,  9.  —  2.  Sap.,  xvi,  6.  —  3.  Luc.,  m,  8.  — 
A.  Matth.,  xi,  23.  —  5.  De  spirit.  et  litt.,  xxxiv.  —  6.  Eph.,  m, 
ao.  —  7.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xxv,  a.  6. 

LE   CATÉCHISME.  —  T.   I. 


boO  LE    CATECHISME    ROMAIN 


opérer  ni  avec  plus  de  sagesse  ni  avec  plus  de  puis- 
sance  ;  mais  si  l'on  regarde  les  choses  faites,  oui  il 
pourrait  faire  mieux,  puisqu'il  est  en  sa  puissance 
d'améliorer  les  choses  qui  existent,  non  dans  leur 
essence,  mais  dans  leurs  accidents. 

3.  Puissance  limitée  de  l'homme.  —  L'homme 
étant  intelligence  et  volonté  possède,  dans  la 
même  mesure,  la  puissance.  Mais  quelle  puis- 
sance que  la  sienne,  à  côté  de  la  toute-puissance 
divine  1  Que  de  limites,  comme,  du  reste,  dans  sa 
science  et  sa  volition  1  Et  pourtant  jusqu'à  quel 
point  ne  s'est  elle  pas  élevée  de  nos  jours  1  que  de 
travaux  1  que  de  recherches  !  que  de  progrès  déjà 
réalisés,  insoupçonnés  hier  encore  1  Dans  tous  les 
champs  de  l'activité  humaine,  en  histoire,  en  géo- 
graphie, en  archéologie,  en  philologie,  dans  les 
sciences  surtout,  qui  transforment  de  jour  en  jour  le 
commerce,  l'industrie,  et  apportent  plus  de  hien-être 
physique,  plus  de  civilisation  !  Et  que  de  progrès 
futurs,  qu'on  ne  soupçonne  pas  aujourd'hui,  mais 
qui,  demain  peut-être,  seront  des  réalités  !  La  marge 
est  grande  dans  l'œuvre  divine,  et  le  savoir,  et  la 
volonté,  et  la  puissance  de  l'homme  peuvent  y 
évoluer  à  leur  aise,  sans  qu'on  puisse  jamais  se 
flatter  d'en  avoir  découvert  tous  les  trésors,  et  d'en 
tarir  les  merveilles.  Et  l'espoir,  au  cœur  de  l'homme, 
s'est  élevé  jusqu'à  l'enthousiasme,  jusqu'à  l'enivre- 
ment de  lui-même.  Que  de  rêves  en  perspective,  dans 
un  avenir  qu'on  dit  plus  ou  moins  prochain  !  Plus 
de  misères  dans  les  masses,  rien  que  du  bonheur  I 
Plus  de  guerres  entre  peuples,  rien  que  la  paix  ! 
Plus  de  maux,  plus  de  mort,  si  c'était  possible  !  Et 
ne  serait-ce  pas  possible  ?  Qui  sait  ?  Mais  non,  par 
là  l'homme  est  rappelé  au  peu  qu'il  est,  au  peu  qu'il 
peut.  Ce  serait  sagesse  que  de  le  reconnaître  ;  c'est 


ATTRIBUTS    MORAUX    '.    LA    BONTE  53 1 

folie  de  le  méconnaître,  et  folie  plus  grande  encore 
de  penser,  de  parler,  d'agir,  comme  si  par  delà  le 
monde  phénoménal  Dieu  n'existait  pas,  de  rayer  du 
domaine  rationnel  son  existence  et  d'en  venir  à  cette 
monstruosité  de  croire  que  Dieu  est  en  train  de  se 
faire  dans  le  monde  grâce  au  progrès,  en  train  de 
prendre  conscience  de  lui-môme  dans  l'homme  et 
par  l'homme.  L'homme  ne  serait-il  pas,  n'est-il  pas 
en  définitive  le  Dieu  nouveau  ?  Une  telle  aberration 
intellectuelle  et  morale  n'est  pas  rare  de  nos  jours. 
Impertinente  comme  l'orgueil,  dont  elle  est  l'ex- 
pression, il  pourrait  bien  se  faire  qu'elle  fût  châtiée 
tôt  ou  tard.  Car  s'il  est  vrai  que  la  foudre  frappe 
les  cimes  altières,  il  est  encore  plus  vrai  que  «  Dieu 
résiste  aux  superbes  (i).  »  Et  Dieu  n'a  guère  qu'à 
abandonner  l'homme  à  ses  propres  forces  ;  et  tout 
autonome  qu'il  se  proclame,  l'homme  se  suffît  à 
lui-même  pour  montrer  une  fois  de  plus  que,  sans 
Dieu,  il  n'est  rien  et  ne  peut  rien,  malgré  ses  pré- 
tentions. La  Providence  a  parfois  de  ces  leçons  de 
choses. 

III.  Attributs  moraux 

i.  La  Bonté  et  l'amour.  —  Dieu  est  le  bien,  le 
souverain  bien  ;  il  est  la  bonté,  la  bonté  souve- 
raine ;  c'est  dire  qu'il  est  souverainement  aimable. 
Il   est  en  même  temps  souverainement  amour. 

L'amour  va  au  bien,  naturellement  ;  tous  les  actes 
de  la  volonté  le  supposent  comme  leur  première 
racine,  comme  leur  principe  générateur.  Nul  être 
intelligent  ne  désire  que  le  bien  aimé,  nul  ne  se 
délecte  que  dans  le  bien  aimé,  nul  ne  hait  que  ce 

i.Jac,  iv,  6. 


532  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qui  s'oppose  au  bien  aimé  (i).  Partout  où  se  trouve 
la  volonté  se  trouve  donc  l'amour.  Par  suite  l'amour 
doit  se  retrouver  en  Dieu,  à  l'état  parfait,  puisqu'en 
Dieu  la  volonté  est  parfaite. 

Dieu  étant  le  bien,  la  bonté,  la  sagesse  et  la 
volonté,  dans  leur  perfection  absolue,  s'aime  lui- 
même  nécessairement,  en  vertu  même  de  sa  nature, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit. 

Il  aime  aussi  les  créatures,  toutes  les  créatures,  par 
le  seul  fait  qu'il  leur  a  donné  l'être,  ou  la  vie,  ou 
l'intelligence  et  la  volonté,  parce  que  tout  cela  est 
un  bien  qu'il  leur  a  libéralement  départi.  Mais  il  ne 
les  aime  pas  toutes  de  la  même  manière.  Celles  qui 
sont  privées  de  raison,  incapables  par  suite  de  lui 
rendre  amour  pour  amour  et  de  participer  à  sa 
béatitude,  il  les  aime  sans  doute,  mais  ce  n'est  pas 
à  rigoureusement  parler  d'un  amour  d'amitié,  c'est 
plutôt  d'un  amour  de  quasi  concupiscence,  non  qu'il 
les  désire  ou  qu'il  en  ait  besoin,  mais  parce  que,  en 
les  créant  et  les  conservant,  c'est  le  bien  des  créa- 
tures raisonnables  qu'il  a  en  vue,  pour  leur  mani- 
fester sa  bonté  et  leur  faire  du  bien.  Quant  aux 
créatures  raisonnables,  celles-ci,  par  un  mouvement 
de  leur  intelligence  et  de  leur  volonté,  pouvant 
répondre  à  son  amour,  Dieu  les  aime  d'un  amour 
d'amitié,  de  bienveillance,  et  il  les  aime  en  proportion 
du  bien  qu'il  communique  à  chacune  d'elles  et  du 
bien  que  chacune  d'elles  accomplit.  Mais  si,  par  le 
péché,  elles  viennent  à  se  détourner  de  lui,  il  les 
aime  encore,  non  pas  en  tant  que  coupables,  mais, 
quoi  qu'elles  soient  coupables,  en  tant  qu'êtres  qui 
sont  et  qui  sont  par  lui. 

L'Ecriture  renferme  d'innombrables  témoignages 
de  la  bonté  et  de  l'amour  de  Dieu  envers  les  hom- 

It  Sam.  theol,  I,  Q.  xx,  a.  i. 


LA    BONTÉ    DE    DIEU  533 


mes  ;  elle  nous  représente  Dieu  sous  les  traits  d'un 
père,  d'une  mère,  d'un  ami,  d'un  époux.  Dieu  nous 
traite,  en  e(Tet,  comme  des  êtres  de  prédilection  ;  il 
nous  couvre  de  bienfaits  ;  et  saint  Jean  l'a  défini 
avec  raison,  quand  il  a  dit  :    «  Dieu  est  charité  (i).  » 

«  Une  femme  oubliera-t-elle  son  nourrisson, 

Qu'elle  n'ait  pas  pitié  du  fruit  de  ses  entrailles  ? 

Quand  les  mères  oublieraient, 

Moi,  je  ne  t'oublierai  point  (2).  » 

«  //  l'a  entouré  (le  peuple  juif),  il  a  pris  soin  de  lui, 

Il  l'a  gardé  comme  la  prunelle  de  son  œil. 

Pareil  à  l'aigle  qui  excite  sa  couvée, 

Et  voltige  au-dessus  de  ses  petits, 

Jehovah  a  déployé  ses  ailes,  il  a  pris  Israël, 

J7  l'a  porté  sur  ses  plumes  (3).  » 

«  Comme  un  homme  que  sa  mère  console,  ainsi  je 
vous  consolerai  ([[).  )) 

C'est  à  l'âme  chrétienne  que  peuvent  s'appliquer 
ces  paroles   d'Ezéchiel  :    «  Tu  fus  renommée  parmi 
les   nations  pour   ta   beauté,  car  elle  était  parfaite, 
grâce  à  ma  splendeur  que  j'avais  répandue  sur  toi, 
dit  le  seigneur  Jéhovah  (5).  »   L'âme  chrétienne,  en 
effet,  objet  de   la  tendre    sollicitude  de  Dieu  est   sa 
fille  adoptive,  destinée  à  jouir  de   sa   propre  gloire 
dans  le  ciel.  De  combien  de  bienfaits  n'est-elle  pas 
redevable   ici  bas  à  ce  Dieu   bon   et  généreux?  Et 
de   combien   de  gloire   ne    sera-t-elle  pas  un  jour 
récompensée?  En    possession   delà  grâce  présente 
et  dans  l'espérance  de  la  gloire  future,  dont  l'homme 
ne  saurait  se  faire  une  idée,   combien   ne   doit-elle 
pas  s'efforcer  de  rép  mdre  par   son   amour  recon- 
naissant à  l'amour  infini  ? 


1.  I  Joan.,  iv,  16.  —  2.  haï.,  xlix,   i5.   —  3.  Deut.,  xxxu, 
io-ii.  —  4.  haï.,  Lvr,  i3.  —  5.  Ezech.,  xvi,  i4. 


5.Vl  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

2.  La  Miséricorde.  —  C'est  particulièrement  à 
l'égard  des  malheureux,  et  de  la  manière  la  plus  lou- 
chante, qu'éclate  la  bonté  divine,  ou  la  Miséricorde. 
Ce  mot,  dit  saint  Augustin,  vient  de  «  miser  um  cor 
faccre  condolentis  alieno  malo  (i).  »  Il  s'applique  à 
l'âme  qui  compatit  aux;  peines  des  autres. 

Dieu,  évidemment,  ne  possède  pas  cette  attribut 
comme  une  passion  affective  (2),  car  il  ne  saurait 
être  atteint  dans  sa  béatitude  infinie  par  la  misère 
d'autrui  u  mais  il  lui  convient  éminemment  de  la 
soulager,  de  la  faire  disparaître,  parce  que  toute 
misère  est  un  défaut.  Or,  qui  est  plus  malheureux 
que  le  pécheur,  puisqu'en  lui  cette  misère  morale 
qu'est  le  péché  constitue  un  défaut  dont  il  est  res- 
ponsable ?  Et  qui  plus  que  le  pécheur,  surtout 
quand  il  est  pénitent,  attire  les  bienfaits  de  la  misé- 
ricorde divine  ? 

«  Reviens,  infidèle  Israël,  dit  Jéhovah  ; 

Je  ne  veux  pas  vous  montrer  un  visage  sévère, 

Car  je  suis  miséricordieux,  dit  Jéhovah, 

Et  je  ne  garde  pas  ma  colère  à  toujours. 

Seulement  reconnais  ta  faute, 

Car  tu  as  été  infidèle  à  Jéhovah,  ton  Dieu.., 

Revenez,  fils  infidèles,  dit  Jéhovah, 

Car  je  suis  votre  maître  (3).  » 

«  Prendrai-je  plaisir  à  la  mort  du  méchant,  dit  le  Sei- 
gneur Jéhovah  ?  N'est-ce  pas  plutôt  à  ce  qu'il  se  détourne 
de  ses  voies  et  qu'il  vive?...  Détournez-vous  et  conver- 
tissez-vous de  tous  vos  péchés,  et  l'iniquité  ne  deviendra 
pas  votre  ruine.  Rejetez  loin  de  vous  toutes  les  transgres- 
sions que  vous  avez  commises,  faites-vous  un  cœur  nou- 
veau et  un  esprit  nouveau.  Pourquoi  mourriez-vous,  mai- 
son d'Israël?  Car  je  ne  prends  point  plaisir  à  la  mort  de 

1.  De  mor.  Eçcles.,  I,  xxvn,  53.  —  2.  Sam.  tkeol.,  I,  Q.  xxi, 
a    2,  3.  —  3.  Jefem.,  m,  12-14. 


LA     MISÉRICORDE    DE    DIEU  535 

celui  qui  meurt,  dit  le  Seigneur  Jéhovah  ;    convertissez- 
vous  donc  et  vivez  (i).  » 

a  Cest  moi,    moi   seul,   qui  efface    tes  prévarications 
pour  l'amour  de  moi  (2).  » 

«  Souviens-toi  de  ces  choses,  ô  Jacob, 

0  Israël,  car  tu  es  mon  serviteur  ; 

Je  Vai formé,  tu  es  mon  serviteur, 

0  Israël,  tu  ne  seras  pas  oublié  de  moi  ! 

J'ai  effacé  tes  transgressions  comme  un  nuage, 

Et  tes  péchés  comme  une  nuée  ; 

Reviens  à  moi,  car  je  Vai  racheté. 

deux,  poussez  des  cris  de  joie,  car  Jéhovah  a  fait  cela  l 

Retentissez  d'allégresse,  profondeurs  de  la  terre  ! 

Eclatez  de  joie,  montagnes, 

Forêts,  avec  tous  vos  arbres, 

Car  Jéhovah  a  racheté  Jacob 

Et  manifesté  sa  gloire  en  Israël  (3).  » 

Qui  n'a  présents  à  la  mémoire  les  accents  de 
David  pour  remercier  Dieu  de  ses  bienfaits  (4)  ? 
Qui  ne  se  rappelle  ce  psaume  cxxxve,  sous  forme 
de  litanie,  où  à  chaque  verset  revient  comme  un 
refrain,  le  quoniam  in  seternum  misericordia  ejus, 
sa  miséricorde  est  éternelle  ?  Et  n'est-ce  pas  sous  le 
nom  de  Pèie  que  Notre  Seigneur  nous  a  appris  à 
prier  Dieu  :  «  Noire  Père,  qui  êtes  aux  deux! »  Saint 
Paul  a  raison  d'appeler  Dieu  «  le  père  des  miséri- 
cordes et  le  Dieu  de  toute  consolation  (5).  »  La 
miséricorde  !  quel  attribut  plus  consolant  pour 
notre  humaine  misère  !  En  quels  traits  inoubliables 
le  divin  Maître  l'a  marqué  dans  ces  paraboles  si 
touchantes  de  la  brebis  perdue  et  de  l'enfant  prodi- 
gue !  Et  quel  thème  fécond  sous  la  plume  et  sur  les 

1.  Ezech.,  xviii,  3o-32.  —  2.  Isaï.,  xliii,  25.  —  3.  Isaï.,  xltv, 
21-23.  —  4.  Psal.,  en  ;  on  le  trouvera  à  la  fin  de  cette  leçon. 
—  5.  Il  Cor.,  1,  3. 


536  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

lèvres  des  Pères  de  l'Eglise  !  Mais,  par  contre,  de  la 
part  du  pécheur,  quelle  folie  de  rester  sourd  aux 
appels  de  la  miséricorde  divine,  de  s'attarder  dans 
le  péché,  de  s'y  endurcir  I  Et  quel  malheur  d'y 
mourir  1  Car  si  Dieu  est  bon  et  miséricordieux  au- 
delà  de  tout  ce  qu'on  peut  dire,  il  est  juste  égale- 
ment ;  sa  bonté  ne  saurait  entraver  sa  justice. 

3.  La  justice. —  Dieu  est  bon,  miséricordieux, 
patient,  d'une  longanimité  à  toute  épreuve  ;  mais  il 
est  juste.  Il  n'a  pas,  il  ne  peut  pas  avoir  la  justice 
commutative ,  celle  qui  règle  les  échanges,  les  tran- 
sactions, les  achats  ou  les  ventes  ;  car,  comme  l'a 
dit  saint  Paul,  «  qui  lui  a  donné  le  premier,  pour 
qu'il  ail  à  recevoir  en  retour  (i)  ?  »  Mais  il  a  la  jus- 
tice distributive,  qui  consiste  dans  une  répartition 
équitable  des  biens  et  des  maux,  et  qui  s'impose 
comme  une  règle  à  tout  souverain,  à  tout  adminis- 
trateur, à  tout  juge.  N'est-il  pas  le  Maître,  le  Sou- 
verain, le  Législateur,  le  Juge  par  excellence  ? 

Il  est  tenu  sans  aucun  doute,  dès  qu'il  se  décide 
à  faire  quelque  acte  extérieur,  d'accomplir  les  des- 
seins de  sa  sagesse  et  de  manifester  la  munificence 
de  sa  bonté  (2).  Ayant  donc  créé  les  êtres,  il  est  tenu 
de  plus  d'accorder  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû  selon 
sa  nature  et  sa  condition.  Nulle  difficulté  pour  les 
êtres  sans  raison.  Mais  vis-à-vis  de  l'homme  ? 
L'homme  peut  mal  user  de  sa  liberté,  il  désobéit  et 
il  pèche  ;  il  peut  aussi  en  faire  un  excellent  usage, 
s'en  servir  pour  vaincre  ses  passions,  pratiquer  la 
vertu  et  accumuler  de  bonnes  œuvres.  En  présence  de 
cette  alternative,  Dieu  se  doit  à  lui-même  et  il  doit  à 
l'homme  de  traiter  l'homme  selon  le  bon  ou  mau- 
vais usage  de  sa    liberté.    Nécessairement,   il  doit 

1.  Rom.,  xi,  35.  —  2.  Sum.  theol.,  I,  Q.  xxi,  a.  i,  2. 


LA    JUSTICE    DE    DIEU  537 

récompenser  le  bien  et  punir  le. mal.  Dans  quelle 
mesure  et  de  quelle  manière,  c'est  ce  que  nous  ver- 
rons plus  tard. 

Cet  attribut  divin  se  retrouve,  cela  va  sans  dire,  à 
toutes  les  pages  de  nos  saints  Livres.  Tobie  disait 
dans  sa  prière  :  «  Vous  êtes  juste,  Seigneur  ;  justes 
sont  tous  vos  jugements,  et  toutes  vos  voles  sont 
miséricorde,  vérité  et  justice  (i).  »  Le  psalmiste, 
dans  son  éloge  de  la  loi  de  Dieu,  s'écriait  : 

«  Tu  es  juste,  Jéhovah, 

Et  tes  jugements  sont  équitables  (2).  » 

Saint  Mathieu  (3)  et  saint  Paul  (4)  répètent  : 
«  Dieu  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres.  »  L'Apôtre 
raisonnait  de  la  sorte  :  «  Ainsi,  qui  que  tu  sois, 
6  homme,  toi  qui  juges,  tu  es  inexcusable  :  car  en 
jugeant  les  autres,  tu  te  condamnes  toi-même,  puisque 
tu  fais  les  mêmes  choses,  toi  qui  juges.  Car  nous  savons 
que  le  jugement  de  Dieu  est  selon  la  vérité  contre  ceux 
qui  commettent  de  telles  (fautes).  Et  tu  penses,  ô 
homme,  toi  qui  juges  ceux  qui  les  commettent,  et  qui 
les  fais  toi-même,  que  tu  échapperas  au  jugement  de 
Dieu  ?  Ou  méprises-tu  les  richesses  de  sa  bonté,  de  sa 
patience  et  de  sa  longanimité  ?  Et  ne  sais-tu  pas  que 
la  bonté  de  Dieu  t'invite  à  la  pénitence  ?  Par  ton  endur- 
cissement et  ton  cœur  impénitent,  tu  t'amasses  un 
trésor  de  colère  pour  le  jour  de  la  colère  et  de  la 
manifestation  du  juste  jugement  de  Dieu,  qui  rendra  à 
chacun  selon  ses  œuvres  :  la  vie  éternelle  à  ceux  qui, 
par  la  persévérance  dans  le  bien,  cherchent  la  gloire, 
l'honneur  et  l'immortalité  ;  mais  la  colère  et  l'indigna- 
tion aux  enfants  de  contention,  indociles  à  la  vérité, 
dociles  à  l'iniquité  (5).  »    C'est   en    quelques    mots, 

1.  Tob.,  m,  2.  —  2.  Psal.,  cxviii,  137.  —  3.  Matth.,  xvi,  27» 
—  4.  Rom.,  11,  6.  —  5.  Rom.,  11,  1-8. 


538  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

l'indication  de  la  rétribution  finale.  Et  si,  d'une 
part,  on  comprend,  devant  cette  alternative  formi- 
dable, la  vérité  de  celte  sentence .  a  77  est  effroyable 
de  tomber  dans  les  mains  du  Dieu  vivant  (i),  »  car  la 
justice  de  Dieu  n'est  redoutable  qu'aux  pécheurs, 
on  comprend  aussi,  d'autre  part,  la  confiance,  la 
sérénité,  le  calme  et  la  paix  du  serviteur  bon  et 
fidèle,  qui  faisaient  dire  à  saint  Paul  :  a  J'ai  com- 
battu le  bon  combat,  j'ai  achevé  ma  course,  j'ai  gardé 
la  foi;  il  ne  me  reste  plus  qu'à  recevoir  la  couronne 
de  justice,  que  me  donnera  en  ce  jour-là  le  Seigneur, 
le  juste  juge,  et  non  seulement  à  moi,  mais  à  tous  ceux 
qui  auront  aimé  son  avènement  (2).  » 

4.  La  Sainteté.  —  La  Sainteté  est  Fabrégé  et 
comme  un  précis  des  perfections  divines.  C'est  elle 
qu'exaltait  en  particulier  Moïse,  après  le  passage 
miraculeux  de  la  Mer  Piouge. 

«  Je  chanterai  à  Jéhovah,  car  il  a  fait  éclater  sa  gloire  : 
Il  a  précipité  dans  la  mer  cheval  et  cavalier. 


Qui  est  comme  toi  parmi  les  Dieux,  0  Jéhovah  ? 
Qui  est  comme  toi  auguste  en  sainteté  (3)  ?  » 

Dieu  se  manifeste  à  ses  prophètes  comme  le 
saint,  le  très  saint,  le  trois  fois  saint.  Isaïe  raconte 
ainsi  l'une  de  ses  visions  •  «  Je  vis  le  Seigneur 
assis  sur  un  trône  haut  et  élevé,  et  les  pans  de  sa  robe 
remplissaient  le  temple.  Des  séraphins  se  tenaient  au- 
dessus  de  lui  ;  ils  avaient  chacun  six  ailes...  Et  ils 
criaient  l'un  à  l'autre  et  disaient  : 

Saint,  saint,  saint  est  Jéhovah  des  armées  ! 
Toute  la  terre  est  pleine  de  sa  gloire  (4).  » 

1.  Heb.,  x,  3i.  —  2.  II  Tim.,  iv,  7-8.  —  3.  Exod.,  xv,  1,  ir» 
—  4-  Isaï,  vi,  i-3. 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  539 

Dans  la  vision  de  saint  Jean,  c.e  sont  les  quatre 
animaux  symboliques,  recouverts  eux  aussi  de 
six  ailes,  qui  ne  cessent  de  dire  jour  et  nuit  : 
«  Saint,  saint,  saint  est  le  Dieu  tout-puissant,  qui 
était,  qui  est  et  qui  vient  (i).  » 

Saint,  tel  est  le  titre  que  Notre  Seigneur  donne  â 
son  Père  avec  celui  de  juste,  dans  sa  dernière 
prière  :  Pater  sancte  (2),  Pater  juste  (3);  ces  deux 
titres  n'en  font  qu'un,  ils  résument  toutes  les  pér- 
il étions  morales  de  Dieu. 

La  sainteté  de  Dieu  est  incompatible  avec  tout 
péché,  avec  toute  imperfection  d'entendement  et  de 
volonté,  avec  tout  défaut;  car  Dieu  est  bon  par 
essence;  il  n'entend  et  ne  veut  que  ce  qu'il  faut; 
son  intelligence  et  sa  volonté  sont  sa  nature  même 
qui  est  excellente.  En  lui  se  confondent,  sa  perfec- 
tion morale  et  sa  perfection  naturelle. 

A  raison  de  cette  sainteté,  Dieu  veut  que  les  créa- 
tures raisonnables  s'appliquent  de  tous  leurs  efforts 
à  lui  ressembler.  «  Je  suis  Jéhovah,  votre  Dieu  ; 
vous  vous  sanctifierez,  et  vous  serez  saints,  car  je  suis 
saint  (4).  »  Et  c'est  pourquoi  il  entoure  de  tant 
d'égards  prodigieux  ceux  qui  travaillent  à  se 
sanctifier  sur  la  terre.  Il  les  encourage,  il  les  engage 
à  redoubler  d'efforts,  à  progresser  sans  cesse.  «  Que 
le  juste  pratique  encore  la  justice  :  et  que  le  saint  se 
sanctifie  encore  (5).  » 

Jéhovah  aime  la  justice, 

Et  il  n  abandonne  pas  ses  fidèles  (6).  » 

Les  abandonner  n'est  pas  assez.  C'est  en  eux  qu'il 
établit  sa  demeure.  «  Si  quelqu'un  m'aime,  dit 
Notre  Seigneur,  il  gardera  ma  parole,  et  mon  Père 

i.  Apoc,  iv,  8.  —  2.  Joan.,  xvu,  11.  —  3.  Joan.,  xvn,  a5.  — 
4.  Levit.,  xi,  44  ;  xix,  2  ;  1  Petr.t  if  16.  —  5.  Apoc,  xxn,  il.  — 
6.  Puai.,  xxxvi,  *8. 


540  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Vaimera,  et  nous  viendrons  à  lai,  et'  nous  ferons 
chez  lui  noire  demeure  (i).  »  L'âme  du  saint,  en 
effet,  est,  selon  l'enseignement  de  saint  Pau!,  le 
temple  particulièrement  choisi  de  Dieu  (2).  De  ce 
temple  béni  s'élèvent  des  prières,  justement  compa- 
rées aux  parfums  de  l'encens  (3).  Voici  comment 
la  Sagesse  dépeint  la  vie  des  saints  : 

«.  Les  âmes  des  justes  sont  dans  la  main  de  Dieu, 

Et  les  tourments  ne  les  atteindront  pas . 

Aux  yeux  des  insensés  ils  paraissent  être  morts, 

Et  leur  sortie  de  ce  monde  semble  être  un  malheur. 

El  leur  départ  du  milieu  de  nous  un  anéantissement  ; 

Mais  ils  sont  dans  la  paix. 

Alors  même  que,  devant  les  hommes,  ils  ont  subi  des  châ- 

Leur  espérance  est  pleine  d'immortalité.  [timents, 

Après  une  légère  peine,  ils  recevront  une  grande  récompense. 

Car  Dieu  les  a  éprouvés 

Et  il  les  a  trouvés  dignes  de  lui. 

Il  les  a  essayés  comme  l'or  dans  la  fournaise, 

Et  les  a  agréés  comme  un  parfait  holaucausle. 

Au  jour  de  leur  récompense,  les  justes  (>rilleront, 

Semblables  à  lajlamme  qui  court  a  travers  les  roseaux. 

Ils  jugeront  les  nations  et  domineront  les  peuples , 

Et  le  Seigneur  régnera  sur  eux  à  jamais  (4).   » 

Le  psalmiste  a  raison  de  dire  : 

«  Elle  a  du  prix  aux  yeux  de  Jéhovah, 

La  mort  de  ses  fidèles  (5).   » 

«  Les  fidèles  triomphent  dans  la  gloire 

Et  tressaillent  de  joie  sur  leur  couche  (0).   » 

La  récom pense  assurée  aux  élus  dépasse  tout  ce 
que  l'on  peut  concevoir.  Car,  dit  saint  Paul,  «  notre 

1.  Joan.,  xiv,  a3.  —  2.  T  Cor.,  ht,  17  ;  vi,  19  ;  II  Cor.,  vi,  16. 
—  3.  Apoc,  v.  S.  —  [\.  Sap.,  m,  î-S.  —  5.  l'sal.,  cxv,  i5.  — 
C.  PoCll.,  cxlix,  5. 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  5^1 

légère  affliction  du  moment  présent  produit  pour 
nous,  au-delà  de  toute  mesure,  un  poids  éternel  de 
gloire  (i).  » 

Le  pécheur  ne  saurait  aspirer  à  une  telle  récom- 
pense ;  sa  vie  répugne  à  la  sainteté  de  Dieu  :  c'est  le 
sentiment  de  David,  dans  sa  prière  matinale  : 

«  Jéhovah,  dès  le  matin,  tu  entendras  ma  voix; 

Car  tu  nés  pas  un  Dieu  qui  prenne  plaisir  au  mal; 

Avec  toi  le  méchant  ne  saurait  habiter. 

Les  insensés  ne  subsistent  pas  devant  tes  yeux  ; 

Tu  hais  tous  les  artisans  d'iniquité. 

Tu  fais  périr  les  menteurs  ; 

Jéhovah  abhorre  V homme  de  sang  et  de  fraude  (2).  » 

«  Les  pécheurs  attaquent  Dieu  inutilement  par 
leur  rébellion,  dit  Bossuet;  et  sa  sainteté  demeure 
inviolable  au  milieu  des  impiétés,  des  blasphèmes, 
des  impuretés,  dont  tout  l'univers  est  rempli  par  la 
malice  des  hommes  et  des  démons.  Il  demeure 
saint,  quoique  pour  punir  les  pécheurs  il  les  livre 
à  leurs  mauvais  désirs,  parce  que  les  y  livrer  n'est 
pas  les  produire.  Dieu  ne  fait  que  se  soustraire  lui- 
même  à  un  cœur  ingrat  ;  et  cette  soustraction  est 
sainte,  parce  que  Dieu  se  soustrait  justement  lui- 
même  à  ceux  qui  le  quittent,  et  punit  leur  égare- 
ment volontaire  en  les  frappant  d'aveuglement.  Il 
fait  tout  dans  l'homme,  excepté  le  seul  péché,  où 
son  action  ne  se  mêle  point.  Celui  qu'il  permet  ne 
le  souille  point,  parce  que  lui  seul  il  en  peut  tirer 
un  bien  infini,  et  plus  grand  que  n'est  la  malice  de 
tous  les  péchés  ensemble  (3).  » 

Dieu,  par  bonté,  par  miséricorde,  est  toujours 
prêt  à  pardonner  au  pécheur  repentant,  à  purifier 

1.  II  Cor.,  iv,  17.  —  2.  Psal,  v,  4-7.  —  3.  Elévations  sur  les 
mystères,  Ie  Scm.,  élév.  xi. 


5^2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

sa  conscience,  à  laver  ses  souillures,  à  le  recevoir 
dans  ses  bras  et  sur  son  cœur,  à  le  revêtir  de  la  robe 
11  u  plia  Le  et  à  se  réjouir  de  sa  conversion.  Car,  au 
ciel,  «  il  y  aura  plus  de  joie  pour  un  seul  pécheur 
qui  se  repeut  que  pour  quatre-vingt-dix-neuf  justes 
qui  n'ont  pas  besoin  de  se  repentir  (i).  »  Mais  si, 
malgré  tout,  le  pécheur  s'obstine  et  meurt  dans  son 
péché,  Dieu  lui  dira  :  «  Je  ne  vous  ai  jamais  connus. 
Retirez-vous  de  moi,  ouvriers  d'iniquité  (2).  »  Et  la 
sentence  du  souverain  juge,  condamnant  les  maudits 
au  feu  éternel,  sera  l'expression  de  sa  sainteté 
méconnue  et  de  sa  justice  suprême. 

En  présence  de  la  question  de  la  nature  de  Dieu, 
l'homme,  même  avec  les  secours  de  la  révélation, 
est  impuissant  à  la  résoudre  d'une  manière  adéquate, 
il  ne  peut  que  «  balbutier,  »  disions-nous  en  rappe- 
lant le  mot  de  saint  Grégoire.  Et  nous   ne  pouvons 
pas  mieux  terminer  que  par  ces  paroles  de  Fénelon  : 
u  Je  ne  puis   m'accoutumer  à    vous  voir,    ô  Infini 
simple,  au  dessus  de  toutes  les  mesures  par  lesquel- 
les mon   fait)le   esprit   est  toujours  tenté  de   vous 
mesurer.    J'oublie   toujours   le    point    essentiel  de 
votre  grandeur,  et  par  là  je  retombe  à  contre-temps 
dans  l'étroite  enceinte  des  choses  finies.  Pardonnez 
ces  erreurs,  ô  bonté  qui  n'est  pas  moins  infinie  que 
toutes   les  autres    perfections    de  mon  Dieu  ;   par- 
donnez les  bégayements  d'une  langue  qui  ne  peut 
s'abstenir  de  vous  louer,   et  les  défaillances  d'un 
esprit  que  vous  n'avez  fait  que  pour  admirer  votre 
perfection  (3).  » 


1.  Luc,  xv,  7.  —  2.  Matth.,  vu,  a3.  —  3.  Traité  de  l'existence 
de  Dieu,  à  la  fin. 


LA    SAINTETÉ.  DE    DIEU  5/j3 

1.  Louange  à  Dieu  pour  sa  bonté. 

«  Mon  âme,  bénis  Jéhovah, 

Et  que  tout  ce  qui  est  en  moi  bénisse  son  saint  nom  1 

Mon  âme,  bénis  Jéhovah, 

Et  n'oublie  pas  ses  nombreux  bienfaits. 

C'est  lui  qui  pardonne  toutes  les  iniquités, 

Qui  guérit  toutes  les  maladies  ; 

Cest  lui  qui  délivre  ta  vie  de  la  fosse, 

Qui  te  couronne  de  bonté  et  de  miséricorde  ; 

C'est  lui  qui  comble  de  biens  tes  désirs  ; 

Et  ta  jeunesse  renouvelée  a  la  vigueur  de  l'aigle. 

((  Jéhovah  exerce  la  justice, 

Il  fait  droit  à  tous  les  opprimés. 

Il  a  manifesté  ses  voies  à  Moïse, 

Ses  grandes  œuvres  aux  enfants  d'Israël. 

Jéhovah  est  miséricordieux  et  compatissant, 

Lent  à  la  colère  et  riche  en  bonté. 

Ce  n'est  pas  pour  toujours  qu'il  réprimande, 

Il  ne  garde  pas  à  jamais  sa  colère. 

Il  ne  nous  traite  pas  selon  nos  péchés, 

Et  ne  nous  châtie  pas  selon  nos  iniquités. 

