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Full text of "Le Christianisme et ses origines"

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LE 

CHRISTIANISME 


ET 


SES    ORIGINES 


PREMIÈRE  PARTIE  —  L'HELLENISME 


]■".  Aurenti.  —  Imprimerie  de  I.agny 


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LE 


CHRISTIANISME 


ET 


SES  ORIGINES 

p  A  n 

ERNEST      HAVET 

TOME    SECOND 
TROISIÈME    ÉDITION 

REVUE    ET    CORRIGÉS 


PARIS 

CALMANN  LÉVY,   ÉDITEUR 
ANCIENNE    MAISON    MICHEL   LÉVY    FRÈTES 

RUE   AUBER,    3,    KT    BOULEVARD    DES  ITAUSMS,     15 

A   LA   LIBRAIRIE    NOUVELLE 

1880 
Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés 


LE 


CHRISTIANISME 

ET    SES    ORIGINES 


CHAPITRE    X 

ENTRE    ALEXANDRE    ET    LES    ROMAINS 

Deux  écoles  dominent  de  beaucoup  toutes  les  autres 
pendant  la  grande  époque  philosophique  qui  s'étend 
pour  la  Grèce  depuis  Alexandre  jusqu'aux  Romains  : 
celle  de  la  Stoa  ou  du  Portique  et  celle  d'Épicure.  Mais 
quoique  déjà  dominantes,  et  elles  allaient  l'être  de  plus 
en  plus,  elles  ne  remplissent  pas  à  beaucoup  près  l'his- 
toire des  idées  morales  et  religieuses  en  ce  temps-là, 
histoire  dont  je  voudrais  tracer  ici  l'esquisse  générale. 
D'abord  les  grands  maîtres  de  l'âge  philosophique  pré- 
cédent, Platon  et  Aristote,  continuaient  d'avoir  leurs 
disciples  :  les  premiers  qu'on  nommait  Académiques  y 
de  la  promenade  d'Acadème  (l'Académie)  où  ils  étaient 
établis  ;  les  autres  nommés  Péripatéliques,  c'est-à-dire 
Promeneurs,  qui  se  tenaient  dans  le  Lycée  ou  le  bois 
d'Apollon  tueur  de  loups  (Lycéos).  Ces  deux  écoles  n'é- 
taient pas  les  plus  populaires;  elles  étaient  certaine- 
II.  1 


2  LE    CHRISTIANISME    ET  SES    ORIGINES. 

ment  les  plus  distinguées.  En  même  temps,  récole 
d'Aristippe  d'une  part,  celle  d'Aniisthène  de  l'autre, 
(lesGyrénaïques  et  les  Cyniques),  continuaient  de  sub- 
sister; mais  la  première  finit  par  se  perdre  dans  l'école 
d'Épicure  ;  l'autre  vécut  jusqu'aux  derniers  jours  de  la 
philosophie  grecque.  Les  Cyniques  allaient  par  les  rues 
et  les  places  publiques,  dans  l'équipage  que  la  comédie 
nous  décrit,  avec  leur  bouteille  d'huile  (pour  se  frotter) 
et  leur  brosse,  leur  écuelle,  leurs  sandales,  leur  gros 
manteau,  et  leur  bourse  de  cuir  peu  chargée  d'argent. 
Pour  manger  leur  frugal  repas,  ce  n'était  pas  la  peine 
de  s'étendre  sur  des  lits,  comme  on  faisait  alors,  et  ils 
se  distinguaient  en  soupant  assis. 

En  outrant  le  doute  socratique,  qui  devenait  une  fin 
au  lieu  d'être  un  instrument,  Pyrrhon  fonda  son  école 
des  Chercheurs  ou  Sceptiques.  Peu  à  peu  les  Académi- 
ques, placés  entre  les  dogmes  tranchants  d'Épicure  et 
ceux  de  la  Stoa,  et  comme  battus  par  ces  flots  contraires, 
se  laissèrent  aussi  porter  vers  le  doute.  Ils  y  trouvèrent 
un  refuge  contre  l'empire  des  préjugés  religieux.  Ne 
voulant  pas  s'y  soumettre  et  les  servir,  comme  les 
Stoïques,  ni  causer  de  scandale  en  niant  ce  que  la  foule 
croyait,  comme  les  disciples  d'Épicure  (qui  d'ailleurs 
eux-mêmes  n'osaient  pas  nier  jusqu'au  bout),  ils  mirent 
en  avant  la  doctrine  commode  que  l'esprit  humain  ne 
peut  atteindre  à  la  vérité.  Et  à  la  place  de  cette  vérité, 
qu'ils  ne  laissaient  pas  espérer  aux  hommes,  ils  leur 
offraient  pour  consolation  le  vraisemblable^  où  devait 
s'arrêter  toute  sagesse.  Ceux  qui  ont  combattu  trop  sé- 
rieusement cette  doctrine  se  sont  mépris,  je  le  crois  ;  i! 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  3 

n'y  fallait  voir  qu'une  ressource  par  laquelle  l'esprit 
humain  tâchait  de  sauver  sa  liberté.  Au  lieu  dédire  :  H 
n'y  a  pas  de  dieux,  ou  même,  comme  Épicure  :  Il  n'y 
a  pas  de  providence,  on  aimait  mieux  dire,  et  j'ajoute 
volontiers  qu'on  aimait  mieux  croire  (car  je  n'accuse 
pas  les  Académiques  de  mauvaise  foi)  que,  ni  sur  ce 
point  ni  sur  d'autres,  l'homme  ne  peut  s'assurer  d'au- 
cune vérité.  Les  Académiques  parlaient  et  pensaient  en 
face  du  polythéisme  comme  a  fait  Montaigne  au  milieu 
du  monde  chrétien.  Ce  sont  eux,  et  non  les  partisans 
d'Épicure,  qui  sont  les  libres  penseurs  de  l'antiquité,  ou 
qui  auraient  voulu  l'être;  mais  ils  ne  le  pouvaient  pas. 
Pour  ne  pas  avouer  les  préjugés  et  les  mensonges  qui 
régnaient  partout,  leur  raison  était  réduite  à  se  désa- 
vouer elle-même. 

Le  doute  systématique  s'étant  emparé  de  l'Académie, 
les  Péripatétiques  restèrent  les  seuls  représentants  d'une 
philosophie  dogmatique  sans  bizarrerie  de  système  et 
sans  esprit  de  secte,  faisant  son  profit  de  toutes  les 
connaissances  et  donnant  satisfaction  à  tous  les  bons 
penchants.  Par  la  science,  par  la  largeur  des  pensées  et 
par  là  modération  des  sentiments,  cette  philosophie  était 
celle  qui  ressemblait  le  moins  à  une  Église  et  qui  était 
le  plus  près  de  la  sagesse.  La  liberté  manquait  là  comme 
partout  ;  mais  sur  les  points  où  ils  ne  pouvaient  parler 
librement,  ces  philosophes  savaient  se  renfermer  dans 
le  silence,  et  demeuraient  encore  de  cette  façon  aussi 
indépendants  qu'il  était  possible.  Les  Péripatétiques 
avaient  recueilli,  avec  l'héritage  d'Aristote,  la  part  la 
plus  sohde  de  celui  de  Platon  ;  il  ne  leur  manquait  que 


4  LE    CHUISTIANISME    ET    SES    OlllGINES. 

la  passion.  Leur  enseignement  ne  troiiljlait,  pas  les 
âmes,  et  c'était  ce  que  leur  reprochaient  les  Cyniques. 
Qu'est-ce  que  c'est,  disaient-ils,  qu'une  philosophie  qui 
ne  fait  de  peine  à  personne?  Les  Cyniques  étaient  les 
précurseurs  de  ceux  qui  prêchèrent  que  le  royaume 
des  cieux  doit  être  emporte  par  violence. 

Le  petit  livre  des  Vertus  et  des  vices^  qui  se  trouve  à 
ia  suite  de  la  Morale  d'Arisiotc,  appartient  à  l'Écoie 
péripatétique.  On  y  recommande  la  piété,  la  sainlelê 
des  mœurs,  la  sincérité,  la  haine  du  mal,  l'humanité,  la 
compassion,  le  pardon  des  injures. 

Cependant  l'esprit  de  Platon  n'avait  pu  s'éteindre  ; 
s'il  ne  régnait  plus  à  l'Académie,  il  vivait  certainement 
dans  beaucoup  d'âmes,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'il 
n'y  eût  toujours  des  Platoniques,  je  veux  dire  des 
hommes  qui  alliaient  à  la  morale  ce  mouvement  d'ima- 
gination et  cette  onction  par  où  les  écrits  de  Platon  nous 
touchent.  La  littérature  platonique  se  continuait,  et 
quelques  monuments  en  sont  arrivés  jusqu'à  nous,  re- 
cueillis à  la  suite  des  livres  du  maitre.  VEpinomis,  ou 
supplément  aux  Lois,  les  Lettres  attribuées  à  Platon, 
appartiennent  à  cette  littérature,  bien  voisine  de  la  lit- 
térature chrétienne. 

Cet  âge  a  porté  une  foule  prodigieuse  de  philosophes, 
et  ces  philosophes  ontcomposé  une  multitude  de  livres  : 
de  tout  cela  il  n'est  arrivé  jusqu'à  nous  que  des  noms. 
Il  est  vrai  que  ces  noms  sont  illustres  ;  il  faut  en  re- 
cueillir quelques-uns. 

Dans  la  Stoa,  je  ne  nommerai,  à  côté  de  Zenon  et  de 
Cléanlhe,  que  Chrysippe,  qui  avait  embrassé  toute  la 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  8 

doctrine  de  l'École  dans  ses  volumineux  écrits.  Il  avait 
réponse  à  toutes  les  questions,  en  physique  comme  en 
morale,  et  en  ce  qui  regarde  le  surnaturel  comme  en  ce 
qui  appartient  à  la  nature.  Il  était  rompu  à  toutes  les 
subtilités  de  la  dialectique  ;  il  disputait  sur  le  destin, 
sur  le  libre  arbitre  et  les  autres  problèmes  inextricables; 
il  expliquait  l'essence  et  l'action  des  démons  ou  génies; 
il  savait  tout  et  ne  doutait  de  rien  :  «  Sans  Chrysippc, 
disait-on,  il  n'y  a  plus  d'école  stoïque.  »  Il  en  était  la 
colonne;  il  en  avait  en  quelque  sorte  écrit  la  Somme; 
c'est  une  espèce  de  Thomas  d'Aquin.  La  Stoa  a  eu  sa 
scolastique  comme  l'Église;  sur  tous  les  sujets,  elle 
argumentait  à  outrance.  Cela  rebutait  bien  des  esprits, 
et  quelqu'un  disait  à  ce  propos  qu'il  en  était  de  la 
dialectique  comme  des  écrevisses,  où  il  y  a  plus  à 
éplucher  qu'à  manger. 

Les  Cyrénaïques  eurent  ce  Théodore  dont  Epicure  ne 
fut,  dit-on,  que  l'écolier  dans  ses  hardiesses  irréligieuses. 
Il  faut  nommer  aussi  Hégésias,  celui  qu'on  appelait 
Conseiller-de-Mort(Pisithanate).  Il  s'était  tellement  épris 
de  cette  paix  sans  trouble  (alaraxia)  où  on  mettait  la  sa- 
gesse, il  poursuivait  avec  tant  d'amour  le  repos  de  l'àme, 

Le  repos  !  le  repos,  trésor  si  précieux 
Qu'on  en  faisait  jadis  le  partage  des  dieux, 

qu'il  voulait  qu'on  l'alUàt  chercher  dans  la  mort ,  où 
seulement  il  pouvait  être  assuré.  Et  on  racontait  que 
les  jeunes  gens  d'Alexandrie  qui  venaient  l'écouter  se 
tuaient  tous  en  effet  les  uns  après  les  autres ,  au  point 
que  le  roi  d'Egypte  fut  obligé  de  faire  fermer  son  école. 


6  LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES 

On  voit  paraître  dans  cette  histoire  ce  goût  du  suicide  et 
delà  mort  sur  lequel  on  a  tant  de  témoignages,  et  qui 
est  une  des  maladies  les  plus  caractérisées  du  monde 
macédonique  et  romain.  C'est  celte  répugnance  qu'on 
avait  à  vivre  sous  le  poids  de  la  servitude  et  de  ses  mi- 
sères qui  contribua  fort  dans  la  suite  au  succès  de  la 
parole  chrétienne.  Quand  cette  parole  annonçait  l'avé- 
nement  d'un  monde  nouveau  et  pressait  les  hommes 
de  faire  bon  marché  de  celui-ci,  elle  en  trouvait  beau- 
coup en  effet  qui  en  étaient  assez  las  pour  s'en  détacher 
sans  peine. 

Parmi  les  Cyniques,  je  nommerai  Ménippe ,  que 
nous  ne  connaissons  que  par  les  fictions  de  Lucien, 
et  parce  qu'un  certain  genre  de  composition  a  pris 
de  lui  le  nom  de  ménippce  ;  et  Monime,  qui  disait 
aux  riches  :  «  Qu'est-ce  que  c'est  donc  que  votre  ri- 
chesse ?  Une  indigestion  de  la  fortune,  qui  a  vomi  snr 
vous.  » 

Le  Péripatétique  Dicéarque  écrivit  tout  un  livre  con- 
tre l'immortalité  de  l'àmo,  et  un  autre  livre  contre 
l'àme  elle-même,  et  pour  montrer  qu'elle  n'existait  pas. 
On  ne  voit  pas  que  de  pareilles  thèses  lui  aient  fait 
courir  aucun  danger.  C'est  d'ailleurs  tout  ce  que  nous 
savons  de  ces  livres  ;  mais  c'est  assez  pour  témoigner 
combien  la  religion  des  anciens,  si  exigeante  au  regard 
du  culte,  et  qui  tenait  les  hommes  si  assujettis  par  les 
pratiques,  avait  d'ailleurs  peu  de  dogmes,  et  quel 
vaste  ehamp  elle  laissait  ouvert  à  des  discussions  qui, 
depuis  ce  temps  jusqu'^  nous,  sont  demeurées  interdites 
comme  saciiléges. 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  7 

L'Académie  nommait  avec  orgueil  les  deux  premiers 
successeurs  de  Platon,  Speusippe  et  Xénocrate.  Xcno- 
crate  avait  dit  une  parole  mémorable,  qui  nous  a  été 
conservée  parCicéron.  On  lui  demandait  ce  qu'on  ap- 
prenait à  son  école;  il  répondit  :  «  A  faire  librement  ce 
que  les  lois  font  faire  par  obligation.  »  C'est  un  mot  de 
la  plus  grande  portée,  et  qui  rend  raison,  non-seule- 
ment de  l'organisation  de  la  philosophie  dans  le  monde 
ancien,  mais  de  celle  de  la  religion  qui  lui  succède. 
L'une  et  l'autre  se  sont  également  fait  honneur  de  gou- 
verner les  hommes  parla  conscience  et  par  la  foi,  tandis 
que  les  pouvoirs  publics  gouvernent  par  les  législations 
et  par  la  force.  A  la  fin  du  siècle  dernier,  quelques-uns 
appelaient  volontiers  les  prêtres  des  officiers  de  morale  ; 
c'est  bien  ce  qu'étaient  les  philosophes  chez  les  Grecs, 
mais  des  officiers  sans  privilèges  et  sans  moyens  de 
contrainte.  Faire  faire  le  bien  librement,  il  n'y  a  pas 
en  effet  de  fonction  pl-us  haute,  pourvu  qu'on  y  soit 
fidèle.  L'Église  n'a  pas  eu  le  courage  de  s'y  tenir  ;  elle 
n'a  pas  tardé  à  devenir  un  gouvernement  comme  un 
autre,  avec  des  sanctions  légales  et  des  pénalités.  Mais 
Xénocrate  et  ses  héritiers  n'avaient  ni  pénalités  ni  con- 
traintes, et  l'empire  légitime  que  la  philosophie  a  exercé 
sur  les  hommes  jusqu'aux  usurpations  du  Christianisme 
ne  s'appuyait  que  sur  des  forces  morales. 

L'Académie  était  fière  d'avoir  conquis  Polémon,  et 
toutes  les  philosophies  se  sont  fait  honneur  avec  elle 
de  cette  victoire.  Voici  ce  qu'on  racontait  de  lui.  C'était 
un  jeune  homme  livré  au  plaisir,  passant  la  nuit  parmi  le 
vin  et  lesjoueuses  de  flûte.  Au  malin  d'une  de  ces  nuits. 


8  LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES 

comme  il  traversait  les  rues  en  chantant,  des  fleurs 
sur  la  tète,  il  passe  devant  l'école  de  Xénocrate,  et  il 
lui  prend  fantaisie  d'entrer.  A  la  voix  du  philosophe,  il 
est  surpris  d'abord,  puis  touché  ;  et  enfin,  tout  en  écou 
tant  et  sans  faire  semblant  de  rien,  il  déiache  ses  guir 
landes  de  fleurs  et  les  jette  :  il  fut  philosophe  dès  ce 
jour-là.  Scène  pleine  de  grâce,  qui  fait  un  charmant 
sujet  de  tableau,  comme  la  plupart  des  anecdotes  grec- 
ques, et  en  même  temps  premier  exemple  d'une  con~ 
version,  comme  on  a  appelé  cela  depuis,  dont  la  sou- 
daineté est  une  espèce  de  miracle.  C'est  ainsi  que,  dans 
le  récit  de  Jacques  Diacre,  la  comédienne  Pélagie  de- 
vient une  sainte  tout  à  coup,  en  entendant  prêcher  un 
évêque.  Les  Vies  des  saints  sont  remplies  d'histoires 
semblables  à  celle-là. 

Un  autre  Académique,  Crantor,  était  célèbre  par  un 
livre  sur  le  Deuil,  écrit  pour  un  ami  qui  avait  perdu 
ses  enfants;  un  livre  d'or,  disait  Cicéron  ;  il  resta 
comme  le  modèle  classique  d'un  genre  de  discours  phi- 
losophique qui  prit  des  développements  considérables, 
celui  des  Consolations.  La  Consolation  à  Apollonios,  de 
Plularque,  nous  en  a  conserve  bien  des  pensées.  Les  phi- 
losophes grecs  n'ont  pas  cessé,  depuis  lors,  de  faire  ce 
métier  de  consolateurs,  que  les  Pères  et  les  Docteurs 
de  l'Église  ont  fait  comme  eux  et  d'après  eux.  Nous 
rencontrerons  plus  tard  des  monuments  de  cette  élo- 
quence; mais  il  faut  signaler  dès  maintenant  ce  qui  se 
présente  ici  à  nous  pour  la  première  fois,  la  prédication 
philosophi(jue  appliquée  à  un  des  accidents  qui  mar- 
quent la  vie  de  chacun  de  nous,  et  pour  ainsi  dire  au 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  9 

cas  particulier  d'un  malade.  La  philosophie  entrera  de 
plus  en  plus  dans  le  détail  de  ce  ministère  moral. 

Il  y  avait  encore  des  Pythagoriques  en  Italie,  comme 
Aristoxène  de  Tarente,  le  musicien,  qui  était  aussi  un 
philosophe.  Fidèle  aux  traditions  austères  de  l'école,  il 
faisait  un  devoir  de  la  pureté,  non  pas  aux  filles  seule- 
ment, mais  aux  garçons,  et  exprimait  le  vœu,  nous  dit- 
on,  avant  Jean-Jacques,  que  le  jeune  homme  se  con- 
servât chaste  jusqu'à  vingt  ans. 

Qu'on  se  représente  maintenant  l'ensemhle  de  ce 
mouvement  philosophique  si  nouveau,  si  puissant,  si 
universel.  L'Académie,  le  Lycée,  le  Cynosarge,  la  Stoa, 
les  jardins  d'Épicure  se  partageaient  la  jeunesse  dans 
Athènes,  et  envoyaient  des  colonies  dans  toute  la  Grèce. 
Elle  se  couvrait  d'écoles  comme  elle  se  couvrit  plus  tard 
d'Églises,  ou  plutôt  ces  écoles  étaient  déjà  des  Églises. 
Ceux  qui  y  présidaient  exerçaient  une  sorte  de  gouver- 
nement spirituel,  dont  ils  transmettaient  à  d'autres  le 
titre  et  le  siège,  de  façon  qu'on  avait  la  liste  des  succes- 
seurs de  Platon  ou  d'Aristoie  dans  leur  chaire,  comme  on 
eut  depuis  celle  des  évêques  de  Rome  ou  d'ailleurs.  La 
plupart  de  ces  philosophes  ont  écrit,  mais  non  pas  pour 
nous.  On  ne  saurait  trop  le  redire,  ni  trop  appuyer  sur 
une  telle  perte.  Le  riche  trésor  des  livres  de  Platon  ou 
d'Aristote,  sur  lequel  nous  jugeons  la  philosophie,  n'est 
pourtant  qu'un  débris,  quoique  ce  débris  soit  magni- 
fique ;  tout  le  reste  a  disparu.  Nous  frappons  pour  ainsi 
dire,  à  la  porte  de  toutes  ces  écoles,  mais  la  porte 
est  fermée  et  nous  ne  saurions  entrer.  Nous  y  collons 
notre  oreille,  et  nous  surprenons  quelques  éclats   de 


10         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

voix,  certains  principes,  certaines  déductions,  le  mur- 
mure surtout  d'un  auditoire  ému  et  subjugué  ;  rien 
davantage.  Et  nous  retournons  bien  loin  d'Athènes, 
sans  remporter  autre  chose  que  le  sentiment  confus 
d'une  vie  intellectuelle  et  morale  pleine  à  la  fois  de 
mouvement  et  de  calme,  charmant  l'esprit  et  fortifiant 
l'àme  :  qui,  sans  être  encore  aussi  libre  qu'il  aurait  fallu, 
l'était  pourtant  à  rendre  vingt  siècles  jaloux,  et  n'avait 
pas  à  compter  à  chaque  mot  avec  les  erreurs  ou  avec 
les  intérêts  d'une  autorité  sacrée. 

Les  anciens  nous  ont  rendu  eux-mêmes  par  une  image 
l'influence  bienfaisante  qu'a  eue  la  parole  de  ces  prédi- 
cateurs de  sagesse:  «  Les  hirondelles,  disait-on,  an- 
noncent la  fin  du  mauvais  temps,  et  les  discours  des 
philosophes  celle  du  trouble  dosâmes.  »  Si  même  quel- 
que chose  a  étonné  les  modernes,  c'est  la  sérénité  de 
cette  philosophie  et  sa  confiance.  Elle  ne  conçoit  point 
de  doute  sur  la  destinée  de  l'homme;  elle  a  divers 
chemins  pour  le  conduire  au  bonheur,  mais  elle  se- 
tient  sûre  du  but  oii  elle  va.  Le  bonheur,  le  souverain 
bien,  comme  on  disait,  la  fin  ou  les  fins  dernières,  voilà 
ce  qui  faisait  également  l'objet  de  toutes  les  écoles  ;  mais 
aucune  ne  se  demandait  s'il  y  avait  une  fin  et  s'il  pou- 
vait y  avoir  du  bonheur  ;  toutes  le  supposaient  intrépi- 
dement, quoique  aucune  ne  recourût  à  la  ressource 
commode  de  le  mettre  dans  une  autre  vie.  Ne  nous  hâ- 
tons pas  de  dire  que  les  Grecs  étaient  trop  jeunes  O'.i 
trop  légers  ;  qu'ils  n'étaient  pas  mûrs  pour  ces  tri^^- 
tesses,  pour  ce  sentiment  décourageant  du  vide  et  du 
néant  de  l'existence  que  les  modernes   expriment  ?i 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  n 

volontiers,  et  qui  pourtant  ne  les  empêche  pas  de  vivre 
et  d'agir.  Ce  qu'on  nous  dit  de  l'éloquence  lugubre 
d'Hégésias  semble  témoigner  du  contraire;  et  on  peui. 
citer  de  Platon  même  des  paroles  pleines  de  trouble  et 
d'amertume.  Nous  ne  connaissons  pas  par  nous-mêmes 
Hégésias,  chez  qui  on  peut  croire  que  le  tempérament 
dominait  la  pensée.  Quant  à  Platon,  il  pouvait,  quand 
il  le  voulait,  s'abandonner  en  penseur  solitaire  à  ses 
rêveries.  Mais  Épicure  et  Zenon  sont  des  conducteurs 
des  âmes,  dont  la  doctrine  est  toute  de  pratique  et  de 
gouvernement.  Ce  sontencore,  si  on  veut,  des  médecins, 
qui  travaillent  chacun  à  leur  manière  à  notre  santé,  et 
qui  ne  vont  pas  s'arrêter  dans  leur  travail  pour  se  de- 
mander si  la  santé  est  quelque  chose  de  bien  réel,  ou 
si  elle  vaut  bien  la  peine  qu'on  s'en  occupe.  Ils  ont  assex 
fait  si  par  leurs  soins  nous  nous  portons  mieux  ou  si 
nous  nous  sentons  moins  malades. 

La  philosophie  avait  beau  vouloir  s'enfermer  dans 
l'élude  de  l'homme  intérieur,  les  philosophes  ne  pou- 
vaient s'empêcher  de  vivre  de  la  vie  de  tous  et  de  res- 
sentir ce  qui  se  passait  autour  d'eux.  Aussi  les  rencon- 
tre-t-on  souvent  dans  l'histoire  même  extérieure  de  ce 
temps.  Phocion,  tel  qu'on  nous  le  représente,  est  un 
disciple  de  Platon  qui  philosophe  sur  l'agora  et  dans 
l'armée  ;  c'est  un  Stoïque  avant  la  Stoa.  Xénocrate,  le 
successeur  de  Platon,  fut  député  par  les  Athéniens  à 
Antipatre,  parce  que  telle  était  la  renommée  de  sa  sa- 
gesse, dit  Plutarque,  qu'on  ne  croyait  pas  qu'aucune 
brutalité  put  n'en  être  pas  touchée.  On  ne  savait  pas  que 
celle  d'un  lieutenant  d'Alexandre  pouvait  aller  jusque-là. 


12         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Dénu'irios  de  Phalère,  qui  gouverriLi  Ailiènes  aussi  bien, 
ce  semble,  qu'on  pouvait  le  faire  en  ce  temps-là,  était 
aussi  un  philosophe.  Le  Stoïquc  Sjjbéros  était  le  con- 
seiller de  Cléomènc,  et  lui  suggéra  ses  plus  nobles  ten- 
tatives. Un  tyran  de  Sicyone,  Abanlidès,  fut  assassiné 
par  deux  philosophes,  Dinias  et  Aristotèle.  Aratos 
lui-même  eut  pour  associé,  dans  la  révolution  qu'il 
fit  à  Sicyone,  le  philosophe  Ecdélos.  Ainsi  les  philo- 
sophes étaient  partout,  comme  plus  tard  les  gens 
d'Église. 

Il  y  en  avait  peut-être  dans  tous  les  partis,  mais  on 
peut  dire  que  le  parti  de  la  philosophie  était  celui  de  la 
liberté.  Quand  Démétrios,  fils  d'Antigone,  porté  par  la 
populace  et  par  ses  soldats,  entra  dans  Athènes  pour  s'y 
faire  roi  et  pour  s'y  faire  dieu,  il  fît  rendre  un  décret 
qui  chassait  de  la  ville  les  philosophes.  Il  fut  défendu  de 
tenir  école  sans  une  autorisation  du  Conseil  et  du  peuple, 
et  cela  sous  peine  de  mort.  La  comédie  applaudit,  et 
donna  son  coup  de  pied  aux  philosophes.  Bien  plus  cou- 
pable en  cela  que  la  comédie  d'autrefois,  puisque  celle- 
ci  clabaudait  dans  Athènes  libre,  tandis  que  les  nouveaux 
Comiques  se  mettaient  bassement  au  service  des  haines 
des  puissants.  C'est  à  de  pareilles  insultes  que  répondait 
sans  doute  l'auteur  d'un  livre  attribué  à  Isocrate,  quand 
il  disait  qu'il  n'est  pas  moins  sacrilège  de  hlasplièmer 
contre  les  philosophes  que  contre  les  dieux.  Pour  les 
dévots  de  la  sagesse,  lapersonnedu  sage  devint  sacrée. 
Mais  les  philosophes,  expulsés  d'Athènes  par  Démétrios, 
le  furent  aussi  de  la  Macédoine  par  Lysimaque  et  de 
la  Syrie  par  Antiochos.  Les  successeurs  d'Alexandre, 


D'ALEXANDRE    AUX   ROMAINS.  13 

comme  plus  tard  les  empereurs  romains,  comprirent  que 
la  pensée  libre  est  toujours  l'ennemie  du  maître,  fût-ce 
même  sans  le  savoir,  et  quand  elle  paraît  le  plus  rési- 
gnée. 

La  philosophie  d'un  temps  n'est  pas  seulement  dans 
ses  philosophes  ;  elle  est  partout,  et  toute  la  vie  de  ce 
temps  la  réfléchit.  Mais  c'est  dans  les  poêles  qu'on  peut 
étudier  la  vie  elle-même,  et  dans  le  théâtre  plus  que 
partout  ailleurs.   Je  ne  parlerai  que  du  théâtre^. 


1.  Je  veux  cep'^mlant  citer,  au  moins  dans  une  note,  lo  juste 
hommaL'e  reinlu  par  un  maître  au  génie  hellénique,  à  propos  d'un 
passage  de  Théocrite  où  est  racontée  la  lutte  fabuleuse  de  PoUux, 
roi  des  Argonautes,  contre  un  roi  brigand  des  bords  de  la  Propon- 
tide.  Voici  comment  M.  Sainte-Beuve  a  analysé  et  commenté  ce  pas- 
sage :  «  El  quel  sera  le  prix  du  combat  que  nous  allons  livrer  ? 
demande  le  fier  i^ollux  au  moment  d'engager  la  lutte  avec  le  géant. 
Celui-ci  répond  :  Je  serai  à  toi,  si  je  suis  vaincu;  tu  seras  à 
moi,  si  je  suis  le  plus  fort.  —  Mais  ce  sont  là,  reprend  Pollux, 
des  enjeux  d'oiseaux  de  proie  à  l'aigrette  sanglante.  —  Que  nous 
ressemblions  à  des  oiseaux  de  proie  ou  à  des  lions,  nous  ne  com- 
battrons qu'à  cette  condition-là.  Le  géant  est  vaincu  par  l'adroit 
et  brillant  athlète.  Puissant  Pollux  !  s'écrie  le  poète,  quoique  vain- 
queur, lu  n'abusas  point  contre  lui  de  ta  victoire  ;  mais  tu  lui 
fis  jurer  le  grand  serment,  par  le  nom  de  Neptune  son  père,  de  ne 
plus  être  désormais  inhumain  et  nuisible  aux  étrangers.  Ce  fut 
toute  la  vengeance  du  héros,  et  c'est  ainsi  que  les  victoires  des 
Grecs,  quels  qu'en  fussent  les  motifs  ou  les  prétextes,  étaient  en 
définitive  des  conquêtes  pour  la  civilisation  elle-même.  » 

C'est  au  même  temps  qu'appartient  la  belle  épigramme  de  Léo- 
nidas  deTarenle,  conservée  dans  V Anthologie,  que  l'auteur  de  Port- 
Royal  a  justement  rapprocliée  de  Pascal  : 

oc  Infini,  ô  homme,  était  le  temps  avant  que  tu  vinsses  au  rivage 
de  l'aurore  ;  infini  aussi  sera  le  temps  après  que  tu  auras  disparu 
dans  l'Erèbe.  Quelle  portion  d'existence  t'est  laissée,  si  ce  n'est  un 
point,  ou  s'd  est  quelque  chose  encore  au-dessous  d'un  point  ?  Et 
cette  existence  que  tu  as  si  petite,  elle  est  comme  écrasée  ;  elle  n'a 
rien  en  elle-même  d'agréable,  mais  elle  est  plus  triste  que  l'odieuse 
mort.  Dérobe-loi  donc  à  une  vie  pleine  d'orages,  et  regagne  le  port, 
comme  moi-même,  Phidon,  fils  de  Critus,  qui  ai  fui  dans  le  Té- 
nare.  —  Celte  vie  humaine  qui  n'est  qu'un  point  serré  et  comme 
écrasé  entre  les   deux  infinis  rappelle  Pascal.  On  ne  saurait  mécoD- 


U         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

On  sait  quel  fat  encore,  au  commencement  du  troi- 
sième siècle  avant  notre  ère,réclatdu  théâtre  d'Atlièncp, 
non  plus  dans  la  tragédie,  épuisée  alors,  mais  dans  la 
comédie  renouvelée  :  le  nom  deMénandre  brille  entouré 
de  bien  d'autres  noms,  mais  les  œuvres  de  Ménandr^î  et 
de  tous  les  autres  sont  perdues.  Cependant,  outre  ies 
fragments  qui  se  retrouvent  épars  de  tous  côté.--,  la  co- 
médie latine  de  Plante  et  de  Térence,  qui  se  réduisait  si 
souvent  à  une  traduction,  est  là  pour  nous  représenter 
jusqu'à  un  certain  point  la  comédie  grecque  de  cette  épo- 
que. Elle  était  évidemment  toute  pleine  de  philosophie. 
non  qu'elle  ne  raillât  volontiers  les  philosophes;  la  tradi- 
tion le  voulait,  et  elle  s'en  serait  encore  avisée  quand  elle 
n'aurait  pas  eu  de  tradition.  Plus  les  philosophes  étaient 
considérables,  plus  on  était  tenté  de  les  plaisanter.  Les 
Stoïques  aux  sourcils  froncés  sont  ceux  à  qui  on  s'en 
prend  de  préférence;  on  nous  les  montre  qui  courent 
de  tous  côtés  après  leur  Sage  idéal,  qui  leur  échappe 
toujours  comme  un  esclave  fugitif.  On  assure  qu'avec 
leur  air  d'austérité  ils  goûtent  volontiers  les  bons  mor- 
ceaux et  qu'ils  s'y  connaissent.  Un  Comique  faisait  par- 
ler une  courtisane,  qui  avait  eu  tour  à  tour  un  militaire, 
un  médecin,  puis  enfln  un  philosophe,  avec  une  barbe^ 
un  capuchon  et  des  arguments.  Celui-là  était  le  pire, 
car  il  ne  payait  pas  ;  et  quand  elle  lui  demandait  de 
l'argent,  il  prononçait  que  l'argent  n'était  pas  un  bien. 
Elle  disait  :  Mettons  que  c'est  un  mal,  et  débarrasse-t'en 


naître  ici  un  accent  profond  et  d'un  sincère  arnertumo,  un  accent  à 
la  Lucrùce.  On  est  trop  prompt  à  refuser  aux.  anciens  d'avoir  senti 
tout   ce  que  nous  avons  seiili  nous-mêmes.  » 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  15 

pour  moi.  Mais  elle  avait  beau  dire,  —  La  philosophie 
était  une  mode;  la  comédie  a  toujours  raillé  les  modes. 
«  Tu  sais,  dit  un  père  dans  Térence,  les  jeunes  gens 
ont  toujours  un  goût  et  un  engouement  :  ce  sont  les 
chiens,  les  chevaux,  les  philosophes.  »  On  s'amusait 
aussi  aux  dépens  de  l'école  d'Épicure  :  un  cuisinier 
prétend  qu'il  en  possède  toute  la  philosophie.  Mais  la 
comédie  admire  plutôt  qu'elle  ne  se  moque  quand  elle 
signale  ce  philosophe  avec  sa  nouvelle  philosophie , 
c'est-à-dire  Zenon  :  «  Il  enseigne  à  mourir  de  faim,  et 
il  en  donne  des  leçons  :  un  pain  sans  plus,  avec  une 
figue  et  de  l'eau  à  boire  ;  »  et  qu'elle  proteste  que  c'est 
là  offenser  les  dieux  et  faire  tort  aux  hommes,  c'est- 
à-dire  aux  marchands  de  vin  et  d'autres  bonnes  choses. 
C'est  un  ivrogne  qui  parle.  Ailleurs,  voici  un  esclave 
qui  veut  débaucher  ses  camarades  et  à  qui  on  tâche  de 
faire  entendre  raison.  — %  Qu'est-ce  que  c'est,  dit-il, 
que  tu  me  rabâches  ?  Quand  tu  me  cracherais  par  lam- 
beaux l'Académie,  le  Lycée,  la  Stoa,  tous  les  radotages 
des  philosophes,  il  n'y  a  dans  tout  cela  rien  qui  vaille. 
Buvons,  buvons  encore,  et  réjouissons-nous.  » 

Comment  la  comédie  ne  serait-elle  pas  sympathique 
aux  philosophes,  quand  elle-même  philosophe  à  chaque 
instant?  La  comédie  d'Aristophane  vivait  de  bouffonnerie 
€t  de  poHtique  ;  celle-ci  vit  de  morale,  d'observation  et 
de  sentiment.  Ménandre  est  l'héritier  d'Euripide;  il  se 
plaît  comme  lui  aux  moralités  et  il  cherche  dans  les  ser- 
mons des  philosophes  tout  autre  chose  qu'un  sujet  de 
risée.  La  comédie  nouvelle  médite  volontiers  sur  la  mi- 
sère et  la  fragilité  de  l'homme  :  «  Pauvres  humains, 


16         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

qu'est-ce  que  de  nous  ?  —  Les  dieux  jouent  à  m  balle 
avec  tous  tant  que  nous  sommes.  »  Le  néant  de  ce  qui 
passe,  la  vanité  des  richesses  en  face  de  la  mort;  la  vie 
comparée  à  une  fête  de  quelques  jours  qui  ne  laisse 
rien  après  elle,  les  biens  d'ici-bas  à  une  décoration  de 
théâtre  ;  tout  cela  se  prêchait  à  la  comédie  comme  dans 
l'école.  —  «  Ne  pleurons  pas  tant  nos  morts  ;  ils  ne 
sont  qu'en  voyage  et  nous  les  rejoindrons  bientôt.  »  — 
«  Si  tu  veux  te  connaître  et  savoir  ce  que  tu  es,  regarde 
les  tombeaux  quand  tu  te  trouves  sur  un  grand  chemin 
(les  tombeaux  chez  les  anciens  étaient  placés  le  long  des 
routes)  :  là  sont  les  os  et  la  poussière  légère  des  rois, 
des  tyrans^  des  grands  esprits,  de  ceux  qui  se  mon- 
traient fiers  de  leur  naissance,  de  leur  richesse,  de  leur 
renommée  et  de  leur  beauté.  Et  à  tout  cela  le  temps  a 
manqué.  Le  lieu  souterrain  est  le  rendez-vous  com- 
mun des  mortels.  Vois  doiîc ,  et  comprends  par  là  le 
peu  que  tu  es.  »  —  «  Celui  qui  est  aimé  des  dieux 
meurt  jeune.  » 

Ces  moralités  n'étaient  pas  faites  seulement  pour 
nous  rendre  plus  sages,  mais  pour  nous  rendre 
meilleurs.  Dans  une  scène  où  un  pauvre  se  défend 
avec  défiance  des  avances  d'un  riche  dont  il  re- 
doute les  mépris,  celui-ci  répond  :  «  Il  n'y  a  de  riches 
que  les  dieux  ;  à  eux  seuls  conviennent  ces  mots  de 
fortune  et  de  grandeur;  pour  nous,  pauvres  humains, 
nousportonsen  nous  un  faiblesouffle,  commedusel  dans 
un  flacon  ;  et  dès  que  nous  l'avons  perdu  ,  le  mendiant 
et  le  richard  sont  taxés  au  même  taux  sur  les  bords  de 
l'Achéron  ;  ce  sont  deux  morts.  »  Voici  encore  un 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  i7 

]i,Tuvre  à  qui  on  demande  :  Comment  celava-t-il?  Et 
comme  il  répond  :  Très-mal  du  côté  delà  fortune.  — 
«  Ah  !  dit  le  sage  vieillard  qui  lui  parle,  si  ton  àme  est 
en  bon  état,  tu  as  tout  ce  qu'il  faut  pour  vivre  heu- 
reux. »  Et  ailleurs  :  «  Que  manque-t-U  à  celui-ci 
de  tout  ce  qui  s'appelle  bien  parmi  les  hommes  ?  Il  est 
heureux  dans  ses  parents,  dans  sa  patrie;  il  a  de  la  nais- 
sance, des  amis,  des  proches,  de  la  fortune.  Mais  toutes 
ces  choses  ne  valent  que  ce  que  vaut  l'àme  qui  les 
possède.  Ce  sont  des  biens  pour  qui  sait  en  profiter  ; 
pour  qui  en  use  mal,  ce  sont  des  maux.  » 

La  morale  des  Comiques  est  quelquefois  bien  délicate, 
comme  dans  cette  leçon  d'un  père  à  son  fils  :  «  L'homme 
vraiment  honnête  est  celui  qui  ne  se  trouve  jamais 
assez  honnête  et  assez  vertueux  ;  celui  qui  est  trop 
satisfait  de  soi  n'est  ni  honnête  ni  vertueux.  Par-dessus 
une  bonne  action  il  en  faut  mettre  une  autre,  comme  on 
met  tuile  sur  tuile  pour  que  la  pluie  n'entre  pas.  Être 
mécontent  de  soi-même  est  le  vrai  signe  de  la  vertu.  » 
Passage  qui  prouve  en  outre  que  les  anciens  n'ignoraient 
pas  comme  on  l'a  dit  l'humilité  et  ses  mérites.  La  comédie 
ne  recule  pas  devant  l'expression  des  plus  hauts  senti- 
ments. Un  esclave  et  son  maître,  faits  prisonniers  en- 
semble, sont  compagnons  de  captivité.  Le  premier  se 
dévoue  pour  sauver  l'autre,  et  il  y  réussit  en  risquant 
sa  vie.  Menacé  en  effet  de  la  mort  et  des  supplices,  il 
fait  une  réponse  qui  est  d'abord  d'un  homme  de  cœur, 
mais  qui  est  aussi  d'un  philosophe  :  «  Après  la  mort,  il 
n'y  a  plus  pour  moi  aucun  mal  à  redouter  dans  la  mort 


IS         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

même'.  Quandje  resterais  en  vie  jusqu'à  l'extrême  vieil- 
lesse, ce  que  tu  peux  me  faire  souffrir  ne  sera  jamais 
bien  long.  »  Et  plus  haut  :  «  Périr  pour  la  vertu,  ce 
n'est  pas  mourir.  »  11  est  vrai  que  l'esclave  généreux  qui 
parle  ainsi  se  trouvera  à  la  fin  de  la  pièce  être  né  libre; 
mais  ce  dénoùment,  accepté  sans  doute  par  les  specta- 
teurs comme  une  juste  récompense,  n'ôtait  rien  à  l'effet 
de  cette  situation  et  de  cette  vertu. 

Je  veux  rappeler  encore  la  pièce  célèbre  de  Ménandre 
que  nous  connaissons  par  Térence,  ce  père  qui  se  châlie 
lui-même  pour  avoir  été  dur  envers  son  fils.  Il  est 
sans  doute  dans  une  situation  toute  particulière,  et  pré- 
sente une  exception  plutôt  qu'un  exemple;  cependant 
ces  scrupules,  ce  besoin  de  souffrir  pour  expier,  et  ce 
goût  de  pénitence,  ne  tiennent  pas  uniquement  à  la  ten- 
dresse paternelle,  mais  montrent  que  la  conscience  de- 
venait de  jour  en  jour  plus  sensible  et  avait  plus  de 
peine  à  porter  le  poids  d'une  mauvaise  action. 

Comme  la  philosophie,  la  comédie  proclamait  l'égalité 
des  hommes  :  «  Esclave  au  non,  il  est  fait  de  la  même 
chair.  »  —  «  Qui  est  né  pour  le  bien  est  bien  né,  ma 
mère,  fùt-il  un  nègre.  C'est  un  Scythe,  c'est  un  misé- 
rable! Est-ce  qu'Anarcharsis  n'était  pas  un  Scythe?  » 
Paul  dira  plus  fortement,  dans  la  Lettre  à  ceux  de  Ga- 
latie  :  «  Il  n'y  a  plus  à  distinguer  parmi  vous  le  Juif 
ni  le  Grec,  l'esclave  ni  le  libre,  l'homme  ni  la  femme  : 
vous  ne  faites  tous  qu'un  dans  le  Christ  Jésus.  »  Et  la 

1.  C'est  le  vers  célèbre  de  Sénèquo  : 

Pusl  morlcm  nihil  est  ipsaquc  7nors  «mu. 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  19 

Lettre  à  ceux  de  Colosses  rappellera  encore  mieux  les 
formules  grecques  :  «  Plus  de  Grec  ni  do  Juif,  de  cir- 
concis ni  d'incirconcis,  de  Barbare^  de  Scythe^  d'es- 
clave ou  de  libre;  mais  le  Christ  tout  en  tous.  »  La 
comédie  étale  la  misère  de  l'esclave  de  manière  à  le 
faire  plaindre  ;  et  en  même  temps  elle  ne  craint  pas  de 
dire  que,  si  l'esclave  est  mauvais,  c'est  précisément 
parce  qu'il  est  esclave  :  «  Accorde-lui  un  peu  de  liberté, 
et  il  sera  excellent  tout  de  suite.  »  Elle  donne,  sur  la 
charité,  et  le  précepte  et  l'exemple  :  «  Tu  vois  un  pau- 
vre nu  et  tu  l'habilles;  mais  situ  le  lui  reproches, c'est 
comme  si  tu  le  déshabillais.  »  Ailleurs,  on  voyait  .sur  le 
théâtre  deux  jeunes  filles  qui  ont  fait  naufrage  ;  elles  ont 
réussi  à  gagner  le  bord;  elles  demandent  asile  à  la  prê- 
tresse d'une  pauvre  chapelle  de  Vénus  en  se  jetant  à 
ses  pieds.  —  «  Donnez-moi  la  main,  dit-elle  ;  relevez- 
vous  ;  il  n'y  a  pas  de  femme  plus  compatissante  que 
moi;  mais  vous  ne  trouverez  ici  que  pauvreté,  jeunes 
filles;  j'ai  peine  à  vivre  moi-même  ;  Vénus,  que  je  sers, 
me  nourrit  à  peine.  Cependant  je  ferai  tout  ce  que  je 
pourrai  faire.  »  Et  un  peu  plus  loin,  voici  comme  par- 
lent ces  femmes  restées  seules  :  «  Je  n'ai  jamais  vu  une 
vieille  qui  mérite  mieux  d'être  bien  traitée  des  dieux 
et  des  hommes.  Quelle  obligeance  !  quelle  bonne 
grâce!  quel  accueil  honnête  et  facile?  En  nous  voyant 
tremblantes ,  dénuées,  mouillées,  jetées  sur  la  côte  à 
demi  mortes,  comme  elle  nous  a  reçues!  Il  semblait 
que  nous  fussions  ses  filles.  »  Dans  une  aventure 
moderne,  un  curé  de  campagne  ne  feraitpas  mieux; 
et  peut-être  qu'une  prêtresse  figure  plus  heureusement 


i:o         LE    CHRISTIANISME     ET    SES  ORIGINES. 

ici,  pour  recevoir  ces  jeunes  filles,  que  ne  ferait  la  gou- 
vernante d'un  curé. 

Le  fameux  vers  de  Térence,  que  le  théâtre  de  Rome 
saluait  d'un  unanime  applaudissement  :  «  Je  suis 
homme ,  aucun  intérêt  humain  ne  saurait  m'cire 
étranger  »,  venait  sans  doute  de  Ménandre  comme  la 
pièce  même  où  il  se  trouve.  Quoiqu'il  semble  qu'un  tel 
mot  ait  toujours  pu  sortir  des  entrailles  de  notre  nature 
sans  qu'une  philosophie  l'ait  accouchée,  comme  disait 
Socrate,  ce  vers  n'en  marque  pas  moins  le  moment  où 
l'humanité  a  acquis  en  philosophant  une  conscience 
plus  nette  d'elle-même.  On  lit  de  même  ailleurs  ;  «  Je 
suis  un  homme  aussi  hien  que  toi  »,  et  encore  :  «  Je 
suis  un  homme,  tu  es  un  homme  ;  Jupiter  me  gardede 
l'outrager  !  » 

Enfin  la  comédie  parle  aussi  religion.  Elle  fait  d'abord 
à  la  superstition  une  guerre  incessante,  d'accord  avec 
la  philosophie.  Une  pièce  de  Ménandre  s'appelait  le 
Superslilieux  ;  mais  ce  travers  de  l'esprit  humain  re- 
venait souvent  dans  ses  peintures.  Voici  un  passage  ou 
parait  pour  la  première  fois  le  lieu  commun  repris  par 
Montaigne,  et  d'après  lui  par  Boileau,  qui  oppose  la 
bête  à  l'homme  comme  plus  heureuse  et  plus  sage  ;  et 
on  voit  que  ce  i)aradoxe  se  fonde  avant  tout  sur  le  mi- 
sérable spectacle  des  superstitions  humaines.  «  L'âne 
est  un  pauvre  animal,  mais  ce  n'est  pas  lui  qui  se  fait 
du  mal  à  lui-même;  il  n'a  à  souffrir  que  ce  que  lui  fait 
souffrir  la  nature.  Mais  nous  autres!.,  nous  sommes 
consternés  si  on  éternue  ;  pour  un  mot  de  mauvais 
augure,  nous  nous  emportons  ;  pour  un  songe,  nous 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  21 

voilà  saisis  d'épouvante;  pour  un  liibou  qui  crie,  nous 
tremblons.  »  Ailleurs,  dans  une  pièce  intitulée  la  Pré- 
tresse^  on  voyait  une  femme  qui  s'était  adonnée  aux 
superstitions  de  Phrygie  et  s'était  faite  prêtresse  de  la 
Mère  des  dieux;  quelqu'un  lui  disait:  «  Un  dieu, 
femme,  ne  guérit  pas  un  homme  par  le  ministère  d'un 
autre  homme  :  si  un  homme,  avec  ses  cymbales,  peut 
faire  d'un  dieu  ce  qu'il  lui  plaît,  celui  qui  a  U7i  tel  pou- 
voir est  plus  grand  que  le  dieu.  Ce  sont  là,  Rhodé,  des 
expédients  et  des  ressources  inventées  par  des  impu- 
dents qui  se  moquent  du  genre  humain.  »  Un  Père  de 
l'Église,  Justin,  s'armait  contre  le  paganisme  de  ces 
belles  et  fortes  paroles,  sans  penser  qu'elles  porteraient 
aussi  bien  témoignage  un  jour  contre  d'autres  super- 
stitions. 

Le  vers  que  j'ai  souligné  a  un  accent  religieux,  et  il 
est  vrai  que  la  comédie  a  des  maximes  vraiment  reli- 
gieuses, mais  d'une  religion  épurée,  et  ce  qu'il  serait 
permis  d'appeler  des  traits  de  piété  :  «  Les  dieux,  sans 
doute,  agréent  un  culte  simple  et  qui  coûte  peu.  La 
preuve  en  est  que,  lors  même  qu'on  sacrifie  des  héca- 
tombes, après  toutes  les  victimes,  et  pour  finir,  on  leur 
offre  encore  de  l'encens.  C'est-à-dire  que  tout  ce  qui  se 
paye  si  cher  ne  serait  en  soi-même  qu'une  dépense 
stérile,  et  c'est  cet  encens,  qui  est  si  peu  de  chose,  qui 
plait  aux  dieux.  »  —  «  Il  faut  croire  en  Dieu  et  l'adorer 
sans  le  discuter.  » —  Il  est  impie  de  vouloir  comprendre 
celui  qui  ne  veut  pas  être  compris.  »  —  «  H  y  a  un 
Dieu,  qui  voit  et  entend  ce  que  nous  faisons  :  il  agira 
avec  toi  selon  que  tu  auras  agi  envers  nous.  y>  —  Des  di- 


22         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

vinités,  préposées  ici-bas  à  ce  ministère  par  le  Dieu  su- 
prême, observent  les  actions  des  hommes,  et  prennent 
note  de  ce  qu'ils  font  de  bien  et  de  mal.  Les  méchants 
se  trompent  quand  ils  croient  conjurer  la  justice  divine 
par  des  offrandes  et  des  victimes  ;  ils  perdent  leur  ar- 
gent et  leur  peine,  car  la  'prière  des  mcclianls  n'est 
pas  agréée  là-haut.  Que  ceux  donc  qui  vivent  en  hon- 
nêtes gens  persévèrent,  car  ils  s'en  trouveront  bien  plus 
tard.  —  Chacun  de  nous  a  un  génie  qui  lui  est  attaché 
dès  sa  naissance  et  qui  le  conduit  dans  la  vie,  comme  le 
mystagofjiie  conduit  par  la  main  l'initié.  Disons,  un  bon 
génie,  car  il  ne  faut  pas  croire  qu'il  puisse  en  exister 
de  mauvais.  —  H  y  a  une  scène  où,  comme  un  père  dit 
à  son  fils,  qui  va  se  marier,  d'aller  prier  les  dieux  pour 
qu'ils  bénissent  ce  mariage  :  «  Va,  mon  père,  dit  le  fils, 
loi,  va  prier  les  dieux  ;  car  comme  tu  vaux  bien  mieux 
que  moi,  je  suis  sur  qu'ils  t'écouteront  plus  volontiers.  » 
Un  des  préjugés  les  plus  accrédités  aujourd'hui  en- 
core est  que  si,  chez  les  Grecs,  on  adorait  et  on  craignait 
les  dieux,  on  n'imaginait  pas  de  les  aimer,  et  que  ce 
sentiment  aurait  paru  trop  familier  à  leur  égard.  Quand 
on  rencontrait  en  propres  termes  Va7nour  de  Dieu  dans 
Sénèque,  on  s'écriait  qu'il  avait  pris  cela  aux  Chrétiens. 
Un  demi-vers  de  Piaule,  pris  sans  doute  d'un  original 
grec,  suffisait  pour  prévenir  l'erreur.  Un  esclave  qui 
voit  les  transports  amoureux  de  son  jeune  maître  pour 
anc  courtisane  s'en  scandalise,  parce  que  cet  amour  est 
encore  platonique,  «c  Qu'est-ce  que  c'est  que  d'aimer 
une  femme  que  tu  n'as  pas  touchée?  »  —  Et  le  jeune 
homme  répond  :  «  Et  les  dieux  !  je  les  aime  et  je  les 


D'ALEXANUIiE    AUX    IlOMAlNS.  23 

'Croins,  et  je  ne  les  touche  pas.  »  Plus  ce  passage  est 
profane  et  plus  la  chose  est  dite  en  passant  et  avec  in- 
diiïérence,  plus  aussi  nous  sommes  assurés  que  l'a- 
mour des  dieux,  loin  d'être  un  sentiment  inconnu,  n'é- 
tait pas  même  un  sentiment  rare,  et  qu'il  n'y  faut  pas 
voir  l'élan  extraordinaire  de  quelque  àme  mystique, 
mais  une  sorte  de  banalité  et  de  lieu  commun  en  reli- 
gion. Et  ainsi  c'est  un  trait  de  comédie  qui  se  trouve 
décider  pour  nous  cette  question  de  théologie  antique.  ^ 
Notre  comédie  classique  française,  qui  a  emprunté 
bien  des  choses  à  la  comédie  grecque  et  latine,  ne  lui 
arien  pris  de  ces  prédications.  Tandis  que  celle-là  était 
sacrée  et  donnait  ses  spectacles  dans  un  temple,  la  nôtre, 
née  et  grandie  parmi  les  anathèmes  de  l'Église,  n'avait 
pas  envie  d'être  dévote,  et  même  elle  ne  l'aurait  pas 
-osé,  car  on  aurait  dit  qu'elle  profanait  la  sainteté  de  la 
religion.  Au  lieu  que,  sur  le  théâtre  antique,  on  voit  si 
souvent  des  personnages  parler  de  prières,  de  sacrifi- 
ces et  de  toute  espèce  de  dévotions,  notre  comédie  ne 
se  permettait  pas  de  parler  des  choses  religieuses.  Même 
dans  le  Don  Juan  de  Molière,  qui  est  en  tout  genre  une 
pièce  à  part,  le  poète  a  reculé  devant  les  termes  sacrés. 
Là  ou  l'original  espagnol  faisait  dire  à  la  statue  :  On 
n'a  pas  besoin  de  lumière  quand  on  est  en  étal  de 
grâce^  il  a  dit  seulement,  quand  on  est  conduit  par 
le  cieL  Mais  outre  que  cette  comédie-là  ne  touche  pas 
à  la  religion,  elle  s'abstient  encore  des  moralités  édi- 
fiantes qui  ressemblent  à  ce  qui  se  prêche.  Il  n'y  a 

1.  Du  reste  il  est  dil  dans  ]a  Rhétorique  d'Aiislote  que  les  puissants 
sont  volontiers  dévots  et  aimant  les  dieux. 


24  LE    CHRISTIANISME    ET    SES  ORIGINES. 

qu'une  morale  chez  les  anciens;  chez  nos  pères  il  y  en 
avait  deux,  la  morale  mondaine  et  la  morale  religieuse; 
et  l'une  ne  devait  pas  empiéter  sur  l'autre.  D'où  cette 
singularité,  que  la  comédie  de  Ménandre  et  de  Philé- 
mon,  ou  de  Plante  et  de  Térence,  est  plus  chrétienne 
quelquefois  ,  en  pleines  mœurs  païennes,  que  celle 
du  siècle  de  Louis  XIV. 

On  ne  profitait  pas  toujours  de  la  morale  du  (li<'à- 
tre  :  «  J'ai  vu  souvent,  dit  un  personnage,  les  Comiques 
débiter  de  ccsbellesmoralitésauxquelles  on  applaudit...; 
mais  quand  on  s'en  est  retourné  chacun  chez  soi,  per- 
sonne ne  se  conduit  suivant  ces  leçons  et  ces  exemples.  » 
Mais  en  cela  même  la  comédie  n'était  pas  dans  une  con- 
dition pire  que  le  sermon. 

Il  est  vrai  qu'à  côté  de  ces  moralités  elle  a  aussi  dos 
scènes  et  des  discours  tout  contraires  ;  telle  est  la  vie 
humaine  qu'elle  représente.  D'ailleurs  la  nécessité  d'a- 
mener le  rire,  et  la  tradition  de  certaines  gaietés,  font 
que  les  hommes  s'y  peignent  quelquefois  pires  qu'ils  ne 
sont.  Ainsi  elle  abonde  en  sarcasmes  contre  le  mariage; 
mais  sur  le  môme  théâtre  Athènes  entendait  aussi  ces 
vers:  «  Femmes,  femmes!  rien  au  monde,  ni  l'or,  ni 
la  royauté,  ni  toutes  les  jouissances  de  la  fortune  ne 
sauraient  donner  ce  bonheur  suprême  qu'un  homme 
de  bien  goûte  auprès  d'une  femme  vertueuse,  uni  avec 
elle  par  la  fidélité  au  devoir.  »  De  même,  des  licences 
telles  que  celles  de  la  comédie  de  VEunuque  n'empê- 
chaient pas  qu'on  ne  comprit  le  respect  dû  à  la  virgi- 
nité, et  la  sainteté  du  lien  nuptial  ;  et  en  voici  un 
exemple  qui  me  frappe.  D ms  le  poëmc  d'Apollonios, 


D'ALEXANDRE    AUX    ROBIAINS.  r, 

après  que  Jason  a  enlevé  Médée,  il  s'abstient  de  la  pos- 
séder ;  et  il  était  résolu  de  l'amener  vierge,  à  travers 
les  épreuves  d'une  navigation  longue  et  périlleuse, 
jusque  dans  la  maison  de  son  père,  si  un  événement 
n'avait  précipité  cette  union.  Une  telle  délicatesse  n'est 
pas  des  temps  héroïques,  et  c'est  un  véritable  anachro- 
nisme de  la  part  du  poëte  alexandrin,  mais  qui  té- 
moigne de  ce  que  les  mœurs  de  son  temps  exigeaient 
d'un  prince  bien  élevé  et  de  sa  princesse. 

Le  mouvement  philosophique  fut  accompagné  pen- 
dant cette  période  d'un  mouvement  scientifique  consi- 
dérable, mais  qui  n'a  pas  tenu  pour  la  Grèce  tout  ce 
qu'il  promettait.  Là  encore,  l'esprit  grec  vivait  sur  les 
forces  que  lui  avait  faites  la  liberté  ;  mais  il  rencontra 
l'obstacle  des  servitudes  religieuses,  devenues  plus  lour- 
des par  l'effet  de  la  servitude  politique.  Déjà  le  Syra- 
cusain  Hicétas,  au  rapport  de  Théophraste,  avait 
expliqué  que  le  ciel  est  immobile,  et  que  la  terre  seule, 
tournant  sur  son  axe  avec  une  extrême  rapidité,  pro- 
duit le  mouvement  apparent  du  ciel.  Aristarque  de 
Samos  reprit  la  même  thèse,  et  il  enseignait  aussi  le 
mouvement  de  la  terre  sur  son  orbite  ;  mais  l'imagi- 
nation religieuse  deCléanthe  futblessée  de  cette  hardiesse 
et  la  condamna.  Sur  ce  point  et  sur  plusieurs  autres, 
la  vérité  fut  dite  ;  mais  elle  ne  put  prévaloir  et  deve- 
nir populaire  ;  elle  n'entra  pas  dans  le  trésor  des  con- 
naissances de  tous.  On  sait  quelles  énormes  ignorances 
se  perpétuèrent  dans  l'école  d'Épicure  ;  elles  Stoïques, 
en  revanche,  maintinrent  obstinément  la  sphère  uni- 
que d'Ariotote.  En  général,  la  science  demeura  toujours 


26         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

chez  les  anciens  une  curiosilé  réservée  à  quelques  es- 
prits, an  lieu  de  se  répandre  et  d'éclairer  le  grand  nom- 
bre. 

Le  zèle  passionné  el  exclusif  de  la  morale  était  chez 
les  philosophes  comme  un  autre  préjugé  religieux,  qui 
ne  fut  pas  moins  contraire  à  la  Science.  Elle  fut  culti- 
vée cependant  par  l'école  péripatétique  :  Théophrasle, 
par  exemple,  a  été  un  digne  disciple  d'Aristote.  Mais 
les  écoles  agissantes,  et  qui  avaient  surtout  charge 
d'àmes,  la  déprécièrent.  Tel  qui  ne  repoussait  pas  les 
études  savantes,  les  mettait  au  moins  fort  au-dessous 
de  sa  sagesse  et  les  abandonnait  dédaigneusement  à  des 
esprits  inférieurs  ;  pareils,  disait-on,  aux  prétendants 
de  Pénélope,  qui  firent  l'amour  aux  servantes  parce 
qu'ils  ne  pouvaient  avoir  la  maîtresse.  Je  crois  qu'au 
fond,  et  sans  le  savoir  eux-mêmes,  les  philosophes  ne 
méprisaient  pas  tant  la  science  qu'ils  ne  la  crai- 
gnaient, comme  favorisant  l'esprit  de  recherche  et  de 
doute.  Ils  faisaient  comme  firent  plus  tard  les  dévots. 

La  Critique  cependant,  qui  se  produisit  aussi  alors, 
étant  plus  accessible  que  la  science  du  monde  extérieur, 
eut,  par  cela  môme,  une  action  plus  générale.  La  reli- 
gion ne  put  se  soustraire  entièrement  à  ses  atteintes, 
ni  l'empêcher  d'éclairer  ses  origines.  On  les  trouvait 
d'une  part  dans  les  mythes  par  lesquels  l'imagination 
des  anciens  avait  exprimé  les  divers  aspects  de  la  na- 
ture ;  et  c'est  bien  là,  en  effet,  la  haute  et  large  source 
du  polythéisme.  On  les  cherchait  aussi,  et  on  les  trou- 
vait quelquefois  dans  l'histoire,  dans  des  souvenirs 
d'hommes  et  d'événements  réels  transformés  en  lê^t'u- 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  27 

•des  sacrées  ;  explication  qui  n'est  vraie  que  pour  quel- 
ques traditions  secondaires,  et  qui  n'atteint  pas  au  fond 
et  à  l'essence  même  des  religions.  L'interprétation  éle- 
vée des  croyances  populaires  parla  ])hysique mythique 
fut,  comme  je  l'ai  dit,  celle  de  la  Stoa.  L'autre,  plus 
terre  à  terre,  convenait  au  bon  sens  assez  grossier  de 
beaucoup  des  disciples  d'Épicurc.  C'est  celle  qui  fut  dé- 
veloppée par  Évémère  de  Messine,  dans  un  livre  dont 
la  popularité  fut  immense,  mais  qui  ne  s'est  pas  con- 
servé. Les  dieux  n'étaient,  d'après  lui,  que  des  grands 
hommes  ou  des  rois  divinisés  :  tout  le  monde  enten- 
dait cela  sans  peine,  et  les  apothéoses  d'Alexandre  et 
de  ses  lieutenants  rendaient  la  chose  pour  ainsi  dire 
sensible  à  tous.  L'esprit  d'Évémère  domina  dans  la  foule 
des  indifférents  et  des  indévots,  et  contribua  à  faire  le 
vide  dans  la  parde  de  l'àme  où  logeait  la  foi  religieuse. 
Cependant,  en  critique  non  plus  qu'en  philosophie,  nulle 
-école  n'osa  aller  jusqu'au  bout;  et,  soit  qu'on  vît  dans 
Zeus  et  les  autres  dieux  des  symboles  ou  des  hommes, 
on  n'en  continuait  pas  moins  d'adorer  et  de  sacrifier 
dans  les  temples.  Mais  le  Christianisme  profita  de  tout 
cela  contre  le  polythéisme,  et  s'en  servit  pour  faire 
table  rase.  Évémère  a  fourni  aux  Pères  de  l'Église  des 
arguments. 

Pendant  cette  période  de  l'histoire  où  la  philosophie 
€st  si  riche  et  si  puissante,  l'Orient  achevait  de  s'ouvrir 
aux  Grecs.  Quand  des  conquêtes  merveilleuses  eurent 
reculé  tout  à  coup  dans  tous  les  sens  les  bornes  du  monde 
hellénique,  on  connut  un  nouveau  monde  qu'on  n'avait 
fait  qu'entrevoir,  et  particulièrement  de  nouvelles  reli- 


28  LE    CIirUSTIANISiME    ET    SES    ORIGINES. 

gions  ;  non  plus  seulement  celles  de  l'Asie  grecque,  mais 
celle  de  la  haute  Asie.  En  Perse,  on  interrogea  la  religion 
des  Mages.  Théopompe,  l'historien  de  Philippe,  parlait 
dans  son  livre  des  deux  dieux  du  bien  et  du  mal  (Oromaze 
et  Arimane)  qui  se  disputent  la  nature.  Il  expliquait  com- 
ment ils  doivent  dominer  chacun  à  son  tour  pendant  trois 
mille  ans;  pendant  trois  autres  mille  ans,  ils  se  livreront 
combat  et  détruiront  l'œuvre  l'un  de  l'autre.  A  la  fin, 
il  n'y  aura  plus  de  mortel  les  hommes  seront  heureux  \ 
ils  ne  mangeront  plus  et  n'auront  plus  d'ombre.  Voilà 
la  première  fois,  ce  semble,  que  ces  idées  s'introdui- 
sent dans  le  monde  grec,  où  elles  devaient  faire  une  si 
grande  fortune  aux  temps  chrétiens.  Bien  avant  Alexan- 
dre, on  savait  déjà  que  les  Perses  n'avaient  ni  statues 
ni  temples  et  n'adoraientpas  de  dieux  à  forme  humaine  ; 
on  dut  être  alors  plus  frappé  encore  de  cette  espèce  de 
protestation  contre  l'idolâtrie  hellénique  :  <r  Ils  ne  con- 
naissent, disait  Dino,  un  autre  historien  de  cette  épo- 
que, d'autre  manifestation  des  dieux  que  le  feu  et  l'eau.» 
En  même  temps,  l'Assyrie  se  révélait  aussi  aux  Grecs: 
elle  leur  apportait  de  nouveaux  élonnements  après  ceux 
que  leur  avait  donnés  l'Egypte,  et  les  étonnements  pou- 
vaient amener  les  réflexions. 

S'il  était  certain  qu'à  cette  même  époque,  sous  An- 
tioclws  Soter  et  Ptolémée  Philadelphe,  un  prêtre  de 
Babylone  d'une  part,  de  l'autre  un  prêtre  d'iléliopolis 
en  Egypte, BéroseetManéthon,  eussent  livréaux  Grecs, 
dans  des  livres  écrits  en  grec  (et  absolument  perdus  au- 
jourd'hui), toutes  leurs  traditions  et  leurs  origines  sa- 
crées, ce  serait  un  grand  événement  dans  l'histoire  des 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  i29 

idées  religieuses.  Mais,  quoique  la  chose  semble  uni- 
versellement admise,  je  ne  puis  y  croire.  Je  vois  d'a- 
bord que  ni  3Ianéthon,  ni  Bérose  en  tant  qu'historien 
(je  mets  à  part  le  livre  d'astronomie  ou  d'astrologie  qui 
portait  ce  nom),  ne  sont  cites  par  aucun  écrivain  anté- 
rieur à  Joseph  ;  et  je  ne  puis  comprendre  que  Diodore 
surtout,  qui  est  un  Grec,  quia  fait  une  Histoire  univer- 
selle, et  qui  y  parle  longuement  des  antiquités  de 
l'Egypte  et  de  l'Assyrie,  n'ait  pas  nommé  une  seule 
fois  des  maîtres  d'une  telle  autorité.  Je  m'étonne  que 
de  pareilles  révélations  aient  eu  si  peu  de  retentisse- 
ment. J'aimerais  donc  mieux  croire  que  ces  livres 
étaient  des  œuvres  grecques,  composées  peut-être  vers 
le  temps  d'Auguste  ou  de  Néron  avec  des  documents 
empruntés  à  Babylone  et  à  l'Egypte,  et  attribuées, 
pour  les  recommander  davantage,  à  des  prêtres  du 
pays,  et  à  des  prêtres  contemporains  du  règne  brillant 
du  premier  des  Ptolémées  *. 


1.  Quelque  accréditée  que  soit  la  tradition  d'après  laquelle  l'Égyp- 
tien Manélhon  avait  écrit,  au  temps  de  Ptolémée  Philadelphe,  sur 
les  antiquités  de  l'Egypte,  et  le  Chaldéen  Bérose,  précisément  dans 
le  même  temps,  sur  celles  de  l'Assyrie;  il  faut  bien  reconnaître  qu'il 
n'y  a  aucune  raison  suffisante  de  se  fier  à  cette  tradition.  Rien  n'em- 
pêche de  croire,  si  on  veut,  qu'il  ait  existé,  au  temps  de  Philadelphe, 
un  prêtre  du  nom  de  Manélhon,  comme  le  dit  le  livre  sur  Isis  et  Osi- 
ris;  mais  ce  n'est  pas  ce  dont  il  s'agit:  il  s'agit  des  livres  qu'on  attri- 
buait à  Manéthon  ei  à  Bérose.  Or,  ces  livres  ne  sont  cités  ni  allégués, 
je  le  répèle,  par  aucun  écrivain  antérieur  à  Joseph;  c'est-à-dire  qu'il 
n'en  est  question  qu'à  une  époque  où  les  livres  apocryphes  se  répan- 
daient de  tous  côtés.  11  est  vrai  quon  nous  dit  que  ces  livres  étaient 
cités  dans  des  écrits  aujourd'hui  perdus,  composés  par  des  écriv'aiiis 
contemporains  d'Auguste,  comme  Juba,  ou  même  de  Sulla ,  coinmo 
Alexandre  de  Milet,  dit  le  Polygraphe  (Polyhistor),  ou  par  des  écri- 
vains plus  anciens  encore,  tels  qu'Apoliodore  dAtiièiies.  Mais  to;it 
indique  que  ces  écrits  eux-mêmes  étaient  également  apocryphes.  Il 


30         LE    CllRISTIAMSJIE    ET    SES    ORIGINES. 

La  création  d'Alexandrie,  qui  devint  le  siège  d'une 
royauté  grecque  en  Egypte,  est  un  événement  con- 
sidérable. Ce  fut  un  centre  nouveau  de  civilisation  et 
de  culture  littéraire.  C'est  là  que  fut  établi  ce  fameux 

suffit  de  lire  ce  qu'on  nous  donne  comme  extrait  des  Judaïques  d'A- 
lexandre le  Polygrafihepour  èlrc  certain  que  l'ouvrago  n'avait  aucune 
authenlicilé;  ily  adoiic  tout  lieu  de  croire  qu'il  en  était  di'  nièmi»  do 
ses  Assyiiaques.  Ce  qu'on  nous  rapporte  comme  tiré  de  la  Chronique 
d'ApoUodore  ne  s'accorde  pas  avec  l'idée  quo  Scymnos  nous  donne 
de  cet  ouvrage.  i\I.  Charles  Miiller,  qui,  dans  le  premier  volume  de  ses 
fragmenta  hUloricorum  (jrœconim,  avait  essayé  de  sauvegarder  l'au- 
thenticité de  ces  extraits  d'ApoUodore,  y  a  renoncé  dans  le  second 
volume,  après  y  avoir  regardé  dfe  plus  près.  Enfin  ces  prétendus  li- 
vres, soit  d'Apolloilore,  soit  d'Alexandre  le  Pol>  graphe  .  soit  de  Juba 
(je'  parle  des  Assyriaquex,  où  on  nous  dit  qu'il  suivait  Bérosnl ,  ne 
sont  eux-mêmes  cités  par  personne  avant  l'époque  chrétienne,  pas  plus 
que  ceux  de  Dcrose  fl  de  Manéthon.  Pour  ce  qui  est  de  la  LetM-e  de 
Manéllion  au  roi  IMoéméc,  donnée  par  le  moine  George  le  Syncellos, 
elle  ne  féru  certainement  illusion  à  personne.  Mais  rien  n'est  plus 
grave,  pour  qui  a  quoique  critique  dans  l'esprit,  que  le  silence 
absolu  des  auteurs  classiques  sur  deux  écrivains  tels  que  ceux  que 
l'on  suppose.  Voilà  un  homme  né  en  Egypte,  un  autre  né  à  Diby- 
lone,  et  tous  deux  prêtres,  possédant  toutes  les  traditions  de  leur 
pays,  qui  tout  à  coup  ré\èlcnlau\  Grecs,  en  langue  grecque,  tout  l'O- 
rient antique;  et  on  veut  que  Cicéron  et  Varron,  si  curieux,  les  aient 
absolument  ignorés,  deux  cents  ans  après  1  El  si  on  considère  qu'A- 
lexandre ic  l^i'lygraphe,  qu'on  nous  représente  comme  un  ahrévia- 
teur  de  Bérose,  vivait  à  Rome  dans  la  maison  de  Lentulus,  on  com- 
prendra bien  moins  encore  que  Cicéron  n'ait  jamais  entendu  parler 
de  ces  révélaiions  sur  l'antique  Asie  et  ne  s'en  soit  jamais  occupé. 
On  ne  s'explique  pas  davantage  que  Diodore  ait  écrit  sur  l'Egypte 
et  sur  l'Assyrie,  dans  sa  Bibliothèque  historique,  sans  tenir  compte, 
ni  de  Béioso,  ni  de  .Manéthon. 

Quant  aux  endroits  de  Yiiruve,  de  Sénèque  et  de  Pline  où  se  trouve 
le  nom  de  Bérose ,  ils  ne  se  rapportent  qu'à  l'auteur  d'un  livre  sur 
l'astrologie,  lequel  avait  enseigné  à  Cos  cette  science  ou  cet  art  des 
Chaldéens,  et  il  n'est  fait  dans  aucun  de  ces  passages  aucune  men- 
tion de   l'Histoire  de  Babylone. 

On  donne  ordinairement  Manéthon  comme  étant  de  la  ville  de  Se- 
bennylc;mLis  un  article  du  dictionnaire  de  Suidas  le  dit  de  Mondes. 
Or,  il  y  a.  un  Plolémée  de  Mendès,  sou\cnt  cité,  qui  avait  écrii  trois 
livres  A'Èijyi.liaques.  Il  semble  que  les  deux  personnages  ont  été 
confondus;  et  on  pourrait  tirer  do  là  cette  conjecture,  que  Pioléméo 
do  Mendès  était  le  véritable  auteur  dos  livres  altrilmés  a  Manéthon. 
L'époque  où  il  a  vécu  est  inconnue. 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  31 

Muséon,  es[>èce  de  Collège  Royal  de  l'antiquité.  Ce- 
pendant les  poètes  illustres  d'Alexandrie,  Callimaque, 
Théocrite,  Apollonius,  ne  paraissent  pas  s'être  beau- 
coup intéressés  à  l'Egypte,  qui  les  entourait;  car  elle 
n'a  laissé  dans  les  vers  qui  nous  restent  d'eux  presque 
aucune  trace.  Mais  la  curiosité  ne  pouvait  manquer  de 
s'éveiller.  Des  Grecs  établis  à  Thèbcs  écrivirent,  sans 
doute  d'après  les  communications  des  prêtres,  l'histoire 
ou  la  description  de  ce  pays  si  étonnant.  Hécatée  d'Ab- 
dère,  par  exemple,  fit  connaître  les  symboles  sacrés 
du  scarabée  et  de  l'épervier  et  les  doctrines  cachées 
sous  ces  symboles  ;  il  décrivit  la  nécropole  de  Thèbes 
avec  les  peintures  qui  la  décoraient.  D'ailleurs,  au-des- 
sous des  régions  intellectuelles  où  se  forme  la  littéra- 
ture, bien  des  idées  durent  s'inûltrer  dans  bien  des 
esprits,  par  un  commerce  de  tous  les  jours  avec  les 
religions  de  l'Egypte.  Les  dieux  grecs,  en  s'approchant 
des  vieilles  divinités  égyptiennes,  participèrent  à  la 
majesté  redoutable  dont  elles  étaient  revêtues,  et  qui 
ne  permettait  pas  qu'on  le  prît  légèrement  avec  elles. 
On  lit  dans  une  Inscription  grecque  du  milieu  du  se- 
cond siècle  avant  notre  ère  :  «  Chnubis,  qui  est  aussi 
Ammon  ;  Satis,  qui  est  aussi  Héra  ;  Anucis,  qui  est  aussi 
Hestia  ;  Petempamentès,  qui  est  aussi  Dionysos  ;  Peten- 
siiis,  qui  est  aussi  Cronos  ;  Petensenès,  qui  est  aussi 
Hermès,  d  Ces  noms  égyptiens,  contemporains  du 
monde  pour  ainsi  dire,  et  qui  ne  se  lisaient  que  dans  des 
hiéroglyphes  solennels,  relevaient  les  créations  moins 
sévères  de  l'imagination  des  poètes  grecs.  Les  âmes 
pieuses  durent  prendre  de  bonne  heure  en  Egypte  des 


32         LE    CHRISTIANISME    ET    SES   ORIGINES. 

habitudes  nouvelles  de  vénération  et  de  soumission.  Il 
semble  que  dans  les  Hymnes  de  Callimaque  les  dieux 
i^recs  eux-mêmes  sont  devenus  plus  sésères  et  plus 
augustes.  La  royauté  aussi  fut  plus  majestueuse  dans 
la  personne  de  ces  rois,  associés  dans  les  Inscriptions 
aux  plus  grands  dieux  du  pays,  héritiers  de  dynasties 
sacrées  qui  se  perdaient  dans  la  nuit  des  temps,  et  qui 
avaient  laissé  sur  le  sol  des  monuments  indestructibles. 
L'apothéose  en  Egypte  fut  plus  imposante  que  dans  la 
Grèce.  Callimaque  s'écrie  quelque  part:  «  Il  est  dange- 
reux de  lutter  contre  les  dieux.  Celui  qui  s'élève  con- 
tre les  dieux,  qu'il  s'élève  contre  mon  roi.  Celui  qui 
s'élève  contre  mon  roi,  qu'il  s'élève  contre  Apollon,  » 
C'est  déjà  la  religion  monarchique  du  temps  des  Césars 
ou  du  temps  de  Louis  XIV.  Une  suite  d'écritures  sur 
papyrus  qu'un  hasard  nous  a  conservées,  et  qui  sont 
<lu  miheu  du  second  siècle  avant  notre  ère,  nous  fait 
pénétrer  dans  l'intérieur  sacré  du  Sérapéon  ou  Sara- 
péon  de  Memphis.  Un  Macédonien,  aux  affaires  de  qui 
se  rapportent  toutes  ces  écritures,  y  vivait  enfermé, 
comme  s'il  eût  été  Égyptien  de  naissancq,  en  qualité  de 
servant  du  dieuSarapis.  C'est  un  reclus,  et  cette  espèce 
de  réclusion,  sur  laquelle  nous  avons  d'ailleurs  d'autres 
témoignages,  est  comme  une  profession  sainte.  Ces 
cloîtrés  ne  sortaient  jamais  de  leur  cloître,  et  ne  pou- 
vaient parler  aux  profanes  (et  aux  rois  mêmes)  que  par 
un  guichet;  ils  pratiquaient  diverses  sortes  de  mor- 
tifications. Voilà  un  des  spectacles  que  l'Egypte  offrait  aux 
yeux  des  Hellènes  *.  Quand  des  Grecs  entraientainsi  jus- 

1.  II  est  question  dans  les  mêmes  pièces  des  dépôts  des  pauvret 
confiés  ao  temxtle  du  dieu. 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  33 

qu'au  fond  du  snnctuaire  de  Memphis,  et  s'y  faisaient  les 
serviteurs  et  les  interprètes  des  dieux  indigènes,  comment 
la  population  hellénique  n'aurait-l-ellepasiaissé  pénétrer 
en  elle  quelque  chose  de  Tcsprit  de  cette  religion  si  véné- 
rée? Ceux  que  ne  défendait  pas  l'incrédulité  d'Épicurc 
durent  se  familiariser  de  plus  en  plus  avec  les  secrets  de 
la  mortelles  espérances  ou  les  terreurs  d'une  autre  vie. 
Au-dessus  du  culte  des  bêtes  sacrées,  qui  révoltait  les 
critiques,  mais  qui  avait  pour  l'imagination  l'attrait  du 
mystère;  au-dessus  d'une  mythologie  à  la  fois  sombre 
ci  bizarre,  les  écritures  saintes  conservaient  la  tradi- 
tion d'une  religion  de  la  nature,  éternelle,  une  et  im- 
mense, laquelle  s'accordait  merveilleusement  avec  les 
idées  que  la  philosophie  répandait  alors  de  plus  en  plus 
sur  le  dieu  suprême.  Quant  au  caractère  moral  de  ces 
croyances,  elles  ne  respiraient  pas  seulement  l'austérité, 
mais  la  charité,  deux  choses  qui  s'associent  admira- 
blement l'une  à  l'autre.  Le  fameux  Livre  des  Morts  fait 
parler  ainsi  le  mort  qui  demande  son  salut  aux  dieux 
des  enfers  :  «  Je  me  suis  attaché  Dieu  par  mon  amour  ; 
j'ai  donné  du  pain  à  celui  qui  avait  faim,  de  l'eau  à 
celui  qui  avait  soif,  des  vêlements  à  celui  qui  était  nu  ; 
j'ai  donné  un  lieu  d'asile  à  l'abandonné.  »  Pouvons-nous 
douter  que  tout  cela  n'eût  son  action  sur  les  âmes  mêmes 
qui  avaient  le  moins  conscience  de  ces  influences  ^  ? 

Les  promenades  triomphantes  des  Grecs  à  travers 
l'Asie  les  conduisirent  jusque  dans   l'Inde.   Elle  leur 


1.  J'ai  pris  le  passage  cité  dans  la  Notice  sur  le  musée  de  Boulaq 
de  M.  Mariette. 


34  LE    CURISTIAKISME    ET    SES    ORIGINES. 

était  toute  nouvelle:  Ctésias,  un  siècle  auparavant,  n'en 
avait  parlé,  pendant  son  séjour  en  Perse,  que  par  ouï- 
dire.  Mais  Aristobule,  Néarque,  Onésierite  y  suivirent 
Alexandre;  un  peu  plus  tard,  Mégasthène  fut  envoyé 
par  Séleucos  en  ambassade  vers  un  roi  indien  qu'il  ap- 
pelle Sandracottos.  Après  lui,  Daïmaque  alla  de  même 
chez  le  fils  de  Sandracottos,  AUitrochadès.  En  péné- 
trant dans  rinde,  les  Grecs  ne  paraissent  pas  y  avoir 
reconnu  les  sources  de  leur  religion  et  de  leur  poésie 
primitive  ;  mais  ils  furent  frappés  du  moins  d'y  retrou- 
ver les  origines  du  culte  plus  récent  de  leur  Dionysos 
ou  Bacchos.  Ils  reconnurent  les  bacchants,  leurs  peaux 
de  panthères,  leurs  tambours  et  leurs  cymbales;  ils  al- 
lèrent jusqu'à  remarquer  que  Mérou,  la  montagne  sa- 
crée, par  la  ressemblance  de  son  nom  avec  le  mot  grec 
Méros^  qui  signifie  cuisse,  avait  donné  Heu  à  la  fable 
qui  faisait  naître  Bacchos  de  la  cuisse  de  Zeus.  Des 
observations  semblables  auraient  pu  les  conduire  bien 
avant  dans  les  voies  de  la  critique,  particulièrement  en 
ce  qui  touche  l'histoire  religieuse;  mais  la  critique, 
comme  toutes  les  autres  puissances  de  l'esprit,  n'a  fait 
que  diminuer  à  partir  de  cette  époque,  dans  l'affaiblis- 
sement général  qui  suivit  la  triste  grandeur  d'Alexandre. 
La  constitution  du  brahmanisme  frappa  vivement  les 
Grecs  ;  ils  signalèrent  dans  leurs  relations  l'existence  des 
castes;  ils  firent  connaître  surtout  la  vie  des  Brahmes 
eux-mêmes,  qu'ils  représentent  comme  une  famille  de 
sophistes  ou  de  sages.  Ils  décrivent  leur  long  noviciat, 
leurs  abstinences,  leurs  austérités  de  toute  espèce,  la 
sévère  discipline  à  laquelle  ils  soumettent  leurs  élèves; 


D'ALEXAx\DRE    AUX    ROMALNS.  35 

1!s  les  montrent  prêchant  que  cette  vie  n'est  qu'un 
temps  de  gestation,  et  que  la  mort  est  l'accouchement 
par  lequel  on  entre  dans  une  vie  heureuse.  Les  Brah- 
mes  croyaient  à  l'immortalité,  et  imaginaient  l'autre 
monde  à  peu  près  comme  l'avait  imaginé  Platon,  avec 
des  jugements,  des  récompenses  et  d€s  peines.  Ils  ado- 
raient un  dieu  suprême  qui  était  le  dieu  de  la  Pluie;  ils 
adoraient  aussi  le  Gange.  Mégasthène  distingue  d'avec 
les  Brachmanes  ceux  qu'il  appelle  Garmanes  *  :  ceux-là 
demeurent  dans  les  montagnes,  entièrement  solitaires,  se 
nourrissant  d'herbes  et  de  fruits  sauvages;  le  roi  les 
envoie  consulter  ;  ils  n'ont  rien  à  eux,  ils  vont  quêtant 
et  demandant  l'hospitalité;  on  les  accueille  partout  et 
on  leur  donne  du  riz  et  du  pain;  on  répand  l'huile  de 
sésame  sur  leur  tête.  Ils  s'exercent  à  tous  les  genres 
d'épreuves;  ils  demeurent  immobiles  dans  la  même  atti- 
tude pendant  une  journée  entière.  L'un  reste  couché 
sur  le  dos  sous  un  soleil  torride  ou  bien  sous  une  lourde 
pluie;  un  autre  demeure  debout  sur  un  pied,  portant 
dans  les  mains  une  poutre,  et  sans  autre  repos  pendant 
tout  un  jour  que  de  changer  de  pied. 

Onésicrite  avait  été  envoyé  par  Alexandre  auprès 
d'une  espèce  de  collège  de  ces  sages  de  l'Inde.  Ils  lui 
avaient  expliqué  leurs  doctrines  dans  une  conférence, 
autant  du  moins  qu'ils  pouvaient  le  faire,  disaient-ils, 
par  des  interprètes  incapables  de  comprendre  d'aussi 
hautes  pensées.  «  C'était  une  eau  pure  recueillie  à  tra- 
vers de  la  fange.  »  Il  y  avait  eu  aux  temps  antiques  un 

1.  Du  mot  sanscrit  chramana^  disent  les  Indianistes. 


36  LC    CUUiSTIAiMSMIi    ET    SES    ORIGINES. 

ii"-c  de  féliciic  univcrï^elle;  mais  les  hommes  s'éUir.t 
corrompus,  le  dieu  suprême  les  avait  condamnés  à  la 
peine.  Aujourd'hui,  disaient-ils,  il  n'y  a  plus  qu'in- 
solence et  injustice,  et  le  présent  annonce  assez  que  ce 
monde  est  près  de  disparaître.  Ils  faisaient  également  fi 
eu  plaisir  et  de  la  douleur.  Ils  demandèrent  si  les  Grecs 
avaient  aussi  une  sagesse;  Onésicrite  leur  nomma  Py- 
thagore,  qui  défendait  comme  eux  de  manger  la  chair 
des  animaux,  puis  Socrale  et  enfin  Diogène,  dont  lui- 
même  avait  icçu  des  leçons;  et  ils  trouvèrent  qu'il  no 
manquait  à  ces  philosophes  que  de  vivre  comme  eux 
selon  la  pure  nature. 

On  racontait  qu'un  de  ces  Brahmanes,  qu'on  nomme 
Mandanès,  comme  on  le  pressait  de  se  rendre  auprès 
d'Alexandre,  fils  du  dieu  suprême,  et  qu'on  cherchait  à 
le  déterminer,  soit  en  lui  faisant  espérer  de  beaux  pré- 
sents, soit  en  le  menaçant  de  la  colère  du  maître,  ré- 
pondit que  celui  qui  ne  commandait  qu'à  une  si  petite 
portion  de  la  terre  ne  pouvait  être  le  fils  du  dieu  du 
ciel;  qu'il  ne  se  souciait  pas  de  ses  présents,  la  terre  de 
l'Inde  suffisant  à  le  nourrir,  et  encore  moins  de  ses 
menaces,  puisque  la  mort  lui  ferait  échanger  un  corps 
délabré  par  la  vieillesse  contre  une  vie  plus  heureuse 
et  plus  pure.  Peut-être  qu'on  a  imaginé  ces  somma- 
tions et  cette  réponse,  et  que  quelque  Grec  mécon- 
tent a  prêté  aux  sages  de  l'Inde  les  libertés  secrèUs 
de  ses  pensées.  Mais  il  est  certain  que  ceux-ci  mani- 
festaient de  toutes  les  manières  le  mépris  de  la  mo:t; 
ils  trouvaient  humiliant  de  mourir  de  maladie,  c(, 
pour  échapper  à  cette  humiliation,  plusieurs  se  tunimi, 


D'ALKXANDm:    AUX    ROMAINS.  o7 

soit  en  se  jetant  sur  une  arme,  ou  en  se  précipi- 
tant, ou  par  la  corde,  ou  par  le  feu.  L'un  d'eux,  que 
les  Grecs  appellent  Calanos,  donna  un  spectacle  dont 
l'impression  fut  profonde.  Il  sortit  volontairement  de  la 
vie  en  se  faisant  brûler  vif,  à  soixante-treize  ans,  en 
présence  de  l'armée  d'Alexandre. 

Les  historiens  grecs  n'ont  pas  manqué  de  consigner 
que  les  femmes  aussi  se  brûlaient  vives  sur  le  bûcher 
de  leurs  maris,  qu'elles  le  faisaient  de  bon  cœur,  et 
que  celles  qui  n'avaient  pas  ce  courage  étaient  déshono- 
rées. Quand  on  se  souvient  que  près  de  deux  siècles 
auparavant,  en  Sicile,  le  GrecGélon,  en  traitant  avec  les 
Carthaginois,  avait  stipulé  qu'ils  n'immoleraient  plus  à 
leurs  dieux  des  victimes  humaines,  on  voudrait  trouver 
un  traité  semblable  dans  l'histoire  d'Alexandre  ou  dni;s 
celle  de  Séleucos. 

Il  est  certain  que  les  Grecs  connurent  plus  tard  !o 
bouddhisme  :  le  nom  de  Bouddha  est  dans  Clément 
d'Alexandrie.  On  se  demande  s'ils  ne  l'ont  pas  connu 
déjà  à  l'époque  même  d'Alexandre,  époque  postérieure 
de  deux  cent  cinquante  ans  à  celle  où  on  place  la  mort 
du  Bouddha  Chakiamouni;  et  si  cette  distinction  qu'ils 
ont  faite  des  Brachmanes  et  des  Garmanes  n'est  pas  an 
"ond  celle  des  Brahmes  et  des  solitaires  bouddhistes.  Je 
laisse  à  d'autres  à  décider  la  question. 

Les  Grecs  n'ont  pas  connu  la  littérature  de  l'Inde. 
Mégasthène  a  même  dit  que  ces  peuples  ne  connaissaient 
pas  l'écriture  et  que  leurs  traditions  ne  se  transmettaient 
que  par  la  mémoire.  Cette  erreur  vient  sans  doute  de 
ce  que  les  livres  sacrés  étaient  tenus  cachés  par  les 


38         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    OIUGLNES. 

Brahmcs,  et  qu'ils  en  dérobaient  le  iiijstère  auxétian- 
gers.  Mais,  après  tant  de  siècles,  les  écritures  de  l'Inde 
sont  enfin  arrivées  à  la  connaissance  de  l'Occident;  nous 
lisons  aujourd'hui,  outre  les  Yédas,  témoins  d'une  anti- 
quité bien  plus  reculée,  toute  une  littérature  brahma- 
nique ,  dont  la  date  demeure  indéterminée,  mais  où 
nous  surprenons  encore  vivante  l'Inde  telle  que  l'ont 
vue  les  compagnons  d'Alexandre. 

Voici  le  portrait  d'un  solitaire  : 

«  Ravi  en  explorant  cette  belle  forêt.  Ardjouna  se 
livra  à  de  rudes  austérités.  Brillant  d'une  splendeur 
terrible,  couvert  d'un  vêtement  d'herbe,  muni  du  bâton 
et  de  la  peau  de  gazelle,  il  se  nourrissait  de  feuilles 
sèches  tombées  à  terre.  De  trois  nuits  en  trois  nuits, 
per.dant  un  mois,  il  mangea  des  fruits  ;  il  passa  le  se- 
cond mois  en  mettant  le  double  d'intervalle  ;  il  passa 
le  troisième  mois  en  ne  prenant  de  la  nourriture  que 
tous  les  quinze  jours;  et  le  quatrième  mois  enfin  étant 
venu,  le  fils  de  Pandou  aux  grands  bras  avait  l'air  pour 
nourriture.  Les  bras  levés  en  haut,  il  se  tenait  sans  ap- 
pui debout  sur  la  pointe  du  pouce  de  ses  pieds  «.  »  Et 
ailleurs  :  «  Ascète  énergique,  il  se  macéra  sur  le  mont 
Gaukarna  dans  une  rigide  pénitence  :  se  tenant  les  bras 
toujours  levés  en  l'air,  se  dévouant  l'été  aux  ardeurs 
suffocantes  de  cinq  feux,  couchant  l'hiver  dans  l'eau, 
sans  abri  dans  la  saison  humide  contre  les  nuées  plu- 
vieuses, n'ayant  que  des  feuilles  arrachées  pour  seule 

1.  Traduction  de  M.  Foucau^. 


D  ALIiXAiNDRE    AUX    ROMAINS.  39 

nourriture,  il  tenait  en  bride  son  âme ,  il  serrait  le  frein 
à  sa  concupiscence  *.  » 

Voici  les  divers  âges  du  monde,  depuis  la  félicite 
suprême  jusqu'aux  misères  qui  annoncent  la  prochaine 
destruction  : 

«  L'âge  Krita,  mon  enfant,  était  celui  où  régnait  la 
vertu  éternelle...  Il  n'y  eut,  toute  la  durée  de  cette 
youga,  ni  maladie  ni  perte  de  sens;  il  n'y  avait  alors 
ni  malédiction,  ni  pleurs,  ni  orgueil,  ni  aversion,  ni 
guerre,  combien  moins  la  paresse!  ni  haine,  ni  impro- 
bité, ni  crainte,  ni  même  souci,  ni  jalousie,  ni  envie...  » 
Puis  vient  un  second,  puis  un  troisième  âge,  puis  enfin 
l'âge  Kali,  qui  est  le  dernier  :  «  Le  devoir,  la  cérémonie, 
le  sacrifice  et  la  conduite  suivant  les  Védas  s'éteignent. 
On  voit  circuler  dans  le  monde  les  calamités  des  temps, 
les  maladies,  la  paresse,  les  péchés,  la  colère  et  sa  suite, 
les  soucis,  la  crainte  et  la  famine.  Ces  temps  arrivés, 
la  vertu  périt  de  nouveau.  La  vertu  n'étant  plus,  le 
monde  périt  à  son  tour  ;  avec  le  monde  expiré  meurent 
encore  les  puissances  divines  qui  donnent  le  mouve- 
ment au  monde...  Tel  est  cet  âge  nommé  Kali,  qui  a 
commencé  il  n'y  a  pas  longtemps  -.  » 

Voici  les  devoirs  du  novice  envers  son  maître  (son 
gûuruu)  : 

«  Qu'il  en  reçoive  ou  non  l'ordre  de  son  instituteur, 
le  novice  doit  s'appliquer  avec  zèle  à  l'étude  et  cherchei 
à  satisfaire  son  vénérable  maîire.  Maîtrisant  son  corps, 
sa  voix,  ses  organes  des  sens  et  son  esprit,  qu'il  se 

1.  Traduction  de  M.  Fauche. 

2.  Traduclion  de  M.  Fauche. 


40         LE    GllUlSTIAMSME    ET    SES    ORIGINES 

tienne  les  mains  jointes,  les  yeux  fixés  sur  son  direc- 
teur. Qu'il  ait  toujours  la  main  découverte,  un  main- 
tien décent,  un  vêtement  convenable;  et,  lorsqu'il  reçoit 
l'invitation  de  s'asseoir,  qu'il  s'asseye  en  face  de  son 
père  spirituel.  Que  sa  nourriture,  ses  habits  et  sa  pa- 
rure soient  toujours  très-chétifs  en  présence  de  sou 
directeur  ;  il  doit  se  lever  avant  lui  et  rentrer  après 
lui.  Il  ne  doit  répondre  aux  ordres  de  son  père  spirituel 
ou  s'entretenir  avec  lui,  ni  étant  couché,  ni  étant  assis, 
ni  en  mangeant,  ni  de  loin,  ni  en  regardant  d'un  aulro 
côté.  Qu'il  le  fasse  debout,  lorsque  son  directeur  est 
assis  ;  en  l'abordant,  quand  il  est  arrêté  ;  en  allant  à  sa 
rencontre,  s'il  marche;  encourant  derrière  lui, lorsqu'il 
court  ;  en  allant  se  placer  en  face  de  lui,  s'il  détourne 
la  tète;  en  marchant  vers  lui,  lorsqu'il  est  éloigné; 
en   s'inclinant,  s'il  est  couché  ou  arrêté  près  de  lui, 

CtC  1.  ï) 

La  mort  n'est  rien,  c'est  une  apparence  :  «  Les  sages 
ne  pleurent  ni  les  vivants  ni  les  morts...  Ces  corps  qui 
finissent  procèdent  d'une  àme  éternelle,  indestructible, 
immuable...  Celui  qui  croit  qu'elle  tue  ou  qu'on  la  tue 
se  trompe  :  elle  ne  tue  pas,  elle  n'est  pas  tuée;  elle  ne 
naît,  elle  ne  meurt  jamais:  elle  n'est  pas  née  jadis,  elle 
nedoit  pas  renaître.  Sans  naissance,  sans  fin,  éternelle, 
antique...  comme  l'on  quitte  des  vêtements  usés  pour 
en  prendre  de  nouveaux,  ainsi  l'àme  quitte  les  corjjs 
usés  pour  revêtir  de  nouveaux  corps;...  inaccessible 
aux  coups  et  aux  brûlures,  à  l'humidité  et  à  la  séche- 

1.  Traductiou  Je  A.  Loisciciir  Deslonchamps. 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  41 

resse,  éternelle,  répandue  en  tous  lieux,  immobile,  iné- 
branlable, invisible,  ineffable,  immuable,  voilà  ses  at- 
tributs. Puisque  tu  la  sais  telle,  ne  la  pleure  donc  pas  '.  » 

Tout  est  donc  indifférent  :  «  Voila  deux  bommcs.  Si 
le  premier  me  casse  un  bras  et  que  le  second  m'arrose 
l'autre  bras  de  santal,  je  ne  penserai  pas  du  bien  de 
celui-ci,  du  mal  de  celui-là.  Sans  amour  et  sans  haine 
pour  la  vie  ou  la  mort,  je  ne  ferai  jamais  rien  comme  si 
je  voulais  vivre  ou  comme  si  je  voulais  mourir.  Toutes 
les  choses  quelconques  pour  le  bien-être  dans  la  vie, 
qu'un  homme  peut  faire,  n'auront  à  mes  yeux  que  ia 
valeur  d'un  clin  d'œil,  ou  moins  -.  » 

Encore  une  fois,  les  Grecs  ne  lisaient  pas  ces  paroles, 
mais  ils  en  recueillaient  l'impression  dans  les  discours 
de  ces  sages  de  l'Inde  ou  dans  le  spectacle  de  leur  vie  ; 
rien  de  tout  cela  sans  doute  ne  se  perdait  absolument, 
et  quelque  chose  de  ces  sentiments  et  de  ces  idées  en- 
trait, pour  ainsi  dire,  dans  la  circulation  de  l'esprit 
humain.  L'action  s'en  faisait  sentir  sur  certaines  âmes, 
mais  quelle  était-elle?  J'imagine  que,  chez  les  uns,  la 
pensée  devenait  plus  haute  et  plus  large  ;  cette  diver- 
sité des  opinions  humaines,  en  les  éclairant,  achevait 
de  les  affranchir.  D'autres,  au  lieu  de  s'éclairer,  s'exal- 
taient davantage ,  et  préparaient  les  générations  dont 
l'esprit  mystique  et  ascétique  de  l'Orient  devait  faire  sa 
proie. 

Mais  l'événement  peut-être  le  plus  considérable  de 

1.  Traduction  de  M.  Emile  Burnouf. 

2.  Traduction  de  M.  Fauche. 


42  LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

ces  temps  dons  l'ordre  des  pensées  religieuses,  c'est  la 
découverte  que  les  Grecs  firent  alors  des  Juifs.  Ils  les 
avaient  confondus  longtemps  sous  les  noms  de  Phéni- 
ciens et  Syriens  de  Palestine.  Ce  n'est  qu'après 
Alexandre  qu'ils  les  virent  d'assez  près  pour  les  con- 
naître véritablement.  Joseph  cite  un  Dialogue  de 
Clcarque, philosophe  péripatélique  (mais  de  quelle  date?), 
où  Aristoïc  lui-même,  en  conversant  avec  ses  amis, 
produit  le  témoignage  d'un  Juif  demi-Grec  et  philosophe, 
avec  qui  il  s'était  entretenu.  Je  crois  volontiers  ce  Dia- 
logue authentique^  mais  je  ne  le  prends  que  comme 
une  fiction,  où  Cléarque  met  dans  la  bouche  du  maître, 
pour  les  mieux  recommander,  des  nouveautés  qui  l'in- 
téressaient lui-même  ;  rien  ne  fait  croire  qu'Aristote  ait 
connu  les  Juifs.  C'est  l'Egypte  surtout  qui  les  fit  con- 
naître. Sujets  mécontents  des  rois  de  Perse,  ils  avaient 
bien  accueilli  la  royauté  macédonienne  et  en  avaient  été 
d'abord  bien  traités.  Ils  avaient  établi  dans  la  ville 
d'Alexandrie  une  colonie  considérable.  C'est  là  qu'ils 
entrèrent  en  commerce  avec  les  Grecs  et  qu'ils  apprirent 
leur  langue,  dans  le  double  intérêt  de  leurs  affaires  et 
de  leur  foi  religieuse.  Il  y  eut  désormais  une  Judée 
hellénique  à  Alexandrie.  Les  Grecs,  avant  de  s'occuper 
directement  des  Juifs,  les  rencontrèrent  dans  cette  his- 
toire de  l'Egypte,  où  les  Juifs  eux-mêmes  retrouvaient 
leurs  origines.  Aussi,  tandis  que  l'historien  Hiéronyme 
deCardie,  qui  avait  été  pourtant  gouverneur  de  la  Syrie 
•  pour  le  compte'd'Antigone,  n'avait  fait  encore  nulle 
part  aucune  mention  des  Juifs,  au  contraire  Ilécatée 
d'Abdère  racontait  dans  ses  livres  sur  l'Egypte  comment 


D'ALEXAxNDHI]     AUX    ROMAINS.  43 

IcsÉgyptiens,  à  l'occasion  d'une  épidémie  qui  ravageait 
leur  pays,  en  ayant  chassé  tous  les  étrangers,  il  en 
sortit  d'une  part  des  colonies  qui  peuplèrent  la  Grèce, 
et  d'autre  part  une  émigration  qui,  sous  la  conduite  de 
Mosès,  se  fixa  dans  la  terre  qui  fut  depuis  la  Judée  et 
qui  était  alors  déserte.  Et  vers  la  fin  du  III*  siècle  avant 
notre  ère,  Hermippe  écrivait  dans  sa  Vie  de  Pythagorc 
que  celui-ci  avait  emprunté  aux  Juifs  et  aux  Thraces 
une  partie  de  ses  docirines.  Enfin  c'est  à  Alexandrie,  et 
en  ce  temps-là,  que  les  Juifs  eux-mêmes  traduisirent 
en  grec  leurs  propres  livres.  On  rapporte  encore  au 
règne  si  littéraire  de  Ptolémée  Philadelphe  cette  traduc- 
tion, qu'une  fable  pieuse  a  fait  appeler  la  version  des 
Soixante-dix  ou  des  Septante.  Quoi  qu'il  en  soit,  car  on 
n'a  là-dessus  aucun  renseignement  précis ,  c'est  par 
cette  traduction  seulement  que  la  propagande  juive  est 
devenue  possible  parmi  ces  Grecs,  chez  qui  elle  devait 
être  si  féconde. 

Mais  on  se  tromperait  beaucoup  si  on  s'imaginait  que 
les  Grecs  lettrés  ont  lu  la  Bible  dès  que  la  Bible  a  été 
traduite  en  grec.  La  vérité  est  au  contraire  que  jusqu'aux 
temps  des  Pères  de  l'Église,  il  n'y  a  pas  un  écrivain 
profane,  Grec  ou  Latin,  qui  semble  avoir  seulement  jeté 
les  yeux  sur  les  livres  juifs.  Cela  tenait  à  la  fois  aux 
habitudes  des  Juifs  et  à  celles  des  Grecs. 

Les  Juifs  avaient  en  même  temps  l'esprit  de  prosély- 
tisme et  l'esprit  de  jalousie  et  d'isolement.  Ils  croyaient 
que  les  livres  saints  ne  devaient  pas  être  exposés  aux 
profanes,  et  ils  les  cachaient.  Ils  ne  les  faisaient  lire 
qu'à  ceux  qu'ils  avaient  déjà  gagnés  et  initiés  à  leur 


44  LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

rroyance.  La  Bible  grecque  n'était  faite  que  pour  les 
Juifs  qui  parlaient  grec.  Quant  aux  Grecs  eux-mêmes, 
leur  esprit  si  curieux  par  d'autres  côtés  no  l'était  pas 
assez  pour  ce  qui  regardait  les  Barbares.    Plu i arque, 
venu  si  longtemps  après,  et  qui  a  tant  écrit  sur  les 
Romains,  ne  s'était  pas  avisé  d'apprendre  le  latin  , 
dans  un  temps  où  le  latin  avait  déjà  une  si  riche  lidé- 
raturc.  Si  les  Grecs  dédaignaient  ainsi  la  langue  des 
maîtres  du  monde,  comment  se  seraient-ils  souciés  do"; 
autres?  Ils  n'apprirent  jamais,  bien  malheureusemcii;, 
pour  nous,  ni  l'égyptien,  ni  l'assyrien,  ni  le  perse,  ni 
le  punique  ;  ils  pensaient  encore  bien  moins  à  apprendre 
l'hébreu.  Quand  les  livres  hébreux  furent  traduiis,  il 
semble  qu'ils  ne  les  connurent  pas  davantage.   Sans 
doute,  un  désir  avide  de  savoir  serait  bien  venu  à  bout 
de  percer  le  mystère  dont  les  Juifs  enveloppaient  leurs 
textes  sacrés;  mais  c'est  ce  désir  qui   manquait.  On 
reproche  quelquefois  à  l'esprit  français  d'être  ii'op  pu- 
rement littéraire,  et  si  sensible  à  l'art  et  au  talent  qu'il 
ne  s'intéresse  pas  à  la  vérité  toute  sèche  et  à  la  critique 
exacte.    L'esprit    grec    méritait    bien    autrement    ce 
reproche;  et  cette  disposition  naturelle  des  Grecs  était 
augmentée  par  leur  état  de  sujétion.  Quand  on  est  ré- 
duit au  métier  de  serviteur  et  de  courtisan,  on  ne  se 
met  pas  en  peine  d'aller  au  fond  des  choses  ;  on  craint 
même  d'être  trop  clairvoyant,  trop  net,  trop  précis.  On 
emploie  plutôt  son  temps  et  son  esprit  à  trouver  de:; 
phrases  et  des  tours  qui  fassent  plaisir  à  ceux  à  qui  on 
a  affaire.  Pour  les  Grecs  donc,  comme  aussi  pour  les 
Latins  leurs  élèves,  ce  aai  n'était  pas  finement  raisonné 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAIXS.  45 

OU  heureusement  dit  était  comme  n'existant  pas  ;  ils  n'a- 
vaient de  goût  qu'à  ia  dialectique  et  à  la  rhétorique.  7a 
en  ce  genre,  où  auraient-ils  pu  trouver  quelque  cho3u 
qui  entrât  en  comparaison  avec  ce  qu'ils  produisaient 
eux-mêmes?  Ils  ne  regardaient  donc  pas  du  côté  des  Bar- 
bares; et  la  Bible  n'aurait  jamais  été  mise  en  grec  s'il 
avait  fallu  attendre  pour  qu'elle  le  fût  que  leur  curiosilo 
historique  fût  éveillée.  Cette  traduction  fut  l'œuvre  du 
zèle  religieux;  elle  vint  des  croyants  et  ne  s'adressa 
qu'aux  croyants.  Elle  fit  qu'il  y  eut  des  judaïsants  hors 
de  la  race  israéhte,  et  qu'il  y  en  eut  de  plus  en  plus. 
Mais  pendant  bien  longtemps  encore  il  ne  s'en  trouva 
que  dans  le  vulgaire,  et  pendant  bien  longtemps  encore 
les  idées  et  les  traditions  juives  ne  montèrent  pas  jus- 
qu'à cette  couche  supérieure  des  esprits  où  elles  au- 
raient pu  s'épanouir  dans  des  œuvres  littéraires. 

Avant  de  quitter  cette  période  de  l'histoire,  je  veux 
appeler  encore  une  fois  l'attention  de  ceux  qui  me  li- 
sent sur  la  considération  toujours  affligeante,  mais  bien 
instructive,  des  vides  immenses  qui  se  rencontrent  dans 
l'étude  de  l'antiquité.  Des  cent  cinquante  ans  qui  s'é- 
coulèrent entre  la  bataille  d'Ipsos  et  la  réduction  de  la 
Grèce  en  province  romaine,  que  nous  reste-t-il  en  fait 
de  livres  ?  Quelques  poètes,  parmi  lesquels  Théocrite 
est  le  seul  original,  et  le  petit  livre  des  Caractères  de 
Théophraste.  On  a  vu  pourtant  assez,  je  l'espère,  com- 
bien ce  temps  a  été  riche  d'idées  nouvelles  et  rempli  do 
ces  événements  qui  sont  aussi  des  révélations  ;  mais  par 
où  ai-je  pu  le  faire  voir,  sinon  par  des  témoignages  et 


46         LE' CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

des  fragments,  et  sans  pouvoir  jamais  citer  un  seul 
livi'c  ?  Pas  un  historien  de  cette  époque  ne  subsiste. 
Nous  ne  savons  rien  de  l'histoire  de  Philippe,  de  celle 
d'Alexandre,  de  celle  des  affaires  de  la  Grèce  sous  ses 
successeurs,  ou  de  l'Asie,  que  par  les  écrivains  posté- 
rieurs qui  les  ont  écrites  de  seconde  ou  de  troisième 
main.  Nous  ne  pouvons  nous  mettre  en  présence  d'un 
contemporain,  et  surprendre  en  lui  l'impression  toute 
vive  des  choses  qu'il  a  vues.  Le  théâtre,  autre  témoin, 
est  perdu  tout  entier  comme  l'histoire.  Quant  à  la  phi- 
losophie, il  s'est  passé  deux  cent  cinquante  ans  entre  lu 
mort  d'Aristote  et  la  jeunesse  de  Cicéron  :  eh  bien  !  de 
ces  deux  cent  cinquante  ans  de  travail  philosophique,  il 
ne  reste  que  quelques  pages  succinctes  et  sèches  des- caté- 
chismes d'Épicure.  Rien  des  livres  où  Épicure  lui-même 
développait  ses  pensées  ;  rien  de  ceux  des  autres  philo- 
sophes. Les  plus  grands,  Théophraste,  Zenon,  Cléanthe, 
Chrysippe,  Ménippe,  Cranter,  Dicéarque,  Arcésilas,  Car- 
néade,  Panétios  (j'en  nomme  dix,  et  il  en  faudrait  nom- 
mer cent),  ne  sont  pour  nous  que  des  noms.  De  là  des 
méprises  comme  celle  de  madame  de  Staël,  qui  écrivait 
par  exemple  ;  «  Le  code  des  devoirs  est  présenté  par 
Cicéron  avec  plus  d'ensemble,  plus  de  clarté,  plus  de 
force  que  dans  aucun  autre  ouvrage  précédent.  » 
Qu'a-t-elle  voulu  dire?  Si  eUe  remonte  jusqu'à  Aristote, 
ses  ouvrages  n'ont  rien  d'analogue  au  livre  de  Cicéron 
et  ne  peuvent  même  être  comparés  à  celui-ci  ;  mais  le 
livre  de  Cicéron  était  fait  d'après  des  livres  grecs,  qui 
ont  entièrement  disparu  et  que  personne,  par  consé- 
quent, ne  peut  juger.  C'est  seulement  parce  que  tant 


D'ALEXAISDUE    AUX    ROMAINS.  47 

de  choses  sont  perdues,  que  rechercher  les  origines  des 
idées  chrétiennes  est  aujourd'hui  un  travail  pour  la  cri- 
<,ique.  Si  tous  ces  livres  subsistaient,  on  verrait  la  doc- 
irine  chrétienne  se  faire  en  quelque  sorte,  jour  par 
jour,  et  personne  ne  s'aviserait  de  demander  d'où  elle 
jst  venue.  Je  ne  veux  pas  dire  que  l'avénernent  du 
'hristianisme  n'ait  pas  eu  un  caractère  soudain,  et  que 
le  monde  n'ait  pas  alors  été  surpris  ;  mais  c'est  comme 
il  l'a  été  par  la  Réforme  ou  parla  Révolution  française. 
Toute  révolution  naturelle  (et  il  n'y  en  a  pas  d'autres) 
est  aussi  logiquement  préparée  dans  ses  causes  que  su- 
bile  et  surprenante  dans  ses  effets.  Nous  nous  rendons 
compte  très-facilement  de  ce  qui  a  amené  Luther  ou  la 
République  de  1792;  nous  nous   expliquerions   tout 
aussi  aisément  l'avènement  du  Christianisme  si  les  deux 
siècles  qui  ont  précédé  celui  qui  aboutit  à  l'ère  chré- 
tienne n'étaient  si  mal  éclairés  pour  nous. 

Je  reprends  la  suite  de  l'histoire.  Comment  la  Grèce, 
qui  semblait  morte  sous  la  Macédoine  trois  cents  ans 
avant  notre  ère,  eut-elle  encore  à  mourir,  cent  cin- 
quante ans  après,  sous  les  Romains?  C'est  qu'à  la  place 
des  grandes  cités  abattues,  il  paraît  alors  sur  la  scène 
des  peuples  qui  jusque-là  restaient  dans  l'ombre,  et 
qui  renouvellent  le  specfacle.  La  confédération 
achéenne  fait  revivre  la  Grèce  et  sa  liberté  ;  elle  com- 
munique même  aux  cités  qui  restent  en  dehors  quelque 
chose  de  la  vie  qui  est  en  elle.  Si  elle  avait  pu  rassem- 
bler dans  son  sein  tous  les  Hellènes,  ils  auraient  vécu. 
Mais  outre  que  la  Grèce  et  la  Macédoine  se  tiennent  en 
échec  l'une  l'autre,  le«  Grecs  mêmes  achèvent  de  s'user 


.18         LE    CIIRISTIANISMI':    ET    SES    ORIGINES. 

et  de  s'anéantir  par  leurs  divisions.  Cependant  Rome 
approchait.  Quand  moui'urent  Épicure  et  Zenon,  les 
Romains  avaient  déjà  mis  le  pied  sur  une  terre  grecque, 
la  Grèce  d'Italie.  Maîtres  de  l'Italie,  ils  passèrent  dans  la 
Sicile,  terre  grecque  encore,  où  Rome  rencontra  Car- 
thage  ;  ils  l'avaient  conquise  avant  la  fin  de  la  grande 
guerre  d'Hannibal.  Déjà,  avantcettc  guerre,  ils  s'étaient 
montrés  aux  peuples  de  la  Grèce  propre  comme  ils  se 
montraient  partout  pour  la  première  fois,  sous  la  figure 
de  protecteurs  ;  ils  les  avaient  défendus  et  vengés  des 
Barbares  de  l'illyrie.  Dès  ce  moment,  on  sut  qu'il  fal- 
lait compter  avec  eux  ;  tous  les  yeux  furent  attachés, 
comme  dit  Polybe,  sur  le  nuage  qui  se  formait  du  cùlé 
de  l'occident.  Quatre  ans  après  la  défaite  d'Hannibal  à 
Zama,  ils  battaient  le  roi  de  Macédoine  à  Cynoscépha- 
les,  et  déclaraient  la  Grèce  libre.  Quarante  ans  plus 
tard,  la  Macédoine  et  la  Grèce  étaient  réduites  en  même 
temps  l'une  que  l'autre  en  provinces  romaines  (vers 
150  avant  noire  ère.) 

Diodore  écrit,  plus  de  cent  ans  après  cette  catastro- 
phe, qu'il  ne  peut  la  retracer  sans  pleurer.  Il  répète, 
d'après  Polybe,  que  les  Carthaginois,  dont  la  républi- 
que tomba  en  même  temps  que  la  Grèce,  ont  été  moins 
malheureux  que  les  Grecs,  parce  qu'ils  périrent  avec 
Carthage,  tandis  que  les  Grecs  vécurent  pour  sentir 
toutes  leurs  misères  et  pour  regretter  la  liberté  perdue 
sans  retour.  Du  moins,  ils  avaient  lutté  jusqu'au  bout  :  ils 
eurent  encore  au  dernier  moment  des  patriotes  et  des 
braves:  et  la  ligue  achéenne  a  mérité  que,  le  jour  où  la 
Grèce  devint  une  province  romaine,  ^^'ait  été  sous  le 
nom  d'Achaïe. 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  49 

Rien  de  plus  désolant  d'ailleurs  que  le  tableau  de  l'his- 
toire grecque  pendant  le  siècle  qui  se  termine  à  cet  évé- 
nement et  qui  l'amène.  Chaque  ville  est  en  proie  aux 
révolu'ions.  De  petites  tyrannies  poussent  de  tous  côtés, 
comme  autant  de  rejetons  de  la  tyrannie  macédonienne  ; 
petites  par  le  champ  où  elles  s'exercent,  mais  remplis- 
sant ce  champ  étroit  de  toute  espèce  d'indignités  et 
d'horreurs.  Les  cités  grecques  se  tuent  les  unes  aux  au- 
tres leurs  derniers  soldats  et  leurs  derniers  grands 
hommes.  Mantinée  est  saccagée,  et  tous  ses  habitants 
tués  ou  vendus  :  Philopémen  boit  la  ciguë;  ce  sont  des 
Grecs  qui  font  tout  cela.  Polybe  lui-même,  qui  sem- 
blerait devoir  être  un  sage,  cède  quelquefois  aux  plus 
mauvaises  passions.  Il  a  par  moments  la  dureté  impi- 
toyable qu'ont  volontiers  ceux  qui  se  sentent  condam- 
nés à  périr,  et  qui  se  vengent  par  le  mal  qu'ils  font  de 
celui  qu'ils  souffrent.  Les  Hellènes  appellent  chacun 
à  leur  tour  le  Macédonien  ou  le  Romain  contre  leurs 
frères.  La  Grèce  n'a  plus  ni  armées,  ni  marine,  ni  tra- 
vail, ni  argent,  car  elle  n'a  plus  d'hommes.  L'âme 
s'est  retirée.  Polybe  nous  peint  la  Béotie  qui,  après  un 
dernier  effort,  s'abandonne  et  se  couche  en  quelque 
sorte  pour  mourir.  Ils  ne  voulurent  plus,  dit-il,  être 
de  rien  ;  ils  ne  pensèrent  plus  qu'à  boire  et  à  manger, 
jusqu'à  ce  qu'ils  finissent  par  s'éteindre.  Les  dettes 
n'étaient  plus  payées  ;  les  juges  ne  siégeaient  même  plus 
pour  en  connaître,  et  cela  dura  vingt-cinq  ans.  Les 
magistrats  distribuaient  aux  pauvres  les  revenus  pu- 
blics. Les  riches  sans  enfants,  au  lieu  de  laisser  leur 
fortune  à  leurs  parents,  la  léguaient  à  tous  leurs  amis 

II.  4 


50  LE  CHRISTIANISME    ET  SES   ORIGINES. 

pour  la  dépenser  entre  eux  en  repas  communs.  Ceux 
mêmes  qui  avaient  des  enfants  détournaient  à  cet  em- 
ploi une  grande  partie  de  leur  bien.  «  Il  y  avait  ainsi 
quelquefois  pour  un  mois  plus  de  soupers  dont  les  fonds 
(Paient  faits,  qu'il  n'y  avait  de  jours  dans  le  mois.  » 
Ailleurs,  Polybe  parle  de  toute  la  Grèce  qui  périt  par 
!a  dépopulation.  On  ne  se  marie  plus,  et  on  n'élève  que 
le  moins  possible  les  enfants  nés  hors  du  mariiige,  de 
jeur  qu'ils  ne  soient  pauvres  :  les  maisons  se  vident, 
(.1  après  les  maisons,  les  cités. 

