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Full text of "Le cerveau organe de la pensée chez l'homme et chez les animaux"

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in  2010  with  funding  from 

Open  Knowledge  Gommons  and  Harvard  Médical  School 


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BIBLIOTHÈQUE 

SCIENTIFIQUE  INTEENATIONALE 

PUBLIÉE   SOUS  LA  DIRECTION 

DE    M.     ÉM.    ALGLAVE 

XLI 


BIBLIOTHÈQUE 
SCIENTIFIQUE     INTERNATIONALE 

PUBLIÉE    SOUS     LA     DIRECTION 

DE    M.    ÉMïLE    ALGLAVE 
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LE 


VEAU 


ORGANE    DE    LA    PENSÉE 


CHEZ  L'HOMME  ET  CHEZ  LES   ANIMAUX 


H.   OHARLTON  BASTIAN 

Membre  de  la  Société  Royale  de  Londres 

Professeur  au  Collège  de  l'Université  de  Londres 

Médecin  de  l'Hôpital  national  pour  les  paralysés  et  les  épileptiques 


Avec    184  figures    dans   le   texte 


TOME   SECOND 


L  HOMME 


PARIS 
LIBRAIRIE  GERMER   BAILLIÈRE   ET   C"' 

108,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,     108 

Au  coin  de  la  rue  Hautefeuille, 


1882 

Tous  droits  réservés 


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«A.^Mi^i*!^. 


LE    CERVEAU 


C  0  M  M  E 


ORGANE    DE    LA    PENSEE 

CHEZ  LES  ANIMAUX  ET  CHEZ  L'HOMME 


LIVRE  IV 

LE    CERVEAU    ET    l'iNTELLIGENG  E   DE    L'HOMME 


CHAPITRE  XIX 

DÉVELOPPEMENT  DU  CERVEAU  HUMAIN 
PENDANT  LA  VIE  UTÉRINE 

Dans  le  grand  axe  de  Vaire  germiiiative  claire  de  l'œuf  humain 
fécondé,  apparaît  une  ligne  opaque  de  tissu  jeune,  connue  sous  le 
nom  de  corde  dorsale. 

Au-dessus  de  celle-ci,  et  tout  le  long  de  son  étendue,  on  trouve 
un  sillon  prwiitif^  qui  est  bientôt  limité  de  chaque  côté  par  une 
lame  grandissante  de  tissu  embryonnaire.  Ces  lames  se  rapprochent 
l'une  de  l'autre,  et  finissent  par  se  réunir  au-dessus  du.  sillon  primitif 
sus-mentionné ,  de  manière  à  former  un  tube  distinct,  fermé  à 
chaque  bout. 

La  couche  interne  de  ce  tube  s'accroît  d'épaisseur,  de  sorte 
qu'il  devient  graduellement  plus  étroit.  Elle  se  différencie  bientôt 
aussi  en  deux  tissus  distincts.  La  plus  interne  des  couches,  c'est-à- 
dire  celle  qui  entoure  immédiatement  le  canal  central  rétréci,  est 
formée  de  tissu  nerveux  embrj^onnaire  ;  et  c'est  d'elle  que  se  déve- 
loppe l'axe  cérébro-spinal. 

Le  diamètre  de  cet  axe  nerveux  rudimentaire,  et  creux,  n'est 
point  uniforme  dans  toute  son  étendue.  Même  avant  que  lés  lames  se 

Charlton  Bastian.  —  II.  1 


2  DÉVELOPPEMENT  DU  CERVEAU   HUMAIN 

soient  complètement  refermées  sur  le  sillon  primitifs  Textrémité 
antérieure  du  tube  embryonnaire  se  renfle  en  trois  dilatations 
immédiatement  contiguës  les  unes  aux  autres;  et  c'est  du  tissu  ner- 
veux de  ces  renflements,  ainsi  que  de  certaines  excroissances  impor- 
tantes qui  en  proviennent,  que  se  développent  les  diverses  parties 
du  cerveau  humain.  La  moelle  épinière  est  formée  par  la  portion 
du  tube  qui  est  située  en  arrière  des  trois  renflements. 

Le  mode  d'origine  de  ces  trois  vésicules  nerveuses,  ainsi  que  les 
premiers  changements  qui  s'y  manifestent,  sont  essentiellement 
semblables,  jusqu'à  certaines  phases,  dans  toute  la  série  des  Vertébrés. 
C'est  de  cette  base,  commune  à  tous,  que  se  développent  les  divers 
types  du  Cerveau  Vertébré.  Notre  attention  doit  donc  se  borner 
maintenant  à  esquisser  rapidement  la  manière  dont  le  Cerveau  de 
l'Homme  se  développe  graduellement,  à  partir  des  phases  simples  qui 
sont  communes  à  lui  et  à  tous  les  Vertébrés  en  général. 

Pour  que  l'attention  du  lecteur  puisse  se  concentrer  d'une  manière  plus 
effective  sur  les  changements  subséquents  que  subissent  ces  trois  renflements 
du  tube  nerveux  primitif,  il  sera  bien  d'anticiper  un  peu,  et  d'énoncer  quelles 
sont  les  diverses  parties  du  Cerveau  qui  se  développent  graduellement  de  cha- 
cune de  ces  trois  dilatations    ou  de  leurs  dérivés. 

Le  ren-flement postérieur  (ou  cerveau  postéi'ieur)  se  divise  en  deux  régions,. 
dont  la  postérieure  se  développe  subséquemment  en  formant  la  moitié  posté- 
rieure du  Bulbe;  et  là,  au  niveau  du  quatrième  ventricule,  la  paroi  supérieure 
du  tube  s'amincit,  jusqu'à  ce  que  toute  matière  nerveuse  disparaisse,  et  qu'il 
ne  demeure  plus  qu'une  simple  membrane  (pie-mère)  pour  recouvrir  l'espace 
sus-mentionné,  qui  se  continue  avec  le  canal  central  du  tube  situé  en  arrière 
de  lui.  La  région  antérieure  de  ce  renflement  correspond  à  la  moitié  antérieure 
du  bulbe.  De  la  face  dorsale  ou  des  côtés  de  cette  région,  naît  un  segment 
distinct  de  l'encéphale  futur:  le  Cervelet  (ûg.  122,  c  b).  Beaucoup  plus  tard, 
quand  les  lobes  latéraux  du  Cervelet  ont  apparu,  cette  région  du  Bulbe  est 
croisée  en  dessous  par  le  Pont  de  Varole,  ou  Protubérance  annulaire  (p). 

Le  renflement  moyen  (ou  cei-veau  moyen)  est  la  gangue  d'où  se  développent 
à  la  partie  supérieure  les  Lobes  Optiques  ou  Tubercules  Quadrijumeatix 
(fig.  122,  g),  et  de  la  partie  inférieure  de  laquelle  se  différencient  des  prolon- 
gations des  colonnes  fibreuses  de  la  Moelle  et  du  Bulbe,  que  l'on  connaît  sous 
le  nom  de  Pédoncules  du  Cerveau  (r).  La  cavité  dont  est  creusé  ce  renflement 
diminue  d'une  façon  graduelle,  jusqu'à  ce  que,  chez  l'Homme,  il  ne  persiste 
plus  qu'un  étroit  passage  {b)  faisant  communiquer  les  cavités  du  cerveau  pos- 
térieur et  du  cerveau  antérieur  (Quatrième  et  Troisième  Ventricule).  On  donne 
à  ce  passage  le  nom  (T Aqueduc  de  Sylvius. 

Le  renflement  antérieur  (ou  cerveau  antérieur)  subit  des  modifications 
remarquables,  surtout  à  cause  de  certaines  excroissances  extraordinaires  aux- 
quelles il  donne  naissance.  Des  côtés  de  ce  renliement  se  développent  d'autres 
portions  des  Pédoncules  Cérébraux  ;  et  aussi  les  Couches  Optiques  qui  reposent 
sur  eux,  et  naissent  sous  forme  d'épaississement  ganglionnaire  de  ces  parties. 
La  cavité,  diminuée,  du  renflement,  persiste  pour  constituer  plus  tard  le  Troi- 


PENDANT   LA    VIE    UTÉRINE.  3 

sième  Ventricule.  Son  toit  s'amincit  graduellement  jusqu'à  ce  qu'il  ne  reste 
plus  qu'une  simple  membrane  —  Vélum  Interpositum  (ou  Toile  C lioroïdienne)  ; 
au  bord  supérieur  et  postérieur  de  ce  ventricule  apparaît  la  Glande  Pinéalc 
(p  l,)  tandis  que  son  plancher  se  prolonge  en  formant  V Infundibulum  qui  entre 
plus  tard  en  connexion  avec  la  Glande  ou  Corps  Pituitaire  {p  t). 

Mais  de  très  bonne  heure,  et  avant  qu'on  ne  puisse  distinguer  les  parties 
ci-dessus  décrites,  une  saillie  (c  r)  bourgeonne  de  chaque  côté  du  renflement 
antérieur.  Ces  excroissances,  qui  sont  d'abord  dirigées  en  bas   et  eu   avant, 


FiG.  122.  —  Diagrammes  montrant  les  changements  progressifs  qui  ont  lieu  durant  les 
premières  phases  du  développement  du  Cerveau  (Mivart). 

1.  —  Premier  état  du  Cerveau,  lorsqu'il  consiste  en  trois  vésicules  creuses  («6  e)  dont  la  ca- 
vité est  continue  avec  la  large  cavité  (rf)  de  la  Moelle  Épinière  primitive  (/)))• 

2.  —  Ici,  la  première  vésicule,  ou  cerveau  antérieur,  a  développé  la  Glande  Pinéale  (pi)  en 
dessus,  et  le  Corps  Pitviitaire  {pt)  en  dessous.  La  paroi  de  l'extrémité  antérieure  de  la 
première  vésicule  est  la  future  lame  terminale  (t). 

o.  —  Cette  figure  montre  le  Cerveau  (er)  bourgeonnant  de  la  première  vésicule  ;  sa  partie 
antérieure  (o),  se  prolongeant  en  Lobe  Olfactif;  la  cavité  du  Cerveau  (le  venlricule  laté- 
ral commençant)  communiquant  avec  celle  du  Lobe  Olfactif,  on  avant  et  avec  celle  de 
la  première  vésicule  cérébrale  en  arrière  (cette  dernière  persistant  comme  le  troisième 
ventricule  îatnx).  Cette  dernière  communication  est  établie  par  le  trou  de  Jllonro.  Les 
parois  des  trois  vésicules  primitives  deviennent  d'épaisseur  inégale;  et  la  cavité  (6)  de 
la  vésicule  moyenne  est  relativement  diminuée. 

-1.  —  Ici  le  Cerveau  a  grossi  ;  et  l'inégalité  d'épaisseur  des  parois  des  vésicules  primi- 
tives est  encore  accrue.  Ceci  paraît  distinctement  par  le  développement  plus  grand  du 
Cervelet  {cb),  de  la  Protubérance  (;))  et  des  Tubercules  Quadrijumeaux  (g). 

5.  —  Cette  figure  montre  le  Cerveau  encore  plus  grossi,  et  contenant  une  cavité  tri-radiée 
{l,  1,  2,  3).  La  partie  destinée  à  former  le  Trigone  (/")  qui,  sur  le  n°  4,  était  en 
dessus,  regarde  maintenant  un  peu  en  bas;  et  des  prolongements  qui  en  partent  com- 
mencent à  s'étendre  vers  les  tubercules  mamillaires  (ma),  v  correspond  à  la  situation 
de  la  toile  choroidienne. 


sont  creuses  ;  et  chacune  d'elles  communique  avec  le  troisième  ventricule  par 
une  ouverture  connue  sous  le  nom  de  Trou  de  Monro.  Plus  tard,  ces  excrois- 


4  DÉVELOPPEMEJNT  DU   CERVEAU  HUMAIN 

sances  subissent  un  développement  énorme,  et  constituent  les  deux  Hémisphè- 
res Cérébraux;  tandis  que  les  cavités  qui  y  sont  renfermées  persistent  sous  le 
nom  de  Ventricules  Latéraux,  et  que  les  Corps  Striés  se  développent  à  leur  in- 
térieur. De  chaque  hémisphère  embryonnaire  se  développe  antérieurement  une 
sorte  de  bourgeon  creux  (o),  qui  constitue  le  Lobe  Olfactif  et  son  pédoncule. 

Ainsi  donc,  au  point  de  vue  de  son  histoire  embryogénique,  l'encéphale 
entier  peut  se  diviser  en  trois  parties  principales  :  1°  le  cerveau  antérieur, 
composé  des  Lobes  Olfactifs,  des  Hémisphères  Cérebi^aux,  et  des  parties  qui  en- 
tourent le  Troisième  Ventricule  ;  2°  le  cerveau  moyen,  composé  des  Tubercules 
Quadrijumeaux  et  des  Pédoncules  Cérébraux;  3°  le  cerveau  postérieur,  composé 


f'A^^l 


PiQ.  123. Esquisses  des  formes  premières  des  parties  de  l'axe  côrébro-spina]  dans  l'em- 
bryon humain  (Sharpey,  d'après  Tiedemann). 

A,  vue  latérale  à  la  septième  semaine;  1,  moelle;  2,  bulbe;  3,  cervelet  ;  4,  mésencéphale ; 
5,  6,  7,  cerveau. 

B,  vue  postérieure  à  la  neuvième  semaine;  1,  bulbe  ;  2,  cervelet;  3,  mésencéphale;  4,  5, 
couches  optiques  et  hémisphères  cérébraux. 

C  et  D,  vues  latérale  et  postérieure  du  cerveau  de  l'embryon  humain,  tel  qu'il  paraît  à  la 
douzième  semaine  de  la  vie  intra-utérine;  a,  cerveau,  b,  tuberculfes  quadrijumeaux; 
c  cervelet-  d  bulbe;  les  couches  optiques  sont  maintenant  recouvertes  par  les  hémi- 
sphères agrandis. 

E  vue  postérieure  du  même  cerveau,  disséqué  pour  montrer  les  parties  profondes. 
1,  bulbe;  2,  cervelet;  3,  tubercules  quadrijumeaux;  4,  couches  optiques;  5,  hémi- 
sphères, rejetés  survies  côtés;  6,  le  corps  strié,  enfoui  dans  l'hémisphère;  7,  commen- 
cement du  corps  calleux. 

F,  face  interne  de  la  moitié  droite  du  même  cerveau,  séparée  par  une  coupe  médiane  ver- 
ticale, et  montrant  la  cavité  centrale  ou  ventriculaire  ;  1,  2,  moelle  et  bulbe,  encore 
creux;  3,  courbure  où  se  forme  la  protubérance;  4,  cervelet;  5,  lame  (pédoncules 
cérébelleux  supérieurs)  se  continuant  en  dessus  avec  les  tubercules  quadrijumeaux  ; 
6,  pédoncules  cérébraux;  7,  tubercules  quadrijumeaux,  encore  creux;  8,  troisième 
ventricule;  9,  infundibulum  ;  10,  couche  optique,  maintenant  solide;  11,  nerf  optique; 
12,  ouverture  conduisant  dans  le  ventricule  latéral;  13,  corps  calleux,  commençant  à 
paraître. 

de  Cervelet,  du  Pont  de  Varole  et  du  Bulbe.  Ces  parties  principales  peuvent 
elles-môme  se  subdiviser  :  le  Cerveau  Antérieur  en  trois  segments  distincts  : 


PENDANT  LA  VIE  UTÉRINE.  5 

(a)  Olfactif,  (b)  des  Hémisphères,  (c)  des  Couches  optiques  ;  et  le  Cerveau  Posté- 
rieur en  deux  segments  (a)  Cérébelleux  et  (b)  Bulbaire.  Le  Cerveau  Moyen 
ne  présente  pas  d'autre  division.  Cette  classification,  donnée  il  y  a  quelques 
années  par  Huxley,  a  le  mérite  de  la  simplicité,  si  on  la  compare  à  d'autres 
nomenclatures  gênantes,  aujourd'hui  en  vogue  •• 

Dans  la  fig.  122,  les  commencements  de  ces  six  segments  principaux  de 
l'encéphale  sont  très  clairement  indiqués,  par  les  parties  qui  portent  les  let- 
tres :  0,  cr,  a,  b,  c,  m. 

Après  cet  exposé  préliminaire,  nous  pouvons  donner  une  des- 
cription plus  détaillée  des  changements  subis  par  le  tube  nerveux 
primitif  et  ses  renflements  céphaliques,  pour  donner  au  lecteur 
quelques  notions  sur  l'ordre  dans  lequel  apparaissent  ces  divers 
changements,  et  l'époque  à  laquelle  ils  se  produisent. 

A  une  phase  très  précoce  du  développement,  que  Tiedemann 


Fis.  124.  —  Coupe  verticale  du  cerveau  d'un  embryon  humain  âgé  de  quatorze  semainea , 
grossi  trois  fois  (Sliarpej',  d'après  Reichert);  c,  hémisphère  cérébral;  c  c,  corps  cal- 
leux, commençant  à  passer  en  arrière  ;  f,  trou  de  Monro  ;  p,  membrane  sur  le  tros- 
sième  ventricule  et  glande  pinéale;  t  h,  couche  optique;  3,  troisième  ventricule;  I, 
bulbe  olfactif;  c  q,  tubercules  quadrijumoaux;  c  r,  pédoncules  du  cerveau,  et  au-de-i- 
sus  d'eux  l'aqueduc  de  Sylvius  encore  large;  c',  cervelet,  et  au-dessous  de  lui  le  qua- 
trième ventricule;  p  v,  pont  de  Varole  ;  »n,  moelle  allongée. 

croyait  être  vers  la  septième  semaine,  l'axe  ou  tube  nerveux  primitif 
subit  une  série  de  courbures  (fig.  123,  A). 

Le  renflement  postérieur  se  recourbe- -Sur  lui-même,  de  façon 
que  ses  deux  régions  (2  3)  sont  presqu'à  angle  droit,  tandis  qu'en 
avant,  à  partir  de  là,  les  diverses  parties  décrivent  une  courbe 
[k  5  6)  dirigée  en  avant  et  en  bas. 

Ce  tube  recourbé  subit  graduellement  des  modifications  diverses, 
dues  à  l'amincissement  progressif  de  ses  parois  en  certains  points, 
et  à  des  épaississements  locaux  (dus  à  la  production  et  au  déve- 
loppement de  nouvelle  matière  nerveuse)  dans  d'autres  endroits. 
Ces  dernières  régions  d'épaississement  correspondent  aux  futurs 
centres  ganglionnaires  qui  se  développent  graduellement  dans  les 
régions  déjà  indiquées;  en  produisant  le  Cervelet,  la  Protubérance , 
les  Tubercules   Quadrijumeaux ,  les   Pédoncules  du   Cerveau,   les 

'].  Voyez  Gegenbaur,  Éléments  d'Anatomie  comparée,  traduction  Vogt. 


DÉVELOPPEMENT  DU  CERVEAU  HUMAIN 


Couches  Optiques,  les  Hémisphères  Cérébraux  avec  les  Corps  Striés 
qu'ils  renferment,  et  diverses  commissures. 

De  la  T  a  la9^  semaine,  le  renflement  moyen,  ou  vésicule  moyenne 
(Mésencéphale)  représentant  les  futurs  Tubercules  Quadrijumeaux, 
est  le  segment  le  plus  proéminent  de  l'encéphale.  Le  Cervelet,  même  à 
cette  dernière  date,  n'est  représenté  que  par  une  mince  lamelle 
croisant  la  face  dorsale  de  la  partie  supérieure 
du  Bulbe,  tandis  que  les  Hémisphères  Cérébraux 
luturs  ne  sont  encore  que  des  ampoules  oblongues 
fig.  122,3),  se  projetant  en  bas  et  en  avant  du  ren- 
flement antérieur  dont  elles  tirent  leur  origine.  De 
la  partie  inférieure  de  ce  même  renflement  [Tha- 
lam.encéphale)  se  projette  Vinfundibidum  qui,  soit 
à  ce  moment  là,  soit  plus  tard,  entre  en  connexion 
avec  le  Corps  Pituitaire,  organe  dont  la  nature  réelle 
et  l'origine  sont  encore  enveloppées  de  beaucoup 
d'obscurité.  A  partir  également  de  la  8"  semaine 
environ,  le  Thalamencéphale  est  tellement  aminci 
en  dessus  (fig.  122,  «),  que  le  troisième  ventricule 
n'est  plus  recouvert  que  par  une  membrane,  le 
vélum  interpositum  ou  toile  choroïdiemie.  An  bord 
supérieur  et  postérieur  de  ce  ventricule,  apparaît 
bientôt  la  Glande  Pinéale;  ainsi  que  se&pédonctdes^ 
qui  s'étendent  en  avant  de  chaque  côté. 

Vers  la  12"  semaine  de  la  vie  intra-utérine,  la 
configuration  de  l'Encéphale  a  subi  un  changement 
très  marqué;  d'abord  à  raison  de  l'accroissement 
de  volume  du  Cervelet  (fig.  123  C.  c),qui  est  main- 
tenant plus  épais  et  marqué  d'un  sillon  longitu- 
dinal médian,  bien  que  d'autre  part  sa  surface 
soit  lisse;  et  en  second  lieu  par  le  développement 
encore  plus  frappant  des  Hémisphères  Cérébraux 
(C,  a]  qui  ont  déjà  crû  en  arrière  au  point  de . 
recouvrir  complètement  le  troisième  ve?itricide 
(fig.  123,  F.  8).  Sur  la  surface  inférieure  de  chaque 
allongée,  le  qua-   i^éuiisphère,  uu  Lobc  Olfactif  est  maintenant  très 

trieme    -venincule  '■ 

étant  recouvert  par  distinct,  SOUS  forme  d'un  bourgcou  creux,  dont  la 
cavité  se  continue  avec  celle  de  l'Hémisphère  dont 
il  se  détache. 

Les  ventricules  latéraux  eux-mêmes   sont   en 

outre  continus  avec  la  cavité  du  Thalamencéphale, 

ou  troisième  ventricule,  par  une  ouverture  située  de  chaque  côté  de 

son  extrémité  antérieure,  et  connue  sous  le  nom  de  trou  de  Monro. 

Près  de  cette  ouverture,  commence  à  paraître  (au-dessus  et  en  avant) 


Fig.  125.  —  Cerveau 
et  moelle  d'un  Fœ- 
tus de  quatre  mois, 
vue  postérieure 
(Sharpey,  d'après 
Kôlliker).  h,  hémi- 
sphères cérébraux; 
m,  tubercules  qua- 
drijumeaux; e^  cer- 
velet ;  m  0,  moelle 


le  cervelet;  s,  s, 
renflements  cervi- 
cal et  lombaire  ds 
la  moelle. 


PENDANT  LA    VIE   UTÉUJNE.  7 

une  bande  transversale  qui  relie  les  deux  Hémisphères,  et  que  l'on 
pense  correspondre  au  rudiment  de  la  grande  commissure  transver- 
sale, le  corps  calleux,  et  peut-être  aussi  à  la  commissure  antérieure. 
A  cette  période,  les  parois  des  Hémisphères  Cérébraux  sont  très 
minces  et  en  forme  de  sac  ;  de  sorte  que  chacun  renferme  un  très 
grand  ventricule  latéral,  dans  lequel  on  peut  voir  un  Corps  Strié 
rudimentaire,  sous  forme  d'un  épaississement  de  sa  paroi  inférieure 
et  exteinie.  C'est  ainsi  que  ces  corps  arrivent  à  occuper  leur  position 
bien  connue,  en  avant  et  un  peu  en  dehors  des  Couches  Optiques. 
Pendant  cette  même  période,  le  renflement  moyen  ou  Mésencé- 
phale  ne  s'est  point  du  tout  accru  d'une  manière  proportionnelle  ; 
de  sorte  qu'il  a  maintenant  un  volume  relatif  beaucoup  moindre 
(fig.  12/1,  c  q).  On  y  peut  toutefois  remarquer  l'apparition  d'un  léger 
sillon  longitudinal;  et  son  bord  postérieur  touche  le  Cervelet  (c'). 


FiG.  126.  —  Cerveau  de  Fcstus  humain,  au  quatrième  mois,  grossi  environ  deux  fois 
(Owen).  Vue  latérale,  avec  le  cerveau  (P)  tiré  en  haut  et  en  avant,  pour  découvrir  les 
tubercules  quadrijumeaux  (o  o)  et  le  cervelet  bilobé  (c  c). 


Ses  parois  supérieures  sont  relativement  minces;  formant  le  toit 
d'une  cavité  proportionnellement  grande,  située  entre  le  troisième 
et  le  quatrième  ventricule;  bien  que  cette  cavité  diminue  plus 
tard,  et  se  réduise  à  un  simple  passage  entre  les  deux  ventricules. 

Le  Bulbe,  relativement  groS;,  conserve  sa  courbure  primitive,  Sa 
moitié  supérieure  est  recouverte  par  le  Cervelet;  tandis  qu'à  la  par- 
tie dorsale  de  sa  moitié  inférieure  se  trouve  le  quatrième  ventricule, 
largement  ouvert,  et  dont  la  partie  inférieure  se  continue  avec  le 
canal  central  de  la  partie  restante  du  lobe  primitif,  qui  se  développe 
maintenant  en  Moelle  Épinière. 

Vers  LA  FIN  DU  k^  MOIS,  les  principaux  changements  additionnels 
que  l'on  a  notés  sont  les  suivants.  Les  Hémisphères  Cérébraux  devien- 
nent encore  plus  gros,  et  tendent  de  plus  en  plus  à  éclipser  les 
autres  parties.  Ils  s'étendent  déjà  en  arrière  au-dessus  des  futurs 
Tubercules  Quadrijumeaux  (fig.  126),  On  peut  voir  sur  leur  surface 


8  DÉVELOPPEMENT  DU  CERVEAU    HUMAIN 

externe  une  scissure  de  Sylvius  rudimentaire  ;  et,  de  ce  sillon  large 
et  profond,  partent  un  certain  nombre  de  scissures  peu  profondes, 
qui  ont  été  décrites  par  Gratiolet  et  d'autres  auteurs  (et  qui  corres- 
pondent avec  des  proéminences  internes  sur  les  parois  des  ventri- 
cules latéraux).  Quelques  observateurs  croient  ces  apparences  arti- 
ficielles; mais  qu'elles  soient  artificielles  ou  naturelles,  tout  le  monde 
est  d'accord  qu'elles  disparaissent  au  bout  d'un  certain  temps,  lors- 
que les  parois  des  venlricules  laléraux  deviennent  plus  épaisses. 


FiG.    127.  —  Cerveau  de  Tortue  (Chelone),  vue    latérale,   à  comparer  avec  la    dernière 
figure  (Owen).  C,  cervelet;  O,  lobes  optiques;  P,  cerveau;  R^  lobos  olfactifs. 

C'est  alors  que  les  scissures  et  les  circonvolutions  permanentes 
commencent  à  se  développer  sur  la  surface  externe  des  Hémi- 
sphères Cérébraux. 


FiG.  1-2S.  —  Surface  externe  du  cerveau  fœtal  à  six  mois  (Sharpe}',  d'après  R.  "Wagner) 
Cette  figure  et  la  suivante  sont  destinées  à  montrer  le  commencement  de  la  formation 
des  principales  scissures,  F,  lobe  frontal;  P,  lobe  pariétal;  O,  lobe  occipital;  T,  lobe 
temporal;  a  a  a,  légère  apparence  des  diverses  circonvolutions  frontales;  s  s,  scissure 
de  Sylvius;  s',  sa  division  antérieure.  Au  fond  de  la  scissure,  C,  lobe  central  ou 
insulade  Reil;  r,  sillon  de  Rolande;  p,  scissure  perpendiculaire  externe. 

A  cette  période  aussi  les  Corps  Striés  sont  distinctement  plus 
gros;  et  près  de  leurs  extrémités  antérieures,  on  reconnaît  un  Corps 
Calleux  court  et  presque  vertical  (pas  très  différent  de  ce  qui  existe 
chez  les  Marsupiaux).  La  Commissure  Antérieure  est  grêle,  mais  dis- 
tincte, La  Commissure  Molle  ou  Moyenne  existe  sous  forme  d'une 
grosse  saillie  arrondie,  partant  de  la  face  interne  de  chacune  des 
Couches  Optiques;  bien  que  les  deux  saillies  ne  soient  pas  encore 
arrivées  à  se  toucher  de  manière  à  former  une  véritable  commissure. 


PENDANT   LA    VIE    UTÉRINE.  9 

La  cavité  dont  sont  creuses  les  Lobes  Optiques  est  encore  plus 
grande  qu'auparavant.  Les  lobes  latéraux  du  Cervelet  se  sont  no- 
tablement développés;  tandis  qu'ils  sont  séparés  l'un  de  l'autre 
(fig.  126,  c)  par  une  dépression  médiane,  —  indiquant  l'absence  pres- 
que complète,  à  cette  période,  du  lobe  médian. 

En  examinant  la  base  du  Cerveau,  on  trouve  le  Bulbe  gros.  Les 
pyramides  antérieures  et  les  rudiments  des  olives,  en  dehors  d'elles, 
sont  très  distinctement  reconnaissables.  Une  bande  mince,  marquée 
d'un  sillon  médian,  s'étend  en  travers,  entre  les  lobes  latéraux  du 
Cervelet.  C'est  la  première  trace  du  j)ont  de  Varole.  En  avant  de  lui 
sont  les  Pédoncules  Cérébraux  :  entre  ces  derniers  sont  le  corpus 
albicans  (tubercule  mamillaire)  et  le  tuber  cinereum;  et,  en  avant  de 


FiG.  129. 


Surface  supérieure  du  cerveau  fœtal  à  six  mois  (Sharpey,;d'après  R.Wagner). 
Mêmes  indications  que  pour  la  figure  .128. 


ce  dernier,  la  commissure  des  nerfs  optiques.  Tous  les  autres  nerfs 
cérébraux  sont  distinctement  reconnaissables;  bien  qu'à  cette  pé- 
riode ils  soient  excessivement  grêles. 

Après  cette  époque,  le  développement  du  Cerveau  se  poursuit, 
d'après  Gratiolet,  avec  la  plus  surprenante  rapidité.  Vers  la  fin  du 
5°  MOIS,  l'accroissement  des  Hémisphères  Cérébraux  a  été  si  consi- 
dérable, qu'ils  couvrent  complètement,  non  seulement  les  Tubercules 
Quadrijumeaux,  mais  aussi  le  Cervelet,  maintenant  plus  gros.  La 
scissure  de  Sylvius  est  large  et  ouverte  (fig.  128),  de  manière  à  laisser 
à  découvert  le  lobe  central  ou  imtda  de  Reil.  Le  commencement 
du  sillon  de  Rolande  est  parfois  reconnaissable  à  cette  période;  et 
l'on  peut  suivre  les  rudiments  de  circonvolutions  sur  les  lobes  fron- 
taux et  d'autres  parties.  Les  parois  des  Hémisphères  et  des  Lobes 
Optiques  ont  acquis  une  épaisseur  beaucoup  plus  grande  ;  et  les  prin- 


10  DÉVELOPPEMENT  DU  CERVEAU  HUMAIN 

€ipales  commissures  sont  pour  la  plupart  arrivées  à  leur  condition 
typique.  C'est  plus  spécialement  le  cas  pour  le  Corps  Calleux  et  le 
Trigone,  entre  lesquels  le  cinquième  ventricule  a  commencé  à  paraître. 
Les  deux  moitiés  de  la  Commissure  Moyenne  se  sont  également 
réunies. 

Pendant  cette  même  période,  le  Cervelet  a  subi  des  changements 
importants.  A  partir  de  la  fin  du  quatrième  mois,  le  développement 
■de  ses  lobes  latéraux  a  lieu  avec  plus  de  lenteur  ;  et  le  lobe  médian, 
■absent  jusque-là,  non  seulement  commence  à  paraître,  mais  présente 
aussi  sur  sa  surface  trois  ou  quatre  plis  transversaux.  Leslobeslaté- 
raux  sont  encore  parfaitement  lisses,  —  bien  que,  vers  la  fin  du  sixième 
mois,  ils  soient  également  marqués  de  nombreuses  scissures  trans- 
versales. La  Protubérance,  comme  on  l'a  déjà  signalé,  subit  un 
développement  corrélatif  à  celui  des  lobes  latéraux  du  Cervelet. 

Dans  la  dernière  et  importante  période  de  la  vie  intra-utérine, 
DU  6°  A  LA  FIN  DU  9'  M0is,les  changements  qui  se  manifestent  dans 
le  Cerveau  sont  beaucoup  plus  marqués  que  ceux  qui  se  produisent 
dans  le  Cervelet.  Les  parois  des  Hémisphères  Cérébraux  deviennent 
plus  épaisses;  et  il  y  a  diminution  proportionnée  de  la  capacité  des 
ventricules  latéraux,  dont  les  trois  cornes  deviennent  maintenant 
tout  à  fait  distinctes.  Le  Corps  Calleux  prend  une  direction  plus 
horizontale,  et  s'accroît  à  la  fois  en  épaisseur  et  en  longueur.  Il 
s'étend  en  arrière  jusqu'au  niveau  des  Lobes  Optiques,  qui  sont 
maintenant  marqués  d'un  sillon  transversal,  et  paraissent  ainsi 
comme  de  vrais  tubercules  quadri jumeaux.  Les  lobes  occipitaux  du 
cerveau  se  développent  davantage.  Le  profil  général  des  Hémisphères, 
vus  en  dessus,  est  celui  d'un  ovale  allongé. 

Pendant  le  6'  mois,  se  produit  un  développement  surprenant  de 
scissures  et  de  circonvolutions;  de  sorte  que,  vers  les  premiers  temps 
du  septième  mois,  on  peut  suivre  distinctement  les  principales 
d'entre  elles.  Celles  qui  se  manifestent  les  premières  sur  la  surface 
externe,  sont  la  scissure  de  Sylvius  et  le  sillon  de  Rolande.  Ce  der- 
nier est  à  peine  distinct  jusqu'à  la  fin  du  sixième  mois;  mais,  un  peu 
avant  cette  période,  d'après  Ecker,  deux  autres  scissures  apparais- 
sent sur  la  face  interne  des  Hémisphères:  ]sl perpendiculaire into^ne 
(fig.  130  P'),  marquant  la  limite  antérieure  du  lobe  occipital,  et  la 
scissure  calcarine  qu'elle  rencontre  en  bas.  Cette  dernière  est  géné- 
ralement regardée  comme  une  extension  postérieure  de  la  scissure 
de  V Hippocampe,  qui  apparaît  à  peu  près  à  la  même  époque,  et  qui 
«xiste  constamment,  même  chez  les  Vertébrés  inférieurs,  sur  la 
face  interne  du  cerveau.  Gratiolet  croit  même  que  cette  dernière 
scissure  est  la  première  qui  paraisse  sur  la  face  interne  des  Hémi- 
sphères. Un  peu  plus  tard,  on  peut  distinguer  la  scissure  parallèle 
du  lobe  temporal;  et, comme  on  l'a  déjà  dit, vers  le  commencement 


PENDANT   LA   VIE    UTÉRINE, 


11 


du  1'  mois,  les  autres  principales  scissures  du  cerveau  ont  fait  leur 
apparition. 

Ecker  a  sans  doute  raison  de  penser  que  l'époque  précise  à  laquelle 
paraissent  les  principales  scissures,  est,  ainsi  que  leur  ordre  d'appa- 
rition, sujette  à  quelques  variations  chez  les  différents  individus 
Ainsi  qu'Huxley,  il  estime  qu'aucune  preuve  ne  démontre  que  les 
scissures  du  cerveau  d'un  Chimpanzé  ou  d'un  Orang  n'apparaissent 
point  dans  le  même  ordre  essentiel  que  chez  l'enfant;  malgré  l'opi- 
nion exprimée  par  Gratiolet  qu'il  existe  sous  ce  rapport  de  légères 
différences. 

A  l'époque  de  la  naissance,  le  développement  des  circonvolutions 


Fis.  130.  —  Vue  de  la  face  interne  de  la  moitié  droite  à\x  cerveau  fœtal,  à  six  mois  envi- 
ron (Sharpej',  d'après  Reichert).  F,  lobe  frontal;  P,  lobe  pariétal;  O,  lobe  occipital  ; 
T,  lobe  temporal;  I,  bulbe  olfactif;  II,  nerf  optique  droit;  fp,  scissure  calloso-mar- 
ginale  ;  ;j,  scissure  perpendiculaire;  /(,  scissure  calcarine;  gg,  circonvolution  du  corps 
calleux  {gyrus  fornicatus);  c  c,  corps  calleux;  s,  septum  lucidum;  f,  la  lettre  est  pla- 
cée entre  la  commissure  moyenne  et  le  trou  de  Monro  ;  t;  est  à  la  partie  supérieure  du 
troisième  ventricule,  immédiatement  au-dessus  du  vélum  interpositum  et  du  trigone. 
v',  dans  la  partie  postérieure  du  troisième  ventricule,  au-dessous  de  la  glande  pinéale, 
et  en  avant  de  l'entrée  de  Vaqueduc  de  Sylvius  ;  d'V  dans  la  partie  inférieure  du 
troisième  ventricule,  au-dessus  de  l'infundibulum  ;  r,  processus  pinealis,  se  détachant 
en  arrière  de  la  toile  clioroïdienne  ;  p  v  pont  de  Varole;  c  e,  cervelet. 

est  si  complet  chez  l'Enfant,  qu'elles  ne  diffèrent  de  celles  de  l'adulte 
qu'en  ce  qu'elles  présentent  un  peu  moins  de  complications  pour 
les  détails  de  moindre  importance. 

Toutefois,  tandis  que  les  circonvolutions  atteignent  ce  haut  degré 
de  complexité,  il  se  produit  quelques  changements  importants  dans 
le  développement  relatif  des  divers  lobes  du  cerveau.  Au  7"  mois,  le 
lobe  pariétal  est  remarquablement  petit',  et,  apparemment,  en  con- 


1.  Voyez  Gratiolet,  Anatomie  comparée  du  Système  Nerveux,  PL  XXXI, 
fig-.  l. 


12  DÉVELOPPEMENT  DU  CERVEAU  HUMAIN 

séquence  de  cela,  le  sillon  de  Rolando  est  courbé  presqu'à  angle 
droit,  exactement  comme  dans  le  cerveau  de  l'Orang  adulte,  et  à  un 
degré  moindre  dans  celui  du  Chimpanzé.  A  cette  même  époque,  le 
lobe  frontal  est  gros,  ainsi  que  le  lobe  temporal;  bien  que  les  cir- 
convolutions de  ce  dernier  ne  soient  encore  que  bien  imparfaite- 
ment marquées.  La  longueur  du  lobe  temporal  et  l'étendue  du  pro- 
longement postérieur  de  la  scissure  de  Sylvius  sont  aussi  des  traits 
remarquables  du  cerveau  fœtal.  Nous  avons  déjà  eu  à  signaler  ces 
caractères  dans  le  cerveau  de  beaucoup  de  Quadrumanes,  et  nous  au- 
rons encore  l'occasion  de  parler  de  ces  mêmes  particularités,  comme 
existant  chez  les  cerveaux  humains  adultes  d'un  type  peu  élevé. 

A  l'époque  de  la  naissance,  le  développement  plus  complet  du 
lobe  pariétal  a  diminué  de  beaucoup  la  courbure  du  sillon  de 
Rolando.  Le  contour  du  cerveau,  vu  en  dessus,  est  encore  un  ovale 
allongé,  bien  qu'il  soit  distinctement  plus  large,  dans  les  régions 
frontale  et  pariétale,  que  chez  le  fœtus  de  sept  mois  représenté 
par  Gratiolet;  et  ce  contour  s'accorde  presque  exactement  avec 
celui  du  cerveau  de  la  femme  Boschimane  adulte,  qui  a  été  publié 
par  Marshall  (fig.  135). 

D'après  S.  van  der  Kolk  et  Vrolik,  il  semble  que,  par  leur  pro- 
portion relative,  les  lobes  cérébraux  d'un  Enfant  nouveau-né  tiennent 
juste  le  milieu  entre  ceux  du  Chimpanzé  et  ceux  de  l'Homme  adulte. 
Mais,  chez  l'Orang  adulte,  il  existe  la  même  proportion  entre  les  lobes 
cérébraux  que  chez  l'Enfant  nouveau-né;  de  sorte  que,  sous  ce 
rapport  comme  sous  plusieurs  autres,  le  cerveau  de  l'Orang  semble 
avoir  subi  une  évolution  plus  parfaite  que  celui  du  Chimpanzé. 

•  Le  Cervelet  est  relativement  petit  chez  l'Enfant  nouveau-né.  Son 
poids  proportionnel,  comparé  à  celui  du  Cerveau  à  la  même  époque, 
est  moindre  que  chez  aucun  des  grands  Anthropomorphes.  Ceci, 
toutefois,  n'est  point  dû  à  une  diminution  dans  le  développement 
du  Cervelet  ;  mais  plutôt  à  ce  que,  chez  l'Homme,  l'accroissement 
total  du  volume  du  Cerveau  est  beaucoup  plus  considérable  que 
celui  du  Cervelet  ;  et  à  ce  que  cet  accroissement  plus  considérable 
est  déjà,  à  l'époque  de  la  naissance,  plus  manifeste  dans  le  Cerveau 
que  dans  le  Cervelet.  Ce  fait  a  été  également  établi  par  les  anato- 
mistes  hollandais,  puisqu'ils  ont  trouvé  que  le  poids  du  Cerveau  chez 
le  nouveau-né  est,  au  poids  du  Cerveau,  chez  l'adulte,  comme  96: 
157;  tandis  le  poids  du  Cervelet  du  nouveau-né  est  au  poids  du 
Cervelet  de  l'Homme  adulte  comme  22  :  50. 

La  proportion  réelle  du  poids  du  Cervelet  à  celui  du  Cerveau, 
chez  le  nouveau-né,  varie  d'après  Chaussier  de  1  :  13  à  1  :  26  ;  et 
Cruvelhier  s'est  assuré  qu'il  est  de  1  :  20.  D'autre  part,  d'après 
Sharpey,  le  rapport  du  poids  du  Cervelet  à  celui  du  Cerveau  est,  chez 
l'Homme  adulte,  1  :  8  *■  et  chez  la  Femme  adulte  1:8^. 


PENDANT    LA    VIE    UTÉRINE.  13 

On  peut  voir,  d'après  ces  chiffres,  combien  le  développement  du 
Cervelet  est  resté  en  arrière  de  celui  du  Cerveau,  chez  l'Enfant,  à 
répoque  de  la  naissance. 

Quant  aux  caractères  microscopiques  du  Cerveau  fœtal,  une 
seule  indication  brève,  mais  importante,  mérite  d'être  rapportée  ici. 

D'après  Lockhart  Clarke  ^  :  a  Dans  le  cerveau  fœtal  des  Mammi- 
fères et  de  l'Homme,  la  structure  (des  circonvolutions  cérébrales) 
consiste  au  début  en  un  réseau  nucléé  ininterrompu.  A  mesure  que 
le  développement  avance,  on  peut  distinguer  des  couches  séparées.  » 
Mais,  même  dans  ces  couches,  on  ne  peut  reconnaître  «  que  des 
noyaux  arrondis  reliés  par  un  réseau  de  fibres  »  ou,  dans  d'autres 
parties,  des  groupes  de  noyaux  plus  allongés,  au  lieu  des  cellules 
nerveuses  distinctes,  mais  de  formes  différentes,  réunies  entre  elles 
par  leurs  prolongements,  que  l'on  décrira  dans  un  chapitre  ultérieur 
comme  les  constituants  principaux  et  caractéristiques  des  circon- 
volutions cérébrales,  à  leur  état  de  développement  complet. 

1.  Notes  of  Researches  on  tlie  Intimate  Structure  of  the  Brairi  —  Proceed. 
of  the  Royal  Society,  1863,  p.  721. 


CHAPITRE  XX 

VOLUME    ET    POIDS    DU    CERVEAU    HUMAIN 

Le  volume  et  le  poids  du  Cerveau  humain  peuvent  être  estimés 
de  deux  manières,  dont  l'une  peut  être  appelée  direcle  et  l'autre 
liidirecle. 

Nous  pouvons  assurément  mesurer  et  peser  l'organe  lorsqu'il  est 
accessible  ;  et  une  grande  somme  de  travail  a  été  dépensée  dans  cette 
direction,  principalement  par  des  observateurs  anglais,  sur  des  indi- 
vidus d'âge,  de  sexe  et  de  conditions  différents. 

Mais  lorsque  l'anatomiste  ne  possède  que  les  crânes  des  repré- 
sentants d'anciens  peuples,  ou  de  nations  étrangères,  ou  de  tribus 
sauvages,  il  doit,  pour  acquérir  des  notions  définies  sur  le  volume 
et  le  poids  des  organes  que  ces  crânes  ont  renfermés,  adopter  une 
méthode  uniforme  et  soigneusement  étudiée  pour  s'assurer  de  leur 
capacité  exacte.  Des  chiffres  de  capacité  crânienne  ainsi  obtenus,  on 
pourra,  lorsque  certaines  autres  données  seront  connues,  déduire 
avec  une  certaine  exactitude  le  poids  probable  du  Cerveau  corres- 
pondant. 

Cette  dernière  manière  indirecte  de  procéder  est  justifiable,  et 
capable  de  donner  des  résultats  dignes  de  foi;  car,  à  l'état  de  santé, 
le  Cerveau  humain  remplit  invariablement  le  crâne  auquel  il  appar- 
tient, sauf  l'intervention  de  quelques  enveloppes  membraneuses 
minces,  avec  des  vaisseaux  et  des  espaces  sanguins,  —  dont  on  peut 
finalement  tenir  compte.  Il  reste  encore  toutefois  beaucoup  à  faire, 
avant  que  l'on  puisse  déterminer  d'une  façon  exacte  à  combien  s'élève 
le  total  des  déductions  à  opérer,  et  l'étendue  dans  laquelle  il  varie 
avec  l'âge,  le  sexe  et  la  race;  et  l'on  peut  en  dire  autant  des  diffé- 
rences de  capacité  des  ventricules  latéraux,  puisque  les  variations, 
en  plus  ou  en  moins  de  la  capacité  normale  peuvent  parfois  intervenir 
comme  cause  d'erreur  dans  une  estimation  indirecte  du  poids  du 
Cerveau.  Ainsi  donc,  bien  qu'il  soit  vrai  qu'il  existe  toujours  cer- 
taines relations  entre  la  capacité  crânienne  et  le  poids  du  Cerveau, 
on  ne  saurait  dire  qu'elles  aient  encore  été  déterminées  autrement 
que  d'une  manière  préliminaire.  D'après  la  règle  générale  posée  par 


CAPACITÉ   CRANIENNE.  15. 

le  docteur  Barnard  Davis,  en  déduisant  environ  15  p.  %  de  la  capa- 
cité du  crâne,  on  obtient  le  volume  du  Cerveau;  et  l'on  peut, par  le 
calcul,  en  déduire  son  poids'. 

Les  deux  méthodes,  direcle  et  indirecte,  sont  de  grande  utilité; 
et  les  investigateurs  expérimentés  peuvent  avoir  recours  à  l'une  ou 
à  l'autre,  suivant  qu'ils  ont  à  examiner  des  Crânes  ou  des  Cerveaux. 
Chaque  méthode  offre  certains  avantages;  mais,  somme  toute,  on  peut 
dire  que,  si  les  Cerveaux  étaient  toujours  accessibles,  on  entendrait 
probablement  moins  parler  des  capacités  crâniennes.  La  méthode 
indirecte  semble  bien  calculée  pour  donner  des  moyennes  de  race. 


Fis.  131.  —  Un  côté  du  crâne  enlevé  pour  montrer  la  dure-mère  avec  ses  vaisseaux  en- 
veloppant le  cerveau  (d'après  Hirschfeld  et  Léveillé).  a,  commencement  du  grand 
sinus  veineux  longitudinal  qui  se  continue  en  arrière  vers  b.  Tout  près  de  b  est  situé 
le  point  de  rencontre  de  plusieurs  sinus  veineux. 

OU  poids  le  plus  ordinaire,  lorsqu'on  mesure  avec  soin  un  nombre 
suffisant  de  crânes,  par  une  méthode  capable  de  donner  des  résul- 
tats uniformes  et  corrects. 

Il  ne  faut  toutefois  jamais  oublier  que  le  volume  du  Crâne,  et 
avec  lui  le  poids  du  Cerveau,  varie  dans  de  certaines  limites  suivant 
la  stature  de  l'individu;  de  manière  que  l'accroissement  de  stature 
est  accompagné  d'une  augmentation  de' poids- du  Cerveau,  bien  que 
cette  augmentation  marche  d'autant  moins  vite  que  la  stature  s'ac- 
croît davantage.  Ceci  est  appuyé  sur  l'autorité  de  MarslialP,  qui  a 
aussi  calculé,  d'après  des  tables  colossales  fournies  par  Boyd  (et 
d'après  des  notes  à  lui),  que,  pour  les  Anglais,  une  variation  de 
7  pouces  dans  la  taille  est  accompagnée  d'une  variation  de  2  onces  75 
dans  le  poids  du  Cerveau  chez  les  Hommes;  tandis  que,  chez  les 
Femmes,  une  variation  de  6  pouces  dans  la  taille  n'en  donne  qu'une 
de  1  once  25  dans  le  poids  du  Cerveau.  Ainsi  donc,  lorsqu'on  com- 

\.  Voyez  :  On  the  IVeight  of  tlie  Brain  in  the  différent  races  of  Man  — 
PMlosoph.  Trans.,  1868,  p.  506  et  526. 

2.  Proceed.  of  the  Boij.  Soc. ,1815,  vol.  XXIII,  p.  564. 


16 


VOLUME  ET  POIDS  DU   CERVEAU  HUMAIN. 


pare  le  poids  du  Cerveau  chez  des  individus  de  stature  différente,  en 
vue  de  reconnaître  l'influence  d'autres  conditions  sur  le  poids  de 
cet  organe,  il  faut  toujours  avoir  présent  à  l'esprit  que  la  différence 
de  stature  est  elle-même  une  cause  puissante  de  différences,  avec 
laquelle  il  faut  compter  tout  d'abord. 

On  peut  établir  ici,  en  termes  généraux,  qu'un  peu  moins  de  ^  du 
poids  total  d'un  Cerveau  représentera  chez  les  Hommes  le  poids  du 


FiG.  132.  —  Cerveau  et  cervelet  de  l'Homme,  montrant  le  volume  relatif  de  ces  parties  de 
l'Encéphale  (d'après  Hirschfeld  et  Léveillé). 

Cervelet.  Pour  les  Femmes  toutefois,  le  poids  relatif  du  Cervelet  est 
plutôt  plus  grand  (1  :  8  i)  ce  qui  est  dû  à  une  réduction  proportion- 
nelle, chez  elles,  du  volume  du  Cerveau. 


CAPACITES    CKANIENNES 

On  ne  peut  connaître  la  capacité  crânienne  moyenne  d'une  race 
quelconque  que  par  l'examen  d'une  nombreuse  série  de  Crânes  de 
cette  race,  assortis  d'après  le  sexe.  L'importance  de  ce  dernier  point 
est  grande;  car,  ainsi  que  le  signale  Flower,  la  différence  de  sexe, 
dans  son  influence  sur  la  capacité  du  Crâne,  est  décidément  plus 
grande  que  la  différence  de  race. 

Les  manières  d'estimer  la  capacité  crânienne  ont  tellement  varié  à 
diverses  époques  et  suivant  les  différents  observateurs,  qu'il  est  par- 
fois difficile  et  peu  sûr  de  comparer  entre  eux  les  résultats  obtenus. 

11  serait  fort  important  qu'une  méthode  internationale  fût  univer- 
sellement adoptée  par  les  travailleurs  des  divers  pays.  Nous  pour- 
rions alors,  au  bout  d'un  certain  temps,  avoir  des  résultats  stricte- 
ment comparables  les  uns  aux  autres^. 

1.  Voyez  Flower,  in  :  Brit.  Meclic.  Journ.,  12  avril  1879,  p.  540,  et  un  autre 
mémoire  du  même  auteur,  ISlethods  and  Residts  of  Measurement  of  Capacity 
of  Crania,  in  Rep.  of  Brit.  Assoc.  pour  1878. 


CAPACITÉ   CRANIENNE.  17 

VogtS  donne  une  table  de  capacités  crâniennes,  fournies  par  divers 
observateurs,  dont  les  données  les  plus  intéressantes  proviennent  des 
recherches  de  Broca  sur  un  grand  nombre  de  Crânes  provenant  de 
certains  cimetières  de  Paris,  dont,  pour  diverses  raisons,  on  avait  à 
déranger  les  sépultures.  11  dit  : 

«  Broca  pi^ofita  de  l'occasion  fort  rare  d'examiner  un  certain  nombre  de 
crânes  trouvés  à  Paris  (en  posant  les  fondations  du  nouveau  Tribunal  de 
commerce),  dans  un  caveau  situé  à  trois  mètres  de  profondeur,  en  un  point 
déjà  couvert  de  maisons  à  l'époque  de  Philippe-Auguste.  Les  crânes  doivent 
donc  dater  au  moins  du  xu'=  siècle,  et  beaucoup  d'entre  eux,  peut-être,  de  la 
période  carlovingienne.  Ils  appartenaient  certainement  à  des  individus  de  haut 
rang,  puisqu'on  les  trouva  dans  des  caveaux  fermés.  » 

La  capacité  moyenne  de  115  de  ces  Crânes  du  xn"  siècle  fut 
trouvée  de  lZi25,98  centimètres  cubes. 

Une  autre  série  de  Crânes  provenait  du  cimetière  de  FOuest,  qui 
fut  affecté  à  cet  usage  de  1788  à  182^.  De  ceux-ci,  qu'on  peut  appeler 
Crânes  du  xix'=  siècle,  125  furent  examinés  et  donnèrent  une  capacité 
de  lZi61,53  centimètres  cubes. 

11  n'est  donc  pas  sans  intérêt  de  remarquer  que,  dans  le  cours  de 
sept  siècles  de  civilisation  progressive,  la  moyenne  du  Crâne  Pari- 
sien semble  avoir  distinctement  augmenté  de  capacité. 

C'est  en  outre,  comme  le  signale  Vogt,  un  fait  remarquable  «  que 
la  différence  entre  les  sexes  au  point  de  vue  delà  capacité  crânienne 
augmente  avec  le  développement  de  la  race,  de  sorte  que  l'Euro- 
péen est  de  beaucoup  plus  au-dessus  de  l'Européenne  que  le  Nègre 
ne  l'est  de  la  Négresse.  » 

Le  Bon  a  aussi  récemment  établi  ^  que  la  différence  qui  existe 
entre  la  capacité  moyenne  des  Crânes  d'Homme  et  de  Femme,  chez 
les  Parisiens  modernes,  est  près  du  double  de  celle  qui  existe  entre 
les  Crânes  d'Hommes  et  de  Femmes  de  l'ancienne  Egypte. 

Ceci  doit  être  regardé  comme  une  autre  preuve  intéressante  que 
ies  effets  de  la  civilisation  conduisent  à  un  accroissement  de  déve- 
loppement du  Cerveau;  car,  ainsi  que  le  remarque  Vogt: 

«  Moins  l'état  de  culture  est  élevé,  plus  les  occupations  des  deux  sexes 
sont  semblables.  Chez  les  Australiens,  les  Boschimans  et  autres  races  infé- 
rieures ne  possédant  pas  d'habitations  fixes,  la  femme  partage  tous  les  travaux 
de  son  époux  et  a  en  outre  les  soins  de  la  famille.  La  sphère  d'occupation  est 

1.  Lectures  on  Man  {Anthrop.  Soc.)  p.  88. 

2.  Comptes  rendus,  8  juillet  1878,  p.  80.  Depuis  que  ce  chapitre  est  à  l'im- 
pression un  mémoire  plus  long,  de  Le  Bon,  a  paru  dans  la  Revue  d'Anthropo- 
logie de  janvier  1879. 

Charlton  Bastian.  —  II.  2 


18 


VOLUME    ET   POIDS    DU   CERVEAU    HUMAIN. 


îa  même  pom'  les  deux  sexes;  tandis  que,  chez  les  nations  civilisées,  il  y  a  di- 
vi  sion  du  travail  mental.  S'il  est  vrai  que  tout  organe  se  fortifie  par  l'exercice 
et  augmente  de  volume  et  de  poids,  il  en  doit  être  ainsi  pour  le  cerveau,  qui 
se  développe  davantage  par  l'exercice  mental  proprement  dit.  » 

En  outre,  Le  Bon  a  montré  que  l'étendue  de  variation  dans  la 
capacité  crânienne^  que  l'on  rencontre  cliez  différents  individus  du 
sexe  masculin,  semble  d'autant  plus  grande  que  la  position  de  la  race 
est  plus  élevée  dans  l'échelle  de  la  civilisation.  «  Ainsi  les  gros  et  les 
petits  Crânes  masculins  chez  les  Nègres,  peuvent  présenter  des  diffé- 
rences de  20Zi  centimètres  cubes;  chez  les  anciens  Égyptiens,  de  353; 
chez  les  Parisiens  du  xu^  siècle,  de  /i72;  et  chez  les  Parisiens 
modernes,  de  593.  »  Il  estime,  en  conséquence,  que  le  signe  réel  de 
supériorité  d'une  race  sur  une  autre,  pour  ce  qui  est  de  la  capacité 
crânienne^  ne  peut  être  obtenu  par  des  moyennes  qui  peuvent  être, 
et  sont  souvent,  fort  trompeuses;  mais  plutôt  en  recherchant  com- 
bien pour  cent  d'individus  de  chaque  race  possèdent  des  Crânes  de 
volumes  donnés.  «  La  race  supérieure,  d'après  Le  Bon,  contient 
beaucoup  plus  de  Crânes  volumineux  que  la  race  inférieure.  Sur 
100  Crânes  Parisiens  modernes,  il  y  en  aura  à  peu  près  11  dont  la 
capacité  atteindra -de  1700  à  1900  centimètres  cubes;  tandis  que,  sur 
le  même  nombre  de  Crânes  Nègres,  on  n'en  trouvera  pas  un  seul  qui 
possède  ces  capacités.  »  Dans  son  travail  plus  récent  et  plus  étendu, 
iLe  Bon  donne,  à  l'appui  de  ses  vues,  l'intéressante  table  que  voici  : 

Capacité   crânienne   chez   les  diEFéreutes  races   humaines. 


CAPACITÉ 

PARISIENS 

PARISIENS 
DU 

ANCIENS 

NÈGRES. 

AUSTRA    lEN 

CRANIENNE. 

MODERNES. 

Xlie   SIÈCLE. 

EGYPTIENS. 

Centimètres  cubes. 

1200  à  1300.  . . 

0,0 

0,0 

0.0 

7,4 

45,0 

1300  à  1400.  . . 

10.4 

7,5 

12,1 

35,2 

25,0 

1400  à  1500.  . . 

14,3 

37,3 

42,5 

33,4 

20.0 

1500  à  1600.  . . 

46,7 

29,8 

36,4 

14,7 

10,0 

1600  à  1700.  . . 

16,9 

20,9 

9,0 

9,3 

0,0 

1700  à  1800. . . 

6,5 

4,5 

0,0 

0,0 

0,0 

1800  à  1900... 

5,2 

0,0 

0,0 

0,0 

0,0 

Le  même  auteur  ajoute^  :  «La  capacité  crânienne  du  Gorille 
-atteint  souvent  600  centimètres  cubes,  de  sorte  qu'il  suit  de  là  qu'il 


1.  Loc.  cit.,  p.  75. 


MANIERES   DE    PESER.  19 

y  a  un  grand  nombre  criiommes  qui  sont  alliés  de  plus  près,  par  le 
volume  de  leur  cerveau,  aux  singes  anthropomorphes,  qu'ils  ne  le  sont 
à  quelques  autres  hommes.  » 


POIDS    DU    CERVEAU 

La  manière  de  peser  le  cerveau  n'a  pas  toujours  été  la  même 
pour  les  différents  observateurs.  Quelques-uns  avaient  coutume  de 
débarrasser  l'organe  de  ses  minces  enveloppes  membraneuses,  avant 
de  le  mettre  dans  la  balance;  tandis  que  d'autres  les  pesaient  avec 
lui.  Mais  le  poids  de  la  pie-mère  et  de  l'arachnoïde  est  assez  exacte- 
ment connu,  et  excéderait  à  peine  21  à  28  grammes.  En  outre,  parmi 
ceux  qui  ont  suivi  la  dernière  méthode,  qui  est  aussi  de  beaucoup  la 
plus  commune,  quelques-uns  ont  pesé  le  cerveau  dans  son  état  d'in- 
tégrité, presque  aussitôt  qu'il  était  retiré  du  corps,  tandis  qu'un 
observateur  au  moins,  le  docteur  Thurnam,  avait  l'habitude  de  le 
couper  d'abord  par  tranches  pour  permettre  à  la  sérosité  et  au  sang 
de  s'écouler  pendant  une  ou  deux  heures,  avant  de  mettre  l'organe 
dans  la  balance.  Par  ce  dernier  procédé,  le  poids  total  peut  être 
diminué, dans  certains  cas,  de  28  à  56  grammes^. 

Comme  ces  causes  de  variations  sont  presque  les  seules  possibles, 
lorsque  les  pesées  sont  faites  avec  le  soin  ordinaire,  les  poids  du 
cerveau,  obtenus  par  les  différents  observateurs,  sont  plus  strictement 
comparables  l'un  à  l'autre  que  les  estimations  Û.Q  capacité  crânienne^ 
que  les  divers  observateurs  ont  obtenues  en  suivant,  comme  la  plupart 
l'ont  fait,  des  méthodes  très  différentes,  et  dont  les  indices  relatifs 
de  variation  n'ont  point  encore  été  déterminés. 

Assurément,  la  plupart  des  causes  qui  affectent  la  capacité 
crânienne  des  individus  affectent  aussi  le  poids  de  leur  cerveau,  et 
vice  versa.  Mais,  sauf  pour  ce  qui  tient  à  la  comparaison  des  races 
anciennes  et  modernes,  ces  conditions  ont  été  beaucoup  mieux 
élucidées  pour  les  poids  que  pour  les  capacités  crâniennes. 

Nous  allons  signaler  brièvement  quelques-unes  des  principales 
causes  de  modification. 

Age,  —  Les  premiers  anatomistes,  et  même  Tiedemann  et  sir 
William  Hamilton,  croyaient  que  le  cerveau  humain  atteignait  son 
plus  grand  développement  vers  la  septième  année.  Nous  savons  main- 
tenant que  cela  n'est  pas  exact  :  cependant,  d'après  des  recherches 
fort  étendues  du  docteur  Boyd,  qui  ont  été  réduites  en  tables  par 

1.  Voyez  un  excellent  mémoire  du  D'  Thurnam  :  On  the  Weight  of  the 
Human  Brain  and  on  the  Circumstances  afjecting  it.  —  Journal  of  Mental 
Science,  1866. 


20  VOLUME    ET   POIDS   DU   CERVEAU    HUMAIN. 

Thurnam  {loc. cit. stable  ix),  il  semblerait  que,  chez  les  enfants  mâles„ 
il  atteint  réellement  les  f  de  son  poids  définitif  à  la  fin  de  la 
septième  année  ;  et,  chez  les  petites  filles,  environ  les  ^  dece  poids  à 
la  même  période.  En  outre,  d'après  cette  table,  le  poids  maximum  du 
cerveau,  pour  les  deux  sexes,  se  rencontra  chez  des  individus  qui  ne 
dépassaient  pas  la  vingtième  année. 

Après  une  considération  attentive  des  résultats  précédemment 
obtenus,  Thurnam  arrive  aux  conclusions  suivantes  : 

«  On  peut  admettre,  en  général,  que  le  poids  moyen  du  cerveau  subit  un 
accroissement  progressif  jusqu'à  une  époque  située  entre  la  vinglième  et  la 
quarantième  année.  D'après  toutes  les  tables  que  nous  avons  sous  les  yeux,  et 
qui  se  rapportent  à  des  cerveaux  sains,  le  poids  moyen  le  plus  considérable  est, 
chez  les  hommes,  celui  de  la  période  décennale  moyenne,  ou  de  trente  à  qua- 
rante ans;  et  ceci,  comme  l'observe  M.  Broca,  s'accorde  parfaitement  avec  ce 
que  nous  savons  de  la  continuation  de  développement  de  l'intelligence  durant 
toute  cette  période.  Pour  les  femmes,  le  poids  total  moyen  du  cerveau  est  peut- 
être  atteint  dans  la  décade  précédente,  de  vingt  à  trente  ans.  Mais  la  diflerence 
entre  les  deux  sexes  n'est  pas  grande  sous  ce  rapport.  De  quarante  à  cinquante 
ans,  il  y  a  une  légère  diminution  de  poids;  et  une  plus  grande  de  cinquante  à 
soixante.  Après  soixante  ans,  la  décroissance  est  encore  plus  grande;  le  proces- 
sus de  dépérissement  devient  de  plus  en  plus  rapide  ;  et  ainsi,  pendant  la  hui- 
tième décade  de  l'existence,  le  poids  moyen  du  cerveau  est  de  80  à  90  gram- 
mes plus  petit  que  ce  qu'il  était  pendant  la  quatrième  décade.  Chez  les  gens 
âgés,  en  moyenne,  le  poids  du  cerveau  diminue  pari  passu  avec  l'intelligence. 
Il  y  a  beaucoup  d'exceptions  à  cette  règle  générale;  et  quelques  personnes, sur- 
tout dans  la  classe  plus  cultivée  et  instruite,  conservent  jusqu'à  l'âge  le  plus 
avancé  la  plénitude  et  la  vigueur  de  leurs  facultés.  Le  cerveau  de  ces  hommes,, 
comme  l'observait  feu  le  professeur  Gratiolet,  demeure  dans  un  état  de  jeu- 
nesse perpétuelle;  et  ne  perd  que  peu  ou  point  du  poids  qu'il  possédait  à  la 
fleur  de  l'âge.  » 

Sexe.  —  «  Mes  propres  observations,  dit  Thurnam,  confirment  plei- 
nement celles  de  précédents  auteurs,  qui  ont  déclaré  que  le  poids 
moyen  du  cerveau  de  l'homme  adulte  est  environ  de  10  pour  100 
supérieur  à  celui  du  cerveau  de  la  femme.  Comme  le  dit  le  profes- 
seur Welcker  :  «  Le  poids  du  cerveau  de  l'homme  (1390  grammes)  est 
à  celui  de  la  femme  (1250  grammes)  comme  100.:  90.  «On  observe  de 
légères  variations  dans  les  poids  du  cerveau  des  deux  sexes,  donnés 
par  différents  observateurs;  mais  on  verra  que  la  différence  moyenne 
est  exprimée  avec  beaucoup  d'exactitude  par  les  chiffres  ci-des- 
sus. » 

La  différence  entre  le  poids  moyen  du  cerveau  de  l'homme  et 
celui  de  la  femme,  d'après  la  supputation  de  Welcker,  est  de 
l/iO  grammes;  mais,  d'après  les  observations  du  docteur  Peacock  sur 
les  Écossais,  elle  gérait  de  150  grammes. 


DIFFÉRENCES    SEXUELLES.  21 

Thurnam  dit  : 

u  Quelques-uns  ont  supposé  avec  Tiedemann  que  le  volume  moindre  du 
cei'veau  de  la  femme  est  simplement  dû  à  sa  moindre  stature.  Ceci  toutefois 
n'est  point  exact  ;  et  M.  Parchappe  a  montré  depuis  longtemps,  bien  que  d'a- 
près un  nombre  trop  restreint  de  pesées,  que  la  différence  était  plus  grande 
qu'on  ne  pouvait  l'expliquer  de  cette  manière.  Je  puis  confirmer  cette  opinion, 
d'après  des  calculs  fondés  sur  les  grandes  tables  du  docteur  Boyd  pour  St- 
Marylebone.  Dans  ce  but,  j'ai  examiné  et  comparé  la  stature  moyenne  et  le 
poids  du  cerveau  pour  les  hommes  et  les  femmes  aux  périodes  décennales  de 

vingt  à  soixante  ans Tandis  que  le  poids  du  cerveau  est  de  prés  de  10  pour 

cent  moindre  chez  la  femme,  la  stature  ne  l'est  que  de  8  pour  cent.  » 

Poids  du  corps  et  stature.  —  La  relation  du  poids  du  cerveau 
au  poids  du  corps  suit  presque  exactement  les  mêmes  lois  que  nous 
avons  observées  chez  les  animaux  inférieurs;  c'est-à-dire  que  la 
proportion  diminue  avec  l'accroissement  du  poids  et  de  la  stature 
du  corps;  de  sorte  que,  ainsi  que  Tiedemann  Ta  observé,  «  plus 
l'homme  approche  de  sa  croissance  complète,  plus  le  poids  de  son 
cerveau  est  petit  relativement  à  celui  de  son  corps.  » 

11  varie  aussi  avec  le  degré  d'obésité  :  «  chez  des  personnes  maigres 
la  proportion  est  souvent  de  1 :  22  ou  27;  chez  les  personnes  fortes, 
de  1 :  50  ou  100.  » 

Mais,  comme  le  dit  Thurnam  :  «  Bien  qu'on  puisse  se  demander 
s'il  y  a  à  tirer  beaucoup  de  déductions  physiologiques  utiles  de  la 
proportion  du  poids  du  cerveau  et  du  corps  chez  les  deux  sexes,  la 
comparaison  du  poids  du  cerveau  avec  la  stature  peut  amener  à  des 
conclusions  de  plus  de  valeur...  Parchappe  concluait  que,  toutes 
choses  égales  d'ailleurs,  le  poids  du  cerveau  chez  les  deux  sexes  est 
relativement  plus  grand  chez  les  personnes  de  haute  taille  que  chez 
celles  de  petite  stature;  la  différence  entre  les  deux  pouvant  être  de 
cinq  pour  cent  :  c'est-à-dire  le  cerveau  d'un  homme  grand  étant 
représenté  par  100,  celui  d'un  homme  de  petite  taille  le  sera  par  95. 
La  différence  était  un  peu  moindre  chez  les  femmes.  »  Ceci  s'accorde 
tout  à  fait  avec  les  supputations  plus  récentes  de  Marshall. 

Race.  —  On  n'a  encore  que  relativement  peu  d'observations  sur 
ce  sujet  si  vaste,  —  la  question  de  la  moyenne  ou  poids  ordinaire  du 
cerveau  chez  les  différentes  races  d'hommes.  On  a  fait  un  peu  plus, 
en  ce  sens,  pour  les  variations  de  capacité  crânienne. 

On  a  toutefois  commencé  à  déterminer  le  poids  moyen  du  cerveau 
pour  les  Anglais  et  les  Écossais;  et,  avec  moins  de  précision,  pour  les 
Français  et  les  Allemands.  Mais  les  observations  faites  jusqu'ici  ne 
proviennent  que  d'étendues  de  pays  trop  restreintes;  et  les  personnes 
sur  lesquelles  elles  portent  appartenaient  trop  au  même  état  social 
et  au  même  degré  d'éducation. 


22  VOLUME    ET    POIDS   DU    CERVEAU   HUMAIN. 

Thurnam  pense  que  le  chiffre  de  Welcker  (1390  grammes)  repré- 
sente avec  beaucoup  d'exactitude  le  poids  moyen  du  cerveau  de 
l'homme  européen,  chez  des  personnes  de  vingt  à  soixante  ans.  II 
donne  le  tableau  suivant,  montrant  la  moj^enne  du  poids  pour  chaque 
peuple,  par  rapport  à  ce  chiffre-là. 

Relation  de  poids  du  cerveau  de  dilFérents  peuples  européens  : 

HOMMES.  GRAMMES.  PEOPORTION. 

Européens  (Welcker) 1390  .  100 

Anglais  (Boijd) 1354                        97 

—  {Peacock) 1388                        99 

Français  (Parchappe) 1358                        98 

Allemands,  etc.  (Wagner).   .    .  1371  98,5 

Écossais  (Peacock) 1417  102 

11  sera  intéressant  de  placer,  à  côté  de  ce  tableau,  celui  donné 
par  Thurnam,  et  comprenant  les  résultats  moyens  des  pesées  de 
douze  cerveaux  nègres. 

Comparaison  du  poids  moyen  de  cerveaux  de  Wègres 
et  d'Européens  : 

HOMMES.  GRAMMES.  PROPORTION. 

Européens 1390  100 

îiègres(Tîedemann  i) 1252  90 

—  (Peacock     5  ) 1255  90 

—  (Barkoio     3) 1261  90 

(Moyenne  de  12  ) 1255  90 

Ces  observations,  comme  le  dit  Thurnam,  s'accordent  «  à  établir 
que  le  poids  du  cerveau  de  l'homme  nègre  est  le  même  que  celui  de 
la  femme  européenne.  »  Il  ajoute  :  «  On  saurait  à  peine  mettre  en 
question  l'influence  décidée  de  la  race  sur  le  poids  du  cerveau;  et  il 
n'y  a  guère  de  doutes  qu'on  s'assurera  plus  tard,  par  l'observation 
directe,  du  volume  plus  petit  du  cerveau  chez  d'autres  races  méla- 
niques  et  inférieures.  Les  cerveaux  des  Hindous,  des  Hottentots,  des 
Boschimans  et  des  Australienspèsent 'probablement  moins^même  que 
celui  du  nègre;  mais, dans  toutes  ces  comparaisons,  il  faut  considérer 
la  stature'. 

1.  Il  y  a  quelque  raison  de  ciboire,  qu'à  mesure  qu'on  s'élève  vers  le  Nord, 
la  stature  humaine  moyenne  s'accroît  dans  une  certaine  mesure,  et  avec  elle 


DIFFÉRENCES  DE    RACE.  2'S 

On  n'a  pas  jusqu'à  présent  de  données  sur  le  poids  du  cerveau 
des  hommes  de  ces  dernières  races;  mais,  d'après  le  poids  de  celui 
de  trois  femmes  boscliimanes,  ainsi  que  d'après  ce  que  nous  savons, 
de  la  capacité  crânienne  chez  ces  races,  on  peut  très  rationnelle- 
ment supposer  que  le  poids  de  leur  cerveau  tombera  nettement  au- 
dessous  de  celui  du  Nègre. 

«  Le  cerveau  d'une  Boschimane,  examiné  parle  professeur  Marshall,  pesait 
31  onces  et  demie;  tandis  que,  d'api'ès  les  calculs  du  même  auteur,  le  cerveauj 
d'une  Anglaise  à  peu  près  du  même  âge  et  de  la  même  taille  ne  pèserait  pas^ 
en  moyenne,  moins  de  40  onces.  Le  cerveau  d'une  autre  femme  boschimane,. 
ordinairement  connue  sous  le  nom  de  Vénus  hottentote,  et  qui  fut  examinée 
par  Gratiolet,  était,  dit-on,  un  peu  plus  gros  ;  bien  qu'on  ne  se  soit  point  assuré 
de  son  poids  exact.  Enfin  (quoique  le  premier  par  ordre  de  date)  le  docteur 
Quain  a  donné  le  poids  du  cerveau  d'une  fille  boschimane  de  quatorze  an& 
et  de  1",08  de  hauteur.  Ce  poids  était  de  963  grammes.  Ceci,  comme  le  si- 
gnale le  docteur  Thurnam,  est  même  au-dessous  du  poids  moyen  du  cerveau 
de  la  petite  fille  anglaise  de  deux  à  quatre  ans,  chez  laquelle,  d'après  les  tables 
du  docteur  Boyd,  ce  poids  est  de  991  grammes  pour  une  taille  moyenne  de 
0"',87.»  Si  l'on  considère  en  outre,  comme  le  montrent  aussi  les  tables  du  doc- 
teur Boyd,  qu'à  la  fin  de  la  septième  année  le  cerveau  de  la  petite  fille  a 
atteint  au  moins  les  10/11"^  de  son  poids  définitif,  le  cerveau  de  cette  petite 
fille  boschimane  ne  doit  pas  avoir  été  de  beaucoup  au-dessous  du  poids  qu'ii 
eût  atteint  à  l'état  adulte.  » 

Les  Chinois  représentent  la  plus  ancienne  et  la  plus  persistante,, 
sinon  la  plus  avancée,  des  civilisations  du  monde;  et,  tout  récem- 
ment le  docteur  C.  Clapham  a  donné  le  poids  du  cerveau  de  onze 
hommes  et  de  cinq  femmes  adultes^.  «A  l'exception,  dit-il,  d'un  seu! 
individu,  ils  appartenaient  tous  au  rang  le  plus  inférieur  de  la  société 
chinoise,  aux  coolies;  cependant  le  poids  de  leur  cerveau  était 
remarquablement  élevé,  si  l'on  considérait  que  ce  n'étaient  en  rien  des. 
hommes  choisis,  mais  simplement  des  victimes  du  grand  typhon  qui 
sévit  à  Hong-Kong  en  septembre  187/t.  Il  ne  faut  point  toutefois 
oublier  l'influence  de  la  congestion,  due  au  genre  de  mort,  et  qui 
peut  avoir  élevé  légèrement  le  poids  de  ces  cerveaux. 

la  capacité  crânienne  moyenne  et  le  poids  moyen  du  cerveau.   Cependant  le» 
Lapons  et  les  Esquimaux  sont  de  taille  extrêmement  petite,  bien  que  leur  capa- 
cité ci'ânienne  demeure  d'une  grandeur  peu  ordinaire. 
1.  Journ.  of  the  Anthropolog.  Inst.,  vol.  YII,  p.  90. 


VOLUME  ET  POIDS  DU  CERVEAU  HUMAIN. 


1. 

2. 

3. 

4. 

5. 

6. 

7. 

8. 

9. 
10. 
H. 


Poids  du  cerveau  de  seize  Chinois  : 

HOMMES.  FEMMES. 


Age  probable. 


30. 
28. 
45. 
40. 
50. 
40. 
25. 
48. 
55. 
35. 
30. 


Moyenne. 


Poids. 

1410  gr. 

1418  — 

1516  — 

1587  — 

1410  — 

1360  — 

1318  — 

1530  — 

1403  — 

1467  — 

1310  — 

1430  gr. 


NOS 


Age  probable. 


26. 
38. 
30. 
70. 
18. 


Poids. 

1289  gr. 
1389  — 
1247  -- 
1234  — 
1310     — 


Moyenne . 


1293     — 


On  reviendra  ci-après  sur  la  signification  de  ces  cliiffres. 

Pouvoir  mental  et  degré  d'éducation.  —  Sous  ce  titre,  nous 
allons  passer  brièvement  en  revue  ce  que  l'on  sait,  chez  l'horame,  de 
la  relation  entre  l'intelligence  et  le  degré  d'éducation,  et  le  volume 
et  le  poids  du  Cerveau.  Il  y  aurait  besoin  d'un  beaucoup  plus  grand 
nombre  de  faits,  pour  que  l'on  pût  considérer  le  sujet  comme  un 
peu  élucidé;  et  même  quelques-unes  des  données  que  nous  possé- 
dons aujourd'hui  semblent  à  première  vue  légèrement  contradic- 
toires. Cette  contradiction  est  toutefois  plus  apparente  que  réelle. 

On  a  déjà  fait  allusion  à  ce  sujet  dans  ce  qui  a  été  dit  de  la 
capacité  plus  grande  du  crâne,  et  du  poids  plus  considérable  du 
Cerveau,  chez  les  civilisés  que  chez  les  sauvages;  et  de  la  capacité 
crânienne  plus  considérable  chez  les  Parisiens  du  xix'=  siècle  que 
chez  ceux  du  xii^  siècle.  On  peut  rapporter  maintenant  d'autres  faits 
ayant  la  même  signification  générale.  Par  exemple,  le  docteur  Thur- 
nam  s'est  assuré  que  le  poids  moyen  du  Cerveau  chez  les  aliénés, 
hommes,  de  York-Retreat,  qui  appartiennent  à  la  classe  moyenne  et 
plus  instruite,  est  nettement  plus  élevé  que  celui  des  pauvres  qui 
meurent  dans  les  asiles  des  comtés  de  Somerset  et  de  "Wilts^.  Broca 
a  fait  aussi  quelques  investigations  pour  comparer  les  dimensions  de 
la  tête  chez  un  certain  nombre  d'étudiants  en  médecine  et  chez  un 
certain  nombre  de  domestiques  du  grand  hôpital  de  Bicêtre.  Le 

1.  La  différence  n'était  pas  aussi  nettement  marquée  entre  les  poids  des 
cerveaux  des  femmes  de  ces  deux  classes;  fait  qui  s'accorde  avec  d'autres  déjà 
cités,  et  d'autres  encore  que  l'on  citera  plus  loin,  pour  prouver  que,  chez  les 
femmes,  l'étendue  de  variation  sous  l'influence  de  conditions  diverses  est 
moins  considérable  que  chez  l'homme. 


INFLUENCE    DE    L'EDUCATION. 


25 


résultat  a  montré  une  prépondérance  distincte  de  la  part  des 
étudiants.  Ceci  toutefois  n'est  point  aisé  à  comprendre;  à  moins 
qu'il  ne  nous  faille  croire  que  l'éducation  supérieure  des  étudiants 
a,  pendant  leur  vie  individuelle,  donné  naissance  à  un  accroissement 
marqué  du  cerveau  et  de  la  tête.  Parmi  les  ancêtres  des  étudiants 
et  des  domestiques,  il  est  fort  possible  que,  dans  beaucoup  de  cas, 
le  degré  relatif  d'éducation  et  d'exercice  cérébral  habituel  ait  été 
complètement  renversé.  Si  Broca  pouvait  mesurer  de  nouveau  les 
têtes  de  ces  deux  séries  de  personnes,  c'est-à-dire  des  mêmes  indi- 
vidus, au  bout  de  dix  ans,  la  différence  relative  entre  ces  deux 
mesures  des  deux  classes  pourrait  donner  quelque  renseignement 
intéressant.  Mais  pourrait-on  observer  quelques  différences,  au  bout 
de  ce  temps,  entre  ces  deux  séries  de  mesures;  et,  s'il  en  était  ainsi, 
pourrait-on  leur  assigner  pour  cause  un  exercice  cérébral  supérieur? 
Ces  questions  très  douteuses  restent  encore  à  résoudre^. 

On  trouvera  généralement  que  toute  série  considérable  de  crânes 
ou  de  cerveaux  renferme  des  représentants  des  trois  classes  artifi- 
cielles en  lesquelles  il  convient  de  les  diviser.  D'abord  ceux  de 
capacité  ou  de  poids  moyen;  puis  ceux  qui  sont  plus  ou  moins 
décidément  gros  (mégalocéphales).  Pour  les  poids  du  Cerveau, 
Thurnam  s'est  arrêté  aux  nombres  suivants,  comme  aux  plus  utiles  à 
adopter  pour  distinguer  ces  classes. 


CERVEAUX 

CERVEAUX 

CERVEAUX 

MICROCÉPHALES. 

DE     VOLUME     MOYEN. 

MBO-ALOCÉPHALES. 

a.  —  Microcéphalie 

commençante. 

Hommes  —  de  1130  à 

1062  grammes. 
Femmes   —    de  990  à 

Hommes  de  1130  à 
1490  grammes. 

Femmes  —  de  990  à 
1345  grammes. 

a.  —  Mégalocéphalie 
commençante. 

Hommes  —   de  1490  à 

1560  grammes. 
Femmes  —  de  1345  à 

920  grammes. 

1417  grammes. 

h.  — Microcéphalie 
décidée. 

b.  —  Mégalocéphalie 
décidée. 

Hommes  —  au-dessous 

Hommes  —  1560  gram. 

de  1062  grammes. 

et  au-dessus. 

Femmes  —  au-dessous 

Femmes  —  1417  gram. 

de  920  grammes. 

et  au-dessus. 

1.  Le  Bon  a  publié  aussi  un  tableau  montrant  la  mesure  circonférentielle 
de  la  tête  (qui  varie  entre  52  centim.  et  02  centim.  5)  chez  des  individus 
appartenant  à  différentes  classes  sociales,  actuellement  vivant  à  Paris,  et  qui, 


2G  VOLUME   ET    POIDS   DU   CERVEAU    HUMAIN. 

Ce  tableau  est  utile,  car  il  montre  la  large  étendue  des  variations 
que  Ton  peut  rencontrer  dans  le  poids  du  Cerveau  des  hommes  et 
des  femmes.  On  peut  toutefois  y  ajouter  }es  conclusions  que  le 
docteur  Sharpey  a  déduites  d'une  soigneuse  analyse  par  tableaux 
qu'il  a  faite  des  poids  cérébraux  publiés  par  Sims,  Clendinning, 
Tiedemann  et  Reid.  Ayant  rejeté  de  son  tableau  tous  les  cas  dans 
lesquels  on  supposait  qu'il  y  avait  eu  maladie  cérébrale,  le  docteur 
Sharpey  dit  : 

«  D'après  cette  table,  le  poids  maximum  du  Cerveau  de  l'homme  adulte,  dans 
une  série  de  278  cas,  était  1,842  grammes;  et  le  poids  minimum  963  grammes. 
Sur  une  série  de  191  cas,  le  poids  maximum  du  cerveau  chez  la  femme  adulte 
était  1,587  grammes,  et  le  minimum  878  ;  la  différence  entre  les  poids  extrêmes 
chez  les  hommes  n'était  donc  pas  moindre  de  879  grammes,  et  chez  la 
femme  de  709  grammes.  Le  poids  du  Cerveau  de  l'homme  adulte  paraît  donc 
être  sujet  à  des  variations  d'une  plus  grande  étendue  que  celui  de  la  femme. 
En  groupant  les  cas  ensemble  par  des  crochets,  de  la  manière  indiquée,  on 
trouve  que  la  plus  grande  partie  des  Cerveaux  d'homme  se  tient  entre 
1, 304  grammes  et  1,502  grammes,  et  la  plus  grande  partie  des  Cerveaux  de  femme 
entre  \,\62  grammes  et  l,332grammes.  On  peut  donc  dire  que  les  poids  dominants 
du  Cerveau  de  l'homme  et  de  la  femme  adulte  sont  compris  entre  ces  limites 
et,  en  prenant  la  moyenne  ou  poids  moyen,  on  en  déduit  1,403  grammes  pour 
les  hommes  et  1,247  grammes  pour  les  femmes  —  résultats  qui  correspondent 
tout  à  fait  à  ce  que  l'on  admet  généralement..  La  supériorité  générale  en  poids 
absolu  du  cerveau  de  l'homme  sur  celui  de  la  femme  existe,  comme  le  montre 
le  tableau  2>  à  toute  époque  de  la  vie.  Tiedemann  a  trouvé  que,  chez  les  enfants 
nouveau-nés,  le  cerveau  pesait  de  411  gi"ammes  à  446  grammes  chez  les  gar- 
çons et  de  283  à  375  grammes  chez  les  filles.  » 

{A).  —  Quelques-unes  des  conditions  qui  coïncident  avec  les  poids 
■peu  élevés  du  Cerveau  :  Le  poids  moyen,  chez  les  personnes  qui 
meurent  dans  les  asiles  d'aliénés,  a  été  trouvé  nettement  inférieur  à 
celui  des  Cerveaux  de  personnes  de  la  même  classe,  mais  saines  d'es- 
prit. Une  partie  de  cette  diminution,  chez  les  insensés  en  général, 
est  due  sans  doute,  comme  le  suggère  Thurnam,  à  une  atrophié 
partielle  des  circonvolutions;  bien  qu'une  partie  puisse  aussi  être 
attribuée,  chez  certains  représentants  de  cette  classe,  à  la  petitesse 
initiale  du  Cerveau.  Mais,  coiume  le  remarque  le  même  auteur,  «  le 
poids  moyen  du  cerveau  de  ceux  qui  meurent  dans  les  asiles,  provient 
de  poids  qui  sont  au-dessus  de  la  moyenne  des  cerveaux  sains,  et 
d'autres  qui  sont  manifestement  au-dessous  ».  En  général,  les  der- 

d'après  leurs  différents  genres  de  vie,  doivent  exercer  leur  intelligence  à  des 
degrés  différents.  Les  mesures  dominantes  montrent  une  décroissance  distincte 
dans  l'ordre  des  quatre  classes  qu'il  désigne  sous  les  noms  'suivants  :  1.  Sa- 
vants et  lettrés,  2.  Bourgeois  pai'isiens  ;  3.  Nobles  d'anciennes  familles,  4.  Do- 
mestiques parisiens. 


ALIÉNÉS   ET   IDIOTS.  27 

niers  sont  de  beaucoup  prépondérants,  et  c'est  pour  cela  que  la 
moyenne  est  basse;  mais,  parmi  les  épileptiques  qui  sont  dans  les 
asiles,  et  parfois  parmi  les  simples  déments,  il  n'est  pas  rare  de 
trouver  des  Cerveaux  considérablement  au-dessus  du  poids  normal, 
ou  poids  moyen  chez  les  individus  sains. 

Chez  les  imbéciles  et  les  idiots  de  naissance,  le  poids  moyen  du 
Cerveau  est  encore  plus  bas  que  parmi  ceux  chez  lesquels  la  folie 
chronique  est  survenue  pendant  l'âge  adulte.  En  examinant  vingt- 
deux  Cerveaux  d'idiots,  dont  quelques-uns  étaient  aussi  épileptiques, 
le  docteur  Thurnam  a  obtenu  un  poids  moyen  (pour  quatorze 
hommes),  de  1,190  grammes,  et  (pour  huit  femmes)  de  1,167  grammes. 
Il  est  assez  curieux  que  la  moyenne  de  ces  derniers  soit  presque 
identique  avec  ce  qu'on  voit  chez  le  reste  des  folles;  tandis  que, pour 
les  hommes,  la  moyenne  est  bien  décidément  moindre  que  chez  les 
aliénés  ordinaires.  L'idiotie  n'est  donc  point  nécessairement  associée 
à  un  très  petit  volume  du  Cerveau,  bien  que  ce  soit  là  fréquemment 
le  cas;  toutefois,  divers  défauts  dans  la  structure  interne  ouïe  déve- 
loppement intime  du  Cerveau  peuvent  amener  cette  même  condition 
de  faiblesse  mentale. 


Sur  50  Cerveaux,  examinés  par  le  docteur  Langdon  D  own,  et  ayant  appartenu 
à  des  idiots  de  5  ans  à  33  ans,  le  poids  minimum,  chez  un  garçon  de  18  ans, 
était  de  425  grammes;  le  poids  maximum,  chez  un  homme  de  22  ans,  s'élevait 
jusqu'à  1404  grammes.  Ce  dernier  poids  était,  suivant  toute  probabilité,  consi- 
dérablement accru  par  des  altérations  morbides  des  tissus,  altérations  sur  la 
nature  desquelles  nous  allons  revenir. 


Quand  le  poids  du  Cerveau  tombe  au-dessous  d'un  certain 
minimum,  il  semble  impossible  que  son  possesseur  ait  rien  qui 
ressemble  à  l'intelligence  humaine  ordinaire.  Gratiolet,  sans  spéci- 
fier le  sexe,  supposait  que  cette  limite  inférieure  était  900  grammes;. 
Broca  met  un  peu  plus  haut  —  907  grammes  pour  les  femmes  et 
10/i9  pour  les  hommes — cette  limite  inférieure  du  poids  compatible 
avec  l'intelligence  ordinaire. 

Le  poids  du  Cerveau  des  idiots  peut  toutefois  tomber,  et  tombe 
fréquemment,  de  beaucoup  au-dessous  des  limites  fixées  ainsi  ;  et  cela, 
soit  par  maladie  atrophique  survenant  après  la  naissance,  soit  par 
défaut  congénital.  Voici  un  tableau  donné  par  Thurnam  du  poids 
des  quinze  plus  petits  Cerveaux  d'idiots  que  l'on  ait  signalés  jus- 
qu'ici^ : 


1.  Loc^  cit.,  p.  29.  On  renvoie   aux  descriptions  originales  de   ces  Cer- 
veaux- 


28 


VOLUME    ET    POIDS   DU    CERVEAU    HUMAIN. 


Poids  du  cerveau  d'idiots  microcéphales 

HOMMES.  FEMMES. 


NOS 

Observateurs. 

Age. 

Poids. 

NOS 

Observateurs. 

Age. 

Poids. 

1. 

Thurnam.  . 

.     29.    . 

1013 

gr. 

1. 

BuckniU.  .  . 

.     37. 

921    gr 

2^ 

— 

22. 

1006 

— 

2. 

Sims 

.     12. 

765    — 

3. 

Parchappe.  . 

45.    . 

970 

— 

3. 

Parchappe.  . 

.     25. 

720    - 

4. 

Thurnam  .  . 

52.   . 

907 

— 

4. 

Tuke 

.     70. 

644    - 

5. 

Peacock.  .  . 

11.   . 

600 

— 

5. 

Tiedemann  . 

.     16. 

563    - 

6. 

Down  .... 

18.   . 

425 

— 

6. 

Gore 

.     42. 

283    - 

7. 

Owen.   .  .  . 

22.   . 

372 

— 

8. 

Theile.  .  .  . 

26.   . 

300 

— 

9. 

Marshall  .  . 

12.   . 

241 

— 

(6).  —  Quelques-unes  des  condilions  qui  coïncidenl  avec  les  poids 
élevés  du  Cerveau.  —  Des  poids  fort  peu  élevés  ne  peuvent,  comme 
nous  l'avons  vu,  exister  qu'avec  la  démence  ou  l'idiotie.  Toutefois, 
des  poids  fort  élevés  peuvent  se  rencontrer,  soit(l)  avec  ces  mêmes 
conditions  morbides,  ou  parmi  des  aliénés  d'autres  catégories;  soit  (2) 
chez  des  individus  sains,  mais  ordinaires;  soit  enfin  (3)  chez  les 
membres  les  plus  intelligents  de  la  société.  Ce  dernier  cas  est  assez 
en  harmonie  avec  les  vues  qui  ont  ordinairement  cours;  bien  que 
l'existence  des  deux  premiers  puisse  être  regardée  à  première  vue 
comme  tout  à  fait  anormale.  Mais  elle  ne  l'est  pas  autant  qu'elle 
peut  le  paraître. 

(1)  Pour  ce  qui  est  du  premier  cas,  Thurnam  a  trouvé  que,  chez 
environ  10  pour  100  des  hommes  et  7  pour  100  des  femmes  qui 
mouraient  à  l'asile  d'aliénés  de  Wilts  County,  le  poids  du  Cerveau 
excédait  la  limite  supérieure  des  dimensions  moyennes,  c'est-à-dire 
li60  grammes  et  13/i6  grammes  respectivement  ;  tandis  qu'on  ren- 
contrait 3  ou  Zi  pour  100  de  poids  nettement  mégalocéphales,  c'est- 
à-dire  au-dessus  de  1559  grammes  pour  les  hommes  et  de 
lZil7  grammes  pour  les  femmes.  Ces  faits  s'accordent  tout  à  fait  avec 
les  observations  publiées  plus  récemment  par  le  docteur  C.  Clap- 
ham^,  bien  que  ce  dernier  observateur  ait  trouvé  la  proportion  de 
poids  distinctement  mégalocéphales  légèrement  plus  élevée,  dans  la 
série  plus  nombreuse  de  pesées  qu'il  fit  dans  un  asile  situé  plus  au 
nord  de  l'Angleterre.  Ainsi,  sur  700  Cerveaux  d'hommes,  il  n'y  en 
avait  pas  moins  de  /i3  dont  le  poids  était  de  1559  grammes  et 
au-dessus;  et,  sur  ce  nombre,  Ix  pesaient  même  jusqu'à  1701  à 
1729  grammes^. 


1.  West  Riding  Asylum  Reports,  vol.  VI,  1876. 

2.  Faut-il  attribuer  la  moyenne  moins  élevée,  obtenue  par  Thurnam,  de 
Cerveaux  décidément  mégalocéphales  à  la  différence  des  aires  géographiques 


ALIÉNÉS   ET    IDIOTS.  29 

Au  sujet  des  poids  obtenus  ù  Pasilc  de  Wilts,  Thurnam  dit  : 

«  Les  gros  cerveaux  que  l'on  vient  de  passer  en  revue  sont,  à  peu  d'exceptions 
près,  ceux  d'ouvriers  ;  et  si,  chez  quelques-uns  d'entre  eux,  il  y  avait  un  degré 
peu  ordinaire  d'intelligence,  la  sphère  d'exercice  de  cette  intelligence  doit 
avoir  été  fort  limitée.  Le  Cerveau  le  plus  lourd  que  j'aie  pesé  (1,760  grammes)  était 
celui  d'un  boucher  sans  éducation,  à  peine  capable  de  lire,  et  qui  mourut  su- 
bitement d'épilepsie  combinée  avec  de  la  manie,  après  un  an  de  maladie  en- 
viron... Le  poids  le  plus  lourd  rapporté  par  le  docteur  Bucknill  est  celui  d'un 
épileptique  de  trente-sept  ans;  et,  dans  ce  cas,  le  cerveau  pesait  1,830  gr.,  ce 
qui  est  exactement  le  poids  présenté  par  le  Cerveau  du  célèbre  Cuvier.  Sauf 
une  seule  exception,  le  poids  maximum  observé  par  M.  Parchappe  était  aussi 
celui  d'un  épileptique  âgé  de  trente  et  un  ans;  ce  poids  était  de  1,737  grammes. 
Lepliis  lourd  Cerveau  de  femme  dont  je  trouve  mention  est  signalé  par  le  doc- 
teur Skae.  La  malade  n'était  point  épileptique,  mais  avait  la  manie  des  gran- 
deurs, et  mourut  à  l'âge  de  trente-neuf  ans  —  phtisique.  Le  Cerveau  avait  un 
poids  monstrueux  pour  un  cerveau  de  femme,  —  1,743  grammes. 

Il  est  possible  que  ces  Cerveaux  décidément  lourds  se  rencon- 
trent en  proportion  légèrement  plus  élevée  chez  les  fous  que  chez 
les  membres  sains  de  n'importe  quelle  classe  sociale;  et  cela  pour 
les  raisons  suivantes  :  D'abord  la  folie  est  une  condition  qui  dépend 
de  divers'états  morbides  qui  peuvent  peut-être  se  présenter  aussi 
souvent  chez  les  individus  à  gros  qu'à  petit  Cerveau  ;  en  second  lie^i, 
dans  quelques  cas  de  folie,  associée  ou  non  avec  de  Pépilepsie,  l'or- 
gane, ou  du  moins  des  parties  considérables  de  l'organe,  tendent  à 
s'indurer,  grâce  à  un  développement  disproportionné  ou  à  une  hyper- 
trophie réelle  de  la  partie  constituante,  fonctionnellement  inerte, 
du  Cerveau,  —  son  tissu  connectif  ou  névroglie,  —  de  même  que 
d'autres  organes  du  corps,  le  foie  par  exemple,  peuvent  être  diminués 
fonctionnellement,  bien  qu'augmentés  de  volume  absolu,  par  une 
hypertrophie  semblable  du  tissu  connectif.  C'est  là  une  condition 
que  l'on  rencontre  chez  des  épileptiques  caufirmés.  Enfin,  en  troi- 
sième lieu,  si  l'un  de  ces  patients  meurt  pendant  un  accès,  une 
grande  distension  des  vaisseaux  sanguins  du  Cerveau  peut  être  une 
autre  cause  tendant  à  augmenter  le  poids  de  l'organe;  comme  on 
sait  que  cela  se  produit,  quelle  que  soit  la  cause  de  la  congestion. 
"Wagner  a  appelé  spécialement  l'attention  sur  ceci;  et  sur  ce  fait  que 
les  poids  sont  influencés,  non  seulement  par  la  longueur  et  la  nature 
de  la  maladie,  mais  aussi  par  le  genre  de  mort^. 

d'où  provenaient  les  deux  séries  de  patients  ?  ou  cela  ne  serait-il  pas  dû,  tout 
autant,  au  fait  que  Thurnam  n'opérait  ses  pesées  qu'après  avoir  coupé  le  Cer- 
veau en  tranches  pour  faire  écouler  le  sang  et  le  sérum  ? 
1.  Vorsludien,  lSQ2.  Ziveite  Abhandl,  p.   93-95. 


30  VOLUME    ET   POIDS   DU   CERVEAU  HUMAIN. 

(2)  Mais,  par  contre,  des  poids  cérébraux  élevés  ont  été  rencon- 
trés accidentellement,  par  beaucoup  d'observateurs,  en  examinant 
les  corps  de  beaucoup  d'individus  tout  à  fait  ordinaires,  et  qui  pen- 
dant leur  vie  n'avaient  montré  aucun  signe  de  folie  ou  d'intelligence 
extraordinaire. 

La  plus  longue  série  de  tableaux  où  l'on  puisse  trouver  des  ren- 
seignements dignes  de  foi  est  peut-être  celle  du  docteur  Peacock;  et 
Tiiurnam  dit  en  en  parlant  : 

«Dans  les  tables  du  docteur  Peacock,  sur  157  poids  de  cerveaux  d'Écossais 
adultes,  et  âgés  de  20  à  60  ans,  il  y  en  a  quatre  qui  vont  de  1,728  à  1,778  grammes. 
Us  appartenaient  tous,  en  apparence,  à  des  artisans  ;  trois  d'entre  eux  étaient  l'un 
marin,  l'autre  imprimeur  et  le  dernier  tailleur.  Les  causes  de  la  mort  étaient 
la  fièvre,  le  delirium  tremens,  et,  dans  deux  cas,  des  fractures  graves  compli- 
quées. Toutes  ces  affections  pouvaient  être  plus  ou  moins  accompagnées  de 
congestion  cérébrale;  et  rien  ne  montre  que  ces  individus  se  soient  distingués 
de  leurs  camarades  par  des  facultés  supérieures. 

Le  cerveau  humain  le  plus  lourd  que  l'on  ait  signalé  jusqu'ici 
semble  aussi  avoir  appartenu  à  une  personne  de  cette  classe.  Le 
docteur  James  Morris^  a  publié  une  courte  note  à  son  sujet. 
L'homme  à  qui  il  avait  appartenu  était  un  briqueteur,  qui  mourut  de 
pyhémie,  à  l'âge  de  trente-huit  ans,  à  University  Collège  Hospital,  peu 
après  une  opération  chirurgicale,  en  18/i9. 

Le  docteur  Morris  dit  :  —  «  Le  poids  du  cerveau  était,  immédiatement  au  sor- 
tir du  corps,  de  plus  de  1,900  gr.  Cette  pesée  fut  faite  avec  beaucoup  de  soins,  en 
présence  de  plusieurs  étudiants.  Le  cerveau  était  bien  proportionné  ;  les  cir- 
convolutions n'étaient  point  aplaties.  Bien  que  la  surface  fût  convenablement 
humide,  l'organe  ne  perdit  qu'environ  une  once  de  son  poids,  après  la  dissection 
ordinaire  et  un  égouttage  de  deux  heures.  La  taille  de  l'homme  était  5  pieds 
9  pouces;  il  était  solidement  charpenté.  Il  fut  difficile  d'avoir  sur  son 
compte  une  histoire  satisfaisante.  —  Sa  femme  et  sa  propriétaire  donnèrent 
des  récits  différents.  Il  semble  toutefois  acquis  qu'il  était  originaire  du  Sussex, 
qu'il  avait  quitté  son  village  natal,  et  changé  de  nom,  à  cause  de  quelque  histoire 
de  braconnage,  qu'il  n'était  pas  très  sobre,  avait  une  bonne  mémoire  et  était 
entiché  de  politique.  Il  ne  savait  ni  lire  ni  écrire.  Quelles  qu'aient  donc  pu  être 
ses  capacités  virtuelles,  il  est  évident  qu'il  n'avait  pas  beaucoup  d'acquis.  » 

(3)  Il  vaut  mieux  réserver  les  commentaires  que  nous  aurons  à 
faire  sur  ce  dernier  cas,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  donné  quelques 
preuves  de  l'existence  de  poids  cérébraux  élevés  chez  des  hommes 
de  facultés  mentales  et  de  connaissances  fort  étendues;  hommes 
dont  quelques-uns  ont  été,  dans  diverses  sphères  de  la  vie,  parmi  les 
représentants  les  plus  éminents  de  l'Intelligence  Humaine.  Voici  une 

1.  Drit.  Med.  Journ.,2Q  oct.  1872,  p.  465. 


HOMMES    DISTINGUÉS.  31 

liste,  donnée  par  Thurnam,  a  laquelle  on  a  ajouté  le  poids  do  huit 
Cerveaux,  ceux  de  Schiller,  Agassiz,  professeur  Goodsir,  sir  James 
Simpson,  W.  Chauncey  Wright,  de  Morgan,  Grote,  et  docteur  Hugues 
Bennett^ 

Poids  du  cerveau  d'hommes  distingués  : 

Noms.  A  ge.  Poids. 

1.  Cuvier,  nalumliste 03.  .  .  1830  gr. 

2.  Abercombie,  médecin 04.  .  .  1785  — 

3.  Schiller,  poè/e 46.  .  .  1785  — 

4.  Goodsir,  anatomiste 53.  .  .  1630  — 

5.  Spurzheim,  médecin. 56.  .  .  1559  — 

6.  James  Simpson,  médecin 59.  .  .  1533  — 

7.  DivïcMQi,  mathématicien 54.  .  .  1520  — 

8.  De  Mornjr,  homme  d'État 50.  .  .  1520  — 

9.  Daniel  Webster,  homme  d'État 70.  .  .  1516  — 

10.  Campbell,  lord  chancelier 80.    .  .  1516  — 

11.  Chauncey  Wright,  -physicien 45.   .  .  1516  — 

12.  Agassiz,  naturaliste 66.    .  .  1512  — 

13.  Chalmers,  "prédicateur  célèbre 67.    .  .  1502  — 

14.  Fuchs,  pathologiste 52.    .  .  1499  — 

15.  De  Morgan,  mathématicien 73.   .  .  1496  — 

16.  Gauss,  mathématicien 78.   .  .  1492  — 

17.  Dupuytren,  chirurgien 58.    .  .  1456  — 

18.  Grote,  historien 76.   .  .  1410  — 

19.  WheweU,  philosophe 71.   .  .  1390  — 

20.  Hermann,  philologue 51.   .  .  1358  — 

21.  Hugues  Bennett,  médecin 63.   .    .     1332     — 

22.  Tiedemaiin,  anatomiste 80.   .    .     1254    — 

23.  Haussmann,  minéralogiste 77.   .    .     1226    — 

Il  est  digne  de  remarque  que,  dans  cette  liste,  outre  la  grande 
proportion  de  poids  élevés,  on  trouve  quatre  cerveaux  d'hommes 
distingués  dont  le  poids  est  plus  ou  moins  distinctement  au-dessous 
de  la  moyenne  de  1,390  grammes,  même  après  que  Ton  a  tenu  compte, 
chez  deux  d'entre  eux,  d'un  certain  degré  d'atrophie  provenant  de 
l'âge. 

1.  On  trouvera,  dans  le  mémoire  du  docteur  Thurnam,  des  indications  sur 
les  endroits  où  ont  été  pris  la  plupart  des  poids  qu'il  a  mis  dans  ce  tableau  : 
Les  huit  autres  poids   ont  été  ajoutés  d'après    les    autorités   suivantes  :  — 

1.  Schiller  et  Agassiz  —  Daniel    Wilson,   in    Canadian    Journal,   oct.    1876; 

2.  Goodsir  —  Anatom.  Memoirs,  vol.  I,  p.  195  (1868);  3.  Simpson  —  Med. 
Times  and  Gaz.,  14  mai  1870,  p.  532;  4.  Chauncey  Wright  —  Thos.  Dvvight, 
in  Proceed.  American  Acad.  of  Arts  and  Sciences,  vol.  XIII  (1878);  5.  de 
Morgan  —  Autopsie  faite,  en  1871,  par  le  docteur  Wilson  Fox  et  l'auteur; 
6.  Grote  —  Autopsie  faite  par  le  professeur  Marshall  en  1871  ;  7.  Docteur 
Hugues  Bennett  —  Brit.  Med.  Journ.,  9  oet.  1873. 


32  VOLUME    ET    POIDS    DU    CERVEAU    HUMAIN. 

Les  faits  établis  dans  cette  table,  aussi  bien  que  ceux  qu'on  a 
détaillés  ci-dessus,  doivent  leur  principal  intérêt  à  ce  qu'ils  touchent 
à  la  question,  vivement  et  longtemps  débattue,  de  l'existence  de 
quelque  connexion  nécessaire  et  invariable  entre  le  simple  volume 
ou  le  poids  du  Cerveau  et  V Intelligence.  On  va  faire  maintenant  quel- 
ques brèves  remarques  sur  ce  sujet. 

Il  semble  donc  tout  d'abord  parfaitement  clair,  d'après  les  faits 
rapportés,  qu'il  n'y  a  pas  de  relation  nécessaire  ou  invariable  entre 
le  degré  d'intelligence  des  hommes  ou  des  femmes  et  le  simple 
volume  ou  le  poids  de  leur  cerveau.  Nous  avons  vu  que  quelques 
déments  peuvent  avoir  des  cerveaux  très  gros;  et  en  outre  que,  chez 
certains  membres  fort  ordinaires  de  la  société,  n'ayant  ni  maladie 
ni  défaut  congénital,  le  cerveau  peut  être  décidément  gros  et  pesant. 
D'autre  part,  des  hommes  d'une  instruction  étendue,  de  facultés 
mentales  reconnues,  et  même,  un  ou  deux,  de  renommée  européenne, 
peuvent  avoir  eu,  même  à  la  fleur  de  leur  âge,  un  cerveau  au-dessous 
ou  légèrement  au-dessus  de  la  moyenne  qui  prévaut  chez  les  hommes 
de  races  civilisées,  soit  1390  grammes.  Ce  qui  montre  qu'un  cerveau 
de  petite  dimension,  mais  bien  constitué,  est  capable  de  faire  de  beau- 
coup meilleur  ouvrage  que  beaucoup  de  cerveaux  plus  gros,  dont  la 
constitution  interne  est  défectueuse  pour  une  cause  ou  pour 
une  autre. 

Si  l'on  ne  considère  simplement,  en  effet,  que  le  volume  et  le 
poids  du  cerveau,  il  ne  faut  jamais  oublier  que  ces  éléments  peuvent 
être  notablement  augmentés  par  hypertrophie  de  simples  tissus- 
connectifs  inertes;  ou,  même  lorsqu'il  n'y  a  pas  d'altérations- 
morbides  dans  les  tissus,  qu'un  organe  d'un  volume  ou  d'un  poids 
considérable  peut  être  encore  un  instrument  de  perception  ou  de 
pensée  plus  ou  moins  inférieur,  à  raison  de  ce  que  ses  éléments 
internes  sont  défectueux  et  mal  accordés  pour  une  action  harmo- 
nique. Il  peut  encore  être  un  instrument  défectueux  à  raison  de 
particularités  plus  subtiles,  et  simplement  moléculaires,  des  éléments 
dont  il  est  composé;  particularités  qui  rendent  peut-être  ces  élé- 
ments moins  réceptifs  et  moins  rélentifs  de  ces  impressions  senso- 
rielles qui  constituent  les  matériaux  bruts  de  l'intelligence,  et  aussi 
moins  capables  de  prendre  part  à  des  opérations  mentales  plus 
élevées. 

Il  n'y  a  donc  pas  de  relation  invariable,  ou  nécessaire,  entre  le 
poids  absolu  du  cerveau  des  individus  et  leur  degré  d'intelligence. 
Mais,  si  l'on  posait  la  question  de  savoir  s'il  est  probable  que  la  pro- 
portion des  cerveaux  mégalocéphales  est  plus  considérable  chez  des. 
hommes  d'une  grande  intelligence  et  d'un  savoir  étendu  que  chez 
des  gens  sans  instruction  et  sans  intelligence,  la  réponse  à  cette 
question  devrait  immanquablement  être  affirmative.  C'est  là,  comme 


POIDS   DU    CERVEAU.  33 

le  Bon  l'a  signalé  pour  les  «  capacités  crâniennes»,  la  manière  réelle 
d'arriver  à  prouver  des  supériorités  de  races  ou  de  classes. 

Cette  forme  modifiée,  et  plus  correcte,  d'une  ancienne  notion,  est 
basée  sur  divers  faits  qui  lui  donnent  un  appui  très  évident.  Comme  on 
l'a  déjà  dit,  la  proportion  de  cerveaux  décidément  mégalocéphales  a 
été  trouvée  de  /i  à  6  pour  100,  pour  des  hommes  au-dessous  de  soixante 
ans,  et  appartenant  aux  classes  inférieures  et  les  moins  instruites  de  la 
société;  tandis  que  dans  la  liste  ci-dessus  d'Hommes  Distingués  (qui, 
observons-le,  n'est  point  du  tout  une  liste  choisie,  puisqu'elle  com- 
prend tous  les  poids  connus  de  l'auteur),  la  proportion  des  cerveaux 
qui  excèdent  1,559  grammes  est  de  près  de  23  pour  100,  et  aurait  pu 
être  de  beaucoup  plus  considérable,  n'eût  été  le  grand  âge  des  hommes 
distingués  auxquels  ces  cerveaux  avaient  appartenu.  Car,  nonob- 
stant un  degré  marqué  d'atrophie  sénile  chez  quelques-uns  de  ces 
cerveaux,  il  n'y  en  avait  pas  moins  de  onze  qui  pesaient  encore  de 
l,Zi88  à  1,559  grammes.  Il  semble  tout  à  fait  possible  que  ceux  de 
sir  James  Simpson,  Daniel  Webster,  lord  Campbell,  de  Morgan  et 
Gauss  aient  pu  dépasser  1,559  grammes,  lorsque  ces  hommes  distin- 
gués étaient,  non  seulement  en  bonne  santé,  mais  encore  au-dessous 
de  soixante  ans.  Et,  dans  ce  cas,  le  nombre  de  cerveaux  décidément 
mégalocéphales  s'élèverait  à  environ  Z(5  pour  lO'O,  chez  ces  vingt- 
trois  hommes  distingués.  La  liste  est  petite  pour  en  tirer  des 
conclusions;  mais  la  diff"érence  de  proportion  indiquée  semble  de 
beaucoup  trop  considérable  pour  pouvoir  être  attribuée  au  simple 
hasard. 

Sauf  l'existence  de  véritables  altérations  morbides,  le  grand  poids 
d'un  organe  comme  le  Cerveau  donne  plus  de  raisons  de  croire  que 
son  développement  interne  aura  marché  de  front  avec  son  accrois- 
sement de  volume,  et  que  l'organe  sera  hautement  doué  de  son  genre 
particulier  de  vitalité.  Et  si  ces  deux  dernières  conditions  sont  réali- 
sées, un  accroissement  du  Cerveau  doit  être  un  avantage  distinct 
pour  son  propriétaire;  et,  si  les  conditions  générales  et  spéciales  de 
la  vie  sont  toutes  propices,  il  doit  probablement  favoriser  le  déve- 
loppement de  grandes  Facultés  Mentales,  ou  l'acquisition  d'un  vaste 
savoir. 

On  a  déjà  signalé  dans  ce  chapitre  que  les  poids  cérébraux  élevés 
tendent  à  se  rencontrer  en  plus  grande  proportion  chez  les  races 
civilisées  que  chez  celles  qui  ne  le  sont  que  peu  ou  point.  Ceci,  joint 
à  l'autre  fait  bien  établi  et  très  digne  de  remarque,  que  ces  diffé- 
rences de  poids  se  trouvent  beaucoup  plus  marquées  chez  les  Hommes 
que  chez  les  Femmes,  lorsqu'on  compare  les  races  supérieures  aux 
races  inférieures,  donne  la  preuve  la  plus  importante  de  l'étendue 
dans  laquelle  le  Cerveau  humain,  pendant  le  cours  de  nombreuses 
générations,  a  continué  à  augmenter  de  volume,  sous  l'influence  de 

Charlton-Bastian.  —  II.  3 


34  VOLUME    ET    POIDS   DU   CERVEAU    HUMAIN. 

l'accroissement  d'usage  et  d'exercice  que  peut  entraîner  une  vie 
passée  dans  un  état  de  Civilisation. 

Mais,  plus  longtemps  l'état  de  Civilisation  a  existé  chez  un  peuple 
donné,  plus  la  tendance  à  hériter  d'un  Cerveau  de  dimensions  plus 
grandes  doit  être  généralement  répandue  chez  les  individus  de  ce 
peuple.  Et,  à  moins  que  cela  ne  soit  dû  à  quelques  distinctions 
ethniques,  quasi-accidentelles  et  peu  comprises,  comment  pourrions- 
nous  expliquer  autrement  la  remarquable  série  de  poids  de  cerveaux 
Chinois  publiés  par  le  docteur  C.  Clapham?  Chez  ces  seize  individus, 
pris  au  hasard  dans  la  classe  des  coolies,  les  poids  sont  distincte- 
ment au-dessus  de  la  moyenne  existante  chez  les  Anglais,  les  Fran- 
çais et  les  Allemands  du  même  degré  social  ;  et,  bien  qu'à  un  moindre 
degré,  également  au-dessus  de  celle  des  Lowlanders  écossais. 

Quelle  qu'en  soit  la  cause  (et  il  ne  faut  point  oublier  leur  genre 
de  mort),  il  serait  à  peine  possible  d'indiquer  une  autre  série  pareille 
de  chiffres,  pour  seize  individus  pris  au  hasard,  à  la  seule  exception 
des  chiffres  rapportés  dans  le  tableau  des  Hommes  Distingués. 

Il  n'est  point  du  tout  nécessaire  do  supposer  qu'individuellement, 
ces  coolies  chinois  étaient  capables  de  déployer  quelque  degré 
notable  d'acquis  ou  de  jotmsance  intellectuelle  qui  justifie  l'existence 
chez  eux  de  cerveaux  aussi  volumineux.  Le  docteur  Clapham  rap- 
pelle un  fait  assez  significatif  en  ce  sens,  lorsqu'il  dit  :  «  Je  ne  suis 
point  porté  à  parler  aussi  légèrement  de  la  capacité  pour  l'instruc- 
tion de  la  classe  des  coolies  chinois;  je  suis  au  contraire  convaincu 
de  leur  aptitude  naturelle  en  ce  sens.  »  Nous  avons  peut-être  là, 
exactement,  ce  que  l'on  pourrait  attendre  comme  résultat  d'une 
civilisation  antérieure,  même  d'un  degré  assez  bas,  mais  continuée 
pendent  fort  longtemps;  c'est-à-dire  l'héritage  d'un  Cerveau  volumi- 
neux et  d'une  bonne  aptitude  ou  capacité  pour  l'instruction  ^ 

Le  Cerveau  est  différent  de  tous  les  autres  organes  du  corps.  C'est 
souvent  une  masse  de  virtualités  structurales ,  plutôt  que  de  tissu& 
nerveux  pleinement  développés.  Quelques-uns  de  ses  éléments,  ceux 
qui  ont  trait  aux  Opérations  Instinctives  les  mieux  établies,  arrivent 
naturellement  jusqu'à  leur  développement  complet,  sans  l'aide  de 
stimuli  extrinsèques  ;  mais  d'autres,  et  de  grandes  étendues  de  ceux- 
ci,  semblent  n'arriver  à  de  pareils  développements  que  sous  l'in- 
fluence de  stimuli  appropriés.  11  suit  de  là  que  des  aptitudes  natu- 
relles et  des  virtualités  de  l'ordre  le  plus  subtil  peuvent  ne  jamais 
se  manifester,  chez  des  multitudes  de  personnes,  uniquement  par 
le  manque  de  stimuli  appropriés  et  de  pratique  capable  de  perfec- 

1.  Voyez  plus  haut  quelques  faits  tendant  à  montrer  que  la  civilisation, 
agissant  pendant  de  longues  périodes,  tend  à  amener  un  accroissement  de 
volume  du  Cerveau. 


LE   POIDS    CÉRÉBRAL  ET   L'INTELLIGENCE.  35 

tionner  le  développement  et  ractivitc  fonctionnelle  des  régions  du 
cerveau,  dont  l'action  est  inséparablement  liée  aux  phénomènes 
mentaux  en  question. 

Le  développement  dont  il  est  ici  parlé  est  de  la  nature  la  plus 
intime,  et,  dans  une  certaine  mesure,  il  échappe  à  nos  moyens  actuels 
d'investigation.  Son  apparition  peut  être  associée  à  une  augmenta- 
tion de  poids  tout  à  fait  insignifiante,  et,  peut-être,  n'être  suivie 
d'aucune  augmentation  de  volume  de  l'ensemble  de  l'organe.  Cepen- 
dant un  développement  de  Cellules  Nerveuses  antérieurement  em- 
bryonnaires, ainsi  que  l'établissement,  entre  elles,  de  nombreuses  et 
nouvelles  connexions,  au  moyen  de  prolongements  inlercellalaires  et 
de  fibres  commissarales,  peuvent  avoir  eu  lieu  dans  de  vastes  espaces 
du  Cerveau  ;  et  cela  dans  une  étendue  qu'il  nous  est  tout  à  fait  im- 
possible d'apprécier  d'une  manière  exacte ^ 

Que  ce  ne  soit  point  là  une  simple  imagination,  c'est  ce  qui  nous 
est  prouvé  en  partie  par  d'autres  faits  déjà  établis  :  c'est-à-dire  que 
le  cerveau  de  l'homme  atteint  les  f  de  son  poids  définitif,  et  celui  de 
la  femme  les  ~  du  sien,  à  la  fin  de  la  septième  année;  bien  qu'à  cette 
époque,  le  développement  structural  intime  de  l'organe  soit  encore, 
dans  toutes  ses  parties  supérieures,  dans  une  condition  relativement 
embryonnaire.  On  peut  donc  estimer  que  même  de  pareilles  don- 
nées montrent,  de  la  manière  la  plus  forte,  combien  le  simple 
volume,  ou  le  simple  poidsdu  cerveau,  sont  peu  importants  relative- 
ment au  degré  d'intelligence  de  l'individu;  si,  comme  on  le  fait 
souvent,  on  considère  ces  données  indépendamment  de  la  question, 
beaucoup  plus  importante,  de  la  quantité  relative  de  substance  grise, 
aussi  bien  que  du  degré  et  de  la  perfection  du  développement 
intime,  soit  réel,  soit  possible,  de  l'organe. 

1.  Voyez,  p.  13,  ce  qu'a  établi  Lockhart  Clarke  sur  les  éléments  nerveux 
embryonnaires,  ou  non  développés,  que  l'on  rencontre  dans  les  Circonvolutions 
Cérébrales  du  fœtus.  -         — 


CHAPITRE  XXI 


CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN 


Le  Cerveau  de  l'Homme  appartient  au  même  type  que  l'on  ren- 
contre chez  les  Anthropomorphes  et  chez  les  Singes  ordinaires. 
Quelle  que  soit  la  manière  dont  on  l'interprète,  le  fait  lui-même  est 
trop  évident  pour  admettre  le  moindre  doute.  On  y  voit  la  même 
forme  générale,  les  mêmes  lobes,  les  mêmes  scissures  principales. 
Il  est  vrai  que  l'on  y  rencontre  aussi  d'importantes  différences.  Le 
volume  et  le  développement  relatifs  des  divers  Lobes  ne  sont  point 
les  mêmes.  En  outre,  dans  le  Cerveau  de  l'Homme,  les  scissures  et  les 
circonvolutions  «  secondaires  »  se  présentent  en  nombre  bien  supé- 
rieur et  avec  une  complexité  beaucoup  plus  grande,  tandis  qu'on 
trouve,  dans  le  poids,  une  différence  qui  éclipse  en  importance  toutes 
les  autres.  Les  poids  maxima,  que  l'on  a  rencontrés  jusqu'ici  chez 
les  grands  Anthropomorphes,  vont  de  3ZiO  à  350  grammes;  bien  que  le 
poids  total  de  ces  animaux  atteigne,  ou  même  dépasse  de  beaucoup, 
celui  d'un  Homme  ordinaire. 

Si  frappante  toutefois  que  soit  la  différence  de  poids  du  Cerveau 
entre  les  grands  Anthropomorphes  et  les  Hommes  ordinaires,  il  ne 
faut  point  oublier  que  l'étendue  des  variations  que  l'on  rencontre 
chez  les  divers  individus  de  notre  espèce  est  plus  grande  encore. 
Quelques  personnes  peuvent  montrer  nettement  des  attributs 
humains  et  des  facultés  mentales,  bien  qu'en  possédant  un  Cerveau 
dont  le  poids  ne  s'élève  pas  au-dessus  de  907  grammes;  tandis  que, 
chez  d'autres  Hommes,  le  poids  de  ce  même  organe  peut  s'élever  à 
un  maximum  de  1,815  à  1,900  grammes.  De  pareils  faits,  ainsi  que 
d'autres  déjà  cités,  impliquent  certainement  l'existence,  dans  le 
Cerveau  de  l'Homme,  d'une  remarquable  capacité  de  croissance  et  de 
développement,  sous  l'influence  longtemps  continuée,  pendant  des 
séries  de  générations,  de  ces  modes  de  vie  et  d'activité  cérébrale 
qui  sont  presque  inséparables  de  l'existence  d'une  Communauté  plus 
ou  moins  Civilisée. 


RACES   INFÉRIEURES.  37 

Pour  étudier  la  configuration  externe  du  Cerveau  Humain,  il  sera 
très  avantageux  d'examiner  tout  d'abord  les  caractères  de  l'or- 
gane, tel  qu'il  existe  chez  une  des  races  les  plus  inférieures  de  l'Hu- 
manité. Nous  pourrons  alors  comparer  avantageusement  un  de  ces 
types  les  plus  simples  avec  des  formes  plus  développées  des  mêmes 
organes,  comme  celles  qui  sont  communes  chez  les  représentants  des 
races  civilisées  supérieures. 

Le  Cerveau  de  la  «Vénus  Hottentote»  fut  soigneusement  examiné  et 
figuré  par  Gratiolet.  Bien  que  l'intelligence  de  cette  femme  ne  fût  pas 
remarquablement  défectueuse,  les  circonvolutions  de  son  Cerveau 


FiG.  133.  —  Cerveau  de  la  Vénus  Hottentote,  vue  latérale  (Vogt,  d'après  Gratiolet).  F, 
lobe  Frontal;  P,  lobe  Pariétal;  O,  lobe  Occipital;  T,  lobo  Temporal;  C,  Cervelet;  P, 
Protubérance  ;  Y  M,  Bulbe  ;  S,  scissure  de  Sylvius  ;  R,  sillon  de  Rolando  ;  P  S,  scissure 
parallèle;  a^,  replis  supérieurs  ;  a-,  replis  moyens;  a^,  replis  inférieurs  des  circonvo- 
lutions frontales  ;  ^j  circonvolution  frontale  ascendante  (ou  centrale  antérieure);  B,  cir- 
convolution pariétale  ascendante  (ou  centrale  postérieure);  &',  b'^,  b-,  replis  supérieurs, 
moyens  et  inférieurs  des  circonvolutions  pariétales;  c',  c-,  c^,  replis  supérieurs, 
moyens  et  inférieurs  des  circonvolutions  temporales;  d',  d-,  d^,  replis  supérieurs, 
moyens  et  inférieurs  des  circonvolutions  occipitales. 


étaient  relativement  fort  peu  compliquées.  Après  avoir  commenté  ce 
fait,  Gratiolet  ajoute  :  —  «  Mais  ce  qui  frappe  tout  d'abord,  c'est  la 
simplicité,  l'arrangement  régulier  des  deux  circonvolutions  qui  com- 
posent l'angle  supérieur  du  lobe  frontal.  Si  l'on  compare  ceux  des 
deux  hémisphères,  ces  replis,  comme  nous  l'avons  déjà  signalé,  pré- 
sentent une  symétrie  presque  parfaite,  telle  qu'on  ne  la  rencontre 
jamais  chez  les  Cerveaux  normaux  de  la  race  Caucasique...  Cette 
régularité,  cette  symétrie,  rappellent  involontairement  la  régularité 
et  la  symétrie  des  circonvolutions  cérébrales  chez  les  espèces  ani- 


3S       CONFIGURATION   EXTERNE   DU   CERVEAU    HUMAIN. 

maies  inférieures.  11  y  a,  sous  ce  rapport,  entre  le  Cerveau  d'un 
homme  blanc  et  celui  de  cette  Boscliimane,  une  différence  à  laquelle 
on  ne  saurait  se  tromper,  et  qui,  si  elle  est  constante,  comme  il  y 
a  tout  lieu  de  le  supposer,  constitue  l'un  des  faits  les  plus  intéres- 
sants que  Ton  ait  notés  jusqu'ici.  » 

La  description  la  plus  complète  que  nous  possédions  aujourd'hui 


FiG.  134.  —   Cerveau  de  la  Vénus  Hottentote,  face  supérieure  (Vogt,  d'après  Gratiolet). 

A,  Scissure  longitudinale  ;  n,  sillon  de  Rolande;  V,  scissure  verticale  ou  perpendiculaire  ; 
0;,  lobe  Occipital  ;  a^,  a-,  a^,  replis  supérisurs,  moyens  et  inférieurs  des  circonvolu- 
tions frontales  ;  A,  circonvolution  frontale  ascendante  ;  B,  circonvolution  pariétale 
ascendante  ;  ¥,  b^,  b^,  replis  supérieurs,  moyens  et  inférieurs  des  circonvolutions 
pariétales;  d^,  repli  inférieur  des  circonvolutions  occipitales. 

du  Cerveau  d'un  représentant  de  l'une  de  ces  races  inférieures,  est 
toutefois  celle  qui  a  été  donnée  par  le  professeur  Marshall,  dans  son 
Mémoire  sur  le  Cerveau  d'une  Boschimane^.  L'organe,  chez  cette 
Africaine  du  Sud,  était  décidément  petit,  comme  on  l'a  dit  dans  le 
dernier  chapitre  (p.  23).  Voici  certaines  parties  de  la  description  de 
Marshall  reproduites  dans  ses  propres  termes. 


l.  Philoxoph.  Trans.  1864,  p.  .^01. 


CERVEAU    DE    BOSCHIMANE.  39 

Forme  générale  nu  Cerveau.  —  «  Vu  en  dessus,  le  Cerveau  de  la 
Boschimane  présente,  comme  son  crâne,  une  forme  ovoïde  longue  et 
étroite.  La  ligne  de  plus  grande  largeur  correspond  aux  éminences 
pariétales;  elle  est  placée  un  peu  loin  en  arrière,  aux  deux  tiers  de 
la  longueur  totale  du  Cerveau,  à  partir  de  son  bord  antérieur;  de 
sorte  qu'il  ne  reste  plus  qu'un  tiers  de  l'organe  en  arrière  de  ces 
éminences.  A  partir  de  cette  région  pariétale  proéminente,  le  Cerveau 
se  rétrécit  dans  toutes  les  directions,  — très  brusquement  en  arrière 
et  assez  brusquement  aussi  en  avant,  jusqu'à  l'entrée  de  la  scissure 


FiG.  135.  —  Cerveau  t „„.„„..„„,  „,--  „„j^^„^^.^  ^.^^ath,  d'après  Marshall). 

F,  lobe  Frontal;  O,  lobe  Occipital;  P,  lobe  Pariétal;  d,d,  sillon  de  Rolando;  P,  scissure 
pariéto-occipitale;  A  A,  lobule  supra-marginal;  2,  2,  et  3,  3,  circonvolutions  frontales 
moyennes  et  supérieures;  4,  4,  circonvolution  ascendante  frontale;  5,  5,  circonvolu- 
tion ascendante  pariétale;  5',  5',  lobule  de  la  circonvolution  pariétale  ascendante;  6,  6, 
circonvolution  angulaire;  10,  10,  et  11,  11,  circonvolutions  occipitales  supérieure  et 
inférieure  ;  a,  a,  premières,  et  p,  secondes  circonvolutions  unissantes. 

de  Sylvius  où,  comme  le  Cerveau  fœtal,  il  paraît  remarquablement 
étranglé  :  il  s'élargit  de  nouveau  un  peu,  aux  angles  externes  de  la 
région  frontale,  qui  est  néanmoins  décidément  étroite.  L'hémisphère 
gauche,  vu  en  dessus,  est  de  cinq  millimètres  et  demi  plus  long  que 
le  droit,  l'accroissement  portant  presque  entièrement  sur  l'arrière. 
La  longueur  relativement  plus  grande,  en  arrière,  d'un  hémisphère 
(ordinairement  le  gauche,  pour  autant  que  je  l'aie  observée)  est  fort 
commune  dans  les  Cerveaux  Européens.  » 


il)        CONFIGURATION  EXTERNE    DU    CEIIVEAU    HUMAIN. 

