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les directions nouvelles, les dérouvert»^s importantes qui se font chaque
jour dans tous les pays. Chaque savant expose les idf'tes qu'il a introduites
dans la science et cond«Mise pour ainsi dire ses doctrines les plus origi-
nales. On peut ainsi, sans «piitterla France, assister et participer au mnuviv
meutdes esprits eu Auf^leterre, en Allenia«;ne. en Amérique, en Italie, etc.,
tout aussi bien que les savants uïrme'^ de chacun de c«fs pays.
Lft Uibliothtujue .stienii/ique intpvnationate ne comprend pas seulement
des ouvra^re» consacrés aux sciences physiques et naturelle?, elle Mb«>rde
aussi les sciences morales, comme la philosophie, Thistoire, la politique
ci récouomie sociale, la haute législation, etc. : mais les livres traitant des
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A. Binet. Les altérations de la personnalité, avec figures. . . 6 fr.
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De Quatrefages. Les émules de Darwin, avec préfaces de MM. E. Pcvricr
et Hamy. 2 vol 12 fr.
VOLUMES Sun LE POINT DE P.\RAITRE :
Dumesnil. L'hygiène de la maison, avec gravures.
Jaccard. Le pétrole, le bitume et l'asphalte.
Roche. La culture des mers, avec gravures.
Cornil et Vidal. La microbiologie, avec gravures.
Kunckel d'Herculais. Les sauterelles, avec gravures.
Ed. Perrier. L'embryogénie générale, avec gravures.
Cartailhac. Les Gaulois, avec gravures.
Coulommiers. — Imp. Paul BRODAUD.
LE CENTRE
DE
L'AFRIQUE
AUTOUR DU TCHAD
V A R
P. BRUNACHE
/ •
/
Mcinliro îles missions Dyhowski (189*2) et Maistre (189-1)
Administrateur colonial
Illustré de 45 gravures, d'après des dessins de l'auteur
et d'une carte hors texte
PARIS
ANCIENNI-: LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET O
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
i08, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
1894
Tous droits réservés
Ti
x^'
^
5
A MONSIEUR CHARLES GMJTHIOT
Sci-olairo };«Miéral de la Soriol»» »lc ClooL'raiiUif m miHîrcialiî <1« Pari>
Au refour do notre rfjf/tu/e, a l'heure où ioutes
/es acrlamalious ulhiient rers noire Jeune r/f('/\
rous, cher mo/tsieur (iuttthiot, nuhliunl pnur un
instant les liens ujfertueur t/ui vous unissaient à
Maistre, rotre disciple, inaluré lu préférence f/ue
rous étiez en droit de lui niart/uer, r'est pour ses
rollahorateurs que rous rér tau fiez des élo{)e-^.
On dit que les vorpnp's o)il pour résultat den-
îiuirer le neur d'une triple ruirasse,.. Je ne me
suis nullanent aperçu, pour mu part, qu^ils aient
f'moussé en moi le sentiment de la reconnaissance
et du sourenir,..
Puisque jK hKDiE «:k mvuk a <:ki\ i\\v: j'aimk, cest
une raison de plus pour que fin^rrice votre nom
en première jtufp*.
PACL BRUN AC HE,
LE
CENTRE DE L'AFRIQUE
AUTOUR DU TCHAD
u Pour bien se rendre compte des
« travaux d'un voyaffour il faut être
« au courant dos lirconstances dont
'« il so trouve entouré. »
D' Barth.
GlIAPITHE PREMIER
DE PARIS A BRAZIAVILLE
Les missions du Comité de TAfrique française. — Crampel et Dy-
bowski. — La traversée. ~ Lôango. — La route de Loango à Braz-
zaville : le Mayonibe, Loudima, Bouenza, Comba, le Djoué, Braz-
zaville, le Pool. — M. Dolisie.
Dans les cominencemcnls de Tannée 1890, on s émut,
en France, des efforts lentes par les Allemands, à Test de
leur colonie du Cameroun. Les expéditions des Zîntgrafft,
des Kunlh, dcsMorgen et de Gravenreulh attirèrent Tat-
lenlion des plus indifférents.
Les agissements de la Royal Niger Company dans T Ada-
P. Bhuxache. i
2 AUTOUR DU TCHAD
maoua et la haute Bénoué, le voyage de sir Mac-Intosch
à Kouka, donnèrent sérieusement à réfléchir à ceux qui
estiment que nous n'avons pas de raisons de nous désin-
téresser de nos colonies africaines existantes, et d'aban-
donner les régions sur lesquelles nous avons des droits au
moment du partage du continent africain entre les nations
civilisées.
La grande masse du public s'intéressa même à la ques-
tion et se mit à étudier la carte d'Afrique.
En contemplant le liséré teinté qui limite le riche et
vaste domaine que P.-S. de Brazza a donné à la France,
en parcourant les publications, les revues, les documents
officiels, il fallut bien se convaincre que la conquête de
ces immenses territoires s'était faite le plus pacifique-
ment du monde, avec des ressources absolument insigni-
fiantes.
La Métropole n'avait pas eu à s'imposer le moindre
sacrifice d'hommes ou d'argent. Une poignée de miliciens
noirs, conduits par cinq ou six hommes énergiques, ayant
foi dans leur chef, voilà ce qui avait suffi à assurer le
succès de semblables entreprises!
Un revirement se fit, dès lors, dans l'opinion publique.
Déjà un comité, composé des hommes les plus compé-
tents en matières coloniales, était en voie de formation.
A leur tête se trouvaient M. Etienne, alors sous-secrétaire
d'État au ministère des colonies, M. le prince d'Arenberg,
M. Percher, qui devaient devenir, l'un Président, l'autre
Secrétaire du comité de l'Afrique française.
Grâce à l'appui moral et au concours effectif de ces
défenseurs de la cause de la pénétration africaine, Paul
DE PARIS A BRAZZAVILLE 3
Crampel, qui en était Tapôtre, avait pu donner à son
rêve un commencement de réalité.
Notre malheureux prédécesseur avait formé le projet
grandiose d'explorer les régions fétichistes, jusque-là
inconnues, situées entre TOubangui et le Tchad ; de faire
pénéirer notre influence dans les pays musulmans du Bor-
nou et du Baghirmi, qui, à cette époque, ne pouvaient être
revendiqués par aucune puissance européenne. Il aurait
relié de la sorte, par une ligne ininterrompue d'explora-
tions et par des traités, nos colonies du Congo au Sénégal
par le Soudan, et du Sénégal à l'Algérie par le Sahara,
qu'il comptait également traverser.
Crampel avait quitté la France en mai 1890, accom-
pagné de Maurice Lauzières, ingénieur de l'École centrale,
d'Orsi et du Targui Ischekkad-Ag-Rali qui joua plus tard
le principal rôle dans le drame d'El-Kouli.
Au Sénégal, il prit pour chef d'escorte Biscarrat, un
ancien sous-oftlcier de spahis très estimé dans la colonie, et
Albert Nebout. Ce dernier n'a pas besoin d'être présenté :
il a fait ses preuves. Seul survivant de la mission, au lieu
de rentrer en France, c'est lui qui conduisit Dybowski à
la recherche des restes de Crampel. Nous le retrouverons
plus tard aux côtés de Mizon dans l'Adamaoua.
Après avoir effectué diverses pointes chez les Salangas
et les N'dris, Crampel quittait en décembre Bangui, notre
dernier poste au Congo, pour s'avancer dans l'inconnu.
Depuis cette époque on n'avait plus de ses nouvelles.
Tout ce que Ton savait, c'est que, ne voulant pas se laisser
devancer par nos rivaux. Allemands et Anglais, il avait dû
faire la plus grande diligence dans l'organisation de son
L.
4 AUTOUR DU TCHAD
départ et qu'il était à redouter que le manque presque
absolu de porteurs lui occasionnât une série de difficullés
nuisibles, et peut-être funestes, à la réussite de son entre-
prise.
Pour parer à cette éventualité, le Comité de l'Afrique
française qui, quelque temps auparavant, avait commencé
à agir avant que d'être définitivement constitué, décida
de faire partir de France une mission nouvelle. Elle devait
atteindre Crampel, dont les ressources étaient bien près
d'être épuisées par tous ces retards, et, opérant sa jonc-
tion, lui apporter de nouveaux éléments de succès.
Cette mission comprenait quatre Européens : MM. Jean
Dybowski, maître répétiteur à l'École d'Agriculture de
Grignon ;
Paul Brunache, Administrateur adjoint des communes
mixtes d'Algérie;
Charles Bigrel , ancien sous-officier de l'arlillerie de
marine, plusieurs fois cité à l'ordre du jour dans diverses
campagnes au Sénégal.
M. Dybowski s'était adjoint un jeune chef de cultures
de Grignon, M. C. Chalot.
Notre départ avait été très rapidement décidé; le
Comité de l'Afrique française tenait essentiellement à ce
que nous nous embarquions par le paquebot du 10 mars.
C'est à peine si nous pouvions disposer d'un mois pour
faire nos acquisitions et, certes, elles étaient multiples!
Grùce aux importantes subventions des ministères,
grâce au crédit généreusement ouvert par notre Comité,
nous avions plus que le nécessaire pour nous organiser
dans d'excellentes conditions. C'est à ce moment cepeii-
DE PARIS A BRAZZAVILLE 5
dant que nous heurtâmes le premier écueil : quel que
soit le voyage que Ton entreprenne, il est élémentaire
d'avoir un matériel de campement, des vivres de malades,
des instruments géodésiques, une pharmacie, etc. Mais,
sachant que nous allions traverser des pays où toutes
les transactions se font par voie d'échanges, il nous
fallait faire un choix judicieux des marchandises suscep-
tibles d'être échangées, sinon avec profil, du moins sans
pertes trop sensibles. Il fallait surtout ne pas nous encom-
brer d'objets inutiles.
Les ouvrages publiés par nos devanciers, Barth,
Schvscinfurlh, Nachtigal, donnaient bien une vague base
d'appréciation; mais, comme nous nous proposions de
parcourir des régions encore inexplorées, nous était-il
permis de supposer que les articles demandés à ces épo-
ques déjà lointaines, dans des pays presque à demi civi-
lisés, auraient cours parmi les populations absolument
incultes que nous devions rencontrer.
Nous consultâmes alors de « vieux Africains ». C'est
contre ce fléau que je tiens à mettre en garde nos jeunes
successeurs. Tel qui s'est enrichi avant 1848 dans le com-
merce du bois (Tébène, nous conseillait d'adopter un
uniforme : « Avec ça, nous disait-il, on est sûr d'être
nourri, logé et obéi sans bourse délier. » Il ajoutait que
si l'on voulait se montrer grand et généreux on pouvait, à
l'aide de casques de pompiers, de manteaux de mousque-
taires, bottes à chaudron et autres accessoires de car-
naval, se concilier les bonnes grâces des rois et des
ministres et obtenir de la sorte tous les laissez-passcr
désirables. Je n'invente absolument rien.
6 AL'ÏOUR DU TCHAD
Tel autre, qui avait fait un séjour de quelques mois
dans les colonies anglaises des côles de Guinée, nous
déclarait péremptoirement qu'une condition sme qua
non de réussite était d'emporter une cargaison sérieuse
d'eau-de-vie. Il ignorait, le pauvre homme, que cet
excellent extrait de pommes de terre, qui contribue pour
la plus grosse part à la fortune de Hambourg, mettra,
heureusement, de longues années avant de pénétrer dans
TAfrique équatoriale.
Un autre enfin ne nous laissa la paix qu'après nous
avoir fait emplir une caisse de fil et d'aiguilles. Je ne lui
adresse pas le moindre reproche, car, grâce à lui, nous
avons pu, de temps à autre, réparer ce que nous appe-
lions nos vêtements ; mais je suis obligé de déclarer que
ces piquantes marchandises ne nous procurèrent ni l'ivoire
promis ni la moindre des choses. Il est vrai de dire que
les deux tiers des populations que nous avons visitées ne
portent pour tout vêtement qu'une simple ficelle autour
de la ceinture. Les « reprises » deviennent dès lors
inutiles.
A travers tous ces renseignements contradictoires il
résulta clairement pour nous, qu'il fallait choisir de tout
un peu. Nous prîmes, en plus grandes quantités cepen-
dant, des perles blanches, désignées dans le commerce
sous le nom de baïakas; elles se fabriquent à Venise;
des étoffes en cotonnade désignées sous le nom de
guinée (bleue), andrinople (rouge), algériennes (bigar-
rées) de provenance anglaise. Enfin des « manilles »,
ou bracelets de cuivre, fabriquées en Allemagne.
Si j'insiste particulièrement sur l'origine étrangère de
k
DE PARIS A BRAZZAVILLE 7
la plupart des marchandises que nous emportions, c'est
que j'ai été frappé de ce fait qu'il nous a été impossible
de nous procurer en France des produits similaires et
dans les mêmes conditions.
Les producteurs français nous ont mis à même d'apprécier
la supériorité incontestable de leurs fabrications, le bon
goût de leurs modèles, l'excellente qualité des matières
premières et la différence très peu sensible dans les prix.
Tout cela est bel et bon! Malheureusement, les noirs
ne se préoccupent pas le moins du monde de ces considé-
rations.
Ils ont depuis longtemps adopté une étoffe d'une lar-
geur et d'une teinte déterminées; le plus beau drap du
monde, de largeur double et de prix égal, ne remplacera
pas pour eux la mauvaise cotonnade qui réalise à leurs
yeux l'idéal de la fabrication européenne.
De môme pour nos perles. On les dirait faites au tour,
moulées; leur fabrication est certainement impeccable,
c'est possible, mais le noir leur préférera toujours l'hor-
rible petite perle de Venise, la baïaka d'un blanc douteux,
mal venue, de formes variables, mais répondant au type
rôvé.
Que faire en pareille occurrence? Il n'y a pas à hésiter...
Imiter nos voisins. — Qu'importe que nos productions
d'exportation soient plus ou moins artistiques, pourvu
qu'elles trouvent un écoulement.
Pour le moment il ne s'agit pas de réformer, mais de
satisfaire le goût de lacheteur. Il ne faudrait pas qu'une
sotte question d'amour-propre fasse perdre à notre indus-
trie nationale les nombreux débouchés que les voyageurs
8 AUTOUR DU TCHAD
français leur ont ouverts. — Je m'aperçois que je viens de
faire une digression un peu longue (ce ne sera certainement
pas la dernière que mon lecteur aura à constater dans
cette relation écrite un peu à bâtons rompus), mais,
comme je ne la crois pas inutile, j'espère me la fairi*
pardonner.
Notre pacotille était assez bien composée, en ballots ou
en caisses de 30 kilogrammes. Malheureusement, nous
étions presque certains de ne pouvoir emporter en une
seule fois toutes nos charges.
En effet, de l'Equateur au 10" de latitude N., le seul
moyen de transport par voie de terre, c'est Thomme.
Lorsqu'on a avec soi un nombre élevé de porteurs, il est
indispensable d*avoir également une quantité de marchan-
dises suffisante pour payer leur nourriture. Or, la mar-
chandise qui sert de monnaie d'échange est lourde et
encombrante, d'où la nécessité d'augmenter dans de
notables proportions le chiffre des hommes destinés à
former la caravane. D'autre part, le transport du maté-
riel de campement strictement nécessaire, des instruments
de précision, pharmacie, cadeaux, etc., absorbe déjà une
bonne partie des porteurs. On se trouve placé dans
celte alternative : ou réduire le nombre des porteurs, et
alors les moyens d'action sont très limités; on ne peut
songer à emporter môme des vivres indigènes pour la
traversée des grands steppes déserts; ou bien alors on
dispose d'un personnel considérable qui nécessite le trans-
port d'une grande quantité de monnaie-marchandise. Par
suite, il devient fort difficile, et même quelquefois impos-
sible, de nourrir une aussi nombreuse caravane dans bien
DE PARIS A BRAZZAVILLE 9
des régions trop pauvres ou très peu peuplées. 11 faut donc
s'efforcer d'avoir la plus grande variété de marchandises
dans un nombre relativement restreint de colis.
Vers le V mars, nos préparatifs étaient à peu près
terminés. M. Dybowski m'envoya au Havre pour centra-
liser les charges et procéder à leur embarquement.
Après avoir louché à Cherbourg, où je prenais livraison
des armes et des munitions, le paquebot de la C^' des Char-
geurs réunis, Ville de Maraflaho, faisait escale à Bor-
deaux.
MM. Dybowski et Chalot s'embarquèrent à bord de ce
même paquebot le 10 mars, et le même jour à midi, nous
faisions route vers Santa Cruz de Ténériffe.
Le 21 mars, nous doublons File de Corée qui, au petit
matin, présente un aspect des plus pittoresques; puis nous
mouillons en face de Dakar.
Notre compagnon Bigrel, parti quelques semaines aupa-
ravant pour engager les Sénégalais destinés à former
l'escorte, vient nous prendre à bord.
Nous sommes frappés de la propreté des nègres qui
encombrent les quais au moment de notre débarquement.
Leurs « boubous » (tuniques) aux couleurs éclatantes, fort
élégamment drapés, donnaient une note gaie à ce tableau
d'ailleurs fort intéressant.
Notre enthousiasme cessa bien vite lorsque Bigrel nous
mit en présence de ses recrues.
Il y avait là une quarantaine de loqueteux : portefaix,
débardeurs, cireurs de bottes, commissionnaires, de seize
à vingt-deux ans, d'allure peu militaire. Un seul avait
servifdans les tirailleurs sénégalais; quant aux autres, ils
10 AUTOUR DU TCHAD
avaient peut-être bien vu des fusils, mais de loin, et entre
les mains des soldats, à la manœuvre.
L'un d'eux, sur sa bonne mine, sa belle prestance, et
surtout grâce à ses souliers vernis, est choisi comme ser-
gent par M. Dybowski.
Nous embarquons tout ce monde, puis, après avoir suc-
cessivement touché à Grand-LahoUy où descendent deux
jeunes officiers chargés de mission, MM. Quiquerez et de
Segonzac, à Grand-Bassam, Kotonou, Free-Town, nous
arrivons le 3 avril à Libreville.
Nous recevons de M. de Brazza Taccueil le phis sym-
pathique. Je me demande ce qui a bien pu faire naître la
légende qui représente le commissaire général comme
Tadversaire-né de tous les voyageurs qui traversent la
colonie du Congo français pour se rendre dans des régions
inconnues. La gloire des explorateurs à venir n'a rien
qui le doive inquiéter; il en a fait une moisson suffisam-
ment ample pour son compte personnel. On s'est livré
aussi à des digressions à perte de vue sur sa façon d'ad-
ministrer les immenses territoires qu'il a donnés à la
France.
Certes, il ne réalise pas l'idéal du parfait bureaucrate!
mais je considère comme un joli tour de force, avec un
budget à peine égal à celui d'une commune de la Métro-
pole, avec quatre nègres armés d'un méchant mous-
queton, d'arriver à faire AÎvre ses postes, à assurer la
sécurité des habitants et des voyageurs isolés, et, à l'aide
de ces seules ressources, de trouver encore la possibilité
d'arrondir chaque jour, sans bruit, notre domaine colonial.
« Pour réussir dans un voyage en Afrique, nous dit-il
DE PAKIS A BRAZZAVILLE 41
lorsque nous le quittâmes, il faut bien se pénétrer de ces
deux principes : « Se hâter lentement » et ne pas perdre
de vue que « plus fait douceur que violence. »
Nous quittons Libreville ayant à notre bord le capitaine
Trivier, qui a effectué quelque temps auparavant la tra-
versée de l'Afrique, suivant, de l'Ouest à TEst, la route de
Stanley.
Nous touchons au cap Lopez, poste de douaniers fran-
çais, assez triste d'aspect, puis à l'ile de San Thomé, une
des riches et prospères colonies portugaises.
Le 13 avril au matin, nous atteignons enfm Loango,
terme de notre navigation sur mer et point de départ de
notre voyage pédestre.
Loango n'est pas un port à proprement parler. C'est
encore moins une ville. Il ne reste aucun vestige de son
ancienne splendeur à l'époque de l'occupation portugaise.
Les quelques cases disséminées occupées par l'Administra-
tion, les factoreries et la mission catholique sont situées au
fond d'une baie d'un aspect assez agréable, vue de la haute
mer, mais peu sûre pour les navires obligés de mouiller
assez loin au large.
Vu du mouillage, Loango paraît ce qu'il est en réalité :
misérable et triste.
De grands bancs de sable qui se déplacent assez fré-
quemment forment une lagune dont l'accès est rendu assez
difficile par une « barre » beaucoup moins dangereuse
que celle de Kotonou et des autres points de la côte, mais
assez sensible et quelquefois pénible à franchir pour les
embarcations d'un faible tonnage.
Il se fait à Loango un assez fort transit. C'est là, en effet.
12 AUTOUR DU TCHAD
que les maisons de commerce françaises, hollandaises,
anglaises et portugaises ont leurs entrepôts de marchan-
dises d'échange. C'est là également que sont centralisés
la gomme, Tivoire et le caoutchouc envoyés par les
factoreries de Tintérieur et destinés à être expédiés en
Europe.
Loango est, par suite, le point de départe! le point d'ar-
rivée de nombreuses caravanes : aussi un grand nombre
de villages indigènes, très -peuplés, sont-ils groupés aux
environs des habitations européennes.
Les indigènes des villages côtiers s'adonnent à la pêche.
Ils viennent échanger contre de l'eau-de-vie, des miroirs,
de la bimbeloterie, les langoustes, les crevettes, les soles
et autres excellents poissons qu'ils prennent en très
grandes quantités.
La population proprement dite de Loango est peu inté-
ressante. Elle a emprunté tous les défauts des anciens
traitants portugais, sans en prendre les qualités.
Le Loango peut se défmir ainsi :
Audax, edaXj mendax en,.. aioVy en.., atusque.
On est obligé, même en employant le meilleur latin
d'Ovide, de remplacer certaines syllabes par des points
pour ne pas par trop braver l'honnêteté.
Les Européens ont eu le grand tort de pousser au déve-
loppement de leur penchant à Tivrognerie : aussi la mon-
naie courante du pays est-elle la bouteille d' « aloughou »,
atroce eau-de-vie de pommes de terre que grands ou
petits, hommes ou femmes, absorbent en quantités consi-
dérables.
Les Loangos sont très adroits de leurs mains. Ils
DE PAIU8 A BRAZZAVILLE 13
sculptent très habilement l'ivoire et choisissent générale-
ment des sujets pornographiques. C'est grâce à ce lie adresse
à travailler l'ivoire qu'ils fabriquent de (aux cachets et
arrivent à imiler à s'y méprendre la signature des fonc-
tionnaires ou des négocianis.
Ils appliquent ensuite ces em-
preintes sur des bons de latia
ou des permis de Irauspoil
d'ivoire.
Leurs articles de vaDnerio,
bonnets, bouteilles clissces,
boites, etc., en paille de rliffij-
renles couleurs sont très coquets
cl très patiemment fabriqui'S.
Tous sont de très habilos tail-
leurs, et, détail à noicr, em-
ploient très volontiers la ma-
chine à coudre et le fer a
repasser.
11 n'existe à Loango
aucune industrie sé-
rieuse.
Les petits métiers
dont il a été parlé ne g^j, |og„g„ j„ co=lmne da .liininchc
suflisent pas pour faire
vivre ceux qui les exercent. Aussi le Loango enfant se
place-l-il comme boy, domestique chez les Européens;
adulte, comme porteur dans les factoreries.
Les boys loangos sont certainement d'excellents domes-
tiques à cela près qu'ils sont, quel que soit leur âge, des
14 AUTOUR DU TCHAD
filous émériles et des ivrognes fieffés. Malheur au flacon
d'eau de toilette ou d'alcool camphré oublié par mégarde
hors de vos malles. L'eau la plus pure remplacera bientôt
son contenu qu'un boy altéré aura absorbé sans sourciller.
La corporation des porteurs est fort curieuse à étudier,
elle a fait l'objet de la part de M. Dybowski d'un travail
qui a, je crois, paru dans le journal la Nature.
Il est en effet étrange de voir ces hommes à l'aspect
efféminé, aux membres grêles, en apparence plus aptes
aux travaux de couture qu'aux durs labeurs, effectuer en
vingt-cinq jours le voyage de Loango à Brazzaville, près
de 600 kilomètres avec une charge de 30 et quelquefois
45 kilos sur la tète par des chemins atroces et des tem-
pêtes d'une violence inouïe. L'aller et retour, soit
1200 kilomètres, leur est payé 25 francs.
A l'expiration de leur engagement, boys et porteurs
reviennent à Loango avec leurs économies. Les fatigues et
les ennuis du voyage et de l'absence sont vile oubliés au
milieu des danses et des chants et noyés dans des flots
d'alcool. Us dépensent en un rien de temps leur pécule si
péniblement amassé. Ils le gaspillent à acheter un tas de
futilités sans nom et sans valeur qu'on leur fait payer des
prix exagérés.
Et lorsqu'il ne leur reste plus un centime ils repren-
nent leur collier de misère.
S'ils étaient moins obséquieux, les Loangos paraîtraient
moins antipathiques. Leur type est plutôt agréable, leur
physionomie, avant qu'ils soient complètement abrutis par
la boisson, paraît fort intelligente et diffère sensiblement
de celle des autres nègres. Ils sont aux autres noirs ce
DE PAIUS A BRAZZAVILLE îb
que les « cougbouglis » d'Alger sont aux Arabes de la
campagne.
La chose n'a rien en soi que de très naturel étant donnée
l'hospilaltté plus qu'écossaise qu'ils ne manquent jamais
d'olTrir aux Européens. Leurs aïeules ont fait pendant de
longues années les délices
des Portugais installés à la
côte et la tradition se con-
tinue de nos jours.
La jeune mariée, avant
d'appartenir à son légitime
époux, doit, d'apn-s la cou-
tume, partager la couche
d'un blanc pendant la pre-
mière nuit de noce, il n'y u
pas lieu de s'étonner, par
suite, de retrouver dans les Jj
traits du Loango quelque
chose qui rappelle vague-
' t^' ' P 1 1 g l« m 1 Ile
liient le type européen.
Les Loangos croient à un Êtresupiéme qu ils nomment
je crois, « Zambi ». Celui-ci manifesterait sa coltrc d 1 aide
du tonnerre dont ils n'ont d'ailleurs aucun souci malgré
leur extrême pusillanimité. >< Zambi » du reste est pour
eux tout à fait secondaire. Les félïcheurs, les revenants,
les esprits de toutes sortes les préoccupent bien davan-
tage. Le premier est essentiellement bon, dès lors il n'est
pas dangereux. Les autres, féticbeurs, « Ngangas », sor-
ciers guérisseurs, sont plus dangereux, aussi inspirent-ils
plus de crainte. Ils exploitent la crédulité publique et ne
46 AUTOUR DU TCHAD
dédaignent pas de glisser dans leurs drogues la « cassa »,
sorte de poison très violent pour se débarrasser ou débar-
rasser un ami, d'un parent ou d'un voisin par trop gênant.
Si je suis entré dans des détails aussi étendus sur les
Loangos, c'est d'abord parce que ce sont les sçuls indi-
gènes que l'on emploie pour former les caravanes entre
Loango et Brazzaville. D'autre part c'était surtout parmi
eux que nous comptions recruter notre personnel des
porteurs qui devaient nous suivre pendant toute la durée
de la campagne.
Par suite du peu de ressources que présente la région,
nous dûmes nous mettre résolument à l'œuvre et pro-
céder dès les premiers jours à la réfection de nos colis;
il fallut tour à tour se transformer en menuisiers, ferblan-
tiers, forgerons, enfin faire tout par nous-mêmes.
C'est d'ailleurs le sort qui est réservé à tous les
voyageurs européens dans ces contrées.
Nos miliciens équipés et armés firent quelque peu de
maniement d'armes et des tirs. Malheureusement Bigrel,
qui ressentait déjà les premiers symptômes du mal qui
devait l'enlever en cours de route, ne pouvait donner
tous les soins désirables à leur instruction militaire qui
était absolument nulle. Nous ne pouvions guère le
seconder, étant entièrement absorbés par la confection
des charges et l'organisation des départs de caravanes.
Nos charges, en effet, au nombre de 600, ne pou-
vaient être enlevées en une seule fois.
Ce n'est qu'à grand'peine et grâce à l'obligeance ^de
l'administration et des maisons de commerce, notam-
ment de MM. Beraud et C*% de la C'*» Hollandaise, que
DE PARIS A BRAZZAVILLE 17
M. Dybowski put, à la longue et par petites caravanes,
faire évacuer notre matériel sur Brazzaville.
Vers le milieu de mai, tous nos préparatifs étaient
terminés. Nous étions tous plus ou moins convalescents,
car tous nous avions quelque peu ressenti les atteintes de
la Cikyre. La santé de Bigrel avait des intermittences qui
nous donnaient des inquiétudes. Notre compagnon ne
voulut pas néanmoins rester à Loango pour rétablir sa
santé, il tint à honneur de partir avec nous.
Par une belle après-midi de mai nous quittions la côte
et nous allions camper à « Boukouli M'Bouali », petit
village situé à quelques kilomètres seulement de Loango.
Cette courte étape avait pour but de nous entraîner et de
nous permettre d'étudier Tordre de marche que nous
comptions adopter à Tavenir.
La caravane, outre nos hommes d'escorte, se compo-
sait de cinquante porteurs environ, chargés du matériel de
campement, de nos caisses personnelles, instruments de
précision, des conserves et des charges qui n'avaient pu
être emportées par les précédentes caravanes.
Nos hommes s'en vont puiser de l'eau dans un petit
ruisseau, non loin du village. Au retour quelques jeunes
gens se disant fils de chefs leur réclament le paiement de
cette eau. Nos Sénégalais musulmans ne peuvent com-
prendre pareille exigence. Ils sont indignés, il y a véri-
tablement de quoi, car l'eau est fort abondante dans les
environs. Devant leur attitude, les indigènes se replient
en bon ordre. Il convient de dire qu'ils ont tous quelque
peu travaillé dans les factoreries et savent que les Séné-
galais ont souvent recours aux arguments contondants.
p. Brumache. 2
18 AUTOUR DU TCHAD
Ils se vengent sur nous en nous vendant quatre fois
leur valeur deux misérables poules et quelques œufs.
Le lendemain, à la pointe du jour, nous quittons ce
village peu hospitalier pour aller camper non loin d'une
petite rivière nommée « N'iombo ».
Une troisième journée de marche, longue et pénible,
nous fait atteindre la lisière de la forêt du « Mayombe ».
Jusque-là nous étions en quelque sorte dans la ban-
lieue de Loango et le voyage pouvait presque être consi-
déré comme une promenade en pays agréable, tantôt sur
un plateau, tantôt en pays accidenté, mais d'un accès des
plus faciles, et à travers des villages offrant encore quel-
ques ressources aux voyageurs.
Désormais, les villages devenaient plus rares, plus
pauvres et la région difficile au delà de toute expression.
Je ne raconterai pas, étape par étape, notre voyage à
travers la forêt du Mayombe : elle a été mainte fois
décrite, mais aucune description à mon humble avis ne
peut rendre l'impression poignante qui s'empare du
voyageur lorsqu'il pénètre sous ce dôme épais et sombre
que le soleil parvient rarement à percer.
Après mes lectures, après les récits des agents de la
colonie qui ont traversé cette forêt, j'appréhendais de
Taborder, redoutant une désillusion pénible. Je suis
obligé de reconnaître que les exagérations les plus méri-
dionales (et il s'en trouve au Congo comme ailleurs)
étaient de beaucoup au-dessous de la vérité.
Pendant toute la durée dti voyage en forêt on est
étourdi devant le kaléidoscope qui se déroule devant
vous à chaque pas.
DE PARIS A BRAZZAVILLE 19
On est « abruti de grandiose », comme le disait un
peu familièrement, mais fort justement, l'un de nous.
Mais hélas! tout se paie en ce bas monde, même les
spectacles offerts par la nalure : ce n'est, en effet, qu'au
prix de difficultés sans nombre, de fatigues considérables
que l'on circule dans le Mayombe.
Outre les obstacles naturels, qui agrémentent le tableau
au détriment de la circulation, nous avons encore à subir
les conséquences de la pluie. La terre argileuse est
fortement détrempée; les malheureux porteurs enfoncent
jusqu'à mi-jambes dans une boue épaisse et grasse. Ils
ont toutes les peines du monde à placer un pied devant
l'autre et trébuchent à chaque pas. Les chutes sont fré-
quentes; elles sont en outre fort dangereuses à cause de
la raideur des pentes hérissées de roches aiguës et de
buissons épineux.
Les porteurs, gens peu charitables même à l'égard de
leurs compatriotes et de leurs compagnons de voyage, ne
songent pas à rire de celui d'entre eux qui, tout penaud,
remonte péniblement du fond d'un ravin où il a suivi sa
caisse, bien involontairement du reste. Le pauvre homme,
couvert d'une épaisse couche de boue jaunâtre, grimace
outrageusement et pousse des hurlements qui seraient du
plus haut comique s'il n'avait les mains et la figure cou-
vertes de meurtrissures.
L'ascension du mont « Foungou », il faudrait dire
l'escalade, est un véritable tour de force. Le malheureux
Bigrel qui marche en tète de la colonne arrive longtemps
avant nous sur le sommet où souffle une bise aiguë et
cinglante; il est en transpiration et comme il ne possède
20 AUTOUR DU TCHAD
ni briquet ni allumettes pour faire du feu et se sécher, il
reste ainsi à nous attendre grelottant sous la pluie péné-
trante.
Le soir, il était torturé par une violente toux et,
pendant la nuit, la fièvre se déclara plus violente que
jamais. Enfin, après de nouveaux efforts, nous sortons de
la forêt du Mayombe.
Les quelques villages traversés ne présentent aucune
parlicularilé bien saillante. Ils sont généralement édifiés
dans des clairières, bien construits et entretenus dans un
réel étal de propreté, malgré la présence de porcs
hideux, hauls sur pattes, à la robe d*un roux sale., d'une
maigreur cadavérique, qui errent en liberté à la recherche
d'une nourriture fort problématique. Les constructions
sont à la fois légères, solides et élégantes, les matériaux
employés se prêtent d'ailleurs à un travail coquet. La
charpente, faite avec des arbres très droits que Ton
croirait équarris par un habile ouvrier, est recouverte
de chaume coupé très régulièrement. Les parois aux
dessins variés sont faites avec les tiges d*un palmier
improprement appelé « bambou » par les Européens et
qui est, je crois, le palmier « élaïs ».
J'ai retenu le nom du village de « Doumanga » à
cause de sa jolie situation et surtout parce que son chef
est parvenu à nous dérider un peu en se présentant à nous
le chef orné d'un superbe bolivar et vêtu simplement
d'une courte vareuse de matelot qui lui recouvrait, de
temps à autre, ce que du reste il n'avait aucunement
l'intention de cacher. La coupe de sa barbe et son énorme
pipe mériteraient une mention spéciale.
^ [leacente dus la [ont du Mayoïnhe.
DE PARIS A BRAZZAVILLE 23
A notre sortie du Mayombe, nous prenons une journée
de repos bien gagnée, ma foi !
Je dois reconnaître que nous nous exagérions un peu
les difficultés surmontées, les fatigues endurées; il est
vrai de dire qu*elles nous paraissaient d'autant plus sen-
sibles que nous les subissions dès le début de notre mise
en route. Néanmoins nous avions eu quelques compen-
sations. D^abord le spectacle qui, après tout, avait bien
son charme, puis Timprévu, enfin nous avions à satiété
les fruits les plus délicieux, ananas, papaïes, mang-ues,
bananes de toutes • qualités, etc., sans oublier la mo-
deste arachide qui, préparée avec des œufs et du lait,
servait à la fabrication de massepains fort appréciables,
surtout après une longue étape.
Enfin, chacun avait eu le loisir de s'occuper selon ses
goûts et les fonctions qui lui étaient dévolues. Il avait
été possible de faire quelques levés à la boussole, relever
quelques points. Les botanistes avaient fait une récolte
des plus abondantes, ils avaient eu également le bonheur
de constater en grande quantité la présence de la vanille
et de la gomme copal dans cette région où on considérait
ces produits comme totalement inconnus.
Nos chasseurs noirs avaient apporté une telle quantité
de pièces rares que Chalot, ne pouvant suffire à la prépa-
ration de ces magnifiques sujets, avait dû s'adjoindre deux
Sénégalais, qui devinrent en peu de temps d'excellents
préparateurs naturalistes.
Nous reprenons notre route, cette fois on peut bien
employer ce mot, car jusqu'à Loudima à peu de chose près
la piste a été à peu près aménagée par les agents de
24 AUTOUR DU TCHAD
l'Administration. Ce n'est peut-être pas le suprême du
genre, mais avec les moyens dont dispose l'autorité locale,
on ne peut cependant pas exiger une route nationale.
Les ponts, par exemple, laissent à désirer, ils consistent en
un tronc d'arbre couché en travers du cours d'eau et il
faut, pour se servir de cette passerelle un peu sommaire,
déployer de véritables talents d'équilibriste.
Le quatorzième jour après notre départ de Loango, nous
atteignons le poste de « Loudima », situé au coniluent de
la rivière de ce nom et du Niari. Ce point portail il y a
quelques années le nom de « Stephanievillc », bien qu'il
n'y existât qu'une ou deux cases délabrées. Il nous fut
cédé à la suite d'une convention intervenue entre la France
et l'État indépendant du Congo.
Nous traversons la Loudima sur un bac manœuvré par
un noir et nous pénétrons dans la cour d'un poste, magni-
(iquemeut installé, après avoir suivi une allée, tracée au
milieu de superbes plantations, et bordée de citronniers
couverts de fruits.
MM. Renault et Vadon, chargés du poste, ont su tirer
un parti immense des ressources de la région. Les légumes
et les fruits indigènes cultivés en grand dans leurs
immenses plantations alimentent leur table et remplacent
avantageusement les produits d'Europe, dont l'acclimata-
tion est toujours aléatoire.
On remarque dans les écuries de « Loudima » des
unes et un cheval en parfait état d'entretien. Doit-on en
conclure qu'il sera facile d'élever les animaux de cette
espèce dans la région et d'opérer, dans la suite, une véri-
table révolution dans les moyens de transport? Je n'oserai
DE PARIS A BRAZZAVILLE 25
pas raflirmer. Ces animaux sont des « sujets », ils ne font
absolument aucun travail, sont Tobjet de soins intelligents
et de tous les instants. On leur donne une nourriture
abondante et spéciale; il ne serait peut-être pas aussi
facile de faire suivre un pareil régime à une plus grande
quantité de ces bêtes de somme qui, je le crains, ne résis-
teraient pas à une grande fatigue. Néanmoins Texpérience
est tentée sur une trop petite échelle et dans des conditions
trop spéciales pour qu'il soit permis de se prononcer en
complète connaissance de cause. Cependant il y a lieu de
remarquer que, pour ces animaux de même que pour cer-
taines espèces de la race ovine, on peut, avec beaucoup
de soins, obtenir des résultats fort appréciables.
L'état de Bigrel devenant de jour en jour plus alarmant,
il serait imprudent de lui laisser continuer le voyage. Le
pauvre garçon conserve encore sur sa santé des illusions
que personne ne partage plus. Il voudrait pousser jusqu'à
Brazzaville; nous ne pouvons y consentir, ce serait lui
enlever les quelques rares chances de guérison qui peu-
vent lui rester.
MM. Renault et Vadon qui, déjà, l'entourent de soins
dévoués, joignent leurs prières aux nôtres et noire mal-
heureux compagnon consent enQn à rester à Loudima.
Nous ne devions plus le revoir.
En quittant Loudima, nous pénétrons dans le pays des
« Bassoundis ». Cette région est beaucoup moins boisée
que celle précédemment parcourue.
Ce ne sont plus ces immenses coupures, ces pentes
abruptes ni ces marais couverts de végétation et d'un
fouillis inextricable de lianes ou de racines. A une
26 AUTOUR DU TCHAD
immense plaine herbeuse, succèdent une série de petils
plateaux recouverts de roches ferrugineuses, puis quelques
ondulations peu accentuées et enfm une succession de col-
lines chauves, arides et d'un ton roussâtre, assez sem-
blables à celles de certains points d'Algérie.
Le chemin dans les grandes herbes est assez énervant.
11 ne faut pas songer à admirer les beautés du paysage, car
les herbes qui bordent les deux côtés du sentier mesurent
deux et trois mètres de hauteur. On se livre pendant de
longues heures à la contemplation des épaules du porteur
qui vous précède, et quand on est lassé du spectacle de
cet horizon passablement borné on a la ressource de fixer
la pointe de ses propres chaussures; passe-temps sinon
agréable, du moins utile, car on peut ainsi éviter les nom-
breuses branches qui obstruent la route et font fréquem-
ment trébucher le rêveur parti, en songe, auprès de ceux
qui sont là-bas en France.
De temps à autre une éclaircie nous permet d'admirer
les courbes gracieuses et les rives verdoyantes du « Niari »,
dont nous suivrons la rive gauche depuis Loudima jusqu'à
Bouenza.
Les villages sont toujours fort propres, toujours alignés
au cordeau. Contrairement à l'avis des spécialistes, j'estime
que les cultures sont bien entretenues et il serait à sou-
haiter que les indigènes d'Algérie prissent autant de soin
de leurs champs. Si les compliments d'un profane peuvent
être agréables aux ménagères travailleuses qui s'occupent
des travaux dans ces régions, je leur accorde les miens
sans restriction.
Nous fûmes reçus au poste de « Bouenza » par M. Dol,
DE PAIIIS A BRAZZAVILLE 27
qui nous oiïriirhospilalilé la plus cordiale. Ce poste devait
être fori bien tenu quelque temps auparavant, mais le
titulaire avait reçu avis que ce point allait être abandonné
incessamment et il faisait ses préparatifs de départ.
Le pays u Babembé », dans lequel nous pénétrons après
« Bouenza » , semble plus sauvage que celui précédemmenL
ipavcpsé. Les habitants paraissent plus lourds, plus
forouches que les Bassoundis, le paysage moins agreste et
plus hirsute.
Le 9, aprûs une journée de marche forcée, nous attei-
gnons le poste de Gomba. C'est M. Raymond qui l'occupe.
M. Uzac, chef de poste de Brazzaville, qui rentre en France
et a quitté sa résidence depuis trois jours seulement, nous
apprend le désastre de la mission envoyée par M. de
Brazza dans U haute Sangha. M. Fourneau, qui la diri-
geait, a dû se replier sur les postes de l'Oubangui, après le
massacre de l'un de ses compagnons, M. Thiriet. M. Blom,
28 AUTOUR DU TCHAD
un autre de ses collaborateurs, grièvement blessé, retarde
la retraite.
Nous nous expliquons maintenant la cause de l'agitation
manifestée ce malin par nos porteurs, après que nous
eûmes croisé une caravane venant de Brazzaville et avec
laquelle nos hommes ont conversé pendant quelque temps.
Ils connaissent l'événement et, comme les porteurs de la
mission Fourneau étaient des Loangos, il y a bien des
chances pour que les nôtres refusent de nous suivre.
Le lendemain, le départ de Comba n'est marqué par
aucun incident; nous faisons même une assez bonne étape,
presque en bon ordre, car nous surveillons notre caravane.
Nous installons notre campement auprès du chemin et
contre un coteau verdoyant. Au petit matin, nous consta-
tons la disparition de quelques-uns de nos porteurs. Pen-
dant que nous avisons aux voies et moyens d'alléger notre
caravane, afm de pouvoir atteindre au plus tôt Brazzaville,
nous voyons arriver un jeune Européen accompagné d'un
certain nombre de Loangos qui ne portent aucune charge.
Nous faisons connaissance : notre compatriote se nomme
M. Emile Briquez. Il est depuis peu agent de la colonie
et se rend également à Brazzaville. Il nous prêtera ses
hommes disponibles et nous ferons route ensemble. Le
malheur est momentanément évité.
Il ne fallait pas songer à atteindre nos déserteurs. ■ —
Nous quittons le campement au point du jour. Nous avions
causé toute la soirée avec Briquez et nous continuons
notre entrelien à l'arrivée à l'étape. Au bout de peu de
temps, il est facile de se convaincre que Briquez réunit
toutes les conditions voulues pour collaborer utilement à
DE PARIS A BRAZZAVILLE 29
noire œuvre, C'esl un garçon énergique et froid, mais
aussi très doux el très jusle dans ses rapports soil avec
nos hommes, sotl avec les indigènes. 11 se montre très dis-
posé à nous accompagner. Il est à souhaiter que ses chefs
y consentent.
Le 17, après avoir franchi le Djoué, nous cheminons
pendant plusieurs kilomètres sur une voie qui rappelle
assez volontiers une route carrossable. Encore quelques
enjambées et nous allons apercevoir Brazzaville, Tout le
monde se hâte, car ainsi, d'ailleurs, que le nom permet de
le supposer, chacun s'attend à voir, sur la rive française du
Pool, une cité importante où il sera possible de se procurer
certains objets, de compléter un équipement un peu som-
maire par suite d'un départ par trop précipité.
Il n'en est pas ainsi : lorsque le dernier coude de lu
route est franchi, alors qu'on aperçoit d'abord le mât de
pavillon du poste, puis les quelques cases de l'Administra-
30 AUTOUR DU TCHAD
lion, on est obligé de se convaincre que la grande ville
rêvée atteint à peine les proportions d'un modeste village
de France.
Qu'importe, d'ailleurs? la mauvaise impression est vite
dissipée par l'accueil sympathique et des plus aimables
qui nous est fait par M. À. Dolisie, administrateur principal
de Brazzaville et dépendances, et par M. Paul Dolisie, son
frère, chef de la station.
il
CHAPITRE II
DE BRAZZAVILLE A BAIVGUI
Séjour à Brazzaville. — Le Congo, Lirranga, l'Oubangui; anthropo-
phages. — N'gombés, les forges, les Bondjios. — Mozzakka. —
Bangui.
Pendant plus d'un mois nous fûmes les hôtes de
M. Dolisie. Les missions Dybowski et Maistre doivent lui
être particulièrement reconnaissantes de Tempressement
qu'il a apporté à faciliter leur mise en route et du con-
cours dévoué qu'il n'a cessé de prêter à leur œuvre de loin
comme de près.
Bien qu'il soit tout jeune encore, M. Dolisie est un des
plus anciens collaborateurs de Brazza. Il connaît les
hommes et les choses du Congo et de Tintérieur. C'est un
des premiers Français qui sont montés à Bangui, à l'époque
où une expédition de ce genre était extrêmement péril-
leuse. M. Dolisie a beaucoup vu, sainement vu et surtout
beaucoup retenu. Chose assez rare, en notre égoïste fin de
siècle, il n'est heureux que lorsqu'il peut faire profiter les
« jeunes » de son expérience acquise au prix de rudes
souffrances, de chavirages des plus dangereux, tant sur
32 AUTOUR DU TCHAD
rOgooué que sur le Congo, TOubangui et leurs affluents,
et surtout de blessures des plus sérieuses dont il n'est pas
encore entièrement remis.
Nous eûmes par lui des renseignements précieux sur les
régions du haut Oubangui. Enlin, c'est encore à son obli-
geance que nous devons d'avoir eu les porteurs qui nous
étaient nécessaires, alors que tous les nôtres s'étaient
enfuis, comme on le verra plus loin.
II ne faudrait pas juger de l'importance de Brazzaville
par le petit nombre d'habitations qui existent sur ce point.
Placé entre la tribu des « Balékés » et celle des
« Balalis », indigènes très commerçants, sur les bords du
« Stanley-Pool », immense lac formé par le Congo, ce poste
est le port d'attache des nombreuses chaloupes à vapeur,
appartenant aux maisons françaises et hollandaises, qui sil-
lonnent le Congo, rOubangui, la Sanghaet leurs affluents,
pour drainer Tivoire, le caoutchouc, la gomme, elc.
Quoi qu'on en dise, l'importance de Brazzaville ne pourra
que s'accroître. La création de nouveaux postes et de fac-
toreries dans l'intérieur, loin de lui nuire, poussera acti-
vement à son développement, aussi bien au point de vue
commercial qu'administratif.
De toutes façons les maisons de commerce seront obligées
de conserver là des entrepôts et des ateliers et, en raison
même de l'extension des territoires, Brazzaville, par sa
situation, restera toujours un important centre adminis-
tratif.
Point terminus des routes de caravanes, très probable-
ment avant longtemps d'une voie ferrée, ce poste est éga-
lement le point initial de la navigation fluviale.
DE BRAZZAVILLE A BANGUI 33
Dans de semblables conditions, son avenir ne paraît
pas le moins du monde inquiétant.
Les « Balalis » et les « Batékés » des environs de
Brazzaville font peu de culture, mais ce sont d'habiles
traitants. De mœurs en apparence assez douces, ils ont
la physionomie de placides commerçants. Ce sont cepen-
dant de rudes et hardis voyageurs. De même que nos
« Kabyles » d'Algérie, ils partent avec leurs pacotilles de
provenance européenne, seuls ou par petits groupes, sou-
vent à pied, d'autres fois en pirogues, et se répandent dans
rintérieur. Ils restent de longs mois absents, circulant à
travers des régions perdues, au milieu de populations
féroces et guerrières. Ils reviennent souvent fort malmenés
par celles-ci, mais toujours avec un sérieux stock d'ivoire,
car c'est particulièrement ce produit qui est l'objet de leurs
investigations. « Les arbres qui produisent la gomme et le
caoutchouc, disent-ils, sont en abondance dans le pays,
ils repoussent quand on les coupe, tandis que l'ivoire dis-
paraîtra un jour de nos régions; il faudra aller le chercher
trop loin : c'est pourquoi nous recherchons les bonnes
occasions qui se font de plus en plus rares. » On ne s'en
douterait pas à en juger d'après les énormes quantités
exposées sur l'important marché de « M'pila », près de
Brazzaville.
C'est là que s'établissent « les cours »; les Batékés, il
faut le reconnaître, savent « tenir leur prix ». Il est vrai
qu'il est avec les évaluations en marchandises euro-
péennes de sérieux accommodements.
Celles qui ont cours varient suivant les besoins de
chacun, le goût du jour et une foule de circonstances
p. Brunache. 3
34 AUTOUR DU TCHAD
imprévues, qui font que tel article très recherché aujour-
d'hui est démodé au bout de peu de temps, et impitoya-
blement refusé, môme à tilre de cadeau. Il en est d'ailleurs
de môme dans toutes les régions que nous avons par-
courues. C'est ce qui fait que Ton ne peut conseiller au
voyageur de prendre telle marchandise de préférence à
telle autre.
La monnaie la plus employée dans les transactions est
la « barrette », appelée aussi « mitako ». Ce sont de petites
barres (de là leur nom, sans doute) de laiton de 4 milli-
mètres de diamètre et de 30 centimètres de longueur
environ. Elles ont cours jusqu'à Lirranga concurremment
avec les étoffes, le lil de « chang », sorte de ressort à bou-
din en laiton, et certains ustensiles, notamment les bou-
teilles, qui ont une grande valeur à Likouba.
Pendant que M. Dybowski déploie une activité fébrile en
vue d'organiser des réjouissances à offrir aux nègres des
environs, à l'occasion du 14 juillet. Briquez ne perd pas
son temps. Grâce à sa patience et aussi à sa fermeté, l'es-
crime à la baïonnette et l'école de tirailleurs n'ont plus
de secrets pour les Sénégalais d'escorte. Il faut reconnaître
que nos malandrins de Dakar ne font pas trop mauvaise
figure sous le « harnois » militaire, qui semblait, de prime
abord, si peu fait pour eux. Il est vrai de dire que notre
nouveau camarade Briquez ne plaint ni son temps, ni sa
peine. Chalot herborise et les chasseurs noirs enrichissent
tous les jours les collections. Pour mon compte, je suis
complètement absorbé par la revision de nos charges, qu'il
faut réduire de 600 à 30. C'est, à l'heure actuelle, le
nombre de porteurs sur lequel nous pouvons compter.
DE BRAZZAVILLE A BANGUl 35
En effet, à la suite de Tarrivée de M. Pondère, qui venait
de Bangui et nous apportait de mauvaises nouvelles de la
mission Crampel, et surtout au retour de M. Fourneau, qui
rentrait, blessé, de la Sangha, ayant perdu un Européen
et bon nombre de Loangos, tous nos porteurs, boys com-
pris, avaient déserté. Ils étaient passés en territoire belge
et toutes les recherches en vue de les retrouver furent
infructueuses. Nous nous trouvions dans une fâcheuse
situation, car il ne fallait pas compter recruter de porteurs
dans le pays et, s'il nous eût fallu aller en chercher à la
côte de Krou, Tannée se serait passée en allées et venues
inutiles.
Par une heureuse coïncidence, M. Dolisie a libéré il y
a quelque temps environ 50 hommes du haut Kassay, des-
tinés à être vendus comme esclaves. Sur ce nombre, les
plus fortunés ont gagné Saint-Paul de Loanda, d'autres
ont pris du service dans les factoreries, les trente derniers,
dénués de tout, se sont loués comme manœuvres à TAdmi-
nistration. M. Dolisie veut bien nous les confier pour la
durée de leur engagement, qui est de deux ans. Ces trente
malheureux, aujourd'hui rentrés chez eux, ne se doutent
pas qu'ils ont contribué pour une grosse part au succès
des missions Dybowski et Maistre.
Le 14 juillet, au moment où nous allions prendre notre
repas. Monseigneur Augouard, évoque de Brazzaville, vient
au poste et demande à s'entretenir avec M. l'Administra-
teur. Il a, dit-il, une communication importante à lui faire.
Peu de temps après, nous connaissions la triste vérité, que
Nebout , désormais l'unique survivant de la mission
Crampel, nous confirmait le lendemain, à son arrivée.
36 AUTOUR DU TCHAD
Hélas! il n'y avait plus à douter, Crampel, Biscarrat, Lau-
zièrcs, Orsi, Saïd, tous ces hardis jeunes gens avaient
succombé les uns sous le couteau des assassins, les autres
minés par la maladie. Nebout lui-même ne devait son salut
qu a un hasard providentiel.
Par suite du manque de porteurs et de Timpossibilité
matérielle de s'en procurer dans le pays, Crampel avait
dû diviser ses forces. Nebout avait installé son camp-
entrepôt chez le chef dakoa, Zouli, près de la rivière
Zanvouza, tandis que Biscarrat en établissait un dans les
environs du pic et du village de « Makorou », qui, à mon
avis, n'est autre que le « Kaga-Kourou » de certaines
cartes.
De son côté, Crampel, avec cette foi et cette énergie
dont il ne s'est jamais départi, s'était avancé vers le Nord,
poussé par cette idée fixe qu'il allait bientôt trouver des
musulmans, avec lesquels il pourrait entrer en relations et
qui lui procureraient des botes de somme. Ce qui eût été
le salut de la mission. Il avait avec lui Lauzières, Saïd, le
targui Ischekkad Ag-Bali et quelques hommes d'es-
corte.
Le 21 mars, Nebout reçut des nouvelles du chef de la
mission, il avait atteint non sans difficultés un point
nommé « El-Kouti », situé à 500 kilomètres de la rive de
rOubangui. Il lui annonce Tarrivée prochaine d'une équipe
de porteurs sous la conduite de M. Lauzières, et lui donne
quelques renseignements sur les populations au milieu
desquelles il se trouve.
Ce sont des noirs musulmans, groupés autour d'un chef
qui paraît assez influent et reconnaît la suzeraineté du
DE BRAZZAVILLE A BANGUl 37
Ouaddaï. Il se nomme Snoussi et ses gens sont désignés
par les fétichistes sous le nom de Snoussous *.
Bien reçus dès le début, Crampel et ses compagnons
eurent ensuite de sérieuses difficultés pour se procurer le
peu de vivres nécessaire à leur alimentation. Lauzières part
enfm, accompagné de quelques porteurs, mais, affaibli par
le régime de privations que la petite troupe endurait depuis
quelque temps, il meurt à son arrivée à « Makorou ».
Après son départ, Ci-ampel n'avait plus auprès de lui que
les deux Algériens et douze hommes porteurs ou Séné-
galais. Par suite de désertions, il n'en comptait bientôt
plus que la moitié.
La disette se faisait de plus en plus sentir. Les rela-
tions avec les musulmans étaient toujours en apparence
excellentes, mais les porteurs et les bétes de somme pro-
mises n'arrivaient pas.
Nebout se rapprocha du campement de Biscarrat. Il
était alors dans la tribu des N'gapoux, près du village du
chef Yabanda, lorsqu'il reçut de son camarade une lettre
alarmante; il avait fait diligence et envoyait chaque jour
de petites caravanes chargées de matériel que Biscarrat
faisait à grand'peine parvenir à Crampel.
Nebout n'avait plus avec lui que huit Sénégalais, mais
en présence de renseignements que lui donnaient les indi-
gènes, il résolut de se porter auprès de Biscarrat, dont
le campement était à quelques journées de marche. Les
1. Ces deux appeUalions ont fait supposer, à tort selon nous,
que les musulmans d'El-Kouti appartenaient à la secte importante
des « Snoussias ». On a attribué le meurtre de Crampel à des raisons
ou religieuses ou politiques, alors qu'il s'agissait, ainsi que nous le
verrons plus loin, d'un assassinat suivi de vol.
3S AL'TOUU DU TCHAD
N'gapoux en effet lui disaient qu'ils avaient appris de
source certaine le meurtre de Crampel et le chef Yabanda
manifestait des inquiétudes sur le compte de Biscarrat.
Il n'y avait pas à hésiter, la marche en avant fut décidée
pour le lendemain.
Ici je cède la parole à mon ami Nebout :
« Le 24, à cinq heures, je quitte le village de Yabanda
avec le reste du bagage. Nous avançons rapidement et,
le 26, j'étais déjà près de Makorou, quand à 2 heures je
vois venant à notre rencontre le bassa Thomas, cuisinier
de M. Biscarrat. Il me raconte aussitôt que la veille, à
huit heures du matin, les hommes de Snoussi avaient
assassiné M. Biscarrat. Je l'interroge, et j'apprends les
événements terribles que je me refusais de croire : la
mission détruite, puis la mort de mon camarade.
« Le 23, un jeune Loango, nommé Bouiti, domestique
de M. Saïd, était venu se réfugier à Makorou. 11 venait
d'El-Kouti et apprenait à M. Biscarrat l'assassinat de
M. Crampel.
« Peu après que notre chef, décidé à aller chez le
sultan, eut écrit la lettre qui m'annonçait son départ, et
l'eut confiée au targui Ischekkad, il fut appelé dans le
village par Snoussi. 11 s'y rend, accompagne de Saïd.
Frappés traîtreusement à coups de couteau, ils sont
achevés à coups de fusil, puis dépouillés de leurs vête-
ments. Les corps, entièrement ouverts, sont entraînés
dans la brousse par les assassins et abandonnés là. Le
domestique Bouiti est fait prisonnier. Ischekkad, courant
au village au premier coup de feu, est saisi et enchaîné.
Les Sénégalais Demba-Ba et Sadio veulent prendre leurs
DE BRAZZAVILLE A BANGUl 39
fusils, mais tombent frappés avant d'avoir pu en faire
usage. Les porteurs sont enchaînés. Ali-Diaba s'empare
de la lettre remise à Ischekkad.
« Après plusieurs jours de captivité, Bouiti parvient à
s'échapper et à gagner Makorou, où il apporte la nou-
velle de ces crimes. Il prévient aussi M. Biscarrat qu'une
nombreuse troupe de musulmans armés est cachée non
loin de là.
« M. Biscarrat cache Bouiti dans sa propre case et lui
recommande de ne pas sortir, afin de n'être point aperçu
des hommes de Snoussi.
« Les Sénégalais, apprenant ces événements, viennent
demander à leur chef de surprendre et d'attaquer ces
bandits; mais M. Biscarrat leur répond que ce serait folie
de vouloir avec dix hommes attaquer plusieurs centaines
de guerriers armés de fusils et possédant des carabines
prises au camp d'EI-Kouti. Il les force, au contraire, de
ne pas paraître se tenir sur leurs gardes, afin de ne pas
éveiller les soupçons des musulmans, dont le plan devait
être d'attendre mon arrivée avec les dernières marchan-
dises.
« Dans la nuit du 24 au 25, Bouiti sort un instant.
Il est aperçu des musulmans. Mon arrivée était immi-
nente, aussi sans plus tarder ils précipitent les événe-
ments.
« Le 25 mai, vers huit heures du matin, ils s'approchent
au nombre d'une vingtaine de la case de M. Biscarrat,
tandis que le reste des hommes d' Ali-Diaba se dirige vers
les Sénégalais. Avant que M. Biscarrat eût pu se mettre
en défense, il tombait frappé d'un coup de couteau au
40 AUTOUR DU TCHAD
côté gauche par ua N'gapou, le seul qui ait pris part à
cette affaire. Puis les musulmans, tirant aussitôt, criblent
de coups le corps de notre camarade. En même temps, les
Sénégalais sont entourés et leurs fusils accrochés dans les
cases sont enlevés. Seul le clairon Sidi-Sliman, qui allait
partir pour la chasse, avait son fusil près de lui; il se
lève, en voyant tomber son chef, mais il est terrassé
sans avoir pu faire feu. De tous côtés arrivent des
bandes armées qui entourent le camp. Bouiti cherche à
s'enfuir, mais il est tué aussitôt. André Loemba, boy de
M. Biscarrat, peut se jeter dans la brousse, mais du côté
opposé au chemin. 11 a disparu. Les Sénégalais ne sont
pas enchaînés. Au contraire, les musulmans les traitent
avec considération. « Bestez avec nous, leur disent-ils,
« nous vous rendrons vos fusils et vous donnerons des
« femmes ; nous ne voulons aucun mal aux noirs, mais nous
« voulons tuer les blancs. Quand le dernier sera tué, nous
« retournerons avec les marchandises, et vous serez libres
« comme nous. » Thomas, sur la promesse de ne pas s'en-
fuir, est laissé en liberté. Vers cinq heures du soir, i\
s'approche des Sénégalais et les exhorte à fuir avec lui.
« Nous sommes des soldats, lui répondirent-ils, nous ne
« partirons que si nous pouvons recouvrer nos fusils; nous
« aurions honte de retourner désarmés. » Thomas se jette
alors dans la brousse. En arrivant à une rivière qui coupe
le chemin, à deux heures de Makobou, il aperçoit une
troupe qu'Ali-Diaba avait envoyée pour surveiller la route
du côté où j'étais attendu. Tous étaient déjà armés de
carabines Gras et de fusils Kropatchek pris à El-Kouti et
à Makorou. Thomas se cache, puis vers minuit, quand
DE BKÂZZAVILLE A BANGUi 41
ces gens furent rentrés à Makorou, il poursuit sa route et
ne s'arrête que le lendemain, à notre vue.
« Quand le Bassa eut fini de me conter cet épouvantable
drame, je rassemblai mes huit Sénégalais et leur demandai
s'ils voulaient me suivre à Makorou. « Mes amis sont
« morts, leur dis-je, vos camarades sont prisonniers, voulez-
« vous venir les venger, les délivrer ou partager leur sort?
« Je pourrais vous forcer, mais un soldat se bat mal s'il ne
« le fait pas de bon cœur. Je vous laisse libres de prendre
« une résolution. Pour moi je serais heureux d'aller en
« avant. »
« Ils se concertent et, dix minutes après, me disent
qu'ils sont trop peu nombreux et veulent retourner dans
la rivière (l'Oubangui); que, cependant, si je Tcxige, ils
me suivront et qu'alors ils sauront mourir.
« En dehors des Sénégalais, la caravane se composait
de cinquante-sept porteurs, dont trente-deux armés. Beau-
coup suivent avec peine, blessés par une longue marche.
« Le 28, nous sommes de retour au village de Yabanda,
et le 4 juin sur les bords de l'Oubangui.
« Les assassins restaient maîtres de tout le matériel et
de tout l'armement de la mission. »
Le récit de Thomas était trop net, trop précis, trop
complet pour pouvoir être mis eu doule. D'ailleurs Nebout
connaissait le Bassa échappé d'El-Kouti, il savait qu'il
n'était ni poltron ni vantard et que l'on pouvait avoir plei-
nement confiance en lui dans cette circonstance. Néanmoins,
nous ne pouvions nous faire à cette idée que Crampel
n'était plus. D'autre part, il nous restait encore l'espoir de
pouvoir encore retrouver ses restes, des documents, des
42 AUTOUR DU TCHAD
indices qui nous auraient mis sur la trace de ses assas-
sins.
Nebout accepte de remonter avec nous si nous allons
dans la direction d'El-Kouti.
C'est évidemment notre devoir I Aussi sommes-nous
quelque peu étonnés quand M. Dybowski nous annonce que
les conditions sont changées, qu'il nous « délie » de nos
« engagements » et qu'il nous est loisible de rentrer en
France! Nous avions accepté du Comité de l'Afrique fran-
çaise la mission de conduire des renforts à Crampel : ce
n'était certainement pas au moment où notre devancier
avait peut-être le plus impérieux besoin de ces renforts
que nous allions abandonner l'œuvre.
11 fut décidé que je partirais en avant avec quelques
hommes d'escorte, les trente porteurs kassaïs et les mar-
chandises que pourrait prendre la première canonnière en
partance.
M. Dolisie nous avait souvent parlé de plusieurs rivières
affluents de rive droite de l'Oubangui, encore inexplorées,
et qui pourraient peut-être, suivant la direction de leur
cours et leur étal de navigabilité, simplifier sérieusement
notre voyage, en nous permettant d'effectuer en pirogue
une grande partie de la distance qui sépare l'Oubangui
d'EI-Kouti.
L'Administrateur de Brazzaville engageait vivement
notre chef à visiter les rivières « M'poko », « Ombella »
et « Kemo ». M. Dybowski ne pouvait encore quitter
Brazzaville. Il comptait pouvoir se procurer de nouveaux
porteurs et, en outre, donnait tous ses soins à un envoi de
collections destinées au Muséum.
DE BRAZZAVILLE A BANGUl 43
Je reçus donc mission d'aller explorer les rivières
« Ombella » et « Kemo », tandis que Nebout partirait un
peu plus lard pour visiter la « M'poko ».
Le 30 juillet, six jours après la réception de la nouvelle
du massacre de la mission Crampel, je m'embarquais à
bord de la canonnière Djoué, MM. Bobichon et de
Brégeot, chefs de poste, devaient également faire route
avec moi jusqu'à Bangui. Le Djoué emportait en outre
150 charges, 21 Sénégalais d'escorte et 30 kassaïs.
Quoi qu'on en puisse dire, le voyage de Brazzaville à
Bangui, à bord d'une canonnière, n'a rien de désagréable.
Certes on est loin d'avoir le confortable et l'on est quel-
quefois heureux d'avoir le strict nécessaire, mais en somme
on sait à quoi Ton s'expose en venant dans ces régions où,
grûce à Dieu ! « l'Agence Cook » n'a pas encore pénétré
et où les « sieeping-car » ne sont pas près de faire leur
apparition.
La première journée de navigation n'est peut-être pas
la plus intéressante, mais c'est celle qui laisse l'impression
la plus vive. On peut donc admirer à loisir! Plus de ces
horribles racines qui font trébucher à chaque pas et vous
obligent à négliger le paysage pour ne vous occuper que
du chemin. Maintenant, mollement assis, vous regardez
tout à votre aise le merveilleux panorama qui se déroule
devant vous. Dans le canot en fer amarré bord à bord, le
groupe des porteurs et des Sénégalais ne manque pas d'un
certain pittoresque. L'embarcation est pleine à couler; de
temps à autre, le remous fait embarquer d'immenses
paquets, dont nos hommes ne se soucient pas plus que du
soleil de plomb qui darde sur leurs têtes.
44 AUTOUR DU TCHAD
Empilés les uns sur les autres, ils vaquent quand même
à quelques menus travaux.
Un Sénégalais nettoie ses armes; son. voisin, sous pré-
texte d'ajuster son pantalon d'uniforme, le rétrécit au point
de le transformer en maillot dans lequel il ne peut péné-
trer. Les porteurs se livrent du matin au soir à une chasse
qui, pour n'être pas à courre, n'en est pas moins abon-
dante.
A cinq heures, on stoppe pour faire du bois : les four-
neaux sont en effet disposés de façon à utiliser ce combus-
tible, qui abonde sur les rives du fleuve.
Le lendemain, à la pointe du jour, nous nous mettons en
marche. A Tembouchure de la rivière « Kassay », nous
avons la visite de missionnaires catholiques belges, installés
là dans des conditions assez précaires.
Nous sommes dans le pays des « Afourous » ; malheureu-
sement nous ne pouvons guère les étudier. En effet, nous
ne faisons halte dans les villages que juste le temps
nécessaire pour nous procurer le manioc, les bananes et le
poisson fumé, qui constituent la ration de nos hommes.
Nos haltes du soir se font à hauteur des endroits les plus
boisés, et ceux-ci se trouvent généralement à une certaine
distance des villages. Bien qu'ils ne se livrent pas en grand
à la culture, les Afourous, de même que les autres tribus,
empiètent chaque jour sur la forêt autour des villages, pour
installer leurs plantations et faire leur provision de bois
de chauffage. Les Afourous sont surtout commerçants et
pêcheurs. On les dit anthropophages et très redoutables.
J'ai bien vu, entre Brazzaville et Lirranga, une demi-
douzaine de crânes humains accrochés à l'arbre fétiche
DE BHAZZAVILLE A BANGUI
45
OU h la porle d'un chef '. J'ai assisté aussi à quelques
pjxcs entre nos hommes, rixes que, d'ailleurs, ni les uns
ni les autres ne paraissaient vouloir faire tourner au tra-
gique et qui, généralemcnl, se terminaient par de bruyants
éclats de rire et un séjour fort prolongé autour d'une
calebasse de » massanga '>
ou vin de palme.
Ce ne sont pas là des bases
d'appréciation suffisantes et,
dans le doute, je m'abs-
tiens.
Après quelques jours do
navigation, on pénètre dans
un véritable archipel, formé
d'îles importantes, extrême-
ment boisées et du plus heu-
reux effet.
Nous passons devant de
nombreux villages fort cu-
rieux et bien construits. Le
long de la berge, toute la po-
pidation est alignée pouradmirer le « koutchou-koutchou ■>
(bateau à vapeur). Les hommes nous regardent en donnant
des marques bruyantes d'élonnemenl,lcs femmes ne sont pas
très rassurées et les enfants osent à peine risquer un œil
en se serrant derrière leurs parenls. Un coup de sifflet de
la chaudière et toute ta bande s'enfuiera à toutes jambes
Ou«rriat sfonraD.
46 AUTOUR DU TCHAD
dans un tohu-bohu indescriptible. Il n'en est pas de même
partout : à Tchoumbiri, à Bolobo, à Loukolela, à Likouba,
dès que le sifflet de la machine a prévenu la population
que le navire va s'arrêter, hommes, femmes, enfants se pré-
cipitent dans les cases, dans les plantations et accourent
en se bousculant, chargés d'énormes régimes de bananes,
d'immenses corbeilles de manioc, des poules, des chèvres.
C'est à qui prendra la meilleure place sur la berge à
Tendroit où Ton présume que le navire va accoster.
Quelques jeunes gens plus impatients que les autres
détachent une pirogue, dans laquelle filles et garçons s'en-
tassent pêle-môle, en criant et gesticulant. Une fillette de
huit à dix ans laisse échapper un poulet qui est emporté
par le courant, elle se penche un peu trop brusquement
pour le saisir... la pirogue chavire et voilà tout notre
monde à l'eau. Les colères sont calmées et c'est au milieu
d'immenses éclats de rire que toute cette jeunesse repêche
ses marchandises un peu avariées, puis soutenant d'une
main, qui sa corbeille, qui ses poules, ou ses bananes, ils
engagent une lutte de vitesse pour atteindre le bateau à
la nage. Ils se cramponnent aux plats-bords, nous appel-
lent, hurlent, crient, vocifèrent, c'est assourdissant.
J'étais indigné de voir que personne ne se préoccupait
de savoir ce qu'était devenue la petite fillette, mais baste!
je fus vite convaincu qu'elle n'avait besoin du concours de
personne pour se tirer d'affaire. En quelques brasses elle
avait rejoint l'inconstant volatile et remontait le courant
en se jouant, et sans se soucier des invectives que lui
adressait de la rive une vieille mégère, sa mère sans
doute.
DE BRAZZAVILLE A BANGUI lî
Les Afourous paraissent d'assez beaux hommes quand
on les compare aux Balalis ou aux Balékés, mais ils soni
massifs et lourds et ont une propension marquée à l'obé-
sité. Ils ont les cheveux très longs el apportent un grand
soin à leur coiffure, dont les modèles sont assez ïariés.
Néanmoins, tous comportent deux grandes tresses près des
tempes, rappelant les « cadencttes » des soldats de l'Em-
pire, et plus généra-
lement une tresse uni-
que descendant sur le
front jusqn'à hauteur
du nez. Ils portent
également sur les
tempes et sur le front
des tatouages qui sont
loin d'adoucir la ru-
desse de leur physio-
nomie.