Polybe  paraît  s'en  prendre  de  tout  le  mal  à  l'esprit 
de  l'école  d'Épicure  ;  et  en  effet  c'es;.  cet  esprit  qu'on 
reconniiit  dans  cet  éloignemcnt  de  l'action,  dans  ces 
repas  d'amis,  institués  par  des  morts,  dans  ces  aumô- 
nes publiques,  dans  ce  goût  du  célibat.  Cependant, 
dire  qu'Épicure  et  les  siens  ont  perdu  la  Grèce  serait 
chercher  la  cause  dans  l'effet  :  c'est  parce  (}uc  la  Grèce 
était  perdue  qu'ils  ont  senti  et  pensé  ainsi.  Mais,  si  on 
se  reporte  à  des  doctrines  plus  hautes  et  plus  fières, 
n'est-on  pas  déconcerté  de  voir  le  peu  qu'elles  ont  pro- 
duit? Quoi  !  ce  sont  là  les  générations  que  ces  grandes 
philosophies  ont  formées!  quoi!  après  les  leçons  d'un 
Socrate,  d'un  Platon  et  d'un  Zenon,  voilà  ce  qu'ont  été 
les  honmies!  Il  faut  nous  accoutumer  à  ces  surprises. 
Plus  tard,  nous  serons  forcés  de  dire  aussi  :  Quoi  ? 
voilà  ce  que  le  monde  est  devenu  à  la  suite  des  leçons 
duChiistianisme! 

En  effet,  quels  plus  tristes  temps  que  ceux  des  Pères 
de  l'Eglise  !  Du  moment  où  le  Christianisme  commence 
à  compter,  tout  se  précii)iie  pai  une  décadence  rapide, 


D'ALEXANDRE    AUX    ROMAINS.  51 

ince??an(e,  irréparable.  C'est  de  son  triomphe  que  date 
l'empire  byzantin,  dont  le  seul  nom  représente  toute  es- 
pèce d'abjection  et  de  misère,  et  dont  l'hisioire  est  éga- 
lement insuporlable  par  la  répugnance  qu'inspire  le 
fond  et  par  la  barbarie  dont  la  forme  même  est  em- 
preinte. L'empire  byzantin  dans  l'Orient,  l'invasion  des 
Barbares  dans  l'Occident,  ce  sont  les  deux  termes  où 
vient  aboutir  la  révolution  chrétienne.  M.  Villemain  a 
dit,  en  parlant  du  temps  des  Basile  et  des  Chrysos- 
lome,  des  Jérôme  et  des  Augustin  :  «  Ce  siècle  de  splen- 
deur théologique  fui  l'avant-scène  de  la  barbarie  :  tant 
il  est  vrai  que  la  religion,  secours  divin  des  âmes, 
n'est  pas  un  instrument  politique  qui  suffise  à  tout,  et 
ne  peut  suppléer,  pour  les  États,  ni  le  travail,  ni  la 
liberté,  ni  la  gloire!  » 

L'enseignement  des  philosophes,  comme  plus  tard 
le  Christianisme,  a  été  un  secours  apporté  à  l'humanité 
.  lalade:  ce  que  celle-ci  a  souffert  témoigne  de  sa  mala- 
vlie,  sans  accuser  précisément  ses  médecins.  Maïs  les 
médecins  eux-mêmes  étaient  malades.  La  philosophie, 
1  force  de  désespérer  de  la  vie  réelle,  en  avait  fait 
([uelquefois  trop  bon  marché;  la  religion  a  péché  par 
là  bien  plus  gravement  encore.  La  première,  avec  ses 
préoccupations  de  vertu  intérieure  et  mystique,  avait 
trop  souvent  affaibli  dans  l'homme  la  liberté  de  la  pen- 
sée et  la  puissance  de  l'action  :  la  rehgion  les  a  étouffées. 

Mais  voici  le  moment  venu  où  la  philosophie  entre 
à  Rome,  e4  ou  elle  commence  à  faire  son  œuvre  dans 
la  grande  cité  qui  va  être  tout  à  l'heure  la  capitale  du 
genre  humain  :  c'est  là  qu'il  faut  maintenant  la  suivre. 


CHAPiTKE    XI 


liPOQUE     ROMAINE.     —     CICKRON. 


Le  nom  de  Rome  est  le  centre  de  l'histoire  du  Chris- 
tianisme. Le  Christianisme  a  été  d'abord  une  révolution, 
puis  un  empire.  La  révolution,  c'est  l'élan  des  peuples 
vaincus  pour  s'affranchir  autant  qu'ils  le  pouvaient  du 
joug  de  Rome,  en  s'affranchissant  de  ses  dieux.  L'em- 
pire, c'est  ce  que  Rome  a  gardé  de  sa  domination  sur 
le  monde,  lorsqu'étant  obligée  de  subir  la  religion  de 
ses  sujets,  elle  s'y  est  assuré  la  première  place,  et  que, 
cessant  de  commander  par  la  force,  elle  a  commandé 
encore  par  l'esprit.  L'Église,  qui  s'était  élevée  malgré 
les  Romains  et  contre  eux,  est  devenue  l'Église  romaine. 

Jusqu'à  la  destruction  de  Carihage  et  la  réduction  de 
l'Achaïe  en  province,  il  n'y  avait  encore  qu'une  cité 
romaine;  l'empire  romain  n'existait  pas.  Le  voilà  fait  ; 
Rome  est  désormais  souveraine  de  tous  les  peuples, 
du  moins  en  perspective  ;  ceux  qui  ne  sont  pas  encore 
soumis  attendent  leur  tour.  Maintenant  doit-on  attribuer 
à  la  domination  romaine,  etavant  elle  à  celle  d'Alexandre, 
l'honneur  d'avoir  fait  l'unité  du  genre  humain  en  i;ii 


ÉPOQUE    ROMAINE.    -    CICRRON.  53 

assurant  les  loisirs  de  la  paix  et  la  communicaiion  des 
esprits?  Je  veux  bien  que  cette  force  de  vie  et  cette 
puissance  de  réparation,  qui,  dans  la  nature  ou  dans 
l'humanité,  luttent  contre  le  m.il  et  en  font  sortir  le  bien, 
aient  pu  tirer  quelque  protii  pour  les  peuples  de  leur 
assujettissement  même.  Mais  comment  méconnaître  ce 
que  l'esprit  grec  avait  fait  tout  seul,  longtemps  avant 
Alexandre,  sans  empire,  sans  chemins,  sans  légions,  à 
travers  les  barrières  de  toute  espèce  et  les  guerres  sans 
cesse  renaissantes  sur  tous  les  poinis  de  la  terre?  La 
Grèce  libre  avait  jeté  de  tous  côtés  des  colonies,  parlés- 
quelles  elle  aurait  peu  à  peu  conquis  le  monde  ;  seule- 
ment cette  conquête  pacifique  voulait  du  temps,  et  il  man- 
qua à  la  Grèce.  Elle  ne  put  pénétrer  chez  les  étrangers 
que  par  la  mer;  il  semble,  suivant  l'expression  de  Cicé- 
ron,  qu  une  portion  détachée  de  ses  rivages  était  venue 
former  une  bordure  aux  pays  barbares.  Les  Macédo- 
niens et  surtout  les  Romains  pénétrèrent  dans  l'intérieur 
des  terres  et  tracèrent  partout  des  voies.  Mais  je  ne 
dirai  pas  pour  cela  que  l'éducation  du  genre  humain  ait 
été  une  consigne  militaire.  Est-ce  que  Rome  n'aurait 
pas  subi  l'ascendant  delà  Grèce,  quand  la  Grèce  n'aurait 
pas  été  écrasée  par  Rome?  Carthage  elle-même  ne  s'en 
serait-elle  pas  laissé  pénétrer?  Si  l'immense  servitude 
établie  parles  Romains  a  eu  quelque  action  bienfaisante 
sur  la  conscience  humaine,  c'est  surtout  la  même  que 
la  servitude  macédonienne  avait  pu  avoir  déjà  :  de 
rendre  plus  nécessaire  aux  âmes  gênées  la  liberté  inté- 
rieure, et  de  leur  donner  la  soif  de  la  justice  absente. 
On  sait  d'ailleurs  combien  la  conquête  fut  tristement 


54         LE    CHRISTIANISME   ET    SES    ORIGINES. 

expiée  plus  tard  par  l'invasion  des  Barbares.  Mais  enfin, 
dans  sa  marche  rapide  et  prodigieuse,  elle  livra  plus  tôt 
au  christianisme  un  monde  soumis  à  une  seule  loi,  et 
prêt,  à  la  surface  du  moins,  pour  une  communion  uni- 
verselle. Universelle,  catholique,  c'est  le  même  mot  : 
c'est  ce  qu'était  Rome  et  c'est  ce  que  fut  l'Église. 

Il  est  vrai  que  Rome  méritait,  à  bien  des  titres,  l'hon- 
neur de  transmettre  les  leçons  de  la  Grèce  à  l'Occident. 
Ces  Barbares,  comme  les  Grecs  les  appelaient,  étaient 
des  Italiens,  c'est  assez  dire,  véritables  cousins  des  Hel- 
lènes par  leur  esprit  comme  par  leur  soleil,  et  supé- 
rieurs par  la  résolution  et  la  patience,  Rome  devait  être, 
il  faut  l'avouer,  même  dans  l'ordre  spirituel,  une  digne 
capitale  du  monde. 

La  philosophie  grecque,  en  passant  à  Rome,  n'y  trouva 
pas  de  philosophie  romaine;  mais  la  religion  grecque  y 
rencontra  une  religion  latine.  Je  ne  m'enfoncerai  pas 
dans  l'obscurité  des  temps  oîi  se  cachent  les  racines  des 
deux  religions  aussi  bien  que  des  deux  langues.  Je  ne 
chercherai  pas  non  plus  comment  Rome  a  pu  tenir  tou- 
jours à  la^  Grèce,  soit  par  les  Étrusques,  soit  par  les 
Grecs  de  l'Italie.  Il  suffit  de  savoir  que  la  religion  ro- 
maine ne  lit  à  celle  de  la  Grèce  aucun  obstacle  quand 
celle-ci  se  présenta  comme  ayant  droit  à  la  foi  et  au  culte 
des  Latins.  La  religion  indigène  était  si  simple  et  si  nue, 
que  l'autre  la  recouvrit  sans  peine  et  s'étala  par-dessus. 
Les  vieilles  croyances  latines  n'avaient  produit  aucune 
de  ces  trois  choses  parlesquelles  se  développent  les  reli- 
gions :  mythologie,  art,  métaphysique.  Rien  de  plus 
qu'une  foi  naïve  à  quelques  dieux  très-mal  délinis,  avec 


ÉPOQUE  ROMAINE.    -    CICÉRON.  55 

des  pratiques  exactes  et  minutieuses.  Et  ces  dieux,  on 
avait  été  plus  de  170  années,  c'est-à-dire  jusqu'aux 
Tarqiiins,  sans  se  les  représenter  sous  aucune  image,  il 
laissèrent  les  dieux  grecs  prendre  leurs  nom=,  et  mctlre 
sous  ces  noms  leur  figure,  leur  histoire,  leurs  inspira- 
tions. Jupiter  ou  Jove,  Junon,  Mars,  Mercure,  Diane, 
5Iinerve,  Gérés,  Vénus,  Vulcain  ,  Neptune,  Saturne 
furent  désormais  les  mêmes  que  Zeus,  Hcra,  Arès- 
Hermès,  Artémis,  Athéné,  Déméter ,  Aphrodite,  Hé- 
pheste,  Posidon,  Cronos.  Quelques  dieux  grecs,  Bacchos- 
Apollon,  Cybèle  furent  reçus  sans  même  changer  de 
nom;  au  contraire,  Janus  resta  J^nus  et  demeura  un 
dieu  tout  latin.  Et  derrière  lui  continuèrent  de  vivre 
une  multitude  de  petits  dieux,  qui  faisaient  sans  éclat 
leur  tâche  de  tous  les  jours,  dans  la  maison  ou  dans  les 
champs.  11  n'y  eut  d'hellénique,  dans  la  religion  ro- 
maine, que  l'histoire  sainte,  la  poésie  et  les  arts;  en  un 
mot,  les  dehors  :  au  fond,  elle  resta  latine  par  les  pra- 
tiques pieuses  comme  par  l'esprit  intérieur. 

Il  y  a  dans  l'esprit  romain  un  principe  moral  d'une 
grande  force,  c'est  le  respect  du  droit.  Droit  bien  im- 
parfait sans  doute,  et  quelquefois  même  droit  inique, 
mais  qui  n'en  est  pas  moins  une  règle,  toujours  pré- 
sente et  souverainement  respectée.  «  Le  Romain  vit  du 
droit  ;  là-dessus  il  ne  plaisante  pas.  Ses  historiens  ont 
conservé  le  souvenir  du  scandale  qui  remplit  la  ville, 
quand  les  philosophes...  offrirent  de  prouver  qu'il 
n'existe  aucune  différence  entre  le  juste  et  l'injuste,  et 
que  le  droit  est  un  préjugé,  un  mot  '.  » 

1.  Proudiion,  de  la  Justice  dans  la  RévoluUon  et  dans  V Eglise, 
1858,  t.  II(,  p.  74. 


56  LE  CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

Les  mœurs  aussi,  sans  être  pures,  étaient  réglées, 
et  elles  avaient  de  la  dignité.  Rome  ne  connaissait 
pas  de  gynécée,  c'est-à-dire  qu'elle  considérait  assez 
la  femme  pour  l'associer  franchement  à  la  vie  de 
l'homme.  Malgré  les  adultères,  et  ces  divorces  qui 
ne  valaient  pas  mieux  que  des  adultères,  le  ma- 
riage y  était  entouré  d'un  grand  respect.  La  matrone 
est.  un  caractère  romain;  fille  comme  Virginie,  femme 
comme  Lucrèce,  mère  comme  Véturie,  elle  est  également 
imposante.  «  Où  est  le  Romain,  dit  Cornélius  Nepos, 
chez  qui  la  mère  de  famille  n'occupe  dans  la  maison  l'ap- 
partement d'honneur  et  n'y  tienne  sa  cour?»  Rome 
n'avait  donc  à  apprendre  de  personne  la  dignité  de  la 
femme.  Les  amours  contre  nature  ne  sont  encore  que 
trop  répandus  parmi  les  Romains,  mais  ils  les  mépri- 
sent ;  ils  condamnent  les  mariages  entre  frère  et  sœur, 
mémo  non  utérins  ;  ils  ont  pourtant  leurs  Hcences,  sou- 
vent brutales  (qu'on  se  rappelle  seulement  les  indé- 
cences des  Floralia)  ;  mais  en  faisant  une  part  aux 
instincts  grossiers,  ils  ne  leur  laissent  pas  franchir 
certaines  bornes  convenues  ;  ils  aiment  la  règle  ;  ils  n'ont 
de  goût  pour  aucune  espèce  de  désordre,  ni  au  théâtre, 
ni  au  forum.  Ils  ont  même  un  certain  dédain  pour  les 
arts  et  les  talents  d'agrément,  pour  tout  ce  qui  ne  paraît 
pas  donner  à  l'homme  plus  de  force  et  plus  de  poids. 
Platon  chassait  Homère  de  sa  liépubliqae  ;  les  vrais 
Romains  eussent  volontiers  chassé  Platon  de  la  leur. 
Les  plus  vieilles  paroles  que  l'on  ait  en  langue  latine, 
les  Inscriptions  d'un  âge  qui  n'était  pas  encore  littéraire, 
sont  pleines  d'une  grandeur  solide  dans  leur  simplicité 


ÉPOQUE    ROMAINE.     —   CICÉRON.  57 

nue,  et  la  langue  a  tout  d'abord  la  majesté  ;  ce  mot  mémo 
de  majesté  n'a  pas  en  grec  d'équivalent  véritable.  La 
religion  romaine  fut  donc  essentiellement  grave  et 
sévère;  c'est  celle  d'un  peuple  de  laboureurs,  de  soldats 
et  de  jurisconsultes,  ignorants  de  l'industrie  et  des  arts. 
Elle  est  toute  prête  à  faire  bon  marché  des  immoralités 
de  la  mythologie,  puisque  la  mythologie  lui  est  étran- 
gère ;  ses  dieux  ne  sont  pas  des  enfants  de  l'imagina- 
tion, aux  aventures  éclatantes  et  aux  exemples  douteux, 
mais  plutôt  des  magistrats  suprêmes.  Et  les  Grecs 
étaient  frappés  les  premiers  de  cette  dignité  de  la  reli- 
gion du  peuple-roi. 

L'esprit  romain  ne  rêve  pas  volontiers;  il  ne  semble 
pas  qu'il  se  soit  tourmenté  pour  éclairer  la  nuit  qui  cou- 
vre l'origine  du  monde  et  de  l'homme,  ou  pour  se  re- 
présenter une  existence  à  venir.  Il  se  contente  de  rendre 
scrupuleusement  des  devoirs  aux  morts  dans  leurs  tom- 
beaux; il  n'a  point  de  mystères;  il  ignore  l'apothéose; 
il  ne  connaît  pas  l'enthousiasme  ;  il  n'a  ni  inspirés  ni 
oracles. 

Mais  il  a  des  observances  pieuses  pour  toute  circon- 
stance et  pour  tout  besoin.  Il  y  avait  des  dieux  bons, 
de  qui  on  sollicitait  les  bienfaits,  et  des  dieux  méchants, 
dont  on  tâchait  de  conjurer  le  mauvais  vouloir.  La  foi 
populaire,  qu'il  faut  distinguer  de  la  religion  littéraire, 
attachait  à  chacun  des  actes  de  la  vie  un  ou  plusieurs 
fonctionnaires  divins,  avec  lesquels  on  se  mettait  en  rè- 
gle pour  obtenir  leurs  bons  offices.  Il  y  avait  le  dieu 
Terme,  le  dieu  des  saisons,  la  déesse  de  la  mois?on  ou  de 
la  rouille,  etc.,  etc.  La  Cité  était  religieuse  de  la  même 


58         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

manière  que  les  particuliers;  ses  prêtres  étaient  d'^s em- 
ployés dans  le  service  du  surnaturel.  Lcs;j07i^//es  ne  sont, 
comme  on  l'a  dit,  que  des  ingénieurs  sacrés;  les  augures, 
des  commissaires  accrédités  auprès  des  dieux.  Les  uns  et 
les  autres  font  les  affaires  de  la  république,  sous  le  con- 
trôle du  sénat.  Les  Vestales  gardent  le  foyer  de  la  Cité  ; 
le  collège  des  Arvales  prie  pour  les  champs  {arva)  ;  des 
formules  servent  à  vouer  aux  dieux  ennemis  une  ville 
à  laquelle  on  fait  la  guerre,  ou  à  faire  sortir  de  cette 
ville,  par  la  vertu  d'une  évocation,  les  dieux  amis  qui 
la  protègent.  La  foi  constante  de  Rome  a  été  que  sa 
grandeur  était  établie  sur  l'excellence  de  ses  pratiques 
saintes.  Elle  se  vantait  d'avoir  plus  de  religion  qu'il  n'y 
en  avait  nulle  part  au  monde;  et  voici  les  paroles  que 
nous  trouvons  sur  un  monument  par  lequel  elle  recon- 
naissaità  une  lie  grecque  et  sujette  un  privilège  religieux: 
«  La  fidélité  avec  laquelle  nous  observons  les  devoirs  de 
la  piété  envers  les  dieux  est  attestée  pour  tout  le  monde 
par  la  bienveillance  que  nous  accorde  la  Divinité.  »  Et 
ailleurs  :  «  Quand  il  s'agit  des  choses  sacrées,  ceux  qui 
commandent  sont  les  premiers  à  obéir,  bien  convaincus 
que  l'empire  des  hommes  appartient  à  ceux  qui  servent 
tidélement  les  dieux.  »  Les  Romains  croyaient  avoir  fait 
un  pacte  avec  le  ciel. 

Rome  est  formaliste,  et  la  religion  était  pour  les 
Romains  comme  la  plus  haute  branche  du  droit;  ils  ob- 
servaient un  serment  comme  un  contrat,  en  s'attachant 
surtout  à  la  lettre.  Perses,  réfugié  dans  l'asile  sacré  des 
dieux  de  Samothrace,  s'était  livré  aux  Romains  quand 
ils  lui  eurent  juré  par  ces  dieux  inviolables  de  lui  laisser 


ÉPOQUE    ROMAINE.    -    CICÉRON.  59 

la  vie  sauve  ;  ils  imaginèrent,  dit-on,  de  le  faire  mou- 
rir en  l'empêchant  do  dormir.  Tout  était  minulieuso- 
nient  réglé  dans  le  culte  et  plein  de  cas  de  nullité  dont 
le  zèle  avait  peine  à  se  garantir.  Ces  règlements  étaient 
d'une  m'muùe  judaïque  :  c'est  Tertullien  qui  s'exprime 
ainsi.  Les  prescriptions  imposées  au  Flamen  de  Jupiter 
le  suivent  dans  tous  les  détails  de  sa  vie  :  il  ne  peut 
aller,  venir,  manger,  se  coucher,  s'habiller,  se  faire  la 
barbe,  sans  avoir  affaire  aux  plus  bizarres  exigences. 
Toutes  les  prières  sont  dictées  ;  ce  sont  quelquefois  des 
litanies  présentant  dans  un  certain  ordre  de  longues 
séries  de  noms  sacrés  et  mystérieux. 

Mais  Rome  surtout  a  porté  dans  la  religion  comme 
ailleurs  son  génie  de  gouvernement  et  de  discipline. 
«  Toi,  Romain,  occupe-toi  de  gouverner  le  monde.  » 
Cette  parole  de  Virgile  n'est  pas  vraie  seulement  au  de- 
hors, mais  dans  l'ordre  intérieur  même.  Rome  a  mer- 
veilleusement discipliné  les  siens  d'abord,  et  puis  le 
reste  des  hommes.  Athènes  est  la  pairie  du  raisonne- 
ment, Rome  est  la  cité  de  l'autorité  et  de  la  loi.  Elle 
avait  institué  dés  les  premiers  siècles  un  chef  suprême 
de  la  religion,  charge  de  régler  tout  ce  qui  était  dû 
aux  dieux,  «  Tout  culte  privé  ou  public  était  soumis  à 
ses  décisions,  c'était  à  lui  que  les  peuples  devaient  s'a- 
dresser pour  que  les  choses  divines  fussent  à  l'abri  de 
tout  désordre  provenant  de  l'oubli  des  traditions  natio- 
nales ou  de  l'introduction  de  rites  étrangers.  Et  ce  n'é- 
tait pas  seulement  les  devoirs  envers  les  dieux  d'en 
haut,  mais  la  religion  des  morts  et  les  moyens  d'apaiser 
les  mânes  que  devaient  embrasser  ses  instructions.  » 


(.0  LE    CÎIRISTIANISJIE    ET    SES   ORIGINES. 

Le  nom  de  ce  souverain  pontife,  summus  pontifex,  a 
fini  par  redevenir  celui  du  chef  de  la  catholicité.  Les 
Grecs  étaient  frappés  du  grand  nombre  des  prêtres  à 
Kome  et  de  leur  haute  situation.  Et  une  idée  de  sain- 
;clé  morale  est  attachée  comme  chez  nous  au  caractère 
Je  prêtre.  Rome,  donc,  fit  de  tout  temps  chez  elle  la 
Dolicc  des  religions,  et  tint  pour  suspect  tout  culte  qui 
ne  relevait  pas  de  l'État  ;  l'aristocratie  romaine  enten- 
dait que  la  religion  restât  toujours  dans  sa  main  ;  au 
contraire,  ceux  qui  voulaient  échapper  à  son  pouvoir 
cherchaient  naturellement  l'indépendance  dans  une 
religion  à  part  et  non  autorisée  par  elle.  Le  serviteur 
aime  à  avoir  ses  dieux  qui  ne  soient  pas  ceux  du  maître. 
Le  vieux  Caton  écrivait,  dans  son  livre  sur  la  propriété 
rurale  (143),  là  où  il  dit  les  devoirs  de  la  femme  du 
fermier  ou  villica  :  «  Qu'elle  ne  fasse  aucune  dévotion 
ni  ne  charge  personne  d'en  faire  pour  elle,  sans  l'ordre 
du  maitre  ou  de  la  maîtresse.  Qu'elle  sache  que  c'est 
l'affaire  du  maître  de  s'acquitter  des  dévotions  pour 
toute  la  maison.  »  Le  sénat  tenait  delà  même  manière  la 
grande  ferme  de  l'empire  romain  ;  c'était  être  infidèle 
au  maitre  que  d'être  dévot  sans  lui.  Mais  un  penchant 
perpétuel  emportait  les  sujets  de  Rome  vers  les  reli- 
gions étrangères.  Les  affilintions  à  ces  cultes  du  dehors 
étaient  des  espèces  de  sociétés  secrètes  qui  menaçaient 
l'autorité  des  Romains.  Le  sénat  fit  précisément  comme 
Caton.  Toute  religion  secrète  lui  paraissait  une  conjura- 
tion et  l'était  probablement  en  effet  ;  la  seule  ressource 
qu'eussent  les  vaincus  pour  travailler  contre  la  domi- 
nation de  Rome  était  de  se  révolter  contre  ses  dieux. 


ÉPOQUE    ROMAINE.    -    CICÉRON.  61 

C'est  ce  qui  rendit  si  menaçante,  deux  cents  ans  envi- 
ron avant  notre  ère,  la  fameuse  conjuration  des  Bac- 
chanales et  ce  qui  la  fit  frapper  si  durement.  Dans  le 
sénatus-consulte  rendu  à  cette  occasion,  et  qui  sub- 
siste, on  lit  des  prescriptions  comme  celle-ci  :  «  Nul 
ne  s'affiliera,  ni  citoyen,  ni  Latin,  ni  allié  Italien,  sans 
s'être  adressé  au  préteur  et  sans  que  le  préteur  ait  pris 
l'avis  du  Sénat,  au  nombre  de  cent  sénateurs  au  moins.  » 
Il  ne  se  fera  ni  une  réunion,  ni  un  sacrifice  public  ou 
privé,  même  hors  de  Rome,  sans  les  mêmes  formalités. 
Elles  doivent  être  remplies  dès  qu'il  y  a  plus  de  cinq 
personnes,  hommes  et  femmes,  associées  dans  un  de 
ces  actes  de  dévotion.  Et  l'infraction  à  ces  dispositions 
est  crime  capital.  Rome  acceptait  d'ailleurs  tous  les 
dieux  qui  lui  venaient  de  tous  les  points  de  la  terre  et 
ne  leur  demandait  que  d'être  alliés,  c'est-rà-dire  sujets. 
Mais  au  contraire,  ce  que  les  peuples  aimaient  surtout 
dans  ces  dieux,  c'était  de  n'être  ni  romains,  ni  soumis  à 
Rome. 

Enfin,  la  morale  religieuse  des  Romains  est  bornée 
en  hauteur  et  en  largeur;  elle  n'embrasse  pas  l'idée  de 
l'humanité  ni  celle  d'une  culture  libérale  des  esprits  : 
Polybe  reproche  à  ses  maîtres  de  n'avoir  rien  fait  pour 
l'éducation  des  enfants.  Elle  contient  et  elle  dresse 
plutôt  qu'elle  n'élève.  Mais  elle  saisit  l'homme  extérieur, 
dans  tous  ses  actes  et  dans  tous  les  accidents  de  sa  vie, 
avec  une  force  que  la  religion  grecque  ne  possédait 
plus,  ou  plutôt  qu'elle  n'avait  jamais  possédée,  et  qui 
ne  peut  être  comparée  qu'à  l'empire  souverain  qu'cxerçu 
plus  tard  sur  les  peuples  la  foi  chrétienne  la  plus  fer- 


62         LE    CHIUSTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

vente.  Polybe  était  émerveillé  de  cette  crainte  des  dieux 
qui  se  faisait  sentir  en  toutes  choses,  et  qui  allait  si 
loin  qu'on  ne  pouvait,  dit-il,  rien  imaginer  au  delà. 
L'État,  la  famille,  le  particulier,  étaient  partout  et  ton- 
(ours  sous  la  main  des  prêtres. 

Tous  ces  traits  de  la  religion  romaine,  qui  lui  sont 
particuliers  pour  la  plupart,  ou  qui  ont  été  plus  marques 
rhcz  elle  que  partout  ailleurs,  devaient  entrer  un  jour 
I  ar  elle  dans  la  religion  destinée  à  prendre  possession 
(!(]  monde  romain.  Un  Christianisme  purement  helléni- 
(jue  n'aurait  pas  présenté  les  mêmes  caractères  de  ma- 
ji'Sté  et  de  sévérité;  la  même  application  à  se  prévaloir 
de  lareligion^  comme  ditMontesquieu,  pour  le  plusgrand 
l)ien  des  affaires  privées  ou  publiques  ;  le  même  respect 
des  formes  ;  le  même  contrôle  rigoureux  de  l'autorité 
Fur  tous  les  mouvements  de  la  pensée,  de  l'imagination 
(  u  du  cœur.  La  Rome  du  Sy  llabus  n  est  plus  que  la  paro- 
die de  la  Rome  d'autrefois  ;  mais  en  la  parodiant,  elle  la 
1  appelle  ;  elle  a  hérité  de  son  orgueil,  fondé  sur  l'empire 
universel.  C'est  à  Rome  que,  pour  la  première  fois,  une 
voix  humaine  a  pu  s'élever  avec  la  prétention  de  com- 
mander tout  ensemble  «  à  la  ville  et  au  monde  »  urbt 
ctorbi^.  C'est  là  qu'un  consul,  prenant  la  parole  au 
Forum,  adressait  sa  prière  aux  dieux  d'abord,  puis, 
(lisait-il,  à  vous,  citoyens,  dont  la  puissance  vient  im- 
niédialemenl  après  celle  des  dieux.  C'est  là  qu'un  roi 
;  upi)liant  pouvait  s'écrier  en  s'adressant  au  Sénat: 
«  Puisse  enfin  votre  pensée  ou  celle  des  dieux  prendre 

1.  Iloïiianw  spaliuiu  est  urbis  et  orbis  idem. 


ÉPOQUE    ROMAINE.    —  CICÉRON.  63 

quelque  souci  des  affaires  des  hommes  '  »  C'est-à-dire 
que  le  peuple  romain,  en  attendant  les  papes,  était  le 
vicaire  de  la  divinité  ici-bas.  Les  fils  de  Rome  ne  sup- 
portaient pas  l'idée  que  Rome  pût  jamais  périr.  L'image 
d'une  telle  destruction  faisait  à  leur  imagination  le 
même  effet  que  celle  de  la  destructmi  du  monde.  La 
piipauté  et  ses  fidèles  pensent  encore  ainsi,  et  le  Vatican 
se  croît  éternel  comme  le  Capitole. 

Mais  quand  on  dit,  en  parlant  des  temps  païens,  la 
religion  romaine,  il  ne  faut  entendre  par  là  autre  chose 
que  l'csprii  particulier  que  Rome  portait  dans  la  reli- 
gion. Autrement  il  n'y  a  pas  de  religion  romaine  ;  mais 
Rome  a  toutes  les  religions  à  la  fois  :  latines,  étrusques, 
grecques,  asiatiques.  Toutes  les  superstitions,  indigènes 
ou  exotiques,  vinrent  tomber  dans  ce  grand  réceptacle, 
ouvert  aux  idées  et  aux  passions  de  l'humanité  entière. 
Etc'estau  milieu  de  tout  cela  que  nous  retrouvons  la 
philosophie. 

Avant  que  Rome  fût  en  commerce  avec  la  Grèce 
propre,  la  philosophie  avait-elle  déjà  pénétré  chez  les 
Uuiiiains  par  la  Grèce  d'Ralie,  comme  Cicéron  aimait  à 
le  croire,  et  l'école  pyiliagorique  avait-elle  inspiré  une 
sorte  de  Livre  des  Sentences  composé  par  Appius 
l'aveugle?  Je  ne  Siis;  mais  au  commencement  du  troi- 
siè,;;e  siècle  avant  notre  ère,  l'Italie  grecque  avait  com- 
mencé à  subir  la  domination  romaine,  et  c'est  de  là 
que  sortirent  les  premiers  poêles  latins.  Peu  à  peu, 
ceux-ci  transportèrent  à  Rome,  avec  les  fables  et  les 
représentations  dramati  jues  de  la  Grèce,  ce  que  les 
unes  et  les  autres  contenaient  de  philosophie.  Ce  sont 


64         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

les  comédies  de  Plante  et  les  tragédies  d'Ennius  qui  po- 
pularisèrent d'abord  parmi  les  Latins  les  enseignements 
de  la  sagesse  grecque,  non-seulement  en  morale,  mais 
même  sur  ce  qui  regardait  ou  la  nature  ou  les  dieux.  Je 
puis  renvoyer  ici  à  tant  de  traits  que  j'ai  recueillis  ail- 
leurs dans  le  théâtre  latin,  quandje  n'y  cherchais  que  des 
témoignages  sur  la  comédie  grecque  d'après  Alexandre, 
qui  lui  servit  de  modèle.  Je  n'insisterai  aujourd'hui  que 
sur  l'esprit  critique  qui  perce  de  bonne  heure  dans  ce 
théâtre,  et  qui  en  fit  sans  doute  une  des  plus  attrayantes 
nouveautés.  Ce  vieil  Ennius,  en  qui  nous  personnifions 
volontiers  le  génie  de  l'ancienne  Rome,  et  qui  avait  repré- 
senté le  sage  suivant  les  Romains,  dans  un  portrait  où 
nous  aimons  à  le  reconnaître  lui-même  :  «  Content  du 
sien,  avisé,  parlant  à  propos,  en  peu  de  paroles,  sachant 
les  choses  d'autrefois  ensevelies  dans  l'oubli,  connaissant 
les  temps  anciens  et  les  nouveaux,  versé  dans  les  vieilles 
lois  et  dans  la  science  divine  et  humaine  »  ;  Ennius  est 
le  disciple  des  raisonneurs  grecs,  et  il  répète  en  latin  leurs 
libres  discours.  Son  Télamon  parlait  comme  parle  Épi- 
cure  :  «  11  y  a  des  dieux  au  ciel,  je  l'ai  toujours  dit,  et 
je  le  dirai  toujours  ;  mais  je  crois  aussi  qu'ils  ne  se 
mettent  pas  en  peine  de  ce  que  l'ont  les  hommes.  Au- 
trement, tout  irait  bien  pour  les  bons  et  mal  pour  les 
mauvais,  ce  qui  n'est  pas.  »  Le  même  personnage  disait, 
sans  observer  le  costume  :  «  Je  ne  me  soucie  ni  d'un 
augure  Marse^  ni  d'un  aruspice  de  carrefour,  ni  des 
astrologues  du  Cirque^  des  devins  d'Isis,  ni  de  ceux  qui 
expliquent  les  songes...  Ils  promettent  aux  gens  des  tré- 
sors, et  ils  leur  demandent  une  drachme.  Qu'ils  prcn- 


ÉPOQUE  ROMAINE.  —  CICERON.  g5 

nent  la  drachme  sur  leur  trésor,  et  qu'ils  nous  donnent 
le  surplus.  »  On  avait  d'ailleurs  d'Ennius  un  poëme  qui 
portait  le  titre  d'Epicharine,  où  il  enseignait,  au  nom 
du  poëtepythagoriste,  qu'il  n'y  avait  pas  d'autre  Jupiter 
que  la  nature.  Enfin,  il  traduisait  le  livre  d'Évémcre  sur 
les  dieux,  monument  d'incrédulité  si  populaire.  On  ne 
voit  pas  sans  étonnement  que  la  philosophie  ait  débuté 
ainsi  à  Rome.  On  peut  croire  que  l'esprit  romain  fut  sur- 
pris par  ces  hardiesses  de  façon  qu'il  n'eut  pas  même  le 
loisir  de  s'en  défendre.  Et  d'ailleurs,  les  Romains  étaient 
tellement  enveloppés  par  toutes  les  espèces  de  supersti- 
tions (car  ils  les  empruntaient,  comme  ils  empruntaient 
toutes  choses,  au  monde  entier),  qu'ils  devaient  se  sen- 
tir quelque  goût  à  la  révolte.  Enfin,  n'ayant  d'histoire 
saillie,  comme  je  l'ai  dit,  que  celle  des  Grecs,  ils 
n'avaient  donc  ni  traditions  nationales,  ni  monuments, 
ni  habitudes  d'imagination  qui  protégeassent  chez  eux 
les  dieux  helléniques.  La  mythologie  à  Rome  était  sans 
racines;  en  Grèce  même,  à  cette  époque,  elle  était  déjà 
fort  discréditée  ;  elle  avait  souffert  autant  des  abstrac- 
tions savantes  des  Stoïques  que.du  mépris  brutal  des 
indévots.  Voilà  comment  Rome  se  montre  à  nous,  dès 
les  premiers  moments  de  sa  vie  intellectuelle,  plutôt  su- 
perstitieuse que  croyante  :  superstitieuse,  parce  qu'elle 
pense  i)eu  ;  mais  non  pas  croyante,  parce  que,  dès 
qu'elle  pense,  c'est  pour  se  défier  et  se  garder  d'être 
dupe.  On  avait  grand'peur  des  dieux,  et  on  se  rassurait 
tour  à  tour  de  deux  manières  :  tantôt  en  multipliant  les 
pratiques  pieuses,  tantôt  par  le  doute  et  l'irréligion  *. 

1.  «Lareligion  consiste  dans  la  crainte  dos  dieux  et  dans  les  devoirs 
qu'on  leur  rend.  »  C'est  la  définition  romaine. 

:i.  5 


66  LE   CHRISTIANISME  ET   SES   ORIGINES. 

Nous  ne  savons  pas  précisément  quand  les  philo- 
sophes grecs  entrèrent  dans  Rome;  mais  ils  y  étaient 
l'an  161  avant  notre  ère,  à  la  fin  de  la  guerre  de  Macé- 
doine, et  ils  y  étaient  influents^  puisqu'on  les  chassait. 
Alors  fut  rendu  le  sénatus-consulle  que  voici  :  «  Sur  le 
rapport  de  Marcus  Pomponius,  préteur,  le  Sénat  s'élant 
occupé  des  philosophes  et  des  rhéteurs,  il  a  été  résolu 
que  Marcus  Pomponius,  préteur,  prendrait  des  mesures, 
suivant  ce  qui  lui  paraîtra  de  l'intérêt  de  la  république 
et  de  son  devoir,  pour  que  Rome  leur  soit  interdite,  uti 
Romœ  ne  essent.  »  C'est  à  peu  près  dans  le  même  style 
qu'un  édit  des  censeurs,  un  demi-siècle  plus  tard,  con- 
damnait des  écoles  latines  d'une  autre  espèce  :  «On  nous 
a  dénoncé  des  hommes  qui  ont  établi  une  nouvelle  sorte 
d'enseignement;  la  jeunesse  vient  prendre  des  leçons 
chez  eux,  etilssesont  donné  le  nom  de  rhéteurs  latins; 
les  jeunes  gens  passent  des  journées  entières  à  les  écou- 
ter. Nos  anciens  ont  réglé  les  choses  qu'ils  voulaient  faire 
apprendre  à  leurs  enfants,  et  les  écoles  qu'ils  entendaient 
leur  faire  suivre.  Les  nouveautés  contraires  à  la  tradi- 
tion et  à  l'esprit  des  anciens  ne  peuvent  être  agréées  ni 
approuvées.  C'est  pourquoi  nous  jugeons  à  propos  de 
nous  adresser  à  ceux  qui  tiennent  ces  écoles  et  à  ceux 
qui  les  fréquentent,  pour  leur  faire  savoir  que  notre  avis 
est  que  cela  n'est  pas  bon,  nohis  ti on  place re.  »  Voilà  le 
véritable  esprit  de  Rome  à  l'égard  des  libertés  et  des 
tentatives  de  la  pensée.  Point  de  colère,  point  d'empor- 
tement fanatique,  mais  une  consigne  froide  et  inflexible. 
Elle  se  défendit  delà  philosopliie  comme  elle  devait  faire 
plus  tard  du  Christianisme,  mais  avec  moins  de  succès 


[•POQUE  ROMAINE.  —  CICHIION,  67 

encore.  La  philosophie,  insaisissal)lc  à  la  fois  et  iiiésis- 
tible,  eut  bientôt  gagné  tous  ses  ennemis. 

Six  ans  après  le  sénatus-consulte  rendu  sur  le  rap- 
port du  préteur  Pomponius,  les  philosophes  rentraient 
dans  Rome  en  la  personne  de  trois  envoyés  d'Athènes. 
Les  Athéniens  avaient  choisi,  pour  les  députer  auprès 
du  Sénat,  trois  philosophes,  comme  au  moyen  âge  on 
aurait  choisi  trois  hommes  d'Église  :  un  Përipatétique, 
un  Sloïque,  un  Académique  ;  ils  ouvrirent  à  Rome  des 
conférences  qui  passionnèrentpour  la  philosophie  toute 
la  jeune  noblesse.  Carnéade  surtout  l'enlevait  en  lui 
montnint  à  tout  mettre  en  question  et  à  trouver  le  pour 
•et  le  contre  en  toutes  choses.  Il  y  avait  sans  doute  des 
résistances  :  des  jurisconsultes  à  longue  barbe  soute- 
naient que  les  célèbres  Douze  Tables  valaient  mieux  à 
elles  seules,  pour  conduire  un  peuple,  que  des  biblio- 
thèques de  philosophie.  Telle  Oraison  funèbre  prononcée 
au  temps  d'Annibal  par  un  père  enterrant  son  fils, 
paraissait  plus  fortifiante  que  tous  les  livres  des  Grecs 
sur  le  deuil  des  morts.  La  plupart  des  Romains  n'avaient 
pas  l'esprit  assez  délié  pour  se  démêler  des  abstractions 
subtiles  des  philosophes  ;  ils  étaient  d'ailleurs  trop  sen- 
sés et  trop  pratiques  pour  n'être  pas  choqués  du  ba- 
vardage intempérant  de  ces  Grecs,  toujours  prêts  à 
argumenter  et  à  discuter.  Les  esprits  demeuraient  donc 
partagés  entre  le  goût  et  le  mépris  de  ces  nouveautés. 
Une  scène  de  r/lHfîo;j6' d'Euripide,  entre  les  deux  fils 
d'Antiope,  Zéthos  et  Amphion,  dont  le  premier  déclare 
la  guerre  à  cette  sagesse,  tandis  que  le  second  la  défend, 
transportée  sur  la  scène  latine  par  Pacuvius ,  n'y  faisait 


68  LE    CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

pas  moins  d'effet  qu'à  Athènes.  Ceux  qui  prétendaient 
surloutà  être  raisonnables  s'en  tenaient  à  un  vers  d'En- 
nius  qui  faisait  dire  à  Néoptolème  :  «  Il  est  bon  de  phi- 
losopher, mais  sobrement  ;  s'y  donner  tout  entier,  c'est 
trop  pour  moi.  »  Et  tout  en  reconnaissant  de  bonne 
grâce  les  Grecs  pour  leurs  maîtres  en  fait  de  science, 
ils  proclamaient  bien  haut  qu'en  fait  de  vertu,  les  maî- 
tres étaient  les  Romains.  Ils  disaient  encore  que  cette 
belle  sagesse  n'avait  pas  profité,  à  ceux  qui  l'ensei- 
gnaient, poîir  la  vertu. 

Cette  vertu  qui  manquait  aux  Grecs,  c'était  celle 
qu'entretient  la  liberté  et  qui  se  perd  avec  elle.  Et  cette 
supériorité  de  l'esprit  qu'ils  avaient  gardée  leur  ren- 
dait peut-être  leur  dignité  plus  difficile  à  défendre.  Ils 
se  sentaient  faits  pour  gouverner  leurs  maîtres,  mais  ce- 
lui qui  appartient  à  un  autre  ne  gouverne  qu'en  pliant. 
On  sait  ce  qu'étalent  les  pédagogues  ou  précepteurs 
dans  le  monde  antique  :  des  serviteurs  chargés  de  con- 
duire ceux  qu'ils  servaient.  On  peut  dire  que  la  philo- 
sophie entra  dans  le  monde  romain  avec  l'office  de  pé- 
dagogue. Déjà,  dans  les  cités  grecques,  on  a  vu  que  les 
rois  et  les  grands  personnages  avaient  des  philosophes 
attachés  à  leur  personne;  il  en  fut  de  même  chez  ces 
Romains  des  hautes  familles,  bien  plus  considérables 
que  les  plus  considérables  d'entre  les  Grecs  et  même  que 
les  rois.  Leurs  philosophes  les  amusaient  en  les  instrui- 
sant, mais  ce  n'est  pas  tout;  ils  leur  donnaient  encore 
des  vertus  nouvelles  ;  non  pas  peut-être  les  verlim 
fortes  (toutes  romaines  comme  leur  nom),  mais  les 
vertus  délicates.  Scipion  Emilien  devait  à  l'éducation 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  09 

grecque  un  désintéressement  et  une  générosité  en  ce 
qui  regarde  l'argent,  absolument  inconnus  à  Rome,  au 
témoignage  de  Polybe,  et  qu'on  n'y  comprenait  même 
pas.  Il  lui  devait  une  sensibilité  qui  n'était  pas  chose 
moins  nouvelle  ;  au  spectacle  de  la  destruction  de  Car- 
thage,  il  fit  un  retour  sur  sa  patrie,  qui  pouvait  jiérir  de 
même  un  jour,  et  s'émut  en  répétant  les  vers  d'Homère  : 
«  Il  viendra  un  temps  où  tomberont  Ilion  la  ville  sacrée, 
et  Priam,  et  le  peuple  du  noble  Priam.  »  La  philosophie 
dut  apprendre  aux  Romains  non-seulement  l'humanité, 
mais  même  la  justice.  La  leçon,  sans  doute,  ne  fut  pas 
aisément  comprise  ni  suivie,  mais  elle  fut  donnée,  et  il 
faut  ajouter  que  les  grands  événements  qui  se  succédè- 
rent ajoutèrent  leurs  enseignements  à  ceux  des  sages. 
L'empire  de  Rome  ne  cessa  pas  un  instant  d'être  in- 
quiété par  les  protestations  des  opprimés.  Non  qu'ils 
réclamassent  au  nom  d'un  droit  dont  personne  n'avait 
nettement  l'idée,  mais  un  sentim.ent  vague  de  ce  droit 
se  mêlait  au  cri  de  leurs  souffrances,  et  il  se  développa 
et  se  fortifia  par  les  tentatives  mêmes  qu'il  suscitait. 
Les  guerres  serviles,  le  tribunat  des  Gracques,  la  guerre 
sociale,  la  guerre  desCimbres,  la  courte  révolution  faite 
par  Marius,  la  lutte  obstinée  de  Mithridate;  autant  de 
révoltes  qui  échouent  à  peu  près  toutes,  mais  elles 
échouent  de  façon  que  chaque  victoire  affaiblit  morale- 
ment les  vainqueurs.  La  foi  à  l'esclavage,  à  la  conquête, 
aux  privilèges  de  la  noblesse  ou  à  ceux  de  la  cité,  le 
mépris  même  des  Barbares,  ne  peuvent  se  soutenir  dans 
toute  leur  force  après  ces  épreuves.  De  telles  secousses 
forcent  les  esprits  à  réfléchir.  La  philosophie,  qui  prêche 


70  LE   CHIUSTIANISME  ET   SES   ORIGINES. 

îe  respect  de  la  justice  et  la  fraternité  humaine,  est 
mieux  entendue  et  s'entend  mieux  elle-même.  De  plus 
en  plus,  l'idée  tend  à  passer  dans  les  faits. 

Des  esprits  comme  celui  de  Scipion  ou  de  Lélius 
comprenaient  tout,  mais  d'autres  restaient  absolument 
fermés  et  barbares  ;  d'autres  encore  croyaient  entendre 
ce  qu'ils  n'entendaient  pas,  et  témoignaient  d'une  bonne 
volonté  un  peu  naïve.  Cicéron  nous  parle  d'un  certain 
Gellius,  plus  âgé  que  lui  de  dix  à  quinze  ans,  qui,  étant 
proconsul  en  Grèce  et  se  trouvant  à  Athènes,  fut  tout 
étourdi  des  disputes  des  philosophes  sur  la  question  du 
souverain  bien.  Il  s'avisa  de  les  réunir,  et  les  pressa 
fortement  d'en  finir  une  bonne  fois  avec  ces  contesta- 
tions; il  leur  assura  que  s'ils  n'y  mettaient  pas  d'obsti- 
nation et  s'ils  n'étaient  pas  résolus  à  y  passer  leur  vie, 
l'affaire  pourrait  s'arranger;  et  il  leur  promit  de  s'en- 
tremettre de  son  mieux  pour  rendre  Tarrangement  plus 
facile.  Cicéron  dit  qu'on  en  rit  beaucoup,  et  nous  rions 
nous-mêmes  en  le  lisant.  Et  pourtant  cette  histoire  est 
plus  sérieuse  qu'elle  ne  le  semble*.  C'est  bien  là  l'esprit 
romain  et  le  pressentiment  du  rôle  que  Rome  doit  prendre 
un  jour  dans  les  affaires  de  l'esprit.  Ce  que  Gellius 
voulait  faire,  c'est  ce  qu'a  fait  plus  tard  Constantin;  il 
assembla  les  théologiens  comme  l'autre  assemblait  les 
philosophes  ;  et  la  conférence  dans  laquelle  il  les  réunit 
s'appela  synode  ou  concile.  Ce  fut  le  premier  des  con- 
ciles, car  il  ne  faut  pas  appeler  ainsi  les  débats  obscurs 
et  libres  de  quelques  sectaires,  à  l'origine  même  du 
Christianisme,  dans  une  synagogue  de  Jérusalem.  Sans 
cette  intervention  de  l'autorité  romaine,  les  Grecs  au- 


ÉPOQUE  DOMAINE.  —  CICÉRON.  71 

raient  disputé  éternellement;  l'Empereur  se  chargea  de 
tout  arranger,  et  il  y  réussit  mieux  que  le  proconsul, 
parce  qu'on  peut  imposer  une  loi  à  des  Églises,  non  à 
des  écoles. 

«  La  nalurc  a  voulu  qu'il  n'y  eût  pas  de  plus  grande  . 
divinité  dans  le  monde  que  la  vérité,  et  n'a  donné  à 
aucune  autre  une  plus  grande  puissance.  »  Polybe,  en 
parlant  ainsi,  n'a  dans  l'esprit  que  la  vérité  historique; 
mais  il  m'est  permis  d'apptiquer  cette  parole  à  la  vérité 
philosophique,  et  d'y  voir  la  principale  révélation  que 
Rome  et  le  monde  ont  due  à  la  Grèce,  et  le  secret  de  la 
révolution  spirituelle  et  sociale  qui  va  transformer  le 
monde  païen. 

La  philosophie  n'enseigna  longtemps  à  Rome  qu'en 
langue  grecque,  sauf  les  emprunts  que  lui  faisaient  les 
poètes  et  le  théâtre;  il  ne  s'écrivait  pas  d'ouvrage  phi- 
losophique en  latin  ;  mais  le  grec  était  une  langue  vi- 
vante, et  les  livres  grecs  trouvaient  des  lecteurs  de  plus 
en  plus  nombreux.  Il  ne  faut  pas  laisser  sans  la  saluer 
d'un  hommage  la  mémoire  de  ce  Panétios  dont  il  ne 
nous  reste  plus  guère  que  le  nom,  mais  qui  a  été  le 
plus  grand  parmi  les  maîtres  que  les  Romains  ont  eus 
en  philosophie,  ou  plutôt  qui  a  été  un  des  plus  grands 
philosophes  de  l'antiquité,  une  des  lumières  de  l'école 
stoïque  :  Nob'dis  lihros  Panœtî.,  a  dit  Horace.  C'était  un 
esprit  large,  qui  s'était  affranchi  des  petitesses  do  la 
secte,  qui  dédaignait  les  subtilités  paradoxales,  et  qui  a 
eu  le  courage,  sinon  précisément  de  nier  la  divination, 
du  moins  de  déclarer  qu'il  en  doutait. 

Ce  sont  les  doctrines  d'Épicurc  qui,  par  Kmu'  popu- 


T2  LE   CHRISTIANISME  ET    SES   ORIGINES. 

lorité,  forcèrent  la  langue  latine  à  s'ouvrir  à  l'expres- 
sion des  idées  j3hilosophiques.  Cette  philosophie  était  la 
moins  abstraite  et  la  moins  savante,  mais  en  même 
temps  qu'elle  n'approfondissait  rien,  elle  expliquait  tout  ; 
.  et  surtout  elle  gagnait  tous  les  esprits  en  les  émancipant 
et  en  les  mettant  à  l'aise  à  l'égard  de  toute  espèce  d'au- 
torité comme  de  toute  espèce  d'obligation.  Un  certain 
Amafinius,  le  premier  qui  en  écrivit,  suscita  une  foule 
d'imitateurs  qui  remplirent  de  leurs  livres  l'Italie.  C'est 
ce  qui  nous  explique  comment  la  philosophie  d'Épicure 
enfanta  bientôt  le  poëme  de  Lucrèce.  Les  grands  poètes 
ne  font  que  traduire  dans  leurs  vers  ce  qui  est  l'àme 
même  de  leur  temps. 

Le  savant  Varron,  qui  savait  toutes  choses  et  possé- 
dait toutes  les  philosophies  comme  toutes  les  histoires, 
les  répandit  dans  ses  livres  en  renseignements,  en  ob- 
servations et  en  moralités  de  toute  espèce,  qui  furent 
une  admirable  préparation  à  la  communication  com- 
plète de  la  sagesse  grecque.  C'est  Cicéron  qui  la  donna 
enfin  aux  Romains  avec  une  incomparable  éloquence. 
A  partir  de  lui,  le  trésor  de  la  philosophie  fut  latin  au- 
tant que  grec,  et  appartint  désormais  au  monde  entier. 

J'avais  hâte  d'arriver  à  ce  nom  fameux  et  à  la  grande 
époque  qu'il  représente.  Si  ce  n'est  pas  encore  celle  où 
le  Christianisme  est  né  et  a  pris  place  dans  l'histoire,  il 
est  permis  de  dire  que  c'est  celle  où  il  fut  conçu.  Qui 
aura  bien  étudié  Rome  et  le  monde  au  temps  de  César 
comprendra  parfaitement  la  révolution  religieuse  qui 
n'a  éclaté  que  sous  Néron. 

Trois  dispositions  concouraient  alors  à  une  révolution 


ÉPOQUE  ROMAINE.  —  CICÉRON.  73 

religieuse  :  d'abord  l'affaiblissement  des  anciennes 
croyances,  puis  la  poursuite  de  croyances  nouvelles,  et 
enfin  la  soif  d'une  réforme  morale. 

Il  y  avait  bien  longtemps  déjà  que  la  critique  battait 
en  brèche  le  polythéisme.  L'incrédulité  était  devenue 
un  lieu  commun  parmi  les  lettrés.  Parlant  d'un  jeune 
patricien  plein  d'une  foi  pieuse  :  «  Il  était  né,  dit  Tite- 
Live  ,  avant  cette  sagesse  qui  a  enseigné  le  mépris 
des  dieux.  »  Tout  ce  qui  prétendait  raisonner  faisait 
bon  marché  des  extravagances  de  la  Fable  ou  de  ses 
scandales,  et  se  moquait  des  Olympiens  adultères, 
voleurs,  parricides.  On  détestait  des  dieux  qui  tour- 
mentaient la  vie  humaine,  qui  demandaient  tous  les 
jours  du  sang,  le  plus  souvent  le  sang  des  bêtes, 
quelquefois  celui  des  hommes  :  tant  la  religion,  disait 
Lucrèce,  peut  accréditer  d" horreurs  !  On  disait  d'ailleurs 
comme  dans  Corneille  : 

Nous  en  avons  beaucoup  pour  être  de  vrais  dieux 

Varron  avait  fait  le  dénombrement  de  tout  ce  qu'il  trou- 
vait de  divinités  répandues  dans  le  ciel  et  sur  la  terre, 
occupées  à  une  infinité  de  petites  besognes.  D'un  autre 
côté,  on  ne  voulait  plus  croire  à  ces  colères  célestes  qui 
avaient  fait  tant  de  peur,  et  on  aimait  à  entendre  dire 
aux  philosophes  que  les  dieux  ne  sauraient  se  fâcher  ni 
faire  du  mal.  On  se  piquait  surtout  de  laisser  aux  bonnes 
femmes  et  aux  enfants  la  peur  des  enfers  avec  tout  leur 
appareil  lugubre,  le  Styx,  Charon,  les  Furies  et  tous 
leurs  supplices.  On  s'accoutumait  à  penser  que  les  dieux 


T»  LE    CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

de  la  mythologie  n'étaient  que  des  symboles  d'une  di- 
vinité unique,  représentée  dans  ses  attributs  et  dans 
ses  actions  diverses.  On  se  disait  en  particulier  que  les 
astres  n'étaient  qu'une  matière  comme  une  autre,  ma- 
tière périssable  et  qui  n'a  rien  de  divin. 

Depuis  que  la  Grèce  n'était  plus  libre,  et  que  l'Apollon 
de  Delphes  et  sa  Pythie  étaient  devenus  des  sujets  ma- 
cédoniens, et  puis  des  sujets  romains,  les  mantéons 
ou  oracles  étaient  fort  décrédités.  La  politique  avait 
également  fait  tomber  le  respect  des  augures  et  le  pres- 
tige des  aruspices;  les  doutes  s'élevaient  de  tous  côtés 
contre  la  science  des  entrailles  des  victimes  ou  celle 
des  foudres.  On  relevait  impitoyablement  toutes  les  di- 
vergences, les  contradictions,  les  bizaireries  de  tant  de 
croyances  dont  la  terre  était  remplie.  On  les  tenait  donc 
comme  autant  de  préjugés  bons  pour  le  peuple,  dont  les 
bons  esprits  devaient  s'affranchir.  On  n'était  pas  dupe 
des  images  par  lesquelles  on  prétendait  représenter, 
sous  des  traits  humains,  ou  même  sous  des  ressem- 
blances d'animaux,  la  nature  divine.  Le  nombre  s'aug- 
mentait tous  les  jours  de  ceux  qui  prenaient  en  piiic 
l'idololalrie  (c'est  la  vraie  forme  du  mot).  On  était  averti, 
enfin,  de  ne  pas  confondre  les  dieux  véritables  et  les 
faux  dieux.  Car  cette  distinction  et  ces  expressions  ap- 
partiennent à  la  philosophie  grecque  ;  elles  ne  sont  pas 
de  la  Bible,  oij  elles  ne  se  trouvent  pas  une  seule  fois, 
si  ce  n'est  dans  le  livre  grec,  et  non  authentique,  qui 
porte  le  nom  de  Baruch. 

Mais  ce  n'étaient  pas  seulement  les  croyances  popu 
laires,  c'était  l'idée  religieuse  elle-même  que  menaçait 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  75^ 

l'incrédulité.  Les  Académiques  enseignaient  à  douter 
non-seulement  de  l'àme,  mais  de  la  divinité,  comme 
de  tout  le  reste.  Et  la  doctrine  d'Épicure,  infiniment 
plus  populaire,  n'était  moins  hardie  qu'en  apparence; 
et,  tout  en  respectant  le  nom  des  dieux,  sapait  toute  foi 
dans  lésâmes,  puisqu'elle  ne  reconnaissait  ni  Providence, 
ni  peines  ou  récompenses  célestes,  et  rendait  inutiles  !e 
sacrifice  et  la  prière.  Une  multitude  d'esprits  étaient  dé- 
tachés par  cette  doctrine  de  tout  ce  qui  faisait  la  vie 
morale  du  monde  ancien.  Il  est  vrai  qu'on  ne  voit  pas 
tout  d'abord  comment  cela  a  pu  profiter  à  une  religion 
nouvelle;  mais  ces  doctrines,  trop  fortes  pour  le  grand 
nombre  de  ceux  qui  les  professaient,  ne  faisaient  que  la 
moitié  de  l'effet  qu'elles  devaient  produire  ;  la  plupart 
n'approfondissaient  pas  les  principes,  mais  les  appli- 
quaient aux  dépens  de  ce  qui  vivait  autour  d'eux;  la 
religion  survécut,  mais  les  religions  régnantes  furent 
emportées. 

Cicéron  est  absolument  détaché  des  vieilles  croyances. 
Ses  dialo2;ues  sur  les  Dieux  et  sur  la  Divinalion  ne 
laissent  rien  subsister  de  la  religion  populaire.  Sa  cri- 
tique atteint  jusqu'à  la  religion  de  Platon;  elle  s'attaque 
à  la  Providence  et  même  à  l'existence  des  dieux.  Les 
ménagements  avec  lesquels  il  la  présente  ne  doivent 
pas  en  faire  méconnaître  la  portée.  Elle  ne  conduisait 
pas  seulement  à  la  chute  du  paganisme  :  elle  pouvait 
mener  les  hommes  jusqu'où  tant  de  penseurs  sont 
arrivés  aujourd'hui  :  à  la  ruine  de  toute  illusion  théo- 
logique et  de  toute  loi  au  surnaturel.  Mais  une  telle 
hardiesse,  déjà  difficile  et  rare  chez  les  Romains  libres. 


76  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

devint  impossible  quand  les  esprits  furent  abaissés  et  i)a- 
ralysés  par  l'esclavage.  Ce  que  Cicéron  n'avait  fait  qu'in- 
sinuer ne  fut  plus  entendu  ;  il  ne  resta  que  ce  qu'il  avait 
dit  assez  haut  pour  qu'il  n'y  eût  pas  moyen  de  ne  pas 
l'entendre  :  la  négation  des  oracles,  le  mépris  de  toute 
mythologie,  les  dieux  vulgaires  effacés  par  l'idée  d'un 
dieu  abstrait  et  universel.  Varron,  de  son  côté,  n'accep- 
tait aucune  définition  de  la  divinité  que  celle-ci  :  une 
àme  qui  gouverne  le  monde  par  le  mouvement  et  l'in- 
telligence. Il  disait  que  c'est  ce  dieu  unique  et  invisible 
qu'on  adore  sous  le  nom  de  Jupiter.  Il  citait  ces  vers  du 
poëte  Valérius  de  Sora  : 

Jupiter  tout  puissant,  maître  des  rois,  du  monde  et  des  dieux  mêmes  ; 
père  et  mère  des  dieux,  dieu  unique  et  tous  les  dieux  ensemljle, 

cleus  unus  et  omties.  Il  condamnait  les  religions  qui 
avaient  figuré  la  divinité  par  des  images,  comme  l'expo- 
sant ainsi  au  mépris  et  les  hommes  à  l'erreur.  Il  condam- 
nait même  les  sacrifices,  dont  les  vrais  dieux,  disait-il, 
n'ont  pas  besoin,  et  encore  moins  de  statues.  Tout  ce 
que  la  critique  grecque  avait  amassé  contre  la  foi  éta- 
blie de  faits  ou  de  raisonnements  décisifs  était  reproduit 
et  rassemblé  par  ces  docteurs  des  Romains;  non  plus 
des  hommes  d'école,  mais  un  Cicéron,  un  Varron,  les 
premiers  personnages  de  la  grande  république,  qui 
avaientgouverné,  administré, commandé;  Cicéron  même 
était  revêtu  de  la  dignité  religieuse  d'augure.  Il  est  vrai 
que,  comme  citoyens,  comme  sénateurs  ou  pontifes,  ces 
hommes  s'acquittaient  envers  la  religion  publique  de 
tout  ce  qu'ils  regardaient  comme  leur  devoir.  Cicéron 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  77 

n'en  prépara  pasmoins  la  ruine  deces  temples,  à  la  porto 
desquels  il  montait  sa  garde  aussi  fidèlement  qu'aucun 
autre.  Sa  critique  théologique  et  celle  de  Varron  firent 
l'éducation  des  générations  qui  suivirent.  D'ailleurs, 
les  bouleversements  politiques,  en  ébranlant  tout  au 
dehors,  agissaient  aussi  sur  les  idées.  Quand  la  foi  aux 
anciennes  lois  était  atteinte,  la  foi  aux  anciens  dieux  de- 
vait en  souffrir.  L'attentat  de  César  est  la  première  pré- 
face de  la  révolution  chrétienne. 

Cependant  le  renversement  du  polythéisme  fut  tout 
autre  chose  qu'une  négation,  et  il  témoigne  bien  moins 
de  la  difficulté  de  croire  ce  qui  était  établi  que  du  be- 
soin de  croire  autre  chose,  et  souvent  de  croire  davan- 
tage. On  ne  saurait  avoir  d'idée  plus  fausse  que  de  se 
représenter  la  prédication  juive  comme  tombant  au  mi- 
lieu d'esprits  philosophes  et  libres  penseurs.  Ces  pré- 
tendus incrédules  n'étaient  que  des  mécontents  et  des 
frondeurs,  prêts  à  faire  une  révolution  contre  le  gou- 
vernement d'en  haut,  mais  pour  en  mettre  un  autre  à 
sa  place,  auquel  ils  se  sont  livrés  aveuglément.  Une 
foi  a  été  chassée  par  une  autre  foi,  de  même  que  les 
Bourbons  n'ont  pas  fait  place  à  la  République,  mais  aux 
Bonaparte.  Jamais  la  fièvre  religieuse  n'a  été  plus  in- 
tense que  dans  le  siècle  de  César,  parce  qu'en  effet  l'hu- 
manité n'a  jamais  plus  désespéré  d'elle-même,  ni  été 
plus  tentée  de  demander  au  Ciel  le  salut  qui  se  déro- 
bait partout  devant  elle.  Par  cela  même  qu'on  n'a  plus 
de  confiance  ni  dans  les  lois,  ni  dans  les  pouvoirs,  ni 
dans  les  moeurs,  qu'on  est  sur  un  abime,  et  qu'on 
sent  bien  qu'on  se  noie,  on  tâche  de  s'accrocher  où  on 


18  LE  CHRIS'ÇIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

peut,  les  uns  à  un  égoïsme  féroce,  les  autres  au  surna- 
turel. Aussi  les  hommes  religieux  se  vantaient  que 
Vempire  des  religions  allait  tous  les  jours  arandlssant: 
c'est  le  témoignage  de  Cicéron. 

Cicéron,  qui  n'est  pas  d'un  tempérament  religieux, 
n'en  témoigne  que  mieux  de  cet  empire  par  la  grande 
place  qu'il  donne  à  la  religion  dans  ses  harangues  et 
dans  ses  actes.  Ses  discours  au  peuple  surtout  sont  pleins 
des  dieux.  Aux  heaux  temps  de  Pompée,  célébrant  à  la 
fois  en  plein  Forum  les  mérites  de  ce  ])ersonnage  et  sa 
fortune,  il  prend,  pour  toucher  ce  dernier  point,  des  pré- 
cautions extraordinaires.  11  craint  d'offenser  les  dieux 
s'il  en  dit  trop,  et,  s'il  en  dit  trop  peu,  de  ne  pas  re- 
connaître assez  leurs  bienfaits  ;  il  tâchera  ,  dit-il , 
de  mesurer  si  religieusement  ses  paroles,  qu'il  ne  se 
montre  ni  impie  ni  ingrat.  Dans  ses  fameux  plaidoyers 
contre  Verres,  non-seulement  il  met  son  accusation  sous 
la  protection  de  tous  les  dieux  que  celui-ci  a  offensés, 
les  citant,  pour  ainsi  dire,  devant  le  tribunal  l'un  après 
l'autre,  avec  les  formes  les  plus  solennelles  et  les  plus 
imposantes  invocations;  mais  il  trace  des  tableaux  qui 
nous  font  assister  aux  transports  pieux  des  peuples  de 
la  Sicile.  Ici,  c'est  la  Diane  de  Ségeste  que  le  préteur 
fait  enlever,  parce  que  la  statue  est  un  chef-d'œuvre. 
Toutes  les  femmes  suivent  la  déesse  exilée  jusqu'aux 
limites  du  territoire,  et  elles  ne  cessent  pendant  toute  la 
roule  de  la  couvrir  de  parfums  et  de  fleurs.  Là  il  nous 
montre  Enna,  la  ville  sainte  des  deux  déesses,  Gérés  et 
Proserpine;  elle  lésa  perdues,  elles  ont  été  enlevées 
•également  comme  une  proie.  Cicéron  raconte  son  ar- 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  79 

rivée  à  Enna,  pendant  qu'il  parcourt  la  province  pour 
ramasser  les  preuves  de  l'accusation  qu'il  soutient  con 
tre  Verres;  les  prêtres  viennent  âu-devant  de  lui  avec 
leurs  mitres  et  leur  verveine  ;  il  harangue  la  foule  et  elle 
répond  à  ses  discours  par  des  gémissements  et  des  san- 
glots. Enfin,  dans  ce  grand  jour  de  son  consulat,  où 
Catilina,  tout  prêta  partir  pour  la  guerre  civile,  avai» 
encore  osé  paraître  au  Sénat,  et  où  le  consul  indigné  le 
jette  pour  ainsi  dire  à  la  porte  avec  une  harangue  en 
flammée,  il  fait  tomber  sur  sa  tête  un  véritable  ana- 
théme;  il  attache  après  lui  et  les  siens  la  vengeance  de 
Jupiter  Stator,  qui  doit  les  poursuivre  dans  la  vie  et  dans 
la  mon  même. 

Il  semble  que  les  dévotions  de  toute  espèce  se  mul- 
tiplient et  naissent  en  quelque  sorte  sous  les  pas  des 
hommes  de  ce  temps.  Chaque  endroit  a  son  dieu  local  ; 
nous  dirions  aujourd'hui,  son  saint.  Dans  Rome  même, 
la  Fièvre  a  des  temples,  la  terrible  fièvre  de  la  campa- 
gne romaine.  La  Fortune  ennemie  a  aussi  le  sien.  La 
superstition  éclate  surtout  dans  les  présages  qu'on  croit 
voir  de  tous  côtés  et  qu'on  s'efforce  de  conjurer  Nous 
trouvons  dans  une  Rhétorique  technique  cette  énuméra- 
tion  des  signes  par  lesquels  se  manifeste  le  méconten- 
tement des  dieux  :  les  oracles,  la  voix  des  inspirés,  les 
apparitions,  les  prodiges,  les  révélations  ei  autres  choses 
semblables.  Un  météore  qui  vient  à  paraître,  un  bruit 
<lu'on  ne  s'explique  pas,  sous  la  terre  ou  dans  le  ciel, 
uri  monstre,  ou  ce  qu'on  appelle  ainsi  ;  la  sueur  des 
murs  d'un  temple  ou  de  ses  statues,  tout  remplit  Rome 
d'épouvante,  et  ce  qui  épouvante  Rome  retentit  partout. 


80  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

On  ouvre  alors,  par  ordre  du  sénat,  les  livres  de  la 
Sibylle,  ou  bien  on  consulte  les  aruspices,  et  leurs  ré- 
ponses sont  les  grandes  affaires  de  l'État.  Des  prédic- 
tions sibyllines  et  des  réponses  d'aruspices  furent  pour 
quelque  chose,  suivant  Salluste,  dans  la  conjuration  de 
Catilina.  Cicéron,  qui  ne  croit  à  rien  de  tout  cela,  est  le 
premier  à  en  faire  grand  bruit  au  proOl  de  ses  intérêts 
ou  de  ses  passions  politiques.  Ce  sont  les  dieux  qui  lui 
ont  révélé,  par  une  intervention  toute  particulière *et  mi- 
raculeuse, la  conjui'ation  de  Catilina;  dans  son  exil,  les 
dieux  le  soutiennent  par  des  songes.  Le  lendemain  du 
jour  où  le  sénat  a  décidé  qu'on  proposerait  son  rappel, 
les  dieux  font  baisser  le  prix  du  blé  par  un  miracle. 
Les  dieux  sont  toujours  entre  lui  et  son  ennemi  Clodius. 
La  vengeance  la  plus  ingénieuse  que  Clodius  ait  ima- 
ginée contre  lui  lors  de  son  exil,  c'était  de  consacrer 
religieusement  le  terrain  où  était  sa  maison,  qui  fut 
rasée.  Cicéron  ne  put  le  recouvrer  à  son  retour  qu'en 
plaidant  devant  les  pontifes  pour  obtenir  d'eux  une  dé- 
cision qui  reconnût  dans  la  consécration  des  nullités  : 
c'est  le  sujet  du  fameux  plaidoyer  Pour  sa  maison. 
Lorsque  Clodius  est  assassiné  par  Milon,  Cicéron,  plai- 
dant pour  Milon,  soutient  que  ce  sont  les  dieux  qui  ont 
pré])aré  cette  mort  et  qui  l'accomplissent.  Mais  il  sub- 
siste de  sa  lutte  contre  Clodius  un  bien  curieux  monu- 
ment, c'est  le  discours  Sur  les  réponses  des  aruspices. 
Il  s'était  répandu  qu'on  avait  entendu  dans  un  chanip^ 
aux  portes  de  lioine^  un  bruit  mystérieux  et  un  cliquetis 
d'armes  menaçant.  C'était,  hélas  !  que  Rome,  inquiète, 
entendait  d'avance,  par  les  oreilles  de  l'esprit,  le  bruit 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  81 

des  combats  de  la  guerre  civile.  Le  sénat  averti  avait 
fait  consulter  les  aruspices  et  tenait  séance  pour  pren- 
dre un  parti  sur  leur  réponse.  Elle  était  faite  d'avance; 
les  dieux  étaient  irrités  ;  mais  de  quoi  ?  La  réponse  es' 
conçue  naturellement  en  termes  vagues,  mais  dont  le  va 
gue  se  prête  cependant  à  faire  entendre  ce  que  le  gouver- 
nement d'alors  prétendait  qu'on  entendit.  Ce  qui  mécon- 
tentait les  dieux,  c'est  ce  dont  le  sénat  était  mécontent. 
Ils  dénonçaient  en  paroles  assez  claires  certains  actes  des 
meneurs  populaires,  notamment  de  Clodius  ;  d'autres 
paroles  plus  obscures  allaient  jusqu'à  César  même.  Les 
aruspices  recommandaient  de  se  garder  de  la  discorde, 
de  ne  pas  mettre  le  sénat  en  danger,  de  faire  en  sorte 
que  rempir«  ne  tombât  pas  au  pouvoir  d'un  seul,  et  que 
les  choses  n'aboutissent  pas  à  une  révolution.  Clodius, 
prenant  l'offensive  pour  mieux  se  défendre,  soutint  bra- 
vement que  c'était  Cicéron  qui  avait  fait  tout  le  mal  et 
qui  avait  appelé  sur  Rome  ces  menaces  divines.  Cicéron 
riposte  et  accable  à  son  tour  Clodius.  Mais  il  faut  voir  et 
admirer  le  ton  de  sa  réponse  :  «  Je  l'avoue,  sénateurs, 
la  grandeur  de  cette  manifestation  divine,  la  solennité 
de  l'interprétation,  la  décision  des  aruspices,  qui  ont 
répondu  comme  d'une  seule  voix,  me  causent  uneémo- 
lion  extraordinaire.  y>  Il  continue  :  Comment  ne  pas 
croire  aux  dieux,  ou  comment  ne  pas  reconnaître  que 
ces  dieux  veillent  incessamment  au  salut  de  Rome?  Qui 
ne  sait  que  toute  vérité  est  déposée  dans  les  livres  si- 
byllins et  dans  l'admirable  science  de  l'Étrurie?  Il  lap- 
pelle  qu'une  émeute  préparée  par  Clodius  avait  trou- 
blé les  jeux  de  Cybèle  *,  il  est  clair  que  c'est  Cybele  (jui 
II.  6 


82  LE  CURISTIANIS3IE  ET  SES    ORIGINES. 

se  plaint,  car  n'est-ce  pas  Cybèle  qui  parcourt  d'ordi- 
naire les  l)oiset  les  campagnes  avec  des  bruits  suinatu- 
rels?  «  Si,  pendant  lesjeux,  un  essaim  d'abeilles  venait 
seulement  se  poser  sur  la  scène,  nous  ne  manquerions 
pas  de  faire  venir  des  aruspices  de  VElrurie.  »  Il  s'agit 
ici  d'un  bien  autre  désordre.  Et  quand  il  arrive  à  la 
fin  de  sa  harangue  :  «  Eh  quoi  !  la  voix  même  des  dieux 
ne  remuera-t-elie  pas  tous  les  esprits?...  car  c'est  la 
voix  des  dieux  que  nous  entendons;  c'est  une  commu- 
nication qu'ils  nous  adressent,  quand  le  monde  lui- 
même,  quand  la^  terre  et  l'air  viennent  tout  à  coup  à 
trembler,  et  qu'ils  nous  avertissent  par  des  bruits  inac- 
coutumés et  inexplicables.  »  Certes,  dans  cette  Rome  où 
se  sont  jouées  tant  de  comédies  politiques  ou  religieuses, 
on  n'a  peut-être  jamais  porté  un  masque  et  débité  un 
rôle  plus  impudemment  que  ne  font  ici  les  deux  adver- 
saires. Mais  des  comédiens  supposent  un  public  qu'ils 
émeuvent  et  qu'ils  entraînent;  et  d'ailleurs  ces  décla- 
mations faisaient  appel  à  deux  sentiments  qui,  dans 
les  jongleries  dévotes  de  tous  les  temps,  sont  toujours 
ce  qu'il  y  a  de  plus  sincère,  la  haine  et  la  peur. 

Cicéron  était  incrédule  ;  mais  personne  presque  au- 
tour de  lui  n'était  de  force  à  s'en  tenir  à  cette  incrédu- 
lité, même  parmi  ceux  qui  répétaient  ses  raisonnements 
ou  qui  riaient  de  ses  railleries.  Il  nous  présente  son 
propre  frère  comme  soutenant  contre  lui  la  croyance  à 
la  divination.  Les  premiers  hommes  de  la  république 
ne  se  défendaient  pas  toujours  contre  les  superstitions 
populaires.  Pendant  la  guerre  civile, des  réponses  d'arus- 
pices  arrivaient  sans  cesse  de  Rome  au  camp  de  Pom- 


ÉPOQUE  ROMAINE.  —  CICÉRON.  83 

pée  et  entretenaient  ses  illusions;  car  Pompce  cUiil 
sensible,  dit  Cicéron,  à  ce  qu'annonçaioil  les  prodiges 
ou  les  eiili  ailles  des  victimes.  De  grands  personnages, 
Caton,  Varron,  qui  attendaient  avec  Cicért)n,  à  Dyrra- 
cliium,  révénement  de  la  bataille  qui  se  préparait  à  Phar- 
sale,  furent  très-troublés  en  apprenant  qu'un  rameur 
de  Rhodes  avait  prophétise  un  désastre,  et  Cicéron  même 
peut-être  en  fut  ému.  On  racontait  que  César,  peu  de 
jours  avant  sa  mort,  avait  sacrifié  un  bœuf  dans  lequel 
on  ne  trouva  point  de  cœur  :  on  lui  dit  que  c'était  là 
une  chose  menaçante.  Au  contraire,  quand  Cicéron  fut 
exilé,  un  de  ses  amis,  Cécina,  qui  était  d'Étrurie,  lui 
prédit  un  retour  prochain  et  triomphant,  d'après  les 
principes  de  la  science  étrusque.  Cette  science  était  dépo- 
sée dans  deslivres  de  plusieurs  espèces,  Ariispicini^Ful- 
gurales,  Riluales.  Les  augures  avaient  aussi  leurs  livres, 
Augurales;  et  le  seul  appareil  de  tous  ces  volumes  sacrés 
suffisait  pour  déterminer  la  foi  des  peuples.  Pendant  la 
guerre  contre  Antoine,  Plancus,  qui  occupaitles  Gaules, 
sans  qu'on  sût  trop  pour  qui  il  tenait,  s'étant  décidé 
pour  le  sénat  et  lui  ayant  adressé  un  message,  pres- 
sait Cicéron  pour  que  celui-ci  obtint  pour  lui  du  sénat 
une  réponse  favorable.  Cicéron  lui  répond  qu'après  la 
lecture  de  son  message,  le  président  du  sénat  a  été 
^avisé,  sur  le  rapport  des  piillarii,  c'est-à-dire  des 
officiers  commis  à  la  garde  des  poulets  sacrés,  qu'il 
n'avait  pas  pris  les  auspices  dans  les  règles,  et  que  ce 
rapport  avait  été  approuvé  par  le  collège  des  augures, 
magistrats  du  premier  ordre,  dont  Cicéron  lui-même 
faisait  partie,  de  sorte  que  l'affaire  dut  être  ajournée.  Ci- 


84  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGIN ES. 

céron  n'ajoute  aucune  observation  à  ce  récit.  On  voit  bien 
cependant,  en  y  regardant  de  près,  qu'il  y  avait  là- 
dessous  une  manœuvre  politique;  mais  il  n'en  est  pas 
moins  curieux  de  voir  employer  pour  ces  intrigues 
L't'S  moyens  sacrés.  Il  faut  ajouter  à  ces  divinations  ro- 
maines les  mystères  de  l'astrologie,  professés  par  ceux 
qu'on  appelait  les  Chaldéens.  L'astrologie  n'était  pai 
nouvelle  dans  le  monde  hellénique,  puisque  déjà  Eu- 
doxe,  disciple  de  Platon,  en  combaitait  le  mensonge; 
mais  elle  prenait  tous  les  jours  plus  d'importance.  Il  n'y 
avait  pas  de  personnage  à  Rome  dont  on  ne  tirât  l'ho- 
roscope ;  on  avait  fait  cent  fois  celui  de  Crassus,  de 
Pompée  et  de  César,  et  Cicéron  s'exprime  quelque  part 
de  manière  à  faire  entendre  qu'on  avait  aussi  tiré  le 
sien.  Enfin,  pour  arracher  les  secrets  des  dieux,  on  fai- 
sait violence  à  la  mort  même.  Les  hommes  les  plus 
considérables,  un  Appius,  par  exemple,  évoquaient 
ainsi  les  âmes  ;  et,  dans  ses  invectives  au  sénat  contre 
Vatinius,  Cicéron  lui  impute  d'égorger  des  enfants  pour 
allécher  par  ce  sang  les  mânes  qu'il  prétend  interroger. 
Les  superstitions  funèbres  sont  celles  qui  dominent, 
surtout  parmi  les  misérables.  Lucrèce  nous  les  fait 
voir,  dans  les  souffrances  et  les  opprobres  de  l'exil,  qui 
se  hâtent,  là  où  la  disgrâce  les  a  jetés,  de  sacrifier  aux 
mânes  et  d'immoler  des  brebis  noires.  Et  ceux-là  mê- 
mes, dit  le  poêle,  qui  jusque-là  prétendaient  être  des 
esprits  forts  et  affectaient  de  ne  rien  croire,  s'abandon- 
nent sans  réserve  à  toutes  ces  pratiques  dès  qu'ils  oni 
été  touchés  par  le  malheur.  Voilà  les  faibles  racines 
qu'avait  l'incrédulité  romaine. 


ÉPOQUE  ROMAINE.  —  CIGÉRON.  83 

La  divinisation  des  morts  était  cliose  reçue.  Seule- 
ment, les  simples  citoyens  rendaient  ce  culte  à  leurs 
morts  en  famille,  dans  le  secret  de  leur  maison  ;  les 
personnages  en  faisaient  un  culte  public,  comme  Cicc- 
ron  voulut  le  faire  pour  sa  TuUie,  en  lui  élevant  un 
^anum.  Pour  ceux  qui  régnaient,  je  veux  dire  pour  le? 
magistrats  qui  gouvernaient  les  provinces,  on  n'atten- 
dait pas  leur  mort.  Cicéron  se  vante  d'avoir  refusé  les 
fana  qu'on  voulait  lui  consacrer  en  Cilicie  ;  mais  Cicé- 
ron était  un  philosophe  et  un  Romain  fidèle  aux  ancien- 
nes mœurs.  Pour  l'apothéose  comme  pour  le  reste,  les 
Césars  n'ont  été  que  les  héritiers  des  proconsuls  ;  ils 
étaient  proconsuls  dans  le  monde  entier,  et  ils  le  trai- 
taient comme  une  province. 

Le  cri  du  poëte  contre  les  superstitions  sanglantes, 

Tantum  religio  potuit  suadere  malorum  ! 

ne  se  justifiait  pas  seulement  par  des  légendes  antiques, 
telles  que  celle  du  sacrifice  d'Iphigénie,  dont  Lucrèce 
s'inspire  en  cet  endroit.  Dans  une  guerre  contre  les  Gau- 
lois, quelques  années  avant  la  guerre  d'Annibal,  deux 
hommes  et  deux  femmes,  des  Gaulois  et  des  Grecs, 
avaient  été  enterrés  vivants  à  Rome  pour  conjurer  les 
dieux  irrités.  Mais,  tout  récemment  même,  à  l'entrée  de  h 
guerre  sociale,  quand  Cicéron  avait  quinze  ans,  on  ra- 
contait qu'un  prétendu  androgyne  ayant  été  décou- 
vert auprès  de  Rome  par  la  dénonciation  de  l'homme 
qui  l'avait  épousé  comme  femme,  le  sénat,  sur  le  rap- 
port des  aruspices,  décida  que  ^e  wonsire  serait  brûlé 
vif,  son  existence  paraissant  contre  la  nature  et  contre 


86  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

les  dieux.  Et  on  ajoute  qu'un  peu  plus  lard  encoïc  on 
în  fît  autant  dans  Athènes.  C'était  là,  d'ailleurs,  une  tra- 
iition  ;  et  il  y  a  dans  Livius  (ou  Tile-Live)  plusieurs  faits 
emblables  se  rapportant  aux  premières  années  du  se- 
ond  siècle  avant  notre  ère.  Quand  les  disciples  d'Épi- 
îure  enseignaient,  comme  nous  le  lisons  dans  un  livre 
de  cette  école,  qu'être  né  avec  une  forme  étrange  et  in- 
solite n'est  pas  un  crime  ni  un  signe  de  la  colère  cé- 
leste, on  comprend  que  cet  enseignement  si  simple  était 
un  bienfait. 

Une  idée  sombre,  née  d'un  état  général  d'alarme  et 
d'angoisse,  était  répandue  alors,  et  contribua  beaucoup 
à  jeter  les  esprits  hors  des  anciennes  voies  ;  c'était  l'idée 
qu'on  approchait  d'une  grande  catastrophe  et  d'une  fin 
dumonde.  Au  moment  où  Marins,  annonçant  les  Césars, 
s'apprêtait  à  bouleverser  la  constitution  romaine,  les 
aruspices  d'Étrurie,  consultés  sur  divers  prodiges, 
avaient  dit  que  ces  prodiges  annonçaient  une  révolu- 
tion de  l'univers  et  l'avènement  d'une  nouvelle  race 
d'hommes.  Car  il  y  avait,  disaient-ils,  huit  âges  assi- 
gnés à  l'humanité,  dont  chacun  devait  se  clore  par  des 
signes  extraordinaires  ;  et  ils  annonçaient  qu'on  touchait 
à  un  de  ces  moments.  Lucrèce  témoigne  assez  que  les 
imaginations  continuaient  d'être  sous  l'impression  de 
cette  attente.  Non-seulement  il  rend  avec  une  grande 
énergie  le  sentiment  delà  vieillesse  d'une  création  épui- 
sée, où  ni  la  nature  ni  l'homme  n'ont  plus  de  force; 
mais,  après  avoir  proclamé  que  tout  finira,  il  ajoute,  en 
s'adrcssant  aux  incrédules  :  «  Peut-être  que  l'événe- 
ment justifiera  trop  tôt  mes  paroles,  et  que  tout  à  l'heure 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉUON.  87 

on  va  voir  la  terre,  secouée  par  des  mouvements  terri- 
bles, se  briser  tout  entière  !  Puisse  la  fortune  éloigner 
de  nous  une  telle  ruine,  et  la  pensée  seule  plutôt  que  la 
.réalité  nous  convaincre  que  tout  peut  périr  et  s'abimer 
au  milieu  d'un  épouvantable  fracas  !  »  Mais  quelle  ne 
devait  pas  être  la  puissance  du  surnaturel  sur  des  gens 
qui  en  étaient  venus  à  désespérer  de  la  nature  ! 

De  pareils  traits  éclairent  pour  nous  certains  aspects 
du  ciel  de  Rome  que  nous  ne  découvririons  jamais  dans 
Cicéron,  dontres|)rit  est  si  détaché  et  le  tempérament  si 
tranquille.  Il  y  a  bien  des  choses  en  ce  genre  qu'il  ne  dai- 
gne pas  dire  ;  et  celles  mêmes  qu'il  dit,  il  ne  s'y  intéresse 
pas  assez  pour  nous  les  faire  bien  sentir.  Le  merveil- 
leux n'est  pour  lui  qu'un  objet  de  curiosité  et  de  criti- 
que froide.  Ainsi  il  nous  parle  souvent  des  superstitions 
orientales,  mais  ce  n'est  guère  qu'en  observateur  mé- 
prisant et  qui  ne  s'y  arrête  pas.  Varron  était  plus  cu- 
rieux, sinon  plus  ému,  et  nous  ne  saurions  trop  regretter 
la  perte  de  ses  livres.  Mais  où  est-ce  que  vit  pour  nous, 
par  exemple,  le  culte  de  la  Mère  des  dieux  en  ces  temps- 
là,  sinon  dans  les  tableaux  de  Lucrèce  et  de  Catulle? 
Lucrèce  nous  la  montre  promenée  à  travers  le-  popula- 
tions, au  milieu  d'une  sainte  horreur.  Les  Galles,  ses 
prêtres  eunuques,  font  retentir  leurs  tambours,  leurs 
cymbales,  leurs  cornes,  leur  flûte  phrygienne,  et  des 
armes  menaçantes  résonnent  aussi  dans  leurs  mains. 
Elle  s'avance,  mueti'-  ^t  puissante,  apportant  le  salut 
par  sa  seule  vue;  on  couvre  la  terre  devant  elle  de 
pièces  d'or  ou  de  cuivre;  on  répand  une  neige  de  fleurs; 
les  prêtres  dansent  et  se  flagellent,  tout  dégoûtants  de 


88         LE  CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

sang.  Tonte  la  fureur  qui  emporte  ces  enthousiastes, 
Jes  plus  jeunes  du  moins  elles  plus  sincèrement  dévots, 
respire  dans  des  vers  de  Catulle,  d'un  rhythme  étrange, 
où  on  voit  Alys,  le  favori  et  la  victime  de  la  déesse, 
qui  vient  de  se  mutiler  avec  un  caillou  tranchant,  s'en- 
foncer tout  éperdu  à  travers  les  bois,  et  y  courir  au 
milieu  de  ses  compagnons,  mutilés  comme  lui,  jusqu'à 
ce  qu'il  s'endorme  épuisé.  En  se  réveillant  il  se  recon- 
naît et  il  pleure,  et  il  voudrait  dérober  ce  qui  reste  de 
lui  à  cette  servitude  honteuse.  Mais  la  déesse  envoie 
un  lion  qui  l'épouvante,  et  qui  le  force  à  rentrer  dans 
la  forêt  sacrée  pour  n'en  plus  sortir*  Et  le  poëte  s'écrie 
en  finissant  :  «  Déesse,  grande  déesse Cybèle,  déesse  de 
Didyme,  ô  maîtresse  !  écarte  de  ma  maison  toutes  ces 
fureurs;  envoie  à  d'autres  ces  transports,  jette  sur 
d'autres  ce  délire  !  »  Si  on  se  défiait  des  peintures  des 
poètes,  qu'on  lise  dans  les  historiens  l'aventure  de  ce 
prêtre  de  Cybèle  qui,  vers  l'année  100  avant  notre  ère, 
vient  tout  exprès  de  Pessinonte,  la  ville  sacrée  de  la 
déesse,  pour  effrayer  les  Romains  de  la  colère  de  la 
Mère  des  dieux  et  réclamer  des  expiations  qui  l'apaisent. 
Il  est  mal  reçu  ;  un  tribun  lui  fait  défense  de  porter  sa 
robe  sacerdotale  ;  un  autre  le  livre  aux  huées  et  aux 
menaces  de  la  foule.  Mais  celui-ci  étant  tombé  malade 
d'une  fièvre  qui  l'emporta  en  trois  jours,  tous  les  esprits 
se  retournèrent  vers  le  prêtre,  et  on  le  combla  d'hom- 
mages et  de  respects.  Le  Bacchos  phrygien,  le  dieu 
Sabaze,  s'était  également  établi  dans  Rome. 

La  déesse  de  Syrie  n'était  ^)as  moins  redou'ée  que 
celle  de  Phrygie.   Le  chef  de  la  terrible  guerre  des  es- 


ÉPOQUE  ROMAINE.  —  GICÉRON.  89 

claves  en  Sicile,  Eunoos  ou  Eunus,  était  un  inspiré  qui 
se  vantait  qu'elle  s'était  révélée  à  lui,  non-seulement  par 
des  songes,  mais  par  des  apparitions;  il  faisait  des 
prodiges  et  ^,etait  des  flammes  par  la  bouche.  Tous  ces 
dieux  de  l'CJrient  avaient  de  ces  inspirés  attaciiés  à  leu/ 
sanctuaire  ou  fcmum,  d'où  le  nom  de  fanaiici,  qui 
nous  a  donné  celui  de  fanatique.  C'étaient  de  vérita- 
bles possédés,  avec  des  tremblements  et  des  convul- 
sions. 

Dans  un  discours  où  il  fait  parler  un  incrédule  qui  se 
raille  de  la  mythologie  grecque,  Cicéron  lui  fait  dire  : 
«  Si  nous  reconnaissons  tous  ces  dieux,  pourquoi  ne 
pas  reconnaître  aussi  bien  Sérapis  etisis?  »  Et  on  les 
reconnaissait,  en  effet;  ils  étaient  adorés  avec  tous  les 
autres,  et  les  femmes  de  Rome  allaient  faire  leurs  dé- 
volions dans  leurs  temples.  Les  dieux  de  la  Perse  péné- 
traient également  dans  l'empire  :  le  culte  deMithra,qui 
plus  tard  envahit  tout  de  ses  Mystères,  y  fut  apporté 
par  ces  pirates  qui  tinrent  si  longtemps  en  échec  1^ 
puissance  romaine,  et  dont  on  ne  vint  à  bout  qu'en  con- 
férant à  Pompée  un  commandement  extraordinaire.  La 
Gaule  elle-même,  à  peine  conquise,  occupe  Piome  de 
ses  druides  et  de  leurs  inspirations  prophétiques.  Enfin, 
la  foi  des  Juifs  tranchait  sur  toutes  ces  croyances.  Je 
reviendrai  à  eux  tout  à  l'heure;  je  les  mêle  ici  pour  un 
moment  avec  tout  cet  Orient  dont  les  religions  venaient 
tomber  dans  Romfe  comme  les  fleuves  dans  la  mer.  Rome 
aurait  bien  voulu  emprunter  seulement  aux  religions 
étrangères  ce  qu'on  appelait  leur  science^  c'est-à-dire 
leurs  recettes  en  fait  de  merveilleux,  et  les  plier  néan- 


^0  LE   ClIlUSilANISME  ET  SES   ORIGINES. 

moins  à  son    propre  es])rit,  à  l'esprit  du  citoyen;  mais 
cela  était  bien  diflicile. 

Cette  invnsion  des  dieux  barbares  ne  s'était  pas  faite 
sans  résistance.  Vers  le  milieu  du  second  siècle  avant 
notre  ère,  un  sônatus-consulte  avait  ordonné  de  raser 
les  temples  d'Isis  et  de  Sérapis  ;  en  raconte,  il  est  vrai, 
qu'aucun  ouvrier  n'osait  attenter  à  ces  murs  sacrés;  il 
fallut  quePaul-Émile  lui-môme  donnât  le  premier  coup. 
C'est  quelques  années  après  qu'un  édit  du  préteur 
chasse  de  Rome,  d'abord  les  astrologues  chaldéens,  puis 
les  adorateurs  deSabaze.  Au  moment  presque  où  Cicé- 
ron  écrivait,  un  édit  des  consuls  avait  défendu  de  placer 
les  images  des  dieux  d'Egypte  dans  le  Capitole;  et  on 
avait  relégué  leur  temple  dans  les  faubourgs.  On  ne  put 
rien  contre  les  imaginations,  entraînées  par  l'attrait  ou 
par  la  terreur  de  ce  surnaturel  lointain,  plus  étonnant 
parce  qu'il  était  lointain,  et,  en  quelque  sorte,  plus  sur- 
naturel. 

Voilà  où  en  étaitla  raison  humaine,  flottant  au  hasard 
sous  tous  les  vents,  sans  pouvoir  échapper  au  naufrage. 
La  science  seule  aurait  pu  la  sauver,  mais  le  plus  grand 
nombre  était  en  proie  à  l'ignorance. 

On  s'étonne  d'entendre  parler  d'ignorance  quand  il 
s  agit  du  siècle  de  Cicéron  et  de  César.  An  premier 
coup  d'œil  jeté  sur  le  monde  d'alors,  il  semble  que  la 
civilisation  n'ait  jamais  eu  d'éjioque  plus  brillante. 
Entre  le  consulat  de  Cicéron  et  la  guerre  civile,  tout 
îst  en  paix,  à  l'excoplion  de  quelques  barbares;  le 
gouvernemenl  Unmain  agit  partout  sans  obstacle,  faisant 
admirer  aux  peuples  qui  la  subissent  sa  constitution  po- 


ÉPOOUi-:  ROMAINK.  —  GICÉRON.  91 

litique  comme  l'organisation  de  ses  armées  ;  tout  est  ou- 
vert au  commerce  par  terre  et  par  mer;  partout  sont  tra- 
cées des  voies,  partout  s'élèvent  des  ponts,  des  aque- 
ducs, des  monuments  de  toute  espèce,  hàik  pourdéûer 
le  temps  et  pour  étonner  l'avenir.  La  plus  grande  partie 
de  cet  immense  empire  est  en  pays  grec;  le  reste  a 
reçu  aussi  la  culture  hellénique  ;  les  œuvres  des  arts  y 
abondent  ;  temples,  théâtres,  thermes  .  sculptures  et 
peintures,  pompes  religieuses,  représentations  drama- 
tiques, tous  les  exercices  de  l'esprit  et  du  corps.  Il  y  a 
partout  des  orateurs  et  des  philosophes,  des  écoles  et 
des  bibliothèques.  La  tradition  littéraire  remonte  jus- 
qu'à Homère,  et  la  tradition  scientifique  jusqu'à  Thaïes; 
l'art  médical  est  constitué  depuig  Hippocrate.  Une  cu- 
riosité infinie  interroge  la  nature  ;  déjà  les  sages  des 
premiers  temps  ont  obtenu  d'elle  de  grandes  réponses; 
mais  à  partir  d'Aristoie,  c'est  vers  la  science  que  se 
portent  surtout  les  esprits  en  même  temps  que  vers  la 
philosophie.  Les  mathématiques  pures  et  la  physique 
mathématique,  la  science  musicale,  la  mécanique,  l'as- 
tronomie, la  géographie,  l'histoire  naturelle,  poussent 
très-loin  leurs  recherches  et  leurs  découvertes.  Les 
noms  d'Euciide,  d'Archimède,  d'Aristoxène,  d'Héron, 
d'Hérophile  •,  d'Hipj)arque,  d'Ératosthène,  sans  parler 
d'Aristote  et  de  Théophraste,  comptent  parmi  les  plus 
grands  noms.  On  savait  aussi  faire  quelque  application 
de  ces  sciences  aux  besoins  de  la  vie,  aux  opérations  de 
la  guerre,  par  exemple.  L'invention  d'ailleurs  ne  man- 

U  Le  premier,  dit-on,  qui  ait  disséqué  des  corps  humains. 


92  LE    CHRISTIAiS'ISME    ET    SES    ORIGINES. 

quait  en  aucun  genre.  De  plus  savants  que  moi  sur  les 
choses  de  l'industrie  ont  la  plus  haute  idée  de  ce  qu'elle 
pouvait  faire  chez  les  anciens.  La  pharmacie  était  de  k 
plus  grande  richesse.  La  télégraphie,  je  dis  la  véritable, 
la  télégraphie  alphabétique,  a  été  trouvée  du  temps 
de  Polybe.  D'un  autre  côté,  les  sciences  historiques 
et  philosophiques  s'étaient  développées  avec  tout  le 
reste. 

Les  grammaticjues  ou  grammairiens  d'Alexandrie 
fondaient  la  critique  et  l'interprétation  des  textes;  on 
étudiait  la  langue,  on  approfondissait  la  chronologie,  on 
abordait  toutes  les  branches  de  l'histoire,  et  particuliè- 
rement l'histoire  des  lettres,  ou  des  arts,  ou  des  sciences. 
D'une  part,  la curiosité^ne  reculait  devant  aucun  détail; 
on  écrivait,  par  exemple,  plusieurs  livres  sur  les  dis- 
ciples d'Isocrate,  on  multipliait  les  biographies  et  les 
monograpliies  ;  de  l'autre,  on  généralisait  et  on  systé- 
matisait, et  on  arrivait  ainsi  à  la  conception  de  l'his- 
toire universelle. 

Devant  un  pareil  tableau,  on  ne  peut  trop  admirer  le 
génie  des  Grecs  ;  mais  il  y  a  une  chose  que  ce  génie 
n'avaitpu  faire  et  qui  était  réservée  au  monde  d'aujour- 
d'hui, c'est  d'aménager,  pour  ainsi  dire,  toute  cette 
science,  pour  en  faire  le  profit  de  tous.  La  science  était 
alors,  jusqu'à  un  certain  point,  aussi  personnelle  que 
j'esprit  le  sera  toujours.  D'abord,  certaines  vérités  très- 
hautes,  comme  le  mouvement  de  la  terre  autour  du 
soleil,  ne  pouvant  être  constatées  faute  d'observations 
et  de  données  suffisantes,  restaient  à  l'état  d'hypothèses, 
que  personne  n'était  obligé  d'aceepler,  et  qu'un  rc])0us- 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICERON.  93 

sait  en  effet  presque  unniiimement.  Quant  aux  véiilés 
démontrées  de  mathématique  ou  de  physique ,  elles 
étaient  reçues  et  enseignées  par  tous  les  hommes  du 
métier,  mais  c'était  dans  des  écoles  à  part,  où  qui  voulait 
seulement  allait  les  entendre;  personne  n'y  était  obligé, 
et  beaucoup ,  en  effet ,  s'en  dispensaient.  Ces  leçons 
étaient  le  complément  et  le  luxe  d'une  éducation  dis- 
tinguée; mais  ceux  mêmes  qui  les  recevaient  à  ce  titre 
les  regardaient  plutôt  comme  des  exercices  recherchés 
de  l'esprit  que  comme  des  acquisitions  à  conserver.  Le 
plus  souvent  ils  les  oubliaient,  Polybe  a  vu  des  chefs  ef 
des  généraux  qui  ne  pouvaient  comprendre  que  3Iéga- 
lopolis ayant  50  stades  détour  etLacédémone  48,  Lacé- 
démone  fût  cependant  deux  fois  grande  comme  Mégalo- 
polis  :  c'est,  dit-il,  quils  ne  se  souviennent  plus  de  leur 
géométrie. 

D'autres  retenaient  ce  qu'on  leur  avait  appris,  mais 
comme  des  curiosités  qui  ne  pouvaient  être  d'aucun 
usage,  et  dont  ils  ne  se  croyaient  môme  pas  bien  surs. 
Cicéron,  dont  l'esprit  est  si  avide,  était  au  courant 
de  toutes  les  doctrines  des  astionomes  et  des  cos- 
mographes ;  mais  sur  bien  des  questions  (comme , 
par  exemple,  celle  des  antipodes)  il  ne  sait  que  penser, 
et  il  ne  tient  pas  précisément  à  le  savoir  ;  il  est  disposé 
à  croire  que  ses  maîtres  s'aventurent  beaucoup  quand 
ils  décrivent  ce  qui  se  passe  dans  le  ciel,  ou  seulement 
dans  l'autre  hémisphère,  comme  s  ils  y  étaient  allés.  Si 
on  s'avisait  aujourd'hui  d'embrasser  la  thèse  d'un  scep- 
ticisme universel,  on  serait  eml)arrassé  de  l'évidence 
des  connaissances  mathématiques  et  physiques,  eî  on 


94         LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

se  croirait  tenu  de  faire  exception  pour  celles-là  ;  alors, 
au  contraire,  c'était  sur  l'incertitude  prélenJue  de  cet 
ordre  de  spéculations  que  le  pyrrhonisme  s'appuyait  de 
préférence. 

Il  résultait  de  tout  cela  qu'un  faux  système  du  monde 
se  maintenait  dans  toutes  les  écoles-,  et  il  s'y  est  main- 
tenu jusqu'à  la  fin,  soutenu  par  les  préjugés  religieux. 
Il  en  résultait  encore  que  celui  qui  travaillait  sur  une 
science  avait  toujours  tout  à  recommencer,  rien  n'étant 
acquis,  rien  n'étant  passé  à  l'état  de  connaissance  élé- 
mentaire; et  par  cela  môme,  on  risquait  que  tout  restai 
inachevé  et  inexact.  Pour  expliquer  la  géographie  des 
Alpes  à  ses  lecteurs,  Polybe  se  croit  obligé  d'abord  de 
leur  apprendre  qu'il  y  a  trois  parties  du  monde,  et 
quelles  elles  sont,  particulièrement  l'Europe,  Les  Latins, 
beaucoup  moins  ouverts  et  moins  curieux  que  les  Grecs, 
ne  faisaient  que  traduire  leurs  livres  sans  y  rien  ajouter 
du  leur.  Cicéron  ayant  écrit  quelque  part  que  tous  les 
peuples  du  Péloponèse  étaient  sur  la  mer,  Atticus  lui 
objecte  que  l'Arcadie  tout  entière  est  dans  l'intérieur 
des  terres.  Cicéron  est  étonné  ;  il  répond  qu'il  n'a  pour- 
tant parlé  que  d'après  un  bon  auteur,  et  il  le  cite  ;  il  a 
consulté  d'ailleurs  un  Grec  qu'il  a  chez  lui  et  qui  est 
d'avis  qu'il  ne  se  trompe  pas.  Cependant  il  se  rendit  et 
il  corrigea  la  faute.  «  On  peut  juger  par  ce  passage  cu- 
rieux, dit  à  ce  sujet  M.  Villemain,  combien  les  notions 
géographiques  avaient  alors  peu  de  certitude  et  d'éten- 
due. »  Il  faut  dire,  plus  généralement,  les  notions  scien- 
tifiques; et  cela  est  vrai  des  sciences  historiques  aussi 
bien  que  des  sciences  physiques.  Là  encore  Cicéron  se 


ÉPOUUE  ROMAINE.  —  CICÉRON.  9rv 

distingue  par  une  curiosité  qui  lui  fait  honneur;  il  a 
souci  des  dates  et  se  garde  des  anachronismes;  il  profile 
de  son  mieux  des  doctes  recherches  de  Varron.  Et  pour- 
tant il  accepte  sans  scrupule,  après  Polybe,  et  avant 
Tite-Live,  une  histoire  convenue  des  temps  primitifs  de 
Rome,  dont  une  véritable  critique  ne  saurait  s'accom- 
moder. 

La  science  est  pour  nous  une  institution  sociale,  ou 
plutôt  un  des  fondements  de  notre  vie  :  les  classes,  les 
examens,  les  académies,  dont  elle  est  l'objet  perpétuel; 
les  services  publics  et  les  corps  qui  l'appliquent  sans 
cesse  et  qui  n'existent  que  pour  l'appliquer;  l'emploi, 
enfin,  qui  s'en  fait  de  toute  manière  et  tous  les  jours, 
ne  permet  à  qui  que  ce  soit  de  rester  étranger  à  ses  ré- 
sultats. On  caractérisera,  au  contraire,  l'état  intellectuel 
des  anciens  en  un  mot,  si  on  dit  qu'il  n'ont  jamais  eu 
que  des  sciences  occultes.  En  dehors  des  adeptes,  au- 
cune doctrine  ne  faisait  autorité.  Et  ce  que  je  dis  de 
l'antiquité  est  demeuré  vrai,  du  moins  dans  une  certaine 
mesure,  presque  jusqu'à  nous.  Il  n'y  a  pas  deux  cents 
ans  que  Fontenelle,  inaugurant  l'Académie  des  sciences, 
prononçait  ces  paroles,  qui  étonnent  tant  aujourd'hui  : 
«  On  traite  volontiers  d'inutile  ce  qu'on  ne  sait  point; 
c'est  une  espèce  de  vengeance;  et  comme  les  mathéma- 
tiques et  la  physique  sont  assez  généralement  incon- 
nues., elles  passent  assez  généralement  pour  inutiles,  v 
Il  est  donc  permis  de  dire  à  la  fois  et  que  les  anciens 
ont  su  bien  des  choses,  et  que  la  science  leur  a  manqué; 
et  c'a  été  là  leur  grande  faiblesse.  S'il  y  avait  eu  une 
science  constituée  chez  les  anciens,  il  y  a  longtemps,  je 


£6  LE  CHRISTIANISME  ET  SES   ORIGINES. 

le  crois,  que  les  grandes  superstitions  auraient  disparu 
du  monde. 

Rien  ne  mesure  mieux  où  en  était  l'antiquiic  que  de 
voir  tout  une  école,  celle  d'Épicure,  la  plus  répandue 
de  toutes,  condamner  publiquement  la  science  et  la  dé- 
mentir. Elle  la  considérait  comme  une  religion,  dont  elle 
avait  peur  d'être  dupe  autant  que  de  l'autre.  Une  fois 
seulement,  cet  instinct  l'a  bien  servie.  Tout  en  admet- 
tant, avec  toutes  les   autres  écoles,  ce  monde  fermé 
auquel  on  croyait  universellement,  elle  a  supposé  har- 
diment au  delà  de  ce  ciel  d'autres  cieux  en  nombre  infini  ; 
c'est  la  seule  grande  idée  qu'elle  ait  eue,  et  elle  l'avait 
prise  à  Démocrite.  Mais,  pour  tout  le  reste,  quelle  phy- 
sique mesquine  et  puérile!  Voyez  le  poume  de  Lucrèce, 
tout  à  côté  de  Cicéron.  Il  se  récrie  contre  l'absurdité  de 
supposer  des  antipodes,  des  hommes  qui  seraient  par 
rapport  à  nous  comme  est  notre  image  reflétée  dans 
l'eau.  Il  déclare  encore  que  le  soleil  ne  peut  être  ni 
beaucoup  plus  grand  ni  plus  petit  qu'il  ne  parait  à  nos 
yeux.  Cherchant  pourquoi  les  nuits  sont  longues  en  hi- 
ver, il  en  donne  d'abord  la  bonne  explication,  ou  à  peu 
près,  qui  se  tire  de  la  figure  de  la  sphère  représentant  le 
mouvement  apparent  du  soleil  ;  mais  cela  ne  l'empêche 
pas  d'en  proposer  une  autre,  qui  est  que  l'air  où  le  soleil 
entre,  en  passant  sous  la  terre,  étant  épaissi  et  congelé 
par  le  froid,  lui  oppose  une  plus  grande  résistance  et  le 
retient  plus  longtemps.  Enfin,  parmi  les  explications 
qu'on  peut  donner  des  phases  de  la  lune,  il  trouve  celle 
que  voici  aussi  plausible  qu'une  autre  :  la  nature  i)eut 
l'aire  tous  les  jours  une  lune  nouvelle;  celle  d'hier  est 


ÉPOQUE    HUMAINE.    -    CICÉUON.  97 

détruite  et  elle  fait  place  à  une  autre;  ces  lunes  de  figu- 
res diverses  peuvent  se  succéder  dans  un  ordre  régu- 
lier, comme  se  succèdent  les  saisons. 

Si  une  école,  inférieure  sans  doute  et  vulgaire,  mais 
enfin  une  école,  avait  des  vues  si  bornées  sur  la  nature, 
que  pouvaient  être  celles  de  la  foule?  Ces  doctrines,  si 
elles  peuvent  s'appeler  ainsi,  étaient  celles  du  grand 
nombre  parmi  les  gens  qui  prétendaient  penser  quelque 
cbose,  et  un  poëte  admirable  les  traduisait  en  beaux 
vers.  Est-ce  bien  là  ce  que  nous  entendons  quand  nous 
parlons  d'un  siècle  de  lumières? 

Ainsi,  le  monde  ancien  n'était  pas  suffisamment  dé- 
fendu de  la  superstition  par  la  science;  il  ne  l'était  pas 
non  plus  par  la  philosophie.  La  philosophie  elle-même 
n'avait  fait  que  trop  de  place  aux  croyances  populaires 
dans  ses  doctrines;  bien  peu  de  philosophes  étaient  ce 
que  nous  appelons  rationalistes.  Ceux-là  se  comptaient, 
et  leur  influence  était  petite.  Des  deux  grandes  écoles 
qui  se  partageaient  le  monde,  celle  des  Stoïques  et  celle 
d'Épicure,  l'une  protégeait  et  consacrait  les  religions, 
et  l'autre  avait  transigé  avec  elles.  Non-seulement 
les  Stoïques  conservaient,  au-dessous  de  leur  théologie 
philosophique,  les  noms  et  le  culte  des  dieux,  et  ado- 
raient le  ciel  et  les  astres;  mais  ils  autorisaient  et  ils 
parlngeaient  la  foi  des  peuples  dans  la  divination  ;  ils 
croyaient  aux  songes,  aux  oracles  et  aux  présages; 
Chrysippe  avait  employé  des  livres  entiers  à  l'his- 
toire et  à  l'interprétation  de  ces  prétendus  signes  divins. 
Us  croyaient  enfin  à  des  esprits  immortels,  dont  Vair 
ûlail  rempli^  chargés  des  communications  du  ciel  avec 
II.  7 


98        LE  christianisai:  et  ses  origines. 

la  terre;  le  célèbre  Posidonios,  contempornin  de  Cicé- 
ron,  celui  qui  disait  à  la  douleur,  dans  un  accès  de 
goutte  :  «  Tu  ne  me  feras  pas  avouer  que  lu  sois  un 
mal  »,  avait  écrit  un  livre  sur  ces  esprits  ou  démon ^i. 
Ainsi,  la  plupart  de  ceux  que  les  hommes  de   ce 
temps  reconnaissaient  pour  lours  maîtres  dans  la  pensée, 
n'étaient  nullement  des  esprits  forts.  Ceux  qui  pouvaient 
l'être,  comme  les   Académiques   et  comme   Cicéron, 
l'étaient  pour  eux-mêmes  et  pour  un  petit  nombre  à 
peu  près  capable  de  les  comprendre.  La  philosophie 
restait  dans  les  livres  et  dans  les  écoles,  et  ni  les  unes 
ni  les  autres  ne  s'ouvraient  à  tous.  Quoiqu'on  écrivit 
beaucoup,  ces  livres  manuscrits  étaient  loin   d'avoir 
l'immense  puissance  de  diffusion  que  l'imprimerie  a 
donnée  à  la  parole  humaine;  ils  n'étaient  pas,  à  beau- 
coup près,  aussi  répandus  qu'on  pourrait  le  croire.  Ci- 
céron, qui  était  si  haut  placé,  qui  était  riche,  qui  él  lit 
par  excellence  un  homme  de  lettres,  n'avait  pas  chez 
lui  tel  ouvrage  essentiellement  classique.  Il  était  obligé 
d'emprunter  à  la  bibliothèque  de  Lucullus  des  livres 
d'Aristote,  à  celle  d'Atticusles  écrits  de  Varron.  Quand 
on  voulait  augmenter  sa  bibliothèque,  on  était  arrêté 
par  une  difficulté  extrême  de  se  procurer  des  exem- 
plaires corrects.  D'après  cela  on  comprend  assez  que  le 
peuple  ne  lisait  pas. 

Voilà  comment  il  se  fait  que  Cicéron,  en  philosophie, 
a  deux  langages,  l'un  dans  ses  discours,  l'autre  dans 
ses  livres  :  «  Mais  il  est  difficile  de  nier  les  dieux!  — 
Sans  doute,  dans  une  assemblée  du  peuple,  mais  dans 
un  entretien  avec  des  amis  qui  confèrent  ensemble, 


ÉPOQUE    ROMAINE.     -    CICÉRON.  99 

rien  n'est  plus  aisé.  »  Celte  conférence,  prétendue  in- 
time et  secrète,  c'était  un  livre,  le  livre  de  Nalura  dco- 
rum,  c'est  à  dire  sur  ce  qu'il  faut  penser  des  dieux. 

Il  dit  encore,  après  avoir  ramassé  tout  ce  qui  peut  se 
dire  contre  les  croyances  religieuses  :  «  Il  ne  faut  pas 
soulever  ouvertement  ces  discussions,  de  peur  de  ruiner 
les  religions  reçues.  » 

Cicéron  s'est  moqué  partout,  et  bien  haut,  de  ce  qu'on 
raconte  sur  les  enfers;  cela  ne  l'empêche  pas,  dans  la 
dernière  harangue  qu'il  ait  prononcée  en  plein  forum, 
de  promettre  solennellement  à  ceux  qui  sont  morts  pour 
sa  cause  les  joies  de  l'Elysée,  et  de  menacer  de  toutes 
les  peines  du  Tartare  les  morts  ennemis.  Il  pensait, 
sans  doute,  ce  qu'un  autre  a  dit  en  ces  termes  :  «  La 
mythologie  des  enfers,  quoique  étabhe  sur  des  fictions, 
contribue  beaucoup  à  entretenir  la  religion  et  la  justice 
parmi  les  hommes.  »  Les  esprits  étaient  divisés  en  deux 
régions,  et  de  la  première  la  pensée  ne  descendait  pas 
jusqu'à  l'autre. 

C'est  sans  doute  ainsi  qu'on  peut  s'expliquer  com- 
ment on  trouve,  par  exemple,  au  milieu  des  livres 
d'Héron  d'Alexandrie  sur  la  mécanique,  des  explica- 
tions au  sujet  des  artifices  savants  par  lesquels  on  ob- 
tenait que  les  portes  d'un  temple  parussent  s'ouvrir  ou 
se  fermer  d'elles-mêmes  miraculeusement  à  certains 
jours  et  à  certaines  heures.  Pendant  que  les  curieux  li- 
saient et  étudiaient  ces  explications,  la  foule  continuait 
d'attendre  le  miracle  avec  une  pieuse  impatience  et  de 
l'accueillir  avec  vénération. 

