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LE
VEAU
ORGANE DE LA PENSÉE
CHEZ L'HOMME ET CHEZ LES ANIMAUX
H. OHARLTON BASTIAN
Membre de la Société Royale de Londres
Professeur au Collège de l'Université de Londres
Médecin de l'Hôpital national pour les paralysés et les épileptiques
Avec 184 figures dans le texte
TOME SECOND
L HOMME
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C"'
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
Au coin de la rue Hautefeuille,
1882
Tous droits réservés
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«A.^Mi^i*!^.
LE CERVEAU
C 0 M M E
ORGANE DE LA PENSEE
CHEZ LES ANIMAUX ET CHEZ L'HOMME
LIVRE IV
LE CERVEAU ET l'iNTELLIGENG E DE L'HOMME
CHAPITRE XIX
DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU HUMAIN
PENDANT LA VIE UTÉRINE
Dans le grand axe de Vaire germiiiative claire de l'œuf humain
fécondé, apparaît une ligne opaque de tissu jeune, connue sous le
nom de corde dorsale.
Au-dessus de celle-ci, et tout le long de son étendue, on trouve
un sillon prwiitif^ qui est bientôt limité de chaque côté par une
lame grandissante de tissu embryonnaire. Ces lames se rapprochent
l'une de l'autre, et finissent par se réunir au-dessus du. sillon primitif
sus-mentionné , de manière à former un tube distinct, fermé à
chaque bout.
La couche interne de ce tube s'accroît d'épaisseur, de sorte
qu'il devient graduellement plus étroit. Elle se différencie bientôt
aussi en deux tissus distincts. La plus interne des couches, c'est-à-
dire celle qui entoure immédiatement le canal central rétréci, est
formée de tissu nerveux embrj^onnaire ; et c'est d'elle que se déve-
loppe l'axe cérébro-spinal.
Le diamètre de cet axe nerveux rudimentaire, et creux, n'est
point uniforme dans toute son étendue. Même avant que lés lames se
Charlton Bastian. — II. 1
2 DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU HUMAIN
soient complètement refermées sur le sillon primitifs Textrémité
antérieure du tube embryonnaire se renfle en trois dilatations
immédiatement contiguës les unes aux autres; et c'est du tissu ner-
veux de ces renflements, ainsi que de certaines excroissances impor-
tantes qui en proviennent, que se développent les diverses parties
du cerveau humain. La moelle épinière est formée par la portion
du tube qui est située en arrière des trois renflements.
Le mode d'origine de ces trois vésicules nerveuses, ainsi que les
premiers changements qui s'y manifestent, sont essentiellement
semblables, jusqu'à certaines phases, dans toute la série des Vertébrés.
C'est de cette base, commune à tous, que se développent les divers
types du Cerveau Vertébré. Notre attention doit donc se borner
maintenant à esquisser rapidement la manière dont le Cerveau de
l'Homme se développe graduellement, à partir des phases simples qui
sont communes à lui et à tous les Vertébrés en général.
Pour que l'attention du lecteur puisse se concentrer d'une manière plus
effective sur les changements subséquents que subissent ces trois renflements
du tube nerveux primitif, il sera bien d'anticiper un peu, et d'énoncer quelles
sont les diverses parties du Cerveau qui se développent graduellement de cha-
cune de ces trois dilatations ou de leurs dérivés.
Le ren-flement postérieur (ou cerveau postéi'ieur) se divise en deux régions,.
dont la postérieure se développe subséquemment en formant la moitié posté-
rieure du Bulbe; et là, au niveau du quatrième ventricule, la paroi supérieure
du tube s'amincit, jusqu'à ce que toute matière nerveuse disparaisse, et qu'il
ne demeure plus qu'une simple membrane (pie-mère) pour recouvrir l'espace
sus-mentionné, qui se continue avec le canal central du tube situé en arrière
de lui. La région antérieure de ce renflement correspond à la moitié antérieure
du bulbe. De la face dorsale ou des côtés de cette région, naît un segment
distinct de l'encéphale futur: le Cervelet (ûg. 122, c b). Beaucoup plus tard,
quand les lobes latéraux du Cervelet ont apparu, cette région du Bulbe est
croisée en dessous par le Pont de Varole, ou Protubérance annulaire (p).
Le renflement moyen (ou cei-veau moyen) est la gangue d'où se développent
à la partie supérieure les Lobes Optiques ou Tubercules Quadrijumeatix
(fig. 122, g), et de la partie inférieure de laquelle se différencient des prolon-
gations des colonnes fibreuses de la Moelle et du Bulbe, que l'on connaît sous
le nom de Pédoncules du Cerveau (r). La cavité dont est creusé ce renflement
diminue d'une façon graduelle, jusqu'à ce que, chez l'Homme, il ne persiste
plus qu'un étroit passage {b) faisant communiquer les cavités du cerveau pos-
térieur et du cerveau antérieur (Quatrième et Troisième Ventricule). On donne
à ce passage le nom (T Aqueduc de Sylvius.
Le renflement antérieur (ou cerveau antérieur) subit des modifications
remarquables, surtout à cause de certaines excroissances extraordinaires aux-
quelles il donne naissance. Des côtés de ce renliement se développent d'autres
portions des Pédoncules Cérébraux ; et aussi les Couches Optiques qui reposent
sur eux, et naissent sous forme d'épaississement ganglionnaire de ces parties.
La cavité, diminuée, du renflement, persiste pour constituer plus tard le Troi-
PENDANT LA VIE UTÉRINE. 3
sième Ventricule. Son toit s'amincit graduellement jusqu'à ce qu'il ne reste
plus qu'une simple membrane — Vélum Interpositum (ou Toile C lioroïdienne) ;
au bord supérieur et postérieur de ce ventricule apparaît la Glande Pinéalc
(p l,) tandis que son plancher se prolonge en formant V Infundibulum qui entre
plus tard en connexion avec la Glande ou Corps Pituitaire {p t).
Mais de très bonne heure, et avant qu'on ne puisse distinguer les parties
ci-dessus décrites, une saillie (c r) bourgeonne de chaque côté du renflement
antérieur. Ces excroissances, qui sont d'abord dirigées en bas et eu avant,
FiG. 122. — Diagrammes montrant les changements progressifs qui ont lieu durant les
premières phases du développement du Cerveau (Mivart).
1. — Premier état du Cerveau, lorsqu'il consiste en trois vésicules creuses («6 e) dont la ca-
vité est continue avec la large cavité (rf) de la Moelle Épinière primitive (/)))•
2. — Ici, la première vésicule, ou cerveau antérieur, a développé la Glande Pinéale (pi) en
dessus, et le Corps Pitviitaire {pt) en dessous. La paroi de l'extrémité antérieure de la
première vésicule est la future lame terminale (t).
o. — Cette figure montre le Cerveau (er) bourgeonnant de la première vésicule ; sa partie
antérieure (o), se prolongeant en Lobe Olfactif; la cavité du Cerveau (le venlricule laté-
ral commençant) communiquant avec celle du Lobe Olfactif, on avant et avec celle de
la première vésicule cérébrale en arrière (cette dernière persistant comme le troisième
ventricule îatnx). Cette dernière communication est établie par le trou de Jllonro. Les
parois des trois vésicules primitives deviennent d'épaisseur inégale; et la cavité (6) de
la vésicule moyenne est relativement diminuée.
-1. — Ici le Cerveau a grossi ; et l'inégalité d'épaisseur des parois des vésicules primi-
tives est encore accrue. Ceci paraît distinctement par le développement plus grand du
Cervelet {cb), de la Protubérance (;)) et des Tubercules Quadrijumeaux (g).
5. — Cette figure montre le Cerveau encore plus grossi, et contenant une cavité tri-radiée
{l, 1, 2, 3). La partie destinée à former le Trigone (/") qui, sur le n° 4, était en
dessus, regarde maintenant un peu en bas; et des prolongements qui en partent com-
mencent à s'étendre vers les tubercules mamillaires (ma), v correspond à la situation
de la toile choroidienne.
sont creuses ; et chacune d'elles communique avec le troisième ventricule par
une ouverture connue sous le nom de Trou de Monro. Plus tard, ces excrois-
4 DÉVELOPPEMEJNT DU CERVEAU HUMAIN
sances subissent un développement énorme, et constituent les deux Hémisphè-
res Cérébraux; tandis que les cavités qui y sont renfermées persistent sous le
nom de Ventricules Latéraux, et que les Corps Striés se développent à leur in-
térieur. De chaque hémisphère embryonnaire se développe antérieurement une
sorte de bourgeon creux (o), qui constitue le Lobe Olfactif et son pédoncule.
Ainsi donc, au point de vue de son histoire embryogénique, l'encéphale
entier peut se diviser en trois parties principales : 1° le cerveau antérieur,
composé des Lobes Olfactifs, des Hémisphères Cérebi^aux, et des parties qui en-
tourent le Troisième Ventricule ; 2° le cerveau moyen, composé des Tubercules
Quadrijumeaux et des Pédoncules Cérébraux; 3° le cerveau postérieur, composé
f'A^^l
PiQ. 123. Esquisses des formes premières des parties de l'axe côrébro-spina] dans l'em-
bryon humain (Sharpey, d'après Tiedemann).
A, vue latérale à la septième semaine; 1, moelle; 2, bulbe; 3, cervelet ; 4, mésencéphale ;
5, 6, 7, cerveau.
B, vue postérieure à la neuvième semaine; 1, bulbe ; 2, cervelet; 3, mésencéphale; 4, 5,
couches optiques et hémisphères cérébraux.
C et D, vues latérale et postérieure du cerveau de l'embryon humain, tel qu'il paraît à la
douzième semaine de la vie intra-utérine; a, cerveau, b, tuberculfes quadrijumeaux;
c cervelet- d bulbe; les couches optiques sont maintenant recouvertes par les hémi-
sphères agrandis.
E vue postérieure du même cerveau, disséqué pour montrer les parties profondes.
1, bulbe; 2, cervelet; 3, tubercules quadrijumeaux; 4, couches optiques; 5, hémi-
sphères, rejetés survies côtés; 6, le corps strié, enfoui dans l'hémisphère; 7, commen-
cement du corps calleux.
F, face interne de la moitié droite du même cerveau, séparée par une coupe médiane ver-
ticale, et montrant la cavité centrale ou ventriculaire ; 1, 2, moelle et bulbe, encore
creux; 3, courbure où se forme la protubérance; 4, cervelet; 5, lame (pédoncules
cérébelleux supérieurs) se continuant en dessus avec les tubercules quadrijumeaux ;
6, pédoncules cérébraux; 7, tubercules quadrijumeaux, encore creux; 8, troisième
ventricule; 9, infundibulum ; 10, couche optique, maintenant solide; 11, nerf optique;
12, ouverture conduisant dans le ventricule latéral; 13, corps calleux, commençant à
paraître.
de Cervelet, du Pont de Varole et du Bulbe. Ces parties principales peuvent
elles-môme se subdiviser : le Cerveau Antérieur en trois segments distincts :
PENDANT LA VIE UTÉRINE. 5
(a) Olfactif, (b) des Hémisphères, (c) des Couches optiques ; et le Cerveau Posté-
rieur en deux segments (a) Cérébelleux et (b) Bulbaire. Le Cerveau Moyen
ne présente pas d'autre division. Cette classification, donnée il y a quelques
années par Huxley, a le mérite de la simplicité, si on la compare à d'autres
nomenclatures gênantes, aujourd'hui en vogue ••
Dans la fig. 122, les commencements de ces six segments principaux de
l'encéphale sont très clairement indiqués, par les parties qui portent les let-
tres : 0, cr, a, b, c, m.
Après cet exposé préliminaire, nous pouvons donner une des-
cription plus détaillée des changements subis par le tube nerveux
primitif et ses renflements céphaliques, pour donner au lecteur
quelques notions sur l'ordre dans lequel apparaissent ces divers
changements, et l'époque à laquelle ils se produisent.
A une phase très précoce du développement, que Tiedemann
Fis. 124. — Coupe verticale du cerveau d'un embryon humain âgé de quatorze semainea ,
grossi trois fois (Sliarpej', d'après Reichert); c, hémisphère cérébral; c c, corps cal-
leux, commençant à passer en arrière ; f, trou de Monro ; p, membrane sur le tros-
sième ventricule et glande pinéale; t h, couche optique; 3, troisième ventricule; I,
bulbe olfactif; c q, tubercules quadrijumoaux; c r, pédoncules du cerveau, et au-de-i-
sus d'eux l'aqueduc de Sylvius encore large; c', cervelet, et au-dessous de lui le qua-
trième ventricule; p v, pont de Varole ; »n, moelle allongée.
croyait être vers la septième semaine, l'axe ou tube nerveux primitif
subit une série de courbures (fig. 123, A).
Le renflement postérieur se recourbe- -Sur lui-même, de façon
que ses deux régions (2 3) sont presqu'à angle droit, tandis qu'en
avant, à partir de là, les diverses parties décrivent une courbe
[k 5 6) dirigée en avant et en bas.
Ce tube recourbé subit graduellement des modifications diverses,
dues à l'amincissement progressif de ses parois en certains points,
et à des épaississements locaux (dus à la production et au déve-
loppement de nouvelle matière nerveuse) dans d'autres endroits.
Ces dernières régions d'épaississement correspondent aux futurs
centres ganglionnaires qui se développent graduellement dans les
régions déjà indiquées; en produisant le Cervelet, la Protubérance ,
les Tubercules Quadrijumeaux , les Pédoncules du Cerveau, les
']. Voyez Gegenbaur, Éléments d'Anatomie comparée, traduction Vogt.
DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU HUMAIN
Couches Optiques, les Hémisphères Cérébraux avec les Corps Striés
qu'ils renferment, et diverses commissures.
De la T a la9^ semaine, le renflement moyen, ou vésicule moyenne
(Mésencéphale) représentant les futurs Tubercules Quadrijumeaux,
est le segment le plus proéminent de l'encéphale. Le Cervelet, même à
cette dernière date, n'est représenté que par une mince lamelle
croisant la face dorsale de la partie supérieure
du Bulbe, tandis que les Hémisphères Cérébraux
luturs ne sont encore que des ampoules oblongues
fig. 122,3), se projetant en bas et en avant du ren-
flement antérieur dont elles tirent leur origine. De
la partie inférieure de ce même renflement [Tha-
lam.encéphale) se projette Vinfundibidum qui, soit
à ce moment là, soit plus tard, entre en connexion
avec le Corps Pituitaire, organe dont la nature réelle
et l'origine sont encore enveloppées de beaucoup
d'obscurité. A partir également de la 8" semaine
environ, le Thalamencéphale est tellement aminci
en dessus (fig. 122, «), que le troisième ventricule
n'est plus recouvert que par une membrane, le
vélum interpositum ou toile choroïdiemie. An bord
supérieur et postérieur de ce ventricule, apparaît
bientôt la Glande Pinéale; ainsi que se&pédonctdes^
qui s'étendent en avant de chaque côté.
Vers la 12" semaine de la vie intra-utérine, la
configuration de l'Encéphale a subi un changement
très marqué; d'abord à raison de l'accroissement
de volume du Cervelet (fig. 123 C. c),qui est main-
tenant plus épais et marqué d'un sillon longitu-
dinal médian, bien que d'autre part sa surface
soit lisse; et en second lieu par le développement
encore plus frappant des Hémisphères Cérébraux
(C, a] qui ont déjà crû en arrière au point de .
recouvrir complètement le troisième ve?itricide
(fig. 123, F. 8). Sur la surface inférieure de chaque
allongée, le qua- i^éuiisphère, uu Lobc Olfactif est maintenant très
trieme -venincule '■
étant recouvert par distinct, SOUS forme d'un bourgcou creux, dont la
cavité se continue avec celle de l'Hémisphère dont
il se détache.
Les ventricules latéraux eux-mêmes sont en
outre continus avec la cavité du Thalamencéphale,
ou troisième ventricule, par une ouverture située de chaque côté de
son extrémité antérieure, et connue sous le nom de trou de Monro.
Près de cette ouverture, commence à paraître (au-dessus et en avant)
Fig. 125. — Cerveau
et moelle d'un Fœ-
tus de quatre mois,
vue postérieure
(Sharpey, d'après
Kôlliker). h, hémi-
sphères cérébraux;
m, tubercules qua-
drijumeaux; e^ cer-
velet ; m 0, moelle
le cervelet; s, s,
renflements cervi-
cal et lombaire ds
la moelle.
PENDANT LA VIE UTÉUJNE. 7
une bande transversale qui relie les deux Hémisphères, et que l'on
pense correspondre au rudiment de la grande commissure transver-
sale, le corps calleux, et peut-être aussi à la commissure antérieure.
A cette période, les parois des Hémisphères Cérébraux sont très
minces et en forme de sac ; de sorte que chacun renferme un très
grand ventricule latéral, dans lequel on peut voir un Corps Strié
rudimentaire, sous forme d'un épaississement de sa paroi inférieure
et exteinie. C'est ainsi que ces corps arrivent à occuper leur position
bien connue, en avant et un peu en dehors des Couches Optiques.
Pendant cette même période, le renflement moyen ou Mésencé-
phale ne s'est point du tout accru d'une manière proportionnelle ;
de sorte qu'il a maintenant un volume relatif beaucoup moindre
(fig. 12/1, c q). On y peut toutefois remarquer l'apparition d'un léger
sillon longitudinal; et son bord postérieur touche le Cervelet (c').
FiG. 126. — Cerveau de Fcstus humain, au quatrième mois, grossi environ deux fois
(Owen). Vue latérale, avec le cerveau (P) tiré en haut et en avant, pour découvrir les
tubercules quadrijumeaux (o o) et le cervelet bilobé (c c).
Ses parois supérieures sont relativement minces; formant le toit
d'une cavité proportionnellement grande, située entre le troisième
et le quatrième ventricule; bien que cette cavité diminue plus
tard, et se réduise à un simple passage entre les deux ventricules.
Le Bulbe, relativement groS;, conserve sa courbure primitive, Sa
moitié supérieure est recouverte par le Cervelet; tandis qu'à la par-
tie dorsale de sa moitié inférieure se trouve le quatrième ventricule,
largement ouvert, et dont la partie inférieure se continue avec le
canal central de la partie restante du lobe primitif, qui se développe
maintenant en Moelle Épinière.
Vers LA FIN DU k^ MOIS, les principaux changements additionnels
que l'on a notés sont les suivants. Les Hémisphères Cérébraux devien-
nent encore plus gros, et tendent de plus en plus à éclipser les
autres parties. Ils s'étendent déjà en arrière au-dessus des futurs
Tubercules Quadrijumeaux (fig. 126), On peut voir sur leur surface
8 DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU HUMAIN
externe une scissure de Sylvius rudimentaire ; et, de ce sillon large
et profond, partent un certain nombre de scissures peu profondes,
qui ont été décrites par Gratiolet et d'autres auteurs (et qui corres-
pondent avec des proéminences internes sur les parois des ventri-
cules latéraux). Quelques observateurs croient ces apparences arti-
ficielles; mais qu'elles soient artificielles ou naturelles, tout le monde
est d'accord qu'elles disparaissent au bout d'un certain temps, lors-
que les parois des venlricules laléraux deviennent plus épaisses.
FiG. 127. — Cerveau de Tortue (Chelone), vue latérale, à comparer avec la dernière
figure (Owen). C, cervelet; O, lobes optiques; P, cerveau; R^ lobos olfactifs.
C'est alors que les scissures et les circonvolutions permanentes
commencent à se développer sur la surface externe des Hémi-
sphères Cérébraux.
FiG. 1-2S. — Surface externe du cerveau fœtal à six mois (Sharpe}', d'après R. "Wagner)
Cette figure et la suivante sont destinées à montrer le commencement de la formation
des principales scissures, F, lobe frontal; P, lobe pariétal; O, lobe occipital; T, lobe
temporal; a a a, légère apparence des diverses circonvolutions frontales; s s, scissure
de Sylvius; s', sa division antérieure. Au fond de la scissure, C, lobe central ou
insulade Reil; r, sillon de Rolande; p, scissure perpendiculaire externe.
A cette période aussi les Corps Striés sont distinctement plus
gros; et près de leurs extrémités antérieures, on reconnaît un Corps
Calleux court et presque vertical (pas très différent de ce qui existe
chez les Marsupiaux). La Commissure Antérieure est grêle, mais dis-
tincte, La Commissure Molle ou Moyenne existe sous forme d'une
grosse saillie arrondie, partant de la face interne de chacune des
Couches Optiques; bien que les deux saillies ne soient pas encore
arrivées à se toucher de manière à former une véritable commissure.
PENDANT LA VIE UTÉRINE. 9
La cavité dont sont creuses les Lobes Optiques est encore plus
grande qu'auparavant. Les lobes latéraux du Cervelet se sont no-
tablement développés; tandis qu'ils sont séparés l'un de l'autre
(fig. 126, c) par une dépression médiane, — indiquant l'absence pres-
que complète, à cette période, du lobe médian.
En examinant la base du Cerveau, on trouve le Bulbe gros. Les
pyramides antérieures et les rudiments des olives, en dehors d'elles,
sont très distinctement reconnaissables. Une bande mince, marquée
d'un sillon médian, s'étend en travers, entre les lobes latéraux du
Cervelet. C'est la première trace du j)ont de Varole. En avant de lui
sont les Pédoncules Cérébraux : entre ces derniers sont le corpus
albicans (tubercule mamillaire) et le tuber cinereum; et, en avant de
FiG. 129.
Surface supérieure du cerveau fœtal à six mois (Sharpey,;d'après R.Wagner).
Mêmes indications que pour la figure .128.
ce dernier, la commissure des nerfs optiques. Tous les autres nerfs
cérébraux sont distinctement reconnaissables; bien qu'à cette pé-
riode ils soient excessivement grêles.
Après cette époque, le développement du Cerveau se poursuit,
d'après Gratiolet, avec la plus surprenante rapidité. Vers la fin du
5° MOIS, l'accroissement des Hémisphères Cérébraux a été si consi-
dérable, qu'ils couvrent complètement, non seulement les Tubercules
Quadrijumeaux, mais aussi le Cervelet, maintenant plus gros. La
scissure de Sylvius est large et ouverte (fig. 128), de manière à laisser
à découvert le lobe central ou imtda de Reil. Le commencement
du sillon de Rolande est parfois reconnaissable à cette période; et
l'on peut suivre les rudiments de circonvolutions sur les lobes fron-
taux et d'autres parties. Les parois des Hémisphères et des Lobes
Optiques ont acquis une épaisseur beaucoup plus grande ; et les prin-
10 DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU HUMAIN
€ipales commissures sont pour la plupart arrivées à leur condition
typique. C'est plus spécialement le cas pour le Corps Calleux et le
Trigone, entre lesquels le cinquième ventricule a commencé à paraître.
Les deux moitiés de la Commissure Moyenne se sont également
réunies.
Pendant cette même période, le Cervelet a subi des changements
importants. A partir de la fin du quatrième mois, le développement
■de ses lobes latéraux a lieu avec plus de lenteur ; et le lobe médian,
■absent jusque-là, non seulement commence à paraître, mais présente
aussi sur sa surface trois ou quatre plis transversaux. Leslobeslaté-
raux sont encore parfaitement lisses, — bien que, vers la fin du sixième
mois, ils soient également marqués de nombreuses scissures trans-
versales. La Protubérance, comme on l'a déjà signalé, subit un
développement corrélatif à celui des lobes latéraux du Cervelet.
Dans la dernière et importante période de la vie intra-utérine,
DU 6° A LA FIN DU 9' M0is,les changements qui se manifestent dans
le Cerveau sont beaucoup plus marqués que ceux qui se produisent
dans le Cervelet. Les parois des Hémisphères Cérébraux deviennent
plus épaisses; et il y a diminution proportionnée de la capacité des
ventricules latéraux, dont les trois cornes deviennent maintenant
tout à fait distinctes. Le Corps Calleux prend une direction plus
horizontale, et s'accroît à la fois en épaisseur et en longueur. Il
s'étend en arrière jusqu'au niveau des Lobes Optiques, qui sont
maintenant marqués d'un sillon transversal, et paraissent ainsi
comme de vrais tubercules quadri jumeaux. Les lobes occipitaux du
cerveau se développent davantage. Le profil général des Hémisphères,
vus en dessus, est celui d'un ovale allongé.
Pendant le 6' mois, se produit un développement surprenant de
scissures et de circonvolutions; de sorte que, vers les premiers temps
du septième mois, on peut suivre distinctement les principales
d'entre elles. Celles qui se manifestent les premières sur la surface
externe, sont la scissure de Sylvius et le sillon de Rolande. Ce der-
nier est à peine distinct jusqu'à la fin du sixième mois; mais, un peu
avant cette période, d'après Ecker, deux autres scissures apparais-
sent sur la face interne des Hémisphères: ]sl perpendiculaire into^ne
(fig. 130 P'), marquant la limite antérieure du lobe occipital, et la
scissure calcarine qu'elle rencontre en bas. Cette dernière est géné-
ralement regardée comme une extension postérieure de la scissure
de V Hippocampe, qui apparaît à peu près à la même époque, et qui
«xiste constamment, même chez les Vertébrés inférieurs, sur la
face interne du cerveau. Gratiolet croit même que cette dernière
scissure est la première qui paraisse sur la face interne des Hémi-
sphères. Un peu plus tard, on peut distinguer la scissure parallèle
du lobe temporal; et, comme on l'a déjà dit, vers le commencement
PENDANT LA VIE UTÉRINE,
11
du 1' mois, les autres principales scissures du cerveau ont fait leur
apparition.
Ecker a sans doute raison de penser que l'époque précise à laquelle
paraissent les principales scissures, est, ainsi que leur ordre d'appa-
rition, sujette à quelques variations chez les différents individus
Ainsi qu'Huxley, il estime qu'aucune preuve ne démontre que les
scissures du cerveau d'un Chimpanzé ou d'un Orang n'apparaissent
point dans le même ordre essentiel que chez l'enfant; malgré l'opi-
nion exprimée par Gratiolet qu'il existe sous ce rapport de légères
différences.
A l'époque de la naissance, le développement des circonvolutions
Fis. 130. — Vue de la face interne de la moitié droite à\x cerveau fœtal, à six mois envi-
ron (Sharpej', d'après Reichert). F, lobe frontal; P, lobe pariétal; O, lobe occipital ;
T, lobe temporal; I, bulbe olfactif; II, nerf optique droit; fp, scissure calloso-mar-
ginale ; ;j, scissure perpendiculaire; /(, scissure calcarine; gg, circonvolution du corps
calleux {gyrus fornicatus); c c, corps calleux; s, septum lucidum; f, la lettre est pla-
cée entre la commissure moyenne et le trou de Monro ; t; est à la partie supérieure du
troisième ventricule, immédiatement au-dessus du vélum interpositum et du trigone.
v', dans la partie postérieure du troisième ventricule, au-dessous de la glande pinéale,
et en avant de l'entrée de Vaqueduc de Sylvius ; d'V dans la partie inférieure du
troisième ventricule, au-dessus de l'infundibulum ; r, processus pinealis, se détachant
en arrière de la toile clioroïdienne ; p v pont de Varole; c e, cervelet.
est si complet chez l'Enfant, qu'elles ne diffèrent de celles de l'adulte
qu'en ce qu'elles présentent un peu moins de complications pour
les détails de moindre importance.
Toutefois, tandis que les circonvolutions atteignent ce haut degré
de complexité, il se produit quelques changements importants dans
le développement relatif des divers lobes du cerveau. Au 7" mois, le
lobe pariétal est remarquablement petit', et, apparemment, en con-
1. Voyez Gratiolet, Anatomie comparée du Système Nerveux, PL XXXI,
fig-. l.
12 DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU HUMAIN
séquence de cela, le sillon de Rolando est courbé presqu'à angle
droit, exactement comme dans le cerveau de l'Orang adulte, et à un
degré moindre dans celui du Chimpanzé. A cette même époque, le
lobe frontal est gros, ainsi que le lobe temporal; bien que les cir-
convolutions de ce dernier ne soient encore que bien imparfaite-
ment marquées. La longueur du lobe temporal et l'étendue du pro-
longement postérieur de la scissure de Sylvius sont aussi des traits
remarquables du cerveau fœtal. Nous avons déjà eu à signaler ces
caractères dans le cerveau de beaucoup de Quadrumanes, et nous au-
rons encore l'occasion de parler de ces mêmes particularités, comme
existant chez les cerveaux humains adultes d'un type peu élevé.
A l'époque de la naissance, le développement plus complet du
lobe pariétal a diminué de beaucoup la courbure du sillon de
Rolando. Le contour du cerveau, vu en dessus, est encore un ovale
allongé, bien qu'il soit distinctement plus large, dans les régions
frontale et pariétale, que chez le fœtus de sept mois représenté
par Gratiolet; et ce contour s'accorde presque exactement avec
celui du cerveau de la femme Boschimane adulte, qui a été publié
par Marshall (fig. 135).
D'après S. van der Kolk et Vrolik, il semble que, par leur pro-
portion relative, les lobes cérébraux d'un Enfant nouveau-né tiennent
juste le milieu entre ceux du Chimpanzé et ceux de l'Homme adulte.
Mais, chez l'Orang adulte, il existe la même proportion entre les lobes
cérébraux que chez l'Enfant nouveau-né; de sorte que, sous ce
rapport comme sous plusieurs autres, le cerveau de l'Orang semble
avoir subi une évolution plus parfaite que celui du Chimpanzé.
• Le Cervelet est relativement petit chez l'Enfant nouveau-né. Son
poids proportionnel, comparé à celui du Cerveau à la même époque,
est moindre que chez aucun des grands Anthropomorphes. Ceci,
toutefois, n'est point dû à une diminution dans le développement
du Cervelet ; mais plutôt à ce que, chez l'Homme, l'accroissement
total du volume du Cerveau est beaucoup plus considérable que
celui du Cervelet ; et à ce que cet accroissement plus considérable
est déjà, à l'époque de la naissance, plus manifeste dans le Cerveau
que dans le Cervelet. Ce fait a été également établi par les anato-
mistes hollandais, puisqu'ils ont trouvé que le poids du Cerveau chez
le nouveau-né est, au poids du Cerveau, chez l'adulte, comme 96:
157; tandis le poids du Cervelet du nouveau-né est au poids du
Cervelet de l'Homme adulte comme 22 : 50.
La proportion réelle du poids du Cervelet à celui du Cerveau,
chez le nouveau-né, varie d'après Chaussier de 1 : 13 à 1 : 26 ; et
Cruvelhier s'est assuré qu'il est de 1 : 20. D'autre part, d'après
Sharpey, le rapport du poids du Cervelet à celui du Cerveau est, chez
l'Homme adulte, 1 : 8 *■ et chez la Femme adulte 1:8^.
PENDANT LA VIE UTÉRINE. 13
On peut voir, d'après ces chiffres, combien le développement du
Cervelet est resté en arrière de celui du Cerveau, chez l'Enfant, à
répoque de la naissance.
Quant aux caractères microscopiques du Cerveau fœtal, une
seule indication brève, mais importante, mérite d'être rapportée ici.
D'après Lockhart Clarke ^ : a Dans le cerveau fœtal des Mammi-
fères et de l'Homme, la structure (des circonvolutions cérébrales)
consiste au début en un réseau nucléé ininterrompu. A mesure que
le développement avance, on peut distinguer des couches séparées. »
Mais, même dans ces couches, on ne peut reconnaître « que des
noyaux arrondis reliés par un réseau de fibres » ou, dans d'autres
parties, des groupes de noyaux plus allongés, au lieu des cellules
nerveuses distinctes, mais de formes différentes, réunies entre elles
par leurs prolongements, que l'on décrira dans un chapitre ultérieur
comme les constituants principaux et caractéristiques des circon-
volutions cérébrales, à leur état de développement complet.
1. Notes of Researches on tlie Intimate Structure of the Brairi — Proceed.
of the Royal Society, 1863, p. 721.
CHAPITRE XX
VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN
Le volume et le poids du Cerveau humain peuvent être estimés
de deux manières, dont l'une peut être appelée direcle et l'autre
liidirecle.
Nous pouvons assurément mesurer et peser l'organe lorsqu'il est
accessible ; et une grande somme de travail a été dépensée dans cette
direction, principalement par des observateurs anglais, sur des indi-
vidus d'âge, de sexe et de conditions différents.
Mais lorsque l'anatomiste ne possède que les crânes des repré-
sentants d'anciens peuples, ou de nations étrangères, ou de tribus
sauvages, il doit, pour acquérir des notions définies sur le volume
et le poids des organes que ces crânes ont renfermés, adopter une
méthode uniforme et soigneusement étudiée pour s'assurer de leur
capacité exacte. Des chiffres de capacité crânienne ainsi obtenus, on
pourra, lorsque certaines autres données seront connues, déduire
avec une certaine exactitude le poids probable du Cerveau corres-
pondant.
Cette dernière manière indirecte de procéder est justifiable, et
capable de donner des résultats dignes de foi; car, à l'état de santé,
le Cerveau humain remplit invariablement le crâne auquel il appar-
tient, sauf l'intervention de quelques enveloppes membraneuses
minces, avec des vaisseaux et des espaces sanguins, — dont on peut
finalement tenir compte. Il reste encore toutefois beaucoup à faire,
avant que l'on puisse déterminer d'une façon exacte à combien s'élève
le total des déductions à opérer, et l'étendue dans laquelle il varie
avec l'âge, le sexe et la race; et l'on peut en dire autant des diffé-
rences de capacité des ventricules latéraux, puisque les variations,
en plus ou en moins de la capacité normale peuvent parfois intervenir
comme cause d'erreur dans une estimation indirecte du poids du
Cerveau. Ainsi donc, bien qu'il soit vrai qu'il existe toujours cer-
taines relations entre la capacité crânienne et le poids du Cerveau,
on ne saurait dire qu'elles aient encore été déterminées autrement
que d'une manière préliminaire. D'après la règle générale posée par
CAPACITÉ CRANIENNE. 15.
le docteur Barnard Davis, en déduisant environ 15 p. % de la capa-
cité du crâne, on obtient le volume du Cerveau; et l'on peut, par le
calcul, en déduire son poids'.
Les deux méthodes, direcle et indirecte, sont de grande utilité;
et les investigateurs expérimentés peuvent avoir recours à l'une ou
à l'autre, suivant qu'ils ont à examiner des Crânes ou des Cerveaux.
Chaque méthode offre certains avantages; mais, somme toute, on peut
dire que, si les Cerveaux étaient toujours accessibles, on entendrait
probablement moins parler des capacités crâniennes. La méthode
indirecte semble bien calculée pour donner des moyennes de race.
Fis. 131. — Un côté du crâne enlevé pour montrer la dure-mère avec ses vaisseaux en-
veloppant le cerveau (d'après Hirschfeld et Léveillé). a, commencement du grand
sinus veineux longitudinal qui se continue en arrière vers b. Tout près de b est situé
le point de rencontre de plusieurs sinus veineux.
OU poids le plus ordinaire, lorsqu'on mesure avec soin un nombre
suffisant de crânes, par une méthode capable de donner des résul-
tats uniformes et corrects.
Il ne faut toutefois jamais oublier que le volume du Crâne, et
avec lui le poids du Cerveau, varie dans de certaines limites suivant
la stature de l'individu; de manière que l'accroissement de stature
est accompagné d'une augmentation de' poids- du Cerveau, bien que
cette augmentation marche d'autant moins vite que la stature s'ac-
croît davantage. Ceci est appuyé sur l'autorité de MarslialP, qui a
aussi calculé, d'après des tables colossales fournies par Boyd (et
d'après des notes à lui), que, pour les Anglais, une variation de
7 pouces dans la taille est accompagnée d'une variation de 2 onces 75
dans le poids du Cerveau chez les Hommes; tandis que, chez les
Femmes, une variation de 6 pouces dans la taille n'en donne qu'une
de 1 once 25 dans le poids du Cerveau. Ainsi donc, lorsqu'on com-
\. Voyez : On the IVeight of tlie Brain in the différent races of Man —
PMlosoph. Trans., 1868, p. 506 et 526.
2. Proceed. of the Boij. Soc. ,1815, vol. XXIII, p. 564.
16
VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
pare le poids du Cerveau chez des individus de stature différente, en
vue de reconnaître l'influence d'autres conditions sur le poids de
cet organe, il faut toujours avoir présent à l'esprit que la différence
de stature est elle-même une cause puissante de différences, avec
laquelle il faut compter tout d'abord.
On peut établir ici, en termes généraux, qu'un peu moins de ^ du
poids total d'un Cerveau représentera chez les Hommes le poids du
FiG. 132. — Cerveau et cervelet de l'Homme, montrant le volume relatif de ces parties de
l'Encéphale (d'après Hirschfeld et Léveillé).
Cervelet. Pour les Femmes toutefois, le poids relatif du Cervelet est
plutôt plus grand (1 : 8 i) ce qui est dû à une réduction proportion-
nelle, chez elles, du volume du Cerveau.
CAPACITES CKANIENNES
On ne peut connaître la capacité crânienne moyenne d'une race
quelconque que par l'examen d'une nombreuse série de Crânes de
cette race, assortis d'après le sexe. L'importance de ce dernier point
est grande; car, ainsi que le signale Flower, la différence de sexe,
dans son influence sur la capacité du Crâne, est décidément plus
grande que la différence de race.
Les manières d'estimer la capacité crânienne ont tellement varié à
diverses époques et suivant les différents observateurs, qu'il est par-
fois difficile et peu sûr de comparer entre eux les résultats obtenus.
11 serait fort important qu'une méthode internationale fût univer-
sellement adoptée par les travailleurs des divers pays. Nous pour-
rions alors, au bout d'un certain temps, avoir des résultats stricte-
ment comparables les uns aux autres^.
1. Voyez Flower, in : Brit. Meclic. Journ., 12 avril 1879, p. 540, et un autre
mémoire du même auteur, ISlethods and Residts of Measurement of Capacity
of Crania, in Rep. of Brit. Assoc. pour 1878.
CAPACITÉ CRANIENNE. 17
VogtS donne une table de capacités crâniennes, fournies par divers
observateurs, dont les données les plus intéressantes proviennent des
recherches de Broca sur un grand nombre de Crânes provenant de
certains cimetières de Paris, dont, pour diverses raisons, on avait à
déranger les sépultures. 11 dit :
« Broca pi^ofita de l'occasion fort rare d'examiner un certain nombre de
crânes trouvés à Paris (en posant les fondations du nouveau Tribunal de
commerce), dans un caveau situé à trois mètres de profondeur, en un point
déjà couvert de maisons à l'époque de Philippe-Auguste. Les crânes doivent
donc dater au moins du xu'= siècle, et beaucoup d'entre eux, peut-être, de la
période carlovingienne. Ils appartenaient certainement à des individus de haut
rang, puisqu'on les trouva dans des caveaux fermés. »
La capacité moyenne de 115 de ces Crânes du xn" siècle fut
trouvée de lZi25,98 centimètres cubes.
Une autre série de Crânes provenait du cimetière de FOuest, qui
fut affecté à cet usage de 1788 à 182^. De ceux-ci, qu'on peut appeler
Crânes du xix'= siècle, 125 furent examinés et donnèrent une capacité
de lZi61,53 centimètres cubes.
11 n'est donc pas sans intérêt de remarquer que, dans le cours de
sept siècles de civilisation progressive, la moyenne du Crâne Pari-
sien semble avoir distinctement augmenté de capacité.
C'est en outre, comme le signale Vogt, un fait remarquable « que
la différence entre les sexes au point de vue delà capacité crânienne
augmente avec le développement de la race, de sorte que l'Euro-
péen est de beaucoup plus au-dessus de l'Européenne que le Nègre
ne l'est de la Négresse. »
Le Bon a aussi récemment établi ^ que la différence qui existe
entre la capacité moyenne des Crânes d'Homme et de Femme, chez
les Parisiens modernes, est près du double de celle qui existe entre
les Crânes d'Hommes et de Femmes de l'ancienne Egypte.
Ceci doit être regardé comme une autre preuve intéressante que
ies effets de la civilisation conduisent à un accroissement de déve-
loppement du Cerveau; car, ainsi que le remarque Vogt:
« Moins l'état de culture est élevé, plus les occupations des deux sexes
sont semblables. Chez les Australiens, les Boschimans et autres races infé-
rieures ne possédant pas d'habitations fixes, la femme partage tous les travaux
de son époux et a en outre les soins de la famille. La sphère d'occupation est
1. Lectures on Man {Anthrop. Soc.) p. 88.
2. Comptes rendus, 8 juillet 1878, p. 80. Depuis que ce chapitre est à l'im-
pression un mémoire plus long, de Le Bon, a paru dans la Revue d'Anthropo-
logie de janvier 1879.
Charlton Bastian. — II. 2
18
VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
îa même pom' les deux sexes; tandis que, chez les nations civilisées, il y a di-
vi sion du travail mental. S'il est vrai que tout organe se fortifie par l'exercice
et augmente de volume et de poids, il en doit être ainsi pour le cerveau, qui
se développe davantage par l'exercice mental proprement dit. »
En outre, Le Bon a montré que l'étendue de variation dans la
capacité crânienne^ que l'on rencontre cliez différents individus du
sexe masculin, semble d'autant plus grande que la position de la race
est plus élevée dans l'échelle de la civilisation. « Ainsi les gros et les
petits Crânes masculins chez les Nègres, peuvent présenter des diffé-
rences de 20Zi centimètres cubes; chez les anciens Égyptiens, de 353;
chez les Parisiens du xu^ siècle, de /i72; et chez les Parisiens
modernes, de 593. » Il estime, en conséquence, que le signe réel de
supériorité d'une race sur une autre, pour ce qui est de la capacité
crânienne^ ne peut être obtenu par des moyennes qui peuvent être,
et sont souvent, fort trompeuses; mais plutôt en recherchant com-
bien pour cent d'individus de chaque race possèdent des Crânes de
volumes donnés. « La race supérieure, d'après Le Bon, contient
beaucoup plus de Crânes volumineux que la race inférieure. Sur
100 Crânes Parisiens modernes, il y en aura à peu près 11 dont la
capacité atteindra -de 1700 à 1900 centimètres cubes; tandis que, sur
le même nombre de Crânes Nègres, on n'en trouvera pas un seul qui
possède ces capacités. » Dans son travail plus récent et plus étendu,
iLe Bon donne, à l'appui de ses vues, l'intéressante table que voici :
Capacité crânienne chez les diEFéreutes races humaines.
CAPACITÉ
PARISIENS
PARISIENS
DU
ANCIENS
NÈGRES.
AUSTRA lEN
CRANIENNE.
MODERNES.
Xlie SIÈCLE.
EGYPTIENS.
Centimètres cubes.
1200 à 1300. . .
0,0
0,0
0.0
7,4
45,0
1300 à 1400. . .
10.4
7,5
12,1
35,2
25,0
1400 à 1500. . .
14,3
37,3
42,5
33,4
20.0
1500 à 1600. . .
46,7
29,8
36,4
14,7
10,0
1600 à 1700. . .
16,9
20,9
9,0
9,3
0,0
1700 à 1800. . .
6,5
4,5
0,0
0,0
0,0
1800 à 1900...
5,2
0,0
0,0
0,0
0,0
Le même auteur ajoute^ : «La capacité crânienne du Gorille
-atteint souvent 600 centimètres cubes, de sorte qu'il suit de là qu'il
1. Loc. cit., p. 75.
MANIERES DE PESER. 19
y a un grand nombre criiommes qui sont alliés de plus près, par le
volume de leur cerveau, aux singes anthropomorphes, qu'ils ne le sont
à quelques autres hommes. »
POIDS DU CERVEAU
La manière de peser le cerveau n'a pas toujours été la même
pour les différents observateurs. Quelques-uns avaient coutume de
débarrasser l'organe de ses minces enveloppes membraneuses, avant
de le mettre dans la balance; tandis que d'autres les pesaient avec
lui. Mais le poids de la pie-mère et de l'arachnoïde est assez exacte-
ment connu, et excéderait à peine 21 à 28 grammes. En outre, parmi
ceux qui ont suivi la dernière méthode, qui est aussi de beaucoup la
plus commune, quelques-uns ont pesé le cerveau dans son état d'in-
tégrité, presque aussitôt qu'il était retiré du corps, tandis qu'un
observateur au moins, le docteur Thurnam, avait l'habitude de le
couper d'abord par tranches pour permettre à la sérosité et au sang
de s'écouler pendant une ou deux heures, avant de mettre l'organe
dans la balance. Par ce dernier procédé, le poids total peut être
diminué, dans certains cas, de 28 à 56 grammes^.
Comme ces causes de variations sont presque les seules possibles,
lorsque les pesées sont faites avec le soin ordinaire, les poids du
cerveau, obtenus par les différents observateurs, sont plus strictement
comparables l'un à l'autre que les estimations Û.Q capacité crânienne^
que les divers observateurs ont obtenues en suivant, comme la plupart
l'ont fait, des méthodes très différentes, et dont les indices relatifs
de variation n'ont point encore été déterminés.
Assurément, la plupart des causes qui affectent la capacité
crânienne des individus affectent aussi le poids de leur cerveau, et
vice versa. Mais, sauf pour ce qui tient à la comparaison des races
anciennes et modernes, ces conditions ont été beaucoup mieux
élucidées pour les poids que pour les capacités crâniennes.
Nous allons signaler brièvement quelques-unes des principales
causes de modification.
Age, — Les premiers anatomistes, et même Tiedemann et sir
William Hamilton, croyaient que le cerveau humain atteignait son
plus grand développement vers la septième année. Nous savons main-
tenant que cela n'est pas exact : cependant, d'après des recherches
fort étendues du docteur Boyd, qui ont été réduites en tables par
1. Voyez un excellent mémoire du D' Thurnam : On the Weight of the
Human Brain and on the Circumstances afjecting it. — Journal of Mental
Science, 1866.
20 VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
Thurnam {loc. cit. stable ix), il semblerait que, chez les enfants mâles„
il atteint réellement les f de son poids définitif à la fin de la
septième année ; et, chez les petites filles, environ les ^ dece poids à
la même période. En outre, d'après cette table, le poids maximum du
cerveau, pour les deux sexes, se rencontra chez des individus qui ne
dépassaient pas la vingtième année.
Après une considération attentive des résultats précédemment
obtenus, Thurnam arrive aux conclusions suivantes :
« On peut admettre, en général, que le poids moyen du cerveau subit un
accroissement progressif jusqu'à une époque située entre la vinglième et la
quarantième année. D'après toutes les tables que nous avons sous les yeux, et
qui se rapportent à des cerveaux sains, le poids moyen le plus considérable est,
chez les hommes, celui de la période décennale moyenne, ou de trente à qua-
rante ans; et ceci, comme l'observe M. Broca, s'accorde parfaitement avec ce
que nous savons de la continuation de développement de l'intelligence durant
toute cette période. Pour les femmes, le poids total moyen du cerveau est peut-
être atteint dans la décade précédente, de vingt à trente ans. Mais la diflerence
entre les deux sexes n'est pas grande sous ce rapport. De quarante à cinquante
ans, il y a une légère diminution de poids; et une plus grande de cinquante à
soixante. Après soixante ans, la décroissance est encore plus grande; le proces-
sus de dépérissement devient de plus en plus rapide ; et ainsi, pendant la hui-
tième décade de l'existence, le poids moyen du cerveau est de 80 à 90 gram-
mes plus petit que ce qu'il était pendant la quatrième décade. Chez les gens
âgés, en moyenne, le poids du cerveau diminue pari passu avec l'intelligence.
Il y a beaucoup d'exceptions à cette règle générale; et quelques personnes, sur-
tout dans la classe plus cultivée et instruite, conservent jusqu'à l'âge le plus
avancé la plénitude et la vigueur de leurs facultés. Le cerveau de ces hommes,,
comme l'observait feu le professeur Gratiolet, demeure dans un état de jeu-
nesse perpétuelle; et ne perd que peu ou point du poids qu'il possédait à la
fleur de l'âge. »
Sexe. — « Mes propres observations, dit Thurnam, confirment plei-
nement celles de précédents auteurs, qui ont déclaré que le poids
moyen du cerveau de l'homme adulte est environ de 10 pour 100
supérieur à celui du cerveau de la femme. Comme le dit le profes-
seur Welcker : « Le poids du cerveau de l'homme (1390 grammes) est
à celui de la femme (1250 grammes) comme 100.: 90. «On observe de
légères variations dans les poids du cerveau des deux sexes, donnés
par différents observateurs; mais on verra que la différence moyenne
est exprimée avec beaucoup d'exactitude par les chiffres ci-des-
sus. »
La différence entre le poids moyen du cerveau de l'homme et
celui de la femme, d'après la supputation de Welcker, est de
l/iO grammes; mais, d'après les observations du docteur Peacock sur
les Écossais, elle gérait de 150 grammes.
DIFFÉRENCES SEXUELLES. 21
Thurnam dit :
u Quelques-uns ont supposé avec Tiedemann que le volume moindre du
cei'veau de la femme est simplement dû à sa moindre stature. Ceci toutefois
n'est point exact ; et M. Parchappe a montré depuis longtemps, bien que d'a-
près un nombre trop restreint de pesées, que la différence était plus grande
qu'on ne pouvait l'expliquer de cette manière. Je puis confirmer cette opinion,
d'après des calculs fondés sur les grandes tables du docteur Boyd pour St-
Marylebone. Dans ce but, j'ai examiné et comparé la stature moyenne et le
poids du cerveau pour les hommes et les femmes aux périodes décennales de
vingt à soixante ans Tandis que le poids du cerveau est de prés de 10 pour
cent moindre chez la femme, la stature ne l'est que de 8 pour cent. »
Poids du corps et stature. — La relation du poids du cerveau
au poids du corps suit presque exactement les mêmes lois que nous
avons observées chez les animaux inférieurs; c'est-à-dire que la
proportion diminue avec l'accroissement du poids et de la stature
du corps; de sorte que, ainsi que Tiedemann Ta observé, « plus
l'homme approche de sa croissance complète, plus le poids de son
cerveau est petit relativement à celui de son corps. »
11 varie aussi avec le degré d'obésité : « chez des personnes maigres
la proportion est souvent de 1 : 22 ou 27; chez les personnes fortes,
de 1 : 50 ou 100. »
Mais, comme le dit Thurnam : « Bien qu'on puisse se demander
s'il y a à tirer beaucoup de déductions physiologiques utiles de la
proportion du poids du cerveau et du corps chez les deux sexes, la
comparaison du poids du cerveau avec la stature peut amener à des
conclusions de plus de valeur... Parchappe concluait que, toutes
choses égales d'ailleurs, le poids du cerveau chez les deux sexes est
relativement plus grand chez les personnes de haute taille que chez
celles de petite stature; la différence entre les deux pouvant être de
cinq pour cent : c'est-à-dire le cerveau d'un homme grand étant
représenté par 100, celui d'un homme de petite taille le sera par 95.
La différence était un peu moindre chez les femmes. » Ceci s'accorde
tout à fait avec les supputations plus récentes de Marshall.
Race. — On n'a encore que relativement peu d'observations sur
ce sujet si vaste, — la question de la moyenne ou poids ordinaire du
cerveau chez les différentes races d'hommes. On a fait un peu plus,
en ce sens, pour les variations de capacité crânienne.
On a toutefois commencé à déterminer le poids moyen du cerveau
pour les Anglais et les Écossais; et, avec moins de précision, pour les
Français et les Allemands. Mais les observations faites jusqu'ici ne
proviennent que d'étendues de pays trop restreintes; et les personnes
sur lesquelles elles portent appartenaient trop au même état social
et au même degré d'éducation.
22 VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
Thurnam pense que le chiffre de Welcker (1390 grammes) repré-
sente avec beaucoup d'exactitude le poids moyen du cerveau de
l'homme européen, chez des personnes de vingt à soixante ans. II
donne le tableau suivant, montrant la moj^enne du poids pour chaque
peuple, par rapport à ce chiffre-là.
Relation de poids du cerveau de dilFérents peuples européens :
HOMMES. GRAMMES. PEOPORTION.
Européens (Welcker) 1390 . 100
Anglais (Boijd) 1354 97
— {Peacock) 1388 99
Français (Parchappe) 1358 98
Allemands, etc. (Wagner). . . 1371 98,5
Écossais (Peacock) 1417 102
11 sera intéressant de placer, à côté de ce tableau, celui donné
par Thurnam, et comprenant les résultats moyens des pesées de
douze cerveaux nègres.
Comparaison du poids moyen de cerveaux de Wègres
et d'Européens :
HOMMES. GRAMMES. PROPORTION.
Européens 1390 100
îiègres(Tîedemann i) 1252 90
— (Peacock 5 ) 1255 90
— (Barkoio 3) 1261 90
(Moyenne de 12 ) 1255 90
Ces observations, comme le dit Thurnam, s'accordent « à établir
que le poids du cerveau de l'homme nègre est le même que celui de
la femme européenne. » Il ajoute : « On saurait à peine mettre en
question l'influence décidée de la race sur le poids du cerveau; et il
n'y a guère de doutes qu'on s'assurera plus tard, par l'observation
directe, du volume plus petit du cerveau chez d'autres races méla-
niques et inférieures. Les cerveaux des Hindous, des Hottentots, des
Boschimans et des Australienspèsent 'probablement moins^même que
celui du nègre; mais, dans toutes ces comparaisons, il faut considérer
la stature'.
1. Il y a quelque raison de ciboire, qu'à mesure qu'on s'élève vers le Nord,
la stature humaine moyenne s'accroît dans une certaine mesure, et avec elle
DIFFÉRENCES DE RACE. 2'S
On n'a pas jusqu'à présent de données sur le poids du cerveau
des hommes de ces dernières races; mais, d'après le poids de celui
de trois femmes boscliimanes, ainsi que d'après ce que nous savons,
de la capacité crânienne chez ces races, on peut très rationnelle-
ment supposer que le poids de leur cerveau tombera nettement au-
dessous de celui du Nègre.
« Le cerveau d'une Boschimane, examiné parle professeur Marshall, pesait
31 onces et demie; tandis que, d'api'ès les calculs du même auteur, le cerveauj
d'une Anglaise à peu près du même âge et de la même taille ne pèserait pas^
en moyenne, moins de 40 onces. Le cerveau d'une autre femme boschimane,.
ordinairement connue sous le nom de Vénus hottentote, et qui fut examinée
par Gratiolet, était, dit-on, un peu plus gros ; bien qu'on ne se soit point assuré
de son poids exact. Enfin (quoique le premier par ordre de date) le docteur
Quain a donné le poids du cerveau d'une fille boschimane de quatorze an&
et de 1",08 de hauteur. Ce poids était de 963 grammes. Ceci, comme le si-
gnale le docteur Thurnam, est même au-dessous du poids moyen du cerveau
de la petite fille anglaise de deux à quatre ans, chez laquelle, d'après les tables
du docteur Boyd, ce poids est de 991 grammes pour une taille moyenne de
0"',87.» Si l'on considère en outre, comme le montrent aussi les tables du doc-
teur Boyd, qu'à la fin de la septième année le cerveau de la petite fille a
atteint au moins les 10/11"^ de son poids définitif, le cerveau de cette petite
fille boschimane ne doit pas avoir été de beaucoup au-dessous du poids qu'ii
eût atteint à l'état adulte. »
Les Chinois représentent la plus ancienne et la plus persistante,,
sinon la plus avancée, des civilisations du monde; et, tout récem-
ment le docteur C. Clapham a donné le poids du cerveau de onze
hommes et de cinq femmes adultes^. «A l'exception, dit-il, d'un seu!
individu, ils appartenaient tous au rang le plus inférieur de la société
chinoise, aux coolies; cependant le poids de leur cerveau était
remarquablement élevé, si l'on considérait que ce n'étaient en rien des.
hommes choisis, mais simplement des victimes du grand typhon qui
sévit à Hong-Kong en septembre 187/t. Il ne faut point toutefois
oublier l'influence de la congestion, due au genre de mort, et qui
peut avoir élevé légèrement le poids de ces cerveaux.
la capacité crânienne moyenne et le poids moyen du cerveau. Cependant le»
Lapons et les Esquimaux sont de taille extrêmement petite, bien que leur capa-
cité ci'ânienne demeure d'une grandeur peu ordinaire.
1. Journ. of the Anthropolog. Inst., vol. YII, p. 90.
VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
H.
Poids du cerveau de seize Chinois :
HOMMES. FEMMES.
Age probable.
30.
28.
45.
40.
50.
40.
25.
48.
55.
35.
30.
Moyenne.
Poids.
1410 gr.
1418 —
1516 —
1587 —
1410 —
1360 —
1318 —
1530 —
1403 —
1467 —
1310 —
1430 gr.
NOS
Age probable.
26.
38.
30.
70.
18.
Poids.
1289 gr.
1389 —
1247 --
1234 —
1310 —
Moyenne .
1293 —
On reviendra ci-après sur la signification de ces cliiffres.
Pouvoir mental et degré d'éducation. — Sous ce titre, nous
allons passer brièvement en revue ce que l'on sait, chez l'horame, de
la relation entre l'intelligence et le degré d'éducation, et le volume
et le poids du Cerveau. Il y aurait besoin d'un beaucoup plus grand
nombre de faits, pour que l'on pût considérer le sujet comme un
peu élucidé; et même quelques-unes des données que nous possé-
dons aujourd'hui semblent à première vue légèrement contradic-
toires. Cette contradiction est toutefois plus apparente que réelle.
On a déjà fait allusion à ce sujet dans ce qui a été dit de la
capacité plus grande du crâne, et du poids plus considérable du
Cerveau, chez les civilisés que chez les sauvages; et de la capacité
crânienne plus considérable chez les Parisiens du xix'= siècle que
chez ceux du xii^ siècle. On peut rapporter maintenant d'autres faits
ayant la même signification générale. Par exemple, le docteur Thur-
nam s'est assuré que le poids moyen du Cerveau chez les aliénés,
hommes, de York-Retreat, qui appartiennent à la classe moyenne et
plus instruite, est nettement plus élevé que celui des pauvres qui
meurent dans les asiles des comtés de Somerset et de "Wilts^. Broca
a fait aussi quelques investigations pour comparer les dimensions de
la tête chez un certain nombre d'étudiants en médecine et chez un
certain nombre de domestiques du grand hôpital de Bicêtre. Le
1. La différence n'était pas aussi nettement marquée entre les poids des
cerveaux des femmes de ces deux classes; fait qui s'accorde avec d'autres déjà
cités, et d'autres encore que l'on citera plus loin, pour prouver que, chez les
femmes, l'étendue de variation sous l'influence de conditions diverses est
moins considérable que chez l'homme.
INFLUENCE DE L'EDUCATION.
25
résultat a montré une prépondérance distincte de la part des
étudiants. Ceci toutefois n'est point aisé à comprendre; à moins
qu'il ne nous faille croire que l'éducation supérieure des étudiants
a, pendant leur vie individuelle, donné naissance à un accroissement
marqué du cerveau et de la tête. Parmi les ancêtres des étudiants
et des domestiques, il est fort possible que, dans beaucoup de cas,
le degré relatif d'éducation et d'exercice cérébral habituel ait été
complètement renversé. Si Broca pouvait mesurer de nouveau les
têtes de ces deux séries de personnes, c'est-à-dire des mêmes indi-
vidus, au bout de dix ans, la différence relative entre ces deux
mesures des deux classes pourrait donner quelque renseignement
intéressant. Mais pourrait-on observer quelques différences, au bout
de ce temps, entre ces deux séries de mesures; et, s'il en était ainsi,
pourrait-on leur assigner pour cause un exercice cérébral supérieur?
Ces questions très douteuses restent encore à résoudre^.
On trouvera généralement que toute série considérable de crânes
ou de cerveaux renferme des représentants des trois classes artifi-
cielles en lesquelles il convient de les diviser. D'abord ceux de
capacité ou de poids moyen; puis ceux qui sont plus ou moins
décidément gros (mégalocéphales). Pour les poids du Cerveau,
Thurnam s'est arrêté aux nombres suivants, comme aux plus utiles à
adopter pour distinguer ces classes.
CERVEAUX
CERVEAUX
CERVEAUX
MICROCÉPHALES.
DE VOLUME MOYEN.
MBO-ALOCÉPHALES.
a. — Microcéphalie
commençante.
Hommes — de 1130 à
1062 grammes.
Femmes — de 990 à
Hommes de 1130 à
1490 grammes.
Femmes — de 990 à
1345 grammes.
a. — Mégalocéphalie
commençante.
Hommes — de 1490 à
1560 grammes.
Femmes — de 1345 à
920 grammes.
1417 grammes.
h. — Microcéphalie
décidée.
b. — Mégalocéphalie
décidée.
Hommes — au-dessous
Hommes — 1560 gram.
de 1062 grammes.
et au-dessus.
Femmes — au-dessous
Femmes — 1417 gram.
de 920 grammes.
et au-dessus.
1. Le Bon a publié aussi un tableau montrant la mesure circonférentielle
de la tête (qui varie entre 52 centim. et 02 centim. 5) chez des individus
appartenant à différentes classes sociales, actuellement vivant à Paris, et qui,
2G VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
Ce tableau est utile, car il montre la large étendue des variations
que Ton peut rencontrer dans le poids du Cerveau des hommes et
des femmes. On peut toutefois y ajouter }es conclusions que le
docteur Sharpey a déduites d'une soigneuse analyse par tableaux
qu'il a faite des poids cérébraux publiés par Sims, Clendinning,
Tiedemann et Reid. Ayant rejeté de son tableau tous les cas dans
lesquels on supposait qu'il y avait eu maladie cérébrale, le docteur
Sharpey dit :
« D'après cette table, le poids maximum du Cerveau de l'homme adulte, dans
une série de 278 cas, était 1,842 grammes; et le poids minimum 963 grammes.
Sur une série de 191 cas, le poids maximum du cerveau chez la femme adulte
était 1,587 grammes, et le minimum 878 ; la différence entre les poids extrêmes
chez les hommes n'était donc pas moindre de 879 grammes, et chez la
femme de 709 grammes. Le poids du Cerveau de l'homme adulte paraît donc
être sujet à des variations d'une plus grande étendue que celui de la femme.
En groupant les cas ensemble par des crochets, de la manière indiquée, on
trouve que la plus grande partie des Cerveaux d'homme se tient entre
1, 304 grammes et 1,502 grammes, et la plus grande partie des Cerveaux de femme
entre \,\62 grammes et l,332grammes. On peut donc dire que les poids dominants
du Cerveau de l'homme et de la femme adulte sont compris entre ces limites
et, en prenant la moyenne ou poids moyen, on en déduit 1,403 grammes pour
les hommes et 1,247 grammes pour les femmes — résultats qui correspondent
tout à fait à ce que l'on admet généralement.. La supériorité générale en poids
absolu du cerveau de l'homme sur celui de la femme existe, comme le montre
le tableau 2> à toute époque de la vie. Tiedemann a trouvé que, chez les enfants
nouveau-nés, le cerveau pesait de 411 gi"ammes à 446 grammes chez les gar-
çons et de 283 à 375 grammes chez les filles. »
{A). — Quelques-unes des conditions qui coïncident avec les poids
■peu élevés du Cerveau : Le poids moyen, chez les personnes qui
meurent dans les asiles d'aliénés, a été trouvé nettement inférieur à
celui des Cerveaux de personnes de la même classe, mais saines d'es-
prit. Une partie de cette diminution, chez les insensés en général,
est due sans doute, comme le suggère Thurnam, à une atrophié
partielle des circonvolutions; bien qu'une partie puisse aussi être
attribuée, chez certains représentants de cette classe, à la petitesse
initiale du Cerveau. Mais, coiume le remarque le même auteur, « le
poids moyen du cerveau de ceux qui meurent dans les asiles, provient
de poids qui sont au-dessus de la moyenne des cerveaux sains, et
d'autres qui sont manifestement au-dessous ». En général, les der-
d'après leurs différents genres de vie, doivent exercer leur intelligence à des
degrés différents. Les mesures dominantes montrent une décroissance distincte
dans l'ordre des quatre classes qu'il désigne sous les noms 'suivants : 1. Sa-
vants et lettrés, 2. Bourgeois pai'isiens ; 3. Nobles d'anciennes familles, 4. Do-
mestiques parisiens.
ALIÉNÉS ET IDIOTS. 27
niers sont de beaucoup prépondérants, et c'est pour cela que la
moyenne est basse; mais, parmi les épileptiques qui sont dans les
asiles, et parfois parmi les simples déments, il n'est pas rare de
trouver des Cerveaux considérablement au-dessus du poids normal,
ou poids moyen chez les individus sains.
Chez les imbéciles et les idiots de naissance, le poids moyen du
Cerveau est encore plus bas que parmi ceux chez lesquels la folie
chronique est survenue pendant l'âge adulte. En examinant vingt-
deux Cerveaux d'idiots, dont quelques-uns étaient aussi épileptiques,
le docteur Thurnam a obtenu un poids moyen (pour quatorze
hommes), de 1,190 grammes, et (pour huit femmes) de 1,167 grammes.
Il est assez curieux que la moyenne de ces derniers soit presque
identique avec ce qu'on voit chez le reste des folles; tandis que, pour
les hommes, la moyenne est bien décidément moindre que chez les
aliénés ordinaires. L'idiotie n'est donc point nécessairement associée
à un très petit volume du Cerveau, bien que ce soit là fréquemment
le cas; toutefois, divers défauts dans la structure interne ouïe déve-
loppement intime du Cerveau peuvent amener cette même condition
de faiblesse mentale.
Sur 50 Cerveaux, examinés par le docteur Langdon D own, et ayant appartenu
à des idiots de 5 ans à 33 ans, le poids minimum, chez un garçon de 18 ans,
était de 425 grammes; le poids maximum, chez un homme de 22 ans, s'élevait
jusqu'à 1404 grammes. Ce dernier poids était, suivant toute probabilité, consi-
dérablement accru par des altérations morbides des tissus, altérations sur la
nature desquelles nous allons revenir.
Quand le poids du Cerveau tombe au-dessous d'un certain
minimum, il semble impossible que son possesseur ait rien qui
ressemble à l'intelligence humaine ordinaire. Gratiolet, sans spéci-
fier le sexe, supposait que cette limite inférieure était 900 grammes;.
Broca met un peu plus haut — 907 grammes pour les femmes et
10/i9 pour les hommes — cette limite inférieure du poids compatible
avec l'intelligence ordinaire.
Le poids du Cerveau des idiots peut toutefois tomber, et tombe
fréquemment, de beaucoup au-dessous des limites fixées ainsi ; et cela,
soit par maladie atrophique survenant après la naissance, soit par
défaut congénital. Voici un tableau donné par Thurnam du poids
des quinze plus petits Cerveaux d'idiots que l'on ait signalés jus-
qu'ici^ :
1. Loc^ cit., p. 29. On renvoie aux descriptions originales de ces Cer-
veaux-
28
VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
Poids du cerveau d'idiots microcéphales
HOMMES. FEMMES.
NOS
Observateurs.
Age.
Poids.
NOS
Observateurs.
Age.
Poids.
1.
Thurnam. .
. 29. .
1013
gr.
1.
BuckniU. . .
. 37.
921 gr
2^
—
22.
1006
—
2.
Sims
. 12.
765 —
3.
Parchappe. .
45. .
970
—
3.
Parchappe. .
. 25.
720 -
4.
Thurnam . .
52. .
907
—
4.
Tuke
. 70.
644 -
5.
Peacock. . .
11. .
600
—
5.
Tiedemann .
. 16.
563 -
6.
Down ....
18. .
425
—
6.
Gore
. 42.
283 -
7.
Owen. . . .
22. .
372
—
8.
Theile. . . .
26. .
300
—
9.
Marshall . .
12. .
241
—
(6). — Quelques-unes des condilions qui coïncidenl avec les poids
élevés du Cerveau. — Des poids fort peu élevés ne peuvent, comme
nous l'avons vu, exister qu'avec la démence ou l'idiotie. Toutefois,
des poids fort élevés peuvent se rencontrer, soit(l) avec ces mêmes
conditions morbides, ou parmi des aliénés d'autres catégories; soit (2)
chez des individus sains, mais ordinaires; soit enfin (3) chez les
membres les plus intelligents de la société. Ce dernier cas est assez
en harmonie avec les vues qui ont ordinairement cours; bien que
l'existence des deux premiers puisse être regardée à première vue
comme tout à fait anormale. Mais elle ne l'est pas autant qu'elle
peut le paraître.
(1) Pour ce qui est du premier cas, Thurnam a trouvé que, chez
environ 10 pour 100 des hommes et 7 pour 100 des femmes qui
mouraient à l'asile d'aliénés de Wilts County, le poids du Cerveau
excédait la limite supérieure des dimensions moyennes, c'est-à-dire
li60 grammes et 13/i6 grammes respectivement ; tandis qu'on ren-
contrait 3 ou Zi pour 100 de poids nettement mégalocéphales, c'est-
à-dire au-dessus de 1559 grammes pour les hommes et de
lZil7 grammes pour les femmes. Ces faits s'accordent tout à fait avec
les observations publiées plus récemment par le docteur C. Clap-
ham^, bien que ce dernier observateur ait trouvé la proportion de
poids distinctement mégalocéphales légèrement plus élevée, dans la
série plus nombreuse de pesées qu'il fit dans un asile situé plus au
nord de l'Angleterre. Ainsi, sur 700 Cerveaux d'hommes, il n'y en
avait pas moins de /i3 dont le poids était de 1559 grammes et
au-dessus; et, sur ce nombre, Ix pesaient même jusqu'à 1701 à
1729 grammes^.
1. West Riding Asylum Reports, vol. VI, 1876.
2. Faut-il attribuer la moyenne moins élevée, obtenue par Thurnam, de
Cerveaux décidément mégalocéphales à la différence des aires géographiques
ALIÉNÉS ET IDIOTS. 29
Au sujet des poids obtenus ù Pasilc de Wilts, Thurnam dit :
« Les gros cerveaux que l'on vient de passer en revue sont, à peu d'exceptions
près, ceux d'ouvriers ; et si, chez quelques-uns d'entre eux, il y avait un degré
peu ordinaire d'intelligence, la sphère d'exercice de cette intelligence doit
avoir été fort limitée. Le Cerveau le plus lourd que j'aie pesé (1,760 grammes) était
celui d'un boucher sans éducation, à peine capable de lire, et qui mourut su-
bitement d'épilepsie combinée avec de la manie, après un an de maladie en-
viron... Le poids le plus lourd rapporté par le docteur Bucknill est celui d'un
épileptique de trente-sept ans; et, dans ce cas, le cerveau pesait 1,830 gr., ce
qui est exactement le poids présenté par le Cerveau du célèbre Cuvier. Sauf
une seule exception, le poids maximum observé par M. Parchappe était aussi
celui d'un épileptique âgé de trente et un ans; ce poids était de 1,737 grammes.
Lepliis lourd Cerveau de femme dont je trouve mention est signalé par le doc-
teur Skae. La malade n'était point épileptique, mais avait la manie des gran-
deurs, et mourut à l'âge de trente-neuf ans — phtisique. Le Cerveau avait un
poids monstrueux pour un cerveau de femme, — 1,743 grammes.
Il est possible que ces Cerveaux décidément lourds se rencon-
trent en proportion légèrement plus élevée chez les fous que chez
les membres sains de n'importe quelle classe sociale; et cela pour
les raisons suivantes : D'abord la folie est une condition qui dépend
de divers'états morbides qui peuvent peut-être se présenter aussi
souvent chez les individus à gros qu'à petit Cerveau ; en second lie^i,
dans quelques cas de folie, associée ou non avec de Pépilepsie, l'or-
gane, ou du moins des parties considérables de l'organe, tendent à
s'indurer, grâce à un développement disproportionné ou à une hyper-
trophie réelle de la partie constituante, fonctionnellement inerte,
du Cerveau, — son tissu connectif ou névroglie, — de même que
d'autres organes du corps, le foie par exemple, peuvent être diminués
fonctionnellement, bien qu'augmentés de volume absolu, par une
hypertrophie semblable du tissu connectif. C'est là une condition
que l'on rencontre chez des épileptiques caufirmés. Enfin, en troi-
sième lieu, si l'un de ces patients meurt pendant un accès, une
grande distension des vaisseaux sanguins du Cerveau peut être une
autre cause tendant à augmenter le poids de l'organe; comme on
sait que cela se produit, quelle que soit la cause de la congestion.
"Wagner a appelé spécialement l'attention sur ceci; et sur ce fait que
les poids sont influencés, non seulement par la longueur et la nature
de la maladie, mais aussi par le genre de mort^.
d'où provenaient les deux séries de patients ? ou cela ne serait-il pas dû, tout
autant, au fait que Thurnam n'opérait ses pesées qu'après avoir coupé le Cer-
veau en tranches pour faire écouler le sang et le sérum ?
1. Vorsludien, lSQ2. Ziveite Abhandl, p. 93-95.
30 VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
(2) Mais, par contre, des poids cérébraux élevés ont été rencon-
trés accidentellement, par beaucoup d'observateurs, en examinant
les corps de beaucoup d'individus tout à fait ordinaires, et qui pen-
dant leur vie n'avaient montré aucun signe de folie ou d'intelligence
extraordinaire.
La plus longue série de tableaux où l'on puisse trouver des ren-
seignements dignes de foi est peut-être celle du docteur Peacock; et
Tiiurnam dit en en parlant :
«Dans les tables du docteur Peacock, sur 157 poids de cerveaux d'Écossais
adultes, et âgés de 20 à 60 ans, il y en a quatre qui vont de 1,728 à 1,778 grammes.
Us appartenaient tous, en apparence, à des artisans ; trois d'entre eux étaient l'un
marin, l'autre imprimeur et le dernier tailleur. Les causes de la mort étaient
la fièvre, le delirium tremens, et, dans deux cas, des fractures graves compli-
quées. Toutes ces affections pouvaient être plus ou moins accompagnées de
congestion cérébrale; et rien ne montre que ces individus se soient distingués
de leurs camarades par des facultés supérieures.
Le cerveau humain le plus lourd que l'on ait signalé jusqu'ici
semble aussi avoir appartenu à une personne de cette classe. Le
docteur James Morris^ a publié une courte note à son sujet.
L'homme à qui il avait appartenu était un briqueteur, qui mourut de
pyhémie, à l'âge de trente-huit ans, à University Collège Hospital, peu
après une opération chirurgicale, en 18/i9.
Le docteur Morris dit : — « Le poids du cerveau était, immédiatement au sor-
tir du corps, de plus de 1,900 gr. Cette pesée fut faite avec beaucoup de soins, en
présence de plusieurs étudiants. Le cerveau était bien proportionné ; les cir-
convolutions n'étaient point aplaties. Bien que la surface fût convenablement
humide, l'organe ne perdit qu'environ une once de son poids, après la dissection
ordinaire et un égouttage de deux heures. La taille de l'homme était 5 pieds
9 pouces; il était solidement charpenté. Il fut difficile d'avoir sur son
compte une histoire satisfaisante. — Sa femme et sa propriétaire donnèrent
des récits différents. Il semble toutefois acquis qu'il était originaire du Sussex,
qu'il avait quitté son village natal, et changé de nom, à cause de quelque histoire
de braconnage, qu'il n'était pas très sobre, avait une bonne mémoire et était
entiché de politique. Il ne savait ni lire ni écrire. Quelles qu'aient donc pu être
ses capacités virtuelles, il est évident qu'il n'avait pas beaucoup d'acquis. »
(3) Il vaut mieux réserver les commentaires que nous aurons à
faire sur ce dernier cas, jusqu'à ce que nous ayons donné quelques
preuves de l'existence de poids cérébraux élevés chez des hommes
de facultés mentales et de connaissances fort étendues; hommes
dont quelques-uns ont été, dans diverses sphères de la vie, parmi les
représentants les plus éminents de l'Intelligence Humaine. Voici une
1. Drit. Med. Journ.,2Q oct. 1872, p. 465.
HOMMES DISTINGUÉS. 31
liste, donnée par Thurnam, a laquelle on a ajouté le poids do huit
Cerveaux, ceux de Schiller, Agassiz, professeur Goodsir, sir James
Simpson, W. Chauncey Wright, de Morgan, Grote, et docteur Hugues
Bennett^
Poids du cerveau d'hommes distingués :
Noms. A ge. Poids.
1. Cuvier, nalumliste 03. . . 1830 gr.
2. Abercombie, médecin 04. . . 1785 —
3. Schiller, poè/e 46. . . 1785 —
4. Goodsir, anatomiste 53. . . 1630 —
5. Spurzheim, médecin. 56. . . 1559 —
6. James Simpson, médecin 59. . . 1533 —
7. DivïcMQi, mathématicien 54. . . 1520 —
8. De Mornjr, homme d'État 50. . . 1520 —
9. Daniel Webster, homme d'État 70. . . 1516 —
10. Campbell, lord chancelier 80. . . 1516 —
11. Chauncey Wright, -physicien 45. . . 1516 —
12. Agassiz, naturaliste 66. . . 1512 —
13. Chalmers, "prédicateur célèbre 67. . . 1502 —
14. Fuchs, pathologiste 52. . . 1499 —
15. De Morgan, mathématicien 73. . . 1496 —
16. Gauss, mathématicien 78. . . 1492 —
17. Dupuytren, chirurgien 58. . . 1456 —
18. Grote, historien 76. . . 1410 —
19. WheweU, philosophe 71. . . 1390 —
20. Hermann, philologue 51. . . 1358 —
21. Hugues Bennett, médecin 63. . . 1332 —
22. Tiedemaiin, anatomiste 80. . . 1254 —
23. Haussmann, minéralogiste 77. . . 1226 —
Il est digne de remarque que, dans cette liste, outre la grande
proportion de poids élevés, on trouve quatre cerveaux d'hommes
distingués dont le poids est plus ou moins distinctement au-dessous
de la moyenne de 1,390 grammes, même après que Ton a tenu compte,
chez deux d'entre eux, d'un certain degré d'atrophie provenant de
l'âge.
1. On trouvera, dans le mémoire du docteur Thurnam, des indications sur
les endroits où ont été pris la plupart des poids qu'il a mis dans ce tableau :
Les huit autres poids ont été ajoutés d'après les autorités suivantes : —
1. Schiller et Agassiz — Daniel Wilson, in Canadian Journal, oct. 1876;
2. Goodsir — Anatom. Memoirs, vol. I, p. 195 (1868); 3. Simpson — Med.
Times and Gaz., 14 mai 1870, p. 532; 4. Chauncey Wright — Thos. Dvvight,
in Proceed. American Acad. of Arts and Sciences, vol. XIII (1878); 5. de
Morgan — Autopsie faite, en 1871, par le docteur Wilson Fox et l'auteur;
6. Grote — Autopsie faite par le professeur Marshall en 1871 ; 7. Docteur
Hugues Bennett — Brit. Med. Journ., 9 oet. 1873.
32 VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
Les faits établis dans cette table, aussi bien que ceux qu'on a
détaillés ci-dessus, doivent leur principal intérêt à ce qu'ils touchent
à la question, vivement et longtemps débattue, de l'existence de
quelque connexion nécessaire et invariable entre le simple volume
ou le poids du Cerveau et V Intelligence. On va faire maintenant quel-
ques brèves remarques sur ce sujet.
Il semble donc tout d'abord parfaitement clair, d'après les faits
rapportés, qu'il n'y a pas de relation nécessaire ou invariable entre
le degré d'intelligence des hommes ou des femmes et le simple
volume ou le poids de leur cerveau. Nous avons vu que quelques
déments peuvent avoir des cerveaux très gros; et en outre que, chez
certains membres fort ordinaires de la société, n'ayant ni maladie
ni défaut congénital, le cerveau peut être décidément gros et pesant.
D'autre part, des hommes d'une instruction étendue, de facultés
mentales reconnues, et même, un ou deux, de renommée européenne,
peuvent avoir eu, même à la fleur de leur âge, un cerveau au-dessous
ou légèrement au-dessus de la moyenne qui prévaut chez les hommes
de races civilisées, soit 1390 grammes. Ce qui montre qu'un cerveau
de petite dimension, mais bien constitué, est capable de faire de beau-
coup meilleur ouvrage que beaucoup de cerveaux plus gros, dont la
constitution interne est défectueuse pour une cause ou pour
une autre.
Si l'on ne considère simplement, en effet, que le volume et le
poids du cerveau, il ne faut jamais oublier que ces éléments peuvent
être notablement augmentés par hypertrophie de simples tissus-
connectifs inertes; ou, même lorsqu'il n'y a pas d'altérations-
morbides dans les tissus, qu'un organe d'un volume ou d'un poids
considérable peut être encore un instrument de perception ou de
pensée plus ou moins inférieur, à raison de ce que ses éléments
internes sont défectueux et mal accordés pour une action harmo-
nique. Il peut encore être un instrument défectueux à raison de
particularités plus subtiles, et simplement moléculaires, des éléments
dont il est composé; particularités qui rendent peut-être ces élé-
ments moins réceptifs et moins rélentifs de ces impressions senso-
rielles qui constituent les matériaux bruts de l'intelligence, et aussi
moins capables de prendre part à des opérations mentales plus
élevées.
Il n'y a donc pas de relation invariable, ou nécessaire, entre le
poids absolu du cerveau des individus et leur degré d'intelligence.
Mais, si l'on posait la question de savoir s'il est probable que la pro-
portion des cerveaux mégalocéphales est plus considérable chez des.
hommes d'une grande intelligence et d'un savoir étendu que chez
des gens sans instruction et sans intelligence, la réponse à cette
question devrait immanquablement être affirmative. C'est là, comme
POIDS DU CERVEAU. 33
le Bon l'a signalé pour les « capacités crâniennes», la manière réelle
d'arriver à prouver des supériorités de races ou de classes.
Cette forme modifiée, et plus correcte, d'une ancienne notion, est
basée sur divers faits qui lui donnent un appui très évident. Comme on
l'a déjà dit, la proportion de cerveaux décidément mégalocéphales a
été trouvée de /i à 6 pour 100, pour des hommes au-dessous de soixante
ans, et appartenant aux classes inférieures et les moins instruites de la
société; tandis que dans la liste ci-dessus d'Hommes Distingués (qui,
observons-le, n'est point du tout une liste choisie, puisqu'elle com-
prend tous les poids connus de l'auteur), la proportion des cerveaux
qui excèdent 1,559 grammes est de près de 23 pour 100, et aurait pu
être de beaucoup plus considérable, n'eût été le grand âge des hommes
distingués auxquels ces cerveaux avaient appartenu. Car, nonob-
stant un degré marqué d'atrophie sénile chez quelques-uns de ces
cerveaux, il n'y en avait pas moins de onze qui pesaient encore de
l,Zi88 à 1,559 grammes. Il semble tout à fait possible que ceux de
sir James Simpson, Daniel Webster, lord Campbell, de Morgan et
Gauss aient pu dépasser 1,559 grammes, lorsque ces hommes distin-
gués étaient, non seulement en bonne santé, mais encore au-dessous
de soixante ans. Et, dans ce cas, le nombre de cerveaux décidément
mégalocéphales s'élèverait à environ Z(5 pour lO'O, chez ces vingt-
trois hommes distingués. La liste est petite pour en tirer des
conclusions; mais la diff"érence de proportion indiquée semble de
beaucoup trop considérable pour pouvoir être attribuée au simple
hasard.
Sauf l'existence de véritables altérations morbides, le grand poids
d'un organe comme le Cerveau donne plus de raisons de croire que
son développement interne aura marché de front avec son accrois-
sement de volume, et que l'organe sera hautement doué de son genre
particulier de vitalité. Et si ces deux dernières conditions sont réali-
sées, un accroissement du Cerveau doit être un avantage distinct
pour son propriétaire; et, si les conditions générales et spéciales de
la vie sont toutes propices, il doit probablement favoriser le déve-
loppement de grandes Facultés Mentales, ou l'acquisition d'un vaste
savoir.
On a déjà signalé dans ce chapitre que les poids cérébraux élevés
tendent à se rencontrer en plus grande proportion chez les races
civilisées que chez celles qui ne le sont que peu ou point. Ceci, joint
à l'autre fait bien établi et très digne de remarque, que ces diffé-
rences de poids se trouvent beaucoup plus marquées chez les Hommes
que chez les Femmes, lorsqu'on compare les races supérieures aux
races inférieures, donne la preuve la plus importante de l'étendue
dans laquelle le Cerveau humain, pendant le cours de nombreuses
générations, a continué à augmenter de volume, sous l'influence de
Charlton-Bastian. — II. 3
34 VOLUME ET POIDS DU CERVEAU HUMAIN.
l'accroissement d'usage et d'exercice que peut entraîner une vie
passée dans un état de Civilisation.
Mais, plus longtemps l'état de Civilisation a existé chez un peuple
donné, plus la tendance à hériter d'un Cerveau de dimensions plus
grandes doit être généralement répandue chez les individus de ce
peuple. Et, à moins que cela ne soit dû à quelques distinctions
ethniques, quasi-accidentelles et peu comprises, comment pourrions-
nous expliquer autrement la remarquable série de poids de cerveaux
Chinois publiés par le docteur C. Clapham? Chez ces seize individus,
pris au hasard dans la classe des coolies, les poids sont distincte-
ment au-dessus de la moyenne existante chez les Anglais, les Fran-
çais et les Allemands du même degré social ; et, bien qu'à un moindre
degré, également au-dessus de celle des Lowlanders écossais.
Quelle qu'en soit la cause (et il ne faut point oublier leur genre
de mort), il serait à peine possible d'indiquer une autre série pareille
de chiffres, pour seize individus pris au hasard, à la seule exception
des chiffres rapportés dans le tableau des Hommes Distingués.
Il n'est point du tout nécessaire do supposer qu'individuellement,
ces coolies chinois étaient capables de déployer quelque degré
notable d'acquis ou de jotmsance intellectuelle qui justifie l'existence
chez eux de cerveaux aussi volumineux. Le docteur Clapham rap-
pelle un fait assez significatif en ce sens, lorsqu'il dit : « Je ne suis
point porté à parler aussi légèrement de la capacité pour l'instruc-
tion de la classe des coolies chinois; je suis au contraire convaincu
de leur aptitude naturelle en ce sens. » Nous avons peut-être là,
exactement, ce que l'on pourrait attendre comme résultat d'une
civilisation antérieure, même d'un degré assez bas, mais continuée
pendent fort longtemps; c'est-à-dire l'héritage d'un Cerveau volumi-
neux et d'une bonne aptitude ou capacité pour l'instruction ^
Le Cerveau est différent de tous les autres organes du corps. C'est
souvent une masse de virtualités structurales , plutôt que de tissu&
nerveux pleinement développés. Quelques-uns de ses éléments, ceux
qui ont trait aux Opérations Instinctives les mieux établies, arrivent
naturellement jusqu'à leur développement complet, sans l'aide de
stimuli extrinsèques ; mais d'autres, et de grandes étendues de ceux-
ci, semblent n'arriver à de pareils développements que sous l'in-
fluence de stimuli appropriés. 11 suit de là que des aptitudes natu-
relles et des virtualités de l'ordre le plus subtil peuvent ne jamais
se manifester, chez des multitudes de personnes, uniquement par
le manque de stimuli appropriés et de pratique capable de perfec-
1. Voyez plus haut quelques faits tendant à montrer que la civilisation,
agissant pendant de longues périodes, tend à amener un accroissement de
volume du Cerveau.
LE POIDS CÉRÉBRAL ET L'INTELLIGENCE. 35
tionner le développement et ractivitc fonctionnelle des régions du
cerveau, dont l'action est inséparablement liée aux phénomènes
mentaux en question.
Le développement dont il est ici parlé est de la nature la plus
intime, et, dans une certaine mesure, il échappe à nos moyens actuels
d'investigation. Son apparition peut être associée à une augmenta-
tion de poids tout à fait insignifiante, et, peut-être, n'être suivie
d'aucune augmentation de volume de l'ensemble de l'organe. Cepen-
dant un développement de Cellules Nerveuses antérieurement em-
bryonnaires, ainsi que l'établissement, entre elles, de nombreuses et
nouvelles connexions, au moyen de prolongements inlercellalaires et
de fibres commissarales, peuvent avoir eu lieu dans de vastes espaces
du Cerveau ; et cela dans une étendue qu'il nous est tout à fait im-
possible d'apprécier d'une manière exacte ^
Que ce ne soit point là une simple imagination, c'est ce qui nous
est prouvé en partie par d'autres faits déjà établis : c'est-à-dire que
le cerveau de l'homme atteint les f de son poids définitif, et celui de
la femme les ~ du sien, à la fin de la septième année; bien qu'à cette
époque, le développement structural intime de l'organe soit encore,
dans toutes ses parties supérieures, dans une condition relativement
embryonnaire. On peut donc estimer que même de pareilles don-
nées montrent, de la manière la plus forte, combien le simple
volume, ou le simple poidsdu cerveau, sont peu importants relative-
ment au degré d'intelligence de l'individu; si, comme on le fait
souvent, on considère ces données indépendamment de la question,
beaucoup plus importante, de la quantité relative de substance grise,
aussi bien que du degré et de la perfection du développement
intime, soit réel, soit possible, de l'organe.
1. Voyez, p. 13, ce qu'a établi Lockhart Clarke sur les éléments nerveux
embryonnaires, ou non développés, que l'on rencontre dans les Circonvolutions
Cérébrales du fœtus. - —
CHAPITRE XXI
CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN
Le Cerveau de l'Homme appartient au même type que l'on ren-
contre chez les Anthropomorphes et chez les Singes ordinaires.
Quelle que soit la manière dont on l'interprète, le fait lui-même est
trop évident pour admettre le moindre doute. On y voit la même
forme générale, les mêmes lobes, les mêmes scissures principales.
Il est vrai que l'on y rencontre aussi d'importantes différences. Le
volume et le développement relatifs des divers Lobes ne sont point
les mêmes. En outre, dans le Cerveau de l'Homme, les scissures et les
circonvolutions « secondaires » se présentent en nombre bien supé-
rieur et avec une complexité beaucoup plus grande, tandis qu'on
trouve, dans le poids, une différence qui éclipse en importance toutes
les autres. Les poids maxima, que l'on a rencontrés jusqu'ici chez
les grands Anthropomorphes, vont de 3ZiO à 350 grammes; bien que le
poids total de ces animaux atteigne, ou même dépasse de beaucoup,
celui d'un Homme ordinaire.
Si frappante toutefois que soit la différence de poids du Cerveau
entre les grands Anthropomorphes et les Hommes ordinaires, il ne
faut point oublier que l'étendue des variations que l'on rencontre
chez les divers individus de notre espèce est plus grande encore.
Quelques personnes peuvent montrer nettement des attributs
humains et des facultés mentales, bien qu'en possédant un Cerveau
dont le poids ne s'élève pas au-dessus de 907 grammes; tandis que,
chez d'autres Hommes, le poids de ce même organe peut s'élever à
un maximum de 1,815 à 1,900 grammes. De pareils faits, ainsi que
d'autres déjà cités, impliquent certainement l'existence, dans le
Cerveau de l'Homme, d'une remarquable capacité de croissance et de
développement, sous l'influence longtemps continuée, pendant des
séries de générations, de ces modes de vie et d'activité cérébrale
qui sont presque inséparables de l'existence d'une Communauté plus
ou moins Civilisée.
RACES INFÉRIEURES. 37
Pour étudier la configuration externe du Cerveau Humain, il sera
très avantageux d'examiner tout d'abord les caractères de l'or-
gane, tel qu'il existe chez une des races les plus inférieures de l'Hu-
manité. Nous pourrons alors comparer avantageusement un de ces
types les plus simples avec des formes plus développées des mêmes
organes, comme celles qui sont communes chez les représentants des
races civilisées supérieures.
Le Cerveau de la «Vénus Hottentote» fut soigneusement examiné et
figuré par Gratiolet. Bien que l'intelligence de cette femme ne fût pas
remarquablement défectueuse, les circonvolutions de son Cerveau
FiG. 133. — Cerveau de la Vénus Hottentote, vue latérale (Vogt, d'après Gratiolet). F,
lobe Frontal; P, lobe Pariétal; O, lobe Occipital; T, lobo Temporal; C, Cervelet; P,
Protubérance ; Y M, Bulbe ; S, scissure de Sylvius ; R, sillon de Rolando ; P S, scissure
parallèle; a^, replis supérieurs ; a-, replis moyens; a^, replis inférieurs des circonvo-
lutions frontales ; ^j circonvolution frontale ascendante (ou centrale antérieure); B, cir-
convolution pariétale ascendante (ou centrale postérieure); &', b'^, b-, replis supérieurs,
moyens et inférieurs des circonvolutions pariétales; c', c-, c^, replis supérieurs,
moyens et inférieurs des circonvolutions temporales; d', d-, d^, replis supérieurs,
moyens et inférieurs des circonvolutions occipitales.
étaient relativement fort peu compliquées. Après avoir commenté ce
fait, Gratiolet ajoute : — « Mais ce qui frappe tout d'abord, c'est la
simplicité, l'arrangement régulier des deux circonvolutions qui com-
posent l'angle supérieur du lobe frontal. Si l'on compare ceux des
deux hémisphères, ces replis, comme nous l'avons déjà signalé, pré-
sentent une symétrie presque parfaite, telle qu'on ne la rencontre
jamais chez les Cerveaux normaux de la race Caucasique... Cette
régularité, cette symétrie, rappellent involontairement la régularité
et la symétrie des circonvolutions cérébrales chez les espèces ani-
3S CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
maies inférieures. 11 y a, sous ce rapport, entre le Cerveau d'un
homme blanc et celui de cette Boscliimane, une différence à laquelle
on ne saurait se tromper, et qui, si elle est constante, comme il y
a tout lieu de le supposer, constitue l'un des faits les plus intéres-
sants que Ton ait notés jusqu'ici. »
La description la plus complète que nous possédions aujourd'hui
FiG. 134. — Cerveau de la Vénus Hottentote, face supérieure (Vogt, d'après Gratiolet).
A, Scissure longitudinale ; n, sillon de Rolande; V, scissure verticale ou perpendiculaire ;
0;, lobe Occipital ; a^, a-, a^, replis supérisurs, moyens et inférieurs des circonvolu-
tions frontales ; A, circonvolution frontale ascendante ; B, circonvolution pariétale
ascendante ; ¥, b^, b^, replis supérieurs, moyens et inférieurs des circonvolutions
pariétales; d^, repli inférieur des circonvolutions occipitales.
du Cerveau d'un représentant de l'une de ces races inférieures, est
toutefois celle qui a été donnée par le professeur Marshall, dans son
Mémoire sur le Cerveau d'une Boschimane^. L'organe, chez cette
Africaine du Sud, était décidément petit, comme on l'a dit dans le
dernier chapitre (p. 23). Voici certaines parties de la description de
Marshall reproduites dans ses propres termes.
l. Philoxoph. Trans. 1864, p. .^01.
CERVEAU DE BOSCHIMANE. 39
Forme générale nu Cerveau. — « Vu en dessus, le Cerveau de la
Boschimane présente, comme son crâne, une forme ovoïde longue et
étroite. La ligne de plus grande largeur correspond aux éminences
pariétales; elle est placée un peu loin en arrière, aux deux tiers de
la longueur totale du Cerveau, à partir de son bord antérieur; de
sorte qu'il ne reste plus qu'un tiers de l'organe en arrière de ces
éminences. A partir de cette région pariétale proéminente, le Cerveau
se rétrécit dans toutes les directions, — très brusquement en arrière
et assez brusquement aussi en avant, jusqu'à l'entrée de la scissure
FiG. 135. — Cerveau t „„.„„..„„, „,-- „„j^^„^^.^ ^.^^ath, d'après Marshall).
F, lobe Frontal; O, lobe Occipital; P, lobe Pariétal; d,d, sillon de Rolando; P, scissure
pariéto-occipitale; A A, lobule supra-marginal; 2, 2, et 3, 3, circonvolutions frontales
moyennes et supérieures; 4, 4, circonvolution ascendante frontale; 5, 5, circonvolu-
tion ascendante pariétale; 5', 5', lobule de la circonvolution pariétale ascendante; 6, 6,
circonvolution angulaire; 10, 10, et 11, 11, circonvolutions occipitales supérieure et
inférieure ; a, a, premières, et p, secondes circonvolutions unissantes.
de Sylvius où, comme le Cerveau fœtal, il paraît remarquablement
étranglé : il s'élargit de nouveau un peu, aux angles externes de la
région frontale, qui est néanmoins décidément étroite. L'hémisphère
gauche, vu en dessus, est de cinq millimètres et demi plus long que
le droit, l'accroissement portant presque entièrement sur l'arrière.
La longueur relativement plus grande, en arrière, d'un hémisphère
(ordinairement le gauche, pour autant que je l'aie observée) est fort
commune dans les Cerveaux Européens. »
il) CONFIGURATION EXTERNE DU CEIIVEAU HUMAIN.