«  Car  autant  les  cieux  sont  élevés  au-dessus  de  la  terre, 
Autant  sa  bonté  est  grande  envers  ceux  qui  le  craignent. 
Autant  l'Orient  est  loin  de  l'Occident, 
Autant  il  éloigne  de  nous  nos  transgressions. 
Comme  un  père  a  compassion  de  ses  enfants 
Jéhovah  a  compassion  de  ceux  qui  le  craignent. 
Car  il  sait  de  quoi  nous  sommes  formés, 
Il  se  souvient  que  nous  sommes  poussière. 

«  L'homme  !  Ses  jours  sont  comme  l'herbe, 

Il  fleurit  comme  la  fleur  des  champs. 

Qu'un  souffle  passe  sur  lui,  il  n'est  plus, 

Et  le  lieu  qu'il  occupait  ne  le  connaît  plus.       [craignent, 

Mais  la  bonté  de  Jéhovah  dure  à  jamais  pour  ceux  qui  le 

Et  sa  justice  pour  les  enfants  de  leurs  enfants, 

Pour  ceux  qui  gardent  son  alliance,  [ver. 

£t  se  souviennent  de  ses  commandements  pour  les  obser- 


5/|4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

«  Jéhovah  a  établi  son  trône  dans  les  cieux, 

Et  son  empire  s'étend  sur  toutes  choses. 

Bénissez  Jéhovah,  vous,  ses  anges, 

Qui  êtes  puissants  et  forts,  et  qui  exécutez  ses  ordres, 

En  obéissant  à  la  voix  de  sa  parole. 

Bénissez  Jéhovah,  vous  toutes,  ses  armées, 

Qui  êtes  ses  serviteurs  et  exécutez  sa  volonté  ! 

Bénissez  Jéhovah,  vous  toutes,  ses  œuvres, 

Dans  tous  les  lieux  de  sa  domination  ! 

Mon  âme,  bénis  Jéhovah  !  »  (Psaume  en.) 

2.   En  l'honneur  du  Créateur  et  du  Bienfaiteur 
d'Israël. 

«  Rendez  hommage  à  Jéhovah,  car  il  est  bon, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

Rendez  hommage  au  Dieu  des  dieux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

Rendez  hommage  au  Seigneur  des  seigneurs, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

A  celui  qui  seul  opère  de  grands  prodiges, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Qui  a  fait  les  cieux  avec  sagesse, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Qui  a  étendu  la  terre  sur  les  eaux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Qui  a  fait  les  grands  luminaires, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Le  soleil  pour  présider  au  jour, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

La  lune  et  les  étoiles  pour  présider  la  nuit, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  frappa  les  Egyptiens  dans  leurs  premiers-nés, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Il  fit  sortir  Israël  du  milieu  d'eux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

D'une  main  forte  et  d'un  bras  étendu, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  divisa  en  deux  la  mer  rouge, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 


LA    SAINTETÉ    DE    DIEU  5/J5 

Qui  fit  passer  Israël  au  travers, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  précipita  Pharaon  et  son  armée  dans  la  mer  rouge 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  conduisit  son  peuple  dans  le  désert, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Qui  frappa  de  grands  rois, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  fit  périr  des  rois  puissants, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Séhon,  roi  des  Amorrhéens, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  Og,  roi  de  Basan, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

Qui  donna  leur  pas  en  héritage, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

En  héritage  à  Israël,  son  serviteur, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  se  souvint  de  nous  quand  nous  étions  humiliés, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle, 

Et  nous  délivra  de  nos  oppresseurs, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle  ; 

A  celui  qui  donne  à  tout  ce  qui  vit  la  nourriture, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle. 

Rendez  hommage  au  Dieu  des  cieux, 

Car  sa  miséricorde  est  éternelle.  » 

(Psaume  cxxxv.) 

3.  Toute-puissance  de  Dieu.  Chant  de  Moïse  après  le 
passage  de  la  mer  Rouge. 

«  Je  chanterai  à  Jéhovah,  car  il  a  fait  éclater  sa  gloire  : 

Il  a  précipité  dans  la  nier  cheval  et  cavalier. 

Jéhovah  est  ma  force  et  l'objet  de  mes  chants  ; 

C'est  lui  qui  m'a  sauvé  ; 

C'est  lui  qui  est  mon  Dieu  :  je  le  célébrerai  ; 

Le  Dieu  de  mon  père  :  je  l'exalterai. 

Jéhovah  est  un  vaillant  guerrier  ; 

Jéhovah  est  son  nom  ! 

Il  a  jeté  dans  la  mer  les  chars  de  Pharaon  et  son  armée  ; 

LH    CATF.CHISMB.    T.    I.  35 


546  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

L'élite  de  ses  capitaines  a  été  engloutie  dans  la  mer  ronge. 

Les  flots  les  couvrent. 

Ils  sont  descendus  au  fond  des   eaux  comme  une  pierre, 

Ta  droite,  ô  Jéhovah,  s'est  signalée  par   sa  force  : 

Ta  droite,  ô  Jéhovah,  a  écrasé  l'ennemi. 

Dans  la  plénitude  de  ta  majesté, 

Tu  renverses  tes  adversaires  ; 

Tu  déchaînes  ta  colère  : 

Elle  les  consume  comme  du  chaume. 

Au  souffle  de  tes  narines,  les  eaux  se  sont  amoncelées, 

Les  flots  se  sont  dressés  comme  une  muraille, 

Les  vagues  se  sont  durcies  au  sein  de  la  mer. 

L'ennemi  disait  :  «  Je  les  poursuivrai,  je  les  atteindrai, 

Je  partagerai  les  dépouilles, 

Ma  vengeance  sera  assouvie  ; 

Je  tirerai  l'épée,  ma  main  les  exterminera.  » 

Tu  as  soufflé  de  ton  haleine  : 

La  mer  les  a  couverts, 

Ils  se  sont  enfoncés  comme  du  plomb 

Dans  les  vastes  eaux. 

Qui  est  comme  toi  parmi  les  dieux,  ô  Jéhovah  ? 

Qui  est  comme  toi  auguste  en  sainteté  ? 

Redoutable  à  la  louange  même, 

Opérant  des  prodiges  ? 

Tu  as  étendu  ta  droite, 

La  mer  les  a  engloutis... 

Les  peuples  l'ont  appris,  ils  tremblent  ; 

La  terreur  s'empare  des  Philistins  ; 

Déjà  les  princes  d'Edom  sont  dans  l'épouvante  ; 

L'angoisse  s'empare  des  forts  de  Moab  ; 

Tous  les  habitants  de  Chanaan  ont  perdu  courage  ; 

La  terreur  et  la  détresse  tomberont  sur  eux. 

Par  la  force  de  ton  bras 

Ils  deviendront  immobiles  comme  une  p;erre, 

Jusqu'à  ce  que  ton  peuple  ait  passé,  ô  Jéhovah... 

Jéhovah  régnera  à  jamais  et  toujours.  » 

(Exode,  xv,  1-18.) 


Article  Premier 

Je  crois  en  Dieu  le  Père... 
en  Jésus-Christ...  au  Saint-Esprit. 


Leçon  XVIe 
De  la  Sainte  Trinité 


I.  Les  formules.  —  IL  La  preuve  scripturaire  ? 
i*  Dans  l'Ancien  Testament  —  a°.  Dans  le  Nou- 
veau. 

I.  Les  Formules 

Le  mystère  de  la  Sainte  Trinité  se  trouve  formulé 
succintement  dans  ces  paroles  de  Notre  Seigneur 
à  ses  apôtres,  avant  l'ascension  :  «  Allez,  enseignez 
toutes  les  nations,  baptisez-les  au  nom  du  Père  et  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit  (i).  » 

i .  Il  y  a  loin  de  cette  formule  si  concise  à  celle  du  sym- 
bole de  saint  Athanase,  si  explicite  et  si  détaillée,  comme 
nous  l'avons  vu  :  «  La  foi  catholique  c'est  d'adorer  un 
seul  Dieu  dans  la  Trinité  et  la  Trinité  dans  l'unité,  sans 
confondre  les  personnes,  sans  séparer  les  substances.  Car 
autre  est  la  personne  du  Père,  autre  celle  du  Fils,  autre 
celle  de  l'Esprit-Saint.  Mais  pour  le  Père,  le  Fils  et  l'Es- 
prit-Saint,  une  est  la  divinité,  égale  la  gloire,  coéternelle 

i.  Matth.,  xxvin,  19. 


548  LE   CATÉCHISME   ROMAIN 


la   majesté.  Tel  le  Père,   tel  le  Fils,  tel  l'Esprit-Saint. 
Incréé  est  le  Père,  incréé  est  le  Fils,  incréé  est  l'Esprit- 
Saint.    Immense  est  le  Père,  immense  le  Fils,  immense 
l'Esprit-Saint.    Eternel  est  le  Père,   éternel   est  le  Fils, 
éternel  l'Esprit-Saint  ;  et  pourtant  ce  ne  sont  point  trois 
éternels,   mais  un  seul  éternel  ;  ni  trois  incréés,  ni  trois 
immenses,   mais  un  seul  incréé  et  un  seul  immense.  De 
même  tout-puissant  est  le  Père,  tout-puissant  est  le  Fils, 
tout-puissant  est  l'Esprit-Saint  ;   et  pourtant  ce  ne  sont 
pas  trois  tout-puissants,  mais  un  seul  tout-puissant.  Ainsi 
Dieu  est  le  Père,   Dieu  le  Fils,   Dieu  l'Esprit-Saint  ;  et 
pourtant  ce  ne  sont  pas  trois  dieux,  mais  un  seul  Dieu... 
De  même  que  la  vérité  chrétienne  nous  oblige  de  confesser 
que  chaque  personne,  séparément,  est  Dieu  et  Seigneur, 
de  même  la  religion  catholique  nous  défend  de  dire  trois 
Dieux   ou   trois  Seigneurs.   Le  Père  n'a  été  ni  fait,    ni 
créé,  ni  engendré.  Le  Fils  est  du   Père  seul,  ni  fait,   ni 
créé,  mais  engendré.  L'Esprit-saint  est  du  Père  et  du  Fils, 
ni  fait,  ni  créé,  ni  engendré,  mais  procédant  de  l'un  et  de 
l'autre.  Il  n'y  a  donc   qu'un   Père,  et  non  trois  Pères  ; 
qu'un  Fils,  et  non  trois  Fils,  qu'un  Esprit-Saint,  et  non 
trois  Esprits-Saints.  Et,  dans  cette  Trinité,  rien  n'est  plus 
ancien  ou  plus  jeune,  rien  n'est  plus  grand  ou  plus  petit, 
mais  les   trois  personnes  sont  coéternelles  et  coégales 
entre  elles.  » 

2.  Tous  les  éléments  essentiels  du  dogme  de  la  Trinité 
se  trouvent  réunis  dans  le  symbole  de  foi  du  xi"  Concile 
de  Tolède,  tenu  en  675  :  «  Nous  confessons  et  croyons  que 
la  sainte  et  ineffable  Trinité,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit  est 
essentiellement  un  seul  Dieu  d'une  seule  substance,  d'une 
seule  nature,  d'une  seule  majesté  et  puissance.  Nous 
professons  que  le  Père  n'est  ni  engendré,  ni  créé,  mais 
inengendré,  ne  tenant  de  personne  son  origine...,  que  le 
Fils  est  né  de  la  substance  du  Père  sans  commencement 
avant  tous  les  siècles...,  de  la  même  substance  que  la 
Père,  et  c'est  pourquoi  on  le  dit  consubstantiel  au 
Père...  Nous  croyons  également  que  l'Esprit-Saint,  la 
troisième  personne  de  la  Trinité,  est  un  seul  et  même 
Dieu  avec  Dieu   le   Père   et  le    Fils,    d'une   seule  et 


LA    SAINTE    TRINITÉ  549 

même  substance,  d'une  seule  et  même  nature  ;  ni  engen- 
dré,  ni  créé,  mais  procédant  de  l'un  et  de  l'autre... 
Les  noms  des  personnes  marquent  leurs  relations  réci- 
proques, celui  de  Père  par  rapport  au  Fils,  celui  de  Fils 
par  rapport  au  Père,  celui  de  Saint-Esprit  par  rapport  à 
l'un  et  à  l'autre...  Nous  ne  professons  pas,  trois  substan- 
ces comme  nous  professons  trois  personnes,  mais  une 
seule  substance  et  trois  personnes...  A  chacune  des  trois 
appartient  une  seule  et  indivise  et  égale  divinité...  Nous 
distinguons  les  personnes,  nous  ne  scindons  pas  la  divi- 
nité. Nous  reconnaissons  la  Trinité  dans  la  distinction 
des  personnes,  mais  nous  professons  l'unité  à  cause  de  la 
nature  ou  delà  substance...  Bien  qu'ils  soient  trois  en  un 
et  un  en  trois,  chaque  personne  cependant  possède  ses 
propriétés  personnelles  (i).  » 

3.  Au  commencement  du  xni°  siècle,  le  rv°  Concile  de 
Latran  de  12 15  condamne  les  erreurs  de  Joachim  de 
Flore,  de  la  manière  suivante  :  a  Le  saint  Concile  approu- 
vant, nous  croyons  et  confessons  avec  Pierre  Lombard 
qu'il  existe  une  chose  unique  et  suprême,  incompréhensi- 
ble et  ineffable,  qui  est  véritablement  Père,  Fils  et  Saint- 
Esprit,  trois  personnes  ensemble  et  chacune  d'elles  à 
part.  Et  ainsi  en  Dieu  la  Trinité  seulement  existe,  non  la 
quaternité,  parce  que  chacune  de  ces  trois  personnes  est 
cette  chose,  c'est-à-dire  la  substance,  l'essence  ou  la 
nature  divine,  qui  seule  est  le  principe  de  toutes  choses 
en  dehors  duquel  on  ne  peut  en  découvrir  quelque  autre. 
Et  cette  chose  n'est  ni  génératrice,  ni  engendrée,  ni  pro- 
cédante, mais  elle  est  le  Père  qui  engendre,  et  le  Fils  qui 
est  engendré,  et  le  Saint-Esprit  qui  procède,  pour  que  les 
distinctions  soient  dans  les  personnes  et  l'unité  dans  la 
nature.  Donc,  bien  que  le  Père  soit  un  autre,  le  Fils  un 
autre,  le  Saint-Esprit  un  autre,  ils  ne  sont  pourtant  pas 
autre  chose,  mais  cette  chose,  qui  est  le  Père,  est  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit,  la  même  chose  tout-à-fait  ;  de  sorte 
que,  conformément  à  la  foi  orthodoxe  et  catholique,  nous 
croyons   qu'il   sont  consubstantiels.  En  effet,  le  Père,  en 

1.  Denzinger,  n,  222-234. 


550  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


engendrant  éternellement  le  Fils,  lui  a  donné  sa  subs- 
tance, comme  il  (le  Fils)  en  témoigne  :  «  Ce  que  le  Père 
m'a  donné  est  plus  grand  que  toutes  choses.  »  Et  on  ne 
peut  pas  dire  qu'il  lui  ait  donné  une  partie  de  sa  subs- 
tance et  qu'il  en  ait  retenu  une  partie  pour  lui-même, 
puisque,  étant  absolument  simple,  la  substance  du  Père 
est  indivisible.  Mais  l'on  ne  peut  pas  dire  davantage  que 
le  Père,  en  engendrant,  ait  transféré  sa  substance  au  Fils, 
comme  s'il  l'avait  donnée  au  Fils  de  manière  à  ne  pas  la 
retenir  pour  lui-même  :  autrement  il  aurait  cessé  d'être 
une  substance.  11  est  donc  clair  qu'en  naissant  le  Fils  a 
reçu  la  substance  du  Père  sans  aucune  diminution,  et 
ainsi  le  Père  et  le  Fils  ont  même  substance.  Par  consé- 
quent une  même  chose  est  à  la  fois  le  Père  et  le  Fils,  et 
aussi  le  Saint-Esprit,  qui  procède  de  l'un  et  de  l'au- 
tre (i).  » 

4.  Le  Catéchisme  romain  commence  par  légitimer  le 
nom  de  Père  qu'on  donne  à  Dieu  dans  le  Symbole.  «  Quel- 
ques-uns, dit-il,  même  de  ceux  dont  la  foi  n'éclairait  pas 
les  ténèbres,  ont  compris  que  Dieu  est  une  substance 
éternelle,  qu'il  est  le  principe  de  toutes  choses,  qu'il  gou- 
verne et  conserve,  par  sa  providence,  l'ordre  et  l'état  de 
tout  ce  qui  est  ;  et  de  là,  voyant  que  les  hommes  don- 
nent le  nom  de  père  à  celui  qui  est  le  chef  d'une  famille, 
qui  la  gouverne  par  son  autorité  et  ses  conseils,  ils  ont 
attribué  aussi,  par  comparaison,  le  même  nom  à  Dieu, 
qu'ils  reconnaissent  pour  créateuret  gouverneur  de  toutes 
choses.  C'est  du  même  nom  que  se  servent  les  Ecritures 
lorsqu'elles  rappellent  que  Dieu  est  le  créateur  de  toutes 
choses,  que  son  pouvoir  et  sa  providence  admirable  s'é-  , 
tendent  sur  tout. 

«  N'est-il  pas  ton  père,  ton  créateur  ? 
Celui  qui  Va  Jait  et  qui  Va  établi  (a)  ? 

a  N'avons-nous  pas    tous    un  même  père?  Un  même 
Dieu  ne  nous  a-t-ilpas  tous  créés  (3)  ?  »  Mais  il  est  appelé 

i.  Denzinger,  n.  358.  —  a.  Deut.,  xxxn,  6.  —  3.  Malach.,. 
II,  io. 


LA    SAINTE    TRINITÉ  55 1 


bien  plus  souvent  et  d'une  manière  toute  particulière  le 
père  des  chrétiens,  surtout  dans  le  Nouveau  Testament. 
C'est  des  chrétiens  que  l'apôtre  dit  :  «  Vous  n'avez  pas 
reçu  un  esprit  de  servitude  pour  être  encore  dans  la 
crainte,  mais  un  Esprit  d'adoption,  en  qui  nous  crions  : 
Abba  !  Père  (1).  »  Là  «  le  Père  nous  a  témoigné  ta/il1,, 
d'amour,  dit  saint  Jean,  que  nous  sommes  appelés  et  quâ] 
nous  sommes  réellement  les  enfants  de  Dieu  (2)  ;  »  «  or 
si  nous  sommes  enfants,  nous  sommes  aussi  héritiers, 
héritiers  de  Dieu  et  cohéritiers  du  Christ  (3),  »  «  qui  est 
le  premier-né  d'un  grand  nombre  de  frères  (4),  »  «  et  qui 
ne  rougit  pas  de  nous  appeler  ses  frères  (5).  »  Ainsi,  soit 
que  l'on  regarde  Dieu  du  côté  de  la  création  et  de  sa  pro- 
vidence universelle,  soit  qu'on  considère  spécialement 
l'adoption  spirituelle  qu'il  a  faite  des  chrétiens,  c'est 
avec  raison  que  les  fidèles  le  reconnaissent  pour  leur 
père. 

«  Mais,  outre  ces  significations,  le  pasteur  avertira  les 
fidèles  qu'en  entendant  le  nom  de  Père,  ils  doivent  élever 
leur  esprit  à  des  mystères  plus  sublimes  encore.  Tout  ce 
qu'il  y  a,  en  effet,  et  de  plus  caché  et  de  plus  impénétra- 
ble dans  a  cette  lumière  inaccessible  que  Dieu  habite  (6),  » 
ce  que  la  raison  humaine  ne  pouvait  ni  atteindre  ni  soup- 
çonner, se  trouve  exprimé  par  ce  nom  de  Père,  comme 
nous  l'apprennent  les  oracles  sacrés.  Il  nous  avertit  donc 
qu'il  y  a  dans  l'essence  divine,  non  une  seule  personne 
mais  plusieurs  réellement  distinctes.  Nous  croyons,  en 
effet,  qu'il  y  en  a  trois  dans  la  même  nature  :  celle  du 
Père,  qui  n'est  engendrée  d'aucune  autre  ;  celle  du  Fils, 
qui  est  engendrée  du  Père  avant  tous  les  siècles  ;  celle  du 
Saint-Esprit,  qui  procède  du  Père  et  du  Fils,  de  toute 
éternité.  Le  Père  est,  dans  l'unité  de  la  nature  divine,  la 
première  personne,  faisant  avec  son  Fils  unique  et  le 
Saint-Esprit  un  seul  Dieu,  un  seul  Seigneur  :  non  point 
une  seule  personne,  mais  une  seule  nature  en  trois  per- 
sonnes. Et  on  ne  doit  pas  s'imaginer  qu'il  y  ait  entre 
elles  aucune   différence,    ni  aucune  inégalité.  Toute  la 

1.  Rom.,  vin,  i5.  —  a.  1  Joan.,  m,  1.  —  3.  Rom.,  vm,  17.  — 
4.  Rom.,  vm,  29,  —  5.  Heb.,  11,  11.  —  6.  1  Tim.,  vi,  16. 


552  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 


distinction  que  l'on  conçoit  en  elles,  vient  de  leurs  pro- 
priétés respectives.  Le  Père  n'est  point  engendré  ;  le  Fils 
est  engendré  du  Père  ;  le  Saint-Esprit  procède  de  l'un  et 
de  l'autre.  Et  ainsi,  pour  ces  trois  personnes,  nous  con- 
fessons la  même  essence,  la  même  substance,  et,  dans  la 
confession  de  cette  vraie  et  éternelle  divinité,  nous  ado- 
rons avec  piété  et  respect  la  distinction  dans  les  person- 
nes, l'unité  dans  l'essence,  et  l'égalité  dans  la  Trinité. 

«  Ainsi  lorsque  nous  disons  que  le  Père  est  la  première 
personne,  il  ne  faut  pas  croire  que  nous  reconnaissions 
dans  la  Trinité  quelque  chose  de  premier  et  de  dernier, 
de  plus  grand  et  de  plus  petit.  A  Dieu  ne  plaise  qu'une 
telle  impiété  entre  dans  l'esprit  des  fidèles.  La  religion 
chrétienne  enseigne  que  la  même  éternité,  la  même 
gloire  et  la  même  majesté  conviennent  aux  trois  person- 
nes. Mais  parce  qu'il  est  le  principe  sans  principe,  nous 
affirmons  avec  vérité  et  sans  hésiter  que  le  Père  est  la 
première  personne  ;  et  parce  qu'il  est  distingué  des 
autres  personnes  par  la  propriété  de  Père,  c'est  par  là  que 
de  toute  éternité  il  a  dû  engendrer  son  Fils.  Et  de  là  vient 
que  dans  cet  article  nous  joignons  ensemble  le  nom  de 
Dieu  et  de  Père  pour  nous  faire  souvenir  que  la  première 
personne  a  toujours  été  Dieu  et  Père. 

«  Mais  comme  il  n'y  a  rien  de  plus  périlleux  que  de 
chercher  à  pénétrer  des  choses  si  sublimes  et  si  difficiles, 
ni  rien  de  plus  grave  que  de  se  tromper  en  voulant  les 
expliquer,  les  pasteurs  feront  entendre  aux  fidèles  qu'ils 
doivent  retenir  soigneusement  les  mots  d'essence  et  de 
personne,  consacrés  à  l'expression  propre  de  ce  mystère, 
et  se  souvenir  que  l'unité  est  dans  l'essence  et  la  distinc- 
tion dans  les  personnes.  Qu'ils  se  gardent  de  faire  là-des- 
sus des  recherches  subtiles  et  curieuses,  conformément  à 
cette  sentence  :  «  Celui  qui  veut  sonder  la  majesté 
(divine)  sera  accablé  par  sa  gloire  (i).  »  C'est  assez  pour 
nous  de  connaître  certainement  par  la  foi  que  Dieu  lui- 
même  nous  a  enseigné  cette  vérité  ;  car  ne  pas  croire  à 
ses  oracles  serait  le  comble  de  la  folie  et  du  malheur. 

i.  Prov.y  xxv,  27. 


LA    SAINTE    TRINITÉ  553 


Ulez,  dit  Jésus-Christ  à  ses  apôtres,  enseignez  toutes 
tes  ;>:i lions,  les  baptisant  au  nom  dû  Père,  et  du  Fils,  et 
■lu  Saint-Esprit.  »  Et  nous  lisons  dans  saint  Jean  :  «  Il  y 
en  a  trois  qui  rendent  témoignage  dans  le  ciel,  le  Père,  le 
Verbe  et  l'Esprit,  et  les  trois  ne  font  qu'une  chose  (i).  » 

(  Que  celui  donc  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  croit  ces 
vérités,  adresse  sans  cesse  ses  prières  au  Père  qui  a  créé 
toutes  choses  de  rien,  qui  les  a  ordonnées  par  sa  bonté, 
qui  «  nous  a  donné  le  pouvoir  de  devenir  ses  entants  (2),  » 
qui  a  révélé  à  l'esprit  humain  le  mystère  de  la  sainte 
Trinité,  afin  qu'il  le  rende  digne  d'entrer  dans  les  taber- 
nacles éternels  et  d'y  contempler  cette  infinie  fécondité 
de  Dieu  le  Père  qui,  en  se  contemplant  et  en  se  connais- 
sant lui-même,  engendre  un  Fils  qui  lui  est  égal  et  sem- 

1.  I  Joan.,  v,  7.  Ce  verset  dit  des  trois  témoins  célestes  cadre 
avec  l'enseignement  de  saint  Jean.  Est-il  vraiment  de  l'apôtre  ? 
C'est  ce  que  la  critique  révoque  en  doute,  parce  qu'il  ne  se 
trouve  pas  dans  les  anciens  manuscrits.  En  fait,  pendant  toute 
la  controverse  trinitaire,    au   111e  et  ive  siècles,  il  n'est  jamais 
cité  ;  c'eût  été  pourtant  le  cas.  Tout  au  plus  croit-on  trouver 
quelques  allusions   dans  Tertullien  et  saint  Cyprien.  Ni  saint 
Hilaire,  ni  saint  Athanase,  ni  les  Pères  cappadociens,  ni  même 
saint  Augustin   n'en   font  mention  ;  mais  il  parait  à  partir  de 
la  seconde  moitié  du  ve  siècle,  et  depuis  il  a  été  souvent  utilisé. 
La  Vulgate  latine  le  renferme.  La  question  s'est  donc  posée  de 
savoir  s'il   faut   le   regarder   comme  authentiqne  ou  comme 
interpolé.    Sa  présence  dans  la  Bible  officielle  lui  confère  au 
moins  l'autorité  d'un  témoignage  traditionnel  de  vérité  doc- 
trinale, sans  qu'on  en  puisse  conclure  que  ce  soit  vraiment  un 
témoignage  biblique.   Le   Saint-Office,  il  est  vrai,  a  répondu 
négativement,   le    i3   janvier   1897,  à  cette  question  :  Utrum 
tuto  negari  aut  saltem  in  dubium  revocari  possit,  esse  authen- 
ticum   textum  sancti  Joannis  epistolae  prima?,  v,  7,   et  a  dit 
de  l'opinion  contraire  :  tuto  doceri  non  potcst.  Interrogée  par 
le  cardinal  Vaughan,  la  Congrégation  a  répondu  qu'elle  n'avait 
pas  prétendu  trancher  la  question  de  critique   ni  d'authenti- 
cité proprement  dite,  mais  que  l'authenticité  doit  s'entendre 
relativement  à  la  Vulgate,   en  ce   sens  que  le  texte  doit  être 
respecté   comme  partie  de  la  Bible  ecclésiastique  et  comme 
document  traditionnel.    Voir  sur  ce  verset  l'étude  de  Le  Hir, 
Etudes  bibliques,  Paris,  1869,  1. 1.  —  2.  Joan.,  I,  12. 


554  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

blable,  ce  lien  éternel  et  indissoluble  par  lequel  le  SainU 
Esprit,  amour  parfaitement  égal  du  Père  et  du  Fils,  pro- 
cédant de  l'un  et  de  l'autre,  unit  ensemble  à  jamais  celui 
qui  engendre  et  celui  qui  est  engendré  ;  enfin  l'unité 
d'essence  dans  la  sainte  Trinité  et  la  parfaite  distinction 
des  trois  personnes  (i).  » 

IL  La  preuve  scripturaire 

1°  Dans  l'Ancien  Testament.  —  Le  mys- 
tère de  la  sainte  Trinité  ne  se  trouve  pas  formel- 
lement exprimé  dans  l'Ancien  Testament  ;  il  n'y 
est  qu insinué  ;  et  ce  n'est  que  grâce  à  la  révé- 
lation évangélique  qu'on  peut  en  relever  les  traces. 
Nulle  difficulté  en  ce  qui  regarde  la  divinité  et  la 
personnalité  de  Dieu  le  Père  :  ces  vérités  s'y  trou- 
vent nettement  enseignées.  On  n'en  saurait  dire  au- 
tant en  ce  qui  concerne  la  personne  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit. 

i.  Toutefois,  dans  la  Genèse  et  dans  l'histoire  des 
patriarches,  paraît  souvent  un  personnage  qui 
s'appelle  l'Ange  ou  l'Envoyé  de  Jéhovah,  qui  est 
traité  comme  Jéhovah  lui-même,  qui  parle  comme 
s'il  était  Jéhovah,  se  révèle  à  Moïse  comme  Jéhovah 
El  Schaddaï,  sauve  les  Israélites,  apparaît  à  Gédéon, 
annonce  aux  parents  de  Samson  la  naissance  du 
futur  libérateur  des  Hébreux,  qui  doit  se  montrer 
dans  le  temple  de  Jérusalem. 

N'est-ce  pas  là  une  hyposthase,  une  personne 
divine,  ayant  pour  rôle  de  manifester  et  de  révéler  l 
la  providence  de  Dieu,  rôle  qui  deviendra  plus 
visible  dès  qu'il  paraîtra  au  milieu  d'Israël?  Ce  per- 
sonnage mystérieux  est  dépeint  à  plusieurs  reprises 
sous  les  traits  de  la  Sagesse.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  nous  lisons  dans  les  Proverbes  (2)  : 

1.  Cat.  rom.,  I,  art.  1,  x-xrv.  —  a.  Prov.,  vin,  aa-3i. 


LA    TRINITÉ    I    PREUVE    SCRIPTURAIRE  555 

«  Jéhovah  m'a  possédée  au  commencement  de  ses  voies, 

Avant  ses  œuvres  les  plus  anciennes. 

J'ai  été  fendée  dès  i 'éternité, 

Dès  le  commencement,  avant  l'origine  de  la  terre. 

Il  n'y  avait  point  a"  abîmes  quand  je  fus  formée. 

Point  de  sources  chargées  d'eaux. 

Avant  que  les  montagnes  fussent  affermies. 

Avant  les  collines ,  j'étais  enfantée, 

Lorsqu'il  n'avait  encore  fait  ni  la  terre,  ni  les  plaines, 

Ni  les  premiers  éléments  de  la  poussière  du  globe. 

Lorsqu'il  disposa  les  deux,  j'étais  là  ; 

Lorsqu'il  traça  un  cercle  à  la  surface  de  l'abîme, 

Lorsqu'il  affermit  les  nuages  en  haut, 

Et  qu'il  dompta  les  sources  de  l'abîme, 

Lorsqu'il  fixa  une  limite  à  la  mer, 

Pour  que  les  eaux  n'en  franchissent  pas  les  bords, 

Lorsqu'il  posa  les  fondements  de  la  terre, 

J'étais  à  l'œuvre  auprès  de  lui, 

Me  réjouissant  chaque  jour, 

Et  jouant  sans  cesse  en  sa  présence, 

Jouant  sur  le  globe  de  la  terre, 

Et  trouvant  mes  délices  parmi  les  enfants  des  hommes.  » 

L'Ecclésiastique  (i)  reprend  à  son  tour  le  portrait 
de  la  Sagesse  : 

«  Je  suis  sortie  de  la  bouche  du  Très-Haut, 

Et  comme  une  nuée  je  couvris  la  terre. 

J'habitai  sur  les  hauteurs  les  plus  élevées, 

Et  men  trône  était  sur  une  colonne  de  nuée. 

Seule  j'ai  parcouru  le  cercle  du  ciel, 

Et  je  me  suis  promenée  dans  les  profondeurs  de  l'abîme. 

Dans  les  flots  de  la  mer  et  sur  toute  la  terre, 

Dans  tout  le  peuple  et  toute  nation  j'ai  exercé  l'empire. 

Parmi  tous  les  peuples  j'ai  cherché  un  lieu  de  repos, 

Et  dans  quel  domaine  je  devais  habiter.  » 

«  J'ai  poussé  mes  racines  au  milieu  du  peuple  glorifié, 

Dans  la  portion  du  Seigneur,  dans  son  héritage. 

x.  Eccl..  xxiv,  3-7,  12-14.  18-21,  26-27. 


556  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


Je  me  suis  élevée  comme  le  cèdre  dans  le  Liban, 

Et  comme  le  cyprès  sur  la  montagne  d'Hermon. 

Je  me  suis  élevée  comme  le  palmier  des  rivages, 

Et  comme  les  roses  de  Jéricho  ; 

Comme  un  bel  olivier  dans  la  plaine , 

Et  j'ai  grandi  comme  un  platane.  » 

«   Venez  à  moi,  vous  tous  qui  me  désirez, 

Et  rassasiez-vous  de  mes  fruits. 

Car  mon  souvenir  est  plus  doux  que  le  miel, 

Et  ma  possession  plus  douce  que  le  rayon  de  miel. 

Ceux  qui  me  mangent  auront  encore  faim. 

Et  ceux  qui  me  boivent  auront  encore  soif. 

Celui  qui  m'écoule  n'aura  jamais  de  confusion, 

Et  ceux  qui  agissent  par  moi  ne  pécheront  pas.  » 

«  Le  premier  (qui  l'a  étudiée)  n'a  pas  achevé  de  la  connaître, 

Et  le  dernier  ne  l'a  pas  pénétrée. 

Car  ses  pensées  sont  plus  vastes  que  la  mer, 

Et  ses  conseils  plus  profonds  que  le  grand  abîme.  » 

Le  livre  de  la  Sagesse  (i)  ajoute  encore  de  nou- 
veaux traits  : 

«  En  elle  il  y  a  un  esprit  intelligent,  saint, 

Unique,  multiple,  immatériel, 

Actif,  pénétrant,  sans  souillure, 

Infaillible,  impassible,  aimant  le  bien,  sagace, 

Ne  connaissant  pas  d'obstacle,  bienfaisant, 

Bon  pour  les  hommes,  immuable,  assuré, 

Tout-puissant,  surveillant  tout, 

Pénétrant  tous  les  esprits, 

Les  intelligents,  les  purs  et  les  subtils, 

Car  la  Sagesse  est  plus  agile  que  tout  mouvement  ; 

Elle  pénètre  tout  à  cause  de  sa  pureté. 

Elle  est  le  souffle  de  la  puissance  de  Dieu, 

Une  pure  émanation  de  la  gloire  du  Dieu  tout-puissant  ; 

Aussi  rien  de  souillé  ne  peut  tomber  sur  elle. 

Elle  est  le  resplendissement  de  la  lumière  éternelle, 

Le  miroir  sans  tache  de  l'activité  de  Dieu 

i.  Sap.,  vu,  aa-a8. 