Enfin,  parmi  les  penseurs,  il  ne  faut  compter  que 


100         LE  CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

des  hommes;  les  femmes  ne  philosophaient  pas,  et 
on  ne  philosophait  pas  pour  elles.  Il  y  a  des  exceptions 
sans  doute;  certains  esprits  ne  peuvent  être  tenus  fer- 
més, quoi  qu'on  fasse;  mais  ce  n'étaient  que  des  excep- 
tions. Nous  avons  une  lettre  où  Cicéron  écrit  à  sa 
femme  qu'il  a  été  malade,  mais  qu'une  évacuation  de 
hile  l'a  soulagé  tout  à  coup  et  l'a  relevé  d'un  état 
d'abattement  qui  faisait  peine,  comme  si  un  dieu  s'était 
mêlé  de  le  guérir.  Et  il  ajoute  :  Tu  t'acquitteras  envers 
ce  dieu,  je  veux  dire  Apollon  ou  Esculape,  avec  ta  piété 
et  ta  dévotion  accoutumées.  »  Quand  on  rapproche  de 
telles  paroles  du  Dialogue  de  Naliira  deorum^  on  se  dit 
que  la  femme  à  qui  elles  sont  adressées  ne  lisait  pas 
sans  doute  les  livres  de  son  mari  et  restait  entièrement 
étrangère  à  ses  pensées.  Ou  bien  il  faudrait  admettre  que 
Térentia,  et  peut-être  Cicéron  lui-même,  ne  se  souciaient 
pas  de  mettre  d'accord  leurs  idées  et  leur  conduite,  leur 
façon  de  raisonner  et  leur  façon  d'agir;  ou  encore,  si 
on  veut,  que  les  philosophes  eux-mêmes  n'étaient  pas 
philosophes  à  toute  heure  ;  que  Cicéron  faisait  pour  les 
dieux  comme  on  fait  souvent  pour  les  médecins  ;  qu'il 
s'en  moquait  quand  il  était  en  bonne  santé,  et  devenait 
croyant  s'il  était  malade.  J'aime  mieux  n'attribuer  ({u'à 
Térentia  toute  seule  cette  foi  en  Esculape  et  en  Apollon, 
et  dire  que  la  femme  de  Cicéron  était  tout  simplement, 
comme  bien  d'autres,  une  bonne  païenne. 

Il  s'en  faut  donc  de  beaucoup  que  la  prédication  juive 
ou  chrétienne,  lorsqu'elle  viendra  à  se  répandre,  doivo 
trouver  dans  le  monde  romain  des  oreilles  dures  a 
la  croyance  et  qui  se  délient  dos  voix  d'en  haut.  Uii 


ÉPOQUE    ROMAINE.    —    GICÉRON.  lOl 

prend  trop  à  la  lettre  une  parole  de  l'opôtre  Paul  : 
c  Les  Juifs  demandent  des  signes  et  les  Grecs  de  la  phi- 
losophie ».  Il  parle  ainsi  à  cause  de  tant  de  philosophes 
qui  allaient  disputant  par  les  lieux  publics  des  villes 
grecques  ;  mais,  outre  que  leur  philosophie  était  bien 
mêlée,  ce  n'était  pas  de  la  philosophie  que  demandaient 
les  multitudes.  Personne  ne  s'étonnait  du  merveilleux; 
on  l'attendait  à  toute  heure  et  on  était  prêt  à  l'accueil- 
lir; et,  loin  qu'une  doctrine  fût  suspecte  si  elle  s'annon- 
çait comme  surnaturelle  et  divine,  elle  répondait  par 
là,  au  contraire,  à  tous  les  instincts  et  à  tous  les  be- 
soins de  ce  temps. 

Ce  n'est  pas  dans  l'ordre  de  la  critique,  c'est  dans 
celui  de  l'action  morale  que  la  philosophie  était  vrai- 
ment grande  ;  là,  son  empire  s'étendait  sur  tout  le 
monde;  ceux  même  qui  la  connaissaient  le  moins 
avaient  été  touchés  de  son  esprit,  et,  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  ils  vivaient  sans  le  savoir  suivant  elle.  L'es- 
prit païen,  si  on  entend  par  là  l'esprit  de  sensualité  et 
de  débauche  au  dedans,  d'inhumanité  et  de  violence  au 
dehors,  allait  s'amoindrissant  de  jour  en  jour.  Toutes 
les  écoles,  si  divergentes  en  métaphysique,  se  confon- 
daient bien  plus  qu'on  n'aurait  pu  croire  dans  une  même 
morale,  et  tiraient  une  grande  force  de  cet  accord.  Les 
textes,  devenus  plus  abondants  pour  nous  à  celte  épo- 
que, nous  étalent  de  tous  côtés  ce  que  nous  avons  déjà 
entrevu,  comment  la  philosophie  était  en  pleine  pos- 
session de  la  direction  morale  des  hommes  et  exerçait 
un  empire  dont  la  religion  n'a  fait  qu'hériter.  Les  livres 
des  philosophes,  qui  se  multipliaient  sans  cesse,  em- 


102         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

brassaient  toutes  les  questions  morales  qui  peuvent  in- 
téresser la  vie  privée  ou  la  vîfe  publique  ;  ils  écrivaient 
des  exhortations,  des  lettres  d'avis  et  de  conseil,  des 
consolations  surtout;  car  on  les  regardait  comme  étant 
chargés,  par  leur  profession  même,  de  ce  ministère  de 
consolateurs,  ainsi  que  les  prêtres  l'ont  été  depuis.  Il 
y  avait  des  livres  sur  toutes  les  espèces  de  misères  dont 
les  hommes  peuvent  être  affligés  :  la  pauvreté,  la  dégra- 
dation, l'exil,  la  ruine  de  la  patrie,  la  servitude,  l'infir- 
mité, la  cécité,  la  perte  des  enfants  ;  il  y  en  avait  aussi 
sur  toutes  les  passions  \  ils  offraient  des  remèdes  pour 
les  maladies  du  dedans  comme  pour  les  maux  du  dehors. 
Ils  entraient  dans  tout  le  détail  des  devoirs,  et  ils  ont 
fondé  cette  science  des  difficultés  morales  que  les  Chré- 
tiens ont  appelé  la  casuistique;  mais  elle  était,  chez  les 
philosophes,  bien  plus  sensée  et  plus  pure  que  chez  les 
casuistes,  parce  qu'ils  n'avaient  à  consulter  que  leurrai- 
son  et  leur  conscience,  et  non  ces  intérêts  de  gouver- 
nement et  de  politique  qu'on  ne  peut  servir  que  par  la 
subtilité  et  le  mensonge.  Ces  leçons  déposées  dans  les 
livres  étaient  d'ailleurs  continuellement  renouvelées  et 
développées  par  la  parole  vivante  des  philosophes  dans 
leurs  écoles,  très-suivies  à  Rome  comme  dans  la  Grèce. 
Celles  de  la  Grèce  n'étaient  pas  fréquentées  seulement 
par  les  Grecs  ;  les  Romains  se  plaisaient  à  aller  chercher 
la  philosophie  à  sa  source  môme,  sur  la  terre  helléni- 
que, et  à  Athènes  en  particulier.  L'Académie  et  le  Lycée 
étaient  comme  des  sanctuaires  que  tout  ce  qui  pensait 
tenait  pour  sacrés;  on  y  allait,  pour  ainsi  dire,  en  pèle- 
rinage. On  allait  voir  les  endroits  où  avaient  enseigné 


ÉPOQUE    ROMAINE.     —    CICÉRON.  103 

Speusippe,  Xénocratc  ou  Polcmon  ;  Cicéron,  dans  sa 
jeunesse,  visitait  avec  respect  la  chaire  où  s'était  assis 
Carncade,  et' qui  semblait  veuve  de  ce  beau  génie.  «  Mais, 
disait-il,  on  n'a  jamais  fini  dans  celle  ville,  et,  de  quel- 
que côté  qu'on  se  tourne,  on  y  marche  sur  un  souve- 
nir. »  Athènes  était  le  vrai  centre  de  cette  religion  delà 
sagesse  qui  s'étendait  au  monde  entier.  Car,  comme 
Cicéron  le  dit  encore,  «  ce  qui  est  écrit  en  grec  est  lu 
à  peu  près  partout;  le  latin  ne  s'étend  pas  au  delà  de 
son  territoire,  qui  est  peu  de  chose.  » 

Enfin,  les  philosophes  pénétraient  jusque  dans  l'inté- 
rieur de  chacun.  Les  grands  seigneurs  les  attachaient  à 
leur  maison  et  à  leur  personne,  ou  les  recevaient  fré- 
quemment, entretenant  avec  eux  un  commerce  suivi 
et  les  réunissant  dans  des  conférences.  C'était  un  des 
plus  beaux  luxes  d'une  grande  existence  romaine.  Cicé- 
ron se  vante  de  l'éclat  que  son  intérieur  a  reçu  de  ces 
amitiés  des  sages;  il  nomme  les  plus  grands,  Diodote, 
Philon,  Antiochos,  Posidonios,  qui  l'ont  formé.  Il  nous 
apprend  que  Diodote  est  mort  chez  lui,  aveugle,  après 
y  avoir  passé  bien  des  années.  De  tels  commerces 
n'étaient  pas  à  la  portée  du  grand  nombre,  mais  le  grand 
nombre  n'en  consultait  pas  moins  Les  philosophes  quand 
il  avait  besoin  de  ce  secours. 

Comme  le  ministère  du  prêtre,  celui  du  philosophe 
avait  ses  rigueurs  ;  il  avaità  reprendre  les  pécheurs  et 
aies  harceler  de  sévériléa  salutaires;  il  était  alors 
comme  un  médecin  obligé  à  une  opération  douloureuse 
et  qui  ne  peut  guérir  son  malade  sans  le  faire  crier;  et 
il  y  en  avait  en  effet  qui  pleuraient,  sous  les  reproches 


10*         LE  CHRISTIANISME    ET   SES    ORIGINES. 

de  celui  qu'on  peut  bien  appeler  leur  directeur.  Tout 
naturellement,  on  employait  volontiers  les  philosophes 
auprès  des  jeunes  gens;  nous  voyons  ainsi  le  fils  de  Ci- 
céron,  son  cher  Marcus,  qu'il  a  envoyé  â  Athènes,  placé 
par  son  père  sous  la  discipline  deCralippe.  Il  nous  reste 
une  lettre  de  Marcus,  écrite  à  Tiro,  l'affranchi  et  le  fa- 
vori de  son  père,  et  à  l'adresse  sans  doute  de  celui-ci 
même,  où  il  dit  :  «  Tu  sauras  que  je  ne  suis  pas  pour 
Cratippe  un  disciple,  mais  un  fils...  Je  pusse  avec  lui 
des  journées  entières.  »  Et  comme  il  était  question  d'un 
voyage  que  le  jeune  homme  désirait  faire  en  Asie,  un 
ami  de  Cicéron  lui  écrit:  «  J'aurai  soin  que  Cratippe 
aille  avec  lui.  » 

Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  là  même  où  Cicéron, 
comme  on  pouvait  l'attendre  d'un  tel  personnage,  con- 
damne sévèrement  le  loisir  de  ceux  qui  se  dérobent  au 
service  public  de  la  cité,  il  respecte  pourtant  la  retraite 
du  philosophe,  reconnaissant  que  lui  aussi  sert  la  patrie 
et  l'humanité,  et  qu'il  remplit  à  sa  manière  une  espèce 
de  fonction  publique. 

De  même  que,  dans  les  temps  religieux,  le  langage 
de  la  dévotion  n'est  pas  seulement  celui  du  prêtre,  et 
que  le  monde  le  parle  aussi  aux  grandes  occasions, 
ainsi  les  philosophes  n'étaient  pas  seuls  à  philosopher. 
Nous  avons,  dans  la  correspondance  de  Cicéron,  des 
lettres  de  consolation  qui  lui  sont  adressées,  d'autres 
qu'il  adresse  lui-même  à  des  amis.  Nous  y  voyons  dé- 
veloppés les  mômes  lieux  communs  de  morale  qui  rem- 
plissent les  sermons  philosophiques  :  «  Kn  revenant  de 
l'Asie,  comme  je  faisais  voile  d'Egine  à  Mégare,  je  me 


Éi'OQUE    ROMAINE.    —    GiCÉRON.  103 

mis  à  regarder  les  pays  (jui  m'entouraient.  Derrière 
moi  était  Égine;  devant,  Mégare;  à  droite,  le  Pirée  ;  à 
gauche,  Corinlhe  :  toutes  villes  autrefois  si  florissantes 
qui  étaient  maintenant  là,  abattues  et  ruinées'.  Je  me 
pris  à  me  dire  à  moi-même  :  Ah!  pauvres  hommes, 
nous  sommes  révoltés  de  ce  qu'un  de  nous  vient  à 
mourir,  ou  qu'il  est  tué,  nous  dont  la  vie  est  si  courte, 
quand  nous  pouvons  voir  ramassés  ensemble  sous  nos 
yeux  les  corps  morts  de  tant  de  cités.  Ne  te  contien- 
dras-tu pas,  Servius?  Ne  te  souviendras-tu  pas  que  tu 
es  un  homme?  Crois-moi,  cette  pensée  ne  m'a  pas  mé- 
diocrement soutenu;  à  ton  tour  applique-toi  à  te  la 
représenter...  N'oublie  pas  que  c'est  toi  qui  d'ordinaire 
donnes  aux  autres  des  conseils  et  des  leçons  ;  ne  fais 
pas  comme  les  mauvais  médecins,  qui  font  profession 
d'avoir  des  remèdes  pour  les  maladies  d'autrui  et  ne 
savent  pas  se  guérir  eux-mêmes  2.  »  Voilà  ce  que  Ser- 
vius Sulpicius,  un  consulaire,  écrivait  à  Cicéron  au 
sujet  de  la  mort  de  TuUia. 

Ailleurs,  c'est  à  ses  souffrances  de  citoyen  et  d'homme 
libre  tombé  dans  la  servitude,  que  Cicéron  applique  les 
moralités  stoïques,  en  écrivant  à  un  ami  politique  qui 
avait  été  frappé  avec  lui  :  «  Si  c'est  assez  de  penser 
bien  et  de  bien  faire  pour  vivre  véritablement  heureux, 
il  me  semble  que  celui  qui  peut  se  soutenir  par  la  con- 
science de  n'avoir  jamais  eu  que  les  meilleures  inten- 
tions ne  saurait  sans  crime  se  tenir  pour  malheureux... 
Réglons-nous  sur  ce  principe,  qui  est  celui  Aq  la  sa- 

1 .  Corinlhe  fut  restaurée  plus  tard  par  Auguste. 

2.  Méilecin,  guéris-loi  toi-même,  dit  l'Évangile. 


106         LE  GIIR1STIANISMI-:   ET  SES  ORIGINES. 

gesse  et  de  la  raison,  que  nous  n'avons  à  nous  nicUre 
en  pe'me  de  rien  que  de  nos  fautes;  et  puisque  nous 
n'en  avons  pas  à  nous  reprocher,  supportons  avec 
calme  et  résignation  des  maux  qui  sont  ceux  de  la  con- 
dition humaine.  »  Et  comme  celui  à  qui  il  écrit,  et  qui 
est  exilé,  vit  dans  Athènes  :  «  Tu  es  dans  une  ville,  lui 
dit-il,  où  les  murs  mêmes  peuvent  t'en  dire  plus  et 
plus  éloquemment  que  moi.  »  Mais  il  ne  garde  pas  tou- 
jours sa  philosophie  pour  des  occasions  si  hautes.  Voici 
ce  qu'il  écrit  à  son  ami  Atticus  :  a  J'ai  deux  corps  de 
logis  qui  viennent  de  tomber,  et  les  autres  menacent 
ruine;  si  bien  que  non-seulement  ceux  qui  y  logeaient 
sont  partis,  mais  jusqu'aux  rats.  D'autres  appellent  cela 
un  malheur,  je  ne  l'appellerai  même  pas  un  désagré- 
ment. 0  Socrate  !  ô  Socratiques!  jamais  je  ne  vous  re- 
mercierai assez.  Dieux  immortels!  que  tout  cela  m'est 
peu  de  chose!  Néanmoins,. je  vais  faire  rebâtir  de  telle 
façon  que  la  perte  me  fera  du  profit.  »  Ce  dernier  trait 
est  d'une  naïveté  admirable,  et  nous  voilà  bien  édifiés 
sur  la  grandeur  d'âme  de  Cicéron.  Mais  ce  n'est  pas 
pour  faire  honneur  à  sa  philosophie  que  j'ai  cité  ce  pas- 
sage; c'est  pour  montrer  à  quel  point  la  philosophie 
pouvait  devenir  pour  les  hommes  d'alors  une  habitude 
de  l'esprit,  et  comme  un  style  qu'on  parlait  sans  y  pen- 
ser. Cicéron  me  fait  ici  l'effet  d'un  dévot,  qui  ne  peut 
dire  qu'il  lui  a  fallu  débourser  quelque  chose,  même 
utilement,  sans  ajouter  tout  de  suite  avec  une  grimace  : 
Je  l'offre  à  Dieu  ! 

Cicéron  ne  le  i)rcnd  sur  ce  ton  qu'avec  ses  amis, 
familiers  comme  lui,  sinon  autant  que  lui,  avec  la  phi— 


ÉPOQUE     ROJIAI.NE.     —    CICÉRON.  107 

losophie;  il  ne  parle  pas  ainsi,  en  général,  dans  î^cs  dis- 
cours publics  et  pour  les  profanes;  Caton  ctaiL  plus 
hardi.  Cicéron  remarque  avec  une  sorte  d'étonnement 
jaloux  qu'il  ne  craignait  pas,  en  plein  sénat,  de  déve- 
lopper certaines  élévations  de  la  philosophie  morale, 
cl  qu'il  réussissait  même  à  les  faire  accepter.  C'est  que 
Caton  avait  par-dessus  Cicéron,  si  docte  et  si  beau  par- 
leur, la  hardiesse  et  la  puissance  que  donnent  une  foi 
vive  et  un  sentiment  profond. 

Après  tout,  la  philosophie  à  Rome  n'en  était  plus  à 
demander  grâce;  tout  le  monde  savait  ce  qu'elle  vaut, 
et  il  ne  se  trouvait  plus  pour  la  dédaigner  que  les  fri- 
voles et  les  grossiers.  C'est  un  de  ces  hommes  que  Vai- 
ron apostrophait  ainsi  dans  un  passage  de  sa  Sallre 
selon  Mcnipjic  :  «  Si  toute  la  peine  que  tu  t'es  donnée 
pour  que  ton  esclave  boulanger  {luus  pistor)  te  fasse  du 
pain  excellent,  tu  en  avais  pris  seulement  la  douzième 
partie  pour  la  philosophie,  c'est  toi-même  qui  depuis 
longtemps  serais  devenu  excellent.  Mais  aussi,  ceux  qui 
connaissent  ton  pistor  sont  prêts  à  le  payer  cent  mille 
sesterces,  et  toi,  on  ne  donnerait  pas  de  toi  seulement 
cent  as.  »  Sans  la  philosophie,  on  n'était  pas  ce  que  nos 
pères  appelaient  un  honnête  homme.  La  philosophie, 
c'était  la  civilisation  même,  c'était  la  moralité. 

Celte  morale  du  temps  de  César,  nous  n'avons  pas  à 
la  rechercher  dans  des  renseignements  épars  çà  et  là, 
comme  pour  l'époque  qui  précède  ;  nous  la  retrouvons 
toute  vivante  dans  les  écrits  de  Cicéron.  C'est  la  pre- 
mière fois,  depuis  que  j'ai  quitté  Platon  et  son  sévère 
disciple^  que  je  puis  renvoyer  mes  leclcuis  à  des  textes 


108  LE  CHRISTIANISME  ET  SES   ORIGlMilS. 

suivis,  OÙ  les  pensées  et  les  sentiments  dont  se  nnu  - 
Tissaient  les  esprits  se  réfléchissent  dans  le  fleuve  lim- 
pide d'une  belle  parole.  Ce  n'est  plus  l'imagination  de 
Platon,  ce  n'est  pas  son  originalité;  mais  c'est  un  lan- 
gage sain  et  sans  sophistique,  plein  de  mouvement  ora- 
toire, toujours  noble,  et  souvent  fin  et  délicat.  Il  nous 
rend,  sinon  tout  le  meilleur  de  Platon,  du  moins  ce 
qu'il  a  de  plus  communicable  et  de  plus  universel,  et 
aussi  ce  qu'ont  ajouté  à  Platon  ceux  qui  sont  venus 
après  lui,  particulièrement  les  Stoïques,  les  interprètes 
les  plus  élevés  et  les  plus  sûrs  de  la  philosophie  morale. 
L'inspiration  dominante  de  cette  éloquence  est  l'amour 
de  la  vertu,  soit  dans  son  idée  générale,  soit  dans  les 
divers  aspects  particuliers  de  celte  idée  :  justice,  sa- 
gesse, force,  tempérance;  le  respect  de  tout  ce  qui  est 
grand,  le  mépris  de  tout  ce  qui  est  bas;  le  cuite,  pour 
ainsi  dire,  de  la  conscience,  autorité  suprême,  témoin 
et  juge  toujours  présent,  le  plus  grand  théâtre  que 
puisse  avoir  la  vertu.  «  Tandis  que  Xerxès,  à  ce  qu'on 
rapporte,  proposait  un  prix  pour  qui  inventerait  un 
nouveau  plaisir,  j'aimerais  mieux,  dit  Cicéron,  en  ré- 
server un  à  qui  persuadera  aux  hommes  de  ne  rirn 
mettre  au-dessus  de  la  vertu.  »  Il  jette  de  tous  côtés  des 
traits  semblables.  Il  proclame  à  son  tour  le  grand  prin- 
cipe par  lequel  on  peut  se  défendre  sûrement  de  l'injus- 
tice :  «  Dans  le  doute  si  ce  que  tu  veux  faire  est  juste 
ou  injuste,  abstiens-loi  ».  Il  définit  le  courage  :  la  vertu 
combattant  four  la  justice.  Et  lui-mèmo,  en  effet,  dans 
sa  vie,  s'il  n'était  pas  toujours  capable  du  grand,  y  as- 
pirait du  moins  toujours.  C'est  lui  qui  s'écriait,  dans 


EPOQUE    ROMAINE.    -     CICI'UON.  10' 

une  occasion  où  on  pouvait  le  soupçonner  d'avoir  recule 
devant  le  péril  :  «  Étais-je  si  ignorant,  si  grossier,  si 
dépourvu  de  résolution  ou  d'intelligence?  N'avais-je 
rien  vu,  rien  entendu ,  rien  appr  is  par  la  lecture  et 
l'étude  ?  Ne  savais-je  pas  que  la  vie  est  courte  et  que  la 
gloire  ne  meurt  pas?  que  la  mort  étant  un  terme  mar- 
qué à  tous,  il  faut  souhaiter  que  cette  vie,  dont  on  doit 
compte  à  une  nécessité  supérieure,  soit  donnée  à  la 
patrie  plutôt  que  gardée  à  la  nature?  »  Il  rapporte  ainsi 
lui-même  à  la  philosophie  et  à  ses  leçons  l'honneur  des 
meilleurs  sentiments  qu'il  trouve  en  lui.  Il  cherche  par- 
tout et  met  en  lumière,  soit  les  belles  histoires,  soit  les 
scènes  de  théâtre  qui  peuvent  servir  à  la  vertu  :  Oresle 
et  Pylade,  ou  Damon  et  Phintias,  la  patience  d'Hercule 
ou  de  Prométhée.  A  côté  des  joies  d'une  âme  contente 
d'elle-même,  il  fait  valoir  encore  et  il  recommande  les 
salutaires  tristesses  du  remords. 

En  ce  qui  touche  ce  qu'on  appelle  proprement  les 
mœurs,  il  désavoue  les  licences  païennes  d'Athènes  et 
de  la  Grèce;  il  les  condamne  jusque  dans  Platon,  et 
témoigne  ainsi  que,  par  l'action  du  temps,  par  celle  des 
Sioïques  et  par  celles  des  mœurs  romaines,  il  s'était 
formé  un  esprit  nouveau,  qui  s'appellera  bientôt  l'esprit 
chréiien.  Ce  serait  là  pour  nous  une  des  parties  les  plus 
intéressantes  de  la  morale  cicéronicnne;  mais  précisé- 
ment les  livres  où  elle  était  exposée  sont  perdus; 
c'étaient  les  livres  de  la  République.  Mais  voici  un 
témoignage  qui  vaut  celui  des  textes  eux-mêmes;  c'est 
une  lelirc  d'Augustin  au  païen  Nectaire:  «  Vois,  lui  dit- 
il,  ces  mêmes  livres  de  la  République  que  tu  allègues 


no        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

pour  montrer  qu'un  homme  de  bien  n'a  jamais  as-^ez 
fait  pour  sa  patrie  et  n'est  jamais  quitte  de  la  servir. 
Considère  combien  y  sont  célébrées  et  prèchées  la  fru- 
galité et  la  continence,  el  la  fol  au  lien  conjugal^  et  louic 
■espèce  de  pureté  et  dlionnêteté.  Eh  bien,  c'est  cette  pu- 
reté de  mœurs  qu'on  enseigne  aux  peuples  dans  nos 
Églises,  qui  vont  se  multipliant  par  tout  le  monde  comme 
autant  de  saintes  écoles  où  l'on  apprend  la  vertu.  »  Et 
il  conclut  que  c'est  donc  en  faisant  place  à  ces  Églises  et 
à  leur  bienfaisante  influence  que  Nectaire  peut  en  cfict 
servir  sa  patrie.  Je  ne  cherche  pas  ici  ce  que  Nectaire 
aurait  pu  répondre;  cela  me  jetterait  à  cinq  cents  ans 
de  Cicéron  ;  je  prends  dans  ces  paroles  ce  qui  nous  per- 
met de  juger  de  la  morale  de  la  République.  Et,  en 
même  temps ,  je  prie  qu'on  remarque  que  ce  n'est  pas 
nous  autres  modernes,  c'est  Augustin  qui  a  fait  une 
assimilation  que  j'ai  eu  à  reproduire  constamment  dans 
ce  travail.  S'il  appelle  les  Églises  des  écoles  saintes,  il 
nous  est  bien  permis  d'appeler  les  écoles  des  Églises 
philosophiques. 

Cicéron  a  embrassé  de  tout  son  cœur  et  de  toute  son 
éloquence  le  grand  dogme  stoïque  du  droit  qui  unit  tous 
les  hommes  et  qui  fait  de  l'humanité  tout  entière  une 
seule  famille.  C'était  la  servitude  commune  sous  les  3Ia- 
cédoniens  qui  avait  rendu  sensible  cette  vérité  dans  les 
premiers  temps  de  l'école  stoïque;  elle  devint  plus  évi- 
dente encore  sous  l'immense  empire  des  Romains.  Elle 
est,  on  peut  le  dire,  au  siècle  de  César,  l'idée  dominante, 
a  Le  monde  est  la  cité  commune  des  hommes  ^et  des 


1-POQUE    ROMAINE.     —    CICERON.  lil 

•dieux  ;  »  c'est  la  pure  formule  stoïque  ;  mais  la  voici 
reprise  avec  un  accent  nouveau  : 

«  Dans  toute  cette  doctrine  de  l'honnête  que  je  dé- 
veloppe, il  n'y  a  rien  de  plus  éclatant  ni  de  plus  large 
que  l'union  des  hommes  avec  les  hommes,  l'association 
et  la  communauté  de  leurs  intérêts,  et,  en  un  mot, 
l'amour  de  l'humanité  :  »  et  ipsa  'carilas  generis  hiima- 
ni\  il  fallait  citer  le  latin  pour  conserver  ce  mot  de  cha- 
rité, consacré  par  la  langue  de  l'Église.  Ailleurs  encore  : 
«  La  plus  haute  des  associations,  je  V ai  souvent  ditj  et 
je  ne  puis  le  redire  trop  souvent^  c'est  celle  qui  unit  les 
hommes.  »  Et  enfin  :  «  Lès  hommes  devraient  com- 
prendre qu'ils  sont  du  même  sang  (se  esse  consangui- 
neosj,  placés  tous  sous  une  seule  et  même  tutelle.  »  La 
communauté  devient  ici  fraternité. 

A  la  même  époque ,  Diodore  de  Sicile,  en  commen- 
çant son  Histoire  commune  (ou  universelle),  marquait 
très-bien  comment  ce  genre  d'histoire  répondait  à  ce 
sentiment  de  l'unité  du  genre  humain  :  «  Ces  écrivains, 
voyant  tous  les  hommes  liés  par  la  parenté  qu'ils  ont 
entre  eux  et  séparés  par  les  lieux  et  par  les  temps,  se 
sont  étudiés  à  les  réunir  dans  un  même  ensemble,  se 
faisant  en  cela  les  ministres  de  la  Providence  divine.  » 

La  doctrine  ne  restait  pas  stérile,  et  cette  charité 
portait  ses  fruits  :  Si  un  homme,  dit  Cicéron,  ne  sent 
pas  qu'il  agit  contre  la  nature  quand  il  attente  contre 
son  semblable ,  «  comment  raisonner  avec  celui  qui 
anéantit  dans  l'homme  l'humanité  (hominem  exhomine 
tollal)  ?  »  Ailleurs  il  va  plus  loin,  parlant  non  plus  pour 
le  vulgaire,  mais  pour  le  sage  :  «  Il  ne  peut  lui  convc- 


112        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

nir  non-seulement  de  faire  injustice  à  un  autre,  mais 
de  lui  nuire  en  rien.  »  Mais  ce  n'est  pas  assez  de  ne  pas 
nuire  aux  autres,  la  vertu  doit  les  servir.  «  La  nature 
veut  qu'un  homme  prenne  intérêt  à  un  homme  quel 
qu'il  soit,  par  celte  seule  raison  qu'il  est  homme.  »  Tout 
homme  doit  à  tout  homme ,  d'abord  ce  qui  ne  coûte 
rien  et  ce  qui  ne  se  consomme  pas  en  se  donnant,  la 
lumière  par  exemple,  au  sens  moral  comme  au  sens 
propre;  et,  pour  les  secours  auxquels  ses  ressources  ne 
sauraient  suffire,  il  doit  encore  plus  ou  moins,  suivant 
ce  qu'il  a,  et  suivant  ce  qu'il  lui  reste  quand  il  a  satis- 
fait à  ses  obligations  particulières. 

L'homme  de  bien  doit  racheter  des  prisonniers,  payer 
les  dettes  de  ses  amis  accablés,  doter  leurs  filles.  C'était 
ainsi  seulement  que  se  faisaient  accepter  les  grandes 
fortunes  qui  s'élevaient  dans  la  société  si  inégale  de  ces 
temps.  Pour  les  petites  aumônes,  Cicéron  ne  prend  pas 
même  la  peine  d'un  parler,  écrivant  pour  son  fils,  qui 
doit  être  un  grand  seigneur  ;  mais  elles  sont  évidem- 
ment sous-entendues  {De  Off.  II,  16). 

Cicéron  insiste,  d'après  ses  maîtres,  sur  Vohligaliuu 
d'éclairer  et  d'instruire^  qui  lui  parait  la  première  loi 
d'une  nature  faite  pour  la  vérité,  et  qui  est  le  principe 
tout  à  la  fois  de  la  prédication  philosophique  de  l'anti- 
quité et  de  la  prédication  religieuse  qui  l'a  suivie. 

Plus  le  service  s'étend,  plus  il  a  de  prix.  Faire  en 
général  du  bien  aux  hommes  est  la  formule  suprême  de 
la  vertu.  «  La  perfection  de  la  nature,  c'est  celle  de 
l'homme  qui  croit  qu'il  n'existe  que  pour  servir  ses  son- 
hlables^  pour  les  protéger,  pour  les  sauver  ;  c'est  ainsi 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  113 

qu'Hercule  est  entré  parmi  les  dieux.  »  Le  grammairien 
fiellius  ou  Aulugelle,  au  siècle  des  Antonins,  attribuait  à 
son  temps  l'honneur  d'avoir  changé  le  sens  du  moi  hii- 
7ïiam7as;  ce  mot  ne  signifiait  jusque-là,  suivant  lui,  que 
la  culture  d'esprit  qui  distingue  d'abord  l'homme  de  la 
béte,  et  désormais  il  a  signifié  l'humanité.  Gellius  se 
trompait;  ce  sens  d'/iimm«/<as  est  déjà  dans  Cicéron. 
Et  cette  vertu,  l'homme  n'a  pas  manqué  de  la  transporter, 
comme  il  fait  toujours,  de  la  nature  humaine,  dont  elle 
lui  paraît  désormais  le  comble,  à  la  nature  divine  elle- 
même;  dans  l'idée  de  Dieu,  il  met  alors  avant  tout  la 
bonté;  c'est  Cicéron  qui  le  remarque  :  «  Dieu  est  le 
très-bon,  dit-il,  plutôt  encore  que  le  très-grand.  » 
{Oplimus  maximus:  on  l'appellera  bientôt  le  bon  Dieu.) 
Et  il  se  plait  à  entourer  ce  nom  de  tous  ceux  qui  expri- 
ment la  même  pensée:  Dieu  sauveur,  hospitalier,  con- 
servateur. 

Une  telle  philosophie  devait  protester,  et  elle  l'avait 
fait,  contre  les  horreurs  et  les  iniquités  de  la  guerre  et 
de  la  conquête.  Dicéarquc  avait  écrit  un  livre,  de  la 
Destruclion  des  hommes,  où  il  ramassait  tous  les  fléaux 
par  lesquels  les  existences  humaines  peuvent  être  em- 
portées :  inondations,  épidémies,  et  le  reste;  et  il  fai- 
sait voir  qu'il  n'y  a  pas  de  comparaison  enire  la  dépo- 
pulation amenée  par  ces  fléaux  et  celle  que  laissent 
après  elles  les  guerres  de  peuple  à  peuple  ou  les  sédi- 
tions intestines. 

On  ne  peut  attendre  d'un  personnage  comme  Cicéron 
qu'il  condamne  la  domination  romaine  ;  mais  il  est  évi- 
dent que  sa  conscience,  à  ce  sujet,  est  inquiète,  et  que 


114         LE    CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

la  philosophie  des  Grecs  l'a  troublée.  Il  fait   les  plus 
grands  efforts  pour  trouver  à  la  conquête  des  jusiifica- 
lions  ou  des  excuses;  puis,  quand  il  a  fini  là-dessus 
son  plaidoyer,  et  qu'il  a  affaire,  non  plus  au  principe 
même  de  l'empire  de  Rome,  mais  à  la  manière  dont 
elle  l'exerce,  alors  tous  ses  sentiments  sont  à  l'aise  ;  il 
demeure  jusqu'au  bout  l'homme  des    Verrines,  il  dé- 
plore et  flétrit  ces  violences  des  proconsuls,  que  le  Sénat 
et  la  Republique  ont  expiées  par  la  désaffection  des 
sujets  et  par  l'isolement  où  le  monde  les  a  laissés  en 
face  de  la  tyrannie.  Il  reprend  comme  philosophe  ce 
qu'il  avait  développé  si  éloquemment  contre  Verres  : 
«  Le  peuple  romain  ne  peut  plus  tenir,  je  ne  dis  pas 
contre  le  soulèvement,  la  résistance  armée,  la  révolte, 
mais  contre  les  plaintes,  les  larmes,  les  gémissements 
des  nations.  »  Mais  un  trait  bien  remarquable  est  le  dé- 
saveu qu'il  prononce  sans  hésitation  de  la  destruction 
de  Corinlhe.  On  peut  le  regarder  comme  l'amende  ho- 
norable de  Rome  à  la  Grèce,  institutrice  du  genre  hu- 
main. 

La  justice  est  la  vertu  par  excellence,  parce  que  c'est 
celle  par  laquelle  on  sort  de  soi  pour  penser  aux  autres. 
Elle  est  une  obligation  envers  tous,  même  envers  les 
derniers  des  hommes,  me'me  envers  V esclave.  Sur  ce 
point  comme  sur  plusieurs  autres,  l'histoire  encore  avait 
avancé  l'éducation  morale  des  esprits.  Non-seulement 
les  guerres  serviles,  et,  dans  Rome  même,  surchargée 
d'esclaves,  la  part  que  cette  classe  d'hommes  prenait  ou 
menaçait  de  prendre  dans  toutes  les  crises,  avertissait 
ceux  qui  ne  sont  justes  que  par  prudence;  mais  cer- 


Epoque  romaine.  -   ctcéron.  h:; 

taines  catastrophes,  en  touchant  les  cœurs,  leur  avaient 
appris  que  les  esclaves  mêmes  étaient  leurs  semLk>bles. 
Mummius  n'avait  pas  seulement  détruit  Corinthe,  il  avait 
mis  les  hommes  en  vente,  je  veux  dire  tout  ce  qu'il 
n'avait  pas  tué.  Ces  fils  de  la  plus  brillante  des  cités 
grecques  après  Athènes  étaient  allés  servir  comme  es- 
claves chez  d'autres  Grec? ,  dans  le  Péloponèse  ;  Cicé- 
ron,  en  voyage  dans  sa  jeunesse,  en  avait  encore  vu 
quelques-uns,  accoutumés  et  peut-être  déjà  indifférents 
à  cette  servitude,  qui  ne  l'en  avait  que  plus  touché,  à 
ce  qu'il  semble.  Mais  la  philosophie  s'était  placée,  pour 
parler  en  faveur  des  esclaves,  plus  haut  que  la  prudence, 
plus  haut  même  que  la  pitié  ;  elle  les  mettait  sous  la 
protection  du  droit.  Non  qu'on  osât  contester  le  principe 
même  de  l'esclavage  :  une  opinion  si  perturbatrice 
n'avait  pu  se  faire  jour  que  dans  cette  première  jeunesse 
d'Athènes  oîi  ni  la  peur  des  révolutions  ni  la  vigilance 
des  gouvernements  ne  gênaient  encore  la  liberté  de 
l'esprit  ;  mais  on  enseignait,  et  Cicéron  le  répète,  que 
l'esclave  n'est  qu'un  serviteur  loué  à  peiyéluilé ,  et 
qu'on  lui  doit  comme  à  tout  autre  le  juste  prix  de  ses 
services. 

Dans  un  passage  oiî  Cicéron  explique  le  fameux  para- 
doxe stoïque,  qu'il  faut  dire  simplement  de  tout  ce  qui 
est  péché  qu'il  est  péché,  et  qu'il  n'est  pas  permis  de  dis- 
tinguer des  fautes  graves  et  des  fautes  légères,  il  donne 
cet  exemple,  que  c'est  même  chose,  selon  les  Stoiques, 
de  battre  son  père  ou  de  battre  son  esclave,  si  on  le  fait 
injustement  ;  il  dit  ailleurs  :  de  tuer  son  père  ou  son  es- 
clave. Et  encore  :  que  c'est  même  chose  de  déshonorer 


116         LE    CHIUSTIANISJIE  ET  SLS   ORIGINES. 

une  tille  sans  nom  ou  riiéritière  d'un  noble  sang.  Si  on 
réfléchit  sur  de  tels  exemples,  on  découvrira  le  côté 
sérieux  de  ces  formules  stoïques,  dont  celle-là  semblait 
peut-être  au  premier  abord  la  plus  étrange.  On  les  juge 
trop  souvent  sur  les  plaisanteries  des  adversaires,  qui 
demandaient  si  c'est  la  même  chose  de  tuer  son  père,  ou 
de  couper  le  cou,  sans  bonne  raison,  à  un  poulet.  Les 
Stoïques  ne  reculaient  pas  devant  ces  conséquences 
extrêmes,  car,  après  tout,  il  est  mal  de  tuer  un  poulet 
sans  raison  ;  mais,  sur  un  pareil  texte,  leur  morale  ne 
touchait  guères;  c'est  tout  autre  chose  là  où  l'humanité 
est  intéressée. 

Le  préjugé,  toujours  complaisant  pour  la  force,  ne 
manquait  pas  d'accorder  à  l'homme  emporté  par  des 
appétits  brutaux  que  battre  un  esclave  c'est  peu  de 
chose,  ou  qu'abuser  d'une  fille  de  rien  n'est  pas  un  bien 
grand  péché  ;  et  on  sent  que  celui  qui  avait  fait  le  mal 
concluait  volontiers,  en  sens  inverse  du  paradoxe  stoï- 
que  :  ce  qui  est  peu  de  chose  n'est  rien  ;  ce  qui  n'est 
pas  une  faute  grave  n'est  pas  une  faute.  C'est  là  que 
l'école  protestait  et  prêtait  sa  voix  à  la  conscience  :  Ce 
qui  est  mal  est  mal  ;  laisse  ces  misérables  distinctions 
du  dehors,  rentre  au  dedans;  reconnais  que  la  colère 
n'est  jamais  que  la  colère,  et  la  débauche  que  la  débau- 
che; tu  t'es  dégradé  et  tu  as  été  injuste;  tu  es  moins 
coupable  que  tel  autre  devant  les  lois  des  hommes,  tu 
l'es  tout  autant  devant  la  vraie  loi,  la  loi  suprême,  celle 
en  dehors  de  laquelle  il  n'y  a  que  des  insensés  et  des 
méchants.  C'est  ainsi  que  le  paradoxe,  qui  semblait 
D'être  qu'un  tour  de  force  de  la  logique,  se  tournait  en 


ÉPOQUE    ROMAINE.    —    CICÉRON.  117 

protection  du  faible  contre  le  fort.  Qui  peut  douter  que 
plus  d'un  jeune  homme  bouillant,  mais  honnête, 

Ami  de  la  verta  plutôt  que  vertueux, 

au  moment  de  céder  à  une  impatience  ou  à  un  caprice 
de  volupté,  n'ait  été  arrêté  par  cette  parole  si  souvent 
entendue  de  ses  maîtres  :  Cela  n'est  pas  un  petit  mal, 
c'est  le  mal  ;  et  puisque  c'est  le  mal,  c'est  impossible? 
Quand  pareille  chose  ne  serait  arrivée  qu'une  fois,  ce 
serait  assez  pour  ne  relire  jamais  la  formule  de  l'école 
qu'avec  respect. 

Mais  combien  il  y  avait  encore  à  faire  pour  l'esclave  ! 
Bien  des  passages  témoignent  à  la  fois,  et  de  l'injustice 
invétérée  qui  l'accablait,  et  d'une  lueur  de  justice  qui 
commençait  à  poindre.  On  disputait  encore,  vers  le 
temps  de  Cicéron,  étant  accordé  en  droit  que  l'usufruit 
d'un  animal  comprend  la  propriété  de  la  portée,  s'il  en 
était  de  même  de  la  portée  d'une  femme  esclave  pour 
celui  à  qui  la  femme  appartenait  en  usufruit.  La  néga- 
tive fut  adoptée,  et  la  personne  humaine  fut  mise  à  part. 
Mais  écoutons  Cicéron  même,  dans  son  traité  des  Z>e- 
voirs  :  «  Hécaton,  dit-il  (c'est  un  disciple  de  Panétios), 
a  rempli  son  sixième  livre  de  questions  comme  celle-ci  : 
L'homme  de  bien,  dans  une  grande  cherté  du  blé,  peut- 
il  se  dispenser  de  nourrir  ses  esclaves?  11  examine  le 
pour  et  le  contre,  mais  il  finit  par  prendre  la  règle  du 
devoir  dans  l'intérêt  plutôt  que  dans  l'humanité.  Il  de- 
mande encore  si  en  mer,  quand  il  faut  jeter  quelque 
chose  par-dessus  bord,  on  jettera  plutôt  un  cheval  de 
prix  ou  un  esclave  sans  valeur.  L'intérêt  parle  dans  un 


118        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

sens,  l'humanité  dans  un  autre.  »  Voilà  tout,  et  il  passe 
à  d'autres  questions.  Que  n'entrevoit-on  pas  sous  ces 
lignes  si  négligemment  jetées!  Quelle  lumière  entre 
par  là,  et  éclaire  l'antiquité  dans  ses  profondeurs!  Nous 
sommes  forcés  de  nous  contenter  de  ce  que  Cicéron, 
sans  le  dire,  semble  incliner  vers  l'humanité  ;  et  il  nous 
faut  considérer  déjà  comme  un  progrès,  en  fait  de  mo- 
rale, que  le  cas  de  conscience  fût  posé,  et  qu'on  ne  s'en 
rapportât  pas  simplement  à  l'instinct  et  à  l'intérêt  du 
maître. 

Mais  il  y  a  ici  à  faire  une  observation.  Nous  n'avons 
que  Cicéron  pour  nous  représenter  cette  époque  en  phi- 
losophie; et  pourtant  je  suis  persuadé  que,  pour  ce  qui 
regarde  cet  ordre  de  devoirs,  il  ne  représente  pas,  en 
effet,  les  esprits  les  plus  éclairés  et  les  meilleurs.  C'est 
un  Romain,  un  politique,  le  chef  ou  du  moins  l'inter- 
prète d'une  aristocratie  menacée;  et  les  périls  qu'il 
redoute,  et  contre  lesquels  il  lutte  de  tous  ses  efforts, 
viennent  précisément  des  pauvres  et  des  obérés.  Toute 
tentative  de  révolution  s'annonçait  par  la  promesse 
d'autoriser  la  banqueroute,  totale  ou  partielle,  des  dé- 
biteurs. Quand  on  demande  à  Cicéron  ce  qu'il  entend 
par  les  boni,  les  honnêtes  gens,  il  répond  nettement  que 
ce  sont  les  gens  qui  sont  bien  dans  leurs  affaires.  Il 
reprochait  aussi  durement  aux  partisans  de  Catilina  et 
de  la  révolte  leur  misère  que  leurs  attentats.  C'est  Cicé- 
ron qui,  à  cinquante  ans  de  distance,  blâmait  encore 
Philippe,  un  illustre  personnage  de  l'âge  précédent, 
d'avoir  dit  en  plein  Forum,  étant  tribun,  fju'il  nij  avait 
pas  deux  mille  hommes  à  Rome  qui  eussent  du  bien. 


ÉPOQUE    ROMAINE.    —    CICÉRON.  119 

'Cicéron  ne  dit  pas  que  cela  ne  fût  pas  vrai,  et  pourtant 
une  telle  parole  est  à  ses  yeux  im  crime,  capital^  car 
elle  tend  au  soulèvement  des  pauvres  et  au  boulever- 
sement de  la  république.  Comment  celui  qui  parlait 
ainsi,  et  qui  peut-être  ne  pouvait  parler  autrement, 
aurait-il  eu  une  grande  charité  pour  les  déshérités  de 
ce  monde?  Comment  se  serait-il  attendri  sur  les  escla- 
ves, quand  les  esclaves,  toujours  prêts  à  se  soulever, 
faisaient  une  telle  peur  aux  honnêtes  gens,  que  Galilina 
lui-même,  les  voyant  affluer  à  son  camp,  n'avait  pas 
osé  s'en  servir  et  avait  refusé  leur  concours,  de  peur 
de  compromettre  sa  cause?  Appuyer  sur  la  misère  du 
pauvre,  c'était  ébranler  la  propriété;  s'apitoyer  sur  l'es- 
clave, c'était  encourager  les  guerres  serviles.  Mais  les 
sentiments  qui  ne   devaient  pas  se  former  dans  des 
régions  si  hautes,  je  crois  qu'on  n'aurait  eu,  pour  lesdé- 
couvrir,  qu'à  descendre  des  maîtres  aux  sujets.  Les  phi- 
losophes qui  ne  vivaient  pas  dans  la  maison  des  grands, 
ceux  qui  s'adressaient,  soit  à  la  foule  des  Grecs  asservis, 
soit,  dans  Rome  même,  à  tant  de  citoyens  obscurs,  aux 
affranchis,  aux  esclaves  (car  les  esclaves  de  la  ville 
étaient  capables  de  les  entendre),  ne  pensaient  pas, 
sans  doute,  en  toute  chose,  comme  Cicéron.  Il  y  avait 
ces  Cyniques,  que  nous  connaissons  bien  imparfaite- 
ment, mais  dont  nous  savons  qu'ils  allaient  par  les  rues 
et  les  places,  à  moitié  nus,  mendiant  leur  vie,  grossiers 
dans  leurs  habitudes  et  dans  leurs  propos;  ceux-là  ne 
devaient  pas  avoir  une  philosophie  aristocratique,  et 
j'imagine  que  les  principes  d'Hécaton  les  auraient  ré- 
voltés. Je  ne  doute  pas,  en  un  mot,  que  bien  des  esprits 


120         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

n'eussent  déjà  laissé  pénétrer  en  eux,  plus  facilement 
que  l'illustre  consulaire,  les  pensées  de  justice  et  de 
fraternité;  ce  qui  manque,  ce  sont  des  témoins  pour 
nous  le  dire.  Nous  lisons  les  belles  compositions  de 
Cicéron;  nous  n'entendons  pas  la  multitude  des  voix 
moins  hautes  par  lesquelles  la  philosophie  se  faisait 
écouter  et  comprendre  de  la  foule. 

Cependant  nous  pouvons  les  deviner  quelquefois, 
comme  par  exemple  dans  ce  passage  :  «  Quelques-uns 
estiment  que  le  spectacle  des  gladiateurs  est  une  chose 
cruelle  et  contraire  à  l'humanité,  et  peut-être  en  est-il 
ainsi  dans  les  habitudes  actuelles.  Mais  quand  c'étaient 
des  criminels  qui  combattaient,  on  ne  pouvait  adresser 
aux  yeux  (car  il  n'en  manque  pas  qui  s'adressent  aux 
oreilles)  des  leçons  mieux  faites  pour  fortifier  contre  la 
douleur  et  la  mort.  »  Ce  que  Cicéron  accorde  ici  à  l'hu- 
manité est  peu  de  chose,  et  pourtant  c'est  quelque  chose  ; 
mais  à  travers  ses  paroles,  n'entendons-nous  pas  les 
réclamations  auxquelles  il  répond,  et  des  voix  qui  par- 
iaient là-dessus  plus  éloquemment  que  lui-même?  Et 
je  ne  veux  pas  dire  les  voix  d'une  plèbe  méprisée  et 
sacrifiée,  les  voix  des  Barbares,  des  Juifs,  de  ceux  qui 
seront  tout  à  l'heure  les  chrétiens;  il  ne  les  aurait  pas 
même  écoutées;  mais  des  voix  de  philosophes  ou  de 
citoyens,  plus  touchés  que  lui,  parce  qu'ils  sont  moins 
distraits  par  des  préoccupations  de  parti  et  moins  éloi- 
gnés de  ceux  qui  souffrent. 

C'est  dans  la  morale  purement  intérieure  et  qui  ne 
touche  pas  à  la  politique,  que  la  philosophie  de  Cicéron 
a  toute  son  élévation  ;  c'est  là  que  son  éloquence  rcs- 


ÉPOQUE    ROMAINE.     -    CICERON.  121 

semble  à  l'élocjuence  de  la  chaire,  qu'elle  annonce.  Elle 
nous  la  rappelle  surtout  par  un  caractère  qui  se  marquera 
dans  la  suite  de  plus  en  plus,  je  veux  dire  un  ton  gé- 
néral de  tristesse.  Elle  ne  prend  pas  son  parti  des  fai- 
blesses humaines,  elle  les  suit  avec  une  sollicitude 
inquiète  ;  elle  nous  traite  comme  des  malades,  et  comme 
des  malades  bien  difficiles  à  guérir;  elle  a  une  véritable 
terreur  du  péché.  Si  elle  porte  ses  regards  du  dedans 
au  dehors,  pour  considérer  les  conditions  de  la  vie 
humaine,  c'est  avec  un  profond  découragement;  elle 
est  mécontente  des  hommes  et  des  choses;  elle  nous 
dégoûte  de  tous  les  biens  et  de  l'existence  même;  et 
surtout  les  œuvres  de  Cicéron  nous  laissent  voir  com- 
bien dominait  déjà  autour  de  lui  cet  esprit  ascétique  qui 
s'est  appelé  plus  tard  par  excellence  l'esprit  chrétien. 

Non-seulement  cette  morale  va  jusqu'à  faire  une 
violence  ouverte  à  la  nature  dans  quelques-unes  de 
ses  prescriptions,  comme  quand  elle  nous  propose  pour 
idéal  l'impassibilité  absolue,  ou  quand  elle  exige  que 
nous  soyons  détachés  de  tout,  et  qu'elle  nous  demande 
même  de  préférer  la  mort  à  la  vie;  mais  elle  porte 
encore  dans  des  conseils  plus  raisonnables  et  plus 
légitimes  une  chaleur  qui  nous  étonne  aujourd'hui.  Elle 
prêche,  c'est  bien  le  mot  qui  convient,  contre  chacun 
de  nos  vices,  avec  une  véhémence  et  une  passion  qui 
est  restée  de  tradition  dans  le  discours  ecclésiastique, 
mais  que  les  moralistes  philosophes  ne  connaissent  plus. 
Elle  fait  le  siège  de  ce  péché,  puis  de  cet  autre,  la  co- 
lère, la  cupidité,  l'envie;  elle  l'enveloppe  de  tout  un 
appareil  de  raisonnement  et  de  doctrine,  et  puis  elle 


1-22        LE    CHRISTIANISME   ET    SES    ORIGINES. 

livre  l'assaut;  elle  presse  sans  cesse  le  cœur  humain  et 
ne  lui  laisse  aucun  repos  dans  ses  erreurs,  jusqu'à  ce 
qu'elle  ait  réussi  à  le  mettre  dans  le  repos  delà  sagesse, 
le  seul  qu'elle  croie  complet  et  durable. 

Cet  esprit  n'était  pas  nouveau  :  c'est  celui  de  Platon 
et  des  Stoiques.  J'en  ai  déjà  indiqué  le  principe,  qui  ne 
faisait  que  s'accuser  davantage  à  mesure  que  durait  le 
monde  ancien.  C'est  la  triste  situation  de  l'humanité 
dans  des  temps  où  le  mal  était  partout,  le  mal  sans  espoir. 

Au  milieu  de  cette  monstrueuse  inégalité  de  la  so- 
ciété antique,  en  celte  absence  de  toute  liberté  et 
de  tout  droit,  quand  des  troupeaux  d'hommes  étaient 
abandonnés  dans  leur  existence  tout  entière  à  la  brutalité 
de  quelques-  uns  ;  les  passions  des  maîtres  étant  ainsi  sou- 
veraines et  déchaînées,  il  n'y  avait  d'autre  ressource  que 
de  tâcher  de  leur  faire  peur  à  eux-mêmes,  s'il  était  pos- 
sible, de  tout  le  mal  qu'ils  pouvaient  faire  en  s'y  livrant. 
C'est  là  ce  qu'essayaient  les  philosophes.  Le  Bourgeois 
gentilhomme  de  Molière,  à  qui  on  offre  de  lui  apprendre 
la  morale,  en  lui  disant  qnelle  enseigne  aux  hommes  à 
modérer  leurs  passions,  n'en  veut  pas  entendre  parler  : 
«  Non,  laissons  cela,  je  suis  bilieux  comme  tous  les 
diables,  et  il  n'y  a  morale  qui  tienne  ;  je  me  veux  mettre 
en  colère  tout  mon  soûl,  quand  il  m'en  prend  envie.  » 
Cela  est  plaisant,  parce  que  la  colère  de  M.  Jourdain 
ne  fait  pas  peur;  outre  que  c'est  un  bon  homme,  nous 
savons  bien  qu'il  n'y  a  personne  chez  lui  qui  ne  soit  de 
force  à  lui  tenir  tête,  à  commencer  par  Nicole.  Mais  à  la 
place  de  M.  Jourdain,  mettons  un  Verres  dans  sa  pro- 
vince, ou  à  Rome  même  un  de  ces  puissants  qui  te- 


ÉPOQUE    ROMAINE.     -    CICÉRON.  123 

naient  sous  leur  toit  des  centaines  d'esclaves  à  leur 
merci,  avec  droit  de  vie  et  de  mort,  droit  6^  torture  et 
droit  d'outrnge;  on  comprend  ce  que  pouvait  être  la 
colère  chez  un  tel  homme,  de  quels  attentats  et  de  quelles 
souffrances  elle  était  grosse;  et  on  s'explique  que  les 
philosophes  fissent  des  sermons  sur  la  Colère,  comme 
ils  en  faisaient  en  effet. 

Le  de  Ira  de  Sénèque  était  encore,  il  y  a  peu  de  temps, 
le  plus  ancien  livre  qui  nous  restât  sur  ce  thème;  on  a 
retrouvé  sous  le  même  titre  un  livre  grec  de  Philodème 
dans  les  papyrus  d'Herculanum.  On  y  voit  à  l'œuvre 
la  colère  des  maîtres;  l'auteur  nous  les  montre  qui 
estropient  leurs  esclaves,  qui  leur  crèvent  les  yeux,  qui, 
tout  au  moins,  les  jettent  dans  la  triste  vie  des  fugitifs  ou 
marrons,  et  se  font  ainsi  de  toute  manière  tort  à  eux- 
mêmes;  on  voit  aussi  les  esclaves  exaspérés  qui  tuent  à 
leur  tour;  si  ce  n'est  pas  le  maître  qu'ils  assassinent,  c'est 
sa  femme  et  ses  enfants;  ou,  s'ils  n'osent  en  faire  tant, 
ils  trouvent  moyen  de  metttre  le  feu  à  ses  maisons  et  se 
soulagent  par  sa  ruine.  Il  y  avait  dans  la  3Ié)îippée  de 
Varron  un  mot  terrible  à  propos  de  l'Actéon  de  la  fable, 
qui,  en  chassant,  a  surpris  Diane  toute  nue,  et  qu'elle 
change  en  cerf  dans  sa  colère,  de  façon  que  ses  chiens 
mêmes  le  déchirent  :  «  Crois-moi,  il  y  a  eu  plus  de  maîtres 
dévorés  par  leurs  esclaves  que  par  leurs  chiens.  SI 
Actéon  avait  pris  les  devants^  et  s'il  avait  dévoré  ses 
chiens  lui-même^  il  ne  serait  pas  livré  sur  le  théâtre  aux 
insultes  des  baladins.  »  Quelles  éducations  et  quelles 
corrections  la  philosophie  avait  à  faire  en  face  de  telles 
mœurs  !  Pauvre  ressource,  hélas  !  du  misérable  contre 


12i        LE    ClIlilSTlAMSME    ET    SES    ORIGINES. 

le  fort!  Le  faible  est  mieux  défendu  aujourd'hui  par  une 
constitution  tout  autre  du  monde,  par  l'égalité,  par  la 
loi,  par  la  fierté  même  que  cette  protection  de  la  loi  lui 
a  donnée.  Toutes  les  espèces  de  passions  mauvaises 
rencontrent  déjà  parmi  nous,  et  rencontreront  davan- 
tage à  mesure  que  les  temps  seront  meilleurs,  des 
obstacles  aussi  de  toute  espèce  dans  les  lois,  les  mœurs, 
l'autorité  du  nombre,  les  conditions  de  plus  en  plus 
égalisées  de  la  vie.  La  philosophie  moderne  ne  conjure 
pas  tant  le  mal  en  prêchant  des  vertus,  qu'elle  ne  le  bat 
en  brèche  en  revendiquant  des  droits.  Mais  elle  ne  doit 
pas  être  ingrate  envers  la  sagesse  antique,  qui  a  été  long- 
temps le  seul  recours  ouvert  à  la  justice  violée,  et  qui, 
en  flétrissant  l'iniquité  ou  la  corruption  par  la  bouche 
du  philosophe  d'abord,  puis  par  celle  du  prêtre,  dim'- 
nuait  les  forces  du  mal  et  ajoutait  à  celles  du  bien. 

On  le  voit,  le  paradoxe  de  l'impassibilité,  comme 
tous  les  autres,  ne  doit  pas  s'expliquer  par  un  abus  de  la- 
logique,  mais  plutôt  par  les  nécessités  morales  du  temps. 
Les  passions  avaient  des  jeux  si  terribles,  ceux  qui  étaient 
maîtres  de  tout  étaient,  par  cela  même,  si  peu  maîtres 
d'eux,  que  les  directeurs  des  consciences  croyaient  plus 
sûr  d'étouffer,  s'ils  avaient  pu,  les  émotions  ju^(lue 
dans  leur  germe. 

«  Quand  elles  sont  développées,  elles  sont  sans  con- 
tredit des  poisons;  donc,  aussitôt  qu'elles  se  sont  in- 
troduites en  nous,  nous  sommes  déjà  en  grande  pariie 
empoisonnés.  Elles  se  précipitent  par  leur  seul  mou- 
vement dès  qu'on  est  sorti  de  la  raison.  Notre  f;ii- 
blesse,  complaisante  pour  elle-même,  se  laisse  entraîner 


ÉPOQUE    RO:il.\.lNE.    -    GICLRON.  125 

en  pleine  nier  sans  trouver  où  s'arrc  er.  De  snite 
que,  recommander  la  modération  dans  les  passioiis, 
c'est  recommander  la  modération  dans  l'injustice,  la 
modération  dans  la  lâcheté,  la  modération  dans  l'intem- 
pérance. N'arrêter  le  vice  qu'à  une  certaine  mesure, 
c'est  déjà  accepter  le  vice ,  ce  qui  n'est  pas  seule- 
ment condamnable,  mais  dangereux,  car  la  pente  du 
vice  est  glissante  ;  dès  qu'on  s'y  jette,  on  sent  qu'on 
tombe,  et  il  n'y  a  plus  moyen  de  se  retenir.  » 

La  Fontaine  a  résumé  en  deux  mots  cette  impassibi- 
lité stoîque  : 

Ils  font  cesser  de  vivre  avant  que  l'on  soit  mort; 

Et,  en  effet,  le  dernier  terme  de  cette  morale  exaltée, 
c'est,  à  force  de  se  détacher  de  tout,  de  se  détacher  aussi 
de  la  vie  même.  Ce  n'est  pas  assez  de  dire  que  la  mort 
n'est  pas  un  mal  (comme  on  le  dit  de  la  douleur,  de  la 
pauvreté  et  du  reste)  ;  on  veut  qu'elle  soit  un  bien  su- 
prême, puisqu'elle  doit  guérir,  avec  les  maux  du  corps, 
ceux  de  l'àme,  et  nos  passions  comme  nos  douleurs. 

On  voit  trop  bien  le  secret  de  ce  dégoût  de  la  vie, 
c'est  que  la  vie  alors  n'était  guère  vivable^  suivant  l'ex- 
pression des  Grecs.  Les  peuples  accablés  ne  comptaient 
pas  pouvoir  secouer  jamais  la  conquête.  Les  opprimés 
de  toute  espèce  se  sentaient  sans  recours  contre  l'op- 
pression. Les  amis  des  lois  et  de  la  liberté  n'attendaient 
le  retour  ni  de  la  liberté  ni  des  lois.  Dans  ces  angoisses, 
beaucoup  mouraient  en  effet  par  leur  chuix,  et  le  suicide 
gagnait  tous  les  jours  ;  c'était  la  ressource  des  disciples 
d'Épicure  aussi  bien  que  des  Gâtons;  mais  ceux  mêmes 


116       LE    CHRISTIANISME  ET    SES    ORIGINES. 

qui  devaient  reculer,  comme  le  Lùchcron  de  la  fable, 
en  face  de  la  Mort  présente,  l'appelaient  volontiers  de 
loin  avec  le  philosophe  qui  prêchait.  Ils  disaient  au 
philosophe ,  comme  il  est  dit  dans  les  Tusculanes  : 
«  Quand  je  te  lis,  je  n'ai  rien  plus  à  cœur  que  d'en 
finir  avec  ce  monde,  et  ce  que  je  viens  d'entendre 
redouble  aussi  ce  désir,  i»  Ils  disaient  aussi  :  «  Il 
est  certain  qu'il  faut  mourir,  et  il  est  incertain  si 
ce  ne  sera  pas  aujourd'hui  même.  Mais,  avec  la  crainte 
de  la  mort  suspendue  sur  notre  tête  à  toute  heure, 
comment  conserver  notre  âme  en  paix?  »  Et  tout  cela 
a  passé  dans  tous  les  sermons  et  dans  toutes  les  médi- 
tations pieuses.  J'ai  déjà  cité,  en  parlant  de  Platon,  cette 
phrase  qu'il  a  inspirée  :  «  Toute  la  vie  du  philosophe 
n'est  qu'un  apprentissage  de  la  mort.  »  A  cela,  nous 
répondons  aujourd'hui  ce  que  Montaigne  répondait  déjà^ 
en  jouant  sur  les  mots  avec  un  grand  sens  :  que  la 
morl  est  bien  le  bout,  non  pourtant  le  but  de  la  vie. 
Mais  cette  philosophie  de  mort  et  d'anéantissement  est 
précisément  ce  qui  s'est  appelé  dans  la  suite  l'esprit 
chrétien. 

Du  premier  coup  de  vent  il  me  conduit  au  port, 
Et,  sortant  du  baptême,  il  m'envoie  à  la  mort. 

Corneille,  dans  le  premier  de  ces  deux  vers,  ne  fait  que 
traduire  une  Tusculane,  qui  roule  tout  entière  sur  ce 
thème  *.  Le  vieil  ami  de  Cicéron,  le  sage  et  froid 
Atticus,  après  l'avoir  lue,  lui  écrivait  que  celle  lec- 
ture l'avait  foilific.  Tous  n'étaient  pas  véritablement 

1.  Purlum  jiolius  paratum  nobis  et  perfugium  putcmus  ;  quo  uti- 
nam  relis  j^a^iis  percelii  ticcal! 


ÉPOQUE     ROMAINE.     -     CIGKUON.  127 

forts  contre  la  mort,  mais  tous  étaient  sans  confiance  et 
sans  goût  dans  la  vie.  La  désolation  universelle  inspirait 
celte  triste  philosophie,  comme  elle  inspirera  tout  à 
l'heure  une  religion  non  moins  triste. 

L'Orient,  pays  de  la  servitude  éternelle  et  des  misères 
immuables,  n'avnit  pns  peu  contribué  à  répandre  ces 
pensées,  que  les  âmes  abattues  sous  toute  sorte  de  vio- 
lences y  nourrissaient  depuis  longtemps.  Et  déjà  on 
vantait  et  on  proposait  comme  des  exemples  ces  ascètes 
de  l'Inde  qui  support;)ient  sans  fléchir,  et  sans  y  être 
obligés,  les  épreuves  et  les  souffrances  les  plus  pénibles, 
et  jusqu'au  feu,  où  ils  se  laissaient  brûler  vivants. 
Cicéron,  certes,  n'est  pas  un  fanatique  de  l'Inde  ni  de 
l'Egypte,  et  on  peut  dire  même  que  l'enthousiasme  au- 
stère et  l'abnégation  mélancolique  sont  plutôt  dans  son 
imagination  que  dans  sa  nature.  Sa  vraie  morale  n'est 
pas  celle  des  Entretiens  de  Tusculum  ;  elle  est  celle  du 
livre  sur  les  Devoirs  de  la  vie^  qu'il  a  écrit  pour  son  fils, 
et  oij  il  n'a  mis  qu'une  sagesse  également  élevée  et  rai- 
sonnable. Si  son  éloquence  émue  vient  à  s'écarter  de 
cette  raison,  c'est  qu'il  est  sous  la  contagion  d'une  ma- 
ladie générale  qui  l'enveloppe,  celle  d'où  le  christia- 
nisme est  sorti. 

Quand  l'homme  désespère  de  l'humanité  et  de  la 
nature,  il  se  tourne  inévitablement  du  côté  du  surna- 
turel. C'est  ainsi  que  la  philosophie  stoïque  devenait 
de  plus  en  plus  religieuse,  en  dépit  quelquefois  de  ses 
propres  dogmes.  La  tradition  platonique,  toujours 
révérée  sans  doute,  mais  longtemps  écartée  avec  res- 
pect, comme  une  poésie,   par  une  philosophie  plus 


t9'à        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

sévère,  prend  maintenant  sur  les  àmcs  un  nouvel  em- 
pire, et  cette  poésie  est  acceptée  comme  une  religion. 
A  la  suite  des  Dialogues  du  maître,  on  en  écrit  d'autres 
qui  ont  déjà  l'accent  chrétien,  YAxiochos,  par  exemple. 
On  voit  là  Socrate,  appelé  au  lit  d'un  mourant  qui  ne 
peut  se  résigner  à  sa  fin,  et  qui  s'attache  à  la  vie  comme 
un  enfant.  Tout  d'abord,  la  seule  présence  de  Socrate 
le  soulage,  puis  ses  paroles  le  gagnent  peu  à  peu;  il  lui 
fait  espérer  l'immortalité,  il  l'y  fait  entrer;  le  malade 
finit  par  aspirer  à  la  mort  à  force  de  foi,  et  s'élance  en 
quelque  sorte  vers  elle.  Le  prêtre  n'aura  guère  autre 
chose  à  dire  au  fidèle  qu'il  essayera  d'aider  à  mourir. 

Voilà  comment  Cicéron,  si  naturellement  et  si  radi- 
calement sceptique,  est  entraîné  cependant  vers  les  idées 
religieuses  par  le  même  mouvement  qui  le  porte,  ou 
qui  porte  son  éloquence,  vers  les  idées  de  détachement 
et  d'exaltation.  La  réserve  scientifique  d'Aristote  et  des 
premiers  Sloïques  est  oubliée;  on  se  plaît  à  croire  à  une 
àme  toute  spirituelle,  séparée  du  corps,  ou  plutôt 
ennemie,  et  non  pas  tant  servie  par  ses  organes,  suivant 
une  définition  célèbre,  qu'elle  n'en  est  gênée.  «  L'homme 
est  tout  ce  qu'on  voudra,  plutôt  que  cette  misérable 
chair,  carimcida  noslra;  »  c'est  un  fragment  qui  nous 
reste  de  la  Ménippée,  Le  spiritualisme  est  si  bien  de- 
venu un  lieu  commun,  qu'on  le  trouve  jusque  dans  ces 
préambules  des  Histoires  de  Salluste,  oîi  l'auteur  fait, 
comme  nous  dirions,  sa  profession  de  foi  devant  le  pu- 
blic :  «  L'àme  incorruptible,  éternelle,  souveraine  de  l'hu- 
manité, tient  tout  sous  sa  dépendance  et  demeure  elle- 
même  indépendante.  »  —  «  L'àme  nous  est  commune 


ÉPOQUE  ROMAINE.  -  CICÉRON.  129 

avec  les  dieux,  le  corps  avec  les  bêtes.  »  —  «  Ceux-là 
ont  une  existence  contre  nature,  pour  qui  le  corps  est 
une  jouissance  et  l'àme  un  fardeau.  »  —  On  donne  dans 
toutes  les  exagérations  du  libre  arbitre  :  «  Toutes  les 
passions  sont  on  notre  pouvoir,  toutes  dépendent  des 
décisions  de  notre  esprit,  toutes  sont  volontaires.  » 
Enfin,  le  spiritualisme  aboutit  tout  naturellement  à  ia 
foi  dans  l'immortalité.  On  ne  peut  pas  dire  que  Cicéron 
y  croie,  mais  il  voudrait  y  croire;  une  si  haute  espé- 
rance l'attire  tout  entier;  il  est  touché  d'ailleurs  de  la 
voir  partout  répandue;  car,  en  toutes  choses,  dit-il 
(c'est  le  grand  argument  des  religions)  «  le  consente- 
ment général  doit  être  regardé  comme  la  loi  même  de 
la  nature  ».  Par  la  fiction  d'un  songe  de  Scipion,  il  s'est 
mis  à  l'aise  pour  rêver  une  autre  vie;  il  nous  fait  voir 
les  grandes  âmes  dans  le  ciel,  tout  environnées  d'étoiles 
et  enveloppées  d'une ^/oîVe  divine;  elles  jouissent  d'une 
éternité  bienheureuse,  si  elles  ont  pratiqué  la  justice  et 
rempli  tous  les  devoirs  envers  la  famille  et  la  patrie. 
«  L'àme  s'envolera  d'autant  plus  vite  vers  cette  de- 
meure d'où  elle  était  descendue,  qu'elle  se  sera  élevée 
au-dessus  du  corps,  pendant  même  qu'elle  y  était  en- 
fermée, et  qu'elle  s'en  sera  détachée,  à  force  de  con- 
templer les  choses  célestes.  Mais  pour  les  âmes  qui  se 
sont  livrées  aux  voluptés  du  corps  et  qui  s'en  sont  faites 
les  esclaves,  qui,  emportées  par  les  passions,  ministres 
de  la  volupté,  ont  violé  les  lois  des  dieux  et  des  hommes, 
une  fois  échappées  au  corps,  elles  errent  misérablement 
autour  de  la  terre,  et  ne  retournent  au  ciel  qu'après  des 
siècles  d'épreuves.  »  11  est  vrai  que  dans  ce  même  livre 
II.  9 


130         LE  CHRISTIAMSME  ET  SES   ORIGINES. 

la  sagesse  aristocratique  de  Cicéron  semble  refuser  au- 
vulgaire  des  hommes  ces  éclatantes  destinées;  il  a  l'air 
de  se  figurer  le  ciel  comme  un  sénat  d'en  haut,  oii 
siègent  sur  des  chaises  curules  des  consulaires  éternels. 
Les  imaginations  de  Platon  sont  plus  familières  et  plus 
populaires.  C'était  à  celles-là  sans  doute  que  s'en  te- 
naient ceux  qui  n'étaient  pas  des  princes  de  la  Répu- 
blique romaine;  et  Cicéron  lui-même,  à  la  fin  du  livre 
de  la  Vieillesse,  paraît  parler  sans  distinction  pour  tous 
les  hommes  :  «  L'àme  est  tombée  ici-bas  des  hautes 
régions  du  ciel,  son  véritable  domicile...  Mais,  sans 
doute,  les  dieux  l'ont  jetée  dans  le  corps  de  l'homme 
pour  qu'il  y  eût  des  êtres  capables  de  conduire  les 
choses  de  ce  monde,  de  contempler  l'ordre  du  ciel  et  de 
le  reproduire  dans  la  régularité  de  leur  vie...  »  Je  passe 
ici  toute  une  page,  car  je  ne  puis  tout  citer.  «  Pourquoi 
le  sage  meurt-il  avec  tant  de  calme  et  les  autres  avec 
tant  de  trouble?  C'est  que  celui  qui  voit  le  plus  distinc- 
tement et  le  plus  loin  sait  qu'il  va  vers  une  vie  meilleure  ; 
l'autre  a  la  vue  trop  courte  et  n'aperçoit  rien  au  delà... 
J'ai  mis  le  corps  de  mon  fils  sur  le  bûcher  funèbre; 
c'était  à  lui  d'y  mettre  le  mien  ;  mais  son  esprit  ne  m'a 
pas  abandonné;  il  s'est  retiré  seulement  dans  un  séjour 
où  il  savait  bien  que  je  devais  venir  le  rejoindre.  Il  a 
paru  que  je  supportais  mon  malheur  avec  fermeté  ;  ce 
n'est  pas  que  je  n'aie  été  ému,  mais  je  me  consolais  par 
la  pensée  que  la  séparation  ne  serait  pas  longue  entre 
nous  ^  »  Si  on  lisait  ces  passages  sans  avertissement, 

1.  Calon,  le  personnage  ihi  i)ialogue,  parle  de  son  ûls;  mais  Cicé- 
ron, en  le  faisant  parler,  pensait  à  sa  lilic. 


ÉPOQUE    ROMAI.NE.     —    CICÉKON.  131 

on  croirait  entendre  un  Père  de  l'Église,  et  on  ne  se 
tromperait  pas.  L'Église  doit  avouer,  en  effet,  ([ue  les 
païens  qui  pensaient  et  parlaient  ainsi  sont  ses  véritables 
pères. 

•Une  Chrétienne  de  notre  temps,  justement  célèbre 
par  son  esprit,  mais  qui  n'avait  pas  toujours  le  temps 
ni  l'envie  d'aiiprofondir  ce  dont  elle  parlait,  M™^'  Swet- 
chine  a  dit  hardiment,  dans  un  écrit  où  elle  traitait, 
après  Cicéron,  de  la  vieillesse  :  «  Nous  avons  mieux 
que  Cicéron  !»  Je  ne  discuterai  pas  cette  parole  ;  mais 
il  est  certain  que  Cicéron  et  ses  maîtres  sont  pour  beau- 
coup dans  les  doctrines  dont  elle  est  si  fière.  Elle  trans- 
crit une  pensée  de  M.  Sainte-Beuve  :  «  Horace  dit  de 
la  mort  :  In  œlermmi  exsiliiun^  Partir  pour  l'exil  éter- 
nel ;  et  le  chrétien  dit  :  Retourner  dans  la  patrie  éternelle. 
Toute  la  différence  des  deux  points  de  vue  est  là.  » 
Pensée  excellente,  quand  elle  part  d'un  esprit  large, 
celui  d'un  historien  et  d'un  penseur,  frappé  de  voir 
comment  l'homme  peut  être  emporté  d'un  pôle  à  l'autre, 
suivant  qu'il  se  laisse  aller  à  la  nature  toute  seule 
ou  qu'il  étouffe  la  nature  par  le  travail  de  l'imagina- 
tion exaltée.  Mais  parole  trompeuse  dans  la  bouche 
de  l'orthodoxe  qui  l'interprète  en  ce  sens  que  le 
Christ  seul  a  pu  faire  cette  violence  à  la  nature.  Il  ap- 
partenait à  un  philosophe  platonique  tout  aussi  bien 
qu'à  M°"=  Swetchine  de  chercher  au  delà  de  la  terre 
la  vraie  patrie  et  de  se  croire  ici  en  exil.  Et  Cicéron 
lui-même  a  parlé  précisément  avant  elle  comme  elle 
croit  que  parlent  seulement  les  Chrétiens. 

La  morale  de  l'école  sloïque  était  ce  qu'on  nomme 


132         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

aujourd'hui  morale  indépendante,  et  ne  s'appuyait  sur 
aucune  croyance  théologique  ;  et  c'est  ainsi  que  Cicéron 
nous  l'a  rendue  dans  le  plus  sérieux  et  le  plus  sincère 
de  ses  livres  de  philosophie,  le  Traité  des  Devoirs, 
écrit  pour  son  fils.  11  se  contente  d'y  donner  une  place 
aux  devoirs  envers  les  dieux,  la  piété,  la  pureté  reli- 
gieuse :  la  première  comprend  ce  qu'il  appelle  quelque 
part,  caritas  deoruni,  c'est-à-dire  l'amour  de  Dieu.  Il 
ne  cherche,  d'ailleurs,  que  dans  la  constitution  même 
de  l'homme  et  dans  les  lois  naturelles  de  la  raison  les 
fondements  du  devoir  et  de  la  vertu.  Mais  il  lui  arrive, 
quand  il  parle  plutôt  en  orateur  et  qu'il  exprime  la 
pensée  du  plus  grand  nomhre,  de  supposer  que,  sans 
la  religion,  il  ne  peut  y  avoir  ni  justice,  ni  sûreté,  et 
que  la  société  humaine  est  détruite^  ou  d'appeler  la 
loi  de  la  conscience  la  loi  de  Dieu.  Les  peuples,  en 
effet,  ne  séparaient  pas  la  morale  de  la  religion;  et  c'est 
pourquoi,  dans  ces  temps  qu'on  se  représente  si  souvent 
comme  livrés  sans  résistance  à  l'esprit  d'Épicure,  les 
disciples  d'Épicure,  au  contraire,  étaient  partout  odieux 
et  décriés.  Plusieurs  cités  grecques  les  avaient  proscrits, 
et  il  parait  que  Rome  en  avait  fait  autant  au  milieu  du 
second  siècle  avant  notre  ère.  Cicéron  n'est  rien  moins 
qu'intolérant  par  lui-même,  et  c'est  l'esprit  puhlic  qu'il 
représente  quand  il  dit  que  l'école  d'Épicure  n'a  pas  le 
droit  d'avoir  une  morale;  et,  plus  vivement  encore  : 
«  Ce  n'est  pas  un  philosophe  qu'il  faut  pour  réfuter  ce 
langage,  c'est  un  censeur  pour  le  condamner.  »   Ne 
croirait-on    pas    entendre    un    orateur   d'aujourd'hui 
apostrophant  les  matérialistes  ?  il  est  vrai  que  ce  n'est 


ÉPOQUE  ROMAINC.  —  CICi:iU).\.  133 

pas  à  la  tlu'ologic  d'Kpicure  que  Cicéron  s*en  prend 
dans  ces  passages,  car  il  était  très-sceptique  en  théologie; 
mais  on  ne  peut  douter  que  ce  ne  soit  comme  enne- 
mie des  dieux  que  l'école  était  suspecte  au  grand 
nombre. 

Considérez  maintenant  l'ensemble  de  cette  philosophie 
pl.itonique  dont  Cicéron  est  l'éloquent  interprète,  et 
voyez  quels  sont  ses  attraits  et  ses  forces.  Du  côté  de 
l'esprit,  si  elle  n'a  pas  cette  science  complète  et  sévère 
qui  prévient  ou  dissipe  les  illusions,  elle  accueille  néan- 
moins avec  complaisance  toutes  les  études  qui  peuvent 
enrichir  l'esprit  d'un  homme  cultivé;  elle  aime  les 
lettres,  elle  goûte  les  arts  ;  sa  curiosité  se  promène  à  tra- 
vers l'histoire  et  à  travers  la  nature  ;  elle  est  large  et  uni- 
verselle, comme  l'Église,  son  héritière,  l'a  été  aussi  au 
temps  où  elle  n'était  pas  menacée  et  inquiète.  Elle  se 
recommande  surtout  par  la  science  morale;  elle  étudie 
l'homme  avidement,  soit  dans  le  milieu  de  la  cité  ou  de 
l'humanité,  soit  en  lui-même;  aucune  philosophie  n'a 
fait  davantage  pour  l'analyse  des  caractères  et  des 
sentiments  humains;  elle  fouille  les  replis  de  la  con- 
science, elle  éclaire  les  passions,  les  remords,  nos  désirs 
et  nos  craintes,  ce  qui  afflige  et  ce  qui  console.  Toute 
l'éloquence  de  la  chaire  est  sortie  de  là;  car  cette  phi- 
losophie n'est  pas  froidement  observatrice;  elle  se  donne 
tout  entière  à  son  œuvre  de  salut.  Elle  apaise  l'àme, 
elle  la  fortifie,  elle  l'élève;  elle  agit  sur  elle  de  la  manière 
la  plus  vive,  non  pas  peut-être  pour  assez  longiemj;s, 
mais  aussi  longtemps  du  moins  qu'on  l'écoute  et  qu'on 
médite  avec  elle.  N'oublions  pas  un  de  ses  plus  grands 


134         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

titres  :  elle  fait  oublier  à  l'homme  esclave  la  servitude 
qui  l'accable,  en  le  transportant  dans  une  région  où  il 
retrouve  la  liberté  et  où  il  brave  la  tyrannie.  J'ai  dit 
bien  des  fois  déjà  que  la  philosophie  était  chez  les  anciens 
une  religion,  et  j'ai  eu  beau  le  dire,  je  ne  l'ai  peut-être 
pa»  encore  assez  fait  sentir,  mais  Cicéron  le  fera  pour 
moi.  «  La  philosophie,  dit-il,  mère  de  tout  ce  qui  se 
fait,  de  tout  ce  qui  se  dit  de  bien.  »  On  sent  déjà  ce  que 
vaut  dans  sa  bouche  un  pareil  éloge.  Mais  il  a  fait  tout 
un  livre,  Vllortensius,  pour  célébrer  la  philosophie  et 
pour  en  développer  les  bienfaits  et  les  grandeurs.  Ce 
livre  est  perdu,  mais  le  témoignage  d'Augustin  nous 
rend  sensible  encore  l'effet  de  ces  pages  que  nous  ne 
pouvons  pas  lire.  Tandis  qu'Augustin  étudiait  l'élo- 
quence, dans  sa  jeunesse,  en  vue  seulement  d'acquérir 
du  talent  et  de  la  célébrité,  et  avec  des  pensées  encore 
toutes  profanes,  il  lut  ce  Dialogue  pour  la  première 
fois.  «  Ce  livre,  dit-il,  changea  mon  cœur  tout  à  coup, 
tourna  mes  vœux  vers  toi,  Seigneur,  et  transforma  mes 
souhaits  et  mes  pensées.  Les  espérances  vaines  ne 
furent  plus  rien  à  mes  yeux;  je  me  mis  à  désirer  la 
sagesse,  ce  bien  immortel,  avec  une  ardeur  inconce- 
vable, et  je  commençai  dès  lors  à  me  mettre  en  mouve- 
ment pour  aller  à  toi.  »  Ce  n'était  plus  Téloquence, 
avec  ses  promesses  terrestres,  qu'il  cherchait  dans  cette 
lecture;  «  ce  n'était  plus  le  bien  dire  de  l'écrivain,  c'est 
ce  qu'il  disait  dont  j'étais  touché.  »  Car  la  philosophie, 
pour  laquelle  ce  livre  l'enflammait,  n'est-ce  pdiS  l'amour 
de  la  sagesse?  et  la  sagesse,  n'est-ce  pas  Dieu?  Il  ajoute, 
il  est  vrai,  qu'une  seule  chose  refroidissait  l'enthou- 


ÉPOQUE  UUMAINE.  —  CICÉIION.  135 

siasme  que  lui  inspirait  ce  livre,  c'était  de   n'y   pas 
trouver  le  nom  du  Christ.  Mais  quand  il  parle  ainsi  dans 
les  Confessions^  il  est  depuis  longtemps  chrétien   et 
évéque,  et  il  se  trompe  lui-même  sur  ce  qu'il  avait 
éprouvé.  C'est  ce  que  nous  soupçonnerions  déjà   en 
lisant  dans  les  Confessions  mêmes,  un  peu  plus  loin, 
que  l'éloquence  de  Cicéron  le  dégoûtait  alors  de  l'Écri- 
ture. 3Iais  nous  pouvons  chercher  ses  vraies  pensées 
dans  son  livre  Contre  les  Académiques,  qu'il  écrivit  à 
trente  ans,  quand  il  n'était  pas  encore  baptisé.  Nous  y 
voyons  qu'au  lieu  de  contrôler  la  philosophie  par  l'Écri- 
ture, comme  il  le  fit  plus  tard,  il  contrôlait,  au  contraire, 
l'Écriture  par  la  philosophie.  Sentant  que  les  belles  leçons 
des  sages  lui  ôtaient  le  goût  de  lire  et  d'étudier  les  livres 
chrétiens,  il  se  demandait  avec  inquiétude  si  la  pour- 
suite de  cette  sagesse  divine  que  lui  promettait  la  phi- 
losophie n'allait  pas  l'emporter  bien  loin  de  l'humble 
religion  de  sa  mère.  «  Je  ne  fis,  dit-il,  que  jeter  les 
yeux,  je  l'avoue,  comme  en  passant,  sur  cette  religion 
qui  m'avait  été  inculquée  dès  mon  enfance  et  qui  était 
comme  entrée  dansmonsang;  mais  c'était  elle  qui  me 
reprenait  à  mon  insu.    Inquiet,  haletant,  troublé,    je 
saisis  l'apôtre  Paul  :  Voilà  des  hommes,  me  dis-je,  qui 
n'auraient  pas  pu  faire  ce  qu'ils  ont  fait,  ni  vivre  comme 
il  est  manifeste  qu'ils  ont  vécu,  si  leurs  doctrines  et 
leurs  écrits  étaient  opposés  à  ce  bien  suprême.  »  De 
sorte  que  son  argument  est  celui-ci  :  La  philosophie  me 
conduit  à  Dieu;  mais  le  Christianisme,  d'après  la  vie  de 
ses  saints,  est  évidemment  de  Dieu  ;  il  ne  doit  donc  pas 
être  contraire  à  la  vraie  philosophie. 


136       LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Ainsi  X Ilortenshis  de  Cicéron,  à  plus  de  quatre  cents 
ans  de  distance,  était  dans  l'Église  chrétienne  le  premier 
instrument  de  la  plus  illustre  des  conversions.  Kt  qu'est- 
ce  en  effet  que  la  conversion  dans  son  principe?  C'est 
l'abandon  de  la  vie  profane  et  des  attachements  terres- 
tres pour  la  vie  intérieure  et  pour  les  pensées  d'en  haut. 
Et  c'était  cela  même  qui  s'appelait  philosophie  chez  1er 
anciens,  jusqu'au  temps  des  Pères.  Augustin  se  vante 
que,  depuis  longtemps,  ce  désir  de  philosopher  était  un 
feu  qui  couvait  en  lui  lentement  et  sourdement,  mais 
que  y Hortcnshis  avait  fait  éclater  la  flamme  qui  V avait 
embrasé  à  tout  jamais. 

Vllortensius  a  inspiré  Augustin  jusque  dans  sa  théo- 
logie. C'est  lui-même  qui  nous  en  a  conservé  un  passage 
dont  il  se  sert  pour  autoriser  le  dogme  du  péché  ori- 
ginel. Cicéron  y  rappelait  les  traditions  pythagoriques 
qui  faisaient  de  cette  vie  et  de  ses  misères  l'expiation 
d'attentats  commis  dans  une  autre  existence.  Et  il  em- 
pruntait à  Aristote  l'image  de  ces  brigands  d'Étrurie 
qui,  par  un  raffinement  de  cruauté,  attachaient  un  vi- 
vant avec  un  mort  face  à  face,  pour  le  faire  mourir 
ainsi  :  abominable  supplice  qui  représentait,  suivant 
un  spiritualisme  exalté,  celui  de  l'àme  enchaînée  avec 
le  corps. 

Augustin  nous  a  conservé  aussi  la  péroraison  de  l'IIor- 
tensius^  où  tout  le  Dialogue  était  résumé  dans  cette  pen- 
sée, que  la  philosophie  est  ce  que  les  dieux  ont  pu  don- 
ner de  meilleur  à  l'homme,  soit  pour  vivre,  soit  pour 
mourir.  Je  ne  citerai  pas  cette  péroraison,  parce  que  j'ai 
mieux  encore  à  citer.  Je  rappellerai,  par  exemple,  le  por- 


ÉPOQUE  ROMAINR.  —  rrCl'HOX.  i:;7 

trait  du  Sage  dans  les  Tusculancs  :  «  Reposant  iranquillc 
dans  sa  modération  et  sa  fermeté,  toujours  en  i)aix  avec 
lui-même,  ne  se  laissant  ni  consumer  par  le  chagrin,  ni 
abattre  par  la  crainte,  ni  brûler  par  la  soif  des  vains 
désirs,  ni  amollir  et  comme  fondre  à  l'impression  d'une 
folle  joie  :  voilà  le  Sage  et  voilà  l'homme  vraiment  heu- 
reux, qui  ne  connaît  sur  la  terre  rien  d'assez  intolérable 
pour  l'accabler,  ni  d'assez  délicieux  pour  l'enivrer... 
Qu'est-ce  que  le  Sage  peut  trouver  de  grand  dans  les 
intérêts  présents  ou  dans  la  durée  si  courte  de  cette 
vie,  si  son  âme  est  toujours  en  garde  et  qu'il  n'y  ait 
pour  elle  rien  de  surprenant,  rien  d'inattendu,  rien  de 
nouveau;  si,  les  yeux  fixés  sur  le  ciel,  il  tient  pour 
inférieur  à  lui  tout  ce  qui  est  de  la  terre;  si  son  esprit 
est  arrivé,  suivant  le  précepte  de  Delphes,  à  se  connaître 
'li-mème  et  à  sentir  le  lien  qui  le  rattache  à  l'esprit 
divin?...  Ses  réflexions  sur  la  nature  divine  l'enflam- 
ment du  désir  de  se  régler  sur  cette  nature  immortelle... 
Et  alors,  avec  quelle  tranquillité  il  considère  la  vie  hu- 
maine et  les  intérêts  d'ici-bas!  »  Est-ce  là  en  effet  le 
portrait  du  Sage,  ou  est-ce  l'idéal  du  Chrétien?  Je  finis 
en  détachant  encore  des  Tusculancs  ce  développement, 
ou  plutôt  cette  effusion  et  cette  prière  : 

«  Philosophie,  lumière  de  la  vie,  toi  par  qui  nous 
parvenons  à  la  vertu  et  nous  échappons  aux  vices, 
que  scrais-je  sans  toi?  ou  plutôt  que  serait  le  genre 
humain  tout  entier?.,.  C'est  à  toi  que  je  recours,  c'est 
toi  que  j'appelle  à  mon  aide.  Je  t'ai  donné,  de  tout  temps, 
une  grande  partie  de  moi-même;  je  me  donne  aujour- 
d'hui absolument  et  tout  entier.    Un  seul  jour  passé 


138        LE    CIIRISTIAMSME    ET    SES    ORIGINES. 

dans  le  bien  et  dans  V obéissance  à  les  lois  vaut  mieux 
que  l'immorlalilé  dans  le  mal.  Et  sur  qui  pourrais-je 
m'ai)l)uyer  plutôt  que  sur  toi,  qui  m'as  donné  la  tran- 
quillité de  la  vie  et  qui  m'as  ôté  la  crainte  de  la 
mort?  » 

On  comprend  qu'Érasme,  dans  la  préface  de  son 
édition  des  Tusculanes^  ait  osé  proposer  à  son  siècle,  à 
un  siècle  nourri  par  l'Église  et  qui  se  détachait  à  peine 
de  sa  nourrice,  de  reconnaître  dans  la  philosophie 
de  Cicéron  l'inspiration  de  Dieu  même.  Il  demandait 
s'il  n'était  pas  permis  de  croire  que  le  sage  qui  pen- 
sait ainsi  avait  pu  trouver  place  dans  le  ciel  parmi  les 
élus.  Il  est  vrai  qu'Érasme  n'avait  guère  que  l'habit 
d'un  homme  d'église.  Bossuet,  au  contraire,  le  prêtre 
par  excellence,  déclare  nettement  et  durement  qu'un 
Cicéron  est  assez  payé  par  sa  misérable  gloire,  et  qu'il 
n'a  rien  de  plus  à  attendre  de  Dieu!  Pour  nous,  sans 
chercher  la  place  de  Cicéron  dans  le  ciel,  disons  sim- 
plement qu'il  doit  compter  dans  l'histoire  comme  un 
orateur  chrétien. 

Et  cependant,  je  suis  convaincu  que  d'autres  déjà, 
en  ce  temps-là  même,  étaient  plus  chrétiens  que  lui. 
Car,  après  tout,  Cicéron  n'a  pas  vécu  de  la  vie  philo- 
sophique; c'est  un  homme  public,  un  politique,  égale- 
ment considérable  et  brillant  dans  la  cité  et  dans  les 
lettres,  fait  pour  se  répandre  au  dehors,  non  pour  s'en- 
fermer dans  l'entretien  intérieur  de  l'àme  avec  elle- 
même,  et  qui  n'a  écrit  ses  livres  de  philosophie  qu'à 
soixante  ans,  dans  les  loisirs  que  lui  a  faits  la  servitude 
de  la  république.  Mais  la  Grèce  produisait  en  abondance 


ÉPOQUE   ROMAINE.   —  CICÉRON.  13!) 

<Jes  philosophes  de  profession,  dont  la  vie  entière  se 
passait  6  iiiéditer  et  à  prêcher;  qui,  sans  doute,  ne  res< 
semblaient  pas  encore  tout  à  fait  à  Épictète,  car  le  temps 
d'un  Épiciète  n'était  pas  venu,  mais  qui  devaient  être 
moins  éloignés  de  ce  modèle  que  l'illustre  consulaire. 
Ce  sont  ceux-là  qu'il  faudrait  pouvoir  entendre  pour 
surprendre  chez  eux  l'àme  de  leur  temps. 

Malheureusement  il  n'y  a  qu'un  maître  de  cette 
époque  dont  quelques  pages  soient  arrivées  jusqu'à 
nous,  conservées  dans  les  cendres  d'Herculanum  ;  et  c'est 
ce  Philodème  de  qui  j'ai  parlé  plus  d'une  fois,  c'est-à- 
dire  un  disciple  d'Épicure.  Ce  n'est  pas,  ce  semble,  à 
une  telle  école  qu'il  faut  demander  des  sentiments  chré- 
tiens, ni,  en  particulier,  à  ce  bel  esprit  éléi^ant  et  si  peu 
sévère,  que  Cicéron  nous  représente  payant  l'hospitalité 
d'un  Pison  par  de  petits  vers,  et  des  vers  galants.  Et 
cependant,  il  y  a  plus  d'un  irait  dans  ses  écrits  où  on 
voit  les  irréligieux  se  rencontrer  dans  un  même  esprit 
avec  les  saints  :  par  exemple,  la  facilité  à  accepter  la 
mort;  la  pensée  que  la  mort  du  Sage  dans  son  ht  vau 
bien  la  mort  éclatante  du  champ  de  bataille;  l'idée  que 
la  mort  par  les  supplices  n'a  rien  d'ignominieux  pour 
l'homme  de  bien,  et  que  le  juge  inique  n'est  pas  plus 
heureux  que  sa  victime;  ou  encore  le  mépris  des  con- 
quérants, et  des  passions  misérables  qu'on  appelle  trop 
souvent  chez  eux  forceetgrandeur  ;  ou  bien  la  défiance 
à  l'égard  des  orateurs,  des  artistes,  et  le  dédain  surtout 
des  spectacles.  Les  spectacles,  c'est  le  paganisme  même. 
Mais  si  on  veut  voir  comment  le  soufde  religieux  qui 
passait  alors  sur  le  monde  a  pu  se   faire    sentir  à 


140        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

travers  les  plus  sèches  doctrines ,  Lucrèce  est  là. 
Ce  n'est  plus  un  homme  d'école,  dépositaire  exact 
d'une  froide  tradition  ;  il  est  du  dehors,  comme  Cicéron  ; 
mais  s'il  est  bien  moins  savant  et  moins  éclairé  que 
Cicéron,  il  a  l'àme  plus  passionnée  et  l'imagination 
plus  forte;  et,  comme  tous  les  poètes,  ii  est  l'écho  où 
la  voix  de  la  foule  se  réfléchit.  Cet  impie  combat  la 
maladie  des  religions  avec  une  fureur  qui  témoigne 
qu'il  se  sent  menacé  et  presque  enveloppé  par  la 
contagion  du  mal.  C'est  lui  qui  a  dit  que,  dans  les 
jours  de  malheur,  les  hommes  s'attachent  plus  forte- 
ment au  culte  des  dieux;  or,  cette  époque  est  de  celles 
où  l'humanité  a  senti  le  plus  vivement  ses  souffrances. 
On  sait  si  Lucrèce  en  a  pris  sa  part  ;  sa  poésie  est  toute 
pleine  des  misères  humaines  :  d'une  part  les  guerres, 
les  révolutions  et  leurs  sanglantes  catastrophes;  de 
l'autre  les  tourments  des  passions,  ceux  de  la  super- 
stition, ceux  du  remords,  les  dégoûts  du  plaisir  et  de 
l'amour,  enlin  l'inquiétude  et  l'ennui  inexorable.  Il 
prétend  guérir  tout  cela,  mais  est-il  guéri  lui-même? 
N'oublie-t-il  pas  sa  propre  philosophie,  dont  l'esprit 
semble  être  un  abandon  confiant  à  la  nature,  quand  il 
se  lamente  sur  la  pitoyable  condition  que  cette  nature 
a  faite  à  l'homme,  jeté  dans  la  vie  comme  par  un  nau- 
frage, et  arraché  au  néant  pour  souffrir?  Ce  ne  sont 
pas  seulement  des  larmes  qui  sortent  pour  lui  des  choses, 
comme  pour  Virgile  ^  ;  ce  sont  des  gémissements  amers 
et  accusateurs.  Il  a  des  accents  pareils  à  ceux  d'un 

i.  Sunt  lacriiua)  rerum Eitcid^  I,  4G2. 


ÉPOQUE    ROMAINE.    -    CICÉRON.  m 

Pascal;  et  si  Pascal  a  fait  quelquefois,  sans  l'avoir  voulu, 
des  sceptiques  et  des  désespérés,  je  ne  serais  pas  étonne 
que  Lucrèce  eût  fait,  au  contraire,  des  chrétiens,  et  que 
plus  d'une  àme  secouée  par  lui  et  emportée  loin  de  ses 
attaches,  en  fût  venue  à  ne  pouvoir  se  rasseoir  que  dans 
l'espérance  d'une  autre  vie  et  d'un  dieu  réparateur. 
Pour  lui,  qui  n'espère  rien,  il  se  fait  pourtant  aussi  une 
religion.  Dans  ces  régions  sereines  où  il  s'établit  comme 
dans  un  ciel  pour  regarder  les  hommes  qui  s'agitent 
dans  leurs  ténèbres,  il  goûte  une  volupté  divine;  il 
éprouve  le  frisson  du  surnaturel  ;  il  est  comme  un  élu 
dans  le  paradis  \  Ce  n'est  qu'un  éclair,  et  la  mélancolie 
est  dominante,  relevée  seulement  par  l'orgueil  de  la 
pensée  libre.  Mais  que  de  traits  l'éloquence  religieuse  lui 
dérobe  et  lui  dérobera  sans  cesse! 

«  Ils  ont  beau  faire;  de  la  source  même  des  voluptés 
monte  je  ne  sais  quelle  amertume,  qui  les  serre  à  la 
gorge  au  milieu  des  fleurs  du  plaisir.  » 

«  0  misérables  pensées!  ô  aveuglement  des  hommes! 
Dans  quelle  nuit  profonde  et  parmi  quelles  menaces  se 
passe  ce  je  ne  sais  quoi  qui  est  la  vie!  » 

Il  y  a  un  vers  qu'il  ne  faut  pas  oublier  de  recueillir, 
car  c'est  un  mouvement  de  charité.  Le  poëte  nous  fait 
voir,  dans  le  monde  né  d'hier,  quand  il  commence  d'y 
avoir  des  hommes  sur  la  terre,  les  groupes  errants  qui 
se  rapprochent  peu  à  })eu  et  tâchent  de  s'entendre  en  se 
rencontrant.  Ils  se  recommandent  mutuellement  les  en- 

1.  Ilis  ibi  me  rébus  quccilam  divina  voluptas 
Percipit  alque  horror. 


142        LE    CHRISTIANISME   ET    SES    ORIGINES. 

faTitsetles  femmes;  ils  se  servent  du  geste  et  de  fa 
voix;  ils  balbutient  des  sons  qui  signifient  que  celui  qui 
est  faible  doit  trouver  grâce  devant  tous  \  ïi  est  inté- 
ressant de  voir  Lucrèce,  en  même  temps  qu'il  arrache 
la  végétatfon  des  vieilles  croyances,  semer  sur  le  sol 
dépouillé  de  nouveaux  germes. 

Il  ne  nous  reste  rien  des  purs  Stoiques  de  cette 
époque.  Cicéron  n'appartient  pas  à  leur  école,  quoi- 
qu'il leur  emprunte  ce  que  sa  morale  a  de  plus  fort; 
il  est  plutôt ,  suivant  son  expression  à  lui-même, 
un  homme  de  chez  Platon,  homo  platonicus.  Les  Stoi- 
ques purs,  tout  entiers  au  salut  des  âmes,  tendaient 
de  plus  en  plus  à  rejeter  de  la  philosophie  tout  ce 
qui  pouvait  être  amusement  ou  luxe  de  l'esprit.  Les 
Cyniques  était  plus  intraitables  encore  dans  leur  zèle; 
ils  méprisaient  tout  ce  qui  ne  va  pas  à  rendre  l'homme 
plus  content  de  lui  et  plus  indépendant  du  dehors,  et  à 
lui  donner  plus  d'autorité  morale  sur  les  autres  hommes. 
Enfin,  les  Pythagoriques,  un  peu  effacés,  à  ce  qu'il 
semble,  dans  l'âge  précédent,  commençaient  à  repa- 
raître, peut-être  parce  que  cette  philosophie  étant  plus 
antique,  et  par  là  plus  près  des  religions,  se  trouvait 
plus  en  rapport  avec  le  nouvel  état  des  âmes.  La  tra- 
dition, d'ailleurs,  disait  que  Pythagore  s'était  inspiré 
de  l'Orient;  à  mesure  donc  qu'on  s'assimilait  davantage 
les  croyanf'es  de  l'Orient,  on  prétendait  y  retrouver 
Pythagore;  et  on  pouvait  tout  mettre  sur  son  compte, 
puisqu'il  n'avait  pas  laissé  de  monument  auiheniique 

1.  Imbecillorum  esse  tcquum  miseierier  omni. 


ÉPOQUE    ROMAINE.    -    CICÉRON.  U3 

de  ses  pensées.  Pythagore  est  nommé  dans  Cicéi  on  au 
premier  rang  parmi  les  grands  révélateurs. 

C'est  ainsi  que  la  philosophie  était  arrivée  aussi  haut 
que  pouvait  la  porter  la  vénération  des  hommes.  Elle 
était  traitée  comme  divine,  et  il  se  trouva  que  c'était 
précisémentlà  pour  elle  un  péril.  Elle  était  une  religion; 
mais  tandis  que,  comme  philosophie,  elle  pouvait  tenir 
les  religions  au-dessous  d'elle,  comme  religion,  elle 
était  la  plus  jeune  de  toutes  et  celle  qui  avait  le  moins 
d'autorité.  Elle  avait  eu  beau  se  prêter  aux  besoins  de 
l'imagination,  elle  demeurait  toujours  trop  raisonnable 
et  surtout  trop  libre.  On  se  souvient  que  déjà,  au  temps 
de  Platon,  l'esprit  humain  fatigué  cherchait  à  qui  re- 
mettre le  gouvernement  de  lui-même  et  semblait  envier 
l'immobile  Egypte.  Mais  il  n'est  pas  toujours  facile  de 
renoncer  à  penser,  surtout  pour  des  Grecs,  et  il  fallut 
l'empire  romain  pour  le  leur  apprendre.  Les  écoles 
continuèrent  donc  de  conduire  les  consciences,  mais  ce 
gouvernement  des  écoles  devint  lui-même  ecclésias- 
tique et  intolérant.  Leurs  dogmes  furent  sacrés  :  en 
trahir  un  seul  est  un  crime  ^  «  car  trahir  un  dogme, 
c'est  trahir  la  vérité  et  la  justice,  et  c'est  ainsi  qu'on 
arrive  à  trahir  aussi  les  particuliers  et  les  États,  i»  Cette 
intolérance  souleva  des  résistances  et  des  révoltes;  on 
releva  les  incertitudes  des  philosophes,  leurs  erreurs, 
leurs  contradictions.  On  demanda  pourquoi  on  s'asser- 
virait ainsi  à  une  école  où  on  n'était  entré  que  par 
hasard.  Car,  comment  se  fait-il  qu'on  appartienne  à 
telle  secte  plutôt  qu'à  telle  autre,  sinon  paico  que,  tout 
jeune  encore,  on  y  a  été  engagé  par  un  ami  ou  par  la 


m  LE   CHRISTIANISME    ET  SES   ORIGINES. 

parole  du  premier  philosophe  qu'on  a  entendu?  Elon  se 
cramponne  ensuite  à  celle  doctrine  quon  a  renconlrce, 
comme  des  naufragés  au  rocher  où  la  (cmpcle  les  a 
jetés.  C'est  l'argument  fameux  que  Rousseau  a  repris 
contre  les  Églises  dans  la  Profession  de  fui  du  vicaire 
savoyard^  et  qui  leur  est  si  terrible,  car  c'est  bien  chez 
elles  que  l'autorité  et  le  hasard  font  tout  en  effet;  mais 
lorsqu'il  n'y  avait  pas  encore  d'Églises,  c'était  aux  écoles 
qu'on  l'opposait. 

On  reprochait  encore  à  la  philosophie  les  fautes  et 
les  vices  de?  philosophes,  comme  plus  tard  on  a  re- 
proché à  la  religion  ceux  des  prêtres.  On  lui  reprochait 
aussi  leurs  aberrations,  et  on  répétait  qiiil  ny  a  pas 
d'absurdité  ou  de  rêve  de  înalade  qui  ne  se  trouve  dans 
un  philosophe,  ic  ne  connais  guère  de  mot  qui  ait  fait 
plus  de  profit  à  l'Église  que  celui-là;  et  cependant, 
quand  Cicéron  a  parlé  ainsi  des  philosophes,  c'était 
précisément  à  leur  théologie  qu'il  en  voulait,  et  l'esprit 
qui  parlait  en  lui  aurait  été  certainementplus  dur  encore 
à  celle  des  Églises.  La  philosophie  avait  donc  des  en- 
nemis; les  zélés  s'en  indignaient.  «  Attaquer  la  vraie 
mère  de  l'humanité,  n'est-ce  pas  un  parricide?  Il  y  a 
une  ingratitude  impie  à  s'élever  contre  une  sagesse 
qu'on  doit  respecter  encore  si  on  n'est  pas  capable  d'en 
profiter.  »  Il  y  avait  aussi  V indifférence  en  matière  de 
philosophie.^  et  c'était  le  fait  du  grand  nombre. 

Mais  je  n'appelle  pas  indifférents  ceux  qui  disaient 
que,  tout  en  étudiant  les  préceptes  de  la  philosophie, 
il  faut  vivre  comme  tout  le  monde,  civiliter.  Lactance 
reproche  durement  à  Cicéron  d'avoir  parlé  ainsi  à  son 


ÉPOQUE    ROMAliNE.    —    CICÉRON.  145 

fils.  Mais  un  bon  chrétien  du  ^vw  siècle  aurait  dit  de 
même  qu'il  fautsavoir  sa  religion  et  lasuivre,  mais  qu'il 
ne  faut  pas  vivre  en  capucin.  Enfin,  ceux-mêmes  qui 
s'adressaient  aux  philosophes  nelesrespectaientpas tou- 
jours assez,  cl  peut-ètrequ'ils  n'étaient  pas  toujours  assez 
respectables.  Cette  vie  de  commensal  des  grandes  mai- 
sonsn'ôtaitpas  nécessairement  au  philosophe  sa  dignité: 
il  suffit,  pour  le  montrer,  delà  manière  dont  Cicéron  parle 
de  Diodote  le  Stoïque  et  d'autres  encore;  mais  elle  pou- 
vait la  mettre  en  péril.  On  entrevoit  que  ces  seigneurs 
s'amusaient  quelquefois  de  leur  philosophe,  à  souper 
ou  en  attendant  le  souper  ,  comme  d'un  abbé  du  xvnie 
siècle.  Et  j'ai  déjà  rappelé  que  Philodème,  un  disciple 
d'Épicure,  il  est  vrai,  n'avait  pas  précisément,  auprès 
du  noble  Pison,  l'attitude  d'un  directeur  de  conscience. 

Enfin  un  reproche  que  les  dévots  font  volontiers  aux 
philosophes,  celui  d'employer  tout  l'effort  d'une  science 
ambitieuse  pour  n'arriver  qu'à  ce  que  la  religion  en- 
seigne simplement  aux  plus  humbles,  les  dévots  de 
l'antiquité  le  leur  adressaient  déjà  :  <r  Entre  seulement, 
dit  Sénèque,  dans  l'école  où  on  apprend  à  lire,  et  tu 
reconnaîtras  que  ce  dont  les  philosophes  font  si  grand 
bruit  avec  leurs  sourcils  froncés,  n'est  (jue  la  leçon 
qu'on  fait  aux  enfants  ^  ». 

Les  Stoïques  avaient  dit  :  Le  Sage  est  le  véritable 
prêtre.  Mais  ce  n'était  là  qu'une  figure,  et,  en  réalité, 


1  «  Les  plus  sublimas  idées  des  philosophes  sont  dans  les  répon- 
ses du  calécliisnie.  n  Génie  du  C/irJs/ta/iijinic.  Je  prendscette  cil;ilion 
dans  la  Inuluction  de  Sénèque  de  Daillard,  qui  n'indique  pas  l'rn- 
droit  précis  d'où  il  l'a  tirée. 

u.  10 


146        LE    CHRISTIANISME    ET    SES   ORIGINES. 

dans  le  monde  hellénique,  le  prêtre  et  le  philosophe 
étaient  deux.  11  n'en  était  pas  de  même  dans  certains 
pays  de  l'Orient.  Là,  il  n'y  avait  pas  de  philosophie 
proprement  dite,  mais  la  religion  elle-mê.'ne  était  une 
philosophie,  et  qui  avait  des  nations  eniicres  pour  dis- 
ciples, car  les  religions  s'imposent  à  tous.  On  disait 
alors  que  les  Babyloniens  et  les  Egyptiens  étaient  des 
philosophes  ;  cela  voulait  dire,  je  pense,  qu'ils  avaient 
des  dogmes  également  reçus  de  tous ,  enseignés  par 
leurs  prêtres  et  appuyés  prohablement  sur  des  textes 
sacrés,  et  que  ces  dogmes  entretenaient  en  eux  ce 
zèle  dévot  qui  se  détache  de  la  terre  pour  se  tourner 
vers  le  ciel.  C'était  la  philosophie  du  surnaturel,  deux 
mots  qui  se  heurtent  pour  une  raison  libre,  mais  dont 
le  rapprochement  n'étonnait  pas  les  hommes  du  temps 
de  César.  Voyez  commment  Diodore  parle  des  Chal- 
déens,  qui  sont  à  Babylone,  dit-il,  ce  que  sont  les 
prêtres  en  Egypte.  «  Chargés  du  culte  des  dieux,  ils 
passent  toute  leur  vie  à  philosopher,  et  ils  sont  très- 
habiles  dans  la  connaissance  des  astres  et  surtout  dans 
la  prédiction  de  l'avenir...  Mais  ils  ne  se  livrent  pas  à 
ces  études  à  la  façon  de  ceux  qui  les  cultivent  chez  les 
Grecs.  La  philosophie  des  Chaldéens  se  transmet  héré- 
ditairement :  le  fils  la  reçoit  de  son  père,  et,  pour  s'y 
adonner,  il  est  affranchi  de  tout  autre  devoir  public. 
Ayant  ainsi  leurs  pères  mêmes  pour  maîtres,  on  ne  leur 
marchande  pas  les  connaissances,  et,  de  leur  côté,  ils 
s'attachent  à  l'enseignement  qu'ils  reçoivent  avec  une 
foi  plus  ferme.  Appliqués  d'ailleurs  à  ces  études  dès 
l'enfance,  ils  acquièrent  une   grande  aptitude,  parce 


ÉPOQUE    ROMAINE.    -    CICI'^KON.  U7 

-qu'on  apprend  facilement  à  cet  âge,  et  que  leur  ins- 
truction rie  continue  pendant  longtemps.  Mais,  chez  les 
Grecs,  le  plus  grand  nombre  arrive  sans  préparation 
à  la  philosophie  et  ne  l'aborde  qu'assez  tard  ;  puis, 
après  quelque  travail,  ils  l'abandonnent,  distraits  par 
le  besoin  de  vivre.  Le  peu  qui  pénùirenl  dans  la  phi- 
losophie tout  à  fait  avant  ne  persistent  dans  celte  oc- 
cupation que  pour  y  gagner  leur  vie  ;  ils  innovent  sans 
cesse  dans  les  plus  grandes  questions,  et  ne  suivent  pas 
ceux  qui  sont  venus  avant  eux.  Les  Barbares,  toujours 
attachés  aux  mêmes  doctrines,  s'affermissent  dans  tous 
leurs  principes,  tandis  que  les  Grecs,  poursuivant  les 
profils  du  métier,  fondent  tous  les  jours  des  sectes  nou- 
velles. Et,  comme  ils  se  contredisent  les  uns  les  autres 
sur  les  points  les  plus  importants,  ils  tirent  en  sens 
contraire  la  pensée  de  leurs  disciples,  dont  les  esprits 
îlottent  suspendus  en  l'air  pendant  toute  leur  vie,  et  ne 
peuvent  rien  croire  fortement.  »  Il  me  semble  qu'il 
suffit  de  lire  ce  petit  morceau  pour  reconnaître  qu'au 
moment  où  il  a  été  écrit,  le  monde  était  près  de  tomber 
sous  l'empire  d'une  rehgion,  et  qu'il  n'y  pouvait  pas 
échapper*. 

Quelle  serait  cette  religion?  celle  de  Babylone? 
celle  de  l'Égypteîou  quelque  autre?  On  n'en  savait  rien 
encore,  mais  la  pauvre  raison  humaine  était  impatiente 


1.  C'est  ainsi  que  plus  lard  Élien  aussi  vante  la  sagesse  des  Bar- 
Lares,  chez  qui  on  n'a  Jamais  mis  on  doute  ni  rexistonce  Je3 
dieux  ni  leur  [iroviden  c.  L'Inde,  la  Cellique,  TÉgypie  n'ont  jamais 
porté  un  Évtinère,  ni  un  Épicure,  ni  un  Diagoras.  Tous  ces  peuples 
croient  à  la  divination  et  aux  songes,  et  se  livrent  avec  dévotion  i 
toutes  les  pratiques  du  culte  des  dieux. 


148        LE    CHRlSTlANlSftlE    ET    SES    ORIGINES. 

d'abdiquer  entre  les  mains  d'un  pouvoir  sacré.  Elle  ne 
pouvait  i)lus  supporter  le  doute,  c'est-à-dire  la  liberté. 
Elle  ne  comprenait  pas  que  les  hommes  ne  sont  divisés 
que  sur  les  questions  théologiques,  c'est-à-dire  sur  les 
choses  où  il  n'y  a  réellement  rien  à  savoir  ni  à  appren- 
dre; et  que  plus  l'esprit  humain  serait  dégagé,  par 
l'examen  et  la  contradiction  môme,  de  ces  mystères 
stériles,  plus  il  se  trouverait  à  l'aise  et  se  sentirait  de 
force  pour  travailler  à  ce  qui  l'intéresse  véritablement, 
c'est-à-dire  à  l'amélioration  de  la  vie,  soit  pour  cha- 
cun, soit  pour  tous. 

On  était  prêt  à  subir  le  joug  d'une  religion,  de  même 
qu'on  était  disposé,  dans  l'ordre  extérieur,  à  supporter 
le  gouvernement  d'un  maitre.  Spirituel  et  temporel,  si 
on  peut  employer  ici  ces  expressions,  l'humanité  aban- 
donnait tout,  dans  le  sentiment  de  l'impuissance  où  les 
malheurs  et  les  fautes  accumulés  l'avaient  réduite. 

Une  seule  plainte,  parmi  celles  qu'on  vient  d'enten- 
dre, était  légitime  :  c'était  dommage,  non  pas  que  la 
philosophie  fût  payée  (il  était  trop  juste  que  le  philoso- 
phe vécut  de  ses  leçons  comme  le  prêtre  vit  de  l'autel), 
mais  qu'elle  dût  l'être  par  chacun  de  ceux  qui  avaient 
besoin  de  la  vérité,  et  qui  pouvaient  être  pauvres.  C'est 
à  la  communauté  de  faire  en  sorte  que  l'enseignement 
qui  convient  à  tous  soit  donné  à  tous. 

Ce  ne  fut  ni  la  Chaldée  ni  l'Egypte,  ce  furent  les  Juifs 
qui  recueillirent  le  gouvernement  des  âmes.  Les  Juifs, 
soumis  depuis  Alexandre  aux  rois  de  Syrie,  mais  tou- 
jours indociles  à  la  servitude,  en  avaient  appelé  contre 
leurs  maîtres,  d'abord  aux  rois  d'Egypte,  puis  aux  Ro- 


ÉPOQUE    ROMAINE.     -   CICÉRON.  149 

njains.  Non-seulement  leur  colonie,  à  Alexandrie,  avait 
pris  une  importance  con?idéral)le,  mais  un  grand-prê- 
tre, chassé  de  Jérusalem  dans  les  dissensions  intestines 
auxquelles  cette  ville  était  toujours  en  proie,  avait  ob- 
tenu de  fonder  à  Bubaste,  en  terre  égyptienne,  un  nou* 
veau  Temple,  contrairement  aux  prescriptions  delà  Loi, 
et  par  esprit  de  révolte  contre  les  autorités  de  la  ville 
sainte  ;  ce  Temple  subsista  jusqu'au  temps  de  Vespa- 
sien,  qui  le  fit  détruire.  Vers  la  même  époque,  si  on  en 
croit  le  livre  des  Macchabées,  Judas  avait  fait  un  traité 
d'alliance  avec  les  Romains.  Tant  qu'il  y  eut  des  rois  de 
Syrie,  les  Juifs  purent  conserver  quelque  indépendance 
à  l'égard  des  redoutables  protecteurs  qu'ils  avaient 
cherchés  contre  ces  rois  :  mais  quand  les  Romains 
furent  maîtres  de  la  Syrie,  ils  entendirent  l'être  aussi 
de  Jérusalem.  Jérusalem,  ayant  résisté,  fut  emportée 
par  Pompée,  l'année  qui  suivit  le  consulat  de  Gicéron. 
Des  milliers  de  Juifs  furent  emmenés  prisonniers  à 
Rome,  soit  par  Pompée,  soit  par  les  lieutenants  qui 
continuèrent  à  guerroyer  après  lui  en  Judée;  et  nous 
savons  que  ces  Juifs  esclaves  devinrent  bientôt,  par 
l'affranchissement,  des  citoyens  romains. 