«  Vue  latéralement,  la  région  pariétale  est  saillante  ;  le  vertex  est 
bas  et  aplati;  son  point  le  plus  élevé  est  situé  loin  en  arrière;  la 
région  frontale  est  peu  épaisse...  Le  lobe  temporal  est  étroit,  la  ligne 
qui  va  de  sa  pointe  au  bout  du  lobe  postérieur  étant  fort  longue.  La 
courbe  formée  par  le  bord  inférieur  du  Cerveau,  au-dessus  du  Cer- 
velet, est  moins  forte,  et  sa  direction  plus  oblique,  en  haut  et  en 
arrière,  que  dans  le  Cerveau  Européen;  ce  qui  est  apparemment! dû 
à  un  manque  de  développement  de  la  région  occipitale,  qui  est  fort 
peu  épaisse...  les  sommets  des  lobes  temporaux  sont  pointus  et  très 
recourbés  vers  la  ligne  médiane...  les  surfaces  orbitaires  sont  parti- 


FiG.  136. —  Cerveau  de  Boschimane,  vue  latérale  (Healh,  d'après  Marshall).  Les  lettres 
et  les  chiffres  sont  en  partie  comme  dans  la  dernière  figure.  T,  lobe  Temporal  ;  c,  in- 
sula  de  Reil  ;  e,  e,  scissure  de  Sylvius  ;  1,  1,  circonvolution  frontale  inférieure 
(troisième);  7,  7,  S,  8,  9,  9,  trois  circonvolutions  temporales;  f,  f,  scissure  parallèle; 
g ,  g,  scissure  temporale  inférieure. 

culièrement  contractées,  mais  ont  une  forme  carrée,  ou  humaine,  et 
non  pointue,  ou  simienne.  » 

Considéré  dans  son  ensemble,  ce  Cerveau  de  femme  Boschimane, 
comparé  avec  le  Cerveau  Européen,  manquait  surtout  de  profondeur 
et  de  hauteur  verticale. 

Scissures,  Lobes  et  Circonvolutions  du  Cerveau.  —  «  La  scis- 
sure de  Sylvius,  dans  le  Cerveau  de  la  Boschimane,  s'étend  bien  en 
arrière,  mais  s'incline  plus  en  haut  que  dans  le  Cerveau  Européen  *, 
et  présente,  peu  après  son  origine,  un  espace  horizontal  particulier... 
Ses  bords  ne  sont  pas  en  contact  très  intime,  surtout  vis-à-vis  du 

1.  Ce  sont  là  des  marques  d'un  développement  inférieur.  Dans  les  cerveaux- 
plus  développes,  la  scissure  de  Sylvius  est  plus  courte,  et  de  direction  plus  ho- 
rizontale. 


CEllVEAU    DE    BOSCIIIMANE. 


41 


bord  postérieur  du  lobe  frontal, qui  est  ici  fort  défectueux;  la  scissure 
est  en  effet  assez  ouverte  pour  que,  sans  écarter  ses  bords,  on  puisse 
voir  distinctement  une  portion,  petite  il  est  vrai,  du  lobe  central  ou 
insula  de  Reil  (G).  Cette  disposition  rappelle  l'état  fœtal  du  Cerveau 
humain  (fig.  128);  mais  elle  ne  se  présente  pas,  que  je  sache,  dans 
aucun  Cerveau  de  Quadrumane.  La  défectuosité  du  lobe  frontal 
explique  la  forme  resserrée,  si  remarquable,  du  Cerveau  delaBoschi- 
mane;  forme  déjà  mentionnée,  et  que  Ton  peut  peut-être  supposer 
caractéristique  du  Cerveau  Boschiman,  puisqu'elle  se  retrouve  aussi 


Fig.  137.  —  Hémisphère  Cérébral  droit  d'un  Ecossais,  face  externe  (Turner).  F?',  Fr, 
lobe  Frontal,  Par,  lobe  Pariétal;  Oc,  lobe  Occipital;  T  S,  lobe  Temporo-sphéno'idal 
ou  Temporal  ;  S,  S,  scissure  de  Sylvius  ;  5',  S' ,  partie  ascendante  de  la  scissure  de 
Sylvius  (Sulcus  precenlralis  d'Ecker)  ;  R,  R,  sillon  de  Rolando  ;  /  P,  scissure  intra- 
pariétale,  et  P,  P,  scissure  parallèle;  1,  1,  2,  2  et  3,  3,  circonvolutions  frontales  infé- 
rieure, moyenne  et  supérieure;  4,  4,  circonvolution  ascendante  frontale;  5,  5,  cir- 
convolution ascendante  pariétale  ;  5',  partie  externe  du  lobule  postéro-pariétal  ;  6,  6, 
circonvolution  angulaire;  7,  7,  8,  S,  8,  et  9,  9,  9,  circonvolutions  temporales  supé- 
rieure, moyenne  et  inférieure;  10,  II  et  12,  circonvolutions  occipitales  supérieure, 
moyenne  et  inférieure;  A,  lobule  supra-marginal  :  a,  p,  f  et  S,  première,  deuxième, 
troisième  et  quatrième  circonvolutions  unissantes. 


chez  la  Vénus  Hottentote,  où  elle  a  été  également  signalée  par 
Gratiolet  comme  un  caractère  foetal.  » 

Le  sillon  de  Rolando  (fig.  136,  d^  d)  commence  à  environ  trente- 
quatre  millimètres  en  arrière  du  sommet  du  lobe  temporal.  «  Il  se 
termine  bien  au  delà  du  milieu  du  grand  axe  du  Cerveau,  presque 
aussi  loin  en  arrière  que  la  ligne  de  plus  grande  largeur  de  l'organe  : 
de  sorte  qu'il  s'étend  relativement  plus  loin  en  arrière  que  chez  la 
Vénus  Hottentote,  et  surtout  que  chez  l'Européen.  » 

«  Les  scissures  perpendiculaires  externes  (fig.  135,  P)  se  suivent 
aussi  aisément  que  chez  la  Vénus  hottentote  (fig.  13Zi,  V)  ;  mais  elles 
sont    bientôt    interrompues    par    les    circonvolutions    unissantes 


42       CONFIGURATION  EXTERNE    DU   CERVEAU    HUMAIN. 

■externes  (a^  P).  Sur  les  côtés,  ces  scissures  sont  certainement  plus 
faciles  à  suivre  que  chez  l'Européen,  —  ce  qui  donne  un  caractère 
■d'infériorité  à  cette  partie  du  Cerveau  Boschiman  ;  mais,  en  même 
temps,  elles  sont  beaucoup  plus  interrompues  que  chez  le  Chimpanzé 
ou  rOrang-Outang.  Ces  courtes  scissures  perpendiculaires  externes 
se  joignent,  comme  d'ordinaire,  aux  sommets  des  scissures  perpendi- 
eulaires  internes;  et,  avec  les  sillons  de  Rolando,  divisent  la  surface 
supérieure  du  Cerveau  en  trois  régions.  » 

Si  l'on  mesure  ces  trois  régions  sur  le  vertex,  dans  le  sens  longi- 


FiG.  138.  —  Vue  supérieure  du  Cerveaij  d'ua  Écossais  (d'après  Turner). 

Fr,  lobe  Frontal;  R,  sillon  de  Rolando;  I  P,  sciïSure  intra-pariétale,  et  P  0,  scissure 
pariéto-occipitale;  S,  branche  horizontale,  et  5',  branche  ascendante  de  la  scissure  de 
Sylvius;  A,  lobule  supra-marginal;  1, 1,2, 2  et 3,  3,  circonvolutions  frontales  inférieure 
moyenne  et  supérieure;  4,  4,  circonvolution  ascendante  frontale,  et  5,  5,  circonvolu- 
tion ascendante  pariétale;  5'  partie  externe,  et  5",  partie  interne  du  lobule  postéro- 
pariétal  ;  6,  6,  circonvolution  angulaire  ;  10,  circonvolution  occipitale  supérieure  ; 
a,  a,  première,  et  p,  seconde  circonvolutions  unissantes. 

tudinal,  on  voit  que  c'est  la  région  pariétale  qui  est  surtout  défec- 
tueuse dans  le  Cerveau  Boschiman  ;  puisqu'au  lieu  d'égaler  ou  de 
dépasser  un  peu  la  longueur  de  la  région  occipitale,  elle  est  très 
nettement  plus  courte  que  cette  dernière  région. 

La  scissure  parallèle  (136,  fj  f),  sur  la  surface  externe  du  lobe 
temporal,  est«  plus  tortueuse  du  côté  gauche  que  chez  la  Vénus  Hot- 
tentote  ;  bien  qu'elle  le  soit  moins  que  sur  les  Cerveaux  Européens 
ordinaires.  » 


CERVEAU    DE  BOSCHIMANE. 


43 


«  La  scissure  perpendiculaire  interne  (fig.  139,  P,  0)  est  plus 
verticale  que  chez  TEuropéen,  mais  beaucoup  moins  que  chez  le 
Chimpanzé,—  l'angle  formé  par  cette  scissure  et  une  ligne  basilaire 
passant  à  travers  le  corps  calleux  étant,  chez  l'Européen,  de  123°; 
chez  la  Boschimane  de  115",  et  chez  le  Chimpanzé  de  93°.  Toutefois, 
comme  dans  le  Cerveau  Européen,  cette  scissure  rejoint  en  dessous 
celle  de  l'hippocampe  (fig.  139),  au  lieu  que,  chez  les  Quadrumanes, 
elle  s'arrête  avant  d'atteindre  cette  scissure.  » 

Nous  ne  pouvons  suivre  le  professeur  Marshall  dans  son  examen 
intéressant  et  détaillé  des  diverses  circonvolutions  du  Cerveau  de  la 
Boschimane,  ni  dans  son  estimation  de  leur  degré  de  développement, 


Fig.  ia9.—  Hémisphère  Cérébral  Gauche  ;  face  interne  et  surface  qui  repose  sur  la  Tente 
du  Cervelet  (d'après  Turnerj. 

Fi-,  lobe  Frontal;  Par,  lobe  Pariétal;  Oe^  lobe  Occipital;  TS,  lobe  Temporal;  PO,  scis- 
sure perpendiculaire  interne,  ou  pariéto-occipitale  ;  i,  i,  i,  scissure  calloso-marginale; 
l,  l,  scissure  calcarine;  ?;<,  wi,  scissure  dentée;  n,  n,  scissure  collatérale;  17,  17,  17, 
circonvolution  marginale;  18,  18,  circonvolution  du  corps  calleux;  18',  lobule  carré; 
19,  19,  circonvolution  uncinée,dant  19'  est  le  crochet,  ou  partie  recourbée  ;  25,  cuneus, 
ou  lobule  occipital;  9,  9,  face  interne  de  la  circonvolution  temporale  inférieure. 

relativement  à  celles  de  la  Vénus  Ilottentote  ou  du  Cerveau  Euro- 
péen ordinaire;  nous  ne  pouvons  reproduire  que  quelques-unes  de 
ses  conclusions  générales  les  plus  intéressantes. 


Toutes  les  circonvolutions  primaires  qui  devraient  exister  dans  le  cerveau 
humain  «  existent  dans  celui  de  la  Boschimane  ;  mais,  si  on  les  compare  aux 
mêmes  parties  du  cerveau  Européen  ordinaire,  on  les  trouve  plus  petites  j  et, 
dans  tous  les  cas,  tellement  moins  compliquées,  qu'on  les  distingue  bien  plus 
facilement  les  unes  des  autres.  Cette  simplicité  relative  du  cerveau  Boschi- 
man  indique  sans  doute  une  infériorité  de  structure,  et  fait  de  cet  organe  un 
moj'en  utile  pour  faciliter  l'étude  de  la  forme  européenne,  plus  complexe.  En 
comparant  les  diverses  régions  du  cerveau,  les  circonvolutions  primaires  des 
régions  frontale  supérieure,  et  pariétale  externe,  sont,  dans  l'ensemble,  les 
mieux  développées  ;  celles  des  régions  frontales,  moyenne  et  inférieure,  de  la 
région  temporale,  des  lobes  centraux,   et  de  la  face  interne,  viennent  après; 


U       CONFIGURATION  EXTERNE   DU    CERVEAU   HUMAIN. 


tandis  que  celles  de  la  surface  orbitaire  et  du  lobe  occipital  sont  les  moins 

développées. 

«  Quant  aux  Circonvolutions  Unissantes,  ces  replis  si  importants  et  si  signifi- 
catifs, les  externes  sont,  par  compa- 
raison avec  celles  du  cerveau  Euro- 
péen, encore  plus  remarquablement 
défectueuses  que  les  circonvolutions 
pi-imaires.  Elles  sont  toutesles  quatre 
présentes  ;  mais,  toutes,  sont  d'une 
brièveté  caractéristique,  étroites  et 
simples,  au  lieu  d'être  complexes  et 
d'occuper  un  grand  espace;  aussi, 
bien  que  la  scissure  perpendiculaire 
externe  soit  bientôt  comblée,  les 
lobes  pariétal  et  occipital  sont  plus 
faciles  à  distinguer  l'un  de  l'autre 
que  sur  le  cerveau  Européen...  Les 
nombreuses  scissures  et  circonvolu- 
tions qui  compliquent  tellement  les 
plus  longues  sur  le  cerveau  Européen, 
sont,  partout,  décidément  moins 
développées  sur  celui  de  la  Boschi- 
mane,  —  mais  surtout  dans  les  ré- 
gions occipitales  et  orbitaires,  sur  la 
circonvolution  recourbée  et  sur  la 
circonvolution  unissante  externe. 
Ceci  est  un  signe  de  plus  de  l'infé- 
riorité de  structure.  » 

FiG.  140.— Vue  du  Lobule  Orbitaire  et  de  l'Insula 

de  Reii,  d'après  Turner.  Comparé  à  celui  de  la  Vénus 

La  plus  grande  partie  du  Lobe  Temporal  a  été  Hott(3ntOte,    le     CerveaU    de    la 

enlevée  pour  montrer  l'Insula.  O  sillon  Olfac-  BoSChlmane  BSt  «  presque  dans 
tit;  T  R,   scissure   triradiee;    1',  1      et  1     ,  ^  . 

circonvolutions  postérieure,  interne  et  externe  tOUS  leS   CaS  OU  la  Comparaison 

du  Lobule  Orbitaire;  C.Insula  de  Reil,  avec  est    pOSSible,   UU    pOU,    qUOique 

ses  circonvolutions  rayonnantes  ;1,  1,  surface  f^„+    „„„     t^i,,^.    ^^r^^^r^A    rv+    T^i,nr. 

.  ,..  .       j  ,   .   ■  v     ,     ■  r-  ■      V   ■     1011  peu,  plus  avance  et  plus 

intérieure  de  la  troisième  (ou  inférieure)  cir-  i        '   i  x 

convolution  frontale  ,  4,  surface  inférieure  de  Complexe    danS    le    développe- 

l'extrémité   inférieure   de  la  circonvolution  ment   de  SCS   cirCOnvolutiOllS   : 

frontale  ascendante,  5,  id.  de  la  circonvolu-  j^  g^^jg  exception   porte  SUr  le 

volume  des  circonvolutions  oc- 
cipitales et  unissantes  externes, 
qui  est  moindre  chez  la  Boscliimane.»  Mais  la  ressemblance  entre  les 
circonvolutions  des  deux  Cerveaux  est  fort  intime;  tandis  que  la 
simplicité  de  leur  arrangement  n'a  rien  de  comparable,  ou  même 
d'approchant,  dans  les  Cerveaux  Européens  normaux. 


tien  pariétale  ascendante,  17,  circonvolution 
marginale. 


Il  reste  maintenant  à  signaler,  un  peu  plus  complètement,  la 
nature  des  principales  différences  que  présentent  les  Cerveaux  Euro- 


RAGES    CIVILISÉES.  45 

péens,  lorsqu'on  les  compare  à  ceux  des  types  humains  inférieurs 
dont  nous  avons  parlé  jusqu'ici.  C'est  toutefois  une  tâche  assez  diffi- 
cile, à  cause  des  grandes  différences  individuelles,  relatives  à  un 
grand  nombre  de  détails  de  structure,  que  l'on  rencontre  dans  cet 
organe  chez  les  différents  Européens.  On  rencontre  en  effet,  chez 
quelques-uns  d'entre  eux,  un  Cerveau  qui  se  rapproche  de  fort  près, 
par  son  volume,  le  développement  relatif  de  ses  lobes  et  la  com- 


\        il  '  r   » 


^   '^  ^ 


FiG.  141.  —  Cerveau  de  Gauss,  le  célèbre  Astronome  et  Mathématicien, 
vu  on  dessus  (Sharpey,  d'après  R.  "Wagner). 

i,l,  Scissure  longitudinale;  a,  a',  a",  circonvolutions  frontales,  supérieure,  moyenne  et 
inférieure  ;  r,  r,  sillon  de  Rolando;  B,  B,  circonvolution  pariétale  ascendante  ;  6,  6, 
lobule  pariétal  ;  b",  lobule  supra-marginal  ;  c,  e',  première  (ou  supérieure)  circonvolu- 
tion temporale  ;  f,  scissure  perpendiculaire  (ou  pariéto-occipitale)  ;  rf,  d',  d",  circon- 
volutions occipitales,  supérieure,  moyenne  et  inférieure. 

plexité  de  ses  circonvolutions,  du  type  inférieur  qui  nous  est  offert 
par  le  Cerveau  de  la  Boschimane.  Chez  d'autres,  la  majorité  des 
caractères  est  décidément  plus  élevée;  bien  que,  dans  certaines 
parties,  dans  certains  endroits,  ils  puissent  présenter  tantôt  un 
trait,  tantôt  un  autre,  du  type  inférieur.  On  rencontre  fréquemment, 


46        CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 

en  effet,  toutes  sortes  de  degrés  et  de  transitions  ;  de  sorte  que  les 
remarques  faites  sur  cette  partie  de  notre  sujet  seront  plutôt  géné- 
rales que  précises  et  particulières. 

Lorsqu'on  le  regarde  en  dessus,  la  forme,  ou  contour,  du  Cerveau 
Européen  varie  considérablement.  Les  lobes  antérieurs,  rétrécis  et 
comme  comprimés  chez  la  Boschimane,  aussi  bien  que  la  forme 
amincie  et  étroite  des  lobes  occipitaux,  sont  des  caractères  éminem- 
ment fœtaux.  En  règle  générale,  cet  état  contracté  des  lobes  anté- 
rieurs ne  se  rencontre  pas  dans  le  Cerveau  de  l'Européen;  et,  sur 
quelques  spécimens,  l'ovale  est  si  large  que  le  contour  devient 
presque  circulaire,  comme  chez  l'Écossais  représenté  par  Turner 
(fig.  138.) 

Le  cerveau  d'un  naturaliste  célèbre,  figuré  par  Rudolph  Wagner  ',  a  à  peu 
près  le  même  contour  presque  circulaire,  lorsqu'on  le  regarde  en  dessus  ;  et 
chez  lui,  comme  chez  l'Écossais  dont  on  a  parlé,  l'extrémité  postérieure  con- 
stitue le  côté  large  de  l'ovale.  D'autre  part,  le  cerveau  du  grand  astronome  et 
mathématicien  Gauss  (flg.  141)  a,  lorsqu'on  le  regarde  en  dessus,  un  contour 
nettement  elliptique,  —  la  partie  antérieure  de  la  courbe  étant  presque  exacte- 
ment égale  à  la  postérieure,  et  le  plus  grand  diamètre  transversal  se  trouvant 
à  égale  distance  des  deux  extrémités.  On  peut  voir  un  contour  supérieur  sem- 
blable sur  le  cerveau  de  l'artisan  Krebs  2,  dont  les  circonvolutions  sont  beau- 
coup moins  compliquées  ;  bien  que  la  vue  latérale  de  ce  même  cerveau,  com- 
parée à  la  figure  représentant  celui  de  Gauss,  montre  qu'il  manque  beaucoup 
d'épaisseur,  soit  dans  la  région  frontale,  soit  dans  la  pariétale.  Le  contour  supé- 
rieur du  cerveau  du  philologue  Herraann,  également  représenté  par  Wagner, 
est  aussi  presque  elliptique,  l'extrémité  postérieure  étant  légèrement  plus  étroite 
que  l'antérieure.  Son  plus  grand  diamètre  transversal  est  en  outz-e  situé  à 
moitié  distance  entre  ses  deux  extrémités  :  bien  que  cette  région  corresponde 
au  lobule  supra-marginal  plutôt  qu'à  l'extrémité  inférieure  de  la  circonvolu- 
tion pariétale  ascendante,  comme  dans  le  cerveau  de  Gauss  et  dans  celui  de 
l'artisan  Krebs.  En  se  reportant  à  la  figure  135,  on  verra  que  le  cerveau  de  la 
Boschimane  est  aussi  plus  large  au  niveau  des  lobules  supra  marginaux,  fort 
proéminents,  bien  que  ceux-ci  soient  distinctement  en  arrière  de  l'axe  médian. 
Le  cerveau  de  l'éminent  mathématicien  Dirichlet  est  plus  long,  et  plus  large, 
qu'aucun  des  autres  cerveaux  figurés  par  Wagner.  Son  extrémité  postéi'ieure 
est  plus  étroite  que  l'antérieure,  et  même  notablement  pointue.  Sa  plus  grande 
largeur  n'est  que  légèrement  en  arrière  de  l'axe  médian,  et  correspond  à  la 
partie  postérieure  de  la  circonvolution  pariétale  ascendante. 

On  rencontre  donc  de  notables  variations  dans  la  forme  du  Cer- 
veau, lorsqu'on  regarde  l'organe  par  sa  face  supérieure;  et  l'on 


1.  Vorstudien,  tab.  II. 

2.  Loc.  cit.,  tab.  II,  fi^ 


CERVEAU    DE    GAUSS. 


47 


pouvait  du  reste  s'y  attendre,  en  considérant  les  diverses  formes  du 
Crâne  humain  cliez  des  races  et  des  individus  différents.  Nous  voyons 
des  têtes  extrêmement  longues,  et  d'autres  extrêmement  rondes, 
parmi  des  multitudes  d'autres  individus  dont  les  diamètres  crâniens 
sont  plus  égaux.  Somme  toute,  onti'ouve  peut-être  plus  fréquemment, 
que  la  plus  grande  largeur  du  Cerveau  est  en  arrière  de  son  axe 
transversal  médian;  et  que  son  extrémité  postérieure  est  plus  obtu- 
sément  arrondie  que  l'antérieure. 

Vu  de  côté,  le  Cerveau  présente  certaines  différences  évidentes, 
lorsque  l'on  compare  des  formes  simples  commes  celles  de  la  Vénus 
Hottentote  et  de  la  Boschimane,  ou  même  celle  de  l'artisan  Krebs,  à 


FiG.  142.  —  Cerveau  de  Gauss,  vue  latérale  (Vogt,  d'après  E.  Wagner), 

F,  lobe  Frontal;  P,  lobe  Pariétal  ;  0,  lobe  Occipital;  T,  lobe  Temporal  ;  C,  Cervelet;  Po, 
Protubérance;  VM,  Bulbe;  S,  scissure  de  Sylvius;  R,  sillon  de  Rolando;  a',  a^  a', 
replis  supérieur,  moyen  et  inférieur  des  circonvolutions  frontales;  A,  circonvolution 
frontale  ascendante  (ou  centrale  antérieure);  B,  circonvolution  pariétale  ascendante  (ou 
centrale  postérieure);  6',  h'^,  i', replis  supérieur,  moyen  et  inférieur  des  circonvolutions 
pariétales;  e',c-,  e^,  id.  des  circonvolutions  temporales  ;dl,  rf',  d',  id.  des  circonvolu- 
tions occipitales.  * 


un  organe  fortement  développé,  appartenant  à  un  homme  de  grande 
et  subtile  intelligence,  comme  Gauss, 

Un  des  caractères  les  plus  remarquables  du  Cerveau  de  Gauss  se 
trouve  dans  le  grand  développement  des  lobes  frontaux.  Ce  fait  est 
rendu  évident  par  leur  longueur,  leur  largeur  et  leur  hauteur 
relatives,  et  par  l'extrême  complexité  de  leurs  rangées  de  circonvo- 
lutions (fig.  142,  a^,  a^,  a^).  VS^agner  donne  une  figure  de  grandeur 
naturelle,  représentant  ces  lobes  vus  de  front,  et  aussi,  comme 
terme  de  comparaison,  une  vue  semblable  des  lobes  frontaux  de 
l'artisan  Krebs.  La   différence  entre  les  deux  est  très  accentuée. 


48 


CONFIGURATION  EXTERNE    DU   CERVEAU    HUMAIN. 


L'auteur  a  en  sa  possession  le  Cerveau  d'un  autre  mathématicien 
célèbre,  feu  le  professeur  de  Morgan;  et,  bien  que  chez  lui  les  lobes 
frontaux  soient  également  gros  et  bien  développés,  leurs  circonvolu- 
tions ne  sont  nullement  aussi  compliquées  que  celles  de  Gauss.  Mais 
sur  le  Cerveau  d'un  journaliste  (d'abord  clergyman)  qui  mourut  il  y 
a  quelques  années  à  University  Collège  Hospital,  le  volume  des  lobes 
frontaux  est  distinctement  plus  gros,  et  l'intrication  de  leurs  circon- 
volutions, tout  à  fait  remarquable,  égale  au  moins,  si  elle  ne  la 
dépasse  pas,  celle  que  l'on  rencontre  sur  le  Cerveau  de  Gauss.  Dans 
d'autres  régions  également,  ce  Cerveau  d'un  homme  instruit,  bien 
que  non  distingué,  a  des  circonvolutions  plus  compliquées  que  celui 
de  De  Morgan  ;  et  le  poids  de  l'organe  est  aussi  nettement  supérieur. 
On  l'a  conservé,  parce  que  c'était  le  Cerveau  d'une  personne  bien 
élevée,  et  à  cause  de  la  complexité  bien  marquée  de  ses  circonvolu- 


FiG.  143.  —  Vue  de  face  des  Lobes  Frontaux  du  Cerveau  d'un  journaliste,  montrant  l'ex- 
trême complexité  des  Circonvolutions.  Grâce  à  une  légère  obliquité  de  position,  le 
Lobe  Frontal  droit  se  voit  plus  complètement  que  le  gauche.  (Exactement  dessiné  par 
V,  Horsley,  d'après  une  photographie.) 


tiens,  en  vue  de  le  comparer  plus  tard  à  celui  du  mathématicien 
récemment  décédé. 

Dans  ces  deux  Cerveaux,  ainsi  que  dans  celui  de  Gauss,  les  sillons 
de  Rolande  sont  fort  sinueux,  grâce  à  l'existence  de  nombreux 
replis  secondaires  des  circonvolutions  ascendantes  frontales  etparié- 
tales^  La  position  relative  de  ces  scissures  était  toutefois  fort  dififé- 


1.  On  ne  voyait,  dans  aucun  de  ces  deux  cerveaux,  de  circonvolution  unis- 
sante, croisant  comme  un  pont  le  sillon  de  Rolando.  Du  côté  di'oit,  mais  pas 
du  gauche,  et  cela,  rien  que  dans  le  cerveau  de  De  Morgan,  le  sillon  de 
Rolando  s'ouvrait  dans  la  scissure  de  Sylvius. 


CERVEAU    DE    DE   MORGAN.  49 

rente  dans  les  deux  Cerveaux;  et,  dans  celui  du  journaliste,  la 
distance  de  l'extrémité  inférieure  du  sillon  de  Rolande  au  sommet 
du  lobe  temporal  était  tout  à  fait  remarquable. 

Apparemment  en  conséquence  de  la  perte  de  l'oeil  droit,  survenue 
peu  d'années  après  la  naissance,  l'Hémisphère  Cérébral  gauche  de 
De  Morgan  était  notablement  plus  petit  que  le  droit  ;  bien  que  les 
mesures  prises  sur  cet  organe,  maintenant  qu'il  s'est  aplati  par  son 
propre  poids  et  qu'il  s'est  légèrement  contracté  par  suite  de  son 
séjour  dans  l'alcool,  ne  montrent  point  cela  aussi  clairement  que 
lorsque  l'organe  était  encore  frais'.  Cependant,  même  aujourd'hui, 
l'hémisphère  gauche  est  distinctement  plus  petit  que  le  droit,  à  la 
fois  en  longueur  et  en  largeur.  Les  lobes  occipitaux  sont  aussi  égaux 
que  possible  en  longueur;  mais  la  scissure  perpendiculaire  interne 
gauche  (grâce  au  volume  plus  petit  des  iQbes  frontal  et  pariétal)  est 
située  exactement  à  21  millimètres  en  avant  de  celle  de  l'hémisphère 
droit.  Le  lobe  occipital  gauche  est  en  outre  distinctement  plus 
étroit,  et  moins  arrondi  à  l'extérieur,  que  celui  du  côté  droit.  Les 
lobes  temporaux  sont  d'égale  longueur,  mais  ils  ont  été  trop  altérés 
par  la  pression  pour  que  l'on  puisse  se  former  une  opinion  sur  leur 
largeur  relative.  La  diminution  en  largeur,  aussi  bien  qu'en  longueur, 
du  volume  général  des  lobes  frontal  et  pariétal  est  encore  très 
évidente,  bien  que  cette  diminution  ne  soit  point  localisée  dans 
quelques  parties  spéciales  de  ces  lobes.  On  ne  peut  non  plus 
observer  de  différence  appréciable  dans  le  développement  des  circon- 
volutions d'aucune  partie  de  l'hémisphère,  par  comparaison  avec 
celui  de  l'autre  côté.  La  région  du  lobule  supra -marginal  et  de  la 
circonvolution  angulaire  semble  assurément  aussi  développée  à 
gauche  qu'à  droite;  bien  que  ce  soient  les  circonvolutions  qui,  d'après 
Terrier,  doivent  être  regardées  comme  le  siège  principal  du  Centre 
Visuel. 

1.  Le  cerveau  fat  extrait  le  troisième  jour  après  la  mort  et  n'était  pas  dans 
un  bon  état  de  conservation.  Voici  les  mesures  que  l'on  prit  alors  avec  le  plus 
grand  soin,  sur  le  vertex,  au  moyen  d'un  ruban  étroit  : 

De   l'extrémité  antérieure        De  l'extrémité  supérieure        De  l'extrémité  supérieure  de 

du  lobe  frontal  à  l'extrémité  du  sillon  de  Rolande  à  l'ex-  la  scissure  perpendiculaire  à 

supérieure  du  sillon  de  Ro-  trémité     supérieure    de    la  l'extrémité  postérieure  du  lobe 

lando  :  scissure  perpendiculaire  :  occipital  : 

Millim.  Millim.  Millim. 

A  gauche      128  64  67 

A  droite        141  77  67 

Outre  l'arrêt  spécial  de  développement  rencontré  dans  l'hémisphère  gauche, 
le  cerveau,  en  général,  était  nettement  contracté,  en  partie  par  l'effet  de  l'âge, 

Chablton-Bastian.  —  II.  4 


50        CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU   HUMAIN/ 

Sauf  l'état  de  dégénérescence  et  l'aspect  de  dépérissement  du 
nerf  optique  droit  et  de  la  bandelelte  optique  correspondante,  on  ne 
découvre  rien  qui  puisse  rendre  compte  du  volume  plus  petit  et  du 
développement  borné  de  l'Hémisphère  gauche.  L'antérieur  gauche 
des  tubercules  quadrijumeaux  est  un  peu  moins  proéminent  que  l'an- 
térieur droit,  et  diffère  aussi  légèrement  de  couleur;  mais  il  n'a  pas 
été  examiné  avant  l'immersion  du  Cerveau  dans  l'alcool.  Le  Cervelet 
paraît  tout  à  fait  symétrique  ;  ses  moitiés  droite  et  gauche  donnent 
les  mêmes  mesures.  Et,  sur  ce  point,  il  est  important  d'observer  ici 
que  le  professeur  de  Morgan  n'avait  jamais  souffert  d'aucun  état 
paralytique  ni  d'aucun  trouble  de  la  motilité  ;  de  sorte  que  mon 
impression  première  qu'il  devait  y  avoir  eu  une  atrophie  associée  du 
lobe  latéral  opposé  du  Cervelet  (comme  dans  beaucoup  de  cas  d'atro- 
phie d'un  des  Hémisphères  Cérébraux),  ne  fut  point  trouvée  fondée. 
On  peut,  avec  raison,  s'attendre  à  cela  dans  des  cas  d'atrophie  d'un 
hémisphère  cérébral,  associée  avec  de  la  Paralysie  unilatérale;  mais 
non  dans  les  cas  où  cette  dernière  condition  n'existe  pas,  et  dans 
lesquels  un  des  Hémisphères  ne  semble  qu'imparfaitement  développé, 
parce  que  les  stimuli  qu'il  devait  recevoir  de  l'un  des  sens  les  plus 
importants,  comme  celui  de  la  Vue,  lui  ont  fait  défaut.  C'est  une 
distinction  importante  à  se  rappeler. 

On  a  pris  quelques  mesures  sur  le  Cerveau,  fort  asymétrique,  du 
célèbre  Mathématicien  (dont  les  facultés  mentales  étaient  si  grandes 
malgré  l'inégalité  de  ses  Hémisphères),  et  on  les  a  mises  en  regard 
d'autres  chiffres,  obtenus  par  des  mesures  semblables,  prises  sur  le 
Cerveau,  bien  développé,  du  journaliste  instruit  mais  relativement 
obscur.  Le  poids  de  ce  dernier  Cerveau  était  1,587  grammes  :  de  sorte 
qu'il  aurait  occupé  un  rang  élevé,  si  on  l'eût  introduit  dans  le  tableau 
donné  page  31.  On  observera  que  l'Hémisphère  gauche,  comme  c'est 
fréquemment  le  cas  (voy.  fig.  135),  est  légèrement,  mais  distinctement, 
plus  long  que  l'Hémisphère  droit. 

en  partie  par  la  maladie,  qui  avait  produit  une  émaclation  forte  et  générale, 
pendant  les  douze  derniers  mois  de  la  vie.  Il  était  fort  connu  que  le  professeur 
de  Morgan  avait  une  tête  exceptionnellement  grosse;  de  sorte  que,  si  ce  n'eût 
été  à  cause  de  son  âge  et  des  causes  sus  mentionnées  de  diminution,  le  cer- 
veau eût  probablement  pesé  plus  que  le  poids  que  l'on  put  constater  (1,496  gr.) 
L'auteur  a  trouvé,  pour  la  tête  du  professeur  de  Morgan  (presque  débarrassée 
de  cheveux),  les  mesures  suivantes  :  circonférence,  671  millimètres  ;  mesure 
longitudinale  prise  sur  le  vertex  (de  la  racine  du  nez  à  la  protubérance  occi- 
pitale), 415  millimètres;  mesure  transversale,  prise  sur  le  vertex  (d'un  méat 
auditif  externe  à  l'autre),  418  millimètres. 


CERVEAU  DE  DE  MORGAN. 


51 


MESURES  COMPARATIVES  DES  DEUX  CERVEAUX 


Do  l'extrémité  antérieure 
du  lobe  frontal  à  l'extrémité 
supérieure  du  sillon  de  Ro- 
lande : 


De  l'extrémité  supérieure 
du  sillon  de  Rolande  à  celle 
do  la  scissure  perpendicu- 
laire : 


De  l'extrémité  supérieure  de 
la  scissure  perpendiculaire  à 
l'extrémité  postérieure  du  lobe 
occipital  : 


De  Morgan 


Journaliste 


Millim. 
A  gauche  121 
A  droite    135 

A  gauche  155 
A  droite    141 


Millim. 
47 
54 

57 
61 


Millim. 
54 
54 

61 

57 


Du  sommet  du  lobe  tem- 
poral à  l'extrémité  inférieure 
du  sillon  de  Rolande  : 


De  Morgan 


Journaliste 


(  A  gauche 
(  A  droite 

A  gauche     67 
A  droite       64 


De  l'extrémité  in- 
férieure du  sillon 
de  Rolande  à  l'ex- 
trémité supérieure 
de  la  scissure  de 
Sylvius. 

Millim.  Millim. 

54  50 

57  40 


27 
23 


Du  sommet  du 
lobe  temporal  à 
l'extrémité  de  la 
scissure  de  Syl- 
vius. 

Millim. 

104 

97 

94 

87 


De  l'extrémité  de 
la  scissure  de  Syl- 
vius à  l'extrémité 
supérieure  de  ia 
£c!s3ure  perpendi- 
culaire. 

Millina. 
104 
104 

104 
108 


Une  autre  différence  notable,  que  l'on  rencontre  souvent  dans  les 
Cerveaux  Européens  d'un  type  élevé,  et  qui  sert  à  les  séparer  d'or- 
ganes comme  celui  de  la  Vénus  Hottentote  (fig.  133),  se  trouve  dans 
la  brièveté  de  la  scissure  de  Sylvius.  Elle  peut  atteindre  à  peine  à 
moitié  chemin  de  l'extrémité  supérieure  «  de  la  scissure  perpendi- 
culaire »  ;  et  peut  en  être  séparée  par  plusieurs  circonvolutions,  au 
lieu  de  ne  l'être  que  par  le  limbe  descendant  de  la  «  circonvolution 
angulaire  »,  comme  c'est  le  cas  chez  le  Chimpanzé,  ou  par  cette  cir- 
convolution et  r  «  unissante  »  supérieure,  comme  chez  les  deux 
femmes  africaines. 

La  scissure  de  Sylvius  est  tout  à  fait  allongée  chez  quelques  Quadrumanes, 
comme  par  exemple  le  Hurleur,  et  aussi  dans  le  cerveau  du  Saïmiri  repré- 
senté par  Gratiolet  '  ;  chez  ces  deux  types,  elle  s'étend  en  arrière  presque 
jusqu'à  la  grande  fente  longitudinale.  Elle  n'est  guère  moins  allongée  chez 
le  Sagouin,  le  Macaque  et  auti-es  formes  alliées  (fig.  105,  106),  et  demeure  encore 
longue,  même  chez  le  Chimpanzé  ^.  On  a  déjà  signalé  (p.  12)  que  la  longueur 
du  Lobe  Temporal  et  l'étendue  du  prolongement  postérieur  de  la  scissure  de 
Sylvius,  sont  aussi  des  caractères  remarquables  du  cei^veau  humain,  à  l'état 


1.  Anatomie  Comparée  du  Système  Nerveux.  PI.  XXIX,  fig.  11  et  12. 

2.  Gratiolet,  loc.  cit.,  pi.  XXIV,  fig.  6. 


52        CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 

foetal.  Ce  caractère  se  voit  très  bien  sur  la  figure,  donnée  par  Gratiolet,  du 
cerveau  d'un  fœtus  d'environ  six  mois  et  demi  ^. 

Ce  caractère  simiesque  et  fœtal  de  l'organe  se  révèle  aussi,  même  à  l'état 
adulte  de  quelques-uns  des  types  inférieurs  de  Cerveau  Humain.  On  le  voit,  par 
exemple,  sur  la  Vénus  Hottentote  (fig.  133)  ;  et,  à  un  degré  moindre,  chez  la 
Bosehimane  (fig.  136),  ainsi  que  dans  le  cerveau,  représenté  par  Gratiolet  '^, 
du  criminel  Fieschi  (connu  par  sa  machine  infernale),  et  ^  dans  celui  de  l'ar- 
tisan Krebs,  représenté  par  Wagner.  Toutefois,  dans  la  figure  que  Leuret  et 
Gratiolet  ont  donnée  du  cerveau  d'un  Charmas  (pi.  XIX,  fig.  1),  bien  qu'il 
existe,  sous  d'autres  rapports,  beaucoup  de  caractères  infantiles,  nous  trouvons 
la  scissure  de  Sylvius  très  courte,  tout  à  fait  comme  on  la  voit  sur  quelques- 
uns  des  cerveaux  les  mieux  développés,  celui  deGauss,  par  exemple,  et,  d'une 
façon  encore  plus  remarquable,  sur  ceux  de  Morgan  et  du  Journaliste  dont  nous 
avons  parlé.  Sur  ces  deux  derniers  cerveaux,  plus  de  la  moitié  de  la  scissure 
de  Sylvius,  telle  qu'elle  existe  chez  les  Quadrumanes,  a  été  oblitérée,  puisque 
les  mesures  prises  sur  ces  cerveaux,  de  l'extrémité  supérieure  de  la  scissure 
perpendiculaire  à  l'extrémité  postérieure  delà  scissure  de  Sylvius,  en  croisant 
le  lobe  pariétal,  sont  exactement  égales  à  celles  que  l'on  prend  de  ce  dernier 
point  jusqu'au  sommet  du  Lobe  Temporal  correspondant. 

Ce  raccourcissement  progressif  de  la  scissure  de  SylviuS  ne  paraît  pas 
avoir  été  signalé  distinctement.  Il  semblerait  cependant  que  ce  soit  un  chan- 
gement précisément  du  même  ordre  que  celui  qui  mène  à  l'oblitération  pro- 
gressive de  la  «  scissure  perpendiculaire  externe  »,  à  laquelle  les  anatomistes 
ont  prêté  beaucoup  d'attention. 


La  brièveté  sus-mentionnée  de  la  scissure  de  Sylvius  sur  les 
Cerveaux  les  mieux  développés,  tend  à  amener  une  brièveté  corres- 
pondante du  Lobe  Temporal.  La  largeur  relative  de  ce  segment  du 
Cerveau  est  aussi  décidément  réduite  dans  le  Cerveau  de  Gauss. 
Les  larges  circonvolutions  simples  du  Lobe  Temporal  de  la  Vénus 
Hottentote  (fig.  133)  contrastent  notablement  avec  les  replis,  beau- 
coup plus  complexes,  qui  leur  correspondent  dans  les  Cerveaux  des 
deux  Mathématiciens,  ainsi  que  dans  celui  du  Journaliste^. 

Le  Lobe  Occipital  a  une  profondeur  beaucoup  plus  grande  dans 
les  Cerveaux  de  Gauss,  de  De  Morgan  et  du  journaliste,  qu'on  ne  le 
voit  chez  les  types  humains  inférieurs  précédemment  décrits.  En  con- 
séquence, chez  eux,  le  bord  inférieur  et  postérieur  de  l'Hémisphère 


1.  Anatomie  Comparée  du  Système  Nerveux,  pi.  XXX,  fig.  2. 

2.  Id.,  pi.  XXII,  fig.  2. 

3.  Vorstudien,  tab.  VI,  fig.  2. 

4.  Dans  le  cerveau  du  Fœtus  de  six  mois  et  demi,  et  dans  celui  de  Fieschi, 
représentés  par  Gratiolet  [loc.  cit.,  pi.  XXX,  fig.  2,  et  pi.  XII,  fig.  2),  les  Lobes 
Temporaux  sont  à  la  fois  longs  et  larges;  tandis  que  dans  celui  de  l'Enfant  nou- 
veau-né (pi.  XXX,  fig.  3)  et  dans  celui  du  Charmas  (pi.  XIX,  fig.  1)  ces 
mômes  Lobes,  bien  que  courts,  sont  encore  extrêmement  larges. 


FORMES    SUPÉRIEURES   DU    CERVEAU. 


53 


Cérébral,  lorsqu'il  s'étend  le  long  du  côté  du  Cervelet,  est  bien  plus 
près  d'avoir  une  direction  horizontale  que  chez  aucune  des  deux  Afri- 
caines. Chez  ces  dernières,  toutefois,  on  remarque  un  perfectionne- 
ment du  même  genre,  par  comparaison  avec  ce  qui  existe  dans  les 
Hémisphères  Cérébraux  des  grands  Anthropomorphes  (p.  231,  vol.  I). 
Dans  les  formes  supérieures  du  Cerveau  humain  —  comme  ceux 
de^Gauss  et  de  De  Morgan,  ainsi  que  du  journaliste  — les  Lobes  Tem- 


FiG.  144.  —   Surface  inférieure  da  Cerveau  Humain  (Allen  Thomson). 

1,  Grande  fente  longitudinale;  3,  2',  2",  circonvolutions  de  la  surface  inférieure  du  lobe 
frontal;  3,  3,  3,  prolongement  sur  la  base  de  la  scissure  de  Sylvius  ;  4,  4',  4",  circon- 
volutions du  lobe  temporal;  5,  5',  lobo  occipital  ;  6,  pyramides  antérieures  du  bulbe; 
X,  extrémité  postérieure  du  lobe  médian  du  cervelet;  7,  8,  9,  10,  lobules  du  lobe  laté- 
ral du  cervelet;  I-IX,  nerfs  crâniens  qui  tous,  sauf  les  premiers,  se  voient  plus  com- 
plètement sur  la  figure  suivante.  Le  neuvième  nerf  du  côté  droit  a  été  enlevé  ;  X,  pre- 
mier nerf  cervical. 


poral  et  Occipital  de  chaque  Hémisphère,  pris  ensemble,  sont  beau- 
coup plus  petits,  relativement  à  la  masse  de  substance  cérébrale 
comprise  dans  les  Lobes  Frontal  et  Pariétal,  que  ce  n'est  le  cas  pour 
des  cerveaux  d'un  type  moins  élevé.  Chez  les  Quadrumanes  infé- 
rieurs également,  le  segment  Temporo-Occipital  de  l'Hémisphère,  au 


54 


CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 


lieu  d'être  beaucoup  moindre,  est  presque  égal,,  ou  parfois  légè- 
rement plus  gros  que  le  segment  Fronto-Pariétal  du  même  Hémis- 
phère. Ainsi,  les  proportions  que  l'on  rencontre  chez  les  types 
humains  inférieurs,  sont  comme  intermédiaires  entre  ce  qui  existe 

chez  les  Quadrumanes,  d'une  part, 
et,  de  l'autre,  chez  les  types  humains 
supérieurs. 

La  diminution  de  volume  du 
segment  Temporo-Occipital  chez  les 
hommes  en  général,  est  peut-être 
plus  apparente  que  réelle.  Le  très 
grand  accroissement  de  volume  des 
régions  Frontale  et  Pariétale  est,  au 
moins  en  partie,  une  autre  manière 
d'expliquer  le  changement  de  pro- 
portions relatives.  Il  est  bien  cer- 
tain que  les  circonvolutions  des 
Lobes  Temporaux  tendent  à  devenir 
plus  complexes  chez  les  cerveaux 
humains  plus  élevés;  et  il  est  égale- 
ment certain  qu'il  y  a  aussi  ten- 
dance à  une  augmentation  réelle  de 
volume  des  Lobes  Occipitaux.  Dans 

FiG.  145.  —  Face  inférieure  des  Pédon-  i  i         i  /    i  , 

cules  Cérébraux,  de  la  Protubérance  leS  CerVOaux  les  pluS  developpeS,  CCS 

et  du  Bulbe,  montrant  les  connexions  LobOS  deviennent    pluS   profouds,  et 

des  nerfs   crâniens    (Sappey,    d'après  ^^^^^j     j^^      j^j^^g  ^^      j^^g  arroudis.  Il 
Hirschfeld).  ^  ^  ^ 

y  a,  en  outre,  un  accroissement  no- 
table dans  la  complexité  des  Circon- 
volutions Occipitales. 

Ce  dernier  point  est  d'une  impor- 
tance considérable,  et  n'est  pas  tou- 
jours suffisamment  présent  à  l'esprit 
de  ceux  qui  insistent  sur  le  grand 
volume  des  Lobes  Occipitaux  chez 
beaucoup  de  Quadrumanes.  Si  ces 
parties  semblent,  relativement,  plus 
petites  chez  l'homme,  il  ne  faut 
point  oublier  que,  chez  les  Singes 
ordinaires  et  les  Anthropomorphes,  leur  surface  est  lisse  et  relative- 
ment privée  de  circonvolutions;  tandis  que,  chez  l'Homme, l'étendue 
de  la  substance  grise  superficielle  s'accroît  énormément,  relative- 
ment à  leur  volume,  à  raison  du  nombre  et  de  la  profondeur  des 
plis  de  leur  surface. 

Ainsi  donc,  dans  le  Cerveau  de  l'Homme,  c'est  moins  des  parties 


1,  Infundibulum  du  corps  pituitaire  ;  2, 
portion  du  plancher  du  troisième  ven- 
tricule; 3,  tubercules  mamillaires  ;  4, 
pédoncules  cérébraux  ;  5,  protubé- 
rance annulaire  ;  6  nerfs  optiques,  se 
croisant  sur  la  ligne  médiane  de  ma- 
nière à  former  un  chiasma  ;  7,  oculo- 
moteur  commun  ;  8,  pathétique  ;  9,  tri- 
jumeau ;  10,  oculo-moteur  externe  ; 
11,  facial;  12,  auditif;  13,  nerf  de 
"Wrisberg;  14,  glosso-pharyngien ;  15, 
vague,  ou  pneumogastrique  ;  16,  spi- 
nal; 17,  grand  hypoglosse  (coupé  d'un 
côté). 


DÉVELOPPEMENT  ASYMÉTRIQUE. 


55. 


OU  des  régions  nouvelles  que  nous  rencontrons,  qu'un  énorme 
développement  de  parties  et  de  régions  préexistantes.  En  outre,  le 
degré  d'accroissement  de  ce  développement  n'est  point  le  même 
partout.  Ces  deux  faits  sont,  tous  deux,  très  significatifs  au  point  de 
vue  psychologique,  —  et  surtout  au  point  de  vue  de  cette  Psychologie 
qui  a  sa  base  dans  la  Philosophie  générale  de  l'Évolution. 

Une  des  particularités  les  plus  remarquables  du  Cerveau  humain, 
c'est  que,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  ses  deux  Hémisphères  ne- 
sont  pas  développés  d'une  manière  tout  à  fait  symétrique. 

1°  Bien  que  la  situation  des  Scissures  primaires  soit  sujette  à 
peu  de  variations  dans  les  deux  Hémisphères^  cependant,  sur  les 


Fie.  146.  —  C(  11^      i  11  i     '•'1     I  obe  Occipitalgauche  d'une  Cerveau  Humain, 
pour  montrer  le  nombre  et  la  profondeur  des  replis  de  sa  surface. 

Cerveaux  les  plus  riches  en  Circonvolutions,  beaucoup  des  Circon- 
volutions séparées  peuvent  présenter  des  différences  dans  le  nombre 
et  l'arrangement  de  leurs  replis  ou  indentations.  De  là  peuvent 
provenir  de  légères  différences  dans  l'aspect  des  Circonvolutions 
qui  se  correspondent  des  deux  côtés  du  Cerveau;  bien  que  les 
régions  où  la  dissimilarité  est  la  plus  marquée  ne  soient  point 
du  tout  nécessairement  les  mêmes  chez  différents  individus,  de 
même  la  complexité  la  plus  grande  ne  se  trouve  point  toujours,  sur 
le  même  Hémisphère,  dans  ces  différentes  régions. 

Il  y  a  encore  beaucoup  à  apprendre  sur  ces  points;  mais  on  est 
tout  à  fait  autorisé  à  conclure,  d'une  manière  générale,  que  ce 
développement  asymétrique  des  circonvolutions  est,  chez  les  Races 
Humaines  inférieures,  seulement  un  peu  plus  marqué  que  chez  les 
Singes  supérieurs;  et  qu'il  s'accentue  de  la  manière  la  plus  distincte 
dans  les  Cerveaux,  très  riches  en  circonvolutions,  qui  appartien- 


56        CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 

nent  à  des  représentants  des  Races  Humaines  supérieures,  ou  plus 
civilisées. 

2°  Divers  anatomistes  ont  remarqué  que  PHémisphère  gauche  est, 
très  fréquemment,  un  peu  plus  long  que  son  homologue;  de  sorte 
que  le  sommet  du  Lobe  Occipital  gauche  peut  se  projeter  dis- 
tinctement en  arrière  de  celui  du  côté  droit. 

3°  L'auteur  a  remarqué,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  qu'il 
existe  fréquemment  une  différence  bien  nette  dans  la  forme  des 
sommets  des  Lobes  Occipitaux  i,  —  celui  du  côté  gauche  étant  ordi- 
nairement atténué  et  irrégulièrement  conique  ;  tandis  que  le  droit 
est  souvent  plutôt  aplati  à  l'extrémité,  et  porte,  à  son  bord  interne, 
une  dépression,  ou  sillon,  de  7  millimètres  environ  de  large  (fig.  1^7). 
La  direction  du  sillon  est  de  bas  en  haut,  et  aussi  en  dedans  et  en  avant. 

Dans  un  grand  nombre  de  Cerveaux,  et,  semblerait-il,  surtout 
dans  ceux  de  Femmes,  cette  conformation  du  Lobe  Occipital  droit 
existe  à  un  degré  bien  marqué.  Dans  d'autres,  elle  ne  l'est  que  peu  ; 
tandis  que,  dans  de  rares  occasions,  un  sillon  plus  ou  moins  évident 
existe  de  chaque  côté.  Dans  un  nombre  de  cas  encore  plus  petit, 
on  rencontre  un  sillon  au  sommet  du  Lobe  Occipital  gauche,  et  non 
du  Lobe  droit;  ou  bien  encore  il  peut  manquer  des  deux  côtés  ^ 

Les  Circonvolutions  Occipitales ,  à  l'endroit  du  sillon,  sont 
nettement  déprimées;  mais  on  n'a  jamais  rencontré  de  saillie  de  la 
surface  intérieure  du  crâne,  ou  d'épaississement  des  membranes,  qui 
puisse  rendre  compte  de  sa  formation.  Dans  ces  derniers  temps, 
l'auteur  a  adopté  l'opinion  que  ce  «  sillon   occipital  »  est  dû  à  la 

1.  L'auteur  a  depuis  appelé  l'attention  là-dessus  dans  les  Transact.  of  Pa- 
tholog.  Society,  1869,  vol.  XX,  p.  4. 

2.  Dans  trente-cinq  autopsies  consécutives,  la  condition  des  Lobes  Occipi- 
taux a  été  notée,  soit  par  moi-môme,  soit  par  MM.  J.-T.  Gadsby  et  C.-E.  Beevor 
—  alors  mes  habiles  assistants  à  University  Collège  hospital  —  en  vue  de  s'as- 
surer de  la  fréquence  relative  de  ces  différentes  conditions.  Les  résultats  sont 
compris  dans  les  tableaux  suivants  : 


TABLEAU   I. 

SEXE. 

COTÉ. — — ^  TOTA 

Masc.      Fém. 

Droit 15             13  28 

Gauche 1              1  2 

Deux  côtés ....        3              1  4 

Manque 1              0  1 

20            15  35 


TABLEAU    IL 

SEXE. 

Masc.  Fém 

3  17 

2  8                          7 

1  10                        1 

0  10 

20  15 


Dans  le  tableau  II,  le  chiffre  3   signifie  que   le  sillon  était  très  bien  mar- 
qué; 2,  assez  bien:  et  1,  légèrement. 


DÉVELOPPEMENT  ASYMÉTRIQUE. 


57 


pression  exercée  par  l'extrémité  postérieure  du  sinus  longitudinal 
et  le  côté  droit  du  pressoir  d'Hérophile,  ou  point  de  rencontre  des 
sinus  veineux  (fig.  lZi8.).  On  ne  voit  pas  très  bien  pourquoi  cette 
pression  doit  s'exercer  plutôt  sur  le  côté  droit  que  sur  le  gauche. 
Cela  est  peut-être  dû  au  léger  accroissement  de  longueur  de  l'Hé- 
misphère gauche,  qui  appuie  en  arrière  sur  le  côté  gauche  du 
pressoir,  et  détourne  ainsi  vers  la  droite  un  courant  plus  considé- 
rable du  sang  qui  coule  dans  le  sinus  longitudinal.  Il  y  a,  en  effet, 
longtemps  que  l'on  a  remarqué  que  le  sillon  qui,  sur  l'os  occipital, 


Fis.  147.  —  Vue  postérieure  des  Lobes  Occipitaux  et  du  Cervelet,  montrant  le  sillon  occi- 
pital au  bout  de  l'Hémisphère  droit  (d'après  un  dessin  de  V.  Horsley).  1,  le  Sillon  ; 
2,  2,  scissure  perpendiculaire  externe  ;  C,  C,  Cervelet. 

correspond  au  Sinus  latéral  droit,  est  souvent  nettement  plus  large 
que  celui  du  sinus  gauche  ^,  —  montrant  ainsi  d'une  façon  con- 
cluante que,  dans  tous  ces  cas  du  moins,  le  courant  sanguin  le  plus 
considérable  a  coutume  de  sortir  du  crâne  de  ce  côté-là. 

k°  Le  docteur  Boyd  avait  dit  que  l'Hémisphère  gauche  était 
généralement  plus  lourd  que  le  droit,  de  près  de  ik  grammes. 
Toutefois,  quelques  observateurs  ont  mis  en  doute  qu'il  s'agit  là 
d'une  condition  ordinaire  ;  et  d'autres  le  nient  positivement.  Quel- 
ques-uns de  ces  derniers  affirment  même  que,  bien  qu'il  existe 
souvent  une  différence,  la  supériorité  de  poids  est  plus  souvent  en 
faveur  de  l'Hémisphère  droit  que  du  gauche.  Ce  point  ne  saurait 
peut-être  actuellement  être  décidé  d'une  manière  définitive.  Il  est 
évident  qu'il  est  nécessaire  de  prendre  de  très  grandes  précautions, 


1.  Voy.  fig.  23  de  l'Anatomy  de  Gray  (3*  édition),  où   cet  état  est  bien  re- 
présenté. 


58 


CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 


en  coupant  les  «pédoncules  cérébraux  »  et  le  «  corps  calleux»,  avant 
de  peser  comparativement  les  deux  Hémisphères,  et  que  les  pesées 
elles-mêmes  demandent  à  être  faites  avec  le  plus  grand  soin. 

5°  L'auteur  s'est  assuré,  il  y  a  déjà  de  longues  années^  que  le 
poids  spécifique  de  la  Substance  Grise  des  circonvolutions  frontales, 
pariétales  et  occipitales,  respectivement,  est  souvent  un  peu  plus 
élevé  sur  l'Hémisphère  gauche  que  sur  le  droit;  bien  que  cette 
densité  supérieure  n'existe  pas,  nécessairement,  dans  chacune  de 
ces  régions,  sur  le  môme  individu  ^  Ce  résultat  inattendu  se  montra 


FiG.  148.  —  Vue  postérieure  Diagrammatiquo  de  la  Dure-mère  et  des  Grands  Sinus  Vei- 
neux (Todd).  La  portion  postérieure  du  Crâne  et  les  arcs  postérieurs  des  premières 
vertèbres  sont  supposés  enlevés,  s,  sinus  longitudinal;  t,  pressoir  d'Hérophile,  où  les 
sinus  longitudinal  et  occipital  se  rencontrent,  et  d'où  partent  les  sinus  latéraux  (<?). 


souvent,  bien  que  pas  toujours,  même  après  qu'on  eut  pris  soin 
d'écarter  toute  cause  d'erreur.  Il  y  a  toutefois  aussi  besoin  d'autres 
observations  sur  ce  sujet;  et  l'on  devrait  essayer  de  la  même 
manière  d'autres  circonvolutions  que  celles  nommées  ci-dessus  -. 


1.  Voy,  :  Journal  of  Mental  Science,  Jaii.  1866,  p.  493.* 

2.  Un  accroissement  du  nombre  de  processus  intercellulaires  et  de  fibres 
commissurales  fines,  à  l'intérieur  de  la  Substance  Grise,  pourrait  causer  un 
léger  accroissement  de  densité,  en  rapprochant  cette  matière  de  la  «  substance 
blanche  »,  plus  dense. 


CERVELET. 


59 


LE     CERVELET     ET     SES     LOBES. 

Le  Cervelet,  ou  «  petit  Cerveau  »,  est,  dans  la  position  redressée  du 
corps,  situé  en  arrière  et  au-dessus  de  la  Protubérance  et  du 
Bulbe  (fig.  132),  et  repose,  dans  une  cavité  postérieure  du  crâne,  au- 
dessous  des  Lobes  Occipitaux,  dont  il  n'est  séparé  que  par  une 
paroi  membraneuse.  Cette  membrane,  nommée  la  Tente  du  Cer- 
velet, est  un  prolongement  horizontal  interne  de  la  «  dure-mère  »• 


FiG.  149.  —  Face  supérieure  du  Cervelet  (Sappej^,  d'après  Hirschfeld).  1,1,  Vermis  supé- 
rieur (lobe  moyen)  dont  l'extrémité  antérieure  a  été  repoussée  en  arrière,  pour  mon- 
trer les  Tubercules Quadrijutn eaux;  2,  extrémités  postérieures  des  vermis  supérieur  et 
inférieur  et  de  la  fente  médiane  du  Cervelet  ;  3,  grande  scissure  périphérique  ;  4, 
grande  scissure  de  la  face  supérieure,  qui  divise  cette  face  en  deux  segments  prin- 
cipaux; 5,  segment  postérieur  en  forme  de  croissant;  6,  6,  6,  6,  segment  antérieur, 
quadrilatéral,  et  composé  de  cinq  segments  secondaires  recourbés,  semblables  au 
précédent  :  chacun  de  ces  segments  est  composé  de  lames  de  dimensions  différentes, 
intimement  rapprochées,  et  séparées  par  des  scissures  de  profondeur  variable;  7,  "7, 
coupe  des  Pédoncules  Cérébraux;  8,  commissure  postérieure  du  Cerveau;  9,  Tuber- 
cules Quadrijumeaux. 


Les  Lobes  Occipitaux  reposent  sur  elle  en  dessus,  tandis  que  la  sur- 
face supérieure  du  Cervelet  est  en  contact  avec  sa  face  inférieure. 

On  a  déjà  parlé  de  la  relation  de  poids  entre  le  Cervelet  et  le 
Cerveau,  ainsi  que  du  grand  développement  progressif  des  «  lobes 
latéraux  »  de  ce  premier  organe  chez  les  Quadrumanes,  et  encore 
plus  chez  l'Homme,  relativement  au  Lobe  Médian,  —  qui  devient, 
chez  ce  dernier,  proportionnellement  fort  petit. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  ici  en  détail  sur  le  développement 
relatif  des  diverses  parties  du  Cervelet,  quoique  le  lecteur  puisse 
apprendre  le  nom  de  ces  parties,  en  étudiant  avec  soin  les  figures 


60        CONFIGURATION  EXTERNE  DU  CERVEAU    HUMAIN. 

149  et  150  et  leurs  légendes.  L'étude  comparative  des  diverses 
parties  du  Cervelet  n'a  point,  en  effet,  attiré  l'attention  des  travail- 
leurs en  général,  autant  que  celle  du  Cerveau;  et  même,  s'il  en  eût 
été  autrement,  l'importance  tout  à  fait  subordonnée  de  cet  organe, 
par  rapport  à  la  Pensée,  nous  autoriserait  à  nous  arrêter  beaucoup 
moins  sur  son  anatomie  extérieure  ^. 

Toute  la  surface  externe  du  Cervelet  est  marquée  d'un  très  grand 
nombre  de  «  scissures  »,  dont  quelques-unes  sont  beaucoup  plus 
profondes   que  d'autres.  Ces  scissures  profondes  sont  en  nombre 


FiG.  150.  — Face  Inférieure  du  Cervelet  (Sappey,  d'après  Hirschfeld).  1,  1,  Vermis  infé- 
rieur; 2,  3,  fente  médiane  du  Cervelet;  3,  3,  3,  lobes  et  lobules  des  hémisphères  céré- 
belleux; 4,  amygdale;  5,  lobule  du  pneumo-gastrique  ;  6,  protubérance;  7,  son  sillon 
médian  ;  8,  pédoncule  moyen  du  cervelet  ;  9,  surface  coupée  du  bulbe  ;  10,  extrémité 
antérieure  de  la  grande  scissure  périphérique;  11,  bord  antérieur  de  la  surface  supé- 
rieure du  cervelet;  13,  racine  motrice  du  trijumeau;  13,  sa  racine  sensitive;  14,  oculo- 
moteur  externe;  15,  facial;  16,  nerf  de  Wrisberg;  17,  nerf  auditif;  18,  glosso-pha- 
ryngien  ;  19,  pneumogastrique;  30,  spinal;  31,  hypoglosse. 

relativement  petit,  et  constituent  les  limites  des  divers  lobes  et 
lobules  de  l'organe.  Entre  elles,  il  s'en  trou've  d'autres,  arrangées 
d'une  manière  plus  ou  moins  concentrique,  et  qui  varient  beaucoup 
en  longueur  et  en  profondeur.  On  a  estimé  à  six  ou  huit  cents  le 
nombre  de  ces  scissures  de  second  ordre.  Elles  divisent  la  surface 
du  Cervelet  en  une  multitude  de  lames,  dont  on  appréciera  mieux 
la  nature  et  l'arrangement  en  examinant  les  figures  156,  162  et  166. 
D'après  Marshall,  le  Cervelet  de  la  Boschimane  était  proéminent 
sur  les  côtés,  et  proportionnellement  plus  large  et  plus  long  que 

1.  Stilling  a  publié  un  travail  approfondi  et  richement  illustré,  sous  le  titre  : 
Bau  des  kleinen  Gehirns. 


CERVELKT.  Cl 

chez  l'Européen;  bien  que  son  contourne  fût  ni  aussi  plein  ni 
aussi  arrondi,  et  que  sa  masse  réelle  fût  moindre.  Le  résultat  de  ces 
laborieuses  recherches  comparatives  est  que  «  le  nombre  des  lames 
du  Cervelet  de  la  Boschimane  s'accorde  tout  à  fait  avec  ce  qui 
existe  chez  l'Européen;  les  difTérences  n'étant  probablement  que 
celles  que  l'on  pourrait  rencontrer  entre  des  individus  de  même 
race.  »  Leur  nombre  relatif  dans  les  diverses  parties  fut  toutefois 
trouvé  différent  pour  quelques-uns  des  plus  petits  lobes  ;  et  beaucoup 
de  lames  étaient  aussi  plus  petites  et  plus  minces.  Le  léger  défaut 
de  poids  du  Cervelet  de  la  Boschimane  ((  dépend  essentiellement, 
d'après  Marshall,  non  de  l'absence  de  certaines  parties  ou  de  cer- 
taines lames,  mais  de  l'étroitesse  de  ces  dernières;  car  elles  sont 
évidemment  beaucoup  plus  minces  que  chez  l'Européen».  Somme 
toute,  il  considère  que  «  le  Cervelet  de  la  Boschimane  est  très  bien 
développé;  et  que,  en  tant  qu'organe,  il  est  beaucoup  plus  parfait 
que  son  Cerveau.  » 

SIGNIFICATION    DU    GRAND     DEVELOPPEMENT 

DES     CIRCONVOLUTIONS      SUR      LES     HEMISPHERES     CÉRÉBRAUX 

DE      l'homme. 

Après  la  description  précédente  de  la  configuration  extérieure 
du  Cerveau  Humain,  et  maintenant  que  l'on  a  exposé  en  détail  les 
différences  qui  existent  entre  lui  et  celui  des  Singes  supérieurs,  il  peut 
se  présenter  naturellement  à  l'esprit  du  lecteur  des  questions  de  ce 
genre  :  —  Quelle  est  la  signification  précise  de  ce  développement  plus 
complexe  des  Circonvolutions  du  Cerveau  de  l'Homme?  —  Quelle 
signification  faut-il  attribuer  au  manque  de  symétrie  dans  le  dévelop- 
pement des  Circonvolutions  correspondantes  des  deux  Hémisphères? 

On  a  déjà  signalé  précédemment  qu'il  y  a  trois  types  principaux 
d'arrangement  des  circonvolutions  :  (1)  celui  des  Herbivores,  (2)  celui 
des  Carnivores  et  des  Cétacés,  (3)  celui  des  Quadrumanes  et  de 
l'Homme .  Nous  avons  vu  également  que,  dans  chacun  de  ces  grands 
groupes,  le  développement  des  Circonvolutions,  particulier  à  une 
espèce  donnée,  a  jusqu'ici  semblé  dépendre  principalement  du 
volume  ordinairement  atteint  par  les  animaux  ^  ;  —  que  ceux  qui 
sont  petits  peuvent  n'en  point  avoir,  tandis  que  des  animaux  pro- 
ches alliés,  mais  d'une  plus  grande  taille,  peuvent  en  avoir  de  plus 
ou  moins  développées. 

Voici  ce  que  Vogt  dit  sur  la  raison  de  ce  plus  grand  dévelop- 
pement chez  des  animaux  de  taille  plus  forte ^  : 

1.  Voy.  vol.  P--,  p.  213. 

2.  Lectures  on  Man.  p.  10.5. 


«2        CONFIGURATION  EXTERNE    DU  CERVEAU  HUMAIN. 

«  Heureusement  les  mathématiques  viendront  ici  à  notre  secours.  Si  l'on 
compare  deux  corps  de  forme  semblable,  mais  de  volume  différent,  leurs  volu- 
mes respectifs  varient  comme  le  cube  de  leurs  diamètres,  tandis  que  leurs  sur- 
faces ne  varient  que  proportionnellement  aux  carrés  de  ces  diamètres  ;  en 
d'autres  termes,  le  volume  d'un  corps  s'accroît  plus  rapidement  que  sa  surface, 
et  celle-ci  plus  rapidement  que  le  diamètre.  Tout  artilleur  sait  bien  qu'un 
boulet  de  douze,  bien  que  trois  fois  aussi  lourd  qu'un  boulet  de  quatre,  est 
loin  d'avoir  un  diamètre  trois  fois  plus  grand...  En  appliquant  ce  principe  à 
la  tête,  et  spécialement  au  crâne  des  animaux,  on  verra  que,  dans  chaque 
groupe  naturel  ou  ordre  de  mammifères,  la  tête,  et  en  particulier  la  capacité 
crânienne,  est  avec  le  corps  dans  une  relation  à  peu  près  constante  chez  les 
diverses  espèces...  ;  que  la  surface  intérieure  de  la  boîte  crânienne  est  relati- 
vement moindre  chez  les  gros  animaux,  et,  par  conséquent,  que  pour  avoir 
une  surface  semblable  de  substance  grise,  le  cerveau  doit  présenter  des  cir- 
convolutions chez  les  gros  animaux,  tandis  qu'il  peut  demeurer  lisse  chez  les 
petits.  » 

Si  donc  nous  envisageons  à  un  point  de  vue  large  et  général  le 
problème  du  degré  d'importance  à  attaclier  à  la  grande  complexité 
des  Circonvolutions  cérébrales  cliez  l'Homme,  il  pourra  sembler,  à 
première  vue,  que  c'est  là  un  apanage,  une  suite  nécessaire  du 
volume  du  corps  de  l'Homme,  relativement  à  celui  des  Singes  ordi- 
naires et  des  Antliropomorphes.  Sous  le  rapport  du  développement 
de  ses  Circonvolutions,  l'Homme  semble  tenir,  de  beaucoup,  la  tête 
du  type  Quadrumane,  comme  l'Éléphant  tient  celle  du  type  Her- 
bivore et  les  gros  Cétacés  celle  du  type  Carnivore.  De  plus,  le  Cer- 
veau de  l'Éléphant  et  celui  des  Cétacés  montrent  (comme  celui  de 
l'Homme)  un  manque  de  symétrie  fort  net,  sous  le  rapport  de  la 
disposition  précise  et  de  la  forme  des  Circonvolutions  correspon- 
dantes des  deux  Hémisphères.  H  semble  donc  tout  d'abord  que  l'on 
soit  autorisé  à  penser  que  le  manque  de  symétrie  peut  accompa- 
gner, comme  une  sorte  d'accident  mécanique,  la  grande  complexité 
des  Circonvolutions  ;  et  que  ce  dernier  caractère,  si  l'on  compare  des 
animaux  de  groupes  alliés,  est  principalement  en  relation  avec  le 
volume  de  leur  corps  et  la  capacité  de  leur  Crâne. 

Mais  il  ne  faut  point  oublier  d'autres  considérations  importantes. 
Ainsi,  comme  le  dit  Vogt,  il  faut  avoir  présent  à  l'esprit  que  la  capa- 
cité crânienne  de  l'Homme  est,  proportionnellement  au  volume  de 
l'individu,  énormément  plus  grande  que  chez  aucun  des  Anthro- 
pomorphes; et  que,  malgré  ce  très  grand  accroissement  de  capacité 
de  la  chambre  cérébrale,  l'augmentation  de  surface,  ainsi  obtenue 
pour  la  substance  grise  superficielle  du  Cerveau,  est  loin  d'être  suf- 
fisante pour  les  besoins  de  la  vie  intellectuelle  et  morale  de  l'Homme  ; 
il  faut  encore  que  cette  surface  soit  accrue  par  d'autres  replis 
secondaires  des  Circonvolutions  Cérébrales. 


CAUSES  DU   DÉVELOPPEMENT  Dl-lS  CJIlCON VOLUTIONS.    G3 

Une  preuve  frappante  de  ces  considérations  de  première  impor- 
tance se  trouvera  dans  ce  fait,  que  le  développement  des  Circonvo- 
lutions du  Gorille  est  beaucoup  plus  simple  que  celui  de  Fllomme, 
bien  que  la  capacité  crânienne  des  types  les  plus  inférieurs  de 
l'humanité  soit  de  beaucoup  supérieure  à  celle  du  Gorille;  et  cela, 
quoique  le  volume  du  corps  de  ce  grand  Singe  dépasse  souvent 
celui  de  PHomme.  Ainsi  donc,  nous  avons  un  accroissement  de  com- 
plexité des  Circonvolutions,  se  montrant  dans  le  Cerveau  de  l'Homme 
sous  des  conditions  générales  doublement  contraires,  qui  rendent 
cet  accroissement  encore  plus  significatif  de  l'énorme  progrès  qui 
s'est  accompli  dans  le  développement  du  Cerveau. 

Si  l'on  considère,  en  outre,  que  l'accroissement  de  complexité 
des  Circonvolutions,  en  passant  des  Races  Humaines  inférieures  aux 
Races  supérieures,  est  également  associé  à  un  énorme  accroissement 
de  la  «  capacité  crânienne  »  et  du  poids  du  Cerveau,  —  bien  que  la 
stature  du  corps  demeure  pratiquement  la  même,  —  on  trouve  là 
une  preuve  de  plus  du  vaste  développement  des  Hémisphères,  qui 
s'est  produit  durant  la  longue  suite  de  siècles  où  les  ancêtres  des 
races  civilisées  actuelles  sont  sortis  graduellement  de  l'état  de  bar- 
barie primitive. 

Le  grand  développement  des  Circonvolutions  du  Cerveau  de 
l'Homme  a  donc  une  signification  incomparablement  plus  grande 
que  celui  que  l'on  trouve  chez  l'Éléphant  ou  les  Cétacés;  car,  chez 
lui,  ce  n'est  clairement  pas,  comme  cela  est  dans  une  grande  mesure, 
chez  ces  animaux,  une  simple  conséquence  de  l'augmentation  de 
volume  du  corps. 

Il  est  cependant  fort  possible  que  la  relation  entre  la  grande 
complexité  des  Circonvolutions  du  Cerveau  Humain  et  les  acquisi- 
tions intellectuelles  et  morales,  soit  plutôt  générale  que  spéciale  et 
invariable.  Cette  relation  peut  être  fort  semblable  à  celle  qu'on  a 
montré  exister,  chez  les  Hommes,  entre  les  Poids  cérébraux  élevés 
et  les  Acquisitions  et  Facultés  Mentales  supérieures.  Ces  coïncidences 
tendent  décidément  à  prévaloir;  et  cependant,  comme  nous  l'avons 
vu,  on  peut  y  rencontrer,  de  temps  à  autre,  de  notables  exceptions. 
On  verra  plus  loin  qu'il  existe  une  inégalité  fonctionnelle  entre 
les  deux  Hémisphères  Cérébraux;  de  sorte  que  le  développement 
asymétrique  de  leurs  Circonvolutions,  autrement  correspondantes, 
peut  être,  en  partie  du  moins,  dû  à  ce  fait. 


CHAPITRE   XXII 

DE    l'intelligence    ANIMALE     A    l'iNTELLIGENCE    HUMAINE 


«  L'Homme,  comme  être  doué  de  Raisonnement,  dépend  de  la 
forme  de  Langage  qu'il  emploie,  à  un  degré  que  l'on  ne  saurait 
guère  estimer  trop  haut.  C'est,  en  grande  partie,  en  vertu  du  Lan- 
gage qu'il  arrive  à  poursuivre,  avec  tant  d'habileté  et  de  perfection, 
des  processus  mentaux  compliqués;  et  si,  en  essayant  de  jeter  un 
pont  sur  le  vaste  abîme  intellectuel  et  moral  qui  sépare  l'Homme 
des  animaux  inférieurs  les  plus  élevés,  nous  disons  que  lui  seul 
possède  la  faculté  de  parler  et  de  se  servir  du  Langage  Articulé,  nous 
touchons  probablement  là  à  la  faculté  qui,  infiniment  plus  que  toutes 
les  autres,  a  eu  affaire  avec  le  progrès  graduel  qui  semble  s'être 
produit  pendant  les  âges  écoulés,  —  progrès  qui  a  permis  à  cer- 
taines races  humaines  de  parcourir  la  multitude  des  degrés  de  civi- 
lisation qui  séparent  ceux  qui  vivaient  à  l'état  sauvage  de  ceux  qui 
constituent  aujourd'hui  la  fleur  de  la  civilisation  Européenne.  Si 
donc  la  possession  du  Langage  Articulé  et  les  nouveaux  talents  qui 
en  proviennent  de  transmettre  la  pensée  au  moyen  de  signes  écrits 
ou  imprimés,  ont  eu  une  influence  aussi  surprenante,  en  aidant  cer- 
taines races  à  s'élever  d'une  condition  de  barbarie  complète,  il 
semble  encore  plus  certain  que  la  Pensée,  dans  tous  ses  modes  supé- 
rieurs, ne  saurait  point  s'exercer  sans  l'aide  d'un  Langage  d'une 
nature  quelconque.  » 

Ce  passage,  qui  formait  l'introduction  d'un  article  sur  la 
Physiologie  de  la  Pensée,  paru  il  y  a  quelques  années  déjà^  peut 
être  pris  pour  texte  du  présent  chapitre. 

Des  vues  très  semblables  à  celles-ci  avaient  déjà  été  appuyées 
par  Herbert  Spencer,  Huxley  et  autres;  et,  depuis  lors,  elles  ont 
beaucoup  gagné  dans  le  public,  grâce  surtout  à  la  manière  habile 
dont  elles  ont  été  défendues  par  quelqu'un  dont  nous  avons  aujour- 
d'hui à  déplorer  la  perte.  Bien  que  les  doctrines  formulées  par 
G. -H.  Levves  ne  fussent   peut-être  pas  aussi  neuves  que  son  lan- 

■1.  The  Physiology  of  Ihinliinçj.  —  Fortniglithj  Review.  Janvier  1869. 


ANALYSE    DU  LANGAGE.  65 

gage  semble  l'impliquer,  il  leur  a  cependant  prêté  une  nouvelle  force, 
et  les  a  développées  d'une  manière  plus  complète  et  plus  précise 
que  cela  n'avait  été  fait  par  d'autres  écrivains. 

L'usage  le  plus  évident  du  Langage,  c'est  assurément  de  servir 
à  faire  communiquer,  d'une  manière  déterminée,  l'Homme  avec 
l'Homme.  Dans  ses  Lois  de  la  Pensée  {Laivs  ofThoughl,  pages  37-39  et 
Zi7),  Thomson  dit  :  «  Nous  pourrions,  pour  certains  usages,  nous  dis- 
penser du  langage  articulé  ;  les  gestes  et  les  changements  de  conte- 
nance, qui  sont  le  langage  de  l'action,  en  tiendraient  lieu.  Mais  les 
actes  et  les  jeux  de  physionomie,  bien  qu'ils  puissent  servir  à 
exprimer  l'amour  ou  la  haine  pour  quelque  objet  présent,  le 
besoin  de  nourriture  ou  de  repos,  la  joie  ou  la  tristesse,  ne  sau- 
raient exprimer  qu'une  série  fort  restreinte  de  pensées,  si  nous 
voulions  indiquer  nos  sentiments  envers  une  personne  absente, 
notre  désir  de  quelque  chose  d'éloigné,  ou  diriger  l'attention  sur 
quelque  état  ou  sentiment  intérieur...  11  est  donc  nécessaire  d'ap- 
pliquer à  chaque  objet  un  signal  toujours  utile,  que  tous  les 
hommes,  par  une  convention  tacite,  acceptent  comme  remplaçant 
l'objet,  et  qui,  par  conséquent,  toutes  les  fois  qu'il  est  employé, 
rappelle  l'objet  à  l'imagination  ;  ce  signal  est  un  substantif  ou  nom. 
Toutefois,  les  noms  représentent  des  choses,  et  les  différents  états 
des  choses  doivent  aussi  trouver  une  expression  ;  de  là,  le  besoin 
d'adjectifs  et  de  verbes.  Le  verbe  a  le  pouvoir  d'assigner  à  la  chose, 
à  un  temps  donné,  la  condition  d'être,  de  faire,  ou  de  subir  quelque 
chose...  Lorsque  deux  ou  plusieurs  noms  sont  employés  ensemble,  il 
est  souvent  nécessaire  d'exprimer  leurs  relations  mutuelles;  une 
chose  peut  être  à,  de,  par,  dans,  près  de,  au-dessus,  ou  au-dessous 
d'une  autre;  et  l'on  introduit  des  prépositions  pour  le  déterminer. 
Il  y  a  donc  quatre  parties  principales  du  langage  :  les  substantifs, 
ou  noms,  pour  exprimer  les  substances;  les  adjectifs,  pour  indiquer 
les  attributs;  les  prépositions,  pour  marquer  les  relations;  et  un  seul 
verbe,  pour  assigner  attributs  ou  relations  aux  substantifs,  à  un 
temps  déterminé... 

«  Les  différentes  parties  du  langage  ont  tiré  leur  origine  du  sub- 
stantif et  du  verbe,  ou  peut-être  du  substantif  seul.  On  peut  trouver 
beaucoup  d'adverbes  et  de  prépositions  qui  sont  nettement  sub- 
stantives,  et  de  conjonctions  qui  ne  sont  que  des  parties  de  verbes. 
En  outre,  la  connexion  intime  entre  le  substantif  et  le  verbe  est 
indiquée  par  le  nombre  de  mots  qui,  dans  notre  propre  langue,  sont 
à  la  fois  verbes  et  substantifs,  et  ne  se  distinguent  que  par  la  pro- 
nonciation... 

«  Il  est  impossible  de  suivre,  avec  certitude,  la  croissance  du 
langage  ;  mais  ce  qui  est  le  plus  probable,  c'est  qu'un  grand  nombre 
des  racines  de  la  langue  primitive  ne  furent  originairement  que  des 

Charlton-Bastian.  —  II.  5 


66     IJNTELLIGENCE  ANIMALE  ET  INTELLIGENCE  HUMAINE. 

imitations  de  sons  variés,  émis  par  les  choses  du  monde  naturel.  Un 
oiseau  ou  un  animal  reçut  peut-être  un  nom  dérivé  de  son  cri  par- 
ticulier, et  plus  ou  moins  semblable  à  ce  cri.  Le  cri,  ou  l'exclamation, 
que  l'Homme  émettait  instinctivement  sous  la  pression  de  quelque 
sentiment  violent,  aura  été  reproduit  d'une  manière  consciente 
pour  représenter  ou  rappeler  ce  sentiment  dans  une  autre  occasion: 
et  sera  devenu  un  mot  ou  signe  secondaire.  Lorsque  les  sons  naturels 
ont  fait  défaut,  l'analogie  aura  pris  la  place  de  l'imitation  ;  les  mots 
durs  et  difficiles  à  prononcer  auront  été  employés  pour  désigner  des 
objets  déplaisants,  de  préférence  à  des  mots  d'un  caractère  plus 
facile  et  plus  doux,  que  l'on  aura  appliqués  à  des  choses  et  à  des 
conceptions  agréables.  Puis,  il  a  suffi  de  l'accord  entre  ceux  qui  se 
servaient  du  langage,  pour  désigner  un  son  vocal  comme  le  nom 
d'un  certain  objet,  alors  que  l'imitation  et  l'analogie  n'en  suggéraient 
aucun.  Mais  ces  racines  originelles,  formes  les  plus  simples  des 
substantifs,  seront  graduellement  devenues  de  moins  en  moins 
faciles  à  reconnaître,  à  mesure  que  la  langue  devenait  plus  riche 
et  plus  compliquée.  Chaque  fois  que  l'on  pratique  des  arts  nouveaux, 
nous  pouvons  aisément  trouver  l'occasion  d'épier  la  naissance  de 
nouveaux  noms  pour  des  instruments  et  des  procédés  nouveaux  ; 
naissance  réglée  toujours  par  ces  trois  principes:  imitation,  analogie, 
■  et  simple  convention... 

«  Ce  ne  sont  là  que  des  indications  sommaires,  dit  l'auteur 
(aujourd'hui  archevêque  d'York),  de  la  direction  dans  laquelle  on  a 
■fait  des  recherches  profondes  et  pénétrantes.  Et  je  ne  pense  pas  que 
'de  pareilles  tentatives  de  dissection  et  d'analyse  du  langage,  pour- 
suivies avec  la  prudence  convenable,  tendent  en  rien  à  abaisser 
dans  notre  estime  l'importance  du  don  de  la  parole  ou  de  sa  mer- 
veilleuse nature.  »  Ce  sera  peut-être  là  une  pensée  consolante  pour 
beaucoup  de  personnes.  Il  n'est,  en  outre,  pas  sans  intérêt  de  voir 
un  autre  docteur  de  l'Église,  doué  de  beaucoup  de  pénétration  et 
de  philosophie,  écrire  les  lignes  suivantes  ^  : 

«  Si  l'on  cherche  jusqu'où  le  même  processus,  qui  se  produit 
aujourd'hui  pendant  qu'on  apprend  à  parler,  peut  rendre  compte  de 
l'invention  du  langage,  la  question  réelle  est  simplement  ceci  :  L'acte 
de  donner  des  noms  aux  divers  objets  qui  frappent  nos  sens  est-il 
une  chose  si  complètement  au  delà  du  pouvoir  d'un  homme  créé 

•  dans  la  pleine  maturité  de  ses  facultés,  qu'il  nous  faille  supposer 

•  qu'un  Divin  Précepteur  ait  rempli  précisément  le  même  office  que 
remplissent  aujourd'hui,  pour  l'enfant,  sa  mère  ou  sa  nourrice; 
c'est-à-dire  lui  ait  appris  à  associer  un  50n  donné  avec  une  impression 
visuelle  donnée?  »  Cette  question  peut  s'appliquer  avec  autant  de 

1.  Docteur  Mansel,  Prolegomena  Logica,  p.  20. 


ORIGINE   DU  LANGAGE.  67 

force  à  une  race  humaine  naturellement  développée,  qu'à  niorame 
hypothétiquement  «  créé  dans  la  pleine  maturité  de  ses  facultés.  » 

Une  faculté  comme  le  Langage  Articulé,  —  soit  qu'elle  eût  com- 
mencé par  quelque  processus  caché  et  inconnu  de  développement 
naturel,  ou  comme  un  présent  encore  plus  mystérieux  de  la  Divi- 
nité à  l'Homme,  —  devait  presque  forcément,  par  sa  nature  même, 
amener  graduellement,  chez  ceux  qui  la  possédaient,  un  accrois- 
sement de  développement  cérébral.  Combien  ce  processus  a  été 
lent  et  tardif,  c'est  ce  que  nous  commençons  aujourd'hui  à  entre- 
voir vaguement,  grâce  aux  recherches  qui  nous  ont  fait  connaître 
la  grande  antiquité  de  la  Race  Humaine  et  l'époque  reculée  de  l'ap- 
parition de  l'Homme  sur  cette  Terre. 

Antérieurement  aux  époques  historiques,  les  Hommes  qui  étaient 
contemporains  des  grands  Mammouths,  dont  on  trouve  les  restes 
dans  les  alluvions  post-tertiaires,  ceux  des  Bone-Caves,  des  Shell- 
Heaps  et  des  Peat-Bogs,  ainsi  que  ceux  de  la  période  des  Cromlechs 
et  des  premières  Habitations  Lacustres,  ont  vécu,  pendant  des  âges 
sans  histoire,  dans  un  état  de  simplicité  et  de  barbarie  infiniment 
plus  grand  que  celui  qui  existe  chez  les  nombreuses  races 
sauvages  et  demi-sauvages  qui  couvrent  encore  une  si  grande  partie 
de  la  surface  de  la  Terre. 

Dans  les  premières  périodes  de  l'histoire  humaine,  le  progrès 
était  nécessairement  si  lent,  qu'il  semble  presque  faire  défaut,  même 
si  nous  comptons  le  temps  par  siècles.  Graduellement,  toutefois,  à 
mesure  que  la  vie  nomade  fit  place  à  une  vie  en  commun  plus  com- 
plexe, les  avantages  de  la  coopération  se  seront  montrés  de  beaucoup 
de  manières.  Le  commencement  d'une  Organisation  Sociale  en  voie 
de  développement  suppose  nécessairement,  dans  les  relations  de 
l'Homme  avec  l'Homme,  une  diversité  plus  grande,  qui  se  réfléchira 
naturellement  dans  le  Langage  et  agrandira  le  champ  de  la  pensée, 
en  donnant  naissance  à  de  nouveaux  exercices,  ou  du  moins  en  for- 
tifiant beaucoup  certains  processus  mentaux,  auparavant  embryon- 
naires. A  mesure  que  la  Sympathie  s'accroît,  et  que  chaque  unité  de 
l'organisme  social  arrive  à  mieux  reconnaître  ce  qu'elle  peut  faire 
pour  satisfaire  ses  propres  besoins  ou  ses  propres  désirs,  sans 
s'attirer  de  la  souffrance  par  suite  de  la  colère  de  ses  compagnons, 
elle  arrive  graduellement  à  '  reconnaître  la  nécessité  de  contenir 
dans  certaines  limites  l'exécution  de  ses  impulsions  égoïstes,  et  le 
besoin,  même  dans  l'intérêt  de  son  propre  bonheur,  d'avoir  tou- 
jours présents  à  l'esprit  les  besoins  et  les  désirs  de  ses  semblables. 

Nous  avons  vu  la  sympathie  se  produire,  même  chez  beaucoup 
d'animaux  muets,  lorsqu'ils  ont  appris  à  reconnaître,  dans  leurs 
compagnons,  les  signes  extérieurs  de  ce  qu'ils  se  souviennent  avoir 


68     INTELLIGENCE  AINIMALE  ET  INTELLIGENCE  HUMAINE. 

été  chez  eux  un  état  de  détresse.  Le  retour,  en  idée,  d'un  pareil 
état,  uni  à  une  perception  indiquant  qu'un  pareil  état  de  souf- 
france existe  actuellement  chez  un  autre,  détermine  des  actions 
pour  lui  venir  en  aide.  Dans  cet  exercice  d'une  simple  Sympathie 
brutale,  nous  avons  les  germes  les  plus  importants  de  ces  senti- 
ments pour  les  semblables  qui  atteignent  tant  d'étendue  et  de 
puissance  chez  les  races  supérieures  de  l'Humanité. 

Non  moins  importantes  toutefois  sont,  parmi  les  races  sauvages, 
ces  limites  que  la  convenance  force  l'individu  à  reconnaître  comme 
imposées  par  ses  semblables  à  la  liberté  de  ses  propres  actions.  Des 
considérations  de  cette  nature,  unies  peut-être  à  un  accroissement 
de  Sympathie,  tendent  graduellement  à  constituer  en  lui  un  moni- 
teur intérieur,  ou  Conscience,  en  même  temps  que  paraissent  des 
notions  embryonnaires  de  Droit  et  de  Devoir,  constituant  la  base 
d'un  Sens  Moral  qui  commence  à  poindre.  Parties  d'une  telle  ori- 
gine, les  impulsions  d'une  pareille  «  faculté  »  ne  peuvent  manquer 
d'être  en  harmonie  avec  les  opinions  et  les  influences  dominantes. 
Comme  le  dit  G. -H.  Lewes^  : 

«  Il  ne  peut  3'  avoir  de  relations  morales  en  dehors  de  la  Société...  L'Intellect 
et  la  Conscience  sont  des  fonctions  sociales  ;  et  leurs  manifestations  spéciales 
sont  rigoureusement  déterminées  par  la  Statique  sociale,  c'est-à-dire  l'état  de 
l'Organisme  Social  au  moment  présent,  sur  lequel  elles  influent  à  leur  tour. 
Le  Langage  dans  lequel  nous  pensons,  et  les  conceptions  que  nous  emploj'ons, 
l'attitude  de  nos  esprits,  et  les  moyens  d'investigation,  sont  des  produits  sociaux 
déterminés  par  les  activités  de  la  Vie  Collective.  Les  lois  du  progrès  intellec- 
tuel doivent  être  lues  dans  l'Histoire,  et  non  dans  l'expérience  individuelle- 
Nous  respirons  l'air  social,  puisque  ce  que  nous  pensons  dépend  en  grande 
partie  de  ce  que  d'autres  ont  pensé.  » 

Le  pouvoir  qu'a  le  Langage  de  favoriser  le  développement  céré- 
bral et  les  opérations  de  la  pensée,  bien  qu'il  doive  avoir  été  grand 
dès  le  début,  et  tendant  toujours  à  s'accroître,  ne  s'est  révélé 
avec  autant  de  force  que  lorsqu'on  eut  adopté  des  moyens  de  con- 
server et  de  communiquer,  de  génération  en  génération,  l'expérience 
et  la  pensée  humaine,  au  moyen  de  symboles  hiéroglyphiques  ou 
des  formes  plus  modernes  de  l'écriture.  Lorsque  ces  dernières 
furent  devenues  d'un  usage  commun,  et  surtout  lorsque  l'impri- 
merie eut  été  adoptée  et  que  les  livres  commencèrent  à  circuler, 
alors  le  Langage  commença  enfin  à  exercer  pleinement  son  influence 
pour  aider  et  développer  la  Pensée.  En  effet,  bien  que  la  tradition 
orale  soit  de  beaucoup  préférable  à  l'absence  complète  de  moyens 
de  communiquer  l'expérience  et  les  pensées,  d'une  génération  à 
l'autre,  elle  est  assurément  bien  imparfaite,  relativement  aux  faci- 

1.  Probkms  of  Life  and  Mind,  vol.  I",  p.  173. 


DÉVELOPPEMENT   DU   LANGAGE.  69 

lités  fournies  par  l'imprimerie  et  la  circulation  générale  des  livres. 
Depuis  que  ces  derniers  moyens  existent,  les  Pensées  de  l'homme 
peuvent  aller  s'accumulant  d'âge  en  âge,  en  constituant  les  annales 
de  ses  relations  complexes  avec  la  nature  en  général,  avec  ses  sem- 
blables, et  en  particulier  avec  cet  Organisme  Social  dont  il  fait 
partie  ainsi  qu'eux. 

Toutefois,  ce  n'est  pas  seulement  à  la  communication  de  la 
Pensée,  mais  à  sa  formation  même  que  le  langage  est  indispensable  : 
puisqu'il  favorise  la  naissance  de  Conceptions,  ou  Notions  Générales, 
et  qu'il  est  essentiel  à  la  fois  à  leur  conservation  et  à  leur  usage 
familier. 

Dans  ses  Proleg amena  logica  (p.  19-20,  29-31),  Mansel  dit  : 

«  Pour  l'enfant  qui  apprend  à  parler,  les  mots  ne  sont  point  les  signes  de 
pensées,  mais  d'intuitions  («  Présentations  of  Sensé  n).'Les  mots  homme  et  che- 
val ne  représentent  pas  une  collection  d'attributs ,  mais  sont  seulement  le  nom 
de  l'individu  qui  est  devant  lui  au  moment.  Ce  n'est  que  lorsque  le  nom  a  été 
successivement  appliqué  à  divers  individus,  que  la  réflexion  commence  à  s'en- 
quérir des  caractères  communs  de  la  classe.  Le  langage,  tel  qu'il  est  appris  à 
l'enfant,  est  donc  antérieur  à  la  pensée  et  postérieur  à  la  sensation...  Toutes 
les  conceptions  sont  formées  au  moyen  de  signes  qui  n'ont  primitivement  repré- 
senté que  des  objets  individuels...  Les  similitudes  sont  remarquées  plutôt  que 
les  différences  ;  et  l'on  peut  dire  que  nos  premières  abstractions  sont  accom- 
plies pour  nous,  lorsque  nous  api^renons  à  donner  le  même  nom  aux  individus 
qui  se  présentent  à  notre  vue,  malgré  de  légers  signes  distinctifs  qui  passent 
d'abord  inaperçus.  Le  même  nom  est  ainsi  appliqué  à  différents  objets,  long- 
temps avant  que  nous  apprenions  à  analyser  les  facultés  grandissantes  de  la 
parole  et  de  la  pensée,  à  nous  demander  ce  que  nous  entendons  dans  chacun 
des  cas  où  nous  l'employons,  à  corriger  et  à  fixer  la  signification  de  mots,  em- 
ployés d'abord  d'une  manière  vague  et  obscure.  Il  est  aussi  impossible  d'indi- 
quer chacun  des  degrés  du  processus  par  lequel  des  signes  d'intuitions 
deviennent  graduellement  des  signes  de  pensée,  que  d'indiquer  les  divers 
moments  où  l'enfant  qui  grandit  acquiert  chaque  accroissement  successif  de 
stature.  » 

Cette  importante  opinion  de  Mansel  que,  sans  signes  ou  Noms, 
nous  ne  pouvons  former  aucun  Concept,  est  opposée  à  l'opinion 
communément  acceptée,  que  «  nous  devons  avoir  eu  le  Concept 
avant  de  pouvoir  lui  donner  un  nom  »;  mais,  comme  le  dit  J.-S.  Mill  \ 
cette  opinion  est  assez  justement  basée,  par  Mansel,  sur  l'idée  que 
«  les  noms  dont  on  se  sert  d'abord  ne  sont  que  les  noms  d'objets 
individuels,  mais  que,  s'étendant  d'un  objet  à  Fautre  suivant  la  loi 
d'Association  par  Ressemblance ,  ils  deviennent  spécialement 
associés  aux  points  de  ressemblance,  et  engendrent  ainsi  le  Con- 
cept. »  Sir  William  Hamilton  pense,  toutefois,  que  nous  pouvons 

1.  Examination  ofSir  Will.  Hamiltons  Philosophy,  p.  324. 


70     INTELLIGENCE  ANIMALE  ET  INTELLIGENCE  HUMAINE. 

être  capables  de  former  des  concepts  simples,  bien  que  nous  puis- 
sions à  peine  les  conserver  sans  l'aide  de  signes,  «  Un  mot  ou 
signe,  dit-il^,  est  nécessaire  pour  donner  de  la  stabilité  à  notre  pro- 
grès intellectuel,  pour  faire,  de  chaque  pas  en  avant,  un  nouveau 
point  de  départ  pour  aller  encore  au  delà.  Un  pays  peut  être  par- 
couru par  une  troupe  année,  mais  il  n'est  conquis  que  par  l'éta- 
blissement de  forteresses.  Les  mots  sont  les  forteresses  delà  Pensée. 
Ils  nous  permettent  de  rendre  effective  notre  domination  sur  ce  que 
nous  avons  déjà  parcouru  par  la  pensée...  et  de  faire,  de  chaque 
conquête  intellectuelle,  une  base  d'opérations  pour  d'autres  con- 
quêtes... Ainsi  donc,  bien  que  nous  accordions  que  chaque  mouve- 
ment en  avant  du  langage  doit  être  précédé  d'un  mouvement  en 
avant  de  la  pensée,  toutefois,  à  moins  que  la  pensée  ne  soit  accom- 
pagnée à  chaque  point  de  son  évolution  par  une  évolution  corres- 
pondante du  langage,  son  développement  ultérieur  est  arrêté.  «  Il 
avait  dit,  dans  une  page  précédente  :  —  «  La  conception,  ainsi  formée 
par  abstraction  de  qualités  semblables  et  dissemblables  des  objets, 
retomberait  de  nouveau  dans  la  confusion  et  l'infini  dont  elle  a  été 
évoquée,  si  elle  n'était  rendue  permanente  pour  la  conscience,  en 
étant  fixée  et  ratifiée  dans  un  signe  verbal,  w 

Tandis  qu'il  semble  y  avoir  de  bonnes  raisons  pour  croire,  avec 
Mansel,  que  les  Notions  Générales,  ou  Concepts,  ne  sauraient  être 
formées  sans  l'aide  de  signes,  il  faut  accepter  avec  une  certaine 
réserve  cette  doctrine  qui  tend  cependant  à  appuyer  l'opinion  de 
Sir  William  Hamilton.  Les  signes  sont  nécessaires  ;  mais,  pour  la 
formation  de  Notions  Générales  simples,  les  Images  Visuelles  peu- 
vent tenir  lieu  de  Mots. 

J.-S.  Mill  dit  à  ce  sujet  :  —  «  Les  signes  n'ont  pas  besoin  d'être  artificiels  ; 
il  existe  des  signes  naturels.  La  seule  réalité  qu'il  y  ait  dans  le  Concept  est 
que,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  non  seulenaent  une  fois  et  accidentellement, 
mais  dans  le  com-s  ordinaire  de  nos  pensées,  nous  sommes  mis  à  même  de 
prêter,  et  amenés  à  pi'êter,  une  attention  spéciale  et  plus  ou  moins  exclusive  à 
certaines  parties  (dont  nous  avons  conscience)  de  ce  qui  nous  est  présenté  par 
les  sens  ou  représenté  par  l'imagination.  Maintenant  qu'y  a-t-il  pour  nous  faire 
agir  ainsi?  Il  doit  y  avoir  quelque  chose  qui,  aussi  souvent  qu'il  se  représente 
à  nos  sens  ou  à  nos  pensées,  dirige  notre  attention  vers  ces  éléments  pai'ticu- 
liers  de  la  perception  ou  de  l'idée  :  et  tout  ce  qui  remplit  cette  fonction  est  vir- 
tuellement un  signe;  mais  il  n'y  a  pas  besoin  que  ce  soit  un  mot.  Le  pro- 
cessus a  certainement  lieu,  à  un  degré  limité,  chez  les  animaux  inférieurs, 
et  même  chez  les  êtres  humains  qui  n'ont  qu'un  vocabulaire  restreint  ;  de 
nombreux  processus  de  pensée  ont  ordinairement  lieu  par  d'autres  symboles 
que  des  mots.  C'est  la  doctrine  d'un  des  penseurs  les  plus  féconds  des  temps 
modernes,  Auguste  Comte,  qu'outre  la  logique  des  signes,  il  y  a  une  logique 

1.  Lectures,  vol.  III,  p.  138-140. 


SYMBOLES.  71 

d'images  et  une  logique  de  sensations.  Dans  un  grand  nombre  de  processus 
familiers  de  la  pensée,  et  surtout  chez  les  esprits  incultes,  une  image  visuelle 
tient  lieu  d'un  mot.  Nos  images  visuelles,—  peut-être  seulement  parce  qu'elles 
se  présentent  presque  toujours  en  môme  temps  que  les  impressions  de  nos 
autres  sens,  —  ont  une  grande  facilité  à  s'associer  avec  elles.  Aussi  l'appa- 
rence visuelle  cai^actéristique  d'un  objet  rassemble  aisément  autour  d'elle, 
par  association,  les  idées  de  toutes  les  autres  particularités  qui,  dans  de  fré- 
quentes expériences,  ont  coexisté  avec  cette  apparence  ;  et,  en  évoquant  celles-ci, 
avec  une  force  et  une  certitude  qui  surpassent  de  beaucoup  celle  des  asso- 
ciations simplement  occasionnelles  qu'elle  peut  aussi  excitei',  elle  concentre 
l'attention  sur  elles.  C'est  là  une  image  qui  sert  de  signe  —  la  logique  d'ima- 
ges. La  même  fonction  peut  être  remplie  par  un  sentiment.  Tout  sentiment 
puissant  et  hautement  intéressant,  lié  à  un  seul  attribut  d'un  groupe,  classe 
spontanément  tous  les  objets,  suivant  qu'ils  possèdent  ou  ne  possèdent  pas  cet 
attribut.  Nous  pouvons  être  assez  certains  que  les  choses  capables  de  satis- 
faire la  faim  forment  une  classe  parfaitement  distincte  dans  l'esprit  de  tous 
les  animaux  les  plus  intelligents,  aussi  bien  que  s'ils  étaient  capables  de  se 
servir  du  mot  nourriture,  ou  de  le  comprendre.  » 

Ainsi  donc,  tandis  qu'il  semble  que  des  Notions  Générales  sim- 
ples puissent  se  former  autour  de  Sentiments,  et  être  évoqués  par 
eux,  et  conséquemment  par  les  Images  de  ceux-ci  (surtout  par  les 
Images  Visuelles),  il  est  également  clair  que  les  Mots  sont  des  signes 
beaucoup  plus  puissants  puisque,  outre  l'aide  qu'ils  apportent  à  la 
formation  de  Notions  Générales,  on  peut  encore  se  servir  d'eux 
comme  moyens  de  communiquer  des  Pensées,  et  par  conséquent  de 
les  fortifier  par  des  répétitions  et  des  échanges  mutuels,  durant  la 
vie  journalière  des  unités  d'une  tribu,  d'une  race,  ou  d'une  nation 
quelconque  d'Êtres  Humains. 

Comme  le  dit  Thomson^  :  «Le  Langage,  vêtement  approprié  de 
nos  pensées,  est  toujours  analytique;  il  ne  donne  pas  un  corps  à  une 
simple  peinture  de  faits,  mais  fait  voir  le  travail  effectué  par  l'esprit 
sur  les  faits  qui  lui  sont  fournis,  et  l'ordre  dans  lequel  il  les  envi- 
sage... La  même  langue  devient  plus  analytique  à  mesure  que  la 
littérature  et  le  raffinement  s'accroissent.  Cette  propriété  indique, 
ainsi  que  nous  devions  nous  y  attendre,  des  changements  correspon- 
dants dans  l'état  de  la  pensée  chez  des  nations  différentes,  ou  chez  la 
même  nation  à  des  époques  diverses.  Grâce  à  un  accroissement  de 
culture,  on  voit  des  distinctions  plus  subtiles  entre  les  relations  des 
objets,  et  l'on  cherche  pour  les  désigner  des  expressions  correspon- 
dantes, à  cause  de  l'ambiguïté  et  de  la  confusion  qui  résulteraient 
de  la  continuation  de  l'emploi  du  même  mot,  ou  de  la  même  forme 
de  mots,  pour  exprimer  deux  choses  ou  deux  faits  différents...  On 
peut  à  peine  dire  qu'une  découverte  est  assurée,  tant  qu'elle  n'a 

1.  Laws  of  Thought,  p.  28. 


72     INTELLIGENCE  ANIMALE  ET  INTELLIGENCE  HUMAINE. 

point  été  marquée  par  un  nom  qui  servira  à  la  rappeler  à  ceux  qui 
se  sont  une  fois  rendus  maîtres  de  sa  nature,  et  à  attirer  l'attention 
de  ceux  à  qui  elle  est  encore  étrangère.  Des  mots  comme  inertie, 
affinité,  polarisation,  gravitation,  résument  un  si  grand  nombre  de 
lois  naturelles,  et  sont  si  heureusement  choisis  pour  leur  objet,  que, 
sauf  peut-être  le  troisième,  chacun  d'eux  nous  guide,  par  son  étymo- 
logie,  vers  la  nature  de  la  loi  qu'il  est  là  pour  indiquer...  Les  noms 
sont  donc  les  moyens  de  fixer  et  de  rappeler  les  résultats  de  séries 
de  pensées  qui,  sans  eux,  devraient  être  fréquemment  répétées,  avec 
toute  la  peine  du  premier  effort...  A  mesure  que  les  distinctions 
entre  les  relations  des  objets  deviennent  plus  nombreuses,  plus 
compliquées  et  plus  subtiles,  le  langage  devient  plus  analytique, 
pour  être  capable  de  les  exprimer  ;  et,  inversement,  ceux  qui  ont 
hérité  en  naissant  d'un  langage  hautement  analytique,  doivent 
apprendre  à  penser  jusqu'à  lui,  à  observer  et  à  distinguer  toutes  les 
relations  d'objets  pour  lesquelles  ils  trouvent  des  expressions  déjà 
formées;  de  sorte  que  nous  avons  un  instructeur  de  nos  facultés 
pensantes,  dans  cette  parole  que  nous  pouvons  ne  considérer  que 
comme  leur  servante  et  leur  ministre.  » 

Dans  un  important  passage  sur  la  nature  symbolique  d'un  greaid 
nombre  de  nos  processus  de  cognition  ou  de  pensée,  Leibniz  fut  le 
premier  à  attirer  l'attention  sur  une  sorte  de  fusion  ou  d'identifica- 
tion de  la  Pensée  ou  du  Mot,  qui  a  lieu  habituellement  dans  nos  pro- 
cessus mentaux  ordinaires.  Des  noms  ou  mots  généraux  et  abstraits 
sont  souvent,  comme  le  dit  Thomson  ^,  «  pour  les  deux  interlocuteurs, 
des  Symboles  dont  aucun  des  deux  ne  s'arrête  à  scruter  l'entière  et 
exacte  signification;  pas  plus  qu'ils  ne  réfléchissent  régulièrement, 
que  chaque  souverain  qui  passe  dans  leurs  mains  équivaut  à  2/i0  pence. 
Des  mots  comme  état,  bonheur,  liberté,  création,  sont  trop  compré- 
hensifs  pour  que  nous  puissions  supposer  que  nous  réalisons  leur 
sens  complet,  chaque  fois  que  nous  les  lisons  ou  que  nous  les 
prononçons.  Si  nous  faisons  attention  au  travail  de  notre  propre 
esprit,  nous  verrons  que  chaque  mot  peut  être  employé  à  la  place  et 
dans  le  sens  convenable,  bien  que  fort  peu,  ou  même  aucun  de  ses 
attributs  ne  soient,  au  moment,  présents  à  notre  pensée.  » 

Le  processus  de  Conception  par  lequel  on  arrive  à  ces  Notions 
Générales  ou  Abstraites,  n'est  possible  que  par  un  usage  antérieur 
du  Langage  ;  et  l'action  de  marquer  ces  notions  complexes  par  des 
Mots  qui  serviront  plus  tard  de  «  symboles  »  équivalents  à  ces  No- 
tions, est  une  véritable  fusion  des  processus  cérébraux  de  la  Pensée 
et  du  Mot  —  le  Mot  est  désormais  la  Pensée. 

Après  ces  brèves  observations  sur  la  croissance  et  les  fonctions 

1.  Laws  ofTIiought,  p.  36. 


UNION   DU   MOT   ET   DE    LA   PENSÉE.  73 

du  Langage,  et  sur  la  manière  dont  il  sert  à  aider  le  développement 
de  l'Esprit,  nous  pouvons  retourner  aux  vues  de  G. -H.  Lewes  sur 
la  transition  de  rintelligence  Animale  à  Plntelligence  Humaine,  et 
revenir  sur  le  sujet  de  la  puissante  influence  consécutive  qu'exerce 
le  Langage,  lorsqu'il  agit  de  concert  avec  les  Influences  Sociales 
en  général,  —  c'est-à-dire  les  influences  qui  viennent  à  agir  sur 
l'Homme,  en  tant  qu'unité,  dans  une  Organisation  Sociale  qui  se 
développe  graduellement. 

Il  dit'  :  «  Aucun  philosophe  ne  nie  aujourd'hui  que  les  animaux 
aient  des  sensations,  des  appétits,  des  émotions,  des  instincts  et  de 
l'intelligence,  — qu'ils  montrent  de  la  mémoire,  de  l'expectation,  du 
jugement,  de  l'espoir,  de  la  crainte,  et  de  la  joie,  —  qu'ils  apprennent 
par  expérience,  et  inventent,  de  nouvelles  manières  de  satisfaire 
leurs  désirs.  Et  cependant,  l'abîme  qui  sépare  l'Intelligence  Animale 
de  l'Intelligence  Humaine  est  si  vaste,  que  la  Philosophie  est  cruelle- 
ment embarrassée  pour  mettre  d'accord  les  faits  indéniables...  Des 
animaux  ayant  des  organes  intimement  semblables  à  nos  organes,  et 
des  sentiments  intimement  semblables  à  nos  sentiments,  ne  possèdent 
cependant  que  peu  ou  même  rien  de  l'ordre  supérieur  d'activité 
mentale;  les  Animaux  sont  intelligents, mais  ils  n'ont  pas  d'Intellect; 
ils  ont  de  la  Sympathie,  mais  pas  de  Morale;  des  Émotions,  mais  pas 
de  Conscience...»  Lorsqu'on  dit  que  les  Animaux,  bien  qu'intelligents, 
n'ont  cependant  pas  d'Intellect,  cela  signifie  qu'ils  ont  des  percep- 
tions et  des  jugements,  mais  pas  de  conceptions,  pas  d'idées  géné- 
rales, pas  de  symboles  pour  des  opérations  logiques^.  Ils  sont 
intelligents,  car  nous  voyons  leurs  actions  guidées  par  le  Jugement; 
ils  adaptent  leurs  actions  au  moyen  de  sensations  qui  les  guident,  et 
adaptent  les  choses  à  leurs  fins.  Leur  mécanisme  est  sensitif  et 
intelligent.  Mais  ils  n'ont  pas  la  Conception,  ou  ce  que  nous  désignons 
spécialement  sous  le  nom  de  Pensée  ;  c'est-à-dire  cette  fonction 
logique  qui  en  use  avec  les  généralités,  les  rapports  et  les  symboles, 
comme  le  sentiment  en  use  avec  les  particularités  et  les  objets,  une 
fonction  servant  à  des  fins  sociales^  impersonnelles,,  et  soutenue  par 
elles.  Si  l'on  admet  que  l'Intelligence  en  général  est  le  pouvoir  de 
distinguer  les  moyens  d'arriver  à  des  buts  déterminés,  —  la  conduite 
de  l'Organisme  vers  la  satisfaction  de  ses  impulsions,  —  nous  parti- 
cularisons l'Intellect  comme  un  mode  hautement  différencié  de  cette 
fonction,  c'est-à-dire  comme  le  pouvoir  de  distinguer  les  symboles. 

1.  Problems  of  Life  and  Minci,  vol.  l",  p.  152, 154  et  156. 

2.  Il  y  a,  comme  on  l'a  déjà  dit,  des  raisons  de  croire  que  les  animaux 
peuvent  poursuivre,  à  un  degré  limité,  quelques  processus  mentaux  de  cette 
nature,  non  assurément  en  se  servant  de  Mots-Symboles,  mais  au  moyen 
d'Images  Visuelles. 


74     INTELLIGENCE  ANIMALE   ET  INTELLIGENCE  HUMAINE. 

Celui-ci  diffère  du  mode  rudimentaire,  dont  il  est  pourtant  sorti  par 
évolution,  comme  le  Commerce  Européen  diffère  du  Troc  rudimen- 
taire des  tribus  primitives.  Le  commerce  n'est  possible  que  sous 
des  conditions  sociales  complexes,  dont  il  tire  son  origine  ;  et  ses 
opérations  s'exercent  principalement  au  moyen  de  symboles  qui 
tiennent  lieu  d'objets.  La  facture  représente  la  cargaison;  la  signa- 
ture du  marchand  représente  le  payement.  De  même  l'Intellect  est 
impossible,  tant  que  le  développement  animal  n'a  pas  atteint  l'état 
social  humain  ;  et  il  est,  à  toutes  les  périodes,  l'indice  de  ce  dévelop- 
pement :  ses  opérations  s'accomplissent  également  au  moyen  de 
symboles  (Langage)  qui  représentent  des  objets  réels,  et  peuvent,  à  un 
temps  quelconque, se  transformer  en  sentiments...  entre  les  extrêmes 
de  l'Intelligence  humaine, —  par  exemple  un  Tasmanien  et  un 
Shakespeare;  —  il  y  a  des  gradations  infinitésimales,  qui  nous  per- 
mettent de  suivre  le  développement  de  l'un  à  l'autre,  sans  introduc- 
tion d'aucun  facteur  essentiellement  nouveau.  Mais  entre  l'Intelli- 
gence animale  et  l'Intelligence  humaine,  il  y  a  un  abîme  qui  ne  peut 
être  franchi  qu'à  l'aide  de  quelque  chose  de  nouveau,  le  Langage  des 
symboles,  à  la  fois  cause  et  effet  de  Civilisation.  » 

Le  même  auteur  remarque  encore ^  :  «Un  animal  souffre  d'un 
malheur  physique,  cherche  à  lui  échapper,  mais  ne  cherche  jamais 
à  comprendre  et  à  modifier  ses  causes.  Le  sauvage  aussi  souffre,  et 
cherche  à  échapper.  Mais  il  s'étonne,  spécule  sur  les  causes,  et 
espère  les  maîtriser  par  des  invocations  ou  des  incantations. 
L'Homme  civilisé  essaye  de  comprendre  les  causes,  pour  pouvoir  les 
modifier  lorsqu'elles  sont  susceptibles  de  l'être,  ou  sinon,  s'y  rési- 
gner. L'animal  n'a  que  la  Logique  de  Sentiment  pour  guider  ses 
actions.  Il  observe  et  conclut,  mais  n'explique  jamais.  L'Homme  a 
en  outre  la  logique  des  Signes  :  il  observe  et  explique  la  série  visible 
par  une  série  invisible.  L'un  n'a  connaissance  que  de  faits  particu- 
liers, l'autre  a  connaissance  de  faits  généraux.  » 

Dans  le  progrès  du  Développement  Intellectuel  se  montre  une 
tendance  toujours  croissante  à  se  servir  de  conceptions  de  plus  en 
plus  éloignées,  et  de  processus  mentaux  indirects,  qui  détachent  de 
plus  en  plus  l'esprit  de  l'Observation  Sensorielle.  On  peut,  ainsi  que 
le  dit  G.-H.Lewes^,  en  donner  comme  exemple  les  phases  du  calcul 
numérique. 

«  L'homme  commence  par  compter  des  choses  en  les  groupant  visiblement, 
Il  apprend  ensuite  à  compter  simplement  les  nombres,  en  l'absence  des  choses, 
en  se  servant  comme  symboles  de  ses  doigts  et  de  ses  orteils.  11  y  substitue 

1.  Problems  of  Life  and  Mind,  p.  168,  169. 

2.  Loc.  cit.,  p.  171. 


DÉVELOPPEMENT  INTELLECTUEL.  75 

ensuite  des  signes  abstraits,  et  l'Arithmétique  commence.  De  là,  il  passe  à 
l'Algèbre,  dont  les  termes  ne  sont  pas  seulement  abstraits,  mais  généraux,  et 
calcule  maintenant  des  relations  numériques,  et  non  des  nombres.  Il  passe  de 
là  au  calcul  supérieur  des  relations...  En  conséquence  de  ce  développement 
de  l'Intellect,  —  c'est-à-dire  de  la  substitution  des  moyens  indirects  aux  moyens 
directs,  —  l'homme  acquiert  son  immense  supériorité  sur  les  animaux  pour 
arriver  au  but  final.  C'est  ainsi,  et  ainsi  seulement,  qu'il  est  mis  à  même  de 
modifier  le  cours  des  événements;  c'est  ainsi  que  la  faculté  de  Sentir  devient 
Science,  que  les  faits  sont  condensés  en  lois,  et  que  la  vision  directe  est  mul- 
tipliée et  agrandie  par  la  prévision  éloignée... 

«  L'absurdité  qu'il  y  a  à  supposer  qu'un  singe  quelconque  pourrait,  dans 
n'importe  quelles  circonstances  normales,  construire  une  théorie  scientifique, 
analyser  un  fait  et  les  facteurs  qui  le  composent,  se  former  en  lui-même  une 
peinture  de  la  vie  menée  par  ses  ancêtres,  ou  régler  sa  conduite,  d'une  manière- 
consciente,  en  vue  du  bien-être  de  ses  descendants  éloignés  ;  cette  absurdité, 
disons-nous,  est  si  flagrante, que  nous  ne  saurions  nous  étonner  que  des  esprits, 
profondément  méditatifs,  aient  été  amenés  à  rejeter  avec  mépris  l'hypothèse 
qui  cherche  l'explication  de  l'Intelligence  humaine  dans  les  fonctions  de  l'or- 
ganisme corporel  commun  à  l'homme  et  aux  animaux,  et  à  avoir  recours  à 
l'hypothèse  d'un  agent  spirituel  surajouté  à  l'organisme... 

«  Mais,  ajoute-t-ili,  le  sauvage  n'est  pas  moins  impuissant  que  l'animal 
à  engendrer,  ou  même  à  comprendre,  une  conception  philosophique.  Le  paysan 
ne  se  tirerait  pas  beaucoup  mieux  que  le  singe  des  problèmes  de  la  science 
abstraite  ;  il  serait  également  inutile  de  s'attendre  à  ce  que  l'un  ou  l'autre 
pèse  les  étoiles,  ou  comprenne  les  équations  des  courbes  composées.  Les  con- 
ceptions morales  du  sauvage  ne  sont  pas  non  plus  de  beaucoup  au-dessus  de 
celles  de  l'animal.  Son  langage  est  sans  mots  répondant  à  justice,  péché, 
crime  :  il  n'a  pas  les  idées  correspondantes.  Il  ne  comprend  pas  beaucoup 
mieux  que  le  chien  ou  le  cheval  la  générosité,  la  pitié  et  l'amour.  Son  intel- 
ligence est  principalement  confinée  aux  perceptions  et  aux  sentiments.  Les 
buts  vers  lesquels  il  tend  sont  presque  tous  immédiats  et  pratiques,  rarement 
éloignés,  et  théoriques  jamais.  Les  plus  intelligents  habitants  de  la  Guyane, 
bien  que  fort  éloignés  de  l'état  de  sauvagerie  primitive,  ne  pouvaient  croire 
que  Humboldt  avait  quitté  son  pays,  et  était  venu  dans  le  leur,  «  pour  se 
faire  dévorer  par  les  moustiques,  afin  de  mesurer  une  terre  qui  n'était  pas  à 
lui.  »  ...  Tous  les  matériaux  de  l'Intellect  sont  des  images  et  des  symboles  ; 
tous  ses  processus  sont  des  opéi'ations  sur  des  symboles  et  des  images.  Le 
Langage,  —  qui  est  entièrement  un  produit  social  pour  un  besoin  social,  —  est 
le  principal  véhicule  de  l'opération  symbolique,  et  le  seul  moyen  par  lequel 
s'effectue  l'abstraction.  Sans  Langage,  il  ne  peut  y  avoir  ni  méditation,  ni  théo- 
rie, ni  Pensée,  dans  le  sens  spécial  de  ce  terme.  » 

Mais,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  entrevoir,  concuremment  avec 
le  développement  de  la  Nature  Intellectuelle  de  l'Homme,  paraît,  en 
réponse  à  d'autres  aspects  des  mêmes  conditions  et  des  mêmes 
influences  générales,  ce  que  l'on  appelle  sa  Nature  Morale. 

1.  Problems  of  Life  Mind,  p.  158,  167. 


76     INTELLIGENCE   ANIMALE  ET  INTELLIGENCE  HUMAINE. 

Comme  le  dit  Lewesi  :  «Les  fonctions  individuelles  de  l'Homme 
sont  en  relations  avec  le  Milieu  Physique  {Cosmos),  et  ses  fonctions 
générales  avec  le  Milieu  Social.  C'est  de  là  que  vient  la  Vie  Morale. 
Toutes  les  Impulsions  animales  se  confondent  avec  des  Émotions 
humaines.  Dans  le  processus  d'évolution,  en  partant  de  l'appétit 
sexuel  simplement  animal,  nous  arrivons  à  la  tendresse  la  plus  pure 
et  la  plus  étendue;  et,  de  la  propriété  simplement  animale  de  Sensibi- 
lité, aux  plus  nobles  sommets  de  la  Spéculation.  Les  Instincts  Sociaux 
qui  sont  les  analogues  des  Instincts  individuels,  tendent  de  plus 
en  plus  à  faire  dominer  la  Socialité  sur  l'Animalité,  et  à  subordonner 
ainsi  la  Personnalité  à  THumanité...  Ainsi  l'Intellect  humain  sort  de 
l'Intelligence  animale,  et  développe  une  vaste  création  indépen- 
dante, qui  a  pour  matériaux  le  Cosmos  tout  entier,  et  l'Humanité. 
Concurremment  avec  lui,  l'Intelligence  Morale  développe  son  sys- 
tème. L'Intellect  et  la  Conscience  sont,  tous  deux,  des  produits  des 
impulsions  animales  et  des  impulsions  sociales,  agissant  et  réagissant. 
Tandis  que  l'Intellect  est  principalement  occupé  des  relations  du 
Cosmos  et  de  son  Histoire,  ayant  pour  but  final  de  les  faire  servir 
à  des  besoins  pratiques,  la  Conscience,  ou  Intelligence  Morale, 
est  principalement  occupée  des  relations  d'humanité,  —  besoins 
humains  et  actions  humaines,  —  ayant  pour  but  final  de  conformer 
notre  conduite  à  ces  relations,  d'harmoniser  nos  impulsions  avec  les 
impulsions  des  autres;  aidant  ainsi  les  autres  et  nous  contentant 
nous-mêmes.  » 

1.  Problems  of  Life  and  Mind,  p.  159,  173. 


CHAPITRE   XXIII 


STRUCTURE     INTERNE     DU     CERVEAU     HUMAIN 

La  structure  interne  du  Cerveau  Humain  est  si  complexe,  et  en 
même  temps  si  imparfaitement  connue,  qu'il  est  difficile  d'en  donner 
une  description  qui  puisse  être  intelligible  pour  la  majorité  des 
lecteurs.  La  compréhension  complète,  même  de  son  plan  général, 
demandera  toute  l'attention  dont  ils  pourront  disposer.  On  exclura 
du  présent  chapitre  une  multitude  de  détails  techniques,  dont  la 
signification  est  inconnue  ou  ne  saurait  être  appréciée  par  quel- 
qu'un qui  n'a  point  déjà  fait  une  étude  attentive  du  sujet.  On  trou- 
vera la  discussion  de  ces  détails  dans  des  ouvrages  plus  techniques 
et  purement  anatomiques. 

En  décrivant  quelques-unes  des  formes  plus  élémentaires  du 
Système  Nerveux  que  l'on  rencontre  chez  les  Invertébrés,  puis  les 
principales  variations  externes  du  Cerveau,  telles  qu'elles  se  pré- 
sentent dans  la  série  des  Vertébrés,  nous  avons  préparé  le  lecteur, 
peut-être  le  mieux  possible,  à  aborder  une  étude  du  Cerveau  de 
l'Homme,  dans  les  limites  où  elle  est  compatible  avec  le  plan  de  cet 
ouvrage.  Le  lecteur,  en  effet,  a  fait  graduellement  connaissance  avec 
les  représentants  des  différentes  parties  du  Cerveau  humain  ;  et  la 
description  de  cet  organe  doit  avoir  été,  par  là,  rendue  à  la  fois  plus 
simple  et  plus  intéressante  qu'elle  ne  l'eût  été  autrement.  On  ne 
rencontrera  aucune  partie  absolument  nouvelle;  bien  qu'il  ne  soit 
pas  difficile  de  remarquer  un  grand  nombre  de  différences,  relati- 
vement au  volume  absolu,  ou  relatif,  des  divisions  du  Cerveau  que  le 
lecteur  connaît  déjà  pour  les  avoir  rencontrées  chez  les  animaux.  La 
possession  d'une  base  de  comparaison  de  cette  nature  ne  saurait 
guère  manquer  d'ajouter  encore  un  grand  intérêt  à  l'étude  du  Cer- 
veau de  l'Homme,  et  nous  dispensera  souvent  de  faire  des  descrip- 
tions prolongées. 

Ce  que  l'on  dira  dans  ce  chapitre  sur  la  structure  interne  du  Cerveau 
Humain  peut  être,  pour  plus  de  commodité,  groupé  sous  les  titres  suivants  : 
(1)  Topographie  interne  du  Cerveau  Humain;  (2)  Distribution  des  Fibres  cora- 


78  STRUCTURE   INTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 

posant  les  Pédoncules  cérébraux,  avec  un  exposé  {a)  de  leurs  relations  avec 
les  Couches  Optiques  et  les  Corps  Striés,  et  (b)  de  leurs  relations  (aussi  bien 
que  de  celles  des  Fibres  qui  partent  simplement  de  ces  gros  Ganglions,  ou  qui 
s'y  rendent)  avec  différentes  parties  de  l'Écorce  des  Hémisphères  Cérébraux; 
(3)  Anatomie  microscopique  des  Circonvolutions  Cérébrales  ;  (4)  Relations  des 
Commissures  du  Cerveau,  comprenant  (a)  celles  qui  réunissent  des  régions 
similaires  dans  les  deux  Hémisphères,  (b)  celles  qui  réunissent  différentes 
régions  du  même  Hémisphère,  et  (r)  celles  qui  mettent  le  Cervelet  en  relation 
avec  les  Hémisphères  Cérébraux:  (5)  Structure  générale  du  Cervelet,  et  ses 
relations  avec  les  autres  parties  ;  (6)  Anatomie  microscopique  de  l'Écorce  du 
Cervelet  ;  (7)  Connexions  centrales  des  divers  Nerfs  Crâniens  ;  (8)  Relations  du 
Système  Nerveux  Viscéral  avec  le  Cerveau. 


I.   —    TOPOGRAPHIE    INTÉRIEURE      DU    CERVEAU    HUMAIN. 

On  a  déjà  indiqué  (p.  207,  vol.  I",  et  p.  2  et  6  de  ce  vol.)  la  nature 
des  Ventricules  latéraux  et  des  autres  Ventricules,  et  les  relations 


FiG.  151.  —  Ventricules  Latéraux  et  leurs  Cornes,  avec  les  parties  contiguës  (d'après 
Sliarpey).Les  parties  supérieures  des  Hémisphères  ont  été  enlevées.  Le  Trigone  (c)  est 
coupé  et  renversé  pour  montrer  le  vélum  interpositum  (toile  choroîdienne)  {d,  d)  et  les 
grandes  veines  de  Galien,qui  ramènent  le  sang  des  parties  centrales  du  Cerveau,  les 
Corps  Striés  (b)  compris;  a,  e,  g,  sont  les  trois  cornes  des  Ventricules;  f,  Grand  Hippo- 
campe (pour  le  montrer,  la  substance  cérébrale  a  été  entaillée  davantage  sur  la  gau- 
che); h,  petit  Hippocampe. 


d'eux  tous,  sauf  le  cinquième,  avec  le  canal,  originellement  large, 
du  Tube  Nerveux  Cérébro-Spinal  primitif. 

Les  Ventricules  Latéraux,  dans  le  Cerveau  Humain,  sain  et  bien 


TOPOGRAPHIE   INTÉRIEURE. 


79 


développé,  sont  des  cavités  relativement  étroites,  principalement 
représentées  par  trois  éperons  ou  cornes  (fig.  151).  L'arrangement 
des  parties,  à  l'intérieur  et  autour  de  ces  Ventricules  Latéraux,  est 
essentiellement  semblable  à.  ce  que  l'on  rencontre  chez  les  Singes 
supérieurs,  chez  lesquels  existent  les  cornes  poster  leur  es,  dont  on  a 
déjà  beaucoup  parlé,  aussi  bien  que  les  petits  renflements  (petits 
hippocampes),  situés  sur  leur  côté  interne,  et  qui  correspondent 
extérieurement  à  la  scissure  calcarine.  (Voy.  p.236,  vol.  P"".)  Les 
Tubercules  Quadrijumeaux  et  les  organes  adjacents  ne  présentent 
pas  non  plus  de  particularités  distinctes. 

Comme   l'on   ne  rencontre  pas,  dans   ces   régions  du  Cerveau 
Humain,  de  structures  nouvelles,  il  n'y  a  pas  besoin  de  faire  une 


Fig.  153.  —  Troisième  et  Quatrième  Ventricules  du  Cerveau,  découverts  en  enlevant  la 
«  toile  choroïdienne  »  et  en  coupant  une  partie  des  Hémisphères  Cérébraux  et  du  Cer- 
velet (d'après  Sharpey).  a,  Corps  Strié  ;  6,  Couche  Optîqu,e  ;  e,  piliers  antérieurs  de  la 
Voûte;  d,  commissure  moyenne  ou  molle,  traversant  le  troisième  ventricule;  e,  Glande 
Pinéale  ;  f,  f.  Tubercules  Quadrijumeaux;  g,  g.  Pédoncules  Cérébelleux  supérieurs,  avec 
(II)  une  partie  de  la  valvule  de  Vieussens,  s'étendant  entre  eux  et  formant  le  toit  du 
quatrième  ventricule  (4). 


description  spéciale  de  sa  topographie  intérieure.  Il  suffira  d'étudier 
les  figures  151-153  et  leurs  explications.  Le  lecteur  fera  bien  de 
les  étudier  avec  soin  et  de  les  comparer  avec  les  figures  des  mêmes 
parties  chez  quelques-uns  des  animaux  inférieurs  (fig.  86,  87, 115). 
On  trouvera,  en  outre,  dans  le  paragraphe  suivant,  quelques 
détails  sur  la  structure  des  Corps  Striés  et  des  Couches  Optiques. 


80  STRUCTURE  INTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 

II.    —    DISTRIBUTION    DES    FIBRES    QUI    COMPOSENT 
LES    PÉDONCULES    CÉRÉBRAUX. 

On  a  fait,  pendant  ces  dernières  années,  des  tentatives  sérieuses 
pour  démêler  la  course  précise  des  différentes  bandes  de  fibres  qui 
passent  de  la  Moelle  Épinière  au  Cerveau,  et  vice  versa.  Si  impor- 
tantes qu'elles  soient,  on  ne  s'arrêtera  que  fort  peu  ici  sur  les  labo- 
rieuses investigations  de  Stilling,  Lockhart  Clarke,  Meynert,  et 
autres,  sur  la  structure  intime  du  Bulbe;  car  les  détails  qu'elles  ont 
révélés  sont  infiniment  trop  complexes  et  techniques  pour  être 
exposés  maintenant  ;  et  aussi,  parce  que  nous  n'avons  réellement 
besoin,  pour  le  but  que  nous  poursuivons  actuellement,  que  d'exposer 
l'arrangement  général  des  principales  parties. 

La  structure  intime  et  le  mode  de  distribution  des  fibres  dans 
les  parties  supérieures  du  Cerveau  est  une  étude  d'une  difficulté 
non  moins  considérable,  et  dont  se  sont  surtout  occupés,  dans  ces 
dernières  années,  Meynert,  Luys  et  Broadbent.  Sur  nombre  de 
points,  ces  observateurs  sont  loin  d'être  d'accord.  Les  vues  de 
Meynert,  sur  ce  sujet  difficile,  ont  été  dernièrement  réarrangées 
et  exposées  plus  clairement,  ce  dont  elles  avaient  grand  besoin,  par 
le  professeur  Huguenin,  de  Zurich  ;  et  la  valeur  de  cet  ouvrage  est 
encore  accrue,  dans  la  traduction  française,  par  l'incorporation  de 
matériaux  nouveaux,  fournis  par  les  éditeurs, MM.  Duval  et  Keller^. 
Ce  iraité  récompensera  l'étude  attentive  qu'en  feront  ceux  que  ne 
rebuteront  pas  ses  détails  techniques,  et  qui  seront  capables  de  les 
comprendre.  U  semble,  toutefois,  plus  que  douteux  que  Meynert 
ait  raison  daûs  son  point  de  vue  général,  quant  à  la  représentation 
séparée  de  canaux  sensitifs  et  moteurs  pour  les  mouvements  auto- 
matiques et  les  mouvements  volontaires  respectivement.  Luys,  outre 
l'occasion  que  lui  a  fournie  son  grand  ouvrage  systématique-,  a 
encore  établi  ses  vues  dans  un  des  volumes  de  cette  série  s.  Si  l'on 
fait,  dans  ce  chapitre,  peu  d'allusions  à  ses  vues,  c'est  en  partie 
pour  cela,  en  partie  parce  que  les  investigations  de  Broadbent  ont, 
jusqu'ici,  été  plus  spécialement  dirigées  sur  quelques-uns  des  points 
que  nous  pouvons  le  plus  avantageusement  discuter  ici  ;  et  surtout, 
parce  que  les  observations  de  ce  dernier  semblent  avoir  été  conduites 
avec  beaucoup  de  soin  et  avoir  été  interprétées  d'un  point  de  vue  gé- 
néral correct.  Aussi,  bien  que  les  investigations  de  Broadbent  n'aient 

1.  Anatomie  des  Centres  Nerveux,  par  Huguenin.  Paris,  1879. 

2.  Sur  le  Système  Nerveux  Cérébro-Spinal,  1865. 

3.  Le  Cerveau  et  ses  Fonctions,  1876. 


PÉDONCULES   CÉRÉBRAUX. 


81 


encore  été  publiées  qu'en  abrégé  \  ce  sont  elles  que  l'on  citera  de 
préférence  dans  ce  paragraphe  et  le  suivant. 

Un  des  faits  les  plus  fondamentaux  touchant  les  relations  struc- 
turales des  Hémisphères  Cérébraux  et  de  leurs  Pédoncules,  est  que  la 
moitié  gauche  du  Cerveau  est  spécialement  en  connexion  avec  le 
côté  droit  du  corps,  et  la  moitié  droite  avec  le  côté  gauche.  Cet 
arrangement,  qui  existe  non  seulement  chez  l'Homme  mais  chez 
les  Vertébrés  en  général  (bien  qu'à  des  degrés  variables),  est  dû 
au  fait  que  les  fibres  «  centripètes  »  qui  se  rendent  à  chaque  Hémi- 
sphère cérébral,  viennent  de  la  moitié  opposée  du  corps,  et  que  les 
fibres  «  centrifuges  »  se  rendent  aussi  à  cette  même  moitié. 

Pour  parler  en  termes  généraux,  on  peut  dire  que  les  fibres  «  cen- 


FiG.  153. —  Coupe  longitudinale  verticale  à  travers  l'Hémisphère  Gauche,  montrant  lo 
Ventricule  Latéral  et  ses  trois  Cornes  (Sappey,  d'après  Hirschfeld).  1,  2,  portions  intra- 
et  extra-ventriculaires  du  Corps  Strié,  séparées  par  (3)  une  couche  de  fibres  blanches; 
4,  jonction  du  corps  du  Ventricule  avec  sa  corne  antérieure  ;  5,  corjie  postérieure  :  6, 
petit  Hippocampe  ;  7,  corne  descendante  ou  moyenne  ;  8,  grand  Hippocampe,  couvert 
par  (9)  le  plexus  choroïde;  10,  coupe  du  corps  calleux;  11,  commissure  antérieure; 
15,  scissure  de  Sylvius. 

tripètes»  qui  entrent  dans  la  Moelle  et  le  Bulbe,  de  chaque  côté,  dans 
toute  leur  longueur,  passent  bientôt,  comme  l'a  montré  Brown- 
Sequard,  du  côté  opposé  de  ces  centres;  et  qu'à  partir  de  là,  elles 
suivent  une  direction  ascendante  vers  l^Hémisphère  Cérébral  du 
même  côté,  —  bien  qu'elles  ne  parviennent  pas  toutes  jusque-là.  De 
même,  une  partie  importante  au  moins  des  fibres  «  centrifuges»  ou 
motrices,  c'est-à-dire  celles  qui  font  partie  des  Pyramides  Anté- 
rieures, s'entrecroisent  dans  le  Bulbe  avec  leurs  homologues,  de 
manière  à  se  rendre  à  la  Colonne  Latérale  du  côté  opposé  de  la 
Moelle.   Ainsi,  même   en  admettant   que   quelques-uns  des  Nerfs 


1.  The  Structure  of  the  Cérébral  Hémisphère.  —  Journal  of  Mental  Science, 
1870;  et  aussi  Tlie  Construction,  of  a  Nervous  System.  —  British' Médical  Jour- 
nal, mars  et  avril  1876. 

Charlton-Bastian.  —  II.  6 


82 


STRUCTURE    INTERNE   DU  CERVEAU  HUMAIN. 


Moteurs  Crâaiens  s'entrecroisent  plus  haut  dans  la  substance  du 
«  pont  de  Varole»  (fig.  15/i),les  endroits  où  se  fait  la  décussation  des 
conducteurs  moteurs  sont  tous  compris  dans  une  aire  fort  réduite, 
si  on  les  compare  à  ce  qui  a  lieu  pour  les  conducteurs  sensitifs. 

Les  fibres  longitudinales  de  la  Moelle 
sont  en  grande  partie  divisibles  (si  nous 
en  excluons  celles  qui  sont  en  relation 
spéciale  avec  le  Cervelet)  en  trois  caté- 
gories :  1°  les  fibres  qui  transmettent 
vers  le  Cerveau  les  courants  centripètes; 
"1°  les  fibres  qui  transmettent  les  cou- 
rants cenrr//'«f^es;  et  3"  les  fibres  d'ordre 
commissuralj  qui  servent  à  relier  des 
centres,  ou  groupes  séparés  de  cellules, 
dans  différentes  parties  de  la  Moelle 
elle-même  ou  dans  la  Moelle  et  le  Bulbe. 
La  Moelle  étant  en  outre  un  organe 
symétrique  bilatéralement,  les  groupes 
de  cellules  en  question  sont  semblable- 
ment  représentés  dans  chacune  de  ses 
moitiés  (fig.  19),  et  les  régions  simi- 
laires, Motrices  et  Sensitives  de  ces 
deux  moitiés  de  la  Moelle  et  du  Bulbe 
sont,  dans  une  étendue  considérable, 
mises  en  relation  structurale  les  unes 
avec  les  autres,  au  moyen  de  nom- 
FiG.  154.  —  Diagramme  montrant  le   breuses    fibres    commissumles   trans- 

lieu  et  le  mode  de  décussation  des    yerses 
Fibres  Motrices  dans  le  Bulbe  et  la 

Protubérance  (Broadbent).  B,  B',         Los  doux  premières  series  de  fibres 
deux  séries  de  noyaux  du  plexus   longitudinales  dout  OU  a  parlé,  passent 

brachial   non  reliées  par  descom-     ^g  chaque  CÔté,  OU  COlonues  Compactes, 
missures  transversales  ;  O,  G',  deux  r  r 

séries  de  noyaux  ocuio-moteurs   à  travers  le  Bulbo  et  cc  prolongement 

dans  la  Protubérance,    librement     dU  Bulbe  qui  est  CrOisé  par  leS  pédoïl- 
fibres    motrices    Tenant  du  Corps     \arole).    Au  delà  de  Ce  point,  les    dOUX 

Strié.  séries   de   fibres    d''un  côté  s'écartent 

de  celles  du  côté  opposé  (fig.  156), 
de  manière  à  former  ce  qui  est  connu  sous  le  nom  de  Pédoncules 
cérébraux.  On  voit  ces  parties  sur  la  face  inférieure  du  Cerveau, 
surtout  lorsque  les  sommets  des  Lobes  Temporaux  sont  écartés 
ou  enlevés  (fig.  155,  r  c).  Chaque  Pédoncule  disparaît  bientôt  dans 
l'Hémisphère  Cérébral  correspondant;  et  le  reste  de  sa  course,  ou 
de  celle  des  fibres  qui  le  constituent,  ne  peut  plus  être  découvert 
que  par  de  minutieuses  dissections.  Il  s'élargit  rapidement  en  s'éten- 


PEDO.NCULES    CÉRÉBRAUX. 


8$ 


dant  en  éventail  {corona  radiata],  les  bords  de  réventail  étant  diri- 
gés, comme  le  dit  Broadbent,  c  en  avant  et  en  arrière,  et  les  sur- 
faces en  dedans  et  en  dehors,  mais  inclinées  en  dehors,  de  manière 
que  la  surface  externe  regarde  en  bas  et  soit  concave,  et  que  la 
surface  interne,  convexe,  regarde  en  haut  ». 

En  coupant  transversalement  un  des  Pédoncules  en  avant  de  la 
Protubérance,  on  voit  quïl  se  compose  de  deux  couches  de  fibres 
séparées  par  une  bande  noire  grisâtre  de  tissu  ganglionnaire  connue 


Fie.  155.  — OaToit,  à  droiie,  un  pian  àe  nbres  simees  au-dessous  des  circonTolntions  su- 
perficielles, SUT  la  face  inférieiue  du  Lobe  Temporal,  et  formant  le  plancher  de  la  Corne- 
Descendante.  La  Come  a  éié  ouverte  en  avant;  et  l'on  voit  les  fibres  '$  x)  qui  vont  du 
sommet  du  lobe  an  Corps  Strie  extra-ventricnlaire.  Du  coté  ganche,  la  dissection  a  été- 
poussée  pins  loin,  et  la  Bandelette  Optiqne  a  été  enlfivéej^r  r.  Pédoncule  du  Cerreau;. 
r  e,  Crusta;  r  t,  fibres  du  Tegmentum  (et  fibres  venant  de  la  Couche  Optique)  contour- 
nant le  bord  antérieur  de  la  Crusta  ;  /  h,  queue  de  la  Couche  Optique,  contournant  le 
bord  postérieur  de  la  Crusta,  form.ant  le  t  Col  du  Pédoncule  i,  et  distribuait  des  fibres 
au  bord  Sylvien  du  Lobe  Temporal  ;  t  h  et  s  x',  fibres  allant  de  la  Couche  Optiqne, 
et  du  Corps  Strié  extra-ventriculaire  respectivement,  à  l'ertrémité  Occipitale  de  l'Hé- 
misphère. Les  fibres  longitadirraies  non  indiquées  par  des  lettres  appartiennent  prin— 
cioalemenî  au  svstème  du  Gvrus  Uneinalus  Broacbenii. 


sous  le  nom  de  locus  niger  ^.  En  regardant  parla  face  inférieure,  la 
couche  la  plus  superficielle  c'est-à-dire  la  couche  inférieure  et 
anièrieure,  dans  la  position  naturelle  du  Cerveau'  est  connue  sous  le 
nom  de  Crmta.et  se  compose  de  fibres  blanches.  Elle  est  sans  doute 

1.  Sa  conlenr  est  due  à  l'abondance   des  granules  pigmentaires  contenus 

dans  les  erosses  cellules  nerveuses  de  cette  région. 


8i  STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU    HUMAIN. 

constituée  par  la  masse  des  fibres  centrifuges  qui  se  réunissent  plus 
bas  pour  former  les  pyramides  ultérieures  du  Bulbe,  ainsi  que  par 
d'autres  fibres  qui  se  terminent  dans  des  groupes  de  cellules  motrices 
à  l'intérieur  de  la  Protubérance  et  du  Bulbe.  Mêlées  à  celles-ci  se 
trouvent,  suivant  toute  probabilité,  des  fibres  qui  suffisent  à  relier 


FiG.  156. —  Ganglions  centraux  du  Cerveau,  avec  le  Cervelet  et  ses  Pédoncules  Supérieurs 
(Sappey,  d'après  Hirschfeld).  1,  Tubercules  Quadrijumeaux  ;  2,  Valvule  de  Vieussens; 
3,  Pédoncules  Cérébelleux  supérieurs  ;  4,  partie  supérieure  des  Pédoncules  Cérébelleux 
moyens;  5,  partie  supérieure  des  Pédoncules  Cérébraux;  6,  sillon  latéral  de  l'isthme; 
7,  ruban  de  Reil;  8,  cordon  s'étendant  du  testis  au  corps  genouillé  interne;  9,  colonne 
de  la  Valvule  de  Vieussens;  10,  lamelle  grise  de  la  même;  11,  fibres  postérieures  du 
faisceau  triangulaire  do  l'isthme  ;  12,  fibres  supérieures  des  Pédoncules  Cérébelleux 
moyens;  13,  centre  blanc  du  Cervelet;  14,  noyau  gris  rhomboïdal  du  Cervelet;  15, 
«  commissure  postérieure  »  du  Cerveau;  16,  pédoncules  de  la  Glande  Pinéale;  17, 
Glande  Pinéale,  renversée  en  avant  pour  laisser  voir  ces  deux  dernières  parties;  18, 
tubercules  postérieurs  des  Couches  Optiques  ;  19,  tubercules  antérieurs  des  mêmes; 
20,  Ténia  semicircularis  ;  21,  veines  du  Corps  Strié;  23,  piliers  antérieurs  delà  Voûte, 
entre  lesquels  on  voit  la  «  commissure  antérieure  »  ;  23,  Corps  Strié  ;  24,  Septum  Luci- 
dum  et  «  cinquième  ventricule.  » 


le  Corps  Strié  avec  le  Cervelet,  par  l'intermédiaire  de  sq^  pédoncules 
'Moyens.  La  couche  plus  profonde  (celle  qui  est  située  en  dessus  et 
en  arrière  dans  la  position  naturelle  du  Cerveau)  constituant  ce  que 


COUCHES    OPTIQUES.  85 

Ton  connaît  sous  le  nom  de  Tegmenlum,  n'est  pas  aussi  blanche,  et 
semble  être  principalement  composée  de  fibres  «  centripètes  »  pro- 
venant de  la  Moelle  et  du  Bulbe. 

«  La  Crusla  et  le  TegmenLum,  dit  Broadbent,  peuvent  être 
séparés  l'un  de  l'autre  sur  une  certaine  distance,  lorsqu'ils  s'éten- 
dent pour  former  l'expansion  en  éventail  dont  on  a  parlé;  mais, 
avant  qu'elles  émergent  des  ganglions  centraux,  les  fibres  de  l'une 
des  couches  pénètrent  entre  celles  de  l'autre,  et  elles  se  mêlent  de 
façon  à  ne  plus  pouvoir  être  distinguées. 

a.  Relation  des  Pédoncules  Cérébraux  avec  les  Ganglions  Centraux: 
Couches  Optiques  et  Corps  Striés.  —  D'après  l'anatomiste  cité  ci- 
dessus,  «  on  peut  dire  que  la  Couche  Optique  et  le  Corps  Strié 
sont  placés  à  cheval,  l'un  sur  le  bord  postérieur,  l'autre  sur  le  bord 
antérieur  de  l'éventail  que  forme  le  Pédoncule  en  s'étalant;  et  que 
chacun  d'eux  a  une  portion  intra-ventriculaire  et  une  portion 
extra-ventriculaire.  La  Couche  Optique  est  de  beaucoup  le  plus 
petit  des  deux  ganglions,  et  l'on  peut  dire  qu'elle  est  embrassée  par 
le  Corps  Strié,  qui  est  aussi  placé  sur  un  niveau  un  peu  plus  élevé. 
Il  y  a  un  remarquable  contraste  entre  ces  deux  ganglions,  soit  sous 
le  rapport  de  la  structure,  soit  sous  celui  de  leurs  relations  avec  le 
Pédoncule  cérébral,  d'une  part,  et  les  circonvolutions  de  l'Hémi- 
sphère d'autre  part.  « 

La  Couche  Optique  se  compose  d'un  mélange  de  fibres  et  de 
substance  grise,  et  a  une  couleur  blanchâtre  à  la  surface,  —  qui 
contraste  avec  la  teinte  plus  grise  du  Corps  Strié. 

La  partie  de  beaucoup  la  plus  considérable  de  la  Couche 
Optique  semble  ^  se  projeter  dans  le  «  ventricule  latéral  «;  car  «  elle 
repose  sur  le  tegmentum  du  pédoncule  cérébral,  d'où  elle  peut  être 
soulevée  d'arrière  en  avant  et  en  haut;  les  fibres  divergentes  de  cette 
partie  du  pédoncule  paraissant  se  poursuivre  en  avant,  en  passant 
au-dessous  du  ganglion,  sans  se  terminer  à  son  intérieur».  Mais, 
comme  Broadbent  le  remarque  plus  loin  :  «  il  est  possible  qu'il 
existe,  au  moyen  de  prolongements  cellulaires,  une  communication 
entre  les  fibres  rayonnantes  et  le  ganglion  susjacent,  qui  les  mette 
dans  une  relation  équivalente  à  la  terminaison  directe  de  fibres  et 
de  cellules  » . 

La  portion  de  la  Couche  Optique  qui  semble  réellement  placée  en 
dehors  du  ventricule  consiste  «  seulement  en  un  prolongement  du 
corps  du  ganglion,  qui  contourne  le  bord  postérieur  du  pédoncule  et 
se  replie  en  avant  dans  le  toit  de  la  corne  descendante  du  ven- 
tricule latéral,  en  devenant  pointue  antérieurement.  » 


1.  Voyez  vol.  F"-,  p.  208,  209 note;  et  aussi  fig.  122. 


S6     STRUCTURE  INTERNE  DU  CERVEAU  HUMAIN. 

Le  Corps  Strié  est  divisé  en  deux  parties  distinctes  par  les  fibres 
rayonnantes  du  Pédoncule  qui  le  traversent.  «  La  portion  intra- 
ventriculaire  consiste  en  un  dépôt  ou  lit  de  substance  grise,  molle, 
îion  mêlée  de  fibres  distinctes  visibles  à  l'œil  nu,  plus  épais  et  plus 
large  en  avant  dans  la  corne  antérieure  du  ventricule,  —  et  se  rétré- 
cissant en  pointe  en  arrière.  Il  repose  sur  les  fibres  rayonnantes  du 
tegmentum  et  de  la  couche  optique,  qui  passent  au-dessous  de  lui 
pour  se  rendre  en  avant,  dans  l'Hémisphère  proprement  dit.  »  Entre 
les  faisceaux  des  fibres  rayonnantes,  cette  portion  antérieure  et 
supérieure  se  continue  avec  la  portion   extra-ventriculaire,  infé- 


FiG.  157.  —  Coupe  transversale  du  Cerv^eau,  immédiatement  en  arrière  de  l'infundibu- 
lum.  S  V,  Corps  Strié  Intra-ventriculaire  ;  S  X,  Corps  Strié  Extra-ventriculaire  ;  T  li, 
Couche  Optique;  r  c,  Crusta,  et)-  t,  Tegmentum  du  Pédoncule  Cérébral;  R,  expansion 
rayonnante  de  fibres  blanches  (coron  a  radiata)  ;  r  c,  r  t  et  R,  forment  ensemble  ce  que 
l'on  a  appelé  la  capsule  interne  du  Noyau  Lenticulaire  ;  C  X,  capsule  externe,  com- 
prenant le  Claustrum  ;  C,  Corps  Calleux  ;  F  S,  Scissure  de  Sylvius  ;  L  M  G,  Circonvolu- 
tion  Marginale  Longitudinale;  S  M  G,  S  M  G',  Circonvolution  Marginale  Sylvienne  ; 

indique  des  lignes  de  dérivation  de  fibres  du  Corps  Strié  ; fibres 

de  distribution  de  la  Couche  Optique  (Broadbent). 


rieure  et  externe,  du  Corps  Strié,  qui  est  plus  volumineuse  que  la 
partie  déjà  décrite,  bien  qu'elle  soit,  comme  celle-ci,  plus  grosse  en 
avant  qu'en  arrière.  C'est  une  masse  un  peu  pyriforme,  de  substance 
grise,  molle,  limitée  en  dessus  et  en  dedans  par  les  fibres  rayonnantes 
du  Pédoncule  (capsule  interne),  et  en  dehors  (fig.  157,  C.  x)  par 
une  couche  mince  de  fibres  {capsule  externe),  partant  de  son  inté- 
rieur pour  se  distribuer  aux  diverses  régions  de  l'Hémisphère;  bien 
que  formant,  dans  la  première  partie  de  leur  trajet  vers  les  circon- 
volutions (ainsi  que  quelques  autres  fibres  du  fasciculus  uncinatus 
qu'on  décrira  ci-après),  une  paroi  externe  qui  sert  à  séparer  cette 


CORPS  STRIÉS.  87 

portion  inférieure  du  Corps  Strié  des  circonvolutions  immédia- 
tement adjacentes  de  1'  «  insula  de  Reil  »,  —  dont  la  situation  a  été 
déjà  déterminée.  (Voir  vol.  I",  page  23/i  ;  vol.  II,  p.  9  et  ZiO.) 

b.  Relaiions  des  fibres  qui  composent  les  Pédoncules  Cérébraux, 
ainsi  que  des  fibres  partant  des  Gatiglions  centraux,  ou  y  arrivant, 
avec  différentes  Circonvolutions  des  Hémisphères  Cérébraux.  —  Il 
est,  d'après  Broadbent,  facile  à,  démontrer  «  que  les  fibres  du  pédon- 
cule passent  en  grand  nombre,  sans  s'interrompre,  à  travers  les  Gan- 
glions Centraux,  ou  par  eux,  en  se  rendant  aux  Circonvolutions  ». 
Et  il  ajoute  :  «  Pour  ce  qui  est  des  fibres  du  bord  postérieur 
du  Pédoncule,  il  ne  saurait  guère  y  avoir  erreur;  car  elles  n'entrent 
point  du  tout  en  relation  avec  la  substance  grise  qui  se  trouve  sur 
leur  route  ^.  » 

D'autres  fibres,  provenant  les  unes  du  «  tegmentum  »,  les  autres 
delà  «  crusta»,  semblent  se  terminer,  ou  prendre  leur  origine,  dans  la 
substance  grise  du  Corps  Strié,  bien  que  Broabdent  incline  à  croire 
qu'  «aucune  fibre  de  l'une  ou  de  l'autre  division  ne  se  termine  dans 
la  Couche  Optique ^  ». 

Il  semble  toutefois  sortir  de  la  Couche  Optique,  comme  du  Corps 
Strié,  un  grand  nombre  de  fibres  indépendantes  qui  servent  à  relier 
ces  ganglions  avec  des  Circonvolutions  situées  dans  diverses  parties 
des  Hémisphères  3.  Ces  deux  séries  de  fibres  ne  s'en  vont  pas  sépa- 
rément à  la  substance  grise  des  Circonvolutions  ;  mais  elles  sont, 
pour  la  plupart,  inextricablement  mêlées  avec  celles  des  fibres 
du  Pédoncule  (dont  on  a  déjà  parlé)  qui  passent  sans  s'interrompre 
à  travers  les  Ganglions  Centraux.  En  outre,  en  dehors  de  ces  corps, 
ces  trois  séries  de  fibres  se  mêlent  encore  à  celles  de  la  grande  com- 
missure transversale  qui  réunit  les  Hémisphères,  —  c'est-à-dire  du 
Corps  Calleux. 

Mais  il  faut  décrire  un  peu  plus  longuement  la  course  de 
ces  trois  séries  de  fibres  —  répondant  au  projection  system  de 
Meynért.  —  Leur  mode  de  distribution   est  forcément  de   grande 

1.  Quelques-unes  de  ces  fibres  qui  passent  simplement  à  travers  les  Gan- 
glions Centraux,  ou  par  eux,  peuvent,  comme  certains  anatomistes  le  supposent, 
servir  à  relier  l'Écorce  Cérébrale  avec  le  Cervelet,  par  l'intermédiaire  des  «  pé- 
doncules moyens  »  de  ce  dernier. 

2.  Ceci  semble  une  proposition  fort  douteuse.  Les  relations  anatomiques 
des  Couches  Optiques  sont  toutefois,  jusqu'ici,  aussi  incertaines  que  leurs 
fonctions. 

3.  Broadbent  dit  {Journal  of  Mental  Science,  Avril  1870,  p.  9}  :  —  «  En 
comparant  la  surface  de  section  des  fibres  que  l'on  voit  ainsi  sortir  des  Gan- 
glions Centr-aux  avec  la  surface  de  section  du  Pédoncule  lorsqu'il  émerge  de  la 
Protubérance,  on  verra  que  les  fibres  ascendantes  ont  été  grandement  renfor- 
cées par  des  additions  venant  des  Ganglions.  » 


88  STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU    HUMAIN. 

importance,  si  l'on  veut  avoir  quelques  notions  cohérentes,  même  des 
modes  les  plus  simples  d'activité  cérébrale.  Le  lecteur  doit  donc 
étudier  avec  soin  les  particularités  signalées  ci-dessous,  en  se 
reportant  fréquemment  aux  figures  où  l'on  peut  voir  la  position 
relative  des  Circonvolutions  auxquelles  il  est  fait  allusion.  Voici,  en 
substance,  la  description  donnée  par  Broadbent  ^  : 

Les  fibres  du  Pédoncule,  de  la  Couche  Optique  et  du  Corps  Strié  courent 
toujours  plus  ou  moins  de  compagnie  vers  les  mêmes  parties.  Pour  plus  de 
brièveté,  on  peut-les  désigner  sous  le  nom  de  fibres  radiantes. 

(Mais,  partout  où  vont  les  fibres  radiantes  vont  aussi  les  fibres  du  Corps 
Calleux,  —  bien  que  pas  nécessairement  dans  la  même  proportion.  Ainsi  il 
arrive  que  les  Circonvolutions  où  des  fibres  «  radiantes  »  commencent  ou 
viennent  se  terminer,  sont  aussi  associées  d'une  manière  bilatérale  parle  Corps 
Calleux,  et  rendues  ainsi  aptes  à  une  activité  associée). 

Ces  fibres  a  radiantes  »  et  «  calleuses  »  ne  se  distribuent  pas  également  à 
toutes  les  Circonvolutions.  Un  grand  nombre  de  celles-ci  ne  reçoivent  pas  une 
seule  fibre  du  Pédoncule,  de-  la  Couche  Optique,  du  Corps  Strié,  ou  du  Corps 
Calleux,  et  ne  communiquent  qu'indirectement  avec  les  ganglions  centraux  ou  la 
grande  commissure,  au  moyen  de  fibres  en  anses  qui  leur  viennent  de  Circon- 
volutions directement  reliées  à  des  fibres  radiantes  ou  calleuses. 

Ce  qu'a  sommairement  établi  Broadbent  ^,  sur  la  distribution 
exacte  des  fibres  radiantes  et  calleuses  et  sur  les  Circonvolutions 
où  elles  ne  se  rendent  pas,  contient,  comme  on  le  verra,  des  parti- 
cularités importantes. 

«  Les  circonvolutions  où  se  rendent  les  fibres  radiantes  et  calleuses  sont 
principalement  celles  qui  sont  situées  le  long  des  bords  de  l'Hémisphère  :  le 
bord  de  la  grande  fente  longitudinale,  d'une  part,  et  de  l'autre  les  bords  supé- 
rieur et  inférieur  de  la  scissure  de  Sylvius,  qui  se  continuent  par  les  circon- 
volutions frontale  inférieure,  en  avant,  et  occipitale  inférieure  en  arrière, 
jusqu'aux  extrémités  frontale  et  occipitale  de  l'Hémisphère,  qui  en  sont  abon- 
damment pourvues;  enfin  le  bord  libre  formé  par  le  grand  Hippocampe.  Il 
faut  ajouter  à  celles-ci  les  circonvolutions  ascendantes  de  chaque  côté  du  sillon 
de  Rolando  (circonvolutions  ascendantes  frontale  et  pariétale,  ou  ascendantes 
pariétales  antérieure  et  postérieure),  et  peut-être  la  seconde  circonvolution 
frontale.  Les  fibres  calleuses  se  rendent  en  plus  grande  abondance  au  bord  de 
la  fente  longitudinale,  et  les  fibres  radiantes  au  bord  Sylvien  de  l'hémi- 
sphère. » 

Au  contraire,  les  Circonvolutions  qui  ne  reçoivent  pas  de  fibres  radiantes 
ni  calleuses  sont  «  toutes  celles  de  la  surface  interne  plate  de  l'hémisphère, 
celles  de  la  face  inférieure  du  lobe  temporo-sphénoïdal  et  du  lobule  orbitaire, 
les  circonvolutions  de  l'insula  de  Reil,  et  celles  situées  sur  la  convexité  des 
lobes  pariétal  et  occipital,  loin  des  bords,  jusqu'à  la  circonvolution  ascendante 

L  Brit.  Med.  Journal,  avril  8,  1876,  p.  433. 
2.  Ibid.,  p.  433. 


DISTRIBUTION  DES  FIBRES  RADIANTES  ET  CALLEUSES.  89 

située  en  arrière  du  sillon  de  Rolando».  Broadbent  ajoute  :  «  Il  peut  sembler 
moins  étrange  qu'il  y  ait  des  circonvolutions  sans  fibres  centrales  ou  calleuses, 
si  l'on  réfléchit  que  7iulle  part  ces  fibres  ne  se  rendent  à  la  substance  grise 
des  sillons,  mais  seulement  aux  crêtes  des  circonvolutions  ;  de  sorte  que  la 
partie  de  beaucoup  la  plus  grande  de  la  région  corticale  n'en  reçoit  pas.  » 

Le  même  investigateur  dit  aussi  :  «  L'affirmation  que  les  fibres  du 
Pédoncule,  de  la  Couche  Optique,  du  Corps  Strié  et  du  Corps  Calleux 
vont  toujours  ensemble  aux  mêmes  circonvolutions  semblera  peut- 
être  aller  au  delà  de  ce  que  Ton  pourrait  démontrer,  si  l'on  consi- 
dère qu'elles  sont  mêlées  de  façon  à  ne  pouvoir  être  suivies  isolé- 
ment; et  ce  n'est  pas  tout  à  fait  là  ce  qu'on  aurait  pu  attendre.  »  En 
certains  points  toutefois,  comme  le  signale  Broadbent,  on  reconnaît 
aisément  que  les  fibres  sont  fournies  suivant  un  mode  triple,  sinon 
quadruple  ;  et,  comme  exemple,  il  cite  les  faits  suivants  ^  : 

Les  fibres  qui  se  rendent  au  sommet  du  Lobe  Occipital  en  venant  de  trois 
de  ces  sources,  c'est-à-dire  Corps  Strié,  Couche  Optique  et  Corps  Calleux,  for- 
ment des  masses  distinctes  à  leur  point  de  départ,  et  ne  se  mêlent  les  unes 
avec  les  autres  que  près  de  leur  terminaison  dans  les  Circonvolutions. 

Il  existe  une  communication  également  indépendante  avec  certaines  Circon- 
volutions, situées  de  manière  que,  pour  les  atteindre,  les  fibi'es  provenant  de 
l'une  ou  de  l'autre  des  trois  sources  en  question  sont  obligées  de  suivre  une 
direction  extraordinaire.  Ainsi  les  Circonvolutions  de  l'extrémité  antérieure  et 
du  bord  supérieur  du  Lobe  Temporal  sont  reliées  directement  avec  (1)  le  Corps 
Strié  adjacent,  par  des  fibres  qui  croisent  la  scissure  de  Sylvius  ;  (2)  les  tibres 
de  la  Couche  Optique,  qui  se  rendent  aux  mêmes  circonvolutions,  sont  émises 
par  la  partie  de  ce  ganglion  qui  se  recourbe  dans  le  toit  de  la  corne  descen- 
dante du  ventricule,  d'où  ces  fibres  afférentes  se  dispersent  de  manière  à  at- 
teindre les  circonvolutions  des  régions  spécifiées  ;  tandis  que  (3)  les  fibres 
«  commissurales  »  allant  à  ces  mêmes  parties  sont  principalement  représentées 
par  celles  de  la  Commissure  Antérieure,  —  qui,  au  point  de  vue  fonctionnel, 
doit  être  regardée  comme  une  portion  détachée  de  la  grande  commissure 
transversale  ou  Corps  Calleux.  Les  fibres  «  commissurales  »  sont  toutefois  aussi 
représentées  par  certaines  fibres  antérieures  du  Corps  Calleux  lui-même,  qui, 
près  de  l'espace  perforé  antérieur,  croisent  pour  se  rendre  au  sommet  du  Lobe 
Temporal. 

Plus  extraordinaire  encore  est  la  direction  séparée  que  prennent  celles  des 
fibres  des  trois  séries  en  question  qui  entrent  en  relation  avec  le  Grand  Hippo- 
campe. Cette  partie,  dit  Broadbent,  «  est  en  communication  avecle  Corps  Strié, 
à  son  extrémité  uncinée  ;  avec  son  homologue  de  l'autre  hémisphèi'e  par  la 
partie  réfléchie  du  splénium  du  corps  calleux,  que  j'ai  appelée  la  commissure 
des  Hippocampes  ^  ;  mais  sa  situation  sur  le  côté  externe  de  la  grande  fente 
transversale  du  cerveau  semble  le  séparer  de  la  Couche  Optique.  La  connexion 

1.  Brit.  Med.  Journal,  avril  8,  1876,  p.  433. 

2.  Correspondant  aux  fibres  psaltériales  dont  on  a  déjà  parlé,  p.  2H,212, 
vol.  I". 


90 


STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU    HUMAIN. 


s'effectue  toutefois  par  les  fibres  de  la  Voûte  qui,  ainsi  qu'on  le  sait  bien, 
partent  de  la  Couche  Optique,  décrivent  un  huit  de  chiffre  dans  les  tubercules 
mamillaires,  suivent  alors  la  direction  en  haut  puis  en  arrière  qu'affecte  ce 
•corps  (le  Trigone),  et  se  rendent  à  l'Hippocampe  dans  le  ténia.  » 

III.    —    ANATOMIE    MICROSCOPIQUE     DES    CIRCONVOLUTIONS 
CÉRÉBRALES. 

On  a  déjà  établi  que  les  Circonvolutions  diffèrent  beaucoup,  pour 
•ce  qui  regarde  leurs  relations  entre  elles,  avec  les  Ganglions  Cen- 
traux et  avec  les  fibres  du  Pédoncule. 

Cependant,  toutes  les  Circonvolutions  présentent  certains  carac- 


FiG.  158.  —  Coupe  transversale  de  la  partie  antérieure  du  Lobe  Fronta  gauche,  mon- 
trant la  forme  des  Circonvolutions  et  l'épaisseur  relative  de  la  Substance  Grise. 
a,  troisième  Circonvolution  frontale,  dont  on  voit  une  coupe  grossie  dans  la  figure 
suivante. 


tères  communs.  Lorsqu'on  mène  une  coupe  à  travers  l'une  quel- 
conque d'entre  elles,  dans  une  direction  transversale  à  son  grand 
axe,  on  voit  une  branche  ou  projection  de  substance  blanche  conti- 
nue avec  la  «substance  blanche»  de  l'Hémisphère.  En  dehors  de  cette 
substance  blanche,  existe  une  couche  superficielle  de  Substance 
Grise,  aj'ant  une  épaisseur  moyenne  d'environ  sept  millimètres,  qui  se 
continue  sur  toute  la  surface  externe  de  l'Hémisphère,  —  puisqu'elle 


COUCHE    GRISE   DES    CIRCONVOLUTIONS.  91 

revêt  les  «scissures  »  aussi  bien  que  les  Circonvolutions  (fig.  158). 

Cette  couche  de  Substance  Grise  corticale  a  une  épaisseur  plus 
grande  sur  les  circonvolutions  frontales  et  pariétales  que  sur 
les  occipitales.  En  outre,  sa  pesanteur  spécifique  varie  en  ces  divers 
points,  étant  souvent  plus  élevée  dans  la  région  occipitale  que  dans 
la  frontale  (1032  :  1028);—  tandis  que,  sur  les  circonvolutions  parié- 
tales, la  densité  est  plus  ou  moins  intermédiaire. 

Dans  la  substance  grise  du  Lobe  Occipital,  surtout  celle  des  Cir- 
convolutions de  sa  face  inférieure  et  interne,  une  lamination  dis- 
tincte est  généralement  fort  apparente,  soit  à  l'œil  nu,  soit  à  l'aide 
d'une  simple  lentille.  Ces  circonvolutions  furent  examinées  et 
décrites  d'abord  par  Lockliart  Clarke,  en  1863  ^. 

Il  observa  la  divergence  de  faisceaux  de  fibres,  en  manière 
d'éventail,  à  partir  de  l'axe  central  de  substance  blanche,  et  leur 
passage  entre  de  longs  groupes  verticaux  de  cellules  nerveuses 
situés  dans  les  couches  grises  profondes  (fig.  159).  Quelques-unes 
des  fibres,  croyait-il,  se  continuaient  avec  les  prolongements  des 
cellules;  tandis  que  d'autres  se  repliaient  et  suivaient  une  direction 
horizontale  (soit  dans  le  sens  transversal,  soit  dans  le  sens  longitudi- 
nal). Les  faisceaux  de  fibres  se  réduisent  ainsi  de  volume,  et  enmême 
temps,  leurs  fibres  composantes  deviennent  plus  fines  à  mesure  qu'elles 
approchent  de  la  surface,  —  par  suite  apparemment  des  branches 
qu'elles  envoient  sur  leur  trajet  à  des  cellules  nerveuses  contiguës. 
Lorsqu'elles  arrivent  à  la  troisième  couche  à  partir  de  la  surface, 
elles  sont  «  réduites  aux  dimensions  les  plus  fines,  et  forment  un 
réseau  serré  en  connexion  avec  les  noyaux  et  les  cellules  ».  Les 
deux  couches  qui  sont  au-dessus  de  celle-ci  sont  de  couleur  plus 
pâle  et  composées,  pour  la  plus  grande  partie,  d'un  réticulum  extrê- 
mement délicat  de  fibres  (probablement  fort  semblables  à  la 
«  névroglie  »);  et  celles  qui  composent  la  couche  la  plus  externe  sont 
en  continuité  directe  avec  la  membrane  mince  et  très-vasculaire 
(pie-mère)  qui  recouvre  toute  la  surface  du  Cerveau  et  plonge  dans 
ses  scissures. 

Les  fibres  de  l'axe  central  blanc  lui-même  sont  croisées,  trans- 
versalement et  obliquement,  par  un  nombre  variable  d'autres  fibres, 
généralement  fort  nombreuses  près  de  sa  base  où,  d'après  Lockhart 
Clarke,  elles  se  croisent  dans  toutes  les  directions.  Celles-ci,  pense-t-il, 
consistent,  pour  la  plupart,  en  fibres  commissurales,  comme  on  les 
décrira  plus  loin. 

D'autres  investigateurs  ont,  depuis,  examiné  la  structure  de  la 
Substance  Grise  dans  diverses  Circonvolutions  situées  en  différentes 
parties  de  l'Hémisphère.  Bien  qu'il  existe  des  différences  de  détail, 

1.  Proceed.  of  Royal  Society,  vol.  XII,  p.  716. 


92  STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU    HUMAIN. 


FiG.  159.  —  Coupe  à  travers  un  des  Replis  de  la  Troisième  Circonvolution  Frontale  de 
l'Homme  (gross.  65  diam.).  (Ferrier,  d'après  Meynert).  1,  couche  de  petits  corpus- 
cules épars,  appartenant  principalement  à  la  névroglie;  2,  couche  de  petites  cellules 
pyramidales  rapprochées;  3,  couche  de  grosses  cellules  pyramidales  ;  4,  couche  de 
petits  corpuscules  irréguliers  et  rapprochés  (cette  lame  est,  dans  quelques  régions, 
occupée  par  des  cellules  géantes);  5,  couche  de  corpuscules  fusiformes;  m,  lame 
blanche  ou  médullaire. 

FiG.  160.  —  Grosse  Cellule  Pyramidale  avec  ses  prolongements,  provenant  de  la  qua- 
trième couche  de  Substance  Grise  Corticale  —  celltde  géante  (Charcot).  a,  corps  de  la 
Cellule,  s'amincissant  en  un  prolongement  pyramidal  ramifié;  b,  son  prolongement 
basilaire  qui  entre  en  relation  avec  (c)  les  fibres  blanches  de  la  Circonvolution  (forte- 
ment grossi). 


HISTOLOGIE  DE  LA  SUBSTANCE  GRISE.  93 

il  y  a  toutefois  une  grande  uniformité  dans  le  type  de  structure.  Sur 
un  grand  nombre  de  Circonvolutions  des  Lobes  Frontaux  et  Pariétaux, 
Meynert  décrit  la  Substance  Grise  comme  divisible,  non  pas  tant  par 
la  vue  ordinaire  que  par  les  caractères  microscopiques  de  ses 
parties  constituantes,  en  cinq  couches  ou  lames.  Il  donne  une  figure 
de  l'arrangement  des  éléments  constituant  ces  couches,  comme  on 
le  voit  dans  une  coupe  menée  à  travers  la  «troisième  circonvolution 
frontale  »  (fig.  159).  Tout  récemment,  en  outre,  Bevan  Lewis  et 
II.  Clarke  ont  décrit  un  arrangement  fort  semblable  des  éléments 
nerveux  dans  la  circonvolution  ascendante  frontale  et  d'autres  cir- 
convolutions adjacentes.  Leur  mémoire  est  accompagné  d'excel- 
lentes figures  1. 

Ils  donnent  la  description  suivante  des  cinq  couches  de  la  frontale  ascen- 
dante,—  en  commençant  par  les  plus  superficielles.  La  première  est  une  couche 
délicate,  friable,  ne  contenant  pas  de  véritables  éléments  nerveux.  Elle  est 
formée  du  réseau  ordinaire  de  névroglie,  avec  une  gangue  finement  granulaire, 
dans  laquelle  sont  répandus  en  grand  nombre  de  petits  noyaux  et  des  cellules 
branchues  de  tissu  connectif.  La  seconde  couche  a  à  peu  près  la  même  épais- 
seur que  la  première  :  à  l'œil  nu,  elle  parait  comme  une  bande  gris  rougeâtre, 
nettement  séparée  de  la  couche  pâle  située  au-dessous  d'elle.  A  l'examen  mi- 
croscopique, on  voit  qu'elle  consiste  en  «  une  série  de  petites  cellules  pyrami- 
dales et  ovales,  intimement  rapprochées,  et  dont  les  prolongements  apicaux 
sont  arrangés  suivant  la  direction  des  rayons  de  courbure  de  la  surface  de 
récorce.  D'autres  prolongements  nombreux  partent  des  angles  basilaires  de  la 
cellule,  et  rayonnent  en  dehors  et  en  bas,  en  se  distribuant  dans  une  aire  éten- 
due.» Chacune  de  ces  cellules  contient  un  gros  noyau  de  forme  ronde  ou  pyrami- 
dale. La  TROISIÈME  couche  est  à  peu  près  trois  fois  aussi  large  que  la  seconde,  et 
contient  des  éléments  nerveux  précisément  de  même  nature,  sauf  qu'ils  sont 
plus  gros  et  moins  serrés.  Les  cellules  semblent  s'accroître  uniformément  de 
volume  de  haut  en  bas  ;  et,  dans  la  partie  inférieure  de  cette  couche,  elles  sont 
deux  ou  trois  fois  plus  grosses  que  celles  de  la  seconde  couche.  Il  faut  toute- 
fois remarquer  qu'il  existe  quelques  cellules  plus  petites,  dispersées  parmi  les 
grosses.  La  quatrième  couche  ne  diftere  point  radicalement  de  la  troisième. 
Elle  n'a  qu'environ  un  tiers  de  son  épaisseur,  et  diffère  en  outre  par  le  grand 
accroissement  de  taille  de  ses  cellules, —  qui  sont  du  reste  d'un  type  similaire. 
En  conséquence  de  leur  vojume  considérablement  supérieur,  ces  cellules 
paraissent  plus  intimement  agglomérées.  Elles  sont,  en  moyenne,  trois  fois  plus 
longues  et  plus  larges  que  celles  de  la  troisième  couche.  Dispersées  entre  elles, 
se  voient  en  grand  nombre  de  petites  cellules  angulaires  ;  et,  dans  certaines  por- 
tions de  cette  circonvolution  frontale,  les  petites  cellules  représentent  seules 
la  quatrième  couche, —  les  grosses  cellules  qu'on  vient  de  décrire,  ou  «  cellules 
géantes  »,  faisant  absolument  défaut  en  ces  points-là.  La  cinquième  couche  est 
de  nouveau  beaucoup  plus  épaisse  que  la  quatrième.  Elle  contient  des  cellules 
irrégulièrement  fusiformes,  d'un  volume  plus  petit  et  assez  uniforme,  souvent 

1.  Proceed.  of  Royal  Society,  1878,  p.  38. 


1)4  STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU    HUMAIN. 

arrangées  en  colonnes  irrégulières, grâce  à  l'interposition  des  faisceaux  défibres 
médullaires  qui  montent  de  la  substance  blanche  sous-jacente. 

Des  observations  encore  plus  récentes  i  ont  montré:  (1)  que  dans  beau- 
coup d'autres  portions  des  Hémisphères  Cérébraux,  la  région  corticale  a  plutôt 
six  que  cinq  lames,  —  la  couche  additionnelle  étant  alors  produite  par  l'inter- 
position, entre  les  troisième  et  quatrième  couches,  d'une  autre  lame  contenant 
de  petites  «  cellules  pyramidales  et  anguleuses  »  ;  (2)  que  le  type  cortical  à 
cinq  lames  est  surtout  distinct  dans  les  parties  des  circonvolutions  frontales 
et  pariétales  qui  constituent  les  aires  excitables,  ou  motrices,  de  Ferrier  (voyez 
page  191),  bien  que,  dans  la  partie  de  beaucoup  la  plus  considérable  des 
Hémisphères,  les  circonvolutions  aient  le  type  six;  (3)  que  dans  les  régions  à 
cinq  lames  les  cellules  géantes  de  la  quatrième  lame  sont  généralement  arran- 
gées en  groupes,  dus  à  ce  que  ces  corps  existent  en  agrégats  irréguliers 
{nids  de  Retz)  -,  la  principale  exception  étant  dans  le  fait  qu'au  fond  des  scis- 
sures (là  où  la  couche  grise  a  aussi  moins  d'épaisseur  qu'au  sommet  et  sur 
les  côtés  des  Circonvolutions),  même  dans  ces  régions,  ces  grosses  cellules  sont 
disposées  régulièrement,  mais  isolément,  de  sorte  que,  sur  des  coupes  verticales, 
elles  paraissent  être  en  séries  linéaires;  (4)  que,  dans  les  espaces  beaucoup  plus 
étendus  où  la  région  corticale  est  à  sixlames,  outre  l'existence  de  la  couche  sup- 
plémentaire sus-mentionnée  de  petits  éléments  nerveux  pyramidaux  et  anguleux, 
on  trouve  un  autre  caractère  distinctif  dans  le  fait  que  les  grosses  cellules 
ont,  dans  toutes  les  parties  des  circonvolutions,  cet  arrangement  en  lame  ou 
solitaire  qui,  dans  les  aires  motrices,  n'existe  qu'au  fond  des  sillons  ^  ;  (5)  que 
des  régions  ou  circonvolutions  de  transition  existent,  là  où  l'arrangement  à  six 
lames  semble  faire  place  à  l'arrangement  à  cinq  ;  et  que  des  transitions  préci- 
sément semblables  se  voient,  même  dans  les  régions  à  cinq  lames,  en  passant 
du  fond  des  «  sillons  »  aux  côtés  des  Circonvolutions. 

Bien  qu'ils  diffèrent  si  grandement  de  volume,  les  éléments  nerveux 
proprement  dits  des  seconde,  troisième  et  quatrième  couches  sont 
de  forme  essentiellement  semblable;  et  il  n'y  a,  en  réalité,  aucune 
bonne  raison  de  séparer  ces  couches  les  unes  des  autres.  Cela  peut 
être  justifiable  comme  simple  artifice  pour  faciliter  la  description, 
mais  ne  le  serait  point  si  l'on  regardait  cette  division  comme  indi- 
quant une  différence  dénature  entre  ces  éléments  pyramidaux, bien 
qu'ils  diffèrent  si  fortement  de  volume  dans  les  divers  endroits.  Parler 
des  plus  grosses  de  ces  cellules  seulement  (c'est-à-dire  de  celles  de 

1.  Voyez  :  Revan  Lewis,  On  the  Comparative  Structure  of  the  Cortex  Cere- 
hri.  Proceed.  of  Royal  Society,  juin  1879,  p.  234. 

2.  Le  fait  que  ces  deux  couches  (la  4«  et  la  5°  des  parties  à  6  lames)  sont, 
comme  le  signale  Revan  Lewis,  toujours  développées  en  proportion  inverse; 
et  le  fait  que,  là  où  la  première  est  nominalement  absente  (c'est-à-dii^e  dans  les 
parties  à  cinq  lames),  il  existe  toujours  de  petites  cellules  anguleuses,  mêlées 
aux  cellules  géantes,  rendent  possible  que  nous  ayons  là  les  deux  couches 
réunies  en  une  seule,  grâce  au  développement  extrême  de  quelques-uns  des 
éléments  nerveux  existant  d'ailleurs  comme  petites  cellules  pyramidales. 


SUBSTANCE    GRISE  DE  L'HIPPOCAMPE. 


9& 


la  quatrième  couche)  comme  de  cellules  ganglion7iaires_,  et  appeler 
cette  lame  en  particulier  la  couche  ganglionnaire^  implique  une 
idée  erronée.  Même  les  plus  grosses  des  cellules  groupées  ne  diffè- 
rent que  par  le  degré  des  cellules  de  même  forme  qu'on  trouve  dans 
la  couche  au-dessus,  et  aussi  dans  la  couche  même,  en  ces  points  de 
l'écorce  qui  ne  contiennent  pas  ces  cellules 
en  nids  ou  groupes. 

La  conclusion  la  plus  rationnelle  à  tirer  de 
ces  faits,  pour  ceux  qui  adoptent  les  vues  de 
Ferrier,  serait  de  dire  que  toutes  les  circonvo- 
lutions contiennent  des  «  cellules  motrices», 
—  et  cela,  même  dans  plus  d'une  couche  —  à 
moins  que  le  simple  fait  du  «groupement»  en 
nids  d'un  certain  nombre  de  cellules,  en  cer- 
taines situations,  ne  doive  être  considéré 
comme  une  indication  que  ces  cellules  ont 
assumé  des  «  fonctions  motrices  »,  et  doivent 
pour  cela  être  désignées  sous  le  nom  de  gayi- 
glionnaires.  Toutefois,  l'une  ou  l'autre  de  ces 
assertions  ne  paraîtrait  point  sans  doute  au 
lecteur  non  prévenu  être  basée  sur  rien  qui 
ressemble  à  des  considérations  raisonnables. 

Il  est  digne  de  remarque  que  dans  la  couche 
grise  repliée  du  Grand  Hippocampe,  la  struc- 
ture de  la  substance  corticale  est,  comme  le 
remarque  Meynert',  extrêmement  simplifiée  ; 
puisque  les  éléments  nerveux  de  cette  région 
sont  représentés  par  une  seule  couche  de  cel- 
lules pyramidales,  qui  ne  diffèrent  aussi  que 
par  leur  volume  des  «  cellules  géantes  »  des 
Circonvolutions  pariétales  ou  frontales. 

Il  n'y  a  en  réalité,  dans  l'opinion  de  l'au- 
teur, aucune  raison  valable  pour  supposer, 
comme  beaucoup  le  font,  que  ces  cellules 
géantes  diffèrent  en  rien,  par  leur  nature,  des 
autres  cellules,  de  volume   de  plus  en  plus 

petit,  avec  lesquelles  elles  sont  mêlées,  ou  qui  existent  seules  dans 
la  couche  correspondante,  sur  un  si  grand  nombre  de  Circonvolu- 
tions Cérébrales. 


FiG.  161.  —  Coupe  de  la 
Couche  Repliée  de  l'Hip- 
pocampe(ou  Corne 
d'Ammon).  A,  fibres 
blanches  qui,  grâce  à 
l'absence  des  couches  à 
fuseaux  et  à  petites  cel- 
lules, s'attachent  ici  im- 
médiatement aux  cellu- 
les pyramidales  C,  équi- 
valentes à  la  moitié 
interne  de  la  troisième 
couche  de  l'écorce  à 
cinq  lames  ;  r,  stratum 
radiatum,conesponda.nt 
à  la  moitié  externe  de 
la  troisième  couche  ;  m^ 
l,  équivalents  de  la  pre- 
mière et  de  la  seconde 
couche. 


On  trouve,  dans  les  Circonvolutions  des  Singes,  des  éléments  cellulaires  de 
même  nature  que  ceux  des  Circonvolutions  de  l'Homme,  et  semblablement 
arrangés. 


1.  Stricker.  Hmnan  and  Comparative  Histology,  vol.  Il,  p.  395. 


96  STRUCTURE    INTERNE    DU  CERVEAU    HUMAIN. 

Chez  les  animaux  inférieurs,  la  plus  grande  partie  de  l'Écorce  est  également 
à  six  lames;  mais,  dans  certaines  régions  spéciales  et  limitées  (bien  que  varia- 
bles) dans  chaque  espèce,  il  existe  une  Écorce  à  cinq  lames.  Ces  lames,  d'après 
Bevan  Lewis,  sont  aussi,  à  un  très  haut  degré,  identiques  par  leur  composition  ; 
bien  que  la  première  (qui  est  surtout  une  couche  de  tissu  connectif)  ait  géné- 
ralement une  épaisseur  relativement  plus  grande  chez  le  Mouton,  le  Porc  et 
autres  animaux  inférieurs  que  chez  l'Homme.  Il  dit  :  u  C'est  dans  le  caractère 
essentiel  de  chacune  des  cellules  de  ces  couches,  dans  la  parenté  qui  relie  ces 
unités  anatomiques  les  unes  aux  autres,  et  dans  leur  répartition  générale,  que 
nous  découvrons  une  divergence  du  type  normal  des  Mammifères  supérieurs.» 

Chez  l'Homme,  le  Singe,  le  Chat  et  l'Oncelot,  les  cellules  géantes  sont 
renflées  et  plus  arrondies  (grâce  à  ce  qu'elles  émettent  un  plus  grand  nombre 
de  prolongements)  que  chez  des  animaux  comme  le  Mouton  et  le  Porc.  Chez 
ces  derniers,  ces  cellules  sont  plus  simplement  pyi-amidales,  et  sont  réunies 
entre  elles  par  un  plus  petit  nombre  de  prolongements.  Ces  cellules  sont  en 
outre  dispersées  sur  une  vaste  étendue.  Mais,  chez  le  Chat  et  autres  Carni- 
vores, l'aire  dans  laquelle  on  trouve  les  cellules  géantes  est  fort  restreinte, — 
beaucoup  plus  que  chez  l'Homme  et  les  Quadrumanes. 

En  outre,  d'après  Bevan  Lewis,  un  genre  particulier  de  cellules  «  sphé- 
riques  »  avec  un  petit  nombre  de  processus  unissants  se  trouve,  au  milieu  des 
autres  éléments,  dans  la  seconde  et  la  troisième  couche  du  Porc  et  du  Mouton, 
et  aussi  chez  les  Singes,  —  bien  que  des  éléments  de  cette  nature  n'aient  été 
rencontrés,  chez  l'Homme,  que  dans  le  cerveau  d'Idiots  et  d'Imbéciles. 


IV.  —  Principales  commissures  du  cerveau. 

Le  système  unissant  ou,  comme  l'appelle  Meynert,  le  système 
d'association  des  fibres  cérébrales,  appartient  à  trois  catégories 
principales  ;  chacune  d'elles  va  être  brièvement  décrite.  Ces  fibres 
sont  de  grande  importance,  et  si  nombreuses  que,  dit  Broadbent  ^, 
«  les  fibres  radiantes  doivent  être  en  faible  proportion,  relativement 
aux  fibres  qui  se  rendent  d'un  point  à  un  autre  de  la  surface  ». 

a.  Commissures  miissant  des  parties  similaires  dans  les  deux 
Hémisphères.  —  On  désigne  généralement  celles-ci  sous  le  nom  de 
Commissures  transversales.  Elles  comprennent  le  Corps  Calleux  et 
la  Commissure  Antérieure,  ainsi  que  les  Commissures  Moyenne  et 
Postérieure.  On  a  déjà,  en  citant  les  descriptions  de  Broadbent, 
désigné  une  partie  d'entre  elles  sous  le  nom  de  fibres  calleuses. 

Le  Corps  Calleux  est  de  beaucoup  la  plus  grosse  et  la  plus  im- 
portante de  toutes  les  commissures.  En  écartant  les  deux  Hémi- 
sphères Cérébraux,  on  peut  l'apercevoir  comme  une  large  bande  de 
fibres  s'étendant  de  l'un  à  l'autre.  Son  diamètre  antéro-postérieur 
est  de  plus  de  trois  pouces,  tandis  qu'il  s'étend  latéralement  dans 
la  substance  des  deux  Hémisphères,  où  il  forme  le  toit  des  ventri- 


\.  Journ.  of  Mental  Science,  avril  1870,  p.  9. 


CORPS    CALLEUX. 


97 


cules  latéraux.  Sur  une  coupe,  on  voit  qu'il  est  épaissi  à  cliaque 
extrémité,  (fig.  162, 27,  ss.  ) 

Les  anciens  anatomistes  avaient,  sur  le  mode  de  distribution  des 
fibres  du  Corps  Calleux,  des  opinions  diverses  qu'il  n'est  point 
nécessaire  de  discuter  à  présent;  bien  que  l'on  puisse  mentionner 
que  Foville  pensait  que  ses  fibres  servaient  à  mettre  le  Pédoncule 
d'un  Hémisphère  en  relation  avec  celui  de  l'autre  ;  et  que,  d'après  Gra- 


FiG.  162.  —Coupe  antéro-postérieure  du  Cerveau,  montrant  la  face  interne  de  THémi- 
sphère  Cérébral  gauche.  1,  Bulbe  Rachidien;  2,  Protubérance  Annulaire;  3,  Pédon- 
cule cérébral;  4,  Cervelet;  5,  Arbre  de  vie;  6,  Valvule  Vieussens;  7,  Quatrième 
Ventricule;  8  Aqueduc  de  Sylvius;  9,  Tubercules  Quadrijumeaux;  10,  Glande  Pinéale  ; 
11,  Frein  delà  Glande  Pinéale;  12,  Couche  Optique;  13,  Commissure  Grise;  14,  Com- 
missure Blanche  Antérieure;  15,  Commissure  Blanche  Postérieure;  16,  Tubercule 
Mamillaire  ;  17 ,  Tuber  Cinereum ,  Infundibulum,  et  Corps  Pituitaire  ;  18,  Espace 
Perforé  interpédonculaire ;  19,  Nerf  Optique;  20,  Nerf  Moteur  Oculaire  Commun; 
21,  Nerf  Olfactif;  23,  Trou  de  Monro  ;  23,  Voûte  à  trois  Piliers;  24,  Septum  Lucidum; 
25,  Corps  Calleux;  26,  Circonvolution  de  l'Ourlet;  a7,  Circonvolutions  Antérieures  de 
la  Face  Interne  ;  28,  Groupe  Quadrilatère  des  Circonvolutions  de  la  Face  Interne  ; 
29,  Circonvolution  Postérieure  de  la  Face  Interne. 


tiolet,  ces  fibres  suffisaient  à  mettre  le  Pédoncule  d'un  côté  en  relation 
avec  l'Hémisphère  du  côté  opposé.  Les  investigations  de  Meynert,  ainsi 
que  celles  de  Broadbent,  les  ont  toutefois  conduits  à  penser  que  la 
première  de  ces  opinions  est  tout  à  fait  erronée,  et  que  la  seconde,  si 
elle  est  vraie,  ne  l'est  du  moins  que  très  partiellement;  puisque  les 
fibres  du  Corps  Calleux  servent  principalement  à  unir  les  Circonvo- 
lutions similaires  dans  les  deux  Hémisphères  K   Ces  fibres   ne  se 

1.  Journ.  of  Ment.  Science,  avril  1870,  p.  18. 

Charlton-Bastian.  —  II.  7 


98  STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU   HUMAI.N. 

distribuent  point  toutefois  partout  de  même,  mais  à  quelques-unes 
seulement  des  Circonvolutions.  Et,  comme  on  l'a  déjà  établi,  celles 
qui  sont  ainsi  mises  en  relations  dans  les  deux  Hémisphères, 
sont  précisément  celles  où  se  rendent  aussi  les  <i  fibres  radiantes  » 


FiG.  163.  —  Coupe  horizontale  menée  à  travers  le  Crâne  et  les  deux  Hémisphères,  juste 
au-dessus  du  niveau  du  Corps  Calleux,  et  montrant  le  centrum  ovale  de  Vieussens 
(Sappey,  d'après  Vicq  d'Azyr).  1,  1,  sillon  médian  de  la  face  supérieure  du  Corps 
Calleux;  2,  2,  faisceaux  longitudinaux  de  cette  face  (nerfs  de  Lancisi)  ;  3,  faisceaux 
transverses  de  son  corps  principal  ;  3',  section  de  la  substance  médullaire  au  niveau 
du  bord  du  Corps  Calleux  ;  4,  4,  couche  grise  des  Circonvolutions,  formant  un  feston 
irrégulier  autour  du  centre  ovale  de  Vieussens  ;  5,  partie  antérieure  de  la  grande 
fente  longitudinale  du  Cerveau;  6,  partie  postérieure  de  cette  fente  longitudinale; 
7,  7,  coupe  des  parois  du  Crâne. 

des  Pédoncules.  On  a  déjà  donné  plus  haut  les  noms  de  ces  Circon- 
volutions (p.  90). 

La  Commissure  Antérieure  est  une  bande  distincte  de  fibres 
blanches,  qui  traverse  la  partie  antérieure  du  «  troisième  ventricule  » , 
et  pénètre  de  chaque  côté  dans  la  substance  du  Corps  Strié  (fig. 
16/i,  g),  Ce  n'est  point  toutefois,  comme  il  le  semblerait,  une  Com- 
missure unissant  ces  deux  corps.  Une  dissection  soigneuse  suffit  à 
montrer  que  ces  fibres  traversent  simplement  le  Corps  Strié  de 
chaque  côté  (où  elles  sont  placées  dans  un  sillon  ou  canal  distinct); 
qu'elles  émergent  de  la  surface  inférieure  et  externe  de  ces  corps, 
et  qu'elles  vont  de  là  se  distribuer  aux  circonvolutions  formant  le 


COMMISSURES    ANTÉRIEURE  ET    MOYENNE.  99 

sommet  et  la  surface  interne  ou  inférieure  du  Lobe  Temporal.  C'est, 
comme  le  dit  Broadbent  et  comme  d'autres  anatomistes  l'avaient 
déjà  reconnu,  une  sorte  de  Corps  Calleux  accessoire,  reliant  les 
parties  des  deux  Lobes  Temporaux,  qui  ne  pourraient  autrement 
être  mises  en  relations  entre  elles. 

Chez  quelques-uns  des  animaux  inférieurs  qui  ont  de  gros  Lobes 


FiG.  164.  —  Coupe  horizontale  du  Cer-veau  à  un  niveau  inférieur,  montrant  le  Troisième 
Ventricule  et  ses  Commissures,  et  les  relations  de  chacun  des  Corps  Striés  avec  l'Insula 
de  Reil  correspondante  (Sappey).  1,  Trigoiie,  rejeté  en  arrière  avec  la  Toile  Choroï- 
dienne  pour  montrer  le  Troisième  Ventricule;  2,  Veines  de  Galien  ;  3,  extrémité  anté- 
rieure de  la  Glande  Pinéale;4,  ses  pédoncules  supérieurs;  5,  Commissure  Cérébrale 
Postérieure  ;  6,  Commissure  Antérieure  ;  7,  coupe  des  piliers  antérieurs  du  Tri"-one  • 
8,  Troisième  Ventricule,  ou  V.  moyen  ;  9,  Commissure  Grise,  ou  Moyenne  ;  10,  Corps 
Strié,  dont  on  a  coupé  les  couches  supérieures  et  externes;  11,  Couche  Optique- 
12,  Tcenia  Semi-circularis ;  13,  14,  15,  coupe  des  Circonvolutions  de  l'Insula  de  Reil; 
16,  coupe  du  noyau  intra-ventriculaire  du  Corps  Strié;  17,  coupe  de  la  Substance 
Blanche  de  l'Hémisphère,  au  point  oii  elle  est  comprise  entre  l'Insula  de  Reil  ot  la 
partie  supérieure  du  Corps  Strié. 

et  «  tractus  »  Olfactifs,  ceux-ci  sont  directement  reliés  l'un  à  l'autre 
au  moyen  de  fibres  faisant  partie  de  cette  Commissure  Antérieure. 

La  Commissure  Moyenne  est  un  pont  de  substance  grise  molle 
qui  traverse  le  «  troisième  ventricule  »,  d'une  Couche  Optique  à 
l'autre  (fig.  iQk,  9;  et  157  th.),ei  peut  en  conséquence  servir  à  mettre 
certaines  parties  de  ces  corps  en  relation  fonctionnelle. 

La  Commissure  Postérieure  est  une  petite  bande  blanche  qui 
s'étend  en  travers  de  la  paroi  postérieure  et  supérieure  du  «  troi- 


100  STRUCTURE    INTERNE   DU   CERVEAU    HUMAIN. 

sième  ventricule  »  (fig.  16Zi,  s),  et  se  recourbe  en  bas  à  travers  la 
Couche  Optique  de  chaque  côté,  de  façon  à  se  terminer  dans  la 
substance  ganglionnaire  du  Tegmentum. 

L'existence  de  ces  connexions  commissurales  entre  les  Couches 
Optiques  est  particulièrement  digne  de  remarque,  lorsque  nous 
voyons  les  deux  Corps  Striés  n'être  réunis  par  des  Commissures 
d'aucune  sorte.  Il  est  toutefois  important  de  remarquer  que  les 
divers  centres  en  relation  avec  les  impressions  cetitripèles  doivent 
être  en  relation  fonctionnelle  les  uns  avec  les  autres;  tandis  qu'il 
n'y  a  pas  un  besoin  semblable  de  Commissures  entre  les  gros  gan- 
glions moteurs  supérieurs,  —  puisque  chaque  Corps  Strié,  trans- 
met et  règle  seulement  les  incitations  motrices  qui  proviennent  de 
son  propre  Hémisphère. 

b.  Commissures  réunisscmt  des  parties  dissimilaires  dans  le  même 
Hémisphère.  —  La  plus  connue  de  celles-ci,  et  de  beaucoup,  est  le 
Trigone  Cérébral.  On  en  parle  généralement  comme  d'une  commis- 
sure longitudinale,  mais  le  terme  peut  tromper,  bien  que  ses  fibres 
affectent  pour  la  plupart  une  direction  longitudinale.  Elles  servent 
à  mettre  en  relation  la  face  interne  de  la  Couche  Optique  et  le 
-Grand  Hippocampe  du  même  Hémisphère,  —  ces  parties  étant  situées 
à  peu  près  dans  le  même  plan  vertical  transversal. 

On  a  déjà  indiqué  le  trajet  et  les  usages  fonctionnels  de  ces 
fibres  (p.  211,  vol.  P-^). 

Deux  groupes  accessoires  de  fibres  entrent  en  relation  avec  les  piliers 
•antérieurs  du  Trigone  :  (1)  une  bande  étroite  de  fibres  (de  chaque  côté)  connue 
sous  le  nom  àQtœnia  semi-circularis, qui,  après  s'être  séparée  du  «pilier  anté- 
rieur »  du  même  côté,  passe  en  arrière  dans  le  sillon  situé  entre  le  Corps  Strié 
et  la  Couche  Optique,  et  disparaît  dans  la  substance  de  cette  dernière,  après 
avoir  tourné  vers  le  toit  de  la  corne  descendante!  ;  et  (2)  les  pédoncules  de  la 
Crlande  Pinéale,  qui  se  dirigent  en  avant  le  long  des  Couches  Optiques,  sur  les 
limites  supérieures  du  «  troisième  ventricule  »,  en  diminuant  graduellement 
de  volume,  et  finissant  en  apparence  par  s'entremêler  avec  les  «  piliers  anté- 
rieurs »  de  la  Voûte,  près  de  l'extrémité  antérieure  de  chaque  Couche  Optique  -. 

Il  existe,  de  chaque  côté,  un  grand  nombre  d'autres  groupes  de 
«  fibres  commissurales»,  dont  l'office  est  aussi  de  mettre  en  relation 
entre  elles  différentes  Circonvolutions,  plus  ou  moins  distantes,,  du 

1.  Elle  semblerait  donc  contenir  des  fibres  servant  à  unir  entre  elles  deux 
il'iortions  distantes  de  la  même  Couche  Optique. 

2.  Comme  ces  «  Pédoncules  »  de  la  Glande  pinéale  se  continuent  entre  eux 
postérieurement,  ils  peuvent  former  une  sorte  de  «  commissure  transversale  » 
ipour  les  régions  de  chaque  Couche  Optique  d'où  partent  les  «  piliers  anté- 
rieurs »  de  la  Voûte. 


TRIGONE   CÉRÉBRAL.  101 

même  Hémisphère.  Quelques-unes  des  principales  de  ces  Com- 
missures sont  dirigées  dans  le  sens  longitudinal  et  disposées  de  la 
manière  suivante  ^  : 

1.  Un  grand  système  axial  longitudinal  traverse  les  pointions  supérieures- 
des  Hémisphères.  II  contient  des  fibres  allant  des  Lobes  Occipital  et  Temporal 
au  sommet  du  Lobe  Frontal,  recevant  ou  donnant  des  fibres  le  long-  de  ce  trajet 
à  un  grand  nombre  de  circonvolutions  sus-jacentes. 

2.  Le  système  longitudinal  du  faisceau  unciné  est  un  faisceau  de  fibres- 
situées  à  un  niveau  inférieur  au  premier  sj'stème,  bien  qu'elles  réunissent  les 
mêmes  divisions  principales  de  l'Hémisphère.  La  portion  moyenne  du  faisceau 
formant  une  bande  dont  il  prend  le  nom,  peut  se  voir  sur  la  face  latérale  de- 
l'Hémisphère,  croisant  le  fond  de  la  scissure  de  Sylvius,  en  passant  du  Lobe 
Frontal  au  Lobe  Temporal.  En  avant,  ces  fibres  passent  sous  le  Corps  Strié,  d'où 
quelques-unes  se  rendent  à  la  troisième  circonvolution  frontale  ;  d'autres 
s'étalent  sous  les  circonvolutions  orbitaires,  pour  atteindre  l'extrémité  anté- 
rieure du  Corps  Calleux  et  les  circonvolutions  du  bord  adjacent  de  la  région- 
orbitaire  :  bien  que  la  grande  majorité  des  fibres  se  poursuive  au-dessous  des 
circonvolutions  orbitaires,  pour  se  terminer  le  long  du  bord  antérieur  de 
l'Hémisphère.  En  arrière,  les  fibres  du  faisceau  unciné  se  rendent  au  sommet 
du  Lobe  Occipital  et  aux  circonvolutions  situées  le  long  du  bord  inférieur  et 
externe  des  Hémisphères;  tandis  qu'un  groupe  considérable  d'entre  elles  se 
rend  aussi  au  sommet  du  Lobe  Temporal. 

3.  D'autres  fibres  longitudinales  inférieures  et  plus  superficielles  partent  du 
sommet  du  Lobe  Temporal  et  se  dirigent  en  arrière,  en  divergeant,  dans  le 
plancher  de  la  «  corne  descendante  »  et  dans  celui  de  la  corne  postérieure,  où 
elles  se  mêlent  avec  des  fibres  du  Corps  Calleux. 

4.  Les  Circonvolutions  de  la  surface  interne  plate  de  l'Hémisphère,  et  surtout 
celles  du  Corps  Calleux  {gijrus  fornicatus),  contiennent  des  fibres  longitudinales. 
On  dit  que  ces  dernières  partent  de  1'  «  espace  pei'foré  antérieur  »,  en  avant 
(Corps  Strié),  se  dirigent  en  arrière  au-dessus  du  Corps  Calleux,  contournent 
son  extrémité  postérieure,  et  delà  reviennent,  d'après  Foville,  jusqu'au  sommet 
du  Lobe  Temporal. 

5.  Certaines  fibres  longitudinales  {nerfs  de  Lancisi)  sont  situées  sur  la  face 
supérieure  du  Corps  Calleux  en  deux  séries,  une  de  chaque  côté  (fig.  163).  On 
dit  aussi  qu'en  avant,  elles  entrent  en  relation  avec  l'espace  perforé  antérieur, 
tandis  qu'en  ai'rière  leur  destination  est  douteuse.  D'après  Foville,  elles  se 
joignent  aux  «  piliers  postérieurs  »  de  la  Voûte 2. 

D'autres  séries  de  «  fibres  commissurales  »  n'ont  pas  une  direction 

1.  Voy.  Journ.  of  Mental  Science,  avril  1870,  p.  10-16. 

2.  Ces  deux  dernières  séries  de  fibres  peuvent  donc  peut-être  passer,  par  urb 
chemin  détourné,  de  régions  sensitives  situées  dans  le  Lobe  Temporal  au  Corps 
Strié  correspondant.  D'autres  régions  de  ce  Lobe  semblent  reliées  avec  le  même 
corps  d'une  manière  beaucoup  plus  directe  :  c'est-à-dire  par  des  fibres  croisant 
la  scissure  de  Sylvius  (voy.  p.  91). 


102  STRUCTURE    INTERNE    DU    CERVEAU    HUMAIN. 

aussi  distinctement  longitudinale,  et  servent,  en  outre,  à  mettre 
en  relation  les  unes  avec  les  autres  des  Circonvolutions  plus  immé- 
diatement adjacentes. 

Nous  n'avons  encore  qu'une  connaissance  fort  imparfaite  de  ces 
nombreux  faisceaux  de  fibres,  mais  il  serait  presque  impossible  ici 
d'essayer  d'exposer  tout  ce  dont  on  s'est  assuré  à  leur  sujet.  On 
peut  citer  toutefois  quelques  exemples  de  celles  de  ces  connexions 
qui  sont  les  plus  marquées,  pour  donner  quelque  idée  de  l'étendue 
des  relations  mutuelles  qui  existent  entre  des  Circonvolutions  con- 
tiguës. 

Broadbent  dit  i  :  «  La  seconde  ou  grande  circonvolution  ascendante  parié- 
tale est  en  relations  compliquées  avec  les  circonvolutions  adjacentes,  situées 
en  arrière  d'elle,  et  reçoit  de  grosses  bandes  de  fibres  de  la  partie  postérieure 
de  l'hémisphère,  par  l'intermédiaire  du  système  axial  longitudinal;  elle  est 
aussi  en  connexion  étendue  avec  la  circonvolution  pariétale  antérieure,  et 
envoie  en  avant,  profondément,  des  fibres  aux  trois  circonvolutions  frontales. 
La  seconde  fi'ontale,  outre  qu'elle  reçoit  des  fibres  du  système  axial  et  des 
circonvolutions  pariétales,  est  reliée  avec  la  première  et  la  troisième  frontales, 
entre  lesquelles  elle  est  située,  par  un  grand  nombre  de  lames  larges,  qui  ne 
plongent  pas  simplement  d'une  manière  transversale  au-dessous  des  sillons, 
mais  courent  tortueusement  en  avant  ou  en  arrière,  leurs  enlacements  étant 
trop  compliqués  pour  qu'on  puisse  les  figurer  ou  les  décrire.  En  outre,  des 
fibres  croisent  transversalement  au-dessous  de  la  seconde  circonvolution 
frontale,  de  la  première  à  la  troisième.  » 

Les  circonvolutions  du  Lobe  Temporal  sont  fort  distinctement  reliées  à 
d'autres  des  Lobes  Occipital  et  Pariétal;  et  Broadbent  ajoute  2  :  «  il  est  digne  de 
mention  qu'entre  les  circonvolutions  infra-marginale  Sylvienne  et  parallèle,  sé- 
parées par  la  profonde  scissure  parallèle,  existe  la  connexion  commissurale  la  plus 
étendue  que  l'on  ti-ouve  entre  des  circonvolutions  adjacentes,  dans  le  cerveau 
tout  entier.  »  Des  expériences  physiologiques  récentes  donnent,  comme  nous  le 
verrons  dans  le  chapitre  suivant,  une  grande  importance  à  cette  observation. 

La  masse  des  fibres  partant  des  circonvolutions  rayonnantes  de  1'  «  insula  de 
Reil  »  forme  une  couche  épaisse  qui  est  en  relation  avec  les  circonvolutions 
avec  lesquelles  se  continuent  ses  bords  antérieur  et  supérieur  :  c'est-à-dire 
celles  du  bord  postérieur  du  lobule  orbitaire,  la  troisième  frontale  et  la  parié- 
tale ascendante.  Le  trajet  de  ces  fibres  est  très  compliqué.  Des  fibres  passent 
aussi  entre  les  circonvolutions  de  l'insula  de  Reil  et  la  partie  supérieure  de 
l'Hémisphère,  tandis  que  quelques-unes  partent  du  centre  de  l'insula,  ou  s'éten- 
dent entre  lui  et  l'extrémité  surplombante  du  Lobe  Temporal.  On  n'a  pas  encore 
reconnu  de  fibres  réunissant  ces  circonvolutions  avec  le  Corps  Strié  ou  la 
Couche  Optique,  bien  qu'elles  soient  situées  immédiatement  en  dehors  de  ce 
premier  corps,  et  puissent  par  conséquent  recevoir  quelques  filaments  de  son 
noyau  gris  extra-ventriculaire. 

1.  Joiirn.  of  Mental  Science,  avril  1870,  p.  11. 

2.  Loc.  cit.,  p.  15. 


CONNEXIONS  DES  CIRCONVOLUTIONS  ENTRE  ELLES.    lO.J 

D'après  ce  qui  a  été  dit  sur  la  distribution  des  fibres  du  Corps  Cal- 
leux, des  divers  faisceaux  longitudinaux  de  «  fibres  commissurales  » 
et  de  celles  qui  s'étendent,  dans  diverses  directions,  entre  des  cir- 
convolutions plus  ou  moins  contiguës,  le  lecteur  n'aura  pas  de 
peine  à  croire,  ce  qui  pour  de  nombreuses  raisons  semble  probable, 
que,  dans  la  substance  blanche  des  Hémisphères,  dont  la  masse  est 
si  considérable,  les  fibres  venant  des  Pédoncules  ou  des  Ganglions 
Centraux,  et  allant  à  la  surface  ou  en  revenant,  doivent,  comme 
le  signale  Broadbent,  être  en  faible  proportion  relativement  aux 
fibres  qui  vont  d'une  partie  de  la  surface  à  une  autre,  soit  dans 
le  même  Hémisphère ,  soit  d'un  Hémisphère  à  l'autre,  —  ou,  pour 
employer  la  phraséologie  de  Meynert,  que  les  fibres  du  système  de 
projeciion  sont,  prises  ensemble,  en  petit  nombre,  relativement  à 
celles  du  système  d'associatio?i. 

c.  Cominissures  mettant  le  Cervelet  en  relation  avec  le  Cerveau. 
—  Celles-ci  correspondent  à  ce  que  l'on  connaît  sous  le  nom  de  Pé- 
doncules Cérébelleux  Supérieurs,  bien  qu'il  soit  possible  que  les 
Pédoncules  Moyens  dussent  aussi  être  compris  dans  cette  catégorie. 
On  parlera,  dans  la  section  suivante,  de  la  distribution  de  ces  par- 
ties. Les  Pédoncules  Inférieurs,  bien  qu'ils  passent  à  travers  une 
portion  du  Bulbe,  servent  surtout  à  mettre  en  relation  le  Cervelet  et 
la  Moelle. 

V.  —  STRUCTURE   GÉNÉRALE    DU    CERVELET,  ET    SES   RELATIONS 
AVEC    d'autres    PARTIES. 

Le  Cervelet,  ou  «  Petit  Cerveau  »,  est,  contrairement  au  Cerveau,  un 
organe  solide  dont  les  deux  moitiés  sont  continues.  Si  l'on  mène 
une  coupe  horizontale  à  travers  le  milieu  du  Cervelet,  on  verra  à 
l'intérieur,  de  chaque  côté,  un  noyau,  plissé  en  bourse,  de  Substance 
Grise,  dont  l'extrémité  ouverte  est  tournée  en  avant  et  en  dedans 
(fig.  156,  14  ). 

Les  différents  Lobes  dont  se  compose  le  Cervelet  ont  été  déjà 
signalés,  ainsi  que  la  manière  dont  ils  sont  subdivisés.  Mais  l'éten- 
due et  le  mode  de  subdivision  de  la  surface  seront  mieux  compris  à 
l'aide  des  fig.  156, 162, 165.  Ces  figures  montrent  la  nature  ramifiée  des 
segments  périphériques  du  Cervelet,  et  le  volume  relativement  grand 
de  sa  substance  grise  superficielle,  lorsqu'on  la  compare  à  la  masse 
de  «  substance  blanche  »  qui  est  entourée  de  toutes  parts  par  elle, 
sauf  dans  la  direction  des  pédoncules. 

Les  Pédoncules  de  l'organe,  dont  il  existe  trois  paires,  sont  les 
parties  qui  servent  à  le  relier  avec  les  autres  divisions  de  l'Encé- 
phale et  avec  la  Moelle  Épinière. 

Les  Pédoncules  Supérieurs  du  Cervelet  sont  des  bandes  épaisses 


104 


STRUCTURE   INTERNE  DU  CERVEAU    HUMAIN. 


de  fibres,  qui  partent  de  son  bord  antérieur,  en  convergeant  lé- 
gèrement vers  la  paire  postérieure  des  «  tubercules  quadrijumeaux  », 
sous  laquelle  ils  passent.  En  ce  point,  il  y  a  décussation  ;  et  les 
fibres  de  chaque  faisceau  se  rendent  alors  à  un  gros  noyau  de 
substance  ganglionnaire,  situé  dans  la  portion  supérieure,  ou  sensi- 
tive,  du  Pédoncule  Cérébral,  et  désigné  d'ordinaire  sous  le  nom  de 
Noyau  rouge.  A  partir  de  là,  le  cours  de  ces  fibres,  ou  de  celles 
qui  sont  en  relation  avec  elles,  demeure  incertain;  mais  on  croit 
communément  aujourd'hui  qu'elles  passent  sous  l'extrémité  posté- 


Fia.  165.  —  Pédoncules  Supérieurs  du  Cervelet,  Quatrième  Ventricule,  et  parties  contiguës 
(Sappey,  d'après  Hirschfeld).  1,  1,  sillon  médian  sur  le  plancher  du  quatrième  ventri- 
cule; 2,  fibres  blanches  par  lesquelles  se  termine  le  nerf  auditif  ;  3,  Pédoncule  Céré- 
belleux Inférieur;  4,  colonne  médiane  postérieure;  5, Pédoncule  Cérébelleux  Supérieur, 
croisant  l'Inférieur  sur  son  côté  interne;  6,  7,  face  supérieure  et  postérieure  du 
Pédoncule  Cérébral  ;  8,  Tubercules  Quadrijumeaux. 


rieure  de  la  Couche  Optique,  et  vont  de  là  aux  diverses  régions  de 
rÉcorce  Cérébrale,  —  bien  qu'on  ne  les  ait  pas,  en  réalité,  suivies  au 
delà  de  diverses  parties  de  la  «  couronne  rayonnante  ». 

On  ne  sait  donc  rien  sur  les  Circonvolutions  avec  lesquelles  le 
Cervelet  est  mis  en  relation  particulière  au  moyen  de  ces  fibres 
des  Pédoncules  Cérébelleux  Supérieurs.  On  pense  toutefois  que,  du 
côté  du  Cervelet,  ces  fibres  sont  en  partie  en  relation  immédiate 
avec  les  portions  inférieures  des  Lobes  Moyens  (fig.  165);  tandis 
que  d'autres,  de  chaque  côté,  sont  en  communication  avec  le 
noyau  gris  en  forme  de  bourse  (fig.  156),  ou  y  pénètrent,  avant  de 
se  rendre  aux  diverses  portions  de  l'Écorce  du  Cervelet. 


PÉDONCULES  DU  CERVELET.  105 

Entre  ces  Pédoncules  Supérieurs  convergents  se  trouve  une 
lame  mince  de  substance  nerveuse,  connue  sous  le  nom  de  «  valvule 
de  Vieussens  »,  et  qui  unit  le  Lobe  Moyen  du  Cervelet  aux  Tuber- 
cules Quadrijumeaux.  Cette  partie  est  proportionnellement  plus 
développée  chez  les  Vertébrés  inférieurs,  comme  les  Poissons,  et 
sert  à  mettre  leurs  gros  «  lobes  optiques  »  en  relation  de  structure 
avec  la  seule  portion  du  Cervelet  dont  ils  soient  pourvus,  c'est-à- 
dire  le  Lobe  Moyen.  Cette  lame  forme  le  toit  de  la  moitié  supé- 
rieure ou  antérieure  du  «  quatrième  ventricule  »  (fig.  152),  ainsi  que 
de  la  première  partie  du  passage  qui  réunit  cette  cavité  au  «  troi- 
sième ventricule  ». 

Les  Pédoncules  Inférieurs,  ou  «  Corps  restiformes  »,  comme  on  les 
appelle  aussi,  unissent  le  Cervelet  avec  le  Bulbe  et  la  Moelle  (fig.  105). 
A  l'intérieur  du  Cervelet,  les  fibres  de  ces  Pédoncules  n'entrent 
pas,  dit-on,  en  relation  avec  les  noyaux  gris  centraux,  en  forme  de 
bourse,  mais  se  rendent  immédiatement  aux  différentes  régions  de 
la  substance  grise  corticale. 

La  portion  interne  de  chaque  Pédoncule  Inférieur  semble  être 
composée  des  prolongements  centripètes  du  Nerf  Auditif,  dont  on 
peut  suivre  les  fibres  depuis  son  propre  noyau  externe  jusqu'au 
noyau  du  toit  de  Stilling,  du  même  côté  et  du  côté  opposé. 
Mais,  d'après  ce  que  dit  Meynert,  la  portion  externe  du  Pédoncule 
est  dérivée  de  la  colonne  postérieure  opposée  de  la  Moelle,  de  la 
manière  suivante.  Les  fibres  de  la  colonne  médiane  postérieure 
[funiculus  ciinealus  et  gracilis]  entrent  ou  viennent  en  relation 
avec  les  cellules  ganglionnaires  du  corps  olivaire  correspondant. 
De  là,  elles  croisent  la  ligne  médiane  du  Bulbe,  en  arrière  des  py- 
ramides a?itérieures,  pour  contourner  l'Olive  opposée,  avant  d'é- 
merger, sous  forme  de  fibres  arciformes^  de  la  région  postérieure  et 
latérale  du  Bulbe.  Elles  se  jettent  de  là  dans  le  Pédoncule  Inférieur, 
et  remontent  en  en  faisant  partie.  Ainsi,  les  fibres  de  chaque  «  co- 
lonne postérieure  »  s'enfoncent  au-dessous  de  la  surface  de  la  Moelle, 
et,  après  avoir  passé  à  travers  VOlive  correspondante,  croisé  la 
ligne  médiane  du  Bulbe  et  contourné  l'Olive  opposée,  elles  émergent 
comme  parties  constituantes  du  corps  restiformCj  ou  Pédoncule  Cé- 
rébelleux Inférieur.  Cet  arrangement  ne  doit  point  être  regardé 
comme  absolument  hors  de  doute  :  il  est  en  effet  nié  par  Luys. 

Les  Pédoncides  Moyens  forment  ensemble  la  Protubérance  ou 
Pont  de  Varole.  Les  fibres  de  chacun  d'eux  (fig.  166)  émergent  de 
différentes  parties  de  la  substance  corticale  du  «  lobe  latéral  »  corres- 
pondant du  Cervelet;  et, tandis  que  quelques-unes  de  ces  fibres  sont, 
à  ce  que  l'on  croit,  de  nature  «  commissurale  »,  et  croisent  simple- 
ment d'un  lobe  latéral  à  l'autre,  il  y  a  décussation  sur  la  ligne 
médiane  de  la  majorité  des  fibres  des  deux  Pédoncules  Moyens. 


106 


STRUCTURE   INTERNE   DU   CERVEAU    HUMAIN. 


Par  le  moyen  de  ces  Pédoncules,  chaque  moitié  du  Cervelet  est 
mise  en  relation  avec  les  fibres  motrices  descendant  du  Corps  Strié 
opposé  (dans  le  Pédoncule  Cérébral  correspondant),  ou  bien  avec 
quelques-unes  des  cellules  du  Corps  Strié  lui-même,  grâce  à  ce 
que  quelques  fibres  des  Pédoncules  Cérébelleux  se  recourbent  en 
haut,  à  partir  de  la  «  protubérance  »,  pour  se  terminer  dans  ces  gan- 
glions, —  exactement  comme  d'autres,  suivant  un  trajet  semblable, 


Fia.  166.  —  Pédoncules  Cérébelleux  Moyens  et  Protubérance,  avec  parties  adjacentes 
(Sappey,  d'après  Hirschfeld).  1,  Commissare  Optique;  2,  TuberCinereum  et  Tige  Pitui- 
taire;  3,  Tubercules  Mamillaires ;  4,  espace  inter-pédonculaire  ;  5,  Pédoncule  Cérébral; 
6,  6,  sillon  médian  de  la  Protubérance,  avec  une  légère  proéminence  (7)  de  chaque 
côté;  8,  origine  du  trijumeau;  9,  fibres  transversales  supérieures  de  la  Protubérance 
10,  10,  ses  fibres  médianes  ;  11,  11,  ses  fibres  inférieures,  s'enfonçant  sous  les  autres 

12,  12,  Pédoncules  Cérébelleux  Moyens,  formés  par  l'union  de  ces  trois  séries  de  fibres 
le  pédoncule  gauche  est  coupé  près  de   son   origine,  le  droit  est  en  partie  disséqué 

13,  Moelle;    14,  sillon  médian  du  Bulbe;  15,   15,    décussation  des  Pyramides  (16) 
17,  Olive;  18,  fibres  Arciformes. 


traversent,  à  ce  que  l'on  suppose,  ces  ganglions  pour  se   rendre 
aux  Circonvolutions  Cérébrales. 

Tout  ce  que  Ton  sait  positivement,  c'est  que  chaque  «  lobe  latéral  » 
du  Cervelet  est  principalement  en  relations  par  son  Pédoncule 
Moyen  avec  le  tractus  moteur  de  l'Hémisphère  Cérébral  opposé.  Et 
ce  fait  est  par  lui-même  de  quelque  importance,  puisque,  au  milieu 
de  tous  les  doutes  que  nous  conservons  sur  le  Cervelet,  il  semble- 
rait impliquer  que  la  masse  des  fibres  de  ces  Pédoncules  est  «  cen- 
trifuge »  ou  motrice,  —  conclusion  d'accord  avec  d'autres  preuves. 


HISTOLOGIE  DU   CERVELET.  107 

Qu'il  y  ait  toutefois  des  points  de  jonction  avec  des  fibres  motrices 
cérébrales  du  côté  opposé  dans  la  «  protubérance  »  elle-même,  ou 
dans  son  voisinage,  comme  le  pense  Luys;  ou  que  des  fibres  cérébel- 
leuses de  cette  nature  remontent  réellement  jusqu'aux  cellules  des 
Corps  Striés,  —  ou  même  au  delà,  jusqu'à  certaines  parties  de 
rÉcorce  des  Hémisphères  Cérébraux,  —  ce  sont  là  des  détails  qui 
ne  sauraient  être  décidés  à  présent. 

8.    —    STRUCTURE    INTIME     DE     LA    SUBSTANCE     GRISE 
DU     CERVELET. 

La  Substance  Grise  corticale  est  en  apparence  uniforme  sur 
tous  les  innombrables  plis  de  la  surface  du  Cervelet.  A  l'œil  nu, 
elle  est  divisible  en  deux  couches  (fig.  167)  :  une  extérieure,  gris  clair; 
et  une  interne,  plus  mince,  rouge  grisâtre.  En  dedans  de  la  couche 
grise  de  chaque  repli  se  trouve  un  axe  de  substance  blanche. 

Dans  la  partie  la  plus  profonde  de  la  couche  externe  se  trouve 
un  simple  rang  de  grosses  cellules  ganglionnaires  de  0™™,027,  à 
O'"°^,033  de  diamètre,  dont  les  grands  prolongements  branchus  se 
réunissent  dans  toute  cette  couche,  en  devenant  plus  minces  à  me- 
sure qu'ils  approchent  de  la  surface  ffig.  167,  bb).  Les  ramifications 
ultimes  de  ces  prolongements  nerveux  s'unisssent  avec  une  sorte 
de  tissu  connectif  pour  former  une  gangue  fibreuse  fort  délicate,  où 
sont  dispersés  un  certain  nombre  de  petits  corpuscules.  Ceux-ci 
sont  de  simples  corps  nucléiformes,  ou  de  petites  cellules  anguleuses; 
et,  de  même  que  pour  les  corpuscules  similaires  de  la  substance 
grise  du  Cerveau,  il  est  impossible  de  dire  ceux  que  l'on  doit  regar- 
der comme  appartenant  au  tissu  connectif  et  ceux  qui  ont  droit 
au  titre  d'éléments  nerveux.  Beaucoup  d'entre  eux,  comme  s'en  est 
assuré  W.-H.-O.  Sankey,  sont  en  continuité  directe  avec  les  rami- 
fications des  cellules  ganglionnaires.  Courant  le  long  de  la  partie 
interne  de  cette  couche,  en  croisant  la  direction  des  grosses 
branches  des  cellules  ganglionnaires,  se  voit  un  certain  nombre  de 
fibres  nerveuses  fines. 

Les  grosses  cellules  ganglionnaires  empiètent  sur  la  face  ex- 
terne de  la  couche  suivante,  qui  porte  le  nom  de  couche  granu- 
leuse. Là,  sont  massées  des  multitudes  de  corpuscules  de  0"™,007  à 
0™™,010  de  diamètre,  fort  semblables  à  ceux  qui  sont  épars,  en  moins 
grand  nombre,  dans  la  couche  externe.  Le  prolongement  interne  de 
chacune  des  grosses  cellules  ganglionnaires  est,  dit-on,  unique  et 
non  divisé  ;mais,  comme  il  est  trèsfin,on  le  perd  bientôt  de  vue  dans 
la  «  couche  granuleuse  »,  dense,  dans  laquelle  il  s'enfonce.  Le  mode  de 
connexion  de  l'axe  central  de  fibres  blanches  avec  la  couche  granu- 
leuse et  les  éléments  situés  en  dehors  d'elle,  est,  pour  le  moment, 


108 


STRUCTURE    INTERNE   DU  CERVEAU   HUMAIN. 


fort  incertain.  Des  granules^  ou  corpuscules  de  même  nature,  sont 
aussi,  quoique  en  moins  grand  nombre,  disséminés  dans  cette  sub- 
stance blanclie. 

Il  semble  tout  à  fait  probable  que  quelques-unes   des  fibres   de 


FiG,  167.  —  Substance  Grise  du  Cervelet.  Coupe,  grossie  à  environ  400  diamètres  (Sharpey, 
d'après  Sankey).  a,  pie-mère  du  Cervelet;  b,  b,  couche  externe  grise;  c,  grosses 
cellules  ganglionnaires;  d,  couche  interne,  rouge  grisâtre^  ou  couche  granuleuse; 
e,  axe  de  fibres  blanches. 


chaque  axe  de  substance  blanche  sont  ajférenles;  et  que  les  autres 
conduisent  des  impressions  ou  impulsions  efférenles.  Les  premières 
fibres  peuvent  se  diviser  dans  la  «  couche  granuleuse  »,  de  manière  à 


CONNEXIONS   DES  NERFS    CRANIENS.  109 

entrer  en  relation  avec  deux  ou  plusieurs  cellules  ganglionnaires  ;  et 
les  stimidi  centrifuges  peuvent  partir  de  ces  groupes  de  cellules, 
passer  dans  la  couche  externe  par  leurs  branches  ramifiées,  et  de 
là,  par  des  radicules  contiguës  de  fibres  «  efférentes  »  qui  se  réunis- 
sent entre  elles  à  mesure  qu'elles  vont,  passer  à  travers  la  «  couche 
granuleuse  »,  et  sortir  par  l'axe  de  substance  blanche. 

Ce  dernier  arrangement  est  hypothétique,  mais  il  semble  à  l'auteur 
être  le  mieux  en  accord  avec  la  structure  réelle  de  la  substance  grise 
du  Cervelet. 

7.  —  Connexions   centrales  des  Pédoncules   olfactifs 

ET    OPTIQUES,    AINSI    QUE    d'AUïRES     NERFS    CRANIENS. 

Les  Pédoncules,  ou  «  bandelettes  »  Olfactives,  et  les  Pédoncules,  ou 
«bandelettes  »  Optiques,  sont  généralement  regardés  comme  quelque 
chose  de  différent  des  nerfs  ordinaires.  On  les  considère  comme 
des  excroissances  spéciales,  ou  prolongements  du  Cerveau.  Une  dis- 
tinction de  ce  genre  est  sans  doute  légitime  pour  ce  qui  regarde 
beaucoup  d'animaux  inférieurs.  Il  en  est  ainsi,  par  exemple,  chez 
les  Poissons,  aussi  bien  que  chez  quelques  Reptiles  et  Mammifères, 
chez  lesquels  les  Centres  Olfactifs  sont  extrêmement  bien  développés  ; 
et  chez  les  Insectes  et  les  Céphalopodes,  où  les  yeux  et  les  Centres 
Optiques  sont  fort  gros.  Mais,  chez  l'Homme,  où  ni  le  sens  de  la 
Vue  ni  celui  de  l'Odorat  ne  sont  développés  d'une  manière  aussi 
extraordinaire,  et  chez  lequel  les  Centres  primaires  correspondants 
sont  relativement  petits,  toute  distinction  de  ce  genre  est  moins 
évidente.  Chez  lui,  en  réalité,  il  n'y  a  aucune  bonne  raison  pour 
la  maintenir  pour  les  bandelettes  optiques j,  puisque  ces  par- 
ties diffèrent  peu  en  apparence  des  nerfs  ordinaires.  Une  distinction 
de  cette  nature  est  toutefois  mieux  justifiée  pour  les  bandelettes 
olfactives;  puisque,  même  chez  l'Homme,  c'est  en  dehors  du  Cer- 
veau que  sont  situés  les  Ganglions  Olfactifs,  d'où  partent  des  Nerfs 
Olfactifs  très  petits,  qui  descendent  dans  le  nez. 

Il  faut  exposer  brièvement  le  trajet  et  les  connexions  centrales 
de  ces  parties. 

La  «  bandelette  »  Olfactive  est  reliée  avec  la  région  postérieure 
delà  surface  orbitaire  de  l'Hémisphère  par  trois  racines:  l'externe  va 
en  dehors,  vers  l'extrémité  inférieure  du  Lobe  Temporal  du  même 
côté,  comme  on  peut  le  reconnaître  aisément  chez  les  Mammifères 
où  les  Lobes  Olfactifs  sont  gros,  bien  qu'on  ne  puisse  l'apercevoir 
chez  l'Homme  qu'avec  quelque  difficulté.  La  racine  interne  entre 
dans  l'Hémisphère  près  de  son  bord  interne,  et  un  peu  en  avant  de 
la  Commissure  Optique.  On  reviendra  plus  loin  sur  les  relations  des 
fibres  des  Bandelettes  Olfactives,  et  sur  ce  fait  qu'elles  entrent  en 


110  STRUCTURE    INTERNE   DU    CERVEAU   HUMAIN. 

relation,  de  chaque  côté,  avec  des  Circonvolutions  de  l'Hémisphère 
correspondant,  et  non  de  l'Hémisphère  opposé  (voy.  p.  119,  12li). 

Les  «  bandelettes  »  Optiques  sont  la  continuation  des  Nerfs  Opti- 
ques en  arrière  de  la  Commissure  Optique. Chaque  «bandelette  »  est 
en  contact  avec  le  bord  externe  du  Pédoncule  Cérébral,  et  le  con- 
tourne en  s'aplatissant  à  mesure  qu'elle  s'avance.  Arrivées  là,  chacune 


FiG.  168.  —  Vue  grossie  de  la  partie  de  la  Base  du  Cerveau  où  s'attachent  les  Nerfs  Crâ- 
niens. (Ferrier,  d'après  Allen  Thomson). 

On  a  laissé  sur  le  côté  droit  les  Circonvolutions  du  Lobe  Central  (C)  ou  Insula  de  Reil  ; 
sur  la  gauche,  l'incision  a  porté  entre  la  Couche  Optique  (TU)  et  l'Hémisphère; 
I'  Nerf  Olfactif,  coupé;  II,  Nerf  Optique  en  avant  du  Chiasma  ;  II',  Bandelette  Optique 
droite;  e,  Corps  genouillé  externe;  i,  Corps  genouillé  interne;  h,  Corps  Pituitaire; 
te,  Tuber  cinereum  et  infundibulum  ;  a,  un  des  Tubercules  mamillaires  ;  P,  Pédoncule 
Cérébral;  III,   3^    nerf  (Oculo-moteur  commun);  IV,   Pathétique;  PV,  Protubérance; 

V,  la  grosse  racine  du  cinquième  nerf  (Trijumeau);  -j->  la-  petite,  ou  racine  motrice;  à 
droite, elle  est  placée  sur  le  ganglion  de  Casser;  1,2,  3, les  trois  divisions  du  Trijumeau; 

VI,  Oculo-moteur  externe  ;  VII  a,  Facial  ;  VII  b,  Auditif  ;  VIU  Pneumo-gastrique,  ou  nerf 
Vague;  VIII  a,  Glosso-pharyngien;  VIII  6,  Spinal;  IX,  Hypoglosse;  fl,  flocculus  du 
Cervelet;  pa,  Pyramide  antérieure;  o,  Olive;  r,  Corps  Rcstiforme:  d,  fente  médiane 
antérieure  de  la  Moelle,  au-dessus  de  laquelle  est  la  dccusscUion  des  Pyramides  ; 
cet,  colonne  antérieure,  et  cl,  colonne  latérale  de  la  Moelle. 

des  deux  entre  en  relation  avec  deux  petits  nodules  ganglionnaires 
(connus  respectivement  sous  les  noms  de  corps  genouillés  internes  et 
externes),  situés  à  l'extrémité  postérieure  de  la  Couche  Optique 
(fig.  168,  e,  i;  156,  8)  en  contiguïté  avec  le  segment  antérieur  adja- 


CONNEXIONS  DES  NERFS  CRANIENS.  111 

cent  des  Tubercules  Quaclrijumeaux,  avec  lesquels  (ainsi  qu'avec  la 
Couche  Optique  elle-même)  un  grand  nombre  de  ces  fibres,  sinon 
toutes,  entrent  en  relation,  avant  de  se  continuer  jusqu'à  certaines 
régions  de  la  partie  corticale  de  rilémisplière  Cérébral  corres- 
pondant. 

Bien  que  le  sujet  ne  soit  point  sans  incertitude  et  sans  quelque 
doute,  les  preuves  semblent  maintenant  tout  à  fait  en  faveur  de 
l'opinion  que  la  décussation,  qui  a  lieu  dans  la  Commissure  Optique, 
est  aussi  complète  chez  l'Homme  qu'on  la  connaît  chez  les  Ver- 
tébrés inférieurs^.  On  reviendra  de  nouveau  là-dessus,  dans  un 
chapitre  subséquent,  au  sujet  de  la  question  de  savoir  quelles  sont  les 
parties  de  l'Écorce  des  Hémisphères  qui  sont  le  plus  immédiatement 
affectées  par  les  Impressions  Visuelles. 

H  semblerait  donc  que  les  Conducteurs  Olfactifs  ne  se  croisent 
pas  du  tout,  et  que  les  conducteurs  Optiques  subissent  une  décus- 
sation  complète.  Cependant  l'entrecroisement  de  ces  derniers 
conducteurs  a  lieu  en  dehors  de  la  substance  cérébrale;  de  sorte 
que,  sous  ce  rapport,  leur  arrangement  diffère  de  ce  qui  existe  pour 
les  deux  Nerfs  Crâniens  sensitifs  suivants  :  le  Trijumeau  et  l'Auditif. 

La  position  du  Trijumeau  et  sa  connexion  superficielle  avec  la  face 
latérale  de  la  «  protubérance  »  peuvent  être  vues  sur  lafig.  168,  v.  Ses 
fibres  sensitives,  après  avoir  traversé  le  ganglion  de  Casser,  se 
réunissent  pour  former  la  grosse  racine  dont  les  fibres,  comme 
celles  des  racines  postérieures  des  Nerfs  Spinaux,  croisent  bientôt 
vers  le  côté  opposé,  et  vont  faire  partie  du  tractus  sensitif,  ou 
tegmetUum^  du  Pédoncule  Cérébral  opposé.  (Voyez  p.  117.) 

Le  Nerf  Auditif  entre  dans  le  côté  du  Bulbe,  immédiatement  au- 
dessous  de  la  «  protubérance  »,  en  relation  intime  avec  la  racine  du 
Nerf  Facial.  Nous  avons  encore  beaucoup  à  apprendre  sur  la  marche 
subséquente,  fort  compliquée,  de  ses  fibres.  Une  grande  partie,  du 
moins,  d'entre  elles,  semble  entrer  dans  le  Cervelet;  et  la  manière 
dont  l'Hémisphère  Cérébral  opposé  est  mis  en  relation  avec  ses  fibres 
et  ses  noyaux  d'origine  demeure  tout  à  fait  obscure.  Meynert  dit 
même  ^  :  «  Nous  pouvons  regarder  comme  certain  qu'il  n'existe  pas 
de  connexion  immédiate,  étendue,  entre  le  nerf  auditif  et  les  Lobes 
Cérébraux  ;  mais  qu'une  relation  de  ce  genre,  dont  on  peut  regarder 
l'existence  comme  une  vérité  phj^siologique  nécessaire,  ne  peut  être 
(\Vi  indirectement  établie  par  le  Cervelet.  » 

On  ne  saurait  déterminer  à  présent  jusqu'où  cette  opinion  de 
Meynert  est  absolument  correcte.  Nous  savons,  toutefois,  d'après  les 


1.  Voy.  Ferrier,  Functions  of  Brain,  p.  70  et  166. 

2.  Stricker  :  Histology,  vol.  II,  p.  500. 


112  STRUCTURE    INTERNE   DU   CERVEAU  HUMAIN. 


FiG.  169.  —  Nerf  Pneumogastrique  Gauche,  avec  les  Portions  Cervicale  et  Thoracique  du 
Grand  Sympathique.  (Jamin,  d'après  Hirschfeld). 

1,  1,  Pneumo-gastrique;  2,  anastomoses  du  Pneumo-gastrique  avec  l'Hypoglosse;  3,  ses 
anastomoses  avec  une  branche  du  Spinal;  4,  branche  Pharyngienne;  5,  nerf  Laryngé 
supérieur;  6,  Laryngé  externe;  7,  plexus  Laryngien  ;  8,  nerf  Cardiaque  supérieur; 
9,  Cardiaque  moyen;  10,  10,  nerf  Laryngé  récurrent;  11,  ganglion  Pulmonaire; 
12,  ses  anastomoses  avec  le  grand  Sympathique;  13,  plexus  Pulmonaire  postérieur; 
14,  plexus  Œsophagien;    15,  anastomoses  des   Pneumo-gastriques  droit    et   gaucho; 


CONNEXIONS   DU  SYSTÈME  NERVEUX   VISCÉRAL.        113 

preuves  dont  on  parlera  plus  loin  au  sujet  de  l'Hémianesthésie  (p.  123) , 
qu'il  y  a  réellement  dccussation  des  conducteurs  auditifs;  et  que  ces 
conducteurs  s'incorporent  finalement  avec  d'autres  fibres  des  Pédon- 
cules Cérébraux,  comprises  dans  le  tiers  postérieur  de  ce  que  l'on 
désigne  sous  le  nom  de  capsule  interne. 

Il  ne  faut  point  oublier,  en  outre,  que  d'après  Cyon  (voyez  vol.  I", 
p.  169),  ce  qui  est  nommé  par  lui  Nerf  de  l'Espace  (Raumnerv)  est 
aussi  lié  au  nerf  Auditif,  et  fait  partie  du  tronc  communément 
connu  sous  ce  nom.  Si  cette  opinion  est  correcte,  il  resterait  à 
déterminer  et  à  différencier  le  trajet  interne  des  portions  appar- 
tenant à  chacun  de  ces  nerfs.  Il  se  peut  que  ce  soient  les  fibres  du 
nerf  de  l'Espace  qui  entrent  plus  spécialement  en  relations  immé- 
diates avec  le  Cervelet.  (Voyez  p.  137.) 

On  parlera,  dans  la  section  suivante,  des  deux  autres  nerfs  sen- 
sitifs  du  Bulbe,  le  Glosso-pharyngien  et  le  Pneumo-gastrique.La  situa- 
tion des  nerfs  «  moteurs  »  se  verra  en  examinant  la  figure  168;  bien 
qu'il  n'y  ait  pas  besoin  de  s'y  arrêter  davantage  ici. 

8.  —  CONNEXIONS    DU    SYSTEME    NERVEUX    VISCERAL 
AVEC    LE    CERVEAU. 

Les  relations  des  Nerfs  Systémiques  avec  le  Cerveau  ne  diffèrent 
point  essentiellement,  chez  l'Homme,  de  ce  qui  existe  chez  la  grande 
majorité  des  autres  Vertébrés  supérieurs.  Chez  tous,  le  Système 
Nerveux  Viscéral  est  divisible  en  deux  parties,  dont  les  connexions 
avec  le  Cerveau  sont  en  partie  directes^  en  partie  indirectes. 

1°  Nerfs  Systémiques  Cérébraux.  —  Le  segment  le  plus  inférieur  de 
l'Encéphale  —  le  Bulbe  —  est  mis  en  relation  immédiate  avec  le 
plus  grand  nombre  des  viscères  du  corps  par  le  Glosso-pharyngien 
et  le  Pneumo-gastrique,  comme  nerfs  «  afférents  ».  Ils  le  relient  avec 
toute  l'étendue  du  canal  alimentaire  au-dessous  de  la  cavité  buc- 
cale, avec  les  organes  respiratoires,  avec  le  cœur  et  quelques-uns 
des  grands  vaisseaux;  avec  le  foie,  la  rate,  les  reins,  et  peut-être 
aussi  avec  les  organes  internes  de  la  génération. 

De  la  même  région  de  l'Encéphale  (le  Bulbe)  partent  aussi  des 
fibres  «  efférentes  »  qui  se  rendent  à  quelques-uns  des  viscères  ci- 

16,  branclies  de  l'extrémité  Cardiaque  de  l'Estomac;  17,  branches  de  ia  petite  cour- 
bure; 18,  branches  de  la  face  antérieure;  19,  branches  Hépatiques  ;  20,  Giosso-pharyn- 
gien;  21,  Spinal;  23,  sa  branche  interne  s'anastomosant  avec  le  Pneumogastrique;  23,  sa 
branche  externe  se  rendant  au  Trapèze,  et  s'anastomosant  avec  (24)  le  quatrième  nerf 
Cervical;  25,  ganglion  Cervical  supérieur;  26,  ganglion  Cervical  moyen;  27,  ganglion 
Cervical  inférieur,  uni  au  premier  Dorsal;  28,  29,  32  ganglions  Dorsaux;  30,  grand 
nerf  Splanchnique  ;  31,  origine  du  nerf  Phrénique. 
Dans  cette  figure  le  Cœur  a  été  enlevé,  le  Poumon  gauche  tiré  en  avant,  et  sa  racine  en 
partie  disséquée  ;  le  Foie  a  été  écarté  de  l'Estomac. 

Charlton-Bastian.  —  II.  8 


114  STRUCTURE    INTERNE   DU   CERVEAU    HUMAIN. 

dessus  mentionnés.  Ces  fibres  efférentes  ou  motrices  ne  sont  point 
réunies  en  troncs  séparés  ;  elles  sont  principalement  renfermées  dans 
le  Glosso-pharyngien  et  le  Spinal  accessoire,  dont  elles  sont  parties 
constituantes.Lesviscères  qui  ne  reçoivent  pas  défibres  «  efférentes  » 
de  cette  source  en  reçoivent  de  la  Moelle  et  de  l'appareil  nerveux, 
que  nous  allons  mentionner  à  présent. 

2°  Le  Grand  Sympathique  est  un  système  compliqué  et  étendu  des 
nerfs,  et  se  compose  des  parties  suivantes  :  —  [a)  un  cordon  ganglion- 
naire, situé  de  chaque  côté  de  la  colonne  vertébrale,  et  relié  avec  les 
5e,  6%  7'',  8^  et  9^  paires  de  Nerfs  Crâniens,  et  aussi  avec  les  branches 
antérieures  des  divers  Nerfs  Spinaux,  tout  le  long  de  la  Moelle.  Ces 
dernières  communications  sont  principalement  établies,  de  chaque 
côté,  par  des  paires  de  filaments  (dont  les  fibres  sont  en  partie 
«  afférentes  »  et  en  partie  «  efférentes  »)  qui  passent  des  divers  nerfs 
spinaux  antérieurs  aux  ganglions  correspondants  du  Sympathique, 
situés  un  peu  en  avant  des  nerfs  spinaux  (fig.  170).  On  trouve,  en 
outre,  d'autres  Ganglions,  à  la  jonction  de  quelques-uns  des  Nerfs 
Crâniens  sus-mentionnés  avec  les  cordons  latéraux  du  Sympathique. 

ib)  Du  cordon  ganglionnaire,  de  chaque  côté,  partent  de  nom- 
breuses branches  internes,  qui  s'unissent  entre  elles,  avec  celles  du 
côté  opposé  et  avec  des  filaments  des  Nerfs  Vagues,  de  manière  à 
former,  soit  de  grands  Plexus^  soit  des  Ganglions,  soit  à  la  fois  des 
plexus  et  des  ganglions,  d'où  partent,  et  où  reviennent,  des  branches 
en  connexion  avec  les  différents  Viscères.  On  trouve  souvent  des  gan- 
glions plus  petits  sur  le  trajet  de  ces  dernières  branches. 

Les  principaux  Plexus  systémiques  sont  situés  vers  le  cœur  et  la 
racine  des  organes  respiratoires,  dans  le  voisinage  de  l'estomac 
(plexus  solaire),  et  dans  le  voisinage  de  la  vessie  et  des  organes  géni- 
taux internes. 

Les  nerfs  en  connexion  avec  les  Plexus  qui  donnent  ou  reçoivent 
des  branches  viscérales,  se  distribuent  principalement  en  suivant  le 
trajet  des  vaisseaux  sanguins.  Quelques-unes  des  fibres  de  ce  sys- 
tème se  distribuent  spécialement  aux  parois  des  Vaisseaux,  et  sont, 
d'après  la  nature  de  leurs  fonctions,  appelées  nerfs  vaso-7noteurs .Une 
partie  d'entre  eux  doit  avoir  des  fonctions  «  afférentes  »,  tandis  que 
d'autres  transmettent  des  impulsions  «  efférentes  »,  déterminant  la 
contraction  des  vaisseaux  :  de  sorte  qu'au  moyen  de  ces  nerfs,  la 
quantité  de  sang  qui  passe  dans  les  diverses  régions  du  système 
vasculaire  peut  être  aisément  réglée.  Les  nerfs  «  vaso-moteurs  »  sont 
en  connexion  avec  de  petits  ganglions  distribués  sur  les  vaisseaux. 
Des  excitations  motrices  émanent  de  ceux-ci,  bien  que  l'ensemble 
du  système  «  Vaso-moteur  »  du  corps  tout  entier  semble  soumis  à  l'in- 
fluence d'un  «  centre  régulateur  »,  situé  dans  le  Bulbe,  et  d'autres 
centres  subordonnés,  situés  dans  la  Moelle. 


SYSTÈME  NERVEUX  SYMPATHIQUE. 


H& 


Bien  que  le  Système  Sympathique  renferme  probablement  ses 
propres  nerfs  afférents  et  efifcrents  intrinsèques,  il  semble  aussi, 
envoyer  (par  les  rameaux  de  communi- 
cation sus-mentionnés)  des  nerfs  affé- 
rents à  la  substance  grise  de  la  Moelle, 
et  en  recevoir  certaines  fibres  effcren- 
tes,  motrices  et  autres.  Ce  Système  ner- 
veux grand  Sympathique  est,  dans  une 
certaine  mesure,  un  système  développé 
d'une  manière  indépendante  ;  bien  qu'il 
ait  aussi,  avec  la  Moelle,  des  relations 
présentant  des  ressemblances  fort  inti- 
mes avec  ce  qui  existe  entre  les  deux 
nerfs  syslëmiques  cérébraux  et  le  Bulbe. 

Les  arrangements  qu'on  vient  de 
décrire  non  seulement  facilitent  l'ac- 
tivité coordonnée  des  Viscères  en  rela- 
tion, mais  assurent  l'activité  simultanée 
des  Centres  Nerveux  Viscéraux  et  Céré- 
bro-spinaux, lorsque  cette  activité  asso- 
ciée est  requise,  —  comme  dans  les 
processus  respiratoires,  l'ovulation  et 
la  parturition,  ou  l'expulsion  des  excré- 
tions. En  outre,  à  raison  de  la  con- 
nexion directe  ou  indirecte  existant 
entre  les  Viscères  et  le  Cerveau,  les 
états  organiques  des  divers  organes 
sont  capables  d'affecter  le  caractère  ou 
état  mental  de  l'individu,  soit  incon- 
sciemment, soit  d'une  manière  con- 
sciente. Des  états  viscéraux  peuvent, 
indépendamment  de  leur  réalisation 
consciente,  pousser  à  des  Actes  automatiques  ou  Instinctifs,  ou. 
peuvent  s'imprimer  sur  la  Vie  Consciente  de  l'individu,  et  conduire 
plus  ou  moins  indirectement  à  une  série  d'Actions  Volontaires. 


FiG.  no.  —  Un  des  Ganglions  Sym- 
pathiques du  Cordon  Latéral  droit 
du  Lapin  (Owen,  d'après  Kôlliker), 
T  r.  Cordon  Latéral  du  Sympa- 
thique ;  Rc,  R  c,  deux  branches 
communiquantes;  Spl,  nerf  Splan- 
chnique  ou  Viscéral  ;  s,  petit  nerf; 
G,  cellules  ganglionnaires  et  fibres. 
(X  environ  40  diam.). 


CHAPITRE    XXIV 


RELATIONS    FONCTIONNELLES    DES    PRINCIPALES    PARTIES 
DE    l'encéphale 


Nous  passons  maintenant  de  l'examen  des  détails  de  structure  à 
la  question  de  leur  signification  ;  et  nous  tâcherons  que  le  lecteur 
puisse  acquérir  quelques  notions  —  si  faibles  qu'elles  puissent  être 
—  de  la  manière  dont  agit  le  Cerveau  dans  l'accomplissement  de  ses 
fonctions  les  plus  simples. 

Nous  devrons  nous  guider  dans  cette  tentative  sur  trois  séries  de 
faits  et  de  déductions  :  (1)  ce  qui  nous  vient  de  l'étude  Anatomique 
du  Système  Nerveux  de  l'Homme  et  des  animaux  inférieurs  ;  (2)  ce 
qui  vient  d'Expériences  sur  les  animaux  inférieurs,  où  les  Nerfs,  ou 
d'autres  portions  du  Système  Nerveux,  ont  été  excités  ou  détruits  ; 
(3)  enfin  sur  ce  que  rapportent  les  médecins  qui  ont  voué  une 
attention  spéciale  aux  symptômes  provenant  des  Maladies  ou  des 
Lésions  qui  irritent  ou  détruisent  diverses  portions  du  Cerveau  de 
l'Homme. 

Dans  chacune  de  ces  directions,  nos  connaissances  ont  fait,  pen- 
dant ces  dernières  années,  un  pas  très  appréciable,  et  continuent  à 
progresser. 

Dans  ce  chapitre  préliminaire  sur  le  mode  d'action  du  Cerveau, 
l'attention  du  lecteur  sera  appelée  sur  ce  que  l'on  connaît  touchant 
trois  séries  de  relations  structurales  d'importance  fondamentale. 

4.    —    RELATION    CROISÉE     EXISTANT     ENTRE 
LES   HÉMISPHÈRES    CÉRÉBRAUX    ET    LES     MOITIÉS     LATÉRALES 

DU    CORPS. 

Les  corps  de  la  grande  majorité  des  Invertébrés,  aussi  bien  que 
des  Animaux  Vertébrés,  présentent  la  symétrie  bilatérale,  —  du  moins 
pour  ce  qui  regarde  tous  les  organes  extérieurs  et  toutes  les  parties 
du  Système  Nerveux.  De  sorte  que,  si  l'on  divisait  un  de  ces  animaux 
par  un  plan  vertical,  médian  et  longitudinal,  chacune  des  moitiés 


RELATIOIN   CROISÉE   DU  CERVEAU  ET  DU   COiiPS.         H7 

du  corps  se  trouverait  semblable  à  l'autre  sous  tous  les  rapport-, 
extérieurement  du  moins,  et  renfermerait  aussi  la  moitié  d'un  Système 
Nerveux  semblable  à  ce  qui  existerait  dans  son  homologue. 

Toutefois,  d'après  ce  que  nous  savons  aujourd'hui,  le  double 
Système  Nerveux  des  Invertébrés  est,  avec  leur  double  corps,  dans 
une  relation  absolument  différente  de  celle  qui  existe  entre  les 
mêmes  parties  chez  les  Vertébrés.  Chez  les  premiers,  la  moitié  du 
Cerveau  contenue  dans  chaque  moitié  du  corps  est  en  connexion 
immédiate  avec  les  organes  des  sens  et  les  surfaces  sensibles,  aussi 
bien  qu'avec  les  nerfs  moteurs  et  les  muscles  du  même  côté  du  corps. 
Chez  les  Vertébrés,  au  contraire,  il  n'en  est  point  ainsi.  Il  existe,  à 
un  certain  degré  chez  les  membres  inférieurs  de  la  série,  et  à  un 
degré  plus  parfait  chez  les  formes  supérieures  (y  compris  les  Qua- 
drumanes et  l'Homme),  une  relation  croisée  entre  le  Cerveau  et  le 
corps  ;  de  manière  que  chaque  moitié  du  Cerveau  est  reliée  aux 
organes  des  sens  et  aux  surfaces  sensibles,  ainsi  qu'aux  muscles  de 
l'autre  moitié  du  corps.  La  première  relation  est  établie  parles  con- 
ducteurs sensilifs  qui  se  croisent  à  la  base  du  Cerveau  et  le  long  de  la 
Moelle;  et  la  seconde  est  due  au  fait  que  les  conducteurs  nerveux 
pour  les  stimuli  centrifuges,  ou  moteurs^  passent,  de  chacune  des 
moitiés  du  Cerveau,  au  côté  opposé  du  Corps,  en  subissant  une  dé- 
cussation  dans  le  Bulbe. 

On  n'a  encore  hasardé  qu'un  fort  petit  nombre  d'explications  sur 
ie  mode  d'origine  de  cette  relation  croisée  entre  le  Cerveau  et  le 
corps.  Le  sujet  est  généralement  passé  sous  silence;  et,  quoique 
notre  connaissance  des  relations  anatomiques  exactes  qui  existent 
chez  les  animaux  inférieurs  ne  soit  point  encore  assez  parfaite  pour 
nous  donner  une  réponse  tout  à  fait  satisfaisante,  on  peut  présenter 
ici  quelques  suggestions  qui,  si  elles  ne  démontrent  rien  de  plus, 
serviront  peut-être  à  attirer  davantage  l'attention  sur  cette  question 
fort  intéressante,  et  indiqueront  en  même  temps  les  directions  où 
l'on  a  besoin  d'informations  plus  précises* 

La  nature  essentielle  du  problème  apparaîtra  fort  distinctement, 
si  le  lecteur  essaye  de  se  figurer  chez  les  Vertébrés  l'existence  d'un 
Système  Nerveux  semblable,  sous  tous  les  rapports,  à  ce  qu'il  est  en 
réalité,  sauf  que  les  conducteurs  sensitifs  et  moteurs  ne  s'entre- 
croiseraient pas.  Avec  les  deux  moitiés  du  Cerveau  et  de  la  Moelle 
aussi  librement  réunies  par  des  commissures  transversales  qu'elles  le 
sont  en  réalité,  une  relation  directe  de  ce  genre  semblerait  l'arrange- 
ment le  plus  naturel;  il  n'est  donc  point  du  tout  expliqué  pourquoi  le 
même  plan  n'existe  et  ne  fonctionne  pas  aussi  bien  chez  les  Vertébrés 
que  chez  les  Invertébrés.  La  question  à  laquelle  il  faut  répondre  est 
donc  :  Quelles  conditions  se  sont  présentées  chez  les  Vertébrés 
pour  commencer,  et  finalement  parfaire,  cette  relation  croisée  entre 


118  RELATIONS   DES   PARTIES   DE    L'ENCEPHALE. 

le  Cerveau  et  le  corps,  telle  que  nous  la  trouvons  chez  l'Homme  et 
les  Mammifères  supérieurs  en  général? 

Les  considérations  suivantes  paraissent  à  l'auteur  jeter  quelque 
lumière  sur  ce  sujet. 

1.  Les  mouvements  ont  lieu  en  réiDonse  à  des  impressions  sensitives  de 
diverses  natures  ;  et  (jDOur  notre  objet  présent)  on  peut  les  diviser  en  deux 
classes  :  —  (a)  ceux  dans  lesquels  les  muscles  en  relation  des  deux  côtés  du 
•corps  sont  mis  simultanément  en  activité  «—  comme  les  muscles  du  tronc, 
servant  à  la  locomotion  chez  les  Poissons  et  un  grand  nombre  de  Reptiles  sans 
membres  ;  et  (6)  ceux  dans  lesquels  les  muscles  d'un  côté,  et  spécialement  d'un 
membre,  sont  seuls  mis  en  activité,  —  soit  par  un  réflexe  ordinaire,  soit  d'une 
îiianière  volitionnelle. 

2.  Le  plus  grand  nombre  des  mouvements  des  Poissons  et  des  Reptiles 
Ophidiens  appartiendrait  à  la  première  catégorie;  et,  comme  Broadbenti  l'a 
signalé  le  premier  chez  l'Homme,  nous  avons  la  preuve  que  des  mouvements 
de  cet  ordre  peuvent  être  aussi  bien  évoqués  par  un  stimulus  passant  d'un  côté 
ou  de  l'autre  du  Cerveau  à  l'une  des  moitiés  de  leurs  Centres  Spinaux,  doubles 
mais  intimement  combinés.  Cela  étant,  ce  serait  peut-être  une  affaire  relative- 
ment peu  importante  pour  ces  animaux,  que  quelques-uns  de  leurs  organes 
sensoriels  principaux,  comme  les  yeux  par  exemple,  fussent  en  relation  structu- 
rale, par  leurs  nerfs  optiques,  avec  la  moitié  du  cerveau  située  du  même  côté, 
ou  avec  celle  du  côté  opposé. 

3.  Les  Poissons  sont  les  premiers  animaux  chez  lesquels  nous  trouvions  un 
arrangement  croisé  de  certains  conducteurs  sensitifs  importants.  Leurs  Nerfs 
Optiques  subissent  une  décussationtrès  complète  2.  Nous  ne  savons  pas  toutefois, 
d'une  manière  certaine,  si  quelqu'un  de  leurs  autres  conducteurs  sensoriels  est 
semblablement  disposé;  il  n'y  a  non  plus  aucune  preuve  que  les  fibres  consti- 
tuant leurs  conducteurs  moteurs  subissent  une  décussation. 

4.  Ainsi  donc,  chez  les  Poissons,  nous  avons  afTaire  à  ce  qui  peut  être  et 
n'est  probablement  qu'un  simple  commencement  partiel  de  la  relation  croisée 
-entre  le  Cerveau  et  le  corps;  et  l'on  peut  concevoir  qu'une  relation  de  ce  genre 
puisse  avoir  été  déterminée,  ou  du  moins  favorisée,  chez  quelqu'un  des  Poissons 
primitifs,  par  deux  ou  trois  particularités  physiques  de  ces  êtres.  L'élongation 
<ie  la  tête  d'un  Poisson  —  conformation  sans  doute  en  relation  intime  avec  la 
vie  de  l'animal  et  ses  mouvements  dans  un  milieu  aquatique  —  ainsi  que  la 
position  latérale  des  yeux,  peuvent  avoir  été  pour  quelque  chose  dans  la  pro- 
duction d'une  décussation  des  bandelettes  optiques,  à  l'époque  de  leur  bour- 
geonnement, chez  quelques  formes  primitives  des  Poissons  3. 

1.  Brit.  and  For.  Med.  Chir.  Review.  1866. 

2.  Bien  que,  d'après  Siebold,  il  y  ait  exception  à  cette  règle  chez  le  Bdel- 
(ostoma,  appartenant  à  la  classe  des  Myxinoîdes,  la  plus  inférieure  des 
Poissons. 

3.  Marshall  (Outlines  of  Physiology,  vol.  F"",  p.  602)  s'efforce  d'expliquer 
cette  décussation  primaire,  en  supposant  qu'elle  dépend  de  la  réversion  latérale 
des  images  optiques,  occasionnée  par  la  forme  concave  de  la  rétine  chez  les 
Poissons.  Mais  ses  raisons  ne  semblent  pas  satisfaisantes;  car,  avec  une  rétine 


CAUSES  DE  LA  RELATION  CROISEE.  119 

5.  Mais  lorsque  des  membres  distincts  apparaissent  chez  les  Reptiles  supé- 
rieurs, et  lorsque,  chez  les  Oiseaux  et  les  Mammifères,  les  mouvements  de 
membres  plus  ou  moins  semblables  deviennent  de  plus  en  plus  volitionnels  et 
indépendants  les  uns  des  autres,  on  pouvait  s'attendre  à  ce  que  deux  résultats 
additionnels  suivissent  la  décussation  primaire  des  Nerfs  Optiques  (de  quelque 
manière  que  celle-ci  ait  été  déterminée)  :  —  (a),  ceux  des  conducteurs  «  sensitifs  « 
dont  les  impressions  sont  les  plus  importantes  pour  l'instigation  des  mouve- 
ments des  membres,  tendraient  aussi  à  se  croiser;  car  il  serait  fort  essentiel 
que  des  Impressions  Tactiles  et  Auditives,  plus  ou  moins  unilatérales,  soient 
mises  en  relation  dans  les  centres  avec  des  Impressions  Visuelles  venant  du 
même  côté  du  corps  ;  (b)  coïncidant  avec  l'établissement  d'une  décussation  des 
conducteurs  sensitifs,  —  et  spécialement  de  ceux  du  Sens  Tactile  et  de  la  sensi- 
bilité commune,  —  chez  des  animaux  habitués  à  accomplir  des  mouvements 
volontaires  unilatéraux,  nous  pourrions  nous  attendre  à  trouver  une  tendance 
à  l'établissement  d'une  relation  croisée  correspondante  entre  les  conducteurs 
moteurs  du  Système  Cérébro-Spinal.  Ainsi  la  moitié  du  Cerveau  qui  a  d'abord 
recules  impressions  sensorielles  instigatrices,  serait  mise  à  même  d'envoj^er  les 
excitations  motrices,  —  soit  pour  les  mouvements  réflexes,  soit  pour  les  mouve- 
ments volitionnels  des  membres  d'un  seul  côte  du  corps.  Et,  s'il  ne  doit  pas  y 
avoir  de  décussation  séparée  pour  les  conducteurs  des  incitations  motrices 
réflexes  etdesvolitionnelles,les  croisements  des  conducteurs  moteurs,  tels  que 
nous  les  trouvons  dans  le  Bulbe  de  l'Homme  et  de  beaucoup  d'autres  vertébrés 
(décussation   des  PjTamides),  sembleraient  être  le  seul  arrangement  naturel. 

6.  Cet  arrangement  croisé,  plus  complet,  semble  n'être  aussi  parfait  que 
chez  les  Mammifères  supérieurs  et  l'Homme. 

7.  Un  arrangement  croisé  des  conducteurs  sensoriels  semblerait  moins 
essentiel,  dans  le  cas  du  Goût  et  de  l'Odorat,  que  pour  aucune  des  auti-es  sortes 
d'impressions  centripètes  :  d'abord,  parce  que  les  organes  de  ces  sens  sont  situés, 
plus  qu'aucun  des  autres,  sur  la  ligne  médiane  du  corps;  et  en  second  lieu 
parce  que  les  impressions  du  Goût  et  de  l'Odorat  provoquent  peut-être  moins 
immédiatement  que  celles  des  autres  sens  des  mouvements  unilatéraux  des 
membres.  Les  nerfs  du  Goût  étant  toutefois  liés,  à  deux  nerfs  de  sensibilité 
commune  (le  Trijumeau  et  le  Glosso-pharyngien)  ou  en  faisant  partie,  suivent 
pour  ainsi  dire  les  troncs  nerveux  auxquels  ils  appartiennent,  et  se  croisent  avec 
eux.  Mais,  pour  les  conducteurs  Olfactifs,  c'est  là  un  fait  remarquable,  ils  sont 
les  seuls  où  l'on  n'ait  pas  constaté  de  décussation,  ni  chez  les  animaux  infé- 


de  même  forme,  il  n'existe  pas  de  relation  croisée  chez  les  Seiches  ;  et  parce 
que  rien  ne  prouve  que  les  conducteurs  «  moteurs  »  subissent  une  décussation 
analogue  (ce  que  suppose  son  hypothèse)  chez  les  vertébrés  inférieurs  privés  de 
membres,  où  commence  la  décussation  des  bandelettes  optiques  ;  enfin,  parce 
que  l'expérience  de  ceux  qui  travaillent  au  microscope  tend  à  montrer  la  faci- 
lité avec  laquelle  les  mouvements  des  mains  s'habituent  à  un  renversement 
de  l'image  optique  —  comprenant  même  un  renversement  des  parties  supé- 
rieures et  inférieures,  aussi  bien  que  des  parties  latérales.  Cette  dernière 
raison  aide  à  montrer  qu'il  n'était  pas  besoin,  comme  semble  le  supposer 
Marshall,  de  changements  anatomiques  importants  pour  obvier  à  un  simple 
renversement  des  images  optiques. 


120  RELATIONS    DES  PARTIES   DE    L'ENCÉPHALE. 

rieurs  ni  chez  l'Homme.  Les  Centres  Olfactifs  des  deux  Hémisphères  sont 
toutefois  très  largement  réunis  au  moyen  de  fibres  commissurales,  —  princi- 
palement réunies  dans  la  commissure  antérieure,  dont  elles  constituent  la  plus 
grande  partie. 

Voici  donc,  brièvement,  l'opinion  de  l'auteur  :  La  relation  croisée  entre 
les  moitiés  du  Cerveau  et  du  corps  peut  avoir  commencé,  chez  quelques  Pois- 
sons, d'une  manière  quasi-accidentelle;  et,  dans  la  première  phase  de  son 
existence,  elle  n'était  et  n'est  encore  représentée  que  par  la  décussation  des 
Bandelettes  Optiques  ;  chez  les  animaux  supérieurs,  pourvus  de  membres  bien 
formés,  les  mouvements  réflexes  et  volitionnels,  de  ceux  d'un  seul  côté,  sont  très 
souvent  évoqués  en  i-éponse  à  des  excitations  sensitives  unilatérales  ;  de  sorte  que, 
chez  ces  animaux,  il  y  aurait  avantage  marqué  si  d'autres  conducteurs  sensitifs 
étaient,  par  décussation,  mis  en  relation,  à  leur  extrémité  centrale,  avec  ceux  du 
Sens  Visuel  ;  finalement,  les  mêmes  influences,  quelles  qu'elles  puissent  être,  qui 
déterminent  cette  décussation  additionnelle  des  conducteurs  sensitifs,  doivent 
amener,  comme  conséquence  également  nécessaire,  celle  des  conducteurs 
moteurs  destinés  aux  membres.  L'arrangement  croisé  des  nerfs  sensitifs  et 
moteurs  que  l'on  rencontre  chez  l'Homme  et  les  Mammifères  supérieurs,  doit 
donc  être  regardé  comme  une  suite  presque  nécessaire,  au  point  de  vue  de  la 
théorie  de  l'évolution,  d'une  décussation  primaire,  et  peut-être  presque  acci- 
dentelle, des  Bandelettes  Optiques  des  Poissons. 

2.    —  RELATIONS     FONCTIONNELLES 

DES     HÉMISPHÈRES     CÉRÉBRAUX.    —    DUALITÉ     DU    CORPS 

ET    UNITÉ    DE     l'eSPRIT. 

On  admet  généralement  aujourd'hui  que  les  deux  Hémisphères 
Cérébraux  contiennent  les  prolongements  ultimes  des  nerfs  «  centri- 
pètes »  ou  nerfs  Sensitifs,  et  sont  constitués  par  le  groupement  des 
centres  organiques  (largement  réunis  entre  eux  par  des  fibres  a  com- 
missurales »)  de  tous  ces  processus  mentaux  supérieurs  que  nous 
avons  vus  dériver  de  Texercice  de  la  Sensibilité  consciente,  c'est-à- 
dire  des  processus  spécialement  automatiques  de  Perception, 
Idéation,  Émotion,  Conception,  Raisonnement,  et  des  processus  plus 
volitionnels  d'Attention,  Souvenir,  Imagination  et  Induction.  Les 
Hémisphères  Cérébraux  contiennent  toutefois ,  outre  les  Centres 
Sensitifs  et  ceux  des  processus  dérivés  sus-indiqués,  des  multitudes 
de  fibres  et  quelques  Centres  servant  à  conduire  et  à  grouper  conve- 
nablement les  courants  «  centrifuges  ». 

Parmi  les  diverses  commissures  transversales  déjà  décrites,  une, 
plus  importante  que  les  autres,  mérite  maintenant  un  moment  d'at- 
tention. C'est  la  grande  commissure  transversale,  ou  Corps  Calleux^ 
qui,  se  montrant  d'abord  chez  les  Mammifères  inférieurs,  s'accroît  de 
volume  chez  les  membres  supérieurs  de  la  série,  et  atteint  chez 
l'Homme  son  maximum  de  développement.  Comme  on  l'a  établi  dans 
le   dernier   chapitre,  les  fibres  du   Corps  Calleux  traversent  d'un 


RELATIONS  DES  HÉMISPHÈRES  ENTRE   EUX.  121 

Hémisphère  à  l'autre,  de  manière  à  mettre  en  relation  des  aires 
correspondantes  de  la  Substance  Grise  des  circonvolutions.  Elles  ne 
réunissent  pas  également  toutes  les  circonvolutions,  mais  spécia- 
lement celles  qui  sont  aussi  en  relation  avec  les  gros  ganglions  basi- 
laires  (Broadbent).  La  Commissure  Anlérieurej,  bien  que  partie  mor- 
phologiquement distincte,  semble  avoir  une  fonction  essentiellement 
parallèle,  puisque  ses  fibres  servent  aussi  à  relier  des  circonvolutions 
similaires  des  deux  côtés  et  quelques-unes  de  celles  qui  sont  situées 
dans  les  Lobes  Temporaux.  Une  fonction  semblable  doit  aussi  être 
assignée  aux  fibres  psaltériales^  qui  constituent  en  partie  la  portion 
postérieure,  recourbée,  du  Corps  Calleux  lui-même  (p.  89,  note  2). 

Ces  fibres  «  commissurales  »  transversales  sont  d'un  grand  intérêt  : 
car  il  y  a  des  raisons  de  croire  qu'elles  sont,  à  un  degré  considé- 
rable, en  relation  avec  cette  unification  de  la  Conscience  qui  existe 
indiscutablement  (comme  chacun  peut  l'affirmer),  en  dépit  du  fait 
que  les  organes  de  l'Activité  Sensorielle  sont  partout  doubles.  Ces 
Commissures  sont  aussi,  suivant  toutes  probabilités,  fort  essentielles 
à  l'exercice  des  processus  mentaux  supérieurs.  Dans  des  cas  rap- 
portés par  le  docteur  Langdon-Down  et  autres,  le  non-développe- 
ment de  cette  partie  du  Cerveau,  chez  THomme,  a  été  associé  à  une 
Idiotie  plus  ou  moins  marquée  ;  mais  toutefois,  l'arrêt  de  dévelop- 
pement n'avait  point,  dans  la  plupart  des  cas,  été  strictement 
limité  au  Corps  Calleux.  La  Commissure  Moyenne,  le  Trigone, 
ou  quelques  régions  des  circonvolutions,  étaient  souvent  défec- 
tueux en  même  temps.  Dans  quelques-uns  des  cas  rapportés,  où 
le  Corps  Calleux  ne  faisait  que  partiellement  défaut,  il  y  avait  moins 
de  dégradation  des  Facultés  Intellectuelles  que  l'on  n'aurait  pu  s'y 
attendre.  Dans  certains  de  ces  derniers  cas,  toutefois,  les  personnes 
sont  mortes  si  jeunes,  ou  les  conditions  morbides  ont  été  si  compli- 
quées, que  les  observations  ont  relativement  peu  de  valeur,  pour 
établir  la  question  de  l'importance  réelle  du  Corps  Calleux  pour 
l'exercice  des  processus  mentaux  ^. 

D'après  les  données  anatomiques  fournies  par  Broadbent  2,  ce  sont 
les  Régions  Sensorielles  des  deux  Hémisphères  (ou  les  Sensorielles 
et  ce  que  quelques-uns  regardent  comme  les  Volitionnelles)  qui  sont 
mises  en  relations  au  moyen  du  Corps  Calleux.  Mais,  même  si  cet 
arrangement  supposé  était  le  seul  existant  en  réalité,  cela  n'indi- 
querait nullement  que  les  sièges  organiques  des  processus  dérivatifs 
plus  complexes  ne  sont  point  aussi  médiatemenl  mis  en  rapport 
les  uns  avec  les  autres.  Ainsi,  les  Régions  Émotionnelles,  Intellec- 

1.  Voj^  :  Knox,  in  Glasgow  Médical  Journal,  avril  1875,  où  il  y  a  quinze 
cas  rapportés. 

2.  Voy.  p.  83. 


122  RELATIONS  DES  PARTIES    DE    L'ENCÉPHALE. 

tuelles  et  Volitionnelles  plus  spécialisées  de  chaque  Hémisphère, 
où  qu'elles  puissent  être  et  de  quelque  manière  qu'elles  soient  reliées 
entre  elles,  sont  nécessairement,  au  moyen  des  fibres  du  système 
d'association,  mises  en  communion  intime  avec  les  Régions  Senso- 
rielles de  diverse  nature  qui  leur  correspondent.  C'est  donc  de 
cette  manière  indirecte  que  les  régions  fonctionnellement  les  plus 
élevées  des  deux  Hémisphères  peuvent  être  mises  en  relation  les 
unes  avec  les  autres,  au  moyen  des  fibres  du  Corps  Calleux.  Il  y  a 
manifestement  unité  dans  notre  Conscience  Émotionnelle,  Intellec- 
tuelle et  Volitionnelle, —  aussi  bien  que  dans  notre  Conscience  Sen- 
sorielle, —  c'est-à-dire  dans  les  processus  mentaux»  dérivés  »,  aussi 
bien  que  dans  les  «  primaires  ». 

Il  ne  saurait  guère  y  avoir  de  doute  que  ce  soient  cette  Activité 
Sensorielle  et  l'action  des  portions  du  Cerveau  qui  y  sont  directement 
intéressées,  qui  fournissent  la  base  primaire,  ou  essentielle,  de  la 
Conscience.  Nous  sommes  le  plus  complètement  conscients  lorsque 
nous  recevons  le  plus  d'impressions  extérieures;  et  nous  tombons 
dans  un  état  d'inconscience  complète  ou  partielle,  lorsque  l'arrivée 
de  ces  impressions  est  pour  un  temps  empêchée,  ou  lorsque  nous 
sommes  absorbés  profondément  dans  quelque  série  de  pensées 
(Conscience  Idéale  ou  Réflective),  —  c'est-à-dire  lorsque  l'activité 
d'autres  portions  des  Hémisphères  Cérébraux  diminue  de  quelque 
manière,  ou  éclipse  celle  des  régions  sensorielles  proprement  dites. 
Un  admirable  exemple  de  la  première  vérité  a  été  récemment  donné 
par  le  docteur  Striimpell^;  il  est  tellement  instructif  qu'il  mérite 
d'être  cité  tout  au  long  : 

«  Pendant  l'automne  de  l'an  derniei%  on  reçut  à  la  clinique  médicale  de 
Leipzig  un  jeune  homme  âgé  de  seize  ans,  chez  lequel  divers  phénomènes 
d'anesthésie  s'étaient  graduellement  développés,  à  un  degré  que  l'on  a  observé 
bien  rarement.  La  peau  de  la  surface  entière  du  corps  était  complètement 
insensible,  et  cela  à  toute  sorte  de  sensation.  Le  courant  électrique  le  plus 
puissant  ou  une  bougie  allumée,  tenue  contre  la  peau,  n'étaient  capables  de  pro- 
duire aucune  douleur  ni  même  aucune  sensation  de  toucher.  Presque  toutes 
les  surfaces  muqueuses  accessibles  montraient  la  même  insensibilité  à  la 
■douleur.  Toutes  les  sensations  que  l'on  réunit  sous  le  nom  de  sens  musculaire 
faisaient  absolument  défaut.  Lorsque  ses  yeux  étaient  fermés,  on  pouvait 
porter  le  patient  tout  autour  de  la  chambre,  placer  ses  membres  dans  les 
positions  les  moins  commodes,  sans  qu'il  en  eût  en  rien  conscience.  Même  le 
sentiment  de  fatigue  musculaire  n'existait  plus.  Il  survint  en  outre  une  perte 
absolue  du  goût  et  de  l'odorat,  une  amaurose  de  l'œil  gauche  et  de  la  surdité 
de  l'oreille  droite. 

Bref,  cet  individu  ne  communiquait  plus  avec  le  monde  extérieur  que  par 
deux  portes  sensorielles  :  l'œil  droit  et  l'oreille  gauche.  En  outre,  comme  ces 

1.  Pfluger's  Arcliiv.,  vol.  XV,  p.  573;  traduit  dans  Nature,  13  déc.  1877. 


COMMENT  NAIT  LA  CONSCIENCE.  123 

deux  portes  pouvaient,  à  n'importe  quel  moment,  être  aisément  fermées,  il  était 
possible  de  rechercher  les  conséquences  d'un  isolement  complet  du  cerveau  de 
toute  stimulation  extérieure  provenant  des  sens.  J'ai  fréquemment  répété  l'expé- 
rience suivante,  et  je  l'ai  montrée  à  d'auti'es  personnes  :  Si  l'on  bandait  l'œil 
demeuré  bon,  et  si  l'on  bouchait  en  même  temps  l'oreille  du  patient,  après 
quelques  minutes  (ordinairement  deux  ou  trois),  l'expression  de  surprise  et  les 
mouvements  pénibles,  qui  s'étaient  montrés  d'abord,  cessaient  complètement; 
la  respiration  devenait  calme  et  régulière;  le  malade  était,  en  réalité,  profon- 
dément endormi.  On  réalisait  donc  ici  la  possibilité  d'amener  artificiellement 
le  sommeil,  à  n'importe  quel  moment,  en  empêchant  toute  excitation  du 
cerveau  par  les  sens. 

Le  réveil  du  patient  n'était  pas  moins  intéressant.  On  pouvait  l'éveiller  par 
une  excitation  auditive,  en  appelant  dans  son  oreille,  ou  par  une  stimulation 
visuelle,  en  faisant  tomber  de  la  lumière  sur  son  œil  ;  mais  il  était  impossible 
de  l'éveiller  en  le  poussant  ou  le  secouant.  Si  on  l'abandonnait  à  lui-môme,  il 
finissait  par  se  réveiller  tout  seul,  dans  le  courant  de  la  journée,  après  que  le 
sommeil  avait  duré  plusieurs  heures  ;  le  réveil  était  dû  peut-être  à  des  stimuli 
intrinsèques  partis  du  cerveau,  ou  peut-être  à  de  légers  stimuli  extérieurs, 
inévitables,  agissant  par  les  deux  sens  encore  en  action,  et  se  faisant  sentir  à 
cause  de  l'accroissement  de  sensibilité  qu'avait  acquis  le  cerveau  durant  le 
repos  du  sommeil.  » 

Rien  ne  pourrait  montrer  plus  distinctement  qu'un  pareil  cas, 
l'importance  de  Tactivité  des  Régions  Sensorielles  des  Hémisphères 
dans  la  production  de  ce  que  nous  connaissons  sous  le  nom  de 
Conscience.  Il  semble  clair,  en  effet,  que  si  la  Conscience  n'est  point, 
de  quelque  manière,  un  apanage  immédiat  de  l'activité  de  ces  régions 
mêmes  des  Hémisphères,  celle-ci  est,  en  tout  cas,  un  avant-coureur 
essentiel  de  celle  de  quelques  autres  régions,  dont  l'activité  est 
immédiatement  associée  à  la  Conscience. 

D'autre  part,  il  est  également  évident  que  les  impressions  sen- 
sorielles stimulantes  sont  doubles,  arrivant  à  chaque  Hémisphère 
du  Cerveau  des  moitiés  opposées  du  corps  ;  et  que  leurs  accompa- 
gnements subjectifs  sont  confondus  en  une  seule  Conscience,  de 
telle  ou  telle  nature.  La  preuve  finale  de  cette  proposition  se  trouve 
dans  les  effets  de  blessures  de  certaines  parties  du  Cerveau,  d'un 
seul  côté  seulement,  chez  quelques-uns  des  animaux  inférieurs;  et 
dans  les  effets  des  maladies  unilatérales  de  régions  correspondantes 
du  Cerveau  de  l'Homme.  Ainsi,  là  où  nous  avons  affaire  à  une  bles- 
sure ou  à  une  maladie  du  tiers  postérieur  de  la  capsule  interne,  — 
c'est-à-dire  de  cette  partie  de  l'expansion  du  Pédoncule  Cérébral  qui 
est  située  entre  la  partie  postérieure  du  Corps  Strié  et  la  Couche 
Optique,  —  nous  observons  une  perte  complète  de  la  sensibilité  de  la 
moitié  opposée  du  corps  (Hémianesthésie).  Aucune  sensation  tactile 
n'est  éprouvée,  et  les  autres  voies  sensorielles  de  ce  côté  sont  éga- 
lement closes;  ce  côté  de  la  bouche  et  de  la  langue  sont  insensibles 


124  RELATIONS   DES    PARTIES   DE   L'ENCÉPHALE. 

aux  saveurs,  l'oreille  est  sourde,  l'œil  aveugle,  et  la  narine  corres- 
pondante également  insensible  à  toutes  sortes  d'odeurs^. 

IMais,  dans  l'Hémianesthésie,  bien  que  les  avenues  sensorielles 
soient  fermées  d'un  côté,  la  Conscience  générale  de  l'individu  ne 
semble  point  affectée,  et  son  Activité  Mentale  peut  être  à  peine 
atteinte.  Cette  condition  mentale,  relativement  inaltérée  malgré 
l'absence  de  stimulation  sensorielle  directe  d'un  Hémisphère,  n'est 
probablement  possible  que  grâce  à  Tactivité  du  Corps  Calleux,  — 
puisqu'au  moyen  de  ses  fibres  les  excitations  qui  parviennent  à  un 
côté  du  Cerveau  peuvent  se  propager  à  l'autre.  Les  deux  Hémisphères 
peuvent  ainsi  être  mis  en  relation  avec  les  divers  stimuli  sensoriels 
qui  émanent  d'un  seul  côté  du  corps  ;  et,  de  cette  manière,  il  est 
possible  à  la  Conscience  générale  de  l'individu  de  demeurer  intacte, 
même  en  l'absence  de  stimuli  sensoriels  d'une  moitié  du  corps. 

Il  est  de  la  plus  haute  importance  de  se  rappeler  que  les  résultats 
ci-dessus  décrits  suivent  des  lésions  du  tiers  postérieur  du  Pédon- 
cule Cérébral,  immédiatement  avant  que  ses  fibres  entrent  en  rela- 
tion avec  la  Couche  Optique.  Les  effets  sont  fort  différents  lorsque 
des  lésions  existent  au-dessus  ou  en  dehors  des  gros  ganglions  basi- 
laires  (voyez  p.  128),  même  lorsque  ces  lésions  comprennent  une 
destruction  fort  étendue  de  l'un  des  Hémisphères, 

Ce  n'est  toutefois  que  dans  la  sphère  des  trois  sens  supérieurs 
que  les  accompagnements  subjectifs  d'impressions  provenant  des 
deux  côtés  du  corps  se  mêlent  de  manière  à  produire  des  Perceptions 

1.  L'explication  de  la  perte  du  sens  de  l'Odorat  dans  la  narine  correspon- 
dante présente  quelques  difficultés.  Elle  semble,  à  première  vue,  être  en  con- 
tradiction complète  avec  les  faits  anatomiques,  puisque  les  relations  des  organes 
de  l'odorat  avec  les  hémisphères  sont  exceptionnelles,  comme  on  l'a  déjà  signalé 
(page  109).  Elles  sont  certainement  directes  plutôt  que  croisées;  et  cela  ten- 
drait à  contredire  les  connaissances  anatomiques  actuelles  si  des  fibres  des 
Ganglions  Olfactifs,  se  rendant  à  leurs  «  centres  de  perception  »,  se  trouvaient 
quelque  part  dans  le  voisinage  de  la  partie  postérieure  de  la  «  couronne  rayon- 
nante ».  Mais  une  explication  très  plausible  de  la  perte  du  sens  de  l'Odorat  dans 
ces  cas  d'Hémianesthésie  se  trouve,  comme  l'a  signalé  Ferrier  (Functions  of 
the  Brain,  p.  191)  dans  les  expériences  bien  connues  de  Magendie  sur  les  fonc- 
tions de  la  cinquième  paire.  Il  s'est  assuré  que  l'Odorat  était  perdu,  lorsque  la 
sensibilité  de  la  narine  était  abolie  — par  exemple,  après  la  section  du  triju- 
meau :  non  point  que  le  trijumeau  soit  à  proprement  parler  le  nerf  de  l'Odorat, 
mais  parce  que  «  son  intégrité  est  nécessaire  à  l'activité  fonctionnelle  normale 
du  nerf  olfactif.  »  Si  la  perte  unilatérale  de  l'Odorat,  dans  ces  cas  d'Hémi- 
anesthésie, n'est  réellement  due  qu'à  la  perte  de  la  sensibilité  générale  dans  la 
narine  correspondante,  cette  môme  perte  de  l'Odorat  doit  se  présenter  chez 
l'Homme,  lorsqu'il  existe  des  lésions  de  la  Protubérance  entraînant  la  perte  de 
la  sensibilité  générale  de  tout  un  côté  du  corps  ;  l'expérience  de  l'auteur  l'a 
conduit  à  croire  qu'il  en  est  ainsi 


HÉMIANESTHÉSIE. 


125 


simples.  Un  objet  odorant  est  perçu  simple;  un  corps  que  l'on  voit 
est  reconnu  simple;  et  de  même  un  son,  bien  que  stimulant  à  la  fois 
les  deux  organes  auditifs,  est  reconnu  unique.  Et,  bien  que  nous 
puissions  localiser  les  impressions  gustatives  de  l'un  ou  l'autre  côté 
de  la  bouche,  lorsque  notre  attention  est  dirigée  là-dessus,  nous  ne 
sommes  point  accoutumés  à  agir  ainsi  ;  et  il  serait  peu  utile  de  faire 
des  distinctions  de  cette  sorte.  Le  cas  est  toutefois  absolument  dif- 
férent pour  le  sens  du  Toucher  ou  la  sensibilité  commune.  Au  moyen 
de  l'Odorat,  de  la  Vue  et  de  l'Ouïe,  nous  sommes  mis  en  relation 


FiG.  171.  —  Coupe  transversale  du  Cerveau  d'un  Chien,  au  niveau  du  milieu  des  Couches 
Optiques,  montrant  la  portion  de  la  capsule  interne  dont  la  section  produit  l'Hémi- 
anesthésie  (Charcot,  d'après  Duret).  o,  o,  Couches  Optiques  réunies  par  la  Commis- 
sure Moyenne,  ou  Molle  ;  P,  P,  tiers  postérieur  du  Pédoncule  Cérébral  (capsule  interne). 
Du  côté  droit,  ces  fibres  sont  représentées  coupées,  en  x;  S,  noyau  intra-ventricu- 
laire,  et  L,  noyau  estra-ventriculaire  du  Corps  Strié. 


avec  des  phénomènes  éloignés;  mais,  dans  l'exercice  du  Toucher  et 
du  Goût,  il  y  a  contact  réel  avec  différentes  portions  de  la  surface 
de  notre  corps;  il  doit  donc  y  avoir,  comme  il  y  a  en  réalité, sur- 
tout dans  le  premier  cas,  une  faculté  absolument  indépendante 
d'apprécier  les  impressions  qui  proviennent  de  chaque  côté  de  notre 
corps,  et  de  les  localiser  fort  exactement. 

Cette  unité  de  résultat,  accompagnant  l'action  d'une  grande 
partie  des  Régions  Sensorielles  des  deux  Hémisphères,  aussi  bien  que 
de  celles  qui  servent  à  l'Activité  Émotionnelle  et  Intellectuelle,  est 
fort  remarquable  et  difficile  à  comprendre;  surtout  si  nous  avons 
présent  à  l'esprit  ce  fait,  qu'il  n'y  a  pas  une  symétrie  parfaite,  même 
à  l'œil  nu,  dans  la  conformation  de  beaucoup  de  Circonvolutions 
homologues  des  deux  côtés  (pour  ne  rien  dire  de  leur  structure 
microscopique);  que  leur  alimentation  vasculaire  est  indépen- 
dante, et  sujette,  par  suite,  à  des  variations  qui  peuvent  n'affecter 
qu'un  seul  côté;  et  qu'une  inégalité  dans  le  pouvoir  de  travail  des 


126  RELATIONS   DES  PARTIES   DK  L'ENCÉPHALE. 

deux  Hémisphères  pourrait  aisément  aussi  être  amenée  par  quelques 
différences  inliérentes,  ou  acquises,  dans  l'activité  moléculaire  (ou 
fonctionnelle)  des  éléments  nerveux  correspondants  des  deux  côtés 
du  Cerveau. 

Malgré  la  difficulté  que  nous  éprouvons  à  comprendre  comment 
un  double  mécanisme  de  cette  nature  peut  fonctionner  comme  il  le 
fait,  de  manière  à  amener  une  Conscience  simple,  ou  à  nous  per- 
mettre de  poursuivre  les  processus  d'une  personnalité  Pensante  et 
Voulante  unique,  les  faits  de  notre  propre  Conscience  peuvent 
assurer  à  chacun  de  nous  qu'il  en  est  ainsi. 

Cependant,  bien  que  la  règle  puisse  être  que  les  deux  Hémi- 
sphères soient  mis  en  activité  simultanée  et  harmonique  dans  la 
Perception,  PÉmotion,  la  Pensée  et  la  Volition,  il  ne  manque  point 
absolument  de  preuves  pour  montrer  qu'ils  sont  capables  de  tra- 
vailler d'une  manière  plus  ou  moins  indépendante,  —  soit  [a)  lorsque 
les  deux  Hémisphères  existent,  et  que  l'on  suppose  un  manque  d'har- 
monie avec  double  Conscience  comme  résultat;  soit  (6)  dans  les  cas, 
plus  positifs  et  plus  définis,  dans  lesquels  on  n'a  remarqué  aucun 
affaiblissement  des  Sens  ou  de  l'Intellect,  bien  que  la  plus  grande 
portion  de  l'un  des  Hémisphères  Cérébraux  puisse  avoir  été  détruite. 
On  peut  dire  quelques  mots  sur  chacun  de  ces  sujets. 

[a)  La  preuve  en  faveur  de  la  possibilité  d'une  activité  séparée  et 
dissemblable,  bien  que  simultanée,  des  deux  Hémisphères  du  Cer- 
veau est  d'une  nature  très  douteuse,  bien  que  des  faits  assez  connus 
des  médecins  semblent  confirmer  cette  notion. 

Par  exemple,  Sir  Henry  Hollard^  souleva,  en  1840,  la  question  de  savoir 
«  Si  quelques  aberrations  d'esprit,  comprises  sous  le  nom  d'insanité,  ne 
sont  point  dues  à  l'action  déréglée  de  ce  double  organe  (les  deux  hémi- 
sphères) qui  conserve,  à  l'état  de  santé,  une  parfaite  unité  d'action?  »  Il 
ajoute  :  «  Le  sujet  est  fort  obscur  et  toute  preuve  difficile;  mais  je  crois  plus 
probable  qu'une  inégalité  de  cette  sorte  puisse  être  cause  de  quelques- 
unes  des  nombreuses  formes  de  dérangement  d'esprit...  C'est  une  remarque 
souvent  faite  que,  dans  certains  états  de  dérangement  mental,  aussi  bien  que 
dans  quelques  cas  d'hystérie  qui  y  confinent  do  fort  près,  il  semble  y  avoir 
comme  deux  esprits,  dont  l'un  tend  à  corriger,  par  des  perceptions,  des  senti- 
ments et  des  volltions  plus  justes,  les  aberrations  de  l'autre;  et  que  la  puissance 
relative  des  deux  influences  varie  à  des  moments  différents...  Il  est  remar- 
quable qu'on  puisse  avoir  parfois,  des  malades  eux-mêmes,  une  expression  aussi 
distincte  de  ce  phénomène.  J'ai  vu  récemment  un  cas  où  les  traits  le  plus  carac- 
térisés étaient  de  fréquentes  et  subites  explosions  de  colère,  sur  des  sujets  en 
partie  réels,  en  partie  imaginaires,  mais  généralement  sans  raison  évidente  ou 
suffisante  au  moment  donné  ;  ces  excès  étaient  accompagnés  de  cris  furieux  et 

1.  Médical  Notes  and  Reflexions,  2"  éd.  1840,  p.  172. 


DOUBLE    CONSCIENCE.  127 

d'actes  de  violence,  le  malade  frappant  ou  brisant  tout  ce  qui  était  à  sa  portée. 
Il  me  décrivit  lui-même  le  genre  de  conscience  séparée  qu'il  éprouvait  pendant 
ces  violents  accès,  son  désir  de  leur  résister,  mais  le  sentiment  de  son  impuis- 
sance à  le  faire  ;  et  sa  satisfaction  lorsqu'il  les  sentait  se  dissiper.  C'était  une 
peinture,  péniblement  exagérée,  de  la  lutte  entre  le  bien  et  le  mal  ». 

On  ne  pourrait  rien  dire  de  beaucoup  mieux  défini  sur  le  sujet  ; 
et  notre  savoir  n'a  pas,  depuis  lors,  avancé  sur  ce  point  d'une 
manière  sensible^.  Il  est  assurément  possible  que  deux  états  d'Esprit, 
en  apparence  simultanés,  ne  coïncident  jamais  strictement  en 
temps;  de  sorte  que,  dans  les  cas  dont  on  vient  de  parler,  il  peut 
y  avoir  eu  simplement  une  action  rapidement  alternante  de  l'en- 
semble de  l'organe,  plutôt  qu'une  action  indépendante  et  simultanée 
des  deux  Hémisphères  Cérébraux.  Quelques-uns  des  phénomènes  du 
rêve  présentent  exactement  la  même  difficulté,  —  la  preuve  en  faveur 
d'une  double  Conscience  est  même  plus  frappante  ici,  puisque  la 
plupart  d'entre  nous  peuvent  ajouter  leur  expérience  personnelle 
au  témoignage  des  autres.  Nous  faisons  plus  spécialement  allusion 
aux  cas  où  le  rêveur  semble  tenir  une  longue  conversation  avec 
quelque  autre  personne;  où  deux  courants  distincts  de  pensée  se 
développent,  et  où  quelquefois  on  peut  avoir  des  preuves  que  le 
rêve  tout  entier  s'est  produit  si  rapidement  que  les  phénomènes 
sont  plus  faciles  à  expliquer,  en  supposant  une  action  simultanée 
et  indépendante  des  deux  Hémisphères ,  qu'une  action  alternati- 
vement différente  de  l'ensemble  du  Cerveau^. 

[b)  Si  nous  examinons,  d'autre  part,  la  question  de  savoir  quel 
degré  de  Puissance  Intellectuelle  reste  possible,  lorsqu'un  des  Hémi- 
sphères Cérébraux  a  été  fort  endommagé  ou  atrophié,  il  ne  saurait 
guère  y  avoir  de  doute  que,  dans  la  règle,  les  facultés  psychiques 
soient  fort  oblitérées  ou  paralysées.  Ceci  toutefois  est  loin  d'être 
toujours  vrai  :  car  on  rapporte  des  cas  où,  malgré  une  atrophie  ou 
une  maladie  fort  étendue  de  l'un  des  Hémisphères,  les  facultés  intel- 
lectuelles paraissaient  être  dans  leur  condition  normale. 

Il  est  toutefois  très  rare  que  des  Facultés  Mentales  notables 
soient  conservées,  lorsqu'une  lésion  importante  de  l'un  des  Hémi- 
sphères  survient  un  peu  tard  dans  la  vie.  Il  y  a  beaucoup  plus 

1.  L'ouvrage  du  D""  Wigan  sur  The  Duality  of  the  Minci  (1844)  est  une 
contribution  à  l'étude  du  même  sujet;  mais  il  est  diffus  et  fort  mal  arrangé. 

2.  La  conscience  de  celui  qui  rêve  peut  être  distinguée,  sous  le  nom  de 
Conscience  Idéationnelle,  de  la  conscience  ordinaire  qui  existe  à  l'état  de  veille. 
Dans  chacun  de  ces  cas,  les  régions  sensorielles  des  hémisphères  sembleraient 
être  les  points  centraux,  ou  initiaux,  dont  l'activité  est  excitée,—  dans  un  cas, 
par  des  impressions  sensorielles  réelles,  dans  l'autre,  par  des  impressions  de  ce 
genre,  ravivées. 


128  RELATIONS  DES  PARTIES   DE  L'ENCÉPHALE. 

de  chance  d'en  rencontrer  lorsque  la  maladie  ou  la  lésion  a  débuté 
ou  est  survenue  dans  la  première  enfance,  c'est-à-dire  à  une 
période  où  la  croissance  et  le  développement  structural  du  Cer- 
veau sont  encore  capables  de  subir  des  modifications  considérables, 
qui  puissent  adapter  l'organe  à  une  activité  plus  ou  moins  isolée 
d'un  seul  Hémisphère,  —  ce  qui,  dans  les  cas  supposés,  esta  peu  près 
tout  ce  qui  est  possible.  Ce  début  précoce  de  la  maladie  a  été,  en 
efifet,  remarqué  par  l'auteur  comme  existant  dans  un  grand  nombre 
des  cas  les  plus  authentiques  appartenant  à  cette  catégorie  ^. 

Le  plus  remarquable  peut-être  de  tous  les  cas  de  cette  nature  est  celui  qui 
fut  observé  et  rapporté  par  Andral.  Un  homme,  qui  mourut  dans  sa  vingt-hui- 
tième année,  avait  fait  à  l'âge  de  trois  ans  une  chute  à  la  suite  de  laquelle  il 
demeura  paralysé  du  côté  gauche.  L'Hémisphère  droit  fut  trouvé  si  complète- 
ment atrophié,  qu'une  grande  partie  de  la  «  pie-mère  »  du  côté  droit  formait  un 
kyste  dans  lequel  il  ne  restait  plus  trace  de  matière  cérébrale.  Cette  mem- 
brane constituait  la  paroi  supérieure  d'une  vaste  cavité  dont  le  plancher  seul 
était  formé  par  la  Couche  Optique,  le  Corps  Strié  et  toutes  les  autres  parties 
situées  sur  le  même  niveau  que  ces  deux  corps.  Il  n'existait  donc  pas  de  sub- 
stance nerveuse  au-dessus  du  niveau  des  gros  ganglions  du  côté  droit;  —  et 
cependant  Andral  dit  :  «  Cet  individu  avait  reçu  de  l'éducation  et  en  avait  pro- 
fité; il  avait  une  bonne  mémoire;  sa  parole  était  libre  et  facile;  son  intelligence 
était  celle  du  commun  des  hommes.  » 

Des  cas  de  nature  semblable  ont  été  rapportés  par  Cruveilhier 
et  autres  ;  et  c'est  un  fait  remarquable  qu'il  y  ait  eu  non  seulement 
conservation  d'assez  de  Puissance  Intellectuelle  pour  qu'il  n'y  eût,  au 
moins  en  apparence,  aucune  perte  dans  cette  direction,  mais  pour  que 
les  modes  spéciaux  de  Sensibilité  (comme  la  Vue  et  l'Ouïe)  n'aient 
été  abolis  d'aucun  côté.  Il  n'y  eut  ni  Cécité,  ni  Surdité  unilatérale, 
même  alors  que  la  plus  grande  partie  de  l'Hémisphère  opposé  avait 
été  détruite.  L'auteur  a  déjà  essayé  ailleurs  d'expliquer  la  conser- 
vation des  sens  spéciaux  dans  des  cas  de  cette  nature,  en  étendant 
l'hypothèse  de  hroadbent,  sur  l'activité  unique  ou  double  des  centres 
moteurs,  au  problème  qui  touche  aux  conditions  réglant  l'activité 
unique  ou  combinée  des  centres  sensitifs  ^. 

Ces  cas  déjà  signalés  de  maladie  de  la  plus  grande  partie  d'un  Hémisphère, 
avec  conservation  des  Sens  spéciaux  des  deux  côtés,  contrastent  notablement 
avec  les  cas,  plus  récemment  publiés,  de  lésions  du  tiers  postérieur  de  la  capsule 
interne,  dans  lesquels  il  y  a  eu  Hémianesthésie  (voy.  page  125  et  fig.  171) 
Dans  cette  dernière  classe  de  faits,  il  y  a  une  lésion  limitée  dans  la  région  «  sen- 

1.  Atrophy  ofthe  Left  Hémisphère.  —  New  Sydenham.  Soc.  \ol.  XI,  p.  153. 
Plusieurs  cas  sont  rapportés  par  S.  Van  der  Kolk,  y  compris  celui  qu'a  publié 
Andral 

2.  Paralysis  from  Brain  Diseuse,  1875,  p.  106. 


DOUBLE   CONSCIENCE.  129 

sitive  »  du  Pédoncule  Cérébral,  immédiatement  avant  qu'il  entre  en  relation 
avec  la  Couche  Optique;  tandis  que,  dans  les  cas  où  les  Sens,  soit  d'un  côté 
soit  de  l'autre,  n'ont  été  que  peu  ou  point  atteints,  la  lésion  avait  principale- 
ment porté  sur  les  régions  frontale  et  pariétale  de  l'Hémisphère,  au-dessus  du 
niveau  de  la  Couche  Optique  et  du  Corps  Strié  ;  et  peut-être,  par  conséquent, 
sans  impliquer  beaucoup  les  circonvolutions  du  Lobe  Temporal  qui,  ainsi  qu'on 
le  montrera  dans  le  chapitre  prochain,  semblent  contenir  des  centres,  ou  régions 
d'importance  spéciale  pour  la  perception  sensorielle.  Ces  derniers  cas  sont  d'un 
grand  intérêt;  mais  il  y  aurait  besoin  d'informations  plus  exactes  pour  que  nous 
puissions  arriver,  en  sécurité,  à  nous  former  une  opinion  bien  nette  sur  leur 
compte.  Les  anciennes  observations  n'étaient  point  faites,  ou  du  moins  n'étaient 
pas  rapportées  de  cette  manière  rigoureusement  précise  que  l'importance  du 
sujet,  au  point  de  vue  où  nous  l'envisageons  aujourd'hui,  demande  clai- 
rement. 

Mais,  tandis  que  notre  «  Volonté  »  est,  comme  notre  Intellect, 
unique  (bien  que  le  produit  ou  l'accompagnement  de  l'activité  d'un 
organe  double),  nous  sommes,  à  l'occasion  de  son  exercice,  amenés 
au  point  où  les  phénomènes  mentaux  font  graduellement  place  aux 
pliénomènes  non-mentaiox . 

Le  résultat  d'un  grand  nombre  de  Volitions  se  trouve  dans  des 
contractions  ou  des  relâchements  musculaires  ;  et  le  simple  passage 
de  courants  centrifuges  n'est  accompagné  de  conscience  d'aucune 
naturel.  Après  le  Désir  accompagné  d'une  sensation  d'efforts  (qui 
semblent  constituer  ensemble  ce  que  nous  connaissons  individuelle- 
ment d'une  Volition,  pour  autant  du  moins  qu'elle  se  révèle  à  nous 
comme  phase  de  Conscience),  nous  avons  affaire  à  des  courants 
moléculaires,  passant  peut-être  à  travers  plusieurs  séries  de  fibres  et 
de  cellules,  mais  n'ayant  aucun  côté  conscient,  et  situés,  en  appa- 
rence, autant  en  dehors  de  la  sphère  de  l'Esprit,  que  les  change- 
ments moléculaires  évoqués  dans  le  muscle  par  les  courants  cen- 
trifuges. 

Ce  fut  pour  ces  raisons  que,  dans  un  précédent  chapitre,  l'auteur 
fut  amené  à  limiter  la  sphère  de  l'Esprit,  et  à  ne  regarder  comme 
ses  organes  que  la  partie  du  Système  Nerveux  qui  a  affaire  à  la  récep- 
tion, à  la  transmission  et  aux  coordinations  si  multipliées  des  cou- 
rants centripètes  dans  les  centres  nerveux  de  toute  nature.  Nous 
avons,  au  contraire,  été  amenés  à  regarder  les  phénomènes  des  cou- 
rants centrifuges  comme  non-mentaux,  et  les  régions  du  système 
nerveux  qui  ont  affaire  avec  eux,  comme  ne  faisant  pas,  à  propre- 
ment parler,  partie  de  Vorgane  de  l'Esprit. 

Il  est  certain  que,  dès  que  nous  quittons  le  côté  purement 
mental,  ou  les  points  de  départ  d'une  Volition,  nous  trouvons  deux 

1.  Sur  ce  sujet,  voyez  ce  que  dit  Sir  W"  Hamilton  dans  ses  Lectures, 
vol.  II,  p.  391,  392;  et  dans  ses  Dissertations  on  Reid,  p.  866,  867. 

Charlton-Bastian.  —  II.  9 


130  RELATIONS  DES    PARTIES   DE    L'ENCÉPHALE. 

routes  principales  par  où  ses  stimull  associés  (sous  forme  de  mou- 
vements moléculaires)  peuvent  se  rendre,  deTécorce  des  hémisphères 
cérébraux,  aux  muscles  de  chaque  côté  du  corps. 

Les  muscles  des  membres,  droits  ou  gauches,  ou  les  groupes  mus- 
culaires d'autres  parties  qui  sont  ordinairement  mises  en  action  in- 
dépendamment de  leurs  homologues  du  côté  opposé,  ne  reçoivent, 
ainsi  que  nous  l'avons  établi,  leurs  stimuli  volitionnels  que  par  l'Hé- 
misphère Cérébral  du  côté  opposé.  Mais  les  muscles  situés  de  chaque 
côté  et  agissant  ordinairement  ensemble  peuvent  être  indifTérem- 
ment  excités  par  l'un  ou  l'autre  des  Hémisphères  (Broadbent),  grâce 
à  l'existence  de  connexions  commissurales intimes,  reliant  ensemble 
les  Centres  Spinaux  doubles,  en  relation  avec  ces  muscles  d'une 
manière  assez  intime  pour  que  chaque  paire  ne  forme  plus  qu'un 
Centre. 

11  semble  exister,  toutefois,  une  exception  fort  importante  à  cette 
dernière  règle,  dans  le  cas  des  muscles  (agissant  ordinairement  d'une 
manière  bilatérale)  qui  servent  à  l'Articulation  des  Mots,  c'est-à-dire 
à  la  parole  ordinaire.  Ordinairement,  le  stimulus  qui  vient  de 
l'Écorce  cérébrale  pour  exciter  ces  actions  musculaires  ne  part  que 
d'un  seul  Hémisphère;  et,  dans  la  grande  majorité  des  cas,  l'Hémi- 
sphère Gauche  est  la  source  de  ces  excitations.  On  donnera,  dans  les 
chapitres  suivants,  la  preuve  de  ces  assertions  et  d'autres  particula- 
rités sur  les  routes  que  suivent  les  stimuli  centrifuges  en  général. 

3.    —  RELATIONS    FONCTIONNELLES    DU    CERVELET 
AVEC     LES     HÉMISPHÈRES     CÉRÉBRAUX    ET    LA    MOELLE. 

Nous  passons  maintenant  à  un  autre  sujet  d'intérêt  majeur,  mais 
enveloppé  d'une  grande  obscurité.  Quelles  sont  les  fonctions  du 
Cervelet?  Voilà  une  question  qui  semble  fort  simple,  qui  cependant 
a  laissé  les  physiologistes  perplexes  pendant  plus  de  deux  siècles, 
et  qui  peut  encore  être  considérée  comme  un  problème  entière- 
ment à  résoudre.  Les  divers  physiologistes  ont  eu  sur  ce  sujet  les 
opinions  les  plus  variées. 

Willis  et  autres  ont  regardé  le  Cervelet  comme  le  centre  régulateur  prhi- 
cipal  des  mouvements  involontaires,  ainsi  que  des  fonctions  de  la  vie  végétative. 
Foville  et  autres  en  faisaient  un  sensorium  commune,  ou  centre  principal  des 
impressions  centripètes  conscientes;  Gall  et  quelques-uns  de  ses  partisans  le 
regardaient  comme  un  organe  principalement  en  relation  avec  l'instinct  de 
propagation,  ou  aiypétit  sexuel.  Flourens,  Longet  et  autres  ont  enseigné  que  le 
Cervelet  est  le  siège  d'une  faculté  coordinatrice  des  mouvements  musculaires, 
volontaires  ou  non.  Lussana,  s'efforçant  d'expliquer  la  manière  dont  il  coor- 
donne les  mouvements  musculaires,  en  fait  le  siège  du  sens  musculaire.  Reil, 
Rolando  et  quelques  auteurs  modernes  comme  Luys,  Weir-Mitchell  et  autres, 


OPINIONS   SUR   LES  FONCTIONS   DU  CEUVELET.        131 

ont  regardé  le  Cervelet  comme  un  organe  engendrant  et  distribuant  la  force 
nerveuse  nécessaire  à  l'instigation  de  toute  sorte  de  mouvements,  et  môme  à 
l'excitation  d'autres  centres  nerveux  non  moteurs.  Cette  énumération  est  loin 
d'épuiser  la  liste  des  opinions  que  l'on  s'est  faites,  à  des  époques  diverses,  des 
fonctions  du  Cervelet.  On  signalera  en  effet,  dans  les  pages  suivantes,  d'autres 
notions  sur  cet  organe. 

Comment  choisir,  au  milieu  de  ces  tliéories  étonnamment  diverses  ? 
Vulpiani,  après  avoir  passé  soigneusement  en  revue,  en  1866,  tout 
l'ensemble  du  sujet,  ne  put  se  décider  à  en  accepter  aucune.  Il  se 
contenta  principalement  de  tirer  certaines  conclusions  négatives. 
«  Le  Cervelet,  dit-il,  ne  prend  aucune  part  aux  fonctions  cérébrales 
proprement  dites.  Il  semble  n'avoir  abolument  rien  à  faire  avec  les 
manifestations  de  l'Instinct,  de  l'Intelligence  ou  de  la  Volonté.  » 
Qu'elle  soit  correcte  ou  non,  c'est  là  une  idée  communément 
acceptée.  D'autre  part,  Vulpian  a  été  forcé  d'admettre  que  certains 
désordres  ataxiques  des  mouvements  sont  causés  par  des  lésions  du 
Cervelet;  bien  qu'il  rejetât  l'hypothèse,  ordinairement  admise,  de 
Flourens,  que  c'est  «un  centre  par  où  s'effectue  la  coordination  des 
mouvements,  volontaires  ou  non.  » 

La  grande  incertitude  où  l'on  est  toujours  demeuré  sur  les  fonc- 
tions du  Cervelet  est  due  à  des  causes  diverses.  Elle  est  en  partie 
attribuable  à  la  complexité  des  connexions  de  cet  organe  avec 
d'autres  régions  du  Système  Nerveux  central,  aussi  bien  qu'à  l'ob- 
scurité qui  règne  sur  les  diverses  sources  de  ses  libres  afférentes  ot  la 
destination  de  ses  fibres  efférentes;  car,  supposer  avec  Luys  que  les 
pédoncules  du  Cervelet  ne  sont  composés  que  de  fibres  efférentes, 
semble  à  l'auteur  aussi  opposé  aux  faits,  que  cela  le  serait  au  plan  des 
centres  nerveux  en  général.  Mais  l'incertitude  qui  règne  sur  les  fonc- 
tions réelles  de  cet  organe  est  due  aussi  à  la  variété  et  à  l'obscurité 
des  symptômes  qui  résultent  des  blessures  qu'on  lui  fait,  chez  les 
divers  animaux  inférieurs,  et  à  une  variété  semblable  de  relation 
entre  les  symptômes  et  les  lésions  qui  se  révèlent  à  ceux  qui  étu- 
dient les  effets  des  maladies  du  Cervelet  chez  l'Homme. 

Ces  dernières  variations  sont  en  partie  attribuables  à  la  connexion  intime 
du  Cervelet  et  d'autres  portions  importantes  de  l'Encéphale.  Cela  rend  difficile 
d'expérimenter  sur  l'organe,  chez  les  animaux  inférieurs,  sans  courir  grand 
risque  d'irriter  ou  de  blesser  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre  de  ces  parties  adja- 
centes. — Il  est,  d'autre  part,  fort  difficile,  pour  la  même  raison,  d'avoir  affaire 
à  des  maladies  non  compliquées  du  Cervelet,  —  des  maladies  limitées  à  cet 
organe,  et  non  associées  à  des  symptômes  résultant  de  la  compression  ou  de 
l'irritation  d'autres  parties  importantes,  comme  la  Protubérance  ou  le  Bulbe. 

Mais  les  effets  de  ces  causes  d'incertitude  sont  probablement  accrus  par 

1.   Physiologie  du  Système  Nerveiix,Tp.  GOl-GiL 


132  RELATIONS   DES  PARTIES  DE  L'ENCÉPHALE. 

cette  considération,  que  nous  trouvons  bien  fondée,  que  le  Cervelet,  quelle 
que  puisse  être  la  nature  précise  de  ses  fonctions,  n'agit  point  ordinairement 
seul,  mais,  à  un  degré  très  considérable,  en  conjonction  avec  le  Cerveau,  dans 
l'accomplissement  de  certaines  fonctions  communes  à  tous  les  deux.  Ainsi 
donc  il  ne  semble  pas  du  tout  improbable  que,  dans  les  cas  de  blessure  ou  de 
maladie  du  Cervelet,  il  puisse  y  avoir  quelque  action  compensatrice  de  la  part 
du  Cerveau,  —  surtout  quand  la  maladie  a  duré  longtemps  ou  a  commencé  de 
bonne  heure  ;  comme  dans  le  cas  d'atrophie  de  cet  organe  chez  la  petite  fille 
examinée  par  Combette,  et  dont  l'observation  est  rapportée  par  Cruveilhier. 
Une  dernière  cause  de  difficulté,  tendant  à  compliquer  l'interprétation  des 
résultats  des  maladies  du  Cervelet,  peut  venir  de  ce  que,  dans  le  cas  de  lésions 
unilatérales,  la  moitié  saine  de  l'organe  peut  être  capable  d'assumer  et  d'ac- 
complir, peut-être  avec  une  simple  différence  de  degré,  les  fonctions  de  la 
partie  hors  d'usage.  (Voy.  p.  139,  note.) 

En  face  de  toutes  ces  difficultés  d'interprétation,  il  est  peut-être 
bon  de  revenir  en  arrière,  et  d'examiner  le  problème  des  fonctions 
du  Cervelet  à  la  lumière  des  principes  généraux,  aidés  de  ce  que 
nous  pourrons  obtenir  de  nos  connaissances  actuelles  sur  les  con- 
nexions anatomiques  précises  de  l'organe  avec  différentes  parties  du 
•cerveau  et  avec  différentes  régions  de  la  Moelle  Épinière. 

Le  Système  Cérébro-Spinal  des  Vertébrés  contient,  dans  toute  la  longueur  de 
la  Moelle  et  du  Bulbe,  une  série  de  centres  sensitifs  et  moteurs  dont  chacun, 
capable  de  remplir  des  fonctions  indépendantes,  est  aussi  en  relation  subor- 
donnée avec  d'autres  Centres  Nerveux  supérieurs. 

Quelque  chose  de  semblable  existe  chez  les  Vers  et  les  Arthropodes. 

Mais  le  Cerveau,  chez  tous  les  Vertébrés,  diffère  de  celui  des  Invertébrés 
par  ce  fait,  qu'il  possède  deux  parties  doubles,  morphologiquement  distinctes, 
-qui  ne  sont  point  représentées  chez  ces  derniers,  ou  du  moins  pas  par  des 
parties  semblablement  séparables.  Ce  sont  les  Lobes  Cérébraux  et  le  Cervelet. 
Faisant  leur  apparition  sous  forme  de  segments,  relativement  petits,  chez  les 
Poissons,  leur  volume  et  leur  développement  relatif  s'accroissent  chez  les  Ver- 
tébrés supérieurs,  jusqu'à  ce  qu'ils  rejettent  enfin  dans  l'ombre  toutes  les 
divisions  de  l'encéphale. 

Il  y  a  donc,  chez  les  Vertébrés,  quelques  spécialisations  fondamentales  de 
fonctions  qui  sont,  suivant  toute  probabilité,  portées  beaucoup  plus  loin  que 
•chez  aucun  des  animaux  inférieurs,  et  dont  l'existence  semble  marquée  par  le 
développement  de  parties  aussi  distinctes,  morphologiquement,  que  les  Lobes 
Cérébraux  et  le  Cervelet. 

Mais  il  faut  regarder  comme  un  des  faits  physiologiques  les  mieux  établis 
que  les  Lobes  ou  Hémisphères  Cérébraux  sont  les  principaux  organes  de 
l'Intelligence  Consciente,  —  en  comprenant  sous  ce  terme  la  Sensation  et  la 
Perception,  l'Idéation  et  le  Raisonnement,  ainsi  que  les  phénomènes  primaires 
de  l'Émotion  et  de  la  Volition.  Les  deux  Hémisphères  ensemble  constituent 
donc  l'organe  suprême,  le  dernier  terme  de  la  série  de  centres  dans  lesquels 
.les  impressions  «  centripètes  »  sont  mises  en  relation  les  unes  avec  les  autres. 

Mais  deux  choses  sont  également  certaines  pour  ce  qui  regarde  le  Cervelet; 


FONCTIONS  DU  CERVELET.  133 

d'abord  il  n'a  pas  de  part  appréciable,  comme  organe  indépendant,  dans  l'exer- 
cice d'aucun  de  ces  processus  qui  sont  compris  ensemble  sous  le  nom  d'Intelli- 
gence Consciente;  et,  en  second  lieu,  son  activité  est  indubitablement  mêlée, 
de  quelque  manière,  au  pouvoir  qu'a  l'animal  d'accomplir  des  Mouvements  i. 
De  quelle  manière  précise  et  à  quels  Mouvements  est-elle  liée,  ce  sont  là  des 
problèmes  à  résoudre  :  et  nous  devons  maintenant  diriger  notre  attention  sur 
ces  sujets. 

Si  nous  faisons  donc  attention  à  ce  fait  que,  dans  tout  le  Système  Nerveux 
des  animaux  inférieurs,  les  centres  nerveux  «  sensitifs  »  et  les  centres  «  moteurs  » 
existent  en  paires  associées  ;  si  nous  remarquons  l'apparition  simultanée  des 
Lobes  Cérébraux  et  du  Cervelet  dans  la  série  animale;  si  nous  considérons  que 
les  Lobes  ou  Hémisphères  Cérébraux  sont  démontrés  être  les  centres  suprêmes 
des  impressions  «centripètes  »,  et  que  l'on  a  également  bien  prouvé  que  le  Cer- 
velet est  un  centre  «  moteur  »  important  d'une  nature  quelconque  :  il  semble 
qu'on  puisse  légitimement  déduire  des  faits  précédents  que  le  Cervelet  est  le 
centre  moteur  suprême  associé  au  Cei'veau,  et  qu'ils  forment  le  couple  final 
«  moteur  »  et  «  sensitif  »,  organisé  ou  accordé,  à  un  certain  degré,  comme  les 
couples  inférieurs,  pour  une  activité  conjointe. 

On  pourrait  toutefois  reconnaître  tout  d'abord  que  la  relation  entre  ces 
centres  suprêmes  afférents  et  efférents,  chez  l'Homme  et  les  animaux  supé- 
rieurs, doit  être  nécessairement  fort  différente  et  beaucoup  plus  complexe  que 
celle  qui  existe  entre  les  couples  inférieurs,  chez  les  mêmes  animaux,  ou  entre 
les  couples  supérieurs  d'animaux  comme  un  Centipède,  un  Gastéropode  (fig.  27) 
ou  tout  autre  Invertébré. 

Les  relations  entre  les  impressions  centripètes  et  les  actions  qui  y  répondent 
par  l'intervention  de  l'activité  des  centres  nerveux  inférieurs,  chez  l'Homme, 
ou  des  centres  supérieurs  d'un  animal  inférieur,  sont  relativement  simples  et 
directes  ;  mais,  chez  les  animaux  supérieurs,  à  mesure  que  l'organe  de  l'Intel- 
ligence Consciente  s'accroît  en  volume  et  en  complexité  intérieure,  s'accroissent 
aussi  les  chances  d'intervention  de  processus  nerveux  compliqués,  entre  la 
réception  de  certaines  impressions  sensorielles  et  les  actions  qui  peuvent 
finalement  en  résulter.  Les  actes  qui  suivent  en  ce  cas,  comme  résultat  d'une 
délibéi-ation,  peuvent  être  d'un  ordre  nouveau  et  inaccoutumé,  —  conçus  et 
excités  d'une  manière  consciente. 

A  mesure  que  la  Conscience  Sensorielle^  et  l'Intelligence  qui 
s'accroît  par  son  exercice,  augmentent  d'intensité  et  de  complexité, 
ce  côté  de  la  vie  devient  plus  absorbant  ;  et  la  Conscience  de  l'Ani- 
mal (ou  son  Attention)  est  proportionellement  détournée  des  Sensa- 
tions et  des  Mouvements  Viscéraux,  ainsi  que  de  la  majeure  partie 
des  innombrables  mouvements  automatiques  ou  secondairement  aulo- 
maliques]iés  à  sa  vie  extérieure, ou  Vie  de  Relation.  La  sphère  delà 
Conscience  est  limitée   dans  une  direction  et  agrandie  dans  une 

1.  Voy.  Owen,  Anat.  of  Vertebrates,  vol.  I",  p.  487-488.  L'hypothèse  de  Gall 
que  le  Cervelet  est  le  siège  de  Vinstinct  sexuel  ne  saurait  être  appuyée  que 
sur  peu  de  chose,  ou  même  sur  rien  qui  ne  se  puisse  mieux  expliquer  autre- 
ment. (Voy.  Ferrier,  Functions  ofthe  Brain,  p.  122.) 


13i  RELATIONS    DES   PARTIES    DE  L'ENCÉPHALE. 

autre;  et  de  nouvelles  acquisitions  ne  se  feraient  jamais  dans  la 
sphère  des  Sens,  de  Plntelligence,  ou  du  Mouvement  Volontaire,  si 
des  Impressions  habituelles  et  se  représentant  sans  cesse  ne  pouvaient 
point  évoquer  par  elles-mêmes  (sans  engager  notre  Conscience) 
des  Mouvements  correspondants  :  c'est-à-dire  si  ces  derniers  ne  pou- 
vaient être  exécutés  et  réglés  sous  le  contrôle  de  quelqu'un  des 
grands  centres,  en  réponse  à  de  simples  Impressions  non  senties.  Il 
devient  donc  évident  qu'il  serait  fort  avantageux,  sinon  absolument 
nécessaire,  à  des  animaux  dont  Tlntelligence  Consciente  atteint  un 
haut  développement,  que  leur  principal  centre  moteur,  le  Cervelet 
(nous  supposons  pour  le  moment  que  c'est  là  sa  nature),  fût  en  rela- 
tion avec  les  divers  nerfs  a  afférents  »  du  corps  et  avec  leurs  centres 
nerveux  correspondants,  des  plus  inférieurs  aux  plus  élevés,  —  ou 
du  moins,  de  quelques-uns  des  inférieurs  aux  plus  élevés. 

Par  ses  connexions  avec  les  centres  sensitifs  les  plus  élevés, 
c'est-à-dire  ceux  de  la  substance  grise  corticale  du  Cerveau,  le 
Cervelet  serait  mis  à  même  (a)  de  prendre  part  aux  Mouvements, 
Volontaires  ou  non,  qui  suivent  (immédiatement  ou  d'une  manière 
éloignée)  l'instigation  d'Impressions  Conscientes  ;  et,  par  ses  con- 
nexions avec  les  centres  inférieurs  de  divers  degrés,  il  serait 
capable,  {b)  à  l'instigation  d'Impressions  non-senties,  de  prendre  une 
part  beaucoup  plus  large  dans  la  production  et  l'entretien  des  Mou- 
vements «  automatiques  »  et  «secondairement  automatiques  »  com- 
plexes, en  général;  — une  part  exactement  semblable,  en  réalité,  à 
celle  que  les  centres  moteurs  spinaux  inférieurs  prennent  à  l'exé- 
cution des  Mouvements  «  réflexes  »  spinaux  *. 

On  reviendra  plus  loin  sur  le  mécanisme  des  Mouvements  Volon- 
taires. Il  faut  seulement  signaler  ici  que  la  «  Volition  «  proprement 
dite  est  inséparable  de  l'Activité  Sensorielle,  de  l'Intelligence  et  de 
la  Raison  ;  de  sorte  que  les  points  de  départ  des  «  stimuli  »  Volitionnels 
doivent  être  situés  quelque  part  dans  l'organe  de  l'Intelligence  Con- 
sciente, c'est-à-dire  dans  le  Cerveau.  C'est  V Acluation,  ou  mise  en  jeu 
d'une  Volition  destinée  à  produire  un  Mouvement,  qui  est  dévolue 
aux  Centres  Moteurs;  et  il  y  a  des  raisons  de  croire  que  le  Cervelet 
coopère  avec  les  Corps  Striés  dans  la  réalisation  de  cette  partie  ou 

1.  Chez  un  animal  comme  la  Grenouille,  où  le  Cervelet  est  très  petit  et 
mal  développé,  môme  les  mouvements  de  locomotion  peuvent  être  exécutés 
sous  la  direction  de  la  Moelle  Épinière  seule.  Il  est  fort  surprenant  de  voir 
qu'une  Grenouille,  dont  on  a  détruit  le  Cerveau  et  le  Cervelet,  peut  encore  se 
tenir  sur  ses  pattes  et  même  sauter.  C'est-à-dire  que  cela  est  surprenant  si  nous 
le  considérons  au  point  de  vue  de  ce  qui  se  produii'ait  chez  un  animal  supé- 
rieur dans  les  mêmes  conditions;  mais  beaucoup  moins,  si  nous  considérons  le 
degré  et  la  nature  des  facultés  locomotrices  que.  conserveraient  un  grand 
nombre  d'Insectes  semblablemeut  mutilés. 


FONCTIONS  DU  CERVELET.  135 

phase  secondaire  d'un  Acte  Volitionnel  ordinaire  et  de  ses  consé- 
quences. 

Deux  questions  principales  se  présentent  donc,  comme  résultats 
de  ce  qu'on  a  dit  jusqu'ici  sur  les  fonctions  probables  du  Cervelet.  (1) 
Quelle  preuve  y  a-t-il  que  le  Cervelet  prend  une  large  part  à  la  pro- 
duction de  mouvements  «  automatiques»  et  «  secondairement  auto- 
matiques »,  en  réponse  à  des  Impressions  «  non  senties?  »  (2)  Quelle 
preuve  y  a-t-il  que  le  Cervelet  prend  part  à  rexccution  de  Mouve- 
ments Volontaires? 

Les  réponses  à  ces  questions,  pour  autant  qu'on  peut  les  donner, 

—  et  cela  par  voie  de  suggestions  plutôt  que  d'affflrmations  positives, 

—  seront  mieux  exposées  en  même  temps  que  ce  que  l'on  connaît 
de  la  composition  des  divers  Pédoncules  du  Cervelet. 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  c'est  principalement  par  l'intervention 
des  Pédoncules  Supérieurs  et  Inférieurs  que  le  Cervelet  reçoit  les 
impressions  d'un  ordre  inconscient,  qui  le  mettent  à  même  de 
prendre  part  à  la  production  de  certains  Mouvements  «  automa- 
tiques »  et  «  secondairement  automatiques  »  qui  y  répondent. 

Les  raisons  en  faveur  de  cette  opinion  sont,  d'abord,  que  les  Pédoncules 
Supérieurs  et  Inférieurs  contiennent  un  grand  nombre  de  sortes  différentes  de 
fibres  «  centripètes  » ,  bien  que  l'on  ait  surabondamment  prouvé  que  le  Cervelet 
n'est  en  aucun  sens  un  organe  d'Intelligence  Consciente;  en  second  lieu,  elle 
est  appuyée  par  le  fait  que,  chez  les  Poissons  et  les  Reptiles,  ces  Pédoncules 
existent  seuls, —  les  Pédoncules  Moyens,  et  avec  eux  «le  pontde  Varole»,  faisant, 
comme  on  le  sait,  défaut.  Car  il  est  raisonnable  de  supposer  que  les  fonctions 
simplement  automatiques,  ou  sensori-motrices,  du  Cervelet  s'établiraient  plus 
tôt  que  celles  qui  ont  trait  aux  Actions  Volontaires,  dans  des  animaux  chez  les- 
quels les  Mouvements  de  la  première  classe  sont  beaucoup  plus  fréquents  et 
plus  nombreux  que  ceux  de  la  seconde. 

En  supposant  que  les  fibres  afférentes  (ou  «sensitives»)  du  Cervelet  ne  font  que 
porter  à  cet  organe  des  excitations,  qui  font  que  certains  éléments  ganglion- 
naires de  sa  Substance  Grise  corticale  se  déchargent  le  long  des  fibres  efférentes 
en  corrélation  définie  (de  manière  à  exciter  divers  Centres  Moteurs  inférieurs 
dans  des  modes  particuliers  de  combinaison),  nous  sommes  à  même  de  nous 
rendre  compte  des  relations  sensitives  des  Pédoncules  Cérébelleux  Supérieurs  et 
Inférieurs,  sans  avoir  à  regarder  le  Cervelet  lui-même  comme  une  sorte  de  senso- 
rium  commune, —  ainsi  que  Foville  et  autres  le  faisaient  à  tort  i.  S'il  a  à  régler 
l'exécution  de  Mouvements  automatiques  excités  par  toutes  sortes  d'Impressions 

1.  Ou  sans  avoir  recours  à  une  hypothèse  comme  celle  d'Herbert  Spencer 
{Principles  of  Psychology,  vol.  I",  p.  61),  qui  veut  que  «  le  Cervelet  soit  un 
organe  de  coordination  doublement  complexe  dans  l'espace,  »  ayant  rapport  à  la 
coordination  d'Actes  et  d'Impressions  coexistantes,  de  même  que  «  le  Cerveau 
est  un  organe  de  coordination  doublement  complexe  dans  le  temps  »  ayant 
trait,  par  conséquent,  à  des  Impressions  et  à  des  Actes  successifs. 


136  RELATIONS   DES  PARTIES    DE    L'ENCÉPHALE. 

«  afférentes,  »  il  est  évident  qu'il  doit  être  mis  en  relation  avec  celles-ci  (princi- 
palement peut-être  au  moyen  de  fibres  internonciales),  bien  qu'il  ne  soit  point 
nécessaire  que  l'arrivée  au  Cervelet  d'Impressions  de  cette  nature  soit  accom- 
pagnée d'aucune  phase  Consciente. 

Des  centres  moteurs  inférieurs  situés  dans  la  moelle  sont  en  relation  immé- 
diate, au  moyen  de  fibres  internonciales,  avec  des  centres  sensitifs  correspon- 
dants. Le  Cervelet  semblerait  être  également  en  relation  avec  une  multitude 
de  fibres  de  ce  type,  qui  lui  parviennent  de  centres  «  sensitifs  »  de  diverse 
natui'e,  plus  ou  moins  éloignés.  Il  n'y  a  toutefois  pas  plus  de  raison  d'attribuer, 
en  conséquence  de  cette  relation,  des  fonctions  sensitives  au  Cervelet,  qu'il  n'y 
en  aurait  pour  attribuer  des  fonctions  semblables  à  la  substance  grise  des 
cornes  antérieures  de  la  Moelle.  Des  relations  de  ce  genre  avec  les  noyaux  ou 
centres  «  sensitifs  »  sont  indispensables  pour  un  Centre  Moteur,  que  sa  situa- 
tion soit  basse  ou  élevée  :  seulement,  plus  il  est  élevé,  plus  il  y  a  de  chances 
pour  que  ses  connexions  soient  nombreuses. 

Bien  que  quelques-uns  des  faits  qui  ont  rapport  aux  connexions  du  Cervelet 
avec  les  nerfs  afférents  aient  été  mieux  démontrés  dans  l'Encéphale  des  Verté- 
brés inférieurs  que  dans  celui  de  l'Homme,  ils  ont  à  peine  moins  de  valeur 
pour  cela,  puisque  les  fonctions  du  Cervelet,  comme  sa  structure  intime,  sont 
probablement  uniformes  dans  toute  la  classe  des  Vertébrés. 

Il  y  a  de  bonnes  raisons  pour  croire  que  les  Lobes  Optiques  des  Poissons  sont 
mis  en  relation  immédiate  avec  leur  Cervelet  rudimentaire,  au  moyen  des  Pédon- 
cules Supérieurs.  Les  fibres  constituant  ces  pédoncules  se  rendent  du  septum 
situé  entre  les  Lobes  Optiques,  à  la  portion  médiane  du  Cervelet.  Chez  l'Homme, 
ces  mêmes  pédoncules,  partant  des  noyaux  rouges  situés  dans  la  partie  sensi- 
tive  des  pédoncules  cérébraux,  subissent  une  décussation  au-dessous  des  Tuber- 
cules Quadrijumeaux,  et  se  rendent  de  là,  en  suivant  une  direction  légèrement 
divergente,  à  la  partie  antérieure  du  Cervelet.  Il  est  donc  fort  probable  que, 
chez  l'Homme  aussi,  ces  Pédoncules  Supérieurs  servent  en  partie  à  mettre  les 
Centres  Optiques  en  relations  avec  le  Cervelet. 

En  outre,  d'après  Mej^nerti,  une  portion  de  la  grosse  racine  du  cinquième 
nerf,  ou  Trijumeau,  repose  sur  le  bord  supérieur  et  externe  de  ce  Pédoncule 
Supérieur  ;  et  une  portion  de  la  racine  du  nerf  Auditif  est  disposée  de  même. 
Chez  quelques  Poissons,  le  ganglion  situé  à  la  racine  du  Trijumeau  est,  d'après 
Owen,  directement  relié  avec  le  Cervelet,  au  moyen  de  quelques  fibres  ver- 
ticales. 

Ainsi,  bien  qu'on  ne  sache  presque  rien  sur  les  relations  du  Lobe  Olfactif 
avec  le  Cervelet,  il  semble  certain  que  les  trois  nerfs  crâniens  sensitifs  sui- 
vants (Optique,  Trijumeau  et  Auditif)  entrent  en  relations  avec  le  Cervelet  au 
moyen  de  ses  Pédoncules  Supérieurs. 

Mais  il  semble  possible  que  les  divers  «  Centres  Perceptifs  »  de  la  région 
corticale  des  Hémisphères  Cérébraux  soient  aussi  mis  en  relations  avec  le  Cer- 
velet par  des  fibres  internonciales  passant  par  le  «  noyau  rouge  »  du  Tegmentum 
et  les  Pédoncules  Cérébelleux  Supérieurs.  En  ce  cas,  ces  fibres  pourraient 
amener  des  stimuli  «  afférents  »  en  relation  avec  des  mouvements  Idéo-Moteurs 
et  Volontaires  ;  tandis  que  ceux  qui  arrivent  à  l'organe  par  les  Nerfs  Sensitifs 
ou  leurs  Ganglions,  peuvent  amener  des  stimuli  «  aiïérents  »  capables  d'évoquer 

1.  Stricker  :  Histology,  vol.  II,  p.  460. 


PÉDONCULES    DU   CERVELET.  137 

des  mouvements  devenus  «  automatiques,  »  ou  de  l'ordre  «  secondairement 
automatique.  »  D'autres  fibres  toutefois,  dont  on  parlera  tout  à  l'heure,  sem- 
blent aussi  appartenir  à  cette  dernière  catégorie.  Nous  n'avons  aucun  moj'en  de 
décider,  à  présent,  si  les  Pédoncules  Supérieurs  ne  contiennent  que  des  fibres 
afférentes. 

Chaque  Pédoncule  Inférieur  du  Cervelet  est,  chez  les  Poissons,  en  relation 
intime  avec  deux  nerfs  sensitifs  viscéraux  :  le  nerf  Vague  et  le  Glosso-pharyn- 
gion;  et  aussi  avec  les  grands  «  nerfs  latéraux»,  ordinairement  tributaires  de 
la  seconde  racine  du  nerf  Vague.  La  totalité  de  cette  dei'nière  racine  entre  dans 
le  Pédoncule  Inférieur,  immédiatement  au-dessous  ou  sur  le  côté  du  Cervelet. 
Cette  relation  n'est  pas  aussi  distincte  chez  quelques  autres  Vertébrés;  bien 
que,  chez  tous,  les  racines  du  Pneumogastrique  soient  en  relation  intime  avec 
les  Pédoncules  Inférieurs  (ou  «  corps  restiformes  »).  Il  y  a  en  outre  de  bonnes 
raisons  pour  croire  que  la  grande  majorité  des  fibres  de  ces  Pédoncules  se 
compose  de  fibres  afférentes,  qui  viennent  (peut-être  en  subissant  une  double 
décussation  dans  la  Moelle  et  le  Bulbe)  des  Viscères,  des  Muscles  et  de  la  Peau 
du  même  côté  du  corps,  —  au  lieu  d'y  pénétrer  directement  comme  les  grands 
«  nerfs  latéraux  »  ou  le  Pneumogastrique  lui-même. 

Mais,  outre  les  nerfs  sensitifs  provenant  des  parties  internes  et  externes  du 
corps  en  général,  les  Pédoncules  Inférieurs  du  Cervelet  transmettent  aussi  à, 
cet  organe  de  nombreuses  fibres  du  nerf  Auditif.  Cet  arrangement  existe  chez 
l'Homme  aussi  bien  que  chez  les  Vertébrés  inférieurs. 

Eu  égard  aux  vues  de  Cyon  (voy.  p.  169,  vol.  l"),  qu'il  y  a  deux  nerfs  distincts 
dans  ce  que  l'on  désigne  ordinairement  sous  le  nom  de  nerf  Auditif,  il  n'est 
point  sans  intérêt  de  trouver  que  quelques-unes  de  ses  fibres  se  rendent 
au  Cervelet  par  le  Pédoncule  Supérieur  et  d'autres  par  l'Inférieur.  Les  con- 
nexions étendues  que  ce  double  nerf  possède  avec  le  Cervelet  sont  aussi  d'un 
intérêt  considérable,  eu  égard  aux  relations  de  nerfs  analogues,  chez  la  majo- 
rité des  Mollusques  (et  chez  les  Insectes  où  on  en  connaît),  avec  leurs  princi- 
paux centres  moteurs. 

Il  paraît  tout  à  fait  certain  que  chaque  Pédoncule  Inférieur  du  Cervelet 
contient  aussi  quelques  fibres  efférentes  ou  centrifuges,  et  que  celles-ci  (bien 
qu'existant  probablement  aussi  dans  d'autres  parties)  sont  réunies  en  un  petit 
faisceau  (décrit  d'abord  par  Solly)  qui  passe  au-dessus  du  bord  externe  du 
pédoncule  correspondant,  et  de  là  va  contourner  l'extrémité  inférieure  de- 
r  «  olive  »,  pour  s'unir  à  la  colonne  antérieure  de  la  Moelle,  immédiatement 
au-dessus  de  la  «  décussation  »  des  Pyramides. 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  c'est  par  l'intermédiaire  des  Pédoncules 
Moyens  que  le  Cervelet  coopère  principalement  avec  le  Cerveau 
pour  l'exécution  des  Mouvements  Volontaires; — bien  que  les  incita- 
tions à  prendre  part  à  ces  mouvements  puissent  aussi  venir,  comme 
nous  l'avons  déjà  suggéré,  des  centres  perceptifs  situés  dans  les 
Hémisphères  Cérébraux,  en  passant  par  les  noyaux  rouges  et  les  pé- 
doncules Supérieurs. 

Le  fait  que  le  Cervelet  coopère  bien  réellement  avec  le  Cerveau, 
d'une  manière  quelconque,  est  évident,  puisqu'il  a  été  prouvé  que 


138  RELATIONS   DES  PARTIES   DE  L'ENCÉPHALE. 

Tatrophie  d'un  Hémisphère  Cérébral  entraîne  l'atrophie  de  la  moitié 
opposée  du  Cervelet'.  Et,  que  le  Cervelet  réponde  auxstimuli  venant 
du  Cerveau,  plutôt  que  vice  versa,  c'est  ce  qui  semble  prouvé  par  le 
fait  que  l'atrophie  d'une  moitié  du  Cervelet  n'a,  au  contraire,  aucune 
tendance  à  déterminer  celle  de  l'Hémisphère  Cérébral  du  côté  opposé. 

L'idée  que  les  Pédoncules  Moyens  sont  les  parties  par  lesquelles  la  rela- 
tion entre  le  Cerveau  et  le  Cervelet  s'établit  principalement,  dans  l'Action  Voli- 
tionnelle,  est  fortement  appuyée  par  deux  séries  de  faits  :  d'abord  le  déve- 
loppement plus  tardif  de  ces  Pédoncules  Moyens  et  des  lobes  latéraux  avec 
lesquels  ils  sont  principalement  reliés,  dans  toute  la  série  animale;  ainsi  que 
leur  accroissement  progressif  chez  des  animaux  de  plus  en  plus  élevés,  et  leur 
maximum  de  développement  chez  l'Homme-;  en  second  lieu,  cette  opinion  est 
également  appuyée  par  ce  que  nous  savons  de  leurs  relations  anatomiquos. 
Les  descriptions  de  Broadbent  et  de  Meynert  donnent  quelque  raison  de  croire 
que  les  fibres  vont  de  chaque  Pédoncule  Moyen  du  Cervelet  à  la  moitié  opposée 
de  la  Protubérance,  et  de  là  (par  le  Pédoncule  Cérébral),  se  dirigent  en  partie 
vers  l'Écorce  de  l'Hémisphère,  et  en  partie  seulement  vers  le  Corps  Strié*. 
D'autres  de  ces  fibres  peuvent  peut-être  descendre  aux  centres  moteurs  de  la 
Protubérance  elle-même  ou  à  des  centres  semblables  situés  dans  le  Bulbe. 

Comme  ces  fibres  «  efférentes  »  du  Cervelet  s'avancent  vers  les  tractus  mo- 
teurs opposés  du  Cerveau,  —  au-dessus  du  siège  de  leur  «  décussation  »  dans 
le  Bulbe,  —  la  moitié  du  Cervelet  dont  ils  sortent  serait  (à  raison  de  cette 
«  décussation  »  inférieure  des  Pyramides  Antérieures)  mise  en  relation  avec  les 
membres  du  côté  correspondant  du  corps.  Cette  relation,  directe  plutôt  que 
croisée,  est  également  indiquée  par  des  observations  expérimentales  sur 
les  animaux  inférieurs  et  par  les  phénomènes  morbides  observables  chez 
l'Homme. 

En  réunissant  tous  ces  faits,  il  semble  que  le  Cervelet  puisse 
être  regardé  comme  un  centre  moteur  suprême,  énormément  déve- 

1.  C'est-à-dire  lorsque  le  processus  atrophique  de  l'Hémisphère  comprend 
des  parties  de  nature  telle,  qu'il  s'ensuive  une  Hémiplégie,  —  ou  paralysie  du 
côté  opposé  du  corps.  (Voy.  p.  50.) 

2.  Meynert  (Stricker  :  Histology,  II,  p.  456)  appelle  l'attention  sur  le  fait 
que, à  mesure  que  s'accroissent  ies  Hémisphères  Cérébraux,  les  divisions  motrices 
des  Pédoncules  s'accroissent  également,  ainsi  que  les  Pédoncules  Moyens  et 
les  «  lobes  latéraux  »  du  Cervelet  (Voy.  vol.  I",  p.  214,  quelques  remarques  sur 
ce  genre  de  corrélation). 

3.  Des  cellules  du  Corps  Strié  il  descend,  d'après  Meynert,  «  deux  faisceaux 
qui  divergent  ensuite,  l'un  se  rendant  à  la  Moelle  et  l'autre  au  Cervelet  ».  Ce 
dernier  remonte,  sous  forme  de  faisceau  épais,  dans  le  Pédoncule  Moyen  {loc. 
cit.,  p.  375)  et  peut  contenir  des  fibres  cérébelleuses  ascendantes  (afférentes) 
aussi  bien  que  des  fibres  descendantes  (efférentes),  si  les  conclusions  de  Mey- 
nert sont  correctes;  bien  que  l'auteur  pense  que  quelques-unes  au  moins  des 
fibres  Cérébrales  «  afférentes  »  arrivent  au  Cervelet  par  les  «  pédoncules  supé- 
rieurs. » 


LE  CERVELET  EST  UN    CENTRE   MOTEUR.  139 

loppé,  dont  les  Lobes  Latéraux  coopèrent,  en  relation  croisée,  avec 
ceux  du  Cerveau,  à  rcxécution  de  Mouvements  Volontaires;  bien 
qu'il  soit  aussi  un  organe  habitué  à  agir  —  peut-être  à  un  degré  beau- 
coup plus  étendu  et  d'une  façon  plus  continuelle  —  dans  l'exécution 
de  Mouvements  Automatiques  compliques,  répondant  à  des  impres- 
sions «  non-senties  »,  qui  lui  arrivent  (principalement  au  moyen  de 
fibres  internonciales)  de  «  noyaux  sensitifs  »  de  toute  nature. 

Bien  que  les  Pédoncules  Supérieurs  et  Inférieurs  puissent  sembler 
les  principaux  conducteurs  par  lesquels  ces  dernières  impressions 
afférentes  atteignent  le  Cervelet,  il  peut  ne  passer  le  long  des  Pédon- 
cules Inférieurs  qu'une  partie  des  stimuli  efférents  qui  y  répondent; 
d'autres  peuvent,  chez  les  animaux  supérieurs,  traverser  les  Pédon- 
cules Moyens.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  semblerait  que  toutes  les 
impressions  Cérébelleuses  afférentes  qui  sont  destinées  à  exciter 
des  Mouvements  Automatiques  et  qui  viennent  à  émaner  d'une 
moitié  du  corps,  se  rendent  à  la  moitié  correspondante  du  Cervelet; 
soit  qu'elles  y  aillent  directement  (comme  cela  paraît  être  le  cas 
pour  les  fibres  du  Trijumeau,  de  l'Auditif  et  autres  nerfs  crâniens), 
soit  qu'elles  n'y  arrivent  qu'après  deuxdécussations  (comme  il  semble 
que  cela  se  passe  pour  les  fibres  des  Nerfs  Optiques  et  des  Nerfs 
Sensitifs  ordinaires  du  corps). 

Ainsi  donc,  dans  les  relations  du  Cerveau  avec  le  Cervelet  pour 
l'exécution  de  Mouvements  Volontaires,  il  existe  des  connexions 
croisées  analogues  à  celles  qu'il  y  a  entre  les  Hémisphères  Cérébraux 
et  les  moitiés  opposées  de  la  Moelle  ;  tandis  que,  dans  le  rôle  qu'il 
joue  comme  centre  moteur  suprême  en  connexion  avec  les  genres 
les  plus  élevés  de  Mouvements  Automatiques,  le  Cervelet  est  encore 
mis  en  jeu  exactement  comme  s'il  était  un  segment  très-spécialisé 
de  la  Moelle  elle-même  ^ 

Si  nous  essayons  d'énumérer  brièvement  ses  fonctions,  nous 
pouvons  dire  que  le  Cervelet  est  un  Centre  Moteur  suprême, pour  ren- 
forcer el  aider  à  régulariser  la  dislribulion  qualitative  et  quantita- 
tive des  courants  centrifuges,  dans  les  Actes  Volontaires  et  Automa- 
tiques  respectivement;  ou,  encore  plus   brièvement ,  que  c'est  dn 

ORGANE  SUPRÊME  POUR  RENFORCER  ET  RÉGULARISER  LA  DISTRIBUTION  DES 
COURANTS  CENTRIFUGES. 

Après  ce  qu'on  a  déjà  dit,  et  en  face  de  toutes  les  difficultés  pré- 

1.  Voy.  p.  132.  Beaucoup  de  ces  Mouvements  sensori-moteurs  ou  Automa- 
tiques seraient  toutefois  d'un  type  bilatéral  ;  et  ces  Mouvements  pourraient 
probablement  être  excités  par  l'une  ou  l'autre  moitié  du  Cervelet  (comme 
cela  a  lieu  pour  le  Cerveau).  Nous  avons  donc  une  autre  raison  pour  que  les 
maladies  unilatérales  du  Cervelet  soient  souvent  associées  à  des  troubles 
moteurs  obscurs  et  mal  définis. 


110  RELATIONS  DES  PARTIES  DE   L'ENCÉPHALE. 

cédemment  énumérées,  il  est  aisé  d'imaginer  que  le  Cervelet  peut 
paraître  à  quelques  personnes  un  organe  ayant  des  rapports  impor- 
tants avec  la  coordination  des  mouvements;  qu'il  puisse  être  regardé 
par  d'autres  comme  le  siège  d'un  sens  musculaire  ;  et,  par  d'autres 
encore,  comme  ayant  à  fournir  ou  à  mettre  en  liberté  la  force  néces- 
saire pour  les  mouvements  en  général.  D'autre  part,  qu'il  doive 
sembler  n'avoir  rien  à  faire  avec  l'Instinct,  l'Intelligence  ou  la  Sen- 
sibilité Consciente,  malgré  le  fait  qu'il  est  le  récepteur  de  fibres  pro- 
venant de  noyaux  «  sensitifs»  de  toute  nature,  c'est  ce  qui  est  d'accord 
avec  la  raison,  autant  qu'avec  l'expérience,  —  eu  égard  aux  fonctions 
réflexes  qui  lui  ont  été  assignées.  Et  si  la  fonction  du  Cervelet  est 
uniquement  de  décharger  ou  d'émettre  de  l'énergie  moléculaire 
pour  déterminer  des  Mouvements  Musculaires  en  réponse,  soit  à  des 
Incitations  Volitionnelles  nettement  localisées,  lui  venant  des  hémi- 
sphères Cérébraux,  soit  à  des  Impressions  également  bien  localisées, 
quoiqu' «  inconscientes  »,  venant  des  noyaux  «  sensitifs  »les  plus  va- 
riés situés  à  la  base  du  Cerveau  et  dans  la  Moelle,  nous  pouvons  nous 
attendre  à  ce  que  sa  structure  microscopique  soit  pratiquement  la 
même  dans  toutes  les  parties  de  sa  Substance  Grise  superficielle 
si  étendue  et  si  repliée:  —  et  c'est  là  ce  que  nous  trouvons  en  réalité. 
Nous  pouvons  nous  attendre  aussi  à  ce  que,  pour  autant  qu'il  est  eu 
rapport  avec  les  Hémisphères  Cérébraux,  le  Cervelet  ne  doive  agir 
qu'en  réponse  à  leurs  excitations, —  ce  qui  semble  aussi  être  le  cas. 
L'opinion  avancée  ici  paraît  donc  en  harmonie  avec  un  grand  nombre 
de  faits  reconnus,  et  également  capable  d'embrasser  un  certain 
nombre  des  opinions,  sur  les  fonctions  de  cet  organe,  qui  ont  été 
énoncées  de  temps  à  autre,  et  qui  n'ont  peut-être  péché  que  par 
leur  nature  plus  ou  moins  étroite  et  exclusive. 


CHAPITRE    XXV 


LA    PHRENOLOGIE    ANCIENNE    ET    NOUVELLE 


Nous  ne  sommes  arrivés  que  d'une  manière  très  graduelle  à  ce 
que  nous  savons  sur  la  Structure  et  les  Fonctions  du  Cerveau.  Ce 
n'est,  en  réalité,  que  dans  le  dernier  siècle  que  la  grande  masse  de 
nos  connaissances  présentes  a  graduellement  pris  forme,  au  milieu 
des  nuages  d'erreurs  dont  les  opinions  des  anciens  et  les  idées 
purement  spéculatives  d'un  grand  nombre  d'anatomistes  des  siècles 
précédents  avaient  enveloppé  le  sujet. 

On  peut  donner  ici,  sur  ces  notions  premières,  quelques  détails, 
choisis  et  résumés,  pour  la  plupart,  des  ouvrages  de  Prochaska^ 

D'après  Aristote,  le  cœur  était  le  siège  de  Vâme  raisonnable  ;  et  de  là  par- 
taient les  nerfs  (dont  il  n'ignorait  pas  les  relations  avec  la  sensation  et  le  mou- 
vement). Le  Cerveau  était  décrit  par  lui  comme  un  viscère  inerte,  froid  et 
exsangue,  et  à  peine  énuméré  parmi  les  autres  organes  du  corps, — étant  donné 
qu'il  n'avait  d'autre  usage  que  de  refroidir  le  cœur. 

Érasistrate,  petit-fils  d'Aristote,  renonça  aux  vues  qui  avaient  été  ensei- 
gnées par  le  grand  maître.  Lui  et  Hérophile  (environ  300  ans  av.  J.-C.)  furent 
probablement  les  premiers  à  disséquer  le  Cerveau  Humain.  11  commença  par 
dire  que  les  nerfs  sensitifs  partaient  des  méninges  ou  membranes  du  cerveau, 
et  les  nerfs  moteurs  du  cerveau  lui-même;  mais,  à  un  âge  beaucoup  plus 
avancé,  il  modifia  cette  doctrine,  et  déclara  que  les  deux  classes  de  nerfs  par- 
taient delà  substance  médullaire  du  cerveau;  que  les  esprits  animaux  venaient 
du  cerveau,  et  les  esprits  vitaux  du  cœur.  Il  reconnut  que  c'était  dans  le  Cer- 
veau de  l'Homme  que  les  Circonvolutions  étaient  le  plus  développées,  et  leur 
attacha  de  l'importance  relativement  à  son  Intelligence  supérieure. 

Galien  (environ  150  ans  après  J.-C.)  s'appliqua  à  réfuter  la  doctrine  d'Aris- 
tote. Il  montra  que  le  cerveau  des  animaux  était  chaud,  et  non  pas  froid,  et 
recevait  beaucoup  de  sang.  Il  maintint  en  outre  que  sa  structure  compliquée 
n'était  point  en  faveur  de  l'idée  d'Aristote,  qui  n'y  voyait  qu'un  simple  réfri- 
gérant ;  puisque  pour  cela  une  «  éponge  grossière  et  informe  »  aurait  suffi.  Il 
fit  remarquer  que  le  cerveau  était  de  la  même  substance  que  les  nerfs,  mais 
plus  mou,  «  comme  cela  devait  nécessairement  être,  puisqu'il  reçoit  toutes  les 

i-  Dissertation  on  the  Functions  of  the  Nervous  System.  —  Traduction  de 
la  Sydenham  Society.  1851. 


142  PHRÉNOLOGIK    ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 

sensations,  perçoit  toutes  les  imaginations,  et  a  encore  à  embrasser  tous  les 
objets  de  l'entendement  :  car  ce  qui  est  mou  est  plus  aisément  changé  que  ce 
qui  est  dur  ».  Puisque  de  doubles  nei'fs  sont  nécessaires,  les  mous  pour  la 
sensation,  les  durs  pour  le  mouvement,  le  cerveau  de  môme  est  double  :  l'an- 
térieur étant  plus  mou  et  le  postérieur  plus  dur.  Les  ventricules  supérieurs  ou 
latéraux  étaient,  d'après  Galien,  doués  des  plus  hautes  fonctions.  Ils  recevaient 
de  l'air  par  les  narines  (par  l'intermédiaire  de  l'ethmoïde  et  des  tubercules 
mamillaires),  mêlaient  cet  air  avec  les  esprits  vitaux  amenés  du  cœur  aux  ven- 
tricules par  les  artères,  et  en  élaboraient  les  esprits  animaux,  qui,  de  là,  étaient 
transmis  par  le  cerveau  aux  nerfs,  pour  déterminer  le  mouvement  et  la  sen- 
sation. Il  estimait  aussi  que  les  ventricules  latéraux  recevaient,  par  la  môme 
voie,  des  objets  sensibles  et  des  particules  odorantes.  Galien  enseignait  également 
que  le  cerveau  avait  un  double  mouvement:  l'un  diastolique,  pour  recevoir  Fair 
et  les  esprits  vitaux  ;  et  l'autre  systolique,  par  lequel  les  ventricules  distri- 
buaient aux  nerfs  les  esprits  animaux.  Plus  tard,  il  estima  que  les  esprits 
animaux  n'étaient  pas  contenus  dans  les  ventricules  seulement,  mais  répandus 
dans  toute  la  substance  du  cerveau  et  du  cervelet.  «  L'usage  du  trigone,  auquel 
appartient  aussi  le  corps  calleux,  est  le  môme,  dit-il,  que  celui  des  arcades  des 
bâtiments;  c'est-à-dire  de  supporter  commodément  et  sûrement  toute  la  partie 
sus-jacente  du  cerveau.  »  Lestubei'culesquadrijuraeaux  remplissent  les  fonctions 
de  portier,  puisqu'ils  servent  à  ouvrir  ou  à  fermer  le  passage  par  où  les  esprits 
animaux  sont  transmis  des  ventricules  antérieurs  au  ventricule  postérieur,  à 
travers  l'aqueduc  de  Sylvius. 

Quelques  siècles  plus  tard,  d'après  Prochaska,  «  les  Arabes  répartissaient 
les  fonctions  animales  dans  les  ventricules  du  cerveau;  de  sorte  qu'ils  faisaient 
de  l'un  des  ventricules  latéraux  le  siège  de  la  sensation  générale  ;  de  l'autre, 
celui  de  la  faculté  Imaginative;  le  troisième  étant  le  siège  de  l'entendement,  et 
le  quatrième  de  la  mémoire.  »  Cette  doctrine  fut  également  soutenue  par  Duns 
Scot,  Thomas  d'Aquin  et  autres  théologiens.  Et,  même  dans  la  première  moitié 
du  xvu"  siècle,  «  Descartes  soutenait  que  les  esprits  animaux  étaient  sécrétés 
du  cerveau  à  travers  des  pores  qui  s'ouvraient  dans  les  ventricules;  et  que,  s'ac- 
cumulant  dans  ces  cavités,  leur  plus  léger  désordre  excitait  l'âme,  située  dans 
la  glande  pinéale  ;  et,  contrairement,  que  les  esprits  animaux  des  ventricules 
étaient  mus  par  la  volonté,  agissant  par  l'intermédiaire  de  la  glande  pinéale,  et 
distribués  de  là,  au  moyen  des  nerfs,  dans  toutes  les  parties  du  corps  i.  » 

Mais,  vers  la  fin  duxvi"  siècle  et  le  commencement  du  xvii',  Casper  Bauhin, 
Varole,  Spigel  et  autres  anatomistes,  s'étaient  efforcés  de  montrer,  contraire- 
ment à  Galien,  que  les  ventricules  du  cerveau  ne  sont  point  les  fabriques  et 
les  magasins  des  esprits  animaux  ;  et  qu'on  doit  plutôt  les  regarder  comme  des 
«  organes  accidentels  qui  n'ont  souvent  pas  d'autre  usage  que  de  recevoir  les 
excrétions  et  les  résidus  formés  durant  la  nutrition  du  cerveau  et  la  produc- 
tion des  esprits  animaux,  et  de  les  emmener,  par  l'infundibulum,  jusque  dans 
la  gorge.  » 

Lorsqu'on  fut  complètement  d'accord  que  les  esprits  animaux  n'étaient 
point  engendrés  dans  les  ventricules  du  cerveau,  ni  produits  dans  la  substance 

1.  Môme  vers  la  fin  du  siècle  dernier,  un  célèbre  anatomiste,  Sômmering, 
annonça  qu'il  regardait  le  fluide  des  ventricules  du  cerveau  comme  le  senso- 
rium  commune  réel,  et  l'organe  propre  de  l'Esprit. 


IDEES    DE    WILLIS.  143 

cérébrale  pour  se  réunir  dans  les  ventricules,  on  pensait  encore  généralement 
que  ces  cavités  étaient  des  réceptacles  pour  des  substances  usées  qui  se  déchar- 
geaient principalement  dans  les  narines,  à  travers  l'etiimoïde  et  certains  canaux 
imaginaires,  indiqués  par  Galien  et  beaucoup  plus  tard  par  Vésale,  comme 
allant  de  la  glande  pituitaire  jusqu'au  gosier,  à  travers  le  sphénoïde.  Cette  opi- 
nion devait  toutefois  être  renversée  à  son  tour;  et  C.-V.  Schneider  (1655)  fit 
beaucoup  pour  cela.  Lower,  Willis  et  autres,  finirent  aussi  par  se  convaincre 
que  rien  ne  pouvait  passer  des  ventricules  aux  narines  par  le  chemin  indiqué  ; 
ils  pensaient  toutefois  «que  le  sérum  des  ventricules  passait  par  l'infundibulum 
à  la  glande  pituitaire,  et  de  là,  par  des  conduits  particuliers,  aux  veines  jugu- 
laires où  il  se  mêlait  avec  le  sang».  Haller  admettait  que  l'infundibulum  était 
creux,  mais  niait  l'existence  des  derniers  canaux  mentionnés,  et  maintenait  que 
les  ventricules  n'avaient  pas  besoin  d'issue  spéciale  pour  l'évacuation  du  sérum. 

Eu  égard  au  mode  de  génération  des  esprits  animaux,  Malpighi,  Willis  (1604) 
et  autres,  se  contentaient  de  penser  qu'ils  étaient  sécrétés  dans  la  substance 
corticale  du  cerveau, et,  de  là,  reçus  dans  la  substance  blanche,  ou  médullaire, 
d'où  ils  étaient  distribués,  par  les  nerfs,  au  corps  tout  entier.  «  Les  facultés  de 
l'esprit,  comme  la  perception,  l'imagination,  l'entendement  et  la  mémoire, 
étaient  bannies  des  ventricules  en  même  temps  que  les  esprits  animaux; 
quelques-uns  les  plaçaient  dans  la  masse  solide  du  cerveau,  tandis  que  d'autres 
affirmaient  que  c'étaient  seulement  des  propriétés  de  l'âme  immatérielle  et 
raisonnable,  et  qu'elles  ne  dépendaient  en  rien  du  corps.  »  Malpighi  regardait  la 
substance  corticale  du  cerveau  comme  de  nature  véritablement  glandulaire. 

Willis  a  été  appelé  le  «  père  de  la  phrénologie  »  à  cause  de  l'étendue  dans 
laquelle  il  assigna  à  chaque  partie  particulière  du  cerveau  une  influence 
spéciale  sur  l'esprit.  Il  maintenait  «  que  le  cerveau  sert  aux  fonctions  animales 
et  aux  mouvements  volontaires,  le  cervelet  aux  mouvements  involontaires  ; 
qu'une  perception  de  toutes  les  sensations  a  lieu  dans  les  fibres  ascendantes 
des  corps  striés,  et  que  les  mouvements  volontaires  sont  excités  par  les  fibres 
descendantes  ;  que  l'entendement  siège  dans  le  corps  calleux,  et  la  mémoire 
dans  les  circonvolutions,  qui  sont  des  magasins  ;  que  les  esprits  animaux  sont 
engendrés  dans  l'ccorce  du  cerveau  et  du  cervelet  par  le  sang  artériel  ;  qu'ils  se 
réunissent  dans  le  bulbe,  sont  distribués  et  arrangés  de  façons  diverses  pour 
exciter  les  actions  diverses  de  l'animal,  et  distillent  à  travers  le  trigone  comme 
à  travers  un  «  pélican  »  i;  que  les  esprits  animaux  sécrétés  dans  le  cervelet 
s'écoulent  sans  cesse,  d'une  manière  égale  et  continue,  dans  les  nerfs  qui  règlent 
les  mouvements  involontaires;  mais  que  ceux  du  cerveau  s'échappent  tumul- 
tueusement et  irrégulièrement,  suivant  que  les  actions  de  l'animal  sont  accom- 
plies violemment  ou  sont  au  contraire  à  l'état  de  repos.  Pour  exciter  des 
sensations,  les  esprits  s'écoulent  le  long  des  nerfs  jusqu'au  cerveau...  Quant 
aux  anses  nerveuses  dont  les  artères  sont  parfois  entourées,  il  établit  que  leur 
usage  est  de  relâcher  ou  de  fermer  les  artères,  et  d'admettre  ainsi,  pendant  les 
diverses  émotions  de  l'esprit,  le  sang,  en  quantité  plus  ou  moins  grande,  à 
certaines  parties.  Il  décida  que  la  glande  pinéale  n'était  point  le  siège  de  l'âme, 
mais  une  glande  lymphatique.  » 

Les  successeurs  de  Willis  adoptèrent  quelques-unes  de  ses  doctrines,  mais 
en  réfutèrent  d'autres.  Beaucoup  de  discussions  stériles  furent  soutenues,  par 

1,  Ancienne  forme  d'alambic. 


144  PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE   ET  NOUVELLE. 

Boerhave  et  d'autres,  sur  la  nature  essentielle  des  esprits  animaux  ;  et,  dans  la 
première  partie  du  xviii"  siècle,  voici  quelles  étaient  les  vues  exprimées  sur 
les  usages  de  certaines  parties  du  cerveau.  Vieussens  plaçait  le  siège  de  l'ima- 
gination dans  le  centre  ovale  ;  Lancisi  et  Peyronie  maintenaient  que  toute  sen- 
sation est  éprouvée,  et  tout  mouvement  excité,  par  le  corps  calleux.  Meyer 
plaçait  le  siège  de  la  mémoire  dans  la  substance  corticale,  la  sensation  à 
l'origine  des  nerfs,  et  les  idées  abstraites  dans  le  cervelet.  Beaucoup,  toutefois, 
reconnaissaient  qu'il  n'était  pas  possible  de  déterminer  avec  quelque  certitude 
le  siège  des  facultés  mentales  ;  bien  que,  sans  doute,  la  nature  n'ait  pas  formé 
sans  but  les  divisions  si  nombreuses  et  si  variées  du  cerveau  et  du  cervelet. 
Alors  survint  une  autre  crise  dans  l'iiisoire  des  opinions  sur  le  cerveau  et 
ses  fonctions.  Dans  les  temps  antérieurs,  la  notion  de  l'existence  d'esprits 
animaux  était  admise  sans  discussion.  On  avait  beaucoup  disputé  sur  leur 
mode  d'origine,  sur  leur  siège  principal,  sur  leur  nature  essentielle;  mais  ces 
problèmes  furent  enfin  laissés  de  côté  pour  un  qui  aurait  dû  les  précéder. 
Quelle  preuve  évidente  avait-on  de  leur  existence  même?  La  supposition  que 
ce  qu'on  avait  appelé  esprits  animaux  existât  en  réalité,  parut  maintenant  à 
beaucoup  une  hypothèse  gratuite.  Après  beaucoup  de  discussions  enti-e  les 
partisans  de  Stahl  et  leurs  adversaires,  nous  trouvons  Boerhave,  Haller  (1766) 
et  Tissot,  demeurés  les  derniers  champions  de  la  doctrine,  et  s'efforçant  de  la 
faire  accepter  comme  vérité.  «  Malgré  l'autorité  de  ces  grands  noms,  dit  Pro- 
chaska,  l'amour  de  la  vérité  excita  des  hommes  distingués,  qui  avancèrent  des 
doutes  sur  l'hypothèse  des  esprits  animaux,  et  qui  montrèrent  que  les  argu- 
ments allégués  en  leur  faveur  ne  prouvaient  rien,  lorsqu'on  les  analysait  soi- 
gneusement; enfin,  que  l'hypothèse  entière  était  absolument  dénuée  de  vérité.» 
Écrivant  donc  en  1784,  Prochaska  dit  :  «  Nous  appellerons  la  cause  latente 
dans  la  pulpe  des  nerfs,  qui  produit  ses  effets  et  qu'on  n'a  point  encore  reconnue, 
vis  nervosa;  nous  voulons  ai'ranger  ses  effets  observés,  qui  sont  les  fonctions 
du  système  nerveux,  et  découvrir  ses  lois.  » 

Le  même  écrivain  considérait  qu'il  n'était  «  point  improbable  que  chaque 
division  de  l'intellect  eût  son  organe  particulier  dans  le  cerveau  »  ;  bien  qu'il 
admît  franchement  lui-même  que  l'on  ne  pouvait,  à  son  époque,  rien  dire  de 
précis  sur  le  sujet.  «  Il  n'a  point  été  possible  jusqu'ici,  ajoute-t-il,  de  déter- 
miner quelles  portions  du  cerveau  ou  du  cervelet  servent  plus  spécialement  à 
telle  ou  telle  faculté  de  l'esprit.  Les  conjectures  par  lesquelles  des  hommes 
éminents  ont  tenté  de  les  déterminer  sont  extrêmement  improbables;  et  ce 
département  de  la  physiologie  est  aussi  obscur  aujourd'hui  qu'il  l'a  jamais 
été.  »  Il  ne  faut  point  oublier  toutefois  que  ce  fat  Prochaska  lui-même  qui,  le 
premier,  décrivit  complètement  la  nature  des  mouvements  réflexes.  «  Le  senso- 
rium  commune,  dit-il  (loc.  cit.,  p.  446),  réfléchit  les  impressions  sensorielles 
en  impressions  motrices,  suivant  des  lois  définies  qui  lui  sont  particulières, 
et  indépendamment  de  la  conscience.  »  Prochaska  reconnut  en  outre  que  le 
même  genre  de  processus  pouvait  se  passer  dans  les  ganglions  systémiques , 
puisqu'il  dit  (p.  438)  :  m  II  semble  donc  probable  qu'outre  le  sensorium  com- 
mune que  nous  pouvons  supposer  dans  la  moelle  allongée,  la  moelle  épiniére, 
le  pont  de  Varole,  et  les  pédoncules  du  cerveau  et  du  cervelet,  il  y  a  des 
sensoria  spéciaux  dans  les  ganglions  et  les  plexus  nerveux,  où  se  réfléchissent 
les  impressions  extérieures,  remontant  le  long  des  nerfs,  qui  n'ont  pas  besoin 
de  remonter  jusqu'au  sensorium  commune  pour  être  réfléchies  de  là.  » 


THÉORIES   DE   GALL    ET    SPURZHEIM.  145 

L'espace  dont  nous  disposons  dans  cet  ouvrage  ne  nous  permet 
pas  de  tenter  même  une  esquisse  des  pas  successifs  par  lesquels, 
durant  les  derniers  siècles,  nous  avons  lentement  tendu  à  acquérir 
une  notion  plus  exacte  (quoique  absolument  insuffisante  encore)  des 
Fonctions  des  diverses  parties  du  Cerveau.  On  pourra  trouver 
quelque  chose  de  ce  genre  dans  l'ouvrage  de\-ulpian^  et  dans  quelques 
autres  travaux.  Ce  qui  a  déjà  été  dit  indiquera  combien  il  y  a  encore 
à  faire  ;  et  ce  que  l'on  va  dire  à  présent  donnera  une  faible  idée  de 
la  disette  actuelle  de  connaissances  positives,  et  du  besoin  que  nous 
avons  que  la  lumière  se  fasse  beaucoup  plus  vive  dans  un  grand 
nombre  de  directions. 


Après  avoir  considéré  les  relations  que  les  Hémisphères  Céré- 
braux ont  entre  eux,  avec  le  Cervelet  et  les  deux  moitiés  du  corps, 
il  faut  maintenant  que  le  lecteur  limite  son  attention  aux  Hémi- 
sphères eux-mêmes,  afin  de  pouvoir  apprendre,  dans  ce  chapitre  et 
le  suivant,  une  partie  des  connaissances  acquises  sur  les  parties  de 
ces  importants  organes  qui  semblent  plus  immédiatement  intéressées 
dans  les  Perceptions,  les  Volitions  et  autres  Processus  Mentaux. 

Nous  avons  encore  à  nous  appuyer  sur  les  trois  mêmes  classes 
de  faits  qui  ont  servi  de  baiSes  à  nos  conclusions  dans  le  chapitre 
précédent  ;  bien  que  nous  n'ayons  pas  à  y  faire  appel  dans  les  mêmes 
proportions  relatives-. 

La  notion  que  le  Cerveau  est  l'organe  principal  de  l'Esprit,  et 
qu'il  y  a  une  localisation  de  fonction  dans  ses  diverses  parties,  était, 
comme  nous  l'avons  vu,  une  proposition  fondamentale  pleinement 
réalisée  par  Prochaska  et  autres,  longtemps  avant  que  Gall  et  Spurz- 
heim  (1805-1826)  commençassent  à  étudier  avec  zèle  l'anatomie  de 
l'organe  et  à  promulguer  un  Système  Physionomique  en  connexion 
avec  elle,  système  qui  attira  bientôt  une  grande  attention  sous  le 
nom  de  Phrénologie.  Les  auteurs  étaient  des  enthousiastes  qui 
essayaient  de  systématiser  prématurém.ent  wa.  sujet  extrêmement 
complexe,  alors  que  les  connaissances  sur  ce  sujet  étaient  encore 
absolument  dans  l'enfance,  —  et  cela,  sans  prétendre  avoir  une  capa- 
cité ou  des  connaissances  bien  spéciales  pour  mener  à  bien  au  moins 
la  moitié  du  travail  embrassé  par  une  pareille  entreprise. 

Gall  et  Spurzheim  étaient  au  niveau  des  connaissances  de  leur 
temps,  eu  égard  à  l'anatomie  du  Cerveau,  et  peut-être  même  en 
avant;  toutefois,  à  l'époque  où  ils  élaboraient  leur  doctrine,  ils  ne 
.savaient  rien,  pas  plus  que  leurs  prédécesseurs,  sur  la  distinction 

1.  Leçons  sur  la  Physiologie  du  Système  Nerveux,  18G8. 

2.  Voy.  p.  116. 

Charltûn-Bastian.  —  IL  10 


lit)  PHÉRNOLOGIE    ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 

physiologique  réelle  qui  existe  entre  la  substance  «  grise  »  et  la  sub- 
stance «  blanche  »  du  Cerveau.  Ainsi  que  leurs  devanciers,  ils  regar- 
daient la  substance  blanche  des  hémisphères  comme  la  matière 
nerveuse  essentielle,  tandis  que  la  substance  grise  était  considérée 
comme  «  la  matrice  des  fibres  nerveuses»,  —  matière  formative, en 
réalité,  qui,  partout  où  on  la  trouvait,  ne  servait  que  de  noyau  pour 
produire  une  quantité  suffisante  de  fibres  nerveuses^.  Par  consé- 
quent, la  Substance  Grise  des  Circonvolutions,  —  celle  que  nous 
croyons  aujourd'hui  si  largement  intéressée  dans  les  fonctions  les 
plus  délicates  et  les  plus  subtiles  du  Cerveau,  —  était  considérée  par 
les  fondateurs  de  la  Phrénologie  comme  n'ayant  aucune  fonction 
nerveuse  proprement  dite. 

On  ne  fit  assurément  aucune  tentative  pour  tenir  compte  de  plus 
de  la  moitié  de  cette  substance.  Les  auteurs  supposaient  avoir  com- 
plètement analysé  l'Esprit  Humain.  Ils  avaient  assigné  aux  diverses 
Facultés,  Émotions  et  Propensions,  leur  siège  respectif,  correspon- 
dant extérieurement  aux  parties  supérieures  et  externes  du  crâne. 
Mais  les  Circonvolutions  de  la  base  du  Cerveau,  celles  qui  reposent 
sur  la  «  tente  du  Cervelet  »  et  celles  des  faces  internes  contiguës  des 
Hémisphères,  étaient  censées  ne  prendre  aucunc/part  aux  fonctions 
mentales.  L'usage  de  cette  Substance  Grise  des  circonvolutions 
étant  estimé  par  les  Phrénologistes  d'une  manière  absolument  diffé- 
rente de  ce  qu'il  est  aujourd'hui,  ils  inventèrent  leur  «Système  »  et 
définirent  leur  organologie,  sans  y  faire  d'allusion  spéciale.  Si 
incroyable  que  cela  puisse  sembler  aujourd'hui  à  beaucoup  de  per- 
sonnes, cela  est  pourtant  strictement  vrai.  On  peut  apprendre  des 
paroles  de  Spurzheim  lui-même  combien  leurs  soi-disant  organes 
furent  constitués  et  délimités  au  hasard.  «Les  organes,  dit-iP,  ne 
sont  point  confinés  à  la  surface  du  cerveau  :  ils  s'étendent  de  la 
surface  au  gros  renflement  du  trou  occipital  (le  bulbe),  et  com- 
prennent probablement  même  les  commissures;  car  la  masse  entière 
du  cerveau  constitue  les  organes.  » 

Il  est  à  peine  besoin  de  dire  aujourd'hui  qu'aucune  des  divisions 
ainsi  indiquées  dans  le  Cerveau,  soit  à  l'intérieur,  soit  à  l'extérieur, 
ne  possède  une  existence  réelle.  Et,  si  la  surface  plissée  de  l'organe 
lui-même  ne  présente  pas  de  divisions  semblables  à  celles  que  l'on 
voit  sur  un  moule  phrénologique  pour  séparer  l'un  de  l'autre  les 
divers  organes  supposés,  il  n'est  pas  besoin  de  grandes  connais- 
sances anatomiques  pour  imaginer  combien  il  est  encore  plus 
impossible  de  deviner  ces  limites  à  travers  le  crâne  et  les  tégu- 
ments. Si  nous  prenons,  par  exemple,  l'organe  de  philoprogéniture^ 

1.  Spurzheim.  Anatomy  of  the  Brain,  p.  7. 

2.  The  Physiognomical  System.,  1815,  p.  239. 


THÉORIES  DE  GALL  ET  SPURZHEIM.  147 

dont  on  peut  voir  sur  tout  buste  phrénologique  la  place  désignée  à 
l'arrière  de  la  tête,  nous  voyons  que  cette  place  correspond  à  une 
proéminence  osseuse  qui  varie  grandement  d'épaisseur  chez  les 
divers  individus,  tandis  qu'à  l'intérieur  elle  répond  au  point 
d'union  de  quatre  grands  sinus  veineux;  et,  en  dedans  de  ceux-ci, 
autant  aux  sommets  des  lobes  occipitaux  qu'au  bord  supérieur  et 
postérieur  du  cervelet'. 

La  division  de  l'Esprit  humain  en  facultés  distinctes,  à  la  façon 
des  phrënologistes,  est  toutefois  une  erreur  par  elle-même,  indépen- 
damment de  la  nature  peu  satisfaisante  de  leur  analyse  particulière. 
«  Chaque  forme  d'intelligence  étant  par  essence,  comme  le  dit  Herbert 
Spencer^,  une  adaptation  des  relations  internes  aux  relations 
externes,  il  suit  de  là  que,  les  relations  extérieures  s'accroissant  à 
mesure  que  se  poursuit  cette  adaptation,  en  nombre,  en  complexité, 
en  hétérogénéité^  par  des  gradations  impossibles  à  marquer,  il  ne 
saurait  y  avoir  de  démarcations  valables  entre  les  phases  successives 
de  l'intelligence...  Considérée  fondamentalement,  l'intelligence  n'a 
pas  de  degrés  distincts  et  n'est  point  constituée  de  facultés  réelle- 
ment indépendantes...  ses  phénomènes  les  plus  élevés  sont  les  effets 
d'une  complication  qui  s'est  produite  par  des  degrés  insensibles,  à 
partir  des  éléments  les  plus  simples.  » 

Cette  vue  philosophique  d'Herbert  Spencer  est  tout  à  fait  en  har- 
monie avec  ce  que  nous  savons  du  développement  progressif  du 
Cerveau  dans  la  série  animale. 

Mais  la  grossièreté  de  l'analyse  psychologique  des  Phrénologistes 
est  dignement  couronnée  par  la  simplicité  de  la  manière  dont  ils 
procédaient  pour  déierminer  le  siège  des  divers  organes.  Spurzlieira 
dit  :  «  Deux  personnes  étaient  connues  à  Vienne  pour  leur  extrême 
irrésolution;  aussi  un  jour,  sur  une  place  publique,  Gall  s'arrêta 
derrière  elles  et  observa  leur  tête.  11  trouva  qu'elles  avaient  les 
parties  postérieures  et  supérieures  des  deux  côtés  de  la  tête  extrê- 
mement grosses;  et  cette  observation  lui  donna  la  première  idée  de 
cet  organe».  Telle  était  la  nature  de  la  niélliode,  complètement  au 
hasard,  par  laquelle,  après  de  nombreuses  observations,  recueillies  il 
est  vrai  sur  des  personnes  de  toute  sorte,  de  tout  âge  et  de  toute 
situation  sociale,  les  détails  de  leur  Système  furent  finalement 
établis. 

Le  Système  Phrénologique  de  Gall  et  Spurzheim  était  donc  falla- 
cieux sous  presque  tous  les  rapports.  Il  était  absolument  défectueux 
dans  son  analyse  psychologique,  excessivement  peu  satisfaisant  dans 
ses  localisations  ;  bref,  ses  méthodes  étaient  aussi  peu  sûres  que  ses 

L  Voy.  fig.  147,  148. 

2.  Principles  of  Psychology,  l''"  éd.,  p.  486. 


148  PilUÉNOLOGIE    ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 

résultats  peu  concluants.  Il  aurait  été  assurément  presque  inutile  de 
s'arrêter  aussi  longtemps  sur  ce  sujet,  n'était  qu'il  y  a  probable- 
ment encore,  dans  le  grand  public,  beaucoup  de  personnes  qui,  si 
elles  ne  croient  pas  réellement  à  la  Phrénologie  de  Gall  et  Spurzheim, 
seraient  bien  aises  de  savoir  les  raisons  positives  qui  doivent  faire 
rejeter  le  système. 

Nous  faut-il  toutefois  courir  à  l'extrême  opposé  et  souscrire  à 
des  doctrines  comme  celles  émises  par  Flourens  (I8/1O)?  Cetéminent 
physiologiste,  que  l'on  peut  presque  dire  nous  avoir  initiés  aux 
recherches  expérimentales  dirigées  sur  la  détermination  des  fonc- 
tions du  cerveau,  se  crut  autorisé  à  tirer  de  ses  propres  investiga- 
tions, bien  connues,  les  conclusions  suivantes,  tout  à  fait  opposées  à 
toute  localisation  en  détail  des  fonctions,  —  c'est-à-dire  à  la  localisa- 
tion de  fonctions  spéciales  dans  des  régions  spéciales  des  Hémi- 
sphères Cérébraux.  Voici  ses  conclusions  {Recherches  expérimen- 
tales, p.  99)  : 

«  Ainsi,  1°  on  peut  retrancher,  soit  par  devant,  soit  par  derrière,  soit  par 
en  haut,  soit  par  côté,  une  portion  assez  étendue  des  lobes  cérébi^aux,  sans  que 
leurs  fonctions  soient  perdues.  Une  portion  assez  restreinte  de  ces  lobes  suffit 
donc  à  l'exercice  de  leurs  fonctions. 

2"  A  mesure  que  ce  retranchement  s'opère,  toutes  les  fonctions  s'affai- 
blissent et  s'éteignent  graduellement;  et,  passé  certaines  limites,  elles  sont  tout 
à  fait  éteintes.  Les  lobes  cérébraux  concourent  donc,  par  tout  leur  ensemble,  à 
l'exercice  plein  et  entier  de  leurs  fonctions. 

3"  Enfin,  dès  qu'une  perception  est  perdue,  toutes  le  sont;  dès  qu'une 
faculté  disparaît,  toutes  disparaissent.  Il  n'y  a  donc  point  de  sièges  divers,  ni 
pour  les  diverses  facultés  ni  pour  les  diverses  perceptions.  La  faculté  de  per- 
cevoir, déjuger,  de  vouloir  une  chose,  réside  dans  le  môme  lieu  que  celle  d'en 
percevoir,  d'en  juger,  d'en  vouloir  une  autre;  et  conséquemment  cette  faculté, 
essentiellement  une,  réside  essentiellement  dans  un  seul  organe.  » 

Mais,  bien  que  ces  premières  et  difficiles  investigations  expéri- 
mentales parussent,  à  ce  que  pensait  Flourens,  l'autoriser  à  tirer  des 
conclusions  de  cette  nature,  ses  vues  ne  furent  point  acceptées 
avec  empressement.  S'il  nous  faut  regarder  le  Cerveau  comme  le 
principal  organe  de  l'Esprit  et  considérer  chaque  opération  mentale 
comme  une  des  manifestations  de  son  activité  fonctionnelle,  toute 
analogie,  et  même  toute  probabilité,  nous  amènera  à  conclure  qu'un 
ordre  défini  doit  être  observé,  et  que  des  opérations  mentales  iden- 
tiques seront  toujours  associées  à  l'activité  fonctionnelle  de  régions 
identiques  des  fibres  et  cellules  nerveuses  du  Cerveau  et  de  ses 
dépendances.  Nous  savons  que  les  Nerfs  Olfactifs,  Optiques  et  Audi- 
tifs vont  chacun  à  des  parties  différentes  du  Cerveau  ;  de  sorte  que 
les  processus  primaires  en  relation  avec  l'exercice  des  Sens  corres- 
pondants sont  distincts  les  uns  des  autres.  Pouvons-nous  croire  que, 


LOCALISATI0.\S   CÉRÉBRALES.  149 

dans  leurs  phases  postérieures  ou  plus  élevées  les  régions  affectées 
h  ces  impressions  deviennent  moins  distinctes?  En  outre,  je  touche 
avec  mon  index  la  table  sur  laquelle  j'écris  en  ce  moment  :  l'impres- 
sion ainsi  produite  voyage,  au  moyen  de  fibres  nerveuses,  le  long  d'une 
route  parfaitement  définie  depuis  le  point  touché  jusqu'à  ma  Moelle 
Épinière.  Puis-je  douter  que  la  route  par  laquelle  elle  atteint  le 
Cerveau  soit  aussi  définie  (quoique  moins  bien  connue),  et  qu'une 
impression  semblable  suive  toujours  la  même  route,  aussi  longtemps 
que  les  conducteurs  nerveux  demeureront  à  l'état  d'intégrité?  Prise 
dans  ce  sens,  cette  «  localisation»  semblerait  être  une  simple  nécessité 
a  priori.  Mais  si  ce  raisonnement  s'applique  aux  Opérations  Sen- 
sorielles, il  est  également  bon  pour  les  Opérations  et  les  Émotions 
Intellectuelles.  L'ordre  et  la  régularité  ne  sauraient  guère  faire 
défaut  dans  l'accomplissement  des  fonctions  de  ces  parties  du 
Cerveau  où,  d'après  la  nature  subtile  et  la  multiplicité  des  actions 
moléculaires  comprises  dans  des  myriades  de  cellules  et  de  fibres, 
ces  caractéristiques  particulières  des  actions  cérébrales  inférieures 
sembleraient  encore  tellement  plus  nécessaires. 

La  question  fondamentale  de  l'existence  ou  de  la  non  existence  de 
localisations  réelles  de  fonctions  (de  quelque  manière  que  ce  soit) 
dans  le  Cerveau,  doit  être  complètement  isolée  d'une  autre  question 
secondaire  qui,  bien  que  l'on  n'y  prête  ordinairement  pas  autant 
d'attention,  n'en  est  pas  moins  réellement  digne  d'être  considérée  à 
part.  La  voici  :  «  Si  la  localisation  est  une  réalité,  les  diverses  Opé- 
rations ou  P"'acultés  Mentales  dépendent-elles  (aj  de  régions  séparées 
de  la  substance  cérébrale;  ou  si  [b]  la  localisation  n'est  caractérisée 
que  par  l'arrangement  d'une  manière  distincte  de  cellules  et  de 
fibres,  qui  toutefois,  pour  ce  qui  est  de  leur  position,  peuvent  être 
entremêlées  avec  d'autres  ayant  des  fonctions  différentes,  avons-nous 
en  réalité  affaire  à  des  aires  topographiqitemejit  séparées  du  tissu  cé- 
rébral, ou  simplement  à  des  mécanisines  distincts  de  cellules  et  de 
fibres, existants  d'une  manière  plus  ou  moins  diffuse  et  entremêlée?  n 

Ce  dernier  mode  d'arrangement  semble,  à  tout  prendre,  même 
plus  probable  que  le  premier,  et  peut  se  recommander  à  beaucoup 
de  personnes.  L'existence  d'un  aiTangement  de  cette  nature  nous 
aiderait  à  jeter  quelque  lumière  sur  les  résultats  obtenus  par  Flou- 
rens,  ainsi  que  sur  les  doctrines  aujourd'hui  défendues  par  Brown- 
Sequard.  Elle  permet  d'y  reconnaître  une  certaine  dose  de  vérité, 
sans  nécessiter  pour  cela  une  négation  du  principe  fondamental  de 
localisation, en  tant  qu'appliqué  aux  cellules  et  aux  fibres. 

Brown-Sequard  s'est  en  effet  lui-même  exprimé  dernièrement  ^  do 

1.  Archives  de  Physiologie  Normale  et  Pathologique,  2^  série,  t.  l\,i).  412. 


150  PHP.KiNOLOGIE    ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 

la  manière  la  plus  positive,  en  faveur  de  rarrangement  diffus  et 
entremêlé.  Il  pense  pouvoir  mettre  hors  de  doute  qu'  —  «  il  n'existe 
pas  de  centres,  moteurs  ou  autres,  comme  on  les  conçoit  ordinaire- 
ment; c'est-à-dire  d'agglomérations  de  cellules  ayant  une  seule  et 
même  fonction,  et  formant  une  masse  plus  ou  moins  nettement 
délimitée  ».  L'existence  de  ce  mode  d'arrangement  exigerait,  ainsi 
que  l'autre,  que  l'on  admît  que  les  cellules  ayant  le  même 
genre  d'activité  fonctionnelle  sont  en  communication  les  unes 
avec  les  autres  au  moyen  de  prolongements.  Et,  comme  il  le 
soutient,  l'activité  fonctionnelle  de  cellules  semblables  pourrait, 
dans  les  deux  cas,  s'exercer  conjointement  et  également  bien,  grâce 
à  l'intervention  de  prolongements  intercellulaires.  Cela  ferait,  en 
réalité,  comparativement  peu  de  différences,  que  ces  cellules  sem- 
blables fussent  étroitement  groupées  ensemble  ou  dispersées  au 
contraire  dans  des  espaces  relativement  étendues  de  l'Écorce  Céré- 
brale. Jusqu'ici,  du  moins,  l'auteur  se  trouve  tout  à  fait  d'accord 
avec  Brown-Sequard. 

Ainsi,  tandis  qu'une  localisation  topographiquement  séparée  de 
«  facultés  »  indépendantes  semble  à  l'auteur  tout  à  fait  improbablei, 
il  est  pleinement  convaincu  que  certaines  portions  des  Hémisphères 
Cérébraux,  —  les  Lobes  Antérieurs,  par  exemple,  —  sont  toujours 
intéressées  dans  l'accomplissement  d'Opérations  Intellectuelles  et 
Volitionnelles  de  nature  pratiquement  semblable,  bien  qu'à  des  degrés 
différents  de  complexité  chez  les  divers  individus.  C'est  à  peine  si 
l'on  peut  dire  toutefois  qu'ils  accomplissent,  mais  bien  plutôt  qu'ils 
assistent  et  aident  à  accomplir  certaines  Opérations  Intellectuelles 
et  Volitionnelles;  car  il  semble  improbable  que,  même  une  portion 
aussi  grosse  de  l'Hémisphère  Cérébral  que  le  Lobe  Antérieur,  ait  une 
série  distincte  de  fonctions  qui  lui  soient  particulières.  La  division 
en  «  lobes»  est,  pour  la  plus  grande  partie,  une  division  entièrement 
artificielle;  et  la  substance  grise  de  la  région  antérieure  est,  comme 
nous  l'avons  vu,  en  relation  intime  avec  la  substance  grise  des  parties 
moyennes  et  postérieures  des  Hémisphères;  de  sorte  que,  de  même 
que  notre  nature  psychique  se  compose  d'un  grand  réseau  com- 
pliqué mais  continu,  dans  lequel  sont  compris  à  la  fois  les  Sensa- 
tions, les  Perceptions,  les  Jugements,  les  Émotions  et  les  Volitions  ; 
de  même,  l'organe  physique  qui  y  correspond  est  aussi  représenté 
par  le  réseau  le  plus  compliqué  et  le  plus  inextricable  de  cellules  et 
de  fibres  nerveuses,  réciproquement  liées  et  mises  en  relations  fonc- 
tionnelles les  unes  avec  les  autres.  Ainsi  donc,  tandis  qu'on  peut 
dire  avec  vérité  que  les  Lobes  Antérieurs  prennent  toujours  part  à 
l'accomplissement  d'Opérations  Intellectuelles  et  Volitionnelles  de 

L  Voy.  Journal  of  Mental  Science.  Janv.  1869. 


LOCALISATIONS    CÉRÉBRALES.  151 

même  ns^^are,  ils  peuvent  être  les  instruments  principaux  de  cer- 
taines fonctions  et  prendre  part  à  un  moindre  degré  à  l'exécution 
de  quelques  autres  Opérations  Mentales,  dépendant  plus  spécialement 
de  l'activité  fonctionnelle  départies  différentes,— les  Lobes  Pariétaux, 
Temporaux,  ou  Occipitaux,  isolés  ou  combinés. 

Perception,  Intellect,  Émotion  et  Volition  sont  si  intimement 
associés  dans  nos  processus  mentaux  ordinaires  que,  si  nous  voulions 
essayer  de  dresser  une  carte  définie  de  leurs  territoires,  de  manière 
à  assigner  une  province  séparée  des  Hémisphères  Cérébraux  à 
chacune  de  ces  grandes  divisions  de  l'Esprit,  nous  tomberions  pro- 
bablement dans  une  erreur  grave.  Précisément  dans  les  mêmes  par- 
ties des  Hémisphères  Cérébraux  qui  sont  les  plus  intéressées  lorsque 
nous  regardons  une  belle  peinture  ou  un  beau  morceau  de  statuaire, 
nous  pouvons  imaginer  les  émotions  d'admiration  auxquelles  la  vue 
de  ces  objets  d'art  a  donné  naissance,  —  quelle  que  soit  l'activité  avec 
laquelle  d'autres  centres  peuvent  coopérer;  et,  de  même  que  la 
vue  d'un  fruit  mûr  sur  un  arbre  peut  exciter  un  désir  de  le  posséder, 
suivi  d'un  Stimulus  Volitionnel  dans  le  but  d'obtenir  l'objet  désiré, 
de  même,  dans  ce  cas,  les  parties  intéressées  dans  la  manifestation  du 
désir^  et  celles  dans  lesquelles  le  Stimulus  Volitionnel  prend  son 
origine,  sont  probablement  situées  dans  quelques  portions  de  la 
même  aire  de  subtance  grise  circonvolutionnelle,  qui  était  intéressée 
dans  l'Acte  Perceptif  lui-même. 

D'autre  part,  comme  l'auteur  l'a  dit  ailleurs^  :  «  Pour  autant  que 
nous  avons  certaines  avenues  distinctes  de  savoir  (par  les  Organes 
des  Sens  et  leurs  ganglions  nerveux  voisins)  et  que  les  Hémisphères 
Cérébraux  sont  les  parties  intéressées  dans  l'élaboration  des  impres- 
sions ainsi  obtenues,  nous  pouvons  bien  comprendre  que  les  impres- 
sions, entrant  par  une  porte  ou  avenue  sensorielle,  peuvent  passer  à 
travers  la  substance  et  vers  la  périphérie  de  ces  Hémisphères  Céré- 
braux, dans  certaines  directions  définies  et  suivant  des  routes  habi- 
tuelles. Alors,  les  impressions  qui  entrent  par  une  autre  porte  de 
savoir,  ou  avenue  sensorielle,  peuvent  suivre,  et  suivent  probable- 
ment, une  direction  différente  à  travers  sa  substance  ;  de  manière  qu'à 
la  périphérie,  les  fibres  et  les  cellules  intéressées  dans  le  processus  de 
direction  et  d'élaboration  de  ces  impressions  peuvent  exister  en 
quantité  maximum  en  différentes  portions  de  la  surface  des  Hémi- 
sphères; —  bien  que,  en  partie,  elles  puissent  occuper  conjointement 
la  même  étendue  et  être  entremêlées  avec  les  fibres  et  les  cellules 
intéressées  dans  l'élaboration  de  la  série  d'impressions  précédem- 
ment mentionnée.  Et  ainsi  de  suite  pour  les  divers  organes  des  sens 
€t  leurs  expansions  ultimes,  formant  ce  que  j'appellerais  Centres 

1.  Journal  of  Mental  Science,  Janv.  1869. 


lf)2  PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE   ET    NOUVELLE. 

Perceptifs,  dans  les  Hémisphères  Cérébraux.  Ainsi,  bien  qu'il  puisse  y 
avoir  un  enchevêtrement  compliqué  d'aires,  et  bien  que  Paire 
appartenant  aux  impressions  d'un  sens  quelconque,  dans  les  Hémi- 
sphères Cérébraux,  puisse  être  fort  étendue  (pour  ne  pas  parler  de  la 
complication  ultérieure  amenée  par  la  communication  établie  entre 
les  cellules  nerveuses  de  l'aire  d'un  sens  et  celles  d'autres  aires  du 
même  Hémisphère  Cérébral,  et  de  l'union  probable,  établie  au  moyen 
de  fibres  commissurales,  entre  les  parties  analogues  des  deux  Hémi- 
sphères), il  se  peut  toutefois  fort  bien  que  certaines  portions  de  la 
surface  des  Hémisphères  Cérébraux  correspondent  plus  spécialement 
au  chiffre  maximum  de  cellules  et  de  fibres  nerveuses  appartenant  à 
quelqu'un  des  divers  sens De  même  que  certains  de  nos  sens  con- 
tribuent d'une  manière  prépondérante  à  édifier  nos  impressions  men- 
tales et  les  résultats  volitionnels  correspondants  (par  exemple,  ceux 
de  la  Vue,  de  l'Ouïe  et  du  Toucher),  de  même  nous  pouvons  imaginer 
que  ces  organes  sensoriels  seraient  intérieurement  reliés  avec  une 
aire  comparativement  étendue  de  la  substance  corticale  de  chacun 
des  Hémisphères^  On  serait  donc  en  droit  de  regarder  comme  pro- 
bable que  les  Centres  Perceptifs  pour  les,  impressions  visuelles,  et 
ceux  pour  les  impressions  auditives,  ont  un  siège  relativement  vaste 
dans  les  Hémisphères  Cérébraux;  tandis  que  ceux  appartenant  aux 
sens  gustatif  et  olfactif  ont  une  distribution  plus  limitée.  » 

Sauf  quelques  changements  dans  les  termes,  les  vues  établies 
ci-dessus  furent  mises  en  avant  par  l'auteur  dans  des  mémoires 
écrits  en  1865  et  1869.  Et,  si  simple  que  puisse  paraître  aujourd'hui 
la  notion  que  nous  avons  le  droit  de  chercher,  dans  la  substance 
corticale  des  Hémisphères,  des  Centres  Perceptifs  distincts,  qui 
seraient  en  relation  structurale  directe  avec  leurs  nerfs  sensoriels 
respectifs  etleurs  ganglions  inférieurs  (ou  noyaux)  situés  dans  le  Bulbe 
ou  près  du  Bulbe,  —  aucune  mention  de  ce  genre  de  localisation  ne  se 
rencontre,  jusqu'à  cette  période,  dans  les  ouvrages  de  médecine  ou 
de  physiologie-;  bien  que,  ainsi  que  l'auteur  essaya  le  premier  de 
le  démontrer,  ces  notions  jettent  beaucoup  de  lumière  sur  la 
Physiologie  Cérébrale  et  sur  certains  défauts  de  la  Parole  résultant 
de  maladies  du  Cerveau^.  Les  vues  de  l'auteur  furent,  peu  après, 

1.  Une  idée  de  ce  genre  a  aussi  été  soutenue  dernièrement  par  le  prof. 
Croom  Robertsou  dans  le  journal  Minci,  1877,  p.  97. 

2.  On  ne  pouvait  déduire  de  pareilles  conclusions  des  vues  sur  la  Physio- 
logie Cérébrale  mises  généralement  en  avant  en  Angleterre.  Il  y  a  en  effet  une 
opposition  philosophique  entre  elles  et  les  doctrines  largement  promulguées 
par  le  D''  Carpenter  (Voy.  l'article  :  Sensation  and  Perception.  —  Nature^ 
décembre  23,  1869,  et  janv.  20,  1870,  p.  309. 

3.  Voy.  Physiology  ofThinIdng  [Fortnightly  lieview.Jsiny.  1869)  et  Defects 
of  Speech  in  Brain  Disease  {Brit.  and  For.  Chir.Rev.)  Janv.  et  avril  1869. 


CENTRES  PERCEPTIFS.  153 

adoptées  et  étendues  par  le  docteur  Broadbcnt,  dans  un  important 
mémoire  sur  le  Mécanisme  Cérébral  de  la  Parole  et  de  la  Pensée i. 

Bientôt,  en  outre,  des  physiologistes  commencèrent  à  rechercher 
avec  ardeur  des  Centres  Perceptifs  de  cette  nature  dans  la  sub- 
stance grise  corticale.  Le  premier  à  agir  ainsi  fut  le  docteur  Ferrier, 
bien  qu'il  ne  fasse  aucune  allusion  aux  vues  de  Tauteur.  Il  entreprit 
cette  recherche  peut-être  d'une  manière  indépendante,  en  tout  cas 
d'une  façon  tout  à  fait  systématique;  et  les  résultats  qu'il  obtint 
méritent  d'être  étudiés  avec  la  plus  grande  attention 2.  La  notion 
qu'il  doit  y  avoir  des  Centres  Perceptifs  de  cette  nature  se  recom- 
mandait évidemment  à  Ferrier;  et,  avec  une  énergie  caractéristique, 
il  chercha  à  jeter  de  la  lumière  sur  leurs  localisations,  comme  il 
avait  précédemment  —  poussé  par  les  vues  de  Hughlings  Jackson  — 
cherché  à  établir  l'existence  de  Centres  Moteurs  distincts  dans 
l'écorce  des  Hémisphères  Cérébraux. 

Jusqu'à  ces  tout  derniers  temps,  il  y  a  eu  dans  la  littérature 
médicale  une  remarquable  disette  de  faits  pouvant  servir  à  prouver 
l'existence  et  la  localisation  de  pareils  «  Centres  Perceptifs»,  soit  chez 
l'Homme,  soit  chez  les  Animaux.  Nous  avons,  comme  on  l'a  déjà 
expliqué,  de  bonnes  raisons  pour  croire  que  les  fibres  sensitives,  ou 
centripètes,  venant  de  tout  le  corps  en  général,  se  rendent  aux 
Hémisphères  Cérébraux  en  passant  dans  les  couches  supérieures  et 
postérieures  des  Pédoncules  du  Cerveau;  et  que,  au  point  où  chacun 
de  ces  pédoncules  s'étale  dans  l'Hémisphère  correspondant,  en  for- 
mant la  couronne  rayonnante,  ces  fibres  afférentes  correspondent  au 
tiers  postérieur  de  cette  expansion  en  éventail,  et  sont  rejointes  en 
ce  point  par  des  fibres  venant  des  ganglions  inférieurs,  ou  noyaux,  en 
relation  avec  les  organes  de  la  Vue,  de  l'Ouïe  et  du  Goût.  On  observe 
que  la  destruction  de  cette  portion  des  fibres  pédonculaires  arrête 
toute  impression  sensitive  —  spéciale  ou  générale  —  provenant  de 
la  moitié  opposée  du  corps  (fig.  171).  Mais,  tandis  que  notre  savoir 
est  bon  jusque-là,  nous  demeurons  dans  l'obscurité  quant  aux 
relations  de  ces  fibres  sensitives  avec  la  Couche  Optique  (et  même 
quant  aux  fonctions  précises  de  ce  corps,  en  général),  aussi  bien  que 
sur  ce  qui  concerne  la  distribution  ultime  des  diverses  séries  de  fibres 
à  des  régions  particulières  de  l'écorce  cérébrale,  —  dans  lesquehes 

1.  Cérébral  Mechanism  of  Speech  and  Thought  [Med.  Chir.  Trans.  1872, 
p.  180).  Écrivant  en  effet  dans  le  Journal  o[  Mental  Science  (avril  1870,  p.  23), 
Broadbent  dit  :  «  Ainsi,  ces  circonvolutions  qui  reçoivent  les  fibres  centrales 
et  sont  bilatéralement  associées  par  le  Corps  Calleux,  constitueront  les  centres 
perceptifs  du  D""  Bastian.  » 

2.  Sa  première  communication  sur  ce  sujet  fut  présentée  à  la  Société  Royale, 
en  avril  1875,  et  se  trouve  dans  le  tome  II  des  Phil.  Transact.  de  cette 
année,  p.  445. 


154  PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE   ET    NOUVELLE. 

seules  leurs  impressions  respectives  semblent  culminer  et  s'associer 
à  des  phénomènes  subjectifs  ou  États  de  Conscience. 

Cette  absence  de  preuves,  quant  à  la  situation  des  «  Centres  Perceptifs  »  de 
l'Homme,  semble  d'abord  très-surprenante,  puisqu'on  pourrait  imaginer  que 
l'étude  des  nombreuses  observations  de  maladies  locales,  intéi^essant  la  surface 
•du  Cerveau,  que  l'on  trouve  dans  les  ouvrages  de  médecine,  devrait  bientôt 
résoudre  le  problème.  Il  est  toutefois  loin  d'en  être  ainsi  :  et  cela  pour  beaucoup 
de  raisons  que  nous  n'avons  pas  à  détailler  maintenant.  Qu'il  suffise  de  dire 
que  des  lésions  locales,  n'intéressant  que  l'écorce  d'un  seul  Hémisphère  Cérébral, 
n'ont  jamais  paru  jusqu'ici,  chez  l'Homme,  nettement  associées  à  la  perte  de 
l'Odorat,  de  la  Vue,  ou  de  l'Ouïe  de  l'un  ou  de  l'autre  côté  du  corps*.  Cette 
circonstance  particulière  semble  spécialement  liée,  comme  l'auteur  l'a  signalé 
en  18742,  à  la  nature  double  du  Cerveau  et  à  la  connexion  de  chacun  de  ses 
Hémisphères  avec  les  ganglions  inférieurs,  ou  noyaux,  doubles  et  intimement 
unis,  de  chacun  des  Sens  Spéciaux. 

En  conséquence  d'un  tel  arrangement  anatomique,  un  seul  Hémisphère 
paraît  souvent,  fort  peu  de  temps  après  que  son  homologue  a  subi  une  blessure 
ou  est  devenu  malade,  capable  d'être  mis  en  relation  avec  les  impressions 
sensitives  des  deux  côtés  du  corps,  de  manière  que,  bien  que  les  h  centres 
pei'ceptifs  »  de  la  Vue,  de  l'Odorat  ou  de  l'Ouïe  puissent  être  détruits  dans  les 
circonvolutions  d'un  hémisphère,  il  ne  se  pi'oduit,  suivant  les  cas,  ni  cécité  de 
l'œil  opposé  ni  perte  unilatérale  de  l'ouïe  ou  de  l'odorat.  Il  est  tout  à  fait 
possible  qu'il  y  ait  d'abord  quelque  perte  ou  faiblesse  unilatérale  de  l'un  ou 
l'autre  des  sens  spéciaux,  lorsqu'un  de  ces  centres  est  endommagé  dans  les 
circonvolutions;  bien  que  ceci  puisse  aisément  passer  inaperçu  dans  les  pre- 
miers jours  d'une  maladie.  Le  défaut  d'observation,  sur  des  points  comme 
ceux-ci,  se  présente  très-communément  au  début  d'une  maladie  aiguë  du 
Cerveau,  soit  de  la  part  du  malade,  soit  de  celle  du  médecin.  Ainsi  que  Ferrier 
l'a  récemment  soutenu  avec  assez  de  justesse,  on  ne  pourrait  guère  remarquer 
ces  troubles,  ou  s'en  assurer,  à  moins  de  les  rechercher  d'une  manière  spéciale. 
Toutefois,  l'extrême  rareté  de  troubles  unilatéraux  de  l'Odorat,  de  la  Vue  ou  de 
l'Ouïe,  comme  effets  immédiats  associés  aux  maladies  ou  aux  blessures  d'un 
seul  des  hémisphères  du  Cerveau,  est  un  fait  très  remarquable,  sur  lequel  tous 
les  meilleurs  observateurs  sont  unanimes. 


Si  donc  on  veut  jeter  promptement  la  lumière  sur  cette  fort 
intéressante  question,  il  faut  avoir  recours  à  des  expériences  sur 
quelques  animaux.  De  ceux-ci,  les  Singes  sont  évidemment  ceux 
qui  conviennent  le  mieux,  à  cause  de  la  ressemblance  générale  qui 
existe  entre  le  Cerveau  de  ces  animaux  et  celui  de  l'Homme.  Des 
expériences  de  ce  genre  ont  été  faites,  avec  beaucoup  d'habileté  et 


1.  On  est  cependant  arrivé,  pour  l'odorat,  à  une  connaissance  approximative. 
Pour  se  reporter  aux  cas,  voyez  Ferrier,  Functions  of  the  Bra'm,  p.  101. 

2.  Lancet,  25  juillet  1874,  p.  111. 


\ 


EXPEHIENGES  DE  FERHIEn, 


155 


de  jugement,  par  le  docteur  Ferrier^,  aux  écrits  duquel  il  faut  ren- 
voyer le  lecteur,  pour  des  détails  complets  sur  ses  nombreuses 
observations  et  la  valeur  des  épreuves  adoptées.  Il  n'y  a  place  ici 
que  pour  un  bref  énoncé  des  résultats  et  des  conclusions  auxquelles 
il  est  arrivé. 

Ces  expériences  de  Ferrier  sont  supposées  par  lui  appuyer  la 
notion  que  des  Centres  Perceptifs^  d'aire  limitée,  et  topograpliique- 
ment  distincts  les  uns  des  autres,  existent  dans  l'écorce  des  Hémi- 
sphères Cérébraux.  Les  faits  qu'il  cite  n'entraînent  cependant  pas 


E  PL 


TSL 


FiG.  172.  —  Hémisphère  gauche  du  Cerveau  d'un  Singe  [Macacus).  A,  scissure  de  Syl- 
vius  ;  B,  sillon  de  Rohmdo;  C,  scissure  pariéto-occipitale  ou  perpendiculaire;  FL,  lobe 
frontal;  PL,  lobe  pariétal;  OL,  lobe  occipital;  TSL,  lobe  temporal;  F,  circonvolution 
frontale  supérieure;  F-,  ici.,  moj'enne,  F^,  ici.,  inférieure;  sf,  sillon  frontal  supérieur; 
if,  sillon  frontal  inférieur;  ap,  sillon  pariétal  antérieur  ;  AF,  circonvolution  ascen- 
dante frontale;  AP,  id.,  pariétale;  PPL,  lobule  postéro-pariétal;  AG,  circonvolution 
angulaire;  ip,  sillon  intra-pariétal;  T,  T^  T^,  circonvolutions  temporales,  supérieure, 
moyenne  et  inférieure;  <',  t'^,  sillons  temporaux  supérieur  et  inférieur;  O',  O^,  O', 
circonvolutions  occipitales,  supérieure,  moyenne  et  inférieure;  o",  o-,  première  et 
seconde  scissures  occipitales  (Ferrier). 


nécessairement  une  interprétation  de  cette  nature.  Ils  sont  tout  à 
fait  explicables  par  ce  que  nous  estimons  être  la  théorie  la  plus  pro- 
bable; c'est-à-dire,  en  supposant  que  ces  centres  ou  mécanismes 
perceptifs  ont  un  siège  diffus  et  sont  entremêlés  les  uns  avec  les 
autres.  Ceci  a  été,  en  effet,  signalé  par  le  professeur  Croom  Robertson, 
qui  dit  2  :  «  Il  n'y  a  donc  pas  d'improbabilité  intrinsèque  —  mais 
plutôt  l'inverse  —  dans  l'idée  que  les  impressions  reçues  par  un 


1.  Voy.  Philosoph.  Transact.  1875,  pi.  II,  et  The  Functions  of  the  Brain, 
1»877,  chap.  ix. 

2.  Voyez   une    analyse    de    l'ouvrage    du   D""   Fei'rier   dans    Mind,   1877, 
p.  96,  97. 


158 


PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 


organe  sensoriel  quelconque  sont  toutes  conduites  d'abord  à  une 
région  particulière  de  la  substance  corticale,  avant  d'être  mises  en 
relation  avec  d'autres  impressions  et  avec  des  impulsions  motrices, 
ou  d'être  élaborées  d'une  autre  manière  dans  le  cerveau.  Il  se  peut 
bien  qu'il  y  ait  dans  l'écorce  du  cerveau  des  régions  sensitives 
spéciales  et  que  le  docteur  Ferrier  ait  donné  la  première  indication 
sommaire  de  leur  situation.  »  Chaque  faisceau  de  fibres  sensitives 
pourrait,  en  réalité,  se  diriger  vers  quelque  point  particulier  de 
l'écorce  cérébrale,  d'où  les  fibres  pourraient  se  répandre  d'une 
manière  plus  ou  moins  étendue.  Ces  premières  stations  corticales  ou 


FO 


^ 


FiG.  173.  —  Face  interne  de  l'Hémisphère  Droit  d'un  Singe  (Macacus).  CC,  corps  calleux 
divisé;  C,  scissure  pariéto-occipitale  interne:  Cms,  scissure  calloso-marginale; 
Cf,  scissure  calcarine  ;  df,  scissure  dentée;  Cs,  scissure  collatérale;  GF,  gyrus  forni- 
catus  (circonvolution  du  corps  calleux)  ;  CM,  circonvolution  marginale  ;  GU,  circonvo- 
lution uncinée  ;  5,  crochet  ou  subicuhim  de  la  corne  d'Ammon  ;  Q,  lobule  quadrila- 
téral ;  Z,  cuneus;  FO,  lobule  orbitaire  (Ferrier). 


régions  d'où  les  fibres  sensitives  se  répandent  dans  différentes  direc- 
tions, peuvent  n'avoir  aucun  titre  réel  à  être  considérées  comme 
centres;  et  cependant  leur  destruction  ou  leur  excitation  peut 
amener  le  même  genre  de  résultats  que  si  c'étaient  des  centres 
réels  1.  Et,  vu  la  diffusion  subséquente  des  différentes  sortes  de 
fibres,  il  n'est  pas  vraisemblable  que  les  recherches  expérimentales 
révèlent  d'autres  régions  ayant  des  droits  semblables  à  être  regar- 
dées comme  Centres  Sensitifs.  Croom  Robertson  dit,  avec  raison, 
que  les   sensations   elles-mêmes  «   ne  peuvent  ni  être  supposées 

1.  C.  Robertson  remarque  avec  justesse  :  «  La  lésion  corticale  peut  absolu- 
ment empêcher  les  impressions  périphériques  d'arriver  à  la  conscience;  mais 
il  ne  s'ensuit  pas  que  le  dernier  acte  du  processus  nerveux  compris  dans  une 
sensation  consciente  du  toucher  soit  naturellement  accompli  là,  et  nulle  part 
ailleurs  dans  le  cerveau;  ou  que,  dans  toute  cette  région,  il  n'y  ait  de  travail 
accompli  que  ce  que  nous  appelons  (objectivement)  toucher.  » 


EXPÉRIENCES  DE  FERRIER  :  CENTRE   VISUEL, 


-157 


consommées  à  leur  première  station  corticale  ni  être  suivies  ou 
supposées  possibles  à  suivre  plus  loin,  par  aucun  des  procédés  expé- 
rimentaux employés  jusqu'ici.  » 

Bien  que  la  détermination,  par  Ferrier,  des  points  qui  sont  de  la 
plus  grande  importance  pour  chaque  Sens  demande  à  être  un  peu 
plus  confirmée  par  d'autres  travailleurs  qu'elle  ne  l'a  été  jusqu'ici, 
avant  qu'elle  puisse  être  finalement  acceptée  comme  correcte,  le 
discernement  et  l'habileté  avec  lesquels  ses  expériences  ont  été 
conduites  devraient  leur  assurer  l'épreuve  soigneuse  et  complète 
que  mérite  leur  importance. 

Des  expériences  bien  conduites  sur  les  animaux  sont  particuliè- 


FiG.  174.   —  Cerveau  de    Singe,  montrant  ombrée   l'aire  correspondante  au  centre  visuel 
de  l'écorce  de  l'Hémisphère  Gauche  (Ferrier). 

rement  nécessaires,  et  propres  à  jeter  la  lumière  sur  cet  obscur 
problème  de  la  localisation  possible  de  Centres  Perceptifs  dans  les 
Hémisphères  :  car,  lorsque  de  nombreux  essais  sur  les  effets  de  la 
stimulation  locale  ou  la  destruction  de  différentes  régions  de  l'Hémi- 
sphère peuvent  avoir  amené  l'expérimentateur  à  fixer  quelque  por- 
tion de  l'écorce  comme  siège  principal  dBiruaiie  ces  centres,  il  est 
désormais  en  son  pouvoir  de  produire  à  volonté  des  conditions  qui 
n'existent  presque  jamais  dans  le  cas  de  maladies  du  sujet  hu- 
main,—  c'est-à-dire  qu'il  peut  produire  des  destructions  symétriques 
dans  des  régions  correspondantes  des  deux  Hémisphères;  et,  sachant 
que  ces  lésions  existent  seules,  il  peut  ensuite  éprouver,  avec  le  plus 
grand  soin,  dans  quelles  conditions  se  trouve  l'animal,  sous  le 
rapport  de  la  faculté  sensorielle  que  l'on  suppose  avoir  contrariée. 


Si  nous  prenons  en  premier  lieu  le  sens  de  la  Vue,  nous  voyons 
Ferrier  localiser  son  Centre  Perceptif  dans  la  circonvolution  angu- 
laire et  une  partie  du  lobule  supra-marginal  (fig.  17Zt).  La  destruc- 


158 


PHRÉNOLOGIE  ANCIENNE  ET   NOUVELLE. 


tion  de  ces  parties  sur  un  seul  côté,  chez  un  animal  rendu  insen- 
sible par  le  chloroforme,  parut  amener  la  cécité  de  l'œil  opposé 
pendant  un  jour  ou  deux;  —  on  observait,  en  bandant  pendant  un 
certain  temps  l'autre  œil,  puis  enlevant  le  bandage,  de  manière  à 
voir  les  différences  qui  se  présentaient  dans  le  maintien  de  l'animal 
dans  ces  diverses  conditions.  Après  un  jour  ou  deux,  l'animal  en 
expérience  paraissait  voir  de  nouveau  avec  ses  deux  yeux.  Mais  si 
ces  régions  de  l'écorce  avaient  été  détruites  dans  les  deux  Hémi- 
sphères, l'animal  devenait  aveugle  des  deux  yeux  et  ne  recouvrait 
plus  la  faculté  de  voir.  Au  lieu  d'un  trouble  temporaire  du  côté 
opposé  à  la  lésion  unilatérale,  la  vue  de  l'animal  était  maintenant 
perdue  des  deux  côtés,  et  d'une  façon  permanente  ^ 


FiG.  175. —  Cerveau  de  Singe,  montrant  une  yire  ombrée,  correspondant  au  centre  audiiif, 
dans  l'écorce  de  l'Hémisphère  Cérébral  Droit  (Ferrior). 

Après  des  observations  comparatives  sur  les  effets  de  lésions 
destructives,  unilatérales  et  doubles,  Ferrier  localisa  le  Centre  Per- 
ceptif du  sens  de  VOiiïe  dans  la  moitié  supérieure  de  la  circonvolu- 
tion temporale  supérieure  (fig.  175).  Ici  également  la  destruction  de 
cette  région  dans  un  seul  Hémisphère  n'amenait  qu'une  surdité  tout 
à  fait  temporaire  de  l'oreille  opposée,  tandis  que  la  destruction  de 
cette  même  région  sur  les  deux  Hémisphères  amenait  une  surdité 


1.  Voyez  p.  49,  où  l'on  a  signalé  que,  dans  le  cerveau  du  professeur  de 
Morgan  il  n'y  avait  pas  de  différence  appréciable  dans  l'apparence  de  la 
circonvolution  angulaire  et  du  lobule  supra-marginal  des  deux  côtés  du 
cerveau  ;  bien  que  ce  célèbre  mathématicien  eût  perdu  la  vue,  d'ww  seul  côté, 
presque  depuis  sa  naissance.  En  outre,  dans  l'examen  du  cerveau  d'une 
femme  sourde  et  muette,  Broadbent  {Journal  of  Anatomy  and  Physiology, 
vol.  IV,  p.  218)  n'a  ni  signalé  ni  figuré  aucune  atrophie  spéciale  dans  les 
circonvolutions  temporales  supérieures. 


EXPÉRIENCES   DE  FERRIER  :  CENTRE  AUDITIF.  159 

totale  et  durable  des  deux  côtés.  Ferrier  dit,  en  parlant  d'un  des 
animaux  sur  lequel  il  étudia  ces  effets  i  : 

«  La  circonvolution  angulaire  venait  d'être  cautérisée  sur  le  côté  gauche, 
amenant  la  cécité  de  l'œil  droit  seulement,  et  sans  affecter  aucunement  l'ouïe 
ou  les  autres  sens.  La  circonvolution  temporo-spliénoïdale  fut  alors  découverte 
et  cautérisée  sur  les  deux  Hémisphères  ;  la  lésion,  comme  on  s'en  assura  à 
l'autopsie,  était  strictement  limitée  à  cette  région.  Après  que  l'animal  se  fut 
complètement  remis,  on  éprouva  à  plusieurs  reprises  les  divers  sens  et  les 
facultés  motrices.  Le  toucher,  le  goût  et  l'odorat  étaient  parfaits;  et  la  vue, 
comme  l'indiquaient  la  parfaite  liberté  de  mouvements  de  l'animal  et  son 
aptitude  à  trouver  sa  nourriture  et  sa  boisson,  était  pratiquement  sans  alté- 
ration, vingt-quatre  heures  après  l'opération.  Pour  ce  qui  regarde  l'ouïe,  il 
était  difficile  d'imaginer  une  épreuve  satisfaisante,  à  cause  de  la  vivacité  de 
l'animal  et  de  l'attention  qu'il  prêtait  à  tout  ce  qui  l'entourait.  Un  bruit  foi't, 
produit  tout  à  côté,  occasionna  un  tressaillement,  qui  toutefois  ne  pouvait  être 
pris  comme  une  preuve  de  perception  auditive,  en  tant  que  distincte  d'actions 
réflexes  2.,.  Pour  éviter  d'attirer  son  attention  par  la  vue,  je  me  retirai  derrière 
un&  porte,  et  j'observai  l'animal  par  une  fente,  pendant  qu'il  était  confortable- 
ment assis  devant  le  feu.  Lorsque  tout  fut  tranquille,  j'appelai  à  haute  voix, 
je  sifflai,  je  frappai,  etc.,  sans  attirer  l'attention  de  l'animal  sur  la  source  du 
bruit,  bien  qu'il  fût  parfaitement  éveillé  et  regardât  tout  autour  de  lui.  Lorsque 
je  m'approchais  de  lui  avec  précaution,  il  ne  se  rendait  pas  compte  de  mon  voi- 
sinage, jusqu'à  ce  que  j'arrivasse  dans  le  champ  de  la  vision  ;  ce  qui  le  faisait 
subitement  tressaillir  et  grimacer  de  frayeur.  En  répétant  ces  observations 
lorsque  le  singe  était  tranquillement  assis  avec  un  compagnon  de  son  espèce 
dont  les  facultés  auditives  étaient  indiscutables,  le  compagnon  tressaillait  à 
chaque  son  et  regardait  curieusement  pour  s'assurer  de  son  origine,  tandis  que 
l'autre  demeurait  tout  à  fait  tranquille.  » 

Pour  ce  qui  est  du  siège  du  Centre  Perceptif  dn  sens  de  VOdorat, 
nous  avons  des  indications  anatomiques  de  grande  valeur.  La  con- 
nexion delà  «  bandelette  olfactive»  avec  le  sommet  du  lobe  temporal 
(ou  la  continuité  véritable  qui  existe  entre  ces  parties  chez  beau- 
coup d'animaux)  pourrait,  comme  le  dit  Ferrier,  «  être  regardée 
en  elle-même  comme  donnant  des  bases  sérieuses  à  une  connexion 
physiologique  entre  cette  région  et  le  sens  de  l'odorat.  »  Il  ajoute  : 
«  Chez  le  Singe  et  chez  l'Homme,  la  connexion  directe  entre  la  racine 
externe  de  la  bandelette  olfactive,  relativement  petite,  et  le  subi- 


1.  Fonctions  of  the  Brain,  p.  174. 

2.  Ces  tressaillements,  déterminés  par  des  bruits  rapprochés,  doivent,  comme 
le  remarque  très  justement  Ferrier,  «  être  regardés  comme  des  phénomènes 
réflexes,  de  môme  nature  que  ceux  observés  par  Flourens  chez  des  pigeons 
privés  de  leurs  hémisphères,  lorsqu'on  tirait  un  coup  de  pistolet  tout  à  côté 
de  leur  tête.  » 


160  PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE   ET    NOUVELLE. 

culumi  n'est  point  aussi  évidente;  bien  que,  cliez  le  Singe,  elle  soit 
plus  apparente  que  chez  l'Homme.  L'origine,  dans  le  subiculum,  de 
cette  soi-disant  racine  est  toutefois  absolument  établie  par  l'examen 
microscopique.  » 

On  observa  qu'une  lésion  d'un  seul  subiculum  diminue  ou  abolit 
l'odorat  d'un  seul  côté  (celui  de  la  lésion),  confirmant  ainsi  la  rela- 
tion directe  indiquée  plus  haut.  Car,  ainsi  que  Ferrier  le  signale  ^  : 
«  Ni  les  racines  internes,  qui  se  confondent  avec  la  circonvolution  du 
corps  calleux  de  chaque  côté,  ni  les  racines  externes,  qui  sont 
réunies  avec  les  subicula  et  de  là,  par  les  piliers  postérieurs  de  la 
voûte,  avec  les  couches  optiques,  ne  subissent  de  décussation;  il  n'y 
a,  par  suite,  aucune  base  anatomique  à  une  connexion  croisée  entre 
les  bulbes  olfactifs  et  leurs  centres  cérébraux  ».  On  a  observé  que 
la  destruction  de  ces  deux  régions  amenait  la  perte  définitive  de 
rOdorat  des  deux  côtés  ^. 

Grâce  à  la  position  protégée  du  sommet  du  lobe  temporal,  on  vit 
qu'une  limitation  exacte  des  lésions  de  cette  région  est  presque 
impossible.  Aussi,  bien  que  Ferrier  croie  le  centre  du  GoiU  immédia- 
tement contigu  à  celui  de  l'Odorat,  c'est-à-dire  situé  dans  la  partie 
inférieure  de  la  circonvolution  temporo-sphénoïdale  moyenne^  au 
sommet  du  Lobe  Temporal,  il  est  incapable  de  parler  avec  autant  de 
certitude  au  sujet  de  cette  localisation.  «  L'abolition  du  goût,  dit-il, 
coïncidait  toujours  avec  la  destruction  de  régions  situées  en  relation 
intime  avec  le  subiculum  »  ;  tandis  que,  en  faveur  de  la  partie 
ci-dessus  désignée  comme  étant  le  centre  du  Goût,  il  remarque  que 
l'irritation  de  cette  portion  de  la  circonvolution  temporale  moyenne 
amène  des  mouvements  des  lèvres,  de  la  langue  et  des  joues,  qu'il 
regarde  comme  «  des  mouvements  réflexes  suivant  l'excitation  de  la 
sensation  gustative  ».  La  destruction  de  cette  région,  sur  un  seul 
€ôté,  produisit  une  perte  temporaire  ou  un  trouble  du  Goût  du 
€ôté  opposé  de  la  langue  ;  tandis  que  la  perte  de  ce  sens  devint 


1.  On  donne  ce  nom  à  la  partie  interne  du  sommet  du  lobe  temporal,  ou 
plus  précisément  au  sommet  de  la  circonvolution  uncinée  (corne  d'Ammon). 

2.  Loc.  cit.,  p.  185. 

3.  On  a  hasardé  (p.  120)  une  tentative  d'explication  de  ce  manque  de 
décussation  des  conducteurs  olfactifs.  Le  sens  de  l'Odorat  (dont  les  organes 
sont  situés  de  chaque  côté  de  la  ligne  médiane  du  corps)  est  précisément  le 
mode  de  sensibilité  qui  n'établit  aucune  distinction  entre  les  impressions 
venant  d'un  côté  ou  de  l'autre.  Il  ne  semble  donc  pas  vraisemblable  qu'un 
embarras,  ou  un  trouble  d'aucune  nature,  puisse  se  produire  par  suite  du  fait 
que  les  impressions  olfactives  de  la  narine  droite  seraient  mises  en  relation, 
dans  l'hémisphère  correspondant,  avec  les  impressions  gustatives,  visuelles, 
auditives  et  tactiles,  provenant  de  la  moitié  gauche  du  corps,  et  vice  versa. 


EXPÉRIENCES   DE    FERRIER  :  CENTRE   DE    L'ODORAT.       ICI 

complète,  double  et  permanente,  lorsque  la  même  partie  fut  détruite 
des  deux  côtés  ^. 

La  destruction  de  tout  le  sommet  de  l'un  des  lobes  temporaux 
produisit  une  perte  temporaire  de  l'Odorat,  du  même  côté,  et  du 
Goût,  du  côté  opposé. 

Pour  ce  qui  est  du  siège  du  centre  de  Sensibilité  Tactile  et 
Générale  j,  on  éprouva  d'abord  quelques  difficultés  à  s'arrêter 
sur  un  point  qui  parut  spécialement  lié  aux  impressions  de  cette 
nature.  Ferrier  dit  :  <(  Après  de  nombreuses  expériences,  dans  les- 
quelles la  surface  externe  presque  toute  entière  de  l'hémisphère 
avait  été  successivement  détruite  sans  amener  la  perte  du  sens  du 


FiG.  176.  —  Cerveau  de  Singe,  montrant  ombrée,  dans  le  lobe  temporal,  l'aire  dont  la 
destruction  entraîna  la  perte  de  l'Odorat,  du  même  côté,  et  du  Goût,  du  côté  opposé 
(Ferrier). 

toucher,  il  me  semblait  étrange  qu'un  sens  aussi  important  au  point 
de  vue  intellectuel  n'eût  point,  comme  les  autres,  un  centre  spécial 
dans  l'hémisphère.  Mon  attention  fut  donc  dirigée  sur  le  côté  interne 
du  lobe  temporo-sphénoïdal  et  sur  le  moyen  d'atteindre  et  de 
détruire  cette  région  ».  Ferrier  réussit  bientôt  à  atteindre  cette 
région  par  l'arrière;  et  ses  expériences  subséquentes  l'amenèrent  à 
regarder  spécialement  le  grand  hippocampe  et  la  circonvolutio7i  un- 
cinée  sus-jacente  comme  centres  des  Impressions  Tactiles  (fig.  177). 
La  destruction  de  cette  région  amène  une  perte  complète  de  la  sensi- 
bilité de  la  moitié  opposée  du  corps;  et  cette  perte  est  d'un  caractère 
plus  durable  que  la  diminution  qui  se  présente  dans  les  autres  modes 
de  sensibilité  après  la  destruction  unilatérale  de  leurs  centres  dans 


1.  Ferrier  dit  :  «  Avec  l'abolition  du  goût,  la  sensibilité  cutanée  de  la  langue 
fut  aussi  abolie,  —  fait  qui  prouve  l'association  dans  l'hémispbère  des  centres 
de  sensation  tactile  et  de  sensation  spéciale  de  la  langue  ».  {Loc.cit.,  p.  189.) 


Charlton-Bastian.  —  II. 


162 


PHRÉNOLOGIE   ANCIENNE   ET  NOUVELLE. 


les  circonvolutions,—  résultat  qui  est  jusque-là  parfaitement  d'accord 
avec  ce  que  l'on  peut  fréquemment  reconnaître  chez  l'Homme, 
comme  effet  de  maladies  cérébrales  ^ 

Quant  à  la  manière  de  prouver  l'existence  ou  l'absence  de  la  Sen- 
sibilité Tactile  chez  l'animal  en  observation,  on  rencontre  le  même 
genre  de  difficulté  que  pour  les  autres  sens,  grâce  à  l'incertitude  qui 
entoure  la  distinction  à  établir  entre  une  simple  réaction  réflexe  à 
une  excitation,  et  celle  qui  résulte  d'une  perception  consciente. 
Ferrier  «  s'efforça  donc  d'employer  des  moyens  qui  lui  permissent 
de  distinguer  clairement  entre  les  deux  cas;  comptant  plus  sur  les 
preuves  fournies  par  l'activité  spontanée  de  l'animal  que  sur  de 
simples  réponses  à  des  excitations  cutanées». 

Il  opéra  sur  un  Singe  qui  était  surtout  gaucher,  c'est-à-dire 


FiG.  ni.— Face  interne  de  l'Hémisphère  droit  du  Cerveau  d'un  Singe,  montrant  une  aire 
fortement  ombrée  correspondant  au  centre  tactile;  et  des  lignes  pointillées,  indiquant  la 
direction  dans  laquelle  un  instrument  fut  enfoncé  pour  détruire  cette  partie  (Ferrier). 

qui  prenait  de  préférence  de  la  main  gauche  les  objets  qu'on  lui 
offrait.  «  Pour  cette  raison,  on  détruisit  la  région  de  l'hippocampe 
droit,  en  vue  d'affecter  le  sens  du  toucher  dans  le  membre  que 
l'animal  employait  ordinairement  ».  Voici  comment  Ferrier  décrit 
les  résultats  obtenus^  : 

«  Après  que  l'animal  fut  revenu  de  l'opération  et  de  la  stupeur  narcotique, 
on  trouva  que  la  vue  et  l'ouïe  n'étaient  pas  troublées  et  que  l'intelligence  était 
aussi  vive  et  aussi  active  qu'auparavant.  Mais  l'excitation  cutanée,  produite 
par  les  piqûres,  les  pincements  ou  une  chaleur  cuisante,  suffisante  pour  causeï^ 
des  manifestations  fort  vives  de  sensibilité  lorsqu'on  les  appliquait  sur  le  côté 
droit  du  corps,  n'amenaient  en  général  aucune  réaction  du  côté  gauche  de  la 
face  ou  des  membres  de  ce  côté.  Parfois  seulement,  lorsque  l'excitation  était 
intense  ou  longtemps  continuée,  il  s'ensuivait  une  réaction.  Cette  absence 
tout  à  fait  remarquable  de  réponse  d'aucun  genre  rendait  l'annihilation  de  la 


1.  Paralysis  from  Brain  Disease.  1875,  p.  109-121. 

2.  Loc.  cit.,  p.  Vi9. 


EXPÉRIENCES   DE   FERRIER  :  CENTRE   TACTILE.  163 

sensibilité  tactile  presque  complètement  sûre,  sans  qu'il  fût  besoin  d'autre 
preuve.  » 

Il  existait  aussi  une  altération  dans  le  caractère  des  Mouvements 
que  pouvaient  exécuter  les  membres  gauclies,  altération  que  Terrier 
croit  «due  à  la  perte  de  la  sensation  tactile  par  laquelle  les  mouve- 
ments sont  guidés  ».  Toutefois,  en  présence  de  beaucoup  de  preuves 
récentes,  il  semble  plus  que  douteux  que  Vataxie  du  Mouvement  soit 
nécessairement,  ou  même  jamais,  occasionnée  par  une  simple  perte 
de  la  sensibilité  cutanée  (Voy.  p.  196  et  286). 

Mais  il  devient  ici  nécessaire  de  faire  une  digression,  à  cause  de 
la  nature  complexe  des  Sensibilités  Tactile  et  Générale  et  de  leurs 
relations  avec  ce  qu'on  nomme  le  sixième  sens,  ou  Sens  Musculaire. 
Il  serait  fort  important  d'arriver,  si  possible,  à  des  notions  définies 
sur  ce  qui  touche  à  cette  dernière  faculté,  afin  que  nous  puissions 
apprendre  jusqu'où  est  vraie  l'existence  de  quelque  chose  digne  de  ce 
nom,  à  part  des  divers  modes  de  Sensibilité  Tactile  et  Générale,  — 
et  aussi,  incidemment, quel  est  le  mode  de  sensibilité  qui  guide  sur- 
tout les  Mouvements. 

Sous  le  titre  de  Sensibilité  Tactile  et  Commune  il  faut  com- 
prendre un  grand  nombre  de  sortes  d'Impressions  plus  ou  moins 
distinctes  les  unes  des  autres.  On  peut  les  arranger  ainsi  en  forme 
de  tableau  : 

I  1.  Impressions  tactiles  proprement  dites. 
a.  Delà  Peau  et  des  Mem-\  2.  Impressions  de  contact  et  de  pression. 
branes  muqueuses.      i  3.  Impressions  de  température. 
f  4.  Impressions  de  douleur. 

b   Des  Muscles.  j  ■^*  I™Pï"essions  (mal  définies)  d'effort  ou  de  tension. 

I  2.  Impressions  de  douleurs  (rares). 

c.  Des  Aponévroses ,    Ten-  i  l.  Impressions  (mal  définies)  d'effort  ou  de  pression. 
dons  et  Os.  j  2.  Impressions  de  douleur  (rares). 

,  ^      -r^.    ,  il-  Impressions  de  contact  ou  de  pression  (rares). 

a.  Des  Viscères.  loi  ■        jji        /i  ^ 

(  2.  Impressions  de  douleur  (plus  communes). 

On  trouve  que  les  différents  modes  de  sensibilité  de  la  Peau  et 
des  Membranes  Muqueuses  varient  d'acuité  dans  certaines  maladies 
de  la  Moelle  ou  du  Cerveau,  sans  garder  aucune  relation  entre  eux. 
Ainsi  la  faculté  de  discerner  entre  le  chaud  et  le  froid,  ou  la  sensi- 
bilité aux  impressions  douloureuses,  peuvent  être  abolies,  soit  sépa- 
l'ément,  soit  ensemble,  dans  des  parties  qui  demeurent  sensibles 
aux  impressions  de  contact  (sensibilité  tactile  ou  toucher  propre- 
ment dit),  ou  vice  versa.  Aussi  quelques  physiologistes  distingués 
croient  que  ces  différentes  sortes  d'Impressions  sont  conduites  par 
des  fibres  nerveuses  séparées;  tandis  que  d'autres,  qui  appuient  leur 


164  PHRÉNOLOGIE  ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 

opinion  d'autant  de  preuves,  considèrent  que  les  mêmes  fibres 
nerveuses  sont  capables  d'être  impressionnées  de  manière  différente, 
de  façon  à  conduire  diverses  sortes  de  vibrations  moléculaires,  —  et 
à  donner  ainsi  naissance  à  des  impressions  dont  les  phases  subjec- 
tives diffèrent  au  point  qu'on  a  dit  plus  haut. 

En  laissant  là  les  considérations  de  cette  nature,  il  nous  faut 
envisager  la  série  des  questions  beaucoup  plus  importantes,  mais  qui 
cependant  s'y  rapportent,  concernant  Texistence,  la  nature  et  l'o- 
rigine d'une  faculté  séparée,  désignée  ordinairement  sous  le  nom 
de  Sens  Musculaire.  Ces  questions  ont  beaucoup  occupé  l'attention 
des  physiologistes,  pathologistes  et  psychologues  —  surtout  de 
ceux-ci  —pendant  ces  dernières  années.  Les  psychologues, en  elïet, 
attachent  une  telle  importance  aux  impressions  du  Sens  Musculaire, 
qu'il  devient  par-dessus  tout  nécessaire  d'avoir  des  notions  claires 
et  compréhensives  sur  la  nature  véritable  d'une  faculté  de  ce  genre. 
Le  professeur  Bain,  par  exemple ,  soutient  qu'à  moins  que  l'on 
n'adopte  certaines  opinions  sur  le  sens  musculaire,  —  à  moins  qu'on 
ne  le  considère  comme  un  mode  actif,  ainsi  qu'il  l'appelle,  de  sensi- 
bilité, dépendant  directement  des  nerfs  moteurs  et  des  centres 
moteurs,  —  «  la  distinction  la  plus  essentielle  qui  existe  dans  la 
sphère  de  l'esprit  est  dénuée  de  toute  base  physiologique  ^.  »  Ceci 
peut  être  ou  ne  pas  être  vrai  ;  mais,  en  tous  cas,  cela  montre  l'im- 
portance qu'il  y  a  à  arriver  à  des  notions  correctes  sur  une  faculté 
de  la  nature  de  laquelle  on  fait  dépendre  tant  de  doctrines  philoso- 
phiques. Croom  Robertson  a  aussi  parlé  dernièrement  ^  du  sujet, 
comme  «  de  première  importance  pour  la  psychologie  d'aujour- 
d'hui. »  (Voyez  l'appendice  à  la  fin  du  volume,  p.  278.) 

Les  opinions  exprimées,  à  différentes  époques  sur  le  Sens  Muscu- 
laire et  les  moyens  par  lesquels  nous  apprécions  la  résistance,  ont 
été  si  variées  et  si  contradictoires  qu'il  est  presque  impossible  de 
donner  à  celui  qui  étudie  cette  question  quelques  notions  exactes 
des  problèmes  réels  qui  demandent  une  solution,  sans  donner  en 
même  temps  quelques  notes  historiques,  exposant  les  diverses 
opinions  que  l'on  a  émises  sur  ce  sujet.  Quelques-unes  de  ces  notes, 
de  date  plus  ancienne,  ont  été  originairement  fournies  par  Sir 
William  Hamilton  ;  mais,  comme  on  a  récemment  jeté  beaucoup  de 
lumière  sur  ces  sujets  par  l'observation  de  cas  d'Hémianesthésie 
chez  l'homme,  il  convient,  et  même  il  est  nécessaire,  sous  tous  les 
rapports,  de  reprendre  la  question  entière.  Ceci  a  été  fait; 
mais,  comme  la  discussion  de  la  question  constitue  une  digression 
trop  longue  pour  trouver  place  dans  ce  chapitre,  et  qu'elle  est  évi- 

1.  Sensés  and  Intellect.  3^  éd.,  p.  77. 

2.  Mind.  1877,  p.  98. 


SENS    MUSCULAIRE.  165 

demment  d'une  nature  technique,  j'ai  pensé  qu'il  valait  mieux  la 
reléguer  dans  un  Appendice  et  ne  présenter  ici  que  l'opinion  qui 
semble  la  mieux  appuyée  par  les  preuves  que  l'on  y  produit,  ainsi 
que  quelques  suggestions  qui  arriveront  peut-être  à  éviter  la  con- 
fusion dans  l'avenir. 

La  conclusion  à  laquelle  on  est  arrivé  est  qu'il  faut  abolir  le 
terme  de  Sens  Musculaire,  comme  induisant  en  erreur,  sous  divers 
rapports,  lorsqu'on  l'applique  (comme  on  le  fait  souvent)  avec  des 
significations  totalement  distinctes,  se  rapportant  en  partie  à  quel- 
ques-unes et  en  partie  à  toutes  les  impressions  qui  nous  viennent 
de  nos  membres  en  mouvement  ou  des  Mouvements  en  général. 
Nous  pouvons,  avec  beaucoup  plus  de  raison  et  de  commodité,  en 
face  de  tous  les  désaccords  relatifs  au  sens  musculaire  \  parler 
d'un  Sens  de  Mouvement  comme  d'une  faculté  séparée,  de  nature 
complexe,  par  laquelle  nous  sommes  informés  de  la  position  et  des 
mouvements  de  nos  membres,  par  laquelle  nous  pouvons  juger  du 
'poids  et  de  la  résistance,  et  par  laquelle  le  Cerveau  est  en  grande 
partie  guidé,  d'une  manière  inconsciente,  dans  l'accomplissement 
des  Mouvements  en  général,  mais  surtout  de  ceux  du  type  automa- 
tique. Des  Impressions  de  diverses  sortes  se  combinent  pour  parfaire 
ce  «sens  de  mouvement»;  et  son  siège  cérébral,  ou  aire,  coïncide  en 
partie  avec  celle  du  sens  du  Toucher.  Il  comprend,  comme  compo- 
santes, des  impressions  cutanées  et  des  impressions  qui  viennent 
des  muscles  et  d'autres  tissus  profonds  des  membres  (aponévrose?, 
tendons  et  surfaces  articulaires)  qui,  tous,  donnent  naissance  à 
des  Impressions  Conscientes,  plus  ou  moins  définies;  et  il  semble  y 
avoir  en  outre  une  série  fort  importante  d'Impressions  non  senties, 
qui  guident  l'activité  motrice  du  Cerveau,  en  le  mettant  automati- 
quement en  rapport  avec  les  différents  degrés  de  contraction  de 
tous  les  Muscles  qui  peuvent  être  en  état  d'action. 

Des  impressions  de  ce  genre,  ainsi  groupées,  diffèrent  de  celles 
de  toutes  les  autres  Facultés  Sensorielles  en  ce  qu'elles  sont,  tout 
d'abord  résultats,  plutôt  que  causes  de  Mouvement;  et  ne  sont 
ensuite  employées  que  comme  guides  pour  provoquer  la  continua- 
tion des  Mouvements  déjà  commencés  (vol.  I^"",  p.  5/t).  Mais,  dans 
d'autres  cas,  la  résurrection  en  idée  de  quelques  impressions  de  cette 
nature  coopérera  avec  certains  stimuli  sensoriels  ou  volitionnels , 
pour  renouveler  des  mouvements  déjà  exécutés  à  quelque  époque 
antérieure. 

Ferrier  estime  que  ses  expériences  montrent  que  les  sensibilités 

1.  Ou  en  un  seul  mot  Kinœsthesis  (de  xivéw,  mouvoir,  et  ai<T8Yic7t;,  sensa- 
tion). Parler  d'un  centre  Kinesthétique  sera  à  coup  sûr  bien  plus  commode 
que  de  parler  d'un  centre  du  se7is  de  mouvement. 


166  PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE    ET    NOUVELLE. 

appartenant  aux  Muscles,  aux  Aponévroses,  aux  Tendons  et  aux 
Articulations,  dépendent  d'Impressions  qui  se  répandent  dans  la 
même  aire  corticale  qui  est  en  rapport  avec  les  Impressions  Cutanées 
plus  superficielles^  et  en  repartent.  Il  croit  que  tous  ces  modes  de 
Sensibilité  Tactile  et  Commune  ont  été  troublés  ou  abolis  ensemble 
par  certaines  lésions  corticales,  ainsi  que  par  celles  de  la  partie 
postérieure  de  la  capsule  interne. 

Il  est  cependant  tout  à  fait  possible  de  trouver,  dans  certaines 
maladies  de  la  Moelle,  la  sensibilité  de  la  Peau  altérée  ou  perdue, 
tandis  que  celle  des  Muscles  et  d'autres  tissus  profonds  est  conser- 
vée; dans  d'autres  cas,  la  sensibilité  de  la  Peau  peut  être  conservée, 
tandis  que  celle  des  Muscles  est  perdue  *  ;  dans  d'autres  cas  encore, 
la  sensibilité  ordinaire  superficielle  et  profonde  peut  être  conservée, 
tandisque lepassagedes  impressions  mconscien^es, venant  desMuscles, 
et  dont  nous  avons  déjà  parlé,  peut  être  plus  ou  moins  gêné;  de 
sorte  que,  dans  ce  cas,  bien  qu'il  n'y  ait  paralysie  ni  motrice 
ni  sensitive,  il  peut  y  avoir  une  inaptitude  à  coordonner  les  Mou- 
vements sans  l'aide  de  la  vue  ^. 

Pour  ce  qui  est  des  Impressions  Viscérales,  le  lecteur  doit  bien 
savoir  qu'il  n'est  pas  habituellement  reçu  de  sensations  provenant 
des  organes  internes,  et  que  l'on  n'éprouve  que  des  impressions 
vagues,  se  présentant  par  intervalles,  aussi  longtemps  que  ces  organes 
demeurent  à  l'état  de  santé.  On  peut  toutefois  bien  prouver,  d'une 
manière  indirecte,  que  des  impressions  se  rendent  ordinairement 
de  quelques-uns  des  viscères  au  Cerveau,  bien  qu'elles  demeurent 
inconscientes.  Des  impressions  systémiques  sont,  de  cette  manière, 
capables  d'exercer  une  influence  importante  sur  le  courant  général 
de  nos  pensées  et  de  nos  émotions,  et  peuvent  aussi  modifier,  à  un 
degré  marqué,  l'activité  du  Cerveau  dans  les  sphères  d'un  ou  plu- 
sieurs Sens  Spéciaux.  Ainsi,  bien  qu'elles  ne  soient  point  elles-mêmes 
accompagnées  de  conscience,  il  est  indiscutablement  vrai  que 
diverses  impressions  viscérales  modifient  puissamment  la  Vie  Con- 
sciente des  animaux  inférieurs,  aussi  bien  que  celle  de  l'Homme. 

Il  est  donc  plus  que  probable  que  ces  Impressions  Systémiques 
passent  par  des  routes  définies  à  travers  le  Bulbe  et  les  parties  infé- 
rieures du  Cerveau  ;  et,  de  là,  montent  à  quelque  région  définie  de 
l'Écorce  Cérébrale,  d'où  elles  rayonnent  peut-être  dans  diverses 
directions.  Le  fait  que  les  impressions  sont  d'un  type  inconscient 
ne  doit  pas  faire  douter  qu'elles  n'atteignent  l'Écorce  Cérébrale. 
Les  probabilités  sont  au  contraire  grandement  en  faveur  de  cette 
supposition. 

1.  Jaccoud,  Les  Paraplégies  et  l'Ataxie,  1864. 

2.  Landry,  Traité  des  Paralysies,  1859. 


IMPRESSIONS    VISCÉRALES.  167 

On  ignore  toutefois,  pour  le  moment,  quelles  sont  les  parties  de 
l''Écorce  où  se  rendent  surtout  ces  impressions.  Ferrier  incline  à 
croire  qu'elles  vont  aux  Lobes  Occipitaux,  mais  la  preuve  qu'il  invoque 
semble  à  l'auteur  incapable  d'appuyer  une  pareille  conclusion  ;  et 
Terrier  lui-même  n'insiste  pas  beaucoup  sur  ce  pointa  A  part  toute- 
fois la  nature  douteuse  de  la  preuve  spéciale  sur  laquelle  Ferrier 
base  son  opinion  sur  la  localisation  cérébrale  des  Impressions  Vis- 
cérales, cette  conclusion  ne  se  recommande  point  très  fortement,  si 
on  la  juge  d'après  l'évidence  générale  accessible  à  tous.  Il  ne  semble 
guère,  en  effet,  que  l'on  ait  des  motifs  suffisants  pour  croire  que  des 
impressions  aussi  primordiales  que  le  sont  les  impressions  systé- 
miques,  dans  toute  la  Série  des  Vertébrés  (et  qui  semblent  dimi- 
nuer plutôt  que  croître  en  importance  chez  les  membres  supérieurs 
de  la  série),  doivent  avoir  surtout  affaire  à  une  des  portions  déve- 
loppées en  dernier  lieu  et  des  plus  spécialisées  du  Cerveau.  Assuré- 
ment, cette  évidence  générale,  comme  l'auteur  l'a  déjà  signalé 
ailleurs,  tend  plutôt  à  attribuer  la  complication  proportionnelle- 
ment plus  grande  des  Lobes  Occipitaux  à  la  plus  grande  Activité 
Intellectuelle  dont  l'animal  est  capable  ^.  Cette  dernière  idée  a  été 
également  appuyée  par  le  D''  Hughlings  Jackson  et  autres,  à  cause 
de  la  manière  dont  elle  s'accorde  avec  un  grand  nombre  de  faits 
présentés  par  des  personnes  atteintes  de  maladies  du  Cerveau. 

Il  ne  s'ensuit  aucunement  que  les  Impressions  Viscérales  prove- 
nant des  deux  côtés  du  corps  doivent,  comme  la  majorité  des 
impressions  sensitives,  s'entrecroiser  en  quelque  point  de  leur 
course  vers  les  Hémisphères  Cérébraux.  Il  ne  résulterait  point  un 
avantage  semblable  de  la  décussation  de  ces  impressions.  D'abord  on 
ne  rencontre  point,  dans  les  Viscères,  une  symétrie  bilatérale  uni- 
forme; et,  en  second  lieu,  si  l'entrecroisement  des  autres  con- 
ducteurs sensitifs  a  été  amené  de  la  manière  que  nous  avons  tenté 
d'indiquer  (p.  116),  il  n'y  aurait  aucun  but  à  une  décussation  sem- 
blable des  Impressions  Viscérales.  Ceci  est  évident  lorsque  nous  con- 
sidérons que  les  impressions  viscérales  n'entraînent  aucunetendance 
ou  aucun  besoin  d'évoquer  l'activité  d'un  seul  côté  du  corps.  Pour 
autant  qu'elles  passent  au  Cerveau  et  excitent  l'action  des  organes 
de  relation,  elles  sembleraient  n'agir  que  par  l'intermédiaire  d'im- 
pressions provenant  des  Sens  Spéciaux,  dont  les  centres  ont  été 
éveillés,  et  rendus  plus  réceptifs  par  leur  mise  en  relation  avec  des 
Impressions  Viscérales  distinctes,  bien  qu'inconscientes. 

1.  Functions  of  the  Brain,  p.  192. 

2.  The  Human  Brain.  Macmillan's  Magazine,  nov.  1865.  Il  paraît  que  la 
même  opinion  a  été  mise  en  avant  par  le  D''  Carpenter,  dans  :  Brit.  and  For. 
Med.  Cliir.  Review.  Oct.  1846. 


168  PHRÉNOLOGIE    ANCIENNE  ET    NOUVELLE. 

11  semblerait  en  effet,  d'après  quelques  observations  qui  ont  déjà 
été  faites,  que,  dans  beaucoup  de  cas  d'Hémianesthésie,  les  viscères 
demeurent  au  moins  aussi  sensibles  que  jamais  à  une  forte  pression 
exercée  sur  les  deux  côtés  du  corps;  et  ceci  indiquerait  naturelle- 
ment que  les  conducteurs  cérébraux  de  ces  impressions  ne  s'entre- 
mêlent pas,  dans  la  région  de  la  capsule  interne,  avec  ceux  des 
autres  modes  de  sensibilité. 

Et,  bien  que  leurs  Centres  puissent  aussi  être  situés  en  des  lieux 
différents,  il  est  à  peu  près  certain  que  les  Impressions  Viscérales 
peuvent,  soit  rayonner  dans  quelques  parties  de  la  province  de 
chacun  des  Sens  Spéciaux,  soit  être  mis  en  connexion  intime  avec 
elles,  puisqu'elles  agissent  si  fréquemment  les  unes  sur  les  autres 
de  la  manière  indiquée.  Cette  action  réciproque  n'a  pas  lieu  toute- 
fois que  dans  une  seule  direction.  Il  y  a,  de  la  part  de  VAppétit 
Sexuel,  comme  le  remarque  le  professeur  Bain,  «  une  susceptibilité 
de  s'enflammer  par  un  grand  nombre  de  côtés,  par  tous  les  sens, 
par  des  séries  de  pensées  et  par  des  émotions  qui  ne  sont  point 
des  sensations.  »  A  un  degré  moindre, une  inflammabilité  semblable 
par  les  impressions  sensorielles  existe  aussi  à  l'égard  de  VAppétit 
pour  la  Nourriture. 


CHAPITRE  XXVI 


VOLONTE    ET    MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 


«  Nous  trouvons  en  nous-mêmes,  dit  Locke  (1690),  un  Pouvoir 
de  commencer  ou  de  différer,  de  continuer  ou  de  cesser  diverses 
Actions  de  notre  Esprit,  ou  divers  Mouvements  de  notre  Corps,  par 
une  simple  Pensée  ou  un  simple  choix  de  notre  Esprit.  » 

Le  champ  de  cette  aptitude,  qui  porte  le  nom  de  «  Volonté  »  ou 
«  Volition  »,  est  assez  clairement  indiqué  ici  par  celui  qu'on  peut 
appeler  le  père  de  notre  Psychologie  moderne. 

Pour  ce  qui  est  de  la  seconde  des  sphères  sus-mentionnées  de 
l'exercice  de  la  Volonté,  c'est-à-dire  son  influence  sur  les  Mouve- 
ments de  notre  Corps,  Locke  ne  s'aventura  dans  aucun  détail;  et, 
même  à  une  époque  de  beaucoup  postérieure,  Hume  [illxl)  n'était 
encore  capable  que  de  proclamer  l'ignorance  complète  et,  croyait- 
il,  sans  espoir,  qui  régnait  sur  ce  point.  «  Le  Mouvement  de  notre 
corps,  dit-il,  suit  le  commandement  de  notre  Volonté.  De  ceci,  nous 
sommes  à  tout  moment  conscients.  Mais  les  moyens  par  lesquels 
ceci  s'effectue,  .l'énergie  par  laquelle  la  Volonté  accomplit  une  opé- 
ration aussi  extraordinaire,  nous  sommes  si  loin  d'en  être  immédia- 
tement conscients,  qu'ils  échapperont  toujours  à  nos  recherches 
les  plus  empressées.  » 

Hartley,  dans  Observations  on  Man,  publiées  une  année  seulement 
après  VInquiry  de  Hume,  fit  toutefois  quelques  remarques  pleines 
de  valeur  et  de  sagacité  sur  les  causes,  les  modes  d'acquisition  et 
les  relations  mutuelles  des  divers  genres  de  Mouvements  que  nous 
sommes  capables  d'exécuter.  Les  observations  étaient  si  justes, 
qu'elles  forment  encore  la  base  de  notre  savoir  sur  le  sujet. 

Hartley  chercha  aussi,  bien  qu'avec  moins  de  succès,  à  faire  une 
première  classification  grossière  des  Mouvements,  au  point  de  vue 
de  l'état,  ou  processus  mental,  dont  ils  sont  précédés,  lorsqu'il  dit  : 

—  «  Des  deux  sortes  de  Mouvements  —  Automatique  et  Volontaire 

—  la  première  dépend  des  Sensations;  la  seconde,  des  Idées.  » 
Ceci,  même  en  tenant  compte  de  certaines  restrictions  néces- 


170  VOLONTÉ   ET  MOUVEMENTS    VOLONTA  Ili  ES. 

saires,  auxquelles  Hartley  eût  lui-même  donné  son  assentiment,  ne 
saurait  être  regardé  comme  une  généralisation  très  correcte.  Quel- 
ques actions  automatiques,  comme  celle  du  Cœur,  des  Intes- 
tins et  d'autres  viscères,  sont  dues  à  des  Impressions  non  senties^^ 
que  l'on  peut  à  peine  appeler  Sensations;  tandis  que  d'autres  sont 
excitées  ,parces  sentiments,  «commencés  intérieurement»,  connus 
sous  le  nom  d'Émotions,  et  qui  tiennent  plus  des  Idées  que  des 
Sensations.  En  outre,  les  Idées  provoquent  parfois  des  mouvements 
automatiques,  comme  lorsque  —  pour  citer  seulement  un  des  cas 
les  plus  nets  —  une  Idée  comique  nous  pousse  au  Rire;  bien  que, 
dans  une  multitude  d'autres  cas,  il  soit  parfaitement  vrai  que  des 
idées  soient  les  premiers  excitants  de  Mouvements  Volontaires.  On 
rencontre  en  outre,  entre  ces  extrêmes,  un  grand  nombre  de  gra- 
dations insensibles;  il  y  a,  par  exemple,  des  mouvements  que  l'on 
peut  à  peine  appeler  Automatiques  et  que,  cependant,  les  physiolo- 
gistes ont  aussi  jugé  à  propos  de  séparer  de  la  catégorie  des  Mou- 
vements strictement  Volontaires,  —  comme  ils  l'ont  montré  en  leur 
appliquant  l'épithète  d'idéo-inoteurs. 

Ces  actions,  qui  sont  d'abord  Volontaires,  tendent,  au  bout  d'an 
certain  temps,  lorsqu'elles  ont  été  fréquemment  répétées,  à  devenir 
réellement  Automatiques.  Hartley  en  avait,  à  coup  sûr,  parfaitement 
connaissance.  Ce  fut  lui  qui  proposa  le  premier  de  classer  ces  Actions 
comme  Autornatiques  Secondaires,  en  opposition  à  celles  de  sa  caté- 
gorie des  Automatiques  Primaires,  —  qui  comprenait  les  Actions  que 
l'individu  a,  dès  la  première  fois,  accomplies  d'une  manière  auto- 
matique. Il  essaya  de  formuler  quelques-unes  des  bases  de  distinc- 
tion entre  les  Actions  Volontaires  et  celles  qui,  dit-il,  «  doivent  être 
regardées  comme  de  moins  en  moins  volontaires,  à  demi  volon- 
taires ou  à  peine  volontaires.  » 

Ce  dernier  sujet  fut,  toutefois,  discuté  d'une  manière  plus  effi- 
cace, à  une  époque  postérieure,  par  James  Mill.  Il  est  d'importance 
considérable,  puisqu'il  implique  une  tentative  de  découvrir  la  nature 
réelle,  ou  les  éléments  constituants  de  cette  phase  de  l'Esprit  que 
nous  nommons  Volition.  Sur  ce  sujet,  James  Mill  avance  les  opi- 
nions suivantes  ^  : 

«  Il  semble  que  rien  ne  distingue  les  cas  volontaires  des  involontaires; 
sauf  que  dans  les  premiers  il  existe  un  Désir.  En  versant  des  pleurs  au  récit 
d'une  scène  tragique,  nous  ne  désirons  pas  pleurer;  en  riant  au  récit  d'une 
histoire  comique,  nous  ne  désirons  point  rire.  Mais,  lorsque  nous  élevons  le 
bras  pour  parer  un  coup,  nous  désirons  lever  le  bras  ;  lorsque  nous  tournons 
la  tête  pour  regarder  quelque  objet  attractif,  nous  désirons   tourner  la  tête, 

1.  Analysis  of  the  Human  Minci,  1830,  p.  279. 


THÉORIES    DE    JAMES    MILL.  471 

Je  crois  que  l'on  ne  pourrait  citer  un  seul  cas  d'action  volontaire  dans  lequel 
il  n'y  ait  pas  une  expression  appropriée  pour  désigner  l'action  désirée. 

Si  donc  il  s'interpose,  entre  une  Sensation  ou  une  Idée  et  le 
Mouvement  qu'elle  peut  évoquer,  un  sentiment  d'un  ordre  émotion- 
nel connu  sous  le  nom  de  Déùr,  un  mouvement  qui  aurait  été  dé- 
signé comme  Seiisori-moteur  ou  Weo-«^o^e«fr^  a  droit  au  titre  de  Mou- 
vement Volontaire^  C'est  là  la  première  et  la  plus  importante  dis- 
tinction établie  par  James  Mill.  Mais,  comme  le  même  philosophe 
le  signale  ensuite,  il  y  a  encore  quelque  autre  chose  qui  accom- 
pagne ou  suit  immédiatement  l'émotion  de  Désir,  — c'est-à-dire  une 
Idée  ou  Conception  du  genre  de  Mouvement  nécessaire  à  la  satisfac- 
tion du  Désir, 

II  paraît  donc  généralement  admis  par  les  philosophes  cités  ci- 
dessus,  ainsi  que  par  d'autres,  que  les  mouvements  de  notre  corps 
sont  commencés,  poursuivis,  ou  terminés,  comme  le  dit  Locke,  «  par 
une  simple  Pensée  ou  préférence  de  l'Esprit.  »  Impressions,  Sensa- 
tions, Émotions,  Pensées,  —  ce  sont  là  les  états  mentaux  qui,  pris  à 
part  ou  combinés,  sont  suivis  de  Mouvements.  Pour  des  détails  rela- 
tifs à  leur  excitation  et  à  leur  accomplissement  réel,  on  ne  sait  que 
peu  de  chose  de  plus,  ou  même  rien,  avec  quelque  degré  de  certi- 
tude. Écrivant  en  1830,  James  Mill  disait ^  :  «  Nous  n^entreprenons 
point  de  dire  quels  liens  physiques  existent  entre  l'Idée  et  la  Con- 
traction, pas  plus  qu'entre  la  Sensation  et  la  Contraction.  Vidée  est 
la  dernière  partie  de  Vopération  Mentale. 

Si,  toutefois,  il  en  est  réellement  ainsi;  si,  au  delà  des  états  ou 
processus  mentaux  ci-dessus  énumérés,  nous  avons,  dans  les  Actes 
Volontaires,  de  simples  changements  physiques  dans  les  nerfs  et  les 
muscles,  comme  le  déclaraient  Hume  et  James  Mill,  il  y  a  d'autant 
moins  de  raison  de  s'étonner  que  quelques  philosophes,  comme 
Dugald  Stewart  et  le  D''  Thomas  Brown,  aient,  de  propos  délibéré, 

1.  L'opinion  d'Hartley  était  fort  semblable.  Il  dit  :  «  La  Volonté  paraît  n'être 
rien  qu'un  désir  ou  une  aversion,  suffisamment  forte  pour  produire  une  action 

qui  n'est  point  automatique,  ni  primairement  ni  secondairement La  Volonté 

est  donc  le  désir,  ou  l'aversion  la  plus  forte  au  moment  présent  ».  Quelle 
disposition  d'esprit  doit  prévaloir,  c'est  ce  qui  est  parfois  immédiatement 
réglé, mais  ne  l'est  d'autres  fois  qu'après  un  processus  de  Délibération;  et,  sur 
ce  processus,  Hobbes  dit  :  «  La  somme  totale  des  désirs,  des  aversions,  des 
espérances  et  des   craintes,  continuée  jusqu'à  ce  que  la  cbose   soit   faite  ou 

estimée  impossible,  est  ce  que  nous  appelons    Délibération L'appétit  et 

l'aversion  ne  sont  donc  ainsi  nommés  que  lorsqu'ils  ne  suivent  aucune  délibé- 
ration. Mais,  s'il  y  a  eu  délibération,  l'acte  définitif  est  appelé  volonté  dans  le 
cas  d'appétit,  et  non-vouloir  dans  le  cas  d'aversion  ». 

2.  Loc.  cit.,  II,  p.  266. 


172  VOLONTÉ   ET  MOUVEMENTS   VOLONTAIRES. 

■omis  de  discuter  la  Volonté  comme  une  partie  distincte  de  notre  Vie 
Consciente.  «  Connaître  tous  nos  états  sensitifs  ou  affections,  dit  ce 
derniers  tous  nos  états  intellectuels,  toutes  nos  Émotions,  c'est 
connaître  tous  les  états  ou  phénomènes  de  l'Esprit.  »  La  préséance 
de  l'une  ou  l'autre  de  ces  phases  subjectives,  ou  des  conditions  com- 
plexes dérivées  d'elles,  correspondrait,  pensait-il,  à  ce  que  nous 
désignons  sous  le  nom  de  Volonté.  Au  delà  de  ces  phases  subjec- 
tives, nous  passons,  dans  l'exécution  des  Mouvements  Volontaires, 
de  la  sphère  de  la  Psychologie  dans  celle  de  la  Physiologie  pure  et 
simple. 

La  netteté  de  Vidée  on  Conception  du  Mouvement  (qui,  nous  allons 
le  voir,  est  d'origine  complexe),  en  tant  qu'élément  constituant, 
conscient,  d'une  Volition,  variera  beaucoup  suivant  que  le  Mouve- 
ment sera  plus  familier  ou  plus  facile  à  exécuter.  Et,  sous  ce  der- 
nier rapport,  il  existe  naturellement  toutes  les  gradations  entre  les 
Mouvements  Volontaires  les  plus  simples  et  ceux  de  l'ordre  le  plus 
complexe. 

Nous  pouvons,  par  exemple,  accomplir  volontairement  quelque 
mouvement  qu'une  répétition  fréquente  a  déjà  rendu  facile,  mais 
que  désormais  nous  accomplissons  surtout  d'une  manière  automa- 
tique. Les  doigts  d'un  enfant  qui  dort  peuvent  se  refermer  sur  un 
objet  qu'on  met  doucement  en  contact  avec  la  paume  de  sa  main  ; 
ou  bien,  lorsqu'il  est  éveillé,  l'enfant  peut  exciter  volontairement 
des  mouvements  semblables.  Un  objet,  mis  tout  près  des  yeux,  peut 
faire  cligner  involontairement  les  paupières;  mais  on  peut  aussi 
accomplir  volontairement  le  même  acte.  Nous  pouvons  lever  instinc- 
tivement le  bras  pour  parer  un  coup  ;  ou  bien  nous  pouvons  le  lever 
de  même,  d'une  manière  volontaire.  Dans  tous  les  cas,  Vidée  ou 
Conception  du  Mouvement  7iécessaire  se  présente  à  peine  comme  un 
élément  conscient  de  la  Volition  :  c'est  une  partie  du  processus  qui 
est  devenue  plus  ou  moins  latente.' 

Mais,  dans  l'autre  catégorie  plus  complexe  d'Actions  Volontaires, 
des  efforts  sont  faits  pour  accomplir  quelques  combinaisons  nou- 
velles de  mouvements,  que  leur  complication  rend  d'abord  fort  dif- 
ficiles à  exécuter.  Tel  est  le  cas,  par  exemple,  lorsque  les  enfants 
apprennent  à  écrire,  ou  les  jeunes  gens  à  danser  ou  à  jouer  de 
quelque  instrument.  Dans  chacun  de  ces  cas,  il  faut  reconnaître 
quelque  Idée  ou  Conception  du  genre  de  Mouvement  nécessaire, 
comme  partie  constituante,  plus  ou  moins  constante,  de  la  Volition 
en  question. 

1.  Philosophy  of  the  Human  Mind.  Lect.  XVIL 


ACTIONS    VOLONTAIRES  ET    ACTIONS    AUTOMATIQUES.    47» 

Au  début  d'un  Mouvement  Volontaire  que  nous  avons  déjà  souvent  exécuté^ 
nous  le  commençons  avec  certaines  qualités  prédéterminées  qui  lui  sont 
données  .presque  instinctivement,  et  dans  le  choix  desquelles  nous  sommes 
cependant  guidés,  d'une  manière  évidente,  par  l'expérience  acquise  et  l'édu- 
cation. Un  exemple  simple  le  montrera.  Je  sais  que  des  objets  ayant  certains 
caractères  visuels  m'ont  ordinairement  donné  certaines  impressions  de  poids 
et  de  résistance,  lorsque  je  les  ai  saisis  auparavant;  et,  par  conséquent,  cette 
expérience  préalable  me  permet,  en  voyant  de  nouveau  un  pareil  objet,  et 
désirant  le  saisir,  d'évoquer  une  conception  du  Mouvement  nécessaire  qui,  bien 
qu'elle  puisse  être  réalisée  fort  indistinctement  par  la  Conscience,  me  permet, 
en  quelque  sorte,  de  donner  à  l'acte  Volitionnel  les  qualités  nécessaires. 

Cette  faculté,  en  partie  instinctive,  en  partie  le  résultat  de  l'éducation 
individuelle,  a  donné  lieu  à  beaucoup  d'erreurs.  Quelques-uns  l'attribuent 
à  un  instinct  locomoteur  pur  et  simple,  et  ignorent  par  conséquent  que  c'est 
une  faculté  dont  la  manifestation  est  réglée  en  grande  partie  par  l'éducation 
individuelle.  Quelques-uns  font  appel,  avec  une  gravité  vague,  à  l'intervention 
de  ce  qu'ils  nomment  intuitions  motrices,  —  voulant  désigner  par  là  quelque 
chose  appartenant  aux  Centres  Moteurs,  sur  le  point  d'être  mis  en  activité,  ou 
aj^ant  son  origine  en  eux;  mais  qui  cependant  aide  d'avance,  de  quelque  ma- 
nière, à  déterminer  le  mode  de  leur  propre  activité i. 

James  Mill  montra  plus  de  raison,  en  soutenant  que  les  impressions 
communément  nommées  Impressions  du  Sens  Musculaire  interviennent,  et 
prennent  part  à  l'opération,  comme  agents  déterminants,  à  une  phase  immédia- 
tement postéineure  à  la  Conception  ci-dessus  mentionnée,  et  antérieure  à 
Taccomplissement  réel  du  Mouvement  Volontaire.  Si  nous  substituons  à  ces 
impressions  du  sens  muscidaire nos  Impressions  Kinesthétiques^,  nous  pouvons» 
en  ces  termes  plus  généraux,  adopter  cette  opinion  de  James  Mill,  comme  sym- 
bolisant bien  le  mode  probable  d'exécution,  ou  plutôt  l'ordre,  des  processus 
impliqués  dans  le  commencement  d'un  Mouvement  Volontaire. 

Les  mêmes  parties  du  Cerveau  qui  sont  mises  en  jeu  pour  le  commencement 
d'une  série  quelconque  de  Mouvements  Volontaires,  doivent  sans  doute  demeurer 
en  activité  pendant  la  continuation  de  ces  mouvements;  bien  que  peut-être  pas 
exactement  dans  les  mêmes  proportions  relatives.  Ainsi,  un  rappel  idéal,  ou 


1 .  Il  y  a,  suivant  toute  pi'obabilité,  dans  les  Centres  Moteurs,  une  multitude 
de  combinaisons  différentes  de  fibres  et  de  cellules,  qui  ont  été  graduellement 
établies,  et  par  l'intermédiaire  desquelles  les  Incitations  Volitionnelles  peuvent 
être  nécessairement  distribuées  le  long  de  certaines  fibres  «  centrifuges  »,  de 
manière  à  mettre  en  activité,  suivant  des  modes  définis,  des  groupes  parti- 
culiers de  Muscles.  Il  ne  semble  pourtant  pas  y  avoir  de  bonnes  raisons  pour 
qu'on  doive  appeler  des  organisations  de  cette  nature,  ou  plutôt  l'activité  fonc- 
tionnelle de  ces  organisations,  intuitions  motrices;  ou  pour  qu'on  les  regarde, 
ainsi  que  le  dit  le  D""  Maudsley  {Physiology  and  Pathology  of  Mind.  Chap.  sur 
les  Centres  Moteurs),  comme  constituant  «  une  importante  région  motrice  de 
la  vie  mentale  »,  —  quoi  que  cela  puisse  signifier.  Les  vues  du  D""  Maudsley, 
sur  ce  sujet,  ne  paraissent  point  fort  claires;  bien  que  son  chapitre  sur  la 
yolition  soit  excellent,  et  sans  nulle  ambiguïté. 

2.  Voy.  p.  165. 


174  VOLONTÉ  ET    MOUVIiMENTS   VOLONTAIRES. 

conception,  des  qualités  sensitives  des  Mouvements  nécessités,  opère  comme  point 
de  départ;  en  permettant  à  l'individu  de  déterminer,  en  s'appuyant  sur  une  base 
déjà  existante  et  en  partie  instinctive,  comment  agir  et  quelle  force  employer  ; 
tandis  que,  pendant  la  continuation  des  Mouvements,  il  serait  aussi  en  partie 
influencé  par  des  sensations  réelles,  se  réalisant  dans  les  mêmes  parties  du 
Cerveau,  et  lui  disant  comment  il  agit  et  quelle  force  il  emploie^.  Cependant,  la 
quantité  relative  d'activité  des  centres  sensitifs  intéressés  peut  n'être  pas  égale 
dans  les  deux  cas. 

Ainsi,  si  nous  supposons  que  les  centres  spécialement  mis  en  jeu,  comme 
centres  dirigeants,  soient  les  Visuels  et  les  Kinesthétiques,  il  se  peut  que  les 
premiers  aient  une  influence  dominante  dans  la  production  de  la  Conception 
initiale;  tandis  que,  pendant  la  continuation  des  Mouvements,  les  influences 
agissant  sur  les  Centres  Kinesthétiques  peuvent,  à  leur  tour,  avoir  une  influence 
directrice  plus  puissante.  Si  quelqu'un  essaye  de  prendre  sur  une  table  une 
petite  boule  de  coton  au  milieu  de  laquelle  on  a  introduit,  à  son  insu,  un 
lourd  morceau  de  plomb,  la  détermination  initiale  du  Mouvement  supposé 
suffisant,  devra  être  rectifiée;  et,  dans  ce  cas,  elle  le  sera  évidemment  sur-tout 
à  l'instigation  des  impressions  Kinesthétiques. 

On  n'a  fait  allusion,  jusqu'ici,  qu'à  la  classe  la  plus  simple  de  Mouvements 
Volontaires, —  à  celle  dans  laquelle  les  mouvements  eux-mêmes  sont  familiers 
ou  d'exécution  facile.  Mais,  lorsque  les  mouvements  que  l'on  désire  exécuter 
sont  complexes  et  difficiles,  et  qu'il  nous  faut  les  apprendre  par  imitation  des 
mouvements  d'autres  personnes,  le  sens  de  la  Vue  se  trouve  alors  doublement  mis 
en  jeu.  Il  est  nécessaire  au  commencement,  et  pendant  la  continuation  de  nos 
efforts  pour  copier  des  mouvements  de  ce  genre,  de  regarder  alternativement 
notre  modèle  et  le  mouvement  de  nos  membres.  Il  faut,  en  réalité,  longtemps 
et  beaucoup  de  pratique  pour  qu'une  personne,  apprenant  à  danser  ou  à  jouer 
d'un  instrument  de  musique,  soit  capable  d'exécuter  l'une  ou  l'autre  de  ces 
actions,  sans  s'aider  par  moments  de  l'influence  directrice  de  la  Vue.  «  En 
apprenant  à  danser,  comme  le  dit  Hartley,  l'élève  désire  regarder  ses  pieds  et 
ses  jambes,  pour  pouvoir  juger,  par  la  vue,  s'ils  sont  dans  une  position  conve- 
nable. Par 'degrés,  il  apprend  à  juger  de  cela  par  le  sentiment;  mais  l'idée 
visible  laissée  en  partie  par  la  vue  des  mouvements  de  son  maître,  en  partie 
par  ses  propres  mouvements,  semble  être  la  principale  circonstance  associée  qui 
amène  les  m,ouvements  convenables.  »  Durant  le  i^rocessus  d'instruction,  c'est 
donc  le  Centre  Visuel  qui  exerce  évidemment  une  influence  dominante. 

Toutefois,  avec  le  temps,  les  impressions  qui  appartiennent  au  «  Sens  de 
Mouvement»  (qui  sont, naturellement,  toujours  associées  à  quelque  degré  avec 
celles  de  la  Vue),  deviennent,  au  moyen  de  leurs  conducteurs  organisés,  assez 
librement  associées  avec  elles  et  avec  les  conducteurs  nerveux  et  les  mécanismes 
nerveux  d'organisation  nouvelle,  pour  permettre  aux  mouvements  que  nous" 
avons  étudiés  de  s'accomplir,  sous  la  direction  immédiate  des  seules  Impressions 
Kinesthétiques,  —  sans  qu'il  soit  plus  besoin  d'une  direction  auxiliaire,  fournie 
par  le  sens  de  la  Vue.  Toutefois,  comme  le  signale  Jaccoud  {Les  Paraplégies  et 
l'Ataxie,  p.  601),  le  sensorium  a  besoin  à' apprendre,  dans  le  premier  cas, 
quelles  conditions  et  positions  des  parties  mobiles  sont  liées  à  telles  ou  telles 
impressions,  tactiles  ou  autres,  qui  viennent  de  ces  parties.  Aussi  n'est-ce  qu'à 

1.  Voyez  l'appendice. 


ACTIONS  VOLONTAIRES    ET    ACTIONS   AUTOMATIQUES.     173 

la  fin  de  cet  apprentissage  qu'il  est  à  même  de  conclure  directement  des 
Impressions  Kinesthétiques  aux  conditions  précises  des  parties  en  mouvement. 
Ce  processus  d'éducation  ne  peut  marcher  coiTectement  que  grâce  aux 
comparaisons  que  nous  sommes  accoutumés  à  faire,  de  moment  à  autre,  entre 
les  positions  et  les  mouvements  des  membres,  tels  qu'ils  nous  sont  révélés  par 
la  Vue,  et  la  somme  totale  des  Impressions  Kinesthétiques  reçues  simultané- 
ment des  mêmes  parties. 

Ce  genre  d'éducation  étant  une  fois  complété  pour  chaque  mouvement  en 
particulier,  le  savoir  qui  provient  ensuite  du  Centre  Kinesthétique  devient  aussi 
réel,  et  aussi  capable  d'exciter  des  actions  appropriées,  que  celui  qui  provenait 
précédemment  du  Centre  Visuel.  Désormais,  ses  impressions  seules,  —  même 
lorsqu'elles  n'éveillent  que  fort  imparfaitement,  ou  même  pas  du  tout,  notre 
Conscience,  —  suffisent  à  nous  informer  (c'est-à-dire  suffisent  à  exciter  les 
centres  Cérébraux  convenables,  suivant  des  modes  en  relation  définie  avec 
différentes  positions  et  tensions)  de  la  position  exacte  de  nos  membres  et  de 
la  nature  et  du  degré  de  leurs  Mouvements.  C'est  par  des  Impressions  Kines- 
thétiques que  nous  sommes  ensuite  continuellement  instruits  des  qualités  des 
Mouvements  actuellement  produits  ;  c'est  par  elles  que  nous  savons  s'il  faut 
continuer  le  mode  présent  d'action,  ou  si,  pour  mieux  atteindre  le  but  désire, 
il  faut  altérer  la  qualité  de  !a  «  Volition».  Et  si,  pendant  l'exécution  d'un  Mou- 
vement complexe,  il  devient  désirable  d'altérer  une  de  ses  qualités  volitionnelles, 
—  la  force,  la  rapidité,  la  direction  ou  la  continuation  de  l'un  des  mouvements 
composants  ;  ceci  peut  être  immédiatement  effectué  «  par  une  simple  Pensée 
ou  préférence  de  l'Esprit  »  ;  bien  que  la  grande  majorité  des  hommes  n'ait 
aucunement  connaissance  de  la  nature  et  du  degré  des  changements  individuels 
introduits  dans  les  actions  des  différents  Muscles  intéressés. 

Le  mode  d'acquisition  ci-dessus  indiqué  semble  bien  s'accorder  avec  nos 
autres  intérêts  et  avec  les  nécessités  journalières  de  notre  vie.  Le  sens  de  la 
Vue  facilite  grandement  le  processus  d'instruction;  et  ses  impressions  vives 
mettent  rapidement  le  setisoriuni  en  état  d'apprécier  exactement  la  signification 
des  impressions,  plus  vagues  et  plus  occultes,  qui  lui  arrivent  simultanément 
par  le  iens  du  Mouvement.  Bientôt,  toutefois,  le  Sens  Visuel,  qui  nous  est  né- 
cessaire pour  tant  d'autres  objets  importants,  n'a  plus  besoin  d'être  concentré 
uniquement  sur  l'accomplissement  de  Mouvements.  Plus  tard  encore,  notre 
attention,  ou  conscience,  s'affranchit  encore  davantage  des  détails  qui  ont  trait 
aux  Mouvelnents.  Les  impressions  appartenant  au  Sens  de  Mouvement,  qui 
pouvaient  être  conscientes,  finissent  pas  passer  ordinairement  inaperçues  ;  et 
nous  arrivons  à  accomplir  une  multitude  d'actions  journalières  sous  la  direc- 
tion de  simples  Impressions  Kinesthétiques  inconscientes. 

Ainsi  le  fonctionnement  du  côté  moteur  de  notre  mécanisme  nerveux 
complexe,  même  lorsqu'il  a  à  exécuter  les  commandements  de  la  Volonté, 
procède  si  doucement,  et  passe  en  réalité  tellement  inaperçu,  qu'il  nous  laisse 
libre  de  suivre  les  fils  de  notre  Vie  Consciente,  sans  nous  arrêter  aux  détails 
infinis  qui  appartiennent  aux  états  variables  des  innombrables  Muscles,  qui 
agissent  suivant  des  combinaisons  toujours  changeantes.  Nous  pouvons  être 
véritablement  reconnaissants  de  n'avoir  pas  en  réalité  quelque  sens  musculaire, 
comme  celui  que  quelques  psychologues  imaginent  pom'  eux-mêmes,  et  de  ce 
que,  même  dans  les  Mouvements  Volontaires,  l'Esprit  ne  sait  rien  des  Nerfs  et 
des  Muscles  par  l'intervention  desquels  s'accomplissent  les  processus. 


176  VOLONTÉ    ET   MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 

D'après  notre  propre  expérience  individuelle,  ainsi  que  d'après  ce 
qui  a  été  établi  ^lus  haut,  il  semblerait  évident  qu'il  n'est  besoin  que 
d'un  exercice  attentif  pour  que  des  Mouvements  précédemment 
étranges,  diiBciles  et  complexes,  deviennent  susceptibles  d'être  ac- 
complis aisément;  et  que,  au  bout  d'un  certain  temps,  durant  le  pro- 
cessus d'instruction,  d'abord  la  Conception  des  Mouvements  néces- 
saires, puis  le  Désir  qui,  originairement,  déterminait  leur  exécution, 
peuvent  s'évanouir  de  même  que  les  états  conscients  dont  ils  sont 
nécessairement  précédés.  Lorsque  ce  dernier  degré  de  perfection 
est  atteint,  les  actions  auparavant  Volontaires,  dans  le  sens  le  plus 
strict  du  terme,  passent  dans  la  catégorie  des  a  Automatiques 
Secondaires»  :  puisque  l'occurrence  d'une  Sensation,  d'une  Émotion, 
ou  d'une  Idée,  peut  être  immédiatement,  et  sans  l'intervention 
d'aucun  autre  état  conscient  quelconque,  suivie  de  l'un  des  Mou- 
vements complexes  en  question.  Ainsi,  des  Mouvements  que  l'indi- 
vidu n'est  devenu  qu'avec  tant  de  lenteur  et  de  difficulté  capable 
d'accomplir,  peuvent  être  devenus  aussi  aisés  pour  nous  que  la 
succion,  la  déglutition,  la  toux,  ou  l'une  quelconque  de  ces  actions 
«  Automatiques  Primaires  »,  dont  nous  avons  en  naissant  reçu  l'héri- 
tage, de  générations  sans  nombre  d'ancêtres,  humains  et  autres. 

Dans  beaucoup  de  cas,  en  réalité,  il  y  a  de  bonnes  raisons  pour 
croire  que  l'alliance  entre  les  actions  «  Automatiques  Primaires  »  et 
quelques  «  Automatiques  Secondaires  »  est  même  plus  fondamentale 
qu'on  ne  vient  de  l'indiquer.  Il  faut  établir,  en  détail,  les  raisons  qui 
militent  en  faveur  de  cette  opinion. 

MÉCANISME   DES    MOUVEMENTS    AUTOMATIQUES    PRIMAIRES, 
ET    LEURS    MODES    d'oRIGINE  . 

Les  connexions  nerveuses  représentant  un  certain  nombre  de  Mouvements, 
qui  ont  été  communément  accomplis  par  la  génération  présente  et  un  grand 
nombre  de  générations  passées  d'une  race  quelconque  d'animaux,  existent,  à 
l'état  organisé,  dans  la  Moelle  et  le  Bulbe  de  ces  animaux.  Elles  sont  représen- 
tées par  le  développement  de  certaines  connexions  de  fibres  et  de  cellules,  dans 
les  régions  antérieures,  connues  sous  le  nom  de  motrices,  delà.  Substance  Grise 
de  ces  parties,  —  ces  mécanismes  étant  en  continuité,  en  avant,  avec  les  racines 
des  nerfs  centrifuges,  et  en  relation,  en  arrière,  avec  des  groupes  de  cellules 
nerveuses  plus  petites,  avec  lesquelles  les  nerfs  centrijMes  des  racines  posté- 
rieures sont  à  leur  tour,  de  quelque  manière,  en  relation  de  structure.  C'est  en 
suivant  ces  derniers  conducteurs  que  les  Impressions  sensitives,  qui  déter- 
minent les  Mouvements,  dont  nous  avons  parlé,  atteignent  la  Moelle  ou  le 
Bulbei. 

Un  grand  nombre  des  groupes  correspondants  de  cellules  motrices,  situés 

1.  Voy.  vol.  I",  p.  19,  39. 


MÉCANJSME  DES  MOUVEMENTS  AUTOMATIQUES.        177 

au  même  niveau  dans  les  moitiés  droite  et  gauclie  de  la  Moelle  et  du  Bulbe, 
sont  intimement  reliés  par  des  fibres  commissurales  transverses,  —  partout  en 


FiG.  1~8.  —  Groupes  do  Cellules  en  connexion  avec  les  Racines  Antérieures  des  Nerfs  Spi- 
naux, comme  on  les  voit  dans  une  coupe  transversale  de  l'une  des  Cornes  Antérieures 
de  la  Moelle  d'un  Mouton  (Flint,  d'après  Dean).  A,  point  où.  les  racines  antérieures 
émergent  des  cornes  de  la  substance  grise;  b,  b,  b,  cellules  reliées  les  unes  aux  autres 
par  des  processus  «  intercellulaires  »  longs  et  grêles,  et  unies  également  aux  fibres  des 
racines  antérieures.  On  voit  des  faisceaux  de  fibres  se  croisant  dans  presque  toutes  les 
directions. 

réalité  où  l'action  combinée  des  unités  nerveuses  des  deux  côtés  se  présente 
communément  (flg.  154,  o  o'). 


Charlton-Bastian. 


12 


178  VOLONTÉ   ET   MOUVEMENTS   VOLONTAIRES. 

Un  grand  nombi^e  de  groupes  de  cellules  motrices  situés  à  différents 
niveaux  dans  la  moelle,  sont  aussi  reliés  les  uns  aux  autres,  en  combinaisons 
simples  ou  multiples,  par  des  fibres  commissurales  longitudinales,  dont  la  lon- 
gueur varie  avec  la  distance  qui  sépare  les  groupes  cellulaires  dont  l'activité 
est  ainsi  associée.  Ces  fibres  unissantes  longitudinales,  de  longueur  différente, 
en  passant  d'un  groupe  cellulaire  à  un  autre,  traversent,  en  partie  du  moins, 
ainsi  qu'on  s'en  est  assuré  (par  les  preuves  clinico-pathologiques  fournies  par 
les  personnes  souffrant  de  maladies  de  la  moelle),  les  u  colonnes  postérieures  » 
de  la  Moelle  Épinière. 

On  conçoit  que  des  groupes  bilatéraux  de  ces  cellules,  existant  à  divers 
niveaux  dans  les  deux  «  cornes  antérieures  »,  bien  que  difl'érant  beaucoup  l'un  de 
l'autre  par  le  nombre  des  unités  qu'ils  renferment  et  l'étendue  de  leur  aire  de 
distribution,  soient  les  Mécanismes  Nerveux  Spinaux  et  Bulbaires  nécessaires  à 
l'exécution  d'un  nombre  immense  de  mouvements  Réflexes,  ou  Automatiques 
Primaires,  présentant  également  tous  les  degrés  de  complexité.  C'est  probable- 
ment parce  que  ces  divers  mécanismes  (fibres  et  cellules)  sont  arrangés  d'une 
manière  si  parfaite,  que  chacun  des  Mouvements  en  question  peut  être  évoqué 
avec  une  régularité  machinale,  en  réponse  aux  stimuli  appropriés  qui  les 
atteignent  et  les  traversent  i. 

Les  «  mécanismes  »  pour  la  production  d'un  grand  nombre  de  Mouvements  de 
ce  genre  peuvent  avoir  été  développés  à  une  époque  très  reculée  de  l'histoire 
de  notre  race  ou  des  races  précédentes.  Mais  quelques  autres, —  ceux  par 
exemple  qui  produisent  les  actes  de  la  Déglutition,  —  quelque  modification 
que  le  temps  ait  pu  leur  faire  subir  dans  les  détails,  doivent  s'être  originaire- 
ment organisés  chez  des  êtres  où  la  combinaison  d'efforts  et  de  désirs  vagues 
saurait  à  peine  être  regardée  comme  produisant  quelque  chose  d'analogue  à 
ce  que  nous  connaissons  sous  le  nom  de  Volition.  Suivant  toute  probabilité,  des 
sentiments  de  cette  nature  et  la  faculté  de  concentrer  l'Attention,  qui  est  leur 
corrélatif  indispensable,  n'atteignent  que  graduellement  le  degré  de  préci- 
sion et  d'intensité  dont  nous  sommes  conscients  comme  êtres  humains.  Ceci 
sera  probablement  concédé  par  tout  le  monde  ;  et,  s'il  en  est  ainsi,  on  doit  con- 
clure que  les  bases  organiques  nerveuses  d'un  grand  nombre  des  Mouvements 
Automatiques  Primaires  des  animaux  supérieurs,  doivent  avoir  eu  leur  origine, 
ou  se  sont  produites,  indépendamment  de  tout  agent  qui  ressemble  à  celui  que 
nous  appelons  Volition. 

Ainsi,  plus  nous  remontons  dans  la  série  animale,  plus,  suivant  toute  pro- 
babilité, seraient  vagues  les  influences  déterminant  de  nouveaux  développe- 
ments du  Tissu  Nerveux  que  l'on  pourrait  ranger  dans  le  type  volitionnel  ;  et 
plus  nous  serions  forcés,  si  nous  nous  efforcions  d'apprendre  les  causes  des 
nouveaux  développements  de  ce  genre,  d'en  revenir  à  ces  tendances,  ou  con- 
ditions originelles  obscures,  mais  toutefois  puissantes,  sous  l'influence  desquelles 
■les  ■premiers  Éléments  Nerveux  rudimentaires  se  sont  développés  dans  les  tissus 
des  Organismes  inférieurs  (vol.  1"",  p.  H). 

Ce  simple  nisus  organique,  ou  groupe  des  conditions  vitales  favorisant  la 

1.  Que  Hartley  (1748)  ait  réalisé  distinctement  et  prévu  la  nature  de  ce  que 
nous  appelons  aujourd'hui  Actio7is  Réflexes,  c'est  ce  qui  semble  évident  d'après 
un  passage  de  ses  Observations  on  Man,  Prop.  XVIIL 


MÉCANISME  DES  MOUVEMENTS  AUTOMATIQUES.        179 

première  différenciation  des  Tissus  Nerveux,  continuerait  probablement  à  agir 
comme  l'influence  la  plus  puissante  pour  gouverner  toutes  les  phases  futures  de 
leur  développement,  —  bien  qu'il  semble  évident  que  de  pareilles  tendances  au 
développement,  même  dans  la  Moelle,  puissent  être  favorisées  de  quelque  manière 
mystérieuse  par  l'Influence  Cérébrale,  lorsque  la  «Volition  »  est  fortement  exercée, 

—  c'est-à-dire  lorsqu'un  Cerveau,  sensoriellement  actif,  est  dominé  de  manière 
à  pi'oduire  certains  Désirs,  et  influencé  dans  certaines  étendues  corrélatives,  par 
ce  mode,  ou  degré,  d'activité  dont  nous  appelons  AttentionlQ  côté  subjectif. 

MOUVEMENTS    AUTOMATIQUES    PRIMAIRES    DIFFERES. 

Il  existe  beaucoup  de  différences  entre  les  divers  animaux,  relativement  au 
degré  de  perfection,  à  l'époque  de  la  naissance,  de  ces  connexions  fibro-cellu- 
laires  héréditaires  :  il  existe  donc,  entre  ces  animaux,  des  différences  semblables 
quant  à  la  faculté  qu'ils  possèdent,  à  leur  naissance,  d'exécuter  les  divers 
mouvements  avec  lesquels  ces  Mécanismes  Nerveux  sont  en  relation. 

Ainsi,  chez  quelques  Oiseaux  à  la  sortie  de  l'œuf,  et  chez  quelques  Quadru- 
pèdes au  moment  de  la  naissance,  un  grand  nombre  des  mécanismes  nerveux 
intéressés  dans  la  production  des  Mouvements  Automatiques  habituellement 
accomplis  par  ces  animaux,  sont  assez  parfaits  pour  que  les  animaux  soient 
capables  d'accomplir  presque  tout  d'abord  les  Mouvements  les  plus  complexes, 

—  sans  qu'il  y  ait  nullement  besoin  qu'ils  apprennent  comment  les  exécuter.  Les 
expériences  de  D.-A.  Spalding  sur  des  Poussins  et  de  jeunes  Porcs  ont  révélé 
des  faits  intéressants  à  l'appui  de  cette  proposition  (voy.  vol.  F"",  p.  146  et  177). 

On  peut  toutefois  citer  beaucoup  de  cas  d'un  caractère  opposé,  —  c'est-à- 
dire  dans  lesquels,  à  l'époque  de  la  sortie  de  l'œuf  ou  au  moment  de  la  nais- 
sance, d'autres  Oiseaux  ou  Mammifères  sont  dans  un  état  de  développement 
beaucoup  moins  avancé  ;  et  dans  lesquels  leurs  facultés  d'exécuter  des  Mou- 
vements complexes  d'un  ordre  semblable  sont  notablement  moins  parfaites. 

Les  petits  des  Canaris  et  de  beaucoup  d'autres  oiseaux,  par  exemple, 
demeurent  dix  ou  quinze  jours  incapables  de  se  nourrir  eux-mêmes  ou  de 
marcher  ;  et  ils  peuvent  rester  deux  fois  ce  temps  incapables  de  voler.  Mais  ce 
retard  dans  la  faculté  d'exécuter  des  Mouvements  de  ce  genre  n'est  évidem- 
ment qu'un  des  signes  ou  accompagnements  du  retard  général  de  leur  con- 
dition de  développement.  Un  oiseau  ne  peut  pas  plus  voler  sans  l'aide  de 
Mécanismes  Nerveux  internes,  développés  d'une  façon  appropriée,  que  sans 
plumes  à  ses  ailes;  et  l'un  des  groupes  de  tissus  est  probablement  aussi  peu 
développé  que  l'autre,  chez  les  petits  des  Serins  et  de  bien  d'autres  oiseaux. 

L'accomplissement  d'un  grand  nombre  de  Mouvements  qui  sont  «  primaire- 
ment  »  Automatiques  chez  le  Poulet  et  les  oiseaux,  qui  lui  ressemblent,  est  donc 
différé  chez  les  Serins  et  leurs  alliés  jusqu'à  l'époque  où  les  mécanismes  ner- 
veux et  autres  ont  eu  le  temps  de  se  développer.  Cela  donne  une  base  à  la 
supposition  communément  admise,  que  ces  êtres  ont  à  apprendre  comment 
accomplir  ces  mouvements,  —  ce  qui,  si  cela  était  vrai,  devrait  les  faire  classer 
nécessairement  parmi  les  Mouvements  Automatiques  secondaires  plutôt  que 
parmi  les  primaires. 

Les  intéressantes  expériences  de  Spalding  sur  les  jeunes  Hirondelles,  et  sur 
d'autres  oiseaux  qui  sortent  de  l'œuf  à  un  état  imparfait,  ont  toutefois  montré 


180  VOLONTÉ   ET   MOUVEMENTS   VOLONTAIRES. 

que,  chez  eux,  la  manifestation  de  Mouvements  Automatiques  «  primaires  »,  dé- 
pendant de  mécanismes  nerveux  hérités,  n'est  que  différée  jusqu'à  l'époque  où 
ces  développements  sont  achevés  ;  —  et  qu'alors,  sans  aucun  processus  d'instt~uc- 
tion,  les  Mouvements  peuvent  être  aisément  évoqués  (vol.  P',  p.  178). 

L'état  de  faiblesse  du  petit  Singe  et  de  l'Enfant,  à  l'époque  de  la  naissance, 
doit  être  également  attribué  en  grande  partie  au  défaut  de  maturité,  à  cette 
période,  de  leurs  grands  centres  nerveux.  Un  grand  nombre  des  Mouvements 
qu'ils  apprennent  lentement  à  accomplir  sont  sans  doute  rendus  possibles  par 
le  développement  actuel  des  cellules  et  fibres  nerveuses  delà  Moelle  et  dM  Bulbe, 
qui  sont  les  instruments  servant  à  l'exécution  de  ces  Mouvements,  et  sont  acquis 
d'une  manière  coïncidante.  Ainsi,  lorsque  nous  disons  que  le  jeune  enfant 
«  apprend  »  à  accomplir  ces  mouvements,  il  faudrait  comprendre  que  ce  mot  n'est 
applicable  ici  que  dans  un  sens  très  restreint.  Les  vagues  efforts  servent  peut- 
être  simplement  comme  incitations,  tendant  à  éveiller  ou  à  perfectionner  les 
tendances  déjà  existantes  (puisqu'elles  sont  héréditaires)  qu'ont  à  se  développer 
certains  Centres  Nerveux,  Moteurs  et  autres,  —  c'est-à-dire  des  mécanismes  qui, 
chez  un  grand  nombre  d'autres  êtres,  ont  atteint  leur  complet  développement 
à  la  naissance,  ou  presque  immédiatement  après. 

Sans  l'existence  de  ce  nisus  organique  (sous  forme  d'une  tendance  hérédi- 
taire à  se  développer  suivant  certains  modes  et  dans  certaines  directions), 
l'enfant  ne  pourrait  jamais  acquérir  aussi  promptement  qu'il  le  fait  la  faculté 
d'exécuter  les  Mouvements  excessivement  complexes  de  la  Station,  de  la  Marche, 
ou  de  la  Parole  Articulée  (voy.  p.  214) . 

RELATIONS  DES  MOUVEMENTS  VOLONTAIRES 
ET  DES  MOUVEMENTS  AUTOMATIQUES, 

Les  mouvements  complexes  dont  on  vient  de  parler  en  dernier  lieu  étant 
quelques-uns  des  Mouvements  Automatiques  secondaires  les  plus  typiques  de 
Hartley,  les  considérations  ci-dessus  suffiront  à  montrer  qu'un  grand  nombre 
de  ceux  placés  jusqu'ici  dans  cette  [catégorie  ne  sont  que  des  Mouvements 
primaires,  dont  la  faculté  d'exécution  a  été  un  peu  différée.  Précédemment, 
beaucoup  de  personnes  ont  supposé  que  l'influence  dirigeante  de  la  Volition 
agissait  principalement  en  permettant  à  l'enfant  de  les  exécuter;  tandis  que 
l'on  soutient  ici  que  leur  acquisition  par  l'individu  dépend  beaucoup  plus  du 
développement  graduel  de  Mécanismes  Nerveux  hérités,  —  dus  à  l'éducation 
successive  d'un  grand  nombre  de  générations  précédentes.  Ce  ne  sont  évi- 
demment pas  des  Mouvements  nouveaux,  acquis  de  nouveau  par  chaque  individu, 
comme  ce  serait  le  cas,  par  exemple,  pour  les  personnes  qui  apprennent  à 
nager,  à  danser,  ou  à  jouer  de  quelque  instrument  de  musique.  Dans  un 
groupe  de  cas,  les  Efforts  Volitionnels  sont  rencontrés  à  moitié  chemin  par  les 
tendances  héréditaires  au  développement  ;  tandis  que,  dans  l'autre,  et  dans  le 
cas  de  tous  les  Mouvements  Volitionnels  nouveaux  acquis  par  l'adulte,  les 
Influences  Volitionnelles  ne  sont  aidées  que  par  ces  tendances  organiques  natu- 
relles au  développement  de  mécanismes  nerveux  nouveaux,  qui  ont  originaire- 
ment conduit  (sous  l'influence  de  stimuli  appropriés)  à  la  genèse  primaire  des 
Tissus  Nerveux  ;  et  que  l'on  peut,  en  toute  sécurité,  regarder  comme  agissant 
encore  chez  tous  les  animaux,  supérieurs  ou  inférieurs. 


CLASSIFICATION  DES   MOUVEMENTS. 


181 


Mouvements  Acquis      CLASSIFICATION  DES  MOUVEMENTS      Mouvements  Héritéi 
par  l'Individu.  par  l'Individu. 


I.   —  VOLITIONNELS. 


II.   —  Automatiques 
Secondaires. 
(Hartley). 


'  a    Où  les  Mouvements  eux-mêmes 

sont  familiers  et  aisés. 
b.  Où  les  Mourements  eux-mêmes 
sont  peu  familiers  et  difficiles. 

Mouvements  appris  par  chaque 
individu  pour  lui-même;  et 
qui,  par  la  suite,  après  une 
longue  pratique ,  deviennent 
familiers  et  d'exécution  facile. 

Mouvements  qui  ne  semblent  avoir  a. 
besoin  d'être  appris  par  chaque 
individu,  que  parce  que  leurs 
mécanismes  nerveux  ne  sont 
point  développés  au  moment 
de  la  naissance. 

Mouvements  appris  par  les  gêné-  b. 
rations  précédentes  d'animaux, 
et  maintenant  susceptibles 
d'être  accomplis  instinctive- 
ment à  la  naissance,  grâce  à 
ce  que  les  mécanismes  hérités 
sont,  dès  lors,  suffisamment 
développés. 


-  Automatiques 
Primaires. 


Les  actes  Volitionnels  ne  sont  donc  que  des  actes  Automatiques  en  voie  de 
foi'mation,  d'abord  pour  l'Individu,  et  peut-être,  d'une  manière  subséquente,  pour 
la  Race.  Là  où  ces  Mouvements  ont  été  acquis  ou  appris  pour  la  Race,  à  moins 
que  les  Mécanismes  Nerveux  hérités  qui  y  sont  corrélatifs  ne  soient  développés 
au  moment  de  la  naissance,  des  Volitions  peuvent  intervenir  de  nouveau  chez 
chaque  Individu,  et  agir  comme  stimuli  pendant  le  temps  que  ces  Mécanismes 
héréditaires  mettent  â  subir  leur  degré  normal  de  développement. 


Admettant  que  les  Mécanismes  Moteurs  Spinaux  et  Bulbaires 
sont,  soit  développés,  soit  en  voie  de  développement,  nous  pouvons 
maintenant  employer  notre  attention,  d'une  manière  plus  particu- 
lière, à  considérer  les  parties  d'où  viennent  les  Incitations  Céré- 
brales, et  les  conducteurs  par  lesquels  elles  passent  (en  descendant 
de  la  substance  grise  corticale)  dans  les  Mouvements  Émotionnels, 
Idéo-moteurs  et  Volitionnels. 

On  a  assez  clairement  reconnu  une  partie  de  la  route  :  et  c'est 
de  celle-là  que  nous  allons  parler  tout  d'abord. 

D'après  les  preuves  qui  nous  sont  fournies  par  les  maladies  sur 
le  sujet  humain,  d'après  les  expériences  sur  quelques  animaux  et 
d'autres  sources  d'informations,  on  s'est  assuré  que  les  Corps  Striés 
sont  de  gros  ganglions  moteurs,  intéressés  de  quelque  manière 
dans  l'exécution  des  Mouvements  Volontaires,  Émotionnels  et  Idéo- 
moteurs. 

Les  stimuli  moteurs,  —  c'est-à-dire  les  stimuli  qui  doivent  évo- 


182 


VOLONTÉ  ET  MOUVEMENTS  VOLONTAIRES. 


quer  des  mouvements,  —  descendent  donc  de  certaines  parties  de 

l'É  corce  Cérébrale  aux  Corps 
Striés  correspondants.  Ces 
corps  sont  mis  en  activité 
d'une  manière  qui  ne  peut 
être  définie,  bien  que  d'eux 
les  stimuli  moteurs  semblent 
se  continuer  et  se  rediriger 
vers  les  mécmiismes  moteurs 
dont  nous  avons  précédem- 
ment parlé,  et  qui  sont  situés 
dans  le  Bulbe  et  la  Moelle. 
Les  chemins  que  suivent 
ces  derniers  stimuli  sont 
assez  bien  connus.  Ils  par- 
tent de  chaque  Corps  Strié, 
passant  à  travers  les  couches 
inférieures  du  Pédoncule  Cé- 
rébral et  le  Pont  de  Varole, 
en  se  maintenant  du  même 
côté;  tandis  que,  au-dessous 
de  ce  pont,  ils  se  réunissent 
dans  la  pyrcmiide  antérieure 
du  Bulbe  qui,  après  une 
course  d'un  peu  plus  d'un 
pouce,  s'entrecroise  avec  son 
homologue,  —  de  manière 
qu'un  grand  nombre  des 
fibres  de  chacune  des  py- 
ramides passe  dans  la  co- 
lonyie  latérale  opposée   de 

FiG.  n9.  —  Cellule  Nerveuse,  avec  branches  nom-  n    i    +       a-  rV 

breuses,    de  l'une   des  Cornes  Antérieures  de  la    ^^  MOCUe   ,  tandis  quO  d  aU 


très  continuent  à  descendre 
dans  la  colonne  antérieure 
du  même  côté.  Les  fibres 
motrices  qui  subissent  la 
décussation  et  descendent 
dans  les  colonnes  latérales 
de  la  Moelle,  entrent  dans  les  cornes  antérieures  de  la  Substance 


Moelle  Épinière  de  l'Homme  (Mas  Schultze).  a, pro- 
longement cellulaire  non  ramifié,  se  poursuivant, 
ou  s'unissant,  avec  le  cylindre-ase  de  l'une  des 
fibres  des  rocines  antérieures;  les  autres  prolon- 
gements sont  ramifiés;  b,  agrégat  de  granules 
pigmentaires  sur  un  côté  du  gros  noyau  nucléole. 
(X  150  diam.) 


1.  Il  semblerait,  d'après  les  phénomènes  communément  occasionnés  par  les 
maladies  des  grands  Centres  Nerveux  de  l'Homme,  que  les  conducteurs  céré- 
braux par  lesquels  les  mouvements,  au  moins  des  membres,  sont  mis  en  acti- 
vité, dussent  subir  une  décussation  de  ce  genre. 


MÉCANISMES  MOTEURS. 


183 


Grise  dans  les  régions  cervicale,  dorsale  ou  lombaire,  suivant  la 
situation  des  groupes  de  cellules  intéressés  dans  les  Mouvements 
que  les  stimuli  cérébraux  particuliers,  qui  traversent  ces  conduc- 
teurs, sont  destinés  à  évoquer. 

Le  passage  des  Incitations  Cérébrales,  ou  stimuli,  à  travers  l'un 
ou  l'autre  de  ces  Mécanismes  Spinaux  est  suivi  d'un  épanchement 
de  Mouvements  Moléculaires  gradués,  le  long  de  certaines  des 
fibres  des  racmes  antérieures  avec  lesquelles  ces  Mécanismes  sont 
continus  :  et  ceux-ci,  traversant  les  Nerfs  Moteurs  avec  une  vitesse 
d'environ  111  pieds  par  seconde,  excitent  rapidement  des  groupes 


FiG.  180.  —  Coupe  Iransversale  du  Cerveau  d'un  Chien,  un  peu  en  avant  de  la  Commissure 
Optique,  montrant  la  partie  antérieure  de  la  capsule  interne,  dont  la  section,  de  run 
ou  l'autre  côté,  produit  VHémiplégie  (Carville  et  Duret).  s,  s,  noyaux  intra-ventricu- 
laires  des  corps  striés  ;  L,  noyau  extra-ventriculaire  ;  P,  expansion  pédonculaire 
(capsule  interne)  ;  Ch,  commissure  optique  (chiasma)  ;  x,  section  de  la  partie  antérieure 
de  la  capsule  interne,  produisant  THémiplégie  du  côté  opposé  du  corps. 


musculaires  définis,  suivant  des  modes  définis,  de  manière  à  pro- 
duire les  Mouvements  désirés. 

La  manière  dont  les  médecins  et  les  pathologistes  ont  acquis 
ces  connaissances  sur  la  route  que  suivent  les  stimuli  cérébraux, 
en  descendant  des  Corps  Striés  aux  Muscles,  est  trop  compliquée  et 
trop  technique  pour  être  discutée  ici.  Nous  devons  nous  contenter, 
pour  le  moment,  du  simple  énoncé  que  nous  venons  de  faire  des 
faits  et  des  brèves  explications  que  voici  : 

Les  effets  qui  suivent,  chez  l'Homme,  les  maladies  des  Corps  Striés,  soit 
Ramollissement,  soit  Hémorrhagie,  démontrent  l'importance  de  ces  corps  rela- 
tivement aux  Mouvements  Volontaires,    et   prouvent   qu'ils   ont  affaire  à  la 


184  VOLONTÉ    ET    MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 

transmission  et  à  la  distribution  convenable  des  incitations  «  volitionnelles  » .  La 
destruction  ou  la  lésion  sérieuse  de  l'un  des  Corps  Striés  par  une  maladie 
produit,  entre  autres  résultats,  une  perte  complète  de  la  puissance  volontaire 
sur  les  Membres  du  côté  opposé  du  corps  (Hémiplégie);  bien  que  les  muscles 
du  tronc ,  qui  sont  mis  eu  activité  simultanée,  ne  partagent  point  cette 
paralysie,  pour  les  raisons  que  Broadbent  a  été  le  premier  à  donner  (p.  118). 
Chaque  Corps  Strié  transmet  donc  les  incitations  volitionnelles  pour  les  mouve- 
ments des  Membres  delà  moitié  opposée  du  corps;  tandis  qu'il  semblerait  que 
chacun  d'eux  puisse  transmettre  les  incitations  capables  de  mettre  en  action  les 
groupes  doubles  et  intimement  unis  de  Cellules  Nerveuses  Spinales  qui  gou- 
vernent les  mouvements  bilatéraux  du  tronc.  On  s'arrêtera  spécialement,  dans 
un  autre  chapitre,  sur  les  mouvements  bilatéraux  en  rapport  avec  la  Parole. 

On  ne  peut  conjecturer  que  vaguement  la  manière  précise  dont 
agit  le  Corps  Strié.  Nul  n'a  mieux  ou  plus  explicitement  exprimé 
que  Broadbent  ne  l'a  fait  dans  le  passage  suivant,  l'opinion  admise 
par  beaucoup  d'auteurs i. 

«  Le  Corps  Strié  est  le  ganglion  moteur  de  la  moitié  opposée  du  corps  tout 
entière.  Il  traduit  les  volitions  en  actions,  ou  met  à  exécution  les  commande- 
ments de  l'Intellect  ;  c'est-à-dire  qu'il  choisit  pour  ainsi  dire  les  noyaux  ner- 
veux moteurs  (du  bulbe  et  de  la  moelle)  propres  à  accomplir  l'action  désirée, 
et  leur  envoie  les  impulsions  qui  les  mettent  en  jeu.  Ces  impulsions  sont 
transmises  par  des  fibres,  et  les  fibres  doivent  partir  de  prolongements  cellu- 
laires du  corps  strié.  Un  mouvement  donné  doit  donc  être  représenté  dans  le 
Corps  Strié  par  un  oupluiieurs  groupes  de  cellules,  émettant  des  prolongements 
descendants,  qui  deviennent  des  fibres  de  la  partie  motrice  de  lamoelle.  Lorsque 
le  mouvement  est  simple,  ou  lorsque  la  coordination  peut  être  elTectuée  par  la 
moelle,  comme  dans  la  marche,  le  groupe  cellulaire  sera  petit  et  les  fibres 
descendantes  peu  nombreuses.  Lorsque  le  mouvement  est  complexe  et  délicat, 
et  guidé  par  la  vision  ou  par  l'attention  consciente,  comme  dans  l'écriture  et 
le  dessin,  les  groupes  cellulaires  seront  gros  et  définis,  et  les  fibres  descen- 
dantes nombreuses.  Il  n'y  aura  pas  un  groupe  séparé  de  cellules  pour  chaque 
mouvement;  mais  les  mêmes  cellules  peuvent  être  combinées  de  manière 
différente  :  de  même  que  le  carbone,  l'hydrogène,  l'oxygène  et  l'aïote  forment 
la  base  de  toutes  les  substances  organiques.  Les  mots,  qui  exigent  pour  leur 
prononciation  la  coopéi'ation  simultanée  des  muscles  de  la  poitrine,  du  larynx, 
de  la  langue,  des  lèvres,  etc.,  et  l'ajustement  exquis  et  rapide  de  leurs  mouve- 
ments intéressés  dans  la  phonation  et  l'articulation,  doivent  être  représentés 
dans  le  Corps  Stiié  par  des  groupes  très  considérables  de  cellules  ;  et  cela  pas 
d'un  côté  seulement,  mais  des  deux.» 

Cette  opinion  sur  les  fonctions  des  Corps  Striés,  relativement  aux 
Mouvements  Volontaires,  peut  être  complétée  par  l'idée  qu'a  émise 
le  même  auteur  sur  les  fonctions  du  Cervelet  dans  la  production 
de  ces  Mouvements.  On  verra  ainsi  les  parts  respectives  qu'il  incline 
à  assigner  à  chacun  de  ces  organes.  Il  dit  : 

\.  Drit.  Médical  Journal.  1"  avril  1876. 


CENTRES   MOTEURS.  185 

«  Le  Cervelet  coordonne  les  mouvements  guidés  par  la  vision,  ou  combine  les 
mouvements  généraux  du  corps,  qui  sont  rendus  nécessaires  îmr  des  actions  spé- 
ciales ordonnées  par  la  Volition.  Par  exemple,  pour  démontrer  cette  dernière  fonc- 
tion, je  désire  frapper  un  coup.  Je  n'ai  conscience  que  du  désir  d'atteindre  l'objet 
et  de  l'atteindre  avec  force  :  c'est  là  la  seule  action  réalisée  dans  la  conscience. 
Mais,  pour  exécuter  ce  dessein,  non  seulement  le  poing  doit  être  serré  et  le  bras 
étendu  brusquement,  mais  encore  les  pieds  doivent  être  solidement  plantés, 
les  jambes  rendues  rigides,  le  corps  rejeté  en  avant,  la  poitrine  fixée,  et  c'est 

ce  que  le  Cervelet  fait  pour  moi Nous  pouvons  voir  qu'il  n'y  a  pas  entre  les 

impressions  visuelles  de  relations  semblables  à  celles  qui  existent  entre 
celles-ci  et  les  impressions  tactiles  ;  et  que  tout  mécanisme  analogue  à  celui 
qui  sert  aux  réponses  réflexes  de  ces  dernières  est  impossible  pour  la  vision... 
Comment  le  Cervelet  est  actionné  par  le  Cerveau  ou  les  ganglions  sensori- 
moteurs,  et  agit  à  son  tour  sur  la  moelle,  c'est  ce  que  nous  ne  savons  pas 
encore.  » 

Les  notions  exposées  ci-dessus  par  Broadbent  sur  ce  qui  touche 
aux  fonctions  du  Cervelet  ne  sont,  en  partie,  pas  très  différentes  de 
celles  qui  ont  été  exprimées  dans  le  chapitre  xxiv.  Il  y  a,  en  réa- 
lité, des  raisons  sérieuses  pour  croire  que  le  Cervelet  agit,  de  quel- 
que manière,  à  l'instigation  du  Cerveau-,  dans  la  production  des 
Mouvements  Volontaires  (voy.  p.  137)  ;  et,  dans  ce  cas,  comme  on  l'a 
déjà  expliqué,  les  mouvements  sont  principalement  guidés  par  la 
Vision.  D'autre  part,  il  semble  évident  que  le  Cervelet  prend  aussi 
part  à  l'accomplissement  de  Mouvements  «  automatiques  »  de  l'ordre 
le  plus  élevé  ou  le  plus  général,  tels  qu'on  peut  bien  concevoir  qu'il 
en  est  dévolu  à  un  gros  Ganglion  Moteur,  situé  à  la  tête  de  tous  les 
autres  centres  moteurs  subordonnés  de  la  Moelle  et  du  Bulbe,  mais 
en  relation  intime  avec  eux.  Étant  donc  intéressé,  comme  il  l'est,  à 
la  fois  aux  actions  nouvelles  et  aux  anciennes,  il  a  une  fonction 
essentiellement  double;  et  ce  que  nous  savons  jusqu'ici  de  ses  rela- 
tions anatomiques  est  assez  en  harmonie  avec  cette  opinion. 

De  quelle  manière  précise  le  Cervelet  agit-il  dans  l'accomplisse- 
ment de  ces  fonctions,  et  plus  spécialement  de  celles  dans  lesquelles 
il  coopère  avec  les  Corps  Striés  pour  l'exécution  des  Mouvements 
Volontaires?  c'est  ce  qui  demeure,  jusqu'à  présent,  absolument  in- 
connu. Nous  sommes  également  réduits  aux  conjectures,  lorsque  nous 
essayons  d'élucider  la  manière  dont  les  Corps  Striés  eux-mêmes  réa- 
gissent, sous  l'influence  des  Incitations  Intellectuelles,  sur  les  noyaux 
moteurs  du  Bulbe  et  de  la  Moelle.  Comment  se  fait-il  que  l'Idée  com- 
mençante, le  Désir  d'un  but  qui  s'y  rapporte,  et  la  double  Conception 
des  Mouvements  nécessaires,  comme  stimuli  coopérants,  soient  mis 
à  même  d'influencer  les  Corps  Striés,  de  manière  à  évoquer  les 
Mouvements  en  question?  L'obscurité  qui  enveloppe  ce  problème 
ne  saurait  être,  à  présent,  dissipée.  Nous  ne  possédons  aucune  con- 


186  VOLONTÉ   ET   MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 

naissance  réelle  sur  ce  sujet;  et  nous  supposons  seulement  que  l'In- 
tellect, lorsqu'il  passe  en  action,  —  c'est-à-dire  au  changement  de 
direction,  ou  coude  du  courant,  —  en  même  temps  qu'il  semble 
engendrer  un  fantôme  psychologique,  nommé  Volonté,  opère  en 
transmettant  des  excitations  convenables  aux  Corps  Striés;  et  que 
là,  en  outre,  peut-être  sous  la  stimulation  conjointe  du  Cervelet,  de 
quelque  manière  complètement  inconnue,  d'autres  actions  molé- 
culaires sont  excitées  en  conséquence,  d'où  résultent  des  incitations 
qui  sont  envoyées  aux  noyaux  nerveux  moteurs  du  Bulbe  et  de  la 
Moelle,  et  à  travers  ces  noyaux  appropriés  à  l'accomplissement  des 
Mouvements  désirés. 

Mais  il  reste  maintenant  à  considérer  un  autre  groupe  final 
de  questions  relatives  à  l'exécution  des  Mouvements  Volontaires. 
Nous  avons  montré  la  route  que  suivent  les  incitations  cérébrales  en 
descendant  des  Corps  Striés  par  les  Pédoncules  Cérébraux,  le  Bulbe 
et  la  Moelle,  et,  de  là,  par  les  racines  antérieures  des  Nerfs  Spinaux, 
aux  groupes  musculaires  requis.  Il  demeure  toutefois  à  spécifier 
la  partie  supérieure  de  la  route.  Il  nous  faut  considérer  si  c'est  de 
parties  spéciales  de  la  surface  des  Hémisphères  Cérébraux  —  et, 
dans  ce  cas,  de  quelles  parties  —  que  les  Incitations  Intellectuelles 
sus-mentionnées  (qui,  dans  leur  incorporation  subjective,  sont  gé- 
néralement connues  sous  le  nom  de  «Volonté»  ou  «Volition»),  des- 
cendent aux  gros  Ganglions  Moteurs,  —  les  Corps  Striés. 

Avant  les  expériences  de  Fritsch  et  Hitzig  (1870)  et  de  Ferrier 
(1873),  on  croyait  généralement  que  les  irritations  physiques  des 
surfaces  des  Hémisphères  Cérébraux  étaient  incapables  d'évoquer 
aucun  Mouvement  défini.  Ces  investigateurs  ont  toutefois  trouvé 
que  quelques  Mouvements  définis  pouvaient  être  produits  par  l'irri- 
tation électrique;  et  que,  bien  que  les  Mouvements  varient  de  carac- 
tère, ils  étaient  plus  ou  moins  semblables  lorsque  les  mêmes 
régions  limitées  de  la  Substance  Grise  superficielle  étaient,  en  dif- 
férentes occasions,  excitées  à  un  degré  semblable.  Fritsch  et 
Hitzig  obtinrent  d'abord  des  résultats  de  ce  genre  en  faisant 
usage  de  courants  voltaïques  faibles;  tandis  que  les  observations 
postérieures,  bien  que  plus  étendues,  de  Ferrier  furent  faites  à 
l'aide  de  courants  indails  faibles.  On  trouva  que  les  Mouvements 
ainsi  produits  par  la  stimulation  de  certaines  parties  étaient,  au 
contraire,  abolis,  lorsque  ces  mêmes  parties  de  l'Écorce  Cérébrale 
étaient  détruites  ;  c'est-à-dire  que  ces  Mouvements  ne  pouvaient 
plus  être  accomplis  par  l'animal,  ni  de  sa  propre  volonté  ni  comme 
suite  d'une  excitation  extérieure. 

Quelques-uns  des  principaux  faits  qui  portent  sur  cette  question 
de  l'excitation  ou  de  l'abolition  de  Mouvements  définis,  comme  con- 


EXPÉRIENCES  DE    FEllHIEU  :  AIRE   MOTRICE. 


187 


séquence  de  la  stimulation  ou  de  la  destruction  de  portions  définies 
de  l'écorce  du  Cerveau  chez  les  Singes  i,  seront  peut-être  plus 
brièvement  exposés  en  citant  le  récit,  fait  par  Ferrier,  de  quelques 
observations  portant  sur  un  animal  dont  certaines  parties  du  cer- 
veau avaient  été  précédemment  soumises  à  l'excitation  électrique; 
et  chez  lequel  les  changements  irritatifs  initiaux  furent  prompte- 
ment  suivis  de  processus  morbides  destructeurs,  atteignant  les 
mêmes  parties  de  l'Écorce  Cérébrale. 

Ferrier  dit  [Functions  of  the  Brain,   p.  200)  :  «  La  première  expérience 
que  j'ai  à  rapporter  est  instructive,  en  ce  qu'elle  montre  les  effets  respectifs 


FiG.  181.  — Vue  latérale  du  Cerveau  d'un  Singe,  montrant  les  limites  de  l'aire  motrice  de 
l'Hémisphère  Cérébral  droit  (Ferrier).  c,  sillon  de  Rolando;  d,  lobule  pariétal;  e, 
circonvolution  ascendante  frontale. 


de  l'irritation  et  de  la  destruction  des  circonvolutions  qui  limitent  le  sillon  de 
Rolando.  L'hémisphère  droit  d'un  singe  avait  été  découvert  et  soumis  à  l'expé- 
rimentation par  l'irritation  électrique.  La  partie  découverte  comprenait  les 
circonvolutions  ascendantes  pariétale  et  frontale  et  les  extrémités  postérieures 
des  circonvolutions  frontales.  On  laissa  l'animal  se  remettre,  pour  pouvoir  étu- 
dier les  effets  de  cette  exposition  du  Cerveau.  Le  jour  d'après,  on  trouva  l'ani- 
mal parfaitement  bien.  Vers  la  fin  du  jour  suivant,  où  s'étaient  montrés  des 
signes  d'irritation  inflammatoire  et  de  suppuration,  il  commença  à  souffrir  de 
spasmes  chroniques  de  l'angle  gauche  de  la  bouche  et  du  bras  gauche  ;  ces 
spasmes  revenaient  fréquemment  et  prirent  rapidement  un  caractère  épilepti- 
forme,  affectant  la  totalité  du  côté  gauche  du  corps.  Le  jour  d'après,  l'hémiplégie 
gauche  était  établie,  le  coin  de  la  joue  tiré  à  droite,  l'abajoue  gauche  flasque, 

1.  Les  mouvements  de  ces  Animaux  étant  les  plus  voisins  de  ceux  de 
l'Homme,  et  leur  Cerveau  étant  aussi  le  plus  semblable,  il  vaudra  mieux,  dans 
le  court  espace  que  nous  pouvons  consacrer  à  ce  sujet,  limiter  nos  observations 
aux  résultats  des  expériences  qui  ont  porté  sur  eux,  bien  que  le  C  Ferrier  ait 
aussi  fait  des  expériences  sur  beaucoup  d'autres  animaux. 


188  VOLONTÉ    ET   MOUVEMENTS   VOLONTAIRES. 

et  distendue  par  la  nourriture  qui  s'était  accumulée  en  dehors  de  l'arcade  den- 
taire ;  il  y  avait  paralysie  presque  complète  du  bras  gauche  et  paralysie  partielle 
de  la  jambe  gauche.  Le  jour  suivant,  la  paralysie  du  mouvement  était  complète 
sur  tout  le  côté  gauche,  et  se  maintint  jusqu'à  la  mort,  qui  survint  neuf  jours 
après.  La  sensibilité  tactile  était  conservée,  aussi  bien  que  la  vue,  l'ouïe, 
l'odorat  et  le  goût.  A  l'autopsie,  on  trouva  que  les  circonvolutions  découvertes 
étaient  complètement  ramollies  ;  mais  que,  sauf  cela,  le  reste  de  l'hémisphère 

et  les  ganglions  basilaires  étaient  exempts  de  toute  lésion  organique Nous 

avons  ici  un  cas  évident,  d'abord  d'irritation  vitale  produisant  précisément  les 
mêmes  effets  que  les  courants  électriques  ;  puis  de  destruction  par  ramollissement 
inflammatoire,  aboutissant  à  la  paralysie  complète  des  mouvements  volontaires 
du  côté  opposé  du  corps,  sans  troubles  sensitifs.  » 


L'importante  observation  précédemment  faite  par  Hughiins 
Jackson,  qu'une  irritation  morbide  de  la  région  correspondante  du 
Cerveau,  ou  d'une  partie  de  cette  région,  se  rencontre  particulière- 
ment, sur  l'Homme,  chez  les  personnes  sujettes  aux  convulsions  uni- 
latérales, complètes  ou  partielles,  du  côté  opposé  du  corps,  fut  ainsi 
aussi  pleinement  vérifiée  que  possible  par  ces  observations  expéri- 
mentales sur  le  Singe.  Il  y  a  lieu  de  croire  également  qu'une  ma- 
ladie détruisant  les  Circonvolutions  Cérébrales  de  cette  région  peut 
amener  chez  l'Homme,  comme  on  l'a  vu  chez  le  Singe,  un  état 
aCHémiplégie  complète.  Ainsi,  chez  l'Homme  comme  chez  le  Singe, 
l'irritation  de  certaines  régions  de  la  surface  de  l'un  des  Hémi- 
sphères Cérébraux  est  suivie  de  tiraillements  choréiformes,  ou  de 
véritables  Convulsions,  du  côté  opposé  du  corps  ;  tandis  que  la  des- 
truction des  mêmes  parties  amène  une  Paralysie  unilatérale  du  côté 
opposé.  L'irritation  et  la  destruction  d'autres  régions  de  la  surface 
du  cerveau,  chez  les  Singes,  ne  furent  point  suivies  de  pareilles 
excitations  ou  abolitions  de  Mouvements. 

On  ne  peut  donner  ici  de  détails  sur  les  effets  produits  par  des 
irritations  ou  des  destructions  de  parties  limitées  des  Circonvolu- 
tions comprises  dans  cette  aire  excitable.  Le  lecteur  devra  se  repor- 
ter, pour  cela,  au  chapitre  viii  de  l'ouvrage  de  Terrier.  On  peut 
reconnaître,  toutefois,  les  conclusions  principales  auxquelles  il  est 
arrivé,  en  étudiant  avec  soin  les  figures  182  et  183,  sur  lesquelles 
sont  indiquées  les  situations  des  différents  centres  supposés  des  mou- 
vements spéciaux,  d'après  les  résultats  de  ses  recherches.  Les  voici  : 

(1)  Centres  de  mouvements  de  la  jambe  et  du  pied  opposé,  comme  ceux 
de  locomotion,  —  dans  le  lobule  postéro-pariétal. 

(2,  3,  4)  Centres  de  divers  mouvements  complexes  des  bras  et  des  jambes  ; 
comme  ceux  qui  servent  dans  les  actes  de  grimper,  de  nager,  etc.,  —  dans  les 
circonvolutions  limitant  l'extrémité  supérieure  du  sillon  de  Rolando. 

(5)  Centres  pour  l'extension  en  avant  du  bras  et  de  la  main  ;  comme  lorsqu'on 


EXPERIENCES  DE    FERRIEIl   :  CENTRES  MOTEURS.      189 

étend  la  main  pour  toucher  quelque  chose  en  avant,— dans  l'extrémité  posté- 
rieure de  la  circonvolution  frontale  suioérieure. 

(6)  Centre  des  mouvements  de  la  main  et  de  l'avant-bras,  dans  lesquels  le 
biceps  est  particulièi-ement  en  jeu  (supination  de  la  main  et  flexion  de  l'avant- 
bras),  — près  du  milieu  de  la  circonvolution  ascendante  frontale,  vis-à-vis  de 
l'extrémité  postérieure  de  la  circonvolution  frontale  moyenne. 

(7  et  8)  Centres  des  élévateurs  et  des  dépresseurs  du  coin  de  la  bouche,  — 
dans  l'extrémité  inférieure  de  la  circonvolution  frontale  ascendante. 

(9  et  10)  réunis  en  un  seul,  désignés  comme  le  centre  des  mouvements  des 
lèvres  et  de  la  langue  servant  dans  l'articulation,  —  dans  l'extrémité  postérieure 
de  la  troisième  circonvolution  frontale  (circonvolution  de  Broca). 

(11)  Centre  de  rétraction  du  coin  buccal,  —  dans  la  circonvolution  supra- 
marginale,  j)rès  de  l'extrémité  inférieure  de  la  pariétale  ascendante. 


FiG.  182.  —  Vue  latérale  d'un  Cerveau  de  Singe,  montrant  les  positions  relatives  des 
centres  moteurs  de  l'Hémisphère  Cérébral  gauche  (Ferrier).  Pour  les  indications,  voyez 
le  texte,  et  aussi  la  figure  172. 


(12)  Centre  des  mouvements  latéraux  de  la  tête  et  des  yeux,  avec  élévation 
des  paupières  et  dilatation  des  pupilles  (attitude  d'a(feniion),  —  dans  les  parties 
postérieures  des  circonvolutions  frontales  supérieure  et  moyenne. 

(a,  b,  c,  d)  Centres  des  mouvements  de  la  main  et  du  poignet,  —  dans  la 
circonvolution  ascendante  pariétale. 

La  position  relative  de  ces  centres  moteurs  supposés,  relativement  à  deux 
des  centres  sensitifs  supposés  les  plus  importants,  est  aussi  montrée  sur  la 
figure  182,  où  les  cercles  13  et  13'  indiquent  ce  qui  est  regardé  par  Ferrier 
comme  le  Centre  Visuel  (dans  le  lobule  supra-marginal  et  la  circonvolution 
angulaire),  tandis  que  les  cercles  14, 14  indiquent  la  situation  du  Centre  Auditif 
(dans  la  circonvolution  temporale  supérieure).  On  croit  que  les  centres  du 
Toucher,  de  l'Odorat  et  du  Goût  sont,  comme  nous  l'avons  précédemment 
mentionné  (p.  159-163),  placés  dans  les  circonvolutions  de  la  face  interne  et  du 
sommet  du  Lobe  Temporal. 


Comme  exemple  du   genre  d'évidence  sur  lequel  reposent  les 


190 


VOLONTÉ  ET    MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 


localisations  sus-mentionnées  des  Mouvements  Spéciaux,  on  peut 
citer  l'une  des  expériences  de  Ferrier  qui  porte  sur  ce  point. 

«  L'hémisphère  gauche  d'un  Singe  fut  découvert  dans  la  région  de  la  cii'- 
convolution  frontale  ascendante,  suffisamment  pour  montrer  le  centre  bicipital 
(fig.  182,  6)  ou  centre  de  supination  et  de  flexion  de  l'avant-bras.  La  place 
exacte  étant  déterminée  par  l'application  des  électrodes,  elle  fut  exactement 
cautérisée,  juste  assez  pour  détruire  la  substance  grise  corticale.  Cette  opé- 
ration se  manifesta  aussitôt  par  la  paralysie  du  pouvoir  de  flexion  de  l'avant- 
bi'as  droit.  Tous  les  autres  mouvements  des  membres  étaient  conservés;  mais, 


Fie.  183.  —  Vue  supérieure  d'un  Cerveau  de  Singe,  montrant  les  positions  relatives  de 
quelques-uns  des  centres  moteurs  de  l'Hémisphère  Cérébral  gauche  (Ferrier).  Pour  les 
explications,  voyez  le  texte,  ainsi  que  la  figure  172. 

lorsqu'on  plaçait  le  bras  droit  dans  l'extension,  l'animal  était  tout  à  fait  inca- 
pable de  le  fléchir;  et  le  membre  pendait,  dans  un  état  d'extension  et  de  flacci- 
dité, lorsqu'on  soulevait  l'animal Il  portait  les  objets  à  sa  bouche  avec  la 

main  gauche;  les  mouvements  de  la  jambe  étaient  intacts;  il  n'y  avait  point 
de  paralysie  faciale,  et  la  sensibilité  cutanée  était  parfaite,  de  même  que  les 
autres  modes  de  sensibilité.  » 


Que  les  divers  détails  dont  on  n'a  donné  ici  que  de  brèves  indi- 
cations soient  ou  non  destinés  à  être  confirmés  par  d'autres  investi- 
gations, il  semble  assez  évident  (malgré  tout  ce  qu'on  a  dit  en  sens 
contraire)  que  les  observations  expérimentales  sur  les  Singes,  aussi 
bien  que  les  données  clinico-pathologiques  fournies  par  l'étude  des 


EXPÉRIENCES  DE   FERRIER  :   CENTRES  MOTEURS.      101 

effets  morbides  chez  Pllomme,  viennent  t\  l'appui  de  l'opinion  que 
certaines  régions  excitables  de  TÉcorce  Cérébrale  existent  dans 
chaque  Hémisphère  :  régions  dont  l'irritation  produit  des  Mouve- 
ments Choréiques  ou  Convulsifs  du  côté  opposé,  et  dont  la  des- 
truction entraîne  une  Paralysie  des  parties  correspondantes  du 
corps.  Cette  aire  excitable  (fig.  172,  182)  comprend  les  circonvolu- 
tions qui  limitent  ou  avoisinent  le  stWo?i  de  Rolando;  c'est-à-dire  les 
circonvolutions  ascendantes  frontale  et  pariétale,  le  lobule  postéro- 
pariétal  et  les  parties  postérieures  des  trois  rangées  de  circonvolu- 
tions frontales. 

Il  semble  donc  que  l'on  puisse  supposer,  en  toute  sécurité,  que 
ces  portions  du  Cerveau  sont,  de  quelque  manière,  reliées  à  la  pro- 
duction de  Mouvements.  La  preuve  de  cette  conclusion  est,  en 
réalité,  de  nature  précisément  semblable  à  celle  qui  amène  à  sup- 
poser que  les  Corps  Striés  sont  intéressés  dans  la  production  des 
Mouvements. 

Il  importe,  en  outre,  de  mentionner  que  Surdon,  Sanderson*  et 
autres  ont  montré  que  les  mêmes  Mouvements  spéciaux  qui  suivent 
l'irritation  de  portions  spéciales  limitées  de  l'Écorce,  peuvent  aussi 
être  évoqués  après  l'ablation  de  cette  écorce,  en  stimulant  les  ré- 
gions correspondantes  de  la  substance  blanche  sous-jacente,  ou 
même  en  excitant  des  portions  de  la  surface  des  Corps  Striés  eux- 
mêmes. 

Il  peut  donc  être  regardé  comme  suffisamment  bien  établi  que 
la  grande  majorité  des  stimuli  pour  l'excitation  des  Mouvements 
des  types  Volontaires  et  Idéo-moteurs  part  des  régions  ci-dessus 
spécifiées  de  la  Substance  Grise  pariéto-frontale;  que  ces  stimuli 
traversent  la  substance  blanche  intermédiaire,  pour  atteindre  le  Corps 
Strié  du  même  côté;  suivent,  de  là,  le  chemin  déjà  indiqué  à  tra- 
vers le  Pédoncule  Cérébral,  la  moitié  de  la  Protubérance  et  du 
Bulbe,  et  passent  dans  la  moitié  opposée  de  la  Moelle  —  des  cornes 
antéineures  (de  Substance  Grise)  de  laquelle  les  continuations  de  ces 
stimuli  cérébraux  se  rendent,  par  les  racines  antérieures  et  les  nerfs 
moteurs,  aux  groupes  musculaires  appropriés. 

De  sorte  que  si,  depuis  le  temps  de  David  Hume,  nous  n'avons 
encore  point  appris,  dans  le  sens  complet  du  terme,  «  les  moyens 
par  lesquels  les  mouvements  de  nos  corps  suivent  les  commande- 
ments de  notre  Volonté  »,  nous  avons  du  moins  appris  quelque 
chose  sur  les  parties  qui  y  sont  principalement  intéressées,  et,  par 
conséquent,  sur  les  chemins  que  traversent  les  Stimuli  Volitionnels. 
Et  ceci  constitue  un  progrès  important  dans  notre  connaissance  du 
mode  d'action  du  Cerveau  comme  Organe  de  la  Pensée. 

1.  Proceed.  of  the  Royal  Society,  juin  1874. 


192  VOLONTÉ    ET   MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 

La  question  qui  se  présente  ensuite  est  celle  de  l'interprétation 
la  plus  correcte  des  faits  nouvellement  découverts.  Que  sont  les 
fonctions  ou  modes  d'activité  de  ces  portions  de  l'Écorce  Cérébrale 
d'où  émanent  les  stimuli  qui  doivent  exciter  des  Mouvements  Volon- 
taires spéciaux  ? 

Des  réponses  diverses  ont  été  faites  à  cette  question.  Nous 
avons  (a)  l'hypothèse  de  Terrier,  que  les  résultats  dépendent  de 
l'existence  de  centres  moteurs  pour  les  Mouvements  Volitionnels, 
centres  situés  dans  les  circonvolutions  cérébrales  ;  [b)  l'hypothèse 
de  Schiff,  que  les  Mouvements  des  membres  qui  résultent  de  la  sti- 
mulation des  centres  corticaux  sont  de  nature  réflexe;  et  que  l'affec- 
tion de  la  Motilité,  qui  dépend  de  la  destruction  des  mêmes  parties, 
est  essentiellement  une  ataxie  résultant  de  la  perte  de  la  Sensibilité 
Tactile;  enfin  (c)  l'hypothèse  de  Hitzig  et  Nothnagel,  que  les  aires 
circonvolutionnelles  en  question  sont,  soit  les  centres  du  sens  mus- 
culaire, soit  des  parties  traversées  par  les  impressions  de  ce  sens 
musculaire. 

[a]  L'hypothèse  de  Ferrier  est  si  importante  en  elle-même,  il  a 
si  habilement  plaidé  pour  elle  et  elle  compte  déjà  tant  d'adhérents, 
qu'il  est  désirable  que  nous  examinions  d'assez  près  ces  idées. 

Les  passages  suivants  ont  semblé  à  l'auteur  renfermer  les  vues, 
et  les  énoncés  les  plus  importants  invoqués  par  Terrier,  dans  son 
ouvrage  sur  «les Fonctions  du  Cerveau  »,pour  étayer  sa  proposition, 
que  des  centres   moteurs   existent  dans  les  Circonvolutions  Géré- . 
braies  ^ 

(1)  «  L'ablation  totale  des  hémisphères  (cérébraux)  ag-it  différemment  dans- 
des  classes  différentes.  Chez  les  Poissons,  la  Grenouille  et  le  Pigeon,  l'ablation 
des  hémisphères  n'exerce  que  peu  ou  pas  d'effet  appréciable  sur  les  facultés 
de  station  ou  de  locomotion.  Sous  l'influence  d'une  excitation  extérieure,  ces- 
animaux  nagent,  sautent  ou  volent,  avec  autant  de  vigueur  et  de  précision 
qu'auparavant.  Chez  le  Lapin,  l'ablation  des  hémisphères,  bien  qu'affectant 
décidément  la  motilité  des  membres  antérieurs,  ne  détruit  point  tout  à  fait  le- 
pouvoir  de  station  ou  de  progression  coordonnée  en  réponse  aux  excitations- 
extérieures...  Chez  le  Chien  toutefois,  l'ablation  des  hémisphères  exerce  une 
influence  beaucoup  plus  marquée  sur  ces  facultés,  en  rendant  la  station  et  la 
locomotion  absolument  impossibles  »  (p.  207). 

(2)  «  A  mesure  toutefois  que  les  mouvements  qui  exigent  d'abord  une- 
éducation  volitionnelle  tendent  à  s'organiser  ou  à  devenir  automatiques,  lis- 
sent moins  affectés  par  les  lésions  des  centres  corticaux.  De  là  vient  que,  chez 
le  Chien,  qui  acquiert  rapidement  le  contrôle  de  ses  membres,  la  destruction 
des  centres  corticaux  produit  un  effet  beaucoup  moins  marqué  ;  les  mouvements- 
étant  dans  une  grande  mesure  indépendants  de  ceux-ci,  grâce  à  leur  organisa- 

\.  Les  passages  n'ont  été  arrangés  en  paragraphes,  et  numérotés,  que  pour 
faciliter  les  renvois  aux  diverses  propositions  qui  y  sont  contenues. 


THEORIES    DE    FERRIER.  193 

tion  dans  les  centres  subordonnés  »  (p.  213).  «Dans  la  couche  optique  et  le 
corps  strié,  l'association  entre  certaines  impressions  et  certaines  actions  devient 
si  mécanique,  ou  si  organisée,  que  si  l'on  enlevait  au  Chien  tous  les  centres 
situés  au-dessus  des  ganglions  basilaires,  ceux-ci  seraient,  par  eux-mêmes,  sous 
l'influence  d'excitations  extérieures,  capables  de  produire  tous  les  mouvements 
coordonnés  de  la  locomotion  »  (p.  214). 

(3)  «  Plus  le  contrôle  des  membres  dépend  d'abord,  et  continue  à  dépendre,  de 
l'acquisition  volontaire,  plus  la  destruction  des  centres  moteurs  corticaux  cause 
de  pai'alysie  du  mouvement.  De  là  vient  que,  chez  l'Homme  et  chez  le  Singe,  où 
la  volitiou  prédomine  et  l'automatisme  ne  joue  qu'un  rôle  subordonné  dans 
les  activités  motrices,  la  destruction  des  centres  moteurs  de  l'écorce  cause  une 
paralysie  d'un  caractère  très  marqué  »  (p.  213). 

Les  faits  cités  dans  le  paragraphe  (1)  sont  importants,  indiscuta- 
blement vrais  et  en  partie  bien  connus.  Ils  tendent  simplement  à 
montrer  que,  dans  les  formes  supérieures  de  la  vie,  les  Hémisphères 
Cérébraux  et  les  Corps  Striés  prennent  graduellement  quelques-unes 
des  fonctions  qui,  chez  des  animaux  moins  élevés,  étaient  accom- 
plies par  des  Centres  Bulbaires  et  Spinaux.  Les  Hémisphères  Céré- 
braux, chez  les  animaux  supérieurs,  arrivent  donc  à  exercer  une 
influence  proportionnellement  plus  grande  sur  l'exécution  même 
des  mouvements  communs  exigés  parla  Locomotion. 

Les  faits  établis  dans  les  paragraphes  (2)  et  (3),  bien  qu'ils  puis- 
sent être  parfaitement  vrais,  n'apportent  aucun  appui  spécial  à  la 
théorie  d'Hughlings  Jackson  et  de  Ferrier;  ils  sont  également  d'ac- 
cord, et  même  davantage,  avec  les  vues  exprimées  dans  ce  cha- 
pitre. La  lésion  ou  l'ablation  de  parties  du  Cerveau  intéressées  dans 
une  large  mesure  à  la  direction  Intellectuelle  des  Mouvements,  de 
parties  qui  sont  accoutumées,  et  de  la  manière  la  plus  directe,  à  mettre 
en  activité  les  Corps  Striés  (les  grands  ganglions  moteurs  des  Hémi- 
sphères), contrarierait  nécessairement  l'accomplissement  de  chacun 
de  ces  Mouvements,  précisément  en  proportion  du  degré  de  direc- 
tion intellectuelle  nécessaire  pour  assurer  son  exécution.  La  des- 
truction de  ces  aires  corticales  met,  en  réaiité,  les  Corps  Striés  eux- 
mêmes  hors  de  jeu,  pour  l'exécution  de  tous  les  Mouvements,  sauf 
ceux  qui  sont  tout  d'abord  simples  et  automatiques.  Il  suit  de  là 
que  les  faits  cités  ci-dessus  ne  prêtent  aucun  appui  exclusif  à  l'hy- 
pothèse que  des  centres  moteurs  existent  dans  les  Circonvolutions 
Cérébrales, 

Dans  les  paragraphes  suivants,  Ferrier  expose  certains  dévelop- 
pements ou  corollaires  de  sa  doctrine. 

(4)  «  Le  Chien  dont  les  centres  moteurs  corticaux  ont  seuls  été  détruits, 
est  toutefois  dans  une  position  très  différente.  Il  conserve  ses  centres  sensitifs, 
et  demeure  un  animal  sentant  d'une  façon  consciente  et  capable  d'idéation  et 
d'émotion.  Ce  n'est  pas  simplement  un  mécanisme  dont  l'activité  dépend  pure- 

Charlton-Bastian.  — II.  13 


194  VOLONTÉ  ET    MOUVEMENTS   VOLONTAIRES. 

ment  de  l'excitation  extérieure  ;  mais  il  a  en  lui-même  les  ressorts  d'action, 
sous  la  forme  médiate  d'impressions  ravivées  ou  idéales,  et  est  ainsi  capable 
d'action  spontanée.  Comme  toutefois  les  impressions  ravivées  occupent  la 
même  place,  ou  coïncident  avec  l'activité  physiologique  des  mêmes  parties  qui 
prennent  part  à  la  conscience  des  impressions  présentes,  les  impressions  ravi- 
vées peuvent  mettre  en  jeu  l'appareil  automatique  de  mouvement,  aussi  bien 
que  les  impressions  immédiates  ou  présentes»  (p.  214). 

(5)  «  Dans  le  Chien  privé  de  ses  centres  corticaux,  le  chemin  de  l'impression 
à  l'action  ne  passe  point  aux  Corps  Striés  par  les  centres  moteurs  corticaux, 
comme  dans  le  cours  ordinaire  de  volition,  pour  se  rendre  de  là  aux  ganglions 
et  aux  nerfs  moteurs;  mais  part  directement  des  ganglions  basilaires  »  (p.  215). 

La  supposition  faite  ici,  que  la  voie  de  sortie  de  l'écorce  céré- 
brale est  différente,  dans  le  cas  des  Mouvements  Volontaires,  de  ce 
qu'elle  est  dans  les  Mouvements  Idéo-moteurs,  n'a  jamais  été  prouvée  ; 
et  elle  est  directement  contre-indiquée  par  tout  ce  que  nous  savons 
sur  la  Parole  et  ses  défauts.  Les  quelques  phénomènes  difficiles  à 
expliquer  en  regardant  l'Émotion  comme  leur  instigatrice,  dans  des 
cas  où  la  Parole  était  d'ailleurs  perdue,  ne  garantissent  point  la  propo- 
sition ci-dessus  avancée  que,  dans  les  Mouvements  Idéo-moteurs  et 
Émotionnels  en  général,  la  voie  de  sortie  part  «  directement  des 
ganglions  basilaires  ».  Cette  proposition  est,  à  tout  le  moins,  hypo- 
thétique et  vague;  il  n'est  point  non  plus  correct  de  dire  que  des 
impressions  ravivées  «  peuvent  mettre  en  jeu  l'appareil  automa- 
tique de  mouvements,  exactement  aussi  bien  que  les  impressions 
immédiates  ou  présentes  ».  Elles  sont  proverbialement  plus  faibles; 
et  ne  sont  conséquemment  que  des  excitateurs  moins  puissants  de 
Mouvement.  Et,  à  moins  que  la  supposition  qu'il  y  a  une  voie  de 
sortie  distincte  pour  les  Stimuli  Idéo-moteurs  et  Émotionnels  ne 
soit  mieux  fondée  qu'elle  ne  semble  l'être,  elles  ne  pourraient  point 
agir  du  tout,  dans  le  cas  supposé.  Le  docteur  Ferrier  doit,  ou  éclaircir 
beaucoup  tous  ces  points,  ou  abandonner  toute  tentative  pour 
expliquer  un  fait  qui  nuit  autant  à  son  hypothèse  que  le  rétablisse- 
ment du  pouvoir  moteur  chez  un  chien  après  l'ablation  de  ce  qu'il 
regarde  comme  ses  «  centres  moteurs  volontaires.  »  L'étroite  pa- 
renté qui  existe  entre  les  modes  Volontaires  et  Idéo-moteurs  de 
stimulation  du  Mouvement,  ne  semble  point  avoir  été  appréciée  à 
sa  juste  valeur  par  Ferrier. 

Il  dit  encore  : 

(6)  «  Ainsi  donc,  un  Chien  privé  de  ses  centres  moteurs  corticaux  peut  encore 
être  capable  d'action  spontanée  et  de  locomotion  coordonnée,  sous  l'influence 
d'impressions  présentes  ou  passées,  ou  d'états  émotionnels.  Seulement,  ce  ne 
seront  que  les  mouvements  automatiquement  organisés  dans  les  corps  striés 
qui  pourront  être  ainsi  excités.  Les  mouvements  de  locomotion,  étant  devenus 


OBJECTIONS    AUX    IDÉES    DE    FERRIER.  195 

automatiques,  peuvent  ainsi  être  effectués  aisément;  et  le  Chien  peut  ôlre 
capable  de  marcher  avec  autant  d'aisance  apparente  qu'avant  l'opération.  » 

(7)  «Le  Corps  Strié  est  le  centre  dans  lequel  les  mouvements,  qui  dépendent 
d'abord  de  la  Volition  proprement  dite,  tendent  à  s'organiser  (p.  214).  » 

(8)  «  On  peut  afurmer  avec  confiance,  et  peut-être  on  prouvera  un  jour  par 
l'expérience,  que  n'importe  quel  tour  spécial  appris  par  un  Chien,  se  trou- 
vera aussi  effectivement  pai'alysé  par  l'ablation  des  centres  corticaux  que  le 
sont,  par  la  môme  lésion,  les  mouvements  complexes  et  variés  du  bras  et  de  la 
main  du  Singe.  »  Ces  formes  d'activité,  «  qui  ne  sont  point  habituelles  et  ne 
sont  point  devenues  automatiques,  seraient  rendues  impossibles  »  (p.  215). 

Il  y  a  de  bonnes  raisons  pour  croire  qu'il  n'existe  pas,  entre  les 
Mouvements  Volontaires  et  les  Mouvements  Automatiques  des  dis- 
tinctions définies  du  genre  de  celles  que  suppose  Ferrier.  Il  ne 
semble  point  nécessaire,  et  même  absolument  pas  philosophique,  de 
chercher  des  organisations  nerveuses,  appartenant  aux  Mouvements 
Volontaires,  dans  des  centres  complètement  à  part  de  ceux  où  s'or- 
ganisent les  Mouvements  Automatiques.  Les  Mouvements  Volontaires 
d'une  série  de  générations  tendent  à  devenir  les  Mouvements  Auto- 
matiques de  leur  postérité  éloignée.  Dans  les  périodes  intermé- 
diaires, ils  dépendront  de  moins  en  moins  de  l'Intluence  Cérébrale 
supérieure,  —  ou,  en  d'autres  termes,  de  la  direction  Intellectuelle. 

Ferrier  1  nous  semble  partir  d'une  fausse  conception  fondamen- 
tale, en  supposant,  par  rapport  aux  Centres  Corticaux,  que  ceux 
«  immédiatement  intéressés  dans  la  production  des  Mouvements 
Volitionnels  »  sont,  «  par  cela  même,  véritablement  moteurs  »;  ou  que, 
parce  que  les  Mouvements  Volontaires  sont  paralysés  après  la  des- 
truction de  ces  parties,  nous  avons  dans  ce  fait  la  preuve  qu'elles 
sont  des  «  centres  moteurs».  Si  la  «  Volonté»  ou  les  Stimuli  Volition- 
nels ne  sont  point  des  entités  absolument  indépendantes  et  produites 
d'elles-mêmes  —  et  le  D""  Ferrier  est  loin  de  le  croire  —  on  ne  peut 
les  regarder  que  comme  tirant  leur  origine  des  sièges  organiques 
des  Actions  Perceptives  et  Intellectuelles.  Comme  Spinoza  l'a 
signalé,  il  y  a  plus  deux  siècles,  «  la  Volonté  et  l'Intelligence  sont 
une  seule  et  même  chose»,  —  considérée,  toutefois,  sous  un  aspect 
légèrement  différent. 

{b)  D'après  Schiff  et  autres  auteurs,  les  parties  que  Ferrier  croit 
des  «  centres  moteurs  »  devraient  plutôt  être  regardées  commci  des 
centres  de  Toucher.  Les  mouvements  des  membres  qui  résultent 
de  la  stimulation  de  ces  centres  sont  considérés  par  eux  comme 
de  nature  réflexe;  tandis  que  l'affection  de  la  Motilité,  qui  résulte 
de  leur  destruction,  est  supposée  d'ordre  ataxiqae,  et  occasionnée 
par  la  perte  de  la  Sensibilité  Tactile. 

.  1.  Loc.  cit.,  p.  200. 


196  VOLONTÉ    ET   MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 

Cette  explication  se  trouve  contredite  par  le  fait  que  la  bles- 
sure de  ces  régions  de  la  surface  cérébrale  ne  semble  point  cau- 
ser, pas  plus  chez  les  animaux  que  chez  l'Homme,  une  altération 
distincte  du  sens  du  Toucher;  il  ne  semble  pas  non  plus  qu'il  soit 
vrai,  comme  on  l'avait  d'abord  cru,  que  la  simple  perte  de  la  Sensi- 
bilité Tactile,  même  si  elle  existait,  pût  être,  par  elle-même,  cause 
de  symptômes  ataxiques  ou  paralytiques.  L'évidence  fournie  par 
des  personnes  soufl'rant  d'Hémianesthésie  complète,  ainsi  que  par 
celles  qui  présentent  quelque  forme  d'«  ataxie  locomotrice  »,  semble 
prouver  que  la  perte  de  la  Sensibilité  Tactile  seule  ne  s'oppose 
point  d'une  manière  appréciable  aux  Mouvements  des  parties  affec- 
tées. C'est  là  l'opinion  de  Charcot,  de  Broadbent  et  autres  ;  et  elle 
est  entièrement  confirmée  par  l'examen  que  l'auteur  a  fait  lui- 
même  des  célèbres  Hémianesthésiques  de  la  Salpêtrière,  en  visitant, 
.l'automne  dernier,  les  salles  du  professeur  Charcot  ^  Ce  qui  sem- 
blait d'abord  appuyer  l'opinion  opposée,  et  ce  dont  Ferrier  paraît 
avoir  été  encore  impressionné,  à  l'époque  de  la  publication  de  son 
livre,  est  indiscutablement  défectueux,  et  a  besoin  d'être  réexa- 
miné. 

(c) .  D'après  Hitzig  et  Nothnagel,  l'affection  de  la  Motilité  qui  résulte 
de  la  destruction  des  régions  corticales  en  question,  est  due  à  une 
paralysie  du  «sens  musculaire»  de  l'animal.  Nothnagel  pense  que  le 
fait  de  la  restauration  du  Mouvement,  au  bout  d'un  certain  temps, 
chez  les  chiens,  prouve  que  le  centre  du  «sens  musculaire»  n'est  pas 
lui-même  détruit,  mais  que  la  destruction  des  régions  particulières 
de  l'écorce  a  suffi  à  interrompre  pour  un  certain  temps,  et  non 
loin  de  leurs  termini ,  les  chemins  que  suivent  ces  impressions 
centripètes.  Hitzig,  d'autre  part,  semble  plus  disposé  à  croire  que  le 
centre  lui-même  [slalion  terminale)  des  impressions  du  «  sens 
musculaire  »  ou  de  la  «  conscience  musculaire  »,  est  détruit  par  les 
lésions  expérimentales.  Ou,  si  ce  n'est  point  là  le  cas,  il  est,  comme 
Nothnagel,  porté  à  croire  que  le  chemin  afférent  du  muscle  à  l'a  es- 
prit »  est  interrompu  de  quelque  manière.  Ces  deux  investigateurs, 
pour  appuyer  davantage  leur  opinion,  disent  que  la  condition  de 
l'animal,  eu  égard  à  la  motilité,  est  quelque  peu  semblable  à  celle 
d'un  homme  qui  souffre  de  la  maladie  connue  sous  le  nom  d'  «  ataxie 
locomotrice». 

Contrairement  à  cette  opinion,  Ferrier  soutient  que  «  la  perte 
du  sens  musculaire,  sans  aucune  affection  des  autres  formes  de  la 
sensibilité  commune  ou  tactile,  est  une  condition  dont  l'existence 

1.  Pour  une  description  de  ces  malades,  voy.  Brit.  Med.  Journal,  12  oc- 
tobre 1878.  Voyez  aussi  Ziemssen's  Cyclopœdia.  Vol.  XIII,  p.  88. 


OBJECTIONS    AUX    IDÉES    DE    FERRIKR.  197 

est  purement  hypothétique  ».  Il  considère  en  outre  qu'aucune  inves- 
tigation portant  sur  ce  sujet  n'a  donné  la  moindre  preuve  d'altéra- 
tion ou  de  perte  du  Toucher  ou  de  la  Sensibilité  Commune,  lorsque 
ses  prétendus  «  centres  moteurs  »  ont  été  détruits.  11  conclut  de  là  que 
le  «sens  musculaire  »  est  aussi  demeuré  sans  altération  (voy.  vol.  I", 
p.  5/i).  L'affection  de  la  motilité  que  l'on  rencontre  après  la  destruction 
des  centres  moteurs  «  ne  ressemble,  dit-il,  à  l'ataxie  que  dans  le 
cas  du  Chat,  du  Chien,  etc.;  mais  chez  l'Homme  et  le  Singe  la  ressem- 
blance fait  défaut  :  car,  chez  ceux-ci,  il  y  a  paralysie  motrice  com- 
plète, avec  conservation  distincte  de  la  sensibilité  primitive  aux 
diverses  formes  d'excitations  cutanées.  L'argument  tiré  de  la  simple 
ressemblance  vient  donc  à  manquer  lorsque  l'onétablitunecomparai- 
son  un  peu  plus  large.  Mais  on  a  en  outre  montré  que  la  condition  que 
l'on  peut  avec  vérité  décrire  comme  la  perte  du  sens  musculaire  ou 
de 'la  conscience  musculaire,  dépend  de  lésions  d'une  partie  totale- 
ment différente  du  cerveau,  c'est-à-dire  la  région  hippocampale, 
ou  centre  de  la  conscience  tactile ^  ». 

Ces  objections  de  Ferrier  aux  vues  de  Nothnagel  et  Hitzig  ne 
nous  semblent  pas  avoir  autant  de  force  qu'il  le  suppose.  Nos  con- 
naissances relativement  aux  divers  points  qu'il  touche  sont  loin  d'être 
complètes,  mais  ce  qui  est  prouvé  jusqu'ici  peut  s'interpréter  d'une 
manière  tout  à  fait  différente.  Ainsi  les  observations  de  Landry,  ainsi 
que  le  cas  de  Demaux  ^,  lorsqu'on  les  oppose  à  ce  qui  existe  chez 
les  malades  hémianesthésiques  ordinaires,  rendent  probable  que  les 
impressions  inconscientes  du  Sens  Musculaire,  dans  le  sens  res- 
treint de  ce  terme,  ont  une  existence  distincte,  et  probablement  un 
«  foyer  »  cérébral  particulier,  tout  à  fait  distinct  des  impressions 
tactiles,  quelle  que  puisse  être  la  région  de  l'écorce  où  se  rendent 
plus  spécialement  ces  dernières.  Les  chemins  que  suivent  ces  deux 
classes  d'Impressions,  c'est-à-dire  celles  qui  viennent  des  Muscles  et 
celles  qui  viennent  de  la  Peau,  semblent  être  topographiquement 
distincts  dans  la  Moelle;  ils  sont  probablement  plus  ou  moins  conti- 
gus  dans  les  Pédoncules  Cérébraux,  mais  peuvent  ensuite  diverger 
de  nouveau  et  aller  à  des  Circonvolutions  Cérébrales  différentes,  bien 
qu'en  relations  fonctionnelles,  au  lieu  de  se  rendre  à  la  même  région 
cérébrale,  comme  Terrier  semble  le  supposer  (voy.  p.  166). 

L'Écorce  Cérébrale  doit,  à  notre  point  de  vue,  être  regardée 
comme  une  agrégation  continue  de  centres  entrelacés,  vers  laquelle 
les  Impressions  afférentes  convergent  de  diverses  parties  du  corps  : 
là,  elles  entrent  en  relation  les  unes  avec  les  autres,  de  différentes 
manières,  et  donnent  conjointement  naissance  à  des  actions  ner- 

1.  Loc.  cit.,  p.  218. 

2.  Voyez  p.  284. 


198  VOLONTÉ    ET   MOUVEMENTS   VOLONTAIRES. 

veuses,  qui  ont  pour  corrélatifs  subjectifs  toutes  les  Sensations  et 
Perceptions,  tous  les  Processus  Intellectuels  et  Émotionnels  que  l'in- 
dividu est  capable  d'éprouver.  De  ces  «  stations  terminales  »,  et  en 
relation  complexe,  des  courants  centripètes,  et  de  certaines  annexes 
en  connexion  avec  elles,  partent  des  courants  centrifuges  qui 
excitent,  suivant  des  modes  définis,  l'activité  des  «  centres  moteurs» 
les  plus  élevés  (les  Corps  Striés  et  le  Cervelet)  ;  et,  par  eux,  évoquent 
l'activité  convenablement  coordonnée  de  combinaisons  motrices 
inférieures,  de  manière  à  donner  naissance  à  tous  les  Mouvements 
qui  sont  désirés^  ou  qui  ont  coutume  de  se  produire  en  réponse  à 
des  Sensations  ou  à  des  Idées  particulières. 

Le  plan  sur  lequel  les  Centres  Nerveux  sont  généralement  con- 
struits, de  quelque  degré  qu'ils  soient,  rend  essentiel  que  le  sti- 
mulus qui  éveille  l'activité  d'un  ganglion  ou  centre  moteur,  leur 
parvienne  par  les  fibres  unissantes  venant  d'un  ganglion,  centre"  ou 
groupe  de  cellules,  de  nature  sensitive,  —  c'est-à-dire  de  cellules 
qui  sont  en  relation  immédiate  avec  des  fibres  afférentes  (voy.  v.  P', 
p.  19). 

Si  nous  revenons  au  système  nerveux  très  simple  d'un  Limaçon 
(flg.  27),  nous  trouvons  deux  Ganglions  Sensitifs  supérieurs  reliés 
par  des  commissures  distinctes  à  deux  Ganglions  Moteurs  associés. 
On  ne  saurait  guère  douter  que  les  stimuli  (suites  des  processus  ner- 
veux qui  sont  en  rapport  avec  les  Sensations)  n'aient  coutume  de 
partir  de  ces  Ganglions  Sensitifs  le  long  des  fibres  commissurales 
qui  les  unissent  avec  les  Ganglions  Moteurs;  et  que, suivant  leurs 
différentes  origines  ou  points  de  départ,  ces  stimuli  puissent  faire 
que  les  derniers  ganglions  évoquent  des  contractions  musculaires 
distinctes  dans  diverses  parties  du  corps.  Si  nous  pouvions  galvaniser 
séparément  les  diverses  terminaisons  sensitivesde  ces  fibres  inter- 
nonciales,  nous  évoquerions  sans  doute  des  Mouvements  semblables. 
Mais  ces  faits  nous  autoriseraient-ils  à  conclure  que  ces  Ganglions 
Sensitifs  contiennent  des  Centres  moteurs  .5*  Assurément  non  :  pas  plus 
que  nous  ne  saurions  être  autorisés  à  appeler  cellules  motrices  les 
cellules  sensitives  du  côté  centripète  du  mécanisme  simple  de  quelque 
action  réflexe,  uniquement  parce  qu'il  sort  d'elles  un  stimulus  qui  finit 
par  évoquer  le  Mouvement,  —  après  qu'il  a  passé  à  travers  d'autres 
éléments  nerveux  qui,  du  consentement  général,  sont  regardés 
comme  cellules  motrices. 

Les  fibres  nerveuses  qui  descendent  de  l'Écorce  Cérébrale  aux 
Corps  Striés,  chez  les  animaux  supérieurs  et  chez  l'Homme,  sont,  par 
leur  nature,  strictement  comparables  aux  fibres  unissant  les  Cellules 
«  sensitives  »  et  «  motrices  »  dans  un  mécanisme  nerveux  ordinaire 
d'Action  Réflexe.  Ces  courants  qui  viennent  des  cellules  «sensitives» 
peuvent  passer  dans  le  même  plan  horizontal,  peuvent  avoir  à  mon- 


OBJECTIONS    AUX   IDÉES    DE    FERRIER.  199 

ter,  ou,  comme  il  arrive  plus  fréquemment, à  descendre  aux  cellules 
motrices,  situées  à  un  niveau  inférieur  ^ 

Les  Corps  Striés,  conjointement  avec  le  Cervelet,  sont  sans  doute 
spécialement  mis  en  activité  par  TÉcorce  Cérébrale,  suivant  des 
manières  qui  sont  fort  importantes,  bien  qu'elles  ne  puissent  être 
définies  avec  précision.  Ces  organes,  comme  nous  le  soutenons,  sont 
les  grands  ganglions  moteurs,  par  lesquels  opèrent  les  stimuli  cor- 
ticaux résultant  d'une  direction  «Volitionnelle  »ou  Intellectuelle.  Si, 
en  effet,  ce  que  l'on  a  établi  dans  ce  chapitre  donne  un  exposé  tant 
soit  peu  exact  des  relations  qui  existent  entre  les  Mouvements  Volon- 
taires et  Automatiques,  il  n'y  a  pas  besoin  de  dire  ici  un  seul  mot  de 
plus  contre  le  point  de  vue  général  sur  lequel  Hughlings  Jackson  et 
Ferrier  font  reposer  leur  hypothèse  de  l'existence  de  centres  moteurs 
dans  l'Écorce  Cérébrale,  ni  contre  l'opinion  que  les  mécanismes  des 
Mouvements  Volontaires  sont  organisés  dans  des  régions  tout  à  fait 
différentes  de  celles  qui  ont  affaire  à  l'exécution  des  Mouvements 
Automatiques. 

Ce  que  l'on  a  dit,  au  commencement  de  ce  chapitre,  sur  l'origine 
et  la  nature  des  stimuli  «  Volitionnels  »,  joint  à  ce  qui  a  été  établi 
ci-dessus,  permet  d'expliquer  les  résultats  de  l'irritation  et  de  la 
destruction  de  certaines  aires  fronto-pariétales  de  Substance  Grise, 
et  de  la  substance  blanche  qui  s'étend  entre  elles  et  les  Corps  Striés, 
sans  appuyer  en  rien  la  supposition  qu'il  existe  des  «  Centres  mo- 
teurs »  dans  les  Circonvolutions  Cérébrales  ^. 


1.  Ainsi  donc,  à  cause  de  la  variabilité  de  cette  relation,  ces  fibres  nerveuses 
ne  sauraient  être  regardées  comme  invariablement  en  relation  soit  avec  les 
courants  «  centripètes», soit  avec  les  courants  «  centrifuges». Nous  pouvons  les 
distinguer  par  le  nom  de  fibres  internonciales ;  en  comprenant  que,  dans  des 
parties  différentes  du  Système  Nerveux,  les  courants  sont  transmis  le  long  d'elles 
dans  une  direction  ascendante,  horizontale,  ou  descendante.  Cependant,  comme 
les  stimuli  émanant  des  Centres  Sensitifs  et  de  leurs  annexes  dans  l'Écoixe  Céré- 
brale prennent  immédiatement  une  direction  descendante  vers  les  Corps  Striés, 
il  conviendra  mieux,  dans  ce  cas,  de  parler  de  l'origine  des  courants  «  centri- 
fuges» comme  se  trouvant  dans  l'Écorce  Cérébrale  elle-même,  et  de  regarder 
certains  de  ses  centimes  comme  occupant  ce  que  l'on  a  justement  nommé  le 
«coude  du  courant», —  c'est-à-dire  les  régions  où  les  courants  «  centripètes  » 
finissent,  ou  font  place  aux  courants  «  centrifuges  ». 

2.  Nous  avons,  en  réalité,  affaire  ici  à  une  fausse  conception  fort  semblable, 
pour  sa  nature,  à  celle  qui  a  précédemment  conduit  Foville  et  autres  à  regar- 
der le  Cervelet  comme  un  Organe  Sensitif  (p.  135)  uniquement  parce  que  des 
«  fibres  internonciales  »  y  entrent,  en  venant  de  divers  noyaux  ou  ganglions  sen- 
sitifs. Prétendre  que  des  groupes  de  cellules  ont  des  fonctions  motrices,  uni- 
quement parce  que  les  stimuli  qui  en  partent  évoquent  des  mouvements 
lorsqu'ils  arrivent   à  des   ganglions  moteurs,  c'est  raisonner  exactement  de 


200     .       VOLONTÉ    ET    MOUVEMENTS    VOLONTAIRES. 

Les  Centres  en  question  sont  plutôt  de  nature  «sensitive»,  et  sont 
probablement  en  relation  intime  avec  certains  groupes  d'Impres- 
sions Kinesthétiques,  —  quelles  que  soient  les  autres  fonctions  aux- 
quelles ils  servent,  ou  les  autres  centres  avec  lesquels  ils  puissent 
être  en  relation  intime.  Nous  avons  assurément  vu  des  raisons  de 
croire  que  les  Centres  Kinesthétiques  doivent  être  en  relation  fonc- 
tionnelle des  plus  intimes,  à  la  fois  avec  les  Centres  Visuels  et  les 
Centres  Auditifs.  D'un  ou  plusieurs  (mais  peut-être  plus  spécialement 
des  premiers]  de  ces  centres  perceptifs  reliés  entre  eux,  ou  de 
leurs  annexes,  partent  des  «fibres  internonciales»,par  lesquelles  ils 
sont  mis  en  relation  fonctionnelle  avec  les  gros  ganglions  moteurs 
sous-jacents,  —  les  Corps  Striés. 

L'excitation  de  certains  groupes  de  ces  «  fibres  internonciales  » 
produirait  certains  Mouvements  Choréiques  ou  Convulsifs  spéciaux  ; 
leur  destruction  amènerait  la  Paralysie;  et,  considérant  la  direction 
dans  laquelle  ils  transmettent  leurs  stimuli,  l'analogie  nous  amène- 
rait à  conclure  qu'en  détruisant  leurs  connexions  avec  les  cellules 
nerveuses  corticales,  on  déterminerait  la  production  de  petites 
bandes  ou  de  petits  espaces  de  dégénérescence  descendante^  entre 
les  points  détruits  et  le  Corps  Strié  correspondant. —  Ce  sont  cepen- 
dant là  les  résultats  des  cas  sur  lesquels  s'appuient  avec  tant  de 
confiance  quelques  auteurs,  pour  soutenir  les  fonctions  «  motrices  » 
de  ces  portions  de  l'Écorce  Cérébrale. 

même  que  prétendre  qu'un  organe  a  des  fonctions  sensitives,  parce  qu'il  reçoit 
des  fibres  venant  de  cellules  sensitives. 


CHAPITRE    XXVII 


SUBSTRATUM  CEREBRAL  DE  L  ESPRIT 


Après  la  première  Sensation^  il  n'y  a  rien  qui  réponde  stricte- 
ment à  ce  terme.  Nous  réalisons  seulement,  d'une  manière  con- 
sciente, une  impression  quelconque  comme  étant  de  telle  ou  telle 
nature,  en  la  comparant  automatiquement  avec  d'autres  impressions 
antérieures.  Une  simple  Sensation  ne  saurait,  en  réalité,  exister 
qu'à  peine  dans  la  conscience,  et  ne  saurait  être  imaginée  par  nous 
dans  notre  phase  actuelle  d'évolution  mentale.  Nos  prétendues 
Sensations  sont  en  réalité  des  Perceptions.  Dans  un  seul  et  même 
acte  ou  état,  chacune  d'elles  incorpore  Sentiment  et  Intelligence 
dans  une  indissoluble  connexion. 

Il  ne  faut  donc  point  chercher  un  siège  de  «  Sensation  simple  «ou 
«  brute  «.Les  sièges  des  états  de  sensibilité  consciente, dans  la  seule 
phase  intelligible  où  ces  états  peuvent  exister  pour  nous,  sont  des 
centres  de  Perception^. 

Comme  l'acte  de  Perception  comprend  la  comparaison  automa- 
tique d'impressions  présentes  avec  d'anciennes  impressions  ravi- 
vées de  même  nature,  ainsi  que  de  quelques-unes  ou  de  toutes  les 
autres  sortes  d'impressions  susceptibles  d'être  produites  par  l'Objet 
perçu,  il  arrive  que  les  prétendues  Sensations,  même  les  plus  sim- 
ples, nécessitent  l'activité  conjointe,  non  point  d'une  seule  étendue 
limitée  de  substance  grise  corticale,  —  mais  plutôt  de  mécanismes 
fibro-cellulaires  largement  étendus,  correspondant  peut-être  à  un 
grand  nombre  de  Centres  Perceptifs  plus  ou  moins  dispersés  et 
reliés  d'une  manière  plus  ou  moins  complexe  (p.  l/i9). 

Voyant  que  chaque  Centre  Perceptif  forme  la  base  ou  le  point 
de  départ  de  différents  processus  d'Idéation  et,  par  conséquent,  de 
Pensée,  et  que  les  divers  centres  doivent  avoir  le  même  genre  de 
relation  avec  l'Émotion,  nous  pouvons  trouver  là-dedans  une  raison 
de  plus  pour  croire  que  les  différents  Centres  Perceptifs  sont  diffus, 
et  que  des  parties,  largement  séparées,  des  Hémisphères  Cérébraux 
sont  probablement  unies  ensemble  pour  une   action  simultanée, 

1.  Voy.  p.  137,  vol.  P"-,  et  150;  et  Nature,  20janv.  1870,  p.  309. 


202  SUBSTRATUM    CÉRÉBRAL    DE    L'ESPRIT. 

/ 

même  dans  la  Perception  sensitive  la  plus  simple,  —  renfermant, 
comme  le  fait  ce  processus,  les  germes  de  la  Pensée  et  de  l'Émo- 
tion, pour  ne  rien  dire  de  la  Volition^  Et,  quoique  ces  réseaux  ner- 
veux diffus,  bien  que  fonctionnellement  unifiés,  puissent  différer 
beaucoup  de  «  Centres  »  ordinaires  (grâce  à  leur  manque  supposé  de 
délimitation  topograpliique  distincte  et  exclusive),  il  convient  encore 
de  pouvoir  désigner  des  réseaux  de  cette  nature  sous  le  nom  de 
Centres. 

Mais,  aux  mécanismes  perceptifs  complexes  en  relation  avec  les 
cinq  se7is,  viennent  s'ajouter  d'autres  Centres  Cérébraux  pour  les 
impressions  afférentes,  dont  quelques-uns  sont,  pendant  leur  action, 
habituellement  accompagnés  de  plus  ou  moins  de  Conscience  ;  tandis 
que  d'autres  sont  complètement  dépourvus  d'un  accompagnement 
conscient.  Cependant  tous  ces  Centres,  —  tout  à  fait  indépendants 
du  degré  de  vivacité  des  accompagnements  subjectifs  qui  dépen- 
dent de  leur  activité,  —  sont  probablement  situés  dans  quelques 
portions  de  l'Écorce  Cérébrale  '^. 

Il  y  a  tout  d'abord  les  termini  pour  l'importante  classe  des 
Impressions  Viscérales  qui,  pour  autant  qu'elles  sont  en  rapport 
avec  la  «  vie  de  relation  »  de  l'animal,  peuvent  se  diviser  en  deux 
principales  catégories,  — les  Alimentaires  et  les  Génitales.  Les  parties 
du  Centre  Viscéral  qui  appartient  à  ces  groupes  d'impressions  sont 
les  foyers  cérébraux  en  relation  avec  deux  appétits  tout-puissants. 
Chacun  d'eux  doit  être  en  connexion  intime  avec  les  Centres  Per- 
ceptifs spéciaux, dont  l'activité  est  excitée  d'une  manière  conjointe, 
pendant  les  temps  où  reviennent  et  se  manifestent  activement  les 
divers  Instincts  des  animaux,  aussi  bien  que  pendant  les  diverses 
phases  des  passions  et  des  actions  humaines  qui  sont  reliées,  d'une 
façon  immédiate  ou  éloignée,  avec  des  Impressions  Viscérales  de  ce 
genre. 

Il  y  a  une  autre  grande  classe  d'Impressions,  différant  absolu- 
ment des  Impressions  précédentes,  soit  «spéciales  »,  soita  viscérales  » 

1.  Voy.  D''  Lombard  :  On  the  Effect  of  Intellectual  and  Emotional  Activity 
on  the  Température  of  the  Head,  in  :  Proceed.  of  Royal  Society.  1878,  p.  462. 

2.  Parmi  ceux-ci,  il  faut  peut-être  comprendre  un  Centre  du  «  Sens  d& 
l'Espace)),  dont  l'activité  serait  toutefois  de  moindre  importance  pour  l'Homme 
que  pour  beaucoup  d'animaux  inférieurs  (p.  166-170,  vol.  P^- Les  migrations 
instinctives  et  non  apprises  des  jeunes  Oiseaux  peuvent  dépendre,  dans  une 
large  mesure,  de  l'activité  automatique  de  ce  Centre,  et  sont  des  phénomènes 
du  même  ordre  que  la  crainte  instinctive  manifestée  par  le  jeune  Dindon  en 
entendant  le  cri  du  Faucon  (p.  147,  vol  I"),  ou  l'appréciation  instinctive  de  la 
nourriture  et  de  la  distance,  qui  permet  au  jeune  Poulet  de  capturer  une 
Abeille  (p.  146,  vol.  P').  Dans  tous  ces  cas,  nous  avons  affaire  à  des  Perceptions 
automatiques,  aussi  bien  qu'à  des  Mouvements  Automatiques. 


IMPRESSIONS    VISCÉRALES    ET    KINESTHÉTIQUES.      -iOî 

(bien  que  les  mécanismes  physiques  qui  s'y  rapportent  puissent  être 
inextricablement  entremêlés),  —  ce  sont  les  Impressions  kiiicsthé- 
liques.  Ici  nous  n'avons  point  affaire,  sauf  d'une  manière  indirecte, 
à  des  impressions  venant  des  surfaces,  soit  extérieures,  soit  inté- 
rieures, de  rOrganisme.  Des  impressions  de  ce  genre  évoquent  des 
Mouvements;  et  ceux-ci,  à  leur  tour,  occasionnent  diverses  impres- 
sions centripètes.  Quelques-unes  de  ces  dernières  Impressions 
Kinesthétiques  (comme  celles  occasionnées  par  les  contractions  du 
Cœur  et  du  Canal  Alimentaire)  ne  donnent  lieu,  chez  l'Homme  en 
santé,  à  aucune  phase  consciente  appréciable;  il  est  même  douteux 
que  quelques-unes  d'entre  elles  arrivent  jamais  au  Cerveau.  D'autres 
de  ces  impressions  toutefois,  —  surtout  dans  les  cas  où  des  Muscles 
sont  mis  en  jeu  volontairement  dans  des  actions  inaccoutumées,  et 
où  les  Mouvements  produits  affectent  de  grandes  Articulations  ou 
de  grandes  étendues  de  Peau,  —  donnent  naissance  à  des  États 
Conscients  plus  ou  moins  distincts  ;  et  l'on  ne  saurait,  par  suite, 
raisonnablement  douter  que  ces  impressions  n'atteignent  les  Centres 
Kinesthétiques  situés  dans  l'ôcorce  des  Hémisphères. 

II  est  important  de  se  souvenir,  touchant  cette  dernière  Faculté 
Sensorielle,  que  ses  impressions  sont  en  partie  de  nature  distinc- 
tement Tactile,  et,  comme  telles,  sont  probablement  réalisables,  ou 
ont  leurs  sièges  organiques  dans  des  portions  du  Centre  Tactile  ;  et 
que  celles  d'entre  elles  qui  sont  le  moins  Conscientes  sont  proba- 
blement les  impressions  qui  émanent  des  Muscles  eux-mêmes.  Ces 
derniers  composants  du  Sens  Kinesthétique,  qui  présente  tant  de 
faces,  correspondent  principalement  avec  ce  que  Ton  a  nommé, 
d'une  manière  erronée,  «  conscience  musculaire  »,  ou  avec  le  «  sens 
musculaire  »  dans  l'acception  la  plus  limitée  où  l'on  ait  employé  ce 
terme. 

La  présence  du  Mouvement  est,  pour  le  Sens  Kinesthétique,  ce 
que  la  présence  d'un  objet  est  pour  le  Sens  Visuel  ;  et  l'inaptitude  à 
connaître  les  impressions  occasionnées  par  le  Mouvement  (qu'il 
s'agisse  des  impressions  conscientes  ou  des  inconscientes,  ou  des 
deux  sortes  à  la  fois),  qui  est  parfois  produite  par  certaines  condi- 
tions morbides,  est  un  défaut  du  Sens  Kinesthétique  tout  à  fait 
analogue  à  ce  qu'est  la  cécité  relativement  au  Sens  de  la  Vue. 
Ainsi  donc,  parler,  comme  Terrier  ^  de  cette  conséquence  du  Mou- 
vement et  des  Sensations  qu'il  amène,  comme  d'une  association  sen- 
sori-molrice,  c'est  se  tromper  absolument,  et  renverser  la  signifi- 
cation réelle  des  phénomènes  auxquels  il  fait  allusion. 

Les  impressions  qui  nous  viennent  de  chacun  des  Organes  des 
Sens  spéciaux  dépendent  en  partie,  quant  à  leurs  diverses  combinai- 

1.  Loc.  cit.,  p.  268. 


204       SUBSTRATUM  CÉRÉBRAL  DE  L'ESPRIT. 

sons,  des  Mouvements  de  ces  organes;  et  pour  ceci,  aussi  bien  que 
pour  d'autres  raisons  sur  lesquelles  on  reviendra  plus  tard,  les  con- 
nexions qui  existent  entre  les  divers  «  centres  perceptifs  »  de  ces 
impressions  (surtout  de  celles  du  Toucher  et  de  la  Vue)  et  le  Centre 
Kinesthétique,  doivent  être  particulièrement  intimes  et  complexes. 

Chaque  Centre  Perceptif  «  spécial  »,  ainsi  que  le  Centre  «  viscéral  », 
peut,  à  certains  moments  et  suivant  la  nature  du  stimulus,  former, 
soit  dans  des  actes  sensori-moteurs,  soit  dans  les  actes  idéo-moteurs, 
le  point  de  départ  de  stimuli  centrifuges  qui  vont  exciter  les  Centres 
Moteurs.  Mais,  si  ces  impulsions  sortent  directement  de  ces  centres 
«  spéciaux  »  ou  «  viscéraux  »,  ou  si  (sans  que  notre  conscience  soit 
éveillée)  elles  passent  d'abord  de  ces  Centres  à  quelques  parties  des 
Centres  Kinesthétiques,  c'est  ce  qu'il  faut  regarder  comme  demeu- 
rant jusqu'ici  fort  incertain. 

Dans  d'autres  occasions,  l'un  ou  l'autre  des  Centres  Perceptifs 
«  spéciaux  »  peut  recevoir  des  impressions  qui  forment  les  premiers 
points  de  départ  du  courant  aboutissant  à  des  Actes  Volontaires  ; 
bien  que  l'exécution  immédiate  du  Mouvement  ainsi  déterminé 
puisse,  dans  le  cas  de  la  majorité  des  mouvements  des  membres, 
dépendre  de  la  direction,  excitée  d'une  manière  secondaire,  de  Cen- 
tres Visuels  et  Kinesthétiques  coactifs; —  de  même  que,  dans  le  cas 
des  mouvements  complexes  du  Langage  Articulé,  l'exécution  immé- 
diate de  ces  mouvements  dépend  de  l'activité  régulatrice  des 
Centres  Auditifs  et  Kinesthétiques  combinés  i. 

Grâce  à  la  grande  prépondérance  des  mouvements  du  bras  et  de 
la  main  droite,  comparativement  à  ceux  du  côté  gauche,  le  Centre 
Kinesthétique  de  l'Hémisphère  Cérébral  gauche  serait  beaucoup 
mieux  développé,  chez  la  grande  majorité  des  personnes,  que  celui 
de  l'Hémisphère  droit.  Les  impressions  du  Sens  Kinesthétique  sont, 
sous  ce  rapport,  précisément  analogues  à  celles  du  Toucher, — et  ces 
deux  sortes  de  facultés  sensitives  se  confondent,  ainsi  que  nous 
l'avons  vu,  d'une  manière  si  intime,  qu'il  est  en  partie  impossible 
de  séparer  l'un  de  l'autre  leurs  Centres  Cérébraux. 

Cette  activité  prépondérante  de  l'Hémisphère  Cérébral  gauche 
relativement  aux  Impressions  Tactiles  et  Kinesthétiques  (prépondé- 
rance sur  laquelle  il  ne  saurait  y  avoir  de  doutes),  peut  également 
tenir  à  un  autre  fait;  c'est-à-dire  que  l'Hémisphère  gauche  est  le 
plus  puissant,  et  semble  assumer  la  direction,  en  donnant  naissance 
aux  Impulsions  Volontaires  qui  déterminent  les  actes  musculaires 
du  Langage  Articulé  ^. 

1.  Voy.  p.  174,  et  chap.  xxix. 

2.  Voy.  p.  57,  et  aussi  le  D'' Lombard  :  Proceed.  ofthe  Royal  Society,  i818, 
p.  463,  464. 


IMPRESSIONS   KINESTHÉTIQUES.  205 

Quant  à  nos  «  idées  »  de  Mots,  —  les  symboles  avec  lesquels  nos 
Pensées  sont  entrelacées  d'une  manière  inextricable,  —  elles  sont 
pour  la  plupart  complexes;  les  composants  (comme  dans  le  cas  de 
Perceptions  simples)  dépendant  de  Factivité  de  Centres  différents 
—  qui  n'ont  pas  toujours  besoin  d'agir  ensemble  —  et  devant  être 
probablement  énumérés  ainsi,  dans  l'ordre  de  leur  importance  : 
Auditif,  Visuel,  et  Kinesthétique. 

De  ces  modes  de  rappel  «idéal «des  Mots, les  deux  premiers  sont 
distincts  et  aisément  recouvrables,  tandis  que  le  dernier  est  carac- 
téristiquement  vague  et  difficile  à  réaliser  d'une  manière  consciente. 
Que  chacun  fasse  contraster  son  idée  du  son  du  mot  «  Londres  » 
ou  son  idée  de  l'apparence  du  mot  lorsqu'il  est  écrit,  avec  son  idée 
des  sentiments,  musculaires  et  autres,  associés  à  l'articulation  du 
même  mot;  et  l'infériorité  de  cette  dernière  idée,  sous  le  rapport  de 
la  netteté,  deviendra  immédiatement  évidente.  11  n'y  a  toutefois 
rien  de  surprenant  en  ceci,  puisque  nous  savons  que  les  Impressions 
Kinesthétiques  tendent  généralement,  comme  les  Impressions  Viscé- 
rales, à  venir  bientôt  affecter  le  mécanisme  moteur  de  nos  corps 
sans  éveiller  notre  Conscience.  Chez  les  animaux  qui  naissent  avec 
leurs  facultés  motrices  déjà  presque  complètes  (vol.  I",  p.  lZi6,  177), 
les  Impressions  Kinesthétiques  entrent  probablement  aussi  peu  dans 
la  Vie  Mentale  consciente,  que  les  Impressions  Viscérales  dans  la 
nôtre. 

La  Parole  est  déjà  devenue,  pour  la  race  humaine,  un  acte  beau- 
coup plus  instinctif  que  l'Écriture;  de  sorte  que  c'est  simplement 
un  résultat  de  la  tendance  à  laquelle  on  a  fait  allusion  ci-dessus, 
si  les  Impressions  Kinesthétiques  appartenant  aux  actes  moteurs 
les  plus  profondément  greffés,  sont  devenues  proportionnellement 
plus  vagues  et  plus  difficiles  à  reconnaître.  Que  cette  explication 
soit  ou  non  correcte,  le  fait  lui-même  est  évident.  Que  n'importe 
qui  ferme  les  yeux  et  place  ses  doigts  dans  la  position  qui  convient 
pour  l'écriture,  et  fasse  dans  l'air  les  mouvements  nécessaires  pour 
écrire  le  mot  Londres;  qu'immédiatement  après  il  articule  le  même 
mot,  et  compare,  sous  le  rapport  de  la  netteté  relative,  les  deux 
groupes  d'Impressions  Kinesthétiques.  La  différence  paraît  à  l'au- 
teur être  tout  à  fait  marquée. 

On  peut  aisément  comprendre  que  la  Pensée,  chez  un  enfant  ou  chez  une 
personne  «distraite»,  s'accompagne  d'Articulations  murmurées,  en  réfléchissant 
à  quel  degré  la  parole  devient  bientôt  un  acte  simplement  réflexe  ou  «  idéo-mo- 
teur»;  et  en  considérant  que  le  phénomène  en  question  se  présente  spéciale- 
ment chez  les  personnes,  ou  dans  des  conditions,  où  le  Contrôle  Volitionnel  fait 
défaut,  et  où  les  actions  réflexes  sont  le  plus  portées  à  se  manifester.  En  outre, 
si  l'Articulation  (lorsqu'elle  n'est  point  désirée)  accompagne  si  fi'équemment  les 
tentatives  que  font  pour  lire  une   personne  illettrée  ou  un  enfant,   cela  est 


205       SUBSTRATUM  CÉRÉBRAL  DE  L'ESPRIT. 

simplement  dû  au  fait  que,  pendant  le  processus  d'instruction  (dont  ils  ne  sont 
point  encore  affranchis),  leurs  tentatives  sont  toujours  accompagnées  par  des 
articulations  vocales,  —  comme  dans  l'action  de  lire  à  haute  voix  devant  un 
maître.  S'aiTèter  à  la  simple  réalisation  de  l'Impression  Visuelle  et  abandon- 
ner ainsi  l'habitude  première,  c'est  ce  que  ces  personnes  et  beaucoup  d'enfants 
ne  sont  point  encore  arrivés  à  ace  omplir. 

Ainsi  donc  parler  des  «  idées  »  de  Mots  comme  de  «  processus 
moteurs  »,  ou  dire  qu'une  «  articulation  supprimée  est,  en  réalité, 
la  matière  de  notre  souvenir,  la  manifestation  intellectuelle,  Vidée 
du  Langage  »  est,  dans  l'opinion  de  l'auteur,  à  la  fois  trompeur  et 
erroné,  —  bien  que  cette  idée  ait  été  avancée  et  défendue  par  quel- 
qu'un qui  fait  autorité  sur  les  sujets  psychologiques,  le  professeur 
Bain^  Ce  représentant  mental  d'un  mot,  qui  est  le  moins  distinct 
et  le  plus  difficile  à  raviver  (quelle  que  soit  l'opinion  que  l'on  ait  sur 
sa  nature  et  son  origine  précise),  est  ici  déclaré  le  plus  important, 
par  rapport  aux  processus  de  la  Pensée  et  de  la  Parole,  —et  de  telle 
importance,  que  le  professeur  Bain  en  parle  comme  constituant 
la  «  matière  de  notre  souvenir  »  dans  l'usage  et  la  production  des 
Mots  :  tandis  qu'il  n'est  fait,  en  cet  endroit,  aucune  mention  des 
autres  modes  (auditif  et  visuel)  de  résurrection. 

En  outre,  s'appuyant  beaucoup  sur  la  doctrine  ci-dessus  ou 
d'autres  de  ce  genre,  le  D''  Hughlings  Jackson  ^  a,  à  diverses  re- 
prises et  avec  le  plus  de  force  possible,  insisté  sur  sa  propre  opi- 
nion, que  «  les  opérations  mentales  ne  doivent  être,  en  dernière 
analyse,  que  les  côtés  subjectifs  de  substrata  sensitifs  et  moteurs.  » 
Pour  ceux  qui  adhèrent,  comme  le  fait  Hughlings  Jackson,  à  l'idée 
de  Bain,  Wundt  et  autres,  que  notre  Conscience  de  1'  «  activité  mus- 
culaire»  est  en  grande  partie  initiale,  centrale,  et  réalisable  dans  les 
Centres  Moteurs,  —  cette  manière  de  s'exprimer  est  assez  légitime: 
elle  en  est,  en  réalité,  la  conséquence  logique.  Mais  pour  ceux  qui, 
ainsi  que  Ferrier,  refusent  absolument  de  croire  à  cette  doctrine 
générale,  et  qui  regardent  toutes  les  sensations  ou  impressions  en 
rapport  avec  le  Mouvement  comme  dérivables  d'impressions  péri- 
phériques «  centripètes  »,  émanant  des  parties  remuées  elles-mêmes, 
et  ne  revenant  point  au  Cerveau   le  long  de  nerfs  moteurs,  une 

1.  The  Sensés  and  the  Intellect.  3'=  édition,  p.  336.  Il  est  vrai  que,  dans 
d'autres  parties  du  même  ouvrage  (par  exemple,  p.  436),  le  professeur  Bain 
parle,  d'une  manière  contradictoire,  des  éléments  sensitifs  du  type  auditif  comme 
des  composants  les  plus  importants  de  notre  mémoire  du  langage  parlé.  Mais 
ceci  ne  diminue  en  rien  la  responsabilité  qu'il  a  assumée,  en  affirmant  avec 
force  l'opinion  citée  ci-dessus  (Voy.  Fortnighlty  Review.  Avril  1869,  p.  403). 

2.  Clin,  and  Physiolog.  Research  on  the  Nervous  System.  (Réimpression), 
1876,  p.  xx-xxxvii. 


OPINIONS  DE  HUGIILINGS  JACKSON,  BAIN,  ET  FERRIER.     207 

pareille  opinion  et  de  telles  expressions  seraient  tout  à  fait  inad- 
missibles. Cependant,  chose  assez  étrange,  ce  dernier  auteur  et 
expérimentateur  distingué,  dont  les  vues  exerceront  probablement 
une  influence  considérable,  semble  avoir  donné  dans  une  pareille 
contradiction^. 

Si  les  diverses  impressions  qui  concourent  à  former  le  Sens  Kinesthétique  sont 
toutes  (comme  nous  le  supposons) des  impressions  «centripètes»  réelles  qui  tra- 
versent diverses  sortes  de  nerfs  sensitifs,  la  simple  différence  du  mode  d'exci- 
tation, ou  de  l'occasion  où  celle-ci  survient,  ne  doit  point  amènera  en  parler  comme 
si  elles  étaient  radicalement  différentes,  par  leur  nature,  des  autres  impressions 
sensitives.  De  sorte  que,  d'après  cette  opinion,  le  dicton  Nihil  est  in  intellectu 
quod  non  fueritprius  in  sensu  ne  perd  rien  de  son  ancienne  force  ;  —  c'est  une 
formule  assez  large  pour  embrasser  les  Sens  Kinesthétique  et  Viscéral,  aussi 
bien  que  les  Sens  Spéciaux  ;  — et,  si  elle  est  incorrecte,  elle  le  serait  autant  dans 
tin  sens  que  dans  l'autre. 

Feri"ier  dit  avec  raison  ^  :  —  «  Par  les  mouvements  de  la  tête  et  des  yeux, 
nous  étendons  grandement  le  champ  et  la  complication  de  la  sensation  visuelle; 
et  l'étendue  de  l'expérience  tactile  est  mille  fois  accrue  par  les  mouvements 
des  membres.  »  Mais  il  émet  une  idée  contradictoire  et  erronée  (à  son  propre 
point  de  vue  précédent)  lorsqu'il  ajoute  :  «  Il  y  a  peu  d'objets  de  cognition 
qui  ne  nous  soient  connus  que  par  des  caractères  sensitifs,  ou  impressions. 
La  grande  majorité  suppose  l'activité  à  la  fois  de  nos  facultés  sensitives  et 
de  nos  facultés  motrices;  et  nos  idées  sont  une  résurrection  mélangée  de 
mouvements  idéaux  et  de  sensations  idéales,  dans  leurs  associations  cohérentes 
respectives.  On  en  a  un  exemple  dans  l'acquisition  et  la  constitution  des  idées 
de  forme,  de  figure,  de  poids,  de  résistance,  etc.  » 

Une  opinion  de  ce  geni'e  (c'est-à-dire  que  les»  mouvements  idéaux»  ont  une 
base  autre  que  celle  ordinairement  connue  sous  le  nom  de  «sensitive»,  et  entiè- 
rement opposée)  est  aujourd'hui  communément  acceptée  ;  et  elle  est  tout  à  fait 
semblable  à  celle  qui  a  été  professée  en  Angleterre  par  le  professeur  Bain.  Il  a 
dit,  par  exemple,  en  pai-lant  de  la  Vue  3,  «  qu'elle  est  généralement  considérée 
aujourd'hui  comme  un  sens  mixte;  et  que  les  sensations  visuelles  sont  en 
partie  des  sentiments  musculaires  et  en  partie  des  sentiments  optiques.  Il 
ajoute  :  «  Dans  tout  ce  qui  regarde  les  mouvements  et  les  formes  visibles 
on  estime  maintenant  que  la  conscience  musculaire  est  l'élément  indispen- 
sable :  les  sensations  optiques  ne  faisant  que  guider  les  mouvements.  Des 
contours  nus,  comme  les  diagrammes  d'Euclide  et  les  caractères  alphabétiques 
sont  au  moins  aux  trois  quarts  musculaires,  et  seulement  pour  un  quart 
optiques;  leur  rétention  est  supposée  dépendre  de  la  propi'iété  adhésive  des 
muscles  oculaires  et  de  leurs   centres    nerveux,  et   non  de  cercles  purement 

1.  On  peut  le  voir  en  comparant  l'examen,  fait  par  Fei^riei",  de  la  question  du 
(t  sens  musculaire  »  {Functions  of  the  Bain,  p.  215-227)  avec  les  vues  et  les 
expressions  que  l'on  trouve  dans  son  chapitre  xi,  dont  on  va  citer  quelques 
énoncés. 

2.  Loc.  cit.,  p.  267. 

3.  Fortnightly  Review.  Avril  1869,  p.  493. 


208       SDBSTRATUM  CEREBRAL  DE  L'ESPRIT. 

optiques.  La  mémoire  d'une  forme  visible,  comme  un  arc-en-ciel,  renferme  la 
conscience  d'une  courbe,  décrite  par  les  mouvements  musculaires;  et  l'on  se 
souvient  des  méandres  d'une  rivière  qui,  dans  la  vue  réelle,  doivent  être  suivis 
par  les  mouvements  de  l'œil,  comme  de  mouvements  idéaux.  » 

Sans  mettre  en  question  le  fait  indubitable  que  les  mouvements  d'un  organe 
sensitif  doivent  accroître  grandement  la  variété  des  impressions  qui  en  dérivent, 
ou  qu'ils  peuvent  contribuer  notablement  à  engendrer,  dans  l'esprit  de  l'indi- 
vidu, la  notion  fondamentale  de  modes  d'existence  connus  sous  les  noms 
d'espace,  temps  et  résistance,  il  est  toutefois  libre  à  chacun  de  nous  de  se  former 
une  opinion  personnelle  sur  le  degré  auquel  la  «conscience  musculaire  »  se  révèle 
à  nous,  comme  entrelacée  à  nos  impressions  visuelles  oi'dinaires;  et  beaucoup 
de  personnes  peut-être  inclineront  à  penser  qu'elles  en  découvrent  beaucoup 
moins  que  le  professeur  Bain.  Il  est  également  libre  à  chacun  de  nous  d'avoir 
une  opinion  différente  sur  la  signification  et  la  nature  de  ce  dont  le  professeur 
Bain  parle  ici  comme  «  conscience  musculaire  ».  Il  la  regarde,  ainsi  que  nous 
le  savons,  comme  «  concomitante  du  courant  centrifuge  »  ;  et  part  de  là  pour  la 
considérer  comme  radicalement  opposée  à  tous  les  autres  modes  de  sensibilité, 
—  bien  que  cette  opinion  ait  été  rejetée  par  d'autres  d'une  manière  tout  aussi 
nette. 

Pour  ceux,  toutefois,  qui  conservent  un  certain  doute  sur  l'existence  d'un 
sens  musculaire  ou  conscience  musculaire,  en  tant  que  concomitante  du  cou- 
rant centrifuge,  et  qui  considèrent  que  les  connaissances  attribuées  à  une 
pareille  faculté  ont  été  en  réalité  acquises  par  le  moyen  d'impressions  centri- 
pètes émanant  des  parties  mêmes  en  mouvement,  la  résurrection  idéale  de 
pareilles  connaissances  doit  dépendre  aussi  purement  de  l'activité  de  Centres 
Seositifs  que  le  sont  les  processus  qui  prennent  part  à  la  résurrection  idéale 
des  diverses  Odeurs. 

Les  sièges  de  la  résurrection  idéale  des  Mouvements  de  parties  du  corps 
que  l'on  ne  voit  point  (par  exemple,  du  larynx  ou  des  yeux)  sont  les  Centres 
Kinesthétiques  seuls  ;  tandis  que  dans  le  cas  de  parties  du  corps  qui  sont 
ordinairement  vues,  —  Mouvements  qui  ont  peut-être  été  appris  sous  la  direc- 
tion additionnelle  de  la  Vision,  —  il  se  produit  une  résurrection  idéale  double, 
ou  mêlée,  ayant  sa  base  organique  en  partie  dans  les  Centres  Kinesthétiques, 
en  partie  dans  les  Centres  Visuels. 

11  paraît  donc  fort  contradictoire  de  voir  Ferrier  (qui  rejette  la  doctrine  de 
Bain  et  de  VVundt)  écrire  ce  qui  suit:  —  «De  la  même  manière  que  les  centres 
sensitifs  forment  la  base  organique  de  la  mémoire  des  impressions  sensitives 
et  le  siège  de  leur  résurrection  idéale,  de  même  les  centres  moteurs  des  hé- 
misphères, outre  qu'ils  sont  les  centres  de  mouvements  différenciés,  sont  auss 
la  base  organique  de  la  mémoire  des  mouvements  correspondants,  et  le  siège 
de  leur  réexécution  ou  reproduction  idéale^.  Nous  avons  ainsi  une  mémoire 
sensitive  et  une  mémoire  motrice,  des  idées  sensitives  et  des  idées  motrices  ;  les 
idées  sensitives  étant  des  sensations  ravivées,  et  les  idées  motrices  étant  des 
mouvements  ravivés  ou  idéaux.  Les  mouvements  idéaux  ne  forment  pas  un 
élément  moins  important  de  nos  processus  mentaux,  que  les  sensations  ravivées 
d'une  façon  idéale.  » 

1.  Les  italiques  ne  sont  pas  dans  l'original,  loc.  cit.  (p.  206). 


CENTRES    KINESTHÉTIQUES.  209 

Il  y  a  ici  une  confusion  évicfente  entre  deux  centres  et  deux  processus  abso- 
lument distincts.  En  réalité,  Ferrier,  en  rejetant  la  doctrine  de  Bain  et  de 
Wundt  relativement  au  «  sens  »  ou  «  conscience  musculaire  »,  rejetait  la  base 
naturelle  sur  laquelle  Hughlings  Jackson  fondait  son  hypothèse  de  l'existence 
«  de  centres  moteurs  »  dans  les  Circonvolutions  Cérébrales.  Cependant,  en  arri- 
vant à  son  chapitre  xi  :  «  Les  Hémisphères  considérés  psychologiquement  », 
Ferrier  écrit  comme  s'il  avait  oublié  ce  rejet  préalable,  auquel  il  a  consacré  les 
pages  215  à  227  de  sou  ouvrage.  Il  a  donc,  d'une  part,  tâché  do  localiser  des 
«  centres  moteurs  »  dans  les  Circonvolutions  Cérébrales  ;  et,  d'autre  part,  il  a 
délibérément  rejeté  l'interprétation  des  preuves  philosophiques  et  physiolo- 
giques, sur  laquelle  doit  reposer  l'existence  de  centres  de  cette  nature. 

Des  Centres  Moteurs,  où  qu'ils  soient  situés,  sont  des  parties 
dont  l'activité  paraît  être  absolument  libre  de  phases  subjectives 
concomitantes.il  ne  semble  pas  que  des  reproductions  «idéales»  aient 
jamais  lieu  dans  ces  centres;  ils  sont  mis  en  activité  par  des  cou- 
rants centrifuges  ;  et,  pour  autant  que  nous  en  avons  la  preuve,  l'ar- 
rivée en  eux  de  mouvements  moléculaires  qui,  immédiatement 
après,  se  rendent  aux  Muscles  par  les  Nerfs  Moteurs,  crâniens  et 
spinaux,  est  un  simple  phénomène  physique.  Ces  processus  sont,  en 
apparence,  aussi  dépourvus  d'accompagnements  subjectifs,  que  le 
sont  les  processus  moléculaires  excités  par  eux  dans  le  Muscle  lui- 
même.  C'est  le  changement  de  condition  du  Muscle  ainsi  excité  et 
des  parties  contiguës,  changement  occasionné  par  le  Mouvement, 
qui  engendre  un  groupe  d'impressions  centripètes  dont  le  terminus 
est  le  Centre  Kinesthétique.  Celui-ci  est  donc  un  véritable  Centre 
Sensitif;  et  des  jnouvements  idéaux  peuvent  être  ravivés  en  lui,  soit 
isolément,  soit  associés  à  des  Impressions  Visuelles  qui  s'y  rap- 
portent. 

Le  Centre  Kinesthétique  est  assurément  de  grande  importance. 
Ses  impressions  entrent,  d'une  manière  inextricable,  dans  la  grande 
majorité  de  nos  processus  mentaux,  — d'une  façon  aussi  large  et  aussi 
inextricable,  en  réalité,  que  la  prétendue  conscience  musculaire  de 
Bain  est  supposée,  par  lui  et  par  d'autres  auteurs,  entremêlée  avec 
ce  qu'il  voudrait  distinguer  comme  sensibilités  passives.  Mais  cela 
ne  saurait  produire  qu'une  très  grande  confusion,  si  l'on  attribue 
l'activité  de  ce  Centre  Sensitif  à  celle  de  Centres  Moteurs  ;  et  si  on  la 
confond  avec  celle-ci,  dont  les  processus  semblent  encore  plus 
réellement  situés  en  dehors  de  la  sphère  de  l'esprit  que  les  processus 
moléculaires  compris  dans  la  contraction  réelle  d'un  Muscle;  ces 
derniers  processus  sont,  du  moins,  immédiatement  suivis  d'im- 
pressions centripètes  :  tandis  que,  pour  autant  que  nous  le  sachions, 
—  c'est-à-dire  pour  autant  qu'il  en  existe  des  preuves  —  les  premiers 
ne  le  sont  pas. 

Le  Substratum  Cérébral  de  l'Esprit  ne  comprend  donc  en  aucune 

Charlton-Bastian.  —  n.  14 


210       SUBSTRATUM  CÉRÉBRAL  DE  L'ESPRIT. 

manière,  d'après  l'opinion  de  l'auteur,  les  processus  qui  ont  lieu 
dans  les  Centres  Moteurs  du  Cerveau,  où  qu'ils  puissent  être  situés. 
En  autres  termes,  on  ne  peut  plus  regarder  légitimement  les  opéra- 
tions mentales  comme  étant,  en  partie,  immédiatement  dues  à 
l'activité  de  Centres  Moteurs.  Et  l'on  ne  peut  non  plus  décrire 
avec  raison  des  Mots  idéaux,  comme  des  processus  violeurs.  Ceci 
est  un  point  si  fondamental,  qu'il  ne  doit  rester  là-dessus  ni  malen- 
tendu ni  ambiguïté,  autres  que  ce  qui  peut  être  inhérent  au  sujet 
lui-même. 


CHAPITRE   XXYIII 


LA   PAROLE,    LA    LECTURE    ET    L  ECRITURE,    COMME   PROCESSUS 
MENTAUX    ET    PHYSIOLOGIQUES 


On  verra  que  les  idées  auxquelles  on  est  arrivé  dans  le  dernier 
chapitre  s'harmonisent  bien  avec  ce  que  Ton  sait  de  la  manière 
dont  s'acquiert  la  faculté  de  la  Parole  Articulée,  ainsi  que  les  arts  de 
la  Lecture  et  de  l'Écriture  qui  viennent  s'y  rattacher.  Un  examen 
préliminaire  du  sujet  facilitera,  en  outre,  la  compréhension  des  divers 
défauts  de  la  faculté  d'Expression  Intellectuelle  (Parole  ou  Écriture) 
qui  peuvent  être  produits  par  différentes  sortes  de  maladies  céré- 
brales :  et  l'étude  de  ce  dernier  sujet  est  fort  importante  pour  le 
psychologue.  Les  recherches  en  ce  sens  ont  déjà  révélé  quelques 
faits  très  intéressants  sur  l'ordre  et  les  relations  précises  des  divers 
processus  mentaux,  aussi  bien  que  sur  leur  parenté  avec  l'activité 
fonctionnelle  d'étendues  particulières  du  tissu  cérébral.  11  nous  est 
permis,  de  cette  manière,  d'approcher  aussi  près  que  possible  des 
recherches  expérimentales  sur  ce  sujet.  Un  examen  rigoureux  des 
détails  nécessaires,  tout  en  augmentant  notre  savoir,  servira  aussi 
(comme  résultat  de  ce  savoir)  à  augmenter  nos  chances  de  pouvoir 
améliorer  l'état  des  malades  eux-mêmes. 

Que  la  Pensée  ne  puisse,  dans  tous  ses  modes  supérieurs, 
s'exercer  sans  l'aide  du  Langage,  c'est  là  une  proposition  qui  sera 
presque  universellement  admise,  si  nous  employons  ce  dernier  terme 
dans  son  acception  la  plus  large.  Car,  ainsi  que  le  dit  Thom- 
son \  «  le  Langage,  dans  le  sens  le  plus  général  de  ce  mot,  pourrait 
être  décrit  comme  une  manière  d'exprimer  nos  pensées  à  l'aide  des 
mouvements  de  notre  corps;  il  comprendrait  ainsi  les  mots  parlés, 
les  cris,  les  gestes  involontaires  qui  indiquent  les  sentiments,  et 
même  la  peinture  et  la  sculpture,  ainsi  que  les  moyens  de  remplacer 
la  parole  dans  les  cas  où  elle  ne  saurait  être  employée.  »  Le  Lan- 
gage Articulé,  dans  l'un  ou  l'autre  de  ses  modes,  est  toutefois  le  pro- 

1.  Laws  of  Thought.  1860,  p.  27. 


212  LA    PAROLH,    LA    LECTURE    ET    L'ÉCRITURE. 

cessus  que  l'on  trouve  (chez  l'homme  ordinaire)  inséparablement  lié 
aux  processus  de  la  Pensée.  La  Parole  n'est  en  réalité  rien  autre 
chose  «  qu'un  système  de  mots  articulés,  adoptés  conventionnelle- 
ment  pour  représenter,  d'une  manière  extérieure,  les  processus  in- 
térieurs de  la  Pensée  ». 

En  prenant  la  Race  Humaine  à  la  phase  présente  de  son  histoire, 
où  des  Langues  fort  compliquées  ont  été  depuis  longtemps  acquises 
par  différentes  tribus  de  cette  race,  nous  pouvons  maintenant  expo- 
ser brièvement  les  principaux  degrés  par  lesquels  les  enfants 
apprennent  à  comprendre  une  de  ces  langues  ;  comment  ensuite  ils 
apprennent  à  parler,  à  lire  et  à  écrire;  et  à  quel  degré  les  symboles 
compris  dans  ces  divers  processus  se  représentent  à  l'Esprit  comme 
la  charpente  de  la  Pensée . 

L'auteur  essaya,  en  1869,  d'esquisser  brièvement  la  nature  des 
processus  compris  dans  ces  acquisitions,  dans  un  article  intitulé 
«  Physiologie  de  la  Pensée  »  ^,  et  dont  on  peut  citer  ici  quelques 
passages. 

«  Le  jeune  enfant  commence  d'abord  à  distinguer  les  objets 
naturels  les  uns  des  autres,  par  les  différences  dans  la  forme,  la 
couleur,  le  toucher,  l'odeur,  etc., que  ceux-ci  peuvent  présenter  à 
ses  divers  sens.  On  lui  apprend  alors  (avec  lenteur  et  difficulté) 
à  associer  quelques  objets,  possédant  certains  attributs  combinés 
qui  le  rappellent  à  la  mémoire,  avec  un  certain  son  articulé,  qui  a 
été  souvent  répété  en  désignant  l'objet,  jusqu'à  ce  que,  par  l'effet 
d'une  répétition  continuelle,  ce  son,  ou  mot,  devienne  tellement 
identifié  avec  les  divers  attributs  de  l'objet  que,  lorsqu'il  est  entendu, 
il  rappelle  invariablement  à  la  mémoire  l'objet,  dont  on  peut  dire 
désormais  qu'il  constitue  un  attribut  additionnel  ;  de  même  que  la 
vue  ou  le  toucher  de  l'objet  rappelle  au  souvenir  le  son  qui  a  été 
employé  pour  le  désigner.  Tout  d'abord  ces  sons  articulés  (ou  mots 
parlés)  sont  seulement  liés  à  des  objets  extérieurs;  quoique  bientôt 
certains  adjectifs,  signifiant  approbation  ou  désapprobation,  y  soient 
ajoutés  comme  qualificatifs.  Par  degré,  le  nombre  de  noms  et  d'ad- 
jectifs en  usage  s'accroît;  et  d'autres  parties  de  langage  viennent  s'y 
ajouter  ;  le  processus  d'instruction  est  le  même  dans  tous  les  cas,  que  le 
son  parlé  doive  être  associé  à  un  objet  extérieur,  à  une  condition  émo- 
tionnelle ou  à  une  conception  de  l'esprit;  d'abord,  il  est  nécessaire 
que  nous  soyons  capables  de  nous  rappeler  et  d'identifier,  lorsqu'elles 
se  représentent  à  la  conscience,  soit  la  série  des  attributs  apparte- 
nant à  un  objet,  soit  les  particularités  de  l'état  émotionnel  ou  de  la 
conception  intellectuelle;  et,  en  second  lieu,  nous  devons  pouvoir 
nous   rappeler  les   divers    sons  vocaux  qui  ont  été  associés  à  ces 

1.  Fortnightly  lieview.  Janvier  1869. 


COMMENT   L'ENFANT    APPREND  A  PARLER.  213 

diverses  modifications  de  la  conscience,  lorsqu'elles  ont  précédem- 
ment existé...  C'est  la  première  phase  que  l'on  traverse  en  apprenant 
à  parler;  —  cela  consiste  simplement  à  apprendre  à  associer  des  so7is 
particuliers,  avec  des  impressions  mentales  particulières;  asso- 
ciation qui  finit  par  devenir  assez  forte  pour  que  les  deux  soient 
presque  inséparables;  la  chose  rappelant  infailliblement  le  son  à  la 
mémoire,  et  le  son  articulé  réveillant  avec  autant  de  sûreté  une 
idée,  plus  ou  moins  vive,  de  la  chose.  Ainsi  donc,  le  processus  de 
Nommer  comprend,  non  seulement  un  simple  acte  de  mémoire, 
mais  aussi,  comme  l'a  signalé  Herbert  Spencer,  le  germe  d'un 
processus  du  raisonnement,  sous  forme  d'un  simple  acte  d'induc- 
tion...; il  semblerait  assez  évident  que,  comme  l'enfant  pense  au 
moyen  du  langage,  il  fait  de  même  au  moyen  des  sons  rappelés 
de  mots,  —  ceux-ci  sont  des  symboles  linguistiques  de  la  pensée, 
qui  doivent  toutefois  être  inextricablement  mêlés,  dans  son  esprit, 
avec  d'autres  impressions  sensorielles,  et  plus  spécialement  avec 
celles  de  la  vue.  Car  on  peut  très  bien  dire  que  la  grande  majorité 
des  enfants  peuvent  se  rappeler  les  noms  donnés  à  beaucoup  d'ob- 
jets extérieurs,  alors  qu'ils  sont  âgés  de  quatre  ou  cinq  mois.  Sous 
ce  rapport  leur  mémoire  s'accroît  continuellement,  pendant  les  trois 
mois  suivants,  même  lorsqu'ils  ne  font  encore  aucun  effort  dis- 
tinct pour  articuler  eux-mêmes  des  mots.  » 

Le  pas  suivant  est  le  développement,  ou  l'acquisition  par  l'enfant, 
du  pouvoir  d'articuler,  lui-même,  les  sons  qui  ont  été  jusqu'ici  em- 
ployés, d'une  manière  croissante,  comme  sj'mboles  mentaux.  Quant 
à  la  possibilité  d'arriver  à  ce  pouvoir,  l'enfant  la  reçoit  principale- 
ment comme  héritage  d^m  si  grand  nombre  de  générations  précé- 
dentes, que  sa  manifestation  actuelle  —  c'est-à-dire  l'acquisition  du 
pouvoir  de  parler  —  ne  peut  être  regardée  que  comme  une  opéra- 
tion motrice,  de  même  ordre  que  quelques-unes  de  celles  qui 
peuvent  être  comprises  parmi  les  actes  instinctifs  des  animaux.  La 
similitude  n'existe  pas  autant  avec  les  Actes  Instinctifs  que  les  ani- 
maux reçoivent  en  naissant  le  pouvoir  d'exécuter,  qu'avec  ceux 
qui  se  manifestent  un  peu  plus  tard  et  que  (d'après  leur  acquisition 
plus  graduelle)  on  pourrait  croire  n'être  point  du  tout,  en  réalité, 
des  Actes  Instinctifs  (voir  p.  179). 

Un  processus  d'apprendre  à  Parler  intervient  en  partie  dans  le 
premier  cas;  mais  c'est  pendant  que  les  organes,  transmis  par  l'héré- 
dité, subissent  leur  développement  dans  le  Système  Nerveux  de  l'enfant. 

«  Un  certain  ordre  de  développement  s'observe  toujours  dans  les 
diverses  parties  du  corps  humain  ;  et  ceci  est  vrai  également,  relati- 
vement aux  diverses  parties  du  système  nerveux...  Et  même,  bien 
que  l'enfant  acquière  lentement  la  faculté  d'émettre  des  sons  arti- 
culés, cependant,  lorsque  nous  pensons  à  la  délicatesse  des  combi- 


214  J.A    PAROLE,    LA    LECTURE     ET    L'ÉCRITURE. 

liaisons  musculaires  nécessaires  et  à  la  manière  presque  instinctive 
dont  elles  sont  amenées,,  nous  serons  plutôt  imbus  de  l'idée  que 
ceci  n'aurait  pu  s'accomplir,  si  l'enfant  n'était  né  avec  un  système 
nerveux  tendant  à  se  développer  dans  certaines  directions  spé- 
ciales, et  rendant  ainsi  possible  l'exécution  des  actes  musculaires, 
si  complexes,  nécessaires  au  langage  articulé.  Nous  pouvons  sup- 
poser que  des  développements,  lentement  élaborés,  des  parties  du 
Bulbe  et  du  Cerveau  qui  sont  intéressées  dans  les  actes  du  langage 
ont  eu  lieu  chez  des  individus  fort  anciens  de  la  race  mère,  à  mesure 
qu'ils  acquéraient  des  facultés  additionnelles  sous  ce  rapport  ;  et,  la 
faculté  de  développer  de  semblables  connexions  structurales  entre 
cellules  nerveuses  et  fibres  nerveuses,  ainsi  établie,  ayant  été 
transmise  et  rendue  graduellement  plus  parfaite  par  la  transmission 
héréditaire  à  travers  des  générations  sans  nombre,  l'enfant  de  nos 
jours  naît,  peut-être,  avec  la  possibilité  de  développer  un  système 
nerveux  aussi  complexe  et  aussi  parfait,  sous  ce  rapport,  qu'aucun 
de  ceux  qui  peuvent  l'avoir  précédé  dans  sa  propre  ligne  ances- 
trale.  »  Un  mécanisme  de  cette  nature,  croissant  lentement,  se  per- 
fectionne sous  l'influence  de  stimuli  appropriés,  d'ordre  volitionnel  ; 
qui  ont  ici,  comme  dans  le  cas  de  l'acquisition  de  nouvelles  facultés 
motrices  chez  l'adulte,  une  tendance  indiscutable,  bien  qu'inexpU- 
quée,  à  amener  le  développement  de  tissus  nerveux  dans  les  Centres 
auxquels  ils  vont  se  rendre  (voir  p.  182).  «  Cette  impulsion  est,  à 
ce  que  nous  pouvons  supposer,  donnée  par  le  passage  de  courants 
nerveux,  descendant  des  portions  superficielles  des  hémisphères  céré- 
braux qui  sont  intéressées  dans  les  actes  de  perception  intellectuelle 
et  de  mémoire,  aux  parties  qui  sont  les  centres  moteurs  intéressés 
dans  la  parole  articulée.  » 

«  Tout  d'abord,  la  capacité  d'articulation  est  limitée,  chez  l'enfant, 
à  imiter,  —  c'est-à-dire  à  répéter  seulement  les  mots  que  l'on  vient 
de  lui  dire  ;  mais,  au  bout  d'un  certain  temps,  lorsque  l'acte  d'é- 
mettre ce  son  lui  est  devenu,  grâce  à  la  répétition  constante,  parfai- 
tement aisé,  l'enfant  l'émet  de  son  propre  mouvement,  à  la  seule 
vue  de  l'objet  auquel  le  son  a  été  originairement  associé  dans  son 
esprit.  Ceci  est  alors  la  seconde  phase  dans  l'acquisition  du  langage; 
et  l'enfant  n'arrive  que  lentement  à  une  exécution  plus  parfaite  des 
processus  mentaux  et  moteurs  qu'elle  comprend.  »  Au  bout  d'un 
certain  temps,  toutefois,  la  Pensée  et  le  Langage  deviennent  insépa- 
rablement associés;  de  sorte  que  les  mots  sont  volontairement  rap- 
pelés, par  le  renouvellement  d'actions  nerveuses  précédentes,  dans 
les  Centres  Perceptifs  Auditifs  ;  et  des  processus  nerveux  de  cette 
nature  sont  suivis  de  la  combinaison  complexe  d'actions  musculaires 
en  rapport  avec  l'articulation  des  divers  mots,  à  mesure  qu'ils  se 
présentent  à  la  Pensée. 


INFLUENCE   DE    L'ÉMOTION.  215 

Depuis  que  les  idées  précédentes  ont  été  exprimées  et  publiées, 
l'auteur  a  rencontré  une  confirmation  tout  à  fait  inattendue  de  leur 
vérité.  Pendant  l'année  1877,  il  fut  consulté  sur  la  santé  d'un  petit 
garçon,  fils  d'un  avocat,  qui  était  alors  âgé  de  douze  ans,  et  avait 
été  sujet  à  des  convulsions.  Le  premier  accès  se  présenta  dans  l'en- 
fance, lorsque  le  petit  malade  avait  environ  neuf  mois.  Vers  la  fin 
de  la  seconde  année,  les  accès  semblaient  avoir  cessé  ;  et  l'enfant 
paraissait  suffisamment  intelligent  —  et  bien  sous  tous  les  rapports, 
sauf  qu'il  ne  parlait  point.  A  l'âge  de  près  de  cinq  ans,  l'enfant  n'a- 
vait point  encore  dit  un  seul  mot  ;  et,  vers  cette  époque,  deux  méde- 
cins éminents  furent  consultés  sur  sa  «  mutité  ».  Mais,  moins  d'un 
an  après,  à  ce  que  raconte  sa  mère,  un  accident  étant  arrivé  à  un 
de  ses  jouets  favoris,  il  s'écria  soudainement  «  Quel  dommage!  » 
bien  qu'il  n'eût  jamais  auparavant  prononcé  un  seul  mot.  Les  mêmes 
mots  ne  purent  point  être  répétés,  ni  d'autres  prononcés,  malgré 
toutes  les  sollicitations,  pendant  plus  de  deux  semaines  ^.  Mais,  après 
cela,  l'enfant  fit  des  progrès  rapides  et  devint  bientôt  très  babillard. 
Lorsque  l'auteur  le  vit,  il  parlait  d'une  façon  normale,  sans  le  moindre 
signe  d'embarras  ou  de  défaut  -. 

Aucune  explication  de  ces  faits  ne  semble  possible,  si  l'on  ne 
suppose  que  la  Parole  est  à  présent  devenue,  pour  les  hommes,  un 
acte  véritablement  automatique  ;  et  que,  si  les  enfants  ne  parlent 
point  au  moment  de  leur  naissance,  cela  est  principalement  dû  au 
fait  que  leur  système  nerveux  est  encore  trop  peu  développé.  Mais 

1.  Un  stimulus  émotionnel  est  beaucoup  plus  fort  qu'un  stimulus  volitionnel, 
—  sa  tension  est  plus  considérable  —  de  sorte  qu'il  peut  parfois  frayer  sa  route 
le  long  de  conducteurs,  et  contre  une  résistance,  que  le  stimulus  volitionnel, 
seul,  a  été  incapable  de  surmonter.  On  en  rencontre  fréquemment  des  exemples 
chez  des  personnes  qui,  par  suite  de  maladie,  ont  perdu  temporairement  la 
parole.  Ces  individus  émettent  parfois,  sous  l'influence  de  l'Émotion,  quelque 
mot  ou  quelque  phrase  courte,  qu'ils  sont  ensuite  complètement  incapables  de 
répéter. 

2.  Bien  qu'il  ne  parût  guère  y  avoir  place  pour  le  doute  dans  ce  récit, 
toutefois,  à  cause  de  la  nature  extraordinaire  des  faits,  on  peut  faille  remarquer 
qu'il  fut  absolument  confirmé  par  la  gouvei'nante  qui  avait  eu  soin  de  l'enfant, 
et  qui  était  présente  au  moment  du  premier  acte  de  langage  articulé.  Une 
épreuve  de  cette  feuille  a  été  aussi  soumise  au  père  qui,  en  réponse  à  ma 
demande  s'il  n'y  avait  rien  à  changer  à  l'exposé  ci-dessus,  écrit  (9  janvier  1880)  : 
«  Ce  que  vous  dites  de  mon  petit  A...  est  parfaitement  exact,  »  Comme  je 
parlais  de  ce  cas  à  un  médecin  distingué,  il  m'apprit  un  fait  qui  s'en  rapproche 
de  fort  pi'ès.  Sa  fille  aînée,  jusqu'à  l'âge  de  deux  ans,  n'avait  pas  fait  un  seul 
pas,  ni  même  essayé  de  marcher,  lorsqu'un  jour  il  la  plaça  debout  ;  et,  à  la 
grande  surprise  de  lui  et  de  la  nourrice,  elle  marcha  d'un  bout  à  l'autre  de  la 
chambre.  Ceci  est  également  un  acte  non  appris,  puisqu'il  n'y  avait  pas  eu  pré- 
cédemment d'essais  infructueux  (voy.  p.  180). 


216  LA    PAROLE,    LA    LECTURE    ET    L'ÉCRITURE. 

lorsque,  dans  le  cours  naturel  du  développement,  les  parties  inté- 
ressées ont  été  convenablement  élaborées,  les  mouvements,  fort 
complexes,  nécessités  par  la  Parole,  peuvent,  dans  certaines  cir- 
constances, être  brusquement  mis  en  jeu,  indépendamment  d'essais 
antérieurs  infructueux,  —  de  même  que  le  mécanisme  nerveux  de  la 
succion  peut  être  mis  en  jeu,  chez  l'enfant  qui  vient  de  naître, 
en  présence  du  stimulus  approprié.  Mais  toutefois,  de  pareils 
actes  de  langage  seraient  impossibles,  à  moins  que  le  développe- 
ment n'ait  eu  lieu  d'une  manière  normale,  et  que  le  Sens  Auditif 
et  l'Intelligence  soient  intacts.  Les  manifestations  de  tentatives  pour 
parler  sont  supposées,  en  ce  cas,  avoir  été  simplement  retardées  par 
quelques  conditions  légères  et  quasi  accidentelles,  telles  que  celles 
qui  se  présentent  parfois  pendant  l'enfance,  —  surtout  chez  les  sujets 
qui  souffrent  de  convulsions,  épileptiques  ou  autres. 

Sans  un  exemple  de  ce  genre,  se  présentant  presque  sous  ses 
yeux,  ni  l'auteur,  ni  personne  autre,  n'eût  été  porté  à  ajouter  grande 
confiance  à  deux  cas  très  semblables,  qui  nous  ont  été  transmis  par 
les  écrivains  de  l'antiquité  ^ 

Le  fils  de  Crésus  qui,  d'après  Hérodote-,  n'avait  jamais  parlé,  et 
dont  on  avait  en  vain  tenté  la  guérison,  fut,  au  siège  de  Sardes, 
tellement  dominé  par  Fétonnement  et  la  terreur  en  voyant  le  roi 
—  son  père  —  en  danger  d'être  tué  par  un  soldat  perse,  qu'il  s'écria 
tout  haut  AvôpwTTE  i).i  jcTf'tvE  Kaciaov.  —  «  Homme,  ne  tue  point  Crésus  !  » 
C'était  la  première  fois  qu'il  articulait  un  mot;  mais,  dit-on,  il 
conserva  désormais  toute  sa  vie  la  faculté  de  parler.  Il  paraît  en 
outre  qu'Aulu-Gelle  ^,  après  avoir  répété  cette  histoire  d'après  Héro- 
dote, rapporte  un  fait  semblable  dans  les  termes  suivants  :  —  «  Sed 
et  quispiam  Samius  athleta,  nomen  illi  fuit  Aî^Xviî,  quum  antea 
non  loquens  fuisset,  ob  similem  dicitur  causam  loqui  cœpisse.  Nam 
quum  in  sacro  certamine  sortitio  inter  ipsos  et  adversarios  non  bona 
fide  fieret,  et  sortem  nominis  falsam  subjici  animadvertisset,  repente 
in  eum,  qui  id  faciebat,  sese  videre,  quid  faceret,  magnum  incla- 
mavit.  Atque  in  oris  vinculo  solutus,  per  omne  inde  vitae  tempus, 
non  turbidè  neque  adhœsè  locutus  est.  » 


1.  L'importance  réelle  de  ces  derniers  cas  ne  semble  point  avoir  été  bien 
comprise,  ni  par  ceux  qui  les  ont  d'abord  rapportés,  ni  par  un  écrivain  moderne 
qui  y  a  fait  récemment  allusion  (Bateraan,  On  Aphasia,  p.  138).  Il  y  a  à  peine 
besoin  de  faire  remarquer  que  cette  apparition  brusque  de  la  Parole,  sans 
essais  prolongés  et  infructueux,  est  infiniment  plus  importante  que  sa  réappa- 
rition soudaine,  lorsqu'elle  a  été  quelque  temps  suspendue  par  suite  d'une 
maladie  cérébrale. 

2.  Hérodote,  Histoire,  I,  85. 

3.  Noctes  Atticœ,  livre  V,  chap.  ix. 


COMMENT  OiN   APPREND   A    LIRE  ET  A  ÉCRIRE.  217 

Le  pouvoir  de  Lire,  ainsi  que  celui  crÉcrirc,  sont  des  arts  sur- 
ajoutés à  celui  du  Langage  Articulé. 

L'enfant  a  déjà  appris  à  associer  certains  objets,  ou  certains  états 
conscients  particuliers,  à  des  Sons  définis  (ou  Noms);  il  a,  en  outre, 
acquis  le  pouvoir  d'articuler  lui-même  ces  noms  ;  de  sorte  que, 
lorsqu'il  commence  à  Lire,  il  établit  graduellement  une  association 
de  plus,  par  laquelle  certains  hiéroglyphes,  écrits  ou  imprimés, 
représentant  des  lettres  en  combinaisons  définies,  sont  reliés  aux 
états  conscients  déjà  connus  (Perceptions,  Idées,  etc.)  et  aux  sons 
qui  les  représentent.  Les  combinaisons  antérieures  sont  donc,  en 
outre,  reliés  à  de  nouveaux  symboles  visuels  ;  et  il  semble  certain 
que,  dans  l'acte  de  la  Lecture,  les  mots  qui  sont  en  premier  lieu 
perçus  dans  le  Centre  Visuel  réveilleraient  presque  simultanément 
les  sons  correspondants  dans  le  Centre  Auditif,  comme  partie  des 
processus  perceptifs  compris  dans  cet  acte  ^,  Du  Centre  Auditif, 
les  stimuli  qui  excitent  l'articulation  des  mots  correspondants  se 
rendraient  alors  aux  Centres  Moteurs,  exactement  de  la  même 
manière  que  dans  le  cas  de  la  parole  ordinaire,  — quelle  que  puisse 
être  la  route  précise  suivie  par  ces  stimuli,  et  quelle  que  soit  la  ma- 
nière dont  ils  puissent,  chemin  faisant,  entrer  en  relation  avec  les 
parties  des  Centres  Kinesthétiques  qui  sont  en  rapport  avec  les 
mouvements  de  la  Parole. 

«  Quant  au  processus  de  l'Écriture,  il  arrive  presqu'invariablement 
que  cette  fac  ulté  n'est  acquise  qu'après  que  l'individu  a  appris  à  Parler 
et  à  Lire  d'une  manière  plus  ou  moins  parfaite.  Pendant  cette  période 
d'instruction,  l'élève  apprend  à  associer  les  perceptions  visuelles 
des  lettres  (séparées)  des  mots  avec  certains  mouvements  muscu- 
laires des  mains  et  des  doigts,  nécessaires  pour  lui  permettre  de 
produire  lui-même  les  lettres  écrites  et,  plus  tard,  de  les  joindre 
ensemble  de  manière  à  représenter  des  mots.  Ceci  comprend  un 
processus  éducationnel  long  et  ennuyeux  ;  et  les  mouvements  mus- 
culaires qui  finissent  par  être  appris  sont,  suivant  toute  probabi- 
lité, associés  plus  intimement  avec  des  perceptions  visuelles 
qu'avec  des  perceptions  auditives;  bien  que  l'on  puisse,  sans  doute, 
dire  que  le  Mot  existe  aussi  comme  perception  sonore  rappelée 
pendant  l'acte  de  l'Écriture.  Les  muscles  de  l'extrémité  supérieure 
étant  aussi,  au  plus  haut  degré,  des  muscles  volontaires,  et  par  con- 
séquent fort  différento  de  ceux  qui  sont  intéressés  dans  la  produc- 
tion de  la  Parole,  le  processus  d'apprendre  à  écrire  rentre  beaucoup 


i.  Lorsque  ceci  ne  saurait  avoir  lieu,  il  doit  être  plus  difficile  pour  la  per- 
sonne de  comprendre  ce  qu'elle  lit;  et,  comme  on  peut  le  voir  d'après  ce  qui 
suit  (p.  240),  il  peut  lui  être  impossible  de  lire  à  haute  voix. 


218  LA     PAROLE,    LA    LECTURE    ET   L'ÉCRITURE. 

plus  dans  le  domaine  de  la  conscience  que  ne  le  fait  le  processus, 
d'ailleurs  parallèle,  d'apprendre  à  articuler  des  mots.  » 

Nous  devons  donc  avoir,  à  un  beaucoup  plus  haut  degré,  la  faculté 
de  rappeler  «  en  idée  »  soit  [a)  les  «  efforts  volitionnels»  qui  ont  été 
nécessaires  pour  nous  mettre  à  même  d'écrire  des  mots;  soit  {b) 
cette  «  conscience  musculaire  »,  dont  parle  le  professeur  Bain, 
comme  représentant  les  états  particuliers  de  tension  des  divers 
muscles  employés  ;  que  nous  ne  pourrions  nous  attendre  à  l'avoir 
des  efforts  volitionnels  nécessaires,  et  des  états  de  tension  des  divers 
muscles  du  larynx,  et  des  autres  parties  qui  prennent  part  à  la  pro- 
duction de  la  Parole. 

Mais  on  a  déjà  examiné  (p.  205  et  278)  les  objections  qui  peuvent 
être  opposées  à  ces  deux  modifications  de  l'opinion,  promulguée  par 
Huglilings  Jackson  et  autres,  que  les  Mots  sont  rappelés  à  la  pen- 
sée comme  «  processus  moteurs  »  ;  et  l'on  a  montré  qu'elles  étaient 
insurmontables.  Nous  avons  trouvé  de  bonnes  raisons  pour  croire 
que  les  impressions  en  question  (aussi  bien  pour  les  mots  parlés 
et  écrits  que  pour  tous  les  autres  mouvements  musculaires)  ne 
sont  point  antérieures  aux  courants  centrifuges,  ni  concomitantes, 
mais  suivent  distinctement  le  passage  de  ces  courants,  —  qu'elles 
sont  en  réalité  dues  à  des  courants  centripètes,  venant  des  parties 
mêmes  en  mouvement. 

Envisageant  la  question  à  ce  point  de  vue  plus  nouveau,  nous  pou- 
vons d'abord  considérer  jusqu'à  quel  point  sont  distinctes  et  recou- 
vrables les  Impressions  Kinesthétiques  provenant  des  mouvements 
de  l'Écriture. 

Chacun  peut  aisément  se  convaincre,  par  la  simple  expérience 
que  voici,  qu'il  est  presque  impossible  de  rappeler  à  la  conscience 
des  impressions  de  cette  nature,  et  combien  vague  et  indistinct  est 
le  sentiment  associé  à  cet  essai,  si  on  le  compare  au  souvenir  d'une 
Impression  Visuelle  ou  Auditive.  Que  l'on  ferme  les  yeux,  et  que, 
la  plume  à  la  main,  on  fasse  en  l'air  des  mouvements  comme 
si  l'on  écrivait  le  mot  Londres.  On  peut  s'assurer  ainsi  que  l'on  aun 
groupe  de  sensations  accompagnant  ces  mouvements.  Au  bout  d'un 
certain  temps,  d'un  jour  par  exemple,  que  l'on  ferme  de  nouveau 
les  yeux  et,  sans  faire  aucun  mouvement,  que  l'on  essaye  de  se  rap- 
peler «  en  idée  »  les  sensations,  musculaires  et  autres,  que  l'on  a 
précédemment  éprouvées  en  écrivant  le  mot  ci-dessus.  Que  l'on 
mette  en  regard  son  impuissance  relative,  sous  ce  rapport,  avec  la 
facilité  avec  laquelle  on  se  rappelle  l'aspect  visuel  de  ce  mot 
écrit,  ou  le  son  correspondant. 

En  partant  de  là,  nous  pouvons,  en  second  lieu,  examiner 
jusqu'où  sont  distinctes  et  recouvrables  les  Impressions  Kinesthé- 
tiques qui  suivent  les  mouvements  de  la  Parole.  Nous  pouvons  alors 


IMPRESSIONS    KINESTHÉTIQUES    DE  LA  PAROLE.      219 

trouver  que  les  Impressions  qui  accompagnent  les  mouvements 
actuels  qui  produisent  les  clifi'érents  mots,  ne  peuvent  être  que 
vaguement  réalisées  comme  distinctes  les  unes  des  autres,  et  qu'elles 
sont  certainement  beaucoup  moins  distinctes  que  les  Impressions 
Kinestliétiques  dérivées  des  actes  nécessités  par  l'Écriture  de 
différents  mots.  La  règle  générale  que,  plus  la  Sensation  est 
vague,  moins  elle  est  aisément  recouvrable  en  Idée,  est,  certaine- 
ment, également  vraie  ici,  —  comme  peuvent  le  reconnaître  tous 
ceux  qui  veulent  faire  les  essais  comparatifs  nécessaires. 

Ainsi  donc,  si  faible  que  puisse  être  la  faculté  de  se  souvenir  des 
Impressions  Kinestliétiques  qui  dérivent  de  l'Écriture,  la  faculté  de 
se  souvenir  de  celles  qui  dérivent  de  la  Parole  est  encore  moindre. 
Mais  on  devait  s'attendre  à  ce  qu'il  y  eût  une  différence  de  cette 
nature,  puisqu'il  en  existe  une,  précisément  semblable,  relative- 
ment aux  Impressions  provenant  de  mouvements  «  automatiques  »  en 
général,  comparées  à  celles  qui  viennent  de  mouvements  d'un  ordre 
plus  «  volontaire  ». 


CHAPITRE  XXIX 

r.ELATIOISS   CÉRÉBRALES   DE   LA   PAROLE   ET   DE    LA    PENSÉE 

Nos  facultés  de  Percevoir  ou  Concevoir,  de  Penser  ou  Raisonner, 
•de  Parler,  Nommer,  Écrire,  —  et  même  d'exprimer  des  Pensées  par 
les  Gestes  ou  les  Signes  les  plus  simples,  —  dépendent  toutes  de 
processus  cérébraux  en  relations  très  complexes  entre  eux,  comme 
on  peut  l'avoir  conclu  de  ce  qui  a  déjà  été  dit.  Les  médecins  et  les 
pathologistes  ont,  dans  ces  dernières  années,  étudié  avec  beaucoup 
d'attention  les  troubles  des  relations  qui  existent  normalement  entre 
ces  divers  processus,  troubles  amenés  par  des  lésions  limitées,  ou 
des  blessures,  de  diverses  parties  du  Cerveau.  Une  analyse  de  quel- 
ques-unes des  conditions  typiques  ainsi  révélées  jettera  plus  de 
lumière  qu'on  ne  pourrait  en  obtenir  autrement,  sur  la  manière 
dont  les  processus  Cérébro-mentaux  sont  reliés  les  uns  aux  autres. 
Elle  servira  à  donner  quelque  vague  esquisse  de  la  manière  dont  les 
processus  les  plus  élevés  de  l'Appréhension  Sensorielle,  de  la  Pensée 
et  de  l'Expression  Intellectuelle  (et  par  conséquent  de  la  «  Volition  ») 
dépendent  les  uns  des  autres  ;  et  aussi  de  la  manière  dont  ces  pro- 
cessus sont  liés  à  l'activité  de  certaines  aires,  imparfaitement  définies, 
de  l'écorce  des  Hémisphères  Cérébraux. 

Ce  qu'il  faut  maintenant  établir  au  moyen  d'exemples,  choisis 
parmi  quelques-unes  des  conditions  mentales  anormales  produites 
par  les  Maladies  du  Cerveau,  tout  en  servant  à  attester  et  à  démon- 
trer l'exactitude  des  vues  exposées  dans  le  dernier  chapitre,  peut 
aussi  être  regardé  comme  la  suite  de  ce  que  l'on  a  dit  dans  les 
chapitres  xxiv  et  xxv.  Nous  avons  alors  cherché,  avec  la  lumière 
apportée  par  des  expériences  sur  les  animaux,  et  aidés  par  l'investi- 
gation clinique  et  pathologique,  à  suivre  les  impressions  «  centri- 
pètes »  depuis  leur  point  d'origine  jusqu'à  certaines  portions  de 
l'Écorce  Cérébrale  ;  les  régions  de  cette  Écorce  d'où  partent  les  stimuli 
«  centrifuges  »,  Volitionnels  et  autres,  ont  aussi  été  indiquées,  —  pour 
autant  qu'elles  sont  connues  jusqu'ici.  Notre  but  sera  maintenant 
de  jeter  un  peu  de  lumière  sur  les  processus,  extrêmement  complexes, 
qui  ont  été  surajoutés,  ou  qui  sont  nés  des  processus  immédiatement 
excités  dans  l'Écorce  Cérébrale  par  l'arrivée  des  impressions  centri- 
pètes, —  et  comme  résultat  desquels  des  stimuli  centrifuges  se  ren- 


PROCESSUS    DE    L'EXPRESSION  INTELLECTUELLE.       221 

dent  aux  centres  moteurs,  pour  l'exécution  des  Actes  Volontaires,  et 
pour  l'Expression  Intellectuelle  en  général. 

Nous  ferons  donc  une  faible  tentative  pour  commencer  à  révéler 
l'ordre  des  processus  intermédiaires,  d'une  complexité  incalculable, 
qui  ont  lieu,  dans  les  centres  nerveux  supérieurs  des  animaux  les 
plus  élevés,  entre  l'arrivée  des  courants  «  centripètes  »  et  la  sortie 
des  courants  «  centrifuges  ».  On  doit  regarder  un  processus  de  ce 
genre  comme  une  phase  médiane,  élaborée,  du  «  processus  réflexe  » 
typique,  tel  qu'il  se  présente  chez  les  organismes  inférieurs,  ou 
dans  les  centres  nerveux  inférieurs  des  organismes  élevés. 

On  a  trouvé  que  toute  tentative  pour  mesurer  et  comprendre 
les  Processus  Mentaux  d'animaux  inférieurs,  reposait  nécessairement 
sur  l'étude  de  leurs  Actions,  dans  des  conditions  particulières.  De 
même,  nos  tentatives  pour  mesurer  et  comprendre  les  processus 
mentaux  de  nos  semblables,  doivent  finalement  reposer  sur  une 
étude  de  leurs  Actions,  ou  des  résultats  de  leurs  Actions,  telles 
qu'on  les  connaît  par  la  Parole,  l'Écriture,  ou  autres  produits  des 
mouvements  qu'ils  ont  évoqués  pour  arriver  à  l'Expression  Intellec- 
tuelle. Au  lieu  des  simples  signes  émotionnels  et  des  gestes  des 
animaux  inférieurs,  les  résultats  accumulés  des  mouvements  em- 
ployés dans  la  Parole  et  l'Écriture,  de  génération  en  génération,  ont 
été  mis  à  proiît,  dans  le  cas  de  l'Homme,  pour  constituer  ce  grand 
département  du  savoir  humain  que  l'on  connaît  sous  le  nom  de 
Psychologie  Objective. 

Nos  buts  sont  donc  différents  de  ce  qu'ils  étaient  dans  les  précé- 
dents chapitres,  lorsque  nous  considérions  les  processus  mentaux 
des  animaux  inférieurs.  Nous  devions  alors  principalement  tâcher 
d'acquérir  quelques  connaissances  sur  la  nature  de  ces  processus 
mentaux  ;  de  manière  à  savoir  s'ils  étaient  semblables  à  ceux  de 
l'Homme,  et  dans  quelles  limites.  11  était  nécessaire,  en  réalité,  de 
s'assurer  si  la  similitude  générale  de  structure  de  leur  système 
nerveux  entraînait  avec  elle  une  similitude  générale  de  son  mode 
d'action.  Mais,  maintenant,  nous  n'avons~poiîrt  tant  à  nous  occuper 
d'estimer  la  nature  et  l'étendue  des  facultés  mentales  de  l'Homme, 
que  («.)  de  la  nature  et  de  l'ordre  des  processus  compris  dans  la 
Pensée  et  l'Expression  Intellectuelle;  et  [b]  nous  devons  nous  efforcer 
de  rapporter  quelques-uns  de  ces  processus  à  l'activité  de  parties 
définies  du  cerveau.  Telles  sont,  en  réalité,  les  questions  finales  que 
nous  avons  à  considérer,  pour  compléter  notre  esquisse,  nécessaire- 
ment imparfaite,  de  ce  que  l'on  sait  à  présent  du  «  Cerveau  comme 
organe  de  la  Pensée  » . 

Dans  la  première  de  ces  études  analytiques,  nous  avons  à  consi- 
dérer brièvement  quelques-uns  des  plus  typiques,  parmi  les  divers 
défauts  de  la  Perception,  de  la  Mémoire  Verbale,  de  la  Pensée  et  de 


222      RELATIONS    DE    LA    PAROLE  ET    DE    LA    PENSÉE. 

l'Expression  Intellectuelle  (soit  par  la  Parole,  soit  par  l'Écriturej, 
que  l'on  a  observés  comme  résultats  de  maladies  ou  de  blessures, 
de  différentes  parties  des  Hémisphères  Cérébraux. 

La  grande  importance  de  l'activité  normale  des  Centres  Perceptifs 
Auditifs  et  Visuels,  et  le  fait  que  la  grande  masse  de  nos  perceptions 
intellectuelles,  de  notre  mémoire  des  mots  et  de  nos  facultés  de 
penser,  ainsi  que  de  l'expression  intellectuelle,  dépendent  absolu- 
ment de  l'intégrité  fonctionnelle  et  de  l'action  réciproque  conve- 
nable de  ces  diverses  parties,  peuvent  avoir  été  déduits  par  le 
lecteur  comme  probables,  d'après  ce  qui  a  déjà  été  dit  (voyez  aussi 
p.  Si38,  note  ).  Ces  conclusions  seront  toutefois  confirmées,  mainte- 
nant, par  des  exemples  tirés  de  l'histoire  de  certains  cas,  soigneuse- 
ment choisis,  de  maladies  du  Cerveau. 

Ceux  qui  étudient  ces  exemples  doivent  avoir  continuellement 
présent  à  l'esprit  que  chaque  Centre  Perceptif  est  susceptible  d'être 
mis  en  jeu  de  trois  manières  :  (1)  Au  moyen  d'impressions  exté- 
rieures; (2)  par  «  Association  »  —  c'est-à-dire  par  des  impulsions 
communiquées  par  un  autre  Centre,  pendant  quelque  acte  de  Per- 
ception, ou  pendant  quelque  Processus  mental;  (3)  par  le  rappel  «Vo- 
lontaire »  d'impressions  passées,  comme  dans  un  acte  de  Souvenir^. 

L'excitabilité  des  Centres,  c'est-à-dire  la  mobilité  moléculaire 
des  éléments  constituants  de  leurs  tissus,  peut  varier  beaucoup  avec 
l'âge,  l'état  de  santé,  ou  diverses  conditions  morbides.  Leur  mobilité 
peut  être  tellement  abaissée  qu'ils  ne  soient  capables  de  répondre  qu'à 
desstimuli  puissants;  de  sorte  que, tandis  que  le  rappel  Volitionnel, 
ou  Souvenir,  peut  être  impossible  ou  difficile  dans  leur  province,  ils 
peuvent  être  encore  capables  d'agir  en  «  Association  »  avec  d'autres 
centres  (c'est-à-dire  d'une  manière  automatique,  durant  un  processus 
mental  ordinaire),  et  encore  plus  aisément  sous  le  stimulus  «  senso- 
riel »  ou  impression  externe,  qui  est  l'avant-coureur  d'un  Processus 
Perceptif.  D'autres  fois,  l'excitabilité  des  Centres  Perceptifs  peut 
être  exaltée  d'une  manière  anormale,  de  manière  à  amener  des  hal- 
lucinations, des  illusions,  et  une  classe  tout  à  fait  différente  de 
troubles,  que  l'on  rencontre  chez  les  personnes  Insensées,  mais  que 
nous  n'examinerons  point  ici. 

En  outre,  les  Centres  Auditifs,  les  Centres  Visuels  et  les  doubles 
Centres  Kinesthétiques  des  Mots  (c'est-à-dire  ceux  qui  sont  en 
relation  avec  les  mouvements  nécessités  par  la  Parole  et  l'Écriture) 
ne   sont  assurément   que   des   parties,   bien   que,    probablement, 

1.  Ces  second  et  troisième  modes  d'activité  sont  probablement  en  liaison 
intime  l'un  avec  l'autre;  bien  que  nous  n'ayons  aucune  connaissance  définie 
des  processus  compris  dans  le  dernier. 


TROUBLES  DE  LA  MÉMOIRE    VERBALE.  223 

des  parties  distinctes  et  étendues,  des  Centres  Cérébraux  respec- 
tifs de  l'Audition  et  de  la  Vision,  et  des  Centres  Cérébraux  Kinesthé- 
tiques  en  général.  De  là  vient  que  des  mots  prononcés  peuvent 
n'être  point  compris,  bien  que  d'autres  sons  le  soient  ;  et  de  même, 
que  des  signes  écrits  ou  imprimés  puissent  n'être  point  compris, 
bien  que  des  objets  ordinaires  puissent  être  aisément  reconnus  par 
des  impressions  visuelles. 

Quant  aux  relations  fonctionnelles  précises  des  Centres  Kinesthé- 
tiques  des  Mots  avec  les  parties  correspondantes  des  Centres  Visuels 
et  Auditifs,  on  ne  sait  rien  jusqu'à  présent,  —  l'auteur  croit  cepen- 
dant qu'elles  ne  prennent  que  peu  ou  point  de  part  à  la  Pensée.  Une 
partie  de  ces  Centres  est  probablement  mise  en  activité,  principale- 
ment à  l'instigation  de  stimuli  émanant  du  Centre  Auditif,  pour  pro- 
duire le  Langage  Articulé  ;  tandis  que  l'autre  partie  est  probablement 
mise  en  jeu  par  des  stimuli  provenant  du  Centre  Visuel,  pour  arriver 
à  produire  les  mouvements  de  l'Écriture. 

A  ce  point  de  vue,  les  Centres  Kinestliétiques  auraient  plus  à  faire 
avec  l'expression  de  la  Pensée  qu'avec  le  processus  Pensant  :  leur 
activité  ne  serait  excitée  que  lorsque  la  Pensée  va  se  traduire  en 
Action.  Ainsi  ils  peuvent,  peut-être,  former  les  premiers  avants-postes 
du  côté  des  courants  «  centripètes  »,  et  être  en  même  temps  les  points 
de  départ  des  couinants  «  centrifuges  ».  Cette  idée  est  tout  à  fait  en 
harmonie  avec  le  fait  que  les  processus  qui  se  passent  là,  sont  presque 
aussi  dépourvus  d'accompagnement  conscient,  et  presque  aussi  im- 
possibles à  rappeler  en  idée,  que  le  sont  les  processus  moléculaires 
qui  ont  lieu  dans  les  Centres  Moteurs  sur  lesquels  agissent  les  cou- 
rants «  centrifuges  »  initiaux. 

On  verra  qu'une  étude  attentive  des  troubles  mentaux  qui  résul- 
tent de  Maladies  Cérébrales  donne  des  résultats  tout  à  fait  d'accord 
avec  les  vues  exprimées  ici. 

Les  principaux  défauts  dont  les  cas  suivants  sont  destinés  à  servir 
d'exemple  peuvent  avantageusement  être  mis  d'abord  en  tableau, 
de  manière  à  montrer  leurs  relations  mutuelles,  à  la  fois  comme 
Processus  Mentaux  et  comme  Processus  Névrologiques. 

L    TROUBLES    DE    LA    MÉMOIRE    VERBALE  f    C'EST-A-DIRE    TROUBLES    DANS    l'aSSOCIATION 
DES   IDÉES   DE  CHOSES,    OU    DES    C0NCEPTI01\S,     AVEC    LES  IDÉES    DE    MOTS. 

A.  AMNÉSIE  VERBALE. 

(a.  Variété  paralj'tique;  b.  Variété  incoordonnée.) 
i.  Diminution  d'Excitabilité  des  Centres  Auditifs  des  Mots. 

2.  Action  Défectueuse  des  Centres  Visuels  des  Mots. 

3.  Lésion  des  Centres  Visuels  des  Mots  et  des  Fibres  Afférentes  des  Centres 

Auditifs;  ainsi  que  certains  défauts  produisant  l'Amnésie  Incoordonnée. 

4.  Lésion  des  Commissures  entre  les  Centres  Atiditifs  et  Visuels  des  Mois. 


224      RELATIONS    DE    LA    PAROLE    ET    DE    LA    PENSÉE. 

IL    TROUBLES  DANS  l'ASSOCIATION  DES  IDÉES  DE  MOTS  AVEC  LES  MOCVEMENTS  VERBAUX 
DE   LA   PAROLE^    OU   DE  l'ÉCRITURE,    OU  DES   DEUX    ENSEMBLE. 

B.  APHASIE. 

5.  Lésion  des  premières  parties  des  routes  centrifuges  conduisant  des  Centres 

Cérébraux  des  Mots  au  Corps  Strié  gauche. 

C.  AGRAPHIE. 

6.  Lésion  des  premières  parties  des  routes  centrifuges  partant  du  Centre  Visuel 

gauche  des  Mots. 

D.  APHÉMIE. 

7.  Lésion  (a)  des  premières  parties  du  conducteur  centrifuge  partant  du  Centre 

Auditif  gauche  des  Mots,  ou  (b)  de  quelqu'une  des  parties  inférieures  du 
même  conducteur,  ou  (c)  des  Centres  Moteurs  réels  de  V Articulation. 

A.    —    AMNÉSIE     VERBALE  1. 

Dans  l'acquisition  de  la  Parole,  il  se  produit  graduellement,  comme 
nous  l'avons  vu,  une  «  association  »  entre  les  impressions  produites 
par  les  objets  extérieurs,  ainsi  qu'entre  les  processus  cérébraux 
compris  dans  les  idées  et  autres  états  mentaux,  d'une  part;  et  d'autre 
part,  les  sons  ou  les  aspects  visuels,  actuels  ou  rappelés,  de  certains 
Mots.  Une  «  association  »,  également  intime,  s'établit  aussi  entre  ces 
derniers  processus,  qui  ont  lieu  dans  les  Centres  Perceptifs,  Auditifs  et 
Visuels,  et  d'autres  processus,  qui  se  passent  dans  les  Centres  Moteurs 
qui  causent  des  Mouvements  d'Articulation,  destinés  à  produire  des 
Sons  correspondant  aux  Noms  des  objets  ou  des  états  mentaux  aux- 
quels on  pense.  Ainsi,  dans  le  processus  de  Penser,  aussi  longtemps 
que  le  c -rveau  fonctionne  d'une  manière  normale,  les  Mots  naissent 
dans  la  conscience,  d'une  manière  primaire,  et  peut-être  principale» 
comme  Impressions  Auditives  ravivées.  Ces  impressions  ravivées,  soit 
sans  efforts  volontaires,  soit  avec  (c'est-à-dire  par  Action  Idéo-Motrice, 
ou  par  Action  Volontaire),  amènent,  d'une  manière  dont  les  détails 
sont  extrêmement  obscurs,  ces  combinaisons  multiples  d'actions 
musculaires,  nécessaires  à  l'Articulation  des  Mots  correspondants. 
Si  cette  association  première,  dans  la  mémoire,  entre  les  impressions 
produites  par  les  choses,  et  leurs  noms,  ou  entre  les  idées  de  choses 

J.  Les  idées  exprimées  dans  ce  chapitre  étaient  renfermées  en  germe  dans 
un  mémoire  (publié  en  1809  dans  Brit.  and  For.  Med.  Chir.  Review)  intitulé  : 
On  the  Various  Forms  of  Loss  of  Speech  in  Cérébral  Disease.  Le  présent  cha- 
pitre a  été  écrit  pendant  l'automne  de  1878,  et  ne  contient  par  conséquent 
aucune  allusion  à  des  communications  récentes.  L'auteur  a  lu  depuis  l'article 
approfondi  de  Kussmaul  {Cyclopœdia  de  Ziemssen,  vol.  XIV),  où  sont  adoptées 
un  grand  nombre  des  idées  exprimées  dans  ses  précédents  mémoires. 


AMNESIE.  225 

et  autres  états  mentaux,  et  les  mots  qui  leur  correspondent,  se  trouve 
défectueuse  (de  manière  que  les  unes  ne  suivent  pas  immédiatement 
les  autres),  il  semble  évident  que,  en  proportion  du  degré  de  ces  divers 
troubles,  il  doit  y  avoir  une  diminution  de  la  faculté  de  Parler,  et  un 
obstacle,  bien  que  dans  une  moindre  étendue,  au  processus  de  Penser. 
Il  faut  distinguer  deux  genres  de  défectuosité  de  la  Mémoire  Ver- 
bale ^  L'un  dépend  d'une  dimiimUoii  d'activité  dsinsV mie  ou  l'autre 
des  parties  du  Cerveau  qui  sont  intéressées  dans  les  associations 
verbales  dont  nous  avons  parlé  plus  haut.   Cette  diminution  peut 
s'élever  jusqu'à  un  arrêt  d'action,  ou  paralysie,  plus  ou  moinsmar- 
qué  :    on  peut  donc   nommer  cette  variété  Amnésie   Paralytique. 
L'autre  genre  de  défectuosité  est  lié  à  une  activité  irrégulière,  ou 
pervertie,  des  parties  en   question.  Elles  fonctionnent,  mais  elles 
fonctionnent  mal.  Ce  n'est  point  que  des  mots  ne  puissent  être 
ravivés  ;  mais  de  même  que  des  mots  sont  ravivés  à  tort,  de  même  un 
«  ataxique   »  produit   de   faux  mouvements  de  ses  jambes.   Cette 
seconde  variété  peut  donc  être,  avec  assez  de  raison,  désignée  sous 
le  nom  à.\\mnpsre  Incoordonnée.  Bien  que  les  deux  conditions  puis- 
sent exister  séparément,  elles  sont  souvent  combinées  en  diverses 
proportions. 

a.  —   AMNÉSIE     PARALYTIQUE. 

Sous  ce  titre,  on  peut  comprendre  une  absence  momentanée  de 
mémoire,  et  une  confusion  des  Noms  propres  et  des  Substantifs,  avec 
retour  à  l'état  normal  au  bout  d'un  certain  temps;  ou  bien,  il  peut 
y  avoir  une  perte  plus  ou  moins  permanente  et  habituelle  de  la 
mémoire  des  Noms  des  objets,  des  personnes,  ou  des  lieux;  avec 
des  efiforts  pour  remédier  à  ce  défaut  de  mémoire,  par  l'emploi 
d'une  périphrase,  au  lieu  du  Substantif  dont  on  ne  peut  se  souvenir. 
On  rappelle,  dans  les  paragraphes  suivants,  divers  degrés  et  des 
variétés  spéciales  de  ce  genre  de  défaut. 

L    —     DIMIINUTION     d'excitabilité     DES     CENTRES     AUDITIFS 
DES     MOTS. 

Suivant  le  degré  auquel  est  aflfectée  la  vitalité  normale  des  Centres 
Auditifs  des  Mots,  nous  pouvons  trouver  la  preuve  qu'ils  cessent  de 
répondre,  d'abord  aux  incitations  «  volitionnelles  »,  puis  à  celles  qui 
leur  viennent  par  voie  d'  «  association  »,  et,  en  dernier  lieu,  aux  im- 
pressions «  sensitives  »  qui  viennent  du  dehors. 

Trousseau  a  rapporté  dans  ses  Cliniques  un  bon  exemple  d'un 

1.  On  trouvera,  sur  la  Mémoire  en  général,  quelques  idées  très  originales  et 
très  ingénieuses,  dans  un  mémoire  de  feu  le  D^'Laycock,  in  Edin.  Med.  Journal, 
avril  1874. 

Chaklton-Bastian.  —  II.  15 


226      RELATIONS    DE    LA    PAROLE    ET    DE    LA   PENSÉE. 

cas  ordinaire  d'Amnésie,  dans  lequel  le  souvenir  «  volitionnel  »  et 
«  associé  »  des  noms  était  impossible,  bien  qu'ils  fussent  rappelés 
par  les  impressions  a  sensitives  ». 

«  Le  malade  ne  parle  point,  parce  qu'il  ne  se  rappelle  pas  les  mots  qui 
expriment  les  idées.  Vous  vous  rappelez  l'expérience  que  j'ai  souvent  répétée 
au  lit  de  Marcou^  Je  plaçais  son  bonnet  de  nuit  sur  son  lit  et  lui  demandais 
ce  que  c'était.  Mais,  après  l'avoir  regardé  attentivement,  il  ne  pouvait  dire 
comment  on  l'appelait  et  s'écriait  :  «  Et  cependant  je  sais  bien  ce  que  c'est, 
mais  je  ne  puis  m'en  souvenir.  »  Lorsque  je  lui  disais  que  c'était  un  bonnet 
de  nuit,  il  répondait  :  «  Oh  oui,  c'est  un  bonnet  de  nuit.  »  La  même  scène  se 
répétait  pour  les  divers  autres  objets  qu'on  lui  montrait.  Toutefois,  il  y  avait 
des  choses  qu'il  nommait  bien,  comme  sa  pipe.  C'était,  vous  le  savez,  un  ter- 
rassier, qui  travaillait  par  conséquent  surtout  à  la  pelle  et  à  la  pioche;  et  ce 
sont,  par  conséquent,  des  objets  dont  un  terrassier  ne  doit  jamais  oul)lier  le 
nom.  Mais  Marcou  ne  put  jamais  nous  dire  avec  quels  outils  il  travaillait;  et, 
lorsqu'il  avait  cherché  en  vain  à  se  souvenir,  je  lui  disais  que  c'était  la  pelle  et 
la  pioche  :  «  Oh  oui,  répondait-il  »,  mais  deux  minutes  après,  il  était  aussi 
incapable  qu'auparavant  de  les  nommer.  » 

Dans  les  formes  plus  légères  d'Amnésie,  les  efforts  pour  se  sou- 
venir, d'une  personne  à  qui  «  il  manque  un  mot  »,  tendent  aussi  à 
évoquer  les  Centres  Visuels  des  Mots  en  un  état  commençant,  ou 
avorté,  d'activité.  Le  docteur  Graves  a  rappelé  ce  qu'on  peut  prendre 
comme  exemple  de  ce  fait  ;  bien  qu'il  cite  simplement  le  cas  comme 
«  un  degré  remarquablement  exagéré  du  défaut  commun  de  mé- 
moire que  l'on  observe  dans  les  maladies  de  la  vieillesse,  dans  les- 
quelles les  noms  des  personnes  et  des  choses  sont  fréquemment  ou- 
bliés, bien  qu'on  se  souvienne  de  leurs  initiales  ». 

«  Un  fermier,  il  y  ai,  cinquante  ans,  avait  eu  une  attaque  de  paralysie  dont 
il  n'était  pas  guéri  au  moment  de  l'observation.  A  l'attaque  succéda  une  hési- 
tation pénible  de  la  parole.  La  mémoire  était  bonne  pour  toutes  les  parties  du 
discours,  sauf  pour  les  substantifs  et  les  noms  propres  :  il  ne  pouvait  absolu- 
ment pas  retenir  ces  derniers.  Ce  défaut  était  accompagné  de  la  singulière 
particukiité  que  voici  :  —  il  se  rappulait  parfaitement  la  lettre  initiale  de 
chaque  substantif,  ou  nom  propre,  qui  se  présentait  dans  le  cours  de  la  conver- 
sation, bien  qu'il  ne  pût  se  rappeler  le  mot  lui-même.  L'expérience  lui  avait 
appris  l'utilité  d'avoir  une  liste  manuscrite  des  choses  qu'il  avait  l'habitude  de 
demander,  ou  dont  il  parlait  d'ordinaire,  y  compris  les  noms  de  ses  enlants,  de 
ses  domestiques  et  de  ses  connaissances.  H  avait  arrangé  tous  ces  noms,  par 
ordre  alphabétique,  dans  un  petit  dictionnaire  de  poche  dont  il  se  servait  de  la 
manière  suivante  :  s'il  désirait  demander  quelque  chose  sur  une  vache, 
avant  de  commencer  sa  phrase,  il  tournait  jusqu'à  la  lettre  c,  et  cherchait  le 

1.  On  reviendra  un  peu  plus  loin  (p.  230)  sur  la  condition  primitive  de  cet 
homme;  car,  à  ce  moment,  il  manifestait  une  tendance  distincte  à  faire  écho 
aux  mots. 


AMNÉSIE  PARALYTIQUE.  227 

mot  «  Cow  »  (vache),  et  tenait  le  doigt  et  les  yeux  fixés  dessus,  jusqu'à  la  fin 
de  sa  phrase.  //  pouvait  prononcer  le  mot  «  cou)  »  à  la  place  convenable,  tant 
qu'il  avait  les  yeux  fixés  sur  les  lettres  écrites;  mais,  du  moment  qu'il  fermait 
son  livre,  le  mot  sortait  de  sa  mémoire,  et  ne  pouvait  plus  être  rajipelé,  bien 
qu'il  se  souvint  de  son  initiale,  et  pût  le  retrouver  à  nouveau  lorsque  c'était 
nécessaire.  Il  ne  pouvait  même  pas  se  rappeler  son  propre  nom,  à  moins  de  le 
chercher,  non  plus  que  le  nom  d'aucune  personne  de  sa  connaissance;  mais 
il  n'était  jamais  embarrassé  pour  l'initiale  du  mot  à  employer.  » 

11  n'est  pas  sans  intérêt,  relativement  à  cette  mémoire  limitée 
à  la  première  lettre  d'un  nom  ou  mot,  de  citer  le  passage  suivant 
de  David  Hartley.  Il  disait  \  en  exposant  sa  célèbre  doctrine  de 
r  «  Association  »  :  «  Lorsque  des  idées  variées  sont  associées  en- 
semble, l'idée  visible,  étant  plus  frappante  et  plus  distincte  que  le 
reste,  joue  le  rôle  d'un  symbole  pour  toutes  les  autres,  les  suggère, 
et  les  relie  ensemble.  Elle  ressemble  un  peu,  en  ceci,  à  la  première 
lettre  d'un  mot,  ou  au  premier  mot  d'une  phrase,  dont  on  fait  souvent 
usage  pour  rappeler  tout  le  reste  à  l'esprit.  »  En  outre,  le  fait  que,  dans 
ces  cas,  —  lorsque  nous  ne  pouvons  trouver  un  certain  mot,  —  nous 
semblons  souvent  connaître  quelque  chose  de  sa  longueur,  et  pouvons 
dire  qu'il  se  compose  d'environ  tant  de  lettres,  témoigne  aussi  d'une 
résurrection  avortée,  ou  commençante,  du  Mot,  dans  le  Centre  Visuel. 

Le  fait  que  cette  résurrection  Visuelle  partielle  n'est  point  asso- 
ciée avec  la  pleine  connaissance  du  mot,  et  ne  permet  pas  de  l'écrire, 
a  une  signification  considérable;  car  il  semble  montrer  quelle  impor- 
tance dominante  a,  dans  la  majorité  des  cas,  la  résurrection  pri- 
maire dans  les  Centres  Auditifs,  non  seulement  pour  la  faculté  de 
Parler,  mais  aussi  pour  celle  d'Écrire  ;  il  montre  en  outre  que  les 
Mécanismes  plus  spécialement  Intellectuels  ou  Émotionnels  ne  peu- 
vent souvent  pas  exciter  immédiatement  les  Centres  Visuels  des  Mots 
pour  1  exécution  des  Mouvements  de  l'Écriture  :  ceux-ci  étant  pro- 
bablement mis  en  jeu,  lorsqu'on  écrit  spontanément,  de  même  que 
lorsqu'on  écrit  sous  la  dictée,  principalement  par  l'intermédiaire  des 
Centres  Auditifs  des  Mots. 

Un  remarquable  genre  de  défaut,  d'un  ordre  exceptionnel  et  fort 
difficile  à  expliquer,  a  été  rapporté  par  le  docteur  Hertz;  qui  dit 
[Psych.  Magazine,  vol.  VIII)  : 

«  En  août  1785,  je  fus  appelé  vers  un  officier  d'artillerie  âsé  d'environ  qua- 
rante ans,  et  qui,  me  dit-on,  était  frappé  de  paralysie...  Je  le  trouvai  assez 
rétabli  pour  avoir  complètement  l'usage  de  ses  pieds;  ses  mains  étaient  aussi 
plus  fortes;  mais,  relativement  à  la  parole,  on  observait  la  très-remarquable  cir» 
constance  que  voici  :  il  était  capable  d'articuler  distinctement  tous  les  mots 
qui  se  présentaient  spontanément  à  lui,  ou  qui  lui  étaient  répétés  lentement  et  à 

i.  Observations  on  Man,  1748.  Prop.  XII,  Cor.  VII. 


228       RELATIONS    DE    LA    PAROLE    ET    DE   LA   PENSÉE. 

haute  voix.  Il  s'efforçait  avec  ardeur  de  parler;  mais  une  sorte  de  murmure 
inintelligible  était  tout  ce  qu'on  pouvait  entendre.  L'effort  qu'il  faisait  était 
violent,  et  se  terminait  par  un  profond  soupir.  Au  contraire,  il  pouvait  lire  à 
haute  voix,  avec  facilité.  Si  l'on  tenait  devant  ses  yeux  un  livre  ou  un  papier 
écrit  quelconque,  il  lisait  si  vite,  et  si  distinctement,  qu'il  était  impossible 
d'observer  le  moindre  trouble  dans  les  organes  de  la  parole.  Mais,  si  on  enlevait 
le  livre  ou  le  papier,  il  était  désormais  absolument  incapable  de  prononcer  un 
seul  des  mots  qu'il  avait  lus  l'instant  d'auparavant.  J'essayai  à  diverses  reprises 
cette  expérience  avec  lui,  non  seulement  en  présence  de  sa  femme,  mais  de 
beaucoup  d'autres  personnes  :  l'effet  fut  uniformément  le  même.  » 

11  semblerait  que  les  Mots  ne  pouvaient  point  être  convena- 
blement ravivés  dans  les  Centres  Auditifs  par  les  incitations  «  voli- 
tionnelles  »  ;  et,  conséquemment,  que  les  stimuli  «  centrifuges  »  ne 
pouvaient  passer  de  ces  centres  aux  centres  moteurs  intéressés  dans 
la  Parole.  La  difficulté  à  répéter  les  mots  (impliquant  une  paresse 
ans  la  réponse  des  Centres  Auditifs  des  Mots  aux  impressions 
«  sensitives  »  directes)  rend  ce  cas  difficile  à  comprendre.  L'idée 
que  la  mobilité  moléculaire  de  ce  Centre  lui-même  était  diminuée, 
ou  que  ses  fibres  efférentes  étaient  lésées,  n'est  point  d'accord  avec 
le  fait  qu'il  semblait  encore  bien  répondre  aux  fortes  impulsions 
qui  lui  venaient  du  Centre  Visuel.  On  donnera  plus  loin  un  fait  ten- 
dant à  montrer  que,  dans  la  «  lecture  à  haute  voix  »,  le  Centre  Audi- 
tif des  Mots  est  mis  en  jeu,  de  sorte  qu'il  agit  alors  comme  dans  le 
langage  ordinaire  (p.  241);  mais  il  peut  y  avoir  des  exceptions  à  cette 
règle.  Ce  cas,  ainsi  que  le  suivant,  serait  plus  explicable  si  nous 
pouvions  supposer  que  les  incitations  motrices  peuvent,  chez  quel- 
ques personnes  bien  exercées,  passer,  pendant  la  Lecture,  du  Centre 
Visuel  des  Mots  à  des  portions  du  Centre  Kinesthétique  des  Mots 
associées  aux  mouvements  de  la  Parole,  sans  passer  d'abord  par  le 
Centre  Auditif  des  Mots.  Il  semblerait,  par  analogie,  tout  à  fait  pos- 
sible qu'il  en  fût  ainsi  ;  de  même  que  le  Sens  Visuel  qui  guidait  d'a- 
bord peut,  au  bout  d'un  certain  temps,  devenir  inutile  pour  l'exé- 
cution des  mouvements  ordinaires  (p.  175). 

Le  cas  suivant^  est  plutôt  plus  compliqué,  mais  donne  une  preuve 
plus  évidente  d'une  grande  diminution  dans  l'excitabilité  du  Centre 
Auditif  des  Mots. 

Le  D"'  Hun,  d'Albany,  mentionne  le  cas  d'un  forgeron,  âgé  de  trente-cinq  ans, 
qui,  avant  l'attaque^actuelle,  pouvait  lire  et  écrire  avec  facilité.  Il  avait  souiïert 
pendant  plusieurs  années  d'une  maladie  de  cœur.  Après  une  longue  marche  au 
soleil,  il  fut  pris,  un  soir,  de  symptômes  de  congestion  cérébrale,  et  demeura 
plusieurs  jours  dans  un  état  de  stupeur.  En  revenant  de  cet  état,  il  comprenait 

1.  American  Journal  oflnsanitij.  Avril  1851.  Donné,  comme  ici,  en  abrégé, 
par  le  D''  Bateman  :  Journal  of  Mental  Science.  Avril  1868. 


AMNÉSIE   PARALYTIQUE.  229 

ce  qu'on  disait;  mais  on  observa  qu'il  avait  une  grande  difliculté  à  s'exprimer 
lui-même  en  paroles,  et,  la  plupart  du  temps,  il  ne  faisait  connaître  ses  besoins 
que  par  signes.  Il  n'y  avait  pas  de  paralysie  de  la  langue,  qui  pouvait  se  mouvoir 
dans  toutes  les  directions.  Il  savait  la  siçinification  des  mots  que  Von  disait 
devant  lui,  mais  ne  pouvait  se  rappeler  ceux  dont  il  avait  besoin  pour  s'expri- 
mer, ni  répéter  ceux  qu'' il  entendait  prononcer.  Il  avait  conscience  de  la  difficulté 
dont  il  souffrait,  et  sen)blait  en  être  surpris  et  affligé.  Si  le  D'  Hun  prononçait 
les  mots  dont  il  avait  besoin,  il  paraissait  content  et  disait  :  «  Oui,  c'est  cela  »  ; 
mais  ne  pouvait  répéter  les  mots  après  lui.  Après  des  efforts  inutiles  pour 
répéter  un  mot,  le  D''  Hun  le  lui  écrivait,  et  alors  il  commençait  à  l'épeler, 
lettre  par  lettre;  et,  après  quelques  essais,  il  pouvait  le  prononcer  :  mais  si  on 
lui  prenait  alors  le  papier,  il  ne  pouvait  plus  prononcer  le  mot.  Mais  après  une 
longue  étude  du  mot  écrit,  et  une  fréquente  répétition,  il  l'apprenait  de  façon 
à  le  retenir  et  à  s'en  servir  ensuite.  Il  avait  une  ardoise  sur  laquelle  étaient 
écrits  les  mots  dont  il  avait  le  plus  besoin,  et  la  consultait  lorsqu'il  voulait 
parler.  Il  apprit  graduellement  ces  mots,  et  étendit  son  vocabulaire,  de  sorte 
qu'au  bout  d'un  certain  temps  il  pouvait  se  dispenser  de  son  ardoise.  Il  pouvait 
lire  assez  bien  dans  un  livre  imprimé:  mais  hésitait  devant  quelques  mots. 
Lorsqu'il  était  incapable  de  prononcer  un  mot,  il  était  aussi  incapable  de 
l'écrire,  jusqu'à  ce  qu'il  l'eût  vu  écrit;  et  il  pouvait  alors  apprendre  à  écrire, 
comme  il  apprenait  à  prononcer,  par  des  essais  répétés.  Au  bout  de  si.\  mois, 
en  apprenant  continuellement  de  nouveaux  mots,  il  pouvait  assez  bien  se  faire 
comprendre  :  souvent  toutefois  en  employant  une  circonlocution,  quand  le  mot 
propre  ne  venait  pas,  un  peu  comme  s'il  eût  parlé  une  langue  étrangère  impar- 
faitement connue.  » 

Le  fait  qu'il  ne  pouvait  articuler  les  Mots  qu'on  venait  de  pro- 
noncer devant  lui,  bien  que  ces  Mots  fussent  réellement  entendus  et 
compris,  semble  indiquer  un  très  faible  degré  d'activité  du  Centre 
Auditif  des  Mots.  Toutefois,  la  faculté  qu'avait  le  malade  de  lire  à 
haute  voix,  ainsi  que  dans  le  dernier  cas,  paraît  rendre  probable 
que  cet  acte  peut  être  accompli,  comme  on  l'a  expliqué  plus  haut, 
sans  entraîner  nécessairement  l'activité  des  Centres  Auditifs  des 
Mots.  Le  fait  que  cet  homme  avait  des  difficultés,  non  seulement  à 
prononcer  certains  Mots  en  les  voyant,  mais  à  les  écrire,  semblait 
indiquer  l'existence  de  quelque  léger  trouble  fonctionnel  du  Centre 
Visuel  des  Mots. 

Relativement  à  cela,  on  peut  mentionner  que,  dans  diverses  sortes 
de  Maladies  Cérébrales,  il  arrive  quelquefois  que  la  Parole  des  ma- 
lades est  entièrement  limitée  à  une  simple  répétition  imitative  de 
Mots  prononcés  à  portée  de  leur  oreille;  tandis  qu'ils  sont  impuis- 
sants à  parler  volontairement  :  c'est-à-dire  que  leurs  Centres  Audi- 
tifs des  Mots  ne  répondent  qu'aux  incitations  «  sensitives  »  directes, 
et  point  du  tout  aux  «  associées  »,  ou  aux  «  volitionnelles.  »  Dans 
ces  cas,  d'autres  causes  de  trouble  mental  général  existent  presque 
invariablement. 


230       BELATIONS    DE    LA    PAROLE    ET    DE    LA    PENSEE. 

Un  trouble  de  ce  genre  (chez  une  femme  hémiplégique  par  suite  d'hémor- 
rhagie  cérébrale)  a  été  rapporté  par  le  professeur  Béhier'.  Elle  était  née  en 
Italie  et  avait  résidé  en  Espagne  et  France;  et,  des  trois  langues  qu'elle  avait 
ainsi  apprises,  elle  avait  complètement  oublié  l'italien  et  l'espagnol,  et  ne  se 
rappelait  plus  que  fort  peu  de  français.  Dans  cette  dernière  langue,  elle  ne 
faisait  que  répéter  comme  un  écho  les  mots  prononcés  en  sa  présence,  sans 
toutefois  leur  attacher  aucune  signification.  Mais,  chez  une  femme  vue  à  la 
Salpêtrière  par  Bateman,  la  tendance  mimétique  était  beaucoup  plus  grande. 
Elle  reproduisait  même  les  mots  étrangers  qui  ne  lui  avaient  jamais  été  fami- 
liers. «  Dans  les  mots  auxquels  elle  faisait  ainsi  écho,  son  articulation  était 
distincte,  bien  que  les  phrases  étrangères  ne  fussent  point  répétées  d'une 
manière  tout  à  fait  aussi  intelligible  que  le  français...  Au  moment  où  nous 
quittions  son  chevet,  une  malade  d'un  lit  à  côté  toussa;  et  la  toux  fut  aussitôt 
répétée  par  ce  perroquet  humain.  En  réalité,  cette  singulière  vieille  répétait 
tout  ce  qu'on  lui  disait,  sous  forme  interrogative  ou  non,  et  imitait  tout  ce 
qu'on  faisait  devant  elle  avec  la  plus  extraordinaire  exactitude.  »  Dans  d'autres 
cas,  il  y  a  tendance  à  demeurer  sur  quelque  mot  ou  quelque  phrase  dite  en 
réponse  à  une  première  question,  et  à  les  répéter  comme  réponses  à  celles  qui 
suivent;  jusqu'à  ce  qu'enfin  le  malade  puisse  dire  quelque  chose  de  nouveau, 
qu'il  répète  ensuite  de  la  même  façon.  On  peut  en  citer  un  bon  exemple,  d'après 
Trousseau.  Chez  un  homme  souffrant  d'hémiplégie  gauche,  le  stock  de  mots 
usuels  se  réduisait  à  ces  deux  :  «  Ma  foi  !  »  ;  et  lorsqu'on  le  pressait  beaucoup, 
il  paraissait  impatient  et  lançait  le  juron  :  «  Cré  nom  d'un  cœur!  »...  Je  lui 
demandai  quels  étaient  son  nom  et  sa  profession;  il  me  regarda  et  répondit  : 
«  Ma  foi!  »...  J'insistai;  mais,  en  dépit  de  ses  eff'orts,  il  ne  fit  que  secouer  la 
tête  d'un  geste  impatient,  en  s'écriant  :  «  Cré  nom  d'un  cœur!  »  Comme  je 
désirais  savoir  combien  de  mots  il  avait  à  sa  disposition,  je  lui  dis  :  «  Êtes- 
vous  de  la  Haute-Loire?  »  Il  répéta  comme  un  écho  :  «Haute-Loire!  » — «  Quel 
esl  votre  nom?  »  —  «  Haute-Loire!  »  «  Votre  profession?  »  —  «  Haute-Loire?  » 
«  Mais  votre  nom  est  Marcou?  »  «  Oui,  monsieur.  »  «  Êtes-vous  sûr  que  c'est 
bien  Marcou?  «  «  Oui.  »  «  De  quel  département  venez-vous?  »  —  «  Marcou.  » 
«  Non  ;  ça  c'est  votre  nom.  »  Mais  avec  un  geste  impatient,  il  s'écria  encore  : 
«  Cré  nom  d'un  cœur!  2  » 


2.   —  ACTION    DÉFECTUEUSE    DES  CENTRES   VISUELS 
DES     MOTS. 

On  n'a  pas  rencontré  d'exemple  très-distinct  de  ce  défaut;  mais 
le  D""  Hughlings  Jackson  a  rapporté  un  cas^  qui  est,  sous  quelques 
rapports,  l'opposé  de  ceux  qui  ont  été  décrits  par  les  D''"  Hertz 
et  Hun.  Dans  cet  exemple,  la  faculté  d'Écrire  et  d'Épeler  était 
très-fortement  atteinte;  tandis  que  celle  de  Parler  n'était  affectée 
que  d'une  manière  plus  insignifiante. 

1.  Gazette  des  Hôpitaux,  16  mai  1867. 

2.  D'autres  malades  montrent,  en  Écrivant,  la  même  tendance  à  répéter  la 
dernière  impression  faite  sur  le  Centre  Visuel  (Voy.  Cliniques  de  Trousseau). 

3.  Brit.  Médical  Journal.  1866. 


AMNÉSIE   PARALYTIQUE.  231 

L'homme  avait  «  rempli  les  devoirs  d'une  charj^e  importante  dn  gouverne- 
ment, exii:eant  une  bonne  éducation  et  de  rintclligence  »;  et  il  avait  été  sujet  a 
une  série  d'attaques  épileptiformcs,  portant  d'abord  principalement  sur  le  côté 
gauche  du  corps,  puis,  au  bout  d'un  certain  temps,  affectant  au  contraire  le 
côté  droit.  Les  troubles  dans  la  faculté  d'expression  intellectuelle  du  malade 
ne  se  montrèrent  qu'après  la  seconde  série  d'accès.  Le  D''  Jackson  dit  :  «Après 
ces  attaques,  le  malade  pouvait  parler,  mais  il  faisait  des  erreurs  en  parlant.  » 
Quel(|ues  semaines  après,  il  rencontra  ce  malade  dans  la  rue  et  dit  :  «  Il  était 
alors  aussi  bien  que  jamais,  pour  un  observateur  superficiel.  J'observai  qu'ilpar- 
lait  tout  à  lait  bien,  et  ceci  pendant  une  conversation  un  peu  longue.  Le  malade 
disait  toutefois  qu'il  lui  était  souvent  impossible  de  trouver  un  mot:  et  le  père 
me  dit  que  son  fils  faisait  souvent  des  erreurs  de  noms.  Le  plus  grand  trouble 
qu'il  éprouvait  était  en  écrivant;  il  n'avait  point  de  difficulté  quant  à  l'écriture 
elle-même,  celle-ci  était  excellente;  mais  il  ne  pouvait  point  trouver  de  suite 
les  mots  convenables,  et  il  orthographiait  souvent  d'une  manière  incorrecte 
ceu.\  qu'il  écrivait.  Il  pouvait  copier  fort  bien  un  paragraphe  d'un  livre 
imprimé,  en  ne  faisant  qu'une  ou  deux  erreurs  insignifiantes;  mais, en  essayant 
d'écrire  sous  la  dictée,  il  faisait  des  erreurs  d'orthographe  bien  pires  que 
celles  qui  se  trouvent  dans  une  lettre,  corrigée,  reproduite  par  le  D""  Jackson. 
Lorsqu'on  lui  demandait  d'épeler  des  mots,  il  réussissait  aussi  fort  mal;  et 
bien  qu'il  pût  répéter  parfaitement  même  les  phrases  les  plus  difficiles,  lorsqu'il 
essayait  de  lire  à  haute  voix,  il  ne  pouvait  absolument  pas  y  réussir,  pro- 
nonçant de  travers  presque  tous  les  mots  de  deux  syllabes  ou  pilus. 

Ici  encore,  comme  dans  le  cas  rapporté  par  le  D^'Hun  (p.  228),  la 
faculté  de  lire  à  haute  voix  était  proportionnelle  à  celle  d'écrire, 
plutôt  qu'à  celle  de  parler.  Lire  à  haute  voix,  de  même  qu'écrire, 
exige  nécessairement  l'intégrité  du  Centre  Visuel;  et,  que  celui-ci  fût 
plus  fortement  atteint  que  le  Centre  Auditif,  c'est  ce  qui  semble 
clairement  indiqué  par  le  fait  que  le  malade  pouvait  répéter  cor- 
rectement même  les  phrases  les  plus  difficiles,  —  opération  dans 
laquelle  les  Centres  Auditifs  des  Mots  sont  mis  en  jeu,  mais  non  les 
Centres  Visuels;  —tandis  qu'il  ne  pouvait  lire  à  haute  voix  les  pas- 
sages les  plus  simples,  sans  faire  beaucoup  d'erreurs.  Il  sera  intéres- 
sant, plus  tard,  de  comparer  ces  cas  avec  ceux  qui  seront  donnés 
sous  le  titre  d'Agraphie  (p.  253);  surtout  l'autre  cas  rapporté  parle 
D'' Jackson,  qui  pourrait  également  bien  être  placé  ici. 


3.  —  LÉSION  DU  CENTRE  VISUEL  DES  MOTS,  ET  DE  FIBRES 
AFFÉRENTES  DES  CENTRES  AUDITIFS;  AINSI  QUE  CERTAINS 
AUTRES    DI'FAUTS    PRODUISANT    l'aMNÉSIE    INCOORDONNÉE    ^. 

Un  cas  d'un  grand  intérêt,  appartenant  à  cette  catégorie,  a  été 

I.  Il  vaut  mieux  retarder,  jusqu'à  ce  qu'on  ait  donné  quelques  exemples  de 
cet  état,  l'examen  de  la  nature  des  défauts  qui  l'amènent. 


232      RELATIONS     DE    LA     PAROLE    ET    DE    LA    PENSÉE. 

rapporté  en  détail  par  le  D''  Banks  \  mais  nous  n'en  donnons  ici 
qu'un  abrégé.  La  faculté  de  comprendre  ce  qui  était  dit  par  d'autres 
était  entièrement  perdue;  et  celle  de  comprendre  les  caractères, 
éci'its  ou  imprimés,  l'était  à  peu  près.  Les  facultés  d'expression  par 
la  Parole  et  l'Écriture  présentaient  un  défaut  correspondant.  Le 
malade  semblait  avoir  perdu  toute  connaissance  de  l'usage  appro- 
prié des  Mots,  et  était  incapable  de  s'exprimer  d'une  manière  intel- 
ligible. 

Un  gentleman,  âgé  d'environ  soixante-quinze  ans,  après  avoir   parcouru  à 
pied  une  distance  considérable,  le    8  mars  1864,  s'assit  pour  dîner,  et  prit  son 
repas  comme  à  l'ordinaire.  Au  bout  d'un  moment,  on  observa  qu'un  peu  de 
l'eau  qu'il  buvait  s'échappait  de  sa  bouche.   Il   reposa  son  verre  ap;  elant  en 
même  temps,  à  voix  haute  et  colère,  sa  femme  et  le  domestique  qui  avait  l'ha- 
bitude de  le  servir,  bien  qu'ils  fussent  tous  deux  là.  Ce  malade  fut  vu,  très  peu 
de  temps  après,  par  le  D''  Kidd,  qui  le  trouva  assis  sur  le  sofa,  paraissant  stu- 
péfait,  mais    évidemment   conscient;  appelant  par  momfnts  à  voix  haute  le 
domestique  et  d'autres  personnes,  mais  ne  faisant  évidemment  pas  la  moindre 
attention  à  ce  qu'on  lui  disait.  L'excitation  dont  il  souffrait  se  dissipa  au  bout 
d'un  certain  temps.  Il  essaya  de  parler,   mais  d'une  manière  inintelligible.  Il 
monta  les  escaliers  sans  qu'on  lui  aidât,  remonta  sa  montre,  se  mit  au  lit,  et 
dormit  bien.  Le  lendemain  matin  on  reconnut  qu'il  était  complètement  sourd; 
les  bruits  les  plus  forts  n'étaient  point  perçus.  La  vue  semblait  bonne  :  et  il  n''y 
avait  de  paralysie  motrice  d'aucune  sorte.  En  parlant,  il  se  servait  de  mots 
faux,  au  point  d'être  absolument   inintelligible.  Le  D'^  Banks  dit  :   «  Il  me 
reconnut  certainement,  et    fut   content  de  me  voir;  mais  il  me  nomma   de 
travers  :  me  disant  quelque  chose,  mais  se  servant  de  mots  sans  signification. 
Nous  essayâmes  de  communiquer  avec  lui  par  l'écriture;  mais  il  fut  évident 
qu'il  ne  la  comprenait  pas.  On  écrivit  :  «  Souffrez-vous?  »  Il  regarda  et  dit  : 
«  Bon,  Bon  Dieu  »,  comme  s'il  lisait  ce  qui  était  écrit.  Il  essayait  souvent  d'écrire 
des  lettres;  et  son  adresse  était  écrite  deux  ou  trois  fois  en  tête  de  la  feuille 
de  papier,  mais  quelques-uns  des  mots  étaient  imparfaits.  «  My  dear  Sir  » 
était  écrit  correctement.  La  ffuille  était  remplie  d'écriture,  mais  aucun  mot 
sauf  «  wife  »  n'était    lisible;  le  reste  était    absolument   sans  signification; 
quelques  lettres  étaient  tracées  correctement,  mais  aucun  mot  ne  l'était;  jusqu'au 
bas  du  papier  où  son  nom  était  signé  d'une  main  sûre,  et  de  la  manière  ordi- 
naire. Son  pouvoir  d'écrire  varia  toutefois  à  divers  moments.  Parfois,  lorsqu'il 
désirait  signer  son  nom,  il  ne  pouvait  y  arriver  et  «  gribouillait  seulement 
quelques  mots  inintelligibles».  Il  était  impossible  de  rien  lui  faire  comprendre: 
et  l'on  ne  pouvait  reconnaître  ce  qu'il  désirait  que  par  ses  gestes  et  par  le 
très  petit  nombre  de  mots  qu'il  avait  encore  à  sa  disposition,  et  qu'il  appliquait 
presque  toujours  de  travers. 

Au  commencement  d'avril,  son  agent  devait  lui  faire  une  remise  de  fonds; 
et  tous  les  matins  il  se  montrait  fort  excité,  demandant  fréquemment  quelque 
chose.  A  la  fin,  il  vint  à  l'idée  de  quelqu'un  de  sa  famille  de  lui  montrer  la 
lettre  de  l'agent,  ce  qui  parut  lui  faire  plaisir  ;  mais  il  ne  fut  tout  à  fait  satisfait 

I.  Dublin  Quart.  Journal  of  Med.  Science.  Février  1865,  p.  78. 


AMNÉSIE   INCOORDONNÉE.  233 

que  lorsqu'on  eut.  apporté  et  compté  l'argent  devant  lui.  Il  restait  quelques 
shillings,  qu'on  ne  lui  avait  pas  montrés  tout  d'abord;  mais,  quand  il  les  vit, 
il  parut  comprendre  que  tout  était  bien  ;  et  quand  on  eut  remis  l'argent  aux 
mains  de  sa  femme,  il  parut  content.  Ses  sentiments  d'affection  pour  sa  femme 
semblaient  exaltés  :  mais  il  y  avait  un  certain  degré  de  faiblesse  émotionnelle. 
Parfois  il  faisait,  pendant  un  certain  temps,  usage  de  quelques  mots  qu'il 
appliquait  de  la  façon  la  plus  variée  Désirant  informer  le  D'  Kidd  qu'un  Uni- 
ment dont  il  avait  fait  usage  était  presi|ue  lini,  il  dit  en  lui  montrant  la  bou- 
teille :  «  Apportez  la  corde  ».  Une  autre  fois,  parlant  de  pilules  qu'il  avait 
prises,  il  dit  qu'il  avait  pris  des  «  pommes  de  terre  ».  Il  y  avait  très  fréquem- 
ment une  certaine  ressemblance  entre  le  mot  emploj'é  et  le  mot  juste,  ou  bien 
on  pouvait  discerner  quelque  association  avec  l'idée  à  exprimer  ;  par  exemple, 
donnant  son  gilet  pour  qu'on  le  mît  de  côté,  pendant  que  sa  montre  était  dans 
la  poche,  il  dit  :  «  Take  care  of  the  break  fall.  »  Il  semblait  avoir  conscience  de  sa 
surdité  et  en  parlait  quelquefois.  Il  dit  un  jour  qu'il  ne  pouvait  ni  entendre  ni  lire. 
—  «  Seulement  un  peu,  il  pouvait  lire  les  mots,  mais  nepouvait  loas  comprendre 
leur  signification.  »  Toutefois,  il  passait  tous  les  matins  quelques  moments  à  lire, 
d'une  façon  attentive  en  apparence,  la  Bible  et  les  journaux.  C'était  sans  doute 
uniquement  parla  force  de  l'habitude;  car,  en  l'éprouvant,  on  reconnaissait 
qu'il  Usait  d'une  certaine  manière:  mais  les  mots  étaient  sans  liaison  ni  sens, 
et  ne  présentaient  même  pas  le  rapport  le  plus  éloigné  avec  le  texte.  Ses  facultés 
de  parole  et  d'écriture  étaient  sujettes  à  varier.  (Le  D''  Banks  a  donné  les 
lithographies  de  deux  lettres  qui,  bien  que  composées  de  mots  convenablement 
écrits,  sont  presque  inintelligibles).  Parfois  il  était  difficile  de  le  gouverner; 
car,  s'il  désirait  quelque  chose  et  s'il  était  impossible  de  le  comprendre,  il 
s'excitait  beaucoup.  Il  demeura  à  peu  près  dans  le  même  état  jusqu'au 
7  octobre,  où  il  eut  une  attaque  apoplectique  distincte,  et  devint  complètement 
hémiplégique  du  côté  droit.  Il  survécut  une  semaine  seulement  à  cette  attaque 
plus  grave. 

Dans  ce  cas,  les  troubles  mentaux  graves  n'étaient  point  associés 
à  la  paralj'sie.  Le  Centre  Visuel  était  évidemment  fortement  lésé, 
puisque  le  malade  ne  pouvait  comprendre  les  caractères  écrits  ou 
imprimés,  et  ne  pouvait  écrire  que  d'une  manière  inintelligible. 
Cette  conclusion  est  encore  appuyée  par  le  fait  qu'il  lisait  fort  mal,— 
encore  plus  mal  qu'il  ne  parlait.  Son  trouble  amnésique  delà  parole, 
du  type  incoordonné,  était  probfib'ement  dû  à  quelque  défaut 
d'harmonie  entre  les  Centres  Intellectuels  supérieurs  et  les  Centres 
Auditifs;  mais  nous  étudierons  bientôt  ce  sujet  plus  au  long.  La 
surdité  absolue,  jointe  à  la  faculté  d'articuler  fort  bien,  paraissait 
incompatible  avec  l'existence  d'une  lésion  grave  du  Centre  Auditif 
lui-même.  Le  fait,  toutefois,  de  cette  surdité  complète,  est  un  trait 
exceptionnel,  difficile  à  expliquer  par  la  supposition,  probable  d'ail- 
leurs, qu'il  n'existait  originairement  qu'un  point  lésé  dans  l'Écorce 
Cérébrale.  Si  une  surdité  ordinaire  avait  existé  à  droite  avant 
l'époque  de  cette  maladie  cérébrale  subite,  ses  symptômes  auraient 
pu  s'expliquer  par  une  lésion  située  près  ou  dans  l'Écorce  de  l'Hé- 


234      RELATIONS    DE     LA    PAROLE     ET    DE    LA    PENSÉE. 

mjsphère  gauche,  intéressant  sérieusement  les  fibres  afférentes  qui 
se  rendent  au  Centre  Auditif,  et  dérangeant  sérieusement  aussi  l'acti- 
vité fonctionnelle  du  Centre  Visuel  correspondant. 

Le  D'  Broadbent  a  rapporté^  une  observation  clinique  compa- 
rable sous  bien  des  rapports  à  la  précédente. 

Un  peintre,  âgé  de  quarante-deux  ans,  était  sujet  depuis  plusieurs  années  à 
la  goutte,  ainsi  qu'à  des  attaques  épileptiformes.  Pendant  la  nuit  du  14  oc- 
tobre 1871,  étant  couché  sur  le  côté  droit,  il  sortit  brusquement  le  bras  gauche 
et  commença  à  baragouiner,  —  son  bras  droit  demeurant  parfaitement  inutile.  Il 
n'y  eut  ni  convulsions  ni  perte  de  conscience.  Le  D''  Felce,  qu'on  appela  auprès 
de  lui,  le  trouva  complètement  hémiplégique,  et  avec  la  sensibilité  gravement 
atteinte  du  côté  droit,  continuant  un  babil  dépourvu  de  sens,  dans  lequel  les 
sons  m  prédominaient,  et  montrant  le  bras  paralysé.  L'attaque  fut  suivie  de 
beaucoup  d'excitation  cérébrale,  de  cris  et  de  violence.  Il  recouvra  bientôt 
l'usage  des  membres  droits,  mais  la  parole  demeura  aussi  imparfaite  que  jamais, 
et  il  était  incapable  d'écrire  et  de  copier.  La  santé  générale  était  fort  dérangée  : 
et  finalement  il  survint  une  gangrène  du  pied  gauche.  Ce  fut  im  peu  après 
cela,  le  14  d'''cembre,  que  le  malade  fut  visité  pour  la  première  fois  par  le 
D''  Broadbent,  qui  dit  :  «  Il  nous  reçut  avec  une  profusion  de  révérences  et  de 
sourires,  avec  des  gestes  exprimant  la  bienvenue...  Sa  parole  n'était  qu'un 
simple  jabotage,  dans  lequel  «  Ma  »  et  «  Mum  »  dominaient,  et  étaient  accom- 
pagnés d'un  excès  de  gestes,  de  sourires  et  d'expressions  faciales.  Les  gestes 
étaient  frappants,  et  en  apparence  bien  appropriés,  lorsque  nous  avions  la  clef 
de  leur  signification...  Il  fut  constaté  qu'il  disait  parfois  «  Yes  »  ou  «  No  »  et 
«  Oh  my  »  ;  mais  il  ne  prononça  pas,  devant  nous,  même  ces  simples  mots.  Il 
était  incapable  d'écrire  son  propre  nom,  même  en  ayant  sa  signature  sous  les 
yeux.  Lorsqu'on  le  pressait  de  le  faire,  il  gribouillait  rapidement  quelque  chose, 
dans  lequel  on  pouvait  distinguer  d'abord  quelques  lettres,  mais  qui  finissait 
par  un  griffonnage.  » 

«  Il  ne  comprenait  évidemment  rien  de  ce  qu'on  lui  disait,  ne  serrait  pas 
ma  main  lorsque  je  le  lui  demandais  à  plusieurs  reprises,  mais  continuait  à  la 
secouer  et  à  sourire;  il  tirait  plusieurs  fois  de  suite  la  langue  lorsqu'on  lui 
disait  de  fermer  les  yeux,  mais  imitait  cet  acte  immédiatement  après  le 
D""  Felce.  Il  était  douteux  qu'il  reconnût  l'état  de  sa  parole;  il  continuait  à 
Caboter  comme  s'il  pensait  être  compris,  mais  il  faisait  aussi  des  signes...  Il 
demeura  à  peu  près  dans  le  même  état  jusqu'à  sa  mort,  qui  survint  vers  Noël  ; 
surprenant  un  jour  quelques  amis  qui  causaient  au  pied  de  son  lit  en  s'écriant  : 
«  Exactly  »  à  un  moment  ti'ès  opportun,  mais  ne  recouvrant  point  autrement 
la  parole.  » 

Dans  ce  cas,  tandis  que  la  lésion  du  Centre  Visuel  gauche  des 
Mots  était  probablement  plus  grave  encore  que  dans  celui  rapporté 
par  le  D'  Banks,  le  Centre  Auditif  gauche  des  Mots  semble  avoir 
également  souffert,  comme  le  montraient  l'impuissance  où  se  trou- 
vait le  malade  d'articuler  des  mots  distincts,  ainsi  que  son  inaptitude 

1.  Medico-Chirurg.  Transactions.  1872,  p.  170. 


AMNÉSIE  INCOORDONNÉE.  235 

apparente  à  comprendre  le  langage  parléi.Dans  un  autre  cas,  rap- 
porté par  le  D""  Broadbent,  il  y  avait  la  même  impuissance  à  com- 
prendre ce  que  Ton  disait,  bien  que  la  malade  eût  coutume  de 
parler,  non  en  un  simple  baragouin  inarticulé,  mais  en  mots  dis- 
tincts, bien  que  sans  suite  ^.  Ici,  toutefois,  on  dit  qu'après  l'accès 
par  lequel  débuta  la  maladie  de  la  dame,  «  son  expression,  naturel- 
lement joyeuse,  fut  changée  en  un  aspect  morne  et  stupide;  et 
qu'elle  ne  faisait  attention  à  rien.  »  Il  y  avait,  évidemment,  un  état 
de  démence  partielle;  mais,  dans  un  cas  rapporté  très  brièvement 
par  Trousseau,  et  dans  lequel  il  y  avait  aussi  usage  de  mots  sans 
suite,  dont  la  signification  n'était  point  réalisée  par  la  malade,  on 
dit  que,  sous  d'autres  rapports,  les  actions  étaient  rationnelles.  Elle 
se  levait  avec  un  air  de  bonté  pour  recevoir  un  visiteur;  et,  lui  mon- 
trant un  fauteuil,  disait  :  «  Cochon,  animal,  fichue  bête  !  »  tandis 
que  son  gendre  qui  était  là,  et  savait  ce  qu'elle  voulait  réellement 
dire,  ajoutait  :  «  Madame  vous  invite  à  vous  asseoir.  »  La  dame 
paraissait,  pendant  tout  le  temps,  absolument  inconsciente  des 
expressions  insultantes  dont  elle  s'était  servie. 

b.   —    AMNÉSIE     INCOORDONNÉE. 

Les  cas  détaillés  dans  le  paragraphe  précédent  sont  des  exemples 
si  nets  des  troubles  incoordonnés  de  la  Mémoire  Verbale,  que  nous 
sommes  naturellement  conduits  à  examiner  la  manière  dont  on 
peut  expliquer  ces  troubles.  Un  usage  mal  approprié  des  Mots, 
comme  celui  qui  se  voyait  dans  le  cas  du  D'^  Banks,  peut  se  rencon- 
trer à  des  degrés  fort  divers,  et  constitue,  en  réalité,  un  des  trou- 
bles les  plus  communs  delà  Parole,  à  la  suite  de  maladie  cérébrale; 
trouble  qui  se  montre  parfois  plus  spécialement  dans  la  Parole  Arti- 
culée, et  d'autres  fois  plus  dans  l'Écriture  :  ou  bien  encore,  dans 
d'autres  cas,  le  pouvoir  d'Expression  peut  être  presque  également 
défectueux  pour  la  Parole  et  l'Écriture. 

Les  malades  ont,  la  plupart  du  temps,  conscience  qu'ils  se  servent 
de  mots  faux,  dans  l'une  ou  l'autre  de  ces  manières  de  s'exprimer  ; 
bien  que  ce  ne  soit  pas  toujours  le  cas. 

1.  Comme  l'Hémisphère  droit  était  ouvert  à  la  réception  d'impressions  audi- 
tives, il  semble  étrange  que,  dans  ce  cas,  la  parole  n'ait  pas  été  mieux  comprise. 
Toutefois,  desiiijpressions  auditives  correctes  et  d'autres,  incorrectes,  arrivant 
simultanément  aux  deux  côtés  du  Cerveau,  pourraient  produire  une  confusion 
mentale  assez  grande  pour  empêcher  la  perception  de  l'impression  correcte. 

2.  Une  inaptitude  semblable  à  comprendre  ce  qu'il  disait  lui-même  existait 
chez  un  malade  dont  l'observation  est  rapportée  par  Winslow  (Obscure  Dlseases 
of  the  Brain.  3*  édition,  p.  328). 


236  RELATIONS  DE  LA   PAROLE  ET  DE  LA   PENSÉE. 

Luys  1  fait  allusion  à  un  cas  où  le  malade  avait  l'habitude  d'employer  un 
mot  pour  un  autre,  sans  avoir  conscience  de  ses  méprises.  Un  jour  il  prononça 
le  mot  «  jardin  »  en  voulant  dire  «  lit  »  ;  le  répéta  plusieurs  fois,  et  finit  p:ir  se 
mettre  dans  une  violente  colère  parce  que  ses  ordres  n'étaient  pas  compris.  On 
lui  fit  alors  écrire  le  mot  qu'il  désirait  employer;  et  la  vue  des  caractères,  con- 
venablement écrits,  le  convainquit  bientôt  que  le  mot  qu'il  venait  de  prononcer 
n'était  pas  celui  dont  il  avait  eu  l'intention  de  se  servir. 

L'auteur  a  donné  ailleurs  ^  un  très-bon  spécimen  d'une  lettre 
écrite  par  un  malade  amnésique  bien  élevé  ;  lettre  remplie  de  mé- 
prises, et  même,  en  certains  points,  inintelligible;  et  cependant,  à 
en  juger  par  le  manque  de  ratures,  ces  erreurs  n'avaient  sans  doute 
pas  été  remarquées  par  le  malade. 

L'étendue  de  ces  troubles  incoordonnés  de  la  Mémoire  Verbale 
est  très  variée,  ainsi  que  leur  fréquence.  Il  se  peut  qu'un  mot  faux 
ne  soit  employé  que  par  hasard  en  Parlant  ou  en  Écrivant;  ou  bien 
ces  erreurs  peuvent  être  beaucoup  plus  fréquentes  et  plus  éten- 
dues. Elles  peuvent  l'être  assez  pour  rendre  la  Parole  ou  l'Écriture 
du  malade  absolument  sans  suite,  et  même  tout  à  fait  incompré- 
hensibles, —  grâce  au  placement  absolument  confus  des  mots. 

Winslow  a  rapporté  un  cas  de  cette  forme  extrême  de  Parole 
amnésique,  chez  un  gentleman  qui  ne  s'était  remis  que  partiellement 
d'une  attaque  d'apoplexie. 

«  Il  pouvait  parler  :  mais  ce  qu'il  disait  était  tout  à  fait  inintelligible,  sans 
clef  pour  l'interpréter.  Il  pouvait  prononcer  des  mots  fort  clairement,  mais  ils 
étaient  étrangement  mal  placés  et  transposés.  On  écrivait  ce  qu'il  disait;  puis 
on  remettait  les  mots  à  leur  place.  Par  ce  moyen,  sa  famille  pouvait  comprendre 
clairement  ses  désirs.  Cet  état  du  cerveau  et  ce  trouble  de  la  parole  conti- 
nuèrent, avec  de  légèi^es  interruptions,  pendant  pi^ès  de  quinze  jours.  » 

Les  lettres  écrites  par  le  malade  du  D'"  Banks  donnent  également 
un  exemple  d'un  trouble  extrême  dans  l'expression  intellectuelle  au 
moyen  de  l'Écriture.  Bien  que  composées  de  mots  convenablement 
écrits,  le  mode  de  placement  des  mots  était  tel  qu'ils  ne  pouvaient 
exprimer  de  proposition  intelligible. 

L'explication  des  troubles  «  paralytiques  »  de  la  Mémoire  Ver- 
bale est  un  problème  qui  ne  présente  pas  de  difficultés  particu- 
lières. Mais  on  ne  saurait  en  dire  autant  des  afïections  «  incoor- 
données ».  Il  y  a  toutefois  une  raison  évidente  pour  que  les  deux 
sortes  de  troubles  se  rencontrent  plus  fréquemment  relativenient  à 
des  noms  de  personnes,  de  lieux  et  de  choses.  Dans  les  cas  plus 
légers,  ce  ne  sont  que  ces  «  associations  »,  tout  à  fait  spéciales, 
dont  on  ne  peut  plus  se  souvenir,  ou  qui  sont  mal  appliquées.  II  est 

1.  Système  Nerveux,  1865,  p.  395. 

2.  Paralysis  from  Brain  Diseuse,  1875,  p.  189. 


AMNÉSIE  INCOORDONNÉE.  237 

plus  rare  de  voir  ces  troubles  s'étendre  aux  substantifs  en  général 
et  à  d'autres  parties  du  discours.  Comme  Broadbent  <  l'observe  avec 
vérité  :  «  Les  mots  autres  que  les  noms,  comme  adjectifs,  verbes, 
etc.,  constituant  la  charpente* d'une  phrase  ou  proposition,  sont 
sur  un  pied  différent;  ils  ne  sont  point  associés  à  des  perceptions 
visuelles,  tactiles  et  autres.  Leur  usage  implique  une  notion  pre- 
mière de  mots  comme  les  noms,   et  marque  un  pas  au  delà   de 

l'acte  de  nommer Ce  ne  sont  point  des  symboles  intellectuels 

substantifs,  mais  des  agents  intellectuels,  instruments  et  produits  de 
l'action  de  l'intellect,  et  non  des  choses  qui  viennent  faire  impi^es- 
sion  sur  lui.  C'est  relativement  à  cette  classe  de  mots  que  Ton  peut 
strictement  dire  que  «  nous  pensons  en  mots  »,  car  souvent  nous 
pensons  (en  partie)  en  impressions  visuelles  ravivées  et  non  réduites 
en  mots.  Les  circonvolutions  intéressées  dans  leur  emploi  seront 
celles  qui  sont  le  siège  des  opérations  intellectuelles,  les  circonvo- 
lutions surajoutées.  » 

Bien  que  nous  ne  soyons  point  tout  à  fait  d'accord  avec  Broad- 
bent pour  supposer  que  l'Action  Intellectuelle  et  ses  Centres  peu- 
vent être  aussi  distinctement  séparés  de  l'Action  Perceptive  et  de 
ses  Centres  ';  bien  que  nous  ne  partagions  point  ses  opinions  rela- 
tivement aux  divisions  qu'il  cherche  à  établir  entre  ces  modes  d'ac- 
tivité, ou  quant  à  son  explication  du  processus  de  Nommer,  —  toute- 
fois, ce  qu'il  dit  ci-dessus  donne  beaucoup  à  penser,  relativement 
aux  différences  possibles  de  siège  dans  les  substrata  organiques  des 

1.  Medico-Chlrurgical  Transactions,  1872,  p.  192. 

2.  Herbert  Spencer  dit  {Principles  of  Psychology,  vol.  V,  p.  163).  «  Les 
composants  immédiats  de  l'Esprit  sont  de  deux  sortes,  qui  contrastent  forte- 
ment, —  lt:s  Sentiments,  et  les  Relations  entre  Sentiments.  »  Mais  un  examen 
attentif  de  ce  qui  est  dit  des  «  Relations  »  rend  évident  qu'elles  correspondent 
à  ce  dont  on  a  parlé  généralement  dans  cet  ouvrage  comme  du  «  côté  cognitif 
du  Sentiment.  »  Bien  que  H.  Spencer  nomme  et  décrive  à  part  les  deux  com- 
po?ants  de  l'Esprit,  ceci  n'est  que  pour  la  description;  car  il  ajoute  lui-même  : 
M  Strictement  parlant,  ni  un  Sentiment  ni  uiic  Relation  n'est  un  élément 
indépendant  de  Conscience  »,  —  ce  qui  est  exactement  ce  qu'ont  dit  en  réalité, 
sinon  dans  les  mêmes  termes,  Aristote  et  un  grand  nombre  de  philosophes 
api'ès  lui,  relativement  au  Sentiment  et  à  la  Cogniiion  (voy.  vol.  1",  p.  141).  La 
distinction  d'un  sentiment  comme  tel  et  tel,  comprend  nécessairement  ses  «  rela- 
tions »  de  degré,  de  nature,  de  lieu  et  de  temps.  Et,  comme  le  dit  H.  Spencer 
{loc.  cit.,  p.  187),  —  «  ce  qu'on  nomme  ordinaii-ement  Actions  Mentales  se 
poursuit  presque  toujours  en  termes  de  ces  sentiments  tactiles,  auditifs  et 
visuels,  qui  montrent  de  la  cohésion,  et  par  conséquent  une  aptitude  à  s'unir 
en  un  tout,  d'une  manière  si  évidente.  Nos  opérations  intellectuelles  sont,  assu- 
rément, principalement  confinées  aux  sentiments  auditifs  (intégrés  en  mots)  et 
aux  sentiments  visuels  (intégrés  en  impressions  et  idées  d'objets,  de  leurs 
relations  et  de  leurs  mouvements).  » 


238    RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSÉE. 

Mots,  suivant  qu'ils  désignent  ou  non  des  objets  extérieurs'.  Il  est 
rationnel  de  supposer  que  ces  derniers  peuvent  être  en  relations 
plus  immédiates  avec  les  Centres  Perceptifs;  tandis  que  ceux  des 
autres  parties  du  discours  seraient  plus  intimement  associés  à  des 
réo-ions  où  les  Processus  Perceptifs  se  confondent  dans  des  Opéra- 
tions plus  complexes  et  plus  purement  Intellectuelles. 

Ainsi  donc,  en  général,  Tinaptitude  à  se  rappeler  les  noms,  ou 
les  erreurs  de  noms  de  personnes,  de  lieux,  ou  de  choses,  seraient 
des  troubles  accompagnant  des  lésions  ou  des  altérations  des  Cen- 
tres Perceptifs,  et  pourraient  exister  avec  un  dérangement  relati- 
vement léger  de  l'Activité  Intellectuelle;  tandis  que,  d'autre  part, 
les  formes  extrêmes  d'Amnésie,  dans  lesquelles  le  malade  ne  pro- 
nonce que  des  propositions  sans  suite  ou  un  simple  mélange  confus 
de  mots,  doivent,  plus  probablement,  être  associées  à  un  trouble 
marqué  des  Facultés  Intellectuelles,  —  dépendre,  en  un  mot,  de 
lésions  ou  d'altérations  de  parties  du  Cerveau  plus  spécialement 
liées  à  ces  modes  d'activité. 

Le  processus  de  Pensée  semble  être,  dans  une  certaine  mesure, 
indépendant  des  Mots  par  lesquels  la  Pensée  est  exprimée;  de  sorte 
que  nous  «  pensons  en  mots  »  peut-être  un  peu  moins  qu'on  ne  le 
suppose  généralement.  Son  indépendance  partielle  paraît  indiquée 
par  le  fait  que  nous  «  choisissons  »  nos  expressions.  Ainsi,  d'après 
les  diverses  nuances  de  signification  que  nous  cherchons  à  faire 
passer  dans  nos  propositions,  nous  pesons  ou  «  choisissons  »  sou- 
vent, d'une  manière  délibérée,  les  substantifs,  les  adjectifs  et  les 
verbes  que  nous  pouvons  estimer  les  plus  propres  à  communiquer 
complètement  nos  pensées  à  d'autres  personnes.  Ceci  semble  indi- 
quer quelque  processus  séparé,  par  lequel  les  Pensées,  ou  «  Rela- 
tions», s'associent  à  des  Mots, —  processus  qui  est  peut-être  un  peu 
moins  automatique  que  celui  par  lequel  les  objets  extérieurs,  réels 
ou  en  «  idées  »,  s'associent  à  des  Mots. 

Dans  les  «  troubles  incoordonnés  »  de  différents  degrés,  ce  sont 
ces  relations  ou  associations  verbales  particulières  qui  sont  trou- 
blées. Comment?  nous  ne  le  savons  pas.  L'erreur  peut  être  dans  le 
mode  d'activité  des  Centres  Perceptifs  ou  Centres  de  Pensée,  ou 
peut-être  dans  les  Centres  de  Mots  qui  leur  sont  associés;  l'effet 
étant,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  qu'il  s'établit  des  associations  erro- 
nées; de  sorte  que  le  malade  prononce  des  propositions  incorrectes 
ou  sans  signification. 

Dans  les  foi'mes  tout  à  fait  extrêmes  de  ce  trouble  de  coordination, 

1.  Loc.  cit.,  p.  181.  Voyez  aussi  D*"  Bristovfe,  Lectures  on  the  Pathnlogical 
Relations  of  Voice  and  Speech  {B rit.  Médical  Journal,  10  mai  1879,  p.  691),  pour 
un  exposé  succiat  de  l'opinion  de  Broadbent. 


TROUBLES   EXTRÊMES    DE  LA    COORDINATION.         239 

OÙ  la  Parole  est  réduite  à  un  simple  jabotage  de  sons  sans  aucune 
signification,  nous  avons  probablement  affaire  à  quelque  grave 
lésion,  soit  dans  les  Centres  Auditifs  des  Mots,  soit  dans  les  Centres 
Kinesthétiques  des  Mots.  Il  y  a  deux  types  de  ces  cas;  dans  Tun, 
comme  celui  rapporté  par  Broadbent,  la  personne  qui  baragouine 
ne  comprend  pas  non  plus  ce  qu'on  lui  dit  ;  dans  l'autre,  comme 
celui  du  D""  Osborne,  que  l'on  va  citer  tout  à  l'heure,  tandis  qu'elle 
n'est  capable  elle-même  que  de  jaboter,  la  personne  atteinte  com- 
prend évidemment  tout  ce  qu'on  lui  dit.  Ces  deux  types  s'expliquent 
peut-être  mieux  par  des  lésions  siégeant  dans  les  régions  respectives 
ci-dessus  indiquées. 

Il  existe  de  même  des  troubles  extrêmes  relativement  à 
l'Écriture;  et  peut-être  peut-on  les  expliquer  aussi  par  quelque 
altération  du  Centre  Visuel  des  Mots,  dans  les  cas  où  la  faculté 
d'écrire  est  réduite  à  un  simple  assemblage  de  lettres,  dé- 
pourvu de  signification,  en  même  temps  qu'il  y  a  inaptitude  à 
comprendre  les  mots  écrits  ou  imprimés  ;  au  lieu  que,  lorsque 
cette  dernière  inaptitude  n'existe  pas,  l'écriture  incoordonnée 
peut  être  un  simple  défaut  d'exécution,  dû  à  quelque  déran- 
gement du  Centre  Kinesthétique  des  Mots;  —  et  ceci  semble 
pouvoir  expliquer,  en  partie  du  moins,  le  cas  du  matelot  qui  est 
raconté  p.  255. 

Il  existe  aussi  des  troubles  de  ce  type,  assez  légers  pour  être 
placés  tout  à  fait  à  l'autre  bout  de  l'échelle,  et  dans  lesquels  des 
erreurs  étranges  peuvent,  habituellement  ou  non,  se  présenter  dans 
l'articulation  de  quelques  mots  ou  dans  la  manière  de  les  écrire.  Le 
docteur  Winslovv  a  rapporté  l'observation  d'un  homme  qui,  après 
une  attaque  de  paralysie,  transposait  toujours,  en  prononçant,  les 
lettres  des  mots  ;  ainsi  «  essayant  de  dire  le  mot  flûte  il  disait 
tuflej,  pue  pour  cap,  gum  au  lieu  de  7nug.  »  Il  peut  encore  y  avoir 
une  substitution  presque  invariable  de  certaines  lettres  à  d'autres, 
—  comme  un  z  mis  pour  un  f  dans  tous  les  mots  qui  auraient  dû 
renfermer  cette  dernière  lettre. 

De  pareils  défauts  dans  la  prononciation  ou  la  manière  d'épeler 
sont  extrêmement  communs  chez  les  malades  légèrement  Amné- 
siques; et  l'on  peut  même  les  rencontrer  parfois,  à  un  degré  fort  peu- 
marqué,  chez  des  personnes  d^ailleurs  en  parfaite  santé.  Ces  personnes, 
désirant  se  servir  d'un  mot,  en  emploient  réellement  un  autre,  — 
ayant  quelquefois  conscience  de  leur  erreur  et  quelquefois  pas  ;  et 
la  même  chose  est  vraie  des  erreurs  qu'elles  font  en  écrivant  : 
celles-ci  peuvent  être  découvertes  de  suite,  ou  seulement  en  reli- 
sant ensuite  le  manuscrit.  Les  personnes  suj-ittes  à  faire  de  ces 
erreurs  d'expression  peuvent  parfois  comprendre  tout  à  fait  de 
travers  un  mot  qu'elles  entendent  dire,  ou  qu'elles  voient  écrit  ou 


210  RELATIONS  DE   LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSÉE. 

imprimé;  et  cela  d'une  manière  qui  les  surprend  absolument  elles- 
mêmes,  lorsqu'elles  reconnaissent  leur  erreur. 


4.    —   LÉSIONS    DES    COMMISSURES     ENTRE     LES     CENTRES 
AUDITIFS     ET     LES     CENTRES      VISUELS     DES     MOTS. 

En  y  réfléchissant,  il  paraîtra  clair  qu'il  doit  y  avoir  au  moins  deux 
groupes  de  commissures  entre  les  Centres  Auditifs  et  les  Centres  Vi- 
suels des  Mots  ;  l'un  {a)  pour  transmettre  les  stimuli  des  Centres  Visuels 
aux  Centres  Auditifs  [jibres  visuo-aiiditives),  comme  dans  l'acte  de 
lire  à  haute  voix  ou  de  nommer  à  vue  ;  l'autre  (6)  pour  transmettre 
les  impressions  dans  la  direction  opposée,  c'est-à-dire  des  Centres 
Auditifs  aux  Centres  Visuels  {/ibres  aiidito-visueUes),  comme  dans 
l'acte  d'écrire  sous  la  dictée. 

Les  deux  groupes  de  commissures  peuvent  être  simultanément 
lésés  ;  et  ceci  semble  avoir  été  la  cause  des  troubles  les  plus  remar- 
quables que  présentaient  deux  malades  de  l'auteur,  et  dont  voici 
les  observations.  Le  premier  d'entre  eux  fut  observé  au  National 
Hospital  for  the  Paralysed  and  Epileptic,  en  1869  '  ;  mais  l'on  ne 
rencontra  rien  de  semblable  jusqu'à  l'été  dernier,  où  fut  observé 
le  second  exemple.  Je  ne  sache  pas  que  l'on  ait  rapporté  d'autres 
cas  semblables. 

Une  femme  d'un  certain  âge  eut  une  attaque  d'hémiplégie  droite,  avec 
aphasie  presque  complète,  au  commencement  de  l'année  1868.  Pendant  quelques 
mois,  il  y  eut  amélioration  considérable,  bien  qu'elle  demeurât  sujette  à  des 
«  accès  »  par  intervalles.  Après  douze  mois,  elle  était  capable  de  marcher,  avec 
un  peu  d'aide,  bien  qu'elle  fût  encore  incapable  de  se  servir  du  bras  et  de  la 
main  droite.  Elle  paraissait  comprendre  parfaitement  tout  ce  qu'on  lui  disait, 
et  avait,  dans  une  graade  mesure,  recouvré  la  faculté  de  parler.  Elle  pouvait 
répéter  presque  tous  les  mots  qu'elle  entendait  dire,  et  cela  sans  hésitation, 
bien  qu'elle  ne  pût  lire  même  les  mots  les  plus  simples,  imprimés  en  gros 
caractères.  Toutefois,  ces  mômes  mots  pouvaient  être  prononcés  immédiate- 
ment, et  avec  facilité,  en  les  entendant  prononcer.  Ë?/e  copiait  convenablement 
le  mot  «  London  »  de  la  main  gauche,  mais  ne  pouvait  écrire  les  mots  «  cat  » 
ou  «  dog  »  après  les  avoir  simplement  entendu  prononcer  ;  bien  qu'elle  pût  fort 
bien  épeler  ces  mêmes  mots.  Elle  ne  pouvait  môme  pas  écrire  la  première  lettre 
de  l'un  de  ces  mots...  Douze  mois  après,  elle  fut  retrouvée  à  peu  près  dans  le 
même  état.  Elle  ne  pouvait  point  lire,  môme  les  mots  sim[plcs  comme  «  and  »  et 
«  for  »  ;  elle  pouvait  très  facilement  montrer  les  lettres  qu'on  lui  nommait, 
mais  ne  pouvait  nommer  elle-même  celles  qu'on  lui  montrait.  Ses  facultés  loco- 
motrices s'étaient  améliorées,  et  elle  pouvait  aussi  parler  un  peu  mieux.  Elle 
pouvait  lire  une  lettre  en  silence,  comme  pour  la  comprendre;  bien  qu'elle  ne 
parût  pas  toujours  comprendre  ce  qu'elle  lisait  dans  un  journal  ou  un  livre. 

1.  Paralysis  from  Brain  Diseuse,  1875,  p.  201. 


LÉSIONS   KXTRE  LES  CENTRES  AUDITIFS  Kl'   VISUELS.   241 

Lorsqu'on  la  revit,  quatre  ans  après,  cette  malade  était  encore  à  peu  près  dans 
le  même  état. 

Il  est  digne  de  remarque  que,  pendant  les  premières  phases  de 
la  maladie  de  cette  femme,  elle  paraissait  souffrir  d'Aphasie  ordi- 
naire, avec  paralysie  à  droite;  ce  ne  fut  qu'après  qu'elle  eut  recouvré 
la  faculté  de  Parler,  qu'il  fut  possible  d'obtenir  la  preuve  des  trou- 
bles plus  spéciaux  qu'on  vient  d'exposer,  et  qui  montraient,  comme 
on  peut  le  voir,  une  cessation  de  relations  fonctionnelles  entre  les 
Centres  gauches,  Auditifs  et  Visuels  des  Mots.  Ainsi  elle  ne  pouvait 
lire  fort,  ni  écrire  sous  la  dictée,  —  ces  deux  actes  nécessitant  l'ac- 
tivité conjointe  de  ces  deux  sortes  de  centres  i.  Mais  elle  pouvait 
articuler  librement  les  mots  qu'elle  entendait,  et  pouvait  aisément, 
de  sa  main  gauche,  copier  l'écriture;  car  ce  sont  des  actes  dont  l'un 
met  en  jeu  le  Centre  Auditif  et  l'autre  le  Centre  Visuel,  indépendam- 
ment l'un  de  l'autre. L'acte  de  copier  était,  en  ce  cas,  accompli  delà 
main  gauche,  comme  résultat  d'une  pratique  récente  ;  de  sorte  que 
les  stimuli  qui  opéraient  sur  les  centres  moteurs  (dans  le  corps 
strié  droit)  devaient  avoir  émané  immédiatement  du  Centre  Visuel 
du  côté  droit. 

Voici,  avec  plus  de  détails,  le  second  cas,  qui  est  encore  plus 
intéressant  : 

Thos.  A. — ,  ouvrier  ferblantier,  âgé  de  quarante-deux  ans,  fut  admis  le 
12  mars  1878,  àUniversity  Collège  Hospital.  Ti'ois  mois  auparavant,  il  avait  été 
subitems^nt  paralysé  du  côté  droit  du  corps,  sans  convulsion  ni  perte  de  con- 
science; mais,  après  l'attaque,  on  reconnut  que  la  parole  était  presque  perdue. 
Lorsqu'on  l'admit,  il  était  devenu  capable  de  mouvoir  légèrement  sa  jambe  et 
son  bras  droit,  bien  qu'il  y  eût  encore  une  légère  diminution  de  la  sensiblité 
de  ce  côté  du  corps.  Il  y  avait  un  léger  degré  de  paralysie  faciale  droite  et 
quelque  déviation  à  droite  de  la  langue.  Il  continua  à  s'améliorer  lentement,  et, 
le  2  avril,  son  état  est  décrit  ainsi  :  —  Il  reconnaît  les  objets  communs,  mais 
ne  peut  les  nommer;  il  répudie  un  faux  nom,  et  reconnaît  aussitôt  le  véritable 
lorsqu'il  l'entend  dire.  Il  ne  peut  jamais  se  rappeler  son  propre  nom  jusqu'à  ce 
qu'on  le  lui  dise.  Lorsqu'on  lui  demande  de  répéter  ce  nom  (Andrews),  après 
quelques  efforts,  qui  varient  à  chaque  fois,  il  prononce  «  Anstruthers  »  ou 
«  Anstrews  ».  Son  premier  nom  (Thomas)  semble  venir  plus  aisément,  et  il 
peut  souvent  essayer  de  le  dire  sans  qu'on  le  lui  souffle.  Mais,  soit  après  qu'on 
le  lui  a  répété,  soit  qu'il  le  dise  spontanément,  il  le  prononce  «  Towvers  ».  La 
lettre  L  lui  est  difficile  à  prononcer;  quelquefois  il  la  prononce  comme  un  D, 
d'autres  fois  comme  un  V.  Il  a  appris  à  compter,  ai  peut  prononcer  convenable- 
ment les  nombres  de  un  à  douze;  après  douze,  il  est  incertain;  la  prononciation 

1.  Surtout  chez  les  personnes  dont  l'éducxtion  n'est  pas  très  développée, 
et  qui  ne  sont,  par  conséque  it,  point  complètement  habituées  à  l'accomplisse- 
ment de  ces  processus.  II  peut  toutefois  y  avoir  des  e.\c3ptions  à  cette  régie 
(V.  page  228). 

Chaklton-Bastian.  —  II.  ,  16 


242  RELATIONS  DE   LA   PAROLE   ET  DE   LA   PENSÉE. 

et  l'ordre  des  nombres  deviennent  rapidement  de  plus  en  plus  mauvais.  Lorsqu'il 
fait  une  erreur,  il  en  a  conscience ,  mais  ne  peut  se  corriger,  et  finit  en  une 
inextricable  confusion.  Lorsqu'il  lit  dans  un  livre,  les  mots  qu'il  prononce  n'ont 
aucune  relation  avec  les  mots  imprimés,  soit  pour  la  longueur,  soit  pour  le 
gQfi-  —  il  ne  semble  pas  non  plus  comprendre  les  caractères  écrits;  car  il 
n'essaye  point  de  répondre  à  une  question  écrite  sur  une  ardoise,  bien  qu'il 
essaye  immédiatement  de  répondre  à  cette  même  question  si  elle  est  orale.  Tou- 
tefois, il  reconnaît  les  nombres  de  un  à  neuf,  lorsqu'ils  sont  e'crtis;  et  lorsqu'ils 
ne  sont  pas  placés  dans  leur  ordre  régulier,  il  en  a  conscience.  Il  ne  peut  nom- 
mer les  pièces  de  monnaie,  mais  semble  avoir  quelque  idée  de  leur  valeur 
relative.  Il  indiqua  sur  ses  doigts  qu'une  pièce  de  six  pence  valait  six  pièces 
de  un  penny,  bien  qu'il  ne  pût,  en  les  voyant,  prononcer  leur  nom. 

Le  16  avril,  le  maladeeutdeuxlégers  accès  qui,  àenjuger  par  les  symptômes, 
étaient  apparemment  dus  à  quelque  légère  aggravation  de  lésion  du  côté  droit 
du  cerveau.  Après  aucun  de  ces  deux  accès  la  parole  ne  parut  plus  défec- 
tueuse. Le  second  fut  toutefois  suivi  d'une  aggravation  de  la  paralysie  droite, 
bien  qu'il  n'y  eût  pas  d'autre  trouble  de  la  sensibilité.  Trois  jours  après,  cette 
aggravation  de  paralysie  avait  disparu,  et  le  malade  était  de  nouveau  capable 
de  se  promener  dans  la  salle. 

Deux  semaines  après,  on  remarqua  que  sa  parole  était  aussi  mauvaise  que 
jamais;  il  pouvait  nommer  tout  nombre  écrit  qu'on  lui  montrait,  et  additionner 
correctement  de  petites  colonnes  de  trois  ou  quatre  chiffres;  mais  il  était  abso- 
lument incapable  de  nommer  les  lettres  de  Ta /jf/iatef,  quelque  simples  et  grosses 
qu'elles  pussent  être.  Il  pouvait  reconnaître  les  objets  communs,  comme  un 
chien,  un  poulet,  ou  un  arbre,  sur  une  gravure;  et  montrer  un  quelconque 
d'entre  eux  lorsqu'on  le  lui  demandait.  Mais  il  ne  pouvait  pas  ti-ouver  le  nom 
des  objets  qu'il  moutrait,  même  des  plus  familiers. 

8  mai.  —  On  lui  demanda  de  nommer  successivement,  en  les  voyant,  de 
grosses  capitales  séparées,  imprimées,  0,  K  et  G,  pour  toutes  trois,  il  dit  P,  et 
comme  on  lui  montrait  le  D,  il  l'appela  M,  —  bien  qu'il  répétât  le  nom  de 
chacune  de  ces  lettres,  sans  un  moment  d'hésitation,  après  l'avoir  entendu 
prononcer.  Bien  qu'il  y  ait  cette  impuissance  à  nommer  les  lettres  à  vue,  le 
malade  semble  aujourd'hui  comprendre  des  phrases  simples,  écrites  ou  impri- 
mées; ainsi  lorsqu'on  lui  écrivait  sur  une  ardoise  la  phrase  :  m  Avez-vous  une 
femme?  »  il  paraissait  parfaitement  évident  qu'il  comprenait  cet  écrit.  Son 
état  semble  toutefois  varier  de  temps  en  temps,  sous  ce  rapport.  Dans  les 
phrases  dont  il  comprend  la  signification,  il  est  toutefois  absolument  incapable 
de  prononcer,  à  simple  vue,  les  mois  isolés;  bien  qu  après  les  avoir  entendu  pro- 
noncer, il  puisse  les  articuler  aussitôt,  plus  ou  moins  distinctement. 

Deux  jours  après,  on  observa  qu'il  lisait  quelque  chose  dans  le  journal;  et 
comme  on  lui  demandait  s'il  le  comprenait  (c'était  le  récit  d'un  cas  d'empoi- 
sonnement devant  un  tribunal  de  police),  il  dit  aussitôt  que  oui,  et  indiqua 
indubitablement  par  ses  gestes  que  cela  était  vrai.  De  la  main  gauche  il  pou- 
vait écrire  son  propre  nom,  d'après  un  modèle;  mais  pas  facilement  sans 
modèle,  et  quelquefois  pas  du  tout.  Il  n'essayait  même  pas  d'écrire,  d'après  le 
son,  un  mot  moins  familier,  même  lorsqu'il  l'avait  distinctement  entendu  et 
compris. 

On  remarquera  que  l'état  de  ce  malade  était,  le  2  avril,  nettement 


LÉSIONS    ENTRE    LES    CENTRES  AUDITIFS  ET   VISUELS.  'iW 

différent  de  ce  qu'il  devint  vers  la  fin  du  mois,  après  les  deux  accès. 
D'abord,  il  ne  pouvait  se  rappeler  les  noms  des  objets  communs,  — 
les  nommer  en  les  voyant.  Il  ne  pouvait  pas  non  plus  se  rappeler 
de  lui-même  son  propre  nom  ;  et  lorsque,  après  qu'on  les  lui  avait 
soufflés,  il  essayait  de  répéter  les  mots,  sa  prononciation  montrait 
des  troubles  distincts,  du  type  incoordonné.  Lorsqu'il  essayait  de 
lire  à  haute  voix  dans  un  livre,  ces  troubles  incoordonnés  étaient  si 
marqués,  qu'ils  rendaient  sa  lecture  absolument  inintelligible;  il  ne 
semblait  pas  non  plus  comprendre  les  caractères  écrits,  excepté  les 
nombres  simples.  Mais,  vers  la  fin  du  mois,  tandis  que  la  pronon- 
ciation du  malade  était  devenue  plus  distincte  lorsqu'il  répétait  les 
mots  qu'il  avait,  entendus,  il  ne  pouvait  même  plus  émettre  un  jar- 
gon inintelligible  en  essayant  de  lire,  A  la  même  époque,  il  était 
devenu  capable  de  comprendre  ce  qu'il  lisait,  bien  qu'il  ne  pût 
encore  pas  nommer,  en  la  voyant,  une  seule  lettre,  ni  écrire  un  seul 
mot  sous  la  dictée,  —  ces  deux  processus  demandant,  pour  s'accom- 
plir, une  relation  normale  (et  par  conséquent  l'intégrité  des  com- 
missures) entre  les  Centres  Visuels  et  Auditifs  des  Mots.  La  partie  de 
la  commissure  qui  transmet  les  stimuli  des  Centres  Visuels  aux 
Centres  Auditifs  des  Mots  (comme  lorsqu'on  lit  à  haute  voix),  paraît 
avoir  été  lésée  d'une  manière  plus  étendue  après  les  deux  accès, 
qu'auparavant.  Toutefois,  le  fait  qu'il  pouvait  lire  et  prononcer  les 
noms  des  nombres  suggère  l'idée  que,  peut-être,  ces  unités  plus 
familières  peuvent  avoir  été  articulées  au  moyen  de  stimuli  passant 
directement  du  Centre  Visuel  des  Mots  à  la  moitié  du  Centre  Kines- 
thétique  des  Mots  qui  est  intéressée  dans  les  Mouvements  de  la 
Parole  (voyez  p.  228), 

Le  docteur  Broadbent  a  rapporté  un  cas  fort  rare  et  fort  intéres- 
sant, provenant  de  maladie  cérébrale,  et  allié  de  près  à  ce  que  l'on 
trouve  dans  les  deux  observations  ci-dessus.  Toutefois,  son  malade 
n'avait  point  perdu  la  faculté  de  rappel  a  volontaire  »  ou  «  associa- 
tionnel  »  dans  le  Centre  Auditif  des  Mots—Il  -parlait  en  effet  cou- 
ramment, en  hésitant  seulement  parfois  ;  bien  qu'il  fût  incapable 
d'écrire  quand  il  le  désirait. 

Le  malade,  inspecteur  du  gaz,  d'une  énergie  et  d'une  intelligence  remar- 
quables, avait,  à  la  suite  d'une  attaque  cérébrale  aiguë,  entièrement  pei'du  la 
faculté  de  nommer  les  objets  en  les  voyant,  ainsi  que  celle  de  lire.  11  parlait 
couramment  et  avec  intelligence,  et  faisaità  peine  quelque  erreur  de  mots;  mais 
il  lui  était  quelquefois  impossible  de  trouver  un  nom,  surtout  de  rue,  de  lieu, 
ou  de  personne.  Il  était  toutefois  absolument  incapable  de  lire,  ou  même  de 
nommer  une  seule  lettre;  la  seule  exception  était  qu'il  reconnaissait  son 
propre  nom,  soit  écrit,  soit  imprimé  ;  mais,  même  aloi-s,  il  ne  savait  point  si  l'on 
donnait  les  noms  de  baptême,  ou  seulement  les  initiales.  A  l'occasion,  il  écrivait 
correctement  sous  la  dictée,  et  'prenait  note  de  mes  instructions,  notes  qu'il  ne 


244  RELATIONS  DE  LA  PAROLE   ET  DE  LA  PENSÉE. 

pouvait  plus  lire  le  moment  d'après^.  Il  expliquait  qu'il  était  sujet  à  oublier, 
et  que  sa  femme  les  lirait.  Si  on  lui  montrait  une  main,  ou  un  article  de  vête- 
ment, ou  tout  autre  objet  familier,  il  était  tout  à  fait  incapable  de  les  nommer; 
tandis  que,  si  le  nom  se  présentait  dans  la  conversation,  il  le  prononçait  sans 
hésitation.  Si  on  lui  demandait  la  couleur  d'une  carte,  il  ne  pouvait  la  donner. 
«  Est-elle  bleue?  »  «  Non.  »  «  Verte?  »  «  Non.  »  «  Rouge?  »  «  Bien,  cela  y 
ressemble  davantage.  »  «  Orange?  »  «  Oui,  orange.  »  On  traça  un  carré  et  un 
cercle,  et  on  lui  demanda  de  les  nommer  ;  il  ne  put  le  faire  ;  mais  comme  on 
appelait  le  cercle  un  carré,  il  dit  :  «  Non,  c'est  celui-là»»  en  montrant  bien  la 
figure. 

La  lésion  d'un  seul  groupe  de  fibres  commissurales  (les  visuo-au- 
ditives),  avec  l'addition  de  quelque  léger  trouble  dans  le  Centre 
Yisuel  des  Mots,  produirait  une  combinaison  de  symptômes  comme 
celle  qu'on  vient  de  rapporter.  Nous  avons  supposé  que  des  impres- 
sions faites  sur  le  «Jentre  Visuel  se  rendent  ordinairement  de  lui  au 
Centre  Auditif  des  Mots,  et  de  là  aux  Centres  Moteurs  (en  passant 
par  les  Kinesthétiques),si  les  impressions  Visuelles  doivent  être  tra- 
duites par  la  Parole  articulée.  Mais  s'il  n'y  avait  de  lésé  que  ce 
groupe  de  fibres  commissurales,  l'individu  aurait  conservé  sa  Vue 
intacte, ainsi  que  ses  facultés  de  Parole;  —  il  aurait  été  simplement 
incapable  de  lire  ou  de  nommer  en  voyant,  à  cause  de  l'obstacle  inter- 
posé entre  les  Centres  Visuels  et  Auditifs.  Dans  ce  cas  particulier, 
toutefois,  l'obstacle  semble  n'avoir  été  que  partiel,  puisque  l'homme 
pouvait  encore  écrire  sous  la  dictée,  —  processus  qui  nécessite 
ordinairement  le  passage  de  stimuli  allant  des  Centres  Auditifs 
aux  Centres  Visuels  des  Mots,  pour  exciter  àes  parties  des  Centres 
Kinesthétiques  des  Mots  qui  sont  intéressées  dans  les  Mouvements 
de  l'Écriture,  et  d'où  partent  les  stimuli  centrifuges  appropriés. 

Cependant  il  est  possible  que  les  deux  groupes  de  fibres  commis- 
surales aient  été  détruites,  et  que,  dans  le  cas  d'un  homme  ayant 
reçu  une  meilleure  éducation,  les  Mouvements  plus  familiers  de 
l'Écriture  aient  été  évoqués  par  le  passage  de  stimuli  allant  directe- 
ment des  Centres  Auditifs  aux  Centres  Kinesthétiques  des  Mots,  — 
au  lieu  de  traverser  les  Centres  Visuels  (voyez  p.  2Zi3). 

Le  Docteur  Broadbent  interprète  ce  cas  d'une  manière  tout  à 
fait  différente.  Nous  n'adoptons  point  toutefois,  ici,  son  opinion  sur 

1.  Dans  le  récit  plus  détaillé  de  ce  cas,  on  dit  qu'il  ne  pouvait  lire  sa  propre 
écriture  «  une  heure  après».  Il  semble  qu'il  y  avait  plus  que  de  l'impuissance 
à  lire  à  voix  haute.  Il  montrait  une  inaptitude  à  comprendre  les  mots  (par 
lésion  du  Centre  Visuel  des  Mots)  telle  qu'il  n'en  existait  pas  dans  les  cas  pré- 
cédents; bien  qu'il  n'y  eût  pas  inaptitude  à  reconnaître  la  nature  des  objets 
communs,  ou  môme  des  figures  géométriques.  —  British  Médical  Journal, 
8  avril  1870,  p.  434;  ou,  pour  plus  de  détails,  Medico-Chiriiryical  Transactions. 
1872. 


APHASIE.  245 

l'existence  séparée  d'un  «  centre  nommant  »  unique,  complètement 
distinct  des  Centres  Perceptifs.  Nous  avons  supposé,  au  lieu  de  cela, 
qu'il  existe  trois  «  centres  de  mots»  qui  sont  des  parties  importantes, 
et  en  corrélation  intime,  des  Centres  Auditifs,  Visuels  et  Kinestlié- 
tiques,  plus  généraux  ^ 

Les  trois  principaux  cas  rapportés  dans  ce  paragraphe  sont  par- 
ticulièrement importants  au  point  de  vue  psychologique.  Ils  nous 
permettent  de  suivre  la  Volonté,  ou  Volition,  jusqu'à  ses  sources, 
—  quand  nous  trouvons  des  personnes  incapables  de  Vouloir 
un  acte  en  réponse  à  une  Impression  Visuelle,  bien  qu'elles  puis- 
sent tout  d'abord,  et  sans  hésitation.  Vouloir  eflfectivement  ce 
même  acte  en  réponse  à  une  Impression  Auditive,  —  ou  vice  versa 
(voy.  aussi  p.  250,  251). 

B.  —  APHASIE 

.5.  —  LÉSIONS  DES  PREMIÈRES  PORTIONS  DES  CONDUCTEURS 
CENTRIFUGES  QUI  CONDUISENT  DES  CENTRES  CÉRÉBRAUX 
DES  MOTS  AU  CORPS  STRIÉ  GAUCHE. 

Jusqu'ici  nous  avons  considéré  les  troubles  résultant  de  conditions 
anormales  des  Centres  Auditifs  et  Visuels  des  Mots,  eux-mêmes,  ou 
de  lésions  portant  sur  leurs  fibres  «afiférentesBOu  «commissurales»  ; 
arrivons  maintenant  à  montrer  les  résultats  de  lésions  portant  sur 
les  fibres  centrifuges  qui  partent  de  ces  Centres,  ainsi  que  des  Centres 
Kinesthétiques  des  Mots,  —  fibres  qui  les  mettent  en  relation  avec 
les  Centres  Moteurs  intéressés  dans  les  Mouvements  de  la  Parole  ou 
de  l'Écriture,  et  situés  dans  les  Corps  Striés. 

1.  Il  est  difficile  d'avoir  une  preuve  de  l'existence  et  de  l'activité  spéciale 
du  dernier  composant  de  cette  triade  ;  mais,  depuis  que  ceci  a  été  écrit,  l'auteur 
a  vu  dans  la  Cyclopœdia  de  Von  Ziemssen  (vol.  XIV,  p.  770)  un  court  extrait 
d'un  cas  excessivement  intéressant  (rapporté  par  Westphal),  ayant  quelque 
l'apport  avec  ceux  donnés  ci-dessus,  et  fournissant  aussi  quelques  renseigne- 
ments sur  le  point  en  question.  Il  est  dit  de  ce  malade  :  —  «  Il  pouvait  fort 
bien  écrire  sous  la  dictée;  mais,  peu  après,  il  était  incapable  de  lire  les  mots 
qu'il  avait  écrits  ;  et  il  souffrait  en  général  d'une  alexie  complète  (c'est-à-dire 
d'une  inaptitude  à  comprendre  les  caractères  écrits).  Toutefois,  au  moyen  d'un 
stratagème,  comme  il  l'expliquait  très  clairement  lui-même,  il  réussissait  à 
lire  le  mot  qu'il  avait  écrit  sous  la  dictée.  Il  passait  son  doigt  sur  chaque  lettre 
du  mot  écrit,  comme  s'il  l'écrivait  de  nouveau,  et  le  lisait  ainsi.  Puis  il  faisait 
une  sorte  de  calcul,  et  comptait  la  somme  des  lettres  séparées.  »  Apparemment 
ici  les  Impressions  Kinesthétiques,  provenant  des  Mouvements  de  l'Écriture, 
étaient  capables  d'exciter  les  parties  associées  du  Centre  Auditif  des  Mots,  de 
manière  à  leur  permettre  d'agir  par  le  moyen  de  l'autre  portion  du  Centre 
Kinesthétique  des  Mots,  et  d'évoquer  ainsi  les  Mouvements  de  la  Parole. 


245  RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE  LAPENSÉE. 

La  relation  qui  existe  entre  les  Centres  Auditifs  et  Visuels  des  Mots 
et  les  parties  des  Centres  Kinestliétiques  des  Mots  où  se  rendent  les 
impressions  qui  proviennent  des  Mouvements  de  la  Parole  ou  de 
l'Écriture,  respectivement,  est,  on  en  convient,  incertaine.  11  y  a  tou- 
tefois lieu  de  croire  que  les  excitations  qui  évoquent  la  Parole  par- 
tent originairement  du  Centre  Auditif  des  Mots,  et  traversent  ensuite 
le  Centre  Kinesthétique  correspondant,  de  manière  à  déterminer 
chez  lui  une  activité  conjointe  et  pratiquement  simultanée.  Il  y  a 
de  même  lieu  de  croire  que  les  excitations  qui  évoquent  les  Mou- 
vements de  l'Écriture  partent  premièrement  des  Centres  Visuels  des 
Mots;  et,  de  là,  traversent  les  parties  en  relation  des  Centres  Kines- 
tliétiques des  Mots. 

11  est  donc  évident  que  la  destruction  des  Centres  Auditifs  et  Vi- 
suels des  Mots  amènerait  l'impossibilité  de  Parler  et  d'Écrire.  Ces 
inaptitudes  seraient  toutefois  associées  à  des  troubles  comme  ceux 
qu'on  a  considérés  sous  le  titre  d\imnésie,—  c'est-à-dire  inaptitude  à 
comprendre  la  Parole  et  l'Écriture;  jointe  à  celle  de  rappeler  les  idées 
Auditives  et  Visuelles  des  Mots. 

Ce  dont  nous  avons  spécialement  à  nous  occuper  dans  le  présent 
paragraphe,  c'est  ce  qui  résulte  des  lésions  des  fibres  centrifuges 
qui  vont  des  Centres  Auditifs  et  Visuels  des  Mots,  en  passant  par  les 
Centres  Kinesthétiques,  au  gros  Ganglion  Moteur  situé  au-dessous, — 
c'est-à-dire  le  Corps  Strié. 

Il  semblerait  que  ces  deux  groupes  de  conducteurs  centrifuges 
soient,  au  moins  dans  quelque  partie  de  leur  course,  situés  assez 
près  l'un  de  l'autre  pour  qu'ils  puissent  être  simultanément  dé- 
truits par  quelque  petite  lésion  ;  et  cela,  sans  impliquer  les  fibres 
centrifuges  destinées  aux  mouvements  des  membres,  et  par  consé- 
quent sans  association  d'une  paralysie  droite.  L'un  des  deux  cas  ori- 
ginairement décrits  par  Broca,  en  1861  ^  —  celui  de  Lelong  —  se 
conformait  évidemment  à  ce  type  ;  mais,  comme  il  ne  fut  observé 
que  quelque  temps  après  le  début  de  sa  maladie,  nous  choisissons 
un  cas  tout  à  fait  typique,  rapporté  par  le  docteur  Bateman  ^. 

Un  batelier,  âgé  de  cinquante  et  un  ans,  et  précédemment  en  bonne  santé, 
ayant  aidé  à  décharger  un  vaisseau  à  Yarmouth,  le  9  décembre  1864,  s'en  alla 
à  une  taverne  avec  l'intention  de  demander  un  peu  de  bière;  mais,  à  son  grand 
étonnement,  il  se  trouva  incapable  de  parler  Seulement  quelques  heures  aupa- 
ravant, il  était  allé  au  bureau  d'un  marchand,  et  s'était  arrangé  pour  une  nou- 
velle cargaison  ;  de  sorte  qu'à  ce  moment-là  son  aptitude  aux  affaires  était 
encore  intacte.  La  perte  de  la  parole  n'était  accompagnée  d'aucun  état  paraly- 
tique ordinaire;  car,  bien  que  privé  de  la  parole,  il  emmena,  le  même  soir,  son 

1.  Bulletin  de  la  Société  Anatomique,  août  et  novembre  1861. 

2.  On  Aphasia,  1870,  p.  65. 


APHASIE    SIMPLE.  247 

bateau  d'un  point  à  un  autre  de  la  rivière;  et,  le, jour  suivant,  il  aida  à  le 
recharger  d'une  nouvelle  cargaison,  avant  de  partir  pour  Norwich  par  chemin 
de  fer.  Lorsqu'il  arriva  à,  la  maison,  ses  amis  furent  ala-més  en  voyant  que 
son  vocabulaire  était  réduit  aux  mots  :  «  Oh  dear!  oh  dear!  »  Il  n'y  eut,  pen- 
dant une  quinzaine,  aucune  amélioration  marquée.  Au  bout  de  ce  temps,  il 
semble  qu'il  soit  graduellement  devenu  capable  de  prononcer  quelques  mots 
de  plus.  Lorsque  le  D''  Bateman  le  vit,  à  peu  près  trois  mois  et  demi  après  le 
début  de  sa  maladie,  il  paraissait  aller  bien,  semblait  remarquablement  intel- 
ligent, et  paraissait  comprendre  tout  ce  qu'on  lui  disait.  Il  était  encore  incapable 
d'exprimer  ses  niées  par  le  langage  articulé,  sauf  crime  manière  très  impar- 
faite ;  bien  qu^il  pût  mouvoir  librement  sa  langue  dans  toutes  les  directions. 
Il  j)ouvait  écrire  couramment  avant  sa  maladie  :  mais  il  avait  presque  perdu 
cette  faculté,  ainsi  que  celle  de  ta  parole.  Bien  que  capable  d'écrire  un  ou  deux 
mots,  il  ne  pouvait  écrire  une  phrase.  Cependant  il  n'y  avait  pas  trace  depara- 
lysie  des  membres,  ni  à  gauche  ni  à  droite. 

Plus  tard,  cet  homme  devint  sujet  à  des  accès  à  courts  intervalles.  Au  bout 
de  près  de  deux  ans,  il  fut  de  nouveau  admis  à  l'hôpital,  le  12  janvier  1867.  Il 
semblait  alors  en  possession  de  son  intelligence  ordinaire,  et  n'offrait  encore 
aucun  signe  de  paralysie  des  membres  ou  de  la  face.  Il  avait  recouvré  en 
grande  partie  la  faculté  de  parler,  et  souffrait  maintenant  d'un  autre  genre  de 
trouble;  il  était  devenu  Amnésique,  plutôt  qu'Aphasique.  «Il  comprend  tout  ce 
qu'on  dit  :  mais  il  est  affecté  d'une  incapacité  à  employer  les  substantifs,  aj'ant 
perdu  la  mémoire  de  ces  mots,  et  il  fait  usage  d'une  périphrase  pour  éviter  de 
se  servir  du  substantif  demandé.  »  Quelques  mois  après,  il  fut  frappé  de  para- 
lysie, et,  peu  après,  de  démence,  au  point  qu'il  fut  nécessaire  de  le  transporter 
au  Borough  Asylum. 

Ceci  paraît  avoir  été,  pendant  la  première  phase,  un  cas  d'Aphasie 
pure  et  simple.  Trousseau  rapporte  plusieurs  cas  dans  lesquels  un 
état  de  ce  genre  ne  dura  que  quelques  jours,  ou  peut-être  quel- 
ques heures,  grâce  à  l'existence  de  quelque  condition  cérébrale  anor- 
male et  temporaire,  —  survenant  parfois  sans  cause  apparente  et 
d'autres  fois  comme  suite  de  quelque  forte  excitation,  jointe  à  des 
ennuis  ou  à  de  l'excès  de  travail.  Ces  cas  ne  sont  point  extrêmement 
rares.  Deux  ou  trois  d'entre  eux  sont  aussi  venus  à  la  connaissance 
de  l'auteur. 

Toutefois,  lorsqu'il  existe  une  lésion  réelle,  d'une  plus  grande 
étendue  que  celle  qui  peut  avoir  existé  dans  la  première  phase  du 
cas  du  docteur  Bateman,  il  arrive  souvent  que  l'Aphasie  existe  avec 
une  paralysie  du  côté  droit  du  corps,  —  ou  Hémiplégie  droite,  comme 
on  l'appelle. 

De  même,  plus  la  lésion  est  grande,  plus  il  y  a  J.o  chances  que  les 
Centres  Visuels  ou  Auditifs  eux-mêmes,  ou  quelques-unes  de  leurs 
commissures,  puissent  être  sérieusement  lésés,  en  produisant  des 
symptômes  Amnésiques  mêlés  à  ceux  de  l'Aphasie.  Ces  symptômes 
additionnels  peuvent  se  révéler,  soit  tout  d'abord,  soit  seulement 
lorsque  l'individu  commence  à  se  rétablir  de  son  état  Aphasique. 


248         RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE   LA  PENSÉE. 

On  va  donner  à  présent  trois  exemples  de  complications  de  ce 
genre.  Le  premier  est  un  cas  rapporté  par  Trousseau,  dans  lequel 
FAphasie  était  produite  par  une  lésion  qui  causait  en  même  temps 
une  paralysie  droite,  ainsi  que  l'impuissance  de  lire;  —  ce  dernier 
symptôme  était  sans  doute  produit  par  une  lésion  du  Centre  Visuel 
gauche  des  Mots. 

M.  X.,  âgé  de  cinquante-sept  ans. —  Un  soir,  en  se  levant  de  sa  chaise  poui- 
serrer  la  main  au  curé  de  l'endroit,  il  chancela,  bégaya,  et  tomba  dans  les  bras 
de  son  visiteur,  qui  s'était  précipité  en  avant  pour  le  soutenir.  Il  demeura  dans 
la  stupeur  apoplectique  la  plus  pi-ofonde  pendant  plus  de  dix  heures,  avec 
paralysie  complète  du  côté  droit.  Pendant  quelques  jours,  il  donna  des  signes 
obscurs  d'intelligence;  mais,  depuis  le  moment  de  cette  attaque,  il  avait  entiè- 
rement perdu  la  faculté  de  parler.  Quelques  mois  après  (été  de  1860),  il  recou- 
vra presque  complètement  la  faculté  de  mouvoir  sa  jambe  droite,  mais  les 
mouvements  du  bras  droit  sont  toujours  restés  impossibles. 

Pendant  le  printemps  de  1863,  M.  X.  fut  vu  par  Trousseau  qui  en  donna  la 
description  suivante  :  «  Son  visage  était  intelligent,  joyeux,  et  plein  de  bien- 
veillance. Il  parut  par  ses  gestes,  et  surtout  par  l'expression  de  sa  figure,  con- 
tent de  me  voir.  Il  ne  pouvait  parler,  et  ne  faisait  que  prononcer,  d'une  voix 
entrecoupée,  des  mots  inintelligibles  dans  lesquels  le  monosyllabe  oui  revenait 
fréquemment.  Lorsque  je  le  questionnais,  il  répondait  oui  à  tout;  •même  lors- 
qu'il secouait  la  tête  en  signe  de  négation.  Quel  âge  avez-vous?  Oui.  Combien 
y  a-t-il  de  temps  que  vous  êtes  malade?  Oui,  etc.,  etc.  Il  était  cependant  facile 
devoir  qu'il  n'était  point  satisfait  lorsque  le  mot  oui  tombait  mal;  car  il  faisait 
alors  un  geste  d'impatience.  Il  pai'aissait  content  au  contraire  lorsque  le  mot 
s'appliquait  bien.  Il  s'assit  à  table  avec  nous  pour  dîner,  se  servit  de  sa  main 
gauche,  et  mangea  très  convenablement.  Il  s'occupa  de  ses  convives  pendant  le 
dîner,  et  prit  part  à  quelques-unes  des  discussions.  Comme  on  vantait  la  délica- 
tesse des  moutons  du  pays,  il  inclina  la  tête  en  signe  d'assentiment;  et  l'un  des 
convives  disant  que  le  chevreau  du  pays  avait  une  saveur  préférable  à  celle 
de  l'agneau,  il  secoua  la  tête  en  signe  de  désapprobation.  Il  faisait  signe  aux 
domestiques  de  servir  le  vin  ;  et  lorsqu'on  en  versa  d'un  crû  estimé,  il  fit  signe 
qu'il  fallait  le  boire  de  préférence  au  reste. 

Il  jouait  aux  cartes  chaque  jour,  cachant  son  jeu  derrière  une  pile  de  livres, 
et  se  servant  de  la  main  gauche.  II  gagnait  souvent  en  jouant  avec  le  curé,  le 
docteur  ou  son  fils,  sans  leur  permettre  de  le  laisser  gagner  volontairement. 
Son  fils  et  le  D''  Laffitte  me  déclarèrent  qu'il  jouait  aussi  bien  qu'il  l'avait 
jamais  fait.  Parfois  son  fils  s'assied  auprès  de  lui  pour  le  conseiller,  et  l'arrête 
lorsqu'il  prend  une  carte  qui  ne  paraît  pas  être  la  bonne;  mais  il  insiste  pour 
jouer  à  son  idée, et  prouve,  en  gagnant,  que  s'il  sacrifiait  une  carte,  c'était  pour 
améliorer  son  jeu.  Bien  que  son  fils  dirige  toutes  ses  affaires,  il  insiste  pour 
être  consulté  sur  les  baux,  contrats,  etc.  ;  et  le  fils  m'a  déclaré  que  son  père 
indique  parfaitement  bien,  par  des  gestes  compris  de  ceux  qui  l'entourent  habi- 
tuellement, lorsque  certaines  parties  des  affaii'es  ne  lui  plaisent  point;  et  qu'il 
n'est  point  satisfait  jusqu'à  ce  que  l'on  ait  fait  des  changements,  qui  sont  géné- 
ralement utiles  et  raisonnables. 

Bien  que  sa  vue  fût  bonne,  il  ne  pouvait  pas  lire,  ou  du  moins  comjJrendre 


APHASIE    AVEC   PARALYSIE.  249 

le  sens  de  ce  qu'il  Usait  ;  toutefois,  il  écoutait  avec  plaisir  lorsqu'on  lui  lisait 
quelque  chose.  Il  ne  pouvait  point  réunir  les  lettres  détachées  d'un  alphabet, 
ni  écrire  de  la  main  gauche. 

Après  dîner,  dit  Trousseau,  j'essa,yai  d'élucider  jusqu'où  il  pouvait  prouver 
son  intelligence'.  Comme  il  répondait  toujours  oui,  je  lui  demandai  s'il  savait 
épeler  le  mot;  et,  comme  il  inclinait  la  tôte  en  signe  d'assentiment,  je  pris  un 
gros  volume  in-quarto,  qui  portait  sur  le  dos  le  titre  :  Histoire  des  deux  Amé- 
riques, et  lui  demandai  de  montrer,  dans  ces  mots,  les  lettres  qui  formaient  le 
mot  oui.  Bien  que  les  lettres  eussent  plus  d'un  centimètre  de  haut,  il  ne  put 
y  réussir.  En  lui  disant  de  chercher  chaque  lettre  à  son  tour,  et  en  appelant  le 
nom  de  la  lettre,  il  réussit,  après  quelque  hésitation,  à  trouver  les  deux  pre- 
mières, et  fut  très  long  à  désigner  la  troisième.  Je  lui  demandai  alors  de  dési- 
gner à  nouveau  les  mêmes  lettres  sans  que  je  les  appelle  ;  mais,  après  avoir 
attentivement  regardé  le  livre  pendant  quelque  temps,  il  le  repoussa  avec  un 
air  d'ennui,  montrant  qu'il  sentait  son  impuissance  à  faire  ce  queje  désirais.  » 

Il  lui  est  souvent  arrivé  de  dii'e  un  mot  qu'il  n'avait  pas  prononcé  depuis 
fort  longtemps  :  comme  si  une  ancienne  impression  se  ravivait  dans  son  cer- 
veau. Il  y  a  quelque  temps,  il  laissa  tomber  son  mouchoir  de  poche,  et  une 
dame  près  de  lui  l'ayant  ramassé  pour  le  lui  rendre,  il  lui  dit  merci  à  haute  et 
distincte  voix.  Ses  amis  en  furent  enchantés,  et  crurent  qu'il  avait  recouvré  la 
parole.  On  lui  demanda,  on  l'implora  de  dire  le  mot  de  nouveau;  mais  tout  fut 
en  vain  :  il  ne  put  jamais  y  réussir.  Et  c'était  la  règle  générale,  il  ne  pouvait 
jjas  même  répéter  les  sons  les  plus  simples  que  Von  prononçait  devant  lui.  Il 
disait  correctement  son  âge,  et  d'une  manière  fort  reraai'quable,  à  l'aide  de 
ses  doigts. 

Dans  le  cas  suivant,  l'Aphasie  était  également  associée  à  une  pa- 
ralysie droite,  mais  elle  était  accompagnée  d'un  trouble  mental 
considérable  :  et  il  y  avait  des  preuves  de  l'existence  d'une  lésion, 
non  seulement  des  Centres  Visuels,  mais  aussi  des  Centres  Auditifs 
des  Mots.  La  malade  ne  pouvait  ni  parler  ni  écrire.  En  outre,  elle 
ne  semblait  pas  capable  de  saisir  la  signification  des  mots  pronon- 
cés, et  ne  pouvait  pas  davantage  comprendre  les  caractères  écrits 
ou  imprimés.  Ce  cas  a  été  rapporté  par  le  docteur  Bazire.  '-^ 

«  M™^  W.  —  Vingt-quatre  ans,  jeune  femme  depBt.ite~taille,  fut  admise  comme 
malade  externe  au  National  Hospital  for  the  Paralysed  and  Epileptic,  le  10  jan- 
vier 1865,  souffrant  d'Hémiplégie  droite  imparfaite  et  d'Aphasie  complète. 
A  toutes  mes  questions  elle  répondait  invariablement  «  Sapon,  Sapon  ».  Un 
parent,  qui  accompagnait  la  malade,  dit  qu'elle  avait  été  atteinte  de  paralysie 
droite,  trois  mois  auparavant.  Elle  tomba  privée  de  sentiment,  et  demeura  pen- 
dant plusieurs  jours  dans  un  état  comateux.  Lorsqu'elle  revint  à  elle,  elle  ne 

1.  Ce  qui  suit  doit  toutefois  être  plutôt  regardé  comme  portant  sur  l'acti- 
vité (qui  était  fort  défectueuse)  du  Centre  Visuel  des  Mots.  Cela  ne  mesure  en 
rien  l'intelligence  du  malade,  puisque  celle-ci  (comme  le  montre  un  alinéa 
précédent)  était  bien  conservée. 

2.  Cliniques  de  Trousseau,  p.  224  de  la  trad.  anglaise. 


250  RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSf'lE. 

pouvait  prononcer  d'autre  mot  que  «  Sapon,  Sapon  »,  qu'elle  avait  constam- 
ment répété  depuis,  en  toute  occasion.  La  paralysie  n'était  point  complète  après 
les  premiers  jours. 

Lorsque  je  la  vis  pour  la  première  fois,  la  malade  était  venue  à  pied  à 
l'hôpital,  situé  à  environ  deux  milles  de  sa  résidence.  Sa  face  était  pleine  d'ex- 
pression, et  ses  yeux  brillaient  d'intelligence;  toutefois  il  était  manifeste  que 
ces  apparences  étaient  trompeuses,  et  que  son  intellect  était  fortement  atteint. 
On  ne  pouvait  lui  faire  compre/ndre  de  suite,  rien  qu'en  lui  parlant,  ce  qu'on 
désirait  d'elle;  et  elle  ne  pouvait  pas  toujours  répondre  correctement,  par  gestes, 
aux  questions  qu'on  lui  faisait.  Sa  pantomime  n'était  point  aussi  claire  que 
celle  d'un  sourd-muet  ;  et  elle  ne  paraissait  point  capable  de  comprendre  la 
signification  des  mots.  Il  fallait  les  prononcer  très  lentement,  et  les  répéter 
plusieurs  fois,  avant  qu'elle  pût  saisir  leur  signification;  et  la  plupart  du  temps 
elle  ne  pouvait  y  arriver.  Elle  comprenait  immédiatement  les  gestes.  Ainsi, 
lorsque  je  lui  demandais  de  me  montrer  sa  langue,  elle  ne  le  faisait  pas  tou- 
jours immédiatement  ;  mais,  en  tirant  la  mienne  et  en  lui  faisant  signe  d'agir 
de  même,  elle  le  faisait  aussitôt.  Elle  était  portée  à  verser  des  pleurs,  ou  à  rire 
immédiatement,  pour  la  moindre  cause;  comme  il  est  bien  connu  que  le  font 
les  hémiplégiques  ordinaires,  à  une  certaine  période  de  leur  maladie.  Elle  ne 
pouvait  pas  écrire  un  seul  mot  de  la  main  gauche.  Elle  tenait  sa  plume  con- 
venablement, mais  ne  faisait  qu'un  gribouillage  sans  signification.  Bien  quelle 
répétât  constamment  «  Sapon,  Sapon  »,  je  ne  j^us  jamais  lui  faire  dire  «Sap» 
ou  uponn  isolément  ;  ni  répéter  aucun  mot  ni  aucune  syllabe  après  moi.  Elle  con- 
naissait son  nom  et,  lorsque  je  le  prononçais,  elle  se  mettait  à  rire  en  se  mon- 
trant. D'après  ce  que  disait  sa  sœur,  elle  reconnaissait  bien  les  localités  et 
les  figures.  » 

Un  mois  après  le  début  de  l'observation,  elle  eut  d'autres  symptômes  céré- 
braux aigus,  qui  accrurent  sa  paralysie  et  voilèrent  encore  davantage  son  intel- 
ligence, pour  un  certain  temps.  Mais,  par  des  degrés  insensibles  et  après  nombre 
de  mois  d'intervalle,  elle  s'améliora  d'une  façon  remarquable;  de  sorte  qu'au 
mois  d'octobre  suivant,  elle  était  beaucoup  mieux  sous  plusieurs  rapports.  Le 
D^  Bazire  continue  :  «  Son  intellect  était  amélioré  ;  mais  non  dans  la  môme 
proportion  que  la  paralysie  Son  excitabilité  émotionnelle  est  beaucoup  moindre 
qu'auparavant  ;  bien  qu'elle  soit  encore  marquée.  Son  vocabulaire  comprend 
maintenant  quelques  mots  de  plus.  Elle  dit  encore  Sapon,  Sapon,  mais  peut 
articuler  distinctement  yes  et  no,  bien  qu'elle  ne  s'en  serve  pas  toujours  à 
propos,  et  peut  compter  one,  two,  three,  four.  Lorsqn'elle  est  sous  l'influence 
d'une  grande  excitation,  elle  s'écrie  quelquefois  :  Oh  dear  me,  d'iiprès  ce  que 
dit  sa  sœur.  /•  lie  ne  peut  encore  écrire  un  seul  mot,  pas  même  former  une 
seule  lettre  ;  bien  qu'elle  ait  souvent  essayé  avec  ardeur.  Elle  ne  connaît  point 
les  lettres  de  l'alphabet  ;  et,  lorsqu'on  lui  montre  o  et  o  et  qu'on  lui  dit  de 
montrer  l'a,  elle  ne  peut  le  faire.  Elle  a  toujours  une  grande  difficulté  à  com- 
prendre ce  qu'on  lui  dit  verbalement,  bien  quelle  ne  soit  pas  du  tout  dure 
d'oreilles;  mais  elle  comprend  immedittement  les  gestes.  Sa  pantomime,  à  elle, 
manque  encore  de  clarté.  Elle  ne  lit  jamais,  mais  aime  à  regarder  des  pein- 
tures. » 

L'autre  cas  d'Aphasie  que  l'on  va  citer  appartient  à  une  malade 
à  qui  l'auteur  a  donné   des   soins.  Il  y  avait,  ici  aussi,  association 


APHASIE    AVEC  HÉMIPLÉGIE.  251 

avec  de  l'hémiplégie  droite;  mais,  de  même  que  le  trouble  mental, 
cette  hémiplégie  était  beaucoup  plus  marquée  que  dans  le  dernier 
cas.  Il  y  avait  la  même  perte  de  la  faculté  de  Lire,  et  quelque  diffi- 
culté à  comprendre  la  Parole;  mais,  en  outre,  les  signes  n'étaient 
qu'imparfaitement  compris,  et  il  y  avait  impuissance  à  vouloir,  et  à 
exécuter,  même  les  actes  moteurs  les  plus  simples. 

M"""  G.,  vingt-quatre  ans,  avait  été  grandement  affligée  de  la  perte  récente 
d'un  de  ses  enfants.  Le  3  octobre,  elle  eut  un  accès,  pour  la  première  fois,  pen- 
dant qu'elle  était  dans  la  rue;  mais  elle  fut  capable  de  rentrer  chez  elle  et, 
pendant  les  deux  jours  qui  s'écoulèrent  jusqu'à  son  admission  à  Uaiversity 
Gollege  Hospital,  elle  eut  douze  autres  attaques  épileptiformes. 

Peu  après  son  admission,  elle  eut  une  autre  série  de  convulsions  affectant 
les  deux  côtés  du  corps,  quoique  principalement  le  droit.  Dans  les  intervalles 
qui  séparaient  ces  attaques,  on  observa  que  la  figure  était  en  partie  paralysée 
du  côté  droit;  que  le  bras  droit  était  complètement  paralysé,  et  la  jambe  aussi, 
à  un  degré  moindre.  Elle  eut  six  séries  de  ces  attaques  convulsives  pendant 
les  trois  jours  qui  suivii^ent  son  admission,  et  demeura,  pendant  ce  temps,  dans 
im  état  morne  et  léthargique.  Le  13  octobre,  elle  commença  graduellement  à 
recouvrer  un  certain  degré  d'intelligence  dans  le  regard  et  dans  l'habitus. 

Le  19,  on  pouvait  arrêter  immédiatement  son  attention  ;  elle  faisait  des 
efforts  distincts  pour  parler  après  qu'on  l'avait  questionnée,  et  pouvait  dire 
indistinctement  yes  et  no,  bien  que  non  à  propos.  Lorsqu'on  lui  disait  de  mon- 
trer sa  langue,  elle  ne  faisait  qu'ouvrir  la  bouche  sans  tenter  de  faire  sortir 
l'organe.  Elle  pouvait  avaler  sans  difficulté,  et  prenait  de  la  nourriture  avec 
empressement.  Le  26,  elle  paraissait  encore  plus  intelligente.  Elle  ne  tirait  point 
sa  langue  lorsqu'on  le  lui  disait,  mais  elle  ouvrait  la  bouche,  et  saisissait  l'extré- 
mité de  l'organe  avec  les  doigts  pour  l'attirer  au  dehors.  Bien  qu'elle  fût  inca- 
pable de  la  mouvoir  par  une  simple  excitation  volitionnelle,  si  Von  mettait  un 
bonbon  sur  ses  lèvres,  elle  tirait  immédiatement  la  langue  avec  grande  facilité 
et,  en  mangeant,  elle  riait  et  paraissait  fort  contente.  Le  28,  elle  paraissait  bien 
mieux,  et  remarquait  ce  qui  se  passait  autour  d'elle.  Elle  faisait  des  signes 
lorsqu'elle  désirait  attirer  l'attention  de  l'infirmière.  Lorsqu'on  lui  demandait 
si  elle  souffrait  de  la  tête,  elle  inclinait  la  tête  en  signe  d'assentiment,  mais  ne 
bougeait  pas  sa  main  lorsqu'on  lui  disait  de  la  mettre  sur  l'endroit  douloureux, 
ou  bien  elle  la  portait  dans  une  direction  toute  uifi'érente.  La  paralysie  des 
membres  et  de  la  face  demeurait  à  peu  près  la  même. 

Environ  dix  jours  après,  je  l'examinai  de  nouveau  avec  soin.  Elle  avait  con- 
tinué à  s'améliorer,  et  pouvait  maintenant  dire  Nurse  distinctement,  en  outre 
de  yes  et  no.  Elle  ne  pouvait  point  répéter  même  les  voyelles  les  plus  simples, 
ni  lire,  soit  fort,  soit  pour  elle,  de  manière  d  les  comprendre,  des  mots  isolés 
imprimés  en  gros  caractères.  Elle  ne  pouvait  pas  montrer  des  capitales  isolées, 
d'un  caractère  très  gros.  Lorsqu'on  lui  demanda  de  désigner  le  M,  après 
longtemps  et  s'être  fait  beaucoup  presser,  elle  plaça  son  doigt  sur  le  W,  elle 
plaçi  encore  plus  longtemps  après  son  doigt  sur  l'S.  Elle  paraissait  reconnaître 
les  objets  familiers,  et  savoir  lorsqu'on  leur  donnait  leur  vrai  nom.  On  ne  pouvait 
la  faire  compter  en  tapant  avec  l'index,  bien  qu'on  lui  eût  montré  avec  le  plus 
grand  soin  ce  qu'il  y  avait  à  faire.  On  ne  put  même  pas  arriver  à  la  faire 


2i)2    RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSÉE. 

taper  une  seule  fois;  elle  paraissait  seulement  affligée.  Elle  semblait  se  souvenir 
de  son  propre  nom  ;  et,  bien  qu'elle  ne  donnât  aucun  signe  de  reconnaissance 
lorsqu'on  prononçait  le  nom  de  la  rue  où  elle  habitait,  elle  remuait  la  tête 
affirmativement  lorsqu'on  ajoutait  le  reste  de  son  adresse  «  Fitzroy  Square  », 
Elle  riait  rarement,  mais  avait  souvent  des  crises  de  larmes.  Elle  ne  poussait 
pas  d'autre  exclamation  lorsqu'elle  était  très  excitée,  et  son  vocabulaire  était 
limité  aux  trois  mots  mentionnés  ci-dessus. 

C'est  un  bon  exemple  d'une  des  formes  plus  graves  de  la  maladie, 
dans  laquelle,  outre  TAphasie  avec  activité  défectueuse  des  Centres 
Auditifs,  et  spécialement  des  Centres  Visuels  des  Mots,  il  y  avait  un 
trouble  général  des  facultés  mentales,  dû,  suivant  toute  probabilité,  à 
rétendue  de  la  lésion  de  l'Hémisphère  Cérébral  gauche. 

Comme  intermédiaire  entre  les  cas  moins  graves  de  cette  caté- 
gorie et  ceux  de  la  suivante  —  Agraphie  —  on  peut  citer  un  bon 
exemple,  d'après  Trousseau.  C'est  un  cas  dans  lequel  il  y  avait  lésion 
plus  forte  des  fibres  centrifuges  partant  des  Centres  Visuels  que  de 
celles  partant  des  Centres  Auditifs,  —  puisque  l'individu  avait  recou- 
vré en  partie  la  faculté,  d'abord  perdue,  de  la  Parole;  tandis  qu'il 
demeurait  incapable  d'exprimer  ses  pensées  par  l'Écriture. 

«  Un  jeune  laboureur,  âgé  de  vingt-huit  ans,  avait,  d'après  ce  que  disent  ses 
amis,  été  subitement  atteint  de  mutisme  complet,  sans  aucune  cause  appré- 
ciable. 

L'affection  pour  laquelle  il  vint  à  l'hôpital  consistait  uniquement  dans  une 
impossibilité  absolue  de  parler,  bien  que  son  intelligence  parût  intacte  et  qu'il 
pût  parfaitement  bien  comprendre  toutes  les  questions  qu'on  lui  posait.  Mais, 
à  ces  questions,  il  répondait  invariablement  no,  même  lorsqu'il  inclinait  affir- 
mativement la  tête.  Un  des  étudiants  m'informa  cependant  que,  resté  seul  avec 
lui,  il  avait  réussi  à  lui  faire  dire  le  mot  cloak  après  des  efforts  répétés.  Je  ne 
trouvai  qu'une  déviation  marquée  de  la  pointe  de  la  langue  vei's  la  droite, 
mais  aucun  autre  signe  de  paralysie;  la  face,  le  tronc  et  les  membres  pou- 
vaient se  mouvoir  avec  une  liberté  et  une  force  parfaites Lorsque  je  lui 

demandai  d'écrire  son  nom,  il  le  fit  correctement;  mais  lorsque  je  lui  dis  d'é- 
crire ce  qui  lui  était  arrivé,  il  n'écrivit  que  «  was,  was,  was  ».  11  savait  par- 
faitement bien  que  ce  n'était  pas  là  ce  qu'il  fallait  écrire;  et,  ennuyé  de  ne 
pouvoir  exprimer  ses  pensées,  il  posa  la  plume.  Deux  jours  après,  comme  je 
lui  demandais  d'écinre  le  lieu  de  sa  naissance,  il  écrivit  alone,  alone,  alone; 
et  encore  le  même  mot  lorsque  je  lui  demandai  d'écrire  good  morning.  Les 
gestes  impatients  qu'il  faisait  tout  le  temps  montraient  qu!il  avait  parfaite- 
ment conscience  qu'il  n'écrivait  pas  ce  qu'il  avait  dans  l'esprit.  Le  jour  suivant, 
il  écrivit  encore  des  mots  dépourvus  de  sens,  comme  game  pour  soup,  mais 
il  pouvait  dire  good  morning,  sir  ;  en  parlant,  il  est  vrai,  comme  un  enfant  qui 
apprend  à  parler.  Quelques  jours  après,  il  dit  très-distinctement  /  am  pretty 
ivell,  puis  good  morning,  sir,  J  am  getting  on  well,  d'une  voix  hésitante,  et 
comme  une   personne  bègue   qui  s'efforce    de  ne  pas    balbutier.   Lorsqu'on 


AGRAPHIE.  253 

essaya  de  nouveau  de  le  faire  écrire,  il  ne  fit  que  gribouiller  sur  le  papier 
une  série  de  syllabes  sans  signification  ;  mais  il  réussit  à  écrire  sous  la  dictée 
I  hâve  eaten.  » 

C.  —  AGRAPHIE 

6.  —  LÉSION  DES  CONDUCTEURS  ÉiMISSIFS  QUI  VONT  DKS 
CENTRES  VISUELS  GAUCHES  DES  MOTS  AUX  CENTRES 
MOTEURS    SITUÉS     DANS    LE      CORPS    STRIÉ    C  OU  RE  S  PON  D  ANT  . 

Dans  la  forme  typique  de  cette  affection  il  y  aurait  une  rupture 
des  connexions  entre  le  Centre  Visuel  des  Mots  et  les  Centres  Mo- 
teurs supérieurs  mis  en  jeu  dans  l'acte  d'Écrire, —  de  sorte  que  cet 
acte  seul  deviendrait  impossible,  tandis  que  les  facultés  mentales, 
ainsi  que  celles  de  Lire  et  de  Parler,  demeureraient  intactes.  C'est  là 
une  condition  parfaitement  possible,  et  qui  peut  même  être  causée 
par  une  petite  lésion,  située  en  divers  points.  La  lésion  peut 
impliquer  les  fibres  qui  conduisent  le  stimulus  du  Centre  Visuel  des 
Mots  au  Centre  Kinesthétique  des  Mots  ;  ou  bien  elle  peut  intéresser 
ce  dernier  Centre  lui-même;  ou,  enfin,  elle  peut  détruire,  en  quelque 
point  de  leur  trajet,  les  fibres  qui  se  rendent  du  Centre  Kinesthétique 
des  Mots  aux  Centres  Moteurs  qui  sont  en  relation  avec  lui  dans  le 
Corps  Strié.  De  l'une  ou  l'autre  de  ces  manières,  on  peut  concevoir 
qu^une  personne  puisse  perdre  uniquement  la  faculté  d'écrire,  sans 
présenter  d'autre  désordre. 

Si  toutefois  Pindividu  était  paralysé  du  côté  droit  du  corps,  tout 
défaut  de  ce  genre  serait  caché  par  la  perte  plus  générale  de  pou- 
voir occasionnée  par  la  paralysie  du  bras  droit.  Mais  si  une  personne 
ainsi  atteinte  essayait  d'apprendre  à  écrire  de  la  main  gauche,  il  n'y 
a  pas  de  raison  pour  qu'elle  ne  pût  y  réussir;  pourvu  que  le  Centre 
Visuel  gauche  des  Mots  fût  lui-même  intact,  et  en  libre  communi- 
cation, au  moyen  des  fibres  du  corps  calleux,  avec  son  homologue  de 
PHémisphère  opposé. 

Une  personne  affectée  d'Hémiplégie  droite  serait,  toutefois,  pro- 
bablement incapable  de  réacquérir  de  la  main  gauche  la  faculté 
d'Écrire,  si  le  Centre  Visuel  gauche  des  Mots  était  lui-même  lésé. 
Mais,  avec  l'existence  d'une  pareille  lésion,  le  malade  serait  proba- 
blement aussi  incapable  de  comprendre  le  langage  écrit  ou  imprimé. 
Ceci  semble  avoir  été  le  cas,  par  exemple,  pour  le  malade  de  Trous- 
seau —  M.  X.  —  qui,  malgré  toute  son  intelligence,  ne  pouvait  pas, 
au  bout  de  trois  ans,  écrire  de  la  main  gauche  (voy.  p.  248). 

Le  défaut  Agraphique  ne  se  rencontre  presque  jamais  seul.  Il  est 
la  plupart  du  temps  associé  à  quelques  troubles  mentaux,  ou  à  des 
troubles  de  la  Parole  Articulée. 

De  plus,  le  même  terme  Agraphie  pourrait,  avec  assez  de  raison. 


'254    RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSEE. 

comprendre  les  défauts  «  incoordonnés  »,  aussi  bien  que  les  troubles 
«  paralytiques  »,  du  pouvoir  d'expression  mentale  par  l'Écriture. 
Même  avec  cette  extension  toutefois,  les  cas  à  ranger  sous  ce  titre 
sont  relativement  peu  nombreux.  Le  premier  à  citer  est  un  du  type 
«  incoordonné.  »  C'est  un  des  nombreux  cas  relatifs  aux  défauts 
de  la  parole,  dont  nous  sommes  redevables  au  D''  Hughlings 
Jackson  ^. 

Une  femme  d'un  certain  âge,  ayant  l'aii'  en  bonne  santé,  devint  subitement 
malade,  cinq  semaines  avant  son  admission.  Lorsqu'on  la  vit,  il  n'y  avait  pas 
d'hémiplégie  apparente,  mais  elle  se  plaignait  de  faiblesse  dans  le  côté  droit. 
Elle  pouvait  alors  parler,  mais  faisait  des  méprises.  Par  exemple,  comme  j'é- 
prouvais son  sens  de  l'odorat,  qui  était  fort  défectueux  depuis  la  paralysie,  elle 
dit  en  réponse  à  une  question  «  I  can't  say  it  so  much  »,  voulant  dire  u  smell 
so  well  II.  Elle  faisait  fréquemment  des  erreurs  en  parlant,  et  appelait  ses 
enfants  par  d'autres  noms.  Ceci  n'était  pas  très  évident  lorsqu'elle  vint  à  Vliô- 
jntal,  et  aurait  pu  passer  aisément  inaperçu,  si  ses  amies  ne  s'en  étaient  beau- 
coup plaintes.  Elle  paraissait  fort  intelligente.  -Sa  faculté  de  s'exprimer  par 
l'écriture  était  très  imparfaite;  bien  que  snn  écriture  fût  assez  bonne,  surtout 
en  considérant  qu'elle  écrivait  avec  la  main  droite,  qui  était  affaiblie.  Elle 
écrivit  ce  qui  suit  à  l'hôpital.  Je  lui  demandai  d'abord  d'écrire  son  nom,  — je 
ne  veux  pas,  pour  des  raisons  faciles  à  comprendre,  le  donner  ici  par  compa- 
raison :  on  peut  dire  toutefois  qu'il  n'avait  pas  la  plus  légère  ressemblance  ni 
dans  le  son  ni  dans  la  manière  d'épeler.  avec 

«   SUNNIL   SlCLAA    SaTRENI.   » 

Lorsque  je  lui  demandai  d'écrire  son  adresse,  elle  écrivit  : 

«    SUNESR   NUT  TS    MER    TINN  —  LAIN.    » 

Pensant  qu'elle  avait  pu  être  nerveuse  en  écrivant  à  l'hôpital,  le  docteur 
Jackson  lui  demanda  d'apporter  quelque  chose  qu'elle  eût  écrit  chez  elle. 
Elle  le  fit  :  mais  le  spécimen  (dont  il  donne  un  fac-similé)  n'était  en  rien 
meilleur  que  ce  qu'elle  avait  écrit  auparavant.  C'est  un  assemblage  de  lettres, 
parfaitement  dépourvu  de  sens,  remarquable  seulement  par  la  fréquente 
répétition  de  petits  groupes  de  lettres,  d'une  manière  que  nous  retrouverons 
aussi  dans  le  cas  suivant. 

On  ne  dit  malheureusement  pas  si  cette  femme  était  capable  de 
comprendre  complètement  les  caractères  écrits  ou  imprimés;  et, 
sans  connaître  son  état  sous  ce  rapport,  on  ne  saurait  faire  un  dia- 
gnostic sûr.  11  y  avait,  chez  elle,  faculté  de  former  des  lettres,  mais 
impuissance  à  les  grouper  en  mots,  —  et  par  conséquent  inaptitude 
absolue  à  exprimer  ses  pensées  par  l'Écriture,  bien  que  les  erreurs 
de  la  Parole  Articulée  fussent  relativement  peu  nombreuses. 

Le  cas  suivant  a  été  observé  par  l'auteur  lui-même.  Il  n'est  aucu- 

1.  Lond.  Hosp.  Reports,  vol.  1'^,  p.  432. 


AGRAPITIE.  255 

nement  typique,  mais  fort  curieux  sous  beaucoup  de  rapports. 
L'iiomuie  était  un  fou  ci'imiiiel,  qui  avait  été,  quelques  années  au- 
paravant, absous  de  la  peine  ordinaire  d'un  meurtre,  par  la  raison 
qu'il  était  irresponsable'. 

Le  malade,  autrefois  marin,  est  âgé  aujourd'hui  d'environ  quarante-cinq 
ans,  et  atteint  de  démence  partielle;  il  était  autrefois  violent  (-t  dangereux, 
mais  avec  des  hallucinations  manifestes;  et  on  le  déclara  insensé  en  1855.  Ce 
ne  fut  que  vers  l'année  1857,  ou  même  plus  tard,  qu'il  commença  à  écrire 
d'une  manière  extraordinaire.  Avant  cette  date,  on  constate  que  les  lettres 
écrites  à  ses  amis  sont  d'un  style  intelligible.  Cette  particularité  se  manifesta 
d'ahord  ainsi  :  il  commençait  à  écrire  chaque  mot  correctement  ;  puis,  au  lieu  de 
quelques-unes  des  dei^nières  lettres,  il  écrivait  ff'g.  Plus  tard  tout  le  mot  fut 
altéré,  et  un  redoublement  de  beaucoup  de  consonnes  jointes  à  la  teiminaison 
presque  invariable  par  les  lettres  ndendd,  ou  du  moins  endd,  devinrent  les  traits 
les  plus  remarquables  de  ses  manuscrits  qui,  bien  que  volumineux,  étaient 
presque  absolument  inintelligibles  2.  Lorsque  j'avais  l'habitude  de  le  voir,  il 
y  a  environ  trois  ans,  il  me  donna  un  grand  nombre  de  pages  de  son  écri- 
ture, à  divers  moments;  et  de  ce  que  j'ai  en  ma  possession,  j'ai  choisi  seize 
spécimens  que  j'ai  fait  lithographier.  Ils  monti'ent  clairement  qu'il  écrivait,  soit 
avec  une  répétition  particulière  et  continuelle  de  certains  groupes  de  lettres, 
l'écriture  étant  en  partie  intelligible,  soit  avec  une  succession  de  lettres  et  de 
coups  de  plume  auxquels  on  ne  pouvait  attacher  aucune  signification. 

L'une  des  particularités  principales  de  ce  cas,  c'est  que,  tandis  que 
Phomme  écrit  ainsi,  il  parle  de  façon  ordinaire. 

A  ma  requête,  le  docteur  Orange  soumit  très  obligeamment  le  malade  à  un 
nouvel  examen  attentif;  et  les  réponses  qu'il  m'a  données  semblent  prouver 
que  l'homme  était  devenu  beaucoup  plus  dément,  bien  que  son  trouble  spécial 
soit  beaucoup  moins  marqué  qu'il  ne  l'était.  Les  principales  particularités 
observées  sont  les  suivantes  : 

1°  Il  peut  parler  fort  bien  pendant  un  moment  ;  mais  son  attention  s'égare,  et 
la  voix  devient  traînante  et  monotone;  tandis  que  souvent  il  prononce  mal  un 
mot  (généralement  eu  altérant  sa  terminaison);  ou  qu'il  lui  substitue  un  autre 
mot,  ou  un  simple  son  dépourvu  de  sens. 

2»  11  peut  lire  un  journal,  soit  pour  lui,  soit  à  voix  haute;  mais  ne  semble 
pas  comprendre  toute  la  signification  sans  effort;  et  sa  faculté  d'effort  continu 
est  limitée.  Lorsqu'il  lit  à  haute  voix,  il  bronche  sur  les  mots  difficiles,  et  lit 
d'un  ton  traînard;  mais  les  mots  qu'il  prononce,  s'ils  ne  sont  point  ceux  qui 

1.  Les  détails  donnés  ici  sont  à  peu  près  tels  qu'ils  ont  été  rapportés  dans 
la  Med.-Chir.  Beview,  janvier  1869. 

2.  Trousseau  parle  d'un  cas  d'Aphasie  dans  lequel  la  personne,  pendant 
son  rétablissement,  et  lorsqu'elle  devint  capable  d'émettre  quelques  monosyl- 
labes, les  finissait  toujours  par  tif.  Si  elle  voulait  dire  un  mot  de  plu^ieurs 
syllabes,  elle  prononçait  seulement  la  première,  et  ajoutait  tif;  disant  par 
exemple  moni/7"pour  monsieur,  bontif  pour  bonjour,  etc.  Nous  avons  ainsi  une 
preuve  de  plus  de  la  similitude  qui  existe  entre  les  divers  troubles  de  la 
Parole  et  ceux  de  l'Ecriture. 


256  RELATIONS    UE   LA  PAROLE   ET  DE  LA  PENSÉE. 

sont  réellement  devant  ses  yeux,  ont  un  son  un  peu  semblable,  et  ne  parais- 
sent pas  présenter  de  relations  évidentes  avec  sa  manière  particulière  d'écrire. 
3°  Il  cpelle  un  mot,  lorsqu'on  le  lui  demande,  de  la  manière  dont  il  l'écri- 
rait, puis  le  prononce  correctement,  immédiatement  après. 

11  est  intéressant  de  trouver  la  manière  de  Lire  de  cet  homme 
d'accord  avec  sa  manière  de  Parler,  plutôt  qu'avec  sa  manière 
d'Écrire^.  Nous  basons  en  partie  là-dessus  notre  opinion  sur  la  na- 
ture de  son  affection  particulière,  qui  était  due,  d'après  nous,  moins 
à  une  action  désordonnée  du  Centre  Visuel  des  Mots,  qu'à  quelque 
dérangement  des  conducteurs  émissifs  situés  au  delà,  —  peut  être 
dans  la  partie  du  Centre  Kinesthétique  qui  régit  les  Mouvements  de 
l'Écriture.  Cela  est  aussi  en  harmonie  avec  l'opinion,  précédemment 
énoncée,  qu'ordinairement  lorsqu'on  lit  à  haute  voix,  les  Impressions 
Visuelles  ravivent  des  Impressions  Auditives  correspondantes  de 
Mots;  et  que  les  stimuli,  qui  occasionnent  l'une  ou  l'autre  forme  de 
Langage  Articulé,  se  rendent  principalement  des  Centres  Auditifs  aux 
Centres  Kinesthétiques  des  Mots,  et  de  là  aux  Centres  Moteurs. 

Il  est  cependant  digne  de  remarque  que,  dans  ce  cas  comme  dans 
d'autres  où  il  y  a  eu  action  défectueuse  du  Centre  Visuel  des  Mots, 
la  manière  d'épeler  était  presque  entièrement  en  harmonie  avec  la 
manière  d'écrire  du  malade,  plutôt  qu'avec  sa  manière  de  parler.  11 
était  toutefois  fort  étrange  d'entendre  un  homme  à  qui  Ton  disait 
d'épeler  cal,  dire  d'une  manière  délibérée  candd;  puis  prononcer 
immédiatement  le  mot  comme  s'il  l'avait  épelé  cat. 

Dans  un  cas  d'Agraphie  rapporté  par  le  D''  William  Ogle  ^,  il  y 
avait  un  état  Amnésique  grave,  relativement  à  la  Parole;  bien  qu'il 
fût  associé  avec  une  inaptitude  à  Écrire  plus  marquée  que  celle  qui 
existait  dans  aucun  des  autres  cas. 

«  James  Simmonds,  âgé  de  cinquante-quatre  ans,  fut  obligé,  il  y  a  sept  ans, 
d'abandonner  son  ouvrage,  à  la  suite  d'un  coup  violent  reçu  sur  le  côté  gau- 
che de  la  tête.  Il  parlait  sans  difficulté  ni  hésitation,  mais  nommait  les  choses 
d'une  manière  étrange.  Il  eut  ensuite,  un  matin,  en  s'habillant,  un  accès  qui 
le  laissa  sans  parole,  et  hémiplégique  du  côté  droit.  Pendant  une  quinzaine,  il 
ne  put  absolument  pas  parler,  bien  qu'ayant  tout  son  sentiment.  Il  ne  pouvait 
même  dire  yes  et  no.  Il  se  rétablit  graduellement  de  cette  attaque,  mais  tou- 
jours, comme  avant,  il  se  trompait  de  noms....  Il  y  a  un  mois,  il  eut  une  seconde 
attaque,  qui  le  laissa  plus  faible  encore  du  côté  droit,  mais  ne  changea  que 
peu  ou  point  sa  manière  de  parler. 

Il  y  a  maintenant  paralysie  partielle  du  côté  droit,  qui  ne  l'empêche  pas  de 

1.  Bien  que  l'inverse  existât  dans  le  cas  de  l'emploj'é  du  gouvernement,  cité 
par  le  docteur  Jackson  (p.  231). 

2.  Saint-George' s  Hosp.  lieports,  1867,  p.  103.  Le  mot  agraphie  fut  employé 
pour  la  première  fois,  dans  cet  article,  par  le  docteur  Ogle. 


AGRAPHIE    AVEC    AMNÉSIE.  257 

marcher.  Les  muscles  faciaux  do  ce  côté  sont  légèrement  affectés,  ainsi  que 
ceux  des  membres.  Sa  parole  est  Tort  hésitante  et  imparfaite.  Il  s'arrête  sou- 
vent brusquement,  ne  trouvant  pas  son  mot;  et  alors  il  en  emploie  un  faux. 
Par  exemple,  il  emploie  barber  pour  doclor,  two  shillings  pièce  pour  sj;ec- 
tacles,  winkles  pour  luatercresses,  etc.  //  peut  toutefois  prononcer  parfaite- 
ment n'importe  quel  mot,  quand  on  le  lui  souffle.  Il  dit  qu'il  sait  généralement, 
mais  pas  toujours,  lorsqu'il  s'est  servi  d'un  mauvais  mot. 

Avant  sa  maladie,  il  écrivait  bien  et  était,  par  son  éducation,  au-dessus  de 
sa  condition.  Maintenant,  il  ne  saurait  former  une  seule  lettre.  Même  avec 
une  copie  devant  les  yeux,  il  ne  trace  que  des  jambages  incertains.  Je  lui 
donnai  quelques  lettres  imprimées,  et  lui  demandai  de  choisir  celles  qui  for- 
maient son  nom.  Après  longtemps  il  finit  par  arranger  Jicmnos.  Evidemment 
il  avait  quelque  légère  notion  des  lettres  qui  composaient  son  nom.  D'après  sa 
femme,  il  épelait  bien  avant  sa  maladie,  et  tenait  beaucoup  à  l'orthographe 
de  son  nom,  qui  peut  admettre  beaucoup  de  variations.  Lorsqu'on  plaça  un 
modèle  devant  lui,  il  choisit  rapidement,  et  arrangea  son  nom  correctement.  Il 
peut  lire;  mais  il  dit  que  lire  l'étourdit  beaucoup  et  lui  fait  grand  mal  à  la 
tête.  Son  entendement  général  semble  bon,  et  au-dessus  de  la  moyenne  des 
hommes  de  sa  classe  ». 

Les  conditions  rapportées  ici  représentent  les  restes  d'une 
attaque  Aphasique,  L'impuissance  à  épeler,—  c'est-à-dire  impuissance 
à  rappeler  simultanément  les  lettres  qui  forment  un  mot,  — dépend 
sans  doute  principalement  de  quelque  lésion  du  Centre  Visuel  des 
Mots;  mais  la  faculté  qu'avait  le  malade  de  placer  ensemble  les 
lettres  de  son  nom,  lorsqu'on  lui  donnait  un  modèle,  montre  que 
ce  Centre  pouvait  agir  dans  de  certaines  limites.  Cela  est  également 
prouvé  par  le  fait  qu'il  pouvait  lire  un  peu,  —  bien  que  ses  facultés 
en  ce  sens  fussent  probablement  peu  de  chose.  Nouspouvons  conclure 
que,  dans  ce  cas,  les  lésions  les  plus  graves  ou  les  plus  durables 
furent,  par  conséquent,  sur  le  trajet  des  fibres  émissives  qui  partent 
du  Centre  Visuel  gauche  des  Mots,  —  et  peut-être  dans  le  Centre 
Kinesthétique  des  Mots  lui-même. 

Marcé  parle  d'un  homme  qui,  à  ce  que  l'on  remarqua,  pouvait  écrire 
chiffres  avec  une  précision  et  une  facilité  bien  plus  grandes  que  les 
les  lettres  ordinaires,  —  état  qui  n'est  point  aussi  singulier  qu'il  le 
pensait.  Il  arrive  ordinairement,  en  effet,  que  les  malades  Amné- 
siques trouvent  bien  moins  de  difficultés  à  se  rappeler  les  noms  de 
nombre  simples  que  les  noms  de  lettres  (voy.  p.  2/ilj:  ce  dont  il  ne 
faut  pas  s'étonner,  si  l'on  se  rappelle  qu'il  n'y  en  a  que  neuf  dans 
les  nombres,  au  lieu  de  vingt-six,  et  que  l'observation  des  chiffres 
isolés  doit,  nécessairement,  avoir  toujours  été  plus  attentive  que  celle 
des  lettres  isolées.  Le  degré  de  familiarité  avec  un  groupe  d'objets 
ou  un  groupe  d'action  est  une  chose  fort  importante  dans  ces  cas 
d'altérations  des  facultés  cérébrales.  Les  actes  plus  complexes,  ou 
plus  récemment  acquis,  sont  les  premiers  qui  deviennent  impos- 

CliARLTON-EASTIAN.  —   II.  17 


258  RELATIONS  DE  LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSÉE. 

sibles;  tandis  que  ceux  qui  sont  les  plus  familiers,  ou  les  plus  pro- 
fondément gravés,  sont  les  derniers  à  disparaître.  Le  D''  Lasègue 
connaissait  un  musicien  complètement  Aphasique  qui,  incapable  de 
lire  ou  d'écrire  à  la  manière  ordinaire,  pouvait  facilement  écrire  un 
passage  de  musique,  après  l'avoir  entendu. 

D.  —  APHÉMIE 

7.    —   LÉSION    DES    CONDUCTEURS    ÉMISSIFS,    ENTRE 
LES  CENTRES   AUDITIFS    ET    LES   CENTRES    MOTEURS   DES   MOTS. 

Les  conditions  dont  nous  allons  parler  sont  dues  à  des  commu- 
nications défectueuses  entre  les  Centres  Auditifs  et  Moteurs  des 
Mots;  à  peu  près  de  la  même  manière  que  celles  du  dernier  para- 
graphe sont  duesà  des  communications  défectueuses  entre  les  centres 
Visuels  et  Moteurs  des  Mots.  Avec  les  changements  nécessaires,  ce 
que  l'on  a  dit  là  des  diverses  situations  où  peuvent  se  trouver  les 
lésions  du  Cerveau  qui  causentrAphémie,est  aussi  vrai  ici;  en  outre, 
ce  défaut  parti  culier  peut  aussi  être  produit  par  une  petite  lésion, 
intéressant  les  centres  inférieurs  ou  bulbaires  de  l'Articulation. 

Ces  cas,  en  tant  qu'isolés,  sont,  de  même  que  ceux  d'Agraphie 
simple,  extrêmement  rares;  toutefois.  Trousseau  en  a  rapporté  un 
d'un  caractère  typique  (voy.  p.  261).  Ils  peuvent,  de  même,  être  ou 
n'être  pas  associés  à  de  la  paralysie  des  membres;  et  ils  sont  aussi, 
presque  invariablement,  produits  par  des  lésions  de  l'Hémisphère 
Cérébral  gauche,  plutôt  que  de  l'Hémisphère  droit,  si  le  siège  de  la 
lésion  est  au-dessus  du  pont  de  Varole.  Mais  lorsque  la  lésion  est 
située  là,  ou  dans  le  Bulbe,  la  question  du  côté  affecté  devient  indif- 
rente. 

Plus  la  lésion  est  située  près  du  Centre  Auditif  des  Mots  (et 
par  conséquent  de  la  Substance  Grise  Corticale),  plus  il  y  a  de  pro- 
babilités pour  l'existence  de  complications,  sous  formes  de  troubles 
mentaux  associés.  Tandis  que,  d'autre  part,  dans  les  cas  où  l'action 
■défectueuse  qui  produit  l'Aphémie  doit  être  rapportée  à  une  lésion 
du  Corps  Strié,  ou  des  centres  articulatoires  inférieurs  du  Bulbe, 
nous  pouvons  nous  attendre  à  avoir  affaire  à  desimpies  troubles  mo- 
teurs, qui  rendront  indistincte  ou  aboliront  complètement  la  Parole 
vocale. 

0  n  va  donner  maintenant  quelques  exemples  de  ces  défauts,  en 
commençant  par  ceux  qui  sont  le  plus  complexes,  et  passant  ensuite 
à  d'autres,  d'une  simplicité  relativement  plus  grande.  Le  premier 
d'entre  eux  est  un  exemple  de  troubles  extrêmes  de  la  coordination, 
combinés  avec  d'autres  conditions  anormales.  Bien  que  compliqué 
.et  obscur,  il  est  trop  intéressant  pour  être  omis. 


APHÉMIE.  2.j9 

Ce  cas  a  été  rapporté,  il  y  a  longtemps,  par  Bouillaud^  L'iiommc 
ne  prononçait  point,  dans  la  règle,  un  simple  jargon  inintelligible;  il 
se  servait  la  plupart  du  temps  de  véritables  mots,  bien  qu'ils  fussent 
de  telle  nature  et  tellement  placés,  qu'ils  n'avaient  aucune  ressem- 
blance avec  ce  qu'il  aurait  dû  dire.  Toutefois,  lorsqu'il  lisait  à 
haute  voix,  il  n'émettait  souvent  qu'un  simple  jargon. 

Lefèvre,  àg'ù  de  cinquante-quatre  ans,  après  une  grande  anxiété  mentale, 
devint  incapable  de  lire,  ou  de  trouver  des  mots  pour  exprimer  ses  pensées. 
Sa  sensibilité  et  ses  facultés  motrices  étaient  intactes,  et  sa  santé  générale 
assez  bonne.  Lorsqu'il  désirait  répondre  aux  questions  qu'on  lui  adressait,  il 
faisait  usage  d'expressions,  soit  tout  à  fait  inintelligibles,  soit  ayant  une 
signification  tout  à  fait  différente  de  ce  qu'elles  devaient  exprimer.  Lorsqu'on 
le  questionnait  sur  sa  santé,  il  répondait  doux  ou  trois  mots  de  droit;  puis, 
pour  dire  qu'il  ne  souffrait  pas  du  tout  de  la  tête,  il  disait  :  Les  doulew,  s 
ordonnent  un  avantage  ;  tandis  qu'en  écrivant,  il  répondait  à  la  môme  ques- 
tion :  Je  ne  souffre  pas  de  la  tête.  Lorsqu'on  prononçait  un  mot  comme  tam- 
bour par  exemple,  et  qu'on  lui  disait  de  le  répéter,  il  disait  fromage;  bien 
qu'il  l'écrivît,  au  contraire,  tout  à  fait  correctement,  lorsqu'on  le  lui  deman- 
dait. On  le  pria  de  copier  les  mots  feuille  médicale  :  il  les  écrivit  parfaite- 
ment, mais  ne  put  jamais  lire  exactement  les  mots  qu'il  venait  d'écrire  ;  il 
prononçait  féquicale,  fénicale  et  fédocale.  Puis,  comme  on  lui  faisait  lire  le  mot 
féquicale,  écrit  par  lui-même,  il  le  prononça  jardait.  Il  écrivait  souvent  sur 
du  papier  des  phrases  inintelligibles,  soit  par  la  nature  des  mots  employés, 
soit  par  leur  manque  de  relation  entre  eus.  Lorsqu'on  lui  montrait  divers 
objets,  il  les  nommait  en  général  correctement;  mais  il  se  trompait  parfois  et, 
dans  la  même  séance,  il  appela  une  plume,  un  drap;  un  crachoir,  niiQ plume; 
une  main,  une  tosse;  une  corde,  une  main;  une  bague,  un  crachoir. 

Ce  cas  est  compliqué,  et  il  y  avait  plusieurs  troubles  mentaux 
fort  distincts.  Le  Centre  Visuel  semble  avoir  été  presque  intact  :  de  là 
vient  que  le  malade  était  capable  de  copier  correctement.  Le  fait 
toutefois  de  dire  fromage  quand  on  le  priait  de  répéter  le  mot  tam- 
bour, bien  qu'il  écrivît  le  mot  très  correctement,  et  le  fait  qu'après 
avoir  convenablement  copié  un  mot  écrit  il  ne  pouvait  le  prononcer 
de  droit,  peuvent  faire  supposer  que  les  impressions  reçues  dans  le 
Centre  Auditif  des  Mots  pouvaient  se  rendre  correctement  au  Centre 
Visuel  des  Mots,  de  manière  à  permettre  à  leur  équivalent  d'être 
convenablement  reproduit  par  l'écriture  ;  mais  que  les  impressions, 
arrivant  tout  d'abord  aux  Centres  Auditifs,  ou  leur  arrivant  par  les 
Centres  Visuels  des  Mots  ne  pouvaient  être  correctement  rendues 
par  la  parole  articulée.  On  doit  donc  conclure  qu'il  y  avait,  dans  ce 
cas,  moins  un  défaut  du  Centre  Auditif  des  Mots,  que  quelque  chose 
de  défectueux  dans  une  portion  des  conducteurs  émissifs  se  rendant, 

I.  Traité  de  l'Encéphalite,  18-26,  p.  290. 


260         RELATIONS  DE   LA  PAROLE  ET  DE  LA  PENSÉE. 

de  là,  en  passant  par  les  Centres  Kinesthétiques,  aux  centres  moteurs 
de  l'Articulation  —  ce  qui  amenait  une  association  (incoordonnéel 
des  activités  du  Centre  Auditif  des  Mots,  avec  de  faux  Mouvements 
d'Articulation. 

Ce  défaut  était  donc,  par  ses  relations  avec  la  Parole,  fort  compa- 
rable à  ceux  qui  existent,  relativement  à  l'Écriture,  dans  les  casd'A- 
graphie  rapportés  par  le  docteur  Jackson  et  l'auteur,  et  donnés  dans 
le  dernier  paragraphe.  Le  cas  était,  toutefois,  compliqué  par  des 
troubles  Amnésiques  considérables,  du  type  incoordonné,  se  montrant 
à  la  fois  dans  la  Parole  et  l'Écriture,  bien  que  plus  fréquemment 
dans  la  première. 

Dans  un  autre  cas  fort  remarquable,  soigneusement  étudié  et  rap- 
porté par  le  D''  Osborn^,  le  malade  n'était  capable  de  parler 
qu'un  jargon  inintelligible;  et,  en  essayant  de  lire  à  haute  voix,  il 
émettait  aussi  une  série  de  sons  articulés  n'ayant  aucune  signifi- 
cation intelligible  ni  aucune  ressemblance  avec  ce  qu'il  aurait  dû 
dire.  Voici  quelques-unes  des  principales  particularités  de  ce  cas  : 

Un  étudiant  de  Trinity-College,  à  Dublin,  âgé  de  vingt-six  ans,  ayant  des 
connaissances  littéraires  fort  étendues,  et  très  versé  dans  l'étude  du  français, 
de  l'italien  et  de  l'allemand,  fut  brusquement  frappé  d'une  attaque  d'apo- 
plexie, pendant  qu'il  déjeunait  après  avoir  pris  un  bain  dans  un  lac  du  voisi- 
nage. On  dit  qu'il  reprit  ses  sens  en  une  quinzaine  de  jours  environ;  mais,  bien 
qu'il  eût  recouvré  l'usage  de  son  intellect,  il  eut  la  douleur  de  se  trouver 
privé  de  la  parole.  Il  parlait  :  mais  ce  qu'il  disait  était  absolument  inintelli- 
gible, bien  qu'il  ne  souffrît  d'aucune  sorte  de  paralysie;  et  il  émettait  une 
grande  variété  de  syllabes  avec  la  facilité  la  plus  grande  en  apparence. 
Lorsqu'il  vint  à  Dublin,  son  jargon  extraordinaire  le  fit  regarder  comme  un 
étranger, à  l'hôtel  où  il  était  descendu;  et,  lorsqu'il  alla  à  Trinity-College  pour 
voir  un  ami,  il  fut  incapable  de  dire  au  portier  ce  qu'il  désirait,  et  n'y  réussit 
qu'en  montrant  les  appartements  que  son  ami  avait  occupés. 

Le  D''  Osborn,  après  l'avoir  fréquemment  examiné  avec  soin,  s'assura 
des  particularités  suivantes  : 

1°  Le  malade  comprenait  parfaitement  tout  ce  qu'on  lui  disait. 

2"  Il  comprenait  parfaitement  le  langage  imprimé.  Il  continuait  à  lire  un 
journal  chaque  jour;  et,  lorsqu'on  l'examinait,  on  voyait  qu'il  se  souvenait 
parfaitement  de  tout  ce  qu'il  avait  lu.  S'étant  procuré  un  exemplaire  français 
de  la  «  Pathologie  »  d'Andral,  il  le  lut  avec  beaucoup  d'entrain;  ayant  récemment 
eu  l'intention  d'embrasser  la  profession  médicale. 

3"  Il  exprimait  ses  idées,  par  l'écriture,  avec  beaucoup  de  facilité;  et,  lors- 
qu'il n'y  réussissait  pas,  cela  semblait  provenir  simplement  d'une  confusion,  et 
non  d'une  inaptitude  ;  car  les  mots  étaient  orthographiquement  corrects,  bien 
que  parfois  mal  placés. 

4°  Ses  facultés  mentales,  en  général,  paraissaient  intactes.  Il  écrivait  cor- 

1.  Dublin  Journal  of  Médical  and  Chemical  Science,  vol.  IV,  p.  157. 


APHÉMIE    SIMPLE.  261 

rectement  des  réponses  à  des  questions  historiques;  il  traduisait  exactement 
des  phrases  latines,  additionnait  ou  soustrayait  des  nombres  de  désinences 
différentes,  avec  une  facilité  peu  commune;  et  jouait  bien  au  jeu  do  dames. 

5"  Sa  faculté  de  répéter  les  mots  après  une  autre  personne,  était  presque 
confinée  à  certains  monosyllabes  ;  et,  en  répétant  les  lettres  de  l'alphabet, 
il  ne  pouvait  jamais  prononcer  k,  q,  u,  v,  w,  x  et  z,  bien  qu'il  émît  souvent 
ces  sons  en  essayant  de  prononcer  d'autres  lettres.  Il  ne  pouvait  aussi,  que 
fort  rarement,  prononcer  la  lettre  i. 

6°  Pour  s'assurer  de  l'imperfection  particulière  de  langage  présentée  par 
ce  malade,  et  pouvoir  la  décrire,  le  D'  Osborn  choisit,  et  mit  devant  ses  yeux 
la  phrase  suivante  du  règlement  du  Collège  of  Physicians.  «  U  shall  be  in  the 
power  of  the  Collège  ta  examine  or  not  examine  any  Licenciate  previous  to 
his  admission  to  a  Felioivship,  as  they  shall  think  lit  ». 

La  lui  ayant  donné  à  lire,  le  malade  lut  ainsi  :  An  the  be  what  in  the 
temother  of  the  trothotodoo  to  majorum  or  that  emidrate  eni  enikrastrai  meS' 
treit  to  ketra  totombreidei  to  ra  fromtreido  as  that  kekritest.  Lo  môme  pas- 
sage lui  fut  présenté  quelques  jours  après;  et  il  le  lut  ainsi  :  Be  mather  be  in 
the  kondreit  of  the  compestret  to  samtreis  amtreit  emtreido  and  temtreido 
mestreiterso  to  his  eftreido  tum  bried  rederiso  of  deid  daf  drit  des  trest. 

Il  savait  généralement  qu'il  parlait  d'une  manière  incorrecte;  bien  qu'il 
fût  tout  à  fait  incapable  de  remédier  à  ce  défaut.  Au  bout  de  huit  mois, 
toutefois,  son  état  s'était  assez  amélioré  pour  qu'il  pût  répéter  la  même 
phrase,  après  le  D''  Osborn,  de  la  manière  suivante.  It  may  be  in  the  power 
of  the  Collège  to  evhavine  or  not  ariatin  àny  licentiate  seviously  to  his  amis- 
sion  to  a  spoloivship  as  they  shall  think  fit.  Peu  de  temps  après,  dit  le 
D"^  Osborn ,  il  répéta  après  moi  cette  même  phrase  parfaitement  bien  ;  à 
l'exception  du  mot  potver,  qu'il  prononçait  constamment  prier.  Il  était  aussi 
capable  de  prononcer  toutes  les  lettres  de  l'alphabet,  excepté  d,  k  et  c.  Il  pro- 
gressa de  cette  manière,  sous  la  direction  du  D''  Osborn,  qui  lui  conseilla  de 
recommencer  à  apprendre  à  parler,  comme  un  enfant,  en  répétant  d'abord  les 
lettres  de  l'alphabet,  puis  les  mots,  après  une  autre  personne;  car  il  avait 
«  perdu,  non  point  la  faculté,  mais  l'art  de  se  servir  de  ses  organes 
vocaux  ». 

Dans  ce  cas  étrange,  mais  fort  intéressant,  il  semble  qu'il  n'y  ait 
eu  aucun  trouble  mental  appréciable.  Il  semble  concevable  qu'un 
désordre  de  la  relation  entre  les  Centres  Auditifs  et  Kinesthétiques 
des  Mots,  ou  bien  un  désordre  de  l'activité  de  ces  derniers  Centres 
eux-mêmes,  puisse  avoir  suffi  à  amener  un  défaut  de  ce  genre. 

Trousseau  rapporte  un  autre  cas  intéressant,  où  il  y  avait  absence 
de  trouble  mental,  et  simplement  impuissance  à  parler.  Il  dit  : 

«Je  reçus  un  jour  dans  mon  cabinet  un  voiturier  des  Halles  de  Paris,  fort 
jeune,  et  ayant  l'apparence  d'un  homme  jouissant  d'une  parfaite  santé.  Il  fit 
signe  qu'il  ne  pouvait  pas  parler;  et  me  remit  une  note  où  était  détaillée 
l'histoire  de  sa  maladie.  Il  avait  écrit  lui-même  cette  note,  d'une  main  très 
ferme,  et  V  avait  bien  rédigée.  Quelques  jours  auparavant,  il  avait  brusquement 
perdu  ses   sens,  et   était   demeuré    inconscient   pendant    près   d'une    heure. 


2G2  RELATIONS  DE  LA   PAROLE   ET  DE   LA  PENSÉE. 

Lorsqu'il  revint  à  lui,  il  ne  présentait  aucun  symptôme  de  paralysie,  7nais  il 
m  pouvait  articuler  un  seul  mot.  Il  remuait  facilement  sa  langue;  avalait 
aisément;  mais,  quelques  efforts  qu'il  fit,  il  ne  pouvait  prononcer  un  mot.  Il  fut 
électrisé,  sans  résultat,  pendant  une  quinzaine  de  jours;  mais,  sans  aucun  trai- 
tement spécial,  il  l'ecouvra  complètement  la  parole,  cinq  ou  six  semaines 
après  l'invasion  de  la  maladie.  Il  est  fort  remarquable,  toutefois,  que,  fendant 
toute  la  durée  de  cette  singulière  affection,  il  put  faire  toutes  ses  affaires,  en 
substituant  l'écriture  à  la  parole.  » 

Ici  l'homme,  étant  absolument  incapable  d'articuler,  était  aussi 
incapable  de  lire  à  haute  voix;  bien  que  nous  puissions  parfai- 
tement supposer  qu'il  comprenait  aisément  ce  qu'il  lisait  en  silence. 
Et  si,  comme  le  pense  l'auteur,  le  malade  ne  souffrait  que  d'un 
trouble  de  la  motricité,  il  n'est  point  aussi  étrange  que  le  suppose 
Trousseau  qu'il,  ait  pu  être  parfaitement  capable  de  diriger  toutes 
ses  affaires. 

Ce  dernier  cas  peut  être  ainsi  interprété  avec  assez  de  confiance, 
à  la  lumière  que  jette  sur  lui  une  autre  observation  plus  récemment 
rapportée  par  le  D'  Bristowe^ 

Un  steward  de  paquebot,  âgé  de  trente-six  ans,  ayant  toujours  joui  d'une 
bonne  santé,  se  trouvait,  le  7  mars  1869,  dans  les  déti'oits  de  Malacca,  lorsqu'il 
se  plaignit  de  mal  de  tête  et  d'un  état  fébrile.  A  cet  état  succéda,  au  bout  de 
quelques  lïeures,  une  série  d'attaques  épileptiformes  très  graves,  et  se  succédant 
rapidement.  Quatre  heures  après  leur  commencement,  il  commença  à  reprendre 
connaissance.  En  revenant  à  lui,  il  se  trouva  couché  sur  le  plancher  de  la 
cabine,  et  reconnut  bientôt  que,  quoiqu'il  put  voir  et  comprendre  ce  qui  se  pas- 
sait, il  était  absolument  incapable  de  remuer  un  membre,  avait  entièrement 
perdu  la  faculté  de  parler,  et  se  trouvait  absolument  sourd.  Il  ne  pouvait 
entendre  un  coup  de  pistolet  tiré  tout  près  de  son  oreille.  11  demeura  en  cet 
état,  a  peu  près  exactement,  jusqu'à  son  arrivée  à  Singapore,  le  20  mars.  A 
cette  époque,  sa  jambe  et  son  bras  droit  étaient  encore  faibles;  sa  jambe  et 
son  bras  gauche  étaient  engourdis,  et  absolument  sans  forces.  Il  avait  beau- 
coup de  difficulté  à  mâcher  sa  nourriture,  et  se  trouvait  encore  absolument 
sourd  et  muet.  Son  état  s'améliora  graduellement  à  l'hôpital  de  Singapore. 
Dans  la  première  semaine,  il  recouvra  l'usage  complet  de  son  côté  droit,  et 
l'ouïe  lui  revint  assez  pour  qu'il  pût  entendre  quand  on  lui  parlait  fort.  L'ouïo 
fut  complètement  rétablie  le  22  avril.  11  recouvra  aussi,  en  grande  partie,  l'usage 
de  son  bras  gauche,  et  sa  santé  générale  s'améliora  d'une  façon  remarquable. 
11  quitta  l'hôpital  au  milieu  du  mois  de  juin  et  fut  embarqué  à  bord  d'un 
voilier  qui  revenait  en  Angleterre.  Le  1''''  novembre,  il  fut  admis  à  Saint-Tho- 
mas Hospital,  encore  muet,  et  traînant  beaucoup  la  jambe  gauche  en  marchant. 

Le  D''  Bristowe  dit  :  «  Trois  jours  après  son  admission,  je  vis  le  malade 
pour  la  première  fois,  et  je  l'eAaminai  avec  assez  de  soin.  Je  reconnus  qu'il 
était  en  parfaite  intelligence,  qu'il  comprenait  tout  ce  qu'on  lui  disait,  pouvait 
bien  lire  et  comprendre  tout  ce  qu'il  lisait;  et  qu'il  pouvait  soutenir  une  con- 

1.  Transactions  of  the  CUnical  Society,  1870,  p.  92. 


APHEMIE    AVEC    PARALYSIE.  263 

versation,  aussi  longue  que  ce  fût,  lui  écrivant  sur  une  ardoise,  et  son  interlo- 
cuteur parlant.  Il  écrivait,  en  effet,  avec  une  facilité  remarquable,  d'une  écri- 
ture excellente  et  fort  lisible,  s'exprimant  avec  une  parfaite  exactitude,  sauf 
parfois  une  erreur  d'orthographe  ou  de  construction,  évidemment  due  au  dé- 
faut d'instruction  première.  Mais  il  ne  pouvait  parler  ni  émettre  un  seul  son 
articulé.  Je  m'assurai  toutefois  qu'il  pouvait  exécuter  avec  ses  lèvres,  sa 
langue  et  ses  joues,  toutes  les  formes  possibles  de  mouvements  volontaires,  et 
qu'il  était  aussi  capable  d'intonations  vocales  ;  en  d'autres  termes,  qu'il  pou- 
vait produire  des  sons  laryngiens  musicaux.  » 

On  enseigna  ensuite  à  ce  malade,  avec  beaucoup  de  soins  et  un  succès 
complet,  à  parler  de  nouveau;  «  bien  qu'il  eût  été  neuf  mois  absolument  sans 
parler,  et  se  crût  lui-même  condamné  à  un  mutisme  sans  espoir.  » 

La  paralysie  bilatérale  qui  existait  d'aboixl,  ainsi  que  la  surdité 
complète  et  d'autres  symptômes,  rendent  presque  certain  que,  daat> 
ce  cas,  le  malade  souffrait  d'une  lésion  située  quelque  part  entre  la 
partie  supérieure  du  Bulbe  et  la  Protubérance.  Une  lésion,  en  ce 
point,  pourrait  causer  la  surdité  complète,  la  paralysie  double,  et 
arrêter  pour  un  temps  les  fonctions  des  centres  articulatoires  infé- 
rieurs. Il  n'y  avait  évidemment  qu'un  simple  trouble  moteur  de  la 
Parole;  et  une  lésion  beaucoup  plus  légère,  sise  à  peu  près  dans  la 
même  région,  ou  un  peu  plus  haut,  pourrait  avoir  donné  naissance  à 
des  symptômes  moindres,  comme  ceux  que  l'on  rencontre  dans  le 
cas  de  Trousseau.  Il  est  possible,  toutefois,  que  ce  dernier  groupe  de 
symptômes  puisse  avoir  été  occasionné  par  une  légère  lésion,  située 
un  peu  plus  haut  dans  le  trajet  des  fibres  motrices  gauches,  —  peut- 
être  dans  le  Corps  Strié,  ou  même  plus  haut,  dans  la  substance 
blanche  interposée  entre  ces  corps  et  les  Centres  Kinesthétiques  des 
Mots. 

On  sait  depuis  longtemps  que  des  lésions  en  ces  poirts,  surtout 
dans  le  pont  de  Varole,  peuvent  rendre  la  parole  fort  difficile  et 
indistincte,  sinon  absolument  impossible.  Un  cas  de  ce  genre,  briè- 
vement rapporté,  et  dans  lequel  une  lésion  considérable  fut  réel- 
lement trouvée  en  ce  point  par  le  docLeur  Wilks,  peut  suffire 
à  finir  d'élucider  ce  paragraphe. 

«Une  dame  fut  prise,  en  dinant, d'une  attaque. EUelnt  relevée  sans  voix  et 
mise  au  lit.  Elle  gisait  la  bouche  ouverte,  et  la  salive  s'en  écoulant  sans  qu'elle 
fût  capable  de  l'avaler,  ou  de  i^arler.  Il  ne  semblait  pas  y  avoir  de  paralysie 
des  membres;  et,  d'après  ses  gestes  et  l'expression  de  sa  figure,  il  y  avait  tout 
lieu  de  croire  qu'elle  avait  sa  parfaite  connaissance.  Elle  fut  bientôt  capable 
de  quitter  le  lit,  mais  ne  se  remit  jamais  de  la  paralysie  de  la  langue  et  du 
palais.  Elle  écrivait  sur  une  ardoise  tout  ce  dont  elle  avait  besoin.  Elle  ava- 
lait difficilement,  et  la  salive  s'écoulait  continuellement  de  sa  bouche;  mais 
elle  était  capable  de  faire  à  pied  trois  ou  quatre  milles  dans  sa  journée,  et 
avait  coutume  de  se  joindre  à  un  jeu  de  cartes.  Environ  deux  ans  après  la 


264         RELATIONS   DE  LA    PAROLE  ET  DE  LA  PENSÉE. 

première  attaque,  elle  en  eut  une  autre  dans  laquelle  elle  mourut.  A  l'au- 
topsie, on  trouva  les  vaisseaux  cérébraux  fort  malades;  beaucoup  de  sang,  qui 
s'était  échappé  de  la  protubérance,  était  répandu  à  la  base.  Dans  la  protu- 
bérance se  trouvait  un  ancien  kyste  brunâtre.  Les  ganglions  centraux  étaient 
sains. 

Si  l'interprétation  précédente  de  l'Aphémie  était  reconnue  véri- 
table, elle  donnerait  une  explication  simple  d'une  série  de  cas  que 
beaucoup  de  personnes  ont  estimés  surprenants,  comme  le  faisait 
Trousseau.  Ce  que  l'on  a  dit  sur  le  sujet  aura  suffi  à  montrer  leur 
parenté  avec  les  cas  dans  lesquels  il  n'y  a  indiscutablement  qu'une 
simple  difficulté  d'articulation,  soit  compliquant  une  attaque  ordi- 
naire d'Hémiplégie,  soit  dépendant  d'une  dégénérescence  du  Bulbe, 
connue  sous  le  nom  de  paralysie  glosso-laryngée.  Ce  terme  d'Aphé- 
mie  (la  maladie  pouvant  être  «  complète  »  ou  «  incomplète  »)  est  assez 
large  pour  embrasser  toutes  ces  variétés  de  perte  simple  de  la 
Parole,  ou  de  difficulté  d'Articulation. 


CHAPITRE   XXX 


AUTRES    PROBLÈMES    RELATIFS    A    LA    LOCALISATION 
DES    FONCTIONS    CÉRÉBRALES    SUPÉRIEURES. 


L'étude  des  divers  troubles  de  la  Parole  et  de  TExpression  Intel- 
lectuelle en  général,  produits  par  une  Maladie  Cérébrale,  est,  sous 
beaucoup  de  rapports,  d'une  grande  importance.  Une  accumulation 
de  faits,  observés  avec  plus  ou  moins  de  soin,  doit  presque  nécessai- 
rement précéder  toute  tentative  d'analyser  et  de  classer  ces  divers 
troubles.  Les  observateurs  qui  viendront  plus  tard  travailleront 
mieux,  et  avec  plus  de  chances  de  succès,  dans  deux  directions.  Ils 
auront  mieux  appris  comment  il  faut  observer  ces  cas  :  c'est-à-dire 
ce  que  l'on  doit  spécialement  rechercher,  comme  aptitude  ou  im- 
puissance, chez  la  personne  atteinte;  et  ils  pourront,  toutes  les  fois 
que  des  troubles  mentaux  précis  auront  été  reconnus  et  notés  durant 
la  vie,  remarquer,  avec  plus  d'espoir  d'arriver  à  un  résultat  scienti- 
fique, la  région  exacte  du  Cerveau  qui  a  été  le  siège  de  la  lésion. 

L'erreur  qui  consiste  à  réunir  ensemble,  sous  un  seul  nom  comme 
«  Aphasie»,  toutes  les  variétés  de  «pertes  de  la  parole  »,  puis  de  re- 
jeter absolument  les  doctrines  de  la  Localisation  Cérébrale,  sous  pré- 
texte que,  dans  ces  cas  dissemblables,  les  lésions  n'ont  pas  toujours 
été  trouvées  dans  le  même  point  du  Cerveau,  cette  erreur  est  mani- 
feste et  absurde  ;  et  cependant,  elle  a  été  répétée  trop  souvent  dans 
ces  dernières  années.  Même  un  médecin  aussi  accompli  que  Trous- 
seau parla  d'un  cas  démonstratif  d'Amnésie  comme  d'un  exemple 
typique  d'Aphasie,  et  basa  en  grande  partie  son  explication  de  l'état 
Aphasique  sur  les  phénomènes  qui  le  caractérisaient.  Ce  groupement, 
sous  un  seul  nom,  de  troubles  absolument  dissemblables,  et  la  con- 
fusion qu'il  créait,  devaient  assurément,  aussi  longtemps  qu'ils  ont 
duré,  entraver  toute  tentative  de  Localisation  Cérébrale. 

Il  est  donc  absolument  nécessaire,  pour  faire  de  nouveaux  pro- 
grès relativement  à  la  «  Localisation»  des  Fonctions  Cérébrales  supé- 
rieures, d'apprendre  d'abord  avec  soin  à  discerner  l'un  de  l'autre, 
pendant  la  vie,  les  différents  troubles  de  la  Parole;  et  ensuite,  lorsque 


260  LOCALISATION  DES   FONCTIONS  CEREBRALES. 

les  occasions  se  présentent,  d'observer  et  de  noter  la  situation  des 
lésions,  surtout  dans  les  cas  typiques  et  non  compliqués. 

jNous  allons  donner  maintenant  quelques  courts  détails  addition- 
nels (outre  ceux  que  l'on  a  jugé  à  propos  de  mentionner  dans  le 
dernier  chapitre]  sur  l'étendue  des  connaissances  déjà  acquises  dans 
cette  seconde  sphère  d'observation  et  d'induction,  —  qui,  bien 
qu'elle  ne  soit  pas  pour  le  moment  aussi  étendue  que  l'autre,  com- 
prend néanmoins  quelques  faits  d'un  genre  assez  étonnant. 

En  1825,  Bouillaud'  affirma  que  les  Lobes  Frontaux  du  Cerveau 
étaient  les  parties  principalement  en  rapport  avec  la  Parole;  parce 
que,  dit-il,  ce  sont  les  organes  «  de  la  formation  et  du  souvenir  des 
mots,  ou  signes  principaux  qui  représentent  nos  idées  ».  Il  avait 
recueilli  ll/i  observations  de  maladie  des  Lobes  Frontaux  accom- 
pagnée de  perte  ou  de  trouble  de  la  Parole;  et  c'est  sur  ces  obser- 
vations qu'il  établissait  ses  vues. 

Toutefois,  en  1833,  Andral  rapporta  lli  cas  où  la  Parole  était  abolie, 
sans  qu'il  y  eût  aucune  altération  des  Lobes  Frontaux,  mais  avec 
lésion  daus  les  Lobes  Pariétaux  ou  Occipitaux. 

En  1836,  le  docteur  Marc  Dax  appela  l'attention  sur  la  grande 
fréquence  des  pertes  de  la  Parole  associées  à  de  la  Paralysie  droite, 
plutôt  que  gauche.  Le  titre  de  son  essai  était  :  Lésions  of  the  left 
half  of  the  Brain,  coincidincj  with  the  loss  of  memonj  of  the  Signs  of 
Thought^.  Pour  étayer  son  opinion,  que  la  perte  de  la  Parole  dépen- 
dait principalement  de  lésions  de  la  moitié  gauche  du  Cerveau,  le 
docteur  Dax  apportait  l/iO  observations. 

Mais,  en  1861,  Broca  *  alla  encore  plus  loin.  Tandis  qu'il  affirmait, 
avec  le  docteur  Marc  Dax,  que  l'Hémisphère  gauche  était  celui  qui 
était  le  plus  en  rapport  avec  la  Parole  articulée,  il  fixa,  d'une 
manière  précise,  le  siège  de  la  lésion  produisant  l'état  que  nous 
appelons  aujourd'hui  Aphasie,  dans  la  partie  postérieure  de  la  troi- 
sième circo7ivolution  frontale  de  l'hémisphère  gauche. 

Cette  opinion,  originairement  basée  sur  un  fort  petit  nombre  de 
cas,  fut  reçue  d'abord  avec  la  plus  grande  surprise  et  le  plus  grand 
scepticisme.  Beaucoup  jugèrent  fort  improbable  qu'une  faculté 
comme  la  Parole  dût  dépendre  d'une  petite  portion  de  l'un  seu- 
lement des  deux  Hémisphères  Cérébraux.  Cependant,  les  observations 
qui  se  sont  accumulées  depuis  dix-huit  ans,  ont  amené  la  plupart  de 
ceux  qui  ont  le  plus  de  titres  à  juger  la  question,  à  regarder  la  loca- 
lisation indiquée  par  Broca  comme  correcte  en  un  certain  sens;  et 

1.  Traité  del'Eneéphalile,  p.  284. 

2.  Republié  dans  la  Gazette  hebdomadaire  du  28  avril  1865. 

3.  Bulletin  de  la  Société  Anatomique,  août  et  novembre  1861. 


LOCALISATION  DE  LA  FACULTÉ  DE  PARLER. 


2G7 


à  penser  que  dans  V Aphasie  réellement  typique,  on  trouve  que,  dans 
la  grande  majorité  des  cas,  la  lésion  comprend  la  partie  postérieure 
de  la  troisième  circonvolution  frontale  gauche,  ou  bien  la  substance 
blanche  immédiatement  sous-jacente,  et  interposée  entre  cette  cir- 
convolution et  le  Corps  Strié.  La  raison  poqr  laquelle  des  lésions  sié- 
geant en  d'autres  points  peuvent,  d'après  leur  situation,  amener, 
parfois  ou  toujours,  un  état  de  mutisme  plus  ou  moins  semblable, 
est  une  question  sur  laquelle  nous  espérons  jeter  un  peu  plus  de 
lumière  dans  le  présent  chapitre. 

On  rapporte  beaucoup  de  cas  dans  lesquels  une  lésion  de  la 
partie  postérieure  de  la  troisième  circonvolution  frontale  de  l'Hé- 
misphère droit  a  existé,  sans  produire  aucune  perte  de  la  Parole. 

^/  ^.)^^ 

FiG.  184.        _.. ,..    -   .     .  une  lésion 

dans  la  partie  postérieure  de  la  troisième  Circonvolution  frontale  (Prévost). —  Voyez 
Nature,  16  mars  1876,  p.  400. 

De  sorte  que  nous  avons  à  la  fois  une  preuve  positive  et  négative  en 
faveur  de  l'association,  indiquée  par  Broca,  entre  la  faculté  de  Parler 
et  l'intégrité  de  la  troisième  circonvolution  frontale  ^awc/îe;  surtout 
si  nous  étendons  en  profondeur  la  région  désignée  par  lui,  de 
manière  à  lui  faire  comprendre  les  fibres  elTérentes  qui  partent  de 
cette  portion  de  la  troisième  circonvolution  frontale. 

Toutefois,  il  est  vrai  aussi  que,  dans  un  petit  nombre  de  cas  où  il 
existait  un  état  semblable  d'impossibilité  de  Parler,  on  trouve  une 
lésion  dans  les  parties  correspondantes  de  l'Hémisphère  droit.  Dans 
quelques-uns  de  ces  cas  exceptionnels,  les  malades  avaient  été  gau- 
chers; bien  que,  chez  d'autres,  on  ne  pût  même  trouver  cette  raison 
pour  le  changement  de  côté.  L'auteur  a  lui-même  rencontré  un  cas 
tout  à  fait  typique  de  ce  genre,  mais  il  est  important  de  remarquer 
que,  même  dans  ces  cas  fort  exceptionnels,  bien  que  le  côté  affecté 
fût  différent,  la  Parole  fut  égalememt  perdue  par  suite  d'une  lésion 


268  LOCALISATION  DES  FONCTIONS  CÉRÉBRALES. 

unilatérale  de  la  même  région  définie,  et  extrêmement  limitée,  de 
THémisphère. 

Il  suivrait  de  là  que  les  incitations  motrices,  suffisantes  pour  mettre 
en  jeu  les  centres  articulatoires  pendant  la  Parole,  partent,  dans  la 
grande  majorité  des  cas,  de  la  troisième  circonvolution  frontale  du 
côté  gauche;  bien  que,  chez  une  faible  minorité  de  personnes,  il 
puisse  arriver  que  les  stimuli  moteurs  effectifs  partent,  au  contraire, 
de  la  troisième  circonvolution  frontale  droite.  Les  moitiés  des  Centres 
Articulatoires  bilatéraux  situés  dans  la  Protubérance,  le  Bulbe,  et  la 
partie  supérieure  de  la  Moelle,  sont  tellement  unies  ensemble  par 
des  commissures,  que  chacune  d'elles  constitue  pratiquement  un 
Centre  double.  Et  elles  peuvent  être  (à  la  manière  de  Centres  bilaté- 
raux de  ce  genre)  mises  en  jeu  par  des  stimuli  venant,  à  travers 
le  Corps  Strié,  soit  de  l'Hémisphère  gauche,  soit  de  l'Hémisphère 
droit;  —  bien  qu'en  fait,  comme  on  l'a  établi  ci-dessus,  ces  stimuli 
semblent  y  arriver,  chez  la  grande  majorité  des  personnes,  du  côté 
gauche  du  Cerveau. 

Mais,  si  les  muscles  agissant  bilatéralement  sont  toujours  associés 
à  des  Centres  bilatéraux  étroitement  unis,  et  si  ces  Centres  peuvent 
généralement  être  mis  en  jeu  par  des  stimuli  y  arrivant  de  l'un  ou 
l'autre  côté  du  Cerveau,  ou  dés  deux  à  la  fois;  alors,  le  mode  habituel 
d'excitation  des  Centres  de  la  Parole  et  des  muscles  en  relation 
avec  eux,  par  des  stimuli  venant  du  côté  gauche,  doit  être  regardé 
comme  une  particularité  remarquable. 

Il  y  a  toutefois  quelque  raison  de  croire  que,  si  les  conducteurs 
efférents  du  côté  gauche  ont  été  lésés  (de  sorte  que  la  Parole  soit 
perdue),  la  route  pour  des  stimuli  venant  de  la  troisième  circonvo- 
lution frontale  droite  aux  Corps  Striés  peut,  dans  certaines  circon- 
stances, être  ouverte  d'une  manière  plus  effective;  de  sorte  que  le 
malade  puisse,  au  bout  d'un  certain  temps,  recouvrer  la  faculté  de 
Parler.  En  pareil  cas,  les  stimuli  se  rendraient  sans  doute  plutôt 
au  côté  droit  qu'au  côté  gauche  des  Centres  Articulatoires  inférieurs 
bilatéraux. 

Broadbent  maintient  en  effet  que,  dans  la  règle,  la  perte  de  la 
Parole  n'est  que  temporaire  avec  des  lésions  du  Corps  Strié  gauche, 
ou  des  parties  des  fibres  efférentes  venant  de  la  troisième  circonvo- 
lution frontale  qui  sont  contiguës  à  ce  corps.  Et  il  essaye  ingénieu- 
sement d'expliquer  sa  restauration  supposée  rapide  dans  les  cas  de 
ce  genre.  Si  la  troisième  circonvolution  frontale  gauche  est  elle- 
même  intacte,  et  si  les  fibres  du  Corps  Calleux  qui  s'étendent  entre 
elle  et  la  troisième  circonvolution  frontale  droite  sont  également 
intactes,  les  stimuli  centrifuges,  ne  pouvant  plus  suivre  leur  route 
ordinaire,  pourront,  à  ce  qu'il  pense,  trouver  un  chemin  détourné  de 
la  troisième  circonvolution  frontale  gauche  à   son  homologue  de 


IDÉES   DE    BROADBEjNT.  2G0 

droite,  et  descendre  de  là  au  Corps  Strié  du  côte  droit  *.  Dans  ces 
cas,  la  perte  de  la  Parole  pourrait  n'exister  que  quelques  semaines, 
jusqu'à  ce  que  la  nouvelle  route  fût  tout  à  fait  ouverte,  et  le  nouveau 
mode  d'action  absolument  établi  ^.  Il  est  toutefois  difficile  de  com- 
prendre comment  l'éducation  antérieure  et  l'organisation  de  ce 
Corps  Strié  droit  peuvent  avoir  été  amenés  au  point  nécessaire  pour 
lui  permettre  d'assumer  rapidement  ces  fonctions;  si,  pour  prendre 
la  supposition  la  plus  favorable,  il  n'a  reçu  précédemment  que  des 
stimuli  faibles  et  non  suivis  d'effet. 

Il  y  a  aussi  des  difficultés  à  l'acceptation  d'une  partie  du  raison- 
nement sur  lequel  la  théorie  est  basée. 

Broadbent  dit  :  «  Dans  ses  premiers  efforts  pour  parler,  l'enfant 
est  influencé  par  l'imitation  et  guidé  par  l'oreille;  c'est-à-dire,  de 
même  que  le  groupement  des  cellules  motrices  de  la  moelle  s'effectue 
par  les  cellules  sensitives,  par  des  prolongements  cellulaires  se  ren- 
dant des  noyaux  postérieurs  aux  noyaux  antérieurs  des  nerfs;  de 
même,  les  groupements  de  cellules  dans  le  corps  strié  s'effectueront 
par  les  cellules  du  centre  perceptif  auditif,  au  moyen  de  fibres 
réunissant  ensemble  les  deux  centres...  Et,  de  même  que  les  noyaux 
moteurs  de  la  moelle  peuvent  encore  être  employés  dans  les  actions 
réflexes  par  les  noyaux  sensitifs,  aussi  bien  qu'ils  le  sont  dans  le  mou- 
vement volontaire  par  les  fibres  qui  descendent  du  corps  strié;  de 
même,  les  groupes  des  mots,  situés  dans  le  corps  strié,  peuvent  être 
mis  en  jeu  imitativement  par  le  centre  perceptif  auditif,  aussi  bien 
que  par  la  troisième  circonvolution  frontale.  »  Il  suppose,  en  consé- 
quence, qu'il  y  a  une  double  action,  d'un  caractère  consensuel,  de  la 
part  des  deux  Centres  Auditifs  et  que,  dans  les  premiers  processus 
imitatifs  de  la  Parole,  ces  parties  réagiraient  toutes  deux  sur  leurs 
Corps  Striés  respectifs.il  y  a  aussi,  pense-t-il,  une  action  supérieure 
ou  volitionnelle,  unilatérale,  commandée  par  la  troisième  circonvo- 
lution frontale  gauche,  —  action  qui  est  unilatérale,  parce  que,  dit- 
il,  «  l'Hémisphère  gauche  reçoit  seul  l'éducation  pour  l'expression 
intellectuelle  ». 

Mais  les   actes  Sensori-Moteurs   et  Idéo-Moteurs  de  la  Parole 

1.  L'impuissance  où  se  trouve  une  personne  Aphasique  d'apprendre  à  Parler 
du  côté  droit  du  Cerveau,  se  trouverait  ainsi  dépendre  de  conditions  précisément 
analogues  à  celles  qui  amènent,  dans  une  Hémiplégie  droite,  une  impuissance 
d'apprendre  à  Écrire  de  la  main  gauche  (c'est-à-dire  du  côté  droit  du  Cerveau). 
La  Parole  serait  impossible  si  le  Centre  Auditif,  et  l'Écriture  si  le  Centre  Visuel 
de  l'Hémisphère  gauche  étaient  détruits  ;  ou  des  impuissances  semblables 
existeraient,  si  les  fibres  du  Corps  Calleux,  réunissant  respectivement  l'un  ou 
l'autre  de  ces  Centres  gauches  au  Centre  correspondant  de  l'Hémisphère  opposé, 
étaient  rompues  par  la  maladie. 

2.  British  Médical  Journal,  8  avril  1876,  p.  435. 


270  LOCALISATIOIN   DES  FOîNCTIOiNS  CÉRÉBRALES. 

dépendent  de  processus  qui  ont  lieu  (d'une  manière  légèrement 
différente)  identiquement  dans  les  mêmes  régions  cérébrales,  —  et 
ceux-ci  correspondraient  avec  ce  que  Broadbent  appelle  les  modes 
imilatifs  de  la  Parole.  Cependant,  comme  l'auteur  !3''est  déjà  efforcé 
de  le  montrer  (p.  170-176),  on  ne  saurait  établir  de  démarcation 
valable  entre  les  actes  Idéo-moteurs  et  les  actes  Volontaires  de  la 
Parole  ;  et  la  distinction  que  l'on  attribue  à  ceux-ci,  par  l'addition 
d'une  «  émotion  de  désir  »,  ne  rend  pas  moins  nécessaire  que  le 
stimulus  efférent  parte  originairement  du  Centre  Auditif;  il  n'y  a 
non  plus  aucune  preuve  distincte  que,  dans  la  Parole  imitative,  les 
incitations  ne  trouvent  pas,  comme  dans  la  Parole  Volontaire,  leur 
chemin  de  sortie  par  la  troisième  circonvolution  frontale.  En  réalité, 
nous  avons  tout  lieu  de  croire  que  la  route  du  Centre  Perceptif 
Auditif  au  Corps  Strié  est  unique,  et  toujours  la  même  pour  tous  les 
genres  de  Parole,  que  le  mode  d'incitation  puisse  être  strictement 
imitatif,  Idéo-moteur,  ou  nettement  Volitionnel. 

Cette  dernière  conclusion  se  trouve  d'accord  avec  les  preuves 
que  nous  fournissent  les  maladies.  Aucun  fait  n'a  été  établi  d'une 
manière  plus  certaine,  relativement  aux  malades  Aphasiques,  que 
celui  qu'il  existe  une  perte,  non  seulement  de  la  Parole  Volontaire, 
mais  aussi  de  la  Parole  Idéo-motrice  et,  exactement  au  même  degré, 
de  la  Parole  imitative.  Un  malade  réellement  Aphasique  ne  saurait 
imiter  le  plus  simple  mot  ou  le  son  de  la  voyelle  la  plus  simple, 
qu'il  vient  d'entendre  à  l'instant  même  ;  il  ne  le  fait  même  pas  sans 
qu'on  le  lui  demande,  et  comme  un  simple  écho,  de  la  manière  réflexe 
la  plus  purement  imitative. 

D'autres  encore  ont  supposé  qu'il  existe  une  route  séparée,  par 
où  des  stimuli  Émotionnels  peuvent  être  transmis  aux  centres  infé- 
rieurs du  Langage  Articulé,  situés  dans  la  Protubérance  et  le  Bulbe, 
sans  passer  par  le  Corps  Strié  ;  et  cela,  simplement  parce  que  les 
malades  Aphasiques  prononcent  parfois  de  nouvelles  interjections, 
comme  des  jurements,  ou  des  phrases  comme  «  Oh  dear!  »  «  Thanks!  » 
et  autres  exclamations  simples,  sous  l'influence  d'un  stimulus  Émo- 
tionnel puissant.  Toutefois,  même  pour  ce  genre  de  connexion,  il 
n'existe  pas  de  preuve  indépendante  (voy.  p.  19/i)  ;  et  peut-être 
que  les  faits  peuvent  aussi  bien  s'expliquer  en  supposant  que  des 
stimuli  Émotionnels  d'une  énergie  plus  grande,  ou  qui  émanent 
d'une  aire  plus  vaste,  peuvent  occasionnellement  se  frayer  une 
route  à  travers  des  conducteurs  en  mauvais  état,  dont  la  résistance 
ne  saurait  être  vaincue  par  de  simples  stimuli  Volitionnels. 

Quant  aux  causes  qui  ont  déterminé  l'influence  plus  grande  ou 
presque  exclusive  de  l'Hémisphère  gauche  dans  l'excitation  des 
mouvements  de  la  Parole,  on  ne  peut  offrir  que  des  conjectures. 
On  a  pensé  qu'un  certain  état  de  développement  plus  avancé  de 


LOCALISATION   DE  LA  PAROLE,  A   GAUCHE.  271 

l'Hémisphère  gauche,  —  comme  résultat  d'un  usage  héréditaire  delà 
main  droite,  se  succédant  de  génération  en  génération,  —  pourrait 
graduellement  devenir  suffisant  pour  amener  l'Hémisphère  gauche  à 
prendre  la  direction  des  mouvements  de  la  Parole.  11  existe  quelques 
preuves  —  bien  que  très  peu  nombreuses  encore  —  que  ce  sont 
les  gauchers,  plus  spécialement,  qui  deviennent  Aphasiques  à  la  suite 
de  lésions  de  la  troisième  circonvolution  frontale  droite.  Il  est  pra- 
tiquement certain,  assurément,  que  la  grande  prépondérance  des 
mouvements  de  la  main  droite,  chez  les  individus  ordinaires,  doit 
tendre  à  produire  une  organisation  plus  complexe  de  l'Hémisphère 
gauche  que  du  droit;  et  ceci  à  la  fois  dans  ses  régions  sensitives  et 
dans  ses  régions  motrices.  Nous  pouvons,  en  sécurité,  supposer  en 
lui  l'existence  de  la  base  organique  d'une  expérience  tactile  beau- 
coup plus  grande  et  plus  complexe;  et,  comme  les  mouvements  du 
bras  et  de  la  main  droite  sont  plus  fréquents,  à  la  fois  comme  fac- 
teurs associés  de  cette  expérience,  et  d'autres  façons  aussi,  nous 
avons  également  le  droit  de  nous  attendre  à  ce  que  les  Centres 
Kinesthétiques  soient,  de  même,  développés  à  un  degré  notablement 
plus  grand  dans  l'Hémisphère  gauche.  Et,  naturellement  aussi,  les 
mécanismes  nerveux  pour  les  mouvements  auxquels  sont  associées 
ces  impressions  sensitives,  seraient  beaucoup  plus  complexes  dans 
le  Ganglion  Moteur  de  l'Hémisphère  gauche  que  dans  celui  de 
l'Hémisphère  droit. 

En  outre^  il  y  a  nombre  d'années  que  l'auteur  s'est  assuré  d'un 
fait,  qui  paraissait  à  l'époque  fort  difficile  à  comprendre,  —  c'est  que 
le  poids  spécifique  de  la  Substance  Grise  corticale  du  Cerveau,  dans 
les  régions  frontale  pariétale  et  occipitale  gauches,  est  souvent  net- 
tement, bien  que  légèrement,  plus  élevé  que  celui  de  la  substance 
grise  des  régions  correspondantes  de  l'Hémisphère  droit  ^.  Mais  cet 
accroissement  de  poids  spécifique  pourrait  être  produit  par  l'exis- 
tence d'un  plus  grand  nombre  de  cellules  et  de  fibres  commissu- 
rales,  que  les  fonctions  extra-sensitives  et  dérivatives,  dont  on  a 
parlé  ci-dessus,  entraîneraient  probablement-. 

Après  avoir  considéré  quelques-unes  des  questions  de  «  localisation 
cérébrale  »  relatives  à  la  production  de  l'Aphémie,  de  l'Agraphie  et 
de  l'Aphasie,  il  faut  dire  maintenant  quelque  chose  du  siège  des  lésions 
qui  produisent  les  états  fort  variés  compris  sous  le  nom  d'AMNÉsiE. 

Nos  connaissances  sur  ce  point  sont,  jusqu'ici,  assez  vagues  et 
indéfinies;  puisque  ce  n'est  que  tout  récemment  que  l'on  a  généra- 

4.  Voyez  un  travail  On  the  Spécifie  Gravity  ofthe  Human  Brain,  in  Journal 
of  Mental  Science.  1866,  p.  28-32. 
2.  Voyez  aussi  p.  55-58. 


272  LOCALISATION  DES   FONCTIONS  CÉRÉBRALES. 

lement  reconnu  la  nécessité  de  ne  point  confondre  ces  cas  avec 
ceux  d'Apliasie.  En  outre,  on  n'a  pas  fait  jusqu'ici  de  tentative 
distincte  pour  analyser  et  classer  les  divers  états  compris  sous  ce 
seul  terme  d'Amnésie.  Les  travailleurs  futurs  en  sauront  bientôt, 
sans  doute,  beaucoup  plus  sur  ce  sujet  :  surtout  lorsque  l'examen 
des  cas  sera  plus  approfondi,  et  entrepris  plus  systématiquement  ^ 

Toutefois,  ce  que  nous  savons  des  états  Amnésiques,  ainsi  que  de 
la  distribution  des  fibres  «  centripètes  »  dans  leur  passage  de  la  base 
du  Cerveau  aux  Circonvolutions,  nous  permet  déjà  de  désigner,  à  peu 
près,  l'endroit  où  des  lésions  ou  des  blessures  amèneraient  probable- 
ment des  troubles  de  ce  type  dans  la  Parole  et  l'Écriture. 

Des  lésions  des  circonvolutions,  vers  Vexlrémité  postérieure  de 
la  Scissure  de  Sylvius  de  l'Hémisphère  gauche,  seraient  probable- 
ment aussi  efficaces,  pour  produire  une  quelconque  des  variétés 
d'Amnésie,  que  des  lésions  situées  vers  la  troisième  circonvolution 
frontale  pour  déterminer  l'Aphasie.  Dans  le  cas  de  Broadbent  (p.  2Z|3), 
on  trouva  la  lésion  en  ce  point;  et,  dans  un  exemple  inédit,  mais 
bien  typique,  d'Amnésie,  l'auteur  a  aussi,  récemment,  trouvé  une 
lésion  placée  de  même. 

Les  raisons  qu'il  y  a  d'examiner  cette  région  deviendront  évidentes, 
si  le  lecteur  veut  se  rappeler  que  le  tiers  postérieur  des  fibres  pédon- 
culaires  (c'est-à-dire  de  ce  qu'on  nomme  la  capsule  interne)  s'étalent 
en  dehors,  de  dessous  la  partie  postérieure  de  la  Couche  Optique;  et 
que,  s' étendant  en  arrière  et  en  dehors  à  travers  le  plancher  du 
ventricule  latéral,  à  partir  du  voisinage  du  commencement  de  la 
corne  descendante,  elles  se  distribuent,  pour  la  plupart,  aux  Cir- 
convolutions Occipitales  et  Temporales.  Et,  si  les  conclusions  de 
Ferrier,  relativement  aux  importantes  relations  du  lobule  supra- 
marginal  et  de  la  circonvolution  angulaire  avec  le  Centre  Visuel,  et 
de  la  partie  postérieure  de  la  circonvolution  temporale  supérieure 
avec  le  Centre  Auditif,  étaient  prouvées  correctes;  ce  seraient  encore 
des  raisons  plus  précises  pour  s'attendre  à  trouver  avec  quelque 
fréquence,  dans  la  situation  indiquée,  ou  près  d'elle,  les  lésions 
productrices  de  l'Amnésie.  On  peut  donc  admettre  provisoirement 
une  localisation  de  ce  genre;  et  il  semble  que  les  meilleurs  moyens 
de  s'assurer  définitivement,  avec  un  certain  degré  de  certitude,  de 

1.  Dans  tous  les  cas  d'Amnésie,  ou  d'Aphasie  et  Amnésie  mélangées,  il  fau- 
drait, entre  autres  choses,  donner  toujours  des  détails  sur  les  points  sui- 
vants :  —  (1)  La  faculté  qu'a  le  malade  de  comprendre  les  mots  prononcés 
(s'il  n'est  pas  sourd)  ;  (2)  de  répéter  les  sons  ou  les  mots  lorsqu'on  le  lui 
demande;  (3)  d'écrire  sous  la  dictée;  (4)  de  comprendre, et  par  conséquent  de 
désigner,  les  lettres  et  les  mots  imprimés  (s'il  n'est  pas  aveugle)  ;  (h)  de  copier 
par  l'écriture  les  mots  écrits  ou  imprimés  ;  et  (6)  de  nommer  les  lettres  impri- 
mées ou  les  objets,  et  de  lire  à  haute  voix. 


SIÈGE  DES  LÉSIONS  PRODUISANT    L'AMNÉSIE.  273 

la  situation  des  parties  les  plus  importantes  des  Centres  Perceptifs 
Visuels  et  Auditifs  chez  l'Homme,  seraient  précisément  l'étude 
clinico-pathologique  attentive  des  cas  typiques  d'Amnésie,  toutes 
les  fois  que  l'occasion  s'en  présente. 

Il  surgit  maintenant  une  autre  question  d'un  grand  intérêt; 
c'est  de  savoir  si  l'on  trouvera  que  les  lésions  productrices  de  l'Am- 
nésie sont,  aussi,  principalement  limitées  à  l'Hémisphère  gauche. 
Quelques  observateurs  éminents,  comme  Brown-Sequard  et  Hugh- 
lings  Jackson,  croient  qu'il  existe  une  limitation  de  ce  genre.  Mais, 
bien  que  l'auteur  admette  volontiers  que  les  lésions  de  l'Hémi- 
sphère gauche  doivent  avoir  probablement  plus  de  puissance  que 
celles  de  l'Hémisphère  droit  pour  produire  des  états  de  ce  genre,  il 
lui  semble  que  les  faits  et  la  théorie  tendent,  à  la  fois,  à  faire  repous- 
ser l'idée  que  des  défauts  de  cette  nature  ne  sauraient  être  produits 
par  des  lésions  situées  dans  certaines  parties  de  l'Hémisphère  droit. 

On  trouvera  que  beaucoup  de  cas  de  ce  genre  ont  été  déjà  rap- 
portés, —  et  l'un  des  plus  typiques  est  celui  de  Marcou,  tel  qu'il 
est  donné  par  Trousseau  (voy.  p.  226).  Et  si  nous  avons  présent  à 
l'esprit  que  les  Centres  Perceptifs  correspondants  des  deux  Hémi- 
sphères sont  ordinairement  mis  en  jeu  d'une  manière  simultanée,  et 
sont  en  continuité  de  structure  au  moyen  du  Corps  Calleux,  on 
peut  s'attendre  à  ce  que  toutes  les  lésions  irritatives  ou  destruc- 
trices des  Centres  Auditifs  ou  Visuels  des  Mots,  du  côté  droit, 
puissent  à  peine  se  produire  sans  causer  un  dérangement  marqué, 
du  moins  pour  un  certain  temps,  dans  l'activité  fonctionnelle  des 
centres  semblables  de  l'Hémisphère  gauche,  —  qui,  comme  on  doit 
l^admettre,  semble  jouer  le  premier  rôle  dans  l'expression  de  la 
Pensée  par  la  Parole  et  l'Écriture.  11  reste  encore  beaucoup  à  ap- 
prendre sur  ce  sujet  fort  intéressant;  et  nous  avons  déjà  eu  (p.  128) 
à  signaler  le  doute  qui  existe  sur  l'étendue  dans  laquelle  un  Hémi- 
sphère peut  suffire  seul  à  l'activité  mentale  ordinaire.  On  peut 
bien  s'attendre,  peut-âtre,  à  ce  que  l'Amnésie,  produite  par  une 
lésion  du  côté  droit,  ait  une  tendance  à  être  plus  temporaire  que 
l'Amnésie  causée  par  des  lésions  similaires  de  l'Hémisphère  gauche. 

Enfin,  il  se  présente  à  nous  une  autre  genre  de  considérations 
de  quelque  importance,  relativement  aux  «  localisations  cérébrales». 
L'état  d'Amnésie  peut  passer,  par  des  gradations  insensibles,  à  celui 
d'Aphasie  ;  de  manière  que  ce  dernier  état,  avec  certaines  autres 
particularités,  peut  parfois  résulter  d'une  lésion  tout  à  fait  éloignée 
de  la  troisième  circonvolution  frontale  gauche,  si,  comme  nous  le 
supposons  à  présent,  les  régions  dans  lesquelles  les  lésions  ont  la 
plus  grande  tendance  à  produire  l'une  ou  l'autre  des  formes  de 
l'Amnésie,  sont  situées  autour  de  l'extrémité  postérieure  de  la  Scis- 
sure de  Sylvius  gauche. 

Charlton-Bastian.  —  II.  18 


274  LOCALISATION  DES  FOiNCTiONS  CÉRÉBRALES. 

Ceci   peut   être  aisément    compris.    Supposons    une    personne 
souffrant  d'un  trouble  dans  l'activité  du  Centre  Auditif  des  Mots  ;  de 
sorte  que  les  Noms  ne  puissent  être  rappelés  «  volontairement  »,  ni 
par  «  association  ».  Il  y  aurait  déjà  de  grandes   hésitations  et  de 
grandes  difficultés  dans  l'expression  des  pensées,  soit  par  la  Parole, 
soit  par  l'Écriture.  Mais  supposons  que  ce  simple  trouble  de  l'acti- 
vité soit  remplacé  par  une  véritable  destruction  du  Centre  Auditif 
gauche  des  Mots,  de  sorte  que  son  activité  fonctionnelle  soit  entiè- 
rement  perdue  ;     les  Mots  ne    sauraient    assurément   alors   être 
rappelés  ni    «  volontairement  »,  ni  par  «  association  »  ;  bien   plus, 
ils  ne  pourraient  pas  être  perçus,  et  par  conséquent  pas  être  imités. 
Un  individu  ainsi  atteint  ne  serait  capable  ni  de  Parler  ni  d'Écrire, 
c'est-à-dire  qu'il  serait  complètement  Aphasique,  —  avec,  en  plus,  la 
particularité  qu'il  ne  pourrait  aisément  comprendre  le  Langage  parlé 
ni  peut-être  même  l'Écriture.  Cette  dernière  faculté  pourrait  per- 
sister, à  un  certain  degré,  carl'équibre  moléculaire  du  Centre  Audi- 
tif des  Mots  et  du  Centre  Visuel  qui  est  en  relation  avec  lui  dans 
l'Hémisphère  opposé,  pourrait  n'être  pas  suffisamment  troublé  pour 
empêcher  toute  compréhension  des  symboles  parlés  ou  écrits.  Nous 
pourrions,  en  fait,  avoir,  en  pareil  cas,  production  d'un  état  Apha- 
sique complexe,  presque  absolument  semblable  à  celui  que  présentait 
la  jeune  fille  dont  Bazire  a  rapporté  l'observation  (p.  2^9);  ou  même 
un  état  semblable  à  celui  rapporté  par  l'auteur,  p.  251  :  et  cependant, 
cet  état  Aphasique  pourrait  avoir  été  causé  par  une  lésion  située  loin 
de  la  troisième  circonvolution  frontale  gauche.  Et,  s'il  en  était  ainsi, 
ces  cas  auraient  pu  être  cités  avec  beaucoup  de  force,  en  apparence, 
contre  les  doctrines  existantes  relativement  à  la  localisation  céré- 
brale. 

De  même,  il  est  possible  que  I'Agraphie,  accompagnée  de 
«  cécité  pour  les  mots  »,  résulte  d'une  lésion  du  Centre  Visuel 
gauche  ;  et  que  le  siège  de  cette  lésion  soit  contigu  à  l'extrémité 
postérieure  de  la  Scissure  de  Sylvius  gauche. 

L'Aphémie  (c'est-à-dire  la  simple  perte  de  la  Parole)  ne  sau- 
rait être  produite  par  une  lésion  de  cette  région  du  Cerveau  :  car  la 
destruction  du  Centre  Auditif  des  Mots  détruirait  la  mémoire  des 
Mots,  pour  l'Écriture  spontanée  aussi  bien  que  pour  la  Parole.  De 
sorte  que  l'état  double  d'APHASiE  (ou  un  état  voisin  dans  lequel 
l'Écriture  «  imitative  »  est  seule  possible)  se  produirait  nécessaire- 
ment, au  lieu  de  l'état  plus  spécial  d'Aphémie. 

Il  est  également  clair  que  si  des  espaces  importants  des  Centres 
Auditifs  et  Visuels  des  Mots  sont,  en  réalité,  situés  quelque  part  vers 
l'extrémité  des  Scissures  de  Sylvius, et, si  les  Centres  Kinesthétiques 
des  Mots,  pour  la  Parole  et  l'Écriture,  sont  situés  dans  la  troisième 
circonvolution  frontale,  ou  quelque  part  dans  son  voisinage,  I'Apha- 


LÉSIONS  DE  L'AGRAPHIE,  DE  L'APIlÉMIt;  ET  DE  L'APHASIE.  275 

siE  pourrait  aussi  être  causée  par  des  lésions  rompant  les  fibres 
commissurales,  en  un  point  quelconque  de  leur  trajet  entre  ces 
paires  de  centres. 

Évidemment,  si  les  stimuli  causésepar  la  résurrection  mentale  des 
mots  ne  partent  pas  {a)  des  Centres  Auditifs  et  Visuels  des  Mots,  s'ils 
sont  arrêtés  [b]  sur  la  route  qu'ils  parcourent  pour  se  rendre  de  là 
aux  Centres  Kinesthétiques  des  Mots;  ou  si  (c)  ils  sont  arrêtés  dans 
ces  Centres-là,  ou  de  l'autre  côté  d'eux,  c'est-à-dire  sur  le  chemin 
qu'ils  suivent  pour  se  rendre  au  Corps  Strié  gauche,  le  résultat  serait 
dans  tous  les  cas  la  production  d'un  état  d'ApHAsiE,  bien  que  les 
sièges  des  lésions  fussent  absolument  différents  dans  ces  divers  cas. 
Aussi,  dans  le  premier  cas,  aurions-nous  l'Aphasie  avec  beaucoup  de 
désordre  mental  ;  dans  le  second  cas,  l'Aphasie  avec  désordre  mental 
insignifiant  ;  tandis  que,  dans  le  troisième,  nous  aurions  FAphasIe 
typique,  dans  laquelle  on  ne  peut  découvrir  que  peu  ou  pas  d'affai- 
blissement de  l'esprit. 

Ceci  étant  vrai,  on  peut  formuler  provisoirement  en  loi  géné- 
rale, comme  hypothèse  pour  de  nouveaux  travaux,  que  la  tendance 
au  désordre  mental  coïncidant  avec  l'Aphasie,  et  le  degré  de  ce  dé- 
sordre, augmenteront,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  à  mesure  que  les 
lésions  de  l'Hémisphère  gauche  s'éloigneront  de  la  «troisième  circon- 
volution frontale»  pour  s^approcher  du  Lobe  Occipital.  La  doctrine 
générale  de  Marc  Dax  semble  être  justifiée;  tandis  que  la  localisation 
plus  spéciale  de  Broca  ne  peut  être  tenue  pour  bonne  que  dans  un 
cas  particulier,  bien  que  fort  commun,  de  Perte  de  la  Parole;  ou,, 
pour  se  servir  d'une  phraséologie  plus  large  et  plus  exacte,  —  de 
perte  de  la  faculté  d'Expression  Intellectuelle. 

On  voit  que  les  conclusions  auxquelles  on  vient  d'arriver  appor- 
tent une  confirmation  nouvelle  et  inattendue  de  l'opinion,  déjà  an- 
noncée, relativement  à  la  fréquence  spéciale  avec  laquelle  les  lésions 
des  Régions  Occipitales  de  l'Hémisphère  peuvent  s'associer  avec  une 
dégradation  mentale  bien  marquée.  Elles  tendront  aussi  à  nous  faire 
apprécier  plus  complètement  la  valeur  réelle  des  objections  élevées 
par  quelques  personnes  contre  la  doctrine  que  la  partie  postérieure 
de  la  «  troisième  circonvolution  frontale  »  gauche  est  la  région  tou- 
jours lésée  dans  les  cas  d'Aphasie.  Elles  peuvent  aussi  frayer  laroute 
pour  des  observations  différentielles,  nouvelles  et  plus  exactes,  au 
moyen  desquelles  seules,  nous  pouvons  nous  attendre  à  faire  des  pro- 
grès réels  dans  une  tâche  extrêmement  difficile,  que  nous  ne  faisons 
guère  qu'indiquer,  —  c'est-à-dire,  la  tentative  de  déterminer  quels 
genres  de  fonctions  sont  principalement  accomplis  dans  les  diffé- 
rentes régions  de  l'Écorce  Cérébrale. 

Si  nous  n'avons  rien  dit  relativement  à  la  «localisation»  de  cer- 


276  LOCALISATION  DES  FONCTIONS  CÉRÉBRALES. 

taines  Facultés  supérieures,  Intellectuelles  et  Morales,  la  raison  en 
sera  évidente  pour  tous  les  lecteurs  qui  réfléchissent.  On  ne  saurait, 
avec  quelque  chance  de  succès,  faire  un  seul  pas  dans  cette  direction, 
jusqu'à  ce  que  les  recherches  préliminaires,  auxquelles  nous  avons 
consacré  notre  attention,  aient  donné  des  résultats  mieux  établis. 
Il  faut  évidemment  poser  les  fondations  du  sujet  avant  de  pouvoir 
commencer  à  élever  l'édifice. 

L'auteur  est  toutefois  fermement  convaincu  que  tout  Processus 
supérieur,  Intellectuel  ou  Moral,  —  aussi  bien  que  tout  Processus 
inférieur  Sensoriel  ou  Perceptif,  —  entraîne  l'activité  de  certains  ré- 
seaux de  fibres  et  de  cellules,  en  relations  réciproques  dans  l'Écorce 
Cérébrale,  et  dépend  absolument  de  l'activité  fonctionnelle  de  ces 
réseaux.  Il  rejette  cependant,  d'une  manière  aussi  nette,  la  notion 
avec  laquelle  quelques  personnes  voudraient  associer  cette  doctrine  : 
c^est-à-dire  la  supposition  que  les  Hommes  ne  sont  que  des  «  Auto- 
mates Conscients.  » 

Il  faut  accorder  que  si  les  États  Conscients,  ou  Sentiments,  n'ont  en 
réalité  aucun  lien  de  parenté  avec  les  mouvements  moléculaires  qui 
ont  lieu  dans  certains  Centres  Nerveux;  si  ce  sont  des  phénomènes 
apparaissant  mystérieusement,  différant  absolument  du  «  circuit 
fermé  de  mouvements  «avec  lequel  ils  coexistent, et  situés  complète- 
ment en  dehors  de  lui  ;  on  ne  voit  pas  comment  on  pourrait  concevoir 
que  ces  États  Conscients  puissent  affecter  ou  altérer  le  cours  de  ces 
Mouvements.  La  logique  de  cette  proposition  paraît  irrésistible. 
«On  ne  peut,  en  réalité,  éviter  la  conclusion  qu'en  rejetant  les  pré- 
misses :  et  c'est  là  ce  que  fait  l'auteur.  11  rejette  absolument  la  doc- 
trine qu'il  n'existe  pas  de  parenté  entre  les  États  de  Conscience  et 
les  Actions  Nerveuses  ;  et,  par  conséquent,  repousserait  l'opinion  que 
les  «causes»  des  États  Conscients  sont  situées  tout  à  fait  en  dehors 
des  circuits  de  Mouvements  Nerveux. 

La  Conscience,  ou  Sentiment,  doit  être  un  phénomène  ayant 
une  origine  naturelle;  ou  autrement  ce  serait  une  entité  non  natu- 
relle, non  matérielle.  Pour  les  raisons  qui  ont  été  exposées  dans 
■diverses  parties  du  présent  ouvrage,  l'auteur  adopte  la  première  de 
<ces  opinions. 

On  croit  communément  que  la  «  substance  vivante  »  a  actuel- 
îement,  ou  a  eu  dans  les  temps  passés,  une  origine  naturelle  ;  les 
Tissus  Nerveux  aussi  ont  une  origine  naturelle  dans  des  formes  élé- 
mentaires de  la  «  substance  vivante  «  ;  et,  si  l'on  admet  que  les  États 
Conscients,  ou  Sentiments,  sont  l'apanage  seulement  d'actions  Ner- 
veuses, alors  aussi  (autant  que  nous  pouvons  nous  en  assurer)  leur 
mode  d'apparition,  leur  accroissement  d'intensité,  le  fait  qu'ils  sont 
modifiables  par  les  agents  qui  modifient  les  tissus  nerveux,  et  la  limi- 
tation qui  fait  qu'ils  ne  se  présentent  qu'associés  avec  certaines 


ORIGINE  DES  ÉTATS  CONSCIENTS.  277 

actions  nerveuses  qui  ont  lieu  dans  les  Centres  Nerveux  les  plus 
élevés  et  les  plus  complexes-  d'un  animal,  s'harmonisent  avec  la 
notion  qu'ils  sont,  en  quelque  manière,  un  véritable  résultat  de  ces 
Actions  Nerveuses,  —  aussi  peu  capables  d'être  séparés  des  conditions 
physiques  dont  ils  dépendent,  que  la  Chaleur  peut  l'être  des  siennes 
(voy.  vol.  I",  p.  113).  Dire  que  la  Chaleur  est  un  «  mode  de  mouvement  » , 
suppose  accordé  le  fait,  sous-entendu,  que  nous  ne  pouvons  avoir  de 
mouvement  que  s'il  y  a  quelque  chose  qui  se  meut.  La  Chaleur  n'a 
point  une  existence  abstraite  et  isolée  comme  entité.  La  Conscience 
aussi  est  un  résultat  de  quelque  chose  qui  se  meut.  Mais,  exactement 
de  même  que  ce  sont  les  mouvements  matériels  eux-mêmes,  dont  dé- 
pend la  Chaleur,  qui  font  le  travail  attribué  à  celle-ci  ;  de  même,  ce 
sont  les  mouvements  matériels  eux-mêmes,  dont  dépend  la  Con- 
science, ou  Sentiment,  qui  font  le  travail  que  nous  attribuons  au  Sen- 
timent. Ces  mouvements  particuliers,  qu'on  le  remarque,  entrent 
comme  composants  dans  le  a  circuit  de  mouvements  »  constituant 
les  Actions  Nerveuses;  et  peuvent,  par  conséquent,  aisément  coopé- 
rer comme  moteurs  réels.  De  là  vient  que  les  États  de  Sentiment 
peuvent,  en  vérité,  et  d'accord  avec  la  croyance  populaire,  réagir 
sur  les  Tissus  Nerveux  de  manière  à  altérer  les  mouvements  molé- 
culaires qui  s'y  passent.  Les  Sentiments,  qu'ils  soient  purement  per- 
sonnels ou  de  l'ordre  moral,  ont  ainsi,  comme  ils  semblent  l'avoir, 
un  effet  indubitable,  en  modifiant  nos  Opérations  Intellectuelles, 
nos  Volitions  ou  nos  Mouvements. 

Montrer  comment  se  produisent  ces  mouvements  particuliers  du 
Tissu  Nerveux  qui  forment  le  substratum  des  États  Conscients,  et 
comment  ils  repassent  aux  actions  nerveuses  plus  ordinaires,  c'est 
ce  qui,  d'après  la  nature  même  du  problème,  demeurera  toujours 
impossible.  Mais  nous  ne  devons  certainement  pas  pour  cela  nous 
laisser  paralyser  mentalement,  par  la  croyance  en  l'existence  d'un 
abîme  métaphysique  entre  ce  qu'on  appelle  le  Subjectif  et  l'Objec- 
tif, —  le  «  Moi  »  et  le  «  Non-Moi  ».  Cependant,  quelques-uns  même 
de  ceux  qui  croient  à  la  philosophie  de  révolution,  ont  été  amenés 
ainsi  à  nier  l'origine  naturelle  des  États  Conscients;  et  se  sont,  par 
conséquent,  vus  forcés  d'adhérer  à  une  doctrine  d'  «  Automatisme  » 
absolu,  —  doctrine  dans  laquelle  toutes  les  notions  de  Libre  Arbitre, 
de  Devoir  et  d'Obligation  Morale  sembleraient,  d'après  cette  base 
théorique,  également  condamnées  à  une  tombe  commune,  ainsi  que 
les  facultés  d'auto-éducation  et  d'empire  sur  soi-même  qui  en  for- 
ment la^base. 


APPENDICE 


OPINIONS    RELATIVES    A    l'eXISTENCE    ET    A    LA    NATURE 
d'un    SENS    MUSCULAIRE^. 


D'après  sir  William  Hamilton,  ce  furent  deux  médecins  italiens  qui  recon- 
nurent les  premiers,  il  y  a  trois  siècles  environ,  le  Sens  Musculaire  comme  moyen 
de  conception.  Il  fut  reconnu,  par  Julius  César  Scaliger,  en  1557,  et  plus  tard, 
d'une  manière  indépendante,  par  Csesalpinus  d'Arezzo,  en  1569,  que  l'exercice 
de  notre  faculté  de  mouvement  est  le  moyen  par  lequel  nous  sommes  mis  à 
même  d'estimer  les  degrés  de  «  résistance  »;  et  cela,  par  une  faculté  de 
«  compréhension  active  »,  qu'ils  opposaient  au  toucher  comme  «  capacité  de 
sensation,  ou  simple  conscience  de  passion  ». 

Après  un  très  long  intervalle,  de  Tracy  (l'un  des  disciples  les  plus  distin- 
gués de  Condillac)  développa  plus  explicitement  cette  conception,  vers  le 
commencement  de  notre  siècle  et  «  établit  la  distinction  entre  le  toucher  actif 
et  passif  ».  Toutefois,  des  physiologistes,  et  des  psychologistes  allemands 
avaient  déjà,  à  la  fin  du  siècle  dernier  et  au  commencement  de  celui-ci,  fait 
cette  même  analyse;  «  et  c'est  là  que  le  toucher  actif  reçut  d'abord  rappellation 
distincte  de  Sens  Musculaire  (Muskelsinn).  »  Ces  opinions  furent,  bientôt  après, 
introduites  en  Ecosse  par  le  docteur  Thomas  Brown. 

Les  variations  subséquentes  d'opinions  relativement  au  Sens  Musculaire 
sont,  dans  une  certaine  mesure,  représentées  par  les  citations  suivantes  : 
J.  Millier  [Physiologie,  1835)  dit  :  —  u  Nous  avons  une  notion  fort  exacte  delà 
quantité  de  force  nerveuse  partant  du  cerveau,  qui  est  nécessaire  pour  produire 
un  certain  mouvement...  Il  serait  fort  possible  que  l'appréciation  du  poids  et 
de  la  pression,  dans  le  cas  où  nous  soulevons  ou  résistons,  soit,  en  partie  du 
moins,  non  une  sensation  dans  le  muscle,  mais  une  notion  de  la  quantité  de 
force  nerveuse  que  le  cerveau  est  excité  à  mettre  en  jeu.  »  Bientôt  après  cette 
date,  nous  trouvons  sir  William  Hamilton  (1846),  dans  ses  «  Notes  et  Disser- 
tations »  sur  Reid,  soutenant  que  la  notion  de  «  résistance  »  ou  de  «  poids  » 

1.  Voy.  p.   1G4. 


SENS    MUSCULAIRE  :  HISTORIQUE.  279 

est  conçue  «  à  l'aide  de  la  faculté  locomotrice,  et  non  du  sens  musculaire.  » 
Son  opinion  était  presque  absolument  semblable  à  celle  de  Mullor  ;  car,  tandis 
qu'il  soutenait  que  la  résistance  et  le  poids  sont  mesurés  principalement  par  ce 
qu'il  appelle  la  «  faculté  locomotrice»,  il  admettait  que  l'appréciation,  par  cette 
faculté,  delà  force  plus  ou  moins  grande  de  notre  «  énergie  motrice  mentale  », 
est  toujours  accompagnée  et  aidée  «  par  des  sensations  dont  les  causes  sont, 
d'une  part  le  nisus  ou  le  repos  musculaire,  et  d'autre  part  le  corps  résistant 
ou  pressant  ». 

Il  ajoute  :  «  De  ces  sensations,  les  premières,  c'est-à-dire  les  sentiments 
liés  aux  états  de  tension  et  de  relâcbement,  ont  leur  siège  entièrement  dans 
les  muscles,  et  appartiennent  à  ce  que  l'on  a  quelquefois  distingué  sous  le 
nom  de  sens  musculaire.  Les  dernières,  c'est-à-dire  les  sensations  déterminées 
par  la  pression  externe,  ont  leur  siège  en  partie  dans  la  peau,  et  appartiennent 
alors  au  sens  du  toucher  proprement  dit,  ou  à  la  sensation  cutanée;  et.  en 
partie,  dans  la  chair,  et  appartiennent  en  ce  cas  au  sens  musculaire.  Ces  aiïec- 
tions,  parfois  agréables,  parfois  douloureuses,  sont,  dans  l'un  et  l'autre  cas, 
de  simples  modifications  des  nerfs  sensitifs  qui  se  distribuent  aux  muscles 
et  à  la  peau.  » 

Cette  idée  que  nous  apprécions  le  «  poids  »,  ou  la  «  résistance  »,  principa- 
lement à  l'aide  de  ce  qu'on  appelle  la  «  faculté  locomotrice  »,  fut,  un  peu  plus 
tard,  admise  également  avec  faveur  par  Ludwig,  qui  dit  {Lehrbuch  der  Physio- 
logie, 1852)  :  «  Il  est  concevable,  et  point  invraisemblable,  que  toutes  les 
connaissances  et  distinctions  auxquelles  on  arrive  par  le  jeu  des  muscles  sou- 
mis à  la  volonté,  sont  obtenues  directement  par  l'acte  d'excitation  volontaire; 
de  sorte  que  l'eflfortde  la  volonté  sert  immédiatement  de  moyen  de  jugement.  » 
Le  professeur  Bain,  dans  la  première  édition  de  son  ouvrage  «  The  Sensés  and 
the  Intellect  »  (185.5),  semblait  incliner  vers  la  même  idée,  bien  que  son  opi- 
nion ne  fût  point  exprimée  d'une  manière  tout  à  fait  explicite.  Il  objecte  à  ce 
qu'il  appelle  la  supposition  d'Hamilton,  que  «  nous  avons  un  sentiment  de 
l'état  de  tension  d'un  muscle,  indépendamment  de  notre  sentiment  du  pou- 
voir moteur  mis  en  jeu.  »  «  Il  peut  être  tout  à  fait  vrai,  ajoute-t-il,  que  des 
filaments  nerveux  sensitifs  soient  fournis  aux  muscles,  aussi  bien  que  des 
filaments  moteurs,  et  que,  au  moyen  de  ceux-ci,  nous  soyons  affectés  par  la 
condition  organique  du  tissu,  comme  dans  la  première  classe  de  sentiments  ci- 
dessus  décrits;  mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  nous  acquérions,  par  ces  mêmes 
filaments,  un  sentiment  distinct  du  degré  de  la  contraction  du  muscle  ». 
Lorsque,  quelques  lignes  plus  loin.  Bain  parle  d'<(  un  sens  d'énergie  déployée  », 
comme  de  «  la  grande  caractéristique  de  la  conscience  musculaire,  »  son  opinion 
précise  devient  indistincte  et  quelque  peu  confuse. 

Un  peu  plus  tard,  Landry  {Traité  des  Paralysies,  1859),  s'appuyant  sur  des 
données  pathologiques  aussi  bien  que  psychologiques,  réaffirme  le  même  genre 
d'opiïiion  que  celle  d'Hamilton  (mise  en  douie  par  Bain),  relativement  à  l'exis- 
tence d'impressions  donnant  des  sentiments  de  tension,  et  venant  des  muscles 
par  les  nerfs  sensitifs.  Seulement,  au  lieu  de  regarder  (avec  Hamilton)  ces  im- 
pressions comme  subsidiaires,  il  pense  qu'elles  ont  une  importance  majeure, 
et  nie  que  nos  notions  de  résistance,  de  poids,  etc.,  puissent  provenir  d'un 
simple  processus  cérébral,  ou,  en  réalité,  de  n'importe  quelle  autre  source  que 
les  parties  même  en  mouvement.  Il  dit  :  «  Le  Moi  a  une  conscience  directe  des 
phénomènes  de   volition  :  il  sait   immédiatement  qu'il  y  a  eu  un  stimulus 


280  OPINIONS  RELATIVES  A   L'EXISTENCE 

volontaire,  et  à  quelle  partie  du  corps  il  est  dirigé  ;  quant  aux  effets  produits, 
il  n'en  est  informé  que  d'une  manière  médiate,  et  peut  les  négliger L'ac- 
tion nerveuse  qui  excite  le  mouvement  ne  peut  donc  fournir  à  la  conscience 
qu'une  idée  de  la  volition,  et  non  de  son  exécution....  Il  est  nécessaire  que 
l'effet  de  cette  excitation  centrale  (la  contraction)  soit  produit,  pour  que  le 
Cerveau  puisse  percevoir;  et  il  perçoit,  en  même  temps,  à  la  fois  le  siège  et  le 
degi'é  de  la  contraction.  Le  mouvement  lui-même  est  donc  la  source  d'où  nous 
viennent  les  notions  de  ce  genre.  » 

Ce  dernier  point  de  l'opinion  de  Landrj^,  opposé  aux  notions  de  Muller, 
Hamilton,  Ludwig  et  autres,  relativement  à  la  «  faculté  locomotrice  »,  fut,  à  peu 
près  à  la  même  époque,  affirmé  d'une  manière  indépendante  par  G.-H.  Lewes 
(Physiology  of  Common  Life,  vol.  II,  1860),  bien  que,  relativement  à  la  manière 
dont  nous  recevons  les  impressions  des  membres  en  mouvement,  Lewes  intro- 
duise en  partie  une  opinion  nouvelle,  basée  toutefois  sur  des  idées  très  discu- 
tables. Il  considérait  comme  une  erreur,  qu'on  pût  regarder  les  nerfs  des  racines 
antérieures  et  ceux  des  racines  postérieures  comme  essentiellement  distincts 
par  leurs  fonctions  :  il  soutenait  que  les  fibres  de  chacune  des  deux  racines 
sont  à  la  fois  sensitives  et  motrices,  c'est-à-dire  capables  de  transmettre  des 
impressions  centripètes  aussi  bien  que  de  stimuli  centrifuges  ;  bien  qu'elles 
puissent  remplir  ces  fonctions  dans  des  proportions  diverses.  Le  genre  de 
sensibilité  auquel  contribuent  directement  les  nerfs  moteurs  (en  rapportant 
des  impressions  du  muscle  au  centre  moteur)  doit,  à  ce  que  pense  Lewes, 
«  être  celui  de  ce  que  nous  appelons  le  Sens  Musculaire,  qui  nous  permet  d'a- 
juster les  mille  modifications  de  contractions  exigées  dans  nos  mouvements.  » 
«  Le  corps  est  mis  en  équilibre,  ajoute-t-il,  par  des  changements  incessants 
des  muscles,  dont  un  groupe  sert  d'antagoniste  à  un  autre.  Mais  ceci  serait 
impossible,  si  chaque  muscle  n'était  accordé  et  coordonné  par  la  sensation.  » 
Lewes  admet,  toutefois,  que  ces  sensations  n'atteignent  guère  «  ce  degré  d'im- 
portance qui  fait  que  l'esprit  y  prête  attention  »  ;  et  il  cite  Schiff  comme  sou- 
tenant l'opinion  que  «  tous  les  phénomènes  (c'est-à-dire  les  impressions 
conscientes)  attribués  au  sens  musculaire,  sont  dus  aux  reploiements  et  à 
l'extension  de  la  peau,  lorsque  les  muscles  se  contractent  i.  L'opinion  de  Trous- 
seau 2  était  fort  semblable  à  celle  de  Schiff. 

Wundt  [Menschen  und  Thier-Seele,  1,  p.  222,  1863)  estime  comme  le  plus 
probable  que  «  les  sensations  accompagnant  la  contraction  des  muscles  nais- 
sent dans  les  fibres  nerveuses  qui  transmettent  l'impulsion  motrice  du  cerveau 
aux  muscles  »  :  si  elle  était  due  aux  nerfs  sensitifs  des  muscles,  dit-il,  «  la 
sensation  musculaire  croîtrait  et  décroîtrait  constamment  avec  le  degré  de 
travail  interne  et  externe  accompli  par  le  muscle.  Mais  ce  n'est  point  là  le  cas  : 
car  la  force  de  la  sensation  dépend  seulement  de  la  force  de  l'influence  mo- 
trice, partant  du  centre,  qui  excite  l'innervation  des  nerfs  moteurs.  »  Un 
exposé  semblable  à  celui-ci  a  été  fait  par  Hamilton,  bien  qu'il  soit  aujourd'hui 
démontré  complètement  faux.  Les  cas  de  Demeaux  et  Spaeth  (p.  284-286) 
montrent  en  effet  très  bien  le  contraire. 

Les    exposés  de  Bain,  dans  la  seconde  édition  de   son   ouvrage   (1864), 


1.  Voyez  son  ouvrage  Miiskel  und  Nervcnphysiologie,  p.  156. 

2.  Cliniques;  article  Ataxie  locomotrice. 


ET  A  LA  NATURE  D'UN  SENS  MUSCULAIRE.  281 

deviennent  plus  explicites  qu'ils  ne  l'étaient  d'abord.  Il  dit  en  effet  :  «  la  suppo- 
sition la  plus  vraisemblable  est  que  la  sensibilité  qui  accompagne  les  mouve- 
ments musculaires  coïncide  avec  le  courant  centrifuge  d'énergie  nerveuse,  et 
ne  résulte  pas,  comme  dans  le  cas  de  sensation  pure,  d'une  influence  centri- 
pète passant  par  les  nerfs  afférents  ou  sensitifs.  «  Cette  opinion  est  répétée  et 
accentuée  dans  la  troisième  édition  (18(38),  dans  laquelle  il  ajoute  (p.  76),  rela- 
tivement au  sentiment  caractéristique  de  la  force  déployée  :  «  nous  devons  pré- 
sumer qu'il  est  concomitant  avec  le  courant  centrifuge  par  lequel  les  muscles 
sont  excités  à  agir  ».  Il  considère  comme  d'une  importance  immense,  au  point 
de  vue  philosophique,  que  ces  impressions  soient  associées  aux  couinants  cen- 
trifuges, et  ne  dépendent  point  de  nerfs  sensitifs  ordinaires  i. 

Bastian  {On  the  Muscular  Sensé,  Brit.  Mecl.  Journal,  avril  1869)  dit  : 
<(  Toutes  les  preuves  que  nous  pouvons  tirer  des  maladies,  et  aussi,  à  ce  que 
je  pense,  toutes  celles  que  nous  pouvons  obtenir  du  plus  attentif  examen  de 
nos  propices  sensations,  tendent  plutôt,  jusqu'ici,  à  appuyer  l'opinion  de  Landiy, 
que  ces  impressions  ne  dépendent  pas  de  nos  notions  de  la  quantité  de  force 
nerveuse  mise  en  liberté  durant  un  effort  volitionnel  ;  ou,  en  d'auti-es  termes, 
de  la  conscience  qu'a  l'esprit  de  sa  propre  énergie  centrifuge.  »  Le  sentiment 
d'  «énergie  déployée  »  par  lequel  nous  recevons  nos  idées  de  résistance  et  d'un 
monde  extérieur,  n'est  point  contenu  dans  l'acte  volitionnel,  et  n'en  est  pas  un 
apanage,  «  mais  dérive  d'impressions  émanant  des  organes  mêmes  en  mouve- 
ment. 1)  Nos  perceptions  de  «  résistance  »  et  de  «  poids  »  sont  en  réalité  «com- 
posées en  partie  d'impressions  tactiles,  en  partie  de  sensations  passives  éma- 
nant   de   nos   muscles   et    de   nos   articulations,   et    des   déductions    basées 

là-dessus xXous  éprouvons  certains  sentiments  de  pression,  combinés  avec 

certaines  sensations  dans  les  muscles  et  les  articulations;  et  nous  arrivons  gra- 
duellement à  associer  certaines  combinaisons  de  ces  sensations  avec  les  sensa- 
tions produites  en  saisissant  certains  poids  types.  »  Si  le  terme  «  sens  muscu- 
laire »  ne  doit  point  être  appliqué  aux  sensibilités  passives  du  muscle,  il  doit 
alors  être  resti'eint  à  de  simples  impressions  «  inconscientes  »,  qui  peuvent 
peut-être  monter  des  centres  moteurs  spinaux  au  cerveau  par  un  groupe 
spécial  de  fibres  (voy.  p.  285,  note).  Une  pareille  faculté  devrait  en  ce  cas  être 
regardée  comme  «  un  guide  organique  inconscient  dans  l'accomplissement  des 
mouvements  volontaires  »  ;  et  l'on  ne  manque  pas  tout  à  fait  de  preuves  de 
l'existence  de  quelque  guide  de  ce  genre.  Elle  fournirait  aussi,  suivant  toute 
probabilité,  les  sensations  nécessaires  pour  guider  durant  la  continuation  des 
mouvements  automatiques. 

Si  nous  essayons  de  classer  les  opinions  qui  ont  été  émises  ci-dessus,  ou 
dont  on  a  parlé  simplement  par  ordre  de  date,  relatives  aux  modes  par  les- 
quels nous  apprécions  les  divers  degrés  de  résistance  et  de  poids,  elles  peu- 
vent être  rangées  comme  suit  : 


1.  On  estimait  autrefois  que  l'existence  même  de  fibres  sensitives  dans  les  muscles 
était  tout  à  fait  incertaine.  Toutefois  ce  doute  n'existe  plus.  Les  investigations  de  Sachs 
(fientralblatt  [tir  die  Mecl.  Wissensch. ,  1873,  et  Archiv  fur  Anatomie,  1874)  ont  montré, 
d'une  manière  concluante,  que  les  fibres  sensitives  sont  abondantes  dans  le  muscle  lui- 
même  ;  et  que,  ayant  un  trajet  et  un  mode  de  distribution  entièrement  distinct  de  celui 
des  filaments  moteurs,  elles  entrent  dans  la  moelle  par  les  racines  postérieures,  ou  sensi- 
tives, des  nerfs  spinaux. 


282 


CLASSIFICATION   DES  OPINIONS    RELATIVES 


PAR 

DES  CENTRES 

MOTEURS 


1.  Estimation  de  la  Force  de  Volonté  (au  moyen  d'une 
«  faculté  locomotrice)», antérieure  aux  sensations  venant 
des  membres,  et  indépendante  d'elles.  Scaliger  et  Wundt. 

2.  Par  un  «  sens  d'énergie  déployée  »  qui  est  «  con- 
comitant avec  le  courant  centrifuge  »,  —  c'est-à-dire  par 
une  révélation  sensitive  résultant  de  l'activité  des  centres 
moteurs,  des  nerfs  et  des  muscles.  (Cette  opinion,  qui  tient 
de  la  précédente,  en  diffère  par  la  supposition,  ajoutée, 
que  l'appréciation  de  poids  ou  de  résistance  demande 
plus  que  l'activité  du  centre  volitionnel,  et  ne  peut  avoir 
lieu  qu'à  la  condition  que  l'incitation  motrice  n'est  point 
arrêtée  par  des  lésions  paralytiques  ou  autres,  mais  va 
évoquer  l'activité  des  nerfs  moteurs  et  des  muscles  avec 
lesquels  le  centre  volitionnel  est  en  relation).  Bain. 

3.  Par  des  courants  centripètes,  ou  impressions  venant 
des  muscles  et  rapportées  aux  centres  volitionnels  par 
les  nerfs  moteurs  eux-mêmes.  (D'après  cette  opinion,  les 
centres  et  les  nerfs  moteurs  auraient,  d'une  manière 
simultanée  ou  dans  des  temps  immédiatement  succes- 
sifs, affaire  avec  des  courants  centrifuges  et  des  cou- 
l'ants  centripètes).  Lewes. 

4.  Principalement  de  la  manière  spécifiée  par  Scaliger 
(c'est-à-dire  par  une  «  faculté  locomotrice  »)  ;  bien  que 
cette  appréciation  soit  aidée  par  des  impressions  sensi- 
tives  ordinaires,  traversant  des  nerfs  sensitifs,  et  venant 
des  membres  en  mouvement;  par  exemple,  par  des  sen- 
timents de  tension  ou  de  pression  venant  des  muscles 
(sens  musculaire),  et  des  sentiments  de  pression  émanant 
de  la  peau.  /.  Millier  et  Hamilton. 

5.  Par  des  impressions  de  tension  et  dépression  trans- 
mises par  des  nerfs  sensitifs  ordinaires  venant  des  mem- 
bres en  mouvement,  par  exemple  des  muscles,  des  arti- 
culations et  de  la  peau  ;  et  peut-être,  en  outre,  par 
certaines  impressions  inconscientes  venant  par  des  nerfs 
afférents  spéciaux  des  centres  moteurs  spinaux.  Bastian. 

6.  Par  des  impressions  de  tension  et  de  pression 
émanant  des  muscles  qui  se  contractent,  et  transmises 
par  des  nerfs  sensitifs  ordinaires  allant  des  muscles  aux 
centres  sensitifs.  Landry. 

7.  Par  des  impressions  cutanées  et  articulaires  seule- 
l    ment.  Schiff  et  Trousseau. 

D'autre  part,  relativement  à  l'existence  et  à  la  nature  d'une  sorte  de  «  sens 
musculaire  »  distinct,  nous  rencontrons  les  diverses  opinions  que  voici  : 

1.  Il  existe  une  faculté  de  ce  genre  :  bien  que  l'on  ait  des  notions  opposées 
relativement  à  la  source  de  ses  impressions  et  à  son  siège. 

a.  Ses  impressions  (devenant  des  symboles  de  «  poids  »  ou  de  «  ré- 


PAR  DES 

CENTRES  MOTEURS 

ET   DES 

CENTRES    SEXSITIFS. 


PAR 

DES    CENTRES 

SENSITIFS 


A  L'EXISTENCE   D'UN  SENS  MUSCULAIRE.  283 

sistance  »)  dérivent  des  muscles  par  les  nerfs  sensitifs,  et  son  siège 
est  du  côté  sensitif.  Hamilton,  Landry,  etc. 
b.  Ses  impressions  dérivent  des  muscles  par  les  nerfs  moteurs,  et  son 
siège  est  du  côté  moteur.  Lewes.  (Les  opinions  de  Wundt  et  de  Bain 
sont  alliées  à  celle-ci,  bien  qu'en  différant  légèrement  toutes  deux). 

2.  Il  n'existe  pas  de  faculté  de  ce  genre. 

a.  Les  impressions  donnant  les  notions  de  «poids  »  et  de  «  résistance  » 
et  la  connaissance  de  la  position  et  des  mouvements  d'un  membre,  ne 
dérivent  pas  des  muscles.  Schiff  et  Trousseau. 

b.  Les  impressions  en  question  ne  dérivent  qu'en  partie  des  muscles  ; 
et,  comme  celles  qui  ont  cette  origine  sont  pour  la  plupart  du  type 
«  inconscient  »,  il  n'y  a  pas  àe  faculté  digne  du  nom  de  «  sens 
musculaire.  »  Bastian. 

Depuis  1869,  les  principales  contributions  au  sujet  ont  été  apportées  par 
Bernhardt(^rc/!/f  fur  Psychiatrie,  vol.  Ilf,  1872),  Weir  Mitchell  (Injuries  of 
Nerves,  1872),  Ferrier  (Fiinctions  of  the  Brain,  1876);  et  G. -H.  Lewes  (Brain, 
nM,  Avril  1878). 

Bernhardt  soutient  l'opinion  intermédiaire,  que  nos  notions  de  «  résistance  » 
et  de  «  poids  »  dérivent  principalement  d'une  appréciation  du  degré  d'énergie 
centrifuge  partant  du  centre  volitionnel,  bien  qu'en  partie  aussi  d'impressions 
centripètes  ordinaires.  Weir  Mitchell  soutient  aussi  une  doctrine  intermédiaire  ; 
il  admet  l'efficacité  d'impressions  centripètes  ordinaires,  venant  de  la  peau,  des 
articulations  et  des  muscles;  bien  qu'il  s'appuie,  en  outre,  sur  une  estimation 
d'un  autre  genre,  plus  distinctement  reliée  à  l'acte  volitionnel,  soit  de  la  façon 
suggérée  par  Scaliger  et  Wundt,  soit  d'après  la  manière  soutenue  par  nous- 
même  en  1869.  Voici  ses  propres  paroles  (loc.  cit.,  p.  358)  :  «  Probablement 
alors,  une  partie  des  idées  que  nous  sommes  supposés  acquérir  par  le  sens 
musculaire  coïncident  réellement  avec  l'acte  volitionnel  originel,  et  sont  néces- 
sitées par  lui;  ou,  autrement  dit,  sont  des  messages  envoyés  au  sensorium,  des 
ganglions  spinaux  qu'excite  chaque  acte  de  volition  motrice.  »  Weir  Mitchell 
produit  un  grand  nombre  de  faits,  extrêmement  intéressants,  relativement  aux 
sensations  en  question  et  à  la  faculté  de  rappeler  des  sentimentsde  mouvements 
attribués  aux  membres  amputés;  faits  qui  portent  sur  ce  sujet  d'une  manière 
fort  intéressante.  Il  pense,  et  les  faits  sur  lesquels  il  s'appuie  semblent  prouver, 
qu'il  faut  supposer  quelque  chose  de  plus  que  desimpies  impressions  sensitives 
ordinaires;  mais  il  admet  que  ces  faits  peuvent  être  tout  aussi  bien  expliqués 
par  des  impressions  venant  au  sensorium,  des  centres  moteurs  spinaux  ainsi 
que  des  centres  moteurs  cérébraux.  Ainsi  donc,  jusque-là,  les  opinions  de  Weir 
Mitchell  sont  étroitement  d'accord  avec  celles  précédemment  exprimées  par 
l'auteur,  en  1869,  bien  que  ceci  fût  apparemment  inconnu  à  Mitchell  à  l'époque 
de  la  publication  de  son  ouvrage. 

Les  raisons,  citées  par  l'auteur  en  1869,  semblaient  tout  à  fait  suffisantes 
pour  l'autoriser  à  rejeter  absolument  la  notion  que  des  degrés  de  «  résistance  » 
et  de  «  poids  »  étaient  appréciés  par  les  centres  moteurs  cérébraux,  plutôt 
qu'à  l'aide  d'impressions  centripètes.  Les  motifs  de  ce  rejet  ont  toutefois  été 
fortifiés  d'une  manière  très-marquée  par  Ferrier.  Des  expériences  faites  par 


284  OPINIONS  RELATIVES  AU  SENS  MUSCULAIRE. 

lui-même  et  Lauder  Brunton,  montrent  que  l'appréciation  musculaire  de 
poids  est  indépendante  de  l'acte  volitionnel,  puisqu'elle  peut  s'exercer  lorsqu'on 
fait  contracter  artificiellement  les  muscles  en  les  excitant  par  l'électricité  (loc. 
cit.,  p.  228).  Les  faits  fournis  par  certaines  personnes  souffrant  à'Hémianés- 
thésie  complète,  semblent  aussi  absolument  opposés  à  la  notion  de  Wundt,  Bain, 
et  Lewes,  ainsi  qu'aux  opinions  de  ceux  qui  peuvent  soutenir  qu'une  partie 
quelconque  de  nos  notions  sur  les  degrés  de  «  résistance  »  dérive  des  centres 
volitionnels  ou  moteurs.  Un  cas  de  ce  genre  a  été  rapporté,  il  y  a  longtemps 
déjà,  par  Demeauxi.  Quelques-uns  de  ses  détails  sont  bien  dignes  d'être  cités. 
Il  y  avait  perte  complète  de  la  sensibilité  (à  la  fois  superficielle  et  profonde) 
dans  le  membre  en  mouvement,  et  Demeaux  dit  :  «  Elle  mettait  ses  muscles 
en  jeu  sous  l'influence  de  sa  volonté,  mais  elle  n'avait  pas  conscience  des  mou- 
vements qu'elle  exécutait.  Elle  ne  savait  pas  quelle  était  la  position  de  son 
bras,  —  il  lui  était  impossible  de  dire  s'il  était  étendu  ou  fléchi.  Si  l'on  disait 
à  la  malade  de  porter  sa  main  à  son  oreille,  elle  exécutait  immédiatement  le 
mouvement;  mais,  lorsque  ma  main  était  interposée  entre  la  sienne  et  son 
oreille,  elle  n'en  avait  pas  conscience;  si  j'arrêtais  son  bras  au  milieu  du 
mouvement,  elle  ne  s'en  apercevait  pas.  Si  je  fixais,  sans  qu'elle  pût  s'en  aper- 
cevoir, son  bi'as  sur  le  lit,  et  lui  disais  ensuite  de  porter  sa  main  à  sa  tête,  il  y 
avait  un  moment  d'effort;  puis  elle  restait  tranquille,  croyant  avoir  exécuté  le 
mouvement.  Si  je  lui  disais  d'essayer  encore,  elle  essayait  avec  plus  de  force 
de  le  faire  ;  et,  aussitôt  qu'elle  était  obligée  de  mettre  en  jeu  les  muscles  du 
côté  opposé  (du  corps),  elle  reconnaissait  qu'on  s'opposait  au  mouvement.  » 

Dans  le  récent  travail  de  G.-H.  Lewes  sur  ce  sujet,  il  n'apporte  pas  de  nou- 
veaux arguments  contre  l'idée  que  des  sensibilités  passives  peuvent  suffire 
exclusivement  ;  et  il  les  admet  maintenant  largement  comme  composants  du 
groupe  complexe  d'impressions  résultant  de  mouvements,  et  contribuant  à 
former  ce  qu'on  connaît  sous  le  nom  de  «  sens  musculaire  ».  Et,  sauf  qu'il  tient 
pour  la  doctrine  que  quelques  sensibilités  actives  entrent  dans  ce  même  groupe 
complexe,  ses  vues  actuelles  sont  presque  entièrement  d'accord  avec  celles 
exprimées  par  l'auteur  dans  le  mémoire  indiqué  plus  haut.  La  preuve  que 
Lewes  regarde  comme  favorable  à  l'existence  d'un  élément  «  actif  »  dans  le 
sens  musculaire  peut,  dans  l'opinion  de  l'auteur,  être  mieux  expliquée  par  la 
supposition,  faite  précédemment  et  à  laquelle  il  est  encore  favorable,  qu'il 
existe  un  groupe  d'impressions  «  non  senties  »  relatives  aux  états  de  tension 
des  muscles,  —  et  dont  les  composants  sont  plus  ou  moins  distincts  de  ceux 
qui  se  révèlent  dans  la  conscience. 

L'auteur  a  signalé  par  exemple,  en  1869,  que,  dans  1'  «ataxie  locomotrice», 
l'ensemble  des  symptômes  indiquant  une  diminution  de  ce  qu'on  appelle  le 
«  sens  musculaire  »  était  généralement  proportionnel  à  l'altération  des  diffé- 
rents modes  de  sensibilité  ordinaire  du  membre.  Cependant,  quelques  cas  plus 
exceptionnels  de  cette  maladie,  rapportés  par  Bazire,  Trousseau,  et  autres  ainsi 
que  quelques  cas  remarquables  cités  par  Landry,  et  dans  lesquels,  sa7is  qu'il  y 
eût  anesthésie,  ces  malades  étaient  réduits  à  un  état  fort  semblable,  pour  ce 
qui  regarde  la  motilité  et  les   sensations  résultant  du  mouvement,  à  celui  de 


1.  Dot    Hernies  Crurales.    Thèse  de   Paris,   1843,  p.  100,   cité   par   Ferrier  dans  soa 
ouvrage  Funclionf  of  tlie  Brain,  p.  181. 


IL   N'EXISTE   PAS  DE  FACULTÉ  DE   CE    GENHE.  285 

la  malade  de  Demeaux,  semblent  montrer,  d'une  manière  assez  concluante, 
«  que  le  cerveau  est  assisté  dans  l'exécution  des  mouvements  volontaires,  par 
des  impressions  directrices  de  quelque  nature,  qui,  différant  déjà  par  leur  mode 
d'origine  des  impressions  provenant  de  la  sensibilité  ordinaire,  cutanée  et  pro- 
fonde, peuvent  difféi'er   encore  davantage  de  celles-ci  en  ce  qu'elles  ne  sont 

pas  révélées  à  la  conscience' 11  y  a  clairement,  dans  ces  cas-là,  perte  de 

quelque  chose;  d'un  quelque  chose  qui  sert  de  guide  dans  l'exécution  des 
mouvements  volontaires,  mais  dont  l'absence  peut  être  compensée  par  la  sur- 
veillance du  sens  visuel  ;  et  ceci  est  en  grande  partie  la  fonction  que  quelques 

phj'Siologistes  assignent  au  sens  musculaire  » 3Ion  opinion  est  que  ces 

impressions  du  sens  musculaire,  dont  nous  sommes  ainsi  obligés  de  supposer 
l'existence,  sont  des  impressions  inconscientes  ;  et  que  les  impressions  conscientes 
que  l'on  range  ordinairement  dans  cette  catégorie  dérivent  en  réalité  des 
modes  de  sensibilité  ordinaire,  cutanée  ou  profonde.  » 

Les  conclusions  ainsi  déduites,  en  1869,  sont  pleinement  confirmées  par  ce 
que  nous  savons  aujourd'hui  sur  l'Hémianesthésie  d'origine  cérébrale.  Le  cas 
rapporté  par  Demeaux  est  tout  à  fait  exceptionnel,  puisque,  dans  beaucoup  de 
cas  de  ce  genre,  il  peut  exister  une  anesthésie  superficielle  complète,  et  dans 
quelques-uns  même  une  anesthésie  profonde  et  superficielle,  sans  qu'il  y  ait 
aucune  perturbation  dans  la  coordination  des  mouvements  du  même  côté  du 
corps,  —  phénomène  vu  plusieurs  fois  par  l'auteur,  et  qui  lui  fut  aussi  récem- 
ment signalé  par  le  professeur  Charcot,  à  l'occasion  de  l'examen  de  quelques- 
unes  de  ses  remarquables  hémianesthésiques  de  la  Salpètrière.  Dans  le  cas 
de  Demeaux  (outre  la  sensibilité  cutanée  et  profonde),  ces  impressions  «  incon- 
scientes ))  spéciales  qui,  ayant  seules  disparu  chez  les  malades  de  Landry, 
produisaient  une  incoordination  des  mouvements  en  l'absence  d'impressions 
visuelles,  peuvent  avoir  été  également  empêchées.  Son  cas  est  donc  surtout 
instructif  en  ce  qu'il  porte  sur  la  question  générale.  Il  y  avait,  chez  cette  femme, 
une  disparition  totale  de  cette  sorte  de  connaissance  que  l'on  a  assignée  au 
«  sens  musculaire  »,  ou  que  l'on  a  supposée  en  dériver.  Cette  femme  ignorait 
la  position  de  ses  membres  et  était  inconsciente  des  mouvements  quelconques 
qu'elle  pouvait  exécuter.  Les  centres  volitionnels,  les  centres  moteurs  spi- 
naux, les  nerfs  moteurs  et  les  muscles  pouvaient  être  mis  en  jeu  comme 

1.  Le  trajet  de  ces  impressions  afférentes,  au  commencement  et  vers  la  fin  de  leur  course, 
était  alors  entièrement  inconnu.  Et,  en  face  des  difficultés  que  présentait  le  fait  invoqué 
par  Arnold,  l'auteur  hasarda  la  conjecture  suivante  :  «  Ainsi,  je  suppose  possible  que, 
lorsque  des  changements  moléculaires  sont  excités  dans  certaines  cellules  motrices 
spinales,  comme  résultat  d'une  impulsion  volitionnelle,  des  impressions  récurrentes  pro- 
portionnelles peuvent  être  rapportées  le  long  de  certaines  fibres,  tirant  leur  origine  des 
cellules  motrices,  et  montant  dans  les  colonnes  postérieures  de  la  moelle.  «  De  cette 
manière,  le  cerveau  pourrait  recevoir  des  impressions  pouvant  se  rapporter  au  degré  d'ac- 
tivité des  divers  muscles,  ou  groupes  de  muscles,  d'un  membre.  Mais  le  progrès  de  nos 
connaissances  sur  l'existence  de  nerfs  «  sensitifs  »  dans  les  muscles  ne  rend  plus  néces- 
saire une  hypothèse  de  cette  nature;  surtout  l'auteur  penchant  à  s'accorder  avec  Ferrier 
pour  l'interprétation  qu'il  donne  {Funclions  ofthe  Brain,  p.  220)  des  expériences  d'Arnold. 
Il  n'éprouve  plus  aucune  difficulté  à  croire  que  quelques-unes  des  fibres  sensitives  des 
muscles,  qui  entrent  dans  la  moelle  par  les  racines  postérieures  des  nerfs  spinaux,  puissent 
transmettre  au  cerveau  ces  impressions  «  inconscientes  »,  presque  toujours  présentes,  qui 
nous  guiient  d'une  façon  si  matérielle  dans  l'exécution  de  tous  nos  mouvements. 


286  OPINIONS  RELATIVES  AU  SENS  MUSCULAIRE. 

auparavant,  —  toutefois,  toutes  les  notions  que  l'on  suppose  ordinairement 
dériver  du  «  sens  musculaire  »  avaient  disparu. 

Un  état  précisément  semblable  existait  aussi  dans  un  cas  célèbre  de  ma- 
ladie de  la  moelle,  associée  à  une  anesthésie  extrême,  et  qui  fut  observé  par 
Spaeth  et  Schueppel  (voy.  Ziemssen's  Cydopœdia,  vol.  XIII,  p.  88).  On  peut 
citer  la  note  suivante  sur  l'état  de  ce  malade  :  «  Le  sentiment  de  la  pression 
et  le  sens  de  la  force  sont  entièrement  éteints  dans  l'extrémité  supérieure.  Le 
sens  de  la  position  de  cette  extrémité  et  de  ses  mouvements  passifs  est  aussi 
complètement  éteint.  Les  mouvements  des  extrémités  supérieui-es  sont  puissants 
et  parfaitement  corrects;  le  malade  mange  sans  aide,  s'habille  lui-même,  etc., 
tant  qu'il  peut  diriger  ses  actes  par  la  vue.  » 

On  ne  saurait  trouver  de  meilleures  preuves  que  cela  et  que  ce  que  l'on  a 
mentionné  plus  haut,  pour  montrer  que  la  connaissance  de  la  position  de  nos 
membres,  de  leurs  mouvements  et  des  états  et  degrés  de  contraction  de  nos 
muscles  en  général,  ne  dépend  pas,  comme  le  supposent  Wundt,  Bain  et  autres, 
d'impressions  qui  soient  «  concomitantes  avec  le  courant  centrifuge  d'énergie 
nerveuse  »,  ou  qui  coïncident  avec  lui. 


TABLE  DES   MATIÈRES 


DU    SECOND    VOLUME 


LIVRE   IV 

LE    CERVEAU    ET    L'INTELLIGENCE     DE     L'HOMME 

CHAPITRE    XIX  ^°''*' 

DÉVELOPPEMENT  DU  CeRVEAU  HUMAIN  PENDANT  LA  VIE  UTÉRINE 1 

CHAPITRE  XX 
Volume  et  poids  du  Cerveau  humain 14 

CHAPITRE   XXI 

Configuration  externe  du  Cerveau  humain 30 

CHAPITRE  XXII 
De  l'intelligence  animale  a  l'intelligence  humaine 64 

CHAPITRE   XXIÏI 
Structure  interne  du  Cerveau  humain 77 

CHAPITRE  XXIV 
Relations  fonctionnelles  des  principales  parties  du  Cerveau 116 

CHAPITRE  XXV 
La  Phrénologie  ancienne  et  nouvelle 141 

CHAPITRE   XXVI 
Volonté  et  mouvements  volontaires 169 


288  TABLE   DES  MATIÈRES. 

Pages. 
CHAPITRE  XXVII 

SUBSTRATA  CÉRÉBRAUX  DE  LA  PeNSÉE 201 

CHAPITRE    XXVIII 

La  Parole,  la  Lecture  et  l'Écriture,  comme  processus  me.xtaux  et  ppiy- 

siologiques 211 

CHAPITRE    XXIX 

Relations  cérébrales  de  la  Parole  et  de  la  Pensée 220 

CHAPITRE  XXX. 

Autres  problèmes  relatifs  a  la  localisation   des   fonctioxs  cérébrales 

SUPÉRIliURES 265 

APPENDICE 
Opinions  relatives  a  l'existence  et  a  la  nature  d'un  sens  musculaire..     278 


FIN   DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


paris.-  Impr.  J.  CLAYE.  -  A.  Q(JA:;tix  et  C,  vao  S'-Eoiioît.