LA    TRINITÉ    !    PREUVE    SCRIPTURAIRE  5T>7 


Et  l'image  de  sa  bonté. 
Etant  l'unique,  elle  peut  tout  ; 
Restant  la  même,  elle  renouvelle  toutes  choses, 
Et  à  travers  les  âges  elle  se  répand  dans  toutes  âmes  saintes; 
Elle  en  fait  des  amis  de  Dieu  et  des  prophètes. 
Dieu,  en  effet,  n'aime  que  celui  qui  habite  avec  la  Sagesse.» 
«  C'est  elle  qui  initie  à  la  science  de  Dieu  (i).  » 
«  L'immortalité  est  le   fruit  de   l'union  intime  avec  la 

[Sagesse  (2).  » 
«Avec  vous  (Seigneur)  est  la  Sagesse  qui  Cênnaîtvos  œuvres, 
Qui  était  là  quand  vous  faisiez  l'univers, 
Et  qui  sait  ce  qui  est  agréable  à  vos  yeux 
Et  ce  qui  est  juste  selon  vos  commandements  (3).  » 
«  Qui  a  connu  votre  volonté  si  vous  ne  lui  avez  pas  donné  la 

[Sagesse 
Et  si  vous  n'avez  pas  envoyé  du  %iel  votre  Saint-Esprit  (4)?  » 

«  La  source  de  la  Sagesse,  dit  encore  Y  Ecclésiasti- 
que (5),  c'est  la  Parole  de  Dieu  au  plus  haut  des 
deux  »  ;  et  le  livre  de  la  Sagesse  (6)  représente 
«  cette  Parole  toute-puissante  s' élançant  du  haut  da 
ciel.  »  La  Parole  !   Le  Logos  I 

Malgré  tant  de  traits  et  de  titres,  cette  Sagesse 
restait  assez  énigmatique  aux  yeux  des  Juifs  mono- 
théistes. Son  portrait  ne  pouvait  pourtant  point 
passer  inaperçu  auprès  des  rabbins  qui  méditaient 
sur  l'Ecriture.  Mais  comment  concilier  avec  l'unité 
de  Dieu  l'idée  d'un  personnage  distinct,  d'une 
hypostase  divine  autre  que  Jéhovah  ?  On  s'arrêta  à 
l'idée  de  sagesse  et  puis,  probablement  sous  l'in- 
fluence alexandrine,  on  aboutit  au  concept  de  la 
Menira  ou  Parole  (7). 

1.  Sap.,  vin,  4.  —  2.  Ibid,,  vin,  17.  —  3.  IbicL,  ix,  9.  — 
/».  Ibid.,  ix,  17.  —  5.  EccL,  1,  5.  —  6.  Sap.,  xvm,  i5.  — 
7.  Ci'.  Hackspill,  Etude  sur  le  milieu  relief ieux  et  intellectuel 
contemporain  du  Nouveau  Testament,  dans  la  Revue  biblique, 
janvier  1902. 


558  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Dans  l'école  judéo-hellénique  d'Alexandrie,  plus 
libre  d'allures  et  plus  audacieuse  dans  ses  spécula- 
lions,  Philon  se  garda  bien  de  négliger  ces  données 
scripturaires  que  lui  fournissaient  les  livres  sapien- 
tiaux  ;  mais  il  y  mêla  des  éléments  hétérogènes 
empruntés  à  la  philosophie  grecque,  notamment  à 
Heraclite,  à  Platon  et  au  stoïcisme,  et  aboutit  ainsi 
à  un  concept  du  Logos  assez  déconcertant.  Au 
regard  de  Platon,  le  Logos  est  le  monde  intelligible, 
le  monde  est  le  fils  de  Dieu,  et  le  Verbe  le  premier- 
né  de  Dieu.  Pour  Heraclite,  le  Logos  n'est  autre 
chose  que  la  force  intelligente  etcréatrice  du  monde. 
Pour  les  stoïciens,  le  Logos  est  l'âme  du  monde.  Et 
pour  l'éclectique  Philon,  heureux  de  trouver  dans 
la  Sagesse  et  l' Ecclésiastique  ce  terme  grec  de  Logos 
à  signification  si  imprécise,  il  fait  sans  doute  du 
Logos  l'image  de  Dieu,  le  monde  intelligible,  mais 
il  en  fait  aussi  le  premier-né  de  Dieu,  l'architecte  du 
monde,  le  démiurge,  un  Dieu  secondaire,  un  vice- 
roi  de  l'univers  chargé  du  gouvernement  des  hom- 
mes et  des  créatures.  Ceux  qui  sont  incapables, 
dit-il,  de  s'élever  à  l'unité  se  représentent  comme 
un  groupe  Dieu  et  ses  deux  premières  puissances, 
celle  par  laquelle  il  crée  et  organise  l'univers,  à 
laquelle  on  donne  le  nom  de  Dieu,  et  celle  par 
laquelle  il  le  gouverne  et  qu'on  appelle  Seigneur  : 
ee  sont  là  les  trois  hommes  qui  apparurent  à 
Abraham  (i).  Grâce  à  cet  éclectisme,  Philon  ouvrait 
la  voie  au  gnosticisme  et  à  l'arianisme  (2). 

L'apôtre  saint  Jean  dut  rétablir  et  fixer  la  vraie 
théorie  du  Logos,  en  la  dépouillant  tout  d'abord  de 
ses  éléments  hétérogènes,  en  la  mettant  ensuite  en 
pleine  lumière,  dans  le  sens  de  la  véritable  tradition 

1.  De  Abraham. ,  p.  287. —  a.  Cf.  Souben,  Les  personnes 
divines,  Paris,  1903,  p.  i3  sq. 


LA   TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE  55.Q 

juive,  et  grâce  aux  données  de  l'Evangile.  Il  fallait 
donc  renoncer  à  voir  dans  le  Logos  une  puissance 
intermédiaire,  une  force  nécessaire  ou  l'âme  du 
monde  ;  il  fallait  y  voir  le  Verbe  de  Dieu,  existant 
éternellement  en  Dieu,  et  Dieu  lui-même,  créateur, 
descendu  sur  terre  par  son  incarnation. 

D'autre  part,  les  données  partielles  et  insuffisantes 
sur  la  Sagesse  sont  développées,   précisées  et  fixées 
par  le  Nouveau  Testament,  au  point  que  l'identifi- 
cation du  Verbe,  du  Fils  de  Dieu  avec  la  Sagesse  ne 
saurait  plus  faire  doute.   Car   si  la    Sagesse  est  le 
rayonnement  de   la  gloire   de  Dieu,    si  elle   est  le 
miroir  sans  tâche  de  l'énergie  divine  et  une  image 
de  sa  bonté,   le  Fils  de  Dieu   est  «  le  rayonnement 
de  sa  gloire,   l'empreinte  de  sa  substance    (i)  »  ;  ce 
mot  rayonnement  exprime  l'identité  de  nature  entre 
le  Père  et  le  Fils  ;   et  le  mot  empreinte  marque  que 
le  Fils  porte  tous  les  traits  de  la  nature   du  Père, 
qu'il  en  est  la  manifestation  ou  révélation  extérieure. 
Si  la  Sagesse  a  collaboré  à  la  création,  si  elle  peut 
tout  et  renouvelle  tout  sans  sortir  d'elle-même,  le 
Fils  n'a-t-il  pas  créé  le  monde  (2)  ?  «  Tout  a  été  fait 
par  lui,  dit  saint  Jean,  et  sans  lui  rien  na  été  fait 
de  ce  qui  existe  (3).  »    «  Il  soutient  toutes  choses  par 
la  parole  de  sa  puissance  (4).  »  Et  c'est   ainsi  que, 
grâce  à   la  révélation  évangélique,   nous   savons  à 
quel  personnage  s'appliquaient,  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, les  traits  donnés  à  la  Sagesse. 

2.  Il  est  également  question,  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, de  l'Esprit  de  Jéhovah.  La  Genèse  nous  le 
représente  planant  sur  les  eaux  (5).  Isaïe  reproche  à 
Israël  d'avoir  contristé  l'Esprit-Saint  (6).  Et  Joël 
écrit  : 


x.  Hebr.,  1,  3.  —  a.  Ibid.,  1,  a.  —  3.  Joan.9  1,  3.  —  4.  Hebr., 
1,  3.  —  5.  Gen.,  x,  a.  —  6.  Is.,  lxxiii,  10. 


Ô6o  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


((  Et  il  arrivera  après  cela 

Que  je  répandrai  mon  Esprit  sur  toute  chair  ; 

Vos  fils  et  vos  filles  prophétiseront... 

Même  sur  les  serviteurs  et  les  servantes 

Je  répandrai  mon  Esprit  en  ces  jours-là  (i).  » 

Cet  Esprit  est  ainsi  mis  en  scène  dans  la  Bible  ; 
son  rôle  est  nettement  indiqué  dans  le  passé  et 
prédit  pour  l'avenir  ;  cela  n'éveille-t-il  pas  l'idée 
d'un  personnage  à  part,  d'une  hypostase  divine  ? 
Certes,  il  n'est  nulle  part  décrit  comme  la  Sagesse, 
avec  l'abondance  de  détails  et  les  traits  caractéristi- 
ques que  nous  venons  de  voir,  de  sorte,  ditM.  Hacks- 
pill,  que  le  développement  de  la  doctrine  de  l'Es- 
prit de  Dieu,  dans  l'Ancien  Testament,  s'arrête  à 
une  simple  personnification  sans  jamais  aboutir 
clairement  à  l'hypostase  (2). 

Mais  avec  le  Nouveau  Testament,  toute  hésitation 
cesse.  Le  Saint-Esprit  est  bien  une  personne  divine. 
Sa  personnalité  s'accuse  dans  la  théophanie  du  bap- 
tême de  Notre  Seigneur,  dans  la  déclaration  de 
Jésus  que  le  blasphème  contre  le  Saint-Esprit  ne 
sera  pas  remis  (3),  dans  la  fonction  de  consolateur 
qui  lui  est  attribuée  (4),  dans  le  parallélisme  cons- 
tant entre  l'œuvre  du  Christ  et  la  sienne,  dans  les 
paroles  qu'il  prononce  et  les  ordres  qu'il  donne  (5), 
dans  les  prières  et  les  inexprimables  gémissements 
dont  il  est  l'auteur  (6),  dans  le  témoignage  qu'il 
nous  rend  que  nous  sommes  enfants  de  Dieu  (7). 
Nulle  part,  il  est  vrai,  le  Saint-Esprit  n'est  expres- 
sément appelé  Dieu  dans  le  Nouveau  Testament, 
mais  il  l'est  en  termes  équivalents  ;  sa  divinité  res- 
sort clairement  de  plusieurs  passages.  Saint  Paul  lui 

1.  Joël.,  n,  28-29. —  2*  Loc.  cit.,  p.  68.  —  3.  Malth.,  xn,  3i. 
4.  Joan.,  xv,  26.  —  5.  Act.t  vin, 29  ;  x,  19  ;  xm,  a. —  Q.Rom., 
vin,  26.  —  7.  Rom.,  vin,  16. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    .*    PREUVE    SCRIPTURAIRE  56 1 

attribue,  en  particulier,  l'œuvre  essentiellement 
divine  de  la  justification,  de  la  régénération  du 
pécheur.  Il  dit  aussi  :  «  Dieu  nous  a  révélé  par  son 
Esprit,  car  l'Esprit  scrute  toutes  choses,  même  les 
profondeurs  de  Dieu.  Qui,  parmi  les  hommes,  sait  ce 
qui  se  passe  en  lui,  sinon  l'esprit  de  V homme  qui  est  en 
lui  ?  De  même  nul  ne  connaît  ce  qui  est  de  Dieu,  sinon 
l'Esprit  de  Dieu  (i).  »  Comparer  de  la  sorte  l'Es- 
prit-Saint  par  rapport  à  Dieu  à  l'esprit  de  l'homme 
par  rapport  à  l'homme,  n'est-ce  pas  dire  qu'il  existe 
dans  l'essence  divine  comme  la  conscience  est  en 
nous,  qu'il  est  Dieu  comme  la  conscience  c'est 
nous  ? 

Il  y  a  donc  eu  dans  la  révélation  de  ce  profond 
mystère  une  gradation  progressive,  un  développe- 
ment accentué,  dont  le  terme  final  se  trouve  dans 
le  Nouveau  Testament.  Saint  Grégoire  de  Nazianze  a 
donné  quelques  raisons  de  cette  Economie,  soit 
dans  l'Ancien,  soit  même  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment :  «  Voici,  dit-il,  comment  cela  s'est  passé  : 
l'Ancien  Testament  prêchait  ostensiblement  le  Père, 
plus  obscurément  le  Fils.  Le  Nouveau  nous  a  mon- 
tré très  clairement  le  Fils,  mais  n'a  indiqué  la  divi- 
nité de  l'Esprit  que  d'une  manière  obscure.  Mais 
maintenant  l'Esprit  vit  avec  nous  et  se  déclare  à  nous 
plus  ouvertement.  C'est  qu'il  n'était  pas  prudent 
de  nous  prêcher  clairement  le  Fils,  tant  que  la  divi- 
nité du  Père  n'était  pas  reconnue,  ni  de  nous  impo- 
ser l'Esprit-Saint  comme  un  fardeau  plus  lourd,  s'il 
est  permis  de  s'exprimer  ainsi,  avant  que  la  divinité 
du  Fils  n'eût  été  admise  ;  sans  cela,  à  l'exemple 
d'hommes  trop  chargés  de  nourriture  ou  présen- 
tant aux  rayons  du  soleil  des  yeux  éblouis,  nous 
aurions  couru  un  danger  pour  les  révélations  même 

l.  I  Cor.,  ii,  ii. 

LE  CATÉCHISMB.  —  T.  I.  36 


562  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

qui  nous  étaient  faites.  C'est  par  degrés  ou,  comme 
dit  David,  par  des  ascensions,  par  une  progression 
croissante  de  clarté  en  clarté,  que  la  lumière  de  la 
Trinité  devait  briller  d'une  manière  splcndide.  C'est 
pour  cela,  je  crois,  que  (le  Saint-Esprit)  se  fait  con- 
naître progressivement  aux  disciples,  selon  leur 
degré  de  capacité.  Au  début  de  l'Evangile,  il  opère 
des  prodiges  ;  après  la  passion  du  Christ,  il  leur  est 
insufflé  ;  après  l'ascension,  il  paraît  sous  forme  de 
langues  de  feu  (i).  » 

Dans  le  Nouveau  Testament.  —  «  Après  avoir, 
à  plusieurs  reprises  et  en  diverses  manières,  parlé 
autrefois  à  nos  pères  par  les  Prophètes,  Dieu,  dans 
ces  derniers  temps,  nous  a  parlé  par  le  Fils,  qu'il  a 
établi  héritier  de  toutes  choses,  et  par  lequel  il  a  aussi 
créé  le  monde  (2).  »  Le  Fils  a  donc  parlé  et  l'un  des 
mystères  qu'il  a  révélés,  c'est  le  mystère  de  la  Tri- 
nité ;  lui  seul  pouvait  en  parler  pertinemment,  car 
si  «  si  nul  ne  connaît  le  Fils  sinon  le  Père,  nul  ne  con- 
naît le  Père  sinon  le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils  aura 
voulu  le  révéler  (3).  » 

Ce  n'est  pas  de  prime  abord  que  Notre  Seigneur 
révèle  l'existence  de  ce  mystère.  Il  fallait  que  les 
apôtres  y  fussent  préparés,  et  ils  y  furent  préparés 
peu  à  peu  par  les  diverses  manifestations,  dont  ils 
furent  les  témoins  au  cours  de  la  vie  publique  de 
leur  Maître.  La  scène  du  baptême  de  Notre  Seigneur 
au  Jourdain  était  faite  pour  frapper  les  esprits  et 
soulever  un  coin  du  voile.  Telle  qu'elle  est  racontée 
par  les  Synoptiques,  que  nous  montre-t-elle  ?  Au 
moment  où  Jésus  sort  de  l'eau,  le  Saint-Esprit 
descend  sur  lui  sous  forme  d'une  colombe,  et  une 


1.  Orat.t  xxxi,    26,   Patr.  gr.,  t.  xxxvi,   col.  161-164.  — 
a.  Hebr.,  1,  1-2.  —  3.  Matth.,  xi,  27. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    '.    PREUVE    SCRIPTURAIRE       bG'S 

voix  du  ciel  se  fait  entendre,  qui  dit:  «  Celui-ci  est 
mon  Fils  bien-aimê,   en  qui  je  me  suis  complu  (i).  » 
Dans  cette   théophanie,  le  Père  ré  voie  la  qualité  de 
celui  qui  vient  de  recevoir  le  baptême  de  Jean  ;   ce 
baptisé  n'est  autre  que  le  Fils  de  Dieu  ;  et  l'Esprit 
de  Dieu,  comme  dit  saint  Matthieu,    l'Esprit  Saint, 
comme  dit   saint  Luc,    se   communique   au  Verbe 
fait  chair  pour  le  rôle  de  Messie  et  de  Rédempteur. 
Ils  sont  donc   trois  :    le    Père,  celui   que    Notre 
Seigneur  appelle  de  ce  nom  ;  le   Fils,  celui  qui  est 
descendu   du  ciel  pour   remplir  sa   mission  ;  et  le 
Saint-Esprit,  dont  le  rôle  sera  caractérisé  tout  par- 
ticulièrement, au  moment  voulu.  Ils  sont  trois,  mais 
ne  font  qu'une  seule  et  même  chose  ;   c'est  ce  que 
Jésus  affirme  de  lui  et  de  son  Père.  Il  le  dit  aux 
Juifs    étonnés  :    «  Le    Père    et  moi    nous    sommes 
une  même  chose  (2).  »   Il  le  répète  à  ses  apôtres  : 
<i  Père  saint,  gardez  dans  votre  nom  ceux  que  vous 
m'avez    donnés,   afin  qu'ils    soient    un    comme  nous 
sommes  un  (3).  »  Cette  unité  mystérieuse  n'empêche 
pas    la   distinction  ;    c'est   ce  que   Notre    Seigneur 
donne   clairement  à  entendre  dans   ses  discours  : 
«  Je  prierai  le  Père,  et  il  vous  donnera  un  autre  Con- 
solateur pour  qu'il  demeure  toujours  avec  vous  ;   c'est 
r Esprit  de  vérité,  que  le  monde  ne  peut  pas  recevoir, 
parce  qu'il  ne  le  voit  point  et  ne  le  connaît  point  ;  mais 
vous,  vous  le  connaissez,  parce  qu'il  demeure  au  milieu 
de  vous,  et  Usera  en  vous  (4).  »  Il  insiste  de  nouveau  : 
«  Je  vous  le  dis  en  vérité  :  il  vous  est  bon  que  je  m'en 
aille ,  car,  si  je  ne  m'en  vais  pas,  le  Consolateur  ne 
viendra  pas  en  vous;  mais  si  je  m'en  vais,  je  vous 
l'enverrai. . .   Celui-ci  me  glorifiera,  parce  qu'il  recevra 
de  ce  qui  est  à  moi,  et  il  vous  l'annoncera.  Tout  ce  que 

x.  Mallh.,  m,  16-17.  —  2.  Joan.,  x,  3o.  —  3.  Joan.,  xvn,  ix. 
fc-4.  Joan.,  xiv,  16-17, 


564  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


le  Père  a  est  à  moi.  C'est  pourquoi  f  ai  dit  qu'il  recevra 
de  ce  qui  est  à  moi  et  vous  l'annoncera  (i).  »  Enfin, 
dans  ce  discours  qui  suivit  la  dernière  Cène,  il 
ajoute  :  a  Lorsque  le  Paraclet,  que  je  vous  enverrai 
d'auprès  du  Père,  sera  venu,  l'Esprit  de  vérité  qui 
procède  du  Père,  il  vous  rendra  témoignage  de  moi  (2).» 

Unité  et  distinction,  voilà  ce  qui  constitue  l'éco- 
nomie mystérieuse  du  dogme  révélé  par  Notre 
Seigneur:  unité  d'essence,  de  nature;  distinction 
des  personnes  ;  personnes  qui  portent  chacune  un 
nom  propre,  mais  personnes  égales  entre  elles  «  Le 
Fils  priera  le  Père,  et  le  fruit  de  sa  prière  sera  la 
mission  du  Saint-Esprit,  à  laquelle  il  collaborera. 
Le  Fils  est  égal  au  Père,  parce  que  tout  ce  que 
possède  le  Père  est  à  lui  ;  le  Père  lui  a  tout  remis 
comme  à  son  propre  Fils,  à  son  héritier  nécessaire; 
par  conséquent,  il  lui  a  communiqué  ce  qu'il 
possède  essentiellement,  la  nature  divine,  et  dans 
ce  don  souverain  il  ne  s'est  rien  réservé.  D'autre 
part,  l'Esprit  n'est  pas  inférieur  au  Fils,  puisqu'il 
procède  du  Père  ;  il  participe  au  don  que  le  Fils  a 
reçu  et  tiendra  la  place  du  Fils  près  des  apôtres  que 
le  Père  lui  avait  confiés  (3).  » 

Aussi,  au  moment  de  son  ascension,  dans  le 
dernier  ordre  qu'il  donne  à  ses  apôtres,  Notre 
Seigneur  formule-t-il  le  mystère  de  la  manière  la 
plus  brève  :  Vous  baptiserez  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit.  Au  nom!  Voilà  un  singulier 
qui  caractérise  l'unité  de  nature  qui  appartient 
également  aux  trois  personnes;  et  ces  trois  person- 
nes sont  désignées  nominativement,  l'une  après 
l'autre;  elles  sont  unies  par  un  lien,  et  ce  lien  est 
indiqué  pour  les  deux  premières,  le  Père  et  le  Fils, 

1.  Joan.,  xvi,  7,  i4-i5.  —  2.  Joan.,  xv,  26.  —  3  Souben» 
Les  personnes  divines,  Paris,  1903,  p.  9. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    I    PREUVE    SCRIPTURAIRE       565 

c'est  celui  de  la  génération  ;  le  lien  qui  rattache  le 
Saint-Esprit  au  Père  et  au  Fils  n'est  pas  aussi 
formellement  indiqué,  mais  il  n'en  existe  pas  moins 
et  peut  être  déterminé  par  renseignement  déjà 
donné  aux  apôtres  par  Notre  Seigneur. 

D'autre  part,  cette  formule  trinitaire  doit  être 
employée  dans  l'administration  du  baptême,  c'est- 
à-dire  dans  le  sacrement  de  la  régénération  chré- 
tienne ;  ce  qui  revient  à  dire  que  de  même  que  les 
trois  Personnes  divines  ont  agi  de  concert  pour  la 
création  de  l'homme,  de  même  elles  interviennent 
ensemble  pour  sa  régénération,  œuvre  essentielle- 
ment divine. 

Ainsi  instruits,  les  apôtres  ne  font  que  se  faire 
l'écho  de  l'enseignement  de  leur  Maitre  dans  l'en- 
seignement qu'ils  donnent  à  leurs  disciples,  et  dans 
cet  enseignement  ils  insistent  naturellement  sur  le 
dogme  de  la  Trinité.  Très  nombreux  sont  les 
passages  du  Nouveau  Testament  où  sont  expressé- 
ment nommées  deux  des  trois  personnes  de  la 
Trinité  ;  mais  il  en  est  quelques-uns  où  les  trois  sont 
rappelées  à  la  fois.  Bornons-nous  à  quelques  cita- 
tions. 

Le  chef  du  collège  apostolique  commence  sa 
première  épître  par  ces  mots  :  «  Pierre,  apôtre  de 
Jésus-Christ,  aux  élus,  étrangers  et  dispersés  dans  le 
Pont,  la  Galalie,  la  Cappadoce,  l'Asie  et  la  Bithynie, 
choisis  selon  la  prescience  de  Dieu  le  Père,  par  la 
sanctification  de  l'Esprit,  pour  obéira  la  foi  et  pour 
avoir  part  à  l'aspersion  du  sang  de  Jésus-Christ  :  à 
vous  grâce  et  paix  de  plus  en  plus(i).  »  Dans  cette 
adresse  se  trouvent  réunies  les  trois  personnes  de  la 
Trinité;  l'une  y  est  nommée  Dieu  le  Père,  et  ce 
terme  de  Père  implique  nécessairement   le   terme 

i.  I  Pelr.,  i,  1-2. 


566  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

correspondant  de  Fils  ;  l'autre  est  nommé  Jésus- 
Christ  et  la  troisième  l'Esprit;  toutes  les  trois  sont 
mises  en  rapport  avec  la  justification  de  l'homme  ; 
mais  cette  manière  d  énoncer  le  mystère  de  la 
Trinité  suppose  évidemment  la  connaissance  de  son 
existence  tant  de  la  part  de  saint  Pierre  que  de 
celle  des  chrétiens  à  qui  il  écrit. 

Saint    Paul,    instruit  directement  par  Notre  Sei- 
gneur lui-même,  connaît  lui  aussi  l'existence  de  la 
Trinité  ;  il   sait  que  le  Père  et  le  Fils  sont  égaux, 
car,    dit-il,   bien    que   le  Christ  Jésus  fut    dans   la 
condition  du  Père,  il  n'a  pas  retenu   avidement  son 
égalité  avec  Dieu  (i)  ;    il  sait  aussi,  par  sa  connais- 
sance  de  l'Ecriture     que   le   titre  de  Seigneur  est 
exclusivement   donné   à  Dieu   dans   l'Ancien   Tes- 
tament ;   mais   quand  il  parle  des   trois  personnes 
divines,  il   nomme  Dieu  la  première,   Seigneur  la 
seconde,  Esprit  la  troisième,  pour  les  mieux  dis- 
tinguer. De  là,  sous  sa  plume,  des  formules  dans  le 
genre  des  suivantes,    qui  marquent  nettement  les 
trois  personnes  divines  :    a  II  y  a  des   divisions   de 
grâces,    mais    c'est   le    même    Esprit  :    diversité  de 
ministères,    mais  c'est  Je  même  Seigneur  :   diversité 
d'opérations,  mais    ce-     le    même    Dieu   qui  opère 
tout  en  tous  (2).  »    «  Que  la  grâce  de  Noire  Seigneur 
Jésus-Christ,   et  la  char  dé  de  Dieu,   et  la  communi- 
cation de  V Esprit-Saint  soit  avec  vous  tous  (3).  »  La 
pensée  de  saint  Paul  est  claire   pour  qui  veut  se 
rendre  compte  du  but  qu'il  vise  en  écrivant  aux 
Corinthiens.  Les  païens  avaient  l'habitude  d'attri- 
buer   à    divers  dieux   les    différentes    qualités   des 
hommes  ;  les  chrétiens  auraient  tort  de  les  imiter. 
Et  la  différence  des  charismes  dont  ils  sont  l'objet 
ne  doit  pas  leur  faire  oublier  qu'ils  découlent  d'une 

1.  Philipp.,  11,  6.  —  a    I  Cor.,  xii,  4-6.  —  3.  II  Cor.,  un,  i3. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAIRE       bQ/J 

source  unique,  de  Dieu,  qui  seul  produit  toutes  ces 
merveilles.  Dans  rénumération  de  ces  dons  sur- 
naturels, l'Esprit,  le  Seigneur  et  Dieu  sont  nommés 
séparément  parce  qu'ils  sont  distincts  réellement, 
mais  ils  constituent  le  principe  unique  de  ces 
grâces,  ils  possèdent  la  même  nature  divine.  Us  sont 
trois,  mais  ne  forment  qu'un  seul  Dieu. 

Impossible,  par  conséquent,  de  se  refuser  à  voir 
dans  ces  textes  du  Nouveau  Testament  le  fait  de  la 
révélation  historique  du  dogme  de  la  Trinité.  Mais 
une  telle  révélation  doit  correspondre  à  une  réalité 
en  Dieu,  sans  quoi  elle  serait  futile  et  ne  mériterait 
à  aucun  titre  le  nom  de  révélation.  Si  donc  Dieu, 
d'après  l'enseignement  de  Notre  Seigneur  et  des 
apôtres,  s'est  révélé  sous  la  forme  d'une  trinité  de 
personnes  dans  l'unité  d'essence  ou  de  nature, 
l'esprit  chrétien  peut  accepter  un  tel  dogme  en 
toute  sécurité  ;  et,  pour  se  conformer  aux  prescrip- 
tions de  l'Eglise,  notamment  à  ses  symboles,  il 
doit  la  regarder  comme  un  dogme  de  foi  catholique. 
L'étude  des  Pères  et  des  travaux  des  théologiens 
l'aidera,  dans  la  mesure  du  possible,  non  seulement 
à  savoir  comment  la  tradition  chrétienne  a  envisagé 
un  si  profond  mystère,  mais  encore  à  connaître  les 
raisons  de  convenance  qui  en  rendent  l'acceptation 
raisonnable. 


Comparaisons.  —  i.  «  Pourquoi  se  trouve-t-il,  par 
exemple,  que  la  physique,  ayant  décomposé  le  rayon  so- 
laire, découvre  justement  qu'il  se  réduit  à  trois  rayons  que 
l'on  peut  obtenir  isolément,  savoir  :  un  rayon  de  forme 
chimique,  sans  lumière  ni  chaleur  ;  un  rayon  de  lumière 
sans  chaleur  ni  action  chimique  ;  un  rayon  de  chaleur 
sans  action  chimique  ni  lumière  ?  De  sorte  que  la 
physique  doit  dire  de  la  lumière  ce  que  la  théologie  dit 
de  Dieu  :  Trinité  de  forces,  radicalement  distinctes,  dans 


568 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


l'unité  de  lumière.  Pourquoi  toutes  les  forces  de  la  nature 
se  ramènent-elles  à  ces  trois  forces  qui,  au  fond,  n'en 
sont  qu'une  ?  Pourquoi  les  sept  nuances  du  rayon  de  la 
lumière  décomposée  se  réduisent-elles  à  trois  couleurs,  la 
première,  la  troisième,  la  cinquième,  qui  produisent 
toutes  les  autres  ?  Pourquoi  les  sept  notes  de  la  gamme 
s'appuient-elles  aussi  sur  trois  notes  fondamentales,  qui, 
en  rentrant  dans  la  première,  forment  l'accord  parfait, 
et  sont  aussi,  comme  pour  les  couleurs,  la  première,  la 
tierce  et  la  quinte  ?  Pourquoi  le  syllogisme,  analysé  par 
Aristote,  se  compose-t-il  précisément  de  trois  proposi- 
tions, qui  ne  font  qu'un,  si  le  raisonnement  est  vrai  ?  Et 
pourquoi  la  proposition  se  compose-t-elie  précisément  de 
trois  termes  qui  ne  font  qu'un,  si  la  proposition  est  vraie? 
Pourquoi  la  vie  organique  a-t-elle  justement  trois  fonc- 
tions essentielles  dont  la  sympathie  et  l'union  constituent 
la  santé  ?  Pourquoi  cette  loi  universelle  de  l'unité  dans  la 
variété,  et  de  la  variété  dans  l'unité,  est-elle  le  propre 
caractère  du  vrai,  du  beau,  dans  le  discours,  la  musique, 
le  drame,  l'architecture,  la  vie  sociale  et  la  vie  organique? 
Pourquoi  enfin  la  plus  grande  découverte  qu'ait  faite 
l'esprit  humain,  celle  de  la  forme  exacte  du  monde  astro- 
nomique et  de  ses  lois,  dérive-t-elle.  historiquement  du 
moins,  de  cette  idée  de  Kepler  que  les  cieux  et  leurs  mou- 
vements devaient  porter  quelque  vestige  et  quelque  trace  du 
mystère  de  la  Trinité,  trace  que  Kepler  recherche  dans  un 
petit  chapitre  intitulé  :  De  adumbratione  Trinitatis  in  cir- 
cule*? »  [A.  Gratry,  La  philosophie  du  Credo,  Paris,  1861, 

P-  99-IO°'] 

2.  ail  n'y  a  qu'un  infini  et  cependant  ils  sont  trois,  le 
Père,  le  Fils  et  l'Esprit-Saint,  trois  qui  subsistent  dans 
la  même  essence,  existent  dans  la  même  existence,  trois 
personnes  Dieu  et  pourtant  un  seul  Dieu.  Yoilà  le  dogme 
des  dogmes  et  le  mystère  des  mystères.  L'expliquer,  je  ne 
puis  pas,  j'ose  à  peine  raconter  ce  que  j'admire.  Le  Père 
innascible  est  le  principe  du  mouvement  vital,  la  racine 
de  la  famille  divine.  Il  se  voit,  il  se  dit  à  lui-même  sa 
perfection,  et  l'acte  par  lequel  il  se  voit  et  se  parle  est  si 
parfait  qu'il  subsiste  par  cela  seul  qu'il  est  produit.  Le 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    SCRIPTURAÏRE       OGo, 

fils  est  engendré.  Il  s'appelle  Verbe,  image  du  Père, 
splendeur  de  sa  gloire,  figure  de  sa  substance;  car  il 
représente  avec  toute  la  perfection  possible  son  principe. 
Ils  sont  deux,  ils  se  contemplent,  ils  s'admirent,  ils 
s'aiment,  ces  deux  amours  en  se  donnant  l'un  à  l'autre 
se  rencontrent  ;  par  le  fait  môme  de  leur  rencontre,  ils 
subsistent  en  un  seul  amour  ;  c'est  l'Esprit-Saint.  Il 
s'appelle  don,  charité,  bonté,  bénignité,  suavité,  onction 
divine.  Ils  sont  trois  :  le  Père,  le  Fils  et  l'Esprit-Saint. 
Autres,  par  les  relations,  la  subsistance,  les  propriétés 
personnelles  ;  mêmes,  par  l'essence,  la  substance,  la  nature. 
Distincts  cependant  l'un  de  l'autre,  dépendants  par  V ori- 
gine, car  le  Fils  est  engendré  par  le  Père,  l'Esprit-Saint 
procède  du  Père  et  du  Fils  ;  dépendants  par  la  mission, 
car  le  Père  envoie  le  Fils,  le  Père  et  le  Fils  envoient  l'Es- 
prit-Saint. ;  mais  ils  gardent  avec  cela  une  parfaite  égalité. 
0  vie  !  ô  processions  admirables  î  On  ne  peut  pas  dire 
qu'elles  commencent. car  elles  sont  nécessaires  et  éternel- 
les ;  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  sortent  de  Dieu,  car  elles 
sont  immanentes  ;  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  tourmentent 
la  nature  divine,  car  elles  sont  paisibles  et  immaculées  ; 
on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  diminuent  ou  partagent  les 
perfections,  car  elles  sont  intègres.  »  (Monsabré,  Confé- 
rences de  Notre-Dame,  Conf.  Ire). 

3.  «  Ces  trois  personnes  ne  font-elles  pas  trois  dieux  ? 
Non  pas  plus  que  la  longueur,  la  largeur,  la  profondeur 
d'un  corps  ne  font  trois  corps;  pas  plus  que  le  mouvement, 
la  limpidité,  la  fluidité  des  eaux  ne  font  trois  fleuves  ;  pas 
plus  que  la  force  propulsive,  la  lumière  et  la  chaleur  du 
soleil  ne  font  trois  soleils  ;  pas  plus  que  la  racine,  le 
tronc  et  les  rameaux  d'un  arbre  ne  font  trois  arbres  :  pas 
plus  que  la  forme  gracieuse,  le  coloris  et  le  parfum  d'une 
fleur  ne  font  trois  fleurs  ;  pas  plus  que  la  conscience,  le 
connaître  et  le  vouloir  d'une  Ame  ne  font  trois  âmes  ;  pas 
plus  que  la  mémoire,  l'intelligence,  la  volonté  d'une 
substance  spirituelle  ne  font  trois  substances.  Considérées 
en  elles-mêmes  et  dans  le  fond  de  l'être,  dit  saint  Augus- 
tin, la  mémoire,  l'intelligence,  la  volonté  sont  âme,  vie 
et  substance,  ce  sont  leurs  relations  qui  les  déterminent 


570  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  les  distinguent  (1).  Portez  en  Dieu  la  distinction  et 
l'unité  jusqu'à  l'infinie  perfection,  et  vous  verrez  que 
trois  peuvent  être  Dieu  sans  qu'il  y  ait  plus  d'un  seul 
Dieu.  »  (Ibid.,  conf.  Xe). 