3Iais  il  est  clair  que,  bien  avant  cette  date,  les  Juifs 
et  le  judaïsme  avaient  déjà  dans  Rome  une  influence 
considérable.  Depuis  longtemps  ils  s'étaient  répandus 
à  travers  les  pays  grecs  d'Asie  et  d'Europe.  Il  y  avait 
partout  des  Juifs,  Juifs  d'origine  ou  parla  circoncision, 
et  autour  d'eux  des  adorateurs  de  Dieu  ou  judaïsants, 
qui,  sans  être  circoncis  et  sans  s'astreindre  à  toutes  les 
pratiques  mosaïques,  lisaient  les  livres   saints  et  en- 


150        LE    Clir.  ISTIA.MSME    ET    SES    01'. .  ii  INES. 

voyaient  au  Temple,  à  Jérusalem,  leur  argcdt  et  leurs- 
hommygos.  Si  on  en  croit  Plutarque,  le  judaïsme  avait 
des  amis  à  Rome,  du  temps  de  Cicéron,  jusiue  dans  le 
Sénat  romain.  Dans  le  procès  fameux  conire  ce  préteur 
de  Sicile  dont  le  nom  de  Porc  (Verres)  préiaitsi  bien  aux 
sarcasmes  d'un  accusateur  populaire,  on  sait  que  la 
première  difficulté  que  rencontra  Cicéron,  qui  s'était 
chargé  de  la  plainte  des  Siciliens,  fut  de  demeurer  en 
possession  du  droit  de  soutenir  l'accusation  devant  les 
juges.  Car  les  Siciliens,  les  sujets,  ne  pouvaient  porter 
une  action  devant  les  tribunaux  romains  :  cela  n'appar- 
tenait qu'aux  Romains  eux-mêmes.  Les  intéressés  ne  pou- 
vaient pas  même  désigner  l'accusateur,  et,  s'il  se  présen- 
tait plusieurs  Romains  pour  ce  ministère,  c'était  aux 
juges  à  choisir  entre  eux. Les  partisans  secrets  du  préteur 
avf.ient  un  accusateur  à  leur  convenance,  contre  qui 
Cicéron  eut  à  combattre  d'alord.  C'était  un  ancien  ques- 
teur de  l'accusé,  nommé  Cécilius,  sénateur,  puisqu'il 
avaitété  questeur;  et  Plutarque  raconte  que,  comme  il 
était  suspect  dejudaïser,  Cicéron  allait  disant:  «Qu'est- 
ce  qu'un  Juif  peut  avoir  à  démêler  avec  un  Porc?  »  Je 
ne  sais  ce  qu'il  faut  penser  de  ce  judaïsme,  que  Cicéron 
a  pu  exagérer  pour  faire  un  bon  mot,  et  dont  il  ne  dit 
rien  dans  son  plaidoyer,  que  nous  avons.  Mais  ce  qui 
est  certain,  c'est  que  le  même  Cicéron,  dix  ans  plus 
tard,  plaidant  à  son  tour  pour  un  préteur  concussion- 
naire, était  fort  en  peine  d'avoir  à  répondre  aux  plaintes 
des  Juifs. 

Flaccus,  préteur  de  la  province  d'Asie,  parmi  beau- 
coup de  vols  qu'on  lui  imputait  comme  à  tant  d'autres 


EPOQUE    ROMAINE.    -    GIGÉRON  151 

magisfrnts  romains,  était  accusé  particulièrement  d'avoir 
mis  la  main  (soit  pour  son  compte,  soit  pour  celui  du 
Trésor)  sur  de  l'or  que  les  Juifs  ou  judaïsants  de  plu- 
sieurs villes  de  sa  province  envoyaient  au  Temi)le. 
Arrivé  à  ce  grief,  qui  semblait  devoir  toucher  assez  peu 
la  plèbe  romaine  qui  l'écoute,  le  grand  avocat  est  ce- 
pendant visiblement  embarrassé  ;  et,  s'adressantà  l'ac- 
cusateur son  adversaire  (il  s'appelait  Lélius)  :  «  Voilà, 
dit-il,  comment  on  a  choisi,  pour  débattre  la  cause,  cet 
endroit  de  Rome;  voilà  pourquoi  tu  as  voulu  être  en- 
touré de  la  multitude  qui  peuple  ce  quartier.  Tu  sais 
comme  ces  gens-là  -''ont  nombreux,  comme  ils  sont  unis, 
tout  ce  qu'ils  peuvent  faire  dans  une  assemblée  du  peu- 
ple. Je  parlerai  bas,  de  fnçon  à  n'être  entendu  que  des 
juges.  Car  il  ne  manque  pas  d'hommes  prêts  à  sou- 
lever celte  foule  contre  moi  et  contre  tous  les  bons', 
je  ne  veux  pas  les  y  aider,  et  leur  rendre  la  chose  plus 
facile.  »  Et  plus  loin  :  «  Faire  obstacle  à  une  supersti- 
tion barbare  était  d'une  sage  fermeté;  braver  la  foule 
des  Juifs,  si  menaçante  quelque  fois  dans  nos  assemblées, 
pour  le  service  de  la  République,  était  d'un  grand  ca- 
ractère. —  Mais  Pompée  vainqueur,  quand  il  prit  Jé- 
rusalem, ne  loucha  à  rien  dans  le  Temple.  —  Il  a  fait 
voir  là  une  griu.de  marque  de  sa  sagesse  accoutumée, 
en  évitant,  dans  une  ville  si  prompte  aux  soupçons  et 
aux  calomnies,  de  donner  prise  aux  mauvais  propos. 
Car,  ce  n'est  pas  sans  doute  la  religion  (la  religion  des 
Juifs  !  la  religion  d'un  peuple  ennemi  !),  mais  un  simple 
ménagement,  qui  a  arrêté  ce  grand  capitaine.  »  Et 
enfin  :  «  Ce  n'est  pas  un  vol  que  l'on  établit,  ce  sont  de 


152        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

mauvaises  passions  qu'on  veut  soulever.  On  ne  parle 
plus  aux  juges,  on  déclame  pour  l'auditoire  et  ])our  la 
populace.  Lclius,  chaque  république  a  sa  religion  ;  nous 
avons  la  nôtre.  Quand  Jérusalem  était  debout  et  la 
Judée  en  paix,  déjà  un  culte  comme  celui-là  offensait 
îa  majesté  de  notre  empire,  la  grandeur  de  noire  nom, 
les  traditions  de  nos  ancêtres.  Mais  aujourd'hui  nous 
savons  les  sentiments  de  ces  peuples  à  l'égard  de  notre 
autorité  ;  il  nous  les  ont  fait  voir  en  prenant  les  armes. 
Et  nous  savons  aussi  le  cas  que  les  dieux  font  de  leur 
race,  puisqu'elle  est  vaincue,  puisqu'elle  est  tributaire, 
puisqu'elle  est  esclave  !  ^  » 

C'est  ici  une  de  ces  révélations  qui  éclatent  par  mo- 
ments au  milieu  des  silences  de  l'histoire  ancienne. 
Jusque-là  nous  voyions  à  peine  paraître  les  Juifs  ;  et 
voici  qu'une  page,  qui  pouvait  si  bien  n'avoir  pas  été 
conservée,  et  même  n'avoir  pas  été  écrite,  nous  apprend 
tout  à  coup,  non-seulement  qu'il  y  avait  des  Juifs  à 
Rome  en  grand  nombre,  mais  qu'ils  y  avaient  une  ac- 
tion politique,  laquelle  s'exerçait  au  profit  du  parti  po- 
pulaire contre  celui  de  Cicéron  et  du  Sénat. 

C'était  depuis  trois  ans  seulement  que  Jérusalem  avait 
été  prise  par  Pompée;  ceux  qu'il  en  avait  ramenés 
captifs  n'avaient  guère  eu  le  temps  de  devenir  citoyens. 
C'étaient  donc  des  citoyens  de  plus  ancienne  date,  Latin? 
ou  étrangers  d'origine,  ingénus  ou  affranchis,  qui. 
comme  Juifs  ou  judaïsants,  constituaient  déjà  dans  la 
cité  une  classe  à  part,   avec  laquelle  il  fallait  compter. 

1.  Dans  un  autre  Discours  encore,  il  appelle  les  Juifs    wu  iieuple 
\ail  pour  sùrvir. 


EPOQUE    ROMAINE.    —    CIGERON.  153 

Et  ceux  qui  n'étaient  pas  citoyens  n'en  formaient  pas 
moins  dans  la  grande  ville  une  population  considérable, 
dont  lesaffections  et  les  démonstrations  avaient  leur  im- 
portance. Quinze  ans  après,  lors  du  meurtre  de  César, 
parmi  les  groupes  d'étrangers  de  toute  espèce  qui  vin- 
rent faire  le  deuil  de  ce  grand  mort  autourde  son  corps, 
chaque  peuple  célébrant  ce  deuil  à  sa  manière,  on  re- 
marqua surtout  les  Juifs  {prœcipueque  Judœi^  dit  Sué- 
tone), qui  veillèrent  plusieurs  nuits  de  suite  auprès  du 
bûcher. 

La  religion  des  Juifs  avait  de  bonne  heure  frappé  les 
esprits  par  ces  deux  traits  :  qu'ils  n'adoraient  qu'un 
dieu  unique,  et  que  ce  dieu  n'avait  pas  d'images.  Le 
docte  Yarron,  en  protestant  avec  les  philosophes  contre 
l'idolâtrie,  s'était  appuyé,  entre  autres  exemples,  de 
celui  des  Juifs.  Les  esprits  avaient  reçu  une  vive  im- 
pression, c'est  Tacite  qui  en  témoigne,  lorsque  Pompée, 
à  la  prise  de  Jérusalem,  étant  entré  dans  le  Temple, 
jusque-là  inaccessible ,  avait  reconnu  qu'il  ne  s'y 
trouvait,  en  effet,  aucune  effigie  divine,  cl  que  celle 
myAérieme  enceinte  ne  cachait  rien.  Ils  furent  saisis 
p'ir  cette  religion  de  l'invisible,  si  conforme  à  la  pensée 
^ie  tous  ceux  qui  étaient  capables  de  philosophie  à  quel- 
que degré. 

Il  est  bien  étrange  que  dans  les  nombreux  écrits  qui 
nous  restent  de  Cicéron,  et  principalement  dans  ses 
trois  livres  sur  les  Dieux,  il  ne  soit  pas  dit  un  seul 
mot  de  la  religion  juive  ;  et  il  n'y  a  guère  d'exemple  qui 
puisse  mieux  nous  apprendre  combien  nous  devons  nous 
défier  de  ce  que  nous  croyons  savoir  de  l'antiquité. 


154  LE  CHRISTIANISME    ET   SES    ORIGINES. 

Il  se  trouve  i\ne  Cicéron  n'aurait  pas  même  prononcé 
le  nom  de  ces  Juifs,  qui  tenaient  déjà  dans  Home  une  si 
grande  place  d'après  son  propre  témoignage,  s'il  n( 
les  avait  rencontrés  une  fois  par  hasard  sur  son  chemin 

Je  ne  dois  i)as  étudier  ici  l'histoire  des  Juifs  et  leuri 
Écritures  pour  développer  les  raisons  de  la  fortune  de 
leur  religion  ;  ce  serait  empiéter  sur  la  seconde  partie 
de  mon  travail,  à  laquelle  je  dois  renvoyer  cette 
étude.  Mais  on  reconnaît  à  première  vue  par  comhien 
de  côtés  le  judaïsme  répondait  alors  aux  dispositions  des 
esprits.  Il  les  débarrassait  d'une  mythologie  décréditée, 
dont  tous  ceux  qui  raisonnaient  un  peu  voyaient  le  ri- 
dicule et  le  scandale.  Il  les  délivrait  des  superstitions 
attachées  au  culte  des  images.  Et  ce  dieu  un  et  sans 
figure,  ce  dieu  tout  particulier  qu'il  proposait,  étant 
l'ennemi  de  tous  les  autres,  semblait  fait  par  cela  même 
pour  être  le  dieu  des  mécontents. 

D'un  autre  côté,  aux  imaginations  avides  du  merveil- 
leux, le  judaïsme  offrait  une  histoire  sainte  qui  en  était 
remplie.  D'ailleurs  ce  n'était  pas  seulement  dans  le  passé 
que  les  Juifs  avaient  foi  aux  miracles;  le  miracle  leur 
paraissait  l'ét  it  normal,  le  régime  naturel  et  nécessaire 
du  peuple  choisi,  et  ils  avaient  toujours  des  prodiges, 
ou  à  raconter,  ou  à  promettre. 

Ils  attendaient  l'avènement  prochain  d'un  Messie  et  la 
fin  du  monde  présent.  Sur  ce  dernier  point  encore,  on 
a  vu  qu'ils  se  rencontraient  avec  l'inquiétude  générale 
des  peuples. 

A  ceux  qui  étaient  las  de  la  philosophie,  le  judaïsme 
présentait  une  doctrine  où  il  n'y  avait  ombre  ni  de  phi- 


EPOQUE    ROMAINE.    -    CICÉRON.  is:;. 

losophie,  ni  de  science;  une  doctrine  où  rien  n'oiaii 
libre,  où  tout  étailimmuable,  arrêté  et  fixé  à  jamais  dans 
une  parole  divine,  que  l'homme  n'avait  qu'à  répéter  et 
à  méditer. 

En  morale,  enfin,  les  Juifs  opposaient  aux  orgies  cl 
aux  duretés  de  la  société  romaine  des  vertus  qui  leur 
étaient  propres.  Je  ne  puis  que  répéter  ici  ce  que  j'ai 
écrit  ailleurs  :  «  C'est  un  grand  peuple  que  celui  qui  a 
souffert  perpétuellement  l'oppression  sans  jamais  l'ac- 
cepter. La  nature  humaine  s'élève  à  souffrir  ainsi.  C'est 
cet'e  oppression,  toujours  pesante,  mais  toujours  se- 
couée, qui  rendait  le  Juif  plus  dévot  à  son  dieu,  plus 
tendre  et  plus  miséricordieux  aux  siens  (c'est  le  mot 
même  de  Tacite),  plus  dura  lui-même,  plus  indomptable 
à  la  brutalité  du  puissant,  plus  dédaigneux  des  folles 
joies  des  heureux  et  de  leurs  vices. 


Pour  moi,  que  tu  retiens  parmi  ces  infidèles, 
Tu  sais  combien  je  hais  l^-urs  fêtes  criminelles. 
Et  que  je  mets  au  rang  dis  profanations 
Leurs  tables,  leurs  festins  et  leurs  libations. 


La  communauté  juive  était  au  milieu  du  monde  comme 
Esther  dans  le  sérail  d'Assuérus,  et  dans  ce  farouche 
isolement  elle  s'emparait  insensiblement  de  ceux  qu'elle 
étonnait.  » 

En  effet,  l'étrangeté  même  de  leurs  mœurs  et  de 
leurs  pratiques,  qui  les  tenait  aussi  isolés  moralement, 
aussi  à  part,  au  milieu  de  l'univers  soumis,  que  les  Bre- 
tons dans  leur  lie,  comme  Virgile  a  représenté  ceux-ci 
dans  un  vers  fameux,   devait  attirer  certaines  âmes- 


136         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

autant  qu'elle  pouvait  en  repousser  d'autres.  Gomme 
plus  tard  les  Chrétiens,  ils  semblent  au  premier  abord 
détestés  de  tous  ;  mais  comme  les  Chrétiens,  ils  gros- 
sissent cependant  tous  les  jours  et  font  des  recrues 
dans  l'ombre.  La  révolution  qui  a  été  appelée  le  Chris- 
tianisme ne  date  pas  de  celui  qu'on  a  nommé  le  Christ; 
elle  a  commencé  dès  que  le  judaïsme  a  commencé  de 
se  répandre.  Seulement  tout  se  passe  d'abord  dans  des 
régions  obscures  où  l'histoire  ne  peut  pénétrer. 

Entre  la  mort  de  César  et  le  moment  où  l'on  voit  les 
Chrétiens  paraître  pour  la  première  fois  à  Rome,  sous 
Néron,  il  s'est  écoulé  encore  environ  cent  ans.  Il  me 
reste  à  poursuivre,  pour  ces  cent  années,  l'exposé  de 
i'état  moral  et  religieux  du  monde  païen;  je  serai 
libre  ensuite  de  passer  à  l'étude  directe  du  judaïsme. 


CHAPITRE  XII 


^A    RELIGION    AU    TEMPS    D'  AUGUSTE.    —    VIRGILE. 

l'astrologie     et   MAMLIUS. 


Ceux  qui  avaient  assassiné  César  ne  jouirent  pas 
longtemps  de  l'affranchissement  des  ides  de  mars.  Ils 
se  trouvèrent  plus  faibles  contre  son  ombre  que  contre 
lui-même.  Cicéron  combattit  par  la  parole,  et  mourut; 
Brutus  combattit  par  l'épée,  et  mourut.  La  terre  fut 
pour  quelques  jours  à  deux  maîtres,  et  demeura  bientôt 
à  un  seul  :  le  césarisme  resta  définitivement  établi  ; 
il  devait  durer  plus  de  quatre  cents  ans,  autant  que  la 
puissance  romaine  elle-même.  Ce  malheur  était  inévi- 
table ;  on  l'a  assez  dit,  et  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse 
le  contester;  mais,  pour  être  inévitable,  il  n'en  était  pas 
moins  triste.  La  maladie  inévitable  est  toujours  la  ma- 
ladie ;  la  mort  inévitable  est  toujours  la  mort.  On 
est  allé  plus  loin  :  on  a  soutenu  que  les  provinces,  c'est- 
à-dire  les  peuples  sujets,  avaient  trouvé  dans  l'ordre 
nouveau  la  sécurité  et  la  justice.  On  fait  dire  cela  à 
Tacite  :  il  dit  seulement  qu'elles  avaient  espéré  ce  bien- 
fait, et  que  cette  espérance  leur  avait  fait  accueillir  nvec 
faveur  le  pouvoir  d'un   seul  ;  mais  ce  pouvoir  a-t-ii 


•158  LE  CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

tenu  ses  promesses?  Tacite  encore  semble  le  reconnaî- 
tre pour  ce  qui  regarde  Auguste  lui-même  •,  il  lui  ac- 
corde d'avoir  montré  «  le  respect  des  droits  des  citoyens 
et  des  ménagements  pour  les  alliés,  »  jus  apud  cives^ 
modestiam  apud  socios.  Et  on  ne  peut  guères  douter 
qu'à  partir  du  moment  où  le  pouvoir  d'Auguste  s'est  éta- 
bli, après  d'affreuses  guerres  et  à  la  suite  de  tant  de  dé- 
sordres, certaines  tyrannieslocales  n'aient  été  contenues 
par  la  pensée  qu'on  aurait  désormais  des  comptes  à  ren- 
dre. Mais  il  nefautpas  s'exagérer  ce  bienfait  du  pouvoir 
suprême.  Une  phrase  de  Sénèque  nous  apprend  que 
"^sous  Auguste  nnême,  un  Volésus,  proconsul  d'Asie,  avait 
fait  décapiter  trois  cents  hommes  en  un  jour,  et  qu'il 
se  promenait  fièrement,  content  de  son  œuvre,  au  mi- 
lieu de  ces  trois  cents  corps  décapités.  D'autre  part  une 
phrase  de  Tacite  nous  fait  savoir  que  ce  Volésus,  pour 
sa  conduite  dans  sa  province,  fut  accusé  comme  Verres 
et  condamné  comme  lui  à  l'exil  ;  l'empereur  lui-même 
avait  appuyé  la  plainte.  Cette  justice  d'Auguste  n'a  pas 
déliassé  celle  qu'avait  obtenue  Cicéron.  Sous  Trajan 
encore,  on  voit  un  préteur  d'Afrique  qui  se  conduit 
comme  un  brigand  dans  sa  province  ;  il  volait  de 
toutes  manières  .et  on  l'accusait  de  s'être  fait  payer 
pour  tuer  des  innocents.  Condamné,  il  mangea  volup- 
tueusement dans  l'exil  le  fruit  de  ses  rapines,  tandis 
que  la  pauvre  province,  avec  sa  cause  gagnée,  demeu- 
rait dans  le  deuil. 

Ce  que  les  provinces  accueillaient  avec  plaisir  dans 
l'avènement  des  Césars,  c'était  un  fjouvernement  à  la 
place  de  l'anarchie.   Un  gouvernement,  c'est  ce  qui  a 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUCLSTE  159 

presque  toujours  manqué  aux  cités  du  monde  antique, 
mais  ce  qui  manquait  plus  que  jamais  à  Rome  depuis 
le  temps  de  3Iarius.  On  eut  cela  sous  l'empire,  et  ce  fut 
un  bien.  Il  y  faut  ajouter  le  bienfait  des  réformes  ou  des 
soulagements  que  l'expérience  seule  et  le  travail  du 
temps  durent  amener,  aidés  de  l'effort  des  bons  esprits 
et  des  honnêtes  gens  :  cela  s'est  fiit  sous  les  Césai'S 
plutôt  que  par  eux.  Mais  il  s'est  produit,  ])ar  le  fait  du 
despotisme,  une  triste  compensation  à  t^ut  ce  qu'on  a 
pu  gagner  d'ailleurs  ;  c'est  qu'il  n'y  a  eu  sans  doute 
alors  de  grand  et  de  puissant  que  des  courtisans,  c'est 
à-dire  des  caractères  médiocres  et  bas;  ou,  si  les  em- 
pereurs ont  été  forcés  de  laisser  arriver  aux  honneurs 
quelques  têtes  plus  nobles ,  ces  hommes  distingués 
furent  évidemment  ceux  qui  eurent  le  moins  de 
pouvoir  et  de  liberté.  Ceux-là  seulement  étaient  sur- 
veillés de  très-près  ;  ceux  qui  plaisaient  a  César  et  aux 
amis  de  César  demeuraient  aisément  impunis.  Les 
intrigues  du  Palatium  remplacèrent  celles  des  factions. 
Ce  qui  est  clair,  c'est  qu'un  Cicéron  ne  pouvait  plus 
faire  entendre  sous  les  Césars  ses  protestations  élo- 
quentes. Il  ne  pouvait  plus  y  avoir  de  Verrines  ;  il 
ne  s'ensuit  pas  de  là  qu'il  n'y  eût  plus  de  Verres.  Je 
crains  en  un  mot  qu'il  ne  se  mêle  beDiicoup  d'illu- 
sion dans  la  pensée  que  l'avènement  des  Césars  a 
été  saluiaire  aux  opprimés,  au  dedans  ou  au  dehors. 
Le  tableau  le  plus  vif  qui  ait  jamais  été  f;ut  des  misères 
dela;)fl/x  romaine  [et  iibi  solitudinem  faciunl,  pacem 
appellant)^  les  dévastations,  les  massac.  es,  les  coups 
de  fouet,  le  viol  des  femmes,  est  de  ces  temps  mêmes; 


160        LE    CUUISTIANISjIE    ET    SES    ORIGINES. 

c'est  celui  que  Tacite  a  mis  dans  la  harangue  du  chef 
breton  Galgacus.  Quant  aux  peuples  non  soumis,  ils 
n'étaient  qu'une  matière  pour  exercer  les  armes  des 
foldats  romains,  et  pour  faire  ensuite  le  plaisir  du  peu- 
ple dans  les  carnages  de  l'amphithéâtre.  Certes,  ni  Lt 
Fontaine,  ni  Byron,  quand  ils  faisaient  parler  le  paysan 
du  Danube  ou  le  Gladiateur  mourant,  n'avaient  songé 
que  les  peuples  eussent  tant  à  se  louer  du  césarisme. 
En  Italie  même,  dans  les  campagnes,  nous  voyons  le 
riche  qui  dépouille  le  pauvre  de  son  patrimoine,  et  qui 
va  le  chassant  devant  lui  :  «  Ils  s'en  vont,  emportant 
avec  eux  leurs  dieux  domestiques,  le  mari  et  la  femme 
elles  enfants  déguenillés.  »  Dans  un  petit  roman,  qui 
faisait  le  thème  d'un  exercice  d'école  au  temps  d'Au- 
guste, nous  apercevons  déjà  le  château  féodal  du  moyen 
âge,  perché  sur  la  montagne,  d'où  le  riche  guette  ses 
aubaines,  les  proies  que  lui  jette  la  mer  •.  A  Rome,  la 
plèbe  des  citoyens  était  ménagée  et  llattée  ;  mais  dans 
les  persécutions  contre  les  Juifs,  les  chrétiens,  les  sec- 
tateurs des  religions  égyptiennes,  on  voit  comment 
étaient  traitées  ces  populations  inférieures,  de  sang 
d'affranchi,  c'est-à-dire  servile,  qu'on  déportait  ou 
qu'on  proscrivait  en  masse. 

Je  ne  dirai  qu'un  mot  pour  ce  qui  regarde  les  es- 
claves, et  je  le  prends  dans  cette  espèce  de  testament 
(l'Auguste,  dans  cet  Exposé  de  la  situation  de  l'empire, 
que  le  maître  du  monde  avait  écrit,  quelques  années 
seulement  avant  sa  mort,  pour  le  faire  lire  à  tous  ses 

1.  Erat  in  summis  moiUium  jugis  aitliia  divilis  spécula;  iilic  iste 
naufragiorum  reli(iuias  compulaljat. 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE  161 

sujets,  et  que  le  monument  d'Ancyrc  nous  a  conservé. 
L'empereur  parle  ainsi,  dans  ce  compte  rendu  solennel 
adressé  au  monde  :  «  J'ai  débarrassé  la  mer  des  bri- 
gands (ces  brigands  étaient  les  auxiliaires  dont  s'était 
servi  Sextus,  fils  de  Pompée,  pour  essayer  de  tenir  tête 
aux  trois  héritiers  de  Césaret  de  leur  arracher  renipire). 
Dans  cette  guerre,  beaucoup  d'esclaves,  échappés  do 
chez  leurs  niaîti-es,  avaient  pris  les  armes  contre  la  ré- 
publique. J'en  ai  fait  i)risonniers  environ  30,000,  et 
je  les  ai  rendus  à  leurs  maîtres,  pour  qu'ils  subissent 
la  peine  de  leur  crime  (ad  supplicium  sumcndum).  » 
Voilà  comment  le  règne  des  Césars  fut  inauguré  pour  la 
population  servile.  Les  esclaves  furent  plus  que  jamais 
des  ennemis  publics,  hosles,  au  dedans  comme  au 
dehors.  C'est  sous  Auguste  aussi  qu'on  décide  que  si 
un  maître  est  assassiné,  tous  les  esclaves  vivant  sous 
son  toit  seront  mis  à  mort  sans  distinction  de  sexe  ni 
d'âge;  la  décision  est  confirmée  sous  Néron,  et  bientôt 
elle  est  apphquée;  il  y  eut  un  jour  où  quatre  conis 
esclaves,  hommes,  femmes  et  enfants,  furent  égorgés 
à  la  fois,  tous  peut-être  innocents  de  la  mort  qu'ils 
expiaient,  et  la  plupart  reconnus  pour  tels.  Une  moi- 
tié de  la  population  esclave  se  compose  de  forçats  en- 
chaînés dans  des  bagnes ,  ergastida,  où  ils  vivent 
et  où  ils  meurent.  Revenons  aux  citoyens  :  au  moin- 
dre signe,  ils  ont  à  subir  la  mort,  l'exil',  la  confis- 
cation. Ovide,  pour  avoir  déplu,  va  mourir  seul  au 
bord  du  Danube.  Tout  le  monde  n'était  pas  assez  en 
vue  pour  être  exposé  à  de  si  grands  coups  ;  mais 
la  tyrannie  descend  naturellement  d'éloge  en  ct-ige, 
II.  11 


1C2  LE  CliUlSTIANlSME   ET  SES  ORIGINES. 

et,  à  sa  nianioie,  se  fail  toute  à  tous.  Au  lieu  des 
horreurs  éclatantes  des  proscrij)lions^  il  règne  une 
terreur  permanente,  froide  et  sourde,  où  le  sang 
coule  goutte  à  goutte  ;  et  encore  se  l'ait-il  de  temps 
en  temps  de  grandes  tueries,  comme  à  la  mort  de 
Séjan. 

Il  est  vrai  qu'avec  la  servitude,  Auguste  avait  apporté 
la  paix;  je  ne  parle  pas  du  temple  de  Janus  fermé,  car 
il  fut  rouvert  prescpie  aussitôt,  mais  de  la  paix  dans 
l'étendue  de  l'empire.  C'était  surtout  ce  dont  on  lui 
avait  su  gré  ,  au  sortir  des  longues  convulsions  des 
guerres  civiles  :  les  jjoëies  chantaient  cette  paix,  qui 
n'clail  pas  bornée  aux  murailles  de  Hume,  luais  répan- 
dait ses  bienfaits  par  tout  l'univers.  Elle  dura  jus- 
qu'à la  mort  de  Néron,  paix  inquiète  et  pénible,  où  on 
sentait  toujours  sur  sa  poitrine  le  pied  d'un  maître. 
Quels  maîtres,  d'ailleurs,  que  ceux  d'alors  !  les  meilleurs 
sont  ceux  qui  ne  sont  qu'odieux,  sans  être  des  fous  ou 
des  brutes  :  de  la  boue  détrempée  avec  du  sang^  c'est 
le  mot  d'un  Grec  sur  Tibère  :  ceux  qui  se  voyaient  à 
la  merci  d'un  Caiigula,  d'un  Claude,  d'un  Néron,  ne 
pouvaient  échapper  au  désespoir  que  par  l'anéantisse- 
ment. On  n'était  plus  déchiré,  mais  on  étouffait;  la 
paix  elle-même  finit  par  devenir  intolérable,  et  on  en 
sortit  par  de  nouvelles  crises.  Déjà,  sous  Néron,  tandis 
qu'elle  durait  encore,  certains  esprits  ne  la  pouvaient 
plus  supporter.  Us  enviaient  la  génération  qui  n'avait 
perdu  la  liberté  qu'après  l'avoir  défendue  sur  les  champs 
de  bataille;  ils  reprochaient  au  destin,  s'il  les  condam- 
uail  à  la  servitude,  de  no  pas  leur  donner  aussi  les  cum- 


LA     RELIGION     AU     TKMPS     D  AUCIISTE  163 

bals*.  Il  ost  diflicile,  après  (oui,  de  mesuiei  d'où  nous 
sommes  ce  qu'avaient  été  les  souffrances  des  liommcs 
sous  Rome  libre,  et  ce  qu'elles  furent  sous  lu  Rome 
des  empereurs;  mais,  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'en 
ces  derniers  temps  ceux  qui  souffraient  avaient  perdu 
ce  qui  ne  se  perd  que  dans  le  tombeau,  l'espérance. 

On  aperçoit  d'ailleurs,  dès  l'ouverture  même  du  ré- 
gime nouveau,  un  signe  sûr  de  l'ahaissemcnl  de  l'iiu- 
nianité,  c'est  que  la  pensée  pbilosopliique  s'arrête  et 
recule.  Tant  qu'on  a  eu  quelques  forces  pour  sedébadre 
contre  le  despotisme,  on  s'est  débattu  aussi  contre  le  sur- 
naturel. Maintenanton  se  sentvaineu,etons'abandonne; 
les  dieux  triomphent  en  même  temps  que  les  soldats; 
et  on  se  résigne  à  croire  et  à  adorer  comme  à  servir. 

Je  ne  prétends  pas  dire  qu'il  ne  reste  rien  du  travail 
critique  fait  par  plusieurs  siècles  de  philosophie,  et 
qu'il  ail  été  perdu  absolument.  Certainement  Épicure 
n'est  pas  venu  en  vain,  ni  l'école  plus  savante  de  la 
nouvelle  Académie.  Beaucoup  se  mêlent  encore  de  rai- 
sonner et  de  douter.  Beaucoup  se  piquent  de  ne  pas 
croire  aux  fables  des  enfers  et  à  l'autre  vie.  La  renom- 
mée de  Lucrèce,  le  poëte  sans  religion,  va  grandissant 
tous  les  jours;  et  Virgile  admire  et  envie  la  hardiesse 
de  ses  doctrines  :  Félix  qui  potuil  '^...  —  Il  n'y  a  rien 
après  la  mort,  et  la  mort  elle-même  n'est  rien  ;  ce  vers 
fameux  est  de  Sénèque.  On  se  flatte  de  vivre  dans  un 
siècle  avisé,  et  qui  a  secoue  la  crédulité  antique.  La 

1.  Si  dominum,  forUina,  dabas,  et  bella  dédisses! 

2.  Du    savant  critique  ne  veut  pas  croiro  que  r<^^  vers   de  Virgile 
s'appliquciu  à  Lacri'L-i'  :  j'ai  peine  à  m'associer  à  ces  doutes. 


IGi  LE  CllRISTlANIS.Mi:   ET   SRS   ORIGINES. 

science  se  vante  avec  orgueil  d'avoir  supprimé  lc>i  mi- 
racles et  arraché  à  Jupiter  son  tonnerre  *  (hélas  !  notre 
Boileau  croyait  encore  que  c'est  Dieu  qui  tonne).  Quel- 
ques-uns osaient  dire  :  «  Ce  que  je  sais,  c'est  que  ce 
qui  est  impossible  n'arrive  pas,  et  que  ce  qui  est  possi- 
ble n'est  point  miracle.  »  On  mettait  en  doute  la  Pro- 
vidence, à  plus  forte  raison  la  divination  et  les  songe?. 
On  se  moquait  des  expiations  des  prêtres,  qui  effaçaient 
un  crime  avec  une  cérémonie;  on  attaquait  la  foi  des 
prodiges.  «  Je  sais,  disait  Tite-Live,  (jue  par  suite  de 
la  même  indifférence  qui  refuse  de  croire  à  des  menaces 
des  dieux,  on  ne  notifie  plus  au  peuple  les  prodfgcs  et 
on  ne  les  inscrit  plus  dans  nos  annales.  »  Enfin,  et 
par-dessus  tout,  on  désavouait  la  mythologie.  Les  poètes 
mêmes  de  l'amour  se  moquaient  de  ces  amours  de  Jupi- 
ter, par  lesquelles  il  déshonore  sa  personne  et  sa  mai- 
son -.  Et  un  poêle  plus  grave  condamnait  tous  ceux 
dont  les  vers  nous  ont  fait  un  ciel  qui  nest  que  fable  ; 
pour  qui  c'est  la  terre  qui  a  fait  le  ciel^  tandis  que 
c'est  de  lui  quelle  tient  son  être  s. 

Mais  si  de  pareils  traits  témoignent  de  l'action  inévi- 
table du  temps  et  de  la  réflexion,  cependant  l'esprit 
d'incrédulité  ne  prévalait  pas,  et  le  passage  même  de 
Tite-Live  le  prouve;  par  cela  seul  qu'il  se  fait  du  pro- 
grès de  la  raison  publique  un  sujet  de  plainte,  il  montre 


.     .     .     Solvitque  animis  miracula  rerum, 
Kripuilque  Jovi  fulmen  viresque  tonandi. 

Jupiliu-  infamat  sequo  suamquiî  (lomum. 

Quorum  carmiaibus  iiihil  est  iiisi  fabula  cd'Iuiii; 
'1  L'rraquo  cou)pusuil  ca;luiii,  (ju:e  pciidel  ub  illo. 


LA    RKLIGION    AU    TI'.'H'S    DAUGUSTK  165 

assez  qu'on  s'apprùle  à  reloiirmr  en  arrière.  Après 
tout,  le  grand  nombre  croit  autant  que  jamais,  et  les 
esprits  plus  avancés  qui  croient  ne  plus  croire  sont  très- 
mal  assurés  dans  leur  critique.  Il  n'y  a  guère  que  la 
mytliuldgie  qui  soit  véritablement  décréditée,  et  j'en  ai 
donné  les  raisons.  Cela  est  grave  pour  la  religion  éta- 
blie, et  la  menace,  mais  cela  n'atteint  pas  jusqu'aux 
racines  d'où  une  autre  religion  peut  sortir. 

Le  siècle  d'Auguste  est  donc  un  siècle  dévot.  On 
apprend  en  même  temps  l'obéissance  aux  maîtres  de  la 
terre  et  la  soumission  aux  puissances  du  ciel;  l'huma- 
nité a  perdu  toute  foi  en  elle-même  et  se  jette  aux  pieds 
des  dieux.  Auguste,  en  rétablissant  l'ordre,  rétablit 
aussi  la  religion.  Il  attacha  pour  toujours  au  titre  de 
prince  celui  de  souverain  pontife  et  le  gouvernement 
des  choses  saintes  ^.  Il  était  membre  en  outre  de  cinq 
collèges  sacerdotaux.  Il  releva  les  édifices  sacrés  tombés 
en  ruines-.  Il  rétablit  les  fêtes  oubliées  et  en  institua  de 
nouvelles;  il  grossit  par  des  présents  magnifiques  le  tré- 
sor des  dieux;  il  augmenta  le  nombre  des  prêtres,  et 
ajouta  à  leur  dignité  comme  à  leurs  avantages;  il  affecta 

1.  «  Les  fiuv  L-lerncIs  sont  sous  la,  garde  de  César,  divinité  éternelle- 
là  résident  à  la  fois  los  deux  garanties  de  notre  empire.  » 

Igiiibus  œtcriiis  ajleriii  (lumiiia  pr^esunt 
Cx'saris  ;  imperii  pignora  juncla  vides. 

2.  C'est  ce  qu'Horace  célèbre  dans  l'ode  :  Delicta  majorum  ;  et 
Ovide  s'écrie  :  «  Saint  fondateur,  saint  restaaraleur  des  temples  !  « 

Templorum  positor,  templorum  sancte  repostor. 

Auguste  se  vanle,  dans  l'Inscription  d'Ancyre, d'avoir  bàli  dix-neuf 
temples,  qu'il  énumèrc,  ul  d.'en  avoir   réparé  quatre-vingt-deux. 


166        LE    CUIUSTIANISME   ET    SES    ORIGINES. 

le  regret  de  n'avoir  pas  dans  sa  famille  une  fille  d'un 
âge  convenable  pour  la  consacrer  comme  Vestale.  Aussi 
fut-il  ordonné  que  désormais  les  prêtres  et  les  prétres- 
ses, aux  prières  qu'ils  adressaient  aux  dieux  pour  le 
sénat  et  pour  le  peuple,  ajouteraient  des  prières  pour 
l'empereur.  L'Église  a  trouvé  cette  règle  établie.  Il  fut 
déclaré  sacrosanctus',  son  nom  fut  placé  dans  le  chant 
des  prêtres  Saliens.  Dion  a  très-bien  exprimé,  dans  le 
discours  qu'il  fait  tenir  à  Agrippa  au  conseil  d'Auguste, 
l'esprit  du  gouvernement  des  Césars  dans  les  choses 
religieuses  :  «  Tu  ne  souffriras  ni  athéisme  ni  magie  », 
c'est-à-dire  ni  irréligion,  ni  religion  secrète  et  indis- 
ciplinée; c'est  le  principe  des  Concordats.  César  déjà 
avait  régné  suivant  cet  esprit,  qui  est  celui  de  quicon- 
que veut  assujettir  les  peuples.  Il  est  curieux  de  voir 
dans  ses  Mémoires  comme  il  invoque  la  Providence,  ou 
comme  il  se  vante  d'avoir  protégé  à  deux  fois  le  tem- 
ple de  la  grande  Artémis  d'Éphèse.  Mais  César  n'eut 
pas  le  loisir,  comme  Auguste,  de  commander  à  l'opi- 
nion de  son  temps. 

A  côté  de  César,  Lucrèce  composait  son  poème;  Cicé- 
ron  préparait  ses  deux  Dialogues  sur  les  Dieux  et  sur  la 
Divination,  dont  l'un  était  franchement  impie,  et  l'au- 
tre, avec  plus  de  ménagements,  ne  l'était  guère  moins. 
Sous  Auguste,  on  sent  que  de  telles  hardiesses  n'étaient 
plus  possibles.  Virgile,  je  l'ai  dit,  admire  Lucrèce  et  il 
l'envie;  mais  il  se  refuse  respectueusement  à  tant  oser. 
Horace  n'était  pas  dévot  dans  sa  jeunesse  :  <  adorateur 
peu  assidu  et  peu  prodigue  »  , 

Parcus  (leorum  cnltor  et  infrequens. 


LA    RELIGION     AU    TEMPS    D'AUGUSTE  167 

Dans  une  pièce  de  ce  lemps,  écrite  avant  que  tout  fùi 
bien  i-assis  dans  l'empire,  il  avait  professé,  au  sujet  d(! 
prélendues  manifestations  des  dieux,  rincréd'dilé  d'É- 
picure  :  il  n'y  revint  pas,  et  ne  toucha  pins  à  la  religion 
que  pour  l'honorer.  Ovide  lui-même,  en  plein  Arl  d' Ai- 
mer, enseigne  à  se  soumettre  à  la  foi  et  désavoue  à 
son  (our  l'incrédulité  d'Épicure  :  «  Il  est  bon  qu'il  y  ait 
des  dieux,  et,  puisque  cela  est  bon,  nous  devons  le 
croire  et  porter  sur  les  autels  antiques  le  vin  et  l'encens. 
Non,  ils  ne  s'abandonnent  pas  à  un  repos  indolent  et 
tout  semblable  au  sommeil;  vivez  bien,  la  divinité  est 
là  présente  *,  »  On  ne  peut  se  dissimuler  que  toute  la 
brillante  poésie  de  ce  règne  est  aussi  religieuse  que 
monarchique.  Les  poètes  erotiques  ne  sontpaslesmoins 
dévols;  Tibulic  se  plaît  h  étaler  comme  autant  de  titres 
à  la  faveur  des  dieux  tous  les  devoirs  qu'il  leur  rend 
sans  cesse,  et,  quand  son  imagination  se  représente  le 
bonheur  de  vivre  aux  champs  avec  Délie,  il  ne  manque 
pas  de  l'associer  en  idée  à  ces  démonstrations  de  sa 
piété  2;  toutes  ses  élégies  sont  pleines  de  prières,  de 
sacrifices,  d'expiations,  et  ces  choses  se  retrouvent  dans 
Properce.  Tout  un  poëme  d'Ovide,  les  Fastes,  est  con- 
sacré à  célébrer  les  croyances  et  les  pratiques  de  la 
religion  romaine,  et,  de  temps  en  temps,  il  mêle  à  ses 
descriptions  ses  prières.   Une  partie  considérable  des 

1.  Expedit  esse  deos,  et  ut  exixMJit,  esse  putemus,  etc. 

2.  «  Ellf  offrira  au  dieu  des  champs  un  raisin  pour  prix  Je  ses 
vendanges,  dos  épis  pour  ses  moissons,  un  sacrifice  pour  les  trou- 
peaux qu'il  nous  donne.  » 

Illa  deo  sciet  agricolte  pro  vitibus  uvam, 
Pro  segete  spicas,  pro  grege  ferre  dapem. 


168        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

œuvres  d'Horace  sont  des  chants  religieux,  de  vrais 
hymnes  à  Jupiter  et  à  tous  les  dieux,  qu'il  invoque 
pour  le  salut  de  l'empire.  On  sait  qu'il  fut  chargé  de 
composer  le  cantique  qui  fut  chanté  par  des  chœurs 
de  jeunes  garçons  et  de  jeunes  filles  en  l'honneur 
de  l'Apollon  Palatin,  pour  la  célébration  du  grand 
Jubilé  romain  institué  par  Auguste;  c'est  le  Carmen 
sœculare.  Il  a  consacré  par  une  autre  pièce  le  souvenir 
de  cette  commission  sacrée  ;  et,  s'adressant  aux  jeunes 
filles  dont  la  bouche  a  répété  ses  chants  :  «  Plus  tard, 
dit-il,  quand  tu  seras  mariée,  tu  pourras  dire  :  C'est 
moi  qui,  au  jour  où  revenait  la  fête  du  siècle,  ai  fait 
entendre  le  cantique  aimé  des  dieux,  docile  aux  mètres 
du  poëte  Horace.  »  Il  y  a  encore  dans  ses  carm'ma  un 
autre  chant  du  même  genre,  qui  s'adresse  aussi  à  Apol- 
lon et  à  sa  sœur.  Quelquefois,  c'est  une  prédication 
solennelle,  qui  rappelle  Rome  à  la  piété  et  à  la  vertu 
pour  la  rappeler  à  sa  grandeur.  Mais,  quoi  que  puisse 
chanter  le  poëte  dans  les  caprices  de  sa  muse,  qu'il 
s'inspire  de  la  campagne,  ou  de  ses  amours,  ou  de  ses 
amis,  toujours  il  fait  la  part  des  Dieux,  et  il  a  toujours 
à  la  bouche  leurs  noms  sacrés,  ainsi  que  les  mots  d'au- 
tels, de  libations  ou  de  sacrifices.  Et  dans  son  Épitre 
à  Auguste,  pour  recommander  la  poésie  à  l'homme  qui 
gouveï-ne  la  cité  elle-même,  il  présente  le  poëte  comme 
chargé  d'un  ministère  moral  et  religieux.  Le  poëte, 
dit-'il,  fait  l'éducation  de  l'enfant;  il  avertit  l'homme, 
il  l'instruit,  il  le  console  dans  ses  chagrins;  et  puis  : 
«  Où  est-ce  que  les  jeunes  girrons  et  les  jeunes  filles 
ap|)rendraient  les  prières  à  adresser  aux  dieux,  si  la 


LA     HELIC.ION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE  1C9 

Muse  ne  leur  eût  donné  le  poêle?  Il  dresse  le  chœur 
(jui  demande  le  secours  des  dieux,  et  que  les  dieux 
écoutent;  ses  doctes  cantiques  les  touchent  et  font 
descendre  l'eau  du  ciel,  détournent  les  maladies, 
écartent  les  dangers,  obtiennent  la  paix  bienfaisante 
et  les  riches  moissons.  C'est  par  les  vers  qu'on  fléchit 
également  les  dieux  d'en  haut  et  les  mânes.  »  Enfin 
c'est  la  religion  de  Rome,  autant  que  sa  fortune,  car 
ces  deux  choses  n'en  font  qu'une  aux  yeux  des  Romains, 
qui  est  la  grande  inspiration  de  Virgile  :  il  est  par 
excellence  le  poète  pieux.  Déjà,  dans  les  GéorgiqueSj 
quand  il  dit  les  joies  et  les  félicités  des  champs,  il  s'ar- 
rête sur  ce  dernier  trait  :  C'est  ici  qu'on  révère  les 
dieux,  sacra  deum  sanclique  patres.  Et  quel  accent 
dans  la  prière  solennelle  par  laquelle  il  appelle  toutes 
les  divinités  nationales  au  secours  de  Piome  abattue! 

Di  patrii  indigetes  et  Romule  Vcstaque  mater... 

Mais  r£weirfe  surtout  est  un  poëme  sacré,  et  je  dirai? 
presque  un  poëme  chrétien.  Malgré  l'épisode  des  amours 
de  Didon,  qui  contraste  avec  tout  le  reste,  le  héros  y 
est  l'idéal  du  roi-pontife,  pins  /Eneas,  toujours  occupé 
d'hommages  aux  dieux  et  de  fonctions  saintes.  Et  les 
dieux,  à  leur  tour,  le  conduisent  continuellement  par 
la  main  *.  Enée,  d'ailleurs,  est  l'image  d'Auguste  ;  il  y 


i.  a  Des  oracles  propices  m'ont  tracé  toute  ma  carrière,  et  tous 
les  dieu\  m'ont  assisté  de  leurs  conseils.  » 

Namque  oinnem  cursum  milii  prospéra  dixit 
Relligio,  et  cuncli  suaseruiit  nuiniiie  Uivi. 


170        LE    CHIUSTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

a  un  moment  où  il  laisse  voir  lout  à  coup  Auguste 
lui-même,  non  pas  l'homme,  hélas  !  mais  le  person- 
nage, le  père  commun  des  peuples  et  le  vicaire  des 
dieux.  Car  aux  époques  où  quehiue  grande  illusion 
s'est  emparée  des  hommes,  les  poètes  en  sont  les 
premiers  et  le  plus  gravement  atteints;  nous  en  avons 
eu  dans  noire  temps  même  d'illustres  exemples  :  Virgile 
et  Horace  ont  eu  la  foi  de  la  religion  d'Auguste.  Sur  ce 
bouclier  d'Enée,  où  un  dieu  a  tracé  d'avance  les  grandes 
destinées  de  Rome,  le  poëte  nous  fait  voir  le  Capitole, 
les  danses  sacrées  des  Salii  et  des  Luperques,  la  mitre 
de  laine  des  flamines,  les  anclles  tombés  du  ciel,  les 
matrones  promenant  lentement  par  la  ville,  sur  des 
chariots,  les  objets  sacrés.  Il  termine  en  nous  montrant 
Auguste  à  Actium  ;  avec  lui  sont  le  sénat  et  le  peuple^ 
les  dieux  domestiques  et  les  grands  dieux^ 

Cum  palribus  populoque,  penalibus  et  niagnis  dis  ; 

coiilre  lui  les  dieux  monstrueux  de  l'Egypte; 

Omnigenumque  deum  raonstra  et  latrator  Aniibis  i  ; 

puis  le  voilà  vainqueur,  rentrant  dans  Rome  en  grande 
pompe  ;  trois  cents  édi lices  sacrés  s'élèvent  majestueu- 
sement dans  la  ville  sainte;  partout  des  chœurs,  de3 
autels,  des  victimes  qui  tombent  égorgées.  Lui-même, 
siégeant  sur  le  seuil  du  temple  d'Apollon,  reçoit  les 
offrandes  des  peuples  et  les  suspend  aux  portes  su- 
perbes; les  nations  soumises  défilent  devant  lui  dans 


1.  «   Ses  monstrueuses  divinités  de   toute  espèce,   et   son   Antiliis 
aboyant.  » 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE         ni 

la  variété  de  leurs  costumes  elde  leur  langage,  car  il  en 
vient  de  tous  les  points  de  l'univers.  —  Saint  Jean  de 
Latran  ou  Saint  Pierre  ont  vu,  dans  des  conditions 
différentes,  d'aussi  grands  triomphes  et  des  scènes 
qui  ressemblaient  à  celles-là. 

La  mythologie  tient  peu  de  place  dans  \' Enéide^  et, 
pour  y  paraître,  elle  a  dû  se  faire,  s'il  se  pouvait,  digne 
et  sévère.  En  nous  racontant,  d'après  la  tradition,  les 
rancunes  d'une  déesse  irritée,  le  poète  ne  peut  s'em- 
pêcher de  protester  lui-même  contre  ce  qu'il  raconte  : 

. .  .  tantacne  animis  cœlestibus  irae  «  ! 

Point  d'indécence,  point  de  libertinage  dans  son 
Olympe  :  Jupiter  n'y  parle  à  son  épouse  auguste 
qu'avec  une  respectueuse  tendresse  : 

0  gormana  niilii  atque  eadem  gratissima  conjux  ». 

La  séduction  même,  si  vivement  dépeinte,  que  Vénus 
exerce  sur  Vulcain  est  une  séduction  légitime  ^.  Enfin, 
dans  son  tableau  de  l'autre  vie,  il  remplace  les  imagi- 
nations naïves  d'Homère  par  les  symboles  de  Platon  et 
par  l'appareil  d'une  théologie  moins  poétique  qu'impo- 
sante, mais  (fui  a  fait  de  ces  enfers  le  modèle  des  enfers 
chrétiens.  Il  y  parle  en  hiérophante,  à  ({ui  les  dieux 
infernaux  ont  permis  de  révéler  leurs  secrets  : 

su  mihî  fas  aiulita  loqui,  sit  nnmine  veslro 
Paiidere  res  alla  terra  et  caligine  mersas  *. 

1.  a  Quoi!  de  telles  colères  dans  des  âmes  divines!  » 

2.  «  0  ma  sœur,  et  tout  à  la  fois  ma  tendre  épouse  !  » 

3.  Justa  venus  ;  c'est  une  expression  de  Lucain. 

4.  «  Qu'il  me   soit  permis  de  dire  ce  qui  m'a  été  révélé,  et   de 


172        LE    rjllUSTlANlSME    ET    SES    ORIGINES. 

Los  enfors,  à  la  porte  desquels  habitent  les  mauvaises 
joies,  mala  meniis  gaiidia^  où  Minos  lient  ses  assises 
sévères,  vilasque  et  crimina  discit^  où  le  coupable, 
au  milieu  même  du  supplice,  fait  amende  honorable  à 
la  justice  violée  : 

Discite  justitiam  moniti  et  non  temnere  divos  i  ; 

les  voyages  de  ces  âmes  à  travers  plusieurs  existences, 
et  les  épreuves  qu'elles  ont  à  subir;  la  Sibylle  qui  pro- 
mène Enée  parmi  ces  mystères,  la  même  Sibylle  que 
Virgile  avait  déjà  prise  à  témoin  dans  ses  Églogues  • 
celui  qui  a  chanté  tout  cela  est  bien  l'initiateur  du  grand 
poëte  chrétien  du  moyen  âge  ;  on  comprend  que  Dante 
ait  voulu  marcher  derrière  lui  pour  descendre  aux  lieux 
d'en  bas.  Mais  Virgile  n'aurait  pas  consenti  à  l'y  con- 
duire; en  vrai  disciple  d'Athènes,  il  détournait  ses 
regards  de  ces  horreurs  :  a  II  n'est  pas  permis,  disait- 
il,  à  qui  est  pur,  de  franchir  ce  seuil  abominable.  » 

Nulli  fas  casto  sceleralum  insistcre  limen; 

et  tandis  (pic  le  fils  de  l'Église,  dans  son  étroite  et  dure 
intolérance,  exclut  son  maitrc,  comme  ])aïen,  du  spec- 
tacle des  béatitudes  célestes,  le  maître,  au  contraire, 
dans  une»ponsée  plus  haute  et  plus  sainte,  fermait  ses 
yeux  à  des  tourments  dont  il  n'aurait  pas  été  permis 
d'avoir  pitié.  Aujourd'hui  notre  imagination  est  devenue 
trop  juste  et  trop  humaine  pour  supporter  même,  avec 

découvrir  sous  vos  auspices  des  mystères  cachés  au  fond  do  la  tcrro 
et  de  la  nuit.  » 
1.  a  Apprenez  par  cet  exemple  la  justice  et  le  respect  dos  dieux.  » 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    DAUtiUSTE  173 

Virgile,  l'idée  de  pareilles  souffrances; et  j'ose  dire  que 
s'il  se  trouvait  encore  un  poëte  pour  peindre  l'enfer,  il 
ne  viendrait  pas  à  bout  de  se  faire  lire  deux  fois. 

Si  j'ai  rai)pelé  tout  d'abord  le  chœur  des  poêles 
d'Auguste,  et  Virgile  à  leur  tèlCj  c'est  que,  dès  qu'on  se 
remet  en  mémoire  ces  beaux  vers,  on  se  convainc  que 
l'esprit  religieux  qui  y  respire  est  bien  jusqu'à  un  cer- 
tnin  point  celui  du  temps,  et  non  pas  seulement  l'œuvre 
de  la  politique  d'un  homme.  Cette  politique  a  suivi  un 
mouvement  qu'elle  n'a  pas  fait  ;  de  même  que  le  Con- 
cordat est  l'œuvre  de  la  réaction  religieuse  qui  a  suc- 
cédé à  la  Révolution  française,  et  non  pas  cette  réaction 
l'œuvre  du  Concordat.  Quand  les  hommes  n'attendent 
plus  rien  de  leurs  j)ropre3  forces,  ils  se  rejettent  du 
côté  des  dieux,  et  les  habiles  les  conduisent  aux  autels 
pour  se  consacrer  eux-mêmes.  Leur  foi  s'évanouirait 
comme  une  fumée,  du  moment  qu'ils  reprendraient  con- 
fiance et  courage  ;  mais  ce  ne  peut  être  avant  ce  jour- 
là.  C'est  un  jour  qui  n'est  jamais  venu  pour  le  monde 
romain.  La  riche  littérature  de  l'époque  d'Auguste  nous 
éclaire  à  merveille  sur  l'état  des  âmes,  et  nous  montre 
qu'elles  étaient  livrées  à  toutes  les  croyances  comme  à 
toutes  les  pratiques  religieuses  ou  superstitieuses  qui 
se  sont  perpétuées  pendant  tant  de  siècles  dans  le  monde 
chrétien.  Ueligion  ou  superstition,  il  n'y  a  pas  de  dis- 
tinction entre  ces  deux  choses  pour  une  raison  ferme- 
ment critique  :  ces  mots  expriment  des  idées  toutes 
relatives;  la  superstition  de  celui-ci  est  toujours  la  re- 
ligion de  celui-là,  comme  la  religion  des  uns  est  la 
suiicrsiilion  des  autres.  Mais   euliu  cet  âge  vivait  en 


174         LE  CHRISTIANISME  ET   SES  OHIGiNES. 

plein  surnatuiel  aussi  bien  que  les  âges  suivant?,  ei  à 
peu  près  de  la  même  manière. 

Commençons  par  les  croyances,  et  d'abord  par  les 
plus  hautes  et  les  plus  pures,  qui  sont  de  la  philosophie 
autant  presque  que  de  la  religion.  On  n'avait  plus  la 
force,  même  parmi  les  meilleurs  esjirits,  de  ne  voir 
dans  la  nature  que  la  nature  même;  Lucrèce  l'avait  en 
vain  proclamée  libre,  on  lui  rend  un  maître;  là  aussi, 
on  met  une  royauté,  in  regnonali  sumus.  On  croit  plus 
que  jamais  à  un  gouvernement  du  monde,  gouverne- 
ment qui  réside  dans  un  dieu  suprême,  sinon  um'que, 
qui  est  bien  celui  que  les  chrétiens  nomment  simj)le- 
mentDieu.  Qu'on  l'appelle  en  effet  Deus^  ou  Divinilas, 
on  Jupiter,  c'est  toujours  le  même.  «  Tout  est  plein  de 
Jupiter.  » 

Ab  Jovc  principium,  Musœ,  Jovis  omnia  plena. 

—  «  Que  chanterais-je  avant  le  Père  du  monde,  qui 
règne  sur  les  hommes  et  sur  les  dieux?...  //  n'engen- 
dre rien  qui  soit  plus  grand  que  lui-inémc  ;  rien  ne 
subsiste  qui  lui  soit  égal  ?n  qui  approche  de  lui  ^  t>  On 
enseigne  ,  même  en  vers,  que  les  déliés  diverses  ne 
■sont  que  desvertus  divines  cachées  sous  des  figuresqui 
frappent  davantage  l'imagmalion  -.  Ce  dieu  est  démon- 


1,  Undo  nil  majus  {renoralur  ipso, 

Nec  vigel  (luiihiuani  siiuile  aiil  socundiim. 

2.  Pour  que  les  clios :s,  rovêlues  d'un  corps,  iniposonl  ainsi  davan- 
taj;e  «, 

l'oiidus  uti  rébus  pursonu  impoaere  possit. 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE  175 

tré  par  l'ordre  universel  du  monde,  où  iln'y  a  rien  qui 
soit  fait  en  vain  ni  au  hasard  : 

Nec  quidquam  rationis  eget  frustrave  creatum  est  •. 

Tout  a  été  ordonné  pour  le  service  des  dieux  et  des 
hommes.  La  création  est  un  bienfait.  Et  quand  je  dis  la 
création,  je  puis  prendre  ce  mot  au  sens  moderne  saris 
aucune  inexactitude.  C'est  une  erreur  de  croire  que  lo 
christianisme  seul  ait  fait  faire  à  la  raison  l'étrange  tour 
de  force  d'imaginer  le  monde  né  de  rien.  On  disputait 
déjà  dans  les  écoles  antiques  si  Dieu  avait  trouve  la 
matière  toute  faite,  ou  s'il  se  l'èlail  (aile  à  lui-même. 
La  divinité  est,  d'ailleurs,  dans  l'ordre  moral,  tout  ce 
qu'elle  doit  être  i)our  satisfaire  la  conscience.  «  Les 
dieux  condamnent  la  force  qui  s'emporte,  et  grandis- 
sent celle  qui  se  modère.  »  —  «  Home  n'est  si  haut  que 
parce  qu'elle  s'abaisse  devant  les  dieux.  » 

Dis  te  minorem  quod  geris,  imperas. 

—  «  Plus  on  s'est  refusé  à  soi-même,  plus  on  ob(ient 
d'en  haut.  »  —  Les  dieux  demandent  le  cœur,  non  le 
sacrifice.  —  L'éloquence  continue  aussi  d'employer 
tous  les  lieux  communs  spiritualistes  :  Uicn  ne  meurt 
que  le  corps.  —  L'homme,  c'est  Ovide  qui  le  proclame, 
lliomme  est  fait  à  Vimarje  des  dieux;  et  un  autre  poëte 
ajoute  que  la  divinilé  est  descendue  en  nous  et  y  réside^ 


1.  «  Ce  n'est  pas  une  o?uvre  du  Iiasard,  mais  lo  pian  d'une  intelli- 
gence supérieure.  » 

Non  casus  opus  est,  niagui  scd  nuoiinis  uiju. 


17G        LE    CHRISTIANISME    ET  SES    ORIGINES. 

et  que,  quand  nous  cherchons  Dieu,  cesl  Dieu  même 
qui  se  cherche, 

Quem  (Ionique  in  unum 

Descendit  deus  alque  habitat,  scque  ipse  requirit. 

Mais  au-dessous  de  ces  belles  spéculation?,  une  reli- 
gion plus  vulgaire  chercliait  et  trouvait  le  surnaturel 
dans  tous  les  coins  de  la  nature.  Le  temps  dont  parle 
Musset  n'était  pas  passé, 

Où  quatre  mille  dieux  n'avaient  pas  un  athéo. 

Les  dieux  grecs  cependant,  les  dieux  de  la  mythologie, 
ne  vivaient  plus  guère  que  dans  les  œuvres  des  arts  ou 
dans  les  vers  des  poètes.  Mais  le  soleil,  la  lune,  les 
astres  étaient  des  dieux  ;  et  puis  tout  un  peuple  d'êtres 
surnaturels,  sous  le  nom  de  démons  ou  de  génies,  était 
répandu  dans  l'air  entre  le  ciel  et  la  terre,  sortes  d'in- 
termédiaires entre  la  nature  divine  et  l'humaine;  c'é- 
taient eux  qui  se  manifestaient  par  les  prodiges  et  les 
miracles.  Les  philosophes  y  croyaient.  On  racontait  que 
Brutus,  à  la  veille  de  sa  dernière  campagne,  couché 
sous  sa  tente  et  ne  dormant  pas,  vit  une  figure  qui  se 
tenait  debout  j)rès  de  son  lit  sans  lui  rien  dire,  et  que, 
lui  ayant  demandé  :  «  Qui  es-tu  ?»  il  entendit  cette 
réponse  :  <  Je  suis  ton  mauvais  génie,  et  tu  me  verras 
bientôt  à  Philippes.  j>  Les  dieux  se  révélaient  quelque- 
fois par  leur  protection,  plus  souvent  par  leur  colère. 
Denys  d'IIalicarnasse  raconte  que  les  fournies  romaines 
ayant  fait  l'aire  une  statue  à  la  Korliinc  loiiiinin<»,  cette 
statue  parla  devant  tous  pour  honorer  leur  piété,  et  il 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         177 

ajoute  que  son  récit  pourra  servir  à  redresser  ceux  qui 
pensent  que  les  dieux  ne  se  soucient  pas  des  honneurs 
que  les  hommes  leur  rendent,  et  ne  s'irritent  pas  des 
impiétés  et  des  injustices.  «  Cette  manifestation  de  la 
déesse,  qui  n'eut  pas  lieu  une  fois  seulement,  mais  deux 
fois,  comme  le  portent  les  annales  des  pontifes,  doit  faire 
que  ceux  qui  sont  scrupuleux  à  conserver  les  opinions 
que  leur  pères  leur  ont  transmises  sur  les  dieux  , 
s'attachent  plus  fermement  et  sans  trouble  à  ces 
croyances;  et  quant  à  ceux  qui  méprisent  les  antiques 
traditions,  ne  donnant  à  la  divinité  aucune  espèce  d'au- 
torité sur  les  pensées  humaines,  ils  pourront  abjurer 
cette  opinion  malheureuse;  ou,  s'ils  sont  incurables,  ils 
en  seront  plus  détestés  de  tous  et  plus  maudits.  »  — 
Denys,.  sans  doute,  est  un  esprit  médiocre;  M.  Michelet 
l'a  jugé  d'un  mot,  en  relevant  chez  lui  un  avanl-goût 
de  l'imbécillité  byzajiline  ;  mais  un  esprit  de  cet  ordre 
nous  donne  mieux  que  les  beaux  génies  la  mesure  où 
s'arrêtait  la  raison  du  commun  des  hommes.  Il  repré- 
sente la  foule,  et  c'est  dans  la  foule  que  s'est  opéré  le 
mouvement  religieux  dont  je  cherche  le  secret  dans 
cette  histoire. 

D'ailleurs,  il  n'y  a  pas  si  loin  de  la  foi  de  Tite-Live  à 
celle  de  Denys,  et  les  histoires  de  Tite-Live  sont  pleines 
de  ce  qu'on  appelait  des  prodiges.  Il  est  vrai  qu'il  s'en 
excuse;  il  sait,  je  le  rappelais  tout  à  l'heure,  que  les 
prodiges  ne  sont  plus  reconnus  d'une  manière  publique 
et  officielle.  «  Mais,  dit-il,  en  écrivant  sur  ces  faits  an- 
tiques, je  prends  moi-même,  comme  malgré  moi,  un 
esprit  d'un  autre  temps,  et  je  me  ferais  un  scrupule, 
IL  is 


178         LE    CHRISTIANISME   ET    SES  ORIGINES. 

quand  les  sages  d'auirefois  ont  fait  pour  ces  événemenls 
des  expiations  publiques,  de  ne  pas  daigner  les  insérer 
dans  mon  récit.  »  Et,  ainsi  rassuré  contre  les  railleries 
des  incrédules,  il  remplit  des  pages  de  ces  manifesta- 
tions divines;  il  rapporte  qu'un  bœuf  est  monté  jus- 
qu'au troisième  étage  d'une  maison  ;  il  assure  même 
qu'un  autre  bœuf  a  prononcé  ces  propres  paroles  : 
a  Rome,  prends  garde  à  toi  ;  »  il  raconte  que  des  rats 
ont  rongé  l'or  consacré  dans  un  temple,  ajoutant  seu- 
lement cette  fois  que  c'est  ainsi  qu'une  religion  égarée 
fait  intervenir  les  dieux  jusque  dans  les  plus  miséra- 
bles accidents.  Qu'est-ce  que  cela  veut  dire?  Que  croit- 
il  au  juste?  Qu'a-t-il  gardé  précisément  de  cette  foi 
qu'il  regrette?  On  ne  sait,  mais  on  ne  peut  douter 
qu'elle  ne  subsistât  encore  tout  entière  dans  des  esprits 
moins  cultivés  et  moins  choisis. 

Pour  n'être  plus  reconnus  par  l'État,  les  prodiges 
n'occupaient  guère  moins  les  esprits  des  peuples.  Tous 
les  événements  de  cette  époque  ne  sont  entrés  dans 
l'hisioire  qu'avec  le  cortège  d'une  multitude  de  signes 
qui  passaient  pour  les  avoir  annoncés.  Tous  les  livres, 
ceux  des  prosateurs  comme  ceux  des  poètes,  sont  rem- 
plis des  présages  sinis.tres  dont  on  entourait  la  mort  de 
César.  On  en  trouve  aussi  pour  celle  d'Auguste  et  de 
tous  les  autres  ;  il  y  avait  eu  des  présages  de  la  victoire 
de  Pharsale;  il  y  eut  ceux  du  désastre  de  Varus.  Les 
biographies  des  Césars,  de  Suétone,  écho  de  tout  ce 
que  les  Romains  se  racontaient  les  uns  aux  autres,  sont 
semées  de  toute  espèce  de  miracles.  On  y  lit  que  Livie, 
étant  grosse  de  Tibère,  prit  un  œuf  de  poule  qu'elle 


LA    RELIGION    AU    TEMPS     D'AUGUSTE.        179 

-couva  pour  tirer  de  ce  qui  naîtrait  un  présage  ;  il  vint 
lin  poulet  qui  portail  déjà  une  crête,  signe  de  la  gran- 
deur promise  à  l'enfant  attendu.  11  y  est  dit  encore  que 
Tibère  ayant  voulu  faire  taire  les  oracles  de  la  Fortune 
de  Préneste,  qui  se  rendaient  par  des  sorls,  avait  fait 
emporter  les  sorts  à  Rome  dans  un  coffret  bien  scellé  : 
quand  on  ouvrit  le  coffret,  il  était  vide,  et  les  sorts  ne 
s'y  retrouvèrent  que  lorsqu'on  l'eut  rapporté  à  Préneste. 
Mois  je  ne  finirais  pas  de  transcrire  ces  contes.  Je  ne 
veux  pas  oublier  pourtant  l'histoire  du  coup  de  foudre 
qui  emporta  le  C,  première  lettre  du  nom  de  Cœsar^ 
c'est-à-dire  d'Auguste ,  gravé  sur  le  piédestal  de  sa 
statue.  Comme  le  C  vaut  cent  en  chiffres,  et  que  tpsar, 
dit-on,  en  étrusque,  signifiait  dieu,  cela  voulait  dire  que 
dans  cent  jours  il  serait  dieu,  ou,  en  d'autres  termes, 
qu'il  serait  mort. 

Bien  des  espèces  de  divinations  étaient  florissantes  : 
les  augures  d'abord  (rien  ne  s'est  jamais  fait  à  Rome, 
dit  Tite-Live ,  que  sous  la  garantie  des  auspices , 
c'est-à-dire  des  signes  donnés  par  les  oiseaux);  les 
livres  sibyllins;  l'aruspicine,  qui  comprenait  la  science 
des  signes  écrits  dans  les  entrailles  des  victimes,  et 
la  science  des  foudres;  les  sorts;  les  oracles,  quoi- 
que fort  déchus  ;  l'évocation  des  morts,  et  enfin  l'as- 
trologie. Il  faut  y  ajouter  la  divination  libre  et  capri- 
cieuse des  Inspirés.  Auguste  voua  aux  dieux  une 
célébration  extraordinaire  des  Grands  Jeux  ,  parce 
qu'une  femme,  qui  s'était  gravé  des  signes  mystérieux 
sur  le  bras,  s'était  mise  à  prophétiser  et  à  menacer 
Home  de  la  colère  des  dieux  ;  il  crut  devoir  obéir  à  l'é- 


180        LE    Clin  ISTIAMSME    ET    SES    ORIGINES. 

motion  que  ce  spectacle  avait  excitée  dons  la  foule.  Du 
temps  doCaligiila,  la  première  fois  que  s'ouvrit  sous  ses 
ausj)icesune  nouvelle  année,  on  raconte  qu'un  esclave 
monta  sur  le  lit  sacré  {pulvmar)du  Jupiter  du  Capitole, 
et  fit  entendre  toutes  sortes  de  prédictions  sinistres,  après 
quoi  il  tua  un  chien  qu'il  avait  apporté  et  s'égorgea  lui- 
même.  Mais  la  première  illusion  et  la  première  passion 
du  temps  est  l'astrologie.  Elle  règne  surtout  au  temps 
des  Césars  ;  les  poètes  témoignent  de  son  empire.  Horace 
dit  à  Leuconoé  :  <t  Ne  va  pas  chercher  quelle  fin  les 
dieux  nous  ont  marquée  à  tous  deux,  c'est  un  mystère: 
ne  sonde  pas  les  calculs  de  la  science  de  Babylone, 
nec  babtjlonios  tentaris  numéros.  »  Et  à  Mécène  : 
«  Quel  que  soit  l'astre,  dit-il,  dont  les  influences 
redoutables  menacent  ma  vie,  oui,  mon  horoscope 
s'accorde  d'une  mianière  merveilleuse  avec  le  tien.  » 
—  «  Mortels ,  dit  Properce ,  vous  vous  efforcez  de 
connaître  l'heure  incertaine  de  la  mort,  et  par  où  elle 
doit  venir  vous  surprendre  ;  vous  étudiez  l'art  décou- 
vert BOUS  le  ciel  pur  des  Phéniciens,  pour  savoir  quelle 
étoile  est  propice  ou  ennemie.  »  Et,  à  côté  des  poètes, 
voici  l'histoire  qui  témoigne  que,  sous  les  Césars,  qui- 
conque était  mécontent  ou  inquiet  demandait  à  l'astro- 
logie des  espérances;  ce  qu'on  cherchait  surtout  dans 
le  ciel,  c'était  la  mort  de  l'empereur,  ou  celle  des  gens 
dont  on  devait  hériter.  Auguste,  dit-on,  défendit  de 
consulter  les  astrologues  autrement  que  devant  té- 
moins ;  et,  même  devant  témoins,  de  les  consulter  sur 
la  mort  de  personne.  Et  on  ajoute  que,  pour  défier  les 
horoscopes  clandestins,  il  fit  tirer  le  sien  lui-même  et  le 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         î8l 

fit  afficher  partout:  je  veux  dire  le  thème  de  sa  nativité, 
sur  lequel  chacun  pouvait  faire  ensuite  ses  calculs. 
C'est  à  la  fin  du  règne  d'Auguste  que  l'astrologie  prend, 
pour  ainsi  dire,  solennellement  possession  des  esprits 
dans  Rome  par  le  poome  de  Manilius.  C'est  une  œuvre 
animée  d'une  foi  profonde,  et  le  poëte  est  l'interprète 
convaincu  d'une  religion.  Écolier  de  Lucrèce  en  tant 
qu'il  fait  de  la  poésie  philosophique,  trouvant  même  çà 
ei  là  quelques  vers  dignes  de  son  maître,  comme  ceux 
que  j'ai  rappelés  sur  la  science  qui  tue  les  miracles, 
ou  comme  cette  expression  si  souvent  citée  de  l'inquié- 
uide  perpétuelle  de  l'àme  humaine  :  On  se  dispose  tou- 
j(,iirs  à  vivre,  mais  on  ne  vit  jamais  ^  ;M^n\\iui  est 
hicii  loin,  d'ailleurs,  de  la  liberté  d'esprit  d'Épicure,  et 
il  accepte  la  doctrine  des  Stoïques  tout  entière,  y  com- 
pris les  superstitions.  Il  ne  doute  ni  que  l'avenir  ne  soit 
écrit  dans  les  figures  que  les  astres  tracent  sur  la  sphère 
céleste,  ni  que  l'homme  ne  soit  appelé  à  le  déchiffrer. 
L'homme  peut  se  tromper,  mais  V ordre  des  étoiles  ne 
se  trompe  ni  ne  le  trompe  : 

Nam  neque  decipitar  ratio  nec  decipit  nnqaam. 

L'àme  étant  originaire  du  ciel,  comment  ne  compren- 
drait-elle pas  la  langue  du  ciel?  L'humanité  fait  des  dieux 
par  l'apothéose  ;  commentn'entendrait-elle  pas  les  dieux? 
Il  ne  recule  devant  aucune  subtilité,  si  bizarre  qu'elle  soit, 
pour  venir  à  bout  des  difficultés,  des  objections,  des 
contradictions,  qui  sont  terribles.  Après  tout,  si  le  ciel  est 
obscur,  c'est  qu'il  veut  l'être.  Ainsi  se  défendent  toutes 

1.  Viclurosque  agimus  sempcr  nei*.  \iviinus  iii.qii;;m. 


1R^>         LE   CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

les  révélations.  Quand  Pascal  trouvait  des  prophétie» 
qui  lui  semblaient  un  peu  tirées  par  les  cheveux,  il 
disait  que  Dieu  n'avait  pas  voulu  qu'elles  fussent  en- 
tendues. Les  dieux  de  Manilius  sont  aussi  des  dieux  ca- 
chés : 

Dissimulant,  non  se  oslentant  mortalibus  astra<. 

Ils  ne  se  communiquent  qu'à  ceux  qui  achètent  cette 
faveur  tout  son  prix.  Mais  on  ne  saurait  la  payer  trop 
cher  ;  si  on  fait  tant  pour  les  biens  périssables,  que 
ne  fera-t-on  pas  pour  le  ciel  ?  L'homme  peut  bien  se 
donner  tout  entier,  quand  il  veut  que  Dieu  se  donne  : 

Impendendus  homo  est,  dens  esse  ut  possit  in  ipso. 

Quelle  ferveur  d'enthousiasme  et  quel  langage  !  On  ne 
lit  pas  assez  ce  curieux  poëme  ;  on  ne  trouverait  certes 
aucun  profit  a  y  étudier  le  grimoire  que  Manilius  a  mis 
en  vers  ;  mais  on  y  peut  faire  la  plus  intéressante  de 
toutes  les  études,  celle  des  mystères  de  l'esprit  humain. 
Le  poëme,  commencé  quand  Auguste  régnait  encore, 
fut  achevé  sous  Tibère  ;  celui-ci  était  digne  que  l'ou- 
vrage lui  fût  offert.  On  connaît  son  application  à  l'as- 
trologie et  l'histoire  de  Thrnsylle  son  maître.  Un  autre 
Thrasylle,  fils  du  premier,  passait  pour  avoir  prédit  à 
Agrippine  que  Néron  serait  empereur,  et  aussi  comment 
il  la  payerait  du  don  de  l'empire.  L'astrologie  est  dé- 
sormais souveraine.  Mais,  puissante  comme  les  reli- 
gions, elle  est  persécutée  comme  elles.  De   temps  en 

Oui,  c'dst  un  diou  caché  qao  le  dieo  qu'il  faut  croire. 


LA    KELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.  183 

temps,  on  bannissait  de  Rome  les  maîtres  de  ces  calculs, 
laalhcmaùci \  mais  ils  y  rentraient  toujours. 

Eh  bien  !  cette  maladie  de  l'esprit  humain,  poursui- 
vant le  secret  de  l'avenir  et  croyant  toujours  l'atteindre, 
la  société  chrétienne  en  a  hérité  comme  de  tant  d'autres. 
Certaines  formes  de  la  divination  ont  passé;  la  divination 
elle-même  a  subsisté.  Les  oracles  attachés  aux  temples 
des  dieux  ont  disparu  avec  ces  temples  et  leur  sacerdoce» 
Les  auspices  étaient  par  excellence  une  divination  d'état. 
Exercée  par  des  augures  choisis  entre  les  premiers  per- 
sonnages, cette  divination  ne  faisait  qu'un,  pour  ainsi 
dire,  avec  l'empire  même,  et  n'avait  plus  de  raison 
d'être  dès  que  l'empire  était  détruit  Enfin,  l'inspec- 
tion des  entrailles  des  victimes  cessa  naturellement 
quand  les  sacrifices  eux-mêmes  eurent  cessé  par  une 
révolution  dont  j'aurai  plus  tard  à  rendre  compte.  D'un 
autre  côté,  certaines  pratiques  de  divination  persis- 
tèrent sans  être  reconnues  pour  légitimes;  l'Église 
les  condamnait  comme  coupables,  non  comme  illu- 
soires ;  elles  tombaient  dans  la  sorcellerie,  la  reli- 
gion suspecte  et  souterraine  des  dieux  du  mal.  Parmi 
ces  pratiques,  il  y  en  a  une  qui  resta  longtemps  au- 
torisée et  publiquCj  celle  des  sorls\  elle  finit  par  être 
proscrite.  Mais  d'autres  illusions  continuèrent  de  vivre 
au  grand  jour  et  en  grand  honneur. 

D'abord,  l'exaltaiion  prophétique  des  Inspirés  régna 
pendant  toute  la  durée  de  la  crise  religieuse  au  milieu 
de  laquelle  s'accomplit  la  révolution  chrétienne.  C'était» 
en  quelque  sorte,  l'état  normal  des  hommes  remués  par 
CCS  orages.  L'Apocalypse  est  sortie  de  là,  et  chacun 


184        LE    CIIIUSTIANISME    ET    SES   ORIGINES. 

prétendait  avoir  ses  apocalypses.  Gela  s'apaisa,  quand 
l'Église  fut  définilivement  assise  :  l'inspiration  fut  sur- 
tout alors  à  l'usage  des  dissidents  et  des  persécutés; 
mais  elle  reparut  à  ce  titre  dans  tous  les  moments  d'a- 
gitation et  de  trouble  ;  et,  dans  tous  les  temps,  l'Église 
a  reconnu  ce  don  chez  quelques-uns  de  ses  saints. 

Les  sibylles,  ou  celle  qu'on  appelait  par  excellence 
la  Sibylle,  celle  de  Cumes,  celle  dont  Virgile  avait  con- 
fessé la  doctrine;  les  sibylles,  dis-je,  et  les  livres  qu'on 
mettait  sous  leur  nom,  furent  des  autorités  pour  l'Église 
aussi  bien  que  pour  l'empire.  Elles  figurent,  peintes 
par  Michel-Ange  et  par  Raphaël,  sur  les  voûtes  de  ses 
temples  ;  et  le  premier  verset  de  la  prose  des  Morts 
{Dies  irœ)  proclame  encore  tous  les  jours,  par  toute  la 
chrétienté,  que  le  monde  sera  réduit  en  cendres,  suivant 
la  parole  de  David  et  de  la  Sibylle  : 

Teste  David  cum  Sibylla  •. 

Enfin  l'astrologie  a  vécu  jusqu'au  temps  bien  récent 
encore  où  l'esprit  philosophique  et  scientifique  a  déci- 
dément prévalu.  Sans  avoir  été  consacrée  par  la  religion, 
elle  n'a  jamais  été  non  plus  contredite  par  elle,  et  les 
papes  aussi  bien  que  les  rois  avaient  auprès  d'eux  leurs 
astrologues,  comme  les  Césars.  Ainsi  toutes  ces  choses 


1.  Ce  dernier  vers  a  été  retranché  en  France  et  remplacé  par  un 
autre,  au  xyii»  siècle,  je  crois,  sous  l'influenco  de  la  critique  nais- 
sante. Aujourd'hui  encore,  dans  le  diocèse  de  Paris,  on  chante  le 
verset  ainsi  corrigé,  sans  le  nom  de  la  Sibylle.  Mais  celle  dernière 
marque  de  l'osiirii  gallican  disparaîtra  bientôt  sans  doute,  et  la  leçon 
primitive,  conservée  dan<  le  riie  romain  et  déjà  reçue  dans  beaucoup 
de  diocèses  de  France,  prévaudra  partout. 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         185 

caractérisent  les  siècles  où  a  régné  l'Église  aussi  bien 
que  les  temps  où  régnaient  les  dieux. 

Les  dieux  conseillaient  les  hommes  par  la  divination; 
ils  faisaient  plus  par  la  magie  ;  ils  les  aidaient  et  tra- 
vaillaient avec  eux.  La  magie  est  le  paroxysme  de  la 
maladie  des  religions  ;  elle  sévit  avec  fureur  au  temps 
des  Césars  et  dès  le  règne  d'Auguste.  Elle  paraît  dans 
Virgile,  dans  Horace,  dans  les  élégiaques.  La  Canidie 
d'Horace,  avec  Sagana  et  Véia,  ses  compagnes,  pour 
préparer  un  philtre  amoureux,  fait  mourir  de  faim  un 
enfant,  enterré  jusqu'au  menton,  entouré  de  mets  qu'il 
ne  peut  toucher  et  qu'on  renouvelle  sans  cesse  pour  le 
consumer  par  la  fureur  du  désir;  nous  suivons  l'horri- 
ble scène,  nous  entendons  les  dernières  paroles  de  l'en- 
fant, qui  jette  sur  la  tête  de  ces  femmes,  avant  de  mou- 
rir, une  malédiction  terrible.  Canidie  sait  animer  des 
figures  de  cire,  décrocher  la  lune  du  ciel,  ressusciter 
Jes  morts  dont  le  bûcher  a  fait  des  cendres.  C'est  une 
Médée  de  tous  les  jours,  et,  d'autre  part,  Médée,  sujet 
favori  alors  pour  les  poètes,  n'est  qu'une  Canidie  repor- 
tée dans  le  lointain  grandiose  des  temps  mythiques. 

La  critique  raisonneuse  qui  niait  les  enfers  était  loin 
d'avoir  prévalu  dans  la  vie  des  hommes  d'alors.  Au 
contraire,  les  terreurs  sacrées  qui  remplissaient  leur 
existence  redoublaient  à  la  pensée  de  ce  qui  était  ûU- 
delà,  et  c'est  après  la  mort  que  la  colère  des  dieux  pa- 
raissait le  plus  redoutable.  C'est  en  vain  que  la 
philosophie  proteste  ;  la  foule  croit  ;  les  philoso- 
phes eux-mêmes  trouvent  bon  qu'elle  croie.  Un  dis- 
ciple de  l'école  sloique,  vers  le  lenjps  de  la  mort  d'Au- 


1^6  LECIIUISTIANISME    ET    SES    Oinr.iNES. 

gustc,  écrit  qu'il  faut  traiter  les  hommes  comme  le?  en- 
fant?, qu'on  rend  sages  en  les  effrayant  avec  les  noms 
de  Lamia,  Gorgo,  Ephialte  et  Mormolycé,  les  ogres  et 
les  croquemitaines  des  anciens.  On  les  détournera  du. 
mal  en  leur  présentant  des  châtiments  divins,  des  me- 
naces, des  épouvantes,  qu'on  fait  entrer  en  eux  par  le 
discours  ou  par  des  images,  ou  dont  on  leur  dit  (juc  tel 
ou  tel  a  été  réellement  frappé.  «  Car  le  grand  iroiipeau 
des  femmes  et  tout  le  vulgaire  des  hommes  ne  sau- 
raient être  conduits  par  des  raisons  philosophiques  et 
amenés  ainsi  à  la  piété,  à  la  pureté,  à  la  probité;  il  y 
faut  aussi  la  crainte  des  dieux,  qui  ne  va  pas  sans  mer- 
veilleux et  sans  fables.  j>  Un  vers  de  Properce  nous  a 
conservé  pourtant  la  belle  protestation  d'une  àme  pure, 
qui  n'a  que  faire  pour  être  bonne  de  la  crainte  du  juge. 
Mais  l'imagination  se  plaît  à  avoir  peur  et  à  faire  peur. 
De  là  tous  ces  supplices  décrits  brièvement  dans  Vir- 
gile, m  lis  complaisamment  étalés  dans  une  pièce  d'O- 
vide, VIbis,  qui  est  une  malédiction  jetée  à  un  ennemi. 
11  y  a  dans  ces  tableaux  un  raffinement  de  cruauté  qui 
n'atteint  pas,  je  l'avoue,  jusqu'aux  horreurs  que  l'esprit 
du  moyen  âge  inspirait  à  Dante,  mais  qui  en  approche; 
des  peines  atroces  et  qui  ne  doivent  jamais  finir,  une 
mort  en  quelque  sorte  éternelle,  c'est  bien  là  l'enfer 
cniétien  : 


Nec  morlis  pœnas  mors  altéra  finicl  hnjus, 
Uoraquc  cril  tautis  ullima  iiuUa  malis  i. 

1.  a  Point  de  seconde  mort  pour  mettre  un  terme  au\  tourment» 
de  cette  mort;  point  d'Iiouro  qui  soit  la  dernière  pour  ces  souf- 
frances. > 


LA    UKLIGION     AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         i87 

Entre  l'enfer  et  le  paradis,  il  n'y  a  point  encore  de  lieu 
qui  s'appelle  le  purgatoire  ;  c'est  un  nom  qui  manque  à 
la  géographie  de  l'autre  monde,  mais  il  ne  manque  que 
le  nom.  La  purification  elle-même,  par  les  supplices 
et  en  particulier  par  le  feu,  est  dans  Virgile  :  aut  exuri- 
tur  ifjni\  et,  plus  tard,  Sénèque  s'exprimera  là-dessus 
en  des  termes  qui  pourraient  être  dans  le  catéchisme  : 
l'âme  se  nettoie,  expurgalur^  se  débarrasse  des  souil- 
lures qui  restent  en  elle  et  de  la  corruption  attachée  à 
toute  existence  mortelle,  puis,  s'élevant  aux  régions  d'en 
haut,  court  prendre  sa  place  parmi  les  âmes  heureuses. 
A  la  religion  des  enfers  tient  celle  des  mânes;  en 
eux,  l'homme  se  survit,  pour  ainsi  dire,  sur  cette  terre 
même,  et  quelquefois  y  poursuit  son  œuvre.  Les  mânes 
de  la  victime  s'attachent  à  ceiui  par  qui  elle  a  souffert, 
et  le  poursuivent  sans  relâche  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
obicnu  satisfaction.  Tite-Live  termine  ainsi  l'histoire  du 
fameux  Appius  Claudius  et  des  Dix  qui  régnèrent  avec 
lui  dans  Rome  :  «  Ainsi  les  mânes  de  Virginie,  plus 
heureuse  dans  sa  mort  que  dans  sa  vie,  après  s'être 
promenés  si  longtemps  de  maison  en  maison  pour  pour- 
suivre sa  vengeance,  ne  laissèrent  pas  debout  un  seul 
des  coupables  et  purent  enfin  se  reposer.  »  Je  n'ai  pas 
besoin  d'insister  sur  la  croyance  aux  revenants,  qui 
apparaissaient  surtout  dans  les  songes,  particulièrement 
pour  réclamer  la  sépulture  : 

Ipsa  sed  in  somnis  iahumâti  venit  imago 
Conjugis  ' 

1.  «Lui-môme,  le  fantôme  Je  sou  époux  sans  sépulture  lui  apparut 
dans  son  sommeiL  » 


!88        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Enliii,  l'idée  d'une  résurrection, sans  être  généralement 
reçue  et  populaire,  se  répandait  en  ce  temps-là  et  s'au- 
torisait des  traditions  pythagoriques  qui  recommen- 
çaient à  être  en  honneur.  On  plaisantait  là-dessus  les 
Pythagoriques  :  «  Que  vous  importe  que  votre  ami  soit 
mort,  vous  qui  comptez  qu'il  ressuscitera?  »  Mais,  tout 
en  plaisantant  sur  cette  doctrine,  on  s'accoutumait  à 
l'entendre  professer.  Ovide  chantait  la  métempsychose  : 
Morte  carcnt  animœ  %  et  l'auteur  du  poëme  à  Messala 
donnait  rendez-vous  à  son  héros,  pour  continuer  son 
éloge,  au  jour  lointain  où  lui-même  se  retrouverait 
homme  une  seconde  fois. 

On  croyait  de  plus  en  plus  à  la  fin  prochaine  du 
monde  ;  on  mêlait  à  l'idée  de  cette  destruction  prochaine 
celle  d'une  régénération,  et  celle-là  dominait  chez 
les  esprits  qui  avaient  besoin  d'espérances.  On  appelait 
et  on  attendait  un  sauveur.  C'est  ce  sauveur  que  salue 
la  fameuse  quatrième  Églogue  où  Virgile  promet  un 
renouvellement  du  monde  ; 


Magnus  ab  integro  sœclorum  nascitur  ordo 

Jam  nova  progenies  cœlo  demiltilur  alto  *. 

L'humanité,  sous  la  conduite  d'un  guide  qui  va  naître 
et  qui  ramènera  l'âge  d'or  après  l'âge  de  fer,  dépouillera 
à  lafois  ses  iniquités  et  les  misères  qui  en  sont  lapeine  ; 

Te  duce,  si  qua  manent  sceleris  vesligia  noslri. 
Irrita  perpétua  solvent  formidine  terras  =. 

4.  «  Les  âmes  ne  meurent  pas.  » 

2.  a  Je  vois   se  rouvrir  une  grande  période  de  siècles...  Une  race 
nou\ellc  descend  sur  la  terre  du  haut  du  ciel.  » 

3.  a  Sous  toi  les  traces  qui    restent  encore  de  nos  crimes  seront 
effacées,  et  le  monde  affranchi  enfin  de  ses  terreurs.  » 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    DAUGUSTE.         189 

Qui  serait  ce  sauveur?  On  ne  savait.  Au  temps  des 
Églogues,  c'était  le  premier  enfant  venu,  de  noble  race, 
à  qui  il  plaisait  à  un  poète  de  prédire  en  termes  écla- 
tants de  belles  destinées.  Au  temps  des  Géorgiques, 
Octave  étant  devenu  le  maître  du  monde,  c'était  Oc- 
tave : 

Hune  saltem  everso  juvenem  succurrerc  sœclo 
Ne  prollibete  «  ! 

Pour  les  Juifs,  ce  fut  leur  Messie.  Car  l'antique  tradi- 
tion juive  d'un  Oint  ou  Messie,  qui  ne  se  rapportait 
d'abord  qu'à  un  roi,  à  un  chef  guerrier,  dont  l'avéne- 
ment  devait  rendre  à  Juda  sa  grandeur  passée,  se  trans- 
forma vers  ce  temps,  sous  l'influence  de  cette  attente 
universelle.  On  prit  à  la  lettre  les  figures  d'une  terre 
renouvelée,  où  il  n'y  a  plus  ni  violence  ni  souffrance, 
figures  qui  n'étaient  dans  les  vieux  livres  de  la  Bible 
que  des  traits  d'une  hyperbole  orientale  pour  exprimer 
la  prospérité  et  la  paix;  et  on  crut  à  un  monde  nouveau 
où  le  Messie  régnerait  avec  les  élus  ressuscites. 

Je  n'ai  pas  fini  de  recueilhr  toutes  les  croyances  du 
temps. Il  y  en  avait  de  bassement  superstitieuses;  d'au- 
tres plus  élevées,  qui  s'inspiraient  d'une  pensée  morale. 
Aux  premières  appartient  une  illusion  aussi  vieille  que 
les  religions  elles-mêmes  ou  que  la  faiblesse  humaine 
d'où  elles  sont  nées  ;  celle  de  croire  que  les  fautes  on  les 
crimes  peuvent  être  effacés  par  des  offrandes,  des  céré- 
monies, des  ablutions.  Les  historiens  et  les  poêles  du 
siècle  d'Auguste  témoignent  comme  ceux  d'avant  eux  de 

1.  tt  Ah  !  que  ce  noble  jeune  homme  vienne  enfin  au  secours  du 
monde  détruit  !  Ne  lui  refusez  pas  cette  gloire.  » 


•190        LE    CUUISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

cet  état  des  esprits.  Ovide  nous  parle  de  la  fontaine 
de  Mercure,  où  le  marchand,  après  s'être  purifié,  va 
puiser  de  l'eau  dans  un  vase  purifié  également  avec  le 
soufre.  Il  trempe  dans  cette  eau  une  branche  de  lau- 
rier avec  laquelle  il  arrose  les  objets  de  son  commerce.  Il 
en  répmd  aussi  sur  ses  cheveux,  et  il  prie.  «  Efface,  dit- 
il  au  dieu,  efface  avec  cette  eau  mes  mensonges  et  mes 
parjures.  »  Ovideencore  s'écrie  ailleurs  :  «  Esprits  trop 
faciles  à  croire,  si  vous  imaginez  que  l'eau  d'une  ri- 
vière peut  laver  des  meurtres  odieux  *.  »  Vaines  étaient 
ces  réclamations  des  sages  ;  une  religion  nouvelle  était 
près  de  s'établir,  et  elle  allait  avoir  pour  sacrement  pre- 
mier et  essentiel  le  baptême  ! 

On  croyait  encore  alors,  comme  aux  anciens  temps, 
à  la  réversibilité  des  fautes,  à  la  peine  du  crime  retom- 
bant sur  un  héritier  innocent  : 

Delicla  majorum  immeritus  lues». 

Et  ailleurs  : 

Neglig^is  immeritis  nocilnram 
Poslmodo  te  natis  fraudem  commiiteres? 

On  recueille  avec  plus  de  respect  les  preuves  qui 
abondent,  au  milieu  de  cette  époque  si  dissolue,  de  ce 
qu'on  pouriait  appeler  la  religion  de  la  chasteté.  Les 
poètes  de  l'amour  sont  les  premiers  à  le  dire,  la  chas- 

1.  Ali  I  iiiiniiirn  faciles  qui  tristia  crimina  caedis 

Fluiiiinea  lolli  posi5e  pulelis  aqua. 

2.  «  Tu  expieras  innocent  les  crimes  de  les  aïeux.  » 

3.  tt  Te  .<ou  ierais-lu  peu  de  cumiiiettre  un  crime  qui  ne  serait 
puni  qu'après  lui,  sur  les  enfouis  iuuoceuls?  s 


LA     RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         191 

télé  est  aimée  des  dieux,  casla  placent  superis  ;  elle  est 
imposée  à  quiconque  veut  approcher  de  l'autel.  L'abs- 
tinence de  la  volupté  est  une  dévotion  habituelle  à  ceux 
et  à  celles  mêmes  dont  la  vie  est  toute  à  la  volupté.  L'ins- 
titution des  Vestales  avait  d'ailleurs  placé  la  virginité 
aussi  haut  que  possible  dans  la  société  romaine  ,  et  l'a- 
vait revêtue  de  majesté.  Les  devoirs  de  leur  état  sont  si 
rigoureux  qu'un  thème  proposé  pour  un  exercice  oratoire 
était  celui-ci  :  Une  Vestale  est  accusée  de  les  avoir 
violés,  seulement  parce  qu'on  a  trouvé  un  vers  écrit  de 
sa  main  qui  exprime  un  regret  pour  les  joies  du  ma- 
riage*. Parmi  ces  sujets  fictifs  traités  dans  les  écoles  par 
les  rhéteurs,  on  rencontre  un  petit  roman  où  figure 
aussi  une  vierge.  Prise  par  des  pirates,  elle  a  été  Uvrée 
à  un  proslitueur^  ;  mais  à  mesure  que  des  hommes 
approchaient  d'elle,  elle  obtenait  d'eux  de  l'épargner. 
Un  jour,  elle  rencontre  un  soldat  plus  brutal,  de  qui 
elle  ne  peut  obtenir  grâce  :  elle  le  tue  en  lui  arrachant 
son  épée.  On  l'absout  de  ce  meurtre;  on  la  renvoie 
dans  son  pays  ;  là,  elle  ne  craint  pas  de  se  présenter 
pour  être  prêtresse,  mais  quelques-uns  la  repoussent  à 
la  fois  comme  impure  et  comme  homicide.  Sa  défense 
était  le  thème  proposé  aux  orateurs.  Un  d'entre  eux  lui 
faisait  dire  que  ce  n'était  pas  elle  qui  avait  pu  tuer  ce 
soldat  ;  un  être  plus  qu'humain,  paraissant  à  côté  d'elle^ 


1.  Felices  nuplael  moriar  nisi  nuJiere  dulce  est, 

<t  Heureuses  les  mariées  !  je  veux  mourir  si  le  mariage  n'est  pas 
un  bonheur.   » 

2.  C'est  le  mot  par  lequel  M    Naudet  a  traduit  constamment  leno 
cUlûs  son  Piaule.  11  m'a  paru  par  là  suffisamment  autorisé. 


192        LE    CHRISTIANISME   ET    SES   ORIGINES. 

l'avait  assistée  et  avait  donné  des  forces  à  son  faible 
bras.  Et  l'orateur  s'écriait  :  «  Qui  que  vous  soyez, 
dieux  immortels,  qui  avez  fait  un  miracle  pour  la  tirer 
de  ce  lieu  infâme,  vous  n'avez  pas  protégé  une  ingrate; 
elle  vous  consacre  la  virginité  qu'elle  vous  doit.  > 

On  voit  assez  qu'il  y  a  là  une  variante  de  la  même 
histoire  que  les  chrétiens  ont  reproduite  dans  la  lé- 
gende de  quelques  vierges  martyres.  Sainte  Agnès, 
sainte  Théodure  (l'héroïne  d'une  tragédie  de  Corneille), 
ont  été  aussi  livrées  au  proslitueur  pour  être  enfer- 
mées dans  la  maison  de  débauche.  Théodore  en  est 
lirée  par  le  dévouement  d'un  jeune  chrétien;  Agnès 
n'y  entre  même  pas;  un  jeune  homme,  au  moment 
qu'on  l'y  conduit,  ayant  oser  jeter  sur  elle  des  regards 
insolents,  une  flamme  ailée  vient  frapper  ses  yeux, 
l'aveugle  et  le  terrasse  ;  ses  amis  l'emportent  à  demi 
mort.  Ce  feu  du  ciel  {ignis  aies)  est  l'équivalent  de 
Valtior  humana  species  du  rhéteur  du  temps  d'Au- 
guste ;  c'est  toujours  le  miracle  protégeant  une  virgi- 
nité sacrée. 

Si  on  veut  descendre,  en  fait  de  superstitions,  jus- 
qu'aux plus  grossières  et  aux  plus  puériles,  on  trouve 
dans  la  littérature  d'alors  le  loup-garou  (Virgile  même 
en  parle)  ;  les  stryges  ou  vampires,  qui  sucent  le  sang 
elles  entrailles  des  enfants  au  berccLiu.  En  un  mot  ce 
que  nous  appelons  volontiers  l'esprit  du  moyen  âge 
était  déjà  celui  de  cette  brillante  époque,  prise  dans 
son  fond  ;  ce  fond  est  recouvert  pour  nous  par  l'éclat 
d'une  élilc  (|iii  fait  l'histoire  et  qui  la  remplit,  mais  il 
s'étend  profondément  au-dessous  d'elle,  et  elle-même 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         193 

n'en  est  pas  absolument  dégagée.  C'est  sur  ce  fond  que 
le  christianisme  a  poussé. 

Le  siècle  d'Auguste  n'était  pas  moins  religieux  par 
les  pratiques  que  par  les  croyances,  et  sa  littérature 
est  également  pleine  des  démonstrations  de  la  religion 
publique  et  des  dévotions  des  particuliers. 

L'ancienne  Rome  était  déjà  une  ville  sainte  :  <r  Nous 
avuns,  dit  un  personnage  de  Tite-Live,  une  ville  fondée 
en  vertu  des  auspices  et  des  augures  ;  une  ville  où  il 
n'y  a  pas  un  coin  qui  ne  sait  consacré  et  plein  des 
dieux-,  des  sacrifices  solennels  sont  attachés  à  tel 
emplacement  comme  à  tel  jour.  >  Il  y  avait  dans 
Rome  jusqu'à  mille  endroits  où  on  honorait  l'image 
des  dieux  Lares,  auxquels  était  associé  le  Génie  de 
l'empereur.  Les  Vestales  offraient  sans  cesse  des  priè- 
res pour  le  salut  de  la  cité,  et  elles  en  faisaient  de  par- 
ticulières pour  tel  ou  tel  danger  public,  par  exemple 
pour  conjurer  la  désertion  des  esclaves  qui  de  tous 
côtés  s'en  allaient  rejoindre  Sextus  Pompée  dans  sa 
guerre  contre  les  héritiers  de  César.  J'ai  déjà  parlé 
du  cantique  d'Horace  ,  composé  pour  la  grande  fête 
ordonnée,  disait-on,  par  la  Sibylle,  en  l'honneur 
des  dieux  qui  aiment  les  sept  collines, 

Di  quibus  septem  placuere  colles. 

Des  pratiques  religieuses  étaient  attachées  à  tous  les 
actes  de  la  vie  publique.  Le  magistrat  qui  convoquait 
l'assemblée  du  peuple  faisait  une  prière  aux  dieux 
avant  de  commencer  son  discours,  prœfatus  divos.  Le 
sénat  leur  offrait  l'encens  avant  d'entrer  en  séance.  Au 

II.  13 


I9i         LE  CIIUISTIANISMK   ET  SES  ORIGINES. 

début  d'une  guerre  *,  ou  à  la  suite  d'un  désastre,  tel  que 
celui  de  Varus,  on  faisait  vœu  de  leur  élever  un  temple 
ou  de  célébrer  une  fête  extraordinaire.  Le  vœu  était 
fait  à  la  condition  du  succès,  si  respublîca  in  mcliorem 
slalmn  verlisset.  Dans  les  épidémies,  on  leur  servait 
des  festins  dans  leurs  temples;  les  images  divines 
étaient  placées  sur  des  lits  de  table  ;  c'est  le  lectisler- 
nium\  Denys  avait  vu  cette  cérémonie,  qu'il  a  décrite. 
Dans  les  sécheresses,  les  dames  s'en  allaient  pieds  nus, 
les  cheveux  tombant,  l'àme  purifiée  [menlibus  puris), 
et  montaient  au  temple  de  Jupiter  pour  demander  de 
l'eau  aux  dieux,  comme  depuis  on  a  suivi  en  proces- 
sion les  châsses  des  saints.  Quand  un  consul  entrait  en 
charge,  au  renouvellement  de  l'année,  il  allait  d'abord 
sacrifier  en  grande  pompe  au  Capitole.  Le  triompha- 
teur en  faisait  autant,  et,  en  arrivant  au  pied  du  temple, 
il  descendait  de  son  char  pour  en  monter  les  degrés 
sur  ses  genoux.  C'est  ce  qu'on  nous  marque  expressé- 
ment pour  César,  et  aussi  pour  Claude.  Mais,  plus  gé- 
néralement, toute  fête  est  religieuse,  et  l'idée  même 
d'une  fête  ne  peut  se  séparer  de  celle  des  hommages 
rendus  aux  dieux,  des  victimes  égorgées  ,  des  pro- 
cessions à  travers  les  rues  tendues  de  tapisseries^ 

It  pcr  velatas  annua  pompa  vias  ; 

des  costumes  des  prêtres,  parmi  lesquels  il  faut  se 
représenter  ceux  des  Salii,  que  Denys  nous  a  décrits, 

1.  Civilas  religiosa,  in  principio  maxime  novorum  bcllorum.  «La 
cité  scrupuleuse  sur  les  devoirs  de  la  religion,  surloulà  l'eulréo  d'une 
guerre  nouvelle.  » 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         i9:> 

aussi  bizarres  que  leurs  danses,  et  témoignant  par  leur 
bizarrerie  môme  d'une  antiquité  qui  les  consacie-, 
car  rien  n'est  vraiment  sacré  que  ce  qui  semble  être 
perpétuel.  Le  calendrier  est  déjà  dans  l'ancienne  Rome 
ce  qu'il  doit  être  dans  l'Église,  la  marque  que  la  reli- 
gion a  mise  sur  la  vie  des  peuples,  et  comme  son  titre 
de  possession.  La  distinction  même  des  jours  fastes  et 
néfastes  est  une  distinction  religieuse. 

La  religion  publique,  si  grande  par  la  grandeur 
même  de  Rome,  descendait  en  même  temps  aux  plus 
petites  cho«es  à  force  de  scrupules  :  scrupule  est  un 
terme  métaphorique  que  la  langue  religieuse  doit  aux 
Romains  *.  Il  a  pris  depuis  un  sens  tout  à  foit  relevé 
et  spirituel  ;  il  ne  s'appliquait  d'abord  qu'à  la  minutie 
des  observances,  et  une  phrase  de  Valérius  l'éclairé 
parfaitement  :  «  Il  n'est  pas  étonnant  que  la  bonté  des 
dieux  ait  veillé  avec  tant  de  persévérance  sur  l'agran- 
dissement et  la  conservation  d'un  empire  qui  pèse  avec 
une  conscience  si  vétilleuse  jusqu'aux  plus  minces  scru- 
pules de  religion;  car  il  faut  reconnaître  que  notre  répu- 
blique n'a  jamais  cessé  d'avoir  les  yeux  sur  l'observa- 
tion la  plus  rigoureuse  de  tous  les  rites.  »  Et  Tite-Live  : 
«  Ce  sont  de  petites  choses,  mais  c'est  en  ne  dédaignant 
pas  ces  petites  choses  que  nos  pères  ont  fait  Rome  si 
grande.  »  On  voit  bien  par  là  que  Rome  s'adore  elle- 
même  dans  ses  dieux.  Il  en  est  sans  doute  ainsi,  jus- 
qu'à un  certain  point,  de  tous  les  peuples;  mais  le 
nom  de  Rome  surtout  est  associé  à  ceux  de  Jupiter  et 

1.  Le  scrupule  au  sens  propre,  est  on  petit  c:iillon. 


196         LE  CHRISTIANISME  ET   SES  OUICI.NES. 

du  Capitule,  comme  celui  d'Israël  au  nom  de  lehova 
et  de  Sion;  car  je  ne  crains  pas  d'opposer  la  force  qui 
résiste  sans  fléchir  à  la  force  qui  triomphe.  Israël  ré- 
siste avec  lehova ,  Rome  triomphe  avec  Jupiter.  Elle 
est  éternelle  comme  lui.  Quand  ses  poètes  veulent  dire 
loujourSy  ils  disent  :  Tant  que  subsistera  le  Capitole, 
tant  que  le  ponlife  en  montera  les  degrés,  et  à  côté 
de  lui  la  Vestale  silencieuse  '.  —  «  Quoi  !  dit  Horace,  au 
souvenir  des  soldats  de  Crassus,  quoi  !  ils  ont  servi 
sous  le  Parthe,  quand  Rome  était  debout  et  Jupiter-  !  > 
Elle  doit  être  universelle  aussi  bien  qu'éternelle,  et  em- 
brasser l'espace  comme  le  temps  : 

Ilis  ego  nec  mêlas  rerum  nec  tempora  pono, 
Impcrium  sine  fine  dedi  5 

—  Son  empire  est  grand  comme  la  terre  et  ses  pensées 
comme  le  ciel  *  ;  sa  piété  la  met  plus  haut,  non-seule- 
ment que  les  hommes,  mais  que  les  dieux  : 

Supra  homines,  supra  ire  deos  pietate  videbis. 

1.  Dum  Capitolium 
Scandet  cnm  tacita  virgine  poiUilex. 

Et  encore  : 

Dum  domus  JEnetË  Capitoli  immobile  saxum 
Accolet,  imperiumque  pater  romanus  Iiabebit. 

«  Tant  que  la  race  d'Enée  s'appuiera  au  roc  immobile  du  Capilole, 
et  que  les  pères  de  Rome  garderont  l'empire  du  monde.  » 

2.  Incolumini  Jove  et  urbe  Roma. 

3.  «  Je  n'ai  fixé  do  bornes  ni  à  leur  conquête  ni  à  sa  durée  ;  l'em- 
pire que  je  leur  ai  donné  sera  sans  fin.  > 

i.  Imperium  terri»,  animos  xquabit  Olympe. 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.        197 

Elle  est  transfigurée  à  ses  propres  yeux;  elle  se  con- 
fond avec  son  idéal  ;  elle  est  le  domicile  môme  de  la 
vertu  et  de  la  justice. 

Famam,  Roma,  tase  non  padet  historiae,  etc.  ». 

On  comprend  que  la  lutte  ait  été  longue  et  terrible 
entre  ce  Jupiter  orgueilleux  et  le  Seujneur  des  Juifs, 
opiniâtre  et  indomptable.  C'est  le  nom  du  Seigneur  qui 
a  prévalu,  mais  sous  ce  nom  on  retrouve  encore  Jupi- 
ter. Le  nouveau  Dieu  se  fait  Romain,  Jérusalem  est 
déshéritée,  et  Rome  demeure  la  capitale  spirituelle  du 
monde,  reine  dans  tous  les  lieux  et  dans  tous  les  temps. 
Cette  horreur  d'innover,  qui  était  le  fond  de  l'esprit 
romain,  a  été  d'abord,  pour  la  prédication  juive,  un 
obstacle  formidable;  mais  quand  l'obstacle  a  été  sur- 
monté à  l'aide  du  temps  (il  y  a  fallu  trois  et  quatre 
siècles),  ce  même  esprit  est  devenu  une  force,  une  force 
telle  que  quinze  siècles  n'en  sont  pas  encore  venus  à 
bouta  l'heure  qu'il  est. 

L'apothéose,  telle  qu'elle  s'est  produite  au  temps 
des  Césars,  n'est,  à  la  bien  prendre,  qu'une  des  formes 
de  cette  adoration  que  Rome  exigeait  pour  elle.  La 
divinité  de  Rome  se  personnifiait  dans  le  César.  Les 
temples  qu'on  élevait  dans  les  provinces  étaient  consa- 

£t  Manilius  : 

Italia  in  summa,  quam  rerura  maxima  Roma 
Iinposuit  terris,  cœloque  adjungilur  ipsa. 

«  L'Italie  est  au-dessus  de  tout  ;  Rome,  souveraine  du  monde,  l'a 
faite  la.   première  sur    la  terre,  tandis   qu'elle-même  tient  au  ciel.  ■ 
1.  •  Rome,  la  Renommée  n'a  pas  à  rougir  de  ton  histoire.  > 


198        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

crcs  à  l empereur  el  à  Home;  et  on  n'en  élevait  aux 
empereurs  vivants  ni  dans  Kome  même  ni  dans  l'Italie. 
Là,  ils  devenaient  dieux  seulement  après  leur  mort; 
c'était  à  peu  près  la  canonisation  chrétienne,  avec  cette 
différence  que  les  divi  d'alors  (on  disait  divus  Julius^ 
divus  Augaslus)  étaient  les  grands  hommes  de  l'Etat, 
tandis  que  les  saints  sont  les  grands  hommes  de 
l'Église,  et  satisfont  à  une  autre  espèce  d'idéal  '. 

C'étaient  d'étranges  dieux  pourtant  qu'un  Auguste, 
et  surtout  un  Claude,  mais  c'ét;iient  les  héritiers  du  dieu 
César  et  ses  fils  suivant  la  loi.  Ils  représentaient  d'ail- 
leurs Rome  devant  le  monde  ;  ils  la  représentaient  aussi 
devant  les  dieux,  car  ils  étaient  souverains  potitifes, 
ils  exerçaient  ou  ils  conféraient  tous  les  sacerdoces,  et 
ils  tenaient  dans  leurs  mains  la  religion  tout  entière. 
Les  évéques  de  Rome,  jusqu'à  l'an  oÛO,  furent  tous 
saints,  comme  les  Césars  étaient  dieux.  Si  la  papauté 

1.  Ce  rapprochement  enire  l'apothéosi»  et  la  canonisation  est  in- 
diqué'par  Bourdaloue  lui-même,  dans  le  Panégyrique  de  saint  Louis: 
€  Car  dans  les  principes  de  la  vraie  religion ,  nous  pouvons  dire  en 
quelque  sort.;  de  saint  Louis  ce  que  les  Romains  idolâtres  disaient 
de  leurs  empereurs,  qui  avaient  été  mis  au  nombre  des  dieux  :  Re- 
liquus  dcos  accepinius  :  Cœsares  dedimus.  Pour  les  autres  dieux  de 
l'empire,  disaient-ils,  nous  les  avons  reçus  du  ciel:  mais,  pour 
ceux-ci,  qui  étaient  nos  princes,  le  ciel  les  a  reçus  de  cous.  Et  moi, 
je  dis  :  Pour  les  autres  saints  que  nous  honorons  dans  le  monde 
chrétien,  l'fplise  nous  les  a  donnés;  mais  pour  saint  Louis,  c'est  la 
France  qui  l'a  donné  à  l'Eglise.  » 

Avant  les  Ct'sars,  K'S  |)ro\iiicos  élevaient  di'jà  des  temples  aux 
grands  personnages  de  la  République;  c'est  ainsi  que  l'Asie  voua  un 
temple  à  Cicéron,  au  lendemain  de  son  illustre  consulat  ,  son  frère 
Quinlus  étant  préleur  de  la  province  ,  comme  on  le  v-^it  dans  la 
Lettre  célèbre  qui  ouvre  le  recueil  des  Lettres  de  Cicéron  à  Quintus. 
En  général  on  ne  peut  trop  redire  que  les  empereurs  ne  furent  que 
des  proconsuls  agrandis,  sous  qui  Rome  fut  traitée  elle-même  ea 
province. 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         19!) 

€Ùt  été  héréditaire,  comme  l'empire  a  toujours  tâché 
de  l'être,  l'usage  se  serait  jDerpétué  sans  doute  que  la 
piété  de  chaque  héritier  consacrât  la  même  ire  de  son 
prédécesseur  ;  et  personne  ne  se  serait  étonné  d'entendre 
appeler  sam^  après  sa  mort  celui  qui  s'appelle  Sa  Sain- 
teté pendant  sa  vie.  Un  poêle  du  temps  d'Auguste,  par- 
.  lant  de  simples  pontifes  qui  n'étaient  pas  des  princes  et 
qui  n'avaient  de  dignité  que  celle  de  leur  saint  ministère, 
disait  déjà  qu'ils  étaient  presque  des  dieux,  fcne  deos. 
11  est  vrai  que  les  empereurs  vivants  eux-mêmes, 
avant  d'être  dieux  officiellement,  étaient  déjà  divinisés 
par  une  sorte  de  culte  populaire.  Les  Romains,  au  des- 
sert^ faisaient  des  libations  à  Auguste,  et  associaient  sa 
d^inité  à  celle  des  Lares\  Mais  dès  qu'il  y  avnit 
d'autres  dieux  que  le  dieu  suprême,  comment  n'aurail- 
on  pas  été  tenté  d'appeler  de  ce  nom  les  maîtres  du 
monde?  Le  poète  des  Métamorphoses  nous  représente 
Niobéqui  dispute  à  Latone  ses  autels  et  qui  dit  aux  peu- 
ples :  0  Quelle  folie  de  mettre  des  dieux  dont  vous  en- 
tendez seulement  parler  au-dessus  de  ceux  que  vous 
voyez  de  vos  yeux  mêmes  !  »  Ce  langage  était  compris 
à  Rome:  les  hommes  d'un  temps  où  la  puissance  était 
sans  mesure,  et  n'avait  rien  qui  la  limitât  ni  pour  le 
bien  ni  pour  le  mal,  jugeaient  que  les  princes  étaient 
les  vrais  dieux.  C'est  encore  une  expression  d'Ovide  K 

1. El  aliei'is 

Te  mensis  adhibet  deum,  etc. 

S.           Turaque  Csesaribus  com  conjuge  Césure  (ligna , 
Dis  veris  ! 

*  Quand  pourrais-je  donner  de  l'encens   aux.  Césars  et  à  la  digoe 
•épouse  de  Gesar;  ils  sont  vraiment  des  dieux!  * 


200        LE    CHIUSÏIAMSME    ET    SES    ORIGINES. 

Mais  la  Bible  elle-même  ne  dit-elle  pas  aux  rois  :  Vous 
êtes  des  dieux  !  Il  est  vrai  qu'elle  ajoute  qu'ils  mourront 
comme  des  hommes;  mais  on  savait  bien  aussi  à  Rome 
que  les  dieux  du  Palatin  devaient  mourir.  Je  ne  sais  si 
quelques-uns  de  ces  dieux,  ceux  qui  étaient  fous  , 
croyaient  par  hasard  en  eux-mêmes;  mais  nul  autre 
certainement  n'a  cru  en  leur  divinité  de  leur  vivant. 
Lorsque  Pline  disait  à  Trajan,  dans  un  discours  public 
et  solennel  :  «  Tu  sais  que  tu  es  un  homme,  quoique 
tu  sois  le  premier  des  hommes  »,  il  parlait  précisé- 
ment comme  pouvaient  parlera  Louis  XIV  ses  évèqucs, 
et  ni  Pline  ni  Trajan  n'avaient  besoin  pour  cela  d'être 
chrétiens.  Telle  Inscription  même  du  temps  d'Auguste 
distingue  fort  bien  entre  les  dieux,  et  ceux  qui  sont  seu- 
lement sur  le  pied  de  dieux  (isothées.)  Au  fond,  ces  en- 
fants de  dieux,  pères  de  dieux,  n'étaient  pas  plus  con- 
sacrés par  l'apothéose  que  les  rois  chrétiens  par  les 
noms  de  cJirisls  ou  oints  du  Seigneur.  Les  odes  d'Horace 
en  l'honneur  du  dieu  Auguste  ne  sont  guère  que  des 
Domine  salvum.  Quand  il  dit  que  Jupiter  règne  avec 
César  pour  second,  lu  secundo  Cœsare  règnes,  se  ré- 
servant le  ciel  et  lui  abandonnant  la  terre,  il  ne  dit  que 
ce  que  Grégoire  de  Nazianze  disait  également  aux  em- 
pereurs :  «  Respectez  votre  pourpre,  reconnaissez  le 
grand  mystère  de  Dieu  dans  vos  personnes;  il  gouverne 
par  lui-même  les  clioses  cclestes,  il  partage  celles  de  la 
terre  avec  vous.  Soyez  donc  des  dieux  à  vos  sujets  '.  » 
Jupiter  est  le  même  que  ie  dieu  des  Oraisons  funèbres  : 
celui  qui  règne  dans  les  cieux  et  de  qui  relèvent  tous 

1.  Traduction  de  Bossuet  :  Polilique  tirée  de  tEcrilure, 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         201 

les  em^nres  ;  celui  qui  communique  sa  puissance  aux 
princes  et  qui  leur  commande  d'en  user,  comme  il  fait 
lui-même,  pour  le  bien  du  monde  ;  celui  qui  leur  fait 
voiV,  en  la  reiiranl^que  toute  leur  majesté  est  empruntée  <f 
et  que,  pour  être  assis  sur  le  trône,  ils  n'en  sojit  pas 
moins  sous  sa  main  et  sous  son  autorité  suprême  : 

Regam  timendorum  in  proprios  gregos, 
Reges  in  ipsos  imperium  est  Jovis  '. 

L'attentat  à  la  vie  céleste  des  Césars  était  un  sacrilège  : 
il  attirait  sur  les  meurtriers,  qu'on  appelait  des  parri- 
cides, toutes  les  vengeances  d'en  haut.  Eh  bien  !  les 
mêmes  anathèmes,  dans  le  monde  chrétien,  ont  pesé 
sur  la  tète  des  régicides. 

Descendons  maintenant  de  la  majesté  de  la  religion 
publique  à  ces  habitudes  de  la  vie  privée  où  se  marque 
encore  mieux  la  sincérité  des  croyances  et  l'empire 
qu'elles  exercent  sur  l'homme  tout  entier.  La  littéra- 
ture de  cette  époque  nous  éclaire  très-bien  à  ce  sujet, 
parce  qu'elle  se  compose  surtout  des  œuvres  des  poètes. 
Les  historiens  ne  nous  donnent  que  les  faits  nouveaux  ; 
les  philosophes  (j'entends  ceux  qui  comptent),  les  idées 
nouvelles;  les  poètes  disent  la  vie  tout  entière,  le  fond 
de  la  vie  et  non  pas  seulement  les  accidents. 