Détail curieux, bon nombre de jeunes gens et d'hommes
faits ont les seins aussi développés que ceux d'une jeune
lllle adulte, ce qui donne souvent lieu û des quiproquos
comiques. II est vrai de dire que les femmes atourous
n'ont pas un physi(|ue plus agréable qne celui du sexe
laid. II faut cependant faire une exception pour les femmes
de Tchoumbiri, qui ont une allure moins masculine, des
traits plus délicats ou plutôt moins heurtés que leurs com-
patriotes. Elles portent au cou des colliers de laiton massif
pesant 8 et 10 kilos. Leurs bras el leurs jambes sont
couverts de bracelets de même métal, qui doivent bien
représenter un poids égal à celui du collier.
48 'AUTOUR DU TCHAD
 (< Likoiiba », les indigènes se livrent dans une grande
proportion à la culture du tabac. Ils ont une façon très
ingénieuse de le préparer. Lorsqu'il est sec, ils pressent les
feuilles les unes contre les autres, en font une sorte de
grosse corde serrée à Taide de fines lianes, puis ils enrou-
lent cette corde sur elle-même et la maintiennent à Taîde
de deux bâtonnets piqués en croix dans le disque ainsi
formé. Les domestiques noirs arrivent avec un peu d'habi-
tude à couper ce tabac extrêmement fin, et l'on peut dire
sans être taxé d'exagération qu'il remplace avantageuse-
ment bien des tabacs d'Europe, y compris ceux de la
Régie.
Likouba est également un magnifique pays de chasse,
les pintades abondent dans les plantations et les hippo-
potames se civilisent de jour en jour. La canonnière
Djoué, stoppée dans une petite anse, fut bientôt entourée
par une troupe de ces animaux, qui prenaient leurs
ébats à quelques mètres du bord... Que le lecteur se
rassure, je n'ai pas la moindre aventure de chasse à
raconter. J'ai peut-être manqué à tous mes devoirs de
voyageur, mais pendant plus de deux ans passés
Dans cette Afrique où l'homme est la souris du tigre,
il ne m'a pas été donné d'affronter le plus petit lion, le
plus modeste éléphant. C'est à l'obligeance des Pères de la
mission de Lirranga que je dois d'avoir vu de près deux
immenses serpents, dont l'un était, paraît-il, un trigonocé-
phale.
« Lirranga » est situé au confinent du Congo et de
rOubangui. Le fleuve, qui pendant tout son cours a une
DE BRAZZAVILLE A BA^GUl 49
largeur variant entre 4 et? kilomètres, atteint, paraît-il, en
cet endroit près de 24 kilomètres. Le poste est confié à
M. Manas, qui fait exécuter de sérieux travaux d agricul-
ture. Nous trouvons également à Lirranga, M. Greshoff, le
sympathique directeur de la maison hollandaise, qui arrive
des Slanley-Falls. M, Greshoff est un voyag^eur infatigable
doublé d'un homme d'esprit, il nous fournit sur la région
des renseignements fort intéressants. Il a rendu depuis de
très grands services aux missions Dybwoski et Maistre.
Nous allons rendre visite aux Pères de la mission catho-
lique. Le P. Allaire nous fait les honneurs de Tinslallation
avec la plus grande amabilité.
Nous quittons Liranga de bon matin et par une pluie
torrentielle, agrémentée d'éclairs et de coups de tonnerre
comme je n'en ai jamais entendu depuis.
Nous touchons à N'gantchou, près de l'ancien poste
abandonné de N'Koundja. Les indigènes de celle région
sont désignés par les Européens sous le nom de « Bou-
banguis ».
D'après certains, cette dénomination signifierait simple-
ment « hommes de l'Oubangui » et s'appliquerait aux frac-
tions de la tribu des Afourous installées sur les bords de
la rivière. Ils ressemblent d'ailleurs à ces derniers.
On rencontre ensuite une intéressante tribu, celle des
« Baloïs » ; nous faisons d'assez longues stations dans trois
de leurs villages : à « Youmba », à « N'gourou » et à
« N'ghiri ».
Les a Baloïs » sont plus sveltes que les « Afourous »,
avec lesquels ils n'ont d'ailleurs aucune affinité de race. Ils
ont la physionomie moins désagréable, plus intelligente;
p. Brl'machc. 4
bO AUTOUR DU TCHAD
r^nsemble rappellerait plutôt, mais d'assez loin, le type
Balali.
Ce sont des potiers habiles. Sans tour, avec leurs doigts
et quelques petits butons en guise d'outils, ils fabriquant
des ustensiles de ménage, des pipes, des objets d'ornemen-
tation, d'une pâte très fine et de contows très purs. Cer-
taines de ces pièces sont de véritables œuvres d'art, que ne
renierait pas une fabrique européenne. Largile abonde
dans toutes les régions que nous avons traversées.
Les femmes sont moins bien que les hommes comme
figure, mais eu revanche elles sont bien faites de corps et
fort gracieuses d'allures.
Elles portent un soupçon de vêlement du plus ravissant
effet. C'est une sorte de jupe fort courte, composée d'une
grande quantité de cordelettes ou, le plus généralement,
de fibres végétales coupées carrément un peu au-dessus du
genou.
On leur conserve assez souvent leurs couleurs naturelles,
mais beaucoup de ces jupes sont teintes en noir foncé ou en
damiers dont les carreaux sont alternativement rouges et
noirs.
Môme lorsqu'elles transportent de lourds fardeaux, elles
ont un dandinement de hanches des plus suggestifs, et le
« ballon » qu'elles donnent ainsi à leur pagne les fait
assez volontiers prendre pour des dames du corps de
ballet en maillots noirs.
Une station à Mozzakka, un des plus beaux postes de
la colonie, que les besoins du service ont dû faire aban-
donner, nous permet de nous ravitailler en fruits.
Grûce aux plantations faites par M. Uzac, ancien chef de
DE BRAZZAVILLE A BANGUl ôl
ce posle, les bananes, les papales, les citrons, les ananas
et même les oignons croissent en abondance. Nous en
faisons une ample provision pour en apporter à Bangui, où
ces fruits ne peuvent être cultivés, par suite du manque de
terrain.
Nous touchons ensuite à « Impembo ", village od noua
voyons les premiers « Bondjios «. C'est à Mozzakka que
Ton peut Tixer la limite sud de celte tribu ou plutôt de
cette race, car jusqu'à Bclli, dans les rapides, toutes les
populations paraissent avoir une origine commune et pré-
sentent les mûmes caractères ethniques.
Ce type est très caractéristique et saisit un peu le
voyageur, parce qu'il n'y est préparé par aucune tran-
sition.
De Loango à Moszakka on rencontre nombre de races
52 AUTOUR DU TCHAD
bien marquées, variant à Tinfini, mais c'est insensiblement
que Ton est amené à remarquer les traits saillants, le
caractère spécial qui les différencie.
Brusquement, sans préparation aucune, après avoir
quitté une population à Taspecl presque grêle, on se
trouve en présence de véritables colosses. Seuls, les
« Saras », que nous vîmes plus tard, sont plus fortement
charpentés.
Ce qui est surtout remarquable chez les « Bondjios »,
c'est la musculature. Comme ils passent une bonne
partie de leur existence dans leurs pirogues, à manœu-
vrer des pagaies de dimensions considérables, leurs
biceps atteignent, par suite, des proportions exagérées.
A part ce léger défaut, les Bondjios constituent, à mon
avis, un des plus beaux spécimens de la race nègre que
nous ayons rencontré.
Je ne parle, bien entendu, qu'au point de vue de la
beaulé du corps. Ils ont tous, en effet, à quelques rares
exceptions près, une face que je qualifierais presque de
repoussante, si une grande bouche fendue jusqu'aux
oreilles ne venait éclairer d'un bon sourire, un peu niais
peut-être, ce visage ingrat mais non bestial, comme on a
voulu l'insinuer. Comment pourrait-il en être autrement?
Dès qu'un jeune Bondjio entre en adolescence, on s'em-
presse de lui arracher les deux incisives supérieures,
on lui épile soigneusement les cils et les sourcils, on lui
rase la chevelure, ne lui laissant que quelques arabes-
ques en cheveux d'un dessin très correct, qui fait honneur
à l'opérateur, et qui produit un effet des plus inattendus.
Brochant sur le tout, des tatouages formés de petites
1>E BHAZZAVILLE A BANGUI 53
excroissances de chair, sur le front et sur les tempes, et
un prognathisme outré qui leur donne un prolil absolu-
ment oblique : c'est plus qu'il n'en faut pour indisposer les
voyageurs contre ces malheureux Bondjios, qui ne sont
ni plus féroces ni plus anthropophages que les autres
peuplades de l'Onbangui. Bon nombre de Bondjios ont
aux deux mains cl aux deux pieds un sixième doigt placé
près de l'auriculaire. Il est généralement mal formé, mais
se détache des autres et porte un petit ongle.
Plus heureux que certain de leurs historiographes,
venu après moi dans l'Oubangui, mais rentré beaucoup
plus tôt en Europe, j'ai effectué trois fois le voyage de
Lirranga à Bangui et j'ai fait quatre séjours assez pro-
longés au milieu de cette tribu. J'ai pu me convaincre
que, si les Bondjios étaient moins insinuants que les
54 AUTOUR DU TCHAD
Loangos, ils étaient certes plus franchement hospitaliers
et surtout beaucoup moins sauvages que ces nègres pré-
tendus civilisés.
Les femmes, bien qu'ayant la même coupe de visage
que les hommes, ne produisent pas une impression désa-
gréable. En feuilletant mes notes, je retrouve les lignes
suivantes :
« Croquée à la hâte sur un coin de carnet, pendant que
le Djoué stoppe pour faire du bois, « Younga » réunit tous
les caractères de la race pure. C'est une des nombreuses
et charmantes fillettes qui viennent vendre du bois à bord,
elle voudrait des « baïakas », petites perles blanches qui
commencent à devenir la monnaie courante du pays.
Nous écoulons nos derniers cauris, mais elle ne veut
pas en entendre parler : n'a-l-elle pas aux jambes deux
magnifiques bracelets de cuivre dans lesquels sont
enchâssés une certaine quantité de ces coquillages? Non,
la superbe collerette de cuivre qui lui sied si bien et dont
le brillant tranche sur son teint d'un noir d'ébène, a cessé
de lui plaire, il lui faut un collier de perles blanches! et
pour obtenir ces baïakas tant désirées elle nous fait
toutes sortes d'agaceries, de mignardises avec une grâce
pudique qui n'est nullement affectée. Elle consent à se
séparer de son pagne de dessus (car elles en portent
deux), de ses nombreux ustensiles de toilette, de sa
ceinture faite d'un grand nombre de cordelettes en lil
d'aloès artistement travaillées, mais il lui faut des baïakas.
Notre sergent sénégalais, Ouolof de Saint-Louis, beau
gars qui joue assez volontiers les don Juan, la prend à
l'écart et, lui parlant à l'oreille, lui offre une quantité res-
DE BRAZZAVILLE A BANGLI 55
pectable de baïakas. Il faut croire qu'il lui a demandé en
échange le plus beau de tous ses ornements, car s'adres-
sant à nous indignée elle déclare que le Sénégalais est un
méchant homme, qu'elle n'est pas une esclave et toute
rougissante (car les nègres rougissent), et par un geste de
main qui serait canaille s'il n'était si naïvement et si
vivement fait, elle nous déclare qu'elle est vierge el se
relire majestueusement. » Elle n'est plus revenue pen-
dant toute la durée de notre séjour.
On me reprochera peut-être d'avoir donné une bien
grande place à ce petit fait, en apparence insignifiant. Je
l'ai choisi à dessein, entre mille du môme genre, dont
j'ai été témoin pendant mon séjour en Afrique, non point
parce qu'il me permet de glisser une anecdote pour
rompre la monotonie de mon récit, mais parce qu'il me
fournit l'occasion de donner un avis, basé sur des faits, sur
une question d'ethnographie qui offre un certain intérêt.
On prétend assez généralement que chez les noirs la
prostitution est chose toute naturelle et que toutes les
femmes nègres sont des courtisanes-nées. J'estime que
c'est là sinon une erreur, du moins une forte exagération.
Que le fait soit exact à la côte, je ne le nierai pas, mais si
Ton voulait en rechercher la raison, la faute n'en incom-
berait certainement pas aux indigènes. Ce n'est pas
d'aujourd'hui que les traitants, les marins, les soldats
visitent la côte d'Afrique! A coup sûr nous n'avons rien
vu de semblable pendant toute la durée de notre voyage
dans l'intérieur.
Je ne me hâterai pas de conclure que dans l'Afrique
équatoriale toutes les femmes sont des dragons de vertu.
56 AUTOUR DU TCHAD
mais il nous a élu donné de constater qu'elles ont l'ins-
tinct de la famille poussé à un très haut degré, elles
aiment leur foyer, sont pleines d'attentions pour leur
mari, qui n'est point un maître, comme on s'est plu à le
dire, mais un ami, un compagnon. En ce qui concerne les
soins qu'elles donnent à leurs enfants, elles ne le cèdent
en rien aux mères européennes.
On a prétendu également qu'à la femme seule étaient
dévolus les durs' labeurs, les rudes besognes. Il n'en est
rien. En dehors des travaux du ménage, des soins de
propreté à donner aux environs des cases, elles s'occupent,
il est vrai, de la culture, mais encore faut-il voir dans
quelles conditions. Autour des cases se trouvent quelques
carrés de légumes, de tabac, de coton : aidées de leurs
enfants mules, elles binent, sarclent, esherbent ces petits
jardinets; mais, lorsque l'exploitation devient plus impor-
tante, elles se bornent à surveiller le travail des esclaves.
Le plus gros de la tâche, le défrichement, est toujours
fait par des esclaves mules, aidés souvent par le pro-
priétaire du champ.
En somme, la besogne de la femme, libre ou esclave, est
certes moins pénible que celle de bon nombre de nos
paysannes ou de nos servantes de ferme d'Europe.
Chez les Bondjios, par exemple, la jeune fille ne se
livre à aucun travail avant complète adolescence, et, si le
mariage un peu prématuré, une maternité précoce et trop
souvent répétée, flétrissent la gorge et le visage des
femmes bondjios, leurs corps conservent encore jusque
dans un âge avancé la pureté première des lignes relati-
vement fort belles chez cette population. Elles sont d'ail-
DE BRAZZAVILLE A BANGUI 59
leurs très coquettes et, jeunes ou vieilles, possèdent toutes
des nécessaires de toilette fort compliqués qui indiquent
le soin qu'elles prennent de leur personne. Ce sont des
spatules de toutes formes et de toutes dimensions, des
raclettes qui leur servent à se tailler les dents en pointe,
lorsqu'elles ne s'arrachent pas les incisives, des pinces à
épiler et des rasoirs en fer rendus aussi tranchants que
de l'acier par le martelage. Ces dames s'épilent scrupu-
leusement toutes les parties du corps, sans exception.
Tous ces menus objets, qui sont d'un goût parfait, sont
fabriqués par les « N'gombés », petite fraction de la tribu
des « Bondjios », dont la réputation comme forgerons est
établie dans tout l'Oubangui.
Les roches ferrugineuses abondent dans toute l'Afrique,
à fleur de sol. Le minerai est très riche et doit bien con-
tenir 60 pour 100 de fer. Aussi tous les noirs savent ils
plus ou moins travailler le métal, mais on rencontre de
temps à autre des tribus ou des villages jouissant d'une
réputation d'habileté plus grande. Au-dessous de Bangui,
ce sont les N'gombés, au-dessus les Langouassis.
Les N'gombés traitent le minerai par la méthode cata-
lane, souvent môme le client apporte le fer tout prêt. Il
offre à l'artiste (on peut bien lui donner ce nom) un cer-
tain nombre de lingots de fer, selon l'importance du cou-
teau, de la pioche, du fer de lance qu'il désire; puis notre
vulcain se met à l'œuvre non sans avoir longuement débattu
le prix de la façon, qui est représenté soit par des poules,
une chèvre ou quelques morceaux de viande d'éléphant
fumée. C'est souvent le client lui-même qui attise le feu
ou fait manœuvrer le soufflet, composé de deux marmites
60 AUTOUR DU TCHAD
posées sur un bùli en bois; elles sont recouvertes de peaux
de chèvre distendues, surmontées de deux bâtons que Ion
remonte ou que l'on abaisse alternativement pour faire
manœuvrer la soufiterie.
Quelquefois le forgeron embarque dans sa pirogue son
outillage primitif, sa famille el ses ustensiles de pùche,
Vflwr aller de village en village exercer son
Liiiluslrie, tandis que sa femme el ses
enfants iront pécher le poisson qui, fumé,
constituera lu nourriture de la famille
pendant la mauvaise saison. Rien de
pins euriiiux que la rencontre d'une de
CL's pirogues tle foirerons ambulants qui
s'en vont souvent forl
loin de leur village.
*" ^ ^ -'tL .-.^â?" Enfin, après quelques
^-^ ^ -t-'^-^^" jours d'une navigation
So-Mel d. rorg, d« «'goinbé., ''^^^"'^ ^^^^^ «l'f'C'lC P^r
de violentes tornades qui
soulèvent de véritables lames, nous atteignons Bangui le
17 aoOt, ù huit heures du soir.
M. Ponel,chef de zone, est seul au poste en ce moment;
il nous a néanmoins fait construire de vastes hangars
pour abriter les marchandises et des cases pour nous
loger. Il estime, en effet, qu'en raison de la saison dus
pluies qui commence à peine, il nous sera difficile de nous
procurer des pirogues. Les Bondjios et les Bouzérous, au
milieu desquels se trouve Bangui, ne consentiront jamais
à dépasser les rapides de Belli; d'autre part, leurs piro-
gues sont absolument insuffisantes pour transporter des
DE BRAZZAVILLE A BANGUl 61
marchandises et du personnel . Il envoie dès le lendemain
deux tirailleurs sénégalais recruter des pirogues chez
Bembé, chef d'un village banziri avec lequel il est en
excellentes relations, mais il ne faut pas compter les avoir
avant dix ou quinze jours.
Ce retard fâcheux me permit de recueillir, auprès de
M. Ponel, des renseignements précieux sur la région.
Grâce à lui, je n'eus pas le temps de m'ennuyer au poste
de Bangui.
Le 25, la chaloupe à vapeur A lima arrivait à Bangui,
avec Nebout et Briquez à son bord.
Ce dernier était pour moi un excellent camarade, mais
c'est à peine si j'avais pu entrevoir Nebout à Brazzaville.
D'abord assez froid, il m'avait quelque peu effarouché.
Il ne me fallut pas de longs jours de vie commune pour
découvrir un cœur d'or sous cette enveloppe de glace.
Nebout est le plus affable garœn du monde, mais il a
deux immenses défauts, il est timide et modeste... mais je
m'arrête : au moment où je transcris ces lignes, on m'an-
nonce son retour en Europe, et j'aurais mauvaise grâce
de choisir cette heure pour dire tout le bien que ses
anciens compagnons et moi pensons de lui.
CHAPITRE III
LES BAIVZIRIS
Création d'un poste chez les Ouaddas. — M. Nebout dans la >rpoko.
M. Brunache dans TOmbella et la Kemo. — Les Togbos.
Le 9 septembre, nous nous décidons à partir dans les
cinq pirogues que les Sénégalais envoyés par M. Ponol
ont eu toutes les peines du monde à nous procurer. Ce
dernier fera partie du voyage. Briquez viendra nous
rejoindre lorsqu'il me sera possible de lui envoyer des
pirogues. Pour le moment, nous ne pouvons emmener
que huit Sénégalais d'escorte et quatorze porteurs kassaïs,
plus notre modeste pacotille. Nebout, de son côté, partira
pour la rivière M poko, dès qu'il aura des pirogues.
Nous couchons le soir dans un village accroché à une
haute falaise d'un accès assez difficile. Le chef « Bogani »
nous reçoit de la façon la plus aimable.
En quittant ce village, le lendemain, nous apercevons
des collines qui me paraissent très élevées après les
régions plates et basses qui bordent le Congo et l'Ou-
bangui.
LES BANZIRIS 63
Ce sont les collines qui enloureni le village de Bala,
important marché de fer de la rive gauche. Au moment où
nous arrivons à hauteur du village, nos pagayeurs enla-
menl à pleine voix un chant d'une merveilleuse harmonie.
Ils redoublent d'ardeur et la pirogue vole avec une rapidité
vertigineuse.
Les autres pirogues se mettent de la partie et une
lutte de vitesse s'engage entre les embarcations composant
le convoi. Ces sortes de courses ne sont généralement
goûtées des Européens qu'au deuxième ou au troisième
voyage. Lors du premier essai, on ne peut se défendre
d'une certaine émotion (je ne fais aucune diflîculléà recon-
naître que je l'ai éprouvée) à se sentir sur un aussi frêle
esquif, que le moindre mouvement peut faire chavirer, par
une profondeur de dix mètres et plus, et au milieu d'un
courant des plus rapides.
Je ne sais quel peut élrc l'aspect de la physionomie de
celui qui a ressenti celle impression d'inquiétude passagère
et qui l'avoue, mais en revanche je n'ai rien vu de plus
comique que la tête du brave qui, pâle, la sueur au front,
déclare d'un ton rogue qu'il n'a rien éprouvé. Lorsqu'on
a fait plusieurs voyages en pirogue, cette scène, qui se
renouvelle à chaque passage de rapide, procure une bien
douce compensation aux fatigues du voyage.
Ces petits incidents ne sufdraient certainement pas à
faire oublier ces fatigues, car elles sont sérieuses, si
l'heureux caractère de nos pagayeurs banziris ne venait
faire une heureuse diversion, et tirer le voyageur de la
torpeur qui ne larderait pas à l'envahir à la suite d'une
semblable navigation.
64 AUTOUR DU TCHAD
Les Banziris sont loin de répondre au signalement du
nègre classique, au nez épaté, aux lèvres épaisses... Des
figures sympathiques, ouvertes, intelligentes, une gaîlé
franche et de bon aloi qui ne les abandonne pas, même
dans les circonstances les plus difficiles. Ils ont en outre
le front haut, le nez presque aquilin, les lèvres minces,
toujours disposées à ébaucher un fin sourire. Leurs yeux,
grands et brillants, légèrement estompés d'une teinte de
bistre, ont, chez les femmes surtout, une expression et une
douceur infinies. Avec cela un corps d athlète, non pas
imposant par la masse ou les énormes proportions, comme
chez les Bondjios, mais admirable par la pureté du con-
tour, l'harmonie générale des lignes. Dans une monogra-
phie de cette peuplade, mon ami Clozcl a comparé les
Banziris aux jeunes demi-dieux de la primitive Hellade.
Il est certain qu'ils rappellent en tous points les plus beaux
bronzes de la statuaire antique.
Comme le reste des humains, les Banziris ne sont pas
parfaits. Ces hardis marins, une fois à terre, ont une
démarche qui rappelle assez celle du cavalier fatigue par
une longue course. Dès qu'ils ont mis le pied sur leurs
pirogues, ce ne sont plus les mêmes hommes, ils manœu-
vrent en se jouant de lourdes perches de 6 mètres, sur
lesquelles ils font effort pour faire avancer la pirogue et
ménager ainsi les forces des pagayeurs : alors ils se
redressent, leur torse se cambre dans un mouvement
souple et ondoyant. Ils sont transfigurés.
Mais, pendant la durée du voyage, nous n'avions sous
les yeux que quelques types de celte magnifique race.
Notre admiration ne connut plus de bornes lorsque nous
LES BANZIRIS 65
alteignîmes leur premier village de pêche, situé sur les
bords de i'Oubangui, à 8 kilomètres à Test de TOmbella
et à 3 kilomètres du village du chef de la tribu des
« Ouaddas », M'paka.
Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous se précipi-
taient pour faire fête aux nouveaux arrivants. Lorsque tout
ce monde eut donné, par une pression de bras trois fois
répétée, Taccolade, au (ils, au père, au mari, à Tami, ce
fut au tour des « blancs ». On nous offre ensuite la meil-
leure des cases, puis quand nous sommes confortablement
installés sur des sièges en bois assez habilement sculptés
par les indigènes, il se forme autour de nous un cercle
de jeunes femmes et de jeunes filles qui gazouillent, se
pressent curieusement et nous accablent de questions avec
une discrétion charmante. De temps à autres, l'une d'elles,
quand elle a satisfait sa curiosité, se relire en ayant soin
toutefois de prendre congé de nous. 11 en est toujours
ainsi : le visiteur ne se sépare jamais de son hôte sans y
être autorisé. De môme les nombreuses fillettes qui
venaient nous voir prendre nos repas ne manquaient
jamais de s'enquérir si nous ne voyions aucun inconvénient
à ce qu'elles restassent auprès de nous. Comme elles ne
le cèdent en rien aux hommes au point de vue esthétique
et qu'elles leur sont supérieures pour la beauté du visage,
nous trouvions au contraire un grand charme à leur com-
pagnie ; charme tout platonique d'ailleurs , car , bien
qu'elles n'aient pour tout vêtement que leur pudeur, les
femmes banziris sont d'une vertu farouche. Tout comme
les Américaines de race, elles « flirtent » très volontiers,
mais elles savent arrêter à temps l'imprudent dont les
p. Brunachr. 5
66 AUTOUR DU TCHAD
propos sortiraient des limites permises; et cela sans affec-
tation, sans fausse pruderie, en personnes habituées à être
respectées.
Chose curieuse, chez ce peuple de travailleurs, de
marins habitués aux fatigues et aux durs labeurs, il
paraîtrait tout naturel que Tenfant mâle fût l'objet de la
prédilection du père, dont il sera plus tard Tauxiliaire pré-
cieux dans les longues et pénibles expéditions de pêche.
Il n'en est rien. C'est la jeune fille que le père, la mère
et aussi les frères entourent de tous leurs soins, de toutes
leurs attentions. Elle n'a d'autre souci que de se parer du
malin au soir, de modifier sa coiffure tantôt composée de
bandelettes de cheveux ornés de perles blanches, tantôt
d'une simple natte entourant la tôte ainsi qu'un turban et
retombant jusqu'à terre. 11 faut, hélas! reconnaître que la
plupart de ces nattes sont fausses. Les détails du costume ne
les absorbent pas énormément, par suite de sa simplicité.
Une ficelle, une corde placée autour de la ceinture et trois
coquillages blancs suspendus fort à propos pour souligner
plutôt que pour dissimuler, voilà tout le vêlement d'une
élégante Banziri.
Une de leurs occupations favorites, c'est la confection
d'un de ces édifices, souvent fort artistiques, toujours
gracieux, qui constituent la coiffure d'un jeune Banzbri. Il
faut souvent un mois pour parfaire la chevelure d'un frère,
d'un parent ou môme d'un ami. Aussi n'essaierai-je pas
de décrire les innombrables modèles en usage,, quelques
croquis vaudront certainement la meilleure description.
Une fois mariée, la condition de la femme n'est pas très
sensiblement modifiée, à cela près qu'elle doit s'occuper
LES BANZIRIS
des travaux du ménage et est tenue à une plus grande
riiscrve à l'égard des jeunes gens de la iribit.
Le Banziri qui épouse une jeune lllle doit remcllre au
père de celle-ci un certain nombre de « guindjas » (sorte
de pioche en fer servant de monnaie dans la région). On
offre alors des réjouissances publiques, au cours desquelles
te père de la jeune épouse déclare à haute voix qu'il
68 AUTOUR DU TCHAD
donne sa fille en mariage au jeune homme dont il dit le
nom. On immole poules ou chèvres, selon la condition des
conjoints, puis on fait de très sérieuses libations, tandis
que les jeunes gens chantent et dansent jusqu'au len-
demain.
La nouvelle mariée ne peut sortir de sa case pendant la
durée de deux lunes. Ce sont les hommes qui pendant ce
temps balaient le devant de la case.
A la naissance d'un enfant, soit fille, soit garçon, les
réjouissances et les cérémonies sont les mômes. Les parents
construisent un petit autel en branchage sur lequel on
immole une poule. Avec le sang de la victime on fait des
onctions sur les épaules de Tenfanl, en prononçant des
paroles qui peuvent se traduire ainsi : « Que ces onctions
te préservent de la maladie et du malheur. »
Les Banziris ne pratiquent ni la circoncision, ni l'exci-
sion des Olles, bien que ces coutumes soient en usage dans
les tribus environnantes . ils se moquent même assez
volontiers des gens circoncis et les appellent des « hommes
incomplets ».
A la mort d'un Banziri, tous les hommes du village se
réunissent en un banquet de funérailles, pour lequel on
tue force chèvres et qui dure deux ou trois jours. S'il s'agit
d'un chef, toutes ses femmes se rasent la tête en signe de
deuil, on tue et on ensevelit avec lui deux esclaves, et
généralement aussi celle de ses femmes jugée la plus
méchante. Le mort est enseveli accroupi dans une fosse
de forme ronde.
Le prix du sang existe pour le meurtre; il se solde en
perles ou par le don de deux esclaves. En cas de désac-
LES BANZIRIS 69
cord sur le prix, une sorte de vendelta s'établit entre les
deux familles.
L'esclave voleur est puni de mort; Thomme libre est
vendu comme esclave à la troisième récidive.
Les Banziris sonlaffables et prévenants, sans la moindre
obséquiosité. Ce ne sont peut-être pas des guerriers, dans
le véritable sens du mot, mais ils sont certainement plus
braves, plus courageux, armés de leurs pagaies, que bien
d'autres armés de lances et de fusils.
Il faut voir le sang-froid, la présence d'esprit qu'ils
déploient dans les rapides, souvent plus dangereux qu'une
mêlée. Dans ces endroits où une hésitation pourrait être
funeste, pas un muscle de leur visage ne tressaille, pas la
moindre trace d'émotion, et, s'ils peuvent remarquer dans
la physionomie du voyageur blanc une légère pointe d'in-
quiétude, ils entonnent un chant, font mille grimaces et
par leur gaîté communicative lui cachent le danger et lui
font partager leur confiance.
Faut-il le dire? les Banziris sont très friands de la
viande de chien. Ils étranglent ou noient l'animal, puis le
placent encore humide sur un feu très vif, sans autre
préparation.
Une demi-heure après, les chiens à l'engrais, qui, en
attendant leur tour de broche, assistent au festin ne trou-
veraient pas le plus petit os à ronger. Il est vrai de dire
que les Banziris paient assez cher leur hideuse gourman-
dise*. 11 est formellement interdit à la femme de manger
du chien, mais la tradition veut, en outre, qu'après un sem-
blable repas, le mari s'abstienne pendant une journée de
toucher son épouse, serait-ce même du bout du doigt; il
70 AUTOUR DU TCHAD
faul, de plus, qu'il se soumetle à un baiu complet avant de
pénétrer dans sa case. Le bain n a rien de bien effrayant
pour des gens habitués à passer la moitié de leur existence
dans Teau, mais la seconde partie de la pénitence me parais-
sait une perspective bien désagréable pour ceux — et ils
sont nombreux — qui consacrent le reste de leur temps à
leurs devoirs... de famille. Notre guide, Manguendjo, était
de ce nombre. Comme je lui faisais part de mes inquiétudes
à son sujet : « Oh! me dit-il, en voyage loin de chez moi,
je mange du chien, beaucoup de chien parce que c'est
un morceau de choix. De retour au village, je suis rassasié
et ne songe nullement à goûter à ce mets délicieux. De la
sorte ma femme ne perd aucun de ses droits et j'ai la paix
dans mon ménage. » Sans y mettre la moindre intention,
Mauguendjo venait me confirmer ce que j'avais déjà con-
staté : que les Banziris sont extrêmement épris de leurs
femmes et réciproquement.
Il fallut rompre cet entretien; Manguendjo, profitant
d'une courte éclaircie, dut descendre à Bangui, avec quel-
ques pirogues, pour prendre Briquez et les porteurs restés
au poste. M. Ponel était allé recruter des pirogues et les
Banziris du village, confinés chez eux par une pluie tor-
rentielle, se serraient près de leur feu et ne me rendaient
que quelques rares visites. La hutte mise à ma disposition
par ces braves pêcheurs m'abritait mal, ma situation
n'avait rien de riant. C'est alors que j'eus l'idée de faire
construire une case. Quand on s'ennuie au pays noir', on
fait construire des cases. Les Kassaïs chargés de cette
tâche s'en acquittèrent si vite et si bien que je leur en fis
édifier une seconde. Telle est l'origine de ce poste des
LES BANZIRIS 71
Ouaddas, auquel ou devait donner, dans la suite, une
importance considérable.
Ce n'est qu'au retour de mon voyage dans TOmbella
que, en raison des avantages que ce point présentait pour
nous, je laissai à mon camarade Briquez le soin d'y ins-
taller un établissement permanent, tandis que je montais
dans la Kemo.
Le 22 septembre. Briquez arrive de Bangui, ainsi que
les Sénégalais et les porteurs kassaïs qui n'ont pu venir
avec le premier convoi. Nous nous trouvons avec un
personnel de quatorze Sénégalais et trente-deux porteurs
kassaïs.
Le 24, nous avons pu réunir quatre pirogues. Les Ban-
ziris, peu disposés à remonter l'Ombella, estiment d'autre
part que la saison est mal choisie pour effectuer ces sortes
de voyages. Us n'avaient pas tout à fait tort et nous en fîmes
la dure expérience par la suite, mais nous n'avions pas de
temps à perdre. Nous entassons tant bien que mal notre
monde, nos colis et nous-mêmes dans les quatre malheu-
reuses pirogues, malgré les cris poussés par les Banziris,
qui ne veulent pas assumer la responsabilité d'un chavirage
certain. Nous descendons doucement, au fil de l'eau, les huit
kilomètres qui nous séparent du confluent de l'Ombella,
puis nous pénétrons dans celle rivière. Nous rencontrons
bientôt un village occupé par les Ouaddas. Des Banziris,
venus là pour vendre du poisson, consentent à nous louer
leur pirogue, mais ils ne veulent pas rester plus de cinq
jours hors de chez eux. Nous soulageons nos pirogues; il
était temps, car nous avions de l'eau par-dessus les chevilles
et chaque faux mouvement faisait embarquer une quantité
72 AUTOUR DU TCHAD
double de celle que Ton « écopait ». Nous parlons avec une
vitesse d'environ 4 kilomètres a Theure, mais bientôt notre
allure se ralentit et nous prenons la vitesse moyenne, qui
est de 3 kilomètres à Theure, par courant moyen.
Vers le soir, nous atteignons le village du chef, Garou :
c'est un jeune homme de vingt-huit ans environ, très calme
et très digne, qui, détail curieux, porte une chéchia
rouge, une tunique (gandourah) brodée, et de larges
pantalons à la mauresque. Ces vêtements sont en « ïur-
kedis », minces bandes d'étoffes de coton fabriquées dans
TÂdamaoua, le Sokoto, le Bornou et le Baghirmi. 11 ne fait
d'ailleurs pas la moindre difficulté à reconnaître qu'il a
acheté ces vêtements aux « Tourgous » (musulmans),
moyennant des pointes d'ivoire. Les vêtements sont un
peu vieux et le ïourgou a certainement dû faire une excel-
lente acquisation. Mais Garou est si heureux de se draper
dans ses guenilles et dans cette majesté, qu'il a dû
emprunter, par la même occasion, aux musulmans avec
lesquels il est en relations suivies!...
Nous repartons le lendemain matin, mais la pluie, le
vent et la vitesse du courant retardent considérablement
notre marche. Nous naviguons cependant jusque vers trois
heures de l'après-midi. A ce moment, les Banziris, si
dociles d'habitude, nous déclarent que c'est folie de vou-
loir pousser plus loin. Nous stoppons et nous installons
notre campement près d'un village abandonné.
La troisième journée de voyage est également fort
pénible, nous arrivons assez tard auprès d'un emplacement
assez bien situé. L'orage augmentant de minute en minute,
nous faisons halte et déchargeons immédiatement les
LES BANZIRIS 73
pirogues. Il était temps, car, aussitôt le dernier colis enlevé,
elles coulaient à pic, roulées par la lame.
LesBanziris ont vite fait de repêcher une pirogue coulée
au fond de la rivière, et, le lendemain, nous pûmes nous
convaincre que cette opération n'était pour eux qu'un jeu
d'enfant : deux équipes, après avoir remis pendant la nuit
leur embarcation à flot, avaient pris la fuite.
Nous avons à ce moment la visite de Garou et de plu-
sieurs chefs de ses amis. Ils nous conseillent vivement de
ne pas pousser plus loin : les Tourgous étaient dans l'Om-
bella il y a fort peu de temps; de plus nous allons rencon-
trer, avant qu'il soit longtemps, des rapides et une vaste
région déserte : ils ont d'ailleurs une assez grande quan-
tité d'ivoire à nous céder. Ce n'est pas notre programme.
Nous décidons de laisser ici les porteurs inutiles, puisque
nous voyageons en pirogues. Pour tromper l'ennui de l'at-
tente, ils construiront une case. Quelques Sénégalais restent
également pour protéger les porteurs. Nous leur donnons
aussi des marchandises pour se procurer des vivres.
Nous partons, toujours avec le mauvais temps, et la
navigation devient extrêmement difficile. Les Banziris font
contre mauvaise fortune bon cœur, et nagent vigoureu-
sement, sous la pluie qui les fouette avec une violence
inouïe. Nous franchissons avec peine plusieurs petits
rapides, les villages disparaissent peu à peu. Bientôt la
rivière circule au milieu d'une forêt de borassus, récem-
ment incendiée. Garou n'a pas menti, nous sommes bien
dans une région déserte. Je veux cependant tenter un
dernier effort, et, sur nos instances, les Banziris consentent
encore à remonter pendant la journée du lendemain.
74 AUTOUR DU TCHAD
Ce fut de beaucoup la plus pénible. L'orage avait cessé,
mais la rivière était hérissée de roches contre lesquelles
le courant se brisait avec fracas, les berges étaient embar-
rassées de lianes et de racines comme il n*en existe pas
dans les plus mauvais parages de l'Oubangui. Néan-
moins, de six heures du malin à trois heures de l'après-
midi, les Banziris n'abandonnèrent pas la lutte. Mais il
fallut à ce moment renoncer à aller plus loin : devant
nous se dressait un seuil de roches absolument infran-
chissables.
On stoppe et le camp est installé.
Pendant que nous discutons la possibilité de tenter une
ri'connaissance par terre, les Sénégalais viennent me pré-
venir qu'ils ont complètement épuisé leurs provisions et
qu'ils n'ont absolument rien pour préparer leur repas du
soir. Je vais passer l'inspection dans les pirogues pour
voir si les Banziris n'auraient point quelques denrées,
poissons fumés ou manioc, à nous céder, mais eux-mêmes
sont partis à la pèche, à la recherche d'un repas problé-
matique. Il nous reste quelques rares biscuits de troupe;
sur l'avis de mes compagnons, on en fait une distribution
de un par deux hommes.
Il faut hâter le retour, car nos ressources personnelles
sont considérablement diminuées et ne nous permettront
pas d'atteindre les premiers villages. Heureusement que,
la vitesse du courant aidant, nous faisons au retour de
rudes journées d'étapes. Nous retrouvons nos Kassaïs avec
des mines réjouies. Us ne se plaignent pas de leur villégia-
ture dans rOmbella, et c'est pour eux un gros crève-cœur
d'apprendre qu'ils vont quitter cet endroit charmant pour
LES BANZIRIS 75
regagner, par terre, le poste des Ouaddas, sous la conduite
de M. Ponei.
Briquez et moi retournons aux Ouaddas en pirogue.
A notre arrivée, nous recevons un accueil des plus chaleu-
reux de tous nos amis banziris, qui nous savaient avec
peine à proximité des Tourgous.
Le vieux chef MTaka, lui-même, vient nous féliciter.
Ce chef incontesté de la tribu des Ouaddas est bien la
preuve vivante que le singe est un homme perfectionné.
11 existe sur les territoires qu'il est censé administrer une
variété de Colobcs ou de Cynocéphales, ce sont peut-être
bien des gorilles, je ne sais pas au juste, qui ont certaine-
ment plus que lui ligure humaine. C'est, au demeurant,
lorsqu'il est à jeun, le meilleur (ils du monde.
M'Paka est enchanté de nous voir installés chez lui,
je le crois sans peine, car ses maigres poulets et ses
chèvres étiques lui rapportent des quantités considérables
de perles baïakas. Il ne se sent plus de joie lorsque je lui
apprends que Briquez va s'installer à demeure avec nos
hommes, et qu'il trouvera auprès de notre ami Técoule-
ment des produits de ses cultures.
Il offre même à celui-ci une ou deux compagnes choisies
parmi les plus jolies de ses esclaves, mais il voudrait bien
un fusil ou simplement un revolver en échange.
Les Banziris, de leur côté, ne sont pas fâchés de nous
avoir entre eux et les Ouaddas, car ces derniers sont
d'une honnêteté douteuse et les rançonnent assez volon-
tiers.
Les Ouaddas sont du reste d'enragés pillards : il ne se
passe pas de jour sans que M'Paka vienne nous proposer
76 AUTOUR DU TCHAD
d'aller opérer une razzia sur telle ou telle peuplade
voisine. Outre que ce serait une singulière façon d'entrer
en relations avec des peuplades qui n'ont pas vu de
blancs, il nous faudrait aller bien loin, car à en juger
par ce que nous avons vu dans TOmbella le vieux chef, à
la tête de ses hordes, a tout brûlé, tout détruit autour de
son territoire.
C'est môme cette dévastation qui a causé notre disette
dans rOmbella et nous a empêchés de pousser une recon-
naissance par terre. 11 est vrai que, la rivière s^infléchis-
sant vers l'ouest, n'était pas la voie que nous cherchions.
La Kemo, au contraire, au dire des indigènes, était plus
facilement navigable et son cours suivait une direc-
tion générale nord-est-sud. Je résolus de remonter la
Kemo.
Par suite du peu de pirogues dont je disposais, je dus
laisser la majeure partie de l'escorte et tous les Kassaïs
aux Ouaddas. Briquez restait également aux Ouaddas;
nous avions en effet décidé tous deux, sous notre res-
ponsabilité personnelle, d'établir en cet endroit une ins-
tallation qui, par sa situation avantageuse, faciliterait
plus tard notre mise en route et nous évitait pour le
moment des pertes de temps considérables.
Le guide Manguendjo me procure trois pirogues, mais
les équipes qui les montent paraissent peu disposées à
aller dans la Kemo. L'appât des « crissis », c'est ainsi qu'ils
appellent les perles, les décide cependant. M. Ponel est
du voyage. Nous n'emmenons avec nous que cinq Sénéga-
lais d'escorte. Les eaux sont hautes et le courant, très
violent dans cette partie de TOubangui, se fait encore plus
LES BANZIRIS
1 1
forlement sentir lorsque nous pénétrons dans la Kemo.
La rivière, à son confluent, mesurait à celte époque de
i^année un peu plus de 100 mètres de large, sa largeur
moyenne est de 50 mètres : à Tépoque des crues, elle
serait assez facilement navigable pour les petits vapeurs
de la colonie. Les rives sont très pittoresques : nous ren-
controns de temps à autre un village de pèche banziri,
abandonné en celte saison. Des ponts de lianes suspendus
hardiment au-dessus de la rivière relient les chemins qui
paraissent très fréquentés. Malheurensemenl le mauvais
temps cl le courant relardent considérablement noire
marche. Les Banziris sont exténués, ils ont dû doubler le
nombre des percheurs d'avant; à chaque instant, les
pagayeurs doivent quitter leurs places pour s'accrocher
aux lianes, haler la pirogue à Taide de branches et aider
ainsi aux percheurs à vaincre le courant.
Nous naviguions entre les territoires des Ouaddas,
situés sur la rive droite, et celui de la tribu des Lan-
gouassis, sur la rive gauche.
Bien qu'ils soient pour le moment en relations suivies
avec les Langouassis, les Ouaddas, qui n*ont jamais la
conscience nette, se méfient de cette importante peuplade
qui pourrait leur infliger de sérieuses représailles : aussi
ont-ils groupé leurs villages assez loin, à Touest des rives
de la Kemo.
Les agglomérations de Langouassis sont assez nom-
breuses le long de la rivière, mais elles sont dissimulées
dans des fourrés; de plus la pluie et la tempête empêchent
les habitants de sortir. Nous ne voyons que quelques
rares curieux.
78 AUTOUR DU TCHAD
Nous atteignons un petit groupe de cases où nous rece-
vons le meilleur accueil. Comme nos Banzîris sont extrê-
mement fatigués, nous décidons de séjourner le lendemain
en cet endroit. La nouvelle se répand aussitôt et les
« Langouassis » des villages voisins accourent en foule
nous vendre leurs denrées et leur ivoire. C'est le marché
improvisé le plus important que j'aie vu pendant toute la
durée de mon séjour en Afrique. Toutes les variétés de
coiffures et d'ornements langouassis défilent devant nous.
Nous avions déjà remarqué chez les Ouaddas des femmes
dont la lèvre inférieure était ornée, si le mot peut s'appli-
quer dans cette circonstance, d'un petit morceau de
chaume ou d'un mince cylindre de quartz. Ici les propor-
tions de ces appendices sont considérables, 8 à 10 centi-
mètres de longueur et 8 millimètres de diamètre. Cer-
taines élégantes en placent jusqu'à trois et par suite la
lèvre pend d'une façon hideuse et lamentable. Pour com-
pléter ces travaux de défense, la lèvre supérieure supporle
quelquefois sept ou huit petits morceaux de chaume longs
de 1 centimètre et demi qui constituent une véritable
palissade, bien inutile d'ailleurs, puisque, dans toutes ces
régions, le baiser est inconnu, même de la nourrice.
Le plus souvent, c'est un unique morceau de bois mesu-
rant 2 centimètres 1/2 de diamètre qui vient fournir une
base sérieuse au nez, d'ailleurs peu proéminent et, par
suite, nullement disposé à s'écrouler.
Dans les narines, deux brins de chaume se dressent
fièrement, ainsi que des antennes; malheureusement le
papillon qui les supporte est un affreux papillon de
nuit.
LES BANZIRIS 79
Enfin, te lobe de l'oreille est absolument déformé par
l'introduction d'un épi de maïs de grosse dimension, qui
lient lieu de boucle d'oreille.
C'est dès son enfance que la femme « langouassis » est
mutilée de la sorte et, malgré leurs assurances que ces
opérations n'entraînent aucune souffrance, la mode ne sera
pas de sitôt adoptée en Europe.
Les hommes, de même que les « Banziris », ont peu
ou point de tatouages, en revanche ils se mutilent presque
aillant que les femmes. Certains ont, comme elles, le tra-
ditionnel « baguérc » (cylindre de quartz), mais ils porlenl
dans la lèvre supérieure un morceau de métal blanc
nommé « tongou », tordu en forme d'U, qui produit un
effet singulier; ils placent en outre horizontalement, dans
un trou qui perfore la cloison médiane du nez, un mor-
ceau de bois un peu plus gros qu'un crayon.
Malgré leur front fuyant et légèrement bombé au
80 AUTOUR DU TCHAD
sommet, l'ensemble de leur physionomie, grâce à leurs
yeux assez beaux, ne serait peut-être pas absolument
désagréable; mais les mutilations du bas du visage ont
amené, par atavisme sans doute, un prognathisme fort
sensible et qui n'est peut-ôlre pas originel.
Les Langouassis sont grands et sveltes; leur torse,
bien proportionné, repose, malheureusement, sur deux
jambes grêles, d'une longueur démesurée.
La coiffure la plus usitée représente assez exactement
un bonnet de coton noir dont la pointe serait recourbée
en arrière. Il existe presque autant d'autres modèles que
chez les Banziris, mais, ici, les perles enchevêtrées sont
remplacées par des cauris et les formes sont d'un goût
douteux.
Les (( Langouassis » sont lins et rusés; même dans une
conversation des mohis animées, ils élèvent la voix d'une
façon désagréable et semblent toujours disposésàse battre,
bien qu'ils soient, paraît-il, d'une bravoure contestable.
Leurs voisins les considèrent comme des gens de mauvaise
foi et nous avons pu nous convaincre par nous-mêmes
qu'ils étaient foncièrement voleurs. De toutes les tribus
rencontrées au cours de nos voyages, c'est celle des « Lan-
gouassis » qui a la plus mauvaise réputalion auprès de
ceux qui les connaissent.
Quoi qu'il en soit, nous n'eûmes pas à nous plaindre
d'eux, lors de notre premier voyage. Nous fûmes au con-
traire fort bien accueillis. Le soleil s'élant mis de la partie,
nous eûmes même toutes les peines du monde à nous
séparer de nos nouveaux amis. D'ailleurs, profitant de
Téclaircie, ils s'étaient mis en route en même temps
LES BÂNZIRIS 81
que nous, et nous attendaient à tous les coudes de la
rivière, à toutes nos escales, pour nous offrir soit de
l'ivoire, soit du fer et une grande quantité de vivres,
contre remboursement, bien entendu.
Mais peu à peu leur troupe diminue et bientôt le der-
nier « Langouassis » nous fait ses adieux. On m'explique
que nous atteignons la limite du territoire des « Togbos »
et que les « Langouassis » ne pourront venir en troupe,
chez leurs voisins, qu'après que nous aurons pris contact
avec ceux-ci.
Ils sont d'ailleurs invisibles et je regrette de ne pas
avoir connu ce détail plus tôt, j'aurais pris un ou deux
Langouassis avec nous : ils auraient pu faciliter notre entrée
en relations avec les Togbos, que nos Banziris ne con-
naissent que par ouï-dire. Ils paraissent même éprouver
une certaine inquiétude.
Le passage d'un rapide fort dangereux vient augmenter
nos ennuis et, lorsque, après une heure d'efforts, nous
parvenons à le franchir, nous apercevons un pont en lianes
sur lequel se trouvent une dizaine de guerriers armés de
leurs couteaux et de leurs lances. Détail inquiétant, ils
ont leurs boucliers : c'est généralement une marque de
défiance. Les Banziris pagayent silencieusemnnt et nous
passons sous le pont à 50 centimètres à peine des pieds
des guerriers. Ils nous regardent, sans curiosité, pendant
un moment, puis s'esquivent au pas de course sur les deux
rives. Nous passons sans nous arrêter auprès d'un empla-
cement qui parait très fréquenté ; les Banziris supposent
que c'est un marché, mais, comme nous rencontrons au
bout d'un instant un rapide plus difficile que le précédent,
p. Brumache. 6
82 AUTOUR DU TCHAD
nous rebroussons chemin et nous nous décidons à camper
en cet endroit.
Au moment où nous allions débarquer, un grand jeune
homme, présentant à peu de chose près les traits d'un Lan-
gouassis, recule, assez désagréablement surpris, à noire
vue. On le serait à moins. C'est un « Togbo ». Il n'avait
jamais vu de « blancs » et ne soupçonnait nullement notre
présence lorsque, sortant d'un taillis où il était allé tendre
des collets, il se trouva brusquement à quatre pas de nous.
11 hésite un moment, puis entre en conversation avec
notre guide Manguendjo. Il nous tend la main et nous
salue; il part ensuite dans la direction d*un village qui,
paraît-il, se trouve à proximité.
Nous débarquons notre pacotille, notre petit matériel,
et les Sénégalais commencent à installer notre campe*
ment. L'endroit où nous nous trouvons n'est pas des mieux
situés. C'est un petit retrait de la berge dépourvu d'arbres
et dominé par une haute falaise, mais Teau a envahi les
rives sur tous les autres points environnants : il ne faut
pas compter trouver un autre campement. D'ailleurs les
pirogues sont à proximité et à la moindre alerte pourraient
nous servir de refuge.
Notre jeune Togbo arrive bientôt, suivi d'une longue
théorie de guerriers armés et munis de leurs boucliers,
mais ils ne descendent point dans le camp et se tiennent
debout, immobiles et silencieux, sur le haut de la falaise.
Nous les invitons à venir auprès de nous, ils restent
impassibles. Décidément je préfère les cris discordants des
Langouassis à ce silence quelque peu inquiétant. Enfin
une légère houle se produit dans la foule grossissante,
LES UANZIRIS 83
elle s'écarte el un bomme d'environ quaranic ans, assez
bien fait, portant une barbe relativement fournie, s'avance
d'un pas (jui a l'intention d'être raide et compassé, mais
qui en toute autre circonstance nous paraîtrait quelque
peu titubant. Il nous adresse un discours très véhément,
puis fait mine de se retirer. Manguendjo nous déclare
qu'il n'a rien compris au discours de l'orateur, parce que
celui-ci est parfaitement ivre et parle difCcilemen t. —
Nous ne nous en !^e^ions jamais doulé. — Mais il s'élance
en quelques bonds sur la petite éminence et arrive enlin
à décider deux ou trois guerriers à venir dans le camp.
Enfin, au bout d'un certain temps, on décide, gr&ce à
une généreuse distribution de perles, quelques personnages
influents à aller chercher le chef. Il se nomme « Crouma «
et jouit d'une grande autorité dans sa Iribu.
8i AUTOUR DU TCHAD
Il arrive enfin. Sa physionomie contraste absolument
avec celle de tous les ïogbos — et ils sont nombreux —
qui nous entourent, nous pressent de toutes parts. Ceux-
ci doivent certainement appartenir au même groupe
ethnique que les « Langouassis ». Comme les ornements
en métal ou en quartz sont plus rares chez les Togbos,
leur visage est moins désagréable que celui de ces derniers,
mais ils ont avec eux beaucoup de points de ressem-
blance. — « Crouma » ne peut être assimilé à aucun des
types déjà vus. Il a deux grands yeux francs et rieurç, des
lèvres épaisses et souriantes, le nez épaté, de bonnes
grosses joues pleines. Une chevelure grisonnante et frisée
et un soupçon de barbe au menton. Il réalise Tidéal du
nègre casseur de pierre en Algérie: comme eux d'ailleurs,
il ne parait pas être l'ennemi d'une douce ivresse. De
même que le personnage qui nous a gratifié d'une harangue,
Crouma s'évertue à conserver une démarche grave et
digne. Il y parvient, mais ce n'est pas sans peine, et
c'est avec un véritable soupir de satisfaction qu'il s'affale
sur la caisse qu'un Sénégalais lui offre en guise de siège.
Manguendjo lui fait un petit discours pour lui expliquer
les motifs de notre visite. Cet aimable Banziri commence
à être pénétré de ses fonctions d'introducteur des ambassa-
deurs et s'en acquitte à merveille. Partout il nous a fait
avoir le meilleur accueil et jamais, lorsqu'il nous a servi
d'intermédiaire, nous n'avons eu la moindre difficulté, le
moindre ennui.
Crouma ne veut pas êlre en reste d'éloquence, et dans
une réplique où les R s'entre-croisent et roulent avec une
rapidité à rendre rêveur un ténor né sur les bords de la
LES BANZIRIS 85
Garonne, il nous explique que nous sommes les bienvenus,
que nous pouvons dès maintenant choisir un emplacement,
construire des cases, commercer sur son territoire sans
être le moins du monde inquiétés. Je lui fais dire que
nous sommes simplement venus pour nous assurer de ses
bonnes dispositions et lui apporter quelques cadeaux pour
lui faire connaître nos produits; que nous allons repartir,
mais que bientôt un plus grand nombre de « blancs »
viendront avec une quantité considérable de marchandises
faire du commerce avec les « Togbos ».
Il préfère cette solution parce que, dit-il, ce laps de
temps lui permettra de reconstituer son stock d'ivoire,
épuisé par suite d'affaires importantes traitées récemment
avec les « Tourgous ». Il nous fournit des renseignements
sur ces derniers, avec lesquels il fait depuis longtemps de
grosses transactions. Il n*a qu'à se louer de ses rapports
avec eux. Ils paient bien et ne pillent pas. Us ont quelques
fusils à deux coups, mais le plus grand nombre est armé
de lances et de couteaux bien souvent achetés dans le
pays. Les autres détails donnés par Crouma démontrent,
ainsi que nous avons pu nous en convaincre depuis, que
ces « Tourgous » sont des traitants musulmans. Nous
échangeons les cadeaux d'usage, puis Crouma se dispose
à se retirer, très satisfait de notre générosité, mais un
« Banziri » prend le chef à part et lui parle un moment à
l'oreille. Le brave chef revient vers nous, toujours sou-
riant, et, par une mimique expressive, nous fait com-
prendre qu'il désirerait faire « l'échange du sang ». On
remplace l'énorme coutelas qu'il sortait déjà de sa gaine,
pour procéder à l'opération, par une modeste lan-
86 AUTOUR DU TCHAD
cette, et, en un tour de main, nous voilà « cousins de
monarque ».
Cet honneur a molivé un supplément de cadeaux de
notre part, évidemment.
J'ai la malencontreuse idée d'entrer un moment après
dans ma tente; le Sénégalais, qui range mes effets, me
lance à brûle-pourpoint cette question insidieuse dans son
langage (c petit nègre » :
« Monsieur, s'il vous plaît, pourquoi les « blancs »
aiment-ils tant faire camarades de sang avec les noirs?
— Ce ne sont pas les blancs qui ont importé cette cou-
tume, c'est Tusage du pays et nous nous y soumettons,
voilà tout!
— Comment *... mais c'est Boubakar (le sergent séné-
galais) qui vient de dire au Banziri de dire au chef que tu
es toujours content de faire « camarade de sang » avec les
chefs noirs et qu'alors tu donnes de beaux cadeaux, et
Crouma a promis de donner un peu du cadeau au Banziri,
et lui, en donnera aussi un peu à Boubakar...! Chez les
Bondjios, il a fait la môme chose. Partout...! »
Je demeurai bouche close, et je renonçai, à l'avenir, à
faire l'échange du sang. Des voyageurs dignes de foi affir-
ment, cependant, que cet usage existe réellement dans
certaines régions du Congo français.
Nos marchandises touchaient à leur fin et j'avais
dépassé le délai que m'avait fixé M. Dybowski pour effec-
tuer les reconnaissances de l'Ombella et de la Kemo; il
i. Ce mot est employé à tous propos par les Sénégalais. Il pré-
cède toutes les phrases interrogalives et sert a témoigner aussi bien
la joie que Tindignation et Tétonnement. C'est aussi un terme de
vif reproche.
LES BANZIRIS 87
fallut nous séparer de « Crouma » et de ses excellents
administrés. Du reste, notre tâche était remplie. La Kemo
n'était plus navigable au delà du point où nous nous étions
arrêtés. Sa direction générale était bien à peu de chose
près Nord-Sud, c'est-à-dire que c'était la voie la plus pra-
tique de pénétration vers le Nord.
Enlin, nous avions établi les bases d'un traité avec le
chef d'une population paisible et jusque-là inconnue, qui
faciliterait plus tard nos relations avec les tribus plus éloi-
gnées. Eu dernier lieu, nous avions choisi l'emplacement
d'un poste qui constituerait une base sérieuse d'opération
pour une expédition à venir.
Ce sont là des résultats bien modestes, évidemment,
mais on ne m'en avait même pas demandé autant.
Loin de moi, d'ailleurs, la pensée de vouloir donner à
ces deux petites promenades l'importance même d'une
demi-exploration. Visitant, le premier, quelques coins de
ces régions encore .inconnues, je raconte ce que j'ai vu.
Et si je le raconte un peu longuement, c'est que les
modèles qui posaient, sans le vouloir, devant moi, pré-
sentaient un réel intérêt.
Ce que je tiens à faire constater, par exemple, c'est
qu'il n'a pas été tiré un seul coup de fusil pendant tout le
cours de mon récit.
J'avais donc raison de me défendre tout à l'heure d'avoir
voulu faire une exploration, puisque je n'avais pas pris
soin, dès le début, « d'ouvrir la route » à coups de fusil.
En somme, à notre arrivée aux Ouaddas, nous étions au
grand complet et en parfaite santé.
Briquez avait installé en cet endroit un véritable poste.
fc>8 AUTOUR DU TCHAD
Logements pour les Européens, casernements, magasins,
hangars, cuisine. C'était superbe.
Il fut convenu que Briquez resterait aux Ouaddas avec
le personnel, afin d'éviter des voyages inutiles et simpli-
fier le départ, pendant que je descendrais à Bangui rendre
compte de ma mission.
Le 15 octobre, je trouvai M. Dybowski, arrivé au poste
de Bangui depuis environ huit jours. Je retrouvai égale-
ment mon ami Nebout, qui avait rencontré dans la rivière
M'poko encore plus d'obstacles que moi dans TOmbella.
Parti de Bangui le 18 septembre, dans une seule
pirogue, qu'il a eu d'ailleurs beaucoup de peine à se pro-
curer, Nebout emmène avec lui dix hommes. Sénégalais
ou porteurs. Avec sa petite pacotille et son modeste maté-
riel de campement, il est fort à l'étroit dans sa pirogue.
Le premier jour, l'accueil est relativement satisfaisant dans
les nombreux villages qu'il rencontre. Mais le courant est
des plus violents et c'est à peine s*il peut franchir 12 à
15 kilomètres par jour.
Le 24 septembre, la navigation devient plus facile,
l'étape sera probablement meilleure, mais vers les deux
heures de l'après-midi, un rapide des plus dangereux
barre la route. Jusqu'à cinq heures du soir, Nebout, une
pagaie à la main, encourage ses hommes et lutte contre le
courant, mais ses hommes et lui-même, vaincus par la
fatigue, doivent renoncer à franchir le rapide. Le 25, il se
trouvait dans l'obligation de regagner l'Oubangui.
Les villages rencontrés par Nebout dans le M'poko
appartiennent à la tribu des Bouzerous, qui entoure le
poste de Bangui.
CHAPITRE IV
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL
Bembé, les Dakoas, les N'gapoux, les Musulmans. — Retour
à Bangui.
Le 25 novembre, M. Dybowski, Nebout et moi quittons
Bangui à destination des Ouaddas. Nous avons cette fois
un nombre suffisant de pirogues, choisies avec soin par
nos amis banziris; aussi sommes-nous à Taise et le voyage
nous paralt-ii des plus agréables.
Notre chef ne peut s'empêcher de manifester son éton-
nement en apercevant le poste que Briquez et moi avions
créé aux Ouaddas. Là, où il ne comptait trouver que quel-
ques huttes grossièrement construites à la hâte, s'élè-
vent des constructions qui ne dépareraient pas un poste de
la Colonie.
Nous restons trois jours aux Ouaddas, pour faire nos
provisions. A l'avenir, la farine de manioc, les ignames,
les bananes vont jouer un grand rôle dans notre alimenta-
tion ; aussi devons-nous donner tous nos soins à ces pre-
mières acquisitions.
90 AUTOUR DU TCHAD
Le 31, nous quittons les Ouaddas. Le convoi se com-
pose de 5 Européens, de 38 hommes d'escorte, dont 6 ont
fait partie de la mission Crampel, de 33 porteurs kassaïs et
de 18 Pahouins provenant de la mission Fourneau. Tout
notre personnel de porteurs était dû à Tobligeance de
M. Dolisie.
Notre voyage paraissait devoir s'effectuer sans incident,
mais, la veille de notre arrivée au village de Dioukoua
Moussoua, nous sommes assaillis par une violente tor-
nade. Vers quatre heures, le ciel se couvre, un vent vio-
lent soulève les flots de TOubangui et nous éloigne de la
rive ; les Banziris font des efforts surhumains pour gagner
la berge. Nos compagnons parviennent à atterrir, mais la
pirogue de Briquez et la mienne, envahies par les lames,
coulent à pic au moment même où nous allions accoster.
Nous perdons quelques instruments et surtout des carnets
de notes personnelles, mais nous devons nous estimer
heureux, car le mal aurait pu être plus grand : en effet
aucun des cinq Européens, sauf Nebout, ne sait nager.
On repêche nos malles, nos caisses, nos armes, que
l'on a grand'peine à faire sécher, car il pleut à torrents.
Le lendemain, nous atteignons le village de Dioukoua
Moussoua, habité par le chef banzîri, Bembé.
C'est un vieil ami de Nebout et il accueille notre
camarade avec de vives et sincères marques de sym-
pathie.
Nebout nous conduit à remplacement où était autrefois
situé le camp de Crampel. Nos hommes, aidés de tous les
habitants du village, arrachent les herbes et dressent les
tentes pendant que nous allons visiter le village. Tout le
A LA RECHEKCHE DE CHAHfEL 01
monde reconnaît « Nebout » et lui fait fôle. Prolitant du
départ de Bembé, qui est allé en partie de pêche, Nebout,
qui parait en excellenls termes avec toute la haute société
féminine de l'endroit, organise une sauterie intime, qui,
bien qu'exécutée par de toutes jeunes tilles, ne saurait, à
aucun point de vue, être comparée à un << bal blanc »
On remarque surtout une sorte de quadrille dont les
ligures sont assez gracieuses. De temps à autre, les deux
femmes qui se font vis-à-vis s'avancent en faisant tinter
les grelots de leurs bracelets, puis choquent leurs ventres
l'un contre l'autre en produisant un claquement sonore.
Nous restons quatre jours chez Bembé, qui voudrait
bien nous retenir : il nous aime beaucoup et ne déteste
pas les produits d'Europe, notamment les « crissis », perles
blanches. Mais il faut songer au départ.
92 AUTOUR DU TCHAD
L'ordre de marche est ainsi arrêté :
Nebout à Tavant-garde, avec 12 hommes ; un groupe de
porteurs; MM. Dybowski, Bobichon et moi au centre, avec
22 hommes; un second groupe de porteurs protégés par
Briquez et rarrière-garde.
Nous n'emportions que le strict nécessaire, car nous ne
disposions que d'une faible quantité de porteurs; néan-
moins sur les conseils de Nebout, qui connaissait bien
les régions que nous allions parcourir, rassortiment
composant notre pacotille était très judicieusement choisi.
Le 8 novembre, à sept heures du matin, nous levons le
camp par un temps incertain. Nous laissons à la garde de
Bembé deux porteurs kassaïs atteints de variole. De son
côté, le chef banziri nous donne un de ses esclaves pour
guide. A quelques kilomètres du village, il nous faut tra-
verser un marais large et profond. On enfonce dans la
vase ; il est impossible à la caravane de marcher en ordre.
Nous nous engageons dans un sentier qui pénètre dans
de hautes herbes, mais nous devons bientôt nous arrêter
pour soigner M. Dybowski, en proie à un violent accès de
lièvre. Il se repose une heure pendant que nous prenons
notre repas, puis nous nous remettons en route.
L'arrière-garde s'est égarée à un carrefour et, malgré
les conseils de Nebout, M. Dybowski fait tirer quelques
coups de feu pour lui donner la direction. Peu de temps
après. Briquez arrive avec tout son monde et nous attei-
gnons un village habité par les « Langouassis ».
Les coups de feu de tout à l'heure ont dû leur donner
de l'inquiétude : toutes les cases sont vides; c'est regret-
table, car, maintenant, il faut s'en rapporter au hasard
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 93
pour choisir, parmi les nombreux chemins qui se croisent,
celui que nous devons suivre.
Après de nombreux tâtonnements, nous arrivons, à la
tombée de la nuit, dans un petit groupe de cases égale-
ment abandonnées.
Nebout et le Banziri que nous a donné Bembé poussent
des appels qui restent sans écho. Nous nous mettons en
devoir d'installer le camp : alors seulement un Langouassi
sort craintivement d un taillis, s'approche et parlemente.
D'autres arrivent, et peu à peu le village se repeuple. Au
milieu de la nuit, il fallut imposer silence à nos hommes
qui fraternisaient avec les indigènes autour d'une immense
jarre de bière de mil.
J'achetai dans ce village, pour nos collections, une fort
jolie pipe et sa pince à braise, absolument semblable aux
pinces employées par les caouadjis (cafetiers) algériens.
La pipe se compose d'une noix du palmier de borassus
percée d'un trou par où se fait l'aspiration. Sur la partie
plate est pratiqué un autre trou plus grand, dans lequel
s'emmanche un morceau de bois creux protégé à Tinté-
rieur par de minces plaques de fer : c'est le fourneau. Il
est orné extérieurement de petits festons en fer ou cuivre
incrusté et d'anneaux également en métal. Quelquefois le
fourneau est entièrement en fer, mais la pipe est moins
élégante.
Le 10 novembre, nous installons notre campement au
bord d'une rivière encaissée et profonde. Biscarrat a dû,
en cet endroit, livrer un combat assez sérieux. A peine
arrivé, M. Dybowski est obligé de s aliter, il est pris de
vomissements, son sommeil est agité, il a le délire et pen-
94 AUTOUR DU TCHAD
(lant toute la nuit, il faut rester à son chevet. Le lende-
main, son état ne s'est pas amélioré, il nous est impossible
(le reprendre notre route. Nous faisons séjour.
Nos hommes construisent une passerelle et nous nous
mettons en marche le lendemain. A cinq heures du soir,
nous atteignons le village de « Madoungo ». Ici encore
Nebout a laissé d'excellents souvenirs; le chef ne s'occupe
que de lui et le comble de prévenances. Nous nous ins-
tallons tous deux auprès d'une caisse de perles pour pro-
céder aux achats de vivres, mais les Langouassis ne con-
naissent que mon camarade. Ils le harcèlent, le tirent par
la manche, l'appelant même par son nom qu'ils estro-
pient un peu : Nabrou! Nabrou! Je renonce à seconder
mon ami dans son ennuyeuse besogne et je me con-
tente d'admirer les élégantes sagaies des Langouassis,
leurs couteaux de formes variées et d'un travail soigné.
Beaucoup de ces armes paraissent neuves, j'en demande
la raison et j'apprends que les Langouassis sont d'aussi
habiles forgerons que les N'gombés. Chaque fois qu'ils se
rendent au marché d'une tribu voisine, ils vendent fort
cher une ou deux pièces de leur armement; de retour
chez eux, ils s'empressent de forger un couteau ou une
lance pour remplacer l'objet vendu, de sorte qu'ils ont
toujours des armes neuves. Elles sont d'ailleurs fort
bien entretenues, soigneusement fourbies et enduites
d'huile.
Le 14, nous atteignons le village du chef Balao. Le
camp est encombré de chèvres et de poules, qui nous ont
été offertes en présent par le chef et ses parents. Je suis
surpris de celte générosité, mais mon étonnement cesse,
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 95
lorsque j'apprends que Nebout a séjourné un mois en
cet endroit.
En quittant Balao, nous prenons des sentiers peu battus
et nous traversons une série de cours d'eau profonds et
pénibles à traverser. Nous nous engageons ensuite dans
d'inextricables marais, dont la profondeur augmente à
chaque pas. Le chemin est marqué par l'absence d'herbe,
mais à droite et à gauche de l'humide sentier, dans lequel
on enfonce jusqu\i la ceinture, on remarque de hautes
touffes de joncs. Chaque tige est surmontée d'un nid d'où sort
une petite tête rouge avec deux yeux vifs. Tout autour de
nous voltige, sans paraître le moins du monde effarouchée,
une nuée de petits oiseaux d'un rouge écarlate qui égaient
un peu ce tableau passablement monotone. Nous arrivons
près d'un village et nous apercevons un groupe sur la
place ; ce sont de grands gestes et de grandes clameurs.
Que se passe-l-il? C'est tout simplement Nebout que l'on
acclame. Les « Dakoas », car nous sommes sur leur terri-
toire depuis ce matin, n'en peuvent croire leurs yeux.
« Nabrou est revenu, Nabrou n'est pas mort »; son nom
est dans toutes les bouches. Notre ami se dérobe à cetle
ovation. Si chaleureuse qu'elle soit, il trouve qu'elle ne
suffit pas pour sécher nos vêtements et réchauffer nos
membres engourdis. Il dit un mot aux indigènes, et immé-
diatement tous apportent d'énormes fagots , des bûches
immenses et allument un grand feu qui est bientôt entouré
par toute la caravane.
Le chef se nomme Zouli. On est allé le prévenir de
notre arrivée ; il demeure dans un village peu éloigné de
celui où nous nous trouvons. Bientôt nous voyons appa-
i
96 AUTOUR DU TCHAD
raîtrc un homme, jeune encore, sémillant et frétillant ; il
s'avance vers nous d'un air très digne et tombe bientôt
dans les bras de Nebout. C'est Zouli! Rien ne saurait
peindre sa joie! Il ne peut tenir en place, il se trémousse,
rit, frappe les mains et nous explique avec force gestes
que Nebout est resté près de son village pendant plus de
deux lunes, et qu'il y a laissé d'excellents souvenirs. Il
nous parle aussi de la fin malheureuse de Grampel et de
Biscarrat et expose, avec beaucoup de netteté et de clair-
voyance, son avis sur les causes qui ont amené cet événe-
ment. Zouli est très intelligent et très dévoué; il rendrait
certainement de réels services aux Européens qui vien-
draient s'installer dans la région. Zouli est peut-être un
peu obséquieux, mais avec une câlinerie d'enfant qui lui
fait pardonner ce vilain défaut. Il est intéressé; mais, s'il
est avide de tous nos produits européens, ce n'est pas
tant à cause de cet instinct de possession inné chez le
nègre, aussi bien que chez les autres races, c'est surtout
parce qu'il se rend compte de leur utilité pratique.
C'est ainsi qu'il préférera de beaucoup un vêtement
confectionné, des ustensiles, des outils aux perles et aux
miroirs. La scie et la lime, dont on lui montre l'usage,
le transportent d'admiration. Malheureusement tous ses
administrés ne partagent pas ses sentiments. Dans sa
famille même, nous en avons un exemple frappant. Son
frère Goubanda préfère de beaucoup les perles et les
cauris, qui lui permettent d'acheter de grandes quantités
de « pipi », bière de mil, sa récolte personnelle ne lui
suffisant pas pour ses libations quotidiennes.