1.  De  Trinitate,  X,  xi. 


Leçon  XVIIe 
De  la  Sainte  Trinité 


La  preuve  patristique  :  I.  Aux  deux  premiers 
siècles.  —  II.  Fin  du  II9  et  111°  siècle.  — 
III.  IV6  siècle,  —  IV.  L'œuvre  de  saint  Augustin. 

I.  Aux  deux  premiers  siècles 

Dès  les  temps  apostoliques,  les  écrivains 
ecclésiastiques  et  les  Pères  possèdent  la  con- 
naissance explicite  de  l'existence  du  mys- 
tère de  la  Trinité.  Ils  en  emploient  du  reste  la  for- 
mule dans  la  récitation  du  symbole  et  la  liturgie 
baptismale.  Mais  bientôt,  en  face  de  l'hérésie,  il 
faudra  défendre  ce  mystère.  Or,  les  concepts  d'es- 
sence, de  nature,  de  substance,  de  personne,  sont 
loin  d'être  déterminés  d'une  façon  précise  ;  la  lan- 
gue théologiquc  n'en  est  qu'à  ses  débuts.  De  là  une 
terminologie  indécise,  des  impropriétés  de  termes, 
des  tâtonnements  inévitables,  des  essais  d'explica- 
tion notoirement  insuffisants,  et  parfois  aussi  des 
vues  erronées.  Le  progrès  ne  se  fera  que  peu  à  peu 
et  la  vérité  ne  sera  mise  dans  tout  son  jour  qu'après 
bien  des  luttes  (i). 

i.  BIBLIOGRAPHIE:  Franzelin,  De  Deo  trino,  a6<5dit.,  Rome, 
1874  ;  Schwane,  Histoire  des  Dogmes,  trad.  franc.,  2e  odit., 
Fribonrg-en-Brisgan,  iSq.^,  t.  11  ;  Scheeben,  La  Dogma- 
tique,   trad.  franc.,   Paris,    1677,    t.  11  ;    Pesch,    De  Deo  Iruio 


672  LE    CATECHISME    ROMAIN 


Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  ressort  tout  d'abord 
avec  une  indéniable  évidence,  c'est  que,  dès  le  dé- 
but du  Christianisme,  le  mystère  de  la  Trinité,  est 
connu. 

A  la  fin  du  Ier  siècle,  l'auteur  de  la  Didaché 
donne  la  formule  baptismale  :  «  Baptisez,  dit-il,  au 
nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  (1).  » 

Le  pape  saint  Clément  écrit  :  «  N'avons-nous  pas 
un  seul  Dieu,  et  un  seul  Christ,  et  un  seul  Esprit 
d'amour  répandu  sur  nous  (2).  » 

Au  commencement  du  11e  siècle,  c'est  saint 
Ignace  d'Antioche  (f  c.  107)  qui  dans  sa  Lettre  aux 
Ephésiens,  félicite  les  fidèles  d'Ephèse  d'avoir  fermé 
l'oreille  à  toute  doctrine  perverse  et  étrangère. 
Il  les  compare  à  des  pierres  vivantes,  destinées  à 
l'édifice  de  Dieu  le  Père,  et  mises  à  leur  place  res- 
pective par  la  puissante  machine  de  la  croix  du 
Christ,  grâce  au  Saint-Esprit  (3).  Aux  Magnésiens  il 
écrit  que  «  Jésus-Christ  était  auprès  de  son  Père 
avant  tous  les  siècles  (4)  ;  »  que  «  Dieu  s'est  mani- 
festé par  son  Fils,  le  Verbe  sortant  du  silence  (5).  » 
«  Appliquez-vous,  ajoutc-t-il,  à  vous  affermir  dans 
les  enseignements  du  Seigneur  et  des  apôtres  pour 


secundum  personas,  Fribourg-en-  Brisgnii,  1890  ;  Tepe,  De  Deo 
trino,  Paris,  i8q5  ;  Billot,  De  Deo  uno  et  trino,  Rome,  1897  ; 
de  Régnon,  Etudes  de  théologie  positive  sur  la  sainte  Trinité, 
t.  iv  ;  Ilarnack,  Dogmengeschichte.  3e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau, 
t.  111  ;  Précis  de  l'histoire  des  dogmes,  trad.  franc.,  Paris,  1893  ; 
Loofs,  Leilfaden  zum  Studium  der  Dogmengeschichte,  3e  édit., 
Halle,  1893  ;  Seeberg,  Dogmengeschichte,  Erlangen,  1895  ; 
Duchesne,  Les  origines  chrétiennes,  2e  édit.  lith.,  Paris,  1886; 
Petau,  De  Trinitate  ;  Bull,  Defensio  fidei  Nicenœ. 

1.  Funk,  Doctrina  duodecim  apostolorum,  Tubingue,  1887, 
vu,  p.  20.  —  2.  Funk,  Opéra  Patrum  apostolicorum,  Tubingue, 
1881,  I  Clan.,  xlvi,  6,  p.  118.  —  3.  Ephes.,  ix,  1  ;  ibid.,  p.  180. 
—  4.  Mag.,  vi,  1  ;  ibid.,  p.  194.  —  5.  Magn.,  vin;  ibid.,  p.  196. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATR1STIQUE         5y3 


que  tout  ce  que  vous  failes  vous  réussisse...  dans  lo 
Fils  et  le  Père  et  l'Esprit  (i).  » 

Un  ami  de  saint  Ignace,  mort  longtemps  après 
lui,  l'évoque  de  Smyrne,  saint  Polycarpe  (f  i55), 
qui  avait  connu  dans  son  enfance  l'apôtre  saint  Jean 
prie  ainsi  au  moment  de  subir  le  martyre  :  «  Sei- 
gneur Dieu  tout  puissant,  Père  de  Jésus-Christ, 
votre  Fils  aimé  et  béni,  par  qui  nous  avons  appris 
à  vous  connaître,  Dieu  des  anges  et  des  vertus,  de 
toute  créature,  de  tous  les  justes  qui  vivent  en  votre 
présence,  je  vous  bénis  d'avoir  daigné,  aujourd'hui 
et  à  cette  heure,  m'admettre  au  nombre  de  vos 
martyrs,  à  la  participation  du  calice  et  de  votre 
Christ,  pour  la  résurrection  à  la  vie  éternelle  de 
l'âme  et  du  corps,  dans  l'incorruptibilité  de  l'Esprit- 
Saint,  je  vous  loue  de  toutes  choses,  je  vous  bénis, 
je  vous  glorifie  avec  Jésus-Christ,  votre  fils  bien- 
aimé,  éternel  et  céleste,  avec  qui  gloire  soit  à  vous 
et  au  Saint-Esprit,  maintenant  et  dans  les  siècles 
futurs  (2).  » 

D'après  l'auteur  de  YEpître  à  Diognète,  «  c'est  le 
Fils,  le  créateur,  que  Dieu  a  envoyé,  de  préférence 
à  toute  créature,  ange  ou  prince,  gouverneur  de  la 
terre  ou  gouverneur  des  cieux  (3)  ;  »  «  c'est  par  ce 
Fils  que  Dieu  a  révélé  tout  ce  qui  avait  été  préparé 
dès  le  commencement  (4).  » 

A  l'accusation  d'athéisme,  portée  contre  les  chré- 
tiens, saint  Justin  (f  i63)  faisait  cette  réponse  : 
«  Oui,  s'il  s'agit  de  vos  dieux,  nous  sommes  athées; 
mais  nous  ne  le  sommes  pas  à  l'égard  du  Dieu  très 
vrai,  sans  mélange  de  mal,  père  de  la  justice,  de  la 
tempérance  et  des  autres  vertus.  Aussi  nous  l'hono- 
rons et  adorons  le  Fils,  qui  est  venu  de  lui  et  nous 

1.  Magn.,  xni  ;  ibld.,  p.  200.  —  2.  Martyr  Polyc,  xiv,  ibid., 
p.  298.  —  3.  Epist.  ad  Diogn.,  vu,  2  ;  ibid.,  p.  320.  —  4-  Ibid., 
vin,  11  ;  ibid.,  p.  324. 


5 7 4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

a  enseigné  ces  choses...  et  l'Esprit  prophétique  (i).» 
Dans  son  Dialogue  avec  Tryphon,  le  philosophe  mar- 
tyr proclame  le  Fils  Dieu,  engendré  du  Père  de 
toutes  choses,  Verbe,  Sagesse,  Puissance  et  Gloire 
de  celui  qui  l'engendre  (2),  mais  distinct  du  Père 
puisque,  dans  les  Ecritures,  le  Père  lui  adresse  la 
parole  (3),  émanant  du  Père  sans  se  détacher  de 
lui  comme  la  lumière  sort  du  soleil  (4). 

Voici,  à  cette  même  accusation,  la  réponse  d'un 
autre  apologiste,  Athénagore  :  «  J'ai  suffisamment 
démontré  que  nous  ne  sommes  pas  athées,  nous  qui 
croyons  en  un  seul  Dieu  non  engendré,  éternel, 
invisible,  impassible,  incompréhensible,  immense, 
connu  de  l'esprit  seul  et  de  la  raison,  environné  de 
lumière,  de  beauté,  d'esprit,  de  puissance  indicible, 
qui  enfin  a  créé  et  orné  et  conserve  toutes  choses 
par  son  Verbe,  car  nous  reconnaissons  aussi  un 
Fils  de  Dieu.  Que  personne  ne  pense  qu'il  est  risi- 
ble  de  ma  part  (de  soutenir)  que  Dieu  a  un  Fils.  En 
effet,  notre  conception  de  Dieu  le  Père  ou  du  Fils 
ne  ressemble  pas  aux  imaginations  des  poètes  qui 
nous  montrent  les  dieux  aussi  mauvais  que  les  hom- 
mes. Mais  le  Fils  de  Dieu  est  le  Verbe  du  Père  en 
idée  et  efficacité  ;  car,  d'après  lui  et  par  lui  tout  a 
été  fait,  le  Père  et  le  Fils  n'étant  qu'un.  Gomme  le 
Fils  est  dans  le  Père  et  le  Père  est  dans  le  Fils  par 
l'unité  et  la  puissance  de  l'Esprit,  le  Fils  de  Dieu 
est  l'intelligence  et  le  Verbe  du  Père.  Si,  pour  mieux 
comprendre,  vous  désirez  savoir  ce  que  signifie  ce 
mot  Fils,  je  répondrai  brièvement  qu'il  est  le  pre- 
mier-né de  Dieu,  non  qu'il  ait  été  fait,  car,  dès  le 
commencement,  Dieu,  intelligence  éternelle,  avait 
le  Verbe  en  lui,  étant  éternellement  raisonnable, 

1.  Apol.  I  ;  Pat.  gr.,  t.  vi,  col.  336.  —  a.  Dial.  cum  Tryph., 
txi.  —  3.  Ibid.t  lxii.  —  £•  Ibid.t  cxxviii  ;  Pat.  gr.,  t.  \i, 
col.  616. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATRISTIQUE         b^b 

mais  parce  qu'il  s'est  avancé  pour  être  l'idée  et 
l'énergie  formatrice  de  toutes  les  choses  matériel- 
les... L'Esprit  prophétique  est  aussi  conforme  avec 
le  Verbe...  Or,  ce  Saint-Esprit,  agissant  dans  les 
prophètes,  nous  disons  qu'il  est  une  émanation  de 
Dieu,  qu'il  sort  (de  lui)  et  qu'il  revient  (à  lui) 
comme  un  rayon  de  soleil.  Qui  donc  ne  s'étonne- 
rait d'entendre  appeler  athées  ceux  qui  affirment 
Dieu  le  Père,  Dieu  le  Fils  et  l'Esprit-Saint,  qui  mon- 
trent leur  puissance  dans  l'unité  et  leur  différence 
dans  l'ordre  (i). 

Saint  Théophile  d'Antioche  donne  aux  trois  per- 
sonnes divines  le  nom  de  Triade  (2). 

L'évêque  de  Lyon,  saint  Irénée,  écrivait  contre  les 
gnostiques  :  «  Pour  faire  ce  qu'il  avait  résolu  de 
créer,  Dieu  n'avait  pas  besoin  des  anges,  comme  s'il 
n'eût  pas  eu  ses  mains.  En  effet,  le  Verbe  et  la  Sagesse, 
le  Fils  et  l'Esprit,  lui  sont  toujours  présents  ;  par 
eux  et  en  eux  il  a  fait  toutes  les  choses  librement 
et  spontanément,  et  c'est  à  eux  qu'il  parle  lorsqu'il 
dit  :  «  Faisons  l'homme  à  notre  image  et  à  notre  res- 
semblance (3).  »  «  Nous  avons  démontré  par  beau- 
coup de  preuves  que  le  Verbe,  c'est-à-dire  le  Fils, 
était  toujours  avec  le  Père.  Mais  comme  la  Sagesse, 
qui  est  l'Esprit,  était  en  lui  avant  toute  création, 
elle  dit  par  Salomon  :  «  Dieu  m'a  créée  principe  de 
ses  voies  pour  ses  œuvres,  il  m'a  établie  avant  les 
siècles,  au  commencement  avant  qu'il  fit  la 
terre  (4).  » 

Saint  Irénée  insiste  sur  l'éternelle  génération  du 
Verbe,  mais  renonce  à  dire  ce  qu'est  cette  généra- 
tion :  «  Que  si  l'on  nous  demande  comment  le  Fils 
est  produit  par  le  Père,  nous  répondrons  que  cette 

1.  Légat,  pro  Christ,  10  ;  Patr.  gr.,  t.  vi,  col.  908-909.  — 
a.  Ad.  Autol.,  t.  11,  i5  ;  ibid.,  col.  1077.  —  3.  Adv.  hœr.,  IV, 
tx,  1  ;  Patr.  gr.,  t.  vu,  col.  io3a.  —  4.  Ibid.,  3,  col.  io33. 


5;6  Ï-E    CATÉCHISME    ROMAIN 

production,  de  quelque  nom  qu'on  la  désigne,  géné- 
ration ou  autre,  personne  ne  la  connaît...  si  ce  n'est  le 
Père  qui  engendre  et  le  Fils  qui  est  engendré.  Et 
puisque  cette  génération  est  indicible,  ce  n'est  pas 
avoir  la  pleine  possession  de  soi-même  que  d'entre- 
prendre de  raconter  génération,  émanation  (i).  » 

Jusqu'ici  ce  point  de  concept  de  substance,  d'hy- 
postase  ou  de  personne  nettement  défini  ;  pas  d'au- 
tre relation  caractérisée  que  celle  de  génération. 
C'est  que  les  Pères  s'occupent  alors  beaucoup  moins 
de  la  vie  intime  de  Dieu  que  de  sa  manifestation 
extérieure,  beaucoup  moins  du  Verbe  dans  ses  rela- 
tions avec  le  Père  que  dans  ses  rapports  avec  la 
création  et  l'œuvre  rédemptrice,  beaucoup  moins 
du  Saint-Esprit  que  du  Verbe.  Certaines  de  leurs 
expressions  ne  cadreraient  pas  aujourd'hui  avec  la 
pure  orthodoxie.  Après  avoir  proclamé  l'éternité  du 
Verbe,  les  apologistes  semblent  ne  le  faire  sortir  du 
sein  du  Père  par  voie  de  prolation  ou  de  génération 
qu'au  moment  et  dans  le  but  de  créer,  ce  qui  impli- 
querait une  génération  purement  temporelle,  le 
Verbe  passant  ainsi  de  son  état  caché  dans  le  sein 
de  Dieu,  àvotàôeToç,  à  l'état  de  7rpocpopixdç  ou  d'être 
manifesté,  selon  les  expressions  de  Théophile  (2). 
Cette  idée,  moins  les  termes,  se  trouve  pareillement 
dans  saint  Justin,  Tatien  et  Athénagore.  Enfin,  tout 
en  parlant  de  l'unité  divine  et  en  distinguant  dans 
cette  unité  les  trois  personnes,  ils  accusent  trop  leur 
subordination 

1.  Adv.  hœr.y  II,  xxviii,  6.  —  2.  Ad  Autol.,  n,  10,  22  ;  Pair» 
gr.,  t.  vi,  col.  1064,  1088  ;  voir  notre  article  Les  Pères  apolo- 
gistes dans  le  Diction,  de  théol.,  t.  11,  col.  1596-1597. 


LA  SAINTE  TRINITE   '.   PREUVE   PATRISTIQUE  5y7 


IL  Fin  du  IIe  siècle  et  IIIe  siècle 

Vers  la  fin  du  ne  siècle  éclate  un  conflit  doctrinal 
entre  deux  écoles  rivales,  l'école  des  unitaires,  qui 
exagère  l'unité  sous  le  nom  de  monarchie,  pour 
couper  court  à  l'erreur  polythéiste,  mais  qui  en 
même  temps  compromet  la  Trinité,  formulée  dans 
le  symbole  et  la  liturgie  baptismale,  et  l'école  des 
trinilaires,  qui  entend  avant  tout  sauvegarder  la 
Trinité  des  personnes,  mais  qui  donne  prise  à 
l'accusation  de  dithéisme  ou  de  trithéisme. 

i.  Un  byzantin  ambitieux,  réfugié  à  Rome,  Théo- 
dote  le  corroyeur,  se  mêla  de  questions  religieuses. 
Rejetant  la  métaphysique  folle  des  gnostiques  et 
l'illuminisme  des  montanistes,  il  tomba  dans  un 
rationalisme  intempérant.  Contrairement  aux  don- 
nées les  plus  formelles  de  la  tradition,  il  en  vint 
à  nier  la  divinité  de  Jésus-Christ,  sous  prétexte  de 
sauvegarder  l'unité  de  Dieu,  la  monarchie.  Suivi,  à 
quelques  nuances  près,  par  son  homonyme  le 
banquier  et  par  Artémon,  il  fut  finalement  condamné 
par  le  pape  Victor  (i). 

2.  Un  asiate,  Noët  de  Smyrne,  déjà  condamné 
pour  ses  opinions  hétérodoxes  par  sa  propre  Eglise, 
vint  également  à  Rome  avec  son  compatriote  Epigone 
et  eut  pour  disciple  Cléomène.  À  tout  prix,  disait-il, 
il  faut  maintenir  la  monarchie  divine  contre  le  poly- 
théisme païen,  le  plérome  gnostique  et  le  dualisme 
de  Marcion.  Le  Père  est  père  en  tant  qu'il  n'a  pas  été 
engendré  ;  une  fois  engendré,  il  est  son  propre  fils. 
Par  suite  ces  termes  de  père  et  de  fils,  dans  la 
Trinité,  s'appliquent  à  une  seule  et  même  personne, 
considérée    dans    deux   états   successifs   différents. 

i.  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  y,  28  ;  Pair,  gr.,  t.  xx,  col.  5i3. 

LE  CATÉCHISME.    —  T .   I.  JJ 


678  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

Epigone  précisait  que  c'est  le  Père  qui  a  souffert  sur 
la  croix,  en  tant  que  fils  incarné  (1). 

3.  De  la  Lybie  survient  Sabellius  qui,  systémati- 
sant ces  idées  nouvelles,  professe  le  Modalisme.  Il 
n'admet  qu'une  seule  personne  en  Dieu,  laquelle, 
il  est  vrai,  porte  trois  noms  différents,  mais  d'après 
le  rôle  joué  dans  le  monde  soit  pour  le  créer,  soit 
pour  le  racheter,  soit  pour  le  sanctifier,  et  se  mani- 
feste tour  à  tour,  comme  Père  dans  l'Ancien 
Testament,  comme  Fils  dans  l'incarnation  et  la 
rédemption  et  comme  Saint-Esprit  dans  la  justi- 
fication de  l'homme.  C'est  la  monade  qui,  en  se 
développant,  devient  triade.  Saint  Grégoire  de 
Nazianze  accusera  plus  tard  les  Sabelliens  d'athéisme, 
tandis  que  saint  Hilaire  de  Poitiers  et  saint  Athanase 
les  accuseront  de  panthéisme  (2). 

[\.  Pris  énergiquement  à  partie  par  Caïus,  saint 
Hippolyte  et  Tertullien,  la  plupart  de  ces  unitaires 
furent  condamnés  par  l'autorité  romaine.  Le  pape 
Zéphirin  condamna  Artémon  (3)  ;  Praxéas  fut  obligé 
de  rétracter  par  écrit  son  erreur  (/j)  ;  et  Sabellius  fut 
excommunié  par  Galliste  (5).  Tertullien  écrivait 
avec  sa  verve  mordante  :  «  Les  simples,  pour  ne 
pas  dire  les  pauvres  d'esprit  et  les  imbéciles,  qui 
forment  toujours  la  majorité  des  croyants,  une  fois 
tirés  de  leur  polythéisme  et  amenés  à  croire  au  seul 
vrai  Dieu,  ne  comprennent  pas  que  ce  Dieu  est 
unique  sans  doute,  mais  avec  une  certaine  économie  ; 
c'est  cette  économie  qui  épouvante  leur  foi.  Ce  qui 
est  nombre  et  distribution  dans  la  divinité,  dans  la 
trinité,  ils  le  prennent  pour  une  division  de  l'unité. 
Or  l'unité,  produisant   d'elle-même  la  trinité,  n'est 

1.  Voir  Phihsophumena,  ix.   —  2.  Voir  Eusèbe,  loc.  cit.  — 

3.  Eusèbe,   Hist.   eccl.,  v,   28  ;  Pair,  gr.,  t.  xx,  col.  5i3.  — 

4.  Tertullien,   Adv.    Prax.,    1  ;    Pair,   lat.,  t.   11,  col.  i56.  - — 

5.  Philosophumena,  ix,  12  ;  édit.  Cruice,  Paris,  1860,  p.  44i. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    PREUVE    PATRISTIQUE        5  7.9 


pas  pour  cela  divisée,  mais  organisée.  Ils  disent  que 
nous  prêchons  deux  ou  trois  dieux,  se  vantent  eux- 
mêmes  de  n'adorer  qu'un  seul  Dieu  ;  comme  si,  en 
resserrant  outre  mesure  l'unité  divine,  on  n'était 
pas  hérétique  ;  comme  si  la  trinité,  raisonnablement 
expliquée,  n'était  pas  la  vérité  même.  Nous  tenons, 
disent-ils,  à  la  monarchie  !  Et  l'on  entend  nos 
latins,  même  ces  bons  opiques,  répéter  ce  mot 
grec  avec  leur  agréable  accent  ;  on  voit  de  suite 
qu'ils  comprennent  aussi  bien  qu'ils  pronon- 
cent (1).  » 

5.  Mais  d'autre  part,  les  trinitaires  n'étaient-ils  pas 
à  l'abri  de  tout  reproche  doctrinal,  dans  leur 
manière  d'entendre  et  d'expliquer  a  raisonnable- 
ment »  «  l'économie  »  de  la  trinité  ?  L'accusation 
de  dithéisme  n'était-elle  pas  justifiée  ? 

Le  prêtre  romain  Hippoîyte  composa  une  réfuta- 
tion de  Noët,  où  il  disait  entre  autres  choses  :  «  Il 
est  bien  obligé  de  confesser  le  Père,  Dieu  tout-puis- 
sant, et  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Dieu  fait  homme, 
à  qui  le  Père  a  tout  soumis  en  dehors  de  lui,  et 
l'Esprit-Saint,  et  d'avouer  qu'ils  sont  vraiment 
trois...  En  ce  qui  est  de  sa  puissance,  Dieu  est  un, 
mais  trine  quant  à  l'économie  (2).  »  D'autre  part,  à 
la  suite  des  apologistes,  il  insistait  trop  sur  la  dis- 
tinction du  Verbe  intérieur  et  du  Verbe  proféré  et 
donnait  prise  au  subordinatianisme.  Le  pape  Galliste 
accusa  de  dithéisme  une  telle  doctrine.  C'était  le 
point  de  vue  également  adopté  à  Carthage. 

6.  Dans  son  traité  Contre  Praxéas,  Tertullien 
expose  le  dogme  à  sa  manière.  Il  défend  la  trinité, 
mot  qui  paraît  pour  la  première  fois  chez  les  Latins, 
et  son  traité  est  le  premier  en  date  sur  cette  matière  ; 


1.  Adv.  Prax.,  3  ;  Pair,  lat.,  t.  11,  col.  i58.  —  2.  Homel.  conL 
hœres. 


58o  LE    CATÉCHISME   ROMAIN 

au  nom  de  la  tradition,  dit-il,  il  veut  concilier 
((  l'économie  »  avec  la  «  monarchie  »  :  «  Custodiatar 
œconomiœ  sacramentum,  quœ  unilalem  in  trinitatem 
disponit,  ires  dirigeas,  Patrem,  et  Filium,  et  SpiriUirn 
Sanctum.  Très  aulem  non  stala,  sed  gradu  ;  nec  subs- 
tantiel, sed  forma  ;  nec  potes  taie,  sed  specie  :  unius 
autem  subsiantiœ,  et  unius  status,  et  unius  proies tatis  ; 
quia  unus  Deus,  ex  quo  et  gradus  isti  et  formœ  et 
species,  in  nomine  Patris  et  Filii  et  Spiritus  Sancii 
deputantur  (i).  » 

A  côté  d'expressions  et  de  formules  nouvelles, 
qui  accusent  un  progrès  sensible  dans  la  manière 
de  concevoir  et  d'exposer  le  mystère,  Tertullien  a 
des  imprécisions  de  termes,  des  incorrections  de 
langage  et  des  idées  erronées.  On  le  sent,  quand  il 
s'exprime  avec  justesse,  sur  le  terrain  ferme  de  la 
tradition.  Et  c'est  bien  comme  un  écho  fidèle  de 
l'enseignement  traditionnel  qu'il  soutient  la  distinc- 
tion des  personnes  divines,  qu'il  afiirme  que  le  Père 
est  Dieu,  que  le  Fils  est  Dieu,  que  le  Saint-Esprit 
est  Dieu,  et  que  pourtant  ce  ne  sont  pas  là  trois 
dieux.  Mais  la  notion  de  pleine  consubstantialité 
n'est  pas  suffisamment  mise  en  relief  ;  elle  semble 
même  parfois  compromise.  C'est  dire  que  Tertullien, 
et  ceux  qui,  comme  lui,  attaquaient  les  monarchiens, 
en  sont  au  môme  point  que  leurs  prédécesseurs  sur 
les  deux  états  successifs  du  Verbe,  d'abord  caché  en 
Dieu,  puis  proféré  ou  engendré.  Caché  en  Dieu,  le 
Yerbe  est  éternel.  L'est-il  également  comme  Fils 
par  sa  génération  ?  Qu'on  en  juge  :  «  Tune  igitur 
etiam  ipse  Sermo  speciem  et  ornatum  sumit,  sonum 
et  vocem,  cum  dicit  Deus  :  Fiat  lux.  Hsec  est  nativitas 
perfecta  Sermonis,  dum  ex  Deo  procedit  ;  conditus 
ab  eo    primum   ob  cogitatum    in  nomine    Sophiœ, 

i.  Adv.  Prax.,  2  ;  ibid.,  col.  157. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :     PRE!  \  i;    PATRISTIQUE         58l 

dehinc  generatus  ad  ejjectum  (i).  »■  Et  ceci  ne  sem- 
blc-t-il  pas  compromettre  la  parfaite  consubslantia- 
lité  .  u  Pater,  tota  substantia  est  ;  Filius  vero  derivatio 
toiius  el  portio  (2)  ?  »  Du  reste  il  explique  que  le  Fils 
était  plus  apte  à  l'incarnation  à  cause  de  son  infé- 
riorité (3). 

7.   C'est  justement  cette   consubstantialité    qu'il 
fallait    sauvegarder    à    tout    prix    pour    maintenir 
intacte  l'unité  divine,  tout  en  professant  la  trinité 
des  personnes.  Et  c'est  elle  qu'a  défendue  Calliste, 
quoi  qu'en  disent  les  Philosophumena.  Calliste,  de 
l'aveu    môme    des    Philosophumena,    a    condamné 
Sabellius  et  le  modalisme  ;  s'il  n'en  a  pas  fait  autant 
pour  les  trinitaires,   qui  compromettaient  la  con- 
substantialité,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  partageât  de 
tous  points  leurs  manière  de  voir  ;   il  la  partageait 
même  si  peu  qu'il  fut  de  leur  part  l'objet  d'accusa- 
tions injustifiées  ;  d'autant  plus,  et  ce  sont  toujours 
les  Philosophumena  qui  nous  renseignent,   que  son 
enseignement   resta  celui  de  l'Eglise  de  Rome.  Or 
cet  enseignement  nous  est  connu  par  l'attitude  de  l'un 
des   successeurs    de   saint  Calliste,    le    pape   saint 
Denys  (259-268),  vis-à-vis  de  Févêque  d'Alexandrie. 
Sa  lettre  est  un  document  de  la  foi  romaine,  nette- 
ment consubstantialiste  et  anti-sabellienne,  égale- 
ment éloignée  de  l'erreur,  qui  prétend  que  le  Fils  est 
le  même  que  le  Père,  et  de  celle  qui  divise  l'unité  en 
trois  substances  séparées.   Comme  Calliste,   Denys 
condamne  le  sabellianisme  ;  comme  Calliste,  Denys 
accuse  de    di théisme   les   adversaires    exagérés   du 
Sabellius.  De  part  et  d'autre,  même  langage  théolo- 
gique montrant  que  les  deux  papes,  à  un  demi-siè- 
cle de  distance,  ont  sur  la  légitimité  de  certaines 

i.  Adv.  Prax.t  vn  ;  Pair,  lat.,  1. 11,  col.  161.  —  a.  Ibid.,  ix; 
ibid.,  col.  164.  —  3.  Ibid.,  xyi  ;  ibid.,  col.  ij4« 


582  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


formules  et  sur  le  sens  de  certains  textes  de  l'Ecri- 
ture les  mêmes  idées  contraires  à  celles  des  anti- 
sabelliens.  Ils  sont  pour  l'identité  substantielle  du 
Père  et  du  Fils  en  môme  temps  que  pour  la  trinité 
et  pour  la  distinction  personnelle  des  hypostases 
divines  (i). 

8.  Peu  après  le  milieu  du  ni0  siècle  parut  un 
traité  spécial  sur  la  Trinité,  dû  au  schismatique 
Nova  tien  ;  mais  il  ne  constitue  pas  le  moindre  pro- 
grès sur  la  question.  Le  Christ  promis  dans  l'Ancien 
Testament  est  celui  de  l'Evangile  :  il  est  homme  et 
Dieu,  il  est  l'Homme-Dieu.  Fils  de  Dieu,  né  de 
Dieu,  engendré  de  Dieu,  mais  quand  ?  Novatien 
répète  plusieurs  fois  que  la  génération  du  Fils  a 
précédé  la  création,  sans  jamais  affirmer  qu'elle  fut 
éternelle,  mais  laissant  entendre  au  contraire  qu'elle 
a  été  motivée  et  datée  par  la  création  (2).  De  ce  côté, 
point  de  progrès.  D'autre  part,  tout  en  combattant 
le  dithéisme,  il  lui  prête  le  flanc  parce  qu'il  pousse 
trop  loin  la  distinction  du  Père  et  du  Fils.  Confor- 
mément à  la  Règle  de  foi,  il  proclame  l'unité  divine 
et  la  divinité  de  Jésus-Christ  ;  il  affirme  que  le 
Christ  reste  un  avec  le  Père,  auquel  il  doit  son  ori- 
gine, sa  génération,  sa  naissance,  son  titre  de  Fils. 
Ne  dirait-on  pas  la  consubstantialité  ?  Il  n'en  est 
rien  ;  car  cette  unité,  sur  laquelle  appuie  tant 
Novatien,  c'est,  dit-il,  une  unité  de  «  concorde, 
d'amour,  de  dilection  »,  unité  purement  morale  (3). 
Relativement  au  Saint-Esprit,  il  ne  l'appelle  nulle 
part  Dieu  ou  personne  divine,  mais  il  le  donne  clai- 
rement à  entendre  En  revanche,  il  passe  complète- 
ment sous  silence  le  mode  de  relation  du  Saint- 


1.  Voir  notre  article  Calliste,  dans  le  Dictionnaire  de  théologie, 
t.  11,  col.  1 337-1 338.  —  2.  De  Trinit.,  3i  ;  Pair,  lat  t  ni,  col. 
o5o.  —  3.  Ibid.   27  ;  ibid.,  col.  938. 


LA.   SAINTE    TRINITÉ    *.    PREUVE    PATRISTIQUE        583 

Esprit  avec  le  Père  et  le  Fils.  Il,  est  vrai  que  jusque 
là,  Tcrtulïien  avait  été  le  soûl  à  dire  que  le  Saint- 
Esprit  procède  du  Père  par  le  Fils.  Et  enfin  Novatien 
a  le  tort  d'expliquer  l'ordre  hiérarchique  des  per- 
sonnes de  la  trinité  par  une  sorte  d'amoindrissement 
de  la  troisième  sur  la  seconde  (i),  et  de  la  seconde 
sur  la  première  (2),  ce  qui  laisse  la  porte  ouverte 
au  suhordinatianisme. 

8.  Aurons-nous  du  moins  plus  de  chance  de 
trouver  une  doctrine  plus  ferme  dans  le  célèbre 
Didascalée  d'Alexandrie  ?  Il  n'y  paraît  guère,  en  ce 
qui  regarde  le  successeur  de  Pantène.  Sans  doute 
Clément  croit  à  la  «  sainte  Triade,  »  à  la  divinité 
du  Fils  et  du  Saint-Esprit  (3).  «  0  miracle  mysti- 
que s'écria-t-il  !  Un  seul  Père  de  toute  chose  !  Un 
seul  Yerbe  de  toute  chose  !  Un  seul  Esprit,  et  lui- 
même  partout  (4)  !  »  «  Faites,  ô  Dieu,  qu'après 
avoir  vécu  dans  la  paix  nous  soyons  introduits  dans 
la  cité,  qu'après  avoir  franchi  sans  encombre  les 
flots  du  péché  nous  soyons  transportés  paisibles 
avec  l'E  prit-Saint  et  que,  vous  louant  nuit  et  jour 
avec  l'ineffable  Sagesse  jusqu'au  jour  parfait,  nous 
vous  rendions  grâces,  et,  en  rendant  grâces,  que 
nous  louions  Père  et  Fils,  Fils  et  Père,  le  Fils  notre 
pédagogue  et  maître,  avec  le  Saint-Esprit  (5)  1  » 
«  Les  aveugles  comprennent  quel  grand  trésor  nous 
portons  dans  un  vase  d'argile  par  la  vertu  de  Dieu 
le  Père,  par  le  sang  de  Dieu  le  Fils,  et  par  la  rosée 
du  Saint-Esprit  (6).  »  Mais,  d'autre  part,  Clément 
ne  serre  pas  d'assez  près  la  question  trinitaire  et  ne 
surveille  pas  suffisamment  son  langage.  Tantôt  il 
désigne  les  personnes  divines  par  des  expressions 

1.  De  Triait.,  16  ;  ibid.,  col.  gi5.  —  2.  Ibid.,  3i  ;  ibid.,  coJ. 
949.  —  3.  Strom.,  v,  i4  ;  Pair.  <jr.,  t.  ix,  col.  i58.  —  k-  Peday., 
1,6;  Patr.  gr.,  t.  vin,  col.  3oo.  —  5.  Pedag.,  ni,  12  ;  ibid.,  col. 
€80.  —  6.  nais  dives  salv.,  3  A  ;  Pat.  gr.,  t.  ix,  col.  6/jo. 


584  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


que  ne  désavouerait  pas  un  modaliste  ;  tantôt  il 
leur  attribue  des  aptitudes  si  tranchées  qu'on  croirait 
entendre  un  subordinatianiste,  ainsi  que  l'a  remar- 
qué Petau. 