La  religion  entre  alors  aussi  avant  que  jamais  elle 
l'a  pu  faire  dans  toutes  les  joies,  dans  toutes  les  dou- 
leurs, dans  toutes  les  occupations  des  hommes.  Le  ma- 
riage a  ses  divinités   protectrices,  di  conjugales.  La 

1 .  «  La  puissance  des  rois  est  redoutable  anx  troupeaux  qu'ils  mà> 
nent,  et  aux  rois  celle  d«  Jupiter.  » 


202         LE   CHRISTIANISME   ET  SES  ORIGINES. 

mort  a  ses  offices  de  toute  espèce  :  funérailles,  anniver- 
saires, culte  des  morts  aimés,  culte  de  tous  les  morts. 
Il  y  a  plus  d'une  cérémonie  funèbre  dans  le  poëme  de 
Virgile  ;  et  voici  le  discours  qu'Énéc  tient  à  ses  compa- 
gnons, en  se  retrouvant  sur  cette  terre  de  Sicile  où  est 
mort  son  père  :  «  L'année  dans  son  cours  a  parcouru 
le  cercle  entier  des  mois,  depuis  que  nous  avons  confié 
à  la  terre  la  cendre  du  divin  Anchisc  et  que  nous  avons 
dressé  pour  lui  les  autels  des  morts.  Voici  le  jour,  oui, 
c'est  bien  le  jour  qui  sera  à  jamais  pour  moi  un  jour  de 
deuil,  et  aussi  de  solennels  hommages,  puisqu'ainsi  l'ont 
voulu  les  dieux.  Quand  je  serais  exilé  parmi  les  sables 
de  Gétulie,  ou  surpris  dans  les  mers  de  la  Grèce,  dans 
les  murs  mênîes  de  Mycènes,  je  n'en  renouvellerais  pas 
moins  tous  les  ans  les  mêmes  vœux,  conduisant  en  son 
honneur  la  pompe  funèbre,  et  chargeant  les  autels  des 
offrandes  voulues.  »  Ce  sont  déjà  les  services  des  morts 
et  les  fondations  perpétuelles.  Une  fondation  d'une  autre 
espèce  est  celle  que  plusieurs  pères  de  famille  firent 
par  testament  sous  Auguste,  ordonnant  que  leurs  héri- 
tiers feraient  conduire  au  Capitole  des  victimes  avec  une 
inscription  portant  que  c'était  l'accomplissement  d'un 
vœu  qu'ils  avaient  fait,  pour  le  cas  où  l'empereur  leur 
survivrait. 

Ovide  nous  fait  voir  chez  Didon,  veuve,  une  chapelle 
consacrée  à  Sichée  : 

Est  niihi  marmorea  sacralus  in  œde  Sicliœus. 

Et  dans  son  poëme  des  F;istes,   il  décrit  les    FcraHa, 
c'est-à-dire  notre  Fête  des  Morts,  dontladatc  seulement 


LA     RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         203 

a  été  changée  ;  elle  se  célébrait  alors  à  la  fin  de  février, 
c'est-à-dire  à  la  fin  de  l'ancienne  année  romaine,  dont 
on  donnait  ainsi  aux  morts  les  derniers  jours. 

Voici,  dans  Ovide  encore,  une  autre  sorte  d'anniver- 
saire. Écrivant  de  l'exil  le  jour  même  de  sa  naissance, 
il  dit  qu'il  n'a  pas  le  courage  d'en  faire  la  fête,  de 
s'habiller  de  blanc,  de  faire  fumer  l'autel  ceint  de  fleurs, 
d'y  brûler  l'encens,  et  d'y  offrir  les  gâteaux  sacrés  avec 
des  prières. 

Quelquefois,  en  élevant  une  statue  et  une  chapelle  à 
un  dieu ,  on  instituait  aussi  des  espèces  d'offices  que 
des  chœurs  chantants  y  célébraient  à  des  heures  réglées. 
Des  sacrifices  et  des  chœurs  dans  les  grandes  occasions, 
des  Hbations  au  moins  et  de  l'encens  dans  les  petites  : 
les  dieux  ont  leur  part  dans  tout.  On  sacrifie  quand  on 
s'embarque,  et  on  jette  dans  la  mer  les  entrailles  des 
victimes.  Les  navires  ont  des  dieux  pour  patrons;  plus 
tard,  ce  seront  des  saints.  En  débarquant,  on  fait  des 
dévotions  aux  divinités  particulières  du  lieu  qu'on 
aborde.  On  sacrifie  pour  le  retour  d'un  ami  : 

Pascitnr  in  vestrum  reditum  votiva  juvenca  «. 

Sacrifier,  sans  doute,  peut  se  traduire,  si  l'on  veut ,  en 
ces  termes,  qu'on  donne  un  repas  en  son  honneur;  mais 
tout  repas  de  fête  est  sacré  ;  les  dieux  y  interviennent, 
et  les  prêtres.  On  sacrifie  à  Vénus  quand  on  est  amou- 
reux : 

Mactata  veniet  lenior  hostia».  -, 

1.  «  Je  nourris  nne  génisse,  vouée  aux  dieux  pour  votre  retoxxT.  ■ 

2.  a.  Une  victime  la  rendra  plus  clémente.  » 


204       LE    CHRISTIANISME  ET    SES    ORIGINES. 

Toutes  les  époques  des  travaux  de  la  campagne  ou  de 
ses  plaisirs  sont  marquées  par  des  sacriGces  : 

Nunc  (  t  in  umbrosis  Fauno  decet  immolare  lucis 
Seu  poscat  agiia,  sive  malit  bœdo  '. 

«  Avant  tout,  dit  Virgile  dans  son  poëme,  rends  hom- 
mage aux  dieux  et  sacrifie  à  Cérès,  »  Et  il  décrit  la 
solennité  qui  se  célébrait  au  moment  où  l'hiver  fait  place 
au  printemps.  Les  processions  qu'on  faisait  dans  les 
champs  sont  l'origine  de  nos  Rogations.  Il  y  a  les  fêtes 
du  dieu  Terme,  ou  terminalia\  les  fêtes  de  Paies,  pa- 
lilitty  à  la  fin  d'avril  ;  les  fornacalia,  fête  de  la  déesse 
du  four,  et  bien  d'autres,  dans  lesquelles  chômait  lepay- 
san^  et  le  bœuf  lui-même  : 

Festus  in  pratis   vacal  olioso 
Cum  bove  pagus  2. 

Plus  tard  Columelle,  dans  son  livre  sur  l'Agriculture, 
faisait  la  promesse  (que  nous  ne  voyons  pas  qu'il  ait 
tenue),  de  donner,  avec  la  liste  des  fêtes  de  la  campagne, 
le  détail  de  toutes  les  lustrations  et  de  tous  les  sacrifices 
qui  se  font  pour  les  fruits  de  la  terre,  suivant  les  an- 
ciennes traditions.  C'est  dans  ce  même  livre  que  l'auteur, 
à  l'endroit  où  il  parle  des  devoirs  du  i)ro])riétairc  ou  du 

1.  «  C'est  maintenant  qu'il  convient  de  sacrilier  ;'i  Faune  à  l'ombre 
des  bois  sacrés,  soii  qu'il  demande  qu'on  lui  immole  un  agneau  ou 
qu'il  préfère  une  jeune  chèvre.  » 

2.  On  pourrait  appeler  le  dieu  Terme  le  dieu  du  droit  romain  . 
«  C'est  toi  qui  maniues  la  borne  des  populations,  des  cités,  des  em 
pires  ;  sans  toi  toute  terre  serait  un  objet  de  querelles. 

Tu  populos  urbesque  et  régna  ingeutia  finis 
Ouinis  eril  sine  te  liiigiosus  agcr.  » 


LA     P.  I.LICION    AU     TKMl'S    D' Al' G  USTC.  2Jo 

maître,  lui  recommande  expressément,  chaque  fois  qu'il 
rentre  aux  champs  en  revenant  de  la  ville,  de  rendre 
d'abord  ses  hommages  aux  dieux  de  la  maison,  deos 
ptmatesadorare. 

On  consacrait  un  arbre  à  un  dieu,  et  on  sacrifiait 
tous  les  ans  au  pied  de  cet  arbre.  On  sacrifiait  au  bord 
d'une  source  sacrée,  comme  la  Bandusie  d'Horace.  Il  y 
avait  partout  des  pierres  sacrées  aussi,  ou  des  troncs 
qu'on  entourait  de  fleurs  et  auxquels  on  rendait  hom- 
mage : 

Nam  veneror,  seu  stipes  liabet  desertus  in  agris, 
Seu  Yctus  in  Irivio  ilorea  serta  lapis  i. 

Mais  je  transcrirai  la  prière  à  Paies,  qu'Ovide  a  placée 
dans  le  poëme  des  Fastes,  à  l'occasion  des  palilia  : 
€  Protège  à  la  fois  le  troupeau  et  les  conducteurs 
du  troupeau.  Si  je  me  suis  couché  sous  un  arbre 
sacré,  ou  si  j'y  ai  conduit  mes  bètes  ;  si  mes  moutons 
ont  brouté  imprudemment  l'herbe  des  tombeaux  ;  sî 
je  suis  entré  dans  un  bois  interdit,  et  que  mes  regards 
y  aient  mis  en  fuite  les  Nymphes  ou  le  dieu  au  pied  de 
bouc  ;  si  ma  serpe  y  a  dépouillé  les  arbres  de  leur 
ombre,  pour  offrir  des  feuilles  fraîches  à  une  brebis 
malade,  fais  grâce  à  ma  faute  ;  qu'il  me  soit  pardonné 
d'avoir  mis  le  troupeau  à  l'abri  pendant  la  grêle  sous 
le  toit  d'une  chapelle  rustique;  pardonnez  aussi,  Nym- 
phes, si  j'ai  profané  vos  eaux  sacrées,  si  le  pied  de  mes 
bétes  en  a  troublé  la  limpidité.  Déesse,  fléchis  pour 

1.  «  Car  je  ne  manque  pas  de  faire  mes  dévotions  quand  j'aperçois, 
couronné  de  fleurs,  un  tronc  isolé  dans  un  champ,  ou  une  vieille 
pierre  à  l'endroit  où  se  croisent  les  routes.  » 


906        LE    CHRISTIANIS.^IR    ET    SES    ORIGINES. 

nous  les  ilivinités  des  sources  et  des  fontaines,  et  celles 
qui  sont  répandues  partout  dans  les  bois.  Garde-nous 
de  surprendre  les  Dryades  ou  Diane  au  bain,  ou  le 
sommeil  de  Faune  couché  à  midi  dans  les  champs.  » 
Un  seul  texte  comme  celui-là  donne,  ce  me  semble,  une 
impression  plus  vive  que  tous  les  faits,  détachés  des 
textes  mêmes.  On  y  sent,  à  travers  un  certain  luxe  d'i- 
magination qui  est  du  poëte,  combien  croyantes  étaient 
les  populations  des  campagnes,  et  combien  naïvement 
elles  se  figuraient  le  surnaturel  comme  présent  en  tout 
lieu  et  à  toute  heure  *. 

Voici  des  dévotions  plus  sérieuses.  Ovide  exilé  nous 
peint  la  triste  nuit  de  son  départ.  Il  adresse  sa  prière 
aux  dieux  du  Capitole  (sa  maison  était  tout  près  du  tem- 
ple) ;  sa  femme  prie  à  côté  de  lui,  avec  plus  d'effusion 
encore  ;  puis  il  nous  la  montre,  prosternée  devant  les 
images  des  Lares,  les  cheveux  dénoués,  et  baisant  reli- 
gieusement le  foyer  éteint,  en  même  temps  qu'elle  re- 
double ses  piières.  Plus  tard,  comme  elle  est  restée  à 
Rome,  et  qu'il  lui  demande,  dans  une  autre  pièce,  d'al- 
ler solliciter  sa  grâce  de  Livie,  il  recommande  qu'avant 
de  faire  cette  démarche  elle  n'oublie  pas  de  brûler  l'en- 
cens et  de  répandre  des  libations  de  vin  devant  les  dieux. 
De  même  que  la  femme  d'Ovide  baise  son  foyer,  les 
navigateurs,  échappés  aux  dangers  de  la  mer,  baisaient 
dévotement  la  terre  du  rivage;  et  l'armée  d'Antoine, 
après  avoir  fui  péniblement  devant  les  Parthes  pendant 
plusieurs  journées,  ayant  enfin  réussi  à  traverser  l'A- 

1.  Luiîrèco  nous  ilit  que  les  paysans  croyaient  enleiulre  dans  l'écho 
la  voix  lies  Nympiius  et  des  Faunes. 


LA    RELIGION    AU    TEMPS     D'AUGUSTE.         iOT 

raxe,  derrière  lequel  elle  se  sent  sauvée,  baise  aussi  ia 
terre  amie  en  la  touchant. 

Si  l'Église  a  placé  une  de  ses  fêtes  au  l*""  janvier,  la 
Circoncision  de  Jésus-Christ,  c'est  probablement  parce 
que  ce  premier  jour  de  l'année  était  marqué  déjà  dans 
l'ancienne  Rome,  comme  toutes  les  fêtes,  par  tomes 
sortes  de  devoirs  religieux. 

Une  des  pièces  écrites  par  Ovide  dans  l'exil  exprime 
ses  regrets  de  voir  revenir  la  fête  de  Bacchus  sans  pou- 
voir la  célébrer  avec  tous  les  poètes.  Bacchus  était  leur 
patron,  et  à  Rome  sans  doute  comme  en  Grèce,  chaque 
métier,  j'allais  dire  chaque  confrérie  {coUecjium),  avait 
le  sien.  Nulle  part  enfln,  dès  que  les  hommes  prenaient 
intérêt  à  quelque  chose,  ils  n'imaginaient  qu'ils  pussent 
se  passer  des  dieux  et  de  leur  présence.  Il  en  était  de 
même  aux  temps  vériiablement  chrétiens  ;  en  effet,  une 
religion  ne  mérite  le  nom  de  religion  qu'autant  qu'elle 
remplit  ainsi  l'existence.  Elle  n'est  plus  qu'une  tradition, 
non  une  foi  vivante,  si  elle  ne  s'étend  pas  à  tout,  et  s'il 
y  a  des  choses  dans  la  vie  qui  ne  la  regardent  pas. 

J'ai  parlé  des  vœux  publics  ;  ceux  des  particuliers 
étaient  de  tous  les  jours  et  à  propos  de  toutes  circons- 
tances :  vœux  dans  le  travail  de  l'accouchement  ;  vuux 
à  l'occasion  d'un  accident  ;  vœux  dans  la  mêlée.  On  sait 
la  bonne  Vierge  que  Louis  XI  portait  à  son  bonnet 
et  qu'il  invoquait  dans  les  moments  critiques  ;  Sulla  por- 
tait de  même  sur  lui  une  petite  figure  d'Apollon.  Voici, 
dit  Horace,  un  enfant  que  la  fièvre  tient  au  lit  depuis 
plus  de  quatre  mois.  La  mère  fait  vœu,  s'il  guérit,  qu'au 
premierjeùne  solennel,  elle  le  plongera  au  point  du  jour 


208  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGlNEi:. 

tout  nu  dans  le  Tibre.  Il  y  retrouvera  la  fièvre,  en  cas 
que  la  fièvre  l'ait  quitté.  Les  ex-volo  étaient  une  prati- 
que universelle;  ils  couvraient  les  murailles  des  temples 
païens  comme  ils  couvrent  les  murailles  de  nos  églises, 
particulièrement  ceux  des  naufragés.  Enfin,  on  vouait 
un  enfant  aux  dieux,  par  exemple  l'enfant  qui  n'était  ar- 
rivé au  monde  que  par  l'opération  césarienne.  Une  petite 
fille  sauvée  d'un  danger  de  mort  par  une  espèce  de  mi- 
racle est  vouée  à  Diane,  et  destinée,  au  nom  de  la  déesse, 
à  une  perpéluelle  viryinilé. 

Ce  qui  ne  valait  pas  un  vœu  valait  au  moins  une  cx- 
pialion',  l'expiation  était  la  réponse  à  tout  ce  qui  pou- 
vait paraître  une  menace  divine,  comme  un  mauvais 
présage,  et  en  particulier  un  songe.  Et  qu'est-ce  qui 
n'était  pas  un  présage?  C'en  est  un  si,  en  sortant,  on  est 
rappelé  par  un  cri,  par  une  voix  ;  si  on  se  heurte  le  pied 
au  seuil  :  le  présage  peut  être  également  ou  un  accident 
extérieur  ou  une  imprudence.  C'eût  été  un  malheur  d'en- 
trer du  pied  gauche  dans  un  temple  :  pour  prévenir  ce 
malheur,  on  avait  soin  que  les  marches  fussent  en  nom- 
bre impair,  afin  qu'on  n'eût  qu'à  commencer  à  monter  du 
pied  droit  pour  être  assuré  de  poser  d'abord  le  même 
pied  sur  le  saint  parvis.  Si  on  est  en  route,  le  cri  de  l'oi- 
seau nommé  parra  ;  la  rencontre  d'une  louve  ou  d'une 
femelle  de  renard,  quand  elle  est  pleine  ;  un  serpent  qui 
traverse  la  voie,  sont  choses  redoutables.  Au  contraire, 
une  lampe  qui  crache  est  un  présage  heureux  :  stcrniiil 
et  lumen.  Mais  on  s'inquiétait  surtout  des  songes.  On 
avait  vu  en  rêve  une  personne  aimée  sous  un  aspect 
qui  faisait  peine,  un  s  était  réveillé  en  sursaut,  un  se 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         209 

hdlail    d'adorer   les   dieux  des  visions   noclurnes   '. 

Excutior  sonino,  simulacraquo  noctis  adoro. 

On  avait  revu  des  parenls  morts;  au  réveil,  on  s'em* 
pressait  de  ranimer  le  feu  du  foyer  et  d'offrir  aux 
Lares  l'encens  et  la  farine  sacrée.  En  vertu  d'un  songe, 
on  consacrait  une  statue,  une  chapelle  ;  on  pratiquait 
quelque  acte  pieux.  Le  vulgaire,  et  dans  la  passion  touf 
le  monde  était  du  vulgaire,  par  exemple  en  amour, 
allait  se  faire  rassurer  par  des  devineresses  qui  se  char- 
geaient d'expliquer  les  songes.  Quand  le  songeur  était 
un  empereur,  le  songe  pouvait  avoir  des  suites  terri- 
bles :  Tibère  vit  un  jour  une  apparition  qui  lui  ordonna 
de  donner  de  l'argent  à  un  homme  qui  lui  était  désigné; 
il  comprit,  nous  dit-on,  que  cette  vision  avait  été  sus- 
citée par  la  magie,  et  il  fit  tuer  l'homme. 

Une  pieuse  grand'mère  ne  manquait  pas  de  prendre 
son  petit-fils  au  berceau  pour  lui  mettre  au  front  et  aux 
lèvres  de  la  salive  avec  le  doigt  du  miHeu  ;  cela  préser- 
vait du  mauvais  œil.  Quand  une  personne  était  malade, 
on  purifiait  la  chambre  à  trois  fois  avec  du  soufre,  en 
accompagnant  cette  cérémonie  d'une  incantation  magi- 
que; ou  bien,  vêtu  d'une  robe  de  lin  sans  ceinture,  on 
faisait  la  nuit  neuf  invocations  à  Hécate,  la  déesse  des 
carrefours.  Un  amant  qui  avait  fait  cela  pour  sa  niai- 
tresse  se  vantait  de  l'avoir  guérie. 

Ce  qu'il  fallait  expier  surtout,  c'étaient  les  offenses 
commises  contre  les  dieux  mêmes  :  si  on  avait  blas- 
phémé, si  on  s'était  présenté  devant  eux  sans  être  pur, 

II.  u 


210         LE   CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

si  on  avait  dérobé  des  (leurs  à  leurs  autels  ou  dévoilé  le 
secret  de  leurs  mysières.  Alors,  il  fallait  se  prosterner  à 
l'cntiéc  des  temples  et  en  baiser  le  seuil,  en  monter  à 
genoux  les  degrés,  frapper  même  de  sa  tète  coupable 
contre  les  portes  sacrées. 

Une  autre  terreur  était  celle  des  sortilèges  :  ils  ren- 
daient malade;  ils  faisaient  tomber  les  cheveux  d'une 
femme  ;  ils  frappaient  un  homme  d'impuissance.  La  force 
des  malédictions  n'était  pas  moins  redoutable.  Unpoëme 
d'Ovide,  dont  j'ai  parlé  déjà,  imité  d'un  poëme  grec  de 
Callirnacpic  ,  nous  développe  tout  l'appareil  religieux 
avec  lequel  on  dévouait  une  tète  ennemie,  et  les  im- 
précations effrayantes  dont  on  l'enveloppait  pour  ainsi 
dire  ;  ce  sont  des  anathèmes  privés,  pareils  sans  doute 
à  ceux  que  lançait  dans  les  grandes  occasions  la  religion 
publique  des  anciens,  suivie  en  cela  encore  par  la  reli- 
gion nouvelle.  Les  mêmes  formules  ont  servi  depuis 
aux  excommunications  chrétiennes. 

«  Qui  que  vous  soyez,  qui  assistez  à  cet  office  de  ma 
vengeance,  prononcez  des  paroles  de  deuil,  présentez 
au  maudit  un  visage  trempé  de  larmes.  Abordez-le  du 
pied  gauche  avec  de  sinistres  augures;  couvrez-vous 
devant  lui  de  vêtements  noirs.  Mais  toi-même  ,  qu'at- 
tends-tu pour  ceindre  ton  front  des  bandelettes  funé- 
raires? Voici,  voici  l'autel  dressé  pour  ta  mort.  La 
pompe  funèbre  est  toute  prête;  il  est  temps  de  pro- 
noncer les  imprécations  homicides  ;  allons,  tends  lu 
gorge  au  couteau,  victime  abominable.  Q\ie  le  soleil  ne 
luise  plus  pour  toi,  ni  les  rayons  de  Phébé  ;  que  tous  les 
asires  manquent  à  la  fois  à  tes  yeux  !  Que  le  feu  se  re- 


LA    RELIGION    AU    TEMPS    D'AUGUSTE.         211 

fuse  à  tes  besoins,  et  l'air  lai-mcme  ;  que  ni  la  terre  ni 
la  mer  n'aient  de  voie  ouverte  pour  toi  !  Puis^es-tu 
errer,  exilé  et  misérable,  implorant  de  porte  en  porie  le 
secours  d'autrui  et  sollicitant  un  peu  de  pain  d'une 
voix  tremblante  !...  »  Et  cela  continue  pendant  plus  do 
cinq  cents  vers. 

On  vouait  encore  un  homme  à  la  mort  en  gravant  son 
nom  sur  une  lame  de  plomb  avec  des  imprécations  me- 
naçantes. Tacite  raconte  que  les  ennemis  de  Germa- 
nicus  employaient  contre  lui,  entre  autres  maléfices,  ces 
formules  homicides  ;  et  Burnouf  a  justement  ra,)pro- 
ché  de  ce  passage  le  sacrifice  des  ligueurs  au  chant  V  de 
la  Henriade.  Quelquefois  un  mort,  par  une  exécration 
de  ce  genre,  placée  sur  son  tombeau  d'après  son  ordre 
ou  en  son  nom,  appelait  sur  la  tête  de  ceux  par  qui  il 
avait  souffert  la  vengeance  des  dieux  souterrains.  Ainsi 
dans  une  Inscription  d'Athènes  :  «  J'attache  à  ce  plomb 
Satyros,  Sunias,  Démétrios,  et  les  autres  ennemis  que 
je  puis  avoir  ;  je  te  les  remets  tous,  dieusecourable!  Je 
te  les  donne  à  garder  comme  un  dépôt,  et  eux,  et  le 
mal  qu'ils  m'ont  fait  :  Hermès  détenteur,  détiens  fidè- 
lement ces  noms  et  ces  hommes.  Hermès,  Terre,  je  vous 
supplie  de  garder  ces  plaintes  et  de  punir  ceux  ([ue  j'ac- 
cuse. Je  remercie  celui  qui  a  travaillé  ce  plomb.  » 

Je  n'ai  pas  parlé  des  sorts  qu'on  allait  consulter,  non 
plus  au  temple  de  Préneste,  mais  chez  la  première 
vieille  armée  de  son  urne  fatidique,  d'où  elle  tirait  les 
réponses  des  dieux,  ou  les  faisait  tirer  par  un  enfant; 
mais  comment  n'oublierais-je  pas  quelque  chose,  ou  plu- 
tôt, comment  n'oublierais  je  pas  une  foule  de  choses? 


212         LE   CHKISTIANISME   ET   SES  ORIGINES. 

Je  m'arrcte  pourtant  :  des  lecteurs  trouveront  peut- 
être  qu'il  est  grand  temps  ;  ils  demanderont  à  quoi  bop 
ce  recueil  de  faits  cent  fois  cités  et  qu'on  peut  lire  à 
toutes  les  pages  des  classiques,  et  à  qui  est-ce  qu'on 
pense  apprendre  ces  choses.  Je  répondrai  que,  sans 
jjrétendrc  les  apprendre  à  personne,  j'avais  besoin  de 
les  rappeler  et  de  les  rassembler.  Il  ne  s'agit  pas  seu- 
lement de  savoir,  mais  de  sentir  quelle  place  tenait 
alors  la  religion  dans  la  vie  des  hommes  ;  il  faut,  à 
l'aide  des  textes,  traverser,  pour  ainsi  dire,  Rome  en 
tout  sens,  et  coup  sur  coup  prendre  sur  le  fait  les 
croyances  et  les  dévotions  de  toute  espèce!  Quelques- 
uns  de  ces  témoignages  sont  fournis  parles  satiriques, 
qui  s'attachent  surtout  aux  excès  et  aux  aberrations  ; 
mais  la  plupart  appartiennent  à  des  poètes  qui  rendent 
simplement  ce  que  tout  le  monde  éprouve  et  ce  que 
tout  le  monde  fait,  à  commencer  par  eux-mêmes.  Parmi 
les  poètes,  ceux  qui  développent  une  fable  dans  leurs 
poèmes  ne  prêtent  eux-mêmes  à  leurs  personnages  que 
les  sentiments  et  les  actes  qu'ils  trouvent  autour  d'eux; 
mais  pour  les  lyriques  et  les  élégiaques,  ils  expriment 
franchement  leurs  propres  pensées  et  leurs  habitudes. 
Et  si,  en  contraste  avec  la  poésie  du  siècle  d'Auguste,  où 
tout  ce  qui  tient  aux  dieux  reparait  si  souvent,  on  con- 
sidère à  quel  point  se  montre  peu,  dans  les  poèmes  ou 
les  romans  de«  temps  modernes,  le  détail  des  croyances 
et  des  prati(jues  chrétiennes,  on  sentira  combien  le  cli- 
mat des  esi)rits  est  changé,  pour  ainsi  dire,  et  combien 
il  est  devenu  moins  favorable  soit  à  l'épanouissement, 
soit  à  l'éclosion  des  religions. 


CniPITRE   XIII 


LA     PHILOSOPHIE      SOUS      AUGUSTE    ET      TIBÈRE.      

HORACE.    —   LES   DÉGL  A  M  ATEURS.    VALÉRIUS.    — 

LE    JUDAÏSME. 


Étudions  maintenant  l'époque  des  Césars  sous  un 
autre  aspect,  celui  de  la  philosophie  et  de  la  science. 
La  science  d'abord  est  évidemment  peu  de  chose  là  où 
il  y  a  tant  de  superstition.  Le  poëme  de  Manilius,  in- 
spiré par  l'école  savante  des  Stoïques,  et  qui  semble 
consacré  à  ce  que  la  science  a  de  plus  haut,  témoigne 
également  de  l'ignorance  générale  par  les  grands  efforts 
que  fait  l'auteur  pour  foire  entendre  les  vérités  les  plus 
simples,  comme  la  sphéricité  de  la  terre  et  du  ciel  ap- 
parent, et  par  les  étranges  doctrines  que  lui-même  pro- 
fesse en  plus  d'un  endroit.  Ainsi,  pour  s'expliquer  la 
voie  lactée,  il  suppose  que  c'est  une  lézarde  dans  le 
ciel,  et  il  se  montre  naturellement  fort  inquiet  de  voir 
un  pareil  bâtiment  menacer  ruine.  Il  pense,  ou  il  ré- 
pète, que  certains  coquillages  grossissent  à  mesure  que 
la  lune  croît  et  perdent  leur  substance  à  mesure  qu'elle 
décroit.  Il  trace  sur  la  voùle  céleste  des  arcs  de  cercle 
qu'il  croit  réels  et  solides;  ces  cercles,  en  enserrant  le 
monde,  l'empêchent  de  se  désagréger  et  de  tomber,  etc. 


211        LE    CIlRISTIAMSMi:    KT    SES    ORIGINES. 

Quant  au  grand  nombre  des  hommes,  ils  continuaient 
d'ignorer  même  ce  qui  pouvait  se  savoir  de  la  manière 
la  plus  sûre,  comme  la  cause  des  éclipses.  Sônèque 
témoigne  que  de  son  temps  encore  elles  causaient  aux 
populations  une  terreur  profonde;  les  comètes  épou- 
vantaient encore  bien  plus.  Au  commencement  du 
règne  de  Tibère,  un  soulèvement  des  soldats  fut  au  été 
par  une  éclipse  qui  les  effiaya.  Suétone  nous  assure 
qu'Auguste,  qui  avait  grand'peur  du  tonnerre,  et  qui 
se  sauvait  dans  une  cave  quand  il  tonnait,  portait  sur 
lui,  pour  se  préserver,  une  peau  de  veau  marin. 

Encore  une  fois,  la  science  chez  les  anciens  ne  sortait 
pas  des  écoles,  et  ceux  qui  vivaient  hors  des  écoles  ne 
croyaient  pas  en  avoir  affaire,  même  les  lettrés  et  les 
beaux-esprits.  En  tout  sens,  dans  ces  jours  de  décou- 
ragement, l'humanité  s'abandonne  ;  ce  qu'elle  surprend 
en  elle  de  curiosité  ou  de  hardiesse,  elle  le  désavoue  ; 
elle  a  honte  de  l'industrie  comme  de  la  science  ;  elle 
maudit  le  travail  des  métaux,  elle  condamne  enfin  la 
navigation  comme  une  audace  sacrilège  : 

Audax  oninia  porpeli 
Gens  humana  mit  per  velitum  nefas  *. 

C'est  ce  qui  fait  que  la  philosophie  de  cette  époque,  car 
il  est  temps  d'en  parler,  a  de  plus  en  plus  le  caractère 
d'une  religion,  et  qu'elle  est  surtout  pratique  et  édi- 
fiante. 

1.  o  Ilarilio  à  tout  braviT,  la  race  luiniaine  se  jcito  téiiuTairement 
dans  des  voies  interdites.  »  Apres  qu'il  venait  de  dire  :  a  Nos  na- 
vires sacrilégi's  traversent  des  parages  uu'il  notait  pas  permis  d'a- 
border. » 


LA    PHILOSOPHIE   SOUS    AUGUSTE  ET    TIBÈUE.  215 

Il  ne  subsiste  pas  un  seul  écrit  philosophique  du 
siècle  d'Auguste,  et  cependant  on  n'avait  jamais  tant 
philosophé  à  Rome.  Il  ne  se  produisit  alors  ni  un  Cicé- 
ron,  ni  un  Brutus,  ni  un  Sénèque  ;  mais  la  philosophie 
n'avait  pas  besoin  de  trouver  un  de  ces  grands  inter- 
prètes, pour  être  maîtresse  des  esprits.  Des  hommes 
d'ailleurs  éminents,  Asinius  Pollion,  Tite-Live,  avaient 
écrit  des  livres  de  philosophie.  Ils  sont  perdus,  ainsi 
queles  livres  des  Sextius  père  et  fils,  qui  philosophaient 
en  grec,  quoique  Romains.  Mais  toute  la  httéralure  du 
temps  témoigne  de  l'empire  qu'exerçait  alors  la  philo- 
sophie. Si  un  poëte  adresse  à  un  aini  une  lettre  de  con- 
solation, il  lui  dira  :  «  Je  ne  vais  pas  te  redire  les  dis- 
cours des  sages,  que  tu  sais  par  cœur.  »  Quand  Livie, 
la  femme  d'Auguste,  perd  son  fils  Drusus,  elle  se 
remet  pour  être  consolée,  nous  dit  Sénèque,  entre  les 
mains  d'Aréos,  le  philosophe  de  son  mari.  En  effet, 
Auguste  avait  constamment  auprès  de  lui  Aréos  et  ses 
deux  fils,  Denys  et  Nicanor.  Auguste  lui-même  avait 
écrit  une  Exhortation  à  la  philosophie,  Horlaliones  ad 
philosophiam.  Et  il  ne  faut  pas  croire  que  la  philoso- 
phie ne  fût  qu'à  l'usage  des  grands  et  des  personnages. 
Nous  voyons  dans  Horace  un  philosophe,  Stertinius, 
qui  se  trouve  à  point  nommé  sur  le  bord  de  la  rivière 
au  moment  où  un  homme  qui  s'est  ruiné  à  faire  des 
spéculations  va  s'y  jeter.  Il  le  ranime  et  lui  fait  repren- 
dre goût  à  la  vie;  le  malheureux  laisse  pousser  sa 
barbe,  et  le  voilà  philosophe;  car  on  faisait  profession, 
pour  ainsi  dire,  en  philosophie  comme  en  religion,  et 
on  se  séparait  du  monde  par  l'extérieur  même. 


216       LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Ces  sages,  en  se  promenant  ainsi  parles  rues,  étaient 
exposés  aux  insultes  des  polissons  de  Rome  (un  autre 
poëte  dit,  des  filles  publiques),  qui  tiraient  en  passant 
cette  barbe  vénérable  :  ils  n'avaient  pas  trop,  pour 
se  défendre,  du  bâton  qu'ils  portaient  toujours  à  la 
main.  La  milice  philosophique  n'est  pas  imposante  dans 
ces  passages;  mais  les  puissances  po])ulaires  ont  tout  à 
la  fois  des  côtés  vulgaires  et  de  grands  aspects.  On  voit 
ailleurs  la  sagesse  paraître  dans  toute  sa  majesté,  et 
les  sages  présentés  comme  appartenant  plutôt  au  ciel 
qu'à  ce  monde  : 

Credibilo  est  illos  pariter  vitiisque  locisque 
Altius  humanis  exseruissc  capuH. 

Au  défaut  des  prédications  et  des  entretiens  des  philo- 
sophes, qu'on  entendait  alors  tous  les  jours,  mais  qui 
sont  maintenant  évanouis,  il  me  suffit  du  petit  volume 
que  composent  les  œuvres  d'Horace  pour  retrouver 
vivant  cet  esprit  de  moralité  édifiante  et  même  reli- 
gieuse qui  gouvernait  la  vie  intérieure  des  hommes  de 
ce  temps.  Je  ])rie  qu'on  veuille  bien  s'arrêter  un  peu  à 
faire  avec  moi  cette  étude. 

Et  d'abord ,  c'est  à  la  plus  haute  vertu  stoique 
qu'Horace  demande  ses  inspirations ,  toutes  les  fois 
qu'il  fait  de  la  grande  poésie  ;  ses  plus  beaux  vers 
célèbrent  sous  toutes  les  formes  ce  Sage  de  l'École  qui 
est  un  saint,  le  bioihcureux  vérilable^  «  celui  qui  passe 
devant  les  tas  d'or  sans  détourner  les  yeux,  »  —  celui 


1.  a  On  doit  croire  que  leur  loto  s'cièvo  cgaicmeul  au-dessus  do  la 
terre  et  dt<3  vices  de  la  terre.  » 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS  AUGUSTE    ET  TIIîI-.Ui:.  217 

qui,  le  jour  où  la  Fortune  s'envole,  «  rend  sans  peine 
ce  qu'elle  avait  donné,  et,  s'enveloppant  de  sa  vertu, 
épouse  volontiers,  sans  dot,  la  pauvreté  honnête  »  ;  — - 
<c  celui  qui  craint  l'opprolfre  plus  que  la  mort,  et  qui 
n'hésite  pas  à  mourir  pour  ceux  qu'il  aime  ou  pour  la 
patrie.  >  Les  strophes  célèhres  sur  le  Juste  obsliné  : 

Jusium  et  tenacom  propositi  virum, 

qui  ne  fléchit  ni  devant  une  populace,  ni  devant  un 
tyran,  et  qui  ne  tremblerait  pas  quand  le  monde  crou- 
lerait sur  lui,  ont  paru  dignes  d'être  appliquées  au 
Christ  lui-même,  ce  chef  des  martyrs,  et  je  les  ai  vues 
gravées  sur  le  piédestal  d'une  tétedeChrist^  Ceux  qui  se 
défîeraievit  de  l'Horace  des  Odes,  et  qui  craindraient  de 
prendre  trop  au  sérieux  ces  élans  lyriques,  auraient 
tort  à  mon  avis;  car  ces  images  expriment  au  moins 
son  idéal  ;  mais  l'Horace  de  tous  les  jours,  celui  des 
Satires  et  des  Épîtres,  n'a  pas  des  pensées  moins  sé- 
rieuses sous  des  formes  plus  familières.  Dès  qu'il  a  un 
moment  de  libre,  «  sur  le  lit  de  repos,  ou  se  promenant 
sous  le  portique,  il  pense  à  lui  »  ;  il  s'occupe  de  se  cor- 
riger et  de  mieux  vivre.  Et  dans  la  pièce  où  il  peint  avec 
tant  de  charme  la  douce  vie  qu'il  mène  aux  champs  : 
e  On  cause  à  table,  dit-il,  non  pas  de  la  terre  du  voisin 
ou  de  sa  maison,  ou  d'un  mime  qui  danse  bien  ou  mal, 
mais  de  sujets  qui  nous  touchent  davantage,  et  sur 
lesquels  il  est  plus  fâcheux  d'être  ignorant  :  si  c'est  la 

1.  Elait-ce  un  pur  philosophe  qui  avait  fait  cette  application  ? 
N'est-ce  pas  plutôt  un  clirélien  philosophe,  comme  il  y  en  avait  chez 
DOS  pères  des  derniers  siècles  ? 


«18         Li;   ClIIUSTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

furiiii'o  (|iii  fait  le  bonheur,  ou  la  vertu  ',  si  c'est  l'utile 
ou  riioiméte  qui  est  le  principe  de  l'amitié;  enlin  quelle 
est  res.-cnce  du  bien, et  qu'est-ce  qu'il  fautappoler  bien 
suprême?  »  Nous  ne  causons  guère  aujourd'hui  de  ce? 
choses-là  au  dessert  ni  au  snlon.  C'est  ainsi  (luc  les  eo  • 
scignemenls  philosophiques  se  mêlaient  à  la  vie  entière 
d'un  honnête  homme,  à  peu  près  comme  la  Bible 
se  mêle  à  l'existence  d'un  vrai  protestant.  Mais  environ 
dix  ans  après  cette  pièce,  à  l'âge  de  quarante-cinq  ans, 
(il  mourut  à  cinquante-sept),  il  écrivait  sa  première 
Épitre,  où  il  philosophe  plus  que  jamais.  Nos  pères 
du  xvn''  siècle,  arrivés  à  un  certain  âge,  se  tournaient 
vers  la  dévotion  ;  il  en  fait  autant  à  sa  manière  :  «  Je 
laisse  là  les  vers  et  les  bagatelles  ;  je  m'inquiète  du  vrai 
et  du  bien,  et  me  donne  à  cela  tout  entier...  Je  trouve 
le  temps  long  et  pénible  à  supporter,  tant  qu'il  me  faut 
ajourner  l'espoir  et  la  résolution  de  m'appliquer  de  tout 
cœur  à  la  seule  affaire  qui  profile  également  au  pauvre 
et  au  riche,  qu'on  souffre  également  d'avoir  négligée, 
jeune  homme  ou  vieillard...  Ton  âme  est  tourmentée 
de  l'amour  de  l'argent,  ou  de  tout  autre  désir  dange- 
reux :  eh  bien  !  il  y  a  des  paroles  qui  peuvent  soulager 
ton  mal,  et  t'en  délivrer  en  grande  partie.  L'amour  de 
la  louange  te  monte  au  cerveau  :  il  est  telle  pratique 
salutaire,  il  est  tel  livre  qui,  lu  par  trois  fois  suivant 
les  rites,  accomplira  ta  guérison.  »  C'est  ainsi  qu'il 
apprenait  à  se  retrancher  dans  une  conscience  pure 
<'omme  dans  une  forteresse  : 

Hic  munis  aheneus  esto, 
Nil  coQscire  sibi,  iiulla  pallescere  culpa  «  ; 

1.  <t  Que  ce  si)it   là  pour  toi   un  mur  d'airain,  de  n'avoir  rien  sur 
la  conscience,  pas  de  remords  qui  te  fasse  pâlir.  » 


LA    PMILOSOPIIIE    SOUS    AUGUSTE    ET    TIBÈRE.  219 

et  il  adressait  à  ses  amis  les  mêmes  conseils  :  «  Les 
brigands  se  lèvent  bien  dans  la  nuit  pour  égorger  un 
homme.  Quand  il  .''agit  de  ton  salut,  ne  te  décideras-tu 
pas  à  t'éveiller?  Écoute  :  pour  n'avoir  pas  voulu  te 
donner  un  peu  de  peine  en  santé,  il  faudra  t'évertuer 
étant  malade.  Si  tu  ne  demandes  pas  avant  le  jour  un 
livre  et  une  lampe,  si  tu  n'appliques  pas  ton  esprit  à  la 
sagesse  et  à  l'honnête,  ce  sera  l'amour  ou  la  jalousie 
qui  t'ôtera  le  sommeil  en  te  faisant  souffrir.  Quand 
quelque  chose  te  blesse  l'œil,  tu  l'enlèves  tout  de  suite; 
et  le  mal  qui  te  ronge  l'àme,  tu  remets  à  long  terme  à 
le  traiter  !  Si  tu  commençais  seulement,  la  chose  serait 
à  moitié  faite  \  décide-toi  à  être  sage;  mets-toi  à  l'œu- 
vre. Qui  recule  l'heure  de  bien  vivre  ressemble  au 
paysan  qui  attend  que  la  rivière  ait  fini  de  couler  ;  la 
rivière  coule  et  coulera  sans  s'arrêter,  à  tout  jamais.  » 
C'est  le  thème,  souvent  traité  par  nos  sermonnaires, 
des  Délais  de  la  Conversion,  ou  du  Retardement  de  la 
Pénitence,  Et  il  conclut  :  «  Jeune  homme,  c'est  aujour- 
d'hui même  qu'il  faut  que  ton  cœur  tout  neuf  boive  les 
paroles  salutaires;  qu'il  faut  aller  chercher  ceux  qui 
valent  mieux  que  toi.  »  Les  hommes  du  siècle  d'Au- 
guste travaillaient  donc  à  leur  salut  tout  comme  ceux  du 
siècle  de  Louis  XIV,  et  par  les  mêmes  moyens  :  médi- 
tations, lectures,  conversations  édiûantes  ;  et  ce  mol 
même  de  salut,  pour  le  dire  en  passant,  vient  de  la 
philosophie  et  non  de  la  Bible.  Mais  au  temps  da 
Louis  XIV,  ces  moralités  constituaient  une  langue  à 
part,  réservée  aux  prêtres  et  aux  dévots,  et  que  les 
gens  du  monde  ne  pouvaient  guère  parler  sans  affec- 


220        Li:    CHRISTIANISME    ET     SES    ORIGINES. 

talion  ;  tandis  qu'Horace  prêchait  sa  morale  librement 
et  sur  le  ton  naturel,  et  c'est  ce  qui  fait  qu'on  se  plait 
tant  à  ses  sermons. 

Je  ne  joue  pas  ici  sur  le  mot  latin  sermones,  par 
lequel  Horace  désigne  ses  Entretiens  de  morale,  mais  il 
est  certain  qu'au  sens  même  du  mot  français,  la 
plupart  de  ses  Satires  et  de  ses  Épitres  sont  des 
sermons  familiers.  Dans  les  Satires,  il  est  prédicateur 
et  parle  à  la  foule;  dans  les  Épîlres,  il  est  plutôt  direc- 
teur de  conscience  et  occupé  de  tel  ou  tel  de  ses  amis  ; 
non  que  ce  qu'il  adresse  à  cet  ami  ne  puisse  profiter 
à  tous ,  mais  il  n'en  a  pas  moins  particulièrement 
en  vue  celui-ci  ou  celui-là.  Quand  il  parle  à  3Ié- 
cène,  il  évite  sans  doute  avec  soin  d'avoir  l'air  de 
lui  faire  la  leçon  ;  et  la  morale  qui  remplit  son  Épître, 
il  affecte  de  se  l'adresser  à  lui-même.  Mais  il  est  plus 
libre  avec  Tibulle  ou  avec  de  jeunes  amis  qui  sont 
des  disciples,  comme  les  Lollius,  les  Florus,  les  Iccius 
et  d'autres  encore.  Quelques-uns  parmi  eux  faisaient 
avec  éclat  profession  de  la  vie  philosophique,  comme 
Iccius,  par  exemple,  adepte  de  l'école  pylhogorique, 
qui  vivait  au  besoin  de  poissons  et  de  légumes  avec 
de  l'eau  pure.  Cela  ne  l'avait  pas  empêché  d'aller 
guerroyer  en  Asie  pour  faire  fortune  ;  mais  Horace  lui 
disait  alors  dans  une  ode  légère  :  «  Tu  ne  philosophe- 
ras donc  plus?  Que  vas-tu  faire  de  toute  ta  biblio- 
thèque d*^  philosophes  ?  »  Horace  écrit  à  Tibulle  :  «  Te 
promènes-tu  doucement  à  l'ombre  fraîche  de  tes  bois, 
occupé  des  pensées  qui  conviennent  au  sage  et  à 
l'honnête  homme?...  Préserve-toi  également  des  vaincs 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS  AUGUSTE    ET   TIBÈRE.  221 

espérances  et  des  inquiétudes,  des  emportements  et 
des  faiblesses;  et  persuade-toi  que  chaque  jour  qui  te 
luit  est  le  dernier  de  tes  jours,  » 

C'est  à  Lollius  qu'il  adressait  la  belle  Épître  phi- 
losophique dont  je  citais  tout  à  l'heure  un  passage  si  vif 
et  si  pressant.  C'est  à  lui  qu'il  écrit  encore  :  «  A  travers 
toutes  tes  occupations,  tu  liras,  tu  interrogeras  les  sages; 
ils  te  diront  le  moyen  de  couler  doucement  ta  vie...,  de 
te  préserver  des  soucis  et  d'être  content  de  toi-même 
{(juid  te  tibireddat  amicum).  t>  Il  dit  de  même  àFlorus  : 
«  Si  tu  pouvais  renoncer  à  tout  ce  qui  nourrit  tes  soucis 
et  engourdit  ton  âme,  tu  atteindrais  au  but  où  Cap- 
pelle  îtne  sagesse  vraiment  divine  : 

Quo  le  cœlestis  sapientia  duceret  ires.  » 

II  lui  écrivait  encore,  cachant  le  conseil  sous  la  forme 
d'une  confession  :  «  Il  est  à  propos  de  devenir  sage,  de 
dire  adieu  aux  frivolités,  d'abandonner  à  ceux  qui  sont 
jeunes  les  amusements  de  leur  âge...  Je  me  dis  donc, 
ruminant  tout  bas  ces  pensées  :  Si  tu  le  sentais  pris  du 
mal  qui  donne  toujours  soif,  tu  consulterais  les  méde- 
cins; et  quand  tu  vois  que  plus  tu  as,  plus  tu  désires, 
tu  n'iras  pas  aussi  consulter  !  »  Puis  il  ajoute  que  la 
cupidité  n'est  pas  tout,  qu'il  y  a  d'autres  maladies  dont 
il  faut  se  guérir  encore  :  la  vaine  gloire,  la  colère,  la 
peur  de  la  mort,  les  superstitions  ;  il  faut  surtout  se 
faire  doux  et  bon  à  l'approche  de  la  vieillesse  : 

Lenior  et  melior  fis  accedenle  senecta? 

J'ai  dit  qu'Horace  se  confesse;  car  lui,  qui  prêche  si 


5W2        LE   CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

bien,  n'est  pas  toujours  cont<^nt  do  lui-même,  et  ii  écrit 
à  un  autre  ami  qu'il  ne  se  sent  pas  bon^  et  que,  par 
conséquent,  il  n'est  pas  heureux  {vivere  nec  recte  nec 
suaviler)  ;  l'àme  est  ce  qu'il  y  a  en  lui  de  moins  bien 
portant.  Quand,  après  cela,  il  souhaite  à  Celsus  la  santé, 
Ceisus  comprendra  ce  qu'il  lui  souhaite. 

Dans  ces  prédications  familières,  Horace  ne  recule 
pas  devant  les  pensées  les  plus  fortes.  En  recomman- 
dant à  Quinctius  d'être  honnête  homme,  il  définit  en 
philosophe,  et  cette  fois  en  Stoïque,  l'honnête  homme  ou 
le  Sage,  et  couronne  tout  nalurellementsa  définition  par 
cette  grande  idée  de  l'affranchissement  de  la  vertu  par 
la  mort,  la  plus  haute  de  celles  où  se  complaisait  l'école. 
Il  emprunte  à  la  tragédie  grecque  la  scène  où  Bacchos, 
sous  la  figure  d'un  homme,  est  amené  devant  Penihée, 
le  roi  des  Thébains.  Penthée  menace  et  ne  réussit  pas  à 
l'effrayer.  «  Jeté  tiendrai  dans  les  chaînes.  »  L'inconnu 
répond  :  «  Un  Dieu  me  délivrera  dès  que  je  voudrai.  » 
Et  Horace  ajoute,  en  oubliant  la  fable  antique  :  «  H 
veut  dire  :  Je  puis  mourir.  »  —  Comme  on  sent  bien 
que  c'était  là ,  depuis  le  grand  exemple  de  Caton, 
célébré  par  Horace  lui-même ,  un  lieu  commun  à 
l'usage  de  tous  les  nc)blcs  esprits  !  Cet  exemple  et  cette 
philosophie  semblaient  autoriser  le  suicide,  mais  con- 
sacraient encore  mieux,  pour  qui  savait  les  entendre, 
une  espèce  de  suicide  plus  pur,  celui  qui  consiste  à 
confesser  sa  foi  par  sa  mort  même.  Il  n'y  a  pas  loin  du 
personnage  qu'Horace  amène  devant  Penthée,  à  un 
martyr  devant  le  tribunal  d'un  proconsul. 

Horace  a  tant  besoin  de  philosopher  qu'il  philosophe 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE    ET    TIBÈRE.  2Î3 

même  avec  son  villicus,  l'esclave  régisseur  de  son  do- 
maine :  «  Voyons,  dit-il,  qui  fera  le  mieux  de  nous 
deux,  loi  sarclant  mon  chnmi)  et  moi  mwn  âme,  et  qui 
sera  en  meilleur  éiat,  d'Horace  ou  de  son  hien.  »  Ail- 
leurs, il  met  en  scène  un  esclave  de  la  ville,  plus  ou- 
vert d'esprit  et  plu-  raffiné;  et  celui-là,  il  le  fait  philo- 
sopher lui-même.  Dave  prouve  à  son  maitre,  d'après 
les  Stoïques,  qu'il  n'est  pas  plus  libre  que  son  esclave, 
n'étant  pas  plus  maître  de  ses  passions;  il  débite  tout 
ce  qu'il  a  appris,  dit-il,  chez  le  portier  d'un  philosophe. 
Sans  croire  que  Dave,  même  avec  les  instructions  de  ce 
portier,  raisonnât  aussi  bien  tous  les  jours,  il  est  à 
croire  qu'en  effet  dans  Rome ,  à  tous  les  étages ,  on 
pouvait  attraper  quelque  chose  de  la  morale  qui  sor- 
tait de  la  bouche  des  philosophes  de  profession. 

Maintenant  considérons  que  c'est  un  poëte  chez  qui 
je  recueille  tous  ces  témoignages,  un  poëte  qui  chantait 
le  vin  et  la  volupté,  dont  les  mœurs  étaient  bien  loin 
d'être  austères,  et  qui  se  nommait  lui-même  spirituel- 
lement un  pourceau  du  troupeau  d'Epicure.  C'est  lui 
qui  travaille  ainsi  à  s'édifier  et  à  édifier  les  autres  ;  qui 
nous  montre  ceux  avec  qui  il  est  en  commerce  occupés  des 
mêmes  pensées  que  lui;  et  qui  n'a  pas,  pouraiisi  dire, 
d'autre  sujet  que  la  morale  :  qui  ne  parle  que  de  mé- 
ditations, de  bonnes  lectures,  de  conversion  et  de  gué- 
rison  ;  qui  nous  dit  de  songer  que  chaque  jour  peut  être 
le  dernier,  de  ne  pas  étouffer  sous  les  jouissa?}ces  du 
corps  l'étincelle  divine^  d'affranchir  l'âme  enfin  par 
tous  les  moyens,  fût-ce  par  la  mort.  Nous  pouvons 
imaginer  par  là  ce  que  prêchaient  des  voix  plus  impo- 


22i  LE   CIIR1STIANIS3IE   ET   SES    ORIGINES 

santés  et  plus  sévères;  et  nous  ne  craindrons  pns  de 
])arle!',  (luelijue  paradoxale  que  soit  l'expression  ,  du 
christianisme  d'Horace,  en  ce  sens  qu'il  existe  déjà  au- 
tour de  lui,  au-dessus  de  lui  si  l'on  veut,  un  esprit 
chrétien. 

On  en  surj)rend  les  inspirations  jusque  dans  les 
poêles  erotiques.  C'est  un  Properce  qui  condamne  si  sé- 
vèrement les  peintures  licencieuses  qui  apprennent  le 
mal  aux  yeux  encore  innocents.  C'est  un  Ovide  qui  dé- 
clare que  le  péché  est  dans  la  volonté,  et  que  là  même  où 
le  corps  est  gardé,  l'àme  peut-être  adultère.  Mais  si  on 
sort  des  poésies  d'amour,  on  trouve  dans  Properce  lui- 
même  la  belle  Élégie  où  Cornélia  morte  s'adresse  pour 
la  dernière  fois  à  son  Paulus  ;  elle  veut  qu'on  grave  sur 
5a  tombe  qu'elle  a  été  la  femme  d'un  seul  mari.  Elle  se 
présente  avec  confiance  devant  les  juges  des  morts  : 
fai  vécu  sans  tache,  dit-elle,  entre  les  deux  torches  (la 
torche  du  mariage  et  celle  des  funérailles)  : 

Viximus  insignes  inter  ulramqiie  faccm. 

Elle  ri  a  pas  eiibesoin,  d'ailleurs,  t/e  la  crainte  d'un  juge 
pour  être  pure  ;  j'ai  déjà  rappelé  ces  belles  paroles  : 

No  possim   mtîlior  judicis  esse  melu. 

Elle  se  promet,  ou  plutôt  le  poëte  se  promet  pour  elle, 
({u'outre  les  hommages  des  hommes  qui  la  pleurent,  la 
terre  où  elle  entre  lui  fera  un  bon  accueil,  et  peut-être  le 
ciel  même,  car  le  ciel  s'est  ouvert  plus  d'une  fois  à  la 
vertu.  Rien  de  plus  imposant  que  cette  noble  profession 
de  foi  conjugale  \  mais  plus  attachante  encore  est  l'image 


LA    PHILOSOPHIE    SOlS    AUGUSTE    ET    TIBÈUE.  225 

de  cette  numblc  mère  de  famille  que  Virgile  nous  a  re- 
présentée en  passant,  qui  se  lève  avant  la  lumière,  et  ral- 
lume le  feu  couvert  sous  la  cendre  })our  travailler  avec 
ses  femmes  jusque  dans  la  nuit,  afin  d'assurer  la  pu- 
reté du  lit  nuptial  et  d'élever  ses  enfants  en  bas  âge. 
C'eslV homièlc  fciniiie  (ou  femme  forte)  du  livre  des  Pro- 
verbes, avec  je  ne  sais  quoi  de  plus  recueilli  et  de  plus 
touchant. 

La  prière  que  fait  Cornélia  ,  qu'on  écrive  sur  sa 
pieic:;  que  l'époux  chez  qui  elle  meurt  a  été  son  seul 
époux,  n'est  pas  un  trait  isolé.  Femme  d'un  seul  mari 
était  un  titre  d'honneur,  d'autant  plus  consacré  par  la 
conscience  publique  que  la  facilité  des  divorces  donnait 
de  plus  grands  scandales  ^  ;  univîra  ou  univiria  se  lit 
encore  dans  plusieurs  Inscriptions  funéraires.  Parmi  les 
enfants  que  Cornélia  laisse  à  Paulus,  il  y  a  une  fille  : 
«  Imite-moi,  lui  dit-elle,  et  ne  sois  non  plus  qu'à  un 
seul.  y>  Didon  s'écrie  dans  Virgile,  au  moment  où  elle 
se  sent  gagnée  par  un  nouvel  amour,  qui  trouble  en  elle 
le  souvenir  de  Sichée  :  «  Mais  que  le  père  des  dieux  me 
frappe  de  sa  foudre  pour  me  jeter  parmi  les  pâles 
ombres  de  l'Érèbe  et  dans  leur  profonde  nuit,  avant 
que  je  t'offense,  ô  pudeur  sainte!  et  que  je  viole  tes 
lois.  Celui  qui  le  premier  s'unit  à  moi  a  emporté  mon 
amour;  qu'il  le  garde  enfermé  avec  lui  dans  son  tom- 
beau !  »  Didon,  il  est  vrai,  a  peut-être  la  conscience 
secrète  qu'elle  ne  peut  appartenir  à  Énée  par  un  ma- 


1.  Quœ  uno  coiUentœ  malrimonio  fuerant  corona  pudicilia;  lionora- 
bantur.  «  Les  femmes  qui  s'en  élaiont  tenues  à  un  seul  mariage 
recevaient  la  couronne  de  la  cliasieté.  a 

II.  15 


226        LE    CIIIUSTIANISME    ET    SES    ORIGI>'ES. 

riage  légitime;  mais  certainement  il  y  a  aussi  dans  ses 
paroles  le  même  sentiment  qui  inspire  la  Cornélia  de 
l'Élégie.  Ainsi  l'effronterie  même  des  désordres,  en  ré- 
voltant l'imagination,  avait  suscité  une  délicatesse  qui 
regardait  le  second  mariage  d'une  femme  veuve  comme 
une  profanation.  Et,  au  contraire,  on  honorait  presque 
comme  une  Vestale  la  femme  qui,  étant  demeurée  veuve 
dans  la  fleur  de  l'âge  et  de  la  beauté,  restait  allachêe  et 
comme  mariée  à  la  chambre  où  sa  belle-mère  la  lenaii 
som  sa  garde.  Quand  nous  verrons  plus  tard  tout  un 
parti  dans  l'Église  condamner  les  secondes  noces,  et 
Tertullien  se  faire  l'interprète  et  le  champion  ardent  de 
ces  idées,  reconnaissons  que,  pour  en  trouver  la  source, 
qui  certes  n'est  pas  juive,  on  doit  pourtant  remonter 
plus  haut  que  les  temps  chrétiens.  Je  me  complais  à 
citer  des  poètes;  car  les  sentiments  qui  paraissent  dans 
leurs  vers  sont  ceux  de  tous  les  esprits  délicats,  et 
n'ont  pas  la  marque  d'une  école  ni  d'un  système. 

Cependant  nous  voudrions  bien  entendre  les  philo- 
sophes eux-mêmes,  et  jusqu'à  un  certain  point  nous  le 
pouvons  encore,  du  moins  pour  lafin  du  règned'Auguste. 
C'est  alors  que  florissaient  ces  écoles  d'éloquence  où  des 
maîtres,  qui  n'étaient  souvent  orateurs  que  pour  l'école 
même,  prononçaient  des  discours  appelés  déclamalions 
(c'étaient  le  plus  souvent  des  plaidoyers),  sur  des  sujets 
fictifs  et  bizarres,  imaginés  pour  ces  exercices.  Sénèque, 
père  du  philosophe,  avait  fait  un  recueil,  qui  subsiste, 
des  traits  qui  l'avaient  surtout  frappé  dans  ces  décla- 
mations. Beaucoup  de  ces  traits  sont  empruntés  à  l'en- 
seignement des  philosophes;  car  les  déclamalcurs  étaient 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE    ET    TIBÈRE,  i'27 

leurs  élèves  et  tout  pleins  de  leurs  leçons;  et  les  philo- 
sophes eux-mêmes  avnicnt  été  quelquefois  déclama^ 
leurs.  Quoiqu'il  y  ait  là  de  temps  en  temps  des  traits 
de  philosophie  critique,  c'est  n.iturellemeiit  la  philoso- 
phie religieuse  et  morale  qui  donn'ne  dans  les  déclama- 
tions. On  y  trouve  de  vives  expressions  du  spiritualisme: 
la  foi  à  la  divinilè  [divinilas);  c'est  peut-être  la  première 
fois  que  se  rencontre  en  latin  ce  mot,  qui  dcb. masse 
l'esprit  en  quelque  sorte  du  polythéisme.  On  y  lit  sur 
la  charité  les  choses  les  plus  vives  :  «  C'est  un  homme  : 
je  ne  donnerais  pas  du  pain  à  un  homme?...  Il  est  des 
devoirs  qui  ne  sont  pas  dans  la  loi,  et  qui  sont  plus 
impérieux  que  les  droits  écrits...;  donner  l'aumône  à 
un  mendiant,  la  sépulture  à  un  cadavre.  On  est  coupable 
de  ne  pas  tendre  la  main  à  qui  est  à  terre  ;  c'est  là  une 
loi  aussi,  la  loi  de  l'humanité  *.  »  —  On  n'y  parle  de 
l'exposition  des  enfants  que  comme  d'une  cruauté]  et  à 
ce  propos  il  est  remarquable  qu'Ovide,  ayant  à  raconter 
un  de  ces  romans  où  un  père  ordonne  que  l'enfant  qui 
naîtra  soit  sacriOé  si  c'est  une  fille,  nous  montre  ce 
père  lui-même  embarrassé  de  son  arrêt,  et  demandant 
pardon  à  cette  religion  de  la  nature,  qu'il  outrage  : 
invilus  mando  ;  pielas,  ignosce  -. 

>"ou3  lisons  encore  dans  le  recueil  deSénèque  le  père 
une  invective  éloquente  outre  toutes  les  insultes  à  la 
dignité  humaine  qu'on  se  permettait  alors  sur  des  créa- 

1.  Ovide  condamnait  celui  qui  avait  refusé  à  des  niallteureux  une 
misérable  nourriture, 

Vilia  qui  quondam  miseris  alimeiila  negarat. 

2.  «  Je  ne  doune  cet  ordre  qu'à  contro-cœur  :  [  ardonna,  ô  natura 
sainte  !  > 


228        LE   CHRISTIANISME  ET   SES  ORIGINES. 

tures  placées  en  dehors  de  la  cité  et  de  la  loi  :  des  trou- 
peaux d'eunuques  remplissant  les  grandes  maisons,  au 
service  du  luxe  et  de  l'impudicité  ;  les  hommes  libres 
eux-mêmes  victimes  d'un  brigandage  organisé  pour  rem- 
plir ces  bagnesoùétaitcngloutie  toute  une  population  de 
forçais  qu'on  employait  à  la  culture  des  grands  domai- 
nes; d'autres  embauchés  par  surprise  et  enrôlés  dans  des 
bandes  de  gladiateurs.  Ce  sont  à  peu  près  les  mêmes 
mœurs  que  les  évêques  chréiiens  flétriront  plus  tard 
avec  la  môme  éloquence.  Le  déclamaleur  romain  fait 
celte  sortie  à  l'occasion  d'un  de  ces  thèmes  proposés 
dans  les  écoles,  où  on  s'attachait  à  trouver  quelque 
chose  d'outré  et  d'extraordinaire  ^pour  pousser  jusc/uà 
l'excès  l'hyperbole  des  orateurs  :  on  met  en  cause  un 
homme  qui  élève  des  enfants-trouvés  pour  les  faire 
mendier,  et  qui  les  estropie  afin  qu'ils  mendient  plus 
fructueusement.  Voilà  un  beau  sujet  pour  l'indignation  ; 
mais  l'auteur  de  ce  tableau  répondait  à  cette  indigna- 
tion par  une  amère  ironie,  en  demandant  si  les  hoiuicles 
gens^  coupables  eux-mêmes  de  tant  d'attentats,  avaient 
bien  le  droit  de  condamner  ce  misérable.  Et  un  autre 
s'écriait,  avec  un  sarcasme  tout  semblable  :  «  Eh  Ijien  ! 
il  y  aura  moins  de  pères  pour  exposer  leurs  enfants.  » 
On  voit  donc  qu'en  même  temps  que  ces  iniquités  s'é- 
talaient au  dehors  dans  la  vie,  la  conscience  prolestait 
au  dedans  et  prenait  la  philosophie  et  l'éloquence  pour 
interprèles..  Ovide  aussi,  élève  de  ces  mêmes  écoles, 
maudit  quelque  part,  à  ])ropos  d'un  eunuque,  celui  qui, 
le  premier,  mutila  ainsi  des  enfants.  Un  autre  scandale, 
celui  des  avorlements,  est  flétri  également  par  le  poëte 


LA    PHILOSOPHIE   SOUS  AUGUSTE   ET    TIBÈRE.  ^29 

et  l'était  par  tout  le  monde.  Si  une  femme  qui  a  arraché 
le  fruit  de  ses  entrailles  meurt  victime  elle-même  de 
ses  manœuvres,  tous  ceux  qui  la  voient  poi'ter  sur  le 
lit  funèbre  s' écrient  qu'elle  a  bien  mérité  soi  sort. 

Le  sentiment  de  l'éi^alité  des  hommes,  déjà  si  vif  au 
siècle  qui  a  suivi  Alexandre,  l'était  devenu  de  jour 
en  jour  davantage.  La  distinction  des  races,  qui  a  tant 
favorisé  chez  les  modernes  le  préjugé  de  l'esclavage, 
manquait  à  la  servitude  antique.  Les  esclaves  étant  de 
ia  même  espèce  que  les  hommes  libres,  le  passage  en 
était  plus  facile  de  l'une  de  ces  conditions  à  l'autre;  et 
en  effet  on  voyait  tous  les  jours  des  esclaves  entrer,  par 
la  porte  de  l'affranchissement,  dans  la  condition  des 
citoyens.  Il  y  avait  en  Grèce  une  espèce  d'affranchisse- 
ment qui  appartient  à  l'histoire  religieuse,  c'est  celui 
qui  s'accomplissait  sous  la  forme  de  vente  de  l'esclave 
à  un  dieu  (particulièrement  l'Apollon  de  Delphes^  pour 
être  libre  (c'est  la  formule)  sous  cette  garantie  sai^rée  ; 
en  réalité  ce  n'était  pas  une  vente,  mais  un  rachat.  Un 
grand  nombre  d'Inscriptions  nous  ont  conservé  des 
actes  de  ce  genre;  tout  récemment  encore  MM.  Foucart 
et  Wescher  en  ont  trouvé  à  Delphes  plus  de  quatre 
cents  ;  elles  sont  toutes  du  second  siècle  avant  notre  ère. 
^ui  payait  la  somme  pour  laquelle  le  dieu  était  censé 
i!cquérir  l'esclave?  Si  c'était  l'esclave  lui-même,  l'es- 
clavage était  donc  assez  doux  et  laissait  au  serviteur 
assez  de  droits  pour  que  celui-ci  pût  amasser  la  somme 
nécessaire  à  sa  liberté.  Si  c'était  un  bienfaiteur,  l'esclave 
en  trouvait  donc,  môme  en  mettant  cà  part  les  affran- 
chissements dus  à  l'amour.  Mais  il  y  a  lieu  de  croire 


230  LE   CIiniSTIANlSME  ET   Si:S  ORIGINES. 

que  dans  bien  des  cas,  ceux  par  exemple  où  le  prix  n'est 
pas  marqué  dans  l'acte,  le  marché  n'était  qu'une  fiction, 
une  simple  forme  ayant  pour  objet  de  créer  des  gn- 
ranlies,  et  qu'il  n'y  avait  en  réalité  qu'un  affranchis- 
sement. On  en  vint  même  à  se  dispenser  de  cette  fiction, 
en  parlant  dans  l'acte,  non  plus  d'une  vente,  mais  d'une 
consccralion  au  dieu  ;  certaines  Inscriptions  ne  portent 
pas  autre  chose.  Même  quand  le  prix  est  indiqué,  ce 
prix,  fixé  le  plus  souvent  assez  bas,  semble  être  nota- 
blement au-dessous  du  prix  réel.  C'étaient  donc  là  des 
actes  de  bienfaisance  domestique,  et  l'habitude  de  les 
accomplir  sous  la  sanction  d'un  dieu  a  dû  en  faire  peu 
à  peu  une  e.-pèce  de  dévotion,  elles  multiplier  par  cela 
même.  Il  est  certain  que  ce  dieu  qui  ne  reçoit  un  es- 
clave que  pour  le  rendre  libre,  à  ainsi  un  caractère  dont 
on  ne  peut  méconnaître  la  sainteté. 

Quant  à  ce  qui  est  de  Rome,  nous  savons  que  l'af- 
franchissement pur  et  simple,  surtout  l'affranchisse- 
ment testamentaire,  s'y  était  multiplié  au  temps  des 
Césars  à  tel  point,  que  les  partisans  jaloux  des  anciennes 
institutions  ne  le  pouvaient  plus  supporter  et  deman- 
daient (]ue  la  loi  y  mit  obstacle.  Nous  ne  sommes  donc 
pas  éloniés  de  lire  dans  le  recueil  de  Sénèque  le  père  : 
c  La  nature  n'a  fait  ni  homme  libre  ni  esclave;  ce  sont 
des  noms  que  le  caprice  de  la  fortune  a  donnés  à  cha- 
cun ».  Paul  dira  bientôt  qu'il  n'y  a  pas  de  distinction 
d'homme  libre  et  d'esclave  dans  le  Christ  ;  il  est  encore 
mieux  de  dire  qu'il  n'y  en  a  pas  dans  la  nature. 

Voyez  encore  ces  maximes  :  «  Un  père  ne  peut  se 
permettre  envers  son  fils  (pic  ce  qui  est  juste.  »  —  Il 


LA    PHILOSOPllIE   SOUS    AUGUSTE    ET    TiDfiRE.  231 

n*y  a  pas  de  loi  qui  puisse  ordonner  un  crime.  »  Ce 
sont  là  autant  de  pierres  d'attente  sur  lesquelles  le 
inonde  chrétien  bâtira.  Voilà  pour  la  charité  ei  l'humn- 
nité  ;  voici  pour  ce  qui  regarde  la  femme  et  le  mariage  : 
«  La  femme  mariée  qui  veut  être  protégée  contre  deâ 
sollicitations  libertines,  doit  se  montrer  sans  avoir  jjris 
soin  d'elle  qu'autant  qu'il  le  faut  pour  la  propreté  ;  elle 
aura  avec  elle  des  femmes  d'un  âge  qui  suffise,  à  dé- 
faut d'antres  choses,  pour  repousser  les  séducteurs  par 
le  respect  dû  à  leurs  années  ;  elle  tiendra  ses  yeux 
baissés  vers  la  terre  ;  provoquée  par  un  salut  trop  en- 
gageant, elle  aimera  mieux  manquer  à  la  civilité  qu'à 
la  pudeur;  s'il  faut  absolument  qu'elle  le  rende,  tout 
son  visage  se  couvrira  d'une  rougeur  qui  sera  un  enga- 
gemen!  de  chasteté,  de  manière  que  son  air,  bien  avant 
sa  parole,  refuse  de  pécher.  »  Voilà  certes  une  sévérité 
que  n'avouera  pas  une  sagesse  plus  raisonnable,  plus 
confiante  dans  l'honnêteté  naturelle,  et  qui  ne  croit  pas 
que  la  vertu  doive   être  gardée  par  une  duègne,  ni 
qu'une  femme,  ou  même  une  fille,  doive  avoir  les  yeux 
baissés  pour  les  avoir  purs.  Nous  laissons  cette  morale- 
là  à  l'Arnolphe  de  3Iolière.  Mais  Arnolphe  parlait  comme 
les  écrivains  ecclésiastiques,  et  ceux-ci  comme  les  Pères  ; 
et  les  Pères  eux-mêmes  parlaient  comme  avait  parlé 
avant  eux  la  sagesse  du  monde  ancien.  On  voit  qu'elle 
ne  péchait  pas  pour  être  trop  reiàchée,  mais  que  la  mo- 
rale était  au  contraire  d'autant  plus  exigeante  et  plus 
austère  qu'il  y  avait  des  mœurs  plus  corrompues,  et  en 
raison  même  de  cette  corruption. 

On  lit  avec  plus  de  satisfaction  ces  réflesions  s'jr  la 


232        LE    CHRISTIANISME    ET    SES     ORIGINES. 

femino  (ju'il  faut  désirer  :  «  Si  elle  aime  son  engage- 
ment, si  elle  ne  met  rien  avant  son  mari,  si  elle  est 
charitable  {misericors)^  si  elle  est  courageuse  et  capa- 
ble de  porter  avec  lui  le  mal  qui  peut  l'atleindre  :  si  elle 
a  tout  cela,  elle  est  assez  riche.  »  Les  dèclamateurs  ré- 
pétaient volontiers  les  prédications  des  philosophes  con- 
tre la  richesse.  <t  Je  ne  demande  pas  de  biens  ;  la  pros- 
périté est  chose  fragile  et  périssable;  les  caresses  de  la 
fortune  ne  nous  apportent  qu'un  éclat  plein  de  dangers, 
qui  se  répand  sur  nous  sans  raison  et  qui  nous  aban- 
donne de  même.  »  Mais  la  richesse  n'est  pas  seulement 
vaine,  elle  est  coupable  :  c'est  elle  qui  détruit  toute 
honnêteté,  toute  piété  ;  c'est  elle  qui  fait  les  mauvais 
pères  et  les  mauvais  fils.  —  «  Voici  des  armées  en  pré- 
sence ;  des  concitoyens,  des  parents  se  font  face,  prêts 
a  en  venir  aux  mains;  des  deux  côtés  les  collines  se 
couvrent  de  cavalerie,  et  au-dessous  tout  le  terrain  se 
jonche  de  corps  morts,  et  disparaît  sous  la  muhitude 
des  cadavres  et  des  gens  qui  les  dépouillent.  Si  on  de- 
mande quelle  cause  est-ce  qui  porte  ainsi  l'homme  à 
attenter  contre  l'homme  (car  les  bêtes  ne  se  font  pas  la 
guerre  ;  et  quand  elles  se  la  feraient,  ce  ne  sont  pas  les 
mœurs  qui  conviennent  à  l'espèce  humaine,  faite  pour 
la  paix,  et  qui  approche  autant  que  possible  de  la  nature 
divine),  et  quelle  maladie  cruelle,  quelle  fureur  et  quel 
égarement,  quand  vous  n'êtes  qu'une  mcmc  famille  et 
un  même  sang^  vous  pousse  à  verser  le  sang  les  uns 
des  autres  ;  quelle  fatalité  ou  quel  hasard  funeste  a  mis 
er  nous  ce  délire;  faudra-t-il  dire  que  c'est  pour  dres- 
ser des  tables  où  s'asseoient  des  populations  entières? 


LA    PHILOSOPHIE   SOUS  AUGUSTE    ET    TIBKUE.  233 

pour  qu'une  maison  resplendisse  de  l'éclat  de  l'or  ?  cela 
vaut-il  donc  ces  fratricides  ?»  —  Et  plus  loin  :  «  0  pau- 
vreté! que  tu  es  un  bien  peu  compris  !  »  On  aime  à  voir 
dans  ce  passage,  à  côlé  de  l'aversion  qu'inspirait  l'opu- 
lence extravagante  de  quelques  puissants,  maiires  et 
fléaux  du  reste  des  hommes,  la  sainte  horreur  de  la 
guerre  impie  et  l'appel  à  la  fraternité  du  genre  humain. 

C'est  encore  un  sentiment  qu'on  a  souvent  appelé 
chrétien  que  celui  de  notre  faiblesse  morale,  et  de  la  fa- 
cilité avec  laquelle  elle  cède  à  la  contagion  du  péché.  Le 
voici  exprimé,  toujours  à  propos  du  mal  que  font  les 
richesses  :  «  Les  riches  ont  bien  des  vices,  et  le  plus 
grand  est  de  ne  pas  aimer.  Il  ne  faut  pas  que  personne 
se  croie  assez  fort  pour  se  défendre  du  mal  :  il  suffit 
d'en  approcher  pour  en  être  atteint  et  pour  qu'il  se 
gagne  :  j'ai  peur  de  devenir  mauvais  à  mon  tour.  » 
Plusieurs  fois,  nous  voyons  reparaître  cette  expression  : 
Il  s'éleva  contre  les  richesses  (m  divilias  dixit^  qimm 
in  divilias  inveherelur)'^  c'est  le  même  thème  qui  re- 
viendra sans  cesse,  soit  dans  les  textes  saints,  soit 
dans  les  livres  de  piété  des  chrétiens.  Mais  ces  souve- 
nirs des  écoles,  recueillis  par  Sénèque  le  père  dans 
un  livre  achevé  probablement  sous  Caligula,  remontent 
à  des  temps  tout  païens,  jusqu'au  règne  d'Auguste  et 
aux  premières  années  deTibère,  puisque  l'auteur  n'écrit 
que  pour  faire  connaître  à  ses  fils  des  déclamalions 
qu'ils  n'ont  pas  pu  entendre  eux-mêmes. 

Au  principat  de  Tibère  appartiennent  les  dernières 
années  d'Ovide  et  de  Manilius,  et  le  compilateur  mora- 
liste Valérius  (Valère-3Iaxime).  J'ai  assez  parlé  de  Mani- 


23i        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

liu?,  et  la  philosophie  religieuse  tient  bien  peu  de  place 
dans  Ovide.  Cependant  il  faut  remarquer  la  brillante 
exposition  qu'il  a  faite,  au  dernier  livre  des  Mèlamor-- 
phases,  de  la  doctrine  pythagorique  ;  elle  est  un  témoi- 
gnage de  la  renaissance  de  cette  doctrine  à  iiome 
sous  l'influence  de  l'enseignement  des  deux  Sextius,  et 
cette  renaissance  elle-même  est  un  des  signes  de  la  crise 
religieuse  de  cette  époque,  puisqu'aucune  philosophie 
ne  ressemble  autant  que  celle-là  à  une  religion.  Beau- 
coup d'enthousiastes  adoptèrent  une  pratique  qui  était 
d'ailleurs  celle  de  certains  prêtres  ou  de  certains  dévots 
de  l'Orient,  l'abstinence  de  la  chair  des  animaux;  soit 
qu'ils  flssent  profession  de  croire  à  la  métempsychose, 
soit  simplement  par  un  pieux  dégoût  du  sang  versé  et 
de  ces  saveurs  achetées  par  des  meurtres.  Sénèque  le 
fils  (le  grand  Sénèque)  nous  a  apj-ris  que,  dans  sa  jeu- 
nesse, l'éloquence  d'un  philosophe  d'Égypfe,  Sotion, 
l'entraîna  à  vivre  pendant  quelque  temps  de  ce  régime. 
Il  n'y  a  pas  d'enthousiasme  qui  puisse  prévaloir  contre 
la  force  des  choses,  et  cette  abstinence  ne  pouvait  deve- 
nir la  règle  du  genre  humain  ;  les  repas  restèrent  et 
devaient  rester  ce  qu'ils  étaient;  mais  on  ne  peut  dou- 
ter que  ces  prédications  n'aient  contribué  à  décréditer 
les  sacrifices.  Car  ce  n'est  pas  le  judaïsme  a})paremment 
qui  a  appris  aux  chrétiens  à  ne  pas  faire  d'un  temple 
une  boucherie.  Mais  qu'on  relise  seulement  ces  vers 
d'Ovide  :  «  Ils  ont  associé  les  dieux  à  leur  crime  ;  ils 
ont  cru  que  la  divinité  qui  réside  au  ciel  pouvait  pren- 
dre plaisir  au  sang  du  bœuf  laborieux.  Une  victime 
sans  tache,  et  d'une  beauté  irréprochable,  car  c'est  son 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE    ET    TIDÈUE.  ^3a 

malheur  d'être  trouvée  belle,  parée  de  baiidL'letiesd'or, 
est  amenée  devant  l'autel  ;  elle  entend,  sans  la  com- 
prendre, la  prière  fatale;  on  place  sur  sa  tète,  entre 
ses  cornes,  les  grains  qu'elle-même  a  fait  sortir  de  la 
terre,  et,  frappée  du  coup  mortel,  elle  (eini  de  son 
sang  les  couteaux  qu'elle  voit  peut-être  se  réfléchir 
dans  l'eau  lustrale.  Vivante  encore,  on  arrache  de  sa 
poitrine  ses  entrailles,  on  les  interroge  et  on  y  cherche 
les  secrets  d'en  haut.  »  Il  y  a  trop  d'esprit  là-dedans; 
Ovide  n'est  jamais  un  écrivain  sérieux;  mais  sous  ces 
paroles  on  sent  la  pensée  plus  simple  et  plus  grave  de 
ses  maîtres.  Leurs  leçons  n'ont  évidemment  pas  été 
perdues;  et  si  les  Pythagoriqucs  n'ont  pas  déshabitué 
les  hommes  de  la  chair  des  bêles,  on  peut  dire  qu'ils  en 
ont  dégoûté  les  dieux. 

Valérius  a  un  esprit  cU  une  àme  médiocres.  Son  re- 
cueil (ï Exemples  mémorables  est  rempli  de  témoi- 
gnages de  superstition  et  de  contes  puérils.  C'est  un 
excellent  sujet  de  Tibère,  platement  adulateur,  non- 
seulement  de  son  maître,  mais  du  nom  même  de  César. 
Il  ne  parle  du  divin  Julius  qu'en  se  prosiernanl  ;  il  dé- 
clare que  Brutus,  en  1  assassinant,  a  répandu  à  jamais 
sur  sa  propre  mémoire  une  malédiction  que  rien  ne  peut 
conjurer.  Il  a  fait  un  chapitre  des  propos  et  des  actions 
abominables,  tout  exprès  pour  y  placer  Séjan,  et  pour 
accabler  le  pariicide  de  ses  plus  lourdes  déclamations; 
il  termine  en  assurant  qu'à  l'heure  qu'il  est,  Séjan  subit 
aux  enfers  les  peines  qu'il  mérite,  si  toutefois  il  a  été  reçu 
même  aux  enfers.  Sa  conscience  d'ailleurs  n'est  pas 
moins  large  que  celle  de  la  foule  :  il  trouve  admirable 


236        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

que  les  forces  du  peuple  romain  aient  écrasé  Séjnn  avec 
loulesa  race,  et  aucun  scrupule  ne  se  môle  à  son  admi- 
ration pour  le  dévouement  d'un  esclave  qui,  afin  de  sau- 
ver son  maître  proscrit  en  lefaisant  passer  pour  mort,  tue 
un  vieux  mendiant  qu'il  rencontre^  et  met  ce  corps  à  la 
place  de  l'autre  sur  le  bûcher.  Nous  n'avons  donc  af- 
faire ici  ni  à  un  sage  ni  à  un  grand  homme,  dont  le 
cœur  ou  la  pensée  monte  plus  haut  que  le  vulgaire  de 
son  époque  ;  c'est  un  Romain  ordinaire,  qui  a  lu  les 
Grecs,  sans  doute,  comme  tous  les  lettrés,  mais  qui  s'en 
tient  avant  tout  aux  traditions  et  aux  doctrines  de  son 
pays.  Eh  bien  !  la  morale  de  Valérius  n'esibien  souvent 
que  celle  que  tout  le  monde  appelle  morale  chrétienne. 
Il  a  un  livre  sur  V austérité  {continentia),  un  autre  sur 
la  pauvreté,  un  autre  sur  la  patience,  un  autre  sur  la 
chasteté  ;  ces  deux  derniers  titres  se  retrouvent  dans  la 
liste  des  livres  de  Tertullien.  Il  compare  le  Sage,  comme 
plus  lard  on  comparera  le  chrétien,  à  un  soldat  qui  fait 
campagjie,  plein  d'ardeur  à  la  fois  et  de  fermeté  ;  et 
il  nous  représente  la  philosophie  (on  dira  bientôt  la  re- 
ligion) «  chassant  du  cœur  où  elle  est  reçue  toute  affec- 
tion vaine  et  déshonnête,  et  l'assurant  dans  le  retran- 
chement d'une  vertu  inébranlable  où  il  est  plus  fort  que 
la  crainte  et  que  la  douleur.  »  Cette  àme  qu'il  nous  figure 
«  toujours  sous  les  armes,  faisant  la  faction  de  la  vie , 
établie,  non  dans  ce  corps  qui  doit  mourir,  mais  dans 
le  ciel  même  comme  dans  un  fort,  d'où  elle  repousse, 
invincible,  les  attaques  du  vice,  et  préserve  en  soi  toutes 
les  délicatesses  de  la  vertu,  les  tenant  comme  à  l'abri  de 
sa  grandeur  »  ;  est-ce  l'àme  d'un  philosophe  ou  celle 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE    ET   TIDÈKE    237 

d'un  saint  ?  Il  parle  comme  un  dévot  des  biens  du  monde, 
«  biens  fragiles  et  périssables,  pareils  à  des  jouets  d'en- 
fant... qu'il  ne  faut  ni  estimer  ni  appeler  des  biens,  qui 
ne  font  que  doubler  l'amertume  des  maux  qui  nous  frap- 
pent par  les  regrets  qu'ils  nous  laissent  i>.  Il  sait  que  la 
vertu  ne  fait  pas  acception  des  personnes,  qu'elle  est 
accessible  au  petit  comme  au  grand  ,  et  à  l'esclave 
comme  à  l'homme  libre,  et  qu'elle  ne  mesure  pas 
l'homme  à  sa  dignité,  mais  à  l'empire  qu'il  a  sur  soi. 
Il  adresse  enfin  à  la  chasteté  (puclicUia)  le  plus  solennel 
hommage.  C'est  elle  qui  veille  sur  le  feu  sacré  de  Vesta, 
qui  repose  sur  le  lit  de  Junon  au  Gapitole;  c'est  elle  qui 
protège  l'enfant,  qui  est  l'honneur  de  l'adolescence, 
qui  fait  respecter  la  mère  de  famille.  11  l'invoque  : 
«  Écoute,  dit-il,  le  récit  des  traits  que  toi-même  as  ins- 
pirés. y>  Et  parmi  ces  grands  exemples  d'une  vertu  qu'on 
a  si  souvent  refusée  au  monde  antique,  à  côté  de  Lu- 
crèce, de  Virginie  et  d'autres  Romaines  ou  Grecques,  il 
cite  les  femmes  de  ces  Teutons  arrêtés  et  exterminés 
par  Marius,  qui  demandèrent  à  être  attachées  au  service 
des  Vestales  pour  vivre  comme  ces  vierges  sans  aucun 
commerce  avec  les  hommes;  et,  comme  on  le  leur  re- 
fusa, s'étranglèrent  pour  ne  pas  être  souillées.  Il  rap- 
porte l'histoire  plus  étonnante  encore  du  jeune  Étrusque 
Spurinna,  dont  l'extraordinaire  beauté  troublait  les 
femmes  et  alarmait  les  maris  et  les  pères  ;  il  se  déchira 
le  visage  et  se  défigura.  Quand  on  ne  verrait  là  qu'une 
fiction  et  un  étrange  idéal,  on  sera  encore  frappé  des 
idées  dont  cette  fiction  témoigne  ;  le  trait  serait  fort 
bien  placé  parmi  les  légendes  des  saints. 


518        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Valérius,  comme  les  déclamateurs  du  recueil  d^  Sé- 
nèque  le  père,  appartient  au  principal  de  Tibère,  c'est- 
à-dire  à  un  temps  où  il  n'y  avait  pas  encore  et  où  il  ne 
pouvait  y  avoir  de  chrétiens. 

Cependant,  toutes  les  religions  étrangères  prenaient 
de  plus  en  plus  d'importance  ;  les  idées  et  les  mœurs 
du  monde  entier  entraient  de  toutes  parts  dans  la  ville 
reine,  et  c'est  par  le  côté  religieux  qu'elles  saisissaient 
surtout  l'imagination.  Toutes  les  superstitions  du  dehors 
se  donnent  en  spectacle  dans  Rome;  prêtres  eunuques, 
flagellants  et  flagellantes,  déesse-poisson  de  la  Syrie, 
fêtes  d'Adonis,  fête  d'Isis  et  d'Osiris  ,  sacrifices  de  3Ii- 
thra,  sabbat  juif,  tout  se  rassemble  et  s'étale  entre  les 
sept  collines.  Il  en  est  dont  la  renommée  seulement 
arrive  jusqu'aux  Romains,  comme  celles  des  druides, 
celles  des  Perses  avec  leurs  feux  sacrés  et  leur  sacrifice 
du  cheval;  mais  quelquefois  les  plus  lointaines  viennent 
se  montrer  à  l'Occident  et  l'étonner,  comme  le  jour  où 
l'Indien  Zarmaros  se  mit  lui-même  sur  le  bûcher  de- 
vant Auguste,  à  Athènes.  Les  religions  se  pénètrent  les 
unes  les  autres  et  se  confondent;  Osiris  et  Bacchos  ne 
font  qu'un,  et  le  culte  do  Bacchos  est  partout  sous  di- 
verses formes,  avec  les  Mystères  qui  semblent  être  l'es- 
sence de  ce  culte.  A  l'endroit  de  son  histoire  où  Tite- 
Live  raconte  comment  le  Sénat  romain,  au  commence- 
ment du  second  siècle  avant  notre  ère,  surprit  tout  à 
coup  en  Italie  l'affiliation  des  Bacchanales,  jusque-]» 
ignorée,  et  ses  pratiques  occultes,  il  fait  j)arlcrau  Forum 
un  consul  et  lui  met  dans  la  bouche  ces  ])aroK>s:  «  Si  vous 
n'y  prenez  garde,  citoyens,  à  cette  assemblée  du  peuple 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS  AUGUSTE  ET  TIBÈRE.  239 

tenue  en  plein  jour,  sur  l'appel  légitime  du  magistrat, 
succédera  pendant  la  nuit  une  autre  assemblée  ,  tout 
nus  i  remplie,  où  les  affiliés  conspireront  contre  le  sa- 
lut de  lu  Républiijue.  »  On  serait  tenté  de  croire  que 
Tile-Live  pensait  ici  à  son.  propre  temps,  et  qu'il  enten- 
dait sous  ses  pieds  bruire  une  Rome  souterraine  com- 
posée de  Juifs,  d'Égyptiens,  d'Orientaux,  et  prête  à 
sortir  du  sol  pour  remplacer  la  Rome  de  Ju]iilcr  et  de 
Quirinus. 

Car  les  défiances  qui  avaient  dicté  le  fameux  sénatus- 
consulte  contre  les  Bacchanales  vivaient  toujours  dans 
le  cœur  des  magistrats  et  des  vrais  Romains.  La  sage  et 
docile  littérature  du  temps  d'Auguste  est  fidèle  à  ces 
pensées.  Denys  développe  avec  admiration  la  sagesse 
et  la  fermeté  que  Rome  mit  toujours  à  se  défendre  des 
religions  mal  disciplinées.  C'est  le  vieil  esprit  de  la  ré- 
publique qui  parle  dans  ce  vers  de  Virgile  : 

Vana  superstitio  veterumque  i^nara  deorum  i. 

Rome  couvrait  sans  doute  de  sa  protection  les  reli- 
gions sujettes  comme  les  peuples  mêmes  ;  elle  les 
respectait  et  les  faisait  respecter  là  oià  elles  étaient  éta- 
blies ;  l'empereur  (ou  le  Sénat)  intervenait  pour  consa- 
crer les  droits  dont  ces  dieux  étaient  en  possession 
chez  eux,  leurs  immunités,  leurs  asiles  ;  Rome  allait  jus- 
qu'à abandonner,  en  faveur  de  ces  droits,  quelques- 
uns  des  intérêts  de  ses  finances  ou  de  sa  police.  Mais 
elle  ne  se  livrait  pas  pour  cela,  et  tenait  toujours  ces 
dieux  à  leur  place. 

1.  «  Une  vaiae  superstition,  et  qui  méconnaît  les  anciens  dieux.  » 


210         LE   CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGliN'ES. 

Suélone  dit  qu'Auguste,  en  fait  de  religions  étran- 
gères, ne  respectait  que  celles  qui  étaient  consacrées  et 
pour  ainsi  dire  classiques,  comme  celle  d'Eleusis,  et 
qu'il  affectait  de  mépriser  toutes  les  autres.  Quand  il 
visita  l'Egypte,  il  refusa  d'aller  voir  Apis,  et  il 
approuva  son  petit-fils  Caïus  d'avoir  passé  devant  Jéru- 
salem sans  être  allé  adorer  au  Temple.  A  Rome,  il  ne 
permit  pas  qu'on  bâtit  des  temples  aux  dieux  d'Egypte 
dans  l'enceinte  du  poinœrluin^  limite  religieuse  de  la 
ville  de  Romulus,  mais  à  une  certaine  distance  seule- 
ment de  cette  enceinte.  Mais  cette  sévérité  même  n'é- 
tait qu'un  effort  pour  résister  au  mouvement  qui 
emportait  le  monde  vers  les  religions  asiatiques.  Un 
moment,  elles  avaient  comme  pris  possession,  sous  la 
protection  d'Antoine,  de  la  moitié  du  monde  romain.  Il 
faisait  régner  à  ses  côtés  Isis  avec  Cléopàtre  ;  lui-même 
représentait  Osiris  ou  Bacchos.  On  racontait  que  la 
nuit  qui  précéda  la  bataille  d'Actium,  on  entendit  le 
dieu  et  son  chœur,  confus  et  long  cortège  *,  qui  tra- 
versaient invisibles  Alexandrie  avec  un  grand  bruit  de 
voix  et  d'instruments,  au  milieu  du  silence  de  la  ville 
consternée  ;  le  bruit  redoubla  vers  la  porte  qui  regar- 
dait du  côté  du  camp  ennemi  ;  la  Bacchanale,  en  s'é- 
vanouissant,  semblait  emporter  avec  elle  la  fortune  du 
vieux  soldat.  Comme  l'a  compris  M.  Michelet,  An- 
toine et  Cléopàtre  figuraient  dans  leur  union  le  futur 
hymen  de  l'Occident  avec  la  mysticité  orientale.  Ce 
jour-là,  celle-ci  fut  vaincue ,  mais  non  pour  long- 
temps. 

1.  C'est  ua  hcuiisliclie  de  La  Fonlaiiio. 


LA   PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE   ET   TIBÈRE.  241 

Ce  ne  fut  pas  la  religion  de  l'Egypte  qui  prévalut, 
quoiqu'elle  ])ar;iissc  alors  très-répandue  et  qu'elle 
i^emble  le  disputer  à  celle  des  Juifs.  Les  noms  d'Isis  et 
d'Osiris  reviennent  souvent  dans  les  poètes  du  temps 
d'Auguste,  ainsi  que  les  dévotions  dont  on  s'acquitte 
envers  eux.  (lermanicus  visite  avec  une  curiosité  res- 
pectueuse les  ruines  de  Thèbes,  et  interroge  les  prêtres 
sur  leurs  antiquités  sacrées.  Un  grand  nombre  d'Ins- 
criptions sont  des  monuments  des  pèlerinages  pieux 
qu'on  allait  faire  en  Egypte.  Enfin  la  religion  égyp- 
tienne partage  avec  le  judaïsme,  sous  Tibère,  l'hon- 
neur de  la  persécution,  et  cela  suffit  pour  en  attester 
l'influence  croissante'.  Comme  le  judaïsme,  elle  frap- 
pait les  esprit  par  l'austérité  de  ses  pratiques  et  par  la 
pureté  de  sa  morale.  Les  prêtres  égyptiens  sont  cir- 
concis; ils  s'al^stiennent  de  la  chair  du  porc  ;  ils  vivent 
dans  des  cloîtres  peu  accessibles  aux  profanes,  obser- 
vant des  rites  antiques  et  mystérieux,  imposant  par  la 
gravité  de  leur  maintien  et  de  leur  physionomie.  Ils 
ont  des  carêmes  qui  varient  d'une  à  six  semaines,  où 
ils  s'astreignent  à  toute  espèce  d'abstinences;  ils  cou- 
chent sur  des  nattes;  ils  s'éveillent  la  nuit  pour  célé- 
brer les  offices  sacrés.  Les  Égyptiens  élèvent  tout  ce 
qu'ils  ont  d'enfants,  et  se  font  honneur  de  ne  pas  suivre 
en  cela  les  mœurs  grecques  et  romaines.  Le  monde  les 
respectait  et  les  admirait,  les  imitait  même  quelque- 
fois; mais  le  monde  ne  s'est  pas  fait  égyptien  ;  plus 
d'une  raison  y  a  mis  obstacle.  D'abord,  depuis  que 

î.  Aclum  est  et  Je  saoïU  .Tgypliis  juclaï  isque  pellonilis.  <t  II  fat 
rébOlu  auisi  qu'on  bannirait  kg  religions  d'Egypte  et  deJudéii.» 

11.  iÔ 


24^2        LE    CnniSTlANlSME    ET    SES   ORIGINES. 

l'Egypte  de  Cléopâtrc  avait  tenu  la  fortune  de  Rome 
en  suspens,  se  faire  Égyptien  eût  été,  ce  semble,  trop 
ouvertement  se  faire  l'ennemi  de  la  patrie.  Mais  surtout 
la  religion  égyptienne  se  mêlait  assez  aisément  avec 
la  religion  grecque-romaine,  pour  qu'on  ne  fût  pas 
forcé  de  choisir  entre  l'une  et  l'autre.  Les  dieux  égyp- 
tiens frayaient  avec  tous  les  autres  dieux,  et  même 
avec  la  divinité  des  rois  ou  des  Césars.  La  religion 
de  l'Egypte  avait  eu  la  même  fortune  que  l'Egypte 
même.  Celle-ci  avait  perdu  l'indépendance  dès  le  jour 
qu'elle  avait  perdu  la  puissance.  Précisément  parce 
qu'elle  était  trop  grande  pour  se  conserver  inaperçue 
dans  un  coin  d'un  vaste  empire,  elle  fut  subjuguée 
d'un  seul  coup  tout  entière,  et  ses  temples,  comme  le 
reste,  s'ouvrirent  aux  vainqueurs.  La  Judée  demeura 
indépendante  sous  les  Perses,  sous  les  Macédoniens,  et 
jusqu'à  un  certain  point  sous  les  Romains  mêmes. 
Son  acropole^  quelquefois  violée,  n'en  subsistait  pas 
moins ,  protégeant  de  ses  murailles  saintes  un  dieu 
indompté  et  intraitable  comme  son  peuple.  Il  y  avait 
là  une  force;  il  n'y  en  avait  pas  ailleurs. 

Et  puis,  les  Juifs  étaient  partout,  tandis  que  les 
Égyptiens  n'étaient  qu'en  Egypte.  Je  veux  dire  que 
les  Égyptiens  qui  se  trouvaient  dispersés  ailleurs,  tout 
sn  restant  fidèles  à  leurs  croyances,  ne  pouvaient  ce- 
)endant  emporter  avec  eux  leur  patrie;  car  qu'était-ce 
pour  eux  que  la  patrie,  sinon  ce  sol  même  qu'ils  avaient 
quitté?  Leur  culte,  ils  pouvaient  le  pratiquer  en  Grèce 
ou  à  Rome  comme  en  Egypte;  partout  on  élevait  des 
temples  à  leurs  dieux.  Mais  le  dieu  des  Juifs  n'accep- 


LA    PHILOSOPHIE   SOUS    AUGUSTE    ET    TIBÈRE.  243 

lait  pas  l'hospitalité  étrangère;  il  n'avait  d'autre  temple 
que  celui  de  sa  montagne,  à  l'exception  d'un  temple  en 
Egypte,  exception  curieuse,  mais  unique,  qui  n'empê- 
chait pas  que,  partout  ailleurs  dans  le  monde,  les  Juifs 
ne  relevaient  absolument  que  de  Jérusalem.  Il  y  avait 
là  des  autorités  juives,  gardiennes  et  ministres  de  la  loi 
juive;  la  vie  des  Juifs  sur  toute  la  surface  de  la  terre 
se  rapportait  à  ce  centre.  Les  Égyptiens  n'avaient  ni 
centre,  ni  autorité  publique,  ni  loi,  ni  dieu  qui  fussent 
à  eux  seuls.  C'est  précisément  parce  que  le  judaïsme 
se  rattachait  à  un  foyer  étroit  et  jaloux  qu'il  rayon- 
nait de  là  avec  tant  de  chaleur  et  de  puissance,  et  en- 
trainoit  tout  ce  qu'il  avait  une  fois  touché.  On  restait 
Grec  ou  Romain  en  adorant  Isis  et  Sérapis;  on  ne  l'é- 
tait plus  qu'à  moitié  dès  qu'on  s'adressait  au  dieu  des 
Juifs,  même  si  on  hésitait  à  se  faire  Juif  tout  à  fait  et 
qu'on  se  bornai  h  jiidaïse}\  suivant  l'expression  reçue. 
Quant  à  ceux  qui  devenaient  Juifs,  ils  étaient  enlevés 
absolument  à  leur  cité. 

Il  y  avait  huit  mille  Juifs  à  Rome  au  temps  d'Au- 
guste :  qu'on  juge  quel  pouvait  être  le  nombre  des 
uidaïsants.  Des  colonies  juives  florissaient  à  Alexan- 
drie, à  Antioche,  à  Éphèse,  en  Crète,  à  Pouzzoles,  on 
peut  dire  dans  toutes  les  villes  grecques  de  l'empire, 
sans  compter  Rome  même.  Le  judaïsme  était  à  la  mode 
à  Rome  dès  le  temps  d'Horace.  Dans  la  jolie  pièce  où  il 
se  représente  en  proie  à  un  fâcheux  qui  s'est  emparé 
de  lui,  il  fait  appel,  pour  s'en  débarrasser,  à  un  ami 
qu'il  rencontre.  «  Tn  avais,  dit-il,  à  me  parler  d'une 
affaire.  »  Mais  l'autre  s'amuse  à  le  laisser  dans  la  peine  : 


tu        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

«  Je  sais  ce  que  c'est;  ce  sera  pour  un  meilleur  mo- 
ment; aujourd'hui,  c'est  le  trentième  sabbat  ;  voudrais- 
tu  insulter  aux  circoncis*?  —  Je  n'ai  pas,  reprend 
Horace,  de  ces  scrupules.  —  J'en  ai,  moi,  je  ne  suis 
pas  un  esprit  fort;  je  suis  du  vulgaire  ;  tu  ne  m'en  vou- 
dras pas.  »  C'est  à  peu  près  le  temps  où  Auguste  écri- 
vait à  Tibère  :  «  Il  n'y  a  pas  de  Juif  qui  jeune  plus 
scrupuleusement  un  jour  de  sabbat,  que  je  n'ai  fait  au- 
jourd'hui. »  Le  simple  sabbat  même  i)assait  pour  un 
mauvais  jour,  quoique  Ovide  assure  qu'il  n'est  pas 
mauvais  en  amour,  et  quoiqu'il  conseille  aux  jeunes 
gens  d'aller  ce  jour-là  à  la  synagogue  pour  y  trouver 
des  maîtresses.  Mais  un  autre  passage  d'Horace  est  bien 
remarquable  :  «  Nous  sommes  en  nombre,  et  nous  fe- 
rons comme  les  Juifs,  nous  te  forcerons  à  te  mettre 
avec  nous  : 


Âc  veluli  te 

Judœi,  cogcmus  in  hanc  discedere  tuibam  ». 


Telle  était  déjà  la  force  de  la  propagande  juive,  qu'elle 
frappait  et  étonnait  Horace,  si  indifférent  lui-même  et 
si  peu  accessible  à  de  tels  effets. 

Du  reste,  il  n'y  a  pas  là-dessus  de  plus  éloquent  té- 
moignage que  le  sénatus-consulte  rendu  sous  Tibère 
en  l'an  22  contre  les  superstitions  cgijpliennes  et  ju- 
daïques^ suivant  l'expression  de  Tacite.  Le  récit  déve- 
loppé de  Joseph  montre  bien  que  le  fort  de  la  persécu- 
tion porta  sur  les  Juifs.  Ce  qui  louche  dans  ce  récit  la 

1,  0:1  croit  que  ce  Iroiilièmo  sabbat  esU  a  grande  lèlf  du  Pardott. 


LA    PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE    ET   TIBÈRE.  2i5 

religion  égyptienne  se  réduit  aux  manœuvres  de  quel- 
ques prêtres  d'Isis,  qui  livrèrent  à  l'amour  d'un  cheva- 
lier romain  une  dame  de  grande  famille,  en  invitant 
celle-ci  à  passer  une  nuit  dans  le  sanctuaire  d'Anubis. 
Ces  prêtres  furent  mis  en  croix,  leur  temple  détruit,  et 
leur  statue  d'Isis  jetée  dans  le  Tibre.  Voici  maintenant, 
d'après  Joseph,  ce  qui  regarde  les  Juifs  :  n'oublions  pas 
que  Joseph  lui-même  est  un  Juif,  qui  tâche  de  présen- 
ter les  choses  de  la  manière  la  moins  compromettante 
pour  les  siens. 

«  Il  y  avait  un  Juif  qui  s'était  sauvé  de  son  pays 
sous  l'accusation  d'avoir  transgressé  la  Loi,  et  pour 
échapper  au  châtiment  ;  c'était  en  tous  sens  un  misé- 
rable. Il  vivait  à  Rome,  où  il  faisait  profession  d'expli- 
quer la  sagesse  des  lois  de  3Ioïse,  et  il  s'était  associé 
trois  de  ses  pareils.  Ceux-ci  avaient  pour  disciple  Fulvie^ 
femme  des  plus  distinguées,  qui  s'était  attachée  au  ju- 
daïsme. Ils  l'engagèrent  à  envoyer  au  temple  de  Jéru- 
salem des  offrandes  d'or  et  de  pourpre,  mais  ils  appli- 
quèrent ce  qu'elle  leur  remit  à  leur  propre  dépense,  et 
ce  n'était  que  pour  cela  qu'ils  lui  avaient  fait  cette  de- 
mande. Tibère  comptait  parmi  ses  amis  Saturninus, 
mari  de  Fulvie,  qui  lui  dénonça  le  fait  sur  la  plainte  de 
sa  femme.  Tibère  fit  chasser  de  Rome  tout  ce  qui  était 
Juif  K  Les  consuls  levèrent  parmi  cette  population 
quatre  mille  hommes  qu'ils  envoyèrent  dans  l'Ile  de 
Sardaigne  ;  mais  un  grand  nombre  furent  suppHciés, 
n'ayant  pas  voulu  servir  par  fidélité  à  leur  loi.  Voilà 

1 .  S'ils  n'abjuraient  dans  un  temps  donné  (Tacite), 


246        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

commenl  (juatre  misérables  firent  chasser  de  Rome 
tous  les  autres.  » 

Il  est  difficile  de  croire  que  la  décision  de  l'empereur 
H  celle  du  Sénat,  car  c'est  le  Sénat  qui  prononça  daii'. 
,'ette  affaire,  n'ait  pas  eu  des  motifs  plus  graves;  mai  . 
quand  on  })rendrait  le  récit  de  Joseph  sans  le  discuter 
il  en  résulterait  encore  les  faits  suivants  :  Qu'il  y  avait 
à  Rome  des  Juifs  qui  faisaient  profession  d'enseigner  la 
sagesse  des  lois  de  Moïse,  en  d'autres  termes,  qui 
prêchaient  le  judaïsme  et  entreprenaient  la  conversion 
des  païens;  qu'ils  formaient  entre  eux  des  associations 
pour  poursuivre  cette  entreprise  ;  qu'ils  gagnaient  par- 
ticulièrement les  femmes,  et  des  femmes  mêmes  de  la 
première  distinction  ;  qu'enfin  leur  propagande  était 
déjà  à  cette  époque  assez  active  et  assez  efficace  pour 
que  le  Sénat  s'en  soit  alarmé  et  irrité  au  point  de  dé- 
porter en  masse  ces  ennemis  de  l'esprit  romain.  Tacite 
nous  dit  franchement  ce  que  signifiait  cette  transpor- 
tation  en  Sardaigne;  ces  quatre  mille  hommes  devaient 
être  employés  à  réprimer  le  brigandage  dont  l'île  était 
infestée;  «  et  s'ils  succombaient  à  l'insalubrité  du  cli- 
mat, la  perte  n'était  pas  grande,  vile  dammiin.  »  Cette 
proscription  devrait  figurer  dans  l'histoire  de  l'Église 
comme  la  première  en  date  de  ce  qu'on  appelle  les 
persécutions  ;  ce  sont  là  des  martyrs  et  des  confesseurs 
au  même  titre  que  ceux  qui  remplirent  plus  tard  la 
Légende.  Mais  l'Église  ingrate  s'est  tellement  détachée 
du  judaïsme  dont  elle  est  sortie,  qu'elle  n'a  pas  su  re- 
connailre  les  siens  dans  ces  chrétiens  d'avant  le  Christ. 
On  aura  remarqué  dans  le  récit  de  Jose])h  l'opiniâtreté 


LA   PHILOSOPHIE    SOUS    AUGUSTE    ET    TIBÈKE.  247 

(les  zélés  qui  se  font  tuer  plutôt  que  de  se  soumettre  au 
service  miliiaire,  sans  doute  parce  que,  pour  servir,  il 
fallait  prêter  un  serment,  et  que  la  Loi  dit  :  «  Tu  ne 
craindras  que  le  Seigneur  ton  Dieu,  tu  ne  serviras  que 
lui,  lu  ne  t'attacheras  qu'à  lui,  et  tu  ne  jureras  qu'en 
son  nom.  ï>  Ce  scrupule  se  perpétua  longtemps  parmi 
les  chrétiens;  et  Tertullien  développe  encore,  dans  un 
chapitre  du  livre  intitulé  de  la  Couronne^  toutes  les 
raisons  qui  doivent  rendre  le  service  militaire  odieux  et 
insupportable  au  vrai  disciple  du  Christ. 

De  même  qu'on  n'a  pas  reconnu  des  martyrs  dans 
ceux  qui  mouraient  alors  à  Rome  pour  la  foi  juive,  on 
ne  veut  pas  reconnaître  non  plus  dans  Philon  un  Père 
de  l'Église,  et  c'est  cependant  le  titre  que  la  véritable 
histoire  doit  lui  donner.  C'est  à  cette  même  époque  que 
Philon  composait  tant  de  livres  où,  pour  la  première 
fois,  nous  trouvons  la  sagesse  grecque  associée  à  la  tra- 
dition et  aux  Écritures  d'Israël.  Il  transformait  le  ju- 
daïsme, sous  prétexte  de  l'interpréter,  et  il  le  présen- 
tait, je  ne  dis  pas  précisément  aux  Gentils,  mais  aux 
lettrés  judaïsants  ou  disposés  à  judaïser,  de  la  manière 
qui  pouvait  le  leur  rendre  le  plus  acceptable.  Les  Justin, 
les  Clément  d'Alexandrie,  les  Origène  n'ont  fait  que 
poursuivre  l'œuvre  de  Philon. 

Si  donc  on  voulait  n'entendre  sous  cette  expression, 
l'avènement  du  christianisme,  que  la  conquête  du  monde 
grec  et  romain  par  le  dieu  des  Juifs,  on  peut  dire  que  cet 
avènement  avait  eu  lieu  dès  le  temps  d'Auguste  et  de 
Tibère,  et  que  cette  conquête  était  en  train  de  s'accomplir 
avant  même  qu'il  fût  question  de  celui  qui  a  été  nommé 


218        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

le  Christ.  Jiidaïser,  c'était  la  même  chose  que  ce  qui 
s'est  appelé  un  peu  plus  tard  chrisliaiiiscr^  et  cela  est 
si  vrai  que,  dès  qu'on  a  commencé  de  christianiser,  on 
a  cessé  de  judaïser  par  cela  même;  car  se  faire  chré- 
tien, c'était  se  faire  Juif,  précisément  dans  la  mesure  où 
il  convenait  au  monde  de  l'être  ,  c'est-à-dire  en  de- 
meurant Grec  et  Romain.  Cependant  voici  que  j'arrive 
enfin  à  l'époque  où  cette  révolution  s'est  achevée  au 
nom  du  Christ  :  l'époque  de  Claude  et  de  Néron,  celle 
où  le  césarisme  a  été  le  plus  excessif  et  le  plus  insup- 
portable, époque  de  fermentation  morale  et  religieuse, 
où  la  philosophie  prend  un  accent  tout  nouveau  dans 
Sénèque,  et  où  la  foi  juive,  après  l'ébranlement  qui  suit 
le  passage  de  Jésus  en  Galilée,  prend  aussi  un  accent 
tout  nouveau  dans  saint  Paul. 


CHAPITRE    XIV 


LES     STOIQUES     ROMAINS.     —    SENEQUE 


On  ne  comprend  bien  Sénèque  etl'école  stoïque  d'alors 
qu'en  se  représentant  ce  que  Rome  a  éprouvé  sous  Ca- 
ligula,  Claude  et  Néron.  L'obéissance  sous  Auguste  avait 
paru  d'abord  à  des  générations  fatiguées  un  soulage- 
ment et  un  repos;  à  la  fin  du  règne,  ce  repos  était  de- 
venu lourd  et  accablant;  c'était  engourdissement  et 
léthargie.  La  même  prostration  de  forces  dura  sous 
Tibère,  malgré  une  crise  violente  et  mal  connue  au 
moment  de  la  chute  de  Séjan.  On  sert  sans  même  avoir 
l'air  d'en  souffrir -,  l'esprit  de  ce  temps  est  représente 
dans  les  lettres  par  Velléius  et  Valérius.  Un  seul  homme, 
Crémutius  Cordus,  avait  écrit  avec  quelque  liberté,  et 
on  l'avait  tué  pour  cela.  Tibère  ne  se  montre  même 
pas,  et,  de  sa  retraite,  tient  tout  en  respect  et  en  silence. 
Ni  le  maître  ni  les  sujets  ne  font  de  bruit  et  n'ont  l'air 
de  vivre.  Mais  à  Tibère  succède  un  Jeune  homme  qui 
est  fou,  ou  qui  le  devient  à  régner.  Il  n'extra vague  pas 
longtemps;  un  coup  de  poignard  en  fait  justice.  Il  y  eut 
ce  jour-là  une  grande  secousse;  on  crut  la  liberté  et  la 


250        LE    CIlRlSTlANlSMi:    ET    SES    ORIGINES. 

république  rétablies.  L'illusion  ne  dura  pas  deux  jours; 
on  redevint  esclave,  mais  il  resta  quelque  chose  de  cette 
révolution  avortée.  On  ne  fut  pas  obligé  d'adorer  Cali- 
gula  ;  on  put  maudire  et  condamner  le  tyran  tombé, 
c'est-à-dire  qu'on  put  maudire  et  condamner  la  tyran- 
nie ;  il  fut  entendu  que  la  conscience  publique  avait  le 
droit  de  protester  contre  l'iniquité  et'  la  déraison,  et 
elle  exerça  surtout  ce  droit  par  la  voix  des  philosophes. 
Déjà  auparavant,  il  arrivait,  par  cela  seul  qu'ils  faisaient 
delà  morale,  qu'ils  exerçaient  comme  une  magistrature 
qui  condamnait  les  puissants  {censuram  agere  regnan- 
iium)]  mais  à  partir  de  ce  règne  odieux  et  absurde  et 
de  la  révolte  universelle  qu'il  excita,  cette  censure 
devint  plus  vive  et  plus  hardie.  La  chaire  des  écoles 
fut  une  espèce  de  tribune, à  la  condition,  bien  entendu, 
qu'on  n'y  dit  quedes  généralités;  etplus  la  morale  stoïque 
se  faisait  austère,  plus  elle  était  populaire,  comme  la  mo- 
rale janséniste  sous  Louis  XIV;  déclamer  contre  le  vice, 
c'était  déclamer  contre  les  scandales  du  Palatium.  La  ré- 
volution d'intérieur  qui  fut  l'œuvre  d'Agrippine  ne 
prolita  pas  moins  à  l'éloquence  philosophique  que  celle 
qu'avait  faite  le  poignard  de  Chérca.  Pour  substituer 
son  fils  au  fils  de  Messaline,  Agrippine  appela  à  son 
aide  l'opinion  publique;  elle  tira  Sénèque  de  l'exil  et  le 
fil  précepteur  du  jeune  Néron  ;  puis,  quand  on  se  fut 
débarrassé  de  Claude  et  que  Néron  fut  empereur,  il 
sembla  que  la  philosophie  allait  gouverner  avec  lui,  et 
son  rè^ne  fut  comme  inauguré  par  le  livre  de  la  Clé- 
mence. La  philosophie  est  alors  une  sorte  de  j)ouvoir, 
comme  on  l'a  dit  dans  d'autres  temps  de  la  Presse  ;  elle 


LES    STOIQUES    ROMAINS.  251 

est  vaincue  à  la  mort  de  Burrhus,  quand  Tigellin  lui 
succède  et  que  Sénèque  est  en  disgrâce  ;  mais  elle  semble 
toujours  près  de  prendre  sa  revanche  ;  et,  à  la  fin  du 
règne,  ceux  qui  conspirent  contre  Néron  pensent  pré- 
cisément à  Sénèque  pour  le  remplacer,  ou  jugent  au 
moins  politique  de  donner  à  croire  qu'ils  y  pensent. 

Mais  à  mesure  que  la  morale  réagissait  contre  les 
folies  des  gouvernements,  celles-ci  à  leur  tour  sem- 
blaient défier  de  plus  en  plus  la  morale  et  le  bon  sens 
même.  Poussés  en  avant  tout  à  la  fois  par  l'absence  de 
tout  obstacle  réel  et  par  l'irritation  que  leur  cause 
l'obstacle  vain  des  protestations  philosophiques,  les  puis- 
sants se  précipitent  dans  les  excès  et  les  violences  les 
plus  étranges.  Plus  les  prédications  des  philosophes 
sont  véhémentes,  plus  la  force  brutale  insulte  à  la 
raison  et  à  la  justice;  les  puissants  bravent  les  prê- 
cheurs ,  mais  les  prêcheurs  aussi  bravent  les  puissants, 
dans  une  certaine  mesure;  de  sorte  que  les  uns  et  les 
autres,  s'exaspérant  par  la  lutte  même,  étalent  en 
même  temps  les  monstruosités  les  plus  révoltantes  et  la 
morale  la  plus  emportée.  Les  actes  et  les  paroles  sont 
également  hyperboliques.  11  est  vrai  que  Sénèque  et 
Lucain  ont  fini  par  payer  leurs  déclamations  de  leur  vie; 
mais,  tant  qu'ils  ont  vécu,  ils  ont  déclamé,  et  leur  élo- 
quence a  chauffé  la  colère  publique. 