« Vue latéralement, la région pariétale est saillante ; le vertex est
bas et aplati; son point le plus élevé est situé loin en arrière; la
région frontale est peu épaisse... Le lobe temporal est étroit, la ligne
qui va de sa pointe au bout du lobe postérieur étant fort longue. La
courbe formée par le bord inférieur du Cerveau, au-dessus du Cer-
velet, est moins forte, et sa direction plus oblique, en haut et en
arrière, que dans le Cerveau Européen; ce qui est apparemment! dû
à un manque de développement de la région occipitale, qui est fort
peu épaisse... les sommets des lobes temporaux sont pointus et très
recourbés vers la ligne médiane... les surfaces orbitaires sont parti-
FiG. 136. — Cerveau de Boschimane, vue latérale (Healh, d'après Marshall). Les lettres
et les chiffres sont en partie comme dans la dernière figure. T, lobe Temporal ; c, in-
sula de Reil ; e, e, scissure de Sylvius ; 1, 1, circonvolution frontale inférieure
(troisième); 7, 7, S, 8, 9, 9, trois circonvolutions temporales; f, f, scissure parallèle;
g , g, scissure temporale inférieure.
culièrement contractées, mais ont une forme carrée, ou humaine, et
non pointue, ou simienne. »
Considéré dans son ensemble, ce Cerveau de femme Boschimane,
comparé avec le Cerveau Européen, manquait surtout de profondeur
et de hauteur verticale.
Scissures, Lobes et Circonvolutions du Cerveau. — « La scis-
sure de Sylvius, dans le Cerveau de la Boschimane, s'étend bien en
arrière, mais s'incline plus en haut que dans le Cerveau Européen *,
et présente, peu après son origine, un espace horizontal particulier...
Ses bords ne sont pas en contact très intime, surtout vis-à-vis du
1. Ce sont là des marques d'un développement inférieur. Dans les cerveaux-
plus développes, la scissure de Sylvius est plus courte, et de direction plus ho-
rizontale.
CEllVEAU DE BOSCIIIMANE.
41
bord postérieur du lobe frontal, qui est ici fort défectueux; la scissure
est en effet assez ouverte pour que, sans écarter ses bords, on puisse
voir distinctement une portion, petite il est vrai, du lobe central ou
insula de Reil (G). Cette disposition rappelle l'état fœtal du Cerveau
humain (fig. 128); mais elle ne se présente pas, que je sache, dans
aucun Cerveau de Quadrumane. La défectuosité du lobe frontal
explique la forme resserrée, si remarquable, du Cerveau delaBoschi-
mane; forme déjà mentionnée, et que Ton peut peut-être supposer
caractéristique du Cerveau Boschiman, puisqu'elle se retrouve aussi
Fig. 137. — Hémisphère Cérébral droit d'un Ecossais, face externe (Turner). F?', Fr,
lobe Frontal, Par, lobe Pariétal; Oc, lobe Occipital; T S, lobe Temporo-sphéno'idal
ou Temporal ; S, S, scissure de Sylvius ; 5', S' , partie ascendante de la scissure de
Sylvius (Sulcus precenlralis d'Ecker) ; R, R, sillon de Rolando ; / P, scissure intra-
pariétale, et P, P, scissure parallèle; 1, 1, 2, 2 et 3, 3, circonvolutions frontales infé-
rieure, moyenne et supérieure; 4, 4, circonvolution ascendante frontale; 5, 5, cir-
convolution ascendante pariétale ; 5', partie externe du lobule postéro-pariétal ; 6, 6,
circonvolution angulaire; 7, 7, 8, S, 8, et 9, 9, 9, circonvolutions temporales supé-
rieure, moyenne et inférieure; 10, II et 12, circonvolutions occipitales supérieure,
moyenne et inférieure; A, lobule supra-marginal : a, p, f et S, première, deuxième,
troisième et quatrième circonvolutions unissantes.
chez la Vénus Hottentote, où elle a été également signalée par
Gratiolet comme un caractère foetal. »
Le sillon de Rolando (fig. 136, d^ d) commence à environ trente-
quatre millimètres en arrière du sommet du lobe temporal. « Il se
termine bien au delà du milieu du grand axe du Cerveau, presque
aussi loin en arrière que la ligne de plus grande largeur de l'organe :
de sorte qu'il s'étend relativement plus loin en arrière que chez la
Vénus Hottentote, et surtout que chez l'Européen. »
« Les scissures perpendiculaires externes (fig. 135, P) se suivent
aussi aisément que chez la Vénus hottentote (fig. 13Zi, V) ; mais elles
sont bientôt interrompues par les circonvolutions unissantes
42 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
■externes (a^ P). Sur les côtés, ces scissures sont certainement plus
faciles à suivre que chez l'Européen, — ce qui donne un caractère
■d'infériorité à cette partie du Cerveau Boschiman ; mais, en même
temps, elles sont beaucoup plus interrompues que chez le Chimpanzé
ou rOrang-Outang. Ces courtes scissures perpendiculaires externes
se joignent, comme d'ordinaire, aux sommets des scissures perpendi-
eulaires internes; et, avec les sillons de Rolando, divisent la surface
supérieure du Cerveau en trois régions. »
Si l'on mesure ces trois régions sur le vertex, dans le sens longi-
FiG. 138. — Vue supérieure du Cerveaij d'ua Écossais (d'après Turner).
Fr, lobe Frontal; R, sillon de Rolando; I P, sciïSure intra-pariétale, et P 0, scissure
pariéto-occipitale; S, branche horizontale, et 5', branche ascendante de la scissure de
Sylvius; A, lobule supra-marginal; 1, 1,2, 2 et 3, 3, circonvolutions frontales inférieure
moyenne et supérieure; 4, 4, circonvolution ascendante frontale, et 5, 5, circonvolu-
tion ascendante pariétale; 5' partie externe, et 5", partie interne du lobule postéro-
pariétal ; 6, 6, circonvolution angulaire ; 10, circonvolution occipitale supérieure ;
a, a, première, et p, seconde circonvolutions unissantes.
tudinal, on voit que c'est la région pariétale qui est surtout défec-
tueuse dans le Cerveau Boschiman ; puisqu'au lieu d'égaler ou de
dépasser un peu la longueur de la région occipitale, elle est très
nettement plus courte que cette dernière région.
La scissure parallèle (136, fj f), sur la surface externe du lobe
temporal, est« plus tortueuse du côté gauche que chez la Vénus Hot-
tentote ; bien qu'elle le soit moins que sur les Cerveaux Européens
ordinaires. »
CERVEAU DE BOSCHIMANE.
43
« La scissure perpendiculaire interne (fig. 139, P, 0) est plus
verticale que chez TEuropéen, mais beaucoup moins que chez le
Chimpanzé,— l'angle formé par cette scissure et une ligne basilaire
passant à travers le corps calleux étant, chez l'Européen, de 123°;
chez la Boschimane de 115", et chez le Chimpanzé de 93°. Toutefois,
comme dans le Cerveau Européen, cette scissure rejoint en dessous
celle de l'hippocampe (fig. 139), au lieu que, chez les Quadrumanes,
elle s'arrête avant d'atteindre cette scissure. »
Nous ne pouvons suivre le professeur Marshall dans son examen
intéressant et détaillé des diverses circonvolutions du Cerveau de la
Boschimane, ni dans son estimation de leur degré de développement,
Fig. ia9.— Hémisphère Cérébral Gauche ; face interne et surface qui repose sur la Tente
du Cervelet (d'après Turnerj.
Fi-, lobe Frontal; Par, lobe Pariétal; Oe^ lobe Occipital; TS, lobe Temporal; PO, scis-
sure perpendiculaire interne, ou pariéto-occipitale ; i, i, i, scissure calloso-marginale;
l, l, scissure calcarine; ?;<, wi, scissure dentée; n, n, scissure collatérale; 17, 17, 17,
circonvolution marginale; 18, 18, circonvolution du corps calleux; 18', lobule carré;
19, 19, circonvolution uncinée,dant 19' est le crochet, ou partie recourbée ; 25, cuneus,
ou lobule occipital; 9, 9, face interne de la circonvolution temporale inférieure.
relativement à celles de la Vénus Ilottentote ou du Cerveau Euro-
péen ordinaire; nous ne pouvons reproduire que quelques-unes de
ses conclusions générales les plus intéressantes.
Toutes les circonvolutions primaires qui devraient exister dans le cerveau
humain « existent dans celui de la Boschimane ; mais, si on les compare aux
mêmes parties du cerveau Européen ordinaire, on les trouve plus petites j et,
dans tous les cas, tellement moins compliquées, qu'on les distingue bien plus
facilement les unes des autres. Cette simplicité relative du cerveau Boschi-
man indique sans doute une infériorité de structure, et fait de cet organe un
moj'en utile pour faciliter l'étude de la forme européenne, plus complexe. En
comparant les diverses régions du cerveau, les circonvolutions primaires des
régions frontale supérieure, et pariétale externe, sont, dans l'ensemble, les
mieux développées ; celles des régions frontales, moyenne et inférieure, de la
région temporale, des lobes centraux, et de la face interne, viennent après;
U CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
tandis que celles de la surface orbitaire et du lobe occipital sont les moins
développées.
« Quant aux Circonvolutions Unissantes, ces replis si importants et si signifi-
catifs, les externes sont, par compa-
raison avec celles du cerveau Euro-
péen, encore plus remarquablement
défectueuses que les circonvolutions
pi-imaires. Elles sont toutesles quatre
présentes ; mais, toutes, sont d'une
brièveté caractéristique, étroites et
simples, au lieu d'être complexes et
d'occuper un grand espace; aussi,
bien que la scissure perpendiculaire
externe soit bientôt comblée, les
lobes pariétal et occipital sont plus
faciles à distinguer l'un de l'autre
que sur le cerveau Européen... Les
nombreuses scissures et circonvolu-
tions qui compliquent tellement les
plus longues sur le cerveau Européen,
sont, partout, décidément moins
développées sur celui de la Boschi-
mane, — mais surtout dans les ré-
gions occipitales et orbitaires, sur la
circonvolution recourbée et sur la
circonvolution unissante externe.
Ceci est un signe de plus de l'infé-
riorité de structure. »
FiG. 140.— Vue du Lobule Orbitaire et de l'Insula
de Reii, d'après Turner. Comparé à celui de la Vénus
La plus grande partie du Lobe Temporal a été Hott(3ntOte, le CerveaU de la
enlevée pour montrer l'Insula. O sillon Olfac- BoSChlmane BSt « presque dans
tit; T R, scissure triradiee; 1', 1 et 1 , ^ .
circonvolutions postérieure, interne et externe tOUS leS CaS OU la Comparaison
du Lobule Orbitaire; C.Insula de Reil, avec est pOSSible, UU pOU, qUOique
ses circonvolutions rayonnantes ;1, 1, surface f^„+ „„„ t^i,,^. ^^r^^^r^A rv+ T^i,nr.
. ,.. . j , . ■ v , ■ r- ■ V ■ 1011 peu, plus avance et plus
intérieure de la troisième (ou inférieure) cir- i ' i x
convolution frontale , 4, surface inférieure de Complexe danS le développe-
l'extrémité inférieure de la circonvolution ment de SCS cirCOnvolutiOllS :
frontale ascendante, 5, id. de la circonvolu- j^ g^^jg exception porte SUr le
volume des circonvolutions oc-
cipitales et unissantes externes,
qui est moindre chez la Boscliimane.» Mais la ressemblance entre les
circonvolutions des deux Cerveaux est fort intime; tandis que la
simplicité de leur arrangement n'a rien de comparable, ou même
d'approchant, dans les Cerveaux Européens normaux.
tien pariétale ascendante, 17, circonvolution
marginale.
Il reste maintenant à signaler, un peu plus complètement, la
nature des principales différences que présentent les Cerveaux Euro-
RAGES CIVILISÉES. 45
péens, lorsqu'on les compare à ceux des types humains inférieurs
dont nous avons parlé jusqu'ici. C'est toutefois une tâche assez diffi-
cile, à cause des grandes différences individuelles, relatives à un
grand nombre de détails de structure, que l'on rencontre dans cet
organe chez les différents Européens. On rencontre en effet, chez
quelques-uns d'entre eux, un Cerveau qui se rapproche de fort près,
par son volume, le développement relatif de ses lobes et la com-
\ il ' r »
^ '^ ^
FiG. 141. — Cerveau de Gauss, le célèbre Astronome et Mathématicien,
vu on dessus (Sharpey, d'après R. "Wagner).
i,l, Scissure longitudinale; a, a', a", circonvolutions frontales, supérieure, moyenne et
inférieure ; r, r, sillon de Rolando; B, B, circonvolution pariétale ascendante ; 6, 6,
lobule pariétal ; b", lobule supra-marginal ; c, e', première (ou supérieure) circonvolu-
tion temporale ; f, scissure perpendiculaire (ou pariéto-occipitale) ; rf, d', d", circon-
volutions occipitales, supérieure, moyenne et inférieure.
plexité de ses circonvolutions, du type inférieur qui nous est offert
par le Cerveau de la Boschimane. Chez d'autres, la majorité des
caractères est décidément plus élevée; bien que, dans certaines
parties, dans certains endroits, ils puissent présenter tantôt un
trait, tantôt un autre, du type inférieur. On rencontre fréquemment,
46 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
en effet, toutes sortes de degrés et de transitions ; de sorte que les
remarques faites sur cette partie de notre sujet seront plutôt géné-
rales que précises et particulières.
Lorsqu'on le regarde en dessus, la forme, ou contour, du Cerveau
Européen varie considérablement. Les lobes antérieurs, rétrécis et
comme comprimés chez la Boschimane, aussi bien que la forme
amincie et étroite des lobes occipitaux, sont des caractères éminem-
ment fœtaux. En règle générale, cet état contracté des lobes anté-
rieurs ne se rencontre pas dans le Cerveau de l'Européen; et, sur
quelques spécimens, l'ovale est si large que le contour devient
presque circulaire, comme chez l'Écossais représenté par Turner
(fig. 138.)
Le cerveau d'un naturaliste célèbre, figuré par Rudolph Wagner ', a à peu
près le même contour presque circulaire, lorsqu'on le regarde en dessus ; et
chez lui, comme chez l'Écossais dont on a parlé, l'extrémité postérieure con-
stitue le côté large de l'ovale. D'autre part, le cerveau du grand astronome et
mathématicien Gauss (flg. 141) a, lorsqu'on le regarde en dessus, un contour
nettement elliptique, — la partie antérieure de la courbe étant presque exacte-
ment égale à la postérieure, et le plus grand diamètre transversal se trouvant
à égale distance des deux extrémités. On peut voir un contour supérieur sem-
blable sur le cerveau de l'artisan Krebs 2, dont les circonvolutions sont beau-
coup moins compliquées ; bien que la vue latérale de ce même cerveau, com-
parée à la figure représentant celui de Gauss, montre qu'il manque beaucoup
d'épaisseur, soit dans la région frontale, soit dans la pariétale. Le contour supé-
rieur du cerveau du philologue Herraann, également représenté par Wagner,
est aussi presque elliptique, l'extrémité postérieure étant légèrement plus étroite
que l'antérieure. Son plus grand diamètre transversal est en outz-e situé à
moitié distance entre ses deux extrémités : bien que cette région corresponde
au lobule supra-marginal plutôt qu'à l'extrémité inférieure de la circonvolu-
tion pariétale ascendante, comme dans le cerveau de Gauss et dans celui de
l'artisan Krebs. En se reportant à la figure 135, on verra que le cerveau de la
Boschimane est aussi plus large au niveau des lobules supra marginaux, fort
proéminents, bien que ceux-ci soient distinctement en arrière de l'axe médian.
Le cerveau de l'éminent mathématicien Dirichlet est plus long, et plus large,
qu'aucun des autres cerveaux figurés par Wagner. Son extrémité postéi'ieure
est plus étroite que l'antérieure, et même notablement pointue. Sa plus grande
largeur n'est que légèrement en arrière de l'axe médian, et correspond à la
partie postérieure de la circonvolution pariétale ascendante.
On rencontre donc de notables variations dans la forme du Cer-
veau, lorsqu'on regarde l'organe par sa face supérieure; et l'on
1. Vorstudien, tab. II.
2. Loc. cit., tab. II, fi^
CERVEAU DE GAUSS.
47
pouvait du reste s'y attendre, en considérant les diverses formes du
Crâne humain cliez des races et des individus différents. Nous voyons
des têtes extrêmement longues, et d'autres extrêmement rondes,
parmi des multitudes d'autres individus dont les diamètres crâniens
sont plus égaux. Somme toute, onti'ouve peut-être plus fréquemment,
que la plus grande largeur du Cerveau est en arrière de son axe
transversal médian; et que son extrémité postérieure est plus obtu-
sément arrondie que l'antérieure.
Vu de côté, le Cerveau présente certaines différences évidentes,
lorsque l'on compare des formes simples commes celles de la Vénus
Hottentote et de la Boschimane, ou même celle de l'artisan Krebs, à
FiG. 142. — Cerveau de Gauss, vue latérale (Vogt, d'après E. Wagner),
F, lobe Frontal; P, lobe Pariétal ; 0, lobe Occipital; T, lobe Temporal ; C, Cervelet; Po,
Protubérance; VM, Bulbe; S, scissure de Sylvius; R, sillon de Rolando; a', a^ a',
replis supérieur, moyen et inférieur des circonvolutions frontales; A, circonvolution
frontale ascendante (ou centrale antérieure); B, circonvolution pariétale ascendante (ou
centrale postérieure); 6', h'^, i', replis supérieur, moyen et inférieur des circonvolutions
pariétales; e',c-, e^, id. des circonvolutions temporales ;dl, rf', d', id. des circonvolu-
tions occipitales. *
un organe fortement développé, appartenant à un homme de grande
et subtile intelligence, comme Gauss,
Un des caractères les plus remarquables du Cerveau de Gauss se
trouve dans le grand développement des lobes frontaux. Ce fait est
rendu évident par leur longueur, leur largeur et leur hauteur
relatives, et par l'extrême complexité de leurs rangées de circonvo-
lutions (fig. 142, a^, a^, a^). VS^agner donne une figure de grandeur
naturelle, représentant ces lobes vus de front, et aussi, comme
terme de comparaison, une vue semblable des lobes frontaux de
l'artisan Krebs. La différence entre les deux est très accentuée.
48
CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
L'auteur a en sa possession le Cerveau d'un autre mathématicien
célèbre, feu le professeur de Morgan; et, bien que chez lui les lobes
frontaux soient également gros et bien développés, leurs circonvolu-
tions ne sont nullement aussi compliquées que celles de Gauss. Mais
sur le Cerveau d'un journaliste (d'abord clergyman) qui mourut il y
a quelques années à University Collège Hospital, le volume des lobes
frontaux est distinctement plus gros, et l'intrication de leurs circon-
volutions, tout à fait remarquable, égale au moins, si elle ne la
dépasse pas, celle que l'on rencontre sur le Cerveau de Gauss. Dans
d'autres régions également, ce Cerveau d'un homme instruit, bien
que non distingué, a des circonvolutions plus compliquées que celui
de De Morgan ; et le poids de l'organe est aussi nettement supérieur.
On l'a conservé, parce que c'était le Cerveau d'une personne bien
élevée, et à cause de la complexité bien marquée de ses circonvolu-
FiG. 143. — Vue de face des Lobes Frontaux du Cerveau d'un journaliste, montrant l'ex-
trême complexité des Circonvolutions. Grâce à une légère obliquité de position, le
Lobe Frontal droit se voit plus complètement que le gauche. (Exactement dessiné par
V, Horsley, d'après une photographie.)
tiens, en vue de le comparer plus tard à celui du mathématicien
récemment décédé.
Dans ces deux Cerveaux, ainsi que dans celui de Gauss, les sillons
de Rolande sont fort sinueux, grâce à l'existence de nombreux
replis secondaires des circonvolutions ascendantes frontales etparié-
tales^ La position relative de ces scissures était toutefois fort dififé-
1. On ne voyait, dans aucun de ces deux cerveaux, de circonvolution unis-
sante, croisant comme un pont le sillon de Rolando. Du côté di'oit, mais pas
du gauche, et cela, rien que dans le cerveau de De Morgan, le sillon de
Rolando s'ouvrait dans la scissure de Sylvius.
CERVEAU DE DE MORGAN. 49
rente dans les deux Cerveaux; et, dans celui du journaliste, la
distance de l'extrémité inférieure du sillon de Rolande au sommet
du lobe temporal était tout à fait remarquable.
Apparemment en conséquence de la perte de l'oeil droit, survenue
peu d'années après la naissance, l'Hémisphère Cérébral gauche de
De Morgan était notablement plus petit que le droit ; bien que les
mesures prises sur cet organe, maintenant qu'il s'est aplati par son
propre poids et qu'il s'est légèrement contracté par suite de son
séjour dans l'alcool, ne montrent point cela aussi clairement que
lorsque l'organe était encore frais'. Cependant, même aujourd'hui,
l'hémisphère gauche est distinctement plus petit que le droit, à la
fois en longueur et en largeur. Les lobes occipitaux sont aussi égaux
que possible en longueur; mais la scissure perpendiculaire interne
gauche (grâce au volume plus petit des iQbes frontal et pariétal) est
située exactement à 21 millimètres en avant de celle de l'hémisphère
droit. Le lobe occipital gauche est en outre distinctement plus
étroit, et moins arrondi à l'extérieur, que celui du côté droit. Les
lobes temporaux sont d'égale longueur, mais ils ont été trop altérés
par la pression pour que l'on puisse se former une opinion sur leur
largeur relative. La diminution en largeur, aussi bien qu'en longueur,
du volume général des lobes frontal et pariétal est encore très
évidente, bien que cette diminution ne soit point localisée dans
quelques parties spéciales de ces lobes. On ne peut non plus
observer de différence appréciable dans le développement des circon-
volutions d'aucune partie de l'hémisphère, par comparaison avec
celui de l'autre côté. La région du lobule supra -marginal et de la
circonvolution angulaire semble assurément aussi développée à
gauche qu'à droite; bien que ce soient les circonvolutions qui, d'après
Terrier, doivent être regardées comme le siège principal du Centre
Visuel.
1. Le cerveau fat extrait le troisième jour après la mort et n'était pas dans
un bon état de conservation. Voici les mesures que l'on prit alors avec le plus
grand soin, sur le vertex, au moyen d'un ruban étroit :
De l'extrémité antérieure De l'extrémité supérieure De l'extrémité supérieure de
du lobe frontal à l'extrémité du sillon de Rolande à l'ex- la scissure perpendiculaire à
supérieure du sillon de Ro- trémité supérieure de la l'extrémité postérieure du lobe
lando : scissure perpendiculaire : occipital :
Millim. Millim. Millim.
A gauche 128 64 67
A droite 141 77 67
Outre l'arrêt spécial de développement rencontré dans l'hémisphère gauche,
le cerveau, en général, était nettement contracté, en partie par l'effet de l'âge,
Chablton-Bastian. — II. 4
50 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN/
Sauf l'état de dégénérescence et l'aspect de dépérissement du
nerf optique droit et de la bandelelte optique correspondante, on ne
découvre rien qui puisse rendre compte du volume plus petit et du
développement borné de l'Hémisphère gauche. L'antérieur gauche
des tubercules quadrijumeaux est un peu moins proéminent que l'an-
térieur droit, et diffère aussi légèrement de couleur; mais il n'a pas
été examiné avant l'immersion du Cerveau dans l'alcool. Le Cervelet
paraît tout à fait symétrique ; ses moitiés droite et gauche donnent
les mêmes mesures. Et, sur ce point, il est important d'observer ici
que le professeur de Morgan n'avait jamais souffert d'aucun état
paralytique ni d'aucun trouble de la motilité ; de sorte que mon
impression première qu'il devait y avoir eu une atrophie associée du
lobe latéral opposé du Cervelet (comme dans beaucoup de cas d'atro-
phie d'un des Hémisphères Cérébraux), ne fut point trouvée fondée.
On peut, avec raison, s'attendre à cela dans des cas d'atrophie d'un
hémisphère cérébral, associée avec de la Paralysie unilatérale; mais
non dans les cas où cette dernière condition n'existe pas, et dans
lesquels un des Hémisphères ne semble qu'imparfaitement développé,
parce que les stimuli qu'il devait recevoir de l'un des sens les plus
importants, comme celui de la Vue, lui ont fait défaut. C'est une
distinction importante à se rappeler.
On a pris quelques mesures sur le Cerveau, fort asymétrique, du
célèbre Mathématicien (dont les facultés mentales étaient si grandes
malgré l'inégalité de ses Hémisphères), et on les a mises en regard
d'autres chiffres, obtenus par des mesures semblables, prises sur le
Cerveau, bien développé, du journaliste instruit mais relativement
obscur. Le poids de ce dernier Cerveau était 1,587 grammes : de sorte
qu'il aurait occupé un rang élevé, si on l'eût introduit dans le tableau
donné page 31. On observera que l'Hémisphère gauche, comme c'est
fréquemment le cas (voy. fig. 135), est légèrement, mais distinctement,
plus long que l'Hémisphère droit.
en partie par la maladie, qui avait produit une émaclation forte et générale,
pendant les douze derniers mois de la vie. Il était fort connu que le professeur
de Morgan avait une tête exceptionnellement grosse; de sorte que, si ce n'eût
été à cause de son âge et des causes sus mentionnées de diminution, le cer-
veau eût probablement pesé plus que le poids que l'on put constater (1,496 gr.)
L'auteur a trouvé, pour la tête du professeur de Morgan (presque débarrassée
de cheveux), les mesures suivantes : circonférence, 671 millimètres ; mesure
longitudinale prise sur le vertex (de la racine du nez à la protubérance occi-
pitale), 415 millimètres; mesure transversale, prise sur le vertex (d'un méat
auditif externe à l'autre), 418 millimètres.
CERVEAU DE DE MORGAN.
51
MESURES COMPARATIVES DES DEUX CERVEAUX
Do l'extrémité antérieure
du lobe frontal à l'extrémité
supérieure du sillon de Ro-
lande :
De l'extrémité supérieure
du sillon de Rolande à celle
do la scissure perpendicu-
laire :
De l'extrémité supérieure de
la scissure perpendiculaire à
l'extrémité postérieure du lobe
occipital :
De Morgan
Journaliste
Millim.
A gauche 121
A droite 135
A gauche 155
A droite 141
Millim.
47
54
57
61
Millim.
54
54
61
57
Du sommet du lobe tem-
poral à l'extrémité inférieure
du sillon de Rolande :
De Morgan
Journaliste
( A gauche
( A droite
A gauche 67
A droite 64
De l'extrémité in-
férieure du sillon
de Rolande à l'ex-
trémité supérieure
de la scissure de
Sylvius.
Millim. Millim.
54 50
57 40
27
23
Du sommet du
lobe temporal à
l'extrémité de la
scissure de Syl-
vius.
Millim.
104
97
94
87
De l'extrémité de
la scissure de Syl-
vius à l'extrémité
supérieure de ia
£c!s3ure perpendi-
culaire.
Millina.
104
104
104
108
Une autre différence notable, que l'on rencontre souvent dans les
Cerveaux Européens d'un type élevé, et qui sert à les séparer d'or-
ganes comme celui de la Vénus Hottentote (fig. 133), se trouve dans
la brièveté de la scissure de Sylvius. Elle peut atteindre à peine à
moitié chemin de l'extrémité supérieure « de la scissure perpendi-
culaire » ; et peut en être séparée par plusieurs circonvolutions, au
lieu de ne l'être que par le limbe descendant de la « circonvolution
angulaire », comme c'est le cas chez le Chimpanzé, ou par cette cir-
convolution et r « unissante » supérieure, comme chez les deux
femmes africaines.
La scissure de Sylvius est tout à fait allongée chez quelques Quadrumanes,
comme par exemple le Hurleur, et aussi dans le cerveau du Saïmiri repré-
senté par Gratiolet ' ; chez ces deux types, elle s'étend en arrière presque
jusqu'à la grande fente longitudinale. Elle n'est guère moins allongée chez
le Sagouin, le Macaque et auti-es formes alliées (fig. 105, 106), et demeure encore
longue, même chez le Chimpanzé ^. On a déjà signalé (p. 12) que la longueur
du Lobe Temporal et l'étendue du prolongement postérieur de la scissure de
Sylvius, sont aussi des caractères remarquables du cei^veau humain, à l'état
1. Anatomie Comparée du Système Nerveux. PI. XXIX, fig. 11 et 12.
2. Gratiolet, loc. cit., pi. XXIV, fig. 6.
52 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
foetal. Ce caractère se voit très bien sur la figure, donnée par Gratiolet, du
cerveau d'un fœtus d'environ six mois et demi ^.
Ce caractère simiesque et fœtal de l'organe se révèle aussi, même à l'état
adulte de quelques-uns des types inférieurs de Cerveau Humain. On le voit, par
exemple, sur la Vénus Hottentote (fig. 133) ; et, à un degré moindre, chez la
Bosehimane (fig. 136), ainsi que dans le cerveau, représenté par Gratiolet '^,
du criminel Fieschi (connu par sa machine infernale), et ^ dans celui de l'ar-
tisan Krebs, représenté par Wagner. Toutefois, dans la figure que Leuret et
Gratiolet ont donnée du cerveau d'un Charmas (pi. XIX, fig. 1), bien qu'il
existe, sous d'autres rapports, beaucoup de caractères infantiles, nous trouvons
la scissure de Sylvius très courte, tout à fait comme on la voit sur quelques-
uns des cerveaux les mieux développés, celui deGauss, par exemple, et, d'une
façon encore plus remarquable, sur ceux de Morgan et du Journaliste dont nous
avons parlé. Sur ces deux derniers cerveaux, plus de la moitié de la scissure
de Sylvius, telle qu'elle existe chez les Quadrumanes, a été oblitérée, puisque
les mesures prises sur ces cerveaux, de l'extrémité supérieure de la scissure
perpendiculaire à l'extrémité postérieure delà scissure de Sylvius, en croisant
le lobe pariétal, sont exactement égales à celles que l'on prend de ce dernier
point jusqu'au sommet du Lobe Temporal correspondant.
Ce raccourcissement progressif de la scissure de SylviuS ne paraît pas
avoir été signalé distinctement. Il semblerait cependant que ce soit un chan-
gement précisément du même ordre que celui qui mène à l'oblitération pro-
gressive de la « scissure perpendiculaire externe », à laquelle les anatomistes
ont prêté beaucoup d'attention.
La brièveté sus-mentionnée de la scissure de Sylvius sur les
Cerveaux les mieux développés, tend à amener une brièveté corres-
pondante du Lobe Temporal. La largeur relative de ce segment du
Cerveau est aussi décidément réduite dans le Cerveau de Gauss.
Les larges circonvolutions simples du Lobe Temporal de la Vénus
Hottentote (fig. 133) contrastent notablement avec les replis, beau-
coup plus complexes, qui leur correspondent dans les Cerveaux des
deux Mathématiciens, ainsi que dans celui du Journaliste^.
Le Lobe Occipital a une profondeur beaucoup plus grande dans
les Cerveaux de Gauss, de De Morgan et du journaliste, qu'on ne le
voit chez les types humains inférieurs précédemment décrits. En con-
séquence, chez eux, le bord inférieur et postérieur de l'Hémisphère
1. Anatomie Comparée du Système Nerveux, pi. XXX, fig. 2.
2. Id., pi. XXII, fig. 2.
3. Vorstudien, tab. VI, fig. 2.
4. Dans le cerveau du Fœtus de six mois et demi, et dans celui de Fieschi,
représentés par Gratiolet [loc. cit., pi. XXX, fig. 2, et pi. XII, fig. 2), les Lobes
Temporaux sont à la fois longs et larges; tandis que dans celui de l'Enfant nou-
veau-né (pi. XXX, fig. 3) et dans celui du Charmas (pi. XIX, fig. 1) ces
mômes Lobes, bien que courts, sont encore extrêmement larges.
FORMES SUPÉRIEURES DU CERVEAU.
53
Cérébral, lorsqu'il s'étend le long du côté du Cervelet, est bien plus
près d'avoir une direction horizontale que chez aucune des deux Afri-
caines. Chez ces dernières, toutefois, on remarque un perfectionne-
ment du même genre, par comparaison avec ce qui existe dans les
Hémisphères Cérébraux des grands Anthropomorphes (p. 231, vol. I).
Dans les formes supérieures du Cerveau humain — comme ceux
de^Gauss et de De Morgan, ainsi que du journaliste — les Lobes Tem-
FiG. 144. — Surface inférieure da Cerveau Humain (Allen Thomson).
1, Grande fente longitudinale; 3, 2', 2", circonvolutions de la surface inférieure du lobe
frontal; 3, 3, 3, prolongement sur la base de la scissure de Sylvius ; 4, 4', 4", circon-
volutions du lobe temporal; 5, 5', lobo occipital ; 6, pyramides antérieures du bulbe;
X, extrémité postérieure du lobe médian du cervelet; 7, 8, 9, 10, lobules du lobe laté-
ral du cervelet; I-IX, nerfs crâniens qui tous, sauf les premiers, se voient plus com-
plètement sur la figure suivante. Le neuvième nerf du côté droit a été enlevé ; X, pre-
mier nerf cervical.
poral et Occipital de chaque Hémisphère, pris ensemble, sont beau-
coup plus petits, relativement à la masse de substance cérébrale
comprise dans les Lobes Frontal et Pariétal, que ce n'est le cas pour
des cerveaux d'un type moins élevé. Chez les Quadrumanes infé-
rieurs également, le segment Temporo-Occipital de l'Hémisphère, au
54
CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
lieu d'être beaucoup moindre, est presque égal,, ou parfois légè-
rement plus gros que le segment Fronto-Pariétal du même Hémis-
phère. Ainsi, les proportions que l'on rencontre chez les types
humains inférieurs, sont comme intermédiaires entre ce qui existe
chez les Quadrumanes, d'une part,
et, de l'autre, chez les types humains
supérieurs.
La diminution de volume du
segment Temporo-Occipital chez les
hommes en général, est peut-être
plus apparente que réelle. Le très
grand accroissement de volume des
régions Frontale et Pariétale est, au
moins en partie, une autre manière
d'expliquer le changement de pro-
portions relatives. Il est bien cer-
tain que les circonvolutions des
Lobes Temporaux tendent à devenir
plus complexes chez les cerveaux
humains plus élevés; et il est égale-
ment certain qu'il y a aussi ten-
dance à une augmentation réelle de
volume des Lobes Occipitaux. Dans
FiG. 145. — Face inférieure des Pédon- i i i / i ,
cules Cérébraux, de la Protubérance leS CerVOaux les pluS developpeS, CCS
et du Bulbe, montrant les connexions LobOS deviennent pluS profouds, et
des nerfs crâniens (Sappey, d'après ^^^^^j j^^ j^j^^g ^^ j^^g arroudis. Il
Hirschfeld). ^ ^ ^
y a, en outre, un accroissement no-
table dans la complexité des Circon-
volutions Occipitales.
Ce dernier point est d'une impor-
tance considérable, et n'est pas tou-
jours suffisamment présent à l'esprit
de ceux qui insistent sur le grand
volume des Lobes Occipitaux chez
beaucoup de Quadrumanes. Si ces
parties semblent, relativement, plus
petites chez l'homme, il ne faut
point oublier que, chez les Singes
ordinaires et les Anthropomorphes, leur surface est lisse et relative-
ment privée de circonvolutions; tandis que, chez l'Homme, l'étendue
de la substance grise superficielle s'accroît énormément, relative-
ment à leur volume, à raison du nombre et de la profondeur des
plis de leur surface.
Ainsi donc, dans le Cerveau de l'Homme, c'est moins des parties
1, Infundibulum du corps pituitaire ; 2,
portion du plancher du troisième ven-
tricule; 3, tubercules mamillaires ; 4,
pédoncules cérébraux ; 5, protubé-
rance annulaire ; 6 nerfs optiques, se
croisant sur la ligne médiane de ma-
nière à former un chiasma ; 7, oculo-
moteur commun ; 8, pathétique ; 9, tri-
jumeau ; 10, oculo-moteur externe ;
11, facial; 12, auditif; 13, nerf de
"Wrisberg; 14, glosso-pharyngien ; 15,
vague, ou pneumogastrique ; 16, spi-
nal; 17, grand hypoglosse (coupé d'un
côté).
DÉVELOPPEMENT ASYMÉTRIQUE.
55.
OU des régions nouvelles que nous rencontrons, qu'un énorme
développement de parties et de régions préexistantes. En outre, le
degré d'accroissement de ce développement n'est point le même
partout. Ces deux faits sont, tous deux, très significatifs au point de
vue psychologique, — et surtout au point de vue de cette Psychologie
qui a sa base dans la Philosophie générale de l'Évolution.
Une des particularités les plus remarquables du Cerveau humain,
c'est que, d'une manière ou d'une autre, ses deux Hémisphères ne-
sont pas développés d'une manière tout à fait symétrique.
1° Bien que la situation des Scissures primaires soit sujette à
peu de variations dans les deux Hémisphères^ cependant, sur les
Fie. 146. — C( 11^ i 11 i '•'1 I obe Occipitalgauche d'une Cerveau Humain,
pour montrer le nombre et la profondeur des replis de sa surface.
Cerveaux les plus riches en Circonvolutions, beaucoup des Circon-
volutions séparées peuvent présenter des différences dans le nombre
et l'arrangement de leurs replis ou indentations. De là peuvent
provenir de légères différences dans l'aspect des Circonvolutions
qui se correspondent des deux côtés du Cerveau; bien que les
régions où la dissimilarité est la plus marquée ne soient point
du tout nécessairement les mêmes chez différents individus, de
même la complexité la plus grande ne se trouve point toujours, sur
le même Hémisphère, dans ces différentes régions.
Il y a encore beaucoup à apprendre sur ces points; mais on est
tout à fait autorisé à conclure, d'une manière générale, que ce
développement asymétrique des circonvolutions est, chez les Races
Humaines inférieures, seulement un peu plus marqué que chez les
Singes supérieurs; et qu'il s'accentue de la manière la plus distincte
dans les Cerveaux, très riches en circonvolutions, qui appartien-
56 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
nent à des représentants des Races Humaines supérieures, ou plus
civilisées.
2° Divers anatomistes ont remarqué que PHémisphère gauche est,
très fréquemment, un peu plus long que son homologue; de sorte
que le sommet du Lobe Occipital gauche peut se projeter dis-
tinctement en arrière de celui du côté droit.
3° L'auteur a remarqué, il y a une quinzaine d'années, qu'il
existe fréquemment une différence bien nette dans la forme des
sommets des Lobes Occipitaux i, — celui du côté gauche étant ordi-
nairement atténué et irrégulièrement conique ; tandis que le droit
est souvent plutôt aplati à l'extrémité, et porte, à son bord interne,
une dépression, ou sillon, de 7 millimètres environ de large (fig. 1^7).
La direction du sillon est de bas en haut, et aussi en dedans et en avant.
Dans un grand nombre de Cerveaux, et, semblerait-il, surtout
dans ceux de Femmes, cette conformation du Lobe Occipital droit
existe à un degré bien marqué. Dans d'autres, elle ne l'est que peu ;
tandis que, dans de rares occasions, un sillon plus ou moins évident
existe de chaque côté. Dans un nombre de cas encore plus petit,
on rencontre un sillon au sommet du Lobe Occipital gauche, et non
du Lobe droit; ou bien encore il peut manquer des deux côtés ^
Les Circonvolutions Occipitales , à l'endroit du sillon, sont
nettement déprimées; mais on n'a jamais rencontré de saillie de la
surface intérieure du crâne, ou d'épaississement des membranes, qui
puisse rendre compte de sa formation. Dans ces derniers temps,
l'auteur a adopté l'opinion que ce « sillon occipital » est dû à la
1. L'auteur a depuis appelé l'attention là-dessus dans les Transact. of Pa-
tholog. Society, 1869, vol. XX, p. 4.
2. Dans trente-cinq autopsies consécutives, la condition des Lobes Occipi-
taux a été notée, soit par moi-môme, soit par MM. J.-T. Gadsby et C.-E. Beevor
— alors mes habiles assistants à University Collège hospital — en vue de s'as-
surer de la fréquence relative de ces différentes conditions. Les résultats sont
compris dans les tableaux suivants :
TABLEAU I.
SEXE.
COTÉ. — — ^ TOTA
Masc. Fém.
Droit 15 13 28
Gauche 1 1 2
Deux côtés .... 3 1 4
Manque 1 0 1
20 15 35
TABLEAU IL
SEXE.
Masc. Fém
3 17
2 8 7
1 10 1
0 10
20 15
Dans le tableau II, le chiffre 3 signifie que le sillon était très bien mar-
qué; 2, assez bien: et 1, légèrement.
DÉVELOPPEMENT ASYMÉTRIQUE.
57
pression exercée par l'extrémité postérieure du sinus longitudinal
et le côté droit du pressoir d'Hérophile, ou point de rencontre des
sinus veineux (fig. lZi8.). On ne voit pas très bien pourquoi cette
pression doit s'exercer plutôt sur le côté droit que sur le gauche.
Cela est peut-être dû au léger accroissement de longueur de l'Hé-
misphère gauche, qui appuie en arrière sur le côté gauche du
pressoir, et détourne ainsi vers la droite un courant plus considé-
rable du sang qui coule dans le sinus longitudinal. Il y a, en effet,
longtemps que l'on a remarqué que le sillon qui, sur l'os occipital,
Fis. 147. — Vue postérieure des Lobes Occipitaux et du Cervelet, montrant le sillon occi-
pital au bout de l'Hémisphère droit (d'après un dessin de V. Horsley). 1, le Sillon ;
2, 2, scissure perpendiculaire externe ; C, C, Cervelet.
correspond au Sinus latéral droit, est souvent nettement plus large
que celui du sinus gauche ^, — montrant ainsi d'une façon con-
cluante que, dans tous ces cas du moins, le courant sanguin le plus
considérable a coutume de sortir du crâne de ce côté-là.
k° Le docteur Boyd avait dit que l'Hémisphère gauche était
généralement plus lourd que le droit, de près de ik grammes.
Toutefois, quelques observateurs ont mis en doute qu'il s'agit là
d'une condition ordinaire ; et d'autres le nient positivement. Quel-
ques-uns de ces derniers affirment même que, bien qu'il existe
souvent une différence, la supériorité de poids est plus souvent en
faveur de l'Hémisphère droit que du gauche. Ce point ne saurait
peut-être actuellement être décidé d'une manière définitive. Il est
évident qu'il est nécessaire de prendre de très grandes précautions,
1. Voy. fig. 23 de l'Anatomy de Gray (3* édition), où cet état est bien re-
présenté.
58
CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
en coupant les «pédoncules cérébraux » et le « corps calleux», avant
de peser comparativement les deux Hémisphères, et que les pesées
elles-mêmes demandent à être faites avec le plus grand soin.
5° L'auteur s'est assuré, il y a déjà de longues années^ que le
poids spécifique de la Substance Grise des circonvolutions frontales,
pariétales et occipitales, respectivement, est souvent un peu plus
élevé sur l'Hémisphère gauche que sur le droit; bien que cette
densité supérieure n'existe pas, nécessairement, dans chacune de
ces régions, sur le môme individu ^ Ce résultat inattendu se montra
FiG. 148. — Vue postérieure Diagrammatiquo de la Dure-mère et des Grands Sinus Vei-
neux (Todd). La portion postérieure du Crâne et les arcs postérieurs des premières
vertèbres sont supposés enlevés, s, sinus longitudinal; t, pressoir d'Hérophile, où les
sinus longitudinal et occipital se rencontrent, et d'où partent les sinus latéraux (<?).
souvent, bien que pas toujours, même après qu'on eut pris soin
d'écarter toute cause d'erreur. Il y a toutefois aussi besoin d'autres
observations sur ce sujet; et l'on devrait essayer de la même
manière d'autres circonvolutions que celles nommées ci-dessus -.
1. Voy, : Journal of Mental Science, Jaii. 1866, p. 493.*
2. Un accroissement du nombre de processus intercellulaires et de fibres
commissurales fines, à l'intérieur de la Substance Grise, pourrait causer un
léger accroissement de densité, en rapprochant cette matière de la « substance
blanche », plus dense.
CERVELET.
59
LE CERVELET ET SES LOBES.
Le Cervelet, ou « petit Cerveau », est, dans la position redressée du
corps, situé en arrière et au-dessus de la Protubérance et du
Bulbe (fig. 132), et repose, dans une cavité postérieure du crâne, au-
dessous des Lobes Occipitaux, dont il n'est séparé que par une
paroi membraneuse. Cette membrane, nommée la Tente du Cer-
velet, est un prolongement horizontal interne de la « dure-mère »•
FiG. 149. — Face supérieure du Cervelet (Sappej^, d'après Hirschfeld). 1,1, Vermis supé-
rieur (lobe moyen) dont l'extrémité antérieure a été repoussée en arrière, pour mon-
trer les Tubercules Quadrijutn eaux; 2, extrémités postérieures des vermis supérieur et
inférieur et de la fente médiane du Cervelet ; 3, grande scissure périphérique ; 4,
grande scissure de la face supérieure, qui divise cette face en deux segments prin-
cipaux; 5, segment postérieur en forme de croissant; 6, 6, 6, 6, segment antérieur,
quadrilatéral, et composé de cinq segments secondaires recourbés, semblables au
précédent : chacun de ces segments est composé de lames de dimensions différentes,
intimement rapprochées, et séparées par des scissures de profondeur variable; 7, "7,
coupe des Pédoncules Cérébraux; 8, commissure postérieure du Cerveau; 9, Tuber-
cules Quadrijumeaux.
Les Lobes Occipitaux reposent sur elle en dessus, tandis que la sur-
face supérieure du Cervelet est en contact avec sa face inférieure.
On a déjà parlé de la relation de poids entre le Cervelet et le
Cerveau, ainsi que du grand développement progressif des « lobes
latéraux » de ce premier organe chez les Quadrumanes, et encore
plus chez l'Homme, relativement au Lobe Médian, — qui devient,
chez ce dernier, proportionnellement fort petit.
Nous ne nous arrêterons pas ici en détail sur le développement
relatif des diverses parties du Cervelet, quoique le lecteur puisse
apprendre le nom de ces parties, en étudiant avec soin les figures
60 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
149 et 150 et leurs légendes. L'étude comparative des diverses
parties du Cervelet n'a point, en effet, attiré l'attention des travail-
leurs en général, autant que celle du Cerveau; et même, s'il en eût
été autrement, l'importance tout à fait subordonnée de cet organe,
par rapport à la Pensée, nous autoriserait à nous arrêter beaucoup
moins sur son anatomie extérieure ^.
Toute la surface externe du Cervelet est marquée d'un très grand
nombre de « scissures », dont quelques-unes sont beaucoup plus
profondes que d'autres. Ces scissures profondes sont en nombre
FiG. 150. — Face Inférieure du Cervelet (Sappey, d'après Hirschfeld). 1, 1, Vermis infé-
rieur; 2, 3, fente médiane du Cervelet; 3, 3, 3, lobes et lobules des hémisphères céré-
belleux; 4, amygdale; 5, lobule du pneumo-gastrique ; 6, protubérance; 7, son sillon
médian ; 8, pédoncule moyen du cervelet ; 9, surface coupée du bulbe ; 10, extrémité
antérieure de la grande scissure périphérique; 11, bord antérieur de la surface supé-
rieure du cervelet; 13, racine motrice du trijumeau; 13, sa racine sensitive; 14, oculo-
moteur externe; 15, facial; 16, nerf de Wrisberg; 17, nerf auditif; 18, glosso-pha-
ryngien ; 19, pneumogastrique; 30, spinal; 31, hypoglosse.
relativement petit, et constituent les limites des divers lobes et
lobules de l'organe. Entre elles, il s'en trou've d'autres, arrangées
d'une manière plus ou moins concentrique, et qui varient beaucoup
en longueur et en profondeur. On a estimé à six ou huit cents le
nombre de ces scissures de second ordre. Elles divisent la surface
du Cervelet en une multitude de lames, dont on appréciera mieux
la nature et l'arrangement en examinant les figures 156, 162 et 166.
D'après Marshall, le Cervelet de la Boschimane était proéminent
sur les côtés, et proportionnellement plus large et plus long que
1. Stilling a publié un travail approfondi et richement illustré, sous le titre :
Bau des kleinen Gehirns.
CERVELKT. Cl
chez l'Européen; bien que son contourne fût ni aussi plein ni
aussi arrondi, et que sa masse réelle fût moindre. Le résultat de ces
laborieuses recherches comparatives est que « le nombre des lames
du Cervelet de la Boschimane s'accorde tout à fait avec ce qui
existe chez l'Européen; les difTérences n'étant probablement que
celles que l'on pourrait rencontrer entre des individus de même
race. » Leur nombre relatif dans les diverses parties fut toutefois
trouvé différent pour quelques-uns des plus petits lobes ; et beaucoup
de lames étaient aussi plus petites et plus minces. Le léger défaut
de poids du Cervelet de la Boschimane (( dépend essentiellement,
d'après Marshall, non de l'absence de certaines parties ou de cer-
taines lames, mais de l'étroitesse de ces dernières; car elles sont
évidemment beaucoup plus minces que chez l'Européen». Somme
toute, il considère que « le Cervelet de la Boschimane est très bien
développé; et que, en tant qu'organe, il est beaucoup plus parfait
que son Cerveau. »
SIGNIFICATION DU GRAND DEVELOPPEMENT
DES CIRCONVOLUTIONS SUR LES HEMISPHERES CÉRÉBRAUX
DE l'homme.
Après la description précédente de la configuration extérieure
du Cerveau Humain, et maintenant que l'on a exposé en détail les
différences qui existent entre lui et celui des Singes supérieurs, il peut
se présenter naturellement à l'esprit du lecteur des questions de ce
genre : — Quelle est la signification précise de ce développement plus
complexe des Circonvolutions du Cerveau de l'Homme? — Quelle
signification faut-il attribuer au manque de symétrie dans le dévelop-
pement des Circonvolutions correspondantes des deux Hémisphères?
On a déjà signalé précédemment qu'il y a trois types principaux
d'arrangement des circonvolutions : (1) celui des Herbivores, (2) celui
des Carnivores et des Cétacés, (3) celui des Quadrumanes et de
l'Homme . Nous avons vu également que, dans chacun de ces grands
groupes, le développement des Circonvolutions, particulier à une
espèce donnée, a jusqu'ici semblé dépendre principalement du
volume ordinairement atteint par les animaux ^ ; — que ceux qui
sont petits peuvent n'en point avoir, tandis que des animaux pro-
ches alliés, mais d'une plus grande taille, peuvent en avoir de plus
ou moins développées.
Voici ce que Vogt dit sur la raison de ce plus grand dévelop-
pement chez des animaux de taille plus forte ^ :
1. Voy. vol. P--, p. 213.
2. Lectures on Man. p. 10.5.
«2 CONFIGURATION EXTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
« Heureusement les mathématiques viendront ici à notre secours. Si l'on
compare deux corps de forme semblable, mais de volume différent, leurs volu-
mes respectifs varient comme le cube de leurs diamètres, tandis que leurs sur-
faces ne varient que proportionnellement aux carrés de ces diamètres ; en
d'autres termes, le volume d'un corps s'accroît plus rapidement que sa surface,
et celle-ci plus rapidement que le diamètre. Tout artilleur sait bien qu'un
boulet de douze, bien que trois fois aussi lourd qu'un boulet de quatre, est
loin d'avoir un diamètre trois fois plus grand... En appliquant ce principe à
la tête, et spécialement au crâne des animaux, on verra que, dans chaque
groupe naturel ou ordre de mammifères, la tête, et en particulier la capacité
crânienne, est avec le corps dans une relation à peu près constante chez les
diverses espèces... ; que la surface intérieure de la boîte crânienne est relati-
vement moindre chez les gros animaux, et, par conséquent, que pour avoir
une surface semblable de substance grise, le cerveau doit présenter des cir-
convolutions chez les gros animaux, tandis qu'il peut demeurer lisse chez les
petits. »
Si donc nous envisageons à un point de vue large et général le
problème du degré d'importance à attaclier à la grande complexité
des Circonvolutions cérébrales cliez l'Homme, il pourra sembler, à
première vue, que c'est là un apanage, une suite nécessaire du
volume du corps de l'Homme, relativement à celui des Singes ordi-
naires et des Antliropomorphes. Sous le rapport du développement
de ses Circonvolutions, l'Homme semble tenir, de beaucoup, la tête
du type Quadrumane, comme l'Éléphant tient celle du type Her-
bivore et les gros Cétacés celle du type Carnivore. De plus, le Cer-
veau de l'Éléphant et celui des Cétacés montrent (comme celui de
l'Homme) un manque de symétrie fort net, sous le rapport de la
disposition précise et de la forme des Circonvolutions correspon-
dantes des deux Hémisphères. H semble donc tout d'abord que l'on
soit autorisé à penser que le manque de symétrie peut accompa-
gner, comme une sorte d'accident mécanique, la grande complexité
des Circonvolutions ; et que ce dernier caractère, si l'on compare des
animaux de groupes alliés, est principalement en relation avec le
volume de leur corps et la capacité de leur Crâne.
Mais il ne faut point oublier d'autres considérations importantes.
Ainsi, comme le dit Vogt, il faut avoir présent à l'esprit que la capa-
cité crânienne de l'Homme est, proportionnellement au volume de
l'individu, énormément plus grande que chez aucun des Anthro-
pomorphes; et que, malgré ce très grand accroissement de capacité
de la chambre cérébrale, l'augmentation de surface, ainsi obtenue
pour la substance grise superficielle du Cerveau, est loin d'être suf-
fisante pour les besoins de la vie intellectuelle et morale de l'Homme ;
il faut encore que cette surface soit accrue par d'autres replis
secondaires des Circonvolutions Cérébrales.
CAUSES DU DÉVELOPPEMENT Dl-lS CJIlCON VOLUTIONS. G3
Une preuve frappante de ces considérations de première impor-
tance se trouvera dans ce fait, que le développement des Circonvo-
lutions du Gorille est beaucoup plus simple que celui de Fllomme,
bien que la capacité crânienne des types les plus inférieurs de
l'humanité soit de beaucoup supérieure à celle du Gorille; et cela,
quoique le volume du corps de ce grand Singe dépasse souvent
celui de PHomme. Ainsi donc, nous avons un accroissement de com-
plexité des Circonvolutions, se montrant dans le Cerveau de l'Homme
sous des conditions générales doublement contraires, qui rendent
cet accroissement encore plus significatif de l'énorme progrès qui
s'est accompli dans le développement du Cerveau.
Si l'on considère, en outre, que l'accroissement de complexité
des Circonvolutions, en passant des Races Humaines inférieures aux
Races supérieures, est également associé à un énorme accroissement
de la « capacité crânienne » et du poids du Cerveau, — bien que la
stature du corps demeure pratiquement la même, — on trouve là
une preuve de plus du vaste développement des Hémisphères, qui
s'est produit durant la longue suite de siècles où les ancêtres des
races civilisées actuelles sont sortis graduellement de l'état de bar-
barie primitive.
Le grand développement des Circonvolutions du Cerveau de
l'Homme a donc une signification incomparablement plus grande
que celui que l'on trouve chez l'Éléphant ou les Cétacés; car, chez
lui, ce n'est clairement pas, comme cela est dans une grande mesure,
chez ces animaux, une simple conséquence de l'augmentation de
volume du corps.
Il est cependant fort possible que la relation entre la grande
complexité des Circonvolutions du Cerveau Humain et les acquisi-
tions intellectuelles et morales, soit plutôt générale que spéciale et
invariable. Cette relation peut être fort semblable à celle qu'on a
montré exister, chez les Hommes, entre les Poids cérébraux élevés
et les Acquisitions et Facultés Mentales supérieures. Ces coïncidences
tendent décidément à prévaloir; et cependant, comme nous l'avons
vu, on peut y rencontrer, de temps à autre, de notables exceptions.
On verra plus loin qu'il existe une inégalité fonctionnelle entre
les deux Hémisphères Cérébraux; de sorte que le développement
asymétrique de leurs Circonvolutions, autrement correspondantes,
peut être, en partie du moins, dû à ce fait.
CHAPITRE XXII
DE l'intelligence ANIMALE A l'iNTELLIGENCE HUMAINE
« L'Homme, comme être doué de Raisonnement, dépend de la
forme de Langage qu'il emploie, à un degré que l'on ne saurait
guère estimer trop haut. C'est, en grande partie, en vertu du Lan-
gage qu'il arrive à poursuivre, avec tant d'habileté et de perfection,
des processus mentaux compliqués; et si, en essayant de jeter un
pont sur le vaste abîme intellectuel et moral qui sépare l'Homme
des animaux inférieurs les plus élevés, nous disons que lui seul
possède la faculté de parler et de se servir du Langage Articulé, nous
touchons probablement là à la faculté qui, infiniment plus que toutes
les autres, a eu affaire avec le progrès graduel qui semble s'être
produit pendant les âges écoulés, — progrès qui a permis à cer-
taines races humaines de parcourir la multitude des degrés de civi-
lisation qui séparent ceux qui vivaient à l'état sauvage de ceux qui
constituent aujourd'hui la fleur de la civilisation Européenne. Si
donc la possession du Langage Articulé et les nouveaux talents qui
en proviennent de transmettre la pensée au moyen de signes écrits
ou imprimés, ont eu une influence aussi surprenante, en aidant cer-
taines races à s'élever d'une condition de barbarie complète, il
semble encore plus certain que la Pensée, dans tous ses modes supé-
rieurs, ne saurait point s'exercer sans l'aide d'un Langage d'une
nature quelconque. »
Ce passage, qui formait l'introduction d'un article sur la
Physiologie de la Pensée, paru il y a quelques années déjà^ peut
être pris pour texte du présent chapitre.
Des vues très semblables à celles-ci avaient déjà été appuyées
par Herbert Spencer, Huxley et autres; et, depuis lors, elles ont
beaucoup gagné dans le public, grâce surtout à la manière habile
dont elles ont été défendues par quelqu'un dont nous avons aujour-
d'hui à déplorer la perte. Bien que les doctrines formulées par
G. -H. Levves ne fussent peut-être pas aussi neuves que son lan-
■1. The Physiology of Ihinliinçj. — Fortniglithj Review. Janvier 1869.
ANALYSE DU LANGAGE. 65
gage semble l'impliquer, il leur a cependant prêté une nouvelle force,
et les a développées d'une manière plus complète et plus précise
que cela n'avait été fait par d'autres écrivains.
L'usage le plus évident du Langage, c'est assurément de servir
à faire communiquer, d'une manière déterminée, l'Homme avec
l'Homme. Dans ses Lois de la Pensée {Laivs ofThoughl, pages 37-39 et
Zi7), Thomson dit : « Nous pourrions, pour certains usages, nous dis-
penser du langage articulé ; les gestes et les changements de conte-
nance, qui sont le langage de l'action, en tiendraient lieu. Mais les
actes et les jeux de physionomie, bien qu'ils puissent servir à
exprimer l'amour ou la haine pour quelque objet présent, le
besoin de nourriture ou de repos, la joie ou la tristesse, ne sau-
raient exprimer qu'une série fort restreinte de pensées, si nous
voulions indiquer nos sentiments envers une personne absente,
notre désir de quelque chose d'éloigné, ou diriger l'attention sur
quelque état ou sentiment intérieur... 11 est donc nécessaire d'ap-
pliquer à chaque objet un signal toujours utile, que tous les
hommes, par une convention tacite, acceptent comme remplaçant
l'objet, et qui, par conséquent, toutes les fois qu'il est employé,
rappelle l'objet à l'imagination ; ce signal est un substantif ou nom.
Toutefois, les noms représentent des choses, et les différents états
des choses doivent aussi trouver une expression ; de là, le besoin
d'adjectifs et de verbes. Le verbe a le pouvoir d'assigner à la chose,
à un temps donné, la condition d'être, de faire, ou de subir quelque
chose... Lorsque deux ou plusieurs noms sont employés ensemble, il
est souvent nécessaire d'exprimer leurs relations mutuelles; une
chose peut être à, de, par, dans, près de, au-dessus, ou au-dessous
d'une autre; et l'on introduit des prépositions pour le déterminer.
Il y a donc quatre parties principales du langage : les substantifs,
ou noms, pour exprimer les substances; les adjectifs, pour indiquer
les attributs; les prépositions, pour marquer les relations; et un seul
verbe, pour assigner attributs ou relations aux substantifs, à un
temps déterminé...
« Les différentes parties du langage ont tiré leur origine du sub-
stantif et du verbe, ou peut-être du substantif seul. On peut trouver
beaucoup d'adverbes et de prépositions qui sont nettement sub-
stantives, et de conjonctions qui ne sont que des parties de verbes.
En outre, la connexion intime entre le substantif et le verbe est
indiquée par le nombre de mots qui, dans notre propre langue, sont
à la fois verbes et substantifs, et ne se distinguent que par la pro-
nonciation...
« Il est impossible de suivre, avec certitude, la croissance du
langage ; mais ce qui est le plus probable, c'est qu'un grand nombre
des racines de la langue primitive ne furent originairement que des
Charlton-Bastian. — II. 5
66 IJNTELLIGENCE ANIMALE ET INTELLIGENCE HUMAINE.
imitations de sons variés, émis par les choses du monde naturel. Un
oiseau ou un animal reçut peut-être un nom dérivé de son cri par-
ticulier, et plus ou moins semblable à ce cri. Le cri, ou l'exclamation,
que l'Homme émettait instinctivement sous la pression de quelque
sentiment violent, aura été reproduit d'une manière consciente
pour représenter ou rappeler ce sentiment dans une autre occasion:
et sera devenu un mot ou signe secondaire. Lorsque les sons naturels
ont fait défaut, l'analogie aura pris la place de l'imitation ; les mots
durs et difficiles à prononcer auront été employés pour désigner des
objets déplaisants, de préférence à des mots d'un caractère plus
facile et plus doux, que l'on aura appliqués à des choses et à des
conceptions agréables. Puis, il a suffi de l'accord entre ceux qui se
servaient du langage, pour désigner un son vocal comme le nom
d'un certain objet, alors que l'imitation et l'analogie n'en suggéraient
aucun. Mais ces racines originelles, formes les plus simples des
substantifs, seront graduellement devenues de moins en moins
faciles à reconnaître, à mesure que la langue devenait plus riche
et plus compliquée. Chaque fois que l'on pratique des arts nouveaux,
nous pouvons aisément trouver l'occasion d'épier la naissance de
nouveaux noms pour des instruments et des procédés nouveaux ;
naissance réglée toujours par ces trois principes: imitation, analogie,
■ et simple convention...
« Ce ne sont là que des indications sommaires, dit l'auteur
(aujourd'hui archevêque d'York), de la direction dans laquelle on a
■fait des recherches profondes et pénétrantes. Et je ne pense pas que
'de pareilles tentatives de dissection et d'analyse du langage, pour-
suivies avec la prudence convenable, tendent en rien à abaisser
dans notre estime l'importance du don de la parole ou de sa mer-
veilleuse nature. » Ce sera peut-être là une pensée consolante pour
beaucoup de personnes. Il n'est, en outre, pas sans intérêt de voir
un autre docteur de l'Église, doué de beaucoup de pénétration et
de philosophie, écrire les lignes suivantes ^ :
« Si l'on cherche jusqu'où le même processus, qui se produit
aujourd'hui pendant qu'on apprend à parler, peut rendre compte de
l'invention du langage, la question réelle est simplement ceci : L'acte
de donner des noms aux divers objets qui frappent nos sens est-il
une chose si complètement au delà du pouvoir d'un homme créé
• dans la pleine maturité de ses facultés, qu'il nous faille supposer
• qu'un Divin Précepteur ait rempli précisément le même office que
remplissent aujourd'hui, pour l'enfant, sa mère ou sa nourrice;
c'est-à-dire lui ait appris à associer un 50n donné avec une impression
visuelle donnée? » Cette question peut s'appliquer avec autant de
1. Docteur Mansel, Prolegomena Logica, p. 20.
ORIGINE DU LANGAGE. 67
force à une race humaine naturellement développée, qu'à niorame
hypothétiquement « créé dans la pleine maturité de ses facultés. »
Une faculté comme le Langage Articulé, — soit qu'elle eût com-
mencé par quelque processus caché et inconnu de développement
naturel, ou comme un présent encore plus mystérieux de la Divi-
nité à l'Homme, — devait presque forcément, par sa nature même,
amener graduellement, chez ceux qui la possédaient, un accrois-
sement de développement cérébral. Combien ce processus a été
lent et tardif, c'est ce que nous commençons aujourd'hui à entre-
voir vaguement, grâce aux recherches qui nous ont fait connaître
la grande antiquité de la Race Humaine et l'époque reculée de l'ap-
parition de l'Homme sur cette Terre.
Antérieurement aux époques historiques, les Hommes qui étaient
contemporains des grands Mammouths, dont on trouve les restes
dans les alluvions post-tertiaires, ceux des Bone-Caves, des Shell-
Heaps et des Peat-Bogs, ainsi que ceux de la période des Cromlechs
et des premières Habitations Lacustres, ont vécu, pendant des âges
sans histoire, dans un état de simplicité et de barbarie infiniment
plus grand que celui qui existe chez les nombreuses races
sauvages et demi-sauvages qui couvrent encore une si grande partie
de la surface de la Terre.
Dans les premières périodes de l'histoire humaine, le progrès
était nécessairement si lent, qu'il semble presque faire défaut, même
si nous comptons le temps par siècles. Graduellement, toutefois, à
mesure que la vie nomade fit place à une vie en commun plus com-
plexe, les avantages de la coopération se seront montrés de beaucoup
de manières. Le commencement d'une Organisation Sociale en voie
de développement suppose nécessairement, dans les relations de
l'Homme avec l'Homme, une diversité plus grande, qui se réfléchira
naturellement dans le Langage et agrandira le champ de la pensée,
en donnant naissance à de nouveaux exercices, ou du moins en for-
tifiant beaucoup certains processus mentaux, auparavant embryon-
naires. A mesure que la Sympathie s'accroît, et que chaque unité de
l'organisme social arrive à mieux reconnaître ce qu'elle peut faire
pour satisfaire ses propres besoins ou ses propres désirs, sans
s'attirer de la souffrance par suite de la colère de ses compagnons,
elle arrive graduellement à ' reconnaître la nécessité de contenir
dans certaines limites l'exécution de ses impulsions égoïstes, et le
besoin, même dans l'intérêt de son propre bonheur, d'avoir tou-
jours présents à l'esprit les besoins et les désirs de ses semblables.
Nous avons vu la sympathie se produire, même chez beaucoup
d'animaux muets, lorsqu'ils ont appris à reconnaître, dans leurs
compagnons, les signes extérieurs de ce qu'ils se souviennent avoir
68 INTELLIGENCE AINIMALE ET INTELLIGENCE HUMAINE.
été chez eux un état de détresse. Le retour, en idée, d'un pareil
état, uni à une perception indiquant qu'un pareil état de souf-
france existe actuellement chez un autre, détermine des actions
pour lui venir en aide. Dans cet exercice d'une simple Sympathie
brutale, nous avons les germes les plus importants de ces senti-
ments pour les semblables qui atteignent tant d'étendue et de
puissance chez les races supérieures de l'Humanité.
Non moins importantes toutefois sont, parmi les races sauvages,
ces limites que la convenance force l'individu à reconnaître comme
imposées par ses semblables à la liberté de ses propres actions. Des
considérations de cette nature, unies peut-être à un accroissement
de Sympathie, tendent graduellement à constituer en lui un moni-
teur intérieur, ou Conscience, en même temps que paraissent des
notions embryonnaires de Droit et de Devoir, constituant la base
d'un Sens Moral qui commence à poindre. Parties d'une telle ori-
gine, les impulsions d'une pareille « faculté » ne peuvent manquer
d'être en harmonie avec les opinions et les influences dominantes.
Comme le dit G. -H. Lewes^ :
« Il ne peut 3' avoir de relations morales en dehors de la Société... L'Intellect
et la Conscience sont des fonctions sociales ; et leurs manifestations spéciales
sont rigoureusement déterminées par la Statique sociale, c'est-à-dire l'état de
l'Organisme Social au moment présent, sur lequel elles influent à leur tour.
Le Langage dans lequel nous pensons, et les conceptions que nous emploj'ons,
l'attitude de nos esprits, et les moyens d'investigation, sont des produits sociaux
déterminés par les activités de la Vie Collective. Les lois du progrès intellec-
tuel doivent être lues dans l'Histoire, et non dans l'expérience individuelle-
Nous respirons l'air social, puisque ce que nous pensons dépend en grande
partie de ce que d'autres ont pensé. »
Le pouvoir qu'a le Langage de favoriser le développement céré-
bral et les opérations de la pensée, bien qu'il doive avoir été grand
dès le début, et tendant toujours à s'accroître, ne s'est révélé
avec autant de force que lorsqu'on eut adopté des moyens de con-
server et de communiquer, de génération en génération, l'expérience
et la pensée humaine, au moyen de symboles hiéroglyphiques ou
des formes plus modernes de l'écriture. Lorsque ces dernières
furent devenues d'un usage commun, et surtout lorsque l'impri-
merie eut été adoptée et que les livres commencèrent à circuler,
alors le Langage commença enfin à exercer pleinement son influence
pour aider et développer la Pensée. En effet, bien que la tradition
orale soit de beaucoup préférable à l'absence complète de moyens
de communiquer l'expérience et les pensées, d'une génération à
l'autre, elle est assurément bien imparfaite, relativement aux faci-
1. Probkms of Life and Mind, vol. I", p. 173.
DÉVELOPPEMENT DU LANGAGE. 69
lités fournies par l'imprimerie et la circulation générale des livres.
Depuis que ces derniers moyens existent, les Pensées de l'homme
peuvent aller s'accumulant d'âge en âge, en constituant les annales
de ses relations complexes avec la nature en général, avec ses sem-
blables, et en particulier avec cet Organisme Social dont il fait
partie ainsi qu'eux.
Toutefois, ce n'est pas seulement à la communication de la
Pensée, mais à sa formation même que le langage est indispensable :
puisqu'il favorise la naissance de Conceptions, ou Notions Générales,
et qu'il est essentiel à la fois à leur conservation et à leur usage
familier.
Dans ses Proleg amena logica (p. 19-20, 29-31), Mansel dit :
« Pour l'enfant qui apprend à parler, les mots ne sont point les signes de
pensées, mais d'intuitions (« Présentations of Sensé n).'Les mots homme et che-
val ne représentent pas une collection d'attributs , mais sont seulement le nom
de l'individu qui est devant lui au moment. Ce n'est que lorsque le nom a été
successivement appliqué à divers individus, que la réflexion commence à s'en-
quérir des caractères communs de la classe. Le langage, tel qu'il est appris à
l'enfant, est donc antérieur à la pensée et postérieur à la sensation... Toutes
les conceptions sont formées au moyen de signes qui n'ont primitivement repré-
senté que des objets individuels... Les similitudes sont remarquées plutôt que
les différences ; et l'on peut dire que nos premières abstractions sont accom-
plies pour nous, lorsque nous api^renons à donner le même nom aux individus
qui se présentent à notre vue, malgré de légers signes distinctifs qui passent
d'abord inaperçus. Le même nom est ainsi appliqué à différents objets, long-
temps avant que nous apprenions à analyser les facultés grandissantes de la
parole et de la pensée, à nous demander ce que nous entendons dans chacun
des cas où nous l'employons, à corriger et à fixer la signification de mots, em-
ployés d'abord d'une manière vague et obscure. Il est aussi impossible d'indi-
quer chacun des degrés du processus par lequel des signes d'intuitions
deviennent graduellement des signes de pensée, que d'indiquer les divers
moments où l'enfant qui grandit acquiert chaque accroissement successif de
stature. »
Cette importante opinion de Mansel que, sans signes ou Noms,
nous ne pouvons former aucun Concept, est opposée à l'opinion
communément acceptée, que « nous devons avoir eu le Concept
avant de pouvoir lui donner un nom »; mais, comme le dit J.-S. Mill \
cette opinion est assez justement basée, par Mansel, sur l'idée que
« les noms dont on se sert d'abord ne sont que les noms d'objets
individuels, mais que, s'étendant d'un objet à Fautre suivant la loi
d'Association par Ressemblance , ils deviennent spécialement
associés aux points de ressemblance, et engendrent ainsi le Con-
cept. » Sir William Hamilton pense, toutefois, que nous pouvons
1. Examination ofSir Will. Hamiltons Philosophy, p. 324.
70 INTELLIGENCE ANIMALE ET INTELLIGENCE HUMAINE.
être capables de former des concepts simples, bien que nous puis-
sions à peine les conserver sans l'aide de signes, « Un mot ou
signe, dit-il^, est nécessaire pour donner de la stabilité à notre pro-
grès intellectuel, pour faire, de chaque pas en avant, un nouveau
point de départ pour aller encore au delà. Un pays peut être par-
couru par une troupe année, mais il n'est conquis que par l'éta-
blissement de forteresses. Les mots sont les forteresses delà Pensée.
Ils nous permettent de rendre effective notre domination sur ce que
nous avons déjà parcouru par la pensée... et de faire, de chaque
conquête intellectuelle, une base d'opérations pour d'autres con-
quêtes... Ainsi donc, bien que nous accordions que chaque mouve-
ment en avant du langage doit être précédé d'un mouvement en
avant de la pensée, toutefois, à moins que la pensée ne soit accom-
pagnée à chaque point de son évolution par une évolution corres-
pondante du langage, son développement ultérieur est arrêté. « Il
avait dit, dans une page précédente : — « La conception, ainsi formée
par abstraction de qualités semblables et dissemblables des objets,
retomberait de nouveau dans la confusion et l'infini dont elle a été
évoquée, si elle n'était rendue permanente pour la conscience, en
étant fixée et ratifiée dans un signe verbal, w
Tandis qu'il semble y avoir de bonnes raisons pour croire, avec
Mansel, que les Notions Générales, ou Concepts, ne sauraient être
formées sans l'aide de signes, il faut accepter avec une certaine
réserve cette doctrine qui tend cependant à appuyer l'opinion de
Sir William Hamilton. Les signes sont nécessaires ; mais, pour la
formation de Notions Générales simples, les Images Visuelles peu-
vent tenir lieu de Mots.
J.-S. Mill dit à ce sujet : — « Les signes n'ont pas besoin d'être artificiels ;
il existe des signes naturels. La seule réalité qu'il y ait dans le Concept est
que, d'une manière ou d'une autre, non seulenaent une fois et accidentellement,
mais dans le com-s ordinaire de nos pensées, nous sommes mis à même de
prêter, et amenés à pi'êter, une attention spéciale et plus ou moins exclusive à
certaines parties (dont nous avons conscience) de ce qui nous est présenté par
les sens ou représenté par l'imagination. Maintenant qu'y a-t-il pour nous faire
agir ainsi? Il doit y avoir quelque chose qui, aussi souvent qu'il se représente
à nos sens ou à nos pensées, dirige notre attention vers ces éléments pai'ticu-
liers de la perception ou de l'idée : et tout ce qui remplit cette fonction est vir-
tuellement un signe; mais il n'y a pas besoin que ce soit un mot. Le pro-
cessus a certainement lieu, à un degré limité, chez les animaux inférieurs,
et même chez les êtres humains qui n'ont qu'un vocabulaire restreint ; de
nombreux processus de pensée ont ordinairement lieu par d'autres symboles
que des mots. C'est la doctrine d'un des penseurs les plus féconds des temps
modernes, Auguste Comte, qu'outre la logique des signes, il y a une logique
1. Lectures, vol. III, p. 138-140.
SYMBOLES. 71
d'images et une logique de sensations. Dans un grand nombre de processus
familiers de la pensée, et surtout chez les esprits incultes, une image visuelle
tient lieu d'un mot. Nos images visuelles,— peut-être seulement parce qu'elles
se présentent presque toujours en môme temps que les impressions de nos
autres sens, — ont une grande facilité à s'associer avec elles. Aussi l'appa-
rence visuelle cai^actéristique d'un objet rassemble aisément autour d'elle,
par association, les idées de toutes les autres particularités qui, dans de fré-
quentes expériences, ont coexisté avec cette apparence ; et, en évoquant celles-ci,
avec une force et une certitude qui surpassent de beaucoup celle des asso-
ciations simplement occasionnelles qu'elle peut aussi excitei', elle concentre
l'attention sur elles. C'est là une image qui sert de signe — la logique d'ima-
ges. La même fonction peut être remplie par un sentiment. Tout sentiment
puissant et hautement intéressant, lié à un seul attribut d'un groupe, classe
spontanément tous les objets, suivant qu'ils possèdent ou ne possèdent pas cet
attribut. Nous pouvons être assez certains que les choses capables de satis-
faire la faim forment une classe parfaitement distincte dans l'esprit de tous
les animaux les plus intelligents, aussi bien que s'ils étaient capables de se
servir du mot nourriture, ou de le comprendre. »
Ainsi donc, tandis qu'il semble que des Notions Générales sim-
ples puissent se former autour de Sentiments, et être évoqués par
eux, et conséquemment par les Images de ceux-ci (surtout par les
Images Visuelles), il est également clair que les Mots sont des signes
beaucoup plus puissants puisque, outre l'aide qu'ils apportent à la
formation de Notions Générales, on peut encore se servir d'eux
comme moyens de communiquer des Pensées, et par conséquent de
les fortifier par des répétitions et des échanges mutuels, durant la
vie journalière des unités d'une tribu, d'une race, ou d'une nation
quelconque d'Êtres Humains.
Comme le dit Thomson^ : «Le Langage, vêtement approprié de
nos pensées, est toujours analytique; il ne donne pas un corps à une
simple peinture de faits, mais fait voir le travail effectué par l'esprit
sur les faits qui lui sont fournis, et l'ordre dans lequel il les envi-
sage... La même langue devient plus analytique à mesure que la
littérature et le raffinement s'accroissent. Cette propriété indique,
ainsi que nous devions nous y attendre, des changements correspon-
dants dans l'état de la pensée chez des nations différentes, ou chez la
même nation à des époques diverses. Grâce à un accroissement de
culture, on voit des distinctions plus subtiles entre les relations des
objets, et l'on cherche pour les désigner des expressions correspon-
dantes, à cause de l'ambiguïté et de la confusion qui résulteraient
de la continuation de l'emploi du même mot, ou de la même forme
de mots, pour exprimer deux choses ou deux faits différents... On
peut à peine dire qu'une découverte est assurée, tant qu'elle n'a
1. Laws of Thought, p. 28.
72 INTELLIGENCE ANIMALE ET INTELLIGENCE HUMAINE.
point été marquée par un nom qui servira à la rappeler à ceux qui
se sont une fois rendus maîtres de sa nature, et à attirer l'attention
de ceux à qui elle est encore étrangère. Des mots comme inertie,
affinité, polarisation, gravitation, résument un si grand nombre de
lois naturelles, et sont si heureusement choisis pour leur objet, que,
sauf peut-être le troisième, chacun d'eux nous guide, par son étymo-
logie, vers la nature de la loi qu'il est là pour indiquer... Les noms
sont donc les moyens de fixer et de rappeler les résultats de séries
de pensées qui, sans eux, devraient être fréquemment répétées, avec
toute la peine du premier effort... A mesure que les distinctions
entre les relations des objets deviennent plus nombreuses, plus
compliquées et plus subtiles, le langage devient plus analytique,
pour être capable de les exprimer ; et, inversement, ceux qui ont
hérité en naissant d'un langage hautement analytique, doivent
apprendre à penser jusqu'à lui, à observer et à distinguer toutes les
relations d'objets pour lesquelles ils trouvent des expressions déjà
formées; de sorte que nous avons un instructeur de nos facultés
pensantes, dans cette parole que nous pouvons ne considérer que
comme leur servante et leur ministre. »
Dans un important passage sur la nature symbolique d'un greaid
nombre de nos processus de cognition ou de pensée, Leibniz fut le
premier à attirer l'attention sur une sorte de fusion ou d'identifica-
tion de la Pensée ou du Mot, qui a lieu habituellement dans nos pro-
cessus mentaux ordinaires. Des noms ou mots généraux et abstraits
sont souvent, comme le dit Thomson ^, « pour les deux interlocuteurs,
des Symboles dont aucun des deux ne s'arrête à scruter l'entière et
exacte signification; pas plus qu'ils ne réfléchissent régulièrement,
que chaque souverain qui passe dans leurs mains équivaut à 2/i0 pence.
Des mots comme état, bonheur, liberté, création, sont trop compré-
hensifs pour que nous puissions supposer que nous réalisons leur
sens complet, chaque fois que nous les lisons ou que nous les
prononçons. Si nous faisons attention au travail de notre propre
esprit, nous verrons que chaque mot peut être employé à la place et
dans le sens convenable, bien que fort peu, ou même aucun de ses
attributs ne soient, au moment, présents à notre pensée. »
Le processus de Conception par lequel on arrive à ces Notions
Générales ou Abstraites, n'est possible que par un usage antérieur
du Langage ; et l'action de marquer ces notions complexes par des
Mots qui serviront plus tard de « symboles » équivalents à ces No-
tions, est une véritable fusion des processus cérébraux de la Pensée
et du Mot — le Mot est désormais la Pensée.
Après ces brèves observations sur la croissance et les fonctions
1. Laws ofTIiought, p. 36.
UNION DU MOT ET DE LA PENSÉE. 73
du Langage, et sur la manière dont il sert à aider le développement
de l'Esprit, nous pouvons retourner aux vues de G. -H. Lewes sur
la transition de rintelligence Animale à Plntelligence Humaine, et
revenir sur le sujet de la puissante influence consécutive qu'exerce
le Langage, lorsqu'il agit de concert avec les Influences Sociales
en général, — c'est-à-dire les influences qui viennent à agir sur
l'Homme, en tant qu'unité, dans une Organisation Sociale qui se
développe graduellement.
Il dit' : « Aucun philosophe ne nie aujourd'hui que les animaux
aient des sensations, des appétits, des émotions, des instincts et de
l'intelligence, — qu'ils montrent de la mémoire, de l'expectation, du
jugement, de l'espoir, de la crainte, et de la joie, — qu'ils apprennent
par expérience, et inventent, de nouvelles manières de satisfaire
leurs désirs. Et cependant, l'abîme qui sépare l'Intelligence Animale
de l'Intelligence Humaine est si vaste, que la Philosophie est cruelle-
ment embarrassée pour mettre d'accord les faits indéniables... Des
animaux ayant des organes intimement semblables à nos organes, et
des sentiments intimement semblables à nos sentiments, ne possèdent
cependant que peu ou même rien de l'ordre supérieur d'activité
mentale; les Animaux sont intelligents, mais ils n'ont pas d'Intellect;
ils ont de la Sympathie, mais pas de Morale; des Émotions, mais pas
de Conscience...» Lorsqu'on dit que les Animaux, bien qu'intelligents,
n'ont cependant pas d'Intellect, cela signifie qu'ils ont des percep-
tions et des jugements, mais pas de conceptions, pas d'idées géné-
rales, pas de symboles pour des opérations logiques^. Ils sont
intelligents, car nous voyons leurs actions guidées par le Jugement;
ils adaptent leurs actions au moyen de sensations qui les guident, et
adaptent les choses à leurs fins. Leur mécanisme est sensitif et
intelligent. Mais ils n'ont pas la Conception, ou ce que nous désignons
spécialement sous le nom de Pensée ; c'est-à-dire cette fonction
logique qui en use avec les généralités, les rapports et les symboles,
comme le sentiment en use avec les particularités et les objets, une
fonction servant à des fins sociales^ impersonnelles,, et soutenue par
elles. Si l'on admet que l'Intelligence en général est le pouvoir de
distinguer les moyens d'arriver à des buts déterminés, — la conduite
de l'Organisme vers la satisfaction de ses impulsions, — nous parti-
cularisons l'Intellect comme un mode hautement différencié de cette
fonction, c'est-à-dire comme le pouvoir de distinguer les symboles.
1. Problems of Life and Minci, vol. l", p. 152, 154 et 156.
2. Il y a, comme on l'a déjà dit, des raisons de croire que les animaux
peuvent poursuivre, à un degré limité, quelques processus mentaux de cette
nature, non assurément en se servant de Mots-Symboles, mais au moyen
d'Images Visuelles.
74 INTELLIGENCE ANIMALE ET INTELLIGENCE HUMAINE.
Celui-ci diffère du mode rudimentaire, dont il est pourtant sorti par
évolution, comme le Commerce Européen diffère du Troc rudimen-
taire des tribus primitives. Le commerce n'est possible que sous
des conditions sociales complexes, dont il tire son origine ; et ses
opérations s'exercent principalement au moyen de symboles qui
tiennent lieu d'objets. La facture représente la cargaison; la signa-
ture du marchand représente le payement. De même l'Intellect est
impossible, tant que le développement animal n'a pas atteint l'état
social humain ; et il est, à toutes les périodes, l'indice de ce dévelop-
pement : ses opérations s'accomplissent également au moyen de
symboles (Langage) qui représentent des objets réels, et peuvent, à un
temps quelconque, se transformer en sentiments... entre les extrêmes
de l'Intelligence humaine, — par exemple un Tasmanien et un
Shakespeare; — il y a des gradations infinitésimales, qui nous per-
mettent de suivre le développement de l'un à l'autre, sans introduc-
tion d'aucun facteur essentiellement nouveau. Mais entre l'Intelli-
gence animale et l'Intelligence humaine, il y a un abîme qui ne peut
être franchi qu'à l'aide de quelque chose de nouveau, le Langage des
symboles, à la fois cause et effet de Civilisation. »
Le même auteur remarque encore ^ : «Un animal souffre d'un
malheur physique, cherche à lui échapper, mais ne cherche jamais
à comprendre et à modifier ses causes. Le sauvage aussi souffre, et
cherche à échapper. Mais il s'étonne, spécule sur les causes, et
espère les maîtriser par des invocations ou des incantations.
L'Homme civilisé essaye de comprendre les causes, pour pouvoir les
modifier lorsqu'elles sont susceptibles de l'être, ou sinon, s'y rési-
gner. L'animal n'a que la Logique de Sentiment pour guider ses
actions. Il observe et conclut, mais n'explique jamais. L'Homme a
en outre la logique des Signes : il observe et explique la série visible
par une série invisible. L'un n'a connaissance que de faits particu-
liers, l'autre a connaissance de faits généraux. »
Dans le progrès du Développement Intellectuel se montre une
tendance toujours croissante à se servir de conceptions de plus en
plus éloignées, et de processus mentaux indirects, qui détachent de
plus en plus l'esprit de l'Observation Sensorielle. On peut, ainsi que
le dit G.-H.Lewes^, en donner comme exemple les phases du calcul
numérique.
« L'homme commence par compter des choses en les groupant visiblement,
Il apprend ensuite à compter simplement les nombres, en l'absence des choses,
en se servant comme symboles de ses doigts et de ses orteils. 11 y substitue
1. Problems of Life and Mind, p. 168, 169.
2. Loc. cit., p. 171.
DÉVELOPPEMENT INTELLECTUEL. 75
ensuite des signes abstraits, et l'Arithmétique commence. De là, il passe à
l'Algèbre, dont les termes ne sont pas seulement abstraits, mais généraux, et
calcule maintenant des relations numériques, et non des nombres. Il passe de
là au calcul supérieur des relations... En conséquence de ce développement
de l'Intellect, — c'est-à-dire de la substitution des moyens indirects aux moyens
directs, — l'homme acquiert son immense supériorité sur les animaux pour
arriver au but final. C'est ainsi, et ainsi seulement, qu'il est mis à même de
modifier le cours des événements; c'est ainsi que la faculté de Sentir devient
Science, que les faits sont condensés en lois, et que la vision directe est mul-
tipliée et agrandie par la prévision éloignée...
« L'absurdité qu'il y a à supposer qu'un singe quelconque pourrait, dans
n'importe quelles circonstances normales, construire une théorie scientifique,
analyser un fait et les facteurs qui le composent, se former en lui-même une
peinture de la vie menée par ses ancêtres, ou régler sa conduite, d'une manière-
consciente, en vue du bien-être de ses descendants éloignés ; cette absurdité,
disons-nous, est si flagrante, que nous ne saurions nous étonner que des esprits,
profondément méditatifs, aient été amenés à rejeter avec mépris l'hypothèse
qui cherche l'explication de l'Intelligence humaine dans les fonctions de l'or-
ganisme corporel commun à l'homme et aux animaux, et à avoir recours à
l'hypothèse d'un agent spirituel surajouté à l'organisme...
« Mais, ajoute-t-ili, le sauvage n'est pas moins impuissant que l'animal
à engendrer, ou même à comprendre, une conception philosophique. Le paysan
ne se tirerait pas beaucoup mieux que le singe des problèmes de la science
abstraite ; il serait également inutile de s'attendre à ce que l'un ou l'autre
pèse les étoiles, ou comprenne les équations des courbes composées. Les con-
ceptions morales du sauvage ne sont pas non plus de beaucoup au-dessus de
celles de l'animal. Son langage est sans mots répondant à justice, péché,
crime : il n'a pas les idées correspondantes. Il ne comprend pas beaucoup
mieux que le chien ou le cheval la générosité, la pitié et l'amour. Son intel-
ligence est principalement confinée aux perceptions et aux sentiments. Les
buts vers lesquels il tend sont presque tous immédiats et pratiques, rarement
éloignés, et théoriques jamais. Les plus intelligents habitants de la Guyane,
bien que fort éloignés de l'état de sauvagerie primitive, ne pouvaient croire
que Humboldt avait quitté son pays, et était venu dans le leur, « pour se
faire dévorer par les moustiques, afin de mesurer une terre qui n'était pas à
lui. » ... Tous les matériaux de l'Intellect sont des images et des symboles ;
tous ses processus sont des opéi'ations sur des symboles et des images. Le
Langage, — qui est entièrement un produit social pour un besoin social, — est
le principal véhicule de l'opération symbolique, et le seul moyen par lequel
s'effectue l'abstraction. Sans Langage, il ne peut y avoir ni méditation, ni théo-
rie, ni Pensée, dans le sens spécial de ce terme. »
Mais, comme nous l'avons déjà fait entrevoir, concuremment avec
le développement de la Nature Intellectuelle de l'Homme, paraît, en
réponse à d'autres aspects des mêmes conditions et des mêmes
influences générales, ce que l'on appelle sa Nature Morale.
1. Problems of Life Mind, p. 158, 167.
76 INTELLIGENCE ANIMALE ET INTELLIGENCE HUMAINE.
Comme le dit Lewesi : «Les fonctions individuelles de l'Homme
sont en relations avec le Milieu Physique {Cosmos), et ses fonctions
générales avec le Milieu Social. C'est de là que vient la Vie Morale.
Toutes les Impulsions animales se confondent avec des Émotions
humaines. Dans le processus d'évolution, en partant de l'appétit
sexuel simplement animal, nous arrivons à la tendresse la plus pure
et la plus étendue; et, de la propriété simplement animale de Sensibi-
lité, aux plus nobles sommets de la Spéculation. Les Instincts Sociaux
qui sont les analogues des Instincts individuels, tendent de plus
en plus à faire dominer la Socialité sur l'Animalité, et à subordonner
ainsi la Personnalité à THumanité... Ainsi l'Intellect humain sort de
l'Intelligence animale, et développe une vaste création indépen-
dante, qui a pour matériaux le Cosmos tout entier, et l'Humanité.
Concurremment avec lui, l'Intelligence Morale développe son sys-
tème. L'Intellect et la Conscience sont, tous deux, des produits des
impulsions animales et des impulsions sociales, agissant et réagissant.
Tandis que l'Intellect est principalement occupé des relations du
Cosmos et de son Histoire, ayant pour but final de les faire servir
à des besoins pratiques, la Conscience, ou Intelligence Morale,
est principalement occupée des relations d'humanité, — besoins
humains et actions humaines, — ayant pour but final de conformer
notre conduite à ces relations, d'harmoniser nos impulsions avec les
impulsions des autres; aidant ainsi les autres et nous contentant
nous-mêmes. »
1. Problems of Life and Mind, p. 159, 173.
CHAPITRE XXIII
STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN
La structure interne du Cerveau Humain est si complexe, et en
même temps si imparfaitement connue, qu'il est difficile d'en donner
une description qui puisse être intelligible pour la majorité des
lecteurs. La compréhension complète, même de son plan général,
demandera toute l'attention dont ils pourront disposer. On exclura
du présent chapitre une multitude de détails techniques, dont la
signification est inconnue ou ne saurait être appréciée par quel-
qu'un qui n'a point déjà fait une étude attentive du sujet. On trou-
vera la discussion de ces détails dans des ouvrages plus techniques
et purement anatomiques.
En décrivant quelques-unes des formes plus élémentaires du
Système Nerveux que l'on rencontre chez les Invertébrés, puis les
principales variations externes du Cerveau, telles qu'elles se pré-
sentent dans la série des Vertébrés, nous avons préparé le lecteur,
peut-être le mieux possible, à aborder une étude du Cerveau de
l'Homme, dans les limites où elle est compatible avec le plan de cet
ouvrage. Le lecteur, en effet, a fait graduellement connaissance avec
les représentants des différentes parties du Cerveau humain ; et la
description de cet organe doit avoir été, par là, rendue à la fois plus
simple et plus intéressante qu'elle ne l'eût été autrement. On ne
rencontrera aucune partie absolument nouvelle; bien qu'il ne soit
pas difficile de remarquer un grand nombre de différences, relati-
vement au volume absolu, ou relatif, des divisions du Cerveau que le
lecteur connaît déjà pour les avoir rencontrées chez les animaux. La
possession d'une base de comparaison de cette nature ne saurait
guère manquer d'ajouter encore un grand intérêt à l'étude du Cer-
veau de l'Homme, et nous dispensera souvent de faire des descrip-
tions prolongées.
Ce que l'on dira dans ce chapitre sur la structure interne du Cerveau
Humain peut être, pour plus de commodité, groupé sous les titres suivants :
(1) Topographie interne du Cerveau Humain; (2) Distribution des Fibres cora-
78 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
posant les Pédoncules cérébraux, avec un exposé {a) de leurs relations avec
les Couches Optiques et les Corps Striés, et (b) de leurs relations (aussi bien
que de celles des Fibres qui partent simplement de ces gros Ganglions, ou qui
s'y rendent) avec différentes parties de l'Écorce des Hémisphères Cérébraux;
(3) Anatomie microscopique des Circonvolutions Cérébrales ; (4) Relations des
Commissures du Cerveau, comprenant (a) celles qui réunissent des régions
similaires dans les deux Hémisphères, (b) celles qui réunissent différentes
régions du même Hémisphère, et (r) celles qui mettent le Cervelet en relation
avec les Hémisphères Cérébraux: (5) Structure générale du Cervelet, et ses
relations avec les autres parties ; (6) Anatomie microscopique de l'Écorce du
Cervelet ; (7) Connexions centrales des divers Nerfs Crâniens ; (8) Relations du
Système Nerveux Viscéral avec le Cerveau.
I. — TOPOGRAPHIE INTÉRIEURE DU CERVEAU HUMAIN.
On a déjà indiqué (p. 207, vol. I", et p. 2 et 6 de ce vol.) la nature
des Ventricules latéraux et des autres Ventricules, et les relations
FiG. 151. — Ventricules Latéraux et leurs Cornes, avec les parties contiguës (d'après
Sliarpey).Les parties supérieures des Hémisphères ont été enlevées. Le Trigone (c) est
coupé et renversé pour montrer le vélum interpositum (toile choroîdienne) {d, d) et les
grandes veines de Galien,qui ramènent le sang des parties centrales du Cerveau, les
Corps Striés (b) compris; a, e, g, sont les trois cornes des Ventricules; f, Grand Hippo-
campe (pour le montrer, la substance cérébrale a été entaillée davantage sur la gau-
che); h, petit Hippocampe.
d'eux tous, sauf le cinquième, avec le canal, originellement large,
du Tube Nerveux Cérébro-Spinal primitif.
Les Ventricules Latéraux, dans le Cerveau Humain, sain et bien
TOPOGRAPHIE INTÉRIEURE.
79
développé, sont des cavités relativement étroites, principalement
représentées par trois éperons ou cornes (fig. 151). L'arrangement
des parties, à l'intérieur et autour de ces Ventricules Latéraux, est
essentiellement semblable à. ce que l'on rencontre chez les Singes
supérieurs, chez lesquels existent les cornes poster leur es, dont on a
déjà beaucoup parlé, aussi bien que les petits renflements (petits
hippocampes), situés sur leur côté interne, et qui correspondent
extérieurement à la scissure calcarine. (Voy. p.236, vol. P"".) Les
Tubercules Quadrijumeaux et les organes adjacents ne présentent
pas non plus de particularités distinctes.
Comme l'on ne rencontre pas, dans ces régions du Cerveau
Humain, de structures nouvelles, il n'y a pas besoin de faire une
Fig. 153. — Troisième et Quatrième Ventricules du Cerveau, découverts en enlevant la
« toile choroïdienne » et en coupant une partie des Hémisphères Cérébraux et du Cer-
velet (d'après Sharpey). a, Corps Strié ; 6, Couche Optîqu,e ; e, piliers antérieurs de la
Voûte; d, commissure moyenne ou molle, traversant le troisième ventricule; e, Glande
Pinéale ; f, f. Tubercules Quadrijumeaux; g, g. Pédoncules Cérébelleux supérieurs, avec
(II) une partie de la valvule de Vieussens, s'étendant entre eux et formant le toit du
quatrième ventricule (4).
description spéciale de sa topographie intérieure. Il suffira d'étudier
les figures 151-153 et leurs explications. Le lecteur fera bien de
les étudier avec soin et de les comparer avec les figures des mêmes
parties chez quelques-uns des animaux inférieurs (fig. 86, 87, 115).