9.  Tout  autre  est  le  cas  d'Origène,  bien  qu'il 
n'ait  pas  échappé  à  la  critique  de  saint  Jérôme. 
Voulant  réfuter  ceux  qui  ne  regardaient  le  Logos  en 
Dieu  que  comme  un  simple  phénomène  sans  exis- 
tence propre,  il  dit  que  le  Fils  de  Dieu  est  appelé 
Logos  pour  deux  motifs;  car  Logos  signifie  à  la  fois 
raison  et  parole.  Le  Fils  étant  la  raison  du  Père, 
fait  participer  tous  les  hommes  à  cette  raison  éter- 
nelle ou  à  la  vérité.  On  peut  l'appeler  également  la 
parole  qui  révèle  les  secrets  de  Dieu,  de  même  que 
la  parole,  chez  les  hommes,  est  le  signe  révélateur 
de  la  pensée.  Mais  cette  parole  ne  se  réduit  pas  à  un 
pur  accident,  à  un  son  passager  :  elle  est  substan- 
tielle, et  cette  substance  est  celle  du  Père  (1).  Donc 
consubstantialité  du  Verbe  et  de  Dieu. 

Mais  de  plus  existence  éternelle  du  Verbe. 
«  Relativement  à  Dieu,  le  Verbe  ne  devient  pas... 
Le  Verbe  n'a  point  passé  du  non-être  dans  le  prin- 
cipe à  l'être  dans  le  principe,  du  non-être  en  Dieu 
à  l'être  en  Dieu  ;  mais  avant  tous  les  temps  et  tous 
les  siècles,  le  Verbe  était  dans  le  principe,  et  le 
Verbe  était  Dieu  (2).  »  D'où  co-éternité  du  Verbe 
et  de  Dieu,  co-éternité  aussi  du  Fils  et  du  Père  : 
«  Dieu  n'a  pas  commencé  d'être  Père  à  la  façon 
des  hommes...  Car  si  le  pouvoir  d'être  père  ne  lui 
a  jamais  manqué,  si  c'est  pour  lui  une  perfection 
d'être  Père  d'un  tel  Fils,  quel  motif  aurait-il  eu  de 
différer  son  acte  et  de  se  priver  d'une  perfection  ? 
Pourquoi  ne  serait-il  pas  devenu  Père  aussitôt  qu'il 

1.  InJoan.,  1,  42  ;  Patr.  gr.,\t.  xiv,  col.  96-104.  —  2.  In 
Joan.,  11,  1  ;  ibid.,  col.  io5. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    '.    PREUVE    PATUISTIQUE        5S5 

le  pouvait.  On  doit  raisonner  de  même  touchant 
le  Saint-Esprit  (i).  »  Il  est  difficile,  on  l'avouera, 
de  se  prononcer  plus  formellement  contre  la  géné- 
ration temporelle,  et  ceci  est  un  progrès  incontes- 
table. Qu'Origène  ait  enseigne  la  consubstantialité 
et  la  co-éternité  du  Verbe  et  du  Père,  c'est  ce 
qu'affirme  saint  Athanase,  en  le  citant  contre  les 
Ariens  (2).  Cette  consubstantialité,  Origène  l'accuse 
énergiquement  contre  les  modalistes  et  sabelliens. 
«  Quanta  nous,  dit-il,  nous  croyons  qu'il  y  trois 
hypostases,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  et  que 
le  Père  seul  ne  tire  son  origine  d'aucun  autre.  » 
Mais  il  insiste  trop  sur  le  rang  que  déterminent 
leurs  relations  naturelles,  sur  la  hiérarchie  fondée 
sur  leurs  rapports  d'origine,  et  par  là  les  subordonne 
tellement  l'une  à  l'autre  qu'il  semble  les  diviser 
et  par  suite  compromettre  leur  absolue  égalité  ! 

10.  Ainsi  donc,  au  111e  siècle,  le  dogme  de  la 
Trinité  se  trouvait  battu  en  brèche,  d'un  côté  par 
les  modalistes  sabelliens,  qui  n'admettaient  en 
Dieu  qu'une  seule  personne  avec  trois  noms  diffé- 
rents servant  à  caractériser  ses  différents  rôles,  et 
d'un  autre  côté  par  les  trinitaires  trop  tranchants 
qui  introduisaient  un  subordinatianisme  exagéré 
parmi  les  hypostases.  I/autorité  romaine  condam- 
nait formellement  les  premiers  et  tenait  en  légitime 
suspicion  les  derniers.  Le  mérite  d'avoir  dégagé  le 
véritable  enseignement  de  l'Eglise  revient  au  pape 
saint  Denys,  bien  qu'il  ne  l'ait  pas  formulé  avec  la 
netteté  et  la  précision  des  Pères  du  ive  siècle.  Son 
homonyme,  l'évêque  d'Alexandrie,  saint  Denys, 
n'avait  pas  su  éviter,  dans  sa  réfutation  du  sabel- 
tianisme,    le  danger  du  subordinatianisme.    C'est 


1.  Pamphile,  Apolog.,  m;  Pair,  gr.,  t.  xvn,  col.  56i.  — 
a.  In  Joan.,  u,  6  ;  Patr.  gr.,  t.  xiv,  col.  128. 


586  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

pourquoi  le  pape  lui  écrivait  :  «  Il  serait  juste  de 
discuter  contre  ceux  qui  détruisent  la  monarchie, 
dogme  très  auguste  de  la  prédication  ecclésiastique, 
la  divisant  et  la  scindant  en  trois  puissances  et 
personnes  séparées,  en  trois  divinités.  J'ai  appris, 
en  effet,  que,  parmi  vous,  certains  qui  prêchent  et 
enseignent  la  parole  de  Dieu,  soutiennent  cette 
opinion,  s'opposant  ainsi  diamétralement,  si  je  puis 
dire,  à  l'erreur  de  Sabellius.  Celui-ci  blasphème  en 
affirmant  que  le  Fils  même  est  le  Père  et  récipro- 
quement ;  ceux-là  prêchent  d'une  certaine  manière 
trois  dieux,  lorsqu'ils  divisent  Funité  sainte  en 
trois  hypostases  étrangères  l'une  à  l'autre,  tout  à 
fait  séparées  l'une  de  l'autre.  Il  est  nécessaire,  en 
effet,  que  le  Verbe  divin  soit  uni  au  Dieu  de  toutes 
choses,  que  l'Esprit-Saint  demeure  et  inhabite  en 
Dieu,  et  qu'ainsi  la  divine  Trinité  se  ramène,  se 
réduise  en  un  point  culminant,  c'est-à-dire  au  seul 
Dieu  tout-puissant  de  l'univers...  11  ne  faut  pas 
moins  blâmer  ceux  qui  pensent  que  le  Fils  est  une 
créature  et  que  le  Seigneur  a  été  créé  comme  Tune 
des  choses  qui  ont  été  réellement  faites,  alors  que 
la  parole  divine  atteste  qu'il  a  été  engendré  ainsi 
qu'il  convient,  mais  non  créé  ou  produit...  Ne 
séparons  donc  pas  en  trois  divinités  l'admirable  et 
divine  unité  ;  ne  diminuons  pas  par  ce  terme  de  créa- 
tion la  dignité  et  la  suprême  grandeur  du  Seigneur  ; 
mais  croyons  en  Dieu  le  Père  tout-puissant,  et  en 
Jésus-Christ  son  Fils,  et  en  l'Esprit-Saint  ;  croyons 
que  le  Verbe  est  uni  au  Dieu  de  l'univers.  En  effet, 
«  le  Père  et  moi,  dit-il,  nous  sommes  une  même 
chose  ;  »  et  encore  :  «  Je  suis  dans  le  Père,  et  le 
Père  est  en  moi.  »  Ainsi  seront  conservées  et  la 
divine  Trinité  et  l'affirmation  delà  sainte  unité  (i).  » 

i.  Saint  Athanase,  De  ctecr.  Nie*  syn.,  26  ;  Pair.  gr.9 1.  xxvi, 
col.  461  sq. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    :    JpREUVÎE    PATRISTIQUE        bSj 

ii.  Cette  lettre  du  pape  saint  Dcnys  n'enraye  pas 
le  mouvement  de  l'erreur.  Celle-ci  allait  s'affirmer 
avec  force  et  susciter  des  luttes  et  des  troubles  fort 
graves  pendant  le  iv°  siècle.  L'un  des  foyers  fut  la 
capitale  de  la  Syrie,  Antioche,  où  Paul  de  Samosate, 
en  269,  fut  condamné  par  un  Synode  pour  avoir 
professé  sur  la  Trinité  des  opinions  erronées  qui 
rappelaient  celles  des  antitrinitaires  ;  opinions,  que 
Lucien  d'Antioche  colporta  et  répandit  à  Nicomédie 
avant  de  subir  le  martyre.  C'est  du  prêtre  Lucien, 
en  effet,  que  se  réclament  deux  «  conlucianistes%  » 
Eusèbe  et  Arius. 

III.  IVe  siècle 

1.  Originaire  de  la  Lybie,  Arius,  devenu  prêtre 
d'Alexandrie  et  chargé  de  l'église  paroissiale  de 
Baucale,  renforça  l'erreur,  malgré  son  évêque, 
soutenu  qu'il  était  par  des  personnages  étrangers, 
particulièrement  par  son  ami  Eusèbe.  Pour  lui,  le 
Fils  est  inférieur  au  Père  ;  il  est  créé  par  Dieu  et 
créé  pour  créer  tout  le  reste  ;  il  n'a  donc  pas  la 
substance  du  Père,  mais  une  nature  dissemblable. 
Par  suite  les  substances  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  diffèrent,  sont  étrangères  l'une  à  l'autre, 
sans  rapport  Tune  avec  l'autre.  Et  le  Saint-Esprit 
est  l'œuvre  du  Christ  comme  le  Christ  est  l'œuvre 
du  Père.  D'où  la  doxologie  habituelle  se  trouve 
remplacée  par  celle-ci  :  «  Gloire  au  Père  par  le  Fils 
dans  le  Saint-Esprit  (1).  » 

Condamné  à  Alexandrie,  Arius  le  fut  de  nouveau 
au  concile  de  Nicée,  en  325.  De  là,  dans  le  symbole 
de  Nicée,  ces  expressions  caractéristiques  :  a  Et  en 

1.  Théodoret,  Hxret.  fab.t  iv,  1  ;  Pair.gr.,  t.  lxxxiii,  col.  4i4* 


588  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

un  seul  Jésus-Christ,  l'unique  engendré  du  Père, 
c'est-à-dire  de  la  substance  du  Père  ;  Dieu  de  Dieu, 
Lumière  de  Lumière,  vrai  Dieu  de  vrai  Dieu  ;  en- 
gendré, non  créé,  consubstantiel  au  Père,  par  qui 
tout  a  été  fait,  ce  qui  est  au  ciel  et  ce  qui  est  sur  la 
terre  (i).  »  De  là  encore  la  condamnation  expresse 
des  formules  favorites  d'Arius,  placée  à  la  fin  du 
symbole  de  Nicée. 

L'expression  qui  tranchait  dans  la  racine  l'erreur 
arienne,  celle  qui  allait  servir  de  tessère  à  l'ortho- 
doxie, c'est  le  consubstantiel,  Ybi*.oo6a<.oç.  Bien  qu'é- 
trangère à  l'Ecriture,  elle  répondait  trop  bien  à 
l'idée  maîtresse  pour  qu'on  la  négligeât.  Les  Pères 
de  Nicée,  en  déclarant  le  Fils  consubstantiel  au 
Père,  le  proclamaient  vrai  Dieu,  possédant  comme 
le  Père  la  nature  divine,  en  vertu  d'une  génération 
propre  et  naturelle,  et  non  métaphorique.  C'est  ce 
que  remarque  fort  justement  saint  Athanase  (2). 
Sans  doute,  ce  terme  avait  été  rejeté  au  m0  siècle, 
parce  que,  sur  les  lèvres  et  dans  la  pensée  de  Paul 
de  Samosate,il  masquait  sous  l'identité  de  substance 
l'identité  numérique  du  Père  et  du  Fils  et  servait 
ainsi  de  véhicule  au  sabellianisme.  Mais  repris  cette 
fois  dans  un  sens  orthodoxe,  nettement  défini,  il 
acquérait  droit  de  cité  dans  l'Eglise  et  servait  à 
exprimer  convenablement  le  dogme.  Les  semi-ariens 
essayèrent  de  l'escamoter  en  y  introduisant  une 
voyelle,  qui  ne  le  défigurait  pas  trop,  mais  qui  en 
changeait  complètement  la  signification.  L'oaoïouc.oç 
n'est  pas  i'b[/.ooucrio<;  ;  il  signifie  semblable  et  non 
consubstantiel  ;  les  défenseurs  de  l'orthodoxie  ne 
prirent  pas  le  change  et  dénoncèrent  le  subter- 
fuge. 

1.  Voir  plus  haut  ;  Denzinger,  n.  17.  —  a.  De  decr.  Nie. 
syn.,  20  ;  Pair.  gr.t  t.  xxvi,  col.  45a. 


LA    SAIXTE    TRIMTÉ    l    PREUVE    PATRIST1QUE         689 

2.  Mais,  dans  le  courant  du  siècle,  l'erreur  s'en 
prit  à  la  troisième  personne  de  la  Trinité.  On  avait 
nié  la  divinité  de  Jésus-Christ,  on  nia  la  divinité 
du  Saint-Esprit.  Jusque-là,  il  est  vrai,  la  spéculation 
ne  s'était  pas  portée  sur  cette  troisième  personne  ; 
mais  tôt  ou  tard  la  question  devait  se  poser  de 
savoir  si  le  Saint-Esprit  possède  lui  aussi  la  consubs- 
tanti alité  et  à  quel  titre.  Pour  le  Fils,  la  génération 
explique  sa  consubstantiaiité.  Si  donc  le  Saint-Esprit 
est  consubstantiel  au  Père,  c'est  qu'il  serait  engen- 
dré, hypothèse  inadmissible,  le  Fils  seul  procédant 
du  Père  par  voie  de  génération.  Reste  alors  que  le 
Saint-Esprit  a  été  créé  par  le  Fils,  et  dès  lors  il  n'est 
pas  consubstantiel,  il  n'est  pas  Dieu.  Ce  fut  en 
particulier  l'erreur  de  l'évêque  semi-arien  de  Cons- 
tantinople,  Macédonius,  qui  avait  été  déposé  en 
36o  par  le  parti  d'Acace  ;  et  c'était  une  difficulté  de 
plus  qui  s'ajoutait  à  celle  de  faire  triompher  le 
consubstantiel  de  Nicée. 

3.  La  décision  doctrinale  de  Nicée  avait  déchaîné 
bien  des  colères  et  suscita  des  luttes  acharnées,  de 
violentes  persécutions.  Elle  rencontra  une  vive 
opposition  de  la  part  d'adversaires  qui  ne  craigni- 
rent pas  de  faire  appel  à  la  force  impériale  pour 
appuyer  leurs  revendications  ;  ils  opposèrent  des 
évêques  aux  évoques,  des  synodes  aux  synodes, 
des  professions  de  foi  aux  professions  de  foi.  Mais 
ni  les  subtilités  de  la  logique,  ni  les  menaces  du 
pouvoir,  ni  les  arrêts  d'exil  ne  firent  taire  les  cham- 
pions de  la  foi  de  Nicée.  À  la  tetc  de  ces  derniers 
marchaient  vaillamment  le  glorieux  Athanase 
d'Alexandrie  et  l'illustre  Hîlaire  de  Poitiers.  Tous 
deux,  par  la  plume  et  par  la  parole,  durent  mener 
le  bon  combat  et  tenir  tétc  à  l'hérésie.  L'un  repré- 
senta l'Orient  de  325  à  373  et  fut,  selon  l'expression 
de   saint   Basile,    le     «   porte-drapeau    de    l'ortho- 


5  go  le  catéchisme  romain 

doxie  (i)  ;  »  l'autre,  représentant  l'Occident,  n'entra 
en  scène  qu'en  355  et  mourut  en  366. 

4.  Saint  Athanase  commence  par  défendre  le 
consubstantiel  contre  les  arguties  d'Arius.  Oui, 
disait-il,  Dieu  est  un,  mais  dans  cette  unité  il  y  a 
une  trinité  ;  une  seule  nature,  mais  trois  personnes 
distinctes  (2).  Les  termes  de  Père  et  de  Fils  sont 
corrélatifs  (3).  Le  Fils  n'a  pas  été  tiré  du  néant  ni 
produit  par  un  acte  libre  de  la  volonté  divine  ;  il 
est  engendré  de  la  substance  du  Père  (4),  et  cette 
substance  il  la  possède  tout  entière  par  son  carac- 
tère propre  (5).  Il  possède  la  divinité  dans  sa  pléni- 
tude (6)  ;  il  est  étemel  comme  son  Père  (7).  Ils  sont 
deux  cependant,  le  Père  et  le  Fils,  distincts  l'un  de 
l'autre  ;  mais  il  n'y  a  qu'une  seule  nature,  et  dans 
cette  nature  divine  unique  pas  l'ombre  d'une  divi- 
sion (8). 

De  même  le  grand  évêque  prend  la  défense  de  la 
troisième  personne.  Le  Saint-Esprit  participe  lui 
aussi  à  la  divinité  et  à  la  puissance  de  Dieu  (9).  Il  a 
pour  principe  le  Fils  qui  est  avec  le  Père  (10),  et  il 
est  inséparable  du  Père  et  du  Fils  (n).  Il  forme  avec 
le  Père  et  le  Fils  une  seule  et  même  substance  (12). 
Il  n'y  a  par  conséquent  qu'une  seule  nature  divine 
et  un  seul  Dieu  en  trois  personnes  (i3). 

5.  De  son  côté,  Févêque  de  Poitiers  compose  un 
traité  en  douze  livres  sur  la  Trinité.  Partant  de  la 


1.  Epist.,  lxvi  ;  Patr.  gr.,  t.  xxxn,  col.  424-  —  2.  Orat.  cont, 
arian.,  1.,  18;  Pair,  gr.,  t.  xxvi,  col.  48*  —  3.  Ibid.,  m,  6; 
ibld.,  col.  333.  —  4-  Ibid.,  m,  62  ;  ibid.,  col.  453.  —  5.  Ibid., 
1,  iC;  ibid.,  col.  45.  —  6.  Ibid.,  m,  6;  ibid.,  col.  332.  — ■ 
7.  Ibid.,  1,  i4;  ibid.,  col.  4i.  —  8.  Ibid.,  m,  4;  ibid., 
t.  xxvi,  col.  328.  —  9.  De  inc.  et  cont.  arian.,  ix  ;  ibid.9 
col.  997.  —  10.  Ibid.,  col.  1000.  —  11.  Tom.  ad  Ant.,  5; 
ibid.,  col.  801.  —  12.  Epist.  ad  Serap.,  1,  27;  ibid.,  col.  5t}3. 
- —  i3.  De  inc.  et  cont.  arian.,  x  ;  ibid.,  col.  1000. 


LA    SAINTE    TRINITÉ    I    PREUVE    PATRISTIQUE         5ûl 

formule  baptismale,  il  traite  d'abord  de  la  généra- 
tion du  Verbe  et  prouve  la  consubslantialilé  du  Père 
et  du  Fils.  Et  après  avoir  réfuté  les  objeetions  arien- 
nes contre  la  divinité  du  Christ,  il  venge  la  doctrine 
de  la  génération  éternelle  du  Verbe  dans  le  sein  du 
Père  de  toutes  les  calomnies  d'Arius  ;  il  s'applique 
à  saisir  cette  génération  éternelle  en  elle-même, 
dans  son  absolue  distinction  de  toute  procréation 
ou  production  temporelle,  enfin  il  défend  la  divinité 
du  Saint-Esprit (i).  Grâce  à  lui,  remarque  Schwane, 
la  terminologie  se  trouva  mieux  fixée  dans  la  langue 
latine  que  dans  la  grecque.  Unité  de  substance  : 
«  Dieu  le  Père  et  Dieu  le  Fils  ne  font  absolument 
qu'un,  non  par  l'union  de  personne,  mais  par 
l'unité  de  substance  (2).  »  Identité  de  nature,  le  Père 
et  le  Fils  «  se  compénètrent  réciproquement,  parce 
que  tout  est  parfait  dans  le  Fils  unique,  comme 
tout  est  parfait  dans  le  Père  inengendré  (3).  »  Mais 
distinction  personnelle.  La  génération  n'est  «  ni  un 
partage,  ni  une  diminution,  ni  une  émanation,  ni 
une  extension,  mais  la  production  d'un  être  vivant 
par  un  être  vivant  (4).  »  «  A  la  différence  de  plu- 
sieurs de  ses  devanciers,  dit  Largent,  Hilaire  parle 
du  dogme  trini taire  avec  une  justesse  irrépréhen- 
sible ;  il  se  garde  des  paradoxes  de  langage  et  de 
pensée  où  Tertullien  s'était  quelquefois  emporté  (5).» 
6.  Bientôt,  du  sein  même  de  la  Cappadoce, 
jusque  là  l'un  des  foyers  et  l'une  des  forteresses  de 
l'hérésie,  Dieu  suscite  de  vaillants  émules  et  de 
I  sants  auxiliaires  à  saint  Athanase  et  à  saint 
Hilaire  :  ce  sont  les  célèbres  cappadociens,  saint 
Basile  le  grand,  son  frère  saint  Grégoire  de  Nysse, 
son  ami  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  son  corres- 

1.  De  Trinitate,  Pal.  lat.t  t.  x,  col.  25-472.  —  2.  De  Tri/i., 
iv,  !\2  ;  ibid.,  col.  128.  —  3.  Ibid.,  m,  4  ;  ibid.,  col.  78.  — 
A.  Ibid.,  iv,  35  ;  ibid.,  col.  i85. —  5. Largent,  saint  Hilaire,  p.  45» 


5o, 2  LE    CATECHISME    ROMAIN 

pondant  saint  Amphilochius  d'Inconium.  Ceux-ci 
apportent  plus  de  précision  dans  la  terminologie 
grecque  et  trouvent  une  formule  équivalente  à  la 
formule  latine.  Ils  conservent  les  termes  dt  ovaix. 
pour  désigner  la  substance  et  de  bizéaxxaiq  pour 
désigner  la  personne;  ils  accentuent  la  réalité  de 
l'unité  d'essence  en  ramenant  les  trois  hypostases, 
expression  d'Origène,  à  l'unité  de  substance  : 
Tpeiç  ÔTTosTaffsiç  èv  [j.17.  oûffiot,  qui  répond  au  très  personas 
unius  substantlse  des  latins  ;  ils  distinguent  nette- 
ment en  Dieu  l'essence  ou  la  nature,  la  substance 
et  toutes  les  perfections  absolues  des  propriétés 
relatives  et  personnelles  ;  ils  marquent  enfin  avec 
précision  que  ces  noms  de  Père,  de  Fils  et  de  Saint- 
Esprit  se  rapportent  aux  relations  d'origine.  Et  par 
là  ils  font  faire  un  progrès  notable  à  la  notion  et  à 
l'exposition  du  mystère  de  la  Trinité. 

7.  Pendant  la  période  qui  précéda  le  concile  de 
Nicée,  la  question  trinitaire  avait  surtout  porté  sur 
le  Fils,  sur  sa  divinité  et  ses  relations  avec  le  Père. 
Le  concile  de  Nicée  s'était  borné  à  mentionner  le 
Saint-Esprit.  Mais  l'arianisme  regardant  le  Fils 
comme  une  créature  créant  les  autres,  tôt  ou  tard 
on  devait  en  conclure  logiquement  que  le  Saint- 
Esprit  est  une  œuvre  du  Fils.  L'erreur  allait  ainsi 
s'étendre  de  la  seconde  à  la  troisième  personne  de 
la  Trinité.  Les  anoméens  firent  d'abord  du  Saint- 
Esprit  un  intermédiaire  du  Verbe.  Pour  Eunomius, 
«  le  Saint-Esprit  a  été,  quant  à  l'ordre  et  quant  à 
l'essence,  créé  le  troisième,  sur  l'ordre  du  Père,  par 
l'action  du  Fils  ;  honoré  du  troisième  rang  comme 
la  première  et  la  plus  élevée  des  créatures  du  Fils 
unique,  seul  de  son  espèce,  mais  dépourvu  de  divi- 
nité et  de  puissance  créatrice  (1).  »  Saint  Athanase 

*.  Saint  Basile,  Adv.  Eunom.,  ni,  5. 


LA    SAINTE    TRIMTÉ    *.    PREUVE   PATRISTIQUE        5û3 

avait  combattu  aussitôt  une  telle  erreur.  Mais  Ter- 
reur prit  un  élan  nouveau  avec  Macédonius,  succes- 
seur d'Eusèbe  sur  le  siège  de  Gonstantinople  en  342. 
Saint  Athanase  écrivit  dans  ses  Lettres  à  Sérapion 
de  Thmuis  pour  défendre  de  nouveau  la  divinité 
du  Saint-Esprit.  Mais  les  pneumatomaques,  comme 
on  désignait  les  adversaires  de  la  divinité  du  Saint-Es- 
prit, partaient  de  ce  dilemme  et  raisonnaient  ainsi  : 
«Le  Saint-Esprit  estengendré  ou  non.  S'il  ne  Test  pas 
il  est  un  nouveau  Dieu,  et  c'est  du  polythéisme.  S'il 
l'est,  de  deux  choses  l'une  :  ou  il  est  engendré  par 
le  Père  et  alors  le  Père  a  deux  fils,  ou  il  est  engen- 
dré par  le  Fils  et  alors  il  est  petit-fils  du  Père.  Tout 
cela  ne  pouvant  s'accorder  avec  l'Ecriture,  il  faut  en 
conclure  que  le  Saint-Esprit  n'est  pas  Dieu. 

A  Rome,  le  pape  saint  Damase  (366-384)  con- 
damna cette  nouvelle  erreur.  En  Orient,  les  Pères 
cappadociens  la  combattirent  à  leur  tour  ;  saint 
Basile,  avec  une  certaine  circonspection  de  langage, 
qui  ne  permettait  pas,  affirme  son  ami  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  de  suspecter  l'orthodoxie  de  sa 
pensée  mais  qui  le  poussa,  dans  la  suite,  à  écrire  son 
Traité  du  Saint  Esprit,  où  il  enseigne  la  consubstan- 
tialité  du  Saint-Esprit  et  sa  divinité  ;  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  dans  ses  Discours  ;  et  saint  Gré- 
goire de  Nysse,  dans  son  Traité  contre  Eanomius. 

Le  concile  de  Gonstantinople,  en  condamnant 
Macédonius  et  Maréthonius,  qui  regardaient  le 
Saint-Esprit  comme  le  serviteur  et  la  créature  du 
Fils,  comme  un  être  intermédiaire  entre  le  Fils  et  le 
monde  des  esprits  finis,  et  en  proclamant  la  con- 
substantialité  et  la  divinité  de  la  troisième  personne, 
mit  un  terme  aux  controverses  trinitaires  du  ive  siè- 
cle. Complétant  le  symbole  de  ISicée,  il  dit,  relati- 
vement au  Saint-Esprit  :  «  Nous  croyons...  à  l'Es- 
prit-Saint, le  Seigneur,  le  Vivifiant,  qui  procède  du 

T.F   CATÉCHISME.   —   T.   I.  38 


594  LE   CATÉCHISME    ROMAIN 

Père,  qui  conjointement  avec  le  Père  et  le  Fils  est 
adoré  et  glorifié,  et  qui  a  parlé  parles  prophètes  (i).» 
D'après  le  concile  de  38i,  le  Saint-Esprit,  personne 
distincte,  procède  du  Père,  est  consubstantiel  à 
Dieu,  est  Dieu  au  même  titre  que  le  Père  et  le  Fils. 
C'est  la  doctrine  que  répéteront,  en  Orient,  les  con- 
ciles d'Ephèse  en  43 1,  de  Ghalcédoine  en  45 1,  de 
Constantinople  en  553  et  en  680.  Reste  un  point  à 
trancher,  celui  des  relations  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  qui  fera  plus  tard  l'objet  de  nouveaux  débats 
et  de  nouvelles  décisions  dogmatiques,  comme  nous 
aurons  soin  de  le  remarquer  dans  la  suite. 

Les  stades  parcourus  jusqu'ici  sont  les  suivants  : 
en  face  du  polythéisme,  proclamation  de  l'unité  de 
Dieu  ;  en  face  des  modalistes  et  des  subordinatiens, 
proclamation  de  la  génération  éternelle  du  Verbe, 
de  sa  divinité  et  de  sa  consubstantialité  avec  le  Père; 
en  face  des  pneumatomaques,  proclamation  de  la 
divinité  et  de  la  consubstantialité  du  Saint-Esprit. 
Reste,  après  tant  de  luttes  et  tant  d'écrits,  à  déga- 
ger les  principes  implicitement  sous-entendus  ou 
explicitement  formulés,  à  grouper  les  vérités  acqui- 
ses en  un  tout  ordonné  et  harmonieux,  en  un  mot 
à  faire  œuvre  de  science  théologique  :  ce  fut  la 
gloire  de  saint  Augustin  d'y  travailler  et  d'y  réussir 
dans  une  large  mesure,  car  il  orienta  l'Eglise  latine 
dans  un  concept  et  une  exposition  du  mystère  de  la 
trinité  que  les  scolastiques  ont  fait  triompher. 


IV.  L'œuvre  de  saint  Augustin 

Aux  prises  avec  l'hérésie  d'Arius  et  de  Macédo- 


1.  Voir  plus  haut   le    symbole  de    Nicée-Constantinople  ; 
Denzinger,  n.  kq. 


LA  SAINTE  TRINITÉ  I  PREUVE  DE  SAINT  AUGUSTIN     5qS 

nius,  les  Pères  durent  essayer  de  formuler  une 
interprétation  rationnelle  du  dogme  de  la  trinité  ; 
grecs  et  latins  rivalisèrent.  Mais,  chose  curieuse, 
la  spéculation  fut  moins  profonde  chez  les  premiers^ 
beaucoup  plus  hardie  chez  les  seconds. 

Les  Pères  grecs,  en  effet,  dans  l'étude  de  ce  mys- 
tère, se  placèrent  surtout  au  point  de  vue  des  per- 
sonnes divines,  n'atteignant  la  nature  de  Dieu  qu'à 
travers  ces  personnes.  A  leurs  yeux,  la  personne  dut 
Père  est  la  source  de  la  divinité  ;  la  personne  du 
Fils  est  la  perfection  physique  du  Père;  la  personne 
du  Saint-Esprit  est  sa  perfection  morale.  Ainsi  que 
le  remarque  le  P.  de  Régnon,  «  les  perfections  divi- 
nes identifiées  au  Fils,  ou  personnifiées  dans  le  Fils,, 
ce  sont  en  général  les  perfections  physiques» 
comme  si  l'opération  physique,  qu'on  appelle  géné- 
ration et  qui  a  pour  terme  un  fils  de  même  nature 
que  son  père  avait  pour  résultat  propre  et  formel 
de  produire  des  perfections  physiques  (i).  »  On 
l'appelle  la  Raison,  la  Sagesse,  et  ce  sont  là  des  per- 
fections de  l'intelligence  ;  on  l'appelle  la  Volonté,  la 
Puissance,  et  ce  sont  là  des  perfections  de  la  volonté 
divine  ;  et  comme  la  production  des  créatures  est 
une  œuvre  de  sagesse,  de  volonté  et  de  puissance, 
c'est  au  Fils  que  les  Pères  grecs  l'attribuent  spécia- 
lement. La  troisième  personne,  le  Saint-Esprit,  est 
la  perfection  morale  du  Père,  sa  Sainteté  person- 
nelle, et  principe  de  sanctification  des  créatures. 
Dans  cet  épanchement  de  la  divinité,  une  différence 
existe  sans  nul  doute  entre  la  génération  du  Fils  et 
la  procession  du  Saint-Esprit;  c'étaient  là  deux  don- 
nées de  la  Révélation,  deux  termes  consacrés  par 
l'Ecriture  ;  mais  les  grecs  ne  cherchèrent  pas  à  pré- 
ciser davantage.  Leur  concept  de  la  trinité  peut  se 

i.  De  Régnon,  Etudes  de  théologie  positive,  t.  iv,  p.  35o. 


596  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


formuler  ainsi  :  «  Trois  personnes  participant  plei- 
nement et  également  à  une  même  nature  divine.  » 

1.  Saint  Augustin,  qui  est  justement  appelé  le 
Docteur  de  la  grâce,  et  qui  mériterait  tout  aussi 
bien  d'être  appelé  le  Docteur  de  la  trinité,  selon  la 
remarque  de  Schwane  (1),  ne  se  contente  pas,  dans 
son  traité  De  Trinitate  (2),  de  résumer  et  de  com- 
pléter tout  ce  qui  a  été  dit  de  plus  profond,  il  ren- 
verse complètement  le  point  de  vue.  Au  lieu  d'aller, 
comme  les  grecs,  des  personnes  divines  à  la  nature 
de  Dieu,  il  commence  par  l'étude  directe  de  la 
nature  divine  avant  de  passer  aux  personnes  pour 
atteindre  la  réalité  complète. 

Dieu,  c'est  la  divinité,  non  pas  abstraite,  mais 
concrète  et  personnelle,  s'épanouissant  sans  suc- 
cession, mais  non  sans  ordre  d'origine,  en  trois 
personnes.  Jusque  là  tous  les  symboles,  formulés 
d'après  le  concept  ancien,  posent  d'abord  la  foi  au 
Dieu  unique  qui  est  le  Père,  passent  ensuite  à  la 
foi  en  Jésus-Christ,  son  Fils  unique,  et  nomment 
enfin  le  Saint-Esprit  :  c'est  leur  seule  manière  de 
formuler  la  trinité.  Le  Quicumque,  au  contraire, 
d'inspiration  manifestement  augustinienne,  con- 
sacre le  nouveau  point  de  vue  et  débute  par  la  foi  à 
l'unité  de  Dieu  dans  la  trinité  et  à  la  trinité  dans 
l'unité. 

Augustin  met  donc  l'accent  sur  l'unité  divine  en 
face  des  trois  personnes  ;  c'était  éviter  le  danger  de 
toute  accusation  de  tri  théisme  qui  obligeait  les 
grecs  à  récapituler  la  trinité  dans  sa  source  pre- 
mière, le  Père.  En  mettant  en  plein  relief  l'égalité 
des  trois  personnes,  il  évitait  également  le  danger 
de  laisser  croire  à  la  supériorité  du  Père   et  à  la 

1.  Schwane,  Histoire  des  dogmes,  trad.  franc.,  t.  11,  p.  a65. 
—  2.  Pair,  lat.y  t.  xlh. 


LA  SAINTE  TRINITÉ  I  PREUVE  DE  SAINT  AUGUSTIN     5g7 

subordination  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Mais  ce 
double  avantage  n'offrait-il  pas  un  inconvénient 
grave,  celui  de  considérer  la  divinité  comme  un 
Dieu  personnel  avant  d'être  Père,  Fils  et  Saint- 
Esprit?  Saint  Augustin  a  prévu  la  difficulté  ;  aussi, 
a-t-il  soin  de  refuser  à  la  divinité  ainsi  considérée 
toute  réalité  distincte  de  la  réalité  des  trois  per- 
sonnes divines  (i). 