Voilà  comment  cette  éloquence  a  la  fièvre^  suivant 
l'expression  d'un  ancien;  et  on  la  juge  mal  quand  on  la 
juge  d'après  la  règle  d'une  sagesse  tranquille.  Les  'para- 
doxes de  l'école  stoïque  semblaient  faits  surtout  pour  une 
telle  époque.  Plus  la  servitude  était  intolérable,  plus  on 


2Ô2         LE    CHRlSTlArilSME     ET   SET»  ORIGINES. 

avait  besoin  de  crier  que  le  Sage  est  iibre,etquerien  ne 
peut  contraindre  la  volonté.  Plus  on  se  sentait  à  la  merci 
du  maître  etdes  favoris,  deleurspassions,  de  leurs  intérêts, 
de  leurs  caprices,  et  menacé,  à  chaque  instant,  de  la 
confiscation,  de  l'exil,  des  tortures  et  de  la  mort  ;  plus 
on  s'efforçait  de  dire  et  de  croire  que  rien  de  tout  cela 
n'est  un  mal  et  ne  vaut  seulement  qu'on  s'en  soucie. 
Les  uns  ont  condamné  cet  orgueil  comme  insolent  et 
menteur  ;  d'autres,  moins  sévères,  l'ont  raillé  seulement 
comme  impuissant  et  stérile.  M,  Taine,  dans  une  Étude 
sur  Macaulay,  a  cité  de  lui  un  curieux  passage  contre 
les  Stoïques  : 

«  Un  disciple  deSénèque  (il  y  a  dans  le  texte,  d'Épic- 
iète,  mais  c'est  la  même  chose),  un  disciple  de  Sénèque 
et  un  disciple  de  Bacon,  compagnons  de  route,  arrivent 
ensemble  dans  un  village  où  la  petite  vérole  vient  de  se 
déclarer;  ils  trouvent  les  maisons  fermées,  les  commu- 
nications suspendues,  les  malades  abandonnés,  les 
mères  saisies  de  terreur  et  pleurant  sur  leurs  enfants. 
Le  stoïcien  assure  à  la  population  désolée  qu'il  n'y  a 
rien  de  mauvais  dans  la  petite  vérole  et  que  pour  un 
homme  sage  la  maladie,  la  difformité,  la  mort,  la  perte 
des  amis  ne  sont  point  des  maux.  Le  baconien  tire  sa 
lancette  et  commence  à  vacciner.  —  Ils  trouvent  une 
troupe  de  mineurs  en  grand  effroi.  Une  explosion  de 
vapeurs  délétères  a  tué  plusieurs  de  ceux  qui  étaient  à 
l'ouvrage,  et  les  survivants  n'osent  entrer  dans  la 
caverne.  Le  stoïcien  leur  assure  qu'un  tel  accident  n'est 
rien  qu'un  simple  apoproefjménon.Le  baconien,  qui  n'a 
pas  de  si  beaux  mots  à  sa  disposition,  se  contente  de 


LES    STOlQUES    HUMAINS.  253 

fabriquer  une  lampe  de  sûreté...,  etc.  Telle  est  la  diffé- 
rence entre  la  philosophie  des  mots  et  la  philosophie 
des  effets.  » 

On  s'apercevra,  et  il  est  difficile  que  l'auteur  ne  s'en  soit 
pas  aperçu  lui-même,  que  sa  raillerie  porte  tout  autant 
contre  la  religion  que  contre  la  philosophie.  Mais  l'une 
ot  l'autre  peuvent  se  défendre  contre  ces  sarcasmes. 
En  effet,  il  y  a,  au  physique  comme  au  moral,  des 
maux  incurables  auxquels  nous  ne  pouvons  rien;  et  il 
est  permis  à  l'âme  qu'ils  assaillent  de  se  réfugier  dans 
des  pensées  qui  ne  l'empêchent  pas  de  souffrir,  mais  qui 
peut-être  lui  donnent  le  courage  de  souffrir  avec  plus 
d'énergie  et  de  fierté.  Ces  pensées  mêmes  sont  plus  pra- 
tiques qu'il  ne  semble;  car,  si  excellents  que  puissent 
être  les  instruments  que  le  travail  nous  fournit,  le  pre- 
mier instrument  est  l'homme  même,  et  c'est  celui-là 
qu'il  importe  de  mettre  avant  tout  en  bon  état.  Les  ré- 
llexions  morales  ne  guérissent  pas  une  épidémie,  mais 
elles  peuvent  nous  disposera  y  rester,  et  il  faut  d'abord 
y  rester  pour  la  guérir.  Mais  ce  qu'on  doit  bien  remar- 
quer, c'est  que  Macaulay  ne  met  l'homme  aux  prises 
qu'avec  la  nature  ;  et  il  est  vrai  qu'en  face  de  la  nature 
il  n'y  a  guère  que  deux  choses  possibles,  agir  ou  se 
taire  :  on  ne  peut  songer  à  protester.  Il  n'en  est  pas  de 
même  en  face  de  l'iniquité  des  hommes;  c'est  un  mérite 
lie  la  défier .  Qu'aurait  |)u  faire  le  baconien  de  Macaulay 
dans  la  situation  de  Sénèque  ?  Quelle  était  l'opération  à 
faire  au  monde  pour  le  guérir  de  Néron  ?  On  dira  : 
C'était  le  soulèvement  de  Vindex.  Cela  est  vrai,  mais 
Vindcx  n'a  pas  agi  et  ne  pouvait  pas  agir  tout  de  suite.  Il 


iri4        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

fallait  quo  le  monde  fût  enfin  las,  comme  a  dit  Suétone, 
du  maître  qu'il  avait  si  longtemps  souffert.  Les  maux 
physiques  se  sentent  et  se  reconnaissent  à  première 
vue;  il  n'en  est  pas  de  même  de  cet  empoisonnement 
moral  par  lequel  les  peuples  dépérissent;  il  faut  les  faire 
aviser  qu'ils  sont  malades,  et  c'est  le  commencement 
de  la  guérison.  C'est  précisément  ce  qu'a  fait  Sénèque, 
et  SCS  déclamations,  comme  on  les  appelle,  ont  été  cer- 
tainement pour  quelque  chose  dans  l'impatience  uni- 
verselle qui  a  amené  une  délivrance. 

Ainsi,  dans  ces  grands  principes,  qui  le  prennent  de 
si  haut  avec  ce  qui  épouvante  les  hommes,  avccl'altjec- 
tion,  ou  le  dénuement,  ou  la  mort,  disons  qu'il  y  a 
d'abord  quelque  chose  de  tout  à  fait  sérieux  et  de  sim- 
p'cment  vrai  :  c'est  qu'aucun  mal  ni  aucune  meiiace 
ne  feront  fléchir  certaines  âmes  jusqu'à  leur  faire  trahir 
leur  devoir  et  leur  dignité.  Puis,  si  l'imagination  va  au 
delà,  et  qu'elle  affecte  de  ne  tenir  aucun  compte  de 
ces  maux  et  de  n'en  être  pas  émue,  je  lui  pardonne  cet 
emportement;  je  sens  que  ce  dédain  ne  s'adresse  pas 
aux  choses  elles-mêmes,  que  la  nature  a  faites  pénibles; 
mais  aux  misérables  qui  s'en  servent  pour  tourmenter 
l'honnête  homme  et  qui  se  croient  par  là  grands  et  forts, 
quoiqu'ils  ne  soient  que  petits  ei  pitoyables.  Ce  n'est 
pas  la  mort  que  méprise  le  Stoïque  romain,  quoiqu'il 
la  brave;  c'est  le  tyran  qui  le  tue,  et  qui  ne  peut  l'em- 
pêcher, en  le  tuant,  de  le  mépriser.  De  plus  forts  que 
Sénèque  se  nourrissaient  de  la  même  morale;  elle  a  été 
celle  de  Thraséa,  et  c'étaient  encore  des  sentiments  à  peu 
|)réssL'.mblabli'squi  soutenaient l'opiniàireiédes martyrs. 


LES    STOIQUES    R051AINS.  r,5 

Mais  ce  n'est  pas  assez  de  dire  que  les  sentiments 
.Jont  violents,  dans  Scnèque  et  les  siens,  parce  que  la 
situation  est  violente;  il  faut  reconnaître  que  la  vio- 
lence des  expressions  va  encore  au  delà  de  celle  des  sen- 
timents, et  que  cela  aussi  est  naturel  et  légitime.  Nous 
lisons  dans  ces  philosophes  que  la  pauvreté  n'est  rien, 
ni  l'exil,  ni  les  tortures  mêmes,  ni  la  mort,  et  nous  di- 
sons qu'ils  déclament  ;  mais  ils  ne  déclament  que  pour 
braver.  Ils  ont  affaire  à  une  force  brutale  qui  dispose 
(le  toutes  ces  façons  de  faire  souffrir,  et  qui  par  là  tient 
la  dignité  humaine  accablée  sous  elle.  Ils  veulent  (jue 
l'homme  porte  la  tète  haute,  qu'il  défie  la  tyrannie  et 
la  convainque  d'impuissance,  qu'il  lui  dise  :  Tu  ne  m'at- 
teins pas.  Si  nous  le  croyons  en  le  disant,  c'est  admi- 
rable, et  la  liberté  est  sauvée;  mais  quand  nous  ne  le 
croirions  qu'à  moitié,  c'est  quelque  chose  de  le  dire  et 
de  refuser  de  s'avouer  vaincu.  C'est  encore  défendre  la 
liberté,  ou  la  venger  du  moins,  que  d'obliger  le  despo- 
tisme à  douter  de  lui-même  et  de  ses  ressources.  Quand 
le  Joueur  de  la  comédie  a  perdu  ,  et  qu'on  lui  lit  dans 
Sénèque  que  l'argent  est  peu  de  chose,  cela  fait  rire; 
mais  quand  l'honnête  homme  est  menacé  d'être  dépouillé 
de  son  bien  par  un  Tigellin  et  par  son  mailre,  qui 
veulent  le  voir  plier  sous  le  coup  et  demander  grâce,  s'il 
répond  qu'il  ne  s'en  soucie  pas  et  qu'il  est  prêt  à  se 
passer  encore  de  la  vie ,  nous  applaudissons,  et  nous 
nous  sentons  fortifiés  et  relevés, 

51a  faiblesse  superbe  insulte  à  leur  puissance; 

ce  vers  célèbre  de  Delille  explique  le  sentiment  général 


256        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES, 

qui  domine  dans  cette  éloquence.  Or,  plus  on  crie  haut, 
plus  on  insulte.  Le  philosophe,  qui  est  l'orateur  de  l'hu- 
manité humiliée,  ne  peut  donc  prendre  un  ton  trop  vé- 
hément; son  emphase,  ses  redoublements  d'idées,  le 
geste  saccadé  qui  semble  accompagner  sa  parole,  sont 
autant  de  protestations  d'une  conscience  que  la  force 
voudrait  faire  taire,  et  qui  ne  se  tait  pas,  et  qui  se  fait 
écouter. 

Parmi  les  critiques  qui  se  sont  occupés  de  Sénèque, 
Garai  est  peut-être  le  premier,  à  ma  connaissance,  qui 
l'ait  bien  compris;  parce  qu'il  y  avait  eu  un  moment, 
et  pourtant  ce  n'avait  été  qu'un  moment,  où  on  avait 
éprouvé  en  France  quelque  chose  de  pareil  à  ce  qu'on 
éprouvait  sousNéron.  Sénèque  vivait  dans  une  Terreur, 
non  pas  démagogique  et  prête  à  se  détruire  elle-même, 
mais  régulière,  établie,  armée  de  toutes  les  forces  per- 
manentes de  l'empire  romain,  et  sans  espoir  comme 
sans  frontières.  Garât  nous  dit  comment  ce  fut  avec  la 
guillotine  en  perspective  qu'il  se  mit  à  réimprimer  Sé- 
nèque et  à  le  relire.  «  Il  ne  nous  restait  plus  alors 
qu'une  seule  chose  à  apprendre,  à  mourir.  C'est  là  pres- 
que toute  la  philosophie  de  Sénèque.  »  Plus  loin,  il  la 
compare  aux  prières  de  la  religion  pour  les  agonisants  : 
«  Sénèque,  pour  ainsi  dire,  a  fait  une  philosophie  pour 
ces  longues  agonies  auxquelles  les  tyrans  condamnent 
quelquefois  les  nations.  »  Il  avait  lu  Sénèque  étant 
plus  jeune,  dans  ces  années  pleines  de  vie  et  d'espé- 
rance qui  précédèrent  la  Révolution  ;  il  le  relut  dans 
l'abattement  des  jours  mauvais  et  le  vit  tout  autre. 
«  La  première  fois,  j'avais  peine  à  continuer  la  lecture  ^ 


LES    STOIQUES    ROJIAINS.  257 

cette  dernière  fois,  j'avais  peine  à  m'en  détacher.  La 
morale  de  Sénèque  m'avait  paru  outre  nature  dans  sa 
hauteur;  elle  ne  me  paraissait  plus  qu'au  niveau  des 
circonstances  et  des  besoins.  »  Et  encore  :  «  On  avait 
besoin  d'une  philosophie  qui  apprend  à  renoncer  à  tous 
les  biens  avant  qu'on  vous  les  arrache...;  qui  vous 
sépare  du  genre  humain  qui  ne  peut  plus  rien  pour 
vous,  et  pour  lequel  vous  ne  pouvez  plus  vous-même 
ni  rien  faire  ni  rien  espérer  ;  qui  vous  crée  enfin  une 
grandeur  et  une  force  personnelle  que  les  tyrans  et 
les  bourreaux  pourront  briser,  mais  qu'ils  ne  pourront 
faire  trembler.  Telle  est  la  philosophie  de  Sénèque,  > 
Garât  dit  encore  très-bien  :  «  Sénèque,  il  est  vrai,  s'ar- 
rête longtemps  sur  la  même  vérité,  mais  songez  qu'avec 
lui  il  n'est  pas  question  seulement  de  savoir  ce  qu'il 
faut  penser  de  la  mort;  il  faut  se  préparer  pour  le  mo- 
ment où  Silvanus  viendra  vous  dire,  de  la  part  de  Néron: 
Mourez.  » 

Voyez,  en  effet,  la  manière  dont  parle  Sénèque, 
dans  une  de  ces  Consolations  comme  les  philosophes 
étaient  accoutumés  à  en  écrire  :  il  assure  que  la  mort 
est  le  plus  grand  bienfait  de  la  nature.  «  C'est  elle  qui 
affranchit  l'esclave  malgré  son  maître,  qui  rompt  les 
chaînes  des  captifs  et  tire  de  prison  ceux  qu'y  retenait 
la  tyrannie'  ;  qui  montre  à  l'exilé,  dont  les  pensées  et 
les  regards  sont  toujours  tournés  vers  sa  patrie,  qu'il 
importe  peu  qu'il  soit  enseveli  parmi  ceux-ci  ou  ceux- 
là.  Quand  le  sort  répartit  si  injustement  des  biens  com- 


1.  Comparez  le  livre  dcJub,ui,  17. 

II.  17 


2o8         LE    CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

muns  et  soumet  l'un  à  l'autre  des  hommes  nés  avec 
les  mêmes  droits,  c'est  elle  qui  rend  tout  égal.  C'est 
elle  qui  n'a  jamais  plié  sous  la  volonté  d'autrui,  avec 
qui  on  ne  sent  pas  la  bassesse  de  sa  condition,  à  qui 
personne  ne  commande...  Oui,  c'est  elle  qui  fait  qu'exis- 
ter n'est  pas  subir  une  peine,  qui  fait  que  je  puis  con- 
server mon  àme  hors  d'atteinte  et  maîtresse  de  soi.  J'ai 
un  refuge  dans  le  naufrage.  Je  vois  devant  moi  des  ins- 
truments de  torture  de  toute  espèce...,  mais  je  vois  aussi 
la  mort.  Voici  des  ennemis  barbares,  ou,  parmi  les  ci- 
toyens, des  tyrans  ;  mais  à  côté  d'eux,  voici  la  mort. 
La  servitude  n'est  plus  fâcheuse  si ,  dès  qu*on  est  las 
d'un  maître,  on  peut  d'un  seul  pas  atteindre  à  la  liberté; 
contre  les  injures  delà  vie,  j'ai  la  ressource  de  la  mort.» 
Et  dans  un  autre  endroit  :  «  Persuade-toi  bien  que  celui 
qui  n'est  plus  n'a  pas  à  souffrir,  que  toutes  ces  terreurs 
des  enfers  ne  sont  que  fables  ;  qu'il  n'y  a  pour  les 
morts  ni  ténèbres,  ni  cachots,  ni  rivières  de  feu,  ni 
fleuve  d'oubli,  ni  tribunaux,  ni  accusations,  et  que  dans 
cette  liberté  suprême,  on  ne  retrouve  pas  de  tyrans  *.  » 
En  attendant  cet  affranchissement  de  la  mort,  à  qui 
pouvait-on  recourir,  qu'à  cette  philosophie  qui,  à  force 
de  détacher  l'homme  de  la  vie,  semblait  une  anticipation 
de  la  mort?  On  s'y  réfugiait  comme  on  aurait  fait  entre 
les  bras  des  dieux. 

La  philosophie  a  plus  que  jamais  charge  d'âmes,  les 
âmes  ne  trouvant  qu'en  elle  un  appui  et  une  protection.  La 

1.  Infernis  hilares  sine  regibus  unibra;  (juvénal).  «  Les  morts 
étaieni  en  joie  dans  des  enfers  où  il  n'y  avait  pas  do  rois.  »  C'est 
uii  des  traits  d'une  peinture  do  l'âge  d'or. 


LES    STOIQUES    ROMAINS.  25a 

prédication  devient  tous  les  jours  plus  véhémente,  plus 
populaire,  plus  puissante.  La  direction  de  conscience 
s'empare  de  la  vie  privée  plus  étroitement  et  plus  im- 
périeusement qu'elle  n'a  jamais  fait.  Elle  conduit  les 
bons  ;  elle  soudent  les  faibles  ;  elle  ramène  les  pécheurs. 
Elle  prêche  la  retraite,  les  saints  entretiens  et  les  saintes 
pratiques,  la  séparation  d'avec  ce  qui  s'appellera  bientôt 
le  siècle  ou  le  monde.  Si  on  ne  connaît  pas  encore  le 
mot  de  dévot  ou  de  dévotion,  la  chose  existe;  elle  naît 
du  dégoût  de  la  vie  commune,  pleine  de  souillures,  de 
tristesses  et  de  périls. 

Enfln,ces  temps  mauvais,  qui  exaltent  la  force  et  l'au- 
stérité au  dedans  de  l'àme,  la  rendent  au  dehors  meil- 
leure et  plus  humaine.  Sous  ce  despotisme  implacable, 
tous  se  sentent  frères  ;  les  grands  apprennent  à  ne  plus 
mépriser  les  misères  des  petits,  ni  les  hommes  libres 
celles  des  esclaves.  Un  mot  de  Sénèque  éclaire  cet  en- 
seignement de  l'histoire  :  «  V^ous  les  appelez  des  esclaves; 
dites,  des  compagnons  d'esclavage.  »  Servi  sunl,  inio 
conservi.  Et  ailleurs  :  «  Tu  te  plains  que  la  liberté  soit 
morte  dans  la  république,  toi  qui  l'as  tuée  dans  ta 
maison  !  »  Et  enfin  :  «  Tous  sont  esclaves,  celui-ci  de 
la  débauche,  celui-là  de  l'intérêt,  cet  autre  de  l'ambi- 
tion, tous  de  la  peur.  »  C'est  ainsi  que  la  société  du 
temps  des  Césars  était  mûre  pour  comprendre  les  le- 
çons des  philosophes.  De  même,  quand  ceux-ci  s'éle- 
vaient contre  les  tueries  de  l'arène,  ils  pouvaient  dire  : 
«  Ne  comprenez-vous  donc  pas  que  les  mauvais  exem- 
ples retombent  sur  ceux  qui  les  donnent  ?  Rendez  grâces 
aux  dieux  de  ce  que  celui  à  qui  vous  enseignez  ainsi  la 


260        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

cruauté  n'est  pas  capable  de  l'apprendre.  »  C'est  Néron 
de  qui  Séncque  parle  ainsi  !  il  savait  bien  ce  qu'il  voulait 
dire,  et  on  l'entendait.  Les  Césars  avaient  assez  fait 
sentir  à  Rome  tout  entière  le  prix  du  sang  humain  ;  les 
livres  de  la  Colère,  de  la  Douceur  (rfe  C lementia)  étment 
inspirés  par  leurs  fureurs  sanguinaires.  L'auteur  du  de 
Ira  avait  vu  de  près  ces  colères  de  Claude  qui,  toutes 
grotesques  qu'elles  étaient,  ne  donnaient  pas  envie  de 
rire,  car  il  tombait  une  tête  à  chacun  de  ses  accès. 

Bonté  et  humanité  envers  les  esclaves,  condamnation 
des  combats  de  gladiateurs  et  du  plaisir  pris  à  verser  le 
sang; aversion  de  la  guerre  même;  appel  pressant,  non- 
seulement  à  la  justice,  mais  à  l'amour  ;  voilà  ce  qui  se 
développait  alors  sous  forme  philosophique  de  la  même 
manière  et  pour  les  mêmes  raisons  que  cela  se  produi- 
sait en  même  temps  sous  forme  chrétienne.  Austérité  et 
charité,  cette  double  vertu  n'est  pas  sortie  d'une  révéla- 
tion soudaine,  mais  des  leçons  de  la  vie  et  des  épreuves 
de  l'humanité.  Les  orgies  immondes  faisaient  bien  des 
âmes  plus  pures,  les  violences  brutales  les  faisaient  plus 
douces.  Rien  ne  s'associe  mieux,  d'ailleurs,  que  la 
force  et  la  tendresse  ;  l'école  des  Stoïques  l'a  fait  voir 
comme  l'Église  primitive.  Elle  a  eu  le  droit  de  dire 
d'elle-même  qu  aucune  secte  n'a  plus  aimé  les  hommes^ 
nulla  amantior  hominum. 

La  philosophie  qui  régnait  au  temps  des  Césars  et 
la  religio'vqui  se  répandit  tout  à  coup  au-dessous  d'elle 
doivent  à  ces  temps  leurs  communes  faiblesses  aussi 
bien  que  leurs  communes  grandeurs.  Elles  protestent 
contre  le  mal  et  l'iniquité,  et  c'est  par  où  elles  sont 


LES     STOIQUES   ROMAINS.  2G1 

grandes  ;  mais  elles  sont  faibles  en  ce  qu'elles  se  sen- 
tent impuissantes  et  qu'elles  se  jettent  et  se  perdent 
dans  le  désespoir.  L'une  etl'autre,  pour  épurer  l'homme, 
le  détachent  de  tout;  l'une  et  l'autre  s'efforcent  de  dé- 
mentir la  nature,  condamnant  non-seulement  le  plaisir 
et  la  richesse,  mais  jusqu'à  l'action  etjusqu'à  la  science; 
elles  tendent  à  isoler  celui  qu'elles  inspirent,  et  elles 
l'enlèvent  '^quoique  les  meilleurs  Stoïques  s'en  défen- 
dent) à  la  famille  et  à  la  cité  ;  elles  lui  font  pousser 
l'abnégation  et  la  résignation  jusqu'à  accepter  le  mal 
comme  envoyé  d'en  haut,  etjusqu'à  trouver  tout  bon, 
pourvu  que  lui-même  ne  pèche  pas.  Elles  lui  conseil- 
lent d'être  un  saint ,  ne  pouvant  faire  qu'il  soit  un 
homme.  L'une  dit  :  Ne  te  soucie  que  du  dedans; 
l'autre  :  Ne  te  soucie  que  de  la  vie  d'au  delà  ;  et 
ainsi  elles  sacrifient  toutes  deux  l'humanité  et  la  vraie 
vie. 

On  sait  que  l'homme  qui  a  tant  illustré  la  philoso- 
phie d'alors  par  son  éloquence,  ne  l'a  pas  assez  honorée 
par  sa  conduite,  et  qu'il  n'a  été  malheureusement  ni  un 
saint  ni  un  sage.  Aussi  longtemps  presque  qu'il  a  vécu, 
Sénèque  s'est  laissé  entraîner  à  toutes  les  faiblesses  du 
caractère  et  à  toutes  les  intempérances  de  l'esprit.  Exilé 
par  Messaline,  il  adressait  de  l'exil  à  Claude  vivant  les 
plus  basses  flatteries,  qui  ne  lui  rapportaient  rien.  Rap- 
pelé par  Agrippine,  et  devenu  l'homme  d'Agrippine  et 
de  Néron,  il  lançait  à  Claude  mort  les  sarcasmes  d'une 
espèce  de  ménippée.  Quand  la  mère  et  le  fils  se  brouil- 
lèrent, il  fut  du  côté  du  plus  fort,  et  suivit  Néron  jus- 
qu'au meurtre  de  sa  mère;  ce  fut  lui  qui  écrivit  le  mes- 


2(i2         LE  CIIRISTIANISIIIE  ET  SES  ORIGINES. 

sage  officiel  par  lequel  César  annonçait  au  Sénat  qu'A- 
grippinc  avait  conspiré  la  perte  de  l'empereur  et  de 
l'empire,  et  que  ses  complots  ayant  échoué,  elle  s'était 
tuée;  que  l'empire  était  sauvé,  mais  que  l'empereur 
était  affligé.  Voilà  à  quel  prix  il  fut  puissant  et  posséda 
soixante  millions.  Mais  c'est  au  moment  où  il  est  le  plus 
bas  qu'il  se  relève.  Néron  l'avait  ménagé  jusque-là 
comme  une  force  de  plus  contre  Agrippine  ;  Agrippine 
morte,  il  ne  le  supporta  pas  plus  longtemps.  C'est  un 
philosophe,  c'est  un  écrivain  éloquent,  et  le  plus  bril- 
lant esprit  de  Rome  ;  c'est  assez  pour  qu'il  ne  puisse 
descendre ,  quelque  complaisant  qu'il  soit,  jusqu'où 
descend  Néron  quand  Néron  s'est  débarrassé  de  sa  mère. 
Sa  renommée  même  et  l'admiration  qui  s'attache  à  ses 
écrits  le  préservent  jusqu'à  un  certain  point;  il  ne  peut 
lutter  de  bassesse  et  d'extravagance  avec  les  Tigellin  ; 
il  devient  par  sa  supériorité  seule  le  représentant  des 
honnêtes  gens;  sa  situation  ne  change  pas  en  apparence, 
mais  au  fond  tout  est  changé,  et  cet  éclat  recouvre  une 
disgrâce  secrète  qui  doit  aboutir  infailliblement  à  la 
confiscation  et  à  la  mort,  car  l'une  ne  va  pas  sans  l'autre. 
C'est  alors  qu'il  s'épure  en  se  préparant  à  mourir  ;  sa 
philosophie  devient  plus  sincère  et  plus  profonde,  et  il 
entre  de  plus  en  plus  en  communion  avec  la  conscience 
publique  jusqu'au  jour  où  il  meurt  de  manière  à  la 
contenter;  il  semble  ce  jour-là  que  Néron  a  tué  avec 
lui  la  sagesse  et  la  vertu  elles-mêmes. 

Sénèque  n'a  donc  pas  laissé  l'exemple  d'une  grande 
vie,  et  son  talent  même  ne  s'est  que  trop  ressenti  des 
défaillances  de  son  caractère.  Fils  d'un  déclamateur  et 


LES    STOIULES    RuMA'NS.  2GS 

«levé  par  son  père  dans  les  cris  de  Cêcole,  il  n'aurait 
pu  échapper  aux  influences  fâcheuses  de  la  rhétorique 
que  par  une  grande  élévation  morale  et  une  constante 
dignité.  Sa  légèreté  le  livrait  au  contraire  au  mauvais 
goût.  Les  affectations  de  toute  espèce  et  le  bavardage 
stérile  se  mêlent  trop  souvent  à  son  éloquence,  surtout 
dans  les  écrits  antérieurs  à  sa  disgrâce.  Mais  je  n'ai  pas 
hesuin,  pour  mon  o])jet,  de  trouver  Sénèque  égal  à  sa 
philusophie;  c'est  cette  philosophie  même  que  j'étudie; 
je  cherche  comme  on  pensait,  comme  on  sentait  au 
temps  de  Sénèque,  et  plutôt  encore  ce  à  quoi  on  aspi- 
rait que  ce  dont  on  était  capable. 

Cependant,  lorsque  j'ouvre  le  trésor  de  ses  livres  et 
de  ses  Lettres  pour  y  chercher  la  philosophie  du  temps, 
je  suis  embarrassé  et  effrayé  de  trouver  ce  trésor  si  plein 
et  si  riche,  et  je  ne  sais  quel  choix  faire  parmi  tant  de 
beaux  développements  et  d'expressions  éclatantes  de 
cette  sagesse  religieuse.  Je  ne  puis  transcrire  tout  Sénè- 
que, et  cependant  presque  tout  Sénèque  est  chrétien  ;  je 
veux  dire  que  le  christianisme  est  fait  en  grande  partie 
des  idées  que  Sénèque  a  si  bien  rendues.  Terlullien  a 
dit  :  «  Sénèque,  qui  est  souvent  des  nôtres.  »  Il  fallait 
dire  :  Sénèque,  à  qui  les  nôtres  ont  tant  emprunté.  Je 
vais  ramasser,  en  les  distribuant  sous  certains  chefs, 
les  thèmes  principaux  ou  les  traits  les  plus  saillants  de 
cette  prédication  philosophique.  Je  commencerai  par  la 
doctrine  de  la  vie  intérieure,  comme  on  dit  dans  la  lan- 
gue de  la  dévotion. 

Mépris  des  biens  de  la  vie,  des  richesses,  des  hon- 
neurs, des  plaisirs.  «  Il  faut  aimer  la  pauvreté.  —  Ce 


2G4         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

n'est  pas  assez  de  ne  pas  la  craindre,  on  doit  y  aspi- 
rer. —  La  richesse  est  une  décoration,  non  une  posses- 
sion ,  elle  éblouit  et  elle  passe.  Tourne-toi  vers  les  ri- 
chesses véritables.  —  Les  heureux  et  les  riches  sont 
les  plus  troublés,  les  moins  capables  de  se  reconnaître, 
embarrassés  dans  leur  bagage  qui  les  noie.  —  Il  n'y  a 
rien  de  si  malheureux  que  les  heureux  *.  »  —  Dédai- 
gnons les  voluptés,  dédaignons  le  rire  :  «  C'est  chose 
sérieuse  que  la  vraie  joie.  »  Il  semble  que  c'est  d'un 
cloître  qu'on  entend  sortir  ce  discours.  La  formule,  Sou- 
tiens et  VabstienSy  n'est  pas  encore  dans  Sénèque,  mais 
il  n'y  manque  que  la  formule.  Le  Sage  de  Sénèque,  tout 
comme  celui  d'Epictète,  se  passe  de  tout  ce  qu'on  appelle 
des  biens  et  supporte  tout  ce  qu'on  appelle  des  maux.  Le 
Sage  est  prêt  à  perdre  ses  enfants,  à  se  voir  arracher 
les  membres.  Le  Sage  se  laisse  souffleter  sans  s'émou- 
voir ;  ainsi  l'avait  enseigné  Socrate,  et  ainsi  Caton  l'avait 
pratiqué.  «  Quand  je  serais  sur  le  chevalet,  quand  on 
mettrait  le  feu  sous  chacun  de  mes  membres  et  qu'il 
m'envelopperait  tout  vivant;  quand  ce  corps,  où  ha- 
bite une  bonne  conscience,  fondrait  tout  entier,  j'ai- 
merais encore  ce  feu,  dont  la  flamme  ferait  éclater  ma 
fidélité.  »  C'est  l'exaltation  des  martyrs. 

Mépris  de  la  vie  même  et  goût  de  la  mort  :  «  La  mort 
termine  toutes  les  querelles,  elle  efface  toutes  les  inéga- 
lités. —  Qu'est-ce  que  l'homme?  Un  vase  fêlé  qui  se 
brise  au  moindre  choc.  —  Tout  ce  qui  est  de  l'homme 
est  court  et  périssable  et  ne  compte  pas  dans  l'infini  de 

1.  Comparez  l'évangile  de  Luc,  vi,  24. 


LES    STOIQLES   ROMAINS.  2G5 

la  durée...  Notre  vie,  comparée  au  temps,  n'en  occupe 
pas  même  un  point...  A  quoi  bon  étendre  une  existence 
qui,  si  avant  qu'on  la  prolonge,  sera  toujours  si  prés 
du  néant...?  Quand  tu  me  nommerais  les  Sibylles  et 
quelques  hommes  d'une  vieillesse  fameuse,  et  que  lu 
compterais  des  vies  de  cent  dix  années,  rcporle-toi  à 
l'ensemble  des  temps,  et  tu  ne  trouveras  nulle  diffé- 
rence entre  une  si  longue  vie  et  la  plus  courte,  si  tu 
compares  au  temps  que  chacun  a  pu  vivre  celui  qu'il 
n'a  pas  vécu  *.  »  Et  cette  vie  si  courte,  que  vaut-elle? 
«  La  vie  n'est  qu'une  peine  que  nous  subissons,  {vita 
supplicium  est).  »  Bien  plus,  la  vie  est  un  péril  et  un 
obstacle.  Elle  expose  l'àme  à  mille  souillures  ;  celui  qui 
meurt  et  que  nous  pleurons  n'aurait  vécu  que  pour 
pécher.  «  La  route  du  ciel  est  plus  facile  aux  âmes  enle- 
vées de  bonne  heure  à  la  société  des  hommes...  L'àme 
ici-bas ,  étouffée  par  le  corps ,  obscurcie ,  infectée, 
écartée  de  la  vérité  qui  est  son  domaine  et  plongée 
dans  l'erreur,  ne  fait  que  se  débattre  contre  cette  chair 
qui  pèse  sur  elle  ;  elle  fait  effort  vers  les  hauteurs  dont 
elle  est  descendue  et  où  l'attend  un  repos  éternel.  j> 
Aussi,  loin  que  sa  vigueur  diminue  avec  celle  du  corps, 
elle  s'accroît  plutôt,  comme  le  joyeux  élan  du  conduc- 
teur du  char  qui  fournit  son  dernier  tour  et  louche  à 
la  palme. —  L'àme,  quand  elle  quitte  sa  dépouille, 
n'en  tient  pas  plus  de  compte  que  nous  ne  faisons  d'une 
barbe  coupée.  »  La  science  de  la  mort  est  celle  delà 
vie.  «  On  vivra  mal,  si  on  ne  sait  pas  bien  mourir.  — 

1.  Comparez  la  péroraison  do  VOraison  funèbre  de  Le  Tcllier. 


^66       LE     CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Toute  la  vie,  il  faut  apprendre  à  vivre,  et  ce  qui  t'é- 
tonnera  davantage,  toute  la  vie  il  faut  apprendre  à 
mourir,  i>  Et  encore,  à  propos  de  la  mort  :  «  Pour  ne 
jamais  la  craindre,  penses-y  toujours.  —  Le  jour  de  la 
mort  est  celui  qui  juge  tous  les  autres.  —  Ce  jour,  que 
tu  redoutes  comme  le  dernier,  c'est  celui  de  ta  nais- 
sance à  l'éternité,  d 

C'est  en  enfonçant,  comme  on  l'a  fait  à  cette  époque, 
dans  ces  magnifiques  paradoxes  platoniques  ou  sioïques 
qu'on  en  a  fait  sortir  ce  que  j'appellerai  la  doctrine  du 
péché.  Cette  morale,  qui  fait  fi  des  choses  de  la  vie  et 
de  la  vie  même,  étant  en  dehors  de  la  nature,  la  nature 
à  son  tour  restera  toujours,  quoi  qu'elle  fasse,  en  de- 
hors de  cette  morale.  Tous,  tant  que  nous  sommes, 
nous  sommes  donc  en  faute  ;  nous  sommes  tous  des 
pécheurs,  des  méchants,  omnes  mali  sumus.  Envelop- 
pés dans  le  péché  par  mille  liens  invétérés,  nous  ne  pou- 
vons en  sortir  :  «  Il  est  difficile  de  nous  laver;  nous  n'en 
sommes  pas  tachés  seulement,  mais  imprégnés.  »  — 
«  Non-seulement  nous  péchons ,  mais  nous  pécherons 
jusqu'au  terme  de  notre  vie.  Celui  qui  a  le  mieux  pu- 
rifié son  àme  et  que  rien  ne  peut  plus  troubler  ni  sur- 
prendre, celui-là  même  n'est  arrivé  à  l'innocence  qu'en 
passant  par  le  péché.  »  —  Le  péché  est  un  ulcère  qui 
nous  ronge.  Nous  sommes  des  malades;  cherchons 
avant  tout  la  guérison  {salutem).  C'est  ainsi  que  le 
salut  est  entré  dans  le  langage  de  la  dévotion.  Voilà 
un  homme  gui  songe  au  salul  {ad  salutem  spécial).  — 
«  C'est  le  commencement  du  salut  que  de  reconnaître 
son  péché.  »  Sénèque  cite  celte  pensée  comme  d'Épi- 


LES    STOIQUES   ROMAINS,  567 

cure. —  Mnis qu'il  est  malaisé  de  guérir!  C'est  beau- 
coup si,  en  se  confessant  à  son  médecin^  on  peut  lui 
dire  :  Je  ne  suis  ni  malade  ni  bien  portant.  Le  médecin 
est  malade  lui-même  et  couché  dans  la  même  infirme- 
rie. —  La  cure  de  l'àme  est  donc  le  grand  objet  de  la 
vie,  la  grande  œuvre  de  la  pbilosophie  ;  quand  elle  est 
bien  faite,  «  elle  n'amende  pas  seulement,  elle  trans- 
forme. »  C'est  ce  qui  s'est  appelé  depuis  une  conver- 
sion. La  doctrine  des  coups  de  la  Grâce,  de  la  Grâce 
inamissible,  est  déjà  dans  les  Stoïques  :  «  Le  Sage  ne 
peut  ni  retomber  dans  son  mal ,  ni  tomber  dans  un 
autre...;  l'âme  guérit  tout  à  fait  d'un  seul  coup.  »  Mal- 
heureusement, le  Sage  n'existe  nulle  part  qu'en  idée. 
Bien  des  conversions  ne  sont  qu'illusion  et  mensonge. 
Rien  de  plus  difflcile  que  la  'persévérance  :  «  La  grande 
affaire  n'est  pas  de  prendre  une  bonne  résolution,  mais 
d'y  rester  fidèle.  —  Sache-le  bien,  il  n'y  a  pas  de  moyen 
assez  sûr  pour  conserver  ce  bien  fragile  {rem  imheciU 
lêni  servanlibus),  si  un  énergique  et  perpétuel  effort  ne 
soutient  l'àme  toujours  chancelante.  —  Chacun  de  nous 
est  un  soldat  en  campagne,  toujours  sous  les  armes, 
^t  quin'aura  jamais  son  congé  *.  » 

En  attendant  la  mort,  le  meilleur  moyen  pour  échap- 
per ou  péché  est  la  retraite,  par  laquelle  on  se  sépare 
du  moins  du  commun  des  hommes.  Un  livre  tout  en- 
tier ,  de  Otio  aut  secessu  Sapietitis  ^,  n'a  pas  d'autre 
objet  que  d'établir  le  droit  et  le  privilège  de  la  vie  con- 
templative en  faveur  du  Sage.  Si  on  objecte  que  le 

1.  Comparez  11  Corinth,  x,  4.  * 

2.  De  l'inaction  ou  de  la  retraite  du  Sage. 


2G8        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

contemplatif  est  inutile,  on  répond  que,  comme  celui 
qui  se  déprave  nuit  à  l'humanité  tout  entière,  celui  qui 
travaille  à  s'améliorer  lui-même  la  sert.  D'ailleurs,  les 
méditations  dont  il  remplit  sa  solitude  profitent  plus 
aux  hommes  que  la  part  qu'il  pourrait  prendre  à  leurs 
affaires;  s'il  ne  travaille  pas  pour  la  petite  sociétéqui 
l'entoure,  il  travaille  au  profit  de  la  république  univer- 
selle qui  comprend  les  hommes  et  les  dieux.  —  Il  faut 
surtout  fuir  la  foule,  elle  est  essentiellement  corrup- 
trice; il  ne  s'y  trouve  pas  un  homme  qui  ne  nous 
communique  quelque  vice,  par  l'autorité  ou  simple- 
ment par  la  contagion  de  l'exemple.  Au  milieu  des 
hommes,  on  apprend  à  aimer  le  vice,  ou  on  apprend 
à  haïr  les  hommes.  Rentre  en  toi-même  autant  que  lu 
peux.  —  «  Là  où  est  la  foule,  là  est  le  mal.  »  —  Mais 
ailleurs,  avee  un  accent  plus  farouche  :  «  Fuis  les 
grandes  compagnies,  fuis  les  petites,  fuis  même  celle 
d'un  seul.  »  —  Mais  les  affaires  ?  Mais  les  intérêts  ?  — 
On  doit  tout  quitter  pour  le  salut  :  «  Si  quelque  chose 
l'empêche  de  bien  vivre,  rien  ne  t'empêche  de  bien 
mourir.  »  —  Il  ne  faut  pourtant  pas  mettre  d'éclat  ni 
d'affectation  dans  la  retraite  ;  le  philosophe  donne  ici 
les  mêmes  conseils  que  répétera  Bourdaloue  dans  ce 
fameux  sermon  sur  la  Sévérité  évangélique,  que  ma- 
dame de  Sévigné  appelait  un  sermon  sur  la  relraile  de 
Tréville. — Il  y  a  des  hommes,  d'ailleurs,  qui  sont 
condamnés  au  monde  et  qui  doivent  subir  avec  résigna- 
tion leur  fortune.  Enfin,  la  solitude  elle-même  a  ses 
dangers;  elle  ne  vaut  rien  pour  l'âme  qui  n  a  pas  deja 
quelque  force  ;  celui  qui  se  sent  mauvais  fera  bien  de 


LES    STOIQUES   ROMAINS.  2f/J 

se  rejeter  dans  la  foule  pour  échapper  à  lui-mèinc,  cl 
ne  pas  vivre  trop  près  d'un  méchant.  —  N'cntend-on 
pas  Hiéronyme  ou  Jérôme  au  désert  quand  il  ajoute  : 
«  Bien  des  misères  nous  enveloppent  au  dehors...,  et  il 
y  en  a  bien  d'autres  au  dedans  qui  font  rage  en  pleine 
solitude.  »  Il  faut  donc  entremêler  la  solitude  et  la 
foule,  et  passer  de  celle-ci  à  celle-là.  Mais  qu'heureux 
est  celui  qui  peut  oublier  le  monde  !  «  Oh  !  quand  vien- 
dra le  temps  où  nous  saurons  que  le  temps  ne  nous  re- 
garde plus  !  » 

La  vie  spirituelle,  dont  ce  sont  là  les  règles,  ne  sau- 
rait être  heureusement  menée  sans  certains  secours  :  ces 
secours  sont  la  prédication  et  la  direction.  Sénèque,  dans 
sa  jeunesse,  avait  trouvé  la  prédication  philosophique 
florissante,  et  il  avait  été  des  plus  touchés.  Il  avait  en- 
tendu Aitale,  Sotion,  Fabianus  :  Sotion  l'avait  entraîné 
à  pratiquer  l'abstinence  pythagorique  ;  il  resta  fidèle 
plus  d'un  an  à  ce  régime;  il  s'en  lassait  peut-être 
quand  il  fut  pressé  d'y  renoncer  par  son  père,  qui 
n  aimait  pas  la  philosophie,  et  qui,  d'ailleurs,  craignait 
que  ces  pratiques  ne  rendissent  son  fils  suspect  d'atta- 
chement aux  superstitions  étrangères^  ce  qui  était  alors 
une  mauvaise  note  ;  c'était  précisément  le  moment  où 
Tibère  sévissait  contre  le  judaïsme.  Ailale  parlait  si 
haut  et  si  fort  contre  le  vice,  qu'il  semblait  faire  leur 
procès  aux  maîtres  eux-mêmes,  et  nous  savons  qu'il 
fut  banni  de  Rome  par  Séjan  ;  ainsi,  plus  tard,  des 
évêques  seront  proscrits  à  leur  tour  pour  avoir  cen- 
suré les  favoris  ou  les  femmes  des  empereurs  byzan- 
tins. Il  faisait  sur  la  pauvreté  des  sermons  dont  Sénèque 


0-0        LE    CIIRISTIANIS-^ÎE    ET    SES    ORIGINES. 

se  souvenait  encore  après  quarante  ans,  des  sermons 
qui  donnaicnl  l'envie  d'élre  pauvre.  Quelques-unes  des 
Lettres  à  Lucilius  sont  une  espèce  de  traité  de  l'éloquence 
de   la  chaire;  les  philosophes  parlent  déjà   là-dessus 
comme  parleront  plus  tard  les  grands  orateurs  chré- 
tiens. Cette  éloquence  ne  doit  pas  chercher  l'applaudis- 
sement, car  quoi  de  plus  misérahie  !  «  Est-ce  que  le 
malade  applaudit  le  médecin  qui  l'opère?  Taisez-vous, 
recueillez-vous,  livrez- vous  à  la  cure  ;  s'il  vous  échappe 
un  cri,  je  ne  veux  y  reconnaître  que  le  gémissement 
qu'on  vous  arrache  en  sondant  vos  plaies.  j>  C'est  que 
les  philosophes  commençaient  à  cette  époque  à  ne  plus 
parler  seulement  pour  les  disciples  qui  suivaient  et  qui 
payaient  leurs  leçons;  à  certains  jours,  on  ouvrait  les 
portes  de  l'école,  et  on  prêchait  pour  la  foule,  comme 
on  fera  dans  l'église.  «  La  philosophie  peut  se  laisser 
voir  dans  son  sanctuaire,  pourvu  que  ce  soit  un  prêtre 
qui  le  desserve  et  non  un  marchand.  »  — La  prédica- 
tion chrétienne,  héritière  de  la  prédication  philosophi- 
que, hérita  aussi  des  acclamations  et  des  battements  de 
mains  ;  on  applaudissait  à  grand  bruit  Jean  d'Antioche 
(Chrysostom.e)  dans  l'église  de  Constantinople,  comme 
nous  le  voyons  par  ses  sermons.  —  «  Il  est  incroyable, 
dit  encore  Sénèque,  à  quel  point  profite  une  parole  qui 
ne  s'applique  qu'à  guérir  et  n'a  d'autre  objet  que  le 
bien  de  ceux  qui  l'entendent.  » 

La  prédication  ne  suffit  pas  à  la  conduite  de  tous  les 
jours;  on  éprouvait  de  plus  en  plus  le  besoin  de  se  sou- 
tenir à  chaque  instant  par  les  conseils  d'un  sage,  d'un 
maitre  dans  la  vie  spirituelle,  disons  en  un  mot,  d'un 


LES   STOIQUES    ROMALNS.  271 

directeur.  On  a  vu  que  cela  ne  date  pas  du  temps  de 
Sénèque,  mais  cela  n'a  fait  que  se  déveloi)per',  et  c'est 
dans  Sénèque  que  se  trouve  le  passage  célèbre  où  il 
est  dit  d'un  homme  que  Caligula  fait  tuer  et  que  l'on 
conduit  à  la  mort  :  «  Son  philosophe  marchait  avec  lui  ; 
prosequebalur  eum  pliilosophus  suus.  »  —  «  Vous 
voulez  aller  à  la  foi,  dit  Pascal,  et  vous  n'en  savez  pas 
le  chemin...  ;  apprenez  de  ceux...,  etc.;  ce  sont  gpns 
qui  savent  ce  chemin  que  vous  voudriez  suivre  ,  et 
guéris  d'un  mal  dont  vous  voulez  guérir.  »  Pascal 
ne  fait  guère,  sans  le  savoir,  que  traduire  Sénèque'. 
Dans  toutes  les  situations,  en  face  de  toutes  les  épreuves, 
qu'un  directeur  soit  à  nos  côtés,  stet  ad  latus  monitor. 
Il  nous  gardera  des  dangers  que  le  monde  présente  ;  il 
nous  défendra,  par  exemple,  des  séductions  de  la  for- 
tune ou  de  la  grandeur.  C'est  le  métier  que  fait  Sénè- 
que à  l'égard  de  Lucilius,  et  ses  Lettres  à  cet  ami  ne 
sont  que  des  lettres  de  direction  ;  il  conduit,  d'ailleurs, 
d'autres  amis  encore,  et  Lucilius  lui-même  en  a  qu'il 
dirige  à  son  tour.  Plusieurs  de  ces  Lettres  montrent 
combien  était  avancée  cette  science  de  la  conduite  des 
âmes.  Voici  un  pécheur  qu'il  faut  ramener  peu  à  peu,  un 
autre  qu'il  faut  brusquer;  celui-là  rougit  encore, et  c'est 
assez  pour  bien  augurer  de  lui  ;  l'autre  est  en  danger 
de  désespérer  de  lui-même.  En  voici  un  dont  il  semble 
qu'il  n'y  a  plus  rien  à  attendre,  tant  il  est  enfoncé  dans 
le  mal  ;  <r  en  lui  tendant  la  main,  on  risque  d'être  en- 


1.  Decernatur  itaqne  et  qno  tendamns  et  qaa,  non  sine  perilo  ali- 
quo  cui  explorala  sint  ea  in  quae  procedimus. 


272        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES 

traîné.  j>  C'est  un  esprit  fort,  c'est  un  railleur;  il  ne 
tarit  pas  sur  les  scandales  que  donnent  les  philosophes, 
et  avec  cela  il  repond  à  tout  (comme  en  d'autres  temps 
on  a  fait  des  histoires  sur  les  prêtres)  ;  il  ferait  rire  des 
gens  qui  pleurent  un  mort  :  «  Soit,  je  supporterai 
ses  sarcasmes;  qu'il  me  fasse  rire,  peut-être  quà  mon 
tour  je  le  ferai  pleurer.  S'il  s'obstine  à  rire,  je  me  ré- 
jouirai, dans  son  malheur,  qu'il  ait  du  moins  une  folie 
gaie.  Mais  cette  gaieté  ne  tient  guère.  Observe  les 
hommes  de  cette  espèce,  tu  les  verras  passer  en  quel- 
ques moments  d'un  accès  de  rire  à  un  accès  de  rage.  » 
—  Un  autre  est  trop  léger  pour  qu'on  le  fixe.  «  Je  te 
disais  que  tu  ne  le  tenais  pas  par  le  pied,  mais  par 
l'aile  ;  je  me  trompais,  tu  ne  tenais  qu'une  plume;  il  te 
l'a  laissée  dans  la  main  et  s'est  envolé.  »  —  Cet  autre 
enfin  se  croit  converti  parce  qu'il  est  dégoûté  :  «  Voilà 
les  hommes,  la  vie  qu'ils  mènent  leur  plaît  et  leur  dé- 
plaît à  la  fois.  Nous  prononcerons  sur  celui-ci  quand  il 
nous  aura  convaincu  qu'il  est  vraiment  brouillé  avec  le 
vice  ;  pour  le  moment,  il  ne  fait  que  le  bouder.  » 

Il  y  avait  longtemps  que  les  philosophes  étaient  des 
consolateurs.  Sénèque  a  fait  trois  écrits  sur  ce  thème  ;  ce 
sont  les  plus  anciennes  Consolations  qui  nous  restent, 
celle  de  Cicéron  étant  perdue  comme  celles  des  Grecs. 
La  Consolation  à  Marcia  (une  mère  qui  avait  perdu 
un  lils  dans  la  fleur  de  la  jeunesse)  est  un  modèle  du 
genre.  Le  fond  en  est  pris  dans  les  idées  que  i'ai  rap- 
pelées, sur  le  néant  de  la  vie  et  sur  les  bienfaits  de  la 
mort.  Le  coup  fatal  n'a  pas  tué  celui  que  l'on  pleure,  il 
l'a  sauvé  ;  son  âme  a  rejoint  les  nobles  âmes  d'un  père 


LES    SïOIQUES   ROMAINS.  2-3 

et  d'un  aïeul  dont  il   était  digne,   et  jouit  maintenant 
avec  elles  des  joies  du  ciel. 

La  vie  spirituelle  avait  ses  pratiques,  par  lesquelles 
on  marquait,  même  au  dehors,  qu'on  avait  renoncé  aux 
vices  et  aux  affections  du  monde.  Les  zélés,  je  dirais 
volontiers  les  dévots,  «  laissaient  pousser  leurs  cheveux 
et  négligeaient  leur  barbe;  ils  étaient  mal  tenus;  ils 
abjuraient  l'argenterie  ;  ils  couchaient  par  terre  ;  ils 
s'attachaient  à  tourmenter  le  corps,  repoussant  la  pro- 
preté la  plus  simple,  recherchant  la  saleté  et  mangeant 
des  mets,  non  pas  seulement  communs,  mais  dégoû- 
tants. »  Ainsi  vivaient  du  moins  ces  Cyniques  que 
Sénèque  désavoue  quelquefois,  mais  que  souvent  aussi 
il  admire,  et  entre  tou"-  Démétrius  :  «  Quand  je  le  vois 
nu,  dit-il,  couché,  ou  peu  s'en  faut,  sur  la  paille,  il  me 
semble  que  la  vérité  a  en  lui,  non  plus  un  interprète, 
mais  un  témoin.  »  Le  mot  de  témoin  prend  presque  ici 
le  sens  que  le  christianisme  lui  donnera  sous  la  forme 
grecque  de  martyr .  C'est  lui  qui  disait  :  «  Jene  vois  pas 
de  plus  grande  misère  que  de  n'avoir  eu  aucun  mal- 
heur. »  Il  se  distinguait  des  autres  Cyniques  en  ce 
qu'il  ne  mendiait  pas  :  il  attendait  les  aumônes.  «  La 
Providence  avait  mis  dans  Rome  cet  homme  et  cette 
éloquence  pour  donner  au  siècle  tout  à  la  fois  un  cen- 
seur et  un  modèle.  »  Sénèque  conseille  au  Sage,  sans 
rompre  ainsi  avec  la  vie  commune,  de  s'imposer  ce- 
pendant de  temps  à  autre,  pour  un  jour,  et  même  plu- 
sieurs, ces  austérités  et  ces  abstinences;  ce  ne  sont 
pas  dans  sa  pensée  des  pénitences,  mais  des  exercices 
salutaires.  Une  autre  pratique,  plus  raisonnable  et  plus 

II.  io 


274        LE    (Iir.lSTIANISME   ET    SES    ORIGINES. 

simple,  est  celle  de  l'examen  de  conscience;  c'étaient 
lesPylhagoriques  qui  l'avaient  mise  en  honneur  :  «  Ainsi 
faisait  Sextius,  ditSénèque  :  la  journée  terminée,  retiré 
dans  sa  chambre  pour  le  repos  de  la  nuu,  il  interrogeait 
son  àme.  Dequelle  maladie  t'es-tuguérie  aujourd'hui?Quel 
viceas-tu  combattu  ?  En  quoi  es-tu  devenue  meilleure? . . . 
Moi  aussi,  j'exerce  cette  magistrature  et  me  cite  chaque 
jour  à  mon  tribunal.  Quand  on  a  enlevé  la  lumière,  et 
que  ma  femme,  qui  sait  mon  usage,  s'est  renfermée  dans 
le  silence,  je  repasse  ma  journée  entière  et  reviens  sur 
toutes  mes  actions  et  toutes  mes  paroles.  »  On  recom- 
mandait aussi  la  médiialion  habituelle,  et  on  conseillait 
de  choisir  pour  chaque  jour  une  pensée,  à  laquelle  on 
s'arrêtait  ce  jour-là. 

Une  morale  si  religieuse  ne  pouvait  se  passer  de  théo- 
logie ;  et  je  dirai  même  que  la  morale  stoïque,  à  elle 
toute  seule,  est  déjà  une  théologie,  en  ce  sens  qu'elle 
repose  sur  des  croyances  qu'on  peut  appeler  surnatu- 
relles, puisqu'elles  contredisent  la  nature.  C'est  être 
dans  le  surnaturel  que  de  croire  que  la  douleur  n'est 
pas  un  mal,  ou  que  rien  au  monde  n'a  d'intérêt  pour 
l'homme  que  la  vertu.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que 
le  mot  de  duymes,  qui  ne  signifie  proprement  qu'opi- 
nions ou  pruicipes,  ait  pris  peu  à  peu  dans  l'école  stoï- 
que le  sens  théologique  que  nous  lui  donnons  et  qui 
marque  que  ces  principes  sont  objets  de  foi.  Quelques 
moralistes  rout  pratiques  voulaient  qu'on  lai^sàt  dormir 
les  dogmes,  qui  étonnaient  ou  rebutaient  les  simples,  et 
qu'on  s'en  tint  à  donner  de  sages  leçons  sur  tous  les 
devoirs  de  la  vie  ;  mais  les  fervents  se  récriaient,  disant 


LES    STOIQUES  ROMAINS.  275 

que  la  morale  ne  pouvait  subsister  sans  le?  dogmes 
et  sans  l'ardeur  de  la  foi;  et  ils  avaient  raison,  dès  que 
leur  morale  faisait  violence  à  la  nature.  Pour  résister 
à  la  nature,  ce  n'est  pas  trop  de  toute  la  vertu  des  for- 
mules et  des  mots  sacrés  et  d'une  sorte  de  fanatisme. 

Mais  ces  dogmes  abstraits  sur  le  bien  et  sur  la  veitu 
ne  suffisaient  plus  aux  âmes;  les  Stoïques  eux-mêmes 
avaient  besoin  des  dieux.  Il  leur  fallait  une  religion; 
ils  la  faisaient  seulement  aussi  haute  et  aussi  épu- 
rée qu'il  était  possible.  «  Pour  obtenir  les  grâces  de  la 
divinité,  il  n'est  pas  besoin  que  tu  gagnes  le  gardien 
du  temple  afin  d'approcher  de  l'oreille  de  sa  statue, 
comme  si,  de  la  sorte,  elle  pouvait  mieux  t'entendre; 
elle  est  près  de  toi,  elle  est  avec  toi,  elle  est  en  toi...; 
nul  n'est  vertueux  sans  cette  assistance  divine.  En 
tout  homme  de  bien,  il  y  a  ce  que  dit  Virgile  : 

Quis  deusiucertum  est,  habitat  deus.  » 

Écartons  du  culte  des  dieux  toute  pratique  supersti- 
tieuse. «  La  religion,  c'est  d'abord  de  croire  aux  dieux, 
puis  de  leur  rendre  ce  qui  leur  appartient,  la  grandeur 
et  ensuite  la  bonté,  sans  laquelle  il  n'y  a  pas  de  gran- 
deur... Veux-tu  te  rendre  les  dieux  propices?  sois  bon  ; 
c'est  les  honorer  assez  que  de  les  imiter.  »  Et  ailleurs 
encore  ;  «  Ne  voulez-vous  pas  vous  représenter  Dieu 
tel  qu'il  est?  grand,  bienveillant,  avec  une  majesté 
douce  et  vénérable,  comme  un  ami  qui  n'est  jamais 
bien  loin^  qu'il  faut  honorer,  non  à  force  de  sang  versé 
et  de  victimes  égorgées,  car  quel  plaisir  peut-il  trouver 
à  ces  massacres  de  vies  innocentes?  mais  par  un  cœur 


27G        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

puk  a  une  bonne  resolution.  Il  ne  s'agit  pas  de  lui  bùlir 
des  temples  en  entassant  pierres  sur  pierres  ;  c'est  à 
chacun  à  le  consacrer  dans  son  cœur.  »  —  La  critique 
négative  d'Épicure  est  repoussée  avec  dédain  ;  on  lui 
oppose,  comme  Platon  faisait  déjà  aux  incrédules  de 
son  temps,  «  ces  prières  qui  s'élèvent  de  toutes  parts  et 
toutes  ces  mains  tendues  vers  le  ciel.  »  Dieu  est  créa- 
teur, cette  opinion  plus  religieuse  est  déjà  celle  de  quel- 
ques-uns en  attendant  qu'elle  soit  la  foi  de  tous  *. —  Dieu 
est  présent  partout  :  «  il  faut  vivre  comme  si  nous  vi- 
vions devant  un  témoin  ;  il  ne  faut  avoir  de  pensées  que 
celles  que  nous  aurions  si  on  pouvait  pénétrer  au  fond 
de  notre  cœur,  et  il  y  a'  quelqu'un  qui  le  peut.  Qu'im- 
porte que  quelque  chose  échappe  aux  hommes?  rien  n'est 
fermé  pour  Dieu.  Il  est  présent  dans  nos  consciences, 
il  intervient  dans  nos  pensées;  que  dis-je,  il  intervient? 
comme  s'il  était  jamais  absent  -  !  »  —  Dieu  est  une 
Providence;  et  il  y  a  un  livre  de  Sénèque  sur  la  ques- 
tion de  savoir  comment  cette  Providence  permet  le 
malheur  de  l'homme  de  bien.  Dieu  exerce  précisément 
ainsi  ceux  dont  il  est  content,  ceux  qu'il  aime;  c'est  un 
père  qui  éprouve  son  fils,  et  qui  le  fortifie  et  l'appro- 
che de  lui  *.  Ceux  qui  souffrent  sont  ses  élus  :  «  les 
Vestales,  ces  nobles  vierges,  s'éveillent  la  nuit  pour 
l'office  sacré,  tandis  que  des  femmes  impures  dorment 
d'un  profond  sommeil.  »  —  C'est  pourquoi,  que  la  vo- 
lonté de  Dieu  soit  faite  :  placeat  homini  quidquid  Deo 


i.  Maieriam  ipse  sibi  formel. 

2.  Conii)uiTZ  l'Evangile  de  iMallhiiu,  vi,  i, 

3.  Comparez  l'rvverbcs,  m,  12. 


LES    STOIQUES    ROMAINS.  277 

placuil  '.  —  «  Dieu  est  un  maître  suprême;  la  li- 
berté, c'est  de  lui  obéir.  »  —  En  même  temps,  Dieu  ne 
veut  pas  d'une  crainte  servile  ;  il  ne  nous  demande 
que  de  l'honorer  cl  de  l'aimer. 

Cependant  Sénèque  n'est  pas  un  esprit  théologique, 
et  on  trouvera  plutôt  chez  lui  de  la  religiosité  qu'une 
religion.  Il  semble  croire  à  l'immortalité  de  l'àme  dans 
cette  Consolation  à  Marcia,  qui  paraît  être  son  premier 
ouvrage;  mais  en  définitive,  il  n'y  croit  pas.  Quand  il 
développe,  dans  ses  Recherches  sur  la  Nature^  la 
science  des  présages  et  celle  des  foudres,  il  semble 
moins  persuadé  de  ce  qu'il  enseigne  que  jaloux  de 
montrer  qu'il  peut  tout  enseigner,  ayant  tout  appris. 
Il  croit  sans  doute  à  la  divinité,  mais  c'est  d'une  foi 
très-vague  et  dont  l'objet  e^t  bien  confus  et  bien  flottant 
dans  sa  pensée.  La  seule  religion  dont  il  soit  vraiment 
pénétré  est  celle  de  la  philosophie,  et  celle-là,  il  n'est 
pas  embarrassé  de  la  prêcher,  car  elle  est  alors  uni- 
versellement acceptée.  Non-seulement  ceux  qui  souf- 
frent et  que  la  philosophie  console  la  consacrent  par 
leur  respect,  mais  ce  respect  et  cette  foi  s'imposent  jus- 
qu'à un  certain  point  aux  esprits  mêmes  les  moins  faits 
pour  la  sentir.  Le  philosophe  a  un  caractère  sacré  : 
c'est  un  prêtre  2.  [j  est  le  véritable  prophète  et  le  véri- 
table inspiré.  —  Les  ancien?  sages  doivent  être  hono- 

1.  Déjà  Socrate,  dans  Platon  :  «  S'il  plaît  ainsi  aux  dieux,  qu'il 
soit  ainsi.  »  On  vient  de  lui  dire  que  c'est  ce  jour  mùme  qu'il  doit 
mourir, 

2.  Ha;  lilterae,  non  dicam  apud  honos,  sed  apud  mediocriter  malos, 
infularum  loco  sunt.  a  Cette  éloquence  est  un  sacerdoce,  je  ne  dis 
pas  aux  yeux  des  bons,  mais  même  aux  yeux  de  ceux  qui  ne  sont 
pas  lou'  à  fait  mauvais.  » 


278        LE    CIlUlSTIANISMi:    ET    SES    OIUGLNES. 

r  es  comme  des  dieux]  on  fait  bien  d'avoir  leur  images 
de  célébrer  leur  anniversaire,  de  ne  prononcer  leur 
nom  qu'avec  vénération  ;  ce  sont  les  précepteurs  du 
gonre  humain.  On  s'édifiait  aloi  s  en  lisant  les  Vies  des 
philosophes  comme  on  a  fait  depuis  en  lisant  les  Vies 
des  Saints. 

Mais  à  mesure  que  la  philosophie  se  fait  religion, 
elle  devient  en  même  temps,  je  l'ai  dit,  moins  curieuse 
et  moins  savante.  C'est  un  très-vif  esprit  que  celui  de 
Sénèque,  et  naturellement  avide  de  lumières.  Il  a  fait 
un  livre  de  Recherches  sur  la  Nature  qui  est  un  des 
plus  considérables  parmi  ses  écrits  ;  et,  à  la  fin  de  ce  li- 
vre, il  a  écrit  les  plus  belles  choses  sur  la  grandeur  de  la 
science  et  sur  le  champ  indéfini  qu'elle  ouvre  au  tra- 
vail de  l'esprit  humain.  Il  ne  s'est  pas  effrayé  de  l'idée 
que  c'est  peut-être  la  terre  qui  tourne  au  milieu  du 
ciel,  et  non  le  ciel  qui  tourne  autour  de  la  terre.  Il  a 
eu  le  mérite  de  rejeter  l'opinion  vulgaire  sur  les  co- 
mètes, qu'on  prenait  pour  des  météores  qui  s'en- 
flamment et  meurent  dans  l'atmosphère,  et  de  com- 
prendre qu'elles  sont  des  astres  véritables,  et  qu'un 
jour  on  parviendrait  à  déterminer  la  loi  encore  incon- 
nue de  leur  course.  Il  a  pressenti,  et  par  cela  même  il 
a  préparé,  dans  des  vers  célèbres,  la  découverte  d'un 
nouveau  continent  par  les  navigateurs  à  venir.  Eh  bien  ! 
le  même  Sénèque  a  accueilli  dans  son  livre  des  erreurs 
et  des  préjugés  qui  sont  autant  de  témoignages  d'igno- 
rance. C'est  que  la  science  se  composait  alors,  non  pas 
d'observations  constatées,  mais  de  tous  les  on  dit  qu'on 
avait  pu  recueillir  et  qu'on  se  croyait  tenu  de  trans- 


LES  STOIQUES  ROMAINS.  279 

mettre.  C'est  ainsi  qu'à  la  nn'-me  épo.'jue  le  géographe 
Pompoiiius  Mêla  répétait  dans  son  livre  que  certains 
hommes  d'Afrique,  les  Blemmyes,  n'avaient  pas  de  tête 
et  qu'ils  avaient  le  visage  au  milieu  de  la  poitrine  ;  ou 
que  chez  les  Neures,  en  Scythie,  chacun  avait  son  mo- 
ment où  il  pouvait  se  changer  en  loup  pour  reprendre 
ensuite  sa  figure  d'homme.  Cette  dernière  tradition  vient 
d'Hérodote  ;  mais  Hérodote  écrit  seulement  que  c'est  là 
ce  que  disent  les  gens  du  pays,  et  que,  pour  lui,  il  ne  le 
croit  pas  ;  tandis  que  le  géographe  romain,  probable- 
ment après  bien  d'autres,  redit  la  chose  comme  un  fait. 
Enfin  le  grand  livre  de  Pline,  ses  Études  de  la  Naliirej 
écrites  peu  de  temps  après  l'époque  où  je  m'arrête,  se 
composeront  en  grande  partie  de  contes  de  ce  genre, 
pris  dans  tout  ce  qu'il  aura  lu.  Mais  ce  qui  est  plus 
grave  encore  que  l'ignorance,  ou  plutô'  ce  qui  est  le 
symptôme  d'ignorance  le  plus  fâcheux,  c'est  le  mépris 
de  la  science,  qui  se  répandait  de  plus  en  plus.  L'incré- 
dulité vulgaire  s'accordait  avec  la  superstition  vulgaire 
dans  cette  faiblesse.  En  terminant  son  livre,  Sénèquese 
plaint  qu'on  ne  se  soucie  plus  d'apprendre  ni  de  savoir, 
que  les  écoles  meurent  sans  héritiers ,  qu'on  ne  voit 
plus  d'Académiques  ni  de  sectateurs  de  Pyrrhon,  que 
les  Pythagoriques  mêmes  n'avaient  paru  revivre  un 
moment  sous  les  Sextius  que  pour  s'éteindre  avec 
eux  :  «  aussi,  loin  de  faire  des  découvertes  sur  ce  qui 
avait  échapjjé  aux  anciens,  on  laisse  se  perdre  bien  des 
vérités  qu'ils  avaient  trouvées.  »  Mais  Sénèque  à  son 
tour,  oubliant  ces  nol)les  plaintes,  a  écrit  ailleurs,  en 
l'adressant  au   mcinc  Lucilius,  une  Lettre  (pii  est  un 


280        LE    CIiniSTIANlSMI':    ET    SES    ORIGINES. 

discours,  contre  les  études  libérales.  11  respecte  ju?(ju'â 
un  certain  point  les  hautes  spéculations  mathématiques, 
comme  une  dépendance  de  la  philosophie,  et  encore 
n'y  voit-il  que  des  préparations  accessoires  à  la  seule, 
science  qui  acliève  l'homme^  la  science  morale  '.  Mais 
il  fait  très-bon  marché  de  la  philologie,  de  l'histoire,  de 
la  géométrie  môme  et  de  l'astronomie  prises  dans  le 
détail.  Il  y  a  surtout  une  science  (ju'il  ne  comprend 
même  pas,  c'est  la  critique;  il  relègue  parmi  les  curio- 
sités frivoles,  bonnes  seulement  à  nourrir  le  bavardage 
des  Grecs,  des  questions  dont  il  n'aperçoit  pas  l'impor- 
tance. «  Savoir,  dit-il,  quel  est  le  plus  ancien  d" Homère 
ou  d'Hésiode  n'est  pas  plus  intéressant  que  de  savoir 
si  Hécube  ne  se  trouvait  pas  être  plus  jeune  qu'Hélène 
et  pourquoi  elle  portait  si  mal  son  âge.  »  Il  ne  se  soucie 
pas  plus  de  savoir  ce  qu'il  faut  croire  d'Orphée.  Il  dit 
de  même  ailleurs  :  «  C'est  une  maladie  des  Grecs  de 
chercher  combien  il  y  avait  de  rameurs  au  vaisseau 
d'Ulysse  ;  si  l'Iliade  est  antérieure  ou  non  à  l'Odyssée^ 
et  si  toutes  deux  sont  du  même  auteur.  »  Tout  ce  quon 
peut  supposer  pour  l'excuser  est  que  ceux-mêmes  (jui 
soulevaient  ces  questions  dans  ce  temps-là  ne  les  trai- 
taient peut-être  pas  d'une  manière  sérieuse,  et  ne  pré- 
sentaient que  des  arguments  puérils  ;  ce  serait  dire 
qu'il  n'y  avait  de  critique  nulle  part.  Voilà  des  pas- 
sages qu'il  faut  avoir  toujours  présents,  si  on  veut 
comprendre  comment  le  monde  gréco-romain  s'en  est 
rapporté  à  la  tradition  avec  tant  de  simplicité  au  sujet 

1.  Una  re  consammatur  animas,  scientia  bonoratn  et  malorum. 


LES  STOIQUES  ROMAINS.  281 

des  textes  juifs.  Examiner  si  les  livres  qui  por- 
tent le  nom  de  Moïse  n'ont  pas  été  écrits  plus  de 
mille  ans  après  l'époque  où  l'on  fait  vivre  Moïse;  si 
telle  prétendue  prophétie  d'Isaïe  n'est  pas  du  temps  de 
Cyrus,  et  telle  autre,  de  Daniel,  du  temps  d'Antioclios 
Épiphane;  rechercher  de  même  si  les  plus  anciens 
Évangiles  n'ont  pas  été  composés  un  demi-siècle  après 
la  date  oîi  on  place  la  mort  de  Jésus,  et  postérieurement 
à  la  ruine  de  Jérusalem,  ce  sont  des  questions  qui  nous 
semblent  aujourd'hui  fondamentales,  tnais  dont  on  voit 
bien  que  pas  un  des  disciples  de  la  prédication  juive 
ou  chrétienne  n'a  dû  s'aviser.  Le  petit  nombre  des 
Grecs  curieux  qui  auraient  pu  les  traiter  n'avaient 
aucune  raison  de  s'en  occuper,  puisqu'ils  ne  regardaient 
même  pas  du  côté  des  Juifs  et  des  chrétiens  ;  et  la  foule, 
sur  qui  ceux-ci  agissaient,  était  incapable  de  soupçonner 
des  difficultés  prises  dans  un  ordre  d'idées  auquel  un 
Sénèque  lui-même  restait  si  parfaitement  étranger. 

Ainsi  on  méprise  la  science,  on  méprise  les  beaux- 
arts, on  méprise  même  l'industrie,  et  cette  puissance  par 
laquelle  l'esprit  humain  conquiert  la  nature,  et  qui  fait 
aujourd'hui  son  plus  grand  orgueil.  On  reproche  à 
l'homme  de  se  hasarder  sur  la  mer  et  d'ouvrir  des  che- 
mins que  la  nature  avait  sagement  fermés.  On  le  blâme 
de  descendre  dans  les  mines  pour  en  tirer  les  métaux. 
Tout  ce  qu'il  fait  étant  matière  de  péché,  le  moins  qu'il 
fera  sera  le  mieux,  et  la  vraie  sagesse  est  de  vivre 
et  d'agir  le  moins  possible. 

Mais  j'arrive  à  la  meilleure  partie  de  la  morale  de 
ce  temps,  celle  qui  regarde  les  rapports   de  l'homme 


282       LE    CHRISTIANISME   ET    SES    ORIGINES. 

avec  ses  semblables  ;  je  compterai  comme  appartenant 
à  cette  morale  ce  qui  touche  à  la  pureté  des  mœurs  ; 
car  le  plus  grand  crime  de  l'impureté  est  d'attenter  à 
autrui,  et  le  respect  de  la  personne  humaine  est  ce 
qui  préserve  le  mieux  les  peuples  des  grandes  corrup- 
tions. Les  Stoïques  prêchent  également  les  deux  sortes 
de  pudeur  :  et  illa  cui  alieni  corporis  ahslineniia  et  hœc 
cui  sui  cura.  Ils  vont  jusqu'à  féliciter  une  mère  de  ce 
que  son  fils  est  mort  jeune,  avant  de  s'être  souillé.  Ils 
trouvent,  pour  condamner  les  ardeurs  des  sens,  les 
paroles  les  plus  énergiques  :  «  Celui  qui  ne  se  seia  pas 
laissé  infecter  par  ce  poison  secret  que  nous  portons 
dans  nos  entrailles,  aucune  autre  convoitise  ne  mordra 
sur  lui.  »  Sénèque  avait  écrit  sur  le  Mariage  un  livre 
que  nous  n'avons  plus;  il  y  réclamait  pour  l'amour 
conjugal  une  telle  pureté,  qu'il  prononçait  :  «  Rien  de 
plus  honteux  que  d'aimer  sa  femme  comme  une  maî- 
tresse. »  —  Que  sera-ce  donc  d'aimer  une  maîtresse 
au  mépris  de  l'épouse?  Et  en  effet  il  écrit  ailleurs  : 
«  Il  est  d'un  malhonnête  homme  d'exiger  de  ta  fenmie 
qu'elle  soit  chaste,  tandis  que  tu  vas  corrompre  les 
femmes  des  autres.  Il  ne  t'est  pas  plus  permis  d'avoir 
une  maîtresse  qu'à  elle  d'avoir  un  amant.  »  Il  est  vrai 
qu'il  ajoute  :  «  Tu  sais  ton  devoir,  et  tu  ne  le  fais  pas.  » 
C'est  l'histoire  de  bien  des  temps  et  de  bien  des 
hommes.  Mais  on  voit  assez  qu'il  ne  faut  pas  juger  les 
mœurs,  et  encore  moins  les  doctrines  morales  de  cette 
époque,  par  l'éclat  de  certaines  débauches  de  la  cour 
de  Claude  ou  de  Néron. 
De  même,  et  plus  généralement,  les  attentats  de  toute 


LES  STOI»:H't:S  UOMAI.NS.  28a 

espèce  (le  l'honime  fonire4'li()mnie,  les  cruautés  envers 
les  faibles,  ne  faisaient  que  provoquer  les  réclamations 
les  plus  vives  des  amis  de  la  justice  et  de  l'humanité. 
La  philosophie  prend  surtout  Tesclave  sous  son  patro- 
nage :  «  Cesontdes  esclaves?  non,  ce  soni  deshommes...; 
des  esclaves? non,  mais  des  amis  d'une  humble  condi- 
tion. »  Toute  la  Lettre  où  se  trouvent  ces  paroles  est  une 
protestation,  non-seulement  contre  les  duretés,  mais 
surtout  contre  l'insolence  et  l'outrage.  —  «  Ne  veux-tu 
pas  te  dire  que  celui  que  tu  appelles  un  esclave  est 
formé  des  mêmes  éléments,  qu'il  voit  le  même  ciel,  qu'il 
respire  le  même  air,  qu'il  vit  comme  toi,  qu'il  meurt 
comme  toi?  »  —  «  Quoi  !  les  maîtres  ne  se  contenteront 
pas  de  ce  dont  Dieu  se  contente,  d'être  respecté  et  d'être 
aimé  !»  —  «  Je  ne  puis  trop  te  louer  de  ne  vouloir  pas 
être  craint,  de  ne  châtier  qu'en  paroles:  les  coups  ne 
sont  faits  que  pour  l'animal  sans  raison.  »  —  Et  ail- 
leurs :  «  Tout  est  permis  contre  un  esclave  !  mais  tout 
n'est  pas  permis  contre  un  homme  :  la  loi  de  la  nature 
s'y  oppose.  »  —  «  Qu'il  est  triste  d'être  servis  par  des 
gens  qui  pleurent  et  qui  nous  détestent  !»  —  Ce  n'est 
pas  assez  d'être  justes,  nous  devons  être  bienfaisants 
pour  tous,  libres  ou  esclaves  :  «  Partout  où  il  y  a  un 
homme,  il  y  a  place  pour  le  bienfait.  »  L'ancienne 
philosophie  allait  déjà  jusque-là;  mais  elle  hésitait  à 
croire  que  l'esclave  lui-même  pût  être  un  bienfaiteur, 
qu'on  put  être  l'obligé  d'un  esclave;  la  philosophie 
nouvelle  le  soutient  bien  haut  :  <r  La  vertu  n'est  inter- 
dite à  personne,  elle  est  accessible  à  tous  ;  fous  sont 
accueillis,  tous  sont  appelés,  libres,  affranchis,  esclaves, 


28*         LE    GIIRISTI.V.MSMK    KT    SES  ORIGIN  ES. 

puissants  et  proscrits  ;elle  ne  regarde  ni  à  la  naissance, 
ni  à  la  fortune;  c'est  assez  pour  elle  de  l'homme  toul 
seul.  »  —  «  C'est  une  erreur  de  croire  que  l'esclava^iç 
prenne  l'homme  tout  entier  ;  la  meilleure  partie  de  son 
être  échappe.  Tout  ce  qui  tient  à  l'àme  est  libre  ;  nous 
n'avons  pas  toujours  le  droit  d'ordonner,  et  ils  n'ont 
pas  toujours  l'obligation  d'obéir.  »  —  «  Notre  père  à 
tous  est  le  même,  c'est-à-dire  le  Ciel.  » 

Les  tueries  de  l'arène  soulevaient  l'indignation  des 
philosophes.  «  L'homme,  chose  sacrée  pour  l'homme, 
on  le  tue  par  manière  de  jeu  et  d'amusement.  «  —  «  La 
mort!  le  feu!  les  fouets  !  Pourquoi  est-ce  que  celui-ci 
va  si  mollement  à  la  rencontre  du  fer?  qu'il  tue  sans 
élan  ?  qu'il  meurt  de  mauvaise  grâce  ?  Le  fouet  les  renvoie 
aux  blessures,  et  des  deux  côtés  ils  retournent  offrii' 
aux  coups  leurs  poitrines  nues.  »  —  On  se  rappelle 
que  Cicéron  approuve  et  loue  les  combats  de  gladia- 
teurs, pourvu  que  des  criminels  seulement  y  figurent. 
Sénèque  s'inspire  d'une  justice  plus  humaine  «t  plus 
haute:  «  Cet  homme  a  fait  le  métier  de  brigand  :  eh 
bien  !  il  a  mérité  d'être  pendu.  II  a  tué  :  celui  qui  tue 
mérite  de  souffrir  ce  qu'il  a  fait.  Mais  toi,  malheureux, 
fjîi  as-tu  fait,  pour  être  condamné  à  ce  spectacle  ?  » 
Il  me  semble  que  ce  cri  est  digne  de  la  morale  et  de 
l'humanité  de  notre  temps.  La  philosophie  condamnait 
toutes  les  cruautés  et  prenait  la  défense  de  toutes  les 
victimes;  elle  réclamait  pour  les  enfants  battus  par 
leurs  pères  ou  leurs  précepteurs.  Elle  protégeait  tous 
les  faibles  contre  la  colère  des  forts,  et  les  misérables 
contre  l'insolence  des  heureux  :  «  Le  malheureux  est 


LES  STOIQUES  ROMAINS.  28j 

chose  sacrée  {res  est  sacra  miser  ^).  »  —  Un  homme 
doit  être  sacré  pour  un  homme,  car  ils  sont  des  mem- 
bres d'un  même  corps  :  «  Est-ce  que  la  main  peut 
vouloir  du  mal  au  pied,  ou  l'œil  à  la  main  ?»  —  Ceitc 
colère,  qui  fait  tant  de  malheureux,  fait  aussi  le  mal- 
heur de  celui  qui  s'y  livre;  tout  irrite  l'homme  qui  se 
laisse  aller  à  s'irriter;  il  passe  d'emportement  en  em- 
portement, c'est  une  fureur  non  interrompue.  Eh  ! 
malheureux,  quel  temps  te  restera-t-il  pour  aimer?  » 
—  Mais  la  colère  en  grand,  c'est  la  guerre;  la  philo- 
sophie l'a  en  horreur  et  la  poursuit  de  ses  anathèmei. 
Elle  se  vante  elle-même  de  tenir  pour  la  paix,  d'in- 
viter le  genre  humain  à  la  concorde,  a  Si  l'huma- 
nité écoute  la  voix  du  sage,  elle  comprendra  qu'elle 
n'a  que  faire  de  soldats.  »  —  «  Ce  ne  sont  plus  les 
particuliers,  ce  sont  les  peuples  qui  sont  en  démence...  ; 
c'est  en  vertu  des  sénatus-consultes  et  des  plébiscites 
qu'on  commet  toutes  les  horreurs;  et  on  ordonne  à 
tous  ce  qu'on  défend  à  chacun...  Une  fureur  si  domi- 
nante et  si  universellement  répandue  donne  beaucoup 
à  faire  à  la  sagesse  et  l'oblige  à  ramasser  toutes  ses 
forces...  Au  milieu  d'une  telle  perversité,  et  pour  gué- 
rir des  maux  invétérés,  il  faut  des  remèdes  énergi- 
ques ;  il  n'y  a  que  l'autorité  des  dogmes  qui  puisse 
extirper  des  erreurs  si  profondément  enracinées.  »  A 
l'autorité  des  dogmes  s'ajoutait  l'exemple  des  saints. 
L'épée  dont  Caton  se  frappe  pour  mourir,  il  l'avait 
ardée  jusqu'à  ce  jour  pure  de  sang  humain.  La  phi- 

1.  Je  ne  sais  comuieiit  traduire  ailleurs:  ipsas  iniserias  infuhinim 
lûco  habel. 


280        LE    CHRISTIANISME    ET  SES  ORIG!>ES. 

losophio  maudissait  Alexandre,  pris  dans  les  écolos 
pour  le  génie  même  de  la  conquête  et  de  la  force  des- 
tructive, et  elle  lui  opposait  Hercule,  l'idéal  stoïquo, 
le  dieu  de  la  force  qui  fait  le  bien. 

Au  commencement  d'une  Lettre  écrite  dans  la  villa 
du  premier  Africain,  Sénèque,  en  adorant  les  mœurs 
et  le  tombeau  de  ce  grand  Jiommc,  dit  qu'il  le  croit 
dans  le  Ciel,  non  imiir  avoir  commandé  de  grandes 
armées,  mais  pour  son  respect  et  sa  piété  envers  sa 
patrie.  M.  Martha  a  justement  relevé  ce  passage,  en 
faisant  remarquer  que  Sénèque  parle  ici  comme  Bos- 
suet  aurait  pu  parler  dans  une  Oraison  funèbre. 

Enfin  la  philosophie  prêchait  l'aumône  avec  chaleur, 
un  palliatif  qu'elle  prenait  pour  un  remède;  mais  ce 
n'est  pas  alors  qu'on  pouvait  aller  plus  loin.  L'obligation 
de  l'aumône  était  une  doctrine  rebattue  :  «  Est-ce  la 
peine  de  dire  qu'il  faut  tendre  la  main  à  qui  se  noie, 
montrer  le  chemin  à  qui  l'a  perdu,  partager  son  pain 
avec  celui  qui  a  faim  ?  y>  —  Au  jour  de  la  mort,  on  n'a 
j)lus  à  soi  que  ce  qu'on  a  donné.  «  Voilà  la  richessoassu- 
rée,  celle  qui  ne  s'enfuira  pas,  quelle  que  soit  l'instabilité 
de  la  condition  humaine...  Pourquoi  épargner  cet  ar- 
gent, comme  s'il  était  à  toi?  tu  n'en  es  que  l'économe*.  » 
Mais  voici  en  quelques  lignes  toute  la  doctrine  de  la 
charité.  Le  Sage  des  Stoïques  ne  pleure  pas,  il  esi  vrai; 
on  sait  qu'il  se  doit  d'être  impassible;  mais  il  fera  d'ail- 
leurs tout  ce  que  peuvent  faire  les  plus  touchés  :  «  Il 
essuiera  les  larmes  d'aulrui...;  il  recueillera  le  nau- 

1.  Comparez  l'Eviingile  do  Luc,  xvi,  9. 


LES    STOIQUES    ROMAINS.  287 

fragé  ;  il  abritera  l'exilé;  il  donnera  l'aumône  au  misé- 
rable ;  non  pas  cette  aumône  insultante,  avec  laquelle 
la  plupart  de  ceux  qui  se  prétendent  charitables  humi- 
lient et  dégradent  ceux  qu'ils  secourent,  redoutant 
jusqu'à  leur  contact  ;  il  donnera  comme  un  homme 
doit  donner  à  un  homme:  il  lui  fera  sa  part  du  patri- 
moine commun.  Il  accordera  un  fils  aux  pleurs  de  sa 
mère  en  brisant  ses  fers  ou  en  le  rachetant  de  l'arène; 
il  ensevelira  le  corps  même  du  criminel.  »  Nulle  mo- 
rale ne  peut  aller  plus  loin,  ni  pour  la  délicatesse  du 
sentiment,  ni  pour  la  hardiesse  d'une  conception  de  la 
propriété  qu'on  peut  appeler  communiste,  aussi  bien  ici 
que  chez  les  grands  orateurs  de  l'antiquité  chrétienne. 
Ce  n'est  certainement  pas  là  ce  Sage  placé  en  de- 
hors de  l'humanité,  sorte  d'abstraction  impassible  et 
froide,  auquel  on  prétend  réduire  l'idéal  stoïque,  pour 
l'opposer  à  un  autre  idéal  qu'on  appelle  chrétien. 

Enfin  on  résumait  toute  la  sagesse  dans  cette  for- 
mule :  «  Elle  enseigne  à  honorer  les  dieux,  et  à  aimer 
les  hommes  :  colère  divina,  humana  diligere  *.  b 

Il  y  a  dans  la  tragédie  de  Thyesle  un  trait  qui  me 
frappe.  Tandis  que,  selon  la  foi  chrétienne,  la  charité 
n'est  pas  faile  pour  les  démons  ni  pour  les  damnés,  et 
qu'ils  ne  peuvent  ni  en  être  l'objet  ni  la  ressentir  eux- 
mêmes,  le  poète  au  contraire  nous  fait  voir  Tantale, 
le  grand  sacrilège,  résistant  à  l'ordre  des  divinités  in- 
fernales qui  l'amènent  sur  la  terre  pour  jeter  une 
fureur  impie  dans  l'àme  de  ses  petits-fils.  Il  est  humain, 

1.  Comparez  l'ËvaDgile  de  Marc,  xii,  31. 


288        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

il  est  père  jusque  dans  le  Tarlare;  il  s'écrie  noble- 
ment :  <r  J'ai  mérité  d'être  supplicié,  mais  non  d'être 
un  instrument  de  supplice  :  vie  pâli  pœtias  decel,  non 
esse  pœnam.  »  Il  veut  parler,  mais  ce  sera  pour  leur 
épargner  le  crime,  slabo  et  arcebo  scelus.  Belles  paroles, 
qui  condamnent  à  l'avance  les  doctrines  odieuses  dont 
s'inspirent  encore  les  tristes  déclamations  de  Bossuet 
sur  les  Démons-.  Pour  le  philosophe,  même  quand  il 
était  poëte  en  passant,  la  loi  de  la  justice  et  de  l'huma- 
nité était  absolument  universelle. 

En  étudiant  l'éqoque  de  Cicéron,  j'ai  averti  que  les 
femmes  alors  ne  philosophaient  pas;  Sénèque  est  un 
de  ceux  qui  en  témoignent;  mais  il  témoigne  aussi 
qu'il  n'en  était  plus  ainsi  de  son  temps ,  et  que  la 
philosophie  les  appelait  tout  comme  les  hommes.  Et 
comment  ne  l'aurait-elle  pas  fait,  quand  elle  deve- 
nait une  religion?  Le  père  des  Sénèques,  fidèle  aux 
vieilles  mœurs  romaines,  n'avait  pas  voulu  (jue  leur 
mère  philosophât  ;  son  fils  le  désavoue  là-dessus  avec 
respect  dans  un  écrit  adressé  à  cette  mère  elle-même  ; 
un  autre  de  ses  livres  est  adressé  à  une  autre  femme. 
Vers  le  même  temps  un  philosophe  un  peu  plus 
jeune,  Musonius,  traitait  cette  question  ex  professo-, 
on  nous  a  conservé  le  discours  où  il  montrait  que  les 
femmes  ont  droit  à  la  vérité,  puisqu'elles  ont  droit  à 
la  vertu.  Lactance  dit  des  Stoïques,  d'une  manière 
générale,   qu'ils   pensaient    que  la  philosophie    était 


1.  Voir  le  Sermon  sur  ce  sujet,  com]iris  dans  rt'xccllent  Choix  de 
Sermons  de  la  jeunesse  de  JJussuel,  [iuhiiù  pur  Eugène  GanJar. 


LES  STOIQUES  ROMAINS.  2S9 

faite  aussi  pour  les  femmes  et  pour  les  esclaves  '. 
La  politique  des  Stoïques,  comme  celle  des  Chré- 
tiens, était  condamnée  par  le  malheur  des  temps  à  des 
doctrines  contradictoires.  Elle  est  à  la  fois  soumise  et 
révoltée.  D'une  part,  elle  ne  peut  même  concevoir  la 
pensée  de  secouer  une  servitude  qui  semble  devenue 
pour  le  monde  la  condition  de  son  existence,  et  elle 
s'y  résigne,  comme  à  tout  mal  qui  ne  dépend  pas  de 
la  volonté.  La  résignation  même  se  tourne  en  indiffé- 
rence, en  vertu  des  dogmes  de  la  secte  :  pourvu  que 
le  sage  demeure  libre  au  dedans,  qu'importe  qu'il  soit 
esclave  au  dehors?  Enfin,  qui  sait,  hélas  î  si  la  philo- 
sophie ne  lui  fournira  pas  des  raisons  pour  être  non- 
seulement  indifférent,  mais  satisfait?  Confondant  la 
servitude  avec  l'ordre  et  la  paix,  il  en  viendra  à  re- 
mercier le  maître  qui  lui  permet  de  philosopher  à  l'aise 
et  sans  trouble,  et  qui  ne  lui  laisse  d'autres  intérêts 
ni  d'autres  devoirs  que  ceux  de  la  vie  spirituelle.  Grâce 
à  César,  Rome  et  l'empire  étaient  tranquilles,  et  le  phi- 
losophe était  sûr  de  n'être  pas  appelé  à  monter  la  garde 
en  face  de  l'ennemi  sur  les  remparts  de  sa  cité.  Et 
quant  à  la  guerre  lointaine,  chez  les  Barbares,  elle  ne 
regardait  que  les  soldats  ;  mais  les  philosophes  de  pro- 
fession n'étaient  pas  soldats  ;  ils  constituaient  déjà  alors 
un  véritable  clergé,  dont  les  membres  étaient  dis- 
pensés des  services  publics.  On  le  sait  pertinemment 
pour  le  temps  de  Trajan  -,  et  on  ne  peut  guère  douter 


1.  Anlisthène  avait  dit  déjà  que  la  vertu  est  la  même  pour  l'homme 
et  pour  la  femme. 

2.  Quum  citarem  judices...  Flavius  Arckippus  vacationein  pétera 

II.  19 


290         LE  CnniSTIANISME  ET    SES  ORIGINES 

que  cela  ne  remontât  plus  haut.  Ce  clergé  payait  sa 
dette  par  sa  propre  soumission  et  par  celle  qu'il  con- 
seillait aux  peuples  ;  ils  avaient  appris  de  Platon  à  faire 
du  gouvernement  d'un  homme  leur  idéal  politique, 
pourvu  que  cet  homme  gouvernât  suivant  la  sagesse 
(l'Église  dira  :  la  religion)^  Le  prince  est  le  représentant 
des  dieux  sur  la  terre.  En  même  temps,  il  est  assujetti 
par  sa  grandeur  même,  et  cette  grandeur  est  réelle- 
ment une  servitude  :  c'est  déjà  presque  la  formule 
qu'adopteront  les  papes,  servus  servorum  Dei.  Il  n'en 
est  pas  moins  le  maître  suprême  ;  tous  les  biens  lui  ap- 
partiennent ,  quoique  chacun  ait  son  possesseur  :  jure 
civili  omnia  régis  sunt.  Toute  la  doctrine  politique  que 
Bossuet  a  cru  tirer  de  l'Écriture,  il  l'a  prise  réellement 
dans  des  spéculations  grecques  mêlées  de  droit  romain 
et  césarien. 

Mais  la  philosophie  avait  beau  faire  ;  quelques  avan, 
ces  qu'elle  fit  aux  puissants,  elle  était  suspecte,  et  elle 
devait  l'être,  puisqu'elle  formait  l'homme  à  penser  et  à 
vouloir.  Elle  trouvait  de  belles  raisons  pour  l'obéis- 
sance, mais  le  pouvoir  n'aime  que  l'obéissance  qui  se 
passe  de  raisons.  Elle  condamnait  les  injustices  et  les 
scandales,  elle  condamnait  donc  ceux  qui  régnaient,  et 
c'est  ce  qui  faisait  sa  popularité  et  sa  force.  L'école 
stoïque  était  une  école  d'opposition  ;  les  Césariens  di- 
saient que  cette  secte  insolente  ne  formait  que  des  per- 
turbateurs et  des  brouillons.  Les  efforts  que  fait  Sénè- 


cœpil,  ut  philosophas.  «<  A  l'appel  dos  justes.   .,  Flavius  Archippus  a 
demandé  une  dispense  en  qiialilé  de  iiliilosoplie    » 
1.  (2uum  optimus  civilatis  stulus  sub  regejusto  sit. 


LES  STOIQUES  ROMAINS.  Wi 

que  pour  écarter  ce  reproche  montrent  assez  combien 
il  était  mérité  ;  et  la  mort  de  Tliraséa,  de  Sénèque  lui- 
même  et  de  tant  d'autres  le  montre  encore  mieux;  les 
Stoïques,  comme  les  Chrétiens,  ont  eu  leurs  martyrs. 
Le  cri  de  liberté,  la  liberté  étant  achetée,  s'il  le  faut, 
par  la  souffrance  et  même  par  la  mort,  retentit  dans 
tout  ce  qui  nous  reste  de  l'éloquence  de  l'École. 

Voilà  une  revue  bien  incomplète  de  la  morale  reli- 
gieuse du  temps  de  Néron  ;  la  voilà  telle  que  j'ai  pu  la 
faire  en  quelques  pages,  et  en  m' efforçant  de  ne  pas 
transcrire  Sénèque  tout  entier  dans  mon  livre.  C'est  là 
que  la  philosophie  chrétienne  a  puisé  ;  ou  plutôt  il  n'y 
a  pas  de  philosophie  chrétienne ,  et  le  christianisme 
n'a  fait  qu'hériter  de  la  philosophie  de  l'antiquité.  Ceux 
qui  ont  fait  violence  aux  textes  ou  à  la  chronologie 
afin  de  rapporter  les  idées  de  Sénèque  aux  sources 
chrétiennes  ont  pris  une  peine  bien  inutile  :  pour 
croire  en  effet  que  Sénèque  était  allé  chercher  ces 
idées  dans  l'ancien  ou  dans  le  nouveau  Testament 
plutôt  qu'ailleurs,  il  faudrait  d'abord  qu'elles  y  fus- 
sent ;  mais  elles  n'y  sont  pas.  Si  on  prend  la  peine  de 
repasser  sur  tous  les  sentiments  et  tous  les  prin- 
cipes dont  je  viens  de  recueillir  l'expression  dans 
ses  ouvrages,  on  verra  que  la  plupart  ne  se  trouvent 
pas  dans  les  livres  d'origine  juive  et  ne  sauraient  s'y 
trouver.  Ils  supposent  une  étude  du  cœur  humain^ 
une  expérience  de  la  vie,  une  habitude  de  la  médi- 
tation, une  largeur  et  une  délicatesse  de  l'esprit  tout 
ensemble,  une  métaphysique  même,  qui  ne  s'accordent 
en  aucune  manière  avec  la  simplicité  de  ces  hvres  et 


292  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

(le  leurs  auteurs.  Ces  choses  ne  sont  devenues  chré- 
tiennes qu'en  passant  des  philosophes  dans  les  Pères 
chrétiens,  et  les  Pères  ne  datent  que  du  milieu  du  se- 
cond siècle  après  notre  ère.  Les  Terlullicn,  les  Am- 
broise,  les  Augustin,  pour  ne  parler  que  des  Latins  seuls, 
sont  les  disciples  des  philosophes,  et  c'est  à  eux  qu'ils 
doivent  leur  science  de  la  vie  spirituelle,  et  non  pas 
à  leurs  Livres  saints. 

Quant  aux  idées  qui  peuvent  être  communes  en  effet  au 
judaïsme  et  à  la  philosophie,  et  qui  ne  sont  que  les  plus 
unies  et  les  plus  simples,  il  est  bien  aisé  de  voir  encore 
que  Sénèque  ne  les  a  pas  prises  dans  les  livres  des 
Juifs.  Il  faut  écarter  d'abord  les  quatre  Évangiles,  dont 
pas  un  n'était  encore  écrit  quand  Sénèque  est  mort.  Pour 
les  Êpitres  ou  Lettres  de  Paul,  si  jamais  Sénèque  avait 
pu  avoir  l'idée  de  les  lire,  il  est  certain  qu'il  n'y  aurait 
rien  compris, et  qu'il  n'aurait  pu  y  prendre  aucun  inté- 
rêt. Dans  notre  pays  catholique,  où  presque  personne  ne 
Ut  l'Écriture,  beaucouj)  de  gens  croient  volontiers,  sur 
la  foi  des  titres  de  Lettre  aux  Romains  ^  aux  Corin- 
thienSy  etc.,  que  l'apùtre,  Y  apôtre  des  Gentils^  comme 
on  l'appelle,  écrivait  en  effet  pour  des  païens,  Grecs  ou 
Romains.Mais  non  ;  ses  Lettres  ne  sont  réellement  adres- 
sées qu'à  ceux  de  Rome,  à  ceux  de  Corinthe,  c'est-à-dire 
aux  communautés  de  judaïsants  qui,  à  Rome,  àCorinthe 
et  ailleurs,  suivaient  les  doctrines  et  les  pratiques  jui- 
ves, et  connaissaient  les  Écritures  juives.  Pour  ceux  qui 
n'étaient  pas  famiHers  avec  ces  Écritures,  elles  demeu- 
raient inintelligibles,  et  on  peut  dire  qu'elles  ne  les 
regardaient  pas.  Il  est  vrai  qu'on  nous  représente  Paul 


LES  STOIQUES  ROMAINS.  293 

à  Athènes  comme  conférant  avec  des  philosophes,  et 
parlant  même  dans  l'Aréopage;  mais  outre  que  ce  ne 
serait  là  qu'un  accident,  cette  histoire  d'ailleurs  ne  se 
trouve  que  dans  le  livre  des  Aclcs^  qui  n'a  pas  l'au- 
thenticité des  Epîtres,  et  dont  le  témoignage  n'a  pas  à 
beaucoup  près  la  même  valeur. 

Resterait  donc  V Ancien  Testament^  c'est-à«dire  la 
Bible  hébraïque,  outre  quelques  livres  plus  modernes 
écrits  par  des  Juifs  hellénistes,  comme  la  Sagesse  de 
Sirach,  appelée  chez  nous  VEcelcsiaslique.  Il  y  a  en 
effet  dans  la  Bible,  surtout  dans  les  Psaumes,  des  sen- 
timents qui,  d'une  part,  tiennent  dans  le  christianisme 
une  grande  place,  et  de  l'autre  s'accordent  avec  ceux 
dont  se  nourrissait  la  sagesse  antique  par  un  commun 
esprit  de  piété  et  d'austérité.  Mais  on  reconnaît  tout 
d'abord  que  la  forme  sous  laquelle  ces  sentiments  pa- 
raissent dans  la  Bible  est  infiniment  plus  éloignée  de 
celle  sous  laquelle  Sénèque  les  présente  que  ne  l'étaient 
les  discours  de  Platon  ou  des  maîtres  de  l'École  stoï- 
que,  et  qu'ainsi  il  ne  faut  pas  supposer  qu'il  soit  allé 
demander  à  ces  sources  hébraïques  ce  qu'il  pouvait 
puiser  tout  à  son  aise  dans  le  large  fleuve  de  la  tradi- 
tion grecque.  Et  comment  Sénèque  pouvait-il  se  faire 
le  disciple  des  Juifs  ou  le  disciple  de  Paul,  quand  il  es 
certain  qu'il  n'avait  pour  les  Juifs  et  le  judaïsme  que 
de  la  haine  et  du  mépris  ?  Il  était  en  toutes  choses, 
dans  les  conseils  de  Néron,  du  parti  de  la  tradition  ro- 
maine ;  il  était  contraire  aux  provinces,  aux  affranchis, 
à  l'influence  des  femmes,  et  en  particulier  de  Poppée, 
en  un  mot  à  tout  ce  qui  pouvait  judaïser.  Dans  son  livre 


294  LE   CHRISTIANISME   ET   SES  ORIGINES. 

sur  les  Superstitions,  qui  est  perdu,  mais  qu'Augustin 
uous  fait  connaître,  il  se  taisait  absolument  àur  les 
Chrétiens,  sans  doute  parce  qu'il  ne  distinguait  pas 
encore  bien  nettement  cette  secte  nouvelle  (c'est  le  mot 
des  Actes)  d'avec  la  religion  dont  elle  s'était  détachée  ; 
mais,  sur  le  judaïsme,  il  s'exprimait  en  ces  termes  : 
c  Et  cependant  cette  nation  abominable  a  si  bien  fait, 
que  ses  pratiques  sont  maintenant  établies  par  touie  la 
terre;  les  vaincus  ont  fait  la  loi  aux  vainqueurs.» 
Voilà  l'homme  dont  on  a  voulu  faire  un  prosélyte. 


CHAPITRE    XV 


JLUCAIN,    PETRONE,     PERSE.  —  LE   MONDE    PAÏEN 
A      LA    MORT    DE     NERON. 


Lucain  n'est  qu'un  écho  de  Sénèque,  et  la  morale  de 
Sénèque  retentit  avec  plus  d'éclat  encore  dans  ses  vers. 
Son  Caton  est  l'idéal  du  saint  suivant  les  Stoïques  :  il 
7ie  vil  pas  pour  lui,  mais  pour  l'humanilé, 

Nec  sibi,  sed  toti  genitum  se  credere  mundo. 

Il  est  la  chasteté  même.  Désintéressé  entre  les  ambitions 
rivales,  il  subit  la  guerre  avec  une  tristesse  profonde; 
depuis  qu'elle  a  éclaté,  il  s'est  interdit  toutes  les  joies, 
et  porte  le  deuil  du  genre  humain'^  il  voudrait  pou- 
voir mourir  pour  tous,  el  racheter  de  son  sang  tous  les 
crimes.  Après  tout,  il  lui  a  fallu  prendre  parti;  la  cause 
qu'il  a  embrassée  est  la  cause  sainte;  c'est  en  vain  que 
l'autre  a  eu  pour  elle  les  dieux.  Déjà  Virgile  avait 
donné  à  Caton  la  première  place  parmi  les  justes  dans 
i'Élysée  : 

Secretosqae  pios,  his  dantem  jura  Catonem  ; 

mais  on  peut  dire  que  Lucain  a  opposé  la  canonisation 


290         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

de  Caton  à  l'apothéose  des  Césars.  Tandis  que,  d'une 
part,  il  trouve  les  hommes  bien  vengés  des  dieux  qui 
ont  trahi  la  liberté  à  Pharsale,  puisque  Pharsale  a 
fait  des  dieux  avec  des  morts,  de  l'autre,  il  salue  Caton 
de  cet  hommage  :  «:  Voilà  le  vrai  père  de  la  patrie  ; 
celui-là,  6  Rome,  mérite  tes  autels.  C'est  un  nom  par 
lecjuel  en  tous  temps  on  peut  jurer  sans  rougir,  et  si 
jamais  tu  te  relèves  hbre  du  joug,  c'est  celui-là  que  lu 
feras  dieu.  »  Il  ouvre  ici,  pour  ainsi  dire,  le  panthéon 
de  l'Église  chrétienne;  elle  a  fait  ou  elle  devait  faire 
précisément  ce  que  demandait  le  poëte,  mettre  à  la 
place  des  dieux  de  la  tyrannie  ceux  de  la  liberté  et  de 
la  conscience,  les  dieux  des  persécutés.  Caton  est  le 
premier  des  martyrs. 

C'est  Caton  encore  qui  est  dans  Lucain  l'interprète 
de  la  conscience,  et  prescrit  d'écouter  sa  voix  plutôt 
que  la  voix  des  dieux.  C'est  par  les  vers  que  Lucain  a 
mis  dans  la  bouche  de  Caton  que  la  philosophie  a  im- 
posé silence  aux  oracles. 

Je  ne  veux  plus  relever  dans  Lucain  que  ses  hymnes 
à  la  paix,  à  la  fraternité  humaine,  à  l'amour  uni- 
versel : 

Inque  vicem  gens  omnis  amet. 

El  sacer  orbis  amor. 

IIou!  miseri  qui  Lella  gcrunt  i. 

Voici  maintenant  Pétrone,  le  bel  esprit  libertin,  le 

1.  a  Que  lous  les  peuples  s'aiment  d'un  égal  amour...  Le  saint 
amour  qui  unil  lo  moiido...  Ah!  malheureux  ceux  qui  font  la 
guerre.  » 


LUCAIN,  PETRONE,  PERSE.  297 

camarade  des  plaisirs  da  prince,  le  disciple  complai- 
sant, sinon  insouciant,  d'Épicurc  :  il  est  néanmoins  le 
frère  des  Sloïques  par  la  justice  et  la  charité.  Non- 
seulement  il  est  un  témoin  du  succès  des  leçons  des 
philosophes,  répétées  par  les  bouches  les  moins  phi- 
losophiques (Mes  amis,  dit  son  Trimalchion,  les  es- 
claves sont  des  hommes  et  ils  ont  bu  le  même  lait  que 
nous  *);  mais  lui-même,  dans  son  Fragment  poétique 
sur  la  Guerre  civile,  ramassant  les  vices  elles  iniquités 
par  lesquels  Rome  a  mérité  de  périr,  il  flétrit  avec  force 
et  le  pillage  du  monde,  et  les  mutilations  des  jeunes 
esclaves,  et  celte  arène  où  on  apportait  dans  des  cages 
dorées  les  bêles  de  l'Afrique  et  de  l'Asie,  pour  leur 
faire  boire  le  sang  des  hommes  aux  applaudissements 
des  spectateurs. 

Mais  il  y  a  un  écrivain  dans  la  littérature  du  temps 
de  Néron  auquel  on  doit  s'arrêter  avec  respect  ;  c'est 
Perse,  ce  poêle  qui  a  si  peu  vécu  et  si  peu  écrit,  et  qui, 
pour  quelque  six  cents  vers  qu'il  a  bissés,  avait  mé- 
rité, à  vingt-huit  ans,  une  belle  renommée  :  multum 
et  verœ  gloriœ,  quamvis  uno  libro.,  Persius  meruit. 
Nulle  part  la  morale  sloïque  n'a  été  plus  haute,  ni 
plus  sincère,  ni  plus  louchante.  Quelle  dévotion  fer- 
vente pour  la  sagesse,  et  quel  noble  mépris  pour  les 
misérables  qui  la  méprisent  !  Quel  étonnement  en  face 
de  ces  existences  attachées  à  la  terre^  et  vides  des 
ehoses  du  ciel  ! 


1.11  faudrait  traduire,  Us  avont  bu,  si  on  voulait  rendre  la  langue 
grossière  que  l'auteur  fait  parier  à  son  personnage  :  et  eumdein 
lactem  biberunt. 


Î98       Li:    CURlSriANISME    ET    SES    ORIGINES. 
0  curvœ  in  terris  animae  et  cœlestium  iiianes  i. 

Comme  il  comprend  largement  la  philosophie  !  c'est 
la  maîtresse  qui  nous  enseigne  ce  que  nous  sommes  et 
pourquoi  nous  sommes  au  monde ,  et  quelle  place 
Dieu  a  assiqnée  à  chacun  de  nous  dans  le  service 
de  Vhumanilè.  Elle  est  si  essentiellement  charitable, 
que  les  héritiers  du  riche  se  plaignent  qu'elle  lui  fasse 
dissiper  en  bienfaits  ce  dont  ils  comptaient  hériter  : 
«  Voilà  ce  que  c'est  que  ces  maîtres  grecs,  et  cette 
sagesse  qui  nous  est  venue  d'outre-mer  avec  le 
poivre  et  les  dattes.  »  Elle  a,  d'un  autre  côté,  une 
haine  du  mal  qui  a  inspiré  au  poète  les  plus  beaux  vers 
peut-être  de  son  livre  :  «  Père  des  dieux,  pour  les  plus 
affreux  tyrans,  je  ne  te  demande  pas  d'autre  sup- 
plice...; qu'ils  voient  une  fois  la  vertu,  et  qu'ils  sèchent 
de  douleur  de  l'avoir  perdue  : 

Virtutem  videant  intabescantque  relicta.  » 

Vaine  protestation,  je  l'avoue,  d'une  morale  impuis- 
sante ;  ce  n'est  pas  ce  châtiment  mystique  qui  fera  jus- 
tice à  l'humanité  des  grands  coupables,  et  c'est  là  une 
faible  ressource  contre  un  Néron.  Mais  à  défaut  de  la 
délivrance  impossible,  il  y  avait  du  moins  un  soulage- 
ment et  une  vengeance  dans  cette  fière  joie  de  l'honnête 
homme  et  dans  ce  cri  de  mépris  et  d'horreur  pour  le 
méchant. 

1.  Remarquer  jusqu'à  ce  féminin  anima,  comme  dans   lo  latin  de 
l'Église. 


LUCAIN,  PÉTRONE,  PERSE.  299 

Mais  je  ne  veux  pas  dire  adieu  à  Perse  sans  relire  la 
page  mémorable  où  il  a  épanché  sa  jeune  àme  devant 
son  cher  Cornutus  :  «  C'est  la  coutume  des  poètes,  de 
demander  cent  bouches,  et  cent  langue?,  et  cent  voix, 
soit  pour  composer  un  drame  qu'un  sombre  tragédien 
va  hurler,  soit  pour  décrire  la  blessure  du  Parthe  qui 
retire  le  fer  de  la  plaie...  Pour  moi  je  n'ai  pas  ces  am- 
bitions...; je  ne  parle  pas  pour  la  foule  ;  c'est  à  toi  seul, 
Cornutus,  que  ma  muse  veut  que  je  m'adresse,  pour  te 
donner  mon  cœur  à  fouiller;  c'est  à  toi,  tendre  ami, 
que  je  me  plais  à  montrer  quelle  place  tu  tiens  dans  ma 
vie.  Ecoute  le  son  que  rend  mon  amitié  ;  ton  oreille 
expérimentée  reconnaîtra  qu'elle  est  solide,  et  que  tu 
n'as  pas  affaire  au  vernis  menteur  d'une  parole  fardée. 
Voilà  pourquoi,  moi  aussi,  je  voudrais  avoir  cent  bou- 
ches :  je  voudrais  pouvoir  chanter  d'une  voix  assez 
sonore  quelle  grande  image  de  toi  est  gravée  aux  der- 
niers replis  de  mon  cœur,  et  trouver  des  mots  qui 
dévoilent  pleinement  ce  qui  jusqu'ici  est  resté  caché  et 
intraduisible  dans  mes  fibres  les  plus  secrètes. 

»  Le  jour  où  je  dépouillai  la  robe  prétexte,  gardienne 
de  ma  timidité...,  à  l'heure  que  le  chemin  de  la  vie 
devient  douteux,  et  que  l'inexpérience  d'une  âme  encore 
neuve  la  jette  dans  un  carrefour  où  des  voies  s'ouvrent 
en  tous  sens,  je  me  suis  mis  sous  ta  conduite,  ô  Cornu- 
tus !  Tu  as  accueilli  mes  jeunes  ans  dans  le  sein  de  ta 
sagesse  socratique.  C'est  alors  qu'une  règle  adroite 
redressa  en  les  trompant  mes  mauvais  instincts;  que 
l'âme  domptée  par  la  raison,  et  travaillant  elle-même  à 
sa  défaite,  prit,  sous  ta  main  habile,  la  forme  que  tn 


300         LE   CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

lui  voulus  donner.  Je  me  souviens  comment  je  consu- 
mai? avec  toi  les  longues  journées,  et  comment  je  don- 
nais au  repas  avec  toi  les  premiers  moments  de  la  nuit. 
Nous  travaillions  ensemble,  ensemble  nous  arrivions  au 
repos,  et  nous  délassions  notre  esprit  fatigué  à  une  table 
frugale.  N'en  doute  pas,  nos  destinées  à  tous  deux  sont 
associées  d'une  manière  indissoluble,  et  s'accomplis- 
sent sous  l'influence  d'un  même  astre...  Il  est  une 
étoile,  quelle  qu'elle  puisse  être,  il  en  est  une ,  qui 
m'attache  pour  jamais  à  toi.  » 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  je  lisais,  dans  les  Lettres 
d'Alexis  de  Tocqueville,  les  témoignages  de  son  atta- 
chement fidèle  pour  le  vieux  prêtre  qui  avait  été  son 
précepteur;  et  maintenant  je  me  demande,  en  rappro- 
chant et  en  comparant  mes  lectures ,  s'il  y  a  une  si 
grande  différence,  que  dis-je?  s'il  y  a  vraiment  une  dif- 
férence qui  vaille  d'être  comptée  entre  les  sentiments 
et  les  idées  qui  m'intéressent  d'une  part  et  de  l'autre, 
entre  ces  deux  nobles  et  touchants  fils  de  famille  ,  le 
stoïque  et  le  chrétien. 

J'ai  dit  tout  à  l'heure  qu'il  n'y  a  pas  véritablement 
de  philosophie  chrétienne.  Quant  à  la  religion  chré- 
tienne, elle  n'est  ni  méconnue  de  personne,  ni  mécon- 
naissable, et  j'arriverai  bientôt  enfin  à  l'histoire  de  la 
révolution  par  laquelle  elle  s'est  établie;  mais  elle  n'a 
pas  cependant  non  plus  tout  renouvelé  dans  l'ancien 
monde,  et  il  s'en  faut  de  beaucoup.  Elle  a  mis  le  Christ 
dansleciel  à  la  place  des  anciens  dieux;  voilà  ce  qui  était 
nouveau;  mais  presque  tout  l'héritage  des  anciens  dieux, 
en  fait  de  croyances  comme  de  pratiques,  lui  est  resté, 


LUCAIN,  PÉTRONE,  PERSE.  301 

on  l'a  vu  déjà,  et  elle  l'a  accepté  au  nom  du  Christ.  Un 
certain  nombre  de  superstitions  helléniques,  décréditées 
àla  fois  par  la  critique  des  philosophes  et  parl'antipathie 
des  Juifs,  ont  paru  d'abord  céder  la  place,  mais  la  plu- 
part sont  rentrées  en  grâce  peu  à  peu,  et  sont  définiti- 
vement restées  chrétiennes.  Le  christianisme  surtout  a 
profité  de  cette  passion  religieuse,  de  cette  fureur  du 
surnaturel  et  du  miracle  dont  aucun  siècle  n'a  été  plus 
violemment  possédé.  Il  ne  faut  pas  être  dupe  de  quel- 
ques témoignages  d'incrédulité  que  quelques  raison- 
neurs laissaient  encore  échapper  çà  et  là.  Par  exemple 
on  affectait  dans  les  écoles  et  chez  les  lettrés  de  nier  les 
enfers  ;  mais  les  peuples,  d'un  consentement  universel, 
les  redoutaient  et  les  conjuraient  :  consensus  hominum 
aut  timentium  inferos  aut  colentium  *.  Il  ne  faut  pas  non 
plus  s'en  rapporter  à  ces  plaintes  banales,  que  les  ba- 
dauds répètent  dans  tous  les  temps  :  Tout  va  mal,  parce 
qu'il  n'y  a  plus  de  religion.  «  On  ne  croit  plus  que  Dieu 
est  Dieu  {nemo  cœlum  cœliim  piilat)  ;  on  n'observe  plus 
de  jeûne  ;  on  ne  donnerait  pas  ça  de  Jupiter  ;  chacun  n'a 
d'yeux  que  pour  son  argent  et  pour  faire  son  compte.  j> 
Ainsi  devisent,  dans  Pétrone,  avec  bien  d'autres  bavar- 
dages encore,  les  personnages  du  souper  de  Trimalchion. 
Tout  cela  ne  signifie  rien,  et  le  même  Pétrone  témoi- 
gne assez  ailleurs  de  la  superstition  universelle.  Il  y  a 
un  endroit  dans  son  livre  où  une  prêtresse  se  vante, 
pour  tâcher  de  faire  peur  à  des  gens  ([\ù  l'ont  volée, 
qu'il  y  a  tant  de  dieux  dans  le  pays,  qu'il  y  est  plus 

1.  Un  grand  nomlire  d'Inscripiions  sépulcrales  expriment  celte  foi, 
que  le  corps  est  dans  le  ciel  ou  dans  le  Champ  des  Bienheureux. 


302        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

facile  de  mettre  la  main  sur  un  dieu  que  sur  un  homme. 
Une  autre  prêtresse,  à  qui  on  a  tué  son  oie  sacrée,  se 
console  moyennant  deux  pièces  d'or,  avec  lesquelle 
on  lui  dit  qu'elle  aura  de  quoi  acheter  des  dieux  et  des 
oies.  La  superstition  en  effet  n'a  contre  elle  alors  que 
d'être  si  vulgaire  et  de  descendre  si  bas,  qu'il  faut  bien 
qu'elle  donne  quelquefois  envie  de  rire  ou  de  se  défen- 
dre ;  mais  en  général  elle  n'en  régne  pas  moins  sur  les 
esprits. 

Les  écrivains  partagent  trop  souvent  eux-mêmes  les 
croyances  populaires.  En  pk  sieurs  endroits,  Sénèque 
semble  croire  à  l'astrologie;  il  ^^arle  même  de  la  recon- 
naissance qu'on  doit  au  soleil  et  à  la  lune.  Il  admet  en 
général  la  doctrine  des  présages,  tout  en  s'efforçant 
d'en  donner  une  explication  rationnelle,  ou  qui  prétend 
l'être;  il  prononce  «  qu'il  est  également  difficile  de 
s'expliquer  l'influence  des  astres  et  d'en  douter  ».  A 
ceux  qui  objectent  que,  si  la  foudre  qui  tombe  est  un  signe 
des  destins,  ces  destins  ne  sauraient  être  conjurés  par 
les  expialions  des  aruspices,  il  répond  que  l'expiation 
elle-même  est  comprise  dans  le  destin.  Il  parait  croire 
à  une  grande  catastrophe  qui  amènera  la  fin  du  monde 
présent,  et  d'où  un  monde  nouveau  doit  sortir.  J'imagine 
qu'il  ne  se  tenait  pas  pour  bien  sur  de  tout  cela,  mais 
il  n'objecte  rien  aux  idées  reçues  autour  de  lui,  et  il  ne 
se  fait  aucun  scrupule  de  parler  à  son  tour  comme  tout 
le  monde.  A  plus  forte  raison,  les  poètes  acceptent 
sans  difficulté  la  foi  commune.  Lucain,  après  avoir 
raconté  la  mort  de  Pompée,  nous  représente  son  àme 
qui  abandonne  son  corps  sur  le  bûcher  pour  s'élever  au 


LUCAIN,  PÉTRONE,  PERSE.  303 

ciel,  où  elle  prend  place  parmi  les  âmes  saintPi;  de  là 
elle  contemple  avec  mépris  noire  monde  misé.able  et  la 
dépouille  quelle  a  laissée;  puis,  prenant  son  vol  vers 
Pliarsale,  elle  entre  dans  le  cœur  de  Calon  et  de  Brulm. 
Est-ce  un  poëme  païen,  ou  est-ce  une  Vie  des  saints 
que  nous  lisons  ?  Et  ce  tombeau  de  Pompée,  ce  tertre 
obscur  renfermant  un  esprit  divin,  que  viendra  prier 
celui  qui  refuse  son  encens  aux  dieux  du  Capitale, 
n'annonce-l-il  pas  déjà  le  culte  des  tombeaux  des 
martyrs? 

Mais  prenons  simplement  Sénèque,  Lucain  et  les 
autres  comme  des  témoins  de  l'état  général  des  esprits, 
La  magie  triomphe  déjà  presque  comme  au  temps  où 
Pline  écrira  que  l'empire  du  monde  lui  appartient  :  qu'on 
voie  la  Médée  de  Sénèque,  et  surtout  la  Thessalienne 
de  Lucain.  Néron  se  livrait  avec  passion  à  ces  prati- 
ques ;  là  comme  ailleurs,  il  prétendait  pousser  à  bout 
la  nature.  La  magie  était  regardée  comme  employant 
particulièrement  à  ses  œuvres  une  nouvelle  espèce  de 
personnages  divins,  appelés  du  nom  de  démolis,  que 
le  christianisme  a  empruntés  au  monde  païen  et  non  à  la 
Bible,  où  ils  ne  sont  pas  connus.  Et  c'est  la  magie  qui  a 
fait  que  ce  nom  de  démonSy  qui  s'appliquait  d'abord  éga- 
lement aux  bons  génies,  a  pris  exclusivement  la  signi- 
fication odieuse  qu'il  a  gardée.  Les  dieux  de  la  magie 
étaient  les  dieux  infernaux,  car  c'est  à  la  mort  qu'elle 
s'adresse  de  préférence.  Ces  morts,  qui  vivaient  hier, 
et  que  chacun  retrouve  dans  ses  imaginations  et  dans 
ces  songes,  elle  ne  croyait  pas  si  difficile  de  communi- 
quer avec  eux.  C'est  d'ailleurs  pour  conjurer  la  mort 


304        LE    CIIRISTIANIS31E    ET    SES    ORIGINES. 

qu'on  emploie  surtout  les  arts  magiques;  ou  au  con- 
traire, et  peut-être  encore  plus  souvent,  pour  la  faire 
tomber  sur  d'autres  têtes;  de  sorte  que  les  initiés  dans 
ces  mystères  pourraient  être  appelés  des  thaumaturges 
de  la  mort.  Mais  les  dieux  infernaux,  qui  dans  la  haute 
antiquité  étaient  aussi  augustes  et  aussi  saints  que  les 
autres,  se  transformèrent.  Comme  la  magie,  dans  ses 
prétentions  aux  miracles,  réussissait  bien  mieux  à  tuer 
ou  à  faire  le  mal  qu'à  autre  chose,  les  dieux  infernaux 
étaient  donc  des  dieux  malfaisants  ;  ou  plutôt  ce  n'étaient 
plus  des  dieux,  car  la  conscience,  devenue  plus  délicate, 
ne  supportait  pas  l'idée  que  des  dieux  fussent  méchants. 
Les  maîtres  des  enfers  en  vinrent  donc  à  n'être  que  les 
démons,  maudits  depuis  par  l'Église.  La  magie  fut 
déclarée  odieuse  aux  divinités  du  ciel  (supcris  detestanda 
diis)  ;  la  magicienne  n'entrera  jamais  dans  les  Cliamps- 
Élysies;  en  termes  chrétiens,  elle  est  damnée  {quos 
nulla  meretur  Thessalis  elysios)  ;  elle  est  souillée  et  abo- 
minable; en  un  mot,  ce&i  h  sorcière  du  moyen  âge, 
celle  dont  M.  Michelet  a  fait  l'histoire. 

Dans  les  vers  de  Lucain  où  je  recueille  tous  ces 
traits,  on  entrevoit  même,  au  delà  des  Furies,  d'Hé- 
cate, de  Proserpine,  au  delà  de  Pluton,  je  ne  sais  quel 
dieu  du  mal  mystérieux,  caché  au  dernier  étage  du 
Tartare  comme  au  fond  de  la  spirale  de  Dante,  le 
Diable^  pour  l'appeler  par  son  nom  *. 


!•  Indespecta  tenet  vobis  qui  tartara,  cujus 

Vos  estis  superi. 

«  Celui  qui  occupe  ce  Tarlarc  que  vous    n'avez    jamais  aperçu, 
celui  pour  qui  vous  éles  les  dieux  d'en  haut.  » 


LUCAIR,    PÉTRONE,    PERSE.  305 

A  la  magie  se  rattache  l'Évocation  des  morts.  D'au- 
tres divinations  fleurissent  autant  que  jamais,  cl  sur- 
tout l'inspection  des  entrailles  des  victimes,  ou  liarus- 
jncine.  Une  scène  de  VŒclipe  montre  combien  c'était 
un  art  compliqué,  et  de  quelle  infinité  d'observations 
minutieuses  se  composait  ce  savant  mensonge.  Une 
autre  science  étrusque,  celle  de  la  foudre,  est  longue- 
ment développée  dans  les  Bccliercltes  sur  la  Naluicde 
Sénèque.  Enfin  l'astrologie  régne  à  côté  de  la  magie, 
et  plus  universellement  encore.  Il  importe  peu  que  les 
Oracles  proprement  dits  aient  perdu  de  leur  influence, 
et  que  les  puissants,  comme  dit  le  poëte,  les  aient  fait 
taire  :  et  superos  veliiere  loqin\  le  monde  est  en  proie 
aux  inspirés  et  aux  prophètes.  «  Si  une  femme,  dit  Sé- 
nèque, se  traîne  sur  les  genoux  dans  les  rues,  en  pous- 
sant des  hurlements  ;  si  un  vieil  homme  en  robe  de  lin, 
tenant  d'une  main  une  branche  de  laurier,  de  l'autre  une 
lanterne  allumée  en  plein  jour,  va  criant  que  telle  ou 
telle  divinité  est  en  colère,  vous  accourez,  vous  écou- 
tez, et  vous  dites,  vous  entretenant  les  uns  les  autres 
dans  vos  terreurs  :  C'est  un  homme  de  dieu.  »  Ces 
scènes  se  produisaient  surtout  dans  les  épidémies  et 
les  alarmes  de  toute  espèce  ;  dans  ces  calamités  où  les 
hommes  éperdus  s'emportaient  à  des  violences  contre 
les  dieux  mêmes  :  et  dl'is  Ipsis  manus  intentantur.  Sé- 
nèque dit  encore  :  «  On  ne  voit  jamais  tant  de  gens  qui 
prophétisent,  que  si  les  esprits  sont  frappés  de  quel- 
que crainte  où  se  mêle  la  superstition.  »  —  «  Les 
Galles,  fciisant  tournoyer  leurs  têtes  ,  d'où  pendent 
leurs   cheveux  ensanglantés,  annoncent  aux  peuples 

II.  20 


306       LE    CHRISTIANISME  ET    SES    ORIGINES. 

par  leurs  hurlements   des  catastrophes  sinistres  : 

Crinniuqiie  rotantes 

Sangnineum,  populis  ulularunt  Irislia  Galli.  » 

On  n'est  donc  pas  étonné  que  le  règne  de  Néron  ait 
enfanté  V Apocalypse  ;  elle  est  née  chez  ceux  qui  souf- 
fraient le  plus,  dans  un  temps  où  tout  souffrait. 

L'idée  de  la  fin  prochaine  du  monde  occupait  sur- 
tout l'imagination  des  hommes,  et  c'était  un  thème  sur 
lequel  les  écrivains  s'exerçaient  volontiers.  Lucain  s'en 
inspirait  dans  son  poëme  comme  Sénéque  dans  ses  tra- 
«jédies;  et  celui-ci  la  développait  avec  complaisance 
aans  ses  Recherches  sur  la  Nature.  Cette  grande  des- 
truction, d'après  les  Stoïques,  devait  s'accomplir  par 
le  feu,  comme  le  proclame  encore  le  premier  verset  du 
Lies  irœ  ^  Cependant  d'autres  traditions  voulaient  que 
le  monde  finît  par  un  déluge,  pareil  à  celui  dans  lequel 
déjà  une  première  génération  d'hommes  avait  péri  : 
la  vieille  histoire  de  ce  premier  déluge,  et  d'un  couple 
unique  de  justes  échappant  seul  dans  un  navire  qui 
vient  s'arrêter  sur  une  montagne,  tenait  sa  place  dans 
le  grand  poëme  d'Ovide.  11  se  mêlait  aussi  à  l'idée  de 
la  destruction  prochaine  celle  d'une  régénération  :  j'en 
ai  déjà  montré  le  témoignage  au  temps  de  Sulla  2.  — 


1  El  aussi  cette  formule  dans  la  messe  des  Morts  :  Per  eum  qui 
venlurus  est  judicare  vivos  et  mortuos,  et  seculum  per  ignem. 
«Par  celui  qui  doit  venir  juger  les  vivants  et  les  morts,  et  le  monde 
par  le  feu.  » 

2.  Je  citerai  ici  textuellement  le  passage  de  PlutarPaC;  dont  je 
D'avals  donné  précédemment  que  le  sens:  «  Les  habiiris  dans  la 
stieiice  des  Etrusques  déclarèrent  que  ces  prodiges  annonçaient 
l'avènement  d'une   autre  race   d'iicniraes   et  le    renouvellement  du 


LUCAIN.     PÉTRONE,    PERSE.  JOT 

«  Toute  race  vivante  sera  renouvelée,  et  le  ciel  doa- 
nera  à  la  terre  une  humanité  née  sous  de  meilleurs 
auspices,  et  qui  ignorera  le  crime.  Mais  celle-là  non 
plus  ne  conservera  pas  longtemps  son  innocence,  et  elle 
doit  la  perdre  en  vieillissant.  »  Ces  idées  étaient  tristes 
pour  l'avenir,  et  pour  le  présent  plus  encore  ;  elles 
expliquent  peut-être  le  redoublement  de  frayeur  que 
les  éclipses  causaient  alors  aux  hommes,  au  témoignage 
de  Sénèque  :  il  leur  semblait  qu'elles  marquaient  la  fin. 
Sénèque  avait  écrit  contre  les  SiiperstUions  un  livre 
qui  est  perdu,  et  qui  est  bien  regrettable.  Si  nous  l'a- 
vions, il  suffirait  peut-être  seul  à  l'histoire  pour  donner 
l'idée  complète  de  la  grande  fièvre  religieuse  du  temps, 
dont  l'avènement  du  christianisme  n'a  été,  pour  ainsi 
dire,  que  la  crise.  Augustin  nous  en  a  conservé  environ 
deux  pages,  dans  lesquelles  Sénèque  relevait  les  pra- 
tiques scandaleuses  ou  barbares  ,  les  incisions  san- 
glantes, les  mutilations;  on  tiendrait,  dit-il,  à  coup  sûr 
ces  gens-là  pour  fous,  s'ils  étaient  en  moins  nombreuse 
compagnie;  il  faut  les  tenir  pour  raisonnables,  du  mo- 
ment qu'ils  sont  en  foule  pour  déraisonner.  —  «  Me 
voici  au  Capitole  ;  j'ai  honte  de  dire  l'extravagance  des 
devoirs  que  des  cerveaux  troublés  ont  imaginé  de  ren- 

monde.  Car  il  y  a  en  tout,  disent-ils,  huit  générations  d'hommes, 
de  vie  et  de  mœurs  toutes  différentes  ,  à  ciiacune  desquelles  est 
assignée  une  durée  que  la  divinité  détermine  par  la  révolution 
d'une  Grande  année.  Quand  l'une  prend  fin  et  que  l'autre  va 
commencer,  il  se  produit  quelque  signe  merveilleux  sur  la  terre 
et  dans  le  ciel,  montrant  clairement  à  ceux  qui  ont  étudié  et  pé- 
nétré ces  mystères,  qu'il  est  né  une  humaniié  toute  différente  de  celle 
qui  la  précède,  et  moins  aimée,  ou  au  contraire  plus  aimée  des 
dieux.  »  Ce  passage  se  rapporte  à  l'année  du  premier  consulat  de 
SuUa  (88  avant  notre  ère). 


308        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

dre  aux  dieux.  Celui-là  sert  de  nomenclateur  à  Jupiter, 
cet  autre  lui  dit  l'heure  qu'il  est  ;  un  autre  se  fait  son 
lecteur,  un  autre  se  charge  de  le  frotter  d'huile,  et  le 
mouvement  de  son  bras  imite  cette  action.  Des  femmes 
coiffent  Junon  ou  Minerve;  elles  se  tiennent  à  distance, 
non-seulement  de  la  statue,  mais  de  la  chapelle,  et  font 
le  geste  de  coiffer  avec  leurs  doigts  ;  d'autres  leur  pré- 
sentent le  miroir.  Ceux-ci  prient  les  dieux  de  leur  servir 
de  caution  en  justice;  ceux-là  leur  remettent  des  mé- 
moires et  leur  expliquent  leurs  procès.  Un  mime  habile, 
un  chef  de  troupe,  vieux  et  décrépit,  donnait  tous  les 
jours  une  représentation  au  Capitole,  comme  si  les 
dieux  avaient  pu  prendre  plaisir  à  le  voir  jouer  quand 
les  hommes  ne  s'en  souciaient  plus.  Des  gens  de  tous  les 
métiers  passent  là  leur  temps  à  travailler  pour  les  im- 
mortels. »  —  El  plus  loin  :  «  Après  tout,  les  services 
qu'ils  offrent  ainsi  aux  dieux,  s'ils  sont  inutiles,  n'ont 
rien  de  honteux  ni  d'indécent.  Mais  voici  des  femmes 
qui  s'établissent  au  Capitole  avec  l'idée  qu'elles  sont  les 
maîtresses  de  Jupiter  \  et  la  pensée  de  Junon,  que  les 
poètes  font  si  jalouse,  ne  leur  fait  pas  peur.  »  Quelque 
précieuse  que  soit  cette  page,  j'imagine  qu'il  y  avait 
dans  Sénèque  des  observations  plus  profondes  et  d'une 
plus  haute  portée  ;  Augustin  ne  nous  a  donné  que  des 
détails  choisis  de  telle  façon  que  le  ridicule  ne  tombât 
pas  sur  les  pratiques  dévotes  des  chrétiens.  Il  n'a  pas 
recueilli  ce  qui  pouvait  porter  contre  les  superstitions 
de  toute  origine;  un  temps  même  a  dû  venir  où,  l'Église 
triomphante  n'ayant  plus  besoin  de  ces  armes  contre  le 
paganisme,  lo  livre  fut  jugé  impie  et  disparut  comme 


LUCAIN,     PETRONE,    PERSE.  309 

disparaissait  aussi  la  dernière  partie  du  livre  de  Cicé- 
ron  sur  les  Dieux.  Quoi  qu'il  en  soit,  une  description 
aussi  vivante  nous  en  apprend  déjà  plus  que  des  dis- 
sertations philosophiques  sur  l'état  d'enfance  spirituelle 
où  se  trouvait,  au  temps  de  Sénéque,  la  plus  grande 
partie  de  l'humanité. 

Sénéque  se  moquait  en  particulier,  dans  ce  livre,  de 
la  religion  du  sabbat  juif,  qui  avait  gagné,  non-seule- 
ment les  judaïsanls,  mais  la  foule  même  des  païens*, 
tout  le  monde  allumait  ce  jour-là  des  cierges  ou  des 
lampions;  «  et  cependant  ni  les  dieux  n'ont  besoin  de 
lumière,  ni  les  hommes  ne  se  trouvent  bien  de  s'en- 
fumer. »  Perse  nous  peint  ces  mêmes  illuminations,  et 
les  prières  qu'on  marmotte;  et,  pèle-méle  avecces  pra- 
tiques juives,  les  momeries  des  Galles  ou  des  prêtresses 
d'Isis,  menaçant  les  gens  de  leur  faire  enfler  le  corps 
s'ils  ne  mangent  dévotement  trois  têtes  d'ail  tous  les 
matins;  enfin  les  terreurs  causées  parles  revenants,  ou 
par  le  présage  fatal  d'un  œuf  cassé.  Lucain  proteste  à 
son  tour  contre  ces  dieux  d'Egypte  qui  se  sont  emparés 
de  Rome  ;  contre  cet  Osiris  dont  les  dévots  font  le 
deuil  :  voire  deuil  même,  dit  le  poëte ,  atteste  que 
votre  dieu  n'est  quim  homme.  On  peut  voir  enfin  dans 
le  roman  de  Pétrone  les  superstitions  du  dernier  étage: 
les  loups-garous,  les  stryges,  dévorant  la  substance  des 
morts,  et  ne  laissant  à  la  place  d'un  corps  qu'une  gue- 
nille bourrée  de  paille.  —  Voici  la  Sibylle  de  Gumes: 
elle  est  condamnée  par  un  vœu  imprudent  à  une  vieil- 
lesse plusieurs  fois  séculaire,  qui  dessèche  et  réduit  son 
corps  à  rien  sans  que  la  vie  soit  éteinte;  on  la  voit,  dit- 


310  LE    CHRISTIANISME   ET  SES  ORIGINES. 

on,  dans  un  bocal,  où  se  conserve  sa  triste  existence  •,  les 
petits  garçons  lui  disent  en  grec,  car  c'est  sa  langue  : 
Que  veiix-tu,  Sibylle?  et  elle  répond  :  Je  veux  mourir. 
—  Voici  un  homme  qui  est  devenu  riche  tout  à  coup; 
c'est  qu'il  a  attrapé  son  bonnet  à  un  lutin  [incuhoni), 
et  il  a  trouvé  un  trésor. 

Enfin,  dans  un  livre  qui  ne  fut  publié  qu'après  Né- 
ron, mais  qui  était  déjà  écrit  en  grande  partie  sous  son 
règne,  Pline  décrit  les  superstitions  de  son  temps  en 
témoin  d'autant  plus  intéressant  à  entendre,  qu'il  n'est 
lui-même  ni  plus  ni  moins  superstitieux  que  le  grand 
nombre  ;  toutes  les  pratiques  dont  il  parle,  il  en  parle 
à  la  fois  sans  engouement  et  sans  mépris.  «  Tout  le 
monde  craint ,  nous  dit-il ,   d'être  l'objet    de    vœux 
et  d'imprécations  funestes.   »  —   Après   avoir    avalé 
un  œuf,  on  en  brisait  la  coquille,  pour  conjurer  le 
mauvais  sort.  —  On    racontait  que  César,  le    grand 
César,  en  montant  dans  une  voiture,  ne   manquait  pas 
de  répéter  trois  fois  une  formule  qui  devait  le  pré- 
server de  tout  accident ,  et  cela  devint  plus  tard  d'un 
usage  universel.  —  On  choisissait  des  gens  portant  des 
noms  heureux  pour  figurer  dans  les  purifications  pu- 
bliques. —  On  ne  nommait  pas  les  morts  sans  prendre 
des  précautions  pour  se  garantir  de  leur  colère.  — On 
croyait  généralement   à    la  vertu   des   nombres   im- 
pairs,  etc.     «  Voilà,   dit    Pline,  les   traditions  que 
nous  ont  laissées  des  générations  qui  croyaient  que  les 
dieux  interviennent  dans  tout  et  à  toute  heure,  et  qui 
ont  mérité  ainsi  que  ces  dieux  voient  avec  indulgence 
la  corruption  de  notre  temps.  » 


LUCAIN,     PlÎTRONE,    PERSE.  311 

Peu  après  avoir  fait  inouiir  Sénèque,  Lucain  et  Pé- 
trone, Néron  lui-même  meurt,  réduit  à  se  tuer  de  sa 
main  ;  c'est  à  cette  date  que  je  m'arrête,  parce  que 
c'est  celle  où  l'histoire  profane  reconnaît  pour  la  pre- 
mière fois  l'existence  des  Chrétiens  *.  Cependant  la  sa- 
gesse hellénique  suivra  encore  sa  voie  bien  longtemps 
sans  rencontrer  le  Christianisme.  De  longtemps  il  n'y 
aura  pas  de  littérature  chrétienne,  et  ni  Ëpictète,  ni 
Plutarque,  ni  Marc-Auréle  n'ont  certainement  rien  em- 
prunté aux  livres  chrétiens.  Mais  le  christianisme  a  pu 
cependant  agir  peu  à  peu,  par  une  infiltration  secrète, 
sur  ceux-mémes  qui  en  étaient  le  plus  séparés;  et  il  est 
prudent  de  ne  pas  aller  plus  loin  que  Sénèque,  si  on  veut 
mesurer  exactement  ce  que  la  religion  et  la  philosophie 
avaient  fait,  sans  le  Christ,  du  monde  ancien.  Pour  qui 
a  quelque  peu  de  sens  critique,  il  est  clair  que  les  Chré- 
tiens n'ont  pas  donné  à  Sénèque  une  parcelle  de  sa  doc- 
trine; ils  paraissent  alors  à  peine,  et  il  est  probable  qu'il 
ne  distinguait  même  pas  leur  religion  de  celle  des  Juifs, 
et  ne  voyait  en  eux  qu'une  secte  juive  très-fanatique 
et  très-révolutionnaire.  Quant  aux  Juifs  eux-mêmes, 
tout  ce  qu'on  peut  conjecturer  est  que  le  judaïsme,  qui 
gagnait  déplus  en  plus  dans  l'empire,  avait  répandu  dans 
l'air  des  sentiments  plulôtque  des  idées,  dont  l'influence 
a  dû  se  faire  sentir  jusque  sur  la  sagesse  des  gentilSy 
comme  aussi  cette  sagesse  agissait  à  son  tour  sur  le  jo- 

l.On  croit  l'entrevoir  avant  cette  date  dans  ce  que  iHt  Saétono.  qne 
Claude  fit  cliasser  les  Juifs  de  la  ville  à  cause  des  troubles  conliuuels 
sascités  par  un  Chrestos.  On  suppose  que  Suétone  a  pris  le  nom 
du  Christ  pour  celui  d'un  Juif  qui  faisait  du  désordre  dans  Rome. 


312        LE    CIIIUSTiANIS.ME     ET    SES    ORIGINES. 

daïsme.  Sénèque  pour  sti  part  n'est  en  aucune  façon  un 
judaïsant;  mais  sa  philosophie  est  celle  d'un  temps  où 
beaucoup  judaïsaient  au-dessous  de  lui  ;  et  il  n'est 
pas  impossible  que  cela  ait  contribué  en  quelque  chose, 
sans  qu'il  s'en  doutât  lui-même,  à  donner  à  cette  philo- 
sophie un  accent  plus  vif  de  piété  mystique,  ou  d'austé- 
rité, ou  d'humanité.  Mais  le  travail  qui  s'était  fait  ainsi 
dans  lésâmes,  et  dont  ses  écrits  peuvent  témoigner,  est 
indépendant  de  la  prédication  de  Jésus  et  de  celle  de  ses 
apôtres,  qui  n'avait  pas  eu  le  temps  de  se  faire  sentir 
jusqu'à  lui.  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'à  la  date  où  on 
place  la  Lettre  de  Paul  à  ceux  de  Rome,  Sénèque  tou- 
chait à  soixante  ans.  Ce  que  nous  surprenons  dans  ses 
livres,  c'est  donc  bien  l'état  moral  et  religieux  du  monde 
romain  avant  le  Christ.  Il  n'y  avait  rien  du  Christ  ni 
de  Paul  dans  Sénèque;  mais  le  mouvement  spirituel 
qui  depuis  un  demi-siècle  agitait  le  monde,  avait  abouti 
d'une  part  à  Sénèque  et  de  l'autre  à  Paul.  Établissons- 
nous  donc  à  cette  date,  qui  sépare  les  deux  âges  de  l'his- 
toire religicuse,et  demandons-nous,  en  récapitulant  tout 
ce  qui  précède,  ce  qu'un  païen  pouvait  déjà  croire  et 
sentir,  ce  qu'il  pouvait  pratiquer  avant  d'avoir  entendu 
prêcher  le  christianisme. 

Il  croyait  à  un  dieu  suprême,  créateur  du  monde  et  du 
genre  humain,  très-bon  et  très-grand,  gouvernant  tou- 
tes choses,  et  de  qui  relève  toute  puissance  comme  toute 
loi;  dont  la  Providence  veille  particulièrement  sur  les 
bons  et  ne  les  éprouve  que  pour  leur  bien.  Ce  dieu  est 
présent  partout,  et  témoin  même  de  nos  pensées.  Sa 
volonté  doit  toujours  être  faite,  et  la  liberté  est  de  lui 


LUCAIN,    PÉTI\0.NF:.     PEllSi:.  313 

obéir.  Et  ce  n'est  pas  assez  de  lui  obéir,  il  faut  l'aimer. 

Il  est  vrai  ({u'au-dessous  de  ce  dieu  il  en  reconnais- 
sait d'autres,  mais  ces  dieux  inférieurs  n'entraient  pas 
en  comparaison  avec  leur  père  et  leur  maiire;  ils 
n'étaient  que  des  ministres  ou  plutôt  des  manifestations 
de  ce  (|ue  l'on  appehiit  d'un  nom  unique,  la  divinilé. 
En  un  mot,  c'étaient  des  anges.  Ce  n'est  pas  moi  qui 
parle  ainsi,  c'est  un  Père  de  TEglise,  Augustin,  qui 
nous  dit  en  propres  termes  :  «  Les  dieux,  que  nous, 
nous  appelons  les  anges,  d'un  nom  moins  haut  [deos 
quos  nos  familianus  angelos  dicimus).  »  Les  païens^  à 
cette  époque,  n'étaient  pas  réellement  plus  polythéistes 
que  les  Chrétiens  *. 

On  croyait  à  de  bons  démons,  gardiens  de  la  vie  de 
chaque  homme  et  de  sa  conscience.  On  croyait  aussi  à 
des  démons  mauvais,  artisans  de  malice  et  d'iniquité, 
et  même  à  un  dieu  suprême  du  mal,  auquel  il  ne  man- 
quait que  le  nom  du  Diable. 

On  croyait  à  l'intervention  des  puissances  surnatu- 
relles dans  la  nature  et  dans  la  vie.  On  se  persuadait 
que  le  ciel  écoutait  les  prières  des  hommes;  que,  d'au- 
tre part,  les  démons  du  mal  obéissaient  aux  conjura- 
tions. On  croyait  aux  miracles,  aux  apparitions,  aux 
présages,  aux  avertissements  d'en  haut,  à  tous  lespro- 

1.  Oa  lit  déjà  dans  Terlullien  :  «  La  fonction  de  faire  tomber  dans 
le  ventre  de  la  mi-re  le  germe  de  l'homme,  de  le  façonner,  do  l'éla- 
borer, est  accomplie  certainement  par  une  puissance  ministre  de  la 
volonté  divine,  quelles  que  soient  les  lois  suivant  lesquelles  ello 
l'exerce.  C'est  d  après  cetio  pensée  que  la  superstition  romaine  a 
imaginé  une  déesse  Nourrice  {Alemona)  pour  nourrir  l'embryon..., 
une  Partula...,  une  Lucina...  Nous,  nous  chargeons  les  anges  do 
ces  offices  divins  {nos  officia  divina  angelis  credimus).  » 


314        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

diges;  le  vulgaire  descendait,  en  fait  de  surnaturel, 
aussi  bas  que  peut  descendre  l'ignorance  et  la  grossiè- 
reté des  esprits,  jusqu'aux  lutins,  aux  vampires  et  aux 
croquemitaines.  On  était  particulièrement  sous  l'empire 
du  merveilleux  malfaisant  qui  constitue  la  magie  et  la 
sorcellerie.  On  reconnaissait  des  possédés. 

On  pensait  que  le  Ciel  pouvait  révéler  l'avenir  aux 
hommes  et  qu'il  leur  accordait  en  effet  des  révélations. 
On  croyait  aux  prophètes,  aux  inspirés,  aux  visions 
apocalyptiques. 

Les  païens  croyaient  aux  prédictions  de  la  Sibylle. 
On  a  vu  que  l'Église  les  invoque  encore. 

Les  païens  croyaient  à  l'astrologie  :  il  y  a  tout  au  plus 
deux  cents  ans  que  la  chrétienté  n'y  croit  plus. 

On  croyait  à  l'àme,  substance  indivisible,  spirituelle 
et  céleste;  on  faisait  de  cette  âme  l'essence  même  de 
l'homme.  On  lui  accordait  l'immortalité.  On  croyait  à 
un  enfer  avec  ses  supplices  éternels,  à  un  paradis,  à 
un  purgatoire.  On  se  représentait  les  âmes  des  morts 
comme  s'intéressant  aux  choses  de  cette  vie,  et  reve- 
nant par  fois  sur  la  terre.  On  imaginait  que  les  âmes 
d'élite  montaient  au  ciel  et  prenaient  place  parmi  les 
êtres  supérieurs  ou  les  dieux.  On  faisait  des  divi,  en 
attendant  qu'on  fit  des  saints. 

Quelques-uns  croyaient  à  une  résurrection  des 
morts. 

On  supposait  que  les  dieux  étaient  offensés  par  les 
fautes  des  bommes,  et  on  redoutait  leur  colère.  On 
craignait  de  les  blesser,  non-seulement  par  l'immora- 
hté  ou  le  crime,  mais  par  la  négligence  dans  \  accom- 


LUCAIN,     PETRONE,     PERSE.  3tr, 

plissement  des  devoirs  religieux.  On  se  ligurait  une 
réversibilité  des  fautes  qui  faisait  retomber  jusque  sur 
l'enfant  le  péché  du  père.  Mais  on  avait,  pour  conjurer 
la  peine,  les  expiations  de  toute  espèce,  et  en  particu- 
liers les  ablutions,  par  lesquelles  on  lavait  les  taches 
de  l'âme. 

On  s'attendait  à  la  fin  prochaine  du  monde,  con- 
damné par  les  iniquités  des  hommes,  et  à  l'avènement 
d'un  monde  nouveau. 

Enfin  on  avait  un  goût  particulier  pour  les  religions 
secrètes;  on  se  tournait  de  préférence  vers  les  dieux 
lointains  et  mystérieux  de  l'Orient. 

Quant  aux  pratiques  du  culte,  que  de  choses  qui  sont 
également  païennes  et  chrétienne?  (je  parle  du  chris- 
tianisme catholique)  !  Les  temples,  les  chapelles,  les 
autels,  les  im;iges,  les  prêtres,  avec  leur  vêtement 
théâtral,  les  chants  sacrés,  les  processions,  l'eau  lus- 
trale, les  arbres  ou  les  pierres  chargées  de  fleurs  et 
d'offrandes,  les  ex-voto.  Il  y  avait  des  prières  publiques 
pour  l'empire  et  pour  le  chef  de  l'empire,  des  jubilés, 
des  pèlerinages,  des  démonstrations  solennelles  pour 
conjurer  les  calamités;  il  y  avait  des  fêtes  pour  toutes 
les  dates,  et  pour  toutes  les  occasions  de  la  vie  pu- 
blique et  de  la  vie  privée;  le  calendrier  était  tout 
religieux  :  fêtes  du  printemps  ou  de  l'hiver,  fête  de 
la  nouvelle  année,  fête  des  morts,  etc.  Le  paganisme 
avait  ses  confréries  sacrées ,  ses  dieux  patrons  des 
navires,  et,  pour  tout  dire,  ses  dévotions  à  propos  de 
tout  ;  c-ar  tous  les  actes,  tous  les  sentiments,  tous  les 
intérêts  devaient  un  compte  aux  dieux,  et  ce  compte 


316         LE  CHRISTIANISME  ET  SES   ORIGINES. 

était  tenu  avec  une  exactitude  que  la  piété  du  moyen 
àgc  n'a  pu  non-seulement  dépasser,  mais  égaler.  Toutes 
les  formes  de  la  superstition  florissaient  aussi  comme 
au  moyen  âge  autour  de  la  religion,  si  toutefois  on 
peut  distinguer  ces  deux  choses. 

En  même  temps,  il  est  vrai,  un  courant  d'idées  parti 
de  plus  haut  portait  les  âmes  à  croire  que  la  divinité 
n'a  que  faire  de  sacrifices,  de  cérémonies,  ni  de  temples 
même;  qu'elle  ne  veut  d'autre  temple  que  le  cœur  de 
l'homme  de  bien  et  d'autre  culte  que  la  vertu.  C'est  de 
ces  pensées  que  va  se  nourrir  le  Christianisme  des  pre- 
miers temps;  mais  l'Église  reprendra  bientôt  la  tradition 
des  religions  qu'elle  a  remplacées. 

Enfin  la  morale  grecque  et  romaine  s'inspirait  déjà 
de  l'esprit  de  tristesse  et  d'abnégation  qui  devait  être 
celui  de  la  religion  nouvelle.  Elle  faisait  dédaigner  les 
richesses,  les  honneurs,  les  voluptés,  le  bonheur  même; 
supporter  l'insulte,  souffrir  la  douleur  et  triompher 
dans  les  tortures.  Elle  inspirait  le  mépris  de  cette  misé- 
rable existence,  le  sentiment  profond  du  néant  de  tout 
ce  qui  la  remplit  ;  la  résignation  à  mourir,  et  quelque- 
fois même  l'envie  de  mourir;  la  pensée  de  la  mort  do- 
minant toute  la  vie;  l'horreur  du  péché,  la  conscience 
de  notre  infirmité  morale,  une  aspiration  passionnée  au 
salut,  à  la  conversion,  à  la  persévérance;  l'éloignement 
du  monde  et  l'amour  de  la  retraite;  l'abandon  de  l'âme 
à  la  prédication  qui  l'entraîne,  à  la  direction  qui  la  con- 
duit et  qui  l'enveloppe;  le  recours  à  la  philosophie 
comme  à  une  force  bienfaisante  qui  gouverne  et  qui 
console;  —  des  pratiques  d'austérité  et  de  pauvreté 


LUCAI.X,    PtTIlONE.     PERSE.  317 

qu'on  peut  appeler  monastiques;  la  méditation  journa- 
lière, l'examen  de  conscience  ;  le  besoin  d'appuyer  la 
morale  non-seulement  sur  des  pratiques,  mais  sur  des 
dogmes  et  des  articles  de  foi;  la  disposition  à  la  piété,  le 
dédain  et  l'antipathie  pour  les  incrédules,  la  transfor- 
mation de  la  sagesse  en  une  religion  ;  l'indifférence 
pour  la  science,  l'art  et  l'industrie,  toutes  choses  pro- 
fanes. Enfin  cette  morale  présentait  à  l'imagination 
comme  idéal  la  figure  d'un  sage,  véritable  enfant  de 
Dieu,  vera  progenieSy  \mr  jusqu  à  être  impeccable,  prêt 
à  souffrir  toutes  les  tortures,  à  avaler  des  charbons  ar- 
dents ou  à  clouer  ses  bras  sur  une  croix,  et,  dans  sa 
force,  essentiellement  doux  et  pacifique,  placidus  et 
lenis  1  ;  ne  se  plaignant  ni  des  hommes  ni  du  ciel  ;  pa- 
raissant au  milieu  des  méchants  comme  la  lumière  parmi 
les  ténèbres,  non  aliter  quam  in  tenebris  lumen  efful- 
sit'- ;  n'usant  des  choses  de  ce  monde  que  comme  un 
étranger  et  un  passant,  sed  ut  commodatis  utetur  pere- 
fjrinus  et  properans  ^ ;  —  portant  Dieu  en  lui;  — 
triste  et  comme  en  deuil  du  genre  humain. 

Uni  quippe  vacat.     .     .     . 
Ilumanum  lugcre  genus. 

Heureux  s'il  pouvait  mourir  pour  tous  et  racheter  de 
son  sang  tous  les  crimes  ! 

Hic  redimat  sangois  populos  ,  hac  caede  luatur 
Quidquid  romani  merueruntpendere  mores. 


1*  Comparez  l'Évangile  de  Matthieu,  xi,  29. 

2.  Comparez  l'Evantrile  de  Joan,  i,  5. 

3.  Comparez  I  Cor.,  vu,  31 . 


318  LE   CHRISTIANISME  ET  SES   ORIGINES. 

Cette  morale  ordonne  la  chasteté,  celle  de  l'homme 
aussi  bien  que  celle  de  la  femme;  —  le  respect  de 
l'esclave,  notre  égal  et  notre  frère,  du  moins  devant 
Dieu,  et,  dans  la  servitude  du  corps,  libre  par  l'àme;  elle 
condamne  les  tueries  de  l'arène  ;  elle  veut  que  le  mal- 
heur soit  sacré;  —  elle  prescrit  la  charité,  car  nous 
sommes  les  membres  d'un  même  corps;  l'aumône, dé- 
hcate  et  vraiment  humaine,  l'horreur  de  la  guerre;  la 
soumission  loyale  au  commandement  légitime,  et,  en 
face  du  commandement  injuste,  la  désobéissance  et  la 
liberté.  -—  Je  ne  reviens  pas  ici  sur  les  illusions  et  les 
défaillances  de  cette  sagesse  ;  j'aime  mieux  ne  la  pré- 
senter qu'avec  ses  mérites  et  ses  bienfaits. 

Mais  si  ce  résumé  est  fidèle  (et  chacun  des  chefs  dont 
il  se  compose  a  été  longuement  établi)  ;  si  le  Christia- 
nisme, en  arrivant  dans  le  monde  grec  et  romain,  y  a 
trouvé  cette  morale  et  ces  croyances,  et  si  l'état  des 
esprits  et  des  âmes  à  cette  époque  n'est  que  le  der- 
nier terme  d'un  travail  quej'ai  suivi  depuis  les  premiers 
monuments  de  la  pensée  grecque,  et  qui  était  déjà 
bien  avancé  au  temps  de  Platon,  quelle  place  reste-t- 
il  pour  ce  qu'on  appelle  une  révélation  divine,  et  pour 
une  transformation  soudaine  et  miraculeuse  de  l'homme 
ou  de  la  société? 

La  plus  grande  nouveauté  du  christianisme,  c'est 
l'adoration  du  Crucifié.  Et  pourtant  ce  n'est  pas  à  dire 
que,  de  ce  côté-là  même,  rien  n'eut  préparé  le  monde 
à  la  religion  nouvelle.  Le  Juste  de  Platon,  fouetté, 
torturé,  et  mourant  sur  le  pieu  du  supplice,  ce  Juste 
que  je  retrouvais  tout  à  l'heure  dans  Sénèqiie  clouant 


LUCAIN,     Pl'TRONK,     PERSE.  319 

ses  bras  sur  la  croix,  a  paru  naturellement  aux  Pères 
chrétiens  une  ligure  du  Christ  lui-même.  D'un  autre 
côté,  l'honime-dieu  Héraclès  ou  Hercule,  tel  qu'on  le 
concevait  depuis  les  Stoïques,  et  tel  que  Cicéron  le 
représente,  bienfaiteur  de  rhumaniié,  secourant  et 
sauvant  les  malheureux,  et  cela  au  prix  de  ses  souf- 
frances, qui  le  font  monter  au  ciel,  consacrait  l'idée 
d'une  passion  ayant  pour  objet  le  salut  du  monde  '. 
Il  ne  restait  qu'à  associer  l'idée  du  libérateur  avec  celle 
du  Juste  persécuté;  à  se  représenter  le  sauveur  luttant, 
non  plus  contre  des  monstres,  mais  contre  des  crimes; 
triomphant  encore,  mais  moralement,  par  son  martyre 
même;  et  on  arrivait  ainsi  à  prendre  pour  idéal  Caton 
plutôt  qu'Hercule,  et  à  voir  en  Caton,  comme  le  mon- 
trent les  vers  de  Lucain  que  je  citais  tout  à  l'heure,  non- 
seulement  un  saint,  mais  un  Rédempteur, 

Néanmoins  il  y  a  évidemment,  dans  la  foi  au  Christ 
crucifié,  quelque  chose  qui  n'est  pas  hellénique  et  qui 
vient  des  Juifs  et  de  la  Galilée;  mais  cedr  foi  elle-même 
n'a  pas  tant  changé  le  monde  qu'on  l'imagine. 

On  dit  souvent  que  la  morale  antique,  dans  ses  plus 
beaux  efforts,  était  frappée  d'impuissance;  qu'elle  ne 
vivait  que  dans  la  conscience  ou  dans  l'école,  et  que  le 
Christianisme  seul  l'a  fait  passer  dans  la  loi  et  dans  les 
faits.  C'est  une  erreur  qui  vient  de  ce  que  nous  ne  con- 
naissons guère  l'histoire  du  droit  et  des  lois  romaines 


1.  Qaum  de  omnibus  gentibus  opliine  mererere,  quum  opcni  in- 
digenlibus  salulemque  ferres,  ve!  Herculis  perpcii  aeruninas.  a  D'olre 
le  bienfaiteur  de  tous  les  peuples,  de  secourir  et  de  sauver  les  mal- 
heureux, au  prix  même  des  souffrances  d'Hercule.  » 


320         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

qu'à  partir  de  l'époque  chrétienne.  Mais  quell'^  que  soit 
notre  ignorance  de  ce  qui  précède,  nous  en   savons 
cependant  encore  assez  pour  reconnaître  que  la  philo- 
sophie exerçait  déjà  avant  l'ère  chrétienne  la  même 
espèce  d'influence  qu'elle  continua  d'avoir  ensuite,  e( 
qu'eut  après  elle  la  religion.  Ainsi,   tandis  qu'une  an- 
cienne jurisprudence  assimilait  les  enfants  d'une  femme 
esclave,  laquelle  était  en  la  possession  d'un  usufruitier, 
à  la  portée  des  animaux  domestiques,  il  s'était  formé, 
au  temps  de  la  jeunesse  de  Cicéron,  une  jurisprudence 
nouvelle  qui  se  refusait  à  cette  assimilation  et  mettait  à 
part  la  personne  humaine.  Sous  Auguste,  il  y  eut  une 
véritcible  rénovation  du  droit  romain  par  l'illustre  Antis- 
tius  Labéo  *  ;  or  Labéo  était  un  philosophe  [qui  et  in 
cœteris  operibus  sapientiœ  operam  dederal  -),  un  Stoïque 
sans  doute,  puisque  son  inlraitable  indépendance  faisait 
que  l'empereur  était  assez  mal  disposé  pour  lui.  Il  avait 
accompli  apparemment,  autant  qu'il  était  en  lui,  le  vœu 
si  éloquemment  exprimé  par  Cicéron,  que  la  loi  du  de- 
hors se  modèle  sur  la  loi  du  dedans  et  sur  la  véritable 
justice.  C'est  l'œuvre  qui  se  continua  après  lui  et  qui  ne 
fut  jamais   interrompue.  Sous  Claude,  il  fut  décidé  que, 
si  un  maître,  pour  ne  pas  soigner  son  esclave  malade, 
l'exposait,  à  la  grâce  d'Esculape,  dans  l'île  du  Tibre 
où  était  le  temple  de  ce  dieu,  l'esclave  serait  libre  dans 


1.  LaLco  ingenii  qualitate  et  fiducia  doclrina; plurima  inno- 

vare  instituit.  «  LaLco,  appuyé  sur  la  disliucliori  de  son  esprit  et  la 
sûreté  de  sa  science...,  introduisit  de  grands  changements.  » 

2.  «  Dans  tous  ses  travaux,  il  'wait    donné   une   pari  à  la  philo- 
soplàe.  9 


LUCAIN,    PÉTRONE.    PERSE.  321 

le  cas  où  il  reviendrait  à  la  santé.  Et  si  le  maitro  tuait 
l'esclave  au  lieu  de  l'exposer,  il  devait  être  poursuivi 
pour  meurtre.  Sous  Néron,  ou  peut-être  même  avant 
lui,  une  magistrature  avait  été  établie  pour  connaître 
des  torts  des  maîtres  envers  leurs  esclaves,  et  punir  les 
cruautés,  les  débauches,  et  enfin  l'avarice  qui  ne  four- 
nissait pas  à  leurs  besoins.  C'est  le  même  Néron  qui,  à 
son  avènement,  au  moment  où  il  était  encore  l'écolier 
docile  de  Sénèque,  désavoua  le  premier  peut-être  par 
un  acte  public  la  tradition  des  carnages  de  l'amphithéâ- 
tre, en  donnant  un  combat  de  gladiateurs  où  il  ne  laissa 
périr  personne,  pas  même  les  condamnés. 

D'autres  réformes  furent  faites  sous  les  empereurs 
suivants,  à  côté,  mais  en  dehors  du  Christianisme;  d'au- 
tres attendirent  jusqu'au  premier  empereur  chrétien, 
d'autres  jusqu'à  Théodose  ;  d'autres  jusqu'à  l'invasion 
des  Barbares;  d'autres  jusqu'aux  temps  modernes.  Il 
est  enfin  des  satisfactions  que  la  conscience  du  genre 
humain  n'a  pas  encore  obtenues  à  l'heure  où  nous  som- 
mes. Car  il  y  a  une  étrange  illusion  dans  l'esprit  de 
ceux  qui,  persuadés  que  la  raison  humaine  ne  peut  rien 
pour  le  bien,  et  que  la  foi  peut  tout,  vont  jusqu'à  faire 
honneur  à  celle-ci  de  labolition  de  l'esclavage;  tandis 
qu'ils  voient  que  l'esclavage  subsiste  encore,  sous  leurs 
yeux,  dans  deux  pays  catholiques,  après  quinze  cents 
ans  de  règne  du  Christ,  et  ne  menace  ruine  que  depuis 
cent  ans,  c'est-à-dire  depuis  les  combats  et  les  victoires 
de  la  libre  pensée. 

Si  on  cède  à  la  fantaisiedese placer  par  l'imagination 
en  dehors  de  l'histoire,  et  de  se  demander  ce  qui  serait 

II  Si 


322         LE   CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

advenu  dans  le  cas  où  il  n'y  aurait  pas  eu  de  propa- 
gande juive  et  chrétienne,  et  où  la  religion  grecque  et 
romaine  aurait  continué  d'exister,  il  faudra  répondre, 
je  crois,  que  le  monde  d'aujourd'hui  ne  serait  pas  pour 
cela  aussi  différent  de  ce  qu'il  est  qu'on  veut  bien  le  dire. 
Il  y  aurait  pour  les  esprits  naïfs  des  dieux  et  des  dées- 
ses, comme  il  y  a  des  saints  et  des  saintes,  la  madone  et 
le  bambino  ;  pour  les  esprits  plus  forts,  il  n'y  aurait 
que  Dieu  ou  la  nature.  Un  biographe  d'Alexandre  Sé- 
vère a  écrit  que  cet  empereur  pensait  à  recevoir  le 
Christ  au  nombre  des  dieux  et  qu'on  prétend  qu'Ha- 
drien avait  la  même  pensée.  Pour  ce  dernier  point,  on 
n'en  peut  rien  croire  ;  mais  voici  comment  le  biographe 
s'explique  :  «  Hadrien  avait  fait  faire  des  temples  sans 
images  dans  toutes  les  villes  ;  ce  sont  ceux  qu'on  appelle 
aujourd'hui  temples  d'Hadrien,  parce  qu'ils  n'appartien- 
nent à  aucun  dieu.  Il  les  destinait  à  l'usage  que  j'ai  dit, 
mais  on  l'empêcha  de  suivre  sa  pensée,  parce  qu'on  lut 
dans  les  entrailles  des  victimes  que  si  son  vœu  était 
accompli,  tout  le  monde  se  ferait  chrétien  et  abandon- 
nerait les  autres  temples.  »  Le  compilateur  qui  par- 
lait ainsi,  sous  Constantin,  en  plein  triomphe  du  Chris- 
tianisme, s'est  trompé  certainement  sur  les  intentions 
d'Hadrien  ;  mais  il  n'a  pas  dû  se  tromper  sur  les  faits, 
je  veux  dire  sur  l'existence  de  ces  temples  sans  images, 
qui  n'étaient  consacrés  à  aucun  dieu  en  particulier.  l\  y 
a  là  une  tentative  de  théologie  philosophique  sur 
laquelle  on  en  voudrait  savoir  davantage.  Mais  quand 
cette  espèce  de  protestantisme  païen  n'eût  pas  prévalu, 
et  quand  la  religion  vulgaire  eût  continué  de  vivre, 


LUCAIN,  PÉTRONE,  PERSE.        SM 

plus  indulgente  à  l'imagination  et  aux  sens,  alors  les 
ligures  auraient  subsisté,  mais  la  foi  s'en  serait  néan- 
moins retirée  à  la  longue.  La  mythologie  durait  fini 
par  n'être  guère  que  ce  qu'elle  était  aux  xvi'  et 
xvii*  siècles  dans  le  monde  chrétien,  une  langue  savante 
et  une  belle  décoration.  Les  sacrifices  auraient  dis- 
paru d'eux-mêmes,  parce  qu'ils  coûtaient  cher,  comme 
il  est  dit  dans  une  satire  de  Perse,  et  qu'ils  ne  rappor- 
taient pas  ce  qu'ils  coûtaient.  En  un  mot,  la  chrétienté 
s'appellerait  d'un  autre  nom,  mais  elle  serait  ce  qu'elle 
est,  ou  à  peu  près,  et  nous  vivrions  comme  nous  vi- 
vons. Tout  ce  qui  devait  changer  aurait  changé,  mais 
par  une  transformation  insensible. 

On  voit  bien  que  ce  n'est  là  qu'une  idée;  car  s'il  est 
vrai  que,  dans  l'histoire,  tout  se  tient  et  tout  s'enchaîne, 
il  est  vrai  aussi  qu'il  ne  se  fait  pas  de  mouvement  con- 
sidérable sans  secousses.  Les  hommes  souffrent,  la  souf- 
france fait  la  passion,  et  la  passion  fait  les  révolutions, 
la  révolution  chrétienne  est  sortie  des  misères  et  des 
ressentiments  des  peuples  opprimés,  qui  se  sont  mis 
à  la  suite  des  Juifs  par  la  raison  que  j'ai  déjà  dite,  que 
les  Juifs  étaient  les  plus  irréconciliables  et  les  plus  in- 
domptables des  vaincus. 

Les  Juifs  trouvaient  moyen  de  demeurer  étrangers  à 
l'empire  romain  dans  Uome  même;  ils  maintinrent 
d'ailleurs  l'indépendance  de  leur  cité  plus  que  ne  lit 
aucun  peuple.  Ils  conservaient  la  même  indépendance 
h  l'égard  de  leurs  propres  rois,  ne  supportant  en  eux 
qu'avec  peine  les  créatures  des  empereurs.  La  religion 
qui  faisait  le  fond  de  leur  résistance  devait  trouver  à 


3»*        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

ce  titre  seul  bien  des  sympatliies  cliez  leurs  frères  en 
servitude;  elle  mettait  les  peuples  plus  à  l'aise  pour 
détester  les  Romains  avec  les  dieux  des  Romains.  D'ail- 
leurs, les  Juifs,  en  se  serrant  derrière  leur  dieu  pour 
résister  à  leurs  ennemis,  et  cela  de})uis  des  siècles, 
avaient  appris  à  s'aimer  entre  eux  davantage.  Ils  se 
secouraient  les  uns  les  autres ,  ils  savaient  le  prix 
d'une  personne  humaine.  Ils  enseignaient  par  l'exem- 
ple le  respect  du  mariage  et  celui  de  la  vie  des  enfants. 
L'esclavage,  lel  qu'ils  le  connaissaient,  restait  loin 
de  l'épouvantable  esclavage  de  Rome,  avec  ses  bagnes 
et  avec  ses  lupanars,  qui  étaient  les  bagnes  des  fem- 
mes. Ils  maudissaient  les  carnages  de  l'amphithéâtre,  et 
aussi  ceux  de  la  guerre  que  Rome  portait  à  travers  le 
monde;  ils  allaient  jusqu'à  refuser,  quoi  qu'il  en  coû- 
tât, de  servir  sous  l'aigle  romaine.  Ils  condamnaient, 
comme  haï  de  Dieu,  tout  ce  dont  souffrait  la  plus 
grande  partie  du  genre  humain. 

Il  y  a  un  personnage,  dans  les  comédies  d'Aristo- 
phane, qui,  étant  las  de  la  guerre  à  laquelle  Athènes  est 
en  proie,  s'avise  de  faire  la  paix  pour  lui  tout  seul. 
Cette  imagination  fantastique  devenait  jusqu'à  un  cer- 
tain point  une  réalité  pour  le  malheureux  qui  s'afliliaità 
la  communauté  juive  ;  il  sortait  d'un  monde  et  entrait, 
pour  ainsi  dire,  dans  un  autre  ;  il  échappait,  dans  une 
certaine  mesure  aux  misères  de  la  vie  romaine  ;  il  y 
échappait  d'autant  plus  que  la  propagande  juive  allait 
s'étendant  et  se  fortifiant  davantage. 

Quant  à  la  morale  et  a  la  philosophie  profane,  s'il  est 
vrai  que,  de  son  côte,  elle  reprouvait  également  les  iniqui- 


LUCAIN.    PÉTRONE,    PERSE,  325 

tes  et  les  scandales,  il  est  vrai  aussi  que  les  moralistes,  en 
les  censurant,  n'en  souffraient  pas.  Ils  les  condamnaient 
par  cela  même  avec  d'autant  plus  d'autoriLé,  mais  ils  les 
combattaient  avec  moins  d'emportement  et  d'énergie. 
Ils  ciaient  trop  bien  établis  dans  la  société  telle  qu'elle 
é(uit  faite  pour  la  trouver  insupportable  et  pour  ne  pen- 
ser qu'à  la  détruire.  Considérons,  dans  la  maison  d'un 
maitre  romain,  ces  deux  serviteurs^  le  Grec  et  le  Juif. 
Le  Grec  est  plein  de  génie;  il  est  ouvert  à  loules  les 
idées,  et  habile  à  les  communiquer;  il  va  tout  de  suite 
de  pairavec  le  vainqueur;  ill'endoctrine,  il  le  persuade; 
il  se  fait  aimer,  admirer,  respecter  même;  car  je  ne 
parle  pas  ici  de  cette  grécaille,  si  méprisée  des  Latins, 
bonne  à  tous  les  métiers,  et  qui  excellait  dans  les  pires; 
je  parle  des  Grecs  qui  faisaient  honneur  à  leur  nom. 
Ceux-là  devenaient,  non  les  complaisants  du  maître, 
mais  ses  précepteurs  et  ses  modèles.  Ils  lui  faisaient 
parler  leur  langue  ;  ils  transformaient  sa  vie  et  celle 
de  tous  autour  de  lui,  en  répandant  la  vérité  ;  mais 
cela  tranquillement ,  patiemment ,  trop  patiemment 
peut-être  ;  et  en  effet,  pourquoi  auraient-ils  été  impa- 
tients ou  irrités? 

Cependant  le  Juif,  esclave  dans  cette  maison ,  reste 
enfermé  et  farouche;  il  ne  communique,  s'il  n'y  est 
forcé,  avec  personne  qu'avec  d'autres  Juifs;  s'ils  lui 
manquent,  il  n'ouvre  la  bouche  que  pour  prier  son 
dieu  barbare  dans  sa  langue  barbare.  Un  jour ,  il 
murmure  quelque  chose  à  l'oreille  d'un  compagnon 
qui  se  plaint  et  dont  il  est  sûr.  Peu  à  peu,  celui-là  est 
atteint,  comme  par  une  espèce  de  contagion  ;  les  voilà 


826       LE   CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

deux,  puis  trois  bientôt,  et  puis  davantage.  Cela  se 
fait  sans  bruit;  ceux  qui  s'entendent  demeurent  par- 
faitement isolés  des  autres,  et  semblent  ne  se  soucier 
de  personne.  On  les  remarque  pourtant,  car  ils  ont 
des  pratiques  singulières,  une  austérité  de  vie  plus 
singulière  encore;  ils  semblent  posséder  des  secrets 
pour  les  maladies  du  corps  et  pour  celles  de  l'àme  : 
personne  ne  les  comprend  ni  ne  les  aime,  mais  tout 
le  monde  s'occupe  d'eux.  La  maîtresse  ,  dans  une 
heure  d'ennui  et  de  découragement,  se  sent  attirée 
par  ce  mystère;  elle  interroge  une  servante  avec  une 
curiosité  qui  est  déjà  de  la  faveur  :  Tu  es  donc  Juive  ! 
Elle  lui  demande  des  consolations,  et  elle  les  trouve. 
Pour  le  maitre,  on  ne  pense  pas  d'abord  à  rien  essayer 
sur  lui;  on  n'en  a  pas  même  envie;  on  aime  mieux 
se  faire  une  vie  à  part,  qui  lui  est  fermée,  et  où  son 
autorité  ne  pénètre  pas.  Il  finit  cependant  par  enten- 
dre parler  de  quelque  chose;  il  se  moque,  car  il  a 
bien  d'autres  affaires  dans  l'esprit;  il  laisse  aux  femmes 
ces  fantaisies.  Néanmoins  le  changement  qui  paraît 
chez  lui  l'étonné  :  et  si  par  hasard  il  se  fait  un  vide 
dans  son  existence,  et  qu'il  n'ait  d'ailleurs  ni  doc- 
trines arrêtées  ni  puissance  de  réflexion  pour  remplir 
ce  vide,  il  en  vient  à  subir  la  fascination  de  l'étran- 
geté,  et  le  voilà  à  son  tour  qui  judaïse.  Il  s'est  fait 
ainsi  une  révolution  dans  l'ombre.  Tandis  que  la  sa- 
gesse grecque  entrait  dans  la  maison  par  en  haut 
comme  le  soleil,  et  la  remplissait  de  sa  lumière,  sans 
atteindre  pourtant  et  sans  pénétrer  partout ,  le  zèle 
juif  remontait  d'en  bas  comme  une  vapeur  et  s'infil- 


LUCAIN,    PÉTRONE,    PERSE.  3i7 

(rait  dans  les  âmes  d'une  manière  à  la  fois  sourde  et 
violente.  L'esclave  insociable  et  méprisé  vient  à  bout 
de  tous,  parce  que, dans  son  isolement  m('me,il  a  senti 
plus  fortement  et  voulu  plus  énergiquement.  Voilà  ce 
que  fut  la  propagande  du  judaïsme. 

En  même  temps,  cette  religion,  toute  religion  qu'elle 
était,  allait,  comme  je  l'ai  montré  déjà,  à  la  rencontre 
de  la  philosophie  qui  se  séparait  de  l'ancienne  foi. 
Non-seulement  les  Juifs  n'avaient  qu'un  dieu,  mais 
partout  ailleurs  (ju'à  Jérusalem  (et  Jérusalem  n'était 
qu'un  point,  tandis  qu'il  y  avait  des  Juifs  par  toute 
la  terre),  ce  dieu  n'avait  ni  temples,  ni  autels,  ni  sa- 
crifices, ni  prêtres,  et  on  ne  l'adorait  que  par  la  parole 
et  par  la  pensée.  A  Jérusalem  même,  ce  dieu  n'avait 
pas  d'images  et  demeurait  invisible.  Il  avait  un  nom 
propre,  comme  tons  les  dieux  de  l'antiquité;  mais  à 
force  d'être  sacré,  ce  nom  était  devenu  ineffable  ;  on 
ne  le  prononçait  plus ,  on  ne  l'écrivait  plus ,  et ,  dans 
les  traductions  de  la  Bible,  on  n'appelait  plus  lehova 
que  le  Seigneur,  d'un  nom  qui  convenait  au  dieu  de 
tout  le  monde*.  C'est  ce  qu'il  devenait  en  effet  de  plus 
en  plus.  Horace  a  dit  :  «  La  Grèce  conquise  conquit 
son  vainqueur  farouche  »  ;  ce  qu'il  avait  dit  avec  gra- 
titude, Senèque  le  répétait  avec  indignation  en  parlant 
des  Juifs.  Au  commencement  du  règne  de  Néron, lorsque, 
dans  une  alarme,  on  massacrait  les  Juifs  de  tous  côtés 
dans  les  villes  grecques  de  la  Syrie,  Joseph  dit  que  ces 


1.  On  a  remarqat^  que  Diodoro  emploie  ce   mot,  le  Seigneur,  en 
l'appliquant  au  dieu  qu'on  adorait  à  Thébes  en  Egypte. 


328        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

massacres  ne  délivraient  pas  les  Grecs  de  leurs  inquié- 
tudes, parce  qu'il  restait  les  judaïsants,  qu'ils  avaient 
toujours  au  milieu  d'eux  sans  les  bien  connaître  et 
sans  oser  les  frapper.  A  Damas  en  particulier,  quand 
on  massacra  ainsi  les  Juifs,  la  principale  difficulté  fut 
de  dérober  ce  complot  à  la  connaissance  des  femmes, 
qui  presque  toutes  étaient  attachées  au  judaïsme.  Outre 
l'esprit  d'indépendance  qui ,  dans  un  temps  où  les 
femmes  étaient  des  sujettes,  leur  faisait  fuir  la  religion 
do  leurs  m.aîtres,  elles  n'étaient  pas  d'ailleurs  arrêtées, 
comme  les  hommes,  par  l'obstacle  de  la  circoncision.  Il 
est  vrai  que  ce  que  je  viens  de  dire  se  passait  à  côté  de 
la  Judée ,  mais  le  mouvement  se  propageait  partout, 
jusque  dans  Rome  même,  jusque  chez  les  princes  de 
la  cité.  En  l'an  57,  une  femme  de  la  première  no- 
blesse, Pomponia  Graecina,  était  citée  devant  un  tribu- 
nal  de  famille,  présidé  par  son  mari  consulaire,  comme 
accusée  de  judaïsme,  superstilionis  exlernœ  rea;  le  mari 
prononça  l'absolution.  La  fameuse  Poppée,  la  maîtresse, 
puis  l'épouse  de  Néron ,  protégeait  les  Juifs  dans  les 
moments  difficiles  ;  car,  dit  Joseph,  elle  était  du  nom- 
bre des  adorateurs  de  Dieu. 

Cependant  les  âmes  ne  se  livraient  pas  tout  en- 
tières, parce  que  beaucoup  de  Judaïsants  ne  pouvaient 
se  décider  à  se  faire  Juifs;  quand  tout  à  coup  cette 
nouvelle  se  répandit,  vers  le  temps  de  Claude,  qu'il 
s'était  élevé  en  Galilée  une  secte  d'après  laquelle  Dieu 
acceptait  désormais  l' incirconcis  comme  le  circoncis, 
et  les  viandes  ou  les  pratiques  des  Hellènes  comme 
celles  des  Juifs.  C'était  assez  qu'on  crût  à  un  libérateur, 


LUCAIN,     PÉTRONE,    PERSE.  329 

à  un  Clirist,  qui  devait  enlever  s.s  élus  aux  misères  de 
cette  vie  et  les  faire  entrer  au  royaume  de  Dieu.  Dés 
lors  toutes  les  barrières  tombèrent ,  et  l'élan  qui  em- 
portait l'Occident  vers  une  foi  nouvelle  fut  irrésistible. 
Les  Gentils  passent  au  Seigneur ,  mais  le  Seigneur  à 
son  tour  passe  aux  Gentils.  Le  judaïsme  triomphe  et 
s'arrête  tout  à  la  fois;  on  ne  judaïsera  plus  dorénavant, 
on  christianise.  Le  dieu  des  Juifs  s'achemine  à  grands 
pas  vers  la  conquête  du  monde;  mais  il  ne  se  fait  plus  de 
Juifs  dans  le  monde,  tandis  que,  la  veille  encore,  il  s'en 
faisait  tous  les  jours.  Certes,  la  religion  juive  n'est  pas 
morte  en  produisant  le  Christianisme,  puisqu'elle  vit 
encore  ;  mais  à  partir  de  cet  enfantement  extraordi- 
naire ,  elle  a  à  peu  près  cessé  d'enfanter. 

Aussi  les  chrétiens  furent  tout  d'abord  aussi  odieux 
aux  Juifs  qu'aux  païens  fidèles.  Et  quand  l'affreux  in- 
cendie qui  dévora  Rome  sous  Néron  eut  exaspéré  les 
peuples,  les  Juifs  contribuèrent  sans  doute  à  détourner 
sur  les  chrétiens  la  fureur  publique,  qui  autrement  se 
serait  attachée  à  eux-mêmes.  C'est  alors  que  les  chrétiens 
prennent  place  pour  la  première  fois  dans  l'histoire  pro- 
fane; ils  y  entrent  par  le  martyre:  «  Pour  faire  tomber,  dit 
Tacite,  les  rumeurs  qui  l'accusaient,  Néron  offrit  en  pâ- 
ture d'autres  coupables,  et  fit  souffrir  les  tortures  les 
plus  raffinées  à  une  classe  d'hommes  détestés  pour 
leurs  abominations  et  que  le  vulgaire  appelait  chré- 
tiens. Ce  nom  leur  vient  de  Christ,  qui,  sous  Tibère, 
fut  livré  au  supplice  par  le  procurateur  Pontius  Pilatus. 
Réprimée  ainsi  un  instant,  cette  exécrable  superstition 
débordait  de  nouveau,  non-seulement  dans  la  Judée, 


330        LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

OÙ  elle  avait  sa  source,  mais  dans  Rome  môme,  où  tout 
ce  que  le  monde  renferme  d'infamies  et  d'horreurs 
afflue  et  trouve  des  partisans.  On  saisit  d'abord  ceux 
qui  avouaient  leur  secte,  et,  sur  leurs  révélations,  une 
infinité  d'autres,  qui  furent  bien  moins  convaincusd'in- 
cendie  que  de  haine  pour  le  genre  humain.  On  fit  d(3 
leurs  supplices  un  divertissement  :  les  uns,  couverts  de 
peaux  de  bétes,  périssaient  dévorés  par  des  chiens  ; 
d'autres  mouraient  sur  des  croix,  ou  bien  ils  étaient 
enduits  de  matières  inflammables,  et,  quand  le  jour  ces- 
sait de  luire  ,  on  les  brûlait  en  place  de  flambeaux. 
Néron  prêtait  ses  jardins  pour  ce  spectacle  et  donnait  en 
même  temps  des  jeux  au  Cirque,  où  tantôt  il  se  mêlait 
au  peuple  en  habit  de  cocher  ,  et  tantôt  conduisait  un 
char.  Aussi,  quoique  ces  hommes  fussent  coupables  et 
eussent  mérité  les  dernières  rigueurs,  les  cœurs  s'ou- 
vraient à  la  compassion,  en  pensant  que  ce  n'était  pas 
au  bien  public,  mais  à  la  cruauté  d'un  seul  qu'ils  étaient 
immolés.  »  (Traduction  de  Burnouf.) 

Quel  étonnement  et  quel  malaise  on  éprouve  aujour- 
d'hui en  entendant  ce  langage!  Ainsi  le  grand  juge 
comme  le  grand  peintre  de  la  tyrannie,  l'homme  qui  a 
mérité  par  la  fierté  de  son  esprit  et  de  son  àme  d'être 
l'interprète  de  ce  qu'il  appelle  la  conscience  de  l'huma- 
nité, ne  condamne  dans  ces  supplices  que  la  débauche 
de  cruauté  d'une  nature  perverse,  et  ne  trouve  d'ailleurs 
pour  les  victimes  que  des  paroles  d'indignation  et  de 
mépris.  Hélas!  ces  tristes  sentiments  sont  ceux  d'un 
Romain  fidèle;  il  no  connaît  que  Rome,  et  il  sent  qu'elle 
est  menacée  par  ceux  dont  il  parle  dans  sa  grandeur  et 


LUCAIN,    PÉTRONE.    PERSi:.  331 

dans  son  existence  même.  Il  les  appelle  les  ennemis  du 
genre  humain,  parce  qu'il  voit  bien  qu'ils  sont  ceux 
de  Rome  et  de  son  empire.  Il  sent  qu'elle  est  sapée 
dans  ses  fondements  par  ces  misérables,  qui  ne  sont 
rien,  et  qu'on  ne  vient  pourtant  pas  à  bout  d'extirper. 
En  un  mot,  il  est  inique,  mais  non  pas  aveugle;  car 
l'avènement  du  Christianisme  peut  être  déiini,  en  effet  : 

LA  PREMIÈRE   INVASION    DES    BARBARES. 

Celle-là  est  venue  de  l'Orient  ;  elle  est  toute  morale  et 
ne  détache  de  l'empire  que  desr  âmes,  non  des  terri- 
toires ;  mais  ellele  dissout  par  là  moralement  et  en  pré- 
pare la  ruine,  comme  elle  prépare  aussi  le  monde  nou- 
veau qui  doit  s'élever  sur  cette  ruine,  et  qui  est  le  nôtre. 
Il  y  avait  déjà  trois  cents  ans  qu'Ératosthène  avait  dé- 
savoué ceux  qui,  avant  lui,  divisaient  les  hommes  en 
Grecs  et  en  Barbares,  et  qui  conseillaient  à  Alexandre 
de  traiter  les  Grecs  comme  des  amis  et  les  Barbares 
comme  des  ennemis.  Il  disait  qu'il  y  avait  parmi  les 
Barbares  non-seulement  des  hommes,  mais  des  peuples 
véritablement  civilisés,  et  il  apportait  en  exemple  la  ci- 
vilisation de  l'Inde.  Depuis  cette  époque,  le  monde  grec 
et  romain  avait  fait  bien  du  chemin  vers  l'Orient;  mais 
il  fallait  que  l'Orient,  de  son  côté,  marchât  aussi  vers 
le  monde  grec  et  romain;  et  c'est  par  les  Juifs  que  ce 
mouvement  s'est  accompli.  Il  est  donc  temps  d'étudier 
les  Juifs.  Je  suis  arrivé  au  moment  où  le  ruisseau  tou- 
jours grossissant  du  judaïsme  vient  tomber  dans   le 
grand  fleuve  hellénique  et  s'y  absorber,  tout  en  don- 
nant aux  eaux  qui  le  reçoivent  une  teinte  nouvelle.  Je 
dois  remonter  maintenant  à  la  source  même  d'où  il 


332  LE   CUUISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

est  sorti,  et  le  suivre  dans  son  cours  jusqu'au  con- 
fluent, je  veux  dire  jusqu'au  Christianisme.  Ce  sera 
le  sujet  d'un  second  et  dernier  travail. 

Je  dirai  encore  en  finissant  qu'on  ne  déshonore  pas 
le  Christianisme  en  l'appelant  une  invasion  des  Bar- 
bares. Et  ces  mots  n'expliquent  pas  seulement  le  passé 
du  Christianisme,  ils  en  annoncent  aussi  l'avenir. 

L'invasion  des  Barbares  a  amené  bien  des  souffran- 
ces et  des  désastres;  elle  a  emporté,  avec  l'ancien 
monde,  des  merveilles  de  civilisation.  Et  pourtant  il 
est  permis  de  croire  qu'à  tout  prendre  elle  a  profité  à 
l'humanité,  et  que  les  nations  ont  bien  fait  d'échanger 
la  domination  romaine  contre  une  anarchie  d'où  est 
sortie  leur  indépendance;  car  tous  tant  que  nous 
sommes,  peuples  d'aujourd'hui,  nous  n'existons  que 
par  la  dissolution  du  monde  romain. 

Le  Christianisme  aussi  a  fait,  dans  l'ordre  intérieur, 
bien  des  ruines.  L'Église,  en  se  constituant,  a  con- 
damné l'esprit  humain  à  des  servitudes  et  à  des  dé- 
faillances de  toute  espèce.  Elle  a  fait  de  plus  beaucoup 
de  mal  même  au  dehors  ;  elle  a  produit  les  guerres  re- 
ligieuses; elle  a  eu  ses  cachots  et  ses  bûchers.  Et 
cependant  il  n'est  pas  défendu  de  penser  que  le  gros 
du  genre  humain,  en  passant  du  paganisme  au  Chris- 
tianisme, a  gagné  quelque  chose  en  moralité  et  en  li- 
berté. 

Mais  les  révolutions  qui  se  sont  accomplies  alors 
n'ont  pu  être  réellement  un  bienfait  qu'à  la  condition 
({u'elles  ne  s'arrêteraient  pas  et  qu'elles  conduiraient 
les  hommes  à  un  é(at  meilleur. 


LUCAIN.     PÉÏUJNE,    PERSE.  333 

Le  méiile  du  moyen  âge  est  d'avoir  enfanté  le 
monde  moderne;  en  d'aulres  termes,  le  mérite  de  l'in- 
vasion des  Barbares  a  été  d'aboutir  à  ce  qu'il  n'y  ait 
plus  de  Barbares, 

De  même  le  mérite  et  le  bienfait  de  l'avènoment  du 
Christianisme  est  qu'il  aboutisse  à  ci'  qu'il  n'y  ait  plus 
ni  païens  ni  Chrétiens,  mais  des  esprits  libres ,  défi- 
nitivement affranchis  de  tous  les  dieux. 


NOTES 


QUI   RENVOIENT   AUX  TEXTES  SUR  LESQUELS  s'aPPUIENT 
MES   ASSERTIONS*  . 


Page  2.  Que  la  comédie  nous  décrit.  —  Piaule,  le  Perse, 
125. 

—  En  soupant  assis.  —  Piaule,  Stichus,  684. 

Page  3.  A  se  désavouer  elle-même.  —  Voir  le  Minos  (at- 
tribué à  Platon),  p.  303,  et  une  Dissertation  anonyme 
publiée  par  Henri  Eslienne  dans  son  édition  de  Diogène 
de  Laerle,    p,  473. 

Page  4.  Qu'est-ce  que  c'est,  disaient-ils.  —  Pluiarque.  de 
la  Vertu  morale^  p.  452.  Comparez  l'Évangile  de  Mat- 
thieu, XI,  12. 

—  Une   foule  prodigieuse  de    philosophes.  —  Slrabon, 
p.  15. 

Page  5.  Sans  Chrysippe,  disait-on.  —  La  pensée  qu'exprime 
celle  phrase  se  trouve  partout,  mais  notamment  dans 
Cicéron^  Academica,  II,    24.   Voir  aussi  de  Finibus,  I,  2 

—  A  éplucher  qu'à  manger.  —  Ariston,dans  Stobée,  An- 
thologie, LXXXII,  7. 

—  Le  repos,  le  repos  !  —  La  Fontaine,    Fables,  VII,  12. 

—  Et  on  racontait  que  les  jeunes  gens.  —  Valérius,  VIII, 
9,  externa,  3. 

P.  ge  6.  Et  Monime  qui  disait  aux  riches.  —  Dans  Slobéc, 
Anthologie,  XCIV,  36. 

—  Et  pour  montrer  quelle  n'existait  pas.  —  Cicéion, 
Tusculancs,  I,  31,  et  1,  10,  etc. 

Page  7.  Qui  nous  a  été  conservée  par  Cicéron.  —  De  Rcpu- 
blica,  I,  2.  El  Valérius,  II,  10,  externa,  2. 

1.  Voir  la  note  au  bas  do  la  page  359  du  lome  I"'. 


336        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Page  7.  Voici  ce  qu'on  racontait  de  lui.  —  Horace,  Satires, 
II,  III,  253,  etc. 

Page  8.  La  comédienne  Pélagie,  —  J'ai  pris  cela,  sans  re- 
courir au  texte,  clans  les  Vies  des  Saints-Pères  d'Ar- 
nauld  d'Andilly,  tome  premier. 

—  Etait  célèbre  jmr  un  Hure  sur  le  Deuil.  —  Plutarque, 
Consolation  à  Apollonios,  p.  104 ,  et  Gicéron,  Acade^ 
mica,  II,  44,   etc. 

Page  9.  Se  conservât  chaste  jusqu'à  vingt  a7is.  —  Dans  Sto- 
bée,  Anthologie,  CI,  4. 

—  De  façon  qu'on  avait  la  liste.  —  M.  Bûclieler  a  publié 
récemment  à  Greifswalde  une  de  ces  Listes,  celle  des  phi- 
losophes Académiques,  trouvée  dans  les  papyrus  d'Her- 
culanum. 

Page  10.  Les  hirondelles,  disait-on.  —  C'est  une  des  Com- 
paraisons  pythagoriques  de  Démophile,  publiées  par 
Orelli  dans  ses  Opuscula  veterxun  grœcorum  sententiosa 
et  mom/ia,  Leipzig,  1819  et  1821.  —  A  ce  que  j'ai  dit  au 
chapitre  IX  (p.  310  du  tome  l^'')  sur  ce  qu'étaient  les  phi- 
losophes dans  le  monde  grec,  j'ajouterai  ici,  qu'on  disait 
de  tel  peintre  dans  l'antiquité,  qu'il  peignait  volontiers  des 
philosophes  (Pline,  XXXIV,  xix,  36),  comme  plus  tard  on 
a  peint  des  moines.  Chez  les  modernes,  les  philosophes 
ne  sont  pas  pour  la  peinture  des  sujets  particuliers. 

Paf'C  11.  Fut  députe'  par  les  Athéniens  à  Antipiatre.  —  Plu- 
tarque, Vie  de  Phocion,  27. 

Page  12.  Le  stoïque  Sphéros.  —  Plutarque,  Vie  de  Cléomène, 
2.  —  Abantidès. ..  Aratos.  —  Plutarque,  Vie  d''Aratos,  3 
et  5. 

—  La  comédie  applaudit.    —  Athénée,  XIII,  p.     610. 
»—      L' auteur  d'un  livre  attribué  à  I  soc  rate.  —  Nicoclès^ 

9.  Voir  aussi  le  Minos,  p.  318. 

—  Par  Lysimaque  et  de  la  Syrie  par  Antiochos.  — 
Athénée,  XIII,  p.  610,  et  XII,  p.  347. 

Page  13    (En  note).  Le  juste  hommage  rcnïu  par  un  maitre. 

—  Sainte-Beuve,  Nouveaux  Lundis,  t.  V,  p.  369,  et  t.  VII, 
p.  21.  Voir  Théocrite,  22,  et  AnthoL,  Vif,  472. 

P<ig"  14.  Mais  les  œuvres  de  Mdnandrc  sont  perdues.  — Tous 
les  fragments  de  Ménandre  qui  offrent  quelque  intérêt  au 


iNOTF.S.  337 

point  de  vue  moral  oui  été  recueillis  el  traduits  dans 
VEssai  historique  et  littéraire  sur  la  comédie  de  Me'nan- 
dre,  par  Cli.  Bonoil,  i854. 
Page  14.  Les  Stoiques  aux  sourcils  froncés.  —  Ménandrc, 
{l'Andrienne),  cité  par  Donat,  dans  son  commentaire  sur 
VAndria  de  Térence,  II,  iv,  3. 

—  Comme  un  esclave  fugitif.  —  liaton,  cité  par 
Athénée,  III,  p.  103  (el  IV,  p.  163).  La  phrase  qui  suit 
dans  mon  texte  se  rapporte  aussi  à  ce  morceau. 

—  Un  comique  faisait  parler  une  courtisane.  —  l'héni- 
cide,  dans  Stobée,  Antholo(iie,\l,  30. 

Page  15.     Tu  sais,  dit  un  père  dans  Térence.  —  Au  début  de 
YAndria. 

—  Un  cuisinier  prétend  qu'il  en  possède.  —  Pris  de 
Damoxène,   cité    dans  Athénée,  III,  p.  102. 

—  //  enseigne  à  mourir  de  faim.  —  Philémon,  cité 
par  Diogène,  VII,  27,  et  par  Clément  d'Alexandrie,  Stro- 
mates,  II,  p.  177. 

—  Et  qu'elle  proteste  que  c'est  là  offenser  les  dieux.  — 
Voir  encore   Athénée,  III,  p.  163. 

—  Qu  est-ce  que  c'est,  dit-il.  —  Sotion,  dans  Athénée, 
VII,  p.  336. 

Page  16.     Qucst-ce  que  de  nous?  —  Plante,    Captivi,  pro- 
logue. 

—  Les  dieux  jouent  à  la   balle.  —  Ibidem, 

—  Tout  cela  se  prêchait  à  la  comédie.  —  Voir  Piaule, 
le  Perse,  628;  Trinumus,  648;  Alexis,  dans  Athénée, 
XI,  p.  463;  Ménandre,  dans  Stobée,  Anthologie,  CXXI, 
7. 

—  Ne  pleurons  pas  tant  nos  morts.  —  Anliphane,  dans 
Stobée,  Anthologie,  CXXIV,  27;  et  Philémon,  ibidem, 
CVIII,  39. 

—  Si  tu  veux  te  connaître.  —  Ménandre,  Fragment 
cité  par  l'auteur  anonyme  de  l'écril  intitulé  :  Parallèle 
de  Ménandre  et  de  Philémon,  et  reproduit  dans  les  di- 
verses coMections  des  Fragments  de  Ménandre. 

—  Celui  qui  est  aimé  des  dieux  meurt  jeune.  —  Stobée, 
Anthologie,  CXX,  8.  A  l'occasion  de  ce  vers,  M.  Chas- 
sang,  dans  son  livre  sur  le  Spiritualisme  chez  les  Grecs, 

II.  'H 


338        LE    CHRISTIAXISUE     ET    SES  ORIGINES. 

page  61,  renvoie  ses  lecteurs  à  l'ouvrage  de  M.  Guillaume 
Guizot  :  Ménandre,  Étude  historique  sur  la  comédie  ei 
la  société  grecques,  1855,  el  en  particulier  au  chapitre  de 
la  Tristesse  dans  Ménandre. 

Page  16.  Dans  une  scène  où  un pauvre.  — Plaute,  Trinumus, 
247. 

Page  17.  Si  ton  âme  est  en  bon  état.  —  Plaute,  Auluîaria^ 
143. 

—  Que  manque-t-il  à  celui-ci.  —  Térence,  Heautonti- 
morumenos,  193. 

—  L'homme   vraiment  honnête.     —  Piaule,  Trinumus 
277. 

—  Après  la  mort,  il  n'y  a  plus  pour  moi.  —  Piaule, 
Captivi,  674  (et  623).  Le  vers  cité  en  note,  page  18,  est 
dans  les  Troyennes,  401. 

Page  18.  Qui  se  châtie  lui-même.  —  C'est  le  sens  du  titre 
grec  que  Térence  n'a  fait  que  transcrire  en  latin,  Heau- 
tontimorumenos. 

—  Il  est  fait  de  la  même  chair.  —  Philémon,  dans 
l'Anonyme  déjà  indiqué. 

—  Est  bien  né,  ma  mère,  fût-il  un  nègre.  —  Ménandre, 
dans  Slobée,  Anthologie,  LXXXVI,  6.  Comparez  la  Lettre 
aux  Galates,  m, 28,  eildi  Lettre  aux  Colossiens,  m,  11. 

Page  19.  La  comédie  étale  la  misère  de  l'esclave.  —  Ménan- 
dre, dans  Slobée,  Anthologie,  LXII,  34. 

—  Accorde-lui  un  peu  de  liberté.  —  Ménandre,  ibidem, 
24. 

—  Ta  vois  un  pauvre  nu.  —  Philémon,  dans  l'Anonyme 
déjà  indiqué. 

—  Ailleurs  on  voyait  sur  le  théâtre.  —  Piaule,  Ru- 
densy    199    et  322. 

Page  20.  Je  suis  homme.  —  HeautonlimorumenoSy  77; 
Plaute,  Asinaria,  472,  et  Trinumus,  404. 

—  L'ait  accouchée,  comme  disait  Socraie.  —  Théctète, 
p.  149. 

—  Lâne  est  un  pauvre  animal.  —  Ménandre,  dans  Sto- 
bée.   Anthologie,  XCVIII,  8. 

Page  21.  Un  dieu,  femme,  ne  guérit  pas.  —  Ménandre 
dans    Justin,  de  la  Monarchie,  p.  29. 


NOTES.  339 

Page  21.  Les  diniT,  sat.s  doute.  —  Antiphane ''^t  Ménan- 
dre),  dans  Porphyre,  de  l'Abstinence.  II,  17. 

—  Et  Vadorer  sans  le  discuter.  —  Pliiléraon,  dans  Slo- 
b-^e,  ytorceaux  choisis  sur  la  nature.  11,  i,  5. 

—  //    est  impie  de   vouloir  comprendre.  —   Philémon. 
dans  l'auteur  anonyme  déj^  indiqu(?. 

—  Il  \i  a   un  dieu  qui  voit  et  entend.  —  Piaule,  Cap- 
tivi,  247. 

page  22.  Préposées  ici-bas  à  ce  ministère.  —  Piaule,  Rudens, 
prologue. 

—  Chacun  de  nous  a  un  Génie.  —  Ménandre,  dans  Ck- 
ment  d'Alexandrie,  Stromates^  V,  p.  260. 

—  Ta,  mon  père,  dit  le  fils.  —  Térence,  Adelphi,  707. 

—  Un  demi-vers  de  Plaute.   —  Pcenuius ,  279.  Pour  la 
noie,  page  23,  voir  la  Rhétorique,  IL,  xvii,  2. 

Page  23.    Là  où  Foriginal    espagnol.  —    Tirso    de    Molina, 

III«  Journée,  scène  xi. 
Page  24.    J'ai  vu  souvent,  dit  un  personnage.  —  Plante,  Ru- 

dens,  1133. 

—  Femmes,    femmes!   —  ApoUonide,  dans  Slobée,  An- 
thologie, LXVII,  3. 

Page  23.     Il  s'abstient  de  la  posséder.  —  ApoUonios,  IV,  1161. 

—  Déjà  le  Syracusaitt  Hicétas.  —  Cicéron,  Academica, 
U,  S9. 

—  Fut  blessée   de   cette  hardiesse  et  la  condamna.  — 
Plularque,  de  la  Figure  de  la  lune,  p.  223. 

Page  26.     Aux  prétendants  de  Pénélope.  —  Arislon  de  Chio, 

dans  Slobée,  Anthologie,  IV,  110. 
Page  27.     Par  Étémère  de  Messine.  —  Cicéron,  de  Natura 

deorum,  I.  42. 

—  Èvémère  a  fourni  aux  Pères  de  P Église.  —   Lac- 
tance,  I,  U. 

Page  28.  Théopompe,  l'histonen  de  Philippe.  —  Dans  le  livre 
attribué  à  Plularque,  sur  Isis  et  O^iris,  p.  370. 

—  Ils    ne   connaissent,  dirait  Dino.  —  Dans    Clément 
d'Alexandrie,  Exhortation  aux  Gtnlils,  I,  5,  p.  19. 

Page  29.  (En  .lole).  Quelque  accréditée  que  soit.  —  Voir  le 
livre  sur  Isis  et  Osiris,  dans  les  œuvres  de  PluUrqae, 
p.   361  ;    et    les     Fragmenta    historicorum    grœcorum^ 


3i0       LE    CHRISTIANISME    ET    SES   ORIGINES. 

dans   la  Bibliothèque  grecque    de   Didot,   t.   I,  p.  xliii, 
seconde  colonne,  et  t.  II,  p.  512,  première  colonne. 
Page  31.    Espèce'de  Collège  Royal   de   l'antiquité.  —   Stra- 
bon,  XVII,  p.  794. 

—  Presque  aucune  trace.  —  Voir  Apollon ios,  IV, 
260-276. 

—  Hécatée  d'Abdère,  par  exemple.  —  Diodore,  I,  10 
et  46. 

—  On  lit  dans  une  Inscription.  —  Corpus,  4893  (voir 
aussi  5073),  inscription  tirée  de  Letronne,  Recherches  sur 
les  Inscriptions  grecques  de  VÉgypte,  t.  I,  p.  390. 

Page  32.  QuHl  s'élève  contre  mon  roi.  —  Hymne  à  Apol- 
lon, 26. 

—  Une  suite  d'écritures  sur  papyrus.  —  Voir  les  Papy- 
rus grecs  du  Musée  du  Louvre  et  de  la  Bibliothèque  Im- 
périale, publication  pr(^parée  par  Letronne,  exécuté'e  pa- 
MM.  W.  Brunel  de  Presle  et  E.  Egger,  1866,  n^'  22  et 
suivants,  et  le  Mémoire  de  M.  Brunet  de  Presles  sur  le  S6- 
rap(^on. 

—  Sur  laquelle  nous  avons  d'autres  témoignages.  — 
Celui  d'un  poëme  aliribué  à  Manétlion. 

Page  33.  (En  note)  Notice  sur  le  Musée  de  Boulaq.  —  Se- 
conde édition,  p.  88  ;  voir  aussi  p.  313. 

—  Les  conduisirent  jusque  dans  l'Inde.  —  Sur  tout  ce 
qui  suit,  voir  Diodore,  II,  38;  Arrien,  Inde,  v,  4,  et 
les  Extraits  de  Mégaslhène,  d'Onésicrite  et  d'Arislobule 
qui  se  trouvent  dans  Strabon,  XV,  p.  711  et  suivantes,  et 
dans  Clément  d'Alexandrie,  Stromates,  I,  p.  132.  Voir 
aussi  sur  ces  Extraits  les  notes  de  M.  Mûller  dans  ses 
Fragmenta  histoncorum  grœcorum. 

Page  37.  Le  Grec  Gélon  en  traitant  avec  les  Carthaginois. 
—  Voir  le  Sclioliaste  de  Pindare  sur  la  seconde  Pythique. 

—  Le  nom  de  Bouddha  est  dans  Clément,  —  Stromates^ 
I,  15.» 

—  Mégaslhène  a  même  dit.  —  Strabon,  p.  709. 

Page  38.  (En  note)  Traduction  de  M.  Foucaux.  —  Dans  le 
volume  intitulé  le  Mahabharata  :  onze  épisodes,  1862, 
p.  142.  Je  cite  plus  loin  le  Ramayana  traduit  par 
M.  Fauche,   t.   I,  p.  254    (1854);  puis  le  Mahabharata^ 


NOTES.  541 

parle  même,  t.  IV,  p.  42  (ISGIi)  et  l.  I,  p.  491  (1863). 
Pour  les  Lois  de  Manou,  voir  II,  191-197  (la  traduclioa 
est  de  1833).  Enfin  la  traduction  citée  de  M.  Emile  Bur- 
nouf  est  celle  de  la  Bhagavad-GUa,  1861  (avec  le  texte 
en  caractères  latins),  p.  23. 
Page  42.  Ils  les  avaient  confondus  longtemps.  —  Hérodote, 
II,  104. 

—  Joseph  cite  un  Dialogue  de  Cléarque.  —  Réponse  à 
Apion,  I,  22.  Voir  ce  passage  pour  tout  l'alinéa,  et  aussi 
Diodore,  dans  les  Fragments  du  livre  XL,  conservés  par 
Photios. 

Page  46.  Des  méprises  comme  celle  de  Madame  de  Staël. 
—  De  la  Littérature  considérée  dans  ses  rapports  avec 
les  institutions  sociales,  1800,  I'^  partie,  chapitre  iv. 

Page  48.  Comme  dit  Polvbe,  sur  le  nuage.  —  Au  livre  V, 
104. 

Page  49.  Pendant  le  siècle  qui  se  termine.  —  Voir  les  cha- 
pitres XXXIII  et  suivants  de  l'Histoire  de  la  Grèce  aii' 
cienne  de  M.  Duruy. 

—  Mantinée  est  saccagée.  —  Polybe,  II,  56. 

—  Pohjbe  nous  peint  la  Béotie.  —  Au  livre  XX,  6. 
Page  50.     Qui  périt  par  la  dépopulation.  —  Livre  XXXVII, 

IV,  4. 

Page  53.  Il  semble,  suivant  l'expression  de  Cicéron.  —  De 
Republica,  II,  4. 

Page  55.  Plus  de  170  ans.  —  Au  dire  de  Varron,  cité  par  Au- 
gustin, de  Civitate  Dei,  IV,  31.  Pour  ce  qui  suit,  voir  la 
Rômischc  Mythologie  de  M.  L.  Preller,  1838.  Elle  a  été 
traduite,  ou  plutôt  réduite  en  français  par  M.  L.  Diclz,  1865, 
avec  une  préface  de  M.  Alfred  Maury. 

Page  56.  Où  est  le  Romain,  dit  Cornélius  Népos.  —  Dans 
sa  Préface. 

—  Les  amours  contre  nature.  —  Horace,  au  second 
livre  des  Satires,  m,  325  :  Mille  puellarum,  pucrorum 
mille  furorcs. 

Page  57.  Et  les  Grecs  étaient  frappés  les  premiers.  — 
Dionysios  ou  Denys  d'Halicarnasse,  II,  19-20. 


342         LE    CHRISTIANISME    ET    SES  ORIGINES. 

Page  58.     Par  la  vertu  d'une  évocation.  —  Macrobe,  Satuv' 
nalia,  III,  9. 

—  Elle  se  vantait  d'avoir  plus  de  religion.  —  Cicéron, 
De  Ilaruspicum  responsis,  9. 

—  Que  nous  trouvons  sur  un  monument.  —  Inscription 
de  Tl'os  (Corpus,  3045),  transcrite  par  M.  Egger  dans 
l'Appendice  de  ses  Latini  sermonis  vetustioris  reliquiœ 
selectœ,  1843,  p.  373. 

—  Quand  il  s'agit  des  choses  sacrées.  —  Dcnys,  II,  72. 

—  Perses  réfugié  dans  l'asile.  —  SallusLe,  Lettre  de 
Mithridate. 

Page  59.     Les  prescri^Hions  imposées  au  Flamen.  —  Polybe, 
XXI,  10,  et  Gellius,X,  15.  Tertullien,  Prescr.  40. 

—  Toutes  les  prières  sont  dictées. —  Athénée,  VI,  p, 274. 

—  Cette  parole  de  Virgile. —  Enéide,  VI,  850. 

—  Tout  culte  privé  ou  public.  —  Tite-Live,  I,  20. 
Page  60.    Des  prêtres  à  Rome.  —  Denys,  VII,  38. 

—  Au  caractère    de  prêtre.  —   Tite-Live,  XXVII,  S. 

—  Dans  son  livre  sur  la  propriété  rurale.  —  De  Rt 
rustica,  143. 

Page  61.    On  lit  des  prescriptions  comme  celle-ci.   —  Voir  le 
texte  dans  le  livre  de  M.  Egger  cit<1  tout  à  l'heure. 

—  Ni  romains  ni  soiunis  à  Rome.  —  Cette  étude  sur 
l'époque  de  Cicéron  ayant  paru  dans  la  Revue  contem- 
poraine en  août  1868,  M.  Félix  Robiou,  qui  tient  un 
des  premiers  rangs  parmi  les  érudits  de  l'école  catholi- 
que, publia  dans  la  môme  Revue,  en  avril  1869,  un  article 
où  il  combattit  mes  idées,  en  me  traitant  d'ailleurs  per- 
sonnellement avec  toute  la  courtoisie,  et  môme  la  faveur 
d'un  ami  de  trente  années.  Il  ne  me  contredisait  pas  sur 
tel  ou  tel  fait  particulier,  mais  sur  ce  qu'on  peut  appeler 
les  faits  généraux;  et  il  n'y  a  rien,  il  faut  l'avouer,  qu 
prêle  davantage  à  la  dispute.  Les  faits  généraux  sont  des 
ensembles,  oîi  se  trouvent  réunies  les  diversités  et  même 
les  contradictions  apparentes.  Ainsi  il  est  vrai,  comme  le 
lit  M'i  Robioi;,  et  je  l'avais  dit  aussi,  que  Rome  n'impo- 
sait pas  sa  religion  à  ses  sujets  étrangers,  et  qu'ils  pou- 
\aient  tous  adorer  librement  leurs  dieux,  que  les  Romains 


NOTES.  34i 

rcspcclaiont  eux-mènics.  Mais  il  est  (?galcmenl  vrai  que 
Rome,  je  veux  dire  l'auioriliî  romaine,  n'aimail  pas,  au 
milieu  des  siens,  ce  qu'elle  appelait  les  siiperslilions  étran- 
gères; et  qu'au  contraire  les  opprimés  de  toute  espèce, 
plèbe,  affranchis,  esclaves,  femmes,  embrassaient  voloiiliors 
ces  superstitions,  précisément  parce  qu'elles  les  séparaienl 
de  leurs  maîtres,  et  qu'ils  trouvaient  là  une  sorte  d'indé- 
pendance. C'est  par  des  antinomies  de  cette  espèce  qu'il 
faut  expliquer,  en  général,  le  désaccord  qui  parait  entre 
le  tableau  de  M.  Robiou  et  le  mien.  —  M.  Robiou  avait 
déjà  traité  ces  questions,  en  1832,  dans  un  travail  intitulé, 
de  l'' Influence  du  Stmcisme  à  V époque  des  Flaviens  et 
des  Antonins. 

Page  61.  Polybe  reproche  à  ses  maîtres.  —  Dans  Cicéron,de 
Republiea,  IV,  9. 

Page  62.  Se  prévaloir  de  la  religion,  comme  dit  Montesquieu. 
—  De  rEsprit  des  lois,  XX,  7. 

—  Urbi  et  orbi.  —  Le  vers  cité  en  note  est  d'Ovide, 
Fastes,  II,  684.  Quand  nous  disons,  le  monde  romain, 
c'est  une  expression  des  Romains  eux-mêmes  (Dion,  LUI, 
26,  etc.) 

—  A  vous,  citoyens,  dont  la  puissance.  —  Cicéron,  pro 
C.  Rabirio,  2. 

—  C'est  là  qu'un  roi  suppliant.  —  Salluste,  Jugurtha^ 
14. 

Page  63.  Que  celle  de  la  destruction  du  monde.  —  Cicéron, 
dans  Augustin,  de  Ciuitate  Dei,  XXII,  6. 

—  Comme  Cicéron  aimait  à  le  croire.  —  Tusculanes, 
VI,  2  ;  de  Oratore,  II,  37. 

Page  64.  Dans  un  portrait  où  nous  aimons.  — Cité  parGellius, 
XU,  4. 

—  Son  Télamon  parlait.  —  Cilé  par  Cicéron,  de  Divv- 
natione,  II,  50. 

—  Je  ne  me  soucie  ni  d'un  augure  Marse.  —  Ibidem, 
I,  58.  ♦ 

Page  65.  Un  poëme  qui  portait  le  titre  d^Èpicharme.  — 
Cité    par  Varron,    de  Lingua  latina,  V,  6o. 

—  //  traduisait  le  livre  d^Évémère.  —  Voir  Lactance, 
I,  H. 


344        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Page  65.     (En  note).  La  religion  consiste.  — Cicéron,  Rheto- 

rica   (ou,   de   Inventione),  II,  22;     Polybe,  III,  H2,  et 

VI,  56. 
Page  66.     Sur  U  rapport  de  Marcus  Pomponius.  —  Gellius, 

XV,  n. 
Page  67.    Les  Athe'niens  avaient  choisi.  —  Gicéron,  de  Ora^ 

tore,  II,  37,  etc. 

—  Que  les  célèbres  Douze  Tables.  —  Cicdron,  de  Ora~ 
tore,  I,  44. 

—  Telle  oraison  funèbre.  —  Cicéron,  de  Senectute,  4. 

—  Pour  n'être  pas  choqués  du  bavardage.  —  Cicéron, 
de  Oratore,  II,  14,  et  4. 

—  Une  scène  de  VAntiope  d'Euripide.  —  Cicéron,  de 
Oratore,  II,  37,  et  Rhetorica  ad  Herennium  (livre  attri- 
bué à  Cicéron),  II,  27. 

Page  68.    Les  maîtres  étaient  les   Romains.  —    Cicéron,    de 
Oratore,  III,  34. 

—  Que  cette  belle  sagesse  n'avait  pas  profité.  —  Sallustc, 
Jugurtha,  85. 

Page  69.    Au  témoignage  de  Polybe.  —  Livre  XXXII,  13. 
Page  70.     Cicéron  nous  parle  d'un  certain   Gellius.  —   De 

Legibus,  I,  20. 
Page  71.    Polybe,  en  parlant  ainsi.  —  Livre  XIII,  5. 

—  Nobilis  libros  Panœti,  a  dit  Horace.  —  Carmina^ 
I,  29. 

Page  72.     U71  certain    Amafinius.  —    Cicéron,    TusculaneSy 
IV,  3. 

—  Le  savant  Varron.  —  Voir  sur  Varron  l'excellent 
livre  de  M.  Boissier,  Étude  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
Varron,  1861. 

—  A  partir  de  lui,  le  trésor  de  la  philosophie.  — 
Avant  lui,  la  philosophie  était  si  peu  populaire  à  Rome, 
qu'on  a  remarqué  que  les  mots  de  philosophie  et  de  phi- 
losophe ne  sont  pas  employés  dans  les  Discours  publics 
de  Cicéron,  pas  même  dans  ce  passage  du  pm  Murcna 
où  il  plaisante  assez  longuement  sur  la  docirine  des  Sloï- 
ques.  Le  nom  de  philosophe  se  trouve  une  seule  fois, 
dans    le   Discours   in  Pisonem,  qu'il  prononça  quand  il 


NOTES.  345 

avait  déjà  cinquante  ans,  et  où  il  met  en  scène  un  phi- 
losophe de  profession. 
Page  73.  Tant  la  religion.  —  Tanlum  religio  potuil  suadcre 
malorum.  I,  102.  Le  vers  de  Corneille  (qu'il  faut  lire  : 
Nous  t'n  avons  beaucoup  pour  cire  de  vrais  dieux)  est 
dans  Polycucte,  acte  IV,  scène  vi. 

—  Varron   avait    fait  le  dénombrement.  —  Voir   saint 
Augustin,  de  Civitate  Dei,  VI,  9. 

—  On  ne  voulait  plus  croire.  —   Gic(5ron,  Acadcmica, 
II,  38. 

—  Ni  faire  du  mal.  —  Cic(?ron,   de  Officiis,  II,  3. 

—  La  peur  des  enfers.  —  Cicéron,  pro  Roscio,  24; 
pro  Cluentio,  61  ;  de  Natura  deorum,  II,  2  ;  Tuscu- 
lancs,  I,  6;  Lucrèce,  III,  991. 

—  Que  des  symboles  d'une  divinité  unique.  —  Cicé- 
ron,  de  Natura  deorum,  II,  24. 

Pa^e    74.    Que    les  astres  n'étaient    qu'une   matière.  —  Ci- 
céron,  de  Natura  deorum,  III,  4;  Lucrèce,  V,  117. 

—  Les  doutes  s'élevaient  de  tous  côtés.  —  Lucrèce,  VI", 
85  et  280. 

—  On  relevait  impitoyablement.  —  Cicéron,  de  Rc- 
publica,  III,  6. 

—  De  préjugés  bons  pour  le  peuple.  —  Cicéron,  de 
Natura  deorum,  I,  22. 

—  On  n'était  pas  dupe  des  images.  —  Varron,  dans 
Augustin,  de  Civitate  Dei,  IV,  31 ,  et  Cicèron,  de  Na- 
tura deorum,  III,   15. 

—  Prenaient  en  pitié  Vidololatrie.  —  Le  pocle  Luci- 
lius  avait  donné  l'exemple  de  ce  mépris  dans  des  ver» 
qu'un  Père  de  l'Église  nous  a  conservés  (Lactance,  I,  22). 

—  Les  dieux  véritables  et  les  faux  dieux.  —  Cicé- 
ron, de  Natura  deorum,  II,  1;  voir  aussi  Baruch,  vi, 
58.  Le  mol  hébreu  que  l'on  traduit  par  non  dieux  [Deu. 
téronome,  xxxii,  17),  est  tout  autre  chose;  j'y  revien- 
drai en  parlant  des  Juifs.  Quand  M.  Bréal  a  dit  :  t  Pour 
l'antiquité,  il  n'y  eut  jamais  de  faux  dieux  (Hercule  et 
Cacus,  p.  37)  »,  il  entendait  parler  du  peuple,  non  des 
philosophes. 


346        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Page    76.    Varron  de  son  côté.  —  Dans  Augustin,  de  Cicitaîe 
Dei,  VII,  9. 

—  Il  condamnait  même  les  sacrifices.  Je  ne  retrouve 
pas  le  passage  que  j'ai  eu  en  vue. 

Page    78.    Cest    le  témoignage  de  Cicéron.  —  De  Xatura 
deorum,  II,  2. 

—  Célébrant  à  la  fois  en  plein  Forum  —  Pro  Lcge 
manilia,  16. 

—  Ici,  c'est  la  Diane  de  Ségeste.  —  Verrines,  IV,  35. 

—  Là  il  nous  montre  Enna.  —  Ibidem,  49. 

Page    79.    La   vengeance   de    Jupiter   Stator.    —  Première 
Catilinaire,  13. 

—  Il  semble  que  les  dévotions  de  toute  espèce.  — 
Cicéron,  de  Finibus^  H,  20. 

—  La  Fièvre  a  des  temples.  —  Cicéron,  de  Legi- 
bus,  II,  il. 

—  Nous  trouvons  dans  une  rhétorique.  —  Cicéron 
Rhetorica,  I,  53. 

Page    80.    Les  livres  de  la  Sibylle.  —  Cicéron,    de  Divina- 
tione,  I,  43. 

—  Suivant  Salluste.  —  CatUina^  47. 

—  Les  dieux  font  baisser  le  prix  du  blé.  — Cicéron, 
pro  Domo,  6.  Voir  aussi  Troisième  Cafj/t/iajre,  8.  Quant 
aux  songes  de  son  exil,  il  n'en  parlait  qu'en  vers  :  voir 
le  de  Divinatione,  I,  28  et  H,  66. 

Page    81.    Je  l'avoue,  sénateurs.  —  Au  chapitre  ix. 
Page    83.     Car    Pompée    était    sensible.     —    De    Divina- 
tione, II,  24. 

—  Qu'un  rameur  de  Rhodes  avait  prophétisé.  — 
Ibidem,  I,  32. 

—  On  racontait  que  César.  —  Ibidem,  I,  52. 

—  Un  de  ses  amis,  Cécina. —  Lettres  ad  diversos,  VI, 
6. 

—  Cette  science  était  déposée.  —  De  Divinatione, 
I,  33.     ' 

Page    84.    Aucune  observation  à  ce  récit.  —  Lettres  ad  di- 
versos, X,  12, 

—  Puisque  déjà  Eudoxe.  —  De  Divinatione,  II,  42. 


NOTES.  347 

Élail-ce  de  l'asirologin  que  ce  que  pratiquaient  les  Égyp- 
tiens, d'après  Hérodote,  II,  82? 
Page  Si.     Dont  on  ne   tirât  l'horoscope.  —  De  Divinatione, 
U,  47. 

—  Qu'on  avait  aussi  tire  le  sien.  —  Tusculanes, 
I,  40. 

—  évoquaient  ainsi  les  âmes.  —  Tusculanes,  l,  16, 
etc.,  et  cliipilre  vi  da  Discours  in  Vatinium.  Celte  su- 
perstition rcmoniail,  comme  les  autres,  aux  temps  antiques: 
voir  Hérodote,  V,  92,  et  Aristophane,  Oiseaux,  iliiO. 

—  Lucrèce  jious  les  fait  voir.  —  Livre  III,  48. 
Page  8o.      Cicéron  se  vante.  —  Ad  Atticum,  V,  21. 

—  Avaient  été  enterrés  vivants,  —  Plutarque,  Vie 
de  Marcellus,  3. 

—  Que  le  monstre  serait  brûlé  vif.  —  Diodore,  Frag- 
ments du  livre  XXXII. 

Page    86.    Et  il  y  a  dans  Livius  ou  Tite-Live.  —  Livre  XXYII, 
37;  XXXI,  12;  XXXIX,  22. 

—  Dans  un  livre  de  cette  école.  —  Celui  de  Philo- 
dùme  sur  la  Piété  (papyrus  d'Herculanum). 

—  Les  aruspices  d'Etrurie.  —  Piutarque,  Vie  de 
Sulla,  7. 

—  D'une  création  épuisée.  —  Fin  du  livre  II. 

—  Peut-être  que  V événement.  —  Livre  V,  105. 
Page    87.    Lucrèce  nous  la  montre.  —  Livre  II,  610. 

Page    88.    Dans  des  vers   de  Catulle.    —  La  pièce  qui  com- 
mence par,  Super  alla   vectus  Atys  céleri  rate  maria. 

—  L'aventure  de  ce  prêtre  de  Cybèle.  —  Diodore, 
Fragment  du  livre  XXXYI. 

Page    89.    Eunoos    ou    Euîius.  —  Diodore ,    Fragment  du 
livre  XXXIV. 

—  C'étaient  de  véritablcspossédés. — Tite-Live,XXXIX 
13. 

—  Cicéron  lui  fait  dire.  —  De  Natura  deorum 
III,  19. 

—  Et  les  femmes  de  Rome  allaient  faire.  —  Catulle 
X,  26. 

—  Le  culte  de  Miihra.  —  Piutarque,  Vie  de  Pom- 
pée, 24. 


348         LE   CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES 

Page  89.     Occupe  Rome  de  ses   druides.  —   Cicéron,  de  Di- 

vinatione,  I,  41. 
Page    90.    A  son  propre  esprit.  —  Cicéron,  pro  Balbo,  24. 

—  Le   premier  coup    de    hache.    —    Valérius,   I,    3 
ainsi  que  pour  le  fait  suivant. 

—  17/1  édit  des  consuls  avait  défendu.  —  Ttrtullien, 
Apologeticum,  6. 

Page    91.     On   savait    faire   aussi   quelque   application.  — 

Polybe,  IX,  12-21. 
Page    92.    La  télégraphie.  —  Polybe,  X,  45. 

—  Sur  les  Disciples  d'Isocrate.  —  Athénée,  VIII, 
p.  342. 

Page    93.      Ils  ne  se  souviennent  plus  de  leur  géométrie.  — 
Polybe,  IX,  21. 

—  Comme  s'î7s  y  étaient  allés.  —  De  Republica,  I, 
10,  et  Academica,  II,  39. 

Page    94.    Ne  faisaient  que  traduire  leurs   livres.  —  Slra- 
bon,  III,  p.  166. 

—  Cicéron  ayant  écrit  quelque  part.  —  Be  Repu- 
blica,  II,  4. 

—  Cicéron  est  étonné.  —  Ad  Atticum^  YI,  2. 

—  M.  Villemain  —  Dans  sa  traduction  du  de  Re- 
publica. 

Page    96.    De  supposer  des  Antipodes.  —  Livre  I,  1056. 

—  //  déclare  encore  que  le  soleil.  —  Livre  V,  565. 
Voir  aussi  le  livre  de  Philodème  sur  les  Signes  (pa- 
pyrus d'Herculanum). 

—  Cherchant  pourquoi  les  nuits  sont  longues.  — 
Livre  V,  694. 

—  Des  phases  de  la  lune.  —  Ibidem,  730. 

Page    97.    Chrysippe  avait  employé.   —   Cicéron,    de  Divi- 
natione^  I,  19. 

—  Dont  Vair  était  rempli.  —  Ibidem,  30. 

Page    98.   Avait  écrit  un  livre   sur  ces  esprits.  —  Macrobe, 
Saturnalia,  I,  23 . 

—  Il  était  obligé  d'emprunter.  —  De  Finibus,  III,  3; 
ad  Atticum,  IV,  14. 

—  Des  exemplaires  corrects.  —  Ad  Atlicum,  XI,  3^ 
4  et  5,  et  Sénèque,  de  Ira,  II,  26. 


NOTES.  349 

Page    99.  Rien  n'est  plus  aisr.  —  De  Xatiirn  deorum,  II,  22. 

—  Il  ne  faut  pas  soulecer.    —  Dans  Laclance,  II,  3. 

—  La  mythologie  des  enfers.  —  Diodore,  I,  2.   * 
Page  100.  Les    femmes  ne  philosophaient  pas.  —  Strabon,  I, 

p.   19,  et  Sénôque,  ad  Hclviam^  \vi,  10. 

—  Mais  ce  n'étaient  que  des  exceptions.  —  Comme 
Cérellia  :  voir  Cicéron,  ad  Atticum,  XIII,  21. 

—  Nous  avons  une  Lettre. —  Lettres  ad  divcrsos,  XIV, 
7. 

Page  101.    Une  parole  de  l'apôtre  Paul.  —  Première  Lettre  k 

ceux  de  Corinthe,  i,  22. 
Page  102.    Toutes  les  questions  morales.  — Cicéron,  de  Finibus, 

IV,  3. 

—  Car  on  les  regardait  comme  étant  chargés.  — 
Cicéron,    de  Legibus,  III,  11. 

—  Il  y  avait  des  livres.  —  Cicéron,  Tusculanes,  III, 
34. 

—  Sur  toutes  les  passions.  —  Ibidem,  VI,  10. 

—  Cette  science  des   difficultés  morales.  —  Cicéron, 
de  Officiis,  III,  2. 

—  L'Académie  et  le  Lycée.  —  Cicéron,  de  Divinatione, 
I,  13. 

Page    103.     On    y  marche  sur  un    souvenir.    —  De  Fini- 
bus,  V,  2. 

—  Comme  Cicéron  le  dit  encore.  —  Pro  Archia,  10. 

—  Il  nomme  les  plus  grands.  —  De  Natura  deorum, 
I,  3. 

—  Que  Diodote  est  mort  chez  lui.  —  Tusculanes,  V, 
9. 

—  Il  y  en  avait  en  effet  qui  pleuraient.  —  Pliiiodùme, 
sur  la  Liberté  philosophique  [psipyvns  d'Herculanum). 

Page     104.     Le  fils  de  Cicéron.  —  Lettres  ad    diverses,  XVI, 
21,  et  XII,  16. 

—  Une  espèce  de  fonction  publique.  —  Cicéron,  de 
liepublica,   I,  7,  el  de  Officiis^  I,  44. 

—  Des  lettres  de  consolation.  —  Lettres  ad  diverses, 
IV,  5;  V,  13  el  16.  Pour  la  noie  de  la  pige  105,  voir 
l'Évangile  de  Luc,  iv,  23. 


3oO        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

Page     105.     En  écrivant  à  un  ami  politique.  —  Lettres  aJ 

diverses,  VI,  1  et  3. 
Page    4  06.    A  son  ami  Atticus.  —  Livre  XIV,  9. 
Page    107.     Cicéron  remarque.  —  Préface   des  Paradoxa. 

—  Bans    un  passage  de   sa  Satire.  —  Cité  par  Gel- 
lius,  XV,  19. 

Page    108.     Le  culte,  pour  ainsi   dire,  de  la   conscience.  — 
Cicéron,  de  Officiis,  III,  10. 

—  Que  puisse  avoir  la  vertu.  —  Cicéron,  Tusculanes, 

II,  26. 

—  Tandis  que  Xerxès.  —  Ibidem,  V,  7o 

—  Dans  le  doute  si.  —  De  Officiis,  I,  9. 

—  Combattant  pour  la  justice.  —  Ibidem,  I,  19, 
Page    109.    Étais-je  si  ignorant  —  Pro  Sesiio,  21. 

—  Les  salutaires  tristesses  du    remords.    —  Tuscu- 
lanes, IV,  20. 

—  Où  elle  était  exposée  sont  perdus.  —  Nous  ne  de 
vons  pas  moins  regretter  la  Morale  de  la  famille  qui  était 
exposée  dans   les  Livres    de  Brutus,   au  témoignage  de 
Sénèque,  Lettre  xcv. 

—  Une  Lettre  d'Augustin.  —  La  Lettre  xci    (d'après 
l'édition  des  Bénédictins). 

Page    HO.    Le  monde  est  la  cité.  —  Cicéron,   de  Finibus, 

III,  19. 

Page    111.     Caritas  generis  humani.  —  Ibidem,  V,  23. 

—  Ailleurs  encore  :  La  j^lus  haute.  — De  Offlciis,lU, 
17. 

—  Qu'ils  sont  du  même  sang.  — Dans  Lactance,  V,  8. 

—  Si  un  homme,   dit  Cicéron.  —  De  Officiis,  Ht,  5. 

—  Ailleurs  il  va  plus  loin.  — De  Finibus,  III,  21. 
Page    112.     La  nature  veut  qu''un  homme.  —  De  Officiis,  \ll, 

6. 

—  Tout    homme    doit   à    tout  homme.    —  Ibidem, 
I,  16. 

—  D'éclairer    et  d'instruire.   —   De  Finibus,    III,  20. 

—  Faire     en  général    du    bien  aux  hommes.    —  De 
Officiis,  III,  5;  de  Amicitia,  14. 

Page     113.     Est  entré  'parmi  les  dieux.  —  Tuscxdanes^l,  14. 


NOTES.  35! 

Page  113.    Le  grammairien  Gellius.  —  Noctcs  alticœ,  XIH 
1G. 

—  Ce  sens  d'humanitas.  —  De  Officiis,  III,  23. 

—  Dieu  est     le    très-bon     —  De    Natufa  deorum 
II,  2ii. 

—  Dieu  sauveur,  hospitalier  —  De  Finibus,  III,  20. 

—  Dice'arque   avait  écrit.  —  De  Officiis,  II,  o. 
Page     114.    Des   justifications   ou    des    excuses.  —  «  C'est 

pour  proléger  ses  alliés  que  le  peujile  romain  est  de- 
venu maître  du  monde.  »  Fragment  du  De  Republica 
cité  par  Nonius,  IX;  voir  aussi  de  Officiis,  II,  8. 

—  //  déplore  et    flétrit.  —    De  Republica,    III,  19  ; 
de  Officiis,  II,  21. 

—  Si  éloquemment  contre  Verres.  —  Troisième   Ver- 
rine,  89. 

—  De  la  destruction    de  Corinlhe.  —  De  Officiis,  I, 
11,  et  III,  11. 

—  On  sort  de    soi    pour  penser  aux  autres.  —  De 
Officiis,  I,  43. 

—  Même  envers  Vesclave.  —  Ibidem,  I,  13. 
Page    lio.     Cicéron  en  voyage.  —  Tusculanes,  III,  22. 

—  Loué  à  perpétuité.  —  De  Officiis,  I,  13,  et 
Sénèque,  de  Beneficiis,  III,  22. 

—  Ou  de  battre  son  esclave.  —  De  Finibus,  IV,  20, 
et  Paradoxa,  m,  2  (et  1  ). 

Page    117.    Ami  de   la  vertu.    —  Vers   de   Boiieau,  Épitre 
X,  92. 

—  De  la  portée  d^une  femme  esclave.  —  De  Fini- 
bus, I,  4.  Digeste,  Vil,  I,  68. 

—  Hécaton,  dit-il.  —  De  Officiis,  III,  23. 

Page    118.      Qui   sont  bien  dans  leurs  affaires.  —  Pro  Scs- 
tio,  45. 

—  Leur  misère  que  leurs  attentats.  —  Seconde  Catih- 
naire. 

—  Blâmait  encore  Philippe.  —  De  Officiis,  II,  21. 
Page    119.     Que    Catilina  lui-même.  —   Sallusle,   Catilina^ 

56. 

—  Il  y  avait  ces  Cyniques.  —  Voir  le  livre  de  Phi- 


352        LE   CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

lodème  sur   les  Philosophes  (papyrus   d'Herculanum),  et 

Cicéron,  de  Officiis,  I,  35  et  41. 
Page    120.     Par  rxicemple  dans    ce  passage.    —  Tusculanes^ 

II,  17. 
Page    121.    A  l'e'loquence  de  la  chaire.  —  Surtout  dans  lefe 

Tusculanes. 
Page     123.     Que  par  leurs  chiens.  —  Cité  par  Nonius,  p.  355. 
Page    124.     Quand  elles   sont    développées.    —  TusculaneSy 

IV,  18. 
Page    125.     Ils  font  cesser  de  vivre.  —  Fables,  XII,  20. 
Page    126.     Dans  les  Tusculanes.  —  Au  livre  I,  31. 

—  [l    est  certain  qu'il    faut  mourir.  —  De    Scnec- 
tute,  20. 

—  Ce  que  Montaigne  répondait  déjà.  —  Essais^   III, 
XII,  tome  V,  p.  98  de  l'édition  de  J.  V.  Le  Clerc,  1826. 

—  Du  premier  coup  de  vent.  —  Corneille,  Polyeuctc, 
acte  IV,  scène  m  ,  et  Tusculanes^  I,  49. 

—  Que  cette    lecture   Vavait    fortifié,    —  Lettres   à 
Aiticus,  XV,  2. 

Page    127.     Ces  ascètes  de  VInde.  —  Tusculanes,  V,  27. 
Pr.ge     128.     Et  qui  s'attache  à  la  vie  comme    un  enfant.  — 
Page  365. 

—  De  la  Ménippée.  —  Cité  par  Priscien,  VI,  8. 

—  Dans  ces  préambules  des  Histoires.  —  Jugurtha,  2; 
Catilina,i  et  2. 

Page    129.     Toutes   sont  volontaires.  —  Tusculanes,  IV,  31 
et  37. 

—  Le  consentement  général.  —  Tusculanes,  I,  13. 

—  D'un  songe  de   Scipion.   —  Fragment  du  livre  VI 
de  Republica,  conservé  par  Macrobe. 

?age    131.     Horace  dit  de  la  mort.  —  Carmina,  II,  m,  27. 
Tage    132.     Aux  devoirs  envers  les  dieux.  —  Livre  II,  3. 

—  Caritas  dcorum.  —  Partitioncs  oratoriœ,  24. 

—  Que  la  société  humaine   est  détruite.  —  De  No' 
tura  deorum,  I,  2. 

—  La  loi  de  Dieu.  —  Cité  par  Laclance,  VI,  24. 

—  Rome    en    avait  fait    autant.   —    Alliénée,     VII, 
p.  547. 


NOTES.  353 

Page  132.    C'est  un  censeur  pour  le  condamner.  —  De  Fini- 
bus,  II,  10. 
Page    134.     La  philosophie,  dit-il.  —  Dans  le  Brutus,  93. 

—  Ce  livre,  dit-il.  —  Confessions,  III,  4. 

Page     135.     Je     ne  fis,  dit-il.  —  Contra  Academicos,  début 

du  livre  II. 
Page     136.     Du  péché  oriyinel.  —  Au  IV*  livre  contre  Pelage. 

—  Augustin  nous  a  conserve.  —  De  Trinitate , 
XIV,  fin. 

Page    137.     Dans  les  Tusculanes.  —  Au  livre  IV,  17. 

—  Philosophie,  lumière  de  la  vie.  —  Tusculanes,  V, 
2. 

Page  138.  On  comprend  qu'Érasme.  —  Cité  dans  le  Cicéron 
de  M.  Le  Clerc,  Préface  de  la  traduction  des  Tuscu- 
lanes, page  7  du  tome  XXVIII  (dans  la  seconde  édition). 
Je  vois  dans  le  livre  de  M.  Alfred  Mézières  sur  Pe'- 
trarque,  1868  (pages  345,  414,  416),  que  Pétrarque  pen- 
sait à   peu  prc's  déjà  comme  Érasme. 

—  Bossuet  au  contraire.  —  Dans  le  traité  posthume 
de  la  Concupiscence. 

Page  139.  Que  Cicéron  nous  représente.  —  In  Pisonem, 
29. 

—  Plus  d''un  trait  dans  ses  écrits.  —  Voir  ce  qui 
reste  des  livres  sur  la  Mort,  sur  la  Colère,  sur  la  Rhé- 
torique,   sur  la  Musique  (papyrus  d'Herculanum). 

Page     140.     Comme  par  un  naufrage.  —  Livre  V,  223. 

—  Comme  pour  Virgile    —  Enéide,  l,  462. 

Page     141.     Le   frisson  du  surnaturel.  —  Livre  III,  28. 

—  Ils  ont  beau  faire.  —  Livre  V,  1129. 

—  0  misérables  pensées.  —  Livre  II,  14. 

P.ige  142.  Doit  trouver  grâce  devant  tous.  —  Livre  V, 
1022. 

—  Un  homme  de  chez  Platon.  —  De  Petitione  con- 
sulatus,  12. 

—  Commençaient  à  reparaître.  —  Cicéron,  Timée  ou 
de    Universo,  1. 

Paç;?     143.     En  trahir   un    seul  est    un   crime.  —  Cicéron, 

Academica,  II,  U  et  43. 
Page     144.     Et  on  se   cramponne  ensuite.  —  Ibidem,  H,   3. 

II.  23 


3:;i        Ll^     CHIUSTIANISjIC    et     ses    OUIGINKS. 

Page  144.  QuHl  n'y  a  pas  d'absurdité,  —  Ynrron  dans 
Nonius,  p.  56  (au  mol  Infans),  et  Cicéron,  de  Divina- 
tione,    II,     58. 

—  A  ttaquer   la   vraie  mère.   —   Cicéren ,    Tusculanes^ 
V,  2.   C'est  là  aussi  qu'il  est  parlé  des  indifférents. 

—  Laclance  reproche  durement. — Au  livre  III,  14. 
Pao^e    145.    De  Diodote  le  stoïque.  —  Academica,  II,  36, 

—  Entre  seulement,  dit  Sénèque.  —   Lettre  xciv,  9. 
Page    146.     Ou  en  attendant  le  souper.  —  Cicéron,  Lettres 

ad  diverses,  IX,  26. 

—  Étaient   des   peuples   philosophes.   —   Strabon ,  II, 
p.  103. 

—  Voyez  comment  Diodore.  —  Livre  II,  29. 

Page  147.  Toujours  attachés  aux  mêmes  doctrines.  —  Stra- 
bon dit  au  contraire  (XVI,  p.  "739),  qu'il  y  a  beaucoup 
de  sectes  diverses  chez  les  Chaldéens.  Pour  la  noie, 
voir  les  Histoires  diverses,  II,  31. 

Page  149.  Un  nouveau  temple.  —  Jo-eph,  Antiquités,  XIII, 
in,  1,  et  Guerre  de  Judée,  VII,  x,  2.  Voir  aussi  le  pre- 
mier livre  des  Macchabées,  chapitre  vr. 

—  Des  milliers  de  Juifs.   —  Joseph,  Guerre  de  Judée, 
I,  VIII,  3. 

—  Des    citoyens   romains.    —  Philon ,   V Ambassade   à 
Caligula,  23,  p.  568. 

Il    y    avait    partout   des  Juifs.   —  Philon,    contre 

Flaccus,  6,    p.    523  ;  V Ambassade,  31  et  36,  p.    577  et 
587.  Voir  aussi  les  Actes  des  apôtres,  ii,  9. 
Page    150,    Si  on  en  croit  Plutarque.  —  Vie  de  Cicéron,  7, 
Page    151,     Voilà,  dit-il.    —  Au    chapitre  8;   pour  la  note 
de  kl  page  suivante,  voir  le  Discours  de  Provinciis  con- 
sularibus,  5. 
Page    153.    Prœcipueque  Judœi,    dit  Suétone. —  Vie  de  Cé- 
sar, 84. 

—  Le  docte  Varron.    —  Dans  Augustin ,   de    Civitate 
Dei,  IV,  31. 

—  C'est  Tacite  qui  en  témoigne.  —  Histoires,  V,  9. 
Page    155.     C'est  le  mot  même  de  Tacite.  —  Ibidem,  V,  5. 

—  Pour  moi  que  tu  reliens.  — llacine,  Esther,  acte  1°'', 
scène  iv. 


NOTES  355 

Page  155.     Dans  un  vers  fameux.  —  Bucoliques^  i,   67. 

Page  157.  Le  ccsarisme  resta  définitivement,  établi.  —  Un 
^  exposé  rapide  ,  mais  irùs-plciii  cl  supérieuremeni  ir.icé, 
de  l'étal  moral  du  monde  romain  au  l«mps  des*Césa's, 
renij)lil  le  chap  tre  xvii  du  livre  de  M.  Ronan,  les  Apôtres, 
1866.  —  L'ouvra^^»  de  M.  Franz  de  Chaiiipa;,fny,  les  Cé- 
sars, histoire  des  Césars  jusqu^ à  Néron,  i  vol.  1843,  osl 
plus  utile  à  lire  pour  l'histoire  profane  que  pour  l'histoire 
religieuse.  L'auteur  n'a  rien  oublié  de  co  que  fournisseni 
les  livres  grecs  el  latins.  Il  expose  l'histoire  de  l'Empire 
d'une  manière  trcs-iniéressante,  et  aussi  très-judicieuî.-? 
en  tout  ce  qui  ne  touche  pas  aux  choses  sacr(?es.  Mais 
toute  critique  l'abandonne  dès  que  le  Christianisme  est  en 
cause,  ou  même  une  certaine  foi  politique  qui  est  encore 
pour  lui  une  espèce  de  religion. 

—  //  dit  seulement.  —  Annales,  I,  2. 
Page    158.     Tacite  encore.  —  Ibidem,  I,  9. 

—  Une  phrase  de  Sénèque.  —  De  Ira,  II,  5 ,  et 
Tacite,  Annales,  III,  68. 

—  Sous  Trajan  encore.  —  Pline  le  jeune,  Lettres, 
II,  H,  el  Juvénal,  i,  50. 

—  Demeurait  dans  le  deuil.  —  Je  citerai  ici  M.  Duruy, 
État  dumonde  romain  vers  le  temps  de  la  fondation  de 
VEmpire,  1853,  p.  238  :  «  Je  vois  l'arislocratio  s'en  aller, 
mais  je  ne  vois  pas  la  démocralio  venir.  Auguste  passera 
son  règne  à  mettre  des  distinctions  dans  la  suciélé  ro- 
maine, à  parquer  chacun  dans  une  classe  et  à  imposer  à 
chaque  classe  un  costume.  Le  droil  romain  sous  l'Empire 
ira  se  rapprochant  chaque  jour  davantage  de  la  loi  naturelle  ; 
mais  il  gardera  des  peines  différentes  pour  les  riches  et 
pour  les  pauvres.  Les  empereurs  s'appelleront  la  loi  vi- 
vante, lex  animata,  et  ils  fouleront  aux  pieds  le  pairiciat 
romain  ;  mais  ils  pousseront  toutes  les  municipalités  à 
une  organisation  arislocraliquc,  el  cet  Empire,  qui  inau- 
gure, dit-on,  la  démocratie,  l'égalité,  finira  par  l'immense 
hiérarchie  de  Constantin.  » 

Page     160.     Du  chef  breton  Galgacus.  —  Aijricola,  30. 

—  Ils    s  en    vont    emportant.  —   Horace ,    Carmina , 

II,   Will. 


336        LE    CHRISTIANISME    ET     SES     ORIGINES. 

Page  160.  D'où  le  riche  guette  ses  aubaines.  —  Sénèque  le 
père,  Controversiœ,  Extraits,  VllI,  vi,  p.  430  de  l'éditioa 
de  Bursian. 

Page  161.  Et  que  le  monument  d'Ancyre.  —  Le  texte  le  plus 
complet  de  l'Inscription  d'Ancyre  est  celui  qu'on  doit  aux 
découvertes  de  M.  Georges  Perrot,  et  qui  a  été  établi  et 
publié  par  M.  Mommsen.  M.  Perrot  lui-môme  a  donné 
le  fac-similé  de  l'Inscription  dans  les  planches  de  son 
Exploration  archéologique  de  la  Galatie  et  de  la 
Bithynie,  1862.  11  a  donné  aussi  (dans  le  texte  de 
cet  ouvrage)  la  première  traduction  française  qui  ait  été 
faite  de  ce  monument. 

—  C'est  sous  Auguste  aussi  qu'on  décide. —  Par  un  séna- 
tus-consulte.  Voir  le  juriconsulte  Julius  Paulus,  Sen- 
tentiœ,  livre  III,  v. 

—  Est  confirmée  sous  Néron.  —  Tacite,  Anna- 
les, XIV,  32. 

—  Dans  des  bagnes,  ergastula.  —  Voir  Columelle, 
1,6. 

Page    162.    Par  tout  Vunivers.  —  Ovide,   Nux,  145. 

—  Détrempée  avec  du  sang.  —  Suétone,  Vie  de 
Tibère,  57. 

Page    163.     (En  note)  Si  dominum.  —  Lucain,  VII,  646. 

—  Et  à  adorer  comme  à  servir.  —  Je  citerai  ici  une 
belle  Élude  de  M.  Gustave  d'Eichthal ,  de  l'Invasion  du 
mysticisme  dans  les  sociétés  antiques.  Elle  forme  le 
n»  2  du  paragraphe  vi  du  chapitre  V  dans  l'Introduction 
au  livre  intitulé,  les  Évangiles,  2  vol  in-8°,  1863  (chez 
Ilachelle). 

—  Va  grandissant  tous  les  jours.  —  Voir  à  ce  sujet  le 
témoignage  de  Vitruve,  IX,  vi,  2.  Levers  de  Virgile  est 
bien  connu  {Géorgiques,  II,  490).  Le  critique  cité  en 
note  est  M.  Charles  Thurot. 

—  Il  n'y  a  rien  après  la  mort.  —  Les  Troyennes,  401. 
La  crédulité  antique.  —  Sénèque,  de  Constantia,  2. 

Page  164.  Ei  arraché  à  Jupiter  son  tonnerre.  —  Mani- 
lius,  I,  101.  Le  vers  de  Boileau  est  dans  sa  première 
Satire,  102 


NOTi:S.  357 

Page  164.  Ce  que  je  sais.  —  Sénèque  le  père,  Controver- 
siœ,    I,  III,  p.  79. 

—  On  mettait  en  doute.  —  Ibidem,  p.  81. 

—  A   plus   forte     raison    la    divination.     —    Ibidem^ 
Suasoriœ,  m,  4,  p.  20  et  22. 

—  Et  les  songes.  —  Pétrone,  104. 

—  Avec  une  cérémonie.  —  Ovide,  Fastes,  II,  33. 

—  Je  sais,  disait  Tite-Live.  —  Livre  XLIII,  13. 

—  Sa   personne   et  sa    maison.     —    l'roperce,    III,   xi 
(IX  dans  d'autres  éditions. )Voiraussi Ovide,  rrii^eA',11,287. 

—  Et  un  poëte  plus  grave.  —  Manilius,  III,  36. 

Page  165.  Et  le  gouvernement  des  choses  saintes.  —  Dion, 
LUI,  17.  Et  pour  la  noie,  Ovide,  Fastes,  III,  421.  Voir 
aussi,  pour  tout  cet  alinéa,  l'Inscription  d'Ancyre. 

—  //   releva  les    édifices    sacrés.  —  Horace,  Carmina, 
III,  VI,  et  Ovide,  Fastes,  II,  63. 

Page  166.  Pour  la  consacrer  comme  Vestale.  —  Suétone, 
Vie  d'Auguste,  30  et  31. 

—  Des  prières    pour    V Empereur.     —  Cela    se    faisait 
déjà  pour  les  rois  de  Perse  (Hérodote,  I,  132). 

—  Dion  a  très-bien  exprimé.  —  Au  livre  LU,  36. 

—  Dans  ses  Mémoires.    —    Guerre  des    Gaules,    I,     12 
et  15,    et  Guerre  civile,  III,  33  et  105. 

—  Horace  n'était  pas  dévot.  —  Carmina,  l,  34,  et  Sa- 
tires, I,  V,  19. 

Page    167.    En   plein  Art  d'aimer.  —  Livre  I,  G37. 

—  Tibulle  se  plaît  à  étaler.  —  Livre  I,  i  et   v. 

Page  168.  //  a  consacré  par  une  autre  pièce,  etc.  — Car- 
mina, IV,  VI  ;   I,  xxr,  III,  vi. 

Page  169.  Déjà  dans  les  Géorgiques.  —  Voir  II,  473  et  I, 
498. 

—  Continuellement  par  la  main.  —  Livre  III,  262. 
Page     170.    Sur    ce    bouclier   d'Énée.    —  Livre  VIII,     679, 

698,  714.  Pour  les  citations   de    l'alinéa  suivant,  voir  I, 
il;  X,  607;  VI,  266,  278,  433,  620,    563.    Pour  justa 
Venus,  voir  la  Pharsale,  V,  728. 
Page    174.    Jnregno  nati  sumus.  — Sénèque,  de  Vita  beata, 
lo,  et  Lucrèce,  II,  1091. 


338         LE   Cîir.ISTIANlS?.îE   ET   SES  ORIGINES. 

Pago  174.     Divinitus.  —  Sn'ncque  le  père,  Confrouers icp,  VII, 
XVI,  p.  187,  ligne  25,  ol  p.   193,  22. 

—  Tout  est  plein  de  Jupiter.  —  Virgile,  Bucoli- 
ques, III,  60. 

—  Que   chantcrais-je  ?    —  Horace ,  Carmina,  I,  xii. 

—  Cachées  sous  des    figures.    —  Manilius,  II,  428. 
Page     175.    Vordre  universel  du  monde.  — Manilius,  I,  519, 

el  II,  80. 

—  Ou  s'il  se  l'était  faite  à  lui-même.  —  Sénèquc, 
Quœstiones  naturales,  I,  Préface,  14.  Un  passage  de 
Cicéron  (cilé  par  Lactance,  II,  8)  montre  qu'il  n'adop- 
tait pas  cette  idée,  mais  témoigne  aussi  qu'on  s'en  élait 
avisé   déjà,  et  qu'elle  avait  des  partisans. 

—  Non    le    sacrifice.     —     Ces     quatre    citations   sont 
d'Horace  :  Carmina,  III,  iv,  vi,  xvi,  xxiii. 

—  Rien  ne  meurt  que  le  corps.  —  Sénèque  le  père, 
Suasoriœ,  vi,  p.  23. 

—  A  rimage  des  dieux.  —  Ovide,  Métamorphoses , 
I,  89. 

Page  176.  Dieu  même  qui  se  cherche.  —  Manilius,  II, 
106. 

—  Le  temps  dont  parle  Musset.  —  Au  commen- 
cement de  Rolla. 

—  Par  les  prodiges  et  les  miracles.  —  Denys,  I,  77 
et  VIII,  36,  et  Plutarque,   Vie  de  Brutus,  36. 

Page  177.  M.  Michclet  l'a  jugé  d'un  mot.  —  Dans  son  Histoire 
romaine,    mais  je  ne  me  rappelle  plus  en  quel  endroit. 

Pago  178.  Il  remplit  des  pages.  —  Voir  XXI,  62  ;  XXXV, 
21;  XX VU,  33. 

Page  179.  L'histoire  du  coup  de  foudre.  —  Suétone,  Vie 
d^ Auguste,  97. 

—  Bien  des  espèces  de  divination.  —  Virgile,  Enéide^ 
X,  176;  Properce,  IV,  i;  Manilius,  I,  89. 

—  Auguste  voua   aux    dieux.  —  Dion,  LV,  31 
Page    180.     Du  temps  de  Caligula.  —  Dion,  LIX,  9. 

—  Horace   dit   a   Leuconoé.   —   Carmina,    \,   xi  ;    II, 

XVII. 

—  Mortels,    dit    Properce.  —  Livre  II,  xx,  59. 


NOTES.  359 

Page  180,  Di  mandait  h  V astrologie  des  espérances. — Sénèque, 
de  Morte  Claudii,  3. 

—  Auguste,  dit-on,  défendit.  —  Dion,  LVI,  25. 

Page  181.  Par  le  poëme  de  Mavilius.  —  Voir  parliculiôrc- 
nicnl  IV,  3;  II,  127;  IV,  823,  924,  363,  184.  Voir 
aussi  Pascal,  Pensées^  xvi,  1  (p.  439  du  manuscrit 
autographe) ,  et,  pour  la  noto,  Louis  Racine,  au  début 
de  son    poëme    de    la   Religion. 

Page  182.  Et  niistoirc  de  Thrasylle.  —Tache,  Annales.Yl, 
21-22, et  II,  32. 

Page    185.     La    Canidie  d'' Horace.  —  Épodes,  v. 

Page  186.  Car  le  grand  troupeau  des  femmes.  —  Strabon,  I, 
p.   19. 

—  Un    vers  de  Properce.  —  Livre  IV,  xi,  18. 

—  Nec  mortis  pœnas.  —  Ibis,  186. 

Page     187.     Par  le  feu,  est  dans  Virgile.  —  Enéide,  Y],  742 
et   Sénèque,  ad  Marciam,  26. 

—  Ainsi  les  mânes  de  Virginie.  —  Tite-Live,  III,  58, 
et  Virgile,  Enéide,  I,   354. 

Page  i88.  On  plaisantait  là-dessus.  —  Sénèque,  de  Dc- 
neficiis,  VII,  21. 

—  Ovide  chantait  la  métempsy chose.  —  Métamor- 
phoses, XV,  58.  Le  poëme  à  Messala  se  trouve  parmi 
les  poésies  de  Tibulle,  IV,  i. 

Page     189.     Au  temps  des  Géorgiques.  —  Livre  I,  300. 

—  Dans  les  vieux  livres  de  la  Bible. — Isa'ie,L\\,  17. 

—  Des  cérémonies,  des  ablutions. —  Titc-Live,  XL,  13, 
et  Ovide,  Fastes,  V,  192  et  681,  et  II,  45. 

Page    190.     Sur  un  héritier  innocent.  —  Horace,  Carmina, 

III,  II,   et  I,  XXVIII. 
Page       191.     Casta  placent  superis.  —  Tibulle,  H,  i,  13. 

—  Une  Veatale  est  accusée.  —  Sénèque  le  père,  Con- 
troversiœ.  Extraits,  VI,  vin,  p.  408.  Voir  ensuite  Con- 
troversiœ,  I,  ii,  p.  76.  J'ai  pris  les  légendes  des  s,ainles 
Agnès  et  Théodore  dans  les  Acta  martyrum  de  Ruinart, 
p.  505  et  427. 

Page     192.     Le  loup-garou,  les  stryges.  —  Voir  Virgile,  Duco^ 

liqucs,  VIII,  97;  Ovide,  Fastes,  VI,  133;  Pline,  VIII,  34. 
Page     193.     Et  plein  des  dieux.  —  Titc-Live,  V,  32. 


360         LR   (JllUISTlAMSME  ET  SES  ORIGINES. 

Page  193.     L'image  des  dieux  lares.  —  Ovide,  Fastes,  V,  45. 

—  Les    Vestales     offraient.     —     Horace,     Carmina,  I, 
II,  26;  el  Dion,  XLVIII,  19. 

—  Prœfatus   divos.  —   Enéide,     XI,  301,   et  Pline    le 
jeune,  Panégyrique,  1. 

—  Le  sénat  leur  offrait  V encens.  —  Dion,  LIV,  30. 
Page     194.     (En  noie)  Civitasreligiosa.  —  Tite-Live,  XXXI,  9 

(et  XXXVI,  36). 

—  A  la  condition  du  succès.  —  Suétone,  Vie  d'.iur- 
guste,  23. 

—  Cette   cérémonie^  qu'il    a    décrite.   —  Livre    II,  23. 

—  S'en  allaient  pieds  nus.  —  Pétrone,  44. 

—  En  grande  pompe  au  Capitale.  —  Ovide,  ex  Ponto^ 
IV,  IV. 

—  Et  aussi  pour  Claude.  —  Dion,  XLIII,  21,  et 
LXXX,  23. 

—  It  per  velatas.  —  Ovide,  Amorcs,  III,  xiii,  12. 

—  Que  Denys  nous  a  décrite.  —  Livre  II,  70. 

^age  195.  Une  phrase  de  Valérius.  —  Livre  I,  i,  8,  et 
Tite-Live,  VI,  41. 

Page  196.  Ils  disent  :  Tant  que  subsistera.  —  Horace,  Car- 
mina, III,  XXX ;  Virgile,  Enéide,  IX,  448. 

—  Quoi  !  dit  Horace.  —  Carmina,  III,  v. 

—  His  ego  nec  metas.  —  Enéide,  I,  278,  et  Manilius, 
IV,  691. 

—  Supra  homines,  supra  ire  deos.  —  Enéide,  XII,  838. 
Page     197.     Famam,   Roma^  tuœ.  —  Properce,  III,  xxi,  20, 

et  Enéide,  VII,    202. 
Page    197.     Qui  était  le  fond  de  Vesprit romain. — Tite-Live, 
IX,  29. 

—  Le  personnifiait  dans  le  César.  —  L'apothéose  avait 
commencé  par  César  lui-même  (Suétone,  Vie  de  Césarj 
76). 

Page  198.  Ni  dans  l'Italie.  —  Tacite,  Annales,  IV ,  37,  et 
Dion,  LI,  20.  Lé  texte  cité  par  Bourdaloue  est  dans  la 
préface  de  Valérius.  —  On  trouve  au  numéro  2489 
du  Recueil  d'Orelli  une  Inscription  par  laquelle  la 
ville  de  Narbonne  consacre  un  autel  à  Auguste  vivant, 
et  règle  les  sacrifices  qui  seront  faits  sur  cet  autel.  Dans 


NOTES.  3ei 

celle  Iiiscriplion,  Aiigusle  n'est  jamais  appelé  dieu;  or; 
invoque  seulement  ce  qu'on  appelle  numen  Augusti, 
expression  qui  doit  se  traduire  plutôt  par  celle  d'une 
influence  divine  qui  se  manifesle  dans  Auguste  que  par 
celle  de  divinilé.  Maijna  vis  est,  dit  Cic(jron  ,  maf/num 
numen,unum  et  idem  sentientis scnatu8{Pliilii)piques, lll, 
13).  Numen  a  pris  plus  de  force  au  icinps  de  l'Iine 
le  jeune  (Panégyrique^  2). 
Page  199.  Presque  des  dieux,  penc  deos.  —  Manilius,  V, 
347. 

—  A  celle  des  lares.  —  Horace,  Carmina,  IV,  v. 

—  Le  poëte  des  Métamorphoses.  —  Au  livre  VI, 
170.  Voir  aussi  ex  Ponte,  I,  i,  55,  et  Corpus,  4240    d. 

Page    200.    Du  Palatin  devaient  mourir.  —  Pline  le  jeune. 
Panégyrique,  78.  Voir  le  psaume  Lxxxi. 
—     Lorsque  Pline  disait  à    Trajan  —  Panégyrique,  2. 

—  Telle  Inscription  même.  —  Corpus,  3524. 

—  Avec  César  pour  second.  —  Horace,  Carmina,  I, 
XII,  et  Pline  le  jeune,  Panégyrique,  80  ;  voir  aussi  la  Po- 
litique de  Bossuet,  III,  ii,  4. 

Page  201.     Regum  timendorum.  —  Horace,  Carmina,  III,  i. 

—  Qu'on  appelait  des  parricides.  —  Valérius,  VI,  iv,  5. 

—  Di  conjugales.  —  Sénèquc,  premier  vers  de  la 
Médée,  et  Ovide,     Héroïdes,  ii,  41. 

Page  202.    Et  voici  le  discours.  —  Enéide,  V,  46. 

—  Firent  par  testament  sous  Auguste.  —  Suétone,  Vie 
d'Auguste,  59. 

—  Ovide  nous  fait  voir.  —  Hérotdei,  vu,  99,  et 
Fastes,  II,  533. 

Page  203.     V'ot'ci  dans  Ovide  encore.  —  Tristes,  III,  xiu. 

—  A  des  heures  réglées.  —  Horace,  Carmina,  IV,  i, 
25. 

—  On  sacrifie  quand  on  s^embarque.  —  Enéide,  V,  776. 

—  Ont  des  dieux  pour  patrons.  —  Horace,  Carmina, 
I,  XIV,  10,  et  Pétrone,   105. 

—  Du  lieu  qu'on  aborde.  —  Enéide,  III,  697. 

•—  Pour  U  retour  d^un  ami.  —  Horace,  Épitres,  I, 
III,  36. 

—  Quandon  estamoureux.  — Horace,  Carmina,  I,  xix,  16. 


362  L'^   CHRISTIANISME  ET   SES   ORIGINES. 

Page  204.     Sont   marquées   par    des   sacrifices.  —     Horace^ 
Carmina,  I,  iv. 

—  Et  il  décrit  la  solennité,  —  Géorgiques,  1,  338. 
Voir  Ovide,  Fastes,  I,  663.  Voir  encore,  pour  ce  qui 
suil,  Fastes,  II,  659,  et  VI,  311. 

—  Et  le  bœuf  lui-même.  —  Horace,  Carmina,  HT,  xviii. 
En  note,  Ovide,  Fastes,  II,  659. 

—  Plus  tard  Columelle.  —  Livre  II,  22,  et  I,  8, 
Page  205.     Comme   la   Bandusie   d'Horace.  —  Carmina,  III, 

XIII. 

—  Nam  veneror.  —  TibuIIe,I,  i,  H, 

—  La  prière  à  Paies.  —  Au  livre  IV,  747.  Et,  pour  la 
note  de  la  pnge  suivante,  Lncrêce,  IV,  582. 

Pagp  206.     Ovide  exilé  nous   peint.    —    Tristes,  î,  m,    43, 

ei  ex  Ponto,  III,  i,  1§1. 
Page  207.     La  terre  amie  en  la  touchant.  —  Plutarque,   Vie 

d'Antoine,  49. 

—  Une  des  pièces  écrites  par  Ovide.  —  Tristes,  V,  m. 

—  Et  à  propos  de  toutes  circonstances.  —  Ovide,  Bé- 
rotdes,  XX,  195;  Suétone,  Vie  d'Auguste,  29;  Enéide, 
IX,  623. 

—  Sulla  portait  de  même.  —  Valérius,,  I,  u,  3. 

—  Voici,  dit  Horace.  —  Satires,  II,  m,  288,  et 
Carmina,  I,  v,  13. 

Page  208.    Enfin  on   vouait  un  enfant.  —  Enéide,  X,  315, 
et  XI,  583. 

—  Le  pied  au  seuil.  —  Ovide,  Héroïdes,  xiii,  86. 

—  Fussent  en    nombre  impair.  —  Vitruve,  III,  iv,  4. 

—  Si    on    est   en    route.    —    Horace,    Carmina,    III, 

XXVII, 

—  Au  contraire  une  lampe  qui  crache.  —  Ovide,  Hé- 
roïdes, XIX,  151. 

Page  209.    Les  dieux  des  visions  nocturnes.  —  Ibidem,  m, 
dll,  et  Tibulle,  I,  v,  13.  Voir  aussi  Enéide,  V,  743. 

—  Quelque  acte  pieux.  —   Corpus,  2907,  3668,    4331. 

—  Qui  se  chargeaient  d'expliquer  les  songes.  —  Pro- 
peree,  II,  m,  8,  cl  Ovide,  Amorcs,  I,  v. 

—  Tibère  vit  un  jour.   —  Dion,  LVH,  15. 

—  Avec  le  doigt  du  milieu.  —  Perse,  ii,  31. 


NOTES.  3(3 

Page  209.    Se  vantait  de  l'avoir  jucrie.  —  Tibullo,  I,  v,  1 1 . 

—  Contre  les  dieux  mêmes.  —  Tibulle,  I,  ii,  79,  ri  III, 

V,  7.       > 

Page  210.  Ils  rendaient  malade.  — Ovide,  Amores^  I,  xiv; 
III,  VII,  etc. 

—  Un  poëme  d'Ovide.  —  Ibis,  97. 

Page  211.  Sur  une  lame  de  plomb.  —  Tacilr",  Annales,  II, 
69;  Dion,  LVII,  18,  et  Cor;;ws,  487.  —  Ajoutez  la  curieuse 
Insciiplion  d'Arc zzo,  donnée  rccemmeut  i)ar  M.  Momiuson 
dans  V  Hermès,  tome  IV,  2»  cahier,  p.  282;  c'est  une  invo- 
cation adressée  à  des  Eaux  minérales,  aquœ  ferventes, 
contre  un  certain  Lalinius  Lu|)iis  :  <t  Je  le  remets  à  votre 
divinité;  je  vous  adresse  contre  lui  mon  appel,  mes  vœux, 
mes  consécrations  [demanda,  devoveo,  dcsacrifico);  je 
vous  demande,  Eaux  brûlante?,  vous  invoquant  sous  le 
nom  de  Nymphes,  ou  sous  tel  autre  que  vous  prélérez,  de 
lo  détruire,  de  le  faire  périr  dans  l'intervalle  d'une  année. 
Je  m'acquitterai  ensuite  de  ce  service  envers  vous.  » 

—  Mais  chez  la  première  vieille  .  —  Horace,  Satires,  I, 
IX,  29;  Tibullo,  I,  m,  11;  Properce,  II,  xxxit,  3. 

Page  213.     Le  poëme   de    Manilius.  —  Voir  I,  166,  et  694  ; 

II,  92  et  792. 
Page  214.    Séneque    témoigne.    —    Quœstiones    naturales, 

VI,  3    cl    VII,  1  ;  Tacite,    Annales,   I,    28,    et  Suétone, 
Vie  d'Auguste,  90;   Vie  de  Tibère,  69. 

—  Comme  une  audace  sacrilège.  —  Horace,  Carmina, 
I,  m,  25. 

Page  215.  Pollion,  Tite-Live.  —  Si'nôque,  Lettre  iOO.  L'his- 
toire de  la  philosophie  à  Rome  au  temps  des  premiers 
Césars,  a  été  le  sujet  d'une  Thèse  latine  de  M.  Aubertin 
(1857),  transformée  depuis  en  un  chapitre  de  son  livre 
sur  Sénèque  et  saint  Paul  (1869). 

—  Il  lui   dira.  —  Ovide,  ex  Ponto,  IV,  xi,  12. 

—  Le    philosophe    de    son     mari.    —     Sénèque,    ad 
Marciam,  4. 

—  Auguste     lui-même.    —    Suétone,    Vie    d'Auguste, 
s4-8o. 

—  Nous  voyons  dans  Horace. —  Satires,  11,  i;i,  3i. 


36i        LE    CllRISTIAISISME    ET    SES    ORIGINES 

Page  216.  Cette  barbe  vénérable.  —  Horace,  Satires^  I,  m, 
133  ;  et  Perse,  i,  133. 

—  Au  »iel  qu'à  ce  monde.    —  Ovide,  Fastes,  I,  299. 

—  Ses  plus  beaux  vers.  —  Carmina,  II,  ii;  III,  xxix; 
IV,  IX  ;  III,  m. 

Page  217.    //  pense  à  lui.  —  Satires,  I,  iv,   133. 

—  On  cause  à  table.  —  Satires.,  II,  vi,  70. 

Page  218.     Comme  dans  une  forteresse.  —  Épîtres,  I,  i,  58. 
Page  219.     Les  brigands  se  lèvent.  —  Épîtres,  I,  ii,  32. 
Page  220.    Avec  de  Veau  pure.  —    Épîtres^  I,    xii,  7  et  21. 
Voir  Carmina,  I,  xix. 

—  Écrit  à  Tibulle.  —  Epîtres,  I,  iv. 

Page  221.  C'est  à  lui  quHl  écrit  encore.  —  Épîtres,  I, 
XVIII,  96.  Et  pour  ce  qui  suit,  I,  m,  23;  II,  ii,  141,  145, 
205  ;  I,  VIII,  4. 

Page  222.     Penthée  menace.  —  Épîtres,  I,  xvi,  73. 

Page  223.  Avec  son  villicus.  —  Épîtres,  I,  xiv,  4.  Puis, 
Satires,  II,  vu,  45. 

—  Bu  troupeau  d'Épicure.  —  Épîtres,  I,  iv,  16. 

—  L'étincelle  divine.  —  Satires,  II,  ii,  78. 

Page  224.  Les  peintures  licencieuses.  —  Livre  II,  vi,  27, 
et  Ovide,  Amores,  III,  iv,  4. 

—  Où  Cornélia  morte.  —  Livre  IV,  xi,  46,  48,  101. 
Pour  ce  dernier  vers,  comparez  Horace,  Carmina,  IH, 
II,  21. 

Page  225.  Cette  humble  mère  de  famille.  —  Enéide,  VIII, 
408,  et  Proverbes,  xxxi,  10, 

—  Femme  d'uti  seul  mari.  —  ValiVius,  II,  i,  3; 
Orelli  (Inscriptionum  latinarum...  coUcctio],  2742, 
4530.  Voir  aussi  Properce,  IV,  xi,  36,  68  ;  Enéide,  IV, 
25 ,  et  Valérius,  IV,  m,  3. 

Page  227.  Et  tout  pleins  de  leurs  leçons.  —  Séncque  le 
père,  Controversiœ,  VII,  Préface,  p.  180,  21;  I,  m, 
p.  81,  13;  I,  vil,  p.  105,  22-23;  H,  Préface,  p.  114,  6; 
Suasoriœ,  u,  p.  14,  4-7. 

—  Des  traits  de  philosophie  critique.  —  Ibidem,  Stia- 
soriœ,  III,  p.  20,  16  ;  iv,  p.  22,  20  ;  Controversiœ,  I,  lU, 
p.  81,  9. 


NOTES.  36^ 

Page  227.  A  la  divinité.  —  Controvcrsiœ ^  VII,  xvi,  p.  187, 
25. 

—  C'est  un  homme.  —  Conlroversiœ,  I,  i,  p.  60,  10; 
62,  28.  (Pour  la  noie,  voir  Tristes,  V,  viii,  13.)  Si  je 
je  n'ai  pas  cité  ici  l'Épilapiic  d'Èvhodus  (voir  M.  Egger, 
Mémoires  d^ histoire  ancienne,  1863,  p.  3o4)  :  Hominis 
boni,  misericordis,  amantis  pauperes,  c'est  que  je  ne 
suis  pas  assez  assuré  qu'elle  appartienne  au  siècle  d'Au- 
guste. 

—  Que  comme  d'une  cruauté .  —  Ibidem,  IX,  xwi, 
p.  264,  23. 

—  Nous   montre  ce  père.  —   Métamorphoses,  IX,  678. 

—  Une  invective  éloquente.  —  Conlroversiœ,  X, 
XXXIII,  p.  322,  22  ;  et  môme  page,   6. 

Page  228.     Ovide  aussi.  —  Amores,  II,    m,  et  II,  14. 

Page  229.  Vente  de  l'esclave  à  un  dieu.  —  Corpus,  1607, 
1699.  Voir  aussi  l'Histoire  de  Vesclavage  dans  l'antiquité, 
de  M.  Wallon  (1847),  premirro  partie,  chapitre  x,  et 
un  Mémoire  de  M.  Foucarl  dans  les  Archires  des  missions 
scientifiques  et  littéraires,  seconde  série,  t.  III,  1867. 

Page  230.     Que  la  loi  y  mit  obstacle.  —  Denys,  IV,  25. 

—  Dans  le  Recueil  de  Sénèque  le  père.  —  Controversiœ, 
VII,  XXI, p.  225,  28.  Comparer r^pUrc  aux  Ga/afes,  m,  28. 

—  Voyez  encore  ces  maximes.  —  Conlroversiœ,  Extraits, 
IV,  V,  p.  385,  13  ;  ibidem.  Extraits,  VI,  ii,  p.  402,  1  ; 
ibidem,  II,  xv,  p.  174,  6  ,  et  I,  vi,  p.  95,  1. 

Page  232.     Les  prédications  des  philosophes  contre  la  richesse. 

—  Controversiœ,  II,  ix,  p.  117,  17,  119;  p.  128,  23; 
p.  120,  21  ;  p.  121,  26,    p.  125,  19,  127. 

Page  234.  D'un  philosophe  d'Egypte, Sotion. —  Lettre  cviii, 
17.  a  La  vogue  de  l'enseignement  de  Solion,  dit  M.  Au- 
berlin,  est  attestée  par  ces  mots  significatifs  de  la  Chro- 
nique d'Eusèbe,  vers  l'an  12  de  notre  ère  :  .S'ofio, 
prœceptor  Senecœ,  clarus  habetur.  w 

—  Ils  ont  associé  les  dieux.  —  Métamorphoses,  XV,  128. 
Page  235.     Une  malédiction  que  ne»  ne  peut  conjurer.   — 

Valérius,  VI,  iv,  5,  cl  IX,  xi. 
Page  236.     Tue  un  vieux  mendiant.  —  Livre  VI,  vm,  7. 

—  Et  aux  doctrines  de  son  pays.  —  Livre  II,  i,  10. 


366         LE   ClIKISTIANISME   ET   SES  ORIGINES. 

Page  236.  Chassant  du  cœur  où  elle  estreçue.  — Livre  III,  m, 
externa,  i. 

—  Toujours  sous  les  armes.  —  Livre  IV,  i,  externa,  2. 
Page  237.    Biens    fragiles    et    périssables.  —  Livre  VI,  ix, 

externa,  7. 

—  Il  adresse  enfin  à  la  chasteté.  —  Livre  VI,  i,  \  ;  ibi- 
dem, externa,  3. 

pige  238.  Entraient  de  toutes  parts  dans  la  ville  reine.  — 
Ovide,  Fastes,  IV,  270  :  Dignus  Roma  locus  quo  deus 
omiiis  eat. 

—  Celles  des  Perses  avec  leurs  feux  sacrés.  —  Strabon, 
XV,  p.  732. 

—  Et  leur  sacrifice  du  cheval.  —  Ovide,  Fastes,  I, 
385. 

—  Où  r Indien  Zarmaros.  —  C'est  la  forme  grecque  que 
Dion  donne  à  son  nom,  LIV,  9. 

—  Il  fait  parler  au  Forum  un  consul.  —  Tile-Live, 
XXXIX,  16. 

Page  239.     Demjs  développe  avec  admiration .  —  Livre  II,   19. 

—  Qui  parle  dans  ce  vers  de  Virgile. — Livre  VIII,  186. 

—  Intervenait  pour  consacrer  les  droits.  —  Tacite,  An- 
nales, III,  62  ;   Corpus,  2715,  2954,  elc. 

Page  240.     De  mépriser  toutes  les  autres. —  Vie  d' Auguste,  9i. 

—  Qu'on  bâtit  des  temples  aux  dieux  d'Egypte.  —  Dion, 
LU!,  2;  LIV,  6. 

—  Osiris  ou  Bacchos.  —  Déjà  César  avait  établi  dans 
Rome  le  culte  de  Bacchos.  Voir  le  Commentaire  de  Ser- 
vius  sur  ce  texte  de  Virgile  {Bucoliques,  v,  29)  ;  Daphnis 
thiasos  inducere  Bacchi. 

—  On  racontait  que  la  nuit.  —  Pluiarquo,  Vie  d'An- 
toine, 76.  L'hémistiche  auquel  renvoie  la  note  est  dans 
les  Filles   de  Minée. 

Page  241.  Un  grand  nombre  d'Inscriptions.  —  Corpus, 
4719,  etc. 

—  Vhonneur  de  lapersécution.  —  Tacite,  Annales,  II,  85. 

—  Les  prêtres  égyptiens  sont  circoncis.  —  D'après  Ché- 
rémon,  cité  dans  Porphyre,  de  l'Abstinence,  IV,  6. 

—  Tout  ce  qu'ils  ont  d'enfants.  —  Sirabon,  XVII.  p.  S24. 
En  Grèce  même,  Élieu  dit  que  les  lois  de  Thèbos  dofen- 


NOTES.  367 

daient  rexposUioQ  des  cnfaïUs  {Histoires  diverses,  II,  7}. 
Page  242.     Frayaient  avec  tous  les  autres  dieux.  —  Voir  les 

inscriptions   de    l'f'lgyiJin,   à  commencer  par   la  fameuse 

Iiiscriplion  de  Roscllo  :  Corpus,  4007,  o04i,  6006. 
Page  243.     Et  qu'on  se  bornât  à  judiuser.  — Joseph,  Réponse 

àApion,  II,  100. 

—  Il  y  avait  huit  mille  Juifs.  —  Joseph,  Guerre   de 
Judée,  II,  vi,  1. 

—  Des  colonies  juives.  —  Ibidem,  II,  vu,  1,  et  Réponse 
à  Apion,  II,  4;  Actes  des  Apôtres,  ii,  9. 

—  Dans  la  jolie  pièce.  —  Satires,  I,  ix,  69. 

Page  244.  Où  Auguste  écrivait  à  Tibère.  —  Suélone,  Vie 
d'Auguste,  76. 

—  Passait  pour  un  mauvais  jour.  —   Ovide,    Remèdes 
d'amour,  2i9  ,  et  VArt  de  faire  l'amour,  I,  416  et  I,  76. 

—  Mais  un  autre  passage  d'Horace.  — Satires,  I,  iv,  142. 

—  Le  récit  développé  de  Joseph.  —  Antiquités,   XVIII, 
m,  et  Tacite,  Annales,  FI,  85. 

Page  247.    Et  que  la  Loi  dit.  —  Deutéronome,  x,  20. 

—  Du  livre  intitulé,  de  la  Couronne.  —  Au  chapitre  11. 
Page  230.     Qu''ils  exerçaient  comme  une  magistrature.  —  Sé- 

nèque,  Lettre  cviii,  13. 

Page  2-51.  Cette  éloquence  a  la  fièvre.  —  Fronton,  Lettres, 
p.  239  (de  l'éJilion  d'Arigelo  Mai). 

Page  252.  Dans  une  Étude  sur  Macaulaij.  —  Essais  de  criti- 
que et  d''histoire,  1838.  Reproduit  dans  l'Histoire  de  la 
Littérature  anglaise,  186 i  (chez  Hachette),  tome  iv,  page 
158. 

Pago  253.  Quand  le  joueur  de  la  comédie  a  perdu.  —  Re- 
gnard,  le  Joueur^  acte  IV,  scène  xiii. 

—  Ce  vers  célèbre  de  Delille.  —  Dithyrambe  sur  Tlm- 
mortaUlé. 

Page  236.  Carat  est  peut-être  le  premier.  —  J'ai  pris  k 
morceau  de  Garât  dans  le  Scnèque  de  la  collection  Lomairev 
tome  V. 

Page  257.  Cest  elle  qui  affranchit.  —  Ad  Marciam,  20 
vi  19).  La  note  de  la  page  238  renvoie  i  Juvénal, 
XIII,  52. 


368         LE  CHRISTIANISME  ET  SES   ORIGINES. 

Page  259.     Un  mot  de  Sénèque.  —  Lettre  xlvii  ;  voir  aussi  le 
de  Ira,  III,  35. 

—  Ne  comprenez-vous  donc  pas.  —  Lettre  vu 

Page  260.    N'a  plus  aimé  les  hommes.  — De  Clementia,  II,  S. 
Page  263.     Sénèque    qui    est   souvent    des    nôtres.    —    De 
Anima,  20. 

—  Il  faut  aimer  la  pauvreté.  —  Lettre  xx. 
Page  264.     On  doit  y  aspirer,  —  Lettre  xvii. 

—  La  richesse  est  une  décoration.  —  Lettre  ex,  17. 

—  Les  heureux  et  les  riches.  —  De  Beneficiis, 
V,  12. 

—  Il  ny  a  rien  de  si  malheureux.  —  Lettre  cxxiv,  24. 

—  C'est  chose  sérieuse  que  la  vraie  joie.  —  Lettre  xxiii,  4. 

—  Soutiens  et  f abstiens.  —  Épictète,  dans  Gellius, 
XVII,  19.  Voir  aussi  les  Entretiens  recueillis  par 
Arrien,  IV,  8. 

—  Le  sage  est  prêt.  —    De  Providentia,  5. 

—  Le  Sage  se  laisse  souffleter.  —  De  Constantia,  14. 

—  Quand  je  serais  sur  le  chevalet.  —  De  Beneficiis, 
IV,  22,  et  Lettre  lxvi,  21. 

—  La  mort  termine.  —  De  Ira,    III,  42-43. 

—  Qu'est-ce  que  l'homme  ?  —  Ad  Marciam,  11. 

—  Tout  ce  qui  est  de  l'homme.  —  Ibidem,  20. 

Page  265.  La  vie  n'est  qu'une  peine.  —  Ad  Polybium,  28. 
On  a  vu  déjà  celte  idée  dans  Empédocle  (à  la  fin  de  mon 
chapitre  IV).  Voir  aussi  Cranter  dans  Plutarque,  ConsO' 
lation  à  Apollonios ,  p.  115. 
—  La  vie  est  un  péril  et  un  obstacle.  —  Lettre  xcix, 
12,  et  ad  Marciam,  22-24. 

—  Comme  le  joyeux  élan.  —  Lettre  xxx,  13. 

—  Que  nous  ne  faisons  d'une  barbe  coupée.  —  Lettre 
xcii,  34. 

—  On  vivra  mal.  —  De  Tranquillitate,  11. 

Page  266.     Il   faut    apprendre    à   mo^irir.  —    De    Brevitate 
vilœ,  7. 

—  Pcnses-y  toujours.  —  Lettre  xxx,  18. 

—  ()i(i  juge  tous  les  autres.  —  Lettre  xxvi,  4. 

—  De  ta  naissance  à  l'éternité.  —  Lettre  cii,  26. 


NOTES.  309 

Page  266,     Nous  sommes  tous  des  pécheurs.  —  De  Ira,  ill,  26, 
et  Corpus,  6035. 

—  Pas  tachés  seulement  mais  imprégnés.  —  Lettre  lix,9 

—  Qu'en  passant  par  le  péché.  —  De  Clejuentia,  I,  6, 

—  Le  péché  est  «u  xilcèrc.  —  Lettre  \cviu,  15. 

—  Qui  songe  au  salut,  —  Lettre  x,  3. 

—  C'est     le      commencement      du     salut.    —     Lettre 
xxviii,  9. 

Page  2G7.     En  se  confessant  à  son  médecin.  —  De   Tranquû- 
litate,  1. 

—  Dans  la  même    infirmerie.   —    Lettre  xxvh,  1, 

—  Elle    n'amende  pas   seulement.    —  Lettre   vi,  1. 

—  Le  sage  ne  peut  ni  retomber.  —  Lettre   Lxxii,  6. 

—  Mais  d'y  rester  fidèle.  —  Lettre  xvi,  i. 

—  Pour   conserver   ce    bien  fragile.  —  De  TranquiUi- 
late,  16. 

—  Qui  fi'aiira  jamais  son  congé.  —  Lettre  xxxvii,  2. 
Page  268.     Au  profit  de  la  république  universelle.  — Lettre 

VIII,   1. 

—  Essentiellement  corruptrice.  —  Lettre  vu,  2. 

—  Là  où  est  la  foule.  —  De  Vita  beata,  2. 

—  Fuis  les  grandes  compagnies.  —  Lettre  x,  1. 

—  Si  quelque    chose  fempêche.  —  Lettre  xvii,  5. 

—  Le  philosophe  donne  ici.  —  Lettre  xix,  2. 

—  Qui  sont  condamnés  au  monde.  —  De  Tranquilli- 
tate,  10. 

Page  2'd9.     Trop  près  d'un  méchant.  —  Lettre  xxv,  7. 

—  En  pleine  solitude.  —  Lettre  lxxxii,  4. 

—  Et  passer  de  celle-ci  à  celle-là.  —  De  TranquiUi' 
late,  15. 

—  Oh!  quand  viendra  le  temps.  —  Lettre  xxxii,   4. 

—  Aux  sujjerstitions  étrangères.  —  Lettre  cviii,  22.  — 
Ou  lit  en  effet  dans  VÉjntrc  aux  Romains  (xiv,  21)  : 
«  Il  est  bon  de  ne  pas  manger  do  viande,  ei  de  ne  pas 
boire  de  vin.  » 

—  Aux  maîtres  eux-mêmes.  —  Lettre  cviii,   13. 

—  lianni  de  Rome  par  Séjan.  —  Sénctpie  le  père,  Sun- 
soriœ,  II,  p.  14,  o. 


370        LE    CHRISTIANISME    ET    SES   ORIGINES. 

Page  270.  Qui  donnaient  Venvie  d'être  pauvre.  —  Lettre 
cviii,  14  (et  ex,  14). 

—  Est-ce    que    le    malade   applaudit.  —  Lettre  lu,    9 
(etLKXv,  6). 

—  Il  est  incroyable.  —  Lettre  cviii,  12. 

Page  271.  Son  philosophe  marchait  avec  lui.  —  De  Tran- 
quillitate,  14.  Pour  Pascal,  voir  Pensées,  x,  1,  p.  4  du 
manuscrit  autographe. 

—  Que  traduire  Sénèque.  —  De  Vita  beata,  i. 

—  Qu'un  directeur  soit  à  nos  côtés.  —  Lettre  xciv,  73. 

—  Qu^ il  dirige  à  son  tour.  — Lettre  xxxvi,  1,  etc. 

—  Voici  un  pécheur.  —  Lettre  xxv,  1-  2. 

Page  272.     Je  supporlerai  ses  sarcasmes.  —  Lettre  xxix,  7. 

—  Par  le  pied,  mais  par  l'aile.  —  Lettre  xlii,  5. 

—  Voilà  les  hommes.  —  Lettre  cxii,  4. 
Page  273.     Mais  dégoûtants.  —  Lettre  v,  4. 

■ —      Mais    un    témoin.    —  Lettre  xx,  9  ;  Lettres   lxii, 

3  et    Lxvii,     14.    —    M.    H.  Joly   vient  de  donner   en 
1869  une  thèse  de  Cynica  institutione. 

—  Que  de    n  avoir  eu    aucun    malheur.  —  De  Provi- 
dentia,  3. 

—  Il  est  d'un  malhonnête  homme.  —  Lettre  xciv,  26. 

—  Il  attendait  les  aumônes.  —  De  Vita  beata,    18. 
Page  274.    Ainsi    faisait  Sextius.  —  De  Ira,  III,  36.  Cette 

prescription  se  trouve  dans  les  fameux  Vers   d'or  où  on 
avait  résume  la  doctrine  pythagorique. 

—  Pour  chaque  jour  une  pensée.  —  Lettre  n,  10. 
Page  275.     Ne  pouvait  subsister  sans  les    dogmes.  —  Lettre 

xcv,  59. 

—  Pour  obtenir    les    grâces.  —    Lettre  xli,  2;  Lettre 
Lxxin,  16;  Enéide,  VIII,  46. 

—  La  religion,  c'est.  —  Lettre  xcv,  50. 

—  Ne  voulez-vous  pas.  —  Cité  par  Lactance,  VI,  25. 
Page  276.    Est  repoùssée  avec  dédain.  —  Préface  des  Quœs- 

tiones  naturales. 

—  Ces    prières  qui   s^éVevcnt.  —  De  Beneficiis^  IV, 

4  (et  VU,  31). 

—  Dieu  est  créateur.  —  Quœstiones  naturales.  Préface. 

—  Il  faut  vivre  comme  si.  —  Lettre  lxxxiii,  1. 


NOTES  371 

Page  276.     Ceux  dont  il  est  content,  ceux  qu'il  aime.  —  De  Pro- 
videntia,  4. 

—  Qui  éprouve  son  fils.  —  Ibidem,  1. 

—  Les  Vestales,  ces  nobles  vierges.  —  Ibidem,  5. 

—  Que  la  volonté  de  Dieu  soit  faite.  —  Lettre  Lxxiv, 
20  (et  cvii,  10). 

Page  277.     La  liberté, c'est  de  lui  obéir. —  De  Vita  beata,  15. 

—  Et  de  l'aimer.  —  Lettre    xlvii,  18,  et  de  Benehciis, 
IV,  19. 

—  //  n'y  croit  pas.  — Lettre  cii,  2,  et  les  Troyennes, iOl . 

—  Mais  c'est  d'une  foi  très-vague.  —  Lettre  xvi,  5,  ei 
ad  Belviam,  16. 

—  Cest  un  prêtre.  —   Lettre  xiv,  11. 

—  Et  le   véritable  inspiré.  —  De  Vita  beata,  27. 
Page  278.     Comme  des  dieux.  —  Lettre  lxiv,  9. 

—  Les    Vies   des  philosophes.  —  Lettre   xxxiv,  2. 

—  Que  c'est  peut-être  la  terre  qui  tourne.  —  Quœstinries 
naturales,  VII,  2. 

—  Qu'elles  sont  des  astres  véritables.  —  Ibidem,  VII,  22. 

—  Dans  des   vers    célèbres.  —  Médée,  376. 

Page  279.     Le  géographe  Pomponius  Mêla.  —  Livre  I,  8,    et 

livre  II,  1;  HL'rodote,  IV,  105. 
Page  280.     Contre   les   études    libérales.  —  Lettre    lxxxvih 

(voir  particulièrement  28,  6,  39),  et  Lucain,  I,  417. 

—  Cest  une  maladie  des  Grecs. —  De  Brevitate  vitœ,  13. 
Page  281.    De  se  hasarder  sur  la  mer.  —  Quœstiones  natura- 
les, V,  18. 

—  Pour    en    tirer    les    métaux.    —   Ibidem,    15;    de 
Beneficiis,  VII,  10,  et  Lettre  xciv,  57. 

Page  282.    Les  deux   sortes  de  pudeur.  —  Lettre   XLix,  12 

—  Avant  de  s'être  souillé.  —  Ad  Marciam,  2  et  24. 

—  Par  ce  poison  secret.  —  Ad  Ilelviam,   13. 

—  D'aimer  sa  femme  comme  xme  maîtresse.  —  Cité  par 
E'i^ronyme  [Sérdme),  adversus  Jocinianum,  1,30,  p.  191. 

Page  283.     Des  amis  d'une  humble  condition.  —  Lettre  xlvii,  • . 
Voir  aussi  10,  18,  19. 

—  Tout  est  permis  contre  un  esclave.  —  De  Clementia, 
I,  18. 

—  Qu'il  est  triste  d'être  servis.  —  De  TranquHlitate,9. 


372         LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

Page  283.    Partout  où  il  y  a  un  homme.  —  De  Vita  beata,  i-i. 

—  La  vertu  n'est  interdite  à  personne.  —  De  Beneficiis, 
III,  18,  20,  28. 

Page  284.    Uhomme^  chose  sacrée.  —  Lettre  xcv,  33. 

—  La  mort  !  le  feu  !  les  fouets  !  —  Lettre  vu,  5. 

—  Pour  les  enfants  battus.  —  De  Clementia^  1,   16. 
Page  283.     Res   est  sacra   miser.  —  Epigramme  iv.  Pour 

la  note,  voir  ad  Helviam,  13. 

—  Est-ce  que  la  main.  —  De  Lra,  II,  31. 

—  Te  restera-t-il  pour  aimer.  —  Ibidem^  15. 

—  Elle  se  vante  elle-même.  —  Lettre  \c,  27. 

—  Quelle  n'a  que  faire  de    soldats.  —  Ibidem,  lo. 

—  Ce  ne  sont  plus  les  particuliers.  —  Lettre  xcv,  30. 

—  Pure  de  sang  humain.  —   Lettre  xxiv,  7. 

Page  286.     Et  elle  lui  opposait  Hercule. —  De   Beneficiis,  I, 
13,    et  Lucain,   X,  20. 

—  Écrite  dans  la  villa.  —  Lettre  lxxxvi. 

—  Est-ce  la  peine  de  dire.  —  Lettre  xcv,  51. 

—  Tu  n'en  es  que  Véconome.  —  De  Beneficiis,  VI,  3. 

—  //  essuiera  les  larmes  d'autrui.  —  De  Clementia.,  II,  6. 
Page  287.     Et  à  aimer    les  hommes.  —  Lettre  xcv,  2. 
Page  288.     Stabo   et   arcebo  scelus.  —  Au  vers  96.  Le    livre 

cité  dans  la  note  a  été  publié  en  1867  (librairie  Didier); 
l'endroit  indiqué  est  à  la  page  189. 

—  On  nous  a  conservé  le  Discours.  —  Jean  de  Damas, 
Parallèles,  II,  xiii,  126  (à  la  suite  de  Stobéc).  Pour  la 
piemière  noie  de  la  page  289,  voir  Diogène,  VI,  12. 

Page  289.     A  monter  la  garde.  ■ —  Lettre  lxxiii,  9. 

—  Pour  le  temps  de  Trajan.  —  Pline  le  jeune.  Lettres^ 
X,  66. 

Page  290.     Leur  idéal  politique  .  —  De  Beneficiis,  H,  20. 

—  Le  prince  est  le  représentant  des  dieux.  —  De  Cle* 
mentia,  I,  i. 

—  Est  réellement  une  servitude.  —  Ibidem,  8. 

—  Tous  les  biens  lui  appartiennent.  —  De  Benefciis 
YII,  4. 

—  Des  perturbateurs  et  des  brouillons.  —  Tacite,  An- 
nales, XIV,  57. 

Page  291 .     Ont^iris  une  peine  bien  inutile.  — Ils  oui  été  réfutés, 


NOTES.  373 

d'une  manièro  complèic    et  pérenipioire,  dans   l'excellent 

livre  de  M.  Auberlin,  Séncquc    et  saint  Paul. 
Page  292.     Beaucoup     de  gens    croient    volontiers.  —  Ils  le 

croyaient  du  moins     avant    d'avoir  lu  le  Saint  Paul  de 

M.  Renan,  1869. 
Page  294.     Cette  nation  abominable.    —    Cilc  par  Aiignslin, 

de  Civitate  Dei,  VI,  11. 
Page  293.     Son  Caton  est  l'idéal  du  saint.  —  Voir    II,  383, 

387,  378,  312,  128;     VIII,  670  ;  Vil,  457;    IX,  603  et 

562.  Pour  les  oracles,  voir   aussi  Sénôijuc,  OEdipc,  765, 
Page  296.     Ses  hymnes  à  la  paix.  —     Voir  I,  61  ;  IV,  191, 

et  382. 
Page  297.     Mes  amis,  dit  son  Trimalchion. —  Au  chapitre  71. 

—  Pour  leur  faire  boire  le  sang  des  hoinmes.  —  Aux 
vers  14-18. 

—  Une  belle  renommée.  —  Quintilicn,  X,  i,  94.  Les 
passages  de  Perse  cités  dans  cet  alinéa  sont  les  suivants  : 
111,77  cl  86;  v,  189  ;  ii,  61;  m,  71;  vi,  38  et 
m,  38. 

Page  299.    Devant  son    cher    Cornutus.  —   Au  début  de  la 

satire  v. 
Page  301.     Mais  les  peuples,  d'un  consentement  universel.  — 

Sénèque,  Lettre  cxvii,  6.  Pour  la  noie,  voir  le  Corpus, 

1907    bb,  1999,  2161,  3019,  etc. 

—  Ainsi  devisent  dans  Pétrone.  —  Voir  les  chapitres 
44,  17,  137. 

Page  302.     Semble  croire  à  l'astrologie.  —  Lettre  Lxxxviii, 
14  ;  ad  Marciam^  18;  Quœstiones  naturales,  II,  11. 

—  Au  soleil  et  à  la    lune.  —  De  Beneficiis,  VI,  20. 

—  Qu'il  est  également  difficile.  —  Quœstiones  natura- 
les,  II,  32. 

—  Est  comprise  dans  le  destin.  —  Ibidem,  37. 

—  A  une  grande  catastrophe.  —  Ibidem,  III,  27,  etc. 

—  Lucain,  après  avoir  raconté. —  Voir  IX,  i  ;  VIII,  863. 
Page  303.  Néron  se  lierait  avec  passion.  —  Pline,  XXX,  ij. 
Page  304.     —  Le  Diable,  pour   l'appeler  par  son  nom.  —  Je 

retrouverai  le  Diable  dans  la  seconde  partie  de  ces  Études. 
Je  signalerai  dès  à  présent  un  article  de  .M.  Albert  Réville 
sur   l'Histoire  du    Diable  (Revue  des  Deux  Mondes  du 


374        LE    CHRISTIANISME    ET    SES    ORIGINES. 

l^i^janvier  1870).  Qu'il  me  permette  de  dire  qu'il  a  oublié, 
parmi  les  champions  de  la  raison  humainf,  un  des  pen- 
seurs les  plus  fermes  el  les  plus  libres  de  notre  temps, 
M.  J.  Tissot,  qui  fait  la  guerre  au  Diable  depuis  près  de 
quarante  ans  déjà.  Voir  son  livre  de  l'Imagination  :  ses 
bienfaits  et  ses  égarements,  etc.  1868. 

Page  303.     Où  Pline  écrira.  —  Naturalis  historia,  XXX,  i. 

Page  304.  Odieuse  aux  divinités  du  ciel.  —  Lucain,  YI,  430, 
698,  748. 

Page  305.     Une  scène  de  V Œdipe.  —  A   partir  du  vers  314. 

—  Les  aient  fait   taire.  —  Lucain,  V,  114. 

—  Si  une  femme.  —  De  Vita  heata,  27. 

—  Contre  les  dieux  mêmes.  —  De  Clementia,  I,  25. 

—  On    ne    voit    jamais.    —     Quœstiones    naturalcs, 

VI,  29. 

—  Les  Galles,  faisant  tournoyer.  —  Lucain,  I,  567. 
Page  306.    Lucain  s'en  inspirait.  —  Livre  I,  72. 

—  Comme  Sénèque  dans  ses  tragédies. —  Thyeste,  884. 

—  Dans  ses  Recherches  sur  la  nature. —  Au  livre  III,  27. 

—  Du  Dies  irœ.  —  Voir  aussi  la  seconde  Épître 
attribuée  à  Pierre,  m,  7. 

—  Au  temps  de  Sulla.  —  Plutarque,  Vie  de  Sulla^ 
7.PIutarque  avait-il  puisé  cela  dans  le  livre  de  Varron  sur 
les  Ages,  de  Seculis,  comme  lo  suppose  d'une  manière 
plausible  M.  Chappuis,  dans  son  édiiiou  des  Fragments 
des  livres  de  Varron  intitulés  Logistorici,  parmi  lesquels 
il  comprend  celui-là?  Voir  page  52  de  cette  édition  (1868). 

Page  307.     Toute    race    vivante.   —     Quœstiones  naturales, 

m,  30. 

—  Au    témoignage    de    Sénèque.     —    Ibidem,  VI,    3; 

VII,  I. 

—  Nous  en  a  conservé  environ  deux  pages.  —  De  Civi' 
late  Dei,  VI,  10. 

Page  309.  A''e  se  trouvent  bien  de  s'enfumer.  -—  Sénèque, 
Lettre  xcv,  47. 

—  Perse  nous  peint.  —  Satire  v,  179. 

—  Lucain  proteste  à  son  tour.  —  Livre  VIII,  833. 

—  Dans  le  roman  de  Pétrone.  —  Chapitres  63, 
48,  38. 


NOTES.  373 

Page  310,     Enfin  dans  un  livre.  —  Pline,  XXVIII,  4-5. 

—  Ala  vertu  des  nombres  impairs,  elc.  —  Le  lableau  des 
superstitions  romaines  est  l'objet  de  la  Lettre  LU  (inti- 
tulée, les  Superstitieux)  dans  Rome  an  siècle  d'Auguste 
de  M.  Dezobry,  au  tome  II.  Il  vient  de  paraître  une  troi- 
sième édition,  revue  et  augmentée  (chez  Garnier  frères),  de 
ce  livre  devenu  classique,  auquel  tant  d'osprils  en  France 
doivenlcequ'ilssavent  de  l'aniiquité  romaine;,  non  pas  seule- 
ment sous  Auguste,  mais  dans  une  étendue  de  temps  beau- 
coup plus  vaste,  une  foule  de  choses  demeurant  les  mômes 
pendant  plusieurs  siècles.  Ce  livre  n'a  pas  seulement  rendu 
ces  études  plus  faciles,  mais  il  en  a  répandu  le  goût  cl  en 
a  fait  sentir  à  tous  l'intérêt. 

Page  311.  L'existence  des  chrétiens.  —  Pour  la  Note,  voir 
Suétone,  Vie  de  Claude  ,  25. 

—  Avaient  fait,  sans  le  Christ,  du  monde  ancien.  —  Je 
ne  puis  m'empècher  d'inviter  dès  à  présent  mes  lecteurs 
à  relire  les  Entretiens  d'Épictcte,  recueillis  par  Arrien. 
La  dernière  traduction  de  ce  livre  est  celle  de  M.  Courda- 
veaux,  18G2  (chez  Didier).  JÉpictète  y  est  traduit  très-spi- 
rituellement, et  le  traducteur,  dans  une  vive  et  intéres- 
sante Préface,  s'est  montré  en  complète  sympathie  avec 
son  auteur,  à  qui  il  ne  reproche  guères  que  de  n'avoir  pas 
sur  rimmorlalilé  de  l'âme  les  idées  chrétiennes. 

Page  313.    Les  dieux  que   nous.  —  De  Civitatc  dei,  XIX,  3. 

Pour  la  note,  voir  le  de  Anima,  37. 
Page  317.     Vera  progenies. —  De  Prcvidentia,  i. 

—  Jusqu'à  être  impeccable.  —    Lettre  cxx,  10. 

—  A  clouer  ses  bras  sur  une  croix.  —  Cité  par  Lactance, 
M,  17. 

—  i'iacidus  et  lenis.  —  Lettre  cxx,  13. 

—  Xon  aliter  quam  in  tenebris  lumeii.  —  Ibidem 

—  Peregrinus  et  properans.  —  Ibidem,  18. 

—  Portant  Dieu  en   lui.  —  Lettre  xli,  1. 

—  En  deuil  du  genre  humain.  —  Lucain,  II,  378. 

—  Mourir  pour  tous.  —  Ibidem,  312. 

Pa;.o  319.  Le  salut  du  monde.  —  Cicéron,  de  Finibus,  II, 
3o  (ot  Tusculanes,l,  14).  Ou  entrevoit  les  mêmes  idées 
dans  V Hercules  furens  de  Sénôque  ;  mais  elles  soal  surtout 


373  LE  CliniSTIAKlSME    ET   SES    ORIGINES. 

développcîes  dans  une  trngédio  de  dalc  iiiccrlaine  qui  se 
trouve  ;\  la  suilc  de  celles  de  Sônèque,  Hercules  œlœus. 
Voir  particulièremenl  les  vers  il71  el  suivants,  et  1702. 
Page  320.  Une  jurisprudence  nouvelle.  —  Cicéron,  d-e  Fini- 
bus,   I,    4,  et   les   Institutioncs   de  Juslinien,  H,   i,   37. 

—  Une    véritable    rénovation.  —  Pomponius,   de  Ori- 
gine Juris. 

—  So7i   intraitable  îndé]:iendance,  —   Tacite,    Annales, 
III,  75. 

—  Exprimé  par  Cicéron.  —  De  Officiis.,  III,  17. 

—  Sous    Claude   il   fut   décidé.    —    Suélone,     Vie  de 
Claude,  25. 

Page  321.  Une  magistrature.  —  SénèquC;  de  Bcncfuiis, 
III,  22. 

—  C est  le  même  Néron.  —  Su(îlone,  Vie  de  Néron,  12. 
Page  327.     Horace  a  dit.  —    Èpîtres,  II,  i,  156. 

Page  328.  Parce  qu'' il  restait  lesjudaïsants,  — Guerre  de  Ju- 
dée, II,  XVIII,  2. 

—  A    la  connaissance    des  femmes.    —    Ibidem,     II, 
XX,  2. 

—  Pompcnia    Grœcina.    —    Tacite,   Annales,  XY-  32. 

—  Car,     dit    Joseph.  —    Antiquités,     XX,     viii.    11, 
et  Vie  de  Joseph,  3. 

Page  329.     Pour  faire  tomber,  dit  Tacite.  —  Annales,  XV,  44. 

Page  331.  Qu'Eratosthène  avait  désavoué.  —  Cité  par  Slra- 
bon,  I,  p.  66.  —  J'ai  parlé  dans  ma  Préface  du  livre  de 
PrOLidhon;  j'en  veux  détacher  en  finissant  un  ou  deux 
passages  : 

Tome  ler,  page  128  :  «  Produit  fatal  du  polythéisme, 
l'empire,  tout  le  monde  en  convient,  accéléra  la  dissolu- 
tion d'autant  mieux  qu'il  chercha  son  appui  dans  la  res- 
tauration des  idées  religieuses La  situation  réclamait 

un  remède  qui,  dépassant  la  mythologie  et  la  politique, 
s'adressant  à  la  conscience  du  genre  humain,  saisirait  le 
mal  dans  sa  source.  La  philosophie  se  présenta  la  pre- 
mière... Sloïcions,  pythagoriciens  et  cyniques  furent  les 
vrais  précurseurs  du  Christ  (a).  » 

(ci)  Il  aurait  fallu  dire,  du  Christianisme,  ou,  des  Chrulien», 


NOTES.  377 

Môme  loino.pngfc  130  :  «Coqui  caractérise  IcsSloiciciis.c'csl qu'ils 
prêchent  sans  cesse  la  probitcSIa  frugulité,  l'emjiirc  sur  soi- 
même,  les  bonnes  œuvres,  l'humanité,  la  philanthropir, 
et,  malgré  leur  durelcS  plus  apparente  que  réelle,  la  misé- 
ricorde. Ce  sont  eux  qui  ont  t'ait  entrer  dans  la  lanj:;uo 
vulgaire  ces  mots  sacramentels,  reçus  tie  ranliquiti-,  cl 
que  le  christianisme  re\endiquc  aujourj'liui  comme  son 
idée  propre.  » 

Note  additionnelle  sur  la  page  41.—  Dans  ces  quelques  pa- 
ges sur  l'Orient,  je  n'ai  pas  pnrlé  de  la  Chine,  parce  que  le 
monde  grec  paraît  avoir  ignoré  profondément  la  pensée 
des  Ciiinois  et  n'en  avoir  re^'U  aucune  intluence.  Cepen- 
dant, à  voirie  livre  de  morale  que  M.  Stanislas  Julien  a  traduit 
et  qu'il  rapporte  à  Lao-Tseu  et  au  sixième  siècle  avant 
notre  ère,  il  semble  que  si  les  Grecs  avaient  abordé  les 
Chinois  au  même  temps  où  ils  se  sont  trouvés  en  présence 
des  Indiens,  ils  n'auraient  pas  été  moins  frappés  de  la  sa- 
gesse (les  uns  que  de  celle  des  autres,  et  qu'ils  y  auraient 
aussi  reconnu  les  aspirations  de  leurs  propres  sages.  C" 
livre,  d'une  égale  élévation  morale  et  poétique,  est  tout 
rempli  du  mépris  du  corps,  de  la  vie,  de  l'action;  de  l'in- 
différence à  l'égard  des  objets  et  des  hommes;  de  cette 
espèce  d'égoïsme  qui  met  le  moi  au-dessous  de  tout  le 
reste  pour  qu'il  soit  en  effet  au-dessus.  11  ne  reconnaît 
d'autre  distinction  dans  les  choses  que  celle  du  bien  et  du 
mal  ;  il  condamne  les  passions,  il  professe  l'horreur  de  la 
guerre  ;  il  proclame  la  folie  de  la  sagesse,  etc.  Voyez  Lao- 
seuTd)  tekhij,  le  Livre  de  la  Voie  et  de  la  Vertu,  tra- 
duit par  Stanislas  Julien,  Paris,  Imprimerie  royale»  1842. 


NOTES  SUPPLÉMENTAIRES 

Page  13  (en  note).  —  La  liclle  épi'jramme  de  Léonidas.  —  Il 
est  bon  d'avenir  que  Sainte-Beuve  la  donne  d'après  le 
texte  du  recueil  de  Planude,  adopté  aussi  par  M.  Dehôque 


378  NOTES 

dans  sa  traduction  de  l'Anthologie.  Dnns  le  recueil  de 
Céphalas,  dont  celui  de  Planude  n'est  qu'un  extrait,  après 
le  sixième  vers,  qui  finit  sur  ces  mots,  jjïiis  triste  que 
l'odieuse  inort,  suivent  dix  vers  des  plus  obscurs.  La 
dernière  phrase,  Dérobe-toi...,  qui  forme  deux  vers,  est 
donnée  dans  Céphalas  comme  un  Epigramma  distinct, 
appartenant  d'ailleurs  au  même  poëte.  Voyez,  dans  la 
collection  des  auteurs  grecs  de  M.  Didot,  l'édition  de 
V Anthologie  donnée  par  Dûbner  et  ses  notes  sur  cette 
pièce  à  la  page  475  du  tome  !«"'  (a). 

Page  37.  Après  avoir  rappelé  que  Mégasthène  a  dit  que  les 
peuples  de  l'Inde  ne  connaissaient  pas  l'écriture,  j'ajoutais: 
R  Cette  erreur  vient  sans  doute...  etc.  »  On  a  demandé 
s'il  est  bien  sûr  que  ce  soit  une  erreur,  et  si  on  ne  peut 
pas  admettre  que  les  poèmes  religieux  se  conservaient 
dans  l'Inde  par  la  seule  mémoire  et  sans  le  secours  de 
l'écriture,  comme  César  l'a  dit  de  ceux  des  Gaulois 
{Guerre  des  Gaules,  VI,  14).  Ce  n'est  pas  d'aillears  que 
le  passage  de  Mégasthène  ait  en  lui-même  une  grande 
importance  :  il  n'y  est  pas  parlé  de  poèmes  ni  de  récils 
sacrés,  il  y  est  dit  seulement  que  les  peuples  de  l'Inde, 
qu'on  représente  comme  vivant  d'une  vie  simple  et 
innocente,  ne  connaissent  que  de  petits  vols,  et  que  ces 
vols  sont  jugés  d'après  des  lois  non  écrites  ;  car  ils  ne 
savent  pas  écrire  et  ne  recourent  en  toutes  choses  quà 
la  mémoire.  Uïi  pareil  témoignage,  qui  ne  s'applique  peut- 
être  qu'à  quelques  populations  à  demi  sauvages,  ne  paraît 
pas  avoir  beaucoup  d'autorité. 

Page  56.  Platon  chassait  Homère  de  sa  république  :  les  vrais 
Romains  eussent  volontiers  chassé  Platon  de  la  leur. 
—  Cicéron   disait,  ou  plutôt  sans   doute   il  faisait  dire  à 

(o)  Le  tome  second  de  cette  édition  n'a  paru  qu'en  1872  ;  on  peui 
dire  qu'il  est  doublement  posthume.  La  mort  de  Liibner  en  avait 
mterrompu  rimprcssion,  et  celui  qui  s'clait  ciiargé  de  revoir  el 
d'achever  le  travail  ue  Diibner,  et  qui  s'est  si  bien  acquitté  de  celte 
tâche,  Octave  Delzons,  est  mort,  le  6  janvier  1872,  à  la  veille  de 
la  publication. 


LE  CHRISTIANISME  ET  SI-S  ORIGINES  379 
un  de  ses  personnages  dans  le  dialogue  de  la  République: 
«  Pour  moi,  je  le  renvoie  où  lui-même  renvoie  Homère 
quand  il  le  chasse  de  la  ville  qu'il  se  bâiit,  en  le  cliari^ant 
de  parfums  el  de  couronnes.  »  Nonius,  au  mot  fmjcre, 
page  308  de  Mercier. 

Page  GO.  Rome  fit  de  tout  temps  chez  elle  la  police  des  re- 
ligions. —  Cicéron,  Lois,  II,  8  ;  Tile-Live,  XXXIX,  16. 
Voir  le  livre  de  M.  Bouché-Leclercq,  les  Pontifes  de 
l'ancienne  Rome,  1871,  livre  IV,  chapitre  3  (intitulé, 
la  Religion  et  VEtat). 

Page  9o.  Il  est  donc  permis  de  dire  à  la  fats,  et  que  les 
anciens  ont  su  bien  des  choses,  et  que  la  science  leur  a 
manqué.  —  M.  Babinet  avait  dit  déjà  :  e  C'est  que  la 
Grèce  et  l'antiquité  ont  tout  dit,  mais  qu'elles  n'ont  riea 
démontré.  y>  Cité  par  M.  Martha,  le  Poème  de  Lucrèce^ 
page  322. 

Page  171.  Point  d'indécence^  point  de  libertinage  dans  son 
Olympe.  Je  n'ai  parlé  que  de  Virgile  ;  mais  il  en  était  déjà 
de  même  ,  à  ce  qu'il  semble,  des  dieux  d'Ennius  : 

Respondit  Juno  Satarnia  sancla  dearum. 
Et  ailleurs, 

Optima  cœlicolum  Saturnia  magna  dearum. 

Page  177.  On  disputait  encore,  vers  le  temps  de  Cicéron, 
étant  accordé  en  droit  que  Vusufruit  d'un  animal 
comprend  la  propriété  de  la  jjortée,  s'il  en  était  de 
même  de  la  portée  d'une  femme  esclave,  etc.  —  Voir 
les  textes  cités  page  351.  Les  raisons  données  par  les 
jurisconsultes  rom;^ins  étaient  cellos-ci  :  «  Il  est  absurde  (jue 
l'homme  soit  compté  comme  fruit,  quand  tous  les  fruits 
n'ont  été  faits  par  la  nature  que  pour  l'homme.  »  {Instit.  II, 
I,  37,  el  Digeste,  XXII,  i,  28).  —  Le  produit  d'une  femme 
esclave  ne  peut  être  un  fruit,  parce  qu'il  n'arrive  guère  qu'on 
acquière  des  femmes  esclaves  pour  les  faire  produire 
(Digeste,  V,  m,  27).  —  Je  m'en  liens  à  la  pensée  générale 
qui  se  montre  ici  sous  des  formes  diverses,  sans  m'arrôter 
à  l'objection  de  M.  Accarias  {Précis  du  Droit  romain, 
1872,  page  GOa.  note  1^. 


380  NOTES 

Page  180.  Quiconque  était  mécontent  ou  inquiet  demandait 
à  l'astrologie  des  espérances.  —  On  faisait  encore  ia 
même  chose  en  France,  ou  à  peu  près,  vers  la  fin  du 
règne  de  Louis  XIV.  Voyez  ce  que  Saint-Simon  raconte 
'  du  duc  d'Orléans,  depuis  régent,  à  l'année  1706  (tome  V 
des  Mémoires,  pages  209-212,  dans  l'édiiion  de  M. 
Chéruel). 

Page  266.  J'ai  ici,  à  l'occasion  du  mot  salut,  une  rectification  à 
faire  (voir  aussi  tome  I^"",  page  xvm).  Je  crois  toujours 
que  dans  le  langage  de  la  dévotion,  dans  les  sermons  par 
exemple,  le  mot  salut  est  pris  souvent  au  sens  des  phi- 
losophes, et  probablement  d'après  eux  (la  sanlé  de 
l'âme,  la  guérison);  mais  souvent  aussi,  et  toujours  dans  le 
Nouveau  Testament,  comme  me  l'a  justement  objecté  un 
critique  (o),  le  mot  salut  est  pris  dans  un  sens  tout  autre, 
et  signifie  la  délivrance,  h  rachat  ;  c'est  alors  une  idée 
biblique.  Voir  Luc,  I,  71,  etc. 

Page  330.  D'être  l'interprète  de  ce  qu^il  appelle  la  conscience 
de  l'humanité.  J'ai  fait  comme  tout  le  monde  en  fian- 
cisanl  ainsi  l'expression  célèbre  do  Tacite,  conscientiani 
gcncris  humani  [Agric.  2);  mais  il  faut  avouer  que  cette 
traduction  n'est  pas  tout  à  fait  exacte.  Tacite  veut  dire 
que  le  genre  humain  tout  entier  avait  la  conscience  de 
ces  attentats  des  empereurs  qu'on  croyait  effacer  de  l'his- 
toire en  brûlant  les  livres  :  Scilicet  illo  igné  vocem  jtopuli 
romani  et  libertatem  senatus  et  conscientiam-  gcncris 
humani  aboleri  arbitrabantur.  11  parle  du  témoignage 
que  les  hommes  pouvaient  rendre  de  ce  qu'avait  été  la 
tyrannie,  et  non  du  sentiment  moral  par  lequel  ils  la 
jugeaient  et  la  condamnaient.  Mais  il  n'y  a  pas  loin  de 
celui-là  à  celui-ci,  et  on  comprend  que  le  mot  conscientia 
ait  facilement  passé  de  l'un  de  ces  sens  à  l'autre. 

(a)  M.  C.-J.  Monro,  dans  un  article  du  journal  anglais  The  AcU' 
demy  (du  l^r  octobre  1872),  article  plein  d'observations  excellentes, 
dont  j'ai  tâché  de  proiiler. 

Fm   W  DEUXIÈME   VOLUME. 


TABLE 

ALPHABÉTIQUE* 


Ablutions,  I,  315;  II,  18U-190. 

Académiques.  Les  philosophes  académiques,  II,  2. 

Adouis,  I,  54-00  ;  339. 

Adrien.  Voyez  Hadrien. 

Age  d'or,  1,25;  11,39. 

Alceste  (1')  d'Euripide,  I,  106. 

Ame.  Crovances  ou  doctrines  sur  l'âme  ou  sur  rimmortalitô  de 
l'âme  :  I,  34-36,  H6,  145-146,  2:îl-227,  233,  279,  283,  324,  332; 
II,  6,  128-131,  277. 

Amnisties,  I,  190  (en  note). 

Amour.  Amour  de  soi,  condamné,  I,  211.  —  Amours  contre  na- 
ture, I,  246-247,  279.  —  L'amour  est  compris  dans  la  justice, 
I,  281.  —  Dieu  meut  par  l'amour,  1,  2S0.  —  Amour  de  Dieu.  Voyez 
Dieu. 

Analhèmc,  I,  70-71;  II,  210-211. 

Anaxogore,  I,  95-99. 

Ancyre.  L'Inscription  d'Ancyre,  II,  161,  105. 

Ange.  Anges  déchus,  I,  25.  —Anges  gardiens,  I,  225;  II,  21-22. — 
Équivalent  aux  dieux  païens,  II,  313. 

Anthologie,  I,  353;  II,  13. 

Antigone  (1')  de  Sophocle.  Voyez  Sophocle. 

Antislhène,  I,  212,  313-314. 

Apothéose,  I,  53,  08,  126-127,  308,  340-351  ;  U,  85,  197-  201,  29G. 


1.  Cette  table  ne  se  rapporte  ([u'au  texte  même  de  l'ouvra^'c;  clic  aurait 
été  trop  étendue  si  elle  avait  embrassé  tout  ce  qui  se  truu\c  daoi  les  Notcj 
'~'lacéesà  la  (iu  des  deux  volumes. 


382        LE    CHRISTIANISME    ET    SES   ORIGir^ES. 

Arimane  II,  28. 

Aristippe,  l,  830. 

AriPtophane,  l,  92  et  IGS. 

Aristole,  l,  276-304. 

Asile  (droit  d'),  l,  71. 

Assollant  ;M.  Ernest),  l,  191  (annote). 

Astres.  Étaient  des  dieux  :  l,  95,  148,  293-296  (  au  contraire,  333). 

Astrologie,  II,  84  et  180-184. 

Athènes    au    ve   siècle,    I,   49-76.  —  Esprit  d'Athènes,  I,  186-192. 

Voyez  Histoire. 
Attale  le  philosophe,  II,  269. 
Auguste.   La    religion   au   temps   d'Auguste,    II,   157-212.  —  Son 

Exhortation    à   la   philosophie,   215.  —  Son  testament.    Voyez 

Anctre  (Inscription  d'). 
Aulugelle.  Voyez  Gellius. 

Aumône,  I,  17-18,  108,  112;  II,  19,  33,  227,  286-287. 
Avortement,  autorisé,  I,  278.  —  Condamné,  II,  228. 
Axiochos  (l'j,  dialogue  platonique  sur  la  mort,  II,  128. 

B 

Bacchantes  (les),  tragédie  d'Euripide,   I,  128-136. 

Bacchos.  Voyez  Dionysos. 

Baptême,  II,  190, 

Bérose  et  Manéthon,  II,  28-29.  Leurs  livres  ne  sont  pas  authen- 
tiques. 

Bête.  L'homme  n'est  ni  dieu  ni  bête,  I,  286. 

Beulé  (M.),  cité  à  propos  de  la  Pallas  de  l'Acropole,  I,  61  (en  note). 

Bible.  N'a  pu  rien  fournir  aux  Hellènes,  I,  255-259;  II,  43-45  et 
291-294. 

Bien.  Question  du  souverain  bien,  I,  313;  II,  10  et  70. 

Bossuet.  Rapproché  d'Isocrate,  I,  201.  —  D'Horace,  II,  200. 

Bouddhisme,  II,  37. 

Bourdaloue,  rapproche  la  canonisation  de  l'apothéose,  II,  198  (en 
note). 

Brachmanes,  II,  33-41,  127. 

Brutus  :  son  Génie,  II,  176. 

Burnouf  (M.  Emile).  Sa  traduction  de  la  Bhagavad-Gila,  11,4047. 


Calathos,  ou  corbeille  sacrée,  I,  2%. 

Calendrier,  est  chose  religieuse,  II,  ICj. 

Callimaque,  ses  Hymnes,  I,  339. 

Callixènc  de  Rhodes  :  pompe  ou  procession  qu'il  décrit,  ï,  3'iOL 

Canonisation,  dans  Platon,  1,  238.  Voyez  Apothéose. 

Casuistique,  es*  duc  aux  philosophes,  II,  102. 


TABLE     ALPHABÉTIQUE.  883 

Catéchisme,  I,  327  et  II,  145  (ea  note). 

Caton,  II,  107.  295. 

Catulle,  son  poëme  sur  la  grande  Déesse,  II,  88. 

Cènocomméiiiorative  des  Mystères,  I,  66.— De  l'école  d'Epicure,  Sôr. 

Chai-ilé,  I,  105,  108;  II,  19,  260,  284-288,  298.  Voyez  Amour, 
Aumône,  Humanité. 

Chassang  (M.l,  cité  sur  Pindare,  I,  80  (en  note). 

Chasteté.  Vœux  de  chasteté,  I,  67  et  II,  208.  —  La  chasteté  dans 
Euripide,  I,  109,  139.  —  Dans  Platon,  2.J5.  —  Dans  .Vristoxinc, 
II,  9.  —  Dans  Cicéron,  109-110.  —  Légendes  de  vierges,  191-1VI2. 

—  Au  temps  d'Auguste,  190-191.  —  Dans  les  Déclauialours,  2J1. 

—  Dans  Valérius,  237.  —  Dans   Sénèque,  282.  —  Condamnation 
des  secondes  noces,  224-226. 

Chénier  (André).  Vers  traduit  de  Lucrèce,!,  334,  350  (en  note). 

Christ  :  idée  hellénique  d'un  Christ,  I,  219  et  II,  317-319.  Voyez 
Messies. 

Christianisme  :  idée  générale  du  christianisme  I,  1-6.  —  Avénemen. 
du  christianisme,  II,  328-333. 

Chrysippe,  le  Thomas  d'Aquin  des  Stolques,  II,  4-5  et  97. 

Cicéron,  II.  72-139. 

Cierges,  I,  07. 

Cité  de  Dieu  :  idée  platonique  et  stoïque,  I,  207,  320-323. 

Cléanthe,  son  Hymme  au  Verbe,  I,  325. 

Clergé  philosophique,  dans  Platon,  I,  237-239. —  .\ux  temps  macé- 
doniens, II,  9.  — .  Au  temps  des  Césars,  289. 

Clytemnestre  :  poète  chargé  de  veiller  sur  elle,  I,  20. 

Comédie.  Comédie  antique,  I,  92  et  163.  —  Macédonienne  et  ro- 
maine, II,  14-24. 

Communion   d'Eleusis,  I,  66.  —  La  communion   des    Saints,   S23 

Concile.   Première  idée  d'un  concile,  II,  70. 

Confession,  I,  C6  et  243. 

Confréries  religieuses,  I,  69  ;  II,  207. 

Conscience.  Nommée  pour  la  première  fois  dans  Euripide,  I,  115. 

Consolations  philosophiques  :  II,  8,  102,  272. 

Contemplation.    Voyez  Retraite. 

Conversion  :  II,  8,  269,  272. 

Cornulus,  directeur  de  Perse,  II,  299. 

Crantor  :  Son  livre  du  Deuil,  II,  8. 

Cratippe,  directeur  du  jeune  Cicéron,  II,  104. 

Création.  Création  de  l'homme,  I,  65,150.  —  Du  Monde,  213.  —  Créa- 
tion, au  sens  absolu,  II,  175,  276. 

Critias,  l'un  des  Trente  :  fragment  de  lui  contre  les  dieux,  I,  120. 

Critique.  La  critique  en  général;  elle  manquait  aux  anciens,  I,  301  ; 
II,  26,  92-94,  280-28r.  —  Critique  en  ma'ière  de  religion,  ou 
incrédulité  :  I,  43,  95,  116-121;  II,  64-05,  73-77,  163-1C>5,  301. 

Culte.  Le  vrai  culte.  Voyez  Sacrifices.  —  Cultes  obscènes.  Voye» 
Obscènes. 

Cycéon,  breuvage  de  la  communion  d'Eleusis,  I,  C6. 

Cyniques,  I,  314-316;  II,  2,  4,  119,  216,  273. 


381  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

D 

Dante,  rapproché  d'Arislote,  I,  278-279. 

Décadence.  Voyez  Progrès. 

Déclamateurs  ;  leur  témoignasse  sur  la  religion  et  la  philosophie 
de  leur  temps,  II,  191,  226-233. 

Delille  :  vers  stoïque  de  lui,  II,  255. 

Délos,  île  sacrée,  I,  126,  339. 

Delphes.  L'oracle  de  Delphes  exerce  comme  une  papauté,  I,  72,240. 

Déluge  :  tradition  du  déluge  chez  les  Hellènes,  I,  80,  254. 

Déméter.  Voyez  MysTÎ;RES. 

Démocratie  d'Athènes,  I,  49,  157-160,  263. 

Démocrite,  I,  95  et  II,  96,  118. 

Démons.  Croyance  aux  démons,  I,  231-233  (voir  aussi  141),  258,  327; 
II,  97-98, 176  et  303-304.  Il  n'y  en  a  pas  de  mauvais,  I,  232;  II,  22. 

Démosthène,  cité,  I,  186-270. 

Denis  (M.  Jacques),  I,  352  (voir  la  Préface). 

Denys  d'Halicarnasse,  sa  crédulité,  II,  176-177. 

Dcschanel  (M.  Emile),  I,  16i  (en  note).  (Voir  aussi  la  Préface). 

Détachement.  L'esprit  de  détachement,  1, 113,  205-211,  319,  329,355; 
II,  41,  106,  261,  263-264. 

Dévotions  païennes  :  I,  67  ;  II,  201-212. 

Diable.  Le  diable,  II,  304  (voir  aussi  I,  225  et  233). 

Diagoras,  appelé  le  premier  du  nom  d'athée,  I,  119  et  136. 

Dicéarque  :  ses  doctrines  sur  l'âme  et  sur  la  guerre,  II,  6  et  113. 

Diderot,  son  témoignage  sur  les  pompes  religieuses,  I,  58-59. 

Dies  irai.  La  Sibylle  reconnue  dans  le  Dies  irse,  II,  184. 

Dieu.  Ce  qu'étaient  les  dieux  des  temps  primitifs,  I,  9.  —  Avantage 
de  plusieurs  dieux,  51.  —  Le  mot  Dieu,  pris  absolument,  est  mo- 
derne, I,  214.  —  Croyance  en  deux   dieux,   du  bien  et  du  mal, 

I,  232  et  II,  28.  —  L'homme  ni  dieu  ni  bête,  I,  286.  —  Dieux 
admis  par  les  Juifs,  I,  257.  —  Dieu  suprême  ou  unique  :  I,  14, 
43,  141,  151,  212-215,   280,  324;  II,  174.  —  Idée  des  faux  dieux, 

II,  74.  —  Les  dieux  païens,  au  temps  où  s'est  produit  le  christia- 
nisme, n'étaient  que  des  anges,  II,  313.  —  Définilion  de  Dieu, 
I,  327.  —  Amour  de  Dieu,  I,  221  ;  II,  22,  132,  275-277.  —  Bonté 
de  Dieu,  II,  113  (comparer  le  Thnée  de  Platon,  p.  29).  —  Faire 
la  volonté  de  Dieu  I,  176  ;  II,  276. 

Diogcne,  I,  315. 

Dionysos:  I,  37,  81,128-136,  339-340;  II,  34. 

Direction  de  conscience  :  I,  21  ;  II,   8,   68,   103,  215,  220,  270-272. 

Divination,  pratiquée   ou   reconnue,    I,  15,  57,   123,  179,  193,   240. 

283,  299,  328  ;  II,  79-84. 
Dogme.  Ce  que  c'est  qu'un  dogme,  I,  310  (et  223);  II,  274. 
Dolifus    (M.    Charles),    cité   à  propos    de   la    divinité    des  astres, 

I,  148  (en  note). 
Douleur.  Mépris   de  la  douleur,  I,  316;  II,  264. 
Droit   (Action  de  la  philosophie  sur  le),  II,  117,  220  (et  I,  186). 


TABLE  ALPHABÉTIQUE.  38:^ 

E 


Eau  bénite,  I,  67. 

Écriture.  Voyez   Bible.  —  L'Ecriture    sainte    des    Hellènes  est 

^  Homère,  I,  23. 
Éducation  publique,  I,  282. 
É.  E.  (M'""),  citée  au  sujet  des  idiies  dejXénophon  sur  la  Femme, 

I.  19"-        '  •     .    ,    .       V. 

Égalité  des  fautes,  I,   318  ;    H,  115-117.  -  Egalité   des  hommes, 

'l,  109,  320-321  ;  II,  18.  Voyez  Esclaves. 
Eeqer  (M.  Emile),  cité  (en  note),  I,  71,  97,  334. 
Église.  Les  ùcoles   philosophiques  étaient  des  églises,  I,  31,  178 _; 

Il   9,  110.  —  Idée  du   gouvernement  de  l'Eglise,  I,_237.   —  Tri- 
bunaux  religieux  analogues  à  ceux  de  l'Eglise,  I,  70 
É<-vpte.  InHucnce   de  la  religion   de  l'Egypte,  I,  37,   117,  Wl-W^, 

Î8Ô,  228,  231  ;  H,  30-33,  89-90,  240-243. 
Élus.  Petit  nombre  des  élus,  I,  225. 
Empédoclc  :  I,  140-142. 
Empire  romain.  Voyez  Histoire. 
Enfants.  Abandon  des   enfants,  autorisé,  I,  278.  -  bondamné,  II, 

oo7.<9-^S   '*41    324. 
Enfer-^Croyance  à  l'enfer,  I,  37,  80,  225-230;  II,  172,  185-187.  - 

Charité  dans  l'enfer,  II,  287-288. 
Ennius,  II,  64. 
Épicharme  :  I,  92  et  H,  G5. 
Épicurc  :  I,  330-357.  -  Son  école  à  Rome  :  II,  71-72,  9i),  132,  Wà, 

^  177,  297. 
Épiménide  :  I,  28. 
Épiphanics  :  I,  336. 

Érasme  :  son  témoignage  sur  Cicéron,  II,  138. 

Eschyle  :  I,  88-90. 

Esclaves.  Sentiments  et  doctrines  sur  les  esclaves  .1,  -0,  HJJ, 
113  186-183,  197-198,  277-278,  281,  323-324,  3o3-3o4;  II,  13, 
114^120,  123,  100-161,  229-230,  259,  283-281,  320-321. 

E=prit.  L'Esprit,  dans  Anaxagore,  I,  97. 

Eunuques  :  I,  195-196  ;  H,  228. 

Euripide  :  I,  103-116,  119-120,  128-13b,  139. 

Évan-iles.   Les  Évangiles  n'existaient  pas  du  temps  de  Séncque, 
_  II,  292. 

Évémère,  II,  27  et  65. 

Examen  de  conscience  :  II,  274.^ 

Excommunication.  Voyez  Anatuème, 


Famille  (la  Sainte),  n'est  pas  une  famille,  I,  22. 
II. 


386  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

Fanatique  :  origine  de  ce  mot,  II,  89. 

Fauclie,  passages  cités  de  ses  traductions,   II,  39,  41. 

Femmes.  Sentiments  et  doctrines  des  anciens  sur  les  femmes, 
I,  187,  19G-197,  246-247,  278  ;  II,  24,  56,  231-232,  282,  288-289. 
—  Sentiments  des  femmes,  I,  265;  II,  100,  328.  —  C'est  la  femme 
qui  introduit  le  mal  dans  le  monde,  I,  25. 

Fénelon  :  prédication  dramatique  qu'il  demande,  I,  83-84. 

Fin  du  monde  (croyance  à  la),  II,  86,  18S-189,  306. 

Foi  :  la  Foi,  I,  32,  142.  Voyez  Religion  et  Superstitions.  —  Suivre 
la  foi  de  son  pays,  I,  117,  147.  —  Guerre  entre  la  foi  et  la  rai- 
son :  I,  132-136,  185  ;  II,  177. 

Fondations  pieuses,  I,  67  ;  II,  202-203. 

Fontenelle,  I,  76;  11,95. 

Foucaux  (M.),  cité  comme  traducteur,  II,  38. 

Fustel  de  Goulanges  (M.),  sa  Cité  antique,  l,  56  (en  note). 


G 


Carat,  son  témoignage  sur  Sénèque,  II,  250-257. 

Gellius  ou  Aulugelle,  ce   qu'il  dit  du   mot  humanitas,  II,  US. 

Gcilius  le  proconsul,  prétend  accorder  les  philosophes,  II,  70. 

Girard  (M.  Jules),  I,  93  (en  note). 

Gladiateurs.  Combats  de   gladiateurs   jugés  par  les    philosophes  : 

II,  120,  284  (et  321). 
Gnomique.   Poètes  gnomiques,  I,  39-42. 
Grâce.  La  grâce  gratuite,  I,  125. 
Grec.  Voyez  Hellénique. 
Grégoire  de  Nazianze,  II,  200. 
Guerre.   Condamnée  par  les  philosophes  :  1,321  (voir  aussi  102); 

II,  113-114,  232-233,  285-286,  295  et  296. 
Gymnastique,  suspecte  aux  philosophes  :  I,  45-46. 


H 


Hadrien.  Ses  temples  sans  images,  II,  322. 

Hécaton.  Ses  cas  de  conscience,  II,  117. 

Hégésias,  prêcheur  de  mort,  II,  5,  11. 

Heine  (Henri),  I,  190  (en  note). 

Hellénique.     L'esprit   hellénique,   I,   21,   27,    103,    189;  II,    53   et 

102-103. 
Héraclès  ou  Hercule,  I,  53,  102,  315,  320  ;  H,  319. 
Heraclite,  I,  99,  155  (en  note),  294  (en  note), 
Hermès.  Affaire  des  Hermès,  I,  125.  Voyez  IIipparque. 
Hérodote,  I,  117-118,  122-123. 
Héron  d'Alexandrie,  II,  99.  ' 


TABLE    ALPHABÉTIttUE.  387 

Hésiode,  I,  24-2G. 

Hipparque.  Ses  Hermès,  I,  40. 

Hippocrate,  I,  90,  12'i. 

HisloircJ.  Ilisloirc  i,'6n6rale,  rapprochée  de  l'histoire  de  la  religion 
et  do  la  philosophie.  Temps  liéroiques,  I,  13.  —  D'HomlM-e  au 
vie  siècle,  2G-27.  —  Athcncs,  48-50.  —  Sa  démociatie,  157-1G4. — 
L'Athènes  de  Platon,  178,  183-184,  191-192,204-200.—  Révolution 
macédonienne,  262-275.  —  Les  rois  macédoniens,  305-310  (voir 
aussi  321). —  Fin  de  l'indépendance  hellénique,  II,  47-51.  — 
Rome,  51-54  et  69-70.  —  Le  césarisme,  157-163  et  249-251.  — 
Histoire  sainte  :  Rome  n'en  a  pas,  II,  55.  —  Celle  des  chrétiens 
leur  est  étraniiçère,  I,  53. 

Homère,  I,  12-24  (et  34-35). 

Horace.  Sa  religion,  II,  lOS,  174,  200-201,  etc.  —  Sa  philosophie, 
215-224.  —  C'ûé  sur  les  Juifs,  244. 

Humilité,  I,  234;  II,  17. 

Hypéridc,  I,  271. 

I 


Idololatrie,  II,  55,  74, 

Image.  L'homme  fait  à  l'image  des  dieux,  II,  175. 

Imitation  de  Dieu,  1,233. 

Immortalité  de  l'àmc.  Voyez  Ame. 

Incarnations  divines,  I,  52. 

Incrédulité.  Voyez  Critique. 

Inde.   Inde  primitive,    I,  8-12.  —  Inde  brahmanique,  II,  33-il. 

Initiation,  avant  la  mort  :  I,  66. 

Inspirés,  II,  179-305  (et  I,  54). 

Intérêt  de  l'argent,  condamné,  I,  277. 

Intolérance  religieuse,  I,  137  et  241.  II,  132,  143,  177. 

Ion,  personnage  d'Euripide,  I,  113-114. 

Iphigénie.    Le    sacrifice   d'Iphigénie.   Voyez  Eschtlb. 

Isocrate,  I,  199-202  (et  182). 


Jéhovah,  opposé  à  Jupiter,   II,  197.  —  Ce  nom  remplacé  par  celui 

du  Seigneur,  327. 
Jésus,  comparé  a  Socrate,  I,  154-156,  166-168. 
Joseph,    l'historien  ;   son   récit  sur  l'aventure   d'un  Juif  au  temps 

de  Tibère,  II,  245. 
Josué.  La  fable  de  Josué,  I,  45. 
Jugement  des  morts,  I,  225. 
Juifs,  opposés  aux   Hellènes,    I,    171-172    et  II,   325-327.  —  Leur 

grandeur,  I,  259-2G0.  —  Les  Juifs  dans  le  monde  grec,  II,  42-45. 

—  Les  Juifs  à  Rome,   II,   148-156.  —  Les    Juifs   sous  l'empire, 


j8s        le  christianisme  et  ses  origines. 

243-2'48,   311,    323-329.  —  La    philosophie    n'a    rien    pris    dans 

leurs  livres.  Voyez  Bidle. 
Justice.  La  justice  suprême  est  amour,  I,  281  et  304'. 
Justin  (Saint),  I,  172;  II,  21. 


Labéo,  a  renouvelé  le  droit  par  la  philosophie,  II,  320. 

Langues.  Les  Hellènes  ne  les  étudiaient  pas,  II,  44-43. 

Langlois,  sa  traduction  du  Rig-Véda,  I,  11-12. 

Léonidas  de  Tarente,  II,  13  (en  note). 

Limbes.  Les  limbes  dans  Platon,  I,  226. 

Livius.  Voyez  Tite-Live. 

Livres.  Livres  sacrés  de  Déméter,  I,  64. 

Lois.  Lois   sacrées  ou   lois   non    écrites,   I,    64.  —  Les   Lois  de 

Platon,  I,  236  et  241. 
Loiselcur-Deslonchamps,   sa   traduction   des    Lois   de  Manou,    II, 

39-40. 
Louis  (Sainl),  rapi»roclié  de  deux  personnages  d'Euripide,  1,104,103. 
Lucain,  II,  295-290  et  304. 
Lucrèce,  II,  86,  87,  140-142. 

M 

Macaulay  :  passage  contre  les  Stoïques,  II,  232. 
Macédoniens.  Voyez  Histoire. 
Magie,  I,  127-128,  335  ;  II,  185  et  303-304. 
^laislre  (Joseph  de),  I,  07-08  el  300. 
Mal.  Ne  pas  rendre  le  mal  pour  le  mal,  I,  235. 
Manéthon.  Voyez  Bérose. 

Manilius,  son  poème  astrologique,  II,  181-182  et  213. 
Mariage,  I,  20.  Voyez  Femmes,  Noces,  Polygamie. 
'Marlha(M.),I.  403;  H.  286. 

Martyrs  philosophiques,  II,  222,264  (voir  aussi  I,  219). 
Mégasthène,  son  témoignage  sur  l'Inde,  II,  35,37. 
Ménandre.  Voyez  Comkdie. 
Ménard(M.  Louis),  I,  4i-45.  Voyez  la  Préface. 
Monippe,  II,  6. 
Mères.  Les  Mères,  I,  336-337. 
Messies.  Les  Messies  païens,  II,  188-189. 

1.  ,1'ai  en  tort  d'employer  cette  formule,  qui  ne  traduit  pas  bien  la  pnrase 
d'.\ristolo.  V.We  n'est  pas  conforme  au  mot  A  mot  et  oUe  a  une  espèce  d'emplinse 
qui  n'est  nullement  aristotélique.  11  fallait  traduire  plus  simplement  (et  cette 
•implicite  n'a  pas  moins  de  force)  :  «  Et  c'est  encore,  ce  semble,  do  la  justice 
que  de  bien  aimer  »  ;  c'est-à-dire,  en  langage  moderne,  que  l'amour  est  essin- 
(icllcmcnt  compris  dans  la  justice. 


TABLE    ALPHABÉTIQUE.  389 

Mélempsychose  ou  transanimalion,  I,  31  ;  H,  234, 

Michelel  (M.).  I,  4.    Voyez  la  Préface. 

Miracles,  L  1-2-123;  H,  170- 179,  elc. 

Monarchie.  S'établit  à  la  fois  sur  la  terre  et  dans  le  ciel,  I,  290-291  ; 

II,  174.  Voyez  IIiSTOinE   et   Politique. 
Monastiques    (habitudes):!,    lG-i7,    32,    139-liO,    144,    315-31GÎ 

II,  32,  2il,  273. 
Montaigne,  II,  3  et  12G. 

Morale.  Elle  est  à  la  fois  obligatoire  et  relative,  I,  2ô0. 
Mort.  Moralités  sur  la  mort,"^!,  79,  116,  209-210,  2S4  ;  II,  5,  10,  40, 

125-128,  257-258,  2G5.  —  Fête  des  morts,  II,  202. 
Musonius,  II,  88. 

Mystères  d'Eleusis,  I,  36-37  et  60-66. 
Mysticisme,  I,  140,  221,  284-289,  348. 
Mythologie.  Ce  qu'elle  est  au  fond,  I,  6-8,  43-47.  —  Condamnée  par 

les  philosophes,  I,  44,  79,  119,  146-147,  180,220;  I,  164-105, 171. 


N 
Noces.  Condamnation  des  secondes  noces,  II,  224-2Ù3. 

o 


Obscènes  (les  cultes),  1,52. 

Onésicrite,  son  témoignage  sur  l'Inde,  II,  35-33. 

Oracles.  Voyez  Delphes  et  Divination. 

Oromaze,  II.  28. 

Orphiques  (poèmes),  I,  38. 

Ovide  :  II,  107,  205-207,  234-235,  etc. 


Paganisme.   Sainteté  du  paganisme,  I,  51-54  et  73-76.  —  Que    so- 

rait-il  arrivé  s'il  eût  vécu?  II,  321-323. 
Pallas.  La  Pallas  d'Athènes,  I,  54  et  60-61  (en  note). 
Panétios,  II,  71. 
Paradoxes  des  Stoïques,  I,    316-318;    II,  124.  Voyez  Eg.\lité  des 

fautes. 
Pascal,  son  témoignage  sur  Platon,  I,  260. 
Passion.  La   Passion   d' .adonis  et  celle   de  Bacchos,   I,  54-55.  — 

Colle  d'Osiris,  II,  309. 
Patin  (M.),  cité  sur  la  tragédie  antique,  I,  86. 
Patrie.  Détachement  de  la  patrie,  I,  113,  355. 
Paul.  Saint  Paul  rapproché  des  Stoïques,  I,  329. 


890  LE  CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

Pauvres.  Dieu   est  avec  eux   et   en  eux,  I,  17-18.  —  Religion  des 

pauvres,  115. 
Pauvreté.   Amour   de   la  pauvreté,    I,  144.  Voyez  Richesses. 
Péché.  Péché  originel,  I,  141.  —  Le  péché  en  général,  II,  266-267. 
Pénitence.  Doctrine  de  la  pénitence,  I,  242.  Voir  aussi  II,  18. 
Péripalétiques.  Leur  morale,  II,  3-4. 
Perse,  le  poëte,  II,  297-300. 

Perses.  Leur  influence  sur  l'esprit  hellénique,  I,   117;  II,  28. 
Persévérance  (doctrine  de  la),  II,  267. 
Pétrone,  II,  296-297. 
Phérécyde  de  Syros,  I,  29. 

Philippe,  roi  de  Macédoine  :  sa  dévotion,  I,  274-275. 
Philodème  :  I,  344-346;  II,  123,  139. 
Philolaos  :  I,  203,  234. 

Philon,  est  un  véritable  Père  de  l'Eglise,  II,  247. 
Philosophie.   Epoque    oii   ce   mot    paraît  pour    la  première    fois, 

I,  144.  —  La  philosophie  règne  dans  le  monde  ancien  comme 
une  religion,  261,  301-04,  310-313;  II,  9-10,  101-107,  133-138, 
258-259,  277-278.  —  Voyez  Athènes  (  Esprit  d'  ).  —  Elle  est  le 
remède  des  temps  mauvais,  II,  50-51.  —  L'âge  le  plus  riche  de 
la  philosophie  grecque  est  perdu  pour  nous,  II,  46.  —  Les  en- 
nemis de  la  philosophie  :  I,  102,  132,  139,  184-185  ;  II,  12-13. 
143-147,  272.  —  Il  n'y  a  pas  de  philosophie  chrétienne.  II,  291. 

Pindare,  I,  77-81. 

Platon,  I,  203-261.  —  L'école  de  Platon,  II,  4,  7,  127-  12S.  142. 

Poésie.  La  poésie  maîtresse  de  sagesse  :  I,  21.  78,  88,    129,  189; 

II,  226. 

Polémon  :  sa  conversion,  II,  7-8, 

Politique  des  philosophes.  De  Pythagore,   I,  33-34.  —  De  Socrate, 

157-165.  —  Des  Socratiques,  183.  —  De  Platon,  204-205,  245-246. 

—  Des  Stoïques  et  d'Épicure,  349,  355  (et  11,12).  —  Des   Stoiques 

de  Rome,  II,  289-291. 
Polygamie,  répudiée  par  la  Grèce,  I,  20  et  109. 
Polythéisme.  Voyez  Dieu. 

Pontife   (souverain),  II,  60,  165,  170,  198-199.  Voyez  Delphes. 
Posidonios,  II,  98. 

Possédés,  I,  128-131  ;  II,  89.  Voyez  Inspirés. 
Prédication  (la).  Delà  poésie  et  du  théâtre,  I,  79-84.  —De  Socrafe, 

152-153, 174.  —Des  philosophes  en  général,  251  ;  II,  9-10,  269-270. 
Présages.  Les  présages  à  Rome,  II,  178,  208. 
Prêtres.  Leur  dignité,  I,  69;  II,  60  et  199. 
Processions,  I,  58-59,  340-342;  II,  194. 
Prodicos,  I,  102. 
Progrès.   Loi  de   progrès,  I,  48;  II,  278.  —  Idée  contraire,  I,  229, 

3(X).  J'aurais  pu  citer  Horace,  Canuina,  III,  vi,  44-48. 
Propcrcc,  II,  224. 
Prolagoras,  I,  137. 
Proudiion,  II,  55, 
Providence  divine  :  I,  199,  21G,  326,333;  II,  75,  276. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE.  391 

Puissance.  Doctrine  des  deux  puissances,  I,  237. 

Purgatoire,  II,  187. 

Pythagore,  I,  SO-^i.  Son  école,  92,  130-140;  II,  9,  63,  142,  234-23&. 

Q 

Question,  appliquée  aux  esclaves,  I,  110-111. 
Quinet  (M.),  I,  4  (en  note). 


R 


Rédempteur.  Idée  d'un  rédempteur,  II,  317-319. 

Religion.  Reliiiion  d'Athènes  au  vc  siècle,  I,  50-76.  —  Religion  ro- 
maine, II,  54-63,  163-212. —  Religions  orientales  :  I,  28-29,  54-55. 
128-129;  II,  27-29,  89,  127,  146-147,  238-240.  Voyez  Egypte,  Inde, 
Juifs,  Perses. —  La  religion  philosophique,  I,  310.  —  Se  pré- 
valoir de  la  religion,  mot  de  Montesquieu,  II,  02.  Voyez 
Foi  et  Superstitions. 

Remords  :  II,  109,  298. 

Rémusat  (M.  de)  ,  I,  224. 

Renan  (M.),  I,  210  et  251  (en  note).  Voir  aussi  la  Préface. 

Résurrection,  I,    36,   258  ;  II,    188.  Vovez  Métempsycose. 

Retraite,  I,  M4,  205-209,  285;  II,  207-269. 

Révélation.  Appel  à  une  révélation,  I,  228. 

Réversibilité  des  fautes,  I,  41  ;  II,  190.  —  Combattue,  I,  42. 

Réville  (M.  Albert),  I,  257  (en  note). 

Richesses.  Moralités  sur  les  richesses,  I,  113,  235  ;  I,  6,  16, 
232-233.  Voyez  Pauvreté. 

Rig-Véda  (ie),  I,  8  et  34. 

Robert  d'Arbrissel,  I,  194. 

Rogations  (les),  II,  204. 

Roilin,  I,  19  et  76. 

Roman.  Le  roman  est  né  de  la  philosophie,  I,  184. 

Rome.  Voyez  Histoire  et  Religion.  —  La  philos- phie  à  Rome, 
II,  63-72,  215-216,  2.'i0-261.  —  Les  religions  orientales  à  Rome  . 
Voyez  Religions  Orientales,  Egypte  et  Juifs. 

Rougé  (M.  de),  I,  230-231. 

Rousseau  (Jean-Jacques),  I,  165-166. 


Sabbat  (le),  I,  188;  II,  244,  309. 

Sacrifices.  Contre  les  sacrifices,  I,  115,  120,  200  (voir  aussi  2ô7  ot 

200)  ;  II,  21,  76,  23i-235,  275,  323,  327. 
Sacrilège  (loi  du),  I,  244, 


392  Li:    CHRISTIANISME  ET  SES  ORIGINES. 

Sainte-Beuve  (G.  A,),  H,  13  (en  note),  et  131. 

Science.  La  science  chez  les  anciens,  I,  29,  94-95;  II,  91-92,  278. 
—  Condamnée  par  les  philosophes,  I,  148-149,  292-300,  348-349; 
II,  25-26,  92-97,  213-214,  279-280.  Voyez  Critique. 

Scrupules  (les),  II,  195. 

Seigneur  (le) ,  II,  327. 

Selles  (les),  prrlres  de  Dodone,  I,  16. 

Sénèque  le  père,  II,  226. 

Sénèque  le  philosophe,  II,  249-294. 

Sérapéon  (le),  II,  32. 

Serment  (le),  I,  70,  221  ;  II,  58. 

Servius  Sulpicius,  II,  105. 

Shakespeare,  I,  351. 

Sibylle  (la),  reconnue  par  l'Église,  II,  184.  Voir  aussi  309. 

Socrate,  I,  14o-177,  184.  —  Est   le   pore  du   Christianisme,  138. 

Solon,  I,  40-41. 

Songes.  Croyance  aux  songes  :  I,  125,  240,  283;  II,  208-209. 

Sophistes  (les),  I,  100-103. 

Sophocle,  I,  90-92.  — Passage  de  son  Antigone,  87. 

Soufflet.  Le  sage  se  laisse  souffleter,  I,  206  ;  II,  264. 

Soutiens  et  t'abstiens,  formule  stoïque,  II,  264. 

Spiritualisme,  dans  Anaxagore,  I,  97.  —  Dans  Socrate,  145-146. — 
Dans  Platon,  207.  —  Dans  Cicéron,  II,  128.  —  Le  faible  du 
spiritualisme,  I,  151. 

Stoïques  :  I,  314-330,  345;  II,  14-15.  —  Stoïques  romains,  II, 
251-261. 

Suicide.  Pratique  du  suicide,  II,  5-6,  222.  —  Condamnation  du  sui- 
cide, I,  64-65,  234,  279. 

Superstitions.  Au  v^  siècle,  I,  122-128.  —  Au  temps  de  Platon, 
179.  —  Au  temps  de  Philippe,  274.  —  Après  Alexandre,  334- 
337  et  II,  20-21.  —  Au  temps  de  Cicéron,  II,  77-101.  —  Au  temps 
d'Auguste,  192,  207-211.  —  De  Néron,  301-310.  —  Bonnes  pour 
la  foule,  II,  186.  —  Difficulté  de  distinguer  la  superstition  de 
la  religion,  II,  173.  Voyez  Religion. 

Swetchine  (Mm<;),  H,  131. 


Taine  (M.),  I,  59,  (en  note);  II,  252. 

Temples.  Les  dieux  n'en  ont  pas   besoin  :  I,  120,  325.  Voir  aussi 

257  et  260  et  II,  327. 
Tertullien,  I,  355-356;  II,  226, 
Thaïes,  I,  29  et  30. 
Théâtre.    Le    théâtre   à   Athènes,     I,    81-93.    Voyez    Comédie.— 

Guerre  des  philosophes  contre  le  théâtre,  234  (et  104  en  note). 
Théocrite,  II,  13,  en  note. 
Théodore  de  Cyrènc,  I,  337;  II,  5. 
Théognis,  I,  40. 
Théologie,  I,  212,  28S. 


TABLE    ALPIIAIÎÉTIQUE.  393 


Théophra?tc,  I,  187-188,  \]:l'i-^^. 
Tlincydide,  I,  95-9G,  118,  131). 
Tibullc,  II,  167. 

Tite-Live,  II,  177-178.  Voir  aussi  Kî'j. 
TocqueviUc  (Alexis  de),  II,  300. 
Torture.  Voyez  Question. 
Trêves  sacrées,  I,  71. 
Trinité  (la),  I,  51,  289. 


Varron,  II,  72,  76. 

Vengeance.  Voyez  Mal. 

Verbe  (le),  I,  97,  99,  172,  321,  325.  Voir  aussi,  page  374,  la  note 

sur  les  mots  :  Qui  fait  marcher  saas  bruit. 
Veuvage.  Voyez  Noces  (secondes  ). 
Viïuier  (É.),  I,  266. 
Viïlemain,  II,  51,  94. 
Villon,  I,  81. 

Virgile  .  II  ,  169-173,  224-225.  —  Voir  dans  la  licvue   des  Deux 
Mondes  (le-  mars  oL  le'  Juin  1873}  les  éludes  dâ  M.  Boistier  sur 
la  religion  do  \  irgile. 
Virginité.  Voyez  Chasteté. 
Vœux  :  I,  67;  II,  194,  207-208.  Voyez  Anatiième. 
Voltaire,  I,  IGl. 


Xénocralc,  II,  7  et  H. 
Xénophane,  I,  43-47. 
Xénophon,  I,  156,  176,  193-199. 

z 

Zenon,  î,  313,  316,  321-332. 


FIN    DU     TOME     SECOND     ET     DE     L 'lIEL  L  É  N  I  SUE  , 


TABLE  DES   CHAPITRES 


DU     TOME    DEUXIEME 


Pages 

Chapitre      X.  Entre  Alexandre  et  les  Romains 1 

—  XI.  Époque  romaine.  —  Gicûron Jil 

—  XII.  La    religion    au   temps  d'Auguste.  —  Virgile. 

—  L'astrologie  et  Manilius 157 

—  XIII.  La  philosophie   sous  Auguste    et    Tibère.  — 

Horace.  —   Les  déclamaleurs.  —  Vaîérius. 

'—  Le  judaïsme 213 

—  XIV.  Les  stoïques  romains.  —  Sénèque 249 

—  XV.  Lucain,  Pétrone,  Perse.  —  Le  monde  païen  à 

la  mort  de  Néron -20i 

Notes  et  renvois 235 

Table  alphabétique 379 


F.  Âureau.  —  Imprimerie  de  Lagnj 


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