On trouvera, en outre, dans le paragraphe suivant, quelques
détails sur la structure des Corps Striés et des Couches Optiques.
80 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
II. — DISTRIBUTION DES FIBRES QUI COMPOSENT
LES PÉDONCULES CÉRÉBRAUX.
On a fait, pendant ces dernières années, des tentatives sérieuses
pour démêler la course précise des différentes bandes de fibres qui
passent de la Moelle Épinière au Cerveau, et vice versa. Si impor-
tantes qu'elles soient, on ne s'arrêtera que fort peu ici sur les labo-
rieuses investigations de Stilling, Lockhart Clarke, Meynert, et
autres, sur la structure intime du Bulbe; car les détails qu'elles ont
révélés sont infiniment trop complexes et techniques pour être
exposés maintenant ; et aussi, parce que nous n'avons réellement
besoin, pour le but que nous poursuivons actuellement, que d'exposer
l'arrangement général des principales parties.
La structure intime et le mode de distribution des fibres dans
les parties supérieures du Cerveau est une étude d'une difficulté
non moins considérable, et dont se sont surtout occupés, dans ces
dernières années, Meynert, Luys et Broadbent. Sur nombre de
points, ces observateurs sont loin d'être d'accord. Les vues de
Meynert, sur ce sujet difficile, ont été dernièrement réarrangées
et exposées plus clairement, ce dont elles avaient grand besoin, par
le professeur Huguenin, de Zurich ; et la valeur de cet ouvrage est
encore accrue, dans la traduction française, par l'incorporation de
matériaux nouveaux, fournis par les éditeurs, MM. Duval et Keller^.
Ce iraité récompensera l'étude attentive qu'en feront ceux que ne
rebuteront pas ses détails techniques, et qui seront capables de les
comprendre. U semble, toutefois, plus que douteux que Meynert
ait raison daûs son point de vue général, quant à la représentation
séparée de canaux sensitifs et moteurs pour les mouvements auto-
matiques et les mouvements volontaires respectivement. Luys, outre
l'occasion que lui a fournie son grand ouvrage systématique-, a
encore établi ses vues dans un des volumes de cette série s. Si l'on
fait, dans ce chapitre, peu d'allusions à ses vues, c'est en partie
pour cela, en partie parce que les investigations de Broadbent ont,
jusqu'ici, été plus spécialement dirigées sur quelques-uns des points
que nous pouvons le plus avantageusement discuter ici ; et surtout,
parce que les observations de ce dernier semblent avoir été conduites
avec beaucoup de soin et avoir été interprétées d'un point de vue gé-
néral correct. Aussi, bien que les investigations de Broadbent n'aient
1. Anatomie des Centres Nerveux, par Huguenin. Paris, 1879.
2. Sur le Système Nerveux Cérébro-Spinal, 1865.
3. Le Cerveau et ses Fonctions, 1876.
PÉDONCULES CÉRÉBRAUX.
81
encore été publiées qu'en abrégé \ ce sont elles que l'on citera de
préférence dans ce paragraphe et le suivant.
Un des faits les plus fondamentaux touchant les relations struc-
turales des Hémisphères Cérébraux et de leurs Pédoncules, est que la
moitié gauche du Cerveau est spécialement en connexion avec le
côté droit du corps, et la moitié droite avec le côté gauche. Cet
arrangement, qui existe non seulement chez l'Homme mais chez
les Vertébrés en général (bien qu'à des degrés variables), est dû
au fait que les fibres « centripètes » qui se rendent à chaque Hémi-
sphère cérébral, viennent de la moitié opposée du corps, et que les
fibres « centrifuges » se rendent aussi à cette même moitié.
Pour parler en termes généraux, on peut dire que les fibres « cen-
FiG. 153. — Coupe longitudinale verticale à travers l'Hémisphère Gauche, montrant lo
Ventricule Latéral et ses trois Cornes (Sappey, d'après Hirschfeld). 1, 2, portions intra-
et extra-ventriculaires du Corps Strié, séparées par (3) une couche de fibres blanches;
4, jonction du corps du Ventricule avec sa corne antérieure ; 5, corjie postérieure : 6,
petit Hippocampe ; 7, corne descendante ou moyenne ; 8, grand Hippocampe, couvert
par (9) le plexus choroïde; 10, coupe du corps calleux; 11, commissure antérieure;
15, scissure de Sylvius.
tripètes» qui entrent dans la Moelle et le Bulbe, de chaque côté, dans
toute leur longueur, passent bientôt, comme l'a montré Brown-
Sequard, du côté opposé de ces centres; et qu'à partir de là, elles
suivent une direction ascendante vers l^Hémisphère Cérébral du
même côté, — bien qu'elles ne parviennent pas toutes jusque-là. De
même, une partie importante au moins des fibres « centrifuges» ou
motrices, c'est-à-dire celles qui font partie des Pyramides Anté-
rieures, s'entrecroisent dans le Bulbe avec leurs homologues, de
manière à se rendre à la Colonne Latérale du côté opposé de la
Moelle. Ainsi, même en admettant que quelques-uns des Nerfs
1. The Structure of the Cérébral Hémisphère. — Journal of Mental Science,
1870; et aussi Tlie Construction, of a Nervous System. — British' Médical Jour-
nal, mars et avril 1876.
Charlton-Bastian. — II. 6
82
STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
Moteurs Crâaiens s'entrecroisent plus haut dans la substance du
« pont de Varole» (fig. 15/i),les endroits où se fait la décussation des
conducteurs moteurs sont tous compris dans une aire fort réduite,
si on les compare à ce qui a lieu pour les conducteurs sensitifs.
Les fibres longitudinales de la Moelle
sont en grande partie divisibles (si nous
en excluons celles qui sont en relation
spéciale avec le Cervelet) en trois caté-
gories : 1° les fibres qui transmettent
vers le Cerveau les courants centripètes;
"1° les fibres qui transmettent les cou-
rants cenrr//'«f^es; et 3" les fibres d'ordre
commissuralj qui servent à relier des
centres, ou groupes séparés de cellules,
dans différentes parties de la Moelle
elle-même ou dans la Moelle et le Bulbe.
La Moelle étant en outre un organe
symétrique bilatéralement, les groupes
de cellules en question sont semblable-
ment représentés dans chacune de ses
moitiés (fig. 19), et les régions simi-
laires, Motrices et Sensitives de ces
deux moitiés de la Moelle et du Bulbe
sont, dans une étendue considérable,
mises en relation structurale les unes
avec les autres, au moyen de nom-
FiG. 154. — Diagramme montrant le breuses fibres commissumles trans-
lieu et le mode de décussation des yerses
Fibres Motrices dans le Bulbe et la
Protubérance (Broadbent). B, B', Los doux premières series de fibres
deux séries de noyaux du plexus longitudinales dout OU a parlé, passent
brachial non reliées par descom- ^g chaque CÔté, OU COlonues Compactes,
missures transversales ; O, G', deux r r
séries de noyaux ocuio-moteurs à travers le Bulbo et cc prolongement
dans la Protubérance, librement dU Bulbe qui est CrOisé par leS pédoïl-
fibres motrices Tenant du Corps \arole). Au delà de Ce point, les dOUX
Strié. séries de fibres d''un côté s'écartent
de celles du côté opposé (fig. 156),
de manière à former ce qui est connu sous le nom de Pédoncules
cérébraux. On voit ces parties sur la face inférieure du Cerveau,
surtout lorsque les sommets des Lobes Temporaux sont écartés
ou enlevés (fig. 155, r c). Chaque Pédoncule disparaît bientôt dans
l'Hémisphère Cérébral correspondant; et le reste de sa course, ou
de celle des fibres qui le constituent, ne peut plus être découvert
que par de minutieuses dissections. Il s'élargit rapidement en s'éten-
PEDO.NCULES CÉRÉBRAUX.
8$
dant en éventail {corona radiata], les bords de réventail étant diri-
gés, comme le dit Broadbent, c en avant et en arrière, et les sur-
faces en dedans et en dehors, mais inclinées en dehors, de manière
que la surface externe regarde en bas et soit concave, et que la
surface interne, convexe, regarde en haut ».
En coupant transversalement un des Pédoncules en avant de la
Protubérance, on voit quïl se compose de deux couches de fibres
séparées par une bande noire grisâtre de tissu ganglionnaire connue
Fie. 155. — OaToit, à droiie, un pian àe nbres simees au-dessous des circonTolntions su-
perficielles, SUT la face inférieiue du Lobe Temporal, et formant le plancher de la Corne-
Descendante. La Come a éié ouverte en avant; et l'on voit les fibres '$ x) qui vont du
sommet du lobe an Corps Strie extra-ventricnlaire. Du coté ganche, la dissection a été-
poussée pins loin, et la Bandelette Optiqne a été enlfivéej^r r. Pédoncule du Cerreau;.
r e, Crusta; r t, fibres du Tegmentum (et fibres venant de la Couche Optique) contour-
nant le bord antérieur de la Crusta ; / h, queue de la Couche Optique, contournant le
bord postérieur de la Crusta, form.ant le t Col du Pédoncule i, et distribuait des fibres
au bord Sylvien du Lobe Temporal ; t h et s x', fibres allant de la Couche Optiqne,
et du Corps Strié extra-ventriculaire respectivement, à l'ertrémité Occipitale de l'Hé-
misphère. Les fibres longitadirraies non indiquées par des lettres appartiennent prin—
cioalemenî au svstème du Gvrus Uneinalus Broacbenii.
sous le nom de locus niger ^. En regardant parla face inférieure, la
couche la plus superficielle c'est-à-dire la couche inférieure et
anièrieure, dans la position naturelle du Cerveau' est connue sous le
nom de Crmta.et se compose de fibres blanches. Elle est sans doute
1. Sa conlenr est due à l'abondance des granules pigmentaires contenus
dans les erosses cellules nerveuses de cette région.
8i STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
constituée par la masse des fibres centrifuges qui se réunissent plus
bas pour former les pyramides ultérieures du Bulbe, ainsi que par
d'autres fibres qui se terminent dans des groupes de cellules motrices
à l'intérieur de la Protubérance et du Bulbe. Mêlées à celles-ci se
trouvent, suivant toute probabilité, des fibres qui suffisent à relier
FiG. 156. — Ganglions centraux du Cerveau, avec le Cervelet et ses Pédoncules Supérieurs
(Sappey, d'après Hirschfeld). 1, Tubercules Quadrijumeaux ; 2, Valvule de Vieussens;
3, Pédoncules Cérébelleux supérieurs ; 4, partie supérieure des Pédoncules Cérébelleux
moyens; 5, partie supérieure des Pédoncules Cérébraux; 6, sillon latéral de l'isthme;
7, ruban de Reil; 8, cordon s'étendant du testis au corps genouillé interne; 9, colonne
de la Valvule de Vieussens; 10, lamelle grise de la même; 11, fibres postérieures du
faisceau triangulaire do l'isthme ; 12, fibres supérieures des Pédoncules Cérébelleux
moyens; 13, centre blanc du Cervelet; 14, noyau gris rhomboïdal du Cervelet; 15,
« commissure postérieure » du Cerveau; 16, pédoncules de la Glande Pinéale; 17,
Glande Pinéale, renversée en avant pour laisser voir ces deux dernières parties; 18,
tubercules postérieurs des Couches Optiques ; 19, tubercules antérieurs des mêmes;
20, Ténia semicircularis ; 21, veines du Corps Strié; 23, piliers antérieurs delà Voûte,
entre lesquels on voit la « commissure antérieure » ; 23, Corps Strié ; 24, Septum Luci-
dum et « cinquième ventricule. »
le Corps Strié avec le Cervelet, par l'intermédiaire de sq^ pédoncules
'Moyens. La couche plus profonde (celle qui est située en dessus et
en arrière dans la position naturelle du Cerveau) constituant ce que
COUCHES OPTIQUES. 85
Ton connaît sous le nom de Tegmenlum, n'est pas aussi blanche, et
semble être principalement composée de fibres « centripètes » pro-
venant de la Moelle et du Bulbe.
« La Crusla et le TegmenLum, dit Broadbent, peuvent être
séparés l'un de l'autre sur une certaine distance, lorsqu'ils s'éten-
dent pour former l'expansion en éventail dont on a parlé; mais,
avant qu'elles émergent des ganglions centraux, les fibres de l'une
des couches pénètrent entre celles de l'autre, et elles se mêlent de
façon à ne plus pouvoir être distinguées.
a. Relation des Pédoncules Cérébraux avec les Ganglions Centraux:
Couches Optiques et Corps Striés. — D'après l'anatomiste cité ci-
dessus, « on peut dire que la Couche Optique et le Corps Strié
sont placés à cheval, l'un sur le bord postérieur, l'autre sur le bord
antérieur de l'éventail que forme le Pédoncule en s'étalant; et que
chacun d'eux a une portion intra-ventriculaire et une portion
extra-ventriculaire. La Couche Optique est de beaucoup le plus
petit des deux ganglions, et l'on peut dire qu'elle est embrassée par
le Corps Strié, qui est aussi placé sur un niveau un peu plus élevé.
Il y a un remarquable contraste entre ces deux ganglions, soit sous
le rapport de la structure, soit sous celui de leurs relations avec le
Pédoncule cérébral, d'une part, et les circonvolutions de l'Hémi-
sphère d'autre part. «
La Couche Optique se compose d'un mélange de fibres et de
substance grise, et a une couleur blanchâtre à la surface, — qui
contraste avec la teinte plus grise du Corps Strié.
La partie de beaucoup la plus considérable de la Couche
Optique semble ^ se projeter dans le « ventricule latéral «; car « elle
repose sur le tegmentum du pédoncule cérébral, d'où elle peut être
soulevée d'arrière en avant et en haut; les fibres divergentes de cette
partie du pédoncule paraissant se poursuivre en avant, en passant
au-dessous du ganglion, sans se terminer à son intérieur». Mais,
comme Broadbent le remarque plus loin : « il est possible qu'il
existe, au moyen de prolongements cellulaires, une communication
entre les fibres rayonnantes et le ganglion susjacent, qui les mette
dans une relation équivalente à la terminaison directe de fibres et
de cellules » .
La portion de la Couche Optique qui semble réellement placée en
dehors du ventricule consiste « seulement en un prolongement du
corps du ganglion, qui contourne le bord postérieur du pédoncule et
se replie en avant dans le toit de la corne descendante du ven-
tricule latéral, en devenant pointue antérieurement. »
1. Voyez vol. F"-, p. 208, 209 note; et aussi fig. 122.
S6 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
Le Corps Strié est divisé en deux parties distinctes par les fibres
rayonnantes du Pédoncule qui le traversent. « La portion intra-
ventriculaire consiste en un dépôt ou lit de substance grise, molle,
îion mêlée de fibres distinctes visibles à l'œil nu, plus épais et plus
large en avant dans la corne antérieure du ventricule, — et se rétré-
cissant en pointe en arrière. Il repose sur les fibres rayonnantes du
tegmentum et de la couche optique, qui passent au-dessous de lui
pour se rendre en avant, dans l'Hémisphère proprement dit. » Entre
les faisceaux des fibres rayonnantes, cette portion antérieure et
supérieure se continue avec la portion extra-ventriculaire, infé-
FiG. 157. — Coupe transversale du Cerv^eau, immédiatement en arrière de l'infundibu-
lum. S V, Corps Strié Intra-ventriculaire ; S X, Corps Strié Extra-ventriculaire ; T li,
Couche Optique; r c, Crusta, et)- t, Tegmentum du Pédoncule Cérébral; R, expansion
rayonnante de fibres blanches (coron a radiata) ; r c, r t et R, forment ensemble ce que
l'on a appelé la capsule interne du Noyau Lenticulaire ; C X, capsule externe, com-
prenant le Claustrum ; C, Corps Calleux ; F S, Scissure de Sylvius ; L M G, Circonvolu-
tion Marginale Longitudinale; S M G, S M G', Circonvolution Marginale Sylvienne ;
indique des lignes de dérivation de fibres du Corps Strié ; fibres
de distribution de la Couche Optique (Broadbent).
rieure et externe, du Corps Strié, qui est plus volumineuse que la
partie déjà décrite, bien qu'elle soit, comme celle-ci, plus grosse en
avant qu'en arrière. C'est une masse un peu pyriforme, de substance
grise, molle, limitée en dessus et en dedans par les fibres rayonnantes
du Pédoncule (capsule interne), et en dehors (fig. 157, C. x) par
une couche mince de fibres {capsule externe), partant de son inté-
rieur pour se distribuer aux diverses régions de l'Hémisphère; bien
que formant, dans la première partie de leur trajet vers les circon-
volutions (ainsi que quelques autres fibres du fasciculus uncinatus
qu'on décrira ci-après), une paroi externe qui sert à séparer cette
CORPS STRIÉS. 87
portion inférieure du Corps Strié des circonvolutions immédia-
tement adjacentes de 1' « insula de Reil », — dont la situation a été
déjà déterminée. (Voir vol. I", page 23/i ; vol. II, p. 9 et ZiO.)
b. Relaiions des fibres qui composent les Pédoncules Cérébraux,
ainsi que des fibres partant des Gatiglions centraux, ou y arrivant,
avec différentes Circonvolutions des Hémisphères Cérébraux. — Il
est, d'après Broadbent, facile à, démontrer « que les fibres du pédon-
cule passent en grand nombre, sans s'interrompre, à travers les Gan-
glions Centraux, ou par eux, en se rendant aux Circonvolutions ».
Et il ajoute : « Pour ce qui est des fibres du bord postérieur
du Pédoncule, il ne saurait guère y avoir erreur; car elles n'entrent
point du tout en relation avec la substance grise qui se trouve sur
leur route ^. »
D'autres fibres, provenant les unes du « tegmentum », les autres
delà « crusta», semblent se terminer, ou prendre leur origine, dans la
substance grise du Corps Strié, bien que Broabdent incline à croire
qu' «aucune fibre de l'une ou de l'autre division ne se termine dans
la Couche Optique ^ ».
Il semble toutefois sortir de la Couche Optique, comme du Corps
Strié, un grand nombre de fibres indépendantes qui servent à relier
ces ganglions avec des Circonvolutions situées dans diverses parties
des Hémisphères 3. Ces deux séries de fibres ne s'en vont pas sépa-
rément à la substance grise des Circonvolutions ; mais elles sont,
pour la plupart, inextricablement mêlées avec celles des fibres
du Pédoncule (dont on a déjà parlé) qui passent sans s'interrompre
à travers les Ganglions Centraux. En outre, en dehors de ces corps,
ces trois séries de fibres se mêlent encore à celles de la grande com-
missure transversale qui réunit les Hémisphères, — c'est-à-dire du
Corps Calleux.
Mais il faut décrire un peu plus longuement la course de
ces trois séries de fibres — répondant au projection system de
Meynért. — Leur mode de distribution est forcément de grande
1. Quelques-unes de ces fibres qui passent simplement à travers les Gan-
glions Centraux, ou par eux, peuvent, comme certains anatomistes le supposent,
servir à relier l'Écorce Cérébrale avec le Cervelet, par l'intermédiaire des « pé-
doncules moyens » de ce dernier.
2. Ceci semble une proposition fort douteuse. Les relations anatomiques
des Couches Optiques sont toutefois, jusqu'ici, aussi incertaines que leurs
fonctions.
3. Broadbent dit {Journal of Mental Science, Avril 1870, p. 9} : — « En
comparant la surface de section des fibres que l'on voit ainsi sortir des Gan-
glions Centr-aux avec la surface de section du Pédoncule lorsqu'il émerge de la
Protubérance, on verra que les fibres ascendantes ont été grandement renfor-
cées par des additions venant des Ganglions. »
88 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
importance, si l'on veut avoir quelques notions cohérentes, même des
modes les plus simples d'activité cérébrale. Le lecteur doit donc
étudier avec soin les particularités signalées ci-dessous, en se
reportant fréquemment aux figures où l'on peut voir la position
relative des Circonvolutions auxquelles il est fait allusion. Voici, en
substance, la description donnée par Broadbent ^ :
Les fibres du Pédoncule, de la Couche Optique et du Corps Strié courent
toujours plus ou moins de compagnie vers les mêmes parties. Pour plus de
brièveté, on peut-les désigner sous le nom de fibres radiantes.
(Mais, partout où vont les fibres radiantes vont aussi les fibres du Corps
Calleux, — bien que pas nécessairement dans la même proportion. Ainsi il
arrive que les Circonvolutions où des fibres « radiantes » commencent ou
viennent se terminer, sont aussi associées d'une manière bilatérale parle Corps
Calleux, et rendues ainsi aptes à une activité associée).
Ces fibres a radiantes » et « calleuses » ne se distribuent pas également à
toutes les Circonvolutions. Un grand nombre de celles-ci ne reçoivent pas une
seule fibre du Pédoncule, de- la Couche Optique, du Corps Strié, ou du Corps
Calleux, et ne communiquent qu'indirectement avec les ganglions centraux ou la
grande commissure, au moyen de fibres en anses qui leur viennent de Circon-
volutions directement reliées à des fibres radiantes ou calleuses.
Ce qu'a sommairement établi Broadbent ^, sur la distribution
exacte des fibres radiantes et calleuses et sur les Circonvolutions
où elles ne se rendent pas, contient, comme on le verra, des parti-
cularités importantes.
« Les circonvolutions où se rendent les fibres radiantes et calleuses sont
principalement celles qui sont situées le long des bords de l'Hémisphère : le
bord de la grande fente longitudinale, d'une part, et de l'autre les bords supé-
rieur et inférieur de la scissure de Sylvius, qui se continuent par les circon-
volutions frontale inférieure, en avant, et occipitale inférieure en arrière,
jusqu'aux extrémités frontale et occipitale de l'Hémisphère, qui en sont abon-
damment pourvues; enfin le bord libre formé par le grand Hippocampe. Il
faut ajouter à celles-ci les circonvolutions ascendantes de chaque côté du sillon
de Rolando (circonvolutions ascendantes frontale et pariétale, ou ascendantes
pariétales antérieure et postérieure), et peut-être la seconde circonvolution
frontale. Les fibres calleuses se rendent en plus grande abondance au bord de
la fente longitudinale, et les fibres radiantes au bord Sylvien de l'hémi-
sphère. »
Au contraire, les Circonvolutions qui ne reçoivent pas de fibres radiantes
ni calleuses sont « toutes celles de la surface interne plate de l'hémisphère,
celles de la face inférieure du lobe temporo-sphénoïdal et du lobule orbitaire,
les circonvolutions de l'insula de Reil, et celles situées sur la convexité des
lobes pariétal et occipital, loin des bords, jusqu'à la circonvolution ascendante
L Brit. Med. Journal, avril 8, 1876, p. 433.
2. Ibid., p. 433.
DISTRIBUTION DES FIBRES RADIANTES ET CALLEUSES. 89
située en arrière du sillon de Rolando». Broadbent ajoute : « Il peut sembler
moins étrange qu'il y ait des circonvolutions sans fibres centrales ou calleuses,
si l'on réfléchit que 7iulle part ces fibres ne se rendent à la substance grise
des sillons, mais seulement aux crêtes des circonvolutions ; de sorte que la
partie de beaucoup la plus grande de la région corticale n'en reçoit pas. »
Le même investigateur dit aussi : « L'affirmation que les fibres du
Pédoncule, de la Couche Optique, du Corps Strié et du Corps Calleux
vont toujours ensemble aux mêmes circonvolutions semblera peut-
être aller au delà de ce que Ton pourrait démontrer, si l'on consi-
dère qu'elles sont mêlées de façon à ne pouvoir être suivies isolé-
ment; et ce n'est pas tout à fait là ce qu'on aurait pu attendre. » En
certains points toutefois, comme le signale Broadbent, on reconnaît
aisément que les fibres sont fournies suivant un mode triple, sinon
quadruple ; et, comme exemple, il cite les faits suivants ^ :
Les fibres qui se rendent au sommet du Lobe Occipital en venant de trois
de ces sources, c'est-à-dire Corps Strié, Couche Optique et Corps Calleux, for-
ment des masses distinctes à leur point de départ, et ne se mêlent les unes
avec les autres que près de leur terminaison dans les Circonvolutions.
Il existe une communication également indépendante avec certaines Circon-
volutions, situées de manière que, pour les atteindre, les fibi'es provenant de
l'une ou de l'autre des trois sources en question sont obligées de suivre une
direction extraordinaire. Ainsi les Circonvolutions de l'extrémité antérieure et
du bord supérieur du Lobe Temporal sont reliées directement avec (1) le Corps
Strié adjacent, par des fibres qui croisent la scissure de Sylvius ; (2) les tibres
de la Couche Optique, qui se rendent aux mêmes circonvolutions, sont émises
par la partie de ce ganglion qui se recourbe dans le toit de la corne descen-
dante du ventricule, d'où ces fibres afférentes se dispersent de manière à at-
teindre les circonvolutions des régions spécifiées ; tandis que (3) les fibres
« commissurales » allant à ces mêmes parties sont principalement représentées
par celles de la Commissure Antérieure, — qui, au point de vue fonctionnel,
doit être regardée comme une portion détachée de la grande commissure
transversale ou Corps Calleux. Les fibres « commissurales » sont toutefois aussi
représentées par certaines fibres antérieures du Corps Calleux lui-même, qui,
près de l'espace perforé antérieur, croisent pour se rendre au sommet du Lobe
Temporal.
Plus extraordinaire encore est la direction séparée que prennent celles des
fibres des trois séries en question qui entrent en relation avec le Grand Hippo-
campe. Cette partie, dit Broadbent, « est en communication avecle Corps Strié,
à son extrémité uncinée ; avec son homologue de l'autre hémisphèi'e par la
partie réfléchie du splénium du corps calleux, que j'ai appelée la commissure
des Hippocampes ^ ; mais sa situation sur le côté externe de la grande fente
transversale du cerveau semble le séparer de la Couche Optique. La connexion
1. Brit. Med. Journal, avril 8, 1876, p. 433.
2. Correspondant aux fibres psaltériales dont on a déjà parlé, p. 2H,212,
vol. I".
90
STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
s'effectue toutefois par les fibres de la Voûte qui, ainsi qu'on le sait bien,
partent de la Couche Optique, décrivent un huit de chiffre dans les tubercules
mamillaires, suivent alors la direction en haut puis en arrière qu'affecte ce
•corps (le Trigone), et se rendent à l'Hippocampe dans le ténia. »
III. — ANATOMIE MICROSCOPIQUE DES CIRCONVOLUTIONS
CÉRÉBRALES.
On a déjà établi que les Circonvolutions diffèrent beaucoup, pour
•ce qui regarde leurs relations entre elles, avec les Ganglions Cen-
traux et avec les fibres du Pédoncule.
Cependant, toutes les Circonvolutions présentent certains carac-
FiG. 158. — Coupe transversale de la partie antérieure du Lobe Fronta gauche, mon-
trant la forme des Circonvolutions et l'épaisseur relative de la Substance Grise.
a, troisième Circonvolution frontale, dont on voit une coupe grossie dans la figure
suivante.
tères communs. Lorsqu'on mène une coupe à travers l'une quel-
conque d'entre elles, dans une direction transversale à son grand
axe, on voit une branche ou projection de substance blanche conti-
nue avec la «substance blanche» de l'Hémisphère. En dehors de cette
substance blanche, existe une couche superficielle de Substance
Grise, aj'ant une épaisseur moyenne d'environ sept millimètres, qui se
continue sur toute la surface externe de l'Hémisphère, — puisqu'elle
COUCHE GRISE DES CIRCONVOLUTIONS. 91
revêt les «scissures » aussi bien que les Circonvolutions (fig. 158).
Cette couche de Substance Grise corticale a une épaisseur plus
grande sur les circonvolutions frontales et pariétales que sur
les occipitales. En outre, sa pesanteur spécifique varie en ces divers
points, étant souvent plus élevée dans la région occipitale que dans
la frontale (1032 : 1028);— tandis que, sur les circonvolutions parié-
tales, la densité est plus ou moins intermédiaire.
Dans la substance grise du Lobe Occipital, surtout celle des Cir-
convolutions de sa face inférieure et interne, une lamination dis-
tincte est généralement fort apparente, soit à l'œil nu, soit à l'aide
d'une simple lentille. Ces circonvolutions furent examinées et
décrites d'abord par Lockliart Clarke, en 1863 ^.
Il observa la divergence de faisceaux de fibres, en manière
d'éventail, à partir de l'axe central de substance blanche, et leur
passage entre de longs groupes verticaux de cellules nerveuses
situés dans les couches grises profondes (fig. 159). Quelques-unes
des fibres, croyait-il, se continuaient avec les prolongements des
cellules; tandis que d'autres se repliaient et suivaient une direction
horizontale (soit dans le sens transversal, soit dans le sens longitudi-
nal). Les faisceaux de fibres se réduisent ainsi de volume, et enmême
temps, leurs fibres composantes deviennent plus fines à mesure qu'elles
approchent de la surface, — par suite apparemment des branches
qu'elles envoient sur leur trajet à des cellules nerveuses contiguës.
Lorsqu'elles arrivent à la troisième couche à partir de la surface,
elles sont « réduites aux dimensions les plus fines, et forment un
réseau serré en connexion avec les noyaux et les cellules ». Les
deux couches qui sont au-dessus de celle-ci sont de couleur plus
pâle et composées, pour la plus grande partie, d'un réticulum extrê-
mement délicat de fibres (probablement fort semblables à la
« névroglie »); et celles qui composent la couche la plus externe sont
en continuité directe avec la membrane mince et très-vasculaire
(pie-mère) qui recouvre toute la surface du Cerveau et plonge dans
ses scissures.
Les fibres de l'axe central blanc lui-même sont croisées, trans-
versalement et obliquement, par un nombre variable d'autres fibres,
généralement fort nombreuses près de sa base où, d'après Lockhart
Clarke, elles se croisent dans toutes les directions. Celles-ci, pense-t-il,
consistent, pour la plupart, en fibres commissurales, comme on les
décrira plus loin.
D'autres investigateurs ont, depuis, examiné la structure de la
Substance Grise dans diverses Circonvolutions situées en différentes
parties de l'Hémisphère. Bien qu'il existe des différences de détail,
1. Proceed. of Royal Society, vol. XII, p. 716.
92 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
FiG. 159. — Coupe à travers un des Replis de la Troisième Circonvolution Frontale de
l'Homme (gross. 65 diam.). (Ferrier, d'après Meynert). 1, couche de petits corpus-
cules épars, appartenant principalement à la névroglie; 2, couche de petites cellules
pyramidales rapprochées; 3, couche de grosses cellules pyramidales ; 4, couche de
petits corpuscules irréguliers et rapprochés (cette lame est, dans quelques régions,
occupée par des cellules géantes); 5, couche de corpuscules fusiformes; m, lame
blanche ou médullaire.
FiG. 160. — Grosse Cellule Pyramidale avec ses prolongements, provenant de la qua-
trième couche de Substance Grise Corticale — celltde géante (Charcot). a, corps de la
Cellule, s'amincissant en un prolongement pyramidal ramifié; b, son prolongement
basilaire qui entre en relation avec (c) les fibres blanches de la Circonvolution (forte-
ment grossi).
HISTOLOGIE DE LA SUBSTANCE GRISE. 93
il y a toutefois une grande uniformité dans le type de structure. Sur
un grand nombre de Circonvolutions des Lobes Frontaux et Pariétaux,
Meynert décrit la Substance Grise comme divisible, non pas tant par
la vue ordinaire que par les caractères microscopiques de ses
parties constituantes, en cinq couches ou lames. Il donne une figure
de l'arrangement des éléments constituant ces couches, comme on
le voit dans une coupe menée à travers la «troisième circonvolution
frontale » (fig. 159). Tout récemment, en outre, Bevan Lewis et
II. Clarke ont décrit un arrangement fort semblable des éléments
nerveux dans la circonvolution ascendante frontale et d'autres cir-
convolutions adjacentes. Leur mémoire est accompagné d'excel-
lentes figures 1.
Ils donnent la description suivante des cinq couches de la frontale ascen-
dante,— en commençant par les plus superficielles. La première est une couche
délicate, friable, ne contenant pas de véritables éléments nerveux. Elle est
formée du réseau ordinaire de névroglie, avec une gangue finement granulaire,
dans laquelle sont répandus en grand nombre de petits noyaux et des cellules
branchues de tissu connectif. La seconde couche a à peu près la même épais-
seur que la première : à l'œil nu, elle parait comme une bande gris rougeâtre,
nettement séparée de la couche pâle située au-dessous d'elle. A l'examen mi-
croscopique, on voit qu'elle consiste en « une série de petites cellules pyrami-
dales et ovales, intimement rapprochées, et dont les prolongements apicaux
sont arrangés suivant la direction des rayons de courbure de la surface de
récorce. D'autres prolongements nombreux partent des angles basilaires de la
cellule, et rayonnent en dehors et en bas, en se distribuant dans une aire éten-
due.» Chacune de ces cellules contient un gros noyau de forme ronde ou pyrami-
dale. La TROISIÈME couche est à peu près trois fois aussi large que la seconde, et
contient des éléments nerveux précisément de même nature, sauf qu'ils sont
plus gros et moins serrés. Les cellules semblent s'accroître uniformément de
volume de haut en bas ; et, dans la partie inférieure de cette couche, elles sont
deux ou trois fois plus grosses que celles de la seconde couche. Il faut toute-
fois remarquer qu'il existe quelques cellules plus petites, dispersées parmi les
grosses. La quatrième couche ne diftere point radicalement de la troisième.
Elle n'a qu'environ un tiers de son épaisseur, et diffère en outre par le grand
accroissement de taille de ses cellules, — qui sont du reste d'un type similaire.
En conséquence de leur vojume considérablement supérieur, ces cellules
paraissent plus intimement agglomérées. Elles sont, en moyenne, trois fois plus
longues et plus larges que celles de la troisième couche. Dispersées entre elles,
se voient en grand nombre de petites cellules angulaires ; et, dans certaines por-
tions de cette circonvolution frontale, les petites cellules représentent seules
la quatrième couche, — les grosses cellules qu'on vient de décrire, ou « cellules
géantes », faisant absolument défaut en ces points-là. La cinquième couche est
de nouveau beaucoup plus épaisse que la quatrième. Elle contient des cellules
irrégulièrement fusiformes, d'un volume plus petit et assez uniforme, souvent
1. Proceed. of Royal Society, 1878, p. 38.
1)4 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
arrangées en colonnes irrégulières, grâce à l'interposition des faisceaux défibres
médullaires qui montent de la substance blanche sous-jacente.
Des observations encore plus récentes i ont montré: (1) que dans beau-
coup d'autres portions des Hémisphères Cérébraux, la région corticale a plutôt
six que cinq lames, — la couche additionnelle étant alors produite par l'inter-
position, entre les troisième et quatrième couches, d'une autre lame contenant
de petites « cellules pyramidales et anguleuses » ; (2) que le type cortical à
cinq lames est surtout distinct dans les parties des circonvolutions frontales
et pariétales qui constituent les aires excitables, ou motrices, de Ferrier (voyez
page 191), bien que, dans la partie de beaucoup la plus considérable des
Hémisphères, les circonvolutions aient le type six; (3) que dans les régions à
cinq lames les cellules géantes de la quatrième lame sont généralement arran-
gées en groupes, dus à ce que ces corps existent en agrégats irréguliers
{nids de Retz) -, la principale exception étant dans le fait qu'au fond des scis-
sures (là où la couche grise a aussi moins d'épaisseur qu'au sommet et sur
les côtés des Circonvolutions), même dans ces régions, ces grosses cellules sont
disposées régulièrement, mais isolément, de sorte que, sur des coupes verticales,
elles paraissent être en séries linéaires; (4) que, dans les espaces beaucoup plus
étendus où la région corticale est à sixlames, outre l'existence de la couche sup-
plémentaire sus-mentionnée de petits éléments nerveux pyramidaux et anguleux,
on trouve un autre caractère distinctif dans le fait que les grosses cellules
ont, dans toutes les parties des circonvolutions, cet arrangement en lame ou
solitaire qui, dans les aires motrices, n'existe qu'au fond des sillons ^ ; (5) que
des régions ou circonvolutions de transition existent, là où l'arrangement à six
lames semble faire place à l'arrangement à cinq ; et que des transitions préci-
sément semblables se voient, même dans les régions à cinq lames, en passant
du fond des « sillons » aux côtés des Circonvolutions.
Bien qu'ils diffèrent si grandement de volume, les éléments nerveux
proprement dits des seconde, troisième et quatrième couches sont
de forme essentiellement semblable; et il n'y a, en réalité, aucune
bonne raison de séparer ces couches les unes des autres. Cela peut
être justifiable comme simple artifice pour faciliter la description,
mais ne le serait point si l'on regardait cette division comme indi-
quant une différence dénature entre ces éléments pyramidaux, bien
qu'ils diffèrent si fortement de volume dans les divers endroits. Parler
des plus grosses de ces cellules seulement (c'est-à-dire de celles de
1. Voyez : Revan Lewis, On the Comparative Structure of the Cortex Cere-
hri. Proceed. of Royal Society, juin 1879, p. 234.
2. Le fait que ces deux couches (la 4« et la 5° des parties à 6 lames) sont,
comme le signale Revan Lewis, toujours développées en proportion inverse;
et le fait que, là où la première est nominalement absente (c'est-à-dii^e dans les
parties à cinq lames), il existe toujours de petites cellules anguleuses, mêlées
aux cellules géantes, rendent possible que nous ayons là les deux couches
réunies en une seule, grâce au développement extrême de quelques-uns des
éléments nerveux existant d'ailleurs comme petites cellules pyramidales.
SUBSTANCE GRISE DE L'HIPPOCAMPE.
9&
la quatrième couche) comme de cellules ganglion7iaires_, et appeler
cette lame en particulier la couche ganglionnaire^ implique une
idée erronée. Même les plus grosses des cellules groupées ne diffè-
rent que par le degré des cellules de même forme qu'on trouve dans
la couche au-dessus, et aussi dans la couche même, en ces points de
l'écorce qui ne contiennent pas ces cellules
en nids ou groupes.
La conclusion la plus rationnelle à tirer de
ces faits, pour ceux qui adoptent les vues de
Ferrier, serait de dire que toutes les circonvo-
lutions contiennent des « cellules motrices»,
— et cela, même dans plus d'une couche — à
moins que le simple fait du «groupement» en
nids d'un certain nombre de cellules, en cer-
taines situations, ne doive être considéré
comme une indication que ces cellules ont
assumé des « fonctions motrices », et doivent
pour cela être désignées sous le nom de gayi-
glionnaires. Toutefois, l'une ou l'autre de ces
assertions ne paraîtrait point sans doute au
lecteur non prévenu être basée sur rien qui
ressemble à des considérations raisonnables.
Il est digne de remarque que dans la couche
grise repliée du Grand Hippocampe, la struc-
ture de la substance corticale est, comme le
remarque Meynert', extrêmement simplifiée ;
puisque les éléments nerveux de cette région
sont représentés par une seule couche de cel-
lules pyramidales, qui ne diffèrent aussi que
par leur volume des « cellules géantes » des
Circonvolutions pariétales ou frontales.
Il n'y a en réalité, dans l'opinion de l'au-
teur, aucune raison valable pour supposer,
comme beaucoup le font, que ces cellules
géantes diffèrent en rien, par leur nature, des
autres cellules, de volume de plus en plus
petit, avec lesquelles elles sont mêlées, ou qui existent seules dans
la couche correspondante, sur un si grand nombre de Circonvolu-
tions Cérébrales.
FiG. 161. — Coupe de la
Couche Repliée de l'Hip-
pocampe(ou Corne
d'Ammon). A, fibres
blanches qui, grâce à
l'absence des couches à
fuseaux et à petites cel-
lules, s'attachent ici im-
médiatement aux cellu-
les pyramidales C, équi-
valentes à la moitié
interne de la troisième
couche de l'écorce à
cinq lames ; r, stratum
radiatum,conesponda.nt
à la moitié externe de
la troisième couche ; m^
l, équivalents de la pre-
mière et de la seconde
couche.
On trouve, dans les Circonvolutions des Singes, des éléments cellulaires de
même nature que ceux des Circonvolutions de l'Homme, et semblablement
arrangés.
1. Stricker. Hmnan and Comparative Histology, vol. Il, p. 395.
96 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
Chez les animaux inférieurs, la plus grande partie de l'Écorce est également
à six lames; mais, dans certaines régions spéciales et limitées (bien que varia-
bles) dans chaque espèce, il existe une Écorce à cinq lames. Ces lames, d'après
Bevan Lewis, sont aussi, à un très haut degré, identiques par leur composition ;
bien que la première (qui est surtout une couche de tissu connectif) ait géné-
ralement une épaisseur relativement plus grande chez le Mouton, le Porc et
autres animaux inférieurs que chez l'Homme. Il dit : u C'est dans le caractère
essentiel de chacune des cellules de ces couches, dans la parenté qui relie ces
unités anatomiques les unes aux autres, et dans leur répartition générale, que
nous découvrons une divergence du type normal des Mammifères supérieurs.»
Chez l'Homme, le Singe, le Chat et l'Oncelot, les cellules géantes sont
renflées et plus arrondies (grâce à ce qu'elles émettent un plus grand nombre
de prolongements) que chez des animaux comme le Mouton et le Porc. Chez
ces derniers, ces cellules sont plus simplement pyi-amidales, et sont réunies
entre elles par un plus petit nombre de prolongements. Ces cellules sont en
outre dispersées sur une vaste étendue. Mais, chez le Chat et autres Carni-
vores, l'aire dans laquelle on trouve les cellules géantes est fort restreinte, —
beaucoup plus que chez l'Homme et les Quadrumanes.
En outre, d'après Bevan Lewis, un genre particulier de cellules « sphé-
riques » avec un petit nombre de processus unissants se trouve, au milieu des
autres éléments, dans la seconde et la troisième couche du Porc et du Mouton,
et aussi chez les Singes, — bien que des éléments de cette nature n'aient été
rencontrés, chez l'Homme, que dans le cerveau d'Idiots et d'Imbéciles.
IV. — Principales commissures du cerveau.
Le système unissant ou, comme l'appelle Meynert, le système
d'association des fibres cérébrales, appartient à trois catégories
principales ; chacune d'elles va être brièvement décrite. Ces fibres
sont de grande importance, et si nombreuses que, dit Broadbent ^,
« les fibres radiantes doivent être en faible proportion, relativement
aux fibres qui se rendent d'un point à un autre de la surface ».
a. Commissures miissant des parties similaires dans les deux
Hémisphères. — On désigne généralement celles-ci sous le nom de
Commissures transversales. Elles comprennent le Corps Calleux et
la Commissure Antérieure, ainsi que les Commissures Moyenne et
Postérieure. On a déjà, en citant les descriptions de Broadbent,
désigné une partie d'entre elles sous le nom de fibres calleuses.
Le Corps Calleux est de beaucoup la plus grosse et la plus im-
portante de toutes les commissures. En écartant les deux Hémi-
sphères Cérébraux, on peut l'apercevoir comme une large bande de
fibres s'étendant de l'un à l'autre. Son diamètre antéro-postérieur
est de plus de trois pouces, tandis qu'il s'étend latéralement dans
la substance des deux Hémisphères, où il forme le toit des ventri-
\. Journ. of Mental Science, avril 1870, p. 9.
CORPS CALLEUX.
97
cules latéraux. Sur une coupe, on voit qu'il est épaissi à cliaque
extrémité, (fig. 162, 27, ss. )
Les anciens anatomistes avaient, sur le mode de distribution des
fibres du Corps Calleux, des opinions diverses qu'il n'est point
nécessaire de discuter à présent; bien que l'on puisse mentionner
que Foville pensait que ses fibres servaient à mettre le Pédoncule
d'un Hémisphère en relation avec celui de l'autre ; et que, d'après Gra-
FiG. 162. —Coupe antéro-postérieure du Cerveau, montrant la face interne de THémi-
sphère Cérébral gauche. 1, Bulbe Rachidien; 2, Protubérance Annulaire; 3, Pédon-
cule cérébral; 4, Cervelet; 5, Arbre de vie; 6, Valvule Vieussens; 7, Quatrième
Ventricule; 8 Aqueduc de Sylvius; 9, Tubercules Quadrijumeaux; 10, Glande Pinéale ;
11, Frein delà Glande Pinéale; 12, Couche Optique; 13, Commissure Grise; 14, Com-
missure Blanche Antérieure; 15, Commissure Blanche Postérieure; 16, Tubercule
Mamillaire ; 17 , Tuber Cinereum , Infundibulum, et Corps Pituitaire ; 18, Espace
Perforé interpédonculaire ; 19, Nerf Optique; 20, Nerf Moteur Oculaire Commun;
21, Nerf Olfactif; 23, Trou de Monro ; 23, Voûte à trois Piliers; 24, Septum Lucidum;
25, Corps Calleux; 26, Circonvolution de l'Ourlet; a7, Circonvolutions Antérieures de
la Face Interne ; 28, Groupe Quadrilatère des Circonvolutions de la Face Interne ;
29, Circonvolution Postérieure de la Face Interne.
tiolet, ces fibres suffisaient à mettre le Pédoncule d'un côté en relation
avec l'Hémisphère du côté opposé. Les investigations de Meynert, ainsi
que celles de Broadbent, les ont toutefois conduits à penser que la
première de ces opinions est tout à fait erronée, et que la seconde, si
elle est vraie, ne l'est du moins que très partiellement; puisque les
fibres du Corps Calleux servent principalement à unir les Circonvo-
lutions similaires dans les deux Hémisphères K Ces fibres ne se
1. Journ. of Ment. Science, avril 1870, p. 18.
Charlton-Bastian. — II. 7
98 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAI.N.
distribuent point toutefois partout de même, mais à quelques-unes
seulement des Circonvolutions. Et, comme on l'a déjà établi, celles
qui sont ainsi mises en relations dans les deux Hémisphères,
sont précisément celles où se rendent aussi les <i fibres radiantes »
FiG. 163. — Coupe horizontale menée à travers le Crâne et les deux Hémisphères, juste
au-dessus du niveau du Corps Calleux, et montrant le centrum ovale de Vieussens
(Sappey, d'après Vicq d'Azyr). 1, 1, sillon médian de la face supérieure du Corps
Calleux; 2, 2, faisceaux longitudinaux de cette face (nerfs de Lancisi) ; 3, faisceaux
transverses de son corps principal ; 3', section de la substance médullaire au niveau
du bord du Corps Calleux ; 4, 4, couche grise des Circonvolutions, formant un feston
irrégulier autour du centre ovale de Vieussens ; 5, partie antérieure de la grande
fente longitudinale du Cerveau; 6, partie postérieure de cette fente longitudinale;
7, 7, coupe des parois du Crâne.
des Pédoncules. On a déjà donné plus haut les noms de ces Circon-
volutions (p. 90).
La Commissure Antérieure est une bande distincte de fibres
blanches, qui traverse la partie antérieure du « troisième ventricule » ,
et pénètre de chaque côté dans la substance du Corps Strié (fig.
16/i, g), Ce n'est point toutefois, comme il le semblerait, une Com-
missure unissant ces deux corps. Une dissection soigneuse suffit à
montrer que ces fibres traversent simplement le Corps Strié de
chaque côté (où elles sont placées dans un sillon ou canal distinct);
qu'elles émergent de la surface inférieure et externe de ces corps,
et qu'elles vont de là se distribuer aux circonvolutions formant le
COMMISSURES ANTÉRIEURE ET MOYENNE. 99
sommet et la surface interne ou inférieure du Lobe Temporal. C'est,
comme le dit Broadbent et comme d'autres anatomistes l'avaient
déjà reconnu, une sorte de Corps Calleux accessoire, reliant les
parties des deux Lobes Temporaux, qui ne pourraient autrement
être mises en relations entre elles.
Chez quelques-uns des animaux inférieurs qui ont de gros Lobes
FiG. 164. — Coupe horizontale du Cer-veau à un niveau inférieur, montrant le Troisième
Ventricule et ses Commissures, et les relations de chacun des Corps Striés avec l'Insula
de Reil correspondante (Sappey). 1, Trigoiie, rejeté en arrière avec la Toile Choroï-
dienne pour montrer le Troisième Ventricule; 2, Veines de Galien ; 3, extrémité anté-
rieure de la Glande Pinéale;4, ses pédoncules supérieurs; 5, Commissure Cérébrale
Postérieure ; 6, Commissure Antérieure ; 7, coupe des piliers antérieurs du Tri"-one •
8, Troisième Ventricule, ou V. moyen ; 9, Commissure Grise, ou Moyenne ; 10, Corps
Strié, dont on a coupé les couches supérieures et externes; 11, Couche Optique-
12, Tcenia Semi-circularis ; 13, 14, 15, coupe des Circonvolutions de l'Insula de Reil;
16, coupe du noyau intra-ventriculaire du Corps Strié; 17, coupe de la Substance
Blanche de l'Hémisphère, au point oii elle est comprise entre l'Insula de Reil ot la
partie supérieure du Corps Strié.
et « tractus » Olfactifs, ceux-ci sont directement reliés l'un à l'autre
au moyen de fibres faisant partie de cette Commissure Antérieure.
La Commissure Moyenne est un pont de substance grise molle
qui traverse le « troisième ventricule », d'une Couche Optique à
l'autre (fig. iQk, 9; et 157 th.),ei peut en conséquence servir à mettre
certaines parties de ces corps en relation fonctionnelle.
La Commissure Postérieure est une petite bande blanche qui
s'étend en travers de la paroi postérieure et supérieure du « troi-
100 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
sième ventricule » (fig. 16Zi, s), et se recourbe en bas à travers la
Couche Optique de chaque côté, de façon à se terminer dans la
substance ganglionnaire du Tegmentum.
L'existence de ces connexions commissurales entre les Couches
Optiques est particulièrement digne de remarque, lorsque nous
voyons les deux Corps Striés n'être réunis par des Commissures
d'aucune sorte. Il est toutefois important de remarquer que les
divers centres en relation avec les impressions cetitripèles doivent
être en relation fonctionnelle les uns avec les autres; tandis qu'il
n'y a pas un besoin semblable de Commissures entre les gros gan-
glions moteurs supérieurs, — puisque chaque Corps Strié, trans-
met et règle seulement les incitations motrices qui proviennent de
son propre Hémisphère.
b. Commissures réunisscmt des parties dissimilaires dans le même
Hémisphère. — La plus connue de celles-ci, et de beaucoup, est le
Trigone Cérébral. On en parle généralement comme d'une commis-
sure longitudinale, mais le terme peut tromper, bien que ses fibres
affectent pour la plupart une direction longitudinale. Elles servent
à mettre en relation la face interne de la Couche Optique et le
-Grand Hippocampe du même Hémisphère, — ces parties étant situées
à peu près dans le même plan vertical transversal.
On a déjà indiqué le trajet et les usages fonctionnels de ces
fibres (p. 211, vol. P-^).
Deux groupes accessoires de fibres entrent en relation avec les piliers
•antérieurs du Trigone : (1) une bande étroite de fibres (de chaque côté) connue
sous le nom àQtœnia semi-circularis, qui, après s'être séparée du «pilier anté-
rieur » du même côté, passe en arrière dans le sillon situé entre le Corps Strié
et la Couche Optique, et disparaît dans la substance de cette dernière, après
avoir tourné vers le toit de la corne descendante! ; et (2) les pédoncules de la
Crlande Pinéale, qui se dirigent en avant le long des Couches Optiques, sur les
limites supérieures du « troisième ventricule », en diminuant graduellement
de volume, et finissant en apparence par s'entremêler avec les « piliers anté-
rieurs » de la Voûte, près de l'extrémité antérieure de chaque Couche Optique -.
Il existe, de chaque côté, un grand nombre d'autres groupes de
« fibres commissurales», dont l'office est aussi de mettre en relation
entre elles différentes Circonvolutions, plus ou moins distantes,, du
1. Elle semblerait donc contenir des fibres servant à unir entre elles deux
il'iortions distantes de la même Couche Optique.
2. Comme ces « Pédoncules » de la Glande pinéale se continuent entre eux
postérieurement, ils peuvent former une sorte de « commissure transversale »
ipour les régions de chaque Couche Optique d'où partent les « piliers anté-
rieurs » de la Voûte.
TRIGONE CÉRÉBRAL. 101
même Hémisphère. Quelques-unes des principales de ces Com-
missures sont dirigées dans le sens longitudinal et disposées de la
manière suivante ^ :
1. Un grand système axial longitudinal traverse les pointions supérieures-
des Hémisphères. II contient des fibres allant des Lobes Occipital et Temporal
au sommet du Lobe Frontal, recevant ou donnant des fibres le long- de ce trajet
à un grand nombre de circonvolutions sus-jacentes.
2. Le système longitudinal du faisceau unciné est un faisceau de fibres-
situées à un niveau inférieur au premier sj'stème, bien qu'elles réunissent les
mêmes divisions principales de l'Hémisphère. La portion moyenne du faisceau
formant une bande dont il prend le nom, peut se voir sur la face latérale de-
l'Hémisphère, croisant le fond de la scissure de Sylvius, en passant du Lobe
Frontal au Lobe Temporal. En avant, ces fibres passent sous le Corps Strié, d'où
quelques-unes se rendent à la troisième circonvolution frontale ; d'autres
s'étalent sous les circonvolutions orbitaires, pour atteindre l'extrémité anté-
rieure du Corps Calleux et les circonvolutions du bord adjacent de la région-
orbitaire : bien que la grande majorité des fibres se poursuive au-dessous des
circonvolutions orbitaires, pour se terminer le long du bord antérieur de
l'Hémisphère. En arrière, les fibres du faisceau unciné se rendent au sommet
du Lobe Occipital et aux circonvolutions situées le long du bord inférieur et
externe des Hémisphères; tandis qu'un groupe considérable d'entre elles se
rend aussi au sommet du Lobe Temporal.
3. D'autres fibres longitudinales inférieures et plus superficielles partent du
sommet du Lobe Temporal et se dirigent en arrière, en divergeant, dans le
plancher de la « corne descendante » et dans celui de la corne postérieure, où
elles se mêlent avec des fibres du Corps Calleux.
4. Les Circonvolutions de la surface interne plate de l'Hémisphère, et surtout
celles du Corps Calleux {gijrus fornicatus), contiennent des fibres longitudinales.
On dit que ces dernières partent de 1' « espace pei'foré antérieur », en avant
(Corps Strié), se dirigent en arrière au-dessus du Corps Calleux, contournent
son extrémité postérieure, et delà reviennent, d'après Foville, jusqu'au sommet
du Lobe Temporal.
5. Certaines fibres longitudinales {nerfs de Lancisi) sont situées sur la face
supérieure du Corps Calleux en deux séries, une de chaque côté (fig. 163). On
dit aussi qu'en avant, elles entrent en relation avec l'espace perforé antérieur,
tandis qu'en ai'rière leur destination est douteuse. D'après Foville, elles se
joignent aux « piliers postérieurs » de la Voûte 2.
D'autres séries de « fibres commissurales » n'ont pas une direction
1. Voy. Journ. of Mental Science, avril 1870, p. 10-16.
2. Ces deux dernières séries de fibres peuvent donc peut-être passer, par urb
chemin détourné, de régions sensitives situées dans le Lobe Temporal au Corps
Strié correspondant. D'autres régions de ce Lobe semblent reliées avec le même
corps d'une manière beaucoup plus directe : c'est-à-dire par des fibres croisant
la scissure de Sylvius (voy. p. 91).
102 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
aussi distinctement longitudinale, et servent, en outre, à mettre
en relation les unes avec les autres des Circonvolutions plus immé-
diatement adjacentes.
Nous n'avons encore qu'une connaissance fort imparfaite de ces
nombreux faisceaux de fibres, mais il serait presque impossible ici
d'essayer d'exposer tout ce dont on s'est assuré à leur sujet. On
peut citer toutefois quelques exemples de celles de ces connexions
qui sont les plus marquées, pour donner quelque idée de l'étendue
des relations mutuelles qui existent entre des Circonvolutions con-
tiguës.
Broadbent dit i : « La seconde ou grande circonvolution ascendante parié-
tale est en relations compliquées avec les circonvolutions adjacentes, situées
en arrière d'elle, et reçoit de grosses bandes de fibres de la partie postérieure
de l'hémisphère, par l'intermédiaire du système axial longitudinal; elle est
aussi en connexion étendue avec la circonvolution pariétale antérieure, et
envoie en avant, profondément, des fibres aux trois circonvolutions frontales.
La seconde fi'ontale, outre qu'elle reçoit des fibres du système axial et des
circonvolutions pariétales, est reliée avec la première et la troisième frontales,
entre lesquelles elle est située, par un grand nombre de lames larges, qui ne
plongent pas simplement d'une manière transversale au-dessous des sillons,
mais courent tortueusement en avant ou en arrière, leurs enlacements étant
trop compliqués pour qu'on puisse les figurer ou les décrire. En outre, des
fibres croisent transversalement au-dessous de la seconde circonvolution
frontale, de la première à la troisième. »
Les circonvolutions du Lobe Temporal sont fort distinctement reliées à
d'autres des Lobes Occipital et Pariétal; et Broadbent ajoute 2 : « il est digne de
mention qu'entre les circonvolutions infra-marginale Sylvienne et parallèle, sé-
parées par la profonde scissure parallèle, existe la connexion commissurale la plus
étendue que l'on ti-ouve entre des circonvolutions adjacentes, dans le cerveau
tout entier. » Des expériences physiologiques récentes donnent, comme nous le
verrons dans le chapitre suivant, une grande importance à cette observation.
La masse des fibres partant des circonvolutions rayonnantes de 1' « insula de
Reil » forme une couche épaisse qui est en relation avec les circonvolutions
avec lesquelles se continuent ses bords antérieur et supérieur : c'est-à-dire
celles du bord postérieur du lobule orbitaire, la troisième frontale et la parié-
tale ascendante. Le trajet de ces fibres est très compliqué. Des fibres passent
aussi entre les circonvolutions de l'insula de Reil et la partie supérieure de
l'Hémisphère, tandis que quelques-unes partent du centre de l'insula, ou s'éten-
dent entre lui et l'extrémité surplombante du Lobe Temporal. On n'a pas encore
reconnu de fibres réunissant ces circonvolutions avec le Corps Strié ou la
Couche Optique, bien qu'elles soient situées immédiatement en dehors de ce
premier corps, et puissent par conséquent recevoir quelques filaments de son
noyau gris extra-ventriculaire.
1. Joiirn. of Mental Science, avril 1870, p. 11.
2. Loc. cit., p. 15.
CONNEXIONS DES CIRCONVOLUTIONS ENTRE ELLES. lO.J
D'après ce qui a été dit sur la distribution des fibres du Corps Cal-
leux, des divers faisceaux longitudinaux de « fibres commissurales »
et de celles qui s'étendent, dans diverses directions, entre des cir-
convolutions plus ou moins contiguës, le lecteur n'aura pas de
peine à croire, ce qui pour de nombreuses raisons semble probable,
que, dans la substance blanche des Hémisphères, dont la masse est
si considérable, les fibres venant des Pédoncules ou des Ganglions
Centraux, et allant à la surface ou en revenant, doivent, comme
le signale Broadbent, être en faible proportion relativement aux
fibres qui vont d'une partie de la surface à une autre, soit dans
le même Hémisphère , soit d'un Hémisphère à l'autre, — ou, pour
employer la phraséologie de Meynert, que les fibres du système de
projeciion sont, prises ensemble, en petit nombre, relativement à
celles du système d'associatio?i.
c. Cominissures mettant le Cervelet en relation avec le Cerveau.
— Celles-ci correspondent à ce que l'on connaît sous le nom de Pé-
doncules Cérébelleux Supérieurs, bien qu'il soit possible que les
Pédoncules Moyens dussent aussi être compris dans cette catégorie.
On parlera, dans la section suivante, de la distribution de ces par-
ties. Les Pédoncules Inférieurs, bien qu'ils passent à travers une
portion du Bulbe, servent surtout à mettre en relation le Cervelet et
la Moelle.
V. — STRUCTURE GÉNÉRALE DU CERVELET, ET SES RELATIONS
AVEC d'autres PARTIES.
Le Cervelet, ou « Petit Cerveau », est, contrairement au Cerveau, un
organe solide dont les deux moitiés sont continues. Si l'on mène
une coupe horizontale à travers le milieu du Cervelet, on verra à
l'intérieur, de chaque côté, un noyau, plissé en bourse, de Substance
Grise, dont l'extrémité ouverte est tournée en avant et en dedans
(fig. 156, 14 ).
Les différents Lobes dont se compose le Cervelet ont été déjà
signalés, ainsi que la manière dont ils sont subdivisés. Mais l'éten-
due et le mode de subdivision de la surface seront mieux compris à
l'aide des fig. 156, 162, 165. Ces figures montrent la nature ramifiée des
segments périphériques du Cervelet, et le volume relativement grand
de sa substance grise superficielle, lorsqu'on la compare à la masse
de « substance blanche » qui est entourée de toutes parts par elle,
sauf dans la direction des pédoncules.
Les Pédoncules de l'organe, dont il existe trois paires, sont les
parties qui servent à le relier avec les autres divisions de l'Encé-
phale et avec la Moelle Épinière.
Les Pédoncules Supérieurs du Cervelet sont des bandes épaisses
104
STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
de fibres, qui partent de son bord antérieur, en convergeant lé-
gèrement vers la paire postérieure des « tubercules quadrijumeaux »,
sous laquelle ils passent. En ce point, il y a décussation ; et les
fibres de chaque faisceau se rendent alors à un gros noyau de
substance ganglionnaire, situé dans la portion supérieure, ou sensi-
tive, du Pédoncule Cérébral, et désigné d'ordinaire sous le nom de
Noyau rouge. A partir de là, le cours de ces fibres, ou de celles
qui sont en relation avec elles, demeure incertain; mais on croit
communément aujourd'hui qu'elles passent sous l'extrémité posté-
Fia. 165. — Pédoncules Supérieurs du Cervelet, Quatrième Ventricule, et parties contiguës
(Sappey, d'après Hirschfeld). 1, 1, sillon médian sur le plancher du quatrième ventri-
cule; 2, fibres blanches par lesquelles se termine le nerf auditif ; 3, Pédoncule Céré-
belleux Inférieur; 4, colonne médiane postérieure; 5, Pédoncule Cérébelleux Supérieur,
croisant l'Inférieur sur son côté interne; 6, 7, face supérieure et postérieure du
Pédoncule Cérébral ; 8, Tubercules Quadrijumeaux.
rieure de la Couche Optique, et vont de là aux diverses régions de
rÉcorce Cérébrale, — bien qu'on ne les ait pas, en réalité, suivies au
delà de diverses parties de la « couronne rayonnante ».
On ne sait donc rien sur les Circonvolutions avec lesquelles le
Cervelet est mis en relation particulière au moyen de ces fibres
des Pédoncules Cérébelleux Supérieurs. On pense toutefois que, du
côté du Cervelet, ces fibres sont en partie en relation immédiate
avec les portions inférieures des Lobes Moyens (fig. 165); tandis
que d'autres, de chaque côté, sont en communication avec le
noyau gris en forme de bourse (fig. 156), ou y pénètrent, avant de
se rendre aux diverses portions de l'Écorce du Cervelet.
PÉDONCULES DU CERVELET. 105
Entre ces Pédoncules Supérieurs convergents se trouve une
lame mince de substance nerveuse, connue sous le nom de « valvule
de Vieussens », et qui unit le Lobe Moyen du Cervelet aux Tuber-
cules Quadrijumeaux. Cette partie est proportionnellement plus
développée chez les Vertébrés inférieurs, comme les Poissons, et
sert à mettre leurs gros « lobes optiques » en relation de structure
avec la seule portion du Cervelet dont ils soient pourvus, c'est-à-
dire le Lobe Moyen. Cette lame forme le toit de la moitié supé-
rieure ou antérieure du « quatrième ventricule » (fig. 152), ainsi que
de la première partie du passage qui réunit cette cavité au « troi-
sième ventricule ».
Les Pédoncules Inférieurs, ou « Corps restiformes », comme on les
appelle aussi, unissent le Cervelet avec le Bulbe et la Moelle (fig. 105).
A l'intérieur du Cervelet, les fibres de ces Pédoncules n'entrent
pas, dit-on, en relation avec les noyaux gris centraux, en forme de
bourse, mais se rendent immédiatement aux différentes régions de
la substance grise corticale.
La portion interne de chaque Pédoncule Inférieur semble être
composée des prolongements centripètes du Nerf Auditif, dont on
peut suivre les fibres depuis son propre noyau externe jusqu'au
noyau du toit de Stilling, du même côté et du côté opposé.
Mais, d'après ce que dit Meynert, la portion externe du Pédoncule
est dérivée de la colonne postérieure opposée de la Moelle, de la
manière suivante. Les fibres de la colonne médiane postérieure
[funiculus ciinealus et gracilis] entrent ou viennent en relation
avec les cellules ganglionnaires du corps olivaire correspondant.
De là, elles croisent la ligne médiane du Bulbe, en arrière des py-
ramides a?itérieures, pour contourner l'Olive opposée, avant d'é-
merger, sous forme de fibres arciformes^ de la région postérieure et
latérale du Bulbe. Elles se jettent de là dans le Pédoncule Inférieur,
et remontent en en faisant partie. Ainsi, les fibres de chaque « co-
lonne postérieure » s'enfoncent au-dessous de la surface de la Moelle,
et, après avoir passé à travers VOlive correspondante, croisé la
ligne médiane du Bulbe et contourné l'Olive opposée, elles émergent
comme parties constituantes du corps restiformCj ou Pédoncule Cé-
rébelleux Inférieur. Cet arrangement ne doit point être regardé
comme absolument hors de doute : il est en effet nié par Luys.
Les Pédoncides Moyens forment ensemble la Protubérance ou
Pont de Varole. Les fibres de chacun d'eux (fig. 166) émergent de
différentes parties de la substance corticale du « lobe latéral » corres-
pondant du Cervelet; et, tandis que quelques-unes de ces fibres sont,
à ce que l'on croit, de nature « commissurale », et croisent simple-
ment d'un lobe latéral à l'autre, il y a décussation sur la ligne
médiane de la majorité des fibres des deux Pédoncules Moyens.
106
STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
Par le moyen de ces Pédoncules, chaque moitié du Cervelet est
mise en relation avec les fibres motrices descendant du Corps Strié
opposé (dans le Pédoncule Cérébral correspondant), ou bien avec
quelques-unes des cellules du Corps Strié lui-même, grâce à ce
que quelques fibres des Pédoncules Cérébelleux se recourbent en
haut, à partir de la « protubérance », pour se terminer dans ces gan-
glions, — exactement comme d'autres, suivant un trajet semblable,
Fia. 166. — Pédoncules Cérébelleux Moyens et Protubérance, avec parties adjacentes
(Sappey, d'après Hirschfeld). 1, Commissare Optique; 2, TuberCinereum et Tige Pitui-
taire; 3, Tubercules Mamillaires ; 4, espace inter-pédonculaire ; 5, Pédoncule Cérébral;
6, 6, sillon médian de la Protubérance, avec une légère proéminence (7) de chaque
côté; 8, origine du trijumeau; 9, fibres transversales supérieures de la Protubérance
10, 10, ses fibres médianes ; 11, 11, ses fibres inférieures, s'enfonçant sous les autres
12, 12, Pédoncules Cérébelleux Moyens, formés par l'union de ces trois séries de fibres
le pédoncule gauche est coupé près de son origine, le droit est en partie disséqué
13, Moelle; 14, sillon médian du Bulbe; 15, 15, décussation des Pyramides (16)
17, Olive; 18, fibres Arciformes.
traversent, à ce que l'on suppose, ces ganglions pour se rendre
aux Circonvolutions Cérébrales.
Tout ce que Ton sait positivement, c'est que chaque « lobe latéral »
du Cervelet est principalement en relations par son Pédoncule
Moyen avec le tractus moteur de l'Hémisphère Cérébral opposé. Et
ce fait est par lui-même de quelque importance, puisque, au milieu
de tous les doutes que nous conservons sur le Cervelet, il semble-
rait impliquer que la masse des fibres de ces Pédoncules est « cen-
trifuge » ou motrice, — conclusion d'accord avec d'autres preuves.
HISTOLOGIE DU CERVELET. 107
Qu'il y ait toutefois des points de jonction avec des fibres motrices
cérébrales du côté opposé dans la « protubérance » elle-même, ou
dans son voisinage, comme le pense Luys; ou que des fibres cérébel-
leuses de cette nature remontent réellement jusqu'aux cellules des
Corps Striés, — ou même au delà, jusqu'à certaines parties de
rÉcorce des Hémisphères Cérébraux, — ce sont là des détails qui
ne sauraient être décidés à présent.
8. — STRUCTURE INTIME DE LA SUBSTANCE GRISE
DU CERVELET.
La Substance Grise corticale est en apparence uniforme sur
tous les innombrables plis de la surface du Cervelet. A l'œil nu,
elle est divisible en deux couches (fig. 167) : une extérieure, gris clair;
et une interne, plus mince, rouge grisâtre. En dedans de la couche
grise de chaque repli se trouve un axe de substance blanche.
Dans la partie la plus profonde de la couche externe se trouve
un simple rang de grosses cellules ganglionnaires de 0™™,027, à
O'"°^,033 de diamètre, dont les grands prolongements branchus se
réunissent dans toute cette couche, en devenant plus minces à me-
sure qu'ils approchent de la surface ffig. 167, bb). Les ramifications
ultimes de ces prolongements nerveux s'unisssent avec une sorte
de tissu connectif pour former une gangue fibreuse fort délicate, où
sont dispersés un certain nombre de petits corpuscules. Ceux-ci
sont de simples corps nucléiformes, ou de petites cellules anguleuses;
et, de même que pour les corpuscules similaires de la substance
grise du Cerveau, il est impossible de dire ceux que l'on doit regar-
der comme appartenant au tissu connectif et ceux qui ont droit
au titre d'éléments nerveux. Beaucoup d'entre eux, comme s'en est
assuré W.-H.-O. Sankey, sont en continuité directe avec les rami-
fications des cellules ganglionnaires. Courant le long de la partie
interne de cette couche, en croisant la direction des grosses
branches des cellules ganglionnaires, se voit un certain nombre de
fibres nerveuses fines.
Les grosses cellules ganglionnaires empiètent sur la face ex-
terne de la couche suivante, qui porte le nom de couche granu-
leuse. Là, sont massées des multitudes de corpuscules de 0"™,007 à
0™™,010 de diamètre, fort semblables à ceux qui sont épars, en moins
grand nombre, dans la couche externe. Le prolongement interne de
chacune des grosses cellules ganglionnaires est, dit-on, unique et
non divisé ;mais, comme il est trèsfin,on le perd bientôt de vue dans
la « couche granuleuse », dense, dans laquelle il s'enfonce. Le mode de
connexion de l'axe central de fibres blanches avec la couche granu-
leuse et les éléments situés en dehors d'elle, est, pour le moment,
108
STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
fort incertain. Des granules^ ou corpuscules de même nature, sont
aussi, quoique en moins grand nombre, disséminés dans cette sub-
stance blanclie.
Il semble tout à fait probable que quelques-unes des fibres de
FiG, 167. — Substance Grise du Cervelet. Coupe, grossie à environ 400 diamètres (Sharpey,
d'après Sankey). a, pie-mère du Cervelet; b, b, couche externe grise; c, grosses
cellules ganglionnaires; d, couche interne, rouge grisâtre^ ou couche granuleuse;
e, axe de fibres blanches.
chaque axe de substance blanche sont ajférenles; et que les autres
conduisent des impressions ou impulsions efférenles. Les premières
fibres peuvent se diviser dans la « couche granuleuse », de manière à
CONNEXIONS DES NERFS CRANIENS. 109
entrer en relation avec deux ou plusieurs cellules ganglionnaires ; et
les stimidi centrifuges peuvent partir de ces groupes de cellules,
passer dans la couche externe par leurs branches ramifiées, et de
là, par des radicules contiguës de fibres « efférentes » qui se réunis-
sent entre elles à mesure qu'elles vont, passer à travers la « couche
granuleuse », et sortir par l'axe de substance blanche.
Ce dernier arrangement est hypothétique, mais il semble à l'auteur
être le mieux en accord avec la structure réelle de la substance grise
du Cervelet.
7. — Connexions centrales des Pédoncules olfactifs
ET OPTIQUES, AINSI QUE d'AUïRES NERFS CRANIENS.
Les Pédoncules, ou « bandelettes » Olfactives, et les Pédoncules, ou
«bandelettes » Optiques, sont généralement regardés comme quelque
chose de différent des nerfs ordinaires. On les considère comme
des excroissances spéciales, ou prolongements du Cerveau. Une dis-
tinction de ce genre est sans doute légitime pour ce qui regarde
beaucoup d'animaux inférieurs. Il en est ainsi, par exemple, chez
les Poissons, aussi bien que chez quelques Reptiles et Mammifères,
chez lesquels les Centres Olfactifs sont extrêmement bien développés ;
et chez les Insectes et les Céphalopodes, où les yeux et les Centres
Optiques sont fort gros. Mais, chez l'Homme, où ni le sens de la
Vue ni celui de l'Odorat ne sont développés d'une manière aussi
extraordinaire, et chez lequel les Centres primaires correspondants
sont relativement petits, toute distinction de ce genre est moins
évidente. Chez lui, en réalité, il n'y a aucune bonne raison pour
la maintenir pour les bandelettes optiques j, puisque ces par-
ties diffèrent peu en apparence des nerfs ordinaires. Une distinction
de cette nature est toutefois mieux justifiée pour les bandelettes
olfactives; puisque, même chez l'Homme, c'est en dehors du Cer-
veau que sont situés les Ganglions Olfactifs, d'où partent des Nerfs
Olfactifs très petits, qui descendent dans le nez.
Il faut exposer brièvement le trajet et les connexions centrales
de ces parties.
La « bandelette » Olfactive est reliée avec la région postérieure
delà surface orbitaire de l'Hémisphère par trois racines: l'externe va
en dehors, vers l'extrémité inférieure du Lobe Temporal du même
côté, comme on peut le reconnaître aisément chez les Mammifères
où les Lobes Olfactifs sont gros, bien qu'on ne puisse l'apercevoir
chez l'Homme qu'avec quelque difficulté. La racine interne entre
dans l'Hémisphère près de son bord interne, et un peu en avant de
la Commissure Optique. On reviendra plus loin sur les relations des
fibres des Bandelettes Olfactives, et sur ce fait qu'elles entrent en
110 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
relation, de chaque côté, avec des Circonvolutions de l'Hémisphère
correspondant, et non de l'Hémisphère opposé (voy. p. 119, 12li).
Les « bandelettes » Optiques sont la continuation des Nerfs Opti-
ques en arrière de la Commissure Optique. Chaque «bandelette » est
en contact avec le bord externe du Pédoncule Cérébral, et le con-
tourne en s'aplatissant à mesure qu'elle s'avance. Arrivées là, chacune
FiG. 168. — Vue grossie de la partie de la Base du Cerveau où s'attachent les Nerfs Crâ-
niens. (Ferrier, d'après Allen Thomson).
On a laissé sur le côté droit les Circonvolutions du Lobe Central (C) ou Insula de Reil ;
sur la gauche, l'incision a porté entre la Couche Optique (TU) et l'Hémisphère;
I' Nerf Olfactif, coupé; II, Nerf Optique en avant du Chiasma ; II', Bandelette Optique
droite; e, Corps genouillé externe; i, Corps genouillé interne; h, Corps Pituitaire;
te, Tuber cinereum et infundibulum ; a, un des Tubercules mamillaires ; P, Pédoncule
Cérébral; III, 3^ nerf (Oculo-moteur commun); IV, Pathétique; PV, Protubérance;
V, la grosse racine du cinquième nerf (Trijumeau); -j-> la- petite, ou racine motrice; à
droite, elle est placée sur le ganglion de Casser; 1,2, 3, les trois divisions du Trijumeau;
VI, Oculo-moteur externe ; VII a, Facial ; VII b, Auditif ; VIU Pneumo-gastrique, ou nerf
Vague; VIII a, Glosso-pharyngien; VIII 6, Spinal; IX, Hypoglosse; fl, flocculus du
Cervelet; pa, Pyramide antérieure; o, Olive; r, Corps Rcstiforme: d, fente médiane
antérieure de la Moelle, au-dessus de laquelle est la dccusscUion des Pyramides ;
cet, colonne antérieure, et cl, colonne latérale de la Moelle.
des deux entre en relation avec deux petits nodules ganglionnaires
(connus respectivement sous les noms de corps genouillés internes et
externes), situés à l'extrémité postérieure de la Couche Optique
(fig. 168, e, i; 156, 8) en contiguïté avec le segment antérieur adja-
CONNEXIONS DES NERFS CRANIENS. 111
cent des Tubercules Quaclrijumeaux, avec lesquels (ainsi qu'avec la
Couche Optique elle-même) un grand nombre de ces fibres, sinon
toutes, entrent en relation, avant de se continuer jusqu'à certaines
régions de la partie corticale de rilémisplière Cérébral corres-
pondant.
Bien que le sujet ne soit point sans incertitude et sans quelque
doute, les preuves semblent maintenant tout à fait en faveur de
l'opinion que la décussation, qui a lieu dans la Commissure Optique,
est aussi complète chez l'Homme qu'on la connaît chez les Ver-
tébrés inférieurs^. On reviendra de nouveau là-dessus, dans un
chapitre subséquent, au sujet de la question de savoir quelles sont les
parties de l'Écorce des Hémisphères qui sont le plus immédiatement
affectées par les Impressions Visuelles.
H semblerait donc que les Conducteurs Olfactifs ne se croisent
pas du tout, et que les conducteurs Optiques subissent une décus-
sation complète. Cependant l'entrecroisement de ces derniers
conducteurs a lieu en dehors de la substance cérébrale; de sorte
que, sous ce rapport, leur arrangement diffère de ce qui existe pour
les deux Nerfs Crâniens sensitifs suivants : le Trijumeau et l'Auditif.
La position du Trijumeau et sa connexion superficielle avec la face
latérale de la « protubérance » peuvent être vues sur lafig. 168, v. Ses
fibres sensitives, après avoir traversé le ganglion de Casser, se
réunissent pour former la grosse racine dont les fibres, comme
celles des racines postérieures des Nerfs Spinaux, croisent bientôt
vers le côté opposé, et vont faire partie du tractus sensitif, ou
tegmetUum^ du Pédoncule Cérébral opposé. (Voyez p. 117.)
Le Nerf Auditif entre dans le côté du Bulbe, immédiatement au-
dessous de la « protubérance », en relation intime avec la racine du
Nerf Facial. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la marche
subséquente, fort compliquée, de ses fibres. Une grande partie, du
moins, d'entre elles, semble entrer dans le Cervelet; et la manière
dont l'Hémisphère Cérébral opposé est mis en relation avec ses fibres
et ses noyaux d'origine demeure tout à fait obscure. Meynert dit
même ^ : « Nous pouvons regarder comme certain qu'il n'existe pas
de connexion immédiate, étendue, entre le nerf auditif et les Lobes
Cérébraux ; mais qu'une relation de ce genre, dont on peut regarder
l'existence comme une vérité phj^siologique nécessaire, ne peut être
(\Vi indirectement établie par le Cervelet. »
On ne saurait déterminer à présent jusqu'où cette opinion de
Meynert est absolument correcte. Nous savons, toutefois, d'après les
1. Voy. Ferrier, Functions of Brain, p. 70 et 166.
2. Stricker : Histology, vol. II, p. 500.
112 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
FiG. 169. — Nerf Pneumogastrique Gauche, avec les Portions Cervicale et Thoracique du
Grand Sympathique. (Jamin, d'après Hirschfeld).
1, 1, Pneumo-gastrique; 2, anastomoses du Pneumo-gastrique avec l'Hypoglosse; 3, ses
anastomoses avec une branche du Spinal; 4, branche Pharyngienne; 5, nerf Laryngé
supérieur; 6, Laryngé externe; 7, plexus Laryngien ; 8, nerf Cardiaque supérieur;
9, Cardiaque moyen; 10, 10, nerf Laryngé récurrent; 11, ganglion Pulmonaire;
12, ses anastomoses avec le grand Sympathique; 13, plexus Pulmonaire postérieur;
14, plexus Œsophagien; 15, anastomoses des Pneumo-gastriques droit et gaucho;
CONNEXIONS DU SYSTÈME NERVEUX VISCÉRAL. 113
preuves dont on parlera plus loin au sujet de l'Hémianesthésie (p. 123) ,
qu'il y a réellement dccussation des conducteurs auditifs; et que ces
conducteurs s'incorporent finalement avec d'autres fibres des Pédon-
cules Cérébraux, comprises dans le tiers postérieur de ce que l'on
désigne sous le nom de capsule interne.
Il ne faut point oublier, en outre, que d'après Cyon (voyez vol. I",
p. 169), ce qui est nommé par lui Nerf de l'Espace (Raumnerv) est
aussi lié au nerf Auditif, et fait partie du tronc communément
connu sous ce nom. Si cette opinion est correcte, il resterait à
déterminer et à différencier le trajet interne des portions appar-
tenant à chacun de ces nerfs. Il se peut que ce soient les fibres du
nerf de l'Espace qui entrent plus spécialement en relations immé-
diates avec le Cervelet. (Voyez p. 137.)
On parlera, dans la section suivante, des deux autres nerfs sen-
sitifs du Bulbe, le Glosso-pharyngien et le Pneumo-gastrique.La situa-
tion des nerfs « moteurs » se verra en examinant la figure 168; bien
qu'il n'y ait pas besoin de s'y arrêter davantage ici.
8. — CONNEXIONS DU SYSTEME NERVEUX VISCERAL
AVEC LE CERVEAU.
Les relations des Nerfs Systémiques avec le Cerveau ne diffèrent
point essentiellement, chez l'Homme, de ce qui existe chez la grande
majorité des autres Vertébrés supérieurs. Chez tous, le Système
Nerveux Viscéral est divisible en deux parties, dont les connexions
avec le Cerveau sont en partie directes^ en partie indirectes.
1° Nerfs Systémiques Cérébraux. — Le segment le plus inférieur de
l'Encéphale — le Bulbe — est mis en relation immédiate avec le
plus grand nombre des viscères du corps par le Glosso-pharyngien
et le Pneumo-gastrique, comme nerfs « afférents ». Ils le relient avec
toute l'étendue du canal alimentaire au-dessous de la cavité buc-
cale, avec les organes respiratoires, avec le cœur et quelques-uns
des grands vaisseaux; avec le foie, la rate, les reins, et peut-être
aussi avec les organes internes de la génération.
De la même région de l'Encéphale (le Bulbe) partent aussi des
fibres « efférentes » qui se rendent à quelques-uns des viscères ci-
16, branclies de l'extrémité Cardiaque de l'Estomac; 17, branches de ia petite cour-
bure; 18, branches de la face antérieure; 19, branches Hépatiques ; 20, Giosso-pharyn-
gien; 21, Spinal; 23, sa branche interne s'anastomosant avec le Pneumogastrique; 23, sa
branche externe se rendant au Trapèze, et s'anastomosant avec (24) le quatrième nerf
Cervical; 25, ganglion Cervical supérieur; 26, ganglion Cervical moyen; 27, ganglion
Cervical inférieur, uni au premier Dorsal; 28, 29, 32 ganglions Dorsaux; 30, grand
nerf Splanchnique ; 31, origine du nerf Phrénique.
Dans cette figure le Cœur a été enlevé, le Poumon gauche tiré en avant, et sa racine en
partie disséquée ; le Foie a été écarté de l'Estomac.
Charlton-Bastian. — II. 8
114 STRUCTURE INTERNE DU CERVEAU HUMAIN.
dessus mentionnés. Ces fibres efférentes ou motrices ne sont point
réunies en troncs séparés ; elles sont principalement renfermées dans
le Glosso-pharyngien et le Spinal accessoire, dont elles sont parties
constituantes.Lesviscères qui ne reçoivent pas défibres « efférentes »
de cette source en reçoivent de la Moelle et de l'appareil nerveux,
que nous allons mentionner à présent.
2° Le Grand Sympathique est un système compliqué et étendu des
nerfs, et se compose des parties suivantes : — [a) un cordon ganglion-
naire, situé de chaque côté de la colonne vertébrale, et relié avec les
5e, 6% 7'', 8^ et 9^ paires de Nerfs Crâniens, et aussi avec les branches
antérieures des divers Nerfs Spinaux, tout le long de la Moelle. Ces
dernières communications sont principalement établies, de chaque
côté, par des paires de filaments (dont les fibres sont en partie
« afférentes » et en partie « efférentes ») qui passent des divers nerfs
spinaux antérieurs aux ganglions correspondants du Sympathique,
situés un peu en avant des nerfs spinaux (fig. 170). On trouve, en
outre, d'autres Ganglions, à la jonction de quelques-uns des Nerfs
Crâniens sus-mentionnés avec les cordons latéraux du Sympathique.
ib) Du cordon ganglionnaire, de chaque côté, partent de nom-
breuses branches internes, qui s'unissent entre elles, avec celles du
côté opposé et avec des filaments des Nerfs Vagues, de manière à
former, soit de grands Plexus^ soit des Ganglions, soit à la fois des
plexus et des ganglions, d'où partent, et où reviennent, des branches
en connexion avec les différents Viscères. On trouve souvent des gan-
glions plus petits sur le trajet de ces dernières branches.
Les principaux Plexus systémiques sont situés vers le cœur et la
racine des organes respiratoires, dans le voisinage de l'estomac
(plexus solaire), et dans le voisinage de la vessie et des organes géni-
taux internes.
Les nerfs en connexion avec les Plexus qui donnent ou reçoivent
des branches viscérales, se distribuent principalement en suivant le
trajet des vaisseaux sanguins. Quelques-unes des fibres de ce sys-
tème se distribuent spécialement aux parois des Vaisseaux, et sont,
d'après la nature de leurs fonctions, appelées nerfs vaso-7noteurs .Une
partie d'entre eux doit avoir des fonctions « afférentes », tandis que
d'autres transmettent des impulsions « efférentes », déterminant la
contraction des vaisseaux : de sorte qu'au moyen de ces nerfs, la
quantité de sang qui passe dans les diverses régions du système
vasculaire peut être aisément réglée. Les nerfs « vaso-moteurs » sont
en connexion avec de petits ganglions distribués sur les vaisseaux.
Des excitations motrices émanent de ceux-ci, bien que l'ensemble
du système « Vaso-moteur » du corps tout entier semble soumis à l'in-
fluence d'un « centre régulateur », situé dans le Bulbe, et d'autres
centres subordonnés, situés dans la Moelle.
SYSTÈME NERVEUX SYMPATHIQUE.
H&
Bien que le Système Sympathique renferme probablement ses
propres nerfs afférents et efifcrents intrinsèques, il semble aussi,
envoyer (par les rameaux de communi-
cation sus-mentionnés) des nerfs affé-
rents à la substance grise de la Moelle,
et en recevoir certaines fibres effcren-
tes, motrices et autres. Ce Système ner-
veux grand Sympathique est, dans une
certaine mesure, un système développé
d'une manière indépendante ; bien qu'il
ait aussi, avec la Moelle, des relations
présentant des ressemblances fort inti-
mes avec ce qui existe entre les deux
nerfs syslëmiques cérébraux et le Bulbe.
Les arrangements qu'on vient de
décrire non seulement facilitent l'ac-
tivité coordonnée des Viscères en rela-
tion, mais assurent l'activité simultanée
des Centres Nerveux Viscéraux et Céré-
bro-spinaux, lorsque cette activité asso-
ciée est requise, — comme dans les
processus respiratoires, l'ovulation et
la parturition, ou l'expulsion des excré-
tions. En outre, à raison de la con-
nexion directe ou indirecte existant
entre les Viscères et le Cerveau, les
états organiques des divers organes
sont capables d'affecter le caractère ou
état mental de l'individu, soit incon-
sciemment, soit d'une manière con-
sciente. Des états viscéraux peuvent,
indépendamment de leur réalisation
consciente, pousser à des Actes automatiques ou Instinctifs, ou.
peuvent s'imprimer sur la Vie Consciente de l'individu, et conduire
plus ou moins indirectement à une série d'Actions Volontaires.
FiG. no. — Un des Ganglions Sym-
pathiques du Cordon Latéral droit
du Lapin (Owen, d'après Kôlliker),
T r. Cordon Latéral du Sympa-
thique ; Rc, R c, deux branches
communiquantes; Spl, nerf Splan-
chnique ou Viscéral ; s, petit nerf;
G, cellules ganglionnaires et fibres.
(X environ 40 diam.).
CHAPITRE XXIV
RELATIONS FONCTIONNELLES DES PRINCIPALES PARTIES
DE l'encéphale
Nous passons maintenant de l'examen des détails de structure à
la question de leur signification ; et nous tâcherons que le lecteur
puisse acquérir quelques notions — si faibles qu'elles puissent être
— de la manière dont agit le Cerveau dans l'accomplissement de ses
fonctions les plus simples.
Nous devrons nous guider dans cette tentative sur trois séries de
faits et de déductions : (1) ce qui nous vient de l'étude Anatomique
du Système Nerveux de l'Homme et des animaux inférieurs ; (2) ce
qui vient d'Expériences sur les animaux inférieurs, où les Nerfs, ou
d'autres portions du Système Nerveux, ont été excités ou détruits ;
(3) enfin sur ce que rapportent les médecins qui ont voué une
attention spéciale aux symptômes provenant des Maladies ou des
Lésions qui irritent ou détruisent diverses portions du Cerveau de
l'Homme.
Dans chacune de ces directions, nos connaissances ont fait, pen-
dant ces dernières années, un pas très appréciable, et continuent à
progresser.
Dans ce chapitre préliminaire sur le mode d'action du Cerveau,
l'attention du lecteur sera appelée sur ce que l'on connaît touchant
trois séries de relations structurales d'importance fondamentale.
4. — RELATION CROISÉE EXISTANT ENTRE
LES HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX ET LES MOITIÉS LATÉRALES
DU CORPS.
Les corps de la grande majorité des Invertébrés, aussi bien que
des Animaux Vertébrés, présentent la symétrie bilatérale, — du moins
pour ce qui regarde tous les organes extérieurs et toutes les parties
du Système Nerveux. De sorte que, si l'on divisait un de ces animaux
par un plan vertical, médian et longitudinal, chacune des moitiés
RELATIOIN CROISÉE DU CERVEAU ET DU COiiPS. H7
du corps se trouverait semblable à l'autre sous tous les rapport-,
extérieurement du moins, et renfermerait aussi la moitié d'un Système
Nerveux semblable à ce qui existerait dans son homologue.
Toutefois, d'après ce que nous savons aujourd'hui, le double
Système Nerveux des Invertébrés est, avec leur double corps, dans
une relation absolument différente de celle qui existe entre les
mêmes parties chez les Vertébrés. Chez les premiers, la moitié du
Cerveau contenue dans chaque moitié du corps est en connexion
immédiate avec les organes des sens et les surfaces sensibles, aussi
bien qu'avec les nerfs moteurs et les muscles du même côté du corps.
Chez les Vertébrés, au contraire, il n'en est point ainsi. Il existe, à
un certain degré chez les membres inférieurs de la série, et à un
degré plus parfait chez les formes supérieures (y compris les Qua-
drumanes et l'Homme), une relation croisée entre le Cerveau et le
corps ; de manière que chaque moitié du Cerveau est reliée aux
organes des sens et aux surfaces sensibles, ainsi qu'aux muscles de
l'autre moitié du corps. La première relation est établie parles con-
ducteurs sensilifs qui se croisent à la base du Cerveau et le long de la
Moelle; et la seconde est due au fait que les conducteurs nerveux
pour les stimuli centrifuges, ou moteurs^ passent, de chacune des
moitiés du Cerveau, au côté opposé du Corps, en subissant une dé-
cussation dans le Bulbe.
On n'a encore hasardé qu'un fort petit nombre d'explications sur
ie mode d'origine de cette relation croisée entre le Cerveau et le
corps. Le sujet est généralement passé sous silence; et, quoique
notre connaissance des relations anatomiques exactes qui existent
chez les animaux inférieurs ne soit point encore assez parfaite pour
nous donner une réponse tout à fait satisfaisante, on peut présenter
ici quelques suggestions qui, si elles ne démontrent rien de plus,
serviront peut-être à attirer davantage l'attention sur cette question
fort intéressante, et indiqueront en même temps les directions où
l'on a besoin d'informations plus précises*
La nature essentielle du problème apparaîtra fort distinctement,
si le lecteur essaye de se figurer chez les Vertébrés l'existence d'un
Système Nerveux semblable, sous tous les rapports, à ce qu'il est en
réalité, sauf que les conducteurs sensitifs et moteurs ne s'entre-
croiseraient pas. Avec les deux moitiés du Cerveau et de la Moelle
aussi librement réunies par des commissures transversales qu'elles le
sont en réalité, une relation directe de ce genre semblerait l'arrange-
ment le plus naturel; il n'est donc point du tout expliqué pourquoi le
même plan n'existe et ne fonctionne pas aussi bien chez les Vertébrés
que chez les Invertébrés. La question à laquelle il faut répondre est
donc : Quelles conditions se sont présentées chez les Vertébrés
pour commencer, et finalement parfaire, cette relation croisée entre
118 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCEPHALE.
le Cerveau et le corps, telle que nous la trouvons chez l'Homme et
les Mammifères supérieurs en général?
Les considérations suivantes paraissent à l'auteur jeter quelque
lumière sur ce sujet.
1. Les mouvements ont lieu en réiDonse à des impressions sensitives de
diverses natures ; et (jDOur notre objet présent) on peut les diviser en deux
classes : — (a) ceux dans lesquels les muscles en relation des deux côtés du
•corps sont mis simultanément en activité «— comme les muscles du tronc,
servant à la locomotion chez les Poissons et un grand nombre de Reptiles sans
membres ; et (6) ceux dans lesquels les muscles d'un côté, et spécialement d'un
membre, sont seuls mis en activité, — soit par un réflexe ordinaire, soit d'une
îiianière volitionnelle.
2. Le plus grand nombre des mouvements des Poissons et des Reptiles
Ophidiens appartiendrait à la première catégorie; et, comme Broadbenti l'a
signalé le premier chez l'Homme, nous avons la preuve que des mouvements
de cet ordre peuvent être aussi bien évoqués par un stimulus passant d'un côté
ou de l'autre du Cerveau à l'une des moitiés de leurs Centres Spinaux, doubles
mais intimement combinés. Cela étant, ce serait peut-être une affaire relative-
ment peu importante pour ces animaux, que quelques-uns de leurs organes
sensoriels principaux, comme les yeux par exemple, fussent en relation structu-
rale, par leurs nerfs optiques, avec la moitié du cerveau située du même côté,
ou avec celle du côté opposé.
3. Les Poissons sont les premiers animaux chez lesquels nous trouvions un
arrangement croisé de certains conducteurs sensitifs importants. Leurs Nerfs
Optiques subissent une décussationtrès complète 2. Nous ne savons pas toutefois,
d'une manière certaine, si quelqu'un de leurs autres conducteurs sensoriels est
semblablement disposé; il n'y a non plus aucune preuve que les fibres consti-
tuant leurs conducteurs moteurs subissent une décussation.
4. Ainsi donc, chez les Poissons, nous avons afTaire à ce qui peut être et
n'est probablement qu'un simple commencement partiel de la relation croisée
-entre le Cerveau et le corps; et l'on peut concevoir qu'une relation de ce genre
puisse avoir été déterminée, ou du moins favorisée, chez quelqu'un des Poissons
primitifs, par deux ou trois particularités physiques de ces êtres. L'élongation
<ie la tête d'un Poisson — conformation sans doute en relation intime avec la
vie de l'animal et ses mouvements dans un milieu aquatique — ainsi que la
position latérale des yeux, peuvent avoir été pour quelque chose dans la pro-
duction d'une décussation des bandelettes optiques, à l'époque de leur bour-
geonnement, chez quelques formes primitives des Poissons 3.
1. Brit. and For. Med. Chir. Review. 1866.
2. Bien que, d'après Siebold, il y ait exception à cette règle chez le Bdel-
(ostoma, appartenant à la classe des Myxinoîdes, la plus inférieure des
Poissons.