2.  En  outre,  saint  Augustin  insiste  pour  faire  de 
toute  opération  divine  ad  extra  l'œuvre  indistincte 
des  trois  personnes  :  création,  théophanics,  incarna- 
tion, sanctification.  Et  s'il  est  d'usage  d'attribuer  à 
chacune,  dans  ces  opérations,  un  rôle  particulier  à 
raison  de  son  origine,  c'est,  dit-il,  une  simple 
appropriation.  Les  grecs,  au  contraire,  insistaient 
sur  le  rôle  distinct  de  chacune  des  personnes  dans 
l'œuvre  commune  au  point  de  laisser  croire  que 
chaque  personne  avait  exclusivement  une  opération 
propre.  Pour  l'évêque  d'Hippone  et  pour  les  scolas- 
tiques  à  sa  suite,  l'appropriation  consiste  à  attri- 
buer spécialement  à  l'une  des  personnes  l'un  ou 
l'autre  des  attributs  essentiels,  l'une  ou  l'autre  des 
opérations  communes,  lorsque  cet  attribut  ou  cette 
opération  est  particulièrement  apte  à  mettre  en 
relief  le  caractère  propre  d'une  personne,  lorsque 
celte  aptitude  repose  sur  une  analogie  véritable,  sur 
un  rapport  avec  la  propriété  de  la  personne.  De  la 
sorte  le  Père  est  dit  tout-puissant,  parce  que,  dans 
la  famille  créée,  le  père  a  naturellement  l'autorité  ; 
la  création  est  attribuée  au  Fils,  parce  qu'elle  est 
l'œuvre  de  la  science  divine  et  qu'elle  se  rapporte  à 
l'intelligence  d'où  procède  le  Verbe  ;  et  la  sancti- 
fication est  attribuée  au  Saint-Esprit,  parce  qu'il 
est  l'amour  incréé.  Et  ainsi  l'appropriation  se  fonde 

i.  Epist.  cxx  ;  Pair,  lat.,  t.  xxim,  col.  452-46a. 


598  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

-^— ^— — — »— — -  ^^_^^^_^^^^_^^^__^^^__^ 

sur  une  relation  de  similitude  entre  la  propriété 
d'une  des  trois  personnes  et  l'attribut  essentiel  ou 
l'opération  commune. 

3.  Enfin,  saint  Augustin  a  fondé  la  théorie 
psychologique  des  processions  *ur  l'étude  de  l'âme 
humaine,  qui  existe,  pense  et  veut  ;  théorie  systé- 
matisée plus  tard  par  saint  Anselme  et  achevée  par 
saint  Thomas.  Cette  théorie  explique  en  quoi  et 
comment  diffèrent  la  génération  et  la  procession, 
pourquoi  il  y  a  deux  processions  en  Dieu  et  rien 
que  deux,  pourquoi  le  Verbe  est  Fils  et  mérite  per- 
sonnellement le  nom  d'Image  du  Père,  et  pourquoi 
le  Saint-Esprit,  amour  du  Père  pour  le  Fils  et  du 
Fils  pour  le  Père,  procède  de  l'un  et  de  l'autre  sans 
que  sa  procession  ressemble  le  moins  du  monde  à 
la  génération  (1). 

C'est  donc  dans  les  actes  d'intelligence  et  de 
Tolonté  que  saint  Augustin  trouve  l'explication  des 
processions  divines.  Dans  l'homme,  l'intelligence 
et  la  volonté  sont  des  facultés  naturelles  ;  leur 
existence  relève  de  la  nature  et  non  de  la  personne» 
Comment  donc  ces  actes  peuvent-ils  être  en  Dieu  la 
source  des  processions,  puisqu'ils  relèvent  de  la 
nature  et  que  ce  n'est  pas  la  nature  qui  engendre, 
mais  la  personne  du  Père  ?  C'est  qu'il  ne  faut  pas 
oublier  que  si  nous  distinguons  en  Dieu  l'essence 
divine  et  les  personnes,  c'est  sans  doute  parce  que 
cette  distinction  de  raison  est  fondée  sur  la  réalité, 
mais  ce  n'est  pas  une  distinction  réelle.  Car 
l'essence  n'existe  pas  avant  ou  en  dehors  des  per- 
sonnes. Ce  n'est  donc  pas  à  l'acte  d'intelligence 
<le  la  nature  divine  qu'on  doit  attribuer  la  géné- 
ration du  Fils,  mais  à  l'acte  d'intelligence  de  cette 

1.  E.  Portalié,  saint  Augustin,   dans  le   Dictionnaire  de  thêo- 
iogie,  t.  1,  col.  2846-2349. 


L'AME,    IMAGE   DE   LA    TRINITÉ  699 

nature  en  tant  qu'elle  est  possédée.  Car  c'est  là  un 
acte  naturel  sans  doute,  mais  c'est  aussi  un  acte 
personnel,  ou,  comme  diront  les  scolas tiques,  un 
acte  notionneU  c'est-à-dire  un  acte  envisagé  formel- 
lement sous  le  concept  de  personne. 

C'est  ainsi  que  le  génie  de  saint  Augustin  a 
apporté  sa  large  et  décisive  contribution  à  l'étude 
du  mystère  de  la  sainte  trinité.  Sur  le  chemin  tracé 
par  lui  et  dans  la  direction  fixée  par  lui,  la  scolas- 
tique  n'aura  qu'à  marcher.  Et  saint  Thomas  pourra 
d'une  main  sûre  dresser  et  remplir  le  plan  d'un 
traité  de  la  trinité,  qui  est  un  monument  d'érudi- 
tion, de  clairvoyance  et  de  profondeur. 

L'âme,  image  de  la  Trinité.  —  «  Nous  sommes 
quelque  chose  d'intelligent,  quelque  chose  qui  s'entend 
et  s'aime  soi-même  ;  qui  n'aime  que  ce  qu'il  entend,  mais 
qui  peut  connaître  et  entendre  ce  qu'il  n'aime  pas...  Ainsi 
entendre  et  aimer  sont  choses  distinctes,  mais  tellement 
inséparables  qu'il  n'y  a  point  de  connaissance  sans  quel- 
que volonté.  Et  si  l'homme  semblable  à  l'ange  connaissait 
tout  ce  qu'il  est,  sa  connaissance  serait  égale  à  son  être  ; 
et  s'aimant  à  proportion  de  sa  connaissance,  son  amour 
serait  égal  à  l'un  et  à  l'autre.  Et  si  tout  cela  était  bien 
réglé,  tout  cela  ne  ferait  ensemble  qu'un  seul  et  même 
bonheur  de  la  même  âme,  et  à  vrai  dire  la  même  âme 
heureuse,  en  ce  que  par  la  droiture  de  sa  volonté  conforme 
à  la  vérité  de  sa  connaissance,  elle  serait  juste.  Ainsi  ces 
trois  choses  :  être,  connaître  et  vouloir,  font  une  seule 
âme  heureuse  et  juste... 

«  Ainsi,  à  notre  manière  imparfaite  et  défectueuse,  nous 
représentons  un  mystère  incompréhensible.  Une  trinité 
créée  que  Dieu  fait  dans  nos  âmes  nous  représente  la 
Trinité  incréce,  que  lui  seul  peut  nous  révéler  ;  et  pour 
nous  la  faire  mieux  représenter,  il  a  mêlé  dans  nos  âmes, 
qui  la  représentent,  quelque  chose  d'incompréhensible. 

t»  Entendre  et  vouloir,  connaître  et  aimer  sont  actes  très 
distingués  ;  mais  le  sont-ils  tellement  que  ce  soient  choses 
entièrement  et  substantiellement  différentes  ?   Cela  ne 


600  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 


peut  être  ;  la  connaissance  n'est  autre  chose  que  la  subs- 
tance de  l'âme  affectée  d'une  certaine  façon  ;  et  la  volonté 
n'est  autre  chose  que  la  substance  de  l'âme  affectée  d'une 
autre.  Quand  je  change  de  pensée  et  de  volonté,  ai-je  cette 
volonté  et  cette  pensée  sans  que  ma  substance  y  entre? 
Sans  doute  elle  y  entre  ;  et  tout  cela,  au  fond,  n'est  autre 
chose  que  ma  substance  affectée,  diversifiée,  modifiée  de 
différentes  manières,  mais  dans  son  fond  toujours  le 
même  :  car,  en  changeant  de  pensée,  je  ne  change  pas  de 
substance,  et  ma  substance  demeure  une  pendant  que 
mes  pensées  vont  et  viennent... 

«  Je  ne  sais  qui  peut  se  vanter  d'entendre  cela  parfai- 
tement, ni  qui  pourra  se  bien  expliquer  à  soi-même  ce 
que  les  manières  d'être  ajoutent  à  l'être,  ni  d'où  leur  vient 
leur  distinction  dans  l'unité  et  identité  qu'elles  ont  avec 
l'être  même,  ni  comment  elles  sont  des  choses,  ni  com- 
ment elles  n'en  sont  pas.  Ce  sont  des  choses,  puisque  si 
c'était  un  pur  néant,  on  ne  pourrait  véritablement  ni  les 
assurer,  ni  les  nier  ;  ce  n'en  sont  point,  puisqu'en  elles- 
mêmes  elles  ne  subsistent  pas.  Tout  cela  ne  s'entend  pas 
bien  ;  tout  cela  est  pourtant  chose  véritable  et  tout  cela 
nous  est  une  preuve  que,  même  dans  les  choses  natu- 
relles, l'unité  est  un  principe  de  multiplicité  en  elle-même, 
et  que  l'unité  et  la  multiplicité  ne  sont  pas  autant  incom- 
patibles qu'on  le  pense... 

«  Si  j'étais  une  nature  incapable  de  tout  accident  sur- 
venu à  sa  substance,  et  en  qui  il  fallût  que  tout  fût  subs- 
tantiel, ma  connaissance  et  mon  amour  seraient  quelque 
chose  de  substantiel  et  de  subsistant  :  et  je  serais  trois 
personnes  subsistantes  dans  une  seule  substance,  c'est-à- 
dire  je  serais  Dieu.  Mais  comme  il  n'en  est  pas  ainsi,  je 
suis  seulement  fait  à  l'image  et  à  la  ressemblance  de  Dieu, 
et  un  crayon  imparfait  de  cette  unique  substance  qui  est 
tout  ensemble  Père,  Fils  et  Saint-Esprit  :  substance  incom- 
préhensible dans  sa  trine  divinité,  qui  n'est  au  fond 
qu'une  même  chose,  souveraine,  immense,  éternelle,  par- 
faitement une  en  trois  personnes  distinctement  subsistan- 
tes, égales,  consubstantielles.  »  Bossuet,  Elévations  sur 
les  Mystères,  ne  Sem.,  élév.  \i. 


Leçon  XVIIIe 
De  la  Sainte  Trinité 


I.  Exposé  du  mystère.  —  II.  Enseignement  de 
saint  Thomas.  —  III.  Notions  erronées  et 
objections. 

I.   Exposé  du  mystère 

Une  seule  essence  divine  ;  dans  cette  essence 
unique,  trois  personnes  distinctes,  s'identi- 
fiant  dans  l'unité  d'une  même  et  indivisible 
substance,  portant  le  nom  commun  de  Dieu,  lequel 
désigne  la  communauté  de  nature,  et  les  noms 
propres  et  personnels  de  Père,  de  Fils  et  de  Saint- 
Esprit,  lesquels  répondent  aux  relations  subsistantes, 
qui,  seules,  fondent  les  distinctions  hyposta tiques  : 
tel  est  le  dogme  de  la  Trinité. 

i.  Cet  énoncé  suppose  un  grand  nombre  de 
notions,  dont  le  sens  doit  être  précisé  avec  rigueur, 
pour  parler  correctement  en  un  sujet  aussi  délicat 
et  ne  pas  donner  prise  à  d'inextricables  difficultés  : 
un  langage  sans  précision,  une  terminologie  impro- 
pre frisent  facilement  Fhérésie. 

On  donne  le  nom  d'essence  au  principe  constitutif 
d'un  être,  qui  fait  que  cet  être  est  ce  qu'il  est  ;  le 
nom  de  nature  au  principe  d'opération  intrinsèque 
et  permanent  de  tel  être  actuellement  existant  ;  le 
nom  de  substance  à  ce  qui  sert  de  support  aux  acci- 


Ô02  LÎ    CATÉCHISME    ROMAIN 

dents  et  aux  modifications  d'un  être,  à  ce  qui  désigne 
les  propriétés  constitutives  et  immuables  d'un  indi- 
vidu, par  opposition  aux  modes  transitoires  dont 
ces  propriétés  sont  le  sujet  ou  le  principe. 

Dieu,  étant  l'être  nécessaire,  Y  essence  et  la  nature 
désignent  un  principe  d'opération  toujours  en  acte  ; 
mais  échappant  par  sa  nature  même  à  toute  modi- 
fication accidentelle  et  transitoire,  la  substance 
désigne  en  lui  l'essence  par  opposition  aux  modes 
d'être  permanents,  qui  constituent  les  trois  per- 
sonnes. 

2.  L'unité  la  plus  haute  et  la  plus  générale  est 
celle  de  l'être  ;  mais  elle  enveloppe  d'autres  unités 
secondaires,  car  les  êtres  s'échelonnent  suivant  un 
ordre  de  continuité  ontologique,  où  ils  se  distinguent 
d'après  leurs  perfections.  Les  uns  existent  ou  sont 
capables  d'exister  sans  avoir  besoin  pour  recevoir 
l'être  ou  pour  s'y  maintenir  du  concours  d'aucune 
autre  cause  seconde,  par  exemple  les  substances  ;  les 
autres  requièrent  naturellement  comme  une  condi- 
tion de  leur  réalisation  l'appui  d'une  cause  seconde 
extérieure  à  eux-mêmes,  par  exemple   les  accidents. 
Or,  la  substance  n'existe  pas  à  l'état  indéterminé 
que  comporte  son   concept  générique  ;   elle  est  en 
vérité  telle  ou  telle.  Une  ligne  de  démarcation  par- 
tage le  genre  suprême  de  la  substance  en  genres 
subalternes,  lesquels  par  des  déterminations  spéci- 
fiques   se    ramifient  jusqu'à    la    dernière   espèce, 
l'espèce  infime.  Or,  Yespèce  elle-même,   considérée 
objectivement    dans    la  réalité    métaphysique,   est 
essentiellement   un    universel,    qui    requiert    pour 
recevoir  son  actuation  totale  d'être  déterminé  dans 
son  être  substantiel  par  des  caractères  individuants. 
Et  ainsi  Yindividu  est  dans  l'ordre  de  la  substance  1$ 
dernière  unité  à  laquelle  on  arrive. 

3.  L'individu,  par  rapport  aux  autres,   est  dans 


EXrOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TRIMTE  6o3 

une  certaine  mesure  absolu  ;  non  seulement  il 
existe,  mais  il  subsiste,  parce  que  à  lui  se  relient 
comme  à  leur  point  d'attache,  se  ramènent  comme 
à  leur  raison  commune,  en  lui  se  concentrent 
comme  dans  un  tout  qui  fait  leur  unité  sans  être 
lui-même  une  fraction  d'une  unité  plus  haute,  les 
degrés  d'être  substantiels  et  accidentels,  par  lesquels 
l'individu  est  déterminé  soit  spécifiquement,  soit 
singulièrement. 

Cette  substance  individuelle,  complète,  autonome, 
s'appelle  un  suppôt,  s'il  s'agit  d'êtres  dénués  de  rai- 
son, une  hypostase,  une  personne,  c'est-à-dire  ce 
qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  toute  la  nature,  s'il 
s'agit  d'êtres  intelligents  et  libres. 

Une  personne,  c'est  donc  une  substance  indivi- 
duelle, complète,  autonome,  intelligente  et  libre  ; 
parce  qu'elle  est  une  substance,  elle  sert  de  point 
d'appui  aux  réalités  accidentelles  qui  la  déterminent  ; 
parce  qu'elle  est  une  nature,  c'est-à-dire  une  énergie, 
une  puissance  active,  elle  peut  se  modifier  elle-même 
et  modifier  tous  les  êtres  susceptibles  de  recevoir 
son  action. 

II.  Nous  trouvons  dans  notre  expérience  intime  la 
matière  des  idées  de  substance  et  de  cause,  de  mode 
et  de  phénomène,  et  notre  esprit  est  amené  sans 
effort  par  le  travail  analytique  le  plus  élémentaire  à 
en  dégager  a  priori  ces  deux  principes  universels  : 
Tout  mode  requiert  une  substance  ;  tout  phénomène 
requiert  une  cause.  Il  est  facile  dès  lors  de  découvrir 
hors  de  soi,  avec  certitude,  des  réalités  invisibles 
aux  sens,  mais  accessibles  à  l'entendement,  dont 
elles  sont  l'objet  propre,  et  qui  ont  pour  fonction 
de  soutenir  dans  l'existence  des  qualités  sensibles 
et  de  poser  dans  l'existence  des  faits  nouveaux, 
perceptibles  à  l'expérience  externe.  Ces  réalités  sont 
les    substances    et   les    causes,    ainsi   appelées   par 


Co4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

analogie  avec  la  réalité  de  même  ordre  révélée  par 
notre  conscience.  Et  comme  le  moi  est  le  dernier 
sujet  d'attribution  de  tout  ce  qu'il  contient,  supporte 
ou  produit,  ainsi,  dans  le  monde  extérieur,  il  est  des 
individus  qui,  sans  pouvoir  être  ramenés  à  une 
individualité  supérieure,  se  possèdent  eux-mêmes  et 
sont  le  sujet  de  tout  ce  qui  est  en  eux,  le  principe 
de  tout  ce  qui  est  par  eux.  Cette  fonction  nouvelle 
qui  complète  la  substance  en  lui  conférant,  dans 
son  espèce,  tout  le  degré  d'être  et  d'autonomie  dont 
elle  est  capable,  s'appelle  subsistance,  qui  désigne  la 
forme  constitutive  de  l'hypostase  et  de  la  personne. 
Enfin  notre  intelligence  arrive  à  connaître  la  subs- 
tance infinie,  sujet  de  la  perfection  absolue,  et  cause 
infinie,  raison  suffisante  du  monde  et  du  moi, 
substance  et  cause  qui  est  la  personne  par  excel- 
lence. 

Notre  raison,  il  est  vrai,  ne  peut  parvenir  à  com- 
prendre la  raison  adéquate  de  substance  ;  elle  affirme 
du  moins  l'identité  physique  et  l'union  indissoluble 
des  deux  formes  de  substance  et  d'hypostase.  Or, 
dans  la  matière  de  sa  connaissance  naturelle,  elle 
ne  peut  puiser  l'idée  de  plusieurs  personnes  subsis- 
tant en  une  seule  nature,  ni  l'idée  d'une  même 
hypostase  subsistant  en  deux  ou  plusieurs  natures. 
Mais  ici  intervient  la  révélation  pour  fournir  une 
notion  complète  de  la  personnalité  dans  ses  rapports 
avec  la  nature.  Et  c'est  à  sa  lumière  que  nous 
apprenons  que  Dieu  est  une  essence  numériquement 
une  et  indivisible,  subsistant  en  trois  personnes 
réellement  distinctes,  et  que  l'une  de  ces  trois  per- 
sonnes subsiste,  sans  perdre  son  unité  hypostatique 
dans  deux  natures  numériquement  distinctes. 

5.  Il  s'agit  donc  d'expliquer,  dans  la  mesure  où 
la  raison  peut  s'y  engager,  et  d'étudier  la  vie 
intérieure    de     la    Trinité    soit    absolument,    soit 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TKINITÉ  6o5 

comparativement    aux    caractères-  essentiels    de   la 
personnalité  créée. 

Dieu,  l'être  infini,  est  aussi  l'acte  pur  sans  mé- 
lange de  potentialité.  Il  est  déterminé  par  son 
essence  à  la  plénitude  de  l'être  et  à  la  plénitude  de 
l'opération.  Mais  cette  opération,  au  lieu  de  survenir 
à  sa  vertu  active  comme  une  perfection  nouvelle, 
n'est  que  l'acte  subsistant  d'une  essence  qui  s'iden- 
tifie avec  sa  propre  existence  :  être  et  agir  ne  sont 
en  Dieu  qu'une  seule  et  même  chose,  qu'un  seul  et 
même  Dieu. 

Mais  il  y  a  une  différence  entre  l'opération  divine 
ad  intra,  qui  se  termine  tout  entière  dans  l'essence 
subsistante  d'où  elle  procède,  et  l'opération  divine  ad 
ex tra  qui,  sans  sortir  formellement  de  cette  essence, 
s'extériorise  pourtant  virtuellement  en  tant  qu'elle 
se  termine  à  la  production   d'un  être  distinct  de 
Dieu.  Dans  ses  opérations  ad  extra,  Dieu  n'épuise 
pas  son  essence  et  ne  saurait  recevoir  le  moindre 
accroissement  des  natures   qu'il  crée,    quelle  que 
puisse  être    d'ailleurs    leur    perfection.    L'activité 
divine  doit  cependant  s'exercer  dans  toute  sa  pléni- 
tude, et  elle  s'exerce  dans  ses  opérations  ad  intra  : 
cet  acte  infini  demeure  tout  entier  dans  le  principe 
essentiel  d'où  il  émane  et  avec  lequel  il  se  confond. 
Or,    toute    action  aboutit   à   un   terme   distinct 
d'elle-même  et  qui  se  rapporte,  soit  à  l'agent  comme 
à  son  principe,  soit  à  l'opération  comme  au  lien  de 
l'un  et  de  l'autre.  L'action  divine  ad  intra  produit 
donc  un  terme,  et  la  perfection  de  ce  terme  répond 
à  la  perfection  de  l'opération  et  à  la  perfection  de  la 
nature  ;  la  nature  enveloppe  l'opération  et  son  terme 
et  se  développe  pleinement  par  eux  ;   ce  terme  ad 
intra  sera  donc  infini. 

6.  Mais,  tandis  que  dans  les  créatures  le  principe 
et  la  fin  sont  distincts,  en  Dieu  ils  se  confondent 


Co6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

et  l'identification  est  complète.  Sans  doute,  Dieu  a 
un  comment  et  un  pourquoi  ;  ce  comment  est  son 
principe,  ce  pourquoi  est  sa  fin,  principe  et  fin 
immanents.  Le  comment  de  son  être  est  dans  l'ex- 
cellence métaphysique  de  l'essence  infinie,  et  le 
pourquoi  dans  cette  excellence  souveraine,  qui 
n'étant  susceptible  d'aucune  augmentation,  est  à 
elle-même  sa  fin,  son  complément.  Aussi  les  actes 
immanents  de  Dieu  ad  intra  s'accomplissent-ils 
d'une  manière  nécessaire,  non  point  que  cette 
nécessité  s'impose  à  l'activité  infinie  comme  une 
violence  subie,  car  la  nécessité  est  très  compatible 
avec  la  volonté  ;  si  elle  s'oppose  à  la  liberté,  elle 
s'allie  avec  la  spontanéité  réfléchie  et  consciente  ; 
si  elle  exclut  le  choisir,  elle  n'exclut  pas  le  vouloir 
et  le  consentir.  Dieu  a  dans  son  essence  la  loi  de  tout 
son  être  et  de  son  agir,  non  que  cette  loi  le  cons- 
titue dans  un  état  de  dépendance  par  rapport  à 
autrui,  puisque,  étant  à  lui-même  sa  raison  d'être 
totale,  il  ne  relève  que  de  lui-même  ;  non  que  cette 
loi  soit  en  lui  la  régularisatrice  d'un  mouvement 
véritable  qui  le  porterait  d'un  point  de  son  être  à 
un  autre  point  de  son  être  ;  mais  comme  la  loi 
contient  le  rapport  essentiel  de  ce  qu'un  être  est  à 
ce  qu'il  doit  être,  il  faut  aussi  que  Dieu,  qui  est 
nécessairement,  ait  un  rapport  à  l'être  qu'il  possède 
et  qui  lui  est  dû  essentiellement.  La  loi  de  son  être 
se  confond  donc  avec  cet  être  lui-même  ;  elle  n'a 
pas  d'autre  formule  que  la  nécessité  de  l'être  divin 
et  son  absolue  autonomie. 

i  La  puissance  incréée,  pure  de  toute  potentialité, 
se  confond  donc  avec  son  acte  propre,  et  puisqu'elle 
est  l'acte  subsistant,  s'identifie  pareillement  avec  la 
substance  :  nature,  puissance,  opération  ne  sont 
donc  en  Dieu  qu'une  seule  et  même  chose.  Cepen- 
dant nous  concevons  la  nature  ou,  plus  proprement 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA.    TRINITE  607 

l'essence  comme  la  forme  dé  la  divinité  à  l'état 
purement  statique  ;  au  contraire,  en  tant  que  cette 
essence  est  le  principe  virtuellement  dynamique  de 
sa  perfection  et  atteint  de  toute  éternité,  sans  mou- 
vement véritable,  la  plénitude  de  son  développement, 
on  lui  donne  le  nom  plus  spécial  de  vertu  opérative 
ou  d'opération.  Et  l'on  conçoit  en  Dieu  son  opération 
comme  un  mouvement  virtuel  dans  la  nature 
divine,  formellement  identique  à  cette  nature,  et 
par  lequel  celle-ci  se  porte  en  quelque  sorte  vers 
elle-même,  considérée  comme  terme  et  fin  imma- 
nents de  l'essence  subsistante.  Et  ainsi  l'action  ad 
vitra  est  nécessaire  au  même  titre  que  l'être  de  Dieu. 

7.  Cela  nous  mène  à  une  conclusion  qui  nous 
rapproche  de  l'explication  formelle  de  la  trinité  des 
hypostases  dans  l'unité  de  sa  nature. 

En  effet  :  puisque  la  raison  immanente  de  fin 
détermine  nécessairement  en  Dieu  une  opération 
immanente,  elle  déterminera  aussi  le  caractère  de 
cette  opération.  Or,  toute  lin,  en  tant  que  fin,  exige, 
pour  provoquer  le  mouvement  d'un  être,  d'être 
connue  par  cet  être.  A  son  tour,  cette  connaissance 
engendre  un  mouvement  de  la  volonté  qui,  com- 
muniquant son  impulsion  à  l'être  tout  entier,  le  fera 
tendre  à  la  possession  de  la  fin.  Or,  en  Dieu,  pas  de 
bien  à  acquérir,  puisqu'il  est  sa  propre  fin.  L'action 
:  immanente  de  Dieu  ne  saurait  donc  consister  que 
dans  un  acte  de  connaissance  et  un  acte  de  volonté, 
par  lesquels  il  atteindra  adéquatement  la  vérité  de 
son  essence  et  aimera  par  un  acte  non  moins 
-compréhensif  la  bonté  de  cette  même  essence.  Dieu, 
étant  l'être  infini,  possède  dans  son  essence  toutes 
les  raisons  de  vérité  et  de  bonté  :  il  est  l'universel 
intelligible  et  l'universelle  bonté,  ou  plutôt  il  est  la 
vérité  et  la  bonté  subsistantes.  Il  lui  suffit  d'un  seul 
acte  de  connaissance  pour  atteindre  le   vrai  dans 


608  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

toute  sa  plénitude  ;  il  lui  suffit  d'un  seul  acte  de 
volonté  pour  embrasser  le  bien  dans  toute  sa 
plénitude. 

Or,  tout  acte  a  un  terme  ;   les  opérations  divines 
ad  mira  ont  donc  aussi  un  point  d'arrivée.  L'acte 
par  lequel  Dieu  se  connaît  a  donc  un  terme  qui  est 
sa  propre  représentation,  sa  Parole  intérieure,  son 
Verbe  ;  et  le  terme  d'une  activité  infinie  devant  être 
lui  aussi  infini,  il  en  résulte  que,  puisque  l'essence 
divine    répugne   à   toute   multiplication,   ce  terme 
infini  se  confond  réellement  avec  cette  essence.  De 
même  pour  l'acte  par  lequel  Dieu  se  veut  et  s'aime. 
8.  Mais  chacun  de  ces  deux  termes  des  opérations 
divines  ad  inira  se  distingue   de   son  principe  par 
une  opposition  qui  les   rend  irréductibles.  Le  prin- 
cipe et  le  terme  de  l'acte  de  connaissance   sont  dès 
lors,  comme  tels,  formellement  incommunicables  ; 
de  même  le  principe  et  le  terme  de  l'acte  de  volonté. 
Il  faut   donc  distinguer,   dans  l'unité  d'une  même 
essence,  un  principe  infini  avec  deux  termes  infinis. 
Et  la  distinction  n'est  pas  seulement  entre  ce  prin- 
cipe unique  et  les  deux  termes,  mais  encore   entre 
les  deux  termes  eux-mêmes.  Car  si  Dieu  se  connaît 
et    s'aime    par  un    seul  acte  qui  est   son   essence, 
autre  est  le  point  sous  lequel  il  se  connaît,  autre 
celui  sous  lequel  il  s'aime  ;  car  il  se  connaît  en  tant 
que   vérité   infiniment  intelligible,  et  il  s'aime  en 
tant  que  bonté  infiniment  aimable.    La   simplicité 
de  l'être  divin  n'empêche  donc  pas  que  la  diversité 
des  objets  formels,   sous  lesquels  Dieu  atteint  son 
essence,    n'engendre    une   dualité  de   même  ordre 
dans   l'opération  divine  et  dans  le  terme  de  cette 
opération. 

Or,  les  actes  immanents  ne  se  distinguent  pas  de 
leur  principe  ni  entre  eux,  au  même  titre  que  les 
termes  de  ces  actes.  Les  actions  ad  inlra,  considérées 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ  6og 


abstraction  faite  de  leurs  termes,  ne  posent  en 
Dieu  rien  de  nouveau,  mais  se  confondent  avec  le 
principe  agissant  ;  mais  si  on  les  envisage  in  sensu 
composite*  tennini,  c'est-à-dire  comme  posant  en 
dehors  du  principe  le  terme  vers  lequel  celui-ci 
tend  par  son  opération,  elles  se  subjectent  dans 
deux  réalités  distinctes,  soit  du  principe,  soit  l'une 
de  l'autre.  L'essence  divine,  principe  de  l'acte 
d'intelligence,  se  distingue  d'elle-même  considérée 
comme  objet  de  connaissance,  mais  seulement  sous  le 
rapport  où  elle  s'exprime  elle-même  par  son  Verbe; 
elle  ne  se  distingue  de  ce  chef  que  du  terme  de  son 
opération,  lequel  est  son  Verbe  ou  sa  Parole.  De 
même  Dieu  se  distingue  de  son  essence,  objet  de 
son  amour,  par  le  côté  où  cette  essence  pénètre 
pour  ainsi  dire  dans  le  principe  aimant  et  termine 
son  opération.  D'où  il  suit  que  la  dualité  seulement 
virtuelle  de  l'opération  par  laquelle  l'essence  divine 
se  connaît  et  s'aime  elle-même  comme  le  vrai  et  le 
bien  substantiels,  aboutit  à  la  dualité  de  deux 
termes  réellement  distincts. 

9.  Cette  mutuelle  distinction  est  fondée  autant  sur 
leur  opposition  réciproque  que  sur  leur  opposition 
respective  à  leur  commun  principe.  Car  si  le  terme 
formel  de  l'acte  de  connaissance  est  en  corrélation 
de  procession  avec  le  principe  de  cet  acte,  il  faut 
affirmer  le  même  rapport  entre  le  Verbe  et  le  terme 
de  l'acte  de  volonté.  Le  Verbe  éternel  manifestant  à 
son  principe  la  bonté  de  la  nature  divine,  c'est  en 
communion  avec  ce  Verbe,  et  c'est  par  ce  Verbe 
que  le  principe  de  l'acte  intellectif  produit  le  terme 
de  l'acte  d'amour.  Ce  dernier  se  distingue  donc  par 
une  commune  opposition  et  du  principe  du  Verbe 
et  du  Verbe  lui-même. 

Il  y  a  donc  en  Dieu  trois  sujets  irréductibles  l'un 
à  l'autre  et  s'opposant  comme  des  termes  que   do 

LH    CATÉCHISME.  T.  I.  39 


6lO  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

fc— — ^— — ^^— ^— ^^^^^^M^—  ■  !  ...  ■         ■  ■       Il    .    ■  ■  ■    I     l.l  M|,    |       — — ^ | 

mutuelles  relations  rendent  incommunicables  ; 
mais,  par  ailleurs,  chacun  de  ces  sujets  s'identifie 
avec  la  nature  divine.  Chacun  d'eux  subsiste  donc, 
puisque  cette  nature  est  une  subsistance  ;  et  il 
subsiste  pleinement,  c'est-à-dire  ajoute  à  l'indépen- 
dance substantielle  de  l'être  divin,  considéré  abso- 
lument, l'indépendance  hypostatique  où  l'incom- 
municabilité. Et  chacun  d'eux  est  une  personne, 
puisque  leur  distinction  est  fondée  sur  des  relations 
de  procession  ou  d'origine,  qui  sont  comme  les 
points  extrêmes  d'un  acte  de  connaissance  intellec- 
tuelle et  d'un  acte  d'amour  spirituel.  Il  y  a  donc 
en  Dieu  trois  personnes,  qu'il  convient  de  désigner 
par  des  noms  personnels. 

10.  Reste  à  déterminer  la  nature  de  ces  processions. 
L'acte  d'intelligence,  ayant  pour  objet  direct  et 
formel  de  produire  un  terme  qui  est  la  représen- 
tation de  l'objet  connu,  on  peut  et  on  doit  dire  que 
l'acte  par  lequel  Dieu  produit  son  Verbe,  c'est-à- 
dire  la  Parole  vivante,  qui,  en  vertu  de  la  proces- 
sion même  dont  il  est  le  terme,  l'exprime  et  le 
représente  tout  entier,  est  une  génération,  puisque 
la  génération  se  définit  :  Origo  viventis  a  vivente, 
principio  conjuncto,  in  similiiudinem  naiarœ,  vi  pro- 
cessionis  formaliter . 

Or  la  génération  est  le  fondement  d'une  double 
relation  de  paternité  et  de  filiation  :  au  principe  de 
la  génération  du  Verbe,  au  sujet  de  la  relation  de 
paternité,  correspond  donc  le  nom  de  Père  ;  au 
terme  de  cette  génération,  au  sujet  de  la  relation  de 
filiation,  celui  de  Fils. 

ii.  Quant  au  terme  de  l'acte  d'amour,  l'acte  qui 
le  produit  lui  communique  l'essence  infinie,  et,  par 
ce  côté,  sa  procession  ressemble  à  la  précédente  ; 
mais,  parce  que  le  terme  formel  de  cet  acte  n'est 
pas  la  production   d'une  représentation  de  l'objet 


EXPOSÉ    DU    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITE  6 II 

aimé,  cet  acte  n'a  pas  le  caractère  d'une  génération 
proprement  dite.  Dès  lors,  si  la  troisième  personne 
reçoit  avec  sa  personnalité  la  nature  divine,  ce  n'est 
pas  formellement  en  raison  de  l'opération  d'amour 
dont  elle  dérive,  mais  en  tant  qu'elle  termine  une 
opération  divine.  Par  suite,  la  génération  étant, 
pour  nous,  le  seul  mode  naturellement  connu  par 
lequel  un  être  communique  à  un  autre  son  essence 
spécifique,  il  nous  est  impossible  de  concevoir 
directement  entre  les  deux  premières  personnes  et 
la  troisième  une  relation  dont  l'idée  soit  distincte 
de  celle  de  la  procession  qui  la  fonde.  Or  cette  der- 
nière est  une  opération  d'amour  que  nous  appelons 
Spiration.  Considéré  dans  son  principe,  l'acte  de 
volonté  constitue  la  relation  de  Spiration  active  ; 
considéré  dans  son  terme,  il  fonde  la  relation  de 
Spiration  passive,  à  laquelle  répond  le  nom  person- 
nel de  Saint-Esprit. 