Nous transportons notre campement sur l'emplacement
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 97
autrefois occupé par Nebout, sur les bords de la charmante
rivière Zanvouza. Comme son nom, ses rives ont beaucoup
d'analogie avec cette délicieuse Voulzie chantée par Hégé-
sippe Moreau.
Nous allons souvent avec Nebout nous asseoir sur une
roche, dans un bouquet de verdure, au bord de la Zan-
vouza. Zouli vient nous rejoindre, et tandis que mon ami
et moi causons de nos projets d'avenir, le chef parait vou-
loir nous faire une confidence. Il se lève, regarde de tous
côtés pour s'assurer que nous sommes bien seuls, puis il
sort religieusement de son sac de cuir un paquet formé
de feuilles de bananiers et ficelé avec une liane. Les enve-
loppes se succèdent, enfin un chiffon rouge est déplié avec
précaution et Zouli en extrait un papier plié, portant des
caractères d'imprimerie. « Voilà, nous dit-il, ce que ma
donné le commandant (Crampel); c'est un fétiche, n'est-ce
pas? » Nous déplions la feuille, pensant qu'elle sert à pro-
léger un traité en bonne et due forme. Mais non, c'est
simplement une page de périodique illustré français sur
laquelle s'étale un magnifique « dessin-réclame » de
Chéret. « Oui, ajoute Zouli, mon frère Goubanda et moi
étions allés faire visite au commandant. En nous congé-
diant, il nous donna à tous deux un présent d'égale valeur.
Je lui fis remarquer qu'étant chef, il était juste que ma
part fût plus forte. Le commandant, qui était préoccupé et
n'avait point de perles sous la main, prit cette feuille qui
entourait un objet précieux et me la donna. C'est un fétiche,
n'est-ce pas? puisqu'il représente une femme de chez vous,
qui sourit : voici sa chevelure, ses yeux, sa bouche, ses
mains. »
p. Brunache. 7
98 AUTOUR DU TCHAD
« Hélas! mon pauvre Zouli, ce n'est pas un fétiche, mais
c'est un précieux souvenir, car celui qui te Ta donné n'est
plus. 11 a versé son sang pour son pays, il s'est sacrifié
pour une cause noble et belle. Puissent ses successeurs
être i la hauteur de leur tâche! »
Zouli n'a pas saisi toutes ces pensées, que nous échan-
geons dans un seul regard, Nebout et moi. Mais il a vu
notre émotion et renferme précieusement dans son sac
« son fétiche », qui ne le quittera plus.
Pendant ce temps, l'animation la plus grande règne dans
le camp, les transactions sont très actives. Ceux des indi-
gènes qui ne possèdent rien à apporter sur le marché,
cherchent néanmoins à se rendre utiles. Nos Sénégalais
usent et abusent de leurs services. Les pièces d'un fusil
sont réparties entre plusieurs désœuvrés, qui procèdent
avec le plus grand soin à une séance « d'astiquage » dont
r « adjudant » le plus méticuleux se montrerait ample-
ment satisfait.
Les Dakoas sont de mœurs très douces. Bien que leur
type rappelle un peu les formes sveltes des « Langou-
assis », ils possèdent Theureux caractère et bon nombre
de qualités des « Banziris ». Ils sont évidemment moins
affinés que ceux-ci, mais, comme ils ne leur cèdent en
rien au point de vue de l'intelligence, une installation
d'Européens dans cette région trouverait auprès d'eux de
précieux auxiliaires.
Les armes des Dakoas sont assez semblables à celles
des Langouassis. L'arc cependant commence à jouir d'une
faveur plus grande que la lance. Nous remarquons un
modèle de couteau de jet que mes compagnons, sauf
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 09
Nebout, ne connaissaient pas encore et que j'avais déjà
vu dans la Kemo, chez les « Togbos ».
Les Dakoas, qui paraissent à première vue plus turbu-
lents que braves, sont, paraît-il, très redoutés de leurs
voisins, et Zouli, le sémillant Zouli, repousse rudement
les rares incursions risquées sur son territoire.
Les Dakoas sont essentiellement mélomanes. Ils pos-
sèdent une sorte de guitare, ou plus exactement de cithare,
dont ils tirent des sons relativement mélodieux. Il n'est
pas rare de voir un des sujets de Zouli s'installer au bord
de la rivière, dès le matin, et chanter en s'accompagnant
de son instrument jusque vers le coucher du soleil.
Nous comptons partir le lendemain, 20 novembre. Zouli
nous donne comme guide « Mabingué », que Nebout con-
naît et qui a déjà accompagné Crampel chez les N'gapoux.
Zouli nous engage à être circonspects, les musulmans
sont dans la région et pourraient nous faire un mauvais
parti. A son avis, nous ne tarderons certainement pas à
les rencontrer. 11 y a un mois à peine qu'ils ont séjourné
chez lui et ont fait quelques acquisitions d'ivoire. Ils
avaient trois ou quatre bêtes de somme, qu'il nous
décrit avec force détails : ce sont des mulets ou des unes.
« Les Cridimis », c'est ainsi que l'on désigne, ici, les
musulmans, venaient de la « Kemo »; ils sont divisés en
plusieurs bandes, qui se réuniront sans doute chez les
« N'gapoux », pour retourner chez eux.
Nous faisons nos adieux à Zouli, puis nous suivons
pendant quelque temps un sentier assez bien frayé. Les
premiers villages « n'gapoux » que nous rencontrons
sont abandonnés. Les habitants ont dû fuir à notre
100 AUTOUR DU TCHAD
approche, car nous voyons partout des ustensiles près
des foyers à peine éteints, des corbeilles pleines de
manioc. Nous sommes frappés de Tabondance des gre-
niers à mil et des séchoirs à maïs garnis à s'effondrer.
Déjà, chez les Langouassis et les Dakoas, nous avions
constaté des cultures importantes et bien tenues. Chez les
N'gapoux nous rencontrâmes des plantations considérables
de mil, de sorgho, de manioc, de sésame, qui nous expli-
quèrent la présence de ces nombreux greniers. Quant aux
arachides, on les récolte partout en Afrique, même dans
les régions les plus déshéritées.
Cette solitude commence à devenir inquiétante, d'autant
mieux que Mabingué, le guide dakoa, nous a, ainsi qu'il
était convenu, quittés dès que nous eûmes pénétré sur le
territoire des N'gapoux.
Nous atteignons un petit hameau situé à un jour de
marche du village du chef Yabanda, auprès duquel Nebout
se fait fort de nous faire bien accueillir, malgré tous les
racontars malveillants qui se colportent au sujet de ce chef.
Mais, au dire de Nebout, Tétape de demain sera très
longue et des plus pénibles, dans une forêt de bambous
déserte et absolument dépourvue d'eau. Il redoute même
de partir sans guides.
Pendant que nous installons notre camp, arrive un
vieillard indigène, borgne, difforme et contrefait. On a
beaucoup de peine à lui donner à comprendre que nous
voulons simplement passer la nuit près du village, acheter
des vivres et louer des guides. Un mince cadeau produit
plus d'effet que nos longs discours. Il s'éloigne en nous
faisant signe qu'il va revenir, et disparaît dans le fourré.
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL iOi
Peu d'instants après, il s'avance vers nous, escorté d'une
véritable « cour des miracles ». Son escorte a cependant
quelques vivres et nous les offre. Nous les payons très
largement et peu de temps après, un bancal, un boiteux
et un borgne s'étant pour un moment détachés du groupe,
nous voyons sortir de tous les buissons des hommes, des
femmes, des enfants qui nous entourent et nous pressent
d acheter les denrées qu'ils nous apportent en grande
quantité.
Nous nous plaignions tout à l'heure de la solitude, main-
tenant c'est le contraire, la foule devient encombrante. En
effet, l'annonce de la venue des « blancs » avait causé une
panique dans le village. Les habitants s'étaient enfuis
dans les taillis, emportant ce qu'ils avaient de plus précieux.
Une fois en sûreté, ils attendaient anxieux; de longues
heures se passaient. Pour tromper Tennui de l'attente et
aussi pour se donner du montant, les guerriers avaient fait
de fréquentes accolades aux gourdes pleines de « pipi »,
qu'ils ne manquent pas d'emporter avec eux, car les nègres
estiment généralement qu'il est impossible de combattre
si l'on n'est complètement ivre, et peut-être faudra-t-il
en venir aux mains. — Mais les « blancs » arrivent, ils
paraissent animés de bonnes dispositions, on pourrait
peut-être essayer de parlementer. C'est alors qu'on
délègue, de gré ou de force, un vieillard, un invalide,
un estropié. — Si le délégué est mal accueilli, fait pri-
sonnier ou mis à mort, le nombre des combattants ne
sera pas diminué. Et voilà pourquoi ce ne sont jamais
les plus beaux spécimens de la race autochtone qui
réintègrent les premiers un village abandonné. Enlin, il
102 AUTOUR DU TCHAD
convient d'ajouter que la chaleur des effusions qui suivent
le traité de paix est en raison directe de la quantité
de bière absorbée, en attendant Tenvahisseur inconnu.
Ce jour-là, nos nouveaux amis avaient certainement dû
épuiser leur provision de Tannée.
L'essentiel c'est que Nebout a obtenu des guides pour
nous conduire chez Yabanda.
Le lendemain, 22 novembre, nous pénétrons dans celte
forêt de « bambous ». Je n'essaierai pas de faire montre
de connaissances botaniques que je ne possède nullement,
je me contenterai de faire remarquer que c'étaient là
les premiers bambous que nous rencontrions depuis notre
départ de Loango. Les Européens du Congo donnent
improprement ce nom à des branches de « palmiers
élaïs », je crois, qu'ils emploient dans la construction
des cases. Cette fois nous étions en présence de véritables
bambous, lis en ont laspect, mais ils sont pleins et par
suite ne peuvent se prêter à certains usages à cause de
leur poids. Ce sont les seuls échantillons que je vis pen-
dant tout mon séjour en Afrique.
Nous atteignons enfin la lisière de la forêt et nous
établissons notre campement auprès d'un petit cours
d'eau voisin du village habité par le chef Pangoula.
Encore un ami de Nebout! Décidément c'est désolant!
venir de si loin pour ne trouver que des amis et assister
à de simples présentations!
Enfin, voici de l'imprévu : peu de temps après notre
arrivée, un des enfants de Yabanda vient saluer « son
ami Nabrou ». L'enfant, après avoir mis notre camarade
au courant des menus faits survenus depuis son passage,
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 103
lui dit : « Tu sais, Samba est ici ». Ce nom de Samba est
si commun chez les Sénégalais que, parmi toutes les
tribus sauvages où ceux-ci ont séjourné, il est devenu
le seul et unique vocable servant à les désigner. Nebout,
intrigué, dit au fils de Yabanda d'aller chercher ce Samba
et prier son père de venir.
Peu de temps après, le chef n'gapoux arrive au camp;
c'est à peine si nous répondons au salut de ce chef aussi
aimable que bedonnant. Notre attention est attirée par
un solide gaillard qui le suit, et dont la physionomie
tranche absolument avec celle des jeunes hommes qui
Tentourent. Une vieille couverture militaire est son unique
vêtement et il paraît tout honteux de se trouver ainsi à
moitié nu.
11 fixe longuement Nebout, puis, fondant en larmes, il se
précipite dans les bras de notre ami. Nebout, aussi ému
que lui, nous dit que cet homme est un des meilleurs
soldats de Crampel et qu'il se nomme Mahmadou Siby.
Nebout parle parfaitement la langue ouoloif.
Nous allons aussitôt vers M. Dybowski, et l'interroga-
toire commence sans retard : nous sommes tous là,
oppressés, émus, impatients d'écouter, de savoir : « Envoyé
par Biscarrat, le 20 mai, vers El-Kouli, il partit avec
Amady Diawara, pour s'assurer de la vérité. Ils arrivèrent
à El-Kouti huit jours après et furent aussitôt saisis et
enchaînés; après promesse de ne pas s'enfuir, on les laissa
dans une liberté relative et ils furent réunis à leurs cama-
rades, prisonniers depuis quelque temps déjà.
« Niari et Ichekkad sont dans le village; le Targui, libre,
a conservé la femme que M. Crampel lui avait donnée chez
104 AUTOUH DU TCHAD
Bembé : il vient causer avec les Sénégalais, et se vante
d'avoir fait assassiner M. Crampel, Saïd et Biscarrat. Peu
de jours après, il part vers le nord, emportant des mar-
chandises.
« Les Sénégalais projettent de s'enfuir, mais le caporal
Demba-Ba, devenu l'ami du chef Snoussi, qui lui a donné
une femme et un fusil, les dénonce et les fait enchaîner de
nouveau; sont exceptés le sergent Samba Assa et le soldat
Amady Pâté, qui paraissent peu désireux de s'enfuir, crai-
gnant sans doute le châtiment de leur désertion.
« Les armes et les marchandises sont partagées, comme
récompense, entre tous ceux qui ont participé au crime;
une grande partie est emmenée vers le nord. Demba-Ba
apprend aux hommes de Snoussi le maniement des armes.
Huit jours après son arrivée, Mahmadou Siby s'enfuit
avec Amady Diawara.
« Ils marchent pendant deux jours et sont de nouveau
repris par la troupe qui vient de tuer Biscarrat et qui con-
duit à El-Kouti les marchandises et les hommes capturés.
Dans la nuit, Mahmadou peut rompre ses liens et veut
délivrer son camarade ; mais ce dernier, las des fatigues,
des privations, refuse de fuir : Mahmadou part seul, et,
mangeant des fruits et des racines, gagne le village de
M'poko. Ce chef lui donne une provision de manioc et
l'envoie vers Yabanda, chez lequel il arrive quatre jours
après. Il était sauvé.
« 11 veut cependant continuer jusqu'à l'Oubangui, mais
les N'gapoux l'en dissuadent : « Ne pars pas, tu es seul
« et sans armes, les Langouassis te tueront ; reste avec nous,
« attends Nebout, qui doitreveniravecbeaucoupdesojdals. »
A LA RECHERCHE DE ÇRAMPEL
105
« El pendant cinq mois il reste chez ces braves gens,
toujours bien traité. ><
Il nous raconte sur la mort de notre chef, la version
tju'il a entendue, à E^-Kou<i, des musulmans eux-mêmes :
« M. Crampel, las des retards sans fin, des privations qui
le tuaient, quitta El-
Kouti vers le 8 avril,
avec Niari, Saïd et le
Sénégalais Sadio; il es-
pérait peut-être encore
parvenir près d'un grand
sultan, qu'on lui aflir-
mail se trouver à huit
jours au nord.
« On le portait en
hamac. Le premier jour,
vers midi, il était à
table, écrivant, quand
des hommes de Snoussi
s'approchent de lui et le
frappent d'un coup de
, , . , ^, « Musu Diaa DO du lia HouDa
hache a la tète ; en même
temps Saïd et Sadio tombent ^ous les coups de lances.
« M'Bouiti, domestique de Sald est fait prisonnier,
mais un mois plus tard il peut s enfuir et se réfugier près
de Biscarrat. »
Quand par mille questions nous avons satisfait notre
curiosité, Mahmadou nous apprend qu'une troupe de gens
d'El-Kouti est actuellement dans la contrée; arrivés chez
Yabanda, ils se sont divisés en plusieurs bandes, dont la
106 AUTOUR DU TCHAD
plus nombreuse est encore dans les villages, les autres se
sont éloignées vers Touest.
Ils ont réclamé Mahmadou comme étant leur esclave
fugitif, mais Yabanda a refusé de le livrer; son attitude,
ses menaces, intimidèrent les musulmans.
A la suite d'un court entretien avec ce chef, la conviction
de M. Dybowski est faite. 11 estime que nous sommes en
présence des assassins de Crampel et de ses compagnons
et qu'il y a lieu de les attaquer sans leur donner le temps
de fuir.
Cette tâche est conflée à Nebout et à Briquez, qui parti-
ront avec quelques Sénégalais dès que Yabanda les fera
prévenir.
MM. Dybowski, Bobichon et moi resteront à la garde
du camp, avec la majeure partie de Tescorte, les porteurs
kassaïs et les Pahouins.
Vers dix heures, les indigènes appellent de la brousse,
n'osant approcher de peur des factionnaires. Nebout et
Briquez réveillent leurs hommes, lis nous serrent la main
et s'enfoncent dans la nuit.
Vers une heure du matin, j'entends un feu de salve suivi
de quelques détonations isolées, puis plus rien. Nous atten-
dons anxieux jusqu'au petit jour, enfin nous voyons arriver
Nebout, puis Briquez et nos hommes; un seul manque
à l'appel, il a été tué d'un coup de feu pendant l'action.
Ils nous rapportent une foule d'objets provenant de la
mission Crampel et trouvés dans les bagages abandonnés :
des instruments de précision, des étoffes, des vêtements,
des couteaux, des carnets; tous ces objets sont reconnus
par Nebout et les hommes ayant appartenu à la mission.
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL i07
Un jeune enfant, nu et couvert de poussière, mais à
l'œil vif, à la mine éveillée et franche, se trouve égale-
ment avec eux. C'est par suite d'un miracle que le pau-
vret est encore en vie !
Voici d'ailleurs ce que nous apprennent Nebout et Bri-
quez : En quittant le camp, hier soir, vers dix heures,
ils marchent pendant une heure et demie dans les lénè-
bres, suivant un sentier des plus pénibles. Ils se trouvent
enlin dans un champ de mil et aperçoivent des feux et des
gens endormis. Ce sont les musulmans.
Au moment ofi ils se disposent à cerner le camp, le choc
d'un sabre-baïonnette contre une pierre réveille les dor-
meurs. Voyant que leur présence est dénoncée, les Séné-
galais font un feu de salve que nos amis ont peine à
arrêter. Un enfant se précipite affolé au milieu de la fusil-
lade et vient se réfugier aux pieds de Briquez.
Nos amis pénètrent dans le camp, mais le résultat
obtenu n'est pas celui qu'ils espéraient. Beaucoup de
musulmans se sont enfuis. En revanche, presque tout leur
matériel est resté sur place et Nebout retrouve beaucoup
d'objets ayant appartenu à la mission Crampel.
Le 23 novembre, nous déplaçons notre campement pour
nous rapprocher du village de Yabanda. Nous trouvons
chez ce chef une femme de l'Oubangui, Assenio, qui était
au service de Biscarrat et qui nous donne des détails très
circonstanciés sur l'assassinat de l'infortuné compagnon de
Crampel. Elle ne peut s'expliquer comment Nebout a
réussi à échapper au couteau des meurtriers qui se sont
portés à sa rencontre, conduits par Ichekkad, immédiate-
ment après avoir tué Biscarrat.
i08 AUTOUR DU TCHAD
Mahmadou Siby, notre nouvelle recrue, et Assenio nous
parlent de Yabanda dans les termes les plus chaleureux.
Ce chef les a recueillis et soignés au milieu de sa famille
et au même titre que ses enfants, il s'est toujours montré
extrêmement doux et bienveillant pour eux.
D'ailleurs il n'a pas Tair d'un méchant homme, tant s'en
faut. 11 est petit, râblé, potelé et réalise, en noir, le type
du bureaucrate endurci.
M. Dybowski ayant été malade, ce brave homme n'a
pas quitté le chevet de son lit, lui apportant du lait, des
fruits et se montrant plein de petites attentions dont on
n'aurait pas cru ces sauvages susceptibles. 11 convient de
dire cependant que ce modèle des gardes-malades avait,
deux jours avant, profité d'un moment d'inattention de
notre part pour dépecer un cadavre laissé sur le champ
de bataille et alimenter à peu de frais ses cuisines.
Mon Dieu! il faut bien le dire, de toutes les peuplades
rencontrées à ce jour, les « Banziris » seuls ne sont pas
anthropophages, ils s'en défendent énergiquement. Je
n'aftirme pas qu'ils ont renoncé depuis des siècles à cette
horrible coutume, mais je crois cependant qu'ils ne la pra-
tiquent plus et la réprouvent.
Comme bien l'on pense, à la suite de cet événement, la
question de l'anthropophagie fut fréquemment discutée
pendant notre séjour en cet endroit. Yabanda, lui-môme,
qui l'avait provoquée sans s'en douter, vint nous donner
son avis : « Je ne prétends pas, nous dit-il, qu'il soit de
mon devoir de manger tous les N'gapoux, même en cas de
famine, pour leur conserver un chef. Mais vous ne ferez
pas de difficulté à reconnaître qu'il est bien doux de se
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 109
repaître de la chair d'un homme que Ton hait et que l'on
a tué à la guerre ou en combat singulier.
« D'ailleurs, à propos de ce musulman dont vous me
reprochez le « gîte à la noix » ou la « côte première »,
lequel lui a causé le plus de dommage : vous qui Pavez
tué, alors qu'il ne demandait pas mieux que de vivre, ou
moi qui l'ai mangé après décès? »
Le raisonnement de Yabanda est aussi spécieux que
macabre, il tendrait néanmoins à prouver que certains
anthropophages ne mangent que les hommes tués à la
guerre ou morts accidentellement. C'est d'ailleurs l'opi-
nion qui tend à prévaloir.
Je sais que, pour ma part, j'admettrai difficilement la
légende des parcs, où des esclaves sont mis à l'engrais, en
attendant de figurer dans un festin royal. Mes compagnons
de voyage, pas plus que moi, n'ont, que je sache, jamais
vu chose pareille. Certains fonctionnaires du Congo fran-
çais, qui ont beaucoup voyagé chez les cannibales et nous
ont donné sur eux des renseignements très détaillés, ne
nous ont jamais signalé semblable fait.
Je ne nie pas l'existence de ces parcs dans les régions
que je ne connais point, mais, comme parmi ceux qui
avancent le fait il ne se trouve aucun témoin oculaire, je
me permets d'exprimer mon opinion.
Certes, les tribus anthropophages sont encore fort nom-
breuses en Afrique et ne sont pas encore toutes près
d'abandonner leur hideuse coutume, mais il ne faudrait
pas se hâter de conclure que l'élevage ou « seulement le
trafic » du bétail humain est pratiqué dans certaines
régions.
ilO AUTOUR DU TCHAD
Si nous étudions de près les races anthropophages
que nous avons rencontrées, nous constatons tout d'abord
que, généralement, elles sont intelligentes, et que d'autre
' part, sans être absolument misérables, elles sont relative-
ment peu fortunées. Or, si imprévoyant que soit le nègre,
il se garderait bien d'immobiliser et surtout de détruire un
capital aussi sérieux représenté par deux bras, aptes aux
travaux les plus pénibles.
Pendant qu'il est à Tengrais, Tesclave coûte et ne rap-
porte rien : aussi friands de chair humaine que les noirs
puissent être, c'est bien peu les connaître que de les croire
susceptibles de s'offrir un festin aussi dispendieux et
attendu pendant si longtemps.
On a parlé également de la nécessité, par suite du
manque de ressources, qui pousse les populations à
l'anthropophagie. C'est là une théorie qui ne soutient pas
la discussion. Le gibier abonde partout et les nombreux
crânes d'antilopes, d'hippopotames et d'éléphants qui
ornent les arbres fétiches des villages en font foi. Les plus
modestes des cours d'eaux, et ils sont plus nombreux
qu'on ne pense en Afrique, fournissent tous au pêcheur
le moins habile une respectable quantité d'excellents
poissons.
Enfin, dans le village le plus misérable, les arachides,
le manioc, les ignames ne font jamais défaut aux habitants.
Ils ne sont donc pas dans la nécessité absolue de manger
leurs semblables, d'autant plus que les racines, les bêtes
mortes et en putréfaction, les chenilles qui abondent, leur
fournissent en outre une sérieuse base d'alimentation qu'ils
sont loin de dédaigner.
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 111
L*occasion seule en fait des anthropophages, et Tocca-
sion c'est la guerre, c'est un accident survenu à un esclave
mis dans l'impossibilité de travailler à l'avenir, et encore je
fais des réserves pour ce dernier cas. Si l'homme n'est
pas tué sur le coup, s'il a seulement un membre brisé,
broyé, on ne le tuera certainement pas pour le manger.
Il suffit, pour s'en convaincre, de voir comment sont
traités les esclaves môme chez les Cannibales les plus
endurcis. Il existe, en Europe, bien des domestiques qui
échangeraient volontiers leur livrée galonnée contre les
chaînes de ces esclaves. Il n'est question ici, bien entendu,
que des esclaves appartenant aux noirs de l'intérieur et
nullement de ceux « au service » de « blancs » de la côte
ou de certains nègres civilisés.
Tandis que j'émettais ces théories, tout en barbotant
avec l'ami Nebout dans le clair ruisseau qui coule au pied
de notre campement, un de nos hommes vint le prévenir
que M. Dybowski désirait lui parler. Yabanda nous
annonce, du reste, qu'il a signalé à notre chef la présence
d'un musulman dans un village voisin.
Nebout va sans doute être chargé d'aller le saisir. Je
demande en grâce à notre ami de faire l'impossible pour
le ramener vivant : il est en effet indispensable d'essayer
d'obtenir de lui quelques renseignements, tout au moins de
savoir s'il parle l'arabe, ce qui serait déjà un grand point
d'établi.
Mon camarade partageait déjà cette manière de voir : je
n'ai donc pas de peine à le convaincre.
Après avoir conféré pendant un instant avec M. Dybowski ,
Nebout part avec quatre Sénégalais d'escorte. Il marche
i
112 AUTOUR DU TCHAD
pendant un quart d'heure et se trouve bientôt en présence
d'un rassemblement de N'gapoux, qui s'écartent et lui lais-
sent voir un noir assis à terre et solidement amarré.
Nebout lui délie les jambes et lui fait signe de se lever
et de le suivre. Ils font route vers le camp, escortés d'une
foule nombreuse de N'gapoux, qui hurlent et vocifèrent.
« Niama, Niama », de la viande! tel est le cri que Ton
entend à tous moments.
On amène le prisonnier devant notre tente. C'est un
homme grand et bien bâti, âgé d'environ trente ans. Il est
calme et résigné, sans cependant manifester la moindre
crainte, bien que les cris des N'gapoux ne lui laissent
aucun doute sur le danger de sa situation. En bon
musulman, il est fataliste.
Je l'interpelle pour m'assurer qu'il parle réellement la
langue arabe et que je me fais suffisamment comprendre.
M. Dybowski me fait alors remarquer qu'il est le chef
et que c'est à lui qu'il appartient de diriger l'interroga-
toire.
Sur les indications de M. Dybowski, je demande alors
au prisonnier ses noms, qualités, etc.. et dès lors l'inter-
rogatoire se poursuit sans grand intérêt.
Il parle un idiome très pur, se rapprochant sensible-
ment de celui en usage en Tunisie. Il me comprend très
bien et me dit que j'ai la même prononciation que les
« Touggourth », gens du Nord avec lesquels il a été dans
le temps en relations très suivies.
Il est, lui, originaire du « Dar Rouna », pays situé au
sud-est du Ouaddaï, dont il est tributaire. Je lui fais
répeter le nom de son pays : c'est bien « Dar Rouna », et
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 113
non Rounia ou Rounga, comme on Ta orthographié
quelquefois. Il prétend qu'il venait commercer honnête-
ment dans la région. Les objets trouvés dans le camp
proviennent d'échanges avec les gens de Snoussi. Il a
vaguement entendu parler du massacre d'un c blanc m,
mais il refuse de parler davantage. Le musulman tué la
veille était un marabout; Tenfant que nous lui montrons, et
que nous avons appelé Ali, était son esclave.
M. Dybowski désigne alors Briquez, qui, avec M. Bobi-
chon et quatre hommes, va faire exécuter ce malheureux.
Le lendemain, Yabanda nous amène de fort bonne
heure une vingtaine de N'gapoux, qui nous accompagne-
ront jusqu'au village de Makorou, où a été assassiné Bis-
carrat, et nous serviront de guides dans la forêt déserte,
que nous mettrons plusieurs jours à traverser avant d'at-
teindre ce village.
Nous partons à six heures et nous faisons une étape
sérieuse, mais, dans la soirée, M. Dybowski est pris de
fièvre; il passe une très mauvaise nuit. Le matin, il tente
de marcher un peu, mais nous devons faire halte au
bout de peu de temps.
Il se rétablit enfin et nous continuons notre route assez
facilement du reste, car nous entrons dans la saison sèche :
les herbes sont brûlées, le terrain absolument sec et point
marécageux, tout serait pour le mieux, mais notre réserve
de vivres diminue de jour en jour.
Le 30 novembre, après une étape assez longue, nous
établissons notre campement auprès d'une rivière qui
présente assez exactement Taspecl de la Kemo. Elle est
extrêmement profonde. Nous grimpons Nebout et moi sur
p. Brumacue. 8
114 AUTOUR DU TCHAD
une éminence : la rivière paraît suivre une direction nord-
ouesl.
Mon camarade et moi proposons à M. Dybowski de
nous autoriser à en suivre le cours pendant un jour ou
deux, tandis qu'il se rendra à « Makorou », peu distant de
«
Tendroit où nous nous trouvons, avec le gros du convoi.
Il est convenu en effet que nous séjournerons quelque
temps sur ce point.
M. Dybowski ne croit pas devoir nous accorder Taulo-
risation sollicitée.
Nos porteurs kassaïs, qui décidément sont des auxi-
liaires précieux, abattent de chaque côté de la rivière deux
arbres énormes, qui constitueront les bases solides d'une
passerelle.
Il ne faut pas en effet compter franchir ce cours d'eau
en se servant de la communication généralement employée
par les nègres, cousins germains des écureuils. Les N'ga-
poux qui nous accompagnent paraissent en effet très sur-
pris de rimportant travail auquel nous nous livrons pour
assurer le passage. Ils nous montrent un arbre dont les
grosses branches, usées par le frottement, souillées de
boue, forment une courbe qui va rejoindre au milieu de
la rivière les branches d'un autre arbre de la rive opposée.
Inutile de construire un pont puisqu'il en existe un sécu-
laire. Et, préchant d'exemple, Tun d'eux bondit de branche
en branche et, en un tour de main, se trouve sur la rive
opposée.
Nous ne pouvons songer à faire passer par le même
chemin nos porteurs kassaïs, naturellement lourds el
pesamment chargés.
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 115
Le 1" décembre, la passerelle élait d'ailleurs terminée
et le transbordement s'effectua sans la moindre diffi-
culté.
Nous marchons pendant environ deux heures à partir
de ce point, puis se dresse devant nous un petit sommet
rocheux, un ballon, devrais-je dire, car il est de forme
légèrement arrondie, qui nous paraît une haute montagne
au milieu de cette vaste plaine dont aucun autre accident
de terrain ne rompt la monotonie.
Au pied de la montagne, nous dit le guide, habile le
chef « M'poko ». Nous allons dans un moment arriver à
« Makorou ». Cette première fois comme par la suite, il
me semble bien avoir entendu distinctement prononcer
« Kaga Korou », nom qui ligure sur la carte au milieu de
la tribu des « ÎS'gafo », mais comme mes camarades sont
unanimes à déclarer que j'ai mal entendu, je me range à
leur avis. C'est donc à « Makorou » que nous faisons
halle une heure environ plus lard.
Le village est désert. Quelques cases sont délabrées.
Celles qui paraissent les mieux entretenues sont accrochées
aux lianes de la montagne. Comme toutes celles rencon-
trées depuis rOmbella, elles sont rondes, mais ici elles
sont hirsutes et mal construites, tandis que partout ail-
leurs le chaume qui les recouvre est placé régulièrement,
lissé et coupé avec soin, bien carrément, à 25 ou 30 cen-
timètres au-dessus du sol.
Pendant que quelques hommes d'escorte, sous la con-
duite de leurs camarades de la mission Crampel, recher-
chent remplacement occupé par Biscarrat quelque temps
auparavant, nous prenons un instant de repos sous une
110 AUTOUR DU TCHAD
véritable forêt d' « euphorbes » qui atteignent des pro-
portions colossales. Nous nous décidons au bout d'un
instant à installer notre camp près d'une rivière, à quel-
que cent mètres du village.
M. Dybowski estime que les N*gapoux de Makorou ont
été complices des musulmans.
Nebout, Briquez et moi ne partageons nullement cette
manière de voir.
Ce que nous savons d'eux par Mamadou Sybi, par les
cinq hommes rengagés avec nous et les autres renseigne-
ments recueillis ne permettent pas de les accuser.
Les habitants de Makorou n'ont nullement, comme on
pourrait le croire, élc complices des assassins de Crampe!
et de Biscarrat. Us n'étaient pas les plus forts et sont
restés spectateurs impassibles de la scène. On ne saurait
leur en vouloir, lorsqu'on connaît la terreur que leur ins-
pirent les fusils des musulmans. D'ailleurs nous avons la
certitude qu'ils ont tout fait pour sauver Biscarrat en lui
persuadant de quitter son campement. Ils ont en outre
enseveli les restes de Lauzières, ingénieur attaché à la
mission.
S'ils n'ont point rendu les mêmes devoirs à la dépouille
mortelle de l'infortuné Biscarrat, c'est qu'après le mas-
sacre de celui-ci, ils ont pris la fuite, en proie à une ter-
reur bien excusable de leur part. Sur ces entrefaites, le
corps du malheureux compagnon de Crampel était traîné
dans un taillis par les musulmans et abandonné aux
fauves.
Malgré les appels et les reconnaissances que font les
gens de Yabanda, aucun habitant ne se montre. Les res-
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 117
sources de la région sont fort restreintes et le pays est
absolument désert jusqu'à El-Kouli.
M. Dybovvski nous prend chacun à part et nous consulte
à l'effet de savoir si nous devons continuer la marche. Je
suis heureux d'apprendre que Nebout, Briquez et M. Bobi-
chon ont fait une réponse identique à la mienne : « La
plus grande partie de la route est parcourue, il faut
pousser jusqu'au bout. » Je n'avais pas d'ailleurs le
moindre doute sur le vif désir de tous d'aller de
l'avant.
Notre chef nous répond qu'il a charge d'èmes et que
cette entreprise serait bien hasardée. Il nous réunit tous
celte fois afin d'avoir notre dernier mol.
Nebout et Briquez lui proposent alors de parlir simple-
ment avec quelques hommes armés à la légère, pousser
une reconnaissance jusqu'à El-Kouti, tandis que nous les
attendrons à Makorou. Chacun formule une opinion en
vue de faciliter la marche vers El-Kouli.
M. Dybowski met fin à la discussion en déclarant que,
s'il arrivait un désastre, il serait seul responsable. Étant
données les ressources dont nous disposons, il est plus
sage, à son avis, de regagner TOubang-ui, et il décide que
nous repartirons dès que nous aurons pu nous procurer
des vivres. Si les indigènes ne se montrent pas, il fera
piller les plantations.
Nebout, qui par suite de son extrême timidité et de sa
modestie exagérée sera toujours réduit à mettre à la dis-
position d autrui ses solides qualités d'explorateur, sort
du camp sous prétexte de chasse, accompagné seulement
de deux indigènes de Yabanda. Quelques heures après, il
118 AUTOUR DU TCHAD
revenait avec deux habitants de Makorou porteurs de
quelques vivres.
Dans l'après-midi, M. Dybowski, Nebout et moi faisons
Tescalade du rocher. Comme il n'est pas encore possible
de connaître exactement son nom indigène, M. Dybowski
me propose de le désigner sur la carte de notre itiné-
raire que je suis chargé de dresser, sous le nom de « Pic
Carnot ».
Un regard de Nebout me montre intentionnellement le
camp de Biscarrat, qui nous rappelle de si tristes souve-
nirs, et j'émets l'avis de l'appeler « Pic Crampel ». C'est
sous ce nom qu'il ligure sur mon croquis d'itinéraire publié
par M. Dybowski, à la fin de sa relation de notre voyage.
Le 3 décembre, nous procédons à l'exhumation des
restes de Lauzières. Vingt soldats en armes rendent les
honneurs. Les ossements et les débris des vêtements et
de la couverture du malheureux ingénieur sont placés
dans un drap blanc, puis déposés dans une caisse en fer
recouverte d'un pavillon français.
Après cette cérémonie, les deux indigènes rencontrés
précédemment par Nebout sont allés porter au chef les
cadeaux remis pour lui, par notre ami. Bientôt M'poko
nous apporte quelques misérables vivres et décide la
population à rentrer au village. Les femmes et les enfants
circulent dans le camp, toute crainte a disparu.
Nous faisons avec Nebout une seconde ascension du
« Pic Crampel ». Nous restons fort longtemps au sommet,
silencieux, à contempler ce rideau de collines qui se pro-
filent dans le lointain; rideau qu'il nous faut renoncer à
percer.
A LA KECHERCHE DE CKAMfEL 119
Ce silence eo dit plus qu'une conversation. 11 faut
songer à regagner le camp.
Le 5 décembre, à sept heures du matin, nous levons le
camp sans enthousiasme. Nos espérances se trouvent bru-
talement déçues au moment même où elles allaient se
réaliser, aussi la marche est-elle silencieuse.
La traversée de la grande forêt n'est marquée par
aucun incident, nous faisons de
très fortes étapes.
Le 11, dans la matinée, nous
arrivons au village de Yabanda Ce
chef olfrc à' M. Dybowski deux
crAnes de musulmans sur lesquels
paralt-il, il a essayé son fusil pen-
dant notre absence. C'est \ii une
preuve que les N'gapoux sont tris
assimilables.
Quoi qu'il en soit et maigre les
faits d'anthropophagie dont nous
avons été témoins, il est incontestable que les N gapoux
forment une population agricole extiêmemcnt travadieuse
et de mœurs assez tranquilles.
Ils sont de taille moyenne, plutôt petits et trapus beau
coup sont légèrement obèses. Ceux dt Makorou sont beau
coup plus frustes que ceus des villages entre la brousse
et le territoire des Dakoas. Les N'gapoux sont robustes et
bien constitués, mais ne représentent pas à proprement
parler une belle race. Ils ont une physionomie qui n'est
pas désagréable, mais qui n'offre aucun caractère per-
mettant de la rattacher à l'un des groupes ethniques que
120 AUTOUR DU TCHAD
nous avons rencontrés. Il est probable que c'est vers Test
qu'il faudrait aller trouver le rameau auquel ils appar-
tiennent.
Leurs armes sont moins belles que chez toutes les
autres peuplades, et surtout moins soignées. Il est vrai de
dire qu'ils ont une préférence marquée pour Tare. Le
fort carquois de cuir qu'ils portent sur Tépaule gauche est
généralement abondamment garni de flèches, mais elles
sont d'un modèle unique et de forme un peu primitive.
Comme les Dakoas, ils adorent la musique, leurs ins-
truments sont les mêmes que ceux de cette tribu.
Ils portent fort peu d'ornements et n'avaient, à notre
arrivée, ni perles, ni étoffes. En revanche, bon nombre
avaient des cuillers d'étain, héritage des laptots de Nebout.
Ils s'en servaient du reste en guise d'épingles à cheveux
et les portaient plantées dans la petite touffe assez fournie
qu'ils conservent sur le sommet du crûne.
Le 12, nous quittons le village de Yabanda de bon
matin.
Le petit Ali égaie notre marche. Comme je chemine
souvent à l'arrière-garde, je cause quelque peu avec lui;
il possède quelques rares mots d'arabe appris au cours de
ses pérégrinations.
Il ne veut pas se séparer de Briquez, qui le soigne et lui
apprend le français. Ali est fort intelligent et fait des pro-
grès rapides. Il nous donne un curieux détail : il est
d'origine sara, tribu située au sud du Baghirmi, visitée
depuis par la mission Maistre; le marabout que nous
avons lue l'avait acheté dans son pays et l'avait emmené
dans une rivière nommée « Ombelle », où la petite troupe
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 12!
s'était jointe à un autre groupe de musulmans, sous la
conduite d'Ali Djabah (fun des meurtriers de Grampel).
Ils ont appris Tarrivée prochaine de blancs qui remon-
taient la rivière et sont partis, leurs transactions étant
d'ailleurs terminées.
Le 18, nous arrivons chez le chef Zouli. Nous retrou-
vons en cet endroit le sergent Samuel qui, atteint de
douleurs rhumatismales, n'avait pu nous accompagner. Un
porteur atteint de variole et confié également au chef
dakoa, avait succombé malgré les soins dévoués dont il
n'a cessé d'être entouré. Samuel nous dit que le bruit de
notre mort s'était répandue dans la région. Le guide ban-
ziri, resté également auprès de Samuel, effrayé, s'était
enfui. Zouli, bien que persuadé de notre massacre,
n'avait pas le moins du monde modifié sa manière
d'être à l'égard de Samuel, qui était devenu son meil-
leur ami.
Zouli nous ayant dit que le village de Crouma, où je
suis allé, dans la Kemo, se trouve sur le même parallèle
que l'endroit où nous sommes, et à deux jours de marche
au plus dans l'Ouest, Nebout et moi demandons la faveur
de nous y rendre. Nous sommes en pays ami et connu,
quelques hommes et une faible quantité de marchandises
suffiront. Ce voyage nous donnait à peu de frais un iti-
néraire de plus et aurait produit le meilleur effet sur les
Togbos, mais M. Dybowski tenait à rentrer à Bangui pour
envoyer un courrier en France, et il tenait à nous avoir
auprès de lui, pour montrer qu'il nous ramenait tous
sains et saufs.
Nous dûmes renoncer à notre projet, et, le 23, nous arri-
122 AUTOUR DU TCHAD
vons chez les Banziris. Bembé et tous les sieos se por-
tent à notre rencontre et nous font un accueil chaleu-
reux.
Le 30 décembre, nous sommes en vue de Bangui, nous
franchissons le rapide et nous recevons de cordiales poi-
gnées de mains de MM. Ponel, Fraisse, de Poumeyrac et
Chalot.
Nous trouvons à Bangui un courrier des plus volumi-
neux, qui s'est amoncelé pendant noire absence. Nous
avons enfin des nouvelles de ceux qui nous sont chers.
Hélas! elles ne sont pas absolument satisfaisantes.
Ce pauvre Nebout, qui depuis plus de deux ans a quitté
la France, peu rassuré sur Tétat de santé de sa mère qu'il
adore, me fait part d'une lettre qui lui inspire de sérieuses
inquiétudes. D'ailleurs sa vigueur s'affaiblit de jour en
jour et, malgré le plaisir que j'aurais à le savoir avec nous,
je n'hésite pas à l'engager à rentrer en France.
D'ailleurs que ferait-il maintenant, lui si actif, si dési-
reux d'aller de l'avant : M. Dybowski vient, paraît-il, de
recevoir une dépêche du Comité de TAfrique française lui
enjoignant de « se porter au coude nord de l'Oubangui, pour
prendre solidement position, recueillir les documents de
la mission Crampel. Il devra attendre là de nouvelles ins-
tructions et travailler avec prudence à l'œuvre de péné-
tration, etc. »
C'était l'immobilitié la plus absolue!
Coïncidence curieuse, le 16 août, le jour même où
le Comité de C Afrique française rédigeait ce télégramme,
au coude nord de VOuhangui, je commençais, « de mon
autorité privée », la construction des deux cases autour
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL 123
desquelles sont venues s^en grouper d'autres^ qui ont
constitué plus tard le poste des Ouaddas *.
Malgré tout le plaisir que je ressentais d'avoir ainsi
devancé les intentions du Comité qui nous avait envoyés,
la perspective d'un séjour prolongé dans un poste me
séduisait peu.
D'autre part, venu dans Tintention d'étudier les musul-
mans noirs du centre de TAfrique, j'estimais que les ren-
seignements recueillis auprès du seul et unique sujet
exécuté chez Yabanda, n'étaient pas suffisants pour me
permettre de retourner en France.
J'hésitai longtemps à me joindre à M. Liotard, qui
remontait vers le Yakoma, chargé d'une mission, ou à me
rendre dans la Sangha offrir mes services à M. de Brazza.
M. Dybowski m'ayant déclaré que nous allions inces-
samment partir dans la Kemo; que les renseignements
fournis par moi au retour de mon voyage dans cette rivière
lui paraissaient de nature à faire considérer ce cours d'eau
comme la meilleure voie de pénétration vers le Nord , je
me décide à laisser Nebout partir seul.
Cet excellent ami procède tristement à ses préparatifs
de retour. Il est véritablement navré de nous quitter.
Nous éprouvons un réel serrement de cœur au moment
où il met le pied à bord du bateau Antoinette de la
Compagnie Hollandaise, qui l'emporte vers Brazzaville....
Je ne me doutais guère, à ce moment, que je le retrou-
verais un jour dans le Niger, aux côtés du lieutenant
Mizon.
\. Nous n'avons eu connaissance de celle dépêche que qualre mois
après la création du poste des Ouaddas.
CHAPITRE V
SECO:\D VOYAGE DAIMS LA KEMO
Installalion chez les Togbos. — M. Dybowski renlre en France.
La mission Maistre est signalée.
Notre séjour à Bangui se prolongea plus que de raison,
et rien ou peu de chose pour tromper les ennuis de celte
insipide existence. Briquez était resté aux Ouaddas, tandis
que Nebout, M. Dybowski et moi, revenions sur Bangui,
au retour de notre pointe vers El-Kouti. Chalot ne tarda
pas à aller le rejoindre. Il me restait heureusement deux
excellents camarades : MM. Fraisse, chef du poste de
Bangui, et de Poumeyrac, qui administrait le Yakoma, sur
les contins de nos possessions des bords de TOubangui.
Il ne fallait pas songer à sortir du poste, car les envi-
rons sont extrêmement escarpés et d'ailleurs peu giboyeux.
Bangui est en effet situé dans une sorte de petit cirque
limité de tous côtés par des roches taillées à pic. Les
chasseurs noirs que M. Dybowski envoyait tous les jours,
en vue d'enrichir ses collections, faisaient des prodiges
d'agilité et parcouraient des distances considérables pour
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO 125
lui rapportçr quelques colibris, des merles métalliques,
mais c'était tout. Et encore, n'était-ce qu'au prix de fortes
récompejises que l'on arrivait à les décider à s'imposer ce
supplément de fatigues. Ils nous rapportèrent bien trois ou
quatre pintades d'espèces différentes, mais ils ne purent
réussir qu'à abattre un seul sujet de chaque espèce. Là se
bornèrent leurs exploits.
M. Dybowski, retenu au poste et entièrement absorbé
par ses travaux de classement et d'envoi de collections,
profita d'une occasion favorable pour remonter aux Ouad-
das. Je le rejoignis le 11 février. Le poste des Ouaddas
fut laissé à la garde d'un agent de la Compagnie Hollan-
daise, M. Reichlin, qui venait d'y installer un comptoir et
avait déjà traité d'importantes affaires d'ivoire avec les
indigènes.
M. Dybowski, comptant sur les bons offices du fils du
chef M'paka, qui offrait de le conduire chez le chef Grouma,
préféra la route de terre. Le voyage en pirogue eût été
moins long et nous aurait épargné des fatigues inutiles.
Nous évitions également, de la sorte, de nous présenter
sous les auspices des Ouaddas, dont la réputation est
déplorable auprès de leurs voisins.
Notre caravane s'est augmentée de 50 porteurs krou-
mans que M. Greshoff a mis gracieusement à notre dispo-
sition, pour la durée du voyage.
Le premier jour de marche s'effectue dans un pays que
Briquez et moi avons fréquemment parcouru pendant nos
promenades. Bientôt nous nous engageons dans les marais
bourbeux et nous nous livrons à une série de marches et
de contremarches, qui tendent à nous prouver que l'hé-
1-26 AUTOUR DU TCHAD
ritier présomptif des M*paka n'a pas toujours accom-
pagné son vénérable père dans la campagne de dévasta-
tion accomplie par lui dans celte région.
Notre guide hésite et nous fait fortement incliner vers
Test. C'est peut-être heureux pour nous, car, de la sorte,
nous atteindrons la Kemo et par suite les populations avec
lesquelles j'ai lié amitié lors de mon premier voyage. Au
contraire, si nous allons droit au nord, nous risquons fort
d'arriver à Timprovisle dans un village togbo qui n'a
point entendu parler de nous. Dans de semblables condi-
tions, grâce à l'égide protectrice des honnêtes Ouaddas
qui nous accompagnent, peut-être aurons-nous une vilaine
affaire qu'il serait cependant facile d'éviter.
Pendant plusieurs heures, nous marchons franchement
vers l'est. Impatienté, M. Dybowski gourmande vivement
le jeune M'paka fils. Celui-ci, tel qu'un sanglier blessé,
fonce dans le taillis, brisant tout sur son passage. Celte
fois, il se dirige tête baissée vers le nord. Nous le suivons,
pas longtemps par exemple. Dix pas nous suftisent pour
franchir l'épais rideau de verdure et nous nous trouvons
sur un petit monticule qui surplombe une grève bordant
le coude d'une importante rivière.
Je reconnais la Kemo. Sur celle grève nous avons
campé quelques mois auparavant. Les hommes qui m'ac-
compagnaient me rappellent même que nous avons subi en
cet endroit une violente tornade.
M. Dybowski est visiblement contrarié de ce contre-
temps, qui retarde notre marche. Il nous faut camper en
cet endroit. Pendant qu'on installe les tentes, deux hommes
arment le canot démontable et je m'embarque pour
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO 127
remonter la rivière en vue de découvrir un village. J*esli-
mais que nous devions être sur les confins de la tribu des
Langouassis, à un des rares endroits où les villages sont
assez éloignés de la rive. Nous faisions de fréquentes
haltes, Tun des deux hommes montait sur les arbres et
poussait des appels qui démettraient sans écho. Le cou-
rant était rapide et le canot démontable, ne comportant
que deux rameurs, était peu approprié à ce genre de navi-
gation. Bailleurs nous frôlions à chaque instant des
branches, dos racines qui menaçaient de déchirer les
parois de toile île notre embarcation. Nous rctournûmes.
La reconnaissance avait duré trois heures.
Le sergent Samuel est alors emban|ué avec mission de
redescendre le courant jusqu'au premier village où il
pourra se procurer des pirogues. Samuel eut la bonne
fortune de rencontrer mon ancien guide Manguendjo, qui
vint avec deux pirogues nous apporter des vivres.
Briquez profita de cette occasion pour redescendre
jusqu'à l'embouchure de la Kemo et nous ramener sept
nouvelles pirogues avec une grande quantité de vivres.
DViUeurs Manguendjo était allé prévenir les indigènes de
la rive gauche, qui vinrent également avec des denrées.
M. Dybowski, sur le conseil des indigènes, passera sur
la rive gauche avec le gros de la caravane. Ils suivront
à pied le sentier qui conduit chez les « Togbos », tandis
que Chalot et moi nous embarquerons sur les pirogues
pour surveiller le convoi. Il est convenu que nous rencon-
trerons la caravane de terre soit à la halte de midi, soit
au campement du soir.
Nous fournissons une bonne étape et nous nous réunit-
128 AUTOUR DU TCHAD
sons au petit village fréquenté par les pêcheurs banziris.
Le chef Bouassa, avec lequel j'ai passé un traité lors de
mon premier voyage, est tout heureux de voir que je lui
ai tenu parole et qu*un grand nombre de « blancs »
viennent s'installer dans la région, ainsi que je lui avais
dit.
Il nous apporte force poules et deux chèvres.
La journée du lendemain fut assez pénible pour le
convoi de pirogues. Les eaux ont baissé considérablement
et laissent à découvert bon nombre de roches, qui consti-
tuent des brisants peu dangereux pour une pirogue con-
duite par des Banziris, mais très difficiles, pour ne pas
dire impossibles à franchir, pour des marins plus novices.
Or, nous avions précisément avec nous une équipe de
piroguiers, recrutés parmi les « Gobons », tribu de la
rive gauche de TOubangui, peu habitués à ces manœuvres
qui demandent beaucoup de sang-froid et une grande
sûreté de mains, qualité que les Gobous ne possèdent
nullement.
La pirogue que nous montions, Chalot et moi, franchit
le rapide sans que nous ayons seulement eu le temps de
nous apercevoir du danger. Il est vrai que nous avons
comme pilote ce brave Manguendjo. Nous nous garons
dans des eaux plus tranquilles, pour surveiller le passage
du convoi et, le cas échéant, lui prêter main-forte.
Les autres pirogues montées par les Banziris passent
sans accident, mais néanmoins avec beaucoup de peine.
Malgré mon incompétence absolue en matière de naviga-
tion, la maladresse des Gobous est tellement manifeste,
que je veux m'opposer à ce qu'ils tentent le passage.
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO 129
Ceux-ci, malgré leur extrême pusillanimité, se font un
véritable point d'honneur de se passer du secours des
Banziris, qui déjà se sont jetés à Teau pour courir prêter
assistance à leurs camarades en détresse.
Il ne leur reste plus que quelques brasses à franchir
pour atteindre la pirogue, lorsque celle-ci, envahie par
l'eau, est violemment heurtée contre un rocher. Elle coule
à fond avec les marchandises et les armes des Sénégalais
embarqués. Ceux-ci, entraînés par le courant, ont toutes
les peines du monde à atterrir, après avoir été roulés sur
les roches pendant plus de 200 mètres.
Les Gobous, meilleurs nageurs que pagayeurs, en sont
quittes pour la peur. Elle est tellement intense qu'ils dis-
paraissent dans la brousse; nous ne les revîmes plus.
J'adressai un mot à M. Dybowski pour le prier de
m'envoyer quelques hommes pour aider les Banziris à
repêcher nos colis. Peu de temps après, je vis arriver
40 porteurs, sous la conduite de M. Briquez, mais les
Banziris et quelques-uns de nos hommes avaient déjà
retiré de l'eau les armes et toutes les caisses, sauf une.
il nous fut impossible de l'avoir. La perte ne nous fut pas
sensible par la suite. C'était en effet une caisse de lait con-
densé et les deux qui nous restaient ne furent pas mémo
employées, le nombre restreint de porteurs nous ayant
obligés à renoncer à emporter des conserves.
Le sauvetage terminé, nous ne tardâmes pas à rejoindre
le gros de la caravane, qui avait installé son campement
près de la rive.
A notre arrivée, nous trouvons M. Dybowski entouré
d'un groupe d'indigènes. On m'apprend que Crouma, pré-
P. Brl'nache. 9
130 AUTOUR DU TCHAD
venu de notre arrivée, est venu offrir des présents aux
« blancs ». Je cherche en vain le chef des Togbos, mais
il n'est pas dans le groupe. Ce sont simplement des indi-
gènes d'un village voisin, venus pour s'assurer de nos
intentions. C'est une interprétation donnée à tort aux
paroles d'un des indigènes qui a fait prendre lorateur
pour Crouma.
Le soir, pendant que nous devisons tranquillement
après le repas, nous entendons, à l'extrémité la plus éloi-
gnée du camp, une violente détonation. Tout le monde
saute sur ses armes et se dispose à former le carré, lorsque
de sonores éclats de rire poussés par les Banziris nous
rassurent complètement. Nous nous approchons de leurs
feux et nous les trouvons en train d'exécuter une ronde
échevelée autour d'un malheureux à la mine piteuse sous
une couche de liquide d'un jaune verdàtre. Les Banziris
avaient fait dans la journée une abondante récolte d'œufs
de caïmans dont ils sont très friands. L'un d'eux, un peu
avancé, avait, sous l'influence de la chaleur des foyers, fait
explosion à la face de son propriétaire.
Le lendemain, nous sommes arrêtés par un rapide qui
n'existait pas lors de notre premier voyage; la baisse des
eaux l'a mis à découvert et rendu infranchissable. Nous
prenons tous la route de terre, que nous suivons jusqu'à
l'endroit où j'ai vu Crouma pour la première fois.
L'emplacement où je comptais proposer de faire ins-
taller le poste, n'est nullement du goût de M. Dybowski :
il est trop près, à son avis, des deux ou trois petits groupes
de cases que l'on aperçoit à quelque dislance.
Il fait choix d'un emplacement en face et dans un creux
SECOND VOYAGE DANS LA KEHO 131
de la rive opposée, où les indigènes nous iraportuneront
sans doute un peu moins, à son avis.
Les Togbos arrivent en foule et nous apportent une
grande «juantité de vivres et de denrées. Crouma vient
également, il csl de plus en plus souriant, il suppute déjà
les énormes bénélices que va lui procurer «ne si nom-
breuse troupe. Il m'a rcconou de
suite et me rappelle notre « cou-
sinage »; il ajoute que je l'ai
comblé de cadeaux alors que je
suis venu avec un autre blanc et
cinq Sénégalais, et il pense bien
que le " commandant » qui pos-
sède une escorte de 6 blancs et
de 120 noirs, ne lui épargnera
pas les présents. M. Dybowski,
indisposé, s'était retiré dans sa
tente. Le marché s'organise,
mais les transactions sont si
bruyantes, les Togbos si encom-
brants à son avis, que notre
chef décida de passer immédia- '^° '''"s''"-
tement sur l'autre rive, alln d'être moins importuné.
Briquez et moi surveillons le transbordement, qui s'ef-
fectue à l'aide du canot démontable. Puis, lorsque toutes
les marchandises sont sur l'autre rive, nous traversons
également la Kemo au grand ébahissemenl des Togbos
qui ne comprennent rien à celte manœuvre.
Voyant que nous installons notre campement de l'autre
bord, ils traversent la rivière sur le pont de lianes, situé à
132 AUTOUR DU TCHAD
quelque 100 mètres en aval, et viennent en plus grand
nombre reprendre les transactions commencées. Les Lan-
gouassis de celte rive, qui n'avaient pas osé franchir la
Kemo, se décident alors à nous apporter leurs denrées. Le
camp est littéralement envahi par la foule.
Crouma est radieux. Pour nous témoigner sa joie, il
nous apporte force calebasses de « pipi », bière de mil.
Heureusement qu'il aide consciencieusement nos hommes
à les vider.
Dans la nuit, M. Dybowski vient nous réveiller. Briquez
et moi. Indisposé, depuis quelque temps, il ne dort pas;
il vient d'entendre des appels réitérés ainsi que des bat-
teries de tambour. Cette animation à une heure aussi
avancée de la nuit pourrait être de mauvais augure. Il
engage Briquez à faire doubler les sentinelles. Cependant
nous entendons bientôt un chœur extrêmement doux et
harmonieux. On distingue très bien la voix grave des
hommes, celle des adultes, et une « tierce » très originale
magistralement enlevée par les femmes.
Quand la lune apparaiff toute V Afrique est ivre,
me dit Briquez, rééditant un mot célèbre.
En effet, pendant notre séjour chez les Ouaddas, les
indigènes donnaient souvent de ces concerts qui duraient
généralement jusqu'au matin. Et d'ailleurs Crouma a
absorbé dans celte journée une telle quantité de boisson
qu'il n'y a pas lieu d'être étonné s'il manifeste bruyam-
ment sa joie.
Cette fois, il s'agissait d'un repas de funérailles. 11 faut
croire que le défunt était un chef vénéré, car la cérémonie
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO 133
se répéta tons les soirs jusqu'au 7 avril, date do mon
départ de la Kemo.
Les coups de sifflets que nous entendions de temps à
autre, élaient donnés par ceux qui, regagnant seuls leur
demeure, voulaient écarter de leur route les mauvais
esprits, très redoutés chez les Togbos.
Tout notre monde est employé à la construction d'une
case. Chalot, fort intelligemment secondé par M. Van den
Handel, agent de la Compagnie Hollandaise qui a installé
un comptoir ici, a créé un magnifique jardin potager et
planté une grande quantité de bananiers.
M. Dybowski voudrait faire de ce poste une ferme
modèle, mais, appelé par d'autres soins, il est obligé de
rentrer au poste de Bangui. Je reste avec MM. Chalot,
Chaussée, agent de la maison Daumas et C^% qui nous a
été récemment adjoint, et M. Van den Handel. Le 3 mars,
MM. Dybowski, Briquez et Bobichon reprennent la route
de terre pour se rendre aux Ouaddas et de là à Bangui.
Malgré la monotonie de Texistence dans les postes,
nous parvenons, grâce à nos occupations variées et surtout
aux nombreuses visites du chef Crouma, à supporter
presque patiemment notre immobilité.
Mabingué, notre guide dakoa, vient nous voir. 11 est
émerveillé de nos richesses et nous adresse de vifs
reproches de ne pas avoir fait une semblable installation
dans son pays. Nous lui donnons des présents pour lui et
pour le chef Zouli. Il nous dit qu'il lui faut deux petites
journées pour atteindre son village, situé près de notre
ancien campement de la Zanvouza. Nous voudrions bien
faire une petite reconnaissance de ce côté, mais les ordres
134 AUTOUR DU TCHAD
de M. Dybowski sont formels : il nous a recommandé
avant son départ de ne faire absolument aucune tentative
isolée.
Des chefs de villages environnants, conduits par Crouma,
viennent également nous visiter. Les uns appartiennent
à la tribu des « M'bris » et sont d'assez beaux hommes,
portant une longue chevelure rejetée en arrière « à la
Titus ». D'autres sont de la tribu des N'dris, qui confine à
celle des Togbos.
Les Bouzerous de Bangui, les Bondjios et les Banziris
nous parlaient fréquemment des N'dris, mais ils semblaient
employer cette appellation pour désigner indistinctement
les gens de Tintérieur.
Nebout et Lauzières avaient fait jadis une pointe à
quelques jours de marche du village de Biringoma sur
rOubangui et affirmèrent avoir rencontré une tribu por-
tant ce nom. On leur objecta qu'ils lui donnaient une
mauvaise interprétation.
A la suite de la visite de ces chefs, j'acquis la convic-
tion qu'il existait une tribu portant réellement le nom de
N'dris et qu'elle s'étendait très loin vers l'Ouest. Nebout
ne s'était donc point trompé. Tous ces renseignements
furent d'ailleurs corroborés par ceux que nous recueil-
lîmes avec la mission Maistre, en traversant cette même
tribu des N'dris.
Nous vivions en excellente intelligence avec les Togbos
qui affinaient au poste. Hommes, femmes, enfants venaient
nous vendre leurs denrées ou se louer comme travailleurs.
En présence de leur bonne volonté, je leur demandai
si certains d'entre eux consentiraient à venir avec nous en
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO 135
qualité de porteurs. Ils répondaient chaque fois que sur
leur territoire ils nous prêteraient le concours le plus
large, mais qu'ils ne pourraient se résoudre à nous suivre
au delà.
C'est là recueil qu*ont rencontré tous les voyageurs.
Tous concluaient en nous disant d'acheter des esclaves.
Les Togbos forment une population douce et travail-
leuse. Ils seraient cependant de dangereux adversaires, car
ils sont aussi courageux et braves.
Ils aiment leur foyer; la femme est chez eux fort bien
considérée. Elles jouissent d'une très grande liberté dont
elles n'abusent pas, d'ailleurs. Nos hommes d'escorte
avaient cependant trouvé, parmi certaines d'entre elles,
des amies très intimes. Mais le plus grand nombre
venaient souvent fort en colère, nous prévenir qu'elles ne
reviendraient plus au poste, si nous ne punissions cer-
tains Sénégalais par trop entreprenants.
De môme que chez les Banziris et d'autres tribus, la
femme est consultée dans les circonstances graves qui
intéressent la famille. Elle donne également son avis au
sujet des transactions. Il n'est pas rare qu'un Togbo sur
le point de conclure une affaire, la vente d'un couteau,
d'une lance par exemple, coure appeler sa femme qui
agrée, demande une augmentation de prix, ou oppose son
veto, et l'homme s'incline.
Les enfants, mâles ou femelles, sont l'objet de tous les
soins du père et de la mère jusque dans un âge très
avancé. Alors qu'ils ne marchent pas encore, ils sont
soumis à un régime qui peut se résumer en ceci : pur-
gare et clysterium donare. L'instrument qui sert à cette
436 AUTOUR DU TCHAD
dernière opération consiste en un morceau de bois creux
aminci vers Tun des bouts. On le remplit d'une infusioD
d'herbes mélangée à de l'huile d'arachides, puis... on
souffle par l'autre extrémité pour envoyer le liquide à
destination. L'opérateur est quelquefois aussi aspergé que
le patient; dans ce cas, il y a lieu de recommencer.
Rien de plus comique qu'un Togbo robuste comme un
héros d'Homère, empêtré de ses lances, de plusieurs cou-
teaux de jet, de son arc et de son carquois, s'efforçant de
tenir un petit enfant sur ses genoux, tandis que la mère
procède à cette opération délicate.
J'aurais volontiers continué mes observations sur cette
intéressante peuplade, mais, le 6 avril, Briquez m'appor-
tait un ordre de M. Dybowski m'enjoignant de quitter
d'urgence le poste de la Kemo et de rejoindre Bangui
sans plus larder*.
Briquez m'apprit en outre que M. Dybowski, malade
depuis son arrivée à Bangui, songeait à descendre à Braz-
zaville pour se rétablir. Notre chef avait même manifesté
l'intention de rentrer en France, s'il ne trouvait à Brazza-
ville les soins que réclamait à son avis son état de santé.
Ma présence n'étant nullement nécessaire à la Kemo,
je décidai de descendre à Bangui, pour avoir de plus
amples explications.
Le 7 avril. Briquez et moi quittâmes le poste de la
Kemo. Nos pirogues bien conduites par les Banziris ne
mirent pas longtemps à atteindre le banc de sable situé
au confluent de l'Oubangui et de la Kemo, et qu'une
1. En cas de refus de ma part, je devais élre enlevé « etiam manu
militaH ».
SECOiND VOYAGE DANS LA KEMO 137
baisse considérable des eaux avait depuis quelque temps
mis à découvert. Un village de pêche banziri, très impor-
tant, est installé maintenant en cet endroit où naguère les
eaux atteignaient plus de 3 mètres de profondeur.
L'aspect du fleuve est totalement modifié. Il est tout
aussi merveilleux qu'auparavant, mais d'une autre façon.
Mon étonnement ira sans cesse en grandissant jusqu'à
Bangui.
Après le souper, Briquez et moi, assis pensifs près d'un
grand feu de bivouac, échangeons de temps à autre quel-
ques paroles. Autour de nous, un essaim de charmantes
jeunes tilles banziris, venues exprès pour « flirter » pen-
dant une heure ou deux, ne parviennent pas à nous dis-
traire de nos préoccupations.
C'est que nous songeons qu'il nous faudra attendre
longtemps avant d'aller de l'avant, que nous avons en
mains des ressources qui restent inactives, alors que nous
brûlons du désir de les utiliser.
Certes, nous avons fait quelque chose. Sans parler des
reconnaissances de la M'poko, de l'Ombella et de la Kemo,
nous avons parcouru un nombre respectable de kilo-
mètres sur cette route que Crampel nous traçait naguère
si plein d'espoir, si confiant dans l'avenir. Le Muséum a
reçu, à l'heure actuelle, d'importantes et intéressantes
collections, mais ce n'est pas suffisant. Le départ de
M. Dybowski doit-il forcément nous imposer une inac-
tion qui n'est ni dans notre tempérament, ni de circon-
stance?
Je regarde longuement Briquez... il m'a compris.
« Vous pouvez, me dit-il, compter absolument sur moi; où
138 AUTOUR DU TCHAD
VOUS irez, je vous suivrai... et je suis convaincu que vous
brûlez du désir de partir vers le Nord, vers ces popula-
tions musulmanes qui vous intéressent si vivement. Eh
bien, j'en suis!... »
Je ne lui en demandais pas davantage. Le lendemain,
nous faisions route vers Bangui pour donner à M. l'Ad-
ministrateur le décompte des marchandises et des hommes
que nous prenions avec nous et placer sous sa sauve-
garde les hommes que nous comptions laisser au poste
de la Kemo.
La navigation est extrêmement pénible aux basses
eaux. Tous les seuils de roches sont à découvert et
présentent de sérieuses difficultés pour le passage.
D'immenses bancs de sable, couverts d'oiseaux de
toutes sortes, sont maintenant peuplés de villages provi-
soires que les Banziris habitent pendant la saison de
pêche. C'est une véritable fête pour l'œil et, si l'Oubangui
a quelque peu perdu de son aspect grandiose d'il y a cinq
mois, il a certes gagné au point de vue du pittoresque.
Tous ces beaux corps noirs des Banziris font des taches
gaies sur ce sable roux. Ici ce sont les hommes qui
gréent leurs pirogues pour partir à la pêche; d'autres
halent leurs filets, prêts à se rompre sous le poids des
poissons qui miroitent au soleil. Là ce sont les femmes
qui disposent sur des claies le produit de la pêche. Elles
allument un grand feu dessous et le « fument » pour le
conserver pendant la mauvaise saison.
Les jeunes garçons et les jeunes filles gambadent sur la
plage ou, pénétrant dans l'eau, s'éclaboussent mutuelle-
ment au milieu de rires bien francs et bien sonores.
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO 139
Tout cela sous un soleil légèrcmcnl leinlé de rose avec
un fond de palmiers et de « bomba\.H gigantesques.
A Bangui, nous recevons l'accueil le plus sympathique
de M. Largeau, récemment nommé Âdminislrateur du
haut Ouban);ui. Il nous dit que M. Dybowski doit êlre à
Brazzaville à Tlieure actuelle, mais que la mission de ren-
fort conduite par M. Maistre est annoncée. Nous lui faisons
part de notre détermination de partir dans l'intérieur :
elle ne le surprend pas. M. Lai^eau, qui s'est distingué
dans le Sahara .algérien, à l'époque oii il y avait de sérieux
dangers à parcourir celte région, regrette simplement que
la maladie et les fonctions qu'il occupe ne lui permettent
pas de se joindre à nous.
Malheureusement Briquez vient de recevoir une lettre
de M. Dybowski qui fait évanouir tous nos projets. Notre
chef l'avise qu'il est à Lirranga, complètement rétabli, et
qu'il va remonter incessamment à Bangui avec la mission
Maistre, qui fait déjà route vers ce poste. Notre chef ren-
trant en Europe, je me croyais en droit de disposer du
matériel de la mission dont j'étais le second, au mieux des
intérêts du Comité qui nous avait envoyés. Dès l'instant
où M. Dybowski demeurait, je ne pouvais agir de même.
140 AUTOUR DU TCHAD
Afin d'être absolument renseigné, je quittai Bangui en vue
de me rendre auprès de M. Dybowski.
Le capitaine du vapeur Frederick de la Compagnie
Hollandaise voulut bien me prendre à son bord. Le sep-
tième jour après mon départ, nous étions en vue de
Lirranga.
Un moment avant d atterrir, nous remarquons que l'île
située en face du poste, habituellement déserte, est actuel-
lement très animée. Partout des cases, des lentes, des feux
et un grand mouvement de noirs et d'Européens.
Nous accostons et je me trouve dans les bras de deux
excellents camarades d'Algérie, MM. Clozel et de Béhagle.
Ils me présentent peu de temps après M. Bonnel de
Mézières. Ils forment Tavant-garde de la mission Maistre,
envoyée par le Comité de l'Afrique française pour ren-
forcer la mission Dybowski. Tous trois ont quitté Brazza-
ville depuis peu de temps. Us m'apprennent, à ma pro-
fonde surprise, que M. Dybowski vient de partir pour France
avec le lieutenant Mizon, rentré par la Sangha, après un
assez long séjour dans TAdamaoua. M. Maistre est attendu
d'un moment à l'autre, avec le reste du matériel et les
autres membres de la mission. D'après eux, je ne puis
songera rejoindre M. Dybowski; il est préférable, à leur
avis, d'attendre M. Maistre, qui a longuement conféré avec
mon ancien chef et me donnera sans doute quelques éclair-
cissements sur cette situation équivoque.
Je me résigne, mais non sans maudire toutefois cette
lettre reçue à Bangui, m'annonçant le retour de M. Dy-
bowski, juste au moment où nous nous disposions, Briquez
et moi, à partir vers Tinlérieur et précisément à Tinstant
SECOND VOYAGE DANS LA KEMO lil
OÙ celui qui nous l'envoyait prenait ses dernières disposi-
tions pour rentrer rapidement en France...
Je m'arrête... Qu'importait après tout de servir la cause
que nous défendions, comme chef ou comme simple colla-
borateur? l'essentiel était d'atteindre notre but. Mes com-
pagnons m'affirmaient que leur jeune chef, M. Maistre,
avait hâte de se mettre à l'œuvre, qu'il avait « la foi » et
ferait certainement de la bonne besogne : c'était plus que
ce qu'il fallait pour me décider à le suivre en quelque qua-
lité que ce fût. J'attendis donc son arrivée.
Le 9 mai, M. Maistre débarquait à Lirranga. Après un
court entretien, il fut convenu que je partirais avec lui.
Mon ami Clozel voulait bien me céder les fonctions de
second, qu'il occupait au départ de France.
Je constatai avec peine que le nombre des porteurs
était absolument insuffisant. M. Maistre me dit en effet
que ceux qu'il avait fait recruter à la côte de Crou ne
pourraient nous rejoindre et qu'il comptait seulement sur
les Kassaïs de la Kemo.
Fort heureusement, M. Greshoff, le Directeur de la
Compagnie Hollandaise, était de passage à Lirranga en
ce moment. Avec son amabilité habituelle, il confia à
M. Maistre, pour la durée de notre voyage, les 50 hommes
qu'il avait précédemment mis à notre disposition et qui
f^e trouvaient à la Kemo.
Une des grosses difficultés était donc aplanie. M. Maistre
fixa le départ au lendemain.
CHAPITRE VI
LA HISSIOrV HAISTRE
De Lirranga à la Kemo — Organisation du convoi. — Dépari
vers rinoounu. Les N'dris.
Le 11 mai, nous nous embarquons à bord de la canon-
nière Djouêj capitaine Bourreyne. Nos hommes ont pris
place à l'avant du bateau et dans un grand canot de
fer traîné en remorque. Les six blancs occupent le petit
carré d'arrière. Jusqu'au 27, notre navigation, lente et
pénible par suite de la baisse des eaux, n'est cependant
marquée par aucun incident notable. Ce jour-là, vers dix
heures du matin, nous sommes arrêtés par un banc de
roches presque à fleur d'eau. Le capitaine fait sonder
minutieusement de tous les côtés, mais il est impossible de
trouver la moindre passe.
Il faut renoncer à aller plus loin avec la canonnière.
Les villages voisins ne possèdent pas de pirogues.
Le Djoué restera mouillé en cet endroit; MM. Maistre,
Bonnel de Mézières et moi partirons pour Bangui avec
le canot de fer, et de li nous enverrons un nombre suf-
fisant (le pirogues ou embarcations, pour évacuer le par-
LA MISSION MAISTRE 143
sonne! et le matériel sur ce poste. Nous prenons avec
nous dix-huit hommes sachant pagayer et le petit Bonga,
fils du chef banziri Bembé. Bonga était resté plus d*un an
au service de M. de Poumeyrac, puis auprès de Briquez.
Il parlait maintenant fort correctement le français.
M. Dybowski avait eu Tintenlion de le conduire en France.
Grâce à M. Dolisie, il resta auprès de M. Maistre et nous
rendit de réels services.
Dans la suite, nous eûmes à déplorer le départ pour
France du petit Ali. Briquez lui avait appris le français,
qu'il parlait avec beaucoup de facilité et, en pays sara, il
nous eût été d'un grand secours, peut-être môme nous eût-
il évité bien des ennuis chez les Toummocks et les Gaberis.
Notre lourd canot de fer avançait avec peine malgré
les efforts de nos hommes. Après deux jours de naviga-
tion, nous avons parcouru bien peu de chemin. Fort heu-
reusement, le 30 mai, vers dix heures, nous croisons le
Frederick dans les parages de D'zinga. Ce petit navire
de la Maison Hollandaise, grâce à son très faible tirant
d'eau, circule en toutes saisons dans les rivières.
Nous demandons au capitaine s'il voudrait bien se
charger du transbordement de notre personnel et de nos
marchandises. Il se met à notre disposition et, le lende-
main, ramène une partie de nos hommes et une grande
quantité de colis. Il nous prend à son bord et nous
débarque, le surlendemain, à Bangui.
Briquez est un peu étonné de me voir revenir; cepen-
dant, lorsqu'il connaît la présence de nos deux amis, dont
je lui ai souvent parlé, il est moins surpris. Je le décide
à partir avec nous.
iH AUTOUR DU TCHAD
Un second voyage du Frederick nous met en posses-
sion du reste de nos charges et de notre personnel.
Sans nous attarder à Bangui, nous nous embarquons
tous sur les pirogues recrutées par Briquez chez les Ban-
ziris et, le 8, nous faisons escale aux Ouaddas.
La caravane se divise. Une moitié prend la roule de
terre, Tautre continue en pirogue.
Cette fois, je revois avec plaisir le poste de la Kemo,
parce que je sais que nous n'y ferons pas long séjour.
Nous retrouvons MM. Ghalotet Van den Handel en par-
faite santé. M. Chaussée est atteint de dysenterie, il ne
pourra nous suivre. M. Chalot doit rejoindre M. Dybowski,
rentré en France; enfin M. Van den Handel est rappelé
pour se rendre à Mobaï dans TOubangui. Personne ne
restera donc au poste, qui devient la propriété de Crouraa.
Le 28 juin, tout était prêt. Nous avions rencontré de
sérieuses difficultés dans la confection et la répartition
de nos charges. Par suite de Tinsuffisance du nombre de
porteurs, nous ne pouvions emporter que quelques rares
conserves, bien plus comme vivres de malades que comme
réserve. Ce qui nous inquiétait le plus, c'était le petit
nombre de caisses de perles et de ballots d'étoffes com-
posant notre pacotille. Nous n'emportions que le strict
nécessaire, et cependant nous comptions près de 110 char-
ges. Chaque Européen n'avait qu'une seule malle person-
nelle, du poids de 30 kilos. Une petite tente d'officier
devait abriter deux « blancs » et leurs bagages. On ne
pouvait songer à réduire davantage nos colis, de sorte
qu'en cas de maladie de l'un de nos porteurs, nous
n'aurions eu personne en état de le remplacer.
LA MISSION MAISTRE 145
Nous prenons notre dernier repas au poste de la Kemo.
Nos camarades de Tancienne mission sont partis depuis
la veille; il ne reste que deux des anciens : M. Brunache
et M. Briquez.
L'effectif comporte 6 Européens : MM. Maistre, Bru-
nache, Clozel, de Béhagle, Briquez et Bonnel de Mézières;
60 Sénégalais d'escorte, 118 porteurs croumans, kassaïs
ou pahouins.
Les porteurs sont conduits par deux contremaîtres qui
leur prêtent main-forte dans les mauvais passages, soula-
gent les malades et les estropiés, et secondent les « blancs »
dans une foule de questions de détail.
Le concours d'un contremaître comme ceux que nous
avions la bonne chance de posséder est loin d*étre à
dédaigner. L'un d'eux, ancien marchand d'esclaves, nommé
Tonio, nous a construit aux Ouaddas et à la Kemo des
cases qui feraient rêver un professionnel; fart d'ouvrir
avec un clou un cadenas dont la clé était perdue, de
déboucher une bouteille avec une paille, et surtout de
fabriquer des pipes en racines, n'avait pas de secrets pour
lui. Avec cela deux solides épaules, que Ton trouvait tou-
jours pour vous aider à franchir un marais bourbeux ou
un escarpement difficile, avaient fait de Tonio un être
indispensable.
11 est vrai que ses nombreux talents, son extraordinaire
don d'ubiquité, lui attiraient de fréquentes bourrades. On
ne pouvait admettre que Tonio n'eût pas prévu tel incon-
vénient, songé à faire un pont, à débrousser cet empla-
cement! Tonio laissait passer Torage, pénétré de son
importance; puis s'avançait en arrondissant le dos,
p. Brunache. iO
146 AUTOUR DU TCHAD
demandait à celui qui l'avait houspillé un instant aupara-
vant : un petit peu de tabac ou quelques perles pour en
acheter. Il était « grand fumadore » (fumeur), nousdisait-il
dans ce jargon qu'il avait emprunté à son associé portu-
gais, alors qu'il était négociant en « bois d'ébène ».
Le 29 juin, le réveil est sonné à cinq heures. Comme le
transbordement se fait à laide d'un seul canot démontable,
nous ne nous trouvons au complet, sur la rive droite, que
vers midi.
A 1 heure, la colonne se met en marche toujours à la
file indienne ; il n'est pas possible de circuler autrement
sur ces étroits sentiers. Cette habitude est d'ailleurs tel-
lement invétérée chez les noirs que, dans deux ou trois
circonstances difficiles, il nous a été impossible de faire
marcher nos porteurs par deux, ou par quatre, en vue de
diminuer l'étendue de la colonne et alors que nous nous
trouvions sur une excellente route, très large cl également
bien battue.
Ce jour-là et le lendemain, nous parcourons un sous-
bois des plus pittoresques. Ce ne sont plus ces arbres
gigantesques d'une rectitude qui peut être très appréciée
des charpentiers, mais qui rend le paysage monolone à
force d'être régulier et grandiose. On est toujours tenté
, d'aller compter les fils que ces poteaux télégraphiques
devraient forcément supporter. Il ne faut cependant pas
les calomnier, ces énormes « bombax », qui, en somme,
sont loin de déparer les bords de l'Oubangui : ce sont eux
qui servent à faire ces merveilleuses pirogues que les Ban-
zirisfont si magistralement évoluer dans les passages dif-
ficiles. On est bien aise cependant de reposer sa vue sur
LA MISSION MAISTRE ii7
un paysage de proportions plus modestes, de voir enfin
quelques arbres qui ne bravent pas la nue et se livrent à
mille contorsions bizarres.
La végétation tropicale n'a pas cependant perdu ses
droits. Les lianes continuent à courir d'un arbre à Taulre,
les palmiers nains et toutes les herbes qui constituent
cette flore si originale de TAfrique, croissent, mais moins
drues, et n'entravent pas la marche.
Nous campons dans un endroit éloigné de tout centre
habité. Bien que Tétape nous ait paru longue, nous avons,
en somme, parcouru fort peu de chemin : c'est inévitable
après être restés dans l'inaction la plus complète pendant
d'aussi longs jours. Quelques rares indigènes viennent
nous vendre des vivres. Pendant que je fais des achats, je
vois arriver vers moi une bande de Sénégalais, hurlant,
riant et bousculant un pauvre diable, tout surpris de cet
accueil chaleureux.
Ce qui lui vaut cette ovation, c'est qu'il a le teint un
peu plus clair que les autres indigènes, une grande barbe,
un collier qui a un faux air de chapelet et un soupçon de
« boubou » (tunique, chemise),
(c Monsieur, c'est un marabout! me dit l'un. Il parle
arabe », médit Tautre. Je calme tout ce monde et je ras-
sure mon individu, qui possède quelques formules de
politesse arabes. Il parle suffisamment cette langue et se
montre très fier de ses connaissances. Il a l'air très intel-
ligent et parait tout disposé à nous être utile. Il veut bien
nous servir de guide pour nous conduire chez les N'dris,
dont la limite est assez proche, mais il ne peut pour le
moment nous donner des renseignements géographiques
148 AUTOUR DU TCHAD
bien détaillés. Demain, nous dit-il, nous traverserons la
rivière Tommy, que nous connaissons déjà. Elle se jette
dans la Kemo, près des territoires de Bouassa, on la traverse
quand on se rend par terre chez les Ouaddas. Au nord et
dans quelques jours, nous aurons à traverser une impor-
tante rivière, le « Gribingui », dont on nous a déjà parlé
chez Crouma.
Notre homme s*appelle Ali; ce nom et sa connaissance
de la langue arabe le rendent quelque peu suspect dans le
camp. « Le spectre de Tislamisme » a été si habilement
agité depuis quelque temps qu'il cause même un certain
effroi parmi les Sénégalais musulmans. On flaire déjà en
lui un espion de ces fanatiques qui veulent absolument se
soustraire à l'influence des « blancs ».
Or Ali n'est pas musulman. Il est né chez les N'dris et
a été esclave chez les « Snoussous » dans son jeune âge;
il ne fait pas de difficultés à le reconnaître. Il a entendu
parler du massacre de Crampel et de la venue d'une
seconde expédition de « blancs » à Makorou, chez les
N'gapoux.
Comme il a tout lieu de supposer que nous venons
tirer des musulmans, vengeance de la mort de nos com-
patriotes, il ne se vante pas des relations qu'il entretient
avec eux, mais il n'est pas douteux qu'il leur sert d'inter-
médiaire et d'interprète dans leurs transactions avec les
naturels du pays.
Rien de plus naturel de sa part et il n'y a pas là matière
à nous inquiéter le moins du monde. On lui reprochait
d'être très réservé au sujet des Tourgous, Snoussous et
autres musulmans. Comme Ali n'ignorait pas que nous
LA MISSION MAISTRE U9
avions détruit la troupe de musulmans qui se trouvait chez
les N'gapoux, il jugeait par suite inutile de se prévaloir des
bons rapports qui existaient entre lui et ceux qu'il croyait
être nos ennemis. Peu habitué à nous, il était môme fondé
à croire que nous lui en ferions un grief. Et, d'ailleurs,
peut-être n'en savait-il pas davantage? il y a loin de chez
les N'dris aux pays musulmans!....
D'ailleurs nous ne faisions que passer dans la région,
tandis que les musulmans y viennent périodiquement faire
d'importantes transactions et, tout en nous étant utile,
Ali n'avait aucune raison de se mettre mal avec ceux qui
auraient pu lui nuire, dans la suite, alors que nous nous
serions trouvés trop loin pour le proléger.
H n'en est pas moins vrai que nous n'eûmes qu'à nous
louer de lui tant qu'il nous servit de guide et que, peut-
être, bien des difficultés, bien des coups de fusils auraient
été évités si nous feussions écouté.
Le 2 juillet, nous atteignons le village d'Azamgounda,
un des premiers chefs noirs, avec lequel Ali paraît en
excellents termes. D'ailleurs tous les gens du village con-
naissent notre guide, auquel ils s'adressent en vue de
vendre poules, chèvres, farine et les légumes de toutes
sortes qui abondent dans ce village relativement très pros-
père.
Les cases comme celles des Banziris, des Dakoas et des
N'gapoux sont soignées et bien construites. Elles sont
rondes ainsi que toutes celles que nous rencontrerons
désormais. Les alentours, la place centrale, ornée d'un
immense sycomore, sont scrupuleusement balayés.
Les cultures sont également bien entretenues. Les pre-
150 AUTOUR DU TCHAD
miers « N'dris » que nous voyons paraissent de taille
moyenne et bien proportionnés. Ils sont plus grands et
plus forts que les N'gapoux, mais ont avec eux un grand
nombre de points de ressemblance. Ils sont peu tatoués et
ne portent que quelques rares ornements en métal ou en
quartz. Ils affectionnent cependant les anneaux de métal
passés dans les ailettes du nez.
Jusqu'à présent je n'ai point vu de teinte de peau plus
foncée que celle des N*dris. Je ne serais pas éloigné de
croire que les N'gapoux, les N'dris, les Ouaddas et peut-
être même les Togbos, proviennent de la même souche. La
différence entre la langue parlée par ces quatre peuples
ne doit pas être bien sensible.
Azamgounda, sous les auspices d*Ali^ nous présente
Gonno, son frère, chef d un village voisin. Nos deux chefs
sont entourés d'un certain nombres d'amis, de clients et
de badauds. M. Maistre profite de l'occasion pour leur
présenter les avantages qu'offrirait pour eux un traité. Je
traduis à Ali les paroles de M. Maistre et celui-ci, après
avoir entretenu à voix basse les deux chefs, nous fait con-
naître qu'Azamgounda est disposé à signer le traité dont
il s'agit.
M. Maistre nous a tous réunis ; les Sénégalais en armes
forment le carré. La sonnerie « au drapeau » et la mise de
la baïonnette au canon étonnent quelque peu les indigènes.
Bon nombre de spectateurs s'éclipsent discrètement. Azam-
gounda et son frère Gonno se tournent de temps à autre,
peu rassurés d'être ainsi isolés au milieu d'une aussi
importante troupe en armes. C'est avec un soupir de sou-
lagement non dissimulé qu'ils prennent congé de nous
LA MISSION MAISTRE 151
après la cérémoDie. Je ne suis pas éloigné de croire que
bientôt s'établira cette légende, chez les N'dris, que les
» blancs », avant
de faire alliance
avec une Iribu, font
subir une épreuve
aux chefs pour s'as-
surer du courage
et du sang- froid
de leurs nouveaux
amis.
Ali, qui a dos pré-
tentions, jusliliécs
d'ailleurs, à la di-
plomatie, m'explique
qu'un semblable ap-
pareil, loin de plaire
aux indigènes, pour-
rait les effrayei' el
nous créer des difli-
cultés quelquefois. A
son avis, une atig- , ' ^
mentalion de ca- ^
deaux et même une ' .*
dislribulion aux as-
sistants donnerait Gaemer o n.
beaucoup plus d'éclat à la cérémonie. Il oublie d'ajouler
que celte façon de procéder augmenterait son importance
et arrondirait sensiblement sa bourse en sa qualité d'in-
lerpréte.
152 AUTOUR DU TCHAD
Quelques Togbos avaient consenti à nous accompagner
chez les N'dris. Ils nous avaient môme fait espérer qu'ils
décideraient leurs voisins à se joindre à nous, lorsqu'eux-
mêmes ne pourraient aller plus loin, lis nous quittent,
ils ne veulent pas franchir la rivière Tommy, et les
N'dris paraissent peu disposés à nous accompagner.
Le 4 juillet, nous quittons le village d'Azamgounda. Il
nous faut, dès notre sortie du village, traverser la Tommy,
qui coule au pied sous un véritable tunnel de verdure. Le
passage s'effectue sur un pont de lianes très bien construit
et de formes très gracieuses. Ali nous engageait vivement
à ne pas prendre ce chemin : il avait en effet d'excellentes
raisons, car il nous faut bientôt traverser à nouveau la
Tommy, mais, cette fois, à gué et au prix d'assez sérieuses
difficultés; puis nous nous engageons dans une série de
petits marais bourbeux qui rendent la marche très fati-
gante.
Le transport du canot démontable cause un sérieux
inconvénient et retarde la marche de la caravane.
Nous atteignons cependant de légers accidents de ter-
rain, parsemés d'arbres moins perdus dans l'herbe, qui
nous indiquent, en même temps que l'approche d'une
forêt, une élévation sensible du terrain.
Bientôt, dans une jolie clairière, égayée par quelques
rayons de soleil qui percent à travers le feuillage plus dru
en cet endroit, nous remarquons quelques cases fort
propres et des cultures très soignées.
A mesure que nous avançons, les cases deviennent plus
nombreuses. Quelques hommes devisent tranquillement
sur le petit tertre, situé à Tune des extrémités de la place
LÀ MISSION MAISTRE 153
centrale et qui sert de lieu de réunion et de poste d'obser-
vation. Ils ne se dérangent pas à notre approche et ne
paraissent pas le moins du monde étonnés à notre vue.
Un bonjour amical de la lôte, un geste pour nous mettre
dans le bon chemin, et ils reprennent leur causerie, tandis
qu'une bande d'enfants nus se roulent dans la poussière
avec les affreux petits chiens comestibles qui abondent en
cet endroit. On ne voit point de femmes, mais on entend
des cris et des pleurs d'enfants à la mamelle et, de Tinté-
rieur des cases, sort un grand bruit de pilons. De temps à
autre, un homme arrive très affairé, dépose vivement une
charge de mil ou de manioc dans la case et repart vers les
greniers. Sous ce calme apparent règne la plus grande
activité.
C'est qu'Ali, en guide entendu, a fait prévenir les gens
d'Amazaga — c'est ainsi que se nomme le chef de ce vil-
lage — qu'une troupe importante arriverait chez eux et y
achèterait des provisions. Notre bonne réputation s'est
répandue de la Kemo ici; d'ailleurs, les N'dris venaient
de temps à autre au poste; ils savent que notre arrivée
est pour eux une bonne aubaine et préparent de grandes
quantités de farine pour nous la vendre.
Il importe en effet de faire de sérieuses provisions. Au
dire des indigènes, quelle que soit la direction que nous
prenions entre le N.-E. et le N.-O., nous sommes forcé-
ment obligés de traverser une forêt absolument déserte, qui
pendant huit jours ne nous offrira aucune ressource.
C'est un fait que nous avions déjà remarqué à diverses
reprises, que deux tribus importantes ont toujours le soin
de laisser entre elles un assez vaste espace désert. C'est
154 AUTOUR DU TCHAD
sans doute pour éviter, par un certain éloignement, les
causes de conflits que le voisinage provoque trop facile-
ment. Ces forêts ou ces steppes constituent également de
superbes pays de chasse où se réfugient les éléphants, les
antilopes ainsi que les bœufs sauvages. Le droit de chasse
dans ces régions fait quelquefois nattre ces conflits que
Ton voulait éviter.
Nous faisons séjour à Amazaga pour permettre à nos
hommes d acheter une provision de farine et autres denrées.
Ils font aussi de grosses acquisitions de sel indigène; c'est,
à leur avis, le meilleur qu'ils ont rencontré à ce jour. Je
le goûte, et, comme partout ailleurs, je lui trouve une
saveur atroce, une amertume insupportable. Nous préfé-
rerions, je crois, nous passer de sel que d'en mettre de
semblable dans nos aliments. Les noirs le paient cependant
extrêmement cher.
Le 10, nous fêtons le 1& juillet par anticipation. Les
habitants du village regardent curieusement nos hommes
qui se livrent à toutes sortes de jeux. Les femmes elles-
mêmes sortent de leurs demeures. Comme dans toutes les
autres tribus, après Bangui, elles n'ont pour tout vêtement
que deux touffes de feuillage suspendues devant et derrière
par une ficelle qui fait le tour de la taille.
Chez les N'gapoux, les Dakoas, les Ouaddas, Togbos
et N'dris, ce sont toujours les mômes feuilles souples et
douces, mais outre ces qualités elles possèdent, je crois,
une autre propriété.
Dans une masse d'endroits, on est incommodé par la
présence de légions de petits moucherons qui pénètrent
dans les yeux, les oreilles et les narines.
LA MISSION MAISTRE 155
Nous ne parvenioûs à aous en débarrasser qu'en nous
réfugiant sous les arbres où ces dames viennent précisé-
ment cueillir leurs... soupçons de vêtement. Ces mouche-
rons ne se tiennent jamais dans les parages de ces arbres.
C'est peut-être cette propriété qui a fait mettre ce vêtement
à la mode.
Un traité est passé avec le chef Amazaga, qui, à grand'
peine, nous confie 6 hommes comme porteurs supplémen-
taires. Il nous engage fort à ne point aller directement au
Nord dès maintenant. Ali insiste aussi pour que nous
inclinions légèrement vers l'Est, où nous rencontrerons la
tribu des « Kas ». Il est sûr que nous y serons bien
accueillis, tandis qu'il déclare n'avoir aucune relation
avec la tribu des « Mandjias », que nous rencontrerons en
allant droit au Nord, et, dès lors, il craint fort que nous
soyons mal reçus par cette peuplade, réputée très ombra-
geuse.
CHAPITRE VII
DÉPART DE CHEZ LES rV'DRIS
Départ de chez les N'dris. — Disparition des guides. — A l'aven-
ture. — Ligne de partage des eaux des bassins du Tchad et de
rOubangui. — La tribu des Mandjias.
Nous parlons le H juillet. En quittant le village, nous
pénétrons dans celte grande « brousse » qui devait nous
donner, dans la suite, lant de soucis. Elle est loin d'être
engageante dès le début, bien qu'elle soit fort pittoresque,
mais elle est entrecoupée de minces cours d'eau encaissés,
de marais fangeux qui ralentissent la marche et occasion-
nent de sérieuses fatigues à notre troupe. Dans ces ravins
se rencontrent toutes les variétés, toutes les espèces de
« mimosés », dont les épines tracent des arabesques san-
glantes sur le dos de nos porteurs et n'épargnent pas
davantage la figure et les mains des Européens.
Ces cuisantes piqûres ne sont rien en comparaison de
l'énervement, de la fatigue énorme, de l'anéantissement
causé aux porteurs par ces arrêts imprévus, courts ou
prolongés, suivis d'à-coups dans la marche produits par les
passages de « marigots ». D'autres fois, alors qu'ils s'y
DÉPART DE CHEZ LES N'DRIS 157
attendent le moins, les malheureux sont obligés de prendre
le pas de course pour regagner leurs dislances et, lorsqu'ils
sont bien en train, un nouvel à-coup les arrête. Je com-
prends maintenant pourquoi Stanley, dans ses « raids »
réputés rapides, ne parcourait en moyenne que 12 kilo-
mètres par jour. L'Européen qui conduit une colonne ne
voit que le but à atteindre; il parcourt, évidemment, ces
dislances, qui semblent courtes, sans efforts : surtout si,
pour se distraire, il se livre aux douceurs de la poursuite
des papillons ou de la récolte des plantes rares. Il n'en est
pas de même pour le porteur qui, lourdement chargé,
poussé par le contremaître à rejoindre Tavant-garde qui
marche allègrement, est vile sur les dents et bientôt dans
l'impossibilité de rendre aucun service. Je sais bien que
l'on considère assez volontiers les porteurs comme des
bêtes de somme. Mais encore faut-il ménager ces bêtes de
somme, surtout quand elles contribuent au succès de
Tentreprisc, et aussi parce que ce sont des hommes.
Je m'explique également le : Fesiina lente de M. de
Brazza.
Heureusement, et c'est là un délail qui ne manque pas
d'intérêt, les plaies des noirs se guérissent bien plus
rapidement dans ces régions que sur la roule de Loango
à Brazzaville. Si nos hommes, qui se blessaient fréquem-
ment pendant la marche avaient, comme dans le Mayombe,
par exemple, conservé pendant des semaines entières des
blessures vives, qui les mettaient dans l'impossibilité de
porter aucun fardeau et même de nous suivre, il eût fallu
renoncera la caravane.
En somme, notre marche était cependant suffisante.
158 AUTOUR DU TCHAD
étant données les difficultés qne nous rencontrions à
chaque pas. Mais Âli, voyant qu'il n'était tenu aucun compte
de ses observations au sujet de la route à suivre, nous
présente quelques objections. En quittant Amazaga, nous
Tavons en quelque sorte obligé à nous servir de guide :
malgré ses avis, nous persistons à nous diriger droit au
Nord; il juge alors inutile de continuer ses services. Un
malin, au réveil, il avait disparu. Les six hommes prêtés
par Âmazaga étaient également partis avec lui.
Nous sommes dans l'obligation d'abandonner le canol
démontable, ce qui nous permet de disposer de quatre
vigoureux porteurs.
Cependant nous avons été rejoints par deux indigènes
qui appartiennent à la tribu des Kâs. Ils nous suivent,
mais ne nous servent nullement de guides. Comme il
n'existe aucun sentier allant directement vers le Nord, la
caravane est obligée de se frayer un chemin à travers le
taillis.
Le 18, nous sommes arrêtés par une rivière que l'on
ne peut traverser à gué; les deux indigènes nous disent
qu'elle se nomme « Fafa ».
Nous la passons sur un arbre que nous abattons en tra-
vers du courant. La « Fafa » coule vers l'ouest. A H heures,
toute la caravane est sur la rive opposée.
Nos hommes ont absolument épuisé tous leurs vivres.
Beaucoup môme ont dû se contenter, hier soir, de quel-
ques rares fruits de tamarin pour leur repas.
Nous sommes obligés de faire une distribution des con-
serves destinées aux Européens. On remet aux Sénégalais
et aux porteurs une boîte d' « endaubage » de troupe pour
DÉPART DE CHEZ LES N*DRIS 159
trois hommes et une petite boîte de « corned beaf » pour
deux. Nos vivres de malades sont, dès lors, réduits à leur
plus simple expression. Les deux seules caisses de ces
conserves que nous possédions, sont entièrement épuisées
par cette distribution, qui devait fournir trois repas à nos
hommes et suffit à peine à en constituer un pour ces
affamés.
Depuis l'avant-veille, nous avions quitté une série de
plateaux arides et secs pour descendre insensiblement vers
la « Fafa ». La pente est nulle en apparence, mais elle est
réelle. Les cours d'eau, maintenant, coulent tous dans des
directions variant entre le nord-ouest et le nord-est. 11 n'y
a pas à en douter, nous avons franchi la chaîne de col-
lines, peu élevées, qui constituent la ligne de partage des
eaux des bassins du Tchad et de TOubangui.
Vers une heure de l'après-midi, quelques-uns de nos
hommes viennent nous prévenir qu'ils ont aperçu un indi-
gène. C'est un gros événement pour nous! Sénégalais,
porteurs. Européens, tous se pressent autour de l'orateur :
« Il allait prendre de l'eau avec ses camarades un peu en
amont du camp, lorsqu'il aperçut un indigène qui relevait
ses nasses. Heureux de cette rencontre, tous s'avancent. »
Mais il est probable qu'ils témoignèrent un peu trop bruyam-
ment leur joie, car l'indigène, effrayé, prit la fuite, aban-
donnant ses nasses et ses poissons. Nos hommes suivirent
sa piste, qui les conduisit bientôt sur un chemin frayé et
paraissant même très fréquenté.
Le signal du départ est aussitôt donné et nous nous
engageons sur cette route, qui doit nous conduire très
certainement vers un village, où il sera possible de nous
160 AUTOUR DU TCHAD
ravitailler et d'entrer en relations avec la nouvelle tribu
sur le territoire de laquelle nous pénétrons.
Nous rencontrons un carrefour; chaque sentier paraît
très battu, la direction Nord est choisie de préférence.
L'avant-garde marche bon train, et la queue de la
caravane a peine à suivre; elle ne se plaint pas cependant.
La piste est si bien établie, qu'on éprouve une certaine
volupté à la fouler, après avoir erré si longtemps à travers
les ronces, les racines et les taillis. D'ailleurs nos fatigues
ne vont-elles pas finir maintenant que nous allons atteindre
un village !
Notre hâte d'arriver nous empêche d'admirer cette
fin de forêt dont le caractère diffère absolument de ce que
nous avons vu dans la matinée même. Le fouillis a disparu
pour faire place à un sous-bois beaucoup moins criard,
plus discret, plus gracile, mais dont Taspect, moins impo-
sant, est peut-être plus agréable, parce que de larges
touches lumineuses forment d'heureuses oppositions avec
le ton d'un violet opaque des fonds, qui jusqu'à présent
avait formé la note dominante.
Je ne voudrais pas m'aliéner les sympathies de la géné-
ration des voyageurs à venir qui s'est nourrie des agréables
productions de Gustave Aymard et de Meyne Raid, mais
je ne saurais vanter les agréments des forêts tropicales
telles que le Mayombe et celle que nous venions de tra-
verser.
Ces masses sont merveilleuses au début. On les trouve
lourdes par la suite, et ces ombres sépulcrales, qui ne
manquent pas d'un certain charme dès les premiers pas,
pèsent, oppressent à la longue. A dire vrai, la sensation
DÉPART DE CHEZ LES N'DRIS 161
■'est plutôt désagréable et c'est avec une véritable satisfac-
tion que Ton respire dans les clairières, que Ton retrouve
une végétation, moins luxuriante, mais offrant, de temps
à autre, une échappée vers une vallée bien franchement
éclairée, où l'ombre de quelques nuages, estompant un
beau ciel bleu, taquine, dans sa course rapide, les som-
mités fauves des épis de mil.
Je faisais part de ces impressions à mon ami Clozel, qui
marchait immédiatement derrière moi, lorsque M. Bonnel
de Maizières accourt , tout essoufflé , me prévenir que
l'avant-garde vient d'ôlre attaquée. M. Maislre me fait
demander des cartouches. J'envoie un tonnelet et nous
pressons vivement l'allure. Nous ne tardons pas à rejoindre
la lèle de colonne qui a fait halte. MM. Maislre, Briquez et
Bonnel de Maizières sont partis en avant avec 20 hommes,
sans attendre notre arrivée, et nous entendons une série
de feux de salve qui, peu à peu, se perdent dans le loin-
tain.
L'un des hommes de l'avant-garde, qui a reçu Tordre
de nous arrêter en cet endroit, me dit que la colonne che-
minait fort tranquillement, lorsque les deux Sénégalais
qui marchaient en tôte rebroussèrent chemin, en donnant
des marques de la plus vive frayeur et en criant qu'ils
venaient d'être attaqués.
L'un d'eux avait eu, pensait-il, son bidon traversé par
une zagaie. Sur le chemin se trouvent deux de ces armes,
dont Tune est fichée en terre. M. Maistre part immédiate-
ment en avant, avec nos deux compagnons et l'avant-
garde, et les feux de salve commencent contre un ennemi
absolument invisible, d'ailleurs.
p. BnUMACHK. 1 1
162 AUTOUR DU TCHAD
Nous ne pouvions laisser nos amis poursuivre ainsi
leur course. Les hommes disponibles sont formés en
carré, les porteurs placés au centre, et nous avançons
ainsi, faisant à peine un kilomètre à Theure.
Bientôt la nuit approche et, désespérant de rejoindre
M. Maistre, nous nous disposons à installer le camp près
d'un marais lorsque un mot de lui nous parvient. C'est
précisément en cet endroit qu'il nous dit de nous éta-
blir.
Il se fait tard et nous commençons à avoir de sérieuses
inquiétudes au sujet de nos compagnons, qui paraissaient
s'être avancés un peu trop loin. Un bruit de voix, des
appels et leur arrivée au grand complet dans le camp
nous rassurent pleinement.
Nos camarades, après avoir pris un repos bien mérité,
car ils paraissent avoir fourni une longue marche, nous
racontent les événements de la journée.
« Vers trois heures, en apprenant que les deux hommes
d'avant-garde viennent d'être attaqués, ils quittent le
gros de la caravane et se portent en avant au pas de
course. M. Maistre fait exécuter un feu pour déloger l'en-
nemi, qu'il suppose caché dans les hautes herbes. Ils
marchent ainsi à une vive allure, tirant de temps à autre
quelques coups de fusil. Au moment où, vers le coucher
du soleil, n'ayant pas vu ûme qui vive, ils s'apprêtaient à
rebrousser chemin pour nous rejoindre, ils découvrent,
dans un terrain nu, une troupe d'indigènes rangés en
bataille. M. Maistre essaie de leur faire comprendre
par signes ses intentions pacifiques. Les indigènes
n'écoutent rien et entament les hostilités. Ils s'avancent
DÉPART DE CHEZ LES xN DRIS 163
vers Tune des faces du carré, mais alors nos hommes
font feu el les dispersent.
« Un des leurs est resté sur le terrain, et les quelques
armes oubliées dans une fuite précipitée permettent de
supposer qu'il y a également des blessés. »
N'ayant pas pris part à l'action, je ne me rends pas bien
compte des avantages qui auraient pu résulter de ce sur-
croît de fatigues que nos camarades se sont imposés.
M. Maistre, inquiet du manque de vivres, aurait voulu
pénétrer dans le village avant que les indigènes aient pu
déménager leur bétail, leurs poules, leurs réserves de grain.
Malheureusement, il ignorait la situation exacte du vil-
lage, et les deux indigènes qui nous suivaient et auraient,
peut-être, pu nous rendre quelques services dans celte
circonstance, avaient disparu au début. 11 fallut renoncer
à donner des vivres à notre personnel ce soir-là.
En aurions-nous le lendemain? Voilà quelle était la
question que se posaient nos hommes.
CHAPITRE VIII
EN PAYS XANDJIA
Les indigènes désertent les villages. — Alerte. — Attaque du camp.
— Capture d'un Mandjia. — Nouveau combat. — Marche lente et
incertaine. — Reprise des relations.
Le 19 juillet, nous partons de fort bonne heure et nous
avançons en bon ordre. Tout est désert, mais nos hommes
scrutent les hautes herbes. Le temps est lourd et sombre.
Nous atteignons un endroit soigneusement défriché, bordé
sur deux côtés par de belles plantations de mil et confi-
nant à la forêt par ses autres faces. C'est là que nos amis
ont rencontré les « Mandjias », car, au dire des indigènes
qui nous accompagnent, nous sommes sur le territoire des
Mandjias. Près du chemin, le cadavre d un grand gaillard
de vingt ans environ, solide et bien charpenté; quelques
boucliers.
Nous marchons en silence. Vers neuf heures, nous
atteignons un assez beau village situé sur un petit monti
cule. Des débris de poteries, des graines, des épis de
maïs, de menus objets abandonnés dans une fuite préci-
pitée jonchent le sol. Quelques poules oubliées picorent
EN PAYS MANDJ[A
165
aulour des cases, tandis que des chiens, enfermés par
mégarde, hurlent lugubrement. Ce village devait être
riche, à eu juger par l'importance des plantations et le
grand nombre des greniers i. mil. Les constructions
paraissent soignées; elles sont groupées, par deux ou
par trois, au milieu de petites cours entourées d'une haie
en branchages. Quelques forges fument encore et bien des
foyers réchauffent le repas de famille.
Vill.ge
Le gai clairon d'un coq perché sur le pignon d'une
case ne parvient pas à dissiper la tristesse que nous
cause la vue de celte activité si brusquement inter-
rompue.
Nous faisons halte à peu de distance des premières
habitations et quelques hommes procèdent à une recon-
naissance minutieuse du village et de ses environs. Tout
est désert. Dans les cases, de nombreuses cuves de bière
de mil, récemment vidées, attestent que les guerriers
avaient dû emprunter à cette boisson le courage néces-
166 AUTOUR DU TCHAD
saire pour résister à ceux qu*ils considéraient comme des
ennemis.
Nos hommes se dispersent, mais ils ne songent nulle-
ment à dresser le camp. Ils ont supputé ce que pouvaienl
contenir les greniers à mil et ils estiment que nous avons
des vivres pour deux mois. Mais la viande est plus rare;
depuis les N^dris ils n'en ont plus mangé, aussi se livrent-ils
à une chasse aux poules qui vient, fort à propos, nous
tirer de nos réflexions. Les coups de triques pleuvcni
drus sur ces malheureux volatiles; beaucoup s'égarent
même sur le dos de quelques chasseurs trop pressés de
saisir leur proie : des cris, des hurlements, des éclats de
rire et des contestations que nous tranchons à la Salomon.
Malheureusement, nos hommes ne s'en tiennent pas là.
Nous les avons autorisés à prendre du mil dans les gre-
niers. Pour s'éviter la peine insignifiante de les découvrir,
ils les évenlrent d'un coup de couteau et, lorsqu'ils ont
recueilli un litre ou deux de grains, ils laissent le contenu
du réservoir s'écouler dans la boue, gaspillant ainsi des
ressources péniblement amassées pendant une année et
qui auraient assuré l'avenir de plusieurs familles, lis
envahissent et pillent les cases, qu'ils détruisent ensuite.
C'est navrant, mais il faut tenir compte de « Témotion
inséparable d'un premier début ». Beaucoup de nos Séné-
galais voyaient le feu pour la première fois : ils sont grisés
par leur succès de la veille.
Quand cette agitation s'est un peu calmée, nous par-
courons le village à notre tour. Comme chez Bembé, chez
les Dakoas, les Togbos, les N'gapoux et les N'dris, les
cases sont rondes. Elles mesurent en général 4 ou 5 mèlres
EN PATS MANDJIA 167
de diamètre. Un mur circulaire en argile soigneusement
lissée, élevé d'environ 50 centimètres, supporte une char-
pente conique en lianes minces et souples. Par-dessus
cette carcasse, une épaisse couche de chaume, disposée
par rangs, dont le dernier est coupé très régulièrement h
30 centimètres du sol. La porte cintrée est très basse et
protégée contre la pluie par une sorte d'auvent formé par
la toiture.
168 AUTOUR DU TCHAD
La nuit ou lorsque le propriétaire s'absente, Touver-
lure est fermée à l'aide d'une claie maintenue par une
pierre. Toutes les cases, jusque chez les Saras, répondent
à ce modèle. Dans toutes les habitations, la couche du pure
et de la mère est séparée, par un clayonnage, du reste de
l'habitation.
Nous trouvons quelques fétiches grossièrement taillés,
mais aucun détail d'ornements ou de costume n'a été
oublié. C'était pour le moment le seul document que
nous ayons sur les Mandjias.
Des pilons recourbés, servant à écraser le mil dans les
mortiers, remplacent ici l'énorme barre de bois en usage
partout ailleurs.
Nous trouvons un singulier ornement que les guerriers
portent sur chaque tempe dans les fêtes et dans les com-
bats. C'est une sorte de bonhomme en bois, orné de
petites houppes et peint en deux couleurs, rouge et noir.
M. Maistre est obligé de s'aliter : il souffre de violentes
douleurs d'entrailles et ne peut songer à marcher ni même
à se faire porter en hamac. Nous prolongeons notre séjour;
d'ailleurs, nos hommes n'ont point achevé de piler le mil
qui doit constituer leur provision de farine.
Jusqu'à ce jour nous redoutions un retour offensif des
Mandjias. Rien ne venant troubler notre tranquillité, nous
commencions à reprendre confiance, lorsqu'un malin, vers
huit heures, nous entendons un tapage infernal accom-
pagne de cris sauvages, qui semblent poussés par une
troupe considérable. Cette fois, plus de doute, c'est le
tam-tam de guerre et nous allons être attaqués. Nous
formons vivement le carré. Deux ou trois Sénégalais mon-
EN PAYS MANDJIA 169
tent sur un arbre et observent les mouvements de
Tennemi.
Bientôt la tète de colonne fait son apparition, exécu-
tant des danses échevclées et frappant sur des tambours.
Au moment où Ton s'apprête à charger les armes, nous
voyons à notre grande surprise émerger à travers les
hautes herbes deux ou trois chéchias rouges.
Ce sont les deux indigènes kas, ceux qui nous suivent
depuis quelque temps. Escortés de porteurs croumans et
(le nos plus mauvais Sénégalais, auxquels ils ont emprunté
leurs coiffures, ils sont allés en maraude et reviennent
chargés de butin, poules, légumes, ustensiles, et un
orchestre complet. Us sont d'ailleurs tous parfaitement
ivres, ce qui motive leurs contorsions bruyantes et leurs
éclats de voix.
Les uns sont réprimandés, et les autres, punis sévère-
ment. Tous sont fort penauds maintenant.
Les quelques reconnaissances tentées dans toutes les
directions n'ont amené aucun résultat. Les villages sont
absolument déserts.
Après sept jours d'arrêt en cet endroit, nous nous met-
tons en route le 26 juillet.
Nous traversons de nombreux groupes d'habitations,
dont quelques-uns, assez importants, sont abandonnés
depuis le jour même. M. Maistre, toujours très fatigué, est
obligé de se faire porter. Le pays n'est pas précisément
difficile : quelques légers replis de terrain, une série de
collines parallèles peu élevées se dirigeant toujours du
N.-E. au S.-O. pour aller se rattacher sans doute à ce nœud
orographique qui doit exister forcément à peu de dis-
170 AUTOUR J)U TCHAD
tance du poste de Bangui. — Nous descendons insensible-
ment pour remonter de môme sur de petites hauteurs
formant des plateaux, couverts de roches ferrugineuses et
presque dépourvus de végétation.
Bientôt nous reprenons une pente, plus accusée cette
fois, et nous rencontrons quelques ruisseaux se dirigeant
vers le nord.
Les villages sont très rapprochés et fort importants, la
population doit être très dense. Les cultures considérables
et fort bien tenues, les nombreux défrichements en cours
d'exécution démontrent que les habitants doivent être
extrêmement travailleurs. Les greniers à mil sont vides,
maintenant, on ne rencontre plus la moindre poule isolée.
Les fuyards ont tout emporté; ils ont même arraché les
fruits, les légumes qui n'ont pas atteint une complète
maturité.
Pendant de longs jours, nous sommes réduits à la
bouillie de mil alternant avec une bouillie de courges insi-
pides. Des ignames sauvages viennent quelquefois varier
notre ordinaire, trop heureux quand nous pouvons mettre
la main sur quelques arachides ou sur un rayon de miel
impur et extrêmement amer.
C'est à ce moment que notre cuisinier Dominique
devint un personnage d'importance. Absorbés par les pré-
paratifs du départ et de la mise en route, nous n'avions
pas fait attention à ce petit vieux bonhomme, mal bâti,
bossu, velu, tordu et noir comme le diable en personne.
Il mérite, cependant, une mention spéciale, car c'est lui
qui, de temps à autre, apportait la note gaie et nous fai-
sait oublier nos fatigues et nos préoccupations.
EN PAYS MANDJIA 171
Tour à tour cuisinier de radministralion et des reli-
gieuses de Libreville, il a promené Ténorme bosse sous
laquelle il s'effondre, aux quatre coins du Congo et du
Gabon.
C'est merveille de lui voir confectionner avec rien ou
à peu près un succulent repas pour six Européens à
lappétit excité par une longue marche à pied.
Le manioc, les ignames, les racines les plus inconnues,
accommodées à Thuile de poisson, se transformaient sous
ses doigts de sorcier en pain, rôti, entremets ou potage.
Dominique a deux défauts inhérents à la race nègre :
il est joueur et ivrogne, mais il est puni par où il a péché.
Son aide de cuisine, jeune gavroche noir des bords de
rOubangui, connaît les cachettes de notre Vatel et lui vole
sa bière de mil ; il lui gagne en trichant au jeu sa ration
de perles, ce qui lui a valu un jour cette apostrophe de
Dominique : « Allez, mossieu, vous êtes un grand débau-
ché! »
Avec ça, pas poltron : je l'ai vu à chaque attaque de
notre camp rester calme auprès de son fourneau, surveil-
lant son fricot sans être plus ému que s'il se fût trouvé
en face de la sœur économe lui dictant le menu du jour.
Les talents de Dominique ne parvenaient pas à dissiper
cette inquiétude vague, cette tristesse qui envahissait
toute la caravane, depuis le dernier des porteurs jusqu'aux
Européens, pendant la traversée de ce pays, probablemeni
très riant en temps ordinaire, mais transformé mainte-
nant en désert.
Le dimanche 31 juillet, nous quittons notre campement,
situé à l'entrée d'une grande agglomération de cases
172 AUTOUR DU TCHAD
dont la traversée nous prend près d'un quart d'heure. A
quelque temps de là, nous longeons un petit village, très
heureusement situé dans un bas-fond, et coupé par une
rivière aux eaux claires. On remarque quelques bananiers
qui tranchent vigoureusement sur les autres arbres d'un
vert sombre. Ce sont les seuls bananiers rencontrés
depuis la Kemo.
En continuant notre chemin, nous trouvons un petit
groupe de cases autour desquelles sont installés de gros-
siers abris, construits à la hâte pour loger, sans doute, les
fugitifs des villages précédents.
Nous installons le camp à proximité d'un petit cours
d'eau et non loin du hameau, sur un plateau entouré de
plantations.
Nous allons essayer à nouveau d'entrer en relations
avec les indigènes, car il n'est pas admissible qu'une sem-
blable situation puisse se prolonger.
Nos hommes vont à l'eau, comme d'habitude, mais, peu
de temps après, nous entendons de grandes clameurs, des
coups de sifflets stridents et bientôt toute la corvée rentre
au camp avec les sceaux vides. Les indigènes, postés sur
l'autre rive, les ont, paraît-il, accueillis à coups de flèches
et de zagaies. Les Mandjias sont, nous disent-ils, absolu-
ment ivres et très excités. Un jeune Togbo et deux
N*dris, de quatorze à dix-huit ans, ont suivi nos Sénégalais,
auxquels ils servent d'ordonnances. Ils n'ont pas oublié,
bien entendu, leur sifflet d'ivoire qui leur sert, absolu-
ment comme notre trompe de chasse, à correspondre à
distance. Le Togbo, que nos Sénégalais ont i)aptisé du
nom de Mahmadi Diop, monte sur un arbre assez élevé;
EN PATS MANDJIA 173
les Mandjias, parait-il, rôdent autour du camp dans les
hautes herbes, il leur adresse quelques appels à Taide de
son sifflet. Les autres répondent et la conversation dure
un bon moment. Enfin Mahmadi Diop nous déclare qu*il
ne faut pas songer à faire la paix. Les Mandjias ne veu-
lent pas entendre parler de nous. « Et, d'ailleurs, ils sont
ivres, nous dit-il : inutile de parlementer, c'est du temps
perdu. Demain... peut-être! »
Quelques hommes sont envoyés en vue de rapporter si
possible des mortiers pour piler du mil, mais ils rentrent
après avoir essuyé une volée de flèches. Ils n'ont pas
voulu riposter.
Toute la nuit nous entendons de grandes clameurs dans
les villages environnants. La bière de mil doit couler à
flots, afin de donner aux guerriers l'énergie nécessaire
pour lutter contre l'envahisseur.
Vers une heure après midi, le 2 août, nous entendons
de grands cris, des coups de sifflets nombreux qui nous
annoncent l'approche d'une troupe importante. Un Séné-
galais, monté sur un arbre, suit les mouvements des
Mandjias, qui se rapprochent en redoublant leurs cris.
Nous sommes formés en carré, scrutant la brousse. Le
Sénégalais descend de son arbre et nous dit qu'ils vont
apparaître. En effet, les herbes s'agitent et quelques
flèches tombent devant la face du carré commandée par
M. Maistre; il fait feu, et tous les Sénégalais l'imitent,
même ceux qui tournent le dos aux assaillants.
Quelques rumeurs qui se perdent dans le lointain, puis
plus rien. On examine le champ de bataille, et Ton ne
découvre heureusement aucun cadavre.
174 AUTOUR DU TCHAD
M. Maislre envoie une section de Sénégalaise leur pour-
suite. Au coucher du soleil, ils reviennent ramenant un
colosse, Tair abruti, la face tuméfiée : c'est un Mandjia,
qu'ils ont fait prisonnier.
M. Maistre lui adresse quelques paroles rassurantes par
l'intermédiaire d'une des femmes esclaves des Togbos qui
ont suivi nos hommes. Elle appartient elle-même à la
tribu des Mandjias et se fait parfaitement comprendre.
Notre homme ne prête qu'une attention fort médiocre à
tout ce qui Tentoure. Il a dû faire de sérieuses libations et
les horions qu'il a reçus ne sont pas faits pour lui rendre
la raison.
Nous partons, mais un peu à l'aventure, bien que
guidés par notre prisonnier, qui, paralt-il, a nom Marc.
Le brave homme ne nous rendra certainement pas de
grands services. C'est une véritable brute qui répond par
des grognements à toutes les questions qu'on lui pose.
Il nous apprend cependant que la tribu des Mandjias se
divise en trois /actions : les Mandjias Gouriés, les Mandjias
Tommy et leé Mandjias proprement dits. Il nous dit aussi
que la population est très dense, ce dont nous sommes
convaincus à en juger par l'importance des villages el des
cultures.
Nous traversons une assez grosse rivière. On la désigne
sous le nom de « Nana ». Je serais tenté de croire que ce
n'est pas là un nom propre, mais un mot qui signifie
cours d'eau en général.
Maro ne connaît plus la région. M. Maistre le met
60 liberté, après lui avoir remis un pavillon et des pré-
sents. Cette fois le pauvre Mandjia est absolument ahuri.
EN PAYS MANDJIA 175
M. Maislre lui fait adresser un nouveau discours; le mal-
heureux ne s'explique pas noire façon de faire, il part sans
essayer de comprendre, à pas comptés, sans se retourner.
Ce n'est certes pas un semblable ambassadeur qui
amènera un rapprochement entre les Mandjias et nous.
Le lendemain, peu de temps après le départ, Tavant-
garde, au détour d'un sentier, découvre brusquement un
village. Les indigènes ne soupçonnaient pas notre approche,
tous vaquaient à leurs occupations, la vue de la caravane
les effraie. Les guerriers sautent sur leurs armes. Les
vieillards réunissent les femmes et les enfants, qu'ils font
partir pour les cacher dans la brousse. Le gros des habi-
tants se masse à l'entrée du village pour arrêter notre
marche, afin de donner à leurs familles le temps de fuir.
Des pourparlers allaient s'engager, lorsqu'un coup de
fusil, parti accidentellement, fait prendre l'offensive aux
indigènes, qui lancent une volée de flèches sur l'avant-
garde ; celle-ci fait alors une décharge générale qui met
les indigènes en fuite. L'avant-garde se met à leur pour-
suite dans des marais couverts de buissons
Celte affaire, qui ne nous a coûté qu'un grand nombre
de cartouches, aurait pu avoir des conséquences plus
graves. Elle retarda, en tout cas, la reprise des relations.
Les indigènes laissèrent plusieurs morts.
Nous campons dans le village, puis nous reprenons
notre marche à travers un fouillis inextricable, longeant
pendant trois jours une rivière, que nous supposons être
celle désignée précédemment sous le nom de Nana. Nous
franchissons un de ses affluents, mais, faute de guides,
nous ne pouvons lui assigner un nom.
176 AUTOUR DU TCHAD
Après avoir traversé une forêt, beaucoup moins impor-
tante, mais aussi épaisse et aussi accidentée que celle du
Mayombe, nous rencontrons une assez forte agglomération,
bien pourvue de greniers regorgeant de mil, et entourée
de riches plantations.
Nous installons notre camp non loin de là, bien décidés
à ne nous mettre en route qu'après avoir fait la paix avec
les Mandjias.
Le sergent noir Samuel est envoyé en reconnaissance
avec quelques hommes. C'est un garçon prudent et avisé,
il a rencontré quelques indigènes dans un village. Ceux-ci,
en présence de son attitude calme, ont consenti à entrer en
pourparlers. Samuel leur dit que nous demandons simple-
ment des vivres et le libre passage et, pour prouver nos
bonnes intentions, leur laisse quelques brasses d'étoffes,
des perles et quelques menus objets. Il les engage à réflé-
chir et à consulter les habitants du village, et se relire en
leur disant qu'il reviendra le lendemain, avec un blanc qui
leur confirmera ces paroles de paix.
Le lendemain, M. Maistre se rend à Tendroit indiqué,
accompagné de quelques hommes d'escorte, des deux
femmes et des enfants qui suivent la caravane depuis la
Kemo. M. Briquez et quinze hommes suivent à distance
en cas de guet-apens.
A la place où, la veille, Samuel a déposé ses cadeaux, se
trouvent maintenant une corbeille renfermant trois poules,
quelques épis de mil, puis, à terre, divers objets qui, au
dire des femmes et des enfants togbos, signifieraient paix
et amitié. Quelques hommes viennent parlementer, une
femme et un des enfants restent au village; on remet des
EN PAYS MANDJIA 177
cadeaux et deux Mandjias consentent à venir au camp
avec M. Maistre.
Us y font un court séjour, mais, enchantés de l'accueil,
ils vont chercher leurs compatriotes, qui bientôt arrivent
en foule considérable. 11 en vient de tous les villages envi-
ronnants. Tout se passe en bon ordre; nos hommes,
affamés à la suite de cette longue disette, ne discutent pas
sur les prix des marchés. Us paient sans compter et
m
prennent à peine le temps de dépouiller les chèvres et les
poules avant de les mettre en broche.
p. Brunacbc. 12
CHAPITRE IX
COL^P D*ŒIL D*EIKSEliBLE SUR LES MAIKDJIAS
Traité avec Candia. — Les Ouias-Ouias. — Les Aouakas.
Traité avec Yagoussou. — Le Gribingui.
Afin de bien prouver aux Mandjias nos inlentions paci-
fiques, nous décidons de séjourner quelque temps sur ce
point. Le marché est très fréquenté; les indigènes des vil-
lages environnants viennent en foule, quelques-uns môme
appartiennent aux villages que nous avons déjà tra-
versés.
A part quelques types de jeunes hommes, les Mandjias
sont loin d'être beaux. Ils me paraissent être les plus
laids de tous les indigènes rencontrés depuis Bangui. Le
nez, déjà épaté naturellement, acquiert des proportions
exagérées par suite de l'introduction de deux bâtonnets
dans des trous pratiqués dans chaque narine. Les pom-
mettes sont saillantes. Ils portent dans les lèvres des mor-
ceaux de quartz brut, des anneaux de cuivre (Tingui). Les
yeux, fendus en amande et petits, sont sans expression, dès
qu'ils atteignent la vingtième année. Les nombreux orne-
COUP d'oeil d'ensemble sur les MANDJIAS 179
menls, qui occasionnent de sérieuses mutilations de la face,
contribuent à les enlaidir, mais le type primitif est d'ail-
leurs lourd et grossier.
Au point de vue de l'ensemble, ils paraissent assez bien
plantés, mais, comme chez beaucoup d'autres peuplades,
les membres inférieurs sont grêles.
Leur coiffure rappelle un peu celle des Langouassis. Elle
est beaucoup moins soignée, même chez les jeunes gens,
qui se couvrent cependant la tête de plumes, de perles et
de cauris.
On remarque chez les Mandjias beaucoup d'hommes
atteints par une vieillesse précoce. Il n'est pas rare de
voir des hommes, âgés à peine de quarante à quarante-
cinq ans, encore droits et de belle taille, mais ridés, la peau
rêche et couverte de pellicules blanches, ainsi que les très
vieux noirs dans les autres régions.
En général, la couleur de la peau est d'un brun chocolat
foncé.
Malgré les ornements, les coiffures, qui paraissent
empruntés aux Langouassis, je crois que les Mandjias se
rapprochent davantage des N'gapoux comme type, carac-
tère, mœurs et coutumes.
M. Maistre passe un traité avec un chef nommé Candia,
moins à cause de l'importance de ce dernier que pour
laisser une trace de notre passage. Les indigènes conser-
vent, en effet, avec un soin minutieux tout ce que les
« blancs » leur remettent présentant le caractère d'un
« fétiche », par ce fait que l'objet n'offre aucun avantage
matériel immédiat.
Il importait de faire connaître le point où les relations
180 AUTOUR DU TCHAD
avaient été reprises, d'autant plus qu'elles étaient fort cor-
diales à l'heure actuelle.
Parmi les guerriers qui accompagnent Candia, nous en
remarquons un, affligé d'une hernie inguinale, maintenue
par un appareil qu'apprécierait certainement un orthopé-
diste européen.
La figure ci-contre dispense de plus amples détails.
Il est d'ailleurs assez curieux de remarquer que les
Mandjias, gens assez peu soigneux de leur personne, qui,
contrairement à ce que nous avons vu jusqu'à ce jour, ne
se livrent qu'à quelques rares ablutions, apportent, au
contraire, dans le traitement des plaies, blessures, infir-
mités, etc., des soins tout particuliers.
Ils emploient pour le traitement des plaies une plante
assez semblable aux jeunes pousses de roseau et qui
dégage, lorsqu'elle est froissée, une forte odeur de phos-
phore. Les Ouoloiïs du Sénégal lui donnent le nom
de « bagnefalla ». Nos porteurs kassaïs la nomment
« likotsi » et l'emploient pour aromatjser les viandes.
Ces derniers lui prêtent des propriétés stomachiques
extraordinaires.
La façon dont nous avons pris contact avec les Mandjias
parait peu susceptible de permettre une appréciation en
toute connaissance de cause sur leur caractère. Je les
crois cependant moins farouches qu'on a bien voulu nous
le dire. Avec un peu de tact, d'intelligence, on en ferait
certainement d'utiles auxiliaires. A en juger par l'impor-
tance des travaux agricoles qu'ils exécutent, ils consti-
tuent certainement une population paisible et travailleuse.
Arrivant chez eux à l'improviste, nous avons causé
COUP D'UEIL D'ENSEMBLE SUR LES MANDJIA8 181
parmi celte population une panique bien justifiée. Ali, notre
guide n'dri, nous avait fait pressentir l'inconvénient d'une
arrivée inopiace chez des populations ignorant l'existence
des « blancs ». Les coups de fusil du début justiriaient
pleinement leur inquiétude.
Il n'en est pas moins vrai que nos ennemis de la veille
devinrent nos auxiliaires du lendemain. C'est là un Tait
sur lequel il importe d'insister particulièrement.
Cliaque porteur, chaque Sénégalais, avait, lorsque nous
nous mimes en route, deux ou trois indigènes qui l'accom-
pagnaient et se disputaient l'honneur de porter la charge
ou le havrcsac de leurs nouveaux amis.
La rancune n'est pas à coup sûr un des défauts deà
Mandjias.
Le 22 août, nous quittons le campement, escortés de
nombreux indigènes. Deux chemins s'offrent à nous : l'un
obliquant légèrement vers le N.-E., l'autre se dirigeant
assez droit vers le Nord. C'est ce dernier que nous prenons,
mais il s'enfonce dans des bas-fonds marécageux et nous
182 AUTOUR DU TCHAD
oblige à traverser de nombreux ruisseaux et une rivière
assez importante.
Pendant cette marche des plus pénibles, M. Maistre est
à nouveau pris de lièvre et dans l'obligation de se faire
porter. Notre marche se prolonge cependant, mais bientôt
nous sommes obligés de faire halte près d'un village
situé sur le territoire d'un chef nommé Mago.
Le type des habitants, qui appartiennent encore à la
tribu des Mandjias, est plus fm, moins désagréable.
L'usage des boucles d'oreilles est général, le modèle le
plus répandu se compose d'un gros anneau de fer dans
lequel sont enfllés une douzaine environ d'anneaux plus
petits. Quelquefois ce sont des dents d'animaux ou des
coquilles de petites moules. Souvent ils portent dans les
oreilles un morceau de liane courbé en forme d'U renversé
et dont les extrémités sont ornées de torsades en métal.
L'armement se compose d'un couleau effilé, enfermé
dans une gaine de cuir ornée de dessins à jours et de
nombreux anneaux; de la lance, dont le modèle est peu
varié. L'arc paraît plus en vogue. Il porte une sorte de
sabot en bois, fixé un peu plus haut que l'endroit oii se
place le pouce, pour protéger ce doigt contre le choc de la
corde. Presque tous les arcs sont munis de cet inslru-
ment, que les Ouaddas emploient, mais par exception.
Schweinfurth en a vu de semblables chez les Mombout-
tous.
Les flèches, d'un travail assez ordinaire, ne présentent
aucune particularité remarquable. Elles sont rarement
empoisonnées.
Les carquois en vannerie sont fort coquets. Chaque
COUP D'OEIL D'ENSEMBLE 8UB LES MANDJIAS 183
guerrier porte, attachées à son carquois, deus ou trois
cordes de rechange, en liaues.
Nous rencontrons de nombreuses agglomérations et des
cultures importantes, mais la pluie rend notre marche des
plus pénibles. La santé de M. Maislrc est loin de s'amé-
liorer; il est souvent obligé de m'abandonner la direction
de la colonne pour se faire porter en bamac.
Le 28 août, nous traversons un petit ruisseau près
duquel sont construites quelques huttes. Les guides nous
annoncent que nous venons de franchir la limite septen-
trionale du pays des Mandjias.
Nous pénétrons maintenant sur le territoire des Ouias-
Ouias, Les rares babilanls que nous rencontrons ne dif-
férent pas sensiblement de nos guides, au point de vue du
type. Après quelques heures d'une marche coupée par
une grande quantité de passages, de ruisseaux, de ravins
\S\ AUTOUR DU TCHAD
et d'une assez grande rivière, nous traversons un village
des plus curieux, bien que d'aspect misérable.
Il est situé auprès d un beau ruisseau bordé de gigan-
tesques bombax et d'un enchevêtrement de palmiers de
toutes sortes, de lianes qui livrent à peine passage à quel-
ques feuilles de calladium.
Nous remarquons un seul et unique borassus rabougri
et chétif ; nous sommes surpris : c'est le premier échantillon
que nous voyons depuis les Togbos.
Bientôt arrivent une quinzaine d'indigènes, qui nous
choisissent avec une sollicitude toute franche et cordiale
un excellent emplacement de camp.
Ceux-ci, par exemple, ont un type nettement accusé.
Briquez et moi sommes tentés de chercher le chef
Yabanda : nous nous croirions en effet chez des N'gapoux,
auxquels ils ressemblent étrangement. Tous portent au
bras gauche un bracelet de corne, d'ivoire ou de cuir, des-
tiné à maintenir leur couteau droit.
Ils ont quelques morceaux de pagne biens, qui leur
viennent d'une peuplade située à trois ou quatre jours de
marche, vers le N.-E. Ils nous donnent quelques explica-
tions embrouillées à ce sujet. Voici ce que je crois saisir :
La peuplade dont ils nous parlent est très guerrière et
s'est emparée peu à peu de grands territoires. Elle a dis-
persé, réduit en esclavage les tribus qui les occupaient.
Quelques fractions de ces tribus, chassées de chez elles,
sont venues se fixer dans cette région, jadis inhabitée,
entre les Mandjais et les Âkoungas. Unies par le malheur
et la misère, elles se sont groupées, puis se sont mêlées.
C'est ce qui fait que, de village à village, les types des
COUP D*OEIL D'ENSEMBLE SUR LES MANDJIAS 185
Ouias-Ouias changent quelquefois assez sensiblement. Ils
ajoutent que leurs conquérants portent des vêtements et
possèdent des fusils à deux coups, qu ils nomment « bon-
douk », c'est le nom arabe du fusil; ils ne sont ni Rabi,
ni Snoussous, ni Tourgous, ni Kridimis (c'est ainsi que
Ton nomme les musulmans en pays fétichistes). Ce sont
les Angao-Angao ; nous ne tarderons pas à les rencon-
trer.
Le pays est pauvre et offre peu de ressources; les cul-
tures, restreintes au strict nécessaire, sont médiocrement
entretenues; on sent que cette petite population n*esl pas
encore bien établie.
Un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans nous dit
qu'il a été esclave chez les « Snoussous » de TEsl, et offre
de nous conduire chez les Angao-Angao.
Il ne connaît pas les N'gapoux, il nous dit que les peu-
plades qu'il a visitées sont les Bazou dans TEst et les
M'bagga; il croit être originaire de cette tribu, située
au N.-E. Il connaît, dit-il, une autre tribu, les N gama,
mais il est bien difficile d'obtenir de lui la situation
exacte de ces trois régions, portées sur les cartes d'après
les indications de traitants musulmans, fournies à Nach-
tigal.
Le point où nous nous trouvons pourrait bien être
celui désigné sous le nom de Ousia sur la carte de Penh.
Nous mettons deux jours pour traverser le misérable
pays des Ouias-Ouias, puis nous pénétrons sur le terri-
toire des « Aouakas ».
Leur chef se nomme « Yagoussou ». A la façon dont
on nous en parle, à en juger par les nombreux et impor-
186 AUTOUa DU TCHAD
lants villages placés sous sa dépendance et par la situa-
tion des immenses territoires qu'il administre sur les
« deux rives du Gribingui », Yagoussou doit être un chef
important.
Le 1" septembre, nous campons près d'un gros village
appartenant à ce chef.
Les cultures s'étendent à perte de vue et sont très
soignées. Le maïs, le rail, le manioc, le sésame sont en
pleine maturité; la récolte paraît fort abondante cette
année. Les patates douces et les ignames nous sont
apportées en grande quantité, de même qu'une farine de
manioc très Une, très pure et d'une blancheur éclatante.
Les poules et les chèvres nous sont également vendues
à très bas prix. Nos hommes font l'acquisition de poissons
fumés, dont les dimensions permettent de supposer que
nous approchons d'une forte rivière. D'ailleurs bon
nombre d'indigènes ont des gaines de couteaux en peau
de caïman; nous n'en avions pas vu depuis l'Oubangui.
Le chef Yagoussou vient nous rendre visite, il paraît
jouir d'une certaine influence. Il fait quelques réserves au
sujet de ses voisins de TOuest. 11 déclare même, sans
grande conviction, que, de ce côté, son territoire est
limité par un immense désert; il ne paraît pas décidé à en
dire davantage.
D'après lui, la tribu des Aouakas est bornée à l'Est par
les N'dougga et les Bazous; au N.-E. par les M'baga et
les N'gamas; enfin au Nord par les « Saras ».
C'est la première fois que nous entendons prononcer
spontanément ce dernier nom devant nous.
Après avoir passé un traité avec Yagoussou, nous nous
COUP D'OEIL D'ENSEMBLE SUR LES MANDJIAS 187
mettons en marche à travers un pays légèrement mame-
lonné. Bientôt nous descendons vers une fort belle plaine
verdoyante, limitée par quelques collines qui s'estompent
vers le lointain. Au milieu de la plaine, serpente une
ligne d'arbres, plus touffus et plus verts et dont la direc-
tion générale est à peu près E.-N.-O.
Gribingui! Gribingui! nous crient les guides, qui d'ail-
leurs paraissent très fiers de cette rivière.
Le sentier nous conduit vers un emplacement assez nu
d'où nous découvrons la rivière, dont les indigènes nous
parlaient si souvent depuis la Kemo.
Elle est d'un aspect très pittoresque, mais nous
avons été gâtés à force de contempler les immenses pro-
portions du Congo et de l'Oubangui, aussi trouvons-nous
au Gribingui des proportions bien modestes pour un
fleuve si renommé à de fort grandes distances.
Il n'en est pas moins vrai qu'il mesure plus de 50 mètres
de large et que sa grande profondeur, la rapidité du cou-
rant, dénotent un cours d'eau très important. On peut
d'ores et déjà supposer que le lleuve est navigable en
toute saison pour les petits vapeurs comme ceux de la
colonie du Congo français.
Le sentier, très fréquente, se continue sur l'autre rive.
Les deux amorces sont reliées par une simple corde, pas
le moindre pont. Les indigènes traversent à la nage, se
tenant à la corde en lianes.
Il nous faut choisir notre itinéraire, maintenant, car
nous avons effectué la première partie de notre pro-
gramme : « Atteindre le cours supérieur du Chari ».
Nous dressons le camp en cet endroit.
CHAPITRE X
SUR LES [RIVES DU GRIRIKGUI
Premier passage du fleuve. — Akoungas. — Ireni. — Le Bamingui
et Ali Djaba. — Premier marais. — Dakamandougou. — Rétous
et Aretous. — Dakala. — Les Vasakos.
Les nombreux renseignements recueillis en cours de
route et ceux que fournissaient tous les jours les indi-
gènes, ne permettaient plus le moindre doute au sujet du
« Gribingui ». C'était réellement le cours supérieur du
« Chari», qui ne porte ce dernier nom qu'en pays musulman.
Pour les fétichistes, deux cours d'eau très importants,
le Gribingui et le Bamingui, se réunissent, un peu avant
le pays des Saras, pour former un fleuve considérable
qui coule vers le nord.
Quant aux noms arabes que portent ces fleuves et leurs
affluents, ils sont absolument inconnus des indigènes.
C'est là un fait qui ne doit nullement surprendre; il
tend simplement à démontrer que les incursions ou même
les relations des musulmans chez ces peuplades sont moins
fréquentes qu'on se plaît à le dire : dans la région Ouest,
bien entendu.
SUR LES RIVES DU GRIBINGUI 189
H convient, d'ailleurs, de remarquer que ces -cours
d'eau sont portés sur les caries d'après des indications,
fort vagues, fournies par le voyageur allemand Nachtigal.
Il les avait recueillies pendant son séjour dans le Baguirroi,
c'est-à-dire fort loin des sources, auprès de traitants
musulmans, peut-être fort au courant des questions éco-
nomiques de ces régions, mais peu soucieux de l'intérêt
géographique qu'elles présentaient.
Nachtigal donne d'ailleurs tous ces renseignements sous
la plus extrême réserve.
Pour peu que l'on prenne la peine d'ohserver, on
remarquera que, dans ces régions, une rivière porte autant
de noms que de tribus qu'elle traverse. Le fait est fré-
quent en Algérie et dans beaucoup d'autres endroits.
Pour leur commodité personnelle, afin de pouvoir se
donner des points de repère, des lieux de réunion, les
négociants musulmans ont désigné ces cours d'eau sous
des noms appartenant à leur langue et tirés de l'aspect
présenté par la région, sans tenir compte des nombreuses
appellations indigènes.
C'est ainsi qu'ils ont nommé « Bahar-el-Ardh », fleuve
de la terre, fleuve jaune, le « Gribingui », que certains
appellent Gribissi et qui, dans TEst, nous a été désigné
sous le nom de « Bangoula ».
Enfin le Ba-Mingui est sans nul doute le Bahar-el-
Abiod (fleuve blanc).
L'identification de ces cours d'eau présente, dit-on, une
certaine importance ; je la crois secondaire cependant : au
point de vue des appellations, bien entendu.
Ces fleuves blancs, jaunes ou verts ont pour les musul-
190 AUTOUR DU TCHAD
mans'le même caractère que pour le voyageur européen le
« camp de la famine », Y « île de la rencontre », « la montée
du palmier » ou « le camp des antilopes ». Ce sont des
appellations conventionnelles, employées par un petit
groupe de voyageurs et pouvant leur rendre de grands
services, mais ne présentant aucun intérêt au point de vue
général.
Pour moi, je ne retiens qu'un seul des renseignements
fournis au grand voyageur. C'est que le Chari est formé
de deux grands cours d'eau qui en constituent le cours
supérieur. C'est là un point qu'il nous a été donné
d'éclaircir sur place et sur lequel le doute n'est plus per-
mis.
Par la suite, nous avons pu préciser d'une façon cer-
taine le cours supérieur du Chari, en suivant pendant plus
de cent kilomètres les rives de l'une des deux branches
principales de ce fleuve. Quant à l'existence d'un bras
reliant le Chari au Logone, hypothèse que Nachtigal con-
sidérait d'ailleurs comme invraisemblable, nous avons pu
nous convaincre que, malgré les apparences, elle était
inadmissible. C'est, d'ailleurs, une question que nous exa-
minerons dans la suite.
Les reconnaissances effectuées par chacun de nous, dans
l'E. et dans l'O., nous firent renoncer à nous diriger dans
l'une ou l'autre de ces directions. A TO., un affluent du
Gribingui formait, à son confluent, un assez gros marais
peu praticable et la région paraissait déserte et peu fré-
quentée. « M. Maislre croit que cet affluent n'est autre
que la rivière désignée précédemment sous le nom de
« Nana ». Je suis certain de l'avoir entendu nommer
SUR LES HIVES DU GRIBINGCI 191
« Gûurouttgoii » à différentes reprises, mais ces deux ren-
seiguemenls n'étant basés, l'un et l'autre, que sur des
données fort vagues, il n'y a pas lieu d'insister sur le
nom à lui donner.
A l'Est, des marais, des bas-fonds difficiles, et d'ailleurs
pas le moindre cticmin. Les indigènes, celte fois, nous
engagent à faire route au Nord. C'est l'avis général, mais.
dans ces conditions, il faut aviser aux voies et moyens de
franchir la rivière.
Ce ne sera pas petite affaire, car le courant est violent :
nous nous trouvons cependant à l'endroit le plus favo-
rable. Ailleurs, la traversée serait impossible, au dire des
indigènes.
On songe tout d'abord ù installer un pont, formé par
des radeaux maintenus par une corde tendue d'une rive
à l'autre; mais la violence du courant est telle qu'il faut
bientôt renoncer à ce projet.
192 AUTOUR DU TCHAD
Les radeaux primitivement conslruils sont alors amarrés
à un anneau glissant sur un câble tendu. Deux cordes
fixées à cet anneau permettent d'établir un va-et-vient
entre les deux rives. 11 faut changer fréquemment le
radeau, car le bois qui le constitue flotte mal et les herbes
dont il est recouvert ne surnagent plus dès qu'elles sont
humectées. Tous nos hommes se sont mis à Tœuvre et
nous avons une certaine quantité de ces flotteurs. A chaque
voyage, nous transbordons 1 homme et 3 caisses.
Ce fut une grosse perte de temps, mais c'était aussi une
énorme difficulté vaincue sans le moindre accident. Étant
donnés les matériaux dont nous disposions et l'obstacle à
surmonter, une semblable opération était assez périlleuse.
Un seul colis fut noyé, par suite de la rupture d'un câble;
c'est, d'ailleurs, la seule charge perdue pendant toute la
durée de l'expédition.
Le 10 septembre, neuf jours après noire arrivée, nous
étions tous sur l'autre rive.
Les indigènes nous ont dit pendant notre séjour qu'une
caravane composée de plusieurs « blancs » est, depuis
quelque temps, sur nos traces, et paraît marcher en hâte
pour nous rejoindre. Elle est à plusieurs journées en
arrière, mais elle pourrait nous rejoindre si nous restions
quelques jours sur ce point.
M. Maistre comptait trouver de nombreuses pirogues
sur le Gribingui. A défaut, il pensait pouvoir installer des
radeaux, sur lesquels nous aurions pu naviguer. Il dut
bientôt se convaincre qu'aucun de ses deux projets n'était
praticable et, afin d'éviter de perdre du temps, il renonça à
prolonger son séjour.
SUR LES RIVES DU GRIBINGUI 193
Deux routes nous avaient été indiquées, la veille, pour
attendre le premier village : Tune, excellente, bien frayée
et suivant un petit mamelon; l'autre, assez peu indiquée
et s'engageant dans les marais. Nous choisîmes cette der-
nière, qui se dirigeait vers le Nord.
Toutes deux aboutissaient, d'ailleurs, au même village.
Nous sommes fort bien reçus dans ce village, qui fait
encore partie de la tribu des Aouakas. Les femmes ne
viennent pas au camp, mais sont restées dans les cases.
Les vivres nous sont offerts en grande quantité et à très
bas prix.
Une promenade dans les plantations nous permet
d'admirer une « tendue » de « collets », fort laborieuse-
ment et intelligemment installée par les indigènes. Nous
pouvions d'ailleurs, le lendemain, compter neuf pintades,
prises sur un espace mesurant à peine un demi -hectare. Des
gens gravement assis sur la place du village fument une
pipe, peu commune ici, mais que nous avons déjà remar-
quée chez les Mandjias. Le fourneau, en terre, est armé
d'un tuyau fort long, recourbé en forme d'arc; il est main-
tenu ainsi par une cordelette. Une seconde cordelette
rejoint le fourneau. Les fumeurs absorbent une gorgée
d'eau, qu'ils conservent dans la bouche, puis aspirent une
forte bouffée de fumée. Ils jettent l'eau et rendent la
fumée ensuite. Cette façon de savourer une pipe surprend
un peu le fumeur européen le plus endurci.
Dominique, notre cuisinier, qui change de pipe à chaque
nouvelle tribu, s'est offert un de ces volumimeux engins,
dont il use consciencieusement.
Nous le complimentons sur sa nouvelle acquisition et,
p. Brunachc. 13
194 AUTOUR DU TCHAD
dans une auréole de fumée, il nous répond : « N'esl-ce
pas qu'elle ressemble à la pipe du roi David ! »
Et, en présence de notre étonnement : « Oui, ajoule-l-il,
c'est bien cela, je Tai vu dans Thistoirc sainte. » Je me
souviens aussi, en effet, que, dans mon jeune âge, j'ai vu
sur une petite Histoire sainte une gravure représentant
David, dansant devant l'Arche, en s'accompagnant de la
harpe. Wartiste avait donné à cet instrument une forme
assez semblable à la pipe de Dominique : de là l'erreur,
sans doute.
Le H septembre, nous nous mettons en route sous une
pluie fine et pénétrante. Nous traversons d'immenses
plantations fort bien entretenues, binées et sarclées avec
un soin minutieux. Les villages paraissent riches : les
légumes, les céréales, les poules et les chèvres existent
en quantité; ils paraissent cependant moins riants que
dans l'Est : cela tient surtout à la mauvaise confection des
cases faites sans goût et avec du chaume pris au hasard.
En revanche, les villages sont d'une propreté remarquable
et il serait difficile de trouver, sur la place centrale ou
auprès des cases, le moindre détritus, la plus petite ordure.
Partout, jusque chez les Ouias-Ouias, nous remarquions
dans les villages des arbres auxquels étaient fixés des quan-
tités de fétiches. Il en était de même près des maisons.
Dans les défrichements, auprès des plantations récentes,
nous ne manquions pas de rencontrer une sorte de petit
autel en branchages, supportant des calebasses pleines de
cendre, des fruits rouges, des arêtes de poisson ou des
plumes de poulet, tout cela destiné à protéger les récoltes
contre le mauvais œil.
SUR LES RIVES DU GRIRINGUI 195
Celle coutume disparaît tous les jours de plus en plus,
du moins extérieurement.
Nous sommes sur le territoire des« Akoungas », peu-
plade moins frustre que les précédentes, d'un abord plus
sympathique. D'ailleurs, plus nous avançons, plus le pays
nous paraît différent. Ce n*est plus ce paysage des environs
de rOubangui, « la ténébreuse Afrique » de Stanley, mais
le grand air, la lumière, l'espace devant soi; l'Afrique
telle qu'on la rùve, après avoir lu Barlh et Nachtigal.
Le plateau sur lequel nous cheminon.^ s'abaisse assez
brusquement et nous découvrons une vaste plaine, qui
s'étend à perte de vue. Dorée par un beau soleil, elle nous
donne, malgré la sobriété du décor, une impression de
grandiose, d'immensité beaucoup plus vive que celle res-
sentie dans le Mayombe ou sur le Congo.
Nous atteignons le village d* « Atalavé », composé
de 40 à 50 cases, disséminées par groupes de 3 ou 4, dans
de belles plantations de maïs.
Le tabac est ici l'objet de soins tout spéciaux. Chaque
pied est repiqué, entouré de terreau, butté et les feuilles
avariées délicatement enlevées.
Le 14 spetembre, nous atteignons le village de Bougo.
Les habitations sont peu nombreuses, mais elles sont
entourées d'abondantes cultures. Le pays est plus riche.
Quatre petits chefs viennent nous faire visite. Bien qu'ils
aient un grand nombre de points de ressemblance avec
les N'gapoux, ils ont dans leurs allures quelque chose de
moins sauvage, des mouvements plus .calmes, des attitudes
graves et compassées qui semblent empruntées aux musul-
mans.
1% AUTOUR DU TCHAD
Après avoir Iraversé le village de Gaddé, nous allons
nous installer près de celui d'Ireni. Ce chef paraît exercer
une réelle influence sur les indigènes. Il nous parle du
« Bamingui », grosse rivière qui rejoint le « Gribingui »
en pays sara. Demain, nous dit-il, nous camperons chez
« Finda », puis nous pénétrerons chez les Aretous; il
nous engage ensuite à passer chez les N'gamas et les
Tennés.
Ces populations s'occuperaient exclusivement de pèche
et de navigation. Elles n'ont que quelques misérables
cultures et ne font point d'élevage.
Ireni signe un traité et nous le quittons, enchantés de
son excellent accueil.
La même réception nous est faite chez le chef Finda, dont
le village est situé près d'une jolie rivière, « la Mihi »,
affluent de rive droite du Gribingui. Les renseignements
que nous fournit Finda sur les Aretous (ou Roulou), les
N'gamas et les Tennés permettent de supposer que Nach-
tigal a donné à ces tribus, sur la foi de renseignements
vagues, une importance qu'elles n'ont pas.
Nous signons également un traité avec Finda.
Ce chef se plaint des fréquentes incursions des musul-
mans. Leurs remuants voisins ne paraissent cependant
pas les effrayer beaucoup.
J'ai d'ailleurs constaté que les chefs fétichistes se plai-
gnaient généralement des Snoussous, Tourgous ou autres
musulmans, au moment où ils apportaient un cadeau en
échange du nôtre. C'était toujours cet argument qui servait
à excuser le peu de valeur de leurs présents.
Les Aouakas et les Akoungas paraissent appartenir à
SUB LES RIVES DU GUIBINGUI 197
la même race. Us sont beaucoup plus affinés que les Mand-
jias, dont ils ne rappellent du reste en rien le type, tandis
qu'il serait possible de les rattacher au môme groupe
ethnique que les N'gapoux.
Ils portent au bras des couteaux de formes particulières.
Ce modèle a été signalé par Nachtigal, qui en avait vu en
la possession des chefs saras venus à Goundi pour rendre
hommage au M'bang Mohamed Abou Sekkin. Leurs autres
armes sont à peu de chose près les mômes que chez les
Mandjias.
Ils sont très soigneux de leur personne. Leurs coiffures
sont quelquefois arrangées avec autant de goût que celles
des Banziris. Beaucoup portent une petite barbiche assez
fournie, ce qui est assez rare chez les autres tribus, sauf
précisément chez les N'gapoux.
Enfin ils paraissent travailleurs et relativement paisibles.
Nous avons constamment trouvé chez eux un accueil des
plus empressés.
Le 20 septembre, nous pénétrons sur le territoire des
Aretous. La marche s'effectue dans un marais pendant
plus de deux heures. Pris de fièvre, je suis obligé de me
faire porter en hamac pendant la fin de Tétape. Je plains
sincèrement M. Maistre, que sa maladie oblige fréquem-
ment à employer ce mode de transport... C'est un véritable
supplice.
Nous faisons halte en face du village de Dakamandougou,
situé sur la rive gauche du fleuve. Nous obtenons à grand'
peine quelques vivres. Les Aretous paraissent inquiets et
de plus la région est fort pauvre. Ils possèdent deux
pirogues. Lorsque nous quittons ce village, nous obtenons
198 AUTOUR DU TCHAD
à grand'peine qu'ils consentent à nous en louer une, qui
d'ailleurs est en fort mauvais état.
M. de Behagle s'embarque et redescendra le Gribingui
pour en relever le cours.
Nous traversons, sur un pont construit par nos hommes,
un petit affluent de rive droite du Gribingui, la Mimi.
L'un de nos guides nous dit qu'il a été autrefois esclave
d'Ali Djaba (l'un des Irailanls musulmans qui ont pris part
au meurtre de Crampel). Il nous fournit des renseigne-
ments qu'il appuie d'un dessin sur le sable. Il semble
résulter que nous ne sommes pas loin de la Zeribah
d'Ali Djaba.
Apres trois jours d'une marche pénible, nous attei-
gnons un emplacement de camp qui paraît très fréquenté.
En face et à 500 mètres sur la rive gauche, se trouve le
village de Dakala.
Entre Dakamandougou et Dakala existent, sur la rive
gauche du Gribingui, d'immenses marais qui s'étendent à
perte de vue.
Ce sont certainement ces marais qui ont dû donner
naissance à l'hypothèse d'une communication entre le
Logone et le Chari. D'ailleurs, bien que nous fussions à
l'époque des hautes eaux, il existait entre ces marais des
solutions de continuité.
D'autre part, nous étions en présence d'une plaine
inondée, mais non d'un bras de rivière. La végétation elle-
même indiquait suffisamment que cette région devait être
à sec une bonne partie de l'année.
Les indigènes de Dakala possèdent une seule pirogue et
paraissent peu disposés à nous passer de l'autre côté de
SUR LES RIVES DU GRIBINGUI 199
la rive. La région est pauvre et peu habitée, disent-ils;
nous ne trouverons aucune ressource sur la rive gauche.
Ils nous engagent à faire route vers l'Est. Les villages
sont riches et nombreux.
D'après leurs renseignements, à trois jours de marche
de l'endroit où nous nous trouvons, existe sur la rive
droite du Bamingui, un important village appelé N'gari.
C'est le centre d'opérations du traitant Ali Djaba, qui a
installé sur ce point ses magasins et ses entrepôts.
La situation précaire dans laquelle nous nous trouvions,
par suite de la diminution de nos marchandises, ne nous
permettait pas de tenter une reconnaissance de ce côté.
Notre objectif était d'ailleurs la confédération des Saras-
Daï, la plus importante, celle qui est actuellement sou-
mise au Baguirmi et régie par des fonctionnaires musul-
mans. C'est là que nous devions réaliser notre programme,
c'est-à-dire prendre contact avec les Étals musulmans du
bassin du Tchad et nouer avec eux des relations pacifi-
ques. Ali Djaba n'était certainement pas homme à nous
faciliter cette tâche; il eût été absolument impolitique de
faire route vers l'Est et de pénétrer dans des régions
peut-être soumises à l'influence de Ouaddaï.
Nous résolûmes de franchir à nouveau le Gribingui et
de suivre sa rive gauche, en obliquant vers le nord-ouest
pour atteindre le pays des Saras. Nous engageons des
pourparlers avec les indigènes de Dakala, qui se montrent
peu disposés à nous prêter leur pirogue.
Pendant une de ces longues conférences, deux de nos
hommes rentrent de la chasse et nous avisent qu'ils ont
rencontré un groupe de voyageurs composé de quinze
200 AUTOUR DU TCHAD
personnes environ. Trois portaient de grands vêlements
confectionnés comme au Sénégal. Ils étaient armés de
lances. Les autres, esclaves sans doute» n'étaient point
vêtus et portaient des charges. En apercevant nos deux
chasseurs, tous prirent la fuite, abandonnant leurs far-
deaux. Ils ont laissé des corbeilles de maïs, de la viande
fumée, des outils, de la ferraille, des vêtements et quel-
ques lances. Nous défendons de toucher à ces objets,
espérant que les propriétaires viendront sans doute les
prendre et qu'ils pourront nous fournir quelques rensei-
gnements.
Personne n'étant venu, nous faisons enlever ces charges
et, pendant que nous procédons à Tinventaire, nous trou-
vons au fond d'un sac des colliers de perles auxquels
sont suspendues deux douilles de cartouches modèle Gras,
portant Testampille de 1886.
Rien autre de suspect dans leur bagage, qui est plutôt
celui d'honnêtes commerçants que de dangereux rôdeurs.
D'ailleurs nous sommes, à n'en pas douter, sur un lieu de
concentration de caravanes et ce passage de la rivière doit
être très fréquenté.
Avec beaucoup de patience, nous parvenons à décider
les gens de Dakala à nous passer sur l'autre rive. Ils
finissent par y consentir; le chef vient lui-même et nous
prie de lui restituer les objets trouvés la veille qui, dit-il,
appartiennent à des gens de son village. Nous deman-
dons à voir les trois hommes vêtus qui paraissaient en
être les propriétaires. Le chef retire alors sa revendi-
cation.
Ce détail nous parait assez étrange; néanmoins, nous
SUR LES RIVES DU GRIBINGUI 201
n'insistons pas davantage. Les vivres font défaut, nous
devons hâter le passage, car les dispositions des gens de
Dakala pourraient changer, et ils consentent maintenant à
nous transborder.
A la façon dont les passeurs installent les hommes et
les charges dans leur frêle pirogue, au soin qu'ils mettent
pour débarquer les colis, il est facile de voir qu'ils doi-
vent souvent faire traverser la rivière à d'importantes
caravanes.
Le 28 septembre, nous établissions notre camp sur la
rive gauche du Gribingui, à peu de dislance du misérable
village de Dakala.
Les indigènes ne nous avaient pas menti : leurs res-
sources étaient nulles ou à peu près. D'ailleurs, au dire du
chef, ils étaient installés depuis peu de temps en cet
endroit et les cultures, ainsi que nous pûmes nous en
convaincre, n'étaient pas encore en plein rapport.
Depuis quelque temps, d'ailleurs, le maïs et le mil
étaient extrêmement rares. Il ne fallait pas songer au
manioc. Nous trouvions quelquefois des haricots, qui
formaient la base de notre nourriture. 11 nous fut même
assez difficile de nous en procurer une certaine quantité à
Dakala.
M. Maistre, très sérieusement malade, était dans l'im-
possibilité de marcher. Il dut s'embarquer dans la pirogue
et redescendre le Gribingui, tandis que nous suivions la
rive gauche.
Nous faisons halte à peu près à hauteur du village de
« Tondjiboua », situé à quelques kilomètres de la rive
droite. Nos hommes vont au village chercher des vivres et
202 AUTOUR DU TCHAD
reviennent seulement le lendemain, avec quelques maigres
provisions.
Certains ont cependant réussi à faire quelques achats
avantageux, grâce aux bracelets d'ivoire qu'ils portent
depuis la Kemo et qu'ils ont échangés contre de grandes
quantités de victuailles. Il est à remarquer, en effet, que,
depuis les Akounga, les ornements d'ivoire disparaissent
complètement. Ces bracelets, achetés presque pour rien
chez les Togbos et les N'dris, sont l'objet de la con-
voitise des indigènes : ce qui tendrait à démontrer l'ab-
sence ou tout au moins la rareté des éléphants dans la
région.
Le chef du village de Tondjiboua et un de ses amis,
nommé Mandja-Tezzé, viennent nous voir. Ce dernier
serait, paraît-il, un chef sara important dont les territoires
sont baignés par le Gribingui et le Bamingui. La jonc-
tion de ces deux rivières s'opère sur les terres de sa
tribu. On nous a déjà parlé de ce chef à Dakala. 11 jouit
d'une grande influence.
Nous lui faisons un cadeau et il part en avant pour nous
préparer une réception.
Nous quittons nous-mêmes ce campement, mais nous
sommes bientôt arrêtés par un affluent de rive gauche du
Gribingui. qui se nomme Vasako. N'ayant qu'une pirogue
en notre possession, le passage s'effectue péniblement et
nous sommes obligés à passer la nuit sur ce point.
Le lendemain, nous constatons la disparition d'un por-
teur. On nous apprend qu'il est descendu la veille avec un
Sénégalais jusqu'au Gribingui, puis qu'ils l'ont traversé à la
nage et se sont rendus dans un village voisin, en vue de
SUR LES RIVES DU GRIBINGUI
•20;
se procurer des vivres. Tous deux étaient d'excellents
nageurs. Au retour, pendant la traversée du fleuve, le
Sénégalais entend un cri; il se retourne, mais il est
Couteaux en usage jusque chez les Saras. — 1, 2, 3, i. Couteaux de guerre. —
5 et 6. Couteaux de guerre. — 7. Couteaux et serpe domestiques; poignards.
saisi d'épouvante en voyant son malheureux compagnon
entraîné au fond de Teau par un énorme caïman.
Nous repartons à travers un pays assez pittoresque et,
après une bonne journée de marche, nous rencontrons
une seconde rivière, plus importante que la précé-
dente et, détail curieux, portant comme elle le nom de
Vasako.
Nous avions avec nous deux guides, dont Tun avait,
204 AUTOUR DU TCHAD
paraît-il, été en relations avec Ali Djaba. Chemin faisant,,
je lui adresse quelques paroles en arabe ; il me fait signe
qu'il ne comprend pas, mais appelle son camarade.
Celui-ci est tout fier de faire montre de ses faibles con-
naissances en cette langue. Il nous est d'un grand secours
cependant pour entrer en relations avec les indigènes, qui
arrivent en assez grand nombre dès que nous faisons-
halte près de la rivière.
CHAPITRE XI
LES SARAS
llandja-Tezzé et les premiers Saras'Mara. — Tribu de géants. —
Dans les marais. — Disette. — Désertions. — Kassinda. — Vols.
— Djemalti. — Les passeurs exigeants. — Nouveaux marais. —
Garenki.
Dès que nous fi'imes installés sur la rive droite du
ileuxième Vasako, qu'il ne fallait pas songer à franchir
ce jour-là, nous vîmes arriver une foule d'indigènes
et peu de temps après le chef Mandja-Tezzé, qui vient
Tious faire une courte visite. 11 nous promet des pirogues
pour le lendemain et nous engage à faire séjour dans son
village, puis se retire, après avoir reçu quelques présents.
Celte fois, plus de doute, nous pénétrons chez une peu-
plade de type, de mœurs et de langage absolument dis-
semblables à tout ce que nous avons vu jusqu'à ce jour.
Depuis la Kemo jusqu'ici, notre jeune Togbo, les petits
N'dris, les deux femmes, se faisaient comprendre avec la
plus grande facilité. C'est que Tidiome n'dri est employé,
à quelques rares exceptions près, depuis les N'gapoux
jusque près de Bangui et de TOubangui, vers le 8** lat. N,
206 AUTOUR DU TCHAD
Les riverains de rOubangui, « Sangos », Banziris, Bond-
jios et Boiizerous, ne s*en servent pas habituellement,
mais le parlent presque tous. La langue n'dri est très
sonore, elle emploie surtout les linguales, notamment des
R qui roulent avec un fracas de torrent. Cette fois nos
interprètes habituels restent muets. Il faut avoir recours
au jeune guide parlant arabe.
C'est que la langue est tout autre, et ne présente aucun
point de ressemblance avec celle avec laquelle nous
sommes familiers. Les sifflantes sont assez sensibles, bien
que les fins de mots soient un peu sourdes. Mais pour le
moment nous ne pouvons chercher à saisir d'autres
nuances.
Nos hommes avaient peu à peu réuni quelques mots à
Taide desquels ils avaient constitué une sorte de patois,
qui leur permettait jusqu'ici de se faire facilement com-
prendre des indigènes. Ils ont bien vite remarqué ce
brusque changement de langage, mais ce qui les frappe
de stupeur, ce sont les proportions colossales des indigènes
que nous avons sous les yeux. Les énormes Bondjios, les
Mandjias les mieux charpentés semblent des éphèbes à
côté d'eux.
Sont-ce des Saras? Notre jeune guide dit oui, Mandja-
Tezzé dit non. Depuis longtemps on nous annonce cepen-
dant que Mandja-Tezzé est le premier chef sara. Mais ce
petit potentat ne veut rien entendre. Il est Mandja-ïezzé
et rien de plus, il commande à un grand nombre de guer-
riers répartis sur un immense territoire, et déclare qu'il
est en excellentes relations avec tous ses voisins, mais
qu'il ne dépend de personne.
LES SARAS 207
Politiquement, outre le grand nombre de lances dont
il dispose, il a peut-être d'autres arguments excellents à
faire valoir, mais au point de vue géographique et ethno-
graphique surtout, il n'y a pas le moindre doute à avoir
sur les origines de sa tribu.
Nachtigal, qui avait vu quelques chefs saras, venus à
Goundi pour rendre hommage au sultan du Baguirmi,
Mohammed Abou Sekkin, en a donne une description des
plus détaillées et des plus exactes.
Les types que nous avons sous les yeux répondent en
tous points au portrait tracé par l'illustre, mais pudibond
voyageur, qui a cru devoir laisser dans l'ombre le costume
cependant typique des Saras.
Il convient néanmoins d'en faire mention, car il n'a
jamais été signalé jusqu'à ce jour et, d'autre part, c'est le
seul en usage dans les nombreuses tribus rencontrées
jusque dansTAdamaoua.
Il consiste en une peau de chèvre, préparée ou brute,
mais toujours festonnée et ornée de pendeloques, suspendue
à la taille par une courroie et tombant sur les talons. Elle
sert surtout de siège. Devant, rien; mais aussi rien à
cacher, car un mouvement brusque des cuisses ramène en
arrière et dissimule absolument tout ce qui, placé autre-
ment, pourrait, en l'absence de voile de ce côté, offusquer la
pudeur. Cette façon de disposer la place où devrait se
trouver un vêtement, ne gêne pas le moins du monde leur
marche. Le nombre considérable de superbes enfants qui
grouillent dans les villages tend à prouver que celte sin-
gulière habitude n'a pas fait abdiquer aux Saras leurs
droits à la paternité.
208 AUTOUR DU TCHAD
Comme je Tai déjà dit, les Saras sont plus grands, et
beaucoup plus beaux, au point de vue esthétique, que les
Bondjios. Chez eux, tout est proportionné et la muscula-
ture est en rapport avec la charpente osseuse, ce qui pré-
cisément n'existe pas chez les Bondjios. La physionomie
est assez expressive; sans être belle, elle n'est pas désa-
gréable, et les légers tatouages très en faveur chez les
Saras ne les défigurent point. Ils sont assez cambrés et ont
un port très majestueux, qui est le complément obligé de
leur haute stature. Les tailles de 1 met. 78 à 1 met. 80
sont très communes.
Les coiffures affectent un peu les formes de celles de
rOubangui : cheveux très courts, rasés très nettement de
façon à former des spirales, des trèfles ou des croix, dont
le dessin seul peut donner une idée.
Les femmes ne le cèdent en rien aux hommes pour la
stature et au point de vue plastique, mais elles n'ont ni la
grâce, ni le charme des jolies Banziris ; ce sont de belles
statues, rien de plus.
Elles portent peu d'ornements. La tète est rasée, sauf le
sommet du crâne, qui ne garde qu'une sorte de calotte en
cheveux en forme de cône.
Une ceinture de perles de fer supporte sur le devant un
petit tablier, composé d'un grand nombre de cordelettes
de cuir ornées de perles de fer ou de cuivre. Derrière, une
touffe de feuilles et, le plus souvent, rien.
Tel est à grands traits l'aspect sous lequel les premiers
Saras se présentaient à nous; la différence entre ceux-ci et
ceux de Daï et de Koumra est peu sensible.
Les Saras nous avaient fort bien accueillis, le passage
LES SAIIAS 209
du Vasako s'élait effectue sans encombre, dans d assez
bonnes pirogues, et Mandja-Tezzé nous avait installés lui-
même, au milieu du village, auprès d'un puits où les
femmes venaient prendre leur eau, sans s'inquiéter le
moins du monde de la présence des étrangers. Les blancs
eux-mômes n'excitaient pas leur curiosité.
Elles étaient vraiment magniliqucs ces statues bronzées
se profilant bien droites, leur amphore sur la tèle, une
longue corde autour des reins, sur les Ions fauves des
hautes herbes à peine éclairées par le soleil couchant.
Le village est très important. Les cases, disséminées
par groupes de deux ou trois dans les plantations, sont
relativement très petites et de formes particulières.
La muraille verticale n*est plus en maçonnerie. Elle est
toujours cyrmdri([uo, mais haute du double, 1 mètre à
1 met. 20 environ, et formée soit d'une épaisse natte en
chaume, soit d'un treillis de tiges de sorj^ho. Le toit en
chaume est conique. Les cases mesurent à peine 2 mèl. 50
à 3 mètres de diamètre. Entin la porte est carrée et non
ovale, comme chez les autres peuplades.
Devant la porte de chaque case, dans une espèce de
cour formée par une natte, le foyer, qui mérite une men-
tion spéciale. Trois calottes sphériques en argile pleine,
affectant la forme de marmites du pays renversées, sont
disposées en triangle et constituent un support pour le
vase, qui ne risque pas de choir, tandis que le bois se con-
sume. C'est le seul et unique fourneau Vwe que nous
vîmes pendant le voyage.
Les calebasses, très originalement sculptées, sont très
employées par les ménagères. Elles ont également un
I*. Brunac.iie. 14
210 AUTOUR DU TCHAD
grand nombre de vases, de jarres en poterie pour ren-
fermer Teau et la farine, enfin des paniers en sparterie
d'un fort joli travail. Tous ces ustensiles sont d'une pro-
preté remarquable, de même que Tintérieur et les abords
des cases, toujours coquettement placées sous un grand
arbre en parasol et ornées de plantes grimpantes. Mandja-
Tezzé nous dit que nous trouverons des moutons et un
cheval ou deux au prochain village. Il nous engage à nous
arrêter chez Mara, chef très important de ses amis. Il nous
promet des guides pour nous y conduire.
Avant de partir, la mission passe avec Mandja-Tezzé un
traité qui présente une grande importance au double point
de vue politique et commercial : les États de ce chef sont
en effet baignés par le Chari, le principal affluent du
Tchad, navigable en toutes saisons. C'est au village de
Mandja-Tezzé que se ravitaillent les caravanes de négo-
ciants musulmans, qui font également là d'importantes
transactions commerciales.
Enfin, par sa situation au confluent du Bamingui et du
Gribingui, cette région paraît être la clef des routes flu-
viales les plus sûres, les plus rapides et les plus écono-
miques pour atteindre le Bornou, les pays baignés par le
Tchad, Ouaddaï et même le Dar Rouna.
Nous quittons Mandja-Tezzé le 6 octobre d'assez bonne
heure, conduits par trois guides. Nous traversons le vil-
lage d'un vieux chef nommé Modjio.
Ici chaque groupe de cases est entouré d'une palis-
sade. On remarque également des conduits qui amènent
les eaux ménagères dans de grandes fosses, qui reçoivent
les ordures de toutes natures. Chaque dépôt est soigneuse-
LES SARAS 313
mcnl rocouvorl de terre, de sorte que le voyageur qui no
serait point prévenu nu se doiilcrail nullement de l'itsage
iiuquc! ces fosses sont destinées.
Nous atteignons le village du chef Mara. Celui-ci a
revêtu pour la circonstance une de ces tuniques de coton
indigo qui ont fait la réputation de Kano, dans le Sokoto.
Le jeune chef est vraiment majestueux, et si tout son
entourage clait revôtu de même, on croirait lire une page
d'Homère.
?14 AUTOUR DU TCHAD
Beaucoup atteignent deux mètres, et sont forts en pro-
portion. Ils portent de très lourds bracelets de cuivre et
des lances en rapport avec leurs tailles. Les couteaux de
jet ont une forme nouvelle. Ils n'ont plus cette grande
quantité de pointes, mais se rapprochent un peu du sabre
recourbe.
Quelques-uns des indigènes présents ont aux pieds des
bracelets de fer terminés par une sorte de griffe à quatre
pointes, qui pourrait bien être une des formes primitives
de Téperon.
Dans laprès-midi, mon ami Clozel et moi faisons une
longue visite à Mara, qui nous promet des guides pour le
lendemain. M. Maistre nous a en effet confié depuis quel-
que temps le choix des guides et les relations avec les
indigènes.
Le lendemain, Mara arrive, escorté d'un colosse portant
tout un attirail de provisions de voyage et un énorme
bouc que Mandja-Tezzé nous offre en présent.
Mara et son compagnon prennent la tète de la colonne
et nous partons allègrement, car tous nous estimons que
la présence du chef facilitera nos relations pendant la
route et à l'arrivée.
La pluie alourdit notre marche; elle paraît assez courte
aux yeux de nos guides, qui nous engagent à pousser plus
loin. Mais nous sommes obligés de faire halte en forêt.
Le matin, à la première heure, Mara et son compagnon
sont debout, prêts à partir, mais ils paraissent bientôt
impatientés de la lenteur de notre marche.
Nous faisons une courte halte et, au moment de repartir,
nos guides ont disparu. Nos appels restent sans réponse.
LES SARAS 215
Impossible de revenir sur nos pas. Nous suivons le sen-
tier, sans guides, constatant de place en place les em-
preintes d'un sabot de cheval. M. Maistre estime qu'il y
a lieu de suivre celte piste.
Un de nos Sénégalais, le clairon Dimbah Dyalli, assez
mauvais sujet du reste, a déserté; un second, Ali Baba,
bon soldat, mais faible de constitution, a de la peine à
suivre. Il est soulagé de son havresac et de tout son four-
niment, qu'il ne peut plus porter, et fournit encore une
étape.
Bientôt nous nous engageons dans un marais qui rend
la marche absolument pénible et difficile. La caravane
s'égrène et le nombre des traînards augmente de jour en
jour. Nos hommes s'affaiblissent à vue d'œil. Ils n'ont
plus, pour se soutenir, que les racines ramassées le long
du chemin et quelques fruits du tamarin. Le régime des
Européens n*est guère plus fortifiant : quelques quartiers
de courges et de la farine de haricots en très petite
quantité.
Ali Baba n'a pu rejoindre et les reconnaissances
envoyées à son secours n*ont pu le retrouver.
Depuis quelque temps je marche en tête avec M. Maistre,
en vue de servir d'interprète dans le cas où nous rencon-
trerions des musulmans. Nous suivons le cours d'une
rivière débordée et de temps à autre nous devons entrer
dans l'eau; à une bifurcation de chemin, nous retrouvons
les empreintes du cheval, nous les suivons. Elles nous font
prendre une direction O.-N.-O. Nous nous élevons un
peu pendant la traversée d'une région assez boisée. Nos
hommes reprennent courage, car ils remarquent, sur bon
216 AUTOLU DU TCHAD
nombre d'arbres, des entailles faites récemment avec un
outil. Nous approchons d'un endroit habité. En effet, peu
de temps après, nous atteignons une plantation en plein
rapport et nous remarquons les traces du passage de quel-
ques chevaux.
Nos hommes pressent l'allure dans le sentier large et
bien frayé. Nous rencontrons enlin deux indigènes, qui nous
saluent en frappant leurs mains Tune contre l'autre, à la
manière des Saras. A notre vue, ils ont déposé leurs
lances. Ils ne paraissent nullement effrayés. C'est d'un
bon augure. Us nous saluent à nouveau en nous disant :
a el afia », la paix, la tranquillité, en arabe. Ils rebrous-
sent chemin et nous conduisent, à travers de nouveaux
marais, jusqu'à un groupe de termitières gigantesques, où
nous nous entassons pèle-mèle, tandis que nos guides vont
chercher les deux pirogues, amarrées sur l'autre bord
d'une rivière profonde, qui coule au milieu de la plaine
qu'elle inonde.
En débarquant, nous constatons avec stupeur que la
berge, qui, de loin, nous semblait assez élevée et très
étendue, est à peine dessinée par quelques termitières
susceptibles de recevoir seulement quelques caisses et
quatre ou cinq hommes.
Nous demandons le chemin qui conduit au village : on
nous indique un canal, profond de près d'un mètre, large
de trois, qui doit constituer une route superbe pendant
la saison sèche, mais qui, pour le moment, me donne de
sérieuses inquiétudes. Impossible de prendre une des deux
pirogues; elles sont à peine suffisantes pour assurer le
passage de notre monde, qui s'effectue fort lentement.
LES SARAS 217
Nous nous engageons bravement sur la « route » avec
de l'eau jusqu'à la ceinture, souvent jusqu'au menton.
Après avoir parcouru environ deux kilomètres, nous attei-
gnons enfin un village. Nous sommes fort bien accueillis
par les indigènes, et c'est au milieu d'un grand concours
de populaire que nous changeons de linge, en plein soleil,
car nos lentes ne sont pas montées, et d'ailleurs les chauds
rayons qui sèchent nos vêtements ne suffisent pas à
réchauffer nos membres engourdis.
Le chef vient nous rendre visite. C'est un superbe
gaillard, à la figure égayée par deux fossettes de chaque
côlé de la bouche et par deux yeux qui rient, ce qui est
assez rare chez les noirs. Il nous dit que nous sommes au
village de Kassinda.
Il porte une sorte de petite blouse en turkedis (bandes
de colon), alternées bleues et blanches; sur la tète un mor-
ceau de même étoffe plié en carré, ayant un peu Taspect
-d'une cornette, comme en portent les paysannes en France.
11 tient à la main un martinet en cuir d'hippopotame,
que nous prenons tout d'abord pour un chasse-mouche,
mais nous ne tardons pas à nous convaincre que le jeune
^hef a en main « le service de la police ».
C'est plaisir de voir ces énormes Saras obéir au
«noindre signe de leur chef, qui paraît très écouté ; trop
écoulé, à notre avis, car il s'immisce dans tous nos mar-
chés, et, comme il doit exiger une honnête commission,
tes vendeurs augmentent sensiblement leurs prétentions.
Détail curieux : au cours des transactions, bon nombre
d'indigènes, pour attirer mon atlenlion, me frappent dou-
cement sur le bras, en m'appelant « Sara ». Ce nom, que
218 AUTOUR DU TCHAD
les musulmans ont appliqué à toute une race, aurait-il
simplement la signification de « Cama », « Ouandjia »,
mots qui veulent dire ami, camarade, chez les Banziris et les
N'dris? Il convient de remarquer, en effet, que nos Séné-
galais désignaient sous le nom de « Ouandjias » tous les
indigènes de langue n'dri dont ils ignoraient le nom de
tribu.
Les musulmans ont peut-être fait comme eux, à moins
qu'ils aient donné le nom de « Saras » aux tribus de
cette belle race qui se sont soumises à leur domination.
Le mot Sara, lu en arabe, signifie, en effet, qui s'est
rendu, qui a fait sa soumission.
Puisque les traitants ont arabisé tous les noms de
rivières de cette région, rien d'étonnant à ce qu'ils aient
agi de môme pour les noms de tribus.
Il n'est pas inutile de constater, à ce propos, que
Mandja-Tezzé, Kassinda et les autres chefs qui repoussent
le nom de « Saras » (et qui appartiennent ethniquemcnt
au groupe désigné sous ce. nom), sont précisément ceux qui
commandent aux villages indépendants y sans liens fédé-
ratifs entre eux. Au contraire, dans les confédérations de
Daï et de Koumra, les plus importantes, celles qui sont
soumises au Baghirmi, où des fonctionnaires musul-
mans sont en résidence permanente, le mot « Sara » est
absolument admis pour désigner les autochtones, et
employé couramment.
J'ai signalé une particularité qui m'a frappé; je laisse
à de plus érudits le soin de trancher cette question,
qui présente une certaine importance à plusieurs points
de vue.
LES SARAS Î19
Les gens de Kassinda nous tracent sur le sable quelques
itinéraires : les noms de Gandi, Goundi, le point extrême
atteint par Nachtigal en 1872-73, Koumra, Daï, Djemalti,
cités par renseignements par ce voyageur, nous -sont indi-
qués par tous.
Nous comptions faire un assez long séjour à Kassinda,
mais nous dûmes renoncer à ce projet. Notre camp était
enserré dans le village, les indigènes étaient quelque peu
turbulents. Nos hommes se plaignaient de vols fréquents
et, de leur côté, les habitants constataient souvent la dis-
parition de poules et de chiens que nos hommes négli-
geaient quelquefois de payer. 11 y eut môme plusieurs com-
mencements de rixes auxquels, d'ailleurs, Kassinda mettait
toujours fin par Tapplication de vigoureux coups de
lanières sur le dos de ses administrés.
Pour éviter des désordres plus graves, nous résolûmes
de ne pas prolonger davantage notre séjour. Un de nos
Sénégalais, le clairon Lamina, déserta peu de temps
avant notre départ. Il fut impossible de le découvrir.
Le 15 octobre, nous quittâmes le village de Kassinda,
conduits par le jeune chef lui-môme. Les plantations de
ce village sont fort belles, bien entretenues et s'étendent
à perte de vue.
Les cases sont disséminées sur un très grand espace ;
elles laissent à désirer comme construction, il est vrai
qu'elles paraissent édifiées depuis fort longtemps. Recou-
vertes de plantes grimpantes, églantiers, calebasses à
larges feuilles, elles sont en revanche très pittoresques.
Leurs abords sont d'ailleurs fort propres; dans la cour
palissadée, sur le sol en terre battue, de belles jarres en
220 AUTOUR DU TCHAD
poterie nettes et brillantes, des calebasses soigneusement
passées à Thuile, le grenier à mil, la niche pour les
poules, et le foyer, composé des trois blocs remarqués chez
Mandja-Tezzé.
Nous atteignons les premières cases du village de
Djemalti et nous assistons à une scène du plus grand
intérêt.
Sous un gros sycomore dont Tépais feuillage donne
une ombre compacte, une aire à battre; au milieu, sur
un escabeau, pérore un vieillard, debout, une lance à
la main. A ses pieds, des petits tas de pierres de gros-
seurs et de couleurs différentes. Autour d'un grand cercle
dont rhomme debout est le centre, huit ou dix vieillards
sont accroupis symétriquement, très attentifs aux discours
de l'orateur. Des lignes de cailloux blancs, disposés en
ordre, partent de leurs pieds vers le centre, formant les
rayons de cette circonférence; puis des cercles concen-
triques formés par des tas de pierres brunes, de teintes
variées.
L'homme à la lance dit quelques mots à Tun des vieil-
lards qui présente une observation, puis il enlève quelques
cailloux blancs à Taide de sa lance, et envoie en échange
une ou deux pierres brunes, qui vont grossir les petits tas.
Devant chaque assistant, même manège.
Nous croyons d'abord avoir affaire à des féticheurs.
Renseignements pris, ces graves sénateurs procèdent à la
répartition de la récolte entre les groupes de familles dont
chacun des huit ou dix vieillards est le représentant auto-
risé. Les grandes cultures sont possédées à titre collectif
par les habitants d'un même groupe de villages. Leurs
LKS SARAS n\
délt-gués, des vieillards, généralemeiil, sont chargés du
partage et fixcnl le priilèvemcnt à effectuer sur la part de
chacun, en vue de consliliicr une réserve pour les
semences, les cas de disette, départs forcés en cas de
guerre, etc. Pour suppléer à leur ignorance des mathéma-
tiques, ils ont remplacé le « boulier compteur de nos
écoles primaires » par les cailloux de nuances variées. lia
séance se termine sans le moindre cri, la plus petite
contestation. Il est vrai que nous sommes chez des sau-
vages.
Kassinda nous arrêta snr la rive gauche d'une petite
rivière coulant vers le Nord. Il nous quitte après avoir
reçu un présent et nous avoir mis en relation avec les
gens de Djemalti.
Les indigènes réparent uoe pirogue assez grande et
222 AUTOUR DU TCHAD
bien mieux conditionnée que celles de Dakala ou de
Kassinda, ils nous disent qu'ils en possèdent une seconde.
Nous sommes donc tranquilles au sujet du transbordement
du lendemain.
Rien de bien intéressant n'attire notre attention au
village de Djemalti. Le chef, vieillard futé, à la figure
intelligente, vient causer avec nous. 11 sait quelques mois
d'arabe, des formules de politesse surtout. De même
qu'à Kassinda, nous avons la visite de quelques individus
plus ou moins vêtus et possédant assez bien cette langue.
Ils n'ont point le type sara, bien qu'ils affirment appar-
tenir à cette tribu. Ils se donnent tous comme anciens
esclaves de musulmans, échappés de chez leurs maîtres.
A mon avis, ce ne sont pas des esclaves fugitifs, ce sont
des indigènes, attachés au service ou esclaves affranchis
des musulmans, auxquels ils servent d'intermédiaires, de
guides, d'interprètes auprès des populations fétichistes.
Bien traités par leurs anciens maîtres, auxquels ils rendent
de réels services, ils sont très fiers de la demi-civilisation
acquise auprès d'eux. Quelques-uns se sont convertis, d'au-
tres sont sur le point d'embrasser l'islamisme, mais,
comme ils conservent toujours des attaches dans leur pays
d'origine, les traitants, grâce à eux, y sont généralement
bien accueillis. Ils accompagnent leurs anciens maîtres
dans leurs expéditions guerrières ou commerciales. A la
fois intendants, courtiers, interprètes, les traitants leur
laissent le soin de négocier les affaires, d'entamer les pour-
parlers avec les indigènes. Les explications qui précèdent,
traduites peu clairement, ont fait dire à certain voyageur
que les fétichistes croyaient les musulmans accompagnés
LES SARAS 223
de lutins, de génies qui les assistaient dans toutes leurs
entreprises et qu'ils nommaient Kridimis.
Ces Kridimis sont, à mon avis, les néo-convertis dont
j'ai parlé plus haut. Ce ne sont plus des esclaves, mais
des serviteurs libres, en arabe Khredîme, qui, par corrup-
tion, a fait Kridimis chez les fétichistes.
Le dimanche 16 novembre, nous nous mettons en
devoir de traverser la rivière. Elle est peu large, le cou-
rant presque nul et les pirogues très confortables; il
semble que le transbordement va s'effectuer en un rien
de temps.
Nous comptions sans nos hôtes. Je n'avais jamais vu,
et je ne vis jamais depuis, gens plus exigeants et plus
sordidement quémandeurs. Chaque départ de pirogue
était retardé par une demande de cadeau, qui n'était
jamais suffisant; le prix du passage avait cependant été
payé d'avance. Il fallut me dépouiller de ma veste et en
faire don aux passeurs pour décider le départ des deux
dernières pirogues. Ce passage, qui devait être si simple en
apparence, employa toute notre journée.
Le lendemain, deux jeunes hommes, grands et bienfaits,
à la physionomie ouverte et intelligente, consentent à
nous servir de guides. Us se rendent à « Goundi »; c'est
également notre but.
Malheureusement, comme tous les autres guides, ils
sont importunés par les nombreuses questions qu'on leur
adresse. Ils sont surtout énervés par la lenteur de notre
marche et les arrêts à heure fixe : aussi nous abandonnent-
ils au bout de peu de temps.
Pendant trois jours, nous marchons dans la plaine
22i AUTOUR DU TCHAD
inondée, non point à ravenlure, comme on pourrait le
croire, mais sur un chemin que nous sentons sous nos
pas, môme lorsque Teau nous arrive à la ceinture. A la
saison sèche, ce pays doit d'ailleurs ôtre très praticable et
probablement très fréquenté, car nous rencontrons de
nombreux sentiers qui se croisent. Il est très probable
que nos guides ne sont pas soumis aux mêmes épreuves
que nous, et ont dû choisir, dans les nombreuses routes qui
s'offraient, celle qui devait leur permettre de chemincn
sur quelque plateau peu élevé, sans doute, mais absolu-
ment sec.
A défaut de guide, il fallait bien s'en rapporter au
hasard, mais, cette fois, le hasard était contre nous, car
nous ne tardâmes pas à nous enfoncer peu à peu au point
de perdre pied.
Par bonheur, nous apercevons quelques termitières
énormes. Malgré leurs proportions inaccoutumées, c'est
à peine si toute la caravane peut s'entasser dessus avec
les bagages.
Nous commençons à être inquiets de celte immense
nappe liquide. Les grands et beaux arbres qui émergent
en bouquets, rompent la monotonie du tableau, mais sans^
nous rassurer, car le tronc est baigné par Teau qui nous-
cache en môme temps cette terre que nous cherchons.
Cependant, à 2 kilomètres environ, nous voyons une
fumée, puis, en regardant plus attentivement, nous dis-
tinguons des groupes de cases assez importants.
Nous nous disposions à faire des signaux sans grand
espoir d'ôlre aperçus, lorsque deux indigènes, un vieux et
un jeune, sortant d'un fourré de joncs, vinrent nous saluer.
Ils ont leur pirogue, mais elle est très frôle et en assez
mauvais état. Ils ne peuvent prendre que trois hommes.
Ciozel s'offre pour se rendre au village négocier le passage
avec le chef. Il estime,, avec juste raison, qu'il doit exister
un certain nombre de pirogues en cet endroit.
Noire ami s'embarque avec son ordonnance sénégalaise
et une jeune Boubangui.
Trois quarts d'heure après, iO pirogncs accostaient
notre termitière el, dcnx heures plus tard, tout notre
monde était sur l'autre rive.
Un peu étourdis par la rapidité de cette manœuvre,
nous demandons des explications.
Notre ami Ciozel nous dit qu'après avoir abordé au
village qui se nomme Ourenki, il entra en pourparlers
avec le chef, au milieu d'un cercle de pagayeurs armés de
perches, comme de véritables Banziris.
Il offre des perles, des étoffes, des miroirs, mais ses
i>-2G AUTOUR DU TCHAD
marchandises n'ont aucun succès. En désespoir de cause,
il lire de son sac des anneaux de cuivre appelés manilles :
tous poussent un cri et disparaissent. ClozeI,élonné, s'en-
quierl des motifs de cette panique, on le rassure : le
marché est conclu et ses compagnons ne tarderont pas à
le rejoindre.
La région est assez pauvre, et si, comme partout, les
arachides abondent, les autres vivres sont rares. En
revanche, le panorama est merveilleux. Maintenant que
nous sommes sur la terre ferme, la nappe d*eau paraît
moins considérable, le paysage très pittoresque.
Avec ses cases entassées, les deux grands sycomores et
le borassus énorme qui l'abritent, Garenki, doré par le
soleil, a maintenant fort bon air sur son îlot marécageux.
A la pointe sud de Tîle un petit village lacustre produit
l'effet le plus inattendu. Hien de plus étrange, par un
beau clair de lune, que ces cases sur pilotis qui se déta-
chent en noir sur la surface argentée du lac. Sur pilotis
aussi le grenier à mil, la provision de bois, la niche aux
poules, dont les ombres zigzagantes, au moindre souffle
qui ride l'eau, prennent des formes fantastiques. Les
longues perches des piroguiers, se dressant le long des
cases, ressemblent à autant de lances géantes. On dirait
une de ces étranges gravures de G. Doré.
Le lendemain de notre arrivée sur ce point, les plan-
talions sont envahies par des nuées de sauterelles.
Celle manne est on ne peut mieux accueille par nos
hommes. Les porteurs kassaïs, qui ont fait pendant long-
temps leur régal d'énormes chenilles, considèrent les sau-
terelles comme un mets délicieux. Nous avons du reste
LES SARAS 227
constaté dans la suite que les indigènes iuslallés à demeure
les mangeaient fraîches et en faisaient également des
conserves.
Nos hommes en font d'énormes provisions.
Jamais eu Algérie je n'en avais vu des quantités aussi
considérables. Ce n'est pas la même espèce d'ailleurs.
Celles-ci sont de nuance beaucoup plus foncée. Elles sont
mouchetées de taches brunes, cernées d'un petit liséré
rose; elles mesurent environ cinq ou six centimètres de
long.
Ce genre de nourriture n'étant du goût d'aucun de nous,
je me rendis au village pour essayer de me procurer
quelques denrées.
lîn petit marché s'élabhl et j'ai bientôt autour de moi
un cercle de ménagères, de vendeurs et surtout d'oisifs.
228 AUTOUR DU TCHAD
Le boy qui m'accompagne et moi sommes bientôt serrés de
très près par cette populace très gaie et très rieuse, mais
dont les mains explorent mes poches et les sacs de perles,
pendant que nous parlementons. Le boy Foulanga sur-
prend une main qui s'est égarée dans sa poche et allonge
au propriétaire, un gaillard de cinq pieds six pouces, une
giffle retentissante. Je m'attendais à un conflit, mais la
foule pousse un immense éclat de rire, et notre maladroit
pick-pocket s'enfuit tout penaud au milieu des huées.
Je parviens enfin à acheter un maigre bouc, je paie le
prix à son propriétaire qui fait signe à un gamin de me
l'amener. Celui-ci, qui paraît être un esclave, amène la
bète devant moi, fait des impositions de mains sur ses
sabots et sur ses cornes et me la livre en me demandant
un pourboire que je lui donne très volontiers.
Je traverse à nouveau la rivière pour retourner à notre
campement, le courant est assez rapide et môme, aux
basses eaux, le cours d'eau doit être important. Les indi-
gènes l'appellent Bahar Sara; serait-ce le Ba Ili de
Nachtigal? Pour le moment, il est fort diflicile de se ren-
seigner. Il faut d'ailleurs un séjour d'au moins six mois
pour avoir une idée très approximative de la topographie
du pays.
CHAPITRE XII
LES VASSAUX DU BAGHIRMI
Oako'Saïd. — Aperçu historique sur le Baghirmi. — La confédéra-
tion de Daï, Koumra. — En route pour Palem. — Les Toum-
mocks. — NachtigaL — Retour par l'Ouest.
Après deux jours de repos bien mérité, nous quittons
le curieux village de Garenki, mais cette fois encore les
guides nous font défaut; cependant diaprés les renseigne-
ments des indigènes, en suivant le sentier qu'on nous a
indiqué hier, nous rencontrerons une série de villages, et
nous ne risquons nullement de nous tromper de roule.
A peine avons-nous fait quelques kilomètres que déjà
nous nous trouvons en face d'une nouvelle nappe d'eau
presque aussi considérable que celle de Garenki. Heureu-
sement qu'une série de petites collines se voit dans le
lointain. Rien à craindre pour Tavenir, nous n'aurons pas
de marais pour quelque temps du moins.
Quelques indigènes de la rive opposée, attirés par la
/umée des feux allumés par nos hommes, viennent en
pirogue de notre côté.
Ils consentent bien à nous transporter sur Tautre rive
230 AUTOUR DU TCHAD
au village de Gako, situé dans un repli de terrain en face
de nous, mais il leur faut, au préalable, l'autorisation du
chef. Il nous l'accorde volontiers et bientôt un grand
nombre de pirogues accourt nous prendre; le passage s'ef-
fectue rapidement et nous installons notre camp près du
village du chef Gako.
Celui-ci vient nous voir, suivi à\me suite assez nom-
breuse; il est évidemment indigène, mais à sa démarche, à
son attitude grave, à son langage, à son costume (il porte
une superbe tunique indigo), on reconnaît qu'il a fréquenté
les musulmans; — on le questionne à ce sujet, il nous
répond qu'en effet il est allé à Massinia pour saluer son
suzerain le sultan du Baghirmi, qui du reste a de nom-
breux représentants dans le pays et même dans le village
où nous nous trouvons.
11 nous indique d'ailleurs une longue file d'hommes et
de femmes vêtus de tuniques indigo, de pagnes, de calottes
blanches, qui se dirigent vers le camp à pas comptés, et
nous explique que celui qui marche en tète est un person-
nage influent envoyé dans la région par le sultan de
Massinia...
... Nous allons avoir la clef de cette énigme! Nous
allons savoir par nous-mêmes s'il faut renoncer à entrer
en relations avec ces musulmans noirs que l'on nous a tou-
jours dépeints comme des fanatiques, ennemis de l'Euro-
péen, comme des gens décidés à mettre tout en œuvre
pour empêcher le « blanc » de pénétrer dans leur pays.
... Pourvu qu'ils parlent arabe! car c'est une condition
sine qua non pour éclaircir cette question dont dépend
tout le succès de notre voyage et des tentatives à venir.
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 231
Enfin un petit homme à la physionomie intelligente,
à Toeil vif et perçant, à la démarche aisée, se détache du
groupe, suivi seulement d'un jeune garçon et d'un domes-
tique portant leurs armes. 11 s'avance vers nous, puis
s'inclinant la main droite sur le cœur, il nous salue avec
les formules les plus correctes de la politesse arabe. —
J'engage la conversation; il me comprend sans la moindre
peine; de mon côté je constate la pureté de son langage,
il me dit qu'il se nomme Si Saïd, qu'il é^t fonctionnaire,
que son rôle consiste non seulement à surveiller la rentrée
des impôts, mais encore à conseiller les chefs autochtones
dans les questions politiques et surtout religieuses.
Il nous apprend que les jeunes gens appartenant aux
meilleures familles indigènes sont envoyés à Massinia,
capitale du Baghirmi, où ils apprennent l'idiome du pays,
et la langue arabe que parlent couramment les fonction-
naires et l'aristocratie, puis enfin se convertissent à la
religion musulmane. Ils reçoivent ensuite une de ces lon-
gues tuniques bleues, insigne du commandement, et sont
pourvus du gouvernement de territoires plus ou moins
importants.
Il nous donne avec la meilleure grâce du monde des
renseignements sur l'organisation politique et religieuse
du Baghirmi, l'ethnographie, la géographie, et nous
raconte les événements survenus depuis le passage de
Nachtigal à Massinia.
Nous lui offrons un chapelet d'ivoire. Ce cadeau lui est
particulièrement sensible. Il se retire en nous demandant
l'autorisation de venir nous visiter de temps à autre.
Dans la soirée, notre nouvel ami revient avec une foule
232 AUTOUR DU TCHAD
de serviteurs portant des corbeilles en sparterie assez
semblables à celles fabriquées dans le Sud algérien. Elles
contiennent une foule de victuailles, qu'il nous offre au
nom du chef Gako, au nom de sa famille et en son propre
nom.
Il nous présenle ensuite deux fort jolies corbeilles con-
tenant des arachides, cuites avec soin et bien dorées et
quelques friandises. 11 nous dit que c'est là un présent de
sa femme, et il%joute en souriant : « Elle regrette de
n'avoir pas eu le temps de vous préparer autre chose, d'au-
tant mieux que c'est un cadeau intéressé. Elle possède
depuis longtemps ce vieux miroir que nous nous sommes
procuré à grand'peine, elle en désirerait un neuf, car
j'ai eu le tort de lui dire que vous en donniez assez volon-
tiers aux indigènes. » 11 nous présente alors réchanlillon.
Il est absolument hors d'usage, mais nous avons la salis-
faction de voir encore la marque d'une fabrique française.
Ce sont des armes turques, avec les lettres E. P. Paris.
Cette constatation vaut à Madame Saïd un échantillon de
tous les modèles de miroirs que nous avons dans notre
pacotille. Saïd et son (ils reçoivent également quelques
menus objets. Le don d'un modeste rasoir met le comble
à leur joie.
Sans être bavard, Saïd cause volontiers, il est d'ailleurs
de bonne compagnie et doit être de condition aisée. 11 ne
peut nous donner aucun renseignement sur la rivière qui
passe à Garenki, il n'a jamais voyagé au sud de ce village.
Elle porte le nom de Bahar Sara, passe à Goundi et se
jette dans le Chari. La nappe d'eau située au pied du vil-
lage de Gako se nomme le Bahar Namm. Son courant est à
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 233
peine sensible, en admettant qu'il en existe un, même en
cette saison. D'ailleurs Saïd me dit que le Bahar Namm
est un marais qui inonde une grande plaine qui s'étend
« au dire des indigènes » jusqu'à Bangoul, vers le
Logone. Il n'a pu vérifier le fait, mais il affirme, parce
qu'il Ta vu, que le Bahar Namm est absolument desséché
pendant une grande partie de l'année et qu'il ne forme
plus que quelques flaques d'eau, « des puits », comme il
nous dit. Il est certain que, si la communication existe,
elle n'est pas constante.
Il est bon de remarquer que ce sont les indigènes seuls
qui en parlent, or ils n'ont aucunes relations avec les
tribus voisines du Logone, qui repoussent môme les expé-
ditions du Baghirmi. C'est donc à bon droit qu'il faut se
montrer circonspect au sujet de cette hypothèse.
Si Saïd nous trace un itinéraire des plus pratiques pour
nous rendre à « Massinia », capitale du Baghirmi. Le
sultan, nous dit-il, serait fort heureux de notre visite et le
réprimandera s'il ne nous décide pas à aller séjourner
quelque temps dans la capitale.
Nous lui exposons notre situation précaire. Notre
voyage, par suite de difficultés imprévues, a absorbé une
bonne partie de nos marchandises. Notre pacotille nous
permeltrait bien d'aller à Massinia, mais nous n'aurions
plus de ressources pour quitter le Baghirmi, après un
séjour plus ou moins prolongé dans ce pays.
« Ne vous inquiétez de rien, nous dit Si Saïd, à dater du
jour où vous avez pénétré sur le territoire du M'bang
(nom donné au Sultan) vous êtes ses hôtes. C'est lui ou
ses délégués qui pourvoiront à tous vos besoins. Vous
234 AUTOUR DU TCHAD
êtes des élrangers, animés de bonnes dispositions, vous
êtes les bienvenus. Venez avec moi jusqu a Massinia, il ne
sera pas nécessaire de toucher à vos marchandises. Le
M'bang connaît les « blancs » de réputation, il vous réser-
vera le meilleur accueil. »
Pour ce Baghirmien habitué à voyager avec de faibles
ressources, dans un pays où il est connu, nos nombreuses
caisses semblaient constituer des richesses inépuisables.
Il ne pouvait comprendre que, même avec la plus stricte
économie, en ne donnant à nos hommes qu'une cuillère
de perles pour acheter leurs vivres pendant cinq jours,
nos ressources seraient très probablement insuffisantes
pour atteindre TAdamaoua en suivant la voie la plus
directe.
Certes sa proposition ne manquait pas de nous séduire,
mais il ne fallait pas songer à faire le grand détour dont
il nous parlait pour gagner le Mandara et atteindre ainsi
TAdamaoua par le nord du ïoubouri. Cet itinéraire nous
aurait pris deux mois de plus que celui par le sud; d*autre
part, si cette route était plus sûre, elle était absolument
connue. Barlh et Nachligal ont en effet séjourné fort long-
temps et sérieusement étudié les régions que Ton nous
proposait de parcourir au N. du Toubouri. Vers l'ouest
au contraire se trouvaient de vastes étendues très peu-
plées et absolument inexplorées. Les Gaberis, les Som-
raïs ont toujours repoussé les tentatives des Baghirmiens;
c'est à peine, nous dit Si Saïd, si quelques hardis traitants
ont pu faire un court séjour chez ces peuplades inhospi-
talières, sur lesquelles le Baghirmi exerce un protec-
torat plus nominal que réel. « Quant a la région comprise
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 235
entre le Logone et T Adamaoua, elle est absolument inconnue
soit des (( blancs », soit des musulmans, et ce serait folie
de vous engager chez ces peuplades », ajoute notre hôte.
Nous ajournions indéfiniment notre décision. 11 nous
était trop pénible de renoncer à notre projet de remonter
plus avant vers le Nord. Il nous en coûtait de perdre
ainsi les belles illusions conçues au départ de la Kemo et
que Texcellent accueil des Baghirmiens semblait devoir
rendre réalisables.
Nous songeâmes à nous rendre seuls avec Si Saïd à
Massinia, tandis que Tun de nous, tiré au sort, car tous
les Européens voulaient être du voyage, resterait à Gako
avec Tescorte et les porteurs.
L'économie de ce projet était illusoire. Nos dépenses
eussent été légèrement augmentées, et, tout compte fait,
nos hommes seraient restés inactifs pendant un mois,
tandis que nos marchandises se seraient épuisées sur
place. En prenant la direction Ouest au contraire, nos
dépenses étaient moindres et nous nous rapprochions de
TAdamaoua, où nous pouvions trouver des ressources, soit
auprès de notre compatriote le lieutenant Mizon, soit auprès
de la Royal Niger Company.
Ne pouvant nous résoudre à renoncer à nous rendre
dans la capitale de ce Baghirmi où nous avions reçu si bon
accueil, nous décidâmes de faire roule vers Goundi, point
extrême atteint par Nachtigal en 1872. Là nous avise-
rions : quel que soit Tavis qui prévaudrait, nous étions sûrs
au moins que, une fois ce point atteint, nous avions lar-
gement rempli le programme tracé par le Comité qui
nous avait accordé sa confiance.
236 AUTOUR DU TCHAD
Depuis le voyage de Nachligal en 1872-73 bien des
événements se sont passés au Baghirmi. Les querelles
intestines qui divisaient le pays ont pris fin il y a déjà
quelques années. S'il faut en croire Si Saïd, une ère de
paix et de prospérité aurait succédé aux luttes qui ont
ensanglanté le Baghirmi; alors que le M*bang Mohammed
Abou Sekkin cherchait à reconquérir ses États sur l'usur-
pateur Âbder Bahman.
Celui-ci, fort de l'appui du Ouaddaï, avait réduit le
souverain détrôné à chercher un refuge dans les pro-
vinces méridionales, et c'est vers cette époque que ce
dernier reçut la visite de Nachtigal à Goundi, son centre
d'opérations.
Dix ans plus tard, vers 1883, Mohammed Abou Sekkin
résolut de tenter un suprême effort. Il réunit ses fidèles
et, à la tôte d'une troupe peu nombreuse mais décidée à
chasser l'envahisseur, vint mettre le siège devant Mas-
sinia. Un mercredi, ou un jeudi, nous dit Saïd qui fut
témoin de ces événements, Abou Sekkin pénétra dans la
ville et fit mettre à mort son compétiteur et ses partisans.
Après avoir rétabli le calme dans ses États, il renonça à
la résidence de Massinia et se fixa à Maïba. qui devint
bientôt un centre aussi important que <( Bougouman »,
marché très fréquenté de la rive gauche du Chari et peu
éloigné de Maïba.
A la mort de Mohammed Abbou Sekkin, en 1885, c'est
son jeune frère Gaouranga, âgé actuellement de vingt-deux
ou vingt-quatre ans, qui lui succéda, bien qu'il eût un fils,
Bouroumanda, en âge d être proclamé M'bang. Bourou-
manda s'est retiré ou peut-être même a été exilé au
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 237
Ouaddaï. Pour ne point se compromettre, en sa qualité de
fonctionnaire, Saïd élude toutes nos questions relatives au
tils d*Abou Sekkin. En revanche il ne ménage pas les
éloges au jeune souverain acluel, déjà père de deux
enfants, qui a su faire régner Tordre à l'intérieur et com-
mande le respect à ses turbulents voisins, notamment
ceux du Ouddaï.
Quant au lils de l'usurpateur, Abderrahman, il vit misé-
rablement au Baguirmi. Lors de son avènement, Gaou-
ranga lui a fait crever les yeux pour lui ôter toutes vel-
léités de succéder à son père.
L'influence du Ouaddaï serait actuellement nulle au
Baghirmi.
Le 26 octobre, nous quittons le village de Gako, accom-
pagnés par Si Saïd et son fils, qui ont avec eux deux
domestiques portant leurs armes et leur matériel de
voyage, nattes, calebasses, sacs de provisions, etc.
Nous nous engageons sur un plateau sablonneux et sec,
mais couvert de belles plantations et d'arbres d'une assez
belle venue.
A la deuxième halte, le chef de Daï, le village où nous
allons camper, vient à notre rencontre. 11 est facile de
voir que Si Saïd est pour quelque chose dans cette récep-
tion si cordiale.
Après avoir traversé de superbes plantations de maïs,
de mil, d'arachides, de noix de terre, le chef nous installe
dans un grand espace découvert, voisin d'une grande nappe
d'eau qui n'est autre que celle rencontrée à Gako.
Je relève sur mon journal de route, à la date du
27 octobre, les quelques lignes suivantes :
238 AUTOUR DU TCHAD
(( Daï est une assez forte agglomération très peuplée et
répartie sur un très grand espace. Ce n'est pas une ville,
comme on pourrait Timaginer, mais c'est un centre impor-
tant qui, à une époque peu éloignée, était la capitale de
Tune des deux grandes confédérations des Saras.
« C'est là une région que devraient visiter ceux qui
agitent si volontiers le « spectre de Tlslamisme. »
Les Saras de Daï sont naturellement très guerriers,
batailleurs môme et pas toujours de bonne foi, j'en suis
convaincu. 11 n'en est pas moins vrai que, seul, sans sol-
dats ou môme « Yniliciens » d'escorte, Si Saïd, petit
homme délicat et frôle, se faisait écouter d'eux comme un
personnage habitué à ôlrc obéi ; cela sans éclats de
voix, sans colère, sans l<i moindre geste. Cette attitude
et l'air de prospérité que l'on respirait dans les planta-
tions, dans le village, nous reportaient bien loin des incur-
sions suivies de pillage, de vols, d'incendies, d'assassinats
dont on se plaît à charger les « hordes musulmanes ».
« Je suis de « parti pris », je l'avoue, mais j'en ai bien
le droit après ce que j'ai vu naguère avec une autre mis-
sion (à quelques degrés de latitude plus au sud, par
exemple). Les musulmans « noirs » ne sont pas pour
nous l'ennemi, quoi qu'on en dise. Nous avions avec nous
des juges impartiaux, puisqu'ils voyaient pour la première
foijs « ces farouches sectateurs de Mahomet ». Ceux-là
précisément étaient les plus surpris de l'accueil empressé
que nous offraient les ennemis-nés des « blancs. »
Je suis heureux de constater que notre chef lui-môme,
M. Maistre, à son retour en France, ne s'est pas fait
faute de dire combien Saïd et les nombreux chefs baghir-
t
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 239
miens que nous avons rencontrés, ont facilité notre voyage
sur les territoires confiés à leur conïmandement.
Saïd est obligé de nous quitter, car nous sommes depuis
quatre jours à Daï : il est indispensable qu'il rentre à
Gako où l'appellent ses affaires. H nous laissera son lils,
qui se fait un véritable plaisir de nous accompagner et de
nous mettre en rapport avec les fonctionnaires baghir-
miens que nous rencontrerons dans les prochains vil-
lages.
Avant de prendre congé de nous. Si Saïd nous engage
encore à nous rendre à Massinia. Il eslimc que nous
aurions intérêt, quelle que soit notre décision, à nous
diriger sur Palcm plutôt que vers Goundi. Nous comptions
en effet relier en ce point noire itinéraire à celui de
Nachtigal. Mais Si Saïd nous dit que Goundi est absolu-
ment détruit, qu'il n'existe plus en cet endroit que quel-
ques misérables cases avec des plantations ruinées. Nous
ne pourrons pas y trouver la nourriture nécessaire à nos
hommes. Il serait préférable, à son avis, de se diriger vers
Palem. Cette autre étape de Nachtigal n'est plus aussi
riche que par le passé, mais elle nous offrira néanmoins
des ressources sérieuses pour continuer notre route soit au
nord, soit à l'ouest. Nous nous rangeons à son avis, qui
paraît du reste absolument désintéressé.
Pendant ce dernier entretien, Saïd nous donne encore
une foule de renseignements :
Les Saras et beaucoup de peuplades fétichistes dési-
gnent le Baghirmi sous le nom de « Bang-Doum ».
Le M Fatcha » ou premier ministre est bien encore
aujourd'hui, comme du temps de Barth, un esclave du
240 AUTOUR DU TCHAD
sultan, de même d'ailleurs que certains hauts fonction-
naires.
Il ignore, par exemple, ce que peut être le « Maïneb-
el-Adcmi », que Barlh donne comme une sorte de consul
du Bornouau Baghirmi. Malgré toutes nos explications, Si
Saïd ne veut pas entendre raison. La présence d'un sem-
blable personnage dans la capitale du Baghirmi serait à son
avis un signe de vasselage. Le M'bang Gaouranga est
maître chez lui et ne reconnaît pas plus la suzeraineté du
Bornou que celle du Ouaddaï. 11 est en bons termes avec
ces deux puissances, mais n'est en aucune façon leur tri-
butaire. Tel est Tavis que Si Saïd exprime avec beaucoup
de véhémence.
Son fils, pendant cette discussion, taille dans un énorme
morceau de cuir un fouet, fort coquet, dont la confection
l'absorbe beaucoup plus que faction prépondérante du
Ouaddaï ou du Bornou sur son pays. L'épaisseur de cette
peau nous intrigue, nous demandons à Saïd quel est le
nom de Tanimal qui la fournit : « Il s'appelle « ben » en
sara, « birni » en kanouri, et « grindi » en arabe. Le mot
est nouveau pour moi et ne me dit rien, mais un doigt
appliqué sur le nez supprime les explications superflues.
Il s'agit à n'en pas douter d'un rhinocéros. On en trouve
peu dans la région, mais enfin quelques rares fois un
échantillon est pris au piège. Cet animal est moins rare
dans le Nord, nous dit-il.
II faut cependant nous séparer de Si Saïd; nous lui
faisons de nouveaux présents, mais il n'a d'yeux que pour
les deux ou trois chapelets que nous lui remettons en
dernier lieu.
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 241
Les formules qu'il emploie pour prendre congé, pour
nous souhaiter santé et bon voyage et aussi nous confier
son fils, prouvent que Si Saïd n'est pas un homme du
•commun et a reçu une certaine éducation.
Sa manière d'être pendant tout le temps que nous
avons passé avec lui, a été des plus correctes. Je fais
encore quelques emprunts à mon journal de route :
« Le 31 octobre, nous quittons Daï de fort bonne heure.
Dès la pointe du jour le fils de Saïd, escorté de son fidèle
serviteur, est venu nous prendre au camp. II est certaine-
ment moins intelligent que son père, mais il ne lui cède
en rien au point de vue de Taffabilité. Parmi les nom-
breux chemins qui s'offrent à nous, il a soin de choisir le
meilleur. C'est pour nous une véritable « route natio-
nale » que porteurs. Sénégalais et Européens foulent avec
plaisir.
« D'ailleurs depuis que nous avons rencontré ces « farou-
ches musulmans » qui, jadis, effrayaient tant nos hommes,
ceux-ci semblent au contraire avoir repris courage. Il est
vrai qu'ils leur doivent bon souper, bon gîte... et qu'ils
leur sont reconnaissants de leur avoir, en maintes cir-
constances, évité une bonne volée pour s'être procuré...
« le reste », que les Saras auraient bien pu leur faire
payer cher.
« Ils ont repris confiance parce qu'ils voient les « blancs »
causer le plus amicalement du monde avec ceux qui
devaient les assassiner. Mais ce qui les étonne, c'est que
musulmans et chrétiens parlent la même langue, sans le
secours d'aucun interprète.
« C'est en effet un immense avantage pour nous que de
p. BnUNACHC. 16
242 AUTOUR DU TCHAD
pouvoir [supprimer tous ces brouillons, tous ces fabricanls
de conflits dont le rôle consistait surtout à se créer de
sérieux bénéfices au détriment de notre tranquillité.
(( Il n'est pas douteux que si, à Gako, nous étions entrés
en relations avec les Baghirmiens à l'aide d'interprètes
noirs, nous aurions rencontré des difficultés peut-élii*
insurmontables. »
Pour le moment tout se présente on ne peut mieux.
Nous atteignons le petit village de << Sada », dissimulé
sous des arbres qui semblent plusieurs fois centenaires,
extrêmement touffus et que l'on croirait taillés par un
habile praticien, à en juger par leurs tailles uniformément
rondes.
Leur ombre épaisse semble lourde, mais elle est fort
appréciable lorsqu'on a parcouru une certaine distance
sous ce soleil de plomb.
Nous nous installons sous l'un de ces immenses
mimosas, tandis que le fils de Saïd se dirige vers un
important groupe de cases. Quelques indigènes, sommai-
rement vôlus, viennent nous saluer.
Comme type et au point de vue de l'ensemble, ce sont
évidemment des Saras, mais leur maintien, leur allure,
leur manière d'être en général est loin de ressembler à
celle de leurs voisins de chez Mandja-Tezzé. Us sont à
demi civilisés.
Après nous avoir salués, ils s'éloignent discrètement.
Quelques-uns s'approchent d'un foyer situé au milieu de
la place. Ils en retirent avec mille précautions un objet
qui ressemble en tous points à un creuset. C'en est un en
effet; ils en versent le contenu, du cuivre fondu, dans un
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 243
moule en argile, fort bien imaginé d'ailleurs, et, peu de
temps après, ils en retirent un de ces énormes bracelets
que nous admirions chez Mandja-Tezzé et chez Kassinda.
Les dessins en sont vraiment exquis. Nous remarquons
notamment des torsades et des tresses qu*un profane
estimerait ne devoir être obtenues que par la cise-
lure.
L'artiste semble particulièrement sensible à nos témoi-
gnages d'admiration. Malheureusement, lorsqu'il com-
mençait à nous donner des explications, arrive le fils de
Saïd et une foule de hauts personnages qui font fuir
Thabile fondeur.
Après des salutations interminables, on nous apporte
en grande pompe des jarres et des calebasses de toutes
grandeurs, et Ton nous invite à nous désaltérer avec une
eau d'une limpidité douteuse.
Pour quiconque a voyagé en pays où Teau est rare,
c'est là une marque d'hospitalité très touchante, mais fort
inquiétante pour l'avenir.
C'est une preuve, en effet, que ce liquide doit être assez
rare dans la région.
Nous allons installer le camp à vingt minutes environ
du village, sous des arbres magnifiques, au pied d'une
petite colline très boisée.
Un porteur crouman, qui avait été repris après une pre-
mière tentative de désertion, a disparu à nouveau.
Un autre a vendu son fusil.
Nous repartons le lendemain à sept heures seulement,
parce que le fils de Saïd a passé la nuit au village, où les
chefs donnaient une fête en son honneur. Ce jeune garçon,
i
244 AUTOUR DU TCHAD
âgé de dix-huit à vingt ans, paraît très aimé et estimé par-
tout où nous passons.
L'eau semble devenir très rare. A notre repas de
onze heures, nous avons toutes les peines du monde à
nous procurer un litre d'eau bourbeuse pour six Européens.
Vers midi, nous rencontrons de très belles planlalions
et quelques petits groupes de cases.
A deux heures dix, nous nous installions sous un bouquet
d'arbres touffus, auprès d'une assez forte agglomération
qui constitue le groupe central de Koumra. Le camp est
envahi par un grand nombre de Baghirmiens et de négo-
ciants du Bornou. Ces derniers sont d'une propreté
remarquable, ils parlent également l'arabe avec une
grande facilité.
Chose curieuse ! depuis Mandja-Tezzé, tous nos visiteurs,
indigènes ou musulmans, mâchent continuellement soit du
tabac, soit du sorgho sucré. « Le prophète, disent ces
musulmans, nous a défendu de fumer, mais il n'a point
interdit de mâcher du tabac. » Le sorgho sucré est très
agréable pour combattre la soif pendant les marches sans
eau; aussi, nous prîmes bientôt, tous, Thabitude d'en avoir
une grande provision pour notre route.
Nos chapelets d'ivoire et même les plus communs, en
bois vernis, ont un grand succès auprès des Baghirmiens
et des Bornouans. Tous en désirent et nous offrent soit
des poules, soit des chèvres en échange.
Ils sont vraiment touchés de notre façon de faire, lorsque
nous leur disons que nous ne nous servons pas de ces
objets de piété pour faire nos transactions. Pas plus que les
Korans qui excitent également leur admiration, les chape-
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 245
Icls ne sont destinés à être vendus, nous les donnons à
nos amis. Celte déclaration nous vaut le soir un nombre
considérable d'amis.
Au coucher du soleil, le fils de Si Saïd vient nous faire
ses adieux. Il nous dit de ne nous préoccuper de quoi que
ce soit, ses compatriotes veilleront à ce que nous ne
manquions de rien et se mettront entièrement à noire
disposition. Il part comblé de cadeaux.
Nous comptions nous-mêmes quitter Koumra le lende-
main 2 novembre.
Avant le jour, nous sommes réveillés par un tapage
assourdissant à peu de distance du camp. Des cris stri-
dents, des coups de tambour prolongés, des hurlements
lugubres.
Le départ du fils de Si Saïd aurait-il fait changer les
dispositions de nos amis de la veille? Mal réveillés, à peine
vùlus, nous formons vivement le carré. Les cris continuent
plus aigus que tout à Theure. Ils viennent des cases du
chef, mais ne se rapprochent pas.
L'aube commence à poindre et les brouillards du matin
se dissipent peu à peu. Le village à peine éclairé prend
des leinles rosées et gaies, tandis que les feux qui s'étei-
gnent rougeoient de temps à autre lorsqu'un guerrier les
franchit d'un bond pour se précipiter vers les cases. Une
grande animation règne dans le village, les femmes pous-
sent de grands cris en levant les bras au ciel; des
enfants pleurent et se serrent contre leurs mères. Le soleil
vient bientôt éclairer celte scène, personne dans le village
ne paraît se douter de notre voisinage. Le guide lui-même,
qui nous avait promis d'être au camp à la pointe du jour,
246 AUTOUR DU TCHAD
se fait longuement attendre. Notre inquiétude a cessé...
il ne s'agit pas d'une attaque, mais nous ne pouvons
encore nous rendre compte de la cause de tout ce bruit.
Quelques Baghirmiens viennent enfin nous voir; deux
d'entre eux, qui paraissent les plus écoutés, nous rassurent.
J'ai tout d'abord un peu de peine à les comprendre :
réveillés depuis peu, ils ont mis dans leur bouche la pro-
vision de tabac de la journée et, comme la mastication ne
l'a pas encore réduile, ils ont de la peine à s'exprimer. Ils
nous engagent à passer la journée ici. Nous sommes arrivés
fort tard hier et l'on n'a pu nous fournir des provisions suf-
fisantes. Les cris que vous venons d'entendre sont motivés
par le décès de la femme du chef. Celui-ci n'a pu, hier,
nous rendre ses devoirs, mais il n'y manquera pas cette
après-midi. Enfin, musulmans et Saras sont encore sous
le coup de cet événement et seraient contrariés de quitter
aujourd'hui Koumra pour nous accompagner.
Ils nous prient d'ajourner notre départ à demain ; néan-
moins, si nous tenons essentiellement à nous mettre en
route, ils nous donneront des guides.
Nous déférons à leur désir et faisons remonter les tentes
abattues.
Quelque temps après, arrive un cortège imposant, c'est
le chef de Koumra qui vient nous faire sa visite. C'est
un beau vieillard, grand et bien bâti, superbement drapé
dans sa tunique d'investiture qu'il ne doit, sans doute,
revêtir que dans les grandes circonstances.
Ses deux fils, qui l'accompagnent, et son entourage
baghirmien et indigène semblent avoir pour lui une
grande vénération.
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 247
Il paraît très affecté de la perte de son épouse et nous
adresse seulement quelques paroles de bienvenue. Nous
échangeons les cadeaux d'usage. Il est, à n'en pas douter,
fort satisfait des présents que nous lui donnons, mais il
nous demande très timidement et comme une grande faveur
un chapelet de bois.
On lui donne Tobjet convoité et il se retire avec force
remerciements. L'un de ses fils, celui qui parait être
Taîné et le plus intelligent, entre en grand conciliabule
avec celui des Baghirmiens qui paraît le plus influent.
Celui-ci, avec bien des circonlocutions, nous explique que
le jeune homme voudrait lui aussi un chapelet.
Il nous dit que le vieux chef est allé à Massinia, mais
n'est pas musulman. Il désirait un chapelet parce que
« c'est bien porté » ; le fils, au contraire, a été élevé à Mas-
sinia et s'est converti à Tislamisme; nous faisons droite
sa demande.
Nous employons notre après-midi à visiter le village et
surtout à causer avec les Baghirmiens et les Bornouans.
L'idiome qu'ils emploient est identiquement semblable à
celui en usage en Algérie.
Les différences dialectales sont insignifiantes et échap-
pent môme toul d'abord.
Ils possèdent quelques chevaux assez bien soignés, mais
très petits de taille. Ils sont trapus et bien roulés, les
membres sont un peu massifs, mais nerveux. Us doivent
constituer d'excellentes bétes de corvée. Ceux de nos
camarades habitués aux fringants coursiers de France, les
regardent d'un air un peu dédaigneux. Il n'en est pas
moins vrai que ce sont des animaux nerveux, solides et
248 AUTOUR DU TCHAD
bien appropriés au pays. Ils ressemblent un peu à celle
race qui existe dans certaines régions de la Kabylie. Leur
tête, par exemple, est lourde et disproportionnée, et ce
manque de proportions choque au premier examen.
L'œil est vif et intelligent. Du reste nous voyons trop
peu de chevaux pour pouvoir nous livrer à une étude
sérieuse. Plus loin, paraît-il, nous en trouverons en
grande quantité. Quant à en acheter, il ne faut pas y
songer, nous disent les Baghirmiens. Ni maintenant, ni*
plus loin, les propriétaires ne consentiront à se défaire
même à des prix considérables, d'animaux qui leur ren-
dent tant de services, soit en temps de paix, soit en temp*
de guerre. Il paraît même que les tribus qui possèdent des
chevaux, veillent avec un soin jaloux à ce que les tribus
voisines ne puissent s'en procurer. La possession de ces
animaux leur donne, en lemps de guerre, une trop réelle
supériorité sur leurs voisins qui n'en possèdent pas.
Nous quittons Koumra conduits par un guide sara, qui
nous est donné par un des Baghirmiens nommé « Mallem »
Ali (Maître Ali). Il ne peut partir lui-même avec nous,,
mais nous rejoindra à notre campement. Nous rencontrons
quelques groupes d'habitations, faubourg de Koumra, el
nous marchons continuellement au milieu de champs fort
bien cultivés.
M. Maistre, très souffrant depuis Daï, est obligé de se
faire porter en hamac.
Nous passons près d'un groupe des plus animés installé
sous un beau sycomore. Des hommes, des femmes, des
enfants chantent et dansent au son des tambours, au milieu
d'épis de maïs et de mil dont la récolte parait fort abon-
LES VASSAUX DU BA6H1RMI 249
daute. C'est sans doute cet heureux événement que fêtent
ces braves gens. Deux chevaux, attachés au piquet, pous-
sent de joyeux hennissements, lorsque nous passons, et
nous font songer amèrement que TAIgérie est loin et que
nous ne sommes que de modestes piétons.
Nous traversons un immense village, extrêmement
propre, dont la place centrale est ornée d'un magnifique
sycomore. « Mallem » Ali, qui a dû faire la route à
cheval, nous rejoint; il nous présente un de ses compa-
triotes habitant le village et nous indique un excellent
emplacement de camp.
Bien reçus par le chef indigène, qui vient au milieu
de la nuit nous apporter un plantureux repas, nous quit-
tons le lendemain ce village, nommé Garnan-Toli.
A Martcaga, nous trouvons également bon accueil,
mais Teau est rare. Il faut la puiser dans un puits fort
profond et lorsque nos hommes ont fait leurs provisions,
il ne reste plus que de la boue.
Nous atteignons ensuite Gangara. M. Maistre est tou-
jours dans l'impossibilité de marcher et son état est loin
de s'améliorer; nous décidons cependant de pousser
jusqu'à Palcm, oii nous prendrons un jour de repos. Le
chef de Gangara, un superbe vieillard vêtu de la tunique
désormais classique, se joint à Mallem Ali pour nous
engager à nous diriger de préférence sur Palem. De
même que Si Saïd, ils nous disent que Goundi est, à l'heure
actuelle, un hameau n'offrant plus aucune ressource. « Le
chef de Palem, nous disent-ils, est évidemment plus
important que fortuné, mais il vous procurera tous les
ravitaillements que vous pourrez désirer. »
250 AUTOUR DU TCHAD
Nous traversons en ce moment la tribu des « Toum-
mocks » et nous ne nous en serions certes pas douté, si
nous n'eussions été prévenus. Le type, les- mœurs, les
coutumes sont presque absolument identiques à ceux des
Saras.
Le lendemain, peu de temps après notr^ départ, nous
traversons un petit cours d'eau peu important, nous che-
minons jusque vers onze heures et nous atteignons de
misérables plantations de mil et de sorgho disséminées
8ur une vaste étendue. Les guides nous engagent à ins-
taller notre campement sous un immense tamarin qui
ombrage un emplacement merveilleux. Nous voudrions
bien faire une plus longue étape, mais ils nous annoncent
la prochaine visite de personnages d'importance que nous
ne pouvons éviter.
Nous sommes bientôt entourés par une grande quan-
tité d'indigènes, un peu plus affinés, comme traits, que les
Saras. Leur physionomie semble plus intelligente et,
d'autre part, ils sont bien moins encombrants. Ils nous
regardent avec une curiosité qui n'est nullement indiscrète.
Ils sont assis en cercle et se communiquent leurs impres-
sions à voix basse. Ils opèrent quelques transactions avec
nos hommes, mais sans cris, posément, gravement.
Arrive enfin le chef de Beï, village situé à peu de dis-
tance de notre campement; il est accompagné de nom-
breux indigènes revêtus de tuniques et porte lui-même
avec aisance le vêtement baghirmien. Il parle assez cor-
rectement Tarabe. Notre détermination d'aller dans
rOuest Teffraie beaucoup pour nous. Il considère l'en-
treprise comme impossible. Il nous engage vivement
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 251
à aller à Massinia, dont il nous dépeint les splendeurs. Il
nous offre des présents superbes et, selon l'habitude ,
constatée depuis quelque temps, nous envoie au milieu de
la nuil un repas tout prêt pour nos hommes et deux
énormes cabris pour nous.
Le lendemain, tous viennent nous faire leurs adieux; on
voit qu'ils ont été élevés à Massinia, car ils épuisent, et
au delà, toutes les formules de la politesse orientale.
Après une marche assez longue, nous remarquons un
alignement de pieux surmontés chacun d'une marmite
renversée.
Nous traversons un marais large de 2 ou 300 mètres,
nous voyons un nouvel alignement de pieux semblable au
précédent.
Au bout de quelque temps, trois cavaliers se portent à
notre rencontre, puis, tournant bride, nous pilotent à
travers une série de plantations d'aspect misérable et
mal entretenues. Il est vrai de dire que la récolte vient
d'être enlevée.
Nos trois cavaliers ont encore le type sara, ils en ont
le costume, qui pour le moment leur sert surtout de selle,
car ils montent à cru, si leur tablier de aiir est considéré
comme vêtement. Sur leurs petits chevaux nerveux, dont
on n'aperçoit que la croupe, ces deux bronzes ressemblent
à des centaures. La bride est en cordelettes ou en cuir
tressé, le mors est remplacé par un caveçon en fer dentelé,
posé sur le chanfrein, et terminé par un anneau dans
lequel passe une corde, formant nœud coulant, et qui
constitue l'unique rêne. Leurs grandes jambes qui embras-
sent le corps du cheval sont de puissantes « aides » pour
252 AUTOUR DU TCHAD
maintenir Taniinal, el une lape de leur large main, appli-
quée sur la joue, est pour eux le moyen le meilleur de
diriger ces chevaux aussi dociles qu'ardents.
Barth et Nachtigal ont signalé une habitude que nous
n'avons constatée nulle part. D'après les illustres voya-
geurs, certaines peuplades entretiendraient avec soin, sur
le dos du cheval, deux énormes écorchures destinées à
assurer l'adhérence du cavalier. Nous n'avons vu rien de
semblable soit chez les Saras, les Toummocks ou les gens
de Laï qui possèdent une nombreuse cavalerie.
Beaucoup de chevaux reviennent souvent, après une
longue course, avec des écorchures sur le dos. Le cava-
lier lui-même en a sa part... mais ces blessures sont
accidentelles, le tablier de cuir interposé entre le cheval
et le cavalier forme souvent des plis, qui, lorsqu'on va
aux allures vives, ne tardent pas à occasionner des plaies.
Les propriétaires s'efforcent d'ailleurs de les faire dispa-
raître dès qu'ils les ont constatées.
Il est bon de noter que, comme l'Arabe, les Saras ou
les Toummocks n'hésitent pas à se servir d'un cheval
même assez sérieusement blessé. Ce n'est jamais que
dans des cas urgents, car, à mon avis, ils prennent plus
de soins pour leur compagnon de travail et de guerre que
TArabe n'en prend pour son légendaire coursier.
Nous cheminions dans des hautes herbes qui nous fai-
saient tristement songer aux énervants sentiers de la
route de Loango-Brazzavillc.
Tout à coup le paysage se transforme subitement,
comme dans un changement à vue.
Brusquement, presque brutalement, nous nous trouvons
LES VASSAUX DU BAGHIBMI 253
en présence d'une végiilalion absolument différente de
celle à laquelle nous étions habitués depuis quelques
mois : des palmiers nains en quantités considérables, d'im-
menses borassus qui atteignent des proportions que nous
ne connaissions pas; une sorte de lataniers, se dédoublant
imp d« Ntsbtigil.
à un mètre environ du sol, d'immenses sycomores, puis
la plaine inondée de lumière, sous un ciel d'un bleu
inconnu sur les bords du Congo et de l'Oubangui.
Le guide nous conduit auprès d'un puits. Nous le sui-
vons inconscients, machinalement, entièrement absorbés
par ce merveilleux spectacle. Les porteurs eux-mêmes,
gens peu contemplatifs de leur naturel, sont en admiration
devant ce tableau magninque.
254 AUTOUR DU TCHAD
C'était bien un décor de fête et c'en était une pour
nous... « Palem! vous êtes à Palem », nous dit le guide.
Je ne saurais décrire l'impression qui s'empara de
nous à cet instant. En 1873, il y a vingt ans, par con-
séquent, Nachtigal, un voyageur, qu'importe sa nationa-
lité : c'était un Européen, atteignait ce point. Il venait de
la Méditerranée. Mais, entre cette dernière étape de son
voyage vers le Sud, et TOubanghi, point extrême atteint
par les voyageurs venant du cap de Bonne-Espérance, il
existait sur la carte un grand blanc, plusieurs degrés,
absolument inconnus. Cette route, nous venions de la
parcourir les premiers, et, désormais, il n'exùtail aucune
interruption dans la chaîne des itinéraires européens
de la Méditerranée au cap de Bonne- Espérance,
La visite du chef met le comble à notre joie. C'est un
homme gros et fort, vêtu de la grande tunique indigo et
d'une calotte blanche. Il porte aux bras des bracelets en
cuivre, fort lourds et ornés de jolis dessins, parmi les-
quels un motif qui rappelle assez la « croix de Lorraine ».
Il est âgé d'environ soixante ans et porte une barbiche
qui le fait un peu ressembler à un joyeux Yankee.
A peine avons-nous échangé les salutations d'usage,
qu'il nous déclare voir des « blancs » pour la seconde fois.
a Du temps du sultan Mohammed Abbou Sekkin, nous
dit-il, un « blanc » comme vous est venu ici avec le
sultan. Ils se rendaient à Goundi et venaient de « Broto ».
Ils étaient fatigués parce qu'ils avaient livré un grand
combat à Koli, aussi ont-il passé la nuit à Palem. Us
étaient précisément campés à l'endroit où vous êtes, à
cause de la proximité du puits. »
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 255
Le vieux chef nous laisse à nos réllexions... Le pre-
mier moment de joie passé, nous songeons en effet à la
décision qu'il nous faut prendre maintenant, sans plus
tarder.
Nous passons une revue sérieuse du peu qui nous reste
de notre pacotille. Elle est insignifiante et au-dessous de
ce que nous supposions. Le sel même, cette denrée pré-
cieuse et introuvable dans ces régions où Ton n'en
fabrique que très peu et de qualité atroce, nous fera cer-
tainement défaut avant qu'il soit longtemps. Depuis Braz-
zaville nos hommes n'en ont pas eu la moindre parcelle. Il
est cerlain que, plus nous nous approcherons de Massinia,
et plus les étoffes seront demandées : or nous n'en avons
que quelques rares ballots, en mauvais état d'ailleurs.
Les perles, dont il nous reste une faible quantité, n'ont
point cours auprès des musulmans et ce sont précisément
les « baïakas » qui nous permettent de faire la solde de
nos hommes. S'il faut les payer en étoffes, nos ressources
seront épuisées avant un mois.
A notre grand regret, il nous faut renoncer à continuer
notre route vers le Nord. Chacun essaie de trouver une
combinaison pour retarder la marche vers l'Ouest; mais il
faut se rendre à l'évidence : l'importance de notre per-
sonnel paralyse nos moyens. Il n'est pas possible de nous
diviser, les dépenses seraient doublées et les calculs les
plus larges nous accordent juste les ressources suffisantes
pour atteindre TAdamaoua. en nous imposant les plus
rigoureuses économies et en admettant que nous n'ayons
pas à éprouver des retards considérables, comme il y a
toujours lieu d'en prévoir en voyage.
244 AUTOUR DU TCHAD
âgé de dix-huit à vingt ans, paraît très aimé et estime par-
tout où nous passons.
L*eau semble devenir très rare. A notre repas de
onze heures, nous avons toutes les peines du monde à
nous procurer un litre d'eau bourbeuse pour six Européens.
Vers midi, nous rencontrons de très belles plantations
et quelques petits groupes de cases.
A deux heures dix, nous nous installions sous un bouquet
d'arbres touffus, auprèt d'une assez forte agglomération
qui constitue le groupe central de Koumra. Le camp est
envahi par un grand nombre de Baghirmiens et de négo-
ciants du Bornou. Ces derniers sont d'une propreté
remarquable, ils parlent également Tarabe avec une
grande facilité.
Chose curieuse ! depuis Mandja-Tezzé, tous nos visiteurs,
indigènes ou musulmans, mâchent continuellement soit du
tabac, soit du sorgho sucré. « Le prophète, disent ces
musulmans, nous a défendu de fumer, mais il n'a point
interdit de mâcher du tabac. » Le sorgho sucré est très
agréable pour combattre la soif pendant les marches sans
eau; aussi, nous primes bientôt, tous, l'habitude d'en avoir
une grande provision pour notre route.
Nos chapelets d'ivoire et même les plus communs, en
bois vernis, ont un grand succès auprès des Baghirmiens
et des Bornouans. Tous en désirent et nous offrent soit
des poules, soit des chèvres en échange.
Ils sont vraiment touchés de notre façon de faire, lorsque
nous leur disons que nous ne nous servons pas de ces
objets de piété pour faire nos transactions. Pas plus que les
Korans qui excitent également leur admiration, les chape-
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 245
lels ne sont destinés à être vendus, nous les donnons à
nos amis. Cette déclaration nous vaut le soir un nombre
considérable d'amis.
Au coucher du soleil, le flis de Si Saïd vient nous faire
ses adieux. Il nous dit de ne nous préoccuper de quoi que
ce soit, ses compatriotes veilleront à ce que nous ne
manquions de rien et se mettront entièrement à noire
disposition. Il part comblé de cadeaux.
Nous comptions nous-mêmes quitter Koumra le lende-
main 2 novembre.
Avant le jour, nous sommes réveillés par un tapage
assourdissant à peu de distance du camp. Des cris stri-
dents, des coups de tambour prolongés, des hurlements
lugubres.
Le départ du lils de Si Saïd aurait-il fait changer les
dispositions de nos amis de la veille? Mal réveillés, à peine
velus, nous formons vivement le carré. Les cris continuent
plus aigus que tout à Theure. Ils viennent des cases du
chef, mais ne se rapprochent pas.
L'aube commence à poindre et les brouillards du matin
se dissipent peu à peu. Le village à peine éclairé prend
des teintes rosées et gaies, tandis que les feux qui s'étei-
gnent rougeoient de temps à autre lorsqu'un guerrier les
franchit d'un bond pour se précipiter vers les cases. Une
grande animalion régne dans le village, les femmes pous-
sent de grands cris en levant les bras au ciel; des
enfants pleurent et se serrent contre leurs mères. Le soleil
vient bientôt éclairer cette scène, personne dans le village
ne paraît se douter de notre voisinage. Le guide lui-même,
qui nous avait promis d'être au camp à la pointe du jour,
246 AUTOUR DU TCHAD
se fait longuement attendre. Notre inquiétude a cessé...
il ne s'agit pas d'une attaque, mais nous ne pouvons
encore nous rendre compte de la cause de tout ce bruit.
Quelques Baghirmiens viennent enfin nous voir; deux
d'entre eux, qui paraissent les plus écoutés, nous rassurent.
J ai tout d'abord un peu de peine à les comprendre :
réveillés depuis peu, ils ont mis dans leur bouche la pro-
vision de tabac de la journée et, comme la mastication ne
l'a pas encore réduite, ils ont de la peine à s'exprimer. Ils
nous engagent à passer la journée ici. Nous sommes arrivés
fort tard hier et l'on n'a pu nous fournir des provisions suf-
fisantes. Les cris que vous venons d'entendre sont motivés
par le décès de la femme du chef. Celui-ci n'a pu, hier,
nous rendre ses devoirs, mais il n'y manquera pas cette
après-midi. Enfin, musulmans et Saras sont encore sous
le coup de cet événement et seraient contrariés de quitter
aujourd'hui Koumra pour nous accompagner.
Ils nous prient d'ajourner notre départ à demain ; néan-
moins, si nous tenons essentiellement à nous mettre en
route, ils nous donneront des guides.
Nous déférons à leur désir et faisons remonter les tentes
abattues.
Quelque temps après, arrive un cortège imposant, c'est
le chef de Koumra qui vient nous faire sa visite. C'est
un beau vieillard, grand et bien bâti, superbement drapé
dans sa tunique d'investiture qu'il ne doit, sans doute,
revêtir que dans les grandes circonstances.
Ses deux fils, qui l'accompagnent, et son entourage
baghirmien et indigène semblent avoir pour lui une
grande vénération.
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 247
Il parait très affecté de la perte de son épouse et nous
adresse seulement quelques paroles de bienvenue. Nous
échangeons les cadeaux d'usage. Il est, à n'en pas douter,
fort satisfait des présents que nous lui donnons, mais il
nous demande très timidement et comme une grande faveur
un chapelet de bois.
On lui donne Tobjet convoité et il se retire avec force
remerciements. L'un de ses fils, celui qui paraît être
Taîné et le plus intelligent, entre en grand conciliabule
avec celui des Baghirmiens qui paraît le plus influent.
Celui-ci, avec bien des circonlocutions, nous explique que
le jeune homme voudrait lui aussi un chapelet.
Il nous dit que le vieux chef est allé à Massinia, mais
n'est pas musulman. Il désirait un chapelet parce que
« c'est bien porté » ; le fils, au contraire, a été élevé à Mas-
sinia et s'est converti à l'islamisme; nous faisons droite
sa demande.
Nous employons notre après-midi à visiter le village et
surtout à causer avec les Baghirmiens et les Bornouans.
L'idiome qu'ils emploient est identiquement semblable à
celui en usage en Algérie.
Les différences dialectales sont insignifiantes et échap-
pent môme tout d'abord.
Ils possèdent quelques chevaux assez bien soignés, mais
très petits de taille. Ils sont trapus et bien roulés, les
membres sont un peu massifs, mais nerveux. Ils doivent
constituer d'excellentes bétcs de corvée. Ceux de nos
camarades habitués aux fringants coursiers de France, les
regardent d'un air un peu dédaigneux. Il n'en est pas
moins vrai que ce sont des animaux nerveux, solides et
248 AUTOUR DU TCHAD
bien appropriés au pays. Ils ressemblent un peu à cette
race qui existe dans certaines régions de la Kabylie. Leur
tête, par exemple, est lourde et disproportionnée, et ce
manque de proportions choque au premier examen.
L'œil est vif et intelligent. Du reste nous voyons trop
peu de chevaux pour pouvoir nous livrer à une étude
sérieuse. Plus loin, paraît-il, nous en trouverons en
grande quantité. Quant à en acheter, il ne faut pas y
songer, nous disent les Baghirmiens. Ni maintenant, ni*
plus loin, les propriétaires ne consentiront à se défaire
même à des prix considérables, d'animaux qui leur ren-
dent tant de services, soit en temps de paix, soit en temp^
de guerre. Il paraît même que les tribus qui possèdent des
chevaux, veillent avec un soin jaloux à ce que les tribus
voisines ne puissent s'en procurer. La possession de ces
animaux leur donne, en temps de guerre, une trop réelle
supériorité sur leurs voisins qui n'en possèdent pas.
Nous quittons Koumra conduits par un guide sara, qui
nous est donné par un des Baghirmiens nommé « Mallem )y
Ali (Maître Ali). 11 ne peut partir lui-même avec nous^
mais nous rejoindra à notre campement. Nous rencontrons
quelques groupes d'habitations, faubourg de Koumra, et
nous marchons continuellement au milieu de champs fort
bien cultivés.
M. Maistre, très souffrant depuis Daï, est obligé de se
faire porter en hamac.
Nous passons près d'un groupe des plus animés installé
sous un beau sycomore. Des hommes, des femmes, des
enfants chantent et dansent au son des tambours, au milieu
d'épis de maïs et de mil dont la récolte parait fort abon-
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 249
daute. C'est sans doute cet heureux événement que fêtent
ces braves gens. Deux chevaux, attachés au piquet, pous-
sent de joyeux hennissements, lorsque nous passons, et
nous font songer amèrement que TAlgérie est loin et que
nous ne sommes que de modestes piétons.
Nous traversons un immense village, extrêmement
propre, dont la place centrale est ornée d'un magnifique
sycomore. « Mallem » Ali, qui a dû faire la route à
cheval, nous rejoint; il nous présente un de ses compa-
triotes habitant le village et nous indique un excellent
emplacement de camp.
Bien reçus par le chef indigène, qui vient au milieu
de la nuit nous apporter un plantureux repas, nous quit-
tons le lendemain ce village, nommé Garnan-Toli.
A Marlcaga, nous trouvons également bon accueil»
mais l'eau est rare. Il faut la puiser dans un puits fort
profond et lorsque nos hommes ont fait leurs provisions,
il ne reste plus que de la boue.
Nous atteignons ensuite Gangara. M. Maistre est tou-
jours dans l'impossibilité de marcher et son état est loin
de s^améliorer; nous décidons cependant de pousser
jusqu'à Palem, où nous prendrons un jour de repos. Le
chef de Gangara, un superbe vieillard vêtu de la tunique
désormais classique, se joint à Mallem Ali pour nous
engager à nous diriger de préférence sur Palem. De
même que Si Saïd, ils nous disent que Goundi est, à l'heure
actuelle, un hameau n'offrant plus aucune ressource. « Le
chef de Palem, nous disent-ils, est évidemment plus
important que fortuné, mais il vous procurera tous les
ravitaillements que vous pourrez désirer. »
250 AUTOUR DU TCHAD
Nous traversons en ce moment la tribu des « Toum-
mocks » et nous ne nous en serions certes pas douté, si
nous n'eussions été prévenus. Le type, les- mœurs, les
coutumes sont presque absolument identiques à ceux des
Saras.
Le lendemain, peu de temps après nolr^ départ, nous
traversons un petit cours d'eau peu important, nous che-
minons jusque vers onze heures et nous atteignons de
misérables plantations de mil et de sorgho disséminées
sur une vaste étendue. Les guides nous engagent à ins-
taller notre campement sous un immense tamarin qui
ombrage un emplacement merveilleux. Nous voudrions
bien faire une plus longue étape, mais ils nous annoncent
la prochaine visite de personnages d'importance que nous
ne pouvons éviter.
Nous sommes bientôt entourés par une grande quan-
tité d'indigènes, un peu plus affinés, comme traits, que les
Saras. Leur physionomie semble plus intelligente et,
d'autre part, ils sont bien moins encombrants. Ils nous
regardent avec une curiosité qui n'est nullement indiscrète.
Ils sont assis en cercle et se communiquent leurs impres-
sions à voix basse. Ils opèrent quelques transactions avec
nos hommes, mais sans cris, posément, gravement.
Arrive enfm le chef de Beï, village situé à peu de dis-
tance de noire campement; il est accompagné de nom-
breux indigènes revêtus de tuniques et porte lui-même
avec aisance le vêtement baghirmien. 11 parle assez cor-
rectement l'arabe. Notre détermination d'aller dans
l'Ouest l'effraie beaucoup pour nous. Il considère l'en-
treprise comme impossible. 11 nous engage vivement
LES VASSAUX DU BAGHIRMl 251
à aller à Massinia, dont il nous dépeint les splendeurs. II
nous offre des présents superbes et, selon Thabitude,
constatée depuis quelque temps, nous envoie au milieu de
la nuit un repas tout prêt pour nos hommes et deux
énormes cabris pour nous.
Le lendemain, tous viennent nous faire leurs adieux; on
voit qu'ils ont été élevés à Massinia, car ils épuisent, et
au delà, toutes les formules de la politesse orientale.
Après une marche assez longue, nous remarquons un
alignement de pieux surmontés chacun d'une marmite
renversée.
Nous traversons un marais large de 2 ou 300 mètres,
nous voyons un nouvel alignement de pieux semblable au
précédent.
Au bout de quelque temps, trois cavaliers se portent à
noire rencontre, puis, tournant bride, nous pilotent à
travers une série de plantations d'aspect misérable et
mal entretenues. Il est vrai de dire que la récolte vient
d'elre enlevée.
Nos trois cavaliers ont encore le type sara, ils en ont
le costume, qui pour le moment leur sert surtout de selle,
car ils montent à cru, si leur tablier de cuir est considéré
comme vêtement. Sur leurs petits chevaux nerveux, dont
on n'aperçoit que la croupe, ces deux bronzes ressemblent
à des centaures. La bride est en cordelettes ou en cuir
tressé, le mors est remplacé par un caveçon en fer dentelé,
posé sur le chanfrein, et terminé par un anneau dans
lequel passe une corde, formant nœud coulant, et qui
constitue l'unique rêne. Leurs grandes jambes qui embras-
sent le corps du cheval sont de puissantes « aides » pour
252 AUTOUR DV TCHAD
maintenir Tanimal, el une tape de leur large main, appli-
quée sur la joue, est pour eux le moyen le meilleur de
diriger ces chevaux aussi dociles qu'ardents.
Barth et Nachtigal ont signalé une habitude que nous
n'avons constatée nulle part. D'après les illustres voya-
geurs, certaines peuplades entretiendraient avec soin, sur
le dos du cheval, deux énormes écorchures destinées à
assurer l'adhérence du cavalier. Nous n'avons vu rien de
semblable soit chez les Saras, les Toummocks ou les gens
de Laï qui possèdent une nombreuse cavalerie.
Beaucoup de chevaux reviennent souvent, après une
longue course, avec des écorchures sur le dos. Le cava-
lier lui-même en a sa part... mais ces blessures sont
accidentelles, le tablier de cuir interposé entre le cheval
et le cavalier forme souvent des plis, qui, lorsqu'on va
aux allures vives, ne tardent pas à occasionner des plaies.
Les propriétaires s'efforcent d'ailleurs de les faire dispa-
raître dès qu'ils les ont constatées.
Il est bon de noter que, comme l'Arabe, les Saras ou
les Toummocks n'hésitent pas a se servir d'un cheval
même assez sérieusement blessé. Ce n'est jamais que
dans des cas urgents, car, à mon avis, ils prennent plus
de soins pour leur compagnon de travail et de guerre que
TArabe n'en prend pour son légendaire coursier.
Nous cheminions dans des hautes herbes qui nous fai-
saient tristement songer aux énervants sentiers de la
route de Loango-Brazzaville.
Tout à coup le paysage se transforme subitement,
comme dans un changement à vue.
Brusquement, presque brutalement, nous nous trouvons
LES VASSAUX DU BAGHIHMI
253
en présence d'une végélalion absolument différenle de
celle à laquelle nous étions habitués depuis quelques
mois : des palmiers nains en quantités considérables, d'im-
menses borassus qui atteignent des proportions que nous
ne connaissions pas; une sorte de lataniers, se dédoublant
|i d« Nacbtigti.
à un mètre environ du sol, d'immenses sycomores, puis
la plaine inondée de lumière, sous un ciel d'un bleu
inconnu sur les bords du Congo et de l'Oubangui.
Le guide nous conduit auprès d'un puits. Nous le sui-
vons inconscients, machinalement, entièrement absorbés
par ce merveilleux spectacle. Les porteurs eux-mêmes,
gens peu conlemplatifs de leur naturel, sont en admiration
devant ce tableau magnifique.
254 AUTOUR DU TCHAD
C'était bien un décor de fête et c'en était une pour
nous... « Palem! vous êtes à Palem », nous dit le guide.
Je ne saurais décrire Timpression qui s'empara de
nous à cet instant. En 1873, il y a vingt ans, par con-
séquent, Nachligal, un voyageur, qu'importe sa nationa-
lité : c'était un Européen, atteignait ce point. Il venait de
la Méditerranée. Mais, entre cette dernière étape de son
voyage vers le Sud, el TOubanghi, point extrême atteint
par les voyageurs venant du cap de Bonne-Espérance, il
existait sur la carte un grand blanc, plusieurs degrés,
absolument inconnus. Celte route, nous venions de la
parcourir les premiers, et, désormais, il n'existait aucune
intejTuption dans la chaîne des itinéraires européens
de la Méditerraiiée au cap de Bonne- Espérance.
La visite du chef met le comble à notre joie. C'est un
homme gros el fort, vêtu de la grande tunique indigo et
d'une calotte blanche. Il porte aux bras des bracelets en
cuivre, fort lourds et ornés de jolis dessins, parmi les-
quels un molif qui rappelle assez la « croix de Lorraine ».
Il est âgé d'environ soixante ans et porte une barbiche
qui le fait un peu ressembler à un joyeux Yankee.
A peine avons-nous échangé les salutations d'usage,
qu'il nous déclare voir des « blancs » pour la seconde fois.
« Du temps du sultan Mohammed Abbou Sekkin, nous
dît-il, un <( blanc » comme vous est venu ici avec le
sultan. Ils se rendaient à Goundi et venaient de « Broto ».
Ils étaient fatigués parce qu'ils avaient livré un grand
combat à Koli, aussi ont-il passé la nuit à Palem. Ils
étaient précisément campés à Tendroit oii vous êtes, à
cause de la proximité du puits. »
LES VASSAUX DU BAGHIRMI 255
Le vieux chef nous laisse à nos réflexions... Le pre-
mier moment de joie passé, nous songeons en effet à la
décision qu'il nous faut prendre maintenant, sans plus
larder.
Nous passons une revue sérieuse du peu qui nous reste
de notre pacotille. Elle est insignifiante et au-dessous de
ce que nous supposions. Le sel même, celte denrée pré-
cieuse et introuvable dans ces régions où Ton n'en
fabrique que très peu et de qualité atroce, nous fera cer-
tainement défaut avant qu'il soit longtemps. Depuis Braz-
zaville nos hommes n'en ont pas eu la moindre parcelle. Il
est certain que, plus nous nous approcherons de Massinia,
et plus les étoffes seront demandées : or nous n'en avons
que quelques rares ballots, en mauvais état d'ailleurs.
Les perles, dont il nous reste une faible quantité, n'ont
point cours auprès des musulmans et ce sont précisément
les « baïakas » qui nous permettent de faire la solde de
nos hommes. S'il faut les payer en étoffes, nos ressources
seront épuisées avant un mois.
A notre grand regret, il nous faut renoncer à continuer
notre route vers le Nord. Chacun essaie de trouver une
combinaison pour retarder la marche vers l'Ouest; mais il
faut se rendre à l'évidence : l'importance de notre per-
sonnel paralyse nos moyens. Il n'est pas possible de nous
diviser, les dépenses seraient doublées et les calculs les
plus larges nous accordent juste les ressources suffisantes
pour atteindre PAdamaoua, en nous imposant les plus
rigoureuses économies et en admettant que nous n'ayons
pas à éprouver des retards considérables, comme il y a
toujours lieu d'en prévoir en voyage.
256 AUTOUR DU TCHAD
Puisqu*il nous fallait songer au retour, nous décidâmes
de gagner TAdamaoua en passant par Laï et le sud du
Toubouri, suivant ainsi une route complètement inconnue
jusqu'à ce jour.
De cette façon, notre retour forcé servait encore la
science géographique.
De la Kemo à Palem et de Palem à TAdamaoua, nous
aurions ainsi tracé un itinéraire dans des régions absolu-
ment inexplorées.
CHAPITRE Xlll
A TRAVERS L'I.^COIVrVU
Dépari vers l'Ouesl. — ^^ L'eau se fait rare. — Négociants de Karnak-
Logone. — Modaguéné. — La vallée du Logone. — Les Gaberis.
— Arrivée à Lai.
Le 9 novembre, nous quittons Palem et nous nous enga-
geons de nouveau vers l'inconnu. « Mallem » Ali, qui
est venu nous faille ses adieux, nous détourne d'aller à
« Koli », ainsi que nous en avions formé le projet. A son
avis, il serait préférable pour nous de nous rendre à
Palpai, où nous trouverons beaucoup plus de ressources.
Nous suivons son conseil et après une rude étape nous
arrivons auprès d'un puits. Le mauvais état des planta-
tions nous fait mal augurer du village de Palpai. A notre
arrivée, quelques indigènes font une partie d* « osselets ».
Les enjeux sont des bouquets d'épis de mil blanc.
Comme tous les noirs, ils apportent une grande atten-
tion à leur jeu. Ils paraissent fort peu se soucier de notre
présence. En revancbe, ils accueillent très volontiers un
de nos porteurs, enragé joueur, qui leur propose une
partie.
p. Brunache. 17
258 AITOUR DU TCHAD
L'un d'eux va cependant prévenir le chef, qui arrive
peu de temps après. Il est beaucoup moins avenant que
ceux chez lesquels nous avons fait séjour. Il ne serait
même pas fAché de nous voir continuer noire route.
Néanmoins, vers le milieu de la nuit, il nous envoie le
traditionnel repas composé d'une sorte de sauce verte et
gluante et de bouillie de mil remplaçant le pain. C'est, à
n'en pas douter, un usage emprunté aux musulmans, la
« diffa » de nos Arabes algériens.
Le lendemain, nous arrivons sans incident à Moguéna,
gros village disséminé dans les plantations et sous de
grands et beaux arbres.
A peine avons-nous installé notre camp qu'un groupe
de Baghinniens vient nous rendre visite. Avec eux un
homme à figure ouverte et intelligente, portant le simple
costume des indigènes, nous explique, dans un arabe
assez pur, qu'ils sont négociants et viennent de Karnak-
Logone. En passant dans le pays des Somraïs, ils ont été
malmenés et pillés. Ils se sont réfugiés ici, mais ils sont
maintenant sans ressources. Si nous remontons vers le
Nord, ils sollicitent la faveur de se joindre à notre cara-
vane. Ils nous engagent vivement à éviler la tribu des
Somraïs.
Notre homme lit couramment le Koran dans un exem-
plaire en langue arabe que nous lui mettons sous les yeux,
il prétend avoir visité le Maroc et Tripoli.
Avant de nous engager en pays inconnu, nous voulions
faire de sérieuses provisions, mais Moguéna, malgré son
importance relative, offrait peu de ressources.
Les arachides sont extrêmement rares. Les noix de
A TRAVERS LINCONNU 259
lerre et les haricots sont presque inconnus. Le mil seul
et le maïs se trouvent encore facilement.
Nos hommes font de grandes provisions de « karity », ce
beurre végétal dont on a fait si grand cas en Europe dans
ces derniers temps. Malgré la disette dans laquelle nous
nous trouvons, tous les Européens préfèrent de beaucoup
des aliments simplement bouillis à cette horrible mixture
véritablement écœurante. En revanche, nous aUmentons
notre lampe avec et nous obtenons des résultats des plus
satisfaisants.
Le pays ne présente rien de particulier à aucun point
de vue.
Le merveilleux paysage qui nous avait tous charmés à
Palem cesse à quelques kilomètres à l'ouest de ce
point. C'est, à peu de chose près, la même végétation
qu'entre Daï et Koumra. Les chemins sont maintenant
très praticables, légèrement sablonneux el d'une largeur
raisonnable.
Nous ne rencontrons plus le moindre marais, les creux
même sont absolument secs. Il n'en eût pas été ainsi,
sans doute, quelque temps auparavant. Il y a lieu de
remarquer en effet que depuis le mois d'octobre nous
sommes dans la saison sèche.
Le 13 décembre, nous quittons Mogucna.
Nos guides sont en retard et paraissent peu enthou-
siasmés de pousser plus loin. Nous suivons une route
excellente et nous installons notre camp au milieu d'un
petit village composé seulement de quelques joUes cases
neuves et d'aspect tout à fait riant.
Le chef, un vieillard un peu cassé, mais à figure fort
260 AUTOUR DV TCHAD
avenante, nous a installés auprès du puits, dans une plan-
talion d'arachides et de patates douces. Nous lui faisons
remarquer que ses cultures en souffriront : il n'en a cure,
l'essentiel, pour lui, est que nous soyons bien installés.
Nous contemplons un coquet petil tableau fort heureu-
sement éclairé par les feux du soleil couchant : à deux cents
mètres de nous, devant deux ou trois cases tapissées de
plantes grimpantes, quatre ou cinq jeunes et jolies femmes
pilent du mil en des mouvements qui font valoir leurs
formes gracieuses ; deux vieilles, assises à croupetons,
toutes ridées, à la peau rèche et presque grise, effilochent
(lu colon, tout en devisant 1res gravemenl. Un vieillard
encore solide et bien rûblé, nonchalemment étendu sur
une sorle de chaise longue en bois sculpté, fume sa pipe
tout en surveillant les ébats de jeunes marmots qui, dans
une bousculade générale, vont rouler jusque sous les pieds
(Fun petit cheval bai brun attaché près d'une case. Il est
de la famille, ce petit poney, beaucoup plus fin et plus élé-
gant que ceux rencontrés jusqu'ici. Il contemple de son
«eil doux les cabrioles de ses jeunes amis, tout en taqui-
nant sa corbeille de paille. Celte scène respire la paix la
plus complète.
Tout à coup les femmes poussent un grand cri; le vieux
fumeur se redresse, comme mû par un ressort, et dégaine
le grand coutelas qui lui pend au côté....
Un homme s*est élancé de la brousse, un couteau à la
main, il a coupé net la corde qui retenait le cheval, d'un
bond il l'enfourchait et disparaissait au galop. Le vieillard,
impuissant, appelait à l'aide, tandis que les femmes gémis-
saient et se lamentaient
A TRAVERS L'INCONNU 261
Quelques jeunes gens montent à cheval pour se mettre
à la poursuite du voleur, mais ils ignorent à quel village
il appartient et ils rentrent bientôt, après une course
inutile.
Ces vols sont, paraît-il, très fréquents dans la région.
Nous avons tort, nous dit le vieux chef, d'aller chez ces tri-
bus pillardes et peu hospilalières qui ne vivent que de
meurtres et de rapines.
Nous n'en faisons pas moins, le lendemain, une forte
étape vers TOuest. Nous traversons un champ envahi par
les criquets, qui seront bientôt des sauterelles semblables à
celles remarquées à Garenki.
Nous campons, le 15, à Garbio, après une sérieuse
marche. Un de nos bons Sénégalais, le caporal Alioun, le
seul et unique Peul de race pure qui soit avec nous, rela-
tivement lettré, et appartenant à une bonne famille du
Sénégal, est sérieusement malade et vient grossir le
nombre des traînards. Nos hommes sont très fatigués et
ont de la peine à suivre.
Le pays n'offre rien de bien intéressant. Les types chan-
gent, mais ne présentent rien de caractéristique, les indi-
gènes sont beaucoup moins forts que les Saras. Ils sont
moins lourds et plus vifs, mais paraissent cependant plus
frustes. Les femmes viennent à la fontaine près du camp :
les ornements de lèvres qui avaient à peu près disparus
semblent vouloir reparaître. C'est là tout ce qu'elles ont
de remarquable.
La figure ci-après représente les plus répandus : l'un,
le numéro 1, est en filigrane d'étain; le numéro 2 est en
bois tendre, orné quelquefois sur la tranche d'une mince
262 AUTOUR DU TCHAD
plaque il'étain. Le numéro 3 est enlièrement en étain et se
place dans les narineit.
Nos hommes onl acheté une sorte de petits tubercules
qui rappellent, à s'y méprendre, les pommes de terre de
France. Très farineux, fondant, très agréable au goût,
c'est pour nous biemâl l'un des gros appoints de notre
alimenlalion. Les poules et les chèvres se font tous ks
jours plus rares et, dans notre marche en caravane
bruyante, avec des allures relativement assez rapides, il ne
faut guère songer à la chasse.
D'ailleurs !e gibier ne parait guère abondant depuis
longtemps déjà. Avant le Gribingui nos Sénégalais avaient
pu quelquefois nous tuer des antilopes. Les pintades fai-
saient de temps à autre connaissance avec notre cuisinier,
et les singes eux-mêmes nous avaient fourni quelques durs
et minuscules biftecks. Pour le moment, nous ne rencon-
trions que des tourterelles. C'est un gibier que nous avons
A TRAVERS L'INCONNU 263
trouvé partout en grande abondance pendant notre
Voyage. Mais notre provision de cartouches était aussi
restreinte que notre pacotille, il nous fallait les réserver
pour du gibier un peu plus volumineux.
Le 17, nous campons à Kariatou. La route est bonne,,
d'ailleurs, depuis Gako. Nous nous sommes élevés insensi-
blement et, si Taltilude n'est pas exagérée, du moins
sommes-nous fondés à supposer que le bassin du Logone
est séparé de celui du Chari par une série de petits pla-
teaux qui suivent une direction générale N.-O.-S.-O. La
température baisse sensiblement; il n*est pas rare, le
matin, de constater seulement -h 11° et même -+- 10**,
température que nous n'avions jamais eue sur TOubangui,
pendant les plus grands froids, où le thermomètre descen-
dait à peine à -4- 13°. .
En quittant Kariatou, nous nous engageons dans une
région relativement intéressante; elle paraît fertile et
peuplée. Les borassus forment des bouquets fort drus
et de la plus belle venue. Quelques palmiers à noix
comestibles et un arbuste très en honneur dans les vil-
lages de la forêt de Mayombe, constituent également des
groupes du meilleur effet.
Nous atteignons Modaguéné, village important, dont
laspecl nous surprend un peu. Les habitations paraissent
plus soignées que celles des Saras. Les parois, hautes de
deux mètres environ, sont en argile, le toit conique est en
chaume choisi et soigneusement coupé.
Les cultures paraissent fort bien entretenues.
Le mil, le sorgho, le maïs sont plantés en sillons que
Ton croirait tracés au cordeau, chaque pied est sarclé et
264 AUTOUR DU TCHAD
butté. Les arachides et les patates douces forment des
petits jardinets entourés de plants de tabac.
Dans le village, de nombreux greniers à mil d'une
forme particulière : c'est une sorte d'énorme bouteille en
argile avec une ouverture au sommet. Un couvercle mobile
en chaume, de forme conique, sert de toiture. Comme tou-
jours, le grenier est élevé à une certaine hauteur au-dessus
du sol. Enfin des poules et des chèvres, en assez grande
quantité, picorent dans les cours.
Le type des habitants s'est également modifié, ils sont
plus sveltes, moins massifs, mais leur physionomie ne
présente pas de caractère bien accusé.
Les hommes portent toujours le tablier de cuir des
Saras. Ils ont une coiffure assez originale : le front est rasé
en triangle comme le font les Banziris et, sur le sommet
du crâne, une touffe de cheveux assez longs et ébouriffés
ou un petit chignon.
Les femmes, sans être jolies, sont assez gracieuses.
Elles portent pour tout vêtement des ceintures en cauris .
ou en perles de fer; elles viennent au camp vendre des
denrées et accueillent avec un profond dédain les propos
inconvenants de nos hommes, qu'elles considèrent comme
des esclaves. Modaguéné est un des premiers villages de
la tribu des « Gaberis ». A partir de ce point, nous péné-
trons dans la vallée du Logone.
Les nombreux poissons fumés de dimensions assez
sérieuses que Ton vend dans le village, attestent que nous
devons approcher d'un cours d'eau très important.
Aux abords de Modaguéné on trouve une grande quantité
de pigeons appartenant à l'espèce connue des Européens
il
A TRAVERS L'INCONNU 265
du Congo SOUS le nom de « pigeons verts ». Ceux-ci ont
en plus, à la pointe des ailes et à la queue, de larges plaques
d'un jaune extrêmement brillant.
Le 19 et le 20, nous rencontrons de nombreux villages
le long de notre route. Tous sont entourés d'un mur de
terre et d'un fossé. Les cases sont fort rapprochées, les
greniers à mil nombreux; la population paraît très dense,
enfin le nombre des chevaux nous semble considérable-
ment augmenté.
De « Kiéné », où nous avions couché, nous devions
nous rendre directement à Laï, au dire des indigènes qui
consentaient à nous servir de guides. Les événements nous
obligèrent à nous arrêter à Djounou.
En effet, depuis le départ de Kiéné, des Sénégalais et
des porteurs se plaignaient de violentes douleurs d'en-
trailles et, malgré le désir, qu'ils partageaient avec nous,
de goûter un juste repos dans un centre aussi important
que Laï, ils allaient peu à peu grossir le nombre des
traînards.
Nous faisions de fréquentes halles pour leur permettre
de rejoindre, car, si dans le nombre se trouvaient quelques
porteurs considérés comme très mauvais sujets, les autres
étaient en majeure partie des gens qui nous avaient rendu
de réels services.
Nous avions laissé avec eux quelques Sénégalais d'es-
corte. Arrivés sous les murs de Djounou, village très
important, où nous comptions faire une simple halte, nos
camarades de l'arrière-garde nous préviennent que le
nombre des traînards augmente et qu'il serait peut-être
imprudent de pousser plus loin. On a dû laisser des
266 AUTOUR DU TCHAD
charges en route, sous la garde de Sénégalais, afin de sou-
lager des porteurs trop fatigués. Après avoir choisi un
emplacement de camp, nous nous disposons à monter les
tentes et à envoyer des porteurs prendre les charges
restées en arrière. A ce moment, l'un des hommes chargés
de la garde des bagages, laissés à trois kilomètres environ
de l'endroit où nous nous trouvons, vient nous prévenir
que deux de ses camarades ont été assassinés.
Clozel, Briquez et M. Bonnel de Mézières se rendent
immédiatement sur les lieux avec quinze hommes pour
réunir les traînards, inhumer les deux cadavres et se
rendre compte de ce qui s'est passé.
Nos camarades rentrent au coucher du soleil, avec une
partie des traînards, les colis et Tescorte. Outre les deux
malheureuses victimes, le caporal Alioun et Mahmadou
Médina, qui ont été atrocement mutilés, cinq porteurs
manquent à Tappel.
Les renseignements recueillis par nos amis et ceux
fournis par l'un des Sénégalais qui accompagnaient le
caporal Alioun semblent démontrer que la petite troupe a
été assaillie par une bande de pillards qui Ta attaquée pour
la voler. Ce sont des cavaliers qui devaient suivre les traî-
nards depuis longtemps, cherchant une occasion, qui ont
fait le coup.
Alioun et Mahmadou Médina ont été tués alors qu'ils
s'étaient arrêtés pour se désaltérer dans une petite mare.
Surpris, ils n'ont pas pu faire usage de leurs armes, ni
pousser un seul cri. Leurs compagnons ont continué leur
route sans se douter de ce qui se passait à quelques cen-
taines de mètres en arrière dans les hautes herbes. Leurs
A TRAVERS L'INCONNC 267
cadavres avaient été absolument dépouillés et laissés nus.
Nos camarades les firent ensevelir.
Au milieu de la nuit, nous eûmes une alerte et une
autre ù la pointe du jour. Elles n'étaient pas justifiées.
Nous avions toutes sortes de bonnes raisons de nous
méfier des gens de
Djounou; j'avoue
qu'au point du jour,
en entendant leurs
appeb, leurs coups
de siffielselen voyant
l'animation qui ré-
gnait dans le village,
à une heure aussi
matinale, je ne dou-
tais pas que nous
serions at laqués. 11
n'en fui rien heureu-
sement.
J'aicru tout d'abord
à la complicité des
habitants de Djounou
dans le meurtre de nos traînards et je doutais fort de
leurs bonnes dispositions à notre égard.
A l'heure actuelle, je ne serais pas éloigné de croire que
ce crime n'est dil qu'à quelques coupeurs de routes, qui
dépouillent leurs compatriotes aussi bien que les voya-
geurs.
Les habitants de Djounou ont appris l'événemenl avant
nous, et, craignant d'être soupçonnés, ils se sont tenus
tSi^v
?68 AUTOUR DU TCHAD
sur la défensive. — Une tentative de notre part aurait
certainement amené une entente amicale.
Au moment du départ nous n'avions pas eu le temps
de faire ces réflexions; aussi, craignant une attaque, noiks
nous mîmes en marche en colonne serrée. A chaque halte,
nous formions le carré, les porteurs au centre. Dans les
herbes qui nous environnaient, une longue file de piétons
comme la nôtre, lourdement chargée, eût été une proie
facile, malgré ses armes perfectionnées, pour la nombreuse
cavalerie des Gaberis.
Les Sénégalais comprenaient l'infériorité de cette
poignée de fantassins, et nos porteurs, dont la plupart
n'avaient jamais vu de chevaux, dissimulaient mal leur
inquiétude. La marche était silencieuse et lente. Nous
cheminions à travers des champs de maïs, de sorgho ou
de mil, dont les sillons réguliers s'étendaient dans fim-
mense plaine jusqu'à Thorizon.
Çà et là, dans ces magnifiques cultures, des groupes de
femmes récollent les arachides qui poussent entre les
sillons.
Sur d'immenses termitières, comme nous n'en avions
encore jamais vu, des guerriers les surveillent ou
observent nos mouvements. Ils n'ont pas l'air hostile sous
le clair soleil qui met en valeur les lignes souples de leur
buste cambré.
Presque tous nous saluent du traditionnel « El Afia >s
mais, immédiatement après notre passage, ils descendent
de leur observatoire et se replient vers la ville que nos
guides nous montrent dans le lointain.
Avec beaucoup de peine, nous apercevons en effet, sous
A TRAVERS L'INCONNU 263
unu brume légère, d'un bleu irausparcnl, une ligne
^risc, dentelée, qui borne l'horizon.
C'est la ville.... De temps à autre, nous devinons de
svelies borassus qui s'élanccnl du milieu des groupes de
Les plantations cessent et devant nous s'étend une vaste
plaine, limitée seulement par la ville qui parait immense.
De gigantesques sycomores, des baobabs qui semblent des
arbustes rabougris, perdus dans cet espace, sont les seuls
représentants de la végétation dans cette plaine nue.
Des groupes nombreux de cavaliers partent de la lisière
■des plantations et se dirigent à toute vitesse vers la ville;
ils reviennent à la même allure, nous examinent, puis
repartent.
Sous les arbres se tiennent des groupes considérables de
piétons et de cavaliers. Arrivés à hauteur du premier de
i:es groupes, situé à une faible dislance du sentier, nous
pouvons constater une certaine animation. Personne ne
vient auprès de nous et l'on continue à discuter ferme.
270 AUTOLR DU TCHAD
Piétons et cavaliers ont leurs armes et leurs boucliers.
Beaucoup ont une pièce d'étoffe enroulée autour de la tète
en forme de turban. Une magnifique plume d'autruche
est plantée bien droite dans les cheveux. Beaucoup portent
des chapeaux fort curieux ou des coiffes en feuilles de
borassus d'aspect fort étrange.
La plupart des guerriers ont la ligure peinte. La cou-
leur diffère selon les groupes, rouge, jaune, blanc ou
mi-parti blanc et rouge.
Il n'est évidemment pas douteux que le ban et Tarrière-
ban des guerriers de Lai sont sur le pied de guerre.
Je ne crois pas exagérer en évaluant à 1500 chevaux
et à plus de 3000 piétons la foule qui nous entoure, et
elle augmente à tous instants. Elle paraît plus indécise
qu'hostile sous le miroitement des plaques de cuivre poli
qui ornent les brides des chevaux. Les turbans rouges,
les ceintures bleues ou jaunes, les plumes d'autruche,
d'un blanc immaculé, apportent une note des plus gaies à
cette fête des yeux qu'éclaire un merveilleux soleil.
11 serait vraiment regrettable d'être obligé de détruire
ce splendide tableau à coups de fusil. Et cependant il
faudra peut-être en venir à cette pénible extrémité, car les
gens de Laï semblent peu fixés sur l'attitude à tenir à
notre égard.
A notre arrivée ils paraissaient être simplement sur la
défensive, ce qui était tout naturel, car on avait dû leur
exagérer forcément l'importance de notre caravane; il est
probable même qu'ils croyaient peu à nos intentions
pacifiques....
Depuis un moment de nombreux cavaliers circulent,
A TRAVERS L'iNCO.NXU 271
bride abatliic, de ftroupe en groupe et los fantassins s'as-
semblent sous un arbre, tandis que les cavaliers, dans une
« fantasia » échcvelée, se massent derrière un gros per-
sonnage velu d'éloffes multicolores. On pourrait croire
qu'ils veulent prendre l'offensive.
Nous avançons silencieusemenl et en bon ordre. Quel-
ques vieillards viennent ù notre avance; ils nous prient de
nous reposer un instant à l'ombre d'un grand sycomore
qu'ils nous désignent. Ils iront ensuite prévenir de notre
arrivée leur souverain, le chef de Laï et des environs, K-
M'bang Dallem, cl reviendront ensuite nous rouduire à
l'endroit où nous pourrons camper.
Pendant leur absence nous questionnons nos guides, qui
ue paraissent pas très rassurés.
Nous sommes ù Laï, mais de Logone point. Devant nous
en effet un entassement, un fouillis de cases et de gre-
272 AUTOUR DU TCHAD
niers hérissés de borassus et de palmiers magnifiques,
mais rien qui fasse supposer le voisinage d'un cours d'eau,
même des plus modestes. Les guides nous disent qu'il
suffit de traverser la ville pour être sur les berges du
fleuve. A Tépoque des hautes eaux, les pirogues accostent
à la porte des cases qui bordent la rive. Nous insistons
pour aller camper soit en amont, soit en aval de la ville
pour être à proximité du fleuve, mais on nous fait com-
prendre qu'il serait inutile de nous remettre en marche,
parce que, à droite et à gauche, la ville s'étend sur un par-
cours de plus de 4 kilomètres. A ses extrémités les berges
sont très élevées et nous nous trouvons précisément en
face du point d'embarquement. Il nous suffira de traverser
la ville pour trouver les pirogues.
Pendant que nous conversions avec nos guides, un
grand mouvement s'était produit dans la foule des guer-
riers qui se rapprochait peu à peu. Nos hommes, formés
en carré, avaient reçu Tordre de s'asseoir sur leurs
havresacs et de tenir leurs armes hautes. L'un d'eux fil un
faux mouvement et la crosse de son fusil ayant heurté une
pierre, le coup partit, en l'air heureusement.
Aussitôt les cavaliers tournent bride et s'enfuient au
galop. Bon nombre de fantassins les imitent. Quelques-uns,
des plus rapprochés, sautent dans notre carré et parmi
eux nos trois vieux ambassadeurs, qui nous demandent la
grâce du Sénégalais maladroit, auquel nous administrions
quelques taloches bien méritées.
Tous nous serrent la main et éclatent de rire. Les quel-
ques cavaliers qui, s'étant ravisés, retournent pour voir
ce qui s'est passé, sont accueillis par les huées de leurs
A TRAVEUS L'INCONNU 273
frères d'armes plus courageux, restés auprès de nous.
Peu de temps après, des femmes et des enfants sortaient
des cases et s'approchaient à quelque distance du camp.
Étrange bizarrerie du hasard! il y a quelques mois à
peine, un coup de fusil parti dans les mêmes conditions
amenait une effusion de sang et des hostilités qui durèrent
près d'un mois, de la part de gens qui n'étaient pas dis-
posés à nous combattre. Aujourd'hui, il faisait mettre bas
les armes à des populations certainement prêtes à nous
repousser loin de chez elles. A ce coup de fusil les gens
de Laï ripostaient par des éclats de rire et des poignées
de main, le meilleur et le plus authentique des traités
de paix!
Quand, de part et d'autre, l'émotion fut un peu calmée,
les vieillards nous dirent d'installer notre camp à l'endroit
même où nous nous trouvions.
On ne pouvait désirer mieux. Nous étions à 300 mètres
de la ville, dans un espace très découvert, abrités sous un
arbre immense qui tamisait les rayons du soleil et rendait
le séjour du camp très agréable. D'autant plus agréable
que les femmes de Laï l'avaient envahi. Elles apportaient
de l'eau, du mil, des volailles, des denrées de toutes
sortes. Beaucoup même, apportant mortiers et pilons,
s'installaient entre nos tentes, pour fabriquer la farine de
mil qu'elles nous vendaient sitôt préparée.
Le spectacle est certainement moins coloré que celui de
ce malin, mais il est plus captivant.
Les Banziries sont loin! aussi serait-il téméraire de leur
comparer les femmes de Laï, mais il faut convenir que ces
dernières ne manquent pas d'un certain charme.
p. Brunache. 18
274 AUTOUR DU TCHAD
Et quel gracieux tableau je revois, en parcourant mon
journal de route à la date du 21 novembre : « Devant ma
tente, une jeune femme dans toute la splendeur de sa pré-
coce maternité; elle a à peine seize ou dix-huit ans.
« Elle arrive bien droite, la poitrine saillante et cherche
du regard une place à Tombre. Sur sa tète une corbeille
de mil. Sous son bras gauche un mortier et son pilon; à
califourchon sur sa hanche droite, une fillette âgée d'en-
viron un an, à la mine éveillée, à Tœil rieur.
« Partout de larges plaques ensoleillées, sauf en un petit
coin où s'étalent en un beau désordre la couverture, le
havresac, les armes et les bardes de Tun de nos hommes.
La jeune femme Taperçoit, elle laisse tomber mortier et
pilon, pose sa corbeille, puis, pliant soigneusement sa
couverture et disposant le havresac comme un oreiller,
dépose dessus la fillette entre un sabre-baïonnette et un
fusil à répétition. Elle s'installe elle-même au premier
endroit venu, tranquille, maintenant que son cher bambin
esta l'abri des rayons de Tardent soleil.
« C'est « la place » de Laïti Nyan, un des plus âgés de
nos Sénégalais, ancien esclave des Touareg, excellent
homme, mais assez mauvais soldat dans le sens exclusi-
vement militaire du mol.
« Il arrive et constate que l'on a réparé le cher désordre
auquel il est habitué. 11 va se fâcher, mais aperçoit la
fillette qui joue avec les cuivres brillants des armes. Il
s'agenouille, la prend dans ses bras et lui fait mille
caresses. Puis s'adressant à moi, son ami, car il parle
arabe et connaît le Sud algérien : « Vois », me dit-il, en
élargissant sa vaste bouche dans une grimace qui veut
A TRAVERS L'INCONNU 275
ébaucher un sourire, « vois comme c'est curieux, les
« hommes! On me traite souvent d'imbécile, mais tu
« avoueras que j'ai bien le droit d'être perplexe quand je
c( vois ce charmant bambin jouer avec cette arme, qui
« naguère était bien près de mitrailler son père, sa mère
'< et peut-être ce pauvre chérubin!... Les raisons qui
.< auraient fait « parler » mon bondouck (fusil) ce matin
« n'étaient pas meilleures que celles qui le font taire ce
« soir...! » Et mon grand Laïti, sans attendre de plus
amples explications, se remet à cabrioler avec l'en-
fant. »
Nous envoyons des cadeaux au souverain de Laï, le
M'bang Dallem, qui nous engage à faire séjour. Les rela-
tions sont maintenant excellentes, les hommes viennent
sans armes et le camp est envahi par quantité de femmes
et d'enfants.
Deux ou trois grands gaillards indigènes, armés de
badines, essaient de maintenir cette foule. Ils lui adressent
de grands discours en faisant tournoyer leurs badines. Ces
grands gestes parviennent à peine à effrayer quelques tout
jeunes enfants, mais nos « policemen » n'obtiennent en
général qu'un succès de fou rire.
Ils sont bien plus respectés en tant qu' « inspecteurs de
la voirie ». Les bonnes vieilles qui se disposaient à vider,
derrière un buisson, le contenu de leurs corbeilles à éplu-
chures; les gamins ne tenant pas à parcourir la distance
qui les séparait de « la fosse commune », s'enfuient à leur
approche, oubliant de faire ou de déposer Tordure que
devait abriter le buisson.
J'ai dû payer pour l'un de nos porteurs kassaïs, qui
276 AUTOUR DU TCHAD
n'avait pas cru devoir imiter Texemple des autres délin-
quants, une amende qui s'éleva à quelques pincées de perles.
II fut obligé, en outre, d'ensevelir lui -môme les preuves
de sa « contravention » à ce sage règlement de voirie.
Les arbres sont si rares dans cette vaste plaine, que
leurs environs sont protégés avec un soin jaloux, afin qu'il
soit possible de pouvoir goûter un peu de repos sous
leur ombre épaisse. D'autre part, dans une agglomération
comme la ville de Laï, des mesures de salubrité publique
s'imposaient, et le M'bang Dallem, assisté ou non d'une
commission d'hygiène, en avait pris de sévères.
Contrairement à ce qui se pratique chez les riverains
du Congo ou de l'Oubangui, ce n'est pas le fleuve qui sert
de dépotoir naturel à la population. C'est bien loin, dans
la campagne, que matin et soir, grands et petits se ren-
dent. Cette excellente habitude procurait à ceux d'entre
nous qui se levaient avant le jour un singulier spectacle :
une longue file de femmes, jeunes pour la plupart, s'avan-
çaient dans le sentier, sous la surveillance d'une vieille
matrone. Elles passaient non loin du camp et, éclairées
par nos feux de bivouac, elles produisaient un effet
étrange, grâce aux ornements qui faisaient ressortir leurs
formes, sans les vôtir. Leur tôte est entourée d'une bande
de grosses perles blanches large de deux à trois centi-
mètres. Leurs cheveux sont assemblés en une sorte de
crùte tressée, qui se termine devant et derrière par une
mèche de cheveux, dans laquelle sont enfilées des perles
de fer qui vont en s'amincissant vers le bout. Une superbe
plume droite est fichée dans la chevelure. Une ceinture,
également de perles blanches, large comme la main,
, A TRAVERS L'INCONNU
277
entoure la taille, soutenue par deux minces bretelles de
perles qui entourent les seins et reposent sur chaque
épaule. Un brassard, plus large que la ceinture et oroé de
dessins plus foncés, serre le bras au-dessous de l'épaule.
La promenade de ces dames n'a d'ailleurs rien de poé-
tique!...
Ces études de mœurs ne nous font pas oublier les obser-
vations plus sérieuses el les négociations en vue du pas-
sage du neuve. Déjà nous avons pu nous convaincre de
l'importance de la cavalerie de Lâï. Nous commençons à
278 AUTOUR DU TCHAD
habituer noire œil à la vue de ces vaillants petits chevaux
qui, tout d'abord, avaient un peu surpris certains de nos
compagnons. Ils appartiennent très probablement a la race
décrite et observée par Barth chez les « Mousgous »,
cette peuplade dont les Laï pourraient bien d'ailleurs
être quelque peu cousins germains.
Les Saras, les Gaberis ne sont peut-ôtre pas d'éléganls
cavaliers, dans le sens européen du mot, par suite du
manque de proportions entre eux et leurs montures, mais
ils sont extrêmement solides sur leurs petits coursiers et
très résistants à la fatigue. Détail curieux, ils ne montent
jamais de « pied ferme ». Ils s'élancent lorsque le cheval
s'est mis au petit galop et l'enfourchent sans efforts.
Pour descendre, une pression du caveçon fait ralentir
l'allure. Us appuient la main droite sur la croupe et met-
tent pied à terre du côté « hors montoir », en passant la
jambe gauche sur l'encolure avant l'arrêt complet.
De gros personnages viennent nous rendre visite au
camp. L'un d'eux, ûgé d'environ trente ans, semble très
considéré, il nous promet le passage, mais nous engage
à séjourner, car le M'bang Dallem, pour répondre à nos
présents, a envoyé des émissaires assez loin afin d'acheter
un bœuf qu'il compte nous offrir au retour. Je suis vrai-
ment étonné de cette munificence, qui me paraît plus que
royale dans cette région.
Pendant la conversation, je crois pouvoir démêler la
cause de cette libéralité. A certaine de nos démarches, le
M'bang Dallem a cru comprendre que nous accepterions
de le seconder dans une expédition contre une tribu voi-
sine avec laquelle il est depuis longtemps en lutte. Ravi
A TRAVERS L'INCONNU 279
de ce concours inespéré, il fait de son mieux pour nous
témoigner sa reconnaissance.
J'essaie de faire comprendre à mes interlocuteurs qu'ils
n'ont pas saisi le sens de ce qu'on a pu leur dire : nos
armes servent à nous défendre, mais pas à attaquer. Le
jeune chef légèrement obèse, qui dirige la négociation,
sourit avec un air d'incrédulité. Nous recevrons, dit-il, le
bœuf promis. En sa qualité de grand maître de la naviga-
tion, il nous fera passer sur l'autre rive, puis! nous ver-
rons!... et il imile le bruit de la fusillade avec une insis-
tance des plus significatives. Le village ennemi se trouve
en effet sur la rive gauche du Logone, vers le sud-ouest.
Il nous semble inutile d'insister pour le moment. En
revanche, nous profitons de la présence de ces hauts per-
sonnages pour essayer de conclure un traité avec le chef
de Laï. Le M'bang Dallem, après quelques explications,
signe sans difficultés un traité aux termes duquel il place
sous le protectorat de la France ses États situés sur les
deux rives du Logone. De même que celui passé avec
Mandja-Tezzé, ce traité présente une très grande impor-
tance, car il garantit à la France la libre navigation du
Logone, cet important affinent du Tchad.'
Le bœuf est arrivé, tué et dépecé avant qu'il soit possible
de protester. Les gens de Laï nous accablent d'amabi-
lités et il est décidé que nous passerons le Logone le mer-
credi 23 septembre. Laï est une ville peuplée d'environ 10
ou 15 000 habitants.
CHAPITRE XIV
DU LOGOrVE AU PAYS DES LAKAS
Passage du fleuve. — Le guet-apens du 27 novembre.
Le Ba Tenné, les Mouls. — Dogo. — Les Lakas.
Le 23 novembre, à 7 heures du matin, nous levons le
camp et nous nous mettons en marche. La traversée de
Laï ne nous prend pas longtemps, et bientôt nous nous
trouvons sur une haute falaise qui domine une superbe
grève sur laquelle notre guide nous engage à aller nous
installer, en attendant les pirogues.
Un sentier en pente douce nous conduit à Tendroit
désigné. Nous voyons enfin un fleuve qui nous rappelle
les dimensions de TOubangui. Les berges sont taillées
à pic, et d'un accès qui semble difficile, sur Tautre rive.
Le lit du fleuve mesure en cet endroit 800 mètres de
large. A la saison des crues, l'eau arrive jusqu'aux cases
du village et recouvre entièrement le banc de sable où
nous nous trouvons. En ce moment, il nous faudra
franchir 400 mètres en eau profonde, avec un courant
assez rapide, mais le fleuve est calme sur un fond de sable
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 281
qui n'est point tourmenté par les cailloux. D ailleurs, les
pirogues qui commencent à arriver, paraissent fort grandes.
On est allé les chercher dans une petite anse où elles
sont abritées.
Pendant que nous attendons en admirant la ville, dont
les maisons s'entassent en un désordre fort pittoresque,
formant un dédale de petites ruelles bien propres, un
Pahouin, préposé à la garde des chèvres, en laisse échapper
une qui se précipite au milieu de la ville à la recherche
de son ancienne élable. Il se met à sa poursuite et s'en-
gage assez loin dans la ville, priant les indigènes de le
seconder; ceux-ci s'exécutent de très bonne grâce, mais
comme notre Pahouin refuse de donner une récompense à
ceux qui ont ramené la bute, et qu'il menace de les frapper
avec son fusil, il est pris fort délicatement et embarqué
dans une pirogue qui nous l'amène, sans la chèvre.
Dominique, le cuisinier, en habile diplomate, dépose son
fusil, et prenant son sac de perles, court vers le village de
toute la vitesse de ses jambes torses. Il nous revient peu
de temps après, triomphalement installé dans une immense
pirogue de guerre, dont l'équipage lui témoigne beaucoup
d'égards, et nous annonce modestement qu'il a reconquis
la chèvre sans la moindre difficulté.
Ces pirogues de guerre sont fort grandes. Les flancs
sont exhaussés à l'aide de deux planches légèrement incli-
nées vers l'intérieur et destinées à protéger l'équipage
«outre les flèches et les sagaies. Nous étions vingt fort à
notre aise, et nous aurions pu très facilement combattre,
tout en étant à l'abri des projectiles indigènes.
Certaines de ces pirogues, qui rappellent un peu la forme
282 AUTOUR DU TCHAD
des anciens « monitors », sont réparées avec des planches
fixées à l'aide d'une véritable coulure de lianes.
Le passage nous prit à peine une demi-heure.
Nous installons notre camp sur la rive gauche du Logone.
En face, Laï s'étend à perle de vue sur la berge droite du
fleuve. Vue de ce point, elle paraît encore plus importante
et nous fait supposer que l'évaluation de la population
donnée plus haut, est inférieure à la réalité.
Le 24 novembre, nous voyons arriver un grand nombre
de guerriers, la figure peinte, le corps soigneusement
huilé. De tous les points de la rive opposée, arrivent des
pirogues chargées à couler. Beaucoup sont véritablement
remorquées par les chevaux qui nagent vigoureusement,
coupant le courant en biais, en vue d'atterrir en un point
qu'ils connaissent bien. On voit qu'ils sont parfaitement
habitués à cette manœuvre. Ils ne paraissent pas le moins
du monde fatigués.
Le grand maître de la navigation doit occuper aussi des
fonctions élevées dans l'armée, car c'est lui qui vient nous
prévenir, au nom des petits chefs qui forment son état-
major, de vouloir bien donner le signal du départ. Ils se
tiennent à notre disposition, et ils nous montrent la direc-
tion du village qu'ils veulent détruire. Nous leur déclarons
formellement que notre intention est d'aller vers l'Ouest et
que nous ne voulons, en aucune façon, guerroyer contre qui
que ce soit.
Ils sont fort penauds, et paraissent indécis. Beaucoup
retournent chez eux. Les autres se massent et partent
dans la direction du village ennemi. Nous décidons de
faire séjour à l'endroit où nous nous trouvons.
DU LORONE AU PAYS DES LAKAS 283
Le soir, à cinq heures, nos encombrants alliés rcnlreiil
par pclils groupes. Ils sonl couverts de poussière et
aussi de lauriers sous les espèces de quelques bouquets
de maïs et de mil, ils nous monircnt ces témoignages de
leur vaillance et semblent nous dire : Voyez-vous, si vous
étiez venus, vous auriez pu vous procurer toutes ces
bonnes choses!
irogu« da guerre
En résumé l'expédition s'est bornée à des démons-
trations hostiles, au pillage de quelques plantations, mais
heureusement, pas le moindre tué ou blessé de part el
d'autre. Les seules victimes sont certainement les che-
vaux, qui paraissent harassés de fatigue.
Avant de s'embarquer, chaque groupe de guerriers se
place sur le bord de ta falaise, face à la ville, et entonne
un chiBur sur un air fort alerte et très martial.
Avec leurs grands boucliers ornés de pendeloques, leurs
284 AUTOUR DU TCHAD
grandes plumes d'autruche et leurs turbans bariolés, ils
produisent un contraste violent, dans le crépuscule, sur
le fond calme du tableau aux teintes douces qui tente-
raient Puvis de Chavannes.
Le lendemain, l'effervescence pardt calmée, tout semble
être rentré dans Tordre. Nous décidons deux guides à
nous accompagner et nous nous mettons en route fort
tranquillement. Néanmoins, nous objectons à nos guides
que le chemin qu'ils nous font suivre ne se dirige pas
vers rOuest, où nous voulons aller.
Ils veulent, disent-ils, nous éviter les marécages, nous
aurons un assez grand détour à faire, puis nous repren-
drons ensuite la bonne direction.
Mais bientôt nous sommes rejoints par des groupes de
guerriers qui augmentent à chaque instant. Le 26, pendant
une halte sur un grand plateau assez découvert, nous
pouvons nous rendre compte de la foule qui nous entoure.
Sans exagération aucune, j*estime à 15 ou 1800 chevaux et
à 2500 fantassins les forces mises sur pied par le M'bang
de Laï.
Viennent ensuite deux ou trois cents femmes esclaves
portant des corbeilles. Elles suivent leurs maîtres pour
recueillir le butin. Insouciantes, elles font halte aussi et
gazouillent, rient en montrant leurs dents. Elles viennent
là comme à une partie de plaisir.
Nous engageons des négociations avec les chefs de la
troupe. Nous leur déclarons qu'ils n'ont nullement à
compter sur nous pour les seconder et, pour leur bien
montrer notre idée arrêtée de rester neutres, nous fai-
sons dresser le camp.
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 285
Ils ont compris cette fois et s'éloignent, non sans être
allés faire une démonstration près du village ennemi, situé
à 5 ou 6 kilomètres environ.
Nous passons une nuit tranquille. Il est décidé que
nous rebrousserons chemin en vue de prendre une route
qui nous conduise vers TOuest : malheureusement, nos
guides ne paraissent pas disposés à venir nous rejoindre.
Le 27 novembre, à neuf heures du matin, ne voyant
venir aucun indigène, nous remontons le sentier jus-
qu'en un point où nous croyons avoir vu une bifurcation
se dirigeant vers TOuest.
Nous la retrouvons, mais, hélas! elle se perd à
quelque distance dans la brousse, auprès d une petite
mare. Jusqu'à notre ancien campement, près de Laï,
nous n'avons pas remarqué d'autre voie de communi-
cation.
M. Maistre émet Tavis de nous rendre au village où les
gens de Laï voulaient nous conduire. Nous présentant
seuls, pacifiquement, nous serons sinon bien reçus, du
moins conduits sur une route qui, faisant de l'Ouest, nous
éloignera de chez eux. Il estime même qu'en vue de se
débarrasser de notre présence, les indigènes de ce village
nous serviront volontiers de guides.
Cet avis est partagé par la majorité; il faut le suivre et
nous nous dirigeons vers le village où nous n'avions pas
voulu nous rendre la veille, observant l'ordre le plus par-
fait, en vue de prévenir toute surprise, et nous arrivons à
5 ou 600 mètres du village, dans une assez jolie clairière.
Un groupe de cavaliers vient à notre avance et s'arrête à
quelque distance du carré. Nous parlementons et nous
286 AUTOUR DU TCHAD
remettons un cadeau destiné au chef. La foule augmente
et nous regarde curieusement. Arrive enfin un vieillard
monté sur un cheval blanc; il fait le tour du carré avec
une grimace des plus dédaigneuses. Il engage une grave
conversation avec les guerriers les plus turbulents, puis,
accompagné de quelques vieillards, il prend la tôte de la
colonne, nous faisant signe de le suivre. Le groupe qui
marche avec nous paraît animé de bonnes intentions. Le
vieux chef nous conduit évidemment à un point d'eau
éloigné du village. C'est précisément ce que nous dési-
rons : tout est donc pour le mieux.
Mais, peu à peu, notre escorte indigène prend des pro-
portions considérables, nous sommes serrés entre deux
rangs de cavaliers et de piétons, le visage peint en
guerre. Quelques jeunes gens, qui, d'ailleurs, paraissent
ivres, invectivent les vieillards qui nous conduisent. Nous
commencions à avoir des doutes sur les intentions des
nouveaux arrivants et nous nous disposions à ralentir la
marche pour étudier un peu la situation, lorsque nous
entendîmes, à l'arrière-garde, une immense clameur
bientôt suivie d'un feu de peloton. Quelques porteurs,
haletants, viennent se réfugier près de nous. Les indi-
gènes ont fui en déroute, en lançant leurs zagaies et
leurs couteaux.
Nous formons le carré et quelques feux de salve bien
dirigés mettent en déroute la cavalerie, qui tentait de se
reformer pour nous charger.
Cette attaque soudaine n'a été amenée par aucune
cause apparente. Les indigènes causaient amicalement
avec nos hommes et leur offraient des épis de mil.
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 287
Un cavalier cherche à saisir le havresac du Sénéga-
lais qui ferme la marche. Au même moment, comme si
ce mouvement eût été le signal attendu, les sagaies et
les couteaux de jet pleuvenl de tous côtés. MM. Clozel,
Briquez, Bonnel de Maizières et de Béhagle doivent taire
usage de leur revolver pour se dégager. Briquez réunit
vivement son arrière-garde, qui déblaie le terrain à Taide
de feux de salve bien exécutés.
Le sol est jonché de boucliers, de lances, de couteaux
de jet. Les indigènes ont aussi laissé plusieurs des leurs
sur le terrain. De notre coté, nous avons plusieurs blessés,
dont Tun, Mahmadou Ba, ordonnance depuis les débuts
de la précédente campagne, a reçu une sagaie empoi-
sonnée dans la région du cœur. J'ai beaucoup de peine à
extraire celte arme à cause des longues barbelures qui
déchirent les chairs. Après un pansement provisoire, on
installe un hamac et Ton prend des dispositions pour
faire transporter les blessés. Le village, un des plus
importants que nous ayons vus, après Laï, est alors
incendié.
Les coups de feu et la fumée attirent une assez forte
troupe de cavaliers. Ce sont nos alliés de Laï qui nous
demandent Tautorisalion de se rendre dans le village; ils
en usent largement, car ils reviennent, peu de temps
après, chargés de butin.
Nous rebroussons chemin, avançant péniblement parce
que le transport des blessés relarde notre marche, et nous
allons camper près d'un point d*eau situé à la bifurcation
de plusieurs chemins.
Dans la soirée, Mahmadou Ba semblait éprouver un
288 AUTOUR DU TCHAD
mieux sensible; mais, au moment où nous nous disposions
à nous mettre à table, on vint nous prévenir qu'il était
mort. Un autre blessé, un porteur qui avait reçu une
flèche empoisonnée dans le mollet, souffrait horriblement.
Sa jambe enflait considérablement.
Je craignais fort de ne pas le sauver. Nous dûmes
séjourner le 28 en cet endroit, afin d'ensevelir le pauvn»
Mahmadou Ba et disposer nos charges, pour soulager les
porteurs, dont un était mort et d'autres blessés, ce qui
désorganisait encore notre caravane que les désertions cl
la maladie faisaient diminuer de jour en jour.
Nos amis de Laï viennent nous rendre de fréquentes
visites dans la journée, mais ils ne se font pas faute
d'aller piller les plantations du village détruit.
Le 29, nous nous mettons en route, mais nous sommes
bientôt rejoints par nos turbulents alliés, qui semblent
disposés à nous conduire à de nouvelles conquêtes. Celte
fois nous refusons absolument de les laisser continuer et
nous prenons la route de TOuesl, conduits seulement par
trois guides sans armes.
Nous atteignons le village de Maha : les hommes sont
assis sans armes et devisent tranquillement, les femmes et
les enfanls nous regardent monter les tentes à Tombre
d'un magnifique « ficus ».
Le 30 novembre, nous sommes debout à la pointe du
jour et nous assistons à un défilé aux flambeaux que les
femmes du village exécutent pour les mômes raisons que
leurs compatriotes de Laï.
Nous nous mettons en route... Pas d'escorte bruyante, un
pays découvert et d'aspect honnête. Nous allons donc
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 289
pouvoir faire une longue étape pour regagner le temps
perdu. Il n'en est rien: au bout d'une heure de marche,
nous sommes en face d'une rivière assez importante, le
Ba ïenna, affluent de rive gauche du Logone, et les rive-
rains ne possèdent que deux méchantes pirogues pour
nous passer sur Tautre bord.
Il nous fallut une bonne partie de la journée pour ter-
miner cette difficile opération.
Le camp installé est bientôt envahi par les femmes et
les enfants des villages voisins, qui organisent un marché
assez bien approvisionné en maïs, courges, haricots,
manioc, poules et cabris. Les femmes portent quelques
ornements en métal blanc.
Le village le plus proche se nomme « Tchoua » et
nous serions à peu de distance d'une agglomération que
Ton nous désigne sous le nom de « Moul ». Est-ce une
tribu, un simple village? Voilà ce que, pour mon compte
personnel, je ne puis dire.
Le l""" décembre, nous nous mettons en marche et nous
traversons l'important village de Tchoua, sous la conduite
de deux vieillards qui nous quittent à la lisière des plan-
tations, après nous avoir indiqué un sentier bien frayé qui
se dirige vers TOuest. Nous campons une nuit en brousse,
puis nous atteignons un village abandonné depuis peu.
Après quelques pourparlers, la population revient et les
transactions s'effectuent sans incident. A notre départ, le
lendemain, le village était de nouveau abandonné par les
femmes, et les guerriers, sous les armes, paraissaient peu
disposés à nous laisser traverser les plantations. Grâce à
la présence d'esprit de nos guides, tout se passa sans inci-
P. Brunachc. 19
•?90 AUTOUR DU TCHAD
dent. Un peu avant le dépari, nous avions dû constater le
décès du porteur blessé dans la dernière affaire.
Nous traversons divers villages où Taccueil, pour n'èlrc
pas hostile, est loin d'èlre sympathique.
Nous faisons des prodiges de diplomatie et c'est à la
suite de conférences interminables que nous parvenons à
nous procurer des guides.
Nos étoffes, qu'ils nomment « grobollo », nos perles
baïakas, qui s'appellent ici nya-nya, sont des arguments
devant lesquels rien ne résiste, et, le h décembre, nous
étions installés dans le paisible village de « Dogo ».
Le chef est un brave homme dont lallure générale fait
un peu songer à Crouma, le chef des Togbos. Il est fort
aimable et commande à une population bien douce et
obéissante. C'est, pour moi, cependant, parmi celles que
nous avons rencontrées, la seule qui représente pleinement
le type classique du sauvage.
Ils portent assez volontiers une touffe énorme de
plumes de couleurs variées, qui pendent lamentablement
derrière la tête; leurs nombreux sacs ornés de pende-
loques, la peau de chèvre qui forme leur unique vêtement
les font ressembler, lorsqu'ils sont à cheval, à de véritables
(( Indiens Apaches ». Leur teint relativement clair, et
tirant un peu sur le rouge brique, ajoute encore à Tillu-
sion.
J'ai encore l'occasion de remarquer à Dogo que c'est,
généralement, chez les populations les plus frustes que
se trouvent les cultures les mieux entretenues : le terrain
des plantations semble avoir été défoncé à la char-
rue. De vastes sillons bien droits, chaque pied de mil
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 291
OU (le maïs scruputcu sèment butté, pas la moindre feuille;
j'allais dire pas la moindre pierre, oubliant que je n'en
ai |>rc5que pas rencontré depuis Bangui, à part la
limonite ferrugineuse disparue depuis Garenki et que
l'on retrouve en assez grande quantité dans la région.
Les forges reparaissent également.
Le chef de Dogo nous conduit au village de « Goun-
doum » à travers une région peu habitée. Les vill
semblent misérables et la popula-
tion très peu dense. Rien de bien
intéressant à signaler. Les habi-
tants ne présentent pas un type
bien caractérisé. C'est à Goundoum
cependant que nous avons vu la
plus horrible mutilation à laquelle * \
une coquette puisse se soumettre _,••_
pour suivre la mode. '
Les dames de la région se pla-
cent, en effet, dans la lèvre supérieure et inférieure des
disques d'ivoire qui ont souvent 5 centimètres de dia-
mètre.
Ces singuliers ornements, qui donnent à la bouche la
plus ravissante, l'aspect d'un bec de " canard ><, gène con-
sidérablement ces dames pour parler, et le petit claque-
ment produit par ces disques, lorsque leurs propriétaires
veulent articuler un son, produit l'effet le plus comique.
Les hommes ne sont pas beau.Y, bien qu'ils soient d'une
élégance accomplie, en ce sens qu'ils sacrilicnt à la mode
en recouvrant leur corps, d'un noir assez foncé, d'une
épaisse couche d'ocre rouge diluée dans l'huile.
292 AUTOUR DU TCHAD
Bon nombre de nos hommes d'escorte sont épuisés par
ces deux longues campagnes. Quelques porteurs sont, en
outre, atteints de variole et nous devons prendre de gran-
des précautions pour éviter la propagation de la maladie.
Nous craignons également que les chefs de village nous
fassent mauvais accueil à cause de nos malades. Il n'en est
rien, heureusement. La variole existe à Tétat endémique
dans toutes les régions que nous avons parcourues. Les
populations ne s'en effraient pas outre mesure. On se
borne généralement à isoler le malade, qui ne prend que
des boissons chaudes. Voilà pour la médication curative.
Quant à la médication préventive, elle ne semble pas
exister.
Le chef de Dogo nous accompagne encore chez le chef
DérembaJi. C'est un beau vieillard, très affable, qui, paraît-
il, a beaucoup voyagé. Il nous dit que nous avons trois
bonnes étapes à faire pour atteindre les « Fellatas ». C'esl
le nom que les infidèles, les fétichistes, donnent aux
Foublés jaunes, population musulmane maltresse de TAda-
maoua. Les renseignements de Dérembaï semblent un peu
vagues. Il y a lieu de croire qu'il a rencontré à trois jours
de marche de chez lui des marchands de TAdamaoua, mais
il ne paraît pas possible que la limite de ce pays soit
aussi près de nous.
Nous traversons des plateaux assez élevés. L'eau est
rare et il faut la puiser à 40 ou 50 mètres de profondeur.
Les cultures paraissent chétives.
En fait d'animaux domestiques, nous ne trouvons tou-
jours que des poules et des chèvres. Comme partout il est
impossible de se procurer des œufs ou du lait. Les boucs,
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 293
objet de soins particuliers, atteignent après la castration
(les proportions considérables et leur chair arrive à être
presque supportable.
Nous passons des traités avec tous les chefs de ces
villages qui nous ont fait le meilleur accueil. Le 8 décem-
bre, nous traversons un pays qui rappelle, par la végéta-
tion surtout, celui des N'dris. Nous campons au village de
ïaguen où commence la tribu des Lakas. Ce sont des
hommes de tailles moyennes, assez proches parents des
N'gapoux. Ils sont très vifs sans être encombrants et sem-
blent assez intelligents, ils nous accompagnent volontiers
au village de « Kaguenenga », dont le chef Touné serait,
paraît-il, craint et redouté de ses voisins jusqu'au marais
du Toubouri. Touné serait le souverain des Lakas, dont
une fraction, les Lamés, sont installés sur les limites de
TAdamaoua. Ces derniers subissent Tinfluence de leurs
voisins musulmans au point de vue des mœurs, des cou-
tumes, mais ils repoussent absolument toute action politi-
que ou religieuse.
Nous faisons un court séjour au village de Kaguenenga,
mais, au moment où nous croyons pouvoir nous mettre en
route, notre ami Clozel tombe gravement malade. Il
souffre d'un accès de lièvre bilieuse hématurique; il ne
lui est pas possible de marcher ou d'être porté en hamac.
Le 11, après une tentative de marche, nous sommes obligés
de revenir sur nos pas, par suite du mauvais état de santé
de Clozel.
Nous installons notre camp entre le village de Kague-
nengua, et celui de Bai Temmé, dont le chef, ToumbouK
est également un fort brave homme.
294 AUTOUR DU TCHAD
Les cases de ces deux villlages diffèrent sensiblement
de celles vues jusqu'à ce jour. Chaque habitation se com-
pose généralement de deux cases rondes, réunies par un
couloir à toit plat servant de vestibule et de cuisine. Dans
la première des cases rondes, habitent les propriétaires,
Tautre sert de magasin aux provisions, aux outils. C'est
là aussi que se trouve le moulin à farine. Les Lakas ne
pilent point les céréales, mais les écrasent entre deux
pierres, dont Tune, lixe, est encastrée dans un bâti en
terre formant réservoir et l'autre est mue à la main. Les
habitations forment de véritables petites fermes dont la
cour est entourée d'une haie formée de nattes.
Les Lakas savent travailler le fer et possèdent de
nombreuses forges. Les soufflets qui tous, jusqu'à présent,
étaient semblables à ceux des N'gombés, sur TOubangui,
ont changé de modèle depuis Dogo. Ce sont deux outres,
munies chacune de deux baguettes près d'une ouverture.
L'écartement ou le rapprochement de ces deux morceaux
de bois permet ou supprime Tintroduction de Tair qui ali-
mente la soufflerie. C'est dViUeurs le modèle encore exclu-
sivement en usage chez nos Kabyles d'Algérie. Les bijoux
en fer sont très en faveur et notamment des chaînettes
fort bien faites.
Ils ont quelques rares chevaux dont l'espèce paraît un
peu plus belle que chez les Sara?.
Ils remplacent le caveçon par le mors, identiquement
semblable au mors arabe.
Les armes sont assez bien fabriquées, mais sauf quel-
ques modèles nouveaux pour les couteaux, elles ne diffè-
rent pas de celles déjà décrites.
DU LOGONE AU PAÏS DES LAKAS '295
Les javcliacs sont généralenmnl empoisonnées aussi;
afin d'éviler des tilessures acciduntellcs, les Lalias les
placcnl dans un étui en cuir ou dans une calebasse
allongée et très élégamment ouvragée. Ce poison, assez
semblable à de la « laque de Chine », est obtenu par la
cuisson d'une racine appelée « pill » chez les Lakas,
<< dabbi » en kanouri et » conconi » chez les Peuls du
Sénégal. L'ivoire reparaît et les femmes portent d'énor-
mes bracelets dont les formes nous étaient inconnues.
296 AUTOUR DU TCHAD
Le vêtement pour les hommes est toujours le tablier de
cuir des Saras.
Les femmes se conlentent d'une poignée de feuilles. En
revanche, c'est merveille de voir les nombreux ornements
et pendeloques dont elles décorent les peaux de chèvres,
en forme de holles, qui leur servent à porter sur leur dos
les enfants en bas âge.
Les femmes lakas sont d'excellentes mères de famille
et des ménagères travailleuses.
Les hommes ne sont point paresseux et s'occupent, eux
aussi, des travaux des champs. Ils préfèrent certainement
la chasse et, pour installer les nombreux pièges qui entou-
rent les plantations, ils doivent se livrer à de sérieux tra-
vaux de terrassement et de charpente.
Ces pièges consistent surtout en fosses recouvertes
d'une porte à bascule qui tourne sous le poids de l'ani-
mal et maintient celui-ci prisonnier, dès qu'il est tombé
dans la fosse.
Ce sont aussi d'énormes poutres, maintenues horizon-
talement, ou des épieux suspendus verticalement, qu'un
système de déclanchement fort habile fait choir au moment
ou l'animal passe au-dessous.
On rencontre une grande variété d'antilopes dans cette
région ; des singes colobes et une espèce, plus petite, à
poil fauve et à testicules bleus. Les léopards ne sont pas
rares; les buffles non plus.
Les pintades causent de sérieux ravages dans les plan-
tations; aussi, notre boy Foulanga, qui en tua cinquante-
huit en quinze jours, était très estimé des indigènes.
Beaucoup de Lakas ont été en rapport avec les Foulbés
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 29T
(Iti l'Adamaoua. Certains même parlent la langue de cotte
race, désignée généralement, au Sénégal, sous le nom
de Toukouleur et peuvent se faire comprendre de nos
hommes originaires du Fouta-Toro. Ceux-ci ne se possè-
dent plus de joie.
Les Lakas Dlent le coton et obtiennent des cordelettes
d'une blancheur étonnante^ mais ils ne savent point lisser.
Beaucoup cependant portent des sortes de tabliers faits
avec des bandes decoton assemblées; ce sont des articles
d'échange que leur donnent les musulmans de l'Adamaoua
avec lesquels ils ont des relations très suivies.
298 AUTOUR DU TCHAD
Chez les Saras, nous avions rencontré quelques peaux
bien tannées et teintes en rouge à Taide du bois d'une cer-
taine variété de sorgho.
Ici, les peaux qui servent de vêtement sont préparées à
laide de cendre et d'huile et manipulées pendant des
journées entières. Du reste, le temps n'ayant pour les
indigènes qu'une valeur relativement nulle, tous les objets
qu'ils fabriquent sont Tobjet d'un travail assidu pendant
de longues journées.
La vannerie, comme partout d'ailleurs, est toujours
d'un goût exquis.
La poterie, dont la confection est exclusivement dévolue
aux femmes, est souvent très artistique. On rencontre
des modèles de jarres, de pipes fort coquets.
C'est un des rares endroits où nous ayons trouvé des
ustensiles munis d'anses. Ainsi que le fait remarquer
Schweinfurth, dans une grande partie de l'Afrique, les
ustensiles sont toujours au contraire dépourvus d*anses.
Au point de vue de l'alimentation, les ressources sont
toujours les mêmes. La nourriture diffère peu chez les
indigènes depuis la Kemo jusque chez les Lakas : nue
sorte de sauce rendue épaisse par le suc d'une plante qui
est, je crois, 1' « hibiscus esculentus », des viandes rôties
sur la braise, des poissons fumés, mangés sans autre pré-
paration ou simplement cuits à l'eau. Une épaisse bouillie
de mil, de maïs ou de manioc représente partout notre
pain. Le piment minuscule, extrêmement fort, colore* le
brouet et remplace à la fois le sel et le poivre.
Dans quelques régions, de grosses coquilles tiennent
lieu de cuillères, mais, le plus souvent, les sauces et les
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 299
potages sont simplement portés ù la bouche à Taide de
la main.
Grâce à sa robuste santé et à une médication énergique,
Clozel fut bientôt en état de reprendre la marche.
Nous devions tout d'abord, sur les conseils du chef Touné,
nous rendre à Sorga, important village où nous trouve-
rions quelques Foulbés de TAdamaoua. La route se diri-
geait fortement vers le Nord, et traversait une steppe
déserte, que les indigènes mettent trois
jours à franchir. Nous préférâmes pren-
dre la route qui contournait le plateau
désert situé entre Baï Temmé et Sorga
et aller camper à Yamba.
ïouné et son voisin le chef Toum-
boul voudraient eux aussi arrondir leur
territoire, aussi ne seraient-ils pas fâchés
de nous conduire vers le Nord, près du Tatouage
rp 1 . ,, I U 1 4 I chez les Lakas.
loubouri. il y a sur les bords du lac
une peuplade qu'ils voudraient bien soumettre. Us se ren-
dent cependant à nos arguments et, le 26 décembre, ils
nous donnent des guides et viennent nous faire leurs:
adieux.
Nous marchons lentement, mais la route est excellente.
Les herbes sont brûlées et Ton peut ladmirer le pays.
Nous traversons de nombreux groupes d'habitations dont
les toitures refaites à neuf présentent un aspect des plus
gais. Les chevaux sont plus rares, mais ils appartiennent
à une race plus belle que les chevaux des Saras. Ils sont
mieux proportionnés, la tète est plus Une; la crinière, très
fournie, est taillée à la façon de celle de nos poneys.
300 AUTOUR DU TCHAD
A Yamba, où nous arrivons assez tôt, nous rencontrons
un grand nombre d'indigènes portant des vêtements pro-
venant de l'Adamaoua : larges tuniques et pantalons sem-
blables à ceux des Baghirmiens.
Le chef doit être un personnage d'importance, car sa
maison se compose de 10 vastes cases réunies dans une
cour qui renferme de nombreux greniers.
Nous recevons de lui un excellent accueil, et le lende-
main nous nous mettons en route pour nous rendre à
Pala. Mais, dès la première pause, M. Maistre qui, la
veille, était extrêmement affaibli, se trouve dans Timpos-
sibilité de marcher. Nous cherchons un point d'eau et
nous installons notre campement sous des arbres magnifi-
ques.
M. Maistre est atteint, lui aussi, de lièvre bilieuse héma-
turique et son état nous inspire de sérieuses inquiétudes.
Nous sommes à h kilomètres d'Yamba, dont le vieux
chef, Dang Douradjé, vient nous rendre d'assez fréquentes
visites. Il choisit de préférence les jours où nos chasseurs
ont tué des antilopes, car il sait qu'il n*est jamais oublié
dans les distributions.
Les environs sont très giboyeux; aussi MM. Briquez
et Bonnel de Maizières profitent de ce repos forcé pour
faire de nombreuses parties de chasse.
Briquez, dans une même journée, a tué quatre antilopes
dans les environs du camp. Elles appartiennent presque
toutes à l'espèce que Schweinfurth désigne sous le nom
de « caama ». C'est la seule, de l'avis de tous nos cama-
rades, dont la chair soit réellement appréciable.
Les autres espèces, presque entièrement dépourvues de
DU LOGONE AU PATS DES LAKAS
301
liiisus adipeux, donnent, après la cuisson, une viande dure
et peu agréable au goût.
Chose curieuse, en dépouillant ces animaux dis minutes
après leur mort, nous constatons, dans la cervelle, la pré-
sence de gros vers blancs, vivants et dont le nombre est
(]uelquerois de sept ou huit.
Nous avons i]uelques visites des gens du village de
Palla , vers lequel nous comptons nous diriger dès
que M. Maistre sera rétabli. Ils sont presque tous vêtus
à l'orientale, mais ne parlent point la Langue des Foulbé»
302 AUTOUR DU TCHAD
de TAdamaoua. Ils en connaissent cependant toutes
les formules de politesse.
Le 1*' janvier 1893 se passe sans incidents et fort
tristement d'ailleurs. Nous remarquons tous les jours que
nos ressources baissent considérablement, et, parmi les
nombreuses contradictions des indigènes qui nous donnent
des renseignements, nous constatons que nous aurons
grand'peine à gagner Yola, capitale de TAdamaoua.
Le 6 janvier au soir, une troupe de voyageurs vient
nous saluer. Ce sont des Haoussas, des Foulbés de TAda-
maoua, des gens du Sokoto et deux indigènes de Bornou,
qui paraissent sinon les chefs, du moins les intendants de
la bande. Celui de ces derniers qui paraît le plus jeune cl
le plus intelligent, s'avance et nous salue, au nom de tous,
en excellent arabe. 11 s'efforce de conserver un maintien
grave et réservé, mais on devine en lui rintelligence du
gavroche et le plus profond mépris des grandeurs.
Notre accueil bienveillant lui fait abandonner sa gravité
de commande, et il ne tarde pas à nous montrer son heu-
reux caractère. Il se nomme Ali et son compagnon Abba.
Ils servent de guides à d'honnêtes marchands qui circu-
lent en pays fétichistes pour acheter de l'ivoire et des
esclaves.
A en juger par l'armement, le petit nombre et surtout
Tûge de la majeure partie des voyageurs, il est certain
que ce n'est pas la terreur qu'ils inspirent qui doit décider
les transactions.
Quoi qu'il en soit, étant donnée la situation critique
dans laquelle nous nous trouvons, ce n'est pas le moment
d'épiloguer sur le plus ou moins de moralité du métier
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 303
qu'exercent nos nouveaux arais. D'autant mieux qu'Ali et
Abba s'offrent à nous servir de guides pour aller à Yola.
Ali parle arabe, c'est pour nous un précieux auxiliaire,
au moment où nous allons rencontrer de nouvelles popu-
lations musulmanes. Nous lui demandons si une troupe
armée, aussi importante que la nôtre, ne nous créera pas
de difficultés pour pénétrer dans TAdamaoua.
« Nullement, les gens de TAdamaoua ne sont pas des
sauvages, comme les cafers (fétichistes) que vous venez de
visiter. Ce sont des gens très paisibles, pasteurs ou com-
merçants, qui seront très heureux de faire des transactions
avec vous. Ils savent très bien que vos armes servent à
vous protéger contre les malfaiteurs et non à attaquer.
Nous savons que vous venez ici pour mesurer la terre avec
vos lunettes, remplir vos caisses de pierres, d'oiseaux,
d'insectes et de plantes. Pourquoi, avec tant de marchan-
dises, n'achetez-vous pas de l'ivoire et de la gomme?
Faites comme les Anglais et vous serez satisfaits de votre
voyage...
— Comment ! tu connais les Anglais !
— Mais oui, répond Ali, en fait de « blancs», j'ai vu des
gens de Tripoli, qui sont musulmans comme nous, puis
des Anglais : l'un d'eux, Tchalie (sir Charles Mac Intosch,
de la Royal Niger Company), est venu à Kouka; puis le
commandant, qui est venu à Gueroua, et l'autre, qui est en
ce moment à Kouka, avec un autre blanc, et sept hommes
d'escorte; ces trois derniers sont Français. Je sais qu'il y
a aussi des Italiens et des Américains. Tous ces blancs
sont des Nazara (nazaréens, chrétiens). »
Les renseignements qu'Ali nous donne nous procurent
304 AUTOUR DU TCHAD
la certiliidc que le commandant Monteil est parvenu à
Kouka, où il a été bien accueilli. S'il faut en croire Ali, il
continuera son voyage sans encombres, grâce aux nom-
breuses relations que Kouka entretient avec le Sud algérien,
la Tunisie et la Tripolitanie *.
Puis, changeant de conversation et abattant cinq mor-
ceaux de papier qu'il tient à la main :
« Atout! atout! coubi! cabbôut... ! » et il éclate de rire.
« Atout ! atout ! coupé ! capot ! ... » Notre jeune ami avait cer-
tainement appris le français dans un café borgne d'Algérie!
" Nous lui en faisons la remarque :
« Non, nous dit-il, c'est à Gueroua, sur la Benoué,
tandis que j'étais venu vendre mon ivoire; j'entendais
l'Anglais crier : « Common! Common! Ail right! » et le
commandant sur son « babour » : « Avant ! avant ! »
puis, descendu à terre, assis à table avec des petits papiers
en main, il riait en disant à son compagnon : « Atout!
atout! coubi! cabbout! »
« Babour », ce nom sous lequel les Arabes d'Algérie
désignent les bateaux à vapeur, prononcé par 12° 40' de
long. E. et 9^ 20' de latitude N., produisit sur nous un
effet magique; surtout quand nous apprîmes qu'il s'agis-
sait du lieutenant Mizon, notre compatriote, qui charmait
ses longues soirées par quelques parties de cartes.
Cette fois encore nous n'avions qu'à nous féliciter du
hasard! Toutes ces bonnes nouvelles hâtèrent la guérison
de M. Maistre et donnèrent du courage à nos hommes.
1. Les nombreux renseignements qui m'ont été fournis par Ali
et un grand nombre d'autres Bornouans sur cette région et ses
relations avec nos possessions du N. de l'Afrique, seront consignés
dans un autre ouvrage, actuellement en préparation.
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 3C5
Le mercredi 11 janvier, nous nous mettions en route
avant le jour, guidés par Ali et Abba. Leurs autres com-
pagnons formaient Tarrière-garde.
Il fait un clair de lune superbe, et le pays, relativement
fort accidenté, paraît des plus pittoresques. Nos hommes,
alourdis par un aussi long repos, font néanmoins tous
leurs efforts pour conserver une bonne allure. Ali est
d'ailleurs un chef de caravane comme on en voit peu.
C'est un boute-en-train, dont la gaîté communicative
excite le moral des porteurs les plus affaiblis. Toujours
prêt il soulager les iraînards, à faciliter le passage d'un
ravin difficile, il entonne un joyeux refrain dès que la
marche reprend une allure normale.
Je sympathise assez volontiers avec ce bohème doublé
d'un profond philosophe, dont les reparties souvent
fort judicieuses me rendent quelquefois profondément
rêveur.
Grâce à lui, nous recevons au village de Palla, ou nous
arrivons assez tard, un accueil très cordial. Peu de
temps après notre arrivée, nous avons la visite d'un
groupe de Foulbés de TAdamaoua, qui reviennent d'un
ghezzou (expédition guerrière). Nous échangeons force
politesses et le plus important de ces personnages, gou-
verneur d'une petite fraction du Bouba N'Djidda, reçoit
un modeste cadeau. 11 a comme garde du corps un
superbe gaillard sanglé dans une cuirasse assez grossiè-
rement fabriquée, mais d'une propreté remarquable.
Celui-ci paraît très heureux de la curiosité qu'il provoque
de la part de nos hommes.
M. Maistre m'ayant laissé toute latitude pour lui faire
p. Brcxache. ?0
306 AUTOUU DU TCHAD
un présent, Ali me réprimande sm* ma munificence : quatre
mètres de drap et un chapelet ! « Qu'as-tu besoin de faire de
semblables cadeaux à tous ces mendiants! Tu n'es pas ici
au Bornou, au Baghirmi ou au Sokoto. Tous les « lamidos »
(gouverneurs) que tu vas rencontrer portent un beau
titre, mais c'est tout. Quant à leur influence, elle est nulle,
lu ne trouveras pas de « sultans » comme chez nous ! Le
lamido d*Yola lui-même, Djebairou, n'est qu'un maigre
personnage. Ne leur donnez rien, c'est à vous d'exiger,
puisque vous leur faites l'honneur d'être leurs hôtes. »
Ali est évidemment un frondeur qui respecte fort peu
les puissants de la terre, mais il faut bien convenir que
c'est sa prudence et sa sage économie qui nous permirent
d'atteindre Yola.
Nos hommes, qui sont allés faire des provisions au
village, sont tout heureux de nous apprendre qu'ils ont vu
des papaïers (carica papaïa) et des bcimfs. « Nous sommes
donc tout près de la côte! « nous disent-ils.
Nous sommes encore fort loin de la côte, mais il n'est
pas douteux que nous approchons de TAdamaoua. Les
nombreuses petites fermes bien entretenues, le nombre
considérable de bœufs à bosse ou zébus, le lait, le beurre,
que nous pouvons quelquefois nous procurer, dénotent que
les indigènes ont emprunté à leurs voisins, leur vie pas-
torale et tranquille. Presque tous les indigènes sont
vêtus ou portent des semblants de vêlements.
Au point de vue de l'agriculture, nous arrivons au
moment de la morle-saison. Les récoltes sont enlevées
depuis longtemps et le moment des semailles n'est pas
encore arrivé. Tous les indigènes sont occupés à la réfec-
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 307
tion de leurs cases et de leurs étables endommagées par
les longues pluies d'hiver.
Dans la journée du 13 janvier, le guide Abba, qui pos-
sède entièrement la topographie du pays, nous montre
une importante chaîne de montagnes qui se dirige du
sud-est au nord-ouest. Ce sont les monts du Mandala. Un
peu plus loin au nord, le pic de Doué.
Nous campons près d'un petit village assez riant
nommé Sa Féfé et, dans l'après-midi, nous avons la visite
du frère du « lamido » de Doué. Bien qu'il soit escorté
d'un garde de corps, portant cuirasse, et qu'il ait le chef
entouré d'un énorme turban qui lui donne l'air d'un
« Mamamouchi », je suis les conseils d'Ali, et je m'en
trouve bien, car le gros homme se montre fort satisfait
d'un cadeau absolument insignitiant.
Le dimanche 15 janvier, nous atteignons le village do
Lamé. Ce n'est pas, à proprement parler, un village. Nous
apercevons bien, éparses dans la plaine, de vastes a^lo-
raérations, mais les cases que nous longeons en ce
moment, bien construites et enfermées dans un enclos,
n'ont qu'un unique propriétaire : le chef de Lamé. C'est
presque un palais! en tout cas, c'est une ferme bien
installée et qui paraît fort riche.
« Crois-tu, me dit Ali, qu'il n'est pas pénible de cons-
tater que toutes ces cases, tout ce peuple, toutes ces
richesses n'appartiennent qu'à un seul homme! et c'est
un vulgaire cafer (fétichiste, infidèle) encore! II pos-
sède plus de 1000 femmes esclaves et peut mettre sur
pied 3000 cavaliers. » Ali exagère sans nul doute. Mais
nous pouvons nous convaincre par nous-mêmes de l'abon-
303 AUTOUR DU TCHAD
dance du bétail et surtout des greniers à mil. « Oui, dit
encore Ali, ces greniers qui font votre admiration, sont la
propriété personnelle du chef » ; et il ajoute philosophique-
ment : « Pauvres administrés! Ce n'est pas là où ils iront
puiser en cas de disette; ce sont cependant eux qui les
ont remplis! »
Décidément ce brave Ali est incorrigible! Heureusement
qu'il n'est pas compris de tout le monde, car le chef de
Lamé est un personnage auquel on doit le respect : en
effet, il exige un droit de passage de tous les étrangers
qui traversent la région et a repoussé victorieusement
toutes les attaques des Foulbés de TAdamaoua.
Grâce à la diplomatie d'Ali cl d'Abba, nous sommes
dispenses de payer le droit de passage. Us sont, je crois,
les premiers intéressés, et' leur manœuvre n'avait pas
tant pour objet de nous éviter une blessure d'araour-
propre, que d'éluder une redevance dont leur modeste
pacotille se serait sérieusement ressentie.
D'ailleurs, nous ne sommes nullement mis en cause, et '
nos cadeaux, fort bien accueillis, sont suivis de Tenvoi
d'un mouton et d'une chèvre, présents du chef.
En voyant cet envoi, Ali s'écrie : « H faut que vous lui
inspiriez des craintes sérieuses à ce vieil avare, pour
qu'il vous ait offert un tel présent! »
Il n'en est pas moins vrai que nous avons reçu l'accueil
le plus cordial dans cette tribu, qui ménage une heureuse
transition entre le nègre fétichiste et le Foulbé jaune, à
demi civilisé, de TAdamaoua.
Depuis quelque temps d'ailleurs presque tous les indi-
gènes sont vêtus. Le dernier des esclaves lui-même se fait
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS
309
un point d'honneur de dissimuler au(ai)t que possible son
tablier de peau, imilé des Saras, sous de misérables
bandes de coton, que le lemps et l'usage ont réduites en
cordelettes, mais qui pcrmeltent encore do supposer les
formes d'une ancienne tunique.
Les gens aisés portent le vêtement complet des Baghir-
miens et de toutes les populations soudanaises : panla-
310 AUTOUR DU TCHAD
Ions à la turque, amples tuniques indigo ou blanches avec
broderies autour du col. Comme coiffure, quelques cha-
peaux de paille ou des bonnets, sorte de sacs confec-
tionnés, comme le reste du costume, avec des bandes de
coton assemblées. On place cette coiffure sur la tele
comme Tancien bonnet de Phrygie.
Certains portent de longs couteaux rappelant assez le
glaive de nos anciens chevaliers. La poignée est en
cuivre et la garde en forme de croix, recouverte de cuir.
Le fourreau est en cuir rouge, fort bien préparé et habile-
ment confectionné.
Détail singulier et que nous avons scrupuleusement
vérifié parla suite : presque toutes les lames, longues mais
très communes d'ailleurs, sont de provenance européenne.
Elles sont, je crois, fabriquées à Solingen; c'est d'ailleurs
une constatation faite par Barth ou par Nachtigal, chez
les Touaregs, qui ont également le môme modèle d'épées.
Nous avons pu nous procurer quelques modèles fabri-
(jués dans le pays; ils sont de beaucoup plus artistiques
et surtout de meilleure qualité. Ils n'ont pas, il s'en faut,
la même valeur marchande auprès des indigènes.
Lamé est situe dans une vaste plaine, nue, à peine
ondulée, ridée par quelques ravins et d'une teinte unifor-
mément fauve. On se croirait sur les hauts plateaux algé-
riens.
La monotonie du paysage est seulement rompue par
un pic rocheux et gris sombre, qui se profile durement
sur le ciel bleu, à l'horizon.
« C'est là, nous dit le vieil Abba, notre deuxième guide,
(fue nous devrons nous rendre demain. C'est l'Hadjar
DU LOGONE AU PAYS DES LAKAS 311
Goumbaïré, limite Est de l*Adamaoua. Tous les gens de
Lamé se mettraient sur le pied de guerre, si une troupe
un peu importante de Foulbés, en armes, essayait de
franchir ce point, et les Lakas, avec lesquels vous avez
moins fait amitié, ne seraient pas les âpres à défendre la
frontière. »
CHAPITRE XV
L'ADAHAOLA
L'Adainaoïia. — Les premiers villages. — Gueroua. — Coup d'œif
d'ensemble sur les Foulbés, Yola, le ponton anglais. — A travers
TAdamaoua. — Gangomé. — Le Mouri. — Bakoundi. — Ren-
contre avec .MM. Nebout et Cbabredicr de la mission Mizon. — Ibi.
— La Benouc. — Le Niger. — Akassa. — Départ pour l'Europe.
Le 16 janvier, avant le jour, nous nous mettons en roule.
Nous sommes tous transis de froid, le thermomètre
accuse -f- 9, mais nous serions tentés de croire que la tem-
pérature est bien moins élevée.
A chaque halle, nos hommes allument de petils feux
pour réchauffer leurs membres engourdis.
Ces foyers, qui s'éclairent comme par enchantement
dans la brume du matin, nous réchauffent au moral comme
au physique.
C'est encore « aux sauvages », comme ils les appellent
avec mépris, que nos Sénégalais et nos Kroumans, ces
pseudo-civilisés, doivent de pouvoir se procurer du feu à
tout instant et en tous lieux.
Au début, tant que nous eûmes des allumetles, notre
cuisinier Dominique élait le fournisseur attitré de la cara-
L'ADAMAOUA 313'
vane. Mais, bientôt, il fallut prendre modèle sur les indi-
gènes et ceux-ci, depuis la Kemo jusqu'à TAdamaoua, ne
voyagent jamais sans être munis d'un sac de cuir, dont
la forme change selon les régions, mais qui contient
invariablement : un briquet en fer, quelques silex, de
Tamadou ou du colon imbibé d'huile et des petites brin-
dilles de bois pourri.
Bientôt tous nos hommes faisaient l'acquisition d'un de
ces nécessaires, qui, en pays civilisé, n'est guère plus per-
fectionné, et, en tous cas, ne fonctionne pas mieux que
cet outillage primitif entre les mains de sauvages.
On peut dire que l'usage du briquet est général; quant
à l'emploi des bâtonnets frottés l'un contre l'autre pour
obtenir du feu.... la légende l'a retenu, mais aucun d'entre
nous ne l'a vu pratiquer.
Notre marche s'effectue sur un plateau fortement acci-
denté et rocailleux. On aperçoit dans le S.-O. le massif
assez imposant du Bouba-N'jidda. Devant nous, un petit
contrefort se détache de l'Hadjar Goumbairé pour se
diriger vers le N.-E.
Contrairement à ce qui est indiqué sur les cartes, le sys-
tème orographique parait dans celte région suivre en
général une direction N.-S.
Nous sommes enfin dans cet Adamaoua, que nous déses-
périons d'atteindre, et que nos hommes considèrent comme
la terre de Chanaan, la fin de leurs fatigues.
J'extrais, de mon journal de route, les lignes suivantes
à la date du 18 janvier :
« Des pierres, des pierres et encore des pierres qui
nous font trébucher à tous moments. Le paysage, heureu-
314 AUTOUR DU TCHAD
sèment, est magnifique et THadjar Goumbairé, que nous
admirons toujours à notre droite, nous empêche, par la
beauté de ses sites, de songer aux nombreux ruisseaux,
ravins et rivières qu'il nous faut traverser au prix de
nombreuses fatigues. Puis nous rencontrons le lit desséché
de rivières qui doivent être très importantes aux hautes
eaux. Le Mayo Sanganaré, 50 mètres de large environ, le
Mayo Fabi, 35 à 40 mètres, le Mayo Djaraudé, 40 mètres,
laissent apercevoir, sous le sable doré et semé de paillettes
de mica qui miroitent au soleil, une nappe d'eau, claire et
fraîche, qui nous fait oublier Taridité des mamelons et les
nombreuses glissades sur les cailloux roulants. »
Chaque point d'eau nous vaut une halte, autorisée ou
non. Il est curieux de remarquer que le noir, très dur,
en général, à la fatigue, supporte, même dans son pays,
plus difficilement la soif que TEuropéen dépaysé et soumis
à des fatigues équivalentes. Rien ne saurait les empêcher
de faire halte et de boire à toutes les sources, à toutes les
mares, à tous les trous d'eau bourbeuse.
Nous traversons une région déserte, dépourvue de
villages, mais dont les routes paraissent cependant très
fréquentées. Entin, le 19 novembre, nous atteignons un petit
village d'aspect fort agréable bien que les cases semblent
assez délabrées et les cultures fort négligées. Devant les
cases des femmes, au teint jaune, vêtues d'étoffes de cou-
leur claire, nous ne songeons pas à observer les détails
du costume. Privés de la vue de « blancs » depuis de longs
mois, ces femmes et ces hommes (que Ton considérerait
comme des nègres en Europe) nous semblent atteints de
lièvre, tant leur teint nous paraît pâle, blanc!
L'ADAMAOUA 315
Nous sommes à Aoudjali, le premier village de l'Ada-
maoua, exclusivemeut habité par des Foulbés, mais nous
n'y faisons point halle ; nos guides nous engagent à pousser
jusqu'à Gadé, important village situé au pied du Djebel
Âdamri.
Cette partie de TAdamaoua a été fort peu, ou plutôt
point du tout explorée. Après les régions plates et mornes
que nous venons de traverser, ce magnifique pays nous
semble plus intéressant que les plus beaux paysages
alpestres. C'est peut-être aussi parce qu'ils en rappellent
les caractères généraux.
Bien que le pays soit extrêmement tourmenté, les routes
sont très agréables maintenant, elles sont larges et très
fréquentées.
Nous atteignons Gadé, important village très peuplé et
marché très important. Ce n'est pas le jour de la tenue,
mais, à peine sommes-nous arrivés, que la foule des mar-
chands et surtout des marchandes installent leurs éven •
taires.
Dix minutes de séjour à Gadé en apprennent plus sur
le caractère et les mœurs des Foulbés, que bien des dis-
sertations. Nous avons affaire à une population essentielle-
ment commerçante, douce, tranquille et en apparence aussi
peu guerrière que possible.
Les étoffes bleues et blanches sont très demandées.
Hommes et femmes sont très connaisseurs, ils manipulent
nos guinées, nos toiles, nos cotonnades comme le ferait le
plus expert des voyageurs de commerce. Ils sont satisfaits
de leur examen, mais leurs prix nous semblent excessifs.
Ils ne se contentent plus, comme les fétichistes, d'un petit
316 AUTOUR DU TCHAD
carré d'étoffe à peine suffisant pour confectionner un
bonnet. Nos marchands composent des lots de denrées, de
volaille, de façon à ce que leur valeur soit égale à un
« félel », deux ou trois « fétel », selon les besoins d'étoffes
qu'ils peuvent avoir.
Le « félel » est Tunité de mesure et vaut six coudées.
Les Sénégalais du Foula ïoro, qui parlent la langue des
Foulbés, appellent également les fusils « félel ». Est-ce
parce que ces armes, dans leur pays, comme chez les
Arabes, ont une longueur démesurée, atteignant celte
dimension; ou bien le fusil a-t-il servi, lors de son appa-
rition, d'unité de mesure chez les Foulbés? Je ne puis le
dire.
Une arme servant de base au sysléme métrique d'une
peuplade de mœurs aussi douces, ce serait assez étrange!
Nous contournons le versant septentrional du Loddo,
puis, après avoir traversé les villages deïoumbaïrc, Dioro
Adam, nous allons nous inslaller près de Dioro Dri, où se
lient un marché plus important que celui de Gadé.
Les métiers à tisser attirent notre attention. C'est une
réduction en miniature du métier primitif en usage sur
presque toute la surface du globe. La largeur de la pièce
tissée ne dépasse jamais 7 centimètres. Ces bandes fort
longues, par exemple, enroulées sur elles-mêmes, consti-
tuent ce que Barlh et Nachtigal désignaient sous le nom de
« turkedis » ; ce nom est inconnu dans la région.
Nous traversons le village de « Kenni », puis celui de
« Gouroundoko », où se trouvent des palmiers couverts de
régimes de dalles, mais ces fruits, paraît-il, n'arrivent
jamais à maturité.
• LADAMAOUA 317
La traversée du village de « Deulmi », où se tient un
marché très fréquenté, nous prend presque une heure.
Nous avançons entre deux haies d'hommes, de femmes,
d'enfants et de fort jolies jeunes filles, qui nous prodiguent
les salutations et les souhaits de bienvenue.
Toute la gamme des couleurs, sous un beau ciel pur et
un gai soleil, vient réjouir Tœil des plus indifférents.
Puis sur une jolie placette, bien éclairée, cinq grandes
cuves au ras du sol, entourées de grands diables, les bras
et les jambes couverts d'une boue violacée, qui étendent
des tuniques, des pièces d'étoffe sortant des cuves. C'est
une teinturerie.
A la sortie du village, Abba me montre, dans TEst,
l'Hadjar Gradé. Le 21 janvier au soir, nous traversons la
Benoué, en face du village de Douli. Le passage s'effectue
sans la moindre difficulté; la rivière mesure environ deux
cents mètres de large en cet endroit et sa profondeur ne
dépasse pas un mètre. C'est d'ailleurs un gué très fré-
quenté.
Le lendemain, nous étions arrêtés sur la rive gauche de
la Bénoué, en face de « Guéroua », et nous constations à
notre grand regret que les Européens n'y étaient plus.
Ali nous montre l'endroit où était amarré le bateau de
notre compatriote et le ponton anglais, mais, au dire
des indigènes, ces derniers sont partis depuis long-
temps.
Dès que notre arrivée est connue, nous recevons un
grand nombre de visites, entre autres celle du « lamido-
mayo », maitre de la rivière. Nous lui faisons un cadeau,
car c'est lui qui doit assurer le passage et, en cet endroit.
318 AUTOUR DU TCHAB
la rivière est encaissée et profonde, il faut la traverser en
pirogue.
Très étonné de l'importance du cadeau, le lamido nous
demande si c'est un présent destiné à Maliem-Issa, le
gouverneur de Gueroua. Lorsqu'il apprend que c'est à lui,
modeste fonctionnaire, que nous offrons ces richesses, il
nous déclare que nous n'avons dès maintenant à nous
occuper de rien et qu'il se charge de tout. En effet, peu
de temps après, nous étions campés sur la rive opposée et
les habitants de Guéroua nous offraient l'accueil le plus
hospitalier.
Guéroua est une très forte agglomération, assez bien
située à peu de dislance de la Benoué. Elle produit bonne
impression, grAce à ses nombreux bananiers, papaïers et
palmiers.
Un marché quotidien des plus importants est fréquenté
par une grande quanlilé d'hommes et de femmes. C'est
l'un des premiers endroits où nous voyons de la viande
abattue et débitée au détail. Les étoffes et les vêtements
confectionnés, les sandales en cuir habilement travaillé
sont apportés de tous les points de l'Adamaoua, du Sokoto
et même du Bornou.
On y traite également quelques affaires de gomme,
d'ivoire, de sel en quantités minimes, et aussi, il faut
bien le dire, les esclaves. Mais ceux-ci ne sont pas exposés,
les marchands les gardent h domicile. Enfin nous trouvons
sur le marché de Guéroua, au milieu de nombreux échan-
tillons de légumes indigènes, des oignons et de Tail, et
quehjues rares objets de provenance européenne.
Les Foulbés, qui sur eux sont d'une propreté remar-
L'ADAMAOUA 319
quable, paraissent négliger l'enlrelien des abords de leurs
villages, qui sont généralement entourés d'immondices et
de détritus de toutes sortes. En revanche, leurs habitations,
bien construites et très confortables, pourraient rivaliser do
propreté avec un intérieur hollandais.
Les Bornouans qui habitent Guéroua ont notamment
des intérieurs relativement luxueux; des alcôves en poterie
peintes de couleurs voyantes, et surtout de gracieuses
colonnettcs, construites exclusivement avec des marmites
superposées et peintes. Il est vrai de dire que cet usage
n'est pas général, c'est une sorte de « réclame ». Les
Bornouans qui habitent ces cases, semblables à l'extérieur
à celles des fétichistes, sont en effet d'habiles potiers. Tous
les étrangers qui sont à Guéroua exercent une industrie
quelconque. Beaucoup sont teinturiers.
Nous remarquons également, chez des Foulbés cette
fois, des objets figurés en relief contre les murs et peints.
Ils représentent, assez grossièrement du reste, des san-
dales, des épées, des pipes ou des planches à Coran. Nous
sommes d'ailleurs chez un taleb (lettré), qui enseigne le
peu qu'il sait, quelques versets du Coran, à un petit groupe
de jeunes garçons à la mine éveillée, à l'air intelligent.
Le type des Foulbés, de race pure, est loin d'être désa-
gréable et diffère absolument du type nègre. D'ailleurs,
s'il faut en croire certains auteurs, les Foulbés apparlien-
draient à la race sémitique. Suivant, en cela, la loi qui
paraît présider aux migrations des peuples africains, les
premiers Foulbés (au singuHer Poullo) viennent de l'Est.
C'est le seul renseignement qu'eux-mêmes peuvent nous
fournir. On leur a donné comme berceaux TAbyssinie et
320 AUTOUR DU TCHAD
les Indes. On relrouverail, paraît-il, dans leur langage (le
poulard) des racines malaises. On a même voulu voir en
eux Tune des douze tribus dlsraël, refoulée par les musul-
mans et contrainte bientôt à se converlir à Tislamisme.
Quoi qu'il en soit, ils se défendent fort d'appartenir à la
race nègre et nos Sénégalais du Fouta-Toro, bien que par-
lant leur langue, étaient considérés, non comme des com-
patriotes, mais comme des esclaves de Foulbés, à cause
de leur teint trop foncé.
Les Foulbés de TAdamaoua sont généralement petits de
taille. La tête est fine et assez délicate, le front découvert.
Les yeux, très expressifs, sont quelquefois d'un gris bleuté.
Enfin leur nez aquilin, leurs lèvres minces et surtout leur
teint clair, permettent de les considérer comme apparte-
nant à la race sémitique.
C'était en principe un peuple essentiellement pasteur,
qui s'est avancé peu à peu jusque dans les régions où nous
le trouvons et qui, par des conquêtes, tantôt pacifiques,
tantôt guerrières, s'est implanté dans ce pays, qui reçut le
nom d'Adamaoua en souvenir de son fondateur, Adama.
Du temps de Barth, en 1852, l'Adamaoua était sous la
dépendance de Mohammed Loël ^ Celui-ci en mourant
laissa deux fils : Omar Sanda, qui est décédé, et Djebaïrrou,
qui lui succéda et gouverne actuellement l'Adamaoua.
Djebaïrrou ' n'oublie pas (jue son aïeul Adama échan-
i. Peut-être serait-il plus exact de dire Mohammed Louel ou
mieux Mohammed 1*'. Louel signifie premier en arabe. — Barth se
servait de la langue arabe pour converser avec les Foulbés.
2. Depuis quelque temps, on désigne en Europe le lamido d'YoIa,
Djebaïrrou, sous le nom de Zoubir, pour les mômes raisons, sans
doute, qui ont fait transformer les noms de Mohammed en Mahomet
et Mrabetin en Almoravides.
L'ADAMAOUA
321
geait voionlicrs le bdlon du pasteur coiilre la lance du
guerrier. En ce moment, en effet, il est allé faire une
incursion chez des peuplades fétichistes qui refusent de
lui payer tribut.
Il a quelquefois aussi à réagir contre les tendances de
certains petits chefs de provinces qui montrent des velléités
d'indépendance, mais, en somme, il paraît jouir d'une
réelle inlluencc.
322 AUTOUR DU TCHAD
La paix et la tranquillité la plus parfaite semblent
régner dans toutTAdamaoua. Les voyageurs et les traitants
étrangers le parcourent isolément ou par petits groupes,
sans èlre le moins du monde inquiétés, bien qu'ils aient
souvent avec eux de très grandes quantités de marchan-
dises, d'ivoire ou de gomme. Les femmes circulent libre-
ment sur les grandes routes, sans ôtre accompagnées, elles
parcourent de grandes distances pour se rendre sur les
marchés : ce qui tendrait à prouver que la sécurité la plus
complète existe dans le pays. Je ne me hâte cependant pas
de conclure, car, s'il faut s'en rapporter à notre guide Ali,
les femmes foulbés « n'ont peur de rien ». « Elles ne sont
pas en peine de se trouver un chevalier parmi vos hommes
lorsque la nuit les surprend au moment de rentrer au
logis », nous dit-il. Cette fois encore, l'observation d'Ali
est très juste, mais j'aime à croire que, sur cette question,
naturellement ses études n'ont porté que sur le cercle
restreint de ses connaissances féminines.
Le mercredi 25 janvier, nous quittons Guéroua au
milieu d'un grand concours d'habitants, venus pour nous
adresser des vœux de bon voyage.
A partir de ce point, l'Adamaoua a été exploré non seu-
lement par les Anglais et les Allemands, mais encore par
notre compatriote le lieutenant de vaisseau Mizon. Nous
savions qu'il devait y revenir, nous avions donc toutes
sortes de bonnes raisons pour considérer notre mission
comme terminée.
Du reste, il fallait nous hâter de gagner Yola, car nos
ressources nous permettaient à peine cinq à six jours de
marche.
L'ADAMAOUA 323
Le 27 janvier, nous coupons Tilinéraire suivi par Barth,
en 1852, au village de Taëpé ou Taéfé. C'est un entasse-
ment de cases, habitées par une population de fétichistes
qui gardent les troupeaux de riches propriétaires foulbés.
Nous rencontrons précisément en route trois de ces trou-
peaux que Ton conduit aux champs. Les bœufs qui les
composent sont des zébus, bœufs à bosse, en parfait état
d'entretien, et les types que nous voyons nous donnent une
excellente opinion de la race. Nous traversons de nombreux
et beaux villages et nous campons à Ouro N'douli, magni-
fique oasis de bananiers et de citronniers, dont la popula-
tion est en majeure partie originaire du Bornou.
Le 29 janvier, nous rencontrons une sorte de petite ville,
d'aspect fort coquet, coupée en deux par une large rivière
aux berges hautes. C'est Guiré, résidence d'été du gouver-
neur d'Yola. C'est la dernière que nous rencontrerons
avant d'atteindre la capitale.
A onze heures et demie, Ali nous montre dans la rivière
une ligne blanche, une sorte de toiture flottante abritée
par une colline : « Réjouissez-vous, plus de cafers
(infidèles, fétichistes), plus de fatigues, vous voici arrivés!
Vous allez voir des blancs comme vous et prendre un
repos bien mérité! » Et il s'élance auprès des clairons, les
houspillant et les invitant à annoncer notre arrivée par de
joyeuses fanfares. Il est presque plus heureux que nous
d'être arrivé au terme du voyage, d'avoir réussi à nous
mener à Yola sans encombre et, certes, il en a le droit!
Nous devons à cet excellent compagnon ainsi qu'au vieil
Abba une bonne partie de l'heureuse issue de notre fin de
campagne. Grâce à eux, nous avons eu partout un excel-
324 AUTOUR DU TCHAD
lent accueil et jamais la moindre difficulté. Sans leur con-
cours, la durée de notre voyage se serait certainement pro-
longée d\m mois encore.... II nous restait à notre arrivée
à Yola, 29 janvier 1893, juste de quoi donner deux jours
de vivres à nos hommes !
M. John F. Bradshaw vint à notre rencontre et nous
offrit l'hospitalité la plus aimable et la plus cordiale à
bord du ponton Afrika dô la Royal Niger Company,
qui lui sert de résidence et de comptoir.
M. Bradshaw nous avait fait aménager des cabines à
son bord et il avait fait construire, à terre, des cases
pour recevoir nos hommes.
Nous comptions redescendre la Renoué en canot, mais
les eaux du fleuve avaient atteint leur niveau le plus bas.
Il n'y fallait pas songer. D'ailleurs le représentant de la
Royal Nigei' Company ne possédait qu'une énorme cha-
loupe qui ne pouvait naviguer et les pirogues sont absolu-
ment rares dans la région. Il fallut nous résoudre à suivre
la route de terre jusqu'à Ibi, point où la navigation à
vapeur est possible en toutes saisons, dès que nous aurions
pris quelques jours de repos et reconstitué notre pacotille.
La description que Barth donne de Yola nous faisait sup-
poser une ville relativement considérfible avec des cons-
tructions, sinon remarquables, du moins avec quelques
maisons essayant d'imiter, même naïvement, le style mau-
resque. Notre désappointement fut grand!
Yola est, en apparence, moins important que Laï. La
ville est fort triste, sauf sur l'emplacement du marché.
Nous parcourons les lieux décrits par Barth, mais nous
cherchons en vain les constructions qu'il décore du nom
L'ADAMAOUA 325
pompeux de « palais ». Du reste nous allons ùire bientôt
fixés, car nous nous rendons chez le vice-gouverneur, qui
doit nous recevoir en audience, en l'absence du gouverneur
d'Yola.
Nous suivons une muraille en terre, haute de quatre
raèlres et surmontée de buissons épineux. Une porte basse
dans le mur nu et une sorte de vestibule formé par une
case ronde à deux issues : c'est là que se tiennent les servi-
teurs et quelques solliciteurs privilégiés. Nous traversons
une première enceinte de murs qui renferme les trou-
peaux, puis une seconde, dans laquelle se trouvent les
habitations des familiers et des esclaves. Sur le seuil de la
troisième enceinte une case ronde assez mal recouverte en
chaume, formant vestibule comme la première, sert de
salle d'audience. Au delà, se trouvent les cases réservées à
la famille de Toukil (fondé de pouvoirs, vice-gouverneur) :
voilà ce palais! Murailles à part, les cases des N'gapoux
paraissent plus confortables!
Assis sur un tapis de provenance européenne, un beau
vieillard anguleux et diaphane nous reçoit avec un
empressement marqué et un grand luxe de formules de
politesse : c'est le lamido Bobo-Ahmadou, vice-gouver-
neur d'Yola. Sa physionomie ne manque pas d'un certain
caractère; il ne serait pas déplacé dans un cadre plus
majestueux, car, hormis son porte-glaive, son entourage
paraît peu digne d'un personnage aussi important.
Notre visite n'ayant aucun but politique, la conversation
a simplement trait à des généralités. Bobo-Ahmadou
paraît prendre intérêt au récit de notre voyage.
Enfin, après force compliments, nous le quittons en lui
326 AUTOUR DU TCHAD
promettant de revenir le voir. Nous lui remettons le
cadeau destiné au gouverneur Djebaïrou, et lui-même
reçoit un présent qui lui procure une joie qu'il ne cherche
pas à dissimuler.
Le lendemain, nous recevions de sa part un magnifique
bœuf qui fut accueilli par les cris de joie de nos hommes.
Une seconde visite au lamido Bobo-Ahmadou, pour lui
faire nos adieux, nous permet d'affirmer que notre pas-
sage devait laisser une excellente impression auprès des
gouvernants et de la population d'Yola, avec laquelle nous
sommes restés en excellents rapports pendant les huit jours
que nous employâmes à faire nos préparatifs de départ '.
M. Bradshaw nous avait procuré à 1res bon compte six
chevaux et leur harnachement. Grâce à son obligeance,
nous avions remonté notre pacotille; il avait en outre abso-
lument épuisé sa réserve pour nous munir d'excellentes
conserves d'Europe, qui arrivaient fort à point pour nous
faire oublier les privations que nous endurions depuis un an.
Le 4 lévrier, à midi, nous quittons Yola, nous dirigeant
vers le centre important de Laro. Pour éviter la route
extrêmement accidentée qui longe la Renoué et présente
des difficultés considérables, pour notre personnel épuisé,
nous devons descendre vers le sud, et de Laro nous diriger
vers Kountcha; de ce point la route est directe jusqu'à Ibi.
1. YoIa est un marché très important fréquenté par les Arabes
Algériens, des Tunisiens, des Tripolitains, des Bornouans et même
des Egyptiens,dont un, surtout, jouit d'un certain crédit auprès du
lamido. Les précieux renseignements fournis par ce dernier et par
les marchands étrangers (qui sont aussi de hardis voyageurs), en
résidence à Yola lors de notre passage, ne peuvent entrer dans le
cadre de ce livre. Us feront l'objet d'une publication spéciale, qui
paraîtra prochainement.
L'ADAMAOUA 327
Cet itinéraire, plus long en apparence, abrège sérieuse-
ment celle partie de notre voyage, parce que le chemin,
excellent à tous les points de vue, et parfaitement prati-
cable, nous permet de doubler les étapes sans fatiguer nos
hommes d'escorte. Ceux-ci croyaient leurs épreuves ter-
minées à Yola, où nous comptions trouver des vapeurs, et
l'annonce d'une marche à pied qui devait durer un mois
les avait quelque peu découragés.
Nous n'eûmes pas à nous plaindre d'eux et ils supportè-
rent courageusement ce surcroît de fatigues. De Kountcha
à Gangomé nous traversons sans incident un pays mer-
veilleusement pittoresque, extrêmement montagneux et
hérissé de pics escarpés qui atteignent des proportions
considérables; la route, généralement à flanc de coteau
ou serpentant au fond des vallées, s'effectue sans efforts
jusqu'à Gangomé, le village qui sert de limite à l'ouest
à ce pays que, depuis THadjar Goumbaïré, nous venions de
parcourir dans sa plus grande largeur.
En arrivant à Gangomé nous nous trouvons, par un de
ces brusques changements de décor si fréquents en
Afrique, sans transition aucune, en présence d'une végé-
tation absolument différente.
Après avoir éprouvé, depuis Yola, Tillusion de la
Suisse : des montagnes escarpées couvertes d'arbres qui
prenaient des faux airs de sapins, nous avons tout à coup
devant les yeux un paysage congolais avec ses « bombax »
gigantesques, ses lianes, et ses sous-bois impénétrables.
« Serions-nous retournés chez les Bondjios! » demandent
nos hommes avec stupeur. Et leurs craintes deviennent
sérieuses lorsqu'ils voient arriver un cortège d'Hercules,
328 AUTOUR DU TCHAD
presque nus, qui franchissent une porte ménagée dans une
palissade, en tous points semblable à celles qui entourent
les villages de TOubangui.
Heureusement qu'il se trouve, à Gangomé, un Foulbé
pour rassurer notre monde : « il leur dit que le village est
peuplé de païens Tchambas^ esclaves du lamido de
Kountcha, et il ajoute qu'en marchant bien nous pourrons,
en deux jours, atteindre Bakoundi dans le « Mouri », où
les Anglais possèdent une importante factorerie. »
C'est plus qu'il n'en faut pour leur redonner confiance.
Le 22 février, nous traversons le curieux village de Gan-
gomé, littéralement enfoui dans les taillis et bien défendu
par sa triple enceinte de pieux; puis, après être passés à
BcUi, gros village fortifié, et peuplé en majeure partie de
Haoussas, nous atteignons Bakoundi.
C'est une ville importante, située sur la rive gauche d'un
des principaux affluents de la Bcnoué.
Le 25 février, dès notre arrivée, nous allons faire
visite au chef, fort beau jeune homme à la physionomie
intelligente, qui nous accable de questions sur notre
voyage. Il a vu les Anglais de près, alors qu'ils occupaient
encore leur importante factorerie, et s'est rendu compte de
tous les avantages de la civilisation européenne.
Il ne peut comprendre, par suite, que des gens, habi-
tués comme nous au bien-être et au confort, se soient
imposé volontairement des fatigues et des privations
sérieuses pour visiter le pays des Gafers...! le Bled el
Abid (la Région des esclaves).
Je ne puis résister au plaisir de citer une anecdote qui a
marqué notre séjour à Bakoundi.
L'ADAMAOUA 329
Je remprunte à mon excellent ami et compagnon de
voyage Clozel. Je le fais d'autant plus volontiers que ce
m'est une occasion de rappeler que Clozel, après un court
séjour en Europe, à peine remis de la terribe maladie
qui menaçait de l'emporter en pays laka, n'a pas hésité à
repartir vers ces régions lointaines pour continuer fœuvre
de la mission Maistre et explorer de nouvelles régions.
Dans l'après-midi, le chef que nous avions déjà vu,
envoya demander Tun de nous; Clozel se rendit à sa
résidence et voici comment il raconte son entrevue :
« Je fus introduit, non plus dans la salle d'audience, mais
plus loin, dans une petite cour qui précédait immédiate-
ment les appartements privés du chef.
« Celui-ci ne se fit pas attendre et vint s'asseoir par terre
en face de moi. Après les compliments d'usage, toujours
fort longs et compliqués :
« Abderrahmann », me dit-il (Abderrahmann est le nom
que s'était donné le voyageur allemand Flegel, pendant
son voyage dans l'Adamaoua), « est passé par Bakoundi en
« retournant dans le pays des blancs. Il emmenait avec lui
« un vieillard de Yola que vous avez pu voir, car il vit
« encore. Ce vieillard n'avait plus de dents dans la bouche.
« Quand il repassa par ici pour retourner à Yola, il possé-
« dait des dents superbes qu'il ôtait et remettait à volonté.
« Seulement, j'ai appris depuis que ces dents s'étaient
« cassées et qu'aucun ouvrier de l'Adamaoua n'avait pu les
« réparer. Est-il vrai que, dans votre pays, on puisse
« fabriquer de pareilles merveilles? »
« Je me hâtai de lui répondre que rien n'était si com-
mun, que nos artisans confectionnaient aussi des cheveux
330 AUTOUR DU TCHAD
et des yeux pour ceux qui u'en avaient pas, et je quit-
tai mon interlocuteur enchanté. »
J'eus un soupir de soulagement lorsque Clozel nous
rendit compte de sa visite. En effet, nous étions avisés que
le lieutenant Mizon était dans la partie septentrionale du
Mouri. Ne connaissant pas les projets de notre compa-
triote, nous ne pouvions, dans la crainte de contrarier ses
plans, répondre d'une manière satisfaisante aux questions
t|ue le chef de Bakoundi ne manquerait pas de poser.
D'autre part, nous étions dans une factorerie appartenant
à la Royal Niger Company, et son représentant à Yola
avait eu à notre égard une altitude tellement correcte, que
nous étions tenus à la plus extrême réserve, si le jeune
chef désirait avoir notre avis sur la Compagnie anglaise.
Aussi, au départ de Clozel, je craignais que l'entrevue
demandée par le chef eût pour objet quelque question
indiscrète sur ce sujet. Pour cette fois, le jeune chef vou-
lait simplement élucider une question industrielle. Sa
curiosité était plus facile à satisfaire. Il est certain que le
gouverneur n'ignorait pas les rivalités qui existent entre
TAngleterre et la France au sujet de ces régions. C'est
même le seul chef qui ait paru s'en soucier quelque peu.
Malgré sa réserve et les circonlocutions orientales dont il
entourait ses discours, il était visible qu'il aurait désiré des
renseignements circonstanciés sur la politique que les
deux compétiteurs comptaient suivre dans le pays.
Il ne nous appartenait pas de le fixer à cet égard.
Nous dûmes faire séjour, le 26, à Bakoundi. Nos porteurs
et une bonne partie des Sénégalais de l'escorte comptaient
déjà deux ans de campagne. Continuellement en marche
L'ADAMAOUA 331
et constamment chargés, décimés par la variole, il était
temps de les rapatrier. Nos marchandises étaient égale-
ment bien réduites et les vivres coûtaient fort cher.
Nous eûmes la visite du chef et de quelques-uns des
principaux habitants, qui défilèrent en une cavalcade vérita-
blement curieuse. Outre la musique habituelle, composée
de clarinettes et d'énormes tambours, le cortège était
précédé de deux piétons marchant à une allure très vive
et soufflant à pleins poumons dans d'énormes trompettes,
longues de 1 m. 50, qui donnaient deux ou trois notes
prolongées d'un effet très bizarre.
Nous quittons Bakoundi le 27, et, le 28 février, nous
atteignons le village de Serki-N'Bornou. Dans la soirée,
un indigène remet à M. Maistre une lettre envoyée par
M. Nebout, qui arrivera lui-même le lendemain.
Briquez et moi attendons avec impatience l'arrivée de
cet excellent camarade, qui a fait avec nous la précédente
campagne et qui a su se faire aimer et estimer de tous.
11 arrive enfin, et c'est avec une émotion des plus vives
que nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Avec lui
se trouve M. Ghabredier, qui fait également partie de la
mission Mizon. Sa droiture, sa loyauté et sa franchise,
lui acquièrent bientôt toutes nos sympathies.
Nebout apporte à M. Maistre des dépêches du lieute-
nant Mizon. Il nous donne aussi des nouvelles d'Europe,
vieilles de cinq mois, mais récentes pour nous, qui, depuis
un an, n'avons plus reçu de courrier. Nous passons une
bonne partie de la nuit à nous entretenir avec nos amis,
et c'est avec la plus profonde tristesse qu'il faut nous
séparer d'eux.
332 AUTOUR DU TCHAD
Le 3 mars, nous quittons Serki-N'Bornou, non sans
dissimuler une larme en voyant s'éloigner Nebout et Cha-
bredier : nous savons par expérience quelles dures
épreuves attendent nos amis! Notre tûche est terminée
depuis longtemps, mais eux vont bientôt entrer dans la .
période d'action ; quel sera le sort que l'avenir réserve à
nos deux amis! La pluie vient ajouter à notre tristesse.
Depuis quelque temps en effet, quelques ondées nous
annoncent l'approche de la saison des pluies. Nos hommes
sont las et se traînent péniblement.
Enfm, le 6 mars, nous atteignons Ibi, poste important
de la Royal Niger Company sur la Benoué.
Une réception des plus franches et des plus cordiales
nous est faite par MM. Hill et Spinck, représentants de la
Compagnie. Des logements sont préparés dans le char-
mant « cottage »• de construction récente, qu'ils habitent
dans le haut de la ville. Ils nous font ensuite visiter une
immense factorerie, située près de la Benoué, avec un
appontement pour permettre aux navires d'accoster; de
magnifiques jardins, des magasins immenses, des loge-
ments d'employés et un corps de bâtiment fort coquet et
très confortablement aménagé. Devant notre admiration
en présence de ce vaste établissement aussi merveilleuse-
ment installé, nos hôtes conviennent, avec la meilleure
grâce du monde, que tout l'honneur de cette œuvre remar-
quable appartient à une « compagnie française ». Le direc-
teur général, qui était jadis notre compatriote, le com-
mandant Mattéi, homme entreprenant et énergique, avait
su, avec de faibles moyens, tirer un immense parti des res-
sources du pays. Un grand nombre de factoreries semblables
L'ADAMAOUA 333
avaient été créées sur différents points de la basse Benoué
et du bas Niger.
Il y a dix ans, pour des raisons que je n'ai pas à exa-
miner, la Compagnie française fut obligée de vendre ses
établissements. L'Angleterre ne pouvait laisser échapper
cette superbe occasion de s'emparer des bouches du Niger
et, du même coup, de s assurer Tune des meilleures voies
de pénétration vers Tintérieur : la Royal Niger Company
fit Tacquisilion des comptoirs et des territoires sur les-
quels flottait jadis notre pavillon. Nous supportons aujour-
d'hui les dures conséquences de cette substitution qu'il
eût été, cependant, très facile d'éviter!
Le 11 mars, le vapeur Binné et deux chalands empor-
taient toute la mission et descendaient rapidement la
Benoué et le Niger.
Arrivés, le 24 mars, à Akassa, entrepôt de transit de la
Compagnie anglaise, nous quittions ce port le 30 mars
1893, et nous faisions route pour l'Europe à bord du
paquebot Angola de Y Africain S team Ship Company,
Une partie des membres de la mission comptait quatorze
mois et vingt jours de campagne; l'autre, celle qui avait
pris part aux deux expéditions, deux ans et quinze jours.
A ce jour la mission Maistre avait parcouru 5228 kilo-
mètres dans le Continent africain.
Partis six Français du poste de la Kemo, nous étions tous
les six sur le pont du paquebot qui nous ramenait en France.
Notre personnel noir avait été, par contre, sérieuse-
ment éprouvé. Nous ne pouvions, hélas! rapatrier que
cent trente-deux hommes seulement, sur un effectif de
cent quatre-vingts au départ.
CHAPITRE XVI
L'ŒUVRE DE LA MISSION HAISTRE
L'AVEIWIR. — COIVCLUSIONS
Il ne m'appartient pas de dire dans quelle mesure
chacun a contribué à la réussite de Tceuvre, ni de fixer
fimportance de notre tâche terminée. Je me suis borné à
recopier presque mon journal de route, afin de permettre
simplement au lecteur de juger, par lui-même, ce que
nous avons fait.
Bien que nous nous soyons heurtes contre l'impossibi-
lité matérielle de pousser aussi loin vers le Nord que
nous l'eussions désiré, nous avons la conscience d'avoir
accompli de point en point le programme que nous avait
tracé le Comité de TAfrique française : Atteindre k Chari
et nouer des relations avec des musulmans du bassin
du Tchad,
Nous avons fait plus, puisque nous avons doublé notre
itinéraire, en parcourant la région comprise entre Palem
et Guéroua, qu'aucun Européen n'avait encore explorée.
De la Kemo à Palem, nous avons traversé, du Sud au
Nord, une région absolument inconnue, dans laquelle
L'OEUVRE DE LA MISSION MAISTRE 335
aucun Européen n'avait encore pénétré et, comme le
disait M. Harr}- Alis : « Voilà désormais le Congo français
continué par des traités authentiques, jusqu'au Baghirmi,
dominant ce pays, et par conséquent le Tchad, par le
Sud. »
Au point de vue géographique, dans cette première
partie de notre itinéraire, nous avons pu déterminer
d'une façon précise la ligne de partage des eaux entre le
bassin du Congo et de TOubangui, d'une part, et celui du
Chari et du lac Tchad, d'autre part.
Nous avons reconnu et relevé, pendant plus de cent
kilomètres, le cours supérieur de la branche principale du
« Chari » qui, en celte région, porte le nom de « Gri-
bingui » et reçoit le « Bamingui » [Dohar el Abiod), sur
le territoire d'une peuplade chez laquelle nous avons
passé un traité.
Le Gribingui {Bahar el Ardh) des cartes reçoit un
affluent de rive gauche d'une assez grande importance,
dont nous avons déterminé plusieurs points, ainsi que le
confluent. Cet affluent pourrait être le Gouroungou des
cartes.
Nous avons pu nous convaincre que l'hypothèse de
Nachligal, au sujet d'une bifurcation qui unirait le Chari
au Logone par un bras de rivière, était inadmissible.
L'illustre voyageur n'avait d'ailleurs accepté que sous la
plus extrême réserve ces renseignements fournis à dis-
tance, par des indigènes, sur une région qu'il n'a jamais
visitée personnellement. Nous avons pu constater que les
marais, cause probable de cette erreur des traitants
musulmans, ne communiquaient pas tous entre eux à la
33) AUTOUR DU TCHAD
saison des pluies et qu'ils étaient complètement à sec pen-
dant la saison sèche.
Arrivés à Palem, nous aurions pu considérer noire
mission ccmime terminée; nous avons tenu à honneur de
revenir par une route, plus longue à la vérité que la pré-
cédente, mais qui traversait un immense blanc de la carte
qu'aucun Européen n'avait encore visité.
Celte deuxième partie du voyage, de Palem à Guéroua,
suivant une direction générale Est-Ouest, nous a permis
d'élablir une ligne de partage des eaux entre le Chari el
le Logone. Elle se compose d'une série de plateaux peu
élevés, mais qui, cependant, déterminent nettement la
limite des deux bassins.
Le passage du Logone à Laï, à un degré au sud du
point oii Barth l'avait franchi, permet de rectifier cette
partie de son cours.
Nous avons rencontré et signalé un important affluent
de rive gauche de ce fleuve : le Ba Tenna, dont on igno-
rait Texistence.
Enfin la mission Maistre a recueilli d'importants ren-
seignements sur le système orographique et hydrogra-
phique du pays qui s'étend entre le Logone et l'Âdamaoua.
Au point de vue politique, la mission a passé de nom-
breux traités avec les chefs fétichistes des territoires
situés entre la Kemo et le Gribingui. Elle a constaté que,
chez ces populations, il n'existait aucun lien fédératif
entre les tribus, et que les différentes fractions d'une
môme tribu manquaient de cohésion et se trouvaient,
elles-mêmes, souvent divisées par des luttes de village à
village.
L'OEUVRE DE LA MISSION MAISTRE 337
Les traités conclus par la mission, chez les chefs impor-
tants Yagoussou et Finda, donnent à la France des droits
incontestables sur les deux rives du Gribingui.
Le traité passé avec Mandja-Tezzé, dont les terres sont
baignées par le Ghari proprement dit; celui aux termes
duquel le M'bang de Laï place sous notre protectorat ses
immenses territoires, sur les deux rives du Logone, assu-
rent à la France les deux routes les plus pratiques, les
plus sûres, les plus rapides, pour relier le Gongo au Tchad.
La détermination des frontières du pays des Saras
indépendants, du Baghirmi méridional et du riche et puis-
sant État de Laï, permettront d'agir dans ces régions en
toute connaissance de cause et sans la moindre hésitation.
Je ne saurais passer sous silence l'importance que pré-
sentent les traites passés, au sud du Toubouri, avec les
populations qui habitent le pays compris entre le Logone
et TAdamaoua, notamment les Lakas. Ils assurent, en
effet, à la France une priorité d'influence incontestable
sur la région située à t'Est de VHadjar Goutnbairé,
limite orientale de VAdamaoua, et rendent inutiles tous
les efforts qui pourraient être tentés par le Cameroun
allemand ou par VAdamaoua,
Grâce au tact et à la délicatesse de M. Maistre, qui
avait, en quittant les pays fétichistes, laissé à ses compa-
gnons parlant arabe la plus grande latitude, la plus large
part d'initiative, le passage de la mission chez les musul-
mans sera fécond en heureux résultats. Son séjour en
pays d'Islam a laissé un souvenir durable. 11 a permis, en
outre, aux collaborateurs algériens de M. Maistre, de
recueillir, auprès de leurs nouveaux amis, un grand
p. Brunachk« 22
338 AUTOUR DU TCHAD
nombre de précieux renseignements qu'ils complètent en
ce moment, grâce aux relations constantes existant
entre le Baghirmi, le Dornou, VAdamaoua et nos pos-
sessions du nord de V Afrique, Le moment est proche
où ils pourront les mettre à profit * et utiliser les excel-
lentes et nombreuses relations qu'ils se sont créées chez
ces populations nullement fanatiques.
Déjà Glozel est parti pour rejoindre ces musulmans
noirs qui nous ont offert leur concours le plus dévoué.
Nous les avons étudiés ensemble pendant cette dernière
campagne, nous comptions mettre nos travaux en commun
pour publier ce livre. Ayant un plus long itinéraire à par-
courir, puisqu'il a choisi la route de la Sanga, il est parti
le premier. L'avenir nous permettra sans doute de réaliser
cet autre rôve que nous caressions pendant la route :
« Partir, Tun du Congo, l'autre de l'Algérie, et aller nous
serrer la main sur les rives du Tchad. »
Telle est, esquissée à grands traits, mais franchement
et loyalement exposée, « l'œuvre de la mission Maistre! »
Nous oublierons les dangers, les fatigues, les privations
endurées, les maladies qui ont suivi le voyage, si nos
efforts en vue de la réalisation du projet de notre héroïque
devancier, Grampel, ont répondu aux espérances que Ton
fondait sur notre expédition.
1. De nombreux Bornouans et Haoussas, rencontrés au cours de
notre voyage, sont déjà venus me rendre visite en Algérie. L*un
d'eux, que j'ai rencontré fortuitement, ne revenait pas de sa surprise
à ma vue, il ne pouvait en croire ses yeux.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I
DE PARIS A BRAZZAVILLE
Les missions du Comité de l'Afrique française. — Crampel el
Dybowski. — La traversée. — Loango. — La roule de Loango
à Brazzaville : le Mayombe, Loudima, Bouenza, Comba, le
Djoué, Brazzaville, le Pool. — M. Dolisie {
CHAPITRE II
DE BRAZZAVILLE A BANGL'I
Séjour à Brazzaville. — Le Congo, Lirranga, TOubangui ;
anthropophages. — N'gombé, les forges, les Bondjios. —
Mozzakka. — fiangiii 31
CHAPITRE 111
LES BANZIRIS
Création d'un poste chez les Ouaddas. — M. Nebout dans la
M'poko. — M. Brunache dans TOmbella et la Kemo. — Les
Togbos 02
CHAPITRE IV
A LA RECHERCHE DE CRAMPEL
Bembé, les Dakoas, les N'gapoux, les Musulmans. — Retour
à Bangui 89
CHAPITRE V
SECOND VOYAGE DANS LA KE.M0
Installation chez les Togbos. — M. Dybowski rentre en France.
— La mission Maistre est signalée 124
CHAPITRE VI
LA MISSION MAISTRE
De Lirranga à la Kemo. — Organisation du convoi. — Départ
vers l'inconnu. Les N'dris H2
CHAPITRE VII
DÉPART DE CIIRZ LES n'dRIS
Départ de chez les N'dris. — Disparition des guides. — A l'aven-
ture. — Ligne de partage des eaux des bassins du Tchad et
de rOubangui. -— La tribu des Mandjias 136
CHAPITRE VIII
EN PAYS MAKDJIA
Les indigènes désertent les villagea. — Alerte. — Attaque du
camp. — Capture d'un Mandjia. — Nouveau combat. —
Marche lente et incertaine. — Rep'rise des relations 164
340 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IX
COUP d'oeil d'bRSBIIBLB sur lis VAIIIMIAS
Traité avec Candia. — Les Ouias-Ouias. — Les Aouakas. —
Traité avec Tagoussou. — Le Gribingui 178
CHAPITRE X
SUR LES RIVES DE ORIBINGL'I
Premier passage du fleuve. — Akoungas. — Ireni. — Le et
Baminguiet Ali Djaba. — Premier marais. — Dakamandougou.
— Rétous ou Arélous. — Dakala. — Les Vasakos 188
CHAPITRE XI
LES SARA8
Mandja-Tezzé et les premiers Saras, Mara. — Tribu de géants.
— Dans les marais. — Disette. — Désertions. — Rassinda.
— Vols. — Djemalli. — Les passeurs exigeants. — Nouveaux
marais. — Garenki 205
CHAPITRE XH
LES VASSAUX DU BAGHIRHI
Gako, Saïd. —Aperçu historique sur le Baghirmi. — La confé-
dération de Daï, Koumra. — En roule pour Palem. — Les
Toummocks. — Nachtigal. — Retour par l'Ouest 229
CHAPITRE XHI
A TRAVERS L*INCONPIU
Départ vers l'Ouest. — L'eau se fait rare. — Négociants de
Karnak-Logone. — Modaguéné. — La vallée du Logone. —
Les Gaberis. — Arrivée à Laï 257
CHAPITRE XIV
DU LOGONK AU PAYS DES LAKAS
Passage du fleuve. — Le guet-apens du 27 novembre. — Le
Ba Tenné, les Mouls. — Dogo. — Les Lakas i*80
CHAPITRE XV
l'adamaoua
L'Adamaoua. — Les premiers villages. — Guéroua. — Coup
d'œil d'ensemble sur les Foulbés, Yola, le ponton anglais. —
A travers FAdamaoua. — Gangomé. — Le Mouri. — Ba-
kouudi. — Rencontre avec MM. Nebout et Chabredier de
la mission Mizon. — Ibi. — La Benoué. — Le Niger. —
Akassa. — Départ pour l'Kurope 312
CHAPITRE XVI
l'ckuvre de la mission maistre. l'avenir
Conclusions 334
PLANCHE HORS TEXTE
carte du centre de l'afrioub '341
Coulommiers. — Inip. Paul BHODARD.
~P Anntuncay
ANCIENNE LIBRAIIUE GERMER B.VILLIËRE ET G»
FÉLIX ALGAN, Éditeur
PHILOSOPHIE - HISTOIRE
CATALOGUE
DES
Livres de Fonds
3
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CuLhKCTION IllSTUHlUlE
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Philii:»o|il(it; aiiL-iuiiiio.. .
IMiilosopiiie inodoriio.
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Pliilosi>{ihin icossiiiso S
l'liil(.iso|ihie Hlleiiiande H
PlitluM)[ihi(* allciiiaiitie coii-
teiii|UM-:iiiic '•)
PliiIo>o|)liii! un^l.iisu < uiiloin-
l'orain*^ U
Pliiluso|iliii'italkMinocoiiU-ni-
|)oniiiie 10
0UVBAGF:.S f)K i'IlILOSOl'UlL l'Ol'K
L'E.NSIIA.M.MKNT ^ ECONDAinii . Il
BlDLIOTilKUl K Ii'llISluIRE UON-
IKMl'iiIUI.NE 1-2
biliLlOlllÈOUE INTHIINATIUNALE
U'ilIdroillE MII.IIVIIVE li
Bini.IOIIIK(>UR IIIâT<»!'.lUl'(^ KT
POLI riQUE 14
Prf};es.
PrBLIi:\TIONS lllSTDItlÛl'ES IL-
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PiKl.l'EIL UKA JNSTRL'CTIO.NS DI-
plumatiui e.s 15
1n\kntaihk analytique des
AllCUlVEd ne MIMSTÈIIE DBS
AFFAIRES KIHANGKRF.S 15
HeVUE l'HILOSDl'IlIQL'E 16
Revue historiuce 10
Annales hk l'école lidre des
d<:iENOES POLITIQI'KS 17
IVevik MKNSLFLLI- DE l'i^cole
U'aNTUUOI'OLOMK 17
Annxlks des sciences psycui-
ÛLFS 17
blDLIuTIl^.UUK îïCILNIIFIQUE IN-
TPHNATIONALE 18
Par urdiv «l'aiiparition 18
Par orilri' •!<' lualiùrcs 21
OlvRxGiS niVEH-i XE SE TIIOU-
\ANT PA'* D\XS LES GULLEC-
TIUN3 PUKi.ÉDENTKS îi
BlIli.IOlItKOUE l'TILE 31
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ALAUX, profc-sMcur à la Faculté des lettres d'Alicer. Philosophie de M. Goiisin.
▲RRÊAT (L.). La Morale dans le drame, l'épopée et le roman. î* édition.
▲UfitK (Kd.). Philosophie de la médecine.
BALLET (G.), pr(ire8>cur ai;r<'gé k la Faculté de médecine. Le Langage intérieiir
et les diviTses foniiea de l'aplianie, avec (Igiires «lans le texte. 2* édil.
fiARTHÊLI:;MY-SAl?]r-HILÂlKl:;, de llnstitut. * De la MéUphysiqne.
BEAUSSIIŒ, de rinstitut. * AntécédenU de l'hégélianisme dans la philoiopbie
f ran cai s e .
BERSOT (Ernest), de l'Institut. * Libre philosophie.
BERTAULD, sénateur. * L'Ordre social et l'Ordre moral.
— De la Philosophie sociale
BERTRAND (A.), prorcsseiir à la Faculté df>s lettres de Lyon. La Psychologie de
Teffort e les doctrines contemporaines. 1889.
B1NET(A.). La Psychologie du raisonnement, expériences par riiypuoliame.
BRlDtL (Loui<>). piofe.^scur à la Faculi*' iW. droit di> (ïenèvc. Le Droit des Femmes
et lo Mariage. 18!il
BOST. Le Protestantisme libéral. P.ipier vélin. 5 fr.
B()IITMY(E.), de l'Institut. Philosophie de l'architecture en Grèce.
CAiîUS (P.). Le Problème de la conscience du moi, traduit de l'anglais par
M A. iMonod, aver tjravurcs.
CHALLËMKL-LACOUR. * La Philosophie individualiste, étude sur G. de Hum-
boldt.
COltiNKT tM- . La Morale indépendante. '» fr.
CONTA ( K.).* Les Fondements de la métaphysique. Irad. du roumain par D. TcscA!iu.
COQUKKEL Fii.s (Aih.). Transformations historiques du christianisme. Papier
vélin. 5 fi*'
— Histoire du Credo. P;'pitr vélisi. 5 fr.
— La Conscience et la Foi.
COSTK(Ad.;. Les Conditions sociales du bonheur et de la force.
DELB(£l}F(J.),prof. à rUiiivt-rsiié de Liège. La Matière brute et la Matière viTante.
eSPlNAS (A.u doyon dn la Faculté des lettres de Bordeaux. * La Philosophie
expérimentale en Italie.
FA1VKE(E.). professeur à la Faculté des sciences de Lyon. De la Variabilité des
esoècos.
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jusqu'à la bataille de Sadowa. 1 vol. in-iâ. 6' édit., auf^mentée d'un chapitre
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1 volume in-IS. 3* édition, mise au courant des événements par P.
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ASSELINE (L.). * Histoire de l'Autriche, depuis la mort de Marie-Thérèse
jusqu'à nos jours, l^vol. in-là. 3* édit. 3 fr. 50
SAYOUS (Ed.), professeur à la Faculté des lettres de Toulouse. Histoire des
Hongrois et de leur littérature politique, de 1790 à 1815. 1 vol. iD-18. 3fr.50
ITALIE
SORIN (Élie). Histoire de lltalie, depuis 1815 jusqu'à la mort de Victor-
Emmanuel. 1 vol. in-12. 1888 3 fr. 50
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REYMALD (H.). * Histoire de l'Espagne, depuis la mort de Charles 111
jusqu'à nos jours. 1 vol. in-t2. 3 fr. 50
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CRÉHANGE (M.), at^régé de rilnivcrsité. Histoire contemporaine de la
Russie. 1 vol. in-1:!. 3 fr. 50
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DAENDLIKER. Histoire du peuple suisse. Trad. de l'allem. par M"* Jules
Favre et précédé d'une Introduction de M. Jules Favre. 1 voliini'^
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RÉRARD.* La Turquie et l'Hellénisme contemporain, 1 v. in-lâ. 1803. 3fr. 50
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DEBERLE (Alf.). Histoire de l'Amérique du Sud, depuis sa conquête
jusqu'à nos jours. 1 vol. in-l'i. 2* édit. 3 fr. 50
LAUGEL (AuK). * Les États-Unis pendant la guerre 1861-1864. Sou-
venirs personnes. 1 vol. in-li, cartonné. 4 fr.
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au diz-huitiéme siècle. 2 vol. in-i'i. Chaque volume. 3 fr. 50
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suite aux deux précédents. 3 fr. 50
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civile. 1 vol. in-1'2. 3 tr. 50
DESPOIS (Eiig.). * Le Vandalisme révolutionnaire. Fondations littéraires,
scientifiques et artistiques de la Convention. 4* édition, précédée d'une
notice sur l'auteur par M. Charles KitiOT. 1 vol. in-l:2. 3 fr. 50
CLAMAGERAN (J.), sénateur. * La France républicaine. 1 volume
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sophique, artistique et scientifique de l'Europe depuis cent ans. 1 vol.
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porain. 1 vol. in-lâ. 8* édit. augmentée. 3 fr. 50
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in-12, précédés d'une préface de A. Rang. Chaque vol. séparém. 3 fr. 50
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disparues, portraits contemporains, littéraires et politiques. 3 vol. in-12.
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BOURDEAU (J.). Le Socialisme allemand et le Nihilisme russe. 1 vol.
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1632), iiri'cêilé il'um* Bibliogrupliii* (séniTalc do 1 hisloinï militaire
tle9 temps modernes.
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3. — Précis de la campagne de 1805 en Allemagne et en Italie.
4. — Précis de la campagne de 1815 dans les Pays-Bas.
5. — Précis de la campagne de 1859 en Italie .
6. — Précis de la guerre de 1866 en Allemagne et en Italie.
7. — Précis des campagnes de 1796 et 1797 en Italie et en Allemagne.
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DEPUIS LES TRAITÉS DE WE8TPBALIE JUSQU'A LA BÉVOLUTION FRANÇAISE
Publié SOUS les auspices de la Gommissioa des archives diplomatiques
au Miaistère des Affaires étrangères.
Beaux volumes in-8 raisin, imprimés sur papier de Hollande.
I. — AUTRICHE, avec Introduction et notes, par M. Albert Sorel, membre
de l'institut 20 fr.
II. — SUÈDE, avec Introduction et notes, par M. A. Geffroy, membre de
rinstilul 20 fr.
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Saint- Atmour. 20 fr.
IV et V. — POLOGNE, avec Introduction et notes, par M. Louis Farces,
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VI. — ROME, avec Introduction et notes, par M. G. Hanotaux, 20 fr.
VII. — BAVIÈRE, PALATINAT ET DEUX-PONTS, avec Introduction et notes,
par M. André Lebon 25 fr.
VIII et 1\. — RUSSIE, avec Introduction et notes, par M. Airred Uambauo,
Professeur à la Sorboniie. 2 vol. Le l»''vol. 20 fr. Le second vol. 25 fr.
X. — NAPLES ET PARME, avec Intrndu>:tioii et notes par M. Joseph Rei-
NAr.H 20 fr.
La publication se continuera par les volumes suivants :
Espagne, par M. Morel- Patio.
Angleterre, par M. Jusscrand.
Prusse, par M. E. La visse.
Turquie, par M. Girard de Rialle.
Danemark, par M. Geffroy.
Savoie et Mantole, par M. Horric
de Bcaiicaire.
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ARCHIVES DU MIMSTÈBE Is AFFAIRES ÉTRMGÈRES
PUBLIÉ
Sous les auspices de la Comuiissloo des archives diplomatiques
I. — CorrefipoBdanee politique de II M. de CA9TII<ti«lV et de
ll.%RlljL..%C,aiiite«fiMadear« de France en Angleterre (iAS9-
ift4«), par M. Jean Kaui.ek, avec la collaboration de MM. Louis Farges et
Germain Lefèvrc-Pontalis. 1 beau vol. in-8 raisin sur papier fort . . 15 fr.
II. — Pnplerpi de BARTHRI^KMY , nmbitiifvadear de France en
SalHKo, de 1792 à 1797 (année 1792), par M. Jean Kaulek. 1 beau
vol. în-8 raisin sur papier fort 15 fr.
m. — Papier» de B.%RTHKI.R1IV (janvier -août 1793), par M. Jean
Kaulek. 1 beau vol. iu-8 raisin sur papier fort 15 fr.
IV. — Correspondance politique de ODKT DE MRIiVE, ambas-
sadeur de France en .%nKleterre (15A6-15&9), par M. G. Lefévre-
PoNTALis. 1 beau vol. in-8 raisin sur papier fort 15 fr.
V. — Papiers de B.%RTIIÉI.KMV (septembre 1793 à mars 179&,)par
M. Jean Kaulek. 1 beau vol. in-8 raisin sur papier fort 18 fr.
VI. — Papiers de B.%RTIIR|.R1IV (avril 1794 A f^.vrier 1795), par
M. Jpan Kaulek. 1 beau vol. iii-8 raisin sur papier fort 20 fr.
Correspondiince des Drys d^%lff€^r avee la Cour de France
(i9ft9-l0»SS), recueillie par Ëug. Plantet, atlachi* au Ministère de> AfTaiies
étran^ros. 2 vol. in-8 raisin avec 2 planches en taille-douce bors texte. 30 fr.
Correspandance des Heys de Tunis et des Consuls de France avec
la Cour ( t&91- tliS«), recueille f nr Eng. Plamet, publiée eous les auspices
du Ministère dc.<i Affaires étrangères. Tome 1. 1 fort vol. in-8 raisin. 15 fr.
— 16 ~
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DE LA FRANGE ET DE L'ÉTRANOER
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ProfesMor au Collège de France.
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forts volumes d'environ 680 pages chacun.
CHAQUE NUMERO DE LA REVUE CONTIENT :
i* Plusieurs articles de fond ; 2^ des analyses et comptes rendus des non-
Te&uz ouvrages philosophiques français et étranfers; 3* un compte rendu
aussi complet que possible des publications périodiguet de l'étranger pour
tout ce qui concerne la philosophie; A<* des notes, documents, obsvva-
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(1876-1887), par M. Bél^goit. 1 vol. in-8 3 fr.
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La Revue historique parait tous les deux mois, par livraisons
grand in-8 de 15 ou 16 feuilles, et forme à la fin de l'année trois
beaux volumes de 500 pages chacun
chaque livraison contient :
I. Plusieurs articles fie fond, comprenant chacun, s'il est possible, un
travail complet. — II. Des Mélanyes et Variétés, composés de documents iné-
dits d'une étendue restreinte et de courtes notices sur des points d'histoire
eiirieux ou mal connus. — III. Un Bulletin historique de la France et de rétran*
ger, fournissant des renseignements aussi complets que possible sur toat ce
qui touche aux études historiques. — IV. Une Analyse des publications pério"
diques de la France et de l'étranger, au point de vue des études historiques.
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Un an, pour Paris, 30 fr. — Pour les départements et l'étranger, 38 fr.
La livraison G fr.
Les aniicis (.'■coulées se vemliMit sépari'nienl JO i'runcs, et par fascicules
de G francs. Lis l'as«ioules (J«.> la I' arinôc se vendent \) i'rancs.
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années de Ui Revu»' liisloriqin'.
I. — Annôf^s I87IJ à 188U. par M. T.hahles Bemoxt. 1 vol. \n-é. 1^ fr. ■
Pour les abonnés. t fr. 50
II. — Années 1S81 A 18.S5. par M. Uf.se CoriiERC. 1 vol. in-8. 3 fr. ■
Pour l«*s abonni's. I fr. W
\\\. - Année* 1880 à 18 H). J vul. in-s, 5 IV.; pour les abonnés. 2 fr. 51»
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ANNALES DK L'ÉCOLE LIBRE
DES
SCIENCES POLITIQUES
RECUEIL BIMESTRIEL
Publié avec la colliiburation di^s professeurs el di's aocieDS élèves de l'Ecole
{Neuvième année, 189i)
COyîlTÉ DE nÉDACTIOS :
M. Emile Boi'TîiY, de l'Institut, directeur de l'F^cole ; M. L»'on Say, de TAca-
démie française, ancien ministre des Finances; M. Ait. de Foville, di'
recteur: M. R. Stoukm, ancien inspecteur des Finances et administrateur
des Contributions indirectes; M. Alexandre Hibot, dc'puté, ancien ministre;
M. Gabriel Alix; >I. L. Rekai'lt, proTesscur à la Faculté de droit;
M. André Lebon, di'*puté ; M. Albert Sorel, de rinatilut; M. A. Vaxdal.
auditeur de 1'* classe au Conseil d'Ëlat; Directeurs des groupi.>s de travail,
professeur à l'Kfole.
Secrétaire de la rédaction : M. Auj?. Arnaunk, docteur en droit.
L«'s snjots traiti's dans les Annales 'ambrassent tout le cbamp rouvert par le
pro{xramme d'enscii^netnent d«' l'É-olo : Economie^ politique, finances, sta-
tisti((uej histoire cnnstihitionnelh', droit internatiomil, public el privé, droit
administratif, législations civile et commerciale privées, histoire législative
et parlementaire, histoire diplomalitpie, géographie économique, ethnogra-
phie, etc.
MOPE DE runUCATIOX ET C().\DIT1()XS D'AltO.WEMEyT
Les Annales de C Ecole libre des sciences polit ignés paraissent
tous les deux mois (15 janvier, 15 mars, 15 mai, 15 juillet, 15 scp-
temlM'o et 15 iiovemhnO, par fascicules <^i\ in-8 de l.StJ paj^e.s chacun.
Un an (du 15 janvier): Paris, 18 fr. ; dé[iarl<Mat;iits et étranger, 19 fr.
La livraisun, 5 fraarsi.
Lefi trois promtère^ ann'cf* (lK8f»-l 887- 1888) st» r(*nd<*nt chacune
iB Jrancs; fa qriatrii-m.' ((nnce (188'J) OT hs suiruntes se cetuleni
charurt'" 18 fiancs.
Revue mensuelle de l'École d'Ântliropologie île Paris
li année, 1891»
VVWUY.Y. PvH LES PHOFESSKrKS:
^M. A. BumnKU i<itM»^rH|ilii«> iinMlirali'), Capitan (AiHliropolo^'ii' p.itliolo(;ii{iir>'i. Muthias
Duv.VL ' AnlliriijKi^'-(Miii> i>i Eiiihryolo^ii'i, (ioorpcs IIkI'.x K itltliiiolp^ie}. J.-V. LabuBDE
(Anthro|iolo^'if iiiolo;;ii|iii>) André Lkfkvri-: (KlliHO}:r.-<]iiiir i*i Lin;;uisliiii]Cj, Cli. Lktouk-
Nii.\i: (llisloiri- (Ion rivilis.iiioiis), ManoL'VIUKK (Aiillir<'[i()!o^i(^ itlivsuiloiriiiiir). MauOL'-
ijTur rrrnr parait loux irs mnis ar/nt-iff i»* i>t jani tt r lo.'i; vnaqur nwmrro fvrmc
une bvhhnir i/j-S rumiii d'an moins Zi pagnt. rt rontirnt utir leçon U'un lirs prO'
ffitBfurx lir l'Kcolf, nvrc Jiguees IntrrrnU'fS (taux Ir trxir ou planches liorg texte et
dm analus-s et comfttr» rfmins drs fnitx, drx lit've% ri de» revues prriodiqura qut
doivent mlrresser les pt'rsonnfs «'orvupant d'nnlUmpolmjif.
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Dirigfées p-^r le D^ DARIEX
M année, IHU)
Li'S ANNALES DES SCIENCES PSYCHIQUES ont pour but iln rapporlor. nvec force
preuve» il rii|i|»ui. tuuti*8 les ubsrrvntions i>ériiMiSi's ipii lour suroiit aiirchséoit, relalivoii
aux fmt-i soi-ilis:inl ih'cuIIi's : !■* ilo télépathie, (<•* lucidité, du pressentiment; 2" dc
mouvements d'oblets, d'apparitions objectives. Kn «telior-i di; rc> rli.tpilps d«* faits
sont publi(M'<t lit;.» théories »e bormint à L-i liisciisNiou des bonno^ coiiditi<iiis pour
ohserTur rt i'xiNiriuieiiii'r ; de» analyses, bibliographies, critiques, etr
\^i ANNALES DES SCIENCES PSTGHIQUE3 par.iisM'Ut tous l'S deux mois par nunicrus
do quatre feuilles iu-8 rarrc (Oi pHpcs), depuia le. iô janvier 1801.
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INTERNATIONALE
Publiée sous la direction de H. Emile ALGLATE
La Bibliothèque scientifique internationale est une œuvre dirigée
par les auteurs inénies, en vue des intérêts de la science, pour la po-
f»ulariser sous toutes ses formes, et faire connaître immédiatement dam
e monde entier les idées ori|(inales, les directions nouvelles, les
découvertes importantes qui se font chaque iour dans tous les pays.
Chaque savant expose les idées qu'il a introduites dans la science et
condense pour ainsi dire ses doctrines les plus originales.
On peut ainsi, sans quitter la France, assister et participer au mou-
vement des esprits en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, en
Italie, tout aussi bien que les savants mêmes de chacun de ces pays.
La Bibliothèque scienti/ique internationale ne comprend pas seule-
ment des ouvrages consacrés aux sciences physiques et naturelles; elle
aborde aussi les sciences morales, comme fa philosophie, l'histoire,
la politique et Téconomie sociale, la haute législation, etc.; mais les
livres traitant des sujets de ce genre se rattachent encore aux sciences
naturelles, en leur empruntant les méthodes d*observation et d'expé-
rience qui les ont rendues si fécondes depuis doux siècles.
Cette collection parait à la fois en français, en anglais, en alle-
mand et en italien : à Paris, chez Félix Alcan; à Londres, chei
C. Keean, Paul et C* ; à New-York, chez Appleton ; à Leipzig, ches
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16. BKRNSTKIII. * Les ••m. i Tol. iii-8, avec 91 llf . 5* édit. 6 fr.
17. BKRTHKLOT. *l.«(iyBthèeeehliiil««e.lY0l.in-8.6*édit. 6 fr.
18. VOGKL. * La Photesrapkle et la Ctelmle «• la lamlère, avec
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19. LUYS. * Le Cerveaa al ■•■ ffcaetlone, avec flfurei. 1 vol. in-8.
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57. WURTZ. * La Théorie atomique. 1 vol. in-8. 6« édition. 6 fr.
S8-S9. SEGGUI (le père). * Lee Étoiles. 2 vol. in-8, avec 63 flgures dans le
texte et 17 pi. en noir et en couleur hors texte. 2* édit. 12 fr.
80. JOLY.* L'Homme avant lee métaux. 1 vol. in-8, avec figures. 4* édi-
tion. 8 fr.
SI. A. BAIN.* La Selenee de l'éducation. 1vol. in-8. 7« édit. 6 fr.
82-33. THUKSTON (R.).* HiNtoire de la maehine * vapeur, précédée
d'une Introduction par M. Hirsch. 2 vol. in-8, avec lAO figures dans
le texte et 16 planches hors texte. 3* édition. IS fr.
SA. HARTMANN (R.). Lee Peuples de r Afrique. 1 vol. in-8, avec
figures. 2' édition. 6 fr.
85. HERBERT SPENGER. Les Bases de la morale évoIntlonnUte.
1 vol. in-8. 4* édition. 6 fr.
80. HUXLEY. L*Rcrevisse, introduction à l'étude de la soologie. 1 vol.
in-8, avec flgures. 6 fr.
87. DE ROBERTY. De la Socloloffie. 1 vol. in-8. 3* édition. 6 fr.
58. ROOD. Théerte seientiHqne des eonleurs. 1 voL in-8, avec
ligures et une planche en couleur hors texte. 6 fr.
89. DE SAPURTA et MARION. L*Évolutlon du rèffne végétal (les Grypto-
games). 1 vol. in-8 avec flgures. 6 fr.
AO-41. GHARLTON BASTIAN. Le Cerveau, orcane de la pensée ehee
l'homme et ehes lee anlmaax. 2 vol. in-8, avec figures. 2* éd. 12 fr.
AS. JAMES SULLY. Les Illusions des sens et de resprlt. 1 vol. in-8,
avec figures. 2* édit. 6 fr.
A3. YUUNG. Le Soleil. 1 vol. in-8, avec figures. 6 fr.
44. Du GANDOLLE. * L*Orlslne des plantes cultivées. 3* édition. 1 vol.
in-8. fifr.
45-46. SIR JOHN LUBBOGK. * Fourmis, ateellles et suêpee. Études
expérimentales sur l'organisution et les mœurs des sociétés d'insectes
hyménoptères. 2 vol. in-8, avec 65 figures dans le texte et 13 plan-
ches hors texte, dont 5 coloriées. 12 fr.
47. PERRIER (Edm.). La Philosophie Booloslqne avant Darwin.
i vol. in-8. 2* édition. 6 fr.
48. STALLO. La Ifatière et la Physique moderne. 1 Vol. in-8, 2* éd.,
précédé d'une Infroduction pur Gh. Fuiedel. 6 fr.
- 20 —
49. MÀNTEGAZZA. La iPUjmmmmmïB et rBsprMstoB «m MBllMei
1 vol. in-8. 2* édît., avec huit planches hors texte. 6 fr.
50. DE MEYER. Len •rsaneii «e la parale et le«r eaiplal paar
la fformatlaa «en nanit en laBua^e. i vol. in-8, avec 51 fig^rei,
précédé d'une Introd. par M. 0. Glaveao. 6 tt,
51. DE LANESSAN. introdaetioB * rÉtnde «e la haCaal^ae (le Sapin).
1 vol. in-8, 2* édit., avec 1A3 flgurcsdans le texte. 5 fr.
5S-5S. DE SAPORTA et MARION. L*Rvolation 4a rècne vésélal (les
Phaiiprogames). 2 vol. in-8, avec 136 figures. 12 fr,
54. TROUESSART. Les Mierotees, len FermeaU el leii IfoUliMarea.
1 vol. in-8, 2*édit.,avec 107 figures dans le texte. 6 fir.
55. HARTMANN (R.). Len (Plaseii aalhropoldeii, et lear orcaalaaUea
eoBiparée * «elle de rhoasair. 1 vol. in-8, avec gravures. fr.
56. SCHMIDT (0.). Leii Maoimlffèreii danii leur* rappertii avee leara
anedtreA séolosiqaen. 1 vol. in-8 a\ec 51 figures. 6 fr.
57. RINET et FERÊ. Le Manaétliime aalmal. 1 vol. in-8. 3* éd. 6 fr.
58-59. R0MANKS.i/intoiilseneedes«Biniaax.2v.in-8.2«édit. 12 fr.
60. F.LAGRANGE. PhyuloloBie dei« exereleen dn eorpi*. 1 vol. in-8.
5* édition. 6 fr.
61. DREYFUS (Gamillc).'*' Évolalioa dei« monAeii et de* soel^tés. 1 vol.
in-8. 3' édit. 6 fr.
62. DAUBRÉË. -'^' Les Réslon» Iniimblefl da iilebe et dcii eiipaeee
céleAten. 1 vol. in-8 avec 85 grav. dans le texte. 2* éd. 6 fr.
68-64. SIR JOHN LUBBOGR. * l/Homoie préhlHlortqae. 2 vol. in-8,
avec 228 gravures dans le texte. 3* édit. 12 fr.
65. RIGHET (Gh.). La Chalear aaloiaie. 1 vol. in-8, avec figures. 6 fr.
66. FALSAN (A.). LaPértode sla«ialr«*prlBclpaleBieBtea Franee et
ea SalHNe.l vol. in-S, avec 105 grav. et 2 cartes. 6 fr.
67. BEA13N1S (H.). Le* MeaiianoBii lateraes. 1 vol. in-8. 6 fr.
68. CARTAILHAG (E.). La Fraaee préhlHtorlqae, d'après les sépnltnres
et les monuments. 1 vol. in-8, avec 162 frravures. 6 fr.
69. BERTHEL0T.*L«RévolalloBehliBl4ae,LaYOl>iior. 1 vol în-8. 6 fr.
70. SlR JOHN LUBBOGR. * Lei« MeBH et flantlnet rhe* le* aalBiaBZ,
principalement ches les insectes. 1 vol. in-8, avec 150 grav. 6 fr.
71. STARGRE. *ia Famille primitive. 1 vol. in-8. 6 fr.
72. ARLOING. * Len Virun. 1 vol. in-8, avec Ag. 6 fr.
73. TOPINARD * L*HommcdaBi« la IValare. 1 vol. in-8, avci^ llg. 6 fr.
74. BINET (Alf.).* Len tltérationH de la pemoBaallté. 1 vol. in-8 avec
fi}furP8. 6 fr.
75. DE QUATREFAGES (A.^.DarwlBetMeAprécBrNCBra nraBçals. t vol.
iii-8. 2* é>lition refondue. 6 fr.
76. LEFÈVRE (A.) * Len RareM et len lanipien. 1 vol. in-8. 6 fr.
77-78. DE QUATREFAGES. Len KmaleH de Darwla. 2 vol. in-8 avec
préfaces de M.M. E. Perrier et Hamy. 12 fr.
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DUMESNIL. L'hyfclèae de la malNoa. 1 vol. in-8, .ivcc gravures.
GORML ET VIDAL. La mieroteloloffie. 1 vol. in-8, avec (rravures.
GUIGNET. PotcrioN, verreH et émaux. 1 vol. in-8, avec gravures.
ANDRÉ (Gh.). l^e NyNième notaire. 1 vol. in-8, avec gravures.
KUNGKEL D'HERGULAIS. Len Naalerellen. 1 vol. in-8, avec (rravures.
MORTILLET (de). L*Orfirlne de rhomme. 1 vol. in-8, avec frravuret.
PERRIER E.). L'Embryonéale ffénérale. 1 vol. ia-8, avec ;;ravures.
POCGHET (G.). La Forme et la vie. 1 vol. in-8, avec gravures.
BERTILLON. La Démoirraphle. 1 vol. in-8.
BERTHELOT. La Plillo««oplilc ehlmlque. 1 vol. in-8.
CARTAILHAG. Lea «aulola. 1 vol. in-8, avec gravures.
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DES 78 VOLUMES PUBLIÉS
DE LA RIBLMÎ^UE KïïMP INTEMAiniE
Chaque volume in-S, cartonné à l'anglaise 6 francs.
SCIENCES SOCIALES
* Introduction à la science sociale, par Herbert Spencer, i vol. in-8.
!()• édit. 6 fr.
* Les Bases de la morale évolntionniste, par Herbert Spencer. 1 vol.
in-8. 4* édIt. 6 fr.
Les Conflits de la science et de la religion, par Draper, professeur i
l'Université de New-York. 1 vol. in-8. 8* «dit. 6 fr.
Le Grime et la Folie, par H. Maudslet, professeur de médecine légale
i l'Université de Londres. 1 vol. in-8. 5* édil. o fr.
* La Défense des Ëtats et les Camps retranchés, par le général A. Rrial-
MONT, inspecteur général des fortifications el du corps du génie de
Belgique. 1 vol. in-K, avec nombreuses flgurcs dans le texte et i pi. hors
texte. V édil. {Sous presse). 6 fr.
* La Monnaie et le Mécanisme de l'échange, par W. Stanley Jevons,
professeur à l'Université de Londres. 1 vol. in-8. 5* édit. 6 fr.
La Sociologie, par de Roberty. 1 vol. in-8. 3* édit. 6 fr.
* La Science de l'éducation, par Alex. Bain, professeur à l'Université
d'Aberdeen (Ecosse). 1 vol. in-8. 7* édit. 6 fr.
* Lois scientifi(pies du développement des nations dans leurs rapports
avec les principes de l'hérédité et de la sélection naturelle, par W. Ba-
CEHOT. i vol. in-8. 5* édit. 6 fr.
* La Vie dn langage, par D. Whitney, professeur de philologie comparée
à Yale-Coll^ge de Boston (États-Unis). 1 vol. in-8. 3* édit. 6 fr.
*La Famille primitive, par J. Starcke, professeur à l'Université de Copen-
hague. 1 vol. in-8. è fr.
PHYSIOLOGIE
Les Illusions des sens et de l'esprit, par James Sully. 1 vol. in-8.
f édit. 6 fr.
* La Locomotion chez les animaux (marche, natation et vol), suivie d'une
étude sur Vflistoire de la navigation aérienne, par J.-B. Pettigkew, pro-
fesseur au Collège royal de chirurgie d'Edimbourg (Fxosse). 1 vol. in-8,
avec W) n;?ures dans le texte, â* édit. 6 fr.
Les Nerfs et les Muscles, par J. Bosentiial, professeur à l'Université
d*Kr]angen (Bavière). I vol. in-8, av. 75 grav. 3' édil. (^/»«i.*^.)
* La Machine animale, par t.-J. .Maret, membre de l'insiiiul, prof, au
Collège do France. 1 vol. in-8, avec 117 figures, i* édit. 6 fr.
* Les Sens, par Bernstcin, professeur de physiologie à l'Université de Halle
(Prusse). 1 vol. in-8, avec 91 figures dans le texte, i* édit. 6 fr.
Les Oraanes de la parole, par H. de Meyer, professeur à l'Université de
Zurie.Ti, traduit de ralleniand et pr('>céilé d'une introduction sur VfSn»ei-
gnement de la parole aux sourds-muets^ par 0. Claveau, inspecteur géné-
ral des établissements d<» bienfaisance, 1 vol. in-H, avec hi grav. 6 fr.
La Physionomie et TExpression des sentiments, par P. Mantegazza,
professenr au Muséum d'hisloire naturelle de Florence, i vol. in-8, avec
flgures et 8 planches hors texte. 6 fr.
* Physiologie des exercices du corps, par le docteur F. Lagrange. i vol.
in-8. 0* édit. Ouvrage couronné par l'Institut. 6 fr.
La Chaleur animale, par Ch. Rir.REi professeur de physiologie à la Faculté
de médecine de Paris. 1 vol. in-8, avec figures dans le texte. 6 fr.
Les Sensations internes, par H. Braunis, directeur du laboratoire de
psychologie physiolo^^ique à la Sorbonne. 1 vol. in-8. 6 fr.
* Les Virus, par M. Arloing, professeur à la Faculté de médecine de Lvon,
directeur de l'école vétérinaire. 1 vol. in-8, avec flg. è fr.
PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE
* Le Cerveau et ses fonctions, par J. Linrs, membre de TAcadémie de méde-
cine, médecin de la Charilé. 1 vol. in-8, avec fig. 7* édit. 6 fr.
Le Cerveau et la Pensée chez l*homme et les animaux, par Charltoii
Bastian, professeur à TUniversité de Londres. 2 vol. in-8 avec 184 fig. dam
le texte. 2* édil. 12 fr.
Le Crime et la Folie, par H. Maddslbt, professeur à TUniversité de Lon-
dres. 1 vol. in-8. 6* édit. 6 fr.
^4
* L'Esprit et le Corpi, comidéréi aapoiot de Tue de leun relations, suWi
DCMONT. 1 vol. iu-8. 3* édit. 6 fr.
La Matière et la Pbytiqne moderne, par Stallo, précédé d'une pré-
face par M. Cti. Fkiedel, de l'InBlitut. 1 vol. in-8. 2* édit. 6 fr.
Le Magnétisme animal, par Alf. Binet et Gh. Fèké. 1 vol. in-8, avee figures
dans !« iaxla. 3* édit. 6 fr.
Llntalligence des animaux, par Romanes. 2 v. in-8. 2" édit. précédée d*ane
prÂfaci' cle M. E. I'ekrier, prof, an .Muséum d'histuire naturelle. 12 fr.
* L'Évolution deemondes etdesaociétés, par C. DasTrus, député de la Seine.
1 vol. in-8. 3' éilit. 6 fr.
*L68 Altérations de la personnalité, par Alf. RnsT, directeur adjoint du
laboratoire de psychologie à la Sorbonne (Hautes études). 1 vol. in-8,
avec gravures. 6 fr.
ANTHROPOLOGIE
* L'Espèce humaine, par A. de Quatrefages, membre de rinstitut, profes*
snur irunthropologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris. 1 vol. in-8.
l(r «'dit. 6 fr.
Gh. Darwin et ses précurseurs français, par A. de Qlatrefaces. 1 vol.
in-8 i* .édition. 6 fr.
Les Émules do Darwin, par A. de Qiatrefagf.s, avor une prôfan' do
M. Ei»M. f*Kiii!iEK, (If riiis'iliit. t't iino iiotiiM» sur la \i».* «'t les travaux de
l'autiMir par E.-T. IUmv, île riii«-litul. 2 vol. in-8. li fr.
* L'Homme ayant les métaux, par N. Joly, correspondant de l'In^stitut,
profeiiseur à la Faculté des sciences de Toulouse. 1 vol. in-8, avec t50 Agu*
res dann le texte et un frontispice, -i* édit. 6 fr.
* Les Peuples de l'Alrique, par R. Hartmann, professeur à l'Université de
Berlin. 1 vol. in-8, avec 93 ligures dans le texte. 2* édit. 6 fr.
Les Singes anthropoïdes et leur organisation comparée à celle de l'homme,
par R. Haiitmann, professeur à l'Université de Berlin. 1 vol. in-8, avec
b'S figures gravées sur bois. 6 fr.
* L'Homme préhistorique, par Sir John Lubrock. momhre dp la Société rovalc
de Londres. 2 vol. in-8. avec 228 gravures dans le texte. 3* édit. 1^ fr.
La France préhistorique, par E. Caktailhac. 1 vol. in-8. avec IfjO gra-
vures «lans le texte. 6 fr.
* L'Homme dans la Nature, par Topinard. ancien si^crrtaire général de la
Soriût('; irAiithropologio iJc Paris. 1 v(t|. in-8, avec 101 gnvii res dans le
texte. ' 6 fr.
* Les Races et les Langues, par André Lefëvre, professeur à l'École d'An-
thropolo^ip. dy\ Pari4. 1 vol. in-8. 6 fr.
ZOOLOGIE
* La Descendance de l'homme et le Darwinisme, par 0. Schiiidt, pro-
fesseur arUniverHÎte de Strasbourg. 1 vol. in-8, avec figures. C* édit. 6 fr.
Les Mammifères dans leurs rapports ayec leurs ancêtres géologiques,
par 0. SCHMIDT. 1 vol. in-8, avec 51 figures dans le texte. 6 fr.
* Fourmis, Abeilles et Guêpes, par sir John Lurrock, membre de la Société
royale de Londres. 2 vol. in-8, avec figures dans le texte, et 13 planches
hors texte dont 5 coloriées. 12 fr.
* Les Sens et l'instinct chez les animaux, et principalement chez les in-
sectes, par Sir John Lurhock. 1 vol. in-8 avec grav. 6 fr.
L'Ëcrevisse, introduction à l'élude de la zoologie, par Th.-H. Huxley, mem-
bre de la Société royale dA Londres et de l'Institut de France, professeur
d'histi>ire naturelle A l'Ëcole royale des mines de Londres. 1 vol. in-8,
avec 8i figures dans le texte. 6 fr.
* Les Commensaux et les Parasites dans le règne animal, par P.-J. Var
Bknkukn, professeur à l'Université de Louvain (Belgique). 1 vol. in-8, avec
8:2 fii^ures dans le texte. 3' édit. 6 fr.
La Philosophie zoologique avant Darwin, par Edmond Per hier, professeur
au MiHi'tiru d'histoire naturelle de Paris. 1 vol. in-8. 2' édit. 6 fr.
Darwin et ses précurseurs français, par A. de Quatrefages, de l'Institut.
1 vol. iu-8. !»• édit. 6 fr.
BOTANIQUE - GÉOLOGIE
* Les Champignons. parCooKE et Berkelet. 1 v.in-8,avecl10fig.4*édii. 6 fr.
* L'Évolution du régne végétal, par G. de Saporta, correspondant de Tin-
— 23 —
Btitat, et Marion, correspondant de Tlnstitut, professeur à la Faculté des
sciences de Marseille :
* I. LêM Crvptogames. 1 vol. in-8, avec 85 figures dans le texte. 6 fr.
* H. Le$ Pnanérogames. 2 vol. in-8« avec 136 flg. dans le texte. 12 fr.
* Les Volcans et les Tremblements de terre, par Fuchs, professeur à
rUniversité de Heidelberg. 1 vol. in-8, avec 36 flgures et une carte en
couleur. 5* édition. 6 fr.
* La Période glaciaire, principalement en France et en Suisse, par A. Fal-san.
1 vol. in-8, avec 105 gravures et 2 cartes hors texte. 6 fr.
* Les Régions invisibles dn globe et des espaces célestes, par A. Daubbée,
de l'Institut, professeur au .Muséum d'histoire naturelle. 1 vol. iii-8.
2* édil., avec 89 gravures dans le texte. fr.
* L'Origine des plantes cultivées, par A. de Canuolle, correspondant de
rinstitut. 1 vul. in-8. 3* édit. 6 fr.
* Introduction à l'étude de la botanique (le 5apm),par J. deLanessan, pro-
fesseur ;igr(^gé à la Faculté de médecine de Pans. 1 vol. in-8. :2* édit.,
avec flgures dans le texte. 6 fr.
* Microbes, Ferments et Moisissures, par le docteur L. Trourssart. 1 vol.
in-8, avec 108 tlgures dans le texte. 2* éd. H fr.
CHIMIE
Les Fermentations, par P. Schutzenbëkcer, membre de l'Académie de méde-
cine, prof, de chimie au Collège de France. 1 v. in-8, avec flg. 5' édit. 6 fr.
* La Synthèse chimique, par M. Kerthelot, secrétaire perpétuel de
l'Académie des sciences, professeur de chimie organique au Collège de
France. 1 vol. in-8. 6* édit. 6 fr.
* La Théorie atomique, par Ad. Wurtz, membre de rinstitut, profes-
seur à la Faculté des sciences et à la Faculté de médecine de Paris, i vol.
in-8. 6* édit., précédée d'une introduction sur la Vie et les Travaux de
l'auteur, par M. Cli. Friedei., de l'Institut. 6 fr.
* La Révolution chimique (Lavoisier), par M. Uerthklot. 1 vol. in-8. 6 fr.
ASTRONOMIE - MÉCANIQUE
* Histoire de la Machine à vapeur, de la Locomotive et des Bateanz à
vapeur, par H. Tuuhston, professeur de mécanique à l'Institut technique
de Hoboken, près de New- York, revue, annotée et augmentée d'une Intro-
duction par M. HiKsr.H. professeur de machines à vapeur à TÊcole des ponts
et chaussées de Paris. 2 vol. in-8, avec lOO ligures dans le texte et 16 plan-
ches tirées à part. !{• édit. 12 fr.
* Les Étoiles, notions d'astronomie sidérale, parle P. A. Secchi, directeur
de rOhservatoire du Collège Romain. 2 vol. in-8, avec 08 flgures dans le
texte et 16 planches en noir et en couleurs, t* édit. (Kjitiisé.) 12 fr.
Le Soleil, par C.-A. Young, {professeur d'astronomie au Collège de New-
Jersey. 1 vol. in-8, avec 87 lijjures. 6 fr.
PHYSIQUE
La Conservation de l'énergie, par Balfour Stewart, professeur de
physique au collège Owens de Manchester (Angleterre), suivi d'une étude
sur la .Va/»/n» de la force^ par P. de Sai.nt-Robkrt (de Turin). 1 vol. in-8
avec flgures. A" édit. 6 fr.
* Les Glaciers et les Transformations de l'eau, par J. Tyndai.l, pro-
fesseur de chimie à l'Institution royale de Londres, suivi d'une étude sur
le même sujet, par Helmuoltz, professeur à l'Uuiversité de Berlin, t vol.
in-8, avec nouihrnuses flgures dans le texte et 8 planches tirées à part
sur pai)ior tcinl»^. 5* édit. 6 fr.
* La Photographie et la Chimie de la lumière, par Vogei., professeur i
rAraiJéiiiie polyteclinitpie de Berlin. 1 vol. in- 8,, avec ')5 flgures dans le
texte et une planche en ph»doglyptie. 4* édit. {Hpuisé.) 6 fr.
* La Matière et la Physique moderne, parSrALLo, précédé d'une préface
par Ch. Fhieukl, membre do l'Institut. 1 vol. iu-8. 2' édit. 6 fr.
THEORIE DES BEAUX-ARTS
* Le Son et la Musigue, par P. Blasehna, prof, à l'Université de Bome, suivi
des Cauxes phijsiologiques de l'harmonie musicale^ par H. Helmroltz,
IjTof. à l'Université de Berlin. 1 vol. in-8, avec 41 flg. 4* édit. 6 fr.
Principes scientifiques des Beaux-Arts, par £. Brucke, professeur à
l'Université de Vienne, suivi de VOpUque et les Arts, par Helmholtz,
prof, à l'Université de Berlin. 1 ^ol in-8, avec flg. 4* édit. 6 fr.
* Théorie scientificnie des couleurs et leurs applications aux arts et à
l'industrie, par 0. N. Bood, professeur de physique à Colombia-College
de New- York (Ëtats-Unîs). 1 vol. in-8, avec 130 ffgures dans le texte et
une planche en couleurs. 6 fr.
— 24 —
PUBLICATIONS
HISTORIQUES, PHILOSOPHIQUES ET SCIENTIFIQUES
qui ne se trouvent pat dans les collections précédentes.
A0teN «a i*' ConsrèH International «*anthropalofile erlminelle 4e
Rome. Biologie et sociologie. 1887. 1 vol. gr. in-8. 15 fr.
AGUILERA. l/ldée ée droit en .lilemaf^ne depuis Kant jusqu'à nos jours.
i vol. iii-8. 1892. 5 (t.
ALAUX. EMqalMAe d*une phlloiiophie de Ti^tre. ln-8. 1 fir.
— Lei» Problèmeii relicleax an TLtJL* Mi6ele. i vol. in-8. 7 fr.50
— Phlloitopble morale et politique, tUudes. I vol. iu-8. 1893. Tir. 50
(Voy. p. 2.)
ALGLAVE. De* Jnrldletlona elvlleachea lea Biomalna. i vol. ia-8. 2ft. 50
ALTMEYER (J.-J.). Ven Préenmcnra de la réforme ans Paya-Baa.
2 forls volumei in-8. 12 fr.
ARRÊAT. Une Édneatlen Intelleetnelle. 1 vol. iii-18. 2 fr. 50
— aenrnal d*nn phlIoNophe. 1 vol. in-18. S fr. 50
(Voy. p. 2 et 4.)
Antonomie et fédération. 1 vol. in-18. 1 fr.
AZAM. Rnire la raison et la folle. LeH ToqaéH. Gr. in-8. 1891. 1 fr.
— HypnotlHnie el double eoniirlenee, avec prûraccs et lettres de
MM. Paul Hert, Gharcot et Uibot. 1 vol. in-8. 1893. 9 fr.
BAETS iAlibô M.;. Les HoMefi de la morale et dn droit. In-8. 6 fr.
BALFOUR STEWART et TAIT. i^XnUem inviMible. i vol. in-8. 7 fr.
BARNI . Les iSartyrs de la libre pensée, i vol. in-18. 2« édiU 8 fr. 50
(Voy. p. à ; Kakt, p. 8 ; p. 13 et 31. )
BARTHELEMY SAINT-HILAIRE. (Voy. pages 2, 4 et 7 et Aristoie )
BAUTAIN (Abbéj. La Pbllosopble morale. 2 voL in-8. 12 fr.
BEAUN1S(H.). Impressions de campagne (1870-1871). ln-18. 3 fr. 50
BËNARI) (Gh.). Pbllosopble dans réducatlon classique. lu -8. 6 fr.
(Voy. p. 7, Aristote; p. 8, Schellirg et Heoel.)
BERTAULD. De la .nétbode. Méthode spinosiste et méthode hégélienne.
2« éilition. 1891. 1 vol in-18. 3 fr. 50
— Métbode spiritualiste . Etude critique des preuves de Texisteuce de
Dieu. 2*' édition. 2 vol. in-lS. 7 fr.
— Esprit et liberté. 1 vol. in-18. 1892. 3 fr. 50
BLANUUI. Critique sociale. 2 vol. in-18. 7 fr.
BOILLEY I P.). i.a l.éfcislation Internationale du travail. In-12. 3 fr.
BONJEAN (A.), i/ilypnotlsme, ses rapports avec le droit, la thérapeutique,
la suggestion mentale. 1 vol. in-18. 1890. 3 fr.
BOUGHAKDAT. Le Travail, son inHuence sur la santé. In-18. 2 fr. 50
BOUGHER (A.) Darwinisme et socialisme. 1890. In-8. 1 fr. 25
BOURBON DEL MONTE. L'Homme et les animanv. 1 vol. in-8. 5 fr.
BOURDEAU ( Louis). Tbéorle des sciences. 2 vol. in-8. 20 fr.
— Les Forces de rindnstrie. 1 vol. in-8. 5 fr.
— La Conquête dn monde animal. In-8. 5 fr.
— La Conquête du monde véftétal. 1893. In-8. 5 fr.
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STRADA iJ.). l.a loi de ThlMtoIre. Constitution scientillque de Thistoire.
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daoM le» KlalN-rnlR d'Amérique. 1 vol. in-18. i fr. 50
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Préface de M. Sadi Carmot. Ia-18. 2* éd. 1 fr. (Voy. p. 3 et 6.)
TARDE, lien l^oUde rimltatlon. Ëtudc sociologique. 1 vol.in-8. 1890. 6 fr.
(Voy. p. 3.)
TENOT( Eugène). Paris et ses rortmeatlons (1870-1880). 1 vol. in-8. 5 fr.
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TERQUEM (A.). I.a Melenee romaine A répoqne d*.%«||uste. Étude
hi8tori<{ne d'après Vitruvc. 1 vol. gr. iii-8. 3 fr.
THOMAS (J.). PrinelpeMde phlloHophlo morale. 1 vol. in-8. 1889. 3fr.50
TUOMAS (G.). Miebel-.%n||e poêle et TespreNMlon de l*amour plato-
nique dauM la poénle Italienne du Moyen Ase et de la menalo-
Mance. 1 vul. in-8. 1891. 3 flr.
THULIÉ. La Folle et la Loi. 2" édit. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
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VAN ENDE (U.). Histoire naturelle delà eroymmee,ptemtère partie:
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L'Inde et la Chine, par A. Ott.
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L' %nti<iulté romaine, par WiLRINS
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l/.%nti«|uiié isrec«|ue, par.MAIlAFFY
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GEOGRAPHIE
*TorrentN, fl4*u«eM et canaux d4*)
la France, par H. Klkk/y.
LeN €'oloBieM aniclalMCM, par 11.
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LeM IleM du l*aclflque, par le ('Hi>i-
tainede vaisseau Jouan tavec 1 carte).
Les Peupl«»M de r.trriquc* et «ic^
TAmérique, par Girard de Riali-l.
Les Peuples de r.%Mi4'' et de
iFiUrope, par GiR.VKD de Hl\lle.
1/lndo€'iiine rrJtncJliMt^p. FauI'E.
^là4*oicra pille pii>-Mi<|ue, parGEiKlE,
<'ontlnentM 4't Oceann, par Gkove
• ive.o. iiifiiiP?).
'''I.eM FrontièreMde la Franee,
i-ar P. '.ajfvbe:
l/%rri.|i«e rriiiiçni*ie. par A. Joyeux.
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COSMOGRAPHIE
Les EntretleBN de Fonteneile
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au courant de la science par Boillot.
*Le Soleil et les Étoiles, par le
P. Secchi, Briot, Wolf et Deladnat.
S* édition (avec figures) .
I.CM Pbénom«en«*N céleMtes, par
Zurcher et MvRGoLLf:.
.% traverM le ciel, par Amigues.
Orifcines et Fin des mondes^
par Ch. Richard. 3<^ «'dition.
^liotioBs d'astronomie, par L. Ca-
talan, &* édition (avec figures).
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SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES
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*Ci^la«tv, pu CauK |>tw fc|t.).
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Iv naraa («laxtivr.
ial»tr« 4« rpan , p» ftoriHI,
Prroilfrea Ihaltaaa atu-
■s»rBr«-a, par Th. Iliiu-u.
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MMim (aarloa, par Jut*N.
M«laKM> csaAmlr, par I. U»»-
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PHILOSOPHIE
tA«lFMeraell«>.par£)tTMTI|l.'J'*<'.
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, EHSEIONEMCNT. ECONOMIE DOMESTIQUE
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mt*, par Cuaaaa. I* Mil.
Laa B^lBaai^aiPAU *■• IrxaU.
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ParUwaalelaal. puU. UutTEEt.
r>*Meo. par II LucVMU,
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