3. Marshall (Outlines of Physiology, vol. F"", p. 602) s'efforce d'expliquer
cette décussation primaire, en supposant qu'elle dépend de la réversion latérale
des images optiques, occasionnée par la forme concave de la rétine chez les
Poissons. Mais ses raisons ne semblent pas satisfaisantes; car, avec une rétine
CAUSES DE LA RELATION CROISEE. 119
5. Mais lorsque des membres distincts apparaissent chez les Reptiles supé-
rieurs, et lorsque, chez les Oiseaux et les Mammifères, les mouvements de
membres plus ou moins semblables deviennent de plus en plus volitionnels et
indépendants les uns des autres, on pouvait s'attendre à ce que deux résultats
additionnels suivissent la décussation primaire des Nerfs Optiques (de quelque
manière que celle-ci ait été déterminée) : — (a), ceux des conducteurs « sensitifs «
dont les impressions sont les plus importantes pour l'instigation des mouve-
ments des membres, tendraient aussi à se croiser; car il serait fort essentiel
que des Impressions Tactiles et Auditives, plus ou moins unilatérales, soient
mises en relation dans les centres avec des Impressions Visuelles venant du
même côté du corps ; (b) coïncidant avec l'établissement d'une décussation des
conducteurs sensitifs, — et spécialement de ceux du Sens Tactile et de la sensi-
bilité commune, — chez des animaux habitués à accomplir des mouvements
volontaires unilatéraux, nous pourrions nous attendre à trouver une tendance
à l'établissement d'une relation croisée correspondante entre les conducteurs
moteurs du Système Cérébro-Spinal. Ainsi la moitié du Cerveau qui a d'abord
recules impressions sensorielles instigatrices, serait mise à même d'envoj^er les
excitations motrices, — soit pour les mouvements réflexes, soit pour les mouve-
ments volitionnels des membres d'un seul côte du corps. Et, s'il ne doit pas y
avoir de décussation séparée pour les conducteurs des incitations motrices
réflexes etdesvolitionnelles,les croisements des conducteurs moteurs, tels que
nous les trouvons dans le Bulbe de l'Homme et de beaucoup d'autres vertébrés
(décussation des PjTamides), sembleraient être le seul arrangement naturel.
6. Cet arrangement croisé, plus complet, semble n'être aussi parfait que
chez les Mammifères supérieurs et l'Homme.
7. Un arrangement croisé des conducteurs sensoriels semblerait moins
essentiel, dans le cas du Goût et de l'Odorat, que pour aucune des auti-es sortes
d'impressions centripètes : d'abord, parce que les organes de ces sens sont situés,
plus qu'aucun des autres, sur la ligne médiane du corps; et en second lieu
parce que les impressions du Goût et de l'Odorat provoquent peut-être moins
immédiatement que celles des autres sens des mouvements unilatéraux des
membres. Les nerfs du Goût étant toutefois liés, à deux nerfs de sensibilité
commune (le Trijumeau et le Glosso-pharyngien) ou en faisant partie, suivent
pour ainsi dire les troncs nerveux auxquels ils appartiennent, et se croisent avec
eux. Mais, pour les conducteurs Olfactifs, c'est là un fait remarquable, ils sont
les seuls où l'on n'ait pas constaté de décussation, ni chez les animaux infé-
de même forme, il n'existe pas de relation croisée chez les Seiches ; et parce
que rien ne prouve que les conducteurs « moteurs » subissent une décussation
analogue (ce que suppose son hypothèse) chez les vertébrés inférieurs privés de
membres, où commence la décussation des bandelettes optiques ; enfin, parce
que l'expérience de ceux qui travaillent au microscope tend à montrer la faci-
lité avec laquelle les mouvements des mains s'habituent à un renversement
de l'image optique — comprenant même un renversement des parties supé-
rieures et inférieures, aussi bien que des parties latérales. Cette dernière
raison aide à montrer qu'il n'était pas besoin, comme semble le supposer
Marshall, de changements anatomiques importants pour obvier à un simple
renversement des images optiques.
120 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
rieurs ni chez l'Homme. Les Centres Olfactifs des deux Hémisphères sont
toutefois très largement réunis au moyen de fibres commissurales, — princi-
palement réunies dans la commissure antérieure, dont elles constituent la plus
grande partie.
Voici donc, brièvement, l'opinion de l'auteur : La relation croisée entre
les moitiés du Cerveau et du corps peut avoir commencé, chez quelques Pois-
sons, d'une manière quasi-accidentelle; et, dans la première phase de son
existence, elle n'était et n'est encore représentée que par la décussation des
Bandelettes Optiques ; chez les animaux supérieurs, pourvus de membres bien
formés, les mouvements réflexes et volitionnels, de ceux d'un seul côté, sont très
souvent évoqués en i-éponse à des excitations sensitives unilatérales ; de sorte que,
chez ces animaux, il y aurait avantage marqué si d'autres conducteurs sensitifs
étaient, par décussation, mis en relation, à leur extrémité centrale, avec ceux du
Sens Visuel ; finalement, les mêmes influences, quelles qu'elles puissent être, qui
déterminent cette décussation additionnelle des conducteurs sensitifs, doivent
amener, comme conséquence également nécessaire, celle des conducteurs
moteurs destinés aux membres. L'arrangement croisé des nerfs sensitifs et
moteurs que l'on rencontre chez l'Homme et les Mammifères supérieurs, doit
donc être regardé comme une suite presque nécessaire, au point de vue de la
théorie de l'évolution, d'une décussation primaire, et peut-être presque acci-
dentelle, des Bandelettes Optiques des Poissons.
2. — RELATIONS FONCTIONNELLES
DES HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX. — DUALITÉ DU CORPS
ET UNITÉ DE l'eSPRIT.
On admet généralement aujourd'hui que les deux Hémisphères
Cérébraux contiennent les prolongements ultimes des nerfs « centri-
pètes » ou nerfs Sensitifs, et sont constitués par le groupement des
centres organiques (largement réunis entre eux par des fibres a com-
missurales ») de tous ces processus mentaux supérieurs que nous
avons vus dériver de Texercice de la Sensibilité consciente, c'est-à-
dire des processus spécialement automatiques de Perception,
Idéation, Émotion, Conception, Raisonnement, et des processus plus
volitionnels d'Attention, Souvenir, Imagination et Induction. Les
Hémisphères Cérébraux contiennent toutefois , outre les Centres
Sensitifs et ceux des processus dérivés sus-indiqués, des multitudes
de fibres et quelques Centres servant à conduire et à grouper conve-
nablement les courants « centrifuges ».
Parmi les diverses commissures transversales déjà décrites, une,
plus importante que les autres, mérite maintenant un moment d'at-
tention. C'est la grande commissure transversale, ou Corps Calleux^
qui, se montrant d'abord chez les Mammifères inférieurs, s'accroît de
volume chez les membres supérieurs de la série, et atteint chez
l'Homme son maximum de développement. Comme on l'a établi dans
le dernier chapitre, les fibres du Corps Calleux traversent d'un
RELATIONS DES HÉMISPHÈRES ENTRE EUX. 121
Hémisphère à l'autre, de manière à mettre en relation des aires
correspondantes de la Substance Grise des circonvolutions. Elles ne
réunissent pas également toutes les circonvolutions, mais spécia-
lement celles qui sont aussi en relation avec les gros ganglions basi-
laires (Broadbent). La Commissure Anlérieurej, bien que partie mor-
phologiquement distincte, semble avoir une fonction essentiellement
parallèle, puisque ses fibres servent aussi à relier des circonvolutions
similaires des deux côtés et quelques-unes de celles qui sont situées
dans les Lobes Temporaux. Une fonction semblable doit aussi être
assignée aux fibres psaltériales^ qui constituent en partie la portion
postérieure, recourbée, du Corps Calleux lui-même (p. 89, note 2).
Ces fibres « commissurales » transversales sont d'un grand intérêt :
car il y a des raisons de croire qu'elles sont, à un degré considé-
rable, en relation avec cette unification de la Conscience qui existe
indiscutablement (comme chacun peut l'affirmer), en dépit du fait
que les organes de l'Activité Sensorielle sont partout doubles. Ces
Commissures sont aussi, suivant toutes probabilités, fort essentielles
à l'exercice des processus mentaux supérieurs. Dans des cas rap-
portés par le docteur Langdon-Down et autres, le non-développe-
ment de cette partie du Cerveau, chez THomme, a été associé à une
Idiotie plus ou moins marquée ; mais toutefois, l'arrêt de dévelop-
pement n'avait point, dans la plupart des cas, été strictement
limité au Corps Calleux. La Commissure Moyenne, le Trigone,
ou quelques régions des circonvolutions, étaient souvent défec-
tueux en même temps. Dans quelques-uns des cas rapportés, où
le Corps Calleux ne faisait que partiellement défaut, il y avait moins
de dégradation des Facultés Intellectuelles que l'on n'aurait pu s'y
attendre. Dans certains de ces derniers cas, toutefois, les personnes
sont mortes si jeunes, ou les conditions morbides ont été si compli-
quées, que les observations ont relativement peu de valeur, pour
établir la question de l'importance réelle du Corps Calleux pour
l'exercice des processus mentaux ^.
D'après les données anatomiques fournies par Broadbent 2, ce sont
les Régions Sensorielles des deux Hémisphères (ou les Sensorielles
et ce que quelques-uns regardent comme les Volitionnelles) qui sont
mises en relations au moyen du Corps Calleux. Mais, même si cet
arrangement supposé était le seul existant en réalité, cela n'indi-
querait nullement que les sièges organiques des processus dérivatifs
plus complexes ne sont point aussi médiatemenl mis en rapport
les uns avec les autres. Ainsi, les Régions Émotionnelles, Intellec-
1. Voj^ : Knox, in Glasgow Médical Journal, avril 1875, où il y a quinze
cas rapportés.
2. Voy. p. 83.
122 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
tuelles et Volitionnelles plus spécialisées de chaque Hémisphère,
où qu'elles puissent être et de quelque manière qu'elles soient reliées
entre elles, sont nécessairement, au moyen des fibres du système
d'association, mises en communion intime avec les Régions Senso-
rielles de diverse nature qui leur correspondent. C'est donc de
cette manière indirecte que les régions fonctionnellement les plus
élevées des deux Hémisphères peuvent être mises en relation les
unes avec les autres, au moyen des fibres du Corps Calleux. Il y a
manifestement unité dans notre Conscience Émotionnelle, Intellec-
tuelle et Volitionnelle, — aussi bien que dans notre Conscience Sen-
sorielle, — c'est-à-dire dans les processus mentaux» dérivés », aussi
bien que dans les « primaires ».
Il ne saurait guère y avoir de doute que ce soient cette Activité
Sensorielle et l'action des portions du Cerveau qui y sont directement
intéressées, qui fournissent la base primaire, ou essentielle, de la
Conscience. Nous sommes le plus complètement conscients lorsque
nous recevons le plus d'impressions extérieures; et nous tombons
dans un état d'inconscience complète ou partielle, lorsque l'arrivée
de ces impressions est pour un temps empêchée, ou lorsque nous
sommes absorbés profondément dans quelque série de pensées
(Conscience Idéale ou Réflective), — c'est-à-dire lorsque l'activité
d'autres portions des Hémisphères Cérébraux diminue de quelque
manière, ou éclipse celle des régions sensorielles proprement dites.
Un admirable exemple de la première vérité a été récemment donné
par le docteur Striimpell^; il est tellement instructif qu'il mérite
d'être cité tout au long :
« Pendant l'automne de l'an derniei% on reçut à la clinique médicale de
Leipzig un jeune homme âgé de seize ans, chez lequel divers phénomènes
d'anesthésie s'étaient graduellement développés, à un degré que l'on a observé
bien rarement. La peau de la surface entière du corps était complètement
insensible, et cela à toute sorte de sensation. Le courant électrique le plus
puissant ou une bougie allumée, tenue contre la peau, n'étaient capables de pro-
duire aucune douleur ni même aucune sensation de toucher. Presque toutes
les surfaces muqueuses accessibles montraient la même insensibilité à la
■douleur. Toutes les sensations que l'on réunit sous le nom de sens musculaire
faisaient absolument défaut. Lorsque ses yeux étaient fermés, on pouvait
porter le patient tout autour de la chambre, placer ses membres dans les
positions les moins commodes, sans qu'il en eût en rien conscience. Même le
sentiment de fatigue musculaire n'existait plus. Il survint en outre une perte
absolue du goût et de l'odorat, une amaurose de l'œil gauche et de la surdité
de l'oreille droite.
Bref, cet individu ne communiquait plus avec le monde extérieur que par
deux portes sensorielles : l'œil droit et l'oreille gauche. En outre, comme ces
1. Pfluger's Arcliiv., vol. XV, p. 573; traduit dans Nature, 13 déc. 1877.
COMMENT NAIT LA CONSCIENCE. 123
deux portes pouvaient, à n'importe quel moment, être aisément fermées, il était
possible de rechercher les conséquences d'un isolement complet du cerveau de
toute stimulation extérieure provenant des sens. J'ai fréquemment répété l'expé-
rience suivante, et je l'ai montrée à d'auti'es personnes : Si l'on bandait l'œil
demeuré bon, et si l'on bouchait en même temps l'oreille du patient, après
quelques minutes (ordinairement deux ou trois), l'expression de surprise et les
mouvements pénibles, qui s'étaient montrés d'abord, cessaient complètement;
la respiration devenait calme et régulière; le malade était, en réalité, profon-
dément endormi. On réalisait donc ici la possibilité d'amener artificiellement
le sommeil, à n'importe quel moment, en empêchant toute excitation du
cerveau par les sens.
Le réveil du patient n'était pas moins intéressant. On pouvait l'éveiller par
une excitation auditive, en appelant dans son oreille, ou par une stimulation
visuelle, en faisant tomber de la lumière sur son œil ; mais il était impossible
de l'éveiller en le poussant ou le secouant. Si on l'abandonnait à lui-môme, il
finissait par se réveiller tout seul, dans le courant de la journée, après que le
sommeil avait duré plusieurs heures ; le réveil était dû peut-être à des stimuli
intrinsèques partis du cerveau, ou peut-être à de légers stimuli extérieurs,
inévitables, agissant par les deux sens encore en action, et se faisant sentir à
cause de l'accroissement de sensibilité qu'avait acquis le cerveau durant le
repos du sommeil. »
Rien ne pourrait montrer plus distinctement qu'un pareil cas,
l'importance de Tactivité des Régions Sensorielles des Hémisphères
dans la production de ce que nous connaissons sous le nom de
Conscience. Il semble clair, en effet, que si la Conscience n'est point,
de quelque manière, un apanage immédiat de l'activité de ces régions
mêmes des Hémisphères, celle-ci est, en tout cas, un avant-coureur
essentiel de celle de quelques autres régions, dont l'activité est
immédiatement associée à la Conscience.
D'autre part, il est également évident que les impressions sen-
sorielles stimulantes sont doubles, arrivant à chaque Hémisphère
du Cerveau des moitiés opposées du corps ; et que leurs accompa-
gnements subjectifs sont confondus en une seule Conscience, de
telle ou telle nature. La preuve finale de cette proposition se trouve
dans les effets de blessures de certaines parties du Cerveau, d'un
seul côté seulement, chez quelques-uns des animaux inférieurs; et
dans les effets des maladies unilatérales de régions correspondantes
du Cerveau de l'Homme. Ainsi, là où nous avons affaire à une bles-
sure ou à une maladie du tiers postérieur de la capsule interne, —
c'est-à-dire de cette partie de l'expansion du Pédoncule Cérébral qui
est située entre la partie postérieure du Corps Strié et la Couche
Optique, — nous observons une perte complète de la sensibilité de la
moitié opposée du corps (Hémianesthésie). Aucune sensation tactile
n'est éprouvée, et les autres voies sensorielles de ce côté sont éga-
lement closes; ce côté de la bouche et de la langue sont insensibles
124 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
aux saveurs, l'oreille est sourde, l'œil aveugle, et la narine corres-
pondante également insensible à toutes sortes d'odeurs^.
IMais, dans l'Hémianesthésie, bien que les avenues sensorielles
soient fermées d'un côté, la Conscience générale de l'individu ne
semble point affectée, et son Activité Mentale peut être à peine
atteinte. Cette condition mentale, relativement inaltérée malgré
l'absence de stimulation sensorielle directe d'un Hémisphère, n'est
probablement possible que grâce à Tactivité du Corps Calleux, —
puisqu'au moyen de ses fibres les excitations qui parviennent à un
côté du Cerveau peuvent se propager à l'autre. Les deux Hémisphères
peuvent ainsi être mis en relation avec les divers stimuli sensoriels
qui émanent d'un seul côté du corps ; et, de cette manière, il est
possible à la Conscience générale de l'individu de demeurer intacte,
même en l'absence de stimuli sensoriels d'une moitié du corps.
Il est de la plus haute importance de se rappeler que les résultats
ci-dessus décrits suivent des lésions du tiers postérieur du Pédon-
cule Cérébral, immédiatement avant que ses fibres entrent en rela-
tion avec la Couche Optique. Les effets sont fort différents lorsque
des lésions existent au-dessus ou en dehors des gros ganglions basi-
laires (voyez p. 128), même lorsque ces lésions comprennent une
destruction fort étendue de l'un des Hémisphères,
Ce n'est toutefois que dans la sphère des trois sens supérieurs
que les accompagnements subjectifs d'impressions provenant des
deux côtés du corps se mêlent de manière à produire des Perceptions
1. L'explication de la perte du sens de l'Odorat dans la narine correspon-
dante présente quelques difficultés. Elle semble, à première vue, être en con-
tradiction complète avec les faits anatomiques, puisque les relations des organes
de l'odorat avec les hémisphères sont exceptionnelles, comme on l'a déjà signalé
(page 109). Elles sont certainement directes plutôt que croisées; et cela ten-
drait à contredire les connaissances anatomiques actuelles si des fibres des
Ganglions Olfactifs, se rendant à leurs « centres de perception », se trouvaient
quelque part dans le voisinage de la partie postérieure de la « couronne rayon-
nante ». Mais une explication très plausible de la perte du sens de l'Odorat dans
ces cas d'Hémianesthésie se trouve, comme l'a signalé Ferrier (Functions of
the Brain, p. 191) dans les expériences bien connues de Magendie sur les fonc-
tions de la cinquième paire. Il s'est assuré que l'Odorat était perdu, lorsque la
sensibilité de la narine était abolie — par exemple, après la section du triju-
meau : non point que le trijumeau soit à proprement parler le nerf de l'Odorat,
mais parce que « son intégrité est nécessaire à l'activité fonctionnelle normale
du nerf olfactif. » Si la perte unilatérale de l'Odorat, dans ces cas d'Hémi-
anesthésie, n'est réellement due qu'à la perte de la sensibilité générale dans la
narine correspondante, cette môme perte de l'Odorat doit se présenter chez
l'Homme, lorsqu'il existe des lésions de la Protubérance entraînant la perte de
la sensibilité générale de tout un côté du corps ; l'expérience de l'auteur l'a
conduit à croire qu'il en est ainsi
HÉMIANESTHÉSIE.
125
simples. Un objet odorant est perçu simple; un corps que l'on voit
est reconnu simple; et de même un son, bien que stimulant à la fois
les deux organes auditifs, est reconnu unique. Et, bien que nous
puissions localiser les impressions gustatives de l'un ou l'autre côté
de la bouche, lorsque notre attention est dirigée là-dessus, nous ne
sommes point accoutumés à agir ainsi ; et il serait peu utile de faire
des distinctions de cette sorte. Le cas est toutefois absolument dif-
férent pour le sens du Toucher ou la sensibilité commune. Au moyen
de l'Odorat, de la Vue et de l'Ouïe, nous sommes mis en relation
FiG. 171. — Coupe transversale du Cerveau d'un Chien, au niveau du milieu des Couches
Optiques, montrant la portion de la capsule interne dont la section produit l'Hémi-
anesthésie (Charcot, d'après Duret). o, o, Couches Optiques réunies par la Commis-
sure Moyenne, ou Molle ; P, P, tiers postérieur du Pédoncule Cérébral (capsule interne).
Du côté droit, ces fibres sont représentées coupées, en x; S, noyau intra-ventricu-
laire, et L, noyau estra-ventriculaire du Corps Strié.
avec des phénomènes éloignés; mais, dans l'exercice du Toucher et
du Goût, il y a contact réel avec différentes portions de la surface
de notre corps; il doit donc y avoir, comme il y a en réalité, sur-
tout dans le premier cas, une faculté absolument indépendante
d'apprécier les impressions qui proviennent de chaque côté de notre
corps, et de les localiser fort exactement.
Cette unité de résultat, accompagnant l'action d'une grande
partie des Régions Sensorielles des deux Hémisphères, aussi bien que
de celles qui servent à l'Activité Émotionnelle et Intellectuelle, est
fort remarquable et difficile à comprendre; surtout si nous avons
présent à l'esprit ce fait, qu'il n'y a pas une symétrie parfaite, même
à l'œil nu, dans la conformation de beaucoup de Circonvolutions
homologues des deux côtés (pour ne rien dire de leur structure
microscopique); que leur alimentation vasculaire est indépen-
dante, et sujette, par suite, à des variations qui peuvent n'affecter
qu'un seul côté; et qu'une inégalité dans le pouvoir de travail des
126 RELATIONS DES PARTIES DK L'ENCÉPHALE.
deux Hémisphères pourrait aisément aussi être amenée par quelques
différences inliérentes, ou acquises, dans l'activité moléculaire (ou
fonctionnelle) des éléments nerveux correspondants des deux côtés
du Cerveau.
Malgré la difficulté que nous éprouvons à comprendre comment
un double mécanisme de cette nature peut fonctionner comme il le
fait, de manière à amener une Conscience simple, ou à nous per-
mettre de poursuivre les processus d'une personnalité Pensante et
Voulante unique, les faits de notre propre Conscience peuvent
assurer à chacun de nous qu'il en est ainsi.
Cependant, bien que la règle puisse être que les deux Hémi-
sphères soient mis en activité simultanée et harmonique dans la
Perception, PÉmotion, la Pensée et la Volition, il ne manque point
absolument de preuves pour montrer qu'ils sont capables de tra-
vailler d'une manière plus ou moins indépendante, — soit [a) lorsque
les deux Hémisphères existent, et que l'on suppose un manque d'har-
monie avec double Conscience comme résultat; soit (6) dans les cas,
plus positifs et plus définis, dans lesquels on n'a remarqué aucun
affaiblissement des Sens ou de l'Intellect, bien que la plus grande
portion de l'un des Hémisphères Cérébraux puisse avoir été détruite.
On peut dire quelques mots sur chacun de ces sujets.
[a) La preuve en faveur de la possibilité d'une activité séparée et
dissemblable, bien que simultanée, des deux Hémisphères du Cer-
veau est d'une nature très douteuse, bien que des faits assez connus
des médecins semblent confirmer cette notion.
Par exemple, Sir Henry Hollard^ souleva, en 1840, la question de savoir
« Si quelques aberrations d'esprit, comprises sous le nom d'insanité, ne
sont point dues à l'action déréglée de ce double organe (les deux hémi-
sphères) qui conserve, à l'état de santé, une parfaite unité d'action? » Il
ajoute : « Le sujet est fort obscur et toute preuve difficile; mais je crois plus
probable qu'une inégalité de cette sorte puisse être cause de quelques-
unes des nombreuses formes de dérangement d'esprit... C'est une remarque
souvent faite que, dans certains états de dérangement mental, aussi bien que
dans quelques cas d'hystérie qui y confinent do fort près, il semble y avoir
comme deux esprits, dont l'un tend à corriger, par des perceptions, des senti-
ments et des volltions plus justes, les aberrations de l'autre; et que la puissance
relative des deux influences varie à des moments différents... Il est remar-
quable qu'on puisse avoir parfois, des malades eux-mêmes, une expression aussi
distincte de ce phénomène. J'ai vu récemment un cas où les traits le plus carac-
térisés étaient de fréquentes et subites explosions de colère, sur des sujets en
partie réels, en partie imaginaires, mais généralement sans raison évidente ou
suffisante au moment donné ; ces excès étaient accompagnés de cris furieux et
1. Médical Notes and Reflexions, 2" éd. 1840, p. 172.
DOUBLE CONSCIENCE. 127
d'actes de violence, le malade frappant ou brisant tout ce qui était à sa portée.
Il me décrivit lui-même le genre de conscience séparée qu'il éprouvait pendant
ces violents accès, son désir de leur résister, mais le sentiment de son impuis-
sance à le faire ; et sa satisfaction lorsqu'il les sentait se dissiper. C'était une
peinture, péniblement exagérée, de la lutte entre le bien et le mal ».
On ne pourrait rien dire de beaucoup mieux défini sur le sujet ;
et notre savoir n'a pas, depuis lors, avancé sur ce point d'une
manière sensible^. Il est assurément possible que deux états d'Esprit,
en apparence simultanés, ne coïncident jamais strictement en
temps; de sorte que, dans les cas dont on vient de parler, il peut
y avoir eu simplement une action rapidement alternante de l'en-
semble de l'organe, plutôt qu'une action indépendante et simultanée
des deux Hémisphères Cérébraux. Quelques-uns des phénomènes du
rêve présentent exactement la même difficulté, — la preuve en faveur
d'une double Conscience est même plus frappante ici, puisque la
plupart d'entre nous peuvent ajouter leur expérience personnelle
au témoignage des autres. Nous faisons plus spécialement allusion
aux cas où le rêveur semble tenir une longue conversation avec
quelque autre personne; où deux courants distincts de pensée se
développent, et où quelquefois on peut avoir des preuves que le
rêve tout entier s'est produit si rapidement que les phénomènes
sont plus faciles à expliquer, en supposant une action simultanée
et indépendante des deux Hémisphères , qu'une action alternati-
vement différente de l'ensemble du Cerveau^.
[b) Si nous examinons, d'autre part, la question de savoir quel
degré de Puissance Intellectuelle reste possible, lorsqu'un des Hémi-
sphères Cérébraux a été fort endommagé ou atrophié, il ne saurait
guère y avoir de doute que, dans la règle, les facultés psychiques
soient fort oblitérées ou paralysées. Ceci toutefois est loin d'être
toujours vrai : car on rapporte des cas où, malgré une atrophie ou
une maladie fort étendue de l'un des Hémisphères, les facultés intel-
lectuelles paraissaient être dans leur condition normale.
Il est toutefois très rare que des Facultés Mentales notables
soient conservées, lorsqu'une lésion importante de l'un des Hémi-
sphères survient un peu tard dans la vie. Il y a beaucoup plus
1. L'ouvrage du D"" Wigan sur The Duality of the Minci (1844) est une
contribution à l'étude du même sujet; mais il est diffus et fort mal arrangé.
2. La conscience de celui qui rêve peut être distinguée, sous le nom de
Conscience Idéationnelle, de la conscience ordinaire qui existe à l'état de veille.
Dans chacun de ces cas, les régions sensorielles des hémisphères sembleraient
être les points centraux, ou initiaux, dont l'activité est excitée,— dans un cas,
par des impressions sensorielles réelles, dans l'autre, par des impressions de ce
genre, ravivées.
128 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
de chance d'en rencontrer lorsque la maladie ou la lésion a débuté
ou est survenue dans la première enfance, c'est-à-dire à une
période où la croissance et le développement structural du Cer-
veau sont encore capables de subir des modifications considérables,
qui puissent adapter l'organe à une activité plus ou moins isolée
d'un seul Hémisphère, — ce qui, dans les cas supposés, esta peu près
tout ce qui est possible. Ce début précoce de la maladie a été, en
efifet, remarqué par l'auteur comme existant dans un grand nombre
des cas les plus authentiques appartenant à cette catégorie ^.
Le plus remarquable peut-être de tous les cas de cette nature est celui qui
fut observé et rapporté par Andral. Un homme, qui mourut dans sa vingt-hui-
tième année, avait fait à l'âge de trois ans une chute à la suite de laquelle il
demeura paralysé du côté gauche. L'Hémisphère droit fut trouvé si complète-
ment atrophié, qu'une grande partie de la « pie-mère » du côté droit formait un
kyste dans lequel il ne restait plus trace de matière cérébrale. Cette mem-
brane constituait la paroi supérieure d'une vaste cavité dont le plancher seul
était formé par la Couche Optique, le Corps Strié et toutes les autres parties
situées sur le même niveau que ces deux corps. Il n'existait donc pas de sub-
stance nerveuse au-dessus du niveau des gros ganglions du côté droit; — et
cependant Andral dit : « Cet individu avait reçu de l'éducation et en avait pro-
fité; il avait une bonne mémoire; sa parole était libre et facile; son intelligence
était celle du commun des hommes. »
Des cas de nature semblable ont été rapportés par Cruveilhier
et autres ; et c'est un fait remarquable qu'il y ait eu non seulement
conservation d'assez de Puissance Intellectuelle pour qu'il n'y eût, au
moins en apparence, aucune perte dans cette direction, mais pour que
les modes spéciaux de Sensibilité (comme la Vue et l'Ouïe) n'aient
été abolis d'aucun côté. Il n'y eut ni Cécité, ni Surdité unilatérale,
même alors que la plus grande partie de l'Hémisphère opposé avait
été détruite. L'auteur a déjà essayé ailleurs d'expliquer la conser-
vation des sens spéciaux dans des cas de cette nature, en étendant
l'hypothèse de hroadbent, sur l'activité unique ou double des centres
moteurs, au problème qui touche aux conditions réglant l'activité
unique ou combinée des centres sensitifs ^.
Ces cas déjà signalés de maladie de la plus grande partie d'un Hémisphère,
avec conservation des Sens spéciaux des deux côtés, contrastent notablement
avec les cas, plus récemment publiés, de lésions du tiers postérieur de la capsule
interne, dans lesquels il y a eu Hémianesthésie (voy. page 125 et fig. 171)
Dans cette dernière classe de faits, il y a une lésion limitée dans la région « sen-
1. Atrophy ofthe Left Hémisphère. — New Sydenham. Soc. \ol. XI, p. 153.
Plusieurs cas sont rapportés par S. Van der Kolk, y compris celui qu'a publié
Andral
2. Paralysis from Brain Diseuse, 1875, p. 106.
DOUBLE CONSCIENCE. 129
sitive » du Pédoncule Cérébral, immédiatement avant qu'il entre en relation
avec la Couche Optique; tandis que, dans les cas où les Sens, soit d'un côté
soit de l'autre, n'ont été que peu ou point atteints, la lésion avait principale-
ment porté sur les régions frontale et pariétale de l'Hémisphère, au-dessus du
niveau de la Couche Optique et du Corps Strié ; et peut-être, par conséquent,
sans impliquer beaucoup les circonvolutions du Lobe Temporal qui, ainsi qu'on
le montrera dans le chapitre prochain, semblent contenir des centres, ou régions
d'importance spéciale pour la perception sensorielle. Ces derniers cas sont d'un
grand intérêt; mais il y aurait besoin d'informations plus exactes pour que nous
puissions arriver, en sécurité, à nous former une opinion bien nette sur leur
compte. Les anciennes observations n'étaient point faites, ou du moins n'étaient
pas rapportées de cette manière rigoureusement précise que l'importance du
sujet, au point de vue où nous l'envisageons aujourd'hui, demande clai-
rement.
Mais, tandis que notre « Volonté » est, comme notre Intellect,
unique (bien que le produit ou l'accompagnement de l'activité d'un
organe double), nous sommes, à l'occasion de son exercice, amenés
au point où les phénomènes mentaux font graduellement place aux
pliénomènes non-mentaiox .
Le résultat d'un grand nombre de Volitions se trouve dans des
contractions ou des relâchements musculaires ; et le simple passage
de courants centrifuges n'est accompagné de conscience d'aucune
naturel. Après le Désir accompagné d'une sensation d'efforts (qui
semblent constituer ensemble ce que nous connaissons individuelle-
ment d'une Volition, pour autant du moins qu'elle se révèle à nous
comme phase de Conscience), nous avons affaire à des courants
moléculaires, passant peut-être à travers plusieurs séries de fibres et
de cellules, mais n'ayant aucun côté conscient, et situés, en appa-
rence, autant en dehors de la sphère de l'Esprit, que les change-
ments moléculaires évoqués dans le muscle par les courants cen-
trifuges.
Ce fut pour ces raisons que, dans un précédent chapitre, l'auteur
fut amené à limiter la sphère de l'Esprit, et à ne regarder comme
ses organes que la partie du Système Nerveux qui a affaire à la récep-
tion, à la transmission et aux coordinations si multipliées des cou-
rants centripètes dans les centres nerveux de toute nature. Nous
avons, au contraire, été amenés à regarder les phénomènes des cou-
rants centrifuges comme non-mentaux, et les régions du système
nerveux qui ont affaire avec eux, comme ne faisant pas, à propre-
ment parler, partie de Vorgane de l'Esprit.
Il est certain que, dès que nous quittons le côté purement
mental, ou les points de départ d'une Volition, nous trouvons deux
1. Sur ce sujet, voyez ce que dit Sir W" Hamilton dans ses Lectures,
vol. II, p. 391, 392; et dans ses Dissertations on Reid, p. 866, 867.
Charlton-Bastian. — II. 9
130 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
routes principales par où ses stimull associés (sous forme de mou-
vements moléculaires) peuvent se rendre, deTécorce des hémisphères
cérébraux, aux muscles de chaque côté du corps.
Les muscles des membres, droits ou gauches, ou les groupes mus-
culaires d'autres parties qui sont ordinairement mises en action in-
dépendamment de leurs homologues du côté opposé, ne reçoivent,
ainsi que nous l'avons établi, leurs stimuli volitionnels que par l'Hé-
misphère Cérébral du côté opposé. Mais les muscles situés de chaque
côté et agissant ordinairement ensemble peuvent être indifTérem-
ment excités par l'un ou l'autre des Hémisphères (Broadbent), grâce
à l'existence de connexions commissurales intimes, reliant ensemble
les Centres Spinaux doubles, en relation avec ces muscles d'une
manière assez intime pour que chaque paire ne forme plus qu'un
Centre.
11 semble exister, toutefois, une exception fort importante à cette
dernière règle, dans le cas des muscles (agissant ordinairement d'une
manière bilatérale) qui servent à l'Articulation des Mots, c'est-à-dire
à la parole ordinaire. Ordinairement, le stimulus qui vient de
l'Écorce cérébrale pour exciter ces actions musculaires ne part que
d'un seul Hémisphère; et, dans la grande majorité des cas, l'Hémi-
sphère Gauche est la source de ces excitations. On donnera, dans les
chapitres suivants, la preuve de ces assertions et d'autres particula-
rités sur les routes que suivent les stimuli centrifuges en général.
3. — RELATIONS FONCTIONNELLES DU CERVELET
AVEC LES HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX ET LA MOELLE.
Nous passons maintenant à un autre sujet d'intérêt majeur, mais
enveloppé d'une grande obscurité. Quelles sont les fonctions du
Cervelet? Voilà une question qui semble fort simple, qui cependant
a laissé les physiologistes perplexes pendant plus de deux siècles,
et qui peut encore être considérée comme un problème entière-
ment à résoudre. Les divers physiologistes ont eu sur ce sujet les
opinions les plus variées.
Willis et autres ont regardé le Cervelet comme le centre régulateur prhi-
cipal des mouvements involontaires, ainsi que des fonctions de la vie végétative.
Foville et autres en faisaient un sensorium commune, ou centre principal des
impressions centripètes conscientes; Gall et quelques-uns de ses partisans le
regardaient comme un organe principalement en relation avec l'instinct de
propagation, ou aiypétit sexuel. Flourens, Longet et autres ont enseigné que le
Cervelet est le siège d'une faculté coordinatrice des mouvements musculaires,
volontaires ou non. Lussana, s'efforçant d'expliquer la manière dont il coor-
donne les mouvements musculaires, en fait le siège du sens musculaire. Reil,
Rolando et quelques auteurs modernes comme Luys, Weir-Mitchell et autres,
OPINIONS SUR LES FONCTIONS DU CEUVELET. 131
ont regardé le Cervelet comme un organe engendrant et distribuant la force
nerveuse nécessaire à l'instigation de toute sorte de mouvements, et môme à
l'excitation d'autres centres nerveux non moteurs. Cette énumération est loin
d'épuiser la liste des opinions que l'on s'est faites, à des époques diverses, des
fonctions du Cervelet. On signalera en effet, dans les pages suivantes, d'autres
notions sur cet organe.
Comment choisir, au milieu de ces tliéories étonnamment diverses ?
Vulpiani, après avoir passé soigneusement en revue, en 1866, tout
l'ensemble du sujet, ne put se décider à en accepter aucune. Il se
contenta principalement de tirer certaines conclusions négatives.
« Le Cervelet, dit-il, ne prend aucune part aux fonctions cérébrales
proprement dites. Il semble n'avoir abolument rien à faire avec les
manifestations de l'Instinct, de l'Intelligence ou de la Volonté. »
Qu'elle soit correcte ou non, c'est là une idée communément
acceptée. D'autre part, Vulpian a été forcé d'admettre que certains
désordres ataxiques des mouvements sont causés par des lésions du
Cervelet; bien qu'il rejetât l'hypothèse, ordinairement admise, de
Flourens, que c'est «un centre par où s'effectue la coordination des
mouvements, volontaires ou non. »
La grande incertitude où l'on est toujours demeuré sur les fonc-
tions du Cervelet est due à des causes diverses. Elle est en partie
attribuable à la complexité des connexions de cet organe avec
d'autres régions du Système Nerveux central, aussi bien qu'à l'ob-
scurité qui règne sur les diverses sources de ses libres afférentes ot la
destination de ses fibres efférentes; car, supposer avec Luys que les
pédoncules du Cervelet ne sont composés que de fibres efférentes,
semble à l'auteur aussi opposé aux faits, que cela le serait au plan des
centres nerveux en général. Mais l'incertitude qui règne sur les fonc-
tions réelles de cet organe est due aussi à la variété et à l'obscurité
des symptômes qui résultent des blessures qu'on lui fait, chez les
divers animaux inférieurs, et à une variété semblable de relation
entre les symptômes et les lésions qui se révèlent à ceux qui étu-
dient les effets des maladies du Cervelet chez l'Homme.
Ces dernières variations sont en partie attribuables à la connexion intime
du Cervelet et d'autres portions importantes de l'Encéphale. Cela rend difficile
d'expérimenter sur l'organe, chez les animaux inférieurs, sans courir grand
risque d'irriter ou de blesser tantôt l'une, tantôt l'autre de ces parties adja-
centes. — Il est, d'autre part, fort difficile, pour la même raison, d'avoir affaire
à des maladies non compliquées du Cervelet, — des maladies limitées à cet
organe, et non associées à des symptômes résultant de la compression ou de
l'irritation d'autres parties importantes, comme la Protubérance ou le Bulbe.
Mais les effets de ces causes d'incertitude sont probablement accrus par
1. Physiologie du Système Nerveiix,Tp. GOl-GiL
132 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
cette considération, que nous trouvons bien fondée, que le Cervelet, quelle
que puisse être la nature précise de ses fonctions, n'agit point ordinairement
seul, mais, à un degré très considérable, en conjonction avec le Cerveau, dans
l'accomplissement de certaines fonctions communes à tous les deux. Ainsi
donc il ne semble pas du tout improbable que, dans les cas de blessure ou de
maladie du Cervelet, il puisse y avoir quelque action compensatrice de la part
du Cerveau, — surtout quand la maladie a duré longtemps ou a commencé de
bonne heure ; comme dans le cas d'atrophie de cet organe chez la petite fille
examinée par Combette, et dont l'observation est rapportée par Cruveilhier.
Une dernière cause de difficulté, tendant à compliquer l'interprétation des
résultats des maladies du Cervelet, peut venir de ce que, dans le cas de lésions
unilatérales, la moitié saine de l'organe peut être capable d'assumer et d'ac-
complir, peut-être avec une simple différence de degré, les fonctions de la
partie hors d'usage. (Voy. p. 139, note.)
En face de toutes ces difficultés d'interprétation, il est peut-être
bon de revenir en arrière, et d'examiner le problème des fonctions
du Cervelet à la lumière des principes généraux, aidés de ce que
nous pourrons obtenir de nos connaissances actuelles sur les con-
nexions anatomiques précises de l'organe avec différentes parties du
•cerveau et avec différentes régions de la Moelle Épinière.
Le Système Cérébro-Spinal des Vertébrés contient, dans toute la longueur de
la Moelle et du Bulbe, une série de centres sensitifs et moteurs dont chacun,
capable de remplir des fonctions indépendantes, est aussi en relation subor-
donnée avec d'autres Centres Nerveux supérieurs.
Quelque chose de semblable existe chez les Vers et les Arthropodes.
Mais le Cerveau, chez tous les Vertébrés, diffère de celui des Invertébrés
par ce fait, qu'il possède deux parties doubles, morphologiquement distinctes,
-qui ne sont point représentées chez ces derniers, ou du moins pas par des
parties semblablement séparables. Ce sont les Lobes Cérébraux et le Cervelet.
Faisant leur apparition sous forme de segments, relativement petits, chez les
Poissons, leur volume et leur développement relatif s'accroissent chez les Ver-
tébrés supérieurs, jusqu'à ce qu'ils rejettent enfin dans l'ombre toutes les
divisions de l'encéphale.
Il y a donc, chez les Vertébrés, quelques spécialisations fondamentales de
fonctions qui sont, suivant toute probabilité, portées beaucoup plus loin que
•chez aucun des animaux inférieurs, et dont l'existence semble marquée par le
développement de parties aussi distinctes, morphologiquement, que les Lobes
Cérébraux et le Cervelet.
Mais il faut regarder comme un des faits physiologiques les mieux établis
que les Lobes ou Hémisphères Cérébraux sont les principaux organes de
l'Intelligence Consciente, — en comprenant sous ce terme la Sensation et la
Perception, l'Idéation et le Raisonnement, ainsi que les phénomènes primaires
de l'Émotion et de la Volition. Les deux Hémisphères ensemble constituent
donc l'organe suprême, le dernier terme de la série de centres dans lesquels
.les impressions « centripètes » sont mises en relation les unes avec les autres.
Mais deux choses sont également certaines pour ce qui regarde le Cervelet;
FONCTIONS DU CERVELET. 133
d'abord il n'a pas de part appréciable, comme organe indépendant, dans l'exer-
cice d'aucun de ces processus qui sont compris ensemble sous le nom d'Intelli-
gence Consciente; et, en second lieu, son activité est indubitablement mêlée,
de quelque manière, au pouvoir qu'a l'animal d'accomplir des Mouvements i.
De quelle manière précise et à quels Mouvements est-elle liée, ce sont là des
problèmes à résoudre : et nous devons maintenant diriger notre attention sur
ces sujets.
Si nous faisons donc attention à ce fait que, dans tout le Système Nerveux
des animaux inférieurs, les centres nerveux « sensitifs » et les centres « moteurs »
existent en paires associées ; si nous remarquons l'apparition simultanée des
Lobes Cérébraux et du Cervelet dans la série animale; si nous considérons que
les Lobes ou Hémisphères Cérébraux sont démontrés être les centres suprêmes
des impressions «centripètes », et que l'on a également bien prouvé que le Cer-
velet est un centre « moteur » important d'une nature quelconque : il semble
qu'on puisse légitimement déduire des faits précédents que le Cervelet est le
centre moteur suprême associé au Cei'veau, et qu'ils forment le couple final
« moteur » et « sensitif », organisé ou accordé, à un certain degré, comme les
couples inférieurs, pour une activité conjointe.
On pourrait toutefois reconnaître tout d'abord que la relation entre ces
centres suprêmes afférents et efférents, chez l'Homme et les animaux supé-
rieurs, doit être nécessairement fort différente et beaucoup plus complexe que
celle qui existe entre les couples inférieurs, chez les mêmes animaux, ou entre
les couples supérieurs d'animaux comme un Centipède, un Gastéropode (fig. 27)
ou tout autre Invertébré.
Les relations entre les impressions centripètes et les actions qui y répondent
par l'intervention de l'activité des centres nerveux inférieurs, chez l'Homme,
ou des centres supérieurs d'un animal inférieur, sont relativement simples et
directes ; mais, chez les animaux supérieurs, à mesure que l'organe de l'Intel-
ligence Consciente s'accroît en volume et en complexité intérieure, s'accroissent
aussi les chances d'intervention de processus nerveux compliqués, entre la
réception de certaines impressions sensorielles et les actions qui peuvent
finalement en résulter. Les actes qui suivent en ce cas, comme résultat d'une
délibéi-ation, peuvent être d'un ordre nouveau et inaccoutumé, — conçus et
excités d'une manière consciente.
A mesure que la Conscience Sensorielle^ et l'Intelligence qui
s'accroît par son exercice, augmentent d'intensité et de complexité,
ce côté de la vie devient plus absorbant ; et la Conscience de l'Ani-
mal (ou son Attention) est proportionellement détournée des Sensa-
tions et des Mouvements Viscéraux, ainsi que de la majeure partie
des innombrables mouvements automatiques ou secondairement aulo-
maliques]iés à sa vie extérieure, ou Vie de Relation. La sphère delà
Conscience est limitée dans une direction et agrandie dans une
1. Voy. Owen, Anat. of Vertebrates, vol. I", p. 487-488. L'hypothèse de Gall
que le Cervelet est le siège de Vinstinct sexuel ne saurait être appuyée que
sur peu de chose, ou même sur rien qui ne se puisse mieux expliquer autre-
ment. (Voy. Ferrier, Functions ofthe Brain, p. 122.)
13i RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
autre; et de nouvelles acquisitions ne se feraient jamais dans la
sphère des Sens, de Plntelligence, ou du Mouvement Volontaire, si
des Impressions habituelles et se représentant sans cesse ne pouvaient
point évoquer par elles-mêmes (sans engager notre Conscience)
des Mouvements correspondants : c'est-à-dire si ces derniers ne pou-
vaient être exécutés et réglés sous le contrôle de quelqu'un des
grands centres, en réponse à de simples Impressions non senties. Il
devient donc évident qu'il serait fort avantageux, sinon absolument
nécessaire, à des animaux dont Tlntelligence Consciente atteint un
haut développement, que leur principal centre moteur, le Cervelet
(nous supposons pour le moment que c'est là sa nature), fût en rela-
tion avec les divers nerfs a afférents » du corps et avec leurs centres
nerveux correspondants, des plus inférieurs aux plus élevés, — ou
du moins, de quelques-uns des inférieurs aux plus élevés.
Par ses connexions avec les centres sensitifs les plus élevés,
c'est-à-dire ceux de la substance grise corticale du Cerveau, le
Cervelet serait mis à même (a) de prendre part aux Mouvements,
Volontaires ou non, qui suivent (immédiatement ou d'une manière
éloignée) l'instigation d'Impressions Conscientes ; et, par ses con-
nexions avec les centres inférieurs de divers degrés, il serait
capable, {b) à l'instigation d'Impressions non-senties, de prendre une
part beaucoup plus large dans la production et l'entretien des Mou-
vements « automatiques » et «secondairement automatiques » com-
plexes, en général; — une part exactement semblable, en réalité, à
celle que les centres moteurs spinaux inférieurs prennent à l'exé-
cution des Mouvements « réflexes » spinaux *.
On reviendra plus loin sur le mécanisme des Mouvements Volon-
taires. Il faut seulement signaler ici que la « Volition « proprement
dite est inséparable de l'Activité Sensorielle, de l'Intelligence et de
la Raison ; de sorte que les points de départ des « stimuli » Volitionnels
doivent être situés quelque part dans l'organe de l'Intelligence Con-
sciente, c'est-à-dire dans le Cerveau. C'est V Acluation, ou mise en jeu
d'une Volition destinée à produire un Mouvement, qui est dévolue
aux Centres Moteurs; et il y a des raisons de croire que le Cervelet
coopère avec les Corps Striés dans la réalisation de cette partie ou
1. Chez un animal comme la Grenouille, où le Cervelet est très petit et
mal développé, môme les mouvements de locomotion peuvent être exécutés
sous la direction de la Moelle Épinière seule. Il est fort surprenant de voir
qu'une Grenouille, dont on a détruit le Cerveau et le Cervelet, peut encore se
tenir sur ses pattes et même sauter. C'est-à-dire que cela est surprenant si nous
le considérons au point de vue de ce qui se produii'ait chez un animal supé-
rieur dans les mêmes conditions; mais beaucoup moins, si nous considérons le
degré et la nature des facultés locomotrices que. conserveraient un grand
nombre d'Insectes semblablemeut mutilés.
FONCTIONS DU CERVELET. 135
phase secondaire d'un Acte Volitionnel ordinaire et de ses consé-
quences.
Deux questions principales se présentent donc, comme résultats
de ce qu'on a dit jusqu'ici sur les fonctions probables du Cervelet. (1)
Quelle preuve y a-t-il que le Cervelet prend une large part à la pro-
duction de mouvements « automatiques» et « secondairement auto-
matiques », en réponse à des Impressions « non senties? » (2) Quelle
preuve y a-t-il que le Cervelet prend part à rexccution de Mouve-
ments Volontaires?
Les réponses à ces questions, pour autant qu'on peut les donner,
— et cela par voie de suggestions plutôt que d'affflrmations positives,
— seront mieux exposées en même temps que ce que l'on connaît
de la composition des divers Pédoncules du Cervelet.
Il y a lieu de croire que c'est principalement par l'intervention
des Pédoncules Supérieurs et Inférieurs que le Cervelet reçoit les
impressions d'un ordre inconscient, qui le mettent à même de
prendre part à la production de certains Mouvements « automa-
tiques » et « secondairement automatiques » qui y répondent.
Les raisons en faveur de cette opinion sont, d'abord, que les Pédoncules
Supérieurs et Inférieurs contiennent un grand nombre de sortes différentes de
fibres « centripètes » , bien que l'on ait surabondamment prouvé que le Cervelet
n'est en aucun sens un organe d'Intelligence Consciente; en second lieu, elle
est appuyée par le fait que, chez les Poissons et les Reptiles, ces Pédoncules
existent seuls, — les Pédoncules Moyens, et avec eux «le pontde Varole», faisant,
comme on le sait, défaut. Car il est raisonnable de supposer que les fonctions
simplement automatiques, ou sensori-motrices, du Cervelet s'établiraient plus
tôt que celles qui ont trait aux Actions Volontaires, dans des animaux chez les-
quels les Mouvements de la première classe sont beaucoup plus fréquents et
plus nombreux que ceux de la seconde.
En supposant que les fibres afférentes (ou «sensitives») du Cervelet ne font que
porter à cet organe des excitations, qui font que certains éléments ganglion-
naires de sa Substance Grise corticale se déchargent le long des fibres efférentes
en corrélation définie (de manière à exciter divers Centres Moteurs inférieurs
dans des modes particuliers de combinaison), nous sommes à même de nous
rendre compte des relations sensitives des Pédoncules Cérébelleux Supérieurs et
Inférieurs, sans avoir à regarder le Cervelet lui-même comme une sorte de senso-
rium commune, — ainsi que Foville et autres le faisaient à tort i. S'il a à régler
l'exécution de Mouvements automatiques excités par toutes sortes d'Impressions
1. Ou sans avoir recours à une hypothèse comme celle d'Herbert Spencer
{Principles of Psychology, vol. I", p. 61), qui veut que « le Cervelet soit un
organe de coordination doublement complexe dans l'espace, » ayant rapport à la
coordination d'Actes et d'Impressions coexistantes, de même que « le Cerveau
est un organe de coordination doublement complexe dans le temps » ayant
trait, par conséquent, à des Impressions et à des Actes successifs.
136 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
« afférentes, » il est évident qu'il doit être mis en relation avec celles-ci (princi-
palement peut-être au moyen de fibres internonciales), bien qu'il ne soit point
nécessaire que l'arrivée au Cervelet d'Impressions de cette nature soit accom-
pagnée d'aucune phase Consciente.
Des centres moteurs inférieurs situés dans la moelle sont en relation immé-
diate, au moyen de fibres internonciales, avec des centres sensitifs correspon-
dants. Le Cervelet semblerait être également en relation avec une multitude
de fibres de ce type, qui lui parviennent de centres « sensitifs » de diverse
natui'e, plus ou moins éloignés. Il n'y a toutefois pas plus de raison d'attribuer,
en conséquence de cette relation, des fonctions sensitives au Cervelet, qu'il n'y
en aurait pour attribuer des fonctions semblables à la substance grise des
cornes antérieures de la Moelle. Des relations de ce genre avec les noyaux ou
centres « sensitifs » sont indispensables pour un Centre Moteur, que sa situa-
tion soit basse ou élevée : seulement, plus il est élevé, plus il y a de chances
pour que ses connexions soient nombreuses.
Bien que quelques-uns des faits qui ont rapport aux connexions du Cervelet
avec les nerfs afférents aient été mieux démontrés dans l'Encéphale des Verté-
brés inférieurs que dans celui de l'Homme, ils ont à peine moins de valeur
pour cela, puisque les fonctions du Cervelet, comme sa structure intime, sont
probablement uniformes dans toute la classe des Vertébrés.
Il y a de bonnes raisons pour croire que les Lobes Optiques des Poissons sont
mis en relation immédiate avec leur Cervelet rudimentaire, au moyen des Pédon-
cules Supérieurs. Les fibres constituant ces pédoncules se rendent du septum
situé entre les Lobes Optiques, à la portion médiane du Cervelet. Chez l'Homme,
ces mêmes pédoncules, partant des noyaux rouges situés dans la partie sensi-
tive des pédoncules cérébraux, subissent une décussation au-dessous des Tuber-
cules Quadrijumeaux, et se rendent de là, en suivant une direction légèrement
divergente, à la partie antérieure du Cervelet. Il est donc fort probable que,
chez l'Homme aussi, ces Pédoncules Supérieurs servent en partie à mettre les
Centres Optiques en relations avec le Cervelet.
En outre, d'après Mej^nerti, une portion de la grosse racine du cinquième
nerf, ou Trijumeau, repose sur le bord supérieur et externe de ce Pédoncule
Supérieur ; et une portion de la racine du nerf Auditif est disposée de même.
Chez quelques Poissons, le ganglion situé à la racine du Trijumeau est, d'après
Owen, directement relié avec le Cervelet, au moyen de quelques fibres ver-
ticales.
Ainsi, bien qu'on ne sache presque rien sur les relations du Lobe Olfactif
avec le Cervelet, il semble certain que les trois nerfs crâniens sensitifs sui-
vants (Optique, Trijumeau et Auditif) entrent en relations avec le Cervelet au
moyen de ses Pédoncules Supérieurs.
Mais il semble possible que les divers « Centres Perceptifs » de la région
corticale des Hémisphères Cérébraux soient aussi mis en relations avec le Cer-
velet par des fibres internonciales passant par le « noyau rouge » du Tegmentum
et les Pédoncules Cérébelleux Supérieurs. En ce cas, ces fibres pourraient
amener des stimuli « afférents » en relation avec des mouvements Idéo-Moteurs
et Volontaires ; tandis que ceux qui arrivent à l'organe par les Nerfs Sensitifs
ou leurs Ganglions, peuvent amener des stimuli « aiïérents » capables d'évoquer
1. Stricker : Histology, vol. II, p. 460.
PÉDONCULES DU CERVELET. 137
des mouvements devenus « automatiques, » ou de l'ordre « secondairement
automatique. » D'autres fibres toutefois, dont on parlera tout à l'heure, sem-
blent aussi appartenir à cette dernière catégorie. Nous n'avons aucun moj'en de
décider, à présent, si les Pédoncules Supérieurs ne contiennent que des fibres
afférentes.
Chaque Pédoncule Inférieur du Cervelet est, chez les Poissons, en relation
intime avec deux nerfs sensitifs viscéraux : le nerf Vague et le Glosso-pharyn-
gion; et aussi avec les grands « nerfs latéraux», ordinairement tributaires de
la seconde racine du nerf Vague. La totalité de cette dei'nière racine entre dans
le Pédoncule Inférieur, immédiatement au-dessous ou sur le côté du Cervelet.
Cette relation n'est pas aussi distincte chez quelques autres Vertébrés; bien
que, chez tous, les racines du Pneumogastrique soient en relation intime avec
les Pédoncules Inférieurs (ou « corps restiformes »). Il y a en outre de bonnes
raisons pour croire que la grande majorité des fibres de ces Pédoncules se
compose de fibres afférentes, qui viennent (peut-être en subissant une double
décussation dans la Moelle et le Bulbe) des Viscères, des Muscles et de la Peau
du même côté du corps, — au lieu d'y pénétrer directement comme les grands
« nerfs latéraux » ou le Pneumogastrique lui-même.
Mais, outre les nerfs sensitifs provenant des parties internes et externes du
corps en général, les Pédoncules Inférieurs du Cervelet transmettent aussi à,
cet organe de nombreuses fibres du nerf Auditif. Cet arrangement existe chez
l'Homme aussi bien que chez les Vertébrés inférieurs.
Eu égard aux vues de Cyon (voy. p. 169, vol. l"), qu'il y a deux nerfs distincts
dans ce que l'on désigne ordinairement sous le nom de nerf Auditif, il n'est
point sans intérêt de trouver que quelques-unes de ses fibres se rendent
au Cervelet par le Pédoncule Supérieur et d'autres par l'Inférieur. Les con-
nexions étendues que ce double nerf possède avec le Cervelet sont aussi d'un
intérêt considérable, eu égard aux relations de nerfs analogues, chez la majo-
rité des Mollusques (et chez les Insectes où on en connaît), avec leurs princi-
paux centres moteurs.
Il paraît tout à fait certain que chaque Pédoncule Inférieur du Cervelet
contient aussi quelques fibres efférentes ou centrifuges, et que celles-ci (bien
qu'existant probablement aussi dans d'autres parties) sont réunies en un petit
faisceau (décrit d'abord par Solly) qui passe au-dessus du bord externe du
pédoncule correspondant, et de là va contourner l'extrémité inférieure de-
r « olive », pour s'unir à la colonne antérieure de la Moelle, immédiatement
au-dessus de la « décussation » des Pyramides.
Il y a lieu de croire que c'est par l'intermédiaire des Pédoncules
Moyens que le Cervelet coopère principalement avec le Cerveau
pour l'exécution des Mouvements Volontaires; — bien que les incita-
tions à prendre part à ces mouvements puissent aussi venir, comme
nous l'avons déjà suggéré, des centres perceptifs situés dans les
Hémisphères Cérébraux, en passant par les noyaux rouges et les pé-
doncules Supérieurs.
Le fait que le Cervelet coopère bien réellement avec le Cerveau,
d'une manière quelconque, est évident, puisqu'il a été prouvé que
138 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
Tatrophie d'un Hémisphère Cérébral entraîne l'atrophie de la moitié
opposée du Cervelet'. Et, que le Cervelet réponde auxstimuli venant
du Cerveau, plutôt que vice versa, c'est ce qui semble prouvé par le
fait que l'atrophie d'une moitié du Cervelet n'a, au contraire, aucune
tendance à déterminer celle de l'Hémisphère Cérébral du côté opposé.
L'idée que les Pédoncules Moyens sont les parties par lesquelles la rela-
tion entre le Cerveau et le Cervelet s'établit principalement, dans l'Action Voli-
tionnelle, est fortement appuyée par deux séries de faits : d'abord le déve-
loppement plus tardif de ces Pédoncules Moyens et des lobes latéraux avec
lesquels ils sont principalement reliés, dans toute la série animale; ainsi que
leur accroissement progressif chez des animaux de plus en plus élevés, et leur
maximum de développement chez l'Homme-; en second lieu, cette opinion est
également appuyée par ce que nous savons de leurs relations anatomiquos.
Les descriptions de Broadbent et de Meynert donnent quelque raison de croire
que les fibres vont de chaque Pédoncule Moyen du Cervelet à la moitié opposée
de la Protubérance, et de là (par le Pédoncule Cérébral), se dirigent en partie
vers l'Écorce de l'Hémisphère, et en partie seulement vers le Corps Strié*.
D'autres de ces fibres peuvent peut-être descendre aux centres moteurs de la
Protubérance elle-même ou à des centres semblables situés dans le Bulbe.
Comme ces fibres « efférentes » du Cervelet s'avancent vers les tractus mo-
teurs opposés du Cerveau, — au-dessus du siège de leur « décussation » dans
le Bulbe, — la moitié du Cervelet dont ils sortent serait (à raison de cette
« décussation » inférieure des Pyramides Antérieures) mise en relation avec les
membres du côté correspondant du corps. Cette relation, directe plutôt que
croisée, est également indiquée par des observations expérimentales sur
les animaux inférieurs et par les phénomènes morbides observables chez
l'Homme.
En réunissant tous ces faits, il semble que le Cervelet puisse
être regardé comme un centre moteur suprême, énormément déve-
1. C'est-à-dire lorsque le processus atrophique de l'Hémisphère comprend
des parties de nature telle, qu'il s'ensuive une Hémiplégie, — ou paralysie du
côté opposé du corps. (Voy. p. 50.)
2. Meynert (Stricker : Histology, II, p. 456) appelle l'attention sur le fait
que, à mesure que s'accroissent ies Hémisphères Cérébraux, les divisions motrices
des Pédoncules s'accroissent également, ainsi que les Pédoncules Moyens et
les « lobes latéraux » du Cervelet (Voy. vol. I", p. 214, quelques remarques sur
ce genre de corrélation).
3. Des cellules du Corps Strié il descend, d'après Meynert, « deux faisceaux
qui divergent ensuite, l'un se rendant à la Moelle et l'autre au Cervelet ». Ce
dernier remonte, sous forme de faisceau épais, dans le Pédoncule Moyen {loc.
cit., p. 375) et peut contenir des fibres cérébelleuses ascendantes (afférentes)
aussi bien que des fibres descendantes (efférentes), si les conclusions de Mey-
nert sont correctes; bien que l'auteur pense que quelques-unes au moins des
fibres Cérébrales « afférentes » arrivent au Cervelet par les « pédoncules supé-
rieurs. »
LE CERVELET EST UN CENTRE MOTEUR. 139
loppé, dont les Lobes Latéraux coopèrent, en relation croisée, avec
ceux du Cerveau, à rcxécution de Mouvements Volontaires; bien
qu'il soit aussi un organe habitué à agir — peut-être à un degré beau-
coup plus étendu et d'une façon plus continuelle — dans l'exécution
de Mouvements Automatiques compliques, répondant à des impres-
sions « non-senties », qui lui arrivent (principalement au moyen de
fibres internonciales) de « noyaux sensitifs » de toute nature.
Bien que les Pédoncules Supérieurs et Inférieurs puissent sembler
les principaux conducteurs par lesquels ces dernières impressions
afférentes atteignent le Cervelet, il peut ne passer le long des Pédon-
cules Inférieurs qu'une partie des stimuli efférents qui y répondent;
d'autres peuvent, chez les animaux supérieurs, traverser les Pédon-
cules Moyens. Quoi qu'il en soit, il semblerait que toutes les
impressions Cérébelleuses afférentes qui sont destinées à exciter
des Mouvements Automatiques et qui viennent à émaner d'une
moitié du corps, se rendent à la moitié correspondante du Cervelet;
soit qu'elles y aillent directement (comme cela paraît être le cas
pour les fibres du Trijumeau, de l'Auditif et autres nerfs crâniens),
soit qu'elles n'y arrivent qu'après deuxdécussations (comme il semble
que cela se passe pour les fibres des Nerfs Optiques et des Nerfs
Sensitifs ordinaires du corps).
Ainsi donc, dans les relations du Cerveau avec le Cervelet pour
l'exécution de Mouvements Volontaires, il existe des connexions
croisées analogues à celles qu'il y a entre les Hémisphères Cérébraux
et les moitiés opposées de la Moelle ; tandis que, dans le rôle qu'il
joue comme centre moteur suprême en connexion avec les genres
les plus élevés de Mouvements Automatiques, le Cervelet est encore
mis en jeu exactement comme s'il était un segment très-spécialisé
de la Moelle elle-même ^
Si nous essayons d'énumérer brièvement ses fonctions, nous
pouvons dire que le Cervelet est un Centre Moteur suprême, pour ren-
forcer el aider à régulariser la dislribulion qualitative et quantita-
tive des courants centrifuges, dans les Actes Volontaires et Automa-
tiques respectivement; ou, encore plus brièvement , que c'est dn
ORGANE SUPRÊME POUR RENFORCER ET RÉGULARISER LA DISTRIBUTION DES
COURANTS CENTRIFUGES.
Après ce qu'on a déjà dit, et en face de toutes les difficultés pré-
1. Voy. p. 132. Beaucoup de ces Mouvements sensori-moteurs ou Automa-
tiques seraient toutefois d'un type bilatéral ; et ces Mouvements pourraient
probablement être excités par l'une ou l'autre moitié du Cervelet (comme
cela a lieu pour le Cerveau). Nous avons donc une autre raison pour que les
maladies unilatérales du Cervelet soient souvent associées à des troubles
moteurs obscurs et mal définis.
110 RELATIONS DES PARTIES DE L'ENCÉPHALE.
cédemment énumérées, il est aisé d'imaginer que le Cervelet peut
paraître à quelques personnes un organe ayant des rapports impor-
tants avec la coordination des mouvements; qu'il puisse être regardé
par d'autres comme le siège d'un sens musculaire ; et, par d'autres
encore, comme ayant à fournir ou à mettre en liberté la force néces-
saire pour les mouvements en général. D'autre part, qu'il doive
sembler n'avoir rien à faire avec l'Instinct, l'Intelligence ou la Sen-
sibilité Consciente, malgré le fait qu'il est le récepteur de fibres pro-
venant de noyaux « sensitifs» de toute nature, c'est ce qui est d'accord
avec la raison, autant qu'avec l'expérience, — eu égard aux fonctions
réflexes qui lui ont été assignées. Et si la fonction du Cervelet est
uniquement de décharger ou d'émettre de l'énergie moléculaire
pour déterminer des Mouvements Musculaires en réponse, soit à des
Incitations Volitionnelles nettement localisées, lui venant des hémi-
sphères Cérébraux, soit à des Impressions également bien localisées,
quoiqu' « inconscientes », venant des noyaux « sensitifs »les plus va-
riés situés à la base du Cerveau et dans la Moelle, nous pouvons nous
attendre à ce que sa structure microscopique soit pratiquement la
même dans toutes les parties de sa Substance Grise superficielle
si étendue et si repliée: — et c'est là ce que nous trouvons en réalité.
Nous pouvons nous attendre aussi à ce que, pour autant qu'il est eu
rapport avec les Hémisphères Cérébraux, le Cervelet ne doive agir
qu'en réponse à leurs excitations, — ce qui semble aussi être le cas.
L'opinion avancée ici paraît donc en harmonie avec un grand nombre
de faits reconnus, et également capable d'embrasser un certain
nombre des opinions, sur les fonctions de cet organe, qui ont été
énoncées de temps à autre, et qui n'ont peut-être péché que par
leur nature plus ou moins étroite et exclusive.
CHAPITRE XXV
LA PHRENOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE
Nous ne sommes arrivés que d'une manière très graduelle à ce
que nous savons sur la Structure et les Fonctions du Cerveau. Ce
n'est, en réalité, que dans le dernier siècle que la grande masse de
nos connaissances présentes a graduellement pris forme, au milieu
des nuages d'erreurs dont les opinions des anciens et les idées
purement spéculatives d'un grand nombre d'anatomistes des siècles
précédents avaient enveloppé le sujet.
On peut donner ici, sur ces notions premières, quelques détails,
choisis et résumés, pour la plupart, des ouvrages de Prochaska^
D'après Aristote, le cœur était le siège de Vâme raisonnable ; et de là par-
taient les nerfs (dont il n'ignorait pas les relations avec la sensation et le mou-
vement). Le Cerveau était décrit par lui comme un viscère inerte, froid et
exsangue, et à peine énuméré parmi les autres organes du corps, — étant donné
qu'il n'avait d'autre usage que de refroidir le cœur.
Érasistrate, petit-fils d'Aristote, renonça aux vues qui avaient été ensei-
gnées par le grand maître. Lui et Hérophile (environ 300 ans av. J.-C.) furent
probablement les premiers à disséquer le Cerveau Humain. 11 commença par
dire que les nerfs sensitifs partaient des méninges ou membranes du cerveau,
et les nerfs moteurs du cerveau lui-même; mais, à un âge beaucoup plus
avancé, il modifia cette doctrine, et déclara que les deux classes de nerfs par-
taient delà substance médullaire du cerveau; que les esprits animaux venaient
du cerveau, et les esprits vitaux du cœur. Il reconnut que c'était dans le Cer-
veau de l'Homme que les Circonvolutions étaient le plus développées, et leur
attacha de l'importance relativement à son Intelligence supérieure.
Galien (environ 150 ans après J.-C.) s'appliqua à réfuter la doctrine d'Aris-
tote. Il montra que le cerveau des animaux était chaud, et non pas froid, et
recevait beaucoup de sang. Il maintint en outre que sa structure compliquée
n'était point en faveur de l'idée d'Aristote, qui n'y voyait qu'un simple réfri-
gérant ; puisque pour cela une « éponge grossière et informe » aurait suffi. Il
fit remarquer que le cerveau était de la même substance que les nerfs, mais
plus mou, « comme cela devait nécessairement être, puisqu'il reçoit toutes les
i- Dissertation on the Functions of the Nervous System. — Traduction de
la Sydenham Society. 1851.
142 PHRÉNOLOGIK ANCIENNE ET NOUVELLE.
sensations, perçoit toutes les imaginations, et a encore à embrasser tous les
objets de l'entendement : car ce qui est mou est plus aisément changé que ce
qui est dur ». Puisque de doubles nei'fs sont nécessaires, les mous pour la
sensation, les durs pour le mouvement, le cerveau de môme est double : l'an-
térieur étant plus mou et le postérieur plus dur. Les ventricules supérieurs ou
latéraux étaient, d'après Galien, doués des plus hautes fonctions. Ils recevaient
de l'air par les narines (par l'intermédiaire de l'ethmoïde et des tubercules
mamillaires), mêlaient cet air avec les esprits vitaux amenés du cœur aux ven-
tricules par les artères, et en élaboraient les esprits animaux, qui, de là, étaient
transmis par le cerveau aux nerfs, pour déterminer le mouvement et la sen-
sation. Il estimait aussi que les ventricules latéraux recevaient, par la môme
voie, des objets sensibles et des particules odorantes. Galien enseignait également
que le cerveau avait un double mouvement: l'un diastolique, pour recevoir Fair
et les esprits vitaux ; et l'autre systolique, par lequel les ventricules distri-
buaient aux nerfs les esprits animaux. Plus tard, il estima que les esprits
animaux n'étaient pas contenus dans les ventricules seulement, mais répandus
dans toute la substance du cerveau et du cervelet. « L'usage du trigone, auquel
appartient aussi le corps calleux, est le môme, dit-il, que celui des arcades des
bâtiments; c'est-à-dire de supporter commodément et sûrement toute la partie
sus-jacente du cerveau. » Lestubei'culesquadrijuraeaux remplissent les fonctions
de portier, puisqu'ils servent à ouvrir ou à fermer le passage par où les esprits
animaux sont transmis des ventricules antérieurs au ventricule postérieur, à
travers l'aqueduc de Sylvius.
Quelques siècles plus tard, d'après Prochaska, « les Arabes répartissaient
les fonctions animales dans les ventricules du cerveau; de sorte qu'ils faisaient
de l'un des ventricules latéraux le siège de la sensation générale ; de l'autre,
celui de la faculté Imaginative; le troisième étant le siège de l'entendement, et
le quatrième de la mémoire. » Cette doctrine fut également soutenue par Duns
Scot, Thomas d'Aquin et autres théologiens. Et, même dans la première moitié
du xvu" siècle, « Descartes soutenait que les esprits animaux étaient sécrétés
du cerveau à travers des pores qui s'ouvraient dans les ventricules; et que, s'ac-
cumulant dans ces cavités, leur plus léger désordre excitait l'âme, située dans
la glande pinéale ; et, contrairement, que les esprits animaux des ventricules
étaient mus par la volonté, agissant par l'intermédiaire de la glande pinéale, et
distribués de là, au moyen des nerfs, dans toutes les parties du corps i. »
Mais, vers la fin duxvi" siècle et le commencement du xvii', Casper Bauhin,
Varole, Spigel et autres anatomistes, s'étaient efforcés de montrer, contraire-
ment à Galien, que les ventricules du cerveau ne sont point les fabriques et
les magasins des esprits animaux ; et qu'on doit plutôt les regarder comme des
« organes accidentels qui n'ont souvent pas d'autre usage que de recevoir les
excrétions et les résidus formés durant la nutrition du cerveau et la produc-
tion des esprits animaux, et de les emmener, par l'infundibulum, jusque dans
la gorge. »
Lorsqu'on fut complètement d'accord que les esprits animaux n'étaient
point engendrés dans les ventricules du cerveau, ni produits dans la substance
1. Môme vers la fin du siècle dernier, un célèbre anatomiste, Sômmering,
annonça qu'il regardait le fluide des ventricules du cerveau comme le senso-
rium commune réel, et l'organe propre de l'Esprit.
IDEES DE WILLIS. 143
cérébrale pour se réunir dans les ventricules, on pensait encore généralement
que ces cavités étaient des réceptacles pour des substances usées qui se déchar-
geaient principalement dans les narines, à travers l'etiimoïde et certains canaux
imaginaires, indiqués par Galien et beaucoup plus tard par Vésale, comme
allant de la glande pituitaire jusqu'au gosier, à travers le sphénoïde. Cette opi-
nion devait toutefois être renversée à son tour; et C.-V. Schneider (1655) fit
beaucoup pour cela. Lower, Willis et autres, finirent aussi par se convaincre
que rien ne pouvait passer des ventricules aux narines par le chemin indiqué ;
ils pensaient toutefois «que le sérum des ventricules passait par l'infundibulum
à la glande pituitaire, et de là, par des conduits particuliers, aux veines jugu-
laires où il se mêlait avec le sang». Haller admettait que l'infundibulum était
creux, mais niait l'existence des derniers canaux mentionnés, et maintenait que
les ventricules n'avaient pas besoin d'issue spéciale pour l'évacuation du sérum.
Eu égard au mode de génération des esprits animaux, Malpighi, Willis (1604)
et autres, se contentaient de penser qu'ils étaient sécrétés dans la substance
corticale du cerveau, et, de là, reçus dans la substance blanche, ou médullaire,
d'où ils étaient distribués, par les nerfs, au corps tout entier. « Les facultés de
l'esprit, comme la perception, l'imagination, l'entendement et la mémoire,
étaient bannies des ventricules en même temps que les esprits animaux;
quelques-uns les plaçaient dans la masse solide du cerveau, tandis que d'autres
affirmaient que c'étaient seulement des propriétés de l'âme immatérielle et
raisonnable, et qu'elles ne dépendaient en rien du corps. » Malpighi regardait la
substance corticale du cerveau comme de nature véritablement glandulaire.
Willis a été appelé le « père de la phrénologie » à cause de l'étendue dans
laquelle il assigna à chaque partie particulière du cerveau une influence
spéciale sur l'esprit. Il maintenait « que le cerveau sert aux fonctions animales
et aux mouvements volontaires, le cervelet aux mouvements involontaires ;
qu'une perception de toutes les sensations a lieu dans les fibres ascendantes
des corps striés, et que les mouvements volontaires sont excités par les fibres
descendantes ; que l'entendement siège dans le corps calleux, et la mémoire
dans les circonvolutions, qui sont des magasins ; que les esprits animaux sont
engendrés dans l'ccorce du cerveau et du cervelet par le sang artériel ; qu'ils se
réunissent dans le bulbe, sont distribués et arrangés de façons diverses pour
exciter les actions diverses de l'animal, et distillent à travers le trigone comme
à travers un « pélican » i; que les esprits animaux sécrétés dans le cervelet
s'écoulent sans cesse, d'une manière égale et continue, dans les nerfs qui règlent
les mouvements involontaires; mais que ceux du cerveau s'échappent tumul-
tueusement et irrégulièrement, suivant que les actions de l'animal sont accom-
plies violemment ou sont au contraire à l'état de repos. Pour exciter des
sensations, les esprits s'écoulent le long des nerfs jusqu'au cerveau... Quant
aux anses nerveuses dont les artères sont parfois entourées, il établit que leur
usage est de relâcher ou de fermer les artères, et d'admettre ainsi, pendant les
diverses émotions de l'esprit, le sang, en quantité plus ou moins grande, à
certaines parties. Il décida que la glande pinéale n'était point le siège de l'âme,
mais une glande lymphatique. »
Les successeurs de Willis adoptèrent quelques-unes de ses doctrines, mais
en réfutèrent d'autres. Beaucoup de discussions stériles furent soutenues, par
1, Ancienne forme d'alambic.
144 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
Boerhave et d'autres, sur la nature essentielle des esprits animaux ; et, dans la
première partie du xviii" siècle, voici quelles étaient les vues exprimées sur
les usages de certaines parties du cerveau. Vieussens plaçait le siège de l'ima-
gination dans le centre ovale ; Lancisi et Peyronie maintenaient que toute sen-
sation est éprouvée, et tout mouvement excité, par le corps calleux. Meyer
plaçait le siège de la mémoire dans la substance corticale, la sensation à
l'origine des nerfs, et les idées abstraites dans le cervelet. Beaucoup, toutefois,
reconnaissaient qu'il n'était pas possible de déterminer avec quelque certitude
le siège des facultés mentales ; bien que, sans doute, la nature n'ait pas formé
sans but les divisions si nombreuses et si variées du cerveau et du cervelet.
Alors survint une autre crise dans l'iiisoire des opinions sur le cerveau et
ses fonctions. Dans les temps antérieurs, la notion de l'existence d'esprits
animaux était admise sans discussion. On avait beaucoup disputé sur leur
mode d'origine, sur leur siège principal, sur leur nature essentielle; mais ces
problèmes furent enfin laissés de côté pour un qui aurait dû les précéder.
Quelle preuve évidente avait-on de leur existence même? La supposition que
ce qu'on avait appelé esprits animaux existât en réalité, parut maintenant à
beaucoup une hypothèse gratuite. Après beaucoup de discussions enti-e les
partisans de Stahl et leurs adversaires, nous trouvons Boerhave, Haller (1766)
et Tissot, demeurés les derniers champions de la doctrine, et s'efforçant de la
faire accepter comme vérité. « Malgré l'autorité de ces grands noms, dit Pro-
chaska, l'amour de la vérité excita des hommes distingués, qui avancèrent des
doutes sur l'hypothèse des esprits animaux, et qui montrèrent que les argu-
ments allégués en leur faveur ne prouvaient rien, lorsqu'on les analysait soi-
gneusement; enfin, que l'hypothèse entière était absolument dénuée de vérité.»
Écrivant donc en 1784, Prochaska dit : « Nous appellerons la cause latente
dans la pulpe des nerfs, qui produit ses effets et qu'on n'a point encore reconnue,
vis nervosa; nous voulons ai'ranger ses effets observés, qui sont les fonctions
du système nerveux, et découvrir ses lois. »
Le même écrivain considérait qu'il n'était « point improbable que chaque
division de l'intellect eût son organe particulier dans le cerveau » ; bien qu'il
admît franchement lui-même que l'on ne pouvait, à son époque, rien dire de
précis sur le sujet. « Il n'a point été possible jusqu'ici, ajoute-t-il, de déter-
miner quelles portions du cerveau ou du cervelet servent plus spécialement à
telle ou telle faculté de l'esprit. Les conjectures par lesquelles des hommes
éminents ont tenté de les déterminer sont extrêmement improbables; et ce
département de la physiologie est aussi obscur aujourd'hui qu'il l'a jamais
été. » Il ne faut point oublier toutefois que ce fat Prochaska lui-même qui, le
premier, décrivit complètement la nature des mouvements réflexes. « Le senso-
rium commune, dit-il (loc. cit., p. 446), réfléchit les impressions sensorielles
en impressions motrices, suivant des lois définies qui lui sont particulières,
et indépendamment de la conscience. » Prochaska reconnut en outre que le
même genre de processus pouvait se passer dans les ganglions systémiques ,
puisqu'il dit (p. 438) : m II semble donc probable qu'outre le sensorium com-
mune que nous pouvons supposer dans la moelle allongée, la moelle épiniére,
le pont de Varole, et les pédoncules du cerveau et du cervelet, il y a des
sensoria spéciaux dans les ganglions et les plexus nerveux, où se réfléchissent
les impressions extérieures, remontant le long des nerfs, qui n'ont pas besoin
de remonter jusqu'au sensorium commune pour être réfléchies de là. »
THÉORIES DE GALL ET SPURZHEIM. 145
L'espace dont nous disposons dans cet ouvrage ne nous permet
pas de tenter même une esquisse des pas successifs par lesquels,
durant les derniers siècles, nous avons lentement tendu à acquérir
une notion plus exacte (quoique absolument insuffisante encore) des
Fonctions des diverses parties du Cerveau. On pourra trouver
quelque chose de ce genre dans l'ouvrage de\-ulpian^ et dans quelques
autres travaux. Ce qui a déjà été dit indiquera combien il y a encore
à faire ; et ce que l'on va dire à présent donnera une faible idée de
la disette actuelle de connaissances positives, et du besoin que nous
avons que la lumière se fasse beaucoup plus vive dans un grand
nombre de directions.
Après avoir considéré les relations que les Hémisphères Céré-
braux ont entre eux, avec le Cervelet et les deux moitiés du corps,
il faut maintenant que le lecteur limite son attention aux Hémi-
sphères eux-mêmes, afin de pouvoir apprendre, dans ce chapitre et
le suivant, une partie des connaissances acquises sur les parties de
ces importants organes qui semblent plus immédiatement intéressées
dans les Perceptions, les Volitions et autres Processus Mentaux.
Nous avons encore à nous appuyer sur les trois mêmes classes
de faits qui ont servi de baiSes à nos conclusions dans le chapitre
précédent ; bien que nous n'ayons pas à y faire appel dans les mêmes
proportions relatives-.
La notion que le Cerveau est l'organe principal de l'Esprit, et
qu'il y a une localisation de fonction dans ses diverses parties, était,
comme nous l'avons vu, une proposition fondamentale pleinement
réalisée par Prochaska et autres, longtemps avant que Gall et Spurz-
heim (1805-1826) commençassent à étudier avec zèle l'anatomie de
l'organe et à promulguer un Système Physionomique en connexion
avec elle, système qui attira bientôt une grande attention sous le
nom de Phrénologie. Les auteurs étaient des enthousiastes qui
essayaient de systématiser prématurém.ent wa. sujet extrêmement
complexe, alors que les connaissances sur ce sujet étaient encore
absolument dans l'enfance, — et cela, sans prétendre avoir une capa-
cité ou des connaissances bien spéciales pour mener à bien au moins
la moitié du travail embrassé par une pareille entreprise.
Gall et Spurzheim étaient au niveau des connaissances de leur
temps, eu égard à l'anatomie du Cerveau, et peut-être même en
avant; toutefois, à l'époque où ils élaboraient leur doctrine, ils ne
.savaient rien, pas plus que leurs prédécesseurs, sur la distinction
1. Leçons sur la Physiologie du Système Nerveux, 18G8.
2. Voy. p. 116.
Charltûn-Bastian. — IL 10
lit) PHÉRNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
physiologique réelle qui existe entre la substance « grise » et la sub-
stance « blanche » du Cerveau. Ainsi que leurs devanciers, ils regar-
daient la substance blanche des hémisphères comme la matière
nerveuse essentielle, tandis que la substance grise était considérée
comme « la matrice des fibres nerveuses», — matière formative, en
réalité, qui, partout où on la trouvait, ne servait que de noyau pour
produire une quantité suffisante de fibres nerveuses^. Par consé-
quent, la Substance Grise des Circonvolutions, — celle que nous
croyons aujourd'hui si largement intéressée dans les fonctions les
plus délicates et les plus subtiles du Cerveau, — était considérée par
les fondateurs de la Phrénologie comme n'ayant aucune fonction
nerveuse proprement dite.
On ne fit assurément aucune tentative pour tenir compte de plus
de la moitié de cette substance. Les auteurs supposaient avoir com-
plètement analysé l'Esprit Humain. Ils avaient assigné aux diverses
Facultés, Émotions et Propensions, leur siège respectif, correspon-
dant extérieurement aux parties supérieures et externes du crâne.
Mais les Circonvolutions de la base du Cerveau, celles qui reposent
sur la « tente du Cervelet » et celles des faces internes contiguës des
Hémisphères, étaient censées ne prendre aucunc/part aux fonctions
mentales. L'usage de cette Substance Grise des circonvolutions
étant estimé par les Phrénologistes d'une manière absolument diffé-
rente de ce qu'il est aujourd'hui, ils inventèrent leur «Système » et
définirent leur organologie, sans y faire d'allusion spéciale. Si
incroyable que cela puisse sembler aujourd'hui à beaucoup de per-
sonnes, cela est pourtant strictement vrai. On peut apprendre des
paroles de Spurzheim lui-même combien leurs soi-disant organes
furent constitués et délimités au hasard. «Les organes, dit-iP, ne
sont point confinés à la surface du cerveau : ils s'étendent de la
surface au gros renflement du trou occipital (le bulbe), et com-
prennent probablement même les commissures; car la masse entière
du cerveau constitue les organes. »
Il est à peine besoin de dire aujourd'hui qu'aucune des divisions
ainsi indiquées dans le Cerveau, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur,
ne possède une existence réelle. Et, si la surface plissée de l'organe
lui-même ne présente pas de divisions semblables à celles que l'on
voit sur un moule phrénologique pour séparer l'un de l'autre les
divers organes supposés, il n'est pas besoin de grandes connais-
sances anatomiques pour imaginer combien il est encore plus
impossible de deviner ces limites à travers le crâne et les tégu-
ments. Si nous prenons, par exemple, l'organe de philoprogéniture^
1. Spurzheim. Anatomy of the Brain, p. 7.
2. The Physiognomical System., 1815, p. 239.
THÉORIES DE GALL ET SPURZHEIM. 147
dont on peut voir sur tout buste phrénologique la place désignée à
l'arrière de la tête, nous voyons que cette place correspond à une
proéminence osseuse qui varie grandement d'épaisseur chez les
divers individus, tandis qu'à l'intérieur elle répond au point
d'union de quatre grands sinus veineux; et, en dedans de ceux-ci,
autant aux sommets des lobes occipitaux qu'au bord supérieur et
postérieur du cervelet'.
La division de l'Esprit humain en facultés distinctes, à la façon
des phrënologistes, est toutefois une erreur par elle-même, indépen-
damment de la nature peu satisfaisante de leur analyse particulière.
« Chaque forme d'intelligence étant par essence, comme le dit Herbert
Spencer^, une adaptation des relations internes aux relations
externes, il suit de là que, les relations extérieures s'accroissant à
mesure que se poursuit cette adaptation, en nombre, en complexité,
en hétérogénéité^ par des gradations impossibles à marquer, il ne
saurait y avoir de démarcations valables entre les phases successives
de l'intelligence... Considérée fondamentalement, l'intelligence n'a
pas de degrés distincts et n'est point constituée de facultés réelle-
ment indépendantes... ses phénomènes les plus élevés sont les effets
d'une complication qui s'est produite par des degrés insensibles, à
partir des éléments les plus simples. »
Cette vue philosophique d'Herbert Spencer est tout à fait en har-
monie avec ce que nous savons du développement progressif du
Cerveau dans la série animale.
Mais la grossièreté de l'analyse psychologique des Phrénologistes
est dignement couronnée par la simplicité de la manière dont ils
procédaient pour déierminer le siège des divers organes. Spurzlieira
dit : « Deux personnes étaient connues à Vienne pour leur extrême
irrésolution; aussi un jour, sur une place publique, Gall s'arrêta
derrière elles et observa leur tête. 11 trouva qu'elles avaient les
parties postérieures et supérieures des deux côtés de la tête extrê-
mement grosses; et cette observation lui donna la première idée de
cet organe». Telle était la nature de la niélliode, complètement au
hasard, par laquelle, après de nombreuses observations, recueillies il
est vrai sur des personnes de toute sorte, de tout âge et de toute
situation sociale, les détails de leur Système furent finalement
établis.
Le Système Phrénologique de Gall et Spurzheim était donc falla-
cieux sous presque tous les rapports. Il était absolument défectueux
dans son analyse psychologique, excessivement peu satisfaisant dans
ses localisations ; bref, ses méthodes étaient aussi peu sûres que ses
L Voy. fig. 147, 148.
2. Principles of Psychology, l''" éd., p. 486.
148 PilUÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
résultats peu concluants. Il aurait été assurément presque inutile de
s'arrêter aussi longtemps sur ce sujet, n'était qu'il y a probable-
ment encore, dans le grand public, beaucoup de personnes qui, si
elles ne croient pas réellement à la Phrénologie de Gall et Spurzheim,
seraient bien aises de savoir les raisons positives qui doivent faire
rejeter le système.
Nous faut-il toutefois courir à l'extrême opposé et souscrire à
des doctrines comme celles émises par Flourens (I8/1O)? Cetéminent
physiologiste, que l'on peut presque dire nous avoir initiés aux
recherches expérimentales dirigées sur la détermination des fonc-
tions du cerveau, se crut autorisé à tirer de ses propres investiga-
tions, bien connues, les conclusions suivantes, tout à fait opposées à
toute localisation en détail des fonctions, — c'est-à-dire à la localisa-
tion de fonctions spéciales dans des régions spéciales des Hémi-
sphères Cérébraux. Voici ses conclusions {Recherches expérimen-
tales, p. 99) :
« Ainsi, 1° on peut retrancher, soit par devant, soit par derrière, soit par
en haut, soit par côté, une portion assez étendue des lobes cérébi^aux, sans que
leurs fonctions soient perdues. Une portion assez restreinte de ces lobes suffit
donc à l'exercice de leurs fonctions.
2" A mesure que ce retranchement s'opère, toutes les fonctions s'affai-
blissent et s'éteignent graduellement; et, passé certaines limites, elles sont tout
à fait éteintes. Les lobes cérébraux concourent donc, par tout leur ensemble, à
l'exercice plein et entier de leurs fonctions.
3" Enfin, dès qu'une perception est perdue, toutes le sont; dès qu'une
faculté disparaît, toutes disparaissent. Il n'y a donc point de sièges divers, ni
pour les diverses facultés ni pour les diverses perceptions. La faculté de per-
cevoir, déjuger, de vouloir une chose, réside dans le môme lieu que celle d'en
percevoir, d'en juger, d'en vouloir une autre; et conséquemment cette faculté,
essentiellement une, réside essentiellement dans un seul organe. »
Mais, bien que ces premières et difficiles investigations expéri-
mentales parussent, à ce que pensait Flourens, l'autoriser à tirer des
conclusions de cette nature, ses vues ne furent point acceptées
avec empressement. S'il nous faut regarder le Cerveau comme le
principal organe de l'Esprit et considérer chaque opération mentale
comme une des manifestations de son activité fonctionnelle, toute
analogie, et même toute probabilité, nous amènera à conclure qu'un
ordre défini doit être observé, et que des opérations mentales iden-
tiques seront toujours associées à l'activité fonctionnelle de régions
identiques des fibres et cellules nerveuses du Cerveau et de ses
dépendances. Nous savons que les Nerfs Olfactifs, Optiques et Audi-
tifs vont chacun à des parties différentes du Cerveau ; de sorte que
les processus primaires en relation avec l'exercice des Sens corres-
pondants sont distincts les uns des autres. Pouvons-nous croire que,
LOCALISATI0.\S CÉRÉBRALES. 149
dans leurs phases postérieures ou plus élevées les régions affectées
h ces impressions deviennent moins distinctes? En outre, je touche
avec mon index la table sur laquelle j'écris en ce moment : l'impres-
sion ainsi produite voyage, au moyen de fibres nerveuses, le long d'une
route parfaitement définie depuis le point touché jusqu'à ma Moelle
Épinière. Puis-je douter que la route par laquelle elle atteint le
Cerveau soit aussi définie (quoique moins bien connue), et qu'une
impression semblable suive toujours la même route, aussi longtemps
que les conducteurs nerveux demeureront à l'état d'intégrité? Prise
dans ce sens, cette « localisation» semblerait être une simple nécessité
a priori. Mais si ce raisonnement s'applique aux Opérations Sen-
sorielles, il est également bon pour les Opérations et les Émotions
Intellectuelles. L'ordre et la régularité ne sauraient guère faire
défaut dans l'accomplissement des fonctions de ces parties du
Cerveau où, d'après la nature subtile et la multiplicité des actions
moléculaires comprises dans des myriades de cellules et de fibres,
ces caractéristiques particulières des actions cérébrales inférieures
sembleraient encore tellement plus nécessaires.
La question fondamentale de l'existence ou de la non existence de
localisations réelles de fonctions (de quelque manière que ce soit)
dans le Cerveau, doit être complètement isolée d'une autre question
secondaire qui, bien que l'on n'y prête ordinairement pas autant
d'attention, n'en est pas moins réellement digne d'être considérée à
part. La voici : « Si la localisation est une réalité, les diverses Opé-
rations ou P"'acultés Mentales dépendent-elles (aj de régions séparées
de la substance cérébrale; ou si [b] la localisation n'est caractérisée
que par l'arrangement d'une manière distincte de cellules et de
fibres, qui toutefois, pour ce qui est de leur position, peuvent être
entremêlées avec d'autres ayant des fonctions différentes, avons-nous
en réalité affaire à des aires topographiqitemejit séparées du tissu cé-
rébral, ou simplement à des mécanisines distincts de cellules et de
fibres, existants d'une manière plus ou moins diffuse et entremêlée? n
Ce dernier mode d'arrangement semble, à tout prendre, même
plus probable que le premier, et peut se recommander à beaucoup
de personnes. L'existence d'un aiTangement de cette nature nous
aiderait à jeter quelque lumière sur les résultats obtenus par Flou-
rens, ainsi que sur les doctrines aujourd'hui défendues par Brown-
Sequard. Elle permet d'y reconnaître une certaine dose de vérité,
sans nécessiter pour cela une négation du principe fondamental de
localisation, en tant qu'appliqué aux cellules et aux fibres.
Brown-Sequard s'est en effet lui-même exprimé dernièrement ^ do
1. Archives de Physiologie Normale et Pathologique, 2^ série, t. l\,i). 412.
150 PHP.KiNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
la manière la plus positive, en faveur de rarrangement diffus et
entremêlé. Il pense pouvoir mettre hors de doute qu' — « il n'existe
pas de centres, moteurs ou autres, comme on les conçoit ordinaire-
ment; c'est-à-dire d'agglomérations de cellules ayant une seule et
même fonction, et formant une masse plus ou moins nettement
délimitée ». L'existence de ce mode d'arrangement exigerait, ainsi
que l'autre, que l'on admît que les cellules ayant le même
genre d'activité fonctionnelle sont en communication les unes
avec les autres au moyen de prolongements. Et, comme il le
soutient, l'activité fonctionnelle de cellules semblables pourrait,
dans les deux cas, s'exercer conjointement et également bien, grâce
à l'intervention de prolongements intercellulaires. Cela ferait, en
réalité, comparativement peu de différences, que ces cellules sem-
blables fussent étroitement groupées ensemble ou dispersées au
contraire dans des espaces relativement étendues de l'Écorce Céré-
brale. Jusqu'ici, du moins, l'auteur se trouve tout à fait d'accord
avec Brown-Sequard.
Ainsi, tandis qu'une localisation topographiquement séparée de
« facultés » indépendantes semble à l'auteur tout à fait improbablei,
il est pleinement convaincu que certaines portions des Hémisphères
Cérébraux, — les Lobes Antérieurs, par exemple, — sont toujours
intéressées dans l'accomplissement d'Opérations Intellectuelles et
Volitionnelles de nature pratiquement semblable, bien qu'à des degrés
différents de complexité chez les divers individus. C'est à peine si
l'on peut dire toutefois qu'ils accomplissent, mais bien plutôt qu'ils
assistent et aident à accomplir certaines Opérations Intellectuelles
et Volitionnelles; car il semble improbable que, même une portion
aussi grosse de l'Hémisphère Cérébral que le Lobe Antérieur, ait une
série distincte de fonctions qui lui soient particulières. La division
en « lobes» est, pour la plus grande partie, une division entièrement
artificielle; et la substance grise de la région antérieure est, comme
nous l'avons vu, en relation intime avec la substance grise des parties
moyennes et postérieures des Hémisphères; de sorte que, de même
que notre nature psychique se compose d'un grand réseau com-
pliqué mais continu, dans lequel sont compris à la fois les Sensa-
tions, les Perceptions, les Jugements, les Émotions et les Volitions ;
de même, l'organe physique qui y correspond est aussi représenté
par le réseau le plus compliqué et le plus inextricable de cellules et
de fibres nerveuses, réciproquement liées et mises en relations fonc-
tionnelles les unes avec les autres. Ainsi donc, tandis qu'on peut
dire avec vérité que les Lobes Antérieurs prennent toujours part à
l'accomplissement d'Opérations Intellectuelles et Volitionnelles de
L Voy. Journal of Mental Science. Janv. 1869.
LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 151
même ns^^are, ils peuvent être les instruments principaux de cer-
taines fonctions et prendre part à un moindre degré à l'exécution
de quelques autres Opérations Mentales, dépendant plus spécialement
de l'activité fonctionnelle départies différentes,— les Lobes Pariétaux,
Temporaux, ou Occipitaux, isolés ou combinés.
Perception, Intellect, Émotion et Volition sont si intimement
associés dans nos processus mentaux ordinaires que, si nous voulions
essayer de dresser une carte définie de leurs territoires, de manière
à assigner une province séparée des Hémisphères Cérébraux à
chacune de ces grandes divisions de l'Esprit, nous tomberions pro-
bablement dans une erreur grave. Précisément dans les mêmes par-
ties des Hémisphères Cérébraux qui sont les plus intéressées lorsque
nous regardons une belle peinture ou un beau morceau de statuaire,
nous pouvons imaginer les émotions d'admiration auxquelles la vue
de ces objets d'art a donné naissance, — quelle que soit l'activité avec
laquelle d'autres centres peuvent coopérer; et, de même que la
vue d'un fruit mûr sur un arbre peut exciter un désir de le posséder,
suivi d'un Stimulus Volitionnel dans le but d'obtenir l'objet désiré,
de même, dans ce cas, les parties intéressées dans la manifestation du
désir^ et celles dans lesquelles le Stimulus Volitionnel prend son
origine, sont probablement situées dans quelques portions de la
même aire de subtance grise circonvolutionnelle, qui était intéressée
dans l'Acte Perceptif lui-même.
D'autre part, comme l'auteur l'a dit ailleurs^ : « Pour autant que
nous avons certaines avenues distinctes de savoir (par les Organes
des Sens et leurs ganglions nerveux voisins) et que les Hémisphères
Cérébraux sont les parties intéressées dans l'élaboration des impres-
sions ainsi obtenues, nous pouvons bien comprendre que les impres-
sions, entrant par une porte ou avenue sensorielle, peuvent passer à
travers la substance et vers la périphérie de ces Hémisphères Céré-
braux, dans certaines directions définies et suivant des routes habi-
tuelles. Alors, les impressions qui entrent par une autre porte de
savoir, ou avenue sensorielle, peuvent suivre, et suivent probable-
ment, une direction différente à travers sa substance ; de manière qu'à
la périphérie, les fibres et les cellules intéressées dans le processus de
direction et d'élaboration de ces impressions peuvent exister en
quantité maximum en différentes portions de la surface des Hémi-
sphères; — bien que, en partie, elles puissent occuper conjointement
la même étendue et être entremêlées avec les fibres et les cellules
intéressées dans l'élaboration de la série d'impressions précédem-
ment mentionnée. Et ainsi de suite pour les divers organes des sens
€t leurs expansions ultimes, formant ce que j'appellerais Centres
1. Journal of Mental Science, Janv. 1869.
lf)2 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
Perceptifs, dans les Hémisphères Cérébraux. Ainsi, bien qu'il puisse y
avoir un enchevêtrement compliqué d'aires, et bien que Paire
appartenant aux impressions d'un sens quelconque, dans les Hémi-
sphères Cérébraux, puisse être fort étendue (pour ne pas parler de la
complication ultérieure amenée par la communication établie entre
les cellules nerveuses de l'aire d'un sens et celles d'autres aires du
même Hémisphère Cérébral, et de l'union probable, établie au moyen
de fibres commissurales, entre les parties analogues des deux Hémi-
sphères), il se peut toutefois fort bien que certaines portions de la
surface des Hémisphères Cérébraux correspondent plus spécialement
au chiffre maximum de cellules et de fibres nerveuses appartenant à
quelqu'un des divers sens De même que certains de nos sens con-
tribuent d'une manière prépondérante à édifier nos impressions men-
tales et les résultats volitionnels correspondants (par exemple, ceux
de la Vue, de l'Ouïe et du Toucher), de même nous pouvons imaginer
que ces organes sensoriels seraient intérieurement reliés avec une
aire comparativement étendue de la substance corticale de chacun
des Hémisphères^ On serait donc en droit de regarder comme pro-
bable que les Centres Perceptifs pour les, impressions visuelles, et
ceux pour les impressions auditives, ont un siège relativement vaste
dans les Hémisphères Cérébraux; tandis que ceux appartenant aux
sens gustatif et olfactif ont une distribution plus limitée. »
Sauf quelques changements dans les termes, les vues établies
ci-dessus furent mises en avant par l'auteur dans des mémoires
écrits en 1865 et 1869. Et, si simple que puisse paraître aujourd'hui
la notion que nous avons le droit de chercher, dans la substance
corticale des Hémisphères, des Centres Perceptifs distincts, qui
seraient en relation structurale directe avec leurs nerfs sensoriels
respectifs etleurs ganglions inférieurs (ou noyaux) situés dans le Bulbe
ou près du Bulbe, — aucune mention de ce genre de localisation ne se
rencontre, jusqu'à cette période, dans les ouvrages de médecine ou
de physiologie-; bien que, ainsi que l'auteur essaya le premier de
le démontrer, ces notions jettent beaucoup de lumière sur la
Physiologie Cérébrale et sur certains défauts de la Parole résultant
de maladies du Cerveau^. Les vues de l'auteur furent, peu après,
1. Une idée de ce genre a aussi été soutenue dernièrement par le prof.
Croom Robertsou dans le journal Minci, 1877, p. 97.
2. On ne pouvait déduire de pareilles conclusions des vues sur la Physio-
logie Cérébrale mises généralement en avant en Angleterre. Il y a en effet une
opposition philosophique entre elles et les doctrines largement promulguées
par le D'' Carpenter (Voy. l'article : Sensation and Perception. — Nature^
décembre 23, 1869, et janv. 20, 1870, p. 309.
3. Voy. Physiology ofThinIdng [Fortnightly lieview.Jsiny. 1869) et Defects
of Speech in Brain Disease {Brit. and For. Chir.Rev.) Janv. et avril 1869.
CENTRES PERCEPTIFS. 153
adoptées et étendues par le docteur Broadbcnt, dans un important
mémoire sur le Mécanisme Cérébral de la Parole et de la Pensée i.
Bientôt, en outre, des physiologistes commencèrent à rechercher
avec ardeur des Centres Perceptifs de cette nature dans la sub-
stance grise corticale. Le premier à agir ainsi fut le docteur Ferrier,
bien qu'il ne fasse aucune allusion aux vues de Tauteur. Il entreprit
cette recherche peut-être d'une manière indépendante, en tout cas
d'une façon tout à fait systématique; et les résultats qu'il obtint
méritent d'être étudiés avec la plus grande attention 2. La notion
qu'il doit y avoir des Centres Perceptifs de cette nature se recom-
mandait évidemment à Ferrier; et, avec une énergie caractéristique,
il chercha à jeter de la lumière sur leurs localisations, comme il
avait précédemment — poussé par les vues de Hughlings Jackson —
cherché à établir l'existence de Centres Moteurs distincts dans
l'écorce des Hémisphères Cérébraux.
Jusqu'à ces tout derniers temps, il y a eu dans la littérature
médicale une remarquable disette de faits pouvant servir à prouver
l'existence et la localisation de pareils « Centres Perceptifs», soit chez
l'Homme, soit chez les Animaux. Nous avons, comme on l'a déjà
expliqué, de bonnes raisons pour croire que les fibres sensitives, ou
centripètes, venant de tout le corps en général, se rendent aux
Hémisphères Cérébraux en passant dans les couches supérieures et
postérieures des Pédoncules du Cerveau; et que, au point où chacun
de ces pédoncules s'étale dans l'Hémisphère correspondant, en for-
mant la couronne rayonnante, ces fibres afférentes correspondent au
tiers postérieur de cette expansion en éventail, et sont rejointes en
ce point par des fibres venant des ganglions inférieurs, ou noyaux, en
relation avec les organes de la Vue, de l'Ouïe et du Goût. On observe
que la destruction de cette portion des fibres pédonculaires arrête
toute impression sensitive — spéciale ou générale — provenant de
la moitié opposée du corps (fig. 171). Mais, tandis que notre savoir
est bon jusque-là, nous demeurons dans l'obscurité quant aux
relations de ces fibres sensitives avec la Couche Optique (et même
quant aux fonctions précises de ce corps, en général), aussi bien que
sur ce qui concerne la distribution ultime des diverses séries de fibres
à des régions particulières de l'écorce cérébrale, — dans lesquehes
1. Cérébral Mechanism of Speech and Thought [Med. Chir. Trans. 1872,
p. 180). Écrivant en effet dans le Journal o[ Mental Science (avril 1870, p. 23),
Broadbent dit : « Ainsi, ces circonvolutions qui reçoivent les fibres centrales
et sont bilatéralement associées par le Corps Calleux, constitueront les centres
perceptifs du D"" Bastian. »
2. Sa première communication sur ce sujet fut présentée à la Société Royale,
en avril 1875, et se trouve dans le tome II des Phil. Transact. de cette
année, p. 445.
154 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
seules leurs impressions respectives semblent culminer et s'associer
à des phénomènes subjectifs ou États de Conscience.
Cette absence de preuves, quant à la situation des « Centres Perceptifs » de
l'Homme, semble d'abord très-surprenante, puisqu'on pourrait imaginer que
l'étude des nombreuses observations de maladies locales, intéi^essant la surface
•du Cerveau, que l'on trouve dans les ouvrages de médecine, devrait bientôt
résoudre le problème. Il est toutefois loin d'en être ainsi : et cela pour beaucoup
de raisons que nous n'avons pas à détailler maintenant. Qu'il suffise de dire
que des lésions locales, n'intéressant que l'écorce d'un seul Hémisphère Cérébral,
n'ont jamais paru jusqu'ici, chez l'Homme, nettement associées à la perte de
l'Odorat, de la Vue, ou de l'Ouïe de l'un ou de l'autre côté du corps*. Cette
circonstance particulière semble spécialement liée, comme l'auteur l'a signalé
en 18742, à la nature double du Cerveau et à la connexion de chacun de ses
Hémisphères avec les ganglions inférieurs, ou noyaux, doubles et intimement
unis, de chacun des Sens Spéciaux.
En conséquence d'un tel arrangement anatomique, un seul Hémisphère
paraît souvent, fort peu de temps après que son homologue a subi une blessure
ou est devenu malade, capable d'être mis en relation avec les impressions
sensitives des deux côtés du corps, de manière que, bien que les h centres
pei'ceptifs » de la Vue, de l'Odorat ou de l'Ouïe puissent être détruits dans les
circonvolutions d'un hémisphère, il ne se pi'oduit, suivant les cas, ni cécité de
l'œil opposé ni perte unilatérale de l'ouïe ou de l'odorat. Il est tout à fait
possible qu'il y ait d'abord quelque perte ou faiblesse unilatérale de l'un ou
l'autre des sens spéciaux, lorsqu'un de ces centres est endommagé dans les
circonvolutions; bien que ceci puisse aisément passer inaperçu dans les pre-
miers jours d'une maladie. Le défaut d'observation, sur des points comme
ceux-ci, se présente très-communément au début d'une maladie aiguë du
Cerveau, soit de la part du malade, soit de celle du médecin. Ainsi que Ferrier
l'a récemment soutenu avec assez de justesse, on ne pourrait guère remarquer
ces troubles, ou s'en assurer, à moins de les rechercher d'une manière spéciale.
Toutefois, l'extrême rareté de troubles unilatéraux de l'Odorat, de la Vue ou de
l'Ouïe, comme effets immédiats associés aux maladies ou aux blessures d'un
seul des hémisphères du Cerveau, est un fait très remarquable, sur lequel tous
les meilleurs observateurs sont unanimes.
Si donc on veut jeter promptement la lumière sur cette fort
intéressante question, il faut avoir recours à des expériences sur
quelques animaux. De ceux-ci, les Singes sont évidemment ceux
qui conviennent le mieux, à cause de la ressemblance générale qui
existe entre le Cerveau de ces animaux et celui de l'Homme. Des
expériences de ce genre ont été faites, avec beaucoup d'habileté et
1. On est cependant arrivé, pour l'odorat, à une connaissance approximative.
Pour se reporter aux cas, voyez Ferrier, Functions of the Bra'm, p. 101.
2. Lancet, 25 juillet 1874, p. 111.
\
EXPEHIENGES DE FERHIEn,
155
de jugement, par le docteur Ferrier^, aux écrits duquel il faut ren-
voyer le lecteur, pour des détails complets sur ses nombreuses
observations et la valeur des épreuves adoptées. Il n'y a place ici
que pour un bref énoncé des résultats et des conclusions auxquelles
il est arrivé.
Ces expériences de Ferrier sont supposées par lui appuyer la
notion que des Centres Perceptifs^ d'aire limitée, et topograpliique-
ment distincts les uns des autres, existent dans l'écorce des Hémi-
sphères Cérébraux. Les faits qu'il cite n'entraînent cependant pas
E PL
TSL
FiG. 172. — Hémisphère gauche du Cerveau d'un Singe [Macacus). A, scissure de Syl-
vius ; B, sillon de Rohmdo; C, scissure pariéto-occipitale ou perpendiculaire; FL, lobe
frontal; PL, lobe pariétal; OL, lobe occipital; TSL, lobe temporal; F, circonvolution
frontale supérieure; F-, ici., moj'enne, F^, ici., inférieure; sf, sillon frontal supérieur;
if, sillon frontal inférieur; ap, sillon pariétal antérieur ; AF, circonvolution ascen-
dante frontale; AP, id., pariétale; PPL, lobule postéro-pariétal; AG, circonvolution
angulaire; ip, sillon intra-pariétal; T, T^ T^, circonvolutions temporales, supérieure,
moyenne et inférieure; <', t'^, sillons temporaux supérieur et inférieur; O', O^, O',
circonvolutions occipitales, supérieure, moyenne et inférieure; o", o-, première et
seconde scissures occipitales (Ferrier).
nécessairement une interprétation de cette nature. Ils sont tout à
fait explicables par ce que nous estimons être la théorie la plus pro-
bable; c'est-à-dire, en supposant que ces centres ou mécanismes
perceptifs ont un siège diffus et sont entremêlés les uns avec les
autres. Ceci a été, en effet, signalé par le professeur Croom Robertson,
qui dit 2 : « Il n'y a donc pas d'improbabilité intrinsèque — mais
plutôt l'inverse — dans l'idée que les impressions reçues par un
1. Voy. Philosoph. Transact. 1875, pi. II, et The Functions of the Brain,
1»877, chap. ix.
2. Voyez une analyse de l'ouvrage du D"" Fei'rier dans Mind, 1877,
p. 96, 97.
158
PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
organe sensoriel quelconque sont toutes conduites d'abord à une
région particulière de la substance corticale, avant d'être mises en
relation avec d'autres impressions et avec des impulsions motrices,
ou d'être élaborées d'une autre manière dans le cerveau. Il se peut
bien qu'il y ait dans l'écorce du cerveau des régions sensitives
spéciales et que le docteur Ferrier ait donné la première indication
sommaire de leur situation. » Chaque faisceau de fibres sensitives
pourrait, en réalité, se diriger vers quelque point particulier de
l'écorce cérébrale, d'où les fibres pourraient se répandre d'une
manière plus ou moins étendue. Ces premières stations corticales ou
FO
^
FiG. 173. — Face interne de l'Hémisphère Droit d'un Singe (Macacus). CC, corps calleux
divisé; C, scissure pariéto-occipitale interne: Cms, scissure calloso-marginale;
Cf, scissure calcarine ; df, scissure dentée; Cs, scissure collatérale; GF, gyrus forni-
catus (circonvolution du corps calleux) ; CM, circonvolution marginale ; GU, circonvo-
lution uncinée ; 5, crochet ou subicuhim de la corne d'Ammon ; Q, lobule quadrila-
téral ; Z, cuneus; FO, lobule orbitaire (Ferrier).
régions d'où les fibres sensitives se répandent dans différentes direc-
tions, peuvent n'avoir aucun titre réel à être considérées comme
centres; et cependant leur destruction ou leur excitation peut
amener le même genre de résultats que si c'étaient des centres
réels 1. Et, vu la diffusion subséquente des différentes sortes de
fibres, il n'est pas vraisemblable que les recherches expérimentales
révèlent d'autres régions ayant des droits semblables à être regar-
dées comme Centres Sensitifs. Croom Robertson dit, avec raison,
que les sensations elles-mêmes « ne peuvent ni être supposées
1. C. Robertson remarque avec justesse : « La lésion corticale peut absolu-
ment empêcher les impressions périphériques d'arriver à la conscience; mais
il ne s'ensuit pas que le dernier acte du processus nerveux compris dans une
sensation consciente du toucher soit naturellement accompli là, et nulle part
ailleurs dans le cerveau; ou que, dans toute cette région, il n'y ait de travail
accompli que ce que nous appelons (objectivement) toucher. »
EXPÉRIENCES DE FERRIER : CENTRE VISUEL,
-157
consommées à leur première station corticale ni être suivies ou
supposées possibles à suivre plus loin, par aucun des procédés expé-
rimentaux employés jusqu'ici. »
Bien que la détermination, par Ferrier, des points qui sont de la
plus grande importance pour chaque Sens demande à être un peu
plus confirmée par d'autres travailleurs qu'elle ne l'a été jusqu'ici,
avant qu'elle puisse être finalement acceptée comme correcte, le
discernement et l'habileté avec lesquels ses expériences ont été
conduites devraient leur assurer l'épreuve soigneuse et complète
que mérite leur importance.
Des expériences bien conduites sur les animaux sont particuliè-
FiG. 174. — Cerveau de Singe, montrant ombrée l'aire correspondante au centre visuel
de l'écorce de l'Hémisphère Gauche (Ferrier).
rement nécessaires, et propres à jeter la lumière sur cet obscur
problème de la localisation possible de Centres Perceptifs dans les
Hémisphères : car, lorsque de nombreux essais sur les effets de la
stimulation locale ou la destruction de différentes régions de l'Hémi-
sphère peuvent avoir amené l'expérimentateur à fixer quelque por-
tion de l'écorce comme siège principal dBiruaiie ces centres, il est
désormais en son pouvoir de produire à volonté des conditions qui
n'existent presque jamais dans le cas de maladies du sujet hu-
main,— c'est-à-dire qu'il peut produire des destructions symétriques
dans des régions correspondantes des deux Hémisphères; et, sachant
que ces lésions existent seules, il peut ensuite éprouver, avec le plus
grand soin, dans quelles conditions se trouve l'animal, sous le
rapport de la faculté sensorielle que l'on suppose avoir contrariée.
Si nous prenons en premier lieu le sens de la Vue, nous voyons
Ferrier localiser son Centre Perceptif dans la circonvolution angu-
laire et une partie du lobule supra-marginal (fig. 17Zt). La destruc-
158
PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
tion de ces parties sur un seul côté, chez un animal rendu insen-
sible par le chloroforme, parut amener la cécité de l'œil opposé
pendant un jour ou deux; — on observait, en bandant pendant un
certain temps l'autre œil, puis enlevant le bandage, de manière à
voir les différences qui se présentaient dans le maintien de l'animal
dans ces diverses conditions. Après un jour ou deux, l'animal en
expérience paraissait voir de nouveau avec ses deux yeux. Mais si
ces régions de l'écorce avaient été détruites dans les deux Hémi-
sphères, l'animal devenait aveugle des deux yeux et ne recouvrait
plus la faculté de voir. Au lieu d'un trouble temporaire du côté
opposé à la lésion unilatérale, la vue de l'animal était maintenant
perdue des deux côtés, et d'une façon permanente ^
FiG. 175. — Cerveau de Singe, montrant une yire ombrée, correspondant au centre audiiif,
dans l'écorce de l'Hémisphère Cérébral Droit (Ferrior).
Après des observations comparatives sur les effets de lésions
destructives, unilatérales et doubles, Ferrier localisa le Centre Per-
ceptif du sens de VOiiïe dans la moitié supérieure de la circonvolu-
tion temporale supérieure (fig. 175). Ici également la destruction de
cette région dans un seul Hémisphère n'amenait qu'une surdité tout
à fait temporaire de l'oreille opposée, tandis que la destruction de
cette même région sur les deux Hémisphères amenait une surdité
1. Voyez p. 49, où l'on a signalé que, dans le cerveau du professeur de
Morgan il n'y avait pas de différence appréciable dans l'apparence de la
circonvolution angulaire et du lobule supra-marginal des deux côtés du
cerveau ; bien que ce célèbre mathématicien eût perdu la vue, d'ww seul côté,
presque depuis sa naissance. En outre, dans l'examen du cerveau d'une
femme sourde et muette, Broadbent {Journal of Anatomy and Physiology,
vol. IV, p. 218) n'a ni signalé ni figuré aucune atrophie spéciale dans les
circonvolutions temporales supérieures.
EXPÉRIENCES DE FERRIER : CENTRE AUDITIF. 159
totale et durable des deux côtés. Ferrier dit, en parlant d'un des
animaux sur lequel il étudia ces effets i :
« La circonvolution angulaire venait d'être cautérisée sur le côté gauche,
amenant la cécité de l'œil droit seulement, et sans affecter aucunement l'ouïe
ou les autres sens. La circonvolution temporo-spliénoïdale fut alors découverte
et cautérisée sur les deux Hémisphères ; la lésion, comme on s'en assura à
l'autopsie, était strictement limitée à cette région. Après que l'animal se fut
complètement remis, on éprouva à plusieurs reprises les divers sens et les
facultés motrices. Le toucher, le goût et l'odorat étaient parfaits; et la vue,
comme l'indiquaient la parfaite liberté de mouvements de l'animal et son
aptitude à trouver sa nourriture et sa boisson, était pratiquement sans alté-
ration, vingt-quatre heures après l'opération. Pour ce qui regarde l'ouïe, il
était difficile d'imaginer une épreuve satisfaisante, à cause de la vivacité de
l'animal et de l'attention qu'il prêtait à tout ce qui l'entourait. Un bruit foi't,
produit tout à côté, occasionna un tressaillement, qui toutefois ne pouvait être
pris comme une preuve de perception auditive, en tant que distincte d'actions
réflexes 2.,. Pour éviter d'attirer son attention par la vue, je me retirai derrière
un& porte, et j'observai l'animal par une fente, pendant qu'il était confortable-
ment assis devant le feu. Lorsque tout fut tranquille, j'appelai à haute voix,
je sifflai, je frappai, etc., sans attirer l'attention de l'animal sur la source du
bruit, bien qu'il fût parfaitement éveillé et regardât tout autour de lui. Lorsque
je m'approchais de lui avec précaution, il ne se rendait pas compte de mon voi-
sinage, jusqu'à ce que j'arrivasse dans le champ de la vision ; ce qui le faisait
subitement tressaillir et grimacer de frayeur. En répétant ces observations
lorsque le singe était tranquillement assis avec un compagnon de son espèce
dont les facultés auditives étaient indiscutables, le compagnon tressaillait à
chaque son et regardait curieusement pour s'assurer de son origine, tandis que
l'autre demeurait tout à fait tranquille. »
Pour ce qui est du siège du Centre Perceptif dn sens de VOdorat,
nous avons des indications anatomiques de grande valeur. La con-
nexion delà « bandelette olfactive» avec le sommet du lobe temporal
(ou la continuité véritable qui existe entre ces parties chez beau-
coup d'animaux) pourrait, comme le dit Ferrier, « être regardée
en elle-même comme donnant des bases sérieuses à une connexion
physiologique entre cette région et le sens de l'odorat. » Il ajoute :
« Chez le Singe et chez l'Homme, la connexion directe entre la racine
externe de la bandelette olfactive, relativement petite, et le subi-
1. Fonctions of the Brain, p. 174.
2. Ces tressaillements, déterminés par des bruits rapprochés, doivent, comme
le remarque très justement Ferrier, « être regardés comme des phénomènes
réflexes, de môme nature que ceux observés par Flourens chez des pigeons
privés de leurs hémisphères, lorsqu'on tirait un coup de pistolet tout à côté
de leur tête. »
160 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
culumi n'est point aussi évidente; bien que, cliez le Singe, elle soit
plus apparente que chez l'Homme. L'origine, dans le subiculum, de
cette soi-disant racine est toutefois absolument établie par l'examen
microscopique. »
On observa qu'une lésion d'un seul subiculum diminue ou abolit
l'odorat d'un seul côté (celui de la lésion), confirmant ainsi la rela-
tion directe indiquée plus haut. Car, ainsi que Ferrier le signale ^ :
« Ni les racines internes, qui se confondent avec la circonvolution du
corps calleux de chaque côté, ni les racines externes, qui sont
réunies avec les subicula et de là, par les piliers postérieurs de la
voûte, avec les couches optiques, ne subissent de décussation; il n'y
a, par suite, aucune base anatomique à une connexion croisée entre
les bulbes olfactifs et leurs centres cérébraux ». On a observé que
la destruction de ces deux régions amenait la perte définitive de
rOdorat des deux côtés ^.
Grâce à la position protégée du sommet du lobe temporal, on vit
qu'une limitation exacte des lésions de cette région est presque
impossible. Aussi, bien que Ferrier croie le centre du GoiU immédia-
tement contigu à celui de l'Odorat, c'est-à-dire situé dans la partie
inférieure de la circonvolution temporo-sphénoïdale moyenne^ au
sommet du Lobe Temporal, il est incapable de parler avec autant de
certitude au sujet de cette localisation. « L'abolition du goût, dit-il,
coïncidait toujours avec la destruction de régions situées en relation
intime avec le subiculum » ; tandis que, en faveur de la partie
ci-dessus désignée comme étant le centre du Goût, il remarque que
l'irritation de cette portion de la circonvolution temporale moyenne
amène des mouvements des lèvres, de la langue et des joues, qu'il
regarde comme « des mouvements réflexes suivant l'excitation de la
sensation gustative ». La destruction de cette région, sur un seul
€ôté, produisit une perte temporaire ou un trouble du Goût du
€ôté opposé de la langue ; tandis que la perte de ce sens devint
1. On donne ce nom à la partie interne du sommet du lobe temporal, ou
plus précisément au sommet de la circonvolution uncinée (corne d'Ammon).
2. Loc. cit., p. 185.
3. On a hasardé (p. 120) une tentative d'explication de ce manque de
décussation des conducteurs olfactifs. Le sens de l'Odorat (dont les organes
sont situés de chaque côté de la ligne médiane du corps) est précisément le
mode de sensibilité qui n'établit aucune distinction entre les impressions
venant d'un côté ou de l'autre. Il ne semble donc pas vraisemblable qu'un
embarras, ou un trouble d'aucune nature, puisse se produire par suite du fait
que les impressions olfactives de la narine droite seraient mises en relation,
dans l'hémisphère correspondant, avec les impressions gustatives, visuelles,
auditives et tactiles, provenant de la moitié gauche du corps, et vice versa.
EXPÉRIENCES DE FERRIER : CENTRE DE L'ODORAT. ICI
complète, double et permanente, lorsque la même partie fut détruite
des deux côtés ^.
La destruction de tout le sommet de l'un des lobes temporaux
produisit une perte temporaire de l'Odorat, du même côté, et du
Goût, du côté opposé.
Pour ce qui est du siège du centre de Sensibilité Tactile et
Générale j, on éprouva d'abord quelques difficultés à s'arrêter
sur un point qui parut spécialement lié aux impressions de cette
nature. Ferrier dit : <( Après de nombreuses expériences, dans les-
quelles la surface externe presque toute entière de l'hémisphère
avait été successivement détruite sans amener la perte du sens du
FiG. 176. — Cerveau de Singe, montrant ombrée, dans le lobe temporal, l'aire dont la
destruction entraîna la perte de l'Odorat, du même côté, et du Goût, du côté opposé
(Ferrier).
toucher, il me semblait étrange qu'un sens aussi important au point
de vue intellectuel n'eût point, comme les autres, un centre spécial
dans l'hémisphère. Mon attention fut donc dirigée sur le côté interne
du lobe temporo-sphénoïdal et sur le moyen d'atteindre et de
détruire cette région ». Ferrier réussit bientôt à atteindre cette
région par l'arrière; et ses expériences subséquentes l'amenèrent à
regarder spécialement le grand hippocampe et la circonvolutio7i un-
cinée sus-jacente comme centres des Impressions Tactiles (fig. 177).
La destruction de cette région amène une perte complète de la sensi-
bilité de la moitié opposée du corps; et cette perte est d'un caractère
plus durable que la diminution qui se présente dans les autres modes
de sensibilité après la destruction unilatérale de leurs centres dans
1. Ferrier dit : « Avec l'abolition du goût, la sensibilité cutanée de la langue
fut aussi abolie, — fait qui prouve l'association dans l'hémispbère des centres
de sensation tactile et de sensation spéciale de la langue ». {Loc.cit., p. 189.)
Charlton-Bastian. — II.
162
PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
les circonvolutions,— résultat qui est jusque-là parfaitement d'accord
avec ce que l'on peut fréquemment reconnaître chez l'Homme,
comme effet de maladies cérébrales ^
Quant à la manière de prouver l'existence ou l'absence de la Sen-
sibilité Tactile chez l'animal en observation, on rencontre le même
genre de difficulté que pour les autres sens, grâce à l'incertitude qui
entoure la distinction à établir entre une simple réaction réflexe à
une excitation, et celle qui résulte d'une perception consciente.
Ferrier « s'efforça donc d'employer des moyens qui lui permissent
de distinguer clairement entre les deux cas; comptant plus sur les
preuves fournies par l'activité spontanée de l'animal que sur de
simples réponses à des excitations cutanées».
Il opéra sur un Singe qui était surtout gaucher, c'est-à-dire
FiG. ni.— Face interne de l'Hémisphère droit du Cerveau d'un Singe, montrant une aire
fortement ombrée correspondant au centre tactile; et des lignes pointillées, indiquant la
direction dans laquelle un instrument fut enfoncé pour détruire cette partie (Ferrier).
qui prenait de préférence de la main gauche les objets qu'on lui
offrait. « Pour cette raison, on détruisit la région de l'hippocampe
droit, en vue d'affecter le sens du toucher dans le membre que
l'animal employait ordinairement ». Voici comment Ferrier décrit
les résultats obtenus^ :
« Après que l'animal fut revenu de l'opération et de la stupeur narcotique,
on trouva que la vue et l'ouïe n'étaient pas troublées et que l'intelligence était
aussi vive et aussi active qu'auparavant. Mais l'excitation cutanée, produite
par les piqûres, les pincements ou une chaleur cuisante, suffisante pour causeï^
des manifestations fort vives de sensibilité lorsqu'on les appliquait sur le côté
droit du corps, n'amenaient en général aucune réaction du côté gauche de la
face ou des membres de ce côté. Parfois seulement, lorsque l'excitation était
intense ou longtemps continuée, il s'ensuivait une réaction. Cette absence
tout à fait remarquable de réponse d'aucun genre rendait l'annihilation de la
1. Paralysis from Brain Disease. 1875, p. 109-121.
2. Loc. cit., p. Vi9.
EXPÉRIENCES DE FERRIER : CENTRE TACTILE. 163
sensibilité tactile presque complètement sûre, sans qu'il fût besoin d'autre
preuve. »
Il existait aussi une altération dans le caractère des Mouvements
que pouvaient exécuter les membres gauclies, altération que Terrier
croit «due à la perte de la sensation tactile par laquelle les mouve-
ments sont guidés ». Toutefois, en présence de beaucoup de preuves
récentes, il semble plus que douteux que Vataxie du Mouvement soit
nécessairement, ou même jamais, occasionnée par une simple perte
de la sensibilité cutanée (Voy. p. 196 et 286).
Mais il devient ici nécessaire de faire une digression, à cause de
la nature complexe des Sensibilités Tactile et Générale et de leurs
relations avec ce qu'on nomme le sixième sens, ou Sens Musculaire.
Il serait fort important d'arriver, si possible, à des notions définies
sur ce qui touche à cette dernière faculté, afin que nous puissions
apprendre jusqu'où est vraie l'existence de quelque chose digne de ce
nom, à part des divers modes de Sensibilité Tactile et Générale, —
et aussi, incidemment, quel est le mode de sensibilité qui guide sur-
tout les Mouvements.
Sous le titre de Sensibilité Tactile et Commune il faut com-
prendre un grand nombre de sortes d'Impressions plus ou moins
distinctes les unes des autres. On peut les arranger ainsi en forme
de tableau :
I 1. Impressions tactiles proprement dites.
a. Delà Peau et des Mem-\ 2. Impressions de contact et de pression.
branes muqueuses. i 3. Impressions de température.
f 4. Impressions de douleur.
b Des Muscles. j ■^* I™Pï"essions (mal définies) d'effort ou de tension.
I 2. Impressions de douleurs (rares).
c. Des Aponévroses , Ten- i l. Impressions (mal définies) d'effort ou de pression.
dons et Os. j 2. Impressions de douleur (rares).
, ^ -r^. , il- Impressions de contact ou de pression (rares).
a. Des Viscères. loi ■ jji /i ^
( 2. Impressions de douleur (plus communes).
On trouve que les différents modes de sensibilité de la Peau et
des Membranes Muqueuses varient d'acuité dans certaines maladies
de la Moelle ou du Cerveau, sans garder aucune relation entre eux.
Ainsi la faculté de discerner entre le chaud et le froid, ou la sensi-
bilité aux impressions douloureuses, peuvent être abolies, soit sépa-
l'ément, soit ensemble, dans des parties qui demeurent sensibles
aux impressions de contact (sensibilité tactile ou toucher propre-
ment dit), ou vice versa. Aussi quelques physiologistes distingués
croient que ces différentes sortes d'Impressions sont conduites par
des fibres nerveuses séparées; tandis que d'autres, qui appuient leur
164 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
opinion d'autant de preuves, considèrent que les mêmes fibres
nerveuses sont capables d'être impressionnées de manière différente,
de façon à conduire diverses sortes de vibrations moléculaires, — et
à donner ainsi naissance à des impressions dont les phases subjec-
tives diffèrent au point qu'on a dit plus haut.
En laissant là les considérations de cette nature, il nous faut
envisager la série des questions beaucoup plus importantes, mais qui
cependant s'y rapportent, concernant Texistence, la nature et l'o-
rigine d'une faculté séparée, désignée ordinairement sous le nom
de Sens Musculaire. Ces questions ont beaucoup occupé l'attention
des physiologistes, pathologistes et psychologues — surtout de
ceux-ci —pendant ces dernières années. Les psychologues, en elïet,
attachent une telle importance aux impressions du Sens Musculaire,
qu'il devient par-dessus tout nécessaire d'avoir des notions claires
et compréhensives sur la nature véritable d'une faculté de ce genre.
Le professeur Bain, par exemple , soutient qu'à moins que l'on
n'adopte certaines opinions sur le sens musculaire, — à moins qu'on
ne le considère comme un mode actif, ainsi qu'il l'appelle, de sensi-
bilité, dépendant directement des nerfs moteurs et des centres
moteurs, — « la distinction la plus essentielle qui existe dans la
sphère de l'esprit est dénuée de toute base physiologique ^. » Ceci
peut être ou ne pas être vrai ; mais, en tous cas, cela montre l'im-
portance qu'il y a à arriver à des notions correctes sur une faculté
de la nature de laquelle on fait dépendre tant de doctrines philoso-
phiques. Croom Robertson a aussi parlé dernièrement ^ du sujet,
comme « de première importance pour la psychologie d'aujour-
d'hui. » (Voyez l'appendice à la fin du volume, p. 278.)
Les opinions exprimées, à différentes époques sur le Sens Muscu-
laire et les moyens par lesquels nous apprécions la résistance, ont
été si variées et si contradictoires qu'il est presque impossible de
donner à celui qui étudie cette question quelques notions exactes
des problèmes réels qui demandent une solution, sans donner en
même temps quelques notes historiques, exposant les diverses
opinions que l'on a émises sur ce sujet. Quelques-unes de ces notes,
de date plus ancienne, ont été originairement fournies par Sir
William Hamilton ; mais, comme on a récemment jeté beaucoup de
lumière sur ces sujets par l'observation de cas d'Hémianesthésie
chez l'homme, il convient, et même il est nécessaire, sous tous les
rapports, de reprendre la question entière. Ceci a été fait;
mais, comme la discussion de la question constitue une digression
trop longue pour trouver place dans ce chapitre, et qu'elle est évi-
1. Sensés and Intellect. 3^ éd., p. 77.
2. Mind. 1877, p. 98.
SENS MUSCULAIRE. 165
demment d'une nature technique, j'ai pensé qu'il valait mieux la
reléguer dans un Appendice et ne présenter ici que l'opinion qui
semble la mieux appuyée par les preuves que l'on y produit, ainsi
que quelques suggestions qui arriveront peut-être à éviter la con-
fusion dans l'avenir.
La conclusion à laquelle on est arrivé est qu'il faut abolir le
terme de Sens Musculaire, comme induisant en erreur, sous divers
rapports, lorsqu'on l'applique (comme on le fait souvent) avec des
significations totalement distinctes, se rapportant en partie à quel-
ques-unes et en partie à toutes les impressions qui nous viennent
de nos membres en mouvement ou des Mouvements en général.
Nous pouvons, avec beaucoup plus de raison et de commodité, en
face de tous les désaccords relatifs au sens musculaire \ parler
d'un Sens de Mouvement comme d'une faculté séparée, de nature
complexe, par laquelle nous sommes informés de la position et des
mouvements de nos membres, par laquelle nous pouvons juger du
'poids et de la résistance, et par laquelle le Cerveau est en grande
partie guidé, d'une manière inconsciente, dans l'accomplissement
des Mouvements en général, mais surtout de ceux du type automa-
tique. Des Impressions de diverses sortes se combinent pour parfaire
ce «sens de mouvement»; et son siège cérébral, ou aire, coïncide en
partie avec celle du sens du Toucher. Il comprend, comme compo-
santes, des impressions cutanées et des impressions qui viennent
des muscles et d'autres tissus profonds des membres (aponévrose?,
tendons et surfaces articulaires) qui, tous, donnent naissance à
des Impressions Conscientes, plus ou moins définies; et il semble y
avoir en outre une série fort importante d'Impressions non senties,
qui guident l'activité motrice du Cerveau, en le mettant automati-
quement en rapport avec les différents degrés de contraction de
tous les Muscles qui peuvent être en état d'action.
Des impressions de ce genre, ainsi groupées, diffèrent de celles
de toutes les autres Facultés Sensorielles en ce qu'elles sont, tout
d'abord résultats, plutôt que causes de Mouvement; et ne sont
ensuite employées que comme guides pour provoquer la continua-
tion des Mouvements déjà commencés (vol. I^"", p. 5/t). Mais, dans
d'autres cas, la résurrection en idée de quelques impressions de cette
nature coopérera avec certains stimuli sensoriels ou volitionnels ,
pour renouveler des mouvements déjà exécutés à quelque époque
antérieure.
Ferrier estime que ses expériences montrent que les sensibilités
1. Ou en un seul mot Kinœsthesis (de xivéw, mouvoir, et ai<T8Yic7t;, sensa-
tion). Parler d'un centre Kinesthétique sera à coup sûr bien plus commode
que de parler d'un centre du se7is de mouvement.
166 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
appartenant aux Muscles, aux Aponévroses, aux Tendons et aux
Articulations, dépendent d'Impressions qui se répandent dans la
même aire corticale qui est en rapport avec les Impressions Cutanées
plus superficielles^ et en repartent. Il croit que tous ces modes de
Sensibilité Tactile et Commune ont été troublés ou abolis ensemble
par certaines lésions corticales, ainsi que par celles de la partie
postérieure de la capsule interne.
Il est cependant tout à fait possible de trouver, dans certaines
maladies de la Moelle, la sensibilité de la Peau altérée ou perdue,
tandis que celle des Muscles et d'autres tissus profonds est conser-
vée; dans d'autres cas, la sensibilité de la Peau peut être conservée,
tandis que celle des Muscles est perdue * ; dans d'autres cas encore,
la sensibilité ordinaire superficielle et profonde peut être conservée,
tandisque lepassagedes impressions mconscien^es, venant desMuscles,
et dont nous avons déjà parlé, peut être plus ou moins gêné; de
sorte que, dans ce cas, bien qu'il n'y ait paralysie ni motrice
ni sensitive, il peut y avoir une inaptitude à coordonner les Mou-
vements sans l'aide de la vue ^.
Pour ce qui est des Impressions Viscérales, le lecteur doit bien
savoir qu'il n'est pas habituellement reçu de sensations provenant
des organes internes, et que l'on n'éprouve que des impressions
vagues, se présentant par intervalles, aussi longtemps que ces organes
demeurent à l'état de santé. On peut toutefois bien prouver, d'une
manière indirecte, que des impressions se rendent ordinairement
de quelques-uns des viscères au Cerveau, bien qu'elles demeurent
inconscientes. Des impressions systémiques sont, de cette manière,
capables d'exercer une influence importante sur le courant général
de nos pensées et de nos émotions, et peuvent aussi modifier, à un
degré marqué, l'activité du Cerveau dans les sphères d'un ou plu-
sieurs Sens Spéciaux. Ainsi, bien qu'elles ne soient point elles-mêmes
accompagnées de conscience, il est indiscutablement vrai que
diverses impressions viscérales modifient puissamment la Vie Con-
sciente des animaux inférieurs, aussi bien que celle de l'Homme.
Il est donc plus que probable que ces Impressions Systémiques
passent par des routes définies à travers le Bulbe et les parties infé-
rieures du Cerveau ; et, de là, montent à quelque région définie de
l'Écorce Cérébrale, d'où elles rayonnent peut-être dans diverses
directions. Le fait que les impressions sont d'un type inconscient
ne doit pas faire douter qu'elles n'atteignent l'Écorce Cérébrale.
Les probabilités sont au contraire grandement en faveur de cette
supposition.
1. Jaccoud, Les Paraplégies et l'Ataxie, 1864.
2. Landry, Traité des Paralysies, 1859.
IMPRESSIONS VISCÉRALES. 167
On ignore toutefois, pour le moment, quelles sont les parties de
l''Écorce où se rendent surtout ces impressions. Ferrier incline à
croire qu'elles vont aux Lobes Occipitaux, mais la preuve qu'il invoque
semble à l'auteur incapable d'appuyer une pareille conclusion ; et
Terrier lui-même n'insiste pas beaucoup sur ce pointa A part toute-
fois la nature douteuse de la preuve spéciale sur laquelle Ferrier
base son opinion sur la localisation cérébrale des Impressions Vis-
cérales, cette conclusion ne se recommande point très fortement, si
on la juge d'après l'évidence générale accessible à tous. Il ne semble
guère, en effet, que l'on ait des motifs suffisants pour croire que des
impressions aussi primordiales que le sont les impressions systé-
miques, dans toute la Série des Vertébrés (et qui semblent dimi-
nuer plutôt que croître en importance chez les membres supérieurs
de la série), doivent avoir surtout affaire à une des portions déve-
loppées en dernier lieu et des plus spécialisées du Cerveau. Assuré-
ment, cette évidence générale, comme l'auteur l'a déjà signalé
ailleurs, tend plutôt à attribuer la complication proportionnelle-
ment plus grande des Lobes Occipitaux à la plus grande Activité
Intellectuelle dont l'animal est capable ^. Cette dernière idée a été
également appuyée par le D'' Hughlings Jackson et autres, à cause
de la manière dont elle s'accorde avec un grand nombre de faits
présentés par des personnes atteintes de maladies du Cerveau.
Il ne s'ensuit aucunement que les Impressions Viscérales prove-
nant des deux côtés du corps doivent, comme la majorité des
impressions sensitives, s'entrecroiser en quelque point de leur
course vers les Hémisphères Cérébraux. Il ne résulterait point un
avantage semblable de la décussation de ces impressions. D'abord on
ne rencontre point, dans les Viscères, une symétrie bilatérale uni-
forme; et, en second lieu, si l'entrecroisement des autres con-
ducteurs sensitifs a été amené de la manière que nous avons tenté
d'indiquer (p. 116), il n'y aurait aucun but à une décussation sem-
blable des Impressions Viscérales. Ceci est évident lorsque nous con-
sidérons que les impressions viscérales n'entraînent aucunetendance
ou aucun besoin d'évoquer l'activité d'un seul côté du corps. Pour
autant qu'elles passent au Cerveau et excitent l'action des organes
de relation, elles sembleraient n'agir que par l'intermédiaire d'im-
pressions provenant des Sens Spéciaux, dont les centres ont été
éveillés, et rendus plus réceptifs par leur mise en relation avec des
Impressions Viscérales distinctes, bien qu'inconscientes.
1. Functions of the Brain, p. 192.
2. The Human Brain. Macmillan's Magazine, nov. 1865. Il paraît que la
même opinion a été mise en avant par le D'' Carpenter, dans : Brit. and For.
Med. Cliir. Review. Oct. 1846.
168 PHRÉNOLOGIE ANCIENNE ET NOUVELLE.
11 semblerait en effet, d'après quelques observations qui ont déjà
été faites, que, dans beaucoup de cas d'Hémianesthésie, les viscères
demeurent au moins aussi sensibles que jamais à une forte pression
exercée sur les deux côtés du corps; et ceci indiquerait naturelle-
ment que les conducteurs cérébraux de ces impressions ne s'entre-
mêlent pas, dans la région de la capsule interne, avec ceux des
autres modes de sensibilité.
Et, bien que leurs Centres puissent aussi être situés en des lieux
différents, il est à peu près certain que les Impressions Viscérales
peuvent, soit rayonner dans quelques parties de la province de
chacun des Sens Spéciaux, soit être mis en connexion intime avec
elles, puisqu'elles agissent si fréquemment les unes sur les autres
de la manière indiquée. Cette action réciproque n'a pas lieu toute-
fois que dans une seule direction. Il y a, de la part de VAppétit
Sexuel, comme le remarque le professeur Bain, « une susceptibilité
de s'enflammer par un grand nombre de côtés, par tous les sens,
par des séries de pensées et par des émotions qui ne sont point
des sensations. » A un degré moindre, une inflammabilité semblable
par les impressions sensorielles existe aussi à l'égard de VAppétit
pour la Nourriture.
CHAPITRE XXVI
VOLONTE ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
« Nous trouvons en nous-mêmes, dit Locke (1690), un Pouvoir
de commencer ou de différer, de continuer ou de cesser diverses
Actions de notre Esprit, ou divers Mouvements de notre Corps, par
une simple Pensée ou un simple choix de notre Esprit. »
Le champ de cette aptitude, qui porte le nom de « Volonté » ou
« Volition », est assez clairement indiqué ici par celui qu'on peut
appeler le père de notre Psychologie moderne.
Pour ce qui est de la seconde des sphères sus-mentionnées de
l'exercice de la Volonté, c'est-à-dire son influence sur les Mouve-
ments de notre Corps, Locke ne s'aventura dans aucun détail; et,
même à une époque de beaucoup postérieure, Hume [illxl) n'était
encore capable que de proclamer l'ignorance complète et, croyait-
il, sans espoir, qui régnait sur ce point. « Le Mouvement de notre
corps, dit-il, suit le commandement de notre Volonté. De ceci, nous
sommes à tout moment conscients. Mais les moyens par lesquels
ceci s'effectue, .l'énergie par laquelle la Volonté accomplit une opé-
ration aussi extraordinaire, nous sommes si loin d'en être immédia-
tement conscients, qu'ils échapperont toujours à nos recherches
les plus empressées. »
Hartley, dans Observations on Man, publiées une année seulement
après VInquiry de Hume, fit toutefois quelques remarques pleines
de valeur et de sagacité sur les causes, les modes d'acquisition et
les relations mutuelles des divers genres de Mouvements que nous
sommes capables d'exécuter. Les observations étaient si justes,
qu'elles forment encore la base de notre savoir sur le sujet.
Hartley chercha aussi, bien qu'avec moins de succès, à faire une
première classification grossière des Mouvements, au point de vue
de l'état, ou processus mental, dont ils sont précédés, lorsqu'il dit :
— « Des deux sortes de Mouvements — Automatique et Volontaire
— la première dépend des Sensations; la seconde, des Idées. »
Ceci, même en tenant compte de certaines restrictions néces-
170 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTA Ili ES.
saires, auxquelles Hartley eût lui-même donné son assentiment, ne
saurait être regardé comme une généralisation très correcte. Quel-
ques actions automatiques, comme celle du Cœur, des Intes-
tins et d'autres viscères, sont dues à des Impressions non senties^^
que l'on peut à peine appeler Sensations; tandis que d'autres sont
excitées ,parces sentiments, «commencés intérieurement», connus
sous le nom d'Émotions, et qui tiennent plus des Idées que des
Sensations. En outre, les Idées provoquent parfois des mouvements
automatiques, comme lorsque — pour citer seulement un des cas
les plus nets — une Idée comique nous pousse au Rire; bien que,
dans une multitude d'autres cas, il soit parfaitement vrai que des
idées soient les premiers excitants de Mouvements Volontaires. On
rencontre en outre, entre ces extrêmes, un grand nombre de gra-
dations insensibles; il y a, par exemple, des mouvements que l'on
peut à peine appeler Automatiques et que, cependant, les physiolo-
gistes ont aussi jugé à propos de séparer de la catégorie des Mou-
vements strictement Volontaires, — comme ils l'ont montré en leur
appliquant l'épithète d'idéo-inoteurs.
Ces actions, qui sont d'abord Volontaires, tendent, au bout d'an
certain temps, lorsqu'elles ont été fréquemment répétées, à devenir
réellement Automatiques. Hartley en avait, à coup sûr, parfaitement
connaissance. Ce fut lui qui proposa le premier de classer ces Actions
comme Autornatiques Secondaires, en opposition à celles de sa caté-
gorie des Automatiques Primaires, — qui comprenait les Actions que
l'individu a, dès la première fois, accomplies d'une manière auto-
matique. Il essaya de formuler quelques-unes des bases de distinc-
tion entre les Actions Volontaires et celles qui, dit-il, « doivent être
regardées comme de moins en moins volontaires, à demi volon-
taires ou à peine volontaires. »
Ce dernier sujet fut, toutefois, discuté d'une manière plus effi-
cace, à une époque postérieure, par James Mill. Il est d'importance
considérable, puisqu'il implique une tentative de découvrir la nature
réelle, ou les éléments constituants de cette phase de l'Esprit que
nous nommons Volition. Sur ce sujet, James Mill avance les opi-
nions suivantes ^ :
« Il semble que rien ne distingue les cas volontaires des involontaires;
sauf que dans les premiers il existe un Désir. En versant des pleurs au récit
d'une scène tragique, nous ne désirons pas pleurer; en riant au récit d'une
histoire comique, nous ne désirons point rire. Mais, lorsque nous élevons le
bras pour parer un coup, nous désirons lever le bras ; lorsque nous tournons
la tête pour regarder quelque objet attractif, nous désirons tourner la tête,
1. Analysis of the Human Minci, 1830, p. 279.
THÉORIES DE JAMES MILL. 471
Je crois que l'on ne pourrait citer un seul cas d'action volontaire dans lequel
il n'y ait pas une expression appropriée pour désigner l'action désirée.
Si donc il s'interpose, entre une Sensation ou une Idée et le
Mouvement qu'elle peut évoquer, un sentiment d'un ordre émotion-
nel connu sous le nom de Déùr, un mouvement qui aurait été dé-
signé comme Seiisori-moteur ou Weo-«^o^e«fr^ a droit au titre de Mou-
vement Volontaire^ C'est là la première et la plus importante dis-
tinction établie par James Mill. Mais, comme le même philosophe
le signale ensuite, il y a encore quelque autre chose qui accom-
pagne ou suit immédiatement l'émotion de Désir, — c'est-à-dire une
Idée ou Conception du genre de Mouvement nécessaire à la satisfac-
tion du Désir,
II paraît donc généralement admis par les philosophes cités ci-
dessus, ainsi que par d'autres, que les mouvements de notre corps
sont commencés, poursuivis, ou terminés, comme le dit Locke, « par
une simple Pensée ou préférence de l'Esprit. » Impressions, Sensa-
tions, Émotions, Pensées, — ce sont là les états mentaux qui, pris à
part ou combinés, sont suivis de Mouvements. Pour des détails rela-
tifs à leur excitation et à leur accomplissement réel, on ne sait que
peu de chose de plus, ou même rien, avec quelque degré de certi-
tude. Écrivant en 1830, James Mill disait ^ : « Nous n^entreprenons
point de dire quels liens physiques existent entre l'Idée et la Con-
traction, pas plus qu'entre la Sensation et la Contraction. Vidée est
la dernière partie de Vopération Mentale.
Si, toutefois, il en est réellement ainsi; si, au delà des états ou
processus mentaux ci-dessus énumérés, nous avons, dans les Actes
Volontaires, de simples changements physiques dans les nerfs et les
muscles, comme le déclaraient Hume et James Mill, il y a d'autant
moins de raison de s'étonner que quelques philosophes, comme
Dugald Stewart et le D'' Thomas Brown, aient, de propos délibéré,
1. L'opinion d'Hartley était fort semblable. Il dit : « La Volonté paraît n'être
rien qu'un désir ou une aversion, suffisamment forte pour produire une action
qui n'est point automatique, ni primairement ni secondairement La Volonté
est donc le désir, ou l'aversion la plus forte au moment présent ». Quelle
disposition d'esprit doit prévaloir, c'est ce qui est parfois immédiatement
réglé, mais ne l'est d'autres fois qu'après un processus de Délibération; et, sur
ce processus, Hobbes dit : « La somme totale des désirs, des aversions, des
espérances et des craintes, continuée jusqu'à ce que la cbose soit faite ou
estimée impossible, est ce que nous appelons Délibération L'appétit et
l'aversion ne sont donc ainsi nommés que lorsqu'ils ne suivent aucune délibé-
ration. Mais, s'il y a eu délibération, l'acte définitif est appelé volonté dans le
cas d'appétit, et non-vouloir dans le cas d'aversion ».
2. Loc. cit., II, p. 266.
172 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
■omis de discuter la Volonté comme une partie distincte de notre Vie
Consciente. « Connaître tous nos états sensitifs ou affections, dit ce
derniers tous nos états intellectuels, toutes nos Émotions, c'est
connaître tous les états ou phénomènes de l'Esprit. » La préséance
de l'une ou l'autre de ces phases subjectives, ou des conditions com-
plexes dérivées d'elles, correspondrait, pensait-il, à ce que nous
désignons sous le nom de Volonté. Au delà de ces phases subjec-
tives, nous passons, dans l'exécution des Mouvements Volontaires,
de la sphère de la Psychologie dans celle de la Physiologie pure et
simple.
La netteté de Vidée on Conception du Mouvement (qui, nous allons
le voir, est d'origine complexe), en tant qu'élément constituant,
conscient, d'une Volition, variera beaucoup suivant que le Mouve-
ment sera plus familier ou plus facile à exécuter. Et, sous ce der-
nier rapport, il existe naturellement toutes les gradations entre les
Mouvements Volontaires les plus simples et ceux de l'ordre le plus
complexe.
Nous pouvons, par exemple, accomplir volontairement quelque
mouvement qu'une répétition fréquente a déjà rendu facile, mais
que désormais nous accomplissons surtout d'une manière automa-
tique. Les doigts d'un enfant qui dort peuvent se refermer sur un
objet qu'on met doucement en contact avec la paume de sa main ;
ou bien, lorsqu'il est éveillé, l'enfant peut exciter volontairement
des mouvements semblables. Un objet, mis tout près des yeux, peut
faire cligner involontairement les paupières; mais on peut aussi
accomplir volontairement le même acte. Nous pouvons lever instinc-
tivement le bras pour parer un coup ; ou bien nous pouvons le lever
de même, d'une manière volontaire. Dans tous les cas, Vidée ou
Conception du Mouvement 7iécessaire se présente à peine comme un
élément conscient de la Volition : c'est une partie du processus qui
est devenue plus ou moins latente.'
Mais, dans l'autre catégorie plus complexe d'Actions Volontaires,
des efforts sont faits pour accomplir quelques combinaisons nou-
velles de mouvements, que leur complication rend d'abord fort dif-
ficiles à exécuter. Tel est le cas, par exemple, lorsque les enfants
apprennent à écrire, ou les jeunes gens à danser ou à jouer de
quelque instrument. Dans chacun de ces cas, il faut reconnaître
quelque Idée ou Conception du genre de Mouvement nécessaire,
comme partie constituante, plus ou moins constante, de la Volition
en question.
1. Philosophy of the Human Mind. Lect. XVIL
ACTIONS VOLONTAIRES ET ACTIONS AUTOMATIQUES. 47»
Au début d'un Mouvement Volontaire que nous avons déjà souvent exécuté^
nous le commençons avec certaines qualités prédéterminées qui lui sont
données .presque instinctivement, et dans le choix desquelles nous sommes
cependant guidés, d'une manière évidente, par l'expérience acquise et l'édu-
cation. Un exemple simple le montrera. Je sais que des objets ayant certains
caractères visuels m'ont ordinairement donné certaines impressions de poids
et de résistance, lorsque je les ai saisis auparavant; et, par conséquent, cette
expérience préalable me permet, en voyant de nouveau un pareil objet, et
désirant le saisir, d'évoquer une conception du Mouvement nécessaire qui, bien
qu'elle puisse être réalisée fort indistinctement par la Conscience, me permet,
en quelque sorte, de donner à l'acte Volitionnel les qualités nécessaires.
Cette faculté, en partie instinctive, en partie le résultat de l'éducation
individuelle, a donné lieu à beaucoup d'erreurs. Quelques-uns l'attribuent
à un instinct locomoteur pur et simple, et ignorent par conséquent que c'est
une faculté dont la manifestation est réglée en grande partie par l'éducation
individuelle. Quelques-uns font appel, avec une gravité vague, à l'intervention
de ce qu'ils nomment intuitions motrices, — voulant désigner par là quelque
chose appartenant aux Centres Moteurs, sur le point d'être mis en activité, ou
aj^ant son origine en eux; mais qui cependant aide d'avance, de quelque ma-
nière, à déterminer le mode de leur propre activité i.
James Mill montra plus de raison, en soutenant que les impressions
communément nommées Impressions du Sens Musculaire interviennent, et
prennent part à l'opération, comme agents déterminants, à une phase immédia-
tement postéineure à la Conception ci-dessus mentionnée, et antérieure à
Taccomplissement réel du Mouvement Volontaire. Si nous substituons à ces
impressions du sens muscidaire nos Impressions Kinesthétiques^, nous pouvons»
en ces termes plus généraux, adopter cette opinion de James Mill, comme sym-
bolisant bien le mode probable d'exécution, ou plutôt l'ordre, des processus
impliqués dans le commencement d'un Mouvement Volontaire.
Les mêmes parties du Cerveau qui sont mises en jeu pour le commencement
d'une série quelconque de Mouvements Volontaires, doivent sans doute demeurer
en activité pendant la continuation de ces mouvements; bien que peut-être pas
exactement dans les mêmes proportions relatives. Ainsi, un rappel idéal, ou
1 . Il y a, suivant toute pi'obabilité, dans les Centres Moteurs, une multitude
de combinaisons différentes de fibres et de cellules, qui ont été graduellement
établies, et par l'intermédiaire desquelles les Incitations Volitionnelles peuvent
être nécessairement distribuées le long de certaines fibres « centrifuges », de
manière à mettre en activité, suivant des modes définis, des groupes parti-
culiers de Muscles. Il ne semble pourtant pas y avoir de bonnes raisons pour
qu'on doive appeler des organisations de cette nature, ou plutôt l'activité fonc-
tionnelle de ces organisations, intuitions motrices; ou pour qu'on les regarde,
ainsi que le dit le D"" Maudsley {Physiology and Pathology of Mind. Chap. sur
les Centres Moteurs), comme constituant « une importante région motrice de
la vie mentale », — quoi que cela puisse signifier. Les vues du D"" Maudsley,
sur ce sujet, ne paraissent point fort claires; bien que son chapitre sur la
yolition soit excellent, et sans nulle ambiguïté.
2. Voy. p. 165.
174 VOLONTÉ ET MOUVIiMENTS VOLONTAIRES.
conception, des qualités sensitives des Mouvements nécessités, opère comme point
de départ; en permettant à l'individu de déterminer, en s'appuyant sur une base
déjà existante et en partie instinctive, comment agir et quelle force employer ;
tandis que, pendant la continuation des Mouvements, il serait aussi en partie
influencé par des sensations réelles, se réalisant dans les mêmes parties du
Cerveau, et lui disant comment il agit et quelle force il emploie^. Cependant, la
quantité relative d'activité des centres sensitifs intéressés peut n'être pas égale
dans les deux cas.
Ainsi, si nous supposons que les centres spécialement mis en jeu, comme
centres dirigeants, soient les Visuels et les Kinesthétiques, il se peut que les
premiers aient une influence dominante dans la production de la Conception
initiale; tandis que, pendant la continuation des Mouvements, les influences
agissant sur les Centres Kinesthétiques peuvent, à leur tour, avoir une influence
directrice plus puissante. Si quelqu'un essaye de prendre sur une table une
petite boule de coton au milieu de laquelle on a introduit, à son insu, un
lourd morceau de plomb, la détermination initiale du Mouvement supposé
suffisant, devra être rectifiée; et, dans ce cas, elle le sera évidemment sur-tout
à l'instigation des impressions Kinesthétiques.
On n'a fait allusion, jusqu'ici, qu'à la classe la plus simple de Mouvements
Volontaires, — à celle dans laquelle les mouvements eux-mêmes sont familiers
ou d'exécution facile. Mais, lorsque les mouvements que l'on désire exécuter
sont complexes et difficiles, et qu'il nous faut les apprendre par imitation des
mouvements d'autres personnes, le sens de la Vue se trouve alors doublement mis
en jeu. Il est nécessaire au commencement, et pendant la continuation de nos
efforts pour copier des mouvements de ce genre, de regarder alternativement
notre modèle et le mouvement de nos membres. Il faut, en réalité, longtemps
et beaucoup de pratique pour qu'une personne, apprenant à danser ou à jouer
d'un instrument de musique, soit capable d'exécuter l'une ou l'autre de ces
actions, sans s'aider par moments de l'influence directrice de la Vue. « En
apprenant à danser, comme le dit Hartley, l'élève désire regarder ses pieds et
ses jambes, pour pouvoir juger, par la vue, s'ils sont dans une position conve-
nable. Par 'degrés, il apprend à juger de cela par le sentiment; mais l'idée
visible laissée en partie par la vue des mouvements de son maître, en partie
par ses propres mouvements, semble être la principale circonstance associée qui
amène les m,ouvements convenables. » Durant le i^rocessus d'instruction, c'est
donc le Centre Visuel qui exerce évidemment une influence dominante.
Toutefois, avec le temps, les impressions qui appartiennent au « Sens de
Mouvement» (qui sont, naturellement, toujours associées à quelque degré avec
celles de la Vue), deviennent, au moyen de leurs conducteurs organisés, assez
librement associées avec elles et avec les conducteurs nerveux et les mécanismes
nerveux d'organisation nouvelle, pour permettre aux mouvements que nous"
avons étudiés de s'accomplir, sous la direction immédiate des seules Impressions
Kinesthétiques, — sans qu'il soit plus besoin d'une direction auxiliaire, fournie
par le sens de la Vue. Toutefois, comme le signale Jaccoud {Les Paraplégies et
l'Ataxie, p. 601), le sensorium a besoin à' apprendre, dans le premier cas,
quelles conditions et positions des parties mobiles sont liées à telles ou telles
impressions, tactiles ou autres, qui viennent de ces parties. Aussi n'est-ce qu'à
1. Voyez l'appendice.
ACTIONS VOLONTAIRES ET ACTIONS AUTOMATIQUES. 173
la fin de cet apprentissage qu'il est à même de conclure directement des
Impressions Kinesthétiques aux conditions précises des parties en mouvement.
Ce processus d'éducation ne peut marcher coiTectement que grâce aux
comparaisons que nous sommes accoutumés à faire, de moment à autre, entre
les positions et les mouvements des membres, tels qu'ils nous sont révélés par
la Vue, et la somme totale des Impressions Kinesthétiques reçues simultané-
ment des mêmes parties.
Ce genre d'éducation étant une fois complété pour chaque mouvement en
particulier, le savoir qui provient ensuite du Centre Kinesthétique devient aussi
réel, et aussi capable d'exciter des actions appropriées, que celui qui provenait
précédemment du Centre Visuel. Désormais, ses impressions seules, — même
lorsqu'elles n'éveillent que fort imparfaitement, ou même pas du tout, notre
Conscience, — suffisent à nous informer (c'est-à-dire suffisent à exciter les
centres Cérébraux convenables, suivant des modes en relation définie avec
différentes positions et tensions) de la position exacte de nos membres et de
la nature et du degré de leurs Mouvements. C'est par des Impressions Kines-
thétiques que nous sommes ensuite continuellement instruits des qualités des
Mouvements actuellement produits ; c'est par elles que nous savons s'il faut
continuer le mode présent d'action, ou si, pour mieux atteindre le but désire,
il faut altérer la qualité de !a « Volition». Et si, pendant l'exécution d'un Mou-
vement complexe, il devient désirable d'altérer une de ses qualités volitionnelles,
— la force, la rapidité, la direction ou la continuation de l'un des mouvements
composants ; ceci peut être immédiatement effectué « par une simple Pensée
ou préférence de l'Esprit » ; bien que la grande majorité des hommes n'ait
aucunement connaissance de la nature et du degré des changements individuels
introduits dans les actions des différents Muscles intéressés.
Le mode d'acquisition ci-dessus indiqué semble bien s'accorder avec nos
autres intérêts et avec les nécessités journalières de notre vie. Le sens de la
Vue facilite grandement le processus d'instruction; et ses impressions vives
mettent rapidement le setisoriuni en état d'apprécier exactement la signification
des impressions, plus vagues et plus occultes, qui lui arrivent simultanément
par le iens du Mouvement. Bientôt, toutefois, le Sens Visuel, qui nous est né-
cessaire pour tant d'autres objets importants, n'a plus besoin d'être concentré
uniquement sur l'accomplissement de Mouvements. Plus tard encore, notre
attention, ou conscience, s'affranchit encore davantage des détails qui ont trait
aux Mouvelnents. Les impressions appartenant au Sens de Mouvement, qui
pouvaient être conscientes, finissent pas passer ordinairement inaperçues ; et
nous arrivons à accomplir une multitude d'actions journalières sous la direc-
tion de simples Impressions Kinesthétiques inconscientes.
Ainsi le fonctionnement du côté moteur de notre mécanisme nerveux
complexe, même lorsqu'il a à exécuter les commandements de la Volonté,
procède si doucement, et passe en réalité tellement inaperçu, qu'il nous laisse
libre de suivre les fils de notre Vie Consciente, sans nous arrêter aux détails
infinis qui appartiennent aux états variables des innombrables Muscles, qui
agissent suivant des combinaisons toujours changeantes. Nous pouvons être
véritablement reconnaissants de n'avoir pas en réalité quelque sens musculaire,
comme celui que quelques psychologues imaginent pom' eux-mêmes, et de ce
que, même dans les Mouvements Volontaires, l'Esprit ne sait rien des Nerfs et
des Muscles par l'intervention desquels s'accomplissent les processus.
176 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
D'après notre propre expérience individuelle, ainsi que d'après ce
qui a été établi ^lus haut, il semblerait évident qu'il n'est besoin que
d'un exercice attentif pour que des Mouvements précédemment
étranges, diiBciles et complexes, deviennent susceptibles d'être ac-
complis aisément; et que, au bout d'un certain temps, durant le pro-
cessus d'instruction, d'abord la Conception des Mouvements néces-
saires, puis le Désir qui, originairement, déterminait leur exécution,
peuvent s'évanouir de même que les états conscients dont ils sont
nécessairement précédés. Lorsque ce dernier degré de perfection
est atteint, les actions auparavant Volontaires, dans le sens le plus
strict du terme, passent dans la catégorie des a Automatiques
Secondaires» : puisque l'occurrence d'une Sensation, d'une Émotion,
ou d'une Idée, peut être immédiatement, et sans l'intervention
d'aucun autre état conscient quelconque, suivie de l'un des Mou-
vements complexes en question. Ainsi, des Mouvements que l'indi-
vidu n'est devenu qu'avec tant de lenteur et de difficulté capable
d'accomplir, peuvent être devenus aussi aisés pour nous que la
succion, la déglutition, la toux, ou l'une quelconque de ces actions
« Automatiques Primaires », dont nous avons en naissant reçu l'héri-
tage, de générations sans nombre d'ancêtres, humains et autres.
Dans beaucoup de cas, en réalité, il y a de bonnes raisons pour
croire que l'alliance entre les actions « Automatiques Primaires » et
quelques « Automatiques Secondaires » est même plus fondamentale
qu'on ne vient de l'indiquer. Il faut établir, en détail, les raisons qui
militent en faveur de cette opinion.
MÉCANISME DES MOUVEMENTS AUTOMATIQUES PRIMAIRES,
ET LEURS MODES d'oRIGINE .
Les connexions nerveuses représentant un certain nombre de Mouvements,
qui ont été communément accomplis par la génération présente et un grand
nombre de générations passées d'une race quelconque d'animaux, existent, à
l'état organisé, dans la Moelle et le Bulbe de ces animaux. Elles sont représen-
tées par le développement de certaines connexions de fibres et de cellules, dans
les régions antérieures, connues sous le nom de motrices, delà. Substance Grise
de ces parties, — ces mécanismes étant en continuité, en avant, avec les racines
des nerfs centrifuges, et en relation, en arrière, avec des groupes de cellules
nerveuses plus petites, avec lesquelles les nerfs centrijMes des racines posté-
rieures sont à leur tour, de quelque manière, en relation de structure. C'est en
suivant ces derniers conducteurs que les Impressions sensitives, qui déter-
minent les Mouvements, dont nous avons parlé, atteignent la Moelle ou le
Bulbei.
Un grand nombre des groupes correspondants de cellules motrices, situés
1. Voy. vol. I", p. 19, 39.
MÉCANJSME DES MOUVEMENTS AUTOMATIQUES. 177
au même niveau dans les moitiés droite et gauclie de la Moelle et du Bulbe,
sont intimement reliés par des fibres commissurales transverses, — partout en
FiG. 1~8. — Groupes do Cellules en connexion avec les Racines Antérieures des Nerfs Spi-
naux, comme on les voit dans une coupe transversale de l'une des Cornes Antérieures
de la Moelle d'un Mouton (Flint, d'après Dean). A, point où. les racines antérieures
émergent des cornes de la substance grise; b, b, b, cellules reliées les unes aux autres
par des processus « intercellulaires » longs et grêles, et unies également aux fibres des
racines antérieures. On voit des faisceaux de fibres se croisant dans presque toutes les
directions.
réalité où l'action combinée des unités nerveuses des deux côtés se présente
communément (flg. 154, o o').
Charlton-Bastian.
12
178 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
Un grand nombi^e de groupes de cellules motrices situés à différents
niveaux dans la moelle, sont aussi reliés les uns aux autres, en combinaisons
simples ou multiples, par des fibres commissurales longitudinales, dont la lon-
gueur varie avec la distance qui sépare les groupes cellulaires dont l'activité
est ainsi associée. Ces fibres unissantes longitudinales, de longueur différente,
en passant d'un groupe cellulaire à un autre, traversent, en partie du moins,
ainsi qu'on s'en est assuré (par les preuves clinico-pathologiques fournies par
les personnes souffrant de maladies de la moelle), les u colonnes postérieures »
de la Moelle Épinière.
On conçoit que des groupes bilatéraux de ces cellules, existant à divers
niveaux dans les deux « cornes antérieures », bien que difl'érant beaucoup l'un de
l'autre par le nombre des unités qu'ils renferment et l'étendue de leur aire de
distribution, soient les Mécanismes Nerveux Spinaux et Bulbaires nécessaires à
l'exécution d'un nombre immense de mouvements Réflexes, ou Automatiques
Primaires, présentant également tous les degrés de complexité. C'est probable-
ment parce que ces divers mécanismes (fibres et cellules) sont arrangés d'une
manière si parfaite, que chacun des Mouvements en question peut être évoqué
avec une régularité machinale, en réponse aux stimuli appropriés qui les
atteignent et les traversent i.
Les « mécanismes » pour la production d'un grand nombre de Mouvements de
ce genre peuvent avoir été développés à une époque très reculée de l'histoire
de notre race ou des races précédentes. Mais quelques autres, — ceux par
exemple qui produisent les actes de la Déglutition, — quelque modification
que le temps ait pu leur faire subir dans les détails, doivent s'être originaire-
ment organisés chez des êtres où la combinaison d'efforts et de désirs vagues
saurait à peine être regardée comme produisant quelque chose d'analogue à
ce que nous connaissons sous le nom de Volition. Suivant toute probabilité, des
sentiments de cette nature et la faculté de concentrer l'Attention, qui est leur
corrélatif indispensable, n'atteignent que graduellement le degré de préci-
sion et d'intensité dont nous sommes conscients comme êtres humains. Ceci
sera probablement concédé par tout le monde ; et, s'il en est ainsi, on doit con-
clure que les bases organiques nerveuses d'un grand nombre des Mouvements
Automatiques Primaires des animaux supérieurs, doivent avoir eu leur origine,
ou se sont produites, indépendamment de tout agent qui ressemble à celui que
nous appelons Volition.
Ainsi, plus nous remontons dans la série animale, plus, suivant toute pro-
babilité, seraient vagues les influences déterminant de nouveaux développe-
ments du Tissu Nerveux que l'on pourrait ranger dans le type volitionnel ; et
plus nous serions forcés, si nous nous efforcions d'apprendre les causes des
nouveaux développements de ce genre, d'en revenir à ces tendances, ou con-
ditions originelles obscures, mais toutefois puissantes, sous l'influence desquelles
■les ■premiers Éléments Nerveux rudimentaires se sont développés dans les tissus
des Organismes inférieurs (vol. 1"", p. H).
Ce simple nisus organique, ou groupe des conditions vitales favorisant la
1. Que Hartley (1748) ait réalisé distinctement et prévu la nature de ce que
nous appelons aujourd'hui Actio7is Réflexes, c'est ce qui semble évident d'après
un passage de ses Observations on Man, Prop. XVIIL
MÉCANISME DES MOUVEMENTS AUTOMATIQUES. 179
première différenciation des Tissus Nerveux, continuerait probablement à agir
comme l'influence la plus puissante pour gouverner toutes les phases futures de
leur développement, — bien qu'il semble évident que de pareilles tendances au
développement, même dans la Moelle, puissent être favorisées de quelque manière
mystérieuse par l'Influence Cérébrale, lorsque la «Volition » est fortement exercée,
— c'est-à-dire lorsqu'un Cerveau, sensoriellement actif, est dominé de manière
à pi'oduire certains Désirs, et influencé dans certaines étendues corrélatives, par
ce mode, ou degré, d'activité dont nous appelons AttentionlQ côté subjectif.
MOUVEMENTS AUTOMATIQUES PRIMAIRES DIFFERES.
Il existe beaucoup de différences entre les divers animaux, relativement au
degré de perfection, à l'époque de la naissance, de ces connexions fibro-cellu-
laires héréditaires : il existe donc, entre ces animaux, des différences semblables
quant à la faculté qu'ils possèdent, à leur naissance, d'exécuter les divers
mouvements avec lesquels ces Mécanismes Nerveux sont en relation.
Ainsi, chez quelques Oiseaux à la sortie de l'œuf, et chez quelques Quadru-
pèdes au moment de la naissance, un grand nombre des mécanismes nerveux
intéressés dans la production des Mouvements Automatiques habituellement
accomplis par ces animaux, sont assez parfaits pour que les animaux soient
capables d'accomplir presque tout d'abord les Mouvements les plus complexes,
— sans qu'il y ait nullement besoin qu'ils apprennent comment les exécuter. Les
expériences de D.-A. Spalding sur des Poussins et de jeunes Porcs ont révélé
des faits intéressants à l'appui de cette proposition (voy. vol. F"", p. 146 et 177).
On peut toutefois citer beaucoup de cas d'un caractère opposé, — c'est-à-
dire dans lesquels, à l'époque de la sortie de l'œuf ou au moment de la nais-
sance, d'autres Oiseaux ou Mammifères sont dans un état de développement
beaucoup moins avancé ; et dans lesquels leurs facultés d'exécuter des Mou-
vements complexes d'un ordre semblable sont notablement moins parfaites.
Les petits des Canaris et de beaucoup d'autres oiseaux, par exemple,
demeurent dix ou quinze jours incapables de se nourrir eux-mêmes ou de
marcher ; et ils peuvent rester deux fois ce temps incapables de voler. Mais ce
retard dans la faculté d'exécuter des Mouvements de ce genre n'est évidem-
ment qu'un des signes ou accompagnements du retard général de leur con-
dition de développement. Un oiseau ne peut pas plus voler sans l'aide de
Mécanismes Nerveux internes, développés d'une façon appropriée, que sans
plumes à ses ailes; et l'un des groupes de tissus est probablement aussi peu
développé que l'autre, chez les petits des Serins et de bien d'autres oiseaux.
L'accomplissement d'un grand nombre de Mouvements qui sont « primaire-
ment » Automatiques chez le Poulet et les oiseaux, qui lui ressemblent, est donc
différé chez les Serins et leurs alliés jusqu'à l'époque où les mécanismes ner-
veux et autres ont eu le temps de se développer. Cela donne une base à la
supposition communément admise, que ces êtres ont à apprendre comment
accomplir ces mouvements, — ce qui, si cela était vrai, devrait les faire classer
nécessairement parmi les Mouvements Automatiques secondaires plutôt que
parmi les primaires.
Les intéressantes expériences de Spalding sur les jeunes Hirondelles, et sur
d'autres oiseaux qui sortent de l'œuf à un état imparfait, ont toutefois montré
180 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
que, chez eux, la manifestation de Mouvements Automatiques « primaires », dé-
pendant de mécanismes nerveux hérités, n'est que différée jusqu'à l'époque où
ces développements sont achevés ; — et qu'alors, sans aucun processus d'instt~uc-
tion, les Mouvements peuvent être aisément évoqués (vol. P', p. 178).
L'état de faiblesse du petit Singe et de l'Enfant, à l'époque de la naissance,
doit être également attribué en grande partie au défaut de maturité, à cette
période, de leurs grands centres nerveux. Un grand nombre des Mouvements
qu'ils apprennent lentement à accomplir sont sans doute rendus possibles par
le développement actuel des cellules et fibres nerveuses delà Moelle et dM Bulbe,
qui sont les instruments servant à l'exécution de ces Mouvements, et sont acquis
d'une manière coïncidante. Ainsi, lorsque nous disons que le jeune enfant
« apprend » à accomplir ces mouvements, il faudrait comprendre que ce mot n'est
applicable ici que dans un sens très restreint. Les vagues efforts servent peut-
être simplement comme incitations, tendant à éveiller ou à perfectionner les
tendances déjà existantes (puisqu'elles sont héréditaires) qu'ont à se développer
certains Centres Nerveux, Moteurs et autres, — c'est-à-dire des mécanismes qui,
chez un grand nombre d'autres êtres, ont atteint leur complet développement
à la naissance, ou presque immédiatement après.
Sans l'existence de ce nisus organique (sous forme d'une tendance hérédi-
taire à se développer suivant certains modes et dans certaines directions),
l'enfant ne pourrait jamais acquérir aussi promptement qu'il le fait la faculté
d'exécuter les Mouvements excessivement complexes de la Station, de la Marche,
ou de la Parole Articulée (voy. p. 214) .
RELATIONS DES MOUVEMENTS VOLONTAIRES
ET DES MOUVEMENTS AUTOMATIQUES,
Les mouvements complexes dont on vient de parler en dernier lieu étant
quelques-uns des Mouvements Automatiques secondaires les plus typiques de
Hartley, les considérations ci-dessus suffiront à montrer qu'un grand nombre
de ceux placés jusqu'ici dans cette [catégorie ne sont que des Mouvements
primaires, dont la faculté d'exécution a été un peu différée. Précédemment,
beaucoup de personnes ont supposé que l'influence dirigeante de la Volition
agissait principalement en permettant à l'enfant de les exécuter; tandis que
l'on soutient ici que leur acquisition par l'individu dépend beaucoup plus du
développement graduel de Mécanismes Nerveux hérités, — dus à l'éducation
successive d'un grand nombre de générations précédentes. Ce ne sont évi-
demment pas des Mouvements nouveaux, acquis de nouveau par chaque individu,
comme ce serait le cas, par exemple, pour les personnes qui apprennent à
nager, à danser, ou à jouer de quelque instrument de musique. Dans un
groupe de cas, les Efforts Volitionnels sont rencontrés à moitié chemin par les
tendances héréditaires au développement ; tandis que, dans l'autre, et dans le
cas de tous les Mouvements Volitionnels nouveaux acquis par l'adulte, les
Influences Volitionnelles ne sont aidées que par ces tendances organiques natu-
relles au développement de mécanismes nerveux nouveaux, qui ont originaire-
ment conduit (sous l'influence de stimuli appropriés) à la genèse primaire des
Tissus Nerveux ; et que l'on peut, en toute sécurité, regarder comme agissant
encore chez tous les animaux, supérieurs ou inférieurs.
CLASSIFICATION DES MOUVEMENTS.
181
Mouvements Acquis CLASSIFICATION DES MOUVEMENTS Mouvements Héritéi
par l'Individu. par l'Individu.
I. — VOLITIONNELS.
II. — Automatiques
Secondaires.
(Hartley).
' a Où les Mouvements eux-mêmes
sont familiers et aisés.
b. Où les Mourements eux-mêmes
sont peu familiers et difficiles.
Mouvements appris par chaque
individu pour lui-même; et
qui, par la suite, après une
longue pratique , deviennent
familiers et d'exécution facile.
Mouvements qui ne semblent avoir a.
besoin d'être appris par chaque
individu, que parce que leurs
mécanismes nerveux ne sont
point développés au moment
de la naissance.
Mouvements appris par les gêné- b.
rations précédentes d'animaux,
et maintenant susceptibles
d'être accomplis instinctive-
ment à la naissance, grâce à
ce que les mécanismes hérités
sont, dès lors, suffisamment
développés.
- Automatiques
Primaires.
Les actes Volitionnels ne sont donc que des actes Automatiques en voie de
foi'mation, d'abord pour l'Individu, et peut-être, d'une manière subséquente, pour
la Race. Là où ces Mouvements ont été acquis ou appris pour la Race, à moins
que les Mécanismes Nerveux hérités qui y sont corrélatifs ne soient développés
au moment de la naissance, des Volitions peuvent intervenir de nouveau chez
chaque Individu, et agir comme stimuli pendant le temps que ces Mécanismes
héréditaires mettent â subir leur degré normal de développement.
Admettant que les Mécanismes Moteurs Spinaux et Bulbaires
sont, soit développés, soit en voie de développement, nous pouvons
maintenant employer notre attention, d'une manière plus particu-
lière, à considérer les parties d'où viennent les Incitations Céré-
brales, et les conducteurs par lesquels elles passent (en descendant
de la substance grise corticale) dans les Mouvements Émotionnels,
Idéo-moteurs et Volitionnels.
On a assez clairement reconnu une partie de la route : et c'est
de celle-là que nous allons parler tout d'abord.
D'après les preuves qui nous sont fournies par les maladies sur
le sujet humain, d'après les expériences sur quelques animaux et
d'autres sources d'informations, on s'est assuré que les Corps Striés
sont de gros ganglions moteurs, intéressés de quelque manière
dans l'exécution des Mouvements Volontaires, Émotionnels et Idéo-
moteurs.
Les stimuli moteurs, — c'est-à-dire les stimuli qui doivent évo-
182
VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
quer des mouvements, — descendent donc de certaines parties de
l'É corce Cérébrale aux Corps
Striés correspondants. Ces
corps sont mis en activité
d'une manière qui ne peut
être définie, bien que d'eux
les stimuli moteurs semblent
se continuer et se rediriger
vers les mécmiismes moteurs
dont nous avons précédem-
ment parlé, et qui sont situés
dans le Bulbe et la Moelle.
Les chemins que suivent
ces derniers stimuli sont
assez bien connus. Ils par-
tent de chaque Corps Strié,
passant à travers les couches
inférieures du Pédoncule Cé-
rébral et le Pont de Varole,
en se maintenant du même
côté; tandis que, au-dessous
de ce pont, ils se réunissent
dans la pyrcmiide antérieure
du Bulbe qui, après une
course d'un peu plus d'un
pouce, s'entrecroise avec son
homologue, — de manière
qu'un grand nombre des
fibres de chacune des py-
ramides passe dans la co-
lonyie latérale opposée de
FiG. n9. — Cellule Nerveuse, avec branches nom- n i + a- rV
breuses, de l'une des Cornes Antérieures de la ^^ MOCUe , tandis quO d aU
très continuent à descendre
dans la colonne antérieure
du même côté. Les fibres
motrices qui subissent la
décussation et descendent
dans les colonnes latérales
de la Moelle, entrent dans les cornes antérieures de la Substance
Moelle Épinière de l'Homme (Mas Schultze). a, pro-
longement cellulaire non ramifié, se poursuivant,
ou s'unissant, avec le cylindre-ase de l'une des
fibres des rocines antérieures; les autres prolon-
gements sont ramifiés; b, agrégat de granules
pigmentaires sur un côté du gros noyau nucléole.
(X 150 diam.)
1. Il semblerait, d'après les phénomènes communément occasionnés par les
maladies des grands Centres Nerveux de l'Homme, que les conducteurs céré-
braux par lesquels les mouvements, au moins des membres, sont mis en acti-
vité, dussent subir une décussation de ce genre.
MÉCANISMES MOTEURS.
183
Grise dans les régions cervicale, dorsale ou lombaire, suivant la
situation des groupes de cellules intéressés dans les Mouvements
que les stimuli cérébraux particuliers, qui traversent ces conduc-
teurs, sont destinés à évoquer.
Le passage des Incitations Cérébrales, ou stimuli, à travers l'un
ou l'autre de ces Mécanismes Spinaux est suivi d'un épanchement
de Mouvements Moléculaires gradués, le long de certaines des
fibres des racmes antérieures avec lesquelles ces Mécanismes sont
continus : et ceux-ci, traversant les Nerfs Moteurs avec une vitesse
d'environ 111 pieds par seconde, excitent rapidement des groupes
FiG. 180. — Coupe Iransversale du Cerveau d'un Chien, un peu en avant de la Commissure
Optique, montrant la partie antérieure de la capsule interne, dont la section, de run
ou l'autre côté, produit VHémiplégie (Carville et Duret). s, s, noyaux intra-ventricu-
laires des corps striés ; L, noyau extra-ventriculaire ; P, expansion pédonculaire
(capsule interne) ; Ch, commissure optique (chiasma) ; x, section de la partie antérieure
de la capsule interne, produisant THémiplégie du côté opposé du corps.
musculaires définis, suivant des modes définis, de manière à pro-
duire les Mouvements désirés.
La manière dont les médecins et les pathologistes ont acquis
ces connaissances sur la route que suivent les stimuli cérébraux,
en descendant des Corps Striés aux Muscles, est trop compliquée et
trop technique pour être discutée ici. Nous devons nous contenter,
pour le moment, du simple énoncé que nous venons de faire des
faits et des brèves explications que voici :
Les effets qui suivent, chez l'Homme, les maladies des Corps Striés, soit
Ramollissement, soit Hémorrhagie, démontrent l'importance de ces corps rela-
tivement aux Mouvements Volontaires, et prouvent qu'ils ont affaire à la
184 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
transmission et à la distribution convenable des incitations « volitionnelles » . La
destruction ou la lésion sérieuse de l'un des Corps Striés par une maladie
produit, entre autres résultats, une perte complète de la puissance volontaire
sur les Membres du côté opposé du corps (Hémiplégie); bien que les muscles
du tronc , qui sont mis eu activité simultanée, ne partagent point cette
paralysie, pour les raisons que Broadbent a été le premier à donner (p. 118).
Chaque Corps Strié transmet donc les incitations volitionnelles pour les mouve-
ments des Membres delà moitié opposée du corps; tandis qu'il semblerait que
chacun d'eux puisse transmettre les incitations capables de mettre en action les
groupes doubles et intimement unis de Cellules Nerveuses Spinales qui gou-
vernent les mouvements bilatéraux du tronc. On s'arrêtera spécialement, dans
un autre chapitre, sur les mouvements bilatéraux en rapport avec la Parole.
On ne peut conjecturer que vaguement la manière précise dont
agit le Corps Strié. Nul n'a mieux ou plus explicitement exprimé
que Broadbent ne l'a fait dans le passage suivant, l'opinion admise
par beaucoup d'auteurs i.
« Le Corps Strié est le ganglion moteur de la moitié opposée du corps tout
entière. Il traduit les volitions en actions, ou met à exécution les commande-
ments de l'Intellect ; c'est-à-dire qu'il choisit pour ainsi dire les noyaux ner-
veux moteurs (du bulbe et de la moelle) propres à accomplir l'action désirée,
et leur envoie les impulsions qui les mettent en jeu. Ces impulsions sont
transmises par des fibres, et les fibres doivent partir de prolongements cellu-
laires du corps strié. Un mouvement donné doit donc être représenté dans le
Corps Strié par un oupluiieurs groupes de cellules, émettant des prolongements
descendants, qui deviennent des fibres de la partie motrice de lamoelle. Lorsque
le mouvement est simple, ou lorsque la coordination peut être elTectuée par la
moelle, comme dans la marche, le groupe cellulaire sera petit et les fibres
descendantes peu nombreuses. Lorsque le mouvement est complexe et délicat,
et guidé par la vision ou par l'attention consciente, comme dans l'écriture et
le dessin, les groupes cellulaires seront gros et définis, et les fibres descen-
dantes nombreuses. Il n'y aura pas un groupe séparé de cellules pour chaque
mouvement; mais les mêmes cellules peuvent être combinées de manière
différente : de même que le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'aïote forment
la base de toutes les substances organiques. Les mots, qui exigent pour leur
prononciation la coopéi'ation simultanée des muscles de la poitrine, du larynx,
de la langue, des lèvres, etc., et l'ajustement exquis et rapide de leurs mouve-
ments intéressés dans la phonation et l'articulation, doivent être représentés
dans le Corps Stiié par des groupes très considérables de cellules ; et cela pas
d'un côté seulement, mais des deux.»
Cette opinion sur les fonctions des Corps Striés, relativement aux
Mouvements Volontaires, peut être complétée par l'idée qu'a émise
le même auteur sur les fonctions du Cervelet dans la production
de ces Mouvements. On verra ainsi les parts respectives qu'il incline
à assigner à chacun de ces organes. Il dit :
\. Drit. Médical Journal. 1" avril 1876.
CENTRES MOTEURS. 185
« Le Cervelet coordonne les mouvements guidés par la vision, ou combine les
mouvements généraux du corps, qui sont rendus nécessaires îmr des actions spé-
ciales ordonnées par la Volition. Par exemple, pour démontrer cette dernière fonc-
tion, je désire frapper un coup. Je n'ai conscience que du désir d'atteindre l'objet
et de l'atteindre avec force : c'est là la seule action réalisée dans la conscience.
Mais, pour exécuter ce dessein, non seulement le poing doit être serré et le bras
étendu brusquement, mais encore les pieds doivent être solidement plantés,
les jambes rendues rigides, le corps rejeté en avant, la poitrine fixée, et c'est
ce que le Cervelet fait pour moi Nous pouvons voir qu'il n'y a pas entre les
impressions visuelles de relations semblables à celles qui existent entre
celles-ci et les impressions tactiles ; et que tout mécanisme analogue à celui
qui sert aux réponses réflexes de ces dernières est impossible pour la vision...
Comment le Cervelet est actionné par le Cerveau ou les ganglions sensori-
moteurs, et agit à son tour sur la moelle, c'est ce que nous ne savons pas
encore. »
Les notions exposées ci-dessus par Broadbent sur ce qui touche
aux fonctions du Cervelet ne sont, en partie, pas très différentes de
celles qui ont été exprimées dans le chapitre xxiv. Il y a, en réa-
lité, des raisons sérieuses pour croire que le Cervelet agit, de quel-
que manière, à l'instigation du Cerveau-, dans la production des
Mouvements Volontaires (voy. p. 137) ; et, dans ce cas, comme on l'a
déjà expliqué, les mouvements sont principalement guidés par la
Vision. D'autre part, il semble évident que le Cervelet prend aussi
part à l'accomplissement de Mouvements « automatiques » de l'ordre
le plus élevé ou le plus général, tels qu'on peut bien concevoir qu'il
en est dévolu à un gros Ganglion Moteur, situé à la tête de tous les
autres centres moteurs subordonnés de la Moelle et du Bulbe, mais
en relation intime avec eux. Étant donc intéressé, comme il l'est, à
la fois aux actions nouvelles et aux anciennes, il a une fonction
essentiellement double; et ce que nous savons jusqu'ici de ses rela-
tions anatomiques est assez en harmonie avec cette opinion.
De quelle manière précise le Cervelet agit-il dans l'accomplisse-
ment de ces fonctions, et plus spécialement de celles dans lesquelles
il coopère avec les Corps Striés pour l'exécution des Mouvements
Volontaires? c'est ce qui demeure, jusqu'à présent, absolument in-
connu. Nous sommes également réduits aux conjectures, lorsque nous
essayons d'élucider la manière dont les Corps Striés eux-mêmes réa-
gissent, sous l'influence des Incitations Intellectuelles, sur les noyaux
moteurs du Bulbe et de la Moelle. Comment se fait-il que l'Idée com-
mençante, le Désir d'un but qui s'y rapporte, et la double Conception
des Mouvements nécessaires, comme stimuli coopérants, soient mis
à même d'influencer les Corps Striés, de manière à évoquer les
Mouvements en question? L'obscurité qui enveloppe ce problème
ne saurait être, à présent, dissipée. Nous ne possédons aucune con-
186 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
naissance réelle sur ce sujet; et nous supposons seulement que l'In-
tellect, lorsqu'il passe en action, — c'est-à-dire au changement de
direction, ou coude du courant, — en même temps qu'il semble
engendrer un fantôme psychologique, nommé Volonté, opère en
transmettant des excitations convenables aux Corps Striés; et que
là, en outre, peut-être sous la stimulation conjointe du Cervelet, de
quelque manière complètement inconnue, d'autres actions molé-
culaires sont excitées en conséquence, d'où résultent des incitations
qui sont envoyées aux noyaux nerveux moteurs du Bulbe et de la
Moelle, et à travers ces noyaux appropriés à l'accomplissement des
Mouvements désirés.
Mais il reste maintenant à considérer un autre groupe final
de questions relatives à l'exécution des Mouvements Volontaires.
Nous avons montré la route que suivent les incitations cérébrales en
descendant des Corps Striés par les Pédoncules Cérébraux, le Bulbe
et la Moelle, et, de là, par les racines antérieures des Nerfs Spinaux,
aux groupes musculaires requis. Il demeure toutefois à spécifier
la partie supérieure de la route. Il nous faut considérer si c'est de
parties spéciales de la surface des Hémisphères Cérébraux — et,
dans ce cas, de quelles parties — que les Incitations Intellectuelles
sus-mentionnées (qui, dans leur incorporation subjective, sont gé-
néralement connues sous le nom de «Volonté» ou «Volition»), des-
cendent aux gros Ganglions Moteurs, — les Corps Striés.
Avant les expériences de Fritsch et Hitzig (1870) et de Ferrier
(1873), on croyait généralement que les irritations physiques des
surfaces des Hémisphères Cérébraux étaient incapables d'évoquer
aucun Mouvement défini. Ces investigateurs ont toutefois trouvé
que quelques Mouvements définis pouvaient être produits par l'irri-
tation électrique; et que, bien que les Mouvements varient de carac-
tère, ils étaient plus ou moins semblables lorsque les mêmes
régions limitées de la Substance Grise superficielle étaient, en dif-
férentes occasions, excitées à un degré semblable. Fritsch et
Hitzig obtinrent d'abord des résultats de ce genre en faisant
usage de courants voltaïques faibles; tandis que les observations
postérieures, bien que plus étendues, de Ferrier furent faites à
l'aide de courants indails faibles. On trouva que les Mouvements
ainsi produits par la stimulation de certaines parties étaient, au
contraire, abolis, lorsque ces mêmes parties de l'Écorce Cérébrale
étaient détruites ; c'est-à-dire que ces Mouvements ne pouvaient
plus être accomplis par l'animal, ni de sa propre volonté ni comme
suite d'une excitation extérieure.
Quelques-uns des principaux faits qui portent sur cette question
de l'excitation ou de l'abolition de Mouvements définis, comme con-
EXPÉRIENCES DE FEllHIEU : AIRE MOTRICE.
187
séquence de la stimulation ou de la destruction de portions définies
de l'écorce du Cerveau chez les Singes i, seront peut-être plus
brièvement exposés en citant le récit, fait par Ferrier, de quelques
observations portant sur un animal dont certaines parties du cer-
veau avaient été précédemment soumises à l'excitation électrique;
et chez lequel les changements irritatifs initiaux furent prompte-
ment suivis de processus morbides destructeurs, atteignant les
mêmes parties de l'Écorce Cérébrale.
Ferrier dit [Functions of the Brain, p. 200) : « La première expérience
que j'ai à rapporter est instructive, en ce qu'elle montre les effets respectifs
FiG. 181. — Vue latérale du Cerveau d'un Singe, montrant les limites de l'aire motrice de
l'Hémisphère Cérébral droit (Ferrier). c, sillon de Rolando; d, lobule pariétal; e,
circonvolution ascendante frontale.
de l'irritation et de la destruction des circonvolutions qui limitent le sillon de
Rolando. L'hémisphère droit d'un singe avait été découvert et soumis à l'expé-
rimentation par l'irritation électrique. La partie découverte comprenait les
circonvolutions ascendantes pariétale et frontale et les extrémités postérieures
des circonvolutions frontales. On laissa l'animal se remettre, pour pouvoir étu-
dier les effets de cette exposition du Cerveau. Le jour d'après, on trouva l'ani-
mal parfaitement bien. Vers la fin du jour suivant, où s'étaient montrés des
signes d'irritation inflammatoire et de suppuration, il commença à souffrir de
spasmes chroniques de l'angle gauche de la bouche et du bras gauche ; ces
spasmes revenaient fréquemment et prirent rapidement un caractère épilepti-
forme, affectant la totalité du côté gauche du corps. Le jour d'après, l'hémiplégie
gauche était établie, le coin de la joue tiré à droite, l'abajoue gauche flasque,
1. Les mouvements de ces Animaux étant les plus voisins de ceux de
l'Homme, et leur Cerveau étant aussi le plus semblable, il vaudra mieux, dans
le court espace que nous pouvons consacrer à ce sujet, limiter nos observations
aux résultats des expériences qui ont porté sur eux, bien que le C Ferrier ait
aussi fait des expériences sur beaucoup d'autres animaux.
188 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
et distendue par la nourriture qui s'était accumulée en dehors de l'arcade den-
taire ; il y avait paralysie presque complète du bras gauche et paralysie partielle
de la jambe gauche. Le jour suivant, la paralysie du mouvement était complète
sur tout le côté gauche, et se maintint jusqu'à la mort, qui survint neuf jours
après. La sensibilité tactile était conservée, aussi bien que la vue, l'ouïe,
l'odorat et le goût. A l'autopsie, on trouva que les circonvolutions découvertes
étaient complètement ramollies ; mais que, sauf cela, le reste de l'hémisphère
et les ganglions basilaires étaient exempts de toute lésion organique Nous
avons ici un cas évident, d'abord d'irritation vitale produisant précisément les
mêmes effets que les courants électriques ; puis de destruction par ramollissement
inflammatoire, aboutissant à la paralysie complète des mouvements volontaires
du côté opposé du corps, sans troubles sensitifs. »
L'importante observation précédemment faite par Hughiins
Jackson, qu'une irritation morbide de la région correspondante du
Cerveau, ou d'une partie de cette région, se rencontre particulière-
ment, sur l'Homme, chez les personnes sujettes aux convulsions uni-
latérales, complètes ou partielles, du côté opposé du corps, fut ainsi
aussi pleinement vérifiée que possible par ces observations expéri-
mentales sur le Singe. Il y a lieu de croire également qu'une ma-
ladie détruisant les Circonvolutions Cérébrales de cette région peut
amener chez l'Homme, comme on l'a vu chez le Singe, un état
aCHémiplégie complète. Ainsi, chez l'Homme comme chez le Singe,
l'irritation de certaines régions de la surface de l'un des Hémi-
sphères Cérébraux est suivie de tiraillements choréiformes, ou de
véritables Convulsions, du côté opposé du corps ; tandis que la des-
truction des mêmes parties amène une Paralysie unilatérale du côté
opposé. L'irritation et la destruction d'autres régions de la surface
du cerveau, chez les Singes, ne furent point suivies de pareilles
excitations ou abolitions de Mouvements.
On ne peut donner ici de détails sur les effets produits par des
irritations ou des destructions de parties limitées des Circonvolu-
tions comprises dans cette aire excitable. Le lecteur devra se repor-
ter, pour cela, au chapitre viii de l'ouvrage de Terrier. On peut
reconnaître, toutefois, les conclusions principales auxquelles il est
arrivé, en étudiant avec soin les figures 182 et 183, sur lesquelles
sont indiquées les situations des différents centres supposés des mou-
vements spéciaux, d'après les résultats de ses recherches. Les voici :
(1) Centres de mouvements de la jambe et du pied opposé, comme ceux
de locomotion, — dans le lobule postéro-pariétal.
(2, 3, 4) Centres de divers mouvements complexes des bras et des jambes ;
comme ceux qui servent dans les actes de grimper, de nager, etc., — dans les
circonvolutions limitant l'extrémité supérieure du sillon de Rolando.
(5) Centres pour l'extension en avant du bras et de la main ; comme lorsqu'on
EXPERIENCES DE FERRIEIl : CENTRES MOTEURS. 189
étend la main pour toucher quelque chose en avant,— dans l'extrémité posté-
rieure de la circonvolution frontale suioérieure.
(6) Centre des mouvements de la main et de l'avant-bras, dans lesquels le
biceps est particulièi-ement en jeu (supination de la main et flexion de l'avant-
bras), — près du milieu de la circonvolution ascendante frontale, vis-à-vis de
l'extrémité postérieure de la circonvolution frontale moyenne.
(7 et 8) Centres des élévateurs et des dépresseurs du coin de la bouche, —
dans l'extrémité inférieure de la circonvolution frontale ascendante.
(9 et 10) réunis en un seul, désignés comme le centre des mouvements des
lèvres et de la langue servant dans l'articulation, — dans l'extrémité postérieure
de la troisième circonvolution frontale (circonvolution de Broca).
(11) Centre de rétraction du coin buccal, — dans la circonvolution supra-
marginale, j)rès de l'extrémité inférieure de la pariétale ascendante.
FiG. 182. — Vue latérale d'un Cerveau de Singe, montrant les positions relatives des
centres moteurs de l'Hémisphère Cérébral gauche (Ferrier). Pour les indications, voyez
le texte, et aussi la figure 172.
(12) Centre des mouvements latéraux de la tête et des yeux, avec élévation
des paupières et dilatation des pupilles (attitude d'a(feniion), — dans les parties
postérieures des circonvolutions frontales supérieure et moyenne.
(a, b, c, d) Centres des mouvements de la main et du poignet, — dans la
circonvolution ascendante pariétale.
La position relative de ces centres moteurs supposés, relativement à deux
des centres sensitifs supposés les plus importants, est aussi montrée sur la
figure 182, où les cercles 13 et 13' indiquent ce qui est regardé par Ferrier
comme le Centre Visuel (dans le lobule supra-marginal et la circonvolution
angulaire), tandis que les cercles 14, 14 indiquent la situation du Centre Auditif
(dans la circonvolution temporale supérieure). On croit que les centres du
Toucher, de l'Odorat et du Goût sont, comme nous l'avons précédemment
mentionné (p. 159-163), placés dans les circonvolutions de la face interne et du
sommet du Lobe Temporal.
Comme exemple du genre d'évidence sur lequel reposent les
190
VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
localisations sus-mentionnées des Mouvements Spéciaux, on peut
citer l'une des expériences de Ferrier qui porte sur ce point.
« L'hémisphère gauche d'un Singe fut découvert dans la région de la cii'-
convolution frontale ascendante, suffisamment pour montrer le centre bicipital
(fig. 182, 6) ou centre de supination et de flexion de l'avant-bras. La place
exacte étant déterminée par l'application des électrodes, elle fut exactement
cautérisée, juste assez pour détruire la substance grise corticale. Cette opé-
ration se manifesta aussitôt par la paralysie du pouvoir de flexion de l'avant-
bi'as droit. Tous les autres mouvements des membres étaient conservés; mais,
Fie. 183. — Vue supérieure d'un Cerveau de Singe, montrant les positions relatives de
quelques-uns des centres moteurs de l'Hémisphère Cérébral gauche (Ferrier). Pour les
explications, voyez le texte, ainsi que la figure 172.
lorsqu'on plaçait le bras droit dans l'extension, l'animal était tout à fait inca-
pable de le fléchir; et le membre pendait, dans un état d'extension et de flacci-
dité, lorsqu'on soulevait l'animal Il portait les objets à sa bouche avec la
main gauche; les mouvements de la jambe étaient intacts; il n'y avait point
de paralysie faciale, et la sensibilité cutanée était parfaite, de même que les
autres modes de sensibilité. »
Que les divers détails dont on n'a donné ici que de brèves indi-
cations soient ou non destinés à être confirmés par d'autres investi-
gations, il semble assez évident (malgré tout ce qu'on a dit en sens
contraire) que les observations expérimentales sur les Singes, aussi
bien que les données clinico-pathologiques fournies par l'étude des
EXPÉRIENCES DE FERRIER : CENTRES MOTEURS. 101
effets morbides chez Pllomme, viennent t\ l'appui de l'opinion que
certaines régions excitables de TÉcorce Cérébrale existent dans
chaque Hémisphère : régions dont l'irritation produit des Mouve-
ments Choréiques ou Convulsifs du côté opposé, et dont la des-
truction entraîne une Paralysie des parties correspondantes du
corps. Cette aire excitable (fig. 172, 182) comprend les circonvolu-
tions qui limitent ou avoisinent le stWo?i de Rolando; c'est-à-dire les
circonvolutions ascendantes frontale et pariétale, le lobule postéro-
pariétal et les parties postérieures des trois rangées de circonvolu-
tions frontales.
Il semble donc que l'on puisse supposer, en toute sécurité, que
ces portions du Cerveau sont, de quelque manière, reliées à la pro-
duction de Mouvements. La preuve de cette conclusion est, en
réalité, de nature précisément semblable à celle qui amène à sup-
poser que les Corps Striés sont intéressés dans la production des
Mouvements.
Il importe, en outre, de mentionner que Surdon, Sanderson* et
autres ont montré que les mêmes Mouvements spéciaux qui suivent
l'irritation de portions spéciales limitées de l'Écorce, peuvent aussi
être évoqués après l'ablation de cette écorce, en stimulant les ré-
gions correspondantes de la substance blanche sous-jacente, ou
même en excitant des portions de la surface des Corps Striés eux-
mêmes.
Il peut donc être regardé comme suffisamment bien établi que
la grande majorité des stimuli pour l'excitation des Mouvements
des types Volontaires et Idéo-moteurs part des régions ci-dessus
spécifiées de la Substance Grise pariéto-frontale; que ces stimuli
traversent la substance blanche intermédiaire, pour atteindre le Corps
Strié du même côté; suivent, de là, le chemin déjà indiqué à tra-
vers le Pédoncule Cérébral, la moitié de la Protubérance et du
Bulbe, et passent dans la moitié opposée de la Moelle — des cornes
antéineures (de Substance Grise) de laquelle les continuations de ces
stimuli cérébraux se rendent, par les racines antérieures et les nerfs
moteurs, aux groupes musculaires appropriés.
De sorte que si, depuis le temps de David Hume, nous n'avons
encore point appris, dans le sens complet du terme, « les moyens
par lesquels les mouvements de nos corps suivent les commande-
ments de notre Volonté », nous avons du moins appris quelque
chose sur les parties qui y sont principalement intéressées, et, par
conséquent, sur les chemins que traversent les Stimuli Volitionnels.
Et ceci constitue un progrès important dans notre connaissance du
mode d'action du Cerveau comme Organe de la Pensée.
1. Proceed. of the Royal Society, juin 1874.
192 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
La question qui se présente ensuite est celle de l'interprétation
la plus correcte des faits nouvellement découverts. Que sont les
fonctions ou modes d'activité de ces portions de l'Écorce Cérébrale
d'où émanent les stimuli qui doivent exciter des Mouvements Volon-
taires spéciaux ?
Des réponses diverses ont été faites à cette question. Nous
avons (a) l'hypothèse de Terrier, que les résultats dépendent de
l'existence de centres moteurs pour les Mouvements Volitionnels,
centres situés dans les circonvolutions cérébrales ; [b) l'hypothèse
de Schiff, que les Mouvements des membres qui résultent de la sti-
mulation des centres corticaux sont de nature réflexe; et que l'affec-
tion de la Motilité, qui dépend de la destruction des mêmes parties,
est essentiellement une ataxie résultant de la perte de la Sensibilité
Tactile; enfin (c) l'hypothèse de Hitzig et Nothnagel, que les aires
circonvolutionnelles en question sont, soit les centres du sens mus-
culaire, soit des parties traversées par les impressions de ce sens
musculaire.
[a] L'hypothèse de Ferrier est si importante en elle-même, il a
si habilement plaidé pour elle et elle compte déjà tant d'adhérents,
qu'il est désirable que nous examinions d'assez près ces idées.
Les passages suivants ont semblé à l'auteur renfermer les vues,
et les énoncés les plus importants invoqués par Terrier, dans son
ouvrage sur «les Fonctions du Cerveau »,pour étayer sa proposition,
que des centres moteurs existent dans les Circonvolutions Géré- .
braies ^
(1) « L'ablation totale des hémisphères (cérébraux) ag-it différemment dans-
des classes différentes. Chez les Poissons, la Grenouille et le Pigeon, l'ablation
des hémisphères n'exerce que peu ou pas d'effet appréciable sur les facultés
de station ou de locomotion. Sous l'influence d'une excitation extérieure, ces-
animaux nagent, sautent ou volent, avec autant de vigueur et de précision
qu'auparavant. Chez le Lapin, l'ablation des hémisphères, bien qu'affectant
décidément la motilité des membres antérieurs, ne détruit point tout à fait le-
pouvoir de station ou de progression coordonnée en réponse aux excitations-
extérieures... Chez le Chien toutefois, l'ablation des hémisphères exerce une
influence beaucoup plus marquée sur ces facultés, en rendant la station et la
locomotion absolument impossibles » (p. 207).
(2) « A mesure toutefois que les mouvements qui exigent d'abord une-
éducation volitionnelle tendent à s'organiser ou à devenir automatiques, lis-
sent moins affectés par les lésions des centres corticaux. De là vient que, chez
le Chien, qui acquiert rapidement le contrôle de ses membres, la destruction
des centres corticaux produit un effet beaucoup moins marqué ; les mouvements-
étant dans une grande mesure indépendants de ceux-ci, grâce à leur organisa-
\. Les passages n'ont été arrangés en paragraphes, et numérotés, que pour
faciliter les renvois aux diverses propositions qui y sont contenues.
THEORIES DE FERRIER. 193
tion dans les centres subordonnés » (p. 213). «Dans la couche optique et le
corps strié, l'association entre certaines impressions et certaines actions devient
si mécanique, ou si organisée, que si l'on enlevait au Chien tous les centres
situés au-dessus des ganglions basilaires, ceux-ci seraient, par eux-mêmes, sous
l'influence d'excitations extérieures, capables de produire tous les mouvements
coordonnés de la locomotion » (p. 214).
(3) « Plus le contrôle des membres dépend d'abord, et continue à dépendre, de
l'acquisition volontaire, plus la destruction des centres moteurs corticaux cause
de pai'alysie du mouvement. De là vient que, chez l'Homme et chez le Singe, où
la volitiou prédomine et l'automatisme ne joue qu'un rôle subordonné dans
les activités motrices, la destruction des centres moteurs de l'écorce cause une
paralysie d'un caractère très marqué » (p. 213).
Les faits cités dans le paragraphe (1) sont importants, indiscuta-
blement vrais et en partie bien connus. Ils tendent simplement à
montrer que, dans les formes supérieures de la vie, les Hémisphères
Cérébraux et les Corps Striés prennent graduellement quelques-unes
des fonctions qui, chez des animaux moins élevés, étaient accom-
plies par des Centres Bulbaires et Spinaux. Les Hémisphères Céré-
braux, chez les animaux supérieurs, arrivent donc à exercer une
influence proportionnellement plus grande sur l'exécution même
des mouvements communs exigés parla Locomotion.
Les faits établis dans les paragraphes (2) et (3), bien qu'ils puis-
sent être parfaitement vrais, n'apportent aucun appui spécial à la
théorie d'Hughlings Jackson et de Ferrier; ils sont également d'ac-
cord, et même davantage, avec les vues exprimées dans ce cha-
pitre. La lésion ou l'ablation de parties du Cerveau intéressées dans
une large mesure à la direction Intellectuelle des Mouvements, de
parties qui sont accoutumées, et de la manière la plus directe, à mettre
en activité les Corps Striés (les grands ganglions moteurs des Hémi-
sphères), contrarierait nécessairement l'accomplissement de chacun
de ces Mouvements, précisément en proportion du degré de direc-
tion intellectuelle nécessaire pour assurer son exécution. La des-
truction de ces aires corticales met, en réaiité, les Corps Striés eux-
mêmes hors de jeu, pour l'exécution de tous les Mouvements, sauf
ceux qui sont tout d'abord simples et automatiques. Il suit de là
que les faits cités ci-dessus ne prêtent aucun appui exclusif à l'hy-
pothèse que des centres moteurs existent dans les Circonvolutions
Cérébrales,
Dans les paragraphes suivants, Ferrier expose certains dévelop-
pements ou corollaires de sa doctrine.
(4) « Le Chien dont les centres moteurs corticaux ont seuls été détruits,
est toutefois dans une position très différente. Il conserve ses centres sensitifs,
et demeure un animal sentant d'une façon consciente et capable d'idéation et
d'émotion. Ce n'est pas simplement un mécanisme dont l'activité dépend pure-
Charlton-Bastian. — II. 13
194 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
ment de l'excitation extérieure ; mais il a en lui-même les ressorts d'action,
sous la forme médiate d'impressions ravivées ou idéales, et est ainsi capable
d'action spontanée. Comme toutefois les impressions ravivées occupent la
même place, ou coïncident avec l'activité physiologique des mêmes parties qui
prennent part à la conscience des impressions présentes, les impressions ravi-
vées peuvent mettre en jeu l'appareil automatique de mouvement, aussi bien
que les impressions immédiates ou présentes» (p. 214).
(5) « Dans le Chien privé de ses centres corticaux, le chemin de l'impression
à l'action ne passe point aux Corps Striés par les centres moteurs corticaux,
comme dans le cours ordinaire de volition, pour se rendre de là aux ganglions
et aux nerfs moteurs; mais part directement des ganglions basilaires » (p. 215).
La supposition faite ici, que la voie de sortie de l'écorce céré-
brale est différente, dans le cas des Mouvements Volontaires, de ce
qu'elle est dans les Mouvements Idéo-moteurs, n'a jamais été prouvée ;
et elle est directement contre-indiquée par tout ce que nous savons
sur la Parole et ses défauts. Les quelques phénomènes difficiles à
expliquer en regardant l'Émotion comme leur instigatrice, dans des
cas où la Parole était d'ailleurs perdue, ne garantissent point la propo-
sition ci-dessus avancée que, dans les Mouvements Idéo-moteurs et
Émotionnels en général, la voie de sortie part « directement des
ganglions basilaires ». Cette proposition est, à tout le moins, hypo-
thétique et vague; il n'est point non plus correct de dire que des
impressions ravivées « peuvent mettre en jeu l'appareil automa-
tique de mouvements, exactement aussi bien que les impressions
immédiates ou présentes ». Elles sont proverbialement plus faibles;
et ne sont conséquemment que des excitateurs moins puissants de
Mouvement. Et, à moins que la supposition qu'il y a une voie de
sortie distincte pour les Stimuli Idéo-moteurs et Émotionnels ne
soit mieux fondée qu'elle ne semble l'être, elles ne pourraient point
agir du tout, dans le cas supposé. Le docteur Ferrier doit, ou éclaircir
beaucoup tous ces points, ou abandonner toute tentative pour
expliquer un fait qui nuit autant à son hypothèse que le rétablisse-
ment du pouvoir moteur chez un chien après l'ablation de ce qu'il
regarde comme ses « centres moteurs volontaires. » L'étroite pa-
renté qui existe entre les modes Volontaires et Idéo-moteurs de
stimulation du Mouvement, ne semble point avoir été appréciée à
sa juste valeur par Ferrier.
Il dit encore :
(6) « Ainsi donc, un Chien privé de ses centres moteurs corticaux peut encore
être capable d'action spontanée et de locomotion coordonnée, sous l'influence
d'impressions présentes ou passées, ou d'états émotionnels. Seulement, ce ne
seront que les mouvements automatiquement organisés dans les corps striés
qui pourront être ainsi excités. Les mouvements de locomotion, étant devenus
OBJECTIONS AUX IDÉES DE FERRIER. 195
automatiques, peuvent ainsi être effectués aisément; et le Chien peut ôlre
capable de marcher avec autant d'aisance apparente qu'avant l'opération. »
(7) «Le Corps Strié est le centre dans lequel les mouvements, qui dépendent
d'abord de la Volition proprement dite, tendent à s'organiser (p. 214). »
(8) « On peut afurmer avec confiance, et peut-être on prouvera un jour par
l'expérience, que n'importe quel tour spécial appris par un Chien, se trou-
vera aussi effectivement pai'alysé par l'ablation des centres corticaux que le
sont, par la môme lésion, les mouvements complexes et variés du bras et de la
main du Singe. » Ces formes d'activité, « qui ne sont point habituelles et ne
sont point devenues automatiques, seraient rendues impossibles » (p. 215).
Il y a de bonnes raisons pour croire qu'il n'existe pas, entre les
Mouvements Volontaires et les Mouvements Automatiques des dis-
tinctions définies du genre de celles que suppose Ferrier. Il ne
semble point nécessaire, et même absolument pas philosophique, de
chercher des organisations nerveuses, appartenant aux Mouvements
Volontaires, dans des centres complètement à part de ceux où s'or-
ganisent les Mouvements Automatiques. Les Mouvements Volontaires
d'une série de générations tendent à devenir les Mouvements Auto-
matiques de leur postérité éloignée. Dans les périodes intermé-
diaires, ils dépendront de moins en moins de l'Intluence Cérébrale
supérieure, — ou, en d'autres termes, de la direction Intellectuelle.
Ferrier 1 nous semble partir d'une fausse conception fondamen-
tale, en supposant, par rapport aux Centres Corticaux, que ceux
« immédiatement intéressés dans la production des Mouvements
Volitionnels » sont, « par cela même, véritablement moteurs »; ou que,
parce que les Mouvements Volontaires sont paralysés après la des-
truction de ces parties, nous avons dans ce fait la preuve qu'elles
sont des « centres moteurs». Si la « Volonté» ou les Stimuli Volition-
nels ne sont point des entités absolument indépendantes et produites
d'elles-mêmes — et le D"" Ferrier est loin de le croire — on ne peut
les regarder que comme tirant leur origine des sièges organiques
des Actions Perceptives et Intellectuelles. Comme Spinoza l'a
signalé, il y a plus deux siècles, « la Volonté et l'Intelligence sont
une seule et même chose», — considérée, toutefois, sous un aspect
légèrement différent.
{b) D'après Schiff et autres auteurs, les parties que Ferrier croit
des « centres moteurs » devraient plutôt être regardées commci des
centres de Toucher. Les mouvements des membres qui résultent
de la stimulation de ces centres sont considérés par eux comme
de nature réflexe; tandis que l'affection de la Motilité, qui résulte
de leur destruction, est supposée d'ordre ataxiqae, et occasionnée
par la perte de la Sensibilité Tactile.
. 1. Loc. cit., p. 200.
196 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
Cette explication se trouve contredite par le fait que la bles-
sure de ces régions de la surface cérébrale ne semble point cau-
ser, pas plus chez les animaux que chez l'Homme, une altération
distincte du sens du Toucher; il ne semble pas non plus qu'il soit
vrai, comme on l'avait d'abord cru, que la simple perte de la Sensi-
bilité Tactile, même si elle existait, pût être, par elle-même, cause
de symptômes ataxiques ou paralytiques. L'évidence fournie par
des personnes soufl'rant d'Hémianesthésie complète, ainsi que par
celles qui présentent quelque forme d'« ataxie locomotrice », semble
prouver que la perte de la Sensibilité Tactile seule ne s'oppose
point d'une manière appréciable aux Mouvements des parties affec-
tées. C'est là l'opinion de Charcot, de Broadbent et autres ; et elle
est entièrement confirmée par l'examen que l'auteur a fait lui-
même des célèbres Hémianesthésiques de la Salpêtrière, en visitant,
.l'automne dernier, les salles du professeur Charcot ^ Ce qui sem-
blait d'abord appuyer l'opinion opposée, et ce dont Ferrier paraît
avoir été encore impressionné, à l'époque de la publication de son
livre, est indiscutablement défectueux, et a besoin d'être réexa-
miné.
(c) . D'après Hitzig et Nothnagel, l'affection de la Motilité qui résulte
de la destruction des régions corticales en question, est due à une
paralysie du «sens musculaire» de l'animal. Nothnagel pense que le
fait de la restauration du Mouvement, au bout d'un certain temps,
chez les chiens, prouve que le centre du «sens musculaire» n'est pas
lui-même détruit, mais que la destruction des régions particulières
de l'écorce a suffi à interrompre pour un certain temps, et non
loin de leurs termini , les chemins que suivent ces impressions
centripètes. Hitzig, d'autre part, semble plus disposé à croire que le
centre lui-même [slalion terminale) des impressions du « sens
musculaire » ou de la « conscience musculaire », est détruit par les
lésions expérimentales. Ou, si ce n'est point là le cas, il est, comme
Nothnagel, porté à croire que le chemin afférent du muscle à l'a es-
prit » est interrompu de quelque manière. Ces deux investigateurs,
pour appuyer davantage leur opinion, disent que la condition de
l'animal, eu égard à la motilité, est quelque peu semblable à celle
d'un homme qui souffre de la maladie connue sous le nom d' « ataxie
locomotrice».
Contrairement à cette opinion, Ferrier soutient que « la perte
du sens musculaire, sans aucune affection des autres formes de la
sensibilité commune ou tactile, est une condition dont l'existence
1. Pour une description de ces malades, voy. Brit. Med. Journal, 12 oc-
tobre 1878. Voyez aussi Ziemssen's Cyclopœdia. Vol. XIII, p. 88.
OBJECTIONS AUX IDÉES DE FERRIKR. 197
est purement hypothétique ». Il considère en outre qu'aucune inves-
tigation portant sur ce sujet n'a donné la moindre preuve d'altéra-
tion ou de perte du Toucher ou de la Sensibilité Commune, lorsque
ses prétendus « centres moteurs » ont été détruits. 11 conclut de là que
le «sens musculaire » est aussi demeuré sans altération (voy. vol. I",
p. 5/i). L'affection de la motilité que l'on rencontre après la destruction
des centres moteurs « ne ressemble, dit-il, à l'ataxie que dans le
cas du Chat, du Chien, etc.; mais chez l'Homme et le Singe la ressem-
blance fait défaut : car, chez ceux-ci, il y a paralysie motrice com-
plète, avec conservation distincte de la sensibilité primitive aux
diverses formes d'excitations cutanées. L'argument tiré de la simple
ressemblance vient donc à manquer lorsque l'onétablitunecomparai-
son un peu plus large. Mais on a en outre montré que la condition que
l'on peut avec vérité décrire comme la perte du sens musculaire ou
de 'la conscience musculaire, dépend de lésions d'une partie totale-
ment différente du cerveau, c'est-à-dire la région hippocampale,
ou centre de la conscience tactile ^ ».
Ces objections de Ferrier aux vues de Nothnagel et Hitzig ne
nous semblent pas avoir autant de force qu'il le suppose. Nos con-
naissances relativement aux divers points qu'il touche sont loin d'être
complètes, mais ce qui est prouvé jusqu'ici peut s'interpréter d'une
manière tout à fait différente. Ainsi les observations de Landry, ainsi
que le cas de Demaux ^, lorsqu'on les oppose à ce qui existe chez
les malades hémianesthésiques ordinaires, rendent probable que les
impressions inconscientes du Sens Musculaire, dans le sens res-
treint de ce terme, ont une existence distincte, et probablement un
« foyer » cérébral particulier, tout à fait distinct des impressions
tactiles, quelle que puisse être la région de l'écorce où se rendent
plus spécialement ces dernières. Les chemins que suivent ces deux
classes d'Impressions, c'est-à-dire celles qui viennent des Muscles et
celles qui viennent de la Peau, semblent être topographiquement
distincts dans la Moelle; ils sont probablement plus ou moins conti-
gus dans les Pédoncules Cérébraux, mais peuvent ensuite diverger
de nouveau et aller à des Circonvolutions Cérébrales différentes, bien
qu'en relations fonctionnelles, au lieu de se rendre à la même région
cérébrale, comme Terrier semble le supposer (voy. p. 166).
L'Écorce Cérébrale doit, à notre point de vue, être regardée
comme une agrégation continue de centres entrelacés, vers laquelle
les Impressions afférentes convergent de diverses parties du corps :
là, elles entrent en relation les unes avec les autres, de différentes
manières, et donnent conjointement naissance à des actions ner-
1. Loc. cit., p. 218.
2. Voyez p. 284.
198 VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
veuses, qui ont pour corrélatifs subjectifs toutes les Sensations et
Perceptions, tous les Processus Intellectuels et Émotionnels que l'in-
dividu est capable d'éprouver. De ces « stations terminales », et en
relation complexe, des courants centripètes, et de certaines annexes
en connexion avec elles, partent des courants centrifuges qui
excitent, suivant des modes définis, l'activité des « centres moteurs»
les plus élevés (les Corps Striés et le Cervelet) ; et, par eux, évoquent
l'activité convenablement coordonnée de combinaisons motrices
inférieures, de manière à donner naissance à tous les Mouvements
qui sont désirés^ ou qui ont coutume de se produire en réponse à
des Sensations ou à des Idées particulières.
Le plan sur lequel les Centres Nerveux sont généralement con-
struits, de quelque degré qu'ils soient, rend essentiel que le sti-
mulus qui éveille l'activité d'un ganglion ou centre moteur, leur
parvienne par les fibres unissantes venant d'un ganglion, centre" ou
groupe de cellules, de nature sensitive, — c'est-à-dire de cellules
qui sont en relation immédiate avec des fibres afférentes (voy. v. P',
p. 19).
Si nous revenons au système nerveux très simple d'un Limaçon
(flg. 27), nous trouvons deux Ganglions Sensitifs supérieurs reliés
par des commissures distinctes à deux Ganglions Moteurs associés.
On ne saurait guère douter que les stimuli (suites des processus ner-
veux qui sont en rapport avec les Sensations) n'aient coutume de
partir de ces Ganglions Sensitifs le long des fibres commissurales
qui les unissent avec les Ganglions Moteurs; et que, suivant leurs
différentes origines ou points de départ, ces stimuli puissent faire
que les derniers ganglions évoquent des contractions musculaires
distinctes dans diverses parties du corps. Si nous pouvions galvaniser
séparément les diverses terminaisons sensitivesde ces fibres inter-
nonciales, nous évoquerions sans doute des Mouvements semblables.
Mais ces faits nous autoriseraient-ils à conclure que ces Ganglions
Sensitifs contiennent des Centres moteurs .5* Assurément non : pas plus
que nous ne saurions être autorisés à appeler cellules motrices les
cellules sensitives du côté centripète du mécanisme simple de quelque
action réflexe, uniquement parce qu'il sort d'elles un stimulus qui finit
par évoquer le Mouvement, — après qu'il a passé à travers d'autres
éléments nerveux qui, du consentement général, sont regardés
comme cellules motrices.
Les fibres nerveuses qui descendent de l'Écorce Cérébrale aux
Corps Striés, chez les animaux supérieurs et chez l'Homme, sont, par
leur nature, strictement comparables aux fibres unissant les Cellules
« sensitives » et « motrices » dans un mécanisme nerveux ordinaire
d'Action Réflexe. Ces courants qui viennent des cellules «sensitives»
peuvent passer dans le même plan horizontal, peuvent avoir à mon-
OBJECTIONS AUX IDÉES DE FERRIER. 199
ter, ou, comme il arrive plus fréquemment, à descendre aux cellules
motrices, situées à un niveau inférieur ^
Les Corps Striés, conjointement avec le Cervelet, sont sans doute
spécialement mis en activité par TÉcorce Cérébrale, suivant des
manières qui sont fort importantes, bien qu'elles ne puissent être
définies avec précision. Ces organes, comme nous le soutenons, sont
les grands ganglions moteurs, par lesquels opèrent les stimuli cor-
ticaux résultant d'une direction «Volitionnelle »ou Intellectuelle. Si,
en effet, ce que l'on a établi dans ce chapitre donne un exposé tant
soit peu exact des relations qui existent entre les Mouvements Volon-
taires et Automatiques, il n'y a pas besoin de dire ici un seul mot de
plus contre le point de vue général sur lequel Hughlings Jackson et
Ferrier font reposer leur hypothèse de l'existence de centres moteurs
dans l'Écorce Cérébrale, ni contre l'opinion que les mécanismes des
Mouvements Volontaires sont organisés dans des régions tout à fait
différentes de celles qui ont affaire à l'exécution des Mouvements
Automatiques.
Ce que l'on a dit, au commencement de ce chapitre, sur l'origine
et la nature des stimuli « Volitionnels », joint à ce qui a été établi
ci-dessus, permet d'expliquer les résultats de l'irritation et de la
destruction de certaines aires fronto-pariétales de Substance Grise,
et de la substance blanche qui s'étend entre elles et les Corps Striés,
sans appuyer en rien la supposition qu'il existe des « Centres mo-
teurs » dans les Circonvolutions Cérébrales ^.
1. Ainsi donc, à cause de la variabilité de cette relation, ces fibres nerveuses
ne sauraient être regardées comme invariablement en relation soit avec les
courants « centripètes», soit avec les courants « centrifuges». Nous pouvons les
distinguer par le nom de fibres internonciales ; en comprenant que, dans des
parties différentes du Système Nerveux, les courants sont transmis le long d'elles
dans une direction ascendante, horizontale, ou descendante. Cependant, comme
les stimuli émanant des Centres Sensitifs et de leurs annexes dans l'Écoixe Céré-
brale prennent immédiatement une direction descendante vers les Corps Striés,
il conviendra mieux, dans ce cas, de parler de l'origine des courants « centri-
fuges» comme se trouvant dans l'Écorce Cérébrale elle-même, et de regarder
certains de ses centimes comme occupant ce que l'on a justement nommé le
«coude du courant», — c'est-à-dire les régions où les courants « centripètes »
finissent, ou font place aux courants « centrifuges ».
2. Nous avons, en réalité, affaire ici à une fausse conception fort semblable,
pour sa nature, à celle qui a précédemment conduit Foville et autres à regar-
der le Cervelet comme un Organe Sensitif (p. 135) uniquement parce que des
« fibres internonciales » y entrent, en venant de divers noyaux ou ganglions sen-
sitifs. Prétendre que des groupes de cellules ont des fonctions motrices, uni-
quement parce que les stimuli qui en partent évoquent des mouvements
lorsqu'ils arrivent à des ganglions moteurs, c'est raisonner exactement de
200 . VOLONTÉ ET MOUVEMENTS VOLONTAIRES.
Les Centres en question sont plutôt de nature «sensitive», et sont
probablement en relation intime avec certains groupes d'Impres-
sions Kinesthétiques, — quelles que soient les autres fonctions aux-
quelles ils servent, ou les autres centres avec lesquels ils puissent
être en relation intime. Nous avons assurément vu des raisons de
croire que les Centres Kinesthétiques doivent être en relation fonc-
tionnelle des plus intimes, à la fois avec les Centres Visuels et les
Centres Auditifs. D'un ou plusieurs (mais peut-être plus spécialement
des premiers] de ces centres perceptifs reliés entre eux, ou de
leurs annexes, partent des «fibres internonciales»,par lesquelles ils
sont mis en relation fonctionnelle avec les gros ganglions moteurs
sous-jacents, — les Corps Striés.
L'excitation de certains groupes de ces « fibres internonciales »
produirait certains Mouvements Choréiques ou Convulsifs spéciaux ;
leur destruction amènerait la Paralysie; et, considérant la direction
dans laquelle ils transmettent leurs stimuli, l'analogie nous amène-
rait à conclure qu'en détruisant leurs connexions avec les cellules
nerveuses corticales, on déterminerait la production de petites
bandes ou de petits espaces de dégénérescence descendante^ entre
les points détruits et le Corps Strié correspondant. — Ce sont cepen-
dant là les résultats des cas sur lesquels s'appuient avec tant de
confiance quelques auteurs, pour soutenir les fonctions « motrices »
de ces portions de l'Écorce Cérébrale.
même que prétendre qu'un organe a des fonctions sensitives, parce qu'il reçoit
des fibres venant de cellules sensitives.
CHAPITRE XXVII
SUBSTRATUM CEREBRAL DE L ESPRIT
Après la première Sensation^ il n'y a rien qui réponde stricte-
ment à ce terme. Nous réalisons seulement, d'une manière con-
sciente, une impression quelconque comme étant de telle ou telle
nature, en la comparant automatiquement avec d'autres impressions
antérieures. Une simple Sensation ne saurait, en réalité, exister
qu'à peine dans la conscience, et ne saurait être imaginée par nous
dans notre phase actuelle d'évolution mentale. Nos prétendues
Sensations sont en réalité des Perceptions. Dans un seul et même
acte ou état, chacune d'elles incorpore Sentiment et Intelligence
dans une indissoluble connexion.
Il ne faut donc point chercher un siège de « Sensation simple «ou
« brute «.Les sièges des états de sensibilité consciente, dans la seule
phase intelligible où ces états peuvent exister pour nous, sont des
centres de Perception^.
Comme l'acte de Perception comprend la comparaison automa-
tique d'impressions présentes avec d'anciennes impressions ravi-
vées de même nature, ainsi que de quelques-unes ou de toutes les
autres sortes d'impressions susceptibles d'être produites par l'Objet
perçu, il arrive que les prétendues Sensations, même les plus sim-
ples, nécessitent l'activité conjointe, non point d'une seule étendue
limitée de substance grise corticale, — mais plutôt de mécanismes
fibro-cellulaires largement étendus, correspondant peut-être à un
grand nombre de Centres Perceptifs plus ou moins dispersés et
reliés d'une manière plus ou moins complexe (p. l/i9).
Voyant que chaque Centre Perceptif forme la base ou le point
de départ de différents processus d'Idéation et, par conséquent, de
Pensée, et que les divers centres doivent avoir le même genre de
relation avec l'Émotion, nous pouvons trouver là-dedans une raison
de plus pour croire que les différents Centres Perceptifs sont diffus,
et que des parties, largement séparées, des Hémisphères Cérébraux
sont probablement unies ensemble pour une action simultanée,
1. Voy. p. 137, vol. P"-, et 150; et Nature, 20janv. 1870, p. 309.
202 SUBSTRATUM CÉRÉBRAL DE L'ESPRIT.
/
même dans la Perception sensitive la plus simple, — renfermant,
comme le fait ce processus, les germes de la Pensée et de l'Émo-
tion, pour ne rien dire de la Volition^ Et, quoique ces réseaux ner-
veux diffus, bien que fonctionnellement unifiés, puissent différer
beaucoup de « Centres » ordinaires (grâce à leur manque supposé de
délimitation topograpliique distincte et exclusive), il convient encore
de pouvoir désigner des réseaux de cette nature sous le nom de
Centres.
Mais, aux mécanismes perceptifs complexes en relation avec les
cinq se7is, viennent s'ajouter d'autres Centres Cérébraux pour les
impressions afférentes, dont quelques-uns sont, pendant leur action,
habituellement accompagnés de plus ou moins de Conscience ; tandis
que d'autres sont complètement dépourvus d'un accompagnement
conscient. Cependant tous ces Centres, — tout à fait indépendants
du degré de vivacité des accompagnements subjectifs qui dépen-
dent de leur activité, — sont probablement situés dans quelques
portions de l'Écorce Cérébrale '^.
Il y a tout d'abord les termini pour l'importante classe des
Impressions Viscérales qui, pour autant qu'elles sont en rapport
avec la « vie de relation » de l'animal, peuvent se diviser en deux
principales catégories, — les Alimentaires et les Génitales. Les parties
du Centre Viscéral qui appartient à ces groupes d'impressions sont
les foyers cérébraux en relation avec deux appétits tout-puissants.
Chacun d'eux doit être en connexion intime avec les Centres Per-
ceptifs spéciaux, dont l'activité est excitée d'une manière conjointe,
pendant les temps où reviennent et se manifestent activement les
divers Instincts des animaux, aussi bien que pendant les diverses
phases des passions et des actions humaines qui sont reliées, d'une
façon immédiate ou éloignée, avec des Impressions Viscérales de ce
genre.
Il y a une autre grande classe d'Impressions, différant absolu-
ment des Impressions précédentes, soit «spéciales », soita viscérales »
1. Voy. D'' Lombard : On the Effect of Intellectual and Emotional Activity
on the Température of the Head, in : Proceed. of Royal Society. 1878, p. 462.
2. Parmi ceux-ci, il faut peut-être comprendre un Centre du « Sens d&
l'Espace)), dont l'activité serait toutefois de moindre importance pour l'Homme
que pour beaucoup d'animaux inférieurs (p. 166-170, vol. P^- Les migrations
instinctives et non apprises des jeunes Oiseaux peuvent dépendre, dans une
large mesure, de l'activité automatique de ce Centre, et sont des phénomènes
du même ordre que la crainte instinctive manifestée par le jeune Dindon en
entendant le cri du Faucon (p. 147, vol I"), ou l'appréciation instinctive de la
nourriture et de la distance, qui permet au jeune Poulet de capturer une
Abeille (p. 146, vol. P'). Dans tous ces cas, nous avons affaire à des Perceptions
automatiques, aussi bien qu'à des Mouvements Automatiques.
IMPRESSIONS VISCÉRALES ET KINESTHÉTIQUES. -iOî
(bien que les mécanismes physiques qui s'y rapportent puissent être
inextricablement entremêlés), — ce sont les Impressions kiiicsthé-
liques. Ici nous n'avons point affaire, sauf d'une manière indirecte,
à des impressions venant des surfaces, soit extérieures, soit inté-
rieures, de rOrganisme. Des impressions de ce genre évoquent des
Mouvements; et ceux-ci, à leur tour, occasionnent diverses impres-
sions centripètes. Quelques-unes de ces dernières Impressions
Kinesthétiques (comme celles occasionnées par les contractions du
Cœur et du Canal Alimentaire) ne donnent lieu, chez l'Homme en
santé, à aucune phase consciente appréciable; il est même douteux
que quelques-unes d'entre elles arrivent jamais au Cerveau. D'autres
de ces impressions toutefois, — surtout dans les cas où des Muscles
sont mis en jeu volontairement dans des actions inaccoutumées, et
où les Mouvements produits affectent de grandes Articulations ou
de grandes étendues de Peau, — donnent naissance à des États
Conscients plus ou moins distincts ; et l'on ne saurait, par suite,
raisonnablement douter que ces impressions n'atteignent les Centres
Kinesthétiques situés dans l'ôcorce des Hémisphères.
II est important de se souvenir, touchant cette dernière Faculté
Sensorielle, que ses impressions sont en partie de nature distinc-
tement Tactile, et, comme telles, sont probablement réalisables, ou
ont leurs sièges organiques dans des portions du Centre Tactile ; et
que celles d'entre elles qui sont le moins Conscientes sont proba-
blement les impressions qui émanent des Muscles eux-mêmes. Ces
derniers composants du Sens Kinesthétique, qui présente tant de
faces, correspondent principalement avec ce que Ton a nommé,
d'une manière erronée, « conscience musculaire », ou avec le « sens
musculaire » dans l'acception la plus limitée où l'on ait employé ce
terme.
La présence du Mouvement est, pour le Sens Kinesthétique, ce
que la présence d'un objet est pour le Sens Visuel ; et l'inaptitude à
connaître les impressions occasionnées par le Mouvement (qu'il
s'agisse des impressions conscientes ou des inconscientes, ou des
deux sortes à la fois), qui est parfois produite par certaines condi-
tions morbides, est un défaut du Sens Kinesthétique tout à fait
analogue à ce qu'est la cécité relativement au Sens de la Vue.
Ainsi donc, parler, comme Terrier ^ de cette conséquence du Mou-
vement et des Sensations qu'il amène, comme d'une association sen-
sori-molrice, c'est se tromper absolument, et renverser la signifi-
cation réelle des phénomènes auxquels il fait allusion.
Les impressions qui nous viennent de chacun des Organes des
Sens spéciaux dépendent en partie, quant à leurs diverses combinai-
1. Loc. cit., p. 268.
204 SUBSTRATUM CÉRÉBRAL DE L'ESPRIT.
sons, des Mouvements de ces organes; et pour ceci, aussi bien que
pour d'autres raisons sur lesquelles on reviendra plus tard, les con-
nexions qui existent entre les divers « centres perceptifs » de ces
impressions (surtout de celles du Toucher et de la Vue) et le Centre
Kinesthétique, doivent être particulièrement intimes et complexes.
Chaque Centre Perceptif « spécial », ainsi que le Centre « viscéral »,
peut, à certains moments et suivant la nature du stimulus, former,
soit dans des actes sensori-moteurs, soit dans les actes idéo-moteurs,
le point de départ de stimuli centrifuges qui vont exciter les Centres
Moteurs. Mais, si ces impulsions sortent directement de ces centres
« spéciaux » ou « viscéraux », ou si (sans que notre conscience soit
éveillée) elles passent d'abord de ces Centres à quelques parties des
Centres Kinesthétiques, c'est ce qu'il faut regarder comme demeu-
rant jusqu'ici fort incertain.
Dans d'autres occasions, l'un ou l'autre des Centres Perceptifs
« spéciaux » peut recevoir des impressions qui forment les premiers
points de départ du courant aboutissant à des Actes Volontaires ;
bien que l'exécution immédiate du Mouvement ainsi déterminé
puisse, dans le cas de la majorité des mouvements des membres,
dépendre de la direction, excitée d'une manière secondaire, de Cen-
tres Visuels et Kinesthétiques coactifs; — de même que, dans le cas
des mouvements complexes du Langage Articulé, l'exécution immé-
diate de ces mouvements dépend de l'activité régulatrice des
Centres Auditifs et Kinesthétiques combinés i.
Grâce à la grande prépondérance des mouvements du bras et de
la main droite, comparativement à ceux du côté gauche, le Centre
Kinesthétique de l'Hémisphère Cérébral gauche serait beaucoup
mieux développé, chez la grande majorité des personnes, que celui
de l'Hémisphère droit. Les impressions du Sens Kinesthétique sont,
sous ce rapport, précisément analogues à celles du Toucher, — et ces
deux sortes de facultés sensitives se confondent, ainsi que nous
l'avons vu, d'une manière si intime, qu'il est en partie impossible
de séparer l'un de l'autre leurs Centres Cérébraux.
Cette activité prépondérante de l'Hémisphère Cérébral gauche
relativement aux Impressions Tactiles et Kinesthétiques (prépondé-
rance sur laquelle il ne saurait y avoir de doutes), peut également
tenir à un autre fait; c'est-à-dire que l'Hémisphère gauche est le
plus puissant, et semble assumer la direction, en donnant naissance
aux Impulsions Volontaires qui déterminent les actes musculaires
du Langage Articulé ^.
1. Voy. p. 174, et chap. xxix.
2. Voy. p. 57, et aussi le D'' Lombard : Proceed. ofthe Royal Society, i818,
p. 463, 464.
IMPRESSIONS KINESTHÉTIQUES. 205
Quant à nos « idées » de Mots, — les symboles avec lesquels nos
Pensées sont entrelacées d'une manière inextricable, — elles sont
pour la plupart complexes; les composants (comme dans le cas de
Perceptions simples) dépendant de Factivité de Centres différents
— qui n'ont pas toujours besoin d'agir ensemble — et devant être
probablement énumérés ainsi, dans l'ordre de leur importance :
Auditif, Visuel, et Kinesthétique.
De ces modes de rappel «idéal «des Mots, les deux premiers sont
distincts et aisément recouvrables, tandis que le dernier est carac-
téristiquement vague et difficile à réaliser d'une manière consciente.
Que chacun fasse contraster son idée du son du mot « Londres »
ou son idée de l'apparence du mot lorsqu'il est écrit, avec son idée
des sentiments, musculaires et autres, associés à l'articulation du
même mot; et l'infériorité de cette dernière idée, sous le rapport de
la netteté, deviendra immédiatement évidente. 11 n'y a toutefois
rien de surprenant en ceci, puisque nous savons que les Impressions
Kinesthétiques tendent généralement, comme les Impressions Viscé-
rales, à venir bientôt affecter le mécanisme moteur de nos corps
sans éveiller notre Conscience. Chez les animaux qui naissent avec
leurs facultés motrices déjà presque complètes (vol. I", p. lZi6, 177),
les Impressions Kinesthétiques entrent probablement aussi peu dans
la Vie Mentale consciente, que les Impressions Viscérales dans la
nôtre.
La Parole est déjà devenue, pour la race humaine, un acte beau-
coup plus instinctif que l'Écriture; de sorte que c'est simplement
un résultat de la tendance à laquelle on a fait allusion ci-dessus,
si les Impressions Kinesthétiques appartenant aux actes moteurs
les plus profondément greffés, sont devenues proportionnellement
plus vagues et plus difficiles à reconnaître. Que cette explication
soit ou non correcte, le fait lui-même est évident. Que n'importe
qui ferme les yeux et place ses doigts dans la position qui convient
pour l'écriture, et fasse dans l'air les mouvements nécessaires pour
écrire le mot Londres; qu'immédiatement après il articule le même
mot, et compare, sous le rapport de la netteté relative, les deux
groupes d'Impressions Kinesthétiques. La différence paraît à l'au-
teur être tout à fait marquée.
On peut aisément comprendre que la Pensée, chez un enfant ou chez une
personne «distraite», s'accompagne d'Articulations murmurées, en réfléchissant
à quel degré la parole devient bientôt un acte simplement réflexe ou « idéo-mo-
teur»; et en considérant que le phénomène en question se présente spéciale-
ment chez les personnes, ou dans des conditions, où le Contrôle Volitionnel fait
défaut, et où les actions réflexes sont le plus portées à se manifester. En outre,
si l'Articulation (lorsqu'elle n'est point désirée) accompagne si fi'équemment les
tentatives que font pour lire une personne illettrée ou un enfant, cela est
205 SUBSTRATUM CÉRÉBRAL DE L'ESPRIT.
simplement dû au fait que, pendant le processus d'instruction (dont ils ne sont
point encore affranchis), leurs tentatives sont toujours accompagnées par des
articulations vocales, — comme dans l'action de lire à haute voix devant un
maître. S'aiTèter à la simple réalisation de l'Impression Visuelle et abandon-
ner ainsi l'habitude première, c'est ce que ces personnes et beaucoup d'enfants
ne sont point encore arrivés à ace omplir.
Ainsi donc parler des « idées » de Mots comme de « processus
moteurs », ou dire qu'une « articulation supprimée est, en réalité,
la matière de notre souvenir, la manifestation intellectuelle, Vidée
du Langage » est, dans l'opinion de l'auteur, à la fois trompeur et
erroné, — bien que cette idée ait été avancée et défendue par quel-
qu'un qui fait autorité sur les sujets psychologiques, le professeur
Bain^ Ce représentant mental d'un mot, qui est le moins distinct
et le plus difficile à raviver (quelle que soit l'opinion que l'on ait sur
sa nature et son origine précise), est ici déclaré le plus important,
par rapport aux processus de la Pensée et de la Parole, —et de telle
importance, que le professeur Bain en parle comme constituant
la « matière de notre souvenir » dans l'usage et la production des
Mots : tandis qu'il n'est fait, en cet endroit, aucune mention des
autres modes (auditif et visuel) de résurrection.
En outre, s'appuyant beaucoup sur la doctrine ci-dessus ou
d'autres de ce genre, le D'' Hughlings Jackson ^ a, à diverses re-
prises et avec le plus de force possible, insisté sur sa propre opi-
nion, que « les opérations mentales ne doivent être, en dernière
analyse, que les côtés subjectifs de substrata sensitifs et moteurs. »
Pour ceux qui adhèrent, comme le fait Hughlings Jackson, à l'idée
de Bain, Wundt et autres, que notre Conscience de 1' « activité mus-
culaire» est en grande partie initiale, centrale, et réalisable dans les
Centres Moteurs, — cette manière de s'exprimer est assez légitime:
elle en est, en réalité, la conséquence logique. Mais pour ceux qui,
ainsi que Ferrier, refusent absolument de croire à cette doctrine
générale, et qui regardent toutes les sensations ou impressions en
rapport avec le Mouvement comme dérivables d'impressions péri-
phériques « centripètes », émanant des parties remuées elles-mêmes,
et ne revenant point au Cerveau le long de nerfs moteurs, une
1. The Sensés and the Intellect. 3'= édition, p. 336. Il est vrai que, dans
d'autres parties du même ouvrage (par exemple, p. 436), le professeur Bain
parle, d'une manière contradictoire, des éléments sensitifs du type auditif comme
des composants les plus importants de notre mémoire du langage parlé. Mais
ceci ne diminue en rien la responsabilité qu'il a assumée, en affirmant avec
force l'opinion citée ci-dessus (Voy. Fortnighlty Review. Avril 1869, p. 403).
2. Clin, and Physiolog. Research on the Nervous System. (Réimpression),
1876, p. xx-xxxvii.
OPINIONS DE HUGIILINGS JACKSON, BAIN, ET FERRIER. 207
pareille opinion et de telles expressions seraient tout à fait inad-
missibles. Cependant, chose assez étrange, ce dernier auteur et
expérimentateur distingué, dont les vues exerceront probablement
une influence considérable, semble avoir donné dans une pareille
contradiction^.
Si les diverses impressions qui concourent à former le Sens Kinesthétique sont
toutes (comme nous le supposons) des impressions «centripètes» réelles qui tra-
versent diverses sortes de nerfs sensitifs, la simple différence du mode d'exci-
tation, ou de l'occasion où celle-ci survient, ne doit point amènera en parler comme
si elles étaient radicalement différentes, par leur nature, des autres impressions
sensitives. De sorte que, d'après cette opinion, le dicton Nihil est in intellectu
quod non fueritprius in sensu ne perd rien de son ancienne force ; — c'est une
formule assez large pour embrasser les Sens Kinesthétique et Viscéral, aussi
bien que les Sens Spéciaux ; — et, si elle est incorrecte, elle le serait autant dans
tin sens que dans l'autre.
Feri"ier dit avec raison ^ : — « Par les mouvements de la tête et des yeux,
nous étendons grandement le champ et la complication de la sensation visuelle;
et l'étendue de l'expérience tactile est mille fois accrue par les mouvements
des membres. » Mais il émet une idée contradictoire et erronée (à son propre
point de vue précédent) lorsqu'il ajoute : « Il y a peu d'objets de cognition
qui ne nous soient connus que par des caractères sensitifs, ou impressions.
La grande majorité suppose l'activité à la fois de nos facultés sensitives et
de nos facultés motrices; et nos idées sont une résurrection mélangée de
mouvements idéaux et de sensations idéales, dans leurs associations cohérentes
respectives. On en a un exemple dans l'acquisition et la constitution des idées
de forme, de figure, de poids, de résistance, etc. »
Une opinion de ce geni'e (c'est-à-dire que les» mouvements idéaux» ont une
base autre que celle ordinairement connue sous le nom de «sensitive», et entiè-
rement opposée) est aujourd'hui communément acceptée ; et elle est tout à fait
semblable à celle qui a été professée en Angleterre par le professeur Bain. Il a
dit, par exemple, en pai-lant de la Vue 3, « qu'elle est généralement considérée
aujourd'hui comme un sens mixte; et que les sensations visuelles sont en
partie des sentiments musculaires et en partie des sentiments optiques. Il
ajoute : « Dans tout ce qui regarde les mouvements et les formes visibles
on estime maintenant que la conscience musculaire est l'élément indispen-
sable : les sensations optiques ne faisant que guider les mouvements. Des
contours nus, comme les diagrammes d'Euclide et les caractères alphabétiques
sont au moins aux trois quarts musculaires, et seulement pour un quart
optiques; leur rétention est supposée dépendre de la propi'iété adhésive des
muscles oculaires et de leurs centres nerveux, et non de cercles purement
1. On peut le voir en comparant l'examen, fait par Fei^riei", de la question du
(t sens musculaire » {Functions of the Bain, p. 215-227) avec les vues et les
expressions que l'on trouve dans son chapitre xi, dont on va citer quelques
énoncés.
2. Loc. cit., p. 267.
3. Fortnightly Review. Avril 1869, p. 493.
208 SDBSTRATUM CEREBRAL DE L'ESPRIT.
optiques. La mémoire d'une forme visible, comme un arc-en-ciel, renferme la
conscience d'une courbe, décrite par les mouvements musculaires; et l'on se
souvient des méandres d'une rivière qui, dans la vue réelle, doivent être suivis
par les mouvements de l'œil, comme de mouvements idéaux. »
Sans mettre en question le fait indubitable que les mouvements d'un organe
sensitif doivent accroître grandement la variété des impressions qui en dérivent,
ou qu'ils peuvent contribuer notablement à engendrer, dans l'esprit de l'indi-
vidu, la notion fondamentale de modes d'existence connus sous les noms
d'espace, temps et résistance, il est toutefois libre à chacun de nous de se former
une opinion personnelle sur le degré auquel la «conscience musculaire » se révèle
à nous, comme entrelacée à nos impressions visuelles oi'dinaires; et beaucoup
de personnes peut-être inclineront à penser qu'elles en découvrent beaucoup
moins que le professeur Bain. Il est également libre à chacun de nous d'avoir
une opinion différente sur la signification et la nature de ce dont le professeur
Bain parle ici comme « conscience musculaire ». Il la regarde, ainsi que nous
le savons, comme « concomitante du courant centrifuge » ; et part de là pour la
considérer comme radicalement opposée à tous les autres modes de sensibilité,
— bien que cette opinion ait été rejetée par d'autres d'une manière tout aussi
nette.
Pour ceux, toutefois, qui conservent un certain doute sur l'existence d'un
sens musculaire ou conscience musculaire, en tant que concomitante du cou-
rant centrifuge, et qui considèrent que les connaissances attribuées à une
pareille faculté ont été en réalité acquises par le moyen d'impressions centri-
pètes émanant des parties mêmes en mouvement, la résurrection idéale de
pareilles connaissances doit dépendre aussi purement de l'activité de Centres
Seositifs que le sont les processus qui prennent part à la résurrection idéale
des diverses Odeurs.
Les sièges de la résurrection idéale des Mouvements de parties du corps
que l'on ne voit point (par exemple, du larynx ou des yeux) sont les Centres
Kinesthétiques seuls ; tandis que dans le cas de parties du corps qui sont
ordinairement vues, — Mouvements qui ont peut-être été appris sous la direc-
tion additionnelle de la Vision, — il se produit une résurrection idéale double,
ou mêlée, ayant sa base organique en partie dans les Centres Kinesthétiques,
en partie dans les Centres Visuels.
11 paraît donc fort contradictoire de voir Ferrier (qui rejette la doctrine de
Bain et de VVundt) écrire ce qui suit: — «De la même manière que les centres
sensitifs forment la base organique de la mémoire des impressions sensitives
et le siège de leur résurrection idéale, de même les centres moteurs des hé-
misphères, outre qu'ils sont les centres de mouvements différenciés, sont auss
la base organique de la mémoire des mouvements correspondants, et le siège
de leur réexécution ou reproduction idéale^. Nous avons ainsi une mémoire
sensitive et une mémoire motrice, des idées sensitives et des idées motrices ; les
idées sensitives étant des sensations ravivées, et les idées motrices étant des
mouvements ravivés ou idéaux. Les mouvements idéaux ne forment pas un
élément moins important de nos processus mentaux, que les sensations ravivées
d'une façon idéale. »
1. Les italiques ne sont pas dans l'original, loc. cit. (p. 206).
CENTRES KINESTHÉTIQUES. 209
Il y a ici une confusion évicfente entre deux centres et deux processus abso-
lument distincts. En réalité, Ferrier, en rejetant la doctrine de Bain et de
Wundt relativement au « sens » ou « conscience musculaire », rejetait la base
naturelle sur laquelle Hughlings Jackson fondait son hypothèse de l'existence
« de centres moteurs » dans les Circonvolutions Cérébrales. Cependant, en arri-
vant à son chapitre xi : « Les Hémisphères considérés psychologiquement »,
Ferrier écrit comme s'il avait oublié ce rejet préalable, auquel il a consacré les
pages 215 à 227 de sou ouvrage. Il a donc, d'une part, tâché do localiser des
« centres moteurs » dans les Circonvolutions Cérébrales ; et, d'autre part, il a
délibérément rejeté l'interprétation des preuves philosophiques et physiolo-
giques, sur laquelle doit reposer l'existence de centres de cette nature.
Des Centres Moteurs, où qu'ils soient situés, sont des parties
dont l'activité paraît être absolument libre de phases subjectives
concomitantes.il ne semble pas que des reproductions «idéales» aient
jamais lieu dans ces centres; ils sont mis en activité par des cou-
rants centrifuges ; et, pour autant que nous en avons la preuve, l'ar-
rivée en eux de mouvements moléculaires qui, immédiatement
après, se rendent aux Muscles par les Nerfs Moteurs, crâniens et
spinaux, est un simple phénomène physique. Ces processus sont, en
apparence, aussi dépourvus d'accompagnements subjectifs, que le
sont les processus moléculaires excités par eux dans le Muscle lui-
même. C'est le changement de condition du Muscle ainsi excité et
des parties contiguës, changement occasionné par le Mouvement,
qui engendre un groupe d'impressions centripètes dont le terminus
est le Centre Kinesthétique. Celui-ci est donc un véritable Centre
Sensitif; et des jnouvements idéaux peuvent être ravivés en lui, soit
isolément, soit associés à des Impressions Visuelles qui s'y rap-
portent.
Le Centre Kinesthétique est assurément de grande importance.
Ses impressions entrent, d'une manière inextricable, dans la grande
majorité de nos processus mentaux, — d'une façon aussi large et aussi
inextricable, en réalité, que la prétendue conscience musculaire de
Bain est supposée, par lui et par d'autres auteurs, entremêlée avec
ce qu'il voudrait distinguer comme sensibilités passives. Mais cela
ne saurait produire qu'une très grande confusion, si l'on attribue
l'activité de ce Centre Sensitif à celle de Centres Moteurs ; et si on la
confond avec celle-ci, dont les processus semblent encore plus
réellement situés en dehors de la sphère de l'esprit que les processus
moléculaires compris dans la contraction réelle d'un Muscle; ces
derniers processus sont, du moins, immédiatement suivis d'im-
pressions centripètes : tandis que, pour autant que nous le sachions,
— c'est-à-dire pour autant qu'il en existe des preuves — les premiers
ne le sont pas.
Le Substratum Cérébral de l'Esprit ne comprend donc en aucune
Charlton-Bastian. — n. 14
210 SUBSTRATUM CÉRÉBRAL DE L'ESPRIT.
manière, d'après l'opinion de l'auteur, les processus qui ont lieu
dans les Centres Moteurs du Cerveau, où qu'ils puissent être situés.
En autres termes, on ne peut plus regarder légitimement les opéra-
tions mentales comme étant, en partie, immédiatement dues à
l'activité de Centres Moteurs. Et l'on ne peut non plus décrire
avec raison des Mots idéaux, comme des processus violeurs. Ceci
est un point si fondamental, qu'il ne doit rester là-dessus ni malen-
tendu ni ambiguïté, autres que ce qui peut être inhérent au sujet
lui-même.
CHAPITRE XXYIII
LA PAROLE, LA LECTURE ET L ECRITURE, COMME PROCESSUS
MENTAUX ET PHYSIOLOGIQUES
On verra que les idées auxquelles on est arrivé dans le dernier
chapitre s'harmonisent bien avec ce que Ton sait de la manière
dont s'acquiert la faculté de la Parole Articulée, ainsi que les arts de
la Lecture et de l'Écriture qui viennent s'y rattacher. Un examen
préliminaire du sujet facilitera, en outre, la compréhension des divers
défauts de la faculté d'Expression Intellectuelle (Parole ou Écriture)
qui peuvent être produits par différentes sortes de maladies céré-
brales : et l'étude de ce dernier sujet est fort importante pour le
psychologue. Les recherches en ce sens ont déjà révélé quelques
faits très intéressants sur l'ordre et les relations précises des divers
processus mentaux, aussi bien que sur leur parenté avec l'activité
fonctionnelle d'étendues particulières du tissu cérébral. 11 nous est
permis, de cette manière, d'approcher aussi près que possible des
recherches expérimentales sur ce sujet. Un examen rigoureux des
détails nécessaires, tout en augmentant notre savoir, servira aussi
(comme résultat de ce savoir) à augmenter nos chances de pouvoir
améliorer l'état des malades eux-mêmes.
Que la Pensée ne puisse, dans tous ses modes supérieurs,
s'exercer sans l'aide du Langage, c'est là une proposition qui sera
presque universellement admise, si nous employons ce dernier terme
dans son acception la plus large. Car, ainsi que le dit Thom-
son \ « le Langage, dans le sens le plus général de ce mot, pourrait
être décrit comme une manière d'exprimer nos pensées à l'aide des
mouvements de notre corps; il comprendrait ainsi les mots parlés,
les cris, les gestes involontaires qui indiquent les sentiments, et
même la peinture et la sculpture, ainsi que les moyens de remplacer
la parole dans les cas où elle ne saurait être employée. » Le Lan-
gage Articulé, dans l'un ou l'autre de ses modes, est toutefois le pro-
1. Laws of Thought. 1860, p. 27.
212 LA PAROLH, LA LECTURE ET L'ÉCRITURE.
cessus que l'on trouve (chez l'homme ordinaire) inséparablement lié
aux processus de la Pensée. La Parole n'est en réalité rien autre
chose « qu'un système de mots articulés, adoptés conventionnelle-
ment pour représenter, d'une manière extérieure, les processus in-
térieurs de la Pensée ».
En prenant la Race Humaine à la phase présente de son histoire,
où des Langues fort compliquées ont été depuis longtemps acquises
par différentes tribus de cette race, nous pouvons maintenant expo-
ser brièvement les principaux degrés par lesquels les enfants
apprennent à comprendre une de ces langues ; comment ensuite ils
apprennent à parler, à lire et à écrire; et à quel degré les symboles
compris dans ces divers processus se représentent à l'Esprit comme
la charpente de la Pensée .
L'auteur essaya, en 1869, d'esquisser brièvement la nature des
processus compris dans ces acquisitions, dans un article intitulé
« Physiologie de la Pensée » ^, et dont on peut citer ici quelques
passages.
« Le jeune enfant commence d'abord à distinguer les objets
naturels les uns des autres, par les différences dans la forme, la
couleur, le toucher, l'odeur, etc., que ceux-ci peuvent présenter à
ses divers sens. On lui apprend alors (avec lenteur et difficulté)
à associer quelques objets, possédant certains attributs combinés
qui le rappellent à la mémoire, avec un certain son articulé, qui a
été souvent répété en désignant l'objet, jusqu'à ce que, par l'effet
d'une répétition continuelle, ce son, ou mot, devienne tellement
identifié avec les divers attributs de l'objet que, lorsqu'il est entendu,
il rappelle invariablement à la mémoire l'objet, dont on peut dire
désormais qu'il constitue un attribut additionnel ; de même que la
vue ou le toucher de l'objet rappelle au souvenir le son qui a été
employé pour le désigner. Tout d'abord ces sons articulés (ou mots
parlés) sont seulement liés à des objets extérieurs; quoique bientôt
certains adjectifs, signifiant approbation ou désapprobation, y soient
ajoutés comme qualificatifs. Par degré, le nombre de noms et d'ad-
jectifs en usage s'accroît; et d'autres parties de langage viennent s'y
ajouter ; le processus d'instruction est le même dans tous les cas, que le
son parlé doive être associé à un objet extérieur, à une condition émo-
tionnelle ou à une conception de l'esprit; d'abord, il est nécessaire
que nous soyons capables de nous rappeler et d'identifier, lorsqu'elles
se représentent à la conscience, soit la série des attributs apparte-
nant à un objet, soit les particularités de l'état émotionnel ou de la
conception intellectuelle; et, en second lieu, nous devons pouvoir
nous rappeler les divers sons vocaux qui ont été associés à ces
1. Fortnightly lieview. Janvier 1869.
COMMENT L'ENFANT APPREND A PARLER. 213
diverses modifications de la conscience, lorsqu'elles ont précédem-
ment existé... C'est la première phase que l'on traverse en apprenant
à parler; — cela consiste simplement à apprendre à associer des so7is
particuliers, avec des impressions mentales particulières; asso-
ciation qui finit par devenir assez forte pour que les deux soient
presque inséparables; la chose rappelant infailliblement le son à la
mémoire, et le son articulé réveillant avec autant de sûreté une
idée, plus ou moins vive, de la chose. Ainsi donc, le processus de
Nommer comprend, non seulement un simple acte de mémoire,
mais aussi, comme l'a signalé Herbert Spencer, le germe d'un
processus du raisonnement, sous forme d'un simple acte d'induc-
tion...; il semblerait assez évident que, comme l'enfant pense au
moyen du langage, il fait de même au moyen des sons rappelés
de mots, — ceux-ci sont des symboles linguistiques de la pensée,
qui doivent toutefois être inextricablement mêlés, dans son esprit,
avec d'autres impressions sensorielles, et plus spécialement avec
celles de la vue. Car on peut très bien dire que la grande majorité
des enfants peuvent se rappeler les noms donnés à beaucoup d'ob-
jets extérieurs, alors qu'ils sont âgés de quatre ou cinq mois. Sous
ce rapport leur mémoire s'accroît continuellement, pendant les trois
mois suivants, même lorsqu'ils ne font encore aucun effort dis-
tinct pour articuler eux-mêmes des mots. »
Le pas suivant est le développement, ou l'acquisition par l'enfant,
du pouvoir d'articuler, lui-même, les sons qui ont été jusqu'ici em-
ployés, d'une manière croissante, comme sj'mboles mentaux. Quant
à la possibilité d'arriver à ce pouvoir, l'enfant la reçoit principale-
ment comme héritage d^m si grand nombre de générations précé-
dentes, que sa manifestation actuelle — c'est-à-dire l'acquisition du
pouvoir de parler — ne peut être regardée que comme une opéra-
tion motrice, de même ordre que quelques-unes de celles qui
peuvent être comprises parmi les actes instinctifs des animaux. La
similitude n'existe pas autant avec les Actes Instinctifs que les ani-
maux reçoivent en naissant le pouvoir d'exécuter, qu'avec ceux
qui se manifestent un peu plus tard et que (d'après leur acquisition
plus graduelle) on pourrait croire n'être point du tout, en réalité,
des Actes Instinctifs (voir p. 179).
Un processus d'apprendre à Parler intervient en partie dans le
premier cas; mais c'est pendant que les organes, transmis par l'héré-
dité, subissent leur développement dans le Système Nerveux de l'enfant.
« Un certain ordre de développement s'observe toujours dans les
diverses parties du corps humain ; et ceci est vrai également, relati-
vement aux diverses parties du système nerveux... Et même, bien
que l'enfant acquière lentement la faculté d'émettre des sons arti-
culés, cependant, lorsque nous pensons à la délicatesse des combi-
214 J.A PAROLE, LA LECTURE ET L'ÉCRITURE.
liaisons musculaires nécessaires et à la manière presque instinctive
dont elles sont amenées,, nous serons plutôt imbus de l'idée que
ceci n'aurait pu s'accomplir, si l'enfant n'était né avec un système
nerveux tendant à se développer dans certaines directions spé-
ciales, et rendant ainsi possible l'exécution des actes musculaires,
si complexes, nécessaires au langage articulé. Nous pouvons sup-
poser que des développements, lentement élaborés, des parties du
Bulbe et du Cerveau qui sont intéressées dans les actes du langage
ont eu lieu chez des individus fort anciens de la race mère, à mesure
qu'ils acquéraient des facultés additionnelles sous ce rapport ; et, la
faculté de développer de semblables connexions structurales entre
cellules nerveuses et fibres nerveuses, ainsi établie, ayant été
transmise et rendue graduellement plus parfaite par la transmission
héréditaire à travers des générations sans nombre, l'enfant de nos
jours naît, peut-être, avec la possibilité de développer un système
nerveux aussi complexe et aussi parfait, sous ce rapport, qu'aucun
de ceux qui peuvent l'avoir précédé dans sa propre ligne ances-
trale. » Un mécanisme de cette nature, croissant lentement, se per-
fectionne sous l'influence de stimuli appropriés, d'ordre volitionnel ;
qui ont ici, comme dans le cas de l'acquisition de nouvelles facultés
motrices chez l'adulte, une tendance indiscutable, bien qu'inexpU-
quée, à amener le développement de tissus nerveux dans les Centres
auxquels ils vont se rendre (voir p. 182). « Cette impulsion est, à
ce que nous pouvons supposer, donnée par le passage de courants
nerveux, descendant des portions superficielles des hémisphères céré-
braux qui sont intéressées dans les actes de perception intellectuelle
et de mémoire, aux parties qui sont les centres moteurs intéressés
dans la parole articulée. »
« Tout d'abord, la capacité d'articulation est limitée, chez l'enfant,
à imiter, — c'est-à-dire à répéter seulement les mots que l'on vient
de lui dire ; mais, au bout d'un certain temps, lorsque l'acte d'é-
mettre ce son lui est devenu, grâce à la répétition constante, parfai-
tement aisé, l'enfant l'émet de son propre mouvement, à la seule
vue de l'objet auquel le son a été originairement associé dans son
esprit. Ceci est alors la seconde phase dans l'acquisition du langage;
et l'enfant n'arrive que lentement à une exécution plus parfaite des
processus mentaux et moteurs qu'elle comprend. » Au bout d'un
certain temps, toutefois, la Pensée et le Langage deviennent insépa-
rablement associés; de sorte que les mots sont volontairement rap-
pelés, par le renouvellement d'actions nerveuses précédentes, dans
les Centres Perceptifs Auditifs ; et des processus nerveux de cette
nature sont suivis de la combinaison complexe d'actions musculaires
en rapport avec l'articulation des divers mots, à mesure qu'ils se
présentent à la Pensée.
INFLUENCE DE L'ÉMOTION. 215
Depuis que les idées précédentes ont été exprimées et publiées,
l'auteur a rencontré une confirmation tout à fait inattendue de leur
vérité. Pendant l'année 1877, il fut consulté sur la santé d'un petit
garçon, fils d'un avocat, qui était alors âgé de douze ans, et avait
été sujet à des convulsions. Le premier accès se présenta dans l'en-
fance, lorsque le petit malade avait environ neuf mois. Vers la fin
de la seconde année, les accès semblaient avoir cessé ; et l'enfant
paraissait suffisamment intelligent — et bien sous tous les rapports,
sauf qu'il ne parlait point. A l'âge de près de cinq ans, l'enfant n'a-
vait point encore dit un seul mot ; et, vers cette époque, deux méde-
cins éminents furent consultés sur sa « mutité ». Mais, moins d'un
an après, à ce que raconte sa mère, un accident étant arrivé à un
de ses jouets favoris, il s'écria soudainement « Quel dommage! »
bien qu'il n'eût jamais auparavant prononcé un seul mot. Les mêmes
mots ne purent point être répétés, ni d'autres prononcés, malgré
toutes les sollicitations, pendant plus de deux semaines ^. Mais, après
cela, l'enfant fit des progrès rapides et devint bientôt très babillard.
Lorsque l'auteur le vit, il parlait d'une façon normale, sans le moindre
signe d'embarras ou de défaut -.
Aucune explication de ces faits ne semble possible, si l'on ne
suppose que la Parole est à présent devenue, pour les hommes, un
acte véritablement automatique ; et que, si les enfants ne parlent
point au moment de leur naissance, cela est principalement dû au
fait que leur système nerveux est encore trop peu développé. Mais
1. Un stimulus émotionnel est beaucoup plus fort qu'un stimulus volitionnel,
— sa tension est plus considérable — de sorte qu'il peut parfois frayer sa route
le long de conducteurs, et contre une résistance, que le stimulus volitionnel,
seul, a été incapable de surmonter. On en rencontre fréquemment des exemples
chez des personnes qui, par suite de maladie, ont perdu temporairement la
parole. Ces individus émettent parfois, sous l'influence de l'Émotion, quelque
mot ou quelque phrase courte, qu'ils sont ensuite complètement incapables de
répéter.
2. Bien qu'il ne parût guère y avoir place pour le doute dans ce récit,
toutefois, à cause de la nature extraordinaire des faits, on peut faille remarquer
qu'il fut absolument confirmé par la gouvei'nante qui avait eu soin de l'enfant,
et qui était présente au moment du premier acte de langage articulé. Une
épreuve de cette feuille a été aussi soumise au père qui, en réponse à ma
demande s'il n'y avait rien à changer à l'exposé ci-dessus, écrit (9 janvier 1880) :
« Ce que vous dites de mon petit A... est parfaitement exact, » Comme je
parlais de ce cas à un médecin distingué, il m'apprit un fait qui s'en rapproche
de fort pi'ès. Sa fille aînée, jusqu'à l'âge de deux ans, n'avait pas fait un seul
pas, ni même essayé de marcher, lorsqu'un jour il la plaça debout ; et, à la
grande surprise de lui et de la nourrice, elle marcha d'un bout à l'autre de la
chambre. Ceci est également un acte non appris, puisqu'il n'y avait pas eu pré-
cédemment d'essais infructueux (voy. p. 180).
216 LA PAROLE, LA LECTURE ET L'ÉCRITURE.
lorsque, dans le cours naturel du développement, les parties inté-
ressées ont été convenablement élaborées, les mouvements, fort
complexes, nécessités par la Parole, peuvent, dans certaines cir-
constances, être brusquement mis en jeu, indépendamment d'essais
antérieurs infructueux, — de même que le mécanisme nerveux de la
succion peut être mis en jeu, chez l'enfant qui vient de naître,
en présence du stimulus approprié. Mais toutefois, de pareils
actes de langage seraient impossibles, à moins que le développe-
ment n'ait eu lieu d'une manière normale, et que le Sens Auditif
et l'Intelligence soient intacts. Les manifestations de tentatives pour
parler sont supposées, en ce cas, avoir été simplement retardées par
quelques conditions légères et quasi accidentelles, telles que celles
qui se présentent parfois pendant l'enfance, — surtout chez les sujets
qui souffrent de convulsions, épileptiques ou autres.
Sans un exemple de ce genre, se présentant presque sous ses
yeux, ni l'auteur, ni personne autre, n'eût été porté à ajouter grande
confiance à deux cas très semblables, qui nous ont été transmis par
les écrivains de l'antiquité ^
Le fils de Crésus qui, d'après Hérodote-, n'avait jamais parlé, et
dont on avait en vain tenté la guérison, fut, au siège de Sardes,
tellement dominé par Fétonnement et la terreur en voyant le roi
— son père — en danger d'être tué par un soldat perse, qu'il s'écria
tout haut AvôpwTTE i).i jcTf'tvE Kaciaov. — « Homme, ne tue point Crésus ! »
C'était la première fois qu'il articulait un mot; mais, dit-on, il
conserva désormais toute sa vie la faculté de parler. Il paraît en
outre qu'Aulu-Gelle ^, après avoir répété cette histoire d'après Héro-
dote, rapporte un fait semblable dans les termes suivants : — « Sed
et quispiam Samius athleta, nomen illi fuit Aî^Xviî, quum antea
non loquens fuisset, ob similem dicitur causam loqui cœpisse. Nam
quum in sacro certamine sortitio inter ipsos et adversarios non bona
fide fieret, et sortem nominis falsam subjici animadvertisset, repente
in eum, qui id faciebat, sese videre, quid faceret, magnum incla-
mavit. Atque in oris vinculo solutus, per omne inde vitae tempus,
non turbidè neque adhœsè locutus est. »
1. L'importance réelle de ces derniers cas ne semble point avoir été bien
comprise, ni par ceux qui les ont d'abord rapportés, ni par un écrivain moderne
qui y a fait récemment allusion (Bateraan, On Aphasia, p. 138). Il y a à peine
besoin de faire remarquer que cette apparition brusque de la Parole, sans
essais prolongés et infructueux, est infiniment plus importante que sa réappa-
rition soudaine, lorsqu'elle a été quelque temps suspendue par suite d'une
maladie cérébrale.
2. Hérodote, Histoire, I, 85.
3. Noctes Atticœ, livre V, chap. ix.
COMMENT OiN APPREND A LIRE ET A ÉCRIRE. 217
Le pouvoir de Lire, ainsi que celui crÉcrirc, sont des arts sur-
ajoutés à celui du Langage Articulé.
L'enfant a déjà appris à associer certains objets, ou certains états
conscients particuliers, à des Sons définis (ou Noms); il a, en outre,
acquis le pouvoir d'articuler lui-même ces noms ; de sorte que,
lorsqu'il commence à Lire, il établit graduellement une association
de plus, par laquelle certains hiéroglyphes, écrits ou imprimés,
représentant des lettres en combinaisons définies, sont reliés aux
états conscients déjà connus (Perceptions, Idées, etc.) et aux sons
qui les représentent. Les combinaisons antérieures sont donc, en
outre, reliés à de nouveaux symboles visuels ; et il semble certain
que, dans l'acte de la Lecture, les mots qui sont en premier lieu
perçus dans le Centre Visuel réveilleraient presque simultanément
les sons correspondants dans le Centre Auditif, comme partie des
processus perceptifs compris dans cet acte ^, Du Centre Auditif,
les stimuli qui excitent l'articulation des mots correspondants se
rendraient alors aux Centres Moteurs, exactement de la même
manière que dans le cas de la parole ordinaire, — quelle que puisse
être la route précise suivie par ces stimuli, et quelle que soit la ma-
nière dont ils puissent, chemin faisant, entrer en relation avec les
parties des Centres Kinesthétiques qui sont en rapport avec les
mouvements de la Parole.
« Quant au processus de l'Écriture, il arrive presqu'invariablement
que cette fac ulté n'est acquise qu'après que l'individu a appris à Parler
et à Lire d'une manière plus ou moins parfaite. Pendant cette période
d'instruction, l'élève apprend à associer les perceptions visuelles
des lettres (séparées) des mots avec certains mouvements muscu-
laires des mains et des doigts, nécessaires pour lui permettre de
produire lui-même les lettres écrites et, plus tard, de les joindre
ensemble de manière à représenter des mots. Ceci comprend un
processus éducationnel long et ennuyeux ; et les mouvements mus-
culaires qui finissent par être appris sont, suivant toute probabi-
lité, associés plus intimement avec des perceptions visuelles
qu'avec des perceptions auditives; bien que l'on puisse, sans doute,
dire que le Mot existe aussi comme perception sonore rappelée
pendant l'acte de l'Écriture. Les muscles de l'extrémité supérieure
étant aussi, au plus haut degré, des muscles volontaires, et par con-
séquent fort différento de ceux qui sont intéressés dans la produc-
tion de la Parole, le processus d'apprendre à écrire rentre beaucoup
i. Lorsque ceci ne saurait avoir lieu, il doit être plus difficile pour la per-
sonne de comprendre ce qu'elle lit; et, comme on peut le voir d'après ce qui
suit (p. 240), il peut lui être impossible de lire à haute voix.
218 LA PAROLE, LA LECTURE ET L'ÉCRITURE.
plus dans le domaine de la conscience que ne le fait le processus,
d'ailleurs parallèle, d'apprendre à articuler des mots. »
Nous devons donc avoir, à un beaucoup plus haut degré, la faculté
de rappeler « en idée » soit [a) les « efforts volitionnels» qui ont été
nécessaires pour nous mettre à même d'écrire des mots; soit {b)
cette « conscience musculaire », dont parle le professeur Bain,
comme représentant les états particuliers de tension des divers
muscles employés ; que nous ne pourrions nous attendre à l'avoir
des efforts volitionnels nécessaires, et des états de tension des divers
muscles du larynx, et des autres parties qui prennent part à la pro-
duction de la Parole.
Mais on a déjà examiné (p. 205 et 278) les objections qui peuvent
être opposées à ces deux modifications de l'opinion, promulguée par
Huglilings Jackson et autres, que les Mots sont rappelés à la pen-
sée comme « processus moteurs » ; et l'on a montré qu'elles étaient
insurmontables. Nous avons trouvé de bonnes raisons pour croire
que les impressions en question (aussi bien pour les mots parlés
et écrits que pour tous les autres mouvements musculaires) ne
sont point antérieures aux courants centrifuges, ni concomitantes,
mais suivent distinctement le passage de ces courants, — qu'elles
sont en réalité dues à des courants centripètes, venant des parties
mêmes en mouvement.
Envisageant la question à ce point de vue plus nouveau, nous pou-
vons d'abord considérer jusqu'à quel point sont distinctes et recou-
vrables les Impressions Kinesthétiques provenant des mouvements
de l'Écriture.
Chacun peut aisément se convaincre, par la simple expérience
que voici, qu'il est presque impossible de rappeler à la conscience
des impressions de cette nature, et combien vague et indistinct est
le sentiment associé à cet essai, si on le compare au souvenir d'une
Impression Visuelle ou Auditive. Que l'on ferme les yeux, et que,
la plume à la main, on fasse en l'air des mouvements comme
si l'on écrivait le mot Londres. On peut s'assurer ainsi que l'on aun
groupe de sensations accompagnant ces mouvements. Au bout d'un
certain temps, d'un jour par exemple, que l'on ferme de nouveau
les yeux et, sans faire aucun mouvement, que l'on essaye de se rap-
peler « en idée » les sensations, musculaires et autres, que l'on a
précédemment éprouvées en écrivant le mot ci-dessus. Que l'on
mette en regard son impuissance relative, sous ce rapport, avec la
facilité avec laquelle on se rappelle l'aspect visuel de ce mot
écrit, ou le son correspondant.
En partant de là, nous pouvons, en second lieu, examiner
jusqu'où sont distinctes et recouvrables les Impressions Kinesthé-
tiques qui suivent les mouvements de la Parole. Nous pouvons alors
IMPRESSIONS KINESTHÉTIQUES DE LA PAROLE. 219
trouver que les Impressions qui accompagnent les mouvements
actuels qui produisent les clifi'érents mots, ne peuvent être que
vaguement réalisées comme distinctes les unes des autres, et qu'elles
sont certainement beaucoup moins distinctes que les Impressions
Kinestliétiques dérivées des actes nécessités par l'Écriture de
différents mots. La règle générale que, plus la Sensation est
vague, moins elle est aisément recouvrable en Idée, est, certaine-
ment, également vraie ici, — comme peuvent le reconnaître tous
ceux qui veulent faire les essais comparatifs nécessaires.
Ainsi donc, si faible que puisse être la faculté de se souvenir des
Impressions Kinestliétiques qui dérivent de l'Écriture, la faculté de
se souvenir de celles qui dérivent de la Parole est encore moindre.
Mais on devait s'attendre à ce qu'il y eût une différence de cette
nature, puisqu'il en existe une, précisément semblable, relative-
ment aux Impressions provenant de mouvements « automatiques » en
général, comparées à celles qui viennent de mouvements d'un ordre
plus « volontaire ».
CHAPITRE XXIX
r.ELATIOISS CÉRÉBRALES DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE
Nos facultés de Percevoir ou Concevoir, de Penser ou Raisonner,
•de Parler, Nommer, Écrire, — et même d'exprimer des Pensées par
les Gestes ou les Signes les plus simples, — dépendent toutes de
processus cérébraux en relations très complexes entre eux, comme
on peut l'avoir conclu de ce qui a déjà été dit. Les médecins et les
pathologistes ont, dans ces dernières années, étudié avec beaucoup
d'attention les troubles des relations qui existent normalement entre
ces divers processus, troubles amenés par des lésions limitées, ou
des blessures, de diverses parties du Cerveau. Une analyse de quel-
ques-unes des conditions typiques ainsi révélées jettera plus de
lumière qu'on ne pourrait en obtenir autrement, sur la manière
dont les processus Cérébro-mentaux sont reliés les uns aux autres.
Elle servira à donner quelque vague esquisse de la manière dont les
processus les plus élevés de l'Appréhension Sensorielle, de la Pensée
et de l'Expression Intellectuelle (et par conséquent de la « Volition »)
dépendent les uns des autres ; et aussi de la manière dont ces pro-
cessus sont liés à l'activité de certaines aires, imparfaitement définies,
de l'écorce des Hémisphères Cérébraux.
Ce qu'il faut maintenant établir au moyen d'exemples, choisis
parmi quelques-unes des conditions mentales anormales produites
par les Maladies du Cerveau, tout en servant à attester et à démon-
trer l'exactitude des vues exposées dans le dernier chapitre, peut
aussi être regardé comme la suite de ce que l'on a dit dans les
chapitres xxiv et xxv. Nous avons alors cherché, avec la lumière
apportée par des expériences sur les animaux, et aidés par l'investi-
gation clinique et pathologique, à suivre les impressions « centri-
pètes » depuis leur point d'origine jusqu'à certaines portions de
l'Écorce Cérébrale ; les régions de cette Écorce d'où partent les stimuli
« centrifuges », Volitionnels et autres, ont aussi été indiquées, — pour
autant qu'elles sont connues jusqu'ici. Notre but sera maintenant
de jeter un peu de lumière sur les processus, extrêmement complexes,
qui ont été surajoutés, ou qui sont nés des processus immédiatement
excités dans l'Écorce Cérébrale par l'arrivée des impressions centri-
pètes, — et comme résultat desquels des stimuli centrifuges se ren-
PROCESSUS DE L'EXPRESSION INTELLECTUELLE. 221
dent aux centres moteurs, pour l'exécution des Actes Volontaires, et
pour l'Expression Intellectuelle en général.
Nous ferons donc une faible tentative pour commencer à révéler
l'ordre des processus intermédiaires, d'une complexité incalculable,
qui ont lieu, dans les centres nerveux supérieurs des animaux les
plus élevés, entre l'arrivée des courants « centripètes » et la sortie
des courants « centrifuges ». On doit regarder un processus de ce
genre comme une phase médiane, élaborée, du « processus réflexe »
typique, tel qu'il se présente chez les organismes inférieurs, ou
dans les centres nerveux inférieurs des organismes élevés.
On a trouvé que toute tentative pour mesurer et comprendre
les Processus Mentaux d'animaux inférieurs, reposait nécessairement
sur l'étude de leurs Actions, dans des conditions particulières. De
même, nos tentatives pour mesurer et comprendre les processus
mentaux de nos semblables, doivent finalement reposer sur une
étude de leurs Actions, ou des résultats de leurs Actions, telles
qu'on les connaît par la Parole, l'Écriture, ou autres produits des
mouvements qu'ils ont évoqués pour arriver à l'Expression Intellec-
tuelle. Au lieu des simples signes émotionnels et des gestes des
animaux inférieurs, les résultats accumulés des mouvements em-
ployés dans la Parole et l'Écriture, de génération en génération, ont
été mis à proiît, dans le cas de l'Homme, pour constituer ce grand
département du savoir humain que l'on connaît sous le nom de
Psychologie Objective.
Nos buts sont donc différents de ce qu'ils étaient dans les précé-
dents chapitres, lorsque nous considérions les processus mentaux
des animaux inférieurs. Nous devions alors principalement tâcher
d'acquérir quelques connaissances sur la nature de ces processus
mentaux ; de manière à savoir s'ils étaient semblables à ceux de
l'Homme, et dans quelles limites. 11 était nécessaire, en réalité, de
s'assurer si la similitude générale de structure de leur système
nerveux entraînait avec elle une similitude générale de son mode
d'action. Mais, maintenant, nous n'avons~poiîrt tant à nous occuper
d'estimer la nature et l'étendue des facultés mentales de l'Homme,
que («.) de la nature et de l'ordre des processus compris dans la
Pensée et l'Expression Intellectuelle; et [b] nous devons nous efforcer
de rapporter quelques-uns de ces processus à l'activité de parties
définies du cerveau. Telles sont, en réalité, les questions finales que
nous avons à considérer, pour compléter notre esquisse, nécessaire-
ment imparfaite, de ce que l'on sait à présent du « Cerveau comme
organe de la Pensée » .
Dans la première de ces études analytiques, nous avons à consi-
dérer brièvement quelques-uns des plus typiques, parmi les divers
défauts de la Perception, de la Mémoire Verbale, de la Pensée et de
222 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
l'Expression Intellectuelle (soit par la Parole, soit par l'Écriturej,
que l'on a observés comme résultats de maladies ou de blessures,
de différentes parties des Hémisphères Cérébraux.
La grande importance de l'activité normale des Centres Perceptifs
Auditifs et Visuels, et le fait que la grande masse de nos perceptions
intellectuelles, de notre mémoire des mots et de nos facultés de
penser, ainsi que de l'expression intellectuelle, dépendent absolu-
ment de l'intégrité fonctionnelle et de l'action réciproque conve-
nable de ces diverses parties, peuvent avoir été déduits par le
lecteur comme probables, d'après ce qui a déjà été dit (voyez aussi
p. Si38, note ). Ces conclusions seront toutefois confirmées, mainte-
nant, par des exemples tirés de l'histoire de certains cas, soigneuse-
ment choisis, de maladies du Cerveau.
Ceux qui étudient ces exemples doivent avoir continuellement
présent à l'esprit que chaque Centre Perceptif est susceptible d'être
mis en jeu de trois manières : (1) Au moyen d'impressions exté-
rieures; (2) par « Association » — c'est-à-dire par des impulsions
communiquées par un autre Centre, pendant quelque acte de Per-
ception, ou pendant quelque Processus mental; (3) par le rappel «Vo-
lontaire » d'impressions passées, comme dans un acte de Souvenir^.
L'excitabilité des Centres, c'est-à-dire la mobilité moléculaire
des éléments constituants de leurs tissus, peut varier beaucoup avec
l'âge, l'état de santé, ou diverses conditions morbides. Leur mobilité
peut être tellement abaissée qu'ils ne soient capables de répondre qu'à
desstimuli puissants; de sorte que, tandis que le rappel Volitionnel,
ou Souvenir, peut être impossible ou difficile dans leur province, ils
peuvent être encore capables d'agir en « Association » avec d'autres
centres (c'est-à-dire d'une manière automatique, durant un processus
mental ordinaire), et encore plus aisément sous le stimulus « senso-
riel » ou impression externe, qui est l'avant-coureur d'un Processus
Perceptif. D'autres fois, l'excitabilité des Centres Perceptifs peut
être exaltée d'une manière anormale, de manière à amener des hal-
lucinations, des illusions, et une classe tout à fait différente de
troubles, que l'on rencontre chez les personnes Insensées, mais que
nous n'examinerons point ici.
En outre, les Centres Auditifs, les Centres Visuels et les doubles
Centres Kinesthétiques des Mots (c'est-à-dire ceux qui sont en
relation avec les mouvements nécessités par la Parole et l'Écriture)
ne sont assurément que des parties, bien que, probablement,
1. Ces second et troisième modes d'activité sont probablement en liaison
intime l'un avec l'autre; bien que nous n'ayons aucune connaissance définie
des processus compris dans le dernier.
TROUBLES DE LA MÉMOIRE VERBALE. 223
des parties distinctes et étendues, des Centres Cérébraux respec-
tifs de l'Audition et de la Vision, et des Centres Cérébraux Kinesthé-
tiques en général. De là vient que des mots prononcés peuvent
n'être point compris, bien que d'autres sons le soient ; et de même,
que des signes écrits ou imprimés puissent n'être point compris,
bien que des objets ordinaires puissent être aisément reconnus par
des impressions visuelles.
Quant aux relations fonctionnelles précises des Centres Kinesthé-
tiques des Mots avec les parties correspondantes des Centres Visuels
et Auditifs, on ne sait rien jusqu'à présent, — l'auteur croit cepen-
dant qu'elles ne prennent que peu ou point de part à la Pensée. Une
partie de ces Centres est probablement mise en activité, principale-
ment à l'instigation de stimuli émanant du Centre Auditif, pour pro-
duire le Langage Articulé ; tandis que l'autre partie est probablement
mise en jeu par des stimuli provenant du Centre Visuel, pour arriver
à produire les mouvements de l'Écriture.
A ce point de vue, les Centres Kinestliétiques auraient plus à faire
avec l'expression de la Pensée qu'avec le processus Pensant : leur
activité ne serait excitée que lorsque la Pensée va se traduire en
Action. Ainsi ils peuvent, peut-être, former les premiers avants-postes
du côté des courants « centripètes », et être en même temps les points
de départ des couinants « centrifuges ». Cette idée est tout à fait en
harmonie avec le fait que les processus qui se passent là, sont presque
aussi dépourvus d'accompagnement conscient, et presque aussi im-
possibles à rappeler en idée, que le sont les processus moléculaires
qui ont lieu dans les Centres Moteurs sur lesquels agissent les cou-
rants « centrifuges » initiaux.
On verra qu'une étude attentive des troubles mentaux qui résul-
tent de Maladies Cérébrales donne des résultats tout à fait d'accord
avec les vues exprimées ici.
Les principaux défauts dont les cas suivants sont destinés à servir
d'exemple peuvent avantageusement être mis d'abord en tableau,
de manière à montrer leurs relations mutuelles, à la fois comme
Processus Mentaux et comme Processus Névrologiques.
L TROUBLES DE LA MÉMOIRE VERBALE f C'EST-A-DIRE TROUBLES DANS l'aSSOCIATION
DES IDÉES DE CHOSES, OU DES C0NCEPTI01\S, AVEC LES IDÉES DE MOTS.
A. AMNÉSIE VERBALE.
(a. Variété paralj'tique; b. Variété incoordonnée.)
i. Diminution d'Excitabilité des Centres Auditifs des Mots.
2. Action Défectueuse des Centres Visuels des Mots.
3. Lésion des Centres Visuels des Mots et des Fibres Afférentes des Centres
Auditifs; ainsi que certains défauts produisant l'Amnésie Incoordonnée.
4. Lésion des Commissures entre les Centres Atiditifs et Visuels des Mois.
224 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
IL TROUBLES DANS l'ASSOCIATION DES IDÉES DE MOTS AVEC LES MOCVEMENTS VERBAUX
DE LA PAROLE^ OU DE l'ÉCRITURE, OU DES DEUX ENSEMBLE.
B. APHASIE.
5. Lésion des premières parties des routes centrifuges conduisant des Centres
Cérébraux des Mots au Corps Strié gauche.
C. AGRAPHIE.
6. Lésion des premières parties des routes centrifuges partant du Centre Visuel
gauche des Mots.
D. APHÉMIE.
7. Lésion (a) des premières parties du conducteur centrifuge partant du Centre
Auditif gauche des Mots, ou (b) de quelqu'une des parties inférieures du
même conducteur, ou (c) des Centres Moteurs réels de V Articulation.
A. — AMNÉSIE VERBALE 1.
Dans l'acquisition de la Parole, il se produit graduellement, comme
nous l'avons vu, une « association » entre les impressions produites
par les objets extérieurs, ainsi qu'entre les processus cérébraux
compris dans les idées et autres états mentaux, d'une part; et d'autre
part, les sons ou les aspects visuels, actuels ou rappelés, de certains
Mots. Une « association », également intime, s'établit aussi entre ces
derniers processus, qui ont lieu dans les Centres Perceptifs, Auditifs et
Visuels, et d'autres processus, qui se passent dans les Centres Moteurs
qui causent des Mouvements d'Articulation, destinés à produire des
Sons correspondant aux Noms des objets ou des états mentaux aux-
quels on pense. Ainsi, dans le processus de Penser, aussi longtemps
que le c -rveau fonctionne d'une manière normale, les Mots naissent
dans la conscience, d'une manière primaire, et peut-être principale»
comme Impressions Auditives ravivées. Ces impressions ravivées, soit
sans efforts volontaires, soit avec (c'est-à-dire par Action Idéo-Motrice,
ou par Action Volontaire), amènent, d'une manière dont les détails
sont extrêmement obscurs, ces combinaisons multiples d'actions
musculaires, nécessaires à l'Articulation des Mots correspondants.
Si cette association première, dans la mémoire, entre les impressions
produites par les choses, et leurs noms, ou entre les idées de choses
J. Les idées exprimées dans ce chapitre étaient renfermées en germe dans
un mémoire (publié en 1809 dans Brit. and For. Med. Chir. Review) intitulé :
On the Various Forms of Loss of Speech in Cérébral Disease. Le présent cha-
pitre a été écrit pendant l'automne de 1878, et ne contient par conséquent
aucune allusion à des communications récentes. L'auteur a lu depuis l'article
approfondi de Kussmaul {Cyclopœdia de Ziemssen, vol. XIV), où sont adoptées
un grand nombre des idées exprimées dans ses précédents mémoires.
AMNESIE. 225
et autres états mentaux, et les mots qui leur correspondent, se trouve
défectueuse (de manière que les unes ne suivent pas immédiatement
les autres), il semble évident que, en proportion du degré de ces divers
troubles, il doit y avoir une diminution de la faculté de Parler, et un
obstacle, bien que dans une moindre étendue, au processus de Penser.
Il faut distinguer deux genres de défectuosité de la Mémoire Ver-
bale ^ L'un dépend d'une dimiimUoii d'activité dsinsV mie ou l'autre
des parties du Cerveau qui sont intéressées dans les associations
verbales dont nous avons parlé plus haut. Cette diminution peut
s'élever jusqu'à un arrêt d'action, ou paralysie, plus ou moinsmar-
qué : on peut donc nommer cette variété Amnésie Paralytique.
L'autre genre de défectuosité est lié à une activité irrégulière, ou
pervertie, des parties en question. Elles fonctionnent, mais elles
fonctionnent mal. Ce n'est point que des mots ne puissent être
ravivés ; mais de même que des mots sont ravivés à tort, de même un
« ataxique » produit de faux mouvements de ses jambes. Cette
seconde variété peut donc être, avec assez de raison, désignée sous
le nom à.\\mnpsre Incoordonnée. Bien que les deux conditions puis-
sent exister séparément, elles sont souvent combinées en diverses
proportions.
a. — AMNÉSIE PARALYTIQUE.
Sous ce titre, on peut comprendre une absence momentanée de
mémoire, et une confusion des Noms propres et des Substantifs, avec
retour à l'état normal au bout d'un certain temps; ou bien, il peut
y avoir une perte plus ou moins permanente et habituelle de la
mémoire des Noms des objets, des personnes, ou des lieux; avec
des efiforts pour remédier à ce défaut de mémoire, par l'emploi
d'une périphrase, au lieu du Substantif dont on ne peut se souvenir.
On rappelle, dans les paragraphes suivants, divers degrés et des
variétés spéciales de ce genre de défaut.
L — DIMIINUTION d'excitabilité DES CENTRES AUDITIFS
DES MOTS.
Suivant le degré auquel est aflfectée la vitalité normale des Centres
Auditifs des Mots, nous pouvons trouver la preuve qu'ils cessent de
répondre, d'abord aux incitations « volitionnelles », puis à celles qui
leur viennent par voie d' « association », et, en dernier lieu, aux im-
pressions « sensitives » qui viennent du dehors.
Trousseau a rapporté dans ses Cliniques un bon exemple d'un
1. On trouvera, sur la Mémoire en général, quelques idées très originales et
très ingénieuses, dans un mémoire de feu le D^'Laycock, in Edin. Med. Journal,
avril 1874.
Chaklton-Bastian. — II. 15
226 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
cas ordinaire d'Amnésie, dans lequel le souvenir « volitionnel » et
« associé » des noms était impossible, bien qu'ils fussent rappelés
par les impressions a sensitives ».
« Le malade ne parle point, parce qu'il ne se rappelle pas les mots qui
expriment les idées. Vous vous rappelez l'expérience que j'ai souvent répétée
au lit de Marcou^ Je plaçais son bonnet de nuit sur son lit et lui demandais
ce que c'était. Mais, après l'avoir regardé attentivement, il ne pouvait dire
comment on l'appelait et s'écriait : « Et cependant je sais bien ce que c'est,
mais je ne puis m'en souvenir. » Lorsque je lui disais que c'était un bonnet
de nuit, il répondait : « Oh oui, c'est un bonnet de nuit. » La même scène se
répétait pour les divers autres objets qu'on lui montrait. Toutefois, il y avait
des choses qu'il nommait bien, comme sa pipe. C'était, vous le savez, un ter-
rassier, qui travaillait par conséquent surtout à la pelle et à la pioche; et ce
sont, par conséquent, des objets dont un terrassier ne doit jamais oul)lier le
nom. Mais Marcou ne put jamais nous dire avec quels outils il travaillait; et,
lorsqu'il avait cherché en vain à se souvenir, je lui disais que c'était la pelle et
la pioche : « Oh oui, répondait-il », mais deux minutes après, il était aussi
incapable qu'auparavant de les nommer. »
Dans les formes plus légères d'Amnésie, les efforts pour se sou-
venir, d'une personne à qui « il manque un mot », tendent aussi à
évoquer les Centres Visuels des Mots en un état commençant, ou
avorté, d'activité. Le docteur Graves a rappelé ce qu'on peut prendre
comme exemple de ce fait ; bien qu'il cite simplement le cas comme
« un degré remarquablement exagéré du défaut commun de mé-
moire que l'on observe dans les maladies de la vieillesse, dans les-
quelles les noms des personnes et des choses sont fréquemment ou-
bliés, bien qu'on se souvienne de leurs initiales ».
« Un fermier, il y ai, cinquante ans, avait eu une attaque de paralysie dont
il n'était pas guéri au moment de l'observation. A l'attaque succéda une hési-
tation pénible de la parole. La mémoire était bonne pour toutes les parties du
discours, sauf pour les substantifs et les noms propres : il ne pouvait absolu-
ment pas retenir ces derniers. Ce défaut était accompagné de la singulière
particukiité que voici : — il se rappulait parfaitement la lettre initiale de
chaque substantif, ou nom propre, qui se présentait dans le cours de la conver-
sation, bien qu'il ne pût se rappeler le mot lui-même. L'expérience lui avait
appris l'utilité d'avoir une liste manuscrite des choses qu'il avait l'habitude de
demander, ou dont il parlait d'ordinaire, y compris les noms de ses enlants, de
ses domestiques et de ses connaissances. H avait arrangé tous ces noms, par
ordre alphabétique, dans un petit dictionnaire de poche dont il se servait de la
manière suivante : s'il désirait demander quelque chose sur une vache,
avant de commencer sa phrase, il tournait jusqu'à la lettre c, et cherchait le
1. On reviendra un peu plus loin (p. 230) sur la condition primitive de cet
homme; car, à ce moment, il manifestait une tendance distincte à faire écho
aux mots.
AMNÉSIE PARALYTIQUE. 227
mot « Cow » (vache), et tenait le doigt et les yeux fixés dessus, jusqu'à la fin
de sa phrase. // pouvait prononcer le mot « cou) » à la place convenable, tant
qu'il avait les yeux fixés sur les lettres écrites; mais, du moment qu'il fermait
son livre, le mot sortait de sa mémoire, et ne pouvait plus être rajipelé, bien
qu'il se souvint de son initiale, et pût le retrouver à nouveau lorsque c'était
nécessaire. Il ne pouvait même pas se rappeler son propre nom, à moins de le
chercher, non plus que le nom d'aucune personne de sa connaissance; mais
il n'était jamais embarrassé pour l'initiale du mot à employer. »
11 n'est pas sans intérêt, relativement à cette mémoire limitée
à la première lettre d'un nom ou mot, de citer le passage suivant
de David Hartley. Il disait \ en exposant sa célèbre doctrine de
r « Association » : « Lorsque des idées variées sont associées en-
semble, l'idée visible, étant plus frappante et plus distincte que le
reste, joue le rôle d'un symbole pour toutes les autres, les suggère,
et les relie ensemble. Elle ressemble un peu, en ceci, à la première
lettre d'un mot, ou au premier mot d'une phrase, dont on fait souvent
usage pour rappeler tout le reste à l'esprit. » En outre, le fait que, dans
ces cas, — lorsque nous ne pouvons trouver un certain mot, — nous
semblons souvent connaître quelque chose de sa longueur, et pouvons
dire qu'il se compose d'environ tant de lettres, témoigne aussi d'une
résurrection avortée, ou commençante, du Mot, dans le Centre Visuel.
Le fait que cette résurrection Visuelle partielle n'est point asso-
ciée avec la pleine connaissance du mot, et ne permet pas de l'écrire,
a une signification considérable; car il semble montrer quelle impor-
tance dominante a, dans la majorité des cas, la résurrection pri-
maire dans les Centres Auditifs, non seulement pour la faculté de
Parler, mais aussi pour celle d'Écrire ; il montre en outre que les
Mécanismes plus spécialement Intellectuels ou Émotionnels ne peu-
vent souvent pas exciter immédiatement les Centres Visuels des Mots
pour 1 exécution des Mouvements de l'Écriture : ceux-ci étant pro-
bablement mis en jeu, lorsqu'on écrit spontanément, de même que
lorsqu'on écrit sous la dictée, principalement par l'intermédiaire des
Centres Auditifs des Mots.
Un remarquable genre de défaut, d'un ordre exceptionnel et fort
difficile à expliquer, a été rapporté par le docteur Hertz; qui dit
[Psych. Magazine, vol. VIII) :
« En août 1785, je fus appelé vers un officier d'artillerie âsé d'environ qua-
rante ans, et qui, me dit-on, était frappé de paralysie... Je le trouvai assez
rétabli pour avoir complètement l'usage de ses pieds; ses mains étaient aussi
plus fortes; mais, relativement à la parole, on observait la très-remarquable cir»
constance que voici : il était capable d'articuler distinctement tous les mots
qui se présentaient spontanément à lui, ou qui lui étaient répétés lentement et à
i. Observations on Man, 1748. Prop. XII, Cor. VII.
228 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
haute voix. Il s'efforçait avec ardeur de parler; mais une sorte de murmure
inintelligible était tout ce qu'on pouvait entendre. L'effort qu'il faisait était
violent, et se terminait par un profond soupir. Au contraire, il pouvait lire à
haute voix, avec facilité. Si l'on tenait devant ses yeux un livre ou un papier
écrit quelconque, il lisait si vite, et si distinctement, qu'il était impossible
d'observer le moindre trouble dans les organes de la parole. Mais, si on enlevait
le livre ou le papier, il était désormais absolument incapable de prononcer un
seul des mots qu'il avait lus l'instant d'auparavant. J'essayai à diverses reprises
cette expérience avec lui, non seulement en présence de sa femme, mais de
beaucoup d'autres personnes : l'effet fut uniformément le même. »
11 semblerait que les Mots ne pouvaient point être convena-
blement ravivés dans les Centres Auditifs par les incitations « voli-
tionnelles » ; et, conséquemment, que les stimuli « centrifuges » ne
pouvaient passer de ces centres aux centres moteurs intéressés dans
la Parole. La difficulté à répéter les mots (impliquant une paresse
ans la réponse des Centres Auditifs des Mots aux impressions
« sensitives » directes) rend ce cas difficile à comprendre. L'idée
que la mobilité moléculaire de ce Centre lui-même était diminuée,
ou que ses fibres efférentes étaient lésées, n'est point d'accord avec
le fait qu'il semblait encore bien répondre aux fortes impulsions
qui lui venaient du Centre Visuel. On donnera plus loin un fait ten-
dant à montrer que, dans la « lecture à haute voix », le Centre Audi-
tif des Mots est mis en jeu, de sorte qu'il agit alors comme dans le
langage ordinaire (p. 241); mais il peut y avoir des exceptions à cette
règle. Ce cas, ainsi que le suivant, serait plus explicable si nous
pouvions supposer que les incitations motrices peuvent, chez quel-
ques personnes bien exercées, passer, pendant la Lecture, du Centre
Visuel des Mots à des portions du Centre Kinesthétique des Mots
associées aux mouvements de la Parole, sans passer d'abord par le
Centre Auditif des Mots. Il semblerait, par analogie, tout à fait pos-
sible qu'il en fût ainsi ; de même que le Sens Visuel qui guidait d'a-
bord peut, au bout d'un certain temps, devenir inutile pour l'exé-
cution des mouvements ordinaires (p. 175).
Le cas suivant^ est plutôt plus compliqué, mais donne une preuve
plus évidente d'une grande diminution dans l'excitabilité du Centre
Auditif des Mots.
Le D"' Hun, d'Albany, mentionne le cas d'un forgeron, âgé de trente-cinq ans,
qui, avant l'attaque^actuelle, pouvait lire et écrire avec facilité. Il avait souiïert
pendant plusieurs années d'une maladie de cœur. Après une longue marche au
soleil, il fut pris, un soir, de symptômes de congestion cérébrale, et demeura
plusieurs jours dans un état de stupeur. En revenant de cet état, il comprenait
1. American Journal oflnsanitij. Avril 1851. Donné, comme ici, en abrégé,
par le D'' Bateman : Journal of Mental Science. Avril 1868.
AMNÉSIE PARALYTIQUE. 229
ce qu'on disait; mais on observa qu'il avait une grande difliculté à s'exprimer
lui-même en paroles, et, la plupart du temps, il ne faisait connaître ses besoins
que par signes. Il n'y avait pas de paralysie de la langue, qui pouvait se mouvoir
dans toutes les directions. Il savait la siçinification des mots que Von disait
devant lui, mais ne pouvait se rappeler ceux dont il avait besoin pour s'expri-
mer, ni répéter ceux qu'' il entendait prononcer. Il avait conscience de la difficulté
dont il souffrait, et sen)blait en être surpris et affligé. Si le D' Hun prononçait
les mots dont il avait besoin, il paraissait content et disait : « Oui, c'est cela » ;
mais ne pouvait répéter les mots après lui. Après des efforts inutiles pour
répéter un mot, le D'' Hun le lui écrivait, et alors il commençait à l'épeler,
lettre par lettre; et, après quelques essais, il pouvait le prononcer : mais si on
lui prenait alors le papier, il ne pouvait plus prononcer le mot. Mais après une
longue étude du mot écrit, et une fréquente répétition, il l'apprenait de façon
à le retenir et à s'en servir ensuite. Il avait une ardoise sur laquelle étaient
écrits les mots dont il avait le plus besoin, et la consultait lorsqu'il voulait
parler. Il apprit graduellement ces mots, et étendit son vocabulaire, de sorte
qu'au bout d'un certain temps il pouvait se dispenser de son ardoise. Il pouvait
lire assez bien dans un livre imprimé: mais hésitait devant quelques mots.
Lorsqu'il était incapable de prononcer un mot, il était aussi incapable de
l'écrire, jusqu'à ce qu'il l'eût vu écrit; et il pouvait alors apprendre à écrire,
comme il apprenait à prononcer, par des essais répétés. Au bout de si.\ mois,
en apprenant continuellement de nouveaux mots, il pouvait assez bien se faire
comprendre : souvent toutefois en employant une circonlocution, quand le mot
propre ne venait pas, un peu comme s'il eût parlé une langue étrangère impar-
faitement connue. »
Le fait qu'il ne pouvait articuler les Mots qu'on venait de pro-
noncer devant lui, bien que ces Mots fussent réellement entendus et
compris, semble indiquer un très faible degré d'activité du Centre
Auditif des Mots. Toutefois, la faculté qu'avait le malade de lire à
haute voix, ainsi que dans le dernier cas, paraît rendre probable
que cet acte peut être accompli, comme on l'a expliqué plus haut,
sans entraîner nécessairement l'activité des Centres Auditifs des
Mots. Le fait que cet homme avait des difficultés, non seulement à
prononcer certains Mots en les voyant, mais à les écrire, semblait
indiquer l'existence de quelque léger trouble fonctionnel du Centre
Visuel des Mots.
Relativement à cela, on peut mentionner que, dans diverses sortes
de Maladies Cérébrales, il arrive quelquefois que la Parole des ma-
lades est entièrement limitée à une simple répétition imitative de
Mots prononcés à portée de leur oreille; tandis qu'ils sont impuis-
sants à parler volontairement : c'est-à-dire que leurs Centres Audi-
tifs des Mots ne répondent qu'aux incitations « sensitives » directes,
et point du tout aux « associées », ou aux « volitionnelles. » Dans
ces cas, d'autres causes de trouble mental général existent presque
invariablement.
230 BELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSEE.
Un trouble de ce genre (chez une femme hémiplégique par suite d'hémor-
rhagie cérébrale) a été rapporté par le professeur Béhier'. Elle était née en
Italie et avait résidé en Espagne et France; et, des trois langues qu'elle avait
ainsi apprises, elle avait complètement oublié l'italien et l'espagnol, et ne se
rappelait plus que fort peu de français. Dans cette dernière langue, elle ne
faisait que répéter comme un écho les mots prononcés en sa présence, sans
toutefois leur attacher aucune signification. Mais, chez une femme vue à la
Salpêtrière par Bateman, la tendance mimétique était beaucoup plus grande.
Elle reproduisait même les mots étrangers qui ne lui avaient jamais été fami-
liers. « Dans les mots auxquels elle faisait ainsi écho, son articulation était
distincte, bien que les phrases étrangères ne fussent point répétées d'une
manière tout à fait aussi intelligible que le français... Au moment où nous
quittions son chevet, une malade d'un lit à côté toussa; et la toux fut aussitôt
répétée par ce perroquet humain. En réalité, cette singulière vieille répétait
tout ce qu'on lui disait, sous forme interrogative ou non, et imitait tout ce
qu'on faisait devant elle avec la plus extraordinaire exactitude. » Dans d'autres
cas, il y a tendance à demeurer sur quelque mot ou quelque phrase dite en
réponse à une première question, et à les répéter comme réponses à celles qui
suivent; jusqu'à ce qu'enfin le malade puisse dire quelque chose de nouveau,
qu'il répète ensuite de la même façon. On peut en citer un bon exemple, d'après
Trousseau. Chez un homme souffrant d'hémiplégie gauche, le stock de mots
usuels se réduisait à ces deux : « Ma foi ! » ; et lorsqu'on le pressait beaucoup,
il paraissait impatient et lançait le juron : « Cré nom d'un cœur! »... Je lui
demandai quels étaient son nom et sa profession; il me regarda et répondit :
« Ma foi! »... J'insistai; mais, en dépit de ses eff'orts, il ne fit que secouer la
tête d'un geste impatient, en s'écriant : « Cré nom d'un cœur! » Comme je
désirais savoir combien de mots il avait à sa disposition, je lui dis : « Êtes-
vous de la Haute-Loire? » Il répéta comme un écho : «Haute-Loire! » — « Quel
esl votre nom? » — « Haute-Loire! » « Votre profession? » — « Haute-Loire? »
« Mais votre nom est Marcou? » « Oui, monsieur. » « Êtes-vous sûr que c'est
bien Marcou? « « Oui. » « De quel département venez-vous? » — « Marcou. »
« Non ; ça c'est votre nom. » Mais avec un geste impatient, il s'écria encore :
« Cré nom d'un cœur! 2 »
2. — ACTION DÉFECTUEUSE DES CENTRES VISUELS
DES MOTS.
On n'a pas rencontré d'exemple très-distinct de ce défaut; mais
le D"" Hughlings Jackson a rapporté un cas^ qui est, sous quelques
rapports, l'opposé de ceux qui ont été décrits par les D''" Hertz
et Hun. Dans cet exemple, la faculté d'Écrire et d'Épeler était
très-fortement atteinte; tandis que celle de Parler n'était affectée
que d'une manière plus insignifiante.
1. Gazette des Hôpitaux, 16 mai 1867.
2. D'autres malades montrent, en Écrivant, la même tendance à répéter la
dernière impression faite sur le Centre Visuel (Voy. Cliniques de Trousseau).
3. Brit. Médical Journal. 1866.
AMNÉSIE PARALYTIQUE. 231
L'homme avait « rempli les devoirs d'une charj^e importante dn gouverne-
ment, exii:eant une bonne éducation et de rintclligence »; et il avait été sujet a
une série d'attaques épileptiformcs, portant d'abord principalement sur le côté
gauche du corps, puis, au bout d'un certain temps, affectant au contraire le
côté droit. Les troubles dans la faculté d'expression intellectuelle du malade
ne se montrèrent qu'après la seconde série d'accès. Le D'' Jackson dit : «Après
ces attaques, le malade pouvait parler, mais il faisait des erreurs en parlant. »
Quel(|ues semaines après, il rencontra ce malade dans la rue et dit : « Il était
alors aussi bien que jamais, pour un observateur superficiel. J'observai qu'ilpar-
lait tout à lait bien, et ceci pendant une conversation un peu longue. Le malade
disait toutefois qu'il lui était souvent impossible de trouver un mot: et le père
me dit que son fils faisait souvent des erreurs de noms. Le plus grand trouble
qu'il éprouvait était en écrivant; il n'avait point de difficulté quant à l'écriture
elle-même, celle-ci était excellente; mais il ne pouvait point trouver de suite
les mots convenables, et il orthographiait souvent d'une manière incorrecte
ceu.\ qu'il écrivait. Il pouvait copier fort bien un paragraphe d'un livre
imprimé, en ne faisant qu'une ou deux erreurs insignifiantes; mais, en essayant
d'écrire sous la dictée, il faisait des erreurs d'orthographe bien pires que
celles qui se trouvent dans une lettre, corrigée, reproduite par le D"" Jackson.
Lorsqu'on lui demandait d'épeler des mots, il réussissait aussi fort mal; et
bien qu'il pût répéter parfaitement même les phrases les plus difficiles, lorsqu'il
essayait de lire à haute voix, il ne pouvait absolument pas y réussir, pro-
nonçant de travers presque tous les mots de deux syllabes ou pilus.
Ici encore, comme dans le cas rapporté par le D^'Hun (p. 228), la
faculté de lire à haute voix était proportionnelle à celle d'écrire,
plutôt qu'à celle de parler. Lire à haute voix, de même qu'écrire,
exige nécessairement l'intégrité du Centre Visuel; et, que celui-ci fût
plus fortement atteint que le Centre Auditif, c'est ce qui semble
clairement indiqué par le fait que le malade pouvait répéter cor-
rectement même les phrases les plus difficiles, — opération dans
laquelle les Centres Auditifs des Mots sont mis en jeu, mais non les
Centres Visuels; —tandis qu'il ne pouvait lire à haute voix les pas-
sages les plus simples, sans faire beaucoup d'erreurs. Il sera intéres-
sant, plus tard, de comparer ces cas avec ceux qui seront donnés
sous le titre d'Agraphie (p. 253); surtout l'autre cas rapporté parle
D'' Jackson, qui pourrait également bien être placé ici.
3. — LÉSION DU CENTRE VISUEL DES MOTS, ET DE FIBRES
AFFÉRENTES DES CENTRES AUDITIFS; AINSI QUE CERTAINS
AUTRES DI'FAUTS PRODUISANT l'aMNÉSIE INCOORDONNÉE ^.
Un cas d'un grand intérêt, appartenant à cette catégorie, a été
I. Il vaut mieux retarder, jusqu'à ce qu'on ait donné quelques exemples de
cet état, l'examen de la nature des défauts qui l'amènent.
232 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
rapporté en détail par le D'' Banks \ mais nous n'en donnons ici
qu'un abrégé. La faculté de comprendre ce qui était dit par d'autres
était entièrement perdue; et celle de comprendre les caractères,
éci'its ou imprimés, l'était à peu près. Les facultés d'expression par
la Parole et l'Écriture présentaient un défaut correspondant. Le
malade semblait avoir perdu toute connaissance de l'usage appro-
prié des Mots, et était incapable de s'exprimer d'une manière intel-
ligible.
Un gentleman, âgé d'environ soixante-quinze ans, après avoir parcouru à
pied une distance considérable, le 8 mars 1864, s'assit pour dîner, et prit son
repas comme à l'ordinaire. Au bout d'un moment, on observa qu'un peu de
l'eau qu'il buvait s'échappait de sa bouche. Il reposa son verre ap; elant en
même temps, à voix haute et colère, sa femme et le domestique qui avait l'ha-
bitude de le servir, bien qu'ils fussent tous deux là. Ce malade fut vu, très peu
de temps après, par le D'' Kidd, qui le trouva assis sur le sofa, paraissant stu-
péfait, mais évidemment conscient; appelant par momfnts à voix haute le
domestique et d'autres personnes, mais ne faisant évidemment pas la moindre
attention à ce qu'on lui disait. L'excitation dont il souffrait se dissipa au bout
d'un certain temps. Il essaya de parler, mais d'une manière inintelligible. Il
monta les escaliers sans qu'on lui aidât, remonta sa montre, se mit au lit, et
dormit bien. Le lendemain matin on reconnut qu'il était complètement sourd;
les bruits les plus forts n'étaient point perçus. La vue semblait bonne : et il n''y
avait de paralysie motrice d'aucune sorte. En parlant, il se servait de mots
faux, au point d'être absolument inintelligible. Le D'^ Banks dit : « Il me
reconnut certainement, et fut content de me voir; mais il me nomma de
travers : me disant quelque chose, mais se servant de mots sans signification.
Nous essayâmes de communiquer avec lui par l'écriture; mais il fut évident
qu'il ne la comprenait pas. On écrivit : « Souffrez-vous? » Il regarda et dit :
« Bon, Bon Dieu », comme s'il lisait ce qui était écrit. Il essayait souvent d'écrire
des lettres; et son adresse était écrite deux ou trois fois en tête de la feuille
de papier, mais quelques-uns des mots étaient imparfaits. « My dear Sir »
était écrit correctement. La ffuille était remplie d'écriture, mais aucun mot
sauf « wife » n'était lisible; le reste était absolument sans signification;
quelques lettres étaient tracées correctement, mais aucun mot ne l'était; jusqu'au
bas du papier où son nom était signé d'une main sûre, et de la manière ordi-
naire. Son pouvoir d'écrire varia toutefois à divers moments. Parfois, lorsqu'il
désirait signer son nom, il ne pouvait y arriver et « gribouillait seulement
quelques mots inintelligibles». Il était impossible de rien lui faire comprendre:
et l'on ne pouvait reconnaître ce qu'il désirait que par ses gestes et par le
très petit nombre de mots qu'il avait encore à sa disposition, et qu'il appliquait
presque toujours de travers.
Au commencement d'avril, son agent devait lui faire une remise de fonds;
et tous les matins il se montrait fort excité, demandant fréquemment quelque
chose. A la fin, il vint à l'idée de quelqu'un de sa famille de lui montrer la
lettre de l'agent, ce qui parut lui faire plaisir ; mais il ne fut tout à fait satisfait
I. Dublin Quart. Journal of Med. Science. Février 1865, p. 78.
AMNÉSIE INCOORDONNÉE. 233
que lorsqu'on eut. apporté et compté l'argent devant lui. Il restait quelques
shillings, qu'on ne lui avait pas montrés tout d'abord; mais, quand il les vit,
il parut comprendre que tout était bien ; et quand on eut remis l'argent aux
mains de sa femme, il parut content. Ses sentiments d'affection pour sa femme
semblaient exaltés : mais il y avait un certain degré de faiblesse émotionnelle.
Parfois il faisait, pendant un certain temps, usage de quelques mots qu'il
appliquait de la façon la plus variée Désirant informer le D' Kidd qu'un Uni-
ment dont il avait fait usage était presi|ue lini, il dit en lui montrant la bou-
teille : « Apportez la corde ». Une autre fois, parlant de pilules qu'il avait
prises, il dit qu'il avait pris des « pommes de terre ». Il y avait très fréquem-
ment une certaine ressemblance entre le mot emploj'é et le mot juste, ou bien
on pouvait discerner quelque association avec l'idée à exprimer ; par exemple,
donnant son gilet pour qu'on le mît de côté, pendant que sa montre était dans
la poche, il dit : « Take care of the break fall. » Il semblait avoir conscience de sa
surdité et en parlait quelquefois. Il dit un jour qu'il ne pouvait ni entendre ni lire.
— « Seulement un peu, il pouvait lire les mots, mais nepouvait loas comprendre
leur signification. » Toutefois, il passait tous les matins quelques moments à lire,
d'une façon attentive en apparence, la Bible et les journaux. C'était sans doute
uniquement parla force de l'habitude; car, en l'éprouvant, on reconnaissait
qu'il Usait d'une certaine manière: mais les mots étaient sans liaison ni sens,
et ne présentaient même pas le rapport le plus éloigné avec le texte. Ses facultés
de parole et d'écriture étaient sujettes à varier. (Le D'' Banks a donné les
lithographies de deux lettres qui, bien que composées de mots convenablement
écrits, sont presque inintelligibles). Parfois il était difficile de le gouverner;
car, s'il désirait quelque chose et s'il était impossible de le comprendre, il
s'excitait beaucoup. Il demeura à peu près dans le même état jusqu'au
7 octobre, où il eut une attaque apoplectique distincte, et devint complètement
hémiplégique du côté droit. Il survécut une semaine seulement à cette attaque
plus grave.
Dans ce cas, les troubles mentaux graves n'étaient point associés
à la paralj'sie. Le Centre Visuel était évidemment fortement lésé,
puisque le malade ne pouvait comprendre les caractères écrits ou
imprimés, et ne pouvait écrire que d'une manière inintelligible.
Cette conclusion est encore appuyée par le fait qu'il lisait fort mal,—
encore plus mal qu'il ne parlait. Son trouble amnésique delà parole,
du type incoordonné, était probfib'ement dû à quelque défaut
d'harmonie entre les Centres Intellectuels supérieurs et les Centres
Auditifs; mais nous étudierons bientôt ce sujet plus au long. La
surdité absolue, jointe à la faculté d'articuler fort bien, paraissait
incompatible avec l'existence d'une lésion grave du Centre Auditif
lui-même. Le fait, toutefois, de cette surdité complète, est un trait
exceptionnel, difficile à expliquer par la supposition, probable d'ail-
leurs, qu'il n'existait originairement qu'un point lésé dans l'Écorce
Cérébrale. Si une surdité ordinaire avait existé à droite avant
l'époque de cette maladie cérébrale subite, ses symptômes auraient
pu s'expliquer par une lésion située près ou dans l'Écorce de l'Hé-
234 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
mjsphère gauche, intéressant sérieusement les fibres afférentes qui
se rendent au Centre Auditif, et dérangeant sérieusement aussi l'acti-
vité fonctionnelle du Centre Visuel correspondant.
Le D' Broadbent a rapporté^ une observation clinique compa-
rable sous bien des rapports à la précédente.
Un peintre, âgé de quarante-deux ans, était sujet depuis plusieurs années à
la goutte, ainsi qu'à des attaques épileptiformes. Pendant la nuit du 14 oc-
tobre 1871, étant couché sur le côté droit, il sortit brusquement le bras gauche
et commença à baragouiner, — son bras droit demeurant parfaitement inutile. Il
n'y eut ni convulsions ni perte de conscience. Le D'' Felce, qu'on appela auprès
de lui, le trouva complètement hémiplégique, et avec la sensibilité gravement
atteinte du côté droit, continuant un babil dépourvu de sens, dans lequel les
sons m prédominaient, et montrant le bras paralysé. L'attaque fut suivie de
beaucoup d'excitation cérébrale, de cris et de violence. Il recouvra bientôt
l'usage des membres droits, mais la parole demeura aussi imparfaite que jamais,
et il était incapable d'écrire et de copier. La santé générale était fort dérangée :
et finalement il survint une gangrène du pied gauche. Ce fut im peu après
cela, le 14 d'''cembre, que le malade fut visité pour la première fois par le
D'' Broadbent, qui dit : « Il nous reçut avec une profusion de révérences et de
sourires, avec des gestes exprimant la bienvenue... Sa parole n'était qu'un
simple jabotage, dans lequel « Ma » et « Mum » dominaient, et étaient accom-
pagnés d'un excès de gestes, de sourires et d'expressions faciales. Les gestes
étaient frappants, et en apparence bien appropriés, lorsque nous avions la clef
de leur signification... Il fut constaté qu'il disait parfois « Yes » ou « No » et
« Oh my » ; mais il ne prononça pas, devant nous, même ces simples mots. Il
était incapable d'écrire son propre nom, même en ayant sa signature sous les
yeux. Lorsqu'on le pressait de le faire, il gribouillait rapidement quelque chose,
dans lequel on pouvait distinguer d'abord quelques lettres, mais qui finissait
par un griffonnage. »
« Il ne comprenait évidemment rien de ce qu'on lui disait, ne serrait pas
ma main lorsque je le lui demandais à plusieurs reprises, mais continuait à la
secouer et à sourire; il tirait plusieurs fois de suite la langue lorsqu'on lui
disait de fermer les yeux, mais imitait cet acte immédiatement après le
D"" Felce. Il était douteux qu'il reconnût l'état de sa parole; il continuait à
Caboter comme s'il pensait être compris, mais il faisait aussi des signes... Il
demeura à peu près dans le même état jusqu'à sa mort, qui survint vers Noël ;
surprenant un jour quelques amis qui causaient au pied de son lit en s'écriant :
« Exactly » à un moment ti'ès opportun, mais ne recouvrant point autrement
la parole. »
Dans ce cas, tandis que la lésion du Centre Visuel gauche des
Mots était probablement plus grave encore que dans celui rapporté
par le D' Banks, le Centre Auditif gauche des Mots semble avoir
également souffert, comme le montraient l'impuissance où se trou-
vait le malade d'articuler des mots distincts, ainsi que son inaptitude
1. Medico-Chirurg. Transactions. 1872, p. 170.
AMNÉSIE INCOORDONNÉE. 235
apparente à comprendre le langage parléi.Dans un autre cas, rap-
porté par le D"" Broadbent, il y avait la même impuissance à com-
prendre ce que Ton disait, bien que la malade eût coutume de
parler, non en un simple baragouin inarticulé, mais en mots dis-
tincts, bien que sans suite ^. Ici, toutefois, on dit qu'après l'accès
par lequel débuta la maladie de la dame, « son expression, naturel-
lement joyeuse, fut changée en un aspect morne et stupide; et
qu'elle ne faisait attention à rien. » Il y avait, évidemment, un état
de démence partielle; mais, dans un cas rapporté très brièvement
par Trousseau, et dans lequel il y avait aussi usage de mots sans
suite, dont la signification n'était point réalisée par la malade, on
dit que, sous d'autres rapports, les actions étaient rationnelles. Elle
se levait avec un air de bonté pour recevoir un visiteur; et, lui mon-
trant un fauteuil, disait : « Cochon, animal, fichue bête ! » tandis
que son gendre qui était là, et savait ce qu'elle voulait réellement
dire, ajoutait : « Madame vous invite à vous asseoir. » La dame
paraissait, pendant tout le temps, absolument inconsciente des
expressions insultantes dont elle s'était servie.
b. — AMNÉSIE INCOORDONNÉE.
Les cas détaillés dans le paragraphe précédent sont des exemples
si nets des troubles incoordonnés de la Mémoire Verbale, que nous
sommes naturellement conduits à examiner la manière dont on
peut expliquer ces troubles. Un usage mal approprié des Mots,
comme celui qui se voyait dans le cas du D'^ Banks, peut se rencon-
trer à des degrés fort divers, et constitue, en réalité, un des trou-
bles les plus communs delà Parole, à la suite de maladie cérébrale;
trouble qui se montre parfois plus spécialement dans la Parole Arti-
culée, et d'autres fois plus dans l'Écriture : ou bien encore, dans
d'autres cas, le pouvoir d'Expression peut être presque également
défectueux pour la Parole et l'Écriture.
Les malades ont, la plupart du temps, conscience qu'ils se servent
de mots faux, dans l'une ou l'autre de ces manières de s'exprimer ;
bien que ce ne soit pas toujours le cas.
1. Comme l'Hémisphère droit était ouvert à la réception d'impressions audi-
tives, il semble étrange que, dans ce cas, la parole n'ait pas été mieux comprise.
Toutefois, desiiijpressions auditives correctes et d'autres, incorrectes, arrivant
simultanément aux deux côtés du Cerveau, pourraient produire une confusion
mentale assez grande pour empêcher la perception de l'impression correcte.
2. Une inaptitude semblable à comprendre ce qu'il disait lui-même existait
chez un malade dont l'observation est rapportée par Winslow (Obscure Dlseases
of the Brain. 3* édition, p. 328).
236 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
Luys 1 fait allusion à un cas où le malade avait l'habitude d'employer un
mot pour un autre, sans avoir conscience de ses méprises. Un jour il prononça
le mot « jardin » en voulant dire « lit » ; le répéta plusieurs fois, et finit p:ir se
mettre dans une violente colère parce que ses ordres n'étaient pas compris. On
lui fit alors écrire le mot qu'il désirait employer; et la vue des caractères, con-
venablement écrits, le convainquit bientôt que le mot qu'il venait de prononcer
n'était pas celui dont il avait eu l'intention de se servir.
L'auteur a donné ailleurs ^ un très-bon spécimen d'une lettre
écrite par un malade amnésique bien élevé ; lettre remplie de mé-
prises, et même, en certains points, inintelligible; et cependant, à
en juger par le manque de ratures, ces erreurs n'avaient sans doute
pas été remarquées par le malade.
L'étendue de ces troubles incoordonnés de la Mémoire Verbale
est très variée, ainsi que leur fréquence. Il se peut qu'un mot faux
ne soit employé que par hasard en Parlant ou en Écrivant; ou bien
ces erreurs peuvent être beaucoup plus fréquentes et plus éten-
dues. Elles peuvent l'être assez pour rendre la Parole ou l'Écriture
du malade absolument sans suite, et même tout à fait incompré-
hensibles, — grâce au placement absolument confus des mots.
Winslow a rapporté un cas de cette forme extrême de Parole
amnésique, chez un gentleman qui ne s'était remis que partiellement
d'une attaque d'apoplexie.
« Il pouvait parler : mais ce qu'il disait était tout à fait inintelligible, sans
clef pour l'interpréter. Il pouvait prononcer des mots fort clairement, mais ils
étaient étrangement mal placés et transposés. On écrivait ce qu'il disait; puis
on remettait les mots à leur place. Par ce moyen, sa famille pouvait comprendre
clairement ses désirs. Cet état du cerveau et ce trouble de la parole conti-
nuèrent, avec de légèi^es interruptions, pendant pi^ès de quinze jours. »
Les lettres écrites par le malade du D'" Banks donnent également
un exemple d'un trouble extrême dans l'expression intellectuelle au
moyen de l'Écriture. Bien que composées de mots convenablement
écrits, le mode de placement des mots était tel qu'ils ne pouvaient
exprimer de proposition intelligible.
L'explication des troubles « paralytiques » de la Mémoire Ver-
bale est un problème qui ne présente pas de difficultés particu-
lières. Mais on ne saurait en dire autant des afïections « incoor-
données ». Il y a toutefois une raison évidente pour que les deux
sortes de troubles se rencontrent plus fréquemment relativenient à
des noms de personnes, de lieux et de choses. Dans les cas plus
légers, ce ne sont que ces « associations », tout à fait spéciales,
dont on ne peut plus se souvenir, ou qui sont mal appliquées. II est
1. Système Nerveux, 1865, p. 395.
2. Paralysis from Brain Diseuse, 1875, p. 189.
AMNÉSIE INCOORDONNÉE. 237
plus rare de voir ces troubles s'étendre aux substantifs en général
et à d'autres parties du discours. Comme Broadbent < l'observe avec
vérité : « Les mots autres que les noms, comme adjectifs, verbes,
etc., constituant la charpente* d'une phrase ou proposition, sont
sur un pied différent; ils ne sont point associés à des perceptions
visuelles, tactiles et autres. Leur usage implique une notion pre-
mière de mots comme les noms, et marque un pas au delà de
l'acte de nommer Ce ne sont point des symboles intellectuels
substantifs, mais des agents intellectuels, instruments et produits de
l'action de l'intellect, et non des choses qui viennent faire impi^es-
sion sur lui. C'est relativement à cette classe de mots que Ton peut
strictement dire que « nous pensons en mots », car souvent nous
pensons (en partie) en impressions visuelles ravivées et non réduites
en mots. Les circonvolutions intéressées dans leur emploi seront
celles qui sont le siège des opérations intellectuelles, les circonvo-
lutions surajoutées. »
Bien que nous ne soyons point tout à fait d'accord avec Broad-
bent pour supposer que l'Action Intellectuelle et ses Centres peu-
vent être aussi distinctement séparés de l'Action Perceptive et de
ses Centres '; bien que nous ne partagions point ses opinions rela-
tivement aux divisions qu'il cherche à établir entre ces modes d'ac-
tivité, ou quant à son explication du processus de Nommer, — toute-
fois, ce qu'il dit ci-dessus donne beaucoup à penser, relativement
aux différences possibles de siège dans les substrata organiques des
1. Medico-Chlrurgical Transactions, 1872, p. 192.
2. Herbert Spencer dit {Principles of Psychology, vol. V, p. 163). « Les
composants immédiats de l'Esprit sont de deux sortes, qui contrastent forte-
ment, — lt:s Sentiments, et les Relations entre Sentiments. » Mais un examen
attentif de ce qui est dit des « Relations » rend évident qu'elles correspondent
à ce dont on a parlé généralement dans cet ouvrage comme du « côté cognitif
du Sentiment. » Bien que H. Spencer nomme et décrive à part les deux com-
po?ants de l'Esprit, ceci n'est que pour la description; car il ajoute lui-même :
M Strictement parlant, ni un Sentiment ni uiic Relation n'est un élément
indépendant de Conscience », — ce qui est exactement ce qu'ont dit en réalité,
sinon dans les mêmes termes, Aristote et un grand nombre de philosophes
api'ès lui, relativement au Sentiment et à la Cogniiion (voy. vol. 1", p. 141). La
distinction d'un sentiment comme tel et tel, comprend nécessairement ses « rela-
tions » de degré, de nature, de lieu et de temps. Et, comme le dit H. Spencer
{loc. cit., p. 187), — « ce qu'on nomme ordinaii-ement Actions Mentales se
poursuit presque toujours en termes de ces sentiments tactiles, auditifs et
visuels, qui montrent de la cohésion, et par conséquent une aptitude à s'unir
en un tout, d'une manière si évidente. Nos opérations intellectuelles sont, assu-
rément, principalement confinées aux sentiments auditifs (intégrés en mots) et
aux sentiments visuels (intégrés en impressions et idées d'objets, de leurs
relations et de leurs mouvements). »
238 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
Mots, suivant qu'ils désignent ou non des objets extérieurs'. Il est
rationnel de supposer que ces derniers peuvent être en relations
plus immédiates avec les Centres Perceptifs; tandis que ceux des
autres parties du discours seraient plus intimement associés à des
réo-ions où les Processus Perceptifs se confondent dans des Opéra-
tions plus complexes et plus purement Intellectuelles.
Ainsi donc, en général, Tinaptitude à se rappeler les noms, ou
les erreurs de noms de personnes, de lieux, ou de choses, seraient
des troubles accompagnant des lésions ou des altérations des Cen-
tres Perceptifs, et pourraient exister avec un dérangement relati-
vement léger de l'Activité Intellectuelle; tandis que, d'autre part,
les formes extrêmes d'Amnésie, dans lesquelles le malade ne pro-
nonce que des propositions sans suite ou un simple mélange confus
de mots, doivent, plus probablement, être associées à un trouble
marqué des Facultés Intellectuelles, — dépendre, en un mot, de
lésions ou d'altérations de parties du Cerveau plus spécialement
liées à ces modes d'activité.
Le processus de Pensée semble être, dans une certaine mesure,
indépendant des Mots par lesquels la Pensée est exprimée; de sorte
que nous « pensons en mots » peut-être un peu moins qu'on ne le
suppose généralement. Son indépendance partielle paraît indiquée
par le fait que nous « choisissons » nos expressions. Ainsi, d'après
les diverses nuances de signification que nous cherchons à faire
passer dans nos propositions, nous pesons ou « choisissons » sou-
vent, d'une manière délibérée, les substantifs, les adjectifs et les
verbes que nous pouvons estimer les plus propres à communiquer
complètement nos pensées à d'autres personnes. Ceci semble indi-
quer quelque processus séparé, par lequel les Pensées, ou « Rela-
tions», s'associent à des Mots, — processus qui est peut-être un peu
moins automatique que celui par lequel les objets extérieurs, réels
ou en « idées », s'associent à des Mots.
Dans les « troubles incoordonnés » de différents degrés, ce sont
ces relations ou associations verbales particulières qui sont trou-
blées. Comment? nous ne le savons pas. L'erreur peut être dans le
mode d'activité des Centres Perceptifs ou Centres de Pensée, ou
peut-être dans les Centres de Mots qui leur sont associés; l'effet
étant, dans l'un et l'autre cas, qu'il s'établit des associations erro-
nées; de sorte que le malade prononce des propositions incorrectes
ou sans signification.
Dans les foi'mes tout à fait extrêmes de ce trouble de coordination,
1. Loc. cit., p. 181. Voyez aussi D*" Bristovfe, Lectures on the Pathnlogical
Relations of Voice and Speech {B rit. Médical Journal, 10 mai 1879, p. 691), pour
un exposé succiat de l'opinion de Broadbent.
TROUBLES EXTRÊMES DE LA COORDINATION. 239
OÙ la Parole est réduite à un simple jabotage de sons sans aucune
signification, nous avons probablement affaire à quelque grave
lésion, soit dans les Centres Auditifs des Mots, soit dans les Centres
Kinesthétiques des Mots. Il y a deux types de ces cas; dans Tun,
comme celui rapporté par Broadbent, la personne qui baragouine
ne comprend pas non plus ce qu'on lui dit ; dans l'autre, comme
celui du D"" Osborne, que l'on va citer tout à l'heure, tandis qu'elle
n'est capable elle-même que de jaboter, la personne atteinte com-
prend évidemment tout ce qu'on lui dit. Ces deux types s'expliquent
peut-être mieux par des lésions siégeant dans les régions respectives
ci-dessus indiquées.
Il existe de même des troubles extrêmes relativement à
l'Écriture; et peut-être peut-on les expliquer aussi par quelque
altération du Centre Visuel des Mots, dans les cas où la faculté
d'écrire est réduite à un simple assemblage de lettres, dé-
pourvu de signification, en même temps qu'il y a inaptitude à
comprendre les mots écrits ou imprimés ; au lieu que, lorsque
cette dernière inaptitude n'existe pas, l'écriture incoordonnée
peut être un simple défaut d'exécution, dû à quelque déran-
gement du Centre Kinesthétique des Mots; — et ceci semble
pouvoir expliquer, en partie du moins, le cas du matelot qui est
raconté p. 255.
Il existe aussi des troubles de ce type, assez légers pour être
placés tout à fait à l'autre bout de l'échelle, et dans lesquels des
erreurs étranges peuvent, habituellement ou non, se présenter dans
l'articulation de quelques mots ou dans la manière de les écrire. Le
docteur Winslovv a rapporté l'observation d'un homme qui, après
une attaque de paralysie, transposait toujours, en prononçant, les
lettres des mots ; ainsi « essayant de dire le mot flûte il disait
tuflej, pue pour cap, gum au lieu de 7nug. » Il peut encore y avoir
une substitution presque invariable de certaines lettres à d'autres,
— comme un z mis pour un f dans tous les mots qui auraient dû
renfermer cette dernière lettre.
De pareils défauts dans la prononciation ou la manière d'épeler
sont extrêmement communs chez les malades légèrement Amné-
siques; et l'on peut même les rencontrer parfois, à un degré fort peu-
marqué, chez des personnes d^ailleurs en parfaite santé. Ces personnes,
désirant se servir d'un mot, en emploient réellement un autre, —
ayant quelquefois conscience de leur erreur et quelquefois pas ; et
la même chose est vraie des erreurs qu'elles font en écrivant :
celles-ci peuvent être découvertes de suite, ou seulement en reli-
sant ensuite le manuscrit. Les personnes suj-ittes à faire de ces
erreurs d'expression peuvent parfois comprendre tout à fait de
travers un mot qu'elles entendent dire, ou qu'elles voient écrit ou
210 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
imprimé; et cela d'une manière qui les surprend absolument elles-
mêmes, lorsqu'elles reconnaissent leur erreur.
4. — LÉSIONS DES COMMISSURES ENTRE LES CENTRES
AUDITIFS ET LES CENTRES VISUELS DES MOTS.
En y réfléchissant, il paraîtra clair qu'il doit y avoir au moins deux
groupes de commissures entre les Centres Auditifs et les Centres Vi-
suels des Mots ; l'un {a) pour transmettre les stimuli des Centres Visuels
aux Centres Auditifs [jibres visuo-aiiditives), comme dans l'acte de
lire à haute voix ou de nommer à vue ; l'autre (6) pour transmettre
les impressions dans la direction opposée, c'est-à-dire des Centres
Auditifs aux Centres Visuels {/ibres aiidito-visueUes), comme dans
l'acte d'écrire sous la dictée.
Les deux groupes de commissures peuvent être simultanément
lésés ; et ceci semble avoir été la cause des troubles les plus remar-
quables que présentaient deux malades de l'auteur, et dont voici
les observations. Le premier d'entre eux fut observé au National
Hospital for the Paralysed and Epileptic, en 1869 ' ; mais l'on ne
rencontra rien de semblable jusqu'à l'été dernier, où fut observé
le second exemple. Je ne sache pas que l'on ait rapporté d'autres
cas semblables.
Une femme d'un certain âge eut une attaque d'hémiplégie droite, avec
aphasie presque complète, au commencement de l'année 1868. Pendant quelques
mois, il y eut amélioration considérable, bien qu'elle demeurât sujette à des
« accès » par intervalles. Après douze mois, elle était capable de marcher, avec
un peu d'aide, bien qu'elle fût encore incapable de se servir du bras et de la
main droite. Elle paraissait comprendre parfaitement tout ce qu'on lui disait,
et avait, dans une graade mesure, recouvré la faculté de parler. Elle pouvait
répéter presque tous les mots qu'elle entendait dire, et cela sans hésitation,
bien qu'elle ne pût lire même les mots les plus simples, imprimés en gros
caractères. Toutefois, ces mômes mots pouvaient être prononcés immédiate-
ment, et avec facilité, en les entendant prononcer. Ë?/e copiait convenablement
le mot « London » de la main gauche, mais ne pouvait écrire les mots « cat »
ou « dog » après les avoir simplement entendu prononcer ; bien qu'elle pût fort
bien épeler ces mêmes mots. Elle ne pouvait môme pas écrire la première lettre
de l'un de ces mots... Douze mois après, elle fut retrouvée à peu près dans le
même état. Elle ne pouvait point lire, môme les mots sim[plcs comme « and » et
« for » ; elle pouvait très facilement montrer les lettres qu'on lui nommait,
mais ne pouvait nommer elle-même celles qu'on lui montrait. Ses facultés loco-
motrices s'étaient améliorées, et elle pouvait aussi parler un peu mieux. Elle
pouvait lire une lettre en silence, comme pour la comprendre; bien qu'elle ne
parût pas toujours comprendre ce qu'elle lisait dans un journal ou un livre.
1. Paralysis from Brain Diseuse, 1875, p. 201.
LÉSIONS KXTRE LES CENTRES AUDITIFS Kl' VISUELS. 241
Lorsqu'on la revit, quatre ans après, cette malade était encore à peu près dans
le même état.
Il est digne de remarque que, pendant les premières phases de
la maladie de cette femme, elle paraissait souffrir d'Aphasie ordi-
naire, avec paralysie à droite; ce ne fut qu'après qu'elle eut recouvré
la faculté de Parler, qu'il fut possible d'obtenir la preuve des trou-
bles plus spéciaux qu'on vient d'exposer, et qui montraient, comme
on peut le voir, une cessation de relations fonctionnelles entre les
Centres gauches, Auditifs et Visuels des Mots. Ainsi elle ne pouvait
lire fort, ni écrire sous la dictée, — ces deux actes nécessitant l'ac-
tivité conjointe de ces deux sortes de centres i. Mais elle pouvait
articuler librement les mots qu'elle entendait, et pouvait aisément,
de sa main gauche, copier l'écriture; car ce sont des actes dont l'un
met en jeu le Centre Auditif et l'autre le Centre Visuel, indépendam-
ment l'un de l'autre. L'acte de copier était, en ce cas, accompli delà
main gauche, comme résultat d'une pratique récente ; de sorte que
les stimuli qui opéraient sur les centres moteurs (dans le corps
strié droit) devaient avoir émané immédiatement du Centre Visuel
du côté droit.
Voici, avec plus de détails, le second cas, qui est encore plus
intéressant :
Thos. A. — , ouvrier ferblantier, âgé de quarante-deux ans, fut admis le
12 mars 1878, àUniversity Collège Hospital. Ti'ois mois auparavant, il avait été
subitems^nt paralysé du côté droit du corps, sans convulsion ni perte de con-
science; mais, après l'attaque, on reconnut que la parole était presque perdue.
Lorsqu'on l'admit, il était devenu capable de mouvoir légèrement sa jambe et
son bras droit, bien qu'il y eût encore une légère diminution de la sensiblité
de ce côté du corps. Il y avait un léger degré de paralysie faciale droite et
quelque déviation à droite de la langue. Il continua à s'améliorer lentement, et,
le 2 avril, son état est décrit ainsi : — Il reconnaît les objets communs, mais
ne peut les nommer; il répudie un faux nom, et reconnaît aussitôt le véritable
lorsqu'il l'entend dire. Il ne peut jamais se rappeler son propre nom jusqu'à ce
qu'on le lui dise. Lorsqu'on lui demande de répéter ce nom (Andrews), après
quelques efforts, qui varient à chaque fois, il prononce « Anstruthers » ou
« Anstrews ». Son premier nom (Thomas) semble venir plus aisément, et il
peut souvent essayer de le dire sans qu'on le lui souffle. Mais, soit après qu'on
le lui a répété, soit qu'il le dise spontanément, il le prononce « Towvers ». La
lettre L lui est difficile à prononcer; quelquefois il la prononce comme un D,
d'autres fois comme un V. Il a appris à compter, ai peut prononcer convenable-
ment les nombres de un à douze; après douze, il est incertain; la prononciation
1. Surtout chez les personnes dont l'éducxtion n'est pas très développée,
et qui ne sont, par conséque it, point complètement habituées à l'accomplisse-
ment de ces processus. II peut toutefois y avoir des e.\c3ptions à cette régie
(V. page 228).
Chaklton-Bastian. — II. , 16
242 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
et l'ordre des nombres deviennent rapidement de plus en plus mauvais. Lorsqu'il
fait une erreur, il en a conscience , mais ne peut se corriger, et finit en une
inextricable confusion. Lorsqu'il lit dans un livre, les mots qu'il prononce n'ont
aucune relation avec les mots imprimés, soit pour la longueur, soit pour le
gQfi- — il ne semble pas non plus comprendre les caractères écrits; car il
n'essaye point de répondre à une question écrite sur une ardoise, bien qu'il
essaye immédiatement de répondre à cette même question si elle est orale. Tou-
tefois, il reconnaît les nombres de un à neuf, lorsqu'ils sont e'crtis; et lorsqu'ils
ne sont pas placés dans leur ordre régulier, il en a conscience. Il ne peut nom-
mer les pièces de monnaie, mais semble avoir quelque idée de leur valeur
relative. Il indiqua sur ses doigts qu'une pièce de six pence valait six pièces
de un penny, bien qu'il ne pût, en les voyant, prononcer leur nom.
Le 16 avril, le maladeeutdeuxlégers accès qui, àenjuger par les symptômes,
étaient apparemment dus à quelque légère aggravation de lésion du côté droit
du cerveau. Après aucun de ces deux accès la parole ne parut plus défec-
tueuse. Le second fut toutefois suivi d'une aggravation de la paralysie droite,
bien qu'il n'y eût pas d'autre trouble de la sensibilité. Trois jours après, cette
aggravation de paralysie avait disparu, et le malade était de nouveau capable
de se promener dans la salle.
Deux semaines après, on remarqua que sa parole était aussi mauvaise que
jamais; il pouvait nommer tout nombre écrit qu'on lui montrait, et additionner
correctement de petites colonnes de trois ou quatre chiffres; mais il était abso-
lument incapable de nommer les lettres de Ta /jf/iatef, quelque simples et grosses
qu'elles pussent être. Il pouvait reconnaître les objets communs, comme un
chien, un poulet, ou un arbre, sur une gravure; et montrer un quelconque
d'entre eux lorsqu'on le lui demandait. Mais il ne pouvait pas ti-ouver le nom
des objets qu'il moutrait, même des plus familiers.
8 mai. — On lui demanda de nommer successivement, en les voyant, de
grosses capitales séparées, imprimées, 0, K et G, pour toutes trois, il dit P, et
comme on lui montrait le D, il l'appela M, — bien qu'il répétât le nom de
chacune de ces lettres, sans un moment d'hésitation, après l'avoir entendu
prononcer. Bien qu'il y ait cette impuissance à nommer les lettres à vue, le
malade semble aujourd'hui comprendre des phrases simples, écrites ou impri-
mées; ainsi lorsqu'on lui écrivait sur une ardoise la phrase : m Avez-vous une
femme? » il paraissait parfaitement évident qu'il comprenait cet écrit. Son
état semble toutefois varier de temps en temps, sous ce rapport. Dans les
phrases dont il comprend la signification, il est toutefois absolument incapable
de prononcer, à simple vue, les mois isolés; bien qu après les avoir entendu pro-
noncer, il puisse les articuler aussitôt, plus ou moins distinctement.
Deux jours après, on observa qu'il lisait quelque chose dans le journal; et
comme on lui demandait s'il le comprenait (c'était le récit d'un cas d'empoi-
sonnement devant un tribunal de police), il dit aussitôt que oui, et indiqua
indubitablement par ses gestes que cela était vrai. De la main gauche il pou-
vait écrire son propre nom, d'après un modèle; mais pas facilement sans
modèle, et quelquefois pas du tout. Il n'essayait même pas d'écrire, d'après le
son, un mot moins familier, même lorsqu'il l'avait distinctement entendu et
compris.
On remarquera que l'état de ce malade était, le 2 avril, nettement
LÉSIONS ENTRE LES CENTRES AUDITIFS ET VISUELS. 'iW
différent de ce qu'il devint vers la fin du mois, après les deux accès.
D'abord, il ne pouvait se rappeler les noms des objets communs, —
les nommer en les voyant. Il ne pouvait pas non plus se rappeler
de lui-même son propre nom ; et lorsque, après qu'on les lui avait
soufflés, il essayait de répéter les mots, sa prononciation montrait
des troubles distincts, du type incoordonné. Lorsqu'il essayait de
lire à haute voix dans un livre, ces troubles incoordonnés étaient si
marqués, qu'ils rendaient sa lecture absolument inintelligible; il ne
semblait pas non plus comprendre les caractères écrits, excepté les
nombres simples. Mais, vers la fin du mois, tandis que la pronon-
ciation du malade était devenue plus distincte lorsqu'il répétait les
mots qu'il avait, entendus, il ne pouvait même plus émettre un jar-
gon inintelligible en essayant de lire, A la même époque, il était
devenu capable de comprendre ce qu'il lisait, bien qu'il ne pût
encore pas nommer, en la voyant, une seule lettre, ni écrire un seul
mot sous la dictée, — ces deux processus demandant, pour s'accom-
plir, une relation normale (et par conséquent l'intégrité des com-
missures) entre les Centres Visuels et Auditifs des Mots. La partie de
la commissure qui transmet les stimuli des Centres Visuels aux
Centres Auditifs des Mots (comme lorsqu'on lit à haute voix), paraît
avoir été lésée d'une manière plus étendue après les deux accès,
qu'auparavant. Toutefois, le fait qu'il pouvait lire et prononcer les
noms des nombres suggère l'idée que, peut-être, ces unités plus
familières peuvent avoir été articulées au moyen de stimuli passant
directement du Centre Visuel des Mots à la moitié du Centre Kines-
thétique des Mots qui est intéressée dans les Mouvements de la
Parole (voyez p. 228),
Le docteur Broadbent a rapporté un cas fort rare et fort intéres-
sant, provenant de maladie cérébrale, et allié de près à ce que l'on
trouve dans les deux observations ci-dessus. Toutefois, son malade
n'avait point perdu la faculté de rappel a volontaire » ou « associa-
tionnel » dans le Centre Auditif des Mots—Il -parlait en effet cou-
ramment, en hésitant seulement parfois ; bien qu'il fût incapable
d'écrire quand il le désirait.
Le malade, inspecteur du gaz, d'une énergie et d'une intelligence remar-
quables, avait, à la suite d'une attaque cérébrale aiguë, entièrement pei'du la
faculté de nommer les objets en les voyant, ainsi que celle de lire. 11 parlait
couramment et avec intelligence, et faisaità peine quelque erreur de mots; mais
il lui était quelquefois impossible de trouver un nom, surtout de rue, de lieu,
ou de personne. Il était toutefois absolument incapable de lire, ou même de
nommer une seule lettre; la seule exception était qu'il reconnaissait son
propre nom, soit écrit, soit imprimé ; mais, même aloi-s, il ne savait point si l'on
donnait les noms de baptême, ou seulement les initiales. A l'occasion, il écrivait
correctement sous la dictée, et 'prenait note de mes instructions, notes qu'il ne
244 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
pouvait plus lire le moment d'après^. Il expliquait qu'il était sujet à oublier,
et que sa femme les lirait. Si on lui montrait une main, ou un article de vête-
ment, ou tout autre objet familier, il était tout à fait incapable de les nommer;
tandis que, si le nom se présentait dans la conversation, il le prononçait sans
hésitation. Si on lui demandait la couleur d'une carte, il ne pouvait la donner.
« Est-elle bleue? » « Non. » « Verte? » « Non. » « Rouge? » « Bien, cela y
ressemble davantage. » « Orange? » « Oui, orange. » On traça un carré et un
cercle, et on lui demanda de les nommer ; il ne put le faire ; mais comme on
appelait le cercle un carré, il dit : « Non, c'est celui-là»» en montrant bien la
figure.
La lésion d'un seul groupe de fibres commissurales (les visuo-au-
ditives), avec l'addition de quelque léger trouble dans le Centre
Yisuel des Mots, produirait une combinaison de symptômes comme
celle qu'on vient de rapporter. Nous avons supposé que des impres-
sions faites sur le «Jentre Visuel se rendent ordinairement de lui au
Centre Auditif des Mots, et de là aux Centres Moteurs (en passant
par les Kinesthétiques),si les impressions Visuelles doivent être tra-
duites par la Parole articulée. Mais s'il n'y avait de lésé que ce
groupe de fibres commissurales, l'individu aurait conservé sa Vue
intacte, ainsi que ses facultés de Parole; — il aurait été simplement
incapable de lire ou de nommer en voyant, à cause de l'obstacle inter-
posé entre les Centres Visuels et Auditifs. Dans ce cas particulier,
toutefois, l'obstacle semble n'avoir été que partiel, puisque l'homme
pouvait encore écrire sous la dictée, — processus qui nécessite
ordinairement le passage de stimuli allant des Centres Auditifs
aux Centres Visuels des Mots, pour exciter àes parties des Centres
Kinesthétiques des Mots qui sont intéressées dans les Mouvements
de l'Écriture, et d'où partent les stimuli centrifuges appropriés.
Cependant il est possible que les deux groupes de fibres commis-
surales aient été détruites, et que, dans le cas d'un homme ayant
reçu une meilleure éducation, les Mouvements plus familiers de
l'Écriture aient été évoqués par le passage de stimuli allant directe-
ment des Centres Auditifs aux Centres Kinesthétiques des Mots, —
au lieu de traverser les Centres Visuels (voyez p. 2Zi3).
Le Docteur Broadbent interprète ce cas d'une manière tout à
fait différente. Nous n'adoptons point toutefois, ici, son opinion sur
1. Dans le récit plus détaillé de ce cas, on dit qu'il ne pouvait lire sa propre
écriture « une heure après». Il semble qu'il y avait plus que de l'impuissance
à lire à voix haute. Il montrait une inaptitude à comprendre les mots (par
lésion du Centre Visuel des Mots) telle qu'il n'en existait pas dans les cas pré-
cédents; bien qu'il n'y eût pas inaptitude à reconnaître la nature des objets
communs, ou môme des figures géométriques. — British Médical Journal,
8 avril 1870, p. 434; ou, pour plus de détails, Medico-Chiriiryical Transactions.
1872.
APHASIE. 245
l'existence séparée d'un « centre nommant » unique, complètement
distinct des Centres Perceptifs. Nous avons supposé, au lieu de cela,
qu'il existe trois « centres de mots» qui sont des parties importantes,
et en corrélation intime, des Centres Auditifs, Visuels et Kinestlié-
tiques, plus généraux ^
Les trois principaux cas rapportés dans ce paragraphe sont par-
ticulièrement importants au point de vue psychologique. Ils nous
permettent de suivre la Volonté, ou Volition, jusqu'à ses sources,
— quand nous trouvons des personnes incapables de Vouloir
un acte en réponse à une Impression Visuelle, bien qu'elles puis-
sent tout d'abord, et sans hésitation. Vouloir eflfectivement ce
même acte en réponse à une Impression Auditive, — ou vice versa
(voy. aussi p. 250, 251).
B. — APHASIE
.5. — LÉSIONS DES PREMIÈRES PORTIONS DES CONDUCTEURS
CENTRIFUGES QUI CONDUISENT DES CENTRES CÉRÉBRAUX
DES MOTS AU CORPS STRIÉ GAUCHE.
Jusqu'ici nous avons considéré les troubles résultant de conditions
anormales des Centres Auditifs et Visuels des Mots, eux-mêmes, ou
de lésions portant sur leurs fibres «afiférentesBOu «commissurales» ;
arrivons maintenant à montrer les résultats de lésions portant sur
les fibres centrifuges qui partent de ces Centres, ainsi que des Centres
Kinesthétiques des Mots, — fibres qui les mettent en relation avec
les Centres Moteurs intéressés dans les Mouvements de la Parole ou
de l'Écriture, et situés dans les Corps Striés.
1. Il est difficile d'avoir une preuve de l'existence et de l'activité spéciale
du dernier composant de cette triade ; mais, depuis que ceci a été écrit, l'auteur
a vu dans la Cyclopœdia de Von Ziemssen (vol. XIV, p. 770) un court extrait
d'un cas excessivement intéressant (rapporté par Westphal), ayant quelque
l'apport avec ceux donnés ci-dessus, et fournissant aussi quelques renseigne-
ments sur le point en question. Il est dit de ce malade : — « Il pouvait fort
bien écrire sous la dictée; mais, peu après, il était incapable de lire les mots
qu'il avait écrits ; et il souffrait en général d'une alexie complète (c'est-à-dire
d'une inaptitude à comprendre les caractères écrits). Toutefois, au moyen d'un
stratagème, comme il l'expliquait très clairement lui-même, il réussissait à
lire le mot qu'il avait écrit sous la dictée. Il passait son doigt sur chaque lettre
du mot écrit, comme s'il l'écrivait de nouveau, et le lisait ainsi. Puis il faisait
une sorte de calcul, et comptait la somme des lettres séparées. » Apparemment
ici les Impressions Kinesthétiques, provenant des Mouvements de l'Écriture,
étaient capables d'exciter les parties associées du Centre Auditif des Mots, de
manière à leur permettre d'agir par le moyen de l'autre portion du Centre
Kinesthétique des Mots, et d'évoquer ainsi les Mouvements de la Parole.
245 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LAPENSÉE.
La relation qui existe entre les Centres Auditifs et Visuels des Mots
et les parties des Centres Kinestliétiques des Mots où se rendent les
impressions qui proviennent des Mouvements de la Parole ou de
l'Écriture, respectivement, est, on en convient, incertaine. 11 y a tou-
tefois lieu de croire que les excitations qui évoquent la Parole par-
tent originairement du Centre Auditif des Mots, et traversent ensuite
le Centre Kinesthétique correspondant, de manière à déterminer
chez lui une activité conjointe et pratiquement simultanée. Il y a
de même lieu de croire que les excitations qui évoquent les Mou-
vements de l'Écriture partent premièrement des Centres Visuels des
Mots; et, de là, traversent les parties en relation des Centres Kines-
tliétiques des Mots.
11 est donc évident que la destruction des Centres Auditifs et Vi-
suels des Mots amènerait l'impossibilité de Parler et d'Écrire. Ces
inaptitudes seraient toutefois associées à des troubles comme ceux
qu'on a considérés sous le titre d\imnésie,— c'est-à-dire inaptitude à
comprendre la Parole et l'Écriture; jointe à celle de rappeler les idées
Auditives et Visuelles des Mots.
Ce dont nous avons spécialement à nous occuper dans le présent
paragraphe, c'est ce qui résulte des lésions des fibres centrifuges
qui vont des Centres Auditifs et Visuels des Mots, en passant par les
Centres Kinesthétiques, au gros Ganglion Moteur situé au-dessous, —
c'est-à-dire le Corps Strié.
Il semblerait que ces deux groupes de conducteurs centrifuges
soient, au moins dans quelque partie de leur course, situés assez
près l'un de l'autre pour qu'ils puissent être simultanément dé-
truits par quelque petite lésion ; et cela, sans impliquer les fibres
centrifuges destinées aux mouvements des membres, et par consé-
quent sans association d'une paralysie droite. L'un des deux cas ori-
ginairement décrits par Broca, en 1861 ^ — celui de Lelong — se
conformait évidemment à ce type ; mais, comme il ne fut observé
que quelque temps après le début de sa maladie, nous choisissons
un cas tout à fait typique, rapporté par le docteur Bateman ^.
Un batelier, âgé de cinquante et un ans, et précédemment en bonne santé,
ayant aidé à décharger un vaisseau à Yarmouth, le 9 décembre 1864, s'en alla
à une taverne avec l'intention de demander un peu de bière; mais, à son grand
étonnement, il se trouva incapable de parler Seulement quelques heures aupa-
ravant, il était allé au bureau d'un marchand, et s'était arrangé pour une nou-
velle cargaison ; de sorte qu'à ce moment-là son aptitude aux affaires était
encore intacte. La perte de la parole n'était accompagnée d'aucun état paraly-
tique ordinaire; car, bien que privé de la parole, il emmena, le même soir, son
1. Bulletin de la Société Anatomique, août et novembre 1861.
2. On Aphasia, 1870, p. 65.
APHASIE SIMPLE. 247
bateau d'un point à un autre de la rivière; et, le, jour suivant, il aida à le
recharger d'une nouvelle cargaison, avant de partir pour Norwich par chemin
de fer. Lorsqu'il arriva à, la maison, ses amis furent ala-més en voyant que
son vocabulaire était réduit aux mots : « Oh dear! oh dear! » Il n'y eut, pen-
dant une quinzaine, aucune amélioration marquée. Au bout de ce temps, il
semble qu'il soit graduellement devenu capable de prononcer quelques mots
de plus. Lorsque le D'' Bateman le vit, à peu près trois mois et demi après le
début de sa maladie, il paraissait aller bien, semblait remarquablement intel-
ligent, et paraissait comprendre tout ce qu'on lui disait. Il était encore incapable
d'exprimer ses niées par le langage articulé, sauf crime manière très impar-
faite ; bien qu^il pût mouvoir librement sa langue dans toutes les directions.
Il j)ouvait écrire couramment avant sa maladie : mais il avait presque perdu
cette faculté, ainsi que celle de ta parole. Bien que capable d'écrire un ou deux
mots, il ne pouvait écrire une phrase. Cependant il n'y avait pas trace depara-
lysie des membres, ni à gauche ni à droite.
Plus tard, cet homme devint sujet à des accès à courts intervalles. Au bout
de près de deux ans, il fut de nouveau admis à l'hôpital, le 12 janvier 1867. Il
semblait alors en possession de son intelligence ordinaire, et n'offrait encore
aucun signe de paralysie des membres ou de la face. Il avait recouvré en
grande partie la faculté de parler, et souffrait maintenant d'un autre genre de
trouble; il était devenu Amnésique, plutôt qu'Aphasique. «Il comprend tout ce
qu'on dit : mais il est affecté d'une incapacité à employer les substantifs, aj'ant
perdu la mémoire de ces mots, et il fait usage d'une périphrase pour éviter de
se servir du substantif demandé. » Quelques mois après, il fut frappé de para-
lysie, et, peu après, de démence, au point qu'il fut nécessaire de le transporter
au Borough Asylum.
Ceci paraît avoir été, pendant la première phase, un cas d'Aphasie
pure et simple. Trousseau rapporte plusieurs cas dans lesquels un
état de ce genre ne dura que quelques jours, ou peut-être quel-
ques heures, grâce à l'existence de quelque condition cérébrale anor-
male et temporaire, — survenant parfois sans cause apparente et
d'autres fois comme suite de quelque forte excitation, jointe à des
ennuis ou à de l'excès de travail. Ces cas ne sont point extrêmement
rares. Deux ou trois d'entre eux sont aussi venus à la connaissance
de l'auteur.
Toutefois, lorsqu'il existe une lésion réelle, d'une plus grande
étendue que celle qui peut avoir existé dans la première phase du
cas du docteur Bateman, il arrive souvent que l'Aphasie existe avec
une paralysie du côté droit du corps, — ou Hémiplégie droite, comme
on l'appelle.
De même, plus la lésion est grande, plus il y a J.o chances que les
Centres Visuels ou Auditifs eux-mêmes, ou quelques-unes de leurs
commissures, puissent être sérieusement lésés, en produisant des
symptômes Amnésiques mêlés à ceux de l'Aphasie. Ces symptômes
additionnels peuvent se révéler, soit tout d'abord, soit seulement
lorsque l'individu commence à se rétablir de son état Aphasique.
248 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
On va donner à présent trois exemples de complications de ce
genre. Le premier est un cas rapporté par Trousseau, dans lequel
FAphasie était produite par une lésion qui causait en même temps
une paralysie droite, ainsi que l'impuissance de lire; — ce dernier
symptôme était sans doute produit par une lésion du Centre Visuel
gauche des Mots.
M. X., âgé de cinquante-sept ans. — Un soir, en se levant de sa chaise poui-
serrer la main au curé de l'endroit, il chancela, bégaya, et tomba dans les bras
de son visiteur, qui s'était précipité en avant pour le soutenir. Il demeura dans
la stupeur apoplectique la plus pi-ofonde pendant plus de dix heures, avec
paralysie complète du côté droit. Pendant quelques jours, il donna des signes
obscurs d'intelligence; mais, depuis le moment de cette attaque, il avait entiè-
rement perdu la faculté de parler. Quelques mois après (été de 1860), il recou-
vra presque complètement la faculté de mouvoir sa jambe droite, mais les
mouvements du bras droit sont toujours restés impossibles.
Pendant le printemps de 1863, M. X. fut vu par Trousseau qui en donna la
description suivante : « Son visage était intelligent, joyeux, et plein de bien-
veillance. Il parut par ses gestes, et surtout par l'expression de sa figure, con-
tent de me voir. Il ne pouvait parler, et ne faisait que prononcer, d'une voix
entrecoupée, des mots inintelligibles dans lesquels le monosyllabe oui revenait
fréquemment. Lorsque je le questionnais, il répondait oui à tout; •même lors-
qu'il secouait la tête en signe de négation. Quel âge avez-vous? Oui. Combien
y a-t-il de temps que vous êtes malade? Oui, etc., etc. Il était cependant facile
devoir qu'il n'était point satisfait lorsque le mot oui tombait mal; car il faisait
alors un geste d'impatience. Il pai'aissait content au contraire lorsque le mot
s'appliquait bien. Il s'assit à table avec nous pour dîner, se servit de sa main
gauche, et mangea très convenablement. Il s'occupa de ses convives pendant le
dîner, et prit part à quelques-unes des discussions. Comme on vantait la délica-
tesse des moutons du pays, il inclina la tête en signe d'assentiment; et l'un des
convives disant que le chevreau du pays avait une saveur préférable à celle
de l'agneau, il secoua la tête en signe de désapprobation. Il faisait signe aux
domestiques de servir le vin ; et lorsqu'on en versa d'un crû estimé, il fit signe
qu'il fallait le boire de préférence au reste.
Il jouait aux cartes chaque jour, cachant son jeu derrière une pile de livres,
et se servant de la main gauche. II gagnait souvent en jouant avec le curé, le
docteur ou son fils, sans leur permettre de le laisser gagner volontairement.
Son fils et le D'' Laffitte me déclarèrent qu'il jouait aussi bien qu'il l'avait
jamais fait. Parfois son fils s'assied auprès de lui pour le conseiller, et l'arrête
lorsqu'il prend une carte qui ne paraît pas être la bonne; mais il insiste pour
jouer à son idée, et prouve, en gagnant, que s'il sacrifiait une carte, c'était pour
améliorer son jeu. Bien que son fils dirige toutes ses affaires, il insiste pour
être consulté sur les baux, contrats, etc. ; et le fils m'a déclaré que son père
indique parfaitement bien, par des gestes compris de ceux qui l'entourent habi-
tuellement, lorsque certaines parties des affaii'es ne lui plaisent point; et qu'il
n'est point satisfait jusqu'à ce que l'on ait fait des changements, qui sont géné-
ralement utiles et raisonnables.
Bien que sa vue fût bonne, il ne pouvait pas lire, ou du moins comjJrendre
APHASIE AVEC PARALYSIE. 249
le sens de ce qu'il Usait ; toutefois, il écoutait avec plaisir lorsqu'on lui lisait
quelque chose. Il ne pouvait point réunir les lettres détachées d'un alphabet,
ni écrire de la main gauche.
Après dîner, dit Trousseau, j'essa,yai d'élucider jusqu'où il pouvait prouver
son intelligence'. Comme il répondait toujours oui, je lui demandai s'il savait
épeler le mot; et, comme il inclinait la tôte en signe d'assentiment, je pris un
gros volume in-quarto, qui portait sur le dos le titre : Histoire des deux Amé-
riques, et lui demandai de montrer, dans ces mots, les lettres qui formaient le
mot oui. Bien que les lettres eussent plus d'un centimètre de haut, il ne put
y réussir. En lui disant de chercher chaque lettre à son tour, et en appelant le
nom de la lettre, il réussit, après quelque hésitation, à trouver les deux pre-
mières, et fut très long à désigner la troisième. Je lui demandai alors de dési-
gner à nouveau les mêmes lettres sans que je les appelle ; mais, après avoir
attentivement regardé le livre pendant quelque temps, il le repoussa avec un
air d'ennui, montrant qu'il sentait son impuissance à faire ce queje désirais. »
Il lui est souvent arrivé de dii'e un mot qu'il n'avait pas prononcé depuis
fort longtemps : comme si une ancienne impression se ravivait dans son cer-
veau. Il y a quelque temps, il laissa tomber son mouchoir de poche, et une
dame près de lui l'ayant ramassé pour le lui rendre, il lui dit merci à haute et
distincte voix. Ses amis en furent enchantés, et crurent qu'il avait recouvré la
parole. On lui demanda, on l'implora de dire le mot de nouveau; mais tout fut
en vain : il ne put jamais y réussir. Et c'était la règle générale, il ne pouvait
jjas même répéter les sons les plus simples que Von prononçait devant lui. Il
disait correctement son âge, et d'une manière fort reraai'quable, à l'aide de
ses doigts.
Dans le cas suivant, l'Aphasie était également associée à une pa-
ralysie droite, mais elle était accompagnée d'un trouble mental
considérable : et il y avait des preuves de l'existence d'une lésion,
non seulement des Centres Visuels, mais aussi des Centres Auditifs
des Mots. La malade ne pouvait ni parler ni écrire. En outre, elle
ne semblait pas capable de saisir la signification des mots pronon-
cés, et ne pouvait pas davantage comprendre les caractères écrits
ou imprimés. Ce cas a été rapporté par le docteur Bazire. '-^
« M™^ W. — Vingt-quatre ans, jeune femme depBt.ite~taille, fut admise comme
malade externe au National Hospital for the Paralysed and Epileptic, le 10 jan-
vier 1865, souffrant d'Hémiplégie droite imparfaite et d'Aphasie complète.
A toutes mes questions elle répondait invariablement « Sapon, Sapon ». Un
parent, qui accompagnait la malade, dit qu'elle avait été atteinte de paralysie
droite, trois mois auparavant. Elle tomba privée de sentiment, et demeura pen-
dant plusieurs jours dans un état comateux. Lorsqu'elle revint à elle, elle ne
1. Ce qui suit doit toutefois être plutôt regardé comme portant sur l'acti-
vité (qui était fort défectueuse) du Centre Visuel des Mots. Cela ne mesure en
rien l'intelligence du malade, puisque celle-ci (comme le montre un alinéa
précédent) était bien conservée.
2. Cliniques de Trousseau, p. 224 de la trad. anglaise.
250 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSf'lE.
pouvait prononcer d'autre mot que « Sapon, Sapon », qu'elle avait constam-
ment répété depuis, en toute occasion. La paralysie n'était point complète après
les premiers jours.
Lorsque je la vis pour la première fois, la malade était venue à pied à
l'hôpital, situé à environ deux milles de sa résidence. Sa face était pleine d'ex-
pression, et ses yeux brillaient d'intelligence; toutefois il était manifeste que
ces apparences étaient trompeuses, et que son intellect était fortement atteint.
On ne pouvait lui faire compre/ndre de suite, rien qu'en lui parlant, ce qu'on
désirait d'elle; et elle ne pouvait pas toujours répondre correctement, par gestes,
aux questions qu'on lui faisait. Sa pantomime n'était point aussi claire que
celle d'un sourd-muet ; et elle ne paraissait point capable de comprendre la
signification des mots. Il fallait les prononcer très lentement, et les répéter
plusieurs fois, avant qu'elle pût saisir leur signification; et la plupart du temps
elle ne pouvait y arriver. Elle comprenait immédiatement les gestes. Ainsi,
lorsque je lui demandais de me montrer sa langue, elle ne le faisait pas tou-
jours immédiatement ; mais, en tirant la mienne et en lui faisant signe d'agir
de même, elle le faisait aussitôt. Elle était portée à verser des pleurs, ou à rire
immédiatement, pour la moindre cause; comme il est bien connu que le font
les hémiplégiques ordinaires, à une certaine période de leur maladie. Elle ne
pouvait pas écrire un seul mot de la main gauche. Elle tenait sa plume con-
venablement, mais ne faisait qu'un gribouillage sans signification. Bien quelle
répétât constamment « Sapon, Sapon », je ne j^us jamais lui faire dire «Sap»
ou uponn isolément ; ni répéter aucun mot ni aucune syllabe après moi. Elle con-
naissait son nom et, lorsque je le prononçais, elle se mettait à rire en se mon-
trant. D'après ce que disait sa sœur, elle reconnaissait bien les localités et
les figures. »
Un mois après le début de l'observation, elle eut d'autres symptômes céré-
braux aigus, qui accrurent sa paralysie et voilèrent encore davantage son intel-
ligence, pour un certain temps. Mais, par des degrés insensibles et après nombre
de mois d'intervalle, elle s'améliora d'une façon remarquable; de sorte qu'au
mois d'octobre suivant, elle était beaucoup mieux sous plusieurs rapports. Le
D^ Bazire continue : « Son intellect était amélioré ; mais non dans la môme
proportion que la paralysie Son excitabilité émotionnelle est beaucoup moindre
qu'auparavant ; bien qu'elle soit encore marquée. Son vocabulaire comprend
maintenant quelques mots de plus. Elle dit encore Sapon, Sapon, mais peut
articuler distinctement yes et no, bien qu'elle ne s'en serve pas toujours à
propos, et peut compter one, two, three, four. Lorsqn'elle est sous l'influence
d'une grande excitation, elle s'écrie quelquefois : Oh dear me, d'iiprès ce que
dit sa sœur. /• lie ne peut encore écrire un seul mot, pas même former une
seule lettre ; bien qu'elle ait souvent essayé avec ardeur. Elle ne connaît point
les lettres de l'alphabet ; et, lorsqu'on lui montre o et o et qu'on lui dit de
montrer l'a, elle ne peut le faire. Elle a toujours une grande difficulté à com-
prendre ce qu'on lui dit verbalement, bien quelle ne soit pas du tout dure
d'oreilles; mais elle comprend immedittement les gestes. Sa pantomime, à elle,
manque encore de clarté. Elle ne lit jamais, mais aime à regarder des pein-
tures. »
L'autre cas d'Aphasie que l'on va citer appartient à une malade
à qui l'auteur a donné des soins. Il y avait, ici aussi, association
APHASIE AVEC HÉMIPLÉGIE. 251
avec de l'hémiplégie droite; mais, de même que le trouble mental,
cette hémiplégie était beaucoup plus marquée que dans le dernier
cas. Il y avait la même perte de la faculté de Lire, et quelque diffi-
culté à comprendre la Parole; mais, en outre, les signes n'étaient
qu'imparfaitement compris, et il y avait impuissance à vouloir, et à
exécuter, même les actes moteurs les plus simples.
M""" G., vingt-quatre ans, avait été grandement affligée de la perte récente
d'un de ses enfants. Le 3 octobre, elle eut un accès, pour la première fois, pen-
dant qu'elle était dans la rue; mais elle fut capable de rentrer chez elle et,
pendant les deux jours qui s'écoulèrent jusqu'à son admission à Uaiversity
Gollege Hospital, elle eut douze autres attaques épileptiformes.
Peu après son admission, elle eut une autre série de convulsions affectant
les deux côtés du corps, quoique principalement le droit. Dans les intervalles
qui séparaient ces attaques, on observa que la figure était en partie paralysée
du côté droit; que le bras droit était complètement paralysé, et la jambe aussi,
à un degré moindre. Elle eut six séries de ces attaques convulsives pendant
les trois jours qui suivii^ent son admission, et demeura, pendant ce temps, dans
im état morne et léthargique. Le 13 octobre, elle commença graduellement à
recouvrer un certain degré d'intelligence dans le regard et dans l'habitus.
Le 19, on pouvait arrêter immédiatement son attention ; elle faisait des
efforts distincts pour parler après qu'on l'avait questionnée, et pouvait dire
indistinctement yes et no, bien que non à propos. Lorsqu'on lui disait de mon-
trer sa langue, elle ne faisait qu'ouvrir la bouche sans tenter de faire sortir
l'organe. Elle pouvait avaler sans difficulté, et prenait de la nourriture avec
empressement. Le 26, elle paraissait encore plus intelligente. Elle ne tirait point
sa langue lorsqu'on le lui disait, mais elle ouvrait la bouche, et saisissait l'extré-
mité de l'organe avec les doigts pour l'attirer au dehors. Bien qu'elle fût inca-
pable de la mouvoir par une simple excitation volitionnelle, si Von mettait un
bonbon sur ses lèvres, elle tirait immédiatement la langue avec grande facilité
et, en mangeant, elle riait et paraissait fort contente. Le 28, elle paraissait bien
mieux, et remarquait ce qui se passait autour d'elle. Elle faisait des signes
lorsqu'elle désirait attirer l'attention de l'infirmière. Lorsqu'on lui demandait
si elle souffrait de la tête, elle inclinait la tête en signe d'assentiment, mais ne
bougeait pas sa main lorsqu'on lui disait de la mettre sur l'endroit douloureux,
ou bien elle la portait dans une direction toute uifi'érente. La paralysie des
membres et de la face demeurait à peu près la même.
Environ dix jours après, je l'examinai de nouveau avec soin. Elle avait con-
tinué à s'améliorer, et pouvait maintenant dire Nurse distinctement, en outre
de yes et no. Elle ne pouvait point répéter même les voyelles les plus simples,
ni lire, soit fort, soit pour elle, de manière d les comprendre, des mots isolés
imprimés en gros caractères. Elle ne pouvait pas montrer des capitales isolées,
d'un caractère très gros. Lorsqu'on lui demanda de désigner le M, après
longtemps et s'être fait beaucoup presser, elle plaça son doigt sur le W, elle
plaçi encore plus longtemps après son doigt sur l'S. Elle paraissait reconnaître
les objets familiers, et savoir lorsqu'on leur donnait leur vrai nom. On ne pouvait
la faire compter en tapant avec l'index, bien qu'on lui eût montré avec le plus
grand soin ce qu'il y avait à faire. On ne put même pas arriver à la faire
2i)2 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
taper une seule fois; elle paraissait seulement affligée. Elle semblait se souvenir
de son propre nom ; et, bien qu'elle ne donnât aucun signe de reconnaissance
lorsqu'on prononçait le nom de la rue où elle habitait, elle remuait la tête
affirmativement lorsqu'on ajoutait le reste de son adresse « Fitzroy Square »,
Elle riait rarement, mais avait souvent des crises de larmes. Elle ne poussait
pas d'autre exclamation lorsqu'elle était très excitée, et son vocabulaire était
limité aux trois mots mentionnés ci-dessus.
C'est un bon exemple d'une des formes plus graves de la maladie,
dans laquelle, outre TAphasie avec activité défectueuse des Centres
Auditifs, et spécialement des Centres Visuels des Mots, il y avait un
trouble général des facultés mentales, dû, suivant toute probabilité, à
rétendue de la lésion de l'Hémisphère Cérébral gauche.
Comme intermédiaire entre les cas moins graves de cette caté-
gorie et ceux de la suivante — Agraphie — on peut citer un bon
exemple, d'après Trousseau. C'est un cas dans lequel il y avait lésion
plus forte des fibres centrifuges partant des Centres Visuels que de
celles partant des Centres Auditifs, — puisque l'individu avait recou-
vré en partie la faculté, d'abord perdue, de la Parole; tandis qu'il
demeurait incapable d'exprimer ses pensées par l'Écriture.
« Un jeune laboureur, âgé de vingt-huit ans, avait, d'après ce que disent ses
amis, été subitement atteint de mutisme complet, sans aucune cause appré-
ciable.
L'affection pour laquelle il vint à l'hôpital consistait uniquement dans une
impossibilité absolue de parler, bien que son intelligence parût intacte et qu'il
pût parfaitement bien comprendre toutes les questions qu'on lui posait. Mais,
à ces questions, il répondait invariablement no, même lorsqu'il inclinait affir-
mativement la tête. Un des étudiants m'informa cependant que, resté seul avec
lui, il avait réussi à lui faire dire le mot cloak après des efforts répétés. Je ne
trouvai qu'une déviation marquée de la pointe de la langue vei's la droite,
mais aucun autre signe de paralysie; la face, le tronc et les membres pou-
vaient se mouvoir avec une liberté et une force parfaites Lorsque je lui
demandai d'écrire son nom, il le fit correctement; mais lorsque je lui dis d'é-
crire ce qui lui était arrivé, il n'écrivit que « was, was, was ». 11 savait par-
faitement bien que ce n'était pas là ce qu'il fallait écrire; et, ennuyé de ne
pouvoir exprimer ses pensées, il posa la plume. Deux jours après, comme je
lui demandais d'écinre le lieu de sa naissance, il écrivit alone, alone, alone;
et encore le même mot lorsque je lui demandai d'écrire good morning. Les
gestes impatients qu'il faisait tout le temps montraient qu!il avait parfaite-
ment conscience qu'il n'écrivait pas ce qu'il avait dans l'esprit. Le jour suivant,
il écrivit encore des mots dépourvus de sens, comme game pour soup, mais
il pouvait dire good morning, sir ; en parlant, il est vrai, comme un enfant qui
apprend à parler. Quelques jours après, il dit très-distinctement / am pretty
ivell, puis good morning, sir, J am getting on well, d'une voix hésitante, et
comme une personne bègue qui s'efforce de ne pas balbutier. Lorsqu'on
AGRAPHIE. 253
essaya de nouveau de le faire écrire, il ne fit que gribouiller sur le papier
une série de syllabes sans signification ; mais il réussit à écrire sous la dictée
I hâve eaten. »
C. — AGRAPHIE
6. — LÉSION DES CONDUCTEURS ÉiMISSIFS QUI VONT DKS
CENTRES VISUELS GAUCHES DES MOTS AUX CENTRES
MOTEURS SITUÉS DANS LE CORPS STRIÉ C OU RE S PON D ANT .
Dans la forme typique de cette affection il y aurait une rupture
des connexions entre le Centre Visuel des Mots et les Centres Mo-
teurs supérieurs mis en jeu dans l'acte d'Écrire, — de sorte que cet
acte seul deviendrait impossible, tandis que les facultés mentales,
ainsi que celles de Lire et de Parler, demeureraient intactes. C'est là
une condition parfaitement possible, et qui peut même être causée
par une petite lésion, située en divers points. La lésion peut
impliquer les fibres qui conduisent le stimulus du Centre Visuel des
Mots au Centre Kinesthétique des Mots ; ou bien elle peut intéresser
ce dernier Centre lui-même; ou, enfin, elle peut détruire, en quelque
point de leur trajet, les fibres qui se rendent du Centre Kinesthétique
des Mots aux Centres Moteurs qui sont en relation avec lui dans le
Corps Strié. De l'une ou l'autre de ces manières, on peut concevoir
qu^une personne puisse perdre uniquement la faculté d'écrire, sans
présenter d'autre désordre.
Si toutefois Pindividu était paralysé du côté droit du corps, tout
défaut de ce genre serait caché par la perte plus générale de pou-
voir occasionnée par la paralysie du bras droit. Mais si une personne
ainsi atteinte essayait d'apprendre à écrire de la main gauche, il n'y
a pas de raison pour qu'elle ne pût y réussir; pourvu que le Centre
Visuel gauche des Mots fût lui-même intact, et en libre communi-
cation, au moyen des fibres du corps calleux, avec son homologue de
PHémisphère opposé.
Une personne affectée d'Hémiplégie droite serait, toutefois, pro-
bablement incapable de réacquérir de la main gauche la faculté
d'Écrire, si le Centre Visuel gauche des Mots était lui-même lésé.
Mais, avec l'existence d'une pareille lésion, le malade serait proba-
blement aussi incapable de comprendre le langage écrit ou imprimé.
Ceci semble avoir été le cas, par exemple, pour le malade de Trous-
seau — M. X. — qui, malgré toute son intelligence, ne pouvait pas,
au bout de trois ans, écrire de la main gauche (voy. p. 248).
Le défaut Agraphique ne se rencontre presque jamais seul. Il est
la plupart du temps associé à quelques troubles mentaux, ou à des
troubles de la Parole Articulée.
De plus, le même terme Agraphie pourrait, avec assez de raison.
'254 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSEE.
comprendre les défauts « incoordonnés », aussi bien que les troubles
« paralytiques », du pouvoir d'expression mentale par l'Écriture.
Même avec cette extension toutefois, les cas à ranger sous ce titre
sont relativement peu nombreux. Le premier à citer est un du type
« incoordonné. » C'est un des nombreux cas relatifs aux défauts
de la parole, dont nous sommes redevables au D'' Hughlings
Jackson ^.
Une femme d'un certain âge, ayant l'aii' en bonne santé, devint subitement
malade, cinq semaines avant son admission. Lorsqu'on la vit, il n'y avait pas
d'hémiplégie apparente, mais elle se plaignait de faiblesse dans le côté droit.
Elle pouvait alors parler, mais faisait des méprises. Par exemple, comme j'é-
prouvais son sens de l'odorat, qui était fort défectueux depuis la paralysie, elle
dit en réponse à une question « I can't say it so much », voulant dire u smell
so well II. Elle faisait fréquemment des erreurs en parlant, et appelait ses
enfants par d'autres noms. Ceci n'était pas très évident lorsqu'elle vint à Vliô-
jntal, et aurait pu passer aisément inaperçu, si ses amies ne s'en étaient beau-
coup plaintes. Elle paraissait fort intelligente. -Sa faculté de s'exprimer par
l'écriture était très imparfaite; bien que snn écriture fût assez bonne, surtout
en considérant qu'elle écrivait avec la main droite, qui était affaiblie. Elle
écrivit ce qui suit à l'hôpital. Je lui demandai d'abord d'écrire son nom, — je
ne veux pas, pour des raisons faciles à comprendre, le donner ici par compa-
raison : on peut dire toutefois qu'il n'avait pas la plus légère ressemblance ni
dans le son ni dans la manière d'épeler. avec
« SUNNIL SlCLAA SaTRENI. »
Lorsque je lui demandai d'écrire son adresse, elle écrivit :
« SUNESR NUT TS MER TINN — LAIN. »
Pensant qu'elle avait pu être nerveuse en écrivant à l'hôpital, le docteur
Jackson lui demanda d'apporter quelque chose qu'elle eût écrit chez elle.
Elle le fit : mais le spécimen (dont il donne un fac-similé) n'était en rien
meilleur que ce qu'elle avait écrit auparavant. C'est un assemblage de lettres,
parfaitement dépourvu de sens, remarquable seulement par la fréquente
répétition de petits groupes de lettres, d'une manière que nous retrouverons
aussi dans le cas suivant.
On ne dit malheureusement pas si cette femme était capable de
comprendre complètement les caractères écrits ou imprimés; et,
sans connaître son état sous ce rapport, on ne saurait faire un dia-
gnostic sûr. 11 y avait, chez elle, faculté de former des lettres, mais
impuissance à les grouper en mots, — et par conséquent inaptitude
absolue à exprimer ses pensées par l'Écriture, bien que les erreurs
de la Parole Articulée fussent relativement peu nombreuses.
Le cas suivant a été observé par l'auteur lui-même. Il n'est aucu-
1. Lond. Hosp. Reports, vol. 1'^, p. 432.
AGRAPITIE. 255
nement typique, mais fort curieux sous beaucoup de rapports.
L'iiomuie était un fou ci'imiiiel, qui avait été, quelques années au-
paravant, absous de la peine ordinaire d'un meurtre, par la raison
qu'il était irresponsable'.
Le malade, autrefois marin, est âgé aujourd'hui d'environ quarante-cinq
ans, et atteint de démence partielle; il était autrefois violent (-t dangereux,
mais avec des hallucinations manifestes; et on le déclara insensé en 1855. Ce
ne fut que vers l'année 1857, ou même plus tard, qu'il commença à écrire
d'une manière extraordinaire. Avant cette date, on constate que les lettres
écrites à ses amis sont d'un style intelligible. Cette particularité se manifesta
d'ahord ainsi : il commençait à écrire chaque mot correctement ; puis, au lieu de
quelques-unes des dei^nières lettres, il écrivait ff'g. Plus tard tout le mot fut
altéré, et un redoublement de beaucoup de consonnes jointes à la teiminaison
presque invariable par les lettres ndendd, ou du moins endd, devinrent les traits
les plus remarquables de ses manuscrits qui, bien que volumineux, étaient
presque absolument inintelligibles 2. Lorsque j'avais l'habitude de le voir, il
y a environ trois ans, il me donna un grand nombre de pages de son écri-
ture, à divers moments; et de ce que j'ai en ma possession, j'ai choisi seize
spécimens que j'ai fait lithographier. Ils monti'ent clairement qu'il écrivait, soit
avec une répétition particulière et continuelle de certains groupes de lettres,
l'écriture étant en partie intelligible, soit avec une succession de lettres et de
coups de plume auxquels on ne pouvait attacher aucune signification.
L'une des particularités principales de ce cas, c'est que, tandis que
Phomme écrit ainsi, il parle de façon ordinaire.
A ma requête, le docteur Orange soumit très obligeamment le malade à un
nouvel examen attentif; et les réponses qu'il m'a données semblent prouver
que l'homme était devenu beaucoup plus dément, bien que son trouble spécial
soit beaucoup moins marqué qu'il ne l'était. Les principales particularités
observées sont les suivantes :
1° Il peut parler fort bien pendant un moment ; mais son attention s'égare, et
la voix devient traînante et monotone; tandis que souvent il prononce mal un
mot (généralement eu altérant sa terminaison); ou qu'il lui substitue un autre
mot, ou un simple son dépourvu de sens.
2» 11 peut lire un journal, soit pour lui, soit à voix haute; mais ne semble
pas comprendre toute la signification sans effort; et sa faculté d'effort continu
est limitée. Lorsqu'il lit à haute voix, il bronche sur les mots difficiles, et lit
d'un ton traînard; mais les mots qu'il prononce, s'ils ne sont point ceux qui
1. Les détails donnés ici sont à peu près tels qu'ils ont été rapportés dans
la Med.-Chir. Beview, janvier 1869.
2. Trousseau parle d'un cas d'Aphasie dans lequel la personne, pendant
son rétablissement, et lorsqu'elle devint capable d'émettre quelques monosyl-
labes, les finissait toujours par tif. Si elle voulait dire un mot de plu^ieurs
syllabes, elle prononçait seulement la première, et ajoutait tif; disant par
exemple moni/7"pour monsieur, bontif pour bonjour, etc. Nous avons ainsi une
preuve de plus de la similitude qui existe entre les divers troubles de la
Parole et ceux de l'Ecriture.
256 RELATIONS UE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
sont réellement devant ses yeux, ont un son un peu semblable, et ne parais-
sent pas présenter de relations évidentes avec sa manière particulière d'écrire.
3° Il cpelle un mot, lorsqu'on le lui demande, de la manière dont il l'écri-
rait, puis le prononce correctement, immédiatement après.
11 est intéressant de trouver la manière de Lire de cet homme
d'accord avec sa manière de Parler, plutôt qu'avec sa manière
d'Écrire^. Nous basons en partie là-dessus notre opinion sur la na-
ture de son affection particulière, qui était due, d'après nous, moins
à une action désordonnée du Centre Visuel des Mots, qu'à quelque
dérangement des conducteurs émissifs situés au delà, — peut être
dans la partie du Centre Kinesthétique qui régit les Mouvements de
l'Écriture. Cela est aussi en harmonie avec l'opinion, précédemment
énoncée, qu'ordinairement lorsqu'on lit à haute voix, les Impressions
Visuelles ravivent des Impressions Auditives correspondantes de
Mots; et que les stimuli, qui occasionnent l'une ou l'autre forme de
Langage Articulé, se rendent principalement des Centres Auditifs aux
Centres Kinesthétiques des Mots, et de là aux Centres Moteurs.
Il est cependant digne de remarque que, dans ce cas comme dans
d'autres où il y a eu action défectueuse du Centre Visuel des Mots,
la manière d'épeler était presque entièrement en harmonie avec la
manière d'écrire du malade, plutôt qu'avec sa manière de parler. 11
était toutefois fort étrange d'entendre un homme à qui Ton disait
d'épeler cal, dire d'une manière délibérée candd; puis prononcer
immédiatement le mot comme s'il l'avait épelé cat.
Dans un cas d'Agraphie rapporté par le D'' William Ogle ^, il y
avait un état Amnésique grave, relativement à la Parole; bien qu'il
fût associé avec une inaptitude à Écrire plus marquée que celle qui
existait dans aucun des autres cas.
« James Simmonds, âgé de cinquante-quatre ans, fut obligé, il y a sept ans,
d'abandonner son ouvrage, à la suite d'un coup violent reçu sur le côté gau-
che de la tête. Il parlait sans difficulté ni hésitation, mais nommait les choses
d'une manière étrange. Il eut ensuite, un matin, en s'habillant, un accès qui
le laissa sans parole, et hémiplégique du côté droit. Pendant une quinzaine, il
ne put absolument pas parler, bien qu'ayant tout son sentiment. Il ne pouvait
même dire yes et no. Il se rétablit graduellement de cette attaque, mais tou-
jours, comme avant, il se trompait de noms.... Il y a un mois, il eut une seconde
attaque, qui le laissa plus faible encore du côté droit, mais ne changea que
peu ou point sa manière de parler.
Il y a maintenant paralysie partielle du côté droit, qui ne l'empêche pas de
1. Bien que l'inverse existât dans le cas de l'emploj'é du gouvernement, cité
par le docteur Jackson (p. 231).
2. Saint-George' s Hosp. lieports, 1867, p. 103. Le mot agraphie fut employé
pour la première fois, dans cet article, par le docteur Ogle.
AGRAPHIE AVEC AMNÉSIE. 257
marcher. Les muscles faciaux do ce côté sont légèrement affectés, ainsi que
ceux des membres. Sa parole est Tort hésitante et imparfaite. Il s'arrête sou-
vent brusquement, ne trouvant pas son mot; et alors il en emploie un faux.
Par exemple, il emploie barber pour doclor, two shillings pièce pour sj;ec-
tacles, winkles pour luatercresses, etc. // peut toutefois prononcer parfaite-
ment n'importe quel mot, quand on le lui souffle. Il dit qu'il sait généralement,
mais pas toujours, lorsqu'il s'est servi d'un mauvais mot.
Avant sa maladie, il écrivait bien et était, par son éducation, au-dessus de
sa condition. Maintenant, il ne saurait former une seule lettre. Même avec
une copie devant les yeux, il ne trace que des jambages incertains. Je lui
donnai quelques lettres imprimées, et lui demandai de choisir celles qui for-
maient son nom. Après longtemps il finit par arranger Jicmnos. Evidemment
il avait quelque légère notion des lettres qui composaient son nom. D'après sa
femme, il épelait bien avant sa maladie, et tenait beaucoup à l'orthographe
de son nom, qui peut admettre beaucoup de variations. Lorsqu'on plaça un
modèle devant lui, il choisit rapidement, et arrangea son nom correctement. Il
peut lire; mais il dit que lire l'étourdit beaucoup et lui fait grand mal à la
tête. Son entendement général semble bon, et au-dessus de la moyenne des
hommes de sa classe ».
Les conditions rapportées ici représentent les restes d'une
attaque Aphasique, L'impuissance à épeler,— c'est-à-dire impuissance
à rappeler simultanément les lettres qui forment un mot, — dépend
sans doute principalement de quelque lésion du Centre Visuel des
Mots; mais la faculté qu'avait le malade de placer ensemble les
lettres de son nom, lorsqu'on lui donnait un modèle, montre que
ce Centre pouvait agir dans de certaines limites. Cela est également
prouvé par le fait qu'il pouvait lire un peu, — bien que ses facultés
en ce sens fussent probablement peu de chose. Nouspouvons conclure
que, dans ce cas, les lésions les plus graves ou les plus durables
furent, par conséquent, sur le trajet des fibres émissives qui partent
du Centre Visuel gauche des Mots, — et peut-être dans le Centre
Kinesthétique des Mots lui-même.
Marcé parle d'un homme qui, à ce que l'on remarqua, pouvait écrire
chiffres avec une précision et une facilité bien plus grandes que les
les lettres ordinaires, — état qui n'est point aussi singulier qu'il le
pensait. Il arrive ordinairement, en effet, que les malades Amné-
siques trouvent bien moins de difficultés à se rappeler les noms de
nombre simples que les noms de lettres (voy. p. 2/ilj: ce dont il ne
faut pas s'étonner, si l'on se rappelle qu'il n'y en a que neuf dans
les nombres, au lieu de vingt-six, et que l'observation des chiffres
isolés doit, nécessairement, avoir toujours été plus attentive que celle
des lettres isolées. Le degré de familiarité avec un groupe d'objets
ou un groupe d'action est une chose fort importante dans ces cas
d'altérations des facultés cérébrales. Les actes plus complexes, ou
plus récemment acquis, sont les premiers qui deviennent impos-
CliARLTON-EASTIAN. — II. 17
258 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
sibles; tandis que ceux qui sont les plus familiers, ou les plus pro-
fondément gravés, sont les derniers à disparaître. Le D'' Lasègue
connaissait un musicien complètement Aphasique qui, incapable de
lire ou d'écrire à la manière ordinaire, pouvait facilement écrire un
passage de musique, après l'avoir entendu.
D. — APHÉMIE
7. — LÉSION DES CONDUCTEURS ÉMISSIFS, ENTRE
LES CENTRES AUDITIFS ET LES CENTRES MOTEURS DES MOTS.
Les conditions dont nous allons parler sont dues à des commu-
nications défectueuses entre les Centres Auditifs et Moteurs des
Mots; à peu près de la même manière que celles du dernier para-
graphe sont duesà des communications défectueuses entre les centres
Visuels et Moteurs des Mots. Avec les changements nécessaires, ce
que l'on a dit là des diverses situations où peuvent se trouver les
lésions du Cerveau qui causentrAphémie,est aussi vrai ici; en outre,
ce défaut parti culier peut aussi être produit par une petite lésion,
intéressant les centres inférieurs ou bulbaires de l'Articulation.
Ces cas, en tant qu'isolés, sont, de même que ceux d'Agraphie
simple, extrêmement rares; toutefois. Trousseau en a rapporté un
d'un caractère typique (voy. p. 261). Ils peuvent, de même, être ou
n'être pas associés à de la paralysie des membres; et ils sont aussi,
presque invariablement, produits par des lésions de l'Hémisphère
Cérébral gauche, plutôt que de l'Hémisphère droit, si le siège de la
lésion est au-dessus du pont de Varole. Mais lorsque la lésion est
située là, ou dans le Bulbe, la question du côté affecté devient indif-
rente.
Plus la lésion est située près du Centre Auditif des Mots (et
par conséquent de la Substance Grise Corticale), plus il y a de pro-
babilités pour l'existence de complications, sous formes de troubles
mentaux associés. Tandis que, d'autre part, dans les cas où l'action
■défectueuse qui produit l'Aphémie doit être rapportée à une lésion
du Corps Strié, ou des centres articulatoires inférieurs du Bulbe,
nous pouvons nous attendre à avoir affaire à desimpies troubles mo-
teurs, qui rendront indistincte ou aboliront complètement la Parole
vocale.
0 n va donner maintenant quelques exemples de ces défauts, en
commençant par ceux qui sont le plus complexes, et passant ensuite
à d'autres, d'une simplicité relativement plus grande. Le premier
d'entre eux est un exemple de troubles extrêmes de la coordination,
combinés avec d'autres conditions anormales. Bien que compliqué
.et obscur, il est trop intéressant pour être omis.
APHÉMIE. 2.j9
Ce cas a été rapporté, il y a longtemps, par Bouillaud^ L'iiommc
ne prononçait point, dans la règle, un simple jargon inintelligible; il
se servait la plupart du temps de véritables mots, bien qu'ils fussent
de telle nature et tellement placés, qu'ils n'avaient aucune ressem-
blance avec ce qu'il aurait dû dire. Toutefois, lorsqu'il lisait à
haute voix, il n'émettait souvent qu'un simple jargon.
Lefèvre, àg'ù de cinquante-quatre ans, après une grande anxiété mentale,
devint incapable de lire, ou de trouver des mots pour exprimer ses pensées.
Sa sensibilité et ses facultés motrices étaient intactes, et sa santé générale
assez bonne. Lorsqu'il désirait répondre aux questions qu'on lui adressait, il
faisait usage d'expressions, soit tout à fait inintelligibles, soit ayant une
signification tout à fait différente de ce qu'elles devaient exprimer. Lorsqu'on
le questionnait sur sa santé, il répondait doux ou trois mots de droit; puis,
pour dire qu'il ne souffrait pas du tout de la tête, il disait : Les doulew, s
ordonnent un avantage ; tandis qu'en écrivant, il répondait à la môme ques-
tion : Je ne souffre pas de la tête. Lorsqu'on prononçait un mot comme tam-
bour par exemple, et qu'on lui disait de le répéter, il disait fromage; bien
qu'il l'écrivît, au contraire, tout à fait correctement, lorsqu'on le lui deman-
dait. On le pria de copier les mots feuille médicale : il les écrivit parfaite-
ment, mais ne put jamais lire exactement les mots qu'il venait d'écrire ; il
prononçait féquicale, fénicale et fédocale. Puis, comme on lui faisait lire le mot
féquicale, écrit par lui-même, il le prononça jardait. Il écrivait souvent sur
du papier des phrases inintelligibles, soit par la nature des mots employés,
soit par leur manque de relation entre eus. Lorsqu'on lui montrait divers
objets, il les nommait en général correctement; mais il se trompait parfois et,
dans la même séance, il appela une plume, un drap; un crachoir, niiQ plume;
une main, une tosse; une corde, une main; une bague, un crachoir.
Ce cas est compliqué, et il y avait plusieurs troubles mentaux
fort distincts. Le Centre Visuel semble avoir été presque intact : de là
vient que le malade était capable de copier correctement. Le fait
toutefois de dire fromage quand on le priait de répéter le mot tam-
bour, bien qu'il écrivît le mot très correctement, et le fait qu'après
avoir convenablement copié un mot écrit il ne pouvait le prononcer
de droit, peuvent faire supposer que les impressions reçues dans le
Centre Auditif des Mots pouvaient se rendre correctement au Centre
Visuel des Mots, de manière à permettre à leur équivalent d'être
convenablement reproduit par l'écriture ; mais que les impressions,
arrivant tout d'abord aux Centres Auditifs, ou leur arrivant par les
Centres Visuels des Mots ne pouvaient être correctement rendues
par la parole articulée. On doit donc conclure qu'il y avait, dans ce
cas, moins un défaut du Centre Auditif des Mots, que quelque chose
de défectueux dans une portion des conducteurs émissifs se rendant,
I. Traité de l'Encéphalite, 18-26, p. 290.
260 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
de là, en passant par les Centres Kinesthétiques, aux centres moteurs
de l'Articulation — ce qui amenait une association (incoordonnéel
des activités du Centre Auditif des Mots, avec de faux Mouvements
d'Articulation.
Ce défaut était donc, par ses relations avec la Parole, fort compa-
rable à ceux qui existent, relativement à l'Écriture, dans les casd'A-
graphie rapportés par le docteur Jackson et l'auteur, et donnés dans
le dernier paragraphe. Le cas était, toutefois, compliqué par des
troubles Amnésiques considérables, du type incoordonné, se montrant
à la fois dans la Parole et l'Écriture, bien que plus fréquemment
dans la première.
Dans un autre cas fort remarquable, soigneusement étudié et rap-
porté par le D'' Osborn^, le malade n'était capable de parler
qu'un jargon inintelligible; et, en essayant de lire à haute voix, il
émettait aussi une série de sons articulés n'ayant aucune signifi-
cation intelligible ni aucune ressemblance avec ce qu'il aurait dû
dire. Voici quelques-unes des principales particularités de ce cas :
Un étudiant de Trinity-College, à Dublin, âgé de vingt-six ans, ayant des
connaissances littéraires fort étendues, et très versé dans l'étude du français,
de l'italien et de l'allemand, fut brusquement frappé d'une attaque d'apo-
plexie, pendant qu'il déjeunait après avoir pris un bain dans un lac du voisi-
nage. On dit qu'il reprit ses sens en une quinzaine de jours environ; mais, bien
qu'il eût recouvré l'usage de son intellect, il eut la douleur de se trouver
privé de la parole. Il parlait : mais ce qu'il disait était absolument inintelli-
gible, bien qu'il ne souffrît d'aucune sorte de paralysie; et il émettait une
grande variété de syllabes avec la facilité la plus grande en apparence.
Lorsqu'il vint à Dublin, son jargon extraordinaire le fit regarder comme un
étranger, à l'hôtel où il était descendu; et, lorsqu'il alla à Trinity-College pour
voir un ami, il fut incapable de dire au portier ce qu'il désirait, et n'y réussit
qu'en montrant les appartements que son ami avait occupés.
Le D'' Osborn, après l'avoir fréquemment examiné avec soin, s'assura
des particularités suivantes :
1° Le malade comprenait parfaitement tout ce qu'on lui disait.
2" Il comprenait parfaitement le langage imprimé. Il continuait à lire un
journal chaque jour; et, lorsqu'on l'examinait, on voyait qu'il se souvenait
parfaitement de tout ce qu'il avait lu. S'étant procuré un exemplaire français
de la « Pathologie » d'Andral, il le lut avec beaucoup d'entrain; ayant récemment
eu l'intention d'embrasser la profession médicale.
3" Il exprimait ses idées, par l'écriture, avec beaucoup de facilité; et, lors-
qu'il n'y réussissait pas, cela semblait provenir simplement d'une confusion, et
non d'une inaptitude ; car les mots étaient orthographiquement corrects, bien
que parfois mal placés.
4° Ses facultés mentales, en général, paraissaient intactes. Il écrivait cor-
1. Dublin Journal of Médical and Chemical Science, vol. IV, p. 157.
APHÉMIE SIMPLE. 261
rectement des réponses à des questions historiques; il traduisait exactement
des phrases latines, additionnait ou soustrayait des nombres de désinences
différentes, avec une facilité peu commune; et jouait bien au jeu do dames.
5" Sa faculté de répéter les mots après une autre personne, était presque
confinée à certains monosyllabes ; et, en répétant les lettres de l'alphabet,
il ne pouvait jamais prononcer k, q, u, v, w, x et z, bien qu'il émît souvent
ces sons en essayant de prononcer d'autres lettres. Il ne pouvait aussi, que
fort rarement, prononcer la lettre i.
6° Pour s'assurer de l'imperfection particulière de langage présentée par
ce malade, et pouvoir la décrire, le D' Osborn choisit, et mit devant ses yeux
la phrase suivante du règlement du Collège of Physicians. « U shall be in the
power of the Collège ta examine or not examine any Licenciate previous to
his admission to a Felioivship, as they shall think lit ».
La lui ayant donné à lire, le malade lut ainsi : An the be what in the
temother of the trothotodoo to majorum or that emidrate eni enikrastrai meS'
treit to ketra totombreidei to ra fromtreido as that kekritest. Lo môme pas-
sage lui fut présenté quelques jours après; et il le lut ainsi : Be mather be in
the kondreit of the compestret to samtreis amtreit emtreido and temtreido
mestreiterso to his eftreido tum bried rederiso of deid daf drit des trest.
Il savait généralement qu'il parlait d'une manière incorrecte; bien qu'il
fût tout à fait incapable de remédier à ce défaut. Au bout de huit mois,
toutefois, son état s'était assez amélioré pour qu'il pût répéter la même
phrase, après le D'' Osborn, de la manière suivante. It may be in the power
of the Collège to evhavine or not ariatin àny licentiate seviously to his amis-
sion to a spoloivship as they shall think fit. Peu de temps après, dit le
D"^ Osborn , il répéta après moi cette même phrase parfaitement bien ; à
l'exception du mot potver, qu'il prononçait constamment prier. Il était aussi
capable de prononcer toutes les lettres de l'alphabet, excepté d, k et c. Il pro-
gressa de cette manière, sous la direction du D'' Osborn, qui lui conseilla de
recommencer à apprendre à parler, comme un enfant, en répétant d'abord les
lettres de l'alphabet, puis les mots, après une autre personne; car il avait
« perdu, non point la faculté, mais l'art de se servir de ses organes
vocaux ».
Dans ce cas étrange, mais fort intéressant, il semble qu'il n'y ait
eu aucun trouble mental appréciable. Il semble concevable qu'un
désordre de la relation entre les Centres Auditifs et Kinesthétiques
des Mots, ou bien un désordre de l'activité de ces derniers Centres
eux-mêmes, puisse avoir suffi à amener un défaut de ce genre.
Trousseau rapporte un autre cas intéressant, où il y avait absence
de trouble mental, et simplement impuissance à parler. Il dit :
«Je reçus un jour dans mon cabinet un voiturier des Halles de Paris, fort
jeune, et ayant l'apparence d'un homme jouissant d'une parfaite santé. Il fit
signe qu'il ne pouvait pas parler; et me remit une note où était détaillée
l'histoire de sa maladie. Il avait écrit lui-même cette note, d'une main très
ferme, et V avait bien rédigée. Quelques jours auparavant, il avait brusquement
perdu ses sens, et était demeuré inconscient pendant près d'une heure.
2G2 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
Lorsqu'il revint à lui, il ne présentait aucun symptôme de paralysie, 7nais il
m pouvait articuler un seul mot. Il remuait facilement sa langue; avalait
aisément; mais, quelques efforts qu'il fit, il ne pouvait prononcer un mot. Il fut
électrisé, sans résultat, pendant une quinzaine de jours; mais, sans aucun trai-
tement spécial, il l'ecouvra complètement la parole, cinq ou six semaines
après l'invasion de la maladie. Il est fort remarquable, toutefois, que, fendant
toute la durée de cette singulière affection, il put faire toutes ses affaires, en
substituant l'écriture à la parole. »
Ici l'homme, étant absolument incapable d'articuler, était aussi
incapable de lire à haute voix; bien que nous puissions parfai-
tement supposer qu'il comprenait aisément ce qu'il lisait en silence.
Et si, comme le pense l'auteur, le malade ne souffrait que d'un
trouble de la motricité, il n'est point aussi étrange que le suppose
Trousseau qu'il, ait pu être parfaitement capable de diriger toutes
ses affaires.
Ce dernier cas peut être ainsi interprété avec assez de confiance,
à la lumière que jette sur lui une autre observation plus récemment
rapportée par le D' Bristowe^
Un steward de paquebot, âgé de trente-six ans, ayant toujours joui d'une
bonne santé, se trouvait, le 7 mars 1869, dans les déti'oits de Malacca, lorsqu'il
se plaignit de mal de tête et d'un état fébrile. A cet état succéda, au bout de
quelques lïeures, une série d'attaques épileptiformes très graves, et se succédant
rapidement. Quatre heures après leur commencement, il commença à reprendre
connaissance. En revenant à lui, il se trouva couché sur le plancher de la
cabine, et reconnut bientôt que, quoiqu'il put voir et comprendre ce qui se pas-
sait, il était absolument incapable de remuer un membre, avait entièrement
perdu la faculté de parler, et se trouvait absolument sourd. Il ne pouvait
entendre un coup de pistolet tiré tout près de son oreille. 11 demeura en cet
état, a peu près exactement, jusqu'à son arrivée à Singapore, le 20 mars. A
cette époque, sa jambe et son bras droit étaient encore faibles; sa jambe et
son bras gauche étaient engourdis, et absolument sans forces. Il avait beau-
coup de difficulté à mâcher sa nourriture, et se trouvait encore absolument
sourd et muet. Son état s'améliora graduellement à l'hôpital de Singapore.
Dans la première semaine, il recouvra l'usage complet de son côté droit, et
l'ouïe lui revint assez pour qu'il pût entendre quand on lui parlait fort. L'ouïo
fut complètement rétablie le 22 avril. 11 recouvra aussi, en grande partie, l'usage
de son bras gauche, et sa santé générale s'améliora d'une façon remarquable.
11 quitta l'hôpital au milieu du mois de juin et fut embarqué à bord d'un
voilier qui revenait en Angleterre. Le 1'''' novembre, il fut admis à Saint-Tho-
mas Hospital, encore muet, et traînant beaucoup la jambe gauche en marchant.
Le D'' Bristowe dit : « Trois jours après son admission, je vis le malade
pour la première fois, et je l'eAaminai avec assez de soin. Je reconnus qu'il
était en parfaite intelligence, qu'il comprenait tout ce qu'on lui disait, pouvait
bien lire et comprendre tout ce qu'il lisait; et qu'il pouvait soutenir une con-
1. Transactions of the CUnical Society, 1870, p. 92.
APHEMIE AVEC PARALYSIE. 263
versation, aussi longue que ce fût, lui écrivant sur une ardoise, et son interlo-
cuteur parlant. Il écrivait, en effet, avec une facilité remarquable, d'une écri-
ture excellente et fort lisible, s'exprimant avec une parfaite exactitude, sauf
parfois une erreur d'orthographe ou de construction, évidemment due au dé-
faut d'instruction première. Mais il ne pouvait parler ni émettre un seul son
articulé. Je m'assurai toutefois qu'il pouvait exécuter avec ses lèvres, sa
langue et ses joues, toutes les formes possibles de mouvements volontaires, et
qu'il était aussi capable d'intonations vocales ; en d'autres termes, qu'il pou-
vait produire des sons laryngiens musicaux. »
On enseigna ensuite à ce malade, avec beaucoup de soins et un succès
complet, à parler de nouveau; « bien qu'il eût été neuf mois absolument sans
parler, et se crût lui-même condamné à un mutisme sans espoir. »
La paralysie bilatérale qui existait d'aboixl, ainsi que la surdité
complète et d'autres symptômes, rendent presque certain que, daat>
ce cas, le malade souffrait d'une lésion située quelque part entre la
partie supérieure du Bulbe et la Protubérance. Une lésion, en ce
point, pourrait causer la surdité complète, la paralysie double, et
arrêter pour un temps les fonctions des centres articulatoires infé-
rieurs. Il n'y avait évidemment qu'un simple trouble moteur de la
Parole; et une lésion beaucoup plus légère, sise à peu près dans la
même région, ou un peu plus haut, pourrait avoir donné naissance à
des symptômes moindres, comme ceux que l'on rencontre dans le
cas de Trousseau. Il est possible, toutefois, que ce dernier groupe de
symptômes puisse avoir été occasionné par une légère lésion, située
un peu plus haut dans le trajet des fibres motrices gauches, — peut-
être dans le Corps Strié, ou même plus haut, dans la substance
blanche interposée entre ces corps et les Centres Kinesthétiques des
Mots.
On sait depuis longtemps que des lésions en ces poirts, surtout
dans le pont de Varole, peuvent rendre la parole fort difficile et
indistincte, sinon absolument impossible. Un cas de ce genre, briè-
vement rapporté, et dans lequel une lésion considérable fut réel-
lement trouvée en ce point par le docLeur Wilks, peut suffire
à finir d'élucider ce paragraphe.
«Une dame fut prise, en dinant, d'une attaque. EUelnt relevée sans voix et
mise au lit. Elle gisait la bouche ouverte, et la salive s'en écoulant sans qu'elle
fût capable de l'avaler, ou de i^arler. Il ne semblait pas y avoir de paralysie
des membres; et, d'après ses gestes et l'expression de sa figure, il y avait tout
lieu de croire qu'elle avait sa parfaite connaissance. Elle fut bientôt capable
de quitter le lit, mais ne se remit jamais de la paralysie de la langue et du
palais. Elle écrivait sur une ardoise tout ce dont elle avait besoin. Elle ava-
lait difficilement, et la salive s'écoulait continuellement de sa bouche; mais
elle était capable de faire à pied trois ou quatre milles dans sa journée, et
avait coutume de se joindre à un jeu de cartes. Environ deux ans après la
264 RELATIONS DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE.
première attaque, elle en eut une autre dans laquelle elle mourut. A l'au-
topsie, on trouva les vaisseaux cérébraux fort malades; beaucoup de sang, qui
s'était échappé de la protubérance, était répandu à la base. Dans la protu-
bérance se trouvait un ancien kyste brunâtre. Les ganglions centraux étaient
sains.
Si l'interprétation précédente de l'Aphémie était reconnue véri-
table, elle donnerait une explication simple d'une série de cas que
beaucoup de personnes ont estimés surprenants, comme le faisait
Trousseau. Ce que l'on a dit sur le sujet aura suffi à montrer leur
parenté avec les cas dans lesquels il n'y a indiscutablement qu'une
simple difficulté d'articulation, soit compliquant une attaque ordi-
naire d'Hémiplégie, soit dépendant d'une dégénérescence du Bulbe,
connue sous le nom de paralysie glosso-laryngée. Ce terme d'Aphé-
mie (la maladie pouvant être « complète » ou « incomplète ») est assez
large pour embrasser toutes ces variétés de perte simple de la
Parole, ou de difficulté d'Articulation.
CHAPITRE XXX
AUTRES PROBLÈMES RELATIFS A LA LOCALISATION
DES FONCTIONS CÉRÉBRALES SUPÉRIEURES.
L'étude des divers troubles de la Parole et de TExpression Intel-
lectuelle en général, produits par une Maladie Cérébrale, est, sous
beaucoup de rapports, d'une grande importance. Une accumulation
de faits, observés avec plus ou moins de soin, doit presque nécessai-
rement précéder toute tentative d'analyser et de classer ces divers
troubles. Les observateurs qui viendront plus tard travailleront
mieux, et avec plus de chances de succès, dans deux directions. Ils
auront mieux appris comment il faut observer ces cas : c'est-à-dire
ce que l'on doit spécialement rechercher, comme aptitude ou im-
puissance, chez la personne atteinte; et ils pourront, toutes les fois
que des troubles mentaux précis auront été reconnus et notés durant
la vie, remarquer, avec plus d'espoir d'arriver à un résultat scienti-
fique, la région exacte du Cerveau qui a été le siège de la lésion.
L'erreur qui consiste à réunir ensemble, sous un seul nom comme
« Aphasie», toutes les variétés de «pertes de la parole », puis de re-
jeter absolument les doctrines de la Localisation Cérébrale, sous pré-
texte que, dans ces cas dissemblables, les lésions n'ont pas toujours
été trouvées dans le même point du Cerveau, cette erreur est mani-
feste et absurde ; et cependant, elle a été répétée trop souvent dans
ces dernières années. Même un médecin aussi accompli que Trous-
seau parla d'un cas démonstratif d'Amnésie comme d'un exemple
typique d'Aphasie, et basa en grande partie son explication de l'état
Aphasique sur les phénomènes qui le caractérisaient. Ce groupement,
sous un seul nom, de troubles absolument dissemblables, et la con-
fusion qu'il créait, devaient assurément, aussi longtemps qu'ils ont
duré, entraver toute tentative de Localisation Cérébrale.
Il est donc absolument nécessaire, pour faire de nouveaux pro-
grès relativement à la « Localisation» des Fonctions Cérébrales supé-
rieures, d'apprendre d'abord avec soin à discerner l'un de l'autre,
pendant la vie, les différents troubles de la Parole; et ensuite, lorsque
260 LOCALISATION DES FONCTIONS CEREBRALES.
les occasions se présentent, d'observer et de noter la situation des
lésions, surtout dans les cas typiques et non compliqués.
jNous allons donner maintenant quelques courts détails addition-
nels (outre ceux que l'on a jugé à propos de mentionner dans le
dernier chapitre] sur l'étendue des connaissances déjà acquises dans
cette seconde sphère d'observation et d'induction, — qui, bien
qu'elle ne soit pas pour le moment aussi étendue que l'autre, com-
prend néanmoins quelques faits d'un genre assez étonnant.
En 1825, Bouillaud' affirma que les Lobes Frontaux du Cerveau
étaient les parties principalement en rapport avec la Parole; parce
que, dit-il, ce sont les organes « de la formation et du souvenir des
mots, ou signes principaux qui représentent nos idées ». Il avait
recueilli ll/i observations de maladie des Lobes Frontaux accom-
pagnée de perte ou de trouble de la Parole; et c'est sur ces obser-
vations qu'il établissait ses vues.
Toutefois, en 1833, Andral rapporta lli cas où la Parole était abolie,
sans qu'il y eût aucune altération des Lobes Frontaux, mais avec
lésion daus les Lobes Pariétaux ou Occipitaux.
En 1836, le docteur Marc Dax appela l'attention sur la grande
fréquence des pertes de la Parole associées à de la Paralysie droite,
plutôt que gauche. Le titre de son essai était : Lésions of the left
half of the Brain, coincidincj with the loss of memonj of the Signs of
Thought^. Pour étayer son opinion, que la perte de la Parole dépen-
dait principalement de lésions de la moitié gauche du Cerveau, le
docteur Dax apportait l/iO observations.
Mais, en 1861, Broca * alla encore plus loin. Tandis qu'il affirmait,
avec le docteur Marc Dax, que l'Hémisphère gauche était celui qui
était le plus en rapport avec la Parole articulée, il fixa, d'une
manière précise, le siège de la lésion produisant l'état que nous
appelons aujourd'hui Aphasie, dans la partie postérieure de la troi-
sième circo7ivolution frontale de l'hémisphère gauche.
Cette opinion, originairement basée sur un fort petit nombre de
cas, fut reçue d'abord avec la plus grande surprise et le plus grand
scepticisme. Beaucoup jugèrent fort improbable qu'une faculté
comme la Parole dût dépendre d'une petite portion de l'un seu-
lement des deux Hémisphères Cérébraux. Cependant, les observations
qui se sont accumulées depuis dix-huit ans, ont amené la plupart de
ceux qui ont le plus de titres à juger la question, à regarder la loca-
lisation indiquée par Broca comme correcte en un certain sens; et
1. Traité del'Eneéphalile, p. 284.
2. Republié dans la Gazette hebdomadaire du 28 avril 1865.
3. Bulletin de la Société Anatomique, août et novembre 1861.
LOCALISATION DE LA FACULTÉ DE PARLER.
2G7
à penser que dans V Aphasie réellement typique, on trouve que, dans
la grande majorité des cas, la lésion comprend la partie postérieure
de la troisième circonvolution frontale gauche, ou bien la substance
blanche immédiatement sous-jacente, et interposée entre cette cir-
convolution et le Corps Strié. La raison poqr laquelle des lésions sié-
geant en d'autres points peuvent, d'après leur situation, amener,
parfois ou toujours, un état de mutisme plus ou moins semblable,
est une question sur laquelle nous espérons jeter un peu plus de
lumière dans le présent chapitre.
On rapporte beaucoup de cas dans lesquels une lésion de la
partie postérieure de la troisième circonvolution frontale de l'Hé-
misphère droit a existé, sans produire aucune perte de la Parole.
^/ ^.)^^
FiG. 184. _.. ,.. - . . une lésion
dans la partie postérieure de la troisième Circonvolution frontale (Prévost). — Voyez
Nature, 16 mars 1876, p. 400.
De sorte que nous avons à la fois une preuve positive et négative en
faveur de l'association, indiquée par Broca, entre la faculté de Parler
et l'intégrité de la troisième circonvolution frontale ^awc/îe; surtout
si nous étendons en profondeur la région désignée par lui, de
manière à lui faire comprendre les fibres elTérentes qui partent de
cette portion de la troisième circonvolution frontale.
Toutefois, il est vrai aussi que, dans un petit nombre de cas où il
existait un état semblable d'impossibilité de Parler, on trouve une
lésion dans les parties correspondantes de l'Hémisphère droit. Dans
quelques-uns de ces cas exceptionnels, les malades avaient été gau-
chers; bien que, chez d'autres, on ne pût même trouver cette raison
pour le changement de côté. L'auteur a lui-même rencontré un cas
tout à fait typique de ce genre, mais il est important de remarquer
que, même dans ces cas fort exceptionnels, bien que le côté affecté
fût différent, la Parole fut égalememt perdue par suite d'une lésion
268 LOCALISATION DES FONCTIONS CÉRÉBRALES.
unilatérale de la même région définie, et extrêmement limitée, de
THémisphère.
Il suivrait de là que les incitations motrices, suffisantes pour mettre
en jeu les centres articulatoires pendant la Parole, partent, dans la
grande majorité des cas, de la troisième circonvolution frontale du
côté gauche; bien que, chez une faible minorité de personnes, il
puisse arriver que les stimuli moteurs effectifs partent, au contraire,
de la troisième circonvolution frontale droite. Les moitiés des Centres
Articulatoires bilatéraux situés dans la Protubérance, le Bulbe, et la
partie supérieure de la Moelle, sont tellement unies ensemble par
des commissures, que chacune d'elles constitue pratiquement un
Centre double. Et elles peuvent être (à la manière de Centres bilaté-
raux de ce genre) mises en jeu par des stimuli venant, à travers
le Corps Strié, soit de l'Hémisphère gauche, soit de l'Hémisphère
droit; — bien qu'en fait, comme on l'a établi ci-dessus, ces stimuli
semblent y arriver, chez la grande majorité des personnes, du côté
gauche du Cerveau.
Mais, si les muscles agissant bilatéralement sont toujours associés
à des Centres bilatéraux étroitement unis, et si ces Centres peuvent
généralement être mis en jeu par des stimuli y arrivant de l'un ou
l'autre côté du Cerveau, ou dés deux à la fois; alors, le mode habituel
d'excitation des Centres de la Parole et des muscles en relation
avec eux, par des stimuli venant du côté gauche, doit être regardé
comme une particularité remarquable.
Il y a toutefois quelque raison de croire que, si les conducteurs
efférents du côté gauche ont été lésés (de sorte que la Parole soit
perdue), la route pour des stimuli venant de la troisième circonvo-
lution frontale droite aux Corps Striés peut, dans certaines circon-
stances, être ouverte d'une manière plus effective; de sorte que le
malade puisse, au bout d'un certain temps, recouvrer la faculté de
Parler. En pareil cas, les stimuli se rendraient sans doute plutôt
au côté droit qu'au côté gauche des Centres Articulatoires inférieurs
bilatéraux.
Broadbent maintient en effet que, dans la règle, la perte de la
Parole n'est que temporaire avec des lésions du Corps Strié gauche,
ou des parties des fibres efférentes venant de la troisième circonvo-
lution frontale qui sont contiguës à ce corps. Et il essaye ingénieu-
sement d'expliquer sa restauration supposée rapide dans les cas de
ce genre. Si la troisième circonvolution frontale gauche est elle-
même intacte, et si les fibres du Corps Calleux qui s'étendent entre
elle et la troisième circonvolution frontale droite sont également
intactes, les stimuli centrifuges, ne pouvant plus suivre leur route
ordinaire, pourront, à ce qu'il pense, trouver un chemin détourné de
la troisième circonvolution frontale gauche à son homologue de
IDÉES DE BROADBEjNT. 2G0
droite, et descendre de là au Corps Strié du côte droit *. Dans ces
cas, la perte de la Parole pourrait n'exister que quelques semaines,
jusqu'à ce que la nouvelle route fût tout à fait ouverte, et le nouveau
mode d'action absolument établi ^. Il est toutefois difficile de com-
prendre comment l'éducation antérieure et l'organisation de ce
Corps Strié droit peuvent avoir été amenés au point nécessaire pour
lui permettre d'assumer rapidement ces fonctions; si, pour prendre
la supposition la plus favorable, il n'a reçu précédemment que des
stimuli faibles et non suivis d'effet.
Il y a aussi des difficultés à l'acceptation d'une partie du raison-
nement sur lequel la théorie est basée.
Broadbent dit : « Dans ses premiers efforts pour parler, l'enfant
est influencé par l'imitation et guidé par l'oreille; c'est-à-dire, de
même que le groupement des cellules motrices de la moelle s'effectue
par les cellules sensitives, par des prolongements cellulaires se ren-
dant des noyaux postérieurs aux noyaux antérieurs des nerfs; de
même, les groupements de cellules dans le corps strié s'effectueront
par les cellules du centre perceptif auditif, au moyen de fibres
réunissant ensemble les deux centres... Et, de même que les noyaux
moteurs de la moelle peuvent encore être employés dans les actions
réflexes par les noyaux sensitifs, aussi bien qu'ils le sont dans le mou-
vement volontaire par les fibres qui descendent du corps strié; de
même, les groupes des mots, situés dans le corps strié, peuvent être
mis en jeu imitativement par le centre perceptif auditif, aussi bien
que par la troisième circonvolution frontale. » Il suppose, en consé-
quence, qu'il y a une double action, d'un caractère consensuel, de la
part des deux Centres Auditifs et que, dans les premiers processus
imitatifs de la Parole, ces parties réagiraient toutes deux sur leurs
Corps Striés respectifs.il y a aussi, pense-t-il, une action supérieure
ou volitionnelle, unilatérale, commandée par la troisième circonvo-
lution frontale gauche, — action qui est unilatérale, parce que, dit-
il, « l'Hémisphère gauche reçoit seul l'éducation pour l'expression
intellectuelle ».
Mais les actes Sensori-Moteurs et Idéo-Moteurs de la Parole
1. L'impuissance où se trouve une personne Aphasique d'apprendre à Parler
du côté droit du Cerveau, se trouverait ainsi dépendre de conditions précisément
analogues à celles qui amènent, dans une Hémiplégie droite, une impuissance
d'apprendre à Écrire de la main gauche (c'est-à-dire du côté droit du Cerveau).
La Parole serait impossible si le Centre Auditif, et l'Écriture si le Centre Visuel
de l'Hémisphère gauche étaient détruits ; ou des impuissances semblables
existeraient, si les fibres du Corps Calleux, réunissant respectivement l'un ou
l'autre de ces Centres gauches au Centre correspondant de l'Hémisphère opposé,
étaient rompues par la maladie.
2. British Médical Journal, 8 avril 1876, p. 435.
270 LOCALISATIOIN DES FOîNCTIOiNS CÉRÉBRALES.
dépendent de processus qui ont lieu (d'une manière légèrement
différente) identiquement dans les mêmes régions cérébrales, — et
ceux-ci correspondraient avec ce que Broadbent appelle les modes
imilatifs de la Parole. Cependant, comme l'auteur !3''est déjà efforcé
de le montrer (p. 170-176), on ne saurait établir de démarcation
valable entre les actes Idéo-moteurs et les actes Volontaires de la
Parole ; et la distinction que l'on attribue à ceux-ci, par l'addition
d'une « émotion de désir », ne rend pas moins nécessaire que le
stimulus efférent parte originairement du Centre Auditif; il n'y a
non plus aucune preuve distincte que, dans la Parole imitative, les
incitations ne trouvent pas, comme dans la Parole Volontaire, leur
chemin de sortie par la troisième circonvolution frontale. En réalité,
nous avons tout lieu de croire que la route du Centre Perceptif
Auditif au Corps Strié est unique, et toujours la même pour tous les
genres de Parole, que le mode d'incitation puisse être strictement
imitatif, Idéo-moteur, ou nettement Volitionnel.
Cette dernière conclusion se trouve d'accord avec les preuves
que nous fournissent les maladies. Aucun fait n'a été établi d'une
manière plus certaine, relativement aux malades Aphasiques, que
celui qu'il existe une perte, non seulement de la Parole Volontaire,
mais aussi de la Parole Idéo-motrice et, exactement au même degré,
de la Parole imitative. Un malade réellement Aphasique ne saurait
imiter le plus simple mot ou le son de la voyelle la plus simple,
qu'il vient d'entendre à l'instant même ; il ne le fait même pas sans
qu'on le lui demande, et comme un simple écho, de la manière réflexe
la plus purement imitative.
D'autres encore ont supposé qu'il existe une route séparée, par
où des stimuli Émotionnels peuvent être transmis aux centres infé-
rieurs du Langage Articulé, situés dans la Protubérance et le Bulbe,
sans passer par le Corps Strié ; et cela, simplement parce que les
malades Aphasiques prononcent parfois de nouvelles interjections,
comme des jurements, ou des phrases comme « Oh dear! » « Thanks! »
et autres exclamations simples, sous l'influence d'un stimulus Émo-
tionnel puissant. Toutefois, même pour ce genre de connexion, il
n'existe pas de preuve indépendante (voy. p. 19/i) ; et peut-être
que les faits peuvent aussi bien s'expliquer en supposant que des
stimuli Émotionnels d'une énergie plus grande, ou qui émanent
d'une aire plus vaste, peuvent occasionnellement se frayer une
route à travers des conducteurs en mauvais état, dont la résistance
ne saurait être vaincue par de simples stimuli Volitionnels.
Quant aux causes qui ont déterminé l'influence plus grande ou
presque exclusive de l'Hémisphère gauche dans l'excitation des
mouvements de la Parole, on ne peut offrir que des conjectures.
On a pensé qu'un certain état de développement plus avancé de
LOCALISATION DE LA PAROLE, A GAUCHE. 271
l'Hémisphère gauche, — comme résultat d'un usage héréditaire delà
main droite, se succédant de génération en génération, — pourrait
graduellement devenir suffisant pour amener l'Hémisphère gauche à
prendre la direction des mouvements de la Parole. 11 existe quelques
preuves — bien que très peu nombreuses encore — que ce sont
les gauchers, plus spécialement, qui deviennent Aphasiques à la suite
de lésions de la troisième circonvolution frontale droite. Il est pra-
tiquement certain, assurément, que la grande prépondérance des
mouvements de la main droite, chez les individus ordinaires, doit
tendre à produire une organisation plus complexe de l'Hémisphère
gauche que du droit; et ceci à la fois dans ses régions sensitives et
dans ses régions motrices. Nous pouvons, en sécurité, supposer en
lui l'existence de la base organique d'une expérience tactile beau-
coup plus grande et plus complexe; et, comme les mouvements du
bras et de la main droite sont plus fréquents, à la fois comme fac-
teurs associés de cette expérience, et d'autres façons aussi, nous
avons également le droit de nous attendre à ce que les Centres
Kinesthétiques soient, de même, développés à un degré notablement
plus grand dans l'Hémisphère gauche. Et, naturellement aussi, les
mécanismes nerveux pour les mouvements auxquels sont associées
ces impressions sensitives, seraient beaucoup plus complexes dans
le Ganglion Moteur de l'Hémisphère gauche que dans celui de
l'Hémisphère droit.
En outre^ il y a nombre d'années que l'auteur s'est assuré d'un
fait, qui paraissait à l'époque fort difficile à comprendre, — c'est que
le poids spécifique de la Substance Grise corticale du Cerveau, dans
les régions frontale pariétale et occipitale gauches, est souvent net-
tement, bien que légèrement, plus élevé que celui de la substance
grise des régions correspondantes de l'Hémisphère droit ^. Mais cet
accroissement de poids spécifique pourrait être produit par l'exis-
tence d'un plus grand nombre de cellules et de fibres commissu-
rales, que les fonctions extra-sensitives et dérivatives, dont on a
parlé ci-dessus, entraîneraient probablement-.
Après avoir considéré quelques-unes des questions de « localisation
cérébrale » relatives à la production de l'Aphémie, de l'Agraphie et
de l'Aphasie, il faut dire maintenant quelque chose du siège des lésions
qui produisent les états fort variés compris sous le nom d'AMNÉsiE.
Nos connaissances sur ce point sont, jusqu'ici, assez vagues et
indéfinies; puisque ce n'est que tout récemment que l'on a généra-
4. Voyez un travail On the Spécifie Gravity ofthe Human Brain, in Journal
of Mental Science. 1866, p. 28-32.
2. Voyez aussi p. 55-58.
272 LOCALISATION DES FONCTIONS CÉRÉBRALES.
lement reconnu la nécessité de ne point confondre ces cas avec
ceux d'Apliasie. En outre, on n'a pas fait jusqu'ici de tentative
distincte pour analyser et classer les divers états compris sous ce
seul terme d'Amnésie. Les travailleurs futurs en sauront bientôt,
sans doute, beaucoup plus sur ce sujet : surtout lorsque l'examen
des cas sera plus approfondi, et entrepris plus systématiquement ^
Toutefois, ce que nous savons des états Amnésiques, ainsi que de
la distribution des fibres « centripètes » dans leur passage de la base
du Cerveau aux Circonvolutions, nous permet déjà de désigner, à peu
près, l'endroit où des lésions ou des blessures amèneraient probable-
ment des troubles de ce type dans la Parole et l'Écriture.
Des lésions des circonvolutions, vers Vexlrémité postérieure de
la Scissure de Sylvius de l'Hémisphère gauche, seraient probable-
ment aussi efficaces, pour produire une quelconque des variétés
d'Amnésie, que des lésions situées vers la troisième circonvolution
frontale pour déterminer l'Aphasie. Dans le cas de Broadbent (p. 2Z|3),
on trouva la lésion en ce point; et, dans un exemple inédit, mais
bien typique, d'Amnésie, l'auteur a aussi, récemment, trouvé une
lésion placée de même.
Les raisons qu'il y a d'examiner cette région deviendront évidentes,
si le lecteur veut se rappeler que le tiers postérieur des fibres pédon-
culaires (c'est-à-dire de ce qu'on nomme la capsule interne) s'étalent
en dehors, de dessous la partie postérieure de la Couche Optique; et
que, s' étendant en arrière et en dehors à travers le plancher du
ventricule latéral, à partir du voisinage du commencement de la
corne descendante, elles se distribuent, pour la plupart, aux Cir-
convolutions Occipitales et Temporales. Et, si les conclusions de
Ferrier, relativement aux importantes relations du lobule supra-
marginal et de la circonvolution angulaire avec le Centre Visuel, et
de la partie postérieure de la circonvolution temporale supérieure
avec le Centre Auditif, étaient prouvées correctes; ce seraient encore
des raisons plus précises pour s'attendre à trouver avec quelque
fréquence, dans la situation indiquée, ou près d'elle, les lésions
productrices de l'Amnésie. On peut donc admettre provisoirement
une localisation de ce genre; et il semble que les meilleurs moyens
de s'assurer définitivement, avec un certain degré de certitude, de
1. Dans tous les cas d'Amnésie, ou d'Aphasie et Amnésie mélangées, il fau-
drait, entre autres choses, donner toujours des détails sur les points sui-
vants : — (1) La faculté qu'a le malade de comprendre les mots prononcés
(s'il n'est pas sourd) ; (2) de répéter les sons ou les mots lorsqu'on le lui
demande; (3) d'écrire sous la dictée; (4) de comprendre, et par conséquent de
désigner, les lettres et les mots imprimés (s'il n'est pas aveugle) ; (h) de copier
par l'écriture les mots écrits ou imprimés ; et (6) de nommer les lettres impri-
mées ou les objets, et de lire à haute voix.
SIÈGE DES LÉSIONS PRODUISANT L'AMNÉSIE. 273
la situation des parties les plus importantes des Centres Perceptifs
Visuels et Auditifs chez l'Homme, seraient précisément l'étude
clinico-pathologique attentive des cas typiques d'Amnésie, toutes
les fois que l'occasion s'en présente.
Il surgit maintenant une autre question d'un grand intérêt;
c'est de savoir si l'on trouvera que les lésions productrices de l'Am-
nésie sont, aussi, principalement limitées à l'Hémisphère gauche.
Quelques observateurs éminents, comme Brown-Sequard et Hugh-
lings Jackson, croient qu'il existe une limitation de ce genre. Mais,
bien que l'auteur admette volontiers que les lésions de l'Hémi-
sphère gauche doivent avoir probablement plus de puissance que
celles de l'Hémisphère droit pour produire des états de ce genre, il
lui semble que les faits et la théorie tendent, à la fois, à faire repous-
ser l'idée que des défauts de cette nature ne sauraient être produits
par des lésions situées dans certaines parties de l'Hémisphère droit.
On trouvera que beaucoup de cas de ce genre ont été déjà rap-
portés, — et l'un des plus typiques est celui de Marcou, tel qu'il
est donné par Trousseau (voy. p. 226). Et si nous avons présent à
l'esprit que les Centres Perceptifs correspondants des deux Hémi-
sphères sont ordinairement mis en jeu d'une manière simultanée, et
sont en continuité de structure au moyen du Corps Calleux, on
peut s'attendre à ce que toutes les lésions irritatives ou destruc-
trices des Centres Auditifs ou Visuels des Mots, du côté droit,
puissent à peine se produire sans causer un dérangement marqué,
du moins pour un certain temps, dans l'activité fonctionnelle des
centres semblables de l'Hémisphère gauche, — qui, comme on doit
l^admettre, semble jouer le premier rôle dans l'expression de la
Pensée par la Parole et l'Écriture. 11 reste encore beaucoup à ap-
prendre sur ce sujet fort intéressant; et nous avons déjà eu (p. 128)
à signaler le doute qui existe sur l'étendue dans laquelle un Hémi-
sphère peut suffire seul à l'activité mentale ordinaire. On peut
bien s'attendre, peut-âtre, à ce que l'Amnésie, produite par une
lésion du côté droit, ait une tendance à être plus temporaire que
l'Amnésie causée par des lésions similaires de l'Hémisphère gauche.
Enfin, il se présente à nous une autre genre de considérations
de quelque importance, relativement aux « localisations cérébrales».
L'état d'Amnésie peut passer, par des gradations insensibles, à celui
d'Aphasie ; de manière que ce dernier état, avec certaines autres
particularités, peut parfois résulter d'une lésion tout à fait éloignée
de la troisième circonvolution frontale gauche, si, comme nous le
supposons à présent, les régions dans lesquelles les lésions ont la
plus grande tendance à produire l'une ou l'autre des formes de
l'Amnésie, sont situées autour de l'extrémité postérieure de la Scis-
sure de Sylvius gauche.
Charlton-Bastian. — II. 18
274 LOCALISATION DES FOiNCTiONS CÉRÉBRALES.
Ceci peut être aisément compris. Supposons une personne
souffrant d'un trouble dans l'activité du Centre Auditif des Mots ; de
sorte que les Noms ne puissent être rappelés « volontairement », ni
par « association ». Il y aurait déjà de grandes hésitations et de
grandes difficultés dans l'expression des pensées, soit par la Parole,
soit par l'Écriture. Mais supposons que ce simple trouble de l'acti-
vité soit remplacé par une véritable destruction du Centre Auditif
gauche des Mots, de sorte que son activité fonctionnelle soit entiè-
rement perdue ; les Mots ne sauraient assurément alors être
rappelés ni « volontairement », ni par « association » ; bien plus,
ils ne pourraient pas être perçus, et par conséquent pas être imités.
Un individu ainsi atteint ne serait capable ni de Parler ni d'Écrire,
c'est-à-dire qu'il serait complètement Aphasique, — avec, en plus, la
particularité qu'il ne pourrait aisément comprendre le Langage parlé
ni peut-être même l'Écriture. Cette dernière faculté pourrait per-
sister, à un certain degré, carl'équibre moléculaire du Centre Audi-
tif des Mots et du Centre Visuel qui est en relation avec lui dans
l'Hémisphère opposé, pourrait n'être pas suffisamment troublé pour
empêcher toute compréhension des symboles parlés ou écrits. Nous
pourrions, en fait, avoir, en pareil cas, production d'un état Apha-
sique complexe, presque absolument semblable à celui que présentait
la jeune fille dont Bazire a rapporté l'observation (p. 2^9); ou même
un état semblable à celui rapporté par l'auteur, p. 251 : et cependant,
cet état Aphasique pourrait avoir été causé par une lésion située loin
de la troisième circonvolution frontale gauche. Et, s'il en était ainsi,
ces cas auraient pu être cités avec beaucoup de force, en apparence,
contre les doctrines existantes relativement à la localisation céré-
brale.
De même, il est possible que I'Agraphie, accompagnée de
« cécité pour les mots », résulte d'une lésion du Centre Visuel
gauche ; et que le siège de cette lésion soit contigu à l'extrémité
postérieure de la Scissure de Sylvius gauche.
L'Aphémie (c'est-à-dire la simple perte de la Parole) ne sau-
rait être produite par une lésion de cette région du Cerveau : car la
destruction du Centre Auditif des Mots détruirait la mémoire des
Mots, pour l'Écriture spontanée aussi bien que pour la Parole. De
sorte que l'état double d'APHASiE (ou un état voisin dans lequel
l'Écriture « imitative » est seule possible) se produirait nécessaire-
ment, au lieu de l'état plus spécial d'Aphémie.
Il est également clair que si des espaces importants des Centres
Auditifs et Visuels des Mots sont, en réalité, situés quelque part vers
l'extrémité des Scissures de Sylvius, et, si les Centres Kinesthétiques
des Mots, pour la Parole et l'Écriture, sont situés dans la troisième
circonvolution frontale, ou quelque part dans son voisinage, I'Apha-
LÉSIONS DE L'AGRAPHIE, DE L'APIlÉMIt; ET DE L'APHASIE. 275
siE pourrait aussi être causée par des lésions rompant les fibres
commissurales, en un point quelconque de leur trajet entre ces
paires de centres.
Évidemment, si les stimuli causésepar la résurrection mentale des
mots ne partent pas {a) des Centres Auditifs et Visuels des Mots, s'ils
sont arrêtés [b] sur la route qu'ils parcourent pour se rendre de là
aux Centres Kinesthétiques des Mots; ou si (c) ils sont arrêtés dans
ces Centres-là, ou de l'autre côté d'eux, c'est-à-dire sur le chemin
qu'ils suivent pour se rendre au Corps Strié gauche, le résultat serait
dans tous les cas la production d'un état d'ApHAsiE, bien que les
sièges des lésions fussent absolument différents dans ces divers cas.
Aussi, dans le premier cas, aurions-nous l'Aphasie avec beaucoup de
désordre mental ; dans le second cas, l'Aphasie avec désordre mental
insignifiant ; tandis que, dans le troisième, nous aurions FAphasIe
typique, dans laquelle on ne peut découvrir que peu ou pas d'affai-
blissement de l'esprit.
Ceci étant vrai, on peut formuler provisoirement en loi géné-
rale, comme hypothèse pour de nouveaux travaux, que la tendance
au désordre mental coïncidant avec l'Aphasie, et le degré de ce dé-
sordre, augmenteront, toutes choses égales d'ailleurs, à mesure que les
lésions de l'Hémisphère gauche s'éloigneront de la «troisième circon-
volution frontale» pour s^approcher du Lobe Occipital. La doctrine
générale de Marc Dax semble être justifiée; tandis que la localisation
plus spéciale de Broca ne peut être tenue pour bonne que dans un
cas particulier, bien que fort commun, de Perte de la Parole; ou,,
pour se servir d'une phraséologie plus large et plus exacte, — de
perte de la faculté d'Expression Intellectuelle.
On voit que les conclusions auxquelles on vient d'arriver appor-
tent une confirmation nouvelle et inattendue de l'opinion, déjà an-
noncée, relativement à la fréquence spéciale avec laquelle les lésions
des Régions Occipitales de l'Hémisphère peuvent s'associer avec une
dégradation mentale bien marquée. Elles tendront aussi à nous faire
apprécier plus complètement la valeur réelle des objections élevées
par quelques personnes contre la doctrine que la partie postérieure
de la « troisième circonvolution frontale » gauche est la région tou-
jours lésée dans les cas d'Aphasie. Elles peuvent aussi frayer laroute
pour des observations différentielles, nouvelles et plus exactes, au
moyen desquelles seules, nous pouvons nous attendre à faire des pro-
grès réels dans une tâche extrêmement difficile, que nous ne faisons
guère qu'indiquer, — c'est-à-dire, la tentative de déterminer quels
genres de fonctions sont principalement accomplis dans les diffé-
rentes régions de l'Écorce Cérébrale.
Si nous n'avons rien dit relativement à la «localisation» de cer-
276 LOCALISATION DES FONCTIONS CÉRÉBRALES.
taines Facultés supérieures, Intellectuelles et Morales, la raison en
sera évidente pour tous les lecteurs qui réfléchissent. On ne saurait,
avec quelque chance de succès, faire un seul pas dans cette direction,
jusqu'à ce que les recherches préliminaires, auxquelles nous avons
consacré notre attention, aient donné des résultats mieux établis.
Il faut évidemment poser les fondations du sujet avant de pouvoir
commencer à élever l'édifice.
L'auteur est toutefois fermement convaincu que tout Processus
supérieur, Intellectuel ou Moral, — aussi bien que tout Processus
inférieur Sensoriel ou Perceptif, — entraîne l'activité de certains ré-
seaux de fibres et de cellules, en relations réciproques dans l'Écorce
Cérébrale, et dépend absolument de l'activité fonctionnelle de ces
réseaux. Il rejette cependant, d'une manière aussi nette, la notion
avec laquelle quelques personnes voudraient associer cette doctrine :
c^est-à-dire la supposition que les Hommes ne sont que des « Auto-
mates Conscients. »
Il faut accorder que si les États Conscients, ou Sentiments, n'ont en
réalité aucun lien de parenté avec les mouvements moléculaires qui
ont lieu dans certains Centres Nerveux; si ce sont des phénomènes
apparaissant mystérieusement, différant absolument du « circuit
fermé de mouvements «avec lequel ils coexistent, et situés complète-
ment en dehors de lui ; on ne voit pas comment on pourrait concevoir
que ces États Conscients puissent affecter ou altérer le cours de ces
Mouvements. La logique de cette proposition paraît irrésistible.
«On ne peut, en réalité, éviter la conclusion qu'en rejetant les pré-
misses : et c'est là ce que fait l'auteur. 11 rejette absolument la doc-
trine qu'il n'existe pas de parenté entre les États de Conscience et
les Actions Nerveuses ; et, par conséquent, repousserait l'opinion que
les «causes» des États Conscients sont situées tout à fait en dehors
des circuits de Mouvements Nerveux.
La Conscience, ou Sentiment, doit être un phénomène ayant
une origine naturelle; ou autrement ce serait une entité non natu-
relle, non matérielle. Pour les raisons qui ont été exposées dans
■diverses parties du présent ouvrage, l'auteur adopte la première de
<ces opinions.
On croit communément que la « substance vivante » a actuel-
îement, ou a eu dans les temps passés, une origine naturelle ; les
Tissus Nerveux aussi ont une origine naturelle dans des formes élé-
mentaires de la « substance vivante « ; et, si l'on admet que les États
Conscients, ou Sentiments, sont l'apanage seulement d'actions Ner-
veuses, alors aussi (autant que nous pouvons nous en assurer) leur
mode d'apparition, leur accroissement d'intensité, le fait qu'ils sont
modifiables par les agents qui modifient les tissus nerveux, et la limi-
tation qui fait qu'ils ne se présentent qu'associés avec certaines
ORIGINE DES ÉTATS CONSCIENTS. 277
actions nerveuses qui ont lieu dans les Centres Nerveux les plus
élevés et les plus complexes- d'un animal, s'harmonisent avec la
notion qu'ils sont, en quelque manière, un véritable résultat de ces
Actions Nerveuses, — aussi peu capables d'être séparés des conditions
physiques dont ils dépendent, que la Chaleur peut l'être des siennes
(voy. vol. I", p. 113). Dire que la Chaleur est un « mode de mouvement » ,
suppose accordé le fait, sous-entendu, que nous ne pouvons avoir de
mouvement que s'il y a quelque chose qui se meut. La Chaleur n'a
point une existence abstraite et isolée comme entité. La Conscience
aussi est un résultat de quelque chose qui se meut. Mais, exactement
de même que ce sont les mouvements matériels eux-mêmes, dont dé-
pend la Chaleur, qui font le travail attribué à celle-ci ; de même, ce
sont les mouvements matériels eux-mêmes, dont dépend la Con-
science, ou Sentiment, qui font le travail que nous attribuons au Sen-
timent. Ces mouvements particuliers, qu'on le remarque, entrent
comme composants dans le a circuit de mouvements » constituant
les Actions Nerveuses; et peuvent, par conséquent, aisément coopé-
rer comme moteurs réels. De là vient que les États de Sentiment
peuvent, en vérité, et d'accord avec la croyance populaire, réagir
sur les Tissus Nerveux de manière à altérer les mouvements molé-
culaires qui s'y passent. Les Sentiments, qu'ils soient purement per-
sonnels ou de l'ordre moral, ont ainsi, comme ils semblent l'avoir,
un effet indubitable, en modifiant nos Opérations Intellectuelles,
nos Volitions ou nos Mouvements.
Montrer comment se produisent ces mouvements particuliers du
Tissu Nerveux qui forment le substratum des États Conscients, et
comment ils repassent aux actions nerveuses plus ordinaires, c'est
ce qui, d'après la nature même du problème, demeurera toujours
impossible. Mais nous ne devons certainement pas pour cela nous
laisser paralyser mentalement, par la croyance en l'existence d'un
abîme métaphysique entre ce qu'on appelle le Subjectif et l'Objec-
tif, — le « Moi » et le « Non-Moi ». Cependant, quelques-uns même
de ceux qui croient à la philosophie de révolution, ont été amenés
ainsi à nier l'origine naturelle des États Conscients; et se sont, par
conséquent, vus forcés d'adhérer à une doctrine d' « Automatisme »
absolu, — doctrine dans laquelle toutes les notions de Libre Arbitre,
de Devoir et d'Obligation Morale sembleraient, d'après cette base
théorique, également condamnées à une tombe commune, ainsi que
les facultés d'auto-éducation et d'empire sur soi-même qui en for-
ment la^base.
APPENDICE
OPINIONS RELATIVES A l'eXISTENCE ET A LA NATURE
d'un SENS MUSCULAIRE^.
D'après sir William Hamilton, ce furent deux médecins italiens qui recon-
nurent les premiers, il y a trois siècles environ, le Sens Musculaire comme moyen
de conception. Il fut reconnu, par Julius César Scaliger, en 1557, et plus tard,
d'une manière indépendante, par Csesalpinus d'Arezzo, en 1569, que l'exercice
de notre faculté de mouvement est le moyen par lequel nous sommes mis à
même d'estimer les degrés de « résistance »; et cela, par une faculté de
« compréhension active », qu'ils opposaient au toucher comme « capacité de
sensation, ou simple conscience de passion ».
Après un très long intervalle, de Tracy (l'un des disciples les plus distin-
gués de Condillac) développa plus explicitement cette conception, vers le
commencement de notre siècle et « établit la distinction entre le toucher actif
et passif ». Toutefois, des physiologistes, et des psychologistes allemands
avaient déjà, à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, fait
cette même analyse; « et c'est là que le toucher actif reçut d'abord rappellation
distincte de Sens Musculaire (Muskelsinn). » Ces opinions furent, bientôt après,
introduites en Ecosse par le docteur Thomas Brown.
Les variations subséquentes d'opinions relativement au Sens Musculaire
sont, dans une certaine mesure, représentées par les citations suivantes :
J. Millier [Physiologie, 1835) dit : — u Nous avons une notion fort exacte delà
quantité de force nerveuse partant du cerveau, qui est nécessaire pour produire
un certain mouvement... Il serait fort possible que l'appréciation du poids et
de la pression, dans le cas où nous soulevons ou résistons, soit, en partie du
moins, non une sensation dans le muscle, mais une notion de la quantité de
force nerveuse que le cerveau est excité à mettre en jeu. » Bientôt après cette
date, nous trouvons sir William Hamilton (1846), dans ses « Notes et Disser-
tations » sur Reid, soutenant que la notion de « résistance » ou de « poids »
1. Voy. p. 1G4.
SENS MUSCULAIRE : HISTORIQUE. 279
est conçue « à l'aide de la faculté locomotrice, et non du sens musculaire. »
Son opinion était presque absolument semblable à celle de Mullor ; car, tandis
qu'il soutenait que la résistance et le poids sont mesurés principalement par ce
qu'il appelle la « faculté locomotrice», il admettait que l'appréciation, par cette
faculté, delà force plus ou moins grande de notre « énergie motrice mentale »,
est toujours accompagnée et aidée « par des sensations dont les causes sont,
d'une part le nisus ou le repos musculaire, et d'autre part le corps résistant
ou pressant ».
Il ajoute : « De ces sensations, les premières, c'est-à-dire les sentiments
liés aux états de tension et de relâcbement, ont leur siège entièrement dans
les muscles, et appartiennent à ce que l'on a quelquefois distingué sous le
nom de sens musculaire. Les dernières, c'est-à-dire les sensations déterminées
par la pression externe, ont leur siège en partie dans la peau, et appartiennent
alors au sens du toucher proprement dit, ou à la sensation cutanée; et. en
partie, dans la chair, et appartiennent en ce cas au sens musculaire. Ces aiïec-
tions, parfois agréables, parfois douloureuses, sont, dans l'un et l'autre cas,
de simples modifications des nerfs sensitifs qui se distribuent aux muscles
et à la peau. »
Cette idée que nous apprécions le « poids », ou la « résistance », principa-
lement à l'aide de ce qu'on appelle la « faculté locomotrice », fut, un peu plus
tard, admise également avec faveur par Ludwig, qui dit {Lehrbuch der Physio-
logie, 1852) : « Il est concevable, et point invraisemblable, que toutes les
connaissances et distinctions auxquelles on arrive par le jeu des muscles sou-
mis à la volonté, sont obtenues directement par l'acte d'excitation volontaire;
de sorte que l'eflfortde la volonté sert immédiatement de moyen de jugement. »
Le professeur Bain, dans la première édition de son ouvrage « The Sensés and
the Intellect » (185.5), semblait incliner vers la même idée, bien que son opi-
nion ne fût point exprimée d'une manière tout à fait explicite. Il objecte à ce
qu'il appelle la supposition d'Hamilton, que « nous avons un sentiment de
l'état de tension d'un muscle, indépendamment de notre sentiment du pou-
voir moteur mis en jeu. » « Il peut être tout à fait vrai, ajoute-t-il, que des
filaments nerveux sensitifs soient fournis aux muscles, aussi bien que des
filaments moteurs, et que, au moyen de ceux-ci, nous soyons affectés par la
condition organique du tissu, comme dans la première classe de sentiments ci-
dessus décrits; mais il ne s'ensuit pas que nous acquérions, par ces mêmes
filaments, un sentiment distinct du degré de la contraction du muscle ».
Lorsque, quelques lignes plus loin. Bain parle d'<( un sens d'énergie déployée »,
comme de « la grande caractéristique de la conscience musculaire, » son opinion
précise devient indistincte et quelque peu confuse.
Un peu plus tard, Landry {Traité des Paralysies, 1859), s'appuyant sur des
données pathologiques aussi bien que psychologiques, réaffirme le même genre
d'opiïiion que celle d'Hamilton (mise en douie par Bain), relativement à l'exis-
tence d'impressions donnant des sentiments de tension, et venant des muscles
par les nerfs sensitifs. Seulement, au lieu de regarder (avec Hamilton) ces im-
pressions comme subsidiaires, il pense qu'elles ont une importance majeure,
et nie que nos notions de résistance, de poids, etc., puissent provenir d'un
simple processus cérébral, ou, en réalité, de n'importe quelle autre source que
les parties même en mouvement. Il dit : « Le Moi a une conscience directe des
phénomènes de volition : il sait immédiatement qu'il y a eu un stimulus
280 OPINIONS RELATIVES A L'EXISTENCE
volontaire, et à quelle partie du corps il est dirigé ; quant aux effets produits,
il n'en est informé que d'une manière médiate, et peut les négliger L'ac-
tion nerveuse qui excite le mouvement ne peut donc fournir à la conscience
qu'une idée de la volition, et non de son exécution.... Il est nécessaire que
l'effet de cette excitation centrale (la contraction) soit produit, pour que le
Cerveau puisse percevoir; et il perçoit, en même temps, à la fois le siège et le
degi'é de la contraction. Le mouvement lui-même est donc la source d'où nous
viennent les notions de ce genre. »
Ce dernier point de l'opinion de Landrj^, opposé aux notions de Muller,
Hamilton, Ludwig et autres, relativement à la « faculté locomotrice », fut, à peu
près à la même époque, affirmé d'une manière indépendante par G.-H. Lewes
(Physiology of Common Life, vol. II, 1860), bien que, relativement à la manière
dont nous recevons les impressions des membres en mouvement, Lewes intro-
duise en partie une opinion nouvelle, basée toutefois sur des idées très discu-
tables. Il considérait comme une erreur, qu'on pût regarder les nerfs des racines
antérieures et ceux des racines postérieures comme essentiellement distincts
par leurs fonctions : il soutenait que les fibres de chacune des deux racines
sont à la fois sensitives et motrices, c'est-à-dire capables de transmettre des
impressions centripètes aussi bien que de stimuli centrifuges ; bien qu'elles
puissent remplir ces fonctions dans des proportions diverses. Le genre de
sensibilité auquel contribuent directement les nerfs moteurs (en rapportant
des impressions du muscle au centre moteur) doit, à ce que pense Lewes,
« être celui de ce que nous appelons le Sens Musculaire, qui nous permet d'a-
juster les mille modifications de contractions exigées dans nos mouvements. »
« Le corps est mis en équilibre, ajoute-t-il, par des changements incessants
des muscles, dont un groupe sert d'antagoniste à un autre. Mais ceci serait
impossible, si chaque muscle n'était accordé et coordonné par la sensation. »
Lewes admet, toutefois, que ces sensations n'atteignent guère « ce degré d'im-
portance qui fait que l'esprit y prête attention » ; et il cite Schiff comme sou-
tenant l'opinion que « tous les phénomènes (c'est-à-dire les impressions
conscientes) attribués au sens musculaire, sont dus aux reploiements et à
l'extension de la peau, lorsque les muscles se contractent i. L'opinion de Trous-
seau 2 était fort semblable à celle de Schiff.
Wundt [Menschen und Thier-Seele, 1, p. 222, 1863) estime comme le plus
probable que « les sensations accompagnant la contraction des muscles nais-
sent dans les fibres nerveuses qui transmettent l'impulsion motrice du cerveau
aux muscles » : si elle était due aux nerfs sensitifs des muscles, dit-il, « la
sensation musculaire croîtrait et décroîtrait constamment avec le degré de
travail interne et externe accompli par le muscle. Mais ce n'est point là le cas :
car la force de la sensation dépend seulement de la force de l'influence mo-
trice, partant du centre, qui excite l'innervation des nerfs moteurs. » Un
exposé semblable à celui-ci a été fait par Hamilton, bien qu'il soit aujourd'hui
démontré complètement faux. Les cas de Demeaux et Spaeth (p. 284-286)
montrent en effet très bien le contraire.
Les exposés de Bain, dans la seconde édition de son ouvrage (1864),
1. Voyez son ouvrage Miiskel und Nervcnphysiologie, p. 156.
2. Cliniques; article Ataxie locomotrice.
ET A LA NATURE D'UN SENS MUSCULAIRE. 281
deviennent plus explicites qu'ils ne l'étaient d'abord. Il dit en effet : « la suppo-
sition la plus vraisemblable est que la sensibilité qui accompagne les mouve-
ments musculaires coïncide avec le courant centrifuge d'énergie nerveuse, et
ne résulte pas, comme dans le cas de sensation pure, d'une influence centri-
pète passant par les nerfs afférents ou sensitifs. « Cette opinion est répétée et
accentuée dans la troisième édition (18(38), dans laquelle il ajoute (p. 76), rela-
tivement au sentiment caractéristique de la force déployée : « nous devons pré-
sumer qu'il est concomitant avec le courant centrifuge par lequel les muscles
sont excités à agir ». Il considère comme d'une importance immense, au point
de vue philosophique, que ces impressions soient associées aux couinants cen-
trifuges, et ne dépendent point de nerfs sensitifs ordinaires i.
Bastian {On the Muscular Sensé, Brit. Mecl. Journal, avril 1869) dit :
<( Toutes les preuves que nous pouvons tirer des maladies, et aussi, à ce que
je pense, toutes celles que nous pouvons obtenir du plus attentif examen de
nos propices sensations, tendent plutôt, jusqu'ici, à appuyer l'opinion de Landiy,
que ces impressions ne dépendent pas de nos notions de la quantité de force
nerveuse mise en liberté durant un effort volitionnel ; ou, en d'auti-es termes,
de la conscience qu'a l'esprit de sa propre énergie centrifuge. » Le sentiment
d' «énergie déployée » par lequel nous recevons nos idées de résistance et d'un
monde extérieur, n'est point contenu dans l'acte volitionnel, et n'en est pas un
apanage, « mais dérive d'impressions émanant des organes mêmes en mouve-
ment. 1) Nos perceptions de « résistance » et de « poids » sont en réalité «com-
posées en partie d'impressions tactiles, en partie de sensations passives éma-
nant de nos muscles et de nos articulations, et des déductions basées
là-dessus xXous éprouvons certains sentiments de pression, combinés avec
certaines sensations dans les muscles et les articulations; et nous arrivons gra-
duellement à associer certaines combinaisons de ces sensations avec les sensa-
tions produites en saisissant certains poids types. » Si le terme « sens muscu-
laire » ne doit point être appliqué aux sensibilités passives du muscle, il doit
alors être resti'eint à de simples impressions « inconscientes », qui peuvent
peut-être monter des centres moteurs spinaux au cerveau par un groupe
spécial de fibres (voy. p. 285, note). Une pareille faculté devrait en ce cas être
regardée comme « un guide organique inconscient dans l'accomplissement des
mouvements volontaires » ; et l'on ne manque pas tout à fait de preuves de
l'existence de quelque guide de ce genre. Elle fournirait aussi, suivant toute
probabilité, les sensations nécessaires pour guider durant la continuation des
mouvements automatiques.
Si nous essayons de classer les opinions qui ont été émises ci-dessus, ou
dont on a parlé simplement par ordre de date, relatives aux modes par les-
quels nous apprécions les divers degrés de résistance et de poids, elles peu-
vent être rangées comme suit :
1. On estimait autrefois que l'existence même de fibres sensitives dans les muscles
était tout à fait incertaine. Toutefois ce doute n'existe plus. Les investigations de Sachs
(fientralblatt [tir die Mecl. Wissensch. , 1873, et Archiv fur Anatomie, 1874) ont montré,
d'une manière concluante, que les fibres sensitives sont abondantes dans le muscle lui-
même ; et que, ayant un trajet et un mode de distribution entièrement distinct de celui
des filaments moteurs, elles entrent dans la moelle par les racines postérieures, ou sensi-
tives, des nerfs spinaux.
282
CLASSIFICATION DES OPINIONS RELATIVES
PAR
DES CENTRES
MOTEURS
1. Estimation de la Force de Volonté (au moyen d'une
« faculté locomotrice)», antérieure aux sensations venant
des membres, et indépendante d'elles. Scaliger et Wundt.
2. Par un « sens d'énergie déployée » qui est « con-
comitant avec le courant centrifuge », — c'est-à-dire par
une révélation sensitive résultant de l'activité des centres
moteurs, des nerfs et des muscles. (Cette opinion, qui tient
de la précédente, en diffère par la supposition, ajoutée,
que l'appréciation de poids ou de résistance demande
plus que l'activité du centre volitionnel, et ne peut avoir
lieu qu'à la condition que l'incitation motrice n'est point
arrêtée par des lésions paralytiques ou autres, mais va
évoquer l'activité des nerfs moteurs et des muscles avec
lesquels le centre volitionnel est en relation). Bain.
3. Par des courants centripètes, ou impressions venant
des muscles et rapportées aux centres volitionnels par
les nerfs moteurs eux-mêmes. (D'après cette opinion, les
centres et les nerfs moteurs auraient, d'une manière
simultanée ou dans des temps immédiatement succes-
sifs, affaire avec des courants centrifuges et des cou-
l'ants centripètes). Lewes.
4. Principalement de la manière spécifiée par Scaliger
(c'est-à-dire par une « faculté locomotrice ») ; bien que
cette appréciation soit aidée par des impressions sensi-
tives ordinaires, traversant des nerfs sensitifs, et venant
des membres en mouvement; par exemple, par des sen-
timents de tension ou de pression venant des muscles
(sens musculaire), et des sentiments de pression émanant
de la peau. /. Millier et Hamilton.
5. Par des impressions de tension et dépression trans-
mises par des nerfs sensitifs ordinaires venant des mem-
bres en mouvement, par exemple des muscles, des arti-
culations et de la peau ; et peut-être, en outre, par
certaines impressions inconscientes venant par des nerfs
afférents spéciaux des centres moteurs spinaux. Bastian.
6. Par des impressions de tension et de pression
émanant des muscles qui se contractent, et transmises
par des nerfs sensitifs ordinaires allant des muscles aux
centres sensitifs. Landry.
7. Par des impressions cutanées et articulaires seule-
l ment. Schiff et Trousseau.
D'autre part, relativement à l'existence et à la nature d'une sorte de « sens
musculaire » distinct, nous rencontrons les diverses opinions que voici :
1. Il existe une faculté de ce genre : bien que l'on ait des notions opposées
relativement à la source de ses impressions et à son siège.
a. Ses impressions (devenant des symboles de « poids » ou de « ré-
PAR DES
CENTRES MOTEURS
ET DES
CENTRES SEXSITIFS.
PAR
DES CENTRES
SENSITIFS
A L'EXISTENCE D'UN SENS MUSCULAIRE. 283
sistance ») dérivent des muscles par les nerfs sensitifs, et son siège
est du côté sensitif. Hamilton, Landry, etc.
b. Ses impressions dérivent des muscles par les nerfs moteurs, et son
siège est du côté moteur. Lewes. (Les opinions de Wundt et de Bain
sont alliées à celle-ci, bien qu'en différant légèrement toutes deux).
2. Il n'existe pas de faculté de ce genre.
a. Les impressions donnant les notions de «poids » et de « résistance »
et la connaissance de la position et des mouvements d'un membre, ne
dérivent pas des muscles. Schiff et Trousseau.
b. Les impressions en question ne dérivent qu'en partie des muscles ;
et, comme celles qui ont cette origine sont pour la plupart du type
« inconscient », il n'y a pas àe faculté digne du nom de « sens
musculaire. » Bastian.
Depuis 1869, les principales contributions au sujet ont été apportées par
Bernhardt(^rc/!/f fur Psychiatrie, vol. Ilf, 1872), Weir Mitchell (Injuries of
Nerves, 1872), Ferrier (Fiinctions of the Brain, 1876); et G. -H. Lewes (Brain,
nM, Avril 1878).
Bernhardt soutient l'opinion intermédiaire, que nos notions de « résistance »
et de « poids » dérivent principalement d'une appréciation du degré d'énergie
centrifuge partant du centre volitionnel, bien qu'en partie aussi d'impressions
centripètes ordinaires. Weir Mitchell soutient aussi une doctrine intermédiaire ;
il admet l'efficacité d'impressions centripètes ordinaires, venant de la peau, des
articulations et des muscles; bien qu'il s'appuie, en outre, sur une estimation
d'un autre genre, plus distinctement reliée à l'acte volitionnel, soit de la façon
suggérée par Scaliger et Wundt, soit d'après la manière soutenue par nous-
même en 1869. Voici ses propres paroles (loc. cit., p. 358) : « Probablement
alors, une partie des idées que nous sommes supposés acquérir par le sens
musculaire coïncident réellement avec l'acte volitionnel originel, et sont néces-
sitées par lui; ou, autrement dit, sont des messages envoyés au sensorium, des
ganglions spinaux qu'excite chaque acte de volition motrice. » Weir Mitchell
produit un grand nombre de faits, extrêmement intéressants, relativement aux
sensations en question et à la faculté de rappeler des sentimentsde mouvements
attribués aux membres amputés; faits qui portent sur ce sujet d'une manière
fort intéressante. Il pense, et les faits sur lesquels il s'appuie semblent prouver,
qu'il faut supposer quelque chose de plus que desimpies impressions sensitives
ordinaires; mais il admet que ces faits peuvent être tout aussi bien expliqués
par des impressions venant au sensorium, des centres moteurs spinaux ainsi
que des centres moteurs cérébraux. Ainsi donc, jusque-là, les opinions de Weir
Mitchell sont étroitement d'accord avec celles précédemment exprimées par
l'auteur, en 1869, bien que ceci fût apparemment inconnu à Mitchell à l'époque
de la publication de son ouvrage.
Les raisons, citées par l'auteur en 1869, semblaient tout à fait suffisantes
pour l'autoriser à rejeter absolument la notion que des degrés de « résistance »
et de « poids » étaient appréciés par les centres moteurs cérébraux, plutôt
qu'à l'aide d'impressions centripètes. Les motifs de ce rejet ont toutefois été
fortifiés d'une manière très-marquée par Ferrier. Des expériences faites par
284 OPINIONS RELATIVES AU SENS MUSCULAIRE.
lui-même et Lauder Brunton, montrent que l'appréciation musculaire de
poids est indépendante de l'acte volitionnel, puisqu'elle peut s'exercer lorsqu'on
fait contracter artificiellement les muscles en les excitant par l'électricité (loc.
cit., p. 228). Les faits fournis par certaines personnes souffrant à'Hémianés-
thésie complète, semblent aussi absolument opposés à la notion de Wundt, Bain,
et Lewes, ainsi qu'aux opinions de ceux qui peuvent soutenir qu'une partie
quelconque de nos notions sur les degrés de « résistance » dérive des centres
volitionnels ou moteurs. Un cas de ce genre a été rapporté, il y a longtemps
déjà, par Demeauxi. Quelques-uns de ses détails sont bien dignes d'être cités.
Il y avait perte complète de la sensibilité (à la fois superficielle et profonde)
dans le membre en mouvement, et Demeaux dit : « Elle mettait ses muscles
en jeu sous l'influence de sa volonté, mais elle n'avait pas conscience des mou-
vements qu'elle exécutait. Elle ne savait pas quelle était la position de son
bras, — il lui était impossible de dire s'il était étendu ou fléchi. Si l'on disait
à la malade de porter sa main à son oreille, elle exécutait immédiatement le
mouvement; mais, lorsque ma main était interposée entre la sienne et son
oreille, elle n'en avait pas conscience; si j'arrêtais son bras au milieu du
mouvement, elle ne s'en apercevait pas. Si je fixais, sans qu'elle pût s'en aper-
cevoir, son bi'as sur le lit, et lui disais ensuite de porter sa main à sa tête, il y
avait un moment d'effort; puis elle restait tranquille, croyant avoir exécuté le
mouvement. Si je lui disais d'essayer encore, elle essayait avec plus de force
de le faire ; et, aussitôt qu'elle était obligée de mettre en jeu les muscles du
côté opposé (du corps), elle reconnaissait qu'on s'opposait au mouvement. »
Dans le récent travail de G.-H. Lewes sur ce sujet, il n'apporte pas de nou-
veaux arguments contre l'idée que des sensibilités passives peuvent suffire
exclusivement ; et il les admet maintenant largement comme composants du
groupe complexe d'impressions résultant de mouvements, et contribuant à
former ce qu'on connaît sous le nom de « sens musculaire ». Et, sauf qu'il tient
pour la doctrine que quelques sensibilités actives entrent dans ce même groupe
complexe, ses vues actuelles sont presque entièrement d'accord avec celles
exprimées par l'auteur dans le mémoire indiqué plus haut. La preuve que
Lewes regarde comme favorable à l'existence d'un élément « actif » dans le
sens musculaire peut, dans l'opinion de l'auteur, être mieux expliquée par la
supposition, faite précédemment et à laquelle il est encore favorable, qu'il
existe un groupe d'impressions « non senties » relatives aux états de tension
des muscles, — et dont les composants sont plus ou moins distincts de ceux
qui se révèlent dans la conscience.
L'auteur a signalé par exemple, en 1869, que, dans 1' «ataxie locomotrice»,
l'ensemble des symptômes indiquant une diminution de ce qu'on appelle le
« sens musculaire » était généralement proportionnel à l'altération des diffé-
rents modes de sensibilité ordinaire du membre. Cependant, quelques cas plus
exceptionnels de cette maladie, rapportés par Bazire, Trousseau, et autres ainsi
que quelques cas remarquables cités par Landry, et dans lesquels, sa7is qu'il y
eût anesthésie, ces malades étaient réduits à un état fort semblable, pour ce
qui regarde la motilité et les sensations résultant du mouvement, à celui de
1. Dot Hernies Crurales. Thèse de Paris, 1843, p. 100, cité par Ferrier dans soa
ouvrage Funclionf of tlie Brain, p. 181.
IL N'EXISTE PAS DE FACULTÉ DE CE GENHE. 285
la malade de Demeaux, semblent montrer, d'une manière assez concluante,
« que le cerveau est assisté dans l'exécution des mouvements volontaires, par
des impressions directrices de quelque nature, qui, différant déjà par leur mode
d'origine des impressions provenant de la sensibilité ordinaire, cutanée et pro-
fonde, peuvent difféi'er encore davantage de celles-ci en ce qu'elles ne sont
pas révélées à la conscience' 11 y a clairement, dans ces cas-là, perte de
quelque chose; d'un quelque chose qui sert de guide dans l'exécution des
mouvements volontaires, mais dont l'absence peut être compensée par la sur-
veillance du sens visuel ; et ceci est en grande partie la fonction que quelques
phj'Siologistes assignent au sens musculaire » 3Ion opinion est que ces
impressions du sens musculaire, dont nous sommes ainsi obligés de supposer
l'existence, sont des impressions inconscientes ; et que les impressions conscientes
que l'on range ordinairement dans cette catégorie dérivent en réalité des
modes de sensibilité ordinaire, cutanée ou profonde. »
Les conclusions ainsi déduites, en 1869, sont pleinement confirmées par ce
que nous savons aujourd'hui sur l'Hémianesthésie d'origine cérébrale. Le cas
rapporté par Demeaux est tout à fait exceptionnel, puisque, dans beaucoup de
cas de ce genre, il peut exister une anesthésie superficielle complète, et dans
quelques-uns même une anesthésie profonde et superficielle, sans qu'il y ait
aucune perturbation dans la coordination des mouvements du même côté du
corps, — phénomène vu plusieurs fois par l'auteur, et qui lui fut aussi récem-
ment signalé par le professeur Charcot, à l'occasion de l'examen de quelques-
unes de ses remarquables hémianesthésiques de la Salpètrière. Dans le cas
de Demeaux (outre la sensibilité cutanée et profonde), ces impressions « incon-
scientes )) spéciales qui, ayant seules disparu chez les malades de Landry,
produisaient une incoordination des mouvements en l'absence d'impressions
visuelles, peuvent avoir été également empêchées. Son cas est donc surtout
instructif en ce qu'il porte sur la question générale. Il y avait, chez cette femme,
une disparition totale de cette sorte de connaissance que l'on a assignée au
« sens musculaire », ou que l'on a supposée en dériver. Cette femme ignorait
la position de ses membres et était inconsciente des mouvements quelconques
qu'elle pouvait exécuter. Les centres volitionnels, les centres moteurs spi-
naux, les nerfs moteurs et les muscles pouvaient être mis en jeu comme
1. Le trajet de ces impressions afférentes, au commencement et vers la fin de leur course,
était alors entièrement inconnu. Et, en face des difficultés que présentait le fait invoqué
par Arnold, l'auteur hasarda la conjecture suivante : « Ainsi, je suppose possible que,
lorsque des changements moléculaires sont excités dans certaines cellules motrices
spinales, comme résultat d'une impulsion volitionnelle, des impressions récurrentes pro-
portionnelles peuvent être rapportées le long de certaines fibres, tirant leur origine des
cellules motrices, et montant dans les colonnes postérieures de la moelle. « De cette
manière, le cerveau pourrait recevoir des impressions pouvant se rapporter au degré d'ac-
tivité des divers muscles, ou groupes de muscles, d'un membre. Mais le progrès de nos
connaissances sur l'existence de nerfs « sensitifs » dans les muscles ne rend plus néces-
saire une hypothèse de cette nature; surtout l'auteur penchant à s'accorder avec Ferrier
pour l'interprétation qu'il donne {Funclions ofthe Brain, p. 220) des expériences d'Arnold.
Il n'éprouve plus aucune difficulté à croire que quelques-unes des fibres sensitives des
muscles, qui entrent dans la moelle par les racines postérieures des nerfs spinaux, puissent
transmettre au cerveau ces impressions « inconscientes », presque toujours présentes, qui
nous guiient d'une façon si matérielle dans l'exécution de tous nos mouvements.
286 OPINIONS RELATIVES AU SENS MUSCULAIRE.
auparavant, — toutefois, toutes les notions que l'on suppose ordinairement
dériver du « sens musculaire » avaient disparu.
Un état précisément semblable existait aussi dans un cas célèbre de ma-
ladie de la moelle, associée à une anesthésie extrême, et qui fut observé par
Spaeth et Schueppel (voy. Ziemssen's Cydopœdia, vol. XIII, p. 88). On peut
citer la note suivante sur l'état de ce malade : « Le sentiment de la pression
et le sens de la force sont entièrement éteints dans l'extrémité supérieure. Le
sens de la position de cette extrémité et de ses mouvements passifs est aussi
complètement éteint. Les mouvements des extrémités supérieui-es sont puissants
et parfaitement corrects; le malade mange sans aide, s'habille lui-même, etc.,
tant qu'il peut diriger ses actes par la vue. »
On ne saurait trouver de meilleures preuves que cela et que ce que l'on a
mentionné plus haut, pour montrer que la connaissance de la position de nos
membres, de leurs mouvements et des états et degrés de contraction de nos
muscles en général, ne dépend pas, comme le supposent Wundt, Bain et autres,
d'impressions qui soient « concomitantes avec le courant centrifuge d'énergie
nerveuse », ou qui coïncident avec lui.
TABLE DES MATIÈRES
DU SECOND VOLUME
LIVRE IV
LE CERVEAU ET L'INTELLIGENCE DE L'HOMME
CHAPITRE XIX ^°''*'
DÉVELOPPEMENT DU CeRVEAU HUMAIN PENDANT LA VIE UTÉRINE 1
CHAPITRE XX
Volume et poids du Cerveau humain 14
CHAPITRE XXI
Configuration externe du Cerveau humain 30
CHAPITRE XXII
De l'intelligence animale a l'intelligence humaine 64
CHAPITRE XXIÏI
Structure interne du Cerveau humain 77
CHAPITRE XXIV
Relations fonctionnelles des principales parties du Cerveau 116
CHAPITRE XXV
La Phrénologie ancienne et nouvelle 141
CHAPITRE XXVI
Volonté et mouvements volontaires 169
288 TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
CHAPITRE XXVII
SUBSTRATA CÉRÉBRAUX DE LA PeNSÉE 201
CHAPITRE XXVIII
La Parole, la Lecture et l'Écriture, comme processus me.xtaux et ppiy-
siologiques 211
CHAPITRE XXIX
Relations cérébrales de la Parole et de la Pensée 220
CHAPITRE XXX.
Autres problèmes relatifs a la localisation des fonctioxs cérébrales
SUPÉRIliURES 265
APPENDICE
Opinions relatives a l'existence et a la nature d'un sens musculaire.. 278
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
paris.- Impr. J. CLAYE. - A. Q(JA:;tix et C, vao S'-Eoiioît.