12.  Mais  comme  en  Dieu  l'abstrait  s'identifie 
avec  le  concret,  la  Paternité  sera  le  Père,  la  Filiation 
le  Fils,  et  la  Spiration  passive  le  Saint-Esprit.  C'est 
dire  que  les  personnes  divines  sont  des  relations 
subsistantes,  lesquelles,  à  leur  tour,  ne  sont  que  la 
nature  divine  subsistant  en  trois  hypostases,  par 
lesquelles  elle  s'oppose  à  elle-même,  et  dont  cha- 
cune, l'embrassant  dans  sa  plénitude,  se  distingue 
d'elle  par  une  pure  distinction  de  raison. 

En  outre,  il  n'y  a  en  Dieu  qu'un  Père,  qu'un  Fils, 
qu'un  Saint-Esprit.  Les  trois  personnes,  il  est  vrai, 
connaissent  et  aiment;  mais  ce  n'est  pas  par  le  côté 
où  elles  se  distinguent  et  s'opposent  mutuellement, 
c'est  par  celui  où  elles  s'identifient  dans  l'unité 
d'une  même  et  indivisible  essence.  Leur  distinction 
vient  tout  entière  de  ce  que  cette  unique  essence  ou 
nature,  par  elle-même  subsistante,  s'oppose  réelle- 
ment à  elle-même,   considérée  comme  principe  et 


6l2  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

terme  formellement  irrréductible  d'une  double 
opération.  De  la  distinction  réelle  du  principe  et 
des  termes  naît  la  trinité  des  subsistances  incom- 
municables, c'est-à-dire  la  trinité  des  hypostases 
ou  personnes. 

i3.  La  personnalité  divine  a  donc  une  double 
racine  ;  car  la  raison  de  la  subsistance  est  tout 
entière  dans  la  nature  considérée  absolument,  tan- 
dis que  la  raison  de  son  incommunicabilité  est 
uniquement  dans  l'opposition  des  relations  subsis- 
tantes. Cette  opposition,  du  reste,  est  le  seul  fonde- 
ment de  la  multiplication  des  hypostases  ;  car  la 
personne  est  un  tout  fermé,  une  unité  distincte  et 
indépendante  des  autres  unités.  Or  ce  sont  là  les 
effets  formels  de  l'incommunicabilité.  Il  est  donc 
vrai  de  dire  que  les  relations  réelles  sont  la  raison 
pour  laquelle  la  subsistance  de  la  nature  divine,  au 
lieu  de  s'arrêter  et  de  se  terminer  dans  cette  nature 
considérée  absolument,  se  multiplie  avec  la  raison 
d'incommunicabilité,  essentielle  à  la  subsistance 
hypostatique  ou  personnelle.  Mais  arrivée,  en  vertu 
de  sa  loi  interne,  à  cette  perfection  de  développement 
immanent,  la  substance  divine  atteint  le  suprême 
degré  d'incommunicabilité  personnelle,  en  sorte 
que  non  seulement  le  caractère  absolu  de  cette 
substance  lui  assure  une  transcendance  inaliénable, 
mais  encore  les  personnes  qui  se  constituent  dans 
l'unité  de  son  essence  ferment  la  série  des  opérations 
intérieures  et  possèdent,  de  ce  chef,  avec  la  nature 
divine  dans  laquelle  elles  subsistent,  une  perfection 
hypostatique  infinie  comme  cette  nature  que  cha- 
cune d'elles  embrasse  adéquatement. 

IL  Enseignement  de  saint  Thomas 

i.  Avant  de  s'occuper  de  chacune  des  personnes 


PROCESSIONS    ET    RELATIONS  t)l3 

de  la  Trinité,  saint  Thomas  commence  par  établir 
le  nombre  de  processions  et  de  relations  qui  existent 
en  Dieu  (i). 

La  procession  n'est  autre  chose  que  l'origine  d'un 
être  venant  d'un  autre  être.  Si  cet  être  sort  de  son 
principe  pour  former  un  être  distinct,  extérieur, 
séparé,  la  procession  est  dite  transitive  ;  si,  au  con- 
traire, l'être  reste  dans  son  principe,  elle  est  dite 
immanente.  C'est  de  cette  dernière  qu'il  s'agit  ici.  Il 
y  a  autant  de  relations  en  Dieu  que  d'actes  imma- 
nents. Or,  dans  toute  nature  intellectuelle,  les  actes 
immanents  ne  sont  qu'au  nombre  de  deux,  savoir 
l'acte  de  l'intelligence  et  l'acte  de  la  volonté.  Il  y  a 
donc  deux  processions  en  Dieu  et  il  ne  peut  y  en 
avoir  que  deux  :  l'une,  celle  de  l'intelligence  divine, 
par  laquelle  Dieu  comprend  la  vérité  totale  de  son 
essence  ;  l'autre,  celle  de  la  volonté  divine,  par 
laquelle  il  veut  et  aime  la  bonté  totale  de  son  essence. 
La  première  n'est  autre  que  la  procession  du  Verbe 
et  porte  le  nom  propre  de  génération,  parce  qu'elle 
exprime  l'origine  d'un  être  vivant,  qui  tient  d'un 
être  vivant  comme  lui,  la  même  nature  spécifique  ; 
la  seconde  est  celle  de  l'Amour  et  s'appelle  la  Spira- 
tion,  parce  qu'elle  exprime  le  mouvement  de  la 
volonté  vers  l'objet  aimé. 

2.  Cette  double  procession  pose  en  Dieu,  non  pas 
des  relations  purement  logiques  ou  de  simples  moda- 
lités, mais  des  relations  réelles,  de  vraies  réalités. 
Sans  doute,  parce  que,  en  Dieu,  rien  n'existe  à  la 
manière  des  accidents  et  que  tout  est  substantiel,  ces 
relations  ne  font  qu'un  avec  l'essence  divine  et  ne 
s'en  distinguent  que  dans  notre  manière  de  les  con- 
cevoir, mais,  entre  elles,  elles  se  distinguent  réelle- 
ment les  unes  des  autres.  Or  cette  distinction  réelle 

i.  Sam.  iheol.,  I,  Q.  xxvn. 


f)l4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

ne  pouvant  être  dans  l'essence,  dans  l'être  absolu, 
où  règne  l'unité  souveraine,  la  suprême  simplicité, 
se  trouve  dans  l'être  relatif,  c'est-à-dire  dans  les 
personnes. 

Le  nombre  de  ces  relations  est  de  quatre,  ni  plus 
ni  moins  ;  car  toute  relation  est  fondée,  ou  sur  la 
quantité  —  et  celle-ci  ne  saurait  exister  en  Dieu  qui 
est  un  pur  esprit,  —  ou  sur  l'action  et  la  passion, 
comme  cause  et  effet,  père  et  fils,  maître  et  serviteur. 
En  Dieu,  la  relation  a  pour  fondement  l'action,  non 
pas  l'action  transitive,  mais  l'action  immanente,  qui 
détermine  les  processions  intimes  dans  le  sein  de 
l'Etre  infini.  Or  deux  actions  de    cette  nature,  et 
deux  seulement,  nous  venons  de  le  dire,  se  consom- 
ment dans  l'essence  divine:  l'action  de  l'intelligence, 
qui  donne  lieu  à  la  génération  du  Verbe,  et  l'action 
de  la  volonté,  qui  est  le  principe  de  la  procession 
de   l'Amour.  Mais  de  chacune  de  ces  processions 
naissent,  par  opposition  l'une  à  l'autre,  deux  rela- 
tions :  la  relation  du  principe  au  terme,  et  la  relation 
du  terme  au  principe.  La  procession  du  Verbe  étant 
nne  génération,  il  y  a  la  relation  active  de  paternité ', 
propre  au  principe  générateur,  et  la  relation  passive 
de  filiation,  propre  au  Verbe  engendré.  Quant  à  la 
procession    de   l'Amour,    elle  constitue  la  relation 
«active  de  spiration  dans  le  principe  et  la  relation 
passive  de  procession  dans  le  terme. 

3.  Ces  deux  processions  et  ces  quatre  relations 
impliquent  l'existence,  en  Dieu,  de  trois  personnes 
et  rien  que  de  trois.  Mais  qu'entendre  par  ce  mot 
personne?  Il  sert  à  désigner  le  parti  nidier  ou  V individu, 
dans  la  catégorie  de  substance,  et  plus  spécialement 
ou  proprement  dans  la  catégorie  de  substance  rai- 
sonnable. La  personne  est  donc  une  substance 
particulière,  individuelle,  de  nature  raisonnable  ; 
elle  exprime  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  toute 


LES    PERSONNES    DIVINES  6l5 

la  nature,  l'être  subsistant  et  raisonnable.  Ce  terme 
convient  donc  à  Dieu,  non  comme  il  convient  aux 
créatures,  mais  dans  un  sens  beaucoup  plus  élevé. 
Il  ne  se  trouve  pas,  il  est  vrai,  textuellement  dans 
la  sainte  Ecriture,  mais  il  y  est  d'une  manière 
équivalente. 

Ce  qui  rend  difficile  de  circonscrire  son  sens  dans 
la  Trinité,  c'est,  d'une  part,  qu'il  se  dit  au  pluriel, 
contrairement  aux  noms  qui  désignent  l'essence, 
et  c'est,  d'autre  part,  qu'il  n'exprime  rien  de  relatif, 
à  l'inverse  des  noms  qui  expriment  les  rapports  des 
êtres.  Il  signifie  la  substance  individuelle  d'une 
nature  raisonnable.  Or,  l'individu  se  distingue  de 
tout  autre  individu.  Et  la  distinction,  en  Dieu,  ne 
provient  que  des  relations  d'origine.  Mais  ces  rela- 
tions ne  sont  pas,  en  Dieu,  des  entités  modales, 
des  accidents  inhérents  au  sujet,  elles  sont  l'essence 
divine  elle-même,  et  par  suite  elles  subsistent 
comme  elle  et  constituent  des  relations  subsistantes. 
Or,  ces  relations  subsistantes  se  distinguent  entre 
elles  par  leur  opposition  relative.  Donc  deux  rela- 
tions opposées  doivent  nécessairement  appartenir  à 
deux  personnes.  Dès  lors,  la  paternité  et  la  filiation, 
formant  deux  relations  qui  s'opposent,  appartien- 
nent à  deux  personnes  :  la  paternité  subsistante  est 
la  personne  du  Père,  la  filiation  subsistante  est  la 
personne  du  Fils. 

Quant  aux  deux  autres  relations,  la  spiration, 
active  et  la  spiration  passive,  elles  ne  sont  pas 
opposées  aux  précédentes,  c'est-à-dire  à  la  paternité 
et  à  la  filiation,  mais  elles  forment  opposition  à 
l'égard  l'une  de  l'autre,  et  par  suite  ne  peuvent 
convenir  toutes  les  deux  à  une  seule  et  même  per- 
sonne. Mais  à  qui  convient  la  spiration  active  ? 
Est-ce  au  Père  ou  au  Fils?  Est-ce  à  l'un  et  à  l'autre 
en  même  temps  ?  C'est  à  tous  les  deux  à  la  fois, 


6l6  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

d'autant  plus  que  cette  spiration  active  ne  renferme 
aucune  opposition  ni  vis-à-vis  de  la  paternité,  ni 
vis-à-vis  de  la  filiation.  Et  quant  à  la  spiration 
passive,  elle  appartient  en  propre  à  la  troisième 
personne,  à  la  personne  du  Saint-Esprit.  D'où  il 
suit  qu'il  y  a  trois  personnes  en  Dieu. 

[\.  Il  y  a  trois  personnes  en  Dieu  et  il  ne  peut  y 
en  avoir  que  trois,  ce  qui  est  proprement  le  mystère 
de  la  sainte  Trinité,  l'unité  de  trois,  triurn  unitas, 
une  essence  et  trois  personnes,  mystère  qui  demeure 
inaccessible  aux  seules  lumières  de  la  raison.  La 
raison  naturelle,  en  effet,  ne  peut  connaître  Dieu 
que  par  les  créatures.  Or,  les  créatures  conduisent 
à  la  connaissance  de  Dieu  comme  l'effet  conduit  à 
la  connaissance  de  la  cause.  La  raison  peut  donc 
découvrir  uniquement  les  attributs  que  Dieu  pos- 
sède comme  principe  des  êtres,  comme  créateur. 
Mais  comme  la  puissance  créatrice  est  commune  à 
toute  la  Trinité,  elle  appartient  à  l'unité  de  l'essence 
divine,  et  non  à  la  pluralité  des  personnes,  et  ne 
peut  dès  lors  rien  nous  apprendre  sur  les  personnes, 
en  tant  que  personnes. 

Du  reste,  vouloir  établir  la  trinité  des  personnes 
sur  des  preuves  tirées  de  la  raison  pure,  serait  déro- 
ger doublement  à  la  foi,  dit  saint  Thomas.  D'abord, 
en  blessant  sa  dignité  ;  car  elle  a  pour  objet  les 
choses  invisibles.  Ensuite,  en  éloignant  autrui  de 
la  foi  ;  car  lorsqu'on  apporte  en  faveur  de  la  foi  des 
preuves  irrésistibles,  on  tombe  sous  la  dérision  des 
impies,  qui  s'imaginent  que  nous  croyons  en  nous 
appuyant  sur  ce  genre  de  preuves.  A  ceux  qui  ad- 
mettent  l'autorité,    prouvons    notre    doctrine   par 
l'autorité;    à  ceux  qui   la  repoussent,  contentons- 
\  nous  de  montrer  que  les  choses  de  la  foi  ne  renfer- 
i  ment  rien  d'impossible,  rien  de  contraire  à  la  raison. 
H  Relativement  à  l'existence  de  Dieu,  les  raisonnements 


LES    PERSONNES    DIVINES  617 

h 

sont  démonstratifs  ;  relativement  à  la  Trinité,  ce  ne 
sont  que  des  raisonnements  de  convenance.  Les 
analogies  elles-mêmes  que  nous  trouvons  dans  notre 
âme  ne  fournissent  pas  de  preuve  démonstrative  de 
la  Trinité,  parce  que  l'intelligence  humaine  diffère 
essentiellement  de  l'intelligence  divine.  Et,  comme 
le  dit  saint  Augustin,  ce  n'est  pas  la  science  qui 
mène  à  la  foi,  «  c'est  la  foi  qui  mène  à  la  science.  » 

5.  Un  pas  de  plus,  et  l'on  aura  les  notions  suffi- 
santes pour  désigner  les  trois  personnes  de  la  Tri- 
nité. La  notion  est  la  raison  propre,  l'idée  particu- 
lière, le  signe  caractéristique,  la  marque  distinctive, 
l'attribut  spécial  qui  dénonce,  révèle,  notifie  et  fait 
connaître     distinctement    les    personnes    divines. 
Jusqu'ici  nous  avons   trouvé  quatre  notions  ;  il  en 
est  une  cinquième  à  faire  connaître.  Les  personnes 
divines,  en  effet,  se  multiplient  et  se  révèlent  par 
l'origine,  ou  comme  principe  ou  comme  terme.  Or, 
le  Père  ne  procède  de  personne,  et,  sous  ce  rapport, 
la  notion  qui  lui  convient  est  celle  àUnnascibililé  ; 
mais,  en  tant  que  principe,  il  se  caractérise  double- 
ment, par  la  paternité  à  l'égard  du  Fils,  par  la  spi- 
ration  commune  à  l'égard  du  Saint-Esprit.  Le  Fils, 
procédant  de  son  Père  par  la  génération  est  notifié 
par  la  filiation.  Le  Saint-Esprit  a  pour  unique  note 
caractéristique  la  procession,  car  il  n'est  le  principe 
d'aucune  autre  personne.  Il  y  a  donc  cinq  notions  en 
Dieu  :  l'innascibililé,  la  paternité,  la  filiation,  la  spira- 
tion  active  et  la  spiration  passive  de  procession.  De 
ces  cinq  notes,  quatre  constituent  des  relations,  car 
l'innascibilité  à  vrai  dire  n'est  pas  une  relation  ; 
quatre  sont  des  propriétés,  car  la  spiration  active 
commune  au  Père  et  au  Fils  n'appartient  pas  exclu- 
sivement à  une  seule  personne  ;  et  trois  enfin  sont 
des  notions  personnelles,  savoir  :  la  paternité,  la  filia- 
tion et  la  procession. 


6l8  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

6.  Certains  attributs  sont  communs  à  l'essence 
divine;  d'autres  sont  propres  à  chaque  personne  en 
particulier.  Et  c'est  ainsi  qu'on  peut  appeler  la  pre- 
mière personne  :  Principe,  Père  non-engendré.  Prin- 
cipe signifie  l'origine,  la  source,  la  souche  d'où 
vient,  sort  ou  découle  une  chose.  Appliqué  à  Dieu, 
ce  mot  peut  s'entendre  des  attributs  communs,  et 
dans  ce  cas,  il  implique  des  actes  extrinsèques  dont 
le  terme  est  en  dehors  de  Dieu,  dans  les  créatures  ; 
il  peut  s'entendre  aussi  des  attributs  propres,  et, 
dans  ce  cas,  il  vise  les  actes  intrinsèques,  imma- 
nents, dont  le  terme  est  Dieu  même  ;  mais  comme 
en  Dieu  il  y  a  deux  processions,  il  y  a  aussi  deux 
principes,  l'un  qui  est  exclusif  au  Père,  comme 
source  de  toute  la  divinité,  l'autre  qui  appartient  au 
Père  et  au  Fils  vis-à-vis  du  Saint-Esprit.  La  pre- 
mière personne  est  encore  désignée  sous  le  nom  de 
Père,  car  la  paternité  est  sa  propriété  personnelle, 
et  sous  le  nom  d'innas cible  ou  de  non-engendré, 
parce  qu'elle  n'a  pas  de  principe  d'où  elle  dérive, 
étant  elle-même  le  principe  de  tout. 

La  seconde  personne  porte  le  nom  propre  de 
Fils,  parce  qu'elle  est  engendrée  par  le  Père  ;  de 
Verbe,  parce  qu'elle  est  le  concept  intérieur  qui  pro- 
cède de  l'intelligence  divine  et  l'exprime  totalement; 
et  d'Image,  parce  qu'elle  représente  pleinement  son 
modèle  et  est  sa  parfaite  image. 

La  troisième  personne  porte  le  nom  d'Esprit, 
consacré  par  l'Ecriture,  car  ce  mot  signifie  souffle, 
impulsion,  et  représente  le  mouvement  de  la 
volonté;  d'Amour,  parce  que,  personnellement,  elle 
procède  par  amour  et  est  l'amour  subsistant  ;  de 
Don,  parce  que  le  propre  de  l'amour  est  de  donner 
de  sa  plénitude  et  que  le  Saint-Esprit  procède  aussi 
comme  don  de  Dieu. 

7.  Comparées  avec  Vessence  divine,  ces  personnes 


LES    PERSONNES    DIVINES  619 

ne  nuisent-elles  pas  à  l'unité  de  Dieu?  Non,  repond 
saint  Thomas.  Car,  en  Dieu,  les  relations  sont 
L'essence  divine  elle-même.  Il  n'y  a  donc  entre  les 
personnes  et  la  nature  divine  qu'une  distinction  de 
raison,  virtuelle,  purement  logique.  Considérée 
absolument,  en  soi,  ou  dans  ses  rapports  avec  les 
personnes,  l'essence  divine  est  une  ;  elle  se  com- 
munique totalement  et  identiquement  aux  trois  per- 
sonnes, qui,  elles,  se  distinguent  réellement  entre 
elles  à  cause  de  leurs  relations  d'origine.  Il  n'y  a 
donc  qu'une  seule  essence  divine  en  trois  person- 
nes ;  ces  trois  personnes  sont  Dieu,  elles  ne  for- 
ment pas  trois  Dieux. 

8.  Considérées  dans  leurs  rapports  avec  les  relations 
ou  les  propriétés,  les  personnes  et  les  relations  sont 
identiques  ;  car,  d'une  part,  les  relations,  entités 
réelles  dans  l'Etre  nécessaire,  sont  l'essence  divine, 
et  d'autre  part,  l'essence  divine  est  la  même  chose 
que  la  personne.  Mais  les  personnes  se  distinguent 
entre  elles  par  les  relations. 

9.  Comparées  entre  elles,  les  trois  personnes  sont 
parfaitement   égales  en  toutes  choses,  aussi  ancien- 
nes,   aussi   puissantes,    aussi     parfaites   l'une   que 
l'autre;    la  moindre    inégalité    romprait  l'unité  de 
l'essence    divine.  On   peut   donc  prendre  tous   les 
attributs  communs   et  les  appliquer  à  chaque  per- 
sonne,  ainsi   que    l'a    fait    le    symbole    de    saint 
Athanase.  Toutefois  cette  absence  de  succession  ou  : 
d'inégalité  n'empêche  pas  qu'il  y  ait  dans  la  Trinité  j 
un  ordre  dorigine  entre   les    personnes,    non    que  j 
Tune   précède   l'autre,   puisqu'elles    sont  éternelle-  | 
ment  ce  qu'elles   sont,  mais  simplement  parce  que 
l'une  procède  de  l'autre.  La  procession  est  éternelle  : 
le  Père  est  Père,  le  Fils  est  Fils,  le  Saint-Esprit  est 
Saint-Esprit,  de  toute  éternité.  Donc  égalité  parfaite, 
mais  avec  subordination  dorigine. 


620  LE  CATÉCHISME  ROMAIN 

La  procession  qui  est  nécessaire  et  éternelle  est 
aussi  immanente  :  d'où  l'idée  de  la  rapt/wp^ai?,  comme 
disaient  les  grecs,  ou  de  la  circuminsessio,  comme 
disent  les  scolastiques.  Ce  terme  latin,  remarque 
Petau,  est  loin  de  rendre  toute  la  valeur  du  mot 
grec,  introduit  dans  la  théologie  par  saint  Jean 
Damascène.  La  cire uminsess ion  signifie  l'inhabitation 
des  personnes  divines  l'une  dans  l'autre  ;  car,  par 
l'unité  d'essence,  les  trois  personnes  divines  se 
compénètrent  mutuellement.  Notre  Seigneur  disait: 
«  Ne  croyez-vous  pas  que  je  suis  dans  le  Père  et  que  le 
Père  est  en  moi  ?  »  Et  saint  Jérôme  a  pu  dire  que 
«  le  Fils  est  le  lieu  du  Père,  comme  le  Père  est  le 
lieu  du  Fils.  »  La  périchorêsis  signifie  en  plus  une 
circulation  vivante,  incessante,  l'épanchement  sans 
fin  du  Père  dans  le  Fils  et  le  retour  du  Fils  vers  sa 
source,  double  mouvement  qui  part  de  l'unité  et 
revient  à  l'unité. 

10.  L'exposition  de  ce  mystère  est  si  délicate  et 
si  difficile  que  saint  Thomas  a  tracé  quelques  règles 
précises  pour  permettre  d'en  parler  correctement. 
Parmi  les  noms  essentiels,  dit-il,  les  uns  désignent 
l'essence  divine  substantivement,  les  autres  adjective- 
ment. Les  premiers  se  disent  au  singulier,  les  autres 
se  disent  au  pluriel  des  trois  .personnes.  Dans  la 
Trinité,  l'essence  est  souverainement  une,  infini- 
ment simple  ;  aussi  les  noms  qui  l'expriment 
doivent-ils  se  dire  des  trois  personnes  au  singulier  ; 
Platon,  Socrate  et  Gicéron  s'appellent  trois  hommes, 
parce  qu'il  y  a  dans  trois  suppôts  de  la  nature 
humaine  trois  humanités  ;  au  lieu  que  nous 
appelons  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  non  pas 
trois  dieux,  mais  un  seul  Dieu,  parce  qu'il  n'y  a 
qu'une  divinité  dans  les  trois  hypostases  de  la 
nature  divine.  Quant  aux  noms  qui  expriment 
l'essence   adjectivement,    nous    les    affirmons   des 


LA   MISSION    DES    PERSONNES    DIVINES  621 

trois  personnes  au  pluriel,  à  cause  de  la  multipli- 
cité des  suppôts,  et  nous  disons  trois  éternels,  trois 
incréés,  trois  immenses  ;  tandis  que  nous  devons 
dire  un  incréé,  un  immense,  un  éternel,  quand 
nous  prenons  ces  mots  comme  des  substantifs. 

Les  noms  essentiels  concrets  se  disent  tantôt  de 
l'essence,  tantôt  d'une  ou  des  trois  personnes, 
selon  qu'ils  sont  accompagnés  de  mots  qui  se 
rapportent  à  l'essence  ou  à  la  personne.  Mais  les 
noms  essentiels  abstraits  ne  peuvent  pas  se  dire  de 
la  personne,  ils  ne  s'appliquent  qu'à  l'essence.  Les 
Pères  de  l'Eglise,  dans  leur  langage,  approprient 
certains  attributs  essentiels  aux  personnes  de  la 
Trinité,  et  saint  Thomas  légitime  leur  manière  de 
dire. 

ii.  Saint  Thomas  termine  son  traité  de  la  Trinité, 
en  parlant  de  la  mission  des  personnes  divines.  Il  se 
demande  si  les  personnes  divines  peuvent  être 
envoyées,  et  il  répond  :  la  mission  implique  deux 
choses  dans  l'envoyé  :  un  rapport  avec  celui  qui 
l'envoie  et  un  rapport  avec  le  terme  où  il  est 
envoyé.  Le  premier  rapport  forme  toujours,  dans 
le  délégué,  une  procession  qui  peut  avoir  trois 
causes  :  le  commandement,  le  conseil,  l'origine.  Le 
second  rapport,  avec  le  terme,  fait  que  le  délégué 
commence  d'être  dans  un  lieu,  soit  qu'il  n'y  fût 
d'aucune  sorte  auparavant,  soit  qu'il  y  paraisse 
d'une  manière  nouvelle.  On  voit  par  là  que  la 
mission  convient  aux  personnes  divines  sous  deux 
rapports,  comme  impliquant  une  procession  d'ori- 
gine, et  comme  créant  une  nouvelle  manière  d'être 
dans  un  autre  :  ainsi  le  Fils  a  été  envoyé  par  le 
Père  dans  le  monde  ;  car,  bien  qu'il  y  fût  déjà,  il 
a  commencé  d'y  être  d'une  nouvelle  manière  par 
l'incarnation. 

Auprès  des  créatures,   la  mission  des  personnes 


022  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

divines  est  temporelle.  Ainsi  la  mission  du  Fils 
visible  pour  être  homme,  invisible  pour  être  dans 
l'homme,  est  temporelle,  s'accomplit  dans  le  temps. 
Cette  mission  invisible  se  consomme  uniquement  par 
la  grâce  sanctifiante  ;  car  elles  sont  envoyées  pour 
être  dans  un  lieu  d'une  nouvelle  manière  et  pour 
être  possédées  par  la  créature.  Or,  cette  présence  et 
cette  possession  s'accomplissent  uniquement  par  le 
don  de  la  grâce  justifiante.  La  sanctification  de 
l'homme,  tel  est  le  but  de  la  mission  des  personnes 
divines. 

Mais  qui,  parmi  les  personnes  divines,  peut  être 
envoyé  ?  La  mission  divine  impliquant  une  proces- 
sion d'origine,  seuls  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  peuvent 
être  envoyés.  Le  Père,  ne  procédant  pas,  ne  peut 
avoir  de  mission,  bien  qu'il  habite,  lui  aussi, 
l'âme  des  justes,  selon  cette  parole  de  saint  Jean  : 
«  Nous  viendrons  en  lui  et  nous  ferons  en  lui  notre 
demeure)).  Le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  envoyés 
invisiblement  à  tous  ceux  qui  ont  la  grâce. 

D'autre  part,  Dieu  pourvoit  aux  besoins  des  êtres 
selon  leur  nature.  Or,  la  nature  de  l'homme  est  telle 
qu'il  va  des  choses  visibles  aux  invisibles  ;  il  fallait 
donc  que  les  mystères  cachés  dans  le  monde  spiri- 
tuel lui  fassent  révélés  par  le  monde  sensible.  De 
même  donc  que  Dieu  s'est  manifesté  lui-même  et  a 
manifesté  les  processions  divines  par  certains  traits, 
de  même  il  convenait  qu'il  manifestât  les  missions 
invisibles  des  personnes  adorables  par  certaines 
réalités  visibles.  Mais  la  mission  du  Fils  devait  se 
révéler  autrement  que  celle  du  Saint-Esprit.  Le  Fils 
est  principe  de  procession,  tandis  que  FEsprit-Saint 
procède,  le  Fils  est  la  source  de  la  sainteté,  le  Saint- 
Esprit  en  est  le  don  ;  et  c'est  pourquoi  ils  ont  été 
envoyés,  l'un  comme  l'auteur,  l'autre  comme  le 
signe  de  la  sanctification. 


NOTIONS    ERRONÉES    ET    OBJECTIONS  623 

Dans  ces  quelques  mots,  saint  Thomas  indique 
le  rôle  du  Verbe  incarné  et  du  Saint-Esprit  pour  la 
rédemption  et  la  sanctification  des  âmes  ;  et  c'est  ce 
rôle  que  nous  aurons  à  étudier  avec  plus  de  détail 
dans  la  suite. 

III.  Notions  erronées 
et  objections 

La  raison,  en  présence  de  ce  mystère  de  la  sainte 
Trinité,  est  absolument  impuissante  à  le  deviner, 
parce  que  rien  en  elle  ou  autour  d'elle  ne  saurait 
lui  en  suggérer  l'idée.  Eclairée  par  la  révélation, 
elle  en  connaît  du  moins  l'existence,  et  elle  cherche 
alors  à  s'en  rendre  compte,  sans  toutefois  pouvoir 
se  flatter  de  le  pénétrer  à  fond.  Le  mystère  reste  le 
mystère  :  c'est  un  mystère  qui  appartient  exclu- 
sivement à  l'enseignement  révélé,  et  dont  la, 
révélation  expresse  date  des  origines  du  christia- 
nisme. 

On  a  cru  toutefois  que  l'esprit  humain  en  avait 
possédé  quelque  i^ée  vague  avant  la  révélation 
messianique  ;  mais  ni  l'histoire  des  religions  ni 
l'histoire  de  la  philosophie  n'autorisent  une  telle 
conjecture. 

i.  Quelques  symboles  religieux,  antérieurs  au 
christianisme,  offrent,  il  est  vrai,  de  fugitives  res- 
semblances ;  mais  elles  sont  purement  superficielles  ; 
elles  répondent  à  des  conceptions  absolument  diffé- 
rentes et  complètement  irréductibles  au  dogme 
chrétien. 

L'histoire  des  religions  signale,  en  particulier,  la 
triade  égyptienne  et  la  trimoûrti  hindoue.  En  Egypte, 
la  triade  n'est,  en  général,  qu'une  allégorie  de  la 
société    domestique  :    un    dieu  père,    une  déesse 


6^4  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

mère,  un  dieu  fils  ;  c'est  tout  au  plus  la  mémo 
divinité  sous  trois  aspects  différents,  quelque  chose 
qui  ressemble  à  une  espèce  de  sabellianisme  anticipé. 
M.  Robiou  (i),  qui  a  spécialement  étudié  la  ques- 
tion, dit,  à  propos  de  la  triade  thébaine  et  d'autres 
encore,  que  la  présence  d'une  déesse  à  côté  de  deux 
personnages  masculins  «  implique  une  opposition 
absolue  avec  l'idée  de  la  trinité  chrétienne.  »  Il 
ajoute  «  que,  dans  tous  les  cas,  l'Esprit  ne  figure 
dans  aucune  des  triades  égyptiennes,  »  et  que  «  cette 
partie  de  la  doctrine  égyptienne  n'est  point  un 
écho,  même  indirect,  d'une  révélation  primitive 
touchant  les  trois  personnes  divines  (2).  » 

2.  Quant  à  la  trimoûrti  hindoue,  ce  n'est  que  la 
fusion  de  trois  cultes  distincts,  celui  de  Brahma, 
celui  de  Vishnou  et  celui  de  Çiva  :  «  Brahma, 
Vishnou,  Çiva  sont  et  ils  ont  été  dès  l'origine  trois 
divinités  distinctes,  dit  M.  de  Harlez  (3).  Vishnou  est 
cité  dans  les  Védas,  alors  que  Brahma  n'existait 
pas  encore,  c'est-à-dire  n'avait  point  encore  été 
imaginé.  Mais  Vishnou  n'est  là  qu'un  Dieu  secon- 
daire, personnification  accessoire  de  la  force  géné- 
ratrice et  conservatrice  du  soleil.  Dans  la  plupart 
des  Brahmanas  et  dans  les  Lois  de  Manou,  c'est-à-dire 
dans  les  livres  des  brahmanites,  Vishnou  est  encore 
un  Dieu  inférieur,  placé  bien  au-dessous  de  Brahma; 
dans  le  Bhagavad-gîta  le  Harivansa  et  les  autres 
livres  vishnouites,  il  est,  au  contraire,  le  Dieu 
suprême,  l'être  universel.    Çiva  est  inconnu  aux 

1.  Théologie  de  V ancienne  Egypte,  dans  le  Compte  rendu  du 
Congrès  scientifique  de  1891,  Paris,  1891,  IIe  sect.,  p.  244-245. 

—  2.  Sur  les  triades  égyptiennes,  cf.  de  Rougé,  Etude  sur  le, 
rituel  funéraire,  p.  45,  75-78  ;  Grébaut,  Mélanges  d'arche,  égypt. 
et  assyr.,  p.  247-254;  Pierret,  Essai  sur  la  myth.  égypt.,  p.  46-52. 

—  3.  Art.  Trinité  dans  le  Diction,  apologétique  de  Jaugey,  Paris, 
1889,  p.  3ii9-3i20. 


NOTIONS    ERRONÉES    ET    OBJECTIONS  625 

Védas  ;  dans  les  livres  postérieurs  il  apparaît  et 
semble  se  confondre  avec  le  Dieu  des  tempêtes  Rudra, 
puis  il  s'en  sépare  et  devient  à  son  tour,  dans  cer- 
tains livres,  la  divinité  principale.  Ces  trois  dieux 
restèrent  donc  séparés  jusqu'à  ce  que  les  Brahmanes, 
longtemps  après  la  diffusion  de  l'Evangile,  voulant 
rallier  toutes  les  sectes,  eussent  formé  des  trois 
principales  divinités  une  triade  suprême,  dans 
laquelle  chacun  pouvait  choisir  son  Dieu  favori 
pour  le  mettre  à  la  tête  des  autres.  Mais  pour  con- 
server auprès  de  leurs  initiés  la  notion  du  panthéisme, 
il  imaginèrent  de  dire  que  ces  trois  dieux  n'étaient 
que  des  manifestations  diverses  de  l'être  absolu. 
Ils  désignèrent  le  groupe  par  le  nom  de  Trimoûrti, 
c'est-à-dire  «  triple  forme.  » 

3.  Platon  a  passé  longtemps  pour  avoir  eu 
quelque  soupçon  de  la  Trinité.  S'il  l'a  voilé,  c'est 
par  peur  des  accusateurs  de  Socrate,  affime  saint 
Cyrille  d'Alexandrie  (i).  Et  l'on  sait  que  saint  Augus- 
tin estimait  avoir  trouvé  dans  les  livres  platoniciens 
de  frappantes  analogies  avec  la  doctrine  chrétienne 
du  Verbe  (2).  Dans  Platon,  il  est  vrai,  on  rencontre 
à  plusieurs  reprises  une  triade,  mais  assez  A^ague, 
inconsistante,  jamais  la  même  (3).  Ce  grand  génie 
reconnaît  l'existence  d'un  Dieu  éternel,  intelligent, 
tout-puissant  et  bon  en  face  d'une  matière  éternelle 
et  confuse.  Ce  Dieu  possède  un  Logos,  raison  de 
toute  chose,  mais  un  Logos  semblable  au  verbe 
humain,  plus  parfait,  mais  qui  n'est  pas  un  être 
subsistant.  Ce  qui  subsiste,  aux  yeux  de  Platon, 
c'est  le  plan  de  l'univers,  l'archétype  du  monde, 
l'idée  exemplaire,  mais  qui  n'est  pas  à  confondre 
avec  le  Logos.  Ce  Dieu  est  père,  et  le  monde,  distinct 

1.  Cont.  JuL,  t.  —  2.  Confes.,  VII,  ix  ;  Patr.  lat.,  t.  xxxn, 
col.  740.  —  3.  Tiwée,  xxxvn  ;  Répub.,  vu. 

LE   CATÉCHISME.    —  T.    I.  40 


626  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

du  Logos  et  de  l'archétype,  est  son  fils.  Enfin  une 
âme  universelle,  dont  on  ne  saurait  dire  si  elle  est 
une  émanation  de  Dieu  ou  un  produit  de  la  matière, 
est  répandue  dans  tous  les  êtres.  Où  voir  dans  tout 
cela  une  image  même  lointaine  de  la  Trinité  chré- 
tienne ? 

4.  Le  juif  Philon,  contemporain  de  Notre-Sei- 
gneur,  essaya  d'élaborer  une  théorie  de  Verbe,  en 
mêlant  les  idées  platoniciennes  aux  données 
bibliques.  Selon  lui,  Dieu,  être  transcendant, 
abstrait,  indéterminé,  ne  peut  entrer  en  contact 
direct  avec  la  matière  éternelle.  Il  n'agit  sur  elle 
que  par  des  intermédiaires  émanés  de  lui,  les  Idées, 
Verbes  intérieurs  se  manifestant  extérieurement 
dans  le  monde  matériel.  Le  plus  parfait  de  ces 
intermédiaires,  le  Logos,  l'Idée  suprême,  éternel, 
qu'est-il  ?  On  ne  réussit  pas  à  savoir  si  Philon  le 
regarde  comme  une  simple  puissance  divine,  comme 
un  attribut,  ou  s'il  y  voit  une  personne  distincte. 
Bien  qu'il  l'appelle  parfois  le  fils  premier-né,  il 
semble  n'être  qu'un  Dieu  subalterne,  une  sorte  de 
démiurge.  Nous  sommes  encore  loin  de  la  Trinité 
chrétienne. 

Mais  l'influence  du  platonisme  alexandrin,  grâce 
à  Philon,  se  fit  sentir  chez  les  Pères  apologistes, 
notamment  sur  la  double  conception  du  Verbe 
intérieur  et  proféré  (1).  Dans  la  suite,  nous  avons 
vu  aux  prises  les  unitaires  ou  monarchiens  avec  les 
trinitaires  qu'ils  accusaient  de  dithéisme  ;  puis  la 
lutte  des  Pères  grecs  et  latins  contre  l'arianisme», 
l'intervention  des  conciles  dans  la  définition  des 
dogmes  de  la  Trinité  ;  nous  avons  passé  sous  silence, 
nous  réservant  d'y  revenir  plus  tard  en  traitant  du 

1.  Voir  notre  article  Pères  apologistes,  dans  le  Dictionnaire 
de  théologie,  1,  col.  i58o-i6oa. 


NOTIONS    ERRONÉES    ET    OBJECTIONS  627 

Saint  Esprit,  la  querelle  suscitée   par    le  filioque. 

5.  Au  moyen  âge,  pendant  que  les  ans,  comme 
Roscelin  (xie  s.),  Gilbert  de  la  Porrée,  évêque  de 
Poitiers  de  1142  à  n54,  et  le  calabrais  Joachim, 
abbé  de  Flore  (n 30-1202),  versaient  dans  le  tri- 
théisme,  etque  les  autres,  comme  Abélard(io79-i  142), 
tombaient  dans  le  modalisme  ou  le  subordinatia- 
nisme,  l'orthodoxie  était  défendue  par  saint  Anselme 
(io33-nog),  saint  Bernard  (109 i-ii53)  et  les  grands 
Bcolastiques.  L'erreur  pourtant  reparut,  au  xvi°  siècle, 
avec  les  sociniens,  qui  renouvelèrent  le  modalisme 
ou  sabellianisme,  et  au  xviii6  avec  les  anglais 
Whiston  et  Clarke,  qui,  en  1711  eti7i2,  reproduisi- 
rent la  théorie  subordinatienne  des  semi-ariens. 

Avec  le  xixe  siècle,  le  rationalisme  repousse  la 
trinité  chrétienne  comme  un  dogme  inacceptable 
pour  la  raison  et  essaie,  concurremment  avec  le 
panthéisme,  d'en  donner  une  explication  ration- 
nelle. Pour  les  panthéistes  allemands,  à  la  suite  de 
Hegel,  la  trinité  c'est  l'idée  qui  évolue,  l'idée  qui 
devient  le  monde,  et  le  rapport  du  monde  à  l'idée, 
du  devenu  au  devenir.  Pour  les  panthéistes  français, 
les  mots  changent,  mais  la  théorie  ne  varie  pas.  La 
trinité  c'est  l'infini,  le  fini  et  le  rapport  du  fini  à 
l'infini  ;  ou  encore  l'unité,  la  variété  et  le  rapport 
de  la  variété  à  l'unité  ;  ou  comme  dit  Cousin,  «  une 
triplicité  qui  se  résout  en  unité  et  une  unité  qui  se  résout 
en  tripticité.  »  Cousin  ajoute  que  c'est  là  «  le  Dieu 
trois  fois  saint  que  reconnaît  et  adore  le  genre 
humain,  le  fond  même  du  Chritianisme  (1).  » 

6.  Même  après  le  concile  du  Vatican,  qui  a 
condamné  le  rationalisme  et  le  panthéisme,  et  qui, 
dans  les  doctrines  de  Gûnther,  a  frappé  une  nouvelle 
conception  de  la  trinité  sous  forme  de  trithéisme, 

x.  Cousin,  Introduction  à  l'histoire  de  la  philosophie,  leç.  V. 


628  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

■■  "      '  '  ..  1   .  .  .i    1  ■       ■-...—      ...-■■  1      ■■  .  „,  .  |  ^ 

l'erreur  n'a  pas  désarmé  ;  elle  recourt  à  des  expli- 
cations subtiles,  dont  la  parenté  avec  le  panthéisme 
ne  saurait  faire  doute.  Ne  lisons-nous  pas,  en  effet, 
en  1902,  sous  la  plume  de  M.  Marcel  Hébert,  les 
lignes  suivantes  :  «  La  Réalité,  en  tant  qu'elle  se 
manifeste  comme  une  puissance  active,  ne  représente 
ni  une  toute  puissance,  ni  une  toute  science,  ni  une 
toute  bonté,  bien  plutôt  une  gigantesque,  une  incom- 
mensurable force  qui,  à  tâtons,  sans  jamais  se  lasser, 
poursuit,  à  travers  d'innombrables  essais,  son  incessant 
effort  vers  le  mieux,  vers  l'Idéal.  Cet  Idéal,  loi  vivante, 
vraie  vie  de  toute  vie  et  non  loi  abstraite  comme  celles 
d'un  manuel  de  physique  ou  de  chimie,  la  Réalité  le 
porte  en  elle-même  comme  la  loi  propre  de  son  évolu- 
tion; voilà  pourquoi,  en  définitive,  la  résultante  des 
forces  du  monde  est  orientée  dans  le  sens  du  bien  (1).» 

7.  Et  voici  enfin  ce  qu'un  esprit  très  cultivé  a  pu 
écrire,  sans  s'apercevoir  de  la  confusion  grossière 
qu'il  faisait,  au  sujet  du  mystère  de  la  Trinité  : 
a  Dire  qu'il  y  a  trois  personnes  en  Dieu,  c'est  dire 
qu'il  y  a  en  Dieu  trois  individualités  distinctes.  D'autre 
part,  cependant,  la  formule  du  mystère  déclare  qu'il 
n'y  en  a  qu'une,  celle  de  Dieu  même  :  le  Père  est 
Dieu  ;  le  Fils  également  ;  le  Saint-Esprit  également  ; 
les  trois  personnes  divines  ne  sont  qu'un  seul  et 
même  être  individuel  (2).  » 

M.  Sully  Prudhomme  n'est  pas  le  seul  à  prêter  à 
la  formule  du  dogme  trinitaire  un  sens  qu'elle  n'a 
pas  et  à  l'accuser  par  suite  d'être  incompréhensible 
ou  absurde.  Combien,  en  effet,  de  la  meilleure  foi 
sans  doute,  mais  peu  conformément  à  la  logique, 
s'appuyant  sur  l'identité  que  le  dogme  reconnaît 


<  1.  La  dernière  idole,  dans  la  Revue  de  métaphysique  et  de 
morale,  juillet  1902,  p.  402.  —  2.  Sully  Prudhomme,  La  vraie 
religion  selon  Pascal,  Paris,  1905,  p.  393. 


NOTIONS    ERRONÉES    ET    OBJECTIONS  62 Q 

entre   l'essence  divine   et   chacune  des    personnes, 
concluent  à  l'identité  des  personnes  entre  elles  ! 

On  invoque  le  principe  d'identité;  mais  on  oublie 
que  ce  principe  n'a  son  application  rigoureuse  que 
s'il  s'agit  d'une  identité  absolue  ;  car  la  moindre  dif- 
férence,  ne  serait-ce   qu'une   différence  de  raison, 
suffît  à  l'infirmer.  Or,  il  y  a  longtemps  que  saint 
Thomas  et   tous   les  théologiens    avec  lui  ont  fait 
observer  que,  dans  la  Trinité,  l'identité  n'est  pas 
absolue.  Que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  soient 
la  même  essence,  la  même  réalité  divine,  le  dogme 
l'affirme.  Mais  le  dogme  affirme,   en  outre,  que  ce 
qui  fait  que  le  Père  est  Père,  et  que  le  Fils  est  Fils 
et  que  le  Saint-Esprit  est  Saint-Esprit  est  quelque 
chose   de   distinct.   Et,   dès   lors,    l'application    du 
principe  va  simplement  à  dire  ceci  :  toutes  réalités 
identiques  à  une  troisième    sont   identiques  entre 
elles  uniquement  sous  le  rapport  formel  qui  les  fait 
identiques  à   cette  troisième,    mais   non  pas  dans 
leur  totalité.  Or,  dans  la   Trinité,  s'il  est  vrai  que 
les  personnes   sont  identiques  à   l'essence  divine, 
c'est  à-dire  selon  l'être  divin  et  les  attributs  abso- 
lus, il  n'est  pas  moins  vrai  que  les  personnes  divi- 
nes restent  distinctes  entre  elles  précisément  par  ce 
qui  les  fait  être   telle  ou    telle    personne  ;    car    la 
notion  spécifique  qui  répond  à  Père  n'est  point  celle 
qui  répond  à  Fils  ou  à  Saint  Esprit  ;  et  la  notion  spéci- 
fique qui  répond  à  personne  n'est  pas  la  même  qui 
répond  à  essence.  Le  point  de  vue  diffère  ainsi  que  la 
réalité.  Les  personnes  divines  s'opposent  l'une  à  l'au- 
tre par  leurs  relations  d'origine.  En  conséquence,  le 
dogme  catholique  n'enseigne  nullement  que  trois 
ne  font  qu'un,  ni  qu'un  c'est  trois  ;  il  enseigne  que 
les   trois  personnes   sont  réduites  à  l'unité  par  la 
possession  de  la  même  et  unique  essence  ;  et  il  en- 
seigne également  que  cette  même  et  unique  essence 


630  LE    CATÉCHISME    ROMAIN 

n'est  pas  possédée  par  les  trois  de  la  même  manière 
ni  sous  le  même  rapport  :  la  première,  la  possède 
de  plein  droit;  la  seconde,  par  communication 
génératrice;  la  troisième,  par  procession  d'amour. 

Après  le  principe  d'identité  qui  porte  sur  l'être, 
on  invoque  le  principe  de  contradiction  qui  porte 
sur  l'opération  de  notre  esprit.  La  difficulté  se 
résout  de  la  même  manière.  L'affirmation  et  la  néga- 
tion ne  peuvent  être  vraies  toutes  les  deux  simulta- 
nément d'un  même  objet;  rien  de  plus  exact,  s'il 
s'agit  d'un  objet  qui  soit  tout  à  fait  le  même  et  abso- 
lument sous  tous  les  rapports  ;  mais  il  n'en  est  pas 
ainsi  s'il  s'agit  d'un  objet  qui,  quoique  matérielle- 
ment et  réellement  le  même,  n'est  pas  le  même 
formellement  ;  et  c'est  ce  dernier  cas  qui  se  réalise 
dans  la  formule  trinitaire  (i). 

Avec  le  catéchisme  il  faut  dire  :  En  Dieu,  ni  unité 
de  personne,  ni  multiplicité  de  natures,  mais  une 
seule  nature  et  trois  personnes,  ou  un  seul  Dieu  en 
trois  personnes. 

i.  La  Sainte  Trinité,  d'après  saint  Grégoire  de 
Nazianze.  —  «  Avant  tontes  choses,  dit-il  en  s'adres- 
sant  aux  catéchumènes,  gardez-moi  ce  bon  dépôt,  pour 
lequel  je  vis  et  je  combats,  avec  lequel  je  veux  mourir, 
qui  me  fait  supporter  tous  les  maux  et  mépriser  tous  les 
plaisirs  de  la  vie  :  je  veux  dire  la  profession  de  foi  en  le 
Père  et  le  Fils  et  le  Saint-Esprit.  Je  vous  la  confie  aujour- 
d'hui. C'est  pour  elle  que  je  vais  tout-à-1'heure  vous  plon- 
ger dans  l'eau  et  vous  en  élever.  Je  vous  la  donne  pour 
compagne  et  patronne  de  toute  votre  vie.  Je  vous  donne 
une  seule  Divinité  et  Puissance,  Une  dans  les  Trois,  et 
contenant  les  Trois  d'une  manière  distincte.  Divinité  sans 
disparate  de  substance  ou  de  nature,  sans  degré  supérieur 

i.  Voir,  à  ce  sujet,  un  article  de  P.  Pègues  dans  la  Revue 
thomiste,  1901,  p.  694-715. 


LA.   SAINTE   TRINITÉ  63 1 


qui  élève  ou  degré  inférieur  qui  abaisse,  de  toute  façon 
égale,  de  toute  façon  la  même,  comme  dans  le  ciel  beauté 
et  grandeur  ne  sont  qu'un.  C'est  de  trois  infinis  l'infinia 
connaturalité,  Dieu  tout  entier,  chacun  considéré  en  soi- 
même,  aussi  bien  le  Fils  que  le  Père,  aussi  bien  le  Saint- 
Esprit  que  le  Fils,  chacun  pourtant  conservant  son 
caractère  personnel  ;  Dieu  les  Trois  considérés  ensemble. 
Chacun  est  Dieu  à  cause  de  la  consubstantialité  ;  les  Trois 
son  Dieu  à  cause  de  la  monarchie.  Je  n'ai  pas  commencé 
de  penser  à  l'Unité,  que  la  Trinité  me  baigne  de  sa  splen- 
deur. Je  n'ai  pas  commencé  de  penser  à  la  Trinité,  que 
l'Unité  me  ressaisit.  Lorsqu'un  des  Trois  se  présente  à 
moi,  je  pense  que  c'est  le  tout,  tant  mon  oeil  est  rempli, 
tant  le  surplus  m'échappe  ;  car  dans  mon  esprit  trop 
borné  pour  comprendre  un  seul,  il  ne  reste  plus  de  place 
à  donner  au  surplus.  Lorsque  j'unis  les  Trois  dans  un 
même  concept,  je  vois  un  seul  flambeau  sans  pouvoir 
diviser  ou  analyser  la  lumière  unifiée.  »  Orat.  xl,  4i  (i); 
trad.  du  P.  de  Régnon. 

2.  Difficulté  et  attrait  du  mystère  de  la  Trinité.— 
«  Que  reste-t-il  des  objections  contre  le  mystère  de  la 
sainte  Trinité  ?  Il  reste  que  la  possession  de  la  même 
nature  par  trois  personnes  est  une  chose  qui  dépasse  la 
portée  de  l'expérience  humaine  et  dont  nous  accroissons 
d'ailleurs  comme  à  plaisir  l'obscurité  par  les  images  sen- 
sibles que  nous  sommes  tentés  d'introduire  dans  l'ex- 
position du  dogme  ;  ces  images  sont  des  analogies  qui 
aident  notre  intelligence  à  concevoir  le  sens  du  mystère, 
mais  on  aurait  tort  d'y  chercher  des  explications.  Arrivés 
à  ce  point,  nous  sommes  obligés  de  nous  arrêter,  il  est 
vrai,  parce  que  le  mystère  est  en  face  de  nous  et  que 
notre  vue  est  trop  faible  pour  sonder  ses  profondeurs. 
Peut-être  même  paraît-il  plus  obscur  quand  on  a  essayé 
de  le  regarder  d'un  œil  respectueux.  Mais  ceci  ne  doit 
point  surprendre  :  lorsqu'on  a  gravi  la  cime  du  Gauri- 
sankar,  on  s'est  rapproché  des  limites  extrêmes  de 
l'atmosphère  terrestre  ;  mais  l'homme  n'en  est  averti  que 

i.  Pair,  gr.,  xxxvi,  col.  417. 


G32  LE    CATECHISME    ROMAIN 


par  la  teinte  toujours  plus  sombre  qui  succède  au  bleu 
du  ciel,  le  froid  qui  devient  plus  vif,  l'air  qui  manque  à 
la  respiration. 

«  Est-il  possible,  cependant,  d'ajouter  quelque  chose 
aux  réponses  ordinaires  des  théologiens  ?  Doit-on  se  tenir 
exclusivement  sur  la  défensive,  et  la  splendeur  du  mys- 
tère n'a-t-elle  donc  aucun  attrait  ? 

«  On  a  remarqué  souvent  que  le  mystère  de  la  sainte  Tri- 
nité, bien  qu'inaccessible  à  l'esprit  humain,  complétait  ad- 
mirablement ce  que  la  raison  nous  apprend  de  Dieu.  Quand 
le  spectacle  des  créatures  et  de  nous-mêmes  nous  a  fait 
connaître  l'existence  de  Dieu  et  ses  attributs,  nous  con- 
cevons l'idée  de  l'Etre  infini  et  parfait  ;  mais  nous  ne 
savons  rien  encore  de  sa  vie  intérieure.  Si  l'esprit  de 
l'homme  est  seul  capable  de  savoir  ce  qui  se  passe  en  lui, 
à  plus  forte  raison  Dieu  seul  doit-il  contempler  le  secret 
de  sa  vie.  Mais,  d'autre  part,  nous  ne  pouvons  douter  que 
cette  vie  intime  ne  soit  la  plus  profonde  des  réalités  : 
Dieu,  source  inépuisable  de  vie  pour  tous  les  vivants, 
doit  vivre  pour  soi  avant  de  vivre  pour  les  autres.  Cette 
ignorance  de  la  vie  mystérieuse  de  Dieu  est  sans  doute 
l'une  des  raisons  pour  lesqi-îfilles  la  religion  naturelle  est 
frappée  de  stérilité  :  elle  conçoit  Dieu  en  dessus  des 
créatures  comme  une  unité  solitaire,  abstraite  et  froide. 
L'homme  s'intéresse  peu  à  un  Dieu  dont  l'action  paraît 
toute  extérieure,  dont  on  n'aperçoit  pas  le  mouvement 
vital  interne  ;  c'est  qu'en  effet  son  expérience  et  sa  cons- 
cience lui  montrent  la  vie  comme  un  acte  intime  à  l'être 
vivant.  Qu'il  apprenne  donc  à  estimer  à  sa  juste  valeur  la 
révélation  qui  a  déchiré  pour  lui  ce  nuage  opaque  sous 
lequel  la  vie  divine  se  cache.  Dieu  a  daigné  manifester 
aux  hommes  le  mystère  de  sa  vie  ;  et  voilà  que  les  hommes 
se  récrient  et  qu'ils  déclarent  impossible  ou  absurde  ce 
qu'il  ne  comprennent  pas.  Attendent-ils  donc  pour  fléchir 
les  genoux  et  pour  adorer  qu'ils  aient  compris  Dieu 
en  lui-même  ?  Mais  alors  le  rêve  insensé  des  panthéistes 
serait  devenu  une  réalité  :  Dieu  aurait  pris  conscience  de 
lui-même  en  l'esprit  humain,  et  l'homme  n'adorerait  plus 
que  l'humanité. 


LA    SAINTE    TRINITÉ  633 


«  Quand  l'Absolu  lève  un  coin  du  voile  sous  lequel  il 
se  dérobait  à  nos  yeux,  le  mystère  non  seulement  ne  doit 
pas  effrayer  la  raison,  mais  il  s'impose  à  elle  comme  le 
signe  nécessaire  de  la  vérité.  La  vie  divine  ne  saurait  être 
à  ce  point  accessible  que  toute  obscurité  en  soit  bannie 
pour  nous,  et  si  elle  se  laissait  pénétrer  de  part  en  part 
au  regard  de  l'homme,  j'oserais  dire  qu'elle  ne  valait  pas 
la  peine  d'être  regardée,  car  nous  jetons  un  coup  d'oeil 
fugitif  sur  les  idées  trop  claires  et  les  choses  trop  faciles 
à  comprendre,  mais  nous  contemplons  longuement  ce 
qui  retient  une  part  de  mystère.  A  mesure  que  nous 
descendons  plus  profondément  dans  les  problèmes  de  la 
métaphysique,  le  mystère  croît  avec  la  profondeur;  pour- 
quoi voudrait-on  que  la  vie  intime  de  Dieu  se  présentât  à 
nos  regards  comme  une  surface  plane,  et  non  comme  un 
abîme  que  l'œil  ne  peut  sonder  ?  Ces  exigences  dénotent 
en  ceux  qui  les  prennent  au  sérieux  une  ignorance  totale 
des  conditions  du  problème  divin  et  une  recherche 
exagérée  des  clartés  superficielles  ;  les  vrais  métaphysi- 
ciens ne  redoutent  pas  tant  certaines  obscurités  néces- 
saires.» J.  Souben,  Nouvelle  théologie  dogmatique,  n,  Les 
personnes  divines,  2'  édit.,  Paris,  1903,  p.  95-97. 


FIN    DU    PREMIER    VOLUME 


4*  &  làt  àc  gte  ièt  >t/4  4k  É*  Ê*  Sts  É*  ïfe  ?fe  Sfef  ES  SES  îfe 

*^i#      «-^j      «^kj      *^j      »^-»      *-^*      «  /^*      ■  ^»      %^»      *y^j      %JK*      %./p»      *./£<»      %/^j      %^>      *^._»      »^»      «^t* 
rA*      rA^      r^»      rà*\      r$*%      rA»      r^»      *-A»      f^i      <^*      rA-»      «^*      «"A-»      i^»      «^»      *^»      oftf»      cAf» 

4*  4y  4e  *$*  *$*  4*  *$*  4*  *¥  4*  4*  4*  4*  4*  4^  4e  4^  4^ 

Table  des  Matières 

CONTENUES  DANS  CE  PREMIER  VOLUME 


Encyclique  Acerbo  nimis t 

Préface • •  •  •  •  •       xn 

Introduction • •  •  •  •  •  t 

La  Catéchèse  :  I.  La  catéchèse  pendant  les 
deux  premiers  siècles.  —  II.  La  catéchèse  du 
commencement  du  in*  siècle  à  la  fin  du  v*.  — 
III.  La  Catéchèse  de  la  fin  du  v*  siècle  au  ixa. 

Le  Catéchisme  avant  le  Concile  de  Trente. 
I.  Pendant  la  période  Patristique.  —  II.  Du  v* 
au  vne  siècle.  —  III.  Sous  Charlemagne  et  du  rx# 
au  xie  siècle.  —  IV.  Au  xn°  et  xme  siècles.  —  V. 
Au  xiv*  et  xve  siècles.  —  VI.  Première  moitié  du 
xvie  siècle. 

Le  Catéchisme  pendant  et  après  le  Concile 
de  Trente  :  I.  L'œuvre  du  Bienheureux  Canisius. 
—  II.  Le  Catéchisme  Romain.  —  III.  Projet  d'un 
petit  Catéchisme  universel.  —  IV.  Préface  du 
Catéchisme  romain. 

Leçon  Première  :  Symbole  des  Apôtres 79 

I.  Le  mot  Symbole  :  Etymologie  et  significa- 
tion. —  H.  Le  Symbole  des  Apôtres  :  i°  Son 
texte,  a0  Son  origine,  3°  Son  attribution  aux 
Apôtres,  4°  Son  autorité,  5°  Sa  division  et  son 
contenu. 

Leçon  Deuxième  :  Autres  Symboles •  •      109 

I.  Le  Symbole  de  Nicée-Constantinople:  i*  Son 
origine,  a0  Son  texte,  3°  Son  usage,  4°  Son  auto- 
rité. —  II.  Le  Symbole  de  Saint-Athanase  :  i# 
Son  texte,  a0  Son  origine,  3*  Son  importance. 

Leçon  Troisième  :  Les  professions  de  foi i37 


636  LE    CATÉCHISE    ROMAIN 


I.  Les  professions  de  foi  :  i°  d'IIormisdas,  2°  de 
Léon  IX,  3°  de  Clément  IV,  4°  d'Eugène  IV,  5° 
de  Grégoire  XIII,  6°  d'Urbain  Vlil  et  de  Benoit 
XIV,  7°  d'Innocent  III.  —  II.  La  profession  de 
foi  de  Pie  IV  :  i°  Date,  2°  texte,  3<>  usage. 

Leçon  Quatrième  :  Immutabilité  et  progrès i5o 

I.  Immutabilité  :  i°La  révélation  est  complète 
depuis  les  apôtres;  2°  La  règle  de  foi  dans  les 
premiers  siècles  ;  3»  La  doctrine  de  saint  Vincent 
de  Lérins  ;  4°  L'enseignement  du  Vatican.  — 
II.  Progrès  :  i<>  Son  objet;  a0  Ses  caractères; 
3°  Sa  marche;  4°  Ses  limites. 

Xeçon  Cinquième  :  Du  Dogme 182 

I.  Notion  catholique  du  dogme  :  i°  Sens  éty- 
mologique ;  2°  Objet  ;  3»  Formule  ;  4°  Carac- 
tères. —  II.  Théorie  de  M.  A.  Sabatier  :  i°  Ses 
objections  ;  2°  Sa  théorie. 

Leçon  Sixième  :  Du  Dogme 2i4 

I.  Le  dogme  d'après  [M.  Loisy  :  i°  Dans  «  l'É- 
vangile et  l'Eglise  »  ;  2°  Dans  «  Autour  d'un  petit 
livre.  »  —  II.  La  question  de  M.  Le  Roy  : 
Qu'est-ce  qu'un  dogme  ?  i°  Motifs  allégués  pour 
ne  pas  admettre  la  notion  traditionnelle  ;  2°  So- 
lution proposée. 

Leçon  Septième  :  De  la  Foi 255 

I.  L'enseignement  du  Catéchisme  romain.  — 
IL    L'enseignement    du    Concile    du    Vatican. 

—  III.  Définition  de  la  Foi.  —  IV.  Le  motif  de 
la  Foi  ou  son  objet  formel.  —  V.  Les  motifs  de 
crédibilité. 

Leçon  Huitième  :  De  la  Foi 291 

I.  Rôle  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  dans 
l'acte  de  Foi.  —  IL  De  la  nécessité  de  la  Grâce. 

—  III.  Les  propriétés  de  la  Foi.  —  IV.  Concep- 
tion nouvelle  de  la  Foi. 

Leçon  Neuvième  :  De  la  Foi  et  de  la  Raison 33o 

I.  Deux  ordres  de  connaissance.  Les  mystères 
de  la  Foi.  —  IL  Rôle  de   la  raison   dans  la  con- 


TABLE    DES    MATIERES  63*] 

naissance  des  mystères  de  la  Foi.  —  III.  Ni 
opposition  ni  désaccord  entre  la  foi  et  la  raison. 

—  IV.  La  foi  et  la  raison  se  prêtent  une  aide 
mutuelle. 

Leçon  Dixième  :  Existence  de  Dieu 374 

Peut-elle  se  prouver  par  la  raison  ?  I.  Erreurs. 

—  II.    Enseignement   du    Catéchisme    romain. 

—  III.  Définition  du  Concile  du  Vatican.  — 
IV.  Puissance  de  la  raison. 

Leçon  Onzième  :  De  Dieu 4o6 

L'existence  de  Dieu  est  un  dogme  de  la  rai- 
son :  Ses  preuves.  —  I.  Preuves  psychologiques. 

—  II.  Preuves  morales.  —  III.  Preuves  de  saint 
Thomas. 

Leçon  Douzième  :  De  Dieu ...«,, 434 

L'existence  de   Dieu  est   une    vérité  révélée. 

—  II.  C'est  un  dogme  de  foi  catholique.  — 
III.  Y  a-t-il  des  athées  ? 

Leçon  Treizième  :  De  Dieu 457 

De  la  nature  de  Pieu.  —  I.  Méthode  à  suivre. 

—  II.  Division  des  attributs.  —  III.  De  quelques 
attributs.  —  IV.  Enseignement  du  Concile  du 
Vatican  :  Condamnation  du  Panthéisme. 

Leçon  Quatorzième  :  De  Dieu 489 

I.  Science  de  Dieu.  —  IL  Volonté  de  Dieu. 
III.  Difficultés. 

Leçon   Quinzième  :   De  Dieu.    Toute-Puissance  et 

attributs  moraux 520 

I.  Texte  du  Catéchisme  romain.  —  IL  Toute- 
puissance  de  Dieu.  —  III.  Attributs  moraux. 

Leçon  Seizième  :  De  la  Sainte  Trinité 547 

L  Les  formules.  —  IL  La  preuve  scripturaire  ; 
i°  Dans  l'Ancien  Testament,  20  Dans  le  Nouveau. 

Leçon  Dix-septième  :  De  la  Sainte  Trinité 571 

La  preuve  patristique  :  I.  Aux  deux  pre- 
miers siècles.  —  IL  Fin  du  11e  et  111e  siècle.  — 
III.  ive  siècle.  —  IV.  L'œuvre  de  saint  Augustin. 


638 


LE    CATECHISME    ROMAIN 


Leçon  Dix-huitième  :  De  la  Sainte  Trinité 

I.  Exposé  du  Mystère.  —  II.  Enseignement  de 
Saint  Thomas.  —  III.  Notions  erronées  et  ob- 
jections. 


601 


FIN  DE  LA  TABLE  DU  PREMIER  VOLUME 


A  LA  MEME  LIBRAIRIE  : 

LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

OU 

Saint  Thomas  d'Aquin 

médité  en  vue  de  la 

PRÉDICATION 

par  LOUIS  BAIL 

Docteur  en  Théologie 

NOUVELLE   ÉDITION 

REVUE  ET    ANNOTÉE  AVEC    LE   PLUS    GRAND    SOIN,    MISE  EN  FRANÇAIS    MODERNE 

ET   EN  HARMONIE 

AVEC  LES  PLUS  RECENTES  DECISIONS  DE  L'ÉGLISE 

ET     LES     DERNIÈRES     DECOUVERTES     DE      LA      SCIENCE 

augmentée   d'un  volume  de  tables  générales 
très  complètes  de  tout  l'ouvrage 

par  M.  l'Abbé  BOUGAL 

Docteur  en  Théologie  et  en  Droit  canonique 

12  Volumes  in-8  égu 72  Francs 


A  qui  servira  notre   ouvrage  ?  au  prêtre  surtout  :    II  trouvera  là    tout 

ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  son  ministère  sacerdotal,  pour  sa 
sanctification  et  pour  celle  des  autres.  Veut-il  comme  un  mémorial  de  toutes  ses 
études  théolQgiques  ?  Il  le  trouvera  là  :  toutes  les  questions  dogmatiques  y  sont 
traitées,  toutes  les  grandes  thèses  de  la  Théologie  sont  démontrées  avec  une  lucidité 
et  une  logique  parfaites.  Réclame-t-il  un  !§»erinonaire  pour  ses  ins- 
tructions du  dimanche  et  des  fêtes  ?  Qu'il  ouvre  ce  livre  :  il 
y  puisera  sur  tous  les  sujets  les  plus  hautes  et  les  plus  solides 
considérations  :  et  qu'il  ne  craigne  pas  de  ne  rencontrer  dans 
cette  moelle  de  Saint  Thomas  que  des  théories  ou  de  la  spécu- 
lation, il  sera  surpris  de  toutes  les  conséquences  pratiques  et 
admirablement  pieuses  que  notre  auteur  a  fait  jaillir  du 
dogme  comme  du  roc  jaillit  le  feu. 

En  un  mot  : 

«  Il  est  inconstestable  que  bien  peu  de  livres,  parmi  la  multi- 
tude que  nous  offre,  dans  ce  genre,  une  presse  toujours  active, 
traitent  des  vérités  chrétiennes  avec  cette  clarté,  cette  sûreté 
de  doctrine,  cette  méthode  et  cette  heureuse  sobriété  dans  les 
développements  qui  permettent  au  prêtre  d'y  puiser,  sans 
perdre  de  temps,  la  matière  de  solides  instructions.  :^ 

Ajoutons  que  cet  ouvrage  présente  une  triple  utilité  pour  le  prêtre. 

Il  peut  lui  servir  ; 

lo  l»l<:  SOMME  DE  PRÉDICATION  : 
2  a  DE  LIVRE  DE  MÉDITATION  ; 
:î    DE  SOMME  THÉOEOUIQUE. 

Bergerac.  —  Imp.   Générale  du  Sud-Ouest,  J.  Castanht,  place  des  Deux-Conils. 


AUG  2  8  2007 


*a^ 


^      '  '  '  '  o  **  r 


nr  n^^A.r 


^«A     ^ 


^aÏAA*^ 


'  *,>A^ 


•^AAA 


^aa^aaA, 


AAAA 


^>%0^o  ^^^^.:^ 


^,,      -V-   AA 


^.aC-aOa/sAO 


^r^w.i 


~   r-  .r.  r     r-  r\  ?   rs   » 


(sâkQsw 


A  *  a    ■  r» 

'.'  "  A  S  "-  y 


iumm^ 


s  A 


*A*Ar^ 


lUHWîV^' 


VAAA 


'^%n^^-^k\Ari^r\A^^ 


■A/n/va 


r>  '     ''A^A.^A 


^AA: 


^Hw 


'-;AMa^a 


mÊÊËÊÊÊÊÊmm 


a:^^^o,âa 


Î^OW^^WA 


AA'   aAaa      ^^ 


....      .      *A**r\^ 


A^ÂAA^ 
aaaa^^> 


^i*KftoÀ<^n'  r'  *' 


,^ *' K  1  *  r 


J^A^AA'V'VA 


^A^aAa 


-  ^aa^a^a^^^^aC^v^c 

^AaAaA^>^-a^aa^"      aaaa*'>%a*aa>^  A' 


A  A  A  '   V  A 


^a%o 


~?  'T  *N  r\V  - >     <  f\y>*o 


^AAX 


*w*m*^^ 


'^jÇ.AA«iftr"^ 


^^aa^a^^^A^*   r' n-      *WaaP#2a< 


A^AaAa.a.a 


àa'W,/? 


WâS^aW 


#YVM 


-    A 


AW^f 


:û^ 


rvApA 


A  '/*  A 


'^.^AO^  - 


aa,*a;a 


ao<*aa<~"~ 


^**A^^  _v^    ^    >^^ 


'Aa^aa^^^aA*^*^*^ 


>^»^«M«is 


iz-N^A^v^'     A 


L'A"1 


aaaaa^aA.aa'V  -"«^n;r^>AAA 


*/A      Aa, 


. 


«ftwjmri 


■ 


1 